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@@ -0,0 +1,7757 @@
+*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 38849 ***
+
+L'OISEAU BLEU
+
+par
+
+MAURICE MAETERLINCK
+
+
+FÉERIE EN SIX ACTES ET DOUZE TABLEAUX
+
+_Représentée pour la première fois,_
+_sur le Théâtre Artistique de Moscou, le 30 Septembre 1908,_
+_et à Paris, sur la scène du Théâtre Réjane,_
+_le 2 Mars 1911._
+
+
+
+PARIS
+
+Librairie CHARPENTIER et FASQUELLE
+
+EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR
+
+11, RUE DE GRENELLE, 11
+
+1911
+
+
+
+
+COSTUMES
+
+
+TYLTYL: Costume du Petit-Poucet dans les contes de Perrault:
+petite culotte rouge-vermillon, courte veste bleu tendre, bas
+blancs, souliers ou bottines de cuir fauve.
+
+MYTYL: Costume de Grethel ou bien du Petit Chaperon rouge.
+
+LA LUMIÈRE: Robe couleur de lune, c'est-à-dire d'or pâle à
+reflets d'argent, gazes scintillantes, formant des rayons, etc.
+Style néo-grec ou anglo-grec genre Walter Crane ou même plus ou
+moins Empire.--Taille haute, bras nus, etc.--Coiffure: sorte de
+diadème ou même de couronne légère.
+
+LA FÉE BÉRYLUNE, LA VOISINE BERLINGOT: Costume classique des
+pauvresses de contes de fées. On pourrait supprimer au premier
+acte la transformation de la Fée en princesse.
+
+LE PÈRE TYL, LA MÈRE TYL, GRAND-PAPA TYL, GRAND'MAMAN TYL:
+Costumes légendaires des bûcherons et des paysans allemands dans
+les contes de Grimm.
+
+LES FRÈRES ET SŒURS DE TYLTYL: Variantes du costume du
+Petit-Poucet.
+
+LE TEMPS: Costume classique du Temps: vaste manteau noir ou gros
+bleu, barbe blanche et flottante, faulx, sablier.
+
+L'AMOUR MATERNEL: Costume à peu près semblable à celui de la
+Lumière, c'est-à-dire voiles souples et presque transparents de
+statue grecque, blancs autant que possible. Perles et pierreries
+aussi riches et aussi nombreuses qu'on voudra, pourvu qu'elles ne
+rompent pas l'harmonie pure et candide de l'ensemble.
+
+LES GRANDES JOIES: Comme il est dit dans le texte, robes
+lumineuses aux subtiles et suaves nuances: réveil de rose,
+sourire d'eau, rosée d'ambre, azur d'aurore, etc.
+
+LES BONHEURS DE LA MAISON: Robes de diverses couleurs, ou si l'on
+veut, costumes de paysans, de bergers, de bûcherons, etc., mais
+idéalisés et féeriquement interprétés.
+
+LES GROS BONHEURS: Avant la transformation: amples et lourds
+manteaux de brocarts rouges et jaunes, bijoux énormes et épais,
+etc. Après la transformation: maillots café ou chocolat, donnant
+l'impression de pantins en baudruche.
+
+LA NUIT: Amples vêtements noirs mystérieusement constellés, à
+reflets mordorés. Voiles, pavots sombres, etc.
+
+LA PETITE FILLE DE LA VOISINE: Chevelure blonde et lumineuse,
+longue robe blanche.
+
+LE CHIEN: Habit rouge, culotte blanche, bottes vernies, chapeau
+ciré; costume rappelant plus ou moins celui de John Bull.
+
+LA CHATTE: Maillot de soie noire à paillettes
+
+Il convient que les têtes de ces deux personnages soient
+discrètement animalisées.
+
+LE PAIN: Somptueux costume de pacha. Ample robe de soie ou de
+velours cramoisi, broché d'or. Vaste turban. Cimeterre. Ventre
+énorme, face rouge et extrêmement joufflue.
+
+LE SUCRE: Robe de soie, dans le genre de celles des eunuques,
+mi-partie de blanc et de bleu pour rappeler le papier d'emballage
+des pains de sucre; Coiffure des gardiens du sérail.
+
+LE FEU: Maillot rouge, manteau vermillon à reflets chatoyants,
+doublé d'or. Aigrette de flammes versicolores.
+
+L'EAU: Robe couleur du temps du conte de Peau d'Ane, c'est-à-dire
+bleuâtre ou glauque, à reflets transparents, effets de gaze
+ruisselante, également style néo ou anglo-grec, mais plus ample,
+plus flottant. Coiffure de fleurs et d'algues ou de roseaux.
+
+LES ANIMAUX: Costumes populaires ou paysans.
+
+LES ARBRES: Robes, nuances variées du vert ou de la teinte tronc
+d'arbres. Attributs, feuilles ou branches qui les fassent
+reconnaître.
+
+
+
+
+TABLEAUX
+
+
+1er TABLEAU (acte I): _La Cabane du Bûcheron._
+
+2e TABLEAU (acte II): _Chez la Fée._
+
+3e TABLEAU (acte II): _Le Pays du Souvenir._
+
+4e TABLEAU (acte III): _Le Palais de la Nuit._
+
+5e TABLEAU (acte III): _La Forêt._
+
+6e TABLEAU (acte IV): _Devant le Rideau._
+
+7e TABLEAU (acte IV): _Le Cimetière._
+
+8e TABLEAU (acte IV): _Devant le Rideau._
+
+9e TABLEAU (acte IV): _Le Palais des Bonheurs._
+
+10e TABLEAU (acte V): _Le Royaume de l'Avenir._
+
+11e TABLEAU (acte VI): _L'Adieu._
+
+12e TABLEAU (acte VI): _Le Réveil._
+
+
+
+
+PERSONNAGES
+
+(dans l'ordre de leur entrée en scène)
+
+
+ LA MÈRE TYL -- Mlle Méthivet.
+ TYLTYL -- M. Delphin.
+ MYTYL -- Mlle Odette Carlia.
+ LA FÉE -- Mme Gina Barbieri.
+ LE PAIN -- MM. R.L. Fugère.
+ LE FEU -- Aurèle Sydney.
+ L'EAU -- Mlles Isis.
+ LE LAIT -- Diris.
+ LE SUCRE -- MM. Bosman.
+ LE CHIEN -- Séverin-Mars.
+ LE CHAT -- Stephen.
+ LA LUMIÈRE -- Mme Georgette Leblanc.
+ { Mlles Nini Mano.
+ { Henriette Maillefer.
+ { Fernande Fayeret.
+ { Blanche Faveret.
+ { Suzanne Bailly.
+ LES HEURES -- { Raymonde Faveret.
+ { Laurence Petit.
+ { Jane Faveret.
+ { Berthe Libovitz.
+ { Antoinette Raymond.
+ { Deroissy.
+ { Georges.
+
+ LE PÈRE TYL -- M. Félix Barré.
+ GRAND'MÈRE TYL -- Mme Daynes Grassot.
+ GRAND-PÈRE TYL -- M. Maillard.
+ PIERROT -- Mlles Suterre.
+ ROBERT -- Maria Fromet.
+ JEANNETTE -- Jeanne Evrard.
+ MADELEINE -- Giavelli.
+ PIERRETTE -- Henriette Gallet.
+ PAULINE -- Henriette Maillefer.
+ RIQUETTE -- Nini Mano
+ LA NUIT -- Clarel.
+ LE SOMMEIL -- Louise Starck.
+ LA MORT -- Rachel Horelick.
+ LE RHUME DE CERVEAU -- Renée Dahon.
+ 1er ENFANT BLEU -- Maria Fromet.
+ 2e -- -- Laura Walter.
+ 3e -- -- Maria Dumont.
+ 4e -- -- Fernande Faveret.
+ 5e -- -- Maud Loti.
+ 6e -- -- Suterre.
+ 7e -- -- Suzanne Bailly.
+ 8e -- -- Giavelli.
+ 9e -- -- Madeleine Fromet.
+ LE ROI DES NEUF PLANÈTES -- Batistina Rousseau.
+ 11e ENFANT BLEU -- Renée Pré.
+ 12e -- -- Henriette Maillefer.
+ 13e -- -- Béatrice Raymond.
+ 14e -- -- Jeanne Corrège.
+ L'AMOUREUX -- Lucy Fleury.
+ L'AMOUREUSE -- Blanche Borelli.
+ LE TEMPS -- M. Garry.
+ LE PETIT FRÈRE A NAITRE. -- Mlle Maria Fromet.
+ { Mlles Berthe Libovitz.
+ { Fernande Faveret.
+ { Suzanne Faveret.
+ { Blanche Faveret.
+ { Raymonde Faveret.
+ LES AUTRES ENFANTS BLEUS: -- { Mlles Henriette Gallet.
+ { Jeanne Evrard.
+ { Denise Choquet.
+ { Léa Dumont.
+ { Marcelle Malherbe.
+ { Juliette Malherbe.
+ { Lucienne Chezeaux.
+ { Dupechier.
+
+ { Mlles Deroissy.
+ { George.
+ LES GARDIENNES -- { Théloz.
+ { Albert.
+
+ LE CHEF DES GROS BONHEURS. M. Barré.
+ LES AUTRES BONHEURS { MM. Alfroy.
+ { Adalbert, etc.
+
+ { Mlle Lucienne Chezaux.
+ { Nini Mano.
+ { Jeanne Corrège.
+ LES PETITS BONHEURS -- { Henriette Maillefer.
+ { Fernand Faveret.
+ { Blanche Faveret.
+ { Louise Starck.
+ { Rachel Horelick.
+
+ { Jane Faveret.
+ { Raymonde Faveret.
+ LES ADOLESCENTS -- { Maud Loti.
+ { Annette Libovitz.
+ { Laurence Petit.
+
+ LE CHEF DES BONHEURS { Mlles Renée Beauval.
+
+ LE BONHEUR DE SE BIEN
+ PORTER { Dorchèze.
+ -- DE L'AIR PUR { Fleury.
+ -- D'AIMER SES PARENTS { Gannoz.
+ -- DU CIEL BLEU { Blanche Borelli.
+ -- DE LA FORÊT { Diris.
+
+ LE BONHEUR DES HEURES DE
+ SOLEIL { Mlles Boissière.
+ -- DU PRINTEMPS { Renée Dahon.
+ -- DES COUCHERS DE SOLEIL { Soyez.
+ -- DE VOIR SE LEVER
+ LES ÉTOILES { Georges.
+ -- DE LA PLUIE { Darièze.
+ -- DU FEU D'HIVER { Carène.
+ -- DES PENSÉES INNOCENTES { Laura Walter.
+ -- DE COURIR NU-PIEDS
+ DANS LA ROSÉE { Antoinette Raymond.
+
+ LA JOIE D'ÊTRE JUSTE { Albert.
+ -- D'ÊTRE BONNE { Bulaine.
+ -- DE LA GLOIRE { Théloz.
+ -- DE PENSER { Deroissy.
+ -- DE COMPRENDRE { Lefebvre.
+ -- DE VOIR CE QUI EST BEAU { Didier.
+ -- D'AIMER { Dervil.
+
+ L'AMOUR MATERNEL { Méthivet.
+
+ { Soyez.
+ LES JOIES INCONNUES { Delettraz.
+ { Dessoyer, etc.
+
+ LA VOISINE BERLINGOT { Mme Gina Barbieri.
+
+ SA PETITE FILLE { Mlle Juliette Malherbe.
+
+
+
+
+
+
+
+L'OISEAU BLEU
+
+
+
+
+ACTE PREMIER
+
+
+
+
+PREMIER TABLEAU
+
+
+LA CABANE DU BÛCHERON
+
+
+Le théâtre représente l'intérieur d'une cabane de bûcheron,
+simple, rustique, mais non point misérable.--Cheminée à manteau
+où s'assoupit un feu de bûches.--Ustensiles de cuisine, armoire,
+huche, horloge à poids, rouet, fontaine, etc.--Sur une table, une
+lampe allumée.--Au pied de l'armoire, de chaque côté de
+celle-ci, endormis, pelotonnés, le nez sous la queue, un Chien et
+une Chatte.--Entre eux deux, un grand pain de sucre blanc et
+bleu.--Accrochée au mur, une cage ronde renfermant une
+tourterelle.--Au fond, deux fenêtres dont les volets intérieurs
+sont fermés.--Sous l'une des fenêtres, un escabeau.--A gauche, la
+porte d'entrée de la maison, munie d'un gros loquet.--A droite,
+une autre porte.--Échelle menant à un grenier.--Également à
+droite, deux petits lits d'enfant, au chevet desquels, sur deux
+chaises, des vêtements se trouvent soigneusement pliés.
+
+ * * * * *
+
+ [Au lever du rideau, Tyltyl et Mytyl sont profondément
+ endormis dans leurs petits lits. La Mère Tyl les borde une
+ dernière fois, se penche sur eux, contemple un moment leur
+ sommeil, et appelle de la main le père Tyl qui passe la tête
+ dans l'entrebâillement de la porte. La Mère Tyl met un doigt
+ sur les lèvres pour lui commander le silence, puis sort à
+ droite sur la pointe des pieds, après avoir éteint la lampe.
+ La scène reste obscure un instant, puis une lumière dont
+ l'intensité augmente peu à peu filtre par les lames des
+ volets. La lampe sur la table se rallume d'elle-même. Les
+ deux enfants semblent s'éveiller et se mettent sur leur
+ séant.]
+
+TYLTYL
+
+Mytyl?
+
+MYTYL
+
+Tyltyl?
+
+TYLTYL
+
+Tu dors?
+
+MYTYL
+
+Et toi?...
+
+TYLTYL
+
+Mais non, je dors pas puisque je te parle....
+
+MYTYL:
+
+C'est Noël, dis?...
+
+TYLTYL
+
+Pas encore; c'est demain. Mais le petit Noël n'apportera rien
+cette année....
+
+MYTYL
+
+Pourquoi?...
+
+TYLTYL
+
+J'ai entendu maman qui disait qu'elle n'avait pu aller à la ville
+pour le prévenir.... Mais il viendra l'année prochaine....
+
+MYTYL
+
+C'est long, l'année prochaine?...
+
+TYLTYL
+
+Ce n'est pas trop court.... Mais il vient cette nuit chez les
+enfants riches....
+
+MYTYL
+
+Ah?...
+
+TYLTYL
+
+Tiens!... Maman a oublié la lampe!... J'ai une idée?...
+
+MYTYL
+
+?...
+
+TYLTYL
+
+Nous allons nous lever....
+
+MYTYL
+
+C'est défendu....
+
+TYLTYL
+
+Puisqu'il n'y a personne.... Tu vois les volets?...
+
+MYTYL
+
+Oh! qu'ils sont clairs!...
+
+TYLTYL
+
+C'est les lumières de la fête.
+
+MYTYL
+
+Quelle fête?
+
+TYLTYL
+
+En face, chez les petits riches. C'est l'arbre de Noël. Nous
+allons les ouvrir....
+
+MYTYL
+
+Est-ce qu'on peut?
+
+TYLTYL
+
+Bien sûr, puisqu'on est seuls.... Tu entends la musique?...
+Levons-nous....
+
+ Les deux enfants se lèvent, courent à l'une des fenêtres,
+ montent sur l'escabeau et poussent les volets. Une vive
+ clarté pénètre dans la pièce. Les enfants regardent
+ avidement au dehors.
+
+TYLTYL
+
+On voit tout!...
+
+MYTYL, [qui ne trouve qu'une place précaire sur l'escabeau.]
+
+Je vois pas....
+
+TYLTYL
+
+Il neige!... Voilà deux voitures à six chevaux!...
+
+MYTYL Il en sort douze petits garçons!...
+
+TYLTYL
+
+T'es bête!... C'est des petites filles....
+
+MYTYL
+
+Ils ont des pantalons....
+
+TYLTYL
+
+Tu t'y connais.... Ne me pousse pas ainsi!...
+
+MYTYL
+
+Je t'ai pas touché.
+
+TYLTYL, [qui occupe à lui seul tout l'escabeau.]
+
+Tu prends toute la place....
+
+MYTYL
+
+Mais j'ai pas du tout de place!...
+
+TYLTYL
+
+Tais-toi donc, on voit l'arbre!...
+
+MYTYL
+
+Quel arbre?...
+
+TYLTYL
+
+Mais l'arbre de Noël!... Tu regardes le mur!...
+
+MYTYL
+
+Je regarde le mur parce qu'y a pas de place....
+
+TYLTYL, [lui cédant une petite place avare sur l'escabeau.]
+
+Là!... En as-tu assez?... C'est-y pas la meilleure?... Il y en a
+des lumières! Il y en a!...
+
+MYTYL
+
+Qu'est-ce qu'ils font donc ceux qui font tant de bruit?...
+
+TYLTYL
+
+Ils font de la musique.
+
+MYTYL
+
+Est-ce qu'ils sont fâchés?...
+
+TYLTYL
+
+Non, mais c'est fatigant.
+
+MYTYL
+
+Encore une voiture attelée de chevaux blancs!...
+
+TYLTYL
+
+Tais-toi!... Regarde donc!...
+
+MYTYL
+
+Qu'est-ce qui pend là, en or, après les branches?...
+
+TYLTYL
+
+Mais les jouets, pardi!... Des sabres, des fusils, des soldats,
+des canons....
+
+MYTYL
+
+Et des poupées, dis, est-ce qu'on en a mis?...
+
+TYLTYL
+
+Des poupées?... C'est trop bête; ça ne les amuse pas....
+
+MYTYL
+
+Et autour de la table, qu'est-ce que c'est tout ça?...
+
+TYLTYL
+
+C'est des gâteaux, des fruits, des tartes à la crème....
+
+MYTYL
+
+J'en ai mangé une fois, lorsque j'étais petite....
+
+TYLTYL
+
+Moi aussi; c'est meilleur que le pain, mais on en a trop peu....
+
+MYTYL
+
+Ils n'en ont pas trop peu.... Il y en a plein la table.... Est-ce
+qu'ils vont les manger?...
+
+TYLTYL
+
+Bien sûr; qu'en feraient-ils?...
+
+MYTYL
+
+Pourquoi qu'ils ne les mangent pas tout de suite?...
+
+TYLTYL
+
+Parce qu'ils n'ont pas faim....
+
+MYTYL, stupéfaite.
+
+Ils n'ont pas faim?... Pourquoi?...
+
+TYLTYL
+
+C'est qu'ils mangent quand ils veulent....
+
+MYTYL, incrédule.
+
+Tous les jours?...
+
+TYLTYL
+
+On le dit....
+
+MYTYL
+
+Est-ce qu'ils mangeront tout?... Est-ce qu'ils en donneront?...
+
+TYLTYL
+
+A qui?...
+
+MYTYL
+
+A nous....
+
+TYLTYL
+
+Ils ne nous connaissent pas....
+
+MYTYL
+
+Si on leur demandait?...
+
+TYLTYL
+
+Cela ne se fait pas.
+
+MYTYL
+
+Pourquoi?...
+
+TYLTYL
+
+Parce que c'est défendu.
+
+MYTYL, battant des mains.
+
+Oh! qu'ils sont donc jolis!...
+
+TYLTYL, enthousiasmé.
+
+Et ils rient et ils rient!...
+
+MYTYL
+
+Et les petits qui dansent!...
+
+TYLTYL
+
+Oui, oui, dansons aussi!...
+
+ Ils trépignent de joie sur l'escabeau.
+
+MYTYL
+
+Oh! que c'est amusant!...
+
+TYLTYL
+
+On leur donne les gâteaux!... Ils peuvent y toucher!... Ils
+mangent! ils mangent! ils mangent!...
+
+MYTYL
+
+Les plus petits aussi!... Ils en ont deux, trois, quatre!...
+
+TYLTYL, [ivre de joie.]
+
+Oh! c'est bon!... Que c'est bon! que c'est bon!...
+
+MYTYL, [comptant des gâteaux imaginaires.]
+
+Moi, j'en ai reçu douze!...
+
+TYLTYL
+
+Et moi quatre fois douze!... Mais je t'en donnerai....
+
+ On frappe à la porte de la cabane.
+
+TYLTYL, [subitement calmé et effrayé.]
+
+Qu'est-ce que c'est?...
+
+MYTYL, [épouvantée.]
+
+C'est papa!...
+
+ Comme ils tardent à ouvrir, on voit le gros loquet se
+ soulever de lui-même, en grinçant; la porte s'entrebâille
+ pour livrer passage à une petite vieille habillée de vert et
+ coiffée d'un chaperon rouge. Elle est bossue, boiteuse,
+ borgne; le nez et le menton se rencontrent, et elle marche
+ courbée sur un bâton. Il n'est pas douteux que ce ne soit
+ une fée.
+
+LA FÉE
+
+Avez-vous ici l'herbe qui chante ou l'oiseau qui est bleu?...
+
+TYLTYL
+
+Nous avons de l'herbe, mais elle ne chante pas....
+
+MYTYL
+
+Tyltyl a un oiseau.
+
+TYLTYL
+
+Mais je ne peux pas le donner....
+
+LA FÉE
+
+Pourquoi?...
+
+TYLTYL
+
+Parce qu'il est à moi.
+
+LA FÉE
+
+C'est une raison, bien sûr. Où est-il, cet oiseau?...
+
+TYLTYL, [montrant la cage.]
+
+Dans la cage....
+
+LA FÉE, [mettant ses besicles pour examiner l'oiseau.]
+
+Je n'en veux pas; il n'est pas assez bleu. Il faudra que vous
+m'alliez chercher celui dont j'ai besoin.
+
+TYLTYL
+
+Mais je ne sais pas où il est....
+
+LA FÉE
+
+Moi non plus. C'est pourquoi il faut le chercher. Je puis à la
+rigueur me passer de l'herbe qui chante; mais il me faut
+absolument l'Oiseau Bleu. C'est pour ma petite fille qui est très
+malade.
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce qu'elle a?...
+
+LA FÉE
+
+On ne sait pas au juste; elle voudrait être heureuse....
+
+TYLTYL
+
+Ah?...
+
+LA FÉE
+
+Savez-vous qui je suis?...
+
+TYLTYL
+
+Vous ressemblez un peu à notre voisine, Madame Berlingot....
+
+LA FÉE, se fâchant subitement.
+
+En aucune façon.... Il n'y a aucun rapport.... C'est
+abominable!... Je suis la Fée Bérylune....
+
+TYLTYL
+
+Ah! très bien....
+
+LA FÉE
+
+Il faudra partir tout de suite.
+
+TYLTYL
+
+Vous viendrez avec nous?...
+
+LA FÉE
+
+C'est absolument impossible à cause du pot-au-feu que j'ai mis ce
+matin et qui s'empresse de déborder chaque fois que je m'absente
+plus d'une heure.... [Montrant successivement le plafond, la
+cheminée et la fenêtre.] Voulez-vous sortir par ici, par là ou
+par là?...
+
+TYLTYL, [montrant timidement la porte.]
+
+J'aimerais mieux sortir par là....
+
+LA FÉE, [se fâchant encore subitement.]
+
+C'est absolument impossible, et c'est une habitude révoltante!...
+[Indiquant la fenêtre.] Nous sortirons par là.... Eh bien!...
+Qu'attendez-vous?... Habillez-vous tout de suite.... [Les enfants
+obéissent et s'habillent rapidement.] Je vais aider Mytyl....
+
+TYLTYL
+
+Nous n'avons pas de souliers....
+
+LA FÉE
+
+Ça n'a pas d'importance. Je vais vous donner un petit chapeau
+merveilleux. Où sont donc vos parents?...
+
+TYLTYL, [montrant la porte à droite.]
+
+Ils sont là; ils dorment....
+
+LA FÉE
+
+Et votre bon-papa et votre bonne-maman?...
+
+TYLTYL
+
+Ils sont morts....
+
+LA FÉE
+
+Et vos petits frères et vos petites sœurs.... Vous en
+avez?...
+
+TYLTYL
+
+Oui, oui; trois petits frères....
+
+MYTYL
+
+Et quatre petites sœurs....
+
+LA FÉE
+
+Où sont-ils?...
+
+TYLTYL
+
+Ils sont morts aussi....
+
+LA FÉE
+
+Voulez-vous les revoir?...
+
+TYLTYL
+
+Oh oui!... Tout de suite!... Montrez-les!...
+
+LA FÉE
+
+Je ne les ai pas dans ma poche.... Mais ça tombe à merveille;
+vous les reverrez en passant par le pays du Souvenir. C'est sur
+la route de l'Oiseau-Bleu. Tout de suite à gauche, après le
+troisième carrefour.--Que faisiez-vous quand j'ai frappé?...
+
+TYLTYL
+
+Nous jouions à manger des gâteaux.
+
+LA FÉE
+
+Vous avez des gâteaux?... Où sont-ils?
+
+TYLTYL
+
+Dans le palais des enfants riches.... Venez voir, c'est si
+beau!...
+
+ [Il entraîne la Fée vers la fenêtre.]
+
+LA FÉE, à la fenêtre.
+
+Mais ce sont les autres qui les mangent!...
+
+TYLTYL
+
+Oui; mais puisqu'on voit tout....
+
+LA FÉE
+
+Tu ne leur en veux pas?...
+
+TYLTYL
+
+Pourquoi?...
+
+LA FÉE
+
+Parce qu'ils mangent tout. Je trouve qu'ils ont grand tort de ne
+pas t'en donner....
+
+TYLTYL
+
+Mais non, puisqu'ils sont riches.... Hein? que c'est beau chez
+eux!...
+
+LA FÉE
+
+Ce n'est pas plus beau que chez toi.
+
+TYLTYL
+
+Heu!... Chez nous c'est plus noir, plus petit, sans gâteaux....
+
+LA FÉE
+
+C'est absolument la même chose; c'est que tu n'y vois pas....
+
+TYLTYL
+
+Mais si, j'y vois très bien, et j'ai de très bons yeux. Je lis
+l'heure au cadran de l'église que papa ne voit pas....
+
+LA FÉE, [se fâchant subitement.]
+
+Je te dis que tu n'y vois pas!... Comment donc me vois-tu?...
+Comment donc suis-je faite?... [Silence gêné de Tyltyl.] Eh bien,
+répondras-tu? que je sache si tu vois?... Suis-je belle ou bien
+laide?... [Silence de plus en plus embarrassé.] Tu ne veux pas
+répondre?... Suis-je jeune ou bien veille?... Suis-je rose ou
+bien jaune?... j'ai peut-être une bosse?...
+
+TYLTYL, [conciliant.]
+
+Non, non, elle n'est pas grande....
+
+LA FÉE
+
+Mais si, à voir ton air, on la croirait énorme.... Ai-je le nez
+crochu et l'œil gauche crevé?...
+
+TYLTYL
+
+Non, non, je ne dis pas.... Qui est-ce qui l'a crevé?...
+
+LA FÉE, de plus en plus irritée.
+
+Mais il n'est pas crevé!... Insolent! misérable!... Il est plus
+beau que l'autre; il est plus grand, plus clair, il est bleu
+comme le ciel.... Et mes cheveux, vois-tu?... Ils sont blonds
+comme les blés.... on dirait de l'or vierge!... Et j'en ai tant
+et tant que la tête me pèse.... Ils s'échappent de partout....
+Les vois-tu sur mes mains?...
+
+ [Elle étale deux maigres mèches de cheveux gris.]
+
+TYLTYL
+
+Oui, j'en vois quelques-uns....
+
+LA FÉE, [indignée.]
+
+Quelques-uns!... Des gerbes! des brassées! des touffes! des flots
+d'or!... Je sais bien que des gens disent qu'ils n'en voient
+point; mais tu n'es pas de ces méchantes gens aveugles, je
+suppose?...
+
+TYLTYL
+
+Non, non, je vois très bien ceux qui ne se cachent point....
+
+LA FÉE
+
+Mais il faut voir les autres avec la même audace!... C'est bien
+curieux, les hommes.... Depuis la mort des fées, ils n'y voient
+plus du tout et ne s'en doutent point.... Heureusement que j'ai
+toujours sur moi tout ce qu'il faut pour rallumer les yeux
+éteints.... Qu'est-ce que je tire de mon sac?...
+
+TYLTYL
+
+Oh! le joli petit chapeau vert!... Qu'est-ce qui brille ainsi sur
+la cocarde?...
+
+LA FÉE
+
+C'est le gros Diamant qui fait voir....
+
+TYLTYL
+
+Ah!...
+
+LA FÉE
+
+Oui; quand on a le chapeau sur la tête, on tourne un peu le
+Diamant: de droite à gauche, par exemple, tiens, comme ceci,
+vois-tu?... Il appuie alors sur une bosse de la tête que personne
+ne connaît, et qui ouvre les yeux....
+
+TYLTYL
+
+Ça ne fait pas de mal?...
+
+LA FÉE
+
+Au contraire, il est fée.... On voit à l'instant même ce qu'il y
+a dans les choses; l'âme du pain, du vin, du poivre, par
+exemple....
+
+MYTYL
+
+Est-ce qu'on voit aussi l'âme du sucre?...
+
+LA FÉE, [subitement fâchée.]
+
+Cela va sans dire!... Je n'aime pas les questions inutiles....
+L'âme du sucre n'est pas plus intéressante que celle du
+poivre.... Voilà, je vous donne ce que j'ai pour vous aider dans
+la recherche de l'Oiseau-Bleu.... Je sais bien que
+l'Anneau-qui-rend-invisible ou le Tapis-Volant vous seraient plus
+utiles.... Mais j'ai perdu la clef de l'armoire où je les ai
+serrés.... Ah! j'allais oublier.... [Montrant le Diamant.] Quand
+on le tient ainsi, tu vois.... un petit tour de plus, on revoit
+le Passé.... Encore un petit tour, et l'on voit l'Avenir....
+C'est curieux et pratique et ça ne fait pas de bruit....
+
+TYLTYL
+
+Papa me le prendra....
+
+LA FÉE
+
+Il ne le verra pas; personne ne peut le voir tant qu'il est sur
+ta tête.... Veux-tu l'essayer?... [Elle coiffe Tyltyl du petit
+chapeau vert.] A présent, tourne le Diamant.... Un tour et puis
+après....
+
+ [A peine Tyltyl a-t-il tourné le Diamant, qu'un changement
+ soudain et prodigieux s'opère en toutes choses. La vieille
+ fée est tout à coup une belle princesse merveilleuse; les
+ cailloux dont sont bâtis les murs de la cabane s'illuminent,
+ bleuissent comme des saphirs, deviennent transparents,
+ scintillent, éblouissent à l'égal des pierres les plus
+ précieuses. Le pauvre mobilier s'anime et resplendit; la
+ table de bois blanc s'affirme aussi grave, aussi noble
+ qu'une table de marbre, le cadran de l'horloge cligne de
+ l'œil et sourit avec aménité, tandis que la porte
+ derrière quoi va et vient le balancier s'entr'ouvre et
+ laisse s'échapper les Heures, qui, se tenant les mains et
+ riant aux éclats, se mettent à danser aux sons d'une musique
+ délicieuse. Effarement légitime de Tyltyl qui s'écrie en
+ montrant les Heures.]
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que c'est que toutes ces belles dames?...
+
+LA FÉE
+
+N'aie pas peur; ce sont les heures de ta vie qui sont heureuses
+d'être libres et visibles un instant....
+
+TYLTYL
+
+Et pourquoi que les murs sont si clairs?... Est-ce qu'ils sont en
+sucre ou en pierres précieuses?...
+
+LA FÉE
+
+Toutes les pierres sont pareilles, toutes les pierres sont
+précieuses: mais l'homme n'en voit que quelques-unes....
+
+ [Pendant qu'ils parlent ainsi, la féerie continue et se
+ complète. Les âmes des Pains-de-quatre-livres, sous la forme
+ de bonshommes en maillots couleur croûte-de-pain, ahuris et
+ poudrés de farine, se dépêtrent de la huche et gambadent
+ autour de la table où ils sont rejoints par le Feu, qui,
+ sorti de l'âtre en maillot soufre et vermillon, les poursuit
+ en se tordant de rire.]
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que c'est que ces vilains bonshommes?...
+
+LA FÉE
+
+Rien de grave; ce sont les âmes des Pains-de-quatre-livres qui
+profitent du règne de la vérité pour sortir de la huche où elles
+se trouvaient à l'étroit....
+
+TYLTYL
+
+Et le grand diable rouge qui sent mauvais?...
+
+LA FÉE
+
+Chut!... Ne parle pas trop haut, c'est le Feu.... Il a mauvais
+caractère.
+
+ [Ce dialogue n'a pas interrompu la féerie. Le Chien et la
+ Chatte, couchés en rond au pied de l'armoire, poussant
+ simultanément un grand cri, disparaissent dans une trappe,
+ et à leur place surgissent deux personnages, dont l'un porte
+ un masque de bouledogue, et l'autre une tête de chatte.
+ Aussitôt, le petit homme au masque de bouledogue--que nous
+ appellerons dorénavant le Chien--se précipite sur Tyltyl
+ qu'il embrasse violemment et accable île bruyantes et
+ impétueuses caresses, cependant que la petite femme au
+ masque de chatte--que nous appellerons plus simplement la
+ Chatte--se donne un coup de peigne, se lave les mains et se
+ lisse la moustache, avant de s'approcher de Mytyl.]
+
+LE CHIEN, [hurlant, sautant, bousculant tout, insupportable.]
+
+Mon petit dieu!... Bonjour! bonjour, mon petit dieu!... Enfin,
+enfin, on peut parler! J'avais tant de choses à te dire!...
+J'avais beau aboyer et remuer la queue!... Tu ne comprenais
+pas!... Mais maintenant!... Bonjour! bonjour!... Je t'aime!... Je
+t'aime!... Veux-tu que je fasse quelque chose d'étonnant?...
+Veux-tu que je fasse le beau?... Veux-tu que je marche sur les
+mains ou que je danse à la corde?...
+
+TYLTYL, à la Fée.
+
+Qu'est-ce que c'est que ce monsieur à tête de chien?...
+
+LA FÉE
+
+Mais tu ne vois donc pas?... C'est l'âme de Tylô que tu as
+délivrée....
+
+LA CHATTE, [s'approchant de Mytyl et lui tendant la main,
+cérémonieusement, avec circonspection.]
+
+Bonjour, Mademoiselle.... Que vous êtes jolie ce matin!...
+
+MYTYL
+
+Bonjour, Madame.... [A la Fée.] Qui est-ce?...
+
+LA FÉE
+
+C'est facile à voir; c'est l'âme de Tylette qui te tend la
+main.... Embrasse-la....
+
+LE CHIEN, [bousculant la Chatte.]
+
+Moi aussi!... J'embrasse le petit dieu!... J'embrasse la petite
+fille!... J'embrasse tout le monde!... Chic!... On va
+s'amuser!... Je vais faire peur à Tylette!... Hou! hou! hou!...
+
+LA CHATTE
+
+Monsieur, je ne vous connais pas....
+
+LA FÉE, [menaçant le Chien de sa baguette.]
+
+Toi, tu vas te tenir bien tranquille; sinon tu rentreras dans le
+silence, jusqu'à la fin des temps....
+
+ [Cependant, la féerie a poursuivi son cours: le Rouet s'est
+ mis à tourner vertigineusement dans son coin en filant de
+ splendides rayons de lumière; la Fontaine, dans l'autre
+ angle, se prend à chanter d'une voix sur-aiguë et, se
+ transformant en fontaine lumineuse, inonde l'évier de nappes
+ de perles et d'émeraudes, à travers lesquelles s'élance
+ l'âme de l'Eau, pareille à une jeune fille ruisselante,
+ échevelée, pleurarde, qui va incontinent se battre avec le
+ feu.]
+
+TYLTYL
+
+Et la dame mouillée?...
+
+LA FÉE
+
+N'aie pas peur, c'est l'Eau qui sort du robinet....
+
+ [Le Pot-au-lait se renverse, tombe de la table, se brise sur
+ le sol; et du lait répandu s'élève une grande forme blanche
+ et pudibonde qui semble avoir peur de tout.]
+
+TYLTYL
+
+Et la dame en chemise qui a peur?...
+
+LA FÉE
+
+C'est le Lait qui a cassé son pot....
+
+ [Le Pain-de-sucre posé au pied de l'armoire grandit,
+ s'élargit et crève son enveloppe de papier d'où émerge un
+ être doucereux: et papelard, vêtu d'une souquenille
+ mi-partie de blanc et de bleu, qui, souriant béatement,
+ s'avance vers Mytyl.]
+
+MYTYL, [avec inquiétude.]
+
+Que veut-il?...
+
+LA FÉE
+
+Mais c'est l'âme du Sucre!...
+
+MYTYL, [rassurée.]
+
+Est-ce qu'il a des sucres d'orge?...
+
+LA FÉE
+
+Mais il n'a que ça dans ses poches, et chacun de ses doigts en
+est un....
+
+ [La Lampe tombe de la table, et aussitôt tombée, sa flamme
+ se redresse et se transforme en une lumineuse vierge d'une
+ incomparable beauté. Elle est vêtue de longs voiles
+ transparents et éblouissants, et se tient immobile en une
+ sorte d'extase.]
+
+TYLTYL
+
+C'est la Reine!
+
+MYTYL
+
+C'est la Sainte Vierge!...
+
+LA FÉE
+
+Non, mes enfants, c'est la Lumière....
+
+ [Cependant, les casseroles, sur les rayons, tournent comme
+ des toupies hollandaises, l'armoire à linge claque ses
+ battants et commence un magnifique déroulement d'étoffes
+ couleur de lune et de soleil, auquel se mêlent, non moins
+ splendides, des chiffons et des guenilles qui descendent
+ l'échelle du grenier. Mais voici que trois coups assez rudes
+ sont frappés à la porte de droite.]
+
+TYLTYL, [effrayé.]
+
+C'est papa!... Il nous a entendus!...
+
+LA FÉE
+
+Tourne le Diamant!... De gauche à droite!...
+
+[Tyltyl tourne vivement le diamant.] Pas si vite!... Mon Dieu! Il
+est trop tard!... Tu l'as tourné trop brusquement. Ils n'auront
+pas le temps de reprendre leur place, et nous aurons bien des
+ennuis.... [La Fée redevient vieille femme, les murs de la cabane
+éteignent leurs splendeurs, les Heures rentrent dans l'horloge,
+le Rouet s'arrête, etc. Mais dans la hâte et le désarroi général,
+tandis que le Feu court follement autour de la pièce, à la
+recherche de la cheminée, un des Pains-de-quatre-livres, qui n'a
+pu retrouver place dans la huche, éclate en sanglots tout en
+poussant des rugissements d'épouvante.] Qu'y a-t-il?...
+
+LE PAIN, [tout en larmes.]
+
+Il n'y a plus de place dans la huche!...
+
+LA FÉE, [se penchant sur la huche.]
+
+Mais si, mais si.... [Poussant les autres pains qui ont repris
+leur place primitive.] Voyons, vite, rangez-vous....
+
+ [On heurte encore la porte.]
+
+LE PAIN, [éperdu, s'efforçant vainement d'entrer dans la huche.]
+
+Il n'y a pas moyen!... Il me mangera le premier!...
+
+LE CHIEN, [gambadant autour de Tyltyl.]
+
+Mon petit dieu!... Je suis encore ici!... Je puis encore parler!
+Je puis encore t'embrasser!... Encore! encore! encore!...
+
+LA FÉE
+
+Comment, toi aussi?... Tu es encore là?...
+
+LE CHIEN
+
+J'ai de la veine.... Je n'ai pas pu rentrer dan le silence; la
+trappe s'est refermée trop vite..
+
+LA CHATTE
+
+La mienne aussi.... Que va-t-il arriver?... Est-ce que c'est
+dangereux?
+
+LA FÉE
+
+Mon Dieu, je dois vous dire la vérité: tous ceux qui
+accompagneront les deux enfants, mourront à la fin du voyage....
+
+LA CHATTE
+
+Et ceux qui ne les accompagneront pas?...
+
+LA FÉE
+
+Ils survivront quelques minutes....
+
+LA CHATTE, [au Chien.]
+
+Viens, rentrons dans la trappe....
+
+LE CHIEN
+
+Non, non!... Je ne veux pas!... Je veux accompagner le petit
+dieu!... Je veux lui parler tout le temps!...
+
+LA CHATTE
+
+Imbécile!...
+
+ [On heurte encore à la porte.]
+
+LE PAIN, [pleurant à chaudes larmes.]
+
+Je ne veux pas mourir à la fin du voyage!... Je veux rentrer tout
+de suite dans ma huche!...
+
+LE FEU, [qui n'a cessé de parcourir vertigineusement la pièce en
+poussant des sifflements d'angoisse.]
+
+Je ne trouve plus ma cheminée!...
+
+L'EAU, [qui tente vainement de rentrer dans le robinet.]
+
+Je ne peux plus rentrer dans le robinet!...
+
+LE SUCRE, [qui s'agite autour de son enveloppe de papier.]
+
+J'ai crevé mon papier d'emballage!...
+
+LE LAIT, [lymphatique et pudibond.]
+
+On a cassé mon petit pot!...
+
+LA FÉE
+
+Sont-ils bêtes, mon Dieu!... Sont-ils bêtes et poltrons!... Vous
+aimeriez donc mieux continuer de vivre dans vos vilaines boîtes,
+dans vos trappes et dans vos robinets que d'accompagner les
+enfants qui vont chercher l'Oiseau?...
+
+TOUS, [à l'exception du Chien et de la Lumière.]
+
+Oui! oui! Tout de suite!... Mon robinet!... Ma huche!... Ma
+cheminée!... Ma trappe!...
+
+LA FÉE, [à la Lumière qui regarde rêveusement les débris de sa
+lampe.]
+
+Et toi, la Lumière, qu'en dis-tu?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+J'accompagnerai les enfants....
+
+LE CHIEN, [hurlant de joie.]
+
+Moi aussi! moi aussi!...
+
+LA FÉE
+
+Voilà qui est des mieux. Du reste, il est trop tard pour reculer;
+vous n'avez plus le choix, vous sortirez tous avec nous.... Mais
+toi, le Feu, ne t'approche de personne, toi, le Chien, ne taquine
+pas la Chatte, et toi, l'eau, tiens-toi droite et tâche de ne pas
+couler partout....
+
+[Des coups violents sont encore frappés à la porte de droite.]
+
+TYLTYL, [écoutant.]
+
+C'est encore papa!... Cette fois, il se lève, je l'entends
+marcher....
+
+LA FÉE
+
+Sortons par la fenêtre.... Vous viendrez tous chez moi, où
+j'habillerai convenablement les animaux et les phénomènes.... [Au
+Pain.] Toi, le Pain, prends la cage dans laquelle on mettra
+l'Oiseau-Bleu.... Tu en auras la garde.... Vite, vite, ne perdons
+pas de temps....
+
+ [La fenêtre s'allonge brusquement, comme une porte. Ils
+ sortent tous, après quoi la fenêtre reprend sa forme
+ primitive et se referme innocemment. La chambre est
+ redevenue obscure, et les deux petits lits sont plongés dans
+ l'ombre. La porte à droite s'entr'ouvre, et dans
+ l'entrebâillement paraissent les têtes du père et de la mère
+ Tyl.]
+
+LE PÈRE TYL
+
+Ce n'était rien.... C'est le grillon qui chante....
+
+LA MÈRE TYL
+
+Tu les vois?...
+
+LE PÈRE TYL
+
+Bien sûr.... Ils dorment tranquillement....
+
+LA MÈRE TYL
+
+Je les entends respirer....
+
+[La porte se referme.]
+
+RIDEAU
+
+
+
+
+ACTE DEUXIÈME
+
+
+
+
+DEUXIÈME TABLEAU
+
+CHEZ LA FÉE
+
+
+Un magnifique vestibule dans le palais de la Fée Bérylune.
+Colonnes de marbre clair à chapiteaux d'or et d'argent,
+escaliers, portiques, balustrades, etc.
+
+ * * * * *
+
+ [Entrent au fond, à droite, somptueusement habillés, la
+ Chatte, le Sucre et le Feu. Ils sortent d'un appartement
+ d'où émanent des rayons de lumière; c'est la garde-robe de
+ la Fée. La Chatte a jeté une gaze légère sur son maillot de
+ soie noire, le Sucre a revêtu une robe de soie, mi-partie de
+ blanc et de bleu tendre, et le Feu, coiffé d'aigrettes
+ multicolores, un long manteau cramoisi doublé d'or. Ils
+ traversent toute la salle et descendent au premier plan, à
+ droite, où la Chatte les réunit sous un portique.]
+
+LA CHATTE
+
+Par ici. Je connais tous les détours de ce palais.... La Fée
+Bérylune l'a hérité de Barbe-Bleue.... Pendant que les enfants
+et la Lumière rendent visite à la petite fille de la Fée,
+profitons de notre dernière minute de liberté.... Je vous ai fait
+venir ici, afin de vous entretenir de la situation qui nous est
+faite.... Sommes-nous tous présents?...
+
+LE SUCRE
+
+Voici le Chien qui sort de la garde-robe de la Fée....
+
+LE FEU
+
+Comment diable s'est-il habillé?...
+
+LA CHATTE
+
+Il a pris la livrée d'un des laquais du carrosse de
+Cendrillon.... C'est bien ce qu'il lui fallait.... Il a une âme
+de valet.... Mais dissimulons-nous derrière la balustrade.... Je
+m'en méfie étrangement.... Il vaudrait mieux qu'il n'entende pas
+ce que j'ai à vous dire....
+
+LE SUCRE
+
+C'est inutile.... Il nous a éventés.... Tiens, voilà l'Eau qui
+sort en même temps de la garde-robe.... Dieu! qu'elle est
+belle!...
+
+ [Le Chien et l'Eau rejoignent le premier groupe.]
+
+LE CHIEN, gambadant.
+
+Voilà! voilà!... Sommes-nous beaux! Regardez donc ces dentelles,
+et puis ces broderies!... C'est de l'or et du vrai!...
+
+LA CHATTE, [à l'Eau.]
+
+C'est la robe «couleur-du-temps» de Peau-d'Âne?... Il me semble
+que je la connais....
+
+L'EAU
+
+Oui, c'est encore ce qui m'allait le mieux....
+
+LE FEU, [entre les dents.]
+
+Elle n'a pas son parapluie....
+
+L'EAU
+
+Vous dites?...
+
+LE FEU
+
+Rien, rien....
+
+L'EAU
+
+Je croyais que vous parliez d'un gros nez rouge que j'ai vu
+l'autre jour....
+
+LA CHATTE
+
+Voyons, ne nous querellons pas, nous avons mieux à faire.... Nous
+n'attendons plus que le Pain: où est-il?...
+
+LE CHIEN
+
+Il n'en finissait pas de faire de l'embarras pour choisir son
+costume....
+
+LE FEU
+
+C'est bien la peine, quand on a l'air idiot et qu'on porte un
+gros ventre....
+
+LE CHIEN
+
+Finalement, il s'est décidé pour une robe turque, ornée de
+pierreries, un cimeterre et un turban....
+
+LA CHATTE
+
+Le voilà!... Il a mis la plus belle robe de Barbe-Bleue....
+
+ [Entre le Pain, dans le costume qu'on vient de décrire. La
+ robe de soie est péniblement croisée sur son énorme ventre.
+ Il tient d'une main la garde du cimeterre passé dans sa
+ ceinture et de l'autre la cage destinée à l'Oiseau-Bleu.]
+
+LE PAIN, [se dandidant vaniteusement.]
+
+Eh bien?... Comment me trouvez-vous?...
+
+LE CHIEN, [gambadant autour du Pain.]
+
+Qu'il est beau! qu'il est bête! qu'il est beau! qu'il est
+beau!...
+
+LA CHATTE, [au Pain.]
+
+Les enfants sont-ils habillés?...
+
+LE PAIN
+
+Oui, Monsieur Tyltyl a pris la veste rouge, les bas blancs et la
+culotte bleue du Petit-Poucet; quant à Mademoiselle Mytyl, elle a
+la robe de Grethel et les pantoufles de Cendrillon.... Mais la
+grande affaire, ç'a été d'habiller la Lumière!...
+
+LA CHATTE
+
+Pourquoi?...
+
+LE PAIN
+
+La Fée la trouvait si belle qu'elle ne voulait pas l'habiller du
+tout!... Alors j'ai protesté au nom de notre dignité d'éléments
+essentiels et éminemment respectables; et j'ai fini par déclarer
+que, dans ces conditions, je refusais de sortir avec elle....
+
+LE FEU
+
+Il fallait lui acheter un abat-jour!...
+
+LA CHATTE
+
+Et la Fée, qu'a-t-elle répondu?...
+
+LE PAIN
+
+Elle m'a donné quelques coups de bâton sur la tête et le
+ventre....
+
+LA CHATTE
+
+Et alors?...
+
+LE PAIN
+
+Je fus promptement convaincu, mais au dernier moment, la Lumière
+s'est décidée pour la robe «couleur-de-lune» qui se trouvait au
+fond du coffre aux trésors de Peau-d'Ane....
+
+LA CHATTE
+
+Voyons, c'est assez bavardé, le temps presse.... Il s'agit de
+notre avenir.... Vous l'avez entendu, la Fée vient de le dire, la
+fin de ce voyage marquera en même temps la fin de notre vie....
+Il s'agit donc de le prolonger autant que possible et par tous
+les moyens possibles.... Mais il y a encore autre chose; il faut
+que nous pensions au sort de notre race et à la destinée de nos
+enfants....
+
+LE PAIN
+
+Bravo! bravo!... La Chatte a raison!...
+
+LA CHATTE
+
+Écoutez-moi.... Nous tous ici présents, animaux, choses et
+éléments, nous possédons une âme que l'homme ne connaît pas
+encore. C'est pourquoi nous gardons un reste d'indépendance;
+mais, s'il trouve l'Oiseau-Bleu, il saura tout, il verra tout, et
+nous serons complètement à sa merci.... C'est ce que vient de
+m'apprendre ma vieille amie la Nuit, qui est en même temps la
+gardienne des mystères de la Vie.... Il est donc de notre intérêt
+d'empêcher à tout prix qu'on ne trouve cet oiseau, fallût-il
+aller jusqu'à mettre en péril la vie même des enfants....
+
+LE CHIEN, indigné.
+
+Que dit-elle, celle-là?... Répète un peu que j'entende bien ce
+que c'est?
+
+LE PAIN
+
+Silence!... Vous n'avez pas la parole!... Je préside
+l'assemblée....
+
+LE FEU
+
+Qui vous a nommé président?...
+
+L'EAU, [au Feu.]
+
+Silence!... De quoi vous mêlez-vous?...
+
+LE FEU
+
+Je me mêle de ce qu'il faut.... Je n'ai pas d'observations à
+recevoir de vous....
+
+LE SUCRE, [conciliant.]
+
+Permettez.... Ne nous querellons point.... L'heure est grave....
+Il s'agit avant tout de s'entendre sur les mesures à prendre....
+
+LE PAIN
+
+Je partage entièrement l'avis du Sucre et de la Chatte....
+
+LE CHIEN
+
+C'est idiot!... Il y a l'Homme, voilà tout!... Il faut lui obéir
+et faire tout ce qu'il veut!... Il n'y a que ça de vrai.... Je ne
+connais que lui!... Vive l'Homme!... A la vie, à la mort, tout
+pour l'Homme!... l'Homme est dieu!...
+
+LE PAIN
+
+Je partage entièrement l'avis du Chien.
+
+LA CHATTE, [au Chien.]
+
+Mais on donne ses raisons....
+
+LE CHIEN
+
+Il n'y a pas de raisons!... J'aime l'Homme, ça suffit!... Si vous
+faites quelque chose contre lui, je vous étranglerai d'abord et
+j'irai tout lui révéler....
+
+LE SUCRE, [intervenant avec douceur.]
+
+Permettez.... N'aigrissons pas la discussion.... D'un certain
+point de vue, vous avez raison, l'un et l'autre.... Il y a le
+pour et le contre....
+
+LE PAIN
+
+Je partage entièrement l'avis du Sucre!...
+
+LA CHATTE
+
+Est-ce que tous ici, l'Eau, le Feu, et vous-mêmes le Pain et le
+Chien, nous ne sommes pas victimes d'une tyrannie sans nom?...
+Rappelez-vous le temps où, avant la venue du despote, nous
+errions librement sur la face de la Terre.... l'Eau et le Feu
+étaient les seuls maîtres du monde; et voyez ce qu'ils sont
+devenus!... Quant à nous, les chétifs descendants des grands
+fauves.... Attention!... N'ayons l'air de rien.... Je vois
+s'avancer la Fée et la Lumière.... La Lumière s'est mise du parti
+de l'Homme; c'est notre pire ennemie.... Les voici....
+
+ [Entrent à droite, la Fée et la Lumière, suivies de Tyltyl
+ et de Mytyl.]
+
+LA FÉE
+
+Eh bien?... qu'est-ce que c'est?... Que faites-vous dans ce
+coin?... Vous avez l'air de conspirer.... Il est temps de se
+mettre en route.... Je viens de décider que la Lumière sera votre
+chef.... Vous lui obéirez tous comme à moi-même et je lui confie
+ma baguète.... Les enfants visiteront ce soir leurs grand-parents
+qui sont morts.... Vous ne les accompagnerez pas, par discrétion....
+Ils passeront la soirée au sein de leur famille décédée....
+Pendant ce temps, vous préparerez tout ce qu'il faut pour l'étape
+de demain, qui sera longue.... Allons, debout, en route et chacun
+à son poste!...
+
+LA CHATTE, [hypocritement.]
+
+C'est tout juste ce que je leur disais, Madame la Fée.... Je les
+exhortais à remplir consciencieusement et courageusement tout
+leur devoir; malheureusement, le Chien qui ne cessait de
+m'interrompre....
+
+LE CHIEN
+
+Que dit-elle?... Attends un peu!...
+
+ [Il va bondir sur la chatte, mais Tyltyl, qui a prévenu son
+ mouvement, l'arrête d'un geste menaçant.]
+
+TYLTYL
+
+A bas, Tylô!... Prends garde; et s'il t'arrive encore une seul
+fois de....
+
+LE CHIEN
+
+Mon petit dieu, tu ne sais pas, c'est elle qui....
+
+TYLTYL, [le menaçant.]
+
+Tais-toi!...
+
+LA FÉE
+
+Voyons, finissons-en.... Que le Pain, ce soir, remette la cage à
+Tyltyl.... Il est possible que l'Oiseau-Bleu se cache dans le
+Passé, chez les grands-parents.... En tout cas, c'est une chance
+qu'il convient de ne point négliger.... Eh bien, le Pain, cette
+cage?...
+
+LE PAIN, [solennel.]
+
+Un instant, s'il vous plaît, Madame le Fée.... [Comme un orateur
+qui prend la parole.] Vous tous, soyez temoins que cette cage
+d'argent qui me fut confiée par....
+
+LA FÉE, [l'interrompant].
+
+Assez!... Pas de phrases.... Nous sortirons par là, tandis que
+les enfants sortiront par ici....
+
+TYLTYL, [avec inquiet.]
+
+Nous sortirons tout seuls?...
+
+MYTYL
+
+J'ai faim!...
+
+TYLTYL
+
+Moi aussi!...
+
+LA FÉE, [au Pain.]
+
+Ouvre ta robe turque et donne leur une tranche de ton bon ventre.
+
+ [Le Pain ouvre sa robe, tire son cimeterre et coupe, à même
+ son gros ventre, deux tartines qu'il offre aux enfants.]
+
+LE SUCRE, [s'approchant des enfants.]
+
+Permettez-moi de vous offrir en même temps quelques sucres
+d'orge....
+
+ [Il casse un à un les cinq doigts de sa main gauche et les
+ leur présente.]
+
+MYTYL
+
+Qu'est-ce qu'il fait?... Il casse tous ses doigts....
+
+LE SUCRE, [engageant.]
+
+Goûtez-les, ils sont excellents.... C'est de vrais sucres
+d'orge....
+
+MYTYL, [suçant un des doigts.]
+
+Dieu qu'il est bon!... Est-ce que tu en as beaucoup?...
+
+LE SUCRE, [modeste.]
+
+Mais qui, tant que je veux....
+
+MYTYL
+
+Est-ce que ça te fait mal quand tu les casses ainsi?...
+
+LE SUCRE
+
+Pas du tout.... Au contraire; c'est très avantageux, ils
+repoussent tout de suite, et de cette façon, j'ai toujours des
+doigts propres et neufs....
+
+LA FÉE
+
+Voyons, mes enfants, ne mangez pas trop de sucre. N'oubliez pas
+que vous souperez tout à l'heure chez vos grands-parents....
+
+TYLTYL
+
+Ils sont ici?...
+
+LA FÉE
+
+Vous allez les voir à l'instant....
+
+TYLTYL
+
+Comment les verrons-nous, puisqu'ils sont morts?...
+
+LA FÉE
+
+Comment seraient-ils morts puisqu'ils vivent dans votre
+souvenir?... Les hommes ne savent pas ce secret parce qu'ils
+savent bien peu de chose; au lieu que toi, grâce au Diamant, tu
+vas voir que les morts dont on se souvient aussi heureux que
+s'ils n'étaient point morts....
+
+TYLTYL
+
+La Luminière vient avec nous?...
+
+LA LUMINIÈRE
+
+Non, il est plus convenable que cela se passe en famille....
+J'attendrai ici près pour ne point paraître indiscrète.... Ils ne
+m'ont pas invitée.
+
+TYLTYL
+
+Par où faut-il aller?...
+
+LA FÉE
+
+Par là.... Vous êtes au seuil du «Pays du Souvenir». Dès que tu
+auras tourné le Diamant, tu verras un gros arbre muni d'un
+écriteau, qui te montrera que tu es arrivé.... Mais n'oubliez pas
+que vous devez être rentré tous les deux à neuf heures moins le
+quart.... C'est extrêmement important.... Surtout soyez exacts,
+car tout serait perdu si vous vous mettiez en retard.... A
+bientôt.... [Appelant la Chatte, le Chien, la Lumière, etc.] Par
+ici.... Et les petits par là....
+
+Elle sort à droite avec la Lumière, les animaux, etc., tandis que
+les enfants sortent à gauche.
+
+
+RIDEAU
+
+
+
+
+TROISIÈME TABLEAU
+
+LE PAYS DU SOUVENIR
+
+
+Un épais brouillard d'où émerge, à droite, au tout premier plan,
+le tronc d'un gros chêne muni d'un écriteau. Clarté laiteuse,
+diffuse, impénétrable.
+
+ * * * * *
+
+ [Tyltyl et Mytyl se trouvent au pied du chêne.]
+
+TYLTYL
+
+Voici l'arbre!...
+
+MYTYL
+
+Il y a l'écriteau!...
+
+TYLTYL
+
+Je ne peux pas lire.... Attends, je vais monter sur cette
+racine.... C'est bien ça.... C'est écrit: «Pays du Souvenir».
+
+MYTYL
+
+C'est ici qu'il commence?...
+
+TYLTYL
+
+Qui, il y a une flèche....
+
+MYTYL
+
+Eh bien, ou qu'ils sont, bon-papa et bonne-maman?
+
+TYLTYL
+
+Derrière le brouillard.... Nous allons voir....
+
+MYTYL
+
+Je ne vois rien du tout!... Je ne vois plus mes pieds ni mes
+mains .. [Pleurnichant.] J'ai froid!... Je ne veux plus
+voyager.... Je veux rentrer à la maison....
+
+TYLTYL
+
+Voyons, ne pleure pas tout le temps, comme l'Eau.... T'es pas
+honteuse? .. Une grande petite fille!... Regarde, le brouillard se
+lève déjà.... Nous allons voir ce qu'il y a dedans....
+
+ [En effet, la brume s'est mise en mouvement; elle s'allège,
+ s'éclaire, se disperse, s'évapore. Bientôt, dans une lumière
+ de plus en plus transparente, on découvre, sous une voûte de
+ verdure, une riante maisonette de paysan, couverte de
+ plantes grimpantes. Les fenêtres et la porte sont ouvertes.
+ On voit des ruches d'abeilles sous un auvent, des pots de
+ fleurs sur l'appui des croisées, une cage ou dort un merle,
+ etc. Près de la porte un banc, sur lequel sont assis,
+ profondément endormis, un vieux paysan et sa femme,
+ c'est-à-dire le grand-père et la grand'mère de Tyltyl.]
+
+TYLTYL, [les reconnaissant tout à coup.]
+
+C'est bon-papa et bonne-maman!...
+
+MYTYL, [battant des mains.]
+
+Qui! Qui!... C'est eux!... C'est eux!...
+
+TYLTYL, [encore un peu méfiant.]
+
+Attention!... On ne sait pas encore s'ils remuent.... Restons
+derrière l'arbre....
+
+ [Grand'maman Tyl ouvre les yeux, lève la tête, s'étire,
+ pousse un soupir, regarde grand-papa Tyl qui lui aussi sort
+ lentement de son sommeil.]
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+J'ai idée que nos petits-enfants qui sont encore en vie nous
+venir voir aujourd'hui....
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Bien sûr, ils pensent à nous; car je me sens tout chose et j'ai
+des fourmis dans les jambes....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Je crois qu'ils sont tout proches, car des larmes de joie dansent
+avant mes yeux....
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Non, non; ils sont fort loin... Je me sens encore faible....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Je te dis qu'ils sont là; j'ai déjà toute ma force....
+
+TYLTYL et MYTYL, se précipitant de derrière le chêne.
+
+Nous voilà!... Nous voilà!... Bon-papa, bonne-maman!... C'est
+nous!... C'est nous!...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Là!... Tu vois!... Qu'est-ce que je disais! J'étais sûr qu'ils
+viendraient aujourd'hui....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Tyltyl! Mytyl!... C'est toi!... C'est elle!... C'est eux!...
+[S'efforçant de courir au-devant d'eux.] Je ne peux pas
+courir!... J'ai toujours mes rhumatismes!
+
+GRAND-PAPA TYL, [accourant de même en clopinant.]
+
+Moi non plus.... Rapport à ma jambe de bois qui remplace toujours
+celle que j'ai cassée en tombant du gros chêne....
+
+ [Les grands-parents et les enfants s'embrassent follement.]
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Que tu es grandi et forci, mon Tyltyl!...
+
+GRAND-PAPA TYL, [caressant les cheveux de Mytyl.]
+
+Et Mytyl!... Regarde donc!... Les beaux cheveux, les beaux
+yeux!... Et puis, ce qu'elle sent bon!...
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Embrassons-nous encore!... Venez sur mes genoux....
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Et moi, je n'aurai rien?...
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Non, non.... A moi d'abord.... Comment vont Papa et Maman Tyl?...
+
+TYLTYL
+
+Fort bien, bonne-maman.... Ils dormaient quand nous sommes
+sortis....
+
+GRAND'MAMAN TYL, [les contemplant et les accablant de caresses.]
+
+Mon Dieu, qu'ils sont jolis et bien débarbouillés!... C'est maman
+qui t'a débarbouillé?... Et tes bas ne sont pas troués!... C'est
+moi qui les reprisais autrefois. Pourquoi ne venez-vous pas nous
+voir plus souvent?... Cela nous fait tant de plaisir!... Voilà
+des mois et des mois que vous nous oubliez et que nous ne voyons
+plus personne....
+
+TYLTYL
+
+Nous ne pouvions pas, bonne-maman; et c'est grâce à la Fée
+qu'aujourd'hui....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Nous sommes toujours là, à attendre une petite visite de ceux qui
+vivent.... Ils viennent si rarement!... La dernière fois que vous
+êtes venus, voyons, c'était quand donc?... C'était à la
+Toussaint, quand la cloche de l'église a tinté....
+
+TYLTYL
+
+A la Toussaint?... Nous ne sommes pas sortis ce jour-là, car nous
+étions fort enrhumés....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Non, mais vous avez pensé à nous....
+
+TYLTYL
+
+Oui....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Eh bien, chaque fois que vous pensez à nous, nous nous réveillons
+et nous vous revoyons....
+
+TYLTYL
+
+Comment, il suffit que....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Mais voyons, tu sais bien....
+
+TYLTYL
+
+Mais non, je ne sais pas....
+
+GRAND'MAMAN TYL, [à Grand-Papa Tyl.]
+
+C'est étonnant, là-haut.... Ils ne savent pas encore.... Ils
+n'apprennent donc rien?....
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+C'est comme de notre temps.... Les Vivants sont si bêtes quand
+ils parlent des Autres....
+
+TYLTYL
+
+Vous dormez tout le temps?...
+
+GRAND PAPA TYL
+
+Oui, nous dormons pas mal, en attendant qu'une pensée des Vivants
+nous réveille.... Ah! c'est bien bon de dormir, quand la vie est
+finie.... Mais il est agréable aussi de s'éveiller de temps en
+temps....
+
+TYLTYL
+
+Alors, vous n'êtes pas morts pour de vrai?...
+
+GRAND-PAPA TYL, [sursautant.]
+
+Que dis-tu?... Qu'est-ce qu'il dit?... Voilà qu'il emploie des
+mots que nous ne comprenons plus.... Est-ce que c'est un mot
+nouveau, une invention nouvelle?...
+
+TYLTYL
+
+Le mot «mort»?...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Oui; c'était ce mot-là.... Qu'est-ce que ça veut dire?...
+
+TYLTYL
+
+Mais ça veut dire qu'on ne vit plus....
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Sont-ils bêtes, là-haut!...
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'on est bien ici?...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Mais oui; pas mal, pas mal; et même si l'on priait encore....
+
+TYLTYL
+
+Papa m'a dit qu'il ne faut plus prier....
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Mais si, mais si.... Prier c'est se souvenir....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Oui, oui, tout irait bien, si seulement vous veniez nous voir
+plus souvent.... Te rappelles-tu, Tyltyl?... La dernière fois,
+j'avais fait une belle tarte aux pommes.... Tu en as mangé tant
+et tant que tu t'es fait du mal....
+
+TYLTYL
+
+Mais je n'ai pas mangé de tarte aux pommes depuis l'année
+dernière.... Il n'y a pas eu de pommes cette année....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Ne dis pas de bêtises.... Ici il y en a toujours....
+
+TYLTYL
+
+Ce n'est pas la même chose....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Comment? Ce n'est pas la même chose?... Mais tout est la même
+chose puisqu'on peut s'embrasser....
+
+TYLTYL, [regardant tour à tour son grand-père et sa grand'mère.]
+
+Tu n'as pas changé, bon-papa, pas du tout, pas du tout.... Et
+bonne-maman non plus n'a pas changé du tout.... Mais vous êtes
+plus beaux....
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Eh! ça ne va pas mal.... Nous ne vieillissons plus.... Mais vous,
+grandissez-vous!... Ah! oui, vous poussez ferme!... Tenez, là,
+sur la porte, on voit encore la marque de la dernière fois....
+C'était à la Toussaint.... Voyons, tiens-toi bien droit....
+[Tyltyl se dresse contre la porte.] Quatre doigts!... C'est
+énorme!... [Mytyl se dresse également contre la porte.] Et Mytyl,
+quatre et demi!... Ah, ah! la mauvaise graine!... Ce que ça
+pousse, ce que ça pousse!...
+
+TYLTYL, [regardant autour de soi avec ravissement.]
+
+Comme tout est bien de même, comme tout est à sa place!... Mais
+comme tout est plus beau!... Voilà l'horloge avec la grande
+aiguille dont j'ai cassé la pointe....
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Et voici la soupière que tu as écornée....
+
+TYLTYL
+
+Et voilà le trou que j'ai fait à la porte, le jour que j'ai
+trouvé le vilebrequin....
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Ah oui, tu en as fait des dégâts!... Et voici le prunier où tu
+aimais tant grimper quand je n'étais pas là.... Il a toujours ses
+belles prunes rouges....
+
+TYLTYL
+
+Mais elles sont bien plus belles!...
+
+MYTYL
+
+Et voici le vieux merle!... Est-ce qu'il chante encore?...
+
+Le merle se réveille et se met à chanter à tue-tète.
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Tu vois bien.... Dès que l'on pense à lui....
+
+TYLTYL, [remarquant avec stupéfaction que le merle est
+parfaitement bleu.]
+
+Mais il est bleu!... Mais c'est lui, l'Oiseau-Bleu que je dois
+rapporter à la Fée!... Et vous ne disiez pas que vous l'aviez
+ici! Oh! qu'il est bleu, bleu, bleu, comme une bille de verre
+bleu!... [Suppliant.] Bon-papa, bonne-maman, voulez-vous me le
+donner?...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Bien oui, peut-être bien.... Qu'en penses-tu, maman Tyl?...
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Bien sûr, bien sûr.... A quoi qu'il sert ici.... Il ne fait que
+dormir.... On ne l'entend jamais....
+
+TYLTYL
+
+Je vais le mettre dans ma cage.... Tiens, où est-elle, ma
+cage?... Ah! c'est vrai, je l'ai oubliée derrière le gros
+arbre.... [Il court à l'arbre, rapporte la cage et y enferme le
+merle.] Alors, vrai, vous me le donnez pour de vrai?... C'est la
+Fée qui sera contente!... Et la Lumière donc!...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Tu sais, je n'en réponds pas, de l'oiseau.... Je crains bien
+qu'il ne puisse plus s'habituer à la vie agitée de là-haut, et
+qu'il ne revienne ici par le premier bon vent.... Enfin, on verra
+bien.... Laisse-le là, pour l'instant, et viens donc voir la
+vache....
+
+TYLTYL, [remarquant les ruches.]
+
+Et les abeilles, dis, comment vont-elles?...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Mais elles ne vont pas mal.... Elles ne vivent plus non plus,
+comme vous dites là-bas; mais elles travaillent ferme....
+
+TYLTYL, [s'approchant des ruches.]
+
+Oh oui!... Ça sent le miel!... Les ruches doivent être
+lourdes!... Toutes les fleurs sont si belles!... Et mes petites
+sœurs qui sont mortes, sont-elles ici aussi?...
+
+MYTYL
+
+Et mes trois petits frères qu'on avait enterrés, où sont-ils?...
+
+ [A ces mots, sept petits enfants de tailles inégales, en
+ flûte de Pan, sortent un à un de la maison.]
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Les voici, les voici!... Aussitôt qu'on y pense, aussitôt qu'on
+en parle, ils sont là, les gaillards!...
+
+ [Tyltyl et Mytyl courent au-devant des enfants. On se
+ bouscule, on s'embrasse, on danse, on tourbillonne, on
+ pousse des cris de joie.]
+
+TYLTYL
+
+Tiens, Pierrot!... [Ils se prennent aux cheveux.] Ah! nous allons
+nous battre encore comme dans le temps.... Et Robert!... Bonjour,
+Jean!... Tu n'as plus ta toupie?... Madeleine et Pierrette,
+Pauline et puis Riquette....
+
+MYTYL
+
+Oh! Riquette, Riquette!... Elle marche encore à quatre
+pattes!...
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Oui, elle ne grandit plus....
+
+TYLTYL, [remarquant le petit Chien qui jappe autour d'eux.]
+
+Voilà Kiki dont j'ai coupé la queue avec les ciseaux de
+Pauline.... Il n'a pas changé non plus....
+
+GRAND PAPA TYL, [sentencieux.]
+
+Non, rien ne change ici....
+
+TYLTYL
+
+Et Pauline a toujours son bouton sur le nez!...
+
+GRAND MAMAN TYL
+
+Oui, il ne s'en va pas; il n'y a rien à faire....
+
+TYLTYL
+
+Oh! qu'ils ont bonne mine, qu'ils sont gras et luisants!...
+Qu'ils ont de belles joues!... Ils ont l'air bien nourris....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Ils se portent bien mieux depuis qu'ils ne vivent plus.... Il
+n'y a plus rien à craindre, on n'est jamais malade, on n'a plus
+d'inquiétudes....
+
+ [Dans la maison, l'horloge sonne huit heures.]
+
+GRAND'MAMAN TYL, [stupéfaite.]
+
+Qu'est-ce que c'est?...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Ma foi, je ne sais pas.... Ce doit être l'horloge....
+
+GRAND-MAMAN TYL
+
+Ce n'est pas possible.... Elle ne sonne jamais....
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Parce que nous ne pensons plus à l'heure.... Quelqu'un a-t-il
+pensé à l'heure?...
+
+TYLTYL
+
+Oui, c'est moi.... Quelle heure est-il?...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Ma foi, je ne sais plus.... J'ai perdu l'habitude.... Elle a
+sonné huit coups, ce doit être ce que? là-haut, ils appellent
+huit heures.
+
+TYLTYL
+
+La Lumière m'attend à neuf heures moins le quart.... C'est à
+cause de la Fée.... C'est extrêmement important.... Je me
+sauve....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Vous n'allez pas nous quitter ainsi au moment du souper!... Vite,
+vite, dressons la table devant la porte.... J'ai justement une
+excellente soupe aux choux et une belle tarte aux prunes....
+
+ [On sort la table, on la dresse devant la porte, on apporte
+ les plats, les assiettes, etc.... Tous y aident.]
+
+TYLTYL
+
+Ma foi, puisque j'ai l'Oiseau-Bleu.... Et puis la soupe aux
+choux, il y a si longtemps!... Depuis que je voyage.... On n'a
+pas ça dans les hôtels....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Voilà!... C'est déjà fait.... A table, les enfants.... Si vous
+êtes pressés, ne perdons pas de temps....
+
+ [On a allumé la lampe et servi la soupe. Les grands-parents
+ et les enfants s'assoient autour du repas du soir, parmi des
+ bousculades, des bourrades, des cris et des rires de joie.]
+
+TYLTYL, [mangeant gloutonnement.]
+
+Qu'elle est bonne!... Mon Dieu, qu'elle est donc bonne!... J'en
+veux encore! encore!
+
+ [Il brandit sa cuiller de bois et en frappe bruyamment son
+ assiette.]
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Voyons, voyons, un peu de calme.... Tu es toujours aussi mal
+élevé; et tu vas casser ton assiette....
+
+TYLTYL, [se dressant à demi sur son escabelle.]
+
+J'en veux encore, encore!...
+
+ [Il atteint et attire à soi la soupière qui se renverse et
+ se répand sur la table, et de là sur les genoux des
+ convives. Cris et hurlements d'échaudés.]
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Tu vois!... Je te l'avais bien dit....
+
+GRAND-PAPA TYL, [donnant à Tyltyl une gifle retentissante.]
+
+Voilà pour toi!...
+
+TYLTYL, [un instant déconcerté, mettant ensuite la main sur la
+joue, avec ravissement.]
+
+Oh! oui, c'était comme ça, les claques que tu donnais quand tu
+étais vivant.... Bon-papa, qu'elle est bonne et que ça fait du
+bien!... Il faut que je t'embrasse!...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Bon, bon; il y en a encore si ça te fait plaisir....
+
+ [La demie de huit heures sonne à l'horloge.]
+
+TYLTYL, [sursautant.]
+
+Huit heures et demie!... [il jette sa cuiller.] Mytyl, nous
+n'avons que le temps!...
+
+GRAND-MAMAN TYL
+
+Voyons!... Encore quelques minutes!... Le feu n'est pas à la
+maison.... On se voit si rarement....
+
+TYLTYL
+
+Non, ce n'est pas possible.... La Lumière est si bonne.... Et je
+lui ai promis.... Allons, Mytyl, allons!...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Dieu, que les Vivants sont donc contrariants avec toutes leurs
+affaires et leurs agitations!...
+
+TYLTYL, [prenant sa cage et embrassant tout le monde en hâte et à
+la ronde.]
+
+Adieu, Bon-papa.... Adieu, Bonne-maman.... Adieu, frères,
+sœurs, Pierrot, Robert, Pauline, Madeleine, Riquette, et toi
+aussi, Kiki! Je sens bien que nous ne pouvons plus rester ici....
+Ne pleure pas, Bonne-maman, nous reviendrons souvent....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Revenez tous les jours!...
+
+TYLTYL
+
+Oui, oui! nous reviendrons le plus souvent possible....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+C'est notre seule joie, et c'est une telle fête quand votre
+pensée nous visite!...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Nous n'avons pas d'autres distractions....
+
+TYLTYL
+
+Vite, vite!... Ma cage!... Mon oiseau!...
+
+GRAND-PAPA TYL, lui passant la cage.
+
+Les voici!... Tu sais, je ne garantis rien; et s'il n'est pas bon
+teint!...
+
+TYLTYL
+
+Adieu! adieu!...
+
+LES FRÈRES ET SŒURS TYL
+
+Adieu, Tyltyl!... Adieu, Mytyl!... Pensez au sucre d'orge!...
+Adieu!... Revenez!... Revenez!...
+
+ [Tous agitent des mouchoirs tandis que Tyltyl et Mytyl
+ s'éloignent lentement. Mais déjà, durant les dernières
+ répliques, le brouillard du début s'est graduellement
+ reformé, et le son des voix s'est affaibli, de manière qu'à
+ la fin de la scène, tout a disparu dans la brume et qu'au
+ moment où le rideau baisse, Tyltyl et Mytyl se retrouvent
+ seuls visibles sous le gros chêne.]
+
+TYLTYL
+
+C'est par ici, Mytyl....
+
+MYTYL
+
+Où est la Lumière?...
+
+TYLTYL
+
+Je ne sais pas.... [Regardant l'oiseau dans la cage.] Tiens!
+l'oiseau n'est plus bleu!... Il est devenu noir!...
+
+MYTYL
+
+Donne-moi la main, petit frère.... J'ai bien peur et bien
+froid....
+
+RIDEAU
+
+
+
+
+ACTE TROISIÈME
+
+
+
+
+QUATRIÈME TABLEAU
+
+LE PALAIS DE LA NUIT
+
+
+Une vaste et prodigieuse salle d'une magnificence austère,
+rigide, métallique et sépulcrale, donnant l'impression d'un
+temple grec ou égyptien, dont les colonnes, les architraves, les
+dalles, les ornements seraient de marbre noir, d'or et d'ébène.
+La salle est en forme de trapèze. Des degrés de basalte, qui
+occupent presque toute sa largeur, la divisent en trois plans
+successifs qui s'élèvent graduellement vers le fond. A droite et
+à gauche, entre les colonnes, des portes de bronze sombre. Au
+fond, porte d'airain monumentale. Une lumière diffuse qui semble
+émaner de l'éclat même du marbre et de l'ébène éclaire seule le
+palais.
+
+ * * * * *
+
+ [Au lever du rideau, la Nuit, sous la figure d'une très
+ belle femme, couverte de longs vêtements noirs, est assise
+ sur les marches du second plan, entre deux enfants, dont
+ l'un, presque nu, comme l'Amour, sourit dans un profond
+ sommeil, tandis que l'autre se tient debout, immobile et
+ voilé des pieds à la tête.--Entre, à droite, au premier
+ plan, la Chatte.]
+
+LA NUIT
+
+Qui va là?...
+
+LA CHATTE, [se laissant choir avec accablement sur les degrés de
+marbre.]
+
+C'est moi, mère la Nuit.... Je n'en peux plus....
+
+LA NUIT
+
+Qu'as-tu donc, mon enfant?... Tu es pâle, amaigrie et te voilà
+crottée jusqu'aux moustaches.... Tu t'es encore battue dans les
+gouttières, sous la neige et la pluie?...
+
+LA CHATTE
+
+Il est bien question de gouttières!... C'est de notre secret
+qu'il s'agit!... C'est, le commencement de la fin!... J'ai pu
+m'échapper un instant pour vous prévenir; mais je crains bien
+qu'il n'y ait rien à faire....
+
+LA NUIT
+
+Quoi?... Qu'est-il donc arrivé?...
+
+LA CHATTE
+
+Je vous ai déjà parlé du petit Tyltyl, le fils du bûcheron, et du
+Diamant merveilleux.... Eh bien, il vient ici pour vous réclamer
+l'Oiseau-Bleu....
+
+LA NUIT
+
+Il ne le tient pas encore....
+
+LA CHATTE
+
+Il le tiendra bientôt, si nous ne faisons pas quelque miracle....
+Voici ce qui se passe: la Lumière qui le guide et qui nous trahit
+tous, car elle s'est mise entièrement du parti de l'Homme, la
+Lumière vient d'apprendre que l'Oiseau-Bleu, le vrai, le seul qui
+puisse vivre à la clarté du jour, se cache ici, parmi les oiseaux
+bleus des songes qui se nourrissent des rayons de lune et meurent
+dès qu'ils voient le soleil.... Elle sait qu'il lui est interdit
+de franchir le seuil de votre palais; mais elle y envoie les
+enfants; et comme vous ne pouvez pas empêcher l'Homme d'ouvrir
+les portes de vos secrets, je ne sais trop comment tout cela
+finira.... En tout cas, s'ils avaient le malheur de mettre la
+main sur le véritable Oiseau-Bleu, nous n'aurions plus qu'à
+disparaître....
+
+LA NUIT
+
+Seigneur, Seigneur!... En quels temps vivons-nous! Je n'ai plus
+une minute de repos.... Je ne comprends plus l'Homme, depuis
+quelques années.... Où veut-il en venir?... Il faut donc qu'il
+sache tout?... Il a déjà saisi le tiers de mes Mystères, toutes
+mes Terreurs ont peur et n'osent plus sortir, mes Fantômes sont
+en fuite, la plupart de mes Maladies ne se portent pas bien....
+
+LA CHATTE
+
+Je sais, ma mère la Nuit, je sais, les temps sont durs, et nous
+sommes presque seules à lutter contre l'Homme.... Mais je les
+entends qui s'approchent.... Je ne vois qu'un moyen: comme ce
+sont des enfants, il faut leur faire une telle peur qu'ils
+n'oseront pas insister ni ouvrir la grande porte du fond,
+derrière laquelle se trouvent les oiseaux de la Lune.... Les
+secrets des autres cavernes suffiront à détourner leur attention
+ou à les terrifier....
+
+LA NUIT, [prêtant l'oreille à un bruit du dehors.]
+
+Qu'est-ce que j'entends?... Ils sont donc plusieurs?
+
+LA CHATTE
+
+Ce n'est rien; ce sont nos amis: le Pain et le Sucre; l'Eau est
+indisposée et le Feu n'a pu venir, parce qu'il est parent de la
+Lumière.... Il n'y a que le Chien qui ne soit pas pour nous; mais
+il n'y a jamais moyen de l'écarter....
+
+ [Entrent timidement, à droite, au premier plan, Tyltyl,
+ Mytyl, le Pain, le Sucre et le Chien.]
+
+LA CHATTE, [se précipitant au-devant de Tyltyl.]
+
+Par ici, par ici, mon petit maître.... J'ai prévenu la Nuit qui
+est enchantée de vous recevoir.... Il faut l'excuser, elle est un
+peu souffrante; c'est pourquoi elle n'a pu aller au-devant de
+vous....
+
+TYLTYL
+
+Bonjour, madame la Nuit....
+
+LA NUIT, [froissée.]
+
+Bonjour? Je ne connais pas ça.... Tu pourrais bien me dire: bonne
+nuit, ou tout au moins: bonsoir....
+
+TYLTYL, [mortifié.]
+
+Pardon, madame.... Je ne savais pas.... [Montrant du doigt les
+deux enfants.] Ce sont vos deux petits garçons?... Ils sont bien
+gentils....
+
+LA NUIT
+
+Oui, voici le Sommeil....
+
+TYLTYL
+
+Pourquoi qu'il est si gros?...
+
+LA NUIT
+
+C'est parce qu'il dort bien....
+
+TYLTYL
+
+Et l'autre qui se cache?... Pourquoi qu'il se voile la figure?...
+Est-ce qu'il est malade?... Comment c'est qu'il se nomme?...
+
+LA NUIT
+
+C'est la sœur du Sommeil.... Il vaut mieux ne pas la
+nommer....
+
+TYLTYL
+
+Pourquoi?...
+
+LA NUIT
+
+Parce que c'est un nom qu'on n'aime pas à entendre.... Mais
+parlons d'autre chose.... La Chatte vient de me dire que vous
+venez ici pour chercher l'Oiseau-Bleu?...
+
+TYLTYL
+
+Oui, madame, si vous le permettez.... Voulez-vous me dire où il
+est?...
+
+LA NUIT
+
+Je n'en sais rien, mon petit ami.... Tout ce que je puis
+affirmer, c'est qu'il n'est pas ici.... Je ne l'ai jamais vu....
+
+TYLTYL
+
+Si, si.... La Lumière m'a dit qu'il est ici; et elle sait ce
+qu'elle dit, la Lumière.... Voulez-vous me remettre vos clefs?...
+
+LA NUIT
+
+Mais, mon petit ami, tu comprends bien que je ne puis donner
+ainsi mes clefs au premier venu.... J'ai la garde de tous les
+secrets de la Nature, j'en suis responsable et il m'est
+absolument défendu de les livrer à qui que ce soit, surtout à un
+enfant....
+
+TYLTYL
+
+Vous n'avez pas le droit de les refuser à l'Homme qui les
+demande.... je le sais....
+
+LA NUIT
+
+Qui te l'a dit?...
+
+TYLTYL
+
+La Lumière....
+
+LA NUIT
+
+Encore la Lumière! et toujours la Lumière!... De quoi se
+mêle-t-elle à la fin?...
+
+LE CHIEN
+
+Veux-tu que je les lui prenne de force, mon petit dieu?...
+
+TYLTYL
+
+Tais-toi, tiens-toi tranquille et tâche d'être poli.... [A la
+Nuit.] Voyons, madame, donnez-moi vos clefs, s'il vous plaît....
+
+LA NUIT
+
+As-tu le signe, au moins?... Où est-il?...
+
+TYLTYL, [touchant son chapeau.]
+
+Voyez le Diamant....
+
+LA NUIT, [se résignant à l'inévitable.]
+
+Enfin.... Voici celle qui ouvre toutes les portes de la salle....
+Tant pis pour toi s'il t'arrive malheur.... Je ne réponds de
+rien.
+
+LE PAIN, [fort inquiet.]
+
+Est-ce que c'est dangereux?...
+
+LA NUIT
+
+Dangereux?... C'est-à-dire que moi-même je ne sais trop comment
+je pourrai m'en tirer, lorsque certaines de ces portes de bronze
+s'ouvriront sur l'abîme.... Il y a là, tout autour de la salle,
+dans chacune de ces cavernes de basalte, tous les maux, tous les
+fléaux, toutes les maladies, toutes les épouvantes, toutes les
+catastrophes, tous les mystères qui affligent la vie depuis le
+commencement du monde.... J'ai eu assez de mal à les enfermer là
+avec l'aide du Destin; et ce n'est pas sans peine, je vous
+assure, que je maintiens un peu d'ordre parmi ces personnages
+indisciplinés.... On voit ce qu'il arrive lorsque l'un d'eux
+s'échappe et se montre sur terre....
+
+LE PAIX
+
+Mon grand âge, mon expérience et mon dévouement font de moi le
+protecteur naturel de ces deux enfants; c'est pourquoi, madame la
+Nuit, permettez-moi de vous poser une question....
+
+LA NUIT
+
+Faites....
+
+LE PAIN
+
+En cas de danger, par où faut-il fuir?...
+
+LA NUIT
+
+Il n'y a pas moyen de fuir.
+
+TYLTYL, [prenant la clef et montant les premières marches.]
+
+Commençons par ici.... Qu'y a-t-il derrière cette porte de
+bronze?...
+
+LA NUIT
+
+Je crois que ce sont les Fantômes.... Il y a bien longtemps que
+je ne l'ai ouverte et qu'ils ne sont sortis....
+
+TYLTYL, mettant la clef dans la serrure.
+
+Je vais voir.... [Au Pain] Avez-vous la cage de l'Oiseau-Bleu?...
+
+LE PAIN, claquant des dénis.
+
+Ce n'est pas que j'aie peur, mais ne croyez-vous pas qu'il serait
+préférable de ne pas ouvrir et de regarder par le trou de la
+serrure?...
+
+TYLTYL
+
+Je ne vous demande pas votre avis....
+
+MYTYL, [se mettant à pleurer tout à coup.]
+
+J'ai peur!... Où est le Sucre?... Je veux rentrer à la
+maison!...
+
+LE SUCRE, [empressé, obséquieux.]
+
+Ici, mademoiselle, je suis ici.... Ne pleurez pas, je vais couper
+un de mes doigts pour vous offrir un sucre d'orge....
+
+TYLTYL
+
+Finissons-en....
+
+ [Il tourne la clef et entr'ouvre prudemment la porte.
+ Aussitôt s'échappent cinq ou six Spectres de formes diverses
+ et étranges qui se répandent de tous cotés. Le Pain
+ épouvanté jette la cage et va se cacher au fond de la salle,
+ pendant que la Nuit, pourchassant les Spectres, crie à
+ Tyltyl:]
+
+LA NUIT
+
+Vite! vite!... Ferme la porte!... Ils s'échapperaient tous et
+nous ne pourrions plus les rattraper!... Ils s'ennuient
+là-dedans, depuis que l'Homme ne les prend plus au sérieux....
+[Elle pourchasse les Spectres en s'efforçant, à l'aide d'un fouet
+formé de serpents, de les ramener vers la porte de leur prison.]
+
+Aidez-moi!... Par ici!... Par ici!...
+
+TYLTYL, [au Chien.]
+
+Aide-la, Tylô, vas-y donc!...
+
+LE CHIEN, [bondissant en aboyant.]
+
+Oui! oui! oui!...
+
+TYLTYL
+
+Et le Pain, où est-il?...
+
+LE PAIN, du fond de la salle.
+
+Ici.... Je suis près de la porte pour les empêcher de sortir....
+
+ [Comme un des Spectres s'avance de ce côté, il fuit à toutes
+ jambes, en poussant des hurlements d'épouvante.]
+
+LA NUIT, [à trois Spectres qu'elle a pris au collet.]
+
+Par ici, vous autres!... [A Tyltyl.] Rouvre un peu la porte....
+[Elle pousse les Spectres dans la caverne.] Là, ça va bien....
+[Le Chien en ramène deux autres.] Et encore ceux-ci.... Voyons,
+vite, rangez-vous.... Vous savez bien que vous ne sortez plus
+qu'à la Toussaint.
+
+ [Elle referme la porte.]
+
+TYLTYL, [allant à une autre porte.]
+
+Qu'y a-t-il derrière celle-ci?...
+
+LA NUIT
+
+A quoi bon?... Je te l'ai déjà dit, l'Oiseau-Bleu n'est jamais
+venu par ici.... Enfin, comme tu voudras.... Ouvre-la si ça te
+fait plaisir.... Ce sont les Maladies....
+
+TYLTYL, [la clef dans la serrure.]
+
+Est-ce qu'il faut prendre garde en ouvrant?...
+
+LA NUIT
+
+Non, ce n'est pas la peine.... Elles sont bien tranquilles, les
+pauvres petites.... Elles ne sont pas heureuses.... L'Homme,
+depuis quelque temps, leur fait une telle guerre!... Surtout
+depuis la découverte des microbes.... Ouvre donc, tu verras....
+
+ [Tyltyl ouvre la porte toute grande. Rien ne paraît.]
+
+TYLTYL
+
+Elles ne sortent pas?...
+
+LA NUIT
+
+Je t'avais prévenu, presque toutes sont souffrantes et bien
+découragées.... Les médecins ne sont pas gentils pour elles....
+Entre donc un instant, tu verras....
+
+ [Tyltyl entre dans la caverne et ressort aussitôt après.]
+
+TYLTYL
+
+L'Oiseau-Bleu n'y est pas.... Elles ont l'air bien malades, vos
+Maladies.... Elles n'ont même pas levé la tête.... [Une petite
+Maladie, en pantoufles, robe de chambre et bonnet de coton,
+s'échappe de la caverne et se met à gambader dans la salle.]
+Tiens!... Une petite qui s'évade!... Qu'est-ce que c'est?...
+
+LA NUIT
+
+Ce n'est rien, c'est la plus petite, c'est le Rhume de
+cerveau.... C'est une de celles qu'on persécute le moins et qui
+se portent le mieux.... [Appelant le Rhume de cerveau] Viens
+ici, ma petite.... C'est trop tôt; il faut attendre le
+printemps....
+
+ [Le Rhume de cerveau, éternuant, toussant et se mouchant,
+ rentre dans la caverne dont Tyltyl referme la porte.]
+
+TYLTYL, [allant à la porte voisine.]
+
+Voyons donc celle-ci.... Qu'est-ce que c'est?...
+
+LA NUIT
+
+Prends garde.... Ce sont les Guerres.... Elles sont plus
+terribles et plus puissantes que jamais.... Dieu sait ce qui
+arriverait si l'une d'elles s'échappait!... Heureusement, elles
+sont assez obèses et manquent d'agilité.... Mais tenons-nous
+prêts à repousser la porte tous ensemble, pendant que tu jetteras
+un rapide coup d'œil dans la caverne....
+
+ [Tyltyl, avec mille précautions, entrebâille la porte de
+ manière qu'il n'y ait qu'une petite fente où il puisse
+ appliquer l'œil. Aussitôt, il s'arc-boute en criant:]
+
+TYLTYL
+
+Vite! vite!... Poussez donc!... Elles m'ont vu!... Elles viennent
+toutes!... Elles ouvrent la porte!...
+
+LA NUIT
+
+Allons, tous!... Poussez ferme!... Voyons, le Pain, que
+faites-vous?... Poussez tous!... Elles ont une force!... Ah!
+voilà! Ça y est.... Elles cèdent.... Il était temps!... As-tu
+vu?...
+
+TYLTYL
+
+Oui, oui!... Elles sont énormes, épouvantables!... Je crois
+qu'elles n'ont pas l'Oiseau-Bleu....
+
+LA NUIT
+
+Bien sûr qu'elles ne l'ont point.... Elles le mangeraient tout de
+suite.... Eh bien, en as-tu assez?... Tu vois bien qu'il n'y a
+rien à faire....
+
+TYLTYL
+
+Il faut que je voie tout.... La Lumière l'a dit....
+
+LA NUIT
+
+La Lumière l'a dit.... C'est facile à dire quand on a peur et
+qu'on reste chez soi....
+
+TYLTYL
+
+Allons à la suivante.... Qu'est-ce?...
+
+LA NUIT
+
+Ici, j'enferme les Ténèbres et les Terreurs....
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'on peut ouvrir?...
+
+LA NUIT
+
+Parfaitement.... Elles sont assez tranquilles; c'est comme les
+Maladies....
+
+TYLTYL, [entr'ouvrant la porte avec une certaine méfiance et
+risquant un regard dans la caverne.]
+
+Elles n'y sont pas....
+
+LA NUIT, [regardant à son tour dans la caverne.]
+
+Eh bien, les Ténèbres, que faites-vous?... Sortez donc un
+instant, ça vous fera du bien, ça vous dégourdira. Et les
+Terreurs aussi.... Il n'y a rien à Craindre.... [Quelques
+Ténèbres et quelques Terreurs, sous la figure de femmes
+couvertes, les premières de voiles noirs, les dernières de voiles
+verdâtres, risquent piteusement quelques pas hors de la caverne,
+et, sur un geste qu'ébauche Tyltyl, rentrent précipitamment.]
+Voyons, tenez-vous donc.... C'est un enfant, il ne vous fera pas
+de mal.... [A Tyltyl]. Elles sont devenues extrêmement timides;
+excepté les grandes, celles que tu vois au fond....
+
+TYLTYL, [regardant vers le fond de la caverne.]
+
+Oh! qu'elles sont effrayantes!...
+
+LA NUIT
+
+Elles sont enchaînées.... Ce sont les seules qui n'aient pas peur
+de l'Homme.... Mais referme la porte, de crainte qu'elles ne se
+fâchent....
+
+TYLTYL, [allant à la porte suivante.]
+
+Tiens!... Celle-ci est plus sombre.... Qu'est-ce que c'est?...
+
+LA NUIT
+
+Il y a plusieurs Mystères derrière celle-ci.... Si tu y tiens
+absolument, tu peux l'ouvrir aussi.... Mais n'entre pas.... Sois
+bien prudent, et puis préparons-nous à repousser la porte, comme
+nous avons fait pour les Guerres....
+
+TYLTYL, [entr'ouvrant avec des précautions inouïes, et passant
+craintivement la tête dans l'entrebâillement.]
+
+Oh!... Quel froid!... Mes yeux cuisent!... Fermez vite!...
+Poussez donc! On repousse!... [La Nuit, le Chien, la Chatte et le
+Sucre repoussent la porte.] Oh! j'ai vu!...
+
+LA NUIT
+
+Quoi donc?...
+
+TYLTYL, [bouleversé.]
+
+Je ne sais pas, c'était épouvantable!... Ils étaient tous assis
+comme des monstres sans yeux.... Quel était le géant qui voulait
+me saisir?...
+
+LA NUIT
+
+C'est probablement le Silence; il a la garde de cette porte....
+Il paraît que c'était effrayant?... Tu en es encore tout pâle et
+tout tremblant....
+
+TYLTYL
+
+Oui, je n'aurais pas cru.... Je n'avais jamais vu.... Et j'ai les
+mains gelées....
+
+LA NUIT
+
+Ce sera bien pis tout à l'heure si tu continues....
+
+TYLTYL, [allant à la porte suivante.]
+
+Et celle-ci?... Est-elle aussi terrible?...
+
+LA NUIT
+
+Non, il y a un peu de tout.... J'y mets les Étoiles sans emploi,
+mes parfums personnels, quelques Lueurs qui m'appartiennent, tels
+que feux-follets, vers luisants, lucioles; on y serre aussi la
+Rosée, le Chant des Rossignols, etc..
+
+TYLTYL
+
+Justement, les Étoiles, le Chant des Rossignols.... Ce doit être
+celle-là.
+
+LA NUIT
+
+Ouvre-donc si tu veux; tout cela n'est pas bien méchant....
+
+ [Tyltyl ouvre la porte toute grande. Aussitôt les Étoiles,
+ sous la forme de belles jeunes filles voilées de lueurs
+ versicolores, s'échappent de leur prison, se répandent dans
+ la salle et forment sur les marches et autour des colonnes
+ de gracieuses rondes baignées d'une sorte de lumineuse
+ pénombre. Les Parfums de la Nuit, presque invisibles, les
+ Feux-follets, les Lucioles, la Rosée transparente se
+ joignent à elles, cependant que le Chant des Rossignols,
+ sortant à flots de la caverne, inonde le palais nocturne.]
+
+MYTYL, [ravie, battant des mains.]
+
+Oh! les jolies madames!...
+
+TYLTYL
+
+Et qu'elles dansent bien!...
+
+MYTYL
+
+Et qu'elles sentent bon!...
+
+TYLTYL
+
+Et qu'elles chantent bien!...
+
+MYTYL
+
+Qu'est-ce que c'est, ceux-là, qu'on ne voit presque pas?...
+
+LA NUIT
+
+Ce sont les Parfums de mon ombre....
+
+TYLTYL
+
+Et les autres, là-bas, qui sont en verre filé?...
+
+LA NUIT
+
+C'est la Rosée des forêts et des plaines.... Mais en voilà
+assez.... Ils n'en finiraient pas.... C'est le diable de les
+faire rentrer une fois qu'ils se sont mis à danser.... [Frappant
+dans ses mains.] Allons, vite, les Étoiles!... Ce n'est pas le
+moment de danser.... Le ciel est couvert, il y a de gros
+nuages.... Allons, vite, rentrez tous, sinon j'irai chercher un
+rayon de soleil....
+
+ [Fuite épouvantée des Étoiles, Parfums, etc...., qui se
+ précipitent dans la caverne que l'on referme sur eux. En
+ même temps s'éteint le Chant des Rossignols.]
+
+TYLTYL, [allant à la porte du fond.]
+
+Voici la grande porte du milieu....
+
+LA NUIT, gravement.
+
+N'ouvre pas celle-ci....
+
+TYLTYL
+
+Pourquoi?...
+
+LA NUIT
+
+Parce que c'est défendu....
+
+TYLTYL
+
+C'est donc là que se cache l'Oiseau-Bleu; la Lumière me l'a
+dit....
+
+LA NUIT, [maternelle.]
+
+Écoute-moi, mon enfant.... J'ai été bonne et complaisante....
+J'ai fait pour toi ce que je n'avais fait jusqu'ici pour
+personne.... Je t'ai livré tous mes secrets.... Je t'aime bien,
+j'ai pitié de ta jeunesse et de ton innocence et je te parle
+comme une mère.... Écoute-moi et crois-moi, mon enfant, renonce,
+ne va point plus avant, ne tente pas le Destin, n'ouvre pas cette
+porte....
+
+TYLTYL, [assez ébranlé.]
+
+Mais pourquoi?...
+
+LA NUIT
+
+Parce que je ne veux pas que tu te perdes.... Parce que nul de
+ceux, entends-tu, nul de ceux qui l'ont entr'ouverte, ne fût-ce
+que de l'épaisseur d'un cheveu, n'est revenu vivant à la lumière
+du jour.... Parce que tout ce qu'on peut imaginer d'épouvantable,
+parce que toutes les terreurs, toutes les horreurs dont on parle
+sur terre, ne sont rien, comparées à la plus innocente de celles
+qui assaillent un homme dès que son œil effleure les premières
+menaces de l'abîme auquel personne n'ose donner un nom.... C'est
+au point que moi-même, si tu t'obstines, malgré tout, à toucher
+cette porte, je te demanderai d'attendre que je sois à l'abri
+dans ma tour sans fenêtres.... Maintenant c'est à toi de savoir,
+à toi de réfléchir....
+
+ [Mytyl, tout en larmes, pousse des cris de terreur
+ inarticulés et cherche à entraîner Tyltyl.]
+
+LE PAIN, [claquant des dents.]
+
+Ne le faites pas, mon petit maître!... [Se jetant à genoux.] Ayez
+pitié de nous!... Je vous le demande à genoux.... Vous voyez que
+la Nuit a raison....
+
+LA CHATTE
+
+C'est notre vie à tous que vous sacrifiez....
+
+TYLTYL
+
+Je dois l'ouvrir....
+
+MYTYL, [trépignant parmi des sanglots.]
+
+Je ne veux pas!... Je ne veux pas!...
+
+TYLTYL
+
+Que le Sucre et le Pain prennent Mytyl par la main et se sauvent
+avec elle.... Je vais ouvrir....
+
+LA NUIT
+
+Sauve qui peut!... Venez vite!... Il est temps!...
+
+ [Elle fuit.]
+
+LE PAIN, [fuyant éperdument.]
+
+Attendez au moins que nous soyons au bout de la salle!...
+
+LA CHATTE, [fuyant également.]
+
+Attendez!... attendez!...
+
+Ils se cachent derrière les colonnes à l'autre bout de la salle.
+Tyltyl reste seul avec le Chien, près de la porte monumentale.
+
+LE CHIEN, [haletant et hoquetant d'épouvante contenue.]
+
+Moi, je reste, je reste.... Je n'ai pas peur.... Je reste!... Je
+reste près de mon petit dieu.... Je reste!... Je reste....
+
+TYLTYL, [caressant le Chien.]
+
+C'est bien, Tylô, c'est bien!... Embrasse-moi.... Nous sommes
+deux.... Maintenant gare à nous!... [Il met la clef dans la
+serrure. Un cri d'épouvante part de l'autre bout de la salle où
+se sont réfugiés les fuyards. A peine la clef a-t-elle touché la
+porte que les hauts ballants de celle-ci s'ouvrent par le milieu,
+glissent latéralement et disparaissent, à droite et à gauche,
+dans l'épaisseur des murs, découvrant tout à coup, irréel,
+infini, ineffable, le plus inattendu des jardins de rêve et de
+lumière nocturne, où, parmi les étoiles et les planètes,
+illuminant tout ce qu'ils touchent, volant sans cesse de
+pierreries en pierreries, de rayons de lune en rayons de lune, de
+féeriques oiseaux bleus évoluent perpétuellement et
+harmonieusement jusqu'aux confins de l'horizon, innombrables au
+point qu'ils semblent être le souffle, l'atmosphère azurée, la
+substance même du jardin merveilleux.--Tyltyl, ébloui, éperdu,
+debout dans la lumière du jardin:] Oh!... le ciel!... [Se
+tournant vers ceux qui oui fui.] Venez vite!... Ils sont là!...
+C'est eux! c'est eux! c'est eux!...Nous les tenons enfin!... Des
+milliers d'oiseaux bleus! Des millions!... Des milliards!... Il y
+en aura trop!... Viens, Mytyl!... Viens, Tylô!... Venez tous!...
+Aidez-moi!... [S'élançant parmi les oiseaux.] On les prend à
+pleines mains!... Ils ne sont pas farouches!... Ils n'ont pas
+peur de nous!... Par ici! par ici!... [Mytyl et les autres
+accourent. Ils entrent tous dans le jardin éblouissant, hormis la
+Nuit et la Chatte.] Vous voyez!... Ils sont trop!... Ils viennent
+dans mes mains!... Regardez donc, ils mangent les rayons de la
+lune!... Mytyl, où donc es-tu?... Il y a tant d'ailes bleues,
+tant de plumes qui tombent qu'on n'y voit plus du tout!... Tylô!
+ne les mord pas.... Ne leur fais pas de mal!... Prends-les très
+doucement!
+
+MYTYL, [enveloppée d'oiseaux bleus.]
+
+J'en ai déjà pris sept!... Oh! qu'ils battent des ailes!... Je ne
+puis les tenir!...
+
+TYLTYL
+
+Moi non plus!... J'en ai trop!... Ils s'échappent!... Ils
+reviennent!... Tylô en a aussi!... Ils vont nous entraîner!...
+nous porter dans le ciel!... Viens, sortons par ici!... La
+Lumière nous attend!... Elle sera contente!... Par ici, par
+ici!...
+
+ [Ils s'évadent du jardin, les mains pleines d'oiseaux qui se
+ débattent, et, traversant toute la salle parmi l'affolement
+ des ailes azurées, sortent à droite, par où ils sont entrés,
+ suivis du Pain et du Sucre qui n'ont pas pris d'oiseaux.
+ --Restés seuls, la Nuit et la Chatte remontent vers le fond
+ et regardent anxieusement dans le jardin.]
+
+LA NUIT
+
+Ils ne l'ont pas?...
+
+LA CHATTE
+
+Non.... Je le vois là sur ce rayon de lune.... Ils n'ont pas pu
+l'atteindre, il se tenait trop haut....
+
+ [Le rideau tombe. Aussitôt après, devant le rideau tombé,
+ entrent simultanément, à gauche la Lumière, à droite Tyltyl,
+ Mytyl et le Chien, accourant tout couverts des oiseaux
+ qu'ils viennent de capturer. Mais déjà ceux-ci paraissent
+ inanimés et, la tête pendante et les ailes brisées, ne sont
+ plus dans leurs mains que d'inertes dépouilles.]
+
+LA LUMIÈRE
+
+Eh bien, l'avez-vous-pris?...
+
+TYLTYL
+
+Oui, oui!... Tant qu'on voulait.... Il y en a des milliers!...
+Les voici!... Les vois-tu!... [Regardant les oiseaux qu'il tend
+vers la Lumière et s'apercevant qu'ils sont morts.] Tiens!... Ils
+ne vivent plus.... Qu'est-ce qu'on leur a fait?... Les tiens
+aussi, Mytyl?... Ceux de Tylô aussi. [Jetant avec colère les
+cadavres d'oiseaux.] Ah! non, c'est trop vilain!... Qui est-ce
+qui les a tués?... Je suis trop malheureux!...
+
+ [Il se cache la tête sous le bras et paraît tout secoué de
+ sanglots.]
+
+LA LUMIÈRE, [le serrant maternellement dans ses bras.]
+
+Ne pleure pas, mon enfant.... Tu n'as pas pris celui qui peut
+vivre en plein jour.... Il est allé ailleurs.... Nous le
+retrouverons....
+
+LE CHIEN, [regardant les oiseaux morts.]
+
+Est-ce qu'on peut les manger?...
+
+ [Ils sortent tous à gauche.]
+
+
+
+
+CINQUIÈME TABLEAU
+
+LA FORÊT
+
+
+Une forêt.--Il fait nuit.--Clair de lune.--Vieux arbres de
+diverses espèces, notamment: un chêne, un hêtre, un orme, un
+peuplier, un sapin, un cyprès, un tilleur, un marronnier, etc.
+
+ * * * * *
+
+ [Entre la Chatte.]
+
+LA CHATTE, [saluant les arbres à la ronde.]
+
+Salut à tous les arbres!...
+
+MURMURE DES FEUILLAGES
+
+Salut!...
+
+LA CHATTE
+
+C'est un grand jour que ce jour-ci!... Notre ennemi vient
+délivrer vos énergies et se livrer lui-même.... C'est Tyltyl, le
+fils du bûcheron qui vous a fait tant de mal.... Il cherche
+l'Oiseau-Bleu que vous cachez à l'Homme depuis le commencement du
+monde, et qui sait seul notre secret.... [Murmure dans les
+feuilles.] Vous dites?... Ah! c'est le Peuplier qui parle....
+Oui, il possède un Diamant qui a la vertu de délivrer un instant
+nos esprits; il peut nous forcer à livrer l'Oiseau-Bleu, et nous
+serons dès lors, définitivement, à la merci de l'Homme....
+[Murmure dans les feuilles.] Qui parle?... Tiens! c'est le
+Chêne.... Comment allez-vous?... [Murmure dans les feuilles du
+Chêne.] Toujours enrhumé?... La Réglisse ne vous soigne plus?...
+Toujours les rhumatismes?... Croyez-moi, c'est à cause de la
+mousse; vous en mettez trop sur vos pieds.... L'Oiseau-Bleu est
+toujours chez vous?... [Murmures dans les feuilles du Chêne.]
+Vous dites?... Oui, il n'y a pas à hésiter, il faut en profiter,
+il faut qu'il disparaisse.... [Murmure dans les feuilles.]
+Plaît-il?... Oui, il est avec sa petite sœur; il faut qu'elle
+meure aussi.... [Murmure dans les feuilles.] Oui, le Chien les
+accompagne; il n'y a pas moyen de l'éloigner.... [Murmure dans
+les feuilles.] Vous dites?... Le corrompre?... Impossible....
+J'ai essayé de tout.... [Murmures parmi les feuilles.] Ah! c'est
+toi, le Sapin?... Oui, prépare quatre planches.... Oui, il y a
+encore le Feu, le Sucre, l'Eau, le Pain.... Ils sont tous avec
+nous, excepté le Pain qui est assez douteux.... Seule la Lumière
+est favorable à l'Homme; mais elle ne viendra pas.... J'ai fait
+croire aux petits qu'ils devaient s'échapper en cachette pendant
+qu'elle dormait.... L'occasion est unique.... [Murmure dans les
+feuilles.] Tiens! c'est la voix du Hêtre!... Oui, vous avez
+raison; il faut que l'on prévienne les Animaux.... Le Lapin
+a-t-il son tambour?... Il est chez vous?... Bien, qu'il batte le
+rappel, tout de suite.... Les voici!...
+
+ [On entend s'éloigner les roulements de tambour du
+ Lapin.--Entrent Tyltyl, Mytyl et le Chien.]
+
+TYLTYL
+
+C'est ici?...
+
+LA CHATTE, [obséquieuse, doucereuse, empressé se précipitant
+au-devant des enfants.]
+
+Ah! voilà, mon petit maître!... Que vous avez bonne mine et que
+vous êtes joli, ce soir!... Je vous ai précédé pour annoncer
+votre arrivée.... Tout va bien. Cette fois nous tenons
+l'Oiseau-Bleu, j'en suis sûre.... Je viens d'envoyer le Lapin
+battre le rappel afin de convoquer les principaux Animaux du
+pays.... On les entend déjà dans le feuillage.... Écoutez!... Ils
+sont un peu timides et n'osent approcher.... [Bruits d'animaux
+divers, tels que vaches, porcs, chevaux, ânes, etc.--Bas à
+Tyltyl, le prenant à part.] Mais pourquoi avez-vous amené le
+Chien?... Je vous l'ai déjà dit, il est au plus mal avec tout le
+monde, même avec les arbres.... Je crains bien que sa présence
+odieuse ne fasse tout manquer....
+
+TYLTYL
+
+Je n'ai pu m'en débarasser.... [Au Chien, la menaçant] Veux-tu
+bien t'en aller, vilaine bête!...
+
+LE CHIEN
+
+Qui?... Moi!... Pourquoi?... Qu'est-ce que j'ai fait?...
+
+TYLTYL
+
+Je te dis de t'en aller!... On n'a que faire de toi, c'est bien
+simple.... Tu nous embêtes à la fin!...
+
+LE CHIEN
+
+Je ne dirai rien.... Je suivrai de loin.... On ne me verra
+pas.... Veux-tu que je fasse le beau?...
+
+LA CHATTE, [bas, à Tyltyl.]
+
+Vous tolérez pareille désobéissance?... Donnez-lui donc quelques
+coups de bâton sur le nez, il est vraiment insupportable!...
+
+TYLTYL, [battant le Chien.]
+
+Voilà qui t'apprendra à obéir plus vite!...
+
+LE CHIEN, [hurlant.]
+
+Aïe! Aïe! Aïe!...
+
+TYLTYL
+
+Qu'en dis-tu?...
+
+LE CHIEN
+
+Il faut que je t'embrasse puisque tu m'as battu!...
+
+[Il embrasse et caresse violemment Tyltyl.]
+
+TYLTYL
+
+Voyons.... C'est, bien.... Ça suffit.... Va-t'en!...
+
+MYTYL
+
+Non, non; je veux qu'il reste.... J'ai peur de tout quand il
+n'est pas là....
+
+LE CHIEN, [bondissant et renversant presque Mytyl, qu'il accable
+de caresses précipitées et enthousiastes.]
+
+Oh! la bonne petite fille!... Qu'elle est belle! Qu'elle est
+bonne!... Qu'elle est belle, qu'elle est douce!... Il faut que je
+l'embrasse! Encore! encore! encore!...
+
+LA CHATTE
+
+Quel idiot!... Ma foi, nous verrons bien.... Ne perdons pas de
+temps.... Tournez le Diamant....
+
+TYLTYL
+
+Où faut-il me placer?
+
+LA CHATTE
+
+Dans ce rayon de lune; vous y verrez plus clair.... Là! tournez
+doucement....
+
+ [Tyltyl tourne le Diamant; aussitôt, un long frémissement
+ agite les branches et les feuilles. Les troncs les plus
+ anciens et les plus imposants s'entr'ouvrent pour livrer
+ passage à l'âme que chacun d'eux renferme. L'aspect de ces
+ âmes diffère suivant l'aspect et le caractère de l'arbre
+ qu'elles représentent. Celle de l'Orme, par exemple, est une
+ sorte de gnome poussif, ventru, bourru; celle du Tilleul est
+ placide, familière, joviale: celle du Hêtre, élégante et
+ agile; celle du Bouleau, blanche, réservée, inquiète; celle
+ du Saule, rabougrie, échevelée, plaintive; celle du Sapin,
+ longue, efflanquée, taciturne; celle du Cyprès, tragique;
+ celle du Marronnier, prétentieuse, un peu snob; celle du
+ Peuplier, allègre, encombrante, bavarde. Les unes sortent
+ lentement de leur tronc, engourdies, s'étirant, comme après
+ une captivité ou un sommeil séculaire, les autres s'en
+ dégagent d'un bond, alertes, empressées, et toutes viennent
+ se ranger autour des deux enfants, tout en se tenant autant
+ que possible à proximité de l'arbre dont elles sont nées.]
+
+LE PEUPLIER, [accourant le premier et criant à tue-tête.]
+
+Des Hommes!... De petits Hommes!... On pourra leur parler!...
+C'est fini le Silence!... C'est fini!... D'où viennent-ils?...
+Qui est-ce?... Qui sont-ils?... [Au Tilleul qui s'avance en
+fumant tranquillement sa pipe.] Les connais-tu, toi, père
+Tilleul?...
+
+LE TILLEUL
+
+Je ne me rappelle pas les avoir vus....
+
+LE PEUPLIER
+
+Mais si, voyons, mais si!... Tu connais tous les Hommes, tu es
+toujours à te promener autour de leurs maisons....
+
+LE TILLEUL, [examinant les enfants.]
+
+Mais non, je vous assure.... Je ne les connais pas.... Ils sont
+encore trop jeunes.... Je ne connais bien que les amoureux qui
+viennent me voir au clair de lune; ou les buveurs de bière qui
+trinquent sous mes branches....
+
+LE MARRONNIER, [pincé, ajustant son monocle.]
+
+Qu'est-ce que c'est que ça?... C'est des pauvres de la
+campagne?...
+
+LE PEUPLIER
+
+Oh! vous, monsieur le Marronnier, depuis que vous ne fréquentez
+plus que les boulevards des grandes villes....
+
+LE SAULE, [s'avançant en sabots et geignard.]
+
+Mon Dieu, mon Dieu!... Ils viennent encore me couper la tête et
+les bras pour en faire des fagots!...
+
+LE PEUPLIER
+
+Silence!... Voici le Chêne qui sort de son palais!... Il a l'air
+bien souffrant ce soir.... Ne trouvez-vous pas qu'il
+vieillit?... Quel âge peut-il avoir?... Le Sapin dit qu'il a
+quatre mille ans; mais je suis sûre qu'il exagère.... Attention,
+il va nous dire ce que c'est....
+
+ [Le Chêne s'avance lentement. Il est fabuleusement vieux,
+ couronné de gui et vêtu d'une longue robe verte brodée de
+ mousse et de lichen. Il est aveugle, sa barbe blanche flotte
+ au vent. Il s'appuie d'une main sur un bâton noueux et de
+ l'autre sur un jeune Chêneau qui lui sert de guide.
+ L'Oiseau-Bleu est perché sur son épaule. À son approche,
+ mouvement de respect parmi les arbres qui se rangent et
+ s'inclinent.]
+
+TYLTYL
+
+Il a l'Oiseau-Bleu!... Vite! vite!... Par ici!...
+Donnez-le-moi!...
+
+LES ARBRES
+
+Silence!...
+
+LA CHATTE, [à Tyltyl.]
+
+Découvrez-vous, c'est le Chêne!...
+
+LE CHÊNE, [à Tyltyl.]
+
+Qui es-tu?...
+
+TYLTYL
+
+Tyltyl, monsieur.... Quand est-ce que je pourrai prendre
+l'Oiseau-Bleu?...
+
+LE CHÊNE
+
+Tyltyl, le fils du bûcheron?...
+
+TYLTYL
+
+Oui, monsieur....
+
+LE CHÊNE
+
+Ton père nous a fait bien du mal.... Dans ma seule famille il a
+mis à mort six cents de mes fils, quatre cent soixante-quinze
+oncles et tantes, douze cents cousins et cousines, trois cent
+quatre-vingts brus et douze mille arrière-petits-fils!...
+
+TYLTYL
+
+Je ne sais pas, monsieur.... Il ne l'a pas fait exprès....
+
+LE CHÊNE
+
+Que viens-tu faire ici, et pourquoi as-tu fait sortir nos âmes de
+leurs demeures?...
+
+TYLTYL
+
+Monsieur, je vous demande pardon de vous avoir dérangé.... C'est
+la Chatte qui m'a dit que vous alliez nous dire où se trouve
+l'Oiseau-Bleu....
+
+LE CHÊNE
+
+Oui, je sais, tu cherches l'Oiseau-Bleu, c'est-à-dire le grand
+secret des choses et du bonheur, pour que les Hommes rendent plus
+dur encore notre esclavage....
+
+TYLTYL
+
+Mais non, monsieur; c'est pour la petite fille de la Fée Bérylune
+qui est très malade....
+
+LE CHÊNE, lui imposant silence.
+
+Il suffit!... Je n'entends pas les Animaux.... Où sont-ils?...
+Tout ceci les intéresse autant que nous.... Il ne faut pas que
+nous, les Arbres, assumions seuls la responsabilité des mesures
+graves qui s'imposent.... Le jour où les Hommes apprendront que
+nous avons fait ce que nous allons faire, il y aura d'horribles
+représailles.... Il convient donc que notre accord soit unanime,
+pour que notre silence le soit également....
+
+LE SAPIN, [regardant par-dessus les autres arbres.]
+
+Les Animaux arrivent.... Ils suivent le Lapin.... Voici l'âme du
+Cheval, du Taureau, du Bœuf, de la Vache, du Loup, du Mouton,
+du Porc, du Coq, de la Chèvre, de l'Âne et de l'Ours....
+
+ [Entrée successive des âmes des Animaux qui, à mesure que
+ les énumère le Sapin, s'avancent et vont s'asseoir entre les
+ arbres, à l'exception de l'âme de la Chèvre qui vagabonde çà
+ et là, et de celle du Porc qui fouille les racines.]
+
+LE CHÊNE
+
+Tous sont-ils ici présents?...
+
+LE LAPIN
+
+La Poule ne pouvait pas abandonner ses œufs, le Lièvre faisait
+des courses, le Cerf a mal aux cornes, le Renard est
+souffrant,--voici le certificat du médecin,--l'Oie n'a pas
+compris et le Dindon s'est mis en colère....
+
+LE CHÊNE
+
+Ces abstentions sont extrêmement regrettables.... Néanmoins, nous
+sommes en nombre suffisant.... Vous savez, mes frères, de quoi
+il est question. L'enfant que voici, grâce à un talisman dérobé
+aux puissances de la Terre, peut s'emparer de notre Oiseau-Bleu,
+et nous arracher ainsi le secret que nous gardons depuis
+l'origine de la Vie.... Or, nous connaissons assez l'Homme pour
+n'avoir aucun doute sur le sort qu'il nous réserve lorsqu'il se
+trouvera en possession de ce secret. C'est pourquoi il me semble
+que toute hésitation serait aussi stupide que criminelle....
+L'heure est grave; il faut que l'enfant disparaisse avant qu'il
+soit trop tard....
+
+TYLTYL
+
+Que dit-il?...
+
+LE CHIEN, [rôdant autour du Chêne en montrant ses crocs.]
+
+As-tu vu mes dents, vieux perclus?...
+
+LE HÊTRE, [indigné.]
+
+Il insulte le Chêne!...
+
+LE CHÊNE
+
+C'est le Chien?... Qu'on l'expulse! Il ne faut pas que nous
+tolérions un traître parmi nous!...
+
+LA CHATTE, [bas, à Tyltyl.]
+
+Éloignez le Chien.... C'est un malentendu.... Laissez-moi faire,
+j'arrangerai les choses.... Mais éloignez-le au plus vite....
+
+TYLTYL, [au Chien.]
+
+Veux-tu t'en aller!...
+
+LE CHIEN
+
+Laisse-moi donc lui déchirer ses pantoufles de mousse à ce vieux
+goutteux-là!... On va rire!...
+
+TYLTYL
+
+Tais-toi donc!... Et va-t'en!... Mais va-t'en, vilaine bête!...
+
+LE CHIEN
+
+Bon, bon, on s'en ira.... Je reviendrai quand tu auras besoin de
+moi....
+
+LA CHATTE, [bas, à Tyltyl.]
+
+Il serait plus prudent de l'enchaîner, sinon il fera des bêtises;
+les Arbres se fâcheront, et tout cela finira mal....
+
+TYLTYL
+
+Comment faire?... J'ai égaré sa laisse....
+
+LA CHATTE
+
+Voici tout juste le Lierre qui s'avance avec de solides liens....
+
+LE CHIEN, grondant.
+
+Je reviendrai, je reviendrai!... Podagre! bronchiteux!... Tas de
+vieux rabougris, tas de vieilles racines!...C'est la Chatte qui
+mène tout!... Je lui revaudrai ça!... Qu'as-tu donc à chuchoter
+ainsi, Judas, Tigre, Bazaine!... Wa, wa! wa!...
+
+LA CHATTE
+
+Vous voyez, il insulte tout le monde....
+
+TYLTYL
+
+C'est vrai, il est insupportable et l'on ne s'entend plus....
+Monsieur le Lierre, voulez-vous l'enchaîner?...
+
+LE LIERRE, [s'approchant assez craintivement du Chien.]
+
+Il ne mordra pas?...
+
+LE CHIEN, [grondant.]
+
+Au contraire! au contraire!... Il va bien t'embrasser!...
+Attends, tu vas voir ça!... Approche, approche donc, tas de
+vieilles ficelles!...
+
+TYLTYL, [le menaçant du bâton.]
+
+Tylô!...
+
+LE CHIEN, [rampant aux pieds de Tyltyl en agitant la queue.]
+
+Que faut-il faire, mon petit dieu?...
+
+TYLTYL
+
+Te coucher, à plat ventre!... Obéis au Lierre.... Laisse-toi
+garotter, sinon....
+
+LE CHIEN, [grondant entre les dents pendant que le Lierre le
+garotte.]
+
+Ficelle!... Corde à pendus!... Laisse à veaux!... Chaîne à
+porcs!... Mon petit dieu, regarde.... Il me tord les pattes....
+Il m'étrangle!...
+
+TYLTYL
+
+Tant pis!... Tu l'as voulu!... Tais-toi, tiens-toi tranquille, tu
+es insupportable!...
+
+LE CHIEN
+
+C'est égal, tu as tort.... Ils ont de vilaines intentions.... Mon
+petit dieu, prends garde!... Il me ferme la bouche!... Je ne peux
+plus parler!...
+
+LE LIERRE, [qui a ficelé le Chien comme un paquet.]
+
+Où faut-il le porter?... Je l'ai bien bâillonné.... il ne souffle
+plus mot....
+
+LE CHÊNE
+
+Qu'on l'attache solidement là-bas, derrière mon tronc, à ma
+grosse racine.... Nous verrons ensuite ce qu'il convient d'en
+faire.... [Le Lierre aidé du Peuplier porte le Chien derrière le
+tronc du Chêne] Est-ce fait?... Bien, maintenant que nous voilà
+débarrassés de ce témoin gênant et de ce renégat, délibérons
+selon notre justice et notre vérité.... Mon émotion, je ne vous
+le cache point, est profonde et pénible.... C'est la première
+fois qu'il nous est donné de juger l'Homme et de lui faire sentir
+notre puissance.... Je ne crois pas qu'après le mal qu'il nous a
+fait, après les monstrueuses injustices que nous avons subies, il
+reste le moindre doute sur la sentence qui l'attend....
+
+TOUS LES ARBRES et TOUS LES ANIMAUX
+
+Non! Non! Non!... Pas de doute!... La pendaison!... La mort!...
+Il y a trop d'injustice!... Il a trop abusé!... Il y a trop
+longtemps!... Qu'on l'écrase! Qu'on le mange!... Tout de
+suite!... Tout de suite!...
+
+TYLTYL, [à la Chatte.]
+
+Qu'ont-ils donc?... Ils ne sont pas contents?...
+
+LA CHATTE
+
+Ne vous inquiétez pas.... Ils sont un peu fâchés à cause que le
+Printemps est en retard.... Laissez-moi faire, j'arrangerai tout
+ça....
+
+LE CHÊNE
+
+Cette unanimité était inévitable.... Il s'agit à présent de
+savoir, pour éviter les représailles, quel genre de supplice sera
+le plus pratique, le plus commode, le plus expéditif et le plus
+sûr; celui qui laissera le moins de traces accusatrices lorsque
+les Hommes retrouveront les petits corps dans la forêt....
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que c'est que tout ça?... Où veut-il en venir?... Je
+commence à en avoir assez.... Puisqu'il a l'Oiseau-Bleu, qu'il le
+donne....
+
+LE TAUREAU, [s'avançant.]
+
+Le plus pratique et le plus sûr, c'est un bon coup de corne au
+creux de l'estomac.--Voulez-vous que je fonce?...
+
+LE CHÊNE
+
+Qui parle ainsi?...
+
+LA CHATTE
+
+C'est le Taureau.
+
+LA VACHE
+
+Il ferait mieux de se tenir tranquille.... Moi, je ne m'en mêle
+pas.... J'ai à brouter toute l'herbe de la prairie qu'on voit
+là-bas, dans le bleu de la lune.... J'ai trop à faire....
+
+LE BÅ’UF
+
+Moi aussi. D'ailleurs, j'approuve tout d'avance....
+
+LE HÊTRE
+
+Moi, j'offre ma plus haute branche pour les pendre....
+
+LE LIERRE
+
+Et moi le nœud coulant....
+
+LE SAPIN
+
+Et moi les quatre planches pour la petite boîte....
+
+LE CYPRÈS
+
+Et moi la concession à perpétuité....
+
+LE SAULE
+
+Le plus simple serait de les noyer dans une de mes rivières....
+Je m'en charge....
+
+LE TILLEUL, [conciliant.]
+
+Voyons, voyons.... Est-il bien nécessaire d'en venir à ces
+extrémités? Ils sont encore bien jeunes.... On pourrait tout
+bonnement les empêcher de nuire en les retenant prisonniers dans
+un clos que je me charge de construire en me plantant tout
+autour....
+
+LE CHÊNE
+
+Qui parle ainsi?... Je crois reconnaître la voix mielleuse du
+Tilleul....
+
+LE SAPIN
+
+En effet....
+
+LE CHÊNE
+
+Il y a donc un renégat parmi nous, comme parmi les Animaux?...
+Jusqu'ici, nous n'avions à déplorer que la défection des Arbres
+fruitiers; mais ceux-ci ne sont pas de véritables Arbres....
+
+LE PORC, [roulant de petits yeux gloutons.]
+
+Moi, je pense qu'il faut d'abord manger la petite fille.... Elle
+doit être bien tendre....
+
+TYLTYL
+
+Que dit-il celui-là?... Attends un peu, espèce de....
+
+LA CHATTE
+
+Je ne sais ce qu'ils ont; mais cela prend mauvaise tournure....
+
+LE CHÊNE
+
+Silence!... Il s'agit de savoir qui de nous aura l'honneur de
+porter le premier coup; qui écartera de nos cimes le plus grand
+danger que nous ayons couru depuis la naissance de l'Homme....
+
+LE SAPIN
+
+C'est à vous, notre roi et notre patriarche, que revient cet
+honneur....
+
+LE CHÊNE
+
+C'est le Sapin qui parle?... Hélas! je suis trop vieux! Je suis
+aveugle, infirme, et mes bras engourdis ne m'obéissent plus....
+Non, c'est à vous, mon frère, toujours vert, toujours droit,
+c'est à vous, qui vîtes naître la plupart de ces Arbres,
+qu'échoit, à mon défaut, la gloire du noble geste de notre
+délivrance....
+
+LE SAPIN
+
+Je vous remercie, mon vénérable père.... Mais comme j'aurai déjà
+l'honneur d'ensevelir les deux victimes, je craindrais d'éveiller
+la juste jalousie de mes collègues; et je crois qu'après nous, le
+plus ancien et le plus digne, celui qui possède la meilleure
+massue, c'est le Hêtre....
+
+LE HÊTRE
+
+Vous savez que je suis vermoulu et que ma massue n'est point
+sûre.... Mais l'Orme et le Cyprès ont de puissantes armes....
+
+L'ORME
+
+Je ne demanderais pas mieux; mais je puis à peine me tenir
+debout.... Une taupe, cette nuit, m'a retourné le gros orteil....
+
+LE CYPRÈS
+
+Quant à moi, je suis prêt.... Mais, comme mon bon frère le Sapin,
+j'aurai déjà, sinon le privilège de les ensevelir, tout au moins
+l'avantage de pleurer sur leur tombe.... Ce serait illégitimement
+cumuler.... Demandez au Peuplier....
+
+LE PEUPLIER
+
+A moi?... Y pensez-vous?... Mais mon bois est plus tendre que la
+chair d'un enfant!... Et puis, je ne sais ce que j'ai.... Je
+tremble de fièvre.... Regardez donc mes feuilles.... J'ai dû
+prendre froid ce matin au lever du soleil....
+
+LE CHÊNE, [éclatant d'indignation.]
+
+Vous avez peur de l'Homme!... Même ces petits enfants isolés et
+sans armes vous inspirent la terreur mystérieuse qui fit toujours
+de nous les esclaves que nous sommes!... Eh bien, non! C'est
+assez!... Puisqu'il en est ainsi, puisque l'heure est unique,
+j'irai seul, vieux, perclus, tremblant, aveugle, contre l'ennemi
+héréditaire!... Où est-il?...
+
+ [Tâtonnant de son bâton, il s'avance vers Tyltyl.]
+
+TYLTYL, [tirant son couteau de sa poche.]
+
+C'est à moi qu'il en a, ce vieux-là, avec son gros bâton?...
+
+ [Tous les autres Arbres, poussant un cri d'épouvante à la
+ vue du couteau, l'arme mystérieuse et irrésistible de
+ l'Homme, s'interposent et retiennent le Chêne.]
+
+LES ARBRES
+
+Le couteau!... Prenez garde!.... Le couteau!...
+
+LE CHÊNE, se débattant.
+
+Laissez-moi!... Que m'importe!... Le couteau ou la hache!... Qui
+me retient?... Quoi! vous êtes tous ici?... Quoi! vous tous vous
+voulez?... [Jetant son bâton] Eh bien, soit!... Honte à nous!...
+Que les Animaux nous délivrent!...
+
+LE TAUREAU
+
+C'est cela!... Je m'en charge!... Et d'un seul coup de corne!...
+
+LE BÅ’UF et LA VACHE, [le retenant par la queue.]
+
+De quoi te mêles-tu?...Ne fais pas de bêtises!... C'est une
+mauvaise affaire!... Cela finira mal.... C'est nous qui
+trinquerons.... Laisse donc.... C'est affaire aux Animaux
+sauvages....
+
+LE TAUREAU
+
+Non, non!... C'est mon affaire!... Attendez!... Mais retenez-moi
+donc ou je fais un malheur!...
+
+TYLTYL, [à Mytyl qui pousse des cris aigus.]
+
+N'aie pas peur!... Mets-toi derrière moi.... J'ai mon couteau....
+
+LE COQ
+
+C'est qu'il est crâne, le petit!...
+
+TYLTYL
+
+Alors, c'est décidé, c'est à moi qu'on en veut?...
+
+L'ÂNE
+
+Mais bien sûr, mon petit, tu y a mis le temps, à t'en
+apercevoir!...
+
+LE PORC
+
+Tu peux faire ta prière, va, c'est ta dernière heure. Mais ne
+cache pas la petite fille.... Je veux m'en régaler les yeux....
+C'est elle que je mangerai la première....
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que je vous ai fait?...
+
+LE MOUTON
+
+Rien du tout, mon petit.... Mangé mon petit frère, mes deux
+sœurs, mes trois oncles, ma tante, bon-papa, bonne-maman....
+Attends, attends, quand tu seras par terre, tu verras que j'ai
+des dents aussi....
+
+L'ÂNE
+
+Et que j'ai des sabots!...
+
+LE CHEVAL, [piaffant fièrement.]
+
+Vous allez voir ce que vous allez voir!... Aimez-vous mieux que
+je le déchire à belles dents ou que je vous l'abatte à coups de
+pied?... [Il s'avance magnifiquement sur Tyltyl qui lui fait face
+en levant son couteau. Tout à coup, le Cheval, pris de panique,
+tourne le dos et fuit à toutes jambes.] Ah! mais non!... Ce n'est
+pas juste!... Ce n'est pas de jeu!... Il se défend!...
+
+LE COQ, [ne pouvant cacher son admiration.]
+
+C'est égal, le petit n'a pas froid aux yeux!...
+
+LE PORC, [à l'Ours et au Loup.]
+
+Précipitons-nous tous ensemble.... Je vous soutiendrai par
+derrière.... Nous les renverserons et nous nous partagerons la
+petite fille quand elle sera par terre....
+
+LE LOUP
+
+Amusez-les par là.... Je vais faire un mouvement tournant....
+
+ [Il tourne Tyltyl qu'il attaque par derrière et renverse à demi.]
+
+TYLTYL
+
+Judas!... [Il se redresse sur un genou, brandissant son couteau
+et couvrant de son mieux sa petite sœur qui pousse des
+hurlements de détresse.--Le voyant à demi renversé, tous les
+Animaux et les Arbres se rapprochent et cherchent à lui porter
+des coups. L'obscurité se fait subitement. Éperdument, Tyltyl
+appelle à l'aide.] A moi! A moi!... Tylô! Tylô!... Où est la
+Chatte?... Tylô!... Tylette! Tylette!... Venez! venez!...
+
+LA CHATTE, [hypocritement, à l'écart.]
+
+Je ne peux pas.... Je viens de me fouler la patte....
+
+TYLTYL, [parant les coups et se défendant de son mieux.]
+
+A moi!... Tylô! Tylô!... Je ne peux plus!... Ils sont trop!...
+L'Ours! le Cochon! le Loup! l'Âne! le Sapin! le Hêtre!... Tylô!
+Tylô! Tylô!...
+
+ [Traînant ses liens brisés, le Chien bondit de derrière le
+ tronc du Chêne et, bousculant Arbres et Animaux, se jette
+ devant Tyltyl qu'il détend avec rage.]
+
+LE CHIEN, [tout en distribuant d'énormes coups de dent.]
+
+Voilà! voilà! mon petit dieu!... N'aie pas peur! Allons-y!...
+J'ai de bons coups de gueule!... Tiens, voilà pour toi, l'Ours,
+là dans ton gros derrière!...Voyons, qui en veut encore?... Voilà
+pour le Cochon, et ça pour le Cheval et la queue du Taureau!
+Voilà! j'ai déchiré la culotte du Hêtre et le jupon du Chêne!...
+Le Sapin f.... le camp!... C'est égal, il fait chaud!...
+
+TYLTYL, [accablé.]
+
+Je n'en peux plus!... Le Cyprès m'a donné un grand coup sur la
+tête....
+
+LE CHIEN
+
+Aïe! c'est un coup du Saule!... Il m'a cassé la patte!...
+
+TYLTYL
+
+Ils reviennent à la charge! Tous ensemble!... Cette fois, c'est
+le Loup!...
+
+LE CHIEN
+
+Attends, que je l'étrenne!...
+
+LE LOUP
+
+Imbécile!... Notre frère!... Ses parents ont noyé tes petits!...
+
+LE CHIEN
+
+Ils ont bien fait!... Tant mieux!... C'est qu'ils te
+ressemblaient!...
+
+TOUS LES ARBRES et TOUS LES ANIMAUX
+
+Renégat!... Idiot!... Traître! Félon! Nigaud!... Judas!...
+Laisse-le! C'est la mort! Viens à nous!
+
+LE CHIEN, [ivre d'ardeur et de dévouement.]
+
+Non! non!... Seul contre tous!... Non, non!... Fidèle aux dieux!
+aux meilleurs! aux plus grands!... [À Tyltyl.]Prends garde, voici
+l'Ours!... Méfie-toi du Taureau.... Je vais lui sauter à la
+gorge.... Aïe!... C'est un coup de pied.... L'Âne m'a cassé deux
+dents....
+
+TYLTYL
+
+Je ne peux plus, Tylô!... Aïe!... C'est un coup de l'Orme....
+Regarde, ma main saigne.... C'est le Loup ou le Porc....
+
+LE CHIEN
+
+Attends, mon petit dieu.... Laisse-moi t'embrasser. Là, un bon
+coup de langue.... Ça te fera du bien.... Reste bien derrière
+moi.... Ils n'osent plus approcher.... Si!... Les voilà qui
+reviennent!... Ah! ce coup, c'est sérieux!... Tenons ferme!...
+
+TYLTYL, [se laissant tomber sur le sol.]
+
+Non, ce n'est plus possible....
+
+LE CHIEN
+
+On vient!... J'entends, je flaire!...
+
+TYLTYL
+
+Où donc?... Qui donc?...
+
+LE CHIEN
+
+Là! là!... C'est la Lumière!... Elle nous a retrouvés!...
+Sauvés, mon petit roi!... Embrasse-moi!... Sauvés!... regarde!...
+Ils se méfient!... Ils s'écartent!... Ils ont peur!...
+
+TYLTYL
+
+La Lumière!... La Lumière!... Venez donc!... Hâtez-vous!... Ils
+se sont révoltés!... Ils sont tous contre nous!...
+
+ [Entre la Lumière: à mesure qu'elle s'avance, l'Aurore se
+ lève sur la forêt qui s'éclaire.]
+
+LA LUMIÈRE
+
+Qu'est-ce donc?... Qu'y a-t-il?...Mais, malheureux! tu ne savais
+donc pas!... Tourne le Diamant! Ils rentreront dans le Silence et
+dans l'Obscurité; et tu ne verras plus leurs sentiments....
+
+ [Tyltyl tourne le Diamant.--Aussitôt les âmes de tous les
+ Arbres se précipitent dans les troncs qui se referment.
+ --Les âmes des Animaux disparaissent également; et l'on
+ voit, au loin, brouter une Vache et un Mouton paisibles,
+ etc.--La Forêt redevient innocente. Étonné, Tyltyl regarde
+ autour de soi.]
+
+TYLTYL
+
+Où sont-ils?... Qu'avaient-ils?... Est-ce qu'ils étaient
+fous?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Mais non, ils sont toujours ainsi; mais on ne le sait pas parce
+qu'on ne le voit pas.... Je te l'avais bien dit: il est dangereux
+de les réveiller quand je ne suis pas là....
+
+TYLTYL, [essuyant son couteau.]
+
+C'est égal; sans le Chien et si je n'avais pas eu mon couteau....
+Je n'aurais jamais cru qu'ils fussent si méchants!...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Tu vois bien que l'Homme est tout seul contre tous, en ce
+monde....
+
+LE CHIEN
+
+Tu n'as pas trop de mal, mon petit dieu?...
+
+TYLTYL
+
+Rien de grave.... Quant à Mytyl, ils ne l'ont pas touchée....
+Mais toi, mon bon Tylô?... Tu as la bouche en sang, et ta patte
+est cassée?...
+
+LE CHIEN
+
+Pas la peine d'en parler.... Demain, il n'y paraîtra plus....
+Mais l'affaire était chaude!...
+
+LA CHATTE, [sortant d'un fourré en boitant.]
+
+Je crois bien!... Le Bœuf m'a donné un coup de corne dans le
+ventre.... On n'en voit pas la trace, mais il me fait bien
+mal.... Et le Chêne m'a cassé la patte....
+
+LE CHIEN
+
+J'aimerais bien savoir laquelle....
+
+MYTYL, caressant la Chatte.
+
+Ma pauvre Tylette, est-ce vrai?... Où donc te trouvais-tu?... Je
+ne t'ai pas aperçue....
+
+LA CHATTE, [hypocritement.]
+
+Petite mère, j'ai été blessée tout de suite, en attaquant le
+vilain Porc qui voulait te manger.... C'est alors que le Chêne
+m'a donné ce grand coup qui m'a étourdie....
+
+LE CHIEN, [à la Chatte, entre les dents.]
+
+Toi, tu sais, j'ai deux mots à te dire.... Tu ne perdras rien
+pour attendre!...
+
+LA CHATTE, [plaintivement, à Mytyl.]
+
+Petite mère, il m'insulte.... Il veut me faire du mal....
+
+MYTYL, [au Chien.]
+
+Veux-tu bien la laisser tranquille, vilaine bête....
+
+Ils sortent tous.
+
+RIDEAU
+
+
+
+
+ACTE QUATRIÈME
+
+
+
+
+SIXIÈME TABLEAU
+
+DEVANT LE RIDEAU
+
+ * * * * *
+
+ [Entrent Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Chien, le Chat, le
+ Pain, le Feu, le Sucre, l'Eau et le Lait.]
+
+LA LUMIÈRE
+
+J'ai reçu un petit mot de la Fée Bérylune qui m'apprend que
+l'Oiseau-Bleu se trouve probablement ici....
+
+TYLTYL
+
+Où ça?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ici, dans le cimetière qui est derrière ce mur.... Il paraît
+qu'un des morts de ce cimetière le cache dans la tombe.... Reste
+à savoir lequel.... Il faudra qu'on les passe en revue....
+
+TYLTYL
+
+En revue?... Comment qu'on fera?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+C'est bien simple: à minuit, pour ne pas trop les déranger, tu
+tourneras le Diamant. On les verra sortir de terre; ou bien on
+apercevra au fond de leurs tombes ceux qui ne sortent pas....
+
+TYLTYL
+
+Ils ne seront pas fâchés?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Nullement, ils ne s'en douteront même pas.... Ils n'aiment pas
+qu'on les dérange; mais comme de toutes façons ils ont coutume de
+sortir à minuit, cela ne les gênera pas....
+
+TYLTYL
+
+Pourquoi que le Pain, le Sucre et le Lait sont si pâles et
+pourquoi qu'ils ne disent rien?...
+
+LE LAIT, [chancelant.]
+
+Je sens que je vais tourner....
+
+LA LUMIÈRE, [bas, à Tyltyl.]
+
+Ne fais pas attention.... Ils ont peur des morts..
+
+LE FEU, [gambadant.]
+
+Moi, je n'en ai pas peur!... J'ai l'habitude de les brûler....
+Dans les temps, je les brûlais tous; c'était bien plus amusant
+qu'aujourd'hui....
+
+TYLTYL
+
+Et pourquoi Tylô tremble-t-il?... Est-ce qu'il a peur aussi?
+
+LE CHIEN, [claquant des dents.]
+
+Moi?... Je ne tremble pas!... Moi, je n'ai jamais peur; mais si
+tu t'en allais, je m'en irais aussi....
+
+TYLTYL
+
+Et la Chatte ne dit rien?...
+
+LA CHATTE, [mystérieuse.]
+
+Je sais ce que c'est....
+
+TYLTYL, [à la Lumière.]
+
+Tu viendras avec nous?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Non, il est préférable que je reste à la porte du cimetière avec
+les Choses et les Animaux.... L'heure n'est pas venue.... La
+Lumière ne peut pas encore pénétrer chez les morts.... Je vais te
+laisser seul avec Mytyl....
+
+TYLTYL
+
+Et Tylô ne peut pas rester avec-nous?...
+
+LE CHIEN
+
+Si, si, je reste, je reste ici.... Je veux rester près de mon
+petit dieu!...
+
+LA LUMIÈRE
+
+C'est impossible.... L'ordre de la Fée est formel; du reste, il
+n'y a rien à craindre....
+
+LE CHIEN
+
+Bien, bien, tant pis.... S'ils sont méchants, mon petit dieu, tu
+n'as qu'à faire comme ça [il siffle.] et tu verras.... Ce sera
+comme dans la forêt: Wa! Wa! Wa!...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Allons, adieu, mes chers petits.... Je ne serai pas loin....
+[Elle embrasse les enfants.] Ceux qui m'aiment et que j'aime me
+retrouvent toujours.... [Aux Choses et aux Animaux.] Vous
+autres.... par ici.
+
+ [Elle sort avec les Choses et les Animaux. Les enfants
+ restent seuls au milieu de la scène. Le rideau s'ouvre pour
+ découvrir le septième tableau.]
+
+
+
+
+
+SEPTIÈME TABLEAU
+
+LE CIMETIÈRE
+
+
+Il fait nuit. Clair de lune. Un cimetière de campagne.
+Nombreuses tombes, tertres de gazon, croix de bois,
+dalles funéraires, etc.
+
+ * * * * *
+
+ [Tyltyl et Mytyl sont debout près d'un cippe.]
+
+MYTYL
+
+J'ai peur.
+
+TYLTYL, [assez peu rassuré.]
+
+Moi, je n'ai jamais peur....
+
+MYTYL
+
+C'est méchant, les morts, dis?..
+
+TYLTYL
+
+Mais non, puisqu'ils ne vivent pas....
+
+MYTYL
+
+Tu en as déjà vu?...
+
+TYLTYL
+
+Oui, une fois, dans le temps, lorsque j'étais très jeune....
+
+MYTYL
+
+Comment c'est fait, dis?...
+
+TYLTYL
+
+C'est tout blanc, très tranquille et très froid, et ça ne parle
+pas....
+
+MYTYL
+
+Nous allons les voir, dis?...
+
+TYLTYL
+
+Bien sûr, puisque la Lumière l'a promis....
+
+MYTYL
+
+Où c'est qu'ils sont, les morts?...
+
+TYLTYL
+
+Ici, sous le gazon ou sous ces grosses pierres.
+
+MYTYL
+
+Ils sont là toute l'année?...
+
+TYLTYL
+
+Oui.
+
+MYTYL, [montrant les dalles.]
+
+C'est les portes de leurs maisons?...
+
+TYLTYL
+
+Oui.
+
+MYTYL
+
+Est-ce qu'ils sortent quand il fait beau?...
+
+TYLTYL
+
+Ils ne peuvent sortir qu'à la nuit....
+
+MYTYL
+
+Pourquoi?...
+
+TYLTYL
+
+Parce qu'ils sont en chemise....
+
+MYTYL
+
+Est-ce qu'ils sortent aussi quand il pleut?.
+
+TYLTYL
+
+Quand il pleut, ils restent chez eux....
+
+MYTYL
+
+C'est beau chez eux, dis?...
+
+TYLTYL
+
+On dit que c'est fort étroit....
+
+MYTYL
+
+Est-ce qu'ils ont des petits enfants?...
+
+TYLTYL
+
+Bien sûr; ils ont tous ceux qui meurent....
+
+MYTYL
+
+Et de quoi vivent-ils?...
+
+TYLTYL
+
+Ils mangent des racines....
+
+MYTYL
+
+Est-ce que nous les verrons?...
+
+TYLTYL
+
+Bien sûr, puisqu'on voit tout quand le Diamant est tourné.
+
+MYTYL
+
+Et qu'est-ce qu'ils diront?...
+
+TYLTYL
+
+Ils ne diront rien, puisqu'ils ne parlent pas....
+
+MYTYL
+
+Pourquoi qu'ils ne parlent pas?...
+
+TYLTYL
+
+Parce qu'ils n'ont rien à dire....
+
+MYTYL
+
+Pourquoi qu'ils n'ont rien à dire?...
+
+TYLTYL
+
+Tu m'embêtes....
+
+ [Un silence.]
+
+MYTYL
+
+Quand tourneras-tu le Diamant?...
+
+TYLTYL
+
+Tu sais bien que la Lumière a dit d'attendre à minuit, parce
+qu'alors on les dérange moins....
+
+MYTYL
+
+Pourquoi qu'on les dérange moins?...
+
+TYLTYL
+
+Parce que c'est l'heure où ils sortent prendre l'air.
+
+MYTYL
+
+Il n'est pas minuit?...
+
+TYLTYL
+
+Vois-tu le cadran de l'église?...
+
+MYTYL
+
+Oui, je vois même la petite aiguille....
+
+TYLTYL
+
+Et bien! minuit va sonner.... Là!... Tout juste....
+Entends-tu?...
+
+On entend sonner les douze coups de minuit.
+
+MYTYL
+
+Je veux m'en aller!...
+
+TYLTYL
+
+Ce n'est pas le moment.... Je vais tourner le Diamant....
+
+MYTYL
+
+Non, non!... Ne le fais pas!... Je veux m'en aller!... J'ai si
+peur, petit frère!... J'ai terriblement peur!...
+
+TYLTYL
+
+Mais il n'y a pas de danger....
+
+MYTYL
+
+Je ne veux pas voir les morts!... Je ne veux pas les voir!...
+
+TYLTYL
+
+C'est bon, tu ne les verras pas, tu fermeras les yeux....
+
+MYTYL, [s'accrochant aux vêtements de Tyltyl.]
+
+Tyltyl, je ne peux pas!... Non, ce n'est pas possible!... Ils
+vont sortir de terre!...
+
+TYLTYL
+
+Ne tremble pas ainsi.... Ils ne sortiront qu'un moment....
+
+MYTYL
+
+Mais tu trembles aussi, toi!... Ils seront effrayants!...
+
+TYLTYL
+
+Il est temps, l'heure passe....
+
+ [Tyltyl tourne le Diamant. Une terrifiante minute de silence
+ et d'immobilité; après quoi, lentement, les croix
+ chancellent, les tertres s'entr'ouvrent, les dalles se
+ soulèvent.]
+
+MYTYL, [se blottissant contre Tyltyl.]
+
+Ils sortent!... Ils sont là!...
+
+ [Alors, de toutes les tombes béantes monte graduellement une
+ floraison d'abord grêle et timide comme une vapeur d'eau,
+ puis blanche et virginale et de plus en plus touffue, de
+ plus en plus haute, surabondante et merveilleuse, qui peu à
+ peu, irrésistiblement, envahissant toutes choses, transforme
+ le cimetière en une sorte de jardin féerique et nuptial, sur
+ lequel ne tardent pas à se lever les premiers rayons de
+ l'aube. La rosée scintille, les fleurs s'épanouissent, le
+ vent murmure dans les feuilles, les abeilles bourdonnent,
+ les oiseaux s'éveillent et inondent l'espace des premières
+ ivresses de leurs hymnes au soleil et à la vie. Stupéfaits,
+ éblouis, Tyltyl et Mytyl, se tenant par la main, font
+ quelques pas parmi les fleurs en cherchant la trace des
+ tombes.]
+
+MYTYL, [cherchant dans le gazon.]
+
+Où sont-ils, les morts?...
+
+TYLTYL, [cherchant de même.]
+
+Il n'y a pas de morts....
+
+
+RIDEAU
+
+
+
+
+HUITIÈME TABLEAU
+
+DEVANT LE RIDEAU QUI REPRÉSENTE DE BEAUX NUAGES
+
+
+ Entrent: Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Chien, la Chatte, le
+ Pain, le Feu, le Sucre, l'Eau et le Lait.
+
+ * * * * *
+
+LA LUMIÈRE
+
+Je crois que cette fois nous tenons L'Oiseau-Bleu. J'aurais dû y
+penser dès la première étape.... Ce n'est que ce matin, en
+reprenant mes forces dans l'aurore, que l'idée m'est venue comme
+un rayon du ciel.... Nous sommes à l'entrée des jardins enchantés
+où se trouvent réunis sous la garde du Destin, toutes les Joies,
+tous les Bonheurs des Hommes....
+
+TYLTYL
+
+Il y en a beaucoup? Est-ce qu'on en aura? Est-ce qu'ils sont
+petits?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Il en est de petits et de grands, de gros et de délicats, de très
+beaux et d'autres qui sont moins agréables.... Mais les plus
+vilains furent, il y a quelque temps, expulsés des jardins et
+cherchèrent refuge chez les Malheurs. Car il faut remarquer que
+les Malheurs habitent un autre contigu, qui communique avec le
+jardin des Bonheurs et n'en est séparé que par une sorte de
+vapeur ou de rideau subtil que le vent qui souffle des hauteurs
+de la Justice ou du fond de l'Éternité soulève à chaque
+instant.... Maintenant, il s'agit de s'organiser et de prendre
+certaines précautions. En général, les Bonheurs sont fort bons,
+pourtant il en est quelques-uns qui sont plus dangereux et plus
+perfides que les plus grands Malheurs....
+
+LE PAIN
+
+J'ai une idée! S'ils sont dangereux et perfides, ne serait-il
+pas préférable que nous attendissions tous à la porte, afin
+d'être à même de prêter main-forte aux enfants s'ils étaient
+obligés de fuir?...
+
+LE CHIEN
+
+Pas du tout! pas du tout!... Je veux aller partout avec mes
+petits dieux!... Que tous ceux qui ont peur restent donc à la
+porte!... Nous n'avons pas besoin [Regardant le Pain]. de
+poltrons, [Regardant la Chatte] ni de traîtres....
+
+LE FEU
+
+Moi, j'y vais!... Il paraît que c'est amusant!... On y danse tout
+le temps....
+
+LE PAIN
+
+Est-ce qu'on y mange aussi?...
+
+L'EAU, [gémissant.]
+
+Je n'ai jamais connu le plus petit Bonheur!... Je veux en voir
+enfin!...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Taisez-vous! Personne ne demande vos avis.... Voici ce que j'ai
+décidé: le Chien, le Pain et le Sucre accompagneront les enfants.
+L'Eau n'entrera pas, parce qu'elle est trop froide, ni le Feu qui
+est trop turbulent. J'engage vivement le Lait à rester à la
+porte, parce qu'il est trop impressionnable; quant à la Chatte,
+elle fera comme elle voudra....
+
+LE CHIEN
+
+Elle a peur!...
+
+LA CHATTE
+
+J'irai saluer en passant quelques Malheurs qui sont de vieux amis
+et habitent à côté des Bonheurs....
+
+TYLTYL
+
+Et toi, la Lumière, est-ce que tu ne viens pas?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Je ne peux pas entrer ainsi chez les Bonheurs; la plupart ne me
+supportent pas.... Mais j'ai ici le voile épais dont je me
+couvre quand je visite les gens heureux.... [Elle déplie un long
+voile dont elle s'enveloppe soigneusement.] Il ne faut pas qu'un
+rayon de mon âme les effraye, car il est beaucoup de Bonheurs qui
+ont peur et ne sont pas heureux.... Voilà, de cette façon, les
+moins jolis et les plus gros eux-mêmes n'auront plus rien à
+redouter....
+
+ [Le rideau s'ouvre pour découvrir le neuvième tableau.]
+
+
+
+
+NEUVIÈME TABLEAU
+
+LES JARDINS DES BONHEURS
+
+
+Quand s'ouvre le rideau, on découvre, prise sur les premiers
+plans des jardins, une sorte de salle formée de hautes colonnes
+de marbre entre lesquelles, masquant tout le fond, sont tendues
+de lourdes draperies de pourpre que soutiennent des cordages
+d'or. Architecture rappelant les moments les plus sensuels et les
+plus somptueux de la Renaissance (vénitienne ou flamande Véronèse
+et Rubens). Guirlandes, cornes d'abondance, torsades, vases,
+statues, dorures prodigués de toutes parts.--Au milieu, massive
+et féerique table de jaspe et de vermeil, encombrée de flambeaux,
+de cristaux, de vaisselle d'or et d'argent et surchargée de mets
+fabuleux.--Autour de la table, mangent, boivent, hurlent,
+chantent, s'agitent, se vautrent ou s'endorment parmi les
+venaisons, les fruits miraculeux, les aiguières et les amphores
+renversées, les plus gros Bonheurs de la terre. Ils sont énormes,
+invraisemblablement obèses et rubiconds, couverts de velours et
+de brocarts, couronnés d'or, de perles et de pierreries. De
+belles esclaves apportent, sans cesse des plats empanachés et des
+breuvages écumiants.--Musique vulgaire, hilare et brutale où
+dominent les cuivres.--Une lumière lourde et rouge baigne la
+scène.
+
+ * * * * *
+
+ [Tyltyl, Mytyl, le Chien, le Pain et le Sucre, d'abord assez
+ intimidés, se pressent, à droite, au premier plan, autour de
+ la Lumière. La Chatte, sans rien dire, se dirige vers le
+ fond, également à droite, soulève un rideau sombre et
+ disparaît.]
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que ces gros messieurs qui s'amusent et mangent tant de
+bonnes choses?
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ce sont les plus gros Bonheurs de la Terre, ceux qu'on peut voir
+à l'œil nu. Il est possible, bien qu'assez peu probable, que
+l'Oiseau-Bleu se soit un instant égaré parmi eux. C'est pourquoi
+ne tourne pas encore le Diamant. Nous allons, pour la forme,
+explorer tout 'd'abord cette partie de la salle.
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'on peut s'approcher?
+
+LA LUMIÈRE
+
+Certainement. Ils ne sont pas méchants, bien que vulgaires et,
+d'habitude, assez mal élevés.
+
+MYTYL
+
+Qu'ils ont de beaux gâteaux!...
+
+LE CHIEN
+
+Et du gibier! et des saucisses! et des gigots d'agneau et du foie
+de veau!... [Proclamant.] Rien au monde n'est meilleur, rien
+n'est plus beau et rien ne vaut le foie de veau!...
+
+LE PAIN
+
+Excepté les Pains-de-quatre-livres pétris de fine fleur de
+froment! Ils en ont d'admirables!... Qu'ils sont beaux! qu'ils
+sont beaux!... Ils sont plus gros que moi!...
+
+LE SUCRE
+
+Pardon, pardon, mille pardons.... Permettez, permettez.... Je ne
+voudrais froisser personne; mais n'oubliez-vous pas les Sucreries
+qui sont la gloire de cette table et dont l'éclat et la
+magnificence surpassent, si j'ose m'exprimer ainsi, tout ce qu'il
+y a dans cette salle et peut-être en tout autre lieu....
+
+TYLTYL
+
+Qu'ils ont l'air contents et heureux!... Et ils crient! et ils
+rient! et ils chantent!... Je crois qu'ils nous ont vus....
+
+ [En effet, une douzaine des plus Gros Bonheurs se sont levés
+ de table et s'avancent péniblement, en soutenant leur
+ ventre, vers le groupe des enfants.]
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ne crains rien, ils sont très accueillants.... Ils vont
+probablement t'inviter à dîner.... N'accepte pas, n'accepte rien,
+de peur d'oublier ta mission....
+
+TYLTYL
+
+Quoi? Pas même un petit gâteau? Ils ont l'air si bons, si frais,
+si bien glacés de sucre, ornés de fruits confits et débordants de
+crème!...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ils sont dangereux et briseraient ta volonté. Il faut savoir
+sacrifier quelque chose au devoir qu'on remplit. Refuse poliment
+mais avec fermeté. Les voici....
+
+LE PLUS GROS DES BONHEURS, [tendant la main à Tyltyl.]
+
+Bonjour, Tyltyl!...
+
+TYLTYL, [étonné.]
+
+Vous me connaissez donc?... Qui êtes-vous?...
+
+LE GROS BONHEUR
+
+Je suis le plus gros des Bonheurs, le Bonheur-d'être-riche, et je
+viens, au nom de mes frères, vous prier, vous et votre famille,
+d'honorer de votre présence notre repas sans fin. Vous vous
+trouverez au milieu de tout ce qu'il y a de mieux parmi les vrais
+et gros Bonheurs de de cette Terre. Permettez que je vous
+présente les principaux d'entre eux. Voici mon gendre, le
+Bonheur-d'être-propriétaire, qui a le ventre en poire. Voici le
+Bonheur-de-la-vanité-satisfaite, dont le visage est si
+gracieusement bouffi. [Le Bonheur-de-la-vanité-satisfaite salue
+d'un air protecteur.] Voici le
+Bonheur-de-boire-quand-on-n'a-plus-soif et le
+Bonheur-de-manger-quand-on-n'a-plus-faim, qui sont jumeaux et
+ont les jambes en macaroni. [Ils saluent en chancelant.] Voici le
+Bonheur-de-ne-rien-savoir, qui est sourd comme une limande, et le
+Bonheur-de-ne-rien-comprendre, qui est aveugle comme une taupe.
+Voici le Bonheur-de-ne-rien-faire et le
+Bonheur-de-dormir-plus-qu'il-n'est-nécessaire, qui ont les mains
+en mie de pain et les yeux en gelée de pêche. Voici enfin le
+Rire-Épais qui est fendu jusqu'aux oreilles et auquel rien ne
+peut résister....
+
+ [Le Rire-Épais salue en se tordant.]
+
+TYLTYL, [montrant du doigt un Gros Bonheur qui se tient un peu à
+l'écart.]
+
+Et celui-là, qui n'ose pas approcher et nous tourne le dos?...
+
+LE GROS BONHEUR
+
+N'insistez pas, il est un peu gêné et n'est pas présentable à des
+enfants.... [Saisissant les mains de Tyltyl.] Mais venez donc! On
+recommence le festin.... C'est la douzième fois depuis l'aurore.
+On n'attend plus que vous.... Entendez-vous tous les convives qui
+vous réclament à grands cris?... Je ne puis vous les présenter
+tous, ils sont extrêmement nombreux.... [Offrant le bras aux deux
+enfants.] Permettez que je vous conduise aux deux places
+d'honneur....
+
+TYLTYL
+
+Je vous remercie bien, monsieur le Gros Bonheur.... Je regrette
+vivement.... Je ne peux pas pour le moment.... Nous sommes très
+pressés, nous cherchons l'Oiseau-Bleu. Vous ne sauriez pas, par
+hasard, où il se cache?
+
+LE GROS BONHEUR
+
+L'Oiseau-Bleu?... Attendez donc.... Oui, oui, je me rappelle....
+On m'en a parlé dans le temps.... C'est, je crois, un oiseau qui
+n'est pas comestible.... En tout cas, il n'a jamais paru sur
+notre table.... C'est vous dire qu'on le tient en médiocre
+estime.... Mais ne vous mettez pas en peine; nous avons tant
+d'autres choses bien meilleures.... Vous allez vous mêler à notre
+vie, vous verrez tout ce que nous faisons....
+
+TYLTYL
+
+Que faites-vous?
+
+LE GROS BONHEUR
+
+Mais nous nous occupons sans cesse à ne rien faire.... Nous
+n'avons pas une minute de repos.... Il faut boire, il faut
+manger, il faut dormir. C'est extrêmement absorbant....
+
+TYLTYL
+
+Est-ce que c'est amusant?
+
+LE GROS BONHEUR
+
+Mais oui.... Il le faut bien, il n'y a pas autre chose sur cette
+Terre....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Croyez-vous?...
+
+LE GROS BONHEUR, [indiquant du doigt la Lumière, bas, à Tyltyl.]
+
+Quelle est cette jeune personne mal élevée?...
+
+ [Durant toute la conversation précédente, une foule de Gros
+ Bonheurs de second ordre s'est occupée du Chien, du Sucre et
+ du Pain, et les a entraînés vers l'orgie. Tyltyl aperçoit
+ soudain ces derniers qui, attablés fraternellement avec
+ leurs hôtes, mangent, boivent et se trémoussent follement.]
+
+TYLTYL
+
+Voyez donc, la Lumière!... Ils sont à table!...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Rappelle-les! sinon cela finira mal!...
+
+TYLTYL
+
+Tylô!...Tylô! ici!... Veux-tu venir ici, tout de suite,
+entends-tu!... Et vous, là-bas, le Sucre et le Pain, qui donc
+vous a permis de me quitter?... Qu'est-ce que vous faites là,
+sans autorisation?...
+
+LE PAIN, [la bouche pleine.]
+
+Est-ce que tu ne pourrais pas nous parler plus poliment?...
+
+TYLTYL
+
+Quoi? C'est le Pain qui se permet de me tutoyer?... Mais
+qu'est-ce qui te prend?... Et toi, Tylô!... Est-ce ainsi qu'on
+obéit? Allons, viens ici, à genoux, à genoux!... Et plus vite que
+ça!...
+
+LE CHIEN, [à mi-voix et du bout de la table.]
+
+Moi, quand je mange, je n'y suis pour personne et je n'entends
+plus rien....
+
+LE SUCRE, [mielleusement.]
+
+Excusez-nous, nous ne saurions quitter ainsi, sans les froisser,
+d'aussi aimables hôtes....
+
+LE GROS BONHEUR
+
+Vous voyez!... Ils vous donnent l'exemple.... Venez, on vous
+attend.... Nous n'admettons pas de refus.... On vous fera une
+douce violence.... Allons, les Gros Bonheurs, aidez-moi!...
+Poussons-les de force vers la table, pour qu'ils soient heureux
+malgré eux!...
+
+ [Tous les Gros Bonheurs, avec des cris de joie et gambadant
+ de leur mieux, entraînent les enfants qui se débattent,
+ tandis que le Rire-Épais saisit vigoureusement la Lumière
+ par la taille.]
+
+LA LUMIÈRE
+
+Tourne le Diamant, il est temps!...
+
+ [Tyltyl fait ce qu'ordonne la Lumière. Aussitôt la scène
+ s'illumine d'une clarté ineffablement pure, divinement
+ rosée, harmonieuse et légère. Les lourds ornements du
+ premier plan, les épaisses tentures rouges se détachent et
+ disparaissent, dévoilant un fabuleux et doux jardin de paix
+ légère et de sérénité, une sorte de palais de verdure aux
+ perspectives harmonieuses, où la magnificence des
+ feuillages, puissants et lumineux, exubérants et néanmoins
+ disciplinés, où l'ivresse virginale des fleurs et la fraîche
+ allégresse des eaux qui coulent, ruissellent et jaillissent
+ de toutes parts semblent entraîner jusqu'aux confins de
+ l'horizon l'idée même de la félicité. La table de l'orgie
+ s'effondre sans laisser de traces; les velours, les
+ brocarts, les couronnes des Gros Bonheurs, au souffle
+ lumineux qui envahit la scène, se soulèvent, se déchirent et
+ tombent, en même temps que les masques hilares, aux pieds
+ des convives abasourdis. Ceux-ci se dégonflent à vue
+ d'œil, comme des vessies crevées, s'entre-regardent,
+ clignotent sous les rayons inconnus qui les blessent, et, se
+ voyant enfin tels qu'ils sont en vérité, c'est-à-dire nus,
+ hideux, flasques et lamentables, se mettent à pousser des
+ hurlements de honte et d'épouvante, parmi lesquels on
+ distingue très nettement ceux du Rire-Épais qui dominent
+ tous les autres. Seul le Bonheur-de-ne-rien-comprendre
+ demeure parfaitement calme, tandis que ses collègues
+ s'agitent éperdument, cherchent à fuir, à se cacher dans les
+ coins qu'ils espèrent plus sombres. Mais il n'y a plus
+ d'ombre dans le jardin éblouissant. Aussi la plupart se
+ décident-ils à franchir, en désespoir de cause, le rideau
+ menaçant qui, sur là droite, dans un angle, ferme la voûte
+ de la caverne des Malheurs. A chaque fois que l'un d'eux,
+ dans la panique, soulève un pan de ce rideau, on entend
+ s'élever du creux de l'antre une tempête d'injures,
+ d'imprécations et de malédictions. Quant au Chien, au Pain
+ et au Sucre, l'oreille basse, ils rejoignent le groupe des
+ enfants, et, très penauds, se dissimulent derrière eux.]
+
+TYLTYL, [regardant fuir les Gros Bonheurs.]
+
+Dieu qu'ils sont laids!... Où vont-ils?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ma foi, je crois qu'ils ont perdu la tête.... Ils vont se
+réfugier chez les Malheurs où je crains fort qu'on ne les
+retienne définitivement....
+
+TYLTYL, [regardant autour de soi, émerveillé.]
+
+Oh! le beau jardin, le beau jardin!... Où sommes-nous?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Nous n'avons pas changé de place; ce sont tes yeux qui ont changé
+de sphère.... Nous voyons à présent la vérité des choses; et nous
+allons apercevoir l'âme des Bonheurs qui supportent la clarté du
+Diamant.
+
+TYLTYL
+
+Que c'est beau!... Qu'il fait beau!... On se croirait en plein
+été.... Tiens! on dirait qu'on s'approche et qu'on va s'occuper
+de nous....
+
+ [En effet, les jardins commencent à se peupler de formes
+ angéliques qui semblent sortir d'un long sommeil et glissent
+ harmonieusement entre les arbres. Elles sont vêtues de robes
+ lumineuses, aux subtiles et suaves nuances: réveil de rose,
+ sourire d'eau, azur d'aurore, rosée d'ambre, etc.... ]
+
+LA LUMIÈRE
+
+Voici que s'avancent quelques Bonheurs aimables et curieux qui
+vont nous renseigner....
+
+TYLTYL
+
+Tu les connais?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Oui, je les connais tous; je viens souvent chez eux, sans qu'ils
+sachent qui je suis....
+
+TYLTYL
+
+Il y en a, il y en a!... Ils sortent de tous côtés!...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Il y en avait beaucoup plus dans le temps. Les Gros Bonheurs leur
+ont fait bien du tort.
+
+TYLTYL
+
+C'est égal, il en reste pas mal....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Tu en verras bien d'autres, à mesure que l'influence du Diamant
+se répandra parmi les jardins.... On trouve sur la Terre beaucoup
+plus de Bonheurs qu'on ne croit; mais la plupart des Hommes ne
+les découvrent point....
+
+TYLTYL
+
+En voici de petits qui s'avancent, courons à leur rencontre....
+
+LA LUMIÈRE
+
+C'est inutile; ceux qui nous intéressent passeront par ici. Nous
+n'avons pas le temps de faire la connaissance de tous les
+autres....
+
+ [Une bande de Petits Bonheurs, gambadant et riant aux éclats,
+ accourt du fond des verdures et danse une ronde autour des
+ enfants.]
+
+TYLTYL
+
+Qu'ils sont jolis, jolis!... D'où viennent-ils, qui sont-ils?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ce sont les Bonheurs des enfants....
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'on peut leur parler?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+C'est inutile. Ils chantent, ils dansent, ils rient, mais ils ne
+parlent pas encore....
+
+TYLTYL, frétillant.
+
+Bonjour! Bonjour!... Oh! le gros, là, qui rit!... Qu'ils ont de
+belles joues, qu'ils ont de belles robes!... Ils sont tous riches
+ici?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Mais non, ici comme partout, il y a bien plus de pauvres que de
+riches....
+
+TYLTYL
+
+Où sont les pauvres?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+On ne peut pas les distinguer.... Le Bonheur d'un enfant est
+toujours revêtu de ce qu'il y a de plus beau sur terre et dans
+les cieux.
+
+TYLTYL, [ne tenant plus en place.]
+
+Je voudrais danser avec eux....
+
+LA LUMIÈRE
+
+C'est absolument impossible, nous n'avons pas le temps.... Je
+vois qu'ils n'ont pas l'Oiseau-Bleu.... Du reste, ils sont
+pressés, tu vois, ils sont déjà passés.... Eux non plus n'ont pas
+de temps à perdre, car l'enfance est très brève....
+
+ [Une autre bande de Bonheurs, un peu plus grands que les
+ précédents, se précipite dans le jardin, et chantant à
+ tue-tête: «Les voilà! les voilà! Ils nous voient! Ils nous
+ voient!...» danse autour des enfants une joyeuse farandole,
+ à la fin de laquelle, celui qui paraît être le chef de la
+ petite troupe s'avance vers Tyltyl en lui tendant la main.]
+
+LE BONHEUR
+
+Bonjour, Tyltyl!...
+
+TYLTYL
+
+Encore un qui me connaît!... [A la Lumière.] On commence à me
+connaître un peu partout.... Qui es-tu?...
+
+LE BONHEUR
+
+Tu ne me reconnais pas?... Je parie que tu ne reconnais aucun de
+ceux qui sont ici?...
+
+TYLTYL, [assez embarrassé.]
+
+Mais non.... Je ne sais pas.... Je ne me rappelle pas vous avoir
+vus....
+
+LE BONHEUR
+
+Vous entendez?... J'en étais sûr!... Il ne nous a jamais vus!...
+[Tous les autres Bonheurs de la bande éclatent de rire.] Mais,
+mon petit Tyltyl, tu ne connais que nous!... Nous sommes toujours
+autour de toi!... Nous mangeons, nous buvons, nous nous
+éveillons, nous respirons, nous vivons avec toi!...
+
+TYLTYL
+
+Oui, oui, parfaitement, je sais, je me rappelle.... Mais je
+voudrais savoir comment on vous appelle....
+
+LE BONHEUR
+
+Je vois bien que tu ne sais rien.... Je suis le chef des
+Bonheurs-de-ta-maison; et tous ceux-ci sont les autres Bonheurs
+qui l'habitent....
+
+TYLTYL
+
+Il y a donc des Bonheurs à la maison?...
+
+ [Tous les Bonheurs éclatent de rire.]
+
+LE BONHEUR
+
+Vous l'avez entendu!... S'il y a des Bonheurs dans ta maison!...
+Mais, petit malheureux, elle en est pleine à faire sauter les
+portes et les fenêtres!... Nous rions, nous chantons, nous créons
+de la joie à refouler les murs, à soulever les toits; mais nous
+avons beau faire, tu ne vois rien, tu n'entends rien.... J'espère
+qu'à l'avenir tu seras un peu plus raisonnable.... En attendant,
+tu vas serrer la main aux plus notables.... Une fois rentré chez
+toi, tu les reconnaîtras ainsi plus facilement.... Et puis, à la
+fin d'un beau jour, tu sauras les encourager d'un sourire, les
+remercier d'un mot aimable, car ils font vraiment tout ce qu'ils
+peuvent pour te rendre la vie légère et délicieuse.... Moi
+d'abord, ton serviteur, le Bonheur-de-se-bien-porter.... Je ne
+suis pas le plus joli, mais le plus sérieux. Tu me
+reconnaîtras?... Voici le Bonheur-de-l'air-pur, qui est à peu
+près transparent.... Voici le Bonheur-d'aimer-ses-parents, qui
+est vêtu de gris et toujours un peu triste, parce qu'on ne le
+regarde jamais.... Voici le Bonheur-du-ciel-bleu, qui est
+naturellement vêtu de bleu; et le Bonheur-de-la-forêt qui, non
+moins naturellement, est habillé de vert, et que tu reverras
+chaque fois que tu te mettras à la fenêtre.... Voici encore le
+bon Bonheur-des-heures-de soleil qui est couleur de diamant, et
+celui du-Printemps qui est d'émeraude folle....
+
+TYLTYL
+
+Et vous êtes aussi beaux tous les jours?...
+
+LE BONHEUR
+
+Mais oui, c'est tous les jours dimanche, dans toutes les maisons,
+quand on ouvre les yeux.... Et puis, quand vient le soir, voici
+le Bonheur-des-couchers-de-soleil, qui est plus beau que tous les
+rois du monde; et que suit le
+Bonheur-devoir-se-lever-les-étoiles, doré comme un dieu
+d'autrefois.... Puis, quand il fait mauvais, voici le
+Bonheur-de-la-pluie qui est couvert de perles, et le
+Bonheur-du-feu-d'hiver qui ouvre aux mains gelées son beau
+manteau de pourpre.... Et je ne parle pas du meilleur de tous,
+parce qu'il est presque frère des grandes Joies limpides que vous
+verrez bientôt, et qui est le Bonheur-des-pensées-innocentes, le
+plus clair d'entre nous.... Et puis, voici encore.... Mais
+vraiment, ils sont trop!... Nous n'en finirions pas, et je dois
+prévenir d'abord les Grandes-Joies qui sont là-haut, au fond,
+près des portes du ciel, et ne savent pas encore que vous êtes
+arrivés.... Je vais leur dépêcher le
+Bonheur-de-courir-nu-pieds-dans-la-rosée, qui est le plus
+agile.... [Au Bonheur qu'il vient de nommer et qui s'avance en
+faisant des cabrioles.] Va!...
+
+ [A ce moment, une sorte de diablotin en maillot noir,
+ bousculant tout le monde en poussant des cris inarticulés,
+ s'approche de Tyltyl, et gambade follement en l'accablant de
+ nasardes, taloches et coups de pied insaisissables.]
+
+TYLTYL, [ahuri et profondément indigné.]
+
+Qu'est-ce que c'est que ce sauvage?
+
+LE BONHEUR
+
+Bon! c'est encore le Plaisir-d'être-insupportable qui s'est
+échappé de la caverne des Malheurs. On ne sait où l'enfermer. Il
+s'évade de partout, et les Malheurs eux-mêmes ne veulent plus le
+garder.
+
+ [Le diablotin continue de lutiner Tyltyl qui essaye
+ vainement de se défendre, puis, soudain, riant aux éclats,
+ disparaît sans raison, comme il était venu.]
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce qu'il a? Il est un peu fou?
+
+LA LUMIÈRE
+
+Je ne sais. Il paraît que c'est ainsi que tu es toi-même lorsque
+tu n'es pas sage. Mais en attendant, il faudrait s'informer de
+l'Oiseau-Bleu. Il se peut que le chef des Bonheurs-de-ta-maison
+n'ignore pas où il se trouve....
+
+TYLTYL
+
+Où est-il?...
+
+LE BONHEUR
+
+Il ne sait pas où se trouve l'Oiseau-Bleu!...
+
+ [Tous les Bonheurs-de-la-maison éclatent de rire.]
+
+TYLTYL, [vexé.]
+
+Mais non, je ne sais pas.... Il n'y a pas de quoi rire....
+
+ [Nouveaux éclats de rires.]
+
+LE BONHEUR
+
+Voyons, ne te fâche pas.... et puis, soyons sérieux.... Il ne
+sait pas, que voulez-vous, il n'est pas plus ridicule que la
+plupart des Hommes.... Mais voici que le petit
+Bonheur-de-courir-nu-pieds-dans-la-rosée a prévenu les
+Grandes-Joies qui s'avancent vers nous....
+
+ [En effet, les hautes et belles figures angéliques, vêtues
+ de robes lumineuses, s'approchent lentement.]
+
+TYLTYL
+
+Qu'elles sont belles!... Pourquoi ne rient-elles pas?... Ne
+sont-elles pas heureuses?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ce n'est pas quand on rit qu'on est le plus heureux....
+
+TYLTYL
+
+Qui sont-elles?...
+
+LE BONHEUR
+
+Ce sont les Grandes-Joies....
+
+TYLTYL
+
+Tu sais leurs noms?...
+
+LE BONHEUR
+
+Naturellement, nous jouons souvent avec elles.... Voici d'abord:
+devant les autres, la Grande-Joie-d'être-juste, qui sourit chaque
+fois qu'une injustice est réparée,--je suis trop jeune, je ne
+l'ai pas encore vu sourire. Derrière elle, c'est la
+Joie-d'être-bonne, qui est la plus heureuse, mais la plus triste;
+et qu'on a bien du mal à empêcher d'aller chez les Malheurs
+qu'elle voudrait consoler. A droite, c'est la
+Joie-du-travail-accompli à côté de la Joie-de-penser. Ensuite,
+c'est la Joie-de-comprendre qui cherche toujours son frère, le
+Bonheur-de-ne-rien-comprendre....
+
+TYLTYL
+
+Mais je l'ai vu, son frère!... Il est allé chez les Malheurs avec
+les Gros Bonheurs....
+
+LE BONHEUR
+
+J'en étais sûr!... Il a mal tourné, de mauvaises fréquentations
+l'ont entièrement perverti.... Mais n'en parle pas à sa sœur.
+Elle voudrait aller le chercher et nous y perdrions une des plus
+belles joies.... Voici encore, parmi les plus grandes, la
+Joie-de-voir-ce-qui-est-beau, qui ajoute chaque jour quelques
+rayons à la lumière qui règne ici....
+
+TYLTYL
+
+Et là, au loin, au loin, dans les nuages d'or, celle que j'ai
+peine à voir en me dressant tant que je peux sur la pointe des
+pieds?...
+
+LE BONHEUR
+
+C'est la grande Joie-d'aimer.... Mais tu auras beau faire, tu es
+bien trop petit pour la voir tout entière....
+
+TYLTYL
+
+Et là-bas, tout au fond, celles qui sont voilées et ne
+s'approchent pas?...
+
+LE BONHEUR
+
+Ce sont celles que les Hommes ne connaissent pas encore....
+
+TYLTYL
+
+Que nous veulent les autres?... Pourquoi s'écartent-elles?...
+
+LE BONHEUR
+
+C'est devant une Joie nouvelle qui s'avance, peut-être la plus
+pure que nous ayons ici..
+
+TYLTYL
+
+Qui est-ce?...
+
+LE BONHEUR
+
+Tu ne la reconnais pas encore?... Mais regarde donc mieux, ouvre
+donc tes deux yeux jusqu'au cœur de ton âme!... Elle t'a vu,
+elle t'a vu!... Elle accourt en te tendant les bras!... C'est la
+Joie de ta mère, c'est la Joie-sans-égale-de-l'amour-maternel!...
+
+ [Après l'avoir acclamée, les autres Joies, accourues de
+ toutes parts, s'écartent en silence devant la
+ Joie-de-l'amour-maternel.]
+
+L'AMOUR MATERNEL
+
+Tyltyl! Et puis Mytyl!... Comment, c'est vous, c'est vous que je
+retrouve ici!... Je ne m'attendais pas!... J'étais bien seule à
+la maison, et voici que tous deux vous montez jusqu'au ciel où
+rayonnent dans la Joie l'âme de toutes les mères!... Mais d'abord
+des baisers, des baisers tant qu'on peut!... Tous les deux dans
+mes bras, il n'y a rien au monde qui donne plus de bonheur!...
+Tyltyl, tu ne ris pas?... Ni toi non plus, Mytyl?... Vous ne
+connaissez pas l'amour de votre mère?... Mais regardez-moi donc,
+et n'est-ce pas mes yeux, mes lèvres et mes bras?...
+
+TYLTYL
+
+Mais si, je reconnais, mais je ne savais pas.... Tu ressembles à
+maman, mais tu es bien plus belle....
+
+L'AMOUR MATERNEL
+
+Évidemment, moi, je ne vieillis plus.... Et chaque jour qui passe
+m'apporte de la force, de la jeunesse et du bonheur.... Chacun de
+tes sourires m'allège d'une année.... A la maison, cela ne se
+voit pas, mais ici l'on voit tout, et c'est la vérité....
+
+TYLTYL, [émerveillé, la contemplant et l'embrassant tour à tour.]
+
+Et cette belle robe, en quoi donc qu'elle est faite?... Est-ce
+que c'est de la soie, de l'argent ou des perles?...
+
+L'AMOUR MATERNEL
+
+Non, ce sont des baisers, des regards, des caresses.... chaque
+baiser qu'on donne y ajoute un rayon de lune ou de soleil....
+
+TYLTYL
+
+C'est drôle, je n'aurais jamais cru que tu étais si riche.... Où
+donc la cachais-tu?... Était-elle dans l'armoire dont papa a la
+clef?...
+
+L'AMOUR MATERNEL
+
+Mais non, je l'ai toujours, mais on ne la voit pas, parce qu'on
+ne voit rien quand les yeux sont fermés.... Toutes les mères sont
+riches quand elles aiment leurs enfants.... Il n'en est pas de
+pauvres, il n'en est pas de laides, il n'en est pas de
+vieilles.... Leur amour est toujours la plus belle des Joies....
+Et quand elles semblent tristes, il suffit d'un baiser qu'elles
+reçoivent ou qu'elles donnent pour que toutes leurs larmes
+deviennent des étoiles dans le fond de leurs yeux....
+
+TYLTYL, [la regardant avec étonnement.]
+
+Mais oui, c'est vrai, tes yeux, ils sont remplis d'étoiles.... Et
+ce sont bien tes yeux, mais ils sont bien plus beaux.... Et c'est
+ta main aussi, elle a sa petite bague.... Elle a même la brûlure
+que tu t'es faite un soir en allumant la lampe.... Mais elle est
+bien plus blanche et qu'elle a la peau fine!... On dirait qu'on y
+voit couler de la lumière.... Elle ne travaille pas comme celle
+de la maison?...
+
+L'AMOUR MATERNEL
+
+Mais si, c'est bien la même; tu n'avais donc pas vu qu'elle
+devient toute blanche et s'emplit de lumière dès qu'elle te
+caresse?...
+
+TYLTYL
+
+C'est étonnant, maman, c'est bien ta voix aussi; mais tu parles
+bien mieux que chez nous....
+
+L'AMOUR MATERNEL
+
+Chez nous on a bien trop à faire et l'on n'a pas le temps....
+Mais ce qu'on ne dit pas, on l'entend tout de même.... Maintenant
+que tu m'as vue, me reconnaîtras-tu, sous ma robe déchirée,
+lorsque tu rentreras demain dans la chaumière?...
+
+TYLTYL
+
+Je ne veux pas rentrer.... Puisque tu es ici, j'y veux rester
+aussi, tant que tu y seras....
+
+L'AMOUR MATERNEL
+
+Mais c'est la même chose, c'est là-bas que je suis, c'est là-bas
+que nous sommes.... Tu n'es venu ici que pour te rendre compte et
+pour apprendre enfin comment il faut me voir quand tu me vois
+là-bas.... Comprends-tu, mon Tyltyl?... Tu te crois dans le ciel;
+mais le ciel est partout où nous nous embrassons.... Il n'y a pas
+deux mères, et tu n'en as pas d'autre.... Chaque enfant n'en a
+qu'une et c'est toujours la même et toujours la plus belle; mais
+il faut la connaître et savoir regarder.... Mais comment as-tu
+fait pour arriver ici et trouver une route que les Hommes ont
+cherchée depuis qu'ils habitent la Terre?...
+
+TYLTYL, [montrant la Lumière qui, par discrétion, s'est un peu
+écartée.]
+
+C'est elle qui m'a conduit....
+
+L'AMOUR MATERNEL
+
+Qui est-ce?...
+
+TYLTYL
+
+La Lumière....
+
+L'AMOUR MATERNEL
+
+Je ne l'ai jamais vue.... On m'avait dit qu'elle vous aimait
+bien et qu'elle était très bonne.... Mais pourquoi se
+cache-t-elle?... Elle ne montre jamais son visage?...
+
+TYLTYL
+
+Mais si, mais elle a peur que les Bonheurs aient peur s'ils y
+voyaient trop clair....
+
+L'AMOUR MATERNEL
+
+Mais elle ne sait donc pas que nous n'attendons qu'elle!...
+[Appelant les autres Grandes Joies.] Venez, venez, mes sœurs!
+Venez, accourez toutes, c'est la Lumière qui vient enfin nous
+visiter!...
+
+ [Frémissement parmi les Grandes Joies qui se rapprochent.
+ Cris: «La Lumière est ici!... La Lumière, la Lumière!...»]
+
+LA JOIE-DE-COMPRENDRE, [écartant toutes les autres pour venir
+embrasser la Lumière.]
+
+Vous êtes la Lumière et nous ne savions pas!... Et voici des
+années, des années, des années que nous vous attendons!... Me
+reconnaissez-vous?... C'est la Joie-de-comprendre qui vous a
+tant cherchée.... Nous sommes très heureuses, mais nous ne
+voyons pas au delà de nous-mêmes....
+
+LA JOIE-D'ÊTRE-JUSTE, [embrassant la Lumière à son tour.]
+
+Me reconnaissez-vous?... C'est la Joie-d'être-juste qui vous a
+tant priée.... Nous sommes très heureuses, mais nous ne voyons
+pas au delà de nos ombres....
+
+LA JOIE-DE-VOIR-CE-QUI-EST-BEAU, [l'embrassant également.]
+
+Me reconnaissez-vous?... C'est la Joie-des-beautés qui vous a
+tant aimée... Nous sommes très heureuses, mais nous ne voyons pas
+au delà de nos songes....
+
+LA JOIE-DE-COMPRENDRE
+
+Voyez, voyez, ma sœur, ne nous faites plus attendre.... Nous
+sommes assez fortes, nous sommes assez pures.... Écartez donc ces
+voiles qui nous cachent encore les dernières vérités et les
+derniers bonheurs.... Voyez, toutes mes sœurs s'agenouillent à
+vos pieds.... Vous êtes notre reine et notre récompense....
+
+LA LUMIÈRE, [resserrant ses voiles.]
+
+Mes sœurs, mes belles sœurs, j'obéis à mon Maître....
+L'heure n'est pas venue, elle sonnera peut-être et je vous
+reviendrai sans craintes et sans ombres.... Adieu, relevez-vous,
+embrassons-nous encore comme des sœurs retrouvées, en
+attendant le jour qui paraîtra bientôt....
+
+L'AMOUR MATERNEL, [embrassant la Lumière.]
+
+Vous avez été bonne pour mes pauvres petits....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Je serai toujours bonne autour de ceux qui s'aiment....
+
+LA JOIE-DE-COMPRENDRE, [s'approchant de la Lumière.]
+
+Que le dernier baiser soit posé sur mon front....
+
+ [Elles s'embrassent longuement, et, quand elles se séparent
+ et relèvent la tète, on voit des larmes dans leurs yeux.]
+
+TYLTYL, [étonné.]
+
+Pourquoi pleurez-vous?....[regardant les autres Joies]
+
+Tiens! vous pleurez aussi.... Mais pourquoi tout le monde a-t-il
+des larmes plein les yeux?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Silence, mon enfant....
+
+
+RIDEAU
+
+
+
+
+ACTE CINQUIÈME
+
+
+
+
+DIXIÈME TABLEAU
+
+LE ROYAUME DE L'AVENIR
+
+
+Les salles immenses du Palais d'Azur, où attendent les enfants
+qui vont naître.--Infinies perspectives de colonnes de saphir
+soutenant des voûtes de turquoise. Tout ici, depuis la lumière et
+les dalles de lapis-lazuli jusqu'aux pulvérulences du fond où se
+perdent les derniers arceaux, jusqu'aux moindres objets, est d'un
+bleu irréel, intense, féerique. Seuls les chapiteaux et les
+socles des colonnes, les clefs de voûte, quelques sièges quelques
+bancs circulaires sont de marbre blanc ou d'albâtre.--A droite,
+entre les colonnes, de grandes portes opalines. Ces portes, dont
+le Temps, vers la fin de la scène, écartera les battants,
+s'ouvrent sur la Vie actuelle et les quais de l'Aurore. Partout,
+peuplant harmonieusement la salle, une foule d'enfants vêtus de
+longues robes azurées.--Les uns jouent, d'autres se promènent,
+d'autres causent ou songent; beaucoup sont endormis, beaucoup
+aussi travaillent, entre les colonnades, aux inventions futures;
+et leurs outils, leurs instruments, les appareils qu'ils
+construisent, les plantes, les fleurs et les fruits qu'ils
+cultivent ou qu'ils cueillent sont du même bleu surnaturel et
+lumineux que l'atmosphère générale du Palais.--Parmi les enfants,
+revêtues d'un azur plus pâle et plus diaphane, passent et
+repassent quelques figures de haute taille, d'une beauté
+souveraine et silencieuse, qui paraissent être des anges.
+
+ * * * * *
+
+ [Entrent à gauche, comme à la dérobée, en se glissant parmi
+ les colonnes du premier plan, Tyltyl, Mytyl et la Lumière.
+ Leur arrivée provoque un certain mouvement parmi les
+ Enfants-Bleus qui bientôt accourent de toutes parts et se
+ groupent autour des insolites visiteurs qu'ils contemplent
+ avec curiosité.]
+
+MYTYL
+
+Où est le Sucre, la Chatte et le bon Pain?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ils ne peuvent pas entrer ici; ils connaîtraient l'Avenir et
+n'obéiraient plus....
+
+TYLTYL
+
+Et le Chien?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Il n'est pas bon, non plus, qu'il sache ce qui l'attend dans la
+suite des siècles.... Je les ai emprisonnés dans les souterrains
+de l'église....
+
+TYLTYL
+
+Où sommes-nous?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Nous sommes dans le Royaume de l'Avenir, au milieu des enfants
+qui ne sont pas encore nés. Puisque le Diamant nous permet de
+voir clair en cette région que les Hommes n'aperçoivent pas, nous
+y trouverons fort probablement l'Oiseau-Bleu....
+
+TYLTYL
+
+Bien sûr que l'Oiseau sera bleu, puisque tout y est bleu....
+[Regardant tout autour de soi.] Dieu que c'est beau tout ça!...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Regarde les enfants qui accourent....
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'ils sont fâchés?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Pas du tout.... Tu vois bien, ils sourient, mais ils sont
+étonnés....
+
+LES ENFANTS-BLEUS, [accourant de plus en plus nombreux.]
+
+Des petits Vivants.... Venez voir les petits Vivants!...
+
+TYLTYL
+
+Pourquoi qu'ils nous appellent «les petits Vivants»?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Parce qu'eux, ils ne vivent pas encore....
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce qu'ils font alors?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ils attendent l'heure de leur naissance....
+
+TYLTYL
+
+L'heure de leur naissance?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Oui; c'est d'ici que viennent tous les enfants qui naissent sur
+notre Terre. Chacun attend son jour.... Quand les Pères et les
+Mères désirent des enfants, on ouvre les grandes portes que tu
+vois là, à droite; et les petits descendent....
+
+TYLTYL
+
+Y en a-t-il! Y en a-t-il!...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Il y en a bien davantage.... On ne les voit pas tous.... Pense
+donc, il en faut de quoi peupler la fin des temps.... Personne ne
+saurait les compter....
+
+TYLTYL
+
+Et ces grandes personnes bleues, qu'est-ce que c'est?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+On ne sait plus au juste.... On croit que ce sont des
+gardiennes.... On dit qu'elles viendront sur Terre après les
+Hommes.... Mais il n'est pas permis de les interroger....
+
+TYLTYL
+
+Pourquoi?
+
+LA LUMIÈRE
+
+Parce que c'est le secret de la Terre....
+
+TYLTYL
+
+Et les autres, les petits, on peut leur parler?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Bien sûr, il faut faire connaissance.... Tiens, en voilà un plus
+curieux que les autres.... Approche-toi, parle-lui....
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce qu'il faut lui dire?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ce que tu voudras, comme à un petit camarade....
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'on peut lui donner la main?
+
+LA LUMIÈRE
+
+Évidemment, il ne te fera pas de mal.... Mais voyons, n'aie donc
+pas l'air si emprunté.... Je vais vous laisser seuls, vous serez
+plus à l'aise entre vous.... J'ai d'ailleurs à causer avec la
+Grande-personne Bleue....
+
+TYLTYL, [s'approchant de l'Enfant-Bleu et lui tendant la main.]
+
+Bonjour!... [Touchant du doigt la robe bleue de l'Enfant.]
+Qu'est-ce que c'est que ça?
+
+L'ENFANT, [touchant gravement du doigt le chapeau de Tyltyl.]
+
+Et ça?...
+
+TYLTYL
+
+Ça?... C'est mon chapeau.... Tu n'as pas de chapeau?...
+
+L'ENFANT
+
+Non; pourquoi c'est faire?...
+
+TYLTYL
+
+C'est pour dire bonjour.... Et puis, pour quand fait froid....
+
+L'ENFANT
+
+Qu'est-ce que c'est faire froid?...
+
+TYLTYL
+
+Quand on tremble comme ça: brrr! brrr!... qu'on souffle dans ses
+mains et qu'on fait aller les bras comme ceci....
+
+ [Il se brasse vigoureusement.]
+
+L'ENFANT
+
+Il fait froid sur la Terre?...
+
+TYLTYL
+
+Mais oui, des fois, l'hiver, quand on n'a pas de feu....
+
+L'ENFANT
+
+Pourquoi qu'on n'en a pas?...
+
+TYLTYL
+
+Parce que ça coûte cher et qu'il faut de l'argent pour acheter du
+bois....
+
+L'ENFANT
+
+Quoi que c'est de l'argent?
+
+TYLTYL
+
+C'est avec quoi l'on paie....
+
+L'ENFANT
+
+Ah!...
+
+TYLTYL
+
+Il y en a qui en ont, d'autres qui n'en ont point....
+
+L'ENFANT
+
+Pourquoi?...
+
+TYLTYL
+
+C'est qu'ils ne sont pas riches.... Est-ce que tu es riche?...
+Quel âge as-tu?...
+
+L'ENFANT
+
+Je vais naître bientôt.... Je naîtrai dans douze ans.... Est-ce
+que c'est bon, naître?...
+
+TYLTYL
+
+Oh oui!... C'est amusant!...
+
+L'ENFANT
+
+Comment que tu as fait?...
+
+TYLTYL
+
+Je ne me rappelle plus.... Il y a si longtemps!...
+
+L'ENFANT
+
+On dit que c'est si beau, la Terre et les Vivants!...
+
+TYLTYL
+
+Mais oui, ce n'est pas mal.... Il y a des oiseaux, des gâteaux,
+des jouets.... Quelques-uns les ont tous; mais ceux qui n'en ont
+pas peuvent regarder les autres....
+
+L'ENFANT
+
+On nous dit que les mères attendent à la porte.... Elles sont
+bonnes, est-ce vrai?...
+
+TYLTYL
+
+Oh oui!... Elles sont meilleures que tout ce qu'il y a!... Les
+bonnes-mamans aussi; mais elles meurent trop vite....
+
+L'ENFANT
+
+Elles meurent?... Qu'est-ce que c'est ça?...
+
+TYLTYL
+
+Elles s'en vont un soir, et ne reviennent plus....
+
+L'ENFANT
+
+Pourquoi?...
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'on sait?... Peut-être qu'elles sont tristes....
+
+L'ENFANT
+
+Elle est partie, la tienne?...
+
+TYLTYL
+
+Ma bonne-maman?...
+
+L'ENFANT
+
+Ta maman ou ta bonne-maman, est-ce que je sais, moi?...
+
+TYLTYL
+
+Ah! mais, ça n'est pas la même chose!... Les bonnes-mamans s'en
+vont d'abord; c'est déjà assez triste.... La mienne était très
+bonne....
+
+L'ENFANT
+
+Qu'est-ce qu'ils ont, tes yeux?... Est-ce qu'ils font des
+perles?...
+
+TYLTYL
+
+Mais non; c'est pas des perles....
+
+L'ENFANT Qu'est-ce que c'est alors?...
+
+TYLTYL
+
+C'est rien, c'est tout ce bleu qui m'éblouit un peu....
+
+L'ENFANT
+
+Comment que ça s'appelle?...
+
+TYLTYL
+
+Quoi?...
+
+L'ENFANT
+
+Là, ce qui tombe?...
+
+TYLTYL
+
+C'est rien, c'est un peu d'eau....
+
+L'ENFANT
+
+Est-ce qu'elle sort des yeux?...
+
+TYLTYL
+
+Oui, des fois, quand on pleure....
+
+L'ENFANT
+
+Qu'est-ce que c'est pleurer?
+
+TYLTYL
+
+Moi, je n'ai pas pleuré; c'est la faute à ce bleu.... Mais si
+j'avais pleuré ce serait la même chose....
+
+L'ENFANT
+
+Est-ce qu'on pleure souvent?...
+
+TYLTYL
+
+Pas les petits garçons, mais les petites filles.... On ne pleure
+pas ici?...
+
+L'ENFANT
+
+Mais non, je ne sais pas....
+
+TYLTYL
+
+Eh bien, tu apprendras.... Avec quoi que tu joues, ces grandes
+ailes bleues?...
+
+L'ENFANT
+
+Ça?... C'est pour l'invention que je ferai sur Terre....
+
+TYLTYL
+
+Quelle invention?... Tu as donc inventé quelque chose?...
+
+L'ENFANT
+
+Mais oui, tu ne sais pas?... Quand je serai sur Terre, il faudra
+que j'invente la Chose qui rend Heureux....
+
+TYLTYL
+
+Est-elle bonne à manger?... Est-ce qu'elle fait du bruit?...
+
+L'ENFANT
+
+Mais non, on n'entend rien....
+
+TYLTYL
+
+C'est dommage....
+
+L'ENFANT
+
+J'y travaille chaque jour.... Elle est presque achevée....
+Veux-tu voir?...
+
+TYLTYL
+
+Bien sûr.... Où donc est-elle?...
+
+L'ENFANT
+
+Là, on la voit d'ici, entre ces deux colonnes...?
+
+UN AUTRE ENFANT-BLEU, [s'approchant de Tyltyl et le tirant par la
+manche.]
+
+Veux-tu voir la mienne, dis?...
+
+TYLTYL
+
+Mais quoi, qu'est-ce que c'est?...
+
+DEUXIÈME ENFANT
+
+Les trente-trois remèdes pour prolonger la vie.... Là, dans ces
+flacons bleus....
+
+TROISIÈME ENFANT, [sortant de la foule.]
+
+Moi, j'apporte une lumière que personne ne connaît!... [Il
+s'illumine tout entier d'une flamme extraordinaire.] C'est assez
+curieux, pas?...
+
+QUATRIÈME ENFANT, [tirant Tyltyl par le bras.]
+
+Viens donc voir ma machine qui vole dans les airs comme un oiseau
+sans ailes!...
+
+CINQUIÈME ENFANT
+
+Non, non; d'abord la mienne qui trouve les trésors qui se cachent
+dans la lune!...
+
+ [Les Enfants-Bleus s'empressent autour de Tyltyl et de Mytyl
+ en criant tous ensemble: «Non, non, viens voir la mienne!...
+ Non, la mienne est plus belle!... La mienne est
+ étonnante!... La mienne est tout en sucre!... La sienne
+ n'est pas curieuse.... il m'en a pris l'idée!..., etc.».
+ Parmi ces exclamations désordonnées, on entraîne les petits
+ Vivants du côté des ateliers bleus; et là, chacun des
+ inventeurs met en mouvement sa machine idéale. C'est un
+ tournoiement céruléen de roues, de disques, de volants,
+ d'engrenages, de poulies, de courroies, d'objets étranges
+ et encore innommés qu'enveloppent les bleuâtres vapeurs de
+ l'irréel. Une foule d'appareils bizarres et mystérieux
+ s'élancent et planent sous les voûtes, ou rampent au pied
+ des colonnes, taudis que des enfants déroulent des cartes et
+ des plans, ouvrent des livres, découvrent des statues
+ azurées, apportent d'énormes fleurs, de gigantesques fruits
+ qui semblent formés de saphirs et de turquoises.]
+
+UN PETIT ENFANT-BLEU, [courbé sous le poids de colossales
+pâquerettes d'azur.]
+
+Regardez donc mes fleurs!...3
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que c'est?... Je ne les connais pas....
+
+LE PETIT ENFANT-BLEU
+
+Ce sont des pâquerettes!...
+
+TYLTYL
+
+Pas possible!... Elles sont grandes comme des roues....
+
+LE PETIT ENFANT-BLEU
+
+Et ce qu'elles sentent bon!...
+
+TYLTYL, [les humant.]
+
+Prodigieux!...
+
+LE PETIT ENFANT-BLEU
+
+Elles seront comme ça quand je serai sur Terre....
+
+TYLTYL
+
+Quand donc?...
+
+LE PETIT ENFANT-BLEU
+
+Dans cinquante-trois ans, quatre mois et neuf jours....
+
+ [Arrivent deux Enfants-Bleus qui portent comme un lustre,
+ pendue à une perche, une invraisemblable grappe de raisins
+ dont les baies sont plus grosses que des poires.]
+
+L'UN DES ENFANTS QUI PORTENT LA GRAPPE
+
+Que dis-tu de mes fruits?...
+
+TYLTYL
+
+Une grappe de poires!...
+
+L'ENFANT
+
+Mais non, c'est des raisins!... Ils seront tous ainsi, lorsque
+j'aurai trente ans.... J'ai trouvé le moyen....
+
+UN AUTRE ENFANT, [écrasé sous une corbeille de pommes bleues
+grosses comme des melons.]
+
+Et moi!... Voyez mes pommes!...
+
+TYLTYL
+
+Mais ce sont des melons!...
+
+L'ENFANT
+
+Mais non!... Ce sont mes pommes, et les moins belles encore!...
+Toutes seront de même quand je serai vivant.... J'ai trouvé le
+système!...
+
+UN AUTRE ENFANT, [apportant sur une brouette bleue des melons
+bleus plus gros que des citrouilles.]
+
+Et mes petits melons?...
+
+TYLTYL
+
+Mais ce sont des citrouilles!...
+
+L'ENFANT AUX MELONS
+
+Quand je viendrai sur terre, les melons seront fiers!... Je
+serai le jardinier du Roi des neuf Planètes....
+
+TYLTYL
+
+Le Roi des neuf Planètes?... Où est-il?...
+
+LE ROI DES NEUF PLANÈTES, [s'avançant fièrement. Il semble avoir
+quatre ans et peut à grand'peine se tenir debout sur ses petites
+jambes torses.]
+
+Le voici!
+
+TYLTYL
+
+Eh bien! tu n'es pas grand....
+
+LE ROI DES NEUF PLANÈTES, [grave et sentencieux.]
+
+Ce que je ferai sera grand.
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que tu feras?
+
+LE ROI DES NEUF PLANÈTES
+
+Je fonderai la Confédération générale des Planètes solaires.
+
+TYLTYL, [interloqué.]
+
+Ah, vraiment?
+
+LE ROI DE NEUF PLANÈTES
+
+Toutes en feront partie, excepté Saturne, Uranus et Neptune qui
+sont à des distances exagérées et incommensurables.
+
+ [Il se retire avec dignité.]
+
+TYLTYL
+
+Il est intéressant....
+
+UN ENFANT-BLEU
+
+Et vois-tu celui-là?
+
+TYLTYL
+
+Lequel?
+
+L'ENFANT
+
+Là, le petit qui dort au pied de la colonne....
+
+TYLTYL
+
+Eh bien?
+
+L'ENFANT
+
+Il apportera la joie pure sur le Globe..
+
+TYLTYL
+
+Comment?...
+
+L'ENFANT
+
+Par des idées qu'on n'a pas encore eues....
+
+TYLTYL
+
+Et l'autre, le petit gros qui a les doigts dans le nez, qu'est-ce
+qu'il fera, lui?...
+
+L'ENFANT
+
+Il doit trouver le feu pour réchauffer la Terre quand le Soleil
+sera plus pâle....
+
+TYLTYL
+
+Et les deux qui se tiennent par la main et s'embrassent tout le
+temps: est-ce qu'ils sont frère et sœur?...
+
+L'ENFANT
+
+Mais non, ils sont très drôles.... Ce sont les Amoureux....
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que c'est?...
+
+L'ENFANT
+
+Je ne sais pas.... C'est le Temps qui les appelle ainsi pour s'en
+moquer.... Ils se regardent tout le jour dans les yeux, ils
+s'embrassent et se disent adieu....
+
+TYLTYL
+
+Pourquoi?
+
+L'ENFANT
+
+Il paraît qu'ils ne pourront pas partir ensemble....
+
+TYLTYL
+
+Et le petit tout rose, qui semble si sérieux et qui suce son
+pouce, qu'est-ce que c'est?...
+
+L'ENFANT
+
+Il paraît qu'il doit effacer l'Injustice sur la Terre....
+
+TYLTYL
+
+Ah?...
+
+L'ENFANT
+
+On dit que c'est un travail effrayant....
+
+TYLTYL
+
+Et le petit rousseau qui marche comme s'il n'y voyait pas. Est-ce
+qu'il est aveugle?...
+
+L'ENFANT
+
+Pas encore; mais il le deviendra.... Regarde-le bien; il paraît
+qu'il doit vaincre la Mort....
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que ça veut dire?...
+
+L'ENFANT
+
+Je ne sais pas au juste; mais on dit que c'est grand....
+
+TYLTYL, [montrant une foule d'enfants endormis au pied des
+colonnes, sur les marches, les bancs, etc.]
+
+Et tous ceux-là qui dorment,--comme il y en a qui
+dorment!--est-ce qu'ils ne font rien?...
+
+L'ENFANT
+
+Ils pensent à quelque chose....
+
+TYLTYL
+
+A quoi?...
+
+L'ENFANT
+
+Ils ne le savent pas encore; mais ils doivent apporter quelque
+chose sur la Terre; il est défendu de sortir les mains vides....
+
+TYLTYL
+
+Qui est-ce qui le défend?...
+
+L'ENFANT
+
+C'est le Temps qui se tient à la porte.... Tu verras quand il
+ouvrira.... Il est bien embêtant....
+
+UN ENFANT, [accourant du fond de la salle, en fendant la foule.]
+
+Bonjour, Tyltyl!...
+
+TYLTYL
+
+Tiens!... Comment sait-il mon nom?...
+
+L'ENFANT, [qui vient d'accourir et qui embrasse Tyltyl et Mytyl
+avec effusion.]
+
+Bonjour!... Ça va bien?...--Voyons, embrasse-moi, et toi aussi,
+Mytyl.... Ce n'est pas étonnant que je sache ton nom, puisque je
+serai ton frère.... On vient seulement de me dire que tu es
+là.... J'étais tout au bout de la salle, en train d'emballer mes
+idées....--Dis à maman que je suis prêt....
+
+TYLTYL
+
+Comment?... Tu comptes venir chez nous?
+
+L'ENFANT
+
+Bien sûr, l'année prochaine, le dimanche des Rameaux.... Ne me
+tourmente pas trop quand je serai petit.... Je suis bien content
+de vous avoir embrassés d'avance....--Dis à Papa qu'il répare le
+berceau....--Est-ce qu'on est bien chez nous?...
+
+TYLTYL
+
+Mais on n'y est pas mal.... Et Maman est si bonne!...
+
+L'ENFANT
+
+Et la nourriture?...
+
+TYLTYL
+
+Ça dépend.... Il y a même des jours où l'on a des gâteaux,
+n'est-il pas vrai, Mytyl?...
+
+MYTYL
+
+Au Nouvel An et le Quatorze Juillet.... C'est maman qui les
+fait....
+
+TYLTYL
+
+Qu'as-tu là, dans ce sac?... Tu nous apportes quelque chose?...
+
+L'ENFANT, [très fièrement.]
+
+J'apporte trois maladies: la fièvre scarlatine, la coqueluche et
+la rougeole....
+
+TYLTYL
+
+Eh bien, si c'est tout ça!... Et après, que feras-tu?...
+
+L'ENFANT
+
+Après?... Je m'en irai....
+
+TYLTYL
+
+Ce sera bien la peine de venir!...
+
+L'ENFANT
+
+Est-ce qu'on a le choix?...
+
+ [A ce moment, on entend s'élever et se répandre une sorte de
+ vibration prolongée, puissante et cristalline qui semble
+ émaner des colonnes et des portes d'opale que touche une
+ lumière plus vive.]
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que c'est?...
+
+UN ENFANT
+
+C'est le Temps!... Il va ouvrir les portes!...
+
+ [Aussitôt, un vaste remous se propage dans la foule des
+ Enfants-Bleus. La plupart quittent leurs machines et leurs
+ travaux, de nombreux dormeurs s'éveillent, et les uns comme
+ les autres tournent les yeux vers les portes d'opale et se
+ rapprochent de celles-ci.]
+
+LA LUMIÈRE [rejoignant Tyltyl.]
+
+Tâchons de nous dissimuler derrière les colonnes.... Il ne faut
+pas que le Temps nous découvre....
+
+TYLTYL
+
+D'où vient ce bruit?...
+
+UN ENFANT
+
+C'est l'Aurore qui se lève.... C'est l'heure où les enfants qui
+naîtront aujourd'hui vont descendre sur Terre....
+
+TYLTYL
+
+Comment qu'ils descendront?... Il y a des échelles?...
+
+L'ENFANT
+
+Tu vas voir.... Le Temps tire les verrous....
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que c'est le Temps?...
+
+L'ENFANT
+
+C'est un vieil homme qui vient appeler ceux qui partent....
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'il est méchant?...
+
+L'ENFANT
+
+Non, mais il n'entend rien.... On a beau supplier, quand ce n'est
+pas leur tour, il repousse tous ceux qui voudraient s'en
+aller....
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'ils sont heureux de partir?
+
+L'ENFANT
+
+On n'est pas content quand on reste; mais on est triste quand on
+s'en va.... Là! Là!... Voilà qu'il ouvre!...
+
+ [Les grandes portes opalines roulent lentement sur leurs
+ gonds. On entend, comme une musique lointaine, les rumeurs
+ de la Terre. Une clarté rouge et verte pénètre dans la
+ salle: et le Temps, haut vieillard à la barbe flottante,
+ armé de sa faux et de son sablier, paraît sur le seuil,
+ tandis qu'on aperçoit l'extrémité des voiles blanches et
+ dorées d'une galère amarrée à une sorte de quai que forment
+ les vapeurs roses de l'Aurore.]
+
+LE TEMPS, [sur le seuil.]
+
+Ceux dont l'heure est sonnée sont-ils prêts?...
+
+DES ENFANTS-BLEUS, [fendant la roule et accourant de toutes
+parts.]
+
+Nous voici!... Nous voici!... Nous voici!...
+
+LE TEMPS, [d'une voix bourrue, aux enfants qui défilent devant
+lui pour sortir.]
+
+Un à un!... Il s'en présente encore beaucoup plus qu'il n'en
+faut!... C'est toujours la même chose!... On ne me trompe pas!...
+[Repoussant un enfant.] Ce n'est pas ton tour!... Rentre, c'est
+pour demain.... Toi non plus, rentre donc et reviens dans dix
+ans.... Un treizième berger?... Il n'en fallait que douze; on
+n'en a plus besoin, nous ne sommes plus au temps de Théocrite ou
+de Virgile.... Encore des médecins?... Il y en a déjà trop; on
+s'en plaint sur la Terre.... Et les ingénieurs, où sont-ils?...
+On veut un honnête homme, un seul, comme phénomène.... Où donc
+est l'honnête homme?... C'est toi?... [L'enfant fait signe que
+oui.] Tu m'as l'air bien chétif.... tu ne vivras pas
+longtemps!... Holà, vous autres, là, pas si vite!... Et toi,
+qu'apportes-tu?... Rien du tout? les mains vides?... Alors on ne
+passe pas.... Prépare quelque chose, un grand crime, si tu veux,
+ou une maladie, moi, cela m'est égal.... mais il faut quelque
+chose.... [Avisant un petit que d'autres poussent en avant et qui
+résiste de toutes ses forces.] Eh bien, toi, qu'as-tu donc?... Tu
+sais bien que c'est l'heure.... On demande un héros qui combatte
+l'Injustice; c'est toi, il faut partir....
+
+LES ENFANTS-BLEUS
+
+Il ne veut pas, monsieur....
+
+LE TEMPS
+
+Comment?... Il ne veut pas?... Où donc se croit-il, ce petit
+avorton?... Pas de réclamations, nous n'avons pas le temps....
+
+LE PETIT, [que l'on pousse.]
+
+Non, non!... Je ne veux pas!... J'aime mieux ne pas naître!...
+J'aime mieux rester ici!...
+
+LE TEMPS
+
+Il ne s'agit pas de ça.... Quand c'est l'heure, c'est l'heure!...
+Allons, vite, en avant!...
+
+UN ENFANT, [s'avançant.]
+
+Oh! laissez-moi passer!... J'irai prendre sa place!... On dit que
+mes parents sont vieux et m'attendent depuis si longtemps!...
+
+LE TEMPS
+
+Pas de ça.... L'heure est l'heure et le temps est le temps....
+On n'en finirait pas si l'on vous écoutait.... L'un veut, l'autre
+refuse, c'est trop tôt, c'est trop tard.... [Écartant des enfants
+qui ont envahi le seuil.] Pas si près, les petits.... Arrière les
+curieux.... Ceux qui ne partent pas n'ont rien à voir dehors....
+Maintenant vous avez hâte; puis, votre tour venu, vous aurez peur
+et vous reculerez.... Tenez, en voilà quatre qui tremblent comme
+des feuilles.... [A un enfant qui, sur le point de franchir le
+seuil, rentre brusquement.] Eh bien, quoi?... Qu'as-tu donc?...
+
+L'ENFANT
+
+J'ai oublié la boîte qui contient les deux crimes que je devrai
+commettre....
+
+UN AUTRE ENFANT
+
+Et moi le petit pot qui renferme l'idée pour éclairer les
+foules....
+
+TROISIÈME ENFANT
+
+J'ai oublié la greffe de ma plus belle poire!...
+
+LE TEMPS
+
+Courez vite les chercher!... Il ne nous reste plus que six cent
+douze secondes.... La galère de l'Aurore bat déjà des voiles pour
+montrer qu'elle attend.... Vous arriverez trop tard et vous ne
+naîtrez plus.... Allons, vite, embarquons!... [Saisissant un
+enfant qui veut lui passer entre les jambes pour gagner le quai.]
+Ah! toi, non, par exemple!... C'est la troisième fois que tu
+essayes de naître avant ton tour.... Que je ne t'y prenne plus,
+sinon ce sera l'attente éternelle près de ma sœur l'Éternité;
+et tu sais qu'on ne s'y amuse pas.... Mais voyons, sommes-nous
+prêts?... Tout le monde est à son poste?... [Parcourant du regard
+les enfants réunis sur le quai ou déjà assis dans la galère.] Il
+en manque encore un.... Il a beau se cacher, je le vois dans la
+foule.... On ne me trompe pas.... Allons, toi, le petit qu'on
+appelle l'Amoureux, dis adieu à ta belle....
+
+ [Les deux petits qu'on appelle «les Amoureux», tendrement
+ enlacés et le visage livide de désespoir, s'avancent vers le
+ Temps et s'agenouillent à ses pieds.]
+
+PREMIER ENFANT
+
+Monsieur le Temps, laissez-moi partir avec lui!...
+
+DEUXIÈME ENFANT
+
+Monsieur le Temps, laissez-moi rester avec elle!...
+
+LE TEMPS
+
+Impossible!... Il ne nous reste plus que trois cent
+quatre-vingt-quatorze secondes..
+
+PREMIER ENFANT
+
+J'aime mieux ne pas naître!...
+
+LE TEMPS
+
+On n'a pas le choix....
+
+DEUXIÈME ENFANT, [suppliant.]
+
+Monsieur le Temps, j'arriverai trop tard!...
+
+PREMIER ENFANT
+
+Je ne serai plus là quand elle descendra!...
+
+DEUXIÈME ENFANT
+
+Je ne le verrai plus!...
+
+PREMIER ENFANT
+
+Nous serons seuls au monde!...
+
+LE TEMPS
+
+Tout ça ne me regarde pas.... Réclamez auprès de la Vie.... Moi,
+j'unis, je sépare, selon ce qu'on m'a dit.... [Saisissant l'un
+des enfants.] Viens!...
+
+PREMIER ENFANT, se débattant.
+
+Non, non, non!... Elle aussi!...
+
+DEUXIÈME ENFANT, [s'accrochant aux vêtements du premier.]
+
+Laissez-le!.... Laissez-le!...
+
+LE TEMPS
+
+Mais voyons, ce n'est pas pour mourir, c'est pour vivre!...
+[Entraînant le premier enfant.] Viens!...
+
+DEUXIÈME ENFANT, [tendant éperdument les bras vers l'enfant qu'on
+enlève.]
+
+Un signe!... Un seul signe!... Dis-moi, comment te retrouver!...
+
+PREMIER ENFANT
+
+Je t'aimerai toujours!...
+
+DEUXIÈME ENFANT
+
+Je serai la plus triste!... Tu me reconnaîtras!...
+
+ [Elle tombe et reste étendue sur le sol.]
+
+LE TEMPS
+
+Vous feriez beaucoup mieux d'espérer.... Et maintenant, c'est
+tout.... [Consultant son sablier.] Il ne nous reste plus que
+soixante-trois secondes....
+
+ [Derniers et violents remous parmi les enfants qui partent
+ et qui demeurent.--On échange des adieux précipités: «Adieu,
+ Pierre!... Adieu Jean....--As-tu tout ce qu'il faut?...
+ Annonce ma pensée!...--N'as-tu rien oublié?...--Tâche de me
+ reconnaître!...--Je te retrouverai!...--Ne perds pas tes
+ idées?...--Ne te penche pas trop sur l'Espace!...--Donne-moi
+ de tes nouvelles!...--On dit qu'on ne peut pas!...--Si,
+ si!... essaie toujours!...--Tâche de dire si c'est beau!...
+ --J'irai à ta rencontre!...--Je naîtrai sur un trône!...»,
+ etc., etc.]
+
+LE TEMPS, [agitant ses clefs et sa faux.]
+
+Assez! assez!... L'ancre est levée!...
+
+Les voiles de la galère passent et disparaissent. Ou entend
+s'éloigner les cris des enfants dans la galère: «Terre!...
+terre!... Je la vois!... Elle est belle!... Elle est claire!...
+Elle est grande!...». Puis, comme sortant du fond de l'abîme, un
+chant extrêmement lointain d'allégresse et d'attente.
+
+TYLTYL, [à la Lumière.]
+
+Qu'est-ce?... Ce n'est pas eux qui chantent.... On dirait
+d'autres voix....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Oui, c'est le chant des Mères qui viennent à leur rencontre...
+
+ [Cependant, le Temps referme les portes opalines. Il se
+ retourne pour jeter un dernier regard dans la salle, et
+ soudain aperçoit Tyltyl, Mytyl et la Lumière.]
+
+LE TEMPS, [stupéfait et furieux.]
+
+Qu'est-ce que c'est?... Que faites-vous ici?... Qui êtes-vous?...
+Pourquoi n'êtes-vous pas bleus?... Par où êtes-vous entrés?...
+
+ [Il s'avance en les menaçant de sa faux.]
+
+LA LUMIÈRE, [à Tyltyl.]
+
+Ne réponds pas!... J'ai l'Oiseau-Bleu.... Il est caché sous ma
+mante.... Sauvons-nous.... Tourne le Diamant, il perdra notre
+trace....
+
+ [Ils s'esquivent à gauche, entre les colonnes du premier
+ plan.]
+
+
+RIDEAU
+
+
+
+
+ONZIÈME TABLEAU
+
+L'ADIEU
+
+
+La scène représente un mur percé d'une petite porte. C'est la
+pointe du jour.
+
+ * * * * *
+
+ [Entrent: Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Pain, le Sucre, le
+ Feu et le Lait.]
+
+LA LUMIÈRE
+
+Tu ne devinerais jamais où nous sommes....
+
+TYLTYL
+
+Bien sûr que non, la Lumière, puisque je ne sais pas....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Tu ne reconnais pas ce mur et cette petite porte?...
+
+TYLTYL
+
+C'est un mur rouge et une petite porte verte....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Et ça ne te rappelle rien?...
+
+TYLTYL
+
+Ça me rappelle que le Temps nous a mis à la porte....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Qu'on est bizarre quand on rêve.... On ne reconnaît pas sa propre
+main....
+
+TYLTYL
+
+Qui est-ce qui rêve?... Est-ce moi?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+C'est peut-être moi.... Qu'en sait-on?... En attendant, ce mur
+entoure une maison que tu as vue plus d'une fois depuis ta
+naissance....
+
+TYLTYL
+
+Une maison que j'ai vue plus d'une fois?
+
+LA LUMIÈRE
+
+Mais oui, petit endormi!... C'est la maison que nous avons
+quittée un soir, il y a tout juste, jour pour jour, une année....
+
+TYLTYL
+
+Il y a tout juste une année?... Mais alors?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+N'ouvre pas des yeux comme des grottes de saphir.... C'est elle,
+c'est la bonne maison des parents....
+
+TYLTYL, [s'approchant de la porte.]
+
+Mais je crois.... En effet.... Il me semble.... Cette petite
+porte.... Je reconnais la chevillette.... Ils sont là?... Nous
+sommes près de Maman?... Je veux entrer tout de suite.... Je veux
+l'embrasser tout de suite!...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Un instant.... Ils dorment profondément; il ne faut pas les
+réveiller en sursaut.... Du reste, la porte ne s'ouvrira que
+lorsque l'heure sonnera....
+
+TYLTYL
+
+Quelle heure?... Il y a longtemps à attendre?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Hélas, non!... quelques pauvres minutes....
+
+TYLTYL
+
+Tu n'es pas heureuse de rentrer?... Qu'as-tu donc, la Lumière?...
+Tu es pâle, on dirait que tu es malade..
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ce n'est rien, mon enfant.... Je me sens un peu triste, parce que
+je vais vous quitter....
+
+TYLTYL
+
+Nous quitter?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Il le faut.... Je n'ai plus rien à faire ici; l'année est
+révolue, la Fée va revenir et te demander l'Oiseau-Bleu....
+
+TYLTYL
+
+Mais c'est que je ne l'ai pas, l'Oiseau-Bleu!... Celui du
+Souvenir est devenu tout noir, celui de l'Avenir est devenu tout
+rouge, ceux de la Nuit sont morts et je n'ai pas pu prendre celui
+de la Forêt.... Est-ce ma faute à moi s'ils changent de couleur,
+s'ils meurent ou s'ils s'échappent?... Est-ce que la Fée sera
+fâchée, et qu'est-ce qu'elle dira?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Nous avons fait ce que nous avons pu.... Il faut croire qu'il
+n'existe pas, l'Oiseau-Bleu; ou qu'il change de couleur lorsqu'on
+le met en cage....
+
+TYLTYL
+
+Où est-elle, la cage?...
+
+LE PAIN
+
+Ici, maître.... Elle fut confiée à mes soins diligents durant ce
+long et périlleux voyage; aujourd'hui que ma mission prend fin,
+je vous la restitue, intacte et bien fermée, telle que je la
+reçus.... [Comme un orateur qui prend la parole.] Maintenant, au
+nom de tous, qu'il me soit permis d'ajouter quelques mots....
+
+LE FEU
+
+Il n'a pas la parole!...
+
+L'EAU
+
+Silence!...
+
+LE PAIX
+
+Les interruptions malveillantes d'un ennemi méprisable, d'un
+rival envieux.... [Élevant la voix.] ne m'empêcheront pas
+d'accomplir mon devoir jusqu'au bout.... C'est donc au nom de
+tous....
+
+LE FEU
+
+Pas au mien.... J'ai une langue!...
+
+LE PAIX
+
+C'est donc au nom de tous, et avec une émotion contenue mais
+sincère et profonde, que je prends congé de deux enfants
+prédestinés, dont la haute mission se termine aujourd'hui. En
+leur disant adieu avec toute l'affliction et toute la tendresse
+qu'une mutuelle estime..
+
+TYLTYL
+
+Comment?... Tu dis adieu?... Tu nous quittes donc aussi?...
+
+LE PAIN
+
+Hélas! il le faut bien.... Je vous quitte, il est vrai; mais la
+séparation ne sera qu'apparente, vous ne m'entendrez plus
+parler....
+
+LE FEU
+
+Ce ne sera pas malheureux!...
+
+L'EAU
+
+Silence!...
+
+LE PAIN, [très digne.]
+
+Cela ne m'atteint point.... Je disais donc: vous ne m'entendrez
+plus, vous ne me verrez plus sous ma forme animée.... Vos yeux
+vont se fermer à la vie invisible des choses; mais je serai
+toujours là, dans la huche, sur la planche, sur la table, à côté
+de la soupe, moi qui suis, j'ose le dire, le plus fidèle
+commensal et le plus vieil ami de l'Homme....
+
+LE FEU
+
+Eh bien, et moi?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Voyons, les minutes passent, l'heure est près de sonner qui va
+nous faire rentrer dans le silence.... Hâtez-vous d'embrasser les
+enfants....
+
+LE FEU, [se précipitant.]
+
+Moi d'abord, d'abord moi!... [Il embrasse violemment les
+enfants.] Adieu, Tyltyl et Mytyl!... Adieu, mes chers petits....
+Souvenez-vous de moi si jamais vous avez besoin de quelqu'un pour
+mettre le Feu quelque part....
+
+MYTYL
+
+Aïe! aïe!... Il me brûle!...
+
+TYLTYL
+
+Aïe! aïe! Il me roussit le nez!.....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Voyons, le Feu, modérez un peu vos transports.... Vous n'avez pas
+affaire à votre cheminée....
+
+L'EAU
+
+Quel idiot!...
+
+LE PAIN
+
+Est-il mal élevé!...
+
+L'EAU, [s'approchant des enfants.]
+
+Je vous embrasserai sans vous faire de mal, tendrement, mes
+enfants....
+
+LE FEU
+
+Prenez garde, ça mouille!...
+
+L'EAU
+
+Je suis aimante et douce; je suis bonne aux humains....
+
+LE FEU
+
+Et les noyés?...
+
+L'EAU
+
+Aimez bien les Fontaines, écoutez les Ruisseaux.... Je serai
+toujours là....
+
+LE FEU
+
+Elle a tout inondé!...
+
+L'EAU
+
+Quand vous vous assiérez, le soir, au bord des Sources,--il y en
+a plus d'une ici, dans la forêt,--essayez de comprendre ce
+qu'elles essaient de dire.... Je ne peux plus.... Les larmes me
+suffoquent et m'empêchent de parler....
+
+LE FEU
+
+Il n'y paraît point!...
+
+L'EAU
+
+Souvenez-vous de moi lorsque vous verrez la carafe.... Vous me
+trouverez également dans le broc, dans l'arrosoir, dans la
+citerne et dans le robinet....
+
+LE SUCRE, [naturellement papelard et doucereux.]
+
+S'il reste une petite place, dans votre souvenir, rappelez-vous
+que parfois ma présence vous fut douce.... Je ne puis vous en
+dire davantage.... Les larmes sont contraires à mon tempérament,
+et me font bien du mal quand elles tombent sur mes pieds....
+
+LE PAIN
+
+Jésuite!...
+
+LE FEU, [glapissant.]
+
+Sucre d'orge! berlingots! caramels!...
+
+TYLTYL
+
+Mais où donc sont passés Tylette et Tylô?... Que font-ils?...
+
+ [Au même moment, on entend des cris aigus poussés par la
+ Chatte.]
+
+MYTYL, [alarmée.]
+
+C'est Tylette qui pleure!... On lui fait du mal!...
+
+ [Entre en courant la Chatte, hérissée, dépeignée, les
+ vêtements déchirés, et tenant son mouchoir sur la joue,
+ comme si elle avait mal aux dents. Elle pousse des
+ gémissements courroucés et est serrée de très près par le
+ Chien qui l'accable de coups de tête, de coups de poing et
+ de coups de pied.]
+
+LE CHIEN, [battant la Chatte.]
+
+Là!... En as-tu assez?... En veux-tu encore?... Là! là! là!...
+
+LA LUMIÈRE, TYLTYL et MYTYL, [se précipitant pour les séparer.]
+
+Tylô!... Es-tu fou?... Par exemple!... A bas!... Veux-tu
+finir!... A-t-on jamais vu!... Attends! attends!...
+
+ [On les sépare énergiquement.]
+
+LA LUMIÈRE
+
+Qu'est-ce que c'est?... Que s'est-il passé?...
+
+LA CHATTE, [pleurnichant et s'essuyant les yeux.]
+
+C'est lui, madame la Lumière.... Il m'a dit des injures, il a mis
+des clous dans ma soupe, il m'a tiré la queue, il m'a roué de
+coups, et je n'avais rien fait, rien du tout, rien du tout!...
+
+LE CHIEN, [l'imitant.]
+
+Rien du tout, rien du tout!... [A mi-voix, lui faisant la nique.]
+C'est égal, t'en as eu, t'en as eu, et du bon, et t'en auras
+encore!...
+
+MYTYL, [serrant la Chatte dans ses bras.]
+
+Ma pauvre Tylette, dis-moi donc où c'est que t'as mal.... Je vais
+pleurer aussi!...
+
+LA LUMIÈRE, [au Chien, sévèrement.]
+
+Votre conduite est d'autant plus indigne que vous choisissez pour
+nous donner ce triste spectacle le moment, déjà assez pénible par
+lui-même, où nous allons nous séparer de ces pauvres enfants....
+
+LE CHIEN, [subitement dégrisé.]
+
+Nous séparer de ces pauvres enfants?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Oui, l'heure que vous savez va sonner.... Nous allons rentrer
+dans le Silence.... Nous ne pourrons plus leur parler....
+
+LE CHIEN, [poussant tout à coup de véritables hurlements de
+désespoir et se jetant sur les enfants qu'il accable de caresses
+violentes et tumultueuses.]
+
+Non, non!... Je ne veux pas!... Je ne veux pas!... Je parlerai
+toujours!... Tu me comprendras maintenant, n'est-ce pas, mon
+petit dieu?... Oui, oui, oui!.... Et l'on se dira tout, tout,
+tout!... Et je serai Lien sage.... Et j'apprendrai à lire, à
+écrire et à jouer aux dominos!... Et je serai toujours très
+propre.... Et je ne volerai plus rien dans la cuisine.... Veux-tu
+que je fasse quelque chose d'étonnant?... Veux-tu que j'embrasse
+la Chatte?...
+
+MYTYL, [à la Chatte.]
+
+Et toi, Tylette?... Tu n'as rien à nous dire.
+
+LA CHATTE, [pincée, énigmatique.]
+
+Je vous aime tous deux, autant que vous le méritez....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Maintenant, qu'à mon tour, mes enfants, je vous donne le dernier
+baiser....
+
+TYLTYL et MYTYL, [s'accrochant à la robe de la Lumière.]
+
+Non, non, non, la Lumière!... Reste ici, avec nous!... Papa ne
+dira rien.... Nous dirons à Maman que tu as été bonne....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Hélas! je ne peux pas.... Cette porte nous est fermée et je dois
+vous quitter...
+
+TYLTYL
+
+Où iras-tu toute seule?
+
+LA LUMIÈRE
+
+Pas bien loin, mes enfants; là-bas, dans le pays du Silence des
+choses..
+
+TYLTYL
+
+Non, non; je ne veux pas.... Nous irons avec toi.... Je dirai à
+Maman....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ne pleurez pas, mes chers petits.... Je n'ai pas de voix comme
+l'Eau; je n'ai que ma clarté que l'Homme n'entend point.... Mais
+je veille sur lui jusqu'à la fin des jours.... Rappelez-vous bien
+que c'est moi qui vous parle dans chaque rayon de lune qui
+s'épanche, dans chaque étoile qui sourit, dans chaque aurore qui
+se lève, dans chaque lampe qui s'allume, dans chaque pensée bonne
+et claire de votre âme.... [Huit heures sonnent derrière le mur.]
+Écoutez!... L'heure sonne.... Adieu!... La porte s'ouvre!...
+Entrez, entrez, entrez!...
+
+ [Elle pousse les enfants dans l'ouverture de la petite porte
+ qui vient de s'entrebâiller et se referme sur eux.--Le Pain
+ essuie une larme furtive, le Sucre, l'Eau, tout en pleurs,
+ etc., fuient précipitamment et disparaissent à droite et à
+ gauche, dans la coulisse. Hurlements du Chien à la
+ cantonade. La scène reste vide un instant, puis le décor
+ figurant le mur de la petite porte s'ouvre par le milieu,
+ pour découvrir le dernier tableau.]
+
+
+
+
+DOUZIÈME TABLEAU
+
+
+LE RÉVEIL
+
+
+Le même intérieur qu'au premier tableau, mais tout, les murs,
+l'atmosphère, y paraît incomparablement, féeriquement plus frais,
+plus riant, plus heureux.--La lumière du jour filtre gaiement par
+toutes les fentes des volets clos.
+
+ * * * * *
+
+ [A droite, au fond de la pièce, en leurs deux petits lits,
+ Tyltyl et Mytyl sont profondément endormis.--La Chatte, le
+ Chien et les Objets sont à la place qu'ils occupaient au
+ premier tableau, avant l'arrivée de la Fée.--Entre la Mère
+ Tyl.]
+
+LA MÈRE TYL, [d'une voix allègrement grondeuse.]
+
+Debout, voyons, debout! les petits paresseux!... Vous n'avez donc
+pas honte?... Huit heures sont sonnées, le soleil est déjà plus
+haut que la forêt!... Dieu! qu'ils dorment, qu'ils dorment!...
+[Elle se penche et embrasse les enfants.] Ils sont tout
+roses.... Tyltyl sent la lavande et Mytyl le muguet.... [Les
+embrassant encore.] Que c'est bon les enfants!... Ils ne peuvent
+pourtant pas dormir jusqu'à midi.... On ne peut pas en faire des
+paresseux.... Et puis, je me suis laissée dire que ce n'est pas
+trop bon pour la santé.... [Secouant doucement Tyltyl.] Allons,
+allons, Tyltyl....
+
+TYLTYL, [s'éveillant.]
+
+Quoi?... La Lumière?... Où est-elle? Non, non, ne t'en vas
+pas....
+
+LA MÈRE TYL
+
+La Lumière?... mais bien sûr qu'elle est là.... Il y a déjà pas
+mal de temps.... Il fait aussi clair qu'à midi, bien que les
+volets soient fermés.... Attends un peu que je les ouvre....
+[Elle pousse les volets, l'aveuglante clarté du grand jour
+envahit la pièce.] Là, voilà!... Qu'est-ce que t'as?... T'as
+l'air tout aveuglé...
+
+TYLTYL, [se frottant les yeux.]
+
+Maman, maman!... C'est toi!...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Mais bien sûr que c'est moi.... Qui veux-tu que ce soit?...
+
+TYLTYL
+
+C'est toi.... Mais oui, c'est toi!...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Mais oui, c'est moi.... Je n'ai pas changé de visage cette
+nuit.... qu'as-tu donc à me regarder comme un émerveillé?... J'ai
+peut-être le nez à l'envers?...
+
+TYLTYL
+
+Oh! que c'est bon de te revoir!... Il y a si longtemps, si
+longtemps!... Il faut que je t'embrasse tout de suite.... Encore,
+encore, encore!... Et puis, c'est bien mon lit!... Je suis dans
+la maison!...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Qu'est-ce que t'as?... Tu ne t'éveilles pas?... T'es pas malade,
+au moins?... Voyons, montre ta langue.... Allons, lève-toi donc,
+et puis habille-toi....
+
+TYLTYL
+
+Tiens! je suis en chemise!...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Bien sûr.... Passe ta culotte et ta petite veste.... Elles sont
+là, sur la chaise....
+
+TYLTYL
+
+Est-ce que j'ai fait ainsi tout mon voyage?...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Quel voyage?...
+
+TYLTYL
+
+Mais oui, l'année dernière....
+
+LA MÈRE TYL
+
+L'année dernière?...
+
+TYLTYL
+
+Mais oui, donc!... A Noël, lorsque je suis parti....
+
+LA MÈRE TYL
+
+Lorsque t'es parti?... T'as pas quitté la chambre.... Je j'ai
+couché hier soir, et je te retrouve ce matin.... T'as donc rêvé
+tout ça?...
+
+TYLTYL
+
+Mais tu ne comprends pas!... C'était l'année passée, lorsque je
+suis parti avec Mytyl, la Fée, la Lumière.... elle est bonne, la
+Lumière! le Pain, le Sucre, l'Eau, le Feu. Ils se battaient tout
+le temps.... T'es pas fâchée?... T'as pas été trop triste?... Et
+Papa, qu'a-t-il dit?... Je ne pouvais pas refuser.... J'ai laissé
+un billet pour expliquer....
+
+LA MÈRE TYL
+
+Qu'est-ce que tu chantes là?... Bien sûr que t'es malade, ou bien
+tu dors encore.... [Elle lui donne une bourrade amicale.] Voyons,
+réveille-toi.... Voyons, ça va-t-il mieux?...
+
+TYLTYL
+
+Mais, Maman, je t'assure.... C'est toi qui dors encore....
+
+LA MÈRE TYL
+
+Comment! je dors encore?... Je suis debout depuis six heures....
+J'ai fait tout le ménage et rallumé le feu....
+
+TYLTYL
+
+Mais demande à Mytyl si c'est pas vrai.... Ah! noirs en avons eu
+des aventures!...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Comment, Mytyl?... Quoi donc?...
+
+TYLTYL
+
+Elle était avec moi.... Nous avons revu bon-papa et
+bonne-maman....
+
+LA MÈRE TYL, [de plus en plus ahurie.]
+
+Bon-papa et bonne-maman?...
+
+TYLTYL
+
+Oui, au Pays du Souvenir.... C'était sur notre route.... Ils sont
+morts, mais ils se portent bien.... Bonne-maman nous a fait une
+belle tarte aux prunes.... Et puis les petits frères, Robert,
+Jean, sa toupie, Madeleine et Pierrette, Pauline et puis
+Riquette...
+
+MYTYL
+
+Riquette, elle marche à quatre pattes!...
+
+TYLTYL
+
+Et Pauline a toujours son bouton sur le nez....
+
+MYTYL
+
+Nous t'avons vue aussi hier au soir.
+
+LA MÈRE TYL
+
+Hier au soir? Ce n'est pas étonnant puisque je t'ai couchée.
+
+TYLTYL
+
+Non, non, aux jardins des Bonheurs, tu étais bien plus belle,
+mais tu te ressemblais....
+
+LA MÈRE TYL
+
+Le jardin des Bonheurs? Je ne connais pas ça....
+
+TYLTYL, [la contemplant, puis l'embrassant.]
+
+Oui, tu étais plus belle, mais je t'aime mieux comme ça...
+
+MYTYL, [l'embrassant également.]
+
+Moi aussi, moi aussi....
+
+LA MÈRE TYL, [attendrie, mais fort inquiète.]
+
+Mon Dieu! qu'est-ce qu'ils ont?... Je vais les perdre aussi,
+comme j'ai perdu les autres!... [Subitement affolée, elle
+appelle.] Papa Tyl! Papa Tyl!... Venez donc! Les petits sont
+malades!...
+
+ [Entre le Père Tyl, très calme une hache à la main.]
+
+LE PÈRE TYL
+
+Qu'y a-t-il?...
+
+TYLTYL et MYTYL [accourant joyeusement pour embrasser leur père.]
+
+Tiens, Papa!... C'est Papa!... Bonjour, Papa!... Tu as bien
+travaillé cette année?...
+
+LE PÈRE TYL
+
+Eh bien, quoi?... Qu'est-ce que c'est?... Ils n'ont pas l'air
+malade; ils ont fort bonne mine....
+
+LA MÈRE TYL, [larmoyante.]
+
+Il ne faut pas s'y fier.... Ce sera comme les autres.... Ils
+avaient fort bonne mine aussi, jusqu'à la fin; et puis le bon
+Dieu les a pris.... Je ne sais ce qu'ils ont.... Je les avais
+couchés bien tranquillement hier au soir; et ce matin, quand ils
+s'éveillent, voilà que tout va mal.... Ils ne savent plus ce
+qu'ils disent; ils parlent d'un voyage.... Ils ont vu la Lumière,
+grand-papa, grand'maman, qui sont morts mais qui se portent
+bien....
+
+TYLTYL
+
+Mais bon-papa, il a toujours sa jambe de bois....
+
+MYTYL
+
+Et bonne-maman ses rhumatismes....
+
+LA MÈRE TYL
+
+Tu entends?... Cours chercher le médecin!...
+
+LE PÈRE TYL
+
+Mais non, mais non.... Ils ne sont pas encore morts.... Voyons,
+nous allons voir.... [On frappe à la porte île la maison.]
+Entrez!
+
+ [Entre la Voisine, petite vieille qui ressemble à la Fée du
+ premier acte, et qui marche en s'appuyant sur un bâton.]
+
+LA VOISINE
+
+Bien le bonjour et bonne fête à tous!
+
+TYLTYL
+
+C'est la Fée Bérylune!
+
+LA VOISINE
+
+Je viens chercher un peu de feu pour mon pot-au-feu de la
+fête.... Il fait bien frisquet ce matin.... Bonjour, les enfants,
+ça va bien?...
+
+TYLTYL
+
+Madame la Fée Bérylune, je n'ai pas trouvé l'Oiseau-Bleu....
+
+LA VOISINE
+
+Que dit-il?...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Ne m'en parlez pas, madame Berlingot.... Ils ne savent plus ce
+qu'ils disent.... Ils sont comme ça depuis leur réveil.... Ils
+ont dû manger quelque chose qui n'était pas bon....
+
+LA VOISINE
+
+Eh bien, Tyltyl, tu ne reconnais pas la mère Berlingot, ta
+voisine Berlingot?...
+
+TYLTYL
+
+Mais si, madame.... Vous êtes la Fée Bérylune.... Vous n'êtes pas
+fâchée?...
+
+LA VOISINE
+
+Béry.... quoi?
+
+TYLTYL
+
+Bérylune
+
+LA VOISINE
+
+Berlingot, tu veux dire Berlingot....
+
+TYLTYL
+
+Bérylune, Berlingot, comme vous voudrez, madame.... Mais Mytyl
+qui sait bien....
+
+LA MÈRE TYL
+
+Voilà le pis, c'est que Mytyl aussi....
+
+LE PÈRE TYL
+
+Bah, bah!... Cela se passera; je vais leur donner quelques
+claques....
+
+LA VOISINE
+
+Laissez donc, ce n'est pas la peine.... Je connais ça; c'est rien
+qu'un peu de songeries.... Ils auront dormi dans un rayon de
+lune.... Ma petite fille qu'est bien malade est souvent comme
+ça....
+
+LA MÈRE TYL
+
+A propos, comment qu'elle va, ta petite fille?
+
+LA VOISINE
+
+Couci-couci.... Elle ne peut se lever.... Le docteur dit que
+c'est les nerfs.... Tout de même je sais bien ce qui la
+guérirait.... Elle me le demandait encore ce matin, pour son
+petit noël; c'est une idée qu'elle a....
+
+LA MÈRE TYL
+
+Oui, je sais, c'est toujours l'oiseau de Tyltyl.... Eh bien,
+Tyltyl, ne vas-tu pas le lui donner enfin, à cette pauvre
+petite?...
+
+TYLTYL
+
+Quoi, Maman?...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Ton oiseau.... Pour ce que tu en fais.... Tu ne le regardes même
+plus.... Elle en meurt d'envie depuis si longtemps!...
+
+TYLTYL
+
+Tiens, c'est vrai, mon oiseau.... Où est-il?... Ah! mais voilà la
+cage!... Mytyl, vois-tu la cage?... C'est celle que portait le
+Pain.... Oui, oui, c'est bien la même; mais il n'y a plus qu'un
+oiseau.... Il a donc mangé l'autre?... Tiens, tiens!... Mais il
+est bleu!... Mais c'est ma tourterelle!... Mais elle est bien
+plus bleue que quand je suis parti!... Mais c'est là
+l'Oiseau-Bleu que mous avons cherché!... Nous sommes allés si
+loin et il était ici!... Ah! ça, c'est épatant!... Mytyl, vois-tu
+l'oiseau?... Que dirait la Lumière?... Je vais décrocher la
+Cage.... [Il monte sur une chaise et décroche la cage qu'il
+apporte à la Voisine.] La voilà, madame Berlingot.... Il n'est
+pas encore tout à fait bleu; ça viendra, vous verrez.... Mais
+portez-le bien vite à votre petite fille....
+
+LA VOISINE
+
+Non?... Vrai?... Tu me le donnes, comme ça, tout de suite et pour
+rien?... Dieu! qu'elle va être heureuse!... [Embrassant Tyltyl.]
+Il faut que je t'embrasse!... Je me sauve!... Je me sauve!...
+
+TYLTYL
+
+Oui, oui; allez vite.... Il y en a qui changent de couleur....
+
+LA VOISINE
+
+Je reviendrai vous dire ce qu'elle aura dit....
+
+ [Elle sort.]
+
+TYLTYL, [après avoir longuement regardé autour de soi.]
+
+Papa, Maman; qu'avez-vous fait à la maison?... C'est la même
+chose; mais elle est bien plus belle....
+
+LE PÈRE TYL
+
+Comment, elle est plus belle?...
+
+TYLTYL
+
+Mais oui, tout est repeint, tout est remis à neuf, tout reluit,
+tout est propre.... Ça n'était pas comme ça, l'année dernière....
+
+LE PÈRE TYL
+
+L'année dernière?...
+
+TYLTYL, [allant à la fenêtre.]
+
+Et la forêt qu'on voit!... Est-elle grande, est-elle belle!... On
+croirait qu'elle est neuve!... Qu'on est heureux ici!... [Allant
+ouvrir la huche.] Où est le Pain?... Tiens, ils sont bien
+tranquilles.... Et puis, voilà Tylô!... Bonjour, Tylô, Tylô!...
+Ah! tu t'es bien battu!... Te rappelles-tu dans la forêt?...
+
+MYTYL
+
+Et Tylette?... Elle me reconnaît bien, mais elle ne parle
+plus....
+
+TYLTYL
+
+Monsieur le Pain.... [Se tâtant le front.] Tiens, je n'ai plus le
+Diamant! Qui est-ce qui m'a pris mon petit chapeau vert?... Tant
+pis! je n'en ai plus besoin....--Ah! le Feu!... Il est bon!... Il
+pétille en riant pour faire enrager l'Eau.... [Courant à la
+fontaine.]--Et l'Eau?... Bonjour, l'Eau!... Que dit-elle?... Elle
+parle toujours, mais je ne la comprends plus aussi bien..
+
+MYTYL
+
+Je ne vois pas le Sucre....
+
+TYLTYL
+
+Dieu que je suis heureux, heureux, heureux!...
+
+MYTYL
+
+Moi aussi, moi aussi!...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Qu'ont-ils donc à tourniller comme ça?...
+
+LE PÈRE TYL
+
+Laisse donc, t'inquiète pas.... Ils jouent à être heureux....
+
+TYLTYL
+
+Moi, j'aimais surtout la Lumière.... Où est sa lampe?... Est-ce
+qu'on peut l'allumer?... [Regardant encore autour de soi.] Dieu!
+que c'est beau tout ça et que je suis content!...
+
+ [On frappe à la porte de la maison.]
+
+LE PÈRE TYL
+
+Entrez donc!...
+
+ [Entre la Voisine, tenant par la main une petite fille d'une
+ beauté blonde et merveilleuse qui serre dans ses bras la
+ tourterelle de Tyltyl.]
+
+LA VOISINE
+
+Vous voyez le miracle!...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Pas possible!... Elle marche?...
+
+LA VOISINE
+
+Elle marche!... C'est-à-dire qu'elle court, qu'elle danse,
+qu'elle vole!... Quand elle a vu l'oiseau, elle a sauté, comme
+ça, d'un saut, vers la fenêtre, pour voir à la lumière si c'était
+bien la tourterelle de Tyltyl.... Et puis pfff!... dans la rue,
+comme un ange.... C'est tout juste si je pouvais la suivre....
+
+TYLTYL, [s'approchant, émerveillé.]
+
+Oh! qu'elle ressemble à la Lumière!...
+
+MYTYL
+
+Elle est bien plus petite....
+
+TYLTYL
+
+Sûr!... Mais elle grandira...
+
+LA VOISINE
+
+Que disent-ils?... Ça ne va pas encore?...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Ça va mieux, ça se passe.... Quand ils auront déjeuné, il n'y
+paraîtra plus....
+
+LA VOISINE, [poussant la petite fille dans les bras de Tyltyl.]
+
+Allons, va, ma petite, va remercier Tyltyl....
+
+ [Tyltyl, soudainement intimidé, recule d'un pas.]
+
+LA MÈRE TYL
+
+Eh bien, Tyltyl, qu'est-ce que t'as?... T'as peur de la petite
+fille?... Voyons, embrasse-la.... Voyons, un gros baiser....
+Mieux que ça.... Toi si effronté d'habitude!... Encore un!...
+Mais qu'est-ce donc que t'as?... On dirait que tu vas pleurer....
+
+ [Tyltyl, après avoir gauchement embrassé la petite fille,
+ reste un moment debout devant elle, et les deux enfants se
+ regardent sans rien dire; puis, Tyltyl caressant la tète de
+ l'oiseau.]
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'il est assez bleu?...
+
+LA PETITE FILLE
+
+Mais oui, je suis contente....
+
+TYLTYL
+
+J'en ai vu de plus bleus.... Mais les tout à fait bleus, tu sais,
+on a beau faire, on ne peut pas les attraper.
+
+LA PETITE FILLE
+
+Ça ne fait rien, il est bien joli....
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'il a mangé?...
+
+LA PETITE FILLE
+
+Pas encore.... Qu'est-ce qu'il mange?...
+
+TYLTYL
+
+De tout, du blé, du pain, du maïs, des cigales....
+
+LA PETITE FILLE
+
+Comment qu'il mange, dis?...
+
+TYLTYL
+
+Par le bec, tu vas voir, je vais te montrer....
+
+ [Il va pour prendre l'oiseau des mains de la petite fille;
+ celle-ci résiste instinctivement, et, profitant de
+ l'hésitation de leur geste, la tourterelle s'échappe et s'en
+ vole.]
+
+LA PETITE FILLE, [poussant un cri de désespoir.]
+
+Maman!... Il est parti!...
+
+ [Elle éclate en sanglots.]
+
+TYLTYL
+
+Ce n'est rien.... Ne pleure pas.... Je le rattraperai....
+[S'avançant sur le devant de la scène et s'adressant au public.]
+Si quelqu'un le retrouve, voudrait-il nous le rendre?... Nous en
+avons besoin pour être heureux plus tard....
+
+
+RIDEAU
+
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of L'oiseau bleu, by Maurice Maeterlinck
+
+
+*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 38849 ***
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+ The Project Gutenberg eBook of L'oiseau bleu, by Maurice Maeterlinck.
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+<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 38849 ***</div>
+
+
+
+
+
+<h1 style="color: #000080;">L'OISEAU BLEU</h1>
+
+<h3>par</h3>
+
+<h2 style="color: #000080;">MAURICE MAETERLINCK</h2>
+
+
+<h4>FÉERIE EN SIX ACTES ET DOUZE TABLEAUX</h4>
+
+<h4><i>Représentée pour la première fois,</i></h4>
+
+<h4><i>sur le Théâtre Artistique de Moscou, le 30 Septembre 1908,</i></h4>
+
+<h4><i>et à Paris, sur la scène du Théâtre Réjane,</i></h4>
+
+<h4><i>le 2 Mars 1911.</i></h4>
+
+
+
+<h5>PARIS</h5>
+
+<h5>Librairie CHARPENTIER et FASQUELLE</h5>
+
+<h5>EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR</h5>
+
+<h5>11, RUE DE GRENELLE, 11</h5>
+
+<h5>1911</h5>
+
+
+
+<hr style="width: 95%;" />
+
+<p><a href="#Table_des_matieres">Table des matières</a></p>
+
+<hr style="width: 65%;" />
+<h3><a name="COSTUMES" id="COSTUMES"></a>COSTUMES</h3>
+
+
+<p>TYLTYL: Costume du Petit-Poucet dans les contes de Perrault:
+petite culotte rouge-vermillon, courte veste bleu tendre, bas
+blancs, souliers ou bottines de cuir fauve.</p>
+
+<p>MYTYL: Costume de Grethel ou bien du Petit Chaperon rouge.</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE: Robe couleur de lune, c'est-à-dire d'or pâle à
+reflets d'argent, gazes scintillantes, formant des rayons, etc.
+Style néo-grec ou anglo-grec genre Walter Crane ou même plus ou
+moins Empire.&mdash;Taille haute, bras nus, etc.&mdash;Coiffure: sorte de
+diadème ou même de couronne légère.</p>
+
+<p>LA FÉE BÉRYLUNE, LA VOISINE BERLINGOT: Costume classique des
+pauvresses de contes de fées. On pourrait supprimer au premier
+acte la transformation de la Fée en princesse.</p>
+
+<p>LE PÈRE TYL, LA MÈRE TYL, GRAND-PAPA TYL, GRAND'MAMAN TYL:
+Costumes légendaires des bûcherons et des paysans allemands dans
+les contes de Grimm.</p>
+
+<p>LES FRÈRES ET SŒURS DE TYLTYL: Variantes du costume du
+Petit-Poucet.</p>
+
+<p>LE TEMPS: Costume classique du Temps: vaste manteau noir ou gros
+bleu, barbe blanche et flottante, faulx, sablier.</p>
+
+<p>L'AMOUR MATERNEL: Costume à peu près semblable à celui de la
+Lumière, c'est-à-dire voiles souples et presque transparents de
+statue grecque, blancs autant que possible. Perles et pierreries
+aussi riches et aussi nombreuses qu'on voudra, pourvu qu'elles ne
+rompent pas l'harmonie pure et candide de l'ensemble.</p>
+
+<p>LES GRANDES JOIES: Comme il est dit dans le texte, robes
+lumineuses aux subtiles et suaves nuances: réveil de rose,
+sourire d'eau, rosée d'ambre, azur d'aurore, etc.</p>
+
+<p>LES BONHEURS DE LA MAISON: Robes de diverses couleurs, ou si l'on
+veut, costumes de paysans, de bergers, de bûcherons, etc., mais
+idéalisés et féeriquement interprétés.</p>
+
+<p>LES GROS BONHEURS: Avant la transformation: amples et lourds
+manteaux de brocarts rouges et jaunes, bijoux énormes et épais,
+etc. Après la transformation: maillots café ou chocolat, donnant
+l'impression de pantins en baudruche.</p>
+
+<p>LA NUIT: Amples vêtements noirs mystérieusement constellés, à
+reflets mordorés. Voiles, pavots sombres, etc.</p>
+
+<p>LA PETITE FILLE DE LA VOISINE: Chevelure blonde et lumineuse,
+longue robe blanche.</p>
+
+<p>LE CHIEN: Habit rouge, culotte blanche, bottes vernies, chapeau
+ciré; costume rappelant plus ou moins celui de John Bull.</p>
+
+<p>LA CHATTE: Maillot de soie noire à paillettes</p>
+
+<p>Il convient que les têtes de ces deux personnages soient
+discrètement animalisées.</p>
+
+<p>LE PAIN: Somptueux costume de pacha. Ample robe de soie ou de
+velours cramoisi, broché d'or. Vaste turban. Cimeterre. Ventre
+énorme, face rouge et extrêmement joufflue.</p>
+
+<p>LE SUCRE: Robe de soie, dans le genre de celles des eunuques,
+mi-partie de blanc et de bleu pour rappeler le papier d'emballage
+des pains de sucre; Coiffure des gardiens du sérail.</p>
+
+<p>LE FEU: Maillot rouge, manteau vermillon à reflets chatoyants,
+doublé d'or. Aigrette de flammes versicolores.</p>
+
+<p>L'EAU: Robe couleur du temps du conte de Peau d'Ane, c'est-à-dire
+bleuâtre ou glauque, à reflets transparents, effets de gaze
+ruisselante, également style néo ou anglo-grec, mais plus ample,
+plus flottant. Coiffure de fleurs et d'algues ou de roseaux.</p>
+
+<p>LES ANIMAUX: Costumes populaires ou paysans.</p>
+
+<p>LES ARBRES: Robes, nuances variées du vert ou de la teinte tronc
+d'arbres. Attributs, feuilles ou branches qui les fassent
+reconnaître.</p>
+
+
+
+<hr style="width: 65%;" />
+<h3><a name="TABLEAUX" id="TABLEAUX"></a>TABLEAUX</h3>
+
+
+<p>1er TABLEAU (acte I): <i>La Cabane du Bûcheron.</i></p>
+
+<p>2e TABLEAU (acte II): <i>Chez la Fée.</i></p>
+
+<p>3e TABLEAU (acte II): <i>Le Pays du Souvenir.</i></p>
+
+<p>4e TABLEAU (acte III): <i>Le Palais de la Nuit.</i></p>
+
+<p>5e TABLEAU (acte III): <i>La Forêt.</i></p>
+
+<p>6e TABLEAU (acte IV): <i>Devant le Rideau.</i></p>
+
+<p>7e TABLEAU (acte IV): <i>Le Cimetière.</i></p>
+
+<p>8e TABLEAU (acte IV): <i>Devant le Rideau.</i></p>
+
+<p>9e TABLEAU (acte IV): <i>Le Palais des Bonheurs.</i></p>
+
+<p>10e TABLEAU (acte V): <i>Le Royaume de l'Avenir.</i></p>
+
+<p>11e TABLEAU (acte VI): <i>L'Adieu.</i></p>
+
+<p>12e TABLEAU (acte VI): <i>Le Réveil.</i></p>
+
+
+
+<hr style="width: 65%;" />
+<h3><a name="PERSONNAGES" id="PERSONNAGES"></a>PERSONNAGES</h3>
+
+<h4>(dans l'ordre de leur entrée en scène)</h4>
+
+
+<table border="0" cellpadding="1" cellspacing="0" summary="">
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LA MÈRE TYL</span></td><td align="center">&mdash;</td><td align="left">M<sup>lle</sup> Méthivet.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">TYLTYL</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">M. Delphin.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">MYTYL</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">M<sup>lle</sup> Odette Carlia.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LA FÉE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">M<sup>me</sup> Gina Barbieri.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE PAIN</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">MM. R.L. Fugère.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE FEU</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Aurèle Sydney.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">L'EAU</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">M<sup>lles</sup> Isis.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE LAIT</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Diris.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE SUCRE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">MM.Bosman.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE CHIEN</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Séverin-Mars.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE CHAT</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Stephen.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LA LUMIÈRE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">M<sup>me</sup> Georgette Leblanc.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ M<sup>lle</sup>s Nini Mano.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Henriette Maillefer.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Fernande Fayeret.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Blanche Faveret.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Suzanne Bailly.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LES HEURES</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Raymonde Faveret.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Laurence Petit.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Jane Faveret.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Berthe Libovitz.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Antoinette Raymond.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Deroissy.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Georges.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE PÈRE TYL</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">M. Félix Barré.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">GRAND'MÈRE TYL</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">M<sup>me</sup> Daynes Grassot.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">GRAND-PÈRE TYL</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">M. Maillard.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">PIERROT</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">M<sup>lles</sup> Suterre.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">ROBERT</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Maria Fromet.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">JEANNETTE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Jeanne Evrard.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">MADELEINE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Giavelli.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">PIERRETTE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Henriette Gallet.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">PAULINE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Henriette Maillefer.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">RIQUETTE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Nini Mano</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LA NUIT</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Clarel.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE SOMMEIL</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Louise Starck.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LA MORT</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Rachel Horelick.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE RHUME DE CERVEAU</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Renée Dahon.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">1er ENFANT BLEU</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Maria Fromet.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">2e</span> &mdash;</td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Laura Walter.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">3e</span> &mdash;</td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Maria Dumont.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">4e</span> &mdash;</td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Fernande Faveret.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">5e</span> &mdash;</td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Maud Loti.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">6e</span> &mdash;</td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Suterre.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">7e</span> &mdash;</td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Suzanne Bailly.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">8e</span> &mdash;</td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Giavelli.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">9e</span> &mdash;</td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Madeleine Fromet.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE ROI DES NEUF PLANÈTES</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Batistina Rousseau.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">11e ENFANT BLEU</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Renée Pré.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">12e</span> &mdash;</td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Henriette Maillefer.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">13e</span> &mdash;</td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Béatrice Raymond.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">14e</span> &mdash;</td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Jeanne Corrège.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">L'AMOUREUX</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Lucy Fleury.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">L'AMOUREUSE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Blanche Borelli.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE TEMPS</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">M. Garry.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE PETIT FRÈRE A NAITRE</span>.</td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">M<sup>lle</sup> Maria Fromet.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ M<sup>lles</sup> Berthe Libovitz.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Fernande Faveret.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Suzanne Faveret.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Blanche Faveret.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Raymonde Faveret.</td></tr>
+<tr><td align="left">LES AUTRES ENFANTS BLEUS:</td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ M<sup>lles</sup> Henriette Gallet.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Jeanne Evrard.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Denise Choquet.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Léa Dumont.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Marcelle Malherbe.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Juliette Malherbe.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Lucienne Chezeaux.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Dupechier.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ M<sup>lles</sup> Deroissy.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ George.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LES GARDIENNES</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Théloz.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Albert.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE CHEF DES GROS BONHEURS</span>.</td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">M. Barré.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ MM. Alfroy.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Adalbert, etc.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LES AUTRES BONHEURS</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ M<sup>lle</sup> Lucienne Chezaux.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Nini Mano.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Jeanne Corrège.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LES PETITS BONHEURS</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Henriette Maillefer.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Fernand Faveret.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Blanche Faveret.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Louise Starck.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Rachel Horelick.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Jane Faveret.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Raymonde Faveret.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LES ADOLESCENTS</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Maud Loti.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Annette Libovitz.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Laurence Petit.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE CHEF DES BONHEURS</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ M<sup>lles</sup> Renée Beauval.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE BONHEUR DE SE BIEN PORTER</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Dorchèze.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash; DE L'AIR PUR</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Fleury.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash; D'AIMER SES PARENTS</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Gannoz.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash; DU CIEL BLEU</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Blanche Borelli.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash; DE LA FORÊT</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Diris.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE BONHEUR DES HEURES DE SOLEIL</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ M<sup>lles</sup> Boissière.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash;DU PRINTEMPS</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Renée Dahon.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash;DES COUCHERS DE SOLEIL</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Soyez.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash;DE VOIR SE LEVER</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 4em; font-size: 0.8em;">LES ÉTOILES</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Georges.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash;DE LA PLUIE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Darièze.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash;DU FEU D'HIVER</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Carène.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash;DES PENSÉES INNOCENTES</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Laura Walter.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash;DE COURIR NU-PIEDS</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 4em; font-size: 0.8em;">&mdash;DANS LA ROSÉE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Antoinette Raymond.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LA JOIE D'ÊTRE JUSTE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Albert.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash;D'ÊTRE BONNE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Bulaine.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash;DE LA GLOIRE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Théloz.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash;DE PENSER</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Deroissy.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash;DE COMPRENDRE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Lefebvre.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash;DE VOIR CE QUI EST BEAU</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Didier.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash;D'AIMER</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Dervil.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">L'AMOUR MATERNEL</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Méthivet.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Soyez.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LES JOIES INCONNUES</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Delettraz.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Dessoyer, etc.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LA VOISINE BERLINGOT</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ M<sup>me</sup> Gina Barbieri.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">SA PETITE FILLE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ M<sup>lle</sup> Juliette Malherbe.</td></tr>
+</table>
+
+
+
+<hr style="width: 65%;" />
+<h2><a name="LOISEAU_BLEU" id="LOISEAU_BLEU"></a>L'OISEAU BLEU</h2>
+
+
+
+<hr style="width: 65%;" />
+<h3><a name="ACTE_PREMIER" id="ACTE_PREMIER"></a>ACTE PREMIER</h3>
+
+
+
+<hr style="width: 45%;" />
+<h3><a name="PREMIER_TABLEAU" id="PREMIER_TABLEAU"></a>PREMIER TABLEAU</h3>
+
+
+<h4>LA CABANE DU BÛCHERON</h4>
+
+
+<p>Le théâtre représente l'intérieur d'une cabane de bûcheron,
+simple, rustique, mais non point misérable.&mdash;Cheminée à manteau
+où s'assoupit un feu de bûches.&mdash;Ustensiles de cuisine, armoire,
+huche, horloge à poids, rouet, fontaine, etc.&mdash;Sur une table, une
+lampe allumée.&mdash;Au pied de l'armoire, de chaque côté de
+celle-ci, endormis, pelotonnés, le nez sous la queue, un Chien et
+une Chatte.&mdash;Entre eux deux, un grand pain de sucre blanc et
+bleu.&mdash;Accrochée au mur, une cage ronde renfermant une
+tourterelle.&mdash;Au fond, deux fenêtres dont les volets intérieurs
+sont fermés.&mdash;Sous l'une des fenêtres, un escabeau.&mdash;A gauche, la
+porte d'entrée de la maison, munie d'un gros loquet.&mdash;A droite,
+une autre porte.&mdash;Échelle menant à un grenier.&mdash;Également à
+droite, deux petits lits d'enfant, au chevet desquels, sur deux
+chaises, des vêtements se trouvent soigneusement pliés.</p>
+
+<hr style="width: 45%;" />
+
+<blockquote><p>[Au lever du rideau, Tyltyl et Mytyl sont profondément
+endormis dans leurs petits lits. La Mère Tyl les borde une
+dernière fois, se penche sur eux, contemple un moment leur
+sommeil, et appelle de la main le père Tyl qui passe la tête
+dans l'entrebâillement de la porte. La Mère Tyl met un doigt
+sur les lèvres pour lui commander le silence, puis sort à
+droite sur la pointe des pieds, après avoir éteint la lampe.
+La scène reste obscure un instant, puis une lumière dont
+l'intensité augmente peu à peu filtre par les lames des
+volets. La lampe sur la table se rallume d'elle-même. Les
+deux enfants semblent s'éveiller et se mettent sur leur
+séant.]</p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mytyl?</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Tyltyl?</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tu dors?</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Et toi?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais non, je dors pas puisque je te parle....</p>
+
+<p>MYTYL:</p>
+
+<p>C'est Noël, dis?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Pas encore; c'est demain. Mais le petit Noël n'apportera rien
+cette année....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Pourquoi?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>J'ai entendu maman qui disait qu'elle n'avait pu aller à la ville
+pour le prévenir.... Mais il viendra l'année prochaine....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>C'est long, l'année prochaine?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ce n'est pas trop court.... Mais il vient cette nuit chez les
+enfants riches....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Ah?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tiens!... Maman a oublié la lampe!... J'ai une idée?...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Nous allons nous lever....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>C'est défendu....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Puisqu'il n'y a personne.... Tu vois les volets?...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Oh! qu'ils sont clairs!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est les lumières de la fête.</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Quelle fête?</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>En face, chez les petits riches. C'est l'arbre de Noël. Nous
+allons les ouvrir....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'on peut?</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Bien sûr, puisqu'on est seuls.... Tu entends la musique?...
+Levons-nous....</p>
+
+<blockquote><p>[Les deux enfants se lèvent, courent à l'une des fenêtres,
+montent sur l'escabeau et poussent les volets. Une vive
+clarté pénètre dans la pièce. Les enfants regardent
+avidement au dehors.]</p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>On voit tout!...</p>
+
+<p>MYTYL, [qui ne trouve qu'une place précaire sur l'escabeau.]</p>
+
+<p>Je vois pas....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Il neige!... Voilà deux voitures à six chevaux!...</p>
+
+<p>MYTYL Il en sort douze petits garçons!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>T'es bête!... C'est des petites filles....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Ils ont des pantalons....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tu t'y connais.... Ne me pousse pas ainsi!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Je t'ai pas touché.</p>
+
+<p>TYLTYL, [qui occupe à lui seul tout l'escabeau.]</p>
+
+<p>Tu prends toute la place....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Mais j'ai pas du tout de place!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tais-toi donc, on voit l'arbre!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Quel arbre?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais l'arbre de Noël!... Tu regardes le mur!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Je regarde le mur parce qu'y a pas de place....</p>
+
+<p>TYLTYL, [lui cédant une petite place avare sur l'escabeau.]</p>
+
+<p>Là!... En as-tu assez?... C'est-y pas la meilleure?... Il y en a
+des lumières! Il y en a!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce qu'ils font donc ceux qui font tant de bruit?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ils font de la musique.</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'ils sont fâchés?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Non, mais c'est fatigant.</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Encore une voiture attelée de chevaux blancs!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tais-toi!... Regarde donc!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce qui pend là, en or, après les branches?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais les jouets, pardi!... Des sabres, des fusils, des soldats,
+des canons....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Et des poupées, dis, est-ce qu'on en a mis?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Des poupées?... C'est trop bête; ça ne les amuse pas....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Et autour de la table, qu'est-ce que c'est tout ça?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est des gâteaux, des fruits, des tartes à la crème....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>J'en ai mangé une fois, lorsque j'étais petite....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Moi aussi; c'est meilleur que le pain, mais on en a trop peu....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Ils n'en ont pas trop peu.... Il y en a plein la table.... Est-ce
+qu'ils vont les manger?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Bien sûr; qu'en feraient-ils?...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Pourquoi qu'ils ne les mangent pas tout de suite?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Parce qu'ils n'ont pas faim....</p>
+
+<p>MYTYL, stupéfaite.</p>
+
+<p>Ils n'ont pas faim?... Pourquoi?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est qu'ils mangent quand ils veulent....</p>
+
+<p>MYTYL, incrédule.</p>
+
+<p>Tous les jours?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>On le dit....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'ils mangeront tout?... Est-ce qu'ils en donneront?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>A qui?...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>A nous....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ils ne nous connaissent pas....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Si on leur demandait?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Cela ne se fait pas.</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Pourquoi?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Parce que c'est défendu.</p>
+
+<p>MYTYL, battant des mains.</p>
+
+<p>Oh! qu'ils sont donc jolis!...</p>
+
+<p>TYLTYL, enthousiasmé.</p>
+
+<p>Et ils rient et ils rient!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Et les petits qui dansent!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui, oui, dansons aussi!...</p>
+
+<blockquote><p>Ils trépignent de joie sur l'escabeau. </p></blockquote>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Oh! que c'est amusant!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>On leur donne les gâteaux!... Ils peuvent y toucher!... Ils
+mangent! ils mangent! ils mangent!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Les plus petits aussi!... Ils en ont deux, trois, quatre!...</p>
+
+<p>TYLTYL, [ivre de joie.]</p>
+
+<p>Oh! c'est bon!... Que c'est bon! que c'est bon!...</p>
+
+<p>MYTYL, [comptant des gâteaux imaginaires.]</p>
+
+<p>Moi, j'en ai reçu douze!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et moi quatre fois douze!... Mais je t'en donnerai....</p>
+
+<blockquote><p>On frappe à la porte de la cabane. </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL, [subitement calmé et effrayé.]</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est?...</p>
+
+<p>MYTYL, [épouvantée.]</p>
+
+<p>C'est papa!...</p>
+
+<blockquote><p>[Comme ils tardent à ouvrir, on voit le gros loquet se
+soulever de lui-même, en grinçant; la porte s'entrebâille
+pour livrer passage à une petite vieille habillée de vert et
+coiffée d'un chaperon rouge. Elle est bossue, boiteuse,
+borgne; le nez et le menton se rencontrent, et elle marche
+courbée sur un bâton. Il n'est pas douteux que ce ne soit
+une fée.]</p></blockquote>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Avez-vous ici l'herbe qui chante ou l'oiseau qui est bleu?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Nous avons de l'herbe, mais elle ne chante pas....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Tyltyl a un oiseau.</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais je ne peux pas le donner....</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Pourquoi?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Parce qu'il est à moi.</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>C'est une raison, bien sûr. Où est-il, cet oiseau?...</p>
+
+<p>TYLTYL, [montrant la cage.]</p>
+
+<p>Dans la cage....</p>
+
+<p>LA FÉE, [mettant ses besicles pour examiner l'oiseau.]</p>
+
+<p>Je n'en veux pas; il n'est pas assez bleu. Il faudra que vous
+m'alliez chercher celui dont j'ai besoin.</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais je ne sais pas où il est....</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Moi non plus. C'est pourquoi il faut le chercher. Je puis à la
+rigueur me passer de l'herbe qui chante; mais il me faut
+absolument l'Oiseau Bleu. C'est pour ma petite fille qui est très
+malade.</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce qu'elle a?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>On ne sait pas au juste; elle voudrait être heureuse....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ah?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Savez-vous qui je suis?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Vous ressemblez un peu à notre voisine, Madame Berlingot....</p>
+
+<p>LA FÉE, se fâchant subitement.</p>
+
+<p>En aucune façon.... Il n'y a aucun rapport.... C'est
+abominable!... Je suis la Fée Bérylune....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ah! très bien....</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Il faudra partir tout de suite.</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Vous viendrez avec nous?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>C'est absolument impossible à cause du pot-au-feu que j'ai mis ce
+matin et qui s'empresse de déborder chaque fois que je m'absente
+plus d'une heure.... [Montrant successivement le plafond, la
+cheminée et la fenêtre.] Voulez-vous sortir par ici, par là ou
+par là?...</p>
+
+<p>TYLTYL, [montrant timidement la porte.]</p>
+
+<p>J'aimerais mieux sortir par là....</p>
+
+<p>LA FÉE, [se fâchant encore subitement.]</p>
+
+<p>C'est absolument impossible, et c'est une habitude révoltante!...
+[Indiquant la fenêtre.] Nous sortirons par là.... Eh bien!...
+Qu'attendez-vous?... Habillez-vous tout de suite.... [Les enfants
+obéissent et s'habillent rapidement.] Je vais aider Mytyl....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Nous n'avons pas de souliers....</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Ça n'a pas d'importance. Je vais vous donner un petit chapeau
+merveilleux. Où sont donc vos parents?...</p>
+
+<p>TYLTYL, [montrant la porte à droite.]</p>
+
+<p>Ils sont là; ils dorment....</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Et votre bon-papa et votre bonne-maman?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ils sont morts....</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Et vos petits frères et vos petites sœurs.... Vous en
+avez?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui, oui; trois petits frères....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Et quatre petites sœurs....</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Où sont-ils?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ils sont morts aussi....</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Voulez-vous les revoir?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oh oui!... Tout de suite!... Montrez-les!...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Je ne les ai pas dans ma poche.... Mais ça tombe à merveille;
+vous les reverrez en passant par le pays du Souvenir. C'est sur
+la route de l'Oiseau-Bleu. Tout de suite à gauche, après le
+troisième carrefour.&mdash;Que faisiez-vous quand j'ai frappé?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Nous jouions à manger des gâteaux.</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Vous avez des gâteaux?... Où sont-ils?</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Dans le palais des enfants riches.... Venez voir, c'est si
+beau!...</p>
+
+<blockquote><p>[Il entraîne la Fée vers la fenêtre.] </p></blockquote>
+
+<p>LA FÉE, à la fenêtre.</p>
+
+<p>Mais ce sont les autres qui les mangent!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui; mais puisqu'on voit tout....</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Tu ne leur en veux pas?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Pourquoi?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Parce qu'ils mangent tout. Je trouve qu'ils ont grand tort de ne
+pas t'en donner....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais non, puisqu'ils sont riches.... Hein? que c'est beau chez
+eux!...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Ce n'est pas plus beau que chez toi.</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Heu!... Chez nous c'est plus noir, plus petit, sans gâteaux....</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>C'est absolument la même chose; c'est que tu n'y vois pas....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais si, j'y vois très bien, et j'ai de très bons yeux. Je lis
+l'heure au cadran de l'église que papa ne voit pas....</p>
+
+<p>LA FÉE, [se fâchant subitement.]</p>
+
+<p>Je te dis que tu n'y vois pas!... Comment donc me vois-tu?...
+Comment donc suis-je faite?... [Silence gêné de Tyltyl.] Eh bien,
+répondras-tu? que je sache si tu vois?... Suis-je belle ou bien
+laide?... [Silence de plus en plus embarrassé.] Tu ne veux pas
+répondre?... Suis-je jeune ou bien veille?... Suis-je rose ou
+bien jaune?... j'ai peut-être une bosse?...</p>
+
+<p>TYLTYL, [conciliant.]</p>
+
+<p>Non, non, elle n'est pas grande....</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Mais si, à voir ton air, on la croirait énorme.... Ai-je le nez
+crochu et l'œil gauche crevé?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Non, non, je ne dis pas.... Qui est-ce qui l'a crevé?...</p>
+
+<p>LA FÉE, de plus en plus irritée.</p>
+
+<p>Mais il n'est pas crevé!... Insolent! misérable!... Il est plus
+beau que l'autre; il est plus grand, plus clair, il est bleu
+comme le ciel.... Et mes cheveux, vois-tu?... Ils sont blonds
+comme les blés.... on dirait de l'or vierge!... Et j'en ai tant
+et tant que la tête me pèse.... Ils s'échappent de partout....
+Les vois-tu sur mes mains?...</p>
+
+<blockquote><p>[Elle étale deux maigres mèches de cheveux gris.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui, j'en vois quelques-uns....</p>
+
+<p>LA FÉE, [indignée.]</p>
+
+<p>Quelques-uns!... Des gerbes! des brassées! des touffes! des flots
+d'or!... Je sais bien que des gens disent qu'ils n'en voient
+point; mais tu n'es pas de ces méchantes gens aveugles, je
+suppose?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Non, non, je vois très bien ceux qui ne se cachent point....</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Mais il faut voir les autres avec la même audace!... C'est bien
+curieux, les hommes.... Depuis la mort des fées, ils n'y voient
+plus du tout et ne s'en doutent point.... Heureusement que j'ai
+toujours sur moi tout ce qu'il faut pour rallumer les yeux
+éteints.... Qu'est-ce que je tire de mon sac?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oh! le joli petit chapeau vert!... Qu'est-ce qui brille ainsi sur
+la cocarde?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>C'est le gros Diamant qui fait voir....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ah!...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Oui; quand on a le chapeau sur la tête, on tourne un peu le
+Diamant: de droite à gauche, par exemple, tiens, comme ceci,
+vois-tu?... Il appuie alors sur une bosse de la tête que personne
+ne connaît, et qui ouvre les yeux....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ça ne fait pas de mal?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Au contraire, il est fée.... On voit à l'instant même ce qu'il y
+a dans les choses; l'âme du pain, du vin, du poivre, par
+exemple....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'on voit aussi l'âme du sucre?...</p>
+
+<p>LA FÉE, [subitement fâchée.]</p>
+
+<p>Cela va sans dire!... Je n'aime pas les questions inutiles....
+L'âme du sucre n'est pas plus intéressante que celle du
+poivre.... Voilà, je vous donne ce que j'ai pour vous aider dans
+la recherche de l'Oiseau-Bleu.... Je sais bien que
+l'Anneau-qui-rend-invisible ou le Tapis-Volant vous seraient plus
+utiles.... Mais j'ai perdu la clef de l'armoire où je les ai
+serrés.... Ah! j'allais oublier.... [Montrant le Diamant.] Quand
+on le tient ainsi, tu vois.... un petit tour de plus, on revoit
+le Passé.... Encore un petit tour, et l'on voit l'Avenir....
+C'est curieux et pratique et ça ne fait pas de bruit....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Papa me le prendra....</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Il ne le verra pas; personne ne peut le voir tant qu'il est sur
+ta tête.... Veux-tu l'essayer?... [Elle coiffe Tyltyl du petit
+chapeau vert.] A présent, tourne le Diamant.... Un tour et puis
+après....</p>
+
+<blockquote><p>[A peine Tyltyl a-t-il tourné le Diamant, qu'un changement
+soudain et prodigieux s'opère en toutes choses. La vieille
+fée est tout à coup une belle princesse merveilleuse; les
+cailloux dont sont bâtis les murs de la cabane s'illuminent,
+bleuissent comme des saphirs, deviennent transparents,
+scintillent, éblouissent à l'égal des pierres les plus
+précieuses. Le pauvre mobilier s'anime et resplendit; la
+table de bois blanc s'affirme aussi grave, aussi noble
+qu'une table de marbre, le cadran de l'horloge cligne de
+l'œil et sourit avec aménité, tandis que la porte
+derrière quoi va et vient le balancier s'entr'ouvre et
+laisse s'échapper les Heures, qui, se tenant les mains et
+riant aux éclats, se mettent à danser aux sons d'une musique
+délicieuse. Effarement légitime de Tyltyl qui s'écrie en
+montrant les Heures.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est que toutes ces belles dames?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>N'aie pas peur; ce sont les heures de ta vie qui sont heureuses
+d'être libres et visibles un instant....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et pourquoi que les murs sont si clairs?... Est-ce qu'ils sont en
+sucre ou en pierres précieuses?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Toutes les pierres sont pareilles, toutes les pierres sont
+précieuses: mais l'homme n'en voit que quelques-unes....</p>
+
+<blockquote><p>[Pendant qu'ils parlent ainsi, la féerie continue et se
+complète. Les âmes des Pains-de-quatre-livres, sous la forme
+de bonshommes en maillots couleur croûte-de-pain, ahuris et
+poudrés de farine, se dépêtrent de la huche et gambadent
+autour de la table où ils sont rejoints par le Feu, qui,
+sorti de l'âtre en maillot soufre et vermillon, les poursuit
+en se tordant de rire.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est que ces vilains bonshommes?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Rien de grave; ce sont les âmes des Pains-de-quatre-livres qui
+profitent du règne de la vérité pour sortir de la huche où elles
+se trouvaient à l'étroit....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et le grand diable rouge qui sent mauvais?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Chut!... Ne parle pas trop haut, c'est le Feu.... Il a mauvais
+caractère.</p>
+
+<blockquote><p>[Ce dialogue n'a pas interrompu la féerie. Le Chien et la
+Chatte, couchés en rond au pied de l'armoire, poussant
+simultanément un grand cri, disparaissent dans une trappe,
+et à leur place surgissent deux personnages, dont l'un porte
+un masque de bouledogue, et l'autre une tête de chatte.
+Aussitôt, le petit homme au masque de bouledogue&mdash;que nous
+appellerons dorénavant le Chien&mdash;se précipite sur Tyltyl
+qu'il embrasse violemment et accable île bruyantes et
+impétueuses caresses, cependant que la petite femme au
+masque de chatte&mdash;que nous appellerons plus simplement la
+Chatte&mdash;se donne un coup de peigne, se lave les mains et se
+lisse la moustache, avant de s'approcher de Mytyl.] </p></blockquote>
+
+<p>LE CHIEN, [hurlant, sautant, bousculant tout, insupportable.]</p>
+
+<p>Mon petit dieu!... Bonjour! bonjour, mon petit dieu!... Enfin,
+enfin, on peut parler! J'avais tant de choses à te dire!...
+J'avais beau aboyer et remuer la queue!... Tu ne comprenais
+pas!... Mais maintenant!... Bonjour! bonjour!... Je t'aime!... Je
+t'aime!... Veux-tu que je fasse quelque chose d'étonnant?...
+Veux-tu que je fasse le beau?... Veux-tu que je marche sur les
+mains ou que je danse à la corde?...</p>
+
+<p>TYLTYL, à la Fée.</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est que ce monsieur à tête de chien?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Mais tu ne vois donc pas?... C'est l'âme de Tylô que tu as
+délivrée....</p>
+
+<p>LA CHATTE, [s'approchant de Mytyl et lui tendant la main,
+cérémonieusement, avec circonspection.]</p>
+
+<p>Bonjour, Mademoiselle.... Que vous êtes jolie ce matin!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Bonjour, Madame.... [A la Fée.] Qui est-ce?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>C'est facile à voir; c'est l'âme de Tylette qui te tend la
+main.... Embrasse-la....</p>
+
+<p>LE CHIEN, [bousculant la Chatte.]</p>
+
+<p>Moi aussi!... J'embrasse le petit dieu!... J'embrasse la petite
+fille!... J'embrasse tout le monde!... Chic!... On va
+s'amuser!... Je vais faire peur à Tylette!... Hou! hou! hou!...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Monsieur, je ne vous connais pas....</p>
+
+<p>LA FÉE, [menaçant le Chien de sa baguette.]</p>
+
+<p>Toi, tu vas te tenir bien tranquille; sinon tu rentreras dans le
+silence, jusqu'à la fin des temps....</p>
+
+<blockquote><p>[Cependant, la féerie a poursuivi son cours: le Rouet s'est
+mis à tourner vertigineusement dans son coin en filant de
+splendides rayons de lumière; la Fontaine, dans l'autre
+angle, se prend à chanter d'une voix sur-aiguë et, se
+transformant en fontaine lumineuse, inonde l'évier de nappes
+de perles et d'émeraudes, à travers lesquelles s'élance
+l'âme de l'Eau, pareille à une jeune fille ruisselante,
+échevelée, pleurarde, qui va incontinent se battre avec le
+feu.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et la dame mouillée?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>N'aie pas peur, c'est l'Eau qui sort du robinet....</p>
+
+<blockquote><p>[Le Pot-au-lait se renverse, tombe de la table, se brise sur
+le sol; et du lait répandu s'élève une grande forme blanche
+et pudibonde qui semble avoir peur de tout.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et la dame en chemise qui a peur?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>C'est le Lait qui a cassé son pot....</p>
+
+<blockquote><p>[Le Pain-de-sucre posé au pied de l'armoire grandit,
+s'élargit et crève son enveloppe de papier d'où émerge un
+être doucereux: et papelard, vêtu d'une souquenille
+mi-partie de blanc et de bleu, qui, souriant béatement,
+s'avance vers Mytyl.] </p></blockquote>
+
+<p>MYTYL, [avec inquiétude.]</p>
+
+<p>Que veut-il?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Mais c'est l'âme du Sucre!...</p>
+
+<p>MYTYL, [rassurée.]</p>
+
+<p>Est-ce qu'il a des sucres d'orge?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Mais il n'a que ça dans ses poches, et chacun de ses doigts en
+est un....</p>
+
+<blockquote><p>[La Lampe tombe de la table, et aussitôt tombée, sa flamme
+se redresse et se transforme en une lumineuse vierge d'une
+incomparable beauté. Elle est vêtue de longs voiles
+transparents et éblouissants, et se tient immobile en une
+sorte d'extase.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est la Reine!</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>C'est la Sainte Vierge!...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Non, mes enfants, c'est la Lumière....</p>
+
+<blockquote><p>[Cependant, les casseroles, sur les rayons, tournent comme
+des toupies hollandaises, l'armoire à linge claque ses
+battants et commence un magnifique déroulement d'étoffes
+couleur de lune et de soleil, auquel se mêlent, non moins
+splendides, des chiffons et des guenilles qui descendent
+l'échelle du grenier. Mais voici que trois coups assez rudes
+sont frappés à la porte de droite.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL, [effrayé.]</p>
+
+<p>C'est papa!... Il nous a entendus!...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Tourne le Diamant!... De gauche à droite!...</p>
+
+<p>[Tyltyl tourne vivement le diamant.] Pas si vite!... Mon Dieu! Il
+est trop tard!... Tu l'as tourné trop brusquement. Ils n'auront
+pas le temps de reprendre leur place, et nous aurons bien des
+ennuis.... [La Fée redevient vieille femme, les murs de la cabane
+éteignent leurs splendeurs, les Heures rentrent dans l'horloge,
+le Rouet s'arrête, etc. Mais dans la hâte et le désarroi général,
+tandis que le Feu court follement autour de la pièce, à la
+recherche de la cheminée, un des Pains-de-quatre-livres, qui n'a
+pu retrouver place dans la huche, éclate en sanglots tout en
+poussant des rugissements d'épouvante.] Qu'y a-t-il?...</p>
+
+<p>LE PAIN, [tout en larmes.]</p>
+
+<p>Il n'y a plus de place dans la huche!...</p>
+
+<p>LA FÉE, [se penchant sur la huche.]</p>
+
+<p>Mais si, mais si.... [Poussant les autres pains qui ont repris
+leur place primitive.] Voyons, vite, rangez-vous....</p>
+
+<blockquote><p>[On heurte encore la porte.] </p></blockquote>
+
+<p>LE PAIN, [éperdu, s'efforçant vainement d'entrer dans la huche.]</p>
+
+<p>Il n'y a pas moyen!... Il me mangera le premier!...</p>
+
+<p>LE CHIEN, [gambadant autour de Tyltyl.]</p>
+
+<p>Mon petit dieu!... Je suis encore ici!... Je puis encore parler!
+Je puis encore t'embrasser!... Encore! encore! encore!...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Comment, toi aussi?... Tu es encore là?...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>J'ai de la veine.... Je n'ai pas pu rentrer dan le silence; la
+trappe s'est refermée trop vite..</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>La mienne aussi.... Que va-t-il arriver?... Est-ce que c'est
+dangereux?</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Mon Dieu, je dois vous dire la vérité: tous ceux qui
+accompagneront les deux enfants, mourront à la fin du voyage....</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Et ceux qui ne les accompagneront pas?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Ils survivront quelques minutes....</p>
+
+<p>LA CHATTE, [au Chien.]</p>
+
+<p>Viens, rentrons dans la trappe....</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Non, non!... Je ne veux pas!... Je veux accompagner le petit
+dieu!... Je veux lui parler tout le temps!...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Imbécile!...</p>
+
+<blockquote><p>[On heurte encore à la porte.] </p></blockquote>
+
+<p>LE PAIN, [pleurant à chaudes larmes.]</p>
+
+<p>Je ne veux pas mourir à la fin du voyage!... Je veux rentrer tout
+de suite dans ma huche!...</p>
+
+<p>LE FEU, [qui n'a cessé de parcourir vertigineusement la pièce en
+poussant des sifflements d'angoisse.]</p>
+
+<p>Je ne trouve plus ma cheminée!...</p>
+
+<p>L'EAU, [qui tente vainement de rentrer dans le robinet.]</p>
+
+<p>Je ne peux plus rentrer dans le robinet!...</p>
+
+<p>LE SUCRE, [qui s'agite autour de son enveloppe de papier.]</p>
+
+<p>J'ai crevé mon papier d'emballage!...</p>
+
+<p>LE LAIT, [lymphatique et pudibond.]</p>
+
+<p>On a cassé mon petit pot!...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Sont-ils bêtes, mon Dieu!... Sont-ils bêtes et poltrons!... Vous
+aimeriez donc mieux continuer de vivre dans vos vilaines boîtes,
+dans vos trappes et dans vos robinets que d'accompagner les
+enfants qui vont chercher l'Oiseau?...</p>
+
+<p>TOUS, [à l'exception du Chien et de la Lumière.]</p>
+
+<p>Oui! oui! Tout de suite!... Mon robinet!... Ma huche!... Ma
+cheminée!... Ma trappe!...</p>
+
+<p>LA FÉE, [à la Lumière qui regarde rêveusement les débris de sa
+lampe.]</p>
+
+<p>Et toi, la Lumière, qu'en dis-tu?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>J'accompagnerai les enfants....</p>
+
+<p>LE CHIEN, [hurlant de joie.]</p>
+
+<p>Moi aussi! moi aussi!...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Voilà qui est des mieux. Du reste, il est trop tard pour reculer;
+vous n'avez plus le choix, vous sortirez tous avec nous.... Mais
+toi, le Feu, ne t'approche de personne, toi, le Chien, ne taquine
+pas la Chatte, et toi, l'eau, tiens-toi droite et tâche de ne pas
+couler partout....</p>
+
+<p>[Des coups violents sont encore frappés à la porte de droite.]</p>
+
+<p>TYLTYL, [écoutant.]</p>
+
+<p>C'est encore papa!... Cette fois, il se lève, je l'entends
+marcher....</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Sortons par la fenêtre.... Vous viendrez tous chez moi, où
+j'habillerai convenablement les animaux et les phénomènes.... [Au
+Pain.] Toi, le Pain, prends la cage dans laquelle on mettra
+l'Oiseau-Bleu.... Tu en auras la garde.... Vite, vite, ne perdons
+pas de temps....</p>
+
+<blockquote><p>[La fenêtre s'allonge brusquement, comme une porte. Ils
+sortent tous, après quoi la fenêtre reprend sa forme
+primitive et se referme innocemment. La chambre est
+redevenue obscure, et les deux petits lits sont plongés dans
+l'ombre. La porte à droite s'entr'ouvre, et dans
+l'entrebâillement paraissent les têtes du père et de la mère
+Tyl.] </p></blockquote>
+
+<p>LE PÈRE TYL</p>
+
+<p>Ce n'était rien.... C'est le grillon qui chante....</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Tu les vois?...</p>
+
+<p>LE PÈRE TYL</p>
+
+<p>Bien sûr.... Ils dorment tranquillement....</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Je les entends respirer....</p>
+
+<p>[La porte se referme.]</p>
+
+<p>RIDEAU</p>
+
+
+
+<hr style="width: 65%;" />
+<h3><a name="ACTE_DEUXIEME" id="ACTE_DEUXIEME"></a>ACTE DEUXIÈME</h3>
+
+
+
+<hr style="width: 45%;" />
+<h3><a name="DEUXIEME_TABLEAU" id="DEUXIEME_TABLEAU"></a>DEUXIÈME TABLEAU</h3>
+
+<h4>CHEZ LA FÉE</h4>
+
+
+<p>Un magnifique vestibule dans le palais de la Fée Bérylune.
+Colonnes de marbre clair à chapiteaux d'or et d'argent,
+escaliers, portiques, balustrades, etc.</p>
+
+<hr style="width: 45%;" />
+
+<blockquote><p>[Entrent au fond, à droite, somptueusement habillés, la
+Chatte, le Sucre et le Feu. Ils sortent d'un appartement
+d'où émanent des rayons de lumière; c'est la garde-robe de
+la Fée. La Chatte a jeté une gaze légère sur son maillot de
+soie noire, le Sucre a revêtu une robe de soie, mi-partie de
+blanc et de bleu tendre, et le Feu, coiffé d'aigrettes
+multicolores, un long manteau cramoisi doublé d'or. Ils
+traversent toute la salle et descendent au premier plan, à
+droite, où la Chatte les réunit sous un portique.] </p></blockquote>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Par ici. Je connais tous les détours de ce palais.... La Fée
+Bérylune l'a hérité de Barbe-Bleue.... Pendant que les enfants
+et la Lumière rendent visite à la petite fille de la Fée,
+profitons de notre dernière minute de liberté.... Je vous ai fait
+venir ici, afin de vous entretenir de la situation qui nous est
+faite.... Sommes-nous tous présents?...</p>
+
+<p>LE SUCRE</p>
+
+<p>Voici le Chien qui sort de la garde-robe de la Fée....</p>
+
+<p>LE FEU</p>
+
+<p>Comment diable s'est-il habillé?...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Il a pris la livrée d'un des laquais du carrosse de
+Cendrillon.... C'est bien ce qu'il lui fallait.... Il a une âme
+de valet.... Mais dissimulons-nous derrière la balustrade.... Je
+m'en méfie étrangement.... Il vaudrait mieux qu'il n'entende pas
+ce que j'ai à vous dire....</p>
+
+<p>LE SUCRE</p>
+
+<p>C'est inutile.... Il nous a éventés.... Tiens, voilà l'Eau qui
+sort en même temps de la garde-robe.... Dieu! qu'elle est
+belle!...</p>
+
+<blockquote><p>[Le Chien et l'Eau rejoignent le premier groupe.]</p></blockquote>
+
+<p>LE CHIEN, gambadant.</p>
+
+<p>Voilà! voilà!... Sommes-nous beaux! Regardez donc ces dentelles,
+et puis ces broderies!... C'est de l'or et du vrai!...</p>
+
+<p>LA CHATTE, [à l'Eau.]</p>
+
+<p>C'est la robe «couleur-du-temps» de Peau-d'Âne?... Il me semble
+que je la connais....</p>
+
+<p>L'EAU</p>
+
+<p>Oui, c'est encore ce qui m'allait le mieux....</p>
+
+<p>LE FEU, [entre les dents.]</p>
+
+<p>Elle n'a pas son parapluie....</p>
+
+<p>L'EAU</p>
+
+<p>Vous dites?...</p>
+
+<p>LE FEU</p>
+
+<p>Rien, rien....</p>
+
+<p>L'EAU</p>
+
+<p>Je croyais que vous parliez d'un gros nez rouge que j'ai vu
+l'autre jour....</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Voyons, ne nous querellons pas, nous avons mieux à faire.... Nous
+n'attendons plus que le Pain: où est-il?...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Il n'en finissait pas de faire de l'embarras pour choisir son
+costume....</p>
+
+<p>LE FEU</p>
+
+<p>C'est bien la peine, quand on a l'air idiot et qu'on porte un
+gros ventre....</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Finalement, il s'est décidé pour une robe turque, ornée de
+pierreries, un cimeterre et un turban....</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Le voilà!... Il a mis la plus belle robe de Barbe-Bleue....</p>
+
+<blockquote><p>[Entre le Pain, dans le costume qu'on vient de décrire. La
+robe de soie est péniblement croisée sur son énorme ventre.
+Il tient d'une main la garde du cimeterre passé dans sa
+ceinture et de l'autre la cage destinée à l'Oiseau-Bleu.] </p></blockquote>
+
+<p>LE PAIN, [se dandidant vaniteusement.]</p>
+
+<p>Eh bien?... Comment me trouvez-vous?...</p>
+
+<p>LE CHIEN, [gambadant autour du Pain.]</p>
+
+<p>Qu'il est beau! qu'il est bête! qu'il est beau! qu'il est
+beau!...</p>
+
+<p>LA CHATTE, [au Pain.]</p>
+
+<p>Les enfants sont-ils habillés?...</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>Oui, Monsieur Tyltyl a pris la veste rouge, les bas blancs et la
+culotte bleue du Petit-Poucet; quant à Mademoiselle Mytyl, elle a
+la robe de Grethel et les pantoufles de Cendrillon.... Mais la
+grande affaire, ç'a été d'habiller la Lumière!...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Pourquoi?...</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>La Fée la trouvait si belle qu'elle ne voulait pas l'habiller du
+tout!... Alors j'ai protesté au nom de notre dignité d'éléments
+essentiels et éminemment respectables; et j'ai fini par déclarer
+que, dans ces conditions, je refusais de sortir avec elle....</p>
+
+<p>LE FEU</p>
+
+<p>Il fallait lui acheter un abat-jour!...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Et la Fée, qu'a-t-elle répondu?...</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>Elle m'a donné quelques coups de bâton sur la tête et le
+ventre....</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Et alors?...</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>Je fus promptement convaincu, mais au dernier moment, la Lumière
+s'est décidée pour la robe «couleur-de-lune» qui se trouvait au
+fond du coffre aux trésors de Peau-d'Ane....</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Voyons, c'est assez bavardé, le temps presse.... Il s'agit de
+notre avenir.... Vous l'avez entendu, la Fée vient de le dire, la
+fin de ce voyage marquera en même temps la fin de notre vie....
+Il s'agit donc de le prolonger autant que possible et par tous
+les moyens possibles.... Mais il y a encore autre chose; il faut
+que nous pensions au sort de notre race et à la destinée de nos
+enfants....</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>Bravo! bravo!... La Chatte a raison!...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Écoutez-moi.... Nous tous ici présents, animaux, choses et
+éléments, nous possédons une âme que l'homme ne connaît pas
+encore. C'est pourquoi nous gardons un reste d'indépendance;
+mais, s'il trouve l'Oiseau-Bleu, il saura tout, il verra tout, et
+nous serons complètement à sa merci.... C'est ce que vient de
+m'apprendre ma vieille amie la Nuit, qui est en même temps la
+gardienne des mystères de la Vie.... Il est donc de notre intérêt
+d'empêcher à tout prix qu'on ne trouve cet oiseau, fallût-il
+aller jusqu'à mettre en péril la vie même des enfants....</p>
+
+<p>LE CHIEN, indigné.</p>
+
+<p>Que dit-elle, celle-là?... Répète un peu que j'entende bien ce
+que c'est?</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>Silence!... Vous n'avez pas la parole!... Je préside
+l'assemblée....</p>
+
+<p>LE FEU</p>
+
+<p>Qui vous a nommé président?...</p>
+
+<p>L'EAU, [au Feu.]</p>
+
+<p>Silence!... De quoi vous mêlez-vous?...</p>
+
+<p>LE FEU</p>
+
+<p>Je me mêle de ce qu'il faut.... Je n'ai pas d'observations à
+recevoir de vous....</p>
+
+<p>LE SUCRE, [conciliant.]</p>
+
+<p>Permettez.... Ne nous querellons point.... L'heure est grave....
+Il s'agit avant tout de s'entendre sur les mesures à prendre....</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>Je partage entièrement l'avis du Sucre et de la Chatte....</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>C'est idiot!... Il y a l'Homme, voilà tout!... Il faut lui obéir
+et faire tout ce qu'il veut!... Il n'y a que ça de vrai.... Je ne
+connais que lui!... Vive l'Homme!... A la vie, à la mort, tout
+pour l'Homme!... l'Homme est dieu!...</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>Je partage entièrement l'avis du Chien.</p>
+
+<p>LA CHATTE, [au Chien.]</p>
+
+<p>Mais on donne ses raisons....</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Il n'y a pas de raisons!... J'aime l'Homme, ça suffit!... Si vous
+faites quelque chose contre lui, je vous étranglerai d'abord et
+j'irai tout lui révéler....</p>
+
+<p>LE SUCRE, [intervenant avec douceur.]</p>
+
+<p>Permettez.... N'aigrissons pas la discussion.... D'un certain
+point de vue, vous avez raison, l'un et l'autre.... Il y a le
+pour et le contre....</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>Je partage entièrement l'avis du Sucre!...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Est-ce que tous ici, l'Eau, le Feu, et vous-mêmes le Pain et le
+Chien, nous ne sommes pas victimes d'une tyrannie sans nom?...
+Rappelez-vous le temps où, avant la venue du despote, nous
+errions librement sur la face de la Terre.... l'Eau et le Feu
+étaient les seuls maîtres du monde; et voyez ce qu'ils sont
+devenus!... Quant à nous, les chétifs descendants des grands
+fauves.... Attention!... N'ayons l'air de rien.... Je vois
+s'avancer la Fée et la Lumière.... La Lumière s'est mise du parti
+de l'Homme; c'est notre pire ennemie.... Les voici....</p>
+
+<blockquote><p>[Entrent à droite, la Fée et la Lumière, suivies de Tyltyl
+et de Mytyl.] </p></blockquote>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Eh bien?... qu'est-ce que c'est?... Que faites-vous dans ce
+coin?... Vous avez l'air de conspirer.... Il est temps de se
+mettre en route.... Je viens de décider que la Lumière sera votre
+chef.... Vous lui obéirez tous comme à moi-même et je lui confie
+ma baguète.... Les enfants visiteront ce soir leurs grand-parents
+qui sont morts.... Vous ne les accompagnerez pas, par discrétion....
+Ils passeront la soirée au sein de leur famille décédée....
+Pendant ce temps, vous préparerez tout ce qu'il faut pour l'étape
+de demain, qui sera longue.... Allons, debout, en route et chacun
+à son poste!...</p>
+
+<p>LA CHATTE, [hypocritement.]</p>
+
+<p>C'est tout juste ce que je leur disais, Madame la Fée.... Je les
+exhortais à remplir consciencieusement et courageusement tout
+leur devoir; malheureusement, le Chien qui ne cessait de
+m'interrompre....</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Que dit-elle?... Attends un peu!...</p>
+
+<blockquote><p>[Il va bondir sur la chatte, mais Tyltyl, qui a prévenu son
+mouvement, l'arrête d'un geste menaçant.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>A bas, Tylô!... Prends garde; et s'il t'arrive encore une seul
+fois de....</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Mon petit dieu, tu ne sais pas, c'est elle qui....</p>
+
+<p>TYLTYL, [le menaçant.]</p>
+
+<p>Tais-toi!...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Voyons, finissons-en.... Que le Pain, ce soir, remette la cage à
+Tyltyl.... Il est possible que l'Oiseau-Bleu se cache dans le
+Passé, chez les grands-parents.... En tout cas, c'est une chance
+qu'il convient de ne point négliger.... Eh bien, le Pain, cette
+cage?...</p>
+
+<p>LE PAIN, [solennel.]</p>
+
+<p>Un instant, s'il vous plaît, Madame le Fée.... [Comme un orateur
+qui prend la parole.] Vous tous, soyez temoins que cette cage
+d'argent qui me fut confiée par....</p>
+
+<p>LA FÉE, [l'interrompant].</p>
+
+<p>Assez!... Pas de phrases.... Nous sortirons par là, tandis que
+les enfants sortiront par ici....</p>
+
+<p>TYLTYL, [avec inquiet.]</p>
+
+<p>Nous sortirons tout seuls?...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>J'ai faim!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Moi aussi!...</p>
+
+<p>LA FÉE, [au Pain.]</p>
+
+<p>Ouvre ta robe turque et donne leur une tranche de ton bon ventre.</p>
+
+<blockquote><p>[Le Pain ouvre sa robe, tire son cimeterre et coupe, à même
+son gros ventre, deux tartines qu'il offre aux enfants.] </p></blockquote>
+
+<p>LE SUCRE, [s'approchant des enfants.]</p>
+
+<p>Permettez-moi de vous offrir en même temps quelques sucres
+d'orge....</p>
+
+<blockquote><p>[Il casse un à un les cinq doigts de sa main gauche et les
+leur présente.] </p></blockquote>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce qu'il fait?... Il casse tous ses doigts....</p>
+
+<p>LE SUCRE, [engageant.]</p>
+
+<p>Goûtez-les, ils sont excellents.... C'est de vrais sucres
+d'orge....</p>
+
+<p>MYTYL, [suçant un des doigts.]</p>
+
+<p>Dieu qu'il est bon!... Est-ce que tu en as beaucoup?...</p>
+
+<p>LE SUCRE, [modeste.]</p>
+
+<p>Mais qui, tant que je veux....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Est-ce que ça te fait mal quand tu les casses ainsi?...</p>
+
+<p>LE SUCRE</p>
+
+<p>Pas du tout.... Au contraire; c'est très avantageux, ils
+repoussent tout de suite, et de cette façon, j'ai toujours des
+doigts propres et neufs....</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Voyons, mes enfants, ne mangez pas trop de sucre. N'oubliez pas
+que vous souperez tout à l'heure chez vos grands-parents....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ils sont ici?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Vous allez les voir à l'instant....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Comment les verrons-nous, puisqu'ils sont morts?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Comment seraient-ils morts puisqu'ils vivent dans votre
+souvenir?... Les hommes ne savent pas ce secret parce qu'ils
+savent bien peu de chose; au lieu que toi, grâce au Diamant, tu
+vas voir que les morts dont on se souvient aussi heureux que
+s'ils n'étaient point morts....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>La Luminière vient avec nous?...</p>
+
+<p>LA LUMINIÈRE</p>
+
+<p>Non, il est plus convenable que cela se passe en famille....
+J'attendrai ici près pour ne point paraître indiscrète.... Ils ne
+m'ont pas invitée.</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Par où faut-il aller?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Par là.... Vous êtes au seuil du «Pays du Souvenir». Dès que tu
+auras tourné le Diamant, tu verras un gros arbre muni d'un
+écriteau, qui te montrera que tu es arrivé.... Mais n'oubliez pas
+que vous devez être rentré tous les deux à neuf heures moins le
+quart.... C'est extrêmement important.... Surtout soyez exacts,
+car tout serait perdu si vous vous mettiez en retard.... A
+bientôt.... [Appelant la Chatte, le Chien, la Lumière, etc.] Par
+ici.... Et les petits par là....</p>
+
+<p>Elle sort à droite avec la Lumière, les animaux, etc., tandis que
+les enfants sortent à gauche.</p>
+
+
+<p>RIDEAU</p>
+
+
+
+<hr style="width: 65%;" />
+<h3><a name="TROISIEME_TABLEAU" id="TROISIEME_TABLEAU"></a>TROISIÈME TABLEAU</h3>
+
+<h4>LE PAYS DU SOUVENIR</h4>
+
+
+<p>Un épais brouillard d'où émerge, à droite, au tout premier plan,
+le tronc d'un gros chêne muni d'un écriteau. Clarté laiteuse,
+diffuse, impénétrable.</p>
+
+<hr style="width: 45%;" />
+
+<blockquote><p>[Tyltyl et Mytyl se trouvent au pied du chêne.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Voici l'arbre!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Il y a l'écriteau!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Je ne peux pas lire.... Attends, je vais monter sur cette
+racine.... C'est bien ça.... C'est écrit: «Pays du Souvenir».</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>C'est ici qu'il commence?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qui, il y a une flèche....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Eh bien, ou qu'ils sont, bon-papa et bonne-maman?</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Derrière le brouillard.... Nous allons voir....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Je ne vois rien du tout!... Je ne vois plus mes pieds ni mes
+mains .. [Pleurnichant.] J'ai froid!... Je ne veux plus
+voyager.... Je veux rentrer à la maison....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Voyons, ne pleure pas tout le temps, comme l'Eau.... T'es pas
+honteuse? .. Une grande petite fille!... Regarde, le brouillard se
+lève déjà.... Nous allons voir ce qu'il y a dedans....</p>
+
+<blockquote><p>[En effet, la brume s'est mise en mouvement; elle s'allège,
+s'éclaire, se disperse, s'évapore. Bientôt, dans une lumière
+de plus en plus transparente, on découvre, sous une voûte de
+verdure, une riante maisonette de paysan, couverte de
+plantes grimpantes. Les fenêtres et la porte sont ouvertes.
+On voit des ruches d'abeilles sous un auvent, des pots de
+fleurs sur l'appui des croisées, une cage ou dort un merle,
+etc. Près de la porte un banc, sur lequel sont assis,
+profondément endormis, un vieux paysan et sa femme,
+c'est-à-dire le grand-père et la grand'mère de Tyltyl.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL, [les reconnaissant tout à coup.]</p>
+
+<p>C'est bon-papa et bonne-maman!...</p>
+
+<p>MYTYL, [battant des mains.]</p>
+
+<p>Qui! Qui!... C'est eux!... C'est eux!...</p>
+
+<p>TYLTYL, [encore un peu méfiant.]</p>
+
+<p>Attention!... On ne sait pas encore s'ils remuent.... Restons
+derrière l'arbre....</p>
+
+<blockquote><p>[Grand'maman Tyl ouvre les yeux, lève la tête, s'étire,
+pousse un soupir, regarde grand-papa Tyl qui lui aussi sort
+lentement de son sommeil.]</p></blockquote>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>J'ai idée que nos petits-enfants qui sont encore en vie nous
+venir voir aujourd'hui....</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Bien sûr, ils pensent à nous; car je me sens tout chose et j'ai
+des fourmis dans les jambes....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Je crois qu'ils sont tout proches, car des larmes de joie dansent
+avant mes yeux....</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Non, non; ils sont fort loin... Je me sens encore faible....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Je te dis qu'ils sont là; j'ai déjà toute ma force....</p>
+
+<p>TYLTYL et MYTYL, se précipitant de derrière le chêne.</p>
+
+<p>Nous voilà!... Nous voilà!... Bon-papa, bonne-maman!... C'est
+nous!... C'est nous!...</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Là!... Tu vois!... Qu'est-ce que je disais! J'étais sûr qu'ils
+viendraient aujourd'hui....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Tyltyl! Mytyl!... C'est toi!... C'est elle!... C'est eux!...
+[S'efforçant de courir au-devant d'eux.] Je ne peux pas
+courir!... J'ai toujours mes rhumatismes!</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL, [accourant de même en clopinant.]</p>
+
+<p>Moi non plus.... Rapport à ma jambe de bois qui remplace toujours
+celle que j'ai cassée en tombant du gros chêne....</p>
+
+<blockquote><p>[Les grands-parents et les enfants s'embrassent follement.] </p></blockquote>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Que tu es grandi et forci, mon Tyltyl!...</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL, [caressant les cheveux de Mytyl.]</p>
+
+<p>Et Mytyl!... Regarde donc!... Les beaux cheveux, les beaux
+yeux!... Et puis, ce qu'elle sent bon!...</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Embrassons-nous encore!... Venez sur mes genoux....</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Et moi, je n'aurai rien?...</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Non, non.... A moi d'abord.... Comment vont Papa et Maman Tyl?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Fort bien, bonne-maman.... Ils dormaient quand nous sommes
+sortis....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL, [les contemplant et les accablant de caresses.]</p>
+
+<p>Mon Dieu, qu'ils sont jolis et bien débarbouillés!... C'est maman
+qui t'a débarbouillé?... Et tes bas ne sont pas troués!... C'est
+moi qui les reprisais autrefois. Pourquoi ne venez-vous pas nous
+voir plus souvent?... Cela nous fait tant de plaisir!... Voilà
+des mois et des mois que vous nous oubliez et que nous ne voyons
+plus personne....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Nous ne pouvions pas, bonne-maman; et c'est grâce à la Fée
+qu'aujourd'hui....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Nous sommes toujours là, à attendre une petite visite de ceux qui
+vivent.... Ils viennent si rarement!... La dernière fois que vous
+êtes venus, voyons, c'était quand donc?... C'était à la
+Toussaint, quand la cloche de l'église a tinté....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>A la Toussaint?... Nous ne sommes pas sortis ce jour-là, car nous
+étions fort enrhumés....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Non, mais vous avez pensé à nous....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Eh bien, chaque fois que vous pensez à nous, nous nous réveillons
+et nous vous revoyons....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Comment, il suffit que....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Mais voyons, tu sais bien....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais non, je ne sais pas....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL, [à Grand-Papa Tyl.]</p>
+
+<p>C'est étonnant, là-haut.... Ils ne savent pas encore.... Ils
+n'apprennent donc rien?....</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>C'est comme de notre temps.... Les Vivants sont si bêtes quand
+ils parlent des Autres....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Vous dormez tout le temps?...</p>
+
+<p>GRAND PAPA TYL</p>
+
+<p>Oui, nous dormons pas mal, en attendant qu'une pensée des Vivants
+nous réveille.... Ah! c'est bien bon de dormir, quand la vie est
+finie.... Mais il est agréable aussi de s'éveiller de temps en
+temps....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Alors, vous n'êtes pas morts pour de vrai?...</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL, [sursautant.]</p>
+
+<p>Que dis-tu?... Qu'est-ce qu'il dit?... Voilà qu'il emploie des
+mots que nous ne comprenons plus.... Est-ce que c'est un mot
+nouveau, une invention nouvelle?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Le mot «mort»?...</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Oui; c'était ce mot-là.... Qu'est-ce que ça veut dire?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais ça veut dire qu'on ne vit plus....</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Sont-ils bêtes, là-haut!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'on est bien ici?...</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Mais oui; pas mal, pas mal; et même si l'on priait encore....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Papa m'a dit qu'il ne faut plus prier....</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Mais si, mais si.... Prier c'est se souvenir....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Oui, oui, tout irait bien, si seulement vous veniez nous voir
+plus souvent.... Te rappelles-tu, Tyltyl?... La dernière fois,
+j'avais fait une belle tarte aux pommes.... Tu en as mangé tant
+et tant que tu t'es fait du mal....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais je n'ai pas mangé de tarte aux pommes depuis l'année
+dernière.... Il n'y a pas eu de pommes cette année....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Ne dis pas de bêtises.... Ici il y en a toujours....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ce n'est pas la même chose....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Comment? Ce n'est pas la même chose?... Mais tout est la même
+chose puisqu'on peut s'embrasser....</p>
+
+<p>TYLTYL, [regardant tour à tour son grand-père et sa grand'mère.]</p>
+
+<p>Tu n'as pas changé, bon-papa, pas du tout, pas du tout.... Et
+bonne-maman non plus n'a pas changé du tout.... Mais vous êtes
+plus beaux....</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Eh! ça ne va pas mal.... Nous ne vieillissons plus.... Mais vous,
+grandissez-vous!... Ah! oui, vous poussez ferme!... Tenez, là,
+sur la porte, on voit encore la marque de la dernière fois....
+C'était à la Toussaint.... Voyons, tiens-toi bien droit....
+[Tyltyl se dresse contre la porte.] Quatre doigts!... C'est
+énorme!... [Mytyl se dresse également contre la porte.] Et Mytyl,
+quatre et demi!... Ah, ah! la mauvaise graine!... Ce que ça
+pousse, ce que ça pousse!...</p>
+
+<p>TYLTYL, [regardant autour de soi avec ravissement.]</p>
+
+<p>Comme tout est bien de même, comme tout est à sa place!... Mais
+comme tout est plus beau!... Voilà l'horloge avec la grande
+aiguille dont j'ai cassé la pointe....</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Et voici la soupière que tu as écornée....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et voilà le trou que j'ai fait à la porte, le jour que j'ai
+trouvé le vilebrequin....</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Ah oui, tu en as fait des dégâts!... Et voici le prunier où tu
+aimais tant grimper quand je n'étais pas là.... Il a toujours ses
+belles prunes rouges....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais elles sont bien plus belles!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Et voici le vieux merle!... Est-ce qu'il chante encore?...</p>
+
+<p>Le merle se réveille et se met à chanter à tue-tète.</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Tu vois bien.... Dès que l'on pense à lui....</p>
+
+<p>TYLTYL, [remarquant avec stupéfaction que le merle est
+parfaitement bleu.]</p>
+
+<p>Mais il est bleu!... Mais c'est lui, l'Oiseau-Bleu que je dois
+rapporter à la Fée!... Et vous ne disiez pas que vous l'aviez
+ici! Oh! qu'il est bleu, bleu, bleu, comme une bille de verre
+bleu!... [Suppliant.] Bon-papa, bonne-maman, voulez-vous me le
+donner?...</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Bien oui, peut-être bien.... Qu'en penses-tu, maman Tyl?...</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Bien sûr, bien sûr.... A quoi qu'il sert ici.... Il ne fait que
+dormir.... On ne l'entend jamais....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Je vais le mettre dans ma cage.... Tiens, où est-elle, ma
+cage?... Ah! c'est vrai, je l'ai oubliée derrière le gros
+arbre.... [Il court à l'arbre, rapporte la cage et y enferme le
+merle.] Alors, vrai, vous me le donnez pour de vrai?... C'est la
+Fée qui sera contente!... Et la Lumière donc!...</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Tu sais, je n'en réponds pas, de l'oiseau.... Je crains bien
+qu'il ne puisse plus s'habituer à la vie agitée de là-haut, et
+qu'il ne revienne ici par le premier bon vent.... Enfin, on verra
+bien.... Laisse-le là, pour l'instant, et viens donc voir la
+vache....</p>
+
+<p>TYLTYL, [remarquant les ruches.]</p>
+
+<p>Et les abeilles, dis, comment vont-elles?...</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Mais elles ne vont pas mal.... Elles ne vivent plus non plus,
+comme vous dites là-bas; mais elles travaillent ferme....</p>
+
+<p>TYLTYL, [s'approchant des ruches.]</p>
+
+<p>Oh oui!... Ça sent le miel!... Les ruches doivent être
+lourdes!... Toutes les fleurs sont si belles!... Et mes petites
+sœurs qui sont mortes, sont-elles ici aussi?...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Et mes trois petits frères qu'on avait enterrés, où sont-ils?...</p>
+
+<blockquote><p>[A ces mots, sept petits enfants de tailles inégales, en
+flûte de Pan, sortent un à un de la maison.] </p></blockquote>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Les voici, les voici!... Aussitôt qu'on y pense, aussitôt qu'on
+en parle, ils sont là, les gaillards!...</p>
+
+<blockquote><p>[Tyltyl et Mytyl courent au-devant des enfants. On se
+bouscule, on s'embrasse, on danse, on tourbillonne, on
+pousse des cris de joie.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tiens, Pierrot!... [Ils se prennent aux cheveux.] Ah! nous allons
+nous battre encore comme dans le temps.... Et Robert!... Bonjour,
+Jean!... Tu n'as plus ta toupie?... Madeleine et Pierrette,
+Pauline et puis Riquette....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Oh! Riquette, Riquette!... Elle marche encore à quatre
+pattes!...</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Oui, elle ne grandit plus....</p>
+
+<p>TYLTYL, [remarquant le petit Chien qui jappe autour d'eux.]</p>
+
+<p>Voilà Kiki dont j'ai coupé la queue avec les ciseaux de
+Pauline.... Il n'a pas changé non plus....</p>
+
+<p>GRAND PAPA TYL, [sentencieux.]</p>
+
+<p>Non, rien ne change ici....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et Pauline a toujours son bouton sur le nez!...</p>
+
+<p>GRAND MAMAN TYL</p>
+
+<p>Oui, il ne s'en va pas; il n'y a rien à faire....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oh! qu'ils ont bonne mine, qu'ils sont gras et luisants!...
+Qu'ils ont de belles joues!... Ils ont l'air bien nourris....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Ils se portent bien mieux depuis qu'ils ne vivent plus.... Il
+n'y a plus rien à craindre, on n'est jamais malade, on n'a plus
+d'inquiétudes....</p>
+
+<blockquote><p>[Dans la maison, l'horloge sonne huit heures.] </p></blockquote>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL, [stupéfaite.]</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est?...</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Ma foi, je ne sais pas.... Ce doit être l'horloge....</p>
+
+<p>GRAND-MAMAN TYL</p>
+
+<p>Ce n'est pas possible.... Elle ne sonne jamais....</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Parce que nous ne pensons plus à l'heure.... Quelqu'un a-t-il
+pensé à l'heure?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui, c'est moi.... Quelle heure est-il?...</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Ma foi, je ne sais plus.... J'ai perdu l'habitude.... Elle a
+sonné huit coups, ce doit être ce que? là-haut, ils appellent
+huit heures.</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>La Lumière m'attend à neuf heures moins le quart.... C'est à
+cause de la Fée.... C'est extrêmement important.... Je me
+sauve....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Vous n'allez pas nous quitter ainsi au moment du souper!... Vite,
+vite, dressons la table devant la porte.... J'ai justement une
+excellente soupe aux choux et une belle tarte aux prunes....</p>
+
+<blockquote><p>[On sort la table, on la dresse devant la porte, on apporte
+les plats, les assiettes, etc.... Tous y aident.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ma foi, puisque j'ai l'Oiseau-Bleu.... Et puis la soupe aux
+choux, il y a si longtemps!... Depuis que je voyage.... On n'a
+pas ça dans les hôtels....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Voilà!... C'est déjà fait.... A table, les enfants.... Si vous
+êtes pressés, ne perdons pas de temps....</p>
+
+<blockquote><p>[On a allumé la lampe et servi la soupe. Les grands-parents
+et les enfants s'assoient autour du repas du soir, parmi des
+bousculades, des bourrades, des cris et des rires de joie.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL, [mangeant gloutonnement.]</p>
+
+<p>Qu'elle est bonne!... Mon Dieu, qu'elle est donc bonne!... J'en
+veux encore! encore!</p>
+
+<blockquote><p>[Il brandit sa cuiller de bois et en frappe bruyamment son
+assiette.] </p></blockquote>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Voyons, voyons, un peu de calme.... Tu es toujours aussi mal
+élevé; et tu vas casser ton assiette....</p>
+
+<p>TYLTYL, [se dressant à demi sur son escabelle.]</p>
+
+<p>J'en veux encore, encore!...</p>
+
+<blockquote><p>[Il atteint et attire à soi la soupière qui se renverse et
+se répand sur la table, et de là sur les genoux des
+convives. Cris et hurlements d'échaudés.] </p></blockquote>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Tu vois!... Je te l'avais bien dit....</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL, [donnant à Tyltyl une gifle retentissante.]</p>
+
+<p>Voilà pour toi!...</p>
+
+<p>TYLTYL, [un instant déconcerté, mettant ensuite la main sur la
+joue, avec ravissement.]</p>
+
+<p>Oh! oui, c'était comme ça, les claques que tu donnais quand tu
+étais vivant.... Bon-papa, qu'elle est bonne et que ça fait du
+bien!... Il faut que je t'embrasse!...</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Bon, bon; il y en a encore si ça te fait plaisir....</p>
+
+<blockquote><p>[La demie de huit heures sonne à l'horloge.]</p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL, [sursautant.]</p>
+
+<p>Huit heures et demie!... [il jette sa cuiller.] Mytyl, nous
+n'avons que le temps!...</p>
+
+<p>GRAND-MAMAN TYL</p>
+
+<p>Voyons!... Encore quelques minutes!... Le feu n'est pas à la
+maison.... On se voit si rarement....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Non, ce n'est pas possible.... La Lumière est si bonne.... Et je
+lui ai promis.... Allons, Mytyl, allons!...</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Dieu, que les Vivants sont donc contrariants avec toutes leurs
+affaires et leurs agitations!...</p>
+
+<p>TYLTYL, [prenant sa cage et embrassant tout le monde en hâte et à
+la ronde.]</p>
+
+<p>Adieu, Bon-papa.... Adieu, Bonne-maman.... Adieu, frères,
+sœurs, Pierrot, Robert, Pauline, Madeleine, Riquette, et toi
+aussi, Kiki! Je sens bien que nous ne pouvons plus rester ici....
+Ne pleure pas, Bonne-maman, nous reviendrons souvent....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Revenez tous les jours!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui, oui! nous reviendrons le plus souvent possible....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>C'est notre seule joie, et c'est une telle fête quand votre
+pensée nous visite!...</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Nous n'avons pas d'autres distractions....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Vite, vite!... Ma cage!... Mon oiseau!...</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL, lui passant la cage.</p>
+
+<p>Les voici!... Tu sais, je ne garantis rien; et s'il n'est pas bon
+teint!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Adieu! adieu!...</p>
+
+<p>LES FRÈRES ET SŒURS TYL</p>
+
+<p>Adieu, Tyltyl!... Adieu, Mytyl!... Pensez au sucre d'orge!...
+Adieu!... Revenez!... Revenez!...</p>
+
+<blockquote><p>[Tous agitent des mouchoirs tandis que Tyltyl et Mytyl
+s'éloignent lentement. Mais déjà, durant les dernières
+répliques, le brouillard du début s'est graduellement
+reformé, et le son des voix s'est affaibli, de manière qu'à
+la fin de la scène, tout a disparu dans la brume et qu'au
+moment où le rideau baisse, Tyltyl et Mytyl se retrouvent
+seuls visibles sous le gros chêne.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est par ici, Mytyl....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Où est la Lumière?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Je ne sais pas.... [Regardant l'oiseau dans la cage.] Tiens!
+l'oiseau n'est plus bleu!... Il est devenu noir!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Donne-moi la main, petit frère.... J'ai bien peur et bien
+froid....</p>
+
+<p>RIDEAU</p>
+
+
+
+<hr style="width: 65%;" />
+<h3><a name="ACTE_TROISIEME" id="ACTE_TROISIEME"></a>ACTE TROISIÈME</h3>
+
+
+
+<hr style="width: 45%;" />
+<h3><a name="QUATRIEME_TABLEAU" id="QUATRIEME_TABLEAU"></a>QUATRIÈME TABLEAU</h3>
+
+<h4>LE PALAIS DE LA NUIT</h4>
+
+
+<p>Une vaste et prodigieuse salle d'une magnificence austère,
+rigide, métallique et sépulcrale, donnant l'impression d'un
+temple grec ou égyptien, dont les colonnes, les architraves, les
+dalles, les ornements seraient de marbre noir, d'or et d'ébène.
+La salle est en forme de trapèze. Des degrés de basalte, qui
+occupent presque toute sa largeur, la divisent en trois plans
+successifs qui s'élèvent graduellement vers le fond. A droite et
+à gauche, entre les colonnes, des portes de bronze sombre. Au
+fond, porte d'airain monumentale. Une lumière diffuse qui semble
+émaner de l'éclat même du marbre et de l'ébène éclaire seule le
+palais.</p>
+
+<hr style="width: 45%;" />
+
+<blockquote><p>[Au lever du rideau, la Nuit, sous la figure d'une très
+belle femme, couverte de longs vêtements noirs, est assise
+sur les marches du second plan, entre deux enfants, dont
+l'un, presque nu, comme l'Amour, sourit dans un profond
+sommeil, tandis que l'autre se tient debout, immobile et
+voilé des pieds à la tête.&mdash;Entre, à droite, au premier
+plan, la Chatte.] </p></blockquote>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Qui va là?...</p>
+
+<p>LA CHATTE, [se laissant choir avec accablement sur les degrés de
+marbre.]</p>
+
+<p>C'est moi, mère la Nuit.... Je n'en peux plus....</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Qu'as-tu donc, mon enfant?... Tu es pâle, amaigrie et te voilà
+crottée jusqu'aux moustaches.... Tu t'es encore battue dans les
+gouttières, sous la neige et la pluie?...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Il est bien question de gouttières!... C'est de notre secret
+qu'il s'agit!... C'est, le commencement de la fin!... J'ai pu
+m'échapper un instant pour vous prévenir; mais je crains bien
+qu'il n'y ait rien à faire....</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Quoi?... Qu'est-il donc arrivé?...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Je vous ai déjà parlé du petit Tyltyl, le fils du bûcheron, et du
+Diamant merveilleux.... Eh bien, il vient ici pour vous réclamer
+l'Oiseau-Bleu....</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Il ne le tient pas encore....</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Il le tiendra bientôt, si nous ne faisons pas quelque miracle....
+Voici ce qui se passe: la Lumière qui le guide et qui nous trahit
+tous, car elle s'est mise entièrement du parti de l'Homme, la
+Lumière vient d'apprendre que l'Oiseau-Bleu, le vrai, le seul qui
+puisse vivre à la clarté du jour, se cache ici, parmi les oiseaux
+bleus des songes qui se nourrissent des rayons de lune et meurent
+dès qu'ils voient le soleil.... Elle sait qu'il lui est interdit
+de franchir le seuil de votre palais; mais elle y envoie les
+enfants; et comme vous ne pouvez pas empêcher l'Homme d'ouvrir
+les portes de vos secrets, je ne sais trop comment tout cela
+finira.... En tout cas, s'ils avaient le malheur de mettre la
+main sur le véritable Oiseau-Bleu, nous n'aurions plus qu'à
+disparaître....</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Seigneur, Seigneur!... En quels temps vivons-nous! Je n'ai plus
+une minute de repos.... Je ne comprends plus l'Homme, depuis
+quelques années.... Où veut-il en venir?... Il faut donc qu'il
+sache tout?... Il a déjà saisi le tiers de mes Mystères, toutes
+mes Terreurs ont peur et n'osent plus sortir, mes Fantômes sont
+en fuite, la plupart de mes Maladies ne se portent pas bien....</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Je sais, ma mère la Nuit, je sais, les temps sont durs, et nous
+sommes presque seules à lutter contre l'Homme.... Mais je les
+entends qui s'approchent.... Je ne vois qu'un moyen: comme ce
+sont des enfants, il faut leur faire une telle peur qu'ils
+n'oseront pas insister ni ouvrir la grande porte du fond,
+derrière laquelle se trouvent les oiseaux de la Lune.... Les
+secrets des autres cavernes suffiront à détourner leur attention
+ou à les terrifier....</p>
+
+<p>LA NUIT, [prêtant l'oreille à un bruit du dehors.]</p>
+
+<p>Qu'est-ce que j'entends?... Ils sont donc plusieurs?</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Ce n'est rien; ce sont nos amis: le Pain et le Sucre; l'Eau est
+indisposée et le Feu n'a pu venir, parce qu'il est parent de la
+Lumière.... Il n'y a que le Chien qui ne soit pas pour nous; mais
+il n'y a jamais moyen de l'écarter....</p>
+
+<blockquote><p>[Entrent timidement, à droite, au premier plan, Tyltyl,
+Mytyl, le Pain, le Sucre et le Chien.] </p></blockquote>
+
+<p>LA CHATTE, [se précipitant au-devant de Tyltyl.]</p>
+
+<p>Par ici, par ici, mon petit maître.... J'ai prévenu la Nuit qui
+est enchantée de vous recevoir.... Il faut l'excuser, elle est un
+peu souffrante; c'est pourquoi elle n'a pu aller au-devant de
+vous....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Bonjour, madame la Nuit....</p>
+
+<p>LA NUIT, [froissée.]</p>
+
+<p>Bonjour? Je ne connais pas ça.... Tu pourrais bien me dire: bonne
+nuit, ou tout au moins: bonsoir....</p>
+
+<p>TYLTYL, [mortifié.]</p>
+
+<p>Pardon, madame.... Je ne savais pas.... [Montrant du doigt les
+deux enfants.] Ce sont vos deux petits garçons?... Ils sont bien
+gentils....</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Oui, voici le Sommeil....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Pourquoi qu'il est si gros?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>C'est parce qu'il dort bien....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et l'autre qui se cache?... Pourquoi qu'il se voile la figure?...
+Est-ce qu'il est malade?... Comment c'est qu'il se nomme?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>C'est la sœur du Sommeil.... Il vaut mieux ne pas la
+nommer....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Pourquoi?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Parce que c'est un nom qu'on n'aime pas à entendre.... Mais
+parlons d'autre chose.... La Chatte vient de me dire que vous
+venez ici pour chercher l'Oiseau-Bleu?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui, madame, si vous le permettez.... Voulez-vous me dire où il
+est?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Je n'en sais rien, mon petit ami.... Tout ce que je puis
+affirmer, c'est qu'il n'est pas ici.... Je ne l'ai jamais vu....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Si, si.... La Lumière m'a dit qu'il est ici; et elle sait ce
+qu'elle dit, la Lumière.... Voulez-vous me remettre vos clefs?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Mais, mon petit ami, tu comprends bien que je ne puis donner
+ainsi mes clefs au premier venu.... J'ai la garde de tous les
+secrets de la Nature, j'en suis responsable et il m'est
+absolument défendu de les livrer à qui que ce soit, surtout à un
+enfant....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Vous n'avez pas le droit de les refuser à l'Homme qui les
+demande.... je le sais....</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Qui te l'a dit?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>La Lumière....</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Encore la Lumière! et toujours la Lumière!... De quoi se
+mêle-t-elle à la fin?...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Veux-tu que je les lui prenne de force, mon petit dieu?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tais-toi, tiens-toi tranquille et tâche d'être poli.... [A la
+Nuit.] Voyons, madame, donnez-moi vos clefs, s'il vous plaît....</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>As-tu le signe, au moins?... Où est-il?...</p>
+
+<p>TYLTYL, [touchant son chapeau.]</p>
+
+<p>Voyez le Diamant....</p>
+
+<p>LA NUIT, [se résignant à l'inévitable.]</p>
+
+<p>Enfin.... Voici celle qui ouvre toutes les portes de la salle....
+Tant pis pour toi s'il t'arrive malheur.... Je ne réponds de
+rien.</p>
+
+<p>LE PAIN, [fort inquiet.]</p>
+
+<p>Est-ce que c'est dangereux?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Dangereux?... C'est-à-dire que moi-même je ne sais trop comment
+je pourrai m'en tirer, lorsque certaines de ces portes de bronze
+s'ouvriront sur l'abîme.... Il y a là, tout autour de la salle,
+dans chacune de ces cavernes de basalte, tous les maux, tous les
+fléaux, toutes les maladies, toutes les épouvantes, toutes les
+catastrophes, tous les mystères qui affligent la vie depuis le
+commencement du monde.... J'ai eu assez de mal à les enfermer là
+avec l'aide du Destin; et ce n'est pas sans peine, je vous
+assure, que je maintiens un peu d'ordre parmi ces personnages
+indisciplinés.... On voit ce qu'il arrive lorsque l'un d'eux
+s'échappe et se montre sur terre....</p>
+
+<p>LE PAIX</p>
+
+<p>Mon grand âge, mon expérience et mon dévouement font de moi le
+protecteur naturel de ces deux enfants; c'est pourquoi, madame la
+Nuit, permettez-moi de vous poser une question....</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Faites....</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>En cas de danger, par où faut-il fuir?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Il n'y a pas moyen de fuir.</p>
+
+<p>TYLTYL, [prenant la clef et montant les premières marches.]</p>
+
+<p>Commençons par ici.... Qu'y a-t-il derrière cette porte de
+bronze?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Je crois que ce sont les Fantômes.... Il y a bien longtemps que
+je ne l'ai ouverte et qu'ils ne sont sortis....</p>
+
+<p>TYLTYL, mettant la clef dans la serrure.</p>
+
+<p>Je vais voir.... [Au Pain] Avez-vous la cage de l'Oiseau-Bleu?...</p>
+
+<p>LE PAIN, claquant des dénis.</p>
+
+<p>Ce n'est pas que j'aie peur, mais ne croyez-vous pas qu'il serait
+préférable de ne pas ouvrir et de regarder par le trou de la
+serrure?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Je ne vous demande pas votre avis....</p>
+
+<p>MYTYL, [se mettant à pleurer tout à coup.]</p>
+
+<p>J'ai peur!... Où est le Sucre?... Je veux rentrer à la
+maison!...</p>
+
+<p>LE SUCRE, [empressé, obséquieux.]</p>
+
+<p>Ici, mademoiselle, je suis ici.... Ne pleurez pas, je vais couper
+un de mes doigts pour vous offrir un sucre d'orge....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Finissons-en....</p>
+
+<blockquote><p>[Il tourne la clef et entr'ouvre prudemment la porte.
+Aussitôt s'échappent cinq ou six Spectres de formes diverses
+et étranges qui se répandent de tous cotés. Le Pain
+épouvanté jette la cage et va se cacher au fond de la salle,
+pendant que la Nuit, pourchassant les Spectres, crie à
+Tyltyl:] </p></blockquote>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Vite! vite!... Ferme la porte!... Ils s'échapperaient tous et
+nous ne pourrions plus les rattraper!... Ils s'ennuient
+là-dedans, depuis que l'Homme ne les prend plus au sérieux....
+[Elle pourchasse les Spectres en s'efforçant, à l'aide d'un fouet
+formé de serpents, de les ramener vers la porte de leur prison.]</p>
+
+<p>Aidez-moi!... Par ici!... Par ici!...</p>
+
+<p>TYLTYL, [au Chien.]</p>
+
+<p>Aide-la, Tylô, vas-y donc!...</p>
+
+<p>LE CHIEN, [bondissant en aboyant.]</p>
+
+<p>Oui! oui! oui!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et le Pain, où est-il?...</p>
+
+<p>LE PAIN, du fond de la salle.</p>
+
+<p>Ici.... Je suis près de la porte pour les empêcher de sortir....</p>
+
+<blockquote><p>[Comme un des Spectres s'avance de ce côté, il fuit à toutes
+jambes, en poussant des hurlements d'épouvante.] </p></blockquote>
+
+<p>LA NUIT, [à trois Spectres qu'elle a pris au collet.]</p>
+
+<p>Par ici, vous autres!... [A Tyltyl.] Rouvre un peu la porte....
+[Elle pousse les Spectres dans la caverne.] Là, ça va bien....
+[Le Chien en ramène deux autres.] Et encore ceux-ci.... Voyons,
+vite, rangez-vous.... Vous savez bien que vous ne sortez plus
+qu'à la Toussaint.</p>
+
+<blockquote><p>[Elle referme la porte.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL, [allant à une autre porte.]</p>
+
+<p>Qu'y a-t-il derrière celle-ci?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>A quoi bon?... Je te l'ai déjà dit, l'Oiseau-Bleu n'est jamais
+venu par ici.... Enfin, comme tu voudras.... Ouvre-la si ça te
+fait plaisir.... Ce sont les Maladies....</p>
+
+<p>TYLTYL, [la clef dans la serrure.]</p>
+
+<p>Est-ce qu'il faut prendre garde en ouvrant?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Non, ce n'est pas la peine.... Elles sont bien tranquilles, les
+pauvres petites.... Elles ne sont pas heureuses.... L'Homme,
+depuis quelque temps, leur fait une telle guerre!... Surtout
+depuis la découverte des microbes.... Ouvre donc, tu verras....</p>
+
+<blockquote><p>[Tyltyl ouvre la porte toute grande. Rien ne paraît.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Elles ne sortent pas?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Je t'avais prévenu, presque toutes sont souffrantes et bien
+découragées.... Les médecins ne sont pas gentils pour elles....
+Entre donc un instant, tu verras....</p>
+
+<blockquote><p>[Tyltyl entre dans la caverne et ressort aussitôt après.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>L'Oiseau-Bleu n'y est pas.... Elles ont l'air bien malades, vos
+Maladies.... Elles n'ont même pas levé la tête.... [Une petite
+Maladie, en pantoufles, robe de chambre et bonnet de coton,
+s'échappe de la caverne et se met à gambader dans la salle.]
+Tiens!... Une petite qui s'évade!... Qu'est-ce que c'est?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Ce n'est rien, c'est la plus petite, c'est le Rhume de
+cerveau.... C'est une de celles qu'on persécute le moins et qui
+se portent le mieux.... [Appelant le Rhume de cerveau] Viens
+ici, ma petite.... C'est trop tôt; il faut attendre le
+printemps....</p>
+
+<blockquote><p>[Le Rhume de cerveau, éternuant, toussant et se mouchant,
+rentre dans la caverne dont Tyltyl referme la porte.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL, [allant à la porte voisine.]</p>
+
+<p>Voyons donc celle-ci.... Qu'est-ce que c'est?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Prends garde.... Ce sont les Guerres.... Elles sont plus
+terribles et plus puissantes que jamais.... Dieu sait ce qui
+arriverait si l'une d'elles s'échappait!... Heureusement, elles
+sont assez obèses et manquent d'agilité.... Mais tenons-nous
+prêts à repousser la porte tous ensemble, pendant que tu jetteras
+un rapide coup d'œil dans la caverne....</p>
+
+<blockquote><p>[Tyltyl, avec mille précautions, entrebâille la porte de
+manière qu'il n'y ait qu'une petite fente où il puisse
+appliquer l'œil. Aussitôt, il s'arc-boute en criant:] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Vite! vite!... Poussez donc!... Elles m'ont vu!... Elles viennent
+toutes!... Elles ouvrent la porte!...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Allons, tous!... Poussez ferme!... Voyons, le Pain, que
+faites-vous?... Poussez tous!... Elles ont une force!... Ah!
+voilà! Ça y est.... Elles cèdent.... Il était temps!... As-tu
+vu?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui, oui!... Elles sont énormes, épouvantables!... Je crois
+qu'elles n'ont pas l'Oiseau-Bleu....</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Bien sûr qu'elles ne l'ont point.... Elles le mangeraient tout de
+suite.... Eh bien, en as-tu assez?... Tu vois bien qu'il n'y a
+rien à faire....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Il faut que je voie tout.... La Lumière l'a dit....</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>La Lumière l'a dit.... C'est facile à dire quand on a peur et
+qu'on reste chez soi....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Allons à la suivante.... Qu'est-ce?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Ici, j'enferme les Ténèbres et les Terreurs....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'on peut ouvrir?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Parfaitement.... Elles sont assez tranquilles; c'est comme les
+Maladies....</p>
+
+<p>TYLTYL, [entr'ouvrant la porte avec une certaine méfiance et
+risquant un regard dans la caverne.]</p>
+
+<p>Elles n'y sont pas....</p>
+
+<p>LA NUIT, [regardant à son tour dans la caverne.]</p>
+
+<p>Eh bien, les Ténèbres, que faites-vous?... Sortez donc un
+instant, ça vous fera du bien, ça vous dégourdira. Et les
+Terreurs aussi.... Il n'y a rien à Craindre.... [Quelques
+Ténèbres et quelques Terreurs, sous la figure de femmes
+couvertes, les premières de voiles noirs, les dernières de voiles
+verdâtres, risquent piteusement quelques pas hors de la caverne,
+et, sur un geste qu'ébauche Tyltyl, rentrent précipitamment.]
+Voyons, tenez-vous donc.... C'est un enfant, il ne vous fera pas
+de mal.... [A Tyltyl]. Elles sont devenues extrêmement timides;
+excepté les grandes, celles que tu vois au fond....</p>
+
+<p>TYLTYL, [regardant vers le fond de la caverne.]</p>
+
+<p>Oh! qu'elles sont effrayantes!...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Elles sont enchaînées.... Ce sont les seules qui n'aient pas peur
+de l'Homme.... Mais referme la porte, de crainte qu'elles ne se
+fâchent....</p>
+
+<p>TYLTYL, [allant à la porte suivante.]</p>
+
+<p>Tiens!... Celle-ci est plus sombre.... Qu'est-ce que c'est?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Il y a plusieurs Mystères derrière celle-ci.... Si tu y tiens
+absolument, tu peux l'ouvrir aussi.... Mais n'entre pas.... Sois
+bien prudent, et puis préparons-nous à repousser la porte, comme
+nous avons fait pour les Guerres....</p>
+
+<p>TYLTYL, [entr'ouvrant avec des précautions inouïes, et passant
+craintivement la tête dans l'entrebâillement.]</p>
+
+<p>Oh!... Quel froid!... Mes yeux cuisent!... Fermez vite!...
+Poussez donc! On repousse!... [La Nuit, le Chien, la Chatte et le
+Sucre repoussent la porte.] Oh! j'ai vu!...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Quoi donc?...</p>
+
+<p>TYLTYL, [bouleversé.]</p>
+
+<p>Je ne sais pas, c'était épouvantable!... Ils étaient tous assis
+comme des monstres sans yeux.... Quel était le géant qui voulait
+me saisir?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>C'est probablement le Silence; il a la garde de cette porte....
+Il paraît que c'était effrayant?... Tu en es encore tout pâle et
+tout tremblant....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui, je n'aurais pas cru.... Je n'avais jamais vu.... Et j'ai les
+mains gelées....</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Ce sera bien pis tout à l'heure si tu continues....</p>
+
+<p>TYLTYL, [allant à la porte suivante.]</p>
+
+<p>Et celle-ci?... Est-elle aussi terrible?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Non, il y a un peu de tout.... J'y mets les Étoiles sans emploi,
+mes parfums personnels, quelques Lueurs qui m'appartiennent, tels
+que feux-follets, vers luisants, lucioles; on y serre aussi la
+Rosée, le Chant des Rossignols, etc..</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Justement, les Étoiles, le Chant des Rossignols.... Ce doit être
+celle-là.</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Ouvre-donc si tu veux; tout cela n'est pas bien méchant....</p>
+
+<blockquote><p>[Tyltyl ouvre la porte toute grande. Aussitôt les Étoiles,
+sous la forme de belles jeunes filles voilées de lueurs
+versicolores, s'échappent de leur prison, se répandent dans
+la salle et forment sur les marches et autour des colonnes
+de gracieuses rondes baignées d'une sorte de lumineuse
+pénombre. Les Parfums de la Nuit, presque invisibles, les
+Feux-follets, les Lucioles, la Rosée transparente se
+joignent à elles, cependant que le Chant des Rossignols,
+sortant à flots de la caverne, inonde le palais nocturne.] </p></blockquote>
+
+<p>MYTYL, [ravie, battant des mains.]</p>
+
+<p>Oh! les jolies madames!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et qu'elles dansent bien!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Et qu'elles sentent bon!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et qu'elles chantent bien!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est, ceux-là, qu'on ne voit presque pas?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Ce sont les Parfums de mon ombre....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et les autres, là-bas, qui sont en verre filé?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>C'est la Rosée des forêts et des plaines.... Mais en voilà
+assez.... Ils n'en finiraient pas.... C'est le diable de les
+faire rentrer une fois qu'ils se sont mis à danser.... [Frappant
+dans ses mains.] Allons, vite, les Étoiles!... Ce n'est pas le
+moment de danser.... Le ciel est couvert, il y a de gros
+nuages.... Allons, vite, rentrez tous, sinon j'irai chercher un
+rayon de soleil....</p>
+
+<blockquote><p>[Fuite épouvantée des Étoiles, Parfums, etc...., qui se
+précipitent dans la caverne que l'on referme sur eux. En
+même temps s'éteint le Chant des Rossignols.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL, [allant à la porte du fond.]</p>
+
+<p>Voici la grande porte du milieu....</p>
+
+<p>LA NUIT, gravement.</p>
+
+<p>N'ouvre pas celle-ci....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Pourquoi?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Parce que c'est défendu....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est donc là que se cache l'Oiseau-Bleu; la Lumière me l'a
+dit....</p>
+
+<p>LA NUIT, [maternelle.]</p>
+
+<p>Écoute-moi, mon enfant.... J'ai été bonne et complaisante....
+J'ai fait pour toi ce que je n'avais fait jusqu'ici pour
+personne.... Je t'ai livré tous mes secrets.... Je t'aime bien,
+j'ai pitié de ta jeunesse et de ton innocence et je te parle
+comme une mère.... Écoute-moi et crois-moi, mon enfant, renonce,
+ne va point plus avant, ne tente pas le Destin, n'ouvre pas cette
+porte....</p>
+
+<p>TYLTYL, [assez ébranlé.]</p>
+
+<p>Mais pourquoi?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Parce que je ne veux pas que tu te perdes.... Parce que nul de
+ceux, entends-tu, nul de ceux qui l'ont entr'ouverte, ne fût-ce
+que de l'épaisseur d'un cheveu, n'est revenu vivant à la lumière
+du jour.... Parce que tout ce qu'on peut imaginer d'épouvantable,
+parce que toutes les terreurs, toutes les horreurs dont on parle
+sur terre, ne sont rien, comparées à la plus innocente de celles
+qui assaillent un homme dès que son œil effleure les premières
+menaces de l'abîme auquel personne n'ose donner un nom.... C'est
+au point que moi-même, si tu t'obstines, malgré tout, à toucher
+cette porte, je te demanderai d'attendre que je sois à l'abri
+dans ma tour sans fenêtres.... Maintenant c'est à toi de savoir,
+à toi de réfléchir....</p>
+
+<blockquote><p>[Mytyl, tout en larmes, pousse des cris de terreur
+inarticulés et cherche à entraîner Tyltyl.] </p></blockquote>
+
+<p>LE PAIN, [claquant des dents.]</p>
+
+<p>Ne le faites pas, mon petit maître!... [Se jetant à genoux.] Ayez
+pitié de nous!... Je vous le demande à genoux.... Vous voyez que
+la Nuit a raison....</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>C'est notre vie à tous que vous sacrifiez....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Je dois l'ouvrir....</p>
+
+<p>MYTYL, [trépignant parmi des sanglots.]</p>
+
+<p>Je ne veux pas!... Je ne veux pas!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Que le Sucre et le Pain prennent Mytyl par la main et se sauvent
+avec elle.... Je vais ouvrir....</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Sauve qui peut!... Venez vite!... Il est temps!...</p>
+
+<blockquote><p>[Elle fuit.]</p></blockquote>
+
+<p>LE PAIN, [fuyant éperdument.]</p>
+
+<p>Attendez au moins que nous soyons au bout de la salle!...</p>
+
+<p>LA CHATTE, [fuyant également.]</p>
+
+<p>Attendez!... attendez!...</p>
+
+<p>Ils se cachent derrière les colonnes à l'autre bout de la salle.
+Tyltyl reste seul avec le Chien, près de la porte monumentale.</p>
+
+<p>LE CHIEN, [haletant et hoquetant d'épouvante contenue.]</p>
+
+<p>Moi, je reste, je reste.... Je n'ai pas peur.... Je reste!... Je
+reste près de mon petit dieu.... Je reste!... Je reste....</p>
+
+<p>TYLTYL, [caressant le Chien.]</p>
+
+<p>C'est bien, Tylô, c'est bien!... Embrasse-moi.... Nous sommes
+deux.... Maintenant gare à nous!... [Il met la clef dans la
+serrure. Un cri d'épouvante part de l'autre bout de la salle où
+se sont réfugiés les fuyards. A peine la clef a-t-elle touché la
+porte que les hauts ballants de celle-ci s'ouvrent par le milieu,
+glissent latéralement et disparaissent, à droite et à gauche,
+dans l'épaisseur des murs, découvrant tout à coup, irréel,
+infini, ineffable, le plus inattendu des jardins de rêve et de
+lumière nocturne, où, parmi les étoiles et les planètes,
+illuminant tout ce qu'ils touchent, volant sans cesse de
+pierreries en pierreries, de rayons de lune en rayons de lune, de
+féeriques oiseaux bleus évoluent perpétuellement et
+harmonieusement jusqu'aux confins de l'horizon, innombrables au
+point qu'ils semblent être le souffle, l'atmosphère azurée, la
+substance même du jardin merveilleux.&mdash;Tyltyl, ébloui, éperdu,
+debout dans la lumière du jardin:] Oh!... le ciel!... [Se
+tournant vers ceux qui oui fui.] Venez vite!... Ils sont là!...
+C'est eux! c'est eux! c'est eux!...Nous les tenons enfin!... Des
+milliers d'oiseaux bleus! Des millions!... Des milliards!... Il y
+en aura trop!... Viens, Mytyl!... Viens, Tylô!... Venez tous!...
+Aidez-moi!... [S'élançant parmi les oiseaux.] On les prend à
+pleines mains!... Ils ne sont pas farouches!... Ils n'ont pas
+peur de nous!... Par ici! par ici!... [Mytyl et les autres
+accourent. Ils entrent tous dans le jardin éblouissant, hormis la
+Nuit et la Chatte.] Vous voyez!... Ils sont trop!... Ils viennent
+dans mes mains!... Regardez donc, ils mangent les rayons de la
+lune!... Mytyl, où donc es-tu?... Il y a tant d'ailes bleues,
+tant de plumes qui tombent qu'on n'y voit plus du tout!... Tylô!
+ne les mord pas.... Ne leur fais pas de mal!... Prends-les très
+doucement!</p>
+
+<p>MYTYL, [enveloppée d'oiseaux bleus.]</p>
+
+<p>J'en ai déjà pris sept!... Oh! qu'ils battent des ailes!... Je ne
+puis les tenir!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Moi non plus!... J'en ai trop!... Ils s'échappent!... Ils
+reviennent!... Tylô en a aussi!... Ils vont nous entraîner!...
+nous porter dans le ciel!... Viens, sortons par ici!... La
+Lumière nous attend!... Elle sera contente!... Par ici, par
+ici!...</p>
+
+<blockquote><p>[Ils s'évadent du jardin, les mains pleines d'oiseaux qui se
+débattent, et, traversant toute la salle parmi l'affolement
+des ailes azurées, sortent à droite, par où ils sont entrés,
+suivis du Pain et du Sucre qui n'ont pas pris d'oiseaux.
+&mdash;Restés seuls, la Nuit et la Chatte remontent vers le fond
+et regardent anxieusement dans le jardin.] </p></blockquote>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Ils ne l'ont pas?...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Non.... Je le vois là sur ce rayon de lune.... Ils n'ont pas pu
+l'atteindre, il se tenait trop haut....</p>
+
+<blockquote><p>[Le rideau tombe. Aussitôt après, devant le rideau tombé,
+entrent simultanément, à gauche la Lumière, à droite Tyltyl,
+Mytyl et le Chien, accourant tout couverts des oiseaux
+qu'ils viennent de capturer. Mais déjà ceux-ci paraissent
+inanimés et, la tête pendante et les ailes brisées, ne sont
+plus dans leurs mains que d'inertes dépouilles.] </p></blockquote>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Eh bien, l'avez-vous-pris?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui, oui!... Tant qu'on voulait.... Il y en a des milliers!...
+Les voici!... Les vois-tu!... [Regardant les oiseaux qu'il tend
+vers la Lumière et s'apercevant qu'ils sont morts.] Tiens!... Ils
+ne vivent plus.... Qu'est-ce qu'on leur a fait?... Les tiens
+aussi, Mytyl?... Ceux de Tylô aussi. [Jetant avec colère les
+cadavres d'oiseaux.] Ah! non, c'est trop vilain!... Qui est-ce
+qui les a tués?... Je suis trop malheureux!...</p>
+
+<blockquote><p>[Il se cache la tête sous le bras et paraît tout secoué de
+sanglots.] </p></blockquote>
+
+<p>LA LUMIÈRE, [le serrant maternellement dans ses bras.]</p>
+
+<p>Ne pleure pas, mon enfant.... Tu n'as pas pris celui qui peut
+vivre en plein jour.... Il est allé ailleurs.... Nous le
+retrouverons....</p>
+
+<p>LE CHIEN, [regardant les oiseaux morts.]</p>
+
+<p>Est-ce qu'on peut les manger?...</p>
+
+<blockquote><p>[Ils sortent tous à gauche.] </p></blockquote>
+
+
+
+<hr style="width: 65%;" />
+<h3><a name="CINQUIEME_TABLEAU" id="CINQUIEME_TABLEAU"></a>CINQUIÈME TABLEAU</h3>
+
+<h4>LA FORÊT</h4>
+
+
+<p>Une forêt.&mdash;Il fait nuit.&mdash;Clair de lune.&mdash;Vieux arbres de
+diverses espèces, notamment: un chêne, un hêtre, un orme, un
+peuplier, un sapin, un cyprès, un tilleur, un marronnier, etc.</p>
+
+<hr style="width: 45%;" />
+
+<blockquote><p>[Entre la Chatte.] </p></blockquote>
+
+<p>LA CHATTE, [saluant les arbres à la ronde.]</p>
+
+<p>Salut à tous les arbres!...</p>
+
+<p>MURMURE DES FEUILLAGES</p>
+
+<p>Salut!...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>C'est un grand jour que ce jour-ci!... Notre ennemi vient
+délivrer vos énergies et se livrer lui-même.... C'est Tyltyl, le
+fils du bûcheron qui vous a fait tant de mal.... Il cherche
+l'Oiseau-Bleu que vous cachez à l'Homme depuis le commencement du
+monde, et qui sait seul notre secret.... [Murmure dans les
+feuilles.] Vous dites?... Ah! c'est le Peuplier qui parle....
+Oui, il possède un Diamant qui a la vertu de délivrer un instant
+nos esprits; il peut nous forcer à livrer l'Oiseau-Bleu, et nous
+serons dès lors, définitivement, à la merci de l'Homme....
+[Murmure dans les feuilles.] Qui parle?... Tiens! c'est le
+Chêne.... Comment allez-vous?... [Murmure dans les feuilles du
+Chêne.] Toujours enrhumé?... La Réglisse ne vous soigne plus?...
+Toujours les rhumatismes?... Croyez-moi, c'est à cause de la
+mousse; vous en mettez trop sur vos pieds.... L'Oiseau-Bleu est
+toujours chez vous?... [Murmures dans les feuilles du Chêne.]
+Vous dites?... Oui, il n'y a pas à hésiter, il faut en profiter,
+il faut qu'il disparaisse.... [Murmure dans les feuilles.]
+Plaît-il?... Oui, il est avec sa petite sœur; il faut qu'elle
+meure aussi.... [Murmure dans les feuilles.] Oui, le Chien les
+accompagne; il n'y a pas moyen de l'éloigner.... [Murmure dans
+les feuilles.] Vous dites?... Le corrompre?... Impossible....
+J'ai essayé de tout.... [Murmures parmi les feuilles.] Ah! c'est
+toi, le Sapin?... Oui, prépare quatre planches.... Oui, il y a
+encore le Feu, le Sucre, l'Eau, le Pain.... Ils sont tous avec
+nous, excepté le Pain qui est assez douteux.... Seule la Lumière
+est favorable à l'Homme; mais elle ne viendra pas.... J'ai fait
+croire aux petits qu'ils devaient s'échapper en cachette pendant
+qu'elle dormait.... L'occasion est unique.... [Murmure dans les
+feuilles.] Tiens! c'est la voix du Hêtre!... Oui, vous avez
+raison; il faut que l'on prévienne les Animaux.... Le Lapin
+a-t-il son tambour?... Il est chez vous?... Bien, qu'il batte le
+rappel, tout de suite.... Les voici!...</p>
+
+<blockquote><p>[On entend s'éloigner les roulements de tambour du
+Lapin.&mdash;Entrent Tyltyl, Mytyl et le Chien.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est ici?...</p>
+
+<p>LA CHATTE, [obséquieuse, doucereuse, empressé se précipitant
+au-devant des enfants.]</p>
+
+<p>Ah! voilà, mon petit maître!... Que vous avez bonne mine et que
+vous êtes joli, ce soir!... Je vous ai précédé pour annoncer
+votre arrivée.... Tout va bien. Cette fois nous tenons
+l'Oiseau-Bleu, j'en suis sûre.... Je viens d'envoyer le Lapin
+battre le rappel afin de convoquer les principaux Animaux du
+pays.... On les entend déjà dans le feuillage.... Écoutez!... Ils
+sont un peu timides et n'osent approcher.... [Bruits d'animaux
+divers, tels que vaches, porcs, chevaux, ânes, etc.&mdash;Bas à
+Tyltyl, le prenant à part.] Mais pourquoi avez-vous amené le
+Chien?... Je vous l'ai déjà dit, il est au plus mal avec tout le
+monde, même avec les arbres.... Je crains bien que sa présence
+odieuse ne fasse tout manquer....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Je n'ai pu m'en débarasser.... [Au Chien, la menaçant] Veux-tu
+bien t'en aller, vilaine bête!...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Qui?... Moi!... Pourquoi?... Qu'est-ce que j'ai fait?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Je te dis de t'en aller!... On n'a que faire de toi, c'est bien
+simple.... Tu nous embêtes à la fin!...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Je ne dirai rien.... Je suivrai de loin.... On ne me verra
+pas.... Veux-tu que je fasse le beau?...</p>
+
+<p>LA CHATTE, [bas, à Tyltyl.]</p>
+
+<p>Vous tolérez pareille désobéissance?... Donnez-lui donc quelques
+coups de bâton sur le nez, il est vraiment insupportable!...</p>
+
+<p>TYLTYL, [battant le Chien.]</p>
+
+<p>Voilà qui t'apprendra à obéir plus vite!...</p>
+
+<p>LE CHIEN, [hurlant.]</p>
+
+<p>Aïe! Aïe! Aïe!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'en dis-tu?...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Il faut que je t'embrasse puisque tu m'as battu!...</p>
+
+<p>[Il embrasse et caresse violemment Tyltyl.]</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Voyons.... C'est, bien.... Ça suffit.... Va-t'en!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Non, non; je veux qu'il reste.... J'ai peur de tout quand il
+n'est pas là....</p>
+
+<p>LE CHIEN, [bondissant et renversant presque Mytyl, qu'il accable
+de caresses précipitées et enthousiastes.]</p>
+
+<p>Oh! la bonne petite fille!... Qu'elle est belle! Qu'elle est
+bonne!... Qu'elle est belle, qu'elle est douce!... Il faut que je
+l'embrasse! Encore! encore! encore!...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Quel idiot!... Ma foi, nous verrons bien.... Ne perdons pas de
+temps.... Tournez le Diamant....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Où faut-il me placer?</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Dans ce rayon de lune; vous y verrez plus clair.... Là! tournez
+doucement....</p>
+
+<blockquote><p>[Tyltyl tourne le Diamant; aussitôt, un long frémissement
+agite les branches et les feuilles. Les troncs les plus
+anciens et les plus imposants s'entr'ouvrent pour livrer
+passage à l'âme que chacun d'eux renferme. L'aspect de ces
+âmes diffère suivant l'aspect et le caractère de l'arbre
+qu'elles représentent. Celle de l'Orme, par exemple, est une
+sorte de gnome poussif, ventru, bourru; celle du Tilleul est
+placide, familière, joviale: celle du Hêtre, élégante et
+agile; celle du Bouleau, blanche, réservée, inquiète; celle
+du Saule, rabougrie, échevelée, plaintive; celle du Sapin,
+longue, efflanquée, taciturne; celle du Cyprès, tragique;
+celle du Marronnier, prétentieuse, un peu snob; celle du
+Peuplier, allègre, encombrante, bavarde. Les unes sortent
+lentement de leur tronc, engourdies, s'étirant, comme après
+une captivité ou un sommeil séculaire, les autres s'en
+dégagent d'un bond, alertes, empressées, et toutes viennent
+se ranger autour des deux enfants, tout en se tenant autant
+que possible à proximité de l'arbre dont elles sont nées.] </p></blockquote>
+
+<p>LE PEUPLIER, [accourant le premier et criant à tue-tête.]</p>
+
+<p>Des Hommes!... De petits Hommes!... On pourra leur parler!...
+C'est fini le Silence!... C'est fini!... D'où viennent-ils?...
+Qui est-ce?... Qui sont-ils?... [Au Tilleul qui s'avance en
+fumant tranquillement sa pipe.] Les connais-tu, toi, père
+Tilleul?...</p>
+
+<p>LE TILLEUL</p>
+
+<p>Je ne me rappelle pas les avoir vus....</p>
+
+<p>LE PEUPLIER</p>
+
+<p>Mais si, voyons, mais si!... Tu connais tous les Hommes, tu es
+toujours à te promener autour de leurs maisons....</p>
+
+<p>LE TILLEUL, [examinant les enfants.]</p>
+
+<p>Mais non, je vous assure.... Je ne les connais pas.... Ils sont
+encore trop jeunes.... Je ne connais bien que les amoureux qui
+viennent me voir au clair de lune; ou les buveurs de bière qui
+trinquent sous mes branches....</p>
+
+<p>LE MARRONNIER, [pincé, ajustant son monocle.]</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est que ça?... C'est des pauvres de la
+campagne?...</p>
+
+<p>LE PEUPLIER</p>
+
+<p>Oh! vous, monsieur le Marronnier, depuis que vous ne fréquentez
+plus que les boulevards des grandes villes....</p>
+
+<p>LE SAULE, [s'avançant en sabots et geignard.]</p>
+
+<p>Mon Dieu, mon Dieu!... Ils viennent encore me couper la tête et
+les bras pour en faire des fagots!...</p>
+
+<p>LE PEUPLIER</p>
+
+<p>Silence!... Voici le Chêne qui sort de son palais!... Il a l'air
+bien souffrant ce soir.... Ne trouvez-vous pas qu'il
+vieillit?... Quel âge peut-il avoir?... Le Sapin dit qu'il a
+quatre mille ans; mais je suis sûre qu'il exagère.... Attention,
+il va nous dire ce que c'est....</p>
+
+<blockquote><p>[Le Chêne s'avance lentement. Il est fabuleusement vieux,
+couronné de gui et vêtu d'une longue robe verte brodée de
+mousse et de lichen. Il est aveugle, sa barbe blanche flotte
+au vent. Il s'appuie d'une main sur un bâton noueux et de
+l'autre sur un jeune Chêneau qui lui sert de guide.
+L'Oiseau-Bleu est perché sur son épaule. À son approche,
+mouvement de respect parmi les arbres qui se rangent et
+s'inclinent.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Il a l'Oiseau-Bleu!... Vite! vite!... Par ici!...
+Donnez-le-moi!...</p>
+
+<p>LES ARBRES</p>
+
+<p>Silence!...</p>
+
+<p>LA CHATTE, [à Tyltyl.]</p>
+
+<p>Découvrez-vous, c'est le Chêne!...</p>
+
+<p>LE CHÊNE, [à Tyltyl.]</p>
+
+<p>Qui es-tu?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tyltyl, monsieur.... Quand est-ce que je pourrai prendre
+l'Oiseau-Bleu?...</p>
+
+<p>LE CHÊNE</p>
+
+<p>Tyltyl, le fils du bûcheron?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui, monsieur....</p>
+
+<p>LE CHÊNE</p>
+
+<p>Ton père nous a fait bien du mal.... Dans ma seule famille il a
+mis à mort six cents de mes fils, quatre cent soixante-quinze
+oncles et tantes, douze cents cousins et cousines, trois cent
+quatre-vingts brus et douze mille arrière-petits-fils!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Je ne sais pas, monsieur.... Il ne l'a pas fait exprès....</p>
+
+<p>LE CHÊNE</p>
+
+<p>Que viens-tu faire ici, et pourquoi as-tu fait sortir nos âmes de
+leurs demeures?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Monsieur, je vous demande pardon de vous avoir dérangé.... C'est
+la Chatte qui m'a dit que vous alliez nous dire où se trouve
+l'Oiseau-Bleu....</p>
+
+<p>LE CHÊNE</p>
+
+<p>Oui, je sais, tu cherches l'Oiseau-Bleu, c'est-à-dire le grand
+secret des choses et du bonheur, pour que les Hommes rendent plus
+dur encore notre esclavage....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais non, monsieur; c'est pour la petite fille de la Fée Bérylune
+qui est très malade....</p>
+
+<p>LE CHÊNE, lui imposant silence.</p>
+
+<p>Il suffit!... Je n'entends pas les Animaux.... Où sont-ils?...
+Tout ceci les intéresse autant que nous.... Il ne faut pas que
+nous, les Arbres, assumions seuls la responsabilité des mesures
+graves qui s'imposent.... Le jour où les Hommes apprendront que
+nous avons fait ce que nous allons faire, il y aura d'horribles
+représailles.... Il convient donc que notre accord soit unanime,
+pour que notre silence le soit également....</p>
+
+<p>LE SAPIN, [regardant par-dessus les autres arbres.]</p>
+
+<p>Les Animaux arrivent.... Ils suivent le Lapin.... Voici l'âme du
+Cheval, du Taureau, du Bœuf, de la Vache, du Loup, du Mouton,
+du Porc, du Coq, de la Chèvre, de l'Âne et de l'Ours....</p>
+
+<blockquote><p>[Entrée successive des âmes des Animaux qui, à mesure que
+les énumère le Sapin, s'avancent et vont s'asseoir entre les
+arbres, à l'exception de l'âme de la Chèvre qui vagabonde çà
+et là, et de celle du Porc qui fouille les racines.] </p></blockquote>
+
+<p>LE CHÊNE</p>
+
+<p>Tous sont-ils ici présents?...</p>
+
+<p>LE LAPIN</p>
+
+<p>La Poule ne pouvait pas abandonner ses œufs, le Lièvre faisait
+des courses, le Cerf a mal aux cornes, le Renard est
+souffrant,&mdash;voici le certificat du médecin,&mdash;l'Oie n'a pas
+compris et le Dindon s'est mis en colère....</p>
+
+<p>LE CHÊNE</p>
+
+<p>Ces abstentions sont extrêmement regrettables.... Néanmoins, nous
+sommes en nombre suffisant.... Vous savez, mes frères, de quoi
+il est question. L'enfant que voici, grâce à un talisman dérobé
+aux puissances de la Terre, peut s'emparer de notre Oiseau-Bleu,
+et nous arracher ainsi le secret que nous gardons depuis
+l'origine de la Vie.... Or, nous connaissons assez l'Homme pour
+n'avoir aucun doute sur le sort qu'il nous réserve lorsqu'il se
+trouvera en possession de ce secret. C'est pourquoi il me semble
+que toute hésitation serait aussi stupide que criminelle....
+L'heure est grave; il faut que l'enfant disparaisse avant qu'il
+soit trop tard....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Que dit-il?...</p>
+
+<p>LE CHIEN, [rôdant autour du Chêne en montrant ses crocs.]</p>
+
+<p>As-tu vu mes dents, vieux perclus?...</p>
+
+<p>LE HÊTRE, [indigné.]</p>
+
+<p>Il insulte le Chêne!...</p>
+
+<p>LE CHÊNE</p>
+
+<p>C'est le Chien?... Qu'on l'expulse! Il ne faut pas que nous
+tolérions un traître parmi nous!...</p>
+
+<p>LA CHATTE, [bas, à Tyltyl.]</p>
+
+<p>Éloignez le Chien.... C'est un malentendu.... Laissez-moi faire,
+j'arrangerai les choses.... Mais éloignez-le au plus vite....</p>
+
+<p>TYLTYL, [au Chien.]</p>
+
+<p>Veux-tu t'en aller!...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Laisse-moi donc lui déchirer ses pantoufles de mousse à ce vieux
+goutteux-là!... On va rire!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tais-toi donc!... Et va-t'en!... Mais va-t'en, vilaine bête!...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Bon, bon, on s'en ira.... Je reviendrai quand tu auras besoin de
+moi....</p>
+
+<p>LA CHATTE, [bas, à Tyltyl.]</p>
+
+<p>Il serait plus prudent de l'enchaîner, sinon il fera des bêtises;
+les Arbres se fâcheront, et tout cela finira mal....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Comment faire?... J'ai égaré sa laisse....</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Voici tout juste le Lierre qui s'avance avec de solides liens....</p>
+
+<p>LE CHIEN, grondant.</p>
+
+<p>Je reviendrai, je reviendrai!... Podagre! bronchiteux!... Tas de
+vieux rabougris, tas de vieilles racines!...C'est la Chatte qui
+mène tout!... Je lui revaudrai ça!... Qu'as-tu donc à chuchoter
+ainsi, Judas, Tigre, Bazaine!... Wa, wa! wa!...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Vous voyez, il insulte tout le monde....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est vrai, il est insupportable et l'on ne s'entend plus....
+Monsieur le Lierre, voulez-vous l'enchaîner?...</p>
+
+<p>LE LIERRE, [s'approchant assez craintivement du Chien.]</p>
+
+<p>Il ne mordra pas?...</p>
+
+<p>LE CHIEN, [grondant.]</p>
+
+<p>Au contraire! au contraire!... Il va bien t'embrasser!...
+Attends, tu vas voir ça!... Approche, approche donc, tas de
+vieilles ficelles!...</p>
+
+<p>TYLTYL, [le menaçant du bâton.]</p>
+
+<p>Tylô!...</p>
+
+<p>LE CHIEN, [rampant aux pieds de Tyltyl en agitant la queue.]</p>
+
+<p>Que faut-il faire, mon petit dieu?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Te coucher, à plat ventre!... Obéis au Lierre.... Laisse-toi
+garotter, sinon....</p>
+
+<p>LE CHIEN, [grondant entre les dents pendant que le Lierre le
+garotte.]</p>
+
+<p>Ficelle!... Corde à pendus!... Laisse à veaux!... Chaîne à
+porcs!... Mon petit dieu, regarde.... Il me tord les pattes....
+Il m'étrangle!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tant pis!... Tu l'as voulu!... Tais-toi, tiens-toi tranquille, tu
+es insupportable!...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>C'est égal, tu as tort.... Ils ont de vilaines intentions.... Mon
+petit dieu, prends garde!... Il me ferme la bouche!... Je ne peux
+plus parler!...</p>
+
+<p>LE LIERRE, [qui a ficelé le Chien comme un paquet.]</p>
+
+<p>Où faut-il le porter?... Je l'ai bien bâillonné.... il ne souffle
+plus mot....</p>
+
+<p>LE CHÊNE</p>
+
+<p>Qu'on l'attache solidement là-bas, derrière mon tronc, à ma
+grosse racine.... Nous verrons ensuite ce qu'il convient d'en
+faire.... [Le Lierre aidé du Peuplier porte le Chien derrière le
+tronc du Chêne] Est-ce fait?... Bien, maintenant que nous voilà
+débarrassés de ce témoin gênant et de ce renégat, délibérons
+selon notre justice et notre vérité.... Mon émotion, je ne vous
+le cache point, est profonde et pénible.... C'est la première
+fois qu'il nous est donné de juger l'Homme et de lui faire sentir
+notre puissance.... Je ne crois pas qu'après le mal qu'il nous a
+fait, après les monstrueuses injustices que nous avons subies, il
+reste le moindre doute sur la sentence qui l'attend....</p>
+
+<p>TOUS LES ARBRES et TOUS LES ANIMAUX</p>
+
+<p>Non! Non! Non!... Pas de doute!... La pendaison!... La mort!...
+Il y a trop d'injustice!... Il a trop abusé!... Il y a trop
+longtemps!... Qu'on l'écrase! Qu'on le mange!... Tout de
+suite!... Tout de suite!...</p>
+
+<p>TYLTYL, [à la Chatte.]</p>
+
+<p>Qu'ont-ils donc?... Ils ne sont pas contents?...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Ne vous inquiétez pas.... Ils sont un peu fâchés à cause que le
+Printemps est en retard.... Laissez-moi faire, j'arrangerai tout
+ça....</p>
+
+<p>LE CHÊNE</p>
+
+<p>Cette unanimité était inévitable.... Il s'agit à présent de
+savoir, pour éviter les représailles, quel genre de supplice sera
+le plus pratique, le plus commode, le plus expéditif et le plus
+sûr; celui qui laissera le moins de traces accusatrices lorsque
+les Hommes retrouveront les petits corps dans la forêt....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est que tout ça?... Où veut-il en venir?... Je
+commence à en avoir assez.... Puisqu'il a l'Oiseau-Bleu, qu'il le
+donne....</p>
+
+<p>LE TAUREAU, [s'avançant.]</p>
+
+<p>Le plus pratique et le plus sûr, c'est un bon coup de corne au
+creux de l'estomac.&mdash;Voulez-vous que je fonce?...</p>
+
+<p>LE CHÊNE</p>
+
+<p>Qui parle ainsi?...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>C'est le Taureau.</p>
+
+<p>LA VACHE</p>
+
+<p>Il ferait mieux de se tenir tranquille.... Moi, je ne m'en mêle
+pas.... J'ai à brouter toute l'herbe de la prairie qu'on voit
+là-bas, dans le bleu de la lune.... J'ai trop à faire....</p>
+
+<p>LE BÅ’UF</p>
+
+<p>Moi aussi. D'ailleurs, j'approuve tout d'avance....</p>
+
+<p>LE HÊTRE</p>
+
+<p>Moi, j'offre ma plus haute branche pour les pendre....</p>
+
+<p>LE LIERRE</p>
+
+<p>Et moi le nœud coulant....</p>
+
+<p>LE SAPIN</p>
+
+<p>Et moi les quatre planches pour la petite boîte....</p>
+
+<p>LE CYPRÈS</p>
+
+<p>Et moi la concession à perpétuité....</p>
+
+<p>LE SAULE</p>
+
+<p>Le plus simple serait de les noyer dans une de mes rivières....
+Je m'en charge....</p>
+
+<p>LE TILLEUL, [conciliant.]</p>
+
+<p>Voyons, voyons.... Est-il bien nécessaire d'en venir à ces
+extrémités? Ils sont encore bien jeunes.... On pourrait tout
+bonnement les empêcher de nuire en les retenant prisonniers dans
+un clos que je me charge de construire en me plantant tout
+autour....</p>
+
+<p>LE CHÊNE</p>
+
+<p>Qui parle ainsi?... Je crois reconnaître la voix mielleuse du
+Tilleul....</p>
+
+<p>LE SAPIN</p>
+
+<p>En effet....</p>
+
+<p>LE CHÊNE</p>
+
+<p>Il y a donc un renégat parmi nous, comme parmi les Animaux?...
+Jusqu'ici, nous n'avions à déplorer que la défection des Arbres
+fruitiers; mais ceux-ci ne sont pas de véritables Arbres....</p>
+
+<p>LE PORC, [roulant de petits yeux gloutons.]</p>
+
+<p>Moi, je pense qu'il faut d'abord manger la petite fille.... Elle
+doit être bien tendre....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Que dit-il celui-là?... Attends un peu, espèce de....</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Je ne sais ce qu'ils ont; mais cela prend mauvaise tournure....</p>
+
+<p>LE CHÊNE</p>
+
+<p>Silence!... Il s'agit de savoir qui de nous aura l'honneur de
+porter le premier coup; qui écartera de nos cimes le plus grand
+danger que nous ayons couru depuis la naissance de l'Homme....</p>
+
+<p>LE SAPIN</p>
+
+<p>C'est à vous, notre roi et notre patriarche, que revient cet
+honneur....</p>
+
+<p>LE CHÊNE</p>
+
+<p>C'est le Sapin qui parle?... Hélas! je suis trop vieux! Je suis
+aveugle, infirme, et mes bras engourdis ne m'obéissent plus....
+Non, c'est à vous, mon frère, toujours vert, toujours droit,
+c'est à vous, qui vîtes naître la plupart de ces Arbres,
+qu'échoit, à mon défaut, la gloire du noble geste de notre
+délivrance....</p>
+
+<p>LE SAPIN</p>
+
+<p>Je vous remercie, mon vénérable père.... Mais comme j'aurai déjà
+l'honneur d'ensevelir les deux victimes, je craindrais d'éveiller
+la juste jalousie de mes collègues; et je crois qu'après nous, le
+plus ancien et le plus digne, celui qui possède la meilleure
+massue, c'est le Hêtre....</p>
+
+<p>LE HÊTRE</p>
+
+<p>Vous savez que je suis vermoulu et que ma massue n'est point
+sûre.... Mais l'Orme et le Cyprès ont de puissantes armes....</p>
+
+<p>L'ORME</p>
+
+<p>Je ne demanderais pas mieux; mais je puis à peine me tenir
+debout.... Une taupe, cette nuit, m'a retourné le gros orteil....</p>
+
+<p>LE CYPRÈS</p>
+
+<p>Quant à moi, je suis prêt.... Mais, comme mon bon frère le Sapin,
+j'aurai déjà, sinon le privilège de les ensevelir, tout au moins
+l'avantage de pleurer sur leur tombe.... Ce serait illégitimement
+cumuler.... Demandez au Peuplier....</p>
+
+<p>LE PEUPLIER</p>
+
+<p>A moi?... Y pensez-vous?... Mais mon bois est plus tendre que la
+chair d'un enfant!... Et puis, je ne sais ce que j'ai.... Je
+tremble de fièvre.... Regardez donc mes feuilles.... J'ai dû
+prendre froid ce matin au lever du soleil....</p>
+
+<p>LE CHÊNE, [éclatant d'indignation.]</p>
+
+<p>Vous avez peur de l'Homme!... Même ces petits enfants isolés et
+sans armes vous inspirent la terreur mystérieuse qui fit toujours
+de nous les esclaves que nous sommes!... Eh bien, non! C'est
+assez!... Puisqu'il en est ainsi, puisque l'heure est unique,
+j'irai seul, vieux, perclus, tremblant, aveugle, contre l'ennemi
+héréditaire!... Où est-il?...</p>
+
+<blockquote><p>[Tâtonnant de son bâton, il s'avance vers Tyltyl.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL, [tirant son couteau de sa poche.]</p>
+
+<p>C'est à moi qu'il en a, ce vieux-là, avec son gros bâton?...</p>
+
+<blockquote><p>[Tous les autres Arbres, poussant un cri d'épouvante à la
+vue du couteau, l'arme mystérieuse et irrésistible de
+l'Homme, s'interposent et retiennent le Chêne.] </p></blockquote>
+
+<p>LES ARBRES</p>
+
+<p>Le couteau!... Prenez garde!.... Le couteau!...</p>
+
+<p>LE CHÊNE, se débattant.</p>
+
+<p>Laissez-moi!... Que m'importe!... Le couteau ou la hache!... Qui
+me retient?... Quoi! vous êtes tous ici?... Quoi! vous tous vous
+voulez?... [Jetant son bâton] Eh bien, soit!... Honte à nous!...
+Que les Animaux nous délivrent!...</p>
+
+<p>LE TAUREAU</p>
+
+<p>C'est cela!... Je m'en charge!... Et d'un seul coup de corne!...</p>
+
+<p>LE BÅ’UF et LA VACHE, [le retenant par la queue.]</p>
+
+<p>De quoi te mêles-tu?...Ne fais pas de bêtises!... C'est une
+mauvaise affaire!... Cela finira mal.... C'est nous qui
+trinquerons.... Laisse donc.... C'est affaire aux Animaux
+sauvages....</p>
+
+<p>LE TAUREAU</p>
+
+<p>Non, non!... C'est mon affaire!... Attendez!... Mais retenez-moi
+donc ou je fais un malheur!...</p>
+
+<p>TYLTYL, [à Mytyl qui pousse des cris aigus.]</p>
+
+<p>N'aie pas peur!... Mets-toi derrière moi.... J'ai mon couteau....</p>
+
+<p>LE COQ</p>
+
+<p>C'est qu'il est crâne, le petit!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Alors, c'est décidé, c'est à moi qu'on en veut?...</p>
+
+<p>L'ÂNE</p>
+
+<p>Mais bien sûr, mon petit, tu y a mis le temps, à t'en
+apercevoir!...</p>
+
+<p>LE PORC</p>
+
+<p>Tu peux faire ta prière, va, c'est ta dernière heure. Mais ne
+cache pas la petite fille.... Je veux m'en régaler les yeux....
+C'est elle que je mangerai la première....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce que je vous ai fait?...</p>
+
+<p>LE MOUTON</p>
+
+<p>Rien du tout, mon petit.... Mangé mon petit frère, mes deux
+sœurs, mes trois oncles, ma tante, bon-papa, bonne-maman....
+Attends, attends, quand tu seras par terre, tu verras que j'ai
+des dents aussi....</p>
+
+<p>L'ÂNE</p>
+
+<p>Et que j'ai des sabots!...</p>
+
+<p>LE CHEVAL, [piaffant fièrement.]</p>
+
+<p>Vous allez voir ce que vous allez voir!... Aimez-vous mieux que
+je le déchire à belles dents ou que je vous l'abatte à coups de
+pied?... [Il s'avance magnifiquement sur Tyltyl qui lui fait face
+en levant son couteau. Tout à coup, le Cheval, pris de panique,
+tourne le dos et fuit à toutes jambes.] Ah! mais non!... Ce n'est
+pas juste!... Ce n'est pas de jeu!... Il se défend!...</p>
+
+<p>LE COQ, [ne pouvant cacher son admiration.]</p>
+
+<p>C'est égal, le petit n'a pas froid aux yeux!...</p>
+
+<p>LE PORC, [à l'Ours et au Loup.]</p>
+
+<p>Précipitons-nous tous ensemble.... Je vous soutiendrai par
+derrière.... Nous les renverserons et nous nous partagerons la
+petite fille quand elle sera par terre....</p>
+
+<p>LE LOUP</p>
+
+<p>Amusez-les par là.... Je vais faire un mouvement tournant....</p>
+
+<blockquote><p>[Il tourne Tyltyl qu'il attaque par derrière et renverse à demi.]</p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Judas!... [Il se redresse sur un genou, brandissant son couteau
+et couvrant de son mieux sa petite sœur qui pousse des
+hurlements de détresse.&mdash;Le voyant à demi renversé, tous les
+Animaux et les Arbres se rapprochent et cherchent à lui porter
+des coups. L'obscurité se fait subitement. Éperdument, Tyltyl
+appelle à l'aide.] A moi! A moi!... Tylô! Tylô!... Où est la
+Chatte?... Tylô!... Tylette! Tylette!... Venez! venez!...</p>
+
+<p>LA CHATTE, [hypocritement, à l'écart.]</p>
+
+<p>Je ne peux pas.... Je viens de me fouler la patte....</p>
+
+<p>TYLTYL, [parant les coups et se défendant de son mieux.]</p>
+
+<p>A moi!... Tylô! Tylô!... Je ne peux plus!... Ils sont trop!...
+L'Ours! le Cochon! le Loup! l'Âne! le Sapin! le Hêtre!... Tylô!
+Tylô! Tylô!...</p>
+
+<blockquote><p>[Traînant ses liens brisés, le Chien bondit de derrière le
+tronc du Chêne et, bousculant Arbres et Animaux, se jette
+devant Tyltyl qu'il détend avec rage.] </p></blockquote>
+
+<p>LE CHIEN, [tout en distribuant d'énormes coups de dent.]</p>
+
+<p>Voilà! voilà! mon petit dieu!... N'aie pas peur! Allons-y!...
+J'ai de bons coups de gueule!... Tiens, voilà pour toi, l'Ours,
+là dans ton gros derrière!...Voyons, qui en veut encore?... Voilà
+pour le Cochon, et ça pour le Cheval et la queue du Taureau!
+Voilà! j'ai déchiré la culotte du Hêtre et le jupon du Chêne!...
+Le Sapin f.... le camp!... C'est égal, il fait chaud!...</p>
+
+<p>TYLTYL, [accablé.]</p>
+
+<p>Je n'en peux plus!... Le Cyprès m'a donné un grand coup sur la
+tête....</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Aïe! c'est un coup du Saule!... Il m'a cassé la patte!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ils reviennent à la charge! Tous ensemble!... Cette fois, c'est
+le Loup!...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Attends, que je l'étrenne!...</p>
+
+<p>LE LOUP</p>
+
+<p>Imbécile!... Notre frère!... Ses parents ont noyé tes petits!...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Ils ont bien fait!... Tant mieux!... C'est qu'ils te
+ressemblaient!...</p>
+
+<p>TOUS LES ARBRES et TOUS LES ANIMAUX</p>
+
+<p>Renégat!... Idiot!... Traître! Félon! Nigaud!... Judas!...
+Laisse-le! C'est la mort! Viens à nous!</p>
+
+<p>LE CHIEN, [ivre d'ardeur et de dévouement.]</p>
+
+<p>Non! non!... Seul contre tous!... Non, non!... Fidèle aux dieux!
+aux meilleurs! aux plus grands!... [À Tyltyl.]Prends garde, voici
+l'Ours!... Méfie-toi du Taureau.... Je vais lui sauter à la
+gorge.... Aïe!... C'est un coup de pied.... L'Âne m'a cassé deux
+dents....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Je ne peux plus, Tylô!... Aïe!... C'est un coup de l'Orme....
+Regarde, ma main saigne.... C'est le Loup ou le Porc....</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Attends, mon petit dieu.... Laisse-moi t'embrasser. Là, un bon
+coup de langue.... Ça te fera du bien.... Reste bien derrière
+moi.... Ils n'osent plus approcher.... Si!... Les voilà qui
+reviennent!... Ah! ce coup, c'est sérieux!... Tenons ferme!...</p>
+
+<p>TYLTYL, [se laissant tomber sur le sol.]</p>
+
+<p>Non, ce n'est plus possible....</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>On vient!... J'entends, je flaire!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Où donc?... Qui donc?...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Là! là!... C'est la Lumière!... Elle nous a retrouvés!...
+Sauvés, mon petit roi!... Embrasse-moi!... Sauvés!... regarde!...
+Ils se méfient!... Ils s'écartent!... Ils ont peur!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>La Lumière!... La Lumière!... Venez donc!... Hâtez-vous!... Ils
+se sont révoltés!... Ils sont tous contre nous!...</p>
+
+<blockquote><p>[Entre la Lumière: à mesure qu'elle s'avance, l'Aurore se
+lève sur la forêt qui s'éclaire.] </p></blockquote>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Qu'est-ce donc?... Qu'y a-t-il?...Mais, malheureux! tu ne savais
+donc pas!... Tourne le Diamant! Ils rentreront dans le Silence et
+dans l'Obscurité; et tu ne verras plus leurs sentiments....</p>
+
+<blockquote><p>[Tyltyl tourne le Diamant.&mdash;Aussitôt les âmes de tous les
+Arbres se précipitent dans les troncs qui se referment.
+&mdash;Les âmes des Animaux disparaissent également; et l'on
+voit, au loin, brouter une Vache et un Mouton paisibles,
+etc.&mdash;La Forêt redevient innocente. Étonné, Tyltyl regarde
+autour de soi.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Où sont-ils?... Qu'avaient-ils?... Est-ce qu'ils étaient
+fous?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Mais non, ils sont toujours ainsi; mais on ne le sait pas parce
+qu'on ne le voit pas.... Je te l'avais bien dit: il est dangereux
+de les réveiller quand je ne suis pas là....</p>
+
+<p>TYLTYL, [essuyant son couteau.]</p>
+
+<p>C'est égal; sans le Chien et si je n'avais pas eu mon couteau....
+Je n'aurais jamais cru qu'ils fussent si méchants!...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Tu vois bien que l'Homme est tout seul contre tous, en ce
+monde....</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Tu n'as pas trop de mal, mon petit dieu?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Rien de grave.... Quant à Mytyl, ils ne l'ont pas touchée....
+Mais toi, mon bon Tylô?... Tu as la bouche en sang, et ta patte
+est cassée?...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Pas la peine d'en parler.... Demain, il n'y paraîtra plus....
+Mais l'affaire était chaude!...</p>
+
+<p>LA CHATTE, [sortant d'un fourré en boitant.]</p>
+
+<p>Je crois bien!... Le Bœuf m'a donné un coup de corne dans le
+ventre.... On n'en voit pas la trace, mais il me fait bien
+mal.... Et le Chêne m'a cassé la patte....</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>J'aimerais bien savoir laquelle....</p>
+
+<p>MYTYL, caressant la Chatte.</p>
+
+<p>Ma pauvre Tylette, est-ce vrai?... Où donc te trouvais-tu?... Je
+ne t'ai pas aperçue....</p>
+
+<p>LA CHATTE, [hypocritement.]</p>
+
+<p>Petite mère, j'ai été blessée tout de suite, en attaquant le
+vilain Porc qui voulait te manger.... C'est alors que le Chêne
+m'a donné ce grand coup qui m'a étourdie....</p>
+
+<p>LE CHIEN, [à la Chatte, entre les dents.]</p>
+
+<p>Toi, tu sais, j'ai deux mots à te dire.... Tu ne perdras rien
+pour attendre!...</p>
+
+<p>LA CHATTE, [plaintivement, à Mytyl.]</p>
+
+<p>Petite mère, il m'insulte.... Il veut me faire du mal....</p>
+
+<p>MYTYL, [au Chien.]</p>
+
+<p>Veux-tu bien la laisser tranquille, vilaine bête....</p>
+
+<p>Ils sortent tous.</p>
+
+<p>RIDEAU</p>
+
+
+
+<hr style="width: 65%;" />
+<h3><a name="ACTE_QUATRIEME" id="ACTE_QUATRIEME"></a>ACTE QUATRIÈME</h3>
+
+
+
+<hr style="width: 45%;" />
+<h3><a name="SIXIEME_TABLEAU" id="SIXIEME_TABLEAU"></a>SIXIÈME TABLEAU</h3>
+
+<h4>DEVANT LE RIDEAU</h4>
+
+<hr style="width: 45%;" />
+
+<blockquote><p>[Entrent Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Chien, le Chat, le
+Pain, le Feu, le Sucre, l'Eau et le Lait.] </p></blockquote>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>J'ai reçu un petit mot de la Fée Bérylune qui m'apprend que
+l'Oiseau-Bleu se trouve probablement ici....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Où ça?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Ici, dans le cimetière qui est derrière ce mur.... Il paraît
+qu'un des morts de ce cimetière le cache dans la tombe.... Reste
+à savoir lequel.... Il faudra qu'on les passe en revue....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>En revue?... Comment qu'on fera?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>C'est bien simple: à minuit, pour ne pas trop les déranger, tu
+tourneras le Diamant. On les verra sortir de terre; ou bien on
+apercevra au fond de leurs tombes ceux qui ne sortent pas....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ils ne seront pas fâchés?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Nullement, ils ne s'en douteront même pas.... Ils n'aiment pas
+qu'on les dérange; mais comme de toutes façons ils ont coutume de
+sortir à minuit, cela ne les gênera pas....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Pourquoi que le Pain, le Sucre et le Lait sont si pâles et
+pourquoi qu'ils ne disent rien?...</p>
+
+<p>LE LAIT, [chancelant.]</p>
+
+<p>Je sens que je vais tourner....</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE, [bas, à Tyltyl.]</p>
+
+<p>Ne fais pas attention.... Ils ont peur des morts..</p>
+
+<p>LE FEU, [gambadant.]</p>
+
+<p>Moi, je n'en ai pas peur!... J'ai l'habitude de les brûler....
+Dans les temps, je les brûlais tous; c'était bien plus amusant
+qu'aujourd'hui....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et pourquoi Tylô tremble-t-il?... Est-ce qu'il a peur aussi?</p>
+
+<p>LE CHIEN, [claquant des dents.]</p>
+
+<p>Moi?... Je ne tremble pas!... Moi, je n'ai jamais peur; mais si
+tu t'en allais, je m'en irais aussi....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et la Chatte ne dit rien?...</p>
+
+<p>LA CHATTE, [mystérieuse.]</p>
+
+<p>Je sais ce que c'est....</p>
+
+<p>TYLTYL, [à la Lumière.]</p>
+
+<p>Tu viendras avec nous?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Non, il est préférable que je reste à la porte du cimetière avec
+les Choses et les Animaux.... L'heure n'est pas venue.... La
+Lumière ne peut pas encore pénétrer chez les morts.... Je vais te
+laisser seul avec Mytyl....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et Tylô ne peut pas rester avec-nous?...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Si, si, je reste, je reste ici.... Je veux rester près de mon
+petit dieu!...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>C'est impossible.... L'ordre de la Fée est formel; du reste, il
+n'y a rien à craindre....</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Bien, bien, tant pis.... S'ils sont méchants, mon petit dieu, tu
+n'as qu'à faire comme ça [il siffle.] et tu verras.... Ce sera
+comme dans la forêt: Wa! Wa! Wa!...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Allons, adieu, mes chers petits.... Je ne serai pas loin....
+[Elle embrasse les enfants.] Ceux qui m'aiment et que j'aime me
+retrouvent toujours.... [Aux Choses et aux Animaux.] Vous
+autres.... par ici.</p>
+
+<blockquote><p>[Elle sort avec les Choses et les Animaux. Les enfants
+restent seuls au milieu de la scène. Le rideau s'ouvre pour
+découvrir le septième tableau.] </p></blockquote>
+
+
+
+
+<hr style="width: 65%;" />
+<h3><a name="SEPTIEME_TABLEAU" id="SEPTIEME_TABLEAU"></a>SEPTIÈME TABLEAU</h3>
+
+<h4>LE CIMETIÈRE</h4>
+
+
+<p>Il fait nuit. Clair de lune. Un cimetière de campagne.
+Nombreuses tombes, tertres de gazon, croix de bois,
+dalles funéraires, etc.</p>
+
+<hr style="width: 45%;" />
+
+<blockquote><p>[Tyltyl et Mytyl sont debout près d'un cippe.] </p></blockquote>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>J'ai peur.</p>
+
+<p>TYLTYL, [assez peu rassuré.]</p>
+
+<p>Moi, je n'ai jamais peur....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>C'est méchant, les morts, dis?..</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais non, puisqu'ils ne vivent pas....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Tu en as déjà vu?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui, une fois, dans le temps, lorsque j'étais très jeune....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Comment c'est fait, dis?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est tout blanc, très tranquille et très froid, et ça ne parle
+pas....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Nous allons les voir, dis?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Bien sûr, puisque la Lumière l'a promis....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Où c'est qu'ils sont, les morts?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ici, sous le gazon ou sous ces grosses pierres.</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Ils sont là toute l'année?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui.</p>
+
+<p>MYTYL, [montrant les dalles.]</p>
+
+<p>C'est les portes de leurs maisons?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui.</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'ils sortent quand il fait beau?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ils ne peuvent sortir qu'à la nuit....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Pourquoi?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Parce qu'ils sont en chemise....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'ils sortent aussi quand il pleut?.</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Quand il pleut, ils restent chez eux....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>C'est beau chez eux, dis?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>On dit que c'est fort étroit....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'ils ont des petits enfants?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Bien sûr; ils ont tous ceux qui meurent....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Et de quoi vivent-ils?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ils mangent des racines....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Est-ce que nous les verrons?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Bien sûr, puisqu'on voit tout quand le Diamant est tourné.</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Et qu'est-ce qu'ils diront?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ils ne diront rien, puisqu'ils ne parlent pas....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Pourquoi qu'ils ne parlent pas?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Parce qu'ils n'ont rien à dire....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Pourquoi qu'ils n'ont rien à dire?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tu m'embêtes....</p>
+
+<blockquote><p>[Un silence.]</p></blockquote>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Quand tourneras-tu le Diamant?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tu sais bien que la Lumière a dit d'attendre à minuit, parce
+qu'alors on les dérange moins....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Pourquoi qu'on les dérange moins?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Parce que c'est l'heure où ils sortent prendre l'air.</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Il n'est pas minuit?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Vois-tu le cadran de l'église?...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Oui, je vois même la petite aiguille....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et bien! minuit va sonner.... Là!... Tout juste....
+Entends-tu?...</p>
+
+<p>On entend sonner les douze coups de minuit.</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Je veux m'en aller!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ce n'est pas le moment.... Je vais tourner le Diamant....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Non, non!... Ne le fais pas!... Je veux m'en aller!... J'ai si
+peur, petit frère!... J'ai terriblement peur!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais il n'y a pas de danger....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Je ne veux pas voir les morts!... Je ne veux pas les voir!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est bon, tu ne les verras pas, tu fermeras les yeux....</p>
+
+<p>MYTYL, [s'accrochant aux vêtements de Tyltyl.]</p>
+
+<p>Tyltyl, je ne peux pas!... Non, ce n'est pas possible!... Ils
+vont sortir de terre!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ne tremble pas ainsi.... Ils ne sortiront qu'un moment....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Mais tu trembles aussi, toi!... Ils seront effrayants!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Il est temps, l'heure passe....</p>
+
+<blockquote><p>[Tyltyl tourne le Diamant. Une terrifiante minute de silence
+et d'immobilité; après quoi, lentement, les croix
+chancellent, les tertres s'entr'ouvrent, les dalles se
+soulèvent.] </p></blockquote>
+
+<p>MYTYL, [se blottissant contre Tyltyl.]</p>
+
+<p>Ils sortent!... Ils sont là!...</p>
+
+<blockquote><p>[Alors, de toutes les tombes béantes monte graduellement une
+floraison d'abord grêle et timide comme une vapeur d'eau,
+puis blanche et virginale et de plus en plus touffue, de
+plus en plus haute, surabondante et merveilleuse, qui peu à
+peu, irrésistiblement, envahissant toutes choses, transforme
+le cimetière en une sorte de jardin féerique et nuptial, sur
+lequel ne tardent pas à se lever les premiers rayons de
+l'aube. La rosée scintille, les fleurs s'épanouissent, le
+vent murmure dans les feuilles, les abeilles bourdonnent,
+les oiseaux s'éveillent et inondent l'espace des premières
+ivresses de leurs hymnes au soleil et à la vie. Stupéfaits,
+éblouis, Tyltyl et Mytyl, se tenant par la main, font
+quelques pas parmi les fleurs en cherchant la trace des
+tombes.] </p></blockquote>
+
+<p>MYTYL, [cherchant dans le gazon.]</p>
+
+<p>Où sont-ils, les morts?...</p>
+
+<p>TYLTYL, [cherchant de même.]</p>
+
+<p>Il n'y a pas de morts....</p>
+
+
+<p>RIDEAU</p>
+
+
+
+<hr style="width: 65%;" />
+<h3><a name="HUITIEME_TABLEAU" id="HUITIEME_TABLEAU"></a>HUITIÈME TABLEAU</h3>
+
+<h4>DEVANT LE RIDEAU QUI REPRÉSENTE DE BEAUX NUAGES</h4>
+
+
+<blockquote><p>Entrent: Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Chien, la Chatte, le
+Pain, le Feu, le Sucre, l'Eau et le Lait. </p></blockquote>
+
+<hr style="width: 45%;" />
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Je crois que cette fois nous tenons L'Oiseau-Bleu. J'aurais dû y
+penser dès la première étape.... Ce n'est que ce matin, en
+reprenant mes forces dans l'aurore, que l'idée m'est venue comme
+un rayon du ciel.... Nous sommes à l'entrée des jardins enchantés
+où se trouvent réunis sous la garde du Destin, toutes les Joies,
+tous les Bonheurs des Hommes....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Il y en a beaucoup? Est-ce qu'on en aura? Est-ce qu'ils sont
+petits?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Il en est de petits et de grands, de gros et de délicats, de très
+beaux et d'autres qui sont moins agréables.... Mais les plus
+vilains furent, il y a quelque temps, expulsés des jardins et
+cherchèrent refuge chez les Malheurs. Car il faut remarquer que
+les Malheurs habitent un autre contigu, qui communique avec le
+jardin des Bonheurs et n'en est séparé que par une sorte de
+vapeur ou de rideau subtil que le vent qui souffle des hauteurs
+de la Justice ou du fond de l'Éternité soulève à chaque
+instant.... Maintenant, il s'agit de s'organiser et de prendre
+certaines précautions. En général, les Bonheurs sont fort bons,
+pourtant il en est quelques-uns qui sont plus dangereux et plus
+perfides que les plus grands Malheurs....</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>J'ai une idée! S'ils sont dangereux et perfides, ne serait-il
+pas préférable que nous attendissions tous à la porte, afin
+d'être à même de prêter main-forte aux enfants s'ils étaient
+obligés de fuir?...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Pas du tout! pas du tout!... Je veux aller partout avec mes
+petits dieux!... Que tous ceux qui ont peur restent donc à la
+porte!... Nous n'avons pas besoin [Regardant le Pain]. de
+poltrons, [Regardant la Chatte] ni de traîtres....</p>
+
+<p>LE FEU</p>
+
+<p>Moi, j'y vais!... Il paraît que c'est amusant!... On y danse tout
+le temps....</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>Est-ce qu'on y mange aussi?...</p>
+
+<p>L'EAU, [gémissant.]</p>
+
+<p>Je n'ai jamais connu le plus petit Bonheur!... Je veux en voir
+enfin!...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Taisez-vous! Personne ne demande vos avis.... Voici ce que j'ai
+décidé: le Chien, le Pain et le Sucre accompagneront les enfants.
+L'Eau n'entrera pas, parce qu'elle est trop froide, ni le Feu qui
+est trop turbulent. J'engage vivement le Lait à rester à la
+porte, parce qu'il est trop impressionnable; quant à la Chatte,
+elle fera comme elle voudra....</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Elle a peur!...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>J'irai saluer en passant quelques Malheurs qui sont de vieux amis
+et habitent à côté des Bonheurs....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et toi, la Lumière, est-ce que tu ne viens pas?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Je ne peux pas entrer ainsi chez les Bonheurs; la plupart ne me
+supportent pas.... Mais j'ai ici le voile épais dont je me
+couvre quand je visite les gens heureux.... [Elle déplie un long
+voile dont elle s'enveloppe soigneusement.] Il ne faut pas qu'un
+rayon de mon âme les effraye, car il est beaucoup de Bonheurs qui
+ont peur et ne sont pas heureux.... Voilà, de cette façon, les
+moins jolis et les plus gros eux-mêmes n'auront plus rien à
+redouter....</p>
+
+<blockquote><p>[Le rideau s'ouvre pour découvrir le neuvième tableau.] </p></blockquote>
+
+
+
+<hr style="width: 65%;" />
+<h3><a name="NEUVIEME_TABLEAU" id="NEUVIEME_TABLEAU"></a>NEUVIÈME TABLEAU</h3>
+
+<h4>LES JARDINS DES BONHEURS</h4>
+
+
+<p>Quand s'ouvre le rideau, on découvre, prise sur les premiers
+plans des jardins, une sorte de salle formée de hautes colonnes
+de marbre entre lesquelles, masquant tout le fond, sont tendues
+de lourdes draperies de pourpre que soutiennent des cordages
+d'or. Architecture rappelant les moments les plus sensuels et les
+plus somptueux de la Renaissance (vénitienne ou flamande Véronèse
+et Rubens). Guirlandes, cornes d'abondance, torsades, vases,
+statues, dorures prodigués de toutes parts.&mdash;Au milieu, massive
+et féerique table de jaspe et de vermeil, encombrée de flambeaux,
+de cristaux, de vaisselle d'or et d'argent et surchargée de mets
+fabuleux.&mdash;Autour de la table, mangent, boivent, hurlent,
+chantent, s'agitent, se vautrent ou s'endorment parmi les
+venaisons, les fruits miraculeux, les aiguières et les amphores
+renversées, les plus gros Bonheurs de la terre. Ils sont énormes,
+invraisemblablement obèses et rubiconds, couverts de velours et
+de brocarts, couronnés d'or, de perles et de pierreries. De
+belles esclaves apportent, sans cesse des plats empanachés et des
+breuvages écumiants.&mdash;Musique vulgaire, hilare et brutale où
+dominent les cuivres.&mdash;Une lumière lourde et rouge baigne la
+scène.</p>
+
+<hr style="width: 45%;" />
+
+<blockquote><p>[Tyltyl, Mytyl, le Chien, le Pain et le Sucre, d'abord assez
+intimidés, se pressent, à droite, au premier plan, autour de
+la Lumière. La Chatte, sans rien dire, se dirige vers le
+fond, également à droite, soulève un rideau sombre et
+disparaît.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce que ces gros messieurs qui s'amusent et mangent tant de
+bonnes choses?</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Ce sont les plus gros Bonheurs de la Terre, ceux qu'on peut voir
+à l'œil nu. Il est possible, bien qu'assez peu probable, que
+l'Oiseau-Bleu se soit un instant égaré parmi eux. C'est pourquoi
+ne tourne pas encore le Diamant. Nous allons, pour la forme,
+explorer tout 'd'abord cette partie de la salle.</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'on peut s'approcher?</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Certainement. Ils ne sont pas méchants, bien que vulgaires et,
+d'habitude, assez mal élevés.</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Qu'ils ont de beaux gâteaux!...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Et du gibier! et des saucisses! et des gigots d'agneau et du foie
+de veau!... [Proclamant.] Rien au monde n'est meilleur, rien
+n'est plus beau et rien ne vaut le foie de veau!...</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>Excepté les Pains-de-quatre-livres pétris de fine fleur de
+froment! Ils en ont d'admirables!... Qu'ils sont beaux! qu'ils
+sont beaux!... Ils sont plus gros que moi!...</p>
+
+<p>LE SUCRE</p>
+
+<p>Pardon, pardon, mille pardons.... Permettez, permettez.... Je ne
+voudrais froisser personne; mais n'oubliez-vous pas les Sucreries
+qui sont la gloire de cette table et dont l'éclat et la
+magnificence surpassent, si j'ose m'exprimer ainsi, tout ce qu'il
+y a dans cette salle et peut-être en tout autre lieu....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'ils ont l'air contents et heureux!... Et ils crient! et ils
+rient! et ils chantent!... Je crois qu'ils nous ont vus....</p>
+
+<blockquote><p>[En effet, une douzaine des plus Gros Bonheurs se sont levés
+de table et s'avancent péniblement, en soutenant leur
+ventre, vers le groupe des enfants.] </p></blockquote>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Ne crains rien, ils sont très accueillants.... Ils vont
+probablement t'inviter à dîner.... N'accepte pas, n'accepte rien,
+de peur d'oublier ta mission....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Quoi? Pas même un petit gâteau? Ils ont l'air si bons, si frais,
+si bien glacés de sucre, ornés de fruits confits et débordants de
+crème!...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Ils sont dangereux et briseraient ta volonté. Il faut savoir
+sacrifier quelque chose au devoir qu'on remplit. Refuse poliment
+mais avec fermeté. Les voici....</p>
+
+<p>LE PLUS GROS DES BONHEURS, [tendant la main à Tyltyl.]</p>
+
+<p>Bonjour, Tyltyl!...</p>
+
+<p>TYLTYL, [étonné.]</p>
+
+<p>Vous me connaissez donc?... Qui êtes-vous?...</p>
+
+<p>LE GROS BONHEUR</p>
+
+<p>Je suis le plus gros des Bonheurs, le Bonheur-d'être-riche, et je
+viens, au nom de mes frères, vous prier, vous et votre famille,
+d'honorer de votre présence notre repas sans fin. Vous vous
+trouverez au milieu de tout ce qu'il y a de mieux parmi les vrais
+et gros Bonheurs de de cette Terre. Permettez que je vous
+présente les principaux d'entre eux. Voici mon gendre, le
+Bonheur-d'être-propriétaire, qui a le ventre en poire. Voici le
+Bonheur-de-la-vanité-satisfaite, dont le visage est si
+gracieusement bouffi. [Le Bonheur-de-la-vanité-satisfaite salue
+d'un air protecteur.] Voici le
+Bonheur-de-boire-quand-on-n'a-plus-soif et le
+Bonheur-de-manger-quand-on-n'a-plus-faim, qui sont jumeaux et
+ont les jambes en macaroni. [Ils saluent en chancelant.] Voici le
+Bonheur-de-ne-rien-savoir, qui est sourd comme une limande, et le
+Bonheur-de-ne-rien-comprendre, qui est aveugle comme une taupe.
+Voici le Bonheur-de-ne-rien-faire et le
+Bonheur-de-dormir-plus-qu'il-n'est-nécessaire, qui ont les mains
+en mie de pain et les yeux en gelée de pêche. Voici enfin le
+Rire-Épais qui est fendu jusqu'aux oreilles et auquel rien ne
+peut résister....</p>
+
+<blockquote><p>[Le Rire-Épais salue en se tordant.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL, [montrant du doigt un Gros Bonheur qui se tient un peu à
+l'écart.]</p>
+
+<p>Et celui-là, qui n'ose pas approcher et nous tourne le dos?...</p>
+
+<p>LE GROS BONHEUR</p>
+
+<p>N'insistez pas, il est un peu gêné et n'est pas présentable à des
+enfants.... [Saisissant les mains de Tyltyl.] Mais venez donc! On
+recommence le festin.... C'est la douzième fois depuis l'aurore.
+On n'attend plus que vous.... Entendez-vous tous les convives qui
+vous réclament à grands cris?... Je ne puis vous les présenter
+tous, ils sont extrêmement nombreux.... [Offrant le bras aux deux
+enfants.] Permettez que je vous conduise aux deux places
+d'honneur....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Je vous remercie bien, monsieur le Gros Bonheur.... Je regrette
+vivement.... Je ne peux pas pour le moment.... Nous sommes très
+pressés, nous cherchons l'Oiseau-Bleu. Vous ne sauriez pas, par
+hasard, où il se cache?</p>
+
+<p>LE GROS BONHEUR</p>
+
+<p>L'Oiseau-Bleu?... Attendez donc.... Oui, oui, je me rappelle....
+On m'en a parlé dans le temps.... C'est, je crois, un oiseau qui
+n'est pas comestible.... En tout cas, il n'a jamais paru sur
+notre table.... C'est vous dire qu'on le tient en médiocre
+estime.... Mais ne vous mettez pas en peine; nous avons tant
+d'autres choses bien meilleures.... Vous allez vous mêler à notre
+vie, vous verrez tout ce que nous faisons....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Que faites-vous?</p>
+
+<p>LE GROS BONHEUR</p>
+
+<p>Mais nous nous occupons sans cesse à ne rien faire.... Nous
+n'avons pas une minute de repos.... Il faut boire, il faut
+manger, il faut dormir. C'est extrêmement absorbant....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Est-ce que c'est amusant?</p>
+
+<p>LE GROS BONHEUR</p>
+
+<p>Mais oui.... Il le faut bien, il n'y a pas autre chose sur cette
+Terre....</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Croyez-vous?...</p>
+
+<p>LE GROS BONHEUR, [indiquant du doigt la Lumière, bas, à Tyltyl.]</p>
+
+<p>Quelle est cette jeune personne mal élevée?...</p>
+
+<blockquote><p>[Durant toute la conversation précédente, une foule de Gros
+Bonheurs de second ordre s'est occupée du Chien, du Sucre et
+du Pain, et les a entraînés vers l'orgie. Tyltyl aperçoit
+soudain ces derniers qui, attablés fraternellement avec
+leurs hôtes, mangent, boivent et se trémoussent follement.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Voyez donc, la Lumière!... Ils sont à table!...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Rappelle-les! sinon cela finira mal!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tylô!...Tylô! ici!... Veux-tu venir ici, tout de suite,
+entends-tu!... Et vous, là-bas, le Sucre et le Pain, qui donc
+vous a permis de me quitter?... Qu'est-ce que vous faites là,
+sans autorisation?...</p>
+
+<p>LE PAIN, [la bouche pleine.]</p>
+
+<p>Est-ce que tu ne pourrais pas nous parler plus poliment?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Quoi? C'est le Pain qui se permet de me tutoyer?... Mais
+qu'est-ce qui te prend?... Et toi, Tylô!... Est-ce ainsi qu'on
+obéit? Allons, viens ici, à genoux, à genoux!... Et plus vite que
+ça!...</p>
+
+<p>LE CHIEN, [à mi-voix et du bout de la table.]</p>
+
+<p>Moi, quand je mange, je n'y suis pour personne et je n'entends
+plus rien....</p>
+
+<p>LE SUCRE, [mielleusement.]</p>
+
+<p>Excusez-nous, nous ne saurions quitter ainsi, sans les froisser,
+d'aussi aimables hôtes....</p>
+
+<p>LE GROS BONHEUR</p>
+
+<p>Vous voyez!... Ils vous donnent l'exemple.... Venez, on vous
+attend.... Nous n'admettons pas de refus.... On vous fera une
+douce violence.... Allons, les Gros Bonheurs, aidez-moi!...
+Poussons-les de force vers la table, pour qu'ils soient heureux
+malgré eux!...</p>
+
+<blockquote><p>[Tous les Gros Bonheurs, avec des cris de joie et gambadant
+de leur mieux, entraînent les enfants qui se débattent,
+tandis que le Rire-Épais saisit vigoureusement la Lumière
+par la taille.]</p></blockquote>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Tourne le Diamant, il est temps!...</p>
+
+<blockquote><p>[Tyltyl fait ce qu'ordonne la Lumière. Aussitôt la scène
+s'illumine d'une clarté ineffablement pure, divinement
+rosée, harmonieuse et légère. Les lourds ornements du
+premier plan, les épaisses tentures rouges se détachent et
+disparaissent, dévoilant un fabuleux et doux jardin de paix
+légère et de sérénité, une sorte de palais de verdure aux
+perspectives harmonieuses, où la magnificence des
+feuillages, puissants et lumineux, exubérants et néanmoins
+disciplinés, où l'ivresse virginale des fleurs et la fraîche
+allégresse des eaux qui coulent, ruissellent et jaillissent
+de toutes parts semblent entraîner jusqu'aux confins de
+l'horizon l'idée même de la félicité. La table de l'orgie
+s'effondre sans laisser de traces; les velours, les
+brocarts, les couronnes des Gros Bonheurs, au souffle
+lumineux qui envahit la scène, se soulèvent, se déchirent et
+tombent, en même temps que les masques hilares, aux pieds
+des convives abasourdis. Ceux-ci se dégonflent à vue
+d'œil, comme des vessies crevées, s'entre-regardent,
+clignotent sous les rayons inconnus qui les blessent, et, se
+voyant enfin tels qu'ils sont en vérité, c'est-à-dire nus,
+hideux, flasques et lamentables, se mettent à pousser des
+hurlements de honte et d'épouvante, parmi lesquels on
+distingue très nettement ceux du Rire-Épais qui dominent
+tous les autres. Seul le Bonheur-de-ne-rien-comprendre
+demeure parfaitement calme, tandis que ses collègues
+s'agitent éperdument, cherchent à fuir, à se cacher dans les
+coins qu'ils espèrent plus sombres. Mais il n'y a plus
+d'ombre dans le jardin éblouissant. Aussi la plupart se
+décident-ils à franchir, en désespoir de cause, le rideau
+menaçant qui, sur là droite, dans un angle, ferme la voûte
+de la caverne des Malheurs. A chaque fois que l'un d'eux,
+dans la panique, soulève un pan de ce rideau, on entend
+s'élever du creux de l'antre une tempête d'injures,
+d'imprécations et de malédictions. Quant au Chien, au Pain
+et au Sucre, l'oreille basse, ils rejoignent le groupe des
+enfants, et, très penauds, se dissimulent derrière eux.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL, [regardant fuir les Gros Bonheurs.]</p>
+
+<p>Dieu qu'ils sont laids!... Où vont-ils?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Ma foi, je crois qu'ils ont perdu la tête.... Ils vont se
+réfugier chez les Malheurs où je crains fort qu'on ne les
+retienne définitivement....</p>
+
+<p>TYLTYL, [regardant autour de soi, émerveillé.]</p>
+
+<p>Oh! le beau jardin, le beau jardin!... Où sommes-nous?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Nous n'avons pas changé de place; ce sont tes yeux qui ont changé
+de sphère.... Nous voyons à présent la vérité des choses; et nous
+allons apercevoir l'âme des Bonheurs qui supportent la clarté du
+Diamant.</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Que c'est beau!... Qu'il fait beau!... On se croirait en plein
+été.... Tiens! on dirait qu'on s'approche et qu'on va s'occuper
+de nous....</p>
+
+<blockquote><p>[En effet, les jardins commencent à se peupler de formes
+angéliques qui semblent sortir d'un long sommeil et glissent
+harmonieusement entre les arbres. Elles sont vêtues de robes
+lumineuses, aux subtiles et suaves nuances: réveil de rose,
+sourire d'eau, azur d'aurore, rosée d'ambre, etc.... ]</p></blockquote>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Voici que s'avancent quelques Bonheurs aimables et curieux qui
+vont nous renseigner....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tu les connais?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Oui, je les connais tous; je viens souvent chez eux, sans qu'ils
+sachent qui je suis....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Il y en a, il y en a!... Ils sortent de tous côtés!...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Il y en avait beaucoup plus dans le temps. Les Gros Bonheurs leur
+ont fait bien du tort.</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est égal, il en reste pas mal....</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Tu en verras bien d'autres, à mesure que l'influence du Diamant
+se répandra parmi les jardins.... On trouve sur la Terre beaucoup
+plus de Bonheurs qu'on ne croit; mais la plupart des Hommes ne
+les découvrent point....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>En voici de petits qui s'avancent, courons à leur rencontre....</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>C'est inutile; ceux qui nous intéressent passeront par ici. Nous
+n'avons pas le temps de faire la connaissance de tous les
+autres....</p>
+
+<blockquote><p>[Une bande de Petits Bonheurs, gambadant et riant aux éclats,
+accourt du fond des verdures et danse une ronde autour des
+enfants.]</p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'ils sont jolis, jolis!... D'où viennent-ils, qui sont-ils?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Ce sont les Bonheurs des enfants....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'on peut leur parler?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>C'est inutile. Ils chantent, ils dansent, ils rient, mais ils ne
+parlent pas encore....</p>
+
+<p>TYLTYL, frétillant.</p>
+
+<p>Bonjour! Bonjour!... Oh! le gros, là, qui rit!... Qu'ils ont de
+belles joues, qu'ils ont de belles robes!... Ils sont tous riches
+ici?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Mais non, ici comme partout, il y a bien plus de pauvres que de
+riches....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Où sont les pauvres?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>On ne peut pas les distinguer.... Le Bonheur d'un enfant est
+toujours revêtu de ce qu'il y a de plus beau sur terre et dans
+les cieux.</p>
+
+<p>TYLTYL, [ne tenant plus en place.]</p>
+
+<p>Je voudrais danser avec eux....</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>C'est absolument impossible, nous n'avons pas le temps.... Je
+vois qu'ils n'ont pas l'Oiseau-Bleu.... Du reste, ils sont
+pressés, tu vois, ils sont déjà passés.... Eux non plus n'ont pas
+de temps à perdre, car l'enfance est très brève....</p>
+
+<blockquote><p>[Une autre bande de Bonheurs, un peu plus grands que les
+précédents, se précipite dans le jardin, et chantant à
+tue-tête: «Les voilà! les voilà! Ils nous voient! Ils nous
+voient!...» danse autour des enfants une joyeuse farandole,
+à la fin de laquelle, celui qui paraît être le chef de la
+petite troupe s'avance vers Tyltyl en lui tendant la main.]</p></blockquote>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>Bonjour, Tyltyl!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Encore un qui me connaît!... [A la Lumière.] On commence à me
+connaître un peu partout.... Qui es-tu?...</p>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>Tu ne me reconnais pas?... Je parie que tu ne reconnais aucun de
+ceux qui sont ici?...</p>
+
+<p>TYLTYL, [assez embarrassé.]</p>
+
+<p>Mais non.... Je ne sais pas.... Je ne me rappelle pas vous avoir
+vus....</p>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>Vous entendez?... J'en étais sûr!... Il ne nous a jamais vus!...
+[Tous les autres Bonheurs de la bande éclatent de rire.] Mais,
+mon petit Tyltyl, tu ne connais que nous!... Nous sommes toujours
+autour de toi!... Nous mangeons, nous buvons, nous nous
+éveillons, nous respirons, nous vivons avec toi!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui, oui, parfaitement, je sais, je me rappelle.... Mais je
+voudrais savoir comment on vous appelle....</p>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>Je vois bien que tu ne sais rien.... Je suis le chef des
+Bonheurs-de-ta-maison; et tous ceux-ci sont les autres Bonheurs
+qui l'habitent....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Il y a donc des Bonheurs à la maison?...</p>
+
+<blockquote><p>[Tous les Bonheurs éclatent de rire.] </p></blockquote>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>Vous l'avez entendu!... S'il y a des Bonheurs dans ta maison!...
+Mais, petit malheureux, elle en est pleine à faire sauter les
+portes et les fenêtres!... Nous rions, nous chantons, nous créons
+de la joie à refouler les murs, à soulever les toits; mais nous
+avons beau faire, tu ne vois rien, tu n'entends rien.... J'espère
+qu'à l'avenir tu seras un peu plus raisonnable.... En attendant,
+tu vas serrer la main aux plus notables.... Une fois rentré chez
+toi, tu les reconnaîtras ainsi plus facilement.... Et puis, à la
+fin d'un beau jour, tu sauras les encourager d'un sourire, les
+remercier d'un mot aimable, car ils font vraiment tout ce qu'ils
+peuvent pour te rendre la vie légère et délicieuse.... Moi
+d'abord, ton serviteur, le Bonheur-de-se-bien-porter.... Je ne
+suis pas le plus joli, mais le plus sérieux. Tu me
+reconnaîtras?... Voici le Bonheur-de-l'air-pur, qui est à peu
+près transparent.... Voici le Bonheur-d'aimer-ses-parents, qui
+est vêtu de gris et toujours un peu triste, parce qu'on ne le
+regarde jamais.... Voici le Bonheur-du-ciel-bleu, qui est
+naturellement vêtu de bleu; et le Bonheur-de-la-forêt qui, non
+moins naturellement, est habillé de vert, et que tu reverras
+chaque fois que tu te mettras à la fenêtre.... Voici encore le
+bon Bonheur-des-heures-de soleil qui est couleur de diamant, et
+celui du-Printemps qui est d'émeraude folle....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et vous êtes aussi beaux tous les jours?...</p>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>Mais oui, c'est tous les jours dimanche, dans toutes les maisons,
+quand on ouvre les yeux.... Et puis, quand vient le soir, voici
+le Bonheur-des-couchers-de-soleil, qui est plus beau que tous les
+rois du monde; et que suit le
+Bonheur-devoir-se-lever-les-étoiles, doré comme un dieu
+d'autrefois.... Puis, quand il fait mauvais, voici le
+Bonheur-de-la-pluie qui est couvert de perles, et le
+Bonheur-du-feu-d'hiver qui ouvre aux mains gelées son beau
+manteau de pourpre.... Et je ne parle pas du meilleur de tous,
+parce qu'il est presque frère des grandes Joies limpides que vous
+verrez bientôt, et qui est le Bonheur-des-pensées-innocentes, le
+plus clair d'entre nous.... Et puis, voici encore.... Mais
+vraiment, ils sont trop!... Nous n'en finirions pas, et je dois
+prévenir d'abord les Grandes-Joies qui sont là-haut, au fond,
+près des portes du ciel, et ne savent pas encore que vous êtes
+arrivés.... Je vais leur dépêcher le
+Bonheur-de-courir-nu-pieds-dans-la-rosée, qui est le plus
+agile.... [Au Bonheur qu'il vient de nommer et qui s'avance en
+faisant des cabrioles.] Va!...</p>
+
+<blockquote><p>[A ce moment, une sorte de diablotin en maillot noir,
+bousculant tout le monde en poussant des cris inarticulés,
+s'approche de Tyltyl, et gambade follement en l'accablant de
+nasardes, taloches et coups de pied insaisissables.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL, [ahuri et profondément indigné.]</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est que ce sauvage?</p>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>Bon! c'est encore le Plaisir-d'être-insupportable qui s'est
+échappé de la caverne des Malheurs. On ne sait où l'enfermer. Il
+s'évade de partout, et les Malheurs eux-mêmes ne veulent plus le
+garder.</p>
+
+<blockquote><p>[Le diablotin continue de lutiner Tyltyl qui essaye
+vainement de se défendre, puis, soudain, riant aux éclats,
+disparaît sans raison, comme il était venu.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce qu'il a? Il est un peu fou?</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Je ne sais. Il paraît que c'est ainsi que tu es toi-même lorsque
+tu n'es pas sage. Mais en attendant, il faudrait s'informer de
+l'Oiseau-Bleu. Il se peut que le chef des Bonheurs-de-ta-maison
+n'ignore pas où il se trouve....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Où est-il?...</p>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>Il ne sait pas où se trouve l'Oiseau-Bleu!...</p>
+
+<blockquote><p>[Tous les Bonheurs-de-la-maison éclatent de rire.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL, [vexé.]</p>
+
+<p>Mais non, je ne sais pas.... Il n'y a pas de quoi rire....</p>
+
+<blockquote><p>[Nouveaux éclats de rires.] </p></blockquote>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>Voyons, ne te fâche pas.... et puis, soyons sérieux.... Il ne
+sait pas, que voulez-vous, il n'est pas plus ridicule que la
+plupart des Hommes.... Mais voici que le petit
+Bonheur-de-courir-nu-pieds-dans-la-rosée a prévenu les
+Grandes-Joies qui s'avancent vers nous....</p>
+
+<blockquote><p>[En effet, les hautes et belles figures angéliques, vêtues
+de robes lumineuses, s'approchent lentement.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'elles sont belles!... Pourquoi ne rient-elles pas?... Ne
+sont-elles pas heureuses?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Ce n'est pas quand on rit qu'on est le plus heureux....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qui sont-elles?...</p>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>Ce sont les Grandes-Joies....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tu sais leurs noms?...</p>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>Naturellement, nous jouons souvent avec elles.... Voici d'abord:
+devant les autres, la Grande-Joie-d'être-juste, qui sourit chaque
+fois qu'une injustice est réparée,&mdash;je suis trop jeune, je ne
+l'ai pas encore vu sourire. Derrière elle, c'est la
+Joie-d'être-bonne, qui est la plus heureuse, mais la plus triste;
+et qu'on a bien du mal à empêcher d'aller chez les Malheurs
+qu'elle voudrait consoler. A droite, c'est la
+Joie-du-travail-accompli à côté de la Joie-de-penser. Ensuite,
+c'est la Joie-de-comprendre qui cherche toujours son frère, le
+Bonheur-de-ne-rien-comprendre....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais je l'ai vu, son frère!... Il est allé chez les Malheurs avec
+les Gros Bonheurs....</p>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>J'en étais sûr!... Il a mal tourné, de mauvaises fréquentations
+l'ont entièrement perverti.... Mais n'en parle pas à sa sœur.
+Elle voudrait aller le chercher et nous y perdrions une des plus
+belles joies.... Voici encore, parmi les plus grandes, la
+Joie-de-voir-ce-qui-est-beau, qui ajoute chaque jour quelques
+rayons à la lumière qui règne ici....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et là, au loin, au loin, dans les nuages d'or, celle que j'ai
+peine à voir en me dressant tant que je peux sur la pointe des
+pieds?...</p>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>C'est la grande Joie-d'aimer.... Mais tu auras beau faire, tu es
+bien trop petit pour la voir tout entière....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et là-bas, tout au fond, celles qui sont voilées et ne
+s'approchent pas?...</p>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>Ce sont celles que les Hommes ne connaissent pas encore....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Que nous veulent les autres?... Pourquoi s'écartent-elles?...</p>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>C'est devant une Joie nouvelle qui s'avance, peut-être la plus
+pure que nous ayons ici..</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qui est-ce?...</p>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>Tu ne la reconnais pas encore?... Mais regarde donc mieux, ouvre
+donc tes deux yeux jusqu'au cœur de ton âme!... Elle t'a vu,
+elle t'a vu!... Elle accourt en te tendant les bras!... C'est la
+Joie de ta mère, c'est la Joie-sans-égale-de-l'amour-maternel!...</p>
+
+<blockquote><p>[Après l'avoir acclamée, les autres Joies, accourues de
+toutes parts, s'écartent en silence devant la
+Joie-de-l'amour-maternel.] </p></blockquote>
+
+<p>L'AMOUR MATERNEL</p>
+
+<p>Tyltyl! Et puis Mytyl!... Comment, c'est vous, c'est vous que je
+retrouve ici!... Je ne m'attendais pas!... J'étais bien seule à
+la maison, et voici que tous deux vous montez jusqu'au ciel où
+rayonnent dans la Joie l'âme de toutes les mères!... Mais d'abord
+des baisers, des baisers tant qu'on peut!... Tous les deux dans
+mes bras, il n'y a rien au monde qui donne plus de bonheur!...
+Tyltyl, tu ne ris pas?... Ni toi non plus, Mytyl?... Vous ne
+connaissez pas l'amour de votre mère?... Mais regardez-moi donc,
+et n'est-ce pas mes yeux, mes lèvres et mes bras?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais si, je reconnais, mais je ne savais pas.... Tu ressembles à
+maman, mais tu es bien plus belle....</p>
+
+<p>L'AMOUR MATERNEL</p>
+
+<p>Évidemment, moi, je ne vieillis plus.... Et chaque jour qui passe
+m'apporte de la force, de la jeunesse et du bonheur.... Chacun de
+tes sourires m'allège d'une année.... A la maison, cela ne se
+voit pas, mais ici l'on voit tout, et c'est la vérité....</p>
+
+<p>TYLTYL, [émerveillé, la contemplant et l'embrassant tour à tour.]</p>
+
+<p>Et cette belle robe, en quoi donc qu'elle est faite?... Est-ce
+que c'est de la soie, de l'argent ou des perles?...</p>
+
+<p>L'AMOUR MATERNEL</p>
+
+<p>Non, ce sont des baisers, des regards, des caresses.... chaque
+baiser qu'on donne y ajoute un rayon de lune ou de soleil....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est drôle, je n'aurais jamais cru que tu étais si riche.... Où
+donc la cachais-tu?... Était-elle dans l'armoire dont papa a la
+clef?...</p>
+
+<p>L'AMOUR MATERNEL</p>
+
+<p>Mais non, je l'ai toujours, mais on ne la voit pas, parce qu'on
+ne voit rien quand les yeux sont fermés.... Toutes les mères sont
+riches quand elles aiment leurs enfants.... Il n'en est pas de
+pauvres, il n'en est pas de laides, il n'en est pas de
+vieilles.... Leur amour est toujours la plus belle des Joies....
+Et quand elles semblent tristes, il suffit d'un baiser qu'elles
+reçoivent ou qu'elles donnent pour que toutes leurs larmes
+deviennent des étoiles dans le fond de leurs yeux....</p>
+
+<p>TYLTYL, [la regardant avec étonnement.]</p>
+
+<p>Mais oui, c'est vrai, tes yeux, ils sont remplis d'étoiles.... Et
+ce sont bien tes yeux, mais ils sont bien plus beaux.... Et c'est
+ta main aussi, elle a sa petite bague.... Elle a même la brûlure
+que tu t'es faite un soir en allumant la lampe.... Mais elle est
+bien plus blanche et qu'elle a la peau fine!... On dirait qu'on y
+voit couler de la lumière.... Elle ne travaille pas comme celle
+de la maison?...</p>
+
+<p>L'AMOUR MATERNEL</p>
+
+<p>Mais si, c'est bien la même; tu n'avais donc pas vu qu'elle
+devient toute blanche et s'emplit de lumière dès qu'elle te
+caresse?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est étonnant, maman, c'est bien ta voix aussi; mais tu parles
+bien mieux que chez nous....</p>
+
+<p>L'AMOUR MATERNEL</p>
+
+<p>Chez nous on a bien trop à faire et l'on n'a pas le temps....
+Mais ce qu'on ne dit pas, on l'entend tout de même.... Maintenant
+que tu m'as vue, me reconnaîtras-tu, sous ma robe déchirée,
+lorsque tu rentreras demain dans la chaumière?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Je ne veux pas rentrer.... Puisque tu es ici, j'y veux rester
+aussi, tant que tu y seras....</p>
+
+<p>L'AMOUR MATERNEL</p>
+
+<p>Mais c'est la même chose, c'est là-bas que je suis, c'est là-bas
+que nous sommes.... Tu n'es venu ici que pour te rendre compte et
+pour apprendre enfin comment il faut me voir quand tu me vois
+là-bas.... Comprends-tu, mon Tyltyl?... Tu te crois dans le ciel;
+mais le ciel est partout où nous nous embrassons.... Il n'y a pas
+deux mères, et tu n'en as pas d'autre.... Chaque enfant n'en a
+qu'une et c'est toujours la même et toujours la plus belle; mais
+il faut la connaître et savoir regarder.... Mais comment as-tu
+fait pour arriver ici et trouver une route que les Hommes ont
+cherchée depuis qu'ils habitent la Terre?...</p>
+
+<p>TYLTYL, [montrant la Lumière qui, par discrétion, s'est un peu
+écartée.]</p>
+
+<p>C'est elle qui m'a conduit....</p>
+
+<p>L'AMOUR MATERNEL</p>
+
+<p>Qui est-ce?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>La Lumière....</p>
+
+<p>L'AMOUR MATERNEL</p>
+
+<p>Je ne l'ai jamais vue.... On m'avait dit qu'elle vous aimait
+bien et qu'elle était très bonne.... Mais pourquoi se
+cache-t-elle?... Elle ne montre jamais son visage?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais si, mais elle a peur que les Bonheurs aient peur s'ils y
+voyaient trop clair....</p>
+
+<p>L'AMOUR MATERNEL</p>
+
+<p>Mais elle ne sait donc pas que nous n'attendons qu'elle!...
+[Appelant les autres Grandes Joies.] Venez, venez, mes sœurs!
+Venez, accourez toutes, c'est la Lumière qui vient enfin nous
+visiter!...</p>
+
+<blockquote><p>[Frémissement parmi les Grandes Joies qui se rapprochent.
+Cris: «La Lumière est ici!... La Lumière, la Lumière!...»] </p></blockquote>
+
+<p>LA JOIE-DE-COMPRENDRE, [écartant toutes les autres pour venir
+embrasser la Lumière.]</p>
+
+<p>Vous êtes la Lumière et nous ne savions pas!... Et voici des
+années, des années, des années que nous vous attendons!... Me
+reconnaissez-vous?... C'est la Joie-de-comprendre qui vous a
+tant cherchée.... Nous sommes très heureuses, mais nous ne
+voyons pas au delà de nous-mêmes....</p>
+
+<p>LA JOIE-D'ÊTRE-JUSTE, [embrassant la Lumière à son tour.]</p>
+
+<p>Me reconnaissez-vous?... C'est la Joie-d'être-juste qui vous a
+tant priée.... Nous sommes très heureuses, mais nous ne voyons
+pas au delà de nos ombres....</p>
+
+<p>LA JOIE-DE-VOIR-CE-QUI-EST-BEAU, [l'embrassant également.]</p>
+
+<p>Me reconnaissez-vous?... C'est la Joie-des-beautés qui vous a
+tant aimée... Nous sommes très heureuses, mais nous ne voyons pas
+au delà de nos songes....</p>
+
+<p>LA JOIE-DE-COMPRENDRE</p>
+
+<p>Voyez, voyez, ma sœur, ne nous faites plus attendre.... Nous
+sommes assez fortes, nous sommes assez pures.... Écartez donc ces
+voiles qui nous cachent encore les dernières vérités et les
+derniers bonheurs.... Voyez, toutes mes sœurs s'agenouillent à
+vos pieds.... Vous êtes notre reine et notre récompense....</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE, [resserrant ses voiles.]</p>
+
+<p>Mes sœurs, mes belles sœurs, j'obéis à mon Maître....
+L'heure n'est pas venue, elle sonnera peut-être et je vous
+reviendrai sans craintes et sans ombres.... Adieu, relevez-vous,
+embrassons-nous encore comme des sœurs retrouvées, en
+attendant le jour qui paraîtra bientôt....</p>
+
+<p>L'AMOUR MATERNEL, [embrassant la Lumière.]</p>
+
+<p>Vous avez été bonne pour mes pauvres petits....</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Je serai toujours bonne autour de ceux qui s'aiment....</p>
+
+<p>LA JOIE-DE-COMPRENDRE, [s'approchant de la Lumière.]</p>
+
+<p>Que le dernier baiser soit posé sur mon front....</p>
+
+<blockquote><p>[Elles s'embrassent longuement, et, quand elles se séparent
+et relèvent la tète, on voit des larmes dans leurs yeux.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL, [étonné.]</p>
+
+<p>Pourquoi pleurez-vous?....[regardant les autres Joies]</p>
+
+<p>Tiens! vous pleurez aussi.... Mais pourquoi tout le monde a-t-il
+des larmes plein les yeux?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Silence, mon enfant....</p>
+
+
+<p>RIDEAU</p>
+
+
+
+<hr style="width: 65%;" />
+<h3><a name="ACTE_CINQUIEME" id="ACTE_CINQUIEME"></a>ACTE CINQUIÈME</h3>
+
+
+
+<hr style="width: 45%;" />
+<h3><a name="DIXIEME_TABLEAU" id="DIXIEME_TABLEAU"></a>DIXIÈME TABLEAU</h3>
+
+<h4>LE ROYAUME DE L'AVENIR</h4>
+
+
+<p>Les salles immenses du Palais d'Azur, où attendent les enfants
+qui vont naître.&mdash;Infinies perspectives de colonnes de saphir
+soutenant des voûtes de turquoise. Tout ici, depuis la lumière et
+les dalles de lapis-lazuli jusqu'aux pulvérulences du fond où se
+perdent les derniers arceaux, jusqu'aux moindres objets, est d'un
+bleu irréel, intense, féerique. Seuls les chapiteaux et les
+socles des colonnes, les clefs de voûte, quelques sièges quelques
+bancs circulaires sont de marbre blanc ou d'albâtre.&mdash;A droite,
+entre les colonnes, de grandes portes opalines. Ces portes, dont
+le Temps, vers la fin de la scène, écartera les battants,
+s'ouvrent sur la Vie actuelle et les quais de l'Aurore. Partout,
+peuplant harmonieusement la salle, une foule d'enfants vêtus de
+longues robes azurées.&mdash;Les uns jouent, d'autres se promènent,
+d'autres causent ou songent; beaucoup sont endormis, beaucoup
+aussi travaillent, entre les colonnades, aux inventions futures;
+et leurs outils, leurs instruments, les appareils qu'ils
+construisent, les plantes, les fleurs et les fruits qu'ils
+cultivent ou qu'ils cueillent sont du même bleu surnaturel et
+lumineux que l'atmosphère générale du Palais.&mdash;Parmi les enfants,
+revêtues d'un azur plus pâle et plus diaphane, passent et
+repassent quelques figures de haute taille, d'une beauté
+souveraine et silencieuse, qui paraissent être des anges.</p>
+
+<hr style="width: 45%;" />
+
+<blockquote><p>[Entrent à gauche, comme à la dérobée, en se glissant parmi
+les colonnes du premier plan, Tyltyl, Mytyl et la Lumière.
+Leur arrivée provoque un certain mouvement parmi les
+Enfants-Bleus qui bientôt accourent de toutes parts et se
+groupent autour des insolites visiteurs qu'ils contemplent
+avec curiosité.] </p></blockquote>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Où est le Sucre, la Chatte et le bon Pain?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Ils ne peuvent pas entrer ici; ils connaîtraient l'Avenir et
+n'obéiraient plus....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et le Chien?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Il n'est pas bon, non plus, qu'il sache ce qui l'attend dans la
+suite des siècles.... Je les ai emprisonnés dans les souterrains
+de l'église....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Où sommes-nous?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Nous sommes dans le Royaume de l'Avenir, au milieu des enfants
+qui ne sont pas encore nés. Puisque le Diamant nous permet de
+voir clair en cette région que les Hommes n'aperçoivent pas, nous
+y trouverons fort probablement l'Oiseau-Bleu....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Bien sûr que l'Oiseau sera bleu, puisque tout y est bleu....
+[Regardant tout autour de soi.] Dieu que c'est beau tout ça!...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Regarde les enfants qui accourent....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'ils sont fâchés?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Pas du tout.... Tu vois bien, ils sourient, mais ils sont
+étonnés....</p>
+
+<p>LES ENFANTS-BLEUS, [accourant de plus en plus nombreux.]</p>
+
+<p>Des petits Vivants.... Venez voir les petits Vivants!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Pourquoi qu'ils nous appellent «les petits Vivants»?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Parce qu'eux, ils ne vivent pas encore....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce qu'ils font alors?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Ils attendent l'heure de leur naissance....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>L'heure de leur naissance?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Oui; c'est d'ici que viennent tous les enfants qui naissent sur
+notre Terre. Chacun attend son jour.... Quand les Pères et les
+Mères désirent des enfants, on ouvre les grandes portes que tu
+vois là, à droite; et les petits descendent....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Y en a-t-il! Y en a-t-il!...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Il y en a bien davantage.... On ne les voit pas tous.... Pense
+donc, il en faut de quoi peupler la fin des temps.... Personne ne
+saurait les compter....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et ces grandes personnes bleues, qu'est-ce que c'est?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>On ne sait plus au juste.... On croit que ce sont des
+gardiennes.... On dit qu'elles viendront sur Terre après les
+Hommes.... Mais il n'est pas permis de les interroger....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Pourquoi?</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Parce que c'est le secret de la Terre....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et les autres, les petits, on peut leur parler?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Bien sûr, il faut faire connaissance.... Tiens, en voilà un plus
+curieux que les autres.... Approche-toi, parle-lui....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce qu'il faut lui dire?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Ce que tu voudras, comme à un petit camarade....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'on peut lui donner la main?</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Évidemment, il ne te fera pas de mal.... Mais voyons, n'aie donc
+pas l'air si emprunté.... Je vais vous laisser seuls, vous serez
+plus à l'aise entre vous.... J'ai d'ailleurs à causer avec la
+Grande-personne Bleue....</p>
+
+<p>TYLTYL, [s'approchant de l'Enfant-Bleu et lui tendant la main.]</p>
+
+<p>Bonjour!... [Touchant du doigt la robe bleue de l'Enfant.]
+Qu'est-ce que c'est que ça?</p>
+
+<p>L'ENFANT, [touchant gravement du doigt le chapeau de Tyltyl.]</p>
+
+<p>Et ça?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ça?... C'est mon chapeau.... Tu n'as pas de chapeau?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Non; pourquoi c'est faire?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est pour dire bonjour.... Et puis, pour quand fait froid....</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est faire froid?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Quand on tremble comme ça: brrr! brrr!... qu'on souffle dans ses
+mains et qu'on fait aller les bras comme ceci....</p>
+
+<blockquote><p>[Il se brasse vigoureusement.] </p></blockquote>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Il fait froid sur la Terre?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais oui, des fois, l'hiver, quand on n'a pas de feu....</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Pourquoi qu'on n'en a pas?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Parce que ça coûte cher et qu'il faut de l'argent pour acheter du
+bois....</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Quoi que c'est de l'argent?</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est avec quoi l'on paie....</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Ah!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Il y en a qui en ont, d'autres qui n'en ont point....</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Pourquoi?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est qu'ils ne sont pas riches.... Est-ce que tu es riche?...
+Quel âge as-tu?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Je vais naître bientôt.... Je naîtrai dans douze ans.... Est-ce
+que c'est bon, naître?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oh oui!... C'est amusant!...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Comment que tu as fait?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Je ne me rappelle plus.... Il y a si longtemps!...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>On dit que c'est si beau, la Terre et les Vivants!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais oui, ce n'est pas mal.... Il y a des oiseaux, des gâteaux,
+des jouets.... Quelques-uns les ont tous; mais ceux qui n'en ont
+pas peuvent regarder les autres....</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>On nous dit que les mères attendent à la porte.... Elles sont
+bonnes, est-ce vrai?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oh oui!... Elles sont meilleures que tout ce qu'il y a!... Les
+bonnes-mamans aussi; mais elles meurent trop vite....</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Elles meurent?... Qu'est-ce que c'est ça?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Elles s'en vont un soir, et ne reviennent plus....</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Pourquoi?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'on sait?... Peut-être qu'elles sont tristes....</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Elle est partie, la tienne?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ma bonne-maman?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Ta maman ou ta bonne-maman, est-ce que je sais, moi?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ah! mais, ça n'est pas la même chose!... Les bonnes-mamans s'en
+vont d'abord; c'est déjà assez triste.... La mienne était très
+bonne....</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Qu'est-ce qu'ils ont, tes yeux?... Est-ce qu'ils font des
+perles?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais non; c'est pas des perles....</p>
+
+<p>L'ENFANT Qu'est-ce que c'est alors?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est rien, c'est tout ce bleu qui m'éblouit un peu....</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Comment que ça s'appelle?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Quoi?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Là, ce qui tombe?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est rien, c'est un peu d'eau....</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Est-ce qu'elle sort des yeux?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui, des fois, quand on pleure....</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est pleurer?</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Moi, je n'ai pas pleuré; c'est la faute à ce bleu.... Mais si
+j'avais pleuré ce serait la même chose....</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Est-ce qu'on pleure souvent?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Pas les petits garçons, mais les petites filles.... On ne pleure
+pas ici?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Mais non, je ne sais pas....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Eh bien, tu apprendras.... Avec quoi que tu joues, ces grandes
+ailes bleues?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Ça?... C'est pour l'invention que je ferai sur Terre....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Quelle invention?... Tu as donc inventé quelque chose?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Mais oui, tu ne sais pas?... Quand je serai sur Terre, il faudra
+que j'invente la Chose qui rend Heureux....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Est-elle bonne à manger?... Est-ce qu'elle fait du bruit?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Mais non, on n'entend rien....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est dommage....</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>J'y travaille chaque jour.... Elle est presque achevée....
+Veux-tu voir?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Bien sûr.... Où donc est-elle?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Là, on la voit d'ici, entre ces deux colonnes...?</p>
+
+<p>UN AUTRE ENFANT-BLEU, [s'approchant de Tyltyl et le tirant par la
+manche.]</p>
+
+<p>Veux-tu voir la mienne, dis?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais quoi, qu'est-ce que c'est?...</p>
+
+<p>DEUXIÈME ENFANT</p>
+
+<p>Les trente-trois remèdes pour prolonger la vie.... Là, dans ces
+flacons bleus....</p>
+
+<p>TROISIÈME ENFANT, [sortant de la foule.]</p>
+
+<p>Moi, j'apporte une lumière que personne ne connaît!... [Il
+s'illumine tout entier d'une flamme extraordinaire.] C'est assez
+curieux, pas?...</p>
+
+<p>QUATRIÈME ENFANT, [tirant Tyltyl par le bras.]</p>
+
+<p>Viens donc voir ma machine qui vole dans les airs comme un oiseau
+sans ailes!...</p>
+
+<p>CINQUIÈME ENFANT</p>
+
+<p>Non, non; d'abord la mienne qui trouve les trésors qui se cachent
+dans la lune!...</p>
+
+<blockquote><p>[Les Enfants-Bleus s'empressent autour de Tyltyl et de Mytyl
+en criant tous ensemble: «Non, non, viens voir la mienne!...
+Non, la mienne est plus belle!... La mienne est
+étonnante!... La mienne est tout en sucre!... La sienne
+n'est pas curieuse.... il m'en a pris l'idée!..., etc.».
+Parmi ces exclamations désordonnées, on entraîne les petits
+Vivants du côté des ateliers bleus; et là, chacun des
+inventeurs met en mouvement sa machine idéale. C'est un
+tournoiement céruléen de roues, de disques, de volants,
+d'engrenages, de poulies, de courroies, d'objets étranges
+et encore innommés qu'enveloppent les bleuâtres vapeurs de
+l'irréel. Une foule d'appareils bizarres et mystérieux
+s'élancent et planent sous les voûtes, ou rampent au pied
+des colonnes, taudis que des enfants déroulent des cartes et
+des plans, ouvrent des livres, découvrent des statues
+azurées, apportent d'énormes fleurs, de gigantesques fruits
+qui semblent formés de saphirs et de turquoises.] </p></blockquote>
+
+<p>UN PETIT ENFANT-BLEU, [courbé sous le poids de colossales
+pâquerettes d'azur.]</p>
+
+<p>Regardez donc mes fleurs!...3</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est?... Je ne les connais pas....</p>
+
+<p>LE PETIT ENFANT-BLEU</p>
+
+<p>Ce sont des pâquerettes!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Pas possible!... Elles sont grandes comme des roues....</p>
+
+<p>LE PETIT ENFANT-BLEU</p>
+
+<p>Et ce qu'elles sentent bon!...</p>
+
+<p>TYLTYL, [les humant.]</p>
+
+<p>Prodigieux!...</p>
+
+<p>LE PETIT ENFANT-BLEU</p>
+
+<p>Elles seront comme ça quand je serai sur Terre....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Quand donc?...</p>
+
+<p>LE PETIT ENFANT-BLEU</p>
+
+<p>Dans cinquante-trois ans, quatre mois et neuf jours....</p>
+
+<blockquote><p>[Arrivent deux Enfants-Bleus qui portent comme un lustre,
+pendue à une perche, une invraisemblable grappe de raisins
+dont les baies sont plus grosses que des poires.] </p></blockquote>
+
+<p>L'UN DES ENFANTS QUI PORTENT LA GRAPPE</p>
+
+<p>Que dis-tu de mes fruits?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Une grappe de poires!...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Mais non, c'est des raisins!... Ils seront tous ainsi, lorsque
+j'aurai trente ans.... J'ai trouvé le moyen....</p>
+
+<p>UN AUTRE ENFANT, [écrasé sous une corbeille de pommes bleues
+grosses comme des melons.]</p>
+
+<p>Et moi!... Voyez mes pommes!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais ce sont des melons!...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Mais non!... Ce sont mes pommes, et les moins belles encore!...
+Toutes seront de même quand je serai vivant.... J'ai trouvé le
+système!...</p>
+
+<p>UN AUTRE ENFANT, [apportant sur une brouette bleue des melons
+bleus plus gros que des citrouilles.]</p>
+
+<p>Et mes petits melons?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais ce sont des citrouilles!...</p>
+
+<p>L'ENFANT AUX MELONS</p>
+
+<p>Quand je viendrai sur terre, les melons seront fiers!... Je
+serai le jardinier du Roi des neuf Planètes....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Le Roi des neuf Planètes?... Où est-il?...</p>
+
+<p>LE ROI DES NEUF PLANÈTES, [s'avançant fièrement. Il semble avoir
+quatre ans et peut à grand'peine se tenir debout sur ses petites
+jambes torses.]</p>
+
+<p>Le voici!</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Eh bien! tu n'es pas grand....</p>
+
+<p>LE ROI DES NEUF PLANÈTES, [grave et sentencieux.]</p>
+
+<p>Ce que je ferai sera grand.</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce que tu feras?</p>
+
+<p>LE ROI DES NEUF PLANÈTES</p>
+
+<p>Je fonderai la Confédération générale des Planètes solaires.</p>
+
+<p>TYLTYL, [interloqué.]</p>
+
+<p>Ah, vraiment?</p>
+
+<p>LE ROI DE NEUF PLANÈTES</p>
+
+<p>Toutes en feront partie, excepté Saturne, Uranus et Neptune qui
+sont à des distances exagérées et incommensurables.</p>
+
+<blockquote><p>[Il se retire avec dignité.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Il est intéressant....</p>
+
+<p>UN ENFANT-BLEU</p>
+
+<p>Et vois-tu celui-là?</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Lequel?</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Là, le petit qui dort au pied de la colonne....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Eh bien?</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Il apportera la joie pure sur le Globe..</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Comment?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Par des idées qu'on n'a pas encore eues....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et l'autre, le petit gros qui a les doigts dans le nez, qu'est-ce
+qu'il fera, lui?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Il doit trouver le feu pour réchauffer la Terre quand le Soleil
+sera plus pâle....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et les deux qui se tiennent par la main et s'embrassent tout le
+temps: est-ce qu'ils sont frère et sœur?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Mais non, ils sont très drôles.... Ce sont les Amoureux....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Je ne sais pas.... C'est le Temps qui les appelle ainsi pour s'en
+moquer.... Ils se regardent tout le jour dans les yeux, ils
+s'embrassent et se disent adieu....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Pourquoi?</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Il paraît qu'ils ne pourront pas partir ensemble....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et le petit tout rose, qui semble si sérieux et qui suce son
+pouce, qu'est-ce que c'est?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Il paraît qu'il doit effacer l'Injustice sur la Terre....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ah?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>On dit que c'est un travail effrayant....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et le petit rousseau qui marche comme s'il n'y voyait pas. Est-ce
+qu'il est aveugle?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Pas encore; mais il le deviendra.... Regarde-le bien; il paraît
+qu'il doit vaincre la Mort....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce que ça veut dire?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Je ne sais pas au juste; mais on dit que c'est grand....</p>
+
+<p>TYLTYL, [montrant une foule d'enfants endormis au pied des
+colonnes, sur les marches, les bancs, etc.]</p>
+
+<p>Et tous ceux-là qui dorment,&mdash;comme il y en a qui
+dorment!&mdash;est-ce qu'ils ne font rien?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Ils pensent à quelque chose....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>A quoi?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Ils ne le savent pas encore; mais ils doivent apporter quelque
+chose sur la Terre; il est défendu de sortir les mains vides....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qui est-ce qui le défend?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>C'est le Temps qui se tient à la porte.... Tu verras quand il
+ouvrira.... Il est bien embêtant....</p>
+
+<p>UN ENFANT, [accourant du fond de la salle, en fendant la foule.]</p>
+
+<p>Bonjour, Tyltyl!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tiens!... Comment sait-il mon nom?...</p>
+
+<p>L'ENFANT, [qui vient d'accourir et qui embrasse Tyltyl et Mytyl
+avec effusion.]</p>
+
+<p>Bonjour!... Ça va bien?...&mdash;Voyons, embrasse-moi, et toi aussi,
+Mytyl.... Ce n'est pas étonnant que je sache ton nom, puisque je
+serai ton frère.... On vient seulement de me dire que tu es
+là.... J'étais tout au bout de la salle, en train d'emballer mes
+idées....&mdash;Dis à maman que je suis prêt....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Comment?... Tu comptes venir chez nous?</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Bien sûr, l'année prochaine, le dimanche des Rameaux.... Ne me
+tourmente pas trop quand je serai petit.... Je suis bien content
+de vous avoir embrassés d'avance....&mdash;Dis à Papa qu'il répare le
+berceau....&mdash;Est-ce qu'on est bien chez nous?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais on n'y est pas mal.... Et Maman est si bonne!...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Et la nourriture?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ça dépend.... Il y a même des jours où l'on a des gâteaux,
+n'est-il pas vrai, Mytyl?...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Au Nouvel An et le Quatorze Juillet.... C'est maman qui les
+fait....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'as-tu là, dans ce sac?... Tu nous apportes quelque chose?...</p>
+
+<p>L'ENFANT, [très fièrement.]</p>
+
+<p>J'apporte trois maladies: la fièvre scarlatine, la coqueluche et
+la rougeole....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Eh bien, si c'est tout ça!... Et après, que feras-tu?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Après?... Je m'en irai....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ce sera bien la peine de venir!...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Est-ce qu'on a le choix?...</p>
+
+<blockquote><p>[A ce moment, on entend s'élever et se répandre une sorte de
+vibration prolongée, puissante et cristalline qui semble
+émaner des colonnes et des portes d'opale que touche une
+lumière plus vive.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est?...</p>
+
+<p>UN ENFANT</p>
+
+<p>C'est le Temps!... Il va ouvrir les portes!...</p>
+
+<blockquote><p>[Aussitôt, un vaste remous se propage dans la foule des
+Enfants-Bleus. La plupart quittent leurs machines et leurs
+travaux, de nombreux dormeurs s'éveillent, et les uns comme
+les autres tournent les yeux vers les portes d'opale et se
+rapprochent de celles-ci.] </p></blockquote>
+
+<p>LA LUMIÈRE [rejoignant Tyltyl.]</p>
+
+<p>Tâchons de nous dissimuler derrière les colonnes.... Il ne faut
+pas que le Temps nous découvre....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>D'où vient ce bruit?...</p>
+
+<p>UN ENFANT</p>
+
+<p>C'est l'Aurore qui se lève.... C'est l'heure où les enfants qui
+naîtront aujourd'hui vont descendre sur Terre....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Comment qu'ils descendront?... Il y a des échelles?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Tu vas voir.... Le Temps tire les verrous....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est le Temps?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>C'est un vieil homme qui vient appeler ceux qui partent....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'il est méchant?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Non, mais il n'entend rien.... On a beau supplier, quand ce n'est
+pas leur tour, il repousse tous ceux qui voudraient s'en
+aller....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'ils sont heureux de partir?</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>On n'est pas content quand on reste; mais on est triste quand on
+s'en va.... Là! Là!... Voilà qu'il ouvre!...</p>
+
+<blockquote><p>[Les grandes portes opalines roulent lentement sur leurs
+gonds. On entend, comme une musique lointaine, les rumeurs
+de la Terre. Une clarté rouge et verte pénètre dans la
+salle: et le Temps, haut vieillard à la barbe flottante,
+armé de sa faux et de son sablier, paraît sur le seuil,
+tandis qu'on aperçoit l'extrémité des voiles blanches et
+dorées d'une galère amarrée à une sorte de quai que forment
+les vapeurs roses de l'Aurore.] </p></blockquote>
+
+<p>LE TEMPS, [sur le seuil.]</p>
+
+<p>Ceux dont l'heure est sonnée sont-ils prêts?...</p>
+
+<p>DES ENFANTS-BLEUS, [fendant la roule et accourant de toutes
+parts.]</p>
+
+<p>Nous voici!... Nous voici!... Nous voici!...</p>
+
+<p>LE TEMPS, [d'une voix bourrue, aux enfants qui défilent devant
+lui pour sortir.]</p>
+
+<p>Un à un!... Il s'en présente encore beaucoup plus qu'il n'en
+faut!... C'est toujours la même chose!... On ne me trompe pas!...
+[Repoussant un enfant.] Ce n'est pas ton tour!... Rentre, c'est
+pour demain.... Toi non plus, rentre donc et reviens dans dix
+ans.... Un treizième berger?... Il n'en fallait que douze; on
+n'en a plus besoin, nous ne sommes plus au temps de Théocrite ou
+de Virgile.... Encore des médecins?... Il y en a déjà trop; on
+s'en plaint sur la Terre.... Et les ingénieurs, où sont-ils?...
+On veut un honnête homme, un seul, comme phénomène.... Où donc
+est l'honnête homme?... C'est toi?... [L'enfant fait signe que
+oui.] Tu m'as l'air bien chétif.... tu ne vivras pas
+longtemps!... Holà, vous autres, là, pas si vite!... Et toi,
+qu'apportes-tu?... Rien du tout? les mains vides?... Alors on ne
+passe pas.... Prépare quelque chose, un grand crime, si tu veux,
+ou une maladie, moi, cela m'est égal.... mais il faut quelque
+chose.... [Avisant un petit que d'autres poussent en avant et qui
+résiste de toutes ses forces.] Eh bien, toi, qu'as-tu donc?... Tu
+sais bien que c'est l'heure.... On demande un héros qui combatte
+l'Injustice; c'est toi, il faut partir....</p>
+
+<p>LES ENFANTS-BLEUS</p>
+
+<p>Il ne veut pas, monsieur....</p>
+
+<p>LE TEMPS</p>
+
+<p>Comment?... Il ne veut pas?... Où donc se croit-il, ce petit
+avorton?... Pas de réclamations, nous n'avons pas le temps....</p>
+
+<p>LE PETIT, [que l'on pousse.]</p>
+
+<p>Non, non!... Je ne veux pas!... J'aime mieux ne pas naître!...
+J'aime mieux rester ici!...</p>
+
+<p>LE TEMPS</p>
+
+<p>Il ne s'agit pas de ça.... Quand c'est l'heure, c'est l'heure!...
+Allons, vite, en avant!...</p>
+
+<p>UN ENFANT, [s'avançant.]</p>
+
+<p>Oh! laissez-moi passer!... J'irai prendre sa place!... On dit que
+mes parents sont vieux et m'attendent depuis si longtemps!...</p>
+
+<p>LE TEMPS</p>
+
+<p>Pas de ça.... L'heure est l'heure et le temps est le temps....
+On n'en finirait pas si l'on vous écoutait.... L'un veut, l'autre
+refuse, c'est trop tôt, c'est trop tard.... [Écartant des enfants
+qui ont envahi le seuil.] Pas si près, les petits.... Arrière les
+curieux.... Ceux qui ne partent pas n'ont rien à voir dehors....
+Maintenant vous avez hâte; puis, votre tour venu, vous aurez peur
+et vous reculerez.... Tenez, en voilà quatre qui tremblent comme
+des feuilles.... [A un enfant qui, sur le point de franchir le
+seuil, rentre brusquement.] Eh bien, quoi?... Qu'as-tu donc?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>J'ai oublié la boîte qui contient les deux crimes que je devrai
+commettre....</p>
+
+<p>UN AUTRE ENFANT</p>
+
+<p>Et moi le petit pot qui renferme l'idée pour éclairer les
+foules....</p>
+
+<p>TROISIÈME ENFANT</p>
+
+<p>J'ai oublié la greffe de ma plus belle poire!...</p>
+
+<p>LE TEMPS</p>
+
+<p>Courez vite les chercher!... Il ne nous reste plus que six cent
+douze secondes.... La galère de l'Aurore bat déjà des voiles pour
+montrer qu'elle attend.... Vous arriverez trop tard et vous ne
+naîtrez plus.... Allons, vite, embarquons!... [Saisissant un
+enfant qui veut lui passer entre les jambes pour gagner le quai.]
+Ah! toi, non, par exemple!... C'est la troisième fois que tu
+essayes de naître avant ton tour.... Que je ne t'y prenne plus,
+sinon ce sera l'attente éternelle près de ma sœur l'Éternité;
+et tu sais qu'on ne s'y amuse pas.... Mais voyons, sommes-nous
+prêts?... Tout le monde est à son poste?... [Parcourant du regard
+les enfants réunis sur le quai ou déjà assis dans la galère.] Il
+en manque encore un.... Il a beau se cacher, je le vois dans la
+foule.... On ne me trompe pas.... Allons, toi, le petit qu'on
+appelle l'Amoureux, dis adieu à ta belle....</p>
+
+<blockquote><p>[Les deux petits qu'on appelle «les Amoureux», tendrement
+enlacés et le visage livide de désespoir, s'avancent vers le
+Temps et s'agenouillent à ses pieds.] </p></blockquote>
+
+<p>PREMIER ENFANT</p>
+
+<p>Monsieur le Temps, laissez-moi partir avec lui!...</p>
+
+<p>DEUXIÈME ENFANT</p>
+
+<p>Monsieur le Temps, laissez-moi rester avec elle!...</p>
+
+<p>LE TEMPS</p>
+
+<p>Impossible!... Il ne nous reste plus que trois cent
+quatre-vingt-quatorze secondes..</p>
+
+<p>PREMIER ENFANT</p>
+
+<p>J'aime mieux ne pas naître!...</p>
+
+<p>LE TEMPS</p>
+
+<p>On n'a pas le choix....</p>
+
+<p>DEUXIÈME ENFANT, [suppliant.]</p>
+
+<p>Monsieur le Temps, j'arriverai trop tard!...</p>
+
+<p>PREMIER ENFANT</p>
+
+<p>Je ne serai plus là quand elle descendra!...</p>
+
+<p>DEUXIÈME ENFANT</p>
+
+<p>Je ne le verrai plus!...</p>
+
+<p>PREMIER ENFANT</p>
+
+<p>Nous serons seuls au monde!...</p>
+
+<p>LE TEMPS</p>
+
+<p>Tout ça ne me regarde pas.... Réclamez auprès de la Vie.... Moi,
+j'unis, je sépare, selon ce qu'on m'a dit.... [Saisissant l'un
+des enfants.] Viens!...</p>
+
+<p>PREMIER ENFANT, se débattant.</p>
+
+<p>Non, non, non!... Elle aussi!...</p>
+
+<p>DEUXIÈME ENFANT, [s'accrochant aux vêtements du premier.]</p>
+
+<p>Laissez-le!.... Laissez-le!...</p>
+
+<p>LE TEMPS</p>
+
+<p>Mais voyons, ce n'est pas pour mourir, c'est pour vivre!...
+[Entraînant le premier enfant.] Viens!...</p>
+
+<p>DEUXIÈME ENFANT, [tendant éperdument les bras vers l'enfant qu'on
+enlève.]</p>
+
+<p>Un signe!... Un seul signe!... Dis-moi, comment te retrouver!...</p>
+
+<p>PREMIER ENFANT</p>
+
+<p>Je t'aimerai toujours!...</p>
+
+<p>DEUXIÈME ENFANT</p>
+
+<p>Je serai la plus triste!... Tu me reconnaîtras!...</p>
+
+<blockquote><p>[Elle tombe et reste étendue sur le sol.] </p></blockquote>
+
+<p>LE TEMPS</p>
+
+<p>Vous feriez beaucoup mieux d'espérer.... Et maintenant, c'est
+tout.... [Consultant son sablier.] Il ne nous reste plus que
+soixante-trois secondes....</p>
+
+<blockquote><p>[Derniers et violents remous parmi les enfants qui partent
+et qui demeurent.&mdash;On échange des adieux précipités: «Adieu,
+Pierre!... Adieu Jean....&mdash;As-tu tout ce qu'il faut?...
+Annonce ma pensée!...&mdash;N'as-tu rien oublié?...&mdash;Tâche de me
+reconnaître!...&mdash;Je te retrouverai!...&mdash;Ne perds pas tes
+idées?...&mdash;Ne te penche pas trop sur l'Espace!...&mdash;Donne-moi
+de tes nouvelles!...&mdash;On dit qu'on ne peut pas!...&mdash;Si,
+si!... essaie toujours!...&mdash;Tâche de dire si c'est beau!...
+&mdash;J'irai à ta rencontre!...&mdash;Je naîtrai sur un trône!...»,
+etc., etc.] </p></blockquote>
+
+<p>LE TEMPS, [agitant ses clefs et sa faux.]</p>
+
+<p>Assez! assez!... L'ancre est levée!...</p>
+
+<p>Les voiles de la galère passent et disparaissent. Ou entend
+s'éloigner les cris des enfants dans la galère: «Terre!...
+terre!... Je la vois!... Elle est belle!... Elle est claire!...
+Elle est grande!...». Puis, comme sortant du fond de l'abîme, un
+chant extrêmement lointain d'allégresse et d'attente.</p>
+
+<p>TYLTYL, [à la Lumière.]</p>
+
+<p>Qu'est-ce?... Ce n'est pas eux qui chantent.... On dirait
+d'autres voix....</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Oui, c'est le chant des Mères qui viennent à leur rencontre...</p>
+
+<blockquote><p>[Cependant, le Temps referme les portes opalines. Il se
+retourne pour jeter un dernier regard dans la salle, et
+soudain aperçoit Tyltyl, Mytyl et la Lumière.] </p></blockquote>
+
+<p>LE TEMPS, [stupéfait et furieux.]</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est?... Que faites-vous ici?... Qui êtes-vous?...
+Pourquoi n'êtes-vous pas bleus?... Par où êtes-vous entrés?...</p>
+
+<blockquote><p>[Il s'avance en les menaçant de sa faux.]</p></blockquote>
+
+<p>LA LUMIÈRE, [à Tyltyl.]</p>
+
+<p>Ne réponds pas!... J'ai l'Oiseau-Bleu.... Il est caché sous ma
+mante.... Sauvons-nous.... Tourne le Diamant, il perdra notre
+trace....</p>
+
+<blockquote><p>[Ils s'esquivent à gauche, entre les colonnes du premier
+plan.] </p></blockquote>
+
+
+<p>RIDEAU</p>
+
+
+
+<hr style="width: 65%;" />
+<h3><a name="ONZIEME_TABLEAU" id="ONZIEME_TABLEAU"></a>ONZIÈME TABLEAU</h3>
+
+<h4>L'ADIEU</h4>
+
+
+<p>La scène représente un mur percé d'une petite porte. C'est la
+pointe du jour.</p>
+
+<hr style="width: 45%;" />
+
+<blockquote><p>[Entrent: Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Pain, le Sucre, le
+Feu et le Lait.] </p></blockquote>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Tu ne devinerais jamais où nous sommes....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Bien sûr que non, la Lumière, puisque je ne sais pas....</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Tu ne reconnais pas ce mur et cette petite porte?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est un mur rouge et une petite porte verte....</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Et ça ne te rappelle rien?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ça me rappelle que le Temps nous a mis à la porte....</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Qu'on est bizarre quand on rêve.... On ne reconnaît pas sa propre
+main....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qui est-ce qui rêve?... Est-ce moi?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>C'est peut-être moi.... Qu'en sait-on?... En attendant, ce mur
+entoure une maison que tu as vue plus d'une fois depuis ta
+naissance....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Une maison que j'ai vue plus d'une fois?</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Mais oui, petit endormi!... C'est la maison que nous avons
+quittée un soir, il y a tout juste, jour pour jour, une année....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Il y a tout juste une année?... Mais alors?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>N'ouvre pas des yeux comme des grottes de saphir.... C'est elle,
+c'est la bonne maison des parents....</p>
+
+<p>TYLTYL, [s'approchant de la porte.]</p>
+
+<p>Mais je crois.... En effet.... Il me semble.... Cette petite
+porte.... Je reconnais la chevillette.... Ils sont là?... Nous
+sommes près de Maman?... Je veux entrer tout de suite.... Je veux
+l'embrasser tout de suite!...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Un instant.... Ils dorment profondément; il ne faut pas les
+réveiller en sursaut.... Du reste, la porte ne s'ouvrira que
+lorsque l'heure sonnera....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Quelle heure?... Il y a longtemps à attendre?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Hélas, non!... quelques pauvres minutes....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tu n'es pas heureuse de rentrer?... Qu'as-tu donc, la Lumière?...
+Tu es pâle, on dirait que tu es malade..</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Ce n'est rien, mon enfant.... Je me sens un peu triste, parce que
+je vais vous quitter....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Nous quitter?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Il le faut.... Je n'ai plus rien à faire ici; l'année est
+révolue, la Fée va revenir et te demander l'Oiseau-Bleu....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais c'est que je ne l'ai pas, l'Oiseau-Bleu!... Celui du
+Souvenir est devenu tout noir, celui de l'Avenir est devenu tout
+rouge, ceux de la Nuit sont morts et je n'ai pas pu prendre celui
+de la Forêt.... Est-ce ma faute à moi s'ils changent de couleur,
+s'ils meurent ou s'ils s'échappent?... Est-ce que la Fée sera
+fâchée, et qu'est-ce qu'elle dira?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Nous avons fait ce que nous avons pu.... Il faut croire qu'il
+n'existe pas, l'Oiseau-Bleu; ou qu'il change de couleur lorsqu'on
+le met en cage....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Où est-elle, la cage?...</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>Ici, maître.... Elle fut confiée à mes soins diligents durant ce
+long et périlleux voyage; aujourd'hui que ma mission prend fin,
+je vous la restitue, intacte et bien fermée, telle que je la
+reçus.... [Comme un orateur qui prend la parole.] Maintenant, au
+nom de tous, qu'il me soit permis d'ajouter quelques mots....</p>
+
+<p>LE FEU</p>
+
+<p>Il n'a pas la parole!...</p>
+
+<p>L'EAU</p>
+
+<p>Silence!...</p>
+
+<p>LE PAIX</p>
+
+<p>Les interruptions malveillantes d'un ennemi méprisable, d'un
+rival envieux.... [Élevant la voix.] ne m'empêcheront pas
+d'accomplir mon devoir jusqu'au bout.... C'est donc au nom de
+tous....</p>
+
+<p>LE FEU</p>
+
+<p>Pas au mien.... J'ai une langue!...</p>
+
+<p>LE PAIX</p>
+
+<p>C'est donc au nom de tous, et avec une émotion contenue mais
+sincère et profonde, que je prends congé de deux enfants
+prédestinés, dont la haute mission se termine aujourd'hui. En
+leur disant adieu avec toute l'affliction et toute la tendresse
+qu'une mutuelle estime..</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Comment?... Tu dis adieu?... Tu nous quittes donc aussi?...</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>Hélas! il le faut bien.... Je vous quitte, il est vrai; mais la
+séparation ne sera qu'apparente, vous ne m'entendrez plus
+parler....</p>
+
+<p>LE FEU</p>
+
+<p>Ce ne sera pas malheureux!...</p>
+
+<p>L'EAU</p>
+
+<p>Silence!...</p>
+
+<p>LE PAIN, [très digne.]</p>
+
+<p>Cela ne m'atteint point.... Je disais donc: vous ne m'entendrez
+plus, vous ne me verrez plus sous ma forme animée.... Vos yeux
+vont se fermer à la vie invisible des choses; mais je serai
+toujours là, dans la huche, sur la planche, sur la table, à côté
+de la soupe, moi qui suis, j'ose le dire, le plus fidèle
+commensal et le plus vieil ami de l'Homme....</p>
+
+<p>LE FEU</p>
+
+<p>Eh bien, et moi?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Voyons, les minutes passent, l'heure est près de sonner qui va
+nous faire rentrer dans le silence.... Hâtez-vous d'embrasser les
+enfants....</p>
+
+<p>LE FEU, [se précipitant.]</p>
+
+<p>Moi d'abord, d'abord moi!... [Il embrasse violemment les
+enfants.] Adieu, Tyltyl et Mytyl!... Adieu, mes chers petits....
+Souvenez-vous de moi si jamais vous avez besoin de quelqu'un pour
+mettre le Feu quelque part....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Aïe! aïe!... Il me brûle!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Aïe! aïe! Il me roussit le nez!.....</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Voyons, le Feu, modérez un peu vos transports.... Vous n'avez pas
+affaire à votre cheminée....</p>
+
+<p>L'EAU</p>
+
+<p>Quel idiot!...</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>Est-il mal élevé!...</p>
+
+<p>L'EAU, [s'approchant des enfants.]</p>
+
+<p>Je vous embrasserai sans vous faire de mal, tendrement, mes
+enfants....</p>
+
+<p>LE FEU</p>
+
+<p>Prenez garde, ça mouille!...</p>
+
+<p>L'EAU</p>
+
+<p>Je suis aimante et douce; je suis bonne aux humains....</p>
+
+<p>LE FEU</p>
+
+<p>Et les noyés?...</p>
+
+<p>L'EAU</p>
+
+<p>Aimez bien les Fontaines, écoutez les Ruisseaux.... Je serai
+toujours là....</p>
+
+<p>LE FEU</p>
+
+<p>Elle a tout inondé!...</p>
+
+<p>L'EAU</p>
+
+<p>Quand vous vous assiérez, le soir, au bord des Sources,&mdash;il y en
+a plus d'une ici, dans la forêt,&mdash;essayez de comprendre ce
+qu'elles essaient de dire.... Je ne peux plus.... Les larmes me
+suffoquent et m'empêchent de parler....</p>
+
+<p>LE FEU</p>
+
+<p>Il n'y paraît point!...</p>
+
+<p>L'EAU</p>
+
+<p>Souvenez-vous de moi lorsque vous verrez la carafe.... Vous me
+trouverez également dans le broc, dans l'arrosoir, dans la
+citerne et dans le robinet....</p>
+
+<p>LE SUCRE, [naturellement papelard et doucereux.]</p>
+
+<p>S'il reste une petite place, dans votre souvenir, rappelez-vous
+que parfois ma présence vous fut douce.... Je ne puis vous en
+dire davantage.... Les larmes sont contraires à mon tempérament,
+et me font bien du mal quand elles tombent sur mes pieds....</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>Jésuite!...</p>
+
+<p>LE FEU, [glapissant.]</p>
+
+<p>Sucre d'orge! berlingots! caramels!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais où donc sont passés Tylette et Tylô?... Que font-ils?...</p>
+
+<blockquote><p>[Au même moment, on entend des cris aigus poussés par la
+Chatte.] </p></blockquote>
+
+<p>MYTYL, [alarmée.]</p>
+
+<p>C'est Tylette qui pleure!... On lui fait du mal!...</p>
+
+<blockquote><p>[Entre en courant la Chatte, hérissée, dépeignée, les
+vêtements déchirés, et tenant son mouchoir sur la joue,
+comme si elle avait mal aux dents. Elle pousse des
+gémissements courroucés et est serrée de très près par le
+Chien qui l'accable de coups de tête, de coups de poing et
+de coups de pied.] </p></blockquote>
+
+<p>LE CHIEN, [battant la Chatte.]</p>
+
+<p>Là!... En as-tu assez?... En veux-tu encore?... Là! là! là!...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE, TYLTYL et MYTYL, [se précipitant pour les séparer.]</p>
+
+<p>Tylô!... Es-tu fou?... Par exemple!... A bas!... Veux-tu
+finir!... A-t-on jamais vu!... Attends! attends!...</p>
+
+<blockquote><p>[On les sépare énergiquement.] </p></blockquote>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est?... Que s'est-il passé?...</p>
+
+<p>LA CHATTE, [pleurnichant et s'essuyant les yeux.]</p>
+
+<p>C'est lui, madame la Lumière.... Il m'a dit des injures, il a mis
+des clous dans ma soupe, il m'a tiré la queue, il m'a roué de
+coups, et je n'avais rien fait, rien du tout, rien du tout!...</p>
+
+<p>LE CHIEN, [l'imitant.]</p>
+
+<p>Rien du tout, rien du tout!... [A mi-voix, lui faisant la nique.]
+C'est égal, t'en as eu, t'en as eu, et du bon, et t'en auras
+encore!...</p>
+
+<p>MYTYL, [serrant la Chatte dans ses bras.]</p>
+
+<p>Ma pauvre Tylette, dis-moi donc où c'est que t'as mal.... Je vais
+pleurer aussi!...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE, [au Chien, sévèrement.]</p>
+
+<p>Votre conduite est d'autant plus indigne que vous choisissez pour
+nous donner ce triste spectacle le moment, déjà assez pénible par
+lui-même, où nous allons nous séparer de ces pauvres enfants....</p>
+
+<p>LE CHIEN, [subitement dégrisé.]</p>
+
+<p>Nous séparer de ces pauvres enfants?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Oui, l'heure que vous savez va sonner.... Nous allons rentrer
+dans le Silence.... Nous ne pourrons plus leur parler....</p>
+
+<p>LE CHIEN, [poussant tout à coup de véritables hurlements de
+désespoir et se jetant sur les enfants qu'il accable de caresses
+violentes et tumultueuses.]</p>
+
+<p>Non, non!... Je ne veux pas!... Je ne veux pas!... Je parlerai
+toujours!... Tu me comprendras maintenant, n'est-ce pas, mon
+petit dieu?... Oui, oui, oui!.... Et l'on se dira tout, tout,
+tout!... Et je serai Lien sage.... Et j'apprendrai à lire, à
+écrire et à jouer aux dominos!... Et je serai toujours très
+propre.... Et je ne volerai plus rien dans la cuisine.... Veux-tu
+que je fasse quelque chose d'étonnant?... Veux-tu que j'embrasse
+la Chatte?...</p>
+
+<p>MYTYL, [à la Chatte.]</p>
+
+<p>Et toi, Tylette?... Tu n'as rien à nous dire.</p>
+
+<p>LA CHATTE, [pincée, énigmatique.]</p>
+
+<p>Je vous aime tous deux, autant que vous le méritez....</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Maintenant, qu'à mon tour, mes enfants, je vous donne le dernier
+baiser....</p>
+
+<p>TYLTYL et MYTYL, [s'accrochant à la robe de la Lumière.]</p>
+
+<p>Non, non, non, la Lumière!... Reste ici, avec nous!... Papa ne
+dira rien.... Nous dirons à Maman que tu as été bonne....</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Hélas! je ne peux pas.... Cette porte nous est fermée et je dois
+vous quitter...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Où iras-tu toute seule?</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Pas bien loin, mes enfants; là-bas, dans le pays du Silence des
+choses..</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Non, non; je ne veux pas.... Nous irons avec toi.... Je dirai à
+Maman....</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Ne pleurez pas, mes chers petits.... Je n'ai pas de voix comme
+l'Eau; je n'ai que ma clarté que l'Homme n'entend point.... Mais
+je veille sur lui jusqu'à la fin des jours.... Rappelez-vous bien
+que c'est moi qui vous parle dans chaque rayon de lune qui
+s'épanche, dans chaque étoile qui sourit, dans chaque aurore qui
+se lève, dans chaque lampe qui s'allume, dans chaque pensée bonne
+et claire de votre âme.... [Huit heures sonnent derrière le mur.]
+Écoutez!... L'heure sonne.... Adieu!... La porte s'ouvre!...
+Entrez, entrez, entrez!...</p>
+
+<blockquote><p>[Elle pousse les enfants dans l'ouverture de la petite porte
+qui vient de s'entrebâiller et se referme sur eux.&mdash;Le Pain
+essuie une larme furtive, le Sucre, l'Eau, tout en pleurs,
+etc., fuient précipitamment et disparaissent à droite et à
+gauche, dans la coulisse. Hurlements du Chien à la
+cantonade. La scène reste vide un instant, puis le décor
+figurant le mur de la petite porte s'ouvre par le milieu,
+pour découvrir le dernier tableau.] </p></blockquote>
+
+
+
+<hr style="width: 65%;" />
+
+<h3><a name="ACTE_SIXIEME" id="ACTE_SIXIEME"></a>ACTE SIXIÈME</h3>
+
+<hr style="width: 45%;" />
+
+<h3><a name="DOUZIEME_TABLEAU" id="DOUZIEME_TABLEAU"></a>DOUZIÈME TABLEAU</h3>
+
+
+<h4>LE RÉVEIL</h4>
+
+
+<p>Le même intérieur qu'au premier tableau, mais tout, les murs,
+l'atmosphère, y paraît incomparablement, féeriquement plus frais,
+plus riant, plus heureux.&mdash;La lumière du jour filtre gaiement par
+toutes les fentes des volets clos.</p>
+
+<hr style="width: 45%;" />
+
+<blockquote><p>[A droite, au fond de la pièce, en leurs deux petits lits,
+Tyltyl et Mytyl sont profondément endormis.&mdash;La Chatte, le
+Chien et les Objets sont à la place qu'ils occupaient au
+premier tableau, avant l'arrivée de la Fée.&mdash;Entre la Mère
+Tyl.] </p></blockquote>
+
+<p>LA MÈRE TYL, [d'une voix allègrement grondeuse.]</p>
+
+<p>Debout, voyons, debout! les petits paresseux!... Vous n'avez donc
+pas honte?... Huit heures sont sonnées, le soleil est déjà plus
+haut que la forêt!... Dieu! qu'ils dorment, qu'ils dorment!...
+[Elle se penche et embrasse les enfants.] Ils sont tout
+roses.... Tyltyl sent la lavande et Mytyl le muguet.... [Les
+embrassant encore.] Que c'est bon les enfants!... Ils ne peuvent
+pourtant pas dormir jusqu'à midi.... On ne peut pas en faire des
+paresseux.... Et puis, je me suis laissée dire que ce n'est pas
+trop bon pour la santé.... [Secouant doucement Tyltyl.] Allons,
+allons, Tyltyl....</p>
+
+<p>TYLTYL, [s'éveillant.]</p>
+
+<p>Quoi?... La Lumière?... Où est-elle? Non, non, ne t'en vas
+pas....</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>La Lumière?... mais bien sûr qu'elle est là.... Il y a déjà pas
+mal de temps.... Il fait aussi clair qu'à midi, bien que les
+volets soient fermés.... Attends un peu que je les ouvre....
+[Elle pousse les volets, l'aveuglante clarté du grand jour
+envahit la pièce.] Là, voilà!... Qu'est-ce que t'as?... T'as
+l'air tout aveuglé...</p>
+
+<p>TYLTYL, [se frottant les yeux.]</p>
+
+<p>Maman, maman!... C'est toi!...</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Mais bien sûr que c'est moi.... Qui veux-tu que ce soit?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est toi.... Mais oui, c'est toi!...</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Mais oui, c'est moi.... Je n'ai pas changé de visage cette
+nuit.... qu'as-tu donc à me regarder comme un émerveillé?... J'ai
+peut-être le nez à l'envers?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oh! que c'est bon de te revoir!... Il y a si longtemps, si
+longtemps!... Il faut que je t'embrasse tout de suite.... Encore,
+encore, encore!... Et puis, c'est bien mon lit!... Je suis dans
+la maison!...</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce que t'as?... Tu ne t'éveilles pas?... T'es pas malade,
+au moins?... Voyons, montre ta langue.... Allons, lève-toi donc,
+et puis habille-toi....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tiens! je suis en chemise!...</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Bien sûr.... Passe ta culotte et ta petite veste.... Elles sont
+là, sur la chaise....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Est-ce que j'ai fait ainsi tout mon voyage?...</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Quel voyage?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais oui, l'année dernière....</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>L'année dernière?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais oui, donc!... A Noël, lorsque je suis parti....</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Lorsque t'es parti?... T'as pas quitté la chambre.... Je j'ai
+couché hier soir, et je te retrouve ce matin.... T'as donc rêvé
+tout ça?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais tu ne comprends pas!... C'était l'année passée, lorsque je
+suis parti avec Mytyl, la Fée, la Lumière.... elle est bonne, la
+Lumière! le Pain, le Sucre, l'Eau, le Feu. Ils se battaient tout
+le temps.... T'es pas fâchée?... T'as pas été trop triste?... Et
+Papa, qu'a-t-il dit?... Je ne pouvais pas refuser.... J'ai laissé
+un billet pour expliquer....</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce que tu chantes là?... Bien sûr que t'es malade, ou bien
+tu dors encore.... [Elle lui donne une bourrade amicale.] Voyons,
+réveille-toi.... Voyons, ça va-t-il mieux?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais, Maman, je t'assure.... C'est toi qui dors encore....</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Comment! je dors encore?... Je suis debout depuis six heures....
+J'ai fait tout le ménage et rallumé le feu....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais demande à Mytyl si c'est pas vrai.... Ah! noirs en avons eu
+des aventures!...</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Comment, Mytyl?... Quoi donc?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Elle était avec moi.... Nous avons revu bon-papa et
+bonne-maman....</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL, [de plus en plus ahurie.]</p>
+
+<p>Bon-papa et bonne-maman?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui, au Pays du Souvenir.... C'était sur notre route.... Ils sont
+morts, mais ils se portent bien.... Bonne-maman nous a fait une
+belle tarte aux prunes.... Et puis les petits frères, Robert,
+Jean, sa toupie, Madeleine et Pierrette, Pauline et puis
+Riquette...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Riquette, elle marche à quatre pattes!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et Pauline a toujours son bouton sur le nez....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Nous t'avons vue aussi hier au soir.</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Hier au soir? Ce n'est pas étonnant puisque je t'ai couchée.</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Non, non, aux jardins des Bonheurs, tu étais bien plus belle,
+mais tu te ressemblais....</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Le jardin des Bonheurs? Je ne connais pas ça....</p>
+
+<p>TYLTYL, [la contemplant, puis l'embrassant.]</p>
+
+<p>Oui, tu étais plus belle, mais je t'aime mieux comme ça...</p>
+
+<p>MYTYL, [l'embrassant également.]</p>
+
+<p>Moi aussi, moi aussi....</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL, [attendrie, mais fort inquiète.]</p>
+
+<p>Mon Dieu! qu'est-ce qu'ils ont?... Je vais les perdre aussi,
+comme j'ai perdu les autres!... [Subitement affolée, elle
+appelle.] Papa Tyl! Papa Tyl!... Venez donc! Les petits sont
+malades!...</p>
+
+<blockquote><p>[Entre le Père Tyl, très calme une hache à la main.] </p></blockquote>
+
+<p>LE PÈRE TYL</p>
+
+<p>Qu'y a-t-il?...</p>
+
+<p>TYLTYL et MYTYL [accourant joyeusement pour embrasser leur père.]</p>
+
+<p>Tiens, Papa!... C'est Papa!... Bonjour, Papa!... Tu as bien
+travaillé cette année?...</p>
+
+<p>LE PÈRE TYL</p>
+
+<p>Eh bien, quoi?... Qu'est-ce que c'est?... Ils n'ont pas l'air
+malade; ils ont fort bonne mine....</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL, [larmoyante.]</p>
+
+<p>Il ne faut pas s'y fier.... Ce sera comme les autres.... Ils
+avaient fort bonne mine aussi, jusqu'à la fin; et puis le bon
+Dieu les a pris.... Je ne sais ce qu'ils ont.... Je les avais
+couchés bien tranquillement hier au soir; et ce matin, quand ils
+s'éveillent, voilà que tout va mal.... Ils ne savent plus ce
+qu'ils disent; ils parlent d'un voyage.... Ils ont vu la Lumière,
+grand-papa, grand'maman, qui sont morts mais qui se portent
+bien....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais bon-papa, il a toujours sa jambe de bois....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Et bonne-maman ses rhumatismes....</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Tu entends?... Cours chercher le médecin!...</p>
+
+<p>LE PÈRE TYL</p>
+
+<p>Mais non, mais non.... Ils ne sont pas encore morts.... Voyons,
+nous allons voir.... [On frappe à la porte île la maison.]
+Entrez!</p>
+
+<blockquote><p>[Entre la Voisine, petite vieille qui ressemble à la Fée du
+premier acte, et qui marche en s'appuyant sur un bâton.] </p></blockquote>
+
+<p>LA VOISINE</p>
+
+<p>Bien le bonjour et bonne fête à tous!</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est la Fée Bérylune!</p>
+
+<p>LA VOISINE</p>
+
+<p>Je viens chercher un peu de feu pour mon pot-au-feu de la
+fête.... Il fait bien frisquet ce matin.... Bonjour, les enfants,
+ça va bien?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Madame la Fée Bérylune, je n'ai pas trouvé l'Oiseau-Bleu....</p>
+
+<p>LA VOISINE</p>
+
+<p>Que dit-il?...</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Ne m'en parlez pas, madame Berlingot.... Ils ne savent plus ce
+qu'ils disent.... Ils sont comme ça depuis leur réveil.... Ils
+ont dû manger quelque chose qui n'était pas bon....</p>
+
+<p>LA VOISINE</p>
+
+<p>Eh bien, Tyltyl, tu ne reconnais pas la mère Berlingot, ta
+voisine Berlingot?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais si, madame.... Vous êtes la Fée Bérylune.... Vous n'êtes pas
+fâchée?...</p>
+
+<p>LA VOISINE</p>
+
+<p>Béry.... quoi?</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Bérylune</p>
+
+<p>LA VOISINE</p>
+
+<p>Berlingot, tu veux dire Berlingot....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Bérylune, Berlingot, comme vous voudrez, madame.... Mais Mytyl
+qui sait bien....</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Voilà le pis, c'est que Mytyl aussi....</p>
+
+<p>LE PÈRE TYL</p>
+
+<p>Bah, bah!... Cela se passera; je vais leur donner quelques
+claques....</p>
+
+<p>LA VOISINE</p>
+
+<p>Laissez donc, ce n'est pas la peine.... Je connais ça; c'est rien
+qu'un peu de songeries.... Ils auront dormi dans un rayon de
+lune.... Ma petite fille qu'est bien malade est souvent comme
+ça....</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>A propos, comment qu'elle va, ta petite fille?</p>
+
+<p>LA VOISINE</p>
+
+<p>Couci-couci.... Elle ne peut se lever.... Le docteur dit que
+c'est les nerfs.... Tout de même je sais bien ce qui la
+guérirait.... Elle me le demandait encore ce matin, pour son
+petit noël; c'est une idée qu'elle a....</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Oui, je sais, c'est toujours l'oiseau de Tyltyl.... Eh bien,
+Tyltyl, ne vas-tu pas le lui donner enfin, à cette pauvre
+petite?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Quoi, Maman?...</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Ton oiseau.... Pour ce que tu en fais.... Tu ne le regardes même
+plus.... Elle en meurt d'envie depuis si longtemps!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tiens, c'est vrai, mon oiseau.... Où est-il?... Ah! mais voilà la
+cage!... Mytyl, vois-tu la cage?... C'est celle que portait le
+Pain.... Oui, oui, c'est bien la même; mais il n'y a plus qu'un
+oiseau.... Il a donc mangé l'autre?... Tiens, tiens!... Mais il
+est bleu!... Mais c'est ma tourterelle!... Mais elle est bien
+plus bleue que quand je suis parti!... Mais c'est là
+l'Oiseau-Bleu que mous avons cherché!... Nous sommes allés si
+loin et il était ici!... Ah! ça, c'est épatant!... Mytyl, vois-tu
+l'oiseau?... Que dirait la Lumière?... Je vais décrocher la
+Cage.... [Il monte sur une chaise et décroche la cage qu'il
+apporte à la Voisine.] La voilà, madame Berlingot.... Il n'est
+pas encore tout à fait bleu; ça viendra, vous verrez.... Mais
+portez-le bien vite à votre petite fille....</p>
+
+<p>LA VOISINE</p>
+
+<p>Non?... Vrai?... Tu me le donnes, comme ça, tout de suite et pour
+rien?... Dieu! qu'elle va être heureuse!... [Embrassant Tyltyl.]
+Il faut que je t'embrasse!... Je me sauve!... Je me sauve!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui, oui; allez vite.... Il y en a qui changent de couleur....</p>
+
+<p>LA VOISINE</p>
+
+<p>Je reviendrai vous dire ce qu'elle aura dit....</p>
+
+<blockquote><p>[Elle sort.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL, [après avoir longuement regardé autour de soi.]</p>
+
+<p>Papa, Maman; qu'avez-vous fait à la maison?... C'est la même
+chose; mais elle est bien plus belle....</p>
+
+<p>LE PÈRE TYL</p>
+
+<p>Comment, elle est plus belle?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais oui, tout est repeint, tout est remis à neuf, tout reluit,
+tout est propre.... Ça n'était pas comme ça, l'année dernière....</p>
+
+<p>LE PÈRE TYL</p>
+
+<p>L'année dernière?...</p>
+
+<p>TYLTYL, [allant à la fenêtre.]</p>
+
+<p>Et la forêt qu'on voit!... Est-elle grande, est-elle belle!... On
+croirait qu'elle est neuve!... Qu'on est heureux ici!... [Allant
+ouvrir la huche.] Où est le Pain?... Tiens, ils sont bien
+tranquilles.... Et puis, voilà Tylô!... Bonjour, Tylô, Tylô!...
+Ah! tu t'es bien battu!... Te rappelles-tu dans la forêt?...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Et Tylette?... Elle me reconnaît bien, mais elle ne parle
+plus....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Monsieur le Pain.... [Se tâtant le front.] Tiens, je n'ai plus le
+Diamant! Qui est-ce qui m'a pris mon petit chapeau vert?... Tant
+pis! je n'en ai plus besoin....&mdash;Ah! le Feu!... Il est bon!... Il
+pétille en riant pour faire enrager l'Eau.... [Courant à la
+fontaine.]&mdash;Et l'Eau?... Bonjour, l'Eau!... Que dit-elle?... Elle
+parle toujours, mais je ne la comprends plus aussi bien..</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Je ne vois pas le Sucre....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Dieu que je suis heureux, heureux, heureux!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Moi aussi, moi aussi!...</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Qu'ont-ils donc à tourniller comme ça?...</p>
+
+<p>LE PÈRE TYL</p>
+
+<p>Laisse donc, t'inquiète pas.... Ils jouent à être heureux....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Moi, j'aimais surtout la Lumière.... Où est sa lampe?... Est-ce
+qu'on peut l'allumer?... [Regardant encore autour de soi.] Dieu!
+que c'est beau tout ça et que je suis content!...</p>
+
+<blockquote><p>[On frappe à la porte de la maison.] </p></blockquote>
+
+<p>LE PÈRE TYL</p>
+
+<p>Entrez donc!...</p>
+
+<blockquote><p>[Entre la Voisine, tenant par la main une petite fille d'une
+beauté blonde et merveilleuse qui serre dans ses bras la
+tourterelle de Tyltyl.] </p></blockquote>
+
+<p>LA VOISINE</p>
+
+<p>Vous voyez le miracle!...</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Pas possible!... Elle marche?...</p>
+
+<p>LA VOISINE</p>
+
+<p>Elle marche!... C'est-à-dire qu'elle court, qu'elle danse,
+qu'elle vole!... Quand elle a vu l'oiseau, elle a sauté, comme
+ça, d'un saut, vers la fenêtre, pour voir à la lumière si c'était
+bien la tourterelle de Tyltyl.... Et puis pfff!... dans la rue,
+comme un ange.... C'est tout juste si je pouvais la suivre....</p>
+
+<p>TYLTYL, [s'approchant, émerveillé.]</p>
+
+<p>Oh! qu'elle ressemble à la Lumière!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Elle est bien plus petite....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Sûr!... Mais elle grandira...</p>
+
+<p>LA VOISINE</p>
+
+<p>Que disent-ils?... Ça ne va pas encore?...</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Ça va mieux, ça se passe.... Quand ils auront déjeuné, il n'y
+paraîtra plus....</p>
+
+<p>LA VOISINE, [poussant la petite fille dans les bras de Tyltyl.]</p>
+
+<p>Allons, va, ma petite, va remercier Tyltyl....</p>
+
+<blockquote><p>[Tyltyl, soudainement intimidé, recule d'un pas.] </p></blockquote>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Eh bien, Tyltyl, qu'est-ce que t'as?... T'as peur de la petite
+fille?... Voyons, embrasse-la.... Voyons, un gros baiser....
+Mieux que ça.... Toi si effronté d'habitude!... Encore un!...
+Mais qu'est-ce donc que t'as?... On dirait que tu vas pleurer....</p>
+
+<blockquote><p>[Tyltyl, après avoir gauchement embrassé la petite fille,
+reste un moment debout devant elle, et les deux enfants se
+regardent sans rien dire; puis, Tyltyl caressant la tète de
+l'oiseau.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'il est assez bleu?...</p>
+
+<p>LA PETITE FILLE</p>
+
+<p>Mais oui, je suis contente....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>J'en ai vu de plus bleus.... Mais les tout à fait bleus, tu sais,
+on a beau faire, on ne peut pas les attraper.</p>
+
+<p>LA PETITE FILLE</p>
+
+<p>Ça ne fait rien, il est bien joli....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'il a mangé?...</p>
+
+<p>LA PETITE FILLE</p>
+
+<p>Pas encore.... Qu'est-ce qu'il mange?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>De tout, du blé, du pain, du maïs, des cigales....</p>
+
+<p>LA PETITE FILLE</p>
+
+<p>Comment qu'il mange, dis?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Par le bec, tu vas voir, je vais te montrer....</p>
+
+<blockquote><p>[Il va pour prendre l'oiseau des mains de la petite fille;
+celle-ci résiste instinctivement, et, profitant de
+l'hésitation de leur geste, la tourterelle s'échappe et s'en
+vole.] </p></blockquote>
+
+<p>LA PETITE FILLE, [poussant un cri de désespoir.]</p>
+
+<p>Maman!... Il est parti!...</p>
+
+<blockquote><p>[Elle éclate en sanglots.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ce n'est rien.... Ne pleure pas.... Je le rattraperai....
+[S'avançant sur le devant de la scène et s'adressant au public.]
+Si quelqu'un le retrouve, voudrait-il nous le rendre?... Nous en
+avons besoin pour être heureux plus tard....</p>
+
+
+<p>RIDEAU</p>
+<hr style="width: 95%;" />
+
+<p class="caption"><a name="Table_des_matieres" id="Table_des_matieres"></a>Table des matières</p>
+
+
+<p style="font-size: 0.8em;">
+<a href="#COSTUMES">COSTUMES</a><br />
+<a href="#TABLEAUX">TABLEAUX</a><br />
+<a href="#PERSONNAGES">PERSONNAGES</a><br /><br />
+<a href="#LOISEAU_BLEU">L'OISEAU BLEU</a><br /><br />
+<a href="#ACTE_PREMIER">ACTE PREMIER</a><br />
+<a href="#PREMIER_TABLEAU">PREMIER TABLEAU</a><br /><br />
+<a href="#ACTE_DEUXIEME">ACTE DEUXIÈME</a><br />
+<a href="#DEUXIEME_TABLEAU">DEUXIÈME TABLEAU</a><br />
+<a href="#TROISIEME_TABLEAU">TROISIÈME TABLEAU</a><br /><br />
+<a href="#ACTE_TROISIEME">ACTE TROISIÈME</a><br />
+<a href="#QUATRIEME_TABLEAU">QUATRIÈME TABLEAU</a><br />
+<a href="#CINQUIEME_TABLEAU">CINQUIÈME TABLEAU</a><br /><br />
+<a href="#ACTE_QUATRIEME">ACTE QUATRIÈME</a><br />
+<a href="#SIXIEME_TABLEAU">SIXIÈME TABLEAU</a><br />
+<a href="#SEPTIEME_TABLEAU">SEPTIÈME TABLEAU</a><br />
+<a href="#HUITIEME_TABLEAU">HUITIÈME TABLEAU</a><br />
+<a href="#NEUVIEME_TABLEAU">NEUVIÈME TABLEAU</a><br /><br />
+<a href="#ACTE_CINQUIEME">ACTE CINQUIÈME</a><br />
+<a href="#DIXIEME_TABLEAU">DIXIÈME TABLEAU</a><br />
+<a href="#ONZIEME_TABLEAU">ONZIÈME TABLEAU</a><br /><br />
+<a href="#ACTE_SIXIEME">ACTE SIXIÈME</a><br />
+<a href="#DOUZIEME_TABLEAU">DOUZIÈME TABLEAU</a><br />
+</p>
+
+
+
+
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+<div>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 38849 ***</div>
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+The Project Gutenberg EBook of L'oiseau bleu, by Maurice Maeterlinck
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: L'oiseau bleu
+ Feerie en six actes et douze tableaux
+
+Author: Maurice Maeterlinck
+
+Release Date: February 12, 2012 [EBook #38849]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: UTF-8
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'OISEAU BLEU ***
+
+
+
+
+Produced by Annemie Arnst & Marc D'Hooghe at
+http://www.freeliterature.org (From images generously made
+available by the Internet Archive.)
+
+
+
+
+
+L'OISEAU BLEU
+
+par
+
+MAURICE MAETERLINCK
+
+
+FÉERIE EN SIX ACTES ET DOUZE TABLEAUX
+
+_Représentée pour la première fois,_
+_sur le Théâtre Artistique de Moscou, le 30 Septembre 1908,_
+_et à Paris, sur la scène du Théâtre Réjane,_
+_le 2 Mars 1911._
+
+
+
+PARIS
+
+Librairie CHARPENTIER et FASQUELLE
+
+EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR
+
+11, RUE DE GRENELLE, 11
+
+1911
+
+
+
+
+COSTUMES
+
+
+TYLTYL: Costume du Petit-Poucet dans les contes de Perrault:
+petite culotte rouge-vermillon, courte veste bleu tendre, bas
+blancs, souliers ou bottines de cuir fauve.
+
+MYTYL: Costume de Grethel ou bien du Petit Chaperon rouge.
+
+LA LUMIÈRE: Robe couleur de lune, c'est-à-dire d'or pâle à
+reflets d'argent, gazes scintillantes, formant des rayons, etc.
+Style néo-grec ou anglo-grec genre Walter Crane ou même plus ou
+moins Empire.--Taille haute, bras nus, etc.--Coiffure: sorte de
+diadème ou même de couronne légère.
+
+LA FÉE BÉRYLUNE, LA VOISINE BERLINGOT: Costume classique des
+pauvresses de contes de fées. On pourrait supprimer au premier
+acte la transformation de la Fée en princesse.
+
+LE PÈRE TYL, LA MÈRE TYL, GRAND-PAPA TYL, GRAND'MAMAN TYL:
+Costumes légendaires des bûcherons et des paysans allemands dans
+les contes de Grimm.
+
+LES FRÈRES ET SŒURS DE TYLTYL: Variantes du costume du
+Petit-Poucet.
+
+LE TEMPS: Costume classique du Temps: vaste manteau noir ou gros
+bleu, barbe blanche et flottante, faulx, sablier.
+
+L'AMOUR MATERNEL: Costume à peu près semblable à celui de la
+Lumière, c'est-à-dire voiles souples et presque transparents de
+statue grecque, blancs autant que possible. Perles et pierreries
+aussi riches et aussi nombreuses qu'on voudra, pourvu qu'elles ne
+rompent pas l'harmonie pure et candide de l'ensemble.
+
+LES GRANDES JOIES: Comme il est dit dans le texte, robes
+lumineuses aux subtiles et suaves nuances: réveil de rose,
+sourire d'eau, rosée d'ambre, azur d'aurore, etc.
+
+LES BONHEURS DE LA MAISON: Robes de diverses couleurs, ou si l'on
+veut, costumes de paysans, de bergers, de bûcherons, etc., mais
+idéalisés et féeriquement interprétés.
+
+LES GROS BONHEURS: Avant la transformation: amples et lourds
+manteaux de brocarts rouges et jaunes, bijoux énormes et épais,
+etc. Après la transformation: maillots café ou chocolat, donnant
+l'impression de pantins en baudruche.
+
+LA NUIT: Amples vêtements noirs mystérieusement constellés, à
+reflets mordorés. Voiles, pavots sombres, etc.
+
+LA PETITE FILLE DE LA VOISINE: Chevelure blonde et lumineuse,
+longue robe blanche.
+
+LE CHIEN: Habit rouge, culotte blanche, bottes vernies, chapeau
+ciré; costume rappelant plus ou moins celui de John Bull.
+
+LA CHATTE: Maillot de soie noire à paillettes
+
+Il convient que les têtes de ces deux personnages soient
+discrètement animalisées.
+
+LE PAIN: Somptueux costume de pacha. Ample robe de soie ou de
+velours cramoisi, broché d'or. Vaste turban. Cimeterre. Ventre
+énorme, face rouge et extrêmement joufflue.
+
+LE SUCRE: Robe de soie, dans le genre de celles des eunuques,
+mi-partie de blanc et de bleu pour rappeler le papier d'emballage
+des pains de sucre; Coiffure des gardiens du sérail.
+
+LE FEU: Maillot rouge, manteau vermillon à reflets chatoyants,
+doublé d'or. Aigrette de flammes versicolores.
+
+L'EAU: Robe couleur du temps du conte de Peau d'Ane, c'est-à-dire
+bleuâtre ou glauque, à reflets transparents, effets de gaze
+ruisselante, également style néo ou anglo-grec, mais plus ample,
+plus flottant. Coiffure de fleurs et d'algues ou de roseaux.
+
+LES ANIMAUX: Costumes populaires ou paysans.
+
+LES ARBRES: Robes, nuances variées du vert ou de la teinte tronc
+d'arbres. Attributs, feuilles ou branches qui les fassent
+reconnaître.
+
+
+
+
+TABLEAUX
+
+
+1er TABLEAU (acte I): _La Cabane du Bûcheron._
+
+2e TABLEAU (acte II): _Chez la Fée._
+
+3e TABLEAU (acte II): _Le Pays du Souvenir._
+
+4e TABLEAU (acte III): _Le Palais de la Nuit._
+
+5e TABLEAU (acte III): _La Forêt._
+
+6e TABLEAU (acte IV): _Devant le Rideau._
+
+7e TABLEAU (acte IV): _Le Cimetière._
+
+8e TABLEAU (acte IV): _Devant le Rideau._
+
+9e TABLEAU (acte IV): _Le Palais des Bonheurs._
+
+10e TABLEAU (acte V): _Le Royaume de l'Avenir._
+
+11e TABLEAU (acte VI): _L'Adieu._
+
+12e TABLEAU (acte VI): _Le Réveil._
+
+
+
+
+PERSONNAGES
+
+(dans l'ordre de leur entrée en scène)
+
+
+ LA MÈRE TYL -- Mlle Méthivet.
+ TYLTYL -- M. Delphin.
+ MYTYL -- Mlle Odette Carlia.
+ LA FÉE -- Mme Gina Barbieri.
+ LE PAIN -- MM. R.L. Fugère.
+ LE FEU -- Aurèle Sydney.
+ L'EAU -- Mlles Isis.
+ LE LAIT -- Diris.
+ LE SUCRE -- MM. Bosman.
+ LE CHIEN -- Séverin-Mars.
+ LE CHAT -- Stephen.
+ LA LUMIÈRE -- Mme Georgette Leblanc.
+ { Mlles Nini Mano.
+ { Henriette Maillefer.
+ { Fernande Fayeret.
+ { Blanche Faveret.
+ { Suzanne Bailly.
+ LES HEURES -- { Raymonde Faveret.
+ { Laurence Petit.
+ { Jane Faveret.
+ { Berthe Libovitz.
+ { Antoinette Raymond.
+ { Deroissy.
+ { Georges.
+
+ LE PÈRE TYL -- M. Félix Barré.
+ GRAND'MÈRE TYL -- Mme Daynes Grassot.
+ GRAND-PÈRE TYL -- M. Maillard.
+ PIERROT -- Mlles Suterre.
+ ROBERT -- Maria Fromet.
+ JEANNETTE -- Jeanne Evrard.
+ MADELEINE -- Giavelli.
+ PIERRETTE -- Henriette Gallet.
+ PAULINE -- Henriette Maillefer.
+ RIQUETTE -- Nini Mano
+ LA NUIT -- Clarel.
+ LE SOMMEIL -- Louise Starck.
+ LA MORT -- Rachel Horelick.
+ LE RHUME DE CERVEAU -- Renée Dahon.
+ 1er ENFANT BLEU -- Maria Fromet.
+ 2e -- -- Laura Walter.
+ 3e -- -- Maria Dumont.
+ 4e -- -- Fernande Faveret.
+ 5e -- -- Maud Loti.
+ 6e -- -- Suterre.
+ 7e -- -- Suzanne Bailly.
+ 8e -- -- Giavelli.
+ 9e -- -- Madeleine Fromet.
+ LE ROI DES NEUF PLANÈTES -- Batistina Rousseau.
+ 11e ENFANT BLEU -- Renée Pré.
+ 12e -- -- Henriette Maillefer.
+ 13e -- -- Béatrice Raymond.
+ 14e -- -- Jeanne Corrège.
+ L'AMOUREUX -- Lucy Fleury.
+ L'AMOUREUSE -- Blanche Borelli.
+ LE TEMPS -- M. Garry.
+ LE PETIT FRÈRE A NAITRE. -- Mlle Maria Fromet.
+ { Mlles Berthe Libovitz.
+ { Fernande Faveret.
+ { Suzanne Faveret.
+ { Blanche Faveret.
+ { Raymonde Faveret.
+ LES AUTRES ENFANTS BLEUS: -- { Mlles Henriette Gallet.
+ { Jeanne Evrard.
+ { Denise Choquet.
+ { Léa Dumont.
+ { Marcelle Malherbe.
+ { Juliette Malherbe.
+ { Lucienne Chezeaux.
+ { Dupechier.
+
+ { Mlles Deroissy.
+ { George.
+ LES GARDIENNES -- { Théloz.
+ { Albert.
+
+ LE CHEF DES GROS BONHEURS. M. Barré.
+ LES AUTRES BONHEURS { MM. Alfroy.
+ { Adalbert, etc.
+
+ { Mlle Lucienne Chezaux.
+ { Nini Mano.
+ { Jeanne Corrège.
+ LES PETITS BONHEURS -- { Henriette Maillefer.
+ { Fernand Faveret.
+ { Blanche Faveret.
+ { Louise Starck.
+ { Rachel Horelick.
+
+ { Jane Faveret.
+ { Raymonde Faveret.
+ LES ADOLESCENTS -- { Maud Loti.
+ { Annette Libovitz.
+ { Laurence Petit.
+
+ LE CHEF DES BONHEURS { Mlles Renée Beauval.
+
+ LE BONHEUR DE SE BIEN
+ PORTER { Dorchèze.
+ -- DE L'AIR PUR { Fleury.
+ -- D'AIMER SES PARENTS { Gannoz.
+ -- DU CIEL BLEU { Blanche Borelli.
+ -- DE LA FORÊT { Diris.
+
+ LE BONHEUR DES HEURES DE
+ SOLEIL { Mlles Boissière.
+ -- DU PRINTEMPS { Renée Dahon.
+ -- DES COUCHERS DE SOLEIL { Soyez.
+ -- DE VOIR SE LEVER
+ LES ÉTOILES { Georges.
+ -- DE LA PLUIE { Darièze.
+ -- DU FEU D'HIVER { Carène.
+ -- DES PENSÉES INNOCENTES { Laura Walter.
+ -- DE COURIR NU-PIEDS
+ DANS LA ROSÉE { Antoinette Raymond.
+
+ LA JOIE D'ÊTRE JUSTE { Albert.
+ -- D'ÊTRE BONNE { Bulaine.
+ -- DE LA GLOIRE { Théloz.
+ -- DE PENSER { Deroissy.
+ -- DE COMPRENDRE { Lefebvre.
+ -- DE VOIR CE QUI EST BEAU { Didier.
+ -- D'AIMER { Dervil.
+
+ L'AMOUR MATERNEL { Méthivet.
+
+ { Soyez.
+ LES JOIES INCONNUES { Delettraz.
+ { Dessoyer, etc.
+
+ LA VOISINE BERLINGOT { Mme Gina Barbieri.
+
+ SA PETITE FILLE { Mlle Juliette Malherbe.
+
+
+
+
+
+
+
+L'OISEAU BLEU
+
+
+
+
+ACTE PREMIER
+
+
+
+
+PREMIER TABLEAU
+
+
+LA CABANE DU BÛCHERON
+
+
+Le théâtre représente l'intérieur d'une cabane de bûcheron,
+simple, rustique, mais non point misérable.--Cheminée à manteau
+où s'assoupit un feu de bûches.--Ustensiles de cuisine, armoire,
+huche, horloge à poids, rouet, fontaine, etc.--Sur une table, une
+lampe allumée.--Au pied de l'armoire, de chaque côté de
+celle-ci, endormis, pelotonnés, le nez sous la queue, un Chien et
+une Chatte.--Entre eux deux, un grand pain de sucre blanc et
+bleu.--Accrochée au mur, une cage ronde renfermant une
+tourterelle.--Au fond, deux fenêtres dont les volets intérieurs
+sont fermés.--Sous l'une des fenêtres, un escabeau.--A gauche, la
+porte d'entrée de la maison, munie d'un gros loquet.--A droite,
+une autre porte.--Échelle menant à un grenier.--Également à
+droite, deux petits lits d'enfant, au chevet desquels, sur deux
+chaises, des vêtements se trouvent soigneusement pliés.
+
+ * * * * *
+
+ [Au lever du rideau, Tyltyl et Mytyl sont profondément
+ endormis dans leurs petits lits. La Mère Tyl les borde une
+ dernière fois, se penche sur eux, contemple un moment leur
+ sommeil, et appelle de la main le père Tyl qui passe la tête
+ dans l'entrebâillement de la porte. La Mère Tyl met un doigt
+ sur les lèvres pour lui commander le silence, puis sort à
+ droite sur la pointe des pieds, après avoir éteint la lampe.
+ La scène reste obscure un instant, puis une lumière dont
+ l'intensité augmente peu à peu filtre par les lames des
+ volets. La lampe sur la table se rallume d'elle-même. Les
+ deux enfants semblent s'éveiller et se mettent sur leur
+ séant.]
+
+TYLTYL
+
+Mytyl?
+
+MYTYL
+
+Tyltyl?
+
+TYLTYL
+
+Tu dors?
+
+MYTYL
+
+Et toi?...
+
+TYLTYL
+
+Mais non, je dors pas puisque je te parle....
+
+MYTYL:
+
+C'est Noël, dis?...
+
+TYLTYL
+
+Pas encore; c'est demain. Mais le petit Noël n'apportera rien
+cette année....
+
+MYTYL
+
+Pourquoi?...
+
+TYLTYL
+
+J'ai entendu maman qui disait qu'elle n'avait pu aller à la ville
+pour le prévenir.... Mais il viendra l'année prochaine....
+
+MYTYL
+
+C'est long, l'année prochaine?...
+
+TYLTYL
+
+Ce n'est pas trop court.... Mais il vient cette nuit chez les
+enfants riches....
+
+MYTYL
+
+Ah?...
+
+TYLTYL
+
+Tiens!... Maman a oublié la lampe!... J'ai une idée?...
+
+MYTYL
+
+?...
+
+TYLTYL
+
+Nous allons nous lever....
+
+MYTYL
+
+C'est défendu....
+
+TYLTYL
+
+Puisqu'il n'y a personne.... Tu vois les volets?...
+
+MYTYL
+
+Oh! qu'ils sont clairs!...
+
+TYLTYL
+
+C'est les lumières de la fête.
+
+MYTYL
+
+Quelle fête?
+
+TYLTYL
+
+En face, chez les petits riches. C'est l'arbre de Noël. Nous
+allons les ouvrir....
+
+MYTYL
+
+Est-ce qu'on peut?
+
+TYLTYL
+
+Bien sûr, puisqu'on est seuls.... Tu entends la musique?...
+Levons-nous....
+
+ Les deux enfants se lèvent, courent à l'une des fenêtres,
+ montent sur l'escabeau et poussent les volets. Une vive
+ clarté pénètre dans la pièce. Les enfants regardent
+ avidement au dehors.
+
+TYLTYL
+
+On voit tout!...
+
+MYTYL, [qui ne trouve qu'une place précaire sur l'escabeau.]
+
+Je vois pas....
+
+TYLTYL
+
+Il neige!... Voilà deux voitures à six chevaux!...
+
+MYTYL Il en sort douze petits garçons!...
+
+TYLTYL
+
+T'es bête!... C'est des petites filles....
+
+MYTYL
+
+Ils ont des pantalons....
+
+TYLTYL
+
+Tu t'y connais.... Ne me pousse pas ainsi!...
+
+MYTYL
+
+Je t'ai pas touché.
+
+TYLTYL, [qui occupe à lui seul tout l'escabeau.]
+
+Tu prends toute la place....
+
+MYTYL
+
+Mais j'ai pas du tout de place!...
+
+TYLTYL
+
+Tais-toi donc, on voit l'arbre!...
+
+MYTYL
+
+Quel arbre?...
+
+TYLTYL
+
+Mais l'arbre de Noël!... Tu regardes le mur!...
+
+MYTYL
+
+Je regarde le mur parce qu'y a pas de place....
+
+TYLTYL, [lui cédant une petite place avare sur l'escabeau.]
+
+Là!... En as-tu assez?... C'est-y pas la meilleure?... Il y en a
+des lumières! Il y en a!...
+
+MYTYL
+
+Qu'est-ce qu'ils font donc ceux qui font tant de bruit?...
+
+TYLTYL
+
+Ils font de la musique.
+
+MYTYL
+
+Est-ce qu'ils sont fâchés?...
+
+TYLTYL
+
+Non, mais c'est fatigant.
+
+MYTYL
+
+Encore une voiture attelée de chevaux blancs!...
+
+TYLTYL
+
+Tais-toi!... Regarde donc!...
+
+MYTYL
+
+Qu'est-ce qui pend là, en or, après les branches?...
+
+TYLTYL
+
+Mais les jouets, pardi!... Des sabres, des fusils, des soldats,
+des canons....
+
+MYTYL
+
+Et des poupées, dis, est-ce qu'on en a mis?...
+
+TYLTYL
+
+Des poupées?... C'est trop bête; ça ne les amuse pas....
+
+MYTYL
+
+Et autour de la table, qu'est-ce que c'est tout ça?...
+
+TYLTYL
+
+C'est des gâteaux, des fruits, des tartes à la crème....
+
+MYTYL
+
+J'en ai mangé une fois, lorsque j'étais petite....
+
+TYLTYL
+
+Moi aussi; c'est meilleur que le pain, mais on en a trop peu....
+
+MYTYL
+
+Ils n'en ont pas trop peu.... Il y en a plein la table.... Est-ce
+qu'ils vont les manger?...
+
+TYLTYL
+
+Bien sûr; qu'en feraient-ils?...
+
+MYTYL
+
+Pourquoi qu'ils ne les mangent pas tout de suite?...
+
+TYLTYL
+
+Parce qu'ils n'ont pas faim....
+
+MYTYL, stupéfaite.
+
+Ils n'ont pas faim?... Pourquoi?...
+
+TYLTYL
+
+C'est qu'ils mangent quand ils veulent....
+
+MYTYL, incrédule.
+
+Tous les jours?...
+
+TYLTYL
+
+On le dit....
+
+MYTYL
+
+Est-ce qu'ils mangeront tout?... Est-ce qu'ils en donneront?...
+
+TYLTYL
+
+A qui?...
+
+MYTYL
+
+A nous....
+
+TYLTYL
+
+Ils ne nous connaissent pas....
+
+MYTYL
+
+Si on leur demandait?...
+
+TYLTYL
+
+Cela ne se fait pas.
+
+MYTYL
+
+Pourquoi?...
+
+TYLTYL
+
+Parce que c'est défendu.
+
+MYTYL, battant des mains.
+
+Oh! qu'ils sont donc jolis!...
+
+TYLTYL, enthousiasmé.
+
+Et ils rient et ils rient!...
+
+MYTYL
+
+Et les petits qui dansent!...
+
+TYLTYL
+
+Oui, oui, dansons aussi!...
+
+ Ils trépignent de joie sur l'escabeau.
+
+MYTYL
+
+Oh! que c'est amusant!...
+
+TYLTYL
+
+On leur donne les gâteaux!... Ils peuvent y toucher!... Ils
+mangent! ils mangent! ils mangent!...
+
+MYTYL
+
+Les plus petits aussi!... Ils en ont deux, trois, quatre!...
+
+TYLTYL, [ivre de joie.]
+
+Oh! c'est bon!... Que c'est bon! que c'est bon!...
+
+MYTYL, [comptant des gâteaux imaginaires.]
+
+Moi, j'en ai reçu douze!...
+
+TYLTYL
+
+Et moi quatre fois douze!... Mais je t'en donnerai....
+
+ On frappe à la porte de la cabane.
+
+TYLTYL, [subitement calmé et effrayé.]
+
+Qu'est-ce que c'est?...
+
+MYTYL, [épouvantée.]
+
+C'est papa!...
+
+ Comme ils tardent à ouvrir, on voit le gros loquet se
+ soulever de lui-même, en grinçant; la porte s'entrebâille
+ pour livrer passage à une petite vieille habillée de vert et
+ coiffée d'un chaperon rouge. Elle est bossue, boiteuse,
+ borgne; le nez et le menton se rencontrent, et elle marche
+ courbée sur un bâton. Il n'est pas douteux que ce ne soit
+ une fée.
+
+LA FÉE
+
+Avez-vous ici l'herbe qui chante ou l'oiseau qui est bleu?...
+
+TYLTYL
+
+Nous avons de l'herbe, mais elle ne chante pas....
+
+MYTYL
+
+Tyltyl a un oiseau.
+
+TYLTYL
+
+Mais je ne peux pas le donner....
+
+LA FÉE
+
+Pourquoi?...
+
+TYLTYL
+
+Parce qu'il est à moi.
+
+LA FÉE
+
+C'est une raison, bien sûr. Où est-il, cet oiseau?...
+
+TYLTYL, [montrant la cage.]
+
+Dans la cage....
+
+LA FÉE, [mettant ses besicles pour examiner l'oiseau.]
+
+Je n'en veux pas; il n'est pas assez bleu. Il faudra que vous
+m'alliez chercher celui dont j'ai besoin.
+
+TYLTYL
+
+Mais je ne sais pas où il est....
+
+LA FÉE
+
+Moi non plus. C'est pourquoi il faut le chercher. Je puis à la
+rigueur me passer de l'herbe qui chante; mais il me faut
+absolument l'Oiseau Bleu. C'est pour ma petite fille qui est très
+malade.
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce qu'elle a?...
+
+LA FÉE
+
+On ne sait pas au juste; elle voudrait être heureuse....
+
+TYLTYL
+
+Ah?...
+
+LA FÉE
+
+Savez-vous qui je suis?...
+
+TYLTYL
+
+Vous ressemblez un peu à notre voisine, Madame Berlingot....
+
+LA FÉE, se fâchant subitement.
+
+En aucune façon.... Il n'y a aucun rapport.... C'est
+abominable!... Je suis la Fée Bérylune....
+
+TYLTYL
+
+Ah! très bien....
+
+LA FÉE
+
+Il faudra partir tout de suite.
+
+TYLTYL
+
+Vous viendrez avec nous?...
+
+LA FÉE
+
+C'est absolument impossible à cause du pot-au-feu que j'ai mis ce
+matin et qui s'empresse de déborder chaque fois que je m'absente
+plus d'une heure.... [Montrant successivement le plafond, la
+cheminée et la fenêtre.] Voulez-vous sortir par ici, par là ou
+par là?...
+
+TYLTYL, [montrant timidement la porte.]
+
+J'aimerais mieux sortir par là....
+
+LA FÉE, [se fâchant encore subitement.]
+
+C'est absolument impossible, et c'est une habitude révoltante!...
+[Indiquant la fenêtre.] Nous sortirons par là.... Eh bien!...
+Qu'attendez-vous?... Habillez-vous tout de suite.... [Les enfants
+obéissent et s'habillent rapidement.] Je vais aider Mytyl....
+
+TYLTYL
+
+Nous n'avons pas de souliers....
+
+LA FÉE
+
+Ça n'a pas d'importance. Je vais vous donner un petit chapeau
+merveilleux. Où sont donc vos parents?...
+
+TYLTYL, [montrant la porte à droite.]
+
+Ils sont là; ils dorment....
+
+LA FÉE
+
+Et votre bon-papa et votre bonne-maman?...
+
+TYLTYL
+
+Ils sont morts....
+
+LA FÉE
+
+Et vos petits frères et vos petites sœurs.... Vous en
+avez?...
+
+TYLTYL
+
+Oui, oui; trois petits frères....
+
+MYTYL
+
+Et quatre petites sœurs....
+
+LA FÉE
+
+Où sont-ils?...
+
+TYLTYL
+
+Ils sont morts aussi....
+
+LA FÉE
+
+Voulez-vous les revoir?...
+
+TYLTYL
+
+Oh oui!... Tout de suite!... Montrez-les!...
+
+LA FÉE
+
+Je ne les ai pas dans ma poche.... Mais ça tombe à merveille;
+vous les reverrez en passant par le pays du Souvenir. C'est sur
+la route de l'Oiseau-Bleu. Tout de suite à gauche, après le
+troisième carrefour.--Que faisiez-vous quand j'ai frappé?...
+
+TYLTYL
+
+Nous jouions à manger des gâteaux.
+
+LA FÉE
+
+Vous avez des gâteaux?... Où sont-ils?
+
+TYLTYL
+
+Dans le palais des enfants riches.... Venez voir, c'est si
+beau!...
+
+ [Il entraîne la Fée vers la fenêtre.]
+
+LA FÉE, à la fenêtre.
+
+Mais ce sont les autres qui les mangent!...
+
+TYLTYL
+
+Oui; mais puisqu'on voit tout....
+
+LA FÉE
+
+Tu ne leur en veux pas?...
+
+TYLTYL
+
+Pourquoi?...
+
+LA FÉE
+
+Parce qu'ils mangent tout. Je trouve qu'ils ont grand tort de ne
+pas t'en donner....
+
+TYLTYL
+
+Mais non, puisqu'ils sont riches.... Hein? que c'est beau chez
+eux!...
+
+LA FÉE
+
+Ce n'est pas plus beau que chez toi.
+
+TYLTYL
+
+Heu!... Chez nous c'est plus noir, plus petit, sans gâteaux....
+
+LA FÉE
+
+C'est absolument la même chose; c'est que tu n'y vois pas....
+
+TYLTYL
+
+Mais si, j'y vois très bien, et j'ai de très bons yeux. Je lis
+l'heure au cadran de l'église que papa ne voit pas....
+
+LA FÉE, [se fâchant subitement.]
+
+Je te dis que tu n'y vois pas!... Comment donc me vois-tu?...
+Comment donc suis-je faite?... [Silence gêné de Tyltyl.] Eh bien,
+répondras-tu? que je sache si tu vois?... Suis-je belle ou bien
+laide?... [Silence de plus en plus embarrassé.] Tu ne veux pas
+répondre?... Suis-je jeune ou bien veille?... Suis-je rose ou
+bien jaune?... j'ai peut-être une bosse?...
+
+TYLTYL, [conciliant.]
+
+Non, non, elle n'est pas grande....
+
+LA FÉE
+
+Mais si, à voir ton air, on la croirait énorme.... Ai-je le nez
+crochu et l'œil gauche crevé?...
+
+TYLTYL
+
+Non, non, je ne dis pas.... Qui est-ce qui l'a crevé?...
+
+LA FÉE, de plus en plus irritée.
+
+Mais il n'est pas crevé!... Insolent! misérable!... Il est plus
+beau que l'autre; il est plus grand, plus clair, il est bleu
+comme le ciel.... Et mes cheveux, vois-tu?... Ils sont blonds
+comme les blés.... on dirait de l'or vierge!... Et j'en ai tant
+et tant que la tête me pèse.... Ils s'échappent de partout....
+Les vois-tu sur mes mains?...
+
+ [Elle étale deux maigres mèches de cheveux gris.]
+
+TYLTYL
+
+Oui, j'en vois quelques-uns....
+
+LA FÉE, [indignée.]
+
+Quelques-uns!... Des gerbes! des brassées! des touffes! des flots
+d'or!... Je sais bien que des gens disent qu'ils n'en voient
+point; mais tu n'es pas de ces méchantes gens aveugles, je
+suppose?...
+
+TYLTYL
+
+Non, non, je vois très bien ceux qui ne se cachent point....
+
+LA FÉE
+
+Mais il faut voir les autres avec la même audace!... C'est bien
+curieux, les hommes.... Depuis la mort des fées, ils n'y voient
+plus du tout et ne s'en doutent point.... Heureusement que j'ai
+toujours sur moi tout ce qu'il faut pour rallumer les yeux
+éteints.... Qu'est-ce que je tire de mon sac?...
+
+TYLTYL
+
+Oh! le joli petit chapeau vert!... Qu'est-ce qui brille ainsi sur
+la cocarde?...
+
+LA FÉE
+
+C'est le gros Diamant qui fait voir....
+
+TYLTYL
+
+Ah!...
+
+LA FÉE
+
+Oui; quand on a le chapeau sur la tête, on tourne un peu le
+Diamant: de droite à gauche, par exemple, tiens, comme ceci,
+vois-tu?... Il appuie alors sur une bosse de la tête que personne
+ne connaît, et qui ouvre les yeux....
+
+TYLTYL
+
+Ça ne fait pas de mal?...
+
+LA FÉE
+
+Au contraire, il est fée.... On voit à l'instant même ce qu'il y
+a dans les choses; l'âme du pain, du vin, du poivre, par
+exemple....
+
+MYTYL
+
+Est-ce qu'on voit aussi l'âme du sucre?...
+
+LA FÉE, [subitement fâchée.]
+
+Cela va sans dire!... Je n'aime pas les questions inutiles....
+L'âme du sucre n'est pas plus intéressante que celle du
+poivre.... Voilà, je vous donne ce que j'ai pour vous aider dans
+la recherche de l'Oiseau-Bleu.... Je sais bien que
+l'Anneau-qui-rend-invisible ou le Tapis-Volant vous seraient plus
+utiles.... Mais j'ai perdu la clef de l'armoire où je les ai
+serrés.... Ah! j'allais oublier.... [Montrant le Diamant.] Quand
+on le tient ainsi, tu vois.... un petit tour de plus, on revoit
+le Passé.... Encore un petit tour, et l'on voit l'Avenir....
+C'est curieux et pratique et ça ne fait pas de bruit....
+
+TYLTYL
+
+Papa me le prendra....
+
+LA FÉE
+
+Il ne le verra pas; personne ne peut le voir tant qu'il est sur
+ta tête.... Veux-tu l'essayer?... [Elle coiffe Tyltyl du petit
+chapeau vert.] A présent, tourne le Diamant.... Un tour et puis
+après....
+
+ [A peine Tyltyl a-t-il tourné le Diamant, qu'un changement
+ soudain et prodigieux s'opère en toutes choses. La vieille
+ fée est tout à coup une belle princesse merveilleuse; les
+ cailloux dont sont bâtis les murs de la cabane s'illuminent,
+ bleuissent comme des saphirs, deviennent transparents,
+ scintillent, éblouissent à l'égal des pierres les plus
+ précieuses. Le pauvre mobilier s'anime et resplendit; la
+ table de bois blanc s'affirme aussi grave, aussi noble
+ qu'une table de marbre, le cadran de l'horloge cligne de
+ l'œil et sourit avec aménité, tandis que la porte
+ derrière quoi va et vient le balancier s'entr'ouvre et
+ laisse s'échapper les Heures, qui, se tenant les mains et
+ riant aux éclats, se mettent à danser aux sons d'une musique
+ délicieuse. Effarement légitime de Tyltyl qui s'écrie en
+ montrant les Heures.]
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que c'est que toutes ces belles dames?...
+
+LA FÉE
+
+N'aie pas peur; ce sont les heures de ta vie qui sont heureuses
+d'être libres et visibles un instant....
+
+TYLTYL
+
+Et pourquoi que les murs sont si clairs?... Est-ce qu'ils sont en
+sucre ou en pierres précieuses?...
+
+LA FÉE
+
+Toutes les pierres sont pareilles, toutes les pierres sont
+précieuses: mais l'homme n'en voit que quelques-unes....
+
+ [Pendant qu'ils parlent ainsi, la féerie continue et se
+ complète. Les âmes des Pains-de-quatre-livres, sous la forme
+ de bonshommes en maillots couleur croûte-de-pain, ahuris et
+ poudrés de farine, se dépêtrent de la huche et gambadent
+ autour de la table où ils sont rejoints par le Feu, qui,
+ sorti de l'âtre en maillot soufre et vermillon, les poursuit
+ en se tordant de rire.]
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que c'est que ces vilains bonshommes?...
+
+LA FÉE
+
+Rien de grave; ce sont les âmes des Pains-de-quatre-livres qui
+profitent du règne de la vérité pour sortir de la huche où elles
+se trouvaient à l'étroit....
+
+TYLTYL
+
+Et le grand diable rouge qui sent mauvais?...
+
+LA FÉE
+
+Chut!... Ne parle pas trop haut, c'est le Feu.... Il a mauvais
+caractère.
+
+ [Ce dialogue n'a pas interrompu la féerie. Le Chien et la
+ Chatte, couchés en rond au pied de l'armoire, poussant
+ simultanément un grand cri, disparaissent dans une trappe,
+ et à leur place surgissent deux personnages, dont l'un porte
+ un masque de bouledogue, et l'autre une tête de chatte.
+ Aussitôt, le petit homme au masque de bouledogue--que nous
+ appellerons dorénavant le Chien--se précipite sur Tyltyl
+ qu'il embrasse violemment et accable île bruyantes et
+ impétueuses caresses, cependant que la petite femme au
+ masque de chatte--que nous appellerons plus simplement la
+ Chatte--se donne un coup de peigne, se lave les mains et se
+ lisse la moustache, avant de s'approcher de Mytyl.]
+
+LE CHIEN, [hurlant, sautant, bousculant tout, insupportable.]
+
+Mon petit dieu!... Bonjour! bonjour, mon petit dieu!... Enfin,
+enfin, on peut parler! J'avais tant de choses à te dire!...
+J'avais beau aboyer et remuer la queue!... Tu ne comprenais
+pas!... Mais maintenant!... Bonjour! bonjour!... Je t'aime!... Je
+t'aime!... Veux-tu que je fasse quelque chose d'étonnant?...
+Veux-tu que je fasse le beau?... Veux-tu que je marche sur les
+mains ou que je danse à la corde?...
+
+TYLTYL, à la Fée.
+
+Qu'est-ce que c'est que ce monsieur à tête de chien?...
+
+LA FÉE
+
+Mais tu ne vois donc pas?... C'est l'âme de Tylô que tu as
+délivrée....
+
+LA CHATTE, [s'approchant de Mytyl et lui tendant la main,
+cérémonieusement, avec circonspection.]
+
+Bonjour, Mademoiselle.... Que vous êtes jolie ce matin!...
+
+MYTYL
+
+Bonjour, Madame.... [A la Fée.] Qui est-ce?...
+
+LA FÉE
+
+C'est facile à voir; c'est l'âme de Tylette qui te tend la
+main.... Embrasse-la....
+
+LE CHIEN, [bousculant la Chatte.]
+
+Moi aussi!... J'embrasse le petit dieu!... J'embrasse la petite
+fille!... J'embrasse tout le monde!... Chic!... On va
+s'amuser!... Je vais faire peur à Tylette!... Hou! hou! hou!...
+
+LA CHATTE
+
+Monsieur, je ne vous connais pas....
+
+LA FÉE, [menaçant le Chien de sa baguette.]
+
+Toi, tu vas te tenir bien tranquille; sinon tu rentreras dans le
+silence, jusqu'à la fin des temps....
+
+ [Cependant, la féerie a poursuivi son cours: le Rouet s'est
+ mis à tourner vertigineusement dans son coin en filant de
+ splendides rayons de lumière; la Fontaine, dans l'autre
+ angle, se prend à chanter d'une voix sur-aiguë et, se
+ transformant en fontaine lumineuse, inonde l'évier de nappes
+ de perles et d'émeraudes, à travers lesquelles s'élance
+ l'âme de l'Eau, pareille à une jeune fille ruisselante,
+ échevelée, pleurarde, qui va incontinent se battre avec le
+ feu.]
+
+TYLTYL
+
+Et la dame mouillée?...
+
+LA FÉE
+
+N'aie pas peur, c'est l'Eau qui sort du robinet....
+
+ [Le Pot-au-lait se renverse, tombe de la table, se brise sur
+ le sol; et du lait répandu s'élève une grande forme blanche
+ et pudibonde qui semble avoir peur de tout.]
+
+TYLTYL
+
+Et la dame en chemise qui a peur?...
+
+LA FÉE
+
+C'est le Lait qui a cassé son pot....
+
+ [Le Pain-de-sucre posé au pied de l'armoire grandit,
+ s'élargit et crève son enveloppe de papier d'où émerge un
+ être doucereux: et papelard, vêtu d'une souquenille
+ mi-partie de blanc et de bleu, qui, souriant béatement,
+ s'avance vers Mytyl.]
+
+MYTYL, [avec inquiétude.]
+
+Que veut-il?...
+
+LA FÉE
+
+Mais c'est l'âme du Sucre!...
+
+MYTYL, [rassurée.]
+
+Est-ce qu'il a des sucres d'orge?...
+
+LA FÉE
+
+Mais il n'a que ça dans ses poches, et chacun de ses doigts en
+est un....
+
+ [La Lampe tombe de la table, et aussitôt tombée, sa flamme
+ se redresse et se transforme en une lumineuse vierge d'une
+ incomparable beauté. Elle est vêtue de longs voiles
+ transparents et éblouissants, et se tient immobile en une
+ sorte d'extase.]
+
+TYLTYL
+
+C'est la Reine!
+
+MYTYL
+
+C'est la Sainte Vierge!...
+
+LA FÉE
+
+Non, mes enfants, c'est la Lumière....
+
+ [Cependant, les casseroles, sur les rayons, tournent comme
+ des toupies hollandaises, l'armoire à linge claque ses
+ battants et commence un magnifique déroulement d'étoffes
+ couleur de lune et de soleil, auquel se mêlent, non moins
+ splendides, des chiffons et des guenilles qui descendent
+ l'échelle du grenier. Mais voici que trois coups assez rudes
+ sont frappés à la porte de droite.]
+
+TYLTYL, [effrayé.]
+
+C'est papa!... Il nous a entendus!...
+
+LA FÉE
+
+Tourne le Diamant!... De gauche à droite!...
+
+[Tyltyl tourne vivement le diamant.] Pas si vite!... Mon Dieu! Il
+est trop tard!... Tu l'as tourné trop brusquement. Ils n'auront
+pas le temps de reprendre leur place, et nous aurons bien des
+ennuis.... [La Fée redevient vieille femme, les murs de la cabane
+éteignent leurs splendeurs, les Heures rentrent dans l'horloge,
+le Rouet s'arrête, etc. Mais dans la hâte et le désarroi général,
+tandis que le Feu court follement autour de la pièce, à la
+recherche de la cheminée, un des Pains-de-quatre-livres, qui n'a
+pu retrouver place dans la huche, éclate en sanglots tout en
+poussant des rugissements d'épouvante.] Qu'y a-t-il?...
+
+LE PAIN, [tout en larmes.]
+
+Il n'y a plus de place dans la huche!...
+
+LA FÉE, [se penchant sur la huche.]
+
+Mais si, mais si.... [Poussant les autres pains qui ont repris
+leur place primitive.] Voyons, vite, rangez-vous....
+
+ [On heurte encore la porte.]
+
+LE PAIN, [éperdu, s'efforçant vainement d'entrer dans la huche.]
+
+Il n'y a pas moyen!... Il me mangera le premier!...
+
+LE CHIEN, [gambadant autour de Tyltyl.]
+
+Mon petit dieu!... Je suis encore ici!... Je puis encore parler!
+Je puis encore t'embrasser!... Encore! encore! encore!...
+
+LA FÉE
+
+Comment, toi aussi?... Tu es encore là?...
+
+LE CHIEN
+
+J'ai de la veine.... Je n'ai pas pu rentrer dan le silence; la
+trappe s'est refermée trop vite..
+
+LA CHATTE
+
+La mienne aussi.... Que va-t-il arriver?... Est-ce que c'est
+dangereux?
+
+LA FÉE
+
+Mon Dieu, je dois vous dire la vérité: tous ceux qui
+accompagneront les deux enfants, mourront à la fin du voyage....
+
+LA CHATTE
+
+Et ceux qui ne les accompagneront pas?...
+
+LA FÉE
+
+Ils survivront quelques minutes....
+
+LA CHATTE, [au Chien.]
+
+Viens, rentrons dans la trappe....
+
+LE CHIEN
+
+Non, non!... Je ne veux pas!... Je veux accompagner le petit
+dieu!... Je veux lui parler tout le temps!...
+
+LA CHATTE
+
+Imbécile!...
+
+ [On heurte encore à la porte.]
+
+LE PAIN, [pleurant à chaudes larmes.]
+
+Je ne veux pas mourir à la fin du voyage!... Je veux rentrer tout
+de suite dans ma huche!...
+
+LE FEU, [qui n'a cessé de parcourir vertigineusement la pièce en
+poussant des sifflements d'angoisse.]
+
+Je ne trouve plus ma cheminée!...
+
+L'EAU, [qui tente vainement de rentrer dans le robinet.]
+
+Je ne peux plus rentrer dans le robinet!...
+
+LE SUCRE, [qui s'agite autour de son enveloppe de papier.]
+
+J'ai crevé mon papier d'emballage!...
+
+LE LAIT, [lymphatique et pudibond.]
+
+On a cassé mon petit pot!...
+
+LA FÉE
+
+Sont-ils bêtes, mon Dieu!... Sont-ils bêtes et poltrons!... Vous
+aimeriez donc mieux continuer de vivre dans vos vilaines boîtes,
+dans vos trappes et dans vos robinets que d'accompagner les
+enfants qui vont chercher l'Oiseau?...
+
+TOUS, [à l'exception du Chien et de la Lumière.]
+
+Oui! oui! Tout de suite!... Mon robinet!... Ma huche!... Ma
+cheminée!... Ma trappe!...
+
+LA FÉE, [à la Lumière qui regarde rêveusement les débris de sa
+lampe.]
+
+Et toi, la Lumière, qu'en dis-tu?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+J'accompagnerai les enfants....
+
+LE CHIEN, [hurlant de joie.]
+
+Moi aussi! moi aussi!...
+
+LA FÉE
+
+Voilà qui est des mieux. Du reste, il est trop tard pour reculer;
+vous n'avez plus le choix, vous sortirez tous avec nous.... Mais
+toi, le Feu, ne t'approche de personne, toi, le Chien, ne taquine
+pas la Chatte, et toi, l'eau, tiens-toi droite et tâche de ne pas
+couler partout....
+
+[Des coups violents sont encore frappés à la porte de droite.]
+
+TYLTYL, [écoutant.]
+
+C'est encore papa!... Cette fois, il se lève, je l'entends
+marcher....
+
+LA FÉE
+
+Sortons par la fenêtre.... Vous viendrez tous chez moi, où
+j'habillerai convenablement les animaux et les phénomènes.... [Au
+Pain.] Toi, le Pain, prends la cage dans laquelle on mettra
+l'Oiseau-Bleu.... Tu en auras la garde.... Vite, vite, ne perdons
+pas de temps....
+
+ [La fenêtre s'allonge brusquement, comme une porte. Ils
+ sortent tous, après quoi la fenêtre reprend sa forme
+ primitive et se referme innocemment. La chambre est
+ redevenue obscure, et les deux petits lits sont plongés dans
+ l'ombre. La porte à droite s'entr'ouvre, et dans
+ l'entrebâillement paraissent les têtes du père et de la mère
+ Tyl.]
+
+LE PÈRE TYL
+
+Ce n'était rien.... C'est le grillon qui chante....
+
+LA MÈRE TYL
+
+Tu les vois?...
+
+LE PÈRE TYL
+
+Bien sûr.... Ils dorment tranquillement....
+
+LA MÈRE TYL
+
+Je les entends respirer....
+
+[La porte se referme.]
+
+RIDEAU
+
+
+
+
+ACTE DEUXIÈME
+
+
+
+
+DEUXIÈME TABLEAU
+
+CHEZ LA FÉE
+
+
+Un magnifique vestibule dans le palais de la Fée Bérylune.
+Colonnes de marbre clair à chapiteaux d'or et d'argent,
+escaliers, portiques, balustrades, etc.
+
+ * * * * *
+
+ [Entrent au fond, à droite, somptueusement habillés, la
+ Chatte, le Sucre et le Feu. Ils sortent d'un appartement
+ d'où émanent des rayons de lumière; c'est la garde-robe de
+ la Fée. La Chatte a jeté une gaze légère sur son maillot de
+ soie noire, le Sucre a revêtu une robe de soie, mi-partie de
+ blanc et de bleu tendre, et le Feu, coiffé d'aigrettes
+ multicolores, un long manteau cramoisi doublé d'or. Ils
+ traversent toute la salle et descendent au premier plan, à
+ droite, où la Chatte les réunit sous un portique.]
+
+LA CHATTE
+
+Par ici. Je connais tous les détours de ce palais.... La Fée
+Bérylune l'a hérité de Barbe-Bleue.... Pendant que les enfants
+et la Lumière rendent visite à la petite fille de la Fée,
+profitons de notre dernière minute de liberté.... Je vous ai fait
+venir ici, afin de vous entretenir de la situation qui nous est
+faite.... Sommes-nous tous présents?...
+
+LE SUCRE
+
+Voici le Chien qui sort de la garde-robe de la Fée....
+
+LE FEU
+
+Comment diable s'est-il habillé?...
+
+LA CHATTE
+
+Il a pris la livrée d'un des laquais du carrosse de
+Cendrillon.... C'est bien ce qu'il lui fallait.... Il a une âme
+de valet.... Mais dissimulons-nous derrière la balustrade.... Je
+m'en méfie étrangement.... Il vaudrait mieux qu'il n'entende pas
+ce que j'ai à vous dire....
+
+LE SUCRE
+
+C'est inutile.... Il nous a éventés.... Tiens, voilà l'Eau qui
+sort en même temps de la garde-robe.... Dieu! qu'elle est
+belle!...
+
+ [Le Chien et l'Eau rejoignent le premier groupe.]
+
+LE CHIEN, gambadant.
+
+Voilà! voilà!... Sommes-nous beaux! Regardez donc ces dentelles,
+et puis ces broderies!... C'est de l'or et du vrai!...
+
+LA CHATTE, [à l'Eau.]
+
+C'est la robe «couleur-du-temps» de Peau-d'Âne?... Il me semble
+que je la connais....
+
+L'EAU
+
+Oui, c'est encore ce qui m'allait le mieux....
+
+LE FEU, [entre les dents.]
+
+Elle n'a pas son parapluie....
+
+L'EAU
+
+Vous dites?...
+
+LE FEU
+
+Rien, rien....
+
+L'EAU
+
+Je croyais que vous parliez d'un gros nez rouge que j'ai vu
+l'autre jour....
+
+LA CHATTE
+
+Voyons, ne nous querellons pas, nous avons mieux à faire.... Nous
+n'attendons plus que le Pain: où est-il?...
+
+LE CHIEN
+
+Il n'en finissait pas de faire de l'embarras pour choisir son
+costume....
+
+LE FEU
+
+C'est bien la peine, quand on a l'air idiot et qu'on porte un
+gros ventre....
+
+LE CHIEN
+
+Finalement, il s'est décidé pour une robe turque, ornée de
+pierreries, un cimeterre et un turban....
+
+LA CHATTE
+
+Le voilà!... Il a mis la plus belle robe de Barbe-Bleue....
+
+ [Entre le Pain, dans le costume qu'on vient de décrire. La
+ robe de soie est péniblement croisée sur son énorme ventre.
+ Il tient d'une main la garde du cimeterre passé dans sa
+ ceinture et de l'autre la cage destinée à l'Oiseau-Bleu.]
+
+LE PAIN, [se dandidant vaniteusement.]
+
+Eh bien?... Comment me trouvez-vous?...
+
+LE CHIEN, [gambadant autour du Pain.]
+
+Qu'il est beau! qu'il est bête! qu'il est beau! qu'il est
+beau!...
+
+LA CHATTE, [au Pain.]
+
+Les enfants sont-ils habillés?...
+
+LE PAIN
+
+Oui, Monsieur Tyltyl a pris la veste rouge, les bas blancs et la
+culotte bleue du Petit-Poucet; quant à Mademoiselle Mytyl, elle a
+la robe de Grethel et les pantoufles de Cendrillon.... Mais la
+grande affaire, ç'a été d'habiller la Lumière!...
+
+LA CHATTE
+
+Pourquoi?...
+
+LE PAIN
+
+La Fée la trouvait si belle qu'elle ne voulait pas l'habiller du
+tout!... Alors j'ai protesté au nom de notre dignité d'éléments
+essentiels et éminemment respectables; et j'ai fini par déclarer
+que, dans ces conditions, je refusais de sortir avec elle....
+
+LE FEU
+
+Il fallait lui acheter un abat-jour!...
+
+LA CHATTE
+
+Et la Fée, qu'a-t-elle répondu?...
+
+LE PAIN
+
+Elle m'a donné quelques coups de bâton sur la tête et le
+ventre....
+
+LA CHATTE
+
+Et alors?...
+
+LE PAIN
+
+Je fus promptement convaincu, mais au dernier moment, la Lumière
+s'est décidée pour la robe «couleur-de-lune» qui se trouvait au
+fond du coffre aux trésors de Peau-d'Ane....
+
+LA CHATTE
+
+Voyons, c'est assez bavardé, le temps presse.... Il s'agit de
+notre avenir.... Vous l'avez entendu, la Fée vient de le dire, la
+fin de ce voyage marquera en même temps la fin de notre vie....
+Il s'agit donc de le prolonger autant que possible et par tous
+les moyens possibles.... Mais il y a encore autre chose; il faut
+que nous pensions au sort de notre race et à la destinée de nos
+enfants....
+
+LE PAIN
+
+Bravo! bravo!... La Chatte a raison!...
+
+LA CHATTE
+
+Écoutez-moi.... Nous tous ici présents, animaux, choses et
+éléments, nous possédons une âme que l'homme ne connaît pas
+encore. C'est pourquoi nous gardons un reste d'indépendance;
+mais, s'il trouve l'Oiseau-Bleu, il saura tout, il verra tout, et
+nous serons complètement à sa merci.... C'est ce que vient de
+m'apprendre ma vieille amie la Nuit, qui est en même temps la
+gardienne des mystères de la Vie.... Il est donc de notre intérêt
+d'empêcher à tout prix qu'on ne trouve cet oiseau, fallût-il
+aller jusqu'à mettre en péril la vie même des enfants....
+
+LE CHIEN, indigné.
+
+Que dit-elle, celle-là?... Répète un peu que j'entende bien ce
+que c'est?
+
+LE PAIN
+
+Silence!... Vous n'avez pas la parole!... Je préside
+l'assemblée....
+
+LE FEU
+
+Qui vous a nommé président?...
+
+L'EAU, [au Feu.]
+
+Silence!... De quoi vous mêlez-vous?...
+
+LE FEU
+
+Je me mêle de ce qu'il faut.... Je n'ai pas d'observations à
+recevoir de vous....
+
+LE SUCRE, [conciliant.]
+
+Permettez.... Ne nous querellons point.... L'heure est grave....
+Il s'agit avant tout de s'entendre sur les mesures à prendre....
+
+LE PAIN
+
+Je partage entièrement l'avis du Sucre et de la Chatte....
+
+LE CHIEN
+
+C'est idiot!... Il y a l'Homme, voilà tout!... Il faut lui obéir
+et faire tout ce qu'il veut!... Il n'y a que ça de vrai.... Je ne
+connais que lui!... Vive l'Homme!... A la vie, à la mort, tout
+pour l'Homme!... l'Homme est dieu!...
+
+LE PAIN
+
+Je partage entièrement l'avis du Chien.
+
+LA CHATTE, [au Chien.]
+
+Mais on donne ses raisons....
+
+LE CHIEN
+
+Il n'y a pas de raisons!... J'aime l'Homme, ça suffit!... Si vous
+faites quelque chose contre lui, je vous étranglerai d'abord et
+j'irai tout lui révéler....
+
+LE SUCRE, [intervenant avec douceur.]
+
+Permettez.... N'aigrissons pas la discussion.... D'un certain
+point de vue, vous avez raison, l'un et l'autre.... Il y a le
+pour et le contre....
+
+LE PAIN
+
+Je partage entièrement l'avis du Sucre!...
+
+LA CHATTE
+
+Est-ce que tous ici, l'Eau, le Feu, et vous-mêmes le Pain et le
+Chien, nous ne sommes pas victimes d'une tyrannie sans nom?...
+Rappelez-vous le temps où, avant la venue du despote, nous
+errions librement sur la face de la Terre.... l'Eau et le Feu
+étaient les seuls maîtres du monde; et voyez ce qu'ils sont
+devenus!... Quant à nous, les chétifs descendants des grands
+fauves.... Attention!... N'ayons l'air de rien.... Je vois
+s'avancer la Fée et la Lumière.... La Lumière s'est mise du parti
+de l'Homme; c'est notre pire ennemie.... Les voici....
+
+ [Entrent à droite, la Fée et la Lumière, suivies de Tyltyl
+ et de Mytyl.]
+
+LA FÉE
+
+Eh bien?... qu'est-ce que c'est?... Que faites-vous dans ce
+coin?... Vous avez l'air de conspirer.... Il est temps de se
+mettre en route.... Je viens de décider que la Lumière sera votre
+chef.... Vous lui obéirez tous comme à moi-même et je lui confie
+ma baguète.... Les enfants visiteront ce soir leurs grand-parents
+qui sont morts.... Vous ne les accompagnerez pas, par discrétion....
+Ils passeront la soirée au sein de leur famille décédée....
+Pendant ce temps, vous préparerez tout ce qu'il faut pour l'étape
+de demain, qui sera longue.... Allons, debout, en route et chacun
+à son poste!...
+
+LA CHATTE, [hypocritement.]
+
+C'est tout juste ce que je leur disais, Madame la Fée.... Je les
+exhortais à remplir consciencieusement et courageusement tout
+leur devoir; malheureusement, le Chien qui ne cessait de
+m'interrompre....
+
+LE CHIEN
+
+Que dit-elle?... Attends un peu!...
+
+ [Il va bondir sur la chatte, mais Tyltyl, qui a prévenu son
+ mouvement, l'arrête d'un geste menaçant.]
+
+TYLTYL
+
+A bas, Tylô!... Prends garde; et s'il t'arrive encore une seul
+fois de....
+
+LE CHIEN
+
+Mon petit dieu, tu ne sais pas, c'est elle qui....
+
+TYLTYL, [le menaçant.]
+
+Tais-toi!...
+
+LA FÉE
+
+Voyons, finissons-en.... Que le Pain, ce soir, remette la cage à
+Tyltyl.... Il est possible que l'Oiseau-Bleu se cache dans le
+Passé, chez les grands-parents.... En tout cas, c'est une chance
+qu'il convient de ne point négliger.... Eh bien, le Pain, cette
+cage?...
+
+LE PAIN, [solennel.]
+
+Un instant, s'il vous plaît, Madame le Fée.... [Comme un orateur
+qui prend la parole.] Vous tous, soyez temoins que cette cage
+d'argent qui me fut confiée par....
+
+LA FÉE, [l'interrompant].
+
+Assez!... Pas de phrases.... Nous sortirons par là, tandis que
+les enfants sortiront par ici....
+
+TYLTYL, [avec inquiet.]
+
+Nous sortirons tout seuls?...
+
+MYTYL
+
+J'ai faim!...
+
+TYLTYL
+
+Moi aussi!...
+
+LA FÉE, [au Pain.]
+
+Ouvre ta robe turque et donne leur une tranche de ton bon ventre.
+
+ [Le Pain ouvre sa robe, tire son cimeterre et coupe, à même
+ son gros ventre, deux tartines qu'il offre aux enfants.]
+
+LE SUCRE, [s'approchant des enfants.]
+
+Permettez-moi de vous offrir en même temps quelques sucres
+d'orge....
+
+ [Il casse un à un les cinq doigts de sa main gauche et les
+ leur présente.]
+
+MYTYL
+
+Qu'est-ce qu'il fait?... Il casse tous ses doigts....
+
+LE SUCRE, [engageant.]
+
+Goûtez-les, ils sont excellents.... C'est de vrais sucres
+d'orge....
+
+MYTYL, [suçant un des doigts.]
+
+Dieu qu'il est bon!... Est-ce que tu en as beaucoup?...
+
+LE SUCRE, [modeste.]
+
+Mais qui, tant que je veux....
+
+MYTYL
+
+Est-ce que ça te fait mal quand tu les casses ainsi?...
+
+LE SUCRE
+
+Pas du tout.... Au contraire; c'est très avantageux, ils
+repoussent tout de suite, et de cette façon, j'ai toujours des
+doigts propres et neufs....
+
+LA FÉE
+
+Voyons, mes enfants, ne mangez pas trop de sucre. N'oubliez pas
+que vous souperez tout à l'heure chez vos grands-parents....
+
+TYLTYL
+
+Ils sont ici?...
+
+LA FÉE
+
+Vous allez les voir à l'instant....
+
+TYLTYL
+
+Comment les verrons-nous, puisqu'ils sont morts?...
+
+LA FÉE
+
+Comment seraient-ils morts puisqu'ils vivent dans votre
+souvenir?... Les hommes ne savent pas ce secret parce qu'ils
+savent bien peu de chose; au lieu que toi, grâce au Diamant, tu
+vas voir que les morts dont on se souvient aussi heureux que
+s'ils n'étaient point morts....
+
+TYLTYL
+
+La Luminière vient avec nous?...
+
+LA LUMINIÈRE
+
+Non, il est plus convenable que cela se passe en famille....
+J'attendrai ici près pour ne point paraître indiscrète.... Ils ne
+m'ont pas invitée.
+
+TYLTYL
+
+Par où faut-il aller?...
+
+LA FÉE
+
+Par là.... Vous êtes au seuil du «Pays du Souvenir». Dès que tu
+auras tourné le Diamant, tu verras un gros arbre muni d'un
+écriteau, qui te montrera que tu es arrivé.... Mais n'oubliez pas
+que vous devez être rentré tous les deux à neuf heures moins le
+quart.... C'est extrêmement important.... Surtout soyez exacts,
+car tout serait perdu si vous vous mettiez en retard.... A
+bientôt.... [Appelant la Chatte, le Chien, la Lumière, etc.] Par
+ici.... Et les petits par là....
+
+Elle sort à droite avec la Lumière, les animaux, etc., tandis que
+les enfants sortent à gauche.
+
+
+RIDEAU
+
+
+
+
+TROISIÈME TABLEAU
+
+LE PAYS DU SOUVENIR
+
+
+Un épais brouillard d'où émerge, à droite, au tout premier plan,
+le tronc d'un gros chêne muni d'un écriteau. Clarté laiteuse,
+diffuse, impénétrable.
+
+ * * * * *
+
+ [Tyltyl et Mytyl se trouvent au pied du chêne.]
+
+TYLTYL
+
+Voici l'arbre!...
+
+MYTYL
+
+Il y a l'écriteau!...
+
+TYLTYL
+
+Je ne peux pas lire.... Attends, je vais monter sur cette
+racine.... C'est bien ça.... C'est écrit: «Pays du Souvenir».
+
+MYTYL
+
+C'est ici qu'il commence?...
+
+TYLTYL
+
+Qui, il y a une flèche....
+
+MYTYL
+
+Eh bien, ou qu'ils sont, bon-papa et bonne-maman?
+
+TYLTYL
+
+Derrière le brouillard.... Nous allons voir....
+
+MYTYL
+
+Je ne vois rien du tout!... Je ne vois plus mes pieds ni mes
+mains .. [Pleurnichant.] J'ai froid!... Je ne veux plus
+voyager.... Je veux rentrer à la maison....
+
+TYLTYL
+
+Voyons, ne pleure pas tout le temps, comme l'Eau.... T'es pas
+honteuse? .. Une grande petite fille!... Regarde, le brouillard se
+lève déjà.... Nous allons voir ce qu'il y a dedans....
+
+ [En effet, la brume s'est mise en mouvement; elle s'allège,
+ s'éclaire, se disperse, s'évapore. Bientôt, dans une lumière
+ de plus en plus transparente, on découvre, sous une voûte de
+ verdure, une riante maisonette de paysan, couverte de
+ plantes grimpantes. Les fenêtres et la porte sont ouvertes.
+ On voit des ruches d'abeilles sous un auvent, des pots de
+ fleurs sur l'appui des croisées, une cage ou dort un merle,
+ etc. Près de la porte un banc, sur lequel sont assis,
+ profondément endormis, un vieux paysan et sa femme,
+ c'est-à-dire le grand-père et la grand'mère de Tyltyl.]
+
+TYLTYL, [les reconnaissant tout à coup.]
+
+C'est bon-papa et bonne-maman!...
+
+MYTYL, [battant des mains.]
+
+Qui! Qui!... C'est eux!... C'est eux!...
+
+TYLTYL, [encore un peu méfiant.]
+
+Attention!... On ne sait pas encore s'ils remuent.... Restons
+derrière l'arbre....
+
+ [Grand'maman Tyl ouvre les yeux, lève la tête, s'étire,
+ pousse un soupir, regarde grand-papa Tyl qui lui aussi sort
+ lentement de son sommeil.]
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+J'ai idée que nos petits-enfants qui sont encore en vie nous
+venir voir aujourd'hui....
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Bien sûr, ils pensent à nous; car je me sens tout chose et j'ai
+des fourmis dans les jambes....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Je crois qu'ils sont tout proches, car des larmes de joie dansent
+avant mes yeux....
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Non, non; ils sont fort loin... Je me sens encore faible....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Je te dis qu'ils sont là; j'ai déjà toute ma force....
+
+TYLTYL et MYTYL, se précipitant de derrière le chêne.
+
+Nous voilà!... Nous voilà!... Bon-papa, bonne-maman!... C'est
+nous!... C'est nous!...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Là!... Tu vois!... Qu'est-ce que je disais! J'étais sûr qu'ils
+viendraient aujourd'hui....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Tyltyl! Mytyl!... C'est toi!... C'est elle!... C'est eux!...
+[S'efforçant de courir au-devant d'eux.] Je ne peux pas
+courir!... J'ai toujours mes rhumatismes!
+
+GRAND-PAPA TYL, [accourant de même en clopinant.]
+
+Moi non plus.... Rapport à ma jambe de bois qui remplace toujours
+celle que j'ai cassée en tombant du gros chêne....
+
+ [Les grands-parents et les enfants s'embrassent follement.]
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Que tu es grandi et forci, mon Tyltyl!...
+
+GRAND-PAPA TYL, [caressant les cheveux de Mytyl.]
+
+Et Mytyl!... Regarde donc!... Les beaux cheveux, les beaux
+yeux!... Et puis, ce qu'elle sent bon!...
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Embrassons-nous encore!... Venez sur mes genoux....
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Et moi, je n'aurai rien?...
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Non, non.... A moi d'abord.... Comment vont Papa et Maman Tyl?...
+
+TYLTYL
+
+Fort bien, bonne-maman.... Ils dormaient quand nous sommes
+sortis....
+
+GRAND'MAMAN TYL, [les contemplant et les accablant de caresses.]
+
+Mon Dieu, qu'ils sont jolis et bien débarbouillés!... C'est maman
+qui t'a débarbouillé?... Et tes bas ne sont pas troués!... C'est
+moi qui les reprisais autrefois. Pourquoi ne venez-vous pas nous
+voir plus souvent?... Cela nous fait tant de plaisir!... Voilà
+des mois et des mois que vous nous oubliez et que nous ne voyons
+plus personne....
+
+TYLTYL
+
+Nous ne pouvions pas, bonne-maman; et c'est grâce à la Fée
+qu'aujourd'hui....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Nous sommes toujours là, à attendre une petite visite de ceux qui
+vivent.... Ils viennent si rarement!... La dernière fois que vous
+êtes venus, voyons, c'était quand donc?... C'était à la
+Toussaint, quand la cloche de l'église a tinté....
+
+TYLTYL
+
+A la Toussaint?... Nous ne sommes pas sortis ce jour-là, car nous
+étions fort enrhumés....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Non, mais vous avez pensé à nous....
+
+TYLTYL
+
+Oui....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Eh bien, chaque fois que vous pensez à nous, nous nous réveillons
+et nous vous revoyons....
+
+TYLTYL
+
+Comment, il suffit que....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Mais voyons, tu sais bien....
+
+TYLTYL
+
+Mais non, je ne sais pas....
+
+GRAND'MAMAN TYL, [à Grand-Papa Tyl.]
+
+C'est étonnant, là-haut.... Ils ne savent pas encore.... Ils
+n'apprennent donc rien?....
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+C'est comme de notre temps.... Les Vivants sont si bêtes quand
+ils parlent des Autres....
+
+TYLTYL
+
+Vous dormez tout le temps?...
+
+GRAND PAPA TYL
+
+Oui, nous dormons pas mal, en attendant qu'une pensée des Vivants
+nous réveille.... Ah! c'est bien bon de dormir, quand la vie est
+finie.... Mais il est agréable aussi de s'éveiller de temps en
+temps....
+
+TYLTYL
+
+Alors, vous n'êtes pas morts pour de vrai?...
+
+GRAND-PAPA TYL, [sursautant.]
+
+Que dis-tu?... Qu'est-ce qu'il dit?... Voilà qu'il emploie des
+mots que nous ne comprenons plus.... Est-ce que c'est un mot
+nouveau, une invention nouvelle?...
+
+TYLTYL
+
+Le mot «mort»?...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Oui; c'était ce mot-là.... Qu'est-ce que ça veut dire?...
+
+TYLTYL
+
+Mais ça veut dire qu'on ne vit plus....
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Sont-ils bêtes, là-haut!...
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'on est bien ici?...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Mais oui; pas mal, pas mal; et même si l'on priait encore....
+
+TYLTYL
+
+Papa m'a dit qu'il ne faut plus prier....
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Mais si, mais si.... Prier c'est se souvenir....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Oui, oui, tout irait bien, si seulement vous veniez nous voir
+plus souvent.... Te rappelles-tu, Tyltyl?... La dernière fois,
+j'avais fait une belle tarte aux pommes.... Tu en as mangé tant
+et tant que tu t'es fait du mal....
+
+TYLTYL
+
+Mais je n'ai pas mangé de tarte aux pommes depuis l'année
+dernière.... Il n'y a pas eu de pommes cette année....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Ne dis pas de bêtises.... Ici il y en a toujours....
+
+TYLTYL
+
+Ce n'est pas la même chose....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Comment? Ce n'est pas la même chose?... Mais tout est la même
+chose puisqu'on peut s'embrasser....
+
+TYLTYL, [regardant tour à tour son grand-père et sa grand'mère.]
+
+Tu n'as pas changé, bon-papa, pas du tout, pas du tout.... Et
+bonne-maman non plus n'a pas changé du tout.... Mais vous êtes
+plus beaux....
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Eh! ça ne va pas mal.... Nous ne vieillissons plus.... Mais vous,
+grandissez-vous!... Ah! oui, vous poussez ferme!... Tenez, là,
+sur la porte, on voit encore la marque de la dernière fois....
+C'était à la Toussaint.... Voyons, tiens-toi bien droit....
+[Tyltyl se dresse contre la porte.] Quatre doigts!... C'est
+énorme!... [Mytyl se dresse également contre la porte.] Et Mytyl,
+quatre et demi!... Ah, ah! la mauvaise graine!... Ce que ça
+pousse, ce que ça pousse!...
+
+TYLTYL, [regardant autour de soi avec ravissement.]
+
+Comme tout est bien de même, comme tout est à sa place!... Mais
+comme tout est plus beau!... Voilà l'horloge avec la grande
+aiguille dont j'ai cassé la pointe....
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Et voici la soupière que tu as écornée....
+
+TYLTYL
+
+Et voilà le trou que j'ai fait à la porte, le jour que j'ai
+trouvé le vilebrequin....
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Ah oui, tu en as fait des dégâts!... Et voici le prunier où tu
+aimais tant grimper quand je n'étais pas là.... Il a toujours ses
+belles prunes rouges....
+
+TYLTYL
+
+Mais elles sont bien plus belles!...
+
+MYTYL
+
+Et voici le vieux merle!... Est-ce qu'il chante encore?...
+
+Le merle se réveille et se met à chanter à tue-tète.
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Tu vois bien.... Dès que l'on pense à lui....
+
+TYLTYL, [remarquant avec stupéfaction que le merle est
+parfaitement bleu.]
+
+Mais il est bleu!... Mais c'est lui, l'Oiseau-Bleu que je dois
+rapporter à la Fée!... Et vous ne disiez pas que vous l'aviez
+ici! Oh! qu'il est bleu, bleu, bleu, comme une bille de verre
+bleu!... [Suppliant.] Bon-papa, bonne-maman, voulez-vous me le
+donner?...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Bien oui, peut-être bien.... Qu'en penses-tu, maman Tyl?...
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Bien sûr, bien sûr.... A quoi qu'il sert ici.... Il ne fait que
+dormir.... On ne l'entend jamais....
+
+TYLTYL
+
+Je vais le mettre dans ma cage.... Tiens, où est-elle, ma
+cage?... Ah! c'est vrai, je l'ai oubliée derrière le gros
+arbre.... [Il court à l'arbre, rapporte la cage et y enferme le
+merle.] Alors, vrai, vous me le donnez pour de vrai?... C'est la
+Fée qui sera contente!... Et la Lumière donc!...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Tu sais, je n'en réponds pas, de l'oiseau.... Je crains bien
+qu'il ne puisse plus s'habituer à la vie agitée de là-haut, et
+qu'il ne revienne ici par le premier bon vent.... Enfin, on verra
+bien.... Laisse-le là, pour l'instant, et viens donc voir la
+vache....
+
+TYLTYL, [remarquant les ruches.]
+
+Et les abeilles, dis, comment vont-elles?...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Mais elles ne vont pas mal.... Elles ne vivent plus non plus,
+comme vous dites là-bas; mais elles travaillent ferme....
+
+TYLTYL, [s'approchant des ruches.]
+
+Oh oui!... Ça sent le miel!... Les ruches doivent être
+lourdes!... Toutes les fleurs sont si belles!... Et mes petites
+sœurs qui sont mortes, sont-elles ici aussi?...
+
+MYTYL
+
+Et mes trois petits frères qu'on avait enterrés, où sont-ils?...
+
+ [A ces mots, sept petits enfants de tailles inégales, en
+ flûte de Pan, sortent un à un de la maison.]
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Les voici, les voici!... Aussitôt qu'on y pense, aussitôt qu'on
+en parle, ils sont là, les gaillards!...
+
+ [Tyltyl et Mytyl courent au-devant des enfants. On se
+ bouscule, on s'embrasse, on danse, on tourbillonne, on
+ pousse des cris de joie.]
+
+TYLTYL
+
+Tiens, Pierrot!... [Ils se prennent aux cheveux.] Ah! nous allons
+nous battre encore comme dans le temps.... Et Robert!... Bonjour,
+Jean!... Tu n'as plus ta toupie?... Madeleine et Pierrette,
+Pauline et puis Riquette....
+
+MYTYL
+
+Oh! Riquette, Riquette!... Elle marche encore à quatre
+pattes!...
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Oui, elle ne grandit plus....
+
+TYLTYL, [remarquant le petit Chien qui jappe autour d'eux.]
+
+Voilà Kiki dont j'ai coupé la queue avec les ciseaux de
+Pauline.... Il n'a pas changé non plus....
+
+GRAND PAPA TYL, [sentencieux.]
+
+Non, rien ne change ici....
+
+TYLTYL
+
+Et Pauline a toujours son bouton sur le nez!...
+
+GRAND MAMAN TYL
+
+Oui, il ne s'en va pas; il n'y a rien à faire....
+
+TYLTYL
+
+Oh! qu'ils ont bonne mine, qu'ils sont gras et luisants!...
+Qu'ils ont de belles joues!... Ils ont l'air bien nourris....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Ils se portent bien mieux depuis qu'ils ne vivent plus.... Il
+n'y a plus rien à craindre, on n'est jamais malade, on n'a plus
+d'inquiétudes....
+
+ [Dans la maison, l'horloge sonne huit heures.]
+
+GRAND'MAMAN TYL, [stupéfaite.]
+
+Qu'est-ce que c'est?...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Ma foi, je ne sais pas.... Ce doit être l'horloge....
+
+GRAND-MAMAN TYL
+
+Ce n'est pas possible.... Elle ne sonne jamais....
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Parce que nous ne pensons plus à l'heure.... Quelqu'un a-t-il
+pensé à l'heure?...
+
+TYLTYL
+
+Oui, c'est moi.... Quelle heure est-il?...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Ma foi, je ne sais plus.... J'ai perdu l'habitude.... Elle a
+sonné huit coups, ce doit être ce que? là-haut, ils appellent
+huit heures.
+
+TYLTYL
+
+La Lumière m'attend à neuf heures moins le quart.... C'est à
+cause de la Fée.... C'est extrêmement important.... Je me
+sauve....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Vous n'allez pas nous quitter ainsi au moment du souper!... Vite,
+vite, dressons la table devant la porte.... J'ai justement une
+excellente soupe aux choux et une belle tarte aux prunes....
+
+ [On sort la table, on la dresse devant la porte, on apporte
+ les plats, les assiettes, etc.... Tous y aident.]
+
+TYLTYL
+
+Ma foi, puisque j'ai l'Oiseau-Bleu.... Et puis la soupe aux
+choux, il y a si longtemps!... Depuis que je voyage.... On n'a
+pas ça dans les hôtels....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Voilà!... C'est déjà fait.... A table, les enfants.... Si vous
+êtes pressés, ne perdons pas de temps....
+
+ [On a allumé la lampe et servi la soupe. Les grands-parents
+ et les enfants s'assoient autour du repas du soir, parmi des
+ bousculades, des bourrades, des cris et des rires de joie.]
+
+TYLTYL, [mangeant gloutonnement.]
+
+Qu'elle est bonne!... Mon Dieu, qu'elle est donc bonne!... J'en
+veux encore! encore!
+
+ [Il brandit sa cuiller de bois et en frappe bruyamment son
+ assiette.]
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Voyons, voyons, un peu de calme.... Tu es toujours aussi mal
+élevé; et tu vas casser ton assiette....
+
+TYLTYL, [se dressant à demi sur son escabelle.]
+
+J'en veux encore, encore!...
+
+ [Il atteint et attire à soi la soupière qui se renverse et
+ se répand sur la table, et de là sur les genoux des
+ convives. Cris et hurlements d'échaudés.]
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Tu vois!... Je te l'avais bien dit....
+
+GRAND-PAPA TYL, [donnant à Tyltyl une gifle retentissante.]
+
+Voilà pour toi!...
+
+TYLTYL, [un instant déconcerté, mettant ensuite la main sur la
+joue, avec ravissement.]
+
+Oh! oui, c'était comme ça, les claques que tu donnais quand tu
+étais vivant.... Bon-papa, qu'elle est bonne et que ça fait du
+bien!... Il faut que je t'embrasse!...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Bon, bon; il y en a encore si ça te fait plaisir....
+
+ [La demie de huit heures sonne à l'horloge.]
+
+TYLTYL, [sursautant.]
+
+Huit heures et demie!... [il jette sa cuiller.] Mytyl, nous
+n'avons que le temps!...
+
+GRAND-MAMAN TYL
+
+Voyons!... Encore quelques minutes!... Le feu n'est pas à la
+maison.... On se voit si rarement....
+
+TYLTYL
+
+Non, ce n'est pas possible.... La Lumière est si bonne.... Et je
+lui ai promis.... Allons, Mytyl, allons!...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Dieu, que les Vivants sont donc contrariants avec toutes leurs
+affaires et leurs agitations!...
+
+TYLTYL, [prenant sa cage et embrassant tout le monde en hâte et à
+la ronde.]
+
+Adieu, Bon-papa.... Adieu, Bonne-maman.... Adieu, frères,
+sœurs, Pierrot, Robert, Pauline, Madeleine, Riquette, et toi
+aussi, Kiki! Je sens bien que nous ne pouvons plus rester ici....
+Ne pleure pas, Bonne-maman, nous reviendrons souvent....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Revenez tous les jours!...
+
+TYLTYL
+
+Oui, oui! nous reviendrons le plus souvent possible....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+C'est notre seule joie, et c'est une telle fête quand votre
+pensée nous visite!...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Nous n'avons pas d'autres distractions....
+
+TYLTYL
+
+Vite, vite!... Ma cage!... Mon oiseau!...
+
+GRAND-PAPA TYL, lui passant la cage.
+
+Les voici!... Tu sais, je ne garantis rien; et s'il n'est pas bon
+teint!...
+
+TYLTYL
+
+Adieu! adieu!...
+
+LES FRÈRES ET SŒURS TYL
+
+Adieu, Tyltyl!... Adieu, Mytyl!... Pensez au sucre d'orge!...
+Adieu!... Revenez!... Revenez!...
+
+ [Tous agitent des mouchoirs tandis que Tyltyl et Mytyl
+ s'éloignent lentement. Mais déjà, durant les dernières
+ répliques, le brouillard du début s'est graduellement
+ reformé, et le son des voix s'est affaibli, de manière qu'à
+ la fin de la scène, tout a disparu dans la brume et qu'au
+ moment où le rideau baisse, Tyltyl et Mytyl se retrouvent
+ seuls visibles sous le gros chêne.]
+
+TYLTYL
+
+C'est par ici, Mytyl....
+
+MYTYL
+
+Où est la Lumière?...
+
+TYLTYL
+
+Je ne sais pas.... [Regardant l'oiseau dans la cage.] Tiens!
+l'oiseau n'est plus bleu!... Il est devenu noir!...
+
+MYTYL
+
+Donne-moi la main, petit frère.... J'ai bien peur et bien
+froid....
+
+RIDEAU
+
+
+
+
+ACTE TROISIÈME
+
+
+
+
+QUATRIÈME TABLEAU
+
+LE PALAIS DE LA NUIT
+
+
+Une vaste et prodigieuse salle d'une magnificence austère,
+rigide, métallique et sépulcrale, donnant l'impression d'un
+temple grec ou égyptien, dont les colonnes, les architraves, les
+dalles, les ornements seraient de marbre noir, d'or et d'ébène.
+La salle est en forme de trapèze. Des degrés de basalte, qui
+occupent presque toute sa largeur, la divisent en trois plans
+successifs qui s'élèvent graduellement vers le fond. A droite et
+à gauche, entre les colonnes, des portes de bronze sombre. Au
+fond, porte d'airain monumentale. Une lumière diffuse qui semble
+émaner de l'éclat même du marbre et de l'ébène éclaire seule le
+palais.
+
+ * * * * *
+
+ [Au lever du rideau, la Nuit, sous la figure d'une très
+ belle femme, couverte de longs vêtements noirs, est assise
+ sur les marches du second plan, entre deux enfants, dont
+ l'un, presque nu, comme l'Amour, sourit dans un profond
+ sommeil, tandis que l'autre se tient debout, immobile et
+ voilé des pieds à la tête.--Entre, à droite, au premier
+ plan, la Chatte.]
+
+LA NUIT
+
+Qui va là?...
+
+LA CHATTE, [se laissant choir avec accablement sur les degrés de
+marbre.]
+
+C'est moi, mère la Nuit.... Je n'en peux plus....
+
+LA NUIT
+
+Qu'as-tu donc, mon enfant?... Tu es pâle, amaigrie et te voilà
+crottée jusqu'aux moustaches.... Tu t'es encore battue dans les
+gouttières, sous la neige et la pluie?...
+
+LA CHATTE
+
+Il est bien question de gouttières!... C'est de notre secret
+qu'il s'agit!... C'est, le commencement de la fin!... J'ai pu
+m'échapper un instant pour vous prévenir; mais je crains bien
+qu'il n'y ait rien à faire....
+
+LA NUIT
+
+Quoi?... Qu'est-il donc arrivé?...
+
+LA CHATTE
+
+Je vous ai déjà parlé du petit Tyltyl, le fils du bûcheron, et du
+Diamant merveilleux.... Eh bien, il vient ici pour vous réclamer
+l'Oiseau-Bleu....
+
+LA NUIT
+
+Il ne le tient pas encore....
+
+LA CHATTE
+
+Il le tiendra bientôt, si nous ne faisons pas quelque miracle....
+Voici ce qui se passe: la Lumière qui le guide et qui nous trahit
+tous, car elle s'est mise entièrement du parti de l'Homme, la
+Lumière vient d'apprendre que l'Oiseau-Bleu, le vrai, le seul qui
+puisse vivre à la clarté du jour, se cache ici, parmi les oiseaux
+bleus des songes qui se nourrissent des rayons de lune et meurent
+dès qu'ils voient le soleil.... Elle sait qu'il lui est interdit
+de franchir le seuil de votre palais; mais elle y envoie les
+enfants; et comme vous ne pouvez pas empêcher l'Homme d'ouvrir
+les portes de vos secrets, je ne sais trop comment tout cela
+finira.... En tout cas, s'ils avaient le malheur de mettre la
+main sur le véritable Oiseau-Bleu, nous n'aurions plus qu'à
+disparaître....
+
+LA NUIT
+
+Seigneur, Seigneur!... En quels temps vivons-nous! Je n'ai plus
+une minute de repos.... Je ne comprends plus l'Homme, depuis
+quelques années.... Où veut-il en venir?... Il faut donc qu'il
+sache tout?... Il a déjà saisi le tiers de mes Mystères, toutes
+mes Terreurs ont peur et n'osent plus sortir, mes Fantômes sont
+en fuite, la plupart de mes Maladies ne se portent pas bien....
+
+LA CHATTE
+
+Je sais, ma mère la Nuit, je sais, les temps sont durs, et nous
+sommes presque seules à lutter contre l'Homme.... Mais je les
+entends qui s'approchent.... Je ne vois qu'un moyen: comme ce
+sont des enfants, il faut leur faire une telle peur qu'ils
+n'oseront pas insister ni ouvrir la grande porte du fond,
+derrière laquelle se trouvent les oiseaux de la Lune.... Les
+secrets des autres cavernes suffiront à détourner leur attention
+ou à les terrifier....
+
+LA NUIT, [prêtant l'oreille à un bruit du dehors.]
+
+Qu'est-ce que j'entends?... Ils sont donc plusieurs?
+
+LA CHATTE
+
+Ce n'est rien; ce sont nos amis: le Pain et le Sucre; l'Eau est
+indisposée et le Feu n'a pu venir, parce qu'il est parent de la
+Lumière.... Il n'y a que le Chien qui ne soit pas pour nous; mais
+il n'y a jamais moyen de l'écarter....
+
+ [Entrent timidement, à droite, au premier plan, Tyltyl,
+ Mytyl, le Pain, le Sucre et le Chien.]
+
+LA CHATTE, [se précipitant au-devant de Tyltyl.]
+
+Par ici, par ici, mon petit maître.... J'ai prévenu la Nuit qui
+est enchantée de vous recevoir.... Il faut l'excuser, elle est un
+peu souffrante; c'est pourquoi elle n'a pu aller au-devant de
+vous....
+
+TYLTYL
+
+Bonjour, madame la Nuit....
+
+LA NUIT, [froissée.]
+
+Bonjour? Je ne connais pas ça.... Tu pourrais bien me dire: bonne
+nuit, ou tout au moins: bonsoir....
+
+TYLTYL, [mortifié.]
+
+Pardon, madame.... Je ne savais pas.... [Montrant du doigt les
+deux enfants.] Ce sont vos deux petits garçons?... Ils sont bien
+gentils....
+
+LA NUIT
+
+Oui, voici le Sommeil....
+
+TYLTYL
+
+Pourquoi qu'il est si gros?...
+
+LA NUIT
+
+C'est parce qu'il dort bien....
+
+TYLTYL
+
+Et l'autre qui se cache?... Pourquoi qu'il se voile la figure?...
+Est-ce qu'il est malade?... Comment c'est qu'il se nomme?...
+
+LA NUIT
+
+C'est la sœur du Sommeil.... Il vaut mieux ne pas la
+nommer....
+
+TYLTYL
+
+Pourquoi?...
+
+LA NUIT
+
+Parce que c'est un nom qu'on n'aime pas à entendre.... Mais
+parlons d'autre chose.... La Chatte vient de me dire que vous
+venez ici pour chercher l'Oiseau-Bleu?...
+
+TYLTYL
+
+Oui, madame, si vous le permettez.... Voulez-vous me dire où il
+est?...
+
+LA NUIT
+
+Je n'en sais rien, mon petit ami.... Tout ce que je puis
+affirmer, c'est qu'il n'est pas ici.... Je ne l'ai jamais vu....
+
+TYLTYL
+
+Si, si.... La Lumière m'a dit qu'il est ici; et elle sait ce
+qu'elle dit, la Lumière.... Voulez-vous me remettre vos clefs?...
+
+LA NUIT
+
+Mais, mon petit ami, tu comprends bien que je ne puis donner
+ainsi mes clefs au premier venu.... J'ai la garde de tous les
+secrets de la Nature, j'en suis responsable et il m'est
+absolument défendu de les livrer à qui que ce soit, surtout à un
+enfant....
+
+TYLTYL
+
+Vous n'avez pas le droit de les refuser à l'Homme qui les
+demande.... je le sais....
+
+LA NUIT
+
+Qui te l'a dit?...
+
+TYLTYL
+
+La Lumière....
+
+LA NUIT
+
+Encore la Lumière! et toujours la Lumière!... De quoi se
+mêle-t-elle à la fin?...
+
+LE CHIEN
+
+Veux-tu que je les lui prenne de force, mon petit dieu?...
+
+TYLTYL
+
+Tais-toi, tiens-toi tranquille et tâche d'être poli.... [A la
+Nuit.] Voyons, madame, donnez-moi vos clefs, s'il vous plaît....
+
+LA NUIT
+
+As-tu le signe, au moins?... Où est-il?...
+
+TYLTYL, [touchant son chapeau.]
+
+Voyez le Diamant....
+
+LA NUIT, [se résignant à l'inévitable.]
+
+Enfin.... Voici celle qui ouvre toutes les portes de la salle....
+Tant pis pour toi s'il t'arrive malheur.... Je ne réponds de
+rien.
+
+LE PAIN, [fort inquiet.]
+
+Est-ce que c'est dangereux?...
+
+LA NUIT
+
+Dangereux?... C'est-à-dire que moi-même je ne sais trop comment
+je pourrai m'en tirer, lorsque certaines de ces portes de bronze
+s'ouvriront sur l'abîme.... Il y a là, tout autour de la salle,
+dans chacune de ces cavernes de basalte, tous les maux, tous les
+fléaux, toutes les maladies, toutes les épouvantes, toutes les
+catastrophes, tous les mystères qui affligent la vie depuis le
+commencement du monde.... J'ai eu assez de mal à les enfermer là
+avec l'aide du Destin; et ce n'est pas sans peine, je vous
+assure, que je maintiens un peu d'ordre parmi ces personnages
+indisciplinés.... On voit ce qu'il arrive lorsque l'un d'eux
+s'échappe et se montre sur terre....
+
+LE PAIX
+
+Mon grand âge, mon expérience et mon dévouement font de moi le
+protecteur naturel de ces deux enfants; c'est pourquoi, madame la
+Nuit, permettez-moi de vous poser une question....
+
+LA NUIT
+
+Faites....
+
+LE PAIN
+
+En cas de danger, par où faut-il fuir?...
+
+LA NUIT
+
+Il n'y a pas moyen de fuir.
+
+TYLTYL, [prenant la clef et montant les premières marches.]
+
+Commençons par ici.... Qu'y a-t-il derrière cette porte de
+bronze?...
+
+LA NUIT
+
+Je crois que ce sont les Fantômes.... Il y a bien longtemps que
+je ne l'ai ouverte et qu'ils ne sont sortis....
+
+TYLTYL, mettant la clef dans la serrure.
+
+Je vais voir.... [Au Pain] Avez-vous la cage de l'Oiseau-Bleu?...
+
+LE PAIN, claquant des dénis.
+
+Ce n'est pas que j'aie peur, mais ne croyez-vous pas qu'il serait
+préférable de ne pas ouvrir et de regarder par le trou de la
+serrure?...
+
+TYLTYL
+
+Je ne vous demande pas votre avis....
+
+MYTYL, [se mettant à pleurer tout à coup.]
+
+J'ai peur!... Où est le Sucre?... Je veux rentrer à la
+maison!...
+
+LE SUCRE, [empressé, obséquieux.]
+
+Ici, mademoiselle, je suis ici.... Ne pleurez pas, je vais couper
+un de mes doigts pour vous offrir un sucre d'orge....
+
+TYLTYL
+
+Finissons-en....
+
+ [Il tourne la clef et entr'ouvre prudemment la porte.
+ Aussitôt s'échappent cinq ou six Spectres de formes diverses
+ et étranges qui se répandent de tous cotés. Le Pain
+ épouvanté jette la cage et va se cacher au fond de la salle,
+ pendant que la Nuit, pourchassant les Spectres, crie à
+ Tyltyl:]
+
+LA NUIT
+
+Vite! vite!... Ferme la porte!... Ils s'échapperaient tous et
+nous ne pourrions plus les rattraper!... Ils s'ennuient
+là-dedans, depuis que l'Homme ne les prend plus au sérieux....
+[Elle pourchasse les Spectres en s'efforçant, à l'aide d'un fouet
+formé de serpents, de les ramener vers la porte de leur prison.]
+
+Aidez-moi!... Par ici!... Par ici!...
+
+TYLTYL, [au Chien.]
+
+Aide-la, Tylô, vas-y donc!...
+
+LE CHIEN, [bondissant en aboyant.]
+
+Oui! oui! oui!...
+
+TYLTYL
+
+Et le Pain, où est-il?...
+
+LE PAIN, du fond de la salle.
+
+Ici.... Je suis près de la porte pour les empêcher de sortir....
+
+ [Comme un des Spectres s'avance de ce côté, il fuit à toutes
+ jambes, en poussant des hurlements d'épouvante.]
+
+LA NUIT, [à trois Spectres qu'elle a pris au collet.]
+
+Par ici, vous autres!... [A Tyltyl.] Rouvre un peu la porte....
+[Elle pousse les Spectres dans la caverne.] Là, ça va bien....
+[Le Chien en ramène deux autres.] Et encore ceux-ci.... Voyons,
+vite, rangez-vous.... Vous savez bien que vous ne sortez plus
+qu'à la Toussaint.
+
+ [Elle referme la porte.]
+
+TYLTYL, [allant à une autre porte.]
+
+Qu'y a-t-il derrière celle-ci?...
+
+LA NUIT
+
+A quoi bon?... Je te l'ai déjà dit, l'Oiseau-Bleu n'est jamais
+venu par ici.... Enfin, comme tu voudras.... Ouvre-la si ça te
+fait plaisir.... Ce sont les Maladies....
+
+TYLTYL, [la clef dans la serrure.]
+
+Est-ce qu'il faut prendre garde en ouvrant?...
+
+LA NUIT
+
+Non, ce n'est pas la peine.... Elles sont bien tranquilles, les
+pauvres petites.... Elles ne sont pas heureuses.... L'Homme,
+depuis quelque temps, leur fait une telle guerre!... Surtout
+depuis la découverte des microbes.... Ouvre donc, tu verras....
+
+ [Tyltyl ouvre la porte toute grande. Rien ne paraît.]
+
+TYLTYL
+
+Elles ne sortent pas?...
+
+LA NUIT
+
+Je t'avais prévenu, presque toutes sont souffrantes et bien
+découragées.... Les médecins ne sont pas gentils pour elles....
+Entre donc un instant, tu verras....
+
+ [Tyltyl entre dans la caverne et ressort aussitôt après.]
+
+TYLTYL
+
+L'Oiseau-Bleu n'y est pas.... Elles ont l'air bien malades, vos
+Maladies.... Elles n'ont même pas levé la tête.... [Une petite
+Maladie, en pantoufles, robe de chambre et bonnet de coton,
+s'échappe de la caverne et se met à gambader dans la salle.]
+Tiens!... Une petite qui s'évade!... Qu'est-ce que c'est?...
+
+LA NUIT
+
+Ce n'est rien, c'est la plus petite, c'est le Rhume de
+cerveau.... C'est une de celles qu'on persécute le moins et qui
+se portent le mieux.... [Appelant le Rhume de cerveau] Viens
+ici, ma petite.... C'est trop tôt; il faut attendre le
+printemps....
+
+ [Le Rhume de cerveau, éternuant, toussant et se mouchant,
+ rentre dans la caverne dont Tyltyl referme la porte.]
+
+TYLTYL, [allant à la porte voisine.]
+
+Voyons donc celle-ci.... Qu'est-ce que c'est?...
+
+LA NUIT
+
+Prends garde.... Ce sont les Guerres.... Elles sont plus
+terribles et plus puissantes que jamais.... Dieu sait ce qui
+arriverait si l'une d'elles s'échappait!... Heureusement, elles
+sont assez obèses et manquent d'agilité.... Mais tenons-nous
+prêts à repousser la porte tous ensemble, pendant que tu jetteras
+un rapide coup d'œil dans la caverne....
+
+ [Tyltyl, avec mille précautions, entrebâille la porte de
+ manière qu'il n'y ait qu'une petite fente où il puisse
+ appliquer l'œil. Aussitôt, il s'arc-boute en criant:]
+
+TYLTYL
+
+Vite! vite!... Poussez donc!... Elles m'ont vu!... Elles viennent
+toutes!... Elles ouvrent la porte!...
+
+LA NUIT
+
+Allons, tous!... Poussez ferme!... Voyons, le Pain, que
+faites-vous?... Poussez tous!... Elles ont une force!... Ah!
+voilà! Ça y est.... Elles cèdent.... Il était temps!... As-tu
+vu?...
+
+TYLTYL
+
+Oui, oui!... Elles sont énormes, épouvantables!... Je crois
+qu'elles n'ont pas l'Oiseau-Bleu....
+
+LA NUIT
+
+Bien sûr qu'elles ne l'ont point.... Elles le mangeraient tout de
+suite.... Eh bien, en as-tu assez?... Tu vois bien qu'il n'y a
+rien à faire....
+
+TYLTYL
+
+Il faut que je voie tout.... La Lumière l'a dit....
+
+LA NUIT
+
+La Lumière l'a dit.... C'est facile à dire quand on a peur et
+qu'on reste chez soi....
+
+TYLTYL
+
+Allons à la suivante.... Qu'est-ce?...
+
+LA NUIT
+
+Ici, j'enferme les Ténèbres et les Terreurs....
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'on peut ouvrir?...
+
+LA NUIT
+
+Parfaitement.... Elles sont assez tranquilles; c'est comme les
+Maladies....
+
+TYLTYL, [entr'ouvrant la porte avec une certaine méfiance et
+risquant un regard dans la caverne.]
+
+Elles n'y sont pas....
+
+LA NUIT, [regardant à son tour dans la caverne.]
+
+Eh bien, les Ténèbres, que faites-vous?... Sortez donc un
+instant, ça vous fera du bien, ça vous dégourdira. Et les
+Terreurs aussi.... Il n'y a rien à Craindre.... [Quelques
+Ténèbres et quelques Terreurs, sous la figure de femmes
+couvertes, les premières de voiles noirs, les dernières de voiles
+verdâtres, risquent piteusement quelques pas hors de la caverne,
+et, sur un geste qu'ébauche Tyltyl, rentrent précipitamment.]
+Voyons, tenez-vous donc.... C'est un enfant, il ne vous fera pas
+de mal.... [A Tyltyl]. Elles sont devenues extrêmement timides;
+excepté les grandes, celles que tu vois au fond....
+
+TYLTYL, [regardant vers le fond de la caverne.]
+
+Oh! qu'elles sont effrayantes!...
+
+LA NUIT
+
+Elles sont enchaînées.... Ce sont les seules qui n'aient pas peur
+de l'Homme.... Mais referme la porte, de crainte qu'elles ne se
+fâchent....
+
+TYLTYL, [allant à la porte suivante.]
+
+Tiens!... Celle-ci est plus sombre.... Qu'est-ce que c'est?...
+
+LA NUIT
+
+Il y a plusieurs Mystères derrière celle-ci.... Si tu y tiens
+absolument, tu peux l'ouvrir aussi.... Mais n'entre pas.... Sois
+bien prudent, et puis préparons-nous à repousser la porte, comme
+nous avons fait pour les Guerres....
+
+TYLTYL, [entr'ouvrant avec des précautions inouïes, et passant
+craintivement la tête dans l'entrebâillement.]
+
+Oh!... Quel froid!... Mes yeux cuisent!... Fermez vite!...
+Poussez donc! On repousse!... [La Nuit, le Chien, la Chatte et le
+Sucre repoussent la porte.] Oh! j'ai vu!...
+
+LA NUIT
+
+Quoi donc?...
+
+TYLTYL, [bouleversé.]
+
+Je ne sais pas, c'était épouvantable!... Ils étaient tous assis
+comme des monstres sans yeux.... Quel était le géant qui voulait
+me saisir?...
+
+LA NUIT
+
+C'est probablement le Silence; il a la garde de cette porte....
+Il paraît que c'était effrayant?... Tu en es encore tout pâle et
+tout tremblant....
+
+TYLTYL
+
+Oui, je n'aurais pas cru.... Je n'avais jamais vu.... Et j'ai les
+mains gelées....
+
+LA NUIT
+
+Ce sera bien pis tout à l'heure si tu continues....
+
+TYLTYL, [allant à la porte suivante.]
+
+Et celle-ci?... Est-elle aussi terrible?...
+
+LA NUIT
+
+Non, il y a un peu de tout.... J'y mets les Étoiles sans emploi,
+mes parfums personnels, quelques Lueurs qui m'appartiennent, tels
+que feux-follets, vers luisants, lucioles; on y serre aussi la
+Rosée, le Chant des Rossignols, etc..
+
+TYLTYL
+
+Justement, les Étoiles, le Chant des Rossignols.... Ce doit être
+celle-là.
+
+LA NUIT
+
+Ouvre-donc si tu veux; tout cela n'est pas bien méchant....
+
+ [Tyltyl ouvre la porte toute grande. Aussitôt les Étoiles,
+ sous la forme de belles jeunes filles voilées de lueurs
+ versicolores, s'échappent de leur prison, se répandent dans
+ la salle et forment sur les marches et autour des colonnes
+ de gracieuses rondes baignées d'une sorte de lumineuse
+ pénombre. Les Parfums de la Nuit, presque invisibles, les
+ Feux-follets, les Lucioles, la Rosée transparente se
+ joignent à elles, cependant que le Chant des Rossignols,
+ sortant à flots de la caverne, inonde le palais nocturne.]
+
+MYTYL, [ravie, battant des mains.]
+
+Oh! les jolies madames!...
+
+TYLTYL
+
+Et qu'elles dansent bien!...
+
+MYTYL
+
+Et qu'elles sentent bon!...
+
+TYLTYL
+
+Et qu'elles chantent bien!...
+
+MYTYL
+
+Qu'est-ce que c'est, ceux-là, qu'on ne voit presque pas?...
+
+LA NUIT
+
+Ce sont les Parfums de mon ombre....
+
+TYLTYL
+
+Et les autres, là-bas, qui sont en verre filé?...
+
+LA NUIT
+
+C'est la Rosée des forêts et des plaines.... Mais en voilà
+assez.... Ils n'en finiraient pas.... C'est le diable de les
+faire rentrer une fois qu'ils se sont mis à danser.... [Frappant
+dans ses mains.] Allons, vite, les Étoiles!... Ce n'est pas le
+moment de danser.... Le ciel est couvert, il y a de gros
+nuages.... Allons, vite, rentrez tous, sinon j'irai chercher un
+rayon de soleil....
+
+ [Fuite épouvantée des Étoiles, Parfums, etc...., qui se
+ précipitent dans la caverne que l'on referme sur eux. En
+ même temps s'éteint le Chant des Rossignols.]
+
+TYLTYL, [allant à la porte du fond.]
+
+Voici la grande porte du milieu....
+
+LA NUIT, gravement.
+
+N'ouvre pas celle-ci....
+
+TYLTYL
+
+Pourquoi?...
+
+LA NUIT
+
+Parce que c'est défendu....
+
+TYLTYL
+
+C'est donc là que se cache l'Oiseau-Bleu; la Lumière me l'a
+dit....
+
+LA NUIT, [maternelle.]
+
+Écoute-moi, mon enfant.... J'ai été bonne et complaisante....
+J'ai fait pour toi ce que je n'avais fait jusqu'ici pour
+personne.... Je t'ai livré tous mes secrets.... Je t'aime bien,
+j'ai pitié de ta jeunesse et de ton innocence et je te parle
+comme une mère.... Écoute-moi et crois-moi, mon enfant, renonce,
+ne va point plus avant, ne tente pas le Destin, n'ouvre pas cette
+porte....
+
+TYLTYL, [assez ébranlé.]
+
+Mais pourquoi?...
+
+LA NUIT
+
+Parce que je ne veux pas que tu te perdes.... Parce que nul de
+ceux, entends-tu, nul de ceux qui l'ont entr'ouverte, ne fût-ce
+que de l'épaisseur d'un cheveu, n'est revenu vivant à la lumière
+du jour.... Parce que tout ce qu'on peut imaginer d'épouvantable,
+parce que toutes les terreurs, toutes les horreurs dont on parle
+sur terre, ne sont rien, comparées à la plus innocente de celles
+qui assaillent un homme dès que son œil effleure les premières
+menaces de l'abîme auquel personne n'ose donner un nom.... C'est
+au point que moi-même, si tu t'obstines, malgré tout, à toucher
+cette porte, je te demanderai d'attendre que je sois à l'abri
+dans ma tour sans fenêtres.... Maintenant c'est à toi de savoir,
+à toi de réfléchir....
+
+ [Mytyl, tout en larmes, pousse des cris de terreur
+ inarticulés et cherche à entraîner Tyltyl.]
+
+LE PAIN, [claquant des dents.]
+
+Ne le faites pas, mon petit maître!... [Se jetant à genoux.] Ayez
+pitié de nous!... Je vous le demande à genoux.... Vous voyez que
+la Nuit a raison....
+
+LA CHATTE
+
+C'est notre vie à tous que vous sacrifiez....
+
+TYLTYL
+
+Je dois l'ouvrir....
+
+MYTYL, [trépignant parmi des sanglots.]
+
+Je ne veux pas!... Je ne veux pas!...
+
+TYLTYL
+
+Que le Sucre et le Pain prennent Mytyl par la main et se sauvent
+avec elle.... Je vais ouvrir....
+
+LA NUIT
+
+Sauve qui peut!... Venez vite!... Il est temps!...
+
+ [Elle fuit.]
+
+LE PAIN, [fuyant éperdument.]
+
+Attendez au moins que nous soyons au bout de la salle!...
+
+LA CHATTE, [fuyant également.]
+
+Attendez!... attendez!...
+
+Ils se cachent derrière les colonnes à l'autre bout de la salle.
+Tyltyl reste seul avec le Chien, près de la porte monumentale.
+
+LE CHIEN, [haletant et hoquetant d'épouvante contenue.]
+
+Moi, je reste, je reste.... Je n'ai pas peur.... Je reste!... Je
+reste près de mon petit dieu.... Je reste!... Je reste....
+
+TYLTYL, [caressant le Chien.]
+
+C'est bien, Tylô, c'est bien!... Embrasse-moi.... Nous sommes
+deux.... Maintenant gare à nous!... [Il met la clef dans la
+serrure. Un cri d'épouvante part de l'autre bout de la salle où
+se sont réfugiés les fuyards. A peine la clef a-t-elle touché la
+porte que les hauts ballants de celle-ci s'ouvrent par le milieu,
+glissent latéralement et disparaissent, à droite et à gauche,
+dans l'épaisseur des murs, découvrant tout à coup, irréel,
+infini, ineffable, le plus inattendu des jardins de rêve et de
+lumière nocturne, où, parmi les étoiles et les planètes,
+illuminant tout ce qu'ils touchent, volant sans cesse de
+pierreries en pierreries, de rayons de lune en rayons de lune, de
+féeriques oiseaux bleus évoluent perpétuellement et
+harmonieusement jusqu'aux confins de l'horizon, innombrables au
+point qu'ils semblent être le souffle, l'atmosphère azurée, la
+substance même du jardin merveilleux.--Tyltyl, ébloui, éperdu,
+debout dans la lumière du jardin:] Oh!... le ciel!... [Se
+tournant vers ceux qui oui fui.] Venez vite!... Ils sont là!...
+C'est eux! c'est eux! c'est eux!...Nous les tenons enfin!... Des
+milliers d'oiseaux bleus! Des millions!... Des milliards!... Il y
+en aura trop!... Viens, Mytyl!... Viens, Tylô!... Venez tous!...
+Aidez-moi!... [S'élançant parmi les oiseaux.] On les prend à
+pleines mains!... Ils ne sont pas farouches!... Ils n'ont pas
+peur de nous!... Par ici! par ici!... [Mytyl et les autres
+accourent. Ils entrent tous dans le jardin éblouissant, hormis la
+Nuit et la Chatte.] Vous voyez!... Ils sont trop!... Ils viennent
+dans mes mains!... Regardez donc, ils mangent les rayons de la
+lune!... Mytyl, où donc es-tu?... Il y a tant d'ailes bleues,
+tant de plumes qui tombent qu'on n'y voit plus du tout!... Tylô!
+ne les mord pas.... Ne leur fais pas de mal!... Prends-les très
+doucement!
+
+MYTYL, [enveloppée d'oiseaux bleus.]
+
+J'en ai déjà pris sept!... Oh! qu'ils battent des ailes!... Je ne
+puis les tenir!...
+
+TYLTYL
+
+Moi non plus!... J'en ai trop!... Ils s'échappent!... Ils
+reviennent!... Tylô en a aussi!... Ils vont nous entraîner!...
+nous porter dans le ciel!... Viens, sortons par ici!... La
+Lumière nous attend!... Elle sera contente!... Par ici, par
+ici!...
+
+ [Ils s'évadent du jardin, les mains pleines d'oiseaux qui se
+ débattent, et, traversant toute la salle parmi l'affolement
+ des ailes azurées, sortent à droite, par où ils sont entrés,
+ suivis du Pain et du Sucre qui n'ont pas pris d'oiseaux.
+ --Restés seuls, la Nuit et la Chatte remontent vers le fond
+ et regardent anxieusement dans le jardin.]
+
+LA NUIT
+
+Ils ne l'ont pas?...
+
+LA CHATTE
+
+Non.... Je le vois là sur ce rayon de lune.... Ils n'ont pas pu
+l'atteindre, il se tenait trop haut....
+
+ [Le rideau tombe. Aussitôt après, devant le rideau tombé,
+ entrent simultanément, à gauche la Lumière, à droite Tyltyl,
+ Mytyl et le Chien, accourant tout couverts des oiseaux
+ qu'ils viennent de capturer. Mais déjà ceux-ci paraissent
+ inanimés et, la tête pendante et les ailes brisées, ne sont
+ plus dans leurs mains que d'inertes dépouilles.]
+
+LA LUMIÈRE
+
+Eh bien, l'avez-vous-pris?...
+
+TYLTYL
+
+Oui, oui!... Tant qu'on voulait.... Il y en a des milliers!...
+Les voici!... Les vois-tu!... [Regardant les oiseaux qu'il tend
+vers la Lumière et s'apercevant qu'ils sont morts.] Tiens!... Ils
+ne vivent plus.... Qu'est-ce qu'on leur a fait?... Les tiens
+aussi, Mytyl?... Ceux de Tylô aussi. [Jetant avec colère les
+cadavres d'oiseaux.] Ah! non, c'est trop vilain!... Qui est-ce
+qui les a tués?... Je suis trop malheureux!...
+
+ [Il se cache la tête sous le bras et paraît tout secoué de
+ sanglots.]
+
+LA LUMIÈRE, [le serrant maternellement dans ses bras.]
+
+Ne pleure pas, mon enfant.... Tu n'as pas pris celui qui peut
+vivre en plein jour.... Il est allé ailleurs.... Nous le
+retrouverons....
+
+LE CHIEN, [regardant les oiseaux morts.]
+
+Est-ce qu'on peut les manger?...
+
+ [Ils sortent tous à gauche.]
+
+
+
+
+CINQUIÈME TABLEAU
+
+LA FORÊT
+
+
+Une forêt.--Il fait nuit.--Clair de lune.--Vieux arbres de
+diverses espèces, notamment: un chêne, un hêtre, un orme, un
+peuplier, un sapin, un cyprès, un tilleur, un marronnier, etc.
+
+ * * * * *
+
+ [Entre la Chatte.]
+
+LA CHATTE, [saluant les arbres à la ronde.]
+
+Salut à tous les arbres!...
+
+MURMURE DES FEUILLAGES
+
+Salut!...
+
+LA CHATTE
+
+C'est un grand jour que ce jour-ci!... Notre ennemi vient
+délivrer vos énergies et se livrer lui-même.... C'est Tyltyl, le
+fils du bûcheron qui vous a fait tant de mal.... Il cherche
+l'Oiseau-Bleu que vous cachez à l'Homme depuis le commencement du
+monde, et qui sait seul notre secret.... [Murmure dans les
+feuilles.] Vous dites?... Ah! c'est le Peuplier qui parle....
+Oui, il possède un Diamant qui a la vertu de délivrer un instant
+nos esprits; il peut nous forcer à livrer l'Oiseau-Bleu, et nous
+serons dès lors, définitivement, à la merci de l'Homme....
+[Murmure dans les feuilles.] Qui parle?... Tiens! c'est le
+Chêne.... Comment allez-vous?... [Murmure dans les feuilles du
+Chêne.] Toujours enrhumé?... La Réglisse ne vous soigne plus?...
+Toujours les rhumatismes?... Croyez-moi, c'est à cause de la
+mousse; vous en mettez trop sur vos pieds.... L'Oiseau-Bleu est
+toujours chez vous?... [Murmures dans les feuilles du Chêne.]
+Vous dites?... Oui, il n'y a pas à hésiter, il faut en profiter,
+il faut qu'il disparaisse.... [Murmure dans les feuilles.]
+Plaît-il?... Oui, il est avec sa petite sœur; il faut qu'elle
+meure aussi.... [Murmure dans les feuilles.] Oui, le Chien les
+accompagne; il n'y a pas moyen de l'éloigner.... [Murmure dans
+les feuilles.] Vous dites?... Le corrompre?... Impossible....
+J'ai essayé de tout.... [Murmures parmi les feuilles.] Ah! c'est
+toi, le Sapin?... Oui, prépare quatre planches.... Oui, il y a
+encore le Feu, le Sucre, l'Eau, le Pain.... Ils sont tous avec
+nous, excepté le Pain qui est assez douteux.... Seule la Lumière
+est favorable à l'Homme; mais elle ne viendra pas.... J'ai fait
+croire aux petits qu'ils devaient s'échapper en cachette pendant
+qu'elle dormait.... L'occasion est unique.... [Murmure dans les
+feuilles.] Tiens! c'est la voix du Hêtre!... Oui, vous avez
+raison; il faut que l'on prévienne les Animaux.... Le Lapin
+a-t-il son tambour?... Il est chez vous?... Bien, qu'il batte le
+rappel, tout de suite.... Les voici!...
+
+ [On entend s'éloigner les roulements de tambour du
+ Lapin.--Entrent Tyltyl, Mytyl et le Chien.]
+
+TYLTYL
+
+C'est ici?...
+
+LA CHATTE, [obséquieuse, doucereuse, empressé se précipitant
+au-devant des enfants.]
+
+Ah! voilà, mon petit maître!... Que vous avez bonne mine et que
+vous êtes joli, ce soir!... Je vous ai précédé pour annoncer
+votre arrivée.... Tout va bien. Cette fois nous tenons
+l'Oiseau-Bleu, j'en suis sûre.... Je viens d'envoyer le Lapin
+battre le rappel afin de convoquer les principaux Animaux du
+pays.... On les entend déjà dans le feuillage.... Écoutez!... Ils
+sont un peu timides et n'osent approcher.... [Bruits d'animaux
+divers, tels que vaches, porcs, chevaux, ânes, etc.--Bas à
+Tyltyl, le prenant à part.] Mais pourquoi avez-vous amené le
+Chien?... Je vous l'ai déjà dit, il est au plus mal avec tout le
+monde, même avec les arbres.... Je crains bien que sa présence
+odieuse ne fasse tout manquer....
+
+TYLTYL
+
+Je n'ai pu m'en débarasser.... [Au Chien, la menaçant] Veux-tu
+bien t'en aller, vilaine bête!...
+
+LE CHIEN
+
+Qui?... Moi!... Pourquoi?... Qu'est-ce que j'ai fait?...
+
+TYLTYL
+
+Je te dis de t'en aller!... On n'a que faire de toi, c'est bien
+simple.... Tu nous embêtes à la fin!...
+
+LE CHIEN
+
+Je ne dirai rien.... Je suivrai de loin.... On ne me verra
+pas.... Veux-tu que je fasse le beau?...
+
+LA CHATTE, [bas, à Tyltyl.]
+
+Vous tolérez pareille désobéissance?... Donnez-lui donc quelques
+coups de bâton sur le nez, il est vraiment insupportable!...
+
+TYLTYL, [battant le Chien.]
+
+Voilà qui t'apprendra à obéir plus vite!...
+
+LE CHIEN, [hurlant.]
+
+Aïe! Aïe! Aïe!...
+
+TYLTYL
+
+Qu'en dis-tu?...
+
+LE CHIEN
+
+Il faut que je t'embrasse puisque tu m'as battu!...
+
+[Il embrasse et caresse violemment Tyltyl.]
+
+TYLTYL
+
+Voyons.... C'est, bien.... Ça suffit.... Va-t'en!...
+
+MYTYL
+
+Non, non; je veux qu'il reste.... J'ai peur de tout quand il
+n'est pas là....
+
+LE CHIEN, [bondissant et renversant presque Mytyl, qu'il accable
+de caresses précipitées et enthousiastes.]
+
+Oh! la bonne petite fille!... Qu'elle est belle! Qu'elle est
+bonne!... Qu'elle est belle, qu'elle est douce!... Il faut que je
+l'embrasse! Encore! encore! encore!...
+
+LA CHATTE
+
+Quel idiot!... Ma foi, nous verrons bien.... Ne perdons pas de
+temps.... Tournez le Diamant....
+
+TYLTYL
+
+Où faut-il me placer?
+
+LA CHATTE
+
+Dans ce rayon de lune; vous y verrez plus clair.... Là! tournez
+doucement....
+
+ [Tyltyl tourne le Diamant; aussitôt, un long frémissement
+ agite les branches et les feuilles. Les troncs les plus
+ anciens et les plus imposants s'entr'ouvrent pour livrer
+ passage à l'âme que chacun d'eux renferme. L'aspect de ces
+ âmes diffère suivant l'aspect et le caractère de l'arbre
+ qu'elles représentent. Celle de l'Orme, par exemple, est une
+ sorte de gnome poussif, ventru, bourru; celle du Tilleul est
+ placide, familière, joviale: celle du Hêtre, élégante et
+ agile; celle du Bouleau, blanche, réservée, inquiète; celle
+ du Saule, rabougrie, échevelée, plaintive; celle du Sapin,
+ longue, efflanquée, taciturne; celle du Cyprès, tragique;
+ celle du Marronnier, prétentieuse, un peu snob; celle du
+ Peuplier, allègre, encombrante, bavarde. Les unes sortent
+ lentement de leur tronc, engourdies, s'étirant, comme après
+ une captivité ou un sommeil séculaire, les autres s'en
+ dégagent d'un bond, alertes, empressées, et toutes viennent
+ se ranger autour des deux enfants, tout en se tenant autant
+ que possible à proximité de l'arbre dont elles sont nées.]
+
+LE PEUPLIER, [accourant le premier et criant à tue-tête.]
+
+Des Hommes!... De petits Hommes!... On pourra leur parler!...
+C'est fini le Silence!... C'est fini!... D'où viennent-ils?...
+Qui est-ce?... Qui sont-ils?... [Au Tilleul qui s'avance en
+fumant tranquillement sa pipe.] Les connais-tu, toi, père
+Tilleul?...
+
+LE TILLEUL
+
+Je ne me rappelle pas les avoir vus....
+
+LE PEUPLIER
+
+Mais si, voyons, mais si!... Tu connais tous les Hommes, tu es
+toujours à te promener autour de leurs maisons....
+
+LE TILLEUL, [examinant les enfants.]
+
+Mais non, je vous assure.... Je ne les connais pas.... Ils sont
+encore trop jeunes.... Je ne connais bien que les amoureux qui
+viennent me voir au clair de lune; ou les buveurs de bière qui
+trinquent sous mes branches....
+
+LE MARRONNIER, [pincé, ajustant son monocle.]
+
+Qu'est-ce que c'est que ça?... C'est des pauvres de la
+campagne?...
+
+LE PEUPLIER
+
+Oh! vous, monsieur le Marronnier, depuis que vous ne fréquentez
+plus que les boulevards des grandes villes....
+
+LE SAULE, [s'avançant en sabots et geignard.]
+
+Mon Dieu, mon Dieu!... Ils viennent encore me couper la tête et
+les bras pour en faire des fagots!...
+
+LE PEUPLIER
+
+Silence!... Voici le Chêne qui sort de son palais!... Il a l'air
+bien souffrant ce soir.... Ne trouvez-vous pas qu'il
+vieillit?... Quel âge peut-il avoir?... Le Sapin dit qu'il a
+quatre mille ans; mais je suis sûre qu'il exagère.... Attention,
+il va nous dire ce que c'est....
+
+ [Le Chêne s'avance lentement. Il est fabuleusement vieux,
+ couronné de gui et vêtu d'une longue robe verte brodée de
+ mousse et de lichen. Il est aveugle, sa barbe blanche flotte
+ au vent. Il s'appuie d'une main sur un bâton noueux et de
+ l'autre sur un jeune Chêneau qui lui sert de guide.
+ L'Oiseau-Bleu est perché sur son épaule. À son approche,
+ mouvement de respect parmi les arbres qui se rangent et
+ s'inclinent.]
+
+TYLTYL
+
+Il a l'Oiseau-Bleu!... Vite! vite!... Par ici!...
+Donnez-le-moi!...
+
+LES ARBRES
+
+Silence!...
+
+LA CHATTE, [à Tyltyl.]
+
+Découvrez-vous, c'est le Chêne!...
+
+LE CHÊNE, [à Tyltyl.]
+
+Qui es-tu?...
+
+TYLTYL
+
+Tyltyl, monsieur.... Quand est-ce que je pourrai prendre
+l'Oiseau-Bleu?...
+
+LE CHÊNE
+
+Tyltyl, le fils du bûcheron?...
+
+TYLTYL
+
+Oui, monsieur....
+
+LE CHÊNE
+
+Ton père nous a fait bien du mal.... Dans ma seule famille il a
+mis à mort six cents de mes fils, quatre cent soixante-quinze
+oncles et tantes, douze cents cousins et cousines, trois cent
+quatre-vingts brus et douze mille arrière-petits-fils!...
+
+TYLTYL
+
+Je ne sais pas, monsieur.... Il ne l'a pas fait exprès....
+
+LE CHÊNE
+
+Que viens-tu faire ici, et pourquoi as-tu fait sortir nos âmes de
+leurs demeures?...
+
+TYLTYL
+
+Monsieur, je vous demande pardon de vous avoir dérangé.... C'est
+la Chatte qui m'a dit que vous alliez nous dire où se trouve
+l'Oiseau-Bleu....
+
+LE CHÊNE
+
+Oui, je sais, tu cherches l'Oiseau-Bleu, c'est-à-dire le grand
+secret des choses et du bonheur, pour que les Hommes rendent plus
+dur encore notre esclavage....
+
+TYLTYL
+
+Mais non, monsieur; c'est pour la petite fille de la Fée Bérylune
+qui est très malade....
+
+LE CHÊNE, lui imposant silence.
+
+Il suffit!... Je n'entends pas les Animaux.... Où sont-ils?...
+Tout ceci les intéresse autant que nous.... Il ne faut pas que
+nous, les Arbres, assumions seuls la responsabilité des mesures
+graves qui s'imposent.... Le jour où les Hommes apprendront que
+nous avons fait ce que nous allons faire, il y aura d'horribles
+représailles.... Il convient donc que notre accord soit unanime,
+pour que notre silence le soit également....
+
+LE SAPIN, [regardant par-dessus les autres arbres.]
+
+Les Animaux arrivent.... Ils suivent le Lapin.... Voici l'âme du
+Cheval, du Taureau, du Bœuf, de la Vache, du Loup, du Mouton,
+du Porc, du Coq, de la Chèvre, de l'Âne et de l'Ours....
+
+ [Entrée successive des âmes des Animaux qui, à mesure que
+ les énumère le Sapin, s'avancent et vont s'asseoir entre les
+ arbres, à l'exception de l'âme de la Chèvre qui vagabonde çà
+ et là, et de celle du Porc qui fouille les racines.]
+
+LE CHÊNE
+
+Tous sont-ils ici présents?...
+
+LE LAPIN
+
+La Poule ne pouvait pas abandonner ses œufs, le Lièvre faisait
+des courses, le Cerf a mal aux cornes, le Renard est
+souffrant,--voici le certificat du médecin,--l'Oie n'a pas
+compris et le Dindon s'est mis en colère....
+
+LE CHÊNE
+
+Ces abstentions sont extrêmement regrettables.... Néanmoins, nous
+sommes en nombre suffisant.... Vous savez, mes frères, de quoi
+il est question. L'enfant que voici, grâce à un talisman dérobé
+aux puissances de la Terre, peut s'emparer de notre Oiseau-Bleu,
+et nous arracher ainsi le secret que nous gardons depuis
+l'origine de la Vie.... Or, nous connaissons assez l'Homme pour
+n'avoir aucun doute sur le sort qu'il nous réserve lorsqu'il se
+trouvera en possession de ce secret. C'est pourquoi il me semble
+que toute hésitation serait aussi stupide que criminelle....
+L'heure est grave; il faut que l'enfant disparaisse avant qu'il
+soit trop tard....
+
+TYLTYL
+
+Que dit-il?...
+
+LE CHIEN, [rôdant autour du Chêne en montrant ses crocs.]
+
+As-tu vu mes dents, vieux perclus?...
+
+LE HÊTRE, [indigné.]
+
+Il insulte le Chêne!...
+
+LE CHÊNE
+
+C'est le Chien?... Qu'on l'expulse! Il ne faut pas que nous
+tolérions un traître parmi nous!...
+
+LA CHATTE, [bas, à Tyltyl.]
+
+Éloignez le Chien.... C'est un malentendu.... Laissez-moi faire,
+j'arrangerai les choses.... Mais éloignez-le au plus vite....
+
+TYLTYL, [au Chien.]
+
+Veux-tu t'en aller!...
+
+LE CHIEN
+
+Laisse-moi donc lui déchirer ses pantoufles de mousse à ce vieux
+goutteux-là!... On va rire!...
+
+TYLTYL
+
+Tais-toi donc!... Et va-t'en!... Mais va-t'en, vilaine bête!...
+
+LE CHIEN
+
+Bon, bon, on s'en ira.... Je reviendrai quand tu auras besoin de
+moi....
+
+LA CHATTE, [bas, à Tyltyl.]
+
+Il serait plus prudent de l'enchaîner, sinon il fera des bêtises;
+les Arbres se fâcheront, et tout cela finira mal....
+
+TYLTYL
+
+Comment faire?... J'ai égaré sa laisse....
+
+LA CHATTE
+
+Voici tout juste le Lierre qui s'avance avec de solides liens....
+
+LE CHIEN, grondant.
+
+Je reviendrai, je reviendrai!... Podagre! bronchiteux!... Tas de
+vieux rabougris, tas de vieilles racines!...C'est la Chatte qui
+mène tout!... Je lui revaudrai ça!... Qu'as-tu donc à chuchoter
+ainsi, Judas, Tigre, Bazaine!... Wa, wa! wa!...
+
+LA CHATTE
+
+Vous voyez, il insulte tout le monde....
+
+TYLTYL
+
+C'est vrai, il est insupportable et l'on ne s'entend plus....
+Monsieur le Lierre, voulez-vous l'enchaîner?...
+
+LE LIERRE, [s'approchant assez craintivement du Chien.]
+
+Il ne mordra pas?...
+
+LE CHIEN, [grondant.]
+
+Au contraire! au contraire!... Il va bien t'embrasser!...
+Attends, tu vas voir ça!... Approche, approche donc, tas de
+vieilles ficelles!...
+
+TYLTYL, [le menaçant du bâton.]
+
+Tylô!...
+
+LE CHIEN, [rampant aux pieds de Tyltyl en agitant la queue.]
+
+Que faut-il faire, mon petit dieu?...
+
+TYLTYL
+
+Te coucher, à plat ventre!... Obéis au Lierre.... Laisse-toi
+garotter, sinon....
+
+LE CHIEN, [grondant entre les dents pendant que le Lierre le
+garotte.]
+
+Ficelle!... Corde à pendus!... Laisse à veaux!... Chaîne à
+porcs!... Mon petit dieu, regarde.... Il me tord les pattes....
+Il m'étrangle!...
+
+TYLTYL
+
+Tant pis!... Tu l'as voulu!... Tais-toi, tiens-toi tranquille, tu
+es insupportable!...
+
+LE CHIEN
+
+C'est égal, tu as tort.... Ils ont de vilaines intentions.... Mon
+petit dieu, prends garde!... Il me ferme la bouche!... Je ne peux
+plus parler!...
+
+LE LIERRE, [qui a ficelé le Chien comme un paquet.]
+
+Où faut-il le porter?... Je l'ai bien bâillonné.... il ne souffle
+plus mot....
+
+LE CHÊNE
+
+Qu'on l'attache solidement là-bas, derrière mon tronc, à ma
+grosse racine.... Nous verrons ensuite ce qu'il convient d'en
+faire.... [Le Lierre aidé du Peuplier porte le Chien derrière le
+tronc du Chêne] Est-ce fait?... Bien, maintenant que nous voilà
+débarrassés de ce témoin gênant et de ce renégat, délibérons
+selon notre justice et notre vérité.... Mon émotion, je ne vous
+le cache point, est profonde et pénible.... C'est la première
+fois qu'il nous est donné de juger l'Homme et de lui faire sentir
+notre puissance.... Je ne crois pas qu'après le mal qu'il nous a
+fait, après les monstrueuses injustices que nous avons subies, il
+reste le moindre doute sur la sentence qui l'attend....
+
+TOUS LES ARBRES et TOUS LES ANIMAUX
+
+Non! Non! Non!... Pas de doute!... La pendaison!... La mort!...
+Il y a trop d'injustice!... Il a trop abusé!... Il y a trop
+longtemps!... Qu'on l'écrase! Qu'on le mange!... Tout de
+suite!... Tout de suite!...
+
+TYLTYL, [à la Chatte.]
+
+Qu'ont-ils donc?... Ils ne sont pas contents?...
+
+LA CHATTE
+
+Ne vous inquiétez pas.... Ils sont un peu fâchés à cause que le
+Printemps est en retard.... Laissez-moi faire, j'arrangerai tout
+ça....
+
+LE CHÊNE
+
+Cette unanimité était inévitable.... Il s'agit à présent de
+savoir, pour éviter les représailles, quel genre de supplice sera
+le plus pratique, le plus commode, le plus expéditif et le plus
+sûr; celui qui laissera le moins de traces accusatrices lorsque
+les Hommes retrouveront les petits corps dans la forêt....
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que c'est que tout ça?... Où veut-il en venir?... Je
+commence à en avoir assez.... Puisqu'il a l'Oiseau-Bleu, qu'il le
+donne....
+
+LE TAUREAU, [s'avançant.]
+
+Le plus pratique et le plus sûr, c'est un bon coup de corne au
+creux de l'estomac.--Voulez-vous que je fonce?...
+
+LE CHÊNE
+
+Qui parle ainsi?...
+
+LA CHATTE
+
+C'est le Taureau.
+
+LA VACHE
+
+Il ferait mieux de se tenir tranquille.... Moi, je ne m'en mêle
+pas.... J'ai à brouter toute l'herbe de la prairie qu'on voit
+là-bas, dans le bleu de la lune.... J'ai trop à faire....
+
+LE BÅ’UF
+
+Moi aussi. D'ailleurs, j'approuve tout d'avance....
+
+LE HÊTRE
+
+Moi, j'offre ma plus haute branche pour les pendre....
+
+LE LIERRE
+
+Et moi le nœud coulant....
+
+LE SAPIN
+
+Et moi les quatre planches pour la petite boîte....
+
+LE CYPRÈS
+
+Et moi la concession à perpétuité....
+
+LE SAULE
+
+Le plus simple serait de les noyer dans une de mes rivières....
+Je m'en charge....
+
+LE TILLEUL, [conciliant.]
+
+Voyons, voyons.... Est-il bien nécessaire d'en venir à ces
+extrémités? Ils sont encore bien jeunes.... On pourrait tout
+bonnement les empêcher de nuire en les retenant prisonniers dans
+un clos que je me charge de construire en me plantant tout
+autour....
+
+LE CHÊNE
+
+Qui parle ainsi?... Je crois reconnaître la voix mielleuse du
+Tilleul....
+
+LE SAPIN
+
+En effet....
+
+LE CHÊNE
+
+Il y a donc un renégat parmi nous, comme parmi les Animaux?...
+Jusqu'ici, nous n'avions à déplorer que la défection des Arbres
+fruitiers; mais ceux-ci ne sont pas de véritables Arbres....
+
+LE PORC, [roulant de petits yeux gloutons.]
+
+Moi, je pense qu'il faut d'abord manger la petite fille.... Elle
+doit être bien tendre....
+
+TYLTYL
+
+Que dit-il celui-là?... Attends un peu, espèce de....
+
+LA CHATTE
+
+Je ne sais ce qu'ils ont; mais cela prend mauvaise tournure....
+
+LE CHÊNE
+
+Silence!... Il s'agit de savoir qui de nous aura l'honneur de
+porter le premier coup; qui écartera de nos cimes le plus grand
+danger que nous ayons couru depuis la naissance de l'Homme....
+
+LE SAPIN
+
+C'est à vous, notre roi et notre patriarche, que revient cet
+honneur....
+
+LE CHÊNE
+
+C'est le Sapin qui parle?... Hélas! je suis trop vieux! Je suis
+aveugle, infirme, et mes bras engourdis ne m'obéissent plus....
+Non, c'est à vous, mon frère, toujours vert, toujours droit,
+c'est à vous, qui vîtes naître la plupart de ces Arbres,
+qu'échoit, à mon défaut, la gloire du noble geste de notre
+délivrance....
+
+LE SAPIN
+
+Je vous remercie, mon vénérable père.... Mais comme j'aurai déjà
+l'honneur d'ensevelir les deux victimes, je craindrais d'éveiller
+la juste jalousie de mes collègues; et je crois qu'après nous, le
+plus ancien et le plus digne, celui qui possède la meilleure
+massue, c'est le Hêtre....
+
+LE HÊTRE
+
+Vous savez que je suis vermoulu et que ma massue n'est point
+sûre.... Mais l'Orme et le Cyprès ont de puissantes armes....
+
+L'ORME
+
+Je ne demanderais pas mieux; mais je puis à peine me tenir
+debout.... Une taupe, cette nuit, m'a retourné le gros orteil....
+
+LE CYPRÈS
+
+Quant à moi, je suis prêt.... Mais, comme mon bon frère le Sapin,
+j'aurai déjà, sinon le privilège de les ensevelir, tout au moins
+l'avantage de pleurer sur leur tombe.... Ce serait illégitimement
+cumuler.... Demandez au Peuplier....
+
+LE PEUPLIER
+
+A moi?... Y pensez-vous?... Mais mon bois est plus tendre que la
+chair d'un enfant!... Et puis, je ne sais ce que j'ai.... Je
+tremble de fièvre.... Regardez donc mes feuilles.... J'ai dû
+prendre froid ce matin au lever du soleil....
+
+LE CHÊNE, [éclatant d'indignation.]
+
+Vous avez peur de l'Homme!... Même ces petits enfants isolés et
+sans armes vous inspirent la terreur mystérieuse qui fit toujours
+de nous les esclaves que nous sommes!... Eh bien, non! C'est
+assez!... Puisqu'il en est ainsi, puisque l'heure est unique,
+j'irai seul, vieux, perclus, tremblant, aveugle, contre l'ennemi
+héréditaire!... Où est-il?...
+
+ [Tâtonnant de son bâton, il s'avance vers Tyltyl.]
+
+TYLTYL, [tirant son couteau de sa poche.]
+
+C'est à moi qu'il en a, ce vieux-là, avec son gros bâton?...
+
+ [Tous les autres Arbres, poussant un cri d'épouvante à la
+ vue du couteau, l'arme mystérieuse et irrésistible de
+ l'Homme, s'interposent et retiennent le Chêne.]
+
+LES ARBRES
+
+Le couteau!... Prenez garde!.... Le couteau!...
+
+LE CHÊNE, se débattant.
+
+Laissez-moi!... Que m'importe!... Le couteau ou la hache!... Qui
+me retient?... Quoi! vous êtes tous ici?... Quoi! vous tous vous
+voulez?... [Jetant son bâton] Eh bien, soit!... Honte à nous!...
+Que les Animaux nous délivrent!...
+
+LE TAUREAU
+
+C'est cela!... Je m'en charge!... Et d'un seul coup de corne!...
+
+LE BÅ’UF et LA VACHE, [le retenant par la queue.]
+
+De quoi te mêles-tu?...Ne fais pas de bêtises!... C'est une
+mauvaise affaire!... Cela finira mal.... C'est nous qui
+trinquerons.... Laisse donc.... C'est affaire aux Animaux
+sauvages....
+
+LE TAUREAU
+
+Non, non!... C'est mon affaire!... Attendez!... Mais retenez-moi
+donc ou je fais un malheur!...
+
+TYLTYL, [à Mytyl qui pousse des cris aigus.]
+
+N'aie pas peur!... Mets-toi derrière moi.... J'ai mon couteau....
+
+LE COQ
+
+C'est qu'il est crâne, le petit!...
+
+TYLTYL
+
+Alors, c'est décidé, c'est à moi qu'on en veut?...
+
+L'ÂNE
+
+Mais bien sûr, mon petit, tu y a mis le temps, à t'en
+apercevoir!...
+
+LE PORC
+
+Tu peux faire ta prière, va, c'est ta dernière heure. Mais ne
+cache pas la petite fille.... Je veux m'en régaler les yeux....
+C'est elle que je mangerai la première....
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que je vous ai fait?...
+
+LE MOUTON
+
+Rien du tout, mon petit.... Mangé mon petit frère, mes deux
+sœurs, mes trois oncles, ma tante, bon-papa, bonne-maman....
+Attends, attends, quand tu seras par terre, tu verras que j'ai
+des dents aussi....
+
+L'ÂNE
+
+Et que j'ai des sabots!...
+
+LE CHEVAL, [piaffant fièrement.]
+
+Vous allez voir ce que vous allez voir!... Aimez-vous mieux que
+je le déchire à belles dents ou que je vous l'abatte à coups de
+pied?... [Il s'avance magnifiquement sur Tyltyl qui lui fait face
+en levant son couteau. Tout à coup, le Cheval, pris de panique,
+tourne le dos et fuit à toutes jambes.] Ah! mais non!... Ce n'est
+pas juste!... Ce n'est pas de jeu!... Il se défend!...
+
+LE COQ, [ne pouvant cacher son admiration.]
+
+C'est égal, le petit n'a pas froid aux yeux!...
+
+LE PORC, [à l'Ours et au Loup.]
+
+Précipitons-nous tous ensemble.... Je vous soutiendrai par
+derrière.... Nous les renverserons et nous nous partagerons la
+petite fille quand elle sera par terre....
+
+LE LOUP
+
+Amusez-les par là.... Je vais faire un mouvement tournant....
+
+ [Il tourne Tyltyl qu'il attaque par derrière et renverse à demi.]
+
+TYLTYL
+
+Judas!... [Il se redresse sur un genou, brandissant son couteau
+et couvrant de son mieux sa petite sœur qui pousse des
+hurlements de détresse.--Le voyant à demi renversé, tous les
+Animaux et les Arbres se rapprochent et cherchent à lui porter
+des coups. L'obscurité se fait subitement. Éperdument, Tyltyl
+appelle à l'aide.] A moi! A moi!... Tylô! Tylô!... Où est la
+Chatte?... Tylô!... Tylette! Tylette!... Venez! venez!...
+
+LA CHATTE, [hypocritement, à l'écart.]
+
+Je ne peux pas.... Je viens de me fouler la patte....
+
+TYLTYL, [parant les coups et se défendant de son mieux.]
+
+A moi!... Tylô! Tylô!... Je ne peux plus!... Ils sont trop!...
+L'Ours! le Cochon! le Loup! l'Âne! le Sapin! le Hêtre!... Tylô!
+Tylô! Tylô!...
+
+ [Traînant ses liens brisés, le Chien bondit de derrière le
+ tronc du Chêne et, bousculant Arbres et Animaux, se jette
+ devant Tyltyl qu'il détend avec rage.]
+
+LE CHIEN, [tout en distribuant d'énormes coups de dent.]
+
+Voilà! voilà! mon petit dieu!... N'aie pas peur! Allons-y!...
+J'ai de bons coups de gueule!... Tiens, voilà pour toi, l'Ours,
+là dans ton gros derrière!...Voyons, qui en veut encore?... Voilà
+pour le Cochon, et ça pour le Cheval et la queue du Taureau!
+Voilà! j'ai déchiré la culotte du Hêtre et le jupon du Chêne!...
+Le Sapin f.... le camp!... C'est égal, il fait chaud!...
+
+TYLTYL, [accablé.]
+
+Je n'en peux plus!... Le Cyprès m'a donné un grand coup sur la
+tête....
+
+LE CHIEN
+
+Aïe! c'est un coup du Saule!... Il m'a cassé la patte!...
+
+TYLTYL
+
+Ils reviennent à la charge! Tous ensemble!... Cette fois, c'est
+le Loup!...
+
+LE CHIEN
+
+Attends, que je l'étrenne!...
+
+LE LOUP
+
+Imbécile!... Notre frère!... Ses parents ont noyé tes petits!...
+
+LE CHIEN
+
+Ils ont bien fait!... Tant mieux!... C'est qu'ils te
+ressemblaient!...
+
+TOUS LES ARBRES et TOUS LES ANIMAUX
+
+Renégat!... Idiot!... Traître! Félon! Nigaud!... Judas!...
+Laisse-le! C'est la mort! Viens à nous!
+
+LE CHIEN, [ivre d'ardeur et de dévouement.]
+
+Non! non!... Seul contre tous!... Non, non!... Fidèle aux dieux!
+aux meilleurs! aux plus grands!... [À Tyltyl.]Prends garde, voici
+l'Ours!... Méfie-toi du Taureau.... Je vais lui sauter à la
+gorge.... Aïe!... C'est un coup de pied.... L'Âne m'a cassé deux
+dents....
+
+TYLTYL
+
+Je ne peux plus, Tylô!... Aïe!... C'est un coup de l'Orme....
+Regarde, ma main saigne.... C'est le Loup ou le Porc....
+
+LE CHIEN
+
+Attends, mon petit dieu.... Laisse-moi t'embrasser. Là, un bon
+coup de langue.... Ça te fera du bien.... Reste bien derrière
+moi.... Ils n'osent plus approcher.... Si!... Les voilà qui
+reviennent!... Ah! ce coup, c'est sérieux!... Tenons ferme!...
+
+TYLTYL, [se laissant tomber sur le sol.]
+
+Non, ce n'est plus possible....
+
+LE CHIEN
+
+On vient!... J'entends, je flaire!...
+
+TYLTYL
+
+Où donc?... Qui donc?...
+
+LE CHIEN
+
+Là! là!... C'est la Lumière!... Elle nous a retrouvés!...
+Sauvés, mon petit roi!... Embrasse-moi!... Sauvés!... regarde!...
+Ils se méfient!... Ils s'écartent!... Ils ont peur!...
+
+TYLTYL
+
+La Lumière!... La Lumière!... Venez donc!... Hâtez-vous!... Ils
+se sont révoltés!... Ils sont tous contre nous!...
+
+ [Entre la Lumière: à mesure qu'elle s'avance, l'Aurore se
+ lève sur la forêt qui s'éclaire.]
+
+LA LUMIÈRE
+
+Qu'est-ce donc?... Qu'y a-t-il?...Mais, malheureux! tu ne savais
+donc pas!... Tourne le Diamant! Ils rentreront dans le Silence et
+dans l'Obscurité; et tu ne verras plus leurs sentiments....
+
+ [Tyltyl tourne le Diamant.--Aussitôt les âmes de tous les
+ Arbres se précipitent dans les troncs qui se referment.
+ --Les âmes des Animaux disparaissent également; et l'on
+ voit, au loin, brouter une Vache et un Mouton paisibles,
+ etc.--La Forêt redevient innocente. Étonné, Tyltyl regarde
+ autour de soi.]
+
+TYLTYL
+
+Où sont-ils?... Qu'avaient-ils?... Est-ce qu'ils étaient
+fous?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Mais non, ils sont toujours ainsi; mais on ne le sait pas parce
+qu'on ne le voit pas.... Je te l'avais bien dit: il est dangereux
+de les réveiller quand je ne suis pas là....
+
+TYLTYL, [essuyant son couteau.]
+
+C'est égal; sans le Chien et si je n'avais pas eu mon couteau....
+Je n'aurais jamais cru qu'ils fussent si méchants!...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Tu vois bien que l'Homme est tout seul contre tous, en ce
+monde....
+
+LE CHIEN
+
+Tu n'as pas trop de mal, mon petit dieu?...
+
+TYLTYL
+
+Rien de grave.... Quant à Mytyl, ils ne l'ont pas touchée....
+Mais toi, mon bon Tylô?... Tu as la bouche en sang, et ta patte
+est cassée?...
+
+LE CHIEN
+
+Pas la peine d'en parler.... Demain, il n'y paraîtra plus....
+Mais l'affaire était chaude!...
+
+LA CHATTE, [sortant d'un fourré en boitant.]
+
+Je crois bien!... Le Bœuf m'a donné un coup de corne dans le
+ventre.... On n'en voit pas la trace, mais il me fait bien
+mal.... Et le Chêne m'a cassé la patte....
+
+LE CHIEN
+
+J'aimerais bien savoir laquelle....
+
+MYTYL, caressant la Chatte.
+
+Ma pauvre Tylette, est-ce vrai?... Où donc te trouvais-tu?... Je
+ne t'ai pas aperçue....
+
+LA CHATTE, [hypocritement.]
+
+Petite mère, j'ai été blessée tout de suite, en attaquant le
+vilain Porc qui voulait te manger.... C'est alors que le Chêne
+m'a donné ce grand coup qui m'a étourdie....
+
+LE CHIEN, [à la Chatte, entre les dents.]
+
+Toi, tu sais, j'ai deux mots à te dire.... Tu ne perdras rien
+pour attendre!...
+
+LA CHATTE, [plaintivement, à Mytyl.]
+
+Petite mère, il m'insulte.... Il veut me faire du mal....
+
+MYTYL, [au Chien.]
+
+Veux-tu bien la laisser tranquille, vilaine bête....
+
+Ils sortent tous.
+
+RIDEAU
+
+
+
+
+ACTE QUATRIÈME
+
+
+
+
+SIXIÈME TABLEAU
+
+DEVANT LE RIDEAU
+
+ * * * * *
+
+ [Entrent Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Chien, le Chat, le
+ Pain, le Feu, le Sucre, l'Eau et le Lait.]
+
+LA LUMIÈRE
+
+J'ai reçu un petit mot de la Fée Bérylune qui m'apprend que
+l'Oiseau-Bleu se trouve probablement ici....
+
+TYLTYL
+
+Où ça?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ici, dans le cimetière qui est derrière ce mur.... Il paraît
+qu'un des morts de ce cimetière le cache dans la tombe.... Reste
+à savoir lequel.... Il faudra qu'on les passe en revue....
+
+TYLTYL
+
+En revue?... Comment qu'on fera?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+C'est bien simple: à minuit, pour ne pas trop les déranger, tu
+tourneras le Diamant. On les verra sortir de terre; ou bien on
+apercevra au fond de leurs tombes ceux qui ne sortent pas....
+
+TYLTYL
+
+Ils ne seront pas fâchés?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Nullement, ils ne s'en douteront même pas.... Ils n'aiment pas
+qu'on les dérange; mais comme de toutes façons ils ont coutume de
+sortir à minuit, cela ne les gênera pas....
+
+TYLTYL
+
+Pourquoi que le Pain, le Sucre et le Lait sont si pâles et
+pourquoi qu'ils ne disent rien?...
+
+LE LAIT, [chancelant.]
+
+Je sens que je vais tourner....
+
+LA LUMIÈRE, [bas, à Tyltyl.]
+
+Ne fais pas attention.... Ils ont peur des morts..
+
+LE FEU, [gambadant.]
+
+Moi, je n'en ai pas peur!... J'ai l'habitude de les brûler....
+Dans les temps, je les brûlais tous; c'était bien plus amusant
+qu'aujourd'hui....
+
+TYLTYL
+
+Et pourquoi Tylô tremble-t-il?... Est-ce qu'il a peur aussi?
+
+LE CHIEN, [claquant des dents.]
+
+Moi?... Je ne tremble pas!... Moi, je n'ai jamais peur; mais si
+tu t'en allais, je m'en irais aussi....
+
+TYLTYL
+
+Et la Chatte ne dit rien?...
+
+LA CHATTE, [mystérieuse.]
+
+Je sais ce que c'est....
+
+TYLTYL, [à la Lumière.]
+
+Tu viendras avec nous?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Non, il est préférable que je reste à la porte du cimetière avec
+les Choses et les Animaux.... L'heure n'est pas venue.... La
+Lumière ne peut pas encore pénétrer chez les morts.... Je vais te
+laisser seul avec Mytyl....
+
+TYLTYL
+
+Et Tylô ne peut pas rester avec-nous?...
+
+LE CHIEN
+
+Si, si, je reste, je reste ici.... Je veux rester près de mon
+petit dieu!...
+
+LA LUMIÈRE
+
+C'est impossible.... L'ordre de la Fée est formel; du reste, il
+n'y a rien à craindre....
+
+LE CHIEN
+
+Bien, bien, tant pis.... S'ils sont méchants, mon petit dieu, tu
+n'as qu'à faire comme ça [il siffle.] et tu verras.... Ce sera
+comme dans la forêt: Wa! Wa! Wa!...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Allons, adieu, mes chers petits.... Je ne serai pas loin....
+[Elle embrasse les enfants.] Ceux qui m'aiment et que j'aime me
+retrouvent toujours.... [Aux Choses et aux Animaux.] Vous
+autres.... par ici.
+
+ [Elle sort avec les Choses et les Animaux. Les enfants
+ restent seuls au milieu de la scène. Le rideau s'ouvre pour
+ découvrir le septième tableau.]
+
+
+
+
+
+SEPTIÈME TABLEAU
+
+LE CIMETIÈRE
+
+
+Il fait nuit. Clair de lune. Un cimetière de campagne.
+Nombreuses tombes, tertres de gazon, croix de bois,
+dalles funéraires, etc.
+
+ * * * * *
+
+ [Tyltyl et Mytyl sont debout près d'un cippe.]
+
+MYTYL
+
+J'ai peur.
+
+TYLTYL, [assez peu rassuré.]
+
+Moi, je n'ai jamais peur....
+
+MYTYL
+
+C'est méchant, les morts, dis?..
+
+TYLTYL
+
+Mais non, puisqu'ils ne vivent pas....
+
+MYTYL
+
+Tu en as déjà vu?...
+
+TYLTYL
+
+Oui, une fois, dans le temps, lorsque j'étais très jeune....
+
+MYTYL
+
+Comment c'est fait, dis?...
+
+TYLTYL
+
+C'est tout blanc, très tranquille et très froid, et ça ne parle
+pas....
+
+MYTYL
+
+Nous allons les voir, dis?...
+
+TYLTYL
+
+Bien sûr, puisque la Lumière l'a promis....
+
+MYTYL
+
+Où c'est qu'ils sont, les morts?...
+
+TYLTYL
+
+Ici, sous le gazon ou sous ces grosses pierres.
+
+MYTYL
+
+Ils sont là toute l'année?...
+
+TYLTYL
+
+Oui.
+
+MYTYL, [montrant les dalles.]
+
+C'est les portes de leurs maisons?...
+
+TYLTYL
+
+Oui.
+
+MYTYL
+
+Est-ce qu'ils sortent quand il fait beau?...
+
+TYLTYL
+
+Ils ne peuvent sortir qu'à la nuit....
+
+MYTYL
+
+Pourquoi?...
+
+TYLTYL
+
+Parce qu'ils sont en chemise....
+
+MYTYL
+
+Est-ce qu'ils sortent aussi quand il pleut?.
+
+TYLTYL
+
+Quand il pleut, ils restent chez eux....
+
+MYTYL
+
+C'est beau chez eux, dis?...
+
+TYLTYL
+
+On dit que c'est fort étroit....
+
+MYTYL
+
+Est-ce qu'ils ont des petits enfants?...
+
+TYLTYL
+
+Bien sûr; ils ont tous ceux qui meurent....
+
+MYTYL
+
+Et de quoi vivent-ils?...
+
+TYLTYL
+
+Ils mangent des racines....
+
+MYTYL
+
+Est-ce que nous les verrons?...
+
+TYLTYL
+
+Bien sûr, puisqu'on voit tout quand le Diamant est tourné.
+
+MYTYL
+
+Et qu'est-ce qu'ils diront?...
+
+TYLTYL
+
+Ils ne diront rien, puisqu'ils ne parlent pas....
+
+MYTYL
+
+Pourquoi qu'ils ne parlent pas?...
+
+TYLTYL
+
+Parce qu'ils n'ont rien à dire....
+
+MYTYL
+
+Pourquoi qu'ils n'ont rien à dire?...
+
+TYLTYL
+
+Tu m'embêtes....
+
+ [Un silence.]
+
+MYTYL
+
+Quand tourneras-tu le Diamant?...
+
+TYLTYL
+
+Tu sais bien que la Lumière a dit d'attendre à minuit, parce
+qu'alors on les dérange moins....
+
+MYTYL
+
+Pourquoi qu'on les dérange moins?...
+
+TYLTYL
+
+Parce que c'est l'heure où ils sortent prendre l'air.
+
+MYTYL
+
+Il n'est pas minuit?...
+
+TYLTYL
+
+Vois-tu le cadran de l'église?...
+
+MYTYL
+
+Oui, je vois même la petite aiguille....
+
+TYLTYL
+
+Et bien! minuit va sonner.... Là!... Tout juste....
+Entends-tu?...
+
+On entend sonner les douze coups de minuit.
+
+MYTYL
+
+Je veux m'en aller!...
+
+TYLTYL
+
+Ce n'est pas le moment.... Je vais tourner le Diamant....
+
+MYTYL
+
+Non, non!... Ne le fais pas!... Je veux m'en aller!... J'ai si
+peur, petit frère!... J'ai terriblement peur!...
+
+TYLTYL
+
+Mais il n'y a pas de danger....
+
+MYTYL
+
+Je ne veux pas voir les morts!... Je ne veux pas les voir!...
+
+TYLTYL
+
+C'est bon, tu ne les verras pas, tu fermeras les yeux....
+
+MYTYL, [s'accrochant aux vêtements de Tyltyl.]
+
+Tyltyl, je ne peux pas!... Non, ce n'est pas possible!... Ils
+vont sortir de terre!...
+
+TYLTYL
+
+Ne tremble pas ainsi.... Ils ne sortiront qu'un moment....
+
+MYTYL
+
+Mais tu trembles aussi, toi!... Ils seront effrayants!...
+
+TYLTYL
+
+Il est temps, l'heure passe....
+
+ [Tyltyl tourne le Diamant. Une terrifiante minute de silence
+ et d'immobilité; après quoi, lentement, les croix
+ chancellent, les tertres s'entr'ouvrent, les dalles se
+ soulèvent.]
+
+MYTYL, [se blottissant contre Tyltyl.]
+
+Ils sortent!... Ils sont là!...
+
+ [Alors, de toutes les tombes béantes monte graduellement une
+ floraison d'abord grêle et timide comme une vapeur d'eau,
+ puis blanche et virginale et de plus en plus touffue, de
+ plus en plus haute, surabondante et merveilleuse, qui peu à
+ peu, irrésistiblement, envahissant toutes choses, transforme
+ le cimetière en une sorte de jardin féerique et nuptial, sur
+ lequel ne tardent pas à se lever les premiers rayons de
+ l'aube. La rosée scintille, les fleurs s'épanouissent, le
+ vent murmure dans les feuilles, les abeilles bourdonnent,
+ les oiseaux s'éveillent et inondent l'espace des premières
+ ivresses de leurs hymnes au soleil et à la vie. Stupéfaits,
+ éblouis, Tyltyl et Mytyl, se tenant par la main, font
+ quelques pas parmi les fleurs en cherchant la trace des
+ tombes.]
+
+MYTYL, [cherchant dans le gazon.]
+
+Où sont-ils, les morts?...
+
+TYLTYL, [cherchant de même.]
+
+Il n'y a pas de morts....
+
+
+RIDEAU
+
+
+
+
+HUITIÈME TABLEAU
+
+DEVANT LE RIDEAU QUI REPRÉSENTE DE BEAUX NUAGES
+
+
+ Entrent: Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Chien, la Chatte, le
+ Pain, le Feu, le Sucre, l'Eau et le Lait.
+
+ * * * * *
+
+LA LUMIÈRE
+
+Je crois que cette fois nous tenons L'Oiseau-Bleu. J'aurais dû y
+penser dès la première étape.... Ce n'est que ce matin, en
+reprenant mes forces dans l'aurore, que l'idée m'est venue comme
+un rayon du ciel.... Nous sommes à l'entrée des jardins enchantés
+où se trouvent réunis sous la garde du Destin, toutes les Joies,
+tous les Bonheurs des Hommes....
+
+TYLTYL
+
+Il y en a beaucoup? Est-ce qu'on en aura? Est-ce qu'ils sont
+petits?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Il en est de petits et de grands, de gros et de délicats, de très
+beaux et d'autres qui sont moins agréables.... Mais les plus
+vilains furent, il y a quelque temps, expulsés des jardins et
+cherchèrent refuge chez les Malheurs. Car il faut remarquer que
+les Malheurs habitent un autre contigu, qui communique avec le
+jardin des Bonheurs et n'en est séparé que par une sorte de
+vapeur ou de rideau subtil que le vent qui souffle des hauteurs
+de la Justice ou du fond de l'Éternité soulève à chaque
+instant.... Maintenant, il s'agit de s'organiser et de prendre
+certaines précautions. En général, les Bonheurs sont fort bons,
+pourtant il en est quelques-uns qui sont plus dangereux et plus
+perfides que les plus grands Malheurs....
+
+LE PAIN
+
+J'ai une idée! S'ils sont dangereux et perfides, ne serait-il
+pas préférable que nous attendissions tous à la porte, afin
+d'être à même de prêter main-forte aux enfants s'ils étaient
+obligés de fuir?...
+
+LE CHIEN
+
+Pas du tout! pas du tout!... Je veux aller partout avec mes
+petits dieux!... Que tous ceux qui ont peur restent donc à la
+porte!... Nous n'avons pas besoin [Regardant le Pain]. de
+poltrons, [Regardant la Chatte] ni de traîtres....
+
+LE FEU
+
+Moi, j'y vais!... Il paraît que c'est amusant!... On y danse tout
+le temps....
+
+LE PAIN
+
+Est-ce qu'on y mange aussi?...
+
+L'EAU, [gémissant.]
+
+Je n'ai jamais connu le plus petit Bonheur!... Je veux en voir
+enfin!...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Taisez-vous! Personne ne demande vos avis.... Voici ce que j'ai
+décidé: le Chien, le Pain et le Sucre accompagneront les enfants.
+L'Eau n'entrera pas, parce qu'elle est trop froide, ni le Feu qui
+est trop turbulent. J'engage vivement le Lait à rester à la
+porte, parce qu'il est trop impressionnable; quant à la Chatte,
+elle fera comme elle voudra....
+
+LE CHIEN
+
+Elle a peur!...
+
+LA CHATTE
+
+J'irai saluer en passant quelques Malheurs qui sont de vieux amis
+et habitent à côté des Bonheurs....
+
+TYLTYL
+
+Et toi, la Lumière, est-ce que tu ne viens pas?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Je ne peux pas entrer ainsi chez les Bonheurs; la plupart ne me
+supportent pas.... Mais j'ai ici le voile épais dont je me
+couvre quand je visite les gens heureux.... [Elle déplie un long
+voile dont elle s'enveloppe soigneusement.] Il ne faut pas qu'un
+rayon de mon âme les effraye, car il est beaucoup de Bonheurs qui
+ont peur et ne sont pas heureux.... Voilà, de cette façon, les
+moins jolis et les plus gros eux-mêmes n'auront plus rien à
+redouter....
+
+ [Le rideau s'ouvre pour découvrir le neuvième tableau.]
+
+
+
+
+NEUVIÈME TABLEAU
+
+LES JARDINS DES BONHEURS
+
+
+Quand s'ouvre le rideau, on découvre, prise sur les premiers
+plans des jardins, une sorte de salle formée de hautes colonnes
+de marbre entre lesquelles, masquant tout le fond, sont tendues
+de lourdes draperies de pourpre que soutiennent des cordages
+d'or. Architecture rappelant les moments les plus sensuels et les
+plus somptueux de la Renaissance (vénitienne ou flamande Véronèse
+et Rubens). Guirlandes, cornes d'abondance, torsades, vases,
+statues, dorures prodigués de toutes parts.--Au milieu, massive
+et féerique table de jaspe et de vermeil, encombrée de flambeaux,
+de cristaux, de vaisselle d'or et d'argent et surchargée de mets
+fabuleux.--Autour de la table, mangent, boivent, hurlent,
+chantent, s'agitent, se vautrent ou s'endorment parmi les
+venaisons, les fruits miraculeux, les aiguières et les amphores
+renversées, les plus gros Bonheurs de la terre. Ils sont énormes,
+invraisemblablement obèses et rubiconds, couverts de velours et
+de brocarts, couronnés d'or, de perles et de pierreries. De
+belles esclaves apportent, sans cesse des plats empanachés et des
+breuvages écumiants.--Musique vulgaire, hilare et brutale où
+dominent les cuivres.--Une lumière lourde et rouge baigne la
+scène.
+
+ * * * * *
+
+ [Tyltyl, Mytyl, le Chien, le Pain et le Sucre, d'abord assez
+ intimidés, se pressent, à droite, au premier plan, autour de
+ la Lumière. La Chatte, sans rien dire, se dirige vers le
+ fond, également à droite, soulève un rideau sombre et
+ disparaît.]
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que ces gros messieurs qui s'amusent et mangent tant de
+bonnes choses?
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ce sont les plus gros Bonheurs de la Terre, ceux qu'on peut voir
+à l'œil nu. Il est possible, bien qu'assez peu probable, que
+l'Oiseau-Bleu se soit un instant égaré parmi eux. C'est pourquoi
+ne tourne pas encore le Diamant. Nous allons, pour la forme,
+explorer tout 'd'abord cette partie de la salle.
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'on peut s'approcher?
+
+LA LUMIÈRE
+
+Certainement. Ils ne sont pas méchants, bien que vulgaires et,
+d'habitude, assez mal élevés.
+
+MYTYL
+
+Qu'ils ont de beaux gâteaux!...
+
+LE CHIEN
+
+Et du gibier! et des saucisses! et des gigots d'agneau et du foie
+de veau!... [Proclamant.] Rien au monde n'est meilleur, rien
+n'est plus beau et rien ne vaut le foie de veau!...
+
+LE PAIN
+
+Excepté les Pains-de-quatre-livres pétris de fine fleur de
+froment! Ils en ont d'admirables!... Qu'ils sont beaux! qu'ils
+sont beaux!... Ils sont plus gros que moi!...
+
+LE SUCRE
+
+Pardon, pardon, mille pardons.... Permettez, permettez.... Je ne
+voudrais froisser personne; mais n'oubliez-vous pas les Sucreries
+qui sont la gloire de cette table et dont l'éclat et la
+magnificence surpassent, si j'ose m'exprimer ainsi, tout ce qu'il
+y a dans cette salle et peut-être en tout autre lieu....
+
+TYLTYL
+
+Qu'ils ont l'air contents et heureux!... Et ils crient! et ils
+rient! et ils chantent!... Je crois qu'ils nous ont vus....
+
+ [En effet, une douzaine des plus Gros Bonheurs se sont levés
+ de table et s'avancent péniblement, en soutenant leur
+ ventre, vers le groupe des enfants.]
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ne crains rien, ils sont très accueillants.... Ils vont
+probablement t'inviter à dîner.... N'accepte pas, n'accepte rien,
+de peur d'oublier ta mission....
+
+TYLTYL
+
+Quoi? Pas même un petit gâteau? Ils ont l'air si bons, si frais,
+si bien glacés de sucre, ornés de fruits confits et débordants de
+crème!...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ils sont dangereux et briseraient ta volonté. Il faut savoir
+sacrifier quelque chose au devoir qu'on remplit. Refuse poliment
+mais avec fermeté. Les voici....
+
+LE PLUS GROS DES BONHEURS, [tendant la main à Tyltyl.]
+
+Bonjour, Tyltyl!...
+
+TYLTYL, [étonné.]
+
+Vous me connaissez donc?... Qui êtes-vous?...
+
+LE GROS BONHEUR
+
+Je suis le plus gros des Bonheurs, le Bonheur-d'être-riche, et je
+viens, au nom de mes frères, vous prier, vous et votre famille,
+d'honorer de votre présence notre repas sans fin. Vous vous
+trouverez au milieu de tout ce qu'il y a de mieux parmi les vrais
+et gros Bonheurs de de cette Terre. Permettez que je vous
+présente les principaux d'entre eux. Voici mon gendre, le
+Bonheur-d'être-propriétaire, qui a le ventre en poire. Voici le
+Bonheur-de-la-vanité-satisfaite, dont le visage est si
+gracieusement bouffi. [Le Bonheur-de-la-vanité-satisfaite salue
+d'un air protecteur.] Voici le
+Bonheur-de-boire-quand-on-n'a-plus-soif et le
+Bonheur-de-manger-quand-on-n'a-plus-faim, qui sont jumeaux et
+ont les jambes en macaroni. [Ils saluent en chancelant.] Voici le
+Bonheur-de-ne-rien-savoir, qui est sourd comme une limande, et le
+Bonheur-de-ne-rien-comprendre, qui est aveugle comme une taupe.
+Voici le Bonheur-de-ne-rien-faire et le
+Bonheur-de-dormir-plus-qu'il-n'est-nécessaire, qui ont les mains
+en mie de pain et les yeux en gelée de pêche. Voici enfin le
+Rire-Épais qui est fendu jusqu'aux oreilles et auquel rien ne
+peut résister....
+
+ [Le Rire-Épais salue en se tordant.]
+
+TYLTYL, [montrant du doigt un Gros Bonheur qui se tient un peu à
+l'écart.]
+
+Et celui-là, qui n'ose pas approcher et nous tourne le dos?...
+
+LE GROS BONHEUR
+
+N'insistez pas, il est un peu gêné et n'est pas présentable à des
+enfants.... [Saisissant les mains de Tyltyl.] Mais venez donc! On
+recommence le festin.... C'est la douzième fois depuis l'aurore.
+On n'attend plus que vous.... Entendez-vous tous les convives qui
+vous réclament à grands cris?... Je ne puis vous les présenter
+tous, ils sont extrêmement nombreux.... [Offrant le bras aux deux
+enfants.] Permettez que je vous conduise aux deux places
+d'honneur....
+
+TYLTYL
+
+Je vous remercie bien, monsieur le Gros Bonheur.... Je regrette
+vivement.... Je ne peux pas pour le moment.... Nous sommes très
+pressés, nous cherchons l'Oiseau-Bleu. Vous ne sauriez pas, par
+hasard, où il se cache?
+
+LE GROS BONHEUR
+
+L'Oiseau-Bleu?... Attendez donc.... Oui, oui, je me rappelle....
+On m'en a parlé dans le temps.... C'est, je crois, un oiseau qui
+n'est pas comestible.... En tout cas, il n'a jamais paru sur
+notre table.... C'est vous dire qu'on le tient en médiocre
+estime.... Mais ne vous mettez pas en peine; nous avons tant
+d'autres choses bien meilleures.... Vous allez vous mêler à notre
+vie, vous verrez tout ce que nous faisons....
+
+TYLTYL
+
+Que faites-vous?
+
+LE GROS BONHEUR
+
+Mais nous nous occupons sans cesse à ne rien faire.... Nous
+n'avons pas une minute de repos.... Il faut boire, il faut
+manger, il faut dormir. C'est extrêmement absorbant....
+
+TYLTYL
+
+Est-ce que c'est amusant?
+
+LE GROS BONHEUR
+
+Mais oui.... Il le faut bien, il n'y a pas autre chose sur cette
+Terre....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Croyez-vous?...
+
+LE GROS BONHEUR, [indiquant du doigt la Lumière, bas, à Tyltyl.]
+
+Quelle est cette jeune personne mal élevée?...
+
+ [Durant toute la conversation précédente, une foule de Gros
+ Bonheurs de second ordre s'est occupée du Chien, du Sucre et
+ du Pain, et les a entraînés vers l'orgie. Tyltyl aperçoit
+ soudain ces derniers qui, attablés fraternellement avec
+ leurs hôtes, mangent, boivent et se trémoussent follement.]
+
+TYLTYL
+
+Voyez donc, la Lumière!... Ils sont à table!...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Rappelle-les! sinon cela finira mal!...
+
+TYLTYL
+
+Tylô!...Tylô! ici!... Veux-tu venir ici, tout de suite,
+entends-tu!... Et vous, là-bas, le Sucre et le Pain, qui donc
+vous a permis de me quitter?... Qu'est-ce que vous faites là,
+sans autorisation?...
+
+LE PAIN, [la bouche pleine.]
+
+Est-ce que tu ne pourrais pas nous parler plus poliment?...
+
+TYLTYL
+
+Quoi? C'est le Pain qui se permet de me tutoyer?... Mais
+qu'est-ce qui te prend?... Et toi, Tylô!... Est-ce ainsi qu'on
+obéit? Allons, viens ici, à genoux, à genoux!... Et plus vite que
+ça!...
+
+LE CHIEN, [à mi-voix et du bout de la table.]
+
+Moi, quand je mange, je n'y suis pour personne et je n'entends
+plus rien....
+
+LE SUCRE, [mielleusement.]
+
+Excusez-nous, nous ne saurions quitter ainsi, sans les froisser,
+d'aussi aimables hôtes....
+
+LE GROS BONHEUR
+
+Vous voyez!... Ils vous donnent l'exemple.... Venez, on vous
+attend.... Nous n'admettons pas de refus.... On vous fera une
+douce violence.... Allons, les Gros Bonheurs, aidez-moi!...
+Poussons-les de force vers la table, pour qu'ils soient heureux
+malgré eux!...
+
+ [Tous les Gros Bonheurs, avec des cris de joie et gambadant
+ de leur mieux, entraînent les enfants qui se débattent,
+ tandis que le Rire-Épais saisit vigoureusement la Lumière
+ par la taille.]
+
+LA LUMIÈRE
+
+Tourne le Diamant, il est temps!...
+
+ [Tyltyl fait ce qu'ordonne la Lumière. Aussitôt la scène
+ s'illumine d'une clarté ineffablement pure, divinement
+ rosée, harmonieuse et légère. Les lourds ornements du
+ premier plan, les épaisses tentures rouges se détachent et
+ disparaissent, dévoilant un fabuleux et doux jardin de paix
+ légère et de sérénité, une sorte de palais de verdure aux
+ perspectives harmonieuses, où la magnificence des
+ feuillages, puissants et lumineux, exubérants et néanmoins
+ disciplinés, où l'ivresse virginale des fleurs et la fraîche
+ allégresse des eaux qui coulent, ruissellent et jaillissent
+ de toutes parts semblent entraîner jusqu'aux confins de
+ l'horizon l'idée même de la félicité. La table de l'orgie
+ s'effondre sans laisser de traces; les velours, les
+ brocarts, les couronnes des Gros Bonheurs, au souffle
+ lumineux qui envahit la scène, se soulèvent, se déchirent et
+ tombent, en même temps que les masques hilares, aux pieds
+ des convives abasourdis. Ceux-ci se dégonflent à vue
+ d'œil, comme des vessies crevées, s'entre-regardent,
+ clignotent sous les rayons inconnus qui les blessent, et, se
+ voyant enfin tels qu'ils sont en vérité, c'est-à-dire nus,
+ hideux, flasques et lamentables, se mettent à pousser des
+ hurlements de honte et d'épouvante, parmi lesquels on
+ distingue très nettement ceux du Rire-Épais qui dominent
+ tous les autres. Seul le Bonheur-de-ne-rien-comprendre
+ demeure parfaitement calme, tandis que ses collègues
+ s'agitent éperdument, cherchent à fuir, à se cacher dans les
+ coins qu'ils espèrent plus sombres. Mais il n'y a plus
+ d'ombre dans le jardin éblouissant. Aussi la plupart se
+ décident-ils à franchir, en désespoir de cause, le rideau
+ menaçant qui, sur là droite, dans un angle, ferme la voûte
+ de la caverne des Malheurs. A chaque fois que l'un d'eux,
+ dans la panique, soulève un pan de ce rideau, on entend
+ s'élever du creux de l'antre une tempête d'injures,
+ d'imprécations et de malédictions. Quant au Chien, au Pain
+ et au Sucre, l'oreille basse, ils rejoignent le groupe des
+ enfants, et, très penauds, se dissimulent derrière eux.]
+
+TYLTYL, [regardant fuir les Gros Bonheurs.]
+
+Dieu qu'ils sont laids!... Où vont-ils?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ma foi, je crois qu'ils ont perdu la tête.... Ils vont se
+réfugier chez les Malheurs où je crains fort qu'on ne les
+retienne définitivement....
+
+TYLTYL, [regardant autour de soi, émerveillé.]
+
+Oh! le beau jardin, le beau jardin!... Où sommes-nous?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Nous n'avons pas changé de place; ce sont tes yeux qui ont changé
+de sphère.... Nous voyons à présent la vérité des choses; et nous
+allons apercevoir l'âme des Bonheurs qui supportent la clarté du
+Diamant.
+
+TYLTYL
+
+Que c'est beau!... Qu'il fait beau!... On se croirait en plein
+été.... Tiens! on dirait qu'on s'approche et qu'on va s'occuper
+de nous....
+
+ [En effet, les jardins commencent à se peupler de formes
+ angéliques qui semblent sortir d'un long sommeil et glissent
+ harmonieusement entre les arbres. Elles sont vêtues de robes
+ lumineuses, aux subtiles et suaves nuances: réveil de rose,
+ sourire d'eau, azur d'aurore, rosée d'ambre, etc.... ]
+
+LA LUMIÈRE
+
+Voici que s'avancent quelques Bonheurs aimables et curieux qui
+vont nous renseigner....
+
+TYLTYL
+
+Tu les connais?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Oui, je les connais tous; je viens souvent chez eux, sans qu'ils
+sachent qui je suis....
+
+TYLTYL
+
+Il y en a, il y en a!... Ils sortent de tous côtés!...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Il y en avait beaucoup plus dans le temps. Les Gros Bonheurs leur
+ont fait bien du tort.
+
+TYLTYL
+
+C'est égal, il en reste pas mal....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Tu en verras bien d'autres, à mesure que l'influence du Diamant
+se répandra parmi les jardins.... On trouve sur la Terre beaucoup
+plus de Bonheurs qu'on ne croit; mais la plupart des Hommes ne
+les découvrent point....
+
+TYLTYL
+
+En voici de petits qui s'avancent, courons à leur rencontre....
+
+LA LUMIÈRE
+
+C'est inutile; ceux qui nous intéressent passeront par ici. Nous
+n'avons pas le temps de faire la connaissance de tous les
+autres....
+
+ [Une bande de Petits Bonheurs, gambadant et riant aux éclats,
+ accourt du fond des verdures et danse une ronde autour des
+ enfants.]
+
+TYLTYL
+
+Qu'ils sont jolis, jolis!... D'où viennent-ils, qui sont-ils?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ce sont les Bonheurs des enfants....
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'on peut leur parler?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+C'est inutile. Ils chantent, ils dansent, ils rient, mais ils ne
+parlent pas encore....
+
+TYLTYL, frétillant.
+
+Bonjour! Bonjour!... Oh! le gros, là, qui rit!... Qu'ils ont de
+belles joues, qu'ils ont de belles robes!... Ils sont tous riches
+ici?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Mais non, ici comme partout, il y a bien plus de pauvres que de
+riches....
+
+TYLTYL
+
+Où sont les pauvres?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+On ne peut pas les distinguer.... Le Bonheur d'un enfant est
+toujours revêtu de ce qu'il y a de plus beau sur terre et dans
+les cieux.
+
+TYLTYL, [ne tenant plus en place.]
+
+Je voudrais danser avec eux....
+
+LA LUMIÈRE
+
+C'est absolument impossible, nous n'avons pas le temps.... Je
+vois qu'ils n'ont pas l'Oiseau-Bleu.... Du reste, ils sont
+pressés, tu vois, ils sont déjà passés.... Eux non plus n'ont pas
+de temps à perdre, car l'enfance est très brève....
+
+ [Une autre bande de Bonheurs, un peu plus grands que les
+ précédents, se précipite dans le jardin, et chantant à
+ tue-tête: «Les voilà! les voilà! Ils nous voient! Ils nous
+ voient!...» danse autour des enfants une joyeuse farandole,
+ à la fin de laquelle, celui qui paraît être le chef de la
+ petite troupe s'avance vers Tyltyl en lui tendant la main.]
+
+LE BONHEUR
+
+Bonjour, Tyltyl!...
+
+TYLTYL
+
+Encore un qui me connaît!... [A la Lumière.] On commence à me
+connaître un peu partout.... Qui es-tu?...
+
+LE BONHEUR
+
+Tu ne me reconnais pas?... Je parie que tu ne reconnais aucun de
+ceux qui sont ici?...
+
+TYLTYL, [assez embarrassé.]
+
+Mais non.... Je ne sais pas.... Je ne me rappelle pas vous avoir
+vus....
+
+LE BONHEUR
+
+Vous entendez?... J'en étais sûr!... Il ne nous a jamais vus!...
+[Tous les autres Bonheurs de la bande éclatent de rire.] Mais,
+mon petit Tyltyl, tu ne connais que nous!... Nous sommes toujours
+autour de toi!... Nous mangeons, nous buvons, nous nous
+éveillons, nous respirons, nous vivons avec toi!...
+
+TYLTYL
+
+Oui, oui, parfaitement, je sais, je me rappelle.... Mais je
+voudrais savoir comment on vous appelle....
+
+LE BONHEUR
+
+Je vois bien que tu ne sais rien.... Je suis le chef des
+Bonheurs-de-ta-maison; et tous ceux-ci sont les autres Bonheurs
+qui l'habitent....
+
+TYLTYL
+
+Il y a donc des Bonheurs à la maison?...
+
+ [Tous les Bonheurs éclatent de rire.]
+
+LE BONHEUR
+
+Vous l'avez entendu!... S'il y a des Bonheurs dans ta maison!...
+Mais, petit malheureux, elle en est pleine à faire sauter les
+portes et les fenêtres!... Nous rions, nous chantons, nous créons
+de la joie à refouler les murs, à soulever les toits; mais nous
+avons beau faire, tu ne vois rien, tu n'entends rien.... J'espère
+qu'à l'avenir tu seras un peu plus raisonnable.... En attendant,
+tu vas serrer la main aux plus notables.... Une fois rentré chez
+toi, tu les reconnaîtras ainsi plus facilement.... Et puis, à la
+fin d'un beau jour, tu sauras les encourager d'un sourire, les
+remercier d'un mot aimable, car ils font vraiment tout ce qu'ils
+peuvent pour te rendre la vie légère et délicieuse.... Moi
+d'abord, ton serviteur, le Bonheur-de-se-bien-porter.... Je ne
+suis pas le plus joli, mais le plus sérieux. Tu me
+reconnaîtras?... Voici le Bonheur-de-l'air-pur, qui est à peu
+près transparent.... Voici le Bonheur-d'aimer-ses-parents, qui
+est vêtu de gris et toujours un peu triste, parce qu'on ne le
+regarde jamais.... Voici le Bonheur-du-ciel-bleu, qui est
+naturellement vêtu de bleu; et le Bonheur-de-la-forêt qui, non
+moins naturellement, est habillé de vert, et que tu reverras
+chaque fois que tu te mettras à la fenêtre.... Voici encore le
+bon Bonheur-des-heures-de soleil qui est couleur de diamant, et
+celui du-Printemps qui est d'émeraude folle....
+
+TYLTYL
+
+Et vous êtes aussi beaux tous les jours?...
+
+LE BONHEUR
+
+Mais oui, c'est tous les jours dimanche, dans toutes les maisons,
+quand on ouvre les yeux.... Et puis, quand vient le soir, voici
+le Bonheur-des-couchers-de-soleil, qui est plus beau que tous les
+rois du monde; et que suit le
+Bonheur-devoir-se-lever-les-étoiles, doré comme un dieu
+d'autrefois.... Puis, quand il fait mauvais, voici le
+Bonheur-de-la-pluie qui est couvert de perles, et le
+Bonheur-du-feu-d'hiver qui ouvre aux mains gelées son beau
+manteau de pourpre.... Et je ne parle pas du meilleur de tous,
+parce qu'il est presque frère des grandes Joies limpides que vous
+verrez bientôt, et qui est le Bonheur-des-pensées-innocentes, le
+plus clair d'entre nous.... Et puis, voici encore.... Mais
+vraiment, ils sont trop!... Nous n'en finirions pas, et je dois
+prévenir d'abord les Grandes-Joies qui sont là-haut, au fond,
+près des portes du ciel, et ne savent pas encore que vous êtes
+arrivés.... Je vais leur dépêcher le
+Bonheur-de-courir-nu-pieds-dans-la-rosée, qui est le plus
+agile.... [Au Bonheur qu'il vient de nommer et qui s'avance en
+faisant des cabrioles.] Va!...
+
+ [A ce moment, une sorte de diablotin en maillot noir,
+ bousculant tout le monde en poussant des cris inarticulés,
+ s'approche de Tyltyl, et gambade follement en l'accablant de
+ nasardes, taloches et coups de pied insaisissables.]
+
+TYLTYL, [ahuri et profondément indigné.]
+
+Qu'est-ce que c'est que ce sauvage?
+
+LE BONHEUR
+
+Bon! c'est encore le Plaisir-d'être-insupportable qui s'est
+échappé de la caverne des Malheurs. On ne sait où l'enfermer. Il
+s'évade de partout, et les Malheurs eux-mêmes ne veulent plus le
+garder.
+
+ [Le diablotin continue de lutiner Tyltyl qui essaye
+ vainement de se défendre, puis, soudain, riant aux éclats,
+ disparaît sans raison, comme il était venu.]
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce qu'il a? Il est un peu fou?
+
+LA LUMIÈRE
+
+Je ne sais. Il paraît que c'est ainsi que tu es toi-même lorsque
+tu n'es pas sage. Mais en attendant, il faudrait s'informer de
+l'Oiseau-Bleu. Il se peut que le chef des Bonheurs-de-ta-maison
+n'ignore pas où il se trouve....
+
+TYLTYL
+
+Où est-il?...
+
+LE BONHEUR
+
+Il ne sait pas où se trouve l'Oiseau-Bleu!...
+
+ [Tous les Bonheurs-de-la-maison éclatent de rire.]
+
+TYLTYL, [vexé.]
+
+Mais non, je ne sais pas.... Il n'y a pas de quoi rire....
+
+ [Nouveaux éclats de rires.]
+
+LE BONHEUR
+
+Voyons, ne te fâche pas.... et puis, soyons sérieux.... Il ne
+sait pas, que voulez-vous, il n'est pas plus ridicule que la
+plupart des Hommes.... Mais voici que le petit
+Bonheur-de-courir-nu-pieds-dans-la-rosée a prévenu les
+Grandes-Joies qui s'avancent vers nous....
+
+ [En effet, les hautes et belles figures angéliques, vêtues
+ de robes lumineuses, s'approchent lentement.]
+
+TYLTYL
+
+Qu'elles sont belles!... Pourquoi ne rient-elles pas?... Ne
+sont-elles pas heureuses?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ce n'est pas quand on rit qu'on est le plus heureux....
+
+TYLTYL
+
+Qui sont-elles?...
+
+LE BONHEUR
+
+Ce sont les Grandes-Joies....
+
+TYLTYL
+
+Tu sais leurs noms?...
+
+LE BONHEUR
+
+Naturellement, nous jouons souvent avec elles.... Voici d'abord:
+devant les autres, la Grande-Joie-d'être-juste, qui sourit chaque
+fois qu'une injustice est réparée,--je suis trop jeune, je ne
+l'ai pas encore vu sourire. Derrière elle, c'est la
+Joie-d'être-bonne, qui est la plus heureuse, mais la plus triste;
+et qu'on a bien du mal à empêcher d'aller chez les Malheurs
+qu'elle voudrait consoler. A droite, c'est la
+Joie-du-travail-accompli à côté de la Joie-de-penser. Ensuite,
+c'est la Joie-de-comprendre qui cherche toujours son frère, le
+Bonheur-de-ne-rien-comprendre....
+
+TYLTYL
+
+Mais je l'ai vu, son frère!... Il est allé chez les Malheurs avec
+les Gros Bonheurs....
+
+LE BONHEUR
+
+J'en étais sûr!... Il a mal tourné, de mauvaises fréquentations
+l'ont entièrement perverti.... Mais n'en parle pas à sa sœur.
+Elle voudrait aller le chercher et nous y perdrions une des plus
+belles joies.... Voici encore, parmi les plus grandes, la
+Joie-de-voir-ce-qui-est-beau, qui ajoute chaque jour quelques
+rayons à la lumière qui règne ici....
+
+TYLTYL
+
+Et là, au loin, au loin, dans les nuages d'or, celle que j'ai
+peine à voir en me dressant tant que je peux sur la pointe des
+pieds?...
+
+LE BONHEUR
+
+C'est la grande Joie-d'aimer.... Mais tu auras beau faire, tu es
+bien trop petit pour la voir tout entière....
+
+TYLTYL
+
+Et là-bas, tout au fond, celles qui sont voilées et ne
+s'approchent pas?...
+
+LE BONHEUR
+
+Ce sont celles que les Hommes ne connaissent pas encore....
+
+TYLTYL
+
+Que nous veulent les autres?... Pourquoi s'écartent-elles?...
+
+LE BONHEUR
+
+C'est devant une Joie nouvelle qui s'avance, peut-être la plus
+pure que nous ayons ici..
+
+TYLTYL
+
+Qui est-ce?...
+
+LE BONHEUR
+
+Tu ne la reconnais pas encore?... Mais regarde donc mieux, ouvre
+donc tes deux yeux jusqu'au cœur de ton âme!... Elle t'a vu,
+elle t'a vu!... Elle accourt en te tendant les bras!... C'est la
+Joie de ta mère, c'est la Joie-sans-égale-de-l'amour-maternel!...
+
+ [Après l'avoir acclamée, les autres Joies, accourues de
+ toutes parts, s'écartent en silence devant la
+ Joie-de-l'amour-maternel.]
+
+L'AMOUR MATERNEL
+
+Tyltyl! Et puis Mytyl!... Comment, c'est vous, c'est vous que je
+retrouve ici!... Je ne m'attendais pas!... J'étais bien seule à
+la maison, et voici que tous deux vous montez jusqu'au ciel où
+rayonnent dans la Joie l'âme de toutes les mères!... Mais d'abord
+des baisers, des baisers tant qu'on peut!... Tous les deux dans
+mes bras, il n'y a rien au monde qui donne plus de bonheur!...
+Tyltyl, tu ne ris pas?... Ni toi non plus, Mytyl?... Vous ne
+connaissez pas l'amour de votre mère?... Mais regardez-moi donc,
+et n'est-ce pas mes yeux, mes lèvres et mes bras?...
+
+TYLTYL
+
+Mais si, je reconnais, mais je ne savais pas.... Tu ressembles à
+maman, mais tu es bien plus belle....
+
+L'AMOUR MATERNEL
+
+Évidemment, moi, je ne vieillis plus.... Et chaque jour qui passe
+m'apporte de la force, de la jeunesse et du bonheur.... Chacun de
+tes sourires m'allège d'une année.... A la maison, cela ne se
+voit pas, mais ici l'on voit tout, et c'est la vérité....
+
+TYLTYL, [émerveillé, la contemplant et l'embrassant tour à tour.]
+
+Et cette belle robe, en quoi donc qu'elle est faite?... Est-ce
+que c'est de la soie, de l'argent ou des perles?...
+
+L'AMOUR MATERNEL
+
+Non, ce sont des baisers, des regards, des caresses.... chaque
+baiser qu'on donne y ajoute un rayon de lune ou de soleil....
+
+TYLTYL
+
+C'est drôle, je n'aurais jamais cru que tu étais si riche.... Où
+donc la cachais-tu?... Était-elle dans l'armoire dont papa a la
+clef?...
+
+L'AMOUR MATERNEL
+
+Mais non, je l'ai toujours, mais on ne la voit pas, parce qu'on
+ne voit rien quand les yeux sont fermés.... Toutes les mères sont
+riches quand elles aiment leurs enfants.... Il n'en est pas de
+pauvres, il n'en est pas de laides, il n'en est pas de
+vieilles.... Leur amour est toujours la plus belle des Joies....
+Et quand elles semblent tristes, il suffit d'un baiser qu'elles
+reçoivent ou qu'elles donnent pour que toutes leurs larmes
+deviennent des étoiles dans le fond de leurs yeux....
+
+TYLTYL, [la regardant avec étonnement.]
+
+Mais oui, c'est vrai, tes yeux, ils sont remplis d'étoiles.... Et
+ce sont bien tes yeux, mais ils sont bien plus beaux.... Et c'est
+ta main aussi, elle a sa petite bague.... Elle a même la brûlure
+que tu t'es faite un soir en allumant la lampe.... Mais elle est
+bien plus blanche et qu'elle a la peau fine!... On dirait qu'on y
+voit couler de la lumière.... Elle ne travaille pas comme celle
+de la maison?...
+
+L'AMOUR MATERNEL
+
+Mais si, c'est bien la même; tu n'avais donc pas vu qu'elle
+devient toute blanche et s'emplit de lumière dès qu'elle te
+caresse?...
+
+TYLTYL
+
+C'est étonnant, maman, c'est bien ta voix aussi; mais tu parles
+bien mieux que chez nous....
+
+L'AMOUR MATERNEL
+
+Chez nous on a bien trop à faire et l'on n'a pas le temps....
+Mais ce qu'on ne dit pas, on l'entend tout de même.... Maintenant
+que tu m'as vue, me reconnaîtras-tu, sous ma robe déchirée,
+lorsque tu rentreras demain dans la chaumière?...
+
+TYLTYL
+
+Je ne veux pas rentrer.... Puisque tu es ici, j'y veux rester
+aussi, tant que tu y seras....
+
+L'AMOUR MATERNEL
+
+Mais c'est la même chose, c'est là-bas que je suis, c'est là-bas
+que nous sommes.... Tu n'es venu ici que pour te rendre compte et
+pour apprendre enfin comment il faut me voir quand tu me vois
+là-bas.... Comprends-tu, mon Tyltyl?... Tu te crois dans le ciel;
+mais le ciel est partout où nous nous embrassons.... Il n'y a pas
+deux mères, et tu n'en as pas d'autre.... Chaque enfant n'en a
+qu'une et c'est toujours la même et toujours la plus belle; mais
+il faut la connaître et savoir regarder.... Mais comment as-tu
+fait pour arriver ici et trouver une route que les Hommes ont
+cherchée depuis qu'ils habitent la Terre?...
+
+TYLTYL, [montrant la Lumière qui, par discrétion, s'est un peu
+écartée.]
+
+C'est elle qui m'a conduit....
+
+L'AMOUR MATERNEL
+
+Qui est-ce?...
+
+TYLTYL
+
+La Lumière....
+
+L'AMOUR MATERNEL
+
+Je ne l'ai jamais vue.... On m'avait dit qu'elle vous aimait
+bien et qu'elle était très bonne.... Mais pourquoi se
+cache-t-elle?... Elle ne montre jamais son visage?...
+
+TYLTYL
+
+Mais si, mais elle a peur que les Bonheurs aient peur s'ils y
+voyaient trop clair....
+
+L'AMOUR MATERNEL
+
+Mais elle ne sait donc pas que nous n'attendons qu'elle!...
+[Appelant les autres Grandes Joies.] Venez, venez, mes sœurs!
+Venez, accourez toutes, c'est la Lumière qui vient enfin nous
+visiter!...
+
+ [Frémissement parmi les Grandes Joies qui se rapprochent.
+ Cris: «La Lumière est ici!... La Lumière, la Lumière!...»]
+
+LA JOIE-DE-COMPRENDRE, [écartant toutes les autres pour venir
+embrasser la Lumière.]
+
+Vous êtes la Lumière et nous ne savions pas!... Et voici des
+années, des années, des années que nous vous attendons!... Me
+reconnaissez-vous?... C'est la Joie-de-comprendre qui vous a
+tant cherchée.... Nous sommes très heureuses, mais nous ne
+voyons pas au delà de nous-mêmes....
+
+LA JOIE-D'ÊTRE-JUSTE, [embrassant la Lumière à son tour.]
+
+Me reconnaissez-vous?... C'est la Joie-d'être-juste qui vous a
+tant priée.... Nous sommes très heureuses, mais nous ne voyons
+pas au delà de nos ombres....
+
+LA JOIE-DE-VOIR-CE-QUI-EST-BEAU, [l'embrassant également.]
+
+Me reconnaissez-vous?... C'est la Joie-des-beautés qui vous a
+tant aimée... Nous sommes très heureuses, mais nous ne voyons pas
+au delà de nos songes....
+
+LA JOIE-DE-COMPRENDRE
+
+Voyez, voyez, ma sœur, ne nous faites plus attendre.... Nous
+sommes assez fortes, nous sommes assez pures.... Écartez donc ces
+voiles qui nous cachent encore les dernières vérités et les
+derniers bonheurs.... Voyez, toutes mes sœurs s'agenouillent à
+vos pieds.... Vous êtes notre reine et notre récompense....
+
+LA LUMIÈRE, [resserrant ses voiles.]
+
+Mes sœurs, mes belles sœurs, j'obéis à mon Maître....
+L'heure n'est pas venue, elle sonnera peut-être et je vous
+reviendrai sans craintes et sans ombres.... Adieu, relevez-vous,
+embrassons-nous encore comme des sœurs retrouvées, en
+attendant le jour qui paraîtra bientôt....
+
+L'AMOUR MATERNEL, [embrassant la Lumière.]
+
+Vous avez été bonne pour mes pauvres petits....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Je serai toujours bonne autour de ceux qui s'aiment....
+
+LA JOIE-DE-COMPRENDRE, [s'approchant de la Lumière.]
+
+Que le dernier baiser soit posé sur mon front....
+
+ [Elles s'embrassent longuement, et, quand elles se séparent
+ et relèvent la tète, on voit des larmes dans leurs yeux.]
+
+TYLTYL, [étonné.]
+
+Pourquoi pleurez-vous?....[regardant les autres Joies]
+
+Tiens! vous pleurez aussi.... Mais pourquoi tout le monde a-t-il
+des larmes plein les yeux?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Silence, mon enfant....
+
+
+RIDEAU
+
+
+
+
+ACTE CINQUIÈME
+
+
+
+
+DIXIÈME TABLEAU
+
+LE ROYAUME DE L'AVENIR
+
+
+Les salles immenses du Palais d'Azur, où attendent les enfants
+qui vont naître.--Infinies perspectives de colonnes de saphir
+soutenant des voûtes de turquoise. Tout ici, depuis la lumière et
+les dalles de lapis-lazuli jusqu'aux pulvérulences du fond où se
+perdent les derniers arceaux, jusqu'aux moindres objets, est d'un
+bleu irréel, intense, féerique. Seuls les chapiteaux et les
+socles des colonnes, les clefs de voûte, quelques sièges quelques
+bancs circulaires sont de marbre blanc ou d'albâtre.--A droite,
+entre les colonnes, de grandes portes opalines. Ces portes, dont
+le Temps, vers la fin de la scène, écartera les battants,
+s'ouvrent sur la Vie actuelle et les quais de l'Aurore. Partout,
+peuplant harmonieusement la salle, une foule d'enfants vêtus de
+longues robes azurées.--Les uns jouent, d'autres se promènent,
+d'autres causent ou songent; beaucoup sont endormis, beaucoup
+aussi travaillent, entre les colonnades, aux inventions futures;
+et leurs outils, leurs instruments, les appareils qu'ils
+construisent, les plantes, les fleurs et les fruits qu'ils
+cultivent ou qu'ils cueillent sont du même bleu surnaturel et
+lumineux que l'atmosphère générale du Palais.--Parmi les enfants,
+revêtues d'un azur plus pâle et plus diaphane, passent et
+repassent quelques figures de haute taille, d'une beauté
+souveraine et silencieuse, qui paraissent être des anges.
+
+ * * * * *
+
+ [Entrent à gauche, comme à la dérobée, en se glissant parmi
+ les colonnes du premier plan, Tyltyl, Mytyl et la Lumière.
+ Leur arrivée provoque un certain mouvement parmi les
+ Enfants-Bleus qui bientôt accourent de toutes parts et se
+ groupent autour des insolites visiteurs qu'ils contemplent
+ avec curiosité.]
+
+MYTYL
+
+Où est le Sucre, la Chatte et le bon Pain?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ils ne peuvent pas entrer ici; ils connaîtraient l'Avenir et
+n'obéiraient plus....
+
+TYLTYL
+
+Et le Chien?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Il n'est pas bon, non plus, qu'il sache ce qui l'attend dans la
+suite des siècles.... Je les ai emprisonnés dans les souterrains
+de l'église....
+
+TYLTYL
+
+Où sommes-nous?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Nous sommes dans le Royaume de l'Avenir, au milieu des enfants
+qui ne sont pas encore nés. Puisque le Diamant nous permet de
+voir clair en cette région que les Hommes n'aperçoivent pas, nous
+y trouverons fort probablement l'Oiseau-Bleu....
+
+TYLTYL
+
+Bien sûr que l'Oiseau sera bleu, puisque tout y est bleu....
+[Regardant tout autour de soi.] Dieu que c'est beau tout ça!...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Regarde les enfants qui accourent....
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'ils sont fâchés?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Pas du tout.... Tu vois bien, ils sourient, mais ils sont
+étonnés....
+
+LES ENFANTS-BLEUS, [accourant de plus en plus nombreux.]
+
+Des petits Vivants.... Venez voir les petits Vivants!...
+
+TYLTYL
+
+Pourquoi qu'ils nous appellent «les petits Vivants»?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Parce qu'eux, ils ne vivent pas encore....
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce qu'ils font alors?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ils attendent l'heure de leur naissance....
+
+TYLTYL
+
+L'heure de leur naissance?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Oui; c'est d'ici que viennent tous les enfants qui naissent sur
+notre Terre. Chacun attend son jour.... Quand les Pères et les
+Mères désirent des enfants, on ouvre les grandes portes que tu
+vois là, à droite; et les petits descendent....
+
+TYLTYL
+
+Y en a-t-il! Y en a-t-il!...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Il y en a bien davantage.... On ne les voit pas tous.... Pense
+donc, il en faut de quoi peupler la fin des temps.... Personne ne
+saurait les compter....
+
+TYLTYL
+
+Et ces grandes personnes bleues, qu'est-ce que c'est?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+On ne sait plus au juste.... On croit que ce sont des
+gardiennes.... On dit qu'elles viendront sur Terre après les
+Hommes.... Mais il n'est pas permis de les interroger....
+
+TYLTYL
+
+Pourquoi?
+
+LA LUMIÈRE
+
+Parce que c'est le secret de la Terre....
+
+TYLTYL
+
+Et les autres, les petits, on peut leur parler?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Bien sûr, il faut faire connaissance.... Tiens, en voilà un plus
+curieux que les autres.... Approche-toi, parle-lui....
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce qu'il faut lui dire?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ce que tu voudras, comme à un petit camarade....
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'on peut lui donner la main?
+
+LA LUMIÈRE
+
+Évidemment, il ne te fera pas de mal.... Mais voyons, n'aie donc
+pas l'air si emprunté.... Je vais vous laisser seuls, vous serez
+plus à l'aise entre vous.... J'ai d'ailleurs à causer avec la
+Grande-personne Bleue....
+
+TYLTYL, [s'approchant de l'Enfant-Bleu et lui tendant la main.]
+
+Bonjour!... [Touchant du doigt la robe bleue de l'Enfant.]
+Qu'est-ce que c'est que ça?
+
+L'ENFANT, [touchant gravement du doigt le chapeau de Tyltyl.]
+
+Et ça?...
+
+TYLTYL
+
+Ça?... C'est mon chapeau.... Tu n'as pas de chapeau?...
+
+L'ENFANT
+
+Non; pourquoi c'est faire?...
+
+TYLTYL
+
+C'est pour dire bonjour.... Et puis, pour quand fait froid....
+
+L'ENFANT
+
+Qu'est-ce que c'est faire froid?...
+
+TYLTYL
+
+Quand on tremble comme ça: brrr! brrr!... qu'on souffle dans ses
+mains et qu'on fait aller les bras comme ceci....
+
+ [Il se brasse vigoureusement.]
+
+L'ENFANT
+
+Il fait froid sur la Terre?...
+
+TYLTYL
+
+Mais oui, des fois, l'hiver, quand on n'a pas de feu....
+
+L'ENFANT
+
+Pourquoi qu'on n'en a pas?...
+
+TYLTYL
+
+Parce que ça coûte cher et qu'il faut de l'argent pour acheter du
+bois....
+
+L'ENFANT
+
+Quoi que c'est de l'argent?
+
+TYLTYL
+
+C'est avec quoi l'on paie....
+
+L'ENFANT
+
+Ah!...
+
+TYLTYL
+
+Il y en a qui en ont, d'autres qui n'en ont point....
+
+L'ENFANT
+
+Pourquoi?...
+
+TYLTYL
+
+C'est qu'ils ne sont pas riches.... Est-ce que tu es riche?...
+Quel âge as-tu?...
+
+L'ENFANT
+
+Je vais naître bientôt.... Je naîtrai dans douze ans.... Est-ce
+que c'est bon, naître?...
+
+TYLTYL
+
+Oh oui!... C'est amusant!...
+
+L'ENFANT
+
+Comment que tu as fait?...
+
+TYLTYL
+
+Je ne me rappelle plus.... Il y a si longtemps!...
+
+L'ENFANT
+
+On dit que c'est si beau, la Terre et les Vivants!...
+
+TYLTYL
+
+Mais oui, ce n'est pas mal.... Il y a des oiseaux, des gâteaux,
+des jouets.... Quelques-uns les ont tous; mais ceux qui n'en ont
+pas peuvent regarder les autres....
+
+L'ENFANT
+
+On nous dit que les mères attendent à la porte.... Elles sont
+bonnes, est-ce vrai?...
+
+TYLTYL
+
+Oh oui!... Elles sont meilleures que tout ce qu'il y a!... Les
+bonnes-mamans aussi; mais elles meurent trop vite....
+
+L'ENFANT
+
+Elles meurent?... Qu'est-ce que c'est ça?...
+
+TYLTYL
+
+Elles s'en vont un soir, et ne reviennent plus....
+
+L'ENFANT
+
+Pourquoi?...
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'on sait?... Peut-être qu'elles sont tristes....
+
+L'ENFANT
+
+Elle est partie, la tienne?...
+
+TYLTYL
+
+Ma bonne-maman?...
+
+L'ENFANT
+
+Ta maman ou ta bonne-maman, est-ce que je sais, moi?...
+
+TYLTYL
+
+Ah! mais, ça n'est pas la même chose!... Les bonnes-mamans s'en
+vont d'abord; c'est déjà assez triste.... La mienne était très
+bonne....
+
+L'ENFANT
+
+Qu'est-ce qu'ils ont, tes yeux?... Est-ce qu'ils font des
+perles?...
+
+TYLTYL
+
+Mais non; c'est pas des perles....
+
+L'ENFANT Qu'est-ce que c'est alors?...
+
+TYLTYL
+
+C'est rien, c'est tout ce bleu qui m'éblouit un peu....
+
+L'ENFANT
+
+Comment que ça s'appelle?...
+
+TYLTYL
+
+Quoi?...
+
+L'ENFANT
+
+Là, ce qui tombe?...
+
+TYLTYL
+
+C'est rien, c'est un peu d'eau....
+
+L'ENFANT
+
+Est-ce qu'elle sort des yeux?...
+
+TYLTYL
+
+Oui, des fois, quand on pleure....
+
+L'ENFANT
+
+Qu'est-ce que c'est pleurer?
+
+TYLTYL
+
+Moi, je n'ai pas pleuré; c'est la faute à ce bleu.... Mais si
+j'avais pleuré ce serait la même chose....
+
+L'ENFANT
+
+Est-ce qu'on pleure souvent?...
+
+TYLTYL
+
+Pas les petits garçons, mais les petites filles.... On ne pleure
+pas ici?...
+
+L'ENFANT
+
+Mais non, je ne sais pas....
+
+TYLTYL
+
+Eh bien, tu apprendras.... Avec quoi que tu joues, ces grandes
+ailes bleues?...
+
+L'ENFANT
+
+Ça?... C'est pour l'invention que je ferai sur Terre....
+
+TYLTYL
+
+Quelle invention?... Tu as donc inventé quelque chose?...
+
+L'ENFANT
+
+Mais oui, tu ne sais pas?... Quand je serai sur Terre, il faudra
+que j'invente la Chose qui rend Heureux....
+
+TYLTYL
+
+Est-elle bonne à manger?... Est-ce qu'elle fait du bruit?...
+
+L'ENFANT
+
+Mais non, on n'entend rien....
+
+TYLTYL
+
+C'est dommage....
+
+L'ENFANT
+
+J'y travaille chaque jour.... Elle est presque achevée....
+Veux-tu voir?...
+
+TYLTYL
+
+Bien sûr.... Où donc est-elle?...
+
+L'ENFANT
+
+Là, on la voit d'ici, entre ces deux colonnes...?
+
+UN AUTRE ENFANT-BLEU, [s'approchant de Tyltyl et le tirant par la
+manche.]
+
+Veux-tu voir la mienne, dis?...
+
+TYLTYL
+
+Mais quoi, qu'est-ce que c'est?...
+
+DEUXIÈME ENFANT
+
+Les trente-trois remèdes pour prolonger la vie.... Là, dans ces
+flacons bleus....
+
+TROISIÈME ENFANT, [sortant de la foule.]
+
+Moi, j'apporte une lumière que personne ne connaît!... [Il
+s'illumine tout entier d'une flamme extraordinaire.] C'est assez
+curieux, pas?...
+
+QUATRIÈME ENFANT, [tirant Tyltyl par le bras.]
+
+Viens donc voir ma machine qui vole dans les airs comme un oiseau
+sans ailes!...
+
+CINQUIÈME ENFANT
+
+Non, non; d'abord la mienne qui trouve les trésors qui se cachent
+dans la lune!...
+
+ [Les Enfants-Bleus s'empressent autour de Tyltyl et de Mytyl
+ en criant tous ensemble: «Non, non, viens voir la mienne!...
+ Non, la mienne est plus belle!... La mienne est
+ étonnante!... La mienne est tout en sucre!... La sienne
+ n'est pas curieuse.... il m'en a pris l'idée!..., etc.».
+ Parmi ces exclamations désordonnées, on entraîne les petits
+ Vivants du côté des ateliers bleus; et là, chacun des
+ inventeurs met en mouvement sa machine idéale. C'est un
+ tournoiement céruléen de roues, de disques, de volants,
+ d'engrenages, de poulies, de courroies, d'objets étranges
+ et encore innommés qu'enveloppent les bleuâtres vapeurs de
+ l'irréel. Une foule d'appareils bizarres et mystérieux
+ s'élancent et planent sous les voûtes, ou rampent au pied
+ des colonnes, taudis que des enfants déroulent des cartes et
+ des plans, ouvrent des livres, découvrent des statues
+ azurées, apportent d'énormes fleurs, de gigantesques fruits
+ qui semblent formés de saphirs et de turquoises.]
+
+UN PETIT ENFANT-BLEU, [courbé sous le poids de colossales
+pâquerettes d'azur.]
+
+Regardez donc mes fleurs!...3
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que c'est?... Je ne les connais pas....
+
+LE PETIT ENFANT-BLEU
+
+Ce sont des pâquerettes!...
+
+TYLTYL
+
+Pas possible!... Elles sont grandes comme des roues....
+
+LE PETIT ENFANT-BLEU
+
+Et ce qu'elles sentent bon!...
+
+TYLTYL, [les humant.]
+
+Prodigieux!...
+
+LE PETIT ENFANT-BLEU
+
+Elles seront comme ça quand je serai sur Terre....
+
+TYLTYL
+
+Quand donc?...
+
+LE PETIT ENFANT-BLEU
+
+Dans cinquante-trois ans, quatre mois et neuf jours....
+
+ [Arrivent deux Enfants-Bleus qui portent comme un lustre,
+ pendue à une perche, une invraisemblable grappe de raisins
+ dont les baies sont plus grosses que des poires.]
+
+L'UN DES ENFANTS QUI PORTENT LA GRAPPE
+
+Que dis-tu de mes fruits?...
+
+TYLTYL
+
+Une grappe de poires!...
+
+L'ENFANT
+
+Mais non, c'est des raisins!... Ils seront tous ainsi, lorsque
+j'aurai trente ans.... J'ai trouvé le moyen....
+
+UN AUTRE ENFANT, [écrasé sous une corbeille de pommes bleues
+grosses comme des melons.]
+
+Et moi!... Voyez mes pommes!...
+
+TYLTYL
+
+Mais ce sont des melons!...
+
+L'ENFANT
+
+Mais non!... Ce sont mes pommes, et les moins belles encore!...
+Toutes seront de même quand je serai vivant.... J'ai trouvé le
+système!...
+
+UN AUTRE ENFANT, [apportant sur une brouette bleue des melons
+bleus plus gros que des citrouilles.]
+
+Et mes petits melons?...
+
+TYLTYL
+
+Mais ce sont des citrouilles!...
+
+L'ENFANT AUX MELONS
+
+Quand je viendrai sur terre, les melons seront fiers!... Je
+serai le jardinier du Roi des neuf Planètes....
+
+TYLTYL
+
+Le Roi des neuf Planètes?... Où est-il?...
+
+LE ROI DES NEUF PLANÈTES, [s'avançant fièrement. Il semble avoir
+quatre ans et peut à grand'peine se tenir debout sur ses petites
+jambes torses.]
+
+Le voici!
+
+TYLTYL
+
+Eh bien! tu n'es pas grand....
+
+LE ROI DES NEUF PLANÈTES, [grave et sentencieux.]
+
+Ce que je ferai sera grand.
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que tu feras?
+
+LE ROI DES NEUF PLANÈTES
+
+Je fonderai la Confédération générale des Planètes solaires.
+
+TYLTYL, [interloqué.]
+
+Ah, vraiment?
+
+LE ROI DE NEUF PLANÈTES
+
+Toutes en feront partie, excepté Saturne, Uranus et Neptune qui
+sont à des distances exagérées et incommensurables.
+
+ [Il se retire avec dignité.]
+
+TYLTYL
+
+Il est intéressant....
+
+UN ENFANT-BLEU
+
+Et vois-tu celui-là?
+
+TYLTYL
+
+Lequel?
+
+L'ENFANT
+
+Là, le petit qui dort au pied de la colonne....
+
+TYLTYL
+
+Eh bien?
+
+L'ENFANT
+
+Il apportera la joie pure sur le Globe..
+
+TYLTYL
+
+Comment?...
+
+L'ENFANT
+
+Par des idées qu'on n'a pas encore eues....
+
+TYLTYL
+
+Et l'autre, le petit gros qui a les doigts dans le nez, qu'est-ce
+qu'il fera, lui?...
+
+L'ENFANT
+
+Il doit trouver le feu pour réchauffer la Terre quand le Soleil
+sera plus pâle....
+
+TYLTYL
+
+Et les deux qui se tiennent par la main et s'embrassent tout le
+temps: est-ce qu'ils sont frère et sœur?...
+
+L'ENFANT
+
+Mais non, ils sont très drôles.... Ce sont les Amoureux....
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que c'est?...
+
+L'ENFANT
+
+Je ne sais pas.... C'est le Temps qui les appelle ainsi pour s'en
+moquer.... Ils se regardent tout le jour dans les yeux, ils
+s'embrassent et se disent adieu....
+
+TYLTYL
+
+Pourquoi?
+
+L'ENFANT
+
+Il paraît qu'ils ne pourront pas partir ensemble....
+
+TYLTYL
+
+Et le petit tout rose, qui semble si sérieux et qui suce son
+pouce, qu'est-ce que c'est?...
+
+L'ENFANT
+
+Il paraît qu'il doit effacer l'Injustice sur la Terre....
+
+TYLTYL
+
+Ah?...
+
+L'ENFANT
+
+On dit que c'est un travail effrayant....
+
+TYLTYL
+
+Et le petit rousseau qui marche comme s'il n'y voyait pas. Est-ce
+qu'il est aveugle?...
+
+L'ENFANT
+
+Pas encore; mais il le deviendra.... Regarde-le bien; il paraît
+qu'il doit vaincre la Mort....
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que ça veut dire?...
+
+L'ENFANT
+
+Je ne sais pas au juste; mais on dit que c'est grand....
+
+TYLTYL, [montrant une foule d'enfants endormis au pied des
+colonnes, sur les marches, les bancs, etc.]
+
+Et tous ceux-là qui dorment,--comme il y en a qui
+dorment!--est-ce qu'ils ne font rien?...
+
+L'ENFANT
+
+Ils pensent à quelque chose....
+
+TYLTYL
+
+A quoi?...
+
+L'ENFANT
+
+Ils ne le savent pas encore; mais ils doivent apporter quelque
+chose sur la Terre; il est défendu de sortir les mains vides....
+
+TYLTYL
+
+Qui est-ce qui le défend?...
+
+L'ENFANT
+
+C'est le Temps qui se tient à la porte.... Tu verras quand il
+ouvrira.... Il est bien embêtant....
+
+UN ENFANT, [accourant du fond de la salle, en fendant la foule.]
+
+Bonjour, Tyltyl!...
+
+TYLTYL
+
+Tiens!... Comment sait-il mon nom?...
+
+L'ENFANT, [qui vient d'accourir et qui embrasse Tyltyl et Mytyl
+avec effusion.]
+
+Bonjour!... Ça va bien?...--Voyons, embrasse-moi, et toi aussi,
+Mytyl.... Ce n'est pas étonnant que je sache ton nom, puisque je
+serai ton frère.... On vient seulement de me dire que tu es
+là.... J'étais tout au bout de la salle, en train d'emballer mes
+idées....--Dis à maman que je suis prêt....
+
+TYLTYL
+
+Comment?... Tu comptes venir chez nous?
+
+L'ENFANT
+
+Bien sûr, l'année prochaine, le dimanche des Rameaux.... Ne me
+tourmente pas trop quand je serai petit.... Je suis bien content
+de vous avoir embrassés d'avance....--Dis à Papa qu'il répare le
+berceau....--Est-ce qu'on est bien chez nous?...
+
+TYLTYL
+
+Mais on n'y est pas mal.... Et Maman est si bonne!...
+
+L'ENFANT
+
+Et la nourriture?...
+
+TYLTYL
+
+Ça dépend.... Il y a même des jours où l'on a des gâteaux,
+n'est-il pas vrai, Mytyl?...
+
+MYTYL
+
+Au Nouvel An et le Quatorze Juillet.... C'est maman qui les
+fait....
+
+TYLTYL
+
+Qu'as-tu là, dans ce sac?... Tu nous apportes quelque chose?...
+
+L'ENFANT, [très fièrement.]
+
+J'apporte trois maladies: la fièvre scarlatine, la coqueluche et
+la rougeole....
+
+TYLTYL
+
+Eh bien, si c'est tout ça!... Et après, que feras-tu?...
+
+L'ENFANT
+
+Après?... Je m'en irai....
+
+TYLTYL
+
+Ce sera bien la peine de venir!...
+
+L'ENFANT
+
+Est-ce qu'on a le choix?...
+
+ [A ce moment, on entend s'élever et se répandre une sorte de
+ vibration prolongée, puissante et cristalline qui semble
+ émaner des colonnes et des portes d'opale que touche une
+ lumière plus vive.]
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que c'est?...
+
+UN ENFANT
+
+C'est le Temps!... Il va ouvrir les portes!...
+
+ [Aussitôt, un vaste remous se propage dans la foule des
+ Enfants-Bleus. La plupart quittent leurs machines et leurs
+ travaux, de nombreux dormeurs s'éveillent, et les uns comme
+ les autres tournent les yeux vers les portes d'opale et se
+ rapprochent de celles-ci.]
+
+LA LUMIÈRE [rejoignant Tyltyl.]
+
+Tâchons de nous dissimuler derrière les colonnes.... Il ne faut
+pas que le Temps nous découvre....
+
+TYLTYL
+
+D'où vient ce bruit?...
+
+UN ENFANT
+
+C'est l'Aurore qui se lève.... C'est l'heure où les enfants qui
+naîtront aujourd'hui vont descendre sur Terre....
+
+TYLTYL
+
+Comment qu'ils descendront?... Il y a des échelles?...
+
+L'ENFANT
+
+Tu vas voir.... Le Temps tire les verrous....
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que c'est le Temps?...
+
+L'ENFANT
+
+C'est un vieil homme qui vient appeler ceux qui partent....
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'il est méchant?...
+
+L'ENFANT
+
+Non, mais il n'entend rien.... On a beau supplier, quand ce n'est
+pas leur tour, il repousse tous ceux qui voudraient s'en
+aller....
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'ils sont heureux de partir?
+
+L'ENFANT
+
+On n'est pas content quand on reste; mais on est triste quand on
+s'en va.... Là! Là!... Voilà qu'il ouvre!...
+
+ [Les grandes portes opalines roulent lentement sur leurs
+ gonds. On entend, comme une musique lointaine, les rumeurs
+ de la Terre. Une clarté rouge et verte pénètre dans la
+ salle: et le Temps, haut vieillard à la barbe flottante,
+ armé de sa faux et de son sablier, paraît sur le seuil,
+ tandis qu'on aperçoit l'extrémité des voiles blanches et
+ dorées d'une galère amarrée à une sorte de quai que forment
+ les vapeurs roses de l'Aurore.]
+
+LE TEMPS, [sur le seuil.]
+
+Ceux dont l'heure est sonnée sont-ils prêts?...
+
+DES ENFANTS-BLEUS, [fendant la roule et accourant de toutes
+parts.]
+
+Nous voici!... Nous voici!... Nous voici!...
+
+LE TEMPS, [d'une voix bourrue, aux enfants qui défilent devant
+lui pour sortir.]
+
+Un à un!... Il s'en présente encore beaucoup plus qu'il n'en
+faut!... C'est toujours la même chose!... On ne me trompe pas!...
+[Repoussant un enfant.] Ce n'est pas ton tour!... Rentre, c'est
+pour demain.... Toi non plus, rentre donc et reviens dans dix
+ans.... Un treizième berger?... Il n'en fallait que douze; on
+n'en a plus besoin, nous ne sommes plus au temps de Théocrite ou
+de Virgile.... Encore des médecins?... Il y en a déjà trop; on
+s'en plaint sur la Terre.... Et les ingénieurs, où sont-ils?...
+On veut un honnête homme, un seul, comme phénomène.... Où donc
+est l'honnête homme?... C'est toi?... [L'enfant fait signe que
+oui.] Tu m'as l'air bien chétif.... tu ne vivras pas
+longtemps!... Holà, vous autres, là, pas si vite!... Et toi,
+qu'apportes-tu?... Rien du tout? les mains vides?... Alors on ne
+passe pas.... Prépare quelque chose, un grand crime, si tu veux,
+ou une maladie, moi, cela m'est égal.... mais il faut quelque
+chose.... [Avisant un petit que d'autres poussent en avant et qui
+résiste de toutes ses forces.] Eh bien, toi, qu'as-tu donc?... Tu
+sais bien que c'est l'heure.... On demande un héros qui combatte
+l'Injustice; c'est toi, il faut partir....
+
+LES ENFANTS-BLEUS
+
+Il ne veut pas, monsieur....
+
+LE TEMPS
+
+Comment?... Il ne veut pas?... Où donc se croit-il, ce petit
+avorton?... Pas de réclamations, nous n'avons pas le temps....
+
+LE PETIT, [que l'on pousse.]
+
+Non, non!... Je ne veux pas!... J'aime mieux ne pas naître!...
+J'aime mieux rester ici!...
+
+LE TEMPS
+
+Il ne s'agit pas de ça.... Quand c'est l'heure, c'est l'heure!...
+Allons, vite, en avant!...
+
+UN ENFANT, [s'avançant.]
+
+Oh! laissez-moi passer!... J'irai prendre sa place!... On dit que
+mes parents sont vieux et m'attendent depuis si longtemps!...
+
+LE TEMPS
+
+Pas de ça.... L'heure est l'heure et le temps est le temps....
+On n'en finirait pas si l'on vous écoutait.... L'un veut, l'autre
+refuse, c'est trop tôt, c'est trop tard.... [Écartant des enfants
+qui ont envahi le seuil.] Pas si près, les petits.... Arrière les
+curieux.... Ceux qui ne partent pas n'ont rien à voir dehors....
+Maintenant vous avez hâte; puis, votre tour venu, vous aurez peur
+et vous reculerez.... Tenez, en voilà quatre qui tremblent comme
+des feuilles.... [A un enfant qui, sur le point de franchir le
+seuil, rentre brusquement.] Eh bien, quoi?... Qu'as-tu donc?...
+
+L'ENFANT
+
+J'ai oublié la boîte qui contient les deux crimes que je devrai
+commettre....
+
+UN AUTRE ENFANT
+
+Et moi le petit pot qui renferme l'idée pour éclairer les
+foules....
+
+TROISIÈME ENFANT
+
+J'ai oublié la greffe de ma plus belle poire!...
+
+LE TEMPS
+
+Courez vite les chercher!... Il ne nous reste plus que six cent
+douze secondes.... La galère de l'Aurore bat déjà des voiles pour
+montrer qu'elle attend.... Vous arriverez trop tard et vous ne
+naîtrez plus.... Allons, vite, embarquons!... [Saisissant un
+enfant qui veut lui passer entre les jambes pour gagner le quai.]
+Ah! toi, non, par exemple!... C'est la troisième fois que tu
+essayes de naître avant ton tour.... Que je ne t'y prenne plus,
+sinon ce sera l'attente éternelle près de ma sœur l'Éternité;
+et tu sais qu'on ne s'y amuse pas.... Mais voyons, sommes-nous
+prêts?... Tout le monde est à son poste?... [Parcourant du regard
+les enfants réunis sur le quai ou déjà assis dans la galère.] Il
+en manque encore un.... Il a beau se cacher, je le vois dans la
+foule.... On ne me trompe pas.... Allons, toi, le petit qu'on
+appelle l'Amoureux, dis adieu à ta belle....
+
+ [Les deux petits qu'on appelle «les Amoureux», tendrement
+ enlacés et le visage livide de désespoir, s'avancent vers le
+ Temps et s'agenouillent à ses pieds.]
+
+PREMIER ENFANT
+
+Monsieur le Temps, laissez-moi partir avec lui!...
+
+DEUXIÈME ENFANT
+
+Monsieur le Temps, laissez-moi rester avec elle!...
+
+LE TEMPS
+
+Impossible!... Il ne nous reste plus que trois cent
+quatre-vingt-quatorze secondes..
+
+PREMIER ENFANT
+
+J'aime mieux ne pas naître!...
+
+LE TEMPS
+
+On n'a pas le choix....
+
+DEUXIÈME ENFANT, [suppliant.]
+
+Monsieur le Temps, j'arriverai trop tard!...
+
+PREMIER ENFANT
+
+Je ne serai plus là quand elle descendra!...
+
+DEUXIÈME ENFANT
+
+Je ne le verrai plus!...
+
+PREMIER ENFANT
+
+Nous serons seuls au monde!...
+
+LE TEMPS
+
+Tout ça ne me regarde pas.... Réclamez auprès de la Vie.... Moi,
+j'unis, je sépare, selon ce qu'on m'a dit.... [Saisissant l'un
+des enfants.] Viens!...
+
+PREMIER ENFANT, se débattant.
+
+Non, non, non!... Elle aussi!...
+
+DEUXIÈME ENFANT, [s'accrochant aux vêtements du premier.]
+
+Laissez-le!.... Laissez-le!...
+
+LE TEMPS
+
+Mais voyons, ce n'est pas pour mourir, c'est pour vivre!...
+[Entraînant le premier enfant.] Viens!...
+
+DEUXIÈME ENFANT, [tendant éperdument les bras vers l'enfant qu'on
+enlève.]
+
+Un signe!... Un seul signe!... Dis-moi, comment te retrouver!...
+
+PREMIER ENFANT
+
+Je t'aimerai toujours!...
+
+DEUXIÈME ENFANT
+
+Je serai la plus triste!... Tu me reconnaîtras!...
+
+ [Elle tombe et reste étendue sur le sol.]
+
+LE TEMPS
+
+Vous feriez beaucoup mieux d'espérer.... Et maintenant, c'est
+tout.... [Consultant son sablier.] Il ne nous reste plus que
+soixante-trois secondes....
+
+ [Derniers et violents remous parmi les enfants qui partent
+ et qui demeurent.--On échange des adieux précipités: «Adieu,
+ Pierre!... Adieu Jean....--As-tu tout ce qu'il faut?...
+ Annonce ma pensée!...--N'as-tu rien oublié?...--Tâche de me
+ reconnaître!...--Je te retrouverai!...--Ne perds pas tes
+ idées?...--Ne te penche pas trop sur l'Espace!...--Donne-moi
+ de tes nouvelles!...--On dit qu'on ne peut pas!...--Si,
+ si!... essaie toujours!...--Tâche de dire si c'est beau!...
+ --J'irai à ta rencontre!...--Je naîtrai sur un trône!...»,
+ etc., etc.]
+
+LE TEMPS, [agitant ses clefs et sa faux.]
+
+Assez! assez!... L'ancre est levée!...
+
+Les voiles de la galère passent et disparaissent. Ou entend
+s'éloigner les cris des enfants dans la galère: «Terre!...
+terre!... Je la vois!... Elle est belle!... Elle est claire!...
+Elle est grande!...». Puis, comme sortant du fond de l'abîme, un
+chant extrêmement lointain d'allégresse et d'attente.
+
+TYLTYL, [à la Lumière.]
+
+Qu'est-ce?... Ce n'est pas eux qui chantent.... On dirait
+d'autres voix....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Oui, c'est le chant des Mères qui viennent à leur rencontre...
+
+ [Cependant, le Temps referme les portes opalines. Il se
+ retourne pour jeter un dernier regard dans la salle, et
+ soudain aperçoit Tyltyl, Mytyl et la Lumière.]
+
+LE TEMPS, [stupéfait et furieux.]
+
+Qu'est-ce que c'est?... Que faites-vous ici?... Qui êtes-vous?...
+Pourquoi n'êtes-vous pas bleus?... Par où êtes-vous entrés?...
+
+ [Il s'avance en les menaçant de sa faux.]
+
+LA LUMIÈRE, [à Tyltyl.]
+
+Ne réponds pas!... J'ai l'Oiseau-Bleu.... Il est caché sous ma
+mante.... Sauvons-nous.... Tourne le Diamant, il perdra notre
+trace....
+
+ [Ils s'esquivent à gauche, entre les colonnes du premier
+ plan.]
+
+
+RIDEAU
+
+
+
+
+ONZIÈME TABLEAU
+
+L'ADIEU
+
+
+La scène représente un mur percé d'une petite porte. C'est la
+pointe du jour.
+
+ * * * * *
+
+ [Entrent: Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Pain, le Sucre, le
+ Feu et le Lait.]
+
+LA LUMIÈRE
+
+Tu ne devinerais jamais où nous sommes....
+
+TYLTYL
+
+Bien sûr que non, la Lumière, puisque je ne sais pas....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Tu ne reconnais pas ce mur et cette petite porte?...
+
+TYLTYL
+
+C'est un mur rouge et une petite porte verte....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Et ça ne te rappelle rien?...
+
+TYLTYL
+
+Ça me rappelle que le Temps nous a mis à la porte....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Qu'on est bizarre quand on rêve.... On ne reconnaît pas sa propre
+main....
+
+TYLTYL
+
+Qui est-ce qui rêve?... Est-ce moi?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+C'est peut-être moi.... Qu'en sait-on?... En attendant, ce mur
+entoure une maison que tu as vue plus d'une fois depuis ta
+naissance....
+
+TYLTYL
+
+Une maison que j'ai vue plus d'une fois?
+
+LA LUMIÈRE
+
+Mais oui, petit endormi!... C'est la maison que nous avons
+quittée un soir, il y a tout juste, jour pour jour, une année....
+
+TYLTYL
+
+Il y a tout juste une année?... Mais alors?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+N'ouvre pas des yeux comme des grottes de saphir.... C'est elle,
+c'est la bonne maison des parents....
+
+TYLTYL, [s'approchant de la porte.]
+
+Mais je crois.... En effet.... Il me semble.... Cette petite
+porte.... Je reconnais la chevillette.... Ils sont là?... Nous
+sommes près de Maman?... Je veux entrer tout de suite.... Je veux
+l'embrasser tout de suite!...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Un instant.... Ils dorment profondément; il ne faut pas les
+réveiller en sursaut.... Du reste, la porte ne s'ouvrira que
+lorsque l'heure sonnera....
+
+TYLTYL
+
+Quelle heure?... Il y a longtemps à attendre?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Hélas, non!... quelques pauvres minutes....
+
+TYLTYL
+
+Tu n'es pas heureuse de rentrer?... Qu'as-tu donc, la Lumière?...
+Tu es pâle, on dirait que tu es malade..
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ce n'est rien, mon enfant.... Je me sens un peu triste, parce que
+je vais vous quitter....
+
+TYLTYL
+
+Nous quitter?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Il le faut.... Je n'ai plus rien à faire ici; l'année est
+révolue, la Fée va revenir et te demander l'Oiseau-Bleu....
+
+TYLTYL
+
+Mais c'est que je ne l'ai pas, l'Oiseau-Bleu!... Celui du
+Souvenir est devenu tout noir, celui de l'Avenir est devenu tout
+rouge, ceux de la Nuit sont morts et je n'ai pas pu prendre celui
+de la Forêt.... Est-ce ma faute à moi s'ils changent de couleur,
+s'ils meurent ou s'ils s'échappent?... Est-ce que la Fée sera
+fâchée, et qu'est-ce qu'elle dira?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Nous avons fait ce que nous avons pu.... Il faut croire qu'il
+n'existe pas, l'Oiseau-Bleu; ou qu'il change de couleur lorsqu'on
+le met en cage....
+
+TYLTYL
+
+Où est-elle, la cage?...
+
+LE PAIN
+
+Ici, maître.... Elle fut confiée à mes soins diligents durant ce
+long et périlleux voyage; aujourd'hui que ma mission prend fin,
+je vous la restitue, intacte et bien fermée, telle que je la
+reçus.... [Comme un orateur qui prend la parole.] Maintenant, au
+nom de tous, qu'il me soit permis d'ajouter quelques mots....
+
+LE FEU
+
+Il n'a pas la parole!...
+
+L'EAU
+
+Silence!...
+
+LE PAIX
+
+Les interruptions malveillantes d'un ennemi méprisable, d'un
+rival envieux.... [Élevant la voix.] ne m'empêcheront pas
+d'accomplir mon devoir jusqu'au bout.... C'est donc au nom de
+tous....
+
+LE FEU
+
+Pas au mien.... J'ai une langue!...
+
+LE PAIX
+
+C'est donc au nom de tous, et avec une émotion contenue mais
+sincère et profonde, que je prends congé de deux enfants
+prédestinés, dont la haute mission se termine aujourd'hui. En
+leur disant adieu avec toute l'affliction et toute la tendresse
+qu'une mutuelle estime..
+
+TYLTYL
+
+Comment?... Tu dis adieu?... Tu nous quittes donc aussi?...
+
+LE PAIN
+
+Hélas! il le faut bien.... Je vous quitte, il est vrai; mais la
+séparation ne sera qu'apparente, vous ne m'entendrez plus
+parler....
+
+LE FEU
+
+Ce ne sera pas malheureux!...
+
+L'EAU
+
+Silence!...
+
+LE PAIN, [très digne.]
+
+Cela ne m'atteint point.... Je disais donc: vous ne m'entendrez
+plus, vous ne me verrez plus sous ma forme animée.... Vos yeux
+vont se fermer à la vie invisible des choses; mais je serai
+toujours là, dans la huche, sur la planche, sur la table, à côté
+de la soupe, moi qui suis, j'ose le dire, le plus fidèle
+commensal et le plus vieil ami de l'Homme....
+
+LE FEU
+
+Eh bien, et moi?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Voyons, les minutes passent, l'heure est près de sonner qui va
+nous faire rentrer dans le silence.... Hâtez-vous d'embrasser les
+enfants....
+
+LE FEU, [se précipitant.]
+
+Moi d'abord, d'abord moi!... [Il embrasse violemment les
+enfants.] Adieu, Tyltyl et Mytyl!... Adieu, mes chers petits....
+Souvenez-vous de moi si jamais vous avez besoin de quelqu'un pour
+mettre le Feu quelque part....
+
+MYTYL
+
+Aïe! aïe!... Il me brûle!...
+
+TYLTYL
+
+Aïe! aïe! Il me roussit le nez!.....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Voyons, le Feu, modérez un peu vos transports.... Vous n'avez pas
+affaire à votre cheminée....
+
+L'EAU
+
+Quel idiot!...
+
+LE PAIN
+
+Est-il mal élevé!...
+
+L'EAU, [s'approchant des enfants.]
+
+Je vous embrasserai sans vous faire de mal, tendrement, mes
+enfants....
+
+LE FEU
+
+Prenez garde, ça mouille!...
+
+L'EAU
+
+Je suis aimante et douce; je suis bonne aux humains....
+
+LE FEU
+
+Et les noyés?...
+
+L'EAU
+
+Aimez bien les Fontaines, écoutez les Ruisseaux.... Je serai
+toujours là....
+
+LE FEU
+
+Elle a tout inondé!...
+
+L'EAU
+
+Quand vous vous assiérez, le soir, au bord des Sources,--il y en
+a plus d'une ici, dans la forêt,--essayez de comprendre ce
+qu'elles essaient de dire.... Je ne peux plus.... Les larmes me
+suffoquent et m'empêchent de parler....
+
+LE FEU
+
+Il n'y paraît point!...
+
+L'EAU
+
+Souvenez-vous de moi lorsque vous verrez la carafe.... Vous me
+trouverez également dans le broc, dans l'arrosoir, dans la
+citerne et dans le robinet....
+
+LE SUCRE, [naturellement papelard et doucereux.]
+
+S'il reste une petite place, dans votre souvenir, rappelez-vous
+que parfois ma présence vous fut douce.... Je ne puis vous en
+dire davantage.... Les larmes sont contraires à mon tempérament,
+et me font bien du mal quand elles tombent sur mes pieds....
+
+LE PAIN
+
+Jésuite!...
+
+LE FEU, [glapissant.]
+
+Sucre d'orge! berlingots! caramels!...
+
+TYLTYL
+
+Mais où donc sont passés Tylette et Tylô?... Que font-ils?...
+
+ [Au même moment, on entend des cris aigus poussés par la
+ Chatte.]
+
+MYTYL, [alarmée.]
+
+C'est Tylette qui pleure!... On lui fait du mal!...
+
+ [Entre en courant la Chatte, hérissée, dépeignée, les
+ vêtements déchirés, et tenant son mouchoir sur la joue,
+ comme si elle avait mal aux dents. Elle pousse des
+ gémissements courroucés et est serrée de très près par le
+ Chien qui l'accable de coups de tête, de coups de poing et
+ de coups de pied.]
+
+LE CHIEN, [battant la Chatte.]
+
+Là!... En as-tu assez?... En veux-tu encore?... Là! là! là!...
+
+LA LUMIÈRE, TYLTYL et MYTYL, [se précipitant pour les séparer.]
+
+Tylô!... Es-tu fou?... Par exemple!... A bas!... Veux-tu
+finir!... A-t-on jamais vu!... Attends! attends!...
+
+ [On les sépare énergiquement.]
+
+LA LUMIÈRE
+
+Qu'est-ce que c'est?... Que s'est-il passé?...
+
+LA CHATTE, [pleurnichant et s'essuyant les yeux.]
+
+C'est lui, madame la Lumière.... Il m'a dit des injures, il a mis
+des clous dans ma soupe, il m'a tiré la queue, il m'a roué de
+coups, et je n'avais rien fait, rien du tout, rien du tout!...
+
+LE CHIEN, [l'imitant.]
+
+Rien du tout, rien du tout!... [A mi-voix, lui faisant la nique.]
+C'est égal, t'en as eu, t'en as eu, et du bon, et t'en auras
+encore!...
+
+MYTYL, [serrant la Chatte dans ses bras.]
+
+Ma pauvre Tylette, dis-moi donc où c'est que t'as mal.... Je vais
+pleurer aussi!...
+
+LA LUMIÈRE, [au Chien, sévèrement.]
+
+Votre conduite est d'autant plus indigne que vous choisissez pour
+nous donner ce triste spectacle le moment, déjà assez pénible par
+lui-même, où nous allons nous séparer de ces pauvres enfants....
+
+LE CHIEN, [subitement dégrisé.]
+
+Nous séparer de ces pauvres enfants?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Oui, l'heure que vous savez va sonner.... Nous allons rentrer
+dans le Silence.... Nous ne pourrons plus leur parler....
+
+LE CHIEN, [poussant tout à coup de véritables hurlements de
+désespoir et se jetant sur les enfants qu'il accable de caresses
+violentes et tumultueuses.]
+
+Non, non!... Je ne veux pas!... Je ne veux pas!... Je parlerai
+toujours!... Tu me comprendras maintenant, n'est-ce pas, mon
+petit dieu?... Oui, oui, oui!.... Et l'on se dira tout, tout,
+tout!... Et je serai Lien sage.... Et j'apprendrai à lire, à
+écrire et à jouer aux dominos!... Et je serai toujours très
+propre.... Et je ne volerai plus rien dans la cuisine.... Veux-tu
+que je fasse quelque chose d'étonnant?... Veux-tu que j'embrasse
+la Chatte?...
+
+MYTYL, [à la Chatte.]
+
+Et toi, Tylette?... Tu n'as rien à nous dire.
+
+LA CHATTE, [pincée, énigmatique.]
+
+Je vous aime tous deux, autant que vous le méritez....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Maintenant, qu'à mon tour, mes enfants, je vous donne le dernier
+baiser....
+
+TYLTYL et MYTYL, [s'accrochant à la robe de la Lumière.]
+
+Non, non, non, la Lumière!... Reste ici, avec nous!... Papa ne
+dira rien.... Nous dirons à Maman que tu as été bonne....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Hélas! je ne peux pas.... Cette porte nous est fermée et je dois
+vous quitter...
+
+TYLTYL
+
+Où iras-tu toute seule?
+
+LA LUMIÈRE
+
+Pas bien loin, mes enfants; là-bas, dans le pays du Silence des
+choses..
+
+TYLTYL
+
+Non, non; je ne veux pas.... Nous irons avec toi.... Je dirai à
+Maman....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ne pleurez pas, mes chers petits.... Je n'ai pas de voix comme
+l'Eau; je n'ai que ma clarté que l'Homme n'entend point.... Mais
+je veille sur lui jusqu'à la fin des jours.... Rappelez-vous bien
+que c'est moi qui vous parle dans chaque rayon de lune qui
+s'épanche, dans chaque étoile qui sourit, dans chaque aurore qui
+se lève, dans chaque lampe qui s'allume, dans chaque pensée bonne
+et claire de votre âme.... [Huit heures sonnent derrière le mur.]
+Écoutez!... L'heure sonne.... Adieu!... La porte s'ouvre!...
+Entrez, entrez, entrez!...
+
+ [Elle pousse les enfants dans l'ouverture de la petite porte
+ qui vient de s'entrebâiller et se referme sur eux.--Le Pain
+ essuie une larme furtive, le Sucre, l'Eau, tout en pleurs,
+ etc., fuient précipitamment et disparaissent à droite et à
+ gauche, dans la coulisse. Hurlements du Chien à la
+ cantonade. La scène reste vide un instant, puis le décor
+ figurant le mur de la petite porte s'ouvre par le milieu,
+ pour découvrir le dernier tableau.]
+
+
+
+
+DOUZIÈME TABLEAU
+
+
+LE RÉVEIL
+
+
+Le même intérieur qu'au premier tableau, mais tout, les murs,
+l'atmosphère, y paraît incomparablement, féeriquement plus frais,
+plus riant, plus heureux.--La lumière du jour filtre gaiement par
+toutes les fentes des volets clos.
+
+ * * * * *
+
+ [A droite, au fond de la pièce, en leurs deux petits lits,
+ Tyltyl et Mytyl sont profondément endormis.--La Chatte, le
+ Chien et les Objets sont à la place qu'ils occupaient au
+ premier tableau, avant l'arrivée de la Fée.--Entre la Mère
+ Tyl.]
+
+LA MÈRE TYL, [d'une voix allègrement grondeuse.]
+
+Debout, voyons, debout! les petits paresseux!... Vous n'avez donc
+pas honte?... Huit heures sont sonnées, le soleil est déjà plus
+haut que la forêt!... Dieu! qu'ils dorment, qu'ils dorment!...
+[Elle se penche et embrasse les enfants.] Ils sont tout
+roses.... Tyltyl sent la lavande et Mytyl le muguet.... [Les
+embrassant encore.] Que c'est bon les enfants!... Ils ne peuvent
+pourtant pas dormir jusqu'à midi.... On ne peut pas en faire des
+paresseux.... Et puis, je me suis laissée dire que ce n'est pas
+trop bon pour la santé.... [Secouant doucement Tyltyl.] Allons,
+allons, Tyltyl....
+
+TYLTYL, [s'éveillant.]
+
+Quoi?... La Lumière?... Où est-elle? Non, non, ne t'en vas
+pas....
+
+LA MÈRE TYL
+
+La Lumière?... mais bien sûr qu'elle est là.... Il y a déjà pas
+mal de temps.... Il fait aussi clair qu'à midi, bien que les
+volets soient fermés.... Attends un peu que je les ouvre....
+[Elle pousse les volets, l'aveuglante clarté du grand jour
+envahit la pièce.] Là, voilà!... Qu'est-ce que t'as?... T'as
+l'air tout aveuglé...
+
+TYLTYL, [se frottant les yeux.]
+
+Maman, maman!... C'est toi!...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Mais bien sûr que c'est moi.... Qui veux-tu que ce soit?...
+
+TYLTYL
+
+C'est toi.... Mais oui, c'est toi!...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Mais oui, c'est moi.... Je n'ai pas changé de visage cette
+nuit.... qu'as-tu donc à me regarder comme un émerveillé?... J'ai
+peut-être le nez à l'envers?...
+
+TYLTYL
+
+Oh! que c'est bon de te revoir!... Il y a si longtemps, si
+longtemps!... Il faut que je t'embrasse tout de suite.... Encore,
+encore, encore!... Et puis, c'est bien mon lit!... Je suis dans
+la maison!...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Qu'est-ce que t'as?... Tu ne t'éveilles pas?... T'es pas malade,
+au moins?... Voyons, montre ta langue.... Allons, lève-toi donc,
+et puis habille-toi....
+
+TYLTYL
+
+Tiens! je suis en chemise!...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Bien sûr.... Passe ta culotte et ta petite veste.... Elles sont
+là, sur la chaise....
+
+TYLTYL
+
+Est-ce que j'ai fait ainsi tout mon voyage?...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Quel voyage?...
+
+TYLTYL
+
+Mais oui, l'année dernière....
+
+LA MÈRE TYL
+
+L'année dernière?...
+
+TYLTYL
+
+Mais oui, donc!... A Noël, lorsque je suis parti....
+
+LA MÈRE TYL
+
+Lorsque t'es parti?... T'as pas quitté la chambre.... Je j'ai
+couché hier soir, et je te retrouve ce matin.... T'as donc rêvé
+tout ça?...
+
+TYLTYL
+
+Mais tu ne comprends pas!... C'était l'année passée, lorsque je
+suis parti avec Mytyl, la Fée, la Lumière.... elle est bonne, la
+Lumière! le Pain, le Sucre, l'Eau, le Feu. Ils se battaient tout
+le temps.... T'es pas fâchée?... T'as pas été trop triste?... Et
+Papa, qu'a-t-il dit?... Je ne pouvais pas refuser.... J'ai laissé
+un billet pour expliquer....
+
+LA MÈRE TYL
+
+Qu'est-ce que tu chantes là?... Bien sûr que t'es malade, ou bien
+tu dors encore.... [Elle lui donne une bourrade amicale.] Voyons,
+réveille-toi.... Voyons, ça va-t-il mieux?...
+
+TYLTYL
+
+Mais, Maman, je t'assure.... C'est toi qui dors encore....
+
+LA MÈRE TYL
+
+Comment! je dors encore?... Je suis debout depuis six heures....
+J'ai fait tout le ménage et rallumé le feu....
+
+TYLTYL
+
+Mais demande à Mytyl si c'est pas vrai.... Ah! noirs en avons eu
+des aventures!...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Comment, Mytyl?... Quoi donc?...
+
+TYLTYL
+
+Elle était avec moi.... Nous avons revu bon-papa et
+bonne-maman....
+
+LA MÈRE TYL, [de plus en plus ahurie.]
+
+Bon-papa et bonne-maman?...
+
+TYLTYL
+
+Oui, au Pays du Souvenir.... C'était sur notre route.... Ils sont
+morts, mais ils se portent bien.... Bonne-maman nous a fait une
+belle tarte aux prunes.... Et puis les petits frères, Robert,
+Jean, sa toupie, Madeleine et Pierrette, Pauline et puis
+Riquette...
+
+MYTYL
+
+Riquette, elle marche à quatre pattes!...
+
+TYLTYL
+
+Et Pauline a toujours son bouton sur le nez....
+
+MYTYL
+
+Nous t'avons vue aussi hier au soir.
+
+LA MÈRE TYL
+
+Hier au soir? Ce n'est pas étonnant puisque je t'ai couchée.
+
+TYLTYL
+
+Non, non, aux jardins des Bonheurs, tu étais bien plus belle,
+mais tu te ressemblais....
+
+LA MÈRE TYL
+
+Le jardin des Bonheurs? Je ne connais pas ça....
+
+TYLTYL, [la contemplant, puis l'embrassant.]
+
+Oui, tu étais plus belle, mais je t'aime mieux comme ça...
+
+MYTYL, [l'embrassant également.]
+
+Moi aussi, moi aussi....
+
+LA MÈRE TYL, [attendrie, mais fort inquiète.]
+
+Mon Dieu! qu'est-ce qu'ils ont?... Je vais les perdre aussi,
+comme j'ai perdu les autres!... [Subitement affolée, elle
+appelle.] Papa Tyl! Papa Tyl!... Venez donc! Les petits sont
+malades!...
+
+ [Entre le Père Tyl, très calme une hache à la main.]
+
+LE PÈRE TYL
+
+Qu'y a-t-il?...
+
+TYLTYL et MYTYL [accourant joyeusement pour embrasser leur père.]
+
+Tiens, Papa!... C'est Papa!... Bonjour, Papa!... Tu as bien
+travaillé cette année?...
+
+LE PÈRE TYL
+
+Eh bien, quoi?... Qu'est-ce que c'est?... Ils n'ont pas l'air
+malade; ils ont fort bonne mine....
+
+LA MÈRE TYL, [larmoyante.]
+
+Il ne faut pas s'y fier.... Ce sera comme les autres.... Ils
+avaient fort bonne mine aussi, jusqu'à la fin; et puis le bon
+Dieu les a pris.... Je ne sais ce qu'ils ont.... Je les avais
+couchés bien tranquillement hier au soir; et ce matin, quand ils
+s'éveillent, voilà que tout va mal.... Ils ne savent plus ce
+qu'ils disent; ils parlent d'un voyage.... Ils ont vu la Lumière,
+grand-papa, grand'maman, qui sont morts mais qui se portent
+bien....
+
+TYLTYL
+
+Mais bon-papa, il a toujours sa jambe de bois....
+
+MYTYL
+
+Et bonne-maman ses rhumatismes....
+
+LA MÈRE TYL
+
+Tu entends?... Cours chercher le médecin!...
+
+LE PÈRE TYL
+
+Mais non, mais non.... Ils ne sont pas encore morts.... Voyons,
+nous allons voir.... [On frappe à la porte île la maison.]
+Entrez!
+
+ [Entre la Voisine, petite vieille qui ressemble à la Fée du
+ premier acte, et qui marche en s'appuyant sur un bâton.]
+
+LA VOISINE
+
+Bien le bonjour et bonne fête à tous!
+
+TYLTYL
+
+C'est la Fée Bérylune!
+
+LA VOISINE
+
+Je viens chercher un peu de feu pour mon pot-au-feu de la
+fête.... Il fait bien frisquet ce matin.... Bonjour, les enfants,
+ça va bien?...
+
+TYLTYL
+
+Madame la Fée Bérylune, je n'ai pas trouvé l'Oiseau-Bleu....
+
+LA VOISINE
+
+Que dit-il?...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Ne m'en parlez pas, madame Berlingot.... Ils ne savent plus ce
+qu'ils disent.... Ils sont comme ça depuis leur réveil.... Ils
+ont dû manger quelque chose qui n'était pas bon....
+
+LA VOISINE
+
+Eh bien, Tyltyl, tu ne reconnais pas la mère Berlingot, ta
+voisine Berlingot?...
+
+TYLTYL
+
+Mais si, madame.... Vous êtes la Fée Bérylune.... Vous n'êtes pas
+fâchée?...
+
+LA VOISINE
+
+Béry.... quoi?
+
+TYLTYL
+
+Bérylune
+
+LA VOISINE
+
+Berlingot, tu veux dire Berlingot....
+
+TYLTYL
+
+Bérylune, Berlingot, comme vous voudrez, madame.... Mais Mytyl
+qui sait bien....
+
+LA MÈRE TYL
+
+Voilà le pis, c'est que Mytyl aussi....
+
+LE PÈRE TYL
+
+Bah, bah!... Cela se passera; je vais leur donner quelques
+claques....
+
+LA VOISINE
+
+Laissez donc, ce n'est pas la peine.... Je connais ça; c'est rien
+qu'un peu de songeries.... Ils auront dormi dans un rayon de
+lune.... Ma petite fille qu'est bien malade est souvent comme
+ça....
+
+LA MÈRE TYL
+
+A propos, comment qu'elle va, ta petite fille?
+
+LA VOISINE
+
+Couci-couci.... Elle ne peut se lever.... Le docteur dit que
+c'est les nerfs.... Tout de même je sais bien ce qui la
+guérirait.... Elle me le demandait encore ce matin, pour son
+petit noël; c'est une idée qu'elle a....
+
+LA MÈRE TYL
+
+Oui, je sais, c'est toujours l'oiseau de Tyltyl.... Eh bien,
+Tyltyl, ne vas-tu pas le lui donner enfin, à cette pauvre
+petite?...
+
+TYLTYL
+
+Quoi, Maman?...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Ton oiseau.... Pour ce que tu en fais.... Tu ne le regardes même
+plus.... Elle en meurt d'envie depuis si longtemps!...
+
+TYLTYL
+
+Tiens, c'est vrai, mon oiseau.... Où est-il?... Ah! mais voilà la
+cage!... Mytyl, vois-tu la cage?... C'est celle que portait le
+Pain.... Oui, oui, c'est bien la même; mais il n'y a plus qu'un
+oiseau.... Il a donc mangé l'autre?... Tiens, tiens!... Mais il
+est bleu!... Mais c'est ma tourterelle!... Mais elle est bien
+plus bleue que quand je suis parti!... Mais c'est là
+l'Oiseau-Bleu que mous avons cherché!... Nous sommes allés si
+loin et il était ici!... Ah! ça, c'est épatant!... Mytyl, vois-tu
+l'oiseau?... Que dirait la Lumière?... Je vais décrocher la
+Cage.... [Il monte sur une chaise et décroche la cage qu'il
+apporte à la Voisine.] La voilà, madame Berlingot.... Il n'est
+pas encore tout à fait bleu; ça viendra, vous verrez.... Mais
+portez-le bien vite à votre petite fille....
+
+LA VOISINE
+
+Non?... Vrai?... Tu me le donnes, comme ça, tout de suite et pour
+rien?... Dieu! qu'elle va être heureuse!... [Embrassant Tyltyl.]
+Il faut que je t'embrasse!... Je me sauve!... Je me sauve!...
+
+TYLTYL
+
+Oui, oui; allez vite.... Il y en a qui changent de couleur....
+
+LA VOISINE
+
+Je reviendrai vous dire ce qu'elle aura dit....
+
+ [Elle sort.]
+
+TYLTYL, [après avoir longuement regardé autour de soi.]
+
+Papa, Maman; qu'avez-vous fait à la maison?... C'est la même
+chose; mais elle est bien plus belle....
+
+LE PÈRE TYL
+
+Comment, elle est plus belle?...
+
+TYLTYL
+
+Mais oui, tout est repeint, tout est remis à neuf, tout reluit,
+tout est propre.... Ça n'était pas comme ça, l'année dernière....
+
+LE PÈRE TYL
+
+L'année dernière?...
+
+TYLTYL, [allant à la fenêtre.]
+
+Et la forêt qu'on voit!... Est-elle grande, est-elle belle!... On
+croirait qu'elle est neuve!... Qu'on est heureux ici!... [Allant
+ouvrir la huche.] Où est le Pain?... Tiens, ils sont bien
+tranquilles.... Et puis, voilà Tylô!... Bonjour, Tylô, Tylô!...
+Ah! tu t'es bien battu!... Te rappelles-tu dans la forêt?...
+
+MYTYL
+
+Et Tylette?... Elle me reconnaît bien, mais elle ne parle
+plus....
+
+TYLTYL
+
+Monsieur le Pain.... [Se tâtant le front.] Tiens, je n'ai plus le
+Diamant! Qui est-ce qui m'a pris mon petit chapeau vert?... Tant
+pis! je n'en ai plus besoin....--Ah! le Feu!... Il est bon!... Il
+pétille en riant pour faire enrager l'Eau.... [Courant à la
+fontaine.]--Et l'Eau?... Bonjour, l'Eau!... Que dit-elle?... Elle
+parle toujours, mais je ne la comprends plus aussi bien..
+
+MYTYL
+
+Je ne vois pas le Sucre....
+
+TYLTYL
+
+Dieu que je suis heureux, heureux, heureux!...
+
+MYTYL
+
+Moi aussi, moi aussi!...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Qu'ont-ils donc à tourniller comme ça?...
+
+LE PÈRE TYL
+
+Laisse donc, t'inquiète pas.... Ils jouent à être heureux....
+
+TYLTYL
+
+Moi, j'aimais surtout la Lumière.... Où est sa lampe?... Est-ce
+qu'on peut l'allumer?... [Regardant encore autour de soi.] Dieu!
+que c'est beau tout ça et que je suis content!...
+
+ [On frappe à la porte de la maison.]
+
+LE PÈRE TYL
+
+Entrez donc!...
+
+ [Entre la Voisine, tenant par la main une petite fille d'une
+ beauté blonde et merveilleuse qui serre dans ses bras la
+ tourterelle de Tyltyl.]
+
+LA VOISINE
+
+Vous voyez le miracle!...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Pas possible!... Elle marche?...
+
+LA VOISINE
+
+Elle marche!... C'est-à-dire qu'elle court, qu'elle danse,
+qu'elle vole!... Quand elle a vu l'oiseau, elle a sauté, comme
+ça, d'un saut, vers la fenêtre, pour voir à la lumière si c'était
+bien la tourterelle de Tyltyl.... Et puis pfff!... dans la rue,
+comme un ange.... C'est tout juste si je pouvais la suivre....
+
+TYLTYL, [s'approchant, émerveillé.]
+
+Oh! qu'elle ressemble à la Lumière!...
+
+MYTYL
+
+Elle est bien plus petite....
+
+TYLTYL
+
+Sûr!... Mais elle grandira...
+
+LA VOISINE
+
+Que disent-ils?... Ça ne va pas encore?...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Ça va mieux, ça se passe.... Quand ils auront déjeuné, il n'y
+paraîtra plus....
+
+LA VOISINE, [poussant la petite fille dans les bras de Tyltyl.]
+
+Allons, va, ma petite, va remercier Tyltyl....
+
+ [Tyltyl, soudainement intimidé, recule d'un pas.]
+
+LA MÈRE TYL
+
+Eh bien, Tyltyl, qu'est-ce que t'as?... T'as peur de la petite
+fille?... Voyons, embrasse-la.... Voyons, un gros baiser....
+Mieux que ça.... Toi si effronté d'habitude!... Encore un!...
+Mais qu'est-ce donc que t'as?... On dirait que tu vas pleurer....
+
+ [Tyltyl, après avoir gauchement embrassé la petite fille,
+ reste un moment debout devant elle, et les deux enfants se
+ regardent sans rien dire; puis, Tyltyl caressant la tète de
+ l'oiseau.]
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'il est assez bleu?...
+
+LA PETITE FILLE
+
+Mais oui, je suis contente....
+
+TYLTYL
+
+J'en ai vu de plus bleus.... Mais les tout à fait bleus, tu sais,
+on a beau faire, on ne peut pas les attraper.
+
+LA PETITE FILLE
+
+Ça ne fait rien, il est bien joli....
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'il a mangé?...
+
+LA PETITE FILLE
+
+Pas encore.... Qu'est-ce qu'il mange?...
+
+TYLTYL
+
+De tout, du blé, du pain, du maïs, des cigales....
+
+LA PETITE FILLE
+
+Comment qu'il mange, dis?...
+
+TYLTYL
+
+Par le bec, tu vas voir, je vais te montrer....
+
+ [Il va pour prendre l'oiseau des mains de la petite fille;
+ celle-ci résiste instinctivement, et, profitant de
+ l'hésitation de leur geste, la tourterelle s'échappe et s'en
+ vole.]
+
+LA PETITE FILLE, [poussant un cri de désespoir.]
+
+Maman!... Il est parti!...
+
+ [Elle éclate en sanglots.]
+
+TYLTYL
+
+Ce n'est rien.... Ne pleure pas.... Je le rattraperai....
+[S'avançant sur le devant de la scène et s'adressant au public.]
+Si quelqu'un le retrouve, voudrait-il nous le rendre?... Nous en
+avons besoin pour être heureux plus tard....
+
+
+RIDEAU
+
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of L'oiseau bleu, by Maurice Maeterlinck
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'OISEAU BLEU ***
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@@ -0,0 +1,8147 @@
+The Project Gutenberg EBook of L'oiseau bleu, by Maurice Maeterlinck
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: L'oiseau bleu
+ Feerie en six actes et douze tableaux
+
+Author: Maurice Maeterlinck
+
+Release Date: February 12, 2012 [EBook #38849]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'OISEAU BLEU ***
+
+
+
+
+Produced by Annemie Arnst & Marc D'Hooghe at
+http://www.freeliterature.org (From images generously made
+available by the Internet Archive.)
+
+
+
+
+
+L'OISEAU BLEU
+
+par
+
+MAURICE MAETERLINCK
+
+
+FÉERIE EN SIX ACTES ET DOUZE TABLEAUX
+
+_Représentée pour la première fois,_
+_sur le Théâtre Artistique de Moscou, le 30 Septembre 1908,_
+_et à Paris, sur la scène du Théâtre Réjane,_
+_le 2 Mars 1911._
+
+
+
+PARIS
+
+Librairie CHARPENTIER et FASQUELLE
+
+EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR
+
+11, RUE DE GRENELLE, 11
+
+1911
+
+
+
+
+COSTUMES
+
+
+TYLTYL: Costume du Petit-Poucet dans les contes de Perrault:
+petite culotte rouge-vermillon, courte veste bleu tendre, bas
+blancs, souliers ou bottines de cuir fauve.
+
+MYTYL: Costume de Grethel ou bien du Petit Chaperon rouge.
+
+LA LUMIÈRE: Robe couleur de lune, c'est-à-dire d'or pâle à
+reflets d'argent, gazes scintillantes, formant des rayons, etc.
+Style néo-grec ou anglo-grec genre Walter Crane ou même plus ou
+moins Empire.--Taille haute, bras nus, etc.--Coiffure: sorte de
+diadème ou même de couronne légère.
+
+LA FÉE BÉRYLUNE, LA VOISINE BERLINGOT: Costume classique des
+pauvresses de contes de fées. On pourrait supprimer au premier
+acte la transformation de la Fée en princesse.
+
+LE PÈRE TYL, LA MÈRE TYL, GRAND-PAPA TYL, GRAND'MAMAN TYL:
+Costumes légendaires des bûcherons et des paysans allemands dans
+les contes de Grimm.
+
+LES FRÈRES ET SOEURS DE TYLTYL: Variantes du costume du
+Petit-Poucet.
+
+LE TEMPS: Costume classique du Temps: vaste manteau noir ou gros
+bleu, barbe blanche et flottante, faulx, sablier.
+
+L'AMOUR MATERNEL: Costume à peu près semblable à celui de la
+Lumière, c'est-à-dire voiles souples et presque transparents de
+statue grecque, blancs autant que possible. Perles et pierreries
+aussi riches et aussi nombreuses qu'on voudra, pourvu qu'elles ne
+rompent pas l'harmonie pure et candide de l'ensemble.
+
+LES GRANDES JOIES: Comme il est dit dans le texte, robes
+lumineuses aux subtiles et suaves nuances: réveil de rose,
+sourire d'eau, rosée d'ambre, azur d'aurore, etc.
+
+LES BONHEURS DE LA MAISON: Robes de diverses couleurs, ou si l'on
+veut, costumes de paysans, de bergers, de bûcherons, etc., mais
+idéalisés et féeriquement interprétés.
+
+LES GROS BONHEURS: Avant la transformation: amples et lourds
+manteaux de brocarts rouges et jaunes, bijoux énormes et épais,
+etc. Après la transformation: maillots café ou chocolat, donnant
+l'impression de pantins en baudruche.
+
+LA NUIT: Amples vêtements noirs mystérieusement constellés, à
+reflets mordorés. Voiles, pavots sombres, etc.
+
+LA PETITE FILLE DE LA VOISINE: Chevelure blonde et lumineuse,
+longue robe blanche.
+
+LE CHIEN: Habit rouge, culotte blanche, bottes vernies, chapeau
+ciré; costume rappelant plus ou moins celui de John Bull.
+
+LA CHATTE: Maillot de soie noire à paillettes
+
+Il convient que les têtes de ces deux personnages soient
+discrètement animalisées.
+
+LE PAIN: Somptueux costume de pacha. Ample robe de soie ou de
+velours cramoisi, broché d'or. Vaste turban. Cimeterre. Ventre
+énorme, face rouge et extrêmement joufflue.
+
+LE SUCRE: Robe de soie, dans le genre de celles des eunuques,
+mi-partie de blanc et de bleu pour rappeler le papier d'emballage
+des pains de sucre; Coiffure des gardiens du sérail.
+
+LE FEU: Maillot rouge, manteau vermillon à reflets chatoyants,
+doublé d'or. Aigrette de flammes versicolores.
+
+L'EAU: Robe couleur du temps du conte de Peau d'Ane, c'est-à-dire
+bleuâtre ou glauque, à reflets transparents, effets de gaze
+ruisselante, également style néo ou anglo-grec, mais plus ample,
+plus flottant. Coiffure de fleurs et d'algues ou de roseaux.
+
+LES ANIMAUX: Costumes populaires ou paysans.
+
+LES ARBRES: Robes, nuances variées du vert ou de la teinte tronc
+d'arbres. Attributs, feuilles ou branches qui les fassent
+reconnaître.
+
+
+
+
+TABLEAUX
+
+
+1er TABLEAU (acte I): _La Cabane du Bûcheron._
+
+2e TABLEAU (acte II): _Chez la Fée._
+
+3e TABLEAU (acte II): _Le Pays du Souvenir._
+
+4e TABLEAU (acte III): _Le Palais de la Nuit._
+
+5e TABLEAU (acte III): _La Forêt._
+
+6e TABLEAU (acte IV): _Devant le Rideau._
+
+7e TABLEAU (acte IV): _Le Cimetière._
+
+8e TABLEAU (acte IV): _Devant le Rideau._
+
+9e TABLEAU (acte IV): _Le Palais des Bonheurs._
+
+10e TABLEAU (acte V): _Le Royaume de l'Avenir._
+
+11e TABLEAU (acte VI): _L'Adieu._
+
+12e TABLEAU (acte VI): _Le Réveil._
+
+
+
+
+PERSONNAGES
+
+(dans l'ordre de leur entrée en scène)
+
+
+ LA MÈRE TYL -- Mlle Méthivet.
+ TYLTYL -- M. Delphin.
+ MYTYL -- Mlle Odette Carlia.
+ LA FÉE -- Mme Gina Barbieri.
+ LE PAIN -- MM. R.L. Fugère.
+ LE FEU -- Aurèle Sydney.
+ L'EAU -- Mlles Isis.
+ LE LAIT -- Diris.
+ LE SUCRE -- MM. Bosman.
+ LE CHIEN -- Séverin-Mars.
+ LE CHAT -- Stephen.
+ LA LUMIÈRE -- Mme Georgette Leblanc.
+ { Mlles Nini Mano.
+ { Henriette Maillefer.
+ { Fernande Fayeret.
+ { Blanche Faveret.
+ { Suzanne Bailly.
+ LES HEURES -- { Raymonde Faveret.
+ { Laurence Petit.
+ { Jane Faveret.
+ { Berthe Libovitz.
+ { Antoinette Raymond.
+ { Deroissy.
+ { Georges.
+
+ LE PÈRE TYL -- M. Félix Barré.
+ GRAND'MÈRE TYL -- Mme Daynes Grassot.
+ GRAND-PÈRE TYL -- M. Maillard.
+ PIERROT -- Mlles Suterre.
+ ROBERT -- Maria Fromet.
+ JEANNETTE -- Jeanne Evrard.
+ MADELEINE -- Giavelli.
+ PIERRETTE -- Henriette Gallet.
+ PAULINE -- Henriette Maillefer.
+ RIQUETTE -- Nini Mano
+ LA NUIT -- Clarel.
+ LE SOMMEIL -- Louise Starck.
+ LA MORT -- Rachel Horelick.
+ LE RHUME DE CERVEAU -- Renée Dahon.
+ 1er ENFANT BLEU -- Maria Fromet.
+ 2e -- -- Laura Walter.
+ 3e -- -- Maria Dumont.
+ 4e -- -- Fernande Faveret.
+ 5e -- -- Maud Loti.
+ 6e -- -- Suterre.
+ 7e -- -- Suzanne Bailly.
+ 8e -- -- Giavelli.
+ 9e -- -- Madeleine Fromet.
+ LE ROI DES NEUF PLANÈTES -- Batistina Rousseau.
+ 11e ENFANT BLEU -- Renée Pré.
+ 12e -- -- Henriette Maillefer.
+ 13e -- -- Béatrice Raymond.
+ 14e -- -- Jeanne Corrège.
+ L'AMOUREUX -- Lucy Fleury.
+ L'AMOUREUSE -- Blanche Borelli.
+ LE TEMPS -- M. Garry.
+ LE PETIT FRÈRE A NAITRE. -- Mlle Maria Fromet.
+ { Mlles Berthe Libovitz.
+ { Fernande Faveret.
+ { Suzanne Faveret.
+ { Blanche Faveret.
+ { Raymonde Faveret.
+ LES AUTRES ENFANTS BLEUS: -- { Mlles Henriette Gallet.
+ { Jeanne Evrard.
+ { Denise Choquet.
+ { Léa Dumont.
+ { Marcelle Malherbe.
+ { Juliette Malherbe.
+ { Lucienne Chezeaux.
+ { Dupechier.
+
+ { Mlles Deroissy.
+ { George.
+ LES GARDIENNES -- { Théloz.
+ { Albert.
+
+ LE CHEF DES GROS BONHEURS. M. Barré.
+ LES AUTRES BONHEURS { MM. Alfroy.
+ { Adalbert, etc.
+
+ { Mlle Lucienne Chezaux.
+ { Nini Mano.
+ { Jeanne Corrège.
+ LES PETITS BONHEURS -- { Henriette Maillefer.
+ { Fernand Faveret.
+ { Blanche Faveret.
+ { Louise Starck.
+ { Rachel Horelick.
+
+ { Jane Faveret.
+ { Raymonde Faveret.
+ LES ADOLESCENTS -- { Maud Loti.
+ { Annette Libovitz.
+ { Laurence Petit.
+
+ LE CHEF DES BONHEURS { Mlles Renée Beauval.
+
+ LE BONHEUR DE SE BIEN
+ PORTER { Dorchèze.
+ -- DE L'AIR PUR { Fleury.
+ -- D'AIMER SES PARENTS { Gannoz.
+ -- DU CIEL BLEU { Blanche Borelli.
+ -- DE LA FORÊT { Diris.
+
+ LE BONHEUR DES HEURES DE
+ SOLEIL { Mlles Boissière.
+ -- DU PRINTEMPS { Renée Dahon.
+ -- DES COUCHERS DE SOLEIL { Soyez.
+ -- DE VOIR SE LEVER
+ LES ÉTOILES { Georges.
+ -- DE LA PLUIE { Darièze.
+ -- DU FEU D'HIVER { Carène.
+ -- DES PENSÉES INNOCENTES { Laura Walter.
+ -- DE COURIR NU-PIEDS
+ DANS LA ROSÉE { Antoinette Raymond.
+
+ LA JOIE D'ÊTRE JUSTE { Albert.
+ -- D'ÊTRE BONNE { Bulaine.
+ -- DE LA GLOIRE { Théloz.
+ -- DE PENSER { Deroissy.
+ -- DE COMPRENDRE { Lefebvre.
+ -- DE VOIR CE QUI EST BEAU { Didier.
+ -- D'AIMER { Dervil.
+
+ L'AMOUR MATERNEL { Méthivet.
+
+ { Soyez.
+ LES JOIES INCONNUES { Delettraz.
+ { Dessoyer, etc.
+
+ LA VOISINE BERLINGOT { Mme Gina Barbieri.
+
+ SA PETITE FILLE { Mlle Juliette Malherbe.
+
+
+
+
+
+
+
+L'OISEAU BLEU
+
+
+
+
+ACTE PREMIER
+
+
+
+
+PREMIER TABLEAU
+
+
+LA CABANE DU BÛCHERON
+
+
+Le théâtre représente l'intérieur d'une cabane de bûcheron,
+simple, rustique, mais non point misérable.--Cheminée à manteau
+où s'assoupit un feu de bûches.--Ustensiles de cuisine, armoire,
+huche, horloge à poids, rouet, fontaine, etc.--Sur une table, une
+lampe allumée.--Au pied de l'armoire, de chaque côté de
+celle-ci, endormis, pelotonnés, le nez sous la queue, un Chien et
+une Chatte.--Entre eux deux, un grand pain de sucre blanc et
+bleu.--Accrochée au mur, une cage ronde renfermant une
+tourterelle.--Au fond, deux fenêtres dont les volets intérieurs
+sont fermés.--Sous l'une des fenêtres, un escabeau.--A gauche, la
+porte d'entrée de la maison, munie d'un gros loquet.--A droite,
+une autre porte.--Échelle menant à un grenier.--Également à
+droite, deux petits lits d'enfant, au chevet desquels, sur deux
+chaises, des vêtements se trouvent soigneusement pliés.
+
+ * * * * *
+
+ [Au lever du rideau, Tyltyl et Mytyl sont profondément
+ endormis dans leurs petits lits. La Mère Tyl les borde une
+ dernière fois, se penche sur eux, contemple un moment leur
+ sommeil, et appelle de la main le père Tyl qui passe la tête
+ dans l'entrebâillement de la porte. La Mère Tyl met un doigt
+ sur les lèvres pour lui commander le silence, puis sort à
+ droite sur la pointe des pieds, après avoir éteint la lampe.
+ La scène reste obscure un instant, puis une lumière dont
+ l'intensité augmente peu à peu filtre par les lames des
+ volets. La lampe sur la table se rallume d'elle-même. Les
+ deux enfants semblent s'éveiller et se mettent sur leur
+ séant.]
+
+TYLTYL
+
+Mytyl?
+
+MYTYL
+
+Tyltyl?
+
+TYLTYL
+
+Tu dors?
+
+MYTYL
+
+Et toi?...
+
+TYLTYL
+
+Mais non, je dors pas puisque je te parle....
+
+MYTYL:
+
+C'est Noël, dis?...
+
+TYLTYL
+
+Pas encore; c'est demain. Mais le petit Noël n'apportera rien
+cette année....
+
+MYTYL
+
+Pourquoi?...
+
+TYLTYL
+
+J'ai entendu maman qui disait qu'elle n'avait pu aller à la ville
+pour le prévenir.... Mais il viendra l'année prochaine....
+
+MYTYL
+
+C'est long, l'année prochaine?...
+
+TYLTYL
+
+Ce n'est pas trop court.... Mais il vient cette nuit chez les
+enfants riches....
+
+MYTYL
+
+Ah?...
+
+TYLTYL
+
+Tiens!... Maman a oublié la lampe!... J'ai une idée?...
+
+MYTYL
+
+?...
+
+TYLTYL
+
+Nous allons nous lever....
+
+MYTYL
+
+C'est défendu....
+
+TYLTYL
+
+Puisqu'il n'y a personne.... Tu vois les volets?...
+
+MYTYL
+
+Oh! qu'ils sont clairs!...
+
+TYLTYL
+
+C'est les lumières de la fête.
+
+MYTYL
+
+Quelle fête?
+
+TYLTYL
+
+En face, chez les petits riches. C'est l'arbre de Noël. Nous
+allons les ouvrir....
+
+MYTYL
+
+Est-ce qu'on peut?
+
+TYLTYL
+
+Bien sûr, puisqu'on est seuls.... Tu entends la musique?...
+Levons-nous....
+
+ Les deux enfants se lèvent, courent à l'une des fenêtres,
+ montent sur l'escabeau et poussent les volets. Une vive
+ clarté pénètre dans la pièce. Les enfants regardent
+ avidement au dehors.
+
+TYLTYL
+
+On voit tout!...
+
+MYTYL, [qui ne trouve qu'une place précaire sur l'escabeau.]
+
+Je vois pas....
+
+TYLTYL
+
+Il neige!... Voilà deux voitures à six chevaux!...
+
+MYTYL Il en sort douze petits garçons!...
+
+TYLTYL
+
+T'es bête!... C'est des petites filles....
+
+MYTYL
+
+Ils ont des pantalons....
+
+TYLTYL
+
+Tu t'y connais.... Ne me pousse pas ainsi!...
+
+MYTYL
+
+Je t'ai pas touché.
+
+TYLTYL, [qui occupe à lui seul tout l'escabeau.]
+
+Tu prends toute la place....
+
+MYTYL
+
+Mais j'ai pas du tout de place!...
+
+TYLTYL
+
+Tais-toi donc, on voit l'arbre!...
+
+MYTYL
+
+Quel arbre?...
+
+TYLTYL
+
+Mais l'arbre de Noël!... Tu regardes le mur!...
+
+MYTYL
+
+Je regarde le mur parce qu'y a pas de place....
+
+TYLTYL, [lui cédant une petite place avare sur l'escabeau.]
+
+Là!... En as-tu assez?... C'est-y pas la meilleure?... Il y en a
+des lumières! Il y en a!...
+
+MYTYL
+
+Qu'est-ce qu'ils font donc ceux qui font tant de bruit?...
+
+TYLTYL
+
+Ils font de la musique.
+
+MYTYL
+
+Est-ce qu'ils sont fâchés?...
+
+TYLTYL
+
+Non, mais c'est fatigant.
+
+MYTYL
+
+Encore une voiture attelée de chevaux blancs!...
+
+TYLTYL
+
+Tais-toi!... Regarde donc!...
+
+MYTYL
+
+Qu'est-ce qui pend là, en or, après les branches?...
+
+TYLTYL
+
+Mais les jouets, pardi!... Des sabres, des fusils, des soldats,
+des canons....
+
+MYTYL
+
+Et des poupées, dis, est-ce qu'on en a mis?...
+
+TYLTYL
+
+Des poupées?... C'est trop bête; ça ne les amuse pas....
+
+MYTYL
+
+Et autour de la table, qu'est-ce que c'est tout ça?...
+
+TYLTYL
+
+C'est des gâteaux, des fruits, des tartes à la crème....
+
+MYTYL
+
+J'en ai mangé une fois, lorsque j'étais petite....
+
+TYLTYL
+
+Moi aussi; c'est meilleur que le pain, mais on en a trop peu....
+
+MYTYL
+
+Ils n'en ont pas trop peu.... Il y en a plein la table.... Est-ce
+qu'ils vont les manger?...
+
+TYLTYL
+
+Bien sûr; qu'en feraient-ils?...
+
+MYTYL
+
+Pourquoi qu'ils ne les mangent pas tout de suite?...
+
+TYLTYL
+
+Parce qu'ils n'ont pas faim....
+
+MYTYL, stupéfaite.
+
+Ils n'ont pas faim?... Pourquoi?...
+
+TYLTYL
+
+C'est qu'ils mangent quand ils veulent....
+
+MYTYL, incrédule.
+
+Tous les jours?...
+
+TYLTYL
+
+On le dit....
+
+MYTYL
+
+Est-ce qu'ils mangeront tout?... Est-ce qu'ils en donneront?...
+
+TYLTYL
+
+A qui?...
+
+MYTYL
+
+A nous....
+
+TYLTYL
+
+Ils ne nous connaissent pas....
+
+MYTYL
+
+Si on leur demandait?...
+
+TYLTYL
+
+Cela ne se fait pas.
+
+MYTYL
+
+Pourquoi?...
+
+TYLTYL
+
+Parce que c'est défendu.
+
+MYTYL, battant des mains.
+
+Oh! qu'ils sont donc jolis!...
+
+TYLTYL, enthousiasmé.
+
+Et ils rient et ils rient!...
+
+MYTYL
+
+Et les petits qui dansent!...
+
+TYLTYL
+
+Oui, oui, dansons aussi!...
+
+ Ils trépignent de joie sur l'escabeau.
+
+MYTYL
+
+Oh! que c'est amusant!...
+
+TYLTYL
+
+On leur donne les gâteaux!... Ils peuvent y toucher!... Ils
+mangent! ils mangent! ils mangent!...
+
+MYTYL
+
+Les plus petits aussi!... Ils en ont deux, trois, quatre!...
+
+TYLTYL, [ivre de joie.]
+
+Oh! c'est bon!... Que c'est bon! que c'est bon!...
+
+MYTYL, [comptant des gâteaux imaginaires.]
+
+Moi, j'en ai reçu douze!...
+
+TYLTYL
+
+Et moi quatre fois douze!... Mais je t'en donnerai....
+
+ On frappe à la porte de la cabane.
+
+TYLTYL, [subitement calmé et effrayé.]
+
+Qu'est-ce que c'est?...
+
+MYTYL, [épouvantée.]
+
+C'est papa!...
+
+ Comme ils tardent à ouvrir, on voit le gros loquet se
+ soulever de lui-même, en grinçant; la porte s'entrebâille
+ pour livrer passage à une petite vieille habillée de vert et
+ coiffée d'un chaperon rouge. Elle est bossue, boiteuse,
+ borgne; le nez et le menton se rencontrent, et elle marche
+ courbée sur un bâton. Il n'est pas douteux que ce ne soit
+ une fée.
+
+LA FÉE
+
+Avez-vous ici l'herbe qui chante ou l'oiseau qui est bleu?...
+
+TYLTYL
+
+Nous avons de l'herbe, mais elle ne chante pas....
+
+MYTYL
+
+Tyltyl a un oiseau.
+
+TYLTYL
+
+Mais je ne peux pas le donner....
+
+LA FÉE
+
+Pourquoi?...
+
+TYLTYL
+
+Parce qu'il est à moi.
+
+LA FÉE
+
+C'est une raison, bien sûr. Où est-il, cet oiseau?...
+
+TYLTYL, [montrant la cage.]
+
+Dans la cage....
+
+LA FÉE, [mettant ses besicles pour examiner l'oiseau.]
+
+Je n'en veux pas; il n'est pas assez bleu. Il faudra que vous
+m'alliez chercher celui dont j'ai besoin.
+
+TYLTYL
+
+Mais je ne sais pas où il est....
+
+LA FÉE
+
+Moi non plus. C'est pourquoi il faut le chercher. Je puis à la
+rigueur me passer de l'herbe qui chante; mais il me faut
+absolument l'Oiseau Bleu. C'est pour ma petite fille qui est très
+malade.
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce qu'elle a?...
+
+LA FÉE
+
+On ne sait pas au juste; elle voudrait être heureuse....
+
+TYLTYL
+
+Ah?...
+
+LA FÉE
+
+Savez-vous qui je suis?...
+
+TYLTYL
+
+Vous ressemblez un peu à notre voisine, Madame Berlingot....
+
+LA FÉE, se fâchant subitement.
+
+En aucune façon.... Il n'y a aucun rapport.... C'est
+abominable!... Je suis la Fée Bérylune....
+
+TYLTYL
+
+Ah! très bien....
+
+LA FÉE
+
+Il faudra partir tout de suite.
+
+TYLTYL
+
+Vous viendrez avec nous?...
+
+LA FÉE
+
+C'est absolument impossible à cause du pot-au-feu que j'ai mis ce
+matin et qui s'empresse de déborder chaque fois que je m'absente
+plus d'une heure.... [Montrant successivement le plafond, la
+cheminée et la fenêtre.] Voulez-vous sortir par ici, par là ou
+par là?...
+
+TYLTYL, [montrant timidement la porte.]
+
+J'aimerais mieux sortir par là....
+
+LA FÉE, [se fâchant encore subitement.]
+
+C'est absolument impossible, et c'est une habitude révoltante!...
+[Indiquant la fenêtre.] Nous sortirons par là.... Eh bien!...
+Qu'attendez-vous?... Habillez-vous tout de suite.... [Les enfants
+obéissent et s'habillent rapidement.] Je vais aider Mytyl....
+
+TYLTYL
+
+Nous n'avons pas de souliers....
+
+LA FÉE
+
+Ça n'a pas d'importance. Je vais vous donner un petit chapeau
+merveilleux. Où sont donc vos parents?...
+
+TYLTYL, [montrant la porte à droite.]
+
+Ils sont là; ils dorment....
+
+LA FÉE
+
+Et votre bon-papa et votre bonne-maman?...
+
+TYLTYL
+
+Ils sont morts....
+
+LA FÉE
+
+Et vos petits frères et vos petites soeurs.... Vous en
+avez?...
+
+TYLTYL
+
+Oui, oui; trois petits frères....
+
+MYTYL
+
+Et quatre petites soeurs....
+
+LA FÉE
+
+Où sont-ils?...
+
+TYLTYL
+
+Ils sont morts aussi....
+
+LA FÉE
+
+Voulez-vous les revoir?...
+
+TYLTYL
+
+Oh oui!... Tout de suite!... Montrez-les!...
+
+LA FÉE
+
+Je ne les ai pas dans ma poche.... Mais ça tombe à merveille;
+vous les reverrez en passant par le pays du Souvenir. C'est sur
+la route de l'Oiseau-Bleu. Tout de suite à gauche, après le
+troisième carrefour.--Que faisiez-vous quand j'ai frappé?...
+
+TYLTYL
+
+Nous jouions à manger des gâteaux.
+
+LA FÉE
+
+Vous avez des gâteaux?... Où sont-ils?
+
+TYLTYL
+
+Dans le palais des enfants riches.... Venez voir, c'est si
+beau!...
+
+ [Il entraîne la Fée vers la fenêtre.]
+
+LA FÉE, à la fenêtre.
+
+Mais ce sont les autres qui les mangent!...
+
+TYLTYL
+
+Oui; mais puisqu'on voit tout....
+
+LA FÉE
+
+Tu ne leur en veux pas?...
+
+TYLTYL
+
+Pourquoi?...
+
+LA FÉE
+
+Parce qu'ils mangent tout. Je trouve qu'ils ont grand tort de ne
+pas t'en donner....
+
+TYLTYL
+
+Mais non, puisqu'ils sont riches.... Hein? que c'est beau chez
+eux!...
+
+LA FÉE
+
+Ce n'est pas plus beau que chez toi.
+
+TYLTYL
+
+Heu!... Chez nous c'est plus noir, plus petit, sans gâteaux....
+
+LA FÉE
+
+C'est absolument la même chose; c'est que tu n'y vois pas....
+
+TYLTYL
+
+Mais si, j'y vois très bien, et j'ai de très bons yeux. Je lis
+l'heure au cadran de l'église que papa ne voit pas....
+
+LA FÉE, [se fâchant subitement.]
+
+Je te dis que tu n'y vois pas!... Comment donc me vois-tu?...
+Comment donc suis-je faite?... [Silence gêné de Tyltyl.] Eh bien,
+répondras-tu? que je sache si tu vois?... Suis-je belle ou bien
+laide?... [Silence de plus en plus embarrassé.] Tu ne veux pas
+répondre?... Suis-je jeune ou bien veille?... Suis-je rose ou
+bien jaune?... j'ai peut-être une bosse?...
+
+TYLTYL, [conciliant.]
+
+Non, non, elle n'est pas grande....
+
+LA FÉE
+
+Mais si, à voir ton air, on la croirait énorme.... Ai-je le nez
+crochu et l'oeil gauche crevé?...
+
+TYLTYL
+
+Non, non, je ne dis pas.... Qui est-ce qui l'a crevé?...
+
+LA FÉE, de plus en plus irritée.
+
+Mais il n'est pas crevé!... Insolent! misérable!... Il est plus
+beau que l'autre; il est plus grand, plus clair, il est bleu
+comme le ciel.... Et mes cheveux, vois-tu?... Ils sont blonds
+comme les blés.... on dirait de l'or vierge!... Et j'en ai tant
+et tant que la tête me pèse.... Ils s'échappent de partout....
+Les vois-tu sur mes mains?...
+
+ [Elle étale deux maigres mèches de cheveux gris.]
+
+TYLTYL
+
+Oui, j'en vois quelques-uns....
+
+LA FÉE, [indignée.]
+
+Quelques-uns!... Des gerbes! des brassées! des touffes! des flots
+d'or!... Je sais bien que des gens disent qu'ils n'en voient
+point; mais tu n'es pas de ces méchantes gens aveugles, je
+suppose?...
+
+TYLTYL
+
+Non, non, je vois très bien ceux qui ne se cachent point....
+
+LA FÉE
+
+Mais il faut voir les autres avec la même audace!... C'est bien
+curieux, les hommes.... Depuis la mort des fées, ils n'y voient
+plus du tout et ne s'en doutent point.... Heureusement que j'ai
+toujours sur moi tout ce qu'il faut pour rallumer les yeux
+éteints.... Qu'est-ce que je tire de mon sac?...
+
+TYLTYL
+
+Oh! le joli petit chapeau vert!... Qu'est-ce qui brille ainsi sur
+la cocarde?...
+
+LA FÉE
+
+C'est le gros Diamant qui fait voir....
+
+TYLTYL
+
+Ah!...
+
+LA FÉE
+
+Oui; quand on a le chapeau sur la tête, on tourne un peu le
+Diamant: de droite à gauche, par exemple, tiens, comme ceci,
+vois-tu?... Il appuie alors sur une bosse de la tête que personne
+ne connaît, et qui ouvre les yeux....
+
+TYLTYL
+
+Ça ne fait pas de mal?...
+
+LA FÉE
+
+Au contraire, il est fée.... On voit à l'instant même ce qu'il y
+a dans les choses; l'âme du pain, du vin, du poivre, par
+exemple....
+
+MYTYL
+
+Est-ce qu'on voit aussi l'âme du sucre?...
+
+LA FÉE, [subitement fâchée.]
+
+Cela va sans dire!... Je n'aime pas les questions inutiles....
+L'âme du sucre n'est pas plus intéressante que celle du
+poivre.... Voilà, je vous donne ce que j'ai pour vous aider dans
+la recherche de l'Oiseau-Bleu.... Je sais bien que
+l'Anneau-qui-rend-invisible ou le Tapis-Volant vous seraient plus
+utiles.... Mais j'ai perdu la clef de l'armoire où je les ai
+serrés.... Ah! j'allais oublier.... [Montrant le Diamant.] Quand
+on le tient ainsi, tu vois.... un petit tour de plus, on revoit
+le Passé.... Encore un petit tour, et l'on voit l'Avenir....
+C'est curieux et pratique et ça ne fait pas de bruit....
+
+TYLTYL
+
+Papa me le prendra....
+
+LA FÉE
+
+Il ne le verra pas; personne ne peut le voir tant qu'il est sur
+ta tête.... Veux-tu l'essayer?... [Elle coiffe Tyltyl du petit
+chapeau vert.] A présent, tourne le Diamant.... Un tour et puis
+après....
+
+ [A peine Tyltyl a-t-il tourné le Diamant, qu'un changement
+ soudain et prodigieux s'opère en toutes choses. La vieille
+ fée est tout à coup une belle princesse merveilleuse; les
+ cailloux dont sont bâtis les murs de la cabane s'illuminent,
+ bleuissent comme des saphirs, deviennent transparents,
+ scintillent, éblouissent à l'égal des pierres les plus
+ précieuses. Le pauvre mobilier s'anime et resplendit; la
+ table de bois blanc s'affirme aussi grave, aussi noble
+ qu'une table de marbre, le cadran de l'horloge cligne de
+ l'oeil et sourit avec aménité, tandis que la porte
+ derrière quoi va et vient le balancier s'entr'ouvre et
+ laisse s'échapper les Heures, qui, se tenant les mains et
+ riant aux éclats, se mettent à danser aux sons d'une musique
+ délicieuse. Effarement légitime de Tyltyl qui s'écrie en
+ montrant les Heures.]
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que c'est que toutes ces belles dames?...
+
+LA FÉE
+
+N'aie pas peur; ce sont les heures de ta vie qui sont heureuses
+d'être libres et visibles un instant....
+
+TYLTYL
+
+Et pourquoi que les murs sont si clairs?... Est-ce qu'ils sont en
+sucre ou en pierres précieuses?...
+
+LA FÉE
+
+Toutes les pierres sont pareilles, toutes les pierres sont
+précieuses: mais l'homme n'en voit que quelques-unes....
+
+ [Pendant qu'ils parlent ainsi, la féerie continue et se
+ complète. Les âmes des Pains-de-quatre-livres, sous la forme
+ de bonshommes en maillots couleur croûte-de-pain, ahuris et
+ poudrés de farine, se dépêtrent de la huche et gambadent
+ autour de la table où ils sont rejoints par le Feu, qui,
+ sorti de l'âtre en maillot soufre et vermillon, les poursuit
+ en se tordant de rire.]
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que c'est que ces vilains bonshommes?...
+
+LA FÉE
+
+Rien de grave; ce sont les âmes des Pains-de-quatre-livres qui
+profitent du règne de la vérité pour sortir de la huche où elles
+se trouvaient à l'étroit....
+
+TYLTYL
+
+Et le grand diable rouge qui sent mauvais?...
+
+LA FÉE
+
+Chut!... Ne parle pas trop haut, c'est le Feu.... Il a mauvais
+caractère.
+
+ [Ce dialogue n'a pas interrompu la féerie. Le Chien et la
+ Chatte, couchés en rond au pied de l'armoire, poussant
+ simultanément un grand cri, disparaissent dans une trappe,
+ et à leur place surgissent deux personnages, dont l'un porte
+ un masque de bouledogue, et l'autre une tête de chatte.
+ Aussitôt, le petit homme au masque de bouledogue--que nous
+ appellerons dorénavant le Chien--se précipite sur Tyltyl
+ qu'il embrasse violemment et accable île bruyantes et
+ impétueuses caresses, cependant que la petite femme au
+ masque de chatte--que nous appellerons plus simplement la
+ Chatte--se donne un coup de peigne, se lave les mains et se
+ lisse la moustache, avant de s'approcher de Mytyl.]
+
+LE CHIEN, [hurlant, sautant, bousculant tout, insupportable.]
+
+Mon petit dieu!... Bonjour! bonjour, mon petit dieu!... Enfin,
+enfin, on peut parler! J'avais tant de choses à te dire!...
+J'avais beau aboyer et remuer la queue!... Tu ne comprenais
+pas!... Mais maintenant!... Bonjour! bonjour!... Je t'aime!... Je
+t'aime!... Veux-tu que je fasse quelque chose d'étonnant?...
+Veux-tu que je fasse le beau?... Veux-tu que je marche sur les
+mains ou que je danse à la corde?...
+
+TYLTYL, à la Fée.
+
+Qu'est-ce que c'est que ce monsieur à tête de chien?...
+
+LA FÉE
+
+Mais tu ne vois donc pas?... C'est l'âme de Tylô que tu as
+délivrée....
+
+LA CHATTE, [s'approchant de Mytyl et lui tendant la main,
+cérémonieusement, avec circonspection.]
+
+Bonjour, Mademoiselle.... Que vous êtes jolie ce matin!...
+
+MYTYL
+
+Bonjour, Madame.... [A la Fée.] Qui est-ce?...
+
+LA FÉE
+
+C'est facile à voir; c'est l'âme de Tylette qui te tend la
+main.... Embrasse-la....
+
+LE CHIEN, [bousculant la Chatte.]
+
+Moi aussi!... J'embrasse le petit dieu!... J'embrasse la petite
+fille!... J'embrasse tout le monde!... Chic!... On va
+s'amuser!... Je vais faire peur à Tylette!... Hou! hou! hou!...
+
+LA CHATTE
+
+Monsieur, je ne vous connais pas....
+
+LA FÉE, [menaçant le Chien de sa baguette.]
+
+Toi, tu vas te tenir bien tranquille; sinon tu rentreras dans le
+silence, jusqu'à la fin des temps....
+
+ [Cependant, la féerie a poursuivi son cours: le Rouet s'est
+ mis à tourner vertigineusement dans son coin en filant de
+ splendides rayons de lumière; la Fontaine, dans l'autre
+ angle, se prend à chanter d'une voix sur-aiguë et, se
+ transformant en fontaine lumineuse, inonde l'évier de nappes
+ de perles et d'émeraudes, à travers lesquelles s'élance
+ l'âme de l'Eau, pareille à une jeune fille ruisselante,
+ échevelée, pleurarde, qui va incontinent se battre avec le
+ feu.]
+
+TYLTYL
+
+Et la dame mouillée?...
+
+LA FÉE
+
+N'aie pas peur, c'est l'Eau qui sort du robinet....
+
+ [Le Pot-au-lait se renverse, tombe de la table, se brise sur
+ le sol; et du lait répandu s'élève une grande forme blanche
+ et pudibonde qui semble avoir peur de tout.]
+
+TYLTYL
+
+Et la dame en chemise qui a peur?...
+
+LA FÉE
+
+C'est le Lait qui a cassé son pot....
+
+ [Le Pain-de-sucre posé au pied de l'armoire grandit,
+ s'élargit et crève son enveloppe de papier d'où émerge un
+ être doucereux: et papelard, vêtu d'une souquenille
+ mi-partie de blanc et de bleu, qui, souriant béatement,
+ s'avance vers Mytyl.]
+
+MYTYL, [avec inquiétude.]
+
+Que veut-il?...
+
+LA FÉE
+
+Mais c'est l'âme du Sucre!...
+
+MYTYL, [rassurée.]
+
+Est-ce qu'il a des sucres d'orge?...
+
+LA FÉE
+
+Mais il n'a que ça dans ses poches, et chacun de ses doigts en
+est un....
+
+ [La Lampe tombe de la table, et aussitôt tombée, sa flamme
+ se redresse et se transforme en une lumineuse vierge d'une
+ incomparable beauté. Elle est vêtue de longs voiles
+ transparents et éblouissants, et se tient immobile en une
+ sorte d'extase.]
+
+TYLTYL
+
+C'est la Reine!
+
+MYTYL
+
+C'est la Sainte Vierge!...
+
+LA FÉE
+
+Non, mes enfants, c'est la Lumière....
+
+ [Cependant, les casseroles, sur les rayons, tournent comme
+ des toupies hollandaises, l'armoire à linge claque ses
+ battants et commence un magnifique déroulement d'étoffes
+ couleur de lune et de soleil, auquel se mêlent, non moins
+ splendides, des chiffons et des guenilles qui descendent
+ l'échelle du grenier. Mais voici que trois coups assez rudes
+ sont frappés à la porte de droite.]
+
+TYLTYL, [effrayé.]
+
+C'est papa!... Il nous a entendus!...
+
+LA FÉE
+
+Tourne le Diamant!... De gauche à droite!...
+
+[Tyltyl tourne vivement le diamant.] Pas si vite!... Mon Dieu! Il
+est trop tard!... Tu l'as tourné trop brusquement. Ils n'auront
+pas le temps de reprendre leur place, et nous aurons bien des
+ennuis.... [La Fée redevient vieille femme, les murs de la cabane
+éteignent leurs splendeurs, les Heures rentrent dans l'horloge,
+le Rouet s'arrête, etc. Mais dans la hâte et le désarroi général,
+tandis que le Feu court follement autour de la pièce, à la
+recherche de la cheminée, un des Pains-de-quatre-livres, qui n'a
+pu retrouver place dans la huche, éclate en sanglots tout en
+poussant des rugissements d'épouvante.] Qu'y a-t-il?...
+
+LE PAIN, [tout en larmes.]
+
+Il n'y a plus de place dans la huche!...
+
+LA FÉE, [se penchant sur la huche.]
+
+Mais si, mais si.... [Poussant les autres pains qui ont repris
+leur place primitive.] Voyons, vite, rangez-vous....
+
+ [On heurte encore la porte.]
+
+LE PAIN, [éperdu, s'efforçant vainement d'entrer dans la huche.]
+
+Il n'y a pas moyen!... Il me mangera le premier!...
+
+LE CHIEN, [gambadant autour de Tyltyl.]
+
+Mon petit dieu!... Je suis encore ici!... Je puis encore parler!
+Je puis encore t'embrasser!... Encore! encore! encore!...
+
+LA FÉE
+
+Comment, toi aussi?... Tu es encore là?...
+
+LE CHIEN
+
+J'ai de la veine.... Je n'ai pas pu rentrer dan le silence; la
+trappe s'est refermée trop vite..
+
+LA CHATTE
+
+La mienne aussi.... Que va-t-il arriver?... Est-ce que c'est
+dangereux?
+
+LA FÉE
+
+Mon Dieu, je dois vous dire la vérité: tous ceux qui
+accompagneront les deux enfants, mourront à la fin du voyage....
+
+LA CHATTE
+
+Et ceux qui ne les accompagneront pas?...
+
+LA FÉE
+
+Ils survivront quelques minutes....
+
+LA CHATTE, [au Chien.]
+
+Viens, rentrons dans la trappe....
+
+LE CHIEN
+
+Non, non!... Je ne veux pas!... Je veux accompagner le petit
+dieu!... Je veux lui parler tout le temps!...
+
+LA CHATTE
+
+Imbécile!...
+
+ [On heurte encore à la porte.]
+
+LE PAIN, [pleurant à chaudes larmes.]
+
+Je ne veux pas mourir à la fin du voyage!... Je veux rentrer tout
+de suite dans ma huche!...
+
+LE FEU, [qui n'a cessé de parcourir vertigineusement la pièce en
+poussant des sifflements d'angoisse.]
+
+Je ne trouve plus ma cheminée!...
+
+L'EAU, [qui tente vainement de rentrer dans le robinet.]
+
+Je ne peux plus rentrer dans le robinet!...
+
+LE SUCRE, [qui s'agite autour de son enveloppe de papier.]
+
+J'ai crevé mon papier d'emballage!...
+
+LE LAIT, [lymphatique et pudibond.]
+
+On a cassé mon petit pot!...
+
+LA FÉE
+
+Sont-ils bêtes, mon Dieu!... Sont-ils bêtes et poltrons!... Vous
+aimeriez donc mieux continuer de vivre dans vos vilaines boîtes,
+dans vos trappes et dans vos robinets que d'accompagner les
+enfants qui vont chercher l'Oiseau?...
+
+TOUS, [à l'exception du Chien et de la Lumière.]
+
+Oui! oui! Tout de suite!... Mon robinet!... Ma huche!... Ma
+cheminée!... Ma trappe!...
+
+LA FÉE, [à la Lumière qui regarde rêveusement les débris de sa
+lampe.]
+
+Et toi, la Lumière, qu'en dis-tu?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+J'accompagnerai les enfants....
+
+LE CHIEN, [hurlant de joie.]
+
+Moi aussi! moi aussi!...
+
+LA FÉE
+
+Voilà qui est des mieux. Du reste, il est trop tard pour reculer;
+vous n'avez plus le choix, vous sortirez tous avec nous.... Mais
+toi, le Feu, ne t'approche de personne, toi, le Chien, ne taquine
+pas la Chatte, et toi, l'eau, tiens-toi droite et tâche de ne pas
+couler partout....
+
+[Des coups violents sont encore frappés à la porte de droite.]
+
+TYLTYL, [écoutant.]
+
+C'est encore papa!... Cette fois, il se lève, je l'entends
+marcher....
+
+LA FÉE
+
+Sortons par la fenêtre.... Vous viendrez tous chez moi, où
+j'habillerai convenablement les animaux et les phénomènes.... [Au
+Pain.] Toi, le Pain, prends la cage dans laquelle on mettra
+l'Oiseau-Bleu.... Tu en auras la garde.... Vite, vite, ne perdons
+pas de temps....
+
+ [La fenêtre s'allonge brusquement, comme une porte. Ils
+ sortent tous, après quoi la fenêtre reprend sa forme
+ primitive et se referme innocemment. La chambre est
+ redevenue obscure, et les deux petits lits sont plongés dans
+ l'ombre. La porte à droite s'entr'ouvre, et dans
+ l'entrebâillement paraissent les têtes du père et de la mère
+ Tyl.]
+
+LE PÈRE TYL
+
+Ce n'était rien.... C'est le grillon qui chante....
+
+LA MÈRE TYL
+
+Tu les vois?...
+
+LE PÈRE TYL
+
+Bien sûr.... Ils dorment tranquillement....
+
+LA MÈRE TYL
+
+Je les entends respirer....
+
+[La porte se referme.]
+
+RIDEAU
+
+
+
+
+ACTE DEUXIÈME
+
+
+
+
+DEUXIÈME TABLEAU
+
+CHEZ LA FÉE
+
+
+Un magnifique vestibule dans le palais de la Fée Bérylune.
+Colonnes de marbre clair à chapiteaux d'or et d'argent,
+escaliers, portiques, balustrades, etc.
+
+ * * * * *
+
+ [Entrent au fond, à droite, somptueusement habillés, la
+ Chatte, le Sucre et le Feu. Ils sortent d'un appartement
+ d'où émanent des rayons de lumière; c'est la garde-robe de
+ la Fée. La Chatte a jeté une gaze légère sur son maillot de
+ soie noire, le Sucre a revêtu une robe de soie, mi-partie de
+ blanc et de bleu tendre, et le Feu, coiffé d'aigrettes
+ multicolores, un long manteau cramoisi doublé d'or. Ils
+ traversent toute la salle et descendent au premier plan, à
+ droite, où la Chatte les réunit sous un portique.]
+
+LA CHATTE
+
+Par ici. Je connais tous les détours de ce palais.... La Fée
+Bérylune l'a hérité de Barbe-Bleue.... Pendant que les enfants
+et la Lumière rendent visite à la petite fille de la Fée,
+profitons de notre dernière minute de liberté.... Je vous ai fait
+venir ici, afin de vous entretenir de la situation qui nous est
+faite.... Sommes-nous tous présents?...
+
+LE SUCRE
+
+Voici le Chien qui sort de la garde-robe de la Fée....
+
+LE FEU
+
+Comment diable s'est-il habillé?...
+
+LA CHATTE
+
+Il a pris la livrée d'un des laquais du carrosse de
+Cendrillon.... C'est bien ce qu'il lui fallait.... Il a une âme
+de valet.... Mais dissimulons-nous derrière la balustrade.... Je
+m'en méfie étrangement.... Il vaudrait mieux qu'il n'entende pas
+ce que j'ai à vous dire....
+
+LE SUCRE
+
+C'est inutile.... Il nous a éventés.... Tiens, voilà l'Eau qui
+sort en même temps de la garde-robe.... Dieu! qu'elle est
+belle!...
+
+ [Le Chien et l'Eau rejoignent le premier groupe.]
+
+LE CHIEN, gambadant.
+
+Voilà! voilà!... Sommes-nous beaux! Regardez donc ces dentelles,
+et puis ces broderies!... C'est de l'or et du vrai!...
+
+LA CHATTE, [à l'Eau.]
+
+C'est la robe «couleur-du-temps» de Peau-d'Âne?... Il me semble
+que je la connais....
+
+L'EAU
+
+Oui, c'est encore ce qui m'allait le mieux....
+
+LE FEU, [entre les dents.]
+
+Elle n'a pas son parapluie....
+
+L'EAU
+
+Vous dites?...
+
+LE FEU
+
+Rien, rien....
+
+L'EAU
+
+Je croyais que vous parliez d'un gros nez rouge que j'ai vu
+l'autre jour....
+
+LA CHATTE
+
+Voyons, ne nous querellons pas, nous avons mieux à faire.... Nous
+n'attendons plus que le Pain: où est-il?...
+
+LE CHIEN
+
+Il n'en finissait pas de faire de l'embarras pour choisir son
+costume....
+
+LE FEU
+
+C'est bien la peine, quand on a l'air idiot et qu'on porte un
+gros ventre....
+
+LE CHIEN
+
+Finalement, il s'est décidé pour une robe turque, ornée de
+pierreries, un cimeterre et un turban....
+
+LA CHATTE
+
+Le voilà!... Il a mis la plus belle robe de Barbe-Bleue....
+
+ [Entre le Pain, dans le costume qu'on vient de décrire. La
+ robe de soie est péniblement croisée sur son énorme ventre.
+ Il tient d'une main la garde du cimeterre passé dans sa
+ ceinture et de l'autre la cage destinée à l'Oiseau-Bleu.]
+
+LE PAIN, [se dandidant vaniteusement.]
+
+Eh bien?... Comment me trouvez-vous?...
+
+LE CHIEN, [gambadant autour du Pain.]
+
+Qu'il est beau! qu'il est bête! qu'il est beau! qu'il est
+beau!...
+
+LA CHATTE, [au Pain.]
+
+Les enfants sont-ils habillés?...
+
+LE PAIN
+
+Oui, Monsieur Tyltyl a pris la veste rouge, les bas blancs et la
+culotte bleue du Petit-Poucet; quant à Mademoiselle Mytyl, elle a
+la robe de Grethel et les pantoufles de Cendrillon.... Mais la
+grande affaire, ç'a été d'habiller la Lumière!...
+
+LA CHATTE
+
+Pourquoi?...
+
+LE PAIN
+
+La Fée la trouvait si belle qu'elle ne voulait pas l'habiller du
+tout!... Alors j'ai protesté au nom de notre dignité d'éléments
+essentiels et éminemment respectables; et j'ai fini par déclarer
+que, dans ces conditions, je refusais de sortir avec elle....
+
+LE FEU
+
+Il fallait lui acheter un abat-jour!...
+
+LA CHATTE
+
+Et la Fée, qu'a-t-elle répondu?...
+
+LE PAIN
+
+Elle m'a donné quelques coups de bâton sur la tête et le
+ventre....
+
+LA CHATTE
+
+Et alors?...
+
+LE PAIN
+
+Je fus promptement convaincu, mais au dernier moment, la Lumière
+s'est décidée pour la robe «couleur-de-lune» qui se trouvait au
+fond du coffre aux trésors de Peau-d'Ane....
+
+LA CHATTE
+
+Voyons, c'est assez bavardé, le temps presse.... Il s'agit de
+notre avenir.... Vous l'avez entendu, la Fée vient de le dire, la
+fin de ce voyage marquera en même temps la fin de notre vie....
+Il s'agit donc de le prolonger autant que possible et par tous
+les moyens possibles.... Mais il y a encore autre chose; il faut
+que nous pensions au sort de notre race et à la destinée de nos
+enfants....
+
+LE PAIN
+
+Bravo! bravo!... La Chatte a raison!...
+
+LA CHATTE
+
+Écoutez-moi.... Nous tous ici présents, animaux, choses et
+éléments, nous possédons une âme que l'homme ne connaît pas
+encore. C'est pourquoi nous gardons un reste d'indépendance;
+mais, s'il trouve l'Oiseau-Bleu, il saura tout, il verra tout, et
+nous serons complètement à sa merci.... C'est ce que vient de
+m'apprendre ma vieille amie la Nuit, qui est en même temps la
+gardienne des mystères de la Vie.... Il est donc de notre intérêt
+d'empêcher à tout prix qu'on ne trouve cet oiseau, fallût-il
+aller jusqu'à mettre en péril la vie même des enfants....
+
+LE CHIEN, indigné.
+
+Que dit-elle, celle-là?... Répète un peu que j'entende bien ce
+que c'est?
+
+LE PAIN
+
+Silence!... Vous n'avez pas la parole!... Je préside
+l'assemblée....
+
+LE FEU
+
+Qui vous a nommé président?...
+
+L'EAU, [au Feu.]
+
+Silence!... De quoi vous mêlez-vous?...
+
+LE FEU
+
+Je me mêle de ce qu'il faut.... Je n'ai pas d'observations à
+recevoir de vous....
+
+LE SUCRE, [conciliant.]
+
+Permettez.... Ne nous querellons point.... L'heure est grave....
+Il s'agit avant tout de s'entendre sur les mesures à prendre....
+
+LE PAIN
+
+Je partage entièrement l'avis du Sucre et de la Chatte....
+
+LE CHIEN
+
+C'est idiot!... Il y a l'Homme, voilà tout!... Il faut lui obéir
+et faire tout ce qu'il veut!... Il n'y a que ça de vrai.... Je ne
+connais que lui!... Vive l'Homme!... A la vie, à la mort, tout
+pour l'Homme!... l'Homme est dieu!...
+
+LE PAIN
+
+Je partage entièrement l'avis du Chien.
+
+LA CHATTE, [au Chien.]
+
+Mais on donne ses raisons....
+
+LE CHIEN
+
+Il n'y a pas de raisons!... J'aime l'Homme, ça suffit!... Si vous
+faites quelque chose contre lui, je vous étranglerai d'abord et
+j'irai tout lui révéler....
+
+LE SUCRE, [intervenant avec douceur.]
+
+Permettez.... N'aigrissons pas la discussion.... D'un certain
+point de vue, vous avez raison, l'un et l'autre.... Il y a le
+pour et le contre....
+
+LE PAIN
+
+Je partage entièrement l'avis du Sucre!...
+
+LA CHATTE
+
+Est-ce que tous ici, l'Eau, le Feu, et vous-mêmes le Pain et le
+Chien, nous ne sommes pas victimes d'une tyrannie sans nom?...
+Rappelez-vous le temps où, avant la venue du despote, nous
+errions librement sur la face de la Terre.... l'Eau et le Feu
+étaient les seuls maîtres du monde; et voyez ce qu'ils sont
+devenus!... Quant à nous, les chétifs descendants des grands
+fauves.... Attention!... N'ayons l'air de rien.... Je vois
+s'avancer la Fée et la Lumière.... La Lumière s'est mise du parti
+de l'Homme; c'est notre pire ennemie.... Les voici....
+
+ [Entrent à droite, la Fée et la Lumière, suivies de Tyltyl
+ et de Mytyl.]
+
+LA FÉE
+
+Eh bien?... qu'est-ce que c'est?... Que faites-vous dans ce
+coin?... Vous avez l'air de conspirer.... Il est temps de se
+mettre en route.... Je viens de décider que la Lumière sera votre
+chef.... Vous lui obéirez tous comme à moi-même et je lui confie
+ma baguète.... Les enfants visiteront ce soir leurs grand-parents
+qui sont morts.... Vous ne les accompagnerez pas, par discrétion....
+Ils passeront la soirée au sein de leur famille décédée....
+Pendant ce temps, vous préparerez tout ce qu'il faut pour l'étape
+de demain, qui sera longue.... Allons, debout, en route et chacun
+à son poste!...
+
+LA CHATTE, [hypocritement.]
+
+C'est tout juste ce que je leur disais, Madame la Fée.... Je les
+exhortais à remplir consciencieusement et courageusement tout
+leur devoir; malheureusement, le Chien qui ne cessait de
+m'interrompre....
+
+LE CHIEN
+
+Que dit-elle?... Attends un peu!...
+
+ [Il va bondir sur la chatte, mais Tyltyl, qui a prévenu son
+ mouvement, l'arrête d'un geste menaçant.]
+
+TYLTYL
+
+A bas, Tylô!... Prends garde; et s'il t'arrive encore une seul
+fois de....
+
+LE CHIEN
+
+Mon petit dieu, tu ne sais pas, c'est elle qui....
+
+TYLTYL, [le menaçant.]
+
+Tais-toi!...
+
+LA FÉE
+
+Voyons, finissons-en.... Que le Pain, ce soir, remette la cage à
+Tyltyl.... Il est possible que l'Oiseau-Bleu se cache dans le
+Passé, chez les grands-parents.... En tout cas, c'est une chance
+qu'il convient de ne point négliger.... Eh bien, le Pain, cette
+cage?...
+
+LE PAIN, [solennel.]
+
+Un instant, s'il vous plaît, Madame le Fée.... [Comme un orateur
+qui prend la parole.] Vous tous, soyez temoins que cette cage
+d'argent qui me fut confiée par....
+
+LA FÉE, [l'interrompant].
+
+Assez!... Pas de phrases.... Nous sortirons par là, tandis que
+les enfants sortiront par ici....
+
+TYLTYL, [avec inquiet.]
+
+Nous sortirons tout seuls?...
+
+MYTYL
+
+J'ai faim!...
+
+TYLTYL
+
+Moi aussi!...
+
+LA FÉE, [au Pain.]
+
+Ouvre ta robe turque et donne leur une tranche de ton bon ventre.
+
+ [Le Pain ouvre sa robe, tire son cimeterre et coupe, à même
+ son gros ventre, deux tartines qu'il offre aux enfants.]
+
+LE SUCRE, [s'approchant des enfants.]
+
+Permettez-moi de vous offrir en même temps quelques sucres
+d'orge....
+
+ [Il casse un à un les cinq doigts de sa main gauche et les
+ leur présente.]
+
+MYTYL
+
+Qu'est-ce qu'il fait?... Il casse tous ses doigts....
+
+LE SUCRE, [engageant.]
+
+Goûtez-les, ils sont excellents.... C'est de vrais sucres
+d'orge....
+
+MYTYL, [suçant un des doigts.]
+
+Dieu qu'il est bon!... Est-ce que tu en as beaucoup?...
+
+LE SUCRE, [modeste.]
+
+Mais qui, tant que je veux....
+
+MYTYL
+
+Est-ce que ça te fait mal quand tu les casses ainsi?...
+
+LE SUCRE
+
+Pas du tout.... Au contraire; c'est très avantageux, ils
+repoussent tout de suite, et de cette façon, j'ai toujours des
+doigts propres et neufs....
+
+LA FÉE
+
+Voyons, mes enfants, ne mangez pas trop de sucre. N'oubliez pas
+que vous souperez tout à l'heure chez vos grands-parents....
+
+TYLTYL
+
+Ils sont ici?...
+
+LA FÉE
+
+Vous allez les voir à l'instant....
+
+TYLTYL
+
+Comment les verrons-nous, puisqu'ils sont morts?...
+
+LA FÉE
+
+Comment seraient-ils morts puisqu'ils vivent dans votre
+souvenir?... Les hommes ne savent pas ce secret parce qu'ils
+savent bien peu de chose; au lieu que toi, grâce au Diamant, tu
+vas voir que les morts dont on se souvient aussi heureux que
+s'ils n'étaient point morts....
+
+TYLTYL
+
+La Luminière vient avec nous?...
+
+LA LUMINIÈRE
+
+Non, il est plus convenable que cela se passe en famille....
+J'attendrai ici près pour ne point paraître indiscrète.... Ils ne
+m'ont pas invitée.
+
+TYLTYL
+
+Par où faut-il aller?...
+
+LA FÉE
+
+Par là.... Vous êtes au seuil du «Pays du Souvenir». Dès que tu
+auras tourné le Diamant, tu verras un gros arbre muni d'un
+écriteau, qui te montrera que tu es arrivé.... Mais n'oubliez pas
+que vous devez être rentré tous les deux à neuf heures moins le
+quart.... C'est extrêmement important.... Surtout soyez exacts,
+car tout serait perdu si vous vous mettiez en retard.... A
+bientôt.... [Appelant la Chatte, le Chien, la Lumière, etc.] Par
+ici.... Et les petits par là....
+
+Elle sort à droite avec la Lumière, les animaux, etc., tandis que
+les enfants sortent à gauche.
+
+
+RIDEAU
+
+
+
+
+TROISIÈME TABLEAU
+
+LE PAYS DU SOUVENIR
+
+
+Un épais brouillard d'où émerge, à droite, au tout premier plan,
+le tronc d'un gros chêne muni d'un écriteau. Clarté laiteuse,
+diffuse, impénétrable.
+
+ * * * * *
+
+ [Tyltyl et Mytyl se trouvent au pied du chêne.]
+
+TYLTYL
+
+Voici l'arbre!...
+
+MYTYL
+
+Il y a l'écriteau!...
+
+TYLTYL
+
+Je ne peux pas lire.... Attends, je vais monter sur cette
+racine.... C'est bien ça.... C'est écrit: «Pays du Souvenir».
+
+MYTYL
+
+C'est ici qu'il commence?...
+
+TYLTYL
+
+Qui, il y a une flèche....
+
+MYTYL
+
+Eh bien, ou qu'ils sont, bon-papa et bonne-maman?
+
+TYLTYL
+
+Derrière le brouillard.... Nous allons voir....
+
+MYTYL
+
+Je ne vois rien du tout!... Je ne vois plus mes pieds ni mes
+mains .. [Pleurnichant.] J'ai froid!... Je ne veux plus
+voyager.... Je veux rentrer à la maison....
+
+TYLTYL
+
+Voyons, ne pleure pas tout le temps, comme l'Eau.... T'es pas
+honteuse? .. Une grande petite fille!... Regarde, le brouillard se
+lève déjà.... Nous allons voir ce qu'il y a dedans....
+
+ [En effet, la brume s'est mise en mouvement; elle s'allège,
+ s'éclaire, se disperse, s'évapore. Bientôt, dans une lumière
+ de plus en plus transparente, on découvre, sous une voûte de
+ verdure, une riante maisonette de paysan, couverte de
+ plantes grimpantes. Les fenêtres et la porte sont ouvertes.
+ On voit des ruches d'abeilles sous un auvent, des pots de
+ fleurs sur l'appui des croisées, une cage ou dort un merle,
+ etc. Près de la porte un banc, sur lequel sont assis,
+ profondément endormis, un vieux paysan et sa femme,
+ c'est-à-dire le grand-père et la grand'mère de Tyltyl.]
+
+TYLTYL, [les reconnaissant tout à coup.]
+
+C'est bon-papa et bonne-maman!...
+
+MYTYL, [battant des mains.]
+
+Qui! Qui!... C'est eux!... C'est eux!...
+
+TYLTYL, [encore un peu méfiant.]
+
+Attention!... On ne sait pas encore s'ils remuent.... Restons
+derrière l'arbre....
+
+ [Grand'maman Tyl ouvre les yeux, lève la tête, s'étire,
+ pousse un soupir, regarde grand-papa Tyl qui lui aussi sort
+ lentement de son sommeil.]
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+J'ai idée que nos petits-enfants qui sont encore en vie nous
+venir voir aujourd'hui....
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Bien sûr, ils pensent à nous; car je me sens tout chose et j'ai
+des fourmis dans les jambes....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Je crois qu'ils sont tout proches, car des larmes de joie dansent
+avant mes yeux....
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Non, non; ils sont fort loin... Je me sens encore faible....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Je te dis qu'ils sont là; j'ai déjà toute ma force....
+
+TYLTYL et MYTYL, se précipitant de derrière le chêne.
+
+Nous voilà!... Nous voilà!... Bon-papa, bonne-maman!... C'est
+nous!... C'est nous!...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Là!... Tu vois!... Qu'est-ce que je disais! J'étais sûr qu'ils
+viendraient aujourd'hui....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Tyltyl! Mytyl!... C'est toi!... C'est elle!... C'est eux!...
+[S'efforçant de courir au-devant d'eux.] Je ne peux pas
+courir!... J'ai toujours mes rhumatismes!
+
+GRAND-PAPA TYL, [accourant de même en clopinant.]
+
+Moi non plus.... Rapport à ma jambe de bois qui remplace toujours
+celle que j'ai cassée en tombant du gros chêne....
+
+ [Les grands-parents et les enfants s'embrassent follement.]
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Que tu es grandi et forci, mon Tyltyl!...
+
+GRAND-PAPA TYL, [caressant les cheveux de Mytyl.]
+
+Et Mytyl!... Regarde donc!... Les beaux cheveux, les beaux
+yeux!... Et puis, ce qu'elle sent bon!...
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Embrassons-nous encore!... Venez sur mes genoux....
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Et moi, je n'aurai rien?...
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Non, non.... A moi d'abord.... Comment vont Papa et Maman Tyl?...
+
+TYLTYL
+
+Fort bien, bonne-maman.... Ils dormaient quand nous sommes
+sortis....
+
+GRAND'MAMAN TYL, [les contemplant et les accablant de caresses.]
+
+Mon Dieu, qu'ils sont jolis et bien débarbouillés!... C'est maman
+qui t'a débarbouillé?... Et tes bas ne sont pas troués!... C'est
+moi qui les reprisais autrefois. Pourquoi ne venez-vous pas nous
+voir plus souvent?... Cela nous fait tant de plaisir!... Voilà
+des mois et des mois que vous nous oubliez et que nous ne voyons
+plus personne....
+
+TYLTYL
+
+Nous ne pouvions pas, bonne-maman; et c'est grâce à la Fée
+qu'aujourd'hui....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Nous sommes toujours là, à attendre une petite visite de ceux qui
+vivent.... Ils viennent si rarement!... La dernière fois que vous
+êtes venus, voyons, c'était quand donc?... C'était à la
+Toussaint, quand la cloche de l'église a tinté....
+
+TYLTYL
+
+A la Toussaint?... Nous ne sommes pas sortis ce jour-là, car nous
+étions fort enrhumés....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Non, mais vous avez pensé à nous....
+
+TYLTYL
+
+Oui....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Eh bien, chaque fois que vous pensez à nous, nous nous réveillons
+et nous vous revoyons....
+
+TYLTYL
+
+Comment, il suffit que....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Mais voyons, tu sais bien....
+
+TYLTYL
+
+Mais non, je ne sais pas....
+
+GRAND'MAMAN TYL, [à Grand-Papa Tyl.]
+
+C'est étonnant, là-haut.... Ils ne savent pas encore.... Ils
+n'apprennent donc rien?....
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+C'est comme de notre temps.... Les Vivants sont si bêtes quand
+ils parlent des Autres....
+
+TYLTYL
+
+Vous dormez tout le temps?...
+
+GRAND PAPA TYL
+
+Oui, nous dormons pas mal, en attendant qu'une pensée des Vivants
+nous réveille.... Ah! c'est bien bon de dormir, quand la vie est
+finie.... Mais il est agréable aussi de s'éveiller de temps en
+temps....
+
+TYLTYL
+
+Alors, vous n'êtes pas morts pour de vrai?...
+
+GRAND-PAPA TYL, [sursautant.]
+
+Que dis-tu?... Qu'est-ce qu'il dit?... Voilà qu'il emploie des
+mots que nous ne comprenons plus.... Est-ce que c'est un mot
+nouveau, une invention nouvelle?...
+
+TYLTYL
+
+Le mot «mort»?...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Oui; c'était ce mot-là.... Qu'est-ce que ça veut dire?...
+
+TYLTYL
+
+Mais ça veut dire qu'on ne vit plus....
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Sont-ils bêtes, là-haut!...
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'on est bien ici?...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Mais oui; pas mal, pas mal; et même si l'on priait encore....
+
+TYLTYL
+
+Papa m'a dit qu'il ne faut plus prier....
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Mais si, mais si.... Prier c'est se souvenir....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Oui, oui, tout irait bien, si seulement vous veniez nous voir
+plus souvent.... Te rappelles-tu, Tyltyl?... La dernière fois,
+j'avais fait une belle tarte aux pommes.... Tu en as mangé tant
+et tant que tu t'es fait du mal....
+
+TYLTYL
+
+Mais je n'ai pas mangé de tarte aux pommes depuis l'année
+dernière.... Il n'y a pas eu de pommes cette année....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Ne dis pas de bêtises.... Ici il y en a toujours....
+
+TYLTYL
+
+Ce n'est pas la même chose....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Comment? Ce n'est pas la même chose?... Mais tout est la même
+chose puisqu'on peut s'embrasser....
+
+TYLTYL, [regardant tour à tour son grand-père et sa grand'mère.]
+
+Tu n'as pas changé, bon-papa, pas du tout, pas du tout.... Et
+bonne-maman non plus n'a pas changé du tout.... Mais vous êtes
+plus beaux....
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Eh! ça ne va pas mal.... Nous ne vieillissons plus.... Mais vous,
+grandissez-vous!... Ah! oui, vous poussez ferme!... Tenez, là,
+sur la porte, on voit encore la marque de la dernière fois....
+C'était à la Toussaint.... Voyons, tiens-toi bien droit....
+[Tyltyl se dresse contre la porte.] Quatre doigts!... C'est
+énorme!... [Mytyl se dresse également contre la porte.] Et Mytyl,
+quatre et demi!... Ah, ah! la mauvaise graine!... Ce que ça
+pousse, ce que ça pousse!...
+
+TYLTYL, [regardant autour de soi avec ravissement.]
+
+Comme tout est bien de même, comme tout est à sa place!... Mais
+comme tout est plus beau!... Voilà l'horloge avec la grande
+aiguille dont j'ai cassé la pointe....
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Et voici la soupière que tu as écornée....
+
+TYLTYL
+
+Et voilà le trou que j'ai fait à la porte, le jour que j'ai
+trouvé le vilebrequin....
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Ah oui, tu en as fait des dégâts!... Et voici le prunier où tu
+aimais tant grimper quand je n'étais pas là.... Il a toujours ses
+belles prunes rouges....
+
+TYLTYL
+
+Mais elles sont bien plus belles!...
+
+MYTYL
+
+Et voici le vieux merle!... Est-ce qu'il chante encore?...
+
+Le merle se réveille et se met à chanter à tue-tète.
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Tu vois bien.... Dès que l'on pense à lui....
+
+TYLTYL, [remarquant avec stupéfaction que le merle est
+parfaitement bleu.]
+
+Mais il est bleu!... Mais c'est lui, l'Oiseau-Bleu que je dois
+rapporter à la Fée!... Et vous ne disiez pas que vous l'aviez
+ici! Oh! qu'il est bleu, bleu, bleu, comme une bille de verre
+bleu!... [Suppliant.] Bon-papa, bonne-maman, voulez-vous me le
+donner?...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Bien oui, peut-être bien.... Qu'en penses-tu, maman Tyl?...
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Bien sûr, bien sûr.... A quoi qu'il sert ici.... Il ne fait que
+dormir.... On ne l'entend jamais....
+
+TYLTYL
+
+Je vais le mettre dans ma cage.... Tiens, où est-elle, ma
+cage?... Ah! c'est vrai, je l'ai oubliée derrière le gros
+arbre.... [Il court à l'arbre, rapporte la cage et y enferme le
+merle.] Alors, vrai, vous me le donnez pour de vrai?... C'est la
+Fée qui sera contente!... Et la Lumière donc!...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Tu sais, je n'en réponds pas, de l'oiseau.... Je crains bien
+qu'il ne puisse plus s'habituer à la vie agitée de là-haut, et
+qu'il ne revienne ici par le premier bon vent.... Enfin, on verra
+bien.... Laisse-le là, pour l'instant, et viens donc voir la
+vache....
+
+TYLTYL, [remarquant les ruches.]
+
+Et les abeilles, dis, comment vont-elles?...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Mais elles ne vont pas mal.... Elles ne vivent plus non plus,
+comme vous dites là-bas; mais elles travaillent ferme....
+
+TYLTYL, [s'approchant des ruches.]
+
+Oh oui!... Ça sent le miel!... Les ruches doivent être
+lourdes!... Toutes les fleurs sont si belles!... Et mes petites
+soeurs qui sont mortes, sont-elles ici aussi?...
+
+MYTYL
+
+Et mes trois petits frères qu'on avait enterrés, où sont-ils?...
+
+ [A ces mots, sept petits enfants de tailles inégales, en
+ flûte de Pan, sortent un à un de la maison.]
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Les voici, les voici!... Aussitôt qu'on y pense, aussitôt qu'on
+en parle, ils sont là, les gaillards!...
+
+ [Tyltyl et Mytyl courent au-devant des enfants. On se
+ bouscule, on s'embrasse, on danse, on tourbillonne, on
+ pousse des cris de joie.]
+
+TYLTYL
+
+Tiens, Pierrot!... [Ils se prennent aux cheveux.] Ah! nous allons
+nous battre encore comme dans le temps.... Et Robert!... Bonjour,
+Jean!... Tu n'as plus ta toupie?... Madeleine et Pierrette,
+Pauline et puis Riquette....
+
+MYTYL
+
+Oh! Riquette, Riquette!... Elle marche encore à quatre
+pattes!...
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Oui, elle ne grandit plus....
+
+TYLTYL, [remarquant le petit Chien qui jappe autour d'eux.]
+
+Voilà Kiki dont j'ai coupé la queue avec les ciseaux de
+Pauline.... Il n'a pas changé non plus....
+
+GRAND PAPA TYL, [sentencieux.]
+
+Non, rien ne change ici....
+
+TYLTYL
+
+Et Pauline a toujours son bouton sur le nez!...
+
+GRAND MAMAN TYL
+
+Oui, il ne s'en va pas; il n'y a rien à faire....
+
+TYLTYL
+
+Oh! qu'ils ont bonne mine, qu'ils sont gras et luisants!...
+Qu'ils ont de belles joues!... Ils ont l'air bien nourris....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Ils se portent bien mieux depuis qu'ils ne vivent plus.... Il
+n'y a plus rien à craindre, on n'est jamais malade, on n'a plus
+d'inquiétudes....
+
+ [Dans la maison, l'horloge sonne huit heures.]
+
+GRAND'MAMAN TYL, [stupéfaite.]
+
+Qu'est-ce que c'est?...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Ma foi, je ne sais pas.... Ce doit être l'horloge....
+
+GRAND-MAMAN TYL
+
+Ce n'est pas possible.... Elle ne sonne jamais....
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Parce que nous ne pensons plus à l'heure.... Quelqu'un a-t-il
+pensé à l'heure?...
+
+TYLTYL
+
+Oui, c'est moi.... Quelle heure est-il?...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Ma foi, je ne sais plus.... J'ai perdu l'habitude.... Elle a
+sonné huit coups, ce doit être ce que? là-haut, ils appellent
+huit heures.
+
+TYLTYL
+
+La Lumière m'attend à neuf heures moins le quart.... C'est à
+cause de la Fée.... C'est extrêmement important.... Je me
+sauve....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Vous n'allez pas nous quitter ainsi au moment du souper!... Vite,
+vite, dressons la table devant la porte.... J'ai justement une
+excellente soupe aux choux et une belle tarte aux prunes....
+
+ [On sort la table, on la dresse devant la porte, on apporte
+ les plats, les assiettes, etc.... Tous y aident.]
+
+TYLTYL
+
+Ma foi, puisque j'ai l'Oiseau-Bleu.... Et puis la soupe aux
+choux, il y a si longtemps!... Depuis que je voyage.... On n'a
+pas ça dans les hôtels....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Voilà!... C'est déjà fait.... A table, les enfants.... Si vous
+êtes pressés, ne perdons pas de temps....
+
+ [On a allumé la lampe et servi la soupe. Les grands-parents
+ et les enfants s'assoient autour du repas du soir, parmi des
+ bousculades, des bourrades, des cris et des rires de joie.]
+
+TYLTYL, [mangeant gloutonnement.]
+
+Qu'elle est bonne!... Mon Dieu, qu'elle est donc bonne!... J'en
+veux encore! encore!
+
+ [Il brandit sa cuiller de bois et en frappe bruyamment son
+ assiette.]
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Voyons, voyons, un peu de calme.... Tu es toujours aussi mal
+élevé; et tu vas casser ton assiette....
+
+TYLTYL, [se dressant à demi sur son escabelle.]
+
+J'en veux encore, encore!...
+
+ [Il atteint et attire à soi la soupière qui se renverse et
+ se répand sur la table, et de là sur les genoux des
+ convives. Cris et hurlements d'échaudés.]
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Tu vois!... Je te l'avais bien dit....
+
+GRAND-PAPA TYL, [donnant à Tyltyl une gifle retentissante.]
+
+Voilà pour toi!...
+
+TYLTYL, [un instant déconcerté, mettant ensuite la main sur la
+joue, avec ravissement.]
+
+Oh! oui, c'était comme ça, les claques que tu donnais quand tu
+étais vivant.... Bon-papa, qu'elle est bonne et que ça fait du
+bien!... Il faut que je t'embrasse!...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Bon, bon; il y en a encore si ça te fait plaisir....
+
+ [La demie de huit heures sonne à l'horloge.]
+
+TYLTYL, [sursautant.]
+
+Huit heures et demie!... [il jette sa cuiller.] Mytyl, nous
+n'avons que le temps!...
+
+GRAND-MAMAN TYL
+
+Voyons!... Encore quelques minutes!... Le feu n'est pas à la
+maison.... On se voit si rarement....
+
+TYLTYL
+
+Non, ce n'est pas possible.... La Lumière est si bonne.... Et je
+lui ai promis.... Allons, Mytyl, allons!...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Dieu, que les Vivants sont donc contrariants avec toutes leurs
+affaires et leurs agitations!...
+
+TYLTYL, [prenant sa cage et embrassant tout le monde en hâte et à
+la ronde.]
+
+Adieu, Bon-papa.... Adieu, Bonne-maman.... Adieu, frères,
+soeurs, Pierrot, Robert, Pauline, Madeleine, Riquette, et toi
+aussi, Kiki! Je sens bien que nous ne pouvons plus rester ici....
+Ne pleure pas, Bonne-maman, nous reviendrons souvent....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+Revenez tous les jours!...
+
+TYLTYL
+
+Oui, oui! nous reviendrons le plus souvent possible....
+
+GRAND'MAMAN TYL
+
+C'est notre seule joie, et c'est une telle fête quand votre
+pensée nous visite!...
+
+GRAND-PAPA TYL
+
+Nous n'avons pas d'autres distractions....
+
+TYLTYL
+
+Vite, vite!... Ma cage!... Mon oiseau!...
+
+GRAND-PAPA TYL, lui passant la cage.
+
+Les voici!... Tu sais, je ne garantis rien; et s'il n'est pas bon
+teint!...
+
+TYLTYL
+
+Adieu! adieu!...
+
+LES FRÈRES ET SOEURS TYL
+
+Adieu, Tyltyl!... Adieu, Mytyl!... Pensez au sucre d'orge!...
+Adieu!... Revenez!... Revenez!...
+
+ [Tous agitent des mouchoirs tandis que Tyltyl et Mytyl
+ s'éloignent lentement. Mais déjà, durant les dernières
+ répliques, le brouillard du début s'est graduellement
+ reformé, et le son des voix s'est affaibli, de manière qu'à
+ la fin de la scène, tout a disparu dans la brume et qu'au
+ moment où le rideau baisse, Tyltyl et Mytyl se retrouvent
+ seuls visibles sous le gros chêne.]
+
+TYLTYL
+
+C'est par ici, Mytyl....
+
+MYTYL
+
+Où est la Lumière?...
+
+TYLTYL
+
+Je ne sais pas.... [Regardant l'oiseau dans la cage.] Tiens!
+l'oiseau n'est plus bleu!... Il est devenu noir!...
+
+MYTYL
+
+Donne-moi la main, petit frère.... J'ai bien peur et bien
+froid....
+
+RIDEAU
+
+
+
+
+ACTE TROISIÈME
+
+
+
+
+QUATRIÈME TABLEAU
+
+LE PALAIS DE LA NUIT
+
+
+Une vaste et prodigieuse salle d'une magnificence austère,
+rigide, métallique et sépulcrale, donnant l'impression d'un
+temple grec ou égyptien, dont les colonnes, les architraves, les
+dalles, les ornements seraient de marbre noir, d'or et d'ébène.
+La salle est en forme de trapèze. Des degrés de basalte, qui
+occupent presque toute sa largeur, la divisent en trois plans
+successifs qui s'élèvent graduellement vers le fond. A droite et
+à gauche, entre les colonnes, des portes de bronze sombre. Au
+fond, porte d'airain monumentale. Une lumière diffuse qui semble
+émaner de l'éclat même du marbre et de l'ébène éclaire seule le
+palais.
+
+ * * * * *
+
+ [Au lever du rideau, la Nuit, sous la figure d'une très
+ belle femme, couverte de longs vêtements noirs, est assise
+ sur les marches du second plan, entre deux enfants, dont
+ l'un, presque nu, comme l'Amour, sourit dans un profond
+ sommeil, tandis que l'autre se tient debout, immobile et
+ voilé des pieds à la tête.--Entre, à droite, au premier
+ plan, la Chatte.]
+
+LA NUIT
+
+Qui va là?...
+
+LA CHATTE, [se laissant choir avec accablement sur les degrés de
+marbre.]
+
+C'est moi, mère la Nuit.... Je n'en peux plus....
+
+LA NUIT
+
+Qu'as-tu donc, mon enfant?... Tu es pâle, amaigrie et te voilà
+crottée jusqu'aux moustaches.... Tu t'es encore battue dans les
+gouttières, sous la neige et la pluie?...
+
+LA CHATTE
+
+Il est bien question de gouttières!... C'est de notre secret
+qu'il s'agit!... C'est, le commencement de la fin!... J'ai pu
+m'échapper un instant pour vous prévenir; mais je crains bien
+qu'il n'y ait rien à faire....
+
+LA NUIT
+
+Quoi?... Qu'est-il donc arrivé?...
+
+LA CHATTE
+
+Je vous ai déjà parlé du petit Tyltyl, le fils du bûcheron, et du
+Diamant merveilleux.... Eh bien, il vient ici pour vous réclamer
+l'Oiseau-Bleu....
+
+LA NUIT
+
+Il ne le tient pas encore....
+
+LA CHATTE
+
+Il le tiendra bientôt, si nous ne faisons pas quelque miracle....
+Voici ce qui se passe: la Lumière qui le guide et qui nous trahit
+tous, car elle s'est mise entièrement du parti de l'Homme, la
+Lumière vient d'apprendre que l'Oiseau-Bleu, le vrai, le seul qui
+puisse vivre à la clarté du jour, se cache ici, parmi les oiseaux
+bleus des songes qui se nourrissent des rayons de lune et meurent
+dès qu'ils voient le soleil.... Elle sait qu'il lui est interdit
+de franchir le seuil de votre palais; mais elle y envoie les
+enfants; et comme vous ne pouvez pas empêcher l'Homme d'ouvrir
+les portes de vos secrets, je ne sais trop comment tout cela
+finira.... En tout cas, s'ils avaient le malheur de mettre la
+main sur le véritable Oiseau-Bleu, nous n'aurions plus qu'à
+disparaître....
+
+LA NUIT
+
+Seigneur, Seigneur!... En quels temps vivons-nous! Je n'ai plus
+une minute de repos.... Je ne comprends plus l'Homme, depuis
+quelques années.... Où veut-il en venir?... Il faut donc qu'il
+sache tout?... Il a déjà saisi le tiers de mes Mystères, toutes
+mes Terreurs ont peur et n'osent plus sortir, mes Fantômes sont
+en fuite, la plupart de mes Maladies ne se portent pas bien....
+
+LA CHATTE
+
+Je sais, ma mère la Nuit, je sais, les temps sont durs, et nous
+sommes presque seules à lutter contre l'Homme.... Mais je les
+entends qui s'approchent.... Je ne vois qu'un moyen: comme ce
+sont des enfants, il faut leur faire une telle peur qu'ils
+n'oseront pas insister ni ouvrir la grande porte du fond,
+derrière laquelle se trouvent les oiseaux de la Lune.... Les
+secrets des autres cavernes suffiront à détourner leur attention
+ou à les terrifier....
+
+LA NUIT, [prêtant l'oreille à un bruit du dehors.]
+
+Qu'est-ce que j'entends?... Ils sont donc plusieurs?
+
+LA CHATTE
+
+Ce n'est rien; ce sont nos amis: le Pain et le Sucre; l'Eau est
+indisposée et le Feu n'a pu venir, parce qu'il est parent de la
+Lumière.... Il n'y a que le Chien qui ne soit pas pour nous; mais
+il n'y a jamais moyen de l'écarter....
+
+ [Entrent timidement, à droite, au premier plan, Tyltyl,
+ Mytyl, le Pain, le Sucre et le Chien.]
+
+LA CHATTE, [se précipitant au-devant de Tyltyl.]
+
+Par ici, par ici, mon petit maître.... J'ai prévenu la Nuit qui
+est enchantée de vous recevoir.... Il faut l'excuser, elle est un
+peu souffrante; c'est pourquoi elle n'a pu aller au-devant de
+vous....
+
+TYLTYL
+
+Bonjour, madame la Nuit....
+
+LA NUIT, [froissée.]
+
+Bonjour? Je ne connais pas ça.... Tu pourrais bien me dire: bonne
+nuit, ou tout au moins: bonsoir....
+
+TYLTYL, [mortifié.]
+
+Pardon, madame.... Je ne savais pas.... [Montrant du doigt les
+deux enfants.] Ce sont vos deux petits garçons?... Ils sont bien
+gentils....
+
+LA NUIT
+
+Oui, voici le Sommeil....
+
+TYLTYL
+
+Pourquoi qu'il est si gros?...
+
+LA NUIT
+
+C'est parce qu'il dort bien....
+
+TYLTYL
+
+Et l'autre qui se cache?... Pourquoi qu'il se voile la figure?...
+Est-ce qu'il est malade?... Comment c'est qu'il se nomme?...
+
+LA NUIT
+
+C'est la soeur du Sommeil.... Il vaut mieux ne pas la
+nommer....
+
+TYLTYL
+
+Pourquoi?...
+
+LA NUIT
+
+Parce que c'est un nom qu'on n'aime pas à entendre.... Mais
+parlons d'autre chose.... La Chatte vient de me dire que vous
+venez ici pour chercher l'Oiseau-Bleu?...
+
+TYLTYL
+
+Oui, madame, si vous le permettez.... Voulez-vous me dire où il
+est?...
+
+LA NUIT
+
+Je n'en sais rien, mon petit ami.... Tout ce que je puis
+affirmer, c'est qu'il n'est pas ici.... Je ne l'ai jamais vu....
+
+TYLTYL
+
+Si, si.... La Lumière m'a dit qu'il est ici; et elle sait ce
+qu'elle dit, la Lumière.... Voulez-vous me remettre vos clefs?...
+
+LA NUIT
+
+Mais, mon petit ami, tu comprends bien que je ne puis donner
+ainsi mes clefs au premier venu.... J'ai la garde de tous les
+secrets de la Nature, j'en suis responsable et il m'est
+absolument défendu de les livrer à qui que ce soit, surtout à un
+enfant....
+
+TYLTYL
+
+Vous n'avez pas le droit de les refuser à l'Homme qui les
+demande.... je le sais....
+
+LA NUIT
+
+Qui te l'a dit?...
+
+TYLTYL
+
+La Lumière....
+
+LA NUIT
+
+Encore la Lumière! et toujours la Lumière!... De quoi se
+mêle-t-elle à la fin?...
+
+LE CHIEN
+
+Veux-tu que je les lui prenne de force, mon petit dieu?...
+
+TYLTYL
+
+Tais-toi, tiens-toi tranquille et tâche d'être poli.... [A la
+Nuit.] Voyons, madame, donnez-moi vos clefs, s'il vous plaît....
+
+LA NUIT
+
+As-tu le signe, au moins?... Où est-il?...
+
+TYLTYL, [touchant son chapeau.]
+
+Voyez le Diamant....
+
+LA NUIT, [se résignant à l'inévitable.]
+
+Enfin.... Voici celle qui ouvre toutes les portes de la salle....
+Tant pis pour toi s'il t'arrive malheur.... Je ne réponds de
+rien.
+
+LE PAIN, [fort inquiet.]
+
+Est-ce que c'est dangereux?...
+
+LA NUIT
+
+Dangereux?... C'est-à-dire que moi-même je ne sais trop comment
+je pourrai m'en tirer, lorsque certaines de ces portes de bronze
+s'ouvriront sur l'abîme.... Il y a là, tout autour de la salle,
+dans chacune de ces cavernes de basalte, tous les maux, tous les
+fléaux, toutes les maladies, toutes les épouvantes, toutes les
+catastrophes, tous les mystères qui affligent la vie depuis le
+commencement du monde.... J'ai eu assez de mal à les enfermer là
+avec l'aide du Destin; et ce n'est pas sans peine, je vous
+assure, que je maintiens un peu d'ordre parmi ces personnages
+indisciplinés.... On voit ce qu'il arrive lorsque l'un d'eux
+s'échappe et se montre sur terre....
+
+LE PAIX
+
+Mon grand âge, mon expérience et mon dévouement font de moi le
+protecteur naturel de ces deux enfants; c'est pourquoi, madame la
+Nuit, permettez-moi de vous poser une question....
+
+LA NUIT
+
+Faites....
+
+LE PAIN
+
+En cas de danger, par où faut-il fuir?...
+
+LA NUIT
+
+Il n'y a pas moyen de fuir.
+
+TYLTYL, [prenant la clef et montant les premières marches.]
+
+Commençons par ici.... Qu'y a-t-il derrière cette porte de
+bronze?...
+
+LA NUIT
+
+Je crois que ce sont les Fantômes.... Il y a bien longtemps que
+je ne l'ai ouverte et qu'ils ne sont sortis....
+
+TYLTYL, mettant la clef dans la serrure.
+
+Je vais voir.... [Au Pain] Avez-vous la cage de l'Oiseau-Bleu?...
+
+LE PAIN, claquant des dénis.
+
+Ce n'est pas que j'aie peur, mais ne croyez-vous pas qu'il serait
+préférable de ne pas ouvrir et de regarder par le trou de la
+serrure?...
+
+TYLTYL
+
+Je ne vous demande pas votre avis....
+
+MYTYL, [se mettant à pleurer tout à coup.]
+
+J'ai peur!... Où est le Sucre?... Je veux rentrer à la
+maison!...
+
+LE SUCRE, [empressé, obséquieux.]
+
+Ici, mademoiselle, je suis ici.... Ne pleurez pas, je vais couper
+un de mes doigts pour vous offrir un sucre d'orge....
+
+TYLTYL
+
+Finissons-en....
+
+ [Il tourne la clef et entr'ouvre prudemment la porte.
+ Aussitôt s'échappent cinq ou six Spectres de formes diverses
+ et étranges qui se répandent de tous cotés. Le Pain
+ épouvanté jette la cage et va se cacher au fond de la salle,
+ pendant que la Nuit, pourchassant les Spectres, crie à
+ Tyltyl:]
+
+LA NUIT
+
+Vite! vite!... Ferme la porte!... Ils s'échapperaient tous et
+nous ne pourrions plus les rattraper!... Ils s'ennuient
+là-dedans, depuis que l'Homme ne les prend plus au sérieux....
+[Elle pourchasse les Spectres en s'efforçant, à l'aide d'un fouet
+formé de serpents, de les ramener vers la porte de leur prison.]
+
+Aidez-moi!... Par ici!... Par ici!...
+
+TYLTYL, [au Chien.]
+
+Aide-la, Tylô, vas-y donc!...
+
+LE CHIEN, [bondissant en aboyant.]
+
+Oui! oui! oui!...
+
+TYLTYL
+
+Et le Pain, où est-il?...
+
+LE PAIN, du fond de la salle.
+
+Ici.... Je suis près de la porte pour les empêcher de sortir....
+
+ [Comme un des Spectres s'avance de ce côté, il fuit à toutes
+ jambes, en poussant des hurlements d'épouvante.]
+
+LA NUIT, [à trois Spectres qu'elle a pris au collet.]
+
+Par ici, vous autres!... [A Tyltyl.] Rouvre un peu la porte....
+[Elle pousse les Spectres dans la caverne.] Là, ça va bien....
+[Le Chien en ramène deux autres.] Et encore ceux-ci.... Voyons,
+vite, rangez-vous.... Vous savez bien que vous ne sortez plus
+qu'à la Toussaint.
+
+ [Elle referme la porte.]
+
+TYLTYL, [allant à une autre porte.]
+
+Qu'y a-t-il derrière celle-ci?...
+
+LA NUIT
+
+A quoi bon?... Je te l'ai déjà dit, l'Oiseau-Bleu n'est jamais
+venu par ici.... Enfin, comme tu voudras.... Ouvre-la si ça te
+fait plaisir.... Ce sont les Maladies....
+
+TYLTYL, [la clef dans la serrure.]
+
+Est-ce qu'il faut prendre garde en ouvrant?...
+
+LA NUIT
+
+Non, ce n'est pas la peine.... Elles sont bien tranquilles, les
+pauvres petites.... Elles ne sont pas heureuses.... L'Homme,
+depuis quelque temps, leur fait une telle guerre!... Surtout
+depuis la découverte des microbes.... Ouvre donc, tu verras....
+
+ [Tyltyl ouvre la porte toute grande. Rien ne paraît.]
+
+TYLTYL
+
+Elles ne sortent pas?...
+
+LA NUIT
+
+Je t'avais prévenu, presque toutes sont souffrantes et bien
+découragées.... Les médecins ne sont pas gentils pour elles....
+Entre donc un instant, tu verras....
+
+ [Tyltyl entre dans la caverne et ressort aussitôt après.]
+
+TYLTYL
+
+L'Oiseau-Bleu n'y est pas.... Elles ont l'air bien malades, vos
+Maladies.... Elles n'ont même pas levé la tête.... [Une petite
+Maladie, en pantoufles, robe de chambre et bonnet de coton,
+s'échappe de la caverne et se met à gambader dans la salle.]
+Tiens!... Une petite qui s'évade!... Qu'est-ce que c'est?...
+
+LA NUIT
+
+Ce n'est rien, c'est la plus petite, c'est le Rhume de
+cerveau.... C'est une de celles qu'on persécute le moins et qui
+se portent le mieux.... [Appelant le Rhume de cerveau] Viens
+ici, ma petite.... C'est trop tôt; il faut attendre le
+printemps....
+
+ [Le Rhume de cerveau, éternuant, toussant et se mouchant,
+ rentre dans la caverne dont Tyltyl referme la porte.]
+
+TYLTYL, [allant à la porte voisine.]
+
+Voyons donc celle-ci.... Qu'est-ce que c'est?...
+
+LA NUIT
+
+Prends garde.... Ce sont les Guerres.... Elles sont plus
+terribles et plus puissantes que jamais.... Dieu sait ce qui
+arriverait si l'une d'elles s'échappait!... Heureusement, elles
+sont assez obèses et manquent d'agilité.... Mais tenons-nous
+prêts à repousser la porte tous ensemble, pendant que tu jetteras
+un rapide coup d'oeil dans la caverne....
+
+ [Tyltyl, avec mille précautions, entrebâille la porte de
+ manière qu'il n'y ait qu'une petite fente où il puisse
+ appliquer l'oeil. Aussitôt, il s'arc-boute en criant:]
+
+TYLTYL
+
+Vite! vite!... Poussez donc!... Elles m'ont vu!... Elles viennent
+toutes!... Elles ouvrent la porte!...
+
+LA NUIT
+
+Allons, tous!... Poussez ferme!... Voyons, le Pain, que
+faites-vous?... Poussez tous!... Elles ont une force!... Ah!
+voilà! Ça y est.... Elles cèdent.... Il était temps!... As-tu
+vu?...
+
+TYLTYL
+
+Oui, oui!... Elles sont énormes, épouvantables!... Je crois
+qu'elles n'ont pas l'Oiseau-Bleu....
+
+LA NUIT
+
+Bien sûr qu'elles ne l'ont point.... Elles le mangeraient tout de
+suite.... Eh bien, en as-tu assez?... Tu vois bien qu'il n'y a
+rien à faire....
+
+TYLTYL
+
+Il faut que je voie tout.... La Lumière l'a dit....
+
+LA NUIT
+
+La Lumière l'a dit.... C'est facile à dire quand on a peur et
+qu'on reste chez soi....
+
+TYLTYL
+
+Allons à la suivante.... Qu'est-ce?...
+
+LA NUIT
+
+Ici, j'enferme les Ténèbres et les Terreurs....
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'on peut ouvrir?...
+
+LA NUIT
+
+Parfaitement.... Elles sont assez tranquilles; c'est comme les
+Maladies....
+
+TYLTYL, [entr'ouvrant la porte avec une certaine méfiance et
+risquant un regard dans la caverne.]
+
+Elles n'y sont pas....
+
+LA NUIT, [regardant à son tour dans la caverne.]
+
+Eh bien, les Ténèbres, que faites-vous?... Sortez donc un
+instant, ça vous fera du bien, ça vous dégourdira. Et les
+Terreurs aussi.... Il n'y a rien à Craindre.... [Quelques
+Ténèbres et quelques Terreurs, sous la figure de femmes
+couvertes, les premières de voiles noirs, les dernières de voiles
+verdâtres, risquent piteusement quelques pas hors de la caverne,
+et, sur un geste qu'ébauche Tyltyl, rentrent précipitamment.]
+Voyons, tenez-vous donc.... C'est un enfant, il ne vous fera pas
+de mal.... [A Tyltyl]. Elles sont devenues extrêmement timides;
+excepté les grandes, celles que tu vois au fond....
+
+TYLTYL, [regardant vers le fond de la caverne.]
+
+Oh! qu'elles sont effrayantes!...
+
+LA NUIT
+
+Elles sont enchaînées.... Ce sont les seules qui n'aient pas peur
+de l'Homme.... Mais referme la porte, de crainte qu'elles ne se
+fâchent....
+
+TYLTYL, [allant à la porte suivante.]
+
+Tiens!... Celle-ci est plus sombre.... Qu'est-ce que c'est?...
+
+LA NUIT
+
+Il y a plusieurs Mystères derrière celle-ci.... Si tu y tiens
+absolument, tu peux l'ouvrir aussi.... Mais n'entre pas.... Sois
+bien prudent, et puis préparons-nous à repousser la porte, comme
+nous avons fait pour les Guerres....
+
+TYLTYL, [entr'ouvrant avec des précautions inouïes, et passant
+craintivement la tête dans l'entrebâillement.]
+
+Oh!... Quel froid!... Mes yeux cuisent!... Fermez vite!...
+Poussez donc! On repousse!... [La Nuit, le Chien, la Chatte et le
+Sucre repoussent la porte.] Oh! j'ai vu!...
+
+LA NUIT
+
+Quoi donc?...
+
+TYLTYL, [bouleversé.]
+
+Je ne sais pas, c'était épouvantable!... Ils étaient tous assis
+comme des monstres sans yeux.... Quel était le géant qui voulait
+me saisir?...
+
+LA NUIT
+
+C'est probablement le Silence; il a la garde de cette porte....
+Il paraît que c'était effrayant?... Tu en es encore tout pâle et
+tout tremblant....
+
+TYLTYL
+
+Oui, je n'aurais pas cru.... Je n'avais jamais vu.... Et j'ai les
+mains gelées....
+
+LA NUIT
+
+Ce sera bien pis tout à l'heure si tu continues....
+
+TYLTYL, [allant à la porte suivante.]
+
+Et celle-ci?... Est-elle aussi terrible?...
+
+LA NUIT
+
+Non, il y a un peu de tout.... J'y mets les Étoiles sans emploi,
+mes parfums personnels, quelques Lueurs qui m'appartiennent, tels
+que feux-follets, vers luisants, lucioles; on y serre aussi la
+Rosée, le Chant des Rossignols, etc..
+
+TYLTYL
+
+Justement, les Étoiles, le Chant des Rossignols.... Ce doit être
+celle-là.
+
+LA NUIT
+
+Ouvre-donc si tu veux; tout cela n'est pas bien méchant....
+
+ [Tyltyl ouvre la porte toute grande. Aussitôt les Étoiles,
+ sous la forme de belles jeunes filles voilées de lueurs
+ versicolores, s'échappent de leur prison, se répandent dans
+ la salle et forment sur les marches et autour des colonnes
+ de gracieuses rondes baignées d'une sorte de lumineuse
+ pénombre. Les Parfums de la Nuit, presque invisibles, les
+ Feux-follets, les Lucioles, la Rosée transparente se
+ joignent à elles, cependant que le Chant des Rossignols,
+ sortant à flots de la caverne, inonde le palais nocturne.]
+
+MYTYL, [ravie, battant des mains.]
+
+Oh! les jolies madames!...
+
+TYLTYL
+
+Et qu'elles dansent bien!...
+
+MYTYL
+
+Et qu'elles sentent bon!...
+
+TYLTYL
+
+Et qu'elles chantent bien!...
+
+MYTYL
+
+Qu'est-ce que c'est, ceux-là, qu'on ne voit presque pas?...
+
+LA NUIT
+
+Ce sont les Parfums de mon ombre....
+
+TYLTYL
+
+Et les autres, là-bas, qui sont en verre filé?...
+
+LA NUIT
+
+C'est la Rosée des forêts et des plaines.... Mais en voilà
+assez.... Ils n'en finiraient pas.... C'est le diable de les
+faire rentrer une fois qu'ils se sont mis à danser.... [Frappant
+dans ses mains.] Allons, vite, les Étoiles!... Ce n'est pas le
+moment de danser.... Le ciel est couvert, il y a de gros
+nuages.... Allons, vite, rentrez tous, sinon j'irai chercher un
+rayon de soleil....
+
+ [Fuite épouvantée des Étoiles, Parfums, etc...., qui se
+ précipitent dans la caverne que l'on referme sur eux. En
+ même temps s'éteint le Chant des Rossignols.]
+
+TYLTYL, [allant à la porte du fond.]
+
+Voici la grande porte du milieu....
+
+LA NUIT, gravement.
+
+N'ouvre pas celle-ci....
+
+TYLTYL
+
+Pourquoi?...
+
+LA NUIT
+
+Parce que c'est défendu....
+
+TYLTYL
+
+C'est donc là que se cache l'Oiseau-Bleu; la Lumière me l'a
+dit....
+
+LA NUIT, [maternelle.]
+
+Écoute-moi, mon enfant.... J'ai été bonne et complaisante....
+J'ai fait pour toi ce que je n'avais fait jusqu'ici pour
+personne.... Je t'ai livré tous mes secrets.... Je t'aime bien,
+j'ai pitié de ta jeunesse et de ton innocence et je te parle
+comme une mère.... Écoute-moi et crois-moi, mon enfant, renonce,
+ne va point plus avant, ne tente pas le Destin, n'ouvre pas cette
+porte....
+
+TYLTYL, [assez ébranlé.]
+
+Mais pourquoi?...
+
+LA NUIT
+
+Parce que je ne veux pas que tu te perdes.... Parce que nul de
+ceux, entends-tu, nul de ceux qui l'ont entr'ouverte, ne fût-ce
+que de l'épaisseur d'un cheveu, n'est revenu vivant à la lumière
+du jour.... Parce que tout ce qu'on peut imaginer d'épouvantable,
+parce que toutes les terreurs, toutes les horreurs dont on parle
+sur terre, ne sont rien, comparées à la plus innocente de celles
+qui assaillent un homme dès que son oeil effleure les premières
+menaces de l'abîme auquel personne n'ose donner un nom.... C'est
+au point que moi-même, si tu t'obstines, malgré tout, à toucher
+cette porte, je te demanderai d'attendre que je sois à l'abri
+dans ma tour sans fenêtres.... Maintenant c'est à toi de savoir,
+à toi de réfléchir....
+
+ [Mytyl, tout en larmes, pousse des cris de terreur
+ inarticulés et cherche à entraîner Tyltyl.]
+
+LE PAIN, [claquant des dents.]
+
+Ne le faites pas, mon petit maître!... [Se jetant à genoux.] Ayez
+pitié de nous!... Je vous le demande à genoux.... Vous voyez que
+la Nuit a raison....
+
+LA CHATTE
+
+C'est notre vie à tous que vous sacrifiez....
+
+TYLTYL
+
+Je dois l'ouvrir....
+
+MYTYL, [trépignant parmi des sanglots.]
+
+Je ne veux pas!... Je ne veux pas!...
+
+TYLTYL
+
+Que le Sucre et le Pain prennent Mytyl par la main et se sauvent
+avec elle.... Je vais ouvrir....
+
+LA NUIT
+
+Sauve qui peut!... Venez vite!... Il est temps!...
+
+ [Elle fuit.]
+
+LE PAIN, [fuyant éperdument.]
+
+Attendez au moins que nous soyons au bout de la salle!...
+
+LA CHATTE, [fuyant également.]
+
+Attendez!... attendez!...
+
+Ils se cachent derrière les colonnes à l'autre bout de la salle.
+Tyltyl reste seul avec le Chien, près de la porte monumentale.
+
+LE CHIEN, [haletant et hoquetant d'épouvante contenue.]
+
+Moi, je reste, je reste.... Je n'ai pas peur.... Je reste!... Je
+reste près de mon petit dieu.... Je reste!... Je reste....
+
+TYLTYL, [caressant le Chien.]
+
+C'est bien, Tylô, c'est bien!... Embrasse-moi.... Nous sommes
+deux.... Maintenant gare à nous!... [Il met la clef dans la
+serrure. Un cri d'épouvante part de l'autre bout de la salle où
+se sont réfugiés les fuyards. A peine la clef a-t-elle touché la
+porte que les hauts ballants de celle-ci s'ouvrent par le milieu,
+glissent latéralement et disparaissent, à droite et à gauche,
+dans l'épaisseur des murs, découvrant tout à coup, irréel,
+infini, ineffable, le plus inattendu des jardins de rêve et de
+lumière nocturne, où, parmi les étoiles et les planètes,
+illuminant tout ce qu'ils touchent, volant sans cesse de
+pierreries en pierreries, de rayons de lune en rayons de lune, de
+féeriques oiseaux bleus évoluent perpétuellement et
+harmonieusement jusqu'aux confins de l'horizon, innombrables au
+point qu'ils semblent être le souffle, l'atmosphère azurée, la
+substance même du jardin merveilleux.--Tyltyl, ébloui, éperdu,
+debout dans la lumière du jardin:] Oh!... le ciel!... [Se
+tournant vers ceux qui oui fui.] Venez vite!... Ils sont là!...
+C'est eux! c'est eux! c'est eux!...Nous les tenons enfin!... Des
+milliers d'oiseaux bleus! Des millions!... Des milliards!... Il y
+en aura trop!... Viens, Mytyl!... Viens, Tylô!... Venez tous!...
+Aidez-moi!... [S'élançant parmi les oiseaux.] On les prend à
+pleines mains!... Ils ne sont pas farouches!... Ils n'ont pas
+peur de nous!... Par ici! par ici!... [Mytyl et les autres
+accourent. Ils entrent tous dans le jardin éblouissant, hormis la
+Nuit et la Chatte.] Vous voyez!... Ils sont trop!... Ils viennent
+dans mes mains!... Regardez donc, ils mangent les rayons de la
+lune!... Mytyl, où donc es-tu?... Il y a tant d'ailes bleues,
+tant de plumes qui tombent qu'on n'y voit plus du tout!... Tylô!
+ne les mord pas.... Ne leur fais pas de mal!... Prends-les très
+doucement!
+
+MYTYL, [enveloppée d'oiseaux bleus.]
+
+J'en ai déjà pris sept!... Oh! qu'ils battent des ailes!... Je ne
+puis les tenir!...
+
+TYLTYL
+
+Moi non plus!... J'en ai trop!... Ils s'échappent!... Ils
+reviennent!... Tylô en a aussi!... Ils vont nous entraîner!...
+nous porter dans le ciel!... Viens, sortons par ici!... La
+Lumière nous attend!... Elle sera contente!... Par ici, par
+ici!...
+
+ [Ils s'évadent du jardin, les mains pleines d'oiseaux qui se
+ débattent, et, traversant toute la salle parmi l'affolement
+ des ailes azurées, sortent à droite, par où ils sont entrés,
+ suivis du Pain et du Sucre qui n'ont pas pris d'oiseaux.
+ --Restés seuls, la Nuit et la Chatte remontent vers le fond
+ et regardent anxieusement dans le jardin.]
+
+LA NUIT
+
+Ils ne l'ont pas?...
+
+LA CHATTE
+
+Non.... Je le vois là sur ce rayon de lune.... Ils n'ont pas pu
+l'atteindre, il se tenait trop haut....
+
+ [Le rideau tombe. Aussitôt après, devant le rideau tombé,
+ entrent simultanément, à gauche la Lumière, à droite Tyltyl,
+ Mytyl et le Chien, accourant tout couverts des oiseaux
+ qu'ils viennent de capturer. Mais déjà ceux-ci paraissent
+ inanimés et, la tête pendante et les ailes brisées, ne sont
+ plus dans leurs mains que d'inertes dépouilles.]
+
+LA LUMIÈRE
+
+Eh bien, l'avez-vous-pris?...
+
+TYLTYL
+
+Oui, oui!... Tant qu'on voulait.... Il y en a des milliers!...
+Les voici!... Les vois-tu!... [Regardant les oiseaux qu'il tend
+vers la Lumière et s'apercevant qu'ils sont morts.] Tiens!... Ils
+ne vivent plus.... Qu'est-ce qu'on leur a fait?... Les tiens
+aussi, Mytyl?... Ceux de Tylô aussi. [Jetant avec colère les
+cadavres d'oiseaux.] Ah! non, c'est trop vilain!... Qui est-ce
+qui les a tués?... Je suis trop malheureux!...
+
+ [Il se cache la tête sous le bras et paraît tout secoué de
+ sanglots.]
+
+LA LUMIÈRE, [le serrant maternellement dans ses bras.]
+
+Ne pleure pas, mon enfant.... Tu n'as pas pris celui qui peut
+vivre en plein jour.... Il est allé ailleurs.... Nous le
+retrouverons....
+
+LE CHIEN, [regardant les oiseaux morts.]
+
+Est-ce qu'on peut les manger?...
+
+ [Ils sortent tous à gauche.]
+
+
+
+
+CINQUIÈME TABLEAU
+
+LA FORÊT
+
+
+Une forêt.--Il fait nuit.--Clair de lune.--Vieux arbres de
+diverses espèces, notamment: un chêne, un hêtre, un orme, un
+peuplier, un sapin, un cyprès, un tilleur, un marronnier, etc.
+
+ * * * * *
+
+ [Entre la Chatte.]
+
+LA CHATTE, [saluant les arbres à la ronde.]
+
+Salut à tous les arbres!...
+
+MURMURE DES FEUILLAGES
+
+Salut!...
+
+LA CHATTE
+
+C'est un grand jour que ce jour-ci!... Notre ennemi vient
+délivrer vos énergies et se livrer lui-même.... C'est Tyltyl, le
+fils du bûcheron qui vous a fait tant de mal.... Il cherche
+l'Oiseau-Bleu que vous cachez à l'Homme depuis le commencement du
+monde, et qui sait seul notre secret.... [Murmure dans les
+feuilles.] Vous dites?... Ah! c'est le Peuplier qui parle....
+Oui, il possède un Diamant qui a la vertu de délivrer un instant
+nos esprits; il peut nous forcer à livrer l'Oiseau-Bleu, et nous
+serons dès lors, définitivement, à la merci de l'Homme....
+[Murmure dans les feuilles.] Qui parle?... Tiens! c'est le
+Chêne.... Comment allez-vous?... [Murmure dans les feuilles du
+Chêne.] Toujours enrhumé?... La Réglisse ne vous soigne plus?...
+Toujours les rhumatismes?... Croyez-moi, c'est à cause de la
+mousse; vous en mettez trop sur vos pieds.... L'Oiseau-Bleu est
+toujours chez vous?... [Murmures dans les feuilles du Chêne.]
+Vous dites?... Oui, il n'y a pas à hésiter, il faut en profiter,
+il faut qu'il disparaisse.... [Murmure dans les feuilles.]
+Plaît-il?... Oui, il est avec sa petite soeur; il faut qu'elle
+meure aussi.... [Murmure dans les feuilles.] Oui, le Chien les
+accompagne; il n'y a pas moyen de l'éloigner.... [Murmure dans
+les feuilles.] Vous dites?... Le corrompre?... Impossible....
+J'ai essayé de tout.... [Murmures parmi les feuilles.] Ah! c'est
+toi, le Sapin?... Oui, prépare quatre planches.... Oui, il y a
+encore le Feu, le Sucre, l'Eau, le Pain.... Ils sont tous avec
+nous, excepté le Pain qui est assez douteux.... Seule la Lumière
+est favorable à l'Homme; mais elle ne viendra pas.... J'ai fait
+croire aux petits qu'ils devaient s'échapper en cachette pendant
+qu'elle dormait.... L'occasion est unique.... [Murmure dans les
+feuilles.] Tiens! c'est la voix du Hêtre!... Oui, vous avez
+raison; il faut que l'on prévienne les Animaux.... Le Lapin
+a-t-il son tambour?... Il est chez vous?... Bien, qu'il batte le
+rappel, tout de suite.... Les voici!...
+
+ [On entend s'éloigner les roulements de tambour du
+ Lapin.--Entrent Tyltyl, Mytyl et le Chien.]
+
+TYLTYL
+
+C'est ici?...
+
+LA CHATTE, [obséquieuse, doucereuse, empressé se précipitant
+au-devant des enfants.]
+
+Ah! voilà, mon petit maître!... Que vous avez bonne mine et que
+vous êtes joli, ce soir!... Je vous ai précédé pour annoncer
+votre arrivée.... Tout va bien. Cette fois nous tenons
+l'Oiseau-Bleu, j'en suis sûre.... Je viens d'envoyer le Lapin
+battre le rappel afin de convoquer les principaux Animaux du
+pays.... On les entend déjà dans le feuillage.... Écoutez!... Ils
+sont un peu timides et n'osent approcher.... [Bruits d'animaux
+divers, tels que vaches, porcs, chevaux, ânes, etc.--Bas à
+Tyltyl, le prenant à part.] Mais pourquoi avez-vous amené le
+Chien?... Je vous l'ai déjà dit, il est au plus mal avec tout le
+monde, même avec les arbres.... Je crains bien que sa présence
+odieuse ne fasse tout manquer....
+
+TYLTYL
+
+Je n'ai pu m'en débarasser.... [Au Chien, la menaçant] Veux-tu
+bien t'en aller, vilaine bête!...
+
+LE CHIEN
+
+Qui?... Moi!... Pourquoi?... Qu'est-ce que j'ai fait?...
+
+TYLTYL
+
+Je te dis de t'en aller!... On n'a que faire de toi, c'est bien
+simple.... Tu nous embêtes à la fin!...
+
+LE CHIEN
+
+Je ne dirai rien.... Je suivrai de loin.... On ne me verra
+pas.... Veux-tu que je fasse le beau?...
+
+LA CHATTE, [bas, à Tyltyl.]
+
+Vous tolérez pareille désobéissance?... Donnez-lui donc quelques
+coups de bâton sur le nez, il est vraiment insupportable!...
+
+TYLTYL, [battant le Chien.]
+
+Voilà qui t'apprendra à obéir plus vite!...
+
+LE CHIEN, [hurlant.]
+
+Aïe! Aïe! Aïe!...
+
+TYLTYL
+
+Qu'en dis-tu?...
+
+LE CHIEN
+
+Il faut que je t'embrasse puisque tu m'as battu!...
+
+[Il embrasse et caresse violemment Tyltyl.]
+
+TYLTYL
+
+Voyons.... C'est, bien.... Ça suffit.... Va-t'en!...
+
+MYTYL
+
+Non, non; je veux qu'il reste.... J'ai peur de tout quand il
+n'est pas là....
+
+LE CHIEN, [bondissant et renversant presque Mytyl, qu'il accable
+de caresses précipitées et enthousiastes.]
+
+Oh! la bonne petite fille!... Qu'elle est belle! Qu'elle est
+bonne!... Qu'elle est belle, qu'elle est douce!... Il faut que je
+l'embrasse! Encore! encore! encore!...
+
+LA CHATTE
+
+Quel idiot!... Ma foi, nous verrons bien.... Ne perdons pas de
+temps.... Tournez le Diamant....
+
+TYLTYL
+
+Où faut-il me placer?
+
+LA CHATTE
+
+Dans ce rayon de lune; vous y verrez plus clair.... Là! tournez
+doucement....
+
+ [Tyltyl tourne le Diamant; aussitôt, un long frémissement
+ agite les branches et les feuilles. Les troncs les plus
+ anciens et les plus imposants s'entr'ouvrent pour livrer
+ passage à l'âme que chacun d'eux renferme. L'aspect de ces
+ âmes diffère suivant l'aspect et le caractère de l'arbre
+ qu'elles représentent. Celle de l'Orme, par exemple, est une
+ sorte de gnome poussif, ventru, bourru; celle du Tilleul est
+ placide, familière, joviale: celle du Hêtre, élégante et
+ agile; celle du Bouleau, blanche, réservée, inquiète; celle
+ du Saule, rabougrie, échevelée, plaintive; celle du Sapin,
+ longue, efflanquée, taciturne; celle du Cyprès, tragique;
+ celle du Marronnier, prétentieuse, un peu snob; celle du
+ Peuplier, allègre, encombrante, bavarde. Les unes sortent
+ lentement de leur tronc, engourdies, s'étirant, comme après
+ une captivité ou un sommeil séculaire, les autres s'en
+ dégagent d'un bond, alertes, empressées, et toutes viennent
+ se ranger autour des deux enfants, tout en se tenant autant
+ que possible à proximité de l'arbre dont elles sont nées.]
+
+LE PEUPLIER, [accourant le premier et criant à tue-tête.]
+
+Des Hommes!... De petits Hommes!... On pourra leur parler!...
+C'est fini le Silence!... C'est fini!... D'où viennent-ils?...
+Qui est-ce?... Qui sont-ils?... [Au Tilleul qui s'avance en
+fumant tranquillement sa pipe.] Les connais-tu, toi, père
+Tilleul?...
+
+LE TILLEUL
+
+Je ne me rappelle pas les avoir vus....
+
+LE PEUPLIER
+
+Mais si, voyons, mais si!... Tu connais tous les Hommes, tu es
+toujours à te promener autour de leurs maisons....
+
+LE TILLEUL, [examinant les enfants.]
+
+Mais non, je vous assure.... Je ne les connais pas.... Ils sont
+encore trop jeunes.... Je ne connais bien que les amoureux qui
+viennent me voir au clair de lune; ou les buveurs de bière qui
+trinquent sous mes branches....
+
+LE MARRONNIER, [pincé, ajustant son monocle.]
+
+Qu'est-ce que c'est que ça?... C'est des pauvres de la
+campagne?...
+
+LE PEUPLIER
+
+Oh! vous, monsieur le Marronnier, depuis que vous ne fréquentez
+plus que les boulevards des grandes villes....
+
+LE SAULE, [s'avançant en sabots et geignard.]
+
+Mon Dieu, mon Dieu!... Ils viennent encore me couper la tête et
+les bras pour en faire des fagots!...
+
+LE PEUPLIER
+
+Silence!... Voici le Chêne qui sort de son palais!... Il a l'air
+bien souffrant ce soir.... Ne trouvez-vous pas qu'il
+vieillit?... Quel âge peut-il avoir?... Le Sapin dit qu'il a
+quatre mille ans; mais je suis sûre qu'il exagère.... Attention,
+il va nous dire ce que c'est....
+
+ [Le Chêne s'avance lentement. Il est fabuleusement vieux,
+ couronné de gui et vêtu d'une longue robe verte brodée de
+ mousse et de lichen. Il est aveugle, sa barbe blanche flotte
+ au vent. Il s'appuie d'une main sur un bâton noueux et de
+ l'autre sur un jeune Chêneau qui lui sert de guide.
+ L'Oiseau-Bleu est perché sur son épaule. À son approche,
+ mouvement de respect parmi les arbres qui se rangent et
+ s'inclinent.]
+
+TYLTYL
+
+Il a l'Oiseau-Bleu!... Vite! vite!... Par ici!...
+Donnez-le-moi!...
+
+LES ARBRES
+
+Silence!...
+
+LA CHATTE, [à Tyltyl.]
+
+Découvrez-vous, c'est le Chêne!...
+
+LE CHÊNE, [à Tyltyl.]
+
+Qui es-tu?...
+
+TYLTYL
+
+Tyltyl, monsieur.... Quand est-ce que je pourrai prendre
+l'Oiseau-Bleu?...
+
+LE CHÊNE
+
+Tyltyl, le fils du bûcheron?...
+
+TYLTYL
+
+Oui, monsieur....
+
+LE CHÊNE
+
+Ton père nous a fait bien du mal.... Dans ma seule famille il a
+mis à mort six cents de mes fils, quatre cent soixante-quinze
+oncles et tantes, douze cents cousins et cousines, trois cent
+quatre-vingts brus et douze mille arrière-petits-fils!...
+
+TYLTYL
+
+Je ne sais pas, monsieur.... Il ne l'a pas fait exprès....
+
+LE CHÊNE
+
+Que viens-tu faire ici, et pourquoi as-tu fait sortir nos âmes de
+leurs demeures?...
+
+TYLTYL
+
+Monsieur, je vous demande pardon de vous avoir dérangé.... C'est
+la Chatte qui m'a dit que vous alliez nous dire où se trouve
+l'Oiseau-Bleu....
+
+LE CHÊNE
+
+Oui, je sais, tu cherches l'Oiseau-Bleu, c'est-à-dire le grand
+secret des choses et du bonheur, pour que les Hommes rendent plus
+dur encore notre esclavage....
+
+TYLTYL
+
+Mais non, monsieur; c'est pour la petite fille de la Fée Bérylune
+qui est très malade....
+
+LE CHÊNE, lui imposant silence.
+
+Il suffit!... Je n'entends pas les Animaux.... Où sont-ils?...
+Tout ceci les intéresse autant que nous.... Il ne faut pas que
+nous, les Arbres, assumions seuls la responsabilité des mesures
+graves qui s'imposent.... Le jour où les Hommes apprendront que
+nous avons fait ce que nous allons faire, il y aura d'horribles
+représailles.... Il convient donc que notre accord soit unanime,
+pour que notre silence le soit également....
+
+LE SAPIN, [regardant par-dessus les autres arbres.]
+
+Les Animaux arrivent.... Ils suivent le Lapin.... Voici l'âme du
+Cheval, du Taureau, du Boeuf, de la Vache, du Loup, du Mouton,
+du Porc, du Coq, de la Chèvre, de l'Âne et de l'Ours....
+
+ [Entrée successive des âmes des Animaux qui, à mesure que
+ les énumère le Sapin, s'avancent et vont s'asseoir entre les
+ arbres, à l'exception de l'âme de la Chèvre qui vagabonde çà
+ et là, et de celle du Porc qui fouille les racines.]
+
+LE CHÊNE
+
+Tous sont-ils ici présents?...
+
+LE LAPIN
+
+La Poule ne pouvait pas abandonner ses oeufs, le Lièvre faisait
+des courses, le Cerf a mal aux cornes, le Renard est
+souffrant,--voici le certificat du médecin,--l'Oie n'a pas
+compris et le Dindon s'est mis en colère....
+
+LE CHÊNE
+
+Ces abstentions sont extrêmement regrettables.... Néanmoins, nous
+sommes en nombre suffisant.... Vous savez, mes frères, de quoi
+il est question. L'enfant que voici, grâce à un talisman dérobé
+aux puissances de la Terre, peut s'emparer de notre Oiseau-Bleu,
+et nous arracher ainsi le secret que nous gardons depuis
+l'origine de la Vie.... Or, nous connaissons assez l'Homme pour
+n'avoir aucun doute sur le sort qu'il nous réserve lorsqu'il se
+trouvera en possession de ce secret. C'est pourquoi il me semble
+que toute hésitation serait aussi stupide que criminelle....
+L'heure est grave; il faut que l'enfant disparaisse avant qu'il
+soit trop tard....
+
+TYLTYL
+
+Que dit-il?...
+
+LE CHIEN, [rôdant autour du Chêne en montrant ses crocs.]
+
+As-tu vu mes dents, vieux perclus?...
+
+LE HÊTRE, [indigné.]
+
+Il insulte le Chêne!...
+
+LE CHÊNE
+
+C'est le Chien?... Qu'on l'expulse! Il ne faut pas que nous
+tolérions un traître parmi nous!...
+
+LA CHATTE, [bas, à Tyltyl.]
+
+Éloignez le Chien.... C'est un malentendu.... Laissez-moi faire,
+j'arrangerai les choses.... Mais éloignez-le au plus vite....
+
+TYLTYL, [au Chien.]
+
+Veux-tu t'en aller!...
+
+LE CHIEN
+
+Laisse-moi donc lui déchirer ses pantoufles de mousse à ce vieux
+goutteux-là!... On va rire!...
+
+TYLTYL
+
+Tais-toi donc!... Et va-t'en!... Mais va-t'en, vilaine bête!...
+
+LE CHIEN
+
+Bon, bon, on s'en ira.... Je reviendrai quand tu auras besoin de
+moi....
+
+LA CHATTE, [bas, à Tyltyl.]
+
+Il serait plus prudent de l'enchaîner, sinon il fera des bêtises;
+les Arbres se fâcheront, et tout cela finira mal....
+
+TYLTYL
+
+Comment faire?... J'ai égaré sa laisse....
+
+LA CHATTE
+
+Voici tout juste le Lierre qui s'avance avec de solides liens....
+
+LE CHIEN, grondant.
+
+Je reviendrai, je reviendrai!... Podagre! bronchiteux!... Tas de
+vieux rabougris, tas de vieilles racines!...C'est la Chatte qui
+mène tout!... Je lui revaudrai ça!... Qu'as-tu donc à chuchoter
+ainsi, Judas, Tigre, Bazaine!... Wa, wa! wa!...
+
+LA CHATTE
+
+Vous voyez, il insulte tout le monde....
+
+TYLTYL
+
+C'est vrai, il est insupportable et l'on ne s'entend plus....
+Monsieur le Lierre, voulez-vous l'enchaîner?...
+
+LE LIERRE, [s'approchant assez craintivement du Chien.]
+
+Il ne mordra pas?...
+
+LE CHIEN, [grondant.]
+
+Au contraire! au contraire!... Il va bien t'embrasser!...
+Attends, tu vas voir ça!... Approche, approche donc, tas de
+vieilles ficelles!...
+
+TYLTYL, [le menaçant du bâton.]
+
+Tylô!...
+
+LE CHIEN, [rampant aux pieds de Tyltyl en agitant la queue.]
+
+Que faut-il faire, mon petit dieu?...
+
+TYLTYL
+
+Te coucher, à plat ventre!... Obéis au Lierre.... Laisse-toi
+garotter, sinon....
+
+LE CHIEN, [grondant entre les dents pendant que le Lierre le
+garotte.]
+
+Ficelle!... Corde à pendus!... Laisse à veaux!... Chaîne à
+porcs!... Mon petit dieu, regarde.... Il me tord les pattes....
+Il m'étrangle!...
+
+TYLTYL
+
+Tant pis!... Tu l'as voulu!... Tais-toi, tiens-toi tranquille, tu
+es insupportable!...
+
+LE CHIEN
+
+C'est égal, tu as tort.... Ils ont de vilaines intentions.... Mon
+petit dieu, prends garde!... Il me ferme la bouche!... Je ne peux
+plus parler!...
+
+LE LIERRE, [qui a ficelé le Chien comme un paquet.]
+
+Où faut-il le porter?... Je l'ai bien bâillonné.... il ne souffle
+plus mot....
+
+LE CHÊNE
+
+Qu'on l'attache solidement là-bas, derrière mon tronc, à ma
+grosse racine.... Nous verrons ensuite ce qu'il convient d'en
+faire.... [Le Lierre aidé du Peuplier porte le Chien derrière le
+tronc du Chêne] Est-ce fait?... Bien, maintenant que nous voilà
+débarrassés de ce témoin gênant et de ce renégat, délibérons
+selon notre justice et notre vérité.... Mon émotion, je ne vous
+le cache point, est profonde et pénible.... C'est la première
+fois qu'il nous est donné de juger l'Homme et de lui faire sentir
+notre puissance.... Je ne crois pas qu'après le mal qu'il nous a
+fait, après les monstrueuses injustices que nous avons subies, il
+reste le moindre doute sur la sentence qui l'attend....
+
+TOUS LES ARBRES et TOUS LES ANIMAUX
+
+Non! Non! Non!... Pas de doute!... La pendaison!... La mort!...
+Il y a trop d'injustice!... Il a trop abusé!... Il y a trop
+longtemps!... Qu'on l'écrase! Qu'on le mange!... Tout de
+suite!... Tout de suite!...
+
+TYLTYL, [à la Chatte.]
+
+Qu'ont-ils donc?... Ils ne sont pas contents?...
+
+LA CHATTE
+
+Ne vous inquiétez pas.... Ils sont un peu fâchés à cause que le
+Printemps est en retard.... Laissez-moi faire, j'arrangerai tout
+ça....
+
+LE CHÊNE
+
+Cette unanimité était inévitable.... Il s'agit à présent de
+savoir, pour éviter les représailles, quel genre de supplice sera
+le plus pratique, le plus commode, le plus expéditif et le plus
+sûr; celui qui laissera le moins de traces accusatrices lorsque
+les Hommes retrouveront les petits corps dans la forêt....
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que c'est que tout ça?... Où veut-il en venir?... Je
+commence à en avoir assez.... Puisqu'il a l'Oiseau-Bleu, qu'il le
+donne....
+
+LE TAUREAU, [s'avançant.]
+
+Le plus pratique et le plus sûr, c'est un bon coup de corne au
+creux de l'estomac.--Voulez-vous que je fonce?...
+
+LE CHÊNE
+
+Qui parle ainsi?...
+
+LA CHATTE
+
+C'est le Taureau.
+
+LA VACHE
+
+Il ferait mieux de se tenir tranquille.... Moi, je ne m'en mêle
+pas.... J'ai à brouter toute l'herbe de la prairie qu'on voit
+là-bas, dans le bleu de la lune.... J'ai trop à faire....
+
+LE BOEUF
+
+Moi aussi. D'ailleurs, j'approuve tout d'avance....
+
+LE HÊTRE
+
+Moi, j'offre ma plus haute branche pour les pendre....
+
+LE LIERRE
+
+Et moi le noeud coulant....
+
+LE SAPIN
+
+Et moi les quatre planches pour la petite boîte....
+
+LE CYPRÈS
+
+Et moi la concession à perpétuité....
+
+LE SAULE
+
+Le plus simple serait de les noyer dans une de mes rivières....
+Je m'en charge....
+
+LE TILLEUL, [conciliant.]
+
+Voyons, voyons.... Est-il bien nécessaire d'en venir à ces
+extrémités? Ils sont encore bien jeunes.... On pourrait tout
+bonnement les empêcher de nuire en les retenant prisonniers dans
+un clos que je me charge de construire en me plantant tout
+autour....
+
+LE CHÊNE
+
+Qui parle ainsi?... Je crois reconnaître la voix mielleuse du
+Tilleul....
+
+LE SAPIN
+
+En effet....
+
+LE CHÊNE
+
+Il y a donc un renégat parmi nous, comme parmi les Animaux?...
+Jusqu'ici, nous n'avions à déplorer que la défection des Arbres
+fruitiers; mais ceux-ci ne sont pas de véritables Arbres....
+
+LE PORC, [roulant de petits yeux gloutons.]
+
+Moi, je pense qu'il faut d'abord manger la petite fille.... Elle
+doit être bien tendre....
+
+TYLTYL
+
+Que dit-il celui-là?... Attends un peu, espèce de....
+
+LA CHATTE
+
+Je ne sais ce qu'ils ont; mais cela prend mauvaise tournure....
+
+LE CHÊNE
+
+Silence!... Il s'agit de savoir qui de nous aura l'honneur de
+porter le premier coup; qui écartera de nos cimes le plus grand
+danger que nous ayons couru depuis la naissance de l'Homme....
+
+LE SAPIN
+
+C'est à vous, notre roi et notre patriarche, que revient cet
+honneur....
+
+LE CHÊNE
+
+C'est le Sapin qui parle?... Hélas! je suis trop vieux! Je suis
+aveugle, infirme, et mes bras engourdis ne m'obéissent plus....
+Non, c'est à vous, mon frère, toujours vert, toujours droit,
+c'est à vous, qui vîtes naître la plupart de ces Arbres,
+qu'échoit, à mon défaut, la gloire du noble geste de notre
+délivrance....
+
+LE SAPIN
+
+Je vous remercie, mon vénérable père.... Mais comme j'aurai déjà
+l'honneur d'ensevelir les deux victimes, je craindrais d'éveiller
+la juste jalousie de mes collègues; et je crois qu'après nous, le
+plus ancien et le plus digne, celui qui possède la meilleure
+massue, c'est le Hêtre....
+
+LE HÊTRE
+
+Vous savez que je suis vermoulu et que ma massue n'est point
+sûre.... Mais l'Orme et le Cyprès ont de puissantes armes....
+
+L'ORME
+
+Je ne demanderais pas mieux; mais je puis à peine me tenir
+debout.... Une taupe, cette nuit, m'a retourné le gros orteil....
+
+LE CYPRÈS
+
+Quant à moi, je suis prêt.... Mais, comme mon bon frère le Sapin,
+j'aurai déjà, sinon le privilège de les ensevelir, tout au moins
+l'avantage de pleurer sur leur tombe.... Ce serait illégitimement
+cumuler.... Demandez au Peuplier....
+
+LE PEUPLIER
+
+A moi?... Y pensez-vous?... Mais mon bois est plus tendre que la
+chair d'un enfant!... Et puis, je ne sais ce que j'ai.... Je
+tremble de fièvre.... Regardez donc mes feuilles.... J'ai dû
+prendre froid ce matin au lever du soleil....
+
+LE CHÊNE, [éclatant d'indignation.]
+
+Vous avez peur de l'Homme!... Même ces petits enfants isolés et
+sans armes vous inspirent la terreur mystérieuse qui fit toujours
+de nous les esclaves que nous sommes!... Eh bien, non! C'est
+assez!... Puisqu'il en est ainsi, puisque l'heure est unique,
+j'irai seul, vieux, perclus, tremblant, aveugle, contre l'ennemi
+héréditaire!... Où est-il?...
+
+ [Tâtonnant de son bâton, il s'avance vers Tyltyl.]
+
+TYLTYL, [tirant son couteau de sa poche.]
+
+C'est à moi qu'il en a, ce vieux-là, avec son gros bâton?...
+
+ [Tous les autres Arbres, poussant un cri d'épouvante à la
+ vue du couteau, l'arme mystérieuse et irrésistible de
+ l'Homme, s'interposent et retiennent le Chêne.]
+
+LES ARBRES
+
+Le couteau!... Prenez garde!.... Le couteau!...
+
+LE CHÊNE, se débattant.
+
+Laissez-moi!... Que m'importe!... Le couteau ou la hache!... Qui
+me retient?... Quoi! vous êtes tous ici?... Quoi! vous tous vous
+voulez?... [Jetant son bâton] Eh bien, soit!... Honte à nous!...
+Que les Animaux nous délivrent!...
+
+LE TAUREAU
+
+C'est cela!... Je m'en charge!... Et d'un seul coup de corne!...
+
+LE BOEUF et LA VACHE, [le retenant par la queue.]
+
+De quoi te mêles-tu?...Ne fais pas de bêtises!... C'est une
+mauvaise affaire!... Cela finira mal.... C'est nous qui
+trinquerons.... Laisse donc.... C'est affaire aux Animaux
+sauvages....
+
+LE TAUREAU
+
+Non, non!... C'est mon affaire!... Attendez!... Mais retenez-moi
+donc ou je fais un malheur!...
+
+TYLTYL, [à Mytyl qui pousse des cris aigus.]
+
+N'aie pas peur!... Mets-toi derrière moi.... J'ai mon couteau....
+
+LE COQ
+
+C'est qu'il est crâne, le petit!...
+
+TYLTYL
+
+Alors, c'est décidé, c'est à moi qu'on en veut?...
+
+L'ÂNE
+
+Mais bien sûr, mon petit, tu y a mis le temps, à t'en
+apercevoir!...
+
+LE PORC
+
+Tu peux faire ta prière, va, c'est ta dernière heure. Mais ne
+cache pas la petite fille.... Je veux m'en régaler les yeux....
+C'est elle que je mangerai la première....
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que je vous ai fait?...
+
+LE MOUTON
+
+Rien du tout, mon petit.... Mangé mon petit frère, mes deux
+soeurs, mes trois oncles, ma tante, bon-papa, bonne-maman....
+Attends, attends, quand tu seras par terre, tu verras que j'ai
+des dents aussi....
+
+L'ÂNE
+
+Et que j'ai des sabots!...
+
+LE CHEVAL, [piaffant fièrement.]
+
+Vous allez voir ce que vous allez voir!... Aimez-vous mieux que
+je le déchire à belles dents ou que je vous l'abatte à coups de
+pied?... [Il s'avance magnifiquement sur Tyltyl qui lui fait face
+en levant son couteau. Tout à coup, le Cheval, pris de panique,
+tourne le dos et fuit à toutes jambes.] Ah! mais non!... Ce n'est
+pas juste!... Ce n'est pas de jeu!... Il se défend!...
+
+LE COQ, [ne pouvant cacher son admiration.]
+
+C'est égal, le petit n'a pas froid aux yeux!...
+
+LE PORC, [à l'Ours et au Loup.]
+
+Précipitons-nous tous ensemble.... Je vous soutiendrai par
+derrière.... Nous les renverserons et nous nous partagerons la
+petite fille quand elle sera par terre....
+
+LE LOUP
+
+Amusez-les par là.... Je vais faire un mouvement tournant....
+
+ [Il tourne Tyltyl qu'il attaque par derrière et renverse à demi.]
+
+TYLTYL
+
+Judas!... [Il se redresse sur un genou, brandissant son couteau
+et couvrant de son mieux sa petite soeur qui pousse des
+hurlements de détresse.--Le voyant à demi renversé, tous les
+Animaux et les Arbres se rapprochent et cherchent à lui porter
+des coups. L'obscurité se fait subitement. Éperdument, Tyltyl
+appelle à l'aide.] A moi! A moi!... Tylô! Tylô!... Où est la
+Chatte?... Tylô!... Tylette! Tylette!... Venez! venez!...
+
+LA CHATTE, [hypocritement, à l'écart.]
+
+Je ne peux pas.... Je viens de me fouler la patte....
+
+TYLTYL, [parant les coups et se défendant de son mieux.]
+
+A moi!... Tylô! Tylô!... Je ne peux plus!... Ils sont trop!...
+L'Ours! le Cochon! le Loup! l'Âne! le Sapin! le Hêtre!... Tylô!
+Tylô! Tylô!...
+
+ [Traînant ses liens brisés, le Chien bondit de derrière le
+ tronc du Chêne et, bousculant Arbres et Animaux, se jette
+ devant Tyltyl qu'il détend avec rage.]
+
+LE CHIEN, [tout en distribuant d'énormes coups de dent.]
+
+Voilà! voilà! mon petit dieu!... N'aie pas peur! Allons-y!...
+J'ai de bons coups de gueule!... Tiens, voilà pour toi, l'Ours,
+là dans ton gros derrière!...Voyons, qui en veut encore?... Voilà
+pour le Cochon, et ça pour le Cheval et la queue du Taureau!
+Voilà! j'ai déchiré la culotte du Hêtre et le jupon du Chêne!...
+Le Sapin f.... le camp!... C'est égal, il fait chaud!...
+
+TYLTYL, [accablé.]
+
+Je n'en peux plus!... Le Cyprès m'a donné un grand coup sur la
+tête....
+
+LE CHIEN
+
+Aïe! c'est un coup du Saule!... Il m'a cassé la patte!...
+
+TYLTYL
+
+Ils reviennent à la charge! Tous ensemble!... Cette fois, c'est
+le Loup!...
+
+LE CHIEN
+
+Attends, que je l'étrenne!...
+
+LE LOUP
+
+Imbécile!... Notre frère!... Ses parents ont noyé tes petits!...
+
+LE CHIEN
+
+Ils ont bien fait!... Tant mieux!... C'est qu'ils te
+ressemblaient!...
+
+TOUS LES ARBRES et TOUS LES ANIMAUX
+
+Renégat!... Idiot!... Traître! Félon! Nigaud!... Judas!...
+Laisse-le! C'est la mort! Viens à nous!
+
+LE CHIEN, [ivre d'ardeur et de dévouement.]
+
+Non! non!... Seul contre tous!... Non, non!... Fidèle aux dieux!
+aux meilleurs! aux plus grands!... [À Tyltyl.]Prends garde, voici
+l'Ours!... Méfie-toi du Taureau.... Je vais lui sauter à la
+gorge.... Aïe!... C'est un coup de pied.... L'Âne m'a cassé deux
+dents....
+
+TYLTYL
+
+Je ne peux plus, Tylô!... Aïe!... C'est un coup de l'Orme....
+Regarde, ma main saigne.... C'est le Loup ou le Porc....
+
+LE CHIEN
+
+Attends, mon petit dieu.... Laisse-moi t'embrasser. Là, un bon
+coup de langue.... Ça te fera du bien.... Reste bien derrière
+moi.... Ils n'osent plus approcher.... Si!... Les voilà qui
+reviennent!... Ah! ce coup, c'est sérieux!... Tenons ferme!...
+
+TYLTYL, [se laissant tomber sur le sol.]
+
+Non, ce n'est plus possible....
+
+LE CHIEN
+
+On vient!... J'entends, je flaire!...
+
+TYLTYL
+
+Où donc?... Qui donc?...
+
+LE CHIEN
+
+Là! là!... C'est la Lumière!... Elle nous a retrouvés!...
+Sauvés, mon petit roi!... Embrasse-moi!... Sauvés!... regarde!...
+Ils se méfient!... Ils s'écartent!... Ils ont peur!...
+
+TYLTYL
+
+La Lumière!... La Lumière!... Venez donc!... Hâtez-vous!... Ils
+se sont révoltés!... Ils sont tous contre nous!...
+
+ [Entre la Lumière: à mesure qu'elle s'avance, l'Aurore se
+ lève sur la forêt qui s'éclaire.]
+
+LA LUMIÈRE
+
+Qu'est-ce donc?... Qu'y a-t-il?...Mais, malheureux! tu ne savais
+donc pas!... Tourne le Diamant! Ils rentreront dans le Silence et
+dans l'Obscurité; et tu ne verras plus leurs sentiments....
+
+ [Tyltyl tourne le Diamant.--Aussitôt les âmes de tous les
+ Arbres se précipitent dans les troncs qui se referment.
+ --Les âmes des Animaux disparaissent également; et l'on
+ voit, au loin, brouter une Vache et un Mouton paisibles,
+ etc.--La Forêt redevient innocente. Étonné, Tyltyl regarde
+ autour de soi.]
+
+TYLTYL
+
+Où sont-ils?... Qu'avaient-ils?... Est-ce qu'ils étaient
+fous?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Mais non, ils sont toujours ainsi; mais on ne le sait pas parce
+qu'on ne le voit pas.... Je te l'avais bien dit: il est dangereux
+de les réveiller quand je ne suis pas là....
+
+TYLTYL, [essuyant son couteau.]
+
+C'est égal; sans le Chien et si je n'avais pas eu mon couteau....
+Je n'aurais jamais cru qu'ils fussent si méchants!...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Tu vois bien que l'Homme est tout seul contre tous, en ce
+monde....
+
+LE CHIEN
+
+Tu n'as pas trop de mal, mon petit dieu?...
+
+TYLTYL
+
+Rien de grave.... Quant à Mytyl, ils ne l'ont pas touchée....
+Mais toi, mon bon Tylô?... Tu as la bouche en sang, et ta patte
+est cassée?...
+
+LE CHIEN
+
+Pas la peine d'en parler.... Demain, il n'y paraîtra plus....
+Mais l'affaire était chaude!...
+
+LA CHATTE, [sortant d'un fourré en boitant.]
+
+Je crois bien!... Le Boeuf m'a donné un coup de corne dans le
+ventre.... On n'en voit pas la trace, mais il me fait bien
+mal.... Et le Chêne m'a cassé la patte....
+
+LE CHIEN
+
+J'aimerais bien savoir laquelle....
+
+MYTYL, caressant la Chatte.
+
+Ma pauvre Tylette, est-ce vrai?... Où donc te trouvais-tu?... Je
+ne t'ai pas aperçue....
+
+LA CHATTE, [hypocritement.]
+
+Petite mère, j'ai été blessée tout de suite, en attaquant le
+vilain Porc qui voulait te manger.... C'est alors que le Chêne
+m'a donné ce grand coup qui m'a étourdie....
+
+LE CHIEN, [à la Chatte, entre les dents.]
+
+Toi, tu sais, j'ai deux mots à te dire.... Tu ne perdras rien
+pour attendre!...
+
+LA CHATTE, [plaintivement, à Mytyl.]
+
+Petite mère, il m'insulte.... Il veut me faire du mal....
+
+MYTYL, [au Chien.]
+
+Veux-tu bien la laisser tranquille, vilaine bête....
+
+Ils sortent tous.
+
+RIDEAU
+
+
+
+
+ACTE QUATRIÈME
+
+
+
+
+SIXIÈME TABLEAU
+
+DEVANT LE RIDEAU
+
+ * * * * *
+
+ [Entrent Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Chien, le Chat, le
+ Pain, le Feu, le Sucre, l'Eau et le Lait.]
+
+LA LUMIÈRE
+
+J'ai reçu un petit mot de la Fée Bérylune qui m'apprend que
+l'Oiseau-Bleu se trouve probablement ici....
+
+TYLTYL
+
+Où ça?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ici, dans le cimetière qui est derrière ce mur.... Il paraît
+qu'un des morts de ce cimetière le cache dans la tombe.... Reste
+à savoir lequel.... Il faudra qu'on les passe en revue....
+
+TYLTYL
+
+En revue?... Comment qu'on fera?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+C'est bien simple: à minuit, pour ne pas trop les déranger, tu
+tourneras le Diamant. On les verra sortir de terre; ou bien on
+apercevra au fond de leurs tombes ceux qui ne sortent pas....
+
+TYLTYL
+
+Ils ne seront pas fâchés?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Nullement, ils ne s'en douteront même pas.... Ils n'aiment pas
+qu'on les dérange; mais comme de toutes façons ils ont coutume de
+sortir à minuit, cela ne les gênera pas....
+
+TYLTYL
+
+Pourquoi que le Pain, le Sucre et le Lait sont si pâles et
+pourquoi qu'ils ne disent rien?...
+
+LE LAIT, [chancelant.]
+
+Je sens que je vais tourner....
+
+LA LUMIÈRE, [bas, à Tyltyl.]
+
+Ne fais pas attention.... Ils ont peur des morts..
+
+LE FEU, [gambadant.]
+
+Moi, je n'en ai pas peur!... J'ai l'habitude de les brûler....
+Dans les temps, je les brûlais tous; c'était bien plus amusant
+qu'aujourd'hui....
+
+TYLTYL
+
+Et pourquoi Tylô tremble-t-il?... Est-ce qu'il a peur aussi?
+
+LE CHIEN, [claquant des dents.]
+
+Moi?... Je ne tremble pas!... Moi, je n'ai jamais peur; mais si
+tu t'en allais, je m'en irais aussi....
+
+TYLTYL
+
+Et la Chatte ne dit rien?...
+
+LA CHATTE, [mystérieuse.]
+
+Je sais ce que c'est....
+
+TYLTYL, [à la Lumière.]
+
+Tu viendras avec nous?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Non, il est préférable que je reste à la porte du cimetière avec
+les Choses et les Animaux.... L'heure n'est pas venue.... La
+Lumière ne peut pas encore pénétrer chez les morts.... Je vais te
+laisser seul avec Mytyl....
+
+TYLTYL
+
+Et Tylô ne peut pas rester avec-nous?...
+
+LE CHIEN
+
+Si, si, je reste, je reste ici.... Je veux rester près de mon
+petit dieu!...
+
+LA LUMIÈRE
+
+C'est impossible.... L'ordre de la Fée est formel; du reste, il
+n'y a rien à craindre....
+
+LE CHIEN
+
+Bien, bien, tant pis.... S'ils sont méchants, mon petit dieu, tu
+n'as qu'à faire comme ça [il siffle.] et tu verras.... Ce sera
+comme dans la forêt: Wa! Wa! Wa!...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Allons, adieu, mes chers petits.... Je ne serai pas loin....
+[Elle embrasse les enfants.] Ceux qui m'aiment et que j'aime me
+retrouvent toujours.... [Aux Choses et aux Animaux.] Vous
+autres.... par ici.
+
+ [Elle sort avec les Choses et les Animaux. Les enfants
+ restent seuls au milieu de la scène. Le rideau s'ouvre pour
+ découvrir le septième tableau.]
+
+
+
+
+
+SEPTIÈME TABLEAU
+
+LE CIMETIÈRE
+
+
+Il fait nuit. Clair de lune. Un cimetière de campagne.
+Nombreuses tombes, tertres de gazon, croix de bois,
+dalles funéraires, etc.
+
+ * * * * *
+
+ [Tyltyl et Mytyl sont debout près d'un cippe.]
+
+MYTYL
+
+J'ai peur.
+
+TYLTYL, [assez peu rassuré.]
+
+Moi, je n'ai jamais peur....
+
+MYTYL
+
+C'est méchant, les morts, dis?..
+
+TYLTYL
+
+Mais non, puisqu'ils ne vivent pas....
+
+MYTYL
+
+Tu en as déjà vu?...
+
+TYLTYL
+
+Oui, une fois, dans le temps, lorsque j'étais très jeune....
+
+MYTYL
+
+Comment c'est fait, dis?...
+
+TYLTYL
+
+C'est tout blanc, très tranquille et très froid, et ça ne parle
+pas....
+
+MYTYL
+
+Nous allons les voir, dis?...
+
+TYLTYL
+
+Bien sûr, puisque la Lumière l'a promis....
+
+MYTYL
+
+Où c'est qu'ils sont, les morts?...
+
+TYLTYL
+
+Ici, sous le gazon ou sous ces grosses pierres.
+
+MYTYL
+
+Ils sont là toute l'année?...
+
+TYLTYL
+
+Oui.
+
+MYTYL, [montrant les dalles.]
+
+C'est les portes de leurs maisons?...
+
+TYLTYL
+
+Oui.
+
+MYTYL
+
+Est-ce qu'ils sortent quand il fait beau?...
+
+TYLTYL
+
+Ils ne peuvent sortir qu'à la nuit....
+
+MYTYL
+
+Pourquoi?...
+
+TYLTYL
+
+Parce qu'ils sont en chemise....
+
+MYTYL
+
+Est-ce qu'ils sortent aussi quand il pleut?.
+
+TYLTYL
+
+Quand il pleut, ils restent chez eux....
+
+MYTYL
+
+C'est beau chez eux, dis?...
+
+TYLTYL
+
+On dit que c'est fort étroit....
+
+MYTYL
+
+Est-ce qu'ils ont des petits enfants?...
+
+TYLTYL
+
+Bien sûr; ils ont tous ceux qui meurent....
+
+MYTYL
+
+Et de quoi vivent-ils?...
+
+TYLTYL
+
+Ils mangent des racines....
+
+MYTYL
+
+Est-ce que nous les verrons?...
+
+TYLTYL
+
+Bien sûr, puisqu'on voit tout quand le Diamant est tourné.
+
+MYTYL
+
+Et qu'est-ce qu'ils diront?...
+
+TYLTYL
+
+Ils ne diront rien, puisqu'ils ne parlent pas....
+
+MYTYL
+
+Pourquoi qu'ils ne parlent pas?...
+
+TYLTYL
+
+Parce qu'ils n'ont rien à dire....
+
+MYTYL
+
+Pourquoi qu'ils n'ont rien à dire?...
+
+TYLTYL
+
+Tu m'embêtes....
+
+ [Un silence.]
+
+MYTYL
+
+Quand tourneras-tu le Diamant?...
+
+TYLTYL
+
+Tu sais bien que la Lumière a dit d'attendre à minuit, parce
+qu'alors on les dérange moins....
+
+MYTYL
+
+Pourquoi qu'on les dérange moins?...
+
+TYLTYL
+
+Parce que c'est l'heure où ils sortent prendre l'air.
+
+MYTYL
+
+Il n'est pas minuit?...
+
+TYLTYL
+
+Vois-tu le cadran de l'église?...
+
+MYTYL
+
+Oui, je vois même la petite aiguille....
+
+TYLTYL
+
+Et bien! minuit va sonner.... Là!... Tout juste....
+Entends-tu?...
+
+On entend sonner les douze coups de minuit.
+
+MYTYL
+
+Je veux m'en aller!...
+
+TYLTYL
+
+Ce n'est pas le moment.... Je vais tourner le Diamant....
+
+MYTYL
+
+Non, non!... Ne le fais pas!... Je veux m'en aller!... J'ai si
+peur, petit frère!... J'ai terriblement peur!...
+
+TYLTYL
+
+Mais il n'y a pas de danger....
+
+MYTYL
+
+Je ne veux pas voir les morts!... Je ne veux pas les voir!...
+
+TYLTYL
+
+C'est bon, tu ne les verras pas, tu fermeras les yeux....
+
+MYTYL, [s'accrochant aux vêtements de Tyltyl.]
+
+Tyltyl, je ne peux pas!... Non, ce n'est pas possible!... Ils
+vont sortir de terre!...
+
+TYLTYL
+
+Ne tremble pas ainsi.... Ils ne sortiront qu'un moment....
+
+MYTYL
+
+Mais tu trembles aussi, toi!... Ils seront effrayants!...
+
+TYLTYL
+
+Il est temps, l'heure passe....
+
+ [Tyltyl tourne le Diamant. Une terrifiante minute de silence
+ et d'immobilité; après quoi, lentement, les croix
+ chancellent, les tertres s'entr'ouvrent, les dalles se
+ soulèvent.]
+
+MYTYL, [se blottissant contre Tyltyl.]
+
+Ils sortent!... Ils sont là!...
+
+ [Alors, de toutes les tombes béantes monte graduellement une
+ floraison d'abord grêle et timide comme une vapeur d'eau,
+ puis blanche et virginale et de plus en plus touffue, de
+ plus en plus haute, surabondante et merveilleuse, qui peu à
+ peu, irrésistiblement, envahissant toutes choses, transforme
+ le cimetière en une sorte de jardin féerique et nuptial, sur
+ lequel ne tardent pas à se lever les premiers rayons de
+ l'aube. La rosée scintille, les fleurs s'épanouissent, le
+ vent murmure dans les feuilles, les abeilles bourdonnent,
+ les oiseaux s'éveillent et inondent l'espace des premières
+ ivresses de leurs hymnes au soleil et à la vie. Stupéfaits,
+ éblouis, Tyltyl et Mytyl, se tenant par la main, font
+ quelques pas parmi les fleurs en cherchant la trace des
+ tombes.]
+
+MYTYL, [cherchant dans le gazon.]
+
+Où sont-ils, les morts?...
+
+TYLTYL, [cherchant de même.]
+
+Il n'y a pas de morts....
+
+
+RIDEAU
+
+
+
+
+HUITIÈME TABLEAU
+
+DEVANT LE RIDEAU QUI REPRÉSENTE DE BEAUX NUAGES
+
+
+ Entrent: Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Chien, la Chatte, le
+ Pain, le Feu, le Sucre, l'Eau et le Lait.
+
+ * * * * *
+
+LA LUMIÈRE
+
+Je crois que cette fois nous tenons L'Oiseau-Bleu. J'aurais dû y
+penser dès la première étape.... Ce n'est que ce matin, en
+reprenant mes forces dans l'aurore, que l'idée m'est venue comme
+un rayon du ciel.... Nous sommes à l'entrée des jardins enchantés
+où se trouvent réunis sous la garde du Destin, toutes les Joies,
+tous les Bonheurs des Hommes....
+
+TYLTYL
+
+Il y en a beaucoup? Est-ce qu'on en aura? Est-ce qu'ils sont
+petits?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Il en est de petits et de grands, de gros et de délicats, de très
+beaux et d'autres qui sont moins agréables.... Mais les plus
+vilains furent, il y a quelque temps, expulsés des jardins et
+cherchèrent refuge chez les Malheurs. Car il faut remarquer que
+les Malheurs habitent un autre contigu, qui communique avec le
+jardin des Bonheurs et n'en est séparé que par une sorte de
+vapeur ou de rideau subtil que le vent qui souffle des hauteurs
+de la Justice ou du fond de l'Éternité soulève à chaque
+instant.... Maintenant, il s'agit de s'organiser et de prendre
+certaines précautions. En général, les Bonheurs sont fort bons,
+pourtant il en est quelques-uns qui sont plus dangereux et plus
+perfides que les plus grands Malheurs....
+
+LE PAIN
+
+J'ai une idée! S'ils sont dangereux et perfides, ne serait-il
+pas préférable que nous attendissions tous à la porte, afin
+d'être à même de prêter main-forte aux enfants s'ils étaient
+obligés de fuir?...
+
+LE CHIEN
+
+Pas du tout! pas du tout!... Je veux aller partout avec mes
+petits dieux!... Que tous ceux qui ont peur restent donc à la
+porte!... Nous n'avons pas besoin [Regardant le Pain]. de
+poltrons, [Regardant la Chatte] ni de traîtres....
+
+LE FEU
+
+Moi, j'y vais!... Il paraît que c'est amusant!... On y danse tout
+le temps....
+
+LE PAIN
+
+Est-ce qu'on y mange aussi?...
+
+L'EAU, [gémissant.]
+
+Je n'ai jamais connu le plus petit Bonheur!... Je veux en voir
+enfin!...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Taisez-vous! Personne ne demande vos avis.... Voici ce que j'ai
+décidé: le Chien, le Pain et le Sucre accompagneront les enfants.
+L'Eau n'entrera pas, parce qu'elle est trop froide, ni le Feu qui
+est trop turbulent. J'engage vivement le Lait à rester à la
+porte, parce qu'il est trop impressionnable; quant à la Chatte,
+elle fera comme elle voudra....
+
+LE CHIEN
+
+Elle a peur!...
+
+LA CHATTE
+
+J'irai saluer en passant quelques Malheurs qui sont de vieux amis
+et habitent à côté des Bonheurs....
+
+TYLTYL
+
+Et toi, la Lumière, est-ce que tu ne viens pas?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Je ne peux pas entrer ainsi chez les Bonheurs; la plupart ne me
+supportent pas.... Mais j'ai ici le voile épais dont je me
+couvre quand je visite les gens heureux.... [Elle déplie un long
+voile dont elle s'enveloppe soigneusement.] Il ne faut pas qu'un
+rayon de mon âme les effraye, car il est beaucoup de Bonheurs qui
+ont peur et ne sont pas heureux.... Voilà, de cette façon, les
+moins jolis et les plus gros eux-mêmes n'auront plus rien à
+redouter....
+
+ [Le rideau s'ouvre pour découvrir le neuvième tableau.]
+
+
+
+
+NEUVIÈME TABLEAU
+
+LES JARDINS DES BONHEURS
+
+
+Quand s'ouvre le rideau, on découvre, prise sur les premiers
+plans des jardins, une sorte de salle formée de hautes colonnes
+de marbre entre lesquelles, masquant tout le fond, sont tendues
+de lourdes draperies de pourpre que soutiennent des cordages
+d'or. Architecture rappelant les moments les plus sensuels et les
+plus somptueux de la Renaissance (vénitienne ou flamande Véronèse
+et Rubens). Guirlandes, cornes d'abondance, torsades, vases,
+statues, dorures prodigués de toutes parts.--Au milieu, massive
+et féerique table de jaspe et de vermeil, encombrée de flambeaux,
+de cristaux, de vaisselle d'or et d'argent et surchargée de mets
+fabuleux.--Autour de la table, mangent, boivent, hurlent,
+chantent, s'agitent, se vautrent ou s'endorment parmi les
+venaisons, les fruits miraculeux, les aiguières et les amphores
+renversées, les plus gros Bonheurs de la terre. Ils sont énormes,
+invraisemblablement obèses et rubiconds, couverts de velours et
+de brocarts, couronnés d'or, de perles et de pierreries. De
+belles esclaves apportent, sans cesse des plats empanachés et des
+breuvages écumiants.--Musique vulgaire, hilare et brutale où
+dominent les cuivres.--Une lumière lourde et rouge baigne la
+scène.
+
+ * * * * *
+
+ [Tyltyl, Mytyl, le Chien, le Pain et le Sucre, d'abord assez
+ intimidés, se pressent, à droite, au premier plan, autour de
+ la Lumière. La Chatte, sans rien dire, se dirige vers le
+ fond, également à droite, soulève un rideau sombre et
+ disparaît.]
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que ces gros messieurs qui s'amusent et mangent tant de
+bonnes choses?
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ce sont les plus gros Bonheurs de la Terre, ceux qu'on peut voir
+à l'oeil nu. Il est possible, bien qu'assez peu probable, que
+l'Oiseau-Bleu se soit un instant égaré parmi eux. C'est pourquoi
+ne tourne pas encore le Diamant. Nous allons, pour la forme,
+explorer tout 'd'abord cette partie de la salle.
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'on peut s'approcher?
+
+LA LUMIÈRE
+
+Certainement. Ils ne sont pas méchants, bien que vulgaires et,
+d'habitude, assez mal élevés.
+
+MYTYL
+
+Qu'ils ont de beaux gâteaux!...
+
+LE CHIEN
+
+Et du gibier! et des saucisses! et des gigots d'agneau et du foie
+de veau!... [Proclamant.] Rien au monde n'est meilleur, rien
+n'est plus beau et rien ne vaut le foie de veau!...
+
+LE PAIN
+
+Excepté les Pains-de-quatre-livres pétris de fine fleur de
+froment! Ils en ont d'admirables!... Qu'ils sont beaux! qu'ils
+sont beaux!... Ils sont plus gros que moi!...
+
+LE SUCRE
+
+Pardon, pardon, mille pardons.... Permettez, permettez.... Je ne
+voudrais froisser personne; mais n'oubliez-vous pas les Sucreries
+qui sont la gloire de cette table et dont l'éclat et la
+magnificence surpassent, si j'ose m'exprimer ainsi, tout ce qu'il
+y a dans cette salle et peut-être en tout autre lieu....
+
+TYLTYL
+
+Qu'ils ont l'air contents et heureux!... Et ils crient! et ils
+rient! et ils chantent!... Je crois qu'ils nous ont vus....
+
+ [En effet, une douzaine des plus Gros Bonheurs se sont levés
+ de table et s'avancent péniblement, en soutenant leur
+ ventre, vers le groupe des enfants.]
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ne crains rien, ils sont très accueillants.... Ils vont
+probablement t'inviter à dîner.... N'accepte pas, n'accepte rien,
+de peur d'oublier ta mission....
+
+TYLTYL
+
+Quoi? Pas même un petit gâteau? Ils ont l'air si bons, si frais,
+si bien glacés de sucre, ornés de fruits confits et débordants de
+crème!...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ils sont dangereux et briseraient ta volonté. Il faut savoir
+sacrifier quelque chose au devoir qu'on remplit. Refuse poliment
+mais avec fermeté. Les voici....
+
+LE PLUS GROS DES BONHEURS, [tendant la main à Tyltyl.]
+
+Bonjour, Tyltyl!...
+
+TYLTYL, [étonné.]
+
+Vous me connaissez donc?... Qui êtes-vous?...
+
+LE GROS BONHEUR
+
+Je suis le plus gros des Bonheurs, le Bonheur-d'être-riche, et je
+viens, au nom de mes frères, vous prier, vous et votre famille,
+d'honorer de votre présence notre repas sans fin. Vous vous
+trouverez au milieu de tout ce qu'il y a de mieux parmi les vrais
+et gros Bonheurs de de cette Terre. Permettez que je vous
+présente les principaux d'entre eux. Voici mon gendre, le
+Bonheur-d'être-propriétaire, qui a le ventre en poire. Voici le
+Bonheur-de-la-vanité-satisfaite, dont le visage est si
+gracieusement bouffi. [Le Bonheur-de-la-vanité-satisfaite salue
+d'un air protecteur.] Voici le
+Bonheur-de-boire-quand-on-n'a-plus-soif et le
+Bonheur-de-manger-quand-on-n'a-plus-faim, qui sont jumeaux et
+ont les jambes en macaroni. [Ils saluent en chancelant.] Voici le
+Bonheur-de-ne-rien-savoir, qui est sourd comme une limande, et le
+Bonheur-de-ne-rien-comprendre, qui est aveugle comme une taupe.
+Voici le Bonheur-de-ne-rien-faire et le
+Bonheur-de-dormir-plus-qu'il-n'est-nécessaire, qui ont les mains
+en mie de pain et les yeux en gelée de pêche. Voici enfin le
+Rire-Épais qui est fendu jusqu'aux oreilles et auquel rien ne
+peut résister....
+
+ [Le Rire-Épais salue en se tordant.]
+
+TYLTYL, [montrant du doigt un Gros Bonheur qui se tient un peu à
+l'écart.]
+
+Et celui-là, qui n'ose pas approcher et nous tourne le dos?...
+
+LE GROS BONHEUR
+
+N'insistez pas, il est un peu gêné et n'est pas présentable à des
+enfants.... [Saisissant les mains de Tyltyl.] Mais venez donc! On
+recommence le festin.... C'est la douzième fois depuis l'aurore.
+On n'attend plus que vous.... Entendez-vous tous les convives qui
+vous réclament à grands cris?... Je ne puis vous les présenter
+tous, ils sont extrêmement nombreux.... [Offrant le bras aux deux
+enfants.] Permettez que je vous conduise aux deux places
+d'honneur....
+
+TYLTYL
+
+Je vous remercie bien, monsieur le Gros Bonheur.... Je regrette
+vivement.... Je ne peux pas pour le moment.... Nous sommes très
+pressés, nous cherchons l'Oiseau-Bleu. Vous ne sauriez pas, par
+hasard, où il se cache?
+
+LE GROS BONHEUR
+
+L'Oiseau-Bleu?... Attendez donc.... Oui, oui, je me rappelle....
+On m'en a parlé dans le temps.... C'est, je crois, un oiseau qui
+n'est pas comestible.... En tout cas, il n'a jamais paru sur
+notre table.... C'est vous dire qu'on le tient en médiocre
+estime.... Mais ne vous mettez pas en peine; nous avons tant
+d'autres choses bien meilleures.... Vous allez vous mêler à notre
+vie, vous verrez tout ce que nous faisons....
+
+TYLTYL
+
+Que faites-vous?
+
+LE GROS BONHEUR
+
+Mais nous nous occupons sans cesse à ne rien faire.... Nous
+n'avons pas une minute de repos.... Il faut boire, il faut
+manger, il faut dormir. C'est extrêmement absorbant....
+
+TYLTYL
+
+Est-ce que c'est amusant?
+
+LE GROS BONHEUR
+
+Mais oui.... Il le faut bien, il n'y a pas autre chose sur cette
+Terre....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Croyez-vous?...
+
+LE GROS BONHEUR, [indiquant du doigt la Lumière, bas, à Tyltyl.]
+
+Quelle est cette jeune personne mal élevée?...
+
+ [Durant toute la conversation précédente, une foule de Gros
+ Bonheurs de second ordre s'est occupée du Chien, du Sucre et
+ du Pain, et les a entraînés vers l'orgie. Tyltyl aperçoit
+ soudain ces derniers qui, attablés fraternellement avec
+ leurs hôtes, mangent, boivent et se trémoussent follement.]
+
+TYLTYL
+
+Voyez donc, la Lumière!... Ils sont à table!...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Rappelle-les! sinon cela finira mal!...
+
+TYLTYL
+
+Tylô!...Tylô! ici!... Veux-tu venir ici, tout de suite,
+entends-tu!... Et vous, là-bas, le Sucre et le Pain, qui donc
+vous a permis de me quitter?... Qu'est-ce que vous faites là,
+sans autorisation?...
+
+LE PAIN, [la bouche pleine.]
+
+Est-ce que tu ne pourrais pas nous parler plus poliment?...
+
+TYLTYL
+
+Quoi? C'est le Pain qui se permet de me tutoyer?... Mais
+qu'est-ce qui te prend?... Et toi, Tylô!... Est-ce ainsi qu'on
+obéit? Allons, viens ici, à genoux, à genoux!... Et plus vite que
+ça!...
+
+LE CHIEN, [à mi-voix et du bout de la table.]
+
+Moi, quand je mange, je n'y suis pour personne et je n'entends
+plus rien....
+
+LE SUCRE, [mielleusement.]
+
+Excusez-nous, nous ne saurions quitter ainsi, sans les froisser,
+d'aussi aimables hôtes....
+
+LE GROS BONHEUR
+
+Vous voyez!... Ils vous donnent l'exemple.... Venez, on vous
+attend.... Nous n'admettons pas de refus.... On vous fera une
+douce violence.... Allons, les Gros Bonheurs, aidez-moi!...
+Poussons-les de force vers la table, pour qu'ils soient heureux
+malgré eux!...
+
+ [Tous les Gros Bonheurs, avec des cris de joie et gambadant
+ de leur mieux, entraînent les enfants qui se débattent,
+ tandis que le Rire-Épais saisit vigoureusement la Lumière
+ par la taille.]
+
+LA LUMIÈRE
+
+Tourne le Diamant, il est temps!...
+
+ [Tyltyl fait ce qu'ordonne la Lumière. Aussitôt la scène
+ s'illumine d'une clarté ineffablement pure, divinement
+ rosée, harmonieuse et légère. Les lourds ornements du
+ premier plan, les épaisses tentures rouges se détachent et
+ disparaissent, dévoilant un fabuleux et doux jardin de paix
+ légère et de sérénité, une sorte de palais de verdure aux
+ perspectives harmonieuses, où la magnificence des
+ feuillages, puissants et lumineux, exubérants et néanmoins
+ disciplinés, où l'ivresse virginale des fleurs et la fraîche
+ allégresse des eaux qui coulent, ruissellent et jaillissent
+ de toutes parts semblent entraîner jusqu'aux confins de
+ l'horizon l'idée même de la félicité. La table de l'orgie
+ s'effondre sans laisser de traces; les velours, les
+ brocarts, les couronnes des Gros Bonheurs, au souffle
+ lumineux qui envahit la scène, se soulèvent, se déchirent et
+ tombent, en même temps que les masques hilares, aux pieds
+ des convives abasourdis. Ceux-ci se dégonflent à vue
+ d'oeil, comme des vessies crevées, s'entre-regardent,
+ clignotent sous les rayons inconnus qui les blessent, et, se
+ voyant enfin tels qu'ils sont en vérité, c'est-à-dire nus,
+ hideux, flasques et lamentables, se mettent à pousser des
+ hurlements de honte et d'épouvante, parmi lesquels on
+ distingue très nettement ceux du Rire-Épais qui dominent
+ tous les autres. Seul le Bonheur-de-ne-rien-comprendre
+ demeure parfaitement calme, tandis que ses collègues
+ s'agitent éperdument, cherchent à fuir, à se cacher dans les
+ coins qu'ils espèrent plus sombres. Mais il n'y a plus
+ d'ombre dans le jardin éblouissant. Aussi la plupart se
+ décident-ils à franchir, en désespoir de cause, le rideau
+ menaçant qui, sur là droite, dans un angle, ferme la voûte
+ de la caverne des Malheurs. A chaque fois que l'un d'eux,
+ dans la panique, soulève un pan de ce rideau, on entend
+ s'élever du creux de l'antre une tempête d'injures,
+ d'imprécations et de malédictions. Quant au Chien, au Pain
+ et au Sucre, l'oreille basse, ils rejoignent le groupe des
+ enfants, et, très penauds, se dissimulent derrière eux.]
+
+TYLTYL, [regardant fuir les Gros Bonheurs.]
+
+Dieu qu'ils sont laids!... Où vont-ils?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ma foi, je crois qu'ils ont perdu la tête.... Ils vont se
+réfugier chez les Malheurs où je crains fort qu'on ne les
+retienne définitivement....
+
+TYLTYL, [regardant autour de soi, émerveillé.]
+
+Oh! le beau jardin, le beau jardin!... Où sommes-nous?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Nous n'avons pas changé de place; ce sont tes yeux qui ont changé
+de sphère.... Nous voyons à présent la vérité des choses; et nous
+allons apercevoir l'âme des Bonheurs qui supportent la clarté du
+Diamant.
+
+TYLTYL
+
+Que c'est beau!... Qu'il fait beau!... On se croirait en plein
+été.... Tiens! on dirait qu'on s'approche et qu'on va s'occuper
+de nous....
+
+ [En effet, les jardins commencent à se peupler de formes
+ angéliques qui semblent sortir d'un long sommeil et glissent
+ harmonieusement entre les arbres. Elles sont vêtues de robes
+ lumineuses, aux subtiles et suaves nuances: réveil de rose,
+ sourire d'eau, azur d'aurore, rosée d'ambre, etc.... ]
+
+LA LUMIÈRE
+
+Voici que s'avancent quelques Bonheurs aimables et curieux qui
+vont nous renseigner....
+
+TYLTYL
+
+Tu les connais?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Oui, je les connais tous; je viens souvent chez eux, sans qu'ils
+sachent qui je suis....
+
+TYLTYL
+
+Il y en a, il y en a!... Ils sortent de tous côtés!...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Il y en avait beaucoup plus dans le temps. Les Gros Bonheurs leur
+ont fait bien du tort.
+
+TYLTYL
+
+C'est égal, il en reste pas mal....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Tu en verras bien d'autres, à mesure que l'influence du Diamant
+se répandra parmi les jardins.... On trouve sur la Terre beaucoup
+plus de Bonheurs qu'on ne croit; mais la plupart des Hommes ne
+les découvrent point....
+
+TYLTYL
+
+En voici de petits qui s'avancent, courons à leur rencontre....
+
+LA LUMIÈRE
+
+C'est inutile; ceux qui nous intéressent passeront par ici. Nous
+n'avons pas le temps de faire la connaissance de tous les
+autres....
+
+ [Une bande de Petits Bonheurs, gambadant et riant aux éclats,
+ accourt du fond des verdures et danse une ronde autour des
+ enfants.]
+
+TYLTYL
+
+Qu'ils sont jolis, jolis!... D'où viennent-ils, qui sont-ils?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ce sont les Bonheurs des enfants....
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'on peut leur parler?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+C'est inutile. Ils chantent, ils dansent, ils rient, mais ils ne
+parlent pas encore....
+
+TYLTYL, frétillant.
+
+Bonjour! Bonjour!... Oh! le gros, là, qui rit!... Qu'ils ont de
+belles joues, qu'ils ont de belles robes!... Ils sont tous riches
+ici?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Mais non, ici comme partout, il y a bien plus de pauvres que de
+riches....
+
+TYLTYL
+
+Où sont les pauvres?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+On ne peut pas les distinguer.... Le Bonheur d'un enfant est
+toujours revêtu de ce qu'il y a de plus beau sur terre et dans
+les cieux.
+
+TYLTYL, [ne tenant plus en place.]
+
+Je voudrais danser avec eux....
+
+LA LUMIÈRE
+
+C'est absolument impossible, nous n'avons pas le temps.... Je
+vois qu'ils n'ont pas l'Oiseau-Bleu.... Du reste, ils sont
+pressés, tu vois, ils sont déjà passés.... Eux non plus n'ont pas
+de temps à perdre, car l'enfance est très brève....
+
+ [Une autre bande de Bonheurs, un peu plus grands que les
+ précédents, se précipite dans le jardin, et chantant à
+ tue-tête: «Les voilà! les voilà! Ils nous voient! Ils nous
+ voient!...» danse autour des enfants une joyeuse farandole,
+ à la fin de laquelle, celui qui paraît être le chef de la
+ petite troupe s'avance vers Tyltyl en lui tendant la main.]
+
+LE BONHEUR
+
+Bonjour, Tyltyl!...
+
+TYLTYL
+
+Encore un qui me connaît!... [A la Lumière.] On commence à me
+connaître un peu partout.... Qui es-tu?...
+
+LE BONHEUR
+
+Tu ne me reconnais pas?... Je parie que tu ne reconnais aucun de
+ceux qui sont ici?...
+
+TYLTYL, [assez embarrassé.]
+
+Mais non.... Je ne sais pas.... Je ne me rappelle pas vous avoir
+vus....
+
+LE BONHEUR
+
+Vous entendez?... J'en étais sûr!... Il ne nous a jamais vus!...
+[Tous les autres Bonheurs de la bande éclatent de rire.] Mais,
+mon petit Tyltyl, tu ne connais que nous!... Nous sommes toujours
+autour de toi!... Nous mangeons, nous buvons, nous nous
+éveillons, nous respirons, nous vivons avec toi!...
+
+TYLTYL
+
+Oui, oui, parfaitement, je sais, je me rappelle.... Mais je
+voudrais savoir comment on vous appelle....
+
+LE BONHEUR
+
+Je vois bien que tu ne sais rien.... Je suis le chef des
+Bonheurs-de-ta-maison; et tous ceux-ci sont les autres Bonheurs
+qui l'habitent....
+
+TYLTYL
+
+Il y a donc des Bonheurs à la maison?...
+
+ [Tous les Bonheurs éclatent de rire.]
+
+LE BONHEUR
+
+Vous l'avez entendu!... S'il y a des Bonheurs dans ta maison!...
+Mais, petit malheureux, elle en est pleine à faire sauter les
+portes et les fenêtres!... Nous rions, nous chantons, nous créons
+de la joie à refouler les murs, à soulever les toits; mais nous
+avons beau faire, tu ne vois rien, tu n'entends rien.... J'espère
+qu'à l'avenir tu seras un peu plus raisonnable.... En attendant,
+tu vas serrer la main aux plus notables.... Une fois rentré chez
+toi, tu les reconnaîtras ainsi plus facilement.... Et puis, à la
+fin d'un beau jour, tu sauras les encourager d'un sourire, les
+remercier d'un mot aimable, car ils font vraiment tout ce qu'ils
+peuvent pour te rendre la vie légère et délicieuse.... Moi
+d'abord, ton serviteur, le Bonheur-de-se-bien-porter.... Je ne
+suis pas le plus joli, mais le plus sérieux. Tu me
+reconnaîtras?... Voici le Bonheur-de-l'air-pur, qui est à peu
+près transparent.... Voici le Bonheur-d'aimer-ses-parents, qui
+est vêtu de gris et toujours un peu triste, parce qu'on ne le
+regarde jamais.... Voici le Bonheur-du-ciel-bleu, qui est
+naturellement vêtu de bleu; et le Bonheur-de-la-forêt qui, non
+moins naturellement, est habillé de vert, et que tu reverras
+chaque fois que tu te mettras à la fenêtre.... Voici encore le
+bon Bonheur-des-heures-de soleil qui est couleur de diamant, et
+celui du-Printemps qui est d'émeraude folle....
+
+TYLTYL
+
+Et vous êtes aussi beaux tous les jours?...
+
+LE BONHEUR
+
+Mais oui, c'est tous les jours dimanche, dans toutes les maisons,
+quand on ouvre les yeux.... Et puis, quand vient le soir, voici
+le Bonheur-des-couchers-de-soleil, qui est plus beau que tous les
+rois du monde; et que suit le
+Bonheur-devoir-se-lever-les-étoiles, doré comme un dieu
+d'autrefois.... Puis, quand il fait mauvais, voici le
+Bonheur-de-la-pluie qui est couvert de perles, et le
+Bonheur-du-feu-d'hiver qui ouvre aux mains gelées son beau
+manteau de pourpre.... Et je ne parle pas du meilleur de tous,
+parce qu'il est presque frère des grandes Joies limpides que vous
+verrez bientôt, et qui est le Bonheur-des-pensées-innocentes, le
+plus clair d'entre nous.... Et puis, voici encore.... Mais
+vraiment, ils sont trop!... Nous n'en finirions pas, et je dois
+prévenir d'abord les Grandes-Joies qui sont là-haut, au fond,
+près des portes du ciel, et ne savent pas encore que vous êtes
+arrivés.... Je vais leur dépêcher le
+Bonheur-de-courir-nu-pieds-dans-la-rosée, qui est le plus
+agile.... [Au Bonheur qu'il vient de nommer et qui s'avance en
+faisant des cabrioles.] Va!...
+
+ [A ce moment, une sorte de diablotin en maillot noir,
+ bousculant tout le monde en poussant des cris inarticulés,
+ s'approche de Tyltyl, et gambade follement en l'accablant de
+ nasardes, taloches et coups de pied insaisissables.]
+
+TYLTYL, [ahuri et profondément indigné.]
+
+Qu'est-ce que c'est que ce sauvage?
+
+LE BONHEUR
+
+Bon! c'est encore le Plaisir-d'être-insupportable qui s'est
+échappé de la caverne des Malheurs. On ne sait où l'enfermer. Il
+s'évade de partout, et les Malheurs eux-mêmes ne veulent plus le
+garder.
+
+ [Le diablotin continue de lutiner Tyltyl qui essaye
+ vainement de se défendre, puis, soudain, riant aux éclats,
+ disparaît sans raison, comme il était venu.]
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce qu'il a? Il est un peu fou?
+
+LA LUMIÈRE
+
+Je ne sais. Il paraît que c'est ainsi que tu es toi-même lorsque
+tu n'es pas sage. Mais en attendant, il faudrait s'informer de
+l'Oiseau-Bleu. Il se peut que le chef des Bonheurs-de-ta-maison
+n'ignore pas où il se trouve....
+
+TYLTYL
+
+Où est-il?...
+
+LE BONHEUR
+
+Il ne sait pas où se trouve l'Oiseau-Bleu!...
+
+ [Tous les Bonheurs-de-la-maison éclatent de rire.]
+
+TYLTYL, [vexé.]
+
+Mais non, je ne sais pas.... Il n'y a pas de quoi rire....
+
+ [Nouveaux éclats de rires.]
+
+LE BONHEUR
+
+Voyons, ne te fâche pas.... et puis, soyons sérieux.... Il ne
+sait pas, que voulez-vous, il n'est pas plus ridicule que la
+plupart des Hommes.... Mais voici que le petit
+Bonheur-de-courir-nu-pieds-dans-la-rosée a prévenu les
+Grandes-Joies qui s'avancent vers nous....
+
+ [En effet, les hautes et belles figures angéliques, vêtues
+ de robes lumineuses, s'approchent lentement.]
+
+TYLTYL
+
+Qu'elles sont belles!... Pourquoi ne rient-elles pas?... Ne
+sont-elles pas heureuses?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ce n'est pas quand on rit qu'on est le plus heureux....
+
+TYLTYL
+
+Qui sont-elles?...
+
+LE BONHEUR
+
+Ce sont les Grandes-Joies....
+
+TYLTYL
+
+Tu sais leurs noms?...
+
+LE BONHEUR
+
+Naturellement, nous jouons souvent avec elles.... Voici d'abord:
+devant les autres, la Grande-Joie-d'être-juste, qui sourit chaque
+fois qu'une injustice est réparée,--je suis trop jeune, je ne
+l'ai pas encore vu sourire. Derrière elle, c'est la
+Joie-d'être-bonne, qui est la plus heureuse, mais la plus triste;
+et qu'on a bien du mal à empêcher d'aller chez les Malheurs
+qu'elle voudrait consoler. A droite, c'est la
+Joie-du-travail-accompli à côté de la Joie-de-penser. Ensuite,
+c'est la Joie-de-comprendre qui cherche toujours son frère, le
+Bonheur-de-ne-rien-comprendre....
+
+TYLTYL
+
+Mais je l'ai vu, son frère!... Il est allé chez les Malheurs avec
+les Gros Bonheurs....
+
+LE BONHEUR
+
+J'en étais sûr!... Il a mal tourné, de mauvaises fréquentations
+l'ont entièrement perverti.... Mais n'en parle pas à sa soeur.
+Elle voudrait aller le chercher et nous y perdrions une des plus
+belles joies.... Voici encore, parmi les plus grandes, la
+Joie-de-voir-ce-qui-est-beau, qui ajoute chaque jour quelques
+rayons à la lumière qui règne ici....
+
+TYLTYL
+
+Et là, au loin, au loin, dans les nuages d'or, celle que j'ai
+peine à voir en me dressant tant que je peux sur la pointe des
+pieds?...
+
+LE BONHEUR
+
+C'est la grande Joie-d'aimer.... Mais tu auras beau faire, tu es
+bien trop petit pour la voir tout entière....
+
+TYLTYL
+
+Et là-bas, tout au fond, celles qui sont voilées et ne
+s'approchent pas?...
+
+LE BONHEUR
+
+Ce sont celles que les Hommes ne connaissent pas encore....
+
+TYLTYL
+
+Que nous veulent les autres?... Pourquoi s'écartent-elles?...
+
+LE BONHEUR
+
+C'est devant une Joie nouvelle qui s'avance, peut-être la plus
+pure que nous ayons ici..
+
+TYLTYL
+
+Qui est-ce?...
+
+LE BONHEUR
+
+Tu ne la reconnais pas encore?... Mais regarde donc mieux, ouvre
+donc tes deux yeux jusqu'au coeur de ton âme!... Elle t'a vu,
+elle t'a vu!... Elle accourt en te tendant les bras!... C'est la
+Joie de ta mère, c'est la Joie-sans-égale-de-l'amour-maternel!...
+
+ [Après l'avoir acclamée, les autres Joies, accourues de
+ toutes parts, s'écartent en silence devant la
+ Joie-de-l'amour-maternel.]
+
+L'AMOUR MATERNEL
+
+Tyltyl! Et puis Mytyl!... Comment, c'est vous, c'est vous que je
+retrouve ici!... Je ne m'attendais pas!... J'étais bien seule à
+la maison, et voici que tous deux vous montez jusqu'au ciel où
+rayonnent dans la Joie l'âme de toutes les mères!... Mais d'abord
+des baisers, des baisers tant qu'on peut!... Tous les deux dans
+mes bras, il n'y a rien au monde qui donne plus de bonheur!...
+Tyltyl, tu ne ris pas?... Ni toi non plus, Mytyl?... Vous ne
+connaissez pas l'amour de votre mère?... Mais regardez-moi donc,
+et n'est-ce pas mes yeux, mes lèvres et mes bras?...
+
+TYLTYL
+
+Mais si, je reconnais, mais je ne savais pas.... Tu ressembles à
+maman, mais tu es bien plus belle....
+
+L'AMOUR MATERNEL
+
+Évidemment, moi, je ne vieillis plus.... Et chaque jour qui passe
+m'apporte de la force, de la jeunesse et du bonheur.... Chacun de
+tes sourires m'allège d'une année.... A la maison, cela ne se
+voit pas, mais ici l'on voit tout, et c'est la vérité....
+
+TYLTYL, [émerveillé, la contemplant et l'embrassant tour à tour.]
+
+Et cette belle robe, en quoi donc qu'elle est faite?... Est-ce
+que c'est de la soie, de l'argent ou des perles?...
+
+L'AMOUR MATERNEL
+
+Non, ce sont des baisers, des regards, des caresses.... chaque
+baiser qu'on donne y ajoute un rayon de lune ou de soleil....
+
+TYLTYL
+
+C'est drôle, je n'aurais jamais cru que tu étais si riche.... Où
+donc la cachais-tu?... Était-elle dans l'armoire dont papa a la
+clef?...
+
+L'AMOUR MATERNEL
+
+Mais non, je l'ai toujours, mais on ne la voit pas, parce qu'on
+ne voit rien quand les yeux sont fermés.... Toutes les mères sont
+riches quand elles aiment leurs enfants.... Il n'en est pas de
+pauvres, il n'en est pas de laides, il n'en est pas de
+vieilles.... Leur amour est toujours la plus belle des Joies....
+Et quand elles semblent tristes, il suffit d'un baiser qu'elles
+reçoivent ou qu'elles donnent pour que toutes leurs larmes
+deviennent des étoiles dans le fond de leurs yeux....
+
+TYLTYL, [la regardant avec étonnement.]
+
+Mais oui, c'est vrai, tes yeux, ils sont remplis d'étoiles.... Et
+ce sont bien tes yeux, mais ils sont bien plus beaux.... Et c'est
+ta main aussi, elle a sa petite bague.... Elle a même la brûlure
+que tu t'es faite un soir en allumant la lampe.... Mais elle est
+bien plus blanche et qu'elle a la peau fine!... On dirait qu'on y
+voit couler de la lumière.... Elle ne travaille pas comme celle
+de la maison?...
+
+L'AMOUR MATERNEL
+
+Mais si, c'est bien la même; tu n'avais donc pas vu qu'elle
+devient toute blanche et s'emplit de lumière dès qu'elle te
+caresse?...
+
+TYLTYL
+
+C'est étonnant, maman, c'est bien ta voix aussi; mais tu parles
+bien mieux que chez nous....
+
+L'AMOUR MATERNEL
+
+Chez nous on a bien trop à faire et l'on n'a pas le temps....
+Mais ce qu'on ne dit pas, on l'entend tout de même.... Maintenant
+que tu m'as vue, me reconnaîtras-tu, sous ma robe déchirée,
+lorsque tu rentreras demain dans la chaumière?...
+
+TYLTYL
+
+Je ne veux pas rentrer.... Puisque tu es ici, j'y veux rester
+aussi, tant que tu y seras....
+
+L'AMOUR MATERNEL
+
+Mais c'est la même chose, c'est là-bas que je suis, c'est là-bas
+que nous sommes.... Tu n'es venu ici que pour te rendre compte et
+pour apprendre enfin comment il faut me voir quand tu me vois
+là-bas.... Comprends-tu, mon Tyltyl?... Tu te crois dans le ciel;
+mais le ciel est partout où nous nous embrassons.... Il n'y a pas
+deux mères, et tu n'en as pas d'autre.... Chaque enfant n'en a
+qu'une et c'est toujours la même et toujours la plus belle; mais
+il faut la connaître et savoir regarder.... Mais comment as-tu
+fait pour arriver ici et trouver une route que les Hommes ont
+cherchée depuis qu'ils habitent la Terre?...
+
+TYLTYL, [montrant la Lumière qui, par discrétion, s'est un peu
+écartée.]
+
+C'est elle qui m'a conduit....
+
+L'AMOUR MATERNEL
+
+Qui est-ce?...
+
+TYLTYL
+
+La Lumière....
+
+L'AMOUR MATERNEL
+
+Je ne l'ai jamais vue.... On m'avait dit qu'elle vous aimait
+bien et qu'elle était très bonne.... Mais pourquoi se
+cache-t-elle?... Elle ne montre jamais son visage?...
+
+TYLTYL
+
+Mais si, mais elle a peur que les Bonheurs aient peur s'ils y
+voyaient trop clair....
+
+L'AMOUR MATERNEL
+
+Mais elle ne sait donc pas que nous n'attendons qu'elle!...
+[Appelant les autres Grandes Joies.] Venez, venez, mes soeurs!
+Venez, accourez toutes, c'est la Lumière qui vient enfin nous
+visiter!...
+
+ [Frémissement parmi les Grandes Joies qui se rapprochent.
+ Cris: «La Lumière est ici!... La Lumière, la Lumière!...»]
+
+LA JOIE-DE-COMPRENDRE, [écartant toutes les autres pour venir
+embrasser la Lumière.]
+
+Vous êtes la Lumière et nous ne savions pas!... Et voici des
+années, des années, des années que nous vous attendons!... Me
+reconnaissez-vous?... C'est la Joie-de-comprendre qui vous a
+tant cherchée.... Nous sommes très heureuses, mais nous ne
+voyons pas au delà de nous-mêmes....
+
+LA JOIE-D'ÊTRE-JUSTE, [embrassant la Lumière à son tour.]
+
+Me reconnaissez-vous?... C'est la Joie-d'être-juste qui vous a
+tant priée.... Nous sommes très heureuses, mais nous ne voyons
+pas au delà de nos ombres....
+
+LA JOIE-DE-VOIR-CE-QUI-EST-BEAU, [l'embrassant également.]
+
+Me reconnaissez-vous?... C'est la Joie-des-beautés qui vous a
+tant aimée... Nous sommes très heureuses, mais nous ne voyons pas
+au delà de nos songes....
+
+LA JOIE-DE-COMPRENDRE
+
+Voyez, voyez, ma soeur, ne nous faites plus attendre.... Nous
+sommes assez fortes, nous sommes assez pures.... Écartez donc ces
+voiles qui nous cachent encore les dernières vérités et les
+derniers bonheurs.... Voyez, toutes mes soeurs s'agenouillent à
+vos pieds.... Vous êtes notre reine et notre récompense....
+
+LA LUMIÈRE, [resserrant ses voiles.]
+
+Mes soeurs, mes belles soeurs, j'obéis à mon Maître....
+L'heure n'est pas venue, elle sonnera peut-être et je vous
+reviendrai sans craintes et sans ombres.... Adieu, relevez-vous,
+embrassons-nous encore comme des soeurs retrouvées, en
+attendant le jour qui paraîtra bientôt....
+
+L'AMOUR MATERNEL, [embrassant la Lumière.]
+
+Vous avez été bonne pour mes pauvres petits....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Je serai toujours bonne autour de ceux qui s'aiment....
+
+LA JOIE-DE-COMPRENDRE, [s'approchant de la Lumière.]
+
+Que le dernier baiser soit posé sur mon front....
+
+ [Elles s'embrassent longuement, et, quand elles se séparent
+ et relèvent la tète, on voit des larmes dans leurs yeux.]
+
+TYLTYL, [étonné.]
+
+Pourquoi pleurez-vous?....[regardant les autres Joies]
+
+Tiens! vous pleurez aussi.... Mais pourquoi tout le monde a-t-il
+des larmes plein les yeux?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Silence, mon enfant....
+
+
+RIDEAU
+
+
+
+
+ACTE CINQUIÈME
+
+
+
+
+DIXIÈME TABLEAU
+
+LE ROYAUME DE L'AVENIR
+
+
+Les salles immenses du Palais d'Azur, où attendent les enfants
+qui vont naître.--Infinies perspectives de colonnes de saphir
+soutenant des voûtes de turquoise. Tout ici, depuis la lumière et
+les dalles de lapis-lazuli jusqu'aux pulvérulences du fond où se
+perdent les derniers arceaux, jusqu'aux moindres objets, est d'un
+bleu irréel, intense, féerique. Seuls les chapiteaux et les
+socles des colonnes, les clefs de voûte, quelques sièges quelques
+bancs circulaires sont de marbre blanc ou d'albâtre.--A droite,
+entre les colonnes, de grandes portes opalines. Ces portes, dont
+le Temps, vers la fin de la scène, écartera les battants,
+s'ouvrent sur la Vie actuelle et les quais de l'Aurore. Partout,
+peuplant harmonieusement la salle, une foule d'enfants vêtus de
+longues robes azurées.--Les uns jouent, d'autres se promènent,
+d'autres causent ou songent; beaucoup sont endormis, beaucoup
+aussi travaillent, entre les colonnades, aux inventions futures;
+et leurs outils, leurs instruments, les appareils qu'ils
+construisent, les plantes, les fleurs et les fruits qu'ils
+cultivent ou qu'ils cueillent sont du même bleu surnaturel et
+lumineux que l'atmosphère générale du Palais.--Parmi les enfants,
+revêtues d'un azur plus pâle et plus diaphane, passent et
+repassent quelques figures de haute taille, d'une beauté
+souveraine et silencieuse, qui paraissent être des anges.
+
+ * * * * *
+
+ [Entrent à gauche, comme à la dérobée, en se glissant parmi
+ les colonnes du premier plan, Tyltyl, Mytyl et la Lumière.
+ Leur arrivée provoque un certain mouvement parmi les
+ Enfants-Bleus qui bientôt accourent de toutes parts et se
+ groupent autour des insolites visiteurs qu'ils contemplent
+ avec curiosité.]
+
+MYTYL
+
+Où est le Sucre, la Chatte et le bon Pain?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ils ne peuvent pas entrer ici; ils connaîtraient l'Avenir et
+n'obéiraient plus....
+
+TYLTYL
+
+Et le Chien?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Il n'est pas bon, non plus, qu'il sache ce qui l'attend dans la
+suite des siècles.... Je les ai emprisonnés dans les souterrains
+de l'église....
+
+TYLTYL
+
+Où sommes-nous?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Nous sommes dans le Royaume de l'Avenir, au milieu des enfants
+qui ne sont pas encore nés. Puisque le Diamant nous permet de
+voir clair en cette région que les Hommes n'aperçoivent pas, nous
+y trouverons fort probablement l'Oiseau-Bleu....
+
+TYLTYL
+
+Bien sûr que l'Oiseau sera bleu, puisque tout y est bleu....
+[Regardant tout autour de soi.] Dieu que c'est beau tout ça!...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Regarde les enfants qui accourent....
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'ils sont fâchés?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Pas du tout.... Tu vois bien, ils sourient, mais ils sont
+étonnés....
+
+LES ENFANTS-BLEUS, [accourant de plus en plus nombreux.]
+
+Des petits Vivants.... Venez voir les petits Vivants!...
+
+TYLTYL
+
+Pourquoi qu'ils nous appellent «les petits Vivants»?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Parce qu'eux, ils ne vivent pas encore....
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce qu'ils font alors?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ils attendent l'heure de leur naissance....
+
+TYLTYL
+
+L'heure de leur naissance?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Oui; c'est d'ici que viennent tous les enfants qui naissent sur
+notre Terre. Chacun attend son jour.... Quand les Pères et les
+Mères désirent des enfants, on ouvre les grandes portes que tu
+vois là, à droite; et les petits descendent....
+
+TYLTYL
+
+Y en a-t-il! Y en a-t-il!...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Il y en a bien davantage.... On ne les voit pas tous.... Pense
+donc, il en faut de quoi peupler la fin des temps.... Personne ne
+saurait les compter....
+
+TYLTYL
+
+Et ces grandes personnes bleues, qu'est-ce que c'est?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+On ne sait plus au juste.... On croit que ce sont des
+gardiennes.... On dit qu'elles viendront sur Terre après les
+Hommes.... Mais il n'est pas permis de les interroger....
+
+TYLTYL
+
+Pourquoi?
+
+LA LUMIÈRE
+
+Parce que c'est le secret de la Terre....
+
+TYLTYL
+
+Et les autres, les petits, on peut leur parler?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Bien sûr, il faut faire connaissance.... Tiens, en voilà un plus
+curieux que les autres.... Approche-toi, parle-lui....
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce qu'il faut lui dire?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ce que tu voudras, comme à un petit camarade....
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'on peut lui donner la main?
+
+LA LUMIÈRE
+
+Évidemment, il ne te fera pas de mal.... Mais voyons, n'aie donc
+pas l'air si emprunté.... Je vais vous laisser seuls, vous serez
+plus à l'aise entre vous.... J'ai d'ailleurs à causer avec la
+Grande-personne Bleue....
+
+TYLTYL, [s'approchant de l'Enfant-Bleu et lui tendant la main.]
+
+Bonjour!... [Touchant du doigt la robe bleue de l'Enfant.]
+Qu'est-ce que c'est que ça?
+
+L'ENFANT, [touchant gravement du doigt le chapeau de Tyltyl.]
+
+Et ça?...
+
+TYLTYL
+
+Ça?... C'est mon chapeau.... Tu n'as pas de chapeau?...
+
+L'ENFANT
+
+Non; pourquoi c'est faire?...
+
+TYLTYL
+
+C'est pour dire bonjour.... Et puis, pour quand fait froid....
+
+L'ENFANT
+
+Qu'est-ce que c'est faire froid?...
+
+TYLTYL
+
+Quand on tremble comme ça: brrr! brrr!... qu'on souffle dans ses
+mains et qu'on fait aller les bras comme ceci....
+
+ [Il se brasse vigoureusement.]
+
+L'ENFANT
+
+Il fait froid sur la Terre?...
+
+TYLTYL
+
+Mais oui, des fois, l'hiver, quand on n'a pas de feu....
+
+L'ENFANT
+
+Pourquoi qu'on n'en a pas?...
+
+TYLTYL
+
+Parce que ça coûte cher et qu'il faut de l'argent pour acheter du
+bois....
+
+L'ENFANT
+
+Quoi que c'est de l'argent?
+
+TYLTYL
+
+C'est avec quoi l'on paie....
+
+L'ENFANT
+
+Ah!...
+
+TYLTYL
+
+Il y en a qui en ont, d'autres qui n'en ont point....
+
+L'ENFANT
+
+Pourquoi?...
+
+TYLTYL
+
+C'est qu'ils ne sont pas riches.... Est-ce que tu es riche?...
+Quel âge as-tu?...
+
+L'ENFANT
+
+Je vais naître bientôt.... Je naîtrai dans douze ans.... Est-ce
+que c'est bon, naître?...
+
+TYLTYL
+
+Oh oui!... C'est amusant!...
+
+L'ENFANT
+
+Comment que tu as fait?...
+
+TYLTYL
+
+Je ne me rappelle plus.... Il y a si longtemps!...
+
+L'ENFANT
+
+On dit que c'est si beau, la Terre et les Vivants!...
+
+TYLTYL
+
+Mais oui, ce n'est pas mal.... Il y a des oiseaux, des gâteaux,
+des jouets.... Quelques-uns les ont tous; mais ceux qui n'en ont
+pas peuvent regarder les autres....
+
+L'ENFANT
+
+On nous dit que les mères attendent à la porte.... Elles sont
+bonnes, est-ce vrai?...
+
+TYLTYL
+
+Oh oui!... Elles sont meilleures que tout ce qu'il y a!... Les
+bonnes-mamans aussi; mais elles meurent trop vite....
+
+L'ENFANT
+
+Elles meurent?... Qu'est-ce que c'est ça?...
+
+TYLTYL
+
+Elles s'en vont un soir, et ne reviennent plus....
+
+L'ENFANT
+
+Pourquoi?...
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'on sait?... Peut-être qu'elles sont tristes....
+
+L'ENFANT
+
+Elle est partie, la tienne?...
+
+TYLTYL
+
+Ma bonne-maman?...
+
+L'ENFANT
+
+Ta maman ou ta bonne-maman, est-ce que je sais, moi?...
+
+TYLTYL
+
+Ah! mais, ça n'est pas la même chose!... Les bonnes-mamans s'en
+vont d'abord; c'est déjà assez triste.... La mienne était très
+bonne....
+
+L'ENFANT
+
+Qu'est-ce qu'ils ont, tes yeux?... Est-ce qu'ils font des
+perles?...
+
+TYLTYL
+
+Mais non; c'est pas des perles....
+
+L'ENFANT Qu'est-ce que c'est alors?...
+
+TYLTYL
+
+C'est rien, c'est tout ce bleu qui m'éblouit un peu....
+
+L'ENFANT
+
+Comment que ça s'appelle?...
+
+TYLTYL
+
+Quoi?...
+
+L'ENFANT
+
+Là, ce qui tombe?...
+
+TYLTYL
+
+C'est rien, c'est un peu d'eau....
+
+L'ENFANT
+
+Est-ce qu'elle sort des yeux?...
+
+TYLTYL
+
+Oui, des fois, quand on pleure....
+
+L'ENFANT
+
+Qu'est-ce que c'est pleurer?
+
+TYLTYL
+
+Moi, je n'ai pas pleuré; c'est la faute à ce bleu.... Mais si
+j'avais pleuré ce serait la même chose....
+
+L'ENFANT
+
+Est-ce qu'on pleure souvent?...
+
+TYLTYL
+
+Pas les petits garçons, mais les petites filles.... On ne pleure
+pas ici?...
+
+L'ENFANT
+
+Mais non, je ne sais pas....
+
+TYLTYL
+
+Eh bien, tu apprendras.... Avec quoi que tu joues, ces grandes
+ailes bleues?...
+
+L'ENFANT
+
+Ça?... C'est pour l'invention que je ferai sur Terre....
+
+TYLTYL
+
+Quelle invention?... Tu as donc inventé quelque chose?...
+
+L'ENFANT
+
+Mais oui, tu ne sais pas?... Quand je serai sur Terre, il faudra
+que j'invente la Chose qui rend Heureux....
+
+TYLTYL
+
+Est-elle bonne à manger?... Est-ce qu'elle fait du bruit?...
+
+L'ENFANT
+
+Mais non, on n'entend rien....
+
+TYLTYL
+
+C'est dommage....
+
+L'ENFANT
+
+J'y travaille chaque jour.... Elle est presque achevée....
+Veux-tu voir?...
+
+TYLTYL
+
+Bien sûr.... Où donc est-elle?...
+
+L'ENFANT
+
+Là, on la voit d'ici, entre ces deux colonnes...?
+
+UN AUTRE ENFANT-BLEU, [s'approchant de Tyltyl et le tirant par la
+manche.]
+
+Veux-tu voir la mienne, dis?...
+
+TYLTYL
+
+Mais quoi, qu'est-ce que c'est?...
+
+DEUXIÈME ENFANT
+
+Les trente-trois remèdes pour prolonger la vie.... Là, dans ces
+flacons bleus....
+
+TROISIÈME ENFANT, [sortant de la foule.]
+
+Moi, j'apporte une lumière que personne ne connaît!... [Il
+s'illumine tout entier d'une flamme extraordinaire.] C'est assez
+curieux, pas?...
+
+QUATRIÈME ENFANT, [tirant Tyltyl par le bras.]
+
+Viens donc voir ma machine qui vole dans les airs comme un oiseau
+sans ailes!...
+
+CINQUIÈME ENFANT
+
+Non, non; d'abord la mienne qui trouve les trésors qui se cachent
+dans la lune!...
+
+ [Les Enfants-Bleus s'empressent autour de Tyltyl et de Mytyl
+ en criant tous ensemble: «Non, non, viens voir la mienne!...
+ Non, la mienne est plus belle!... La mienne est
+ étonnante!... La mienne est tout en sucre!... La sienne
+ n'est pas curieuse.... il m'en a pris l'idée!..., etc.».
+ Parmi ces exclamations désordonnées, on entraîne les petits
+ Vivants du côté des ateliers bleus; et là, chacun des
+ inventeurs met en mouvement sa machine idéale. C'est un
+ tournoiement céruléen de roues, de disques, de volants,
+ d'engrenages, de poulies, de courroies, d'objets étranges
+ et encore innommés qu'enveloppent les bleuâtres vapeurs de
+ l'irréel. Une foule d'appareils bizarres et mystérieux
+ s'élancent et planent sous les voûtes, ou rampent au pied
+ des colonnes, taudis que des enfants déroulent des cartes et
+ des plans, ouvrent des livres, découvrent des statues
+ azurées, apportent d'énormes fleurs, de gigantesques fruits
+ qui semblent formés de saphirs et de turquoises.]
+
+UN PETIT ENFANT-BLEU, [courbé sous le poids de colossales
+pâquerettes d'azur.]
+
+Regardez donc mes fleurs!...3
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que c'est?... Je ne les connais pas....
+
+LE PETIT ENFANT-BLEU
+
+Ce sont des pâquerettes!...
+
+TYLTYL
+
+Pas possible!... Elles sont grandes comme des roues....
+
+LE PETIT ENFANT-BLEU
+
+Et ce qu'elles sentent bon!...
+
+TYLTYL, [les humant.]
+
+Prodigieux!...
+
+LE PETIT ENFANT-BLEU
+
+Elles seront comme ça quand je serai sur Terre....
+
+TYLTYL
+
+Quand donc?...
+
+LE PETIT ENFANT-BLEU
+
+Dans cinquante-trois ans, quatre mois et neuf jours....
+
+ [Arrivent deux Enfants-Bleus qui portent comme un lustre,
+ pendue à une perche, une invraisemblable grappe de raisins
+ dont les baies sont plus grosses que des poires.]
+
+L'UN DES ENFANTS QUI PORTENT LA GRAPPE
+
+Que dis-tu de mes fruits?...
+
+TYLTYL
+
+Une grappe de poires!...
+
+L'ENFANT
+
+Mais non, c'est des raisins!... Ils seront tous ainsi, lorsque
+j'aurai trente ans.... J'ai trouvé le moyen....
+
+UN AUTRE ENFANT, [écrasé sous une corbeille de pommes bleues
+grosses comme des melons.]
+
+Et moi!... Voyez mes pommes!...
+
+TYLTYL
+
+Mais ce sont des melons!...
+
+L'ENFANT
+
+Mais non!... Ce sont mes pommes, et les moins belles encore!...
+Toutes seront de même quand je serai vivant.... J'ai trouvé le
+système!...
+
+UN AUTRE ENFANT, [apportant sur une brouette bleue des melons
+bleus plus gros que des citrouilles.]
+
+Et mes petits melons?...
+
+TYLTYL
+
+Mais ce sont des citrouilles!...
+
+L'ENFANT AUX MELONS
+
+Quand je viendrai sur terre, les melons seront fiers!... Je
+serai le jardinier du Roi des neuf Planètes....
+
+TYLTYL
+
+Le Roi des neuf Planètes?... Où est-il?...
+
+LE ROI DES NEUF PLANÈTES, [s'avançant fièrement. Il semble avoir
+quatre ans et peut à grand'peine se tenir debout sur ses petites
+jambes torses.]
+
+Le voici!
+
+TYLTYL
+
+Eh bien! tu n'es pas grand....
+
+LE ROI DES NEUF PLANÈTES, [grave et sentencieux.]
+
+Ce que je ferai sera grand.
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que tu feras?
+
+LE ROI DES NEUF PLANÈTES
+
+Je fonderai la Confédération générale des Planètes solaires.
+
+TYLTYL, [interloqué.]
+
+Ah, vraiment?
+
+LE ROI DE NEUF PLANÈTES
+
+Toutes en feront partie, excepté Saturne, Uranus et Neptune qui
+sont à des distances exagérées et incommensurables.
+
+ [Il se retire avec dignité.]
+
+TYLTYL
+
+Il est intéressant....
+
+UN ENFANT-BLEU
+
+Et vois-tu celui-là?
+
+TYLTYL
+
+Lequel?
+
+L'ENFANT
+
+Là, le petit qui dort au pied de la colonne....
+
+TYLTYL
+
+Eh bien?
+
+L'ENFANT
+
+Il apportera la joie pure sur le Globe..
+
+TYLTYL
+
+Comment?...
+
+L'ENFANT
+
+Par des idées qu'on n'a pas encore eues....
+
+TYLTYL
+
+Et l'autre, le petit gros qui a les doigts dans le nez, qu'est-ce
+qu'il fera, lui?...
+
+L'ENFANT
+
+Il doit trouver le feu pour réchauffer la Terre quand le Soleil
+sera plus pâle....
+
+TYLTYL
+
+Et les deux qui se tiennent par la main et s'embrassent tout le
+temps: est-ce qu'ils sont frère et soeur?...
+
+L'ENFANT
+
+Mais non, ils sont très drôles.... Ce sont les Amoureux....
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que c'est?...
+
+L'ENFANT
+
+Je ne sais pas.... C'est le Temps qui les appelle ainsi pour s'en
+moquer.... Ils se regardent tout le jour dans les yeux, ils
+s'embrassent et se disent adieu....
+
+TYLTYL
+
+Pourquoi?
+
+L'ENFANT
+
+Il paraît qu'ils ne pourront pas partir ensemble....
+
+TYLTYL
+
+Et le petit tout rose, qui semble si sérieux et qui suce son
+pouce, qu'est-ce que c'est?...
+
+L'ENFANT
+
+Il paraît qu'il doit effacer l'Injustice sur la Terre....
+
+TYLTYL
+
+Ah?...
+
+L'ENFANT
+
+On dit que c'est un travail effrayant....
+
+TYLTYL
+
+Et le petit rousseau qui marche comme s'il n'y voyait pas. Est-ce
+qu'il est aveugle?...
+
+L'ENFANT
+
+Pas encore; mais il le deviendra.... Regarde-le bien; il paraît
+qu'il doit vaincre la Mort....
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que ça veut dire?...
+
+L'ENFANT
+
+Je ne sais pas au juste; mais on dit que c'est grand....
+
+TYLTYL, [montrant une foule d'enfants endormis au pied des
+colonnes, sur les marches, les bancs, etc.]
+
+Et tous ceux-là qui dorment,--comme il y en a qui
+dorment!--est-ce qu'ils ne font rien?...
+
+L'ENFANT
+
+Ils pensent à quelque chose....
+
+TYLTYL
+
+A quoi?...
+
+L'ENFANT
+
+Ils ne le savent pas encore; mais ils doivent apporter quelque
+chose sur la Terre; il est défendu de sortir les mains vides....
+
+TYLTYL
+
+Qui est-ce qui le défend?...
+
+L'ENFANT
+
+C'est le Temps qui se tient à la porte.... Tu verras quand il
+ouvrira.... Il est bien embêtant....
+
+UN ENFANT, [accourant du fond de la salle, en fendant la foule.]
+
+Bonjour, Tyltyl!...
+
+TYLTYL
+
+Tiens!... Comment sait-il mon nom?...
+
+L'ENFANT, [qui vient d'accourir et qui embrasse Tyltyl et Mytyl
+avec effusion.]
+
+Bonjour!... Ça va bien?...--Voyons, embrasse-moi, et toi aussi,
+Mytyl.... Ce n'est pas étonnant que je sache ton nom, puisque je
+serai ton frère.... On vient seulement de me dire que tu es
+là.... J'étais tout au bout de la salle, en train d'emballer mes
+idées....--Dis à maman que je suis prêt....
+
+TYLTYL
+
+Comment?... Tu comptes venir chez nous?
+
+L'ENFANT
+
+Bien sûr, l'année prochaine, le dimanche des Rameaux.... Ne me
+tourmente pas trop quand je serai petit.... Je suis bien content
+de vous avoir embrassés d'avance....--Dis à Papa qu'il répare le
+berceau....--Est-ce qu'on est bien chez nous?...
+
+TYLTYL
+
+Mais on n'y est pas mal.... Et Maman est si bonne!...
+
+L'ENFANT
+
+Et la nourriture?...
+
+TYLTYL
+
+Ça dépend.... Il y a même des jours où l'on a des gâteaux,
+n'est-il pas vrai, Mytyl?...
+
+MYTYL
+
+Au Nouvel An et le Quatorze Juillet.... C'est maman qui les
+fait....
+
+TYLTYL
+
+Qu'as-tu là, dans ce sac?... Tu nous apportes quelque chose?...
+
+L'ENFANT, [très fièrement.]
+
+J'apporte trois maladies: la fièvre scarlatine, la coqueluche et
+la rougeole....
+
+TYLTYL
+
+Eh bien, si c'est tout ça!... Et après, que feras-tu?...
+
+L'ENFANT
+
+Après?... Je m'en irai....
+
+TYLTYL
+
+Ce sera bien la peine de venir!...
+
+L'ENFANT
+
+Est-ce qu'on a le choix?...
+
+ [A ce moment, on entend s'élever et se répandre une sorte de
+ vibration prolongée, puissante et cristalline qui semble
+ émaner des colonnes et des portes d'opale que touche une
+ lumière plus vive.]
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que c'est?...
+
+UN ENFANT
+
+C'est le Temps!... Il va ouvrir les portes!...
+
+ [Aussitôt, un vaste remous se propage dans la foule des
+ Enfants-Bleus. La plupart quittent leurs machines et leurs
+ travaux, de nombreux dormeurs s'éveillent, et les uns comme
+ les autres tournent les yeux vers les portes d'opale et se
+ rapprochent de celles-ci.]
+
+LA LUMIÈRE [rejoignant Tyltyl.]
+
+Tâchons de nous dissimuler derrière les colonnes.... Il ne faut
+pas que le Temps nous découvre....
+
+TYLTYL
+
+D'où vient ce bruit?...
+
+UN ENFANT
+
+C'est l'Aurore qui se lève.... C'est l'heure où les enfants qui
+naîtront aujourd'hui vont descendre sur Terre....
+
+TYLTYL
+
+Comment qu'ils descendront?... Il y a des échelles?...
+
+L'ENFANT
+
+Tu vas voir.... Le Temps tire les verrous....
+
+TYLTYL
+
+Qu'est-ce que c'est le Temps?...
+
+L'ENFANT
+
+C'est un vieil homme qui vient appeler ceux qui partent....
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'il est méchant?...
+
+L'ENFANT
+
+Non, mais il n'entend rien.... On a beau supplier, quand ce n'est
+pas leur tour, il repousse tous ceux qui voudraient s'en
+aller....
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'ils sont heureux de partir?
+
+L'ENFANT
+
+On n'est pas content quand on reste; mais on est triste quand on
+s'en va.... Là! Là!... Voilà qu'il ouvre!...
+
+ [Les grandes portes opalines roulent lentement sur leurs
+ gonds. On entend, comme une musique lointaine, les rumeurs
+ de la Terre. Une clarté rouge et verte pénètre dans la
+ salle: et le Temps, haut vieillard à la barbe flottante,
+ armé de sa faux et de son sablier, paraît sur le seuil,
+ tandis qu'on aperçoit l'extrémité des voiles blanches et
+ dorées d'une galère amarrée à une sorte de quai que forment
+ les vapeurs roses de l'Aurore.]
+
+LE TEMPS, [sur le seuil.]
+
+Ceux dont l'heure est sonnée sont-ils prêts?...
+
+DES ENFANTS-BLEUS, [fendant la roule et accourant de toutes
+parts.]
+
+Nous voici!... Nous voici!... Nous voici!...
+
+LE TEMPS, [d'une voix bourrue, aux enfants qui défilent devant
+lui pour sortir.]
+
+Un à un!... Il s'en présente encore beaucoup plus qu'il n'en
+faut!... C'est toujours la même chose!... On ne me trompe pas!...
+[Repoussant un enfant.] Ce n'est pas ton tour!... Rentre, c'est
+pour demain.... Toi non plus, rentre donc et reviens dans dix
+ans.... Un treizième berger?... Il n'en fallait que douze; on
+n'en a plus besoin, nous ne sommes plus au temps de Théocrite ou
+de Virgile.... Encore des médecins?... Il y en a déjà trop; on
+s'en plaint sur la Terre.... Et les ingénieurs, où sont-ils?...
+On veut un honnête homme, un seul, comme phénomène.... Où donc
+est l'honnête homme?... C'est toi?... [L'enfant fait signe que
+oui.] Tu m'as l'air bien chétif.... tu ne vivras pas
+longtemps!... Holà, vous autres, là, pas si vite!... Et toi,
+qu'apportes-tu?... Rien du tout? les mains vides?... Alors on ne
+passe pas.... Prépare quelque chose, un grand crime, si tu veux,
+ou une maladie, moi, cela m'est égal.... mais il faut quelque
+chose.... [Avisant un petit que d'autres poussent en avant et qui
+résiste de toutes ses forces.] Eh bien, toi, qu'as-tu donc?... Tu
+sais bien que c'est l'heure.... On demande un héros qui combatte
+l'Injustice; c'est toi, il faut partir....
+
+LES ENFANTS-BLEUS
+
+Il ne veut pas, monsieur....
+
+LE TEMPS
+
+Comment?... Il ne veut pas?... Où donc se croit-il, ce petit
+avorton?... Pas de réclamations, nous n'avons pas le temps....
+
+LE PETIT, [que l'on pousse.]
+
+Non, non!... Je ne veux pas!... J'aime mieux ne pas naître!...
+J'aime mieux rester ici!...
+
+LE TEMPS
+
+Il ne s'agit pas de ça.... Quand c'est l'heure, c'est l'heure!...
+Allons, vite, en avant!...
+
+UN ENFANT, [s'avançant.]
+
+Oh! laissez-moi passer!... J'irai prendre sa place!... On dit que
+mes parents sont vieux et m'attendent depuis si longtemps!...
+
+LE TEMPS
+
+Pas de ça.... L'heure est l'heure et le temps est le temps....
+On n'en finirait pas si l'on vous écoutait.... L'un veut, l'autre
+refuse, c'est trop tôt, c'est trop tard.... [Écartant des enfants
+qui ont envahi le seuil.] Pas si près, les petits.... Arrière les
+curieux.... Ceux qui ne partent pas n'ont rien à voir dehors....
+Maintenant vous avez hâte; puis, votre tour venu, vous aurez peur
+et vous reculerez.... Tenez, en voilà quatre qui tremblent comme
+des feuilles.... [A un enfant qui, sur le point de franchir le
+seuil, rentre brusquement.] Eh bien, quoi?... Qu'as-tu donc?...
+
+L'ENFANT
+
+J'ai oublié la boîte qui contient les deux crimes que je devrai
+commettre....
+
+UN AUTRE ENFANT
+
+Et moi le petit pot qui renferme l'idée pour éclairer les
+foules....
+
+TROISIÈME ENFANT
+
+J'ai oublié la greffe de ma plus belle poire!...
+
+LE TEMPS
+
+Courez vite les chercher!... Il ne nous reste plus que six cent
+douze secondes.... La galère de l'Aurore bat déjà des voiles pour
+montrer qu'elle attend.... Vous arriverez trop tard et vous ne
+naîtrez plus.... Allons, vite, embarquons!... [Saisissant un
+enfant qui veut lui passer entre les jambes pour gagner le quai.]
+Ah! toi, non, par exemple!... C'est la troisième fois que tu
+essayes de naître avant ton tour.... Que je ne t'y prenne plus,
+sinon ce sera l'attente éternelle près de ma soeur l'Éternité;
+et tu sais qu'on ne s'y amuse pas.... Mais voyons, sommes-nous
+prêts?... Tout le monde est à son poste?... [Parcourant du regard
+les enfants réunis sur le quai ou déjà assis dans la galère.] Il
+en manque encore un.... Il a beau se cacher, je le vois dans la
+foule.... On ne me trompe pas.... Allons, toi, le petit qu'on
+appelle l'Amoureux, dis adieu à ta belle....
+
+ [Les deux petits qu'on appelle «les Amoureux», tendrement
+ enlacés et le visage livide de désespoir, s'avancent vers le
+ Temps et s'agenouillent à ses pieds.]
+
+PREMIER ENFANT
+
+Monsieur le Temps, laissez-moi partir avec lui!...
+
+DEUXIÈME ENFANT
+
+Monsieur le Temps, laissez-moi rester avec elle!...
+
+LE TEMPS
+
+Impossible!... Il ne nous reste plus que trois cent
+quatre-vingt-quatorze secondes..
+
+PREMIER ENFANT
+
+J'aime mieux ne pas naître!...
+
+LE TEMPS
+
+On n'a pas le choix....
+
+DEUXIÈME ENFANT, [suppliant.]
+
+Monsieur le Temps, j'arriverai trop tard!...
+
+PREMIER ENFANT
+
+Je ne serai plus là quand elle descendra!...
+
+DEUXIÈME ENFANT
+
+Je ne le verrai plus!...
+
+PREMIER ENFANT
+
+Nous serons seuls au monde!...
+
+LE TEMPS
+
+Tout ça ne me regarde pas.... Réclamez auprès de la Vie.... Moi,
+j'unis, je sépare, selon ce qu'on m'a dit.... [Saisissant l'un
+des enfants.] Viens!...
+
+PREMIER ENFANT, se débattant.
+
+Non, non, non!... Elle aussi!...
+
+DEUXIÈME ENFANT, [s'accrochant aux vêtements du premier.]
+
+Laissez-le!.... Laissez-le!...
+
+LE TEMPS
+
+Mais voyons, ce n'est pas pour mourir, c'est pour vivre!...
+[Entraînant le premier enfant.] Viens!...
+
+DEUXIÈME ENFANT, [tendant éperdument les bras vers l'enfant qu'on
+enlève.]
+
+Un signe!... Un seul signe!... Dis-moi, comment te retrouver!...
+
+PREMIER ENFANT
+
+Je t'aimerai toujours!...
+
+DEUXIÈME ENFANT
+
+Je serai la plus triste!... Tu me reconnaîtras!...
+
+ [Elle tombe et reste étendue sur le sol.]
+
+LE TEMPS
+
+Vous feriez beaucoup mieux d'espérer.... Et maintenant, c'est
+tout.... [Consultant son sablier.] Il ne nous reste plus que
+soixante-trois secondes....
+
+ [Derniers et violents remous parmi les enfants qui partent
+ et qui demeurent.--On échange des adieux précipités: «Adieu,
+ Pierre!... Adieu Jean....--As-tu tout ce qu'il faut?...
+ Annonce ma pensée!...--N'as-tu rien oublié?...--Tâche de me
+ reconnaître!...--Je te retrouverai!...--Ne perds pas tes
+ idées?...--Ne te penche pas trop sur l'Espace!...--Donne-moi
+ de tes nouvelles!...--On dit qu'on ne peut pas!...--Si,
+ si!... essaie toujours!...--Tâche de dire si c'est beau!...
+ --J'irai à ta rencontre!...--Je naîtrai sur un trône!...»,
+ etc., etc.]
+
+LE TEMPS, [agitant ses clefs et sa faux.]
+
+Assez! assez!... L'ancre est levée!...
+
+Les voiles de la galère passent et disparaissent. Ou entend
+s'éloigner les cris des enfants dans la galère: «Terre!...
+terre!... Je la vois!... Elle est belle!... Elle est claire!...
+Elle est grande!...». Puis, comme sortant du fond de l'abîme, un
+chant extrêmement lointain d'allégresse et d'attente.
+
+TYLTYL, [à la Lumière.]
+
+Qu'est-ce?... Ce n'est pas eux qui chantent.... On dirait
+d'autres voix....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Oui, c'est le chant des Mères qui viennent à leur rencontre...
+
+ [Cependant, le Temps referme les portes opalines. Il se
+ retourne pour jeter un dernier regard dans la salle, et
+ soudain aperçoit Tyltyl, Mytyl et la Lumière.]
+
+LE TEMPS, [stupéfait et furieux.]
+
+Qu'est-ce que c'est?... Que faites-vous ici?... Qui êtes-vous?...
+Pourquoi n'êtes-vous pas bleus?... Par où êtes-vous entrés?...
+
+ [Il s'avance en les menaçant de sa faux.]
+
+LA LUMIÈRE, [à Tyltyl.]
+
+Ne réponds pas!... J'ai l'Oiseau-Bleu.... Il est caché sous ma
+mante.... Sauvons-nous.... Tourne le Diamant, il perdra notre
+trace....
+
+ [Ils s'esquivent à gauche, entre les colonnes du premier
+ plan.]
+
+
+RIDEAU
+
+
+
+
+ONZIÈME TABLEAU
+
+L'ADIEU
+
+
+La scène représente un mur percé d'une petite porte. C'est la
+pointe du jour.
+
+ * * * * *
+
+ [Entrent: Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Pain, le Sucre, le
+ Feu et le Lait.]
+
+LA LUMIÈRE
+
+Tu ne devinerais jamais où nous sommes....
+
+TYLTYL
+
+Bien sûr que non, la Lumière, puisque je ne sais pas....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Tu ne reconnais pas ce mur et cette petite porte?...
+
+TYLTYL
+
+C'est un mur rouge et une petite porte verte....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Et ça ne te rappelle rien?...
+
+TYLTYL
+
+Ça me rappelle que le Temps nous a mis à la porte....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Qu'on est bizarre quand on rêve.... On ne reconnaît pas sa propre
+main....
+
+TYLTYL
+
+Qui est-ce qui rêve?... Est-ce moi?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+C'est peut-être moi.... Qu'en sait-on?... En attendant, ce mur
+entoure une maison que tu as vue plus d'une fois depuis ta
+naissance....
+
+TYLTYL
+
+Une maison que j'ai vue plus d'une fois?
+
+LA LUMIÈRE
+
+Mais oui, petit endormi!... C'est la maison que nous avons
+quittée un soir, il y a tout juste, jour pour jour, une année....
+
+TYLTYL
+
+Il y a tout juste une année?... Mais alors?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+N'ouvre pas des yeux comme des grottes de saphir.... C'est elle,
+c'est la bonne maison des parents....
+
+TYLTYL, [s'approchant de la porte.]
+
+Mais je crois.... En effet.... Il me semble.... Cette petite
+porte.... Je reconnais la chevillette.... Ils sont là?... Nous
+sommes près de Maman?... Je veux entrer tout de suite.... Je veux
+l'embrasser tout de suite!...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Un instant.... Ils dorment profondément; il ne faut pas les
+réveiller en sursaut.... Du reste, la porte ne s'ouvrira que
+lorsque l'heure sonnera....
+
+TYLTYL
+
+Quelle heure?... Il y a longtemps à attendre?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Hélas, non!... quelques pauvres minutes....
+
+TYLTYL
+
+Tu n'es pas heureuse de rentrer?... Qu'as-tu donc, la Lumière?...
+Tu es pâle, on dirait que tu es malade..
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ce n'est rien, mon enfant.... Je me sens un peu triste, parce que
+je vais vous quitter....
+
+TYLTYL
+
+Nous quitter?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Il le faut.... Je n'ai plus rien à faire ici; l'année est
+révolue, la Fée va revenir et te demander l'Oiseau-Bleu....
+
+TYLTYL
+
+Mais c'est que je ne l'ai pas, l'Oiseau-Bleu!... Celui du
+Souvenir est devenu tout noir, celui de l'Avenir est devenu tout
+rouge, ceux de la Nuit sont morts et je n'ai pas pu prendre celui
+de la Forêt.... Est-ce ma faute à moi s'ils changent de couleur,
+s'ils meurent ou s'ils s'échappent?... Est-ce que la Fée sera
+fâchée, et qu'est-ce qu'elle dira?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Nous avons fait ce que nous avons pu.... Il faut croire qu'il
+n'existe pas, l'Oiseau-Bleu; ou qu'il change de couleur lorsqu'on
+le met en cage....
+
+TYLTYL
+
+Où est-elle, la cage?...
+
+LE PAIN
+
+Ici, maître.... Elle fut confiée à mes soins diligents durant ce
+long et périlleux voyage; aujourd'hui que ma mission prend fin,
+je vous la restitue, intacte et bien fermée, telle que je la
+reçus.... [Comme un orateur qui prend la parole.] Maintenant, au
+nom de tous, qu'il me soit permis d'ajouter quelques mots....
+
+LE FEU
+
+Il n'a pas la parole!...
+
+L'EAU
+
+Silence!...
+
+LE PAIX
+
+Les interruptions malveillantes d'un ennemi méprisable, d'un
+rival envieux.... [Élevant la voix.] ne m'empêcheront pas
+d'accomplir mon devoir jusqu'au bout.... C'est donc au nom de
+tous....
+
+LE FEU
+
+Pas au mien.... J'ai une langue!...
+
+LE PAIX
+
+C'est donc au nom de tous, et avec une émotion contenue mais
+sincère et profonde, que je prends congé de deux enfants
+prédestinés, dont la haute mission se termine aujourd'hui. En
+leur disant adieu avec toute l'affliction et toute la tendresse
+qu'une mutuelle estime..
+
+TYLTYL
+
+Comment?... Tu dis adieu?... Tu nous quittes donc aussi?...
+
+LE PAIN
+
+Hélas! il le faut bien.... Je vous quitte, il est vrai; mais la
+séparation ne sera qu'apparente, vous ne m'entendrez plus
+parler....
+
+LE FEU
+
+Ce ne sera pas malheureux!...
+
+L'EAU
+
+Silence!...
+
+LE PAIN, [très digne.]
+
+Cela ne m'atteint point.... Je disais donc: vous ne m'entendrez
+plus, vous ne me verrez plus sous ma forme animée.... Vos yeux
+vont se fermer à la vie invisible des choses; mais je serai
+toujours là, dans la huche, sur la planche, sur la table, à côté
+de la soupe, moi qui suis, j'ose le dire, le plus fidèle
+commensal et le plus vieil ami de l'Homme....
+
+LE FEU
+
+Eh bien, et moi?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Voyons, les minutes passent, l'heure est près de sonner qui va
+nous faire rentrer dans le silence.... Hâtez-vous d'embrasser les
+enfants....
+
+LE FEU, [se précipitant.]
+
+Moi d'abord, d'abord moi!... [Il embrasse violemment les
+enfants.] Adieu, Tyltyl et Mytyl!... Adieu, mes chers petits....
+Souvenez-vous de moi si jamais vous avez besoin de quelqu'un pour
+mettre le Feu quelque part....
+
+MYTYL
+
+Aïe! aïe!... Il me brûle!...
+
+TYLTYL
+
+Aïe! aïe! Il me roussit le nez!.....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Voyons, le Feu, modérez un peu vos transports.... Vous n'avez pas
+affaire à votre cheminée....
+
+L'EAU
+
+Quel idiot!...
+
+LE PAIN
+
+Est-il mal élevé!...
+
+L'EAU, [s'approchant des enfants.]
+
+Je vous embrasserai sans vous faire de mal, tendrement, mes
+enfants....
+
+LE FEU
+
+Prenez garde, ça mouille!...
+
+L'EAU
+
+Je suis aimante et douce; je suis bonne aux humains....
+
+LE FEU
+
+Et les noyés?...
+
+L'EAU
+
+Aimez bien les Fontaines, écoutez les Ruisseaux.... Je serai
+toujours là....
+
+LE FEU
+
+Elle a tout inondé!...
+
+L'EAU
+
+Quand vous vous assiérez, le soir, au bord des Sources,--il y en
+a plus d'une ici, dans la forêt,--essayez de comprendre ce
+qu'elles essaient de dire.... Je ne peux plus.... Les larmes me
+suffoquent et m'empêchent de parler....
+
+LE FEU
+
+Il n'y paraît point!...
+
+L'EAU
+
+Souvenez-vous de moi lorsque vous verrez la carafe.... Vous me
+trouverez également dans le broc, dans l'arrosoir, dans la
+citerne et dans le robinet....
+
+LE SUCRE, [naturellement papelard et doucereux.]
+
+S'il reste une petite place, dans votre souvenir, rappelez-vous
+que parfois ma présence vous fut douce.... Je ne puis vous en
+dire davantage.... Les larmes sont contraires à mon tempérament,
+et me font bien du mal quand elles tombent sur mes pieds....
+
+LE PAIN
+
+Jésuite!...
+
+LE FEU, [glapissant.]
+
+Sucre d'orge! berlingots! caramels!...
+
+TYLTYL
+
+Mais où donc sont passés Tylette et Tylô?... Que font-ils?...
+
+ [Au même moment, on entend des cris aigus poussés par la
+ Chatte.]
+
+MYTYL, [alarmée.]
+
+C'est Tylette qui pleure!... On lui fait du mal!...
+
+ [Entre en courant la Chatte, hérissée, dépeignée, les
+ vêtements déchirés, et tenant son mouchoir sur la joue,
+ comme si elle avait mal aux dents. Elle pousse des
+ gémissements courroucés et est serrée de très près par le
+ Chien qui l'accable de coups de tête, de coups de poing et
+ de coups de pied.]
+
+LE CHIEN, [battant la Chatte.]
+
+Là!... En as-tu assez?... En veux-tu encore?... Là! là! là!...
+
+LA LUMIÈRE, TYLTYL et MYTYL, [se précipitant pour les séparer.]
+
+Tylô!... Es-tu fou?... Par exemple!... A bas!... Veux-tu
+finir!... A-t-on jamais vu!... Attends! attends!...
+
+ [On les sépare énergiquement.]
+
+LA LUMIÈRE
+
+Qu'est-ce que c'est?... Que s'est-il passé?...
+
+LA CHATTE, [pleurnichant et s'essuyant les yeux.]
+
+C'est lui, madame la Lumière.... Il m'a dit des injures, il a mis
+des clous dans ma soupe, il m'a tiré la queue, il m'a roué de
+coups, et je n'avais rien fait, rien du tout, rien du tout!...
+
+LE CHIEN, [l'imitant.]
+
+Rien du tout, rien du tout!... [A mi-voix, lui faisant la nique.]
+C'est égal, t'en as eu, t'en as eu, et du bon, et t'en auras
+encore!...
+
+MYTYL, [serrant la Chatte dans ses bras.]
+
+Ma pauvre Tylette, dis-moi donc où c'est que t'as mal.... Je vais
+pleurer aussi!...
+
+LA LUMIÈRE, [au Chien, sévèrement.]
+
+Votre conduite est d'autant plus indigne que vous choisissez pour
+nous donner ce triste spectacle le moment, déjà assez pénible par
+lui-même, où nous allons nous séparer de ces pauvres enfants....
+
+LE CHIEN, [subitement dégrisé.]
+
+Nous séparer de ces pauvres enfants?...
+
+LA LUMIÈRE
+
+Oui, l'heure que vous savez va sonner.... Nous allons rentrer
+dans le Silence.... Nous ne pourrons plus leur parler....
+
+LE CHIEN, [poussant tout à coup de véritables hurlements de
+désespoir et se jetant sur les enfants qu'il accable de caresses
+violentes et tumultueuses.]
+
+Non, non!... Je ne veux pas!... Je ne veux pas!... Je parlerai
+toujours!... Tu me comprendras maintenant, n'est-ce pas, mon
+petit dieu?... Oui, oui, oui!.... Et l'on se dira tout, tout,
+tout!... Et je serai Lien sage.... Et j'apprendrai à lire, à
+écrire et à jouer aux dominos!... Et je serai toujours très
+propre.... Et je ne volerai plus rien dans la cuisine.... Veux-tu
+que je fasse quelque chose d'étonnant?... Veux-tu que j'embrasse
+la Chatte?...
+
+MYTYL, [à la Chatte.]
+
+Et toi, Tylette?... Tu n'as rien à nous dire.
+
+LA CHATTE, [pincée, énigmatique.]
+
+Je vous aime tous deux, autant que vous le méritez....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Maintenant, qu'à mon tour, mes enfants, je vous donne le dernier
+baiser....
+
+TYLTYL et MYTYL, [s'accrochant à la robe de la Lumière.]
+
+Non, non, non, la Lumière!... Reste ici, avec nous!... Papa ne
+dira rien.... Nous dirons à Maman que tu as été bonne....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Hélas! je ne peux pas.... Cette porte nous est fermée et je dois
+vous quitter...
+
+TYLTYL
+
+Où iras-tu toute seule?
+
+LA LUMIÈRE
+
+Pas bien loin, mes enfants; là-bas, dans le pays du Silence des
+choses..
+
+TYLTYL
+
+Non, non; je ne veux pas.... Nous irons avec toi.... Je dirai à
+Maman....
+
+LA LUMIÈRE
+
+Ne pleurez pas, mes chers petits.... Je n'ai pas de voix comme
+l'Eau; je n'ai que ma clarté que l'Homme n'entend point.... Mais
+je veille sur lui jusqu'à la fin des jours.... Rappelez-vous bien
+que c'est moi qui vous parle dans chaque rayon de lune qui
+s'épanche, dans chaque étoile qui sourit, dans chaque aurore qui
+se lève, dans chaque lampe qui s'allume, dans chaque pensée bonne
+et claire de votre âme.... [Huit heures sonnent derrière le mur.]
+Écoutez!... L'heure sonne.... Adieu!... La porte s'ouvre!...
+Entrez, entrez, entrez!...
+
+ [Elle pousse les enfants dans l'ouverture de la petite porte
+ qui vient de s'entrebâiller et se referme sur eux.--Le Pain
+ essuie une larme furtive, le Sucre, l'Eau, tout en pleurs,
+ etc., fuient précipitamment et disparaissent à droite et à
+ gauche, dans la coulisse. Hurlements du Chien à la
+ cantonade. La scène reste vide un instant, puis le décor
+ figurant le mur de la petite porte s'ouvre par le milieu,
+ pour découvrir le dernier tableau.]
+
+
+
+
+DOUZIÈME TABLEAU
+
+
+LE RÉVEIL
+
+
+Le même intérieur qu'au premier tableau, mais tout, les murs,
+l'atmosphère, y paraît incomparablement, féeriquement plus frais,
+plus riant, plus heureux.--La lumière du jour filtre gaiement par
+toutes les fentes des volets clos.
+
+ * * * * *
+
+ [A droite, au fond de la pièce, en leurs deux petits lits,
+ Tyltyl et Mytyl sont profondément endormis.--La Chatte, le
+ Chien et les Objets sont à la place qu'ils occupaient au
+ premier tableau, avant l'arrivée de la Fée.--Entre la Mère
+ Tyl.]
+
+LA MÈRE TYL, [d'une voix allègrement grondeuse.]
+
+Debout, voyons, debout! les petits paresseux!... Vous n'avez donc
+pas honte?... Huit heures sont sonnées, le soleil est déjà plus
+haut que la forêt!... Dieu! qu'ils dorment, qu'ils dorment!...
+[Elle se penche et embrasse les enfants.] Ils sont tout
+roses.... Tyltyl sent la lavande et Mytyl le muguet.... [Les
+embrassant encore.] Que c'est bon les enfants!... Ils ne peuvent
+pourtant pas dormir jusqu'à midi.... On ne peut pas en faire des
+paresseux.... Et puis, je me suis laissée dire que ce n'est pas
+trop bon pour la santé.... [Secouant doucement Tyltyl.] Allons,
+allons, Tyltyl....
+
+TYLTYL, [s'éveillant.]
+
+Quoi?... La Lumière?... Où est-elle? Non, non, ne t'en vas
+pas....
+
+LA MÈRE TYL
+
+La Lumière?... mais bien sûr qu'elle est là.... Il y a déjà pas
+mal de temps.... Il fait aussi clair qu'à midi, bien que les
+volets soient fermés.... Attends un peu que je les ouvre....
+[Elle pousse les volets, l'aveuglante clarté du grand jour
+envahit la pièce.] Là, voilà!... Qu'est-ce que t'as?... T'as
+l'air tout aveuglé...
+
+TYLTYL, [se frottant les yeux.]
+
+Maman, maman!... C'est toi!...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Mais bien sûr que c'est moi.... Qui veux-tu que ce soit?...
+
+TYLTYL
+
+C'est toi.... Mais oui, c'est toi!...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Mais oui, c'est moi.... Je n'ai pas changé de visage cette
+nuit.... qu'as-tu donc à me regarder comme un émerveillé?... J'ai
+peut-être le nez à l'envers?...
+
+TYLTYL
+
+Oh! que c'est bon de te revoir!... Il y a si longtemps, si
+longtemps!... Il faut que je t'embrasse tout de suite.... Encore,
+encore, encore!... Et puis, c'est bien mon lit!... Je suis dans
+la maison!...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Qu'est-ce que t'as?... Tu ne t'éveilles pas?... T'es pas malade,
+au moins?... Voyons, montre ta langue.... Allons, lève-toi donc,
+et puis habille-toi....
+
+TYLTYL
+
+Tiens! je suis en chemise!...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Bien sûr.... Passe ta culotte et ta petite veste.... Elles sont
+là, sur la chaise....
+
+TYLTYL
+
+Est-ce que j'ai fait ainsi tout mon voyage?...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Quel voyage?...
+
+TYLTYL
+
+Mais oui, l'année dernière....
+
+LA MÈRE TYL
+
+L'année dernière?...
+
+TYLTYL
+
+Mais oui, donc!... A Noël, lorsque je suis parti....
+
+LA MÈRE TYL
+
+Lorsque t'es parti?... T'as pas quitté la chambre.... Je j'ai
+couché hier soir, et je te retrouve ce matin.... T'as donc rêvé
+tout ça?...
+
+TYLTYL
+
+Mais tu ne comprends pas!... C'était l'année passée, lorsque je
+suis parti avec Mytyl, la Fée, la Lumière.... elle est bonne, la
+Lumière! le Pain, le Sucre, l'Eau, le Feu. Ils se battaient tout
+le temps.... T'es pas fâchée?... T'as pas été trop triste?... Et
+Papa, qu'a-t-il dit?... Je ne pouvais pas refuser.... J'ai laissé
+un billet pour expliquer....
+
+LA MÈRE TYL
+
+Qu'est-ce que tu chantes là?... Bien sûr que t'es malade, ou bien
+tu dors encore.... [Elle lui donne une bourrade amicale.] Voyons,
+réveille-toi.... Voyons, ça va-t-il mieux?...
+
+TYLTYL
+
+Mais, Maman, je t'assure.... C'est toi qui dors encore....
+
+LA MÈRE TYL
+
+Comment! je dors encore?... Je suis debout depuis six heures....
+J'ai fait tout le ménage et rallumé le feu....
+
+TYLTYL
+
+Mais demande à Mytyl si c'est pas vrai.... Ah! noirs en avons eu
+des aventures!...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Comment, Mytyl?... Quoi donc?...
+
+TYLTYL
+
+Elle était avec moi.... Nous avons revu bon-papa et
+bonne-maman....
+
+LA MÈRE TYL, [de plus en plus ahurie.]
+
+Bon-papa et bonne-maman?...
+
+TYLTYL
+
+Oui, au Pays du Souvenir.... C'était sur notre route.... Ils sont
+morts, mais ils se portent bien.... Bonne-maman nous a fait une
+belle tarte aux prunes.... Et puis les petits frères, Robert,
+Jean, sa toupie, Madeleine et Pierrette, Pauline et puis
+Riquette...
+
+MYTYL
+
+Riquette, elle marche à quatre pattes!...
+
+TYLTYL
+
+Et Pauline a toujours son bouton sur le nez....
+
+MYTYL
+
+Nous t'avons vue aussi hier au soir.
+
+LA MÈRE TYL
+
+Hier au soir? Ce n'est pas étonnant puisque je t'ai couchée.
+
+TYLTYL
+
+Non, non, aux jardins des Bonheurs, tu étais bien plus belle,
+mais tu te ressemblais....
+
+LA MÈRE TYL
+
+Le jardin des Bonheurs? Je ne connais pas ça....
+
+TYLTYL, [la contemplant, puis l'embrassant.]
+
+Oui, tu étais plus belle, mais je t'aime mieux comme ça...
+
+MYTYL, [l'embrassant également.]
+
+Moi aussi, moi aussi....
+
+LA MÈRE TYL, [attendrie, mais fort inquiète.]
+
+Mon Dieu! qu'est-ce qu'ils ont?... Je vais les perdre aussi,
+comme j'ai perdu les autres!... [Subitement affolée, elle
+appelle.] Papa Tyl! Papa Tyl!... Venez donc! Les petits sont
+malades!...
+
+ [Entre le Père Tyl, très calme une hache à la main.]
+
+LE PÈRE TYL
+
+Qu'y a-t-il?...
+
+TYLTYL et MYTYL [accourant joyeusement pour embrasser leur père.]
+
+Tiens, Papa!... C'est Papa!... Bonjour, Papa!... Tu as bien
+travaillé cette année?...
+
+LE PÈRE TYL
+
+Eh bien, quoi?... Qu'est-ce que c'est?... Ils n'ont pas l'air
+malade; ils ont fort bonne mine....
+
+LA MÈRE TYL, [larmoyante.]
+
+Il ne faut pas s'y fier.... Ce sera comme les autres.... Ils
+avaient fort bonne mine aussi, jusqu'à la fin; et puis le bon
+Dieu les a pris.... Je ne sais ce qu'ils ont.... Je les avais
+couchés bien tranquillement hier au soir; et ce matin, quand ils
+s'éveillent, voilà que tout va mal.... Ils ne savent plus ce
+qu'ils disent; ils parlent d'un voyage.... Ils ont vu la Lumière,
+grand-papa, grand'maman, qui sont morts mais qui se portent
+bien....
+
+TYLTYL
+
+Mais bon-papa, il a toujours sa jambe de bois....
+
+MYTYL
+
+Et bonne-maman ses rhumatismes....
+
+LA MÈRE TYL
+
+Tu entends?... Cours chercher le médecin!...
+
+LE PÈRE TYL
+
+Mais non, mais non.... Ils ne sont pas encore morts.... Voyons,
+nous allons voir.... [On frappe à la porte île la maison.]
+Entrez!
+
+ [Entre la Voisine, petite vieille qui ressemble à la Fée du
+ premier acte, et qui marche en s'appuyant sur un bâton.]
+
+LA VOISINE
+
+Bien le bonjour et bonne fête à tous!
+
+TYLTYL
+
+C'est la Fée Bérylune!
+
+LA VOISINE
+
+Je viens chercher un peu de feu pour mon pot-au-feu de la
+fête.... Il fait bien frisquet ce matin.... Bonjour, les enfants,
+ça va bien?...
+
+TYLTYL
+
+Madame la Fée Bérylune, je n'ai pas trouvé l'Oiseau-Bleu....
+
+LA VOISINE
+
+Que dit-il?...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Ne m'en parlez pas, madame Berlingot.... Ils ne savent plus ce
+qu'ils disent.... Ils sont comme ça depuis leur réveil.... Ils
+ont dû manger quelque chose qui n'était pas bon....
+
+LA VOISINE
+
+Eh bien, Tyltyl, tu ne reconnais pas la mère Berlingot, ta
+voisine Berlingot?...
+
+TYLTYL
+
+Mais si, madame.... Vous êtes la Fée Bérylune.... Vous n'êtes pas
+fâchée?...
+
+LA VOISINE
+
+Béry.... quoi?
+
+TYLTYL
+
+Bérylune
+
+LA VOISINE
+
+Berlingot, tu veux dire Berlingot....
+
+TYLTYL
+
+Bérylune, Berlingot, comme vous voudrez, madame.... Mais Mytyl
+qui sait bien....
+
+LA MÈRE TYL
+
+Voilà le pis, c'est que Mytyl aussi....
+
+LE PÈRE TYL
+
+Bah, bah!... Cela se passera; je vais leur donner quelques
+claques....
+
+LA VOISINE
+
+Laissez donc, ce n'est pas la peine.... Je connais ça; c'est rien
+qu'un peu de songeries.... Ils auront dormi dans un rayon de
+lune.... Ma petite fille qu'est bien malade est souvent comme
+ça....
+
+LA MÈRE TYL
+
+A propos, comment qu'elle va, ta petite fille?
+
+LA VOISINE
+
+Couci-couci.... Elle ne peut se lever.... Le docteur dit que
+c'est les nerfs.... Tout de même je sais bien ce qui la
+guérirait.... Elle me le demandait encore ce matin, pour son
+petit noël; c'est une idée qu'elle a....
+
+LA MÈRE TYL
+
+Oui, je sais, c'est toujours l'oiseau de Tyltyl.... Eh bien,
+Tyltyl, ne vas-tu pas le lui donner enfin, à cette pauvre
+petite?...
+
+TYLTYL
+
+Quoi, Maman?...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Ton oiseau.... Pour ce que tu en fais.... Tu ne le regardes même
+plus.... Elle en meurt d'envie depuis si longtemps!...
+
+TYLTYL
+
+Tiens, c'est vrai, mon oiseau.... Où est-il?... Ah! mais voilà la
+cage!... Mytyl, vois-tu la cage?... C'est celle que portait le
+Pain.... Oui, oui, c'est bien la même; mais il n'y a plus qu'un
+oiseau.... Il a donc mangé l'autre?... Tiens, tiens!... Mais il
+est bleu!... Mais c'est ma tourterelle!... Mais elle est bien
+plus bleue que quand je suis parti!... Mais c'est là
+l'Oiseau-Bleu que mous avons cherché!... Nous sommes allés si
+loin et il était ici!... Ah! ça, c'est épatant!... Mytyl, vois-tu
+l'oiseau?... Que dirait la Lumière?... Je vais décrocher la
+Cage.... [Il monte sur une chaise et décroche la cage qu'il
+apporte à la Voisine.] La voilà, madame Berlingot.... Il n'est
+pas encore tout à fait bleu; ça viendra, vous verrez.... Mais
+portez-le bien vite à votre petite fille....
+
+LA VOISINE
+
+Non?... Vrai?... Tu me le donnes, comme ça, tout de suite et pour
+rien?... Dieu! qu'elle va être heureuse!... [Embrassant Tyltyl.]
+Il faut que je t'embrasse!... Je me sauve!... Je me sauve!...
+
+TYLTYL
+
+Oui, oui; allez vite.... Il y en a qui changent de couleur....
+
+LA VOISINE
+
+Je reviendrai vous dire ce qu'elle aura dit....
+
+ [Elle sort.]
+
+TYLTYL, [après avoir longuement regardé autour de soi.]
+
+Papa, Maman; qu'avez-vous fait à la maison?... C'est la même
+chose; mais elle est bien plus belle....
+
+LE PÈRE TYL
+
+Comment, elle est plus belle?...
+
+TYLTYL
+
+Mais oui, tout est repeint, tout est remis à neuf, tout reluit,
+tout est propre.... Ça n'était pas comme ça, l'année dernière....
+
+LE PÈRE TYL
+
+L'année dernière?...
+
+TYLTYL, [allant à la fenêtre.]
+
+Et la forêt qu'on voit!... Est-elle grande, est-elle belle!... On
+croirait qu'elle est neuve!... Qu'on est heureux ici!... [Allant
+ouvrir la huche.] Où est le Pain?... Tiens, ils sont bien
+tranquilles.... Et puis, voilà Tylô!... Bonjour, Tylô, Tylô!...
+Ah! tu t'es bien battu!... Te rappelles-tu dans la forêt?...
+
+MYTYL
+
+Et Tylette?... Elle me reconnaît bien, mais elle ne parle
+plus....
+
+TYLTYL
+
+Monsieur le Pain.... [Se tâtant le front.] Tiens, je n'ai plus le
+Diamant! Qui est-ce qui m'a pris mon petit chapeau vert?... Tant
+pis! je n'en ai plus besoin....--Ah! le Feu!... Il est bon!... Il
+pétille en riant pour faire enrager l'Eau.... [Courant à la
+fontaine.]--Et l'Eau?... Bonjour, l'Eau!... Que dit-elle?... Elle
+parle toujours, mais je ne la comprends plus aussi bien..
+
+MYTYL
+
+Je ne vois pas le Sucre....
+
+TYLTYL
+
+Dieu que je suis heureux, heureux, heureux!...
+
+MYTYL
+
+Moi aussi, moi aussi!...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Qu'ont-ils donc à tourniller comme ça?...
+
+LE PÈRE TYL
+
+Laisse donc, t'inquiète pas.... Ils jouent à être heureux....
+
+TYLTYL
+
+Moi, j'aimais surtout la Lumière.... Où est sa lampe?... Est-ce
+qu'on peut l'allumer?... [Regardant encore autour de soi.] Dieu!
+que c'est beau tout ça et que je suis content!...
+
+ [On frappe à la porte de la maison.]
+
+LE PÈRE TYL
+
+Entrez donc!...
+
+ [Entre la Voisine, tenant par la main une petite fille d'une
+ beauté blonde et merveilleuse qui serre dans ses bras la
+ tourterelle de Tyltyl.]
+
+LA VOISINE
+
+Vous voyez le miracle!...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Pas possible!... Elle marche?...
+
+LA VOISINE
+
+Elle marche!... C'est-à-dire qu'elle court, qu'elle danse,
+qu'elle vole!... Quand elle a vu l'oiseau, elle a sauté, comme
+ça, d'un saut, vers la fenêtre, pour voir à la lumière si c'était
+bien la tourterelle de Tyltyl.... Et puis pfff!... dans la rue,
+comme un ange.... C'est tout juste si je pouvais la suivre....
+
+TYLTYL, [s'approchant, émerveillé.]
+
+Oh! qu'elle ressemble à la Lumière!...
+
+MYTYL
+
+Elle est bien plus petite....
+
+TYLTYL
+
+Sûr!... Mais elle grandira...
+
+LA VOISINE
+
+Que disent-ils?... Ça ne va pas encore?...
+
+LA MÈRE TYL
+
+Ça va mieux, ça se passe.... Quand ils auront déjeuné, il n'y
+paraîtra plus....
+
+LA VOISINE, [poussant la petite fille dans les bras de Tyltyl.]
+
+Allons, va, ma petite, va remercier Tyltyl....
+
+ [Tyltyl, soudainement intimidé, recule d'un pas.]
+
+LA MÈRE TYL
+
+Eh bien, Tyltyl, qu'est-ce que t'as?... T'as peur de la petite
+fille?... Voyons, embrasse-la.... Voyons, un gros baiser....
+Mieux que ça.... Toi si effronté d'habitude!... Encore un!...
+Mais qu'est-ce donc que t'as?... On dirait que tu vas pleurer....
+
+ [Tyltyl, après avoir gauchement embrassé la petite fille,
+ reste un moment debout devant elle, et les deux enfants se
+ regardent sans rien dire; puis, Tyltyl caressant la tète de
+ l'oiseau.]
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'il est assez bleu?...
+
+LA PETITE FILLE
+
+Mais oui, je suis contente....
+
+TYLTYL
+
+J'en ai vu de plus bleus.... Mais les tout à fait bleus, tu sais,
+on a beau faire, on ne peut pas les attraper.
+
+LA PETITE FILLE
+
+Ça ne fait rien, il est bien joli....
+
+TYLTYL
+
+Est-ce qu'il a mangé?...
+
+LA PETITE FILLE
+
+Pas encore.... Qu'est-ce qu'il mange?...
+
+TYLTYL
+
+De tout, du blé, du pain, du maïs, des cigales....
+
+LA PETITE FILLE
+
+Comment qu'il mange, dis?...
+
+TYLTYL
+
+Par le bec, tu vas voir, je vais te montrer....
+
+ [Il va pour prendre l'oiseau des mains de la petite fille;
+ celle-ci résiste instinctivement, et, profitant de
+ l'hésitation de leur geste, la tourterelle s'échappe et s'en
+ vole.]
+
+LA PETITE FILLE, [poussant un cri de désespoir.]
+
+Maman!... Il est parti!...
+
+ [Elle éclate en sanglots.]
+
+TYLTYL
+
+Ce n'est rien.... Ne pleure pas.... Je le rattraperai....
+[S'avançant sur le devant de la scène et s'adressant au public.]
+Si quelqu'un le retrouve, voudrait-il nous le rendre?... Nous en
+avons besoin pour être heureux plus tard....
+
+
+RIDEAU
+
+
+
+
+
+
+
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+
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+is also defective, you may demand a refund in writing without further
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+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
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+
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+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
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+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at https://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit https://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including including checks, online payments and credit card
+donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ https://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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--- /dev/null
+++ b/old/38849-8.zip
Binary files differ
diff --git a/old/38849-h.zip b/old/38849-h.zip
new file mode 100644
index 0000000..ee3b7b6
--- /dev/null
+++ b/old/38849-h.zip
Binary files differ
diff --git a/old/38849-h/38849-h.htm b/old/38849-h/38849-h.htm
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index 0000000..033f0fc
--- /dev/null
+++ b/old/38849-h/38849-h.htm
@@ -0,0 +1,8271 @@
+<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD XHTML 1.0 Strict//EN"
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+<!-- $Id: header.txt 236 2009-12-07 18:57:00Z vlsimpson $ -->
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+ <title>
+ The Project Gutenberg eBook of L'oiseau bleu, by Maurice Maeterlinck.
+ </title>
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+The Project Gutenberg EBook of L'oiseau bleu, by Maurice Maeterlinck
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+with this eBook or online at www.gutenberg.org
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+Title: L'oiseau bleu
+ Feerie en six actes et douze tableaux
+
+Author: Maurice Maeterlinck
+
+Release Date: February 12, 2012 [EBook #38849]
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+Language: French
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+Character set encoding: UTF-8
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'OISEAU BLEU ***
+
+
+
+
+Produced by Annemie Arnst & Marc D'Hooghe at
+http://www.freeliterature.org (From images generously made
+available by the Internet Archive.)
+
+
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+
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+
+</pre>
+
+
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+
+
+<h1 style="color: #000080;">L'OISEAU BLEU</h1>
+
+<h3>par</h3>
+
+<h2 style="color: #000080;">MAURICE MAETERLINCK</h2>
+
+
+<h4>FÉERIE EN SIX ACTES ET DOUZE TABLEAUX</h4>
+
+<h4><i>Représentée pour la première fois,</i></h4>
+
+<h4><i>sur le Théâtre Artistique de Moscou, le 30 Septembre 1908,</i></h4>
+
+<h4><i>et à Paris, sur la scène du Théâtre Réjane,</i></h4>
+
+<h4><i>le 2 Mars 1911.</i></h4>
+
+
+
+<h5>PARIS</h5>
+
+<h5>Librairie CHARPENTIER et FASQUELLE</h5>
+
+<h5>EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR</h5>
+
+<h5>11, RUE DE GRENELLE, 11</h5>
+
+<h5>1911</h5>
+
+
+
+<hr style="width: 95%;" />
+
+<p><a href="#Table_des_matieres">Table des matières</a></p>
+
+<hr style="width: 65%;" />
+<h3><a name="COSTUMES" id="COSTUMES"></a>COSTUMES</h3>
+
+
+<p>TYLTYL: Costume du Petit-Poucet dans les contes de Perrault:
+petite culotte rouge-vermillon, courte veste bleu tendre, bas
+blancs, souliers ou bottines de cuir fauve.</p>
+
+<p>MYTYL: Costume de Grethel ou bien du Petit Chaperon rouge.</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE: Robe couleur de lune, c'est-à-dire d'or pâle à
+reflets d'argent, gazes scintillantes, formant des rayons, etc.
+Style néo-grec ou anglo-grec genre Walter Crane ou même plus ou
+moins Empire.&mdash;Taille haute, bras nus, etc.&mdash;Coiffure: sorte de
+diadème ou même de couronne légère.</p>
+
+<p>LA FÉE BÉRYLUNE, LA VOISINE BERLINGOT: Costume classique des
+pauvresses de contes de fées. On pourrait supprimer au premier
+acte la transformation de la Fée en princesse.</p>
+
+<p>LE PÈRE TYL, LA MÈRE TYL, GRAND-PAPA TYL, GRAND'MAMAN TYL:
+Costumes légendaires des bûcherons et des paysans allemands dans
+les contes de Grimm.</p>
+
+<p>LES FRÈRES ET SŒURS DE TYLTYL: Variantes du costume du
+Petit-Poucet.</p>
+
+<p>LE TEMPS: Costume classique du Temps: vaste manteau noir ou gros
+bleu, barbe blanche et flottante, faulx, sablier.</p>
+
+<p>L'AMOUR MATERNEL: Costume à peu près semblable à celui de la
+Lumière, c'est-à-dire voiles souples et presque transparents de
+statue grecque, blancs autant que possible. Perles et pierreries
+aussi riches et aussi nombreuses qu'on voudra, pourvu qu'elles ne
+rompent pas l'harmonie pure et candide de l'ensemble.</p>
+
+<p>LES GRANDES JOIES: Comme il est dit dans le texte, robes
+lumineuses aux subtiles et suaves nuances: réveil de rose,
+sourire d'eau, rosée d'ambre, azur d'aurore, etc.</p>
+
+<p>LES BONHEURS DE LA MAISON: Robes de diverses couleurs, ou si l'on
+veut, costumes de paysans, de bergers, de bûcherons, etc., mais
+idéalisés et féeriquement interprétés.</p>
+
+<p>LES GROS BONHEURS: Avant la transformation: amples et lourds
+manteaux de brocarts rouges et jaunes, bijoux énormes et épais,
+etc. Après la transformation: maillots café ou chocolat, donnant
+l'impression de pantins en baudruche.</p>
+
+<p>LA NUIT: Amples vêtements noirs mystérieusement constellés, à
+reflets mordorés. Voiles, pavots sombres, etc.</p>
+
+<p>LA PETITE FILLE DE LA VOISINE: Chevelure blonde et lumineuse,
+longue robe blanche.</p>
+
+<p>LE CHIEN: Habit rouge, culotte blanche, bottes vernies, chapeau
+ciré; costume rappelant plus ou moins celui de John Bull.</p>
+
+<p>LA CHATTE: Maillot de soie noire à paillettes</p>
+
+<p>Il convient que les têtes de ces deux personnages soient
+discrètement animalisées.</p>
+
+<p>LE PAIN: Somptueux costume de pacha. Ample robe de soie ou de
+velours cramoisi, broché d'or. Vaste turban. Cimeterre. Ventre
+énorme, face rouge et extrêmement joufflue.</p>
+
+<p>LE SUCRE: Robe de soie, dans le genre de celles des eunuques,
+mi-partie de blanc et de bleu pour rappeler le papier d'emballage
+des pains de sucre; Coiffure des gardiens du sérail.</p>
+
+<p>LE FEU: Maillot rouge, manteau vermillon à reflets chatoyants,
+doublé d'or. Aigrette de flammes versicolores.</p>
+
+<p>L'EAU: Robe couleur du temps du conte de Peau d'Ane, c'est-à-dire
+bleuâtre ou glauque, à reflets transparents, effets de gaze
+ruisselante, également style néo ou anglo-grec, mais plus ample,
+plus flottant. Coiffure de fleurs et d'algues ou de roseaux.</p>
+
+<p>LES ANIMAUX: Costumes populaires ou paysans.</p>
+
+<p>LES ARBRES: Robes, nuances variées du vert ou de la teinte tronc
+d'arbres. Attributs, feuilles ou branches qui les fassent
+reconnaître.</p>
+
+
+
+<hr style="width: 65%;" />
+<h3><a name="TABLEAUX" id="TABLEAUX"></a>TABLEAUX</h3>
+
+
+<p>1er TABLEAU (acte I): <i>La Cabane du Bûcheron.</i></p>
+
+<p>2e TABLEAU (acte II): <i>Chez la Fée.</i></p>
+
+<p>3e TABLEAU (acte II): <i>Le Pays du Souvenir.</i></p>
+
+<p>4e TABLEAU (acte III): <i>Le Palais de la Nuit.</i></p>
+
+<p>5e TABLEAU (acte III): <i>La Forêt.</i></p>
+
+<p>6e TABLEAU (acte IV): <i>Devant le Rideau.</i></p>
+
+<p>7e TABLEAU (acte IV): <i>Le Cimetière.</i></p>
+
+<p>8e TABLEAU (acte IV): <i>Devant le Rideau.</i></p>
+
+<p>9e TABLEAU (acte IV): <i>Le Palais des Bonheurs.</i></p>
+
+<p>10e TABLEAU (acte V): <i>Le Royaume de l'Avenir.</i></p>
+
+<p>11e TABLEAU (acte VI): <i>L'Adieu.</i></p>
+
+<p>12e TABLEAU (acte VI): <i>Le Réveil.</i></p>
+
+
+
+<hr style="width: 65%;" />
+<h3><a name="PERSONNAGES" id="PERSONNAGES"></a>PERSONNAGES</h3>
+
+<h4>(dans l'ordre de leur entrée en scène)</h4>
+
+
+<table border="0" cellpadding="1" cellspacing="0" summary="">
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LA MÈRE TYL</span></td><td align="center">&mdash;</td><td align="left">M<sup>lle</sup> Méthivet.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">TYLTYL</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">M. Delphin.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">MYTYL</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">M<sup>lle</sup> Odette Carlia.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LA FÉE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">M<sup>me</sup> Gina Barbieri.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE PAIN</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">MM. R.L. Fugère.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE FEU</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Aurèle Sydney.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">L'EAU</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">M<sup>lles</sup> Isis.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE LAIT</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Diris.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE SUCRE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">MM.Bosman.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE CHIEN</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Séverin-Mars.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE CHAT</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Stephen.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LA LUMIÈRE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">M<sup>me</sup> Georgette Leblanc.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ M<sup>lle</sup>s Nini Mano.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Henriette Maillefer.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Fernande Fayeret.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Blanche Faveret.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Suzanne Bailly.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LES HEURES</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Raymonde Faveret.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Laurence Petit.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Jane Faveret.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Berthe Libovitz.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Antoinette Raymond.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Deroissy.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Georges.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE PÈRE TYL</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">M. Félix Barré.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">GRAND'MÈRE TYL</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">M<sup>me</sup> Daynes Grassot.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">GRAND-PÈRE TYL</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">M. Maillard.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">PIERROT</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">M<sup>lles</sup> Suterre.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">ROBERT</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Maria Fromet.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">JEANNETTE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Jeanne Evrard.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">MADELEINE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Giavelli.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">PIERRETTE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Henriette Gallet.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">PAULINE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Henriette Maillefer.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">RIQUETTE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Nini Mano</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LA NUIT</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Clarel.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE SOMMEIL</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Louise Starck.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LA MORT</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Rachel Horelick.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE RHUME DE CERVEAU</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Renée Dahon.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">1er ENFANT BLEU</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Maria Fromet.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">2e</span> &mdash;</td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Laura Walter.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">3e</span> &mdash;</td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Maria Dumont.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">4e</span> &mdash;</td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Fernande Faveret.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">5e</span> &mdash;</td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Maud Loti.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">6e</span> &mdash;</td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Suterre.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">7e</span> &mdash;</td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Suzanne Bailly.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">8e</span> &mdash;</td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Giavelli.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">9e</span> &mdash;</td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Madeleine Fromet.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE ROI DES NEUF PLANÈTES</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Batistina Rousseau.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">11e ENFANT BLEU</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Renée Pré.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">12e</span> &mdash;</td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Henriette Maillefer.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">13e</span> &mdash;</td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Béatrice Raymond.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">14e</span> &mdash;</td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Jeanne Corrège.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">L'AMOUREUX</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Lucy Fleury.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">L'AMOUREUSE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">Blanche Borelli.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE TEMPS</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">M. Garry.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE PETIT FRÈRE A NAITRE</span>.</td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">M<sup>lle</sup> Maria Fromet.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ M<sup>lles</sup> Berthe Libovitz.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Fernande Faveret.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Suzanne Faveret.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Blanche Faveret.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Raymonde Faveret.</td></tr>
+<tr><td align="left">LES AUTRES ENFANTS BLEUS:</td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ M<sup>lles</sup> Henriette Gallet.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Jeanne Evrard.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Denise Choquet.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Léa Dumont.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Marcelle Malherbe.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Juliette Malherbe.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Lucienne Chezeaux.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Dupechier.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ M<sup>lles</sup> Deroissy.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ George.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LES GARDIENNES</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Théloz.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Albert.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE CHEF DES GROS BONHEURS</span>.</td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">M. Barré.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ MM. Alfroy.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Adalbert, etc.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LES AUTRES BONHEURS</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ M<sup>lle</sup> Lucienne Chezaux.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Nini Mano.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Jeanne Corrège.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LES PETITS BONHEURS</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Henriette Maillefer.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Fernand Faveret.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Blanche Faveret.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Louise Starck.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Rachel Horelick.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Jane Faveret.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Raymonde Faveret.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LES ADOLESCENTS</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Maud Loti.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Annette Libovitz.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Laurence Petit.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE CHEF DES BONHEURS</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ M<sup>lles</sup> Renée Beauval.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE BONHEUR DE SE BIEN PORTER</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Dorchèze.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash; DE L'AIR PUR</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Fleury.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash; D'AIMER SES PARENTS</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Gannoz.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash; DU CIEL BLEU</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Blanche Borelli.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash; DE LA FORÊT</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Diris.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE BONHEUR DES HEURES DE SOLEIL</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ M<sup>lles</sup> Boissière.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash;DU PRINTEMPS</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Renée Dahon.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash;DES COUCHERS DE SOLEIL</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Soyez.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash;DE VOIR SE LEVER</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 4em; font-size: 0.8em;">LES ÉTOILES</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Georges.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash;DE LA PLUIE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Darièze.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash;DU FEU D'HIVER</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Carène.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash;DES PENSÉES INNOCENTES</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Laura Walter.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash;DE COURIR NU-PIEDS</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 4em; font-size: 0.8em;">&mdash;DANS LA ROSÉE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Antoinette Raymond.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LA JOIE D'ÊTRE JUSTE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Albert.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash;D'ÊTRE BONNE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Bulaine.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash;DE LA GLOIRE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Théloz.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash;DE PENSER</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Deroissy.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash;DE COMPRENDRE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Lefebvre.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash;DE VOIR CE QUI EST BEAU</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Didier.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">&mdash;D'AIMER</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Dervil.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">L'AMOUR MATERNEL</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Méthivet.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Soyez.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LES JOIES INCONNUES</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ Delettraz.</td></tr>
+<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Dessoyer, etc.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LA VOISINE BERLINGOT</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ M<sup>me</sup> Gina Barbieri.</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">SA PETITE FILLE</span></td><td align="left">&mdash;</td><td align="left">{ M<sup>lle</sup> Juliette Malherbe.</td></tr>
+</table>
+
+
+
+<hr style="width: 65%;" />
+<h2><a name="LOISEAU_BLEU" id="LOISEAU_BLEU"></a>L'OISEAU BLEU</h2>
+
+
+
+<hr style="width: 65%;" />
+<h3><a name="ACTE_PREMIER" id="ACTE_PREMIER"></a>ACTE PREMIER</h3>
+
+
+
+<hr style="width: 45%;" />
+<h3><a name="PREMIER_TABLEAU" id="PREMIER_TABLEAU"></a>PREMIER TABLEAU</h3>
+
+
+<h4>LA CABANE DU BÛCHERON</h4>
+
+
+<p>Le théâtre représente l'intérieur d'une cabane de bûcheron,
+simple, rustique, mais non point misérable.&mdash;Cheminée à manteau
+où s'assoupit un feu de bûches.&mdash;Ustensiles de cuisine, armoire,
+huche, horloge à poids, rouet, fontaine, etc.&mdash;Sur une table, une
+lampe allumée.&mdash;Au pied de l'armoire, de chaque côté de
+celle-ci, endormis, pelotonnés, le nez sous la queue, un Chien et
+une Chatte.&mdash;Entre eux deux, un grand pain de sucre blanc et
+bleu.&mdash;Accrochée au mur, une cage ronde renfermant une
+tourterelle.&mdash;Au fond, deux fenêtres dont les volets intérieurs
+sont fermés.&mdash;Sous l'une des fenêtres, un escabeau.&mdash;A gauche, la
+porte d'entrée de la maison, munie d'un gros loquet.&mdash;A droite,
+une autre porte.&mdash;Échelle menant à un grenier.&mdash;Également à
+droite, deux petits lits d'enfant, au chevet desquels, sur deux
+chaises, des vêtements se trouvent soigneusement pliés.</p>
+
+<hr style="width: 45%;" />
+
+<blockquote><p>[Au lever du rideau, Tyltyl et Mytyl sont profondément
+endormis dans leurs petits lits. La Mère Tyl les borde une
+dernière fois, se penche sur eux, contemple un moment leur
+sommeil, et appelle de la main le père Tyl qui passe la tête
+dans l'entrebâillement de la porte. La Mère Tyl met un doigt
+sur les lèvres pour lui commander le silence, puis sort à
+droite sur la pointe des pieds, après avoir éteint la lampe.
+La scène reste obscure un instant, puis une lumière dont
+l'intensité augmente peu à peu filtre par les lames des
+volets. La lampe sur la table se rallume d'elle-même. Les
+deux enfants semblent s'éveiller et se mettent sur leur
+séant.]</p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mytyl?</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Tyltyl?</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tu dors?</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Et toi?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais non, je dors pas puisque je te parle....</p>
+
+<p>MYTYL:</p>
+
+<p>C'est Noël, dis?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Pas encore; c'est demain. Mais le petit Noël n'apportera rien
+cette année....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Pourquoi?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>J'ai entendu maman qui disait qu'elle n'avait pu aller à la ville
+pour le prévenir.... Mais il viendra l'année prochaine....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>C'est long, l'année prochaine?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ce n'est pas trop court.... Mais il vient cette nuit chez les
+enfants riches....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Ah?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tiens!... Maman a oublié la lampe!... J'ai une idée?...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Nous allons nous lever....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>C'est défendu....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Puisqu'il n'y a personne.... Tu vois les volets?...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Oh! qu'ils sont clairs!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est les lumières de la fête.</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Quelle fête?</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>En face, chez les petits riches. C'est l'arbre de Noël. Nous
+allons les ouvrir....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'on peut?</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Bien sûr, puisqu'on est seuls.... Tu entends la musique?...
+Levons-nous....</p>
+
+<blockquote><p>[Les deux enfants se lèvent, courent à l'une des fenêtres,
+montent sur l'escabeau et poussent les volets. Une vive
+clarté pénètre dans la pièce. Les enfants regardent
+avidement au dehors.]</p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>On voit tout!...</p>
+
+<p>MYTYL, [qui ne trouve qu'une place précaire sur l'escabeau.]</p>
+
+<p>Je vois pas....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Il neige!... Voilà deux voitures à six chevaux!...</p>
+
+<p>MYTYL Il en sort douze petits garçons!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>T'es bête!... C'est des petites filles....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Ils ont des pantalons....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tu t'y connais.... Ne me pousse pas ainsi!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Je t'ai pas touché.</p>
+
+<p>TYLTYL, [qui occupe à lui seul tout l'escabeau.]</p>
+
+<p>Tu prends toute la place....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Mais j'ai pas du tout de place!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tais-toi donc, on voit l'arbre!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Quel arbre?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais l'arbre de Noël!... Tu regardes le mur!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Je regarde le mur parce qu'y a pas de place....</p>
+
+<p>TYLTYL, [lui cédant une petite place avare sur l'escabeau.]</p>
+
+<p>Là!... En as-tu assez?... C'est-y pas la meilleure?... Il y en a
+des lumières! Il y en a!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce qu'ils font donc ceux qui font tant de bruit?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ils font de la musique.</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'ils sont fâchés?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Non, mais c'est fatigant.</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Encore une voiture attelée de chevaux blancs!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tais-toi!... Regarde donc!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce qui pend là, en or, après les branches?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais les jouets, pardi!... Des sabres, des fusils, des soldats,
+des canons....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Et des poupées, dis, est-ce qu'on en a mis?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Des poupées?... C'est trop bête; ça ne les amuse pas....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Et autour de la table, qu'est-ce que c'est tout ça?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est des gâteaux, des fruits, des tartes à la crème....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>J'en ai mangé une fois, lorsque j'étais petite....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Moi aussi; c'est meilleur que le pain, mais on en a trop peu....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Ils n'en ont pas trop peu.... Il y en a plein la table.... Est-ce
+qu'ils vont les manger?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Bien sûr; qu'en feraient-ils?...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Pourquoi qu'ils ne les mangent pas tout de suite?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Parce qu'ils n'ont pas faim....</p>
+
+<p>MYTYL, stupéfaite.</p>
+
+<p>Ils n'ont pas faim?... Pourquoi?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est qu'ils mangent quand ils veulent....</p>
+
+<p>MYTYL, incrédule.</p>
+
+<p>Tous les jours?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>On le dit....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'ils mangeront tout?... Est-ce qu'ils en donneront?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>A qui?...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>A nous....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ils ne nous connaissent pas....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Si on leur demandait?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Cela ne se fait pas.</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Pourquoi?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Parce que c'est défendu.</p>
+
+<p>MYTYL, battant des mains.</p>
+
+<p>Oh! qu'ils sont donc jolis!...</p>
+
+<p>TYLTYL, enthousiasmé.</p>
+
+<p>Et ils rient et ils rient!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Et les petits qui dansent!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui, oui, dansons aussi!...</p>
+
+<blockquote><p>Ils trépignent de joie sur l'escabeau. </p></blockquote>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Oh! que c'est amusant!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>On leur donne les gâteaux!... Ils peuvent y toucher!... Ils
+mangent! ils mangent! ils mangent!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Les plus petits aussi!... Ils en ont deux, trois, quatre!...</p>
+
+<p>TYLTYL, [ivre de joie.]</p>
+
+<p>Oh! c'est bon!... Que c'est bon! que c'est bon!...</p>
+
+<p>MYTYL, [comptant des gâteaux imaginaires.]</p>
+
+<p>Moi, j'en ai reçu douze!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et moi quatre fois douze!... Mais je t'en donnerai....</p>
+
+<blockquote><p>On frappe à la porte de la cabane. </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL, [subitement calmé et effrayé.]</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est?...</p>
+
+<p>MYTYL, [épouvantée.]</p>
+
+<p>C'est papa!...</p>
+
+<blockquote><p>[Comme ils tardent à ouvrir, on voit le gros loquet se
+soulever de lui-même, en grinçant; la porte s'entrebâille
+pour livrer passage à une petite vieille habillée de vert et
+coiffée d'un chaperon rouge. Elle est bossue, boiteuse,
+borgne; le nez et le menton se rencontrent, et elle marche
+courbée sur un bâton. Il n'est pas douteux que ce ne soit
+une fée.]</p></blockquote>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Avez-vous ici l'herbe qui chante ou l'oiseau qui est bleu?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Nous avons de l'herbe, mais elle ne chante pas....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Tyltyl a un oiseau.</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais je ne peux pas le donner....</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Pourquoi?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Parce qu'il est à moi.</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>C'est une raison, bien sûr. Où est-il, cet oiseau?...</p>
+
+<p>TYLTYL, [montrant la cage.]</p>
+
+<p>Dans la cage....</p>
+
+<p>LA FÉE, [mettant ses besicles pour examiner l'oiseau.]</p>
+
+<p>Je n'en veux pas; il n'est pas assez bleu. Il faudra que vous
+m'alliez chercher celui dont j'ai besoin.</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais je ne sais pas où il est....</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Moi non plus. C'est pourquoi il faut le chercher. Je puis à la
+rigueur me passer de l'herbe qui chante; mais il me faut
+absolument l'Oiseau Bleu. C'est pour ma petite fille qui est très
+malade.</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce qu'elle a?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>On ne sait pas au juste; elle voudrait être heureuse....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ah?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Savez-vous qui je suis?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Vous ressemblez un peu à notre voisine, Madame Berlingot....</p>
+
+<p>LA FÉE, se fâchant subitement.</p>
+
+<p>En aucune façon.... Il n'y a aucun rapport.... C'est
+abominable!... Je suis la Fée Bérylune....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ah! très bien....</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Il faudra partir tout de suite.</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Vous viendrez avec nous?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>C'est absolument impossible à cause du pot-au-feu que j'ai mis ce
+matin et qui s'empresse de déborder chaque fois que je m'absente
+plus d'une heure.... [Montrant successivement le plafond, la
+cheminée et la fenêtre.] Voulez-vous sortir par ici, par là ou
+par là?...</p>
+
+<p>TYLTYL, [montrant timidement la porte.]</p>
+
+<p>J'aimerais mieux sortir par là....</p>
+
+<p>LA FÉE, [se fâchant encore subitement.]</p>
+
+<p>C'est absolument impossible, et c'est une habitude révoltante!...
+[Indiquant la fenêtre.] Nous sortirons par là.... Eh bien!...
+Qu'attendez-vous?... Habillez-vous tout de suite.... [Les enfants
+obéissent et s'habillent rapidement.] Je vais aider Mytyl....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Nous n'avons pas de souliers....</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Ça n'a pas d'importance. Je vais vous donner un petit chapeau
+merveilleux. Où sont donc vos parents?...</p>
+
+<p>TYLTYL, [montrant la porte à droite.]</p>
+
+<p>Ils sont là; ils dorment....</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Et votre bon-papa et votre bonne-maman?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ils sont morts....</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Et vos petits frères et vos petites sœurs.... Vous en
+avez?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui, oui; trois petits frères....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Et quatre petites sœurs....</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Où sont-ils?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ils sont morts aussi....</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Voulez-vous les revoir?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oh oui!... Tout de suite!... Montrez-les!...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Je ne les ai pas dans ma poche.... Mais ça tombe à merveille;
+vous les reverrez en passant par le pays du Souvenir. C'est sur
+la route de l'Oiseau-Bleu. Tout de suite à gauche, après le
+troisième carrefour.&mdash;Que faisiez-vous quand j'ai frappé?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Nous jouions à manger des gâteaux.</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Vous avez des gâteaux?... Où sont-ils?</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Dans le palais des enfants riches.... Venez voir, c'est si
+beau!...</p>
+
+<blockquote><p>[Il entraîne la Fée vers la fenêtre.] </p></blockquote>
+
+<p>LA FÉE, à la fenêtre.</p>
+
+<p>Mais ce sont les autres qui les mangent!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui; mais puisqu'on voit tout....</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Tu ne leur en veux pas?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Pourquoi?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Parce qu'ils mangent tout. Je trouve qu'ils ont grand tort de ne
+pas t'en donner....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais non, puisqu'ils sont riches.... Hein? que c'est beau chez
+eux!...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Ce n'est pas plus beau que chez toi.</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Heu!... Chez nous c'est plus noir, plus petit, sans gâteaux....</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>C'est absolument la même chose; c'est que tu n'y vois pas....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais si, j'y vois très bien, et j'ai de très bons yeux. Je lis
+l'heure au cadran de l'église que papa ne voit pas....</p>
+
+<p>LA FÉE, [se fâchant subitement.]</p>
+
+<p>Je te dis que tu n'y vois pas!... Comment donc me vois-tu?...
+Comment donc suis-je faite?... [Silence gêné de Tyltyl.] Eh bien,
+répondras-tu? que je sache si tu vois?... Suis-je belle ou bien
+laide?... [Silence de plus en plus embarrassé.] Tu ne veux pas
+répondre?... Suis-je jeune ou bien veille?... Suis-je rose ou
+bien jaune?... j'ai peut-être une bosse?...</p>
+
+<p>TYLTYL, [conciliant.]</p>
+
+<p>Non, non, elle n'est pas grande....</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Mais si, à voir ton air, on la croirait énorme.... Ai-je le nez
+crochu et l'œil gauche crevé?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Non, non, je ne dis pas.... Qui est-ce qui l'a crevé?...</p>
+
+<p>LA FÉE, de plus en plus irritée.</p>
+
+<p>Mais il n'est pas crevé!... Insolent! misérable!... Il est plus
+beau que l'autre; il est plus grand, plus clair, il est bleu
+comme le ciel.... Et mes cheveux, vois-tu?... Ils sont blonds
+comme les blés.... on dirait de l'or vierge!... Et j'en ai tant
+et tant que la tête me pèse.... Ils s'échappent de partout....
+Les vois-tu sur mes mains?...</p>
+
+<blockquote><p>[Elle étale deux maigres mèches de cheveux gris.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui, j'en vois quelques-uns....</p>
+
+<p>LA FÉE, [indignée.]</p>
+
+<p>Quelques-uns!... Des gerbes! des brassées! des touffes! des flots
+d'or!... Je sais bien que des gens disent qu'ils n'en voient
+point; mais tu n'es pas de ces méchantes gens aveugles, je
+suppose?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Non, non, je vois très bien ceux qui ne se cachent point....</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Mais il faut voir les autres avec la même audace!... C'est bien
+curieux, les hommes.... Depuis la mort des fées, ils n'y voient
+plus du tout et ne s'en doutent point.... Heureusement que j'ai
+toujours sur moi tout ce qu'il faut pour rallumer les yeux
+éteints.... Qu'est-ce que je tire de mon sac?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oh! le joli petit chapeau vert!... Qu'est-ce qui brille ainsi sur
+la cocarde?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>C'est le gros Diamant qui fait voir....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ah!...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Oui; quand on a le chapeau sur la tête, on tourne un peu le
+Diamant: de droite à gauche, par exemple, tiens, comme ceci,
+vois-tu?... Il appuie alors sur une bosse de la tête que personne
+ne connaît, et qui ouvre les yeux....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ça ne fait pas de mal?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Au contraire, il est fée.... On voit à l'instant même ce qu'il y
+a dans les choses; l'âme du pain, du vin, du poivre, par
+exemple....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'on voit aussi l'âme du sucre?...</p>
+
+<p>LA FÉE, [subitement fâchée.]</p>
+
+<p>Cela va sans dire!... Je n'aime pas les questions inutiles....
+L'âme du sucre n'est pas plus intéressante que celle du
+poivre.... Voilà, je vous donne ce que j'ai pour vous aider dans
+la recherche de l'Oiseau-Bleu.... Je sais bien que
+l'Anneau-qui-rend-invisible ou le Tapis-Volant vous seraient plus
+utiles.... Mais j'ai perdu la clef de l'armoire où je les ai
+serrés.... Ah! j'allais oublier.... [Montrant le Diamant.] Quand
+on le tient ainsi, tu vois.... un petit tour de plus, on revoit
+le Passé.... Encore un petit tour, et l'on voit l'Avenir....
+C'est curieux et pratique et ça ne fait pas de bruit....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Papa me le prendra....</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Il ne le verra pas; personne ne peut le voir tant qu'il est sur
+ta tête.... Veux-tu l'essayer?... [Elle coiffe Tyltyl du petit
+chapeau vert.] A présent, tourne le Diamant.... Un tour et puis
+après....</p>
+
+<blockquote><p>[A peine Tyltyl a-t-il tourné le Diamant, qu'un changement
+soudain et prodigieux s'opère en toutes choses. La vieille
+fée est tout à coup une belle princesse merveilleuse; les
+cailloux dont sont bâtis les murs de la cabane s'illuminent,
+bleuissent comme des saphirs, deviennent transparents,
+scintillent, éblouissent à l'égal des pierres les plus
+précieuses. Le pauvre mobilier s'anime et resplendit; la
+table de bois blanc s'affirme aussi grave, aussi noble
+qu'une table de marbre, le cadran de l'horloge cligne de
+l'œil et sourit avec aménité, tandis que la porte
+derrière quoi va et vient le balancier s'entr'ouvre et
+laisse s'échapper les Heures, qui, se tenant les mains et
+riant aux éclats, se mettent à danser aux sons d'une musique
+délicieuse. Effarement légitime de Tyltyl qui s'écrie en
+montrant les Heures.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est que toutes ces belles dames?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>N'aie pas peur; ce sont les heures de ta vie qui sont heureuses
+d'être libres et visibles un instant....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et pourquoi que les murs sont si clairs?... Est-ce qu'ils sont en
+sucre ou en pierres précieuses?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Toutes les pierres sont pareilles, toutes les pierres sont
+précieuses: mais l'homme n'en voit que quelques-unes....</p>
+
+<blockquote><p>[Pendant qu'ils parlent ainsi, la féerie continue et se
+complète. Les âmes des Pains-de-quatre-livres, sous la forme
+de bonshommes en maillots couleur croûte-de-pain, ahuris et
+poudrés de farine, se dépêtrent de la huche et gambadent
+autour de la table où ils sont rejoints par le Feu, qui,
+sorti de l'âtre en maillot soufre et vermillon, les poursuit
+en se tordant de rire.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est que ces vilains bonshommes?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Rien de grave; ce sont les âmes des Pains-de-quatre-livres qui
+profitent du règne de la vérité pour sortir de la huche où elles
+se trouvaient à l'étroit....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et le grand diable rouge qui sent mauvais?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Chut!... Ne parle pas trop haut, c'est le Feu.... Il a mauvais
+caractère.</p>
+
+<blockquote><p>[Ce dialogue n'a pas interrompu la féerie. Le Chien et la
+Chatte, couchés en rond au pied de l'armoire, poussant
+simultanément un grand cri, disparaissent dans une trappe,
+et à leur place surgissent deux personnages, dont l'un porte
+un masque de bouledogue, et l'autre une tête de chatte.
+Aussitôt, le petit homme au masque de bouledogue&mdash;que nous
+appellerons dorénavant le Chien&mdash;se précipite sur Tyltyl
+qu'il embrasse violemment et accable île bruyantes et
+impétueuses caresses, cependant que la petite femme au
+masque de chatte&mdash;que nous appellerons plus simplement la
+Chatte&mdash;se donne un coup de peigne, se lave les mains et se
+lisse la moustache, avant de s'approcher de Mytyl.] </p></blockquote>
+
+<p>LE CHIEN, [hurlant, sautant, bousculant tout, insupportable.]</p>
+
+<p>Mon petit dieu!... Bonjour! bonjour, mon petit dieu!... Enfin,
+enfin, on peut parler! J'avais tant de choses à te dire!...
+J'avais beau aboyer et remuer la queue!... Tu ne comprenais
+pas!... Mais maintenant!... Bonjour! bonjour!... Je t'aime!... Je
+t'aime!... Veux-tu que je fasse quelque chose d'étonnant?...
+Veux-tu que je fasse le beau?... Veux-tu que je marche sur les
+mains ou que je danse à la corde?...</p>
+
+<p>TYLTYL, à la Fée.</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est que ce monsieur à tête de chien?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Mais tu ne vois donc pas?... C'est l'âme de Tylô que tu as
+délivrée....</p>
+
+<p>LA CHATTE, [s'approchant de Mytyl et lui tendant la main,
+cérémonieusement, avec circonspection.]</p>
+
+<p>Bonjour, Mademoiselle.... Que vous êtes jolie ce matin!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Bonjour, Madame.... [A la Fée.] Qui est-ce?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>C'est facile à voir; c'est l'âme de Tylette qui te tend la
+main.... Embrasse-la....</p>
+
+<p>LE CHIEN, [bousculant la Chatte.]</p>
+
+<p>Moi aussi!... J'embrasse le petit dieu!... J'embrasse la petite
+fille!... J'embrasse tout le monde!... Chic!... On va
+s'amuser!... Je vais faire peur à Tylette!... Hou! hou! hou!...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Monsieur, je ne vous connais pas....</p>
+
+<p>LA FÉE, [menaçant le Chien de sa baguette.]</p>
+
+<p>Toi, tu vas te tenir bien tranquille; sinon tu rentreras dans le
+silence, jusqu'à la fin des temps....</p>
+
+<blockquote><p>[Cependant, la féerie a poursuivi son cours: le Rouet s'est
+mis à tourner vertigineusement dans son coin en filant de
+splendides rayons de lumière; la Fontaine, dans l'autre
+angle, se prend à chanter d'une voix sur-aiguë et, se
+transformant en fontaine lumineuse, inonde l'évier de nappes
+de perles et d'émeraudes, à travers lesquelles s'élance
+l'âme de l'Eau, pareille à une jeune fille ruisselante,
+échevelée, pleurarde, qui va incontinent se battre avec le
+feu.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et la dame mouillée?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>N'aie pas peur, c'est l'Eau qui sort du robinet....</p>
+
+<blockquote><p>[Le Pot-au-lait se renverse, tombe de la table, se brise sur
+le sol; et du lait répandu s'élève une grande forme blanche
+et pudibonde qui semble avoir peur de tout.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et la dame en chemise qui a peur?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>C'est le Lait qui a cassé son pot....</p>
+
+<blockquote><p>[Le Pain-de-sucre posé au pied de l'armoire grandit,
+s'élargit et crève son enveloppe de papier d'où émerge un
+être doucereux: et papelard, vêtu d'une souquenille
+mi-partie de blanc et de bleu, qui, souriant béatement,
+s'avance vers Mytyl.] </p></blockquote>
+
+<p>MYTYL, [avec inquiétude.]</p>
+
+<p>Que veut-il?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Mais c'est l'âme du Sucre!...</p>
+
+<p>MYTYL, [rassurée.]</p>
+
+<p>Est-ce qu'il a des sucres d'orge?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Mais il n'a que ça dans ses poches, et chacun de ses doigts en
+est un....</p>
+
+<blockquote><p>[La Lampe tombe de la table, et aussitôt tombée, sa flamme
+se redresse et se transforme en une lumineuse vierge d'une
+incomparable beauté. Elle est vêtue de longs voiles
+transparents et éblouissants, et se tient immobile en une
+sorte d'extase.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est la Reine!</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>C'est la Sainte Vierge!...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Non, mes enfants, c'est la Lumière....</p>
+
+<blockquote><p>[Cependant, les casseroles, sur les rayons, tournent comme
+des toupies hollandaises, l'armoire à linge claque ses
+battants et commence un magnifique déroulement d'étoffes
+couleur de lune et de soleil, auquel se mêlent, non moins
+splendides, des chiffons et des guenilles qui descendent
+l'échelle du grenier. Mais voici que trois coups assez rudes
+sont frappés à la porte de droite.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL, [effrayé.]</p>
+
+<p>C'est papa!... Il nous a entendus!...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Tourne le Diamant!... De gauche à droite!...</p>
+
+<p>[Tyltyl tourne vivement le diamant.] Pas si vite!... Mon Dieu! Il
+est trop tard!... Tu l'as tourné trop brusquement. Ils n'auront
+pas le temps de reprendre leur place, et nous aurons bien des
+ennuis.... [La Fée redevient vieille femme, les murs de la cabane
+éteignent leurs splendeurs, les Heures rentrent dans l'horloge,
+le Rouet s'arrête, etc. Mais dans la hâte et le désarroi général,
+tandis que le Feu court follement autour de la pièce, à la
+recherche de la cheminée, un des Pains-de-quatre-livres, qui n'a
+pu retrouver place dans la huche, éclate en sanglots tout en
+poussant des rugissements d'épouvante.] Qu'y a-t-il?...</p>
+
+<p>LE PAIN, [tout en larmes.]</p>
+
+<p>Il n'y a plus de place dans la huche!...</p>
+
+<p>LA FÉE, [se penchant sur la huche.]</p>
+
+<p>Mais si, mais si.... [Poussant les autres pains qui ont repris
+leur place primitive.] Voyons, vite, rangez-vous....</p>
+
+<blockquote><p>[On heurte encore la porte.] </p></blockquote>
+
+<p>LE PAIN, [éperdu, s'efforçant vainement d'entrer dans la huche.]</p>
+
+<p>Il n'y a pas moyen!... Il me mangera le premier!...</p>
+
+<p>LE CHIEN, [gambadant autour de Tyltyl.]</p>
+
+<p>Mon petit dieu!... Je suis encore ici!... Je puis encore parler!
+Je puis encore t'embrasser!... Encore! encore! encore!...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Comment, toi aussi?... Tu es encore là?...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>J'ai de la veine.... Je n'ai pas pu rentrer dan le silence; la
+trappe s'est refermée trop vite..</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>La mienne aussi.... Que va-t-il arriver?... Est-ce que c'est
+dangereux?</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Mon Dieu, je dois vous dire la vérité: tous ceux qui
+accompagneront les deux enfants, mourront à la fin du voyage....</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Et ceux qui ne les accompagneront pas?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Ils survivront quelques minutes....</p>
+
+<p>LA CHATTE, [au Chien.]</p>
+
+<p>Viens, rentrons dans la trappe....</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Non, non!... Je ne veux pas!... Je veux accompagner le petit
+dieu!... Je veux lui parler tout le temps!...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Imbécile!...</p>
+
+<blockquote><p>[On heurte encore à la porte.] </p></blockquote>
+
+<p>LE PAIN, [pleurant à chaudes larmes.]</p>
+
+<p>Je ne veux pas mourir à la fin du voyage!... Je veux rentrer tout
+de suite dans ma huche!...</p>
+
+<p>LE FEU, [qui n'a cessé de parcourir vertigineusement la pièce en
+poussant des sifflements d'angoisse.]</p>
+
+<p>Je ne trouve plus ma cheminée!...</p>
+
+<p>L'EAU, [qui tente vainement de rentrer dans le robinet.]</p>
+
+<p>Je ne peux plus rentrer dans le robinet!...</p>
+
+<p>LE SUCRE, [qui s'agite autour de son enveloppe de papier.]</p>
+
+<p>J'ai crevé mon papier d'emballage!...</p>
+
+<p>LE LAIT, [lymphatique et pudibond.]</p>
+
+<p>On a cassé mon petit pot!...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Sont-ils bêtes, mon Dieu!... Sont-ils bêtes et poltrons!... Vous
+aimeriez donc mieux continuer de vivre dans vos vilaines boîtes,
+dans vos trappes et dans vos robinets que d'accompagner les
+enfants qui vont chercher l'Oiseau?...</p>
+
+<p>TOUS, [à l'exception du Chien et de la Lumière.]</p>
+
+<p>Oui! oui! Tout de suite!... Mon robinet!... Ma huche!... Ma
+cheminée!... Ma trappe!...</p>
+
+<p>LA FÉE, [à la Lumière qui regarde rêveusement les débris de sa
+lampe.]</p>
+
+<p>Et toi, la Lumière, qu'en dis-tu?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>J'accompagnerai les enfants....</p>
+
+<p>LE CHIEN, [hurlant de joie.]</p>
+
+<p>Moi aussi! moi aussi!...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Voilà qui est des mieux. Du reste, il est trop tard pour reculer;
+vous n'avez plus le choix, vous sortirez tous avec nous.... Mais
+toi, le Feu, ne t'approche de personne, toi, le Chien, ne taquine
+pas la Chatte, et toi, l'eau, tiens-toi droite et tâche de ne pas
+couler partout....</p>
+
+<p>[Des coups violents sont encore frappés à la porte de droite.]</p>
+
+<p>TYLTYL, [écoutant.]</p>
+
+<p>C'est encore papa!... Cette fois, il se lève, je l'entends
+marcher....</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Sortons par la fenêtre.... Vous viendrez tous chez moi, où
+j'habillerai convenablement les animaux et les phénomènes.... [Au
+Pain.] Toi, le Pain, prends la cage dans laquelle on mettra
+l'Oiseau-Bleu.... Tu en auras la garde.... Vite, vite, ne perdons
+pas de temps....</p>
+
+<blockquote><p>[La fenêtre s'allonge brusquement, comme une porte. Ils
+sortent tous, après quoi la fenêtre reprend sa forme
+primitive et se referme innocemment. La chambre est
+redevenue obscure, et les deux petits lits sont plongés dans
+l'ombre. La porte à droite s'entr'ouvre, et dans
+l'entrebâillement paraissent les têtes du père et de la mère
+Tyl.] </p></blockquote>
+
+<p>LE PÈRE TYL</p>
+
+<p>Ce n'était rien.... C'est le grillon qui chante....</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Tu les vois?...</p>
+
+<p>LE PÈRE TYL</p>
+
+<p>Bien sûr.... Ils dorment tranquillement....</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Je les entends respirer....</p>
+
+<p>[La porte se referme.]</p>
+
+<p>RIDEAU</p>
+
+
+
+<hr style="width: 65%;" />
+<h3><a name="ACTE_DEUXIEME" id="ACTE_DEUXIEME"></a>ACTE DEUXIÈME</h3>
+
+
+
+<hr style="width: 45%;" />
+<h3><a name="DEUXIEME_TABLEAU" id="DEUXIEME_TABLEAU"></a>DEUXIÈME TABLEAU</h3>
+
+<h4>CHEZ LA FÉE</h4>
+
+
+<p>Un magnifique vestibule dans le palais de la Fée Bérylune.
+Colonnes de marbre clair à chapiteaux d'or et d'argent,
+escaliers, portiques, balustrades, etc.</p>
+
+<hr style="width: 45%;" />
+
+<blockquote><p>[Entrent au fond, à droite, somptueusement habillés, la
+Chatte, le Sucre et le Feu. Ils sortent d'un appartement
+d'où émanent des rayons de lumière; c'est la garde-robe de
+la Fée. La Chatte a jeté une gaze légère sur son maillot de
+soie noire, le Sucre a revêtu une robe de soie, mi-partie de
+blanc et de bleu tendre, et le Feu, coiffé d'aigrettes
+multicolores, un long manteau cramoisi doublé d'or. Ils
+traversent toute la salle et descendent au premier plan, à
+droite, où la Chatte les réunit sous un portique.] </p></blockquote>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Par ici. Je connais tous les détours de ce palais.... La Fée
+Bérylune l'a hérité de Barbe-Bleue.... Pendant que les enfants
+et la Lumière rendent visite à la petite fille de la Fée,
+profitons de notre dernière minute de liberté.... Je vous ai fait
+venir ici, afin de vous entretenir de la situation qui nous est
+faite.... Sommes-nous tous présents?...</p>
+
+<p>LE SUCRE</p>
+
+<p>Voici le Chien qui sort de la garde-robe de la Fée....</p>
+
+<p>LE FEU</p>
+
+<p>Comment diable s'est-il habillé?...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Il a pris la livrée d'un des laquais du carrosse de
+Cendrillon.... C'est bien ce qu'il lui fallait.... Il a une âme
+de valet.... Mais dissimulons-nous derrière la balustrade.... Je
+m'en méfie étrangement.... Il vaudrait mieux qu'il n'entende pas
+ce que j'ai à vous dire....</p>
+
+<p>LE SUCRE</p>
+
+<p>C'est inutile.... Il nous a éventés.... Tiens, voilà l'Eau qui
+sort en même temps de la garde-robe.... Dieu! qu'elle est
+belle!...</p>
+
+<blockquote><p>[Le Chien et l'Eau rejoignent le premier groupe.]</p></blockquote>
+
+<p>LE CHIEN, gambadant.</p>
+
+<p>Voilà! voilà!... Sommes-nous beaux! Regardez donc ces dentelles,
+et puis ces broderies!... C'est de l'or et du vrai!...</p>
+
+<p>LA CHATTE, [à l'Eau.]</p>
+
+<p>C'est la robe «couleur-du-temps» de Peau-d'Âne?... Il me semble
+que je la connais....</p>
+
+<p>L'EAU</p>
+
+<p>Oui, c'est encore ce qui m'allait le mieux....</p>
+
+<p>LE FEU, [entre les dents.]</p>
+
+<p>Elle n'a pas son parapluie....</p>
+
+<p>L'EAU</p>
+
+<p>Vous dites?...</p>
+
+<p>LE FEU</p>
+
+<p>Rien, rien....</p>
+
+<p>L'EAU</p>
+
+<p>Je croyais que vous parliez d'un gros nez rouge que j'ai vu
+l'autre jour....</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Voyons, ne nous querellons pas, nous avons mieux à faire.... Nous
+n'attendons plus que le Pain: où est-il?...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Il n'en finissait pas de faire de l'embarras pour choisir son
+costume....</p>
+
+<p>LE FEU</p>
+
+<p>C'est bien la peine, quand on a l'air idiot et qu'on porte un
+gros ventre....</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Finalement, il s'est décidé pour une robe turque, ornée de
+pierreries, un cimeterre et un turban....</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Le voilà!... Il a mis la plus belle robe de Barbe-Bleue....</p>
+
+<blockquote><p>[Entre le Pain, dans le costume qu'on vient de décrire. La
+robe de soie est péniblement croisée sur son énorme ventre.
+Il tient d'une main la garde du cimeterre passé dans sa
+ceinture et de l'autre la cage destinée à l'Oiseau-Bleu.] </p></blockquote>
+
+<p>LE PAIN, [se dandidant vaniteusement.]</p>
+
+<p>Eh bien?... Comment me trouvez-vous?...</p>
+
+<p>LE CHIEN, [gambadant autour du Pain.]</p>
+
+<p>Qu'il est beau! qu'il est bête! qu'il est beau! qu'il est
+beau!...</p>
+
+<p>LA CHATTE, [au Pain.]</p>
+
+<p>Les enfants sont-ils habillés?...</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>Oui, Monsieur Tyltyl a pris la veste rouge, les bas blancs et la
+culotte bleue du Petit-Poucet; quant à Mademoiselle Mytyl, elle a
+la robe de Grethel et les pantoufles de Cendrillon.... Mais la
+grande affaire, ç'a été d'habiller la Lumière!...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Pourquoi?...</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>La Fée la trouvait si belle qu'elle ne voulait pas l'habiller du
+tout!... Alors j'ai protesté au nom de notre dignité d'éléments
+essentiels et éminemment respectables; et j'ai fini par déclarer
+que, dans ces conditions, je refusais de sortir avec elle....</p>
+
+<p>LE FEU</p>
+
+<p>Il fallait lui acheter un abat-jour!...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Et la Fée, qu'a-t-elle répondu?...</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>Elle m'a donné quelques coups de bâton sur la tête et le
+ventre....</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Et alors?...</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>Je fus promptement convaincu, mais au dernier moment, la Lumière
+s'est décidée pour la robe «couleur-de-lune» qui se trouvait au
+fond du coffre aux trésors de Peau-d'Ane....</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Voyons, c'est assez bavardé, le temps presse.... Il s'agit de
+notre avenir.... Vous l'avez entendu, la Fée vient de le dire, la
+fin de ce voyage marquera en même temps la fin de notre vie....
+Il s'agit donc de le prolonger autant que possible et par tous
+les moyens possibles.... Mais il y a encore autre chose; il faut
+que nous pensions au sort de notre race et à la destinée de nos
+enfants....</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>Bravo! bravo!... La Chatte a raison!...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Écoutez-moi.... Nous tous ici présents, animaux, choses et
+éléments, nous possédons une âme que l'homme ne connaît pas
+encore. C'est pourquoi nous gardons un reste d'indépendance;
+mais, s'il trouve l'Oiseau-Bleu, il saura tout, il verra tout, et
+nous serons complètement à sa merci.... C'est ce que vient de
+m'apprendre ma vieille amie la Nuit, qui est en même temps la
+gardienne des mystères de la Vie.... Il est donc de notre intérêt
+d'empêcher à tout prix qu'on ne trouve cet oiseau, fallût-il
+aller jusqu'à mettre en péril la vie même des enfants....</p>
+
+<p>LE CHIEN, indigné.</p>
+
+<p>Que dit-elle, celle-là?... Répète un peu que j'entende bien ce
+que c'est?</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>Silence!... Vous n'avez pas la parole!... Je préside
+l'assemblée....</p>
+
+<p>LE FEU</p>
+
+<p>Qui vous a nommé président?...</p>
+
+<p>L'EAU, [au Feu.]</p>
+
+<p>Silence!... De quoi vous mêlez-vous?...</p>
+
+<p>LE FEU</p>
+
+<p>Je me mêle de ce qu'il faut.... Je n'ai pas d'observations à
+recevoir de vous....</p>
+
+<p>LE SUCRE, [conciliant.]</p>
+
+<p>Permettez.... Ne nous querellons point.... L'heure est grave....
+Il s'agit avant tout de s'entendre sur les mesures à prendre....</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>Je partage entièrement l'avis du Sucre et de la Chatte....</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>C'est idiot!... Il y a l'Homme, voilà tout!... Il faut lui obéir
+et faire tout ce qu'il veut!... Il n'y a que ça de vrai.... Je ne
+connais que lui!... Vive l'Homme!... A la vie, à la mort, tout
+pour l'Homme!... l'Homme est dieu!...</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>Je partage entièrement l'avis du Chien.</p>
+
+<p>LA CHATTE, [au Chien.]</p>
+
+<p>Mais on donne ses raisons....</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Il n'y a pas de raisons!... J'aime l'Homme, ça suffit!... Si vous
+faites quelque chose contre lui, je vous étranglerai d'abord et
+j'irai tout lui révéler....</p>
+
+<p>LE SUCRE, [intervenant avec douceur.]</p>
+
+<p>Permettez.... N'aigrissons pas la discussion.... D'un certain
+point de vue, vous avez raison, l'un et l'autre.... Il y a le
+pour et le contre....</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>Je partage entièrement l'avis du Sucre!...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Est-ce que tous ici, l'Eau, le Feu, et vous-mêmes le Pain et le
+Chien, nous ne sommes pas victimes d'une tyrannie sans nom?...
+Rappelez-vous le temps où, avant la venue du despote, nous
+errions librement sur la face de la Terre.... l'Eau et le Feu
+étaient les seuls maîtres du monde; et voyez ce qu'ils sont
+devenus!... Quant à nous, les chétifs descendants des grands
+fauves.... Attention!... N'ayons l'air de rien.... Je vois
+s'avancer la Fée et la Lumière.... La Lumière s'est mise du parti
+de l'Homme; c'est notre pire ennemie.... Les voici....</p>
+
+<blockquote><p>[Entrent à droite, la Fée et la Lumière, suivies de Tyltyl
+et de Mytyl.] </p></blockquote>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Eh bien?... qu'est-ce que c'est?... Que faites-vous dans ce
+coin?... Vous avez l'air de conspirer.... Il est temps de se
+mettre en route.... Je viens de décider que la Lumière sera votre
+chef.... Vous lui obéirez tous comme à moi-même et je lui confie
+ma baguète.... Les enfants visiteront ce soir leurs grand-parents
+qui sont morts.... Vous ne les accompagnerez pas, par discrétion....
+Ils passeront la soirée au sein de leur famille décédée....
+Pendant ce temps, vous préparerez tout ce qu'il faut pour l'étape
+de demain, qui sera longue.... Allons, debout, en route et chacun
+à son poste!...</p>
+
+<p>LA CHATTE, [hypocritement.]</p>
+
+<p>C'est tout juste ce que je leur disais, Madame la Fée.... Je les
+exhortais à remplir consciencieusement et courageusement tout
+leur devoir; malheureusement, le Chien qui ne cessait de
+m'interrompre....</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Que dit-elle?... Attends un peu!...</p>
+
+<blockquote><p>[Il va bondir sur la chatte, mais Tyltyl, qui a prévenu son
+mouvement, l'arrête d'un geste menaçant.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>A bas, Tylô!... Prends garde; et s'il t'arrive encore une seul
+fois de....</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Mon petit dieu, tu ne sais pas, c'est elle qui....</p>
+
+<p>TYLTYL, [le menaçant.]</p>
+
+<p>Tais-toi!...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Voyons, finissons-en.... Que le Pain, ce soir, remette la cage à
+Tyltyl.... Il est possible que l'Oiseau-Bleu se cache dans le
+Passé, chez les grands-parents.... En tout cas, c'est une chance
+qu'il convient de ne point négliger.... Eh bien, le Pain, cette
+cage?...</p>
+
+<p>LE PAIN, [solennel.]</p>
+
+<p>Un instant, s'il vous plaît, Madame le Fée.... [Comme un orateur
+qui prend la parole.] Vous tous, soyez temoins que cette cage
+d'argent qui me fut confiée par....</p>
+
+<p>LA FÉE, [l'interrompant].</p>
+
+<p>Assez!... Pas de phrases.... Nous sortirons par là, tandis que
+les enfants sortiront par ici....</p>
+
+<p>TYLTYL, [avec inquiet.]</p>
+
+<p>Nous sortirons tout seuls?...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>J'ai faim!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Moi aussi!...</p>
+
+<p>LA FÉE, [au Pain.]</p>
+
+<p>Ouvre ta robe turque et donne leur une tranche de ton bon ventre.</p>
+
+<blockquote><p>[Le Pain ouvre sa robe, tire son cimeterre et coupe, à même
+son gros ventre, deux tartines qu'il offre aux enfants.] </p></blockquote>
+
+<p>LE SUCRE, [s'approchant des enfants.]</p>
+
+<p>Permettez-moi de vous offrir en même temps quelques sucres
+d'orge....</p>
+
+<blockquote><p>[Il casse un à un les cinq doigts de sa main gauche et les
+leur présente.] </p></blockquote>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce qu'il fait?... Il casse tous ses doigts....</p>
+
+<p>LE SUCRE, [engageant.]</p>
+
+<p>Goûtez-les, ils sont excellents.... C'est de vrais sucres
+d'orge....</p>
+
+<p>MYTYL, [suçant un des doigts.]</p>
+
+<p>Dieu qu'il est bon!... Est-ce que tu en as beaucoup?...</p>
+
+<p>LE SUCRE, [modeste.]</p>
+
+<p>Mais qui, tant que je veux....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Est-ce que ça te fait mal quand tu les casses ainsi?...</p>
+
+<p>LE SUCRE</p>
+
+<p>Pas du tout.... Au contraire; c'est très avantageux, ils
+repoussent tout de suite, et de cette façon, j'ai toujours des
+doigts propres et neufs....</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Voyons, mes enfants, ne mangez pas trop de sucre. N'oubliez pas
+que vous souperez tout à l'heure chez vos grands-parents....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ils sont ici?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Vous allez les voir à l'instant....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Comment les verrons-nous, puisqu'ils sont morts?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Comment seraient-ils morts puisqu'ils vivent dans votre
+souvenir?... Les hommes ne savent pas ce secret parce qu'ils
+savent bien peu de chose; au lieu que toi, grâce au Diamant, tu
+vas voir que les morts dont on se souvient aussi heureux que
+s'ils n'étaient point morts....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>La Luminière vient avec nous?...</p>
+
+<p>LA LUMINIÈRE</p>
+
+<p>Non, il est plus convenable que cela se passe en famille....
+J'attendrai ici près pour ne point paraître indiscrète.... Ils ne
+m'ont pas invitée.</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Par où faut-il aller?...</p>
+
+<p>LA FÉE</p>
+
+<p>Par là.... Vous êtes au seuil du «Pays du Souvenir». Dès que tu
+auras tourné le Diamant, tu verras un gros arbre muni d'un
+écriteau, qui te montrera que tu es arrivé.... Mais n'oubliez pas
+que vous devez être rentré tous les deux à neuf heures moins le
+quart.... C'est extrêmement important.... Surtout soyez exacts,
+car tout serait perdu si vous vous mettiez en retard.... A
+bientôt.... [Appelant la Chatte, le Chien, la Lumière, etc.] Par
+ici.... Et les petits par là....</p>
+
+<p>Elle sort à droite avec la Lumière, les animaux, etc., tandis que
+les enfants sortent à gauche.</p>
+
+
+<p>RIDEAU</p>
+
+
+
+<hr style="width: 65%;" />
+<h3><a name="TROISIEME_TABLEAU" id="TROISIEME_TABLEAU"></a>TROISIÈME TABLEAU</h3>
+
+<h4>LE PAYS DU SOUVENIR</h4>
+
+
+<p>Un épais brouillard d'où émerge, à droite, au tout premier plan,
+le tronc d'un gros chêne muni d'un écriteau. Clarté laiteuse,
+diffuse, impénétrable.</p>
+
+<hr style="width: 45%;" />
+
+<blockquote><p>[Tyltyl et Mytyl se trouvent au pied du chêne.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Voici l'arbre!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Il y a l'écriteau!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Je ne peux pas lire.... Attends, je vais monter sur cette
+racine.... C'est bien ça.... C'est écrit: «Pays du Souvenir».</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>C'est ici qu'il commence?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qui, il y a une flèche....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Eh bien, ou qu'ils sont, bon-papa et bonne-maman?</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Derrière le brouillard.... Nous allons voir....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Je ne vois rien du tout!... Je ne vois plus mes pieds ni mes
+mains .. [Pleurnichant.] J'ai froid!... Je ne veux plus
+voyager.... Je veux rentrer à la maison....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Voyons, ne pleure pas tout le temps, comme l'Eau.... T'es pas
+honteuse? .. Une grande petite fille!... Regarde, le brouillard se
+lève déjà.... Nous allons voir ce qu'il y a dedans....</p>
+
+<blockquote><p>[En effet, la brume s'est mise en mouvement; elle s'allège,
+s'éclaire, se disperse, s'évapore. Bientôt, dans une lumière
+de plus en plus transparente, on découvre, sous une voûte de
+verdure, une riante maisonette de paysan, couverte de
+plantes grimpantes. Les fenêtres et la porte sont ouvertes.
+On voit des ruches d'abeilles sous un auvent, des pots de
+fleurs sur l'appui des croisées, une cage ou dort un merle,
+etc. Près de la porte un banc, sur lequel sont assis,
+profondément endormis, un vieux paysan et sa femme,
+c'est-à-dire le grand-père et la grand'mère de Tyltyl.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL, [les reconnaissant tout à coup.]</p>
+
+<p>C'est bon-papa et bonne-maman!...</p>
+
+<p>MYTYL, [battant des mains.]</p>
+
+<p>Qui! Qui!... C'est eux!... C'est eux!...</p>
+
+<p>TYLTYL, [encore un peu méfiant.]</p>
+
+<p>Attention!... On ne sait pas encore s'ils remuent.... Restons
+derrière l'arbre....</p>
+
+<blockquote><p>[Grand'maman Tyl ouvre les yeux, lève la tête, s'étire,
+pousse un soupir, regarde grand-papa Tyl qui lui aussi sort
+lentement de son sommeil.]</p></blockquote>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>J'ai idée que nos petits-enfants qui sont encore en vie nous
+venir voir aujourd'hui....</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Bien sûr, ils pensent à nous; car je me sens tout chose et j'ai
+des fourmis dans les jambes....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Je crois qu'ils sont tout proches, car des larmes de joie dansent
+avant mes yeux....</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Non, non; ils sont fort loin... Je me sens encore faible....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Je te dis qu'ils sont là; j'ai déjà toute ma force....</p>
+
+<p>TYLTYL et MYTYL, se précipitant de derrière le chêne.</p>
+
+<p>Nous voilà!... Nous voilà!... Bon-papa, bonne-maman!... C'est
+nous!... C'est nous!...</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Là!... Tu vois!... Qu'est-ce que je disais! J'étais sûr qu'ils
+viendraient aujourd'hui....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Tyltyl! Mytyl!... C'est toi!... C'est elle!... C'est eux!...
+[S'efforçant de courir au-devant d'eux.] Je ne peux pas
+courir!... J'ai toujours mes rhumatismes!</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL, [accourant de même en clopinant.]</p>
+
+<p>Moi non plus.... Rapport à ma jambe de bois qui remplace toujours
+celle que j'ai cassée en tombant du gros chêne....</p>
+
+<blockquote><p>[Les grands-parents et les enfants s'embrassent follement.] </p></blockquote>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Que tu es grandi et forci, mon Tyltyl!...</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL, [caressant les cheveux de Mytyl.]</p>
+
+<p>Et Mytyl!... Regarde donc!... Les beaux cheveux, les beaux
+yeux!... Et puis, ce qu'elle sent bon!...</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Embrassons-nous encore!... Venez sur mes genoux....</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Et moi, je n'aurai rien?...</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Non, non.... A moi d'abord.... Comment vont Papa et Maman Tyl?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Fort bien, bonne-maman.... Ils dormaient quand nous sommes
+sortis....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL, [les contemplant et les accablant de caresses.]</p>
+
+<p>Mon Dieu, qu'ils sont jolis et bien débarbouillés!... C'est maman
+qui t'a débarbouillé?... Et tes bas ne sont pas troués!... C'est
+moi qui les reprisais autrefois. Pourquoi ne venez-vous pas nous
+voir plus souvent?... Cela nous fait tant de plaisir!... Voilà
+des mois et des mois que vous nous oubliez et que nous ne voyons
+plus personne....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Nous ne pouvions pas, bonne-maman; et c'est grâce à la Fée
+qu'aujourd'hui....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Nous sommes toujours là, à attendre une petite visite de ceux qui
+vivent.... Ils viennent si rarement!... La dernière fois que vous
+êtes venus, voyons, c'était quand donc?... C'était à la
+Toussaint, quand la cloche de l'église a tinté....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>A la Toussaint?... Nous ne sommes pas sortis ce jour-là, car nous
+étions fort enrhumés....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Non, mais vous avez pensé à nous....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Eh bien, chaque fois que vous pensez à nous, nous nous réveillons
+et nous vous revoyons....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Comment, il suffit que....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Mais voyons, tu sais bien....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais non, je ne sais pas....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL, [à Grand-Papa Tyl.]</p>
+
+<p>C'est étonnant, là-haut.... Ils ne savent pas encore.... Ils
+n'apprennent donc rien?....</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>C'est comme de notre temps.... Les Vivants sont si bêtes quand
+ils parlent des Autres....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Vous dormez tout le temps?...</p>
+
+<p>GRAND PAPA TYL</p>
+
+<p>Oui, nous dormons pas mal, en attendant qu'une pensée des Vivants
+nous réveille.... Ah! c'est bien bon de dormir, quand la vie est
+finie.... Mais il est agréable aussi de s'éveiller de temps en
+temps....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Alors, vous n'êtes pas morts pour de vrai?...</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL, [sursautant.]</p>
+
+<p>Que dis-tu?... Qu'est-ce qu'il dit?... Voilà qu'il emploie des
+mots que nous ne comprenons plus.... Est-ce que c'est un mot
+nouveau, une invention nouvelle?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Le mot «mort»?...</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Oui; c'était ce mot-là.... Qu'est-ce que ça veut dire?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais ça veut dire qu'on ne vit plus....</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Sont-ils bêtes, là-haut!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'on est bien ici?...</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Mais oui; pas mal, pas mal; et même si l'on priait encore....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Papa m'a dit qu'il ne faut plus prier....</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Mais si, mais si.... Prier c'est se souvenir....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Oui, oui, tout irait bien, si seulement vous veniez nous voir
+plus souvent.... Te rappelles-tu, Tyltyl?... La dernière fois,
+j'avais fait une belle tarte aux pommes.... Tu en as mangé tant
+et tant que tu t'es fait du mal....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais je n'ai pas mangé de tarte aux pommes depuis l'année
+dernière.... Il n'y a pas eu de pommes cette année....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Ne dis pas de bêtises.... Ici il y en a toujours....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ce n'est pas la même chose....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Comment? Ce n'est pas la même chose?... Mais tout est la même
+chose puisqu'on peut s'embrasser....</p>
+
+<p>TYLTYL, [regardant tour à tour son grand-père et sa grand'mère.]</p>
+
+<p>Tu n'as pas changé, bon-papa, pas du tout, pas du tout.... Et
+bonne-maman non plus n'a pas changé du tout.... Mais vous êtes
+plus beaux....</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Eh! ça ne va pas mal.... Nous ne vieillissons plus.... Mais vous,
+grandissez-vous!... Ah! oui, vous poussez ferme!... Tenez, là,
+sur la porte, on voit encore la marque de la dernière fois....
+C'était à la Toussaint.... Voyons, tiens-toi bien droit....
+[Tyltyl se dresse contre la porte.] Quatre doigts!... C'est
+énorme!... [Mytyl se dresse également contre la porte.] Et Mytyl,
+quatre et demi!... Ah, ah! la mauvaise graine!... Ce que ça
+pousse, ce que ça pousse!...</p>
+
+<p>TYLTYL, [regardant autour de soi avec ravissement.]</p>
+
+<p>Comme tout est bien de même, comme tout est à sa place!... Mais
+comme tout est plus beau!... Voilà l'horloge avec la grande
+aiguille dont j'ai cassé la pointe....</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Et voici la soupière que tu as écornée....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et voilà le trou que j'ai fait à la porte, le jour que j'ai
+trouvé le vilebrequin....</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Ah oui, tu en as fait des dégâts!... Et voici le prunier où tu
+aimais tant grimper quand je n'étais pas là.... Il a toujours ses
+belles prunes rouges....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais elles sont bien plus belles!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Et voici le vieux merle!... Est-ce qu'il chante encore?...</p>
+
+<p>Le merle se réveille et se met à chanter à tue-tète.</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Tu vois bien.... Dès que l'on pense à lui....</p>
+
+<p>TYLTYL, [remarquant avec stupéfaction que le merle est
+parfaitement bleu.]</p>
+
+<p>Mais il est bleu!... Mais c'est lui, l'Oiseau-Bleu que je dois
+rapporter à la Fée!... Et vous ne disiez pas que vous l'aviez
+ici! Oh! qu'il est bleu, bleu, bleu, comme une bille de verre
+bleu!... [Suppliant.] Bon-papa, bonne-maman, voulez-vous me le
+donner?...</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Bien oui, peut-être bien.... Qu'en penses-tu, maman Tyl?...</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Bien sûr, bien sûr.... A quoi qu'il sert ici.... Il ne fait que
+dormir.... On ne l'entend jamais....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Je vais le mettre dans ma cage.... Tiens, où est-elle, ma
+cage?... Ah! c'est vrai, je l'ai oubliée derrière le gros
+arbre.... [Il court à l'arbre, rapporte la cage et y enferme le
+merle.] Alors, vrai, vous me le donnez pour de vrai?... C'est la
+Fée qui sera contente!... Et la Lumière donc!...</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Tu sais, je n'en réponds pas, de l'oiseau.... Je crains bien
+qu'il ne puisse plus s'habituer à la vie agitée de là-haut, et
+qu'il ne revienne ici par le premier bon vent.... Enfin, on verra
+bien.... Laisse-le là, pour l'instant, et viens donc voir la
+vache....</p>
+
+<p>TYLTYL, [remarquant les ruches.]</p>
+
+<p>Et les abeilles, dis, comment vont-elles?...</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Mais elles ne vont pas mal.... Elles ne vivent plus non plus,
+comme vous dites là-bas; mais elles travaillent ferme....</p>
+
+<p>TYLTYL, [s'approchant des ruches.]</p>
+
+<p>Oh oui!... Ça sent le miel!... Les ruches doivent être
+lourdes!... Toutes les fleurs sont si belles!... Et mes petites
+sœurs qui sont mortes, sont-elles ici aussi?...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Et mes trois petits frères qu'on avait enterrés, où sont-ils?...</p>
+
+<blockquote><p>[A ces mots, sept petits enfants de tailles inégales, en
+flûte de Pan, sortent un à un de la maison.] </p></blockquote>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Les voici, les voici!... Aussitôt qu'on y pense, aussitôt qu'on
+en parle, ils sont là, les gaillards!...</p>
+
+<blockquote><p>[Tyltyl et Mytyl courent au-devant des enfants. On se
+bouscule, on s'embrasse, on danse, on tourbillonne, on
+pousse des cris de joie.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tiens, Pierrot!... [Ils se prennent aux cheveux.] Ah! nous allons
+nous battre encore comme dans le temps.... Et Robert!... Bonjour,
+Jean!... Tu n'as plus ta toupie?... Madeleine et Pierrette,
+Pauline et puis Riquette....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Oh! Riquette, Riquette!... Elle marche encore à quatre
+pattes!...</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Oui, elle ne grandit plus....</p>
+
+<p>TYLTYL, [remarquant le petit Chien qui jappe autour d'eux.]</p>
+
+<p>Voilà Kiki dont j'ai coupé la queue avec les ciseaux de
+Pauline.... Il n'a pas changé non plus....</p>
+
+<p>GRAND PAPA TYL, [sentencieux.]</p>
+
+<p>Non, rien ne change ici....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et Pauline a toujours son bouton sur le nez!...</p>
+
+<p>GRAND MAMAN TYL</p>
+
+<p>Oui, il ne s'en va pas; il n'y a rien à faire....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oh! qu'ils ont bonne mine, qu'ils sont gras et luisants!...
+Qu'ils ont de belles joues!... Ils ont l'air bien nourris....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Ils se portent bien mieux depuis qu'ils ne vivent plus.... Il
+n'y a plus rien à craindre, on n'est jamais malade, on n'a plus
+d'inquiétudes....</p>
+
+<blockquote><p>[Dans la maison, l'horloge sonne huit heures.] </p></blockquote>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL, [stupéfaite.]</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est?...</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Ma foi, je ne sais pas.... Ce doit être l'horloge....</p>
+
+<p>GRAND-MAMAN TYL</p>
+
+<p>Ce n'est pas possible.... Elle ne sonne jamais....</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Parce que nous ne pensons plus à l'heure.... Quelqu'un a-t-il
+pensé à l'heure?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui, c'est moi.... Quelle heure est-il?...</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Ma foi, je ne sais plus.... J'ai perdu l'habitude.... Elle a
+sonné huit coups, ce doit être ce que? là-haut, ils appellent
+huit heures.</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>La Lumière m'attend à neuf heures moins le quart.... C'est à
+cause de la Fée.... C'est extrêmement important.... Je me
+sauve....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Vous n'allez pas nous quitter ainsi au moment du souper!... Vite,
+vite, dressons la table devant la porte.... J'ai justement une
+excellente soupe aux choux et une belle tarte aux prunes....</p>
+
+<blockquote><p>[On sort la table, on la dresse devant la porte, on apporte
+les plats, les assiettes, etc.... Tous y aident.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ma foi, puisque j'ai l'Oiseau-Bleu.... Et puis la soupe aux
+choux, il y a si longtemps!... Depuis que je voyage.... On n'a
+pas ça dans les hôtels....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Voilà!... C'est déjà fait.... A table, les enfants.... Si vous
+êtes pressés, ne perdons pas de temps....</p>
+
+<blockquote><p>[On a allumé la lampe et servi la soupe. Les grands-parents
+et les enfants s'assoient autour du repas du soir, parmi des
+bousculades, des bourrades, des cris et des rires de joie.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL, [mangeant gloutonnement.]</p>
+
+<p>Qu'elle est bonne!... Mon Dieu, qu'elle est donc bonne!... J'en
+veux encore! encore!</p>
+
+<blockquote><p>[Il brandit sa cuiller de bois et en frappe bruyamment son
+assiette.] </p></blockquote>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Voyons, voyons, un peu de calme.... Tu es toujours aussi mal
+élevé; et tu vas casser ton assiette....</p>
+
+<p>TYLTYL, [se dressant à demi sur son escabelle.]</p>
+
+<p>J'en veux encore, encore!...</p>
+
+<blockquote><p>[Il atteint et attire à soi la soupière qui se renverse et
+se répand sur la table, et de là sur les genoux des
+convives. Cris et hurlements d'échaudés.] </p></blockquote>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Tu vois!... Je te l'avais bien dit....</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL, [donnant à Tyltyl une gifle retentissante.]</p>
+
+<p>Voilà pour toi!...</p>
+
+<p>TYLTYL, [un instant déconcerté, mettant ensuite la main sur la
+joue, avec ravissement.]</p>
+
+<p>Oh! oui, c'était comme ça, les claques que tu donnais quand tu
+étais vivant.... Bon-papa, qu'elle est bonne et que ça fait du
+bien!... Il faut que je t'embrasse!...</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Bon, bon; il y en a encore si ça te fait plaisir....</p>
+
+<blockquote><p>[La demie de huit heures sonne à l'horloge.]</p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL, [sursautant.]</p>
+
+<p>Huit heures et demie!... [il jette sa cuiller.] Mytyl, nous
+n'avons que le temps!...</p>
+
+<p>GRAND-MAMAN TYL</p>
+
+<p>Voyons!... Encore quelques minutes!... Le feu n'est pas à la
+maison.... On se voit si rarement....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Non, ce n'est pas possible.... La Lumière est si bonne.... Et je
+lui ai promis.... Allons, Mytyl, allons!...</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Dieu, que les Vivants sont donc contrariants avec toutes leurs
+affaires et leurs agitations!...</p>
+
+<p>TYLTYL, [prenant sa cage et embrassant tout le monde en hâte et à
+la ronde.]</p>
+
+<p>Adieu, Bon-papa.... Adieu, Bonne-maman.... Adieu, frères,
+sœurs, Pierrot, Robert, Pauline, Madeleine, Riquette, et toi
+aussi, Kiki! Je sens bien que nous ne pouvons plus rester ici....
+Ne pleure pas, Bonne-maman, nous reviendrons souvent....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>Revenez tous les jours!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui, oui! nous reviendrons le plus souvent possible....</p>
+
+<p>GRAND'MAMAN TYL</p>
+
+<p>C'est notre seule joie, et c'est une telle fête quand votre
+pensée nous visite!...</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL</p>
+
+<p>Nous n'avons pas d'autres distractions....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Vite, vite!... Ma cage!... Mon oiseau!...</p>
+
+<p>GRAND-PAPA TYL, lui passant la cage.</p>
+
+<p>Les voici!... Tu sais, je ne garantis rien; et s'il n'est pas bon
+teint!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Adieu! adieu!...</p>
+
+<p>LES FRÈRES ET SŒURS TYL</p>
+
+<p>Adieu, Tyltyl!... Adieu, Mytyl!... Pensez au sucre d'orge!...
+Adieu!... Revenez!... Revenez!...</p>
+
+<blockquote><p>[Tous agitent des mouchoirs tandis que Tyltyl et Mytyl
+s'éloignent lentement. Mais déjà, durant les dernières
+répliques, le brouillard du début s'est graduellement
+reformé, et le son des voix s'est affaibli, de manière qu'à
+la fin de la scène, tout a disparu dans la brume et qu'au
+moment où le rideau baisse, Tyltyl et Mytyl se retrouvent
+seuls visibles sous le gros chêne.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est par ici, Mytyl....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Où est la Lumière?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Je ne sais pas.... [Regardant l'oiseau dans la cage.] Tiens!
+l'oiseau n'est plus bleu!... Il est devenu noir!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Donne-moi la main, petit frère.... J'ai bien peur et bien
+froid....</p>
+
+<p>RIDEAU</p>
+
+
+
+<hr style="width: 65%;" />
+<h3><a name="ACTE_TROISIEME" id="ACTE_TROISIEME"></a>ACTE TROISIÈME</h3>
+
+
+
+<hr style="width: 45%;" />
+<h3><a name="QUATRIEME_TABLEAU" id="QUATRIEME_TABLEAU"></a>QUATRIÈME TABLEAU</h3>
+
+<h4>LE PALAIS DE LA NUIT</h4>
+
+
+<p>Une vaste et prodigieuse salle d'une magnificence austère,
+rigide, métallique et sépulcrale, donnant l'impression d'un
+temple grec ou égyptien, dont les colonnes, les architraves, les
+dalles, les ornements seraient de marbre noir, d'or et d'ébène.
+La salle est en forme de trapèze. Des degrés de basalte, qui
+occupent presque toute sa largeur, la divisent en trois plans
+successifs qui s'élèvent graduellement vers le fond. A droite et
+à gauche, entre les colonnes, des portes de bronze sombre. Au
+fond, porte d'airain monumentale. Une lumière diffuse qui semble
+émaner de l'éclat même du marbre et de l'ébène éclaire seule le
+palais.</p>
+
+<hr style="width: 45%;" />
+
+<blockquote><p>[Au lever du rideau, la Nuit, sous la figure d'une très
+belle femme, couverte de longs vêtements noirs, est assise
+sur les marches du second plan, entre deux enfants, dont
+l'un, presque nu, comme l'Amour, sourit dans un profond
+sommeil, tandis que l'autre se tient debout, immobile et
+voilé des pieds à la tête.&mdash;Entre, à droite, au premier
+plan, la Chatte.] </p></blockquote>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Qui va là?...</p>
+
+<p>LA CHATTE, [se laissant choir avec accablement sur les degrés de
+marbre.]</p>
+
+<p>C'est moi, mère la Nuit.... Je n'en peux plus....</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Qu'as-tu donc, mon enfant?... Tu es pâle, amaigrie et te voilà
+crottée jusqu'aux moustaches.... Tu t'es encore battue dans les
+gouttières, sous la neige et la pluie?...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Il est bien question de gouttières!... C'est de notre secret
+qu'il s'agit!... C'est, le commencement de la fin!... J'ai pu
+m'échapper un instant pour vous prévenir; mais je crains bien
+qu'il n'y ait rien à faire....</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Quoi?... Qu'est-il donc arrivé?...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Je vous ai déjà parlé du petit Tyltyl, le fils du bûcheron, et du
+Diamant merveilleux.... Eh bien, il vient ici pour vous réclamer
+l'Oiseau-Bleu....</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Il ne le tient pas encore....</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Il le tiendra bientôt, si nous ne faisons pas quelque miracle....
+Voici ce qui se passe: la Lumière qui le guide et qui nous trahit
+tous, car elle s'est mise entièrement du parti de l'Homme, la
+Lumière vient d'apprendre que l'Oiseau-Bleu, le vrai, le seul qui
+puisse vivre à la clarté du jour, se cache ici, parmi les oiseaux
+bleus des songes qui se nourrissent des rayons de lune et meurent
+dès qu'ils voient le soleil.... Elle sait qu'il lui est interdit
+de franchir le seuil de votre palais; mais elle y envoie les
+enfants; et comme vous ne pouvez pas empêcher l'Homme d'ouvrir
+les portes de vos secrets, je ne sais trop comment tout cela
+finira.... En tout cas, s'ils avaient le malheur de mettre la
+main sur le véritable Oiseau-Bleu, nous n'aurions plus qu'à
+disparaître....</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Seigneur, Seigneur!... En quels temps vivons-nous! Je n'ai plus
+une minute de repos.... Je ne comprends plus l'Homme, depuis
+quelques années.... Où veut-il en venir?... Il faut donc qu'il
+sache tout?... Il a déjà saisi le tiers de mes Mystères, toutes
+mes Terreurs ont peur et n'osent plus sortir, mes Fantômes sont
+en fuite, la plupart de mes Maladies ne se portent pas bien....</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Je sais, ma mère la Nuit, je sais, les temps sont durs, et nous
+sommes presque seules à lutter contre l'Homme.... Mais je les
+entends qui s'approchent.... Je ne vois qu'un moyen: comme ce
+sont des enfants, il faut leur faire une telle peur qu'ils
+n'oseront pas insister ni ouvrir la grande porte du fond,
+derrière laquelle se trouvent les oiseaux de la Lune.... Les
+secrets des autres cavernes suffiront à détourner leur attention
+ou à les terrifier....</p>
+
+<p>LA NUIT, [prêtant l'oreille à un bruit du dehors.]</p>
+
+<p>Qu'est-ce que j'entends?... Ils sont donc plusieurs?</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Ce n'est rien; ce sont nos amis: le Pain et le Sucre; l'Eau est
+indisposée et le Feu n'a pu venir, parce qu'il est parent de la
+Lumière.... Il n'y a que le Chien qui ne soit pas pour nous; mais
+il n'y a jamais moyen de l'écarter....</p>
+
+<blockquote><p>[Entrent timidement, à droite, au premier plan, Tyltyl,
+Mytyl, le Pain, le Sucre et le Chien.] </p></blockquote>
+
+<p>LA CHATTE, [se précipitant au-devant de Tyltyl.]</p>
+
+<p>Par ici, par ici, mon petit maître.... J'ai prévenu la Nuit qui
+est enchantée de vous recevoir.... Il faut l'excuser, elle est un
+peu souffrante; c'est pourquoi elle n'a pu aller au-devant de
+vous....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Bonjour, madame la Nuit....</p>
+
+<p>LA NUIT, [froissée.]</p>
+
+<p>Bonjour? Je ne connais pas ça.... Tu pourrais bien me dire: bonne
+nuit, ou tout au moins: bonsoir....</p>
+
+<p>TYLTYL, [mortifié.]</p>
+
+<p>Pardon, madame.... Je ne savais pas.... [Montrant du doigt les
+deux enfants.] Ce sont vos deux petits garçons?... Ils sont bien
+gentils....</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Oui, voici le Sommeil....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Pourquoi qu'il est si gros?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>C'est parce qu'il dort bien....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et l'autre qui se cache?... Pourquoi qu'il se voile la figure?...
+Est-ce qu'il est malade?... Comment c'est qu'il se nomme?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>C'est la sœur du Sommeil.... Il vaut mieux ne pas la
+nommer....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Pourquoi?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Parce que c'est un nom qu'on n'aime pas à entendre.... Mais
+parlons d'autre chose.... La Chatte vient de me dire que vous
+venez ici pour chercher l'Oiseau-Bleu?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui, madame, si vous le permettez.... Voulez-vous me dire où il
+est?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Je n'en sais rien, mon petit ami.... Tout ce que je puis
+affirmer, c'est qu'il n'est pas ici.... Je ne l'ai jamais vu....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Si, si.... La Lumière m'a dit qu'il est ici; et elle sait ce
+qu'elle dit, la Lumière.... Voulez-vous me remettre vos clefs?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Mais, mon petit ami, tu comprends bien que je ne puis donner
+ainsi mes clefs au premier venu.... J'ai la garde de tous les
+secrets de la Nature, j'en suis responsable et il m'est
+absolument défendu de les livrer à qui que ce soit, surtout à un
+enfant....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Vous n'avez pas le droit de les refuser à l'Homme qui les
+demande.... je le sais....</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Qui te l'a dit?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>La Lumière....</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Encore la Lumière! et toujours la Lumière!... De quoi se
+mêle-t-elle à la fin?...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Veux-tu que je les lui prenne de force, mon petit dieu?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tais-toi, tiens-toi tranquille et tâche d'être poli.... [A la
+Nuit.] Voyons, madame, donnez-moi vos clefs, s'il vous plaît....</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>As-tu le signe, au moins?... Où est-il?...</p>
+
+<p>TYLTYL, [touchant son chapeau.]</p>
+
+<p>Voyez le Diamant....</p>
+
+<p>LA NUIT, [se résignant à l'inévitable.]</p>
+
+<p>Enfin.... Voici celle qui ouvre toutes les portes de la salle....
+Tant pis pour toi s'il t'arrive malheur.... Je ne réponds de
+rien.</p>
+
+<p>LE PAIN, [fort inquiet.]</p>
+
+<p>Est-ce que c'est dangereux?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Dangereux?... C'est-à-dire que moi-même je ne sais trop comment
+je pourrai m'en tirer, lorsque certaines de ces portes de bronze
+s'ouvriront sur l'abîme.... Il y a là, tout autour de la salle,
+dans chacune de ces cavernes de basalte, tous les maux, tous les
+fléaux, toutes les maladies, toutes les épouvantes, toutes les
+catastrophes, tous les mystères qui affligent la vie depuis le
+commencement du monde.... J'ai eu assez de mal à les enfermer là
+avec l'aide du Destin; et ce n'est pas sans peine, je vous
+assure, que je maintiens un peu d'ordre parmi ces personnages
+indisciplinés.... On voit ce qu'il arrive lorsque l'un d'eux
+s'échappe et se montre sur terre....</p>
+
+<p>LE PAIX</p>
+
+<p>Mon grand âge, mon expérience et mon dévouement font de moi le
+protecteur naturel de ces deux enfants; c'est pourquoi, madame la
+Nuit, permettez-moi de vous poser une question....</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Faites....</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>En cas de danger, par où faut-il fuir?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Il n'y a pas moyen de fuir.</p>
+
+<p>TYLTYL, [prenant la clef et montant les premières marches.]</p>
+
+<p>Commençons par ici.... Qu'y a-t-il derrière cette porte de
+bronze?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Je crois que ce sont les Fantômes.... Il y a bien longtemps que
+je ne l'ai ouverte et qu'ils ne sont sortis....</p>
+
+<p>TYLTYL, mettant la clef dans la serrure.</p>
+
+<p>Je vais voir.... [Au Pain] Avez-vous la cage de l'Oiseau-Bleu?...</p>
+
+<p>LE PAIN, claquant des dénis.</p>
+
+<p>Ce n'est pas que j'aie peur, mais ne croyez-vous pas qu'il serait
+préférable de ne pas ouvrir et de regarder par le trou de la
+serrure?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Je ne vous demande pas votre avis....</p>
+
+<p>MYTYL, [se mettant à pleurer tout à coup.]</p>
+
+<p>J'ai peur!... Où est le Sucre?... Je veux rentrer à la
+maison!...</p>
+
+<p>LE SUCRE, [empressé, obséquieux.]</p>
+
+<p>Ici, mademoiselle, je suis ici.... Ne pleurez pas, je vais couper
+un de mes doigts pour vous offrir un sucre d'orge....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Finissons-en....</p>
+
+<blockquote><p>[Il tourne la clef et entr'ouvre prudemment la porte.
+Aussitôt s'échappent cinq ou six Spectres de formes diverses
+et étranges qui se répandent de tous cotés. Le Pain
+épouvanté jette la cage et va se cacher au fond de la salle,
+pendant que la Nuit, pourchassant les Spectres, crie à
+Tyltyl:] </p></blockquote>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Vite! vite!... Ferme la porte!... Ils s'échapperaient tous et
+nous ne pourrions plus les rattraper!... Ils s'ennuient
+là-dedans, depuis que l'Homme ne les prend plus au sérieux....
+[Elle pourchasse les Spectres en s'efforçant, à l'aide d'un fouet
+formé de serpents, de les ramener vers la porte de leur prison.]</p>
+
+<p>Aidez-moi!... Par ici!... Par ici!...</p>
+
+<p>TYLTYL, [au Chien.]</p>
+
+<p>Aide-la, Tylô, vas-y donc!...</p>
+
+<p>LE CHIEN, [bondissant en aboyant.]</p>
+
+<p>Oui! oui! oui!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et le Pain, où est-il?...</p>
+
+<p>LE PAIN, du fond de la salle.</p>
+
+<p>Ici.... Je suis près de la porte pour les empêcher de sortir....</p>
+
+<blockquote><p>[Comme un des Spectres s'avance de ce côté, il fuit à toutes
+jambes, en poussant des hurlements d'épouvante.] </p></blockquote>
+
+<p>LA NUIT, [à trois Spectres qu'elle a pris au collet.]</p>
+
+<p>Par ici, vous autres!... [A Tyltyl.] Rouvre un peu la porte....
+[Elle pousse les Spectres dans la caverne.] Là, ça va bien....
+[Le Chien en ramène deux autres.] Et encore ceux-ci.... Voyons,
+vite, rangez-vous.... Vous savez bien que vous ne sortez plus
+qu'à la Toussaint.</p>
+
+<blockquote><p>[Elle referme la porte.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL, [allant à une autre porte.]</p>
+
+<p>Qu'y a-t-il derrière celle-ci?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>A quoi bon?... Je te l'ai déjà dit, l'Oiseau-Bleu n'est jamais
+venu par ici.... Enfin, comme tu voudras.... Ouvre-la si ça te
+fait plaisir.... Ce sont les Maladies....</p>
+
+<p>TYLTYL, [la clef dans la serrure.]</p>
+
+<p>Est-ce qu'il faut prendre garde en ouvrant?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Non, ce n'est pas la peine.... Elles sont bien tranquilles, les
+pauvres petites.... Elles ne sont pas heureuses.... L'Homme,
+depuis quelque temps, leur fait une telle guerre!... Surtout
+depuis la découverte des microbes.... Ouvre donc, tu verras....</p>
+
+<blockquote><p>[Tyltyl ouvre la porte toute grande. Rien ne paraît.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Elles ne sortent pas?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Je t'avais prévenu, presque toutes sont souffrantes et bien
+découragées.... Les médecins ne sont pas gentils pour elles....
+Entre donc un instant, tu verras....</p>
+
+<blockquote><p>[Tyltyl entre dans la caverne et ressort aussitôt après.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>L'Oiseau-Bleu n'y est pas.... Elles ont l'air bien malades, vos
+Maladies.... Elles n'ont même pas levé la tête.... [Une petite
+Maladie, en pantoufles, robe de chambre et bonnet de coton,
+s'échappe de la caverne et se met à gambader dans la salle.]
+Tiens!... Une petite qui s'évade!... Qu'est-ce que c'est?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Ce n'est rien, c'est la plus petite, c'est le Rhume de
+cerveau.... C'est une de celles qu'on persécute le moins et qui
+se portent le mieux.... [Appelant le Rhume de cerveau] Viens
+ici, ma petite.... C'est trop tôt; il faut attendre le
+printemps....</p>
+
+<blockquote><p>[Le Rhume de cerveau, éternuant, toussant et se mouchant,
+rentre dans la caverne dont Tyltyl referme la porte.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL, [allant à la porte voisine.]</p>
+
+<p>Voyons donc celle-ci.... Qu'est-ce que c'est?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Prends garde.... Ce sont les Guerres.... Elles sont plus
+terribles et plus puissantes que jamais.... Dieu sait ce qui
+arriverait si l'une d'elles s'échappait!... Heureusement, elles
+sont assez obèses et manquent d'agilité.... Mais tenons-nous
+prêts à repousser la porte tous ensemble, pendant que tu jetteras
+un rapide coup d'œil dans la caverne....</p>
+
+<blockquote><p>[Tyltyl, avec mille précautions, entrebâille la porte de
+manière qu'il n'y ait qu'une petite fente où il puisse
+appliquer l'œil. Aussitôt, il s'arc-boute en criant:] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Vite! vite!... Poussez donc!... Elles m'ont vu!... Elles viennent
+toutes!... Elles ouvrent la porte!...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Allons, tous!... Poussez ferme!... Voyons, le Pain, que
+faites-vous?... Poussez tous!... Elles ont une force!... Ah!
+voilà! Ça y est.... Elles cèdent.... Il était temps!... As-tu
+vu?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui, oui!... Elles sont énormes, épouvantables!... Je crois
+qu'elles n'ont pas l'Oiseau-Bleu....</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Bien sûr qu'elles ne l'ont point.... Elles le mangeraient tout de
+suite.... Eh bien, en as-tu assez?... Tu vois bien qu'il n'y a
+rien à faire....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Il faut que je voie tout.... La Lumière l'a dit....</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>La Lumière l'a dit.... C'est facile à dire quand on a peur et
+qu'on reste chez soi....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Allons à la suivante.... Qu'est-ce?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Ici, j'enferme les Ténèbres et les Terreurs....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'on peut ouvrir?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Parfaitement.... Elles sont assez tranquilles; c'est comme les
+Maladies....</p>
+
+<p>TYLTYL, [entr'ouvrant la porte avec une certaine méfiance et
+risquant un regard dans la caverne.]</p>
+
+<p>Elles n'y sont pas....</p>
+
+<p>LA NUIT, [regardant à son tour dans la caverne.]</p>
+
+<p>Eh bien, les Ténèbres, que faites-vous?... Sortez donc un
+instant, ça vous fera du bien, ça vous dégourdira. Et les
+Terreurs aussi.... Il n'y a rien à Craindre.... [Quelques
+Ténèbres et quelques Terreurs, sous la figure de femmes
+couvertes, les premières de voiles noirs, les dernières de voiles
+verdâtres, risquent piteusement quelques pas hors de la caverne,
+et, sur un geste qu'ébauche Tyltyl, rentrent précipitamment.]
+Voyons, tenez-vous donc.... C'est un enfant, il ne vous fera pas
+de mal.... [A Tyltyl]. Elles sont devenues extrêmement timides;
+excepté les grandes, celles que tu vois au fond....</p>
+
+<p>TYLTYL, [regardant vers le fond de la caverne.]</p>
+
+<p>Oh! qu'elles sont effrayantes!...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Elles sont enchaînées.... Ce sont les seules qui n'aient pas peur
+de l'Homme.... Mais referme la porte, de crainte qu'elles ne se
+fâchent....</p>
+
+<p>TYLTYL, [allant à la porte suivante.]</p>
+
+<p>Tiens!... Celle-ci est plus sombre.... Qu'est-ce que c'est?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Il y a plusieurs Mystères derrière celle-ci.... Si tu y tiens
+absolument, tu peux l'ouvrir aussi.... Mais n'entre pas.... Sois
+bien prudent, et puis préparons-nous à repousser la porte, comme
+nous avons fait pour les Guerres....</p>
+
+<p>TYLTYL, [entr'ouvrant avec des précautions inouïes, et passant
+craintivement la tête dans l'entrebâillement.]</p>
+
+<p>Oh!... Quel froid!... Mes yeux cuisent!... Fermez vite!...
+Poussez donc! On repousse!... [La Nuit, le Chien, la Chatte et le
+Sucre repoussent la porte.] Oh! j'ai vu!...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Quoi donc?...</p>
+
+<p>TYLTYL, [bouleversé.]</p>
+
+<p>Je ne sais pas, c'était épouvantable!... Ils étaient tous assis
+comme des monstres sans yeux.... Quel était le géant qui voulait
+me saisir?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>C'est probablement le Silence; il a la garde de cette porte....
+Il paraît que c'était effrayant?... Tu en es encore tout pâle et
+tout tremblant....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui, je n'aurais pas cru.... Je n'avais jamais vu.... Et j'ai les
+mains gelées....</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Ce sera bien pis tout à l'heure si tu continues....</p>
+
+<p>TYLTYL, [allant à la porte suivante.]</p>
+
+<p>Et celle-ci?... Est-elle aussi terrible?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Non, il y a un peu de tout.... J'y mets les Étoiles sans emploi,
+mes parfums personnels, quelques Lueurs qui m'appartiennent, tels
+que feux-follets, vers luisants, lucioles; on y serre aussi la
+Rosée, le Chant des Rossignols, etc..</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Justement, les Étoiles, le Chant des Rossignols.... Ce doit être
+celle-là.</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Ouvre-donc si tu veux; tout cela n'est pas bien méchant....</p>
+
+<blockquote><p>[Tyltyl ouvre la porte toute grande. Aussitôt les Étoiles,
+sous la forme de belles jeunes filles voilées de lueurs
+versicolores, s'échappent de leur prison, se répandent dans
+la salle et forment sur les marches et autour des colonnes
+de gracieuses rondes baignées d'une sorte de lumineuse
+pénombre. Les Parfums de la Nuit, presque invisibles, les
+Feux-follets, les Lucioles, la Rosée transparente se
+joignent à elles, cependant que le Chant des Rossignols,
+sortant à flots de la caverne, inonde le palais nocturne.] </p></blockquote>
+
+<p>MYTYL, [ravie, battant des mains.]</p>
+
+<p>Oh! les jolies madames!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et qu'elles dansent bien!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Et qu'elles sentent bon!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et qu'elles chantent bien!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est, ceux-là, qu'on ne voit presque pas?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Ce sont les Parfums de mon ombre....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et les autres, là-bas, qui sont en verre filé?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>C'est la Rosée des forêts et des plaines.... Mais en voilà
+assez.... Ils n'en finiraient pas.... C'est le diable de les
+faire rentrer une fois qu'ils se sont mis à danser.... [Frappant
+dans ses mains.] Allons, vite, les Étoiles!... Ce n'est pas le
+moment de danser.... Le ciel est couvert, il y a de gros
+nuages.... Allons, vite, rentrez tous, sinon j'irai chercher un
+rayon de soleil....</p>
+
+<blockquote><p>[Fuite épouvantée des Étoiles, Parfums, etc...., qui se
+précipitent dans la caverne que l'on referme sur eux. En
+même temps s'éteint le Chant des Rossignols.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL, [allant à la porte du fond.]</p>
+
+<p>Voici la grande porte du milieu....</p>
+
+<p>LA NUIT, gravement.</p>
+
+<p>N'ouvre pas celle-ci....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Pourquoi?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Parce que c'est défendu....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est donc là que se cache l'Oiseau-Bleu; la Lumière me l'a
+dit....</p>
+
+<p>LA NUIT, [maternelle.]</p>
+
+<p>Écoute-moi, mon enfant.... J'ai été bonne et complaisante....
+J'ai fait pour toi ce que je n'avais fait jusqu'ici pour
+personne.... Je t'ai livré tous mes secrets.... Je t'aime bien,
+j'ai pitié de ta jeunesse et de ton innocence et je te parle
+comme une mère.... Écoute-moi et crois-moi, mon enfant, renonce,
+ne va point plus avant, ne tente pas le Destin, n'ouvre pas cette
+porte....</p>
+
+<p>TYLTYL, [assez ébranlé.]</p>
+
+<p>Mais pourquoi?...</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Parce que je ne veux pas que tu te perdes.... Parce que nul de
+ceux, entends-tu, nul de ceux qui l'ont entr'ouverte, ne fût-ce
+que de l'épaisseur d'un cheveu, n'est revenu vivant à la lumière
+du jour.... Parce que tout ce qu'on peut imaginer d'épouvantable,
+parce que toutes les terreurs, toutes les horreurs dont on parle
+sur terre, ne sont rien, comparées à la plus innocente de celles
+qui assaillent un homme dès que son œil effleure les premières
+menaces de l'abîme auquel personne n'ose donner un nom.... C'est
+au point que moi-même, si tu t'obstines, malgré tout, à toucher
+cette porte, je te demanderai d'attendre que je sois à l'abri
+dans ma tour sans fenêtres.... Maintenant c'est à toi de savoir,
+à toi de réfléchir....</p>
+
+<blockquote><p>[Mytyl, tout en larmes, pousse des cris de terreur
+inarticulés et cherche à entraîner Tyltyl.] </p></blockquote>
+
+<p>LE PAIN, [claquant des dents.]</p>
+
+<p>Ne le faites pas, mon petit maître!... [Se jetant à genoux.] Ayez
+pitié de nous!... Je vous le demande à genoux.... Vous voyez que
+la Nuit a raison....</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>C'est notre vie à tous que vous sacrifiez....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Je dois l'ouvrir....</p>
+
+<p>MYTYL, [trépignant parmi des sanglots.]</p>
+
+<p>Je ne veux pas!... Je ne veux pas!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Que le Sucre et le Pain prennent Mytyl par la main et se sauvent
+avec elle.... Je vais ouvrir....</p>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Sauve qui peut!... Venez vite!... Il est temps!...</p>
+
+<blockquote><p>[Elle fuit.]</p></blockquote>
+
+<p>LE PAIN, [fuyant éperdument.]</p>
+
+<p>Attendez au moins que nous soyons au bout de la salle!...</p>
+
+<p>LA CHATTE, [fuyant également.]</p>
+
+<p>Attendez!... attendez!...</p>
+
+<p>Ils se cachent derrière les colonnes à l'autre bout de la salle.
+Tyltyl reste seul avec le Chien, près de la porte monumentale.</p>
+
+<p>LE CHIEN, [haletant et hoquetant d'épouvante contenue.]</p>
+
+<p>Moi, je reste, je reste.... Je n'ai pas peur.... Je reste!... Je
+reste près de mon petit dieu.... Je reste!... Je reste....</p>
+
+<p>TYLTYL, [caressant le Chien.]</p>
+
+<p>C'est bien, Tylô, c'est bien!... Embrasse-moi.... Nous sommes
+deux.... Maintenant gare à nous!... [Il met la clef dans la
+serrure. Un cri d'épouvante part de l'autre bout de la salle où
+se sont réfugiés les fuyards. A peine la clef a-t-elle touché la
+porte que les hauts ballants de celle-ci s'ouvrent par le milieu,
+glissent latéralement et disparaissent, à droite et à gauche,
+dans l'épaisseur des murs, découvrant tout à coup, irréel,
+infini, ineffable, le plus inattendu des jardins de rêve et de
+lumière nocturne, où, parmi les étoiles et les planètes,
+illuminant tout ce qu'ils touchent, volant sans cesse de
+pierreries en pierreries, de rayons de lune en rayons de lune, de
+féeriques oiseaux bleus évoluent perpétuellement et
+harmonieusement jusqu'aux confins de l'horizon, innombrables au
+point qu'ils semblent être le souffle, l'atmosphère azurée, la
+substance même du jardin merveilleux.&mdash;Tyltyl, ébloui, éperdu,
+debout dans la lumière du jardin:] Oh!... le ciel!... [Se
+tournant vers ceux qui oui fui.] Venez vite!... Ils sont là!...
+C'est eux! c'est eux! c'est eux!...Nous les tenons enfin!... Des
+milliers d'oiseaux bleus! Des millions!... Des milliards!... Il y
+en aura trop!... Viens, Mytyl!... Viens, Tylô!... Venez tous!...
+Aidez-moi!... [S'élançant parmi les oiseaux.] On les prend à
+pleines mains!... Ils ne sont pas farouches!... Ils n'ont pas
+peur de nous!... Par ici! par ici!... [Mytyl et les autres
+accourent. Ils entrent tous dans le jardin éblouissant, hormis la
+Nuit et la Chatte.] Vous voyez!... Ils sont trop!... Ils viennent
+dans mes mains!... Regardez donc, ils mangent les rayons de la
+lune!... Mytyl, où donc es-tu?... Il y a tant d'ailes bleues,
+tant de plumes qui tombent qu'on n'y voit plus du tout!... Tylô!
+ne les mord pas.... Ne leur fais pas de mal!... Prends-les très
+doucement!</p>
+
+<p>MYTYL, [enveloppée d'oiseaux bleus.]</p>
+
+<p>J'en ai déjà pris sept!... Oh! qu'ils battent des ailes!... Je ne
+puis les tenir!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Moi non plus!... J'en ai trop!... Ils s'échappent!... Ils
+reviennent!... Tylô en a aussi!... Ils vont nous entraîner!...
+nous porter dans le ciel!... Viens, sortons par ici!... La
+Lumière nous attend!... Elle sera contente!... Par ici, par
+ici!...</p>
+
+<blockquote><p>[Ils s'évadent du jardin, les mains pleines d'oiseaux qui se
+débattent, et, traversant toute la salle parmi l'affolement
+des ailes azurées, sortent à droite, par où ils sont entrés,
+suivis du Pain et du Sucre qui n'ont pas pris d'oiseaux.
+&mdash;Restés seuls, la Nuit et la Chatte remontent vers le fond
+et regardent anxieusement dans le jardin.] </p></blockquote>
+
+<p>LA NUIT</p>
+
+<p>Ils ne l'ont pas?...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Non.... Je le vois là sur ce rayon de lune.... Ils n'ont pas pu
+l'atteindre, il se tenait trop haut....</p>
+
+<blockquote><p>[Le rideau tombe. Aussitôt après, devant le rideau tombé,
+entrent simultanément, à gauche la Lumière, à droite Tyltyl,
+Mytyl et le Chien, accourant tout couverts des oiseaux
+qu'ils viennent de capturer. Mais déjà ceux-ci paraissent
+inanimés et, la tête pendante et les ailes brisées, ne sont
+plus dans leurs mains que d'inertes dépouilles.] </p></blockquote>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Eh bien, l'avez-vous-pris?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui, oui!... Tant qu'on voulait.... Il y en a des milliers!...
+Les voici!... Les vois-tu!... [Regardant les oiseaux qu'il tend
+vers la Lumière et s'apercevant qu'ils sont morts.] Tiens!... Ils
+ne vivent plus.... Qu'est-ce qu'on leur a fait?... Les tiens
+aussi, Mytyl?... Ceux de Tylô aussi. [Jetant avec colère les
+cadavres d'oiseaux.] Ah! non, c'est trop vilain!... Qui est-ce
+qui les a tués?... Je suis trop malheureux!...</p>
+
+<blockquote><p>[Il se cache la tête sous le bras et paraît tout secoué de
+sanglots.] </p></blockquote>
+
+<p>LA LUMIÈRE, [le serrant maternellement dans ses bras.]</p>
+
+<p>Ne pleure pas, mon enfant.... Tu n'as pas pris celui qui peut
+vivre en plein jour.... Il est allé ailleurs.... Nous le
+retrouverons....</p>
+
+<p>LE CHIEN, [regardant les oiseaux morts.]</p>
+
+<p>Est-ce qu'on peut les manger?...</p>
+
+<blockquote><p>[Ils sortent tous à gauche.] </p></blockquote>
+
+
+
+<hr style="width: 65%;" />
+<h3><a name="CINQUIEME_TABLEAU" id="CINQUIEME_TABLEAU"></a>CINQUIÈME TABLEAU</h3>
+
+<h4>LA FORÊT</h4>
+
+
+<p>Une forêt.&mdash;Il fait nuit.&mdash;Clair de lune.&mdash;Vieux arbres de
+diverses espèces, notamment: un chêne, un hêtre, un orme, un
+peuplier, un sapin, un cyprès, un tilleur, un marronnier, etc.</p>
+
+<hr style="width: 45%;" />
+
+<blockquote><p>[Entre la Chatte.] </p></blockquote>
+
+<p>LA CHATTE, [saluant les arbres à la ronde.]</p>
+
+<p>Salut à tous les arbres!...</p>
+
+<p>MURMURE DES FEUILLAGES</p>
+
+<p>Salut!...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>C'est un grand jour que ce jour-ci!... Notre ennemi vient
+délivrer vos énergies et se livrer lui-même.... C'est Tyltyl, le
+fils du bûcheron qui vous a fait tant de mal.... Il cherche
+l'Oiseau-Bleu que vous cachez à l'Homme depuis le commencement du
+monde, et qui sait seul notre secret.... [Murmure dans les
+feuilles.] Vous dites?... Ah! c'est le Peuplier qui parle....
+Oui, il possède un Diamant qui a la vertu de délivrer un instant
+nos esprits; il peut nous forcer à livrer l'Oiseau-Bleu, et nous
+serons dès lors, définitivement, à la merci de l'Homme....
+[Murmure dans les feuilles.] Qui parle?... Tiens! c'est le
+Chêne.... Comment allez-vous?... [Murmure dans les feuilles du
+Chêne.] Toujours enrhumé?... La Réglisse ne vous soigne plus?...
+Toujours les rhumatismes?... Croyez-moi, c'est à cause de la
+mousse; vous en mettez trop sur vos pieds.... L'Oiseau-Bleu est
+toujours chez vous?... [Murmures dans les feuilles du Chêne.]
+Vous dites?... Oui, il n'y a pas à hésiter, il faut en profiter,
+il faut qu'il disparaisse.... [Murmure dans les feuilles.]
+Plaît-il?... Oui, il est avec sa petite sœur; il faut qu'elle
+meure aussi.... [Murmure dans les feuilles.] Oui, le Chien les
+accompagne; il n'y a pas moyen de l'éloigner.... [Murmure dans
+les feuilles.] Vous dites?... Le corrompre?... Impossible....
+J'ai essayé de tout.... [Murmures parmi les feuilles.] Ah! c'est
+toi, le Sapin?... Oui, prépare quatre planches.... Oui, il y a
+encore le Feu, le Sucre, l'Eau, le Pain.... Ils sont tous avec
+nous, excepté le Pain qui est assez douteux.... Seule la Lumière
+est favorable à l'Homme; mais elle ne viendra pas.... J'ai fait
+croire aux petits qu'ils devaient s'échapper en cachette pendant
+qu'elle dormait.... L'occasion est unique.... [Murmure dans les
+feuilles.] Tiens! c'est la voix du Hêtre!... Oui, vous avez
+raison; il faut que l'on prévienne les Animaux.... Le Lapin
+a-t-il son tambour?... Il est chez vous?... Bien, qu'il batte le
+rappel, tout de suite.... Les voici!...</p>
+
+<blockquote><p>[On entend s'éloigner les roulements de tambour du
+Lapin.&mdash;Entrent Tyltyl, Mytyl et le Chien.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est ici?...</p>
+
+<p>LA CHATTE, [obséquieuse, doucereuse, empressé se précipitant
+au-devant des enfants.]</p>
+
+<p>Ah! voilà, mon petit maître!... Que vous avez bonne mine et que
+vous êtes joli, ce soir!... Je vous ai précédé pour annoncer
+votre arrivée.... Tout va bien. Cette fois nous tenons
+l'Oiseau-Bleu, j'en suis sûre.... Je viens d'envoyer le Lapin
+battre le rappel afin de convoquer les principaux Animaux du
+pays.... On les entend déjà dans le feuillage.... Écoutez!... Ils
+sont un peu timides et n'osent approcher.... [Bruits d'animaux
+divers, tels que vaches, porcs, chevaux, ânes, etc.&mdash;Bas à
+Tyltyl, le prenant à part.] Mais pourquoi avez-vous amené le
+Chien?... Je vous l'ai déjà dit, il est au plus mal avec tout le
+monde, même avec les arbres.... Je crains bien que sa présence
+odieuse ne fasse tout manquer....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Je n'ai pu m'en débarasser.... [Au Chien, la menaçant] Veux-tu
+bien t'en aller, vilaine bête!...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Qui?... Moi!... Pourquoi?... Qu'est-ce que j'ai fait?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Je te dis de t'en aller!... On n'a que faire de toi, c'est bien
+simple.... Tu nous embêtes à la fin!...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Je ne dirai rien.... Je suivrai de loin.... On ne me verra
+pas.... Veux-tu que je fasse le beau?...</p>
+
+<p>LA CHATTE, [bas, à Tyltyl.]</p>
+
+<p>Vous tolérez pareille désobéissance?... Donnez-lui donc quelques
+coups de bâton sur le nez, il est vraiment insupportable!...</p>
+
+<p>TYLTYL, [battant le Chien.]</p>
+
+<p>Voilà qui t'apprendra à obéir plus vite!...</p>
+
+<p>LE CHIEN, [hurlant.]</p>
+
+<p>Aïe! Aïe! Aïe!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'en dis-tu?...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Il faut que je t'embrasse puisque tu m'as battu!...</p>
+
+<p>[Il embrasse et caresse violemment Tyltyl.]</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Voyons.... C'est, bien.... Ça suffit.... Va-t'en!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Non, non; je veux qu'il reste.... J'ai peur de tout quand il
+n'est pas là....</p>
+
+<p>LE CHIEN, [bondissant et renversant presque Mytyl, qu'il accable
+de caresses précipitées et enthousiastes.]</p>
+
+<p>Oh! la bonne petite fille!... Qu'elle est belle! Qu'elle est
+bonne!... Qu'elle est belle, qu'elle est douce!... Il faut que je
+l'embrasse! Encore! encore! encore!...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Quel idiot!... Ma foi, nous verrons bien.... Ne perdons pas de
+temps.... Tournez le Diamant....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Où faut-il me placer?</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Dans ce rayon de lune; vous y verrez plus clair.... Là! tournez
+doucement....</p>
+
+<blockquote><p>[Tyltyl tourne le Diamant; aussitôt, un long frémissement
+agite les branches et les feuilles. Les troncs les plus
+anciens et les plus imposants s'entr'ouvrent pour livrer
+passage à l'âme que chacun d'eux renferme. L'aspect de ces
+âmes diffère suivant l'aspect et le caractère de l'arbre
+qu'elles représentent. Celle de l'Orme, par exemple, est une
+sorte de gnome poussif, ventru, bourru; celle du Tilleul est
+placide, familière, joviale: celle du Hêtre, élégante et
+agile; celle du Bouleau, blanche, réservée, inquiète; celle
+du Saule, rabougrie, échevelée, plaintive; celle du Sapin,
+longue, efflanquée, taciturne; celle du Cyprès, tragique;
+celle du Marronnier, prétentieuse, un peu snob; celle du
+Peuplier, allègre, encombrante, bavarde. Les unes sortent
+lentement de leur tronc, engourdies, s'étirant, comme après
+une captivité ou un sommeil séculaire, les autres s'en
+dégagent d'un bond, alertes, empressées, et toutes viennent
+se ranger autour des deux enfants, tout en se tenant autant
+que possible à proximité de l'arbre dont elles sont nées.] </p></blockquote>
+
+<p>LE PEUPLIER, [accourant le premier et criant à tue-tête.]</p>
+
+<p>Des Hommes!... De petits Hommes!... On pourra leur parler!...
+C'est fini le Silence!... C'est fini!... D'où viennent-ils?...
+Qui est-ce?... Qui sont-ils?... [Au Tilleul qui s'avance en
+fumant tranquillement sa pipe.] Les connais-tu, toi, père
+Tilleul?...</p>
+
+<p>LE TILLEUL</p>
+
+<p>Je ne me rappelle pas les avoir vus....</p>
+
+<p>LE PEUPLIER</p>
+
+<p>Mais si, voyons, mais si!... Tu connais tous les Hommes, tu es
+toujours à te promener autour de leurs maisons....</p>
+
+<p>LE TILLEUL, [examinant les enfants.]</p>
+
+<p>Mais non, je vous assure.... Je ne les connais pas.... Ils sont
+encore trop jeunes.... Je ne connais bien que les amoureux qui
+viennent me voir au clair de lune; ou les buveurs de bière qui
+trinquent sous mes branches....</p>
+
+<p>LE MARRONNIER, [pincé, ajustant son monocle.]</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est que ça?... C'est des pauvres de la
+campagne?...</p>
+
+<p>LE PEUPLIER</p>
+
+<p>Oh! vous, monsieur le Marronnier, depuis que vous ne fréquentez
+plus que les boulevards des grandes villes....</p>
+
+<p>LE SAULE, [s'avançant en sabots et geignard.]</p>
+
+<p>Mon Dieu, mon Dieu!... Ils viennent encore me couper la tête et
+les bras pour en faire des fagots!...</p>
+
+<p>LE PEUPLIER</p>
+
+<p>Silence!... Voici le Chêne qui sort de son palais!... Il a l'air
+bien souffrant ce soir.... Ne trouvez-vous pas qu'il
+vieillit?... Quel âge peut-il avoir?... Le Sapin dit qu'il a
+quatre mille ans; mais je suis sûre qu'il exagère.... Attention,
+il va nous dire ce que c'est....</p>
+
+<blockquote><p>[Le Chêne s'avance lentement. Il est fabuleusement vieux,
+couronné de gui et vêtu d'une longue robe verte brodée de
+mousse et de lichen. Il est aveugle, sa barbe blanche flotte
+au vent. Il s'appuie d'une main sur un bâton noueux et de
+l'autre sur un jeune Chêneau qui lui sert de guide.
+L'Oiseau-Bleu est perché sur son épaule. À son approche,
+mouvement de respect parmi les arbres qui se rangent et
+s'inclinent.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Il a l'Oiseau-Bleu!... Vite! vite!... Par ici!...
+Donnez-le-moi!...</p>
+
+<p>LES ARBRES</p>
+
+<p>Silence!...</p>
+
+<p>LA CHATTE, [à Tyltyl.]</p>
+
+<p>Découvrez-vous, c'est le Chêne!...</p>
+
+<p>LE CHÊNE, [à Tyltyl.]</p>
+
+<p>Qui es-tu?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tyltyl, monsieur.... Quand est-ce que je pourrai prendre
+l'Oiseau-Bleu?...</p>
+
+<p>LE CHÊNE</p>
+
+<p>Tyltyl, le fils du bûcheron?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui, monsieur....</p>
+
+<p>LE CHÊNE</p>
+
+<p>Ton père nous a fait bien du mal.... Dans ma seule famille il a
+mis à mort six cents de mes fils, quatre cent soixante-quinze
+oncles et tantes, douze cents cousins et cousines, trois cent
+quatre-vingts brus et douze mille arrière-petits-fils!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Je ne sais pas, monsieur.... Il ne l'a pas fait exprès....</p>
+
+<p>LE CHÊNE</p>
+
+<p>Que viens-tu faire ici, et pourquoi as-tu fait sortir nos âmes de
+leurs demeures?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Monsieur, je vous demande pardon de vous avoir dérangé.... C'est
+la Chatte qui m'a dit que vous alliez nous dire où se trouve
+l'Oiseau-Bleu....</p>
+
+<p>LE CHÊNE</p>
+
+<p>Oui, je sais, tu cherches l'Oiseau-Bleu, c'est-à-dire le grand
+secret des choses et du bonheur, pour que les Hommes rendent plus
+dur encore notre esclavage....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais non, monsieur; c'est pour la petite fille de la Fée Bérylune
+qui est très malade....</p>
+
+<p>LE CHÊNE, lui imposant silence.</p>
+
+<p>Il suffit!... Je n'entends pas les Animaux.... Où sont-ils?...
+Tout ceci les intéresse autant que nous.... Il ne faut pas que
+nous, les Arbres, assumions seuls la responsabilité des mesures
+graves qui s'imposent.... Le jour où les Hommes apprendront que
+nous avons fait ce que nous allons faire, il y aura d'horribles
+représailles.... Il convient donc que notre accord soit unanime,
+pour que notre silence le soit également....</p>
+
+<p>LE SAPIN, [regardant par-dessus les autres arbres.]</p>
+
+<p>Les Animaux arrivent.... Ils suivent le Lapin.... Voici l'âme du
+Cheval, du Taureau, du Bœuf, de la Vache, du Loup, du Mouton,
+du Porc, du Coq, de la Chèvre, de l'Âne et de l'Ours....</p>
+
+<blockquote><p>[Entrée successive des âmes des Animaux qui, à mesure que
+les énumère le Sapin, s'avancent et vont s'asseoir entre les
+arbres, à l'exception de l'âme de la Chèvre qui vagabonde çà
+et là, et de celle du Porc qui fouille les racines.] </p></blockquote>
+
+<p>LE CHÊNE</p>
+
+<p>Tous sont-ils ici présents?...</p>
+
+<p>LE LAPIN</p>
+
+<p>La Poule ne pouvait pas abandonner ses œufs, le Lièvre faisait
+des courses, le Cerf a mal aux cornes, le Renard est
+souffrant,&mdash;voici le certificat du médecin,&mdash;l'Oie n'a pas
+compris et le Dindon s'est mis en colère....</p>
+
+<p>LE CHÊNE</p>
+
+<p>Ces abstentions sont extrêmement regrettables.... Néanmoins, nous
+sommes en nombre suffisant.... Vous savez, mes frères, de quoi
+il est question. L'enfant que voici, grâce à un talisman dérobé
+aux puissances de la Terre, peut s'emparer de notre Oiseau-Bleu,
+et nous arracher ainsi le secret que nous gardons depuis
+l'origine de la Vie.... Or, nous connaissons assez l'Homme pour
+n'avoir aucun doute sur le sort qu'il nous réserve lorsqu'il se
+trouvera en possession de ce secret. C'est pourquoi il me semble
+que toute hésitation serait aussi stupide que criminelle....
+L'heure est grave; il faut que l'enfant disparaisse avant qu'il
+soit trop tard....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Que dit-il?...</p>
+
+<p>LE CHIEN, [rôdant autour du Chêne en montrant ses crocs.]</p>
+
+<p>As-tu vu mes dents, vieux perclus?...</p>
+
+<p>LE HÊTRE, [indigné.]</p>
+
+<p>Il insulte le Chêne!...</p>
+
+<p>LE CHÊNE</p>
+
+<p>C'est le Chien?... Qu'on l'expulse! Il ne faut pas que nous
+tolérions un traître parmi nous!...</p>
+
+<p>LA CHATTE, [bas, à Tyltyl.]</p>
+
+<p>Éloignez le Chien.... C'est un malentendu.... Laissez-moi faire,
+j'arrangerai les choses.... Mais éloignez-le au plus vite....</p>
+
+<p>TYLTYL, [au Chien.]</p>
+
+<p>Veux-tu t'en aller!...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Laisse-moi donc lui déchirer ses pantoufles de mousse à ce vieux
+goutteux-là!... On va rire!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tais-toi donc!... Et va-t'en!... Mais va-t'en, vilaine bête!...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Bon, bon, on s'en ira.... Je reviendrai quand tu auras besoin de
+moi....</p>
+
+<p>LA CHATTE, [bas, à Tyltyl.]</p>
+
+<p>Il serait plus prudent de l'enchaîner, sinon il fera des bêtises;
+les Arbres se fâcheront, et tout cela finira mal....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Comment faire?... J'ai égaré sa laisse....</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Voici tout juste le Lierre qui s'avance avec de solides liens....</p>
+
+<p>LE CHIEN, grondant.</p>
+
+<p>Je reviendrai, je reviendrai!... Podagre! bronchiteux!... Tas de
+vieux rabougris, tas de vieilles racines!...C'est la Chatte qui
+mène tout!... Je lui revaudrai ça!... Qu'as-tu donc à chuchoter
+ainsi, Judas, Tigre, Bazaine!... Wa, wa! wa!...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Vous voyez, il insulte tout le monde....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est vrai, il est insupportable et l'on ne s'entend plus....
+Monsieur le Lierre, voulez-vous l'enchaîner?...</p>
+
+<p>LE LIERRE, [s'approchant assez craintivement du Chien.]</p>
+
+<p>Il ne mordra pas?...</p>
+
+<p>LE CHIEN, [grondant.]</p>
+
+<p>Au contraire! au contraire!... Il va bien t'embrasser!...
+Attends, tu vas voir ça!... Approche, approche donc, tas de
+vieilles ficelles!...</p>
+
+<p>TYLTYL, [le menaçant du bâton.]</p>
+
+<p>Tylô!...</p>
+
+<p>LE CHIEN, [rampant aux pieds de Tyltyl en agitant la queue.]</p>
+
+<p>Que faut-il faire, mon petit dieu?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Te coucher, à plat ventre!... Obéis au Lierre.... Laisse-toi
+garotter, sinon....</p>
+
+<p>LE CHIEN, [grondant entre les dents pendant que le Lierre le
+garotte.]</p>
+
+<p>Ficelle!... Corde à pendus!... Laisse à veaux!... Chaîne à
+porcs!... Mon petit dieu, regarde.... Il me tord les pattes....
+Il m'étrangle!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tant pis!... Tu l'as voulu!... Tais-toi, tiens-toi tranquille, tu
+es insupportable!...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>C'est égal, tu as tort.... Ils ont de vilaines intentions.... Mon
+petit dieu, prends garde!... Il me ferme la bouche!... Je ne peux
+plus parler!...</p>
+
+<p>LE LIERRE, [qui a ficelé le Chien comme un paquet.]</p>
+
+<p>Où faut-il le porter?... Je l'ai bien bâillonné.... il ne souffle
+plus mot....</p>
+
+<p>LE CHÊNE</p>
+
+<p>Qu'on l'attache solidement là-bas, derrière mon tronc, à ma
+grosse racine.... Nous verrons ensuite ce qu'il convient d'en
+faire.... [Le Lierre aidé du Peuplier porte le Chien derrière le
+tronc du Chêne] Est-ce fait?... Bien, maintenant que nous voilà
+débarrassés de ce témoin gênant et de ce renégat, délibérons
+selon notre justice et notre vérité.... Mon émotion, je ne vous
+le cache point, est profonde et pénible.... C'est la première
+fois qu'il nous est donné de juger l'Homme et de lui faire sentir
+notre puissance.... Je ne crois pas qu'après le mal qu'il nous a
+fait, après les monstrueuses injustices que nous avons subies, il
+reste le moindre doute sur la sentence qui l'attend....</p>
+
+<p>TOUS LES ARBRES et TOUS LES ANIMAUX</p>
+
+<p>Non! Non! Non!... Pas de doute!... La pendaison!... La mort!...
+Il y a trop d'injustice!... Il a trop abusé!... Il y a trop
+longtemps!... Qu'on l'écrase! Qu'on le mange!... Tout de
+suite!... Tout de suite!...</p>
+
+<p>TYLTYL, [à la Chatte.]</p>
+
+<p>Qu'ont-ils donc?... Ils ne sont pas contents?...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Ne vous inquiétez pas.... Ils sont un peu fâchés à cause que le
+Printemps est en retard.... Laissez-moi faire, j'arrangerai tout
+ça....</p>
+
+<p>LE CHÊNE</p>
+
+<p>Cette unanimité était inévitable.... Il s'agit à présent de
+savoir, pour éviter les représailles, quel genre de supplice sera
+le plus pratique, le plus commode, le plus expéditif et le plus
+sûr; celui qui laissera le moins de traces accusatrices lorsque
+les Hommes retrouveront les petits corps dans la forêt....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est que tout ça?... Où veut-il en venir?... Je
+commence à en avoir assez.... Puisqu'il a l'Oiseau-Bleu, qu'il le
+donne....</p>
+
+<p>LE TAUREAU, [s'avançant.]</p>
+
+<p>Le plus pratique et le plus sûr, c'est un bon coup de corne au
+creux de l'estomac.&mdash;Voulez-vous que je fonce?...</p>
+
+<p>LE CHÊNE</p>
+
+<p>Qui parle ainsi?...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>C'est le Taureau.</p>
+
+<p>LA VACHE</p>
+
+<p>Il ferait mieux de se tenir tranquille.... Moi, je ne m'en mêle
+pas.... J'ai à brouter toute l'herbe de la prairie qu'on voit
+là-bas, dans le bleu de la lune.... J'ai trop à faire....</p>
+
+<p>LE BÅ’UF</p>
+
+<p>Moi aussi. D'ailleurs, j'approuve tout d'avance....</p>
+
+<p>LE HÊTRE</p>
+
+<p>Moi, j'offre ma plus haute branche pour les pendre....</p>
+
+<p>LE LIERRE</p>
+
+<p>Et moi le nœud coulant....</p>
+
+<p>LE SAPIN</p>
+
+<p>Et moi les quatre planches pour la petite boîte....</p>
+
+<p>LE CYPRÈS</p>
+
+<p>Et moi la concession à perpétuité....</p>
+
+<p>LE SAULE</p>
+
+<p>Le plus simple serait de les noyer dans une de mes rivières....
+Je m'en charge....</p>
+
+<p>LE TILLEUL, [conciliant.]</p>
+
+<p>Voyons, voyons.... Est-il bien nécessaire d'en venir à ces
+extrémités? Ils sont encore bien jeunes.... On pourrait tout
+bonnement les empêcher de nuire en les retenant prisonniers dans
+un clos que je me charge de construire en me plantant tout
+autour....</p>
+
+<p>LE CHÊNE</p>
+
+<p>Qui parle ainsi?... Je crois reconnaître la voix mielleuse du
+Tilleul....</p>
+
+<p>LE SAPIN</p>
+
+<p>En effet....</p>
+
+<p>LE CHÊNE</p>
+
+<p>Il y a donc un renégat parmi nous, comme parmi les Animaux?...
+Jusqu'ici, nous n'avions à déplorer que la défection des Arbres
+fruitiers; mais ceux-ci ne sont pas de véritables Arbres....</p>
+
+<p>LE PORC, [roulant de petits yeux gloutons.]</p>
+
+<p>Moi, je pense qu'il faut d'abord manger la petite fille.... Elle
+doit être bien tendre....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Que dit-il celui-là?... Attends un peu, espèce de....</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>Je ne sais ce qu'ils ont; mais cela prend mauvaise tournure....</p>
+
+<p>LE CHÊNE</p>
+
+<p>Silence!... Il s'agit de savoir qui de nous aura l'honneur de
+porter le premier coup; qui écartera de nos cimes le plus grand
+danger que nous ayons couru depuis la naissance de l'Homme....</p>
+
+<p>LE SAPIN</p>
+
+<p>C'est à vous, notre roi et notre patriarche, que revient cet
+honneur....</p>
+
+<p>LE CHÊNE</p>
+
+<p>C'est le Sapin qui parle?... Hélas! je suis trop vieux! Je suis
+aveugle, infirme, et mes bras engourdis ne m'obéissent plus....
+Non, c'est à vous, mon frère, toujours vert, toujours droit,
+c'est à vous, qui vîtes naître la plupart de ces Arbres,
+qu'échoit, à mon défaut, la gloire du noble geste de notre
+délivrance....</p>
+
+<p>LE SAPIN</p>
+
+<p>Je vous remercie, mon vénérable père.... Mais comme j'aurai déjà
+l'honneur d'ensevelir les deux victimes, je craindrais d'éveiller
+la juste jalousie de mes collègues; et je crois qu'après nous, le
+plus ancien et le plus digne, celui qui possède la meilleure
+massue, c'est le Hêtre....</p>
+
+<p>LE HÊTRE</p>
+
+<p>Vous savez que je suis vermoulu et que ma massue n'est point
+sûre.... Mais l'Orme et le Cyprès ont de puissantes armes....</p>
+
+<p>L'ORME</p>
+
+<p>Je ne demanderais pas mieux; mais je puis à peine me tenir
+debout.... Une taupe, cette nuit, m'a retourné le gros orteil....</p>
+
+<p>LE CYPRÈS</p>
+
+<p>Quant à moi, je suis prêt.... Mais, comme mon bon frère le Sapin,
+j'aurai déjà, sinon le privilège de les ensevelir, tout au moins
+l'avantage de pleurer sur leur tombe.... Ce serait illégitimement
+cumuler.... Demandez au Peuplier....</p>
+
+<p>LE PEUPLIER</p>
+
+<p>A moi?... Y pensez-vous?... Mais mon bois est plus tendre que la
+chair d'un enfant!... Et puis, je ne sais ce que j'ai.... Je
+tremble de fièvre.... Regardez donc mes feuilles.... J'ai dû
+prendre froid ce matin au lever du soleil....</p>
+
+<p>LE CHÊNE, [éclatant d'indignation.]</p>
+
+<p>Vous avez peur de l'Homme!... Même ces petits enfants isolés et
+sans armes vous inspirent la terreur mystérieuse qui fit toujours
+de nous les esclaves que nous sommes!... Eh bien, non! C'est
+assez!... Puisqu'il en est ainsi, puisque l'heure est unique,
+j'irai seul, vieux, perclus, tremblant, aveugle, contre l'ennemi
+héréditaire!... Où est-il?...</p>
+
+<blockquote><p>[Tâtonnant de son bâton, il s'avance vers Tyltyl.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL, [tirant son couteau de sa poche.]</p>
+
+<p>C'est à moi qu'il en a, ce vieux-là, avec son gros bâton?...</p>
+
+<blockquote><p>[Tous les autres Arbres, poussant un cri d'épouvante à la
+vue du couteau, l'arme mystérieuse et irrésistible de
+l'Homme, s'interposent et retiennent le Chêne.] </p></blockquote>
+
+<p>LES ARBRES</p>
+
+<p>Le couteau!... Prenez garde!.... Le couteau!...</p>
+
+<p>LE CHÊNE, se débattant.</p>
+
+<p>Laissez-moi!... Que m'importe!... Le couteau ou la hache!... Qui
+me retient?... Quoi! vous êtes tous ici?... Quoi! vous tous vous
+voulez?... [Jetant son bâton] Eh bien, soit!... Honte à nous!...
+Que les Animaux nous délivrent!...</p>
+
+<p>LE TAUREAU</p>
+
+<p>C'est cela!... Je m'en charge!... Et d'un seul coup de corne!...</p>
+
+<p>LE BÅ’UF et LA VACHE, [le retenant par la queue.]</p>
+
+<p>De quoi te mêles-tu?...Ne fais pas de bêtises!... C'est une
+mauvaise affaire!... Cela finira mal.... C'est nous qui
+trinquerons.... Laisse donc.... C'est affaire aux Animaux
+sauvages....</p>
+
+<p>LE TAUREAU</p>
+
+<p>Non, non!... C'est mon affaire!... Attendez!... Mais retenez-moi
+donc ou je fais un malheur!...</p>
+
+<p>TYLTYL, [à Mytyl qui pousse des cris aigus.]</p>
+
+<p>N'aie pas peur!... Mets-toi derrière moi.... J'ai mon couteau....</p>
+
+<p>LE COQ</p>
+
+<p>C'est qu'il est crâne, le petit!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Alors, c'est décidé, c'est à moi qu'on en veut?...</p>
+
+<p>L'ÂNE</p>
+
+<p>Mais bien sûr, mon petit, tu y a mis le temps, à t'en
+apercevoir!...</p>
+
+<p>LE PORC</p>
+
+<p>Tu peux faire ta prière, va, c'est ta dernière heure. Mais ne
+cache pas la petite fille.... Je veux m'en régaler les yeux....
+C'est elle que je mangerai la première....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce que je vous ai fait?...</p>
+
+<p>LE MOUTON</p>
+
+<p>Rien du tout, mon petit.... Mangé mon petit frère, mes deux
+sœurs, mes trois oncles, ma tante, bon-papa, bonne-maman....
+Attends, attends, quand tu seras par terre, tu verras que j'ai
+des dents aussi....</p>
+
+<p>L'ÂNE</p>
+
+<p>Et que j'ai des sabots!...</p>
+
+<p>LE CHEVAL, [piaffant fièrement.]</p>
+
+<p>Vous allez voir ce que vous allez voir!... Aimez-vous mieux que
+je le déchire à belles dents ou que je vous l'abatte à coups de
+pied?... [Il s'avance magnifiquement sur Tyltyl qui lui fait face
+en levant son couteau. Tout à coup, le Cheval, pris de panique,
+tourne le dos et fuit à toutes jambes.] Ah! mais non!... Ce n'est
+pas juste!... Ce n'est pas de jeu!... Il se défend!...</p>
+
+<p>LE COQ, [ne pouvant cacher son admiration.]</p>
+
+<p>C'est égal, le petit n'a pas froid aux yeux!...</p>
+
+<p>LE PORC, [à l'Ours et au Loup.]</p>
+
+<p>Précipitons-nous tous ensemble.... Je vous soutiendrai par
+derrière.... Nous les renverserons et nous nous partagerons la
+petite fille quand elle sera par terre....</p>
+
+<p>LE LOUP</p>
+
+<p>Amusez-les par là.... Je vais faire un mouvement tournant....</p>
+
+<blockquote><p>[Il tourne Tyltyl qu'il attaque par derrière et renverse à demi.]</p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Judas!... [Il se redresse sur un genou, brandissant son couteau
+et couvrant de son mieux sa petite sœur qui pousse des
+hurlements de détresse.&mdash;Le voyant à demi renversé, tous les
+Animaux et les Arbres se rapprochent et cherchent à lui porter
+des coups. L'obscurité se fait subitement. Éperdument, Tyltyl
+appelle à l'aide.] A moi! A moi!... Tylô! Tylô!... Où est la
+Chatte?... Tylô!... Tylette! Tylette!... Venez! venez!...</p>
+
+<p>LA CHATTE, [hypocritement, à l'écart.]</p>
+
+<p>Je ne peux pas.... Je viens de me fouler la patte....</p>
+
+<p>TYLTYL, [parant les coups et se défendant de son mieux.]</p>
+
+<p>A moi!... Tylô! Tylô!... Je ne peux plus!... Ils sont trop!...
+L'Ours! le Cochon! le Loup! l'Âne! le Sapin! le Hêtre!... Tylô!
+Tylô! Tylô!...</p>
+
+<blockquote><p>[Traînant ses liens brisés, le Chien bondit de derrière le
+tronc du Chêne et, bousculant Arbres et Animaux, se jette
+devant Tyltyl qu'il détend avec rage.] </p></blockquote>
+
+<p>LE CHIEN, [tout en distribuant d'énormes coups de dent.]</p>
+
+<p>Voilà! voilà! mon petit dieu!... N'aie pas peur! Allons-y!...
+J'ai de bons coups de gueule!... Tiens, voilà pour toi, l'Ours,
+là dans ton gros derrière!...Voyons, qui en veut encore?... Voilà
+pour le Cochon, et ça pour le Cheval et la queue du Taureau!
+Voilà! j'ai déchiré la culotte du Hêtre et le jupon du Chêne!...
+Le Sapin f.... le camp!... C'est égal, il fait chaud!...</p>
+
+<p>TYLTYL, [accablé.]</p>
+
+<p>Je n'en peux plus!... Le Cyprès m'a donné un grand coup sur la
+tête....</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Aïe! c'est un coup du Saule!... Il m'a cassé la patte!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ils reviennent à la charge! Tous ensemble!... Cette fois, c'est
+le Loup!...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Attends, que je l'étrenne!...</p>
+
+<p>LE LOUP</p>
+
+<p>Imbécile!... Notre frère!... Ses parents ont noyé tes petits!...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Ils ont bien fait!... Tant mieux!... C'est qu'ils te
+ressemblaient!...</p>
+
+<p>TOUS LES ARBRES et TOUS LES ANIMAUX</p>
+
+<p>Renégat!... Idiot!... Traître! Félon! Nigaud!... Judas!...
+Laisse-le! C'est la mort! Viens à nous!</p>
+
+<p>LE CHIEN, [ivre d'ardeur et de dévouement.]</p>
+
+<p>Non! non!... Seul contre tous!... Non, non!... Fidèle aux dieux!
+aux meilleurs! aux plus grands!... [À Tyltyl.]Prends garde, voici
+l'Ours!... Méfie-toi du Taureau.... Je vais lui sauter à la
+gorge.... Aïe!... C'est un coup de pied.... L'Âne m'a cassé deux
+dents....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Je ne peux plus, Tylô!... Aïe!... C'est un coup de l'Orme....
+Regarde, ma main saigne.... C'est le Loup ou le Porc....</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Attends, mon petit dieu.... Laisse-moi t'embrasser. Là, un bon
+coup de langue.... Ça te fera du bien.... Reste bien derrière
+moi.... Ils n'osent plus approcher.... Si!... Les voilà qui
+reviennent!... Ah! ce coup, c'est sérieux!... Tenons ferme!...</p>
+
+<p>TYLTYL, [se laissant tomber sur le sol.]</p>
+
+<p>Non, ce n'est plus possible....</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>On vient!... J'entends, je flaire!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Où donc?... Qui donc?...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Là! là!... C'est la Lumière!... Elle nous a retrouvés!...
+Sauvés, mon petit roi!... Embrasse-moi!... Sauvés!... regarde!...
+Ils se méfient!... Ils s'écartent!... Ils ont peur!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>La Lumière!... La Lumière!... Venez donc!... Hâtez-vous!... Ils
+se sont révoltés!... Ils sont tous contre nous!...</p>
+
+<blockquote><p>[Entre la Lumière: à mesure qu'elle s'avance, l'Aurore se
+lève sur la forêt qui s'éclaire.] </p></blockquote>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Qu'est-ce donc?... Qu'y a-t-il?...Mais, malheureux! tu ne savais
+donc pas!... Tourne le Diamant! Ils rentreront dans le Silence et
+dans l'Obscurité; et tu ne verras plus leurs sentiments....</p>
+
+<blockquote><p>[Tyltyl tourne le Diamant.&mdash;Aussitôt les âmes de tous les
+Arbres se précipitent dans les troncs qui se referment.
+&mdash;Les âmes des Animaux disparaissent également; et l'on
+voit, au loin, brouter une Vache et un Mouton paisibles,
+etc.&mdash;La Forêt redevient innocente. Étonné, Tyltyl regarde
+autour de soi.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Où sont-ils?... Qu'avaient-ils?... Est-ce qu'ils étaient
+fous?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Mais non, ils sont toujours ainsi; mais on ne le sait pas parce
+qu'on ne le voit pas.... Je te l'avais bien dit: il est dangereux
+de les réveiller quand je ne suis pas là....</p>
+
+<p>TYLTYL, [essuyant son couteau.]</p>
+
+<p>C'est égal; sans le Chien et si je n'avais pas eu mon couteau....
+Je n'aurais jamais cru qu'ils fussent si méchants!...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Tu vois bien que l'Homme est tout seul contre tous, en ce
+monde....</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Tu n'as pas trop de mal, mon petit dieu?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Rien de grave.... Quant à Mytyl, ils ne l'ont pas touchée....
+Mais toi, mon bon Tylô?... Tu as la bouche en sang, et ta patte
+est cassée?...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Pas la peine d'en parler.... Demain, il n'y paraîtra plus....
+Mais l'affaire était chaude!...</p>
+
+<p>LA CHATTE, [sortant d'un fourré en boitant.]</p>
+
+<p>Je crois bien!... Le Bœuf m'a donné un coup de corne dans le
+ventre.... On n'en voit pas la trace, mais il me fait bien
+mal.... Et le Chêne m'a cassé la patte....</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>J'aimerais bien savoir laquelle....</p>
+
+<p>MYTYL, caressant la Chatte.</p>
+
+<p>Ma pauvre Tylette, est-ce vrai?... Où donc te trouvais-tu?... Je
+ne t'ai pas aperçue....</p>
+
+<p>LA CHATTE, [hypocritement.]</p>
+
+<p>Petite mère, j'ai été blessée tout de suite, en attaquant le
+vilain Porc qui voulait te manger.... C'est alors que le Chêne
+m'a donné ce grand coup qui m'a étourdie....</p>
+
+<p>LE CHIEN, [à la Chatte, entre les dents.]</p>
+
+<p>Toi, tu sais, j'ai deux mots à te dire.... Tu ne perdras rien
+pour attendre!...</p>
+
+<p>LA CHATTE, [plaintivement, à Mytyl.]</p>
+
+<p>Petite mère, il m'insulte.... Il veut me faire du mal....</p>
+
+<p>MYTYL, [au Chien.]</p>
+
+<p>Veux-tu bien la laisser tranquille, vilaine bête....</p>
+
+<p>Ils sortent tous.</p>
+
+<p>RIDEAU</p>
+
+
+
+<hr style="width: 65%;" />
+<h3><a name="ACTE_QUATRIEME" id="ACTE_QUATRIEME"></a>ACTE QUATRIÈME</h3>
+
+
+
+<hr style="width: 45%;" />
+<h3><a name="SIXIEME_TABLEAU" id="SIXIEME_TABLEAU"></a>SIXIÈME TABLEAU</h3>
+
+<h4>DEVANT LE RIDEAU</h4>
+
+<hr style="width: 45%;" />
+
+<blockquote><p>[Entrent Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Chien, le Chat, le
+Pain, le Feu, le Sucre, l'Eau et le Lait.] </p></blockquote>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>J'ai reçu un petit mot de la Fée Bérylune qui m'apprend que
+l'Oiseau-Bleu se trouve probablement ici....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Où ça?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Ici, dans le cimetière qui est derrière ce mur.... Il paraît
+qu'un des morts de ce cimetière le cache dans la tombe.... Reste
+à savoir lequel.... Il faudra qu'on les passe en revue....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>En revue?... Comment qu'on fera?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>C'est bien simple: à minuit, pour ne pas trop les déranger, tu
+tourneras le Diamant. On les verra sortir de terre; ou bien on
+apercevra au fond de leurs tombes ceux qui ne sortent pas....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ils ne seront pas fâchés?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Nullement, ils ne s'en douteront même pas.... Ils n'aiment pas
+qu'on les dérange; mais comme de toutes façons ils ont coutume de
+sortir à minuit, cela ne les gênera pas....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Pourquoi que le Pain, le Sucre et le Lait sont si pâles et
+pourquoi qu'ils ne disent rien?...</p>
+
+<p>LE LAIT, [chancelant.]</p>
+
+<p>Je sens que je vais tourner....</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE, [bas, à Tyltyl.]</p>
+
+<p>Ne fais pas attention.... Ils ont peur des morts..</p>
+
+<p>LE FEU, [gambadant.]</p>
+
+<p>Moi, je n'en ai pas peur!... J'ai l'habitude de les brûler....
+Dans les temps, je les brûlais tous; c'était bien plus amusant
+qu'aujourd'hui....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et pourquoi Tylô tremble-t-il?... Est-ce qu'il a peur aussi?</p>
+
+<p>LE CHIEN, [claquant des dents.]</p>
+
+<p>Moi?... Je ne tremble pas!... Moi, je n'ai jamais peur; mais si
+tu t'en allais, je m'en irais aussi....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et la Chatte ne dit rien?...</p>
+
+<p>LA CHATTE, [mystérieuse.]</p>
+
+<p>Je sais ce que c'est....</p>
+
+<p>TYLTYL, [à la Lumière.]</p>
+
+<p>Tu viendras avec nous?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Non, il est préférable que je reste à la porte du cimetière avec
+les Choses et les Animaux.... L'heure n'est pas venue.... La
+Lumière ne peut pas encore pénétrer chez les morts.... Je vais te
+laisser seul avec Mytyl....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et Tylô ne peut pas rester avec-nous?...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Si, si, je reste, je reste ici.... Je veux rester près de mon
+petit dieu!...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>C'est impossible.... L'ordre de la Fée est formel; du reste, il
+n'y a rien à craindre....</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Bien, bien, tant pis.... S'ils sont méchants, mon petit dieu, tu
+n'as qu'à faire comme ça [il siffle.] et tu verras.... Ce sera
+comme dans la forêt: Wa! Wa! Wa!...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Allons, adieu, mes chers petits.... Je ne serai pas loin....
+[Elle embrasse les enfants.] Ceux qui m'aiment et que j'aime me
+retrouvent toujours.... [Aux Choses et aux Animaux.] Vous
+autres.... par ici.</p>
+
+<blockquote><p>[Elle sort avec les Choses et les Animaux. Les enfants
+restent seuls au milieu de la scène. Le rideau s'ouvre pour
+découvrir le septième tableau.] </p></blockquote>
+
+
+
+
+<hr style="width: 65%;" />
+<h3><a name="SEPTIEME_TABLEAU" id="SEPTIEME_TABLEAU"></a>SEPTIÈME TABLEAU</h3>
+
+<h4>LE CIMETIÈRE</h4>
+
+
+<p>Il fait nuit. Clair de lune. Un cimetière de campagne.
+Nombreuses tombes, tertres de gazon, croix de bois,
+dalles funéraires, etc.</p>
+
+<hr style="width: 45%;" />
+
+<blockquote><p>[Tyltyl et Mytyl sont debout près d'un cippe.] </p></blockquote>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>J'ai peur.</p>
+
+<p>TYLTYL, [assez peu rassuré.]</p>
+
+<p>Moi, je n'ai jamais peur....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>C'est méchant, les morts, dis?..</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais non, puisqu'ils ne vivent pas....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Tu en as déjà vu?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui, une fois, dans le temps, lorsque j'étais très jeune....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Comment c'est fait, dis?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est tout blanc, très tranquille et très froid, et ça ne parle
+pas....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Nous allons les voir, dis?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Bien sûr, puisque la Lumière l'a promis....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Où c'est qu'ils sont, les morts?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ici, sous le gazon ou sous ces grosses pierres.</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Ils sont là toute l'année?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui.</p>
+
+<p>MYTYL, [montrant les dalles.]</p>
+
+<p>C'est les portes de leurs maisons?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui.</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'ils sortent quand il fait beau?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ils ne peuvent sortir qu'à la nuit....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Pourquoi?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Parce qu'ils sont en chemise....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'ils sortent aussi quand il pleut?.</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Quand il pleut, ils restent chez eux....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>C'est beau chez eux, dis?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>On dit que c'est fort étroit....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'ils ont des petits enfants?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Bien sûr; ils ont tous ceux qui meurent....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Et de quoi vivent-ils?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ils mangent des racines....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Est-ce que nous les verrons?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Bien sûr, puisqu'on voit tout quand le Diamant est tourné.</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Et qu'est-ce qu'ils diront?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ils ne diront rien, puisqu'ils ne parlent pas....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Pourquoi qu'ils ne parlent pas?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Parce qu'ils n'ont rien à dire....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Pourquoi qu'ils n'ont rien à dire?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tu m'embêtes....</p>
+
+<blockquote><p>[Un silence.]</p></blockquote>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Quand tourneras-tu le Diamant?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tu sais bien que la Lumière a dit d'attendre à minuit, parce
+qu'alors on les dérange moins....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Pourquoi qu'on les dérange moins?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Parce que c'est l'heure où ils sortent prendre l'air.</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Il n'est pas minuit?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Vois-tu le cadran de l'église?...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Oui, je vois même la petite aiguille....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et bien! minuit va sonner.... Là!... Tout juste....
+Entends-tu?...</p>
+
+<p>On entend sonner les douze coups de minuit.</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Je veux m'en aller!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ce n'est pas le moment.... Je vais tourner le Diamant....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Non, non!... Ne le fais pas!... Je veux m'en aller!... J'ai si
+peur, petit frère!... J'ai terriblement peur!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais il n'y a pas de danger....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Je ne veux pas voir les morts!... Je ne veux pas les voir!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est bon, tu ne les verras pas, tu fermeras les yeux....</p>
+
+<p>MYTYL, [s'accrochant aux vêtements de Tyltyl.]</p>
+
+<p>Tyltyl, je ne peux pas!... Non, ce n'est pas possible!... Ils
+vont sortir de terre!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ne tremble pas ainsi.... Ils ne sortiront qu'un moment....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Mais tu trembles aussi, toi!... Ils seront effrayants!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Il est temps, l'heure passe....</p>
+
+<blockquote><p>[Tyltyl tourne le Diamant. Une terrifiante minute de silence
+et d'immobilité; après quoi, lentement, les croix
+chancellent, les tertres s'entr'ouvrent, les dalles se
+soulèvent.] </p></blockquote>
+
+<p>MYTYL, [se blottissant contre Tyltyl.]</p>
+
+<p>Ils sortent!... Ils sont là!...</p>
+
+<blockquote><p>[Alors, de toutes les tombes béantes monte graduellement une
+floraison d'abord grêle et timide comme une vapeur d'eau,
+puis blanche et virginale et de plus en plus touffue, de
+plus en plus haute, surabondante et merveilleuse, qui peu à
+peu, irrésistiblement, envahissant toutes choses, transforme
+le cimetière en une sorte de jardin féerique et nuptial, sur
+lequel ne tardent pas à se lever les premiers rayons de
+l'aube. La rosée scintille, les fleurs s'épanouissent, le
+vent murmure dans les feuilles, les abeilles bourdonnent,
+les oiseaux s'éveillent et inondent l'espace des premières
+ivresses de leurs hymnes au soleil et à la vie. Stupéfaits,
+éblouis, Tyltyl et Mytyl, se tenant par la main, font
+quelques pas parmi les fleurs en cherchant la trace des
+tombes.] </p></blockquote>
+
+<p>MYTYL, [cherchant dans le gazon.]</p>
+
+<p>Où sont-ils, les morts?...</p>
+
+<p>TYLTYL, [cherchant de même.]</p>
+
+<p>Il n'y a pas de morts....</p>
+
+
+<p>RIDEAU</p>
+
+
+
+<hr style="width: 65%;" />
+<h3><a name="HUITIEME_TABLEAU" id="HUITIEME_TABLEAU"></a>HUITIÈME TABLEAU</h3>
+
+<h4>DEVANT LE RIDEAU QUI REPRÉSENTE DE BEAUX NUAGES</h4>
+
+
+<blockquote><p>Entrent: Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Chien, la Chatte, le
+Pain, le Feu, le Sucre, l'Eau et le Lait. </p></blockquote>
+
+<hr style="width: 45%;" />
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Je crois que cette fois nous tenons L'Oiseau-Bleu. J'aurais dû y
+penser dès la première étape.... Ce n'est que ce matin, en
+reprenant mes forces dans l'aurore, que l'idée m'est venue comme
+un rayon du ciel.... Nous sommes à l'entrée des jardins enchantés
+où se trouvent réunis sous la garde du Destin, toutes les Joies,
+tous les Bonheurs des Hommes....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Il y en a beaucoup? Est-ce qu'on en aura? Est-ce qu'ils sont
+petits?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Il en est de petits et de grands, de gros et de délicats, de très
+beaux et d'autres qui sont moins agréables.... Mais les plus
+vilains furent, il y a quelque temps, expulsés des jardins et
+cherchèrent refuge chez les Malheurs. Car il faut remarquer que
+les Malheurs habitent un autre contigu, qui communique avec le
+jardin des Bonheurs et n'en est séparé que par une sorte de
+vapeur ou de rideau subtil que le vent qui souffle des hauteurs
+de la Justice ou du fond de l'Éternité soulève à chaque
+instant.... Maintenant, il s'agit de s'organiser et de prendre
+certaines précautions. En général, les Bonheurs sont fort bons,
+pourtant il en est quelques-uns qui sont plus dangereux et plus
+perfides que les plus grands Malheurs....</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>J'ai une idée! S'ils sont dangereux et perfides, ne serait-il
+pas préférable que nous attendissions tous à la porte, afin
+d'être à même de prêter main-forte aux enfants s'ils étaient
+obligés de fuir?...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Pas du tout! pas du tout!... Je veux aller partout avec mes
+petits dieux!... Que tous ceux qui ont peur restent donc à la
+porte!... Nous n'avons pas besoin [Regardant le Pain]. de
+poltrons, [Regardant la Chatte] ni de traîtres....</p>
+
+<p>LE FEU</p>
+
+<p>Moi, j'y vais!... Il paraît que c'est amusant!... On y danse tout
+le temps....</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>Est-ce qu'on y mange aussi?...</p>
+
+<p>L'EAU, [gémissant.]</p>
+
+<p>Je n'ai jamais connu le plus petit Bonheur!... Je veux en voir
+enfin!...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Taisez-vous! Personne ne demande vos avis.... Voici ce que j'ai
+décidé: le Chien, le Pain et le Sucre accompagneront les enfants.
+L'Eau n'entrera pas, parce qu'elle est trop froide, ni le Feu qui
+est trop turbulent. J'engage vivement le Lait à rester à la
+porte, parce qu'il est trop impressionnable; quant à la Chatte,
+elle fera comme elle voudra....</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Elle a peur!...</p>
+
+<p>LA CHATTE</p>
+
+<p>J'irai saluer en passant quelques Malheurs qui sont de vieux amis
+et habitent à côté des Bonheurs....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et toi, la Lumière, est-ce que tu ne viens pas?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Je ne peux pas entrer ainsi chez les Bonheurs; la plupart ne me
+supportent pas.... Mais j'ai ici le voile épais dont je me
+couvre quand je visite les gens heureux.... [Elle déplie un long
+voile dont elle s'enveloppe soigneusement.] Il ne faut pas qu'un
+rayon de mon âme les effraye, car il est beaucoup de Bonheurs qui
+ont peur et ne sont pas heureux.... Voilà, de cette façon, les
+moins jolis et les plus gros eux-mêmes n'auront plus rien à
+redouter....</p>
+
+<blockquote><p>[Le rideau s'ouvre pour découvrir le neuvième tableau.] </p></blockquote>
+
+
+
+<hr style="width: 65%;" />
+<h3><a name="NEUVIEME_TABLEAU" id="NEUVIEME_TABLEAU"></a>NEUVIÈME TABLEAU</h3>
+
+<h4>LES JARDINS DES BONHEURS</h4>
+
+
+<p>Quand s'ouvre le rideau, on découvre, prise sur les premiers
+plans des jardins, une sorte de salle formée de hautes colonnes
+de marbre entre lesquelles, masquant tout le fond, sont tendues
+de lourdes draperies de pourpre que soutiennent des cordages
+d'or. Architecture rappelant les moments les plus sensuels et les
+plus somptueux de la Renaissance (vénitienne ou flamande Véronèse
+et Rubens). Guirlandes, cornes d'abondance, torsades, vases,
+statues, dorures prodigués de toutes parts.&mdash;Au milieu, massive
+et féerique table de jaspe et de vermeil, encombrée de flambeaux,
+de cristaux, de vaisselle d'or et d'argent et surchargée de mets
+fabuleux.&mdash;Autour de la table, mangent, boivent, hurlent,
+chantent, s'agitent, se vautrent ou s'endorment parmi les
+venaisons, les fruits miraculeux, les aiguières et les amphores
+renversées, les plus gros Bonheurs de la terre. Ils sont énormes,
+invraisemblablement obèses et rubiconds, couverts de velours et
+de brocarts, couronnés d'or, de perles et de pierreries. De
+belles esclaves apportent, sans cesse des plats empanachés et des
+breuvages écumiants.&mdash;Musique vulgaire, hilare et brutale où
+dominent les cuivres.&mdash;Une lumière lourde et rouge baigne la
+scène.</p>
+
+<hr style="width: 45%;" />
+
+<blockquote><p>[Tyltyl, Mytyl, le Chien, le Pain et le Sucre, d'abord assez
+intimidés, se pressent, à droite, au premier plan, autour de
+la Lumière. La Chatte, sans rien dire, se dirige vers le
+fond, également à droite, soulève un rideau sombre et
+disparaît.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce que ces gros messieurs qui s'amusent et mangent tant de
+bonnes choses?</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Ce sont les plus gros Bonheurs de la Terre, ceux qu'on peut voir
+à l'œil nu. Il est possible, bien qu'assez peu probable, que
+l'Oiseau-Bleu se soit un instant égaré parmi eux. C'est pourquoi
+ne tourne pas encore le Diamant. Nous allons, pour la forme,
+explorer tout 'd'abord cette partie de la salle.</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'on peut s'approcher?</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Certainement. Ils ne sont pas méchants, bien que vulgaires et,
+d'habitude, assez mal élevés.</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Qu'ils ont de beaux gâteaux!...</p>
+
+<p>LE CHIEN</p>
+
+<p>Et du gibier! et des saucisses! et des gigots d'agneau et du foie
+de veau!... [Proclamant.] Rien au monde n'est meilleur, rien
+n'est plus beau et rien ne vaut le foie de veau!...</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>Excepté les Pains-de-quatre-livres pétris de fine fleur de
+froment! Ils en ont d'admirables!... Qu'ils sont beaux! qu'ils
+sont beaux!... Ils sont plus gros que moi!...</p>
+
+<p>LE SUCRE</p>
+
+<p>Pardon, pardon, mille pardons.... Permettez, permettez.... Je ne
+voudrais froisser personne; mais n'oubliez-vous pas les Sucreries
+qui sont la gloire de cette table et dont l'éclat et la
+magnificence surpassent, si j'ose m'exprimer ainsi, tout ce qu'il
+y a dans cette salle et peut-être en tout autre lieu....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'ils ont l'air contents et heureux!... Et ils crient! et ils
+rient! et ils chantent!... Je crois qu'ils nous ont vus....</p>
+
+<blockquote><p>[En effet, une douzaine des plus Gros Bonheurs se sont levés
+de table et s'avancent péniblement, en soutenant leur
+ventre, vers le groupe des enfants.] </p></blockquote>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Ne crains rien, ils sont très accueillants.... Ils vont
+probablement t'inviter à dîner.... N'accepte pas, n'accepte rien,
+de peur d'oublier ta mission....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Quoi? Pas même un petit gâteau? Ils ont l'air si bons, si frais,
+si bien glacés de sucre, ornés de fruits confits et débordants de
+crème!...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Ils sont dangereux et briseraient ta volonté. Il faut savoir
+sacrifier quelque chose au devoir qu'on remplit. Refuse poliment
+mais avec fermeté. Les voici....</p>
+
+<p>LE PLUS GROS DES BONHEURS, [tendant la main à Tyltyl.]</p>
+
+<p>Bonjour, Tyltyl!...</p>
+
+<p>TYLTYL, [étonné.]</p>
+
+<p>Vous me connaissez donc?... Qui êtes-vous?...</p>
+
+<p>LE GROS BONHEUR</p>
+
+<p>Je suis le plus gros des Bonheurs, le Bonheur-d'être-riche, et je
+viens, au nom de mes frères, vous prier, vous et votre famille,
+d'honorer de votre présence notre repas sans fin. Vous vous
+trouverez au milieu de tout ce qu'il y a de mieux parmi les vrais
+et gros Bonheurs de de cette Terre. Permettez que je vous
+présente les principaux d'entre eux. Voici mon gendre, le
+Bonheur-d'être-propriétaire, qui a le ventre en poire. Voici le
+Bonheur-de-la-vanité-satisfaite, dont le visage est si
+gracieusement bouffi. [Le Bonheur-de-la-vanité-satisfaite salue
+d'un air protecteur.] Voici le
+Bonheur-de-boire-quand-on-n'a-plus-soif et le
+Bonheur-de-manger-quand-on-n'a-plus-faim, qui sont jumeaux et
+ont les jambes en macaroni. [Ils saluent en chancelant.] Voici le
+Bonheur-de-ne-rien-savoir, qui est sourd comme une limande, et le
+Bonheur-de-ne-rien-comprendre, qui est aveugle comme une taupe.
+Voici le Bonheur-de-ne-rien-faire et le
+Bonheur-de-dormir-plus-qu'il-n'est-nécessaire, qui ont les mains
+en mie de pain et les yeux en gelée de pêche. Voici enfin le
+Rire-Épais qui est fendu jusqu'aux oreilles et auquel rien ne
+peut résister....</p>
+
+<blockquote><p>[Le Rire-Épais salue en se tordant.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL, [montrant du doigt un Gros Bonheur qui se tient un peu à
+l'écart.]</p>
+
+<p>Et celui-là, qui n'ose pas approcher et nous tourne le dos?...</p>
+
+<p>LE GROS BONHEUR</p>
+
+<p>N'insistez pas, il est un peu gêné et n'est pas présentable à des
+enfants.... [Saisissant les mains de Tyltyl.] Mais venez donc! On
+recommence le festin.... C'est la douzième fois depuis l'aurore.
+On n'attend plus que vous.... Entendez-vous tous les convives qui
+vous réclament à grands cris?... Je ne puis vous les présenter
+tous, ils sont extrêmement nombreux.... [Offrant le bras aux deux
+enfants.] Permettez que je vous conduise aux deux places
+d'honneur....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Je vous remercie bien, monsieur le Gros Bonheur.... Je regrette
+vivement.... Je ne peux pas pour le moment.... Nous sommes très
+pressés, nous cherchons l'Oiseau-Bleu. Vous ne sauriez pas, par
+hasard, où il se cache?</p>
+
+<p>LE GROS BONHEUR</p>
+
+<p>L'Oiseau-Bleu?... Attendez donc.... Oui, oui, je me rappelle....
+On m'en a parlé dans le temps.... C'est, je crois, un oiseau qui
+n'est pas comestible.... En tout cas, il n'a jamais paru sur
+notre table.... C'est vous dire qu'on le tient en médiocre
+estime.... Mais ne vous mettez pas en peine; nous avons tant
+d'autres choses bien meilleures.... Vous allez vous mêler à notre
+vie, vous verrez tout ce que nous faisons....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Que faites-vous?</p>
+
+<p>LE GROS BONHEUR</p>
+
+<p>Mais nous nous occupons sans cesse à ne rien faire.... Nous
+n'avons pas une minute de repos.... Il faut boire, il faut
+manger, il faut dormir. C'est extrêmement absorbant....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Est-ce que c'est amusant?</p>
+
+<p>LE GROS BONHEUR</p>
+
+<p>Mais oui.... Il le faut bien, il n'y a pas autre chose sur cette
+Terre....</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Croyez-vous?...</p>
+
+<p>LE GROS BONHEUR, [indiquant du doigt la Lumière, bas, à Tyltyl.]</p>
+
+<p>Quelle est cette jeune personne mal élevée?...</p>
+
+<blockquote><p>[Durant toute la conversation précédente, une foule de Gros
+Bonheurs de second ordre s'est occupée du Chien, du Sucre et
+du Pain, et les a entraînés vers l'orgie. Tyltyl aperçoit
+soudain ces derniers qui, attablés fraternellement avec
+leurs hôtes, mangent, boivent et se trémoussent follement.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Voyez donc, la Lumière!... Ils sont à table!...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Rappelle-les! sinon cela finira mal!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tylô!...Tylô! ici!... Veux-tu venir ici, tout de suite,
+entends-tu!... Et vous, là-bas, le Sucre et le Pain, qui donc
+vous a permis de me quitter?... Qu'est-ce que vous faites là,
+sans autorisation?...</p>
+
+<p>LE PAIN, [la bouche pleine.]</p>
+
+<p>Est-ce que tu ne pourrais pas nous parler plus poliment?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Quoi? C'est le Pain qui se permet de me tutoyer?... Mais
+qu'est-ce qui te prend?... Et toi, Tylô!... Est-ce ainsi qu'on
+obéit? Allons, viens ici, à genoux, à genoux!... Et plus vite que
+ça!...</p>
+
+<p>LE CHIEN, [à mi-voix et du bout de la table.]</p>
+
+<p>Moi, quand je mange, je n'y suis pour personne et je n'entends
+plus rien....</p>
+
+<p>LE SUCRE, [mielleusement.]</p>
+
+<p>Excusez-nous, nous ne saurions quitter ainsi, sans les froisser,
+d'aussi aimables hôtes....</p>
+
+<p>LE GROS BONHEUR</p>
+
+<p>Vous voyez!... Ils vous donnent l'exemple.... Venez, on vous
+attend.... Nous n'admettons pas de refus.... On vous fera une
+douce violence.... Allons, les Gros Bonheurs, aidez-moi!...
+Poussons-les de force vers la table, pour qu'ils soient heureux
+malgré eux!...</p>
+
+<blockquote><p>[Tous les Gros Bonheurs, avec des cris de joie et gambadant
+de leur mieux, entraînent les enfants qui se débattent,
+tandis que le Rire-Épais saisit vigoureusement la Lumière
+par la taille.]</p></blockquote>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Tourne le Diamant, il est temps!...</p>
+
+<blockquote><p>[Tyltyl fait ce qu'ordonne la Lumière. Aussitôt la scène
+s'illumine d'une clarté ineffablement pure, divinement
+rosée, harmonieuse et légère. Les lourds ornements du
+premier plan, les épaisses tentures rouges se détachent et
+disparaissent, dévoilant un fabuleux et doux jardin de paix
+légère et de sérénité, une sorte de palais de verdure aux
+perspectives harmonieuses, où la magnificence des
+feuillages, puissants et lumineux, exubérants et néanmoins
+disciplinés, où l'ivresse virginale des fleurs et la fraîche
+allégresse des eaux qui coulent, ruissellent et jaillissent
+de toutes parts semblent entraîner jusqu'aux confins de
+l'horizon l'idée même de la félicité. La table de l'orgie
+s'effondre sans laisser de traces; les velours, les
+brocarts, les couronnes des Gros Bonheurs, au souffle
+lumineux qui envahit la scène, se soulèvent, se déchirent et
+tombent, en même temps que les masques hilares, aux pieds
+des convives abasourdis. Ceux-ci se dégonflent à vue
+d'œil, comme des vessies crevées, s'entre-regardent,
+clignotent sous les rayons inconnus qui les blessent, et, se
+voyant enfin tels qu'ils sont en vérité, c'est-à-dire nus,
+hideux, flasques et lamentables, se mettent à pousser des
+hurlements de honte et d'épouvante, parmi lesquels on
+distingue très nettement ceux du Rire-Épais qui dominent
+tous les autres. Seul le Bonheur-de-ne-rien-comprendre
+demeure parfaitement calme, tandis que ses collègues
+s'agitent éperdument, cherchent à fuir, à se cacher dans les
+coins qu'ils espèrent plus sombres. Mais il n'y a plus
+d'ombre dans le jardin éblouissant. Aussi la plupart se
+décident-ils à franchir, en désespoir de cause, le rideau
+menaçant qui, sur là droite, dans un angle, ferme la voûte
+de la caverne des Malheurs. A chaque fois que l'un d'eux,
+dans la panique, soulève un pan de ce rideau, on entend
+s'élever du creux de l'antre une tempête d'injures,
+d'imprécations et de malédictions. Quant au Chien, au Pain
+et au Sucre, l'oreille basse, ils rejoignent le groupe des
+enfants, et, très penauds, se dissimulent derrière eux.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL, [regardant fuir les Gros Bonheurs.]</p>
+
+<p>Dieu qu'ils sont laids!... Où vont-ils?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Ma foi, je crois qu'ils ont perdu la tête.... Ils vont se
+réfugier chez les Malheurs où je crains fort qu'on ne les
+retienne définitivement....</p>
+
+<p>TYLTYL, [regardant autour de soi, émerveillé.]</p>
+
+<p>Oh! le beau jardin, le beau jardin!... Où sommes-nous?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Nous n'avons pas changé de place; ce sont tes yeux qui ont changé
+de sphère.... Nous voyons à présent la vérité des choses; et nous
+allons apercevoir l'âme des Bonheurs qui supportent la clarté du
+Diamant.</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Que c'est beau!... Qu'il fait beau!... On se croirait en plein
+été.... Tiens! on dirait qu'on s'approche et qu'on va s'occuper
+de nous....</p>
+
+<blockquote><p>[En effet, les jardins commencent à se peupler de formes
+angéliques qui semblent sortir d'un long sommeil et glissent
+harmonieusement entre les arbres. Elles sont vêtues de robes
+lumineuses, aux subtiles et suaves nuances: réveil de rose,
+sourire d'eau, azur d'aurore, rosée d'ambre, etc.... ]</p></blockquote>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Voici que s'avancent quelques Bonheurs aimables et curieux qui
+vont nous renseigner....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tu les connais?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Oui, je les connais tous; je viens souvent chez eux, sans qu'ils
+sachent qui je suis....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Il y en a, il y en a!... Ils sortent de tous côtés!...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Il y en avait beaucoup plus dans le temps. Les Gros Bonheurs leur
+ont fait bien du tort.</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est égal, il en reste pas mal....</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Tu en verras bien d'autres, à mesure que l'influence du Diamant
+se répandra parmi les jardins.... On trouve sur la Terre beaucoup
+plus de Bonheurs qu'on ne croit; mais la plupart des Hommes ne
+les découvrent point....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>En voici de petits qui s'avancent, courons à leur rencontre....</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>C'est inutile; ceux qui nous intéressent passeront par ici. Nous
+n'avons pas le temps de faire la connaissance de tous les
+autres....</p>
+
+<blockquote><p>[Une bande de Petits Bonheurs, gambadant et riant aux éclats,
+accourt du fond des verdures et danse une ronde autour des
+enfants.]</p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'ils sont jolis, jolis!... D'où viennent-ils, qui sont-ils?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Ce sont les Bonheurs des enfants....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'on peut leur parler?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>C'est inutile. Ils chantent, ils dansent, ils rient, mais ils ne
+parlent pas encore....</p>
+
+<p>TYLTYL, frétillant.</p>
+
+<p>Bonjour! Bonjour!... Oh! le gros, là, qui rit!... Qu'ils ont de
+belles joues, qu'ils ont de belles robes!... Ils sont tous riches
+ici?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Mais non, ici comme partout, il y a bien plus de pauvres que de
+riches....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Où sont les pauvres?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>On ne peut pas les distinguer.... Le Bonheur d'un enfant est
+toujours revêtu de ce qu'il y a de plus beau sur terre et dans
+les cieux.</p>
+
+<p>TYLTYL, [ne tenant plus en place.]</p>
+
+<p>Je voudrais danser avec eux....</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>C'est absolument impossible, nous n'avons pas le temps.... Je
+vois qu'ils n'ont pas l'Oiseau-Bleu.... Du reste, ils sont
+pressés, tu vois, ils sont déjà passés.... Eux non plus n'ont pas
+de temps à perdre, car l'enfance est très brève....</p>
+
+<blockquote><p>[Une autre bande de Bonheurs, un peu plus grands que les
+précédents, se précipite dans le jardin, et chantant à
+tue-tête: «Les voilà! les voilà! Ils nous voient! Ils nous
+voient!...» danse autour des enfants une joyeuse farandole,
+à la fin de laquelle, celui qui paraît être le chef de la
+petite troupe s'avance vers Tyltyl en lui tendant la main.]</p></blockquote>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>Bonjour, Tyltyl!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Encore un qui me connaît!... [A la Lumière.] On commence à me
+connaître un peu partout.... Qui es-tu?...</p>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>Tu ne me reconnais pas?... Je parie que tu ne reconnais aucun de
+ceux qui sont ici?...</p>
+
+<p>TYLTYL, [assez embarrassé.]</p>
+
+<p>Mais non.... Je ne sais pas.... Je ne me rappelle pas vous avoir
+vus....</p>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>Vous entendez?... J'en étais sûr!... Il ne nous a jamais vus!...
+[Tous les autres Bonheurs de la bande éclatent de rire.] Mais,
+mon petit Tyltyl, tu ne connais que nous!... Nous sommes toujours
+autour de toi!... Nous mangeons, nous buvons, nous nous
+éveillons, nous respirons, nous vivons avec toi!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui, oui, parfaitement, je sais, je me rappelle.... Mais je
+voudrais savoir comment on vous appelle....</p>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>Je vois bien que tu ne sais rien.... Je suis le chef des
+Bonheurs-de-ta-maison; et tous ceux-ci sont les autres Bonheurs
+qui l'habitent....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Il y a donc des Bonheurs à la maison?...</p>
+
+<blockquote><p>[Tous les Bonheurs éclatent de rire.] </p></blockquote>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>Vous l'avez entendu!... S'il y a des Bonheurs dans ta maison!...
+Mais, petit malheureux, elle en est pleine à faire sauter les
+portes et les fenêtres!... Nous rions, nous chantons, nous créons
+de la joie à refouler les murs, à soulever les toits; mais nous
+avons beau faire, tu ne vois rien, tu n'entends rien.... J'espère
+qu'à l'avenir tu seras un peu plus raisonnable.... En attendant,
+tu vas serrer la main aux plus notables.... Une fois rentré chez
+toi, tu les reconnaîtras ainsi plus facilement.... Et puis, à la
+fin d'un beau jour, tu sauras les encourager d'un sourire, les
+remercier d'un mot aimable, car ils font vraiment tout ce qu'ils
+peuvent pour te rendre la vie légère et délicieuse.... Moi
+d'abord, ton serviteur, le Bonheur-de-se-bien-porter.... Je ne
+suis pas le plus joli, mais le plus sérieux. Tu me
+reconnaîtras?... Voici le Bonheur-de-l'air-pur, qui est à peu
+près transparent.... Voici le Bonheur-d'aimer-ses-parents, qui
+est vêtu de gris et toujours un peu triste, parce qu'on ne le
+regarde jamais.... Voici le Bonheur-du-ciel-bleu, qui est
+naturellement vêtu de bleu; et le Bonheur-de-la-forêt qui, non
+moins naturellement, est habillé de vert, et que tu reverras
+chaque fois que tu te mettras à la fenêtre.... Voici encore le
+bon Bonheur-des-heures-de soleil qui est couleur de diamant, et
+celui du-Printemps qui est d'émeraude folle....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et vous êtes aussi beaux tous les jours?...</p>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>Mais oui, c'est tous les jours dimanche, dans toutes les maisons,
+quand on ouvre les yeux.... Et puis, quand vient le soir, voici
+le Bonheur-des-couchers-de-soleil, qui est plus beau que tous les
+rois du monde; et que suit le
+Bonheur-devoir-se-lever-les-étoiles, doré comme un dieu
+d'autrefois.... Puis, quand il fait mauvais, voici le
+Bonheur-de-la-pluie qui est couvert de perles, et le
+Bonheur-du-feu-d'hiver qui ouvre aux mains gelées son beau
+manteau de pourpre.... Et je ne parle pas du meilleur de tous,
+parce qu'il est presque frère des grandes Joies limpides que vous
+verrez bientôt, et qui est le Bonheur-des-pensées-innocentes, le
+plus clair d'entre nous.... Et puis, voici encore.... Mais
+vraiment, ils sont trop!... Nous n'en finirions pas, et je dois
+prévenir d'abord les Grandes-Joies qui sont là-haut, au fond,
+près des portes du ciel, et ne savent pas encore que vous êtes
+arrivés.... Je vais leur dépêcher le
+Bonheur-de-courir-nu-pieds-dans-la-rosée, qui est le plus
+agile.... [Au Bonheur qu'il vient de nommer et qui s'avance en
+faisant des cabrioles.] Va!...</p>
+
+<blockquote><p>[A ce moment, une sorte de diablotin en maillot noir,
+bousculant tout le monde en poussant des cris inarticulés,
+s'approche de Tyltyl, et gambade follement en l'accablant de
+nasardes, taloches et coups de pied insaisissables.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL, [ahuri et profondément indigné.]</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est que ce sauvage?</p>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>Bon! c'est encore le Plaisir-d'être-insupportable qui s'est
+échappé de la caverne des Malheurs. On ne sait où l'enfermer. Il
+s'évade de partout, et les Malheurs eux-mêmes ne veulent plus le
+garder.</p>
+
+<blockquote><p>[Le diablotin continue de lutiner Tyltyl qui essaye
+vainement de se défendre, puis, soudain, riant aux éclats,
+disparaît sans raison, comme il était venu.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce qu'il a? Il est un peu fou?</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Je ne sais. Il paraît que c'est ainsi que tu es toi-même lorsque
+tu n'es pas sage. Mais en attendant, il faudrait s'informer de
+l'Oiseau-Bleu. Il se peut que le chef des Bonheurs-de-ta-maison
+n'ignore pas où il se trouve....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Où est-il?...</p>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>Il ne sait pas où se trouve l'Oiseau-Bleu!...</p>
+
+<blockquote><p>[Tous les Bonheurs-de-la-maison éclatent de rire.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL, [vexé.]</p>
+
+<p>Mais non, je ne sais pas.... Il n'y a pas de quoi rire....</p>
+
+<blockquote><p>[Nouveaux éclats de rires.] </p></blockquote>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>Voyons, ne te fâche pas.... et puis, soyons sérieux.... Il ne
+sait pas, que voulez-vous, il n'est pas plus ridicule que la
+plupart des Hommes.... Mais voici que le petit
+Bonheur-de-courir-nu-pieds-dans-la-rosée a prévenu les
+Grandes-Joies qui s'avancent vers nous....</p>
+
+<blockquote><p>[En effet, les hautes et belles figures angéliques, vêtues
+de robes lumineuses, s'approchent lentement.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'elles sont belles!... Pourquoi ne rient-elles pas?... Ne
+sont-elles pas heureuses?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Ce n'est pas quand on rit qu'on est le plus heureux....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qui sont-elles?...</p>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>Ce sont les Grandes-Joies....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tu sais leurs noms?...</p>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>Naturellement, nous jouons souvent avec elles.... Voici d'abord:
+devant les autres, la Grande-Joie-d'être-juste, qui sourit chaque
+fois qu'une injustice est réparée,&mdash;je suis trop jeune, je ne
+l'ai pas encore vu sourire. Derrière elle, c'est la
+Joie-d'être-bonne, qui est la plus heureuse, mais la plus triste;
+et qu'on a bien du mal à empêcher d'aller chez les Malheurs
+qu'elle voudrait consoler. A droite, c'est la
+Joie-du-travail-accompli à côté de la Joie-de-penser. Ensuite,
+c'est la Joie-de-comprendre qui cherche toujours son frère, le
+Bonheur-de-ne-rien-comprendre....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais je l'ai vu, son frère!... Il est allé chez les Malheurs avec
+les Gros Bonheurs....</p>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>J'en étais sûr!... Il a mal tourné, de mauvaises fréquentations
+l'ont entièrement perverti.... Mais n'en parle pas à sa sœur.
+Elle voudrait aller le chercher et nous y perdrions une des plus
+belles joies.... Voici encore, parmi les plus grandes, la
+Joie-de-voir-ce-qui-est-beau, qui ajoute chaque jour quelques
+rayons à la lumière qui règne ici....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et là, au loin, au loin, dans les nuages d'or, celle que j'ai
+peine à voir en me dressant tant que je peux sur la pointe des
+pieds?...</p>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>C'est la grande Joie-d'aimer.... Mais tu auras beau faire, tu es
+bien trop petit pour la voir tout entière....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et là-bas, tout au fond, celles qui sont voilées et ne
+s'approchent pas?...</p>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>Ce sont celles que les Hommes ne connaissent pas encore....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Que nous veulent les autres?... Pourquoi s'écartent-elles?...</p>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>C'est devant une Joie nouvelle qui s'avance, peut-être la plus
+pure que nous ayons ici..</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qui est-ce?...</p>
+
+<p>LE BONHEUR</p>
+
+<p>Tu ne la reconnais pas encore?... Mais regarde donc mieux, ouvre
+donc tes deux yeux jusqu'au cœur de ton âme!... Elle t'a vu,
+elle t'a vu!... Elle accourt en te tendant les bras!... C'est la
+Joie de ta mère, c'est la Joie-sans-égale-de-l'amour-maternel!...</p>
+
+<blockquote><p>[Après l'avoir acclamée, les autres Joies, accourues de
+toutes parts, s'écartent en silence devant la
+Joie-de-l'amour-maternel.] </p></blockquote>
+
+<p>L'AMOUR MATERNEL</p>
+
+<p>Tyltyl! Et puis Mytyl!... Comment, c'est vous, c'est vous que je
+retrouve ici!... Je ne m'attendais pas!... J'étais bien seule à
+la maison, et voici que tous deux vous montez jusqu'au ciel où
+rayonnent dans la Joie l'âme de toutes les mères!... Mais d'abord
+des baisers, des baisers tant qu'on peut!... Tous les deux dans
+mes bras, il n'y a rien au monde qui donne plus de bonheur!...
+Tyltyl, tu ne ris pas?... Ni toi non plus, Mytyl?... Vous ne
+connaissez pas l'amour de votre mère?... Mais regardez-moi donc,
+et n'est-ce pas mes yeux, mes lèvres et mes bras?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais si, je reconnais, mais je ne savais pas.... Tu ressembles à
+maman, mais tu es bien plus belle....</p>
+
+<p>L'AMOUR MATERNEL</p>
+
+<p>Évidemment, moi, je ne vieillis plus.... Et chaque jour qui passe
+m'apporte de la force, de la jeunesse et du bonheur.... Chacun de
+tes sourires m'allège d'une année.... A la maison, cela ne se
+voit pas, mais ici l'on voit tout, et c'est la vérité....</p>
+
+<p>TYLTYL, [émerveillé, la contemplant et l'embrassant tour à tour.]</p>
+
+<p>Et cette belle robe, en quoi donc qu'elle est faite?... Est-ce
+que c'est de la soie, de l'argent ou des perles?...</p>
+
+<p>L'AMOUR MATERNEL</p>
+
+<p>Non, ce sont des baisers, des regards, des caresses.... chaque
+baiser qu'on donne y ajoute un rayon de lune ou de soleil....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est drôle, je n'aurais jamais cru que tu étais si riche.... Où
+donc la cachais-tu?... Était-elle dans l'armoire dont papa a la
+clef?...</p>
+
+<p>L'AMOUR MATERNEL</p>
+
+<p>Mais non, je l'ai toujours, mais on ne la voit pas, parce qu'on
+ne voit rien quand les yeux sont fermés.... Toutes les mères sont
+riches quand elles aiment leurs enfants.... Il n'en est pas de
+pauvres, il n'en est pas de laides, il n'en est pas de
+vieilles.... Leur amour est toujours la plus belle des Joies....
+Et quand elles semblent tristes, il suffit d'un baiser qu'elles
+reçoivent ou qu'elles donnent pour que toutes leurs larmes
+deviennent des étoiles dans le fond de leurs yeux....</p>
+
+<p>TYLTYL, [la regardant avec étonnement.]</p>
+
+<p>Mais oui, c'est vrai, tes yeux, ils sont remplis d'étoiles.... Et
+ce sont bien tes yeux, mais ils sont bien plus beaux.... Et c'est
+ta main aussi, elle a sa petite bague.... Elle a même la brûlure
+que tu t'es faite un soir en allumant la lampe.... Mais elle est
+bien plus blanche et qu'elle a la peau fine!... On dirait qu'on y
+voit couler de la lumière.... Elle ne travaille pas comme celle
+de la maison?...</p>
+
+<p>L'AMOUR MATERNEL</p>
+
+<p>Mais si, c'est bien la même; tu n'avais donc pas vu qu'elle
+devient toute blanche et s'emplit de lumière dès qu'elle te
+caresse?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est étonnant, maman, c'est bien ta voix aussi; mais tu parles
+bien mieux que chez nous....</p>
+
+<p>L'AMOUR MATERNEL</p>
+
+<p>Chez nous on a bien trop à faire et l'on n'a pas le temps....
+Mais ce qu'on ne dit pas, on l'entend tout de même.... Maintenant
+que tu m'as vue, me reconnaîtras-tu, sous ma robe déchirée,
+lorsque tu rentreras demain dans la chaumière?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Je ne veux pas rentrer.... Puisque tu es ici, j'y veux rester
+aussi, tant que tu y seras....</p>
+
+<p>L'AMOUR MATERNEL</p>
+
+<p>Mais c'est la même chose, c'est là-bas que je suis, c'est là-bas
+que nous sommes.... Tu n'es venu ici que pour te rendre compte et
+pour apprendre enfin comment il faut me voir quand tu me vois
+là-bas.... Comprends-tu, mon Tyltyl?... Tu te crois dans le ciel;
+mais le ciel est partout où nous nous embrassons.... Il n'y a pas
+deux mères, et tu n'en as pas d'autre.... Chaque enfant n'en a
+qu'une et c'est toujours la même et toujours la plus belle; mais
+il faut la connaître et savoir regarder.... Mais comment as-tu
+fait pour arriver ici et trouver une route que les Hommes ont
+cherchée depuis qu'ils habitent la Terre?...</p>
+
+<p>TYLTYL, [montrant la Lumière qui, par discrétion, s'est un peu
+écartée.]</p>
+
+<p>C'est elle qui m'a conduit....</p>
+
+<p>L'AMOUR MATERNEL</p>
+
+<p>Qui est-ce?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>La Lumière....</p>
+
+<p>L'AMOUR MATERNEL</p>
+
+<p>Je ne l'ai jamais vue.... On m'avait dit qu'elle vous aimait
+bien et qu'elle était très bonne.... Mais pourquoi se
+cache-t-elle?... Elle ne montre jamais son visage?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais si, mais elle a peur que les Bonheurs aient peur s'ils y
+voyaient trop clair....</p>
+
+<p>L'AMOUR MATERNEL</p>
+
+<p>Mais elle ne sait donc pas que nous n'attendons qu'elle!...
+[Appelant les autres Grandes Joies.] Venez, venez, mes sœurs!
+Venez, accourez toutes, c'est la Lumière qui vient enfin nous
+visiter!...</p>
+
+<blockquote><p>[Frémissement parmi les Grandes Joies qui se rapprochent.
+Cris: «La Lumière est ici!... La Lumière, la Lumière!...»] </p></blockquote>
+
+<p>LA JOIE-DE-COMPRENDRE, [écartant toutes les autres pour venir
+embrasser la Lumière.]</p>
+
+<p>Vous êtes la Lumière et nous ne savions pas!... Et voici des
+années, des années, des années que nous vous attendons!... Me
+reconnaissez-vous?... C'est la Joie-de-comprendre qui vous a
+tant cherchée.... Nous sommes très heureuses, mais nous ne
+voyons pas au delà de nous-mêmes....</p>
+
+<p>LA JOIE-D'ÊTRE-JUSTE, [embrassant la Lumière à son tour.]</p>
+
+<p>Me reconnaissez-vous?... C'est la Joie-d'être-juste qui vous a
+tant priée.... Nous sommes très heureuses, mais nous ne voyons
+pas au delà de nos ombres....</p>
+
+<p>LA JOIE-DE-VOIR-CE-QUI-EST-BEAU, [l'embrassant également.]</p>
+
+<p>Me reconnaissez-vous?... C'est la Joie-des-beautés qui vous a
+tant aimée... Nous sommes très heureuses, mais nous ne voyons pas
+au delà de nos songes....</p>
+
+<p>LA JOIE-DE-COMPRENDRE</p>
+
+<p>Voyez, voyez, ma sœur, ne nous faites plus attendre.... Nous
+sommes assez fortes, nous sommes assez pures.... Écartez donc ces
+voiles qui nous cachent encore les dernières vérités et les
+derniers bonheurs.... Voyez, toutes mes sœurs s'agenouillent à
+vos pieds.... Vous êtes notre reine et notre récompense....</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE, [resserrant ses voiles.]</p>
+
+<p>Mes sœurs, mes belles sœurs, j'obéis à mon Maître....
+L'heure n'est pas venue, elle sonnera peut-être et je vous
+reviendrai sans craintes et sans ombres.... Adieu, relevez-vous,
+embrassons-nous encore comme des sœurs retrouvées, en
+attendant le jour qui paraîtra bientôt....</p>
+
+<p>L'AMOUR MATERNEL, [embrassant la Lumière.]</p>
+
+<p>Vous avez été bonne pour mes pauvres petits....</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Je serai toujours bonne autour de ceux qui s'aiment....</p>
+
+<p>LA JOIE-DE-COMPRENDRE, [s'approchant de la Lumière.]</p>
+
+<p>Que le dernier baiser soit posé sur mon front....</p>
+
+<blockquote><p>[Elles s'embrassent longuement, et, quand elles se séparent
+et relèvent la tète, on voit des larmes dans leurs yeux.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL, [étonné.]</p>
+
+<p>Pourquoi pleurez-vous?....[regardant les autres Joies]</p>
+
+<p>Tiens! vous pleurez aussi.... Mais pourquoi tout le monde a-t-il
+des larmes plein les yeux?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Silence, mon enfant....</p>
+
+
+<p>RIDEAU</p>
+
+
+
+<hr style="width: 65%;" />
+<h3><a name="ACTE_CINQUIEME" id="ACTE_CINQUIEME"></a>ACTE CINQUIÈME</h3>
+
+
+
+<hr style="width: 45%;" />
+<h3><a name="DIXIEME_TABLEAU" id="DIXIEME_TABLEAU"></a>DIXIÈME TABLEAU</h3>
+
+<h4>LE ROYAUME DE L'AVENIR</h4>
+
+
+<p>Les salles immenses du Palais d'Azur, où attendent les enfants
+qui vont naître.&mdash;Infinies perspectives de colonnes de saphir
+soutenant des voûtes de turquoise. Tout ici, depuis la lumière et
+les dalles de lapis-lazuli jusqu'aux pulvérulences du fond où se
+perdent les derniers arceaux, jusqu'aux moindres objets, est d'un
+bleu irréel, intense, féerique. Seuls les chapiteaux et les
+socles des colonnes, les clefs de voûte, quelques sièges quelques
+bancs circulaires sont de marbre blanc ou d'albâtre.&mdash;A droite,
+entre les colonnes, de grandes portes opalines. Ces portes, dont
+le Temps, vers la fin de la scène, écartera les battants,
+s'ouvrent sur la Vie actuelle et les quais de l'Aurore. Partout,
+peuplant harmonieusement la salle, une foule d'enfants vêtus de
+longues robes azurées.&mdash;Les uns jouent, d'autres se promènent,
+d'autres causent ou songent; beaucoup sont endormis, beaucoup
+aussi travaillent, entre les colonnades, aux inventions futures;
+et leurs outils, leurs instruments, les appareils qu'ils
+construisent, les plantes, les fleurs et les fruits qu'ils
+cultivent ou qu'ils cueillent sont du même bleu surnaturel et
+lumineux que l'atmosphère générale du Palais.&mdash;Parmi les enfants,
+revêtues d'un azur plus pâle et plus diaphane, passent et
+repassent quelques figures de haute taille, d'une beauté
+souveraine et silencieuse, qui paraissent être des anges.</p>
+
+<hr style="width: 45%;" />
+
+<blockquote><p>[Entrent à gauche, comme à la dérobée, en se glissant parmi
+les colonnes du premier plan, Tyltyl, Mytyl et la Lumière.
+Leur arrivée provoque un certain mouvement parmi les
+Enfants-Bleus qui bientôt accourent de toutes parts et se
+groupent autour des insolites visiteurs qu'ils contemplent
+avec curiosité.] </p></blockquote>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Où est le Sucre, la Chatte et le bon Pain?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Ils ne peuvent pas entrer ici; ils connaîtraient l'Avenir et
+n'obéiraient plus....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et le Chien?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Il n'est pas bon, non plus, qu'il sache ce qui l'attend dans la
+suite des siècles.... Je les ai emprisonnés dans les souterrains
+de l'église....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Où sommes-nous?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Nous sommes dans le Royaume de l'Avenir, au milieu des enfants
+qui ne sont pas encore nés. Puisque le Diamant nous permet de
+voir clair en cette région que les Hommes n'aperçoivent pas, nous
+y trouverons fort probablement l'Oiseau-Bleu....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Bien sûr que l'Oiseau sera bleu, puisque tout y est bleu....
+[Regardant tout autour de soi.] Dieu que c'est beau tout ça!...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Regarde les enfants qui accourent....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'ils sont fâchés?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Pas du tout.... Tu vois bien, ils sourient, mais ils sont
+étonnés....</p>
+
+<p>LES ENFANTS-BLEUS, [accourant de plus en plus nombreux.]</p>
+
+<p>Des petits Vivants.... Venez voir les petits Vivants!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Pourquoi qu'ils nous appellent «les petits Vivants»?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Parce qu'eux, ils ne vivent pas encore....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce qu'ils font alors?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Ils attendent l'heure de leur naissance....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>L'heure de leur naissance?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Oui; c'est d'ici que viennent tous les enfants qui naissent sur
+notre Terre. Chacun attend son jour.... Quand les Pères et les
+Mères désirent des enfants, on ouvre les grandes portes que tu
+vois là, à droite; et les petits descendent....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Y en a-t-il! Y en a-t-il!...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Il y en a bien davantage.... On ne les voit pas tous.... Pense
+donc, il en faut de quoi peupler la fin des temps.... Personne ne
+saurait les compter....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et ces grandes personnes bleues, qu'est-ce que c'est?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>On ne sait plus au juste.... On croit que ce sont des
+gardiennes.... On dit qu'elles viendront sur Terre après les
+Hommes.... Mais il n'est pas permis de les interroger....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Pourquoi?</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Parce que c'est le secret de la Terre....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et les autres, les petits, on peut leur parler?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Bien sûr, il faut faire connaissance.... Tiens, en voilà un plus
+curieux que les autres.... Approche-toi, parle-lui....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce qu'il faut lui dire?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Ce que tu voudras, comme à un petit camarade....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'on peut lui donner la main?</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Évidemment, il ne te fera pas de mal.... Mais voyons, n'aie donc
+pas l'air si emprunté.... Je vais vous laisser seuls, vous serez
+plus à l'aise entre vous.... J'ai d'ailleurs à causer avec la
+Grande-personne Bleue....</p>
+
+<p>TYLTYL, [s'approchant de l'Enfant-Bleu et lui tendant la main.]</p>
+
+<p>Bonjour!... [Touchant du doigt la robe bleue de l'Enfant.]
+Qu'est-ce que c'est que ça?</p>
+
+<p>L'ENFANT, [touchant gravement du doigt le chapeau de Tyltyl.]</p>
+
+<p>Et ça?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ça?... C'est mon chapeau.... Tu n'as pas de chapeau?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Non; pourquoi c'est faire?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est pour dire bonjour.... Et puis, pour quand fait froid....</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est faire froid?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Quand on tremble comme ça: brrr! brrr!... qu'on souffle dans ses
+mains et qu'on fait aller les bras comme ceci....</p>
+
+<blockquote><p>[Il se brasse vigoureusement.] </p></blockquote>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Il fait froid sur la Terre?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais oui, des fois, l'hiver, quand on n'a pas de feu....</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Pourquoi qu'on n'en a pas?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Parce que ça coûte cher et qu'il faut de l'argent pour acheter du
+bois....</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Quoi que c'est de l'argent?</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est avec quoi l'on paie....</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Ah!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Il y en a qui en ont, d'autres qui n'en ont point....</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Pourquoi?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est qu'ils ne sont pas riches.... Est-ce que tu es riche?...
+Quel âge as-tu?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Je vais naître bientôt.... Je naîtrai dans douze ans.... Est-ce
+que c'est bon, naître?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oh oui!... C'est amusant!...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Comment que tu as fait?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Je ne me rappelle plus.... Il y a si longtemps!...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>On dit que c'est si beau, la Terre et les Vivants!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais oui, ce n'est pas mal.... Il y a des oiseaux, des gâteaux,
+des jouets.... Quelques-uns les ont tous; mais ceux qui n'en ont
+pas peuvent regarder les autres....</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>On nous dit que les mères attendent à la porte.... Elles sont
+bonnes, est-ce vrai?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oh oui!... Elles sont meilleures que tout ce qu'il y a!... Les
+bonnes-mamans aussi; mais elles meurent trop vite....</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Elles meurent?... Qu'est-ce que c'est ça?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Elles s'en vont un soir, et ne reviennent plus....</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Pourquoi?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'on sait?... Peut-être qu'elles sont tristes....</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Elle est partie, la tienne?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ma bonne-maman?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Ta maman ou ta bonne-maman, est-ce que je sais, moi?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ah! mais, ça n'est pas la même chose!... Les bonnes-mamans s'en
+vont d'abord; c'est déjà assez triste.... La mienne était très
+bonne....</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Qu'est-ce qu'ils ont, tes yeux?... Est-ce qu'ils font des
+perles?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais non; c'est pas des perles....</p>
+
+<p>L'ENFANT Qu'est-ce que c'est alors?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est rien, c'est tout ce bleu qui m'éblouit un peu....</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Comment que ça s'appelle?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Quoi?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Là, ce qui tombe?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est rien, c'est un peu d'eau....</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Est-ce qu'elle sort des yeux?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui, des fois, quand on pleure....</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est pleurer?</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Moi, je n'ai pas pleuré; c'est la faute à ce bleu.... Mais si
+j'avais pleuré ce serait la même chose....</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Est-ce qu'on pleure souvent?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Pas les petits garçons, mais les petites filles.... On ne pleure
+pas ici?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Mais non, je ne sais pas....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Eh bien, tu apprendras.... Avec quoi que tu joues, ces grandes
+ailes bleues?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Ça?... C'est pour l'invention que je ferai sur Terre....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Quelle invention?... Tu as donc inventé quelque chose?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Mais oui, tu ne sais pas?... Quand je serai sur Terre, il faudra
+que j'invente la Chose qui rend Heureux....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Est-elle bonne à manger?... Est-ce qu'elle fait du bruit?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Mais non, on n'entend rien....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est dommage....</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>J'y travaille chaque jour.... Elle est presque achevée....
+Veux-tu voir?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Bien sûr.... Où donc est-elle?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Là, on la voit d'ici, entre ces deux colonnes...?</p>
+
+<p>UN AUTRE ENFANT-BLEU, [s'approchant de Tyltyl et le tirant par la
+manche.]</p>
+
+<p>Veux-tu voir la mienne, dis?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais quoi, qu'est-ce que c'est?...</p>
+
+<p>DEUXIÈME ENFANT</p>
+
+<p>Les trente-trois remèdes pour prolonger la vie.... Là, dans ces
+flacons bleus....</p>
+
+<p>TROISIÈME ENFANT, [sortant de la foule.]</p>
+
+<p>Moi, j'apporte une lumière que personne ne connaît!... [Il
+s'illumine tout entier d'une flamme extraordinaire.] C'est assez
+curieux, pas?...</p>
+
+<p>QUATRIÈME ENFANT, [tirant Tyltyl par le bras.]</p>
+
+<p>Viens donc voir ma machine qui vole dans les airs comme un oiseau
+sans ailes!...</p>
+
+<p>CINQUIÈME ENFANT</p>
+
+<p>Non, non; d'abord la mienne qui trouve les trésors qui se cachent
+dans la lune!...</p>
+
+<blockquote><p>[Les Enfants-Bleus s'empressent autour de Tyltyl et de Mytyl
+en criant tous ensemble: «Non, non, viens voir la mienne!...
+Non, la mienne est plus belle!... La mienne est
+étonnante!... La mienne est tout en sucre!... La sienne
+n'est pas curieuse.... il m'en a pris l'idée!..., etc.».
+Parmi ces exclamations désordonnées, on entraîne les petits
+Vivants du côté des ateliers bleus; et là, chacun des
+inventeurs met en mouvement sa machine idéale. C'est un
+tournoiement céruléen de roues, de disques, de volants,
+d'engrenages, de poulies, de courroies, d'objets étranges
+et encore innommés qu'enveloppent les bleuâtres vapeurs de
+l'irréel. Une foule d'appareils bizarres et mystérieux
+s'élancent et planent sous les voûtes, ou rampent au pied
+des colonnes, taudis que des enfants déroulent des cartes et
+des plans, ouvrent des livres, découvrent des statues
+azurées, apportent d'énormes fleurs, de gigantesques fruits
+qui semblent formés de saphirs et de turquoises.] </p></blockquote>
+
+<p>UN PETIT ENFANT-BLEU, [courbé sous le poids de colossales
+pâquerettes d'azur.]</p>
+
+<p>Regardez donc mes fleurs!...3</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est?... Je ne les connais pas....</p>
+
+<p>LE PETIT ENFANT-BLEU</p>
+
+<p>Ce sont des pâquerettes!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Pas possible!... Elles sont grandes comme des roues....</p>
+
+<p>LE PETIT ENFANT-BLEU</p>
+
+<p>Et ce qu'elles sentent bon!...</p>
+
+<p>TYLTYL, [les humant.]</p>
+
+<p>Prodigieux!...</p>
+
+<p>LE PETIT ENFANT-BLEU</p>
+
+<p>Elles seront comme ça quand je serai sur Terre....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Quand donc?...</p>
+
+<p>LE PETIT ENFANT-BLEU</p>
+
+<p>Dans cinquante-trois ans, quatre mois et neuf jours....</p>
+
+<blockquote><p>[Arrivent deux Enfants-Bleus qui portent comme un lustre,
+pendue à une perche, une invraisemblable grappe de raisins
+dont les baies sont plus grosses que des poires.] </p></blockquote>
+
+<p>L'UN DES ENFANTS QUI PORTENT LA GRAPPE</p>
+
+<p>Que dis-tu de mes fruits?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Une grappe de poires!...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Mais non, c'est des raisins!... Ils seront tous ainsi, lorsque
+j'aurai trente ans.... J'ai trouvé le moyen....</p>
+
+<p>UN AUTRE ENFANT, [écrasé sous une corbeille de pommes bleues
+grosses comme des melons.]</p>
+
+<p>Et moi!... Voyez mes pommes!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais ce sont des melons!...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Mais non!... Ce sont mes pommes, et les moins belles encore!...
+Toutes seront de même quand je serai vivant.... J'ai trouvé le
+système!...</p>
+
+<p>UN AUTRE ENFANT, [apportant sur une brouette bleue des melons
+bleus plus gros que des citrouilles.]</p>
+
+<p>Et mes petits melons?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais ce sont des citrouilles!...</p>
+
+<p>L'ENFANT AUX MELONS</p>
+
+<p>Quand je viendrai sur terre, les melons seront fiers!... Je
+serai le jardinier du Roi des neuf Planètes....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Le Roi des neuf Planètes?... Où est-il?...</p>
+
+<p>LE ROI DES NEUF PLANÈTES, [s'avançant fièrement. Il semble avoir
+quatre ans et peut à grand'peine se tenir debout sur ses petites
+jambes torses.]</p>
+
+<p>Le voici!</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Eh bien! tu n'es pas grand....</p>
+
+<p>LE ROI DES NEUF PLANÈTES, [grave et sentencieux.]</p>
+
+<p>Ce que je ferai sera grand.</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce que tu feras?</p>
+
+<p>LE ROI DES NEUF PLANÈTES</p>
+
+<p>Je fonderai la Confédération générale des Planètes solaires.</p>
+
+<p>TYLTYL, [interloqué.]</p>
+
+<p>Ah, vraiment?</p>
+
+<p>LE ROI DE NEUF PLANÈTES</p>
+
+<p>Toutes en feront partie, excepté Saturne, Uranus et Neptune qui
+sont à des distances exagérées et incommensurables.</p>
+
+<blockquote><p>[Il se retire avec dignité.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Il est intéressant....</p>
+
+<p>UN ENFANT-BLEU</p>
+
+<p>Et vois-tu celui-là?</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Lequel?</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Là, le petit qui dort au pied de la colonne....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Eh bien?</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Il apportera la joie pure sur le Globe..</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Comment?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Par des idées qu'on n'a pas encore eues....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et l'autre, le petit gros qui a les doigts dans le nez, qu'est-ce
+qu'il fera, lui?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Il doit trouver le feu pour réchauffer la Terre quand le Soleil
+sera plus pâle....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et les deux qui se tiennent par la main et s'embrassent tout le
+temps: est-ce qu'ils sont frère et sœur?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Mais non, ils sont très drôles.... Ce sont les Amoureux....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Je ne sais pas.... C'est le Temps qui les appelle ainsi pour s'en
+moquer.... Ils se regardent tout le jour dans les yeux, ils
+s'embrassent et se disent adieu....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Pourquoi?</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Il paraît qu'ils ne pourront pas partir ensemble....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et le petit tout rose, qui semble si sérieux et qui suce son
+pouce, qu'est-ce que c'est?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Il paraît qu'il doit effacer l'Injustice sur la Terre....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ah?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>On dit que c'est un travail effrayant....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et le petit rousseau qui marche comme s'il n'y voyait pas. Est-ce
+qu'il est aveugle?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Pas encore; mais il le deviendra.... Regarde-le bien; il paraît
+qu'il doit vaincre la Mort....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce que ça veut dire?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Je ne sais pas au juste; mais on dit que c'est grand....</p>
+
+<p>TYLTYL, [montrant une foule d'enfants endormis au pied des
+colonnes, sur les marches, les bancs, etc.]</p>
+
+<p>Et tous ceux-là qui dorment,&mdash;comme il y en a qui
+dorment!&mdash;est-ce qu'ils ne font rien?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Ils pensent à quelque chose....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>A quoi?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Ils ne le savent pas encore; mais ils doivent apporter quelque
+chose sur la Terre; il est défendu de sortir les mains vides....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qui est-ce qui le défend?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>C'est le Temps qui se tient à la porte.... Tu verras quand il
+ouvrira.... Il est bien embêtant....</p>
+
+<p>UN ENFANT, [accourant du fond de la salle, en fendant la foule.]</p>
+
+<p>Bonjour, Tyltyl!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tiens!... Comment sait-il mon nom?...</p>
+
+<p>L'ENFANT, [qui vient d'accourir et qui embrasse Tyltyl et Mytyl
+avec effusion.]</p>
+
+<p>Bonjour!... Ça va bien?...&mdash;Voyons, embrasse-moi, et toi aussi,
+Mytyl.... Ce n'est pas étonnant que je sache ton nom, puisque je
+serai ton frère.... On vient seulement de me dire que tu es
+là.... J'étais tout au bout de la salle, en train d'emballer mes
+idées....&mdash;Dis à maman que je suis prêt....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Comment?... Tu comptes venir chez nous?</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Bien sûr, l'année prochaine, le dimanche des Rameaux.... Ne me
+tourmente pas trop quand je serai petit.... Je suis bien content
+de vous avoir embrassés d'avance....&mdash;Dis à Papa qu'il répare le
+berceau....&mdash;Est-ce qu'on est bien chez nous?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais on n'y est pas mal.... Et Maman est si bonne!...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Et la nourriture?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ça dépend.... Il y a même des jours où l'on a des gâteaux,
+n'est-il pas vrai, Mytyl?...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Au Nouvel An et le Quatorze Juillet.... C'est maman qui les
+fait....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'as-tu là, dans ce sac?... Tu nous apportes quelque chose?...</p>
+
+<p>L'ENFANT, [très fièrement.]</p>
+
+<p>J'apporte trois maladies: la fièvre scarlatine, la coqueluche et
+la rougeole....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Eh bien, si c'est tout ça!... Et après, que feras-tu?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Après?... Je m'en irai....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ce sera bien la peine de venir!...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Est-ce qu'on a le choix?...</p>
+
+<blockquote><p>[A ce moment, on entend s'élever et se répandre une sorte de
+vibration prolongée, puissante et cristalline qui semble
+émaner des colonnes et des portes d'opale que touche une
+lumière plus vive.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est?...</p>
+
+<p>UN ENFANT</p>
+
+<p>C'est le Temps!... Il va ouvrir les portes!...</p>
+
+<blockquote><p>[Aussitôt, un vaste remous se propage dans la foule des
+Enfants-Bleus. La plupart quittent leurs machines et leurs
+travaux, de nombreux dormeurs s'éveillent, et les uns comme
+les autres tournent les yeux vers les portes d'opale et se
+rapprochent de celles-ci.] </p></blockquote>
+
+<p>LA LUMIÈRE [rejoignant Tyltyl.]</p>
+
+<p>Tâchons de nous dissimuler derrière les colonnes.... Il ne faut
+pas que le Temps nous découvre....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>D'où vient ce bruit?...</p>
+
+<p>UN ENFANT</p>
+
+<p>C'est l'Aurore qui se lève.... C'est l'heure où les enfants qui
+naîtront aujourd'hui vont descendre sur Terre....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Comment qu'ils descendront?... Il y a des échelles?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Tu vas voir.... Le Temps tire les verrous....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est le Temps?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>C'est un vieil homme qui vient appeler ceux qui partent....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'il est méchant?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>Non, mais il n'entend rien.... On a beau supplier, quand ce n'est
+pas leur tour, il repousse tous ceux qui voudraient s'en
+aller....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'ils sont heureux de partir?</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>On n'est pas content quand on reste; mais on est triste quand on
+s'en va.... Là! Là!... Voilà qu'il ouvre!...</p>
+
+<blockquote><p>[Les grandes portes opalines roulent lentement sur leurs
+gonds. On entend, comme une musique lointaine, les rumeurs
+de la Terre. Une clarté rouge et verte pénètre dans la
+salle: et le Temps, haut vieillard à la barbe flottante,
+armé de sa faux et de son sablier, paraît sur le seuil,
+tandis qu'on aperçoit l'extrémité des voiles blanches et
+dorées d'une galère amarrée à une sorte de quai que forment
+les vapeurs roses de l'Aurore.] </p></blockquote>
+
+<p>LE TEMPS, [sur le seuil.]</p>
+
+<p>Ceux dont l'heure est sonnée sont-ils prêts?...</p>
+
+<p>DES ENFANTS-BLEUS, [fendant la roule et accourant de toutes
+parts.]</p>
+
+<p>Nous voici!... Nous voici!... Nous voici!...</p>
+
+<p>LE TEMPS, [d'une voix bourrue, aux enfants qui défilent devant
+lui pour sortir.]</p>
+
+<p>Un à un!... Il s'en présente encore beaucoup plus qu'il n'en
+faut!... C'est toujours la même chose!... On ne me trompe pas!...
+[Repoussant un enfant.] Ce n'est pas ton tour!... Rentre, c'est
+pour demain.... Toi non plus, rentre donc et reviens dans dix
+ans.... Un treizième berger?... Il n'en fallait que douze; on
+n'en a plus besoin, nous ne sommes plus au temps de Théocrite ou
+de Virgile.... Encore des médecins?... Il y en a déjà trop; on
+s'en plaint sur la Terre.... Et les ingénieurs, où sont-ils?...
+On veut un honnête homme, un seul, comme phénomène.... Où donc
+est l'honnête homme?... C'est toi?... [L'enfant fait signe que
+oui.] Tu m'as l'air bien chétif.... tu ne vivras pas
+longtemps!... Holà, vous autres, là, pas si vite!... Et toi,
+qu'apportes-tu?... Rien du tout? les mains vides?... Alors on ne
+passe pas.... Prépare quelque chose, un grand crime, si tu veux,
+ou une maladie, moi, cela m'est égal.... mais il faut quelque
+chose.... [Avisant un petit que d'autres poussent en avant et qui
+résiste de toutes ses forces.] Eh bien, toi, qu'as-tu donc?... Tu
+sais bien que c'est l'heure.... On demande un héros qui combatte
+l'Injustice; c'est toi, il faut partir....</p>
+
+<p>LES ENFANTS-BLEUS</p>
+
+<p>Il ne veut pas, monsieur....</p>
+
+<p>LE TEMPS</p>
+
+<p>Comment?... Il ne veut pas?... Où donc se croit-il, ce petit
+avorton?... Pas de réclamations, nous n'avons pas le temps....</p>
+
+<p>LE PETIT, [que l'on pousse.]</p>
+
+<p>Non, non!... Je ne veux pas!... J'aime mieux ne pas naître!...
+J'aime mieux rester ici!...</p>
+
+<p>LE TEMPS</p>
+
+<p>Il ne s'agit pas de ça.... Quand c'est l'heure, c'est l'heure!...
+Allons, vite, en avant!...</p>
+
+<p>UN ENFANT, [s'avançant.]</p>
+
+<p>Oh! laissez-moi passer!... J'irai prendre sa place!... On dit que
+mes parents sont vieux et m'attendent depuis si longtemps!...</p>
+
+<p>LE TEMPS</p>
+
+<p>Pas de ça.... L'heure est l'heure et le temps est le temps....
+On n'en finirait pas si l'on vous écoutait.... L'un veut, l'autre
+refuse, c'est trop tôt, c'est trop tard.... [Écartant des enfants
+qui ont envahi le seuil.] Pas si près, les petits.... Arrière les
+curieux.... Ceux qui ne partent pas n'ont rien à voir dehors....
+Maintenant vous avez hâte; puis, votre tour venu, vous aurez peur
+et vous reculerez.... Tenez, en voilà quatre qui tremblent comme
+des feuilles.... [A un enfant qui, sur le point de franchir le
+seuil, rentre brusquement.] Eh bien, quoi?... Qu'as-tu donc?...</p>
+
+<p>L'ENFANT</p>
+
+<p>J'ai oublié la boîte qui contient les deux crimes que je devrai
+commettre....</p>
+
+<p>UN AUTRE ENFANT</p>
+
+<p>Et moi le petit pot qui renferme l'idée pour éclairer les
+foules....</p>
+
+<p>TROISIÈME ENFANT</p>
+
+<p>J'ai oublié la greffe de ma plus belle poire!...</p>
+
+<p>LE TEMPS</p>
+
+<p>Courez vite les chercher!... Il ne nous reste plus que six cent
+douze secondes.... La galère de l'Aurore bat déjà des voiles pour
+montrer qu'elle attend.... Vous arriverez trop tard et vous ne
+naîtrez plus.... Allons, vite, embarquons!... [Saisissant un
+enfant qui veut lui passer entre les jambes pour gagner le quai.]
+Ah! toi, non, par exemple!... C'est la troisième fois que tu
+essayes de naître avant ton tour.... Que je ne t'y prenne plus,
+sinon ce sera l'attente éternelle près de ma sœur l'Éternité;
+et tu sais qu'on ne s'y amuse pas.... Mais voyons, sommes-nous
+prêts?... Tout le monde est à son poste?... [Parcourant du regard
+les enfants réunis sur le quai ou déjà assis dans la galère.] Il
+en manque encore un.... Il a beau se cacher, je le vois dans la
+foule.... On ne me trompe pas.... Allons, toi, le petit qu'on
+appelle l'Amoureux, dis adieu à ta belle....</p>
+
+<blockquote><p>[Les deux petits qu'on appelle «les Amoureux», tendrement
+enlacés et le visage livide de désespoir, s'avancent vers le
+Temps et s'agenouillent à ses pieds.] </p></blockquote>
+
+<p>PREMIER ENFANT</p>
+
+<p>Monsieur le Temps, laissez-moi partir avec lui!...</p>
+
+<p>DEUXIÈME ENFANT</p>
+
+<p>Monsieur le Temps, laissez-moi rester avec elle!...</p>
+
+<p>LE TEMPS</p>
+
+<p>Impossible!... Il ne nous reste plus que trois cent
+quatre-vingt-quatorze secondes..</p>
+
+<p>PREMIER ENFANT</p>
+
+<p>J'aime mieux ne pas naître!...</p>
+
+<p>LE TEMPS</p>
+
+<p>On n'a pas le choix....</p>
+
+<p>DEUXIÈME ENFANT, [suppliant.]</p>
+
+<p>Monsieur le Temps, j'arriverai trop tard!...</p>
+
+<p>PREMIER ENFANT</p>
+
+<p>Je ne serai plus là quand elle descendra!...</p>
+
+<p>DEUXIÈME ENFANT</p>
+
+<p>Je ne le verrai plus!...</p>
+
+<p>PREMIER ENFANT</p>
+
+<p>Nous serons seuls au monde!...</p>
+
+<p>LE TEMPS</p>
+
+<p>Tout ça ne me regarde pas.... Réclamez auprès de la Vie.... Moi,
+j'unis, je sépare, selon ce qu'on m'a dit.... [Saisissant l'un
+des enfants.] Viens!...</p>
+
+<p>PREMIER ENFANT, se débattant.</p>
+
+<p>Non, non, non!... Elle aussi!...</p>
+
+<p>DEUXIÈME ENFANT, [s'accrochant aux vêtements du premier.]</p>
+
+<p>Laissez-le!.... Laissez-le!...</p>
+
+<p>LE TEMPS</p>
+
+<p>Mais voyons, ce n'est pas pour mourir, c'est pour vivre!...
+[Entraînant le premier enfant.] Viens!...</p>
+
+<p>DEUXIÈME ENFANT, [tendant éperdument les bras vers l'enfant qu'on
+enlève.]</p>
+
+<p>Un signe!... Un seul signe!... Dis-moi, comment te retrouver!...</p>
+
+<p>PREMIER ENFANT</p>
+
+<p>Je t'aimerai toujours!...</p>
+
+<p>DEUXIÈME ENFANT</p>
+
+<p>Je serai la plus triste!... Tu me reconnaîtras!...</p>
+
+<blockquote><p>[Elle tombe et reste étendue sur le sol.] </p></blockquote>
+
+<p>LE TEMPS</p>
+
+<p>Vous feriez beaucoup mieux d'espérer.... Et maintenant, c'est
+tout.... [Consultant son sablier.] Il ne nous reste plus que
+soixante-trois secondes....</p>
+
+<blockquote><p>[Derniers et violents remous parmi les enfants qui partent
+et qui demeurent.&mdash;On échange des adieux précipités: «Adieu,
+Pierre!... Adieu Jean....&mdash;As-tu tout ce qu'il faut?...
+Annonce ma pensée!...&mdash;N'as-tu rien oublié?...&mdash;Tâche de me
+reconnaître!...&mdash;Je te retrouverai!...&mdash;Ne perds pas tes
+idées?...&mdash;Ne te penche pas trop sur l'Espace!...&mdash;Donne-moi
+de tes nouvelles!...&mdash;On dit qu'on ne peut pas!...&mdash;Si,
+si!... essaie toujours!...&mdash;Tâche de dire si c'est beau!...
+&mdash;J'irai à ta rencontre!...&mdash;Je naîtrai sur un trône!...»,
+etc., etc.] </p></blockquote>
+
+<p>LE TEMPS, [agitant ses clefs et sa faux.]</p>
+
+<p>Assez! assez!... L'ancre est levée!...</p>
+
+<p>Les voiles de la galère passent et disparaissent. Ou entend
+s'éloigner les cris des enfants dans la galère: «Terre!...
+terre!... Je la vois!... Elle est belle!... Elle est claire!...
+Elle est grande!...». Puis, comme sortant du fond de l'abîme, un
+chant extrêmement lointain d'allégresse et d'attente.</p>
+
+<p>TYLTYL, [à la Lumière.]</p>
+
+<p>Qu'est-ce?... Ce n'est pas eux qui chantent.... On dirait
+d'autres voix....</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Oui, c'est le chant des Mères qui viennent à leur rencontre...</p>
+
+<blockquote><p>[Cependant, le Temps referme les portes opalines. Il se
+retourne pour jeter un dernier regard dans la salle, et
+soudain aperçoit Tyltyl, Mytyl et la Lumière.] </p></blockquote>
+
+<p>LE TEMPS, [stupéfait et furieux.]</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est?... Que faites-vous ici?... Qui êtes-vous?...
+Pourquoi n'êtes-vous pas bleus?... Par où êtes-vous entrés?...</p>
+
+<blockquote><p>[Il s'avance en les menaçant de sa faux.]</p></blockquote>
+
+<p>LA LUMIÈRE, [à Tyltyl.]</p>
+
+<p>Ne réponds pas!... J'ai l'Oiseau-Bleu.... Il est caché sous ma
+mante.... Sauvons-nous.... Tourne le Diamant, il perdra notre
+trace....</p>
+
+<blockquote><p>[Ils s'esquivent à gauche, entre les colonnes du premier
+plan.] </p></blockquote>
+
+
+<p>RIDEAU</p>
+
+
+
+<hr style="width: 65%;" />
+<h3><a name="ONZIEME_TABLEAU" id="ONZIEME_TABLEAU"></a>ONZIÈME TABLEAU</h3>
+
+<h4>L'ADIEU</h4>
+
+
+<p>La scène représente un mur percé d'une petite porte. C'est la
+pointe du jour.</p>
+
+<hr style="width: 45%;" />
+
+<blockquote><p>[Entrent: Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Pain, le Sucre, le
+Feu et le Lait.] </p></blockquote>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Tu ne devinerais jamais où nous sommes....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Bien sûr que non, la Lumière, puisque je ne sais pas....</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Tu ne reconnais pas ce mur et cette petite porte?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est un mur rouge et une petite porte verte....</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Et ça ne te rappelle rien?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ça me rappelle que le Temps nous a mis à la porte....</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Qu'on est bizarre quand on rêve.... On ne reconnaît pas sa propre
+main....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Qui est-ce qui rêve?... Est-ce moi?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>C'est peut-être moi.... Qu'en sait-on?... En attendant, ce mur
+entoure une maison que tu as vue plus d'une fois depuis ta
+naissance....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Une maison que j'ai vue plus d'une fois?</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Mais oui, petit endormi!... C'est la maison que nous avons
+quittée un soir, il y a tout juste, jour pour jour, une année....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Il y a tout juste une année?... Mais alors?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>N'ouvre pas des yeux comme des grottes de saphir.... C'est elle,
+c'est la bonne maison des parents....</p>
+
+<p>TYLTYL, [s'approchant de la porte.]</p>
+
+<p>Mais je crois.... En effet.... Il me semble.... Cette petite
+porte.... Je reconnais la chevillette.... Ils sont là?... Nous
+sommes près de Maman?... Je veux entrer tout de suite.... Je veux
+l'embrasser tout de suite!...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Un instant.... Ils dorment profondément; il ne faut pas les
+réveiller en sursaut.... Du reste, la porte ne s'ouvrira que
+lorsque l'heure sonnera....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Quelle heure?... Il y a longtemps à attendre?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Hélas, non!... quelques pauvres minutes....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tu n'es pas heureuse de rentrer?... Qu'as-tu donc, la Lumière?...
+Tu es pâle, on dirait que tu es malade..</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Ce n'est rien, mon enfant.... Je me sens un peu triste, parce que
+je vais vous quitter....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Nous quitter?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Il le faut.... Je n'ai plus rien à faire ici; l'année est
+révolue, la Fée va revenir et te demander l'Oiseau-Bleu....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais c'est que je ne l'ai pas, l'Oiseau-Bleu!... Celui du
+Souvenir est devenu tout noir, celui de l'Avenir est devenu tout
+rouge, ceux de la Nuit sont morts et je n'ai pas pu prendre celui
+de la Forêt.... Est-ce ma faute à moi s'ils changent de couleur,
+s'ils meurent ou s'ils s'échappent?... Est-ce que la Fée sera
+fâchée, et qu'est-ce qu'elle dira?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Nous avons fait ce que nous avons pu.... Il faut croire qu'il
+n'existe pas, l'Oiseau-Bleu; ou qu'il change de couleur lorsqu'on
+le met en cage....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Où est-elle, la cage?...</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>Ici, maître.... Elle fut confiée à mes soins diligents durant ce
+long et périlleux voyage; aujourd'hui que ma mission prend fin,
+je vous la restitue, intacte et bien fermée, telle que je la
+reçus.... [Comme un orateur qui prend la parole.] Maintenant, au
+nom de tous, qu'il me soit permis d'ajouter quelques mots....</p>
+
+<p>LE FEU</p>
+
+<p>Il n'a pas la parole!...</p>
+
+<p>L'EAU</p>
+
+<p>Silence!...</p>
+
+<p>LE PAIX</p>
+
+<p>Les interruptions malveillantes d'un ennemi méprisable, d'un
+rival envieux.... [Élevant la voix.] ne m'empêcheront pas
+d'accomplir mon devoir jusqu'au bout.... C'est donc au nom de
+tous....</p>
+
+<p>LE FEU</p>
+
+<p>Pas au mien.... J'ai une langue!...</p>
+
+<p>LE PAIX</p>
+
+<p>C'est donc au nom de tous, et avec une émotion contenue mais
+sincère et profonde, que je prends congé de deux enfants
+prédestinés, dont la haute mission se termine aujourd'hui. En
+leur disant adieu avec toute l'affliction et toute la tendresse
+qu'une mutuelle estime..</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Comment?... Tu dis adieu?... Tu nous quittes donc aussi?...</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>Hélas! il le faut bien.... Je vous quitte, il est vrai; mais la
+séparation ne sera qu'apparente, vous ne m'entendrez plus
+parler....</p>
+
+<p>LE FEU</p>
+
+<p>Ce ne sera pas malheureux!...</p>
+
+<p>L'EAU</p>
+
+<p>Silence!...</p>
+
+<p>LE PAIN, [très digne.]</p>
+
+<p>Cela ne m'atteint point.... Je disais donc: vous ne m'entendrez
+plus, vous ne me verrez plus sous ma forme animée.... Vos yeux
+vont se fermer à la vie invisible des choses; mais je serai
+toujours là, dans la huche, sur la planche, sur la table, à côté
+de la soupe, moi qui suis, j'ose le dire, le plus fidèle
+commensal et le plus vieil ami de l'Homme....</p>
+
+<p>LE FEU</p>
+
+<p>Eh bien, et moi?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Voyons, les minutes passent, l'heure est près de sonner qui va
+nous faire rentrer dans le silence.... Hâtez-vous d'embrasser les
+enfants....</p>
+
+<p>LE FEU, [se précipitant.]</p>
+
+<p>Moi d'abord, d'abord moi!... [Il embrasse violemment les
+enfants.] Adieu, Tyltyl et Mytyl!... Adieu, mes chers petits....
+Souvenez-vous de moi si jamais vous avez besoin de quelqu'un pour
+mettre le Feu quelque part....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Aïe! aïe!... Il me brûle!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Aïe! aïe! Il me roussit le nez!.....</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Voyons, le Feu, modérez un peu vos transports.... Vous n'avez pas
+affaire à votre cheminée....</p>
+
+<p>L'EAU</p>
+
+<p>Quel idiot!...</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>Est-il mal élevé!...</p>
+
+<p>L'EAU, [s'approchant des enfants.]</p>
+
+<p>Je vous embrasserai sans vous faire de mal, tendrement, mes
+enfants....</p>
+
+<p>LE FEU</p>
+
+<p>Prenez garde, ça mouille!...</p>
+
+<p>L'EAU</p>
+
+<p>Je suis aimante et douce; je suis bonne aux humains....</p>
+
+<p>LE FEU</p>
+
+<p>Et les noyés?...</p>
+
+<p>L'EAU</p>
+
+<p>Aimez bien les Fontaines, écoutez les Ruisseaux.... Je serai
+toujours là....</p>
+
+<p>LE FEU</p>
+
+<p>Elle a tout inondé!...</p>
+
+<p>L'EAU</p>
+
+<p>Quand vous vous assiérez, le soir, au bord des Sources,&mdash;il y en
+a plus d'une ici, dans la forêt,&mdash;essayez de comprendre ce
+qu'elles essaient de dire.... Je ne peux plus.... Les larmes me
+suffoquent et m'empêchent de parler....</p>
+
+<p>LE FEU</p>
+
+<p>Il n'y paraît point!...</p>
+
+<p>L'EAU</p>
+
+<p>Souvenez-vous de moi lorsque vous verrez la carafe.... Vous me
+trouverez également dans le broc, dans l'arrosoir, dans la
+citerne et dans le robinet....</p>
+
+<p>LE SUCRE, [naturellement papelard et doucereux.]</p>
+
+<p>S'il reste une petite place, dans votre souvenir, rappelez-vous
+que parfois ma présence vous fut douce.... Je ne puis vous en
+dire davantage.... Les larmes sont contraires à mon tempérament,
+et me font bien du mal quand elles tombent sur mes pieds....</p>
+
+<p>LE PAIN</p>
+
+<p>Jésuite!...</p>
+
+<p>LE FEU, [glapissant.]</p>
+
+<p>Sucre d'orge! berlingots! caramels!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais où donc sont passés Tylette et Tylô?... Que font-ils?...</p>
+
+<blockquote><p>[Au même moment, on entend des cris aigus poussés par la
+Chatte.] </p></blockquote>
+
+<p>MYTYL, [alarmée.]</p>
+
+<p>C'est Tylette qui pleure!... On lui fait du mal!...</p>
+
+<blockquote><p>[Entre en courant la Chatte, hérissée, dépeignée, les
+vêtements déchirés, et tenant son mouchoir sur la joue,
+comme si elle avait mal aux dents. Elle pousse des
+gémissements courroucés et est serrée de très près par le
+Chien qui l'accable de coups de tête, de coups de poing et
+de coups de pied.] </p></blockquote>
+
+<p>LE CHIEN, [battant la Chatte.]</p>
+
+<p>Là!... En as-tu assez?... En veux-tu encore?... Là! là! là!...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE, TYLTYL et MYTYL, [se précipitant pour les séparer.]</p>
+
+<p>Tylô!... Es-tu fou?... Par exemple!... A bas!... Veux-tu
+finir!... A-t-on jamais vu!... Attends! attends!...</p>
+
+<blockquote><p>[On les sépare énergiquement.] </p></blockquote>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Qu'est-ce que c'est?... Que s'est-il passé?...</p>
+
+<p>LA CHATTE, [pleurnichant et s'essuyant les yeux.]</p>
+
+<p>C'est lui, madame la Lumière.... Il m'a dit des injures, il a mis
+des clous dans ma soupe, il m'a tiré la queue, il m'a roué de
+coups, et je n'avais rien fait, rien du tout, rien du tout!...</p>
+
+<p>LE CHIEN, [l'imitant.]</p>
+
+<p>Rien du tout, rien du tout!... [A mi-voix, lui faisant la nique.]
+C'est égal, t'en as eu, t'en as eu, et du bon, et t'en auras
+encore!...</p>
+
+<p>MYTYL, [serrant la Chatte dans ses bras.]</p>
+
+<p>Ma pauvre Tylette, dis-moi donc où c'est que t'as mal.... Je vais
+pleurer aussi!...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE, [au Chien, sévèrement.]</p>
+
+<p>Votre conduite est d'autant plus indigne que vous choisissez pour
+nous donner ce triste spectacle le moment, déjà assez pénible par
+lui-même, où nous allons nous séparer de ces pauvres enfants....</p>
+
+<p>LE CHIEN, [subitement dégrisé.]</p>
+
+<p>Nous séparer de ces pauvres enfants?...</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Oui, l'heure que vous savez va sonner.... Nous allons rentrer
+dans le Silence.... Nous ne pourrons plus leur parler....</p>
+
+<p>LE CHIEN, [poussant tout à coup de véritables hurlements de
+désespoir et se jetant sur les enfants qu'il accable de caresses
+violentes et tumultueuses.]</p>
+
+<p>Non, non!... Je ne veux pas!... Je ne veux pas!... Je parlerai
+toujours!... Tu me comprendras maintenant, n'est-ce pas, mon
+petit dieu?... Oui, oui, oui!.... Et l'on se dira tout, tout,
+tout!... Et je serai Lien sage.... Et j'apprendrai à lire, à
+écrire et à jouer aux dominos!... Et je serai toujours très
+propre.... Et je ne volerai plus rien dans la cuisine.... Veux-tu
+que je fasse quelque chose d'étonnant?... Veux-tu que j'embrasse
+la Chatte?...</p>
+
+<p>MYTYL, [à la Chatte.]</p>
+
+<p>Et toi, Tylette?... Tu n'as rien à nous dire.</p>
+
+<p>LA CHATTE, [pincée, énigmatique.]</p>
+
+<p>Je vous aime tous deux, autant que vous le méritez....</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Maintenant, qu'à mon tour, mes enfants, je vous donne le dernier
+baiser....</p>
+
+<p>TYLTYL et MYTYL, [s'accrochant à la robe de la Lumière.]</p>
+
+<p>Non, non, non, la Lumière!... Reste ici, avec nous!... Papa ne
+dira rien.... Nous dirons à Maman que tu as été bonne....</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Hélas! je ne peux pas.... Cette porte nous est fermée et je dois
+vous quitter...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Où iras-tu toute seule?</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Pas bien loin, mes enfants; là-bas, dans le pays du Silence des
+choses..</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Non, non; je ne veux pas.... Nous irons avec toi.... Je dirai à
+Maman....</p>
+
+<p>LA LUMIÈRE</p>
+
+<p>Ne pleurez pas, mes chers petits.... Je n'ai pas de voix comme
+l'Eau; je n'ai que ma clarté que l'Homme n'entend point.... Mais
+je veille sur lui jusqu'à la fin des jours.... Rappelez-vous bien
+que c'est moi qui vous parle dans chaque rayon de lune qui
+s'épanche, dans chaque étoile qui sourit, dans chaque aurore qui
+se lève, dans chaque lampe qui s'allume, dans chaque pensée bonne
+et claire de votre âme.... [Huit heures sonnent derrière le mur.]
+Écoutez!... L'heure sonne.... Adieu!... La porte s'ouvre!...
+Entrez, entrez, entrez!...</p>
+
+<blockquote><p>[Elle pousse les enfants dans l'ouverture de la petite porte
+qui vient de s'entrebâiller et se referme sur eux.&mdash;Le Pain
+essuie une larme furtive, le Sucre, l'Eau, tout en pleurs,
+etc., fuient précipitamment et disparaissent à droite et à
+gauche, dans la coulisse. Hurlements du Chien à la
+cantonade. La scène reste vide un instant, puis le décor
+figurant le mur de la petite porte s'ouvre par le milieu,
+pour découvrir le dernier tableau.] </p></blockquote>
+
+
+
+<hr style="width: 65%;" />
+
+<h3><a name="ACTE_SIXIEME" id="ACTE_SIXIEME"></a>ACTE SIXIÈME</h3>
+
+<hr style="width: 45%;" />
+
+<h3><a name="DOUZIEME_TABLEAU" id="DOUZIEME_TABLEAU"></a>DOUZIÈME TABLEAU</h3>
+
+
+<h4>LE RÉVEIL</h4>
+
+
+<p>Le même intérieur qu'au premier tableau, mais tout, les murs,
+l'atmosphère, y paraît incomparablement, féeriquement plus frais,
+plus riant, plus heureux.&mdash;La lumière du jour filtre gaiement par
+toutes les fentes des volets clos.</p>
+
+<hr style="width: 45%;" />
+
+<blockquote><p>[A droite, au fond de la pièce, en leurs deux petits lits,
+Tyltyl et Mytyl sont profondément endormis.&mdash;La Chatte, le
+Chien et les Objets sont à la place qu'ils occupaient au
+premier tableau, avant l'arrivée de la Fée.&mdash;Entre la Mère
+Tyl.] </p></blockquote>
+
+<p>LA MÈRE TYL, [d'une voix allègrement grondeuse.]</p>
+
+<p>Debout, voyons, debout! les petits paresseux!... Vous n'avez donc
+pas honte?... Huit heures sont sonnées, le soleil est déjà plus
+haut que la forêt!... Dieu! qu'ils dorment, qu'ils dorment!...
+[Elle se penche et embrasse les enfants.] Ils sont tout
+roses.... Tyltyl sent la lavande et Mytyl le muguet.... [Les
+embrassant encore.] Que c'est bon les enfants!... Ils ne peuvent
+pourtant pas dormir jusqu'à midi.... On ne peut pas en faire des
+paresseux.... Et puis, je me suis laissée dire que ce n'est pas
+trop bon pour la santé.... [Secouant doucement Tyltyl.] Allons,
+allons, Tyltyl....</p>
+
+<p>TYLTYL, [s'éveillant.]</p>
+
+<p>Quoi?... La Lumière?... Où est-elle? Non, non, ne t'en vas
+pas....</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>La Lumière?... mais bien sûr qu'elle est là.... Il y a déjà pas
+mal de temps.... Il fait aussi clair qu'à midi, bien que les
+volets soient fermés.... Attends un peu que je les ouvre....
+[Elle pousse les volets, l'aveuglante clarté du grand jour
+envahit la pièce.] Là, voilà!... Qu'est-ce que t'as?... T'as
+l'air tout aveuglé...</p>
+
+<p>TYLTYL, [se frottant les yeux.]</p>
+
+<p>Maman, maman!... C'est toi!...</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Mais bien sûr que c'est moi.... Qui veux-tu que ce soit?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est toi.... Mais oui, c'est toi!...</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Mais oui, c'est moi.... Je n'ai pas changé de visage cette
+nuit.... qu'as-tu donc à me regarder comme un émerveillé?... J'ai
+peut-être le nez à l'envers?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oh! que c'est bon de te revoir!... Il y a si longtemps, si
+longtemps!... Il faut que je t'embrasse tout de suite.... Encore,
+encore, encore!... Et puis, c'est bien mon lit!... Je suis dans
+la maison!...</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce que t'as?... Tu ne t'éveilles pas?... T'es pas malade,
+au moins?... Voyons, montre ta langue.... Allons, lève-toi donc,
+et puis habille-toi....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tiens! je suis en chemise!...</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Bien sûr.... Passe ta culotte et ta petite veste.... Elles sont
+là, sur la chaise....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Est-ce que j'ai fait ainsi tout mon voyage?...</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Quel voyage?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais oui, l'année dernière....</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>L'année dernière?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais oui, donc!... A Noël, lorsque je suis parti....</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Lorsque t'es parti?... T'as pas quitté la chambre.... Je j'ai
+couché hier soir, et je te retrouve ce matin.... T'as donc rêvé
+tout ça?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais tu ne comprends pas!... C'était l'année passée, lorsque je
+suis parti avec Mytyl, la Fée, la Lumière.... elle est bonne, la
+Lumière! le Pain, le Sucre, l'Eau, le Feu. Ils se battaient tout
+le temps.... T'es pas fâchée?... T'as pas été trop triste?... Et
+Papa, qu'a-t-il dit?... Je ne pouvais pas refuser.... J'ai laissé
+un billet pour expliquer....</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Qu'est-ce que tu chantes là?... Bien sûr que t'es malade, ou bien
+tu dors encore.... [Elle lui donne une bourrade amicale.] Voyons,
+réveille-toi.... Voyons, ça va-t-il mieux?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais, Maman, je t'assure.... C'est toi qui dors encore....</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Comment! je dors encore?... Je suis debout depuis six heures....
+J'ai fait tout le ménage et rallumé le feu....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais demande à Mytyl si c'est pas vrai.... Ah! noirs en avons eu
+des aventures!...</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Comment, Mytyl?... Quoi donc?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Elle était avec moi.... Nous avons revu bon-papa et
+bonne-maman....</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL, [de plus en plus ahurie.]</p>
+
+<p>Bon-papa et bonne-maman?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui, au Pays du Souvenir.... C'était sur notre route.... Ils sont
+morts, mais ils se portent bien.... Bonne-maman nous a fait une
+belle tarte aux prunes.... Et puis les petits frères, Robert,
+Jean, sa toupie, Madeleine et Pierrette, Pauline et puis
+Riquette...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Riquette, elle marche à quatre pattes!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Et Pauline a toujours son bouton sur le nez....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Nous t'avons vue aussi hier au soir.</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Hier au soir? Ce n'est pas étonnant puisque je t'ai couchée.</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Non, non, aux jardins des Bonheurs, tu étais bien plus belle,
+mais tu te ressemblais....</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Le jardin des Bonheurs? Je ne connais pas ça....</p>
+
+<p>TYLTYL, [la contemplant, puis l'embrassant.]</p>
+
+<p>Oui, tu étais plus belle, mais je t'aime mieux comme ça...</p>
+
+<p>MYTYL, [l'embrassant également.]</p>
+
+<p>Moi aussi, moi aussi....</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL, [attendrie, mais fort inquiète.]</p>
+
+<p>Mon Dieu! qu'est-ce qu'ils ont?... Je vais les perdre aussi,
+comme j'ai perdu les autres!... [Subitement affolée, elle
+appelle.] Papa Tyl! Papa Tyl!... Venez donc! Les petits sont
+malades!...</p>
+
+<blockquote><p>[Entre le Père Tyl, très calme une hache à la main.] </p></blockquote>
+
+<p>LE PÈRE TYL</p>
+
+<p>Qu'y a-t-il?...</p>
+
+<p>TYLTYL et MYTYL [accourant joyeusement pour embrasser leur père.]</p>
+
+<p>Tiens, Papa!... C'est Papa!... Bonjour, Papa!... Tu as bien
+travaillé cette année?...</p>
+
+<p>LE PÈRE TYL</p>
+
+<p>Eh bien, quoi?... Qu'est-ce que c'est?... Ils n'ont pas l'air
+malade; ils ont fort bonne mine....</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL, [larmoyante.]</p>
+
+<p>Il ne faut pas s'y fier.... Ce sera comme les autres.... Ils
+avaient fort bonne mine aussi, jusqu'à la fin; et puis le bon
+Dieu les a pris.... Je ne sais ce qu'ils ont.... Je les avais
+couchés bien tranquillement hier au soir; et ce matin, quand ils
+s'éveillent, voilà que tout va mal.... Ils ne savent plus ce
+qu'ils disent; ils parlent d'un voyage.... Ils ont vu la Lumière,
+grand-papa, grand'maman, qui sont morts mais qui se portent
+bien....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais bon-papa, il a toujours sa jambe de bois....</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Et bonne-maman ses rhumatismes....</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Tu entends?... Cours chercher le médecin!...</p>
+
+<p>LE PÈRE TYL</p>
+
+<p>Mais non, mais non.... Ils ne sont pas encore morts.... Voyons,
+nous allons voir.... [On frappe à la porte île la maison.]
+Entrez!</p>
+
+<blockquote><p>[Entre la Voisine, petite vieille qui ressemble à la Fée du
+premier acte, et qui marche en s'appuyant sur un bâton.] </p></blockquote>
+
+<p>LA VOISINE</p>
+
+<p>Bien le bonjour et bonne fête à tous!</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>C'est la Fée Bérylune!</p>
+
+<p>LA VOISINE</p>
+
+<p>Je viens chercher un peu de feu pour mon pot-au-feu de la
+fête.... Il fait bien frisquet ce matin.... Bonjour, les enfants,
+ça va bien?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Madame la Fée Bérylune, je n'ai pas trouvé l'Oiseau-Bleu....</p>
+
+<p>LA VOISINE</p>
+
+<p>Que dit-il?...</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Ne m'en parlez pas, madame Berlingot.... Ils ne savent plus ce
+qu'ils disent.... Ils sont comme ça depuis leur réveil.... Ils
+ont dû manger quelque chose qui n'était pas bon....</p>
+
+<p>LA VOISINE</p>
+
+<p>Eh bien, Tyltyl, tu ne reconnais pas la mère Berlingot, ta
+voisine Berlingot?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais si, madame.... Vous êtes la Fée Bérylune.... Vous n'êtes pas
+fâchée?...</p>
+
+<p>LA VOISINE</p>
+
+<p>Béry.... quoi?</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Bérylune</p>
+
+<p>LA VOISINE</p>
+
+<p>Berlingot, tu veux dire Berlingot....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Bérylune, Berlingot, comme vous voudrez, madame.... Mais Mytyl
+qui sait bien....</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Voilà le pis, c'est que Mytyl aussi....</p>
+
+<p>LE PÈRE TYL</p>
+
+<p>Bah, bah!... Cela se passera; je vais leur donner quelques
+claques....</p>
+
+<p>LA VOISINE</p>
+
+<p>Laissez donc, ce n'est pas la peine.... Je connais ça; c'est rien
+qu'un peu de songeries.... Ils auront dormi dans un rayon de
+lune.... Ma petite fille qu'est bien malade est souvent comme
+ça....</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>A propos, comment qu'elle va, ta petite fille?</p>
+
+<p>LA VOISINE</p>
+
+<p>Couci-couci.... Elle ne peut se lever.... Le docteur dit que
+c'est les nerfs.... Tout de même je sais bien ce qui la
+guérirait.... Elle me le demandait encore ce matin, pour son
+petit noël; c'est une idée qu'elle a....</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Oui, je sais, c'est toujours l'oiseau de Tyltyl.... Eh bien,
+Tyltyl, ne vas-tu pas le lui donner enfin, à cette pauvre
+petite?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Quoi, Maman?...</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Ton oiseau.... Pour ce que tu en fais.... Tu ne le regardes même
+plus.... Elle en meurt d'envie depuis si longtemps!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Tiens, c'est vrai, mon oiseau.... Où est-il?... Ah! mais voilà la
+cage!... Mytyl, vois-tu la cage?... C'est celle que portait le
+Pain.... Oui, oui, c'est bien la même; mais il n'y a plus qu'un
+oiseau.... Il a donc mangé l'autre?... Tiens, tiens!... Mais il
+est bleu!... Mais c'est ma tourterelle!... Mais elle est bien
+plus bleue que quand je suis parti!... Mais c'est là
+l'Oiseau-Bleu que mous avons cherché!... Nous sommes allés si
+loin et il était ici!... Ah! ça, c'est épatant!... Mytyl, vois-tu
+l'oiseau?... Que dirait la Lumière?... Je vais décrocher la
+Cage.... [Il monte sur une chaise et décroche la cage qu'il
+apporte à la Voisine.] La voilà, madame Berlingot.... Il n'est
+pas encore tout à fait bleu; ça viendra, vous verrez.... Mais
+portez-le bien vite à votre petite fille....</p>
+
+<p>LA VOISINE</p>
+
+<p>Non?... Vrai?... Tu me le donnes, comme ça, tout de suite et pour
+rien?... Dieu! qu'elle va être heureuse!... [Embrassant Tyltyl.]
+Il faut que je t'embrasse!... Je me sauve!... Je me sauve!...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Oui, oui; allez vite.... Il y en a qui changent de couleur....</p>
+
+<p>LA VOISINE</p>
+
+<p>Je reviendrai vous dire ce qu'elle aura dit....</p>
+
+<blockquote><p>[Elle sort.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL, [après avoir longuement regardé autour de soi.]</p>
+
+<p>Papa, Maman; qu'avez-vous fait à la maison?... C'est la même
+chose; mais elle est bien plus belle....</p>
+
+<p>LE PÈRE TYL</p>
+
+<p>Comment, elle est plus belle?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Mais oui, tout est repeint, tout est remis à neuf, tout reluit,
+tout est propre.... Ça n'était pas comme ça, l'année dernière....</p>
+
+<p>LE PÈRE TYL</p>
+
+<p>L'année dernière?...</p>
+
+<p>TYLTYL, [allant à la fenêtre.]</p>
+
+<p>Et la forêt qu'on voit!... Est-elle grande, est-elle belle!... On
+croirait qu'elle est neuve!... Qu'on est heureux ici!... [Allant
+ouvrir la huche.] Où est le Pain?... Tiens, ils sont bien
+tranquilles.... Et puis, voilà Tylô!... Bonjour, Tylô, Tylô!...
+Ah! tu t'es bien battu!... Te rappelles-tu dans la forêt?...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Et Tylette?... Elle me reconnaît bien, mais elle ne parle
+plus....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Monsieur le Pain.... [Se tâtant le front.] Tiens, je n'ai plus le
+Diamant! Qui est-ce qui m'a pris mon petit chapeau vert?... Tant
+pis! je n'en ai plus besoin....&mdash;Ah! le Feu!... Il est bon!... Il
+pétille en riant pour faire enrager l'Eau.... [Courant à la
+fontaine.]&mdash;Et l'Eau?... Bonjour, l'Eau!... Que dit-elle?... Elle
+parle toujours, mais je ne la comprends plus aussi bien..</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Je ne vois pas le Sucre....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Dieu que je suis heureux, heureux, heureux!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Moi aussi, moi aussi!...</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Qu'ont-ils donc à tourniller comme ça?...</p>
+
+<p>LE PÈRE TYL</p>
+
+<p>Laisse donc, t'inquiète pas.... Ils jouent à être heureux....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Moi, j'aimais surtout la Lumière.... Où est sa lampe?... Est-ce
+qu'on peut l'allumer?... [Regardant encore autour de soi.] Dieu!
+que c'est beau tout ça et que je suis content!...</p>
+
+<blockquote><p>[On frappe à la porte de la maison.] </p></blockquote>
+
+<p>LE PÈRE TYL</p>
+
+<p>Entrez donc!...</p>
+
+<blockquote><p>[Entre la Voisine, tenant par la main une petite fille d'une
+beauté blonde et merveilleuse qui serre dans ses bras la
+tourterelle de Tyltyl.] </p></blockquote>
+
+<p>LA VOISINE</p>
+
+<p>Vous voyez le miracle!...</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Pas possible!... Elle marche?...</p>
+
+<p>LA VOISINE</p>
+
+<p>Elle marche!... C'est-à-dire qu'elle court, qu'elle danse,
+qu'elle vole!... Quand elle a vu l'oiseau, elle a sauté, comme
+ça, d'un saut, vers la fenêtre, pour voir à la lumière si c'était
+bien la tourterelle de Tyltyl.... Et puis pfff!... dans la rue,
+comme un ange.... C'est tout juste si je pouvais la suivre....</p>
+
+<p>TYLTYL, [s'approchant, émerveillé.]</p>
+
+<p>Oh! qu'elle ressemble à la Lumière!...</p>
+
+<p>MYTYL</p>
+
+<p>Elle est bien plus petite....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Sûr!... Mais elle grandira...</p>
+
+<p>LA VOISINE</p>
+
+<p>Que disent-ils?... Ça ne va pas encore?...</p>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Ça va mieux, ça se passe.... Quand ils auront déjeuné, il n'y
+paraîtra plus....</p>
+
+<p>LA VOISINE, [poussant la petite fille dans les bras de Tyltyl.]</p>
+
+<p>Allons, va, ma petite, va remercier Tyltyl....</p>
+
+<blockquote><p>[Tyltyl, soudainement intimidé, recule d'un pas.] </p></blockquote>
+
+<p>LA MÈRE TYL</p>
+
+<p>Eh bien, Tyltyl, qu'est-ce que t'as?... T'as peur de la petite
+fille?... Voyons, embrasse-la.... Voyons, un gros baiser....
+Mieux que ça.... Toi si effronté d'habitude!... Encore un!...
+Mais qu'est-ce donc que t'as?... On dirait que tu vas pleurer....</p>
+
+<blockquote><p>[Tyltyl, après avoir gauchement embrassé la petite fille,
+reste un moment debout devant elle, et les deux enfants se
+regardent sans rien dire; puis, Tyltyl caressant la tète de
+l'oiseau.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'il est assez bleu?...</p>
+
+<p>LA PETITE FILLE</p>
+
+<p>Mais oui, je suis contente....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>J'en ai vu de plus bleus.... Mais les tout à fait bleus, tu sais,
+on a beau faire, on ne peut pas les attraper.</p>
+
+<p>LA PETITE FILLE</p>
+
+<p>Ça ne fait rien, il est bien joli....</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Est-ce qu'il a mangé?...</p>
+
+<p>LA PETITE FILLE</p>
+
+<p>Pas encore.... Qu'est-ce qu'il mange?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>De tout, du blé, du pain, du maïs, des cigales....</p>
+
+<p>LA PETITE FILLE</p>
+
+<p>Comment qu'il mange, dis?...</p>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Par le bec, tu vas voir, je vais te montrer....</p>
+
+<blockquote><p>[Il va pour prendre l'oiseau des mains de la petite fille;
+celle-ci résiste instinctivement, et, profitant de
+l'hésitation de leur geste, la tourterelle s'échappe et s'en
+vole.] </p></blockquote>
+
+<p>LA PETITE FILLE, [poussant un cri de désespoir.]</p>
+
+<p>Maman!... Il est parti!...</p>
+
+<blockquote><p>[Elle éclate en sanglots.] </p></blockquote>
+
+<p>TYLTYL</p>
+
+<p>Ce n'est rien.... Ne pleure pas.... Je le rattraperai....
+[S'avançant sur le devant de la scène et s'adressant au public.]
+Si quelqu'un le retrouve, voudrait-il nous le rendre?... Nous en
+avons besoin pour être heureux plus tard....</p>
+
+
+<p>RIDEAU</p>
+<hr style="width: 95%;" />
+
+<p class="caption"><a name="Table_des_matieres" id="Table_des_matieres"></a>Table des matières</p>
+
+
+<p style="font-size: 0.8em;">
+<a href="#COSTUMES">COSTUMES</a><br />
+<a href="#TABLEAUX">TABLEAUX</a><br />
+<a href="#PERSONNAGES">PERSONNAGES</a><br /><br />
+<a href="#LOISEAU_BLEU">L'OISEAU BLEU</a><br /><br />
+<a href="#ACTE_PREMIER">ACTE PREMIER</a><br />
+<a href="#PREMIER_TABLEAU">PREMIER TABLEAU</a><br /><br />
+<a href="#ACTE_DEUXIEME">ACTE DEUXIÈME</a><br />
+<a href="#DEUXIEME_TABLEAU">DEUXIÈME TABLEAU</a><br />
+<a href="#TROISIEME_TABLEAU">TROISIÈME TABLEAU</a><br /><br />
+<a href="#ACTE_TROISIEME">ACTE TROISIÈME</a><br />
+<a href="#QUATRIEME_TABLEAU">QUATRIÈME TABLEAU</a><br />
+<a href="#CINQUIEME_TABLEAU">CINQUIÈME TABLEAU</a><br /><br />
+<a href="#ACTE_QUATRIEME">ACTE QUATRIÈME</a><br />
+<a href="#SIXIEME_TABLEAU">SIXIÈME TABLEAU</a><br />
+<a href="#SEPTIEME_TABLEAU">SEPTIÈME TABLEAU</a><br />
+<a href="#HUITIEME_TABLEAU">HUITIÈME TABLEAU</a><br />
+<a href="#NEUVIEME_TABLEAU">NEUVIÈME TABLEAU</a><br /><br />
+<a href="#ACTE_CINQUIEME">ACTE CINQUIÈME</a><br />
+<a href="#DIXIEME_TABLEAU">DIXIÈME TABLEAU</a><br />
+<a href="#ONZIEME_TABLEAU">ONZIÈME TABLEAU</a><br /><br />
+<a href="#ACTE_SIXIEME">ACTE SIXIÈME</a><br />
+<a href="#DOUZIEME_TABLEAU">DOUZIÈME TABLEAU</a><br />
+</p>
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of L'oiseau bleu, by Maurice Maeterlinck
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'OISEAU BLEU ***
+
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+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
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+individual work is in the public domain in the United States and you are
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+
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+ distribution of Project Gutenberg-tm works.
+
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+warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
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+law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
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+harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at https://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit https://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including including checks, online payments and credit card
+donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ https://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
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