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On pourrait supprimer au premier +acte la transformation de la Fée en princesse. + +LE PÈRE TYL, LA MÈRE TYL, GRAND-PAPA TYL, GRAND'MAMAN TYL: +Costumes légendaires des bûcherons et des paysans allemands dans +les contes de Grimm. + +LES FRÈRES ET SÅ’URS DE TYLTYL: Variantes du costume du +Petit-Poucet. + +LE TEMPS: Costume classique du Temps: vaste manteau noir ou gros +bleu, barbe blanche et flottante, faulx, sablier. + +L'AMOUR MATERNEL: Costume à peu près semblable à celui de la +Lumière, c'est-à -dire voiles souples et presque transparents de +statue grecque, blancs autant que possible. Perles et pierreries +aussi riches et aussi nombreuses qu'on voudra, pourvu qu'elles ne +rompent pas l'harmonie pure et candide de l'ensemble. + +LES GRANDES JOIES: Comme il est dit dans le texte, robes +lumineuses aux subtiles et suaves nuances: réveil de rose, +sourire d'eau, rosée d'ambre, azur d'aurore, etc. + +LES BONHEURS DE LA MAISON: Robes de diverses couleurs, ou si l'on +veut, costumes de paysans, de bergers, de bûcherons, etc., mais +idéalisés et féeriquement interprétés. + +LES GROS BONHEURS: Avant la transformation: amples et lourds +manteaux de brocarts rouges et jaunes, bijoux énormes et épais, +etc. Après la transformation: maillots café ou chocolat, donnant +l'impression de pantins en baudruche. + +LA NUIT: Amples vêtements noirs mystérieusement constellés, à +reflets mordorés. Voiles, pavots sombres, etc. + +LA PETITE FILLE DE LA VOISINE: Chevelure blonde et lumineuse, +longue robe blanche. + +LE CHIEN: Habit rouge, culotte blanche, bottes vernies, chapeau +ciré; costume rappelant plus ou moins celui de John Bull. + +LA CHATTE: Maillot de soie noire à paillettes + +Il convient que les têtes de ces deux personnages soient +discrètement animalisées. + +LE PAIN: Somptueux costume de pacha. Ample robe de soie ou de +velours cramoisi, broché d'or. Vaste turban. Cimeterre. Ventre +énorme, face rouge et extrêmement joufflue. + +LE SUCRE: Robe de soie, dans le genre de celles des eunuques, +mi-partie de blanc et de bleu pour rappeler le papier d'emballage +des pains de sucre; Coiffure des gardiens du sérail. + +LE FEU: Maillot rouge, manteau vermillon à reflets chatoyants, +doublé d'or. Aigrette de flammes versicolores. + +L'EAU: Robe couleur du temps du conte de Peau d'Ane, c'est-à -dire +bleuâtre ou glauque, à reflets transparents, effets de gaze +ruisselante, également style néo ou anglo-grec, mais plus ample, +plus flottant. Coiffure de fleurs et d'algues ou de roseaux. + +LES ANIMAUX: Costumes populaires ou paysans. + +LES ARBRES: Robes, nuances variées du vert ou de la teinte tronc +d'arbres. Attributs, feuilles ou branches qui les fassent +reconnaître. + + + + +TABLEAUX + + +1er TABLEAU (acte I): _La Cabane du Bûcheron._ + +2e TABLEAU (acte II): _Chez la Fée._ + +3e TABLEAU (acte II): _Le Pays du Souvenir._ + +4e TABLEAU (acte III): _Le Palais de la Nuit._ + +5e TABLEAU (acte III): _La Forêt._ + +6e TABLEAU (acte IV): _Devant le Rideau._ + +7e TABLEAU (acte IV): _Le Cimetière._ + +8e TABLEAU (acte IV): _Devant le Rideau._ + +9e TABLEAU (acte IV): _Le Palais des Bonheurs._ + +10e TABLEAU (acte V): _Le Royaume de l'Avenir._ + +11e TABLEAU (acte VI): _L'Adieu._ + +12e TABLEAU (acte VI): _Le Réveil._ + + + + +PERSONNAGES + +(dans l'ordre de leur entrée en scène) + + + LA MÈRE TYL -- Mlle Méthivet. + TYLTYL -- M. Delphin. + MYTYL -- Mlle Odette Carlia. + LA FÉE -- Mme Gina Barbieri. + LE PAIN -- MM. R.L. Fugère. + LE FEU -- Aurèle Sydney. + L'EAU -- Mlles Isis. + LE LAIT -- Diris. + LE SUCRE -- MM. Bosman. + LE CHIEN -- Séverin-Mars. + LE CHAT -- Stephen. + LA LUMIÈRE -- Mme Georgette Leblanc. + { Mlles Nini Mano. + { Henriette Maillefer. + { Fernande Fayeret. + { Blanche Faveret. + { Suzanne Bailly. + LES HEURES -- { Raymonde Faveret. + { Laurence Petit. + { Jane Faveret. + { Berthe Libovitz. + { Antoinette Raymond. + { Deroissy. + { Georges. + + LE PÈRE TYL -- M. Félix Barré. + GRAND'MÈRE TYL -- Mme Daynes Grassot. + GRAND-PÈRE TYL -- M. Maillard. + PIERROT -- Mlles Suterre. + ROBERT -- Maria Fromet. + JEANNETTE -- Jeanne Evrard. + MADELEINE -- Giavelli. + PIERRETTE -- Henriette Gallet. + PAULINE -- Henriette Maillefer. + RIQUETTE -- Nini Mano + LA NUIT -- Clarel. + LE SOMMEIL -- Louise Starck. + LA MORT -- Rachel Horelick. + LE RHUME DE CERVEAU -- Renée Dahon. + 1er ENFANT BLEU -- Maria Fromet. + 2e -- -- Laura Walter. + 3e -- -- Maria Dumont. + 4e -- -- Fernande Faveret. + 5e -- -- Maud Loti. + 6e -- -- Suterre. + 7e -- -- Suzanne Bailly. + 8e -- -- Giavelli. + 9e -- -- Madeleine Fromet. + LE ROI DES NEUF PLANÈTES -- Batistina Rousseau. + 11e ENFANT BLEU -- Renée Pré. + 12e -- -- Henriette Maillefer. + 13e -- -- Béatrice Raymond. + 14e -- -- Jeanne Corrège. + L'AMOUREUX -- Lucy Fleury. + L'AMOUREUSE -- Blanche Borelli. + LE TEMPS -- M. Garry. + LE PETIT FRÈRE A NAITRE. -- Mlle Maria Fromet. + { Mlles Berthe Libovitz. + { Fernande Faveret. + { Suzanne Faveret. + { Blanche Faveret. + { Raymonde Faveret. + LES AUTRES ENFANTS BLEUS: -- { Mlles Henriette Gallet. + { Jeanne Evrard. + { Denise Choquet. + { Léa Dumont. + { Marcelle Malherbe. + { Juliette Malherbe. + { Lucienne Chezeaux. + { Dupechier. + + { Mlles Deroissy. + { George. + LES GARDIENNES -- { Théloz. + { Albert. + + LE CHEF DES GROS BONHEURS. M. Barré. + LES AUTRES BONHEURS { MM. Alfroy. + { Adalbert, etc. + + { Mlle Lucienne Chezaux. + { Nini Mano. + { Jeanne Corrège. + LES PETITS BONHEURS -- { Henriette Maillefer. + { Fernand Faveret. + { Blanche Faveret. + { Louise Starck. + { Rachel Horelick. + + { Jane Faveret. + { Raymonde Faveret. + LES ADOLESCENTS -- { Maud Loti. + { Annette Libovitz. + { Laurence Petit. + + LE CHEF DES BONHEURS { Mlles Renée Beauval. + + LE BONHEUR DE SE BIEN + PORTER { Dorchèze. + -- DE L'AIR PUR { Fleury. + -- D'AIMER SES PARENTS { Gannoz. + -- DU CIEL BLEU { Blanche Borelli. + -- DE LA FORÊT { Diris. + + LE BONHEUR DES HEURES DE + SOLEIL { Mlles Boissière. + -- DU PRINTEMPS { Renée Dahon. + -- DES COUCHERS DE SOLEIL { Soyez. + -- DE VOIR SE LEVER + LES ÉTOILES { Georges. + -- DE LA PLUIE { Darièze. + -- DU FEU D'HIVER { Carène. + -- DES PENSÉES INNOCENTES { Laura Walter. + -- DE COURIR NU-PIEDS + DANS LA ROSÉE { Antoinette Raymond. + + LA JOIE D'ÊTRE JUSTE { Albert. + -- D'ÊTRE BONNE { Bulaine. + -- DE LA GLOIRE { Théloz. + -- DE PENSER { Deroissy. + -- DE COMPRENDRE { Lefebvre. + -- DE VOIR CE QUI EST BEAU { Didier. + -- D'AIMER { Dervil. + + L'AMOUR MATERNEL { Méthivet. + + { Soyez. + LES JOIES INCONNUES { Delettraz. + { Dessoyer, etc. + + LA VOISINE BERLINGOT { Mme Gina Barbieri. + + SA PETITE FILLE { Mlle Juliette Malherbe. + + + + + + + +L'OISEAU BLEU + + + + +ACTE PREMIER + + + + +PREMIER TABLEAU + + +LA CABANE DU BÛCHERON + + +Le théâtre représente l'intérieur d'une cabane de bûcheron, +simple, rustique, mais non point misérable.--Cheminée à manteau +où s'assoupit un feu de bûches.--Ustensiles de cuisine, armoire, +huche, horloge à poids, rouet, fontaine, etc.--Sur une table, une +lampe allumée.--Au pied de l'armoire, de chaque côté de +celle-ci, endormis, pelotonnés, le nez sous la queue, un Chien et +une Chatte.--Entre eux deux, un grand pain de sucre blanc et +bleu.--Accrochée au mur, une cage ronde renfermant une +tourterelle.--Au fond, deux fenêtres dont les volets intérieurs +sont fermés.--Sous l'une des fenêtres, un escabeau.--A gauche, la +porte d'entrée de la maison, munie d'un gros loquet.--A droite, +une autre porte.--Échelle menant à un grenier.--Également à +droite, deux petits lits d'enfant, au chevet desquels, sur deux +chaises, des vêtements se trouvent soigneusement pliés. + + * * * * * + + [Au lever du rideau, Tyltyl et Mytyl sont profondément + endormis dans leurs petits lits. La Mère Tyl les borde une + dernière fois, se penche sur eux, contemple un moment leur + sommeil, et appelle de la main le père Tyl qui passe la tête + dans l'entrebâillement de la porte. La Mère Tyl met un doigt + sur les lèvres pour lui commander le silence, puis sort à + droite sur la pointe des pieds, après avoir éteint la lampe. + La scène reste obscure un instant, puis une lumière dont + l'intensité augmente peu à peu filtre par les lames des + volets. La lampe sur la table se rallume d'elle-même. Les + deux enfants semblent s'éveiller et se mettent sur leur + séant.] + +TYLTYL + +Mytyl? + +MYTYL + +Tyltyl? + +TYLTYL + +Tu dors? + +MYTYL + +Et toi?... + +TYLTYL + +Mais non, je dors pas puisque je te parle.... + +MYTYL: + +C'est Noël, dis?... + +TYLTYL + +Pas encore; c'est demain. Mais le petit Noël n'apportera rien +cette année.... + +MYTYL + +Pourquoi?... + +TYLTYL + +J'ai entendu maman qui disait qu'elle n'avait pu aller à la ville +pour le prévenir.... Mais il viendra l'année prochaine.... + +MYTYL + +C'est long, l'année prochaine?... + +TYLTYL + +Ce n'est pas trop court.... Mais il vient cette nuit chez les +enfants riches.... + +MYTYL + +Ah?... + +TYLTYL + +Tiens!... Maman a oublié la lampe!... J'ai une idée?... + +MYTYL + +?... + +TYLTYL + +Nous allons nous lever.... + +MYTYL + +C'est défendu.... + +TYLTYL + +Puisqu'il n'y a personne.... Tu vois les volets?... + +MYTYL + +Oh! qu'ils sont clairs!... + +TYLTYL + +C'est les lumières de la fête. + +MYTYL + +Quelle fête? + +TYLTYL + +En face, chez les petits riches. C'est l'arbre de Noël. Nous +allons les ouvrir.... + +MYTYL + +Est-ce qu'on peut? + +TYLTYL + +Bien sûr, puisqu'on est seuls.... Tu entends la musique?... +Levons-nous.... + + Les deux enfants se lèvent, courent à l'une des fenêtres, + montent sur l'escabeau et poussent les volets. Une vive + clarté pénètre dans la pièce. Les enfants regardent + avidement au dehors. + +TYLTYL + +On voit tout!... + +MYTYL, [qui ne trouve qu'une place précaire sur l'escabeau.] + +Je vois pas.... + +TYLTYL + +Il neige!... Voilà deux voitures à six chevaux!... + +MYTYL Il en sort douze petits garçons!... + +TYLTYL + +T'es bête!... C'est des petites filles.... + +MYTYL + +Ils ont des pantalons.... + +TYLTYL + +Tu t'y connais.... Ne me pousse pas ainsi!... + +MYTYL + +Je t'ai pas touché. + +TYLTYL, [qui occupe à lui seul tout l'escabeau.] + +Tu prends toute la place.... + +MYTYL + +Mais j'ai pas du tout de place!... + +TYLTYL + +Tais-toi donc, on voit l'arbre!... + +MYTYL + +Quel arbre?... + +TYLTYL + +Mais l'arbre de Noël!... Tu regardes le mur!... + +MYTYL + +Je regarde le mur parce qu'y a pas de place.... + +TYLTYL, [lui cédant une petite place avare sur l'escabeau.] + +Là !... En as-tu assez?... C'est-y pas la meilleure?... Il y en a +des lumières! Il y en a!... + +MYTYL + +Qu'est-ce qu'ils font donc ceux qui font tant de bruit?... + +TYLTYL + +Ils font de la musique. + +MYTYL + +Est-ce qu'ils sont fâchés?... + +TYLTYL + +Non, mais c'est fatigant. + +MYTYL + +Encore une voiture attelée de chevaux blancs!... + +TYLTYL + +Tais-toi!... Regarde donc!... + +MYTYL + +Qu'est-ce qui pend là , en or, après les branches?... + +TYLTYL + +Mais les jouets, pardi!... Des sabres, des fusils, des soldats, +des canons.... + +MYTYL + +Et des poupées, dis, est-ce qu'on en a mis?... + +TYLTYL + +Des poupées?... C'est trop bête; ça ne les amuse pas.... + +MYTYL + +Et autour de la table, qu'est-ce que c'est tout ça?... + +TYLTYL + +C'est des gâteaux, des fruits, des tartes à la crème.... + +MYTYL + +J'en ai mangé une fois, lorsque j'étais petite.... + +TYLTYL + +Moi aussi; c'est meilleur que le pain, mais on en a trop peu.... + +MYTYL + +Ils n'en ont pas trop peu.... Il y en a plein la table.... Est-ce +qu'ils vont les manger?... + +TYLTYL + +Bien sûr; qu'en feraient-ils?... + +MYTYL + +Pourquoi qu'ils ne les mangent pas tout de suite?... + +TYLTYL + +Parce qu'ils n'ont pas faim.... + +MYTYL, stupéfaite. + +Ils n'ont pas faim?... Pourquoi?... + +TYLTYL + +C'est qu'ils mangent quand ils veulent.... + +MYTYL, incrédule. + +Tous les jours?... + +TYLTYL + +On le dit.... + +MYTYL + +Est-ce qu'ils mangeront tout?... Est-ce qu'ils en donneront?... + +TYLTYL + +A qui?... + +MYTYL + +A nous.... + +TYLTYL + +Ils ne nous connaissent pas.... + +MYTYL + +Si on leur demandait?... + +TYLTYL + +Cela ne se fait pas. + +MYTYL + +Pourquoi?... + +TYLTYL + +Parce que c'est défendu. + +MYTYL, battant des mains. + +Oh! qu'ils sont donc jolis!... + +TYLTYL, enthousiasmé. + +Et ils rient et ils rient!... + +MYTYL + +Et les petits qui dansent!... + +TYLTYL + +Oui, oui, dansons aussi!... + + Ils trépignent de joie sur l'escabeau. + +MYTYL + +Oh! que c'est amusant!... + +TYLTYL + +On leur donne les gâteaux!... Ils peuvent y toucher!... Ils +mangent! ils mangent! ils mangent!... + +MYTYL + +Les plus petits aussi!... Ils en ont deux, trois, quatre!... + +TYLTYL, [ivre de joie.] + +Oh! c'est bon!... Que c'est bon! que c'est bon!... + +MYTYL, [comptant des gâteaux imaginaires.] + +Moi, j'en ai reçu douze!... + +TYLTYL + +Et moi quatre fois douze!... Mais je t'en donnerai.... + + On frappe à la porte de la cabane. + +TYLTYL, [subitement calmé et effrayé.] + +Qu'est-ce que c'est?... + +MYTYL, [épouvantée.] + +C'est papa!... + + Comme ils tardent à ouvrir, on voit le gros loquet se + soulever de lui-même, en grinçant; la porte s'entrebâille + pour livrer passage à une petite vieille habillée de vert et + coiffée d'un chaperon rouge. Elle est bossue, boiteuse, + borgne; le nez et le menton se rencontrent, et elle marche + courbée sur un bâton. Il n'est pas douteux que ce ne soit + une fée. + +LA FÉE + +Avez-vous ici l'herbe qui chante ou l'oiseau qui est bleu?... + +TYLTYL + +Nous avons de l'herbe, mais elle ne chante pas.... + +MYTYL + +Tyltyl a un oiseau. + +TYLTYL + +Mais je ne peux pas le donner.... + +LA FÉE + +Pourquoi?... + +TYLTYL + +Parce qu'il est à moi. + +LA FÉE + +C'est une raison, bien sûr. Où est-il, cet oiseau?... + +TYLTYL, [montrant la cage.] + +Dans la cage.... + +LA FÉE, [mettant ses besicles pour examiner l'oiseau.] + +Je n'en veux pas; il n'est pas assez bleu. Il faudra que vous +m'alliez chercher celui dont j'ai besoin. + +TYLTYL + +Mais je ne sais pas où il est.... + +LA FÉE + +Moi non plus. C'est pourquoi il faut le chercher. Je puis à la +rigueur me passer de l'herbe qui chante; mais il me faut +absolument l'Oiseau Bleu. C'est pour ma petite fille qui est très +malade. + +TYLTYL + +Qu'est-ce qu'elle a?... + +LA FÉE + +On ne sait pas au juste; elle voudrait être heureuse.... + +TYLTYL + +Ah?... + +LA FÉE + +Savez-vous qui je suis?... + +TYLTYL + +Vous ressemblez un peu à notre voisine, Madame Berlingot.... + +LA FÉE, se fâchant subitement. + +En aucune façon.... Il n'y a aucun rapport.... C'est +abominable!... Je suis la Fée Bérylune.... + +TYLTYL + +Ah! très bien.... + +LA FÉE + +Il faudra partir tout de suite. + +TYLTYL + +Vous viendrez avec nous?... + +LA FÉE + +C'est absolument impossible à cause du pot-au-feu que j'ai mis ce +matin et qui s'empresse de déborder chaque fois que je m'absente +plus d'une heure.... [Montrant successivement le plafond, la +cheminée et la fenêtre.] Voulez-vous sortir par ici, par là ou +par là ?... + +TYLTYL, [montrant timidement la porte.] + +J'aimerais mieux sortir par là .... + +LA FÉE, [se fâchant encore subitement.] + +C'est absolument impossible, et c'est une habitude révoltante!... +[Indiquant la fenêtre.] Nous sortirons par là .... Eh bien!... +Qu'attendez-vous?... Habillez-vous tout de suite.... [Les enfants +obéissent et s'habillent rapidement.] Je vais aider Mytyl.... + +TYLTYL + +Nous n'avons pas de souliers.... + +LA FÉE + +Ça n'a pas d'importance. Je vais vous donner un petit chapeau +merveilleux. Où sont donc vos parents?... + +TYLTYL, [montrant la porte à droite.] + +Ils sont là ; ils dorment.... + +LA FÉE + +Et votre bon-papa et votre bonne-maman?... + +TYLTYL + +Ils sont morts.... + +LA FÉE + +Et vos petits frères et vos petites sÅ“urs.... Vous en +avez?... + +TYLTYL + +Oui, oui; trois petits frères.... + +MYTYL + +Et quatre petites sÅ“urs.... + +LA FÉE + +Où sont-ils?... + +TYLTYL + +Ils sont morts aussi.... + +LA FÉE + +Voulez-vous les revoir?... + +TYLTYL + +Oh oui!... Tout de suite!... Montrez-les!... + +LA FÉE + +Je ne les ai pas dans ma poche.... Mais ça tombe à merveille; +vous les reverrez en passant par le pays du Souvenir. C'est sur +la route de l'Oiseau-Bleu. Tout de suite à gauche, après le +troisième carrefour.--Que faisiez-vous quand j'ai frappé?... + +TYLTYL + +Nous jouions à manger des gâteaux. + +LA FÉE + +Vous avez des gâteaux?... Où sont-ils? + +TYLTYL + +Dans le palais des enfants riches.... Venez voir, c'est si +beau!... + + [Il entraîne la Fée vers la fenêtre.] + +LA FÉE, à la fenêtre. + +Mais ce sont les autres qui les mangent!... + +TYLTYL + +Oui; mais puisqu'on voit tout.... + +LA FÉE + +Tu ne leur en veux pas?... + +TYLTYL + +Pourquoi?... + +LA FÉE + +Parce qu'ils mangent tout. Je trouve qu'ils ont grand tort de ne +pas t'en donner.... + +TYLTYL + +Mais non, puisqu'ils sont riches.... Hein? que c'est beau chez +eux!... + +LA FÉE + +Ce n'est pas plus beau que chez toi. + +TYLTYL + +Heu!... Chez nous c'est plus noir, plus petit, sans gâteaux.... + +LA FÉE + +C'est absolument la même chose; c'est que tu n'y vois pas.... + +TYLTYL + +Mais si, j'y vois très bien, et j'ai de très bons yeux. Je lis +l'heure au cadran de l'église que papa ne voit pas.... + +LA FÉE, [se fâchant subitement.] + +Je te dis que tu n'y vois pas!... Comment donc me vois-tu?... +Comment donc suis-je faite?... [Silence gêné de Tyltyl.] Eh bien, +répondras-tu? que je sache si tu vois?... Suis-je belle ou bien +laide?... [Silence de plus en plus embarrassé.] Tu ne veux pas +répondre?... Suis-je jeune ou bien veille?... Suis-je rose ou +bien jaune?... j'ai peut-être une bosse?... + +TYLTYL, [conciliant.] + +Non, non, elle n'est pas grande.... + +LA FÉE + +Mais si, à voir ton air, on la croirait énorme.... Ai-je le nez +crochu et l'Å“il gauche crevé?... + +TYLTYL + +Non, non, je ne dis pas.... Qui est-ce qui l'a crevé?... + +LA FÉE, de plus en plus irritée. + +Mais il n'est pas crevé!... Insolent! misérable!... Il est plus +beau que l'autre; il est plus grand, plus clair, il est bleu +comme le ciel.... Et mes cheveux, vois-tu?... Ils sont blonds +comme les blés.... on dirait de l'or vierge!... Et j'en ai tant +et tant que la tête me pèse.... Ils s'échappent de partout.... +Les vois-tu sur mes mains?... + + [Elle étale deux maigres mèches de cheveux gris.] + +TYLTYL + +Oui, j'en vois quelques-uns.... + +LA FÉE, [indignée.] + +Quelques-uns!... Des gerbes! des brassées! des touffes! des flots +d'or!... Je sais bien que des gens disent qu'ils n'en voient +point; mais tu n'es pas de ces méchantes gens aveugles, je +suppose?... + +TYLTYL + +Non, non, je vois très bien ceux qui ne se cachent point.... + +LA FÉE + +Mais il faut voir les autres avec la même audace!... C'est bien +curieux, les hommes.... Depuis la mort des fées, ils n'y voient +plus du tout et ne s'en doutent point.... Heureusement que j'ai +toujours sur moi tout ce qu'il faut pour rallumer les yeux +éteints.... Qu'est-ce que je tire de mon sac?... + +TYLTYL + +Oh! le joli petit chapeau vert!... Qu'est-ce qui brille ainsi sur +la cocarde?... + +LA FÉE + +C'est le gros Diamant qui fait voir.... + +TYLTYL + +Ah!... + +LA FÉE + +Oui; quand on a le chapeau sur la tête, on tourne un peu le +Diamant: de droite à gauche, par exemple, tiens, comme ceci, +vois-tu?... Il appuie alors sur une bosse de la tête que personne +ne connaît, et qui ouvre les yeux.... + +TYLTYL + +Ça ne fait pas de mal?... + +LA FÉE + +Au contraire, il est fée.... On voit à l'instant même ce qu'il y +a dans les choses; l'âme du pain, du vin, du poivre, par +exemple.... + +MYTYL + +Est-ce qu'on voit aussi l'âme du sucre?... + +LA FÉE, [subitement fâchée.] + +Cela va sans dire!... Je n'aime pas les questions inutiles.... +L'âme du sucre n'est pas plus intéressante que celle du +poivre.... Voilà , je vous donne ce que j'ai pour vous aider dans +la recherche de l'Oiseau-Bleu.... Je sais bien que +l'Anneau-qui-rend-invisible ou le Tapis-Volant vous seraient plus +utiles.... Mais j'ai perdu la clef de l'armoire où je les ai +serrés.... Ah! j'allais oublier.... [Montrant le Diamant.] Quand +on le tient ainsi, tu vois.... un petit tour de plus, on revoit +le Passé.... Encore un petit tour, et l'on voit l'Avenir.... +C'est curieux et pratique et ça ne fait pas de bruit.... + +TYLTYL + +Papa me le prendra.... + +LA FÉE + +Il ne le verra pas; personne ne peut le voir tant qu'il est sur +ta tête.... Veux-tu l'essayer?... [Elle coiffe Tyltyl du petit +chapeau vert.] A présent, tourne le Diamant.... Un tour et puis +après.... + + [A peine Tyltyl a-t-il tourné le Diamant, qu'un changement + soudain et prodigieux s'opère en toutes choses. La vieille + fée est tout à coup une belle princesse merveilleuse; les + cailloux dont sont bâtis les murs de la cabane s'illuminent, + bleuissent comme des saphirs, deviennent transparents, + scintillent, éblouissent à l'égal des pierres les plus + précieuses. Le pauvre mobilier s'anime et resplendit; la + table de bois blanc s'affirme aussi grave, aussi noble + qu'une table de marbre, le cadran de l'horloge cligne de + l'Å“il et sourit avec aménité, tandis que la porte + derrière quoi va et vient le balancier s'entr'ouvre et + laisse s'échapper les Heures, qui, se tenant les mains et + riant aux éclats, se mettent à danser aux sons d'une musique + délicieuse. Effarement légitime de Tyltyl qui s'écrie en + montrant les Heures.] + +TYLTYL + +Qu'est-ce que c'est que toutes ces belles dames?... + +LA FÉE + +N'aie pas peur; ce sont les heures de ta vie qui sont heureuses +d'être libres et visibles un instant.... + +TYLTYL + +Et pourquoi que les murs sont si clairs?... Est-ce qu'ils sont en +sucre ou en pierres précieuses?... + +LA FÉE + +Toutes les pierres sont pareilles, toutes les pierres sont +précieuses: mais l'homme n'en voit que quelques-unes.... + + [Pendant qu'ils parlent ainsi, la féerie continue et se + complète. Les âmes des Pains-de-quatre-livres, sous la forme + de bonshommes en maillots couleur croûte-de-pain, ahuris et + poudrés de farine, se dépêtrent de la huche et gambadent + autour de la table où ils sont rejoints par le Feu, qui, + sorti de l'âtre en maillot soufre et vermillon, les poursuit + en se tordant de rire.] + +TYLTYL + +Qu'est-ce que c'est que ces vilains bonshommes?... + +LA FÉE + +Rien de grave; ce sont les âmes des Pains-de-quatre-livres qui +profitent du règne de la vérité pour sortir de la huche où elles +se trouvaient à l'étroit.... + +TYLTYL + +Et le grand diable rouge qui sent mauvais?... + +LA FÉE + +Chut!... Ne parle pas trop haut, c'est le Feu.... Il a mauvais +caractère. + + [Ce dialogue n'a pas interrompu la féerie. Le Chien et la + Chatte, couchés en rond au pied de l'armoire, poussant + simultanément un grand cri, disparaissent dans une trappe, + et à leur place surgissent deux personnages, dont l'un porte + un masque de bouledogue, et l'autre une tête de chatte. + Aussitôt, le petit homme au masque de bouledogue--que nous + appellerons dorénavant le Chien--se précipite sur Tyltyl + qu'il embrasse violemment et accable île bruyantes et + impétueuses caresses, cependant que la petite femme au + masque de chatte--que nous appellerons plus simplement la + Chatte--se donne un coup de peigne, se lave les mains et se + lisse la moustache, avant de s'approcher de Mytyl.] + +LE CHIEN, [hurlant, sautant, bousculant tout, insupportable.] + +Mon petit dieu!... Bonjour! bonjour, mon petit dieu!... Enfin, +enfin, on peut parler! J'avais tant de choses à te dire!... +J'avais beau aboyer et remuer la queue!... Tu ne comprenais +pas!... Mais maintenant!... Bonjour! bonjour!... Je t'aime!... Je +t'aime!... Veux-tu que je fasse quelque chose d'étonnant?... +Veux-tu que je fasse le beau?... Veux-tu que je marche sur les +mains ou que je danse à la corde?... + +TYLTYL, à la Fée. + +Qu'est-ce que c'est que ce monsieur à tête de chien?... + +LA FÉE + +Mais tu ne vois donc pas?... C'est l'âme de Tylô que tu as +délivrée.... + +LA CHATTE, [s'approchant de Mytyl et lui tendant la main, +cérémonieusement, avec circonspection.] + +Bonjour, Mademoiselle.... Que vous êtes jolie ce matin!... + +MYTYL + +Bonjour, Madame.... [A la Fée.] Qui est-ce?... + +LA FÉE + +C'est facile à voir; c'est l'âme de Tylette qui te tend la +main.... Embrasse-la.... + +LE CHIEN, [bousculant la Chatte.] + +Moi aussi!... J'embrasse le petit dieu!... J'embrasse la petite +fille!... J'embrasse tout le monde!... Chic!... On va +s'amuser!... Je vais faire peur à Tylette!... Hou! hou! hou!... + +LA CHATTE + +Monsieur, je ne vous connais pas.... + +LA FÉE, [menaçant le Chien de sa baguette.] + +Toi, tu vas te tenir bien tranquille; sinon tu rentreras dans le +silence, jusqu'à la fin des temps.... + + [Cependant, la féerie a poursuivi son cours: le Rouet s'est + mis à tourner vertigineusement dans son coin en filant de + splendides rayons de lumière; la Fontaine, dans l'autre + angle, se prend à chanter d'une voix sur-aiguë et, se + transformant en fontaine lumineuse, inonde l'évier de nappes + de perles et d'émeraudes, à travers lesquelles s'élance + l'âme de l'Eau, pareille à une jeune fille ruisselante, + échevelée, pleurarde, qui va incontinent se battre avec le + feu.] + +TYLTYL + +Et la dame mouillée?... + +LA FÉE + +N'aie pas peur, c'est l'Eau qui sort du robinet.... + + [Le Pot-au-lait se renverse, tombe de la table, se brise sur + le sol; et du lait répandu s'élève une grande forme blanche + et pudibonde qui semble avoir peur de tout.] + +TYLTYL + +Et la dame en chemise qui a peur?... + +LA FÉE + +C'est le Lait qui a cassé son pot.... + + [Le Pain-de-sucre posé au pied de l'armoire grandit, + s'élargit et crève son enveloppe de papier d'où émerge un + être doucereux: et papelard, vêtu d'une souquenille + mi-partie de blanc et de bleu, qui, souriant béatement, + s'avance vers Mytyl.] + +MYTYL, [avec inquiétude.] + +Que veut-il?... + +LA FÉE + +Mais c'est l'âme du Sucre!... + +MYTYL, [rassurée.] + +Est-ce qu'il a des sucres d'orge?... + +LA FÉE + +Mais il n'a que ça dans ses poches, et chacun de ses doigts en +est un.... + + [La Lampe tombe de la table, et aussitôt tombée, sa flamme + se redresse et se transforme en une lumineuse vierge d'une + incomparable beauté. Elle est vêtue de longs voiles + transparents et éblouissants, et se tient immobile en une + sorte d'extase.] + +TYLTYL + +C'est la Reine! + +MYTYL + +C'est la Sainte Vierge!... + +LA FÉE + +Non, mes enfants, c'est la Lumière.... + + [Cependant, les casseroles, sur les rayons, tournent comme + des toupies hollandaises, l'armoire à linge claque ses + battants et commence un magnifique déroulement d'étoffes + couleur de lune et de soleil, auquel se mêlent, non moins + splendides, des chiffons et des guenilles qui descendent + l'échelle du grenier. Mais voici que trois coups assez rudes + sont frappés à la porte de droite.] + +TYLTYL, [effrayé.] + +C'est papa!... Il nous a entendus!... + +LA FÉE + +Tourne le Diamant!... De gauche à droite!... + +[Tyltyl tourne vivement le diamant.] Pas si vite!... Mon Dieu! Il +est trop tard!... Tu l'as tourné trop brusquement. Ils n'auront +pas le temps de reprendre leur place, et nous aurons bien des +ennuis.... [La Fée redevient vieille femme, les murs de la cabane +éteignent leurs splendeurs, les Heures rentrent dans l'horloge, +le Rouet s'arrête, etc. Mais dans la hâte et le désarroi général, +tandis que le Feu court follement autour de la pièce, à la +recherche de la cheminée, un des Pains-de-quatre-livres, qui n'a +pu retrouver place dans la huche, éclate en sanglots tout en +poussant des rugissements d'épouvante.] Qu'y a-t-il?... + +LE PAIN, [tout en larmes.] + +Il n'y a plus de place dans la huche!... + +LA FÉE, [se penchant sur la huche.] + +Mais si, mais si.... [Poussant les autres pains qui ont repris +leur place primitive.] Voyons, vite, rangez-vous.... + + [On heurte encore la porte.] + +LE PAIN, [éperdu, s'efforçant vainement d'entrer dans la huche.] + +Il n'y a pas moyen!... Il me mangera le premier!... + +LE CHIEN, [gambadant autour de Tyltyl.] + +Mon petit dieu!... Je suis encore ici!... Je puis encore parler! +Je puis encore t'embrasser!... Encore! encore! encore!... + +LA FÉE + +Comment, toi aussi?... Tu es encore là ?... + +LE CHIEN + +J'ai de la veine.... Je n'ai pas pu rentrer dan le silence; la +trappe s'est refermée trop vite.. + +LA CHATTE + +La mienne aussi.... Que va-t-il arriver?... Est-ce que c'est +dangereux? + +LA FÉE + +Mon Dieu, je dois vous dire la vérité: tous ceux qui +accompagneront les deux enfants, mourront à la fin du voyage.... + +LA CHATTE + +Et ceux qui ne les accompagneront pas?... + +LA FÉE + +Ils survivront quelques minutes.... + +LA CHATTE, [au Chien.] + +Viens, rentrons dans la trappe.... + +LE CHIEN + +Non, non!... Je ne veux pas!... Je veux accompagner le petit +dieu!... Je veux lui parler tout le temps!... + +LA CHATTE + +Imbécile!... + + [On heurte encore à la porte.] + +LE PAIN, [pleurant à chaudes larmes.] + +Je ne veux pas mourir à la fin du voyage!... Je veux rentrer tout +de suite dans ma huche!... + +LE FEU, [qui n'a cessé de parcourir vertigineusement la pièce en +poussant des sifflements d'angoisse.] + +Je ne trouve plus ma cheminée!... + +L'EAU, [qui tente vainement de rentrer dans le robinet.] + +Je ne peux plus rentrer dans le robinet!... + +LE SUCRE, [qui s'agite autour de son enveloppe de papier.] + +J'ai crevé mon papier d'emballage!... + +LE LAIT, [lymphatique et pudibond.] + +On a cassé mon petit pot!... + +LA FÉE + +Sont-ils bêtes, mon Dieu!... Sont-ils bêtes et poltrons!... Vous +aimeriez donc mieux continuer de vivre dans vos vilaines boîtes, +dans vos trappes et dans vos robinets que d'accompagner les +enfants qui vont chercher l'Oiseau?... + +TOUS, [à l'exception du Chien et de la Lumière.] + +Oui! oui! Tout de suite!... Mon robinet!... Ma huche!... Ma +cheminée!... Ma trappe!... + +LA FÉE, [à la Lumière qui regarde rêveusement les débris de sa +lampe.] + +Et toi, la Lumière, qu'en dis-tu?... + +LA LUMIÈRE + +J'accompagnerai les enfants.... + +LE CHIEN, [hurlant de joie.] + +Moi aussi! moi aussi!... + +LA FÉE + +Voilà qui est des mieux. Du reste, il est trop tard pour reculer; +vous n'avez plus le choix, vous sortirez tous avec nous.... Mais +toi, le Feu, ne t'approche de personne, toi, le Chien, ne taquine +pas la Chatte, et toi, l'eau, tiens-toi droite et tâche de ne pas +couler partout.... + +[Des coups violents sont encore frappés à la porte de droite.] + +TYLTYL, [écoutant.] + +C'est encore papa!... Cette fois, il se lève, je l'entends +marcher.... + +LA FÉE + +Sortons par la fenêtre.... Vous viendrez tous chez moi, où +j'habillerai convenablement les animaux et les phénomènes.... [Au +Pain.] Toi, le Pain, prends la cage dans laquelle on mettra +l'Oiseau-Bleu.... Tu en auras la garde.... Vite, vite, ne perdons +pas de temps.... + + [La fenêtre s'allonge brusquement, comme une porte. Ils + sortent tous, après quoi la fenêtre reprend sa forme + primitive et se referme innocemment. La chambre est + redevenue obscure, et les deux petits lits sont plongés dans + l'ombre. La porte à droite s'entr'ouvre, et dans + l'entrebâillement paraissent les têtes du père et de la mère + Tyl.] + +LE PÈRE TYL + +Ce n'était rien.... C'est le grillon qui chante.... + +LA MÈRE TYL + +Tu les vois?... + +LE PÈRE TYL + +Bien sûr.... Ils dorment tranquillement.... + +LA MÈRE TYL + +Je les entends respirer.... + +[La porte se referme.] + +RIDEAU + + + + +ACTE DEUXIÈME + + + + +DEUXIÈME TABLEAU + +CHEZ LA FÉE + + +Un magnifique vestibule dans le palais de la Fée Bérylune. +Colonnes de marbre clair à chapiteaux d'or et d'argent, +escaliers, portiques, balustrades, etc. + + * * * * * + + [Entrent au fond, à droite, somptueusement habillés, la + Chatte, le Sucre et le Feu. Ils sortent d'un appartement + d'où émanent des rayons de lumière; c'est la garde-robe de + la Fée. La Chatte a jeté une gaze légère sur son maillot de + soie noire, le Sucre a revêtu une robe de soie, mi-partie de + blanc et de bleu tendre, et le Feu, coiffé d'aigrettes + multicolores, un long manteau cramoisi doublé d'or. Ils + traversent toute la salle et descendent au premier plan, à + droite, où la Chatte les réunit sous un portique.] + +LA CHATTE + +Par ici. Je connais tous les détours de ce palais.... La Fée +Bérylune l'a hérité de Barbe-Bleue.... Pendant que les enfants +et la Lumière rendent visite à la petite fille de la Fée, +profitons de notre dernière minute de liberté.... Je vous ai fait +venir ici, afin de vous entretenir de la situation qui nous est +faite.... Sommes-nous tous présents?... + +LE SUCRE + +Voici le Chien qui sort de la garde-robe de la Fée.... + +LE FEU + +Comment diable s'est-il habillé?... + +LA CHATTE + +Il a pris la livrée d'un des laquais du carrosse de +Cendrillon.... C'est bien ce qu'il lui fallait.... Il a une âme +de valet.... Mais dissimulons-nous derrière la balustrade.... Je +m'en méfie étrangement.... Il vaudrait mieux qu'il n'entende pas +ce que j'ai à vous dire.... + +LE SUCRE + +C'est inutile.... Il nous a éventés.... Tiens, voilà l'Eau qui +sort en même temps de la garde-robe.... Dieu! qu'elle est +belle!... + + [Le Chien et l'Eau rejoignent le premier groupe.] + +LE CHIEN, gambadant. + +Voilà ! voilà !... Sommes-nous beaux! Regardez donc ces dentelles, +et puis ces broderies!... C'est de l'or et du vrai!... + +LA CHATTE, [à l'Eau.] + +C'est la robe «couleur-du-temps» de Peau-d'Âne?... Il me semble +que je la connais.... + +L'EAU + +Oui, c'est encore ce qui m'allait le mieux.... + +LE FEU, [entre les dents.] + +Elle n'a pas son parapluie.... + +L'EAU + +Vous dites?... + +LE FEU + +Rien, rien.... + +L'EAU + +Je croyais que vous parliez d'un gros nez rouge que j'ai vu +l'autre jour.... + +LA CHATTE + +Voyons, ne nous querellons pas, nous avons mieux à faire.... Nous +n'attendons plus que le Pain: où est-il?... + +LE CHIEN + +Il n'en finissait pas de faire de l'embarras pour choisir son +costume.... + +LE FEU + +C'est bien la peine, quand on a l'air idiot et qu'on porte un +gros ventre.... + +LE CHIEN + +Finalement, il s'est décidé pour une robe turque, ornée de +pierreries, un cimeterre et un turban.... + +LA CHATTE + +Le voilà !... Il a mis la plus belle robe de Barbe-Bleue.... + + [Entre le Pain, dans le costume qu'on vient de décrire. La + robe de soie est péniblement croisée sur son énorme ventre. + Il tient d'une main la garde du cimeterre passé dans sa + ceinture et de l'autre la cage destinée à l'Oiseau-Bleu.] + +LE PAIN, [se dandidant vaniteusement.] + +Eh bien?... Comment me trouvez-vous?... + +LE CHIEN, [gambadant autour du Pain.] + +Qu'il est beau! qu'il est bête! qu'il est beau! qu'il est +beau!... + +LA CHATTE, [au Pain.] + +Les enfants sont-ils habillés?... + +LE PAIN + +Oui, Monsieur Tyltyl a pris la veste rouge, les bas blancs et la +culotte bleue du Petit-Poucet; quant à Mademoiselle Mytyl, elle a +la robe de Grethel et les pantoufles de Cendrillon.... Mais la +grande affaire, ç'a été d'habiller la Lumière!... + +LA CHATTE + +Pourquoi?... + +LE PAIN + +La Fée la trouvait si belle qu'elle ne voulait pas l'habiller du +tout!... Alors j'ai protesté au nom de notre dignité d'éléments +essentiels et éminemment respectables; et j'ai fini par déclarer +que, dans ces conditions, je refusais de sortir avec elle.... + +LE FEU + +Il fallait lui acheter un abat-jour!... + +LA CHATTE + +Et la Fée, qu'a-t-elle répondu?... + +LE PAIN + +Elle m'a donné quelques coups de bâton sur la tête et le +ventre.... + +LA CHATTE + +Et alors?... + +LE PAIN + +Je fus promptement convaincu, mais au dernier moment, la Lumière +s'est décidée pour la robe «couleur-de-lune» qui se trouvait au +fond du coffre aux trésors de Peau-d'Ane.... + +LA CHATTE + +Voyons, c'est assez bavardé, le temps presse.... Il s'agit de +notre avenir.... Vous l'avez entendu, la Fée vient de le dire, la +fin de ce voyage marquera en même temps la fin de notre vie.... +Il s'agit donc de le prolonger autant que possible et par tous +les moyens possibles.... Mais il y a encore autre chose; il faut +que nous pensions au sort de notre race et à la destinée de nos +enfants.... + +LE PAIN + +Bravo! bravo!... La Chatte a raison!... + +LA CHATTE + +Écoutez-moi.... Nous tous ici présents, animaux, choses et +éléments, nous possédons une âme que l'homme ne connaît pas +encore. C'est pourquoi nous gardons un reste d'indépendance; +mais, s'il trouve l'Oiseau-Bleu, il saura tout, il verra tout, et +nous serons complètement à sa merci.... C'est ce que vient de +m'apprendre ma vieille amie la Nuit, qui est en même temps la +gardienne des mystères de la Vie.... Il est donc de notre intérêt +d'empêcher à tout prix qu'on ne trouve cet oiseau, fallût-il +aller jusqu'à mettre en péril la vie même des enfants.... + +LE CHIEN, indigné. + +Que dit-elle, celle-là ?... Répète un peu que j'entende bien ce +que c'est? + +LE PAIN + +Silence!... Vous n'avez pas la parole!... Je préside +l'assemblée.... + +LE FEU + +Qui vous a nommé président?... + +L'EAU, [au Feu.] + +Silence!... De quoi vous mêlez-vous?... + +LE FEU + +Je me mêle de ce qu'il faut.... Je n'ai pas d'observations à +recevoir de vous.... + +LE SUCRE, [conciliant.] + +Permettez.... Ne nous querellons point.... L'heure est grave.... +Il s'agit avant tout de s'entendre sur les mesures à prendre.... + +LE PAIN + +Je partage entièrement l'avis du Sucre et de la Chatte.... + +LE CHIEN + +C'est idiot!... Il y a l'Homme, voilà tout!... Il faut lui obéir +et faire tout ce qu'il veut!... Il n'y a que ça de vrai.... Je ne +connais que lui!... Vive l'Homme!... A la vie, à la mort, tout +pour l'Homme!... l'Homme est dieu!... + +LE PAIN + +Je partage entièrement l'avis du Chien. + +LA CHATTE, [au Chien.] + +Mais on donne ses raisons.... + +LE CHIEN + +Il n'y a pas de raisons!... J'aime l'Homme, ça suffit!... Si vous +faites quelque chose contre lui, je vous étranglerai d'abord et +j'irai tout lui révéler.... + +LE SUCRE, [intervenant avec douceur.] + +Permettez.... N'aigrissons pas la discussion.... D'un certain +point de vue, vous avez raison, l'un et l'autre.... Il y a le +pour et le contre.... + +LE PAIN + +Je partage entièrement l'avis du Sucre!... + +LA CHATTE + +Est-ce que tous ici, l'Eau, le Feu, et vous-mêmes le Pain et le +Chien, nous ne sommes pas victimes d'une tyrannie sans nom?... +Rappelez-vous le temps où, avant la venue du despote, nous +errions librement sur la face de la Terre.... l'Eau et le Feu +étaient les seuls maîtres du monde; et voyez ce qu'ils sont +devenus!... Quant à nous, les chétifs descendants des grands +fauves.... Attention!... N'ayons l'air de rien.... Je vois +s'avancer la Fée et la Lumière.... La Lumière s'est mise du parti +de l'Homme; c'est notre pire ennemie.... Les voici.... + + [Entrent à droite, la Fée et la Lumière, suivies de Tyltyl + et de Mytyl.] + +LA FÉE + +Eh bien?... qu'est-ce que c'est?... Que faites-vous dans ce +coin?... Vous avez l'air de conspirer.... Il est temps de se +mettre en route.... Je viens de décider que la Lumière sera votre +chef.... Vous lui obéirez tous comme à moi-même et je lui confie +ma baguète.... Les enfants visiteront ce soir leurs grand-parents +qui sont morts.... Vous ne les accompagnerez pas, par discrétion.... +Ils passeront la soirée au sein de leur famille décédée.... +Pendant ce temps, vous préparerez tout ce qu'il faut pour l'étape +de demain, qui sera longue.... Allons, debout, en route et chacun +à son poste!... + +LA CHATTE, [hypocritement.] + +C'est tout juste ce que je leur disais, Madame la Fée.... Je les +exhortais à remplir consciencieusement et courageusement tout +leur devoir; malheureusement, le Chien qui ne cessait de +m'interrompre.... + +LE CHIEN + +Que dit-elle?... Attends un peu!... + + [Il va bondir sur la chatte, mais Tyltyl, qui a prévenu son + mouvement, l'arrête d'un geste menaçant.] + +TYLTYL + +A bas, Tylô!... Prends garde; et s'il t'arrive encore une seul +fois de.... + +LE CHIEN + +Mon petit dieu, tu ne sais pas, c'est elle qui.... + +TYLTYL, [le menaçant.] + +Tais-toi!... + +LA FÉE + +Voyons, finissons-en.... Que le Pain, ce soir, remette la cage à +Tyltyl.... Il est possible que l'Oiseau-Bleu se cache dans le +Passé, chez les grands-parents.... En tout cas, c'est une chance +qu'il convient de ne point négliger.... Eh bien, le Pain, cette +cage?... + +LE PAIN, [solennel.] + +Un instant, s'il vous plaît, Madame le Fée.... [Comme un orateur +qui prend la parole.] Vous tous, soyez temoins que cette cage +d'argent qui me fut confiée par.... + +LA FÉE, [l'interrompant]. + +Assez!... Pas de phrases.... Nous sortirons par là , tandis que +les enfants sortiront par ici.... + +TYLTYL, [avec inquiet.] + +Nous sortirons tout seuls?... + +MYTYL + +J'ai faim!... + +TYLTYL + +Moi aussi!... + +LA FÉE, [au Pain.] + +Ouvre ta robe turque et donne leur une tranche de ton bon ventre. + + [Le Pain ouvre sa robe, tire son cimeterre et coupe, à même + son gros ventre, deux tartines qu'il offre aux enfants.] + +LE SUCRE, [s'approchant des enfants.] + +Permettez-moi de vous offrir en même temps quelques sucres +d'orge.... + + [Il casse un à un les cinq doigts de sa main gauche et les + leur présente.] + +MYTYL + +Qu'est-ce qu'il fait?... Il casse tous ses doigts.... + +LE SUCRE, [engageant.] + +Goûtez-les, ils sont excellents.... C'est de vrais sucres +d'orge.... + +MYTYL, [suçant un des doigts.] + +Dieu qu'il est bon!... Est-ce que tu en as beaucoup?... + +LE SUCRE, [modeste.] + +Mais qui, tant que je veux.... + +MYTYL + +Est-ce que ça te fait mal quand tu les casses ainsi?... + +LE SUCRE + +Pas du tout.... Au contraire; c'est très avantageux, ils +repoussent tout de suite, et de cette façon, j'ai toujours des +doigts propres et neufs.... + +LA FÉE + +Voyons, mes enfants, ne mangez pas trop de sucre. N'oubliez pas +que vous souperez tout à l'heure chez vos grands-parents.... + +TYLTYL + +Ils sont ici?... + +LA FÉE + +Vous allez les voir à l'instant.... + +TYLTYL + +Comment les verrons-nous, puisqu'ils sont morts?... + +LA FÉE + +Comment seraient-ils morts puisqu'ils vivent dans votre +souvenir?... Les hommes ne savent pas ce secret parce qu'ils +savent bien peu de chose; au lieu que toi, grâce au Diamant, tu +vas voir que les morts dont on se souvient aussi heureux que +s'ils n'étaient point morts.... + +TYLTYL + +La Luminière vient avec nous?... + +LA LUMINIÈRE + +Non, il est plus convenable que cela se passe en famille.... +J'attendrai ici près pour ne point paraître indiscrète.... Ils ne +m'ont pas invitée. + +TYLTYL + +Par où faut-il aller?... + +LA FÉE + +Par là .... Vous êtes au seuil du «Pays du Souvenir». Dès que tu +auras tourné le Diamant, tu verras un gros arbre muni d'un +écriteau, qui te montrera que tu es arrivé.... Mais n'oubliez pas +que vous devez être rentré tous les deux à neuf heures moins le +quart.... C'est extrêmement important.... Surtout soyez exacts, +car tout serait perdu si vous vous mettiez en retard.... A +bientôt.... [Appelant la Chatte, le Chien, la Lumière, etc.] Par +ici.... Et les petits par là .... + +Elle sort à droite avec la Lumière, les animaux, etc., tandis que +les enfants sortent à gauche. + + +RIDEAU + + + + +TROISIÈME TABLEAU + +LE PAYS DU SOUVENIR + + +Un épais brouillard d'où émerge, à droite, au tout premier plan, +le tronc d'un gros chêne muni d'un écriteau. Clarté laiteuse, +diffuse, impénétrable. + + * * * * * + + [Tyltyl et Mytyl se trouvent au pied du chêne.] + +TYLTYL + +Voici l'arbre!... + +MYTYL + +Il y a l'écriteau!... + +TYLTYL + +Je ne peux pas lire.... Attends, je vais monter sur cette +racine.... C'est bien ça.... C'est écrit: «Pays du Souvenir». + +MYTYL + +C'est ici qu'il commence?... + +TYLTYL + +Qui, il y a une flèche.... + +MYTYL + +Eh bien, ou qu'ils sont, bon-papa et bonne-maman? + +TYLTYL + +Derrière le brouillard.... Nous allons voir.... + +MYTYL + +Je ne vois rien du tout!... Je ne vois plus mes pieds ni mes +mains .. [Pleurnichant.] J'ai froid!... Je ne veux plus +voyager.... Je veux rentrer à la maison.... + +TYLTYL + +Voyons, ne pleure pas tout le temps, comme l'Eau.... T'es pas +honteuse? .. Une grande petite fille!... Regarde, le brouillard se +lève déjà .... Nous allons voir ce qu'il y a dedans.... + + [En effet, la brume s'est mise en mouvement; elle s'allège, + s'éclaire, se disperse, s'évapore. Bientôt, dans une lumière + de plus en plus transparente, on découvre, sous une voûte de + verdure, une riante maisonette de paysan, couverte de + plantes grimpantes. Les fenêtres et la porte sont ouvertes. + On voit des ruches d'abeilles sous un auvent, des pots de + fleurs sur l'appui des croisées, une cage ou dort un merle, + etc. Près de la porte un banc, sur lequel sont assis, + profondément endormis, un vieux paysan et sa femme, + c'est-à -dire le grand-père et la grand'mère de Tyltyl.] + +TYLTYL, [les reconnaissant tout à coup.] + +C'est bon-papa et bonne-maman!... + +MYTYL, [battant des mains.] + +Qui! Qui!... C'est eux!... C'est eux!... + +TYLTYL, [encore un peu méfiant.] + +Attention!... On ne sait pas encore s'ils remuent.... Restons +derrière l'arbre.... + + [Grand'maman Tyl ouvre les yeux, lève la tête, s'étire, + pousse un soupir, regarde grand-papa Tyl qui lui aussi sort + lentement de son sommeil.] + +GRAND'MAMAN TYL + +J'ai idée que nos petits-enfants qui sont encore en vie nous +venir voir aujourd'hui.... + +GRAND-PAPA TYL + +Bien sûr, ils pensent à nous; car je me sens tout chose et j'ai +des fourmis dans les jambes.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Je crois qu'ils sont tout proches, car des larmes de joie dansent +avant mes yeux.... + +GRAND-PAPA TYL + +Non, non; ils sont fort loin... Je me sens encore faible.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Je te dis qu'ils sont là ; j'ai déjà toute ma force.... + +TYLTYL et MYTYL, se précipitant de derrière le chêne. + +Nous voilà !... Nous voilà !... Bon-papa, bonne-maman!... C'est +nous!... C'est nous!... + +GRAND-PAPA TYL + +Là !... Tu vois!... Qu'est-ce que je disais! J'étais sûr qu'ils +viendraient aujourd'hui.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Tyltyl! Mytyl!... C'est toi!... C'est elle!... C'est eux!... +[S'efforçant de courir au-devant d'eux.] Je ne peux pas +courir!... J'ai toujours mes rhumatismes! + +GRAND-PAPA TYL, [accourant de même en clopinant.] + +Moi non plus.... Rapport à ma jambe de bois qui remplace toujours +celle que j'ai cassée en tombant du gros chêne.... + + [Les grands-parents et les enfants s'embrassent follement.] + +GRAND'MAMAN TYL + +Que tu es grandi et forci, mon Tyltyl!... + +GRAND-PAPA TYL, [caressant les cheveux de Mytyl.] + +Et Mytyl!... Regarde donc!... Les beaux cheveux, les beaux +yeux!... Et puis, ce qu'elle sent bon!... + +GRAND'MAMAN TYL + +Embrassons-nous encore!... Venez sur mes genoux.... + +GRAND-PAPA TYL + +Et moi, je n'aurai rien?... + +GRAND'MAMAN TYL + +Non, non.... A moi d'abord.... Comment vont Papa et Maman Tyl?... + +TYLTYL + +Fort bien, bonne-maman.... Ils dormaient quand nous sommes +sortis.... + +GRAND'MAMAN TYL, [les contemplant et les accablant de caresses.] + +Mon Dieu, qu'ils sont jolis et bien débarbouillés!... C'est maman +qui t'a débarbouillé?... Et tes bas ne sont pas troués!... C'est +moi qui les reprisais autrefois. Pourquoi ne venez-vous pas nous +voir plus souvent?... Cela nous fait tant de plaisir!... Voilà +des mois et des mois que vous nous oubliez et que nous ne voyons +plus personne.... + +TYLTYL + +Nous ne pouvions pas, bonne-maman; et c'est grâce à la Fée +qu'aujourd'hui.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Nous sommes toujours là , à attendre une petite visite de ceux qui +vivent.... Ils viennent si rarement!... La dernière fois que vous +êtes venus, voyons, c'était quand donc?... C'était à la +Toussaint, quand la cloche de l'église a tinté.... + +TYLTYL + +A la Toussaint?... Nous ne sommes pas sortis ce jour-là , car nous +étions fort enrhumés.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Non, mais vous avez pensé à nous.... + +TYLTYL + +Oui.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Eh bien, chaque fois que vous pensez à nous, nous nous réveillons +et nous vous revoyons.... + +TYLTYL + +Comment, il suffit que.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Mais voyons, tu sais bien.... + +TYLTYL + +Mais non, je ne sais pas.... + +GRAND'MAMAN TYL, [à Grand-Papa Tyl.] + +C'est étonnant, là -haut.... Ils ne savent pas encore.... Ils +n'apprennent donc rien?.... + +GRAND-PAPA TYL + +C'est comme de notre temps.... Les Vivants sont si bêtes quand +ils parlent des Autres.... + +TYLTYL + +Vous dormez tout le temps?... + +GRAND PAPA TYL + +Oui, nous dormons pas mal, en attendant qu'une pensée des Vivants +nous réveille.... Ah! c'est bien bon de dormir, quand la vie est +finie.... Mais il est agréable aussi de s'éveiller de temps en +temps.... + +TYLTYL + +Alors, vous n'êtes pas morts pour de vrai?... + +GRAND-PAPA TYL, [sursautant.] + +Que dis-tu?... Qu'est-ce qu'il dit?... Voilà qu'il emploie des +mots que nous ne comprenons plus.... Est-ce que c'est un mot +nouveau, une invention nouvelle?... + +TYLTYL + +Le mot «mort»?... + +GRAND-PAPA TYL + +Oui; c'était ce mot-là .... Qu'est-ce que ça veut dire?... + +TYLTYL + +Mais ça veut dire qu'on ne vit plus.... + +GRAND-PAPA TYL + +Sont-ils bêtes, là -haut!... + +TYLTYL + +Est-ce qu'on est bien ici?... + +GRAND-PAPA TYL + +Mais oui; pas mal, pas mal; et même si l'on priait encore.... + +TYLTYL + +Papa m'a dit qu'il ne faut plus prier.... + +GRAND-PAPA TYL + +Mais si, mais si.... Prier c'est se souvenir.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Oui, oui, tout irait bien, si seulement vous veniez nous voir +plus souvent.... Te rappelles-tu, Tyltyl?... La dernière fois, +j'avais fait une belle tarte aux pommes.... Tu en as mangé tant +et tant que tu t'es fait du mal.... + +TYLTYL + +Mais je n'ai pas mangé de tarte aux pommes depuis l'année +dernière.... Il n'y a pas eu de pommes cette année.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Ne dis pas de bêtises.... Ici il y en a toujours.... + +TYLTYL + +Ce n'est pas la même chose.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Comment? Ce n'est pas la même chose?... Mais tout est la même +chose puisqu'on peut s'embrasser.... + +TYLTYL, [regardant tour à tour son grand-père et sa grand'mère.] + +Tu n'as pas changé, bon-papa, pas du tout, pas du tout.... Et +bonne-maman non plus n'a pas changé du tout.... Mais vous êtes +plus beaux.... + +GRAND-PAPA TYL + +Eh! ça ne va pas mal.... Nous ne vieillissons plus.... Mais vous, +grandissez-vous!... Ah! oui, vous poussez ferme!... Tenez, là , +sur la porte, on voit encore la marque de la dernière fois.... +C'était à la Toussaint.... Voyons, tiens-toi bien droit.... +[Tyltyl se dresse contre la porte.] Quatre doigts!... C'est +énorme!... [Mytyl se dresse également contre la porte.] Et Mytyl, +quatre et demi!... Ah, ah! la mauvaise graine!... Ce que ça +pousse, ce que ça pousse!... + +TYLTYL, [regardant autour de soi avec ravissement.] + +Comme tout est bien de même, comme tout est à sa place!... Mais +comme tout est plus beau!... Voilà l'horloge avec la grande +aiguille dont j'ai cassé la pointe.... + +GRAND-PAPA TYL + +Et voici la soupière que tu as écornée.... + +TYLTYL + +Et voilà le trou que j'ai fait à la porte, le jour que j'ai +trouvé le vilebrequin.... + +GRAND-PAPA TYL + +Ah oui, tu en as fait des dégâts!... Et voici le prunier où tu +aimais tant grimper quand je n'étais pas là .... Il a toujours ses +belles prunes rouges.... + +TYLTYL + +Mais elles sont bien plus belles!... + +MYTYL + +Et voici le vieux merle!... Est-ce qu'il chante encore?... + +Le merle se réveille et se met à chanter à tue-tète. + +GRAND'MAMAN TYL + +Tu vois bien.... Dès que l'on pense à lui.... + +TYLTYL, [remarquant avec stupéfaction que le merle est +parfaitement bleu.] + +Mais il est bleu!... Mais c'est lui, l'Oiseau-Bleu que je dois +rapporter à la Fée!... Et vous ne disiez pas que vous l'aviez +ici! Oh! qu'il est bleu, bleu, bleu, comme une bille de verre +bleu!... [Suppliant.] Bon-papa, bonne-maman, voulez-vous me le +donner?... + +GRAND-PAPA TYL + +Bien oui, peut-être bien.... Qu'en penses-tu, maman Tyl?... + +GRAND'MAMAN TYL + +Bien sûr, bien sûr.... A quoi qu'il sert ici.... Il ne fait que +dormir.... On ne l'entend jamais.... + +TYLTYL + +Je vais le mettre dans ma cage.... Tiens, où est-elle, ma +cage?... Ah! c'est vrai, je l'ai oubliée derrière le gros +arbre.... [Il court à l'arbre, rapporte la cage et y enferme le +merle.] Alors, vrai, vous me le donnez pour de vrai?... C'est la +Fée qui sera contente!... Et la Lumière donc!... + +GRAND-PAPA TYL + +Tu sais, je n'en réponds pas, de l'oiseau.... Je crains bien +qu'il ne puisse plus s'habituer à la vie agitée de là -haut, et +qu'il ne revienne ici par le premier bon vent.... Enfin, on verra +bien.... Laisse-le là , pour l'instant, et viens donc voir la +vache.... + +TYLTYL, [remarquant les ruches.] + +Et les abeilles, dis, comment vont-elles?... + +GRAND-PAPA TYL + +Mais elles ne vont pas mal.... Elles ne vivent plus non plus, +comme vous dites là -bas; mais elles travaillent ferme.... + +TYLTYL, [s'approchant des ruches.] + +Oh oui!... Ça sent le miel!... Les ruches doivent être +lourdes!... Toutes les fleurs sont si belles!... Et mes petites +sÅ“urs qui sont mortes, sont-elles ici aussi?... + +MYTYL + +Et mes trois petits frères qu'on avait enterrés, où sont-ils?... + + [A ces mots, sept petits enfants de tailles inégales, en + flûte de Pan, sortent un à un de la maison.] + +GRAND'MAMAN TYL + +Les voici, les voici!... Aussitôt qu'on y pense, aussitôt qu'on +en parle, ils sont là , les gaillards!... + + [Tyltyl et Mytyl courent au-devant des enfants. On se + bouscule, on s'embrasse, on danse, on tourbillonne, on + pousse des cris de joie.] + +TYLTYL + +Tiens, Pierrot!... [Ils se prennent aux cheveux.] Ah! nous allons +nous battre encore comme dans le temps.... Et Robert!... Bonjour, +Jean!... Tu n'as plus ta toupie?... Madeleine et Pierrette, +Pauline et puis Riquette.... + +MYTYL + +Oh! Riquette, Riquette!... Elle marche encore à quatre +pattes!... + +GRAND'MAMAN TYL + +Oui, elle ne grandit plus.... + +TYLTYL, [remarquant le petit Chien qui jappe autour d'eux.] + +Voilà Kiki dont j'ai coupé la queue avec les ciseaux de +Pauline.... Il n'a pas changé non plus.... + +GRAND PAPA TYL, [sentencieux.] + +Non, rien ne change ici.... + +TYLTYL + +Et Pauline a toujours son bouton sur le nez!... + +GRAND MAMAN TYL + +Oui, il ne s'en va pas; il n'y a rien à faire.... + +TYLTYL + +Oh! qu'ils ont bonne mine, qu'ils sont gras et luisants!... +Qu'ils ont de belles joues!... Ils ont l'air bien nourris.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Ils se portent bien mieux depuis qu'ils ne vivent plus.... Il +n'y a plus rien à craindre, on n'est jamais malade, on n'a plus +d'inquiétudes.... + + [Dans la maison, l'horloge sonne huit heures.] + +GRAND'MAMAN TYL, [stupéfaite.] + +Qu'est-ce que c'est?... + +GRAND-PAPA TYL + +Ma foi, je ne sais pas.... Ce doit être l'horloge.... + +GRAND-MAMAN TYL + +Ce n'est pas possible.... Elle ne sonne jamais.... + +GRAND-PAPA TYL + +Parce que nous ne pensons plus à l'heure.... Quelqu'un a-t-il +pensé à l'heure?... + +TYLTYL + +Oui, c'est moi.... Quelle heure est-il?... + +GRAND-PAPA TYL + +Ma foi, je ne sais plus.... J'ai perdu l'habitude.... Elle a +sonné huit coups, ce doit être ce que? là -haut, ils appellent +huit heures. + +TYLTYL + +La Lumière m'attend à neuf heures moins le quart.... C'est à +cause de la Fée.... C'est extrêmement important.... Je me +sauve.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Vous n'allez pas nous quitter ainsi au moment du souper!... Vite, +vite, dressons la table devant la porte.... J'ai justement une +excellente soupe aux choux et une belle tarte aux prunes.... + + [On sort la table, on la dresse devant la porte, on apporte + les plats, les assiettes, etc.... Tous y aident.] + +TYLTYL + +Ma foi, puisque j'ai l'Oiseau-Bleu.... Et puis la soupe aux +choux, il y a si longtemps!... Depuis que je voyage.... On n'a +pas ça dans les hôtels.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Voilà !... C'est déjà fait.... A table, les enfants.... Si vous +êtes pressés, ne perdons pas de temps.... + + [On a allumé la lampe et servi la soupe. Les grands-parents + et les enfants s'assoient autour du repas du soir, parmi des + bousculades, des bourrades, des cris et des rires de joie.] + +TYLTYL, [mangeant gloutonnement.] + +Qu'elle est bonne!... Mon Dieu, qu'elle est donc bonne!... J'en +veux encore! encore! + + [Il brandit sa cuiller de bois et en frappe bruyamment son + assiette.] + +GRAND-PAPA TYL + +Voyons, voyons, un peu de calme.... Tu es toujours aussi mal +élevé; et tu vas casser ton assiette.... + +TYLTYL, [se dressant à demi sur son escabelle.] + +J'en veux encore, encore!... + + [Il atteint et attire à soi la soupière qui se renverse et + se répand sur la table, et de là sur les genoux des + convives. Cris et hurlements d'échaudés.] + +GRAND'MAMAN TYL + +Tu vois!... Je te l'avais bien dit.... + +GRAND-PAPA TYL, [donnant à Tyltyl une gifle retentissante.] + +Voilà pour toi!... + +TYLTYL, [un instant déconcerté, mettant ensuite la main sur la +joue, avec ravissement.] + +Oh! oui, c'était comme ça, les claques que tu donnais quand tu +étais vivant.... Bon-papa, qu'elle est bonne et que ça fait du +bien!... Il faut que je t'embrasse!... + +GRAND-PAPA TYL + +Bon, bon; il y en a encore si ça te fait plaisir.... + + [La demie de huit heures sonne à l'horloge.] + +TYLTYL, [sursautant.] + +Huit heures et demie!... [il jette sa cuiller.] Mytyl, nous +n'avons que le temps!... + +GRAND-MAMAN TYL + +Voyons!... Encore quelques minutes!... Le feu n'est pas à la +maison.... On se voit si rarement.... + +TYLTYL + +Non, ce n'est pas possible.... La Lumière est si bonne.... Et je +lui ai promis.... Allons, Mytyl, allons!... + +GRAND-PAPA TYL + +Dieu, que les Vivants sont donc contrariants avec toutes leurs +affaires et leurs agitations!... + +TYLTYL, [prenant sa cage et embrassant tout le monde en hâte et à +la ronde.] + +Adieu, Bon-papa.... Adieu, Bonne-maman.... Adieu, frères, +sÅ“urs, Pierrot, Robert, Pauline, Madeleine, Riquette, et toi +aussi, Kiki! Je sens bien que nous ne pouvons plus rester ici.... +Ne pleure pas, Bonne-maman, nous reviendrons souvent.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Revenez tous les jours!... + +TYLTYL + +Oui, oui! nous reviendrons le plus souvent possible.... + +GRAND'MAMAN TYL + +C'est notre seule joie, et c'est une telle fête quand votre +pensée nous visite!... + +GRAND-PAPA TYL + +Nous n'avons pas d'autres distractions.... + +TYLTYL + +Vite, vite!... Ma cage!... Mon oiseau!... + +GRAND-PAPA TYL, lui passant la cage. + +Les voici!... Tu sais, je ne garantis rien; et s'il n'est pas bon +teint!... + +TYLTYL + +Adieu! adieu!... + +LES FRÈRES ET SÅ’URS TYL + +Adieu, Tyltyl!... Adieu, Mytyl!... Pensez au sucre d'orge!... +Adieu!... Revenez!... Revenez!... + + [Tous agitent des mouchoirs tandis que Tyltyl et Mytyl + s'éloignent lentement. Mais déjà , durant les dernières + répliques, le brouillard du début s'est graduellement + reformé, et le son des voix s'est affaibli, de manière qu'à + la fin de la scène, tout a disparu dans la brume et qu'au + moment où le rideau baisse, Tyltyl et Mytyl se retrouvent + seuls visibles sous le gros chêne.] + +TYLTYL + +C'est par ici, Mytyl.... + +MYTYL + +Où est la Lumière?... + +TYLTYL + +Je ne sais pas.... [Regardant l'oiseau dans la cage.] Tiens! +l'oiseau n'est plus bleu!... Il est devenu noir!... + +MYTYL + +Donne-moi la main, petit frère.... J'ai bien peur et bien +froid.... + +RIDEAU + + + + +ACTE TROISIÈME + + + + +QUATRIÈME TABLEAU + +LE PALAIS DE LA NUIT + + +Une vaste et prodigieuse salle d'une magnificence austère, +rigide, métallique et sépulcrale, donnant l'impression d'un +temple grec ou égyptien, dont les colonnes, les architraves, les +dalles, les ornements seraient de marbre noir, d'or et d'ébène. +La salle est en forme de trapèze. Des degrés de basalte, qui +occupent presque toute sa largeur, la divisent en trois plans +successifs qui s'élèvent graduellement vers le fond. A droite et +à gauche, entre les colonnes, des portes de bronze sombre. Au +fond, porte d'airain monumentale. Une lumière diffuse qui semble +émaner de l'éclat même du marbre et de l'ébène éclaire seule le +palais. + + * * * * * + + [Au lever du rideau, la Nuit, sous la figure d'une très + belle femme, couverte de longs vêtements noirs, est assise + sur les marches du second plan, entre deux enfants, dont + l'un, presque nu, comme l'Amour, sourit dans un profond + sommeil, tandis que l'autre se tient debout, immobile et + voilé des pieds à la tête.--Entre, à droite, au premier + plan, la Chatte.] + +LA NUIT + +Qui va là ?... + +LA CHATTE, [se laissant choir avec accablement sur les degrés de +marbre.] + +C'est moi, mère la Nuit.... Je n'en peux plus.... + +LA NUIT + +Qu'as-tu donc, mon enfant?... Tu es pâle, amaigrie et te voilà +crottée jusqu'aux moustaches.... Tu t'es encore battue dans les +gouttières, sous la neige et la pluie?... + +LA CHATTE + +Il est bien question de gouttières!... C'est de notre secret +qu'il s'agit!... C'est, le commencement de la fin!... J'ai pu +m'échapper un instant pour vous prévenir; mais je crains bien +qu'il n'y ait rien à faire.... + +LA NUIT + +Quoi?... Qu'est-il donc arrivé?... + +LA CHATTE + +Je vous ai déjà parlé du petit Tyltyl, le fils du bûcheron, et du +Diamant merveilleux.... Eh bien, il vient ici pour vous réclamer +l'Oiseau-Bleu.... + +LA NUIT + +Il ne le tient pas encore.... + +LA CHATTE + +Il le tiendra bientôt, si nous ne faisons pas quelque miracle.... +Voici ce qui se passe: la Lumière qui le guide et qui nous trahit +tous, car elle s'est mise entièrement du parti de l'Homme, la +Lumière vient d'apprendre que l'Oiseau-Bleu, le vrai, le seul qui +puisse vivre à la clarté du jour, se cache ici, parmi les oiseaux +bleus des songes qui se nourrissent des rayons de lune et meurent +dès qu'ils voient le soleil.... Elle sait qu'il lui est interdit +de franchir le seuil de votre palais; mais elle y envoie les +enfants; et comme vous ne pouvez pas empêcher l'Homme d'ouvrir +les portes de vos secrets, je ne sais trop comment tout cela +finira.... En tout cas, s'ils avaient le malheur de mettre la +main sur le véritable Oiseau-Bleu, nous n'aurions plus qu'à +disparaître.... + +LA NUIT + +Seigneur, Seigneur!... En quels temps vivons-nous! Je n'ai plus +une minute de repos.... Je ne comprends plus l'Homme, depuis +quelques années.... Où veut-il en venir?... Il faut donc qu'il +sache tout?... Il a déjà saisi le tiers de mes Mystères, toutes +mes Terreurs ont peur et n'osent plus sortir, mes Fantômes sont +en fuite, la plupart de mes Maladies ne se portent pas bien.... + +LA CHATTE + +Je sais, ma mère la Nuit, je sais, les temps sont durs, et nous +sommes presque seules à lutter contre l'Homme.... Mais je les +entends qui s'approchent.... Je ne vois qu'un moyen: comme ce +sont des enfants, il faut leur faire une telle peur qu'ils +n'oseront pas insister ni ouvrir la grande porte du fond, +derrière laquelle se trouvent les oiseaux de la Lune.... Les +secrets des autres cavernes suffiront à détourner leur attention +ou à les terrifier.... + +LA NUIT, [prêtant l'oreille à un bruit du dehors.] + +Qu'est-ce que j'entends?... Ils sont donc plusieurs? + +LA CHATTE + +Ce n'est rien; ce sont nos amis: le Pain et le Sucre; l'Eau est +indisposée et le Feu n'a pu venir, parce qu'il est parent de la +Lumière.... Il n'y a que le Chien qui ne soit pas pour nous; mais +il n'y a jamais moyen de l'écarter.... + + [Entrent timidement, à droite, au premier plan, Tyltyl, + Mytyl, le Pain, le Sucre et le Chien.] + +LA CHATTE, [se précipitant au-devant de Tyltyl.] + +Par ici, par ici, mon petit maître.... J'ai prévenu la Nuit qui +est enchantée de vous recevoir.... Il faut l'excuser, elle est un +peu souffrante; c'est pourquoi elle n'a pu aller au-devant de +vous.... + +TYLTYL + +Bonjour, madame la Nuit.... + +LA NUIT, [froissée.] + +Bonjour? Je ne connais pas ça.... Tu pourrais bien me dire: bonne +nuit, ou tout au moins: bonsoir.... + +TYLTYL, [mortifié.] + +Pardon, madame.... Je ne savais pas.... [Montrant du doigt les +deux enfants.] Ce sont vos deux petits garçons?... Ils sont bien +gentils.... + +LA NUIT + +Oui, voici le Sommeil.... + +TYLTYL + +Pourquoi qu'il est si gros?... + +LA NUIT + +C'est parce qu'il dort bien.... + +TYLTYL + +Et l'autre qui se cache?... Pourquoi qu'il se voile la figure?... +Est-ce qu'il est malade?... Comment c'est qu'il se nomme?... + +LA NUIT + +C'est la sÅ“ur du Sommeil.... Il vaut mieux ne pas la +nommer.... + +TYLTYL + +Pourquoi?... + +LA NUIT + +Parce que c'est un nom qu'on n'aime pas à entendre.... Mais +parlons d'autre chose.... La Chatte vient de me dire que vous +venez ici pour chercher l'Oiseau-Bleu?... + +TYLTYL + +Oui, madame, si vous le permettez.... Voulez-vous me dire où il +est?... + +LA NUIT + +Je n'en sais rien, mon petit ami.... Tout ce que je puis +affirmer, c'est qu'il n'est pas ici.... Je ne l'ai jamais vu.... + +TYLTYL + +Si, si.... La Lumière m'a dit qu'il est ici; et elle sait ce +qu'elle dit, la Lumière.... Voulez-vous me remettre vos clefs?... + +LA NUIT + +Mais, mon petit ami, tu comprends bien que je ne puis donner +ainsi mes clefs au premier venu.... J'ai la garde de tous les +secrets de la Nature, j'en suis responsable et il m'est +absolument défendu de les livrer à qui que ce soit, surtout à un +enfant.... + +TYLTYL + +Vous n'avez pas le droit de les refuser à l'Homme qui les +demande.... je le sais.... + +LA NUIT + +Qui te l'a dit?... + +TYLTYL + +La Lumière.... + +LA NUIT + +Encore la Lumière! et toujours la Lumière!... De quoi se +mêle-t-elle à la fin?... + +LE CHIEN + +Veux-tu que je les lui prenne de force, mon petit dieu?... + +TYLTYL + +Tais-toi, tiens-toi tranquille et tâche d'être poli.... [A la +Nuit.] Voyons, madame, donnez-moi vos clefs, s'il vous plaît.... + +LA NUIT + +As-tu le signe, au moins?... Où est-il?... + +TYLTYL, [touchant son chapeau.] + +Voyez le Diamant.... + +LA NUIT, [se résignant à l'inévitable.] + +Enfin.... Voici celle qui ouvre toutes les portes de la salle.... +Tant pis pour toi s'il t'arrive malheur.... Je ne réponds de +rien. + +LE PAIN, [fort inquiet.] + +Est-ce que c'est dangereux?... + +LA NUIT + +Dangereux?... C'est-à -dire que moi-même je ne sais trop comment +je pourrai m'en tirer, lorsque certaines de ces portes de bronze +s'ouvriront sur l'abîme.... Il y a là , tout autour de la salle, +dans chacune de ces cavernes de basalte, tous les maux, tous les +fléaux, toutes les maladies, toutes les épouvantes, toutes les +catastrophes, tous les mystères qui affligent la vie depuis le +commencement du monde.... J'ai eu assez de mal à les enfermer là +avec l'aide du Destin; et ce n'est pas sans peine, je vous +assure, que je maintiens un peu d'ordre parmi ces personnages +indisciplinés.... On voit ce qu'il arrive lorsque l'un d'eux +s'échappe et se montre sur terre.... + +LE PAIX + +Mon grand âge, mon expérience et mon dévouement font de moi le +protecteur naturel de ces deux enfants; c'est pourquoi, madame la +Nuit, permettez-moi de vous poser une question.... + +LA NUIT + +Faites.... + +LE PAIN + +En cas de danger, par où faut-il fuir?... + +LA NUIT + +Il n'y a pas moyen de fuir. + +TYLTYL, [prenant la clef et montant les premières marches.] + +Commençons par ici.... Qu'y a-t-il derrière cette porte de +bronze?... + +LA NUIT + +Je crois que ce sont les Fantômes.... Il y a bien longtemps que +je ne l'ai ouverte et qu'ils ne sont sortis.... + +TYLTYL, mettant la clef dans la serrure. + +Je vais voir.... [Au Pain] Avez-vous la cage de l'Oiseau-Bleu?... + +LE PAIN, claquant des dénis. + +Ce n'est pas que j'aie peur, mais ne croyez-vous pas qu'il serait +préférable de ne pas ouvrir et de regarder par le trou de la +serrure?... + +TYLTYL + +Je ne vous demande pas votre avis.... + +MYTYL, [se mettant à pleurer tout à coup.] + +J'ai peur!... Où est le Sucre?... Je veux rentrer à la +maison!... + +LE SUCRE, [empressé, obséquieux.] + +Ici, mademoiselle, je suis ici.... Ne pleurez pas, je vais couper +un de mes doigts pour vous offrir un sucre d'orge.... + +TYLTYL + +Finissons-en.... + + [Il tourne la clef et entr'ouvre prudemment la porte. + Aussitôt s'échappent cinq ou six Spectres de formes diverses + et étranges qui se répandent de tous cotés. Le Pain + épouvanté jette la cage et va se cacher au fond de la salle, + pendant que la Nuit, pourchassant les Spectres, crie à + Tyltyl:] + +LA NUIT + +Vite! vite!... Ferme la porte!... Ils s'échapperaient tous et +nous ne pourrions plus les rattraper!... Ils s'ennuient +là -dedans, depuis que l'Homme ne les prend plus au sérieux.... +[Elle pourchasse les Spectres en s'efforçant, à l'aide d'un fouet +formé de serpents, de les ramener vers la porte de leur prison.] + +Aidez-moi!... Par ici!... Par ici!... + +TYLTYL, [au Chien.] + +Aide-la, Tylô, vas-y donc!... + +LE CHIEN, [bondissant en aboyant.] + +Oui! oui! oui!... + +TYLTYL + +Et le Pain, où est-il?... + +LE PAIN, du fond de la salle. + +Ici.... Je suis près de la porte pour les empêcher de sortir.... + + [Comme un des Spectres s'avance de ce côté, il fuit à toutes + jambes, en poussant des hurlements d'épouvante.] + +LA NUIT, [à trois Spectres qu'elle a pris au collet.] + +Par ici, vous autres!... [A Tyltyl.] Rouvre un peu la porte.... +[Elle pousse les Spectres dans la caverne.] Là , ça va bien.... +[Le Chien en ramène deux autres.] Et encore ceux-ci.... Voyons, +vite, rangez-vous.... Vous savez bien que vous ne sortez plus +qu'à la Toussaint. + + [Elle referme la porte.] + +TYLTYL, [allant à une autre porte.] + +Qu'y a-t-il derrière celle-ci?... + +LA NUIT + +A quoi bon?... Je te l'ai déjà dit, l'Oiseau-Bleu n'est jamais +venu par ici.... Enfin, comme tu voudras.... Ouvre-la si ça te +fait plaisir.... Ce sont les Maladies.... + +TYLTYL, [la clef dans la serrure.] + +Est-ce qu'il faut prendre garde en ouvrant?... + +LA NUIT + +Non, ce n'est pas la peine.... Elles sont bien tranquilles, les +pauvres petites.... Elles ne sont pas heureuses.... L'Homme, +depuis quelque temps, leur fait une telle guerre!... Surtout +depuis la découverte des microbes.... Ouvre donc, tu verras.... + + [Tyltyl ouvre la porte toute grande. Rien ne paraît.] + +TYLTYL + +Elles ne sortent pas?... + +LA NUIT + +Je t'avais prévenu, presque toutes sont souffrantes et bien +découragées.... Les médecins ne sont pas gentils pour elles.... +Entre donc un instant, tu verras.... + + [Tyltyl entre dans la caverne et ressort aussitôt après.] + +TYLTYL + +L'Oiseau-Bleu n'y est pas.... Elles ont l'air bien malades, vos +Maladies.... Elles n'ont même pas levé la tête.... [Une petite +Maladie, en pantoufles, robe de chambre et bonnet de coton, +s'échappe de la caverne et se met à gambader dans la salle.] +Tiens!... Une petite qui s'évade!... Qu'est-ce que c'est?... + +LA NUIT + +Ce n'est rien, c'est la plus petite, c'est le Rhume de +cerveau.... C'est une de celles qu'on persécute le moins et qui +se portent le mieux.... [Appelant le Rhume de cerveau] Viens +ici, ma petite.... C'est trop tôt; il faut attendre le +printemps.... + + [Le Rhume de cerveau, éternuant, toussant et se mouchant, + rentre dans la caverne dont Tyltyl referme la porte.] + +TYLTYL, [allant à la porte voisine.] + +Voyons donc celle-ci.... Qu'est-ce que c'est?... + +LA NUIT + +Prends garde.... Ce sont les Guerres.... Elles sont plus +terribles et plus puissantes que jamais.... Dieu sait ce qui +arriverait si l'une d'elles s'échappait!... Heureusement, elles +sont assez obèses et manquent d'agilité.... Mais tenons-nous +prêts à repousser la porte tous ensemble, pendant que tu jetteras +un rapide coup d'Å“il dans la caverne.... + + [Tyltyl, avec mille précautions, entrebâille la porte de + manière qu'il n'y ait qu'une petite fente où il puisse + appliquer l'Å“il. Aussitôt, il s'arc-boute en criant:] + +TYLTYL + +Vite! vite!... Poussez donc!... Elles m'ont vu!... Elles viennent +toutes!... Elles ouvrent la porte!... + +LA NUIT + +Allons, tous!... Poussez ferme!... Voyons, le Pain, que +faites-vous?... Poussez tous!... Elles ont une force!... Ah! +voilà ! Ça y est.... Elles cèdent.... Il était temps!... As-tu +vu?... + +TYLTYL + +Oui, oui!... Elles sont énormes, épouvantables!... Je crois +qu'elles n'ont pas l'Oiseau-Bleu.... + +LA NUIT + +Bien sûr qu'elles ne l'ont point.... Elles le mangeraient tout de +suite.... Eh bien, en as-tu assez?... Tu vois bien qu'il n'y a +rien à faire.... + +TYLTYL + +Il faut que je voie tout.... La Lumière l'a dit.... + +LA NUIT + +La Lumière l'a dit.... C'est facile à dire quand on a peur et +qu'on reste chez soi.... + +TYLTYL + +Allons à la suivante.... Qu'est-ce?... + +LA NUIT + +Ici, j'enferme les Ténèbres et les Terreurs.... + +TYLTYL + +Est-ce qu'on peut ouvrir?... + +LA NUIT + +Parfaitement.... Elles sont assez tranquilles; c'est comme les +Maladies.... + +TYLTYL, [entr'ouvrant la porte avec une certaine méfiance et +risquant un regard dans la caverne.] + +Elles n'y sont pas.... + +LA NUIT, [regardant à son tour dans la caverne.] + +Eh bien, les Ténèbres, que faites-vous?... Sortez donc un +instant, ça vous fera du bien, ça vous dégourdira. Et les +Terreurs aussi.... Il n'y a rien à Craindre.... [Quelques +Ténèbres et quelques Terreurs, sous la figure de femmes +couvertes, les premières de voiles noirs, les dernières de voiles +verdâtres, risquent piteusement quelques pas hors de la caverne, +et, sur un geste qu'ébauche Tyltyl, rentrent précipitamment.] +Voyons, tenez-vous donc.... C'est un enfant, il ne vous fera pas +de mal.... [A Tyltyl]. Elles sont devenues extrêmement timides; +excepté les grandes, celles que tu vois au fond.... + +TYLTYL, [regardant vers le fond de la caverne.] + +Oh! qu'elles sont effrayantes!... + +LA NUIT + +Elles sont enchaînées.... Ce sont les seules qui n'aient pas peur +de l'Homme.... Mais referme la porte, de crainte qu'elles ne se +fâchent.... + +TYLTYL, [allant à la porte suivante.] + +Tiens!... Celle-ci est plus sombre.... Qu'est-ce que c'est?... + +LA NUIT + +Il y a plusieurs Mystères derrière celle-ci.... Si tu y tiens +absolument, tu peux l'ouvrir aussi.... Mais n'entre pas.... Sois +bien prudent, et puis préparons-nous à repousser la porte, comme +nous avons fait pour les Guerres.... + +TYLTYL, [entr'ouvrant avec des précautions inouïes, et passant +craintivement la tête dans l'entrebâillement.] + +Oh!... Quel froid!... Mes yeux cuisent!... Fermez vite!... +Poussez donc! On repousse!... [La Nuit, le Chien, la Chatte et le +Sucre repoussent la porte.] Oh! j'ai vu!... + +LA NUIT + +Quoi donc?... + +TYLTYL, [bouleversé.] + +Je ne sais pas, c'était épouvantable!... Ils étaient tous assis +comme des monstres sans yeux.... Quel était le géant qui voulait +me saisir?... + +LA NUIT + +C'est probablement le Silence; il a la garde de cette porte.... +Il paraît que c'était effrayant?... Tu en es encore tout pâle et +tout tremblant.... + +TYLTYL + +Oui, je n'aurais pas cru.... Je n'avais jamais vu.... Et j'ai les +mains gelées.... + +LA NUIT + +Ce sera bien pis tout à l'heure si tu continues.... + +TYLTYL, [allant à la porte suivante.] + +Et celle-ci?... Est-elle aussi terrible?... + +LA NUIT + +Non, il y a un peu de tout.... J'y mets les Étoiles sans emploi, +mes parfums personnels, quelques Lueurs qui m'appartiennent, tels +que feux-follets, vers luisants, lucioles; on y serre aussi la +Rosée, le Chant des Rossignols, etc.. + +TYLTYL + +Justement, les Étoiles, le Chant des Rossignols.... Ce doit être +celle-là . + +LA NUIT + +Ouvre-donc si tu veux; tout cela n'est pas bien méchant.... + + [Tyltyl ouvre la porte toute grande. Aussitôt les Étoiles, + sous la forme de belles jeunes filles voilées de lueurs + versicolores, s'échappent de leur prison, se répandent dans + la salle et forment sur les marches et autour des colonnes + de gracieuses rondes baignées d'une sorte de lumineuse + pénombre. Les Parfums de la Nuit, presque invisibles, les + Feux-follets, les Lucioles, la Rosée transparente se + joignent à elles, cependant que le Chant des Rossignols, + sortant à flots de la caverne, inonde le palais nocturne.] + +MYTYL, [ravie, battant des mains.] + +Oh! les jolies madames!... + +TYLTYL + +Et qu'elles dansent bien!... + +MYTYL + +Et qu'elles sentent bon!... + +TYLTYL + +Et qu'elles chantent bien!... + +MYTYL + +Qu'est-ce que c'est, ceux-là , qu'on ne voit presque pas?... + +LA NUIT + +Ce sont les Parfums de mon ombre.... + +TYLTYL + +Et les autres, là -bas, qui sont en verre filé?... + +LA NUIT + +C'est la Rosée des forêts et des plaines.... Mais en voilà +assez.... Ils n'en finiraient pas.... C'est le diable de les +faire rentrer une fois qu'ils se sont mis à danser.... [Frappant +dans ses mains.] Allons, vite, les Étoiles!... Ce n'est pas le +moment de danser.... Le ciel est couvert, il y a de gros +nuages.... Allons, vite, rentrez tous, sinon j'irai chercher un +rayon de soleil.... + + [Fuite épouvantée des Étoiles, Parfums, etc...., qui se + précipitent dans la caverne que l'on referme sur eux. En + même temps s'éteint le Chant des Rossignols.] + +TYLTYL, [allant à la porte du fond.] + +Voici la grande porte du milieu.... + +LA NUIT, gravement. + +N'ouvre pas celle-ci.... + +TYLTYL + +Pourquoi?... + +LA NUIT + +Parce que c'est défendu.... + +TYLTYL + +C'est donc là que se cache l'Oiseau-Bleu; la Lumière me l'a +dit.... + +LA NUIT, [maternelle.] + +Écoute-moi, mon enfant.... J'ai été bonne et complaisante.... +J'ai fait pour toi ce que je n'avais fait jusqu'ici pour +personne.... Je t'ai livré tous mes secrets.... Je t'aime bien, +j'ai pitié de ta jeunesse et de ton innocence et je te parle +comme une mère.... Écoute-moi et crois-moi, mon enfant, renonce, +ne va point plus avant, ne tente pas le Destin, n'ouvre pas cette +porte.... + +TYLTYL, [assez ébranlé.] + +Mais pourquoi?... + +LA NUIT + +Parce que je ne veux pas que tu te perdes.... Parce que nul de +ceux, entends-tu, nul de ceux qui l'ont entr'ouverte, ne fût-ce +que de l'épaisseur d'un cheveu, n'est revenu vivant à la lumière +du jour.... Parce que tout ce qu'on peut imaginer d'épouvantable, +parce que toutes les terreurs, toutes les horreurs dont on parle +sur terre, ne sont rien, comparées à la plus innocente de celles +qui assaillent un homme dès que son Å“il effleure les premières +menaces de l'abîme auquel personne n'ose donner un nom.... C'est +au point que moi-même, si tu t'obstines, malgré tout, à toucher +cette porte, je te demanderai d'attendre que je sois à l'abri +dans ma tour sans fenêtres.... Maintenant c'est à toi de savoir, +à toi de réfléchir.... + + [Mytyl, tout en larmes, pousse des cris de terreur + inarticulés et cherche à entraîner Tyltyl.] + +LE PAIN, [claquant des dents.] + +Ne le faites pas, mon petit maître!... [Se jetant à genoux.] Ayez +pitié de nous!... Je vous le demande à genoux.... Vous voyez que +la Nuit a raison.... + +LA CHATTE + +C'est notre vie à tous que vous sacrifiez.... + +TYLTYL + +Je dois l'ouvrir.... + +MYTYL, [trépignant parmi des sanglots.] + +Je ne veux pas!... Je ne veux pas!... + +TYLTYL + +Que le Sucre et le Pain prennent Mytyl par la main et se sauvent +avec elle.... Je vais ouvrir.... + +LA NUIT + +Sauve qui peut!... Venez vite!... Il est temps!... + + [Elle fuit.] + +LE PAIN, [fuyant éperdument.] + +Attendez au moins que nous soyons au bout de la salle!... + +LA CHATTE, [fuyant également.] + +Attendez!... attendez!... + +Ils se cachent derrière les colonnes à l'autre bout de la salle. +Tyltyl reste seul avec le Chien, près de la porte monumentale. + +LE CHIEN, [haletant et hoquetant d'épouvante contenue.] + +Moi, je reste, je reste.... Je n'ai pas peur.... Je reste!... Je +reste près de mon petit dieu.... Je reste!... Je reste.... + +TYLTYL, [caressant le Chien.] + +C'est bien, Tylô, c'est bien!... Embrasse-moi.... Nous sommes +deux.... Maintenant gare à nous!... [Il met la clef dans la +serrure. Un cri d'épouvante part de l'autre bout de la salle où +se sont réfugiés les fuyards. A peine la clef a-t-elle touché la +porte que les hauts ballants de celle-ci s'ouvrent par le milieu, +glissent latéralement et disparaissent, à droite et à gauche, +dans l'épaisseur des murs, découvrant tout à coup, irréel, +infini, ineffable, le plus inattendu des jardins de rêve et de +lumière nocturne, où, parmi les étoiles et les planètes, +illuminant tout ce qu'ils touchent, volant sans cesse de +pierreries en pierreries, de rayons de lune en rayons de lune, de +féeriques oiseaux bleus évoluent perpétuellement et +harmonieusement jusqu'aux confins de l'horizon, innombrables au +point qu'ils semblent être le souffle, l'atmosphère azurée, la +substance même du jardin merveilleux.--Tyltyl, ébloui, éperdu, +debout dans la lumière du jardin:] Oh!... le ciel!... [Se +tournant vers ceux qui oui fui.] Venez vite!... Ils sont là !... +C'est eux! c'est eux! c'est eux!...Nous les tenons enfin!... Des +milliers d'oiseaux bleus! Des millions!... Des milliards!... Il y +en aura trop!... Viens, Mytyl!... Viens, Tylô!... Venez tous!... +Aidez-moi!... [S'élançant parmi les oiseaux.] On les prend à +pleines mains!... Ils ne sont pas farouches!... Ils n'ont pas +peur de nous!... Par ici! par ici!... [Mytyl et les autres +accourent. Ils entrent tous dans le jardin éblouissant, hormis la +Nuit et la Chatte.] Vous voyez!... Ils sont trop!... Ils viennent +dans mes mains!... Regardez donc, ils mangent les rayons de la +lune!... Mytyl, où donc es-tu?... Il y a tant d'ailes bleues, +tant de plumes qui tombent qu'on n'y voit plus du tout!... Tylô! +ne les mord pas.... Ne leur fais pas de mal!... Prends-les très +doucement! + +MYTYL, [enveloppée d'oiseaux bleus.] + +J'en ai déjà pris sept!... Oh! qu'ils battent des ailes!... Je ne +puis les tenir!... + +TYLTYL + +Moi non plus!... J'en ai trop!... Ils s'échappent!... Ils +reviennent!... Tylô en a aussi!... Ils vont nous entraîner!... +nous porter dans le ciel!... Viens, sortons par ici!... La +Lumière nous attend!... Elle sera contente!... Par ici, par +ici!... + + [Ils s'évadent du jardin, les mains pleines d'oiseaux qui se + débattent, et, traversant toute la salle parmi l'affolement + des ailes azurées, sortent à droite, par où ils sont entrés, + suivis du Pain et du Sucre qui n'ont pas pris d'oiseaux. + --Restés seuls, la Nuit et la Chatte remontent vers le fond + et regardent anxieusement dans le jardin.] + +LA NUIT + +Ils ne l'ont pas?... + +LA CHATTE + +Non.... Je le vois là sur ce rayon de lune.... Ils n'ont pas pu +l'atteindre, il se tenait trop haut.... + + [Le rideau tombe. Aussitôt après, devant le rideau tombé, + entrent simultanément, à gauche la Lumière, à droite Tyltyl, + Mytyl et le Chien, accourant tout couverts des oiseaux + qu'ils viennent de capturer. Mais déjà ceux-ci paraissent + inanimés et, la tête pendante et les ailes brisées, ne sont + plus dans leurs mains que d'inertes dépouilles.] + +LA LUMIÈRE + +Eh bien, l'avez-vous-pris?... + +TYLTYL + +Oui, oui!... Tant qu'on voulait.... Il y en a des milliers!... +Les voici!... Les vois-tu!... [Regardant les oiseaux qu'il tend +vers la Lumière et s'apercevant qu'ils sont morts.] Tiens!... Ils +ne vivent plus.... Qu'est-ce qu'on leur a fait?... Les tiens +aussi, Mytyl?... Ceux de Tylô aussi. [Jetant avec colère les +cadavres d'oiseaux.] Ah! non, c'est trop vilain!... Qui est-ce +qui les a tués?... Je suis trop malheureux!... + + [Il se cache la tête sous le bras et paraît tout secoué de + sanglots.] + +LA LUMIÈRE, [le serrant maternellement dans ses bras.] + +Ne pleure pas, mon enfant.... Tu n'as pas pris celui qui peut +vivre en plein jour.... Il est allé ailleurs.... Nous le +retrouverons.... + +LE CHIEN, [regardant les oiseaux morts.] + +Est-ce qu'on peut les manger?... + + [Ils sortent tous à gauche.] + + + + +CINQUIÈME TABLEAU + +LA FORÊT + + +Une forêt.--Il fait nuit.--Clair de lune.--Vieux arbres de +diverses espèces, notamment: un chêne, un hêtre, un orme, un +peuplier, un sapin, un cyprès, un tilleur, un marronnier, etc. + + * * * * * + + [Entre la Chatte.] + +LA CHATTE, [saluant les arbres à la ronde.] + +Salut à tous les arbres!... + +MURMURE DES FEUILLAGES + +Salut!... + +LA CHATTE + +C'est un grand jour que ce jour-ci!... Notre ennemi vient +délivrer vos énergies et se livrer lui-même.... C'est Tyltyl, le +fils du bûcheron qui vous a fait tant de mal.... Il cherche +l'Oiseau-Bleu que vous cachez à l'Homme depuis le commencement du +monde, et qui sait seul notre secret.... [Murmure dans les +feuilles.] Vous dites?... Ah! c'est le Peuplier qui parle.... +Oui, il possède un Diamant qui a la vertu de délivrer un instant +nos esprits; il peut nous forcer à livrer l'Oiseau-Bleu, et nous +serons dès lors, définitivement, à la merci de l'Homme.... +[Murmure dans les feuilles.] Qui parle?... Tiens! c'est le +Chêne.... Comment allez-vous?... [Murmure dans les feuilles du +Chêne.] Toujours enrhumé?... La Réglisse ne vous soigne plus?... +Toujours les rhumatismes?... Croyez-moi, c'est à cause de la +mousse; vous en mettez trop sur vos pieds.... L'Oiseau-Bleu est +toujours chez vous?... [Murmures dans les feuilles du Chêne.] +Vous dites?... Oui, il n'y a pas à hésiter, il faut en profiter, +il faut qu'il disparaisse.... [Murmure dans les feuilles.] +Plaît-il?... Oui, il est avec sa petite sÅ“ur; il faut qu'elle +meure aussi.... [Murmure dans les feuilles.] Oui, le Chien les +accompagne; il n'y a pas moyen de l'éloigner.... [Murmure dans +les feuilles.] Vous dites?... Le corrompre?... Impossible.... +J'ai essayé de tout.... [Murmures parmi les feuilles.] Ah! c'est +toi, le Sapin?... Oui, prépare quatre planches.... Oui, il y a +encore le Feu, le Sucre, l'Eau, le Pain.... Ils sont tous avec +nous, excepté le Pain qui est assez douteux.... Seule la Lumière +est favorable à l'Homme; mais elle ne viendra pas.... J'ai fait +croire aux petits qu'ils devaient s'échapper en cachette pendant +qu'elle dormait.... L'occasion est unique.... [Murmure dans les +feuilles.] Tiens! c'est la voix du Hêtre!... Oui, vous avez +raison; il faut que l'on prévienne les Animaux.... Le Lapin +a-t-il son tambour?... Il est chez vous?... Bien, qu'il batte le +rappel, tout de suite.... Les voici!... + + [On entend s'éloigner les roulements de tambour du + Lapin.--Entrent Tyltyl, Mytyl et le Chien.] + +TYLTYL + +C'est ici?... + +LA CHATTE, [obséquieuse, doucereuse, empressé se précipitant +au-devant des enfants.] + +Ah! voilà , mon petit maître!... Que vous avez bonne mine et que +vous êtes joli, ce soir!... Je vous ai précédé pour annoncer +votre arrivée.... Tout va bien. Cette fois nous tenons +l'Oiseau-Bleu, j'en suis sûre.... Je viens d'envoyer le Lapin +battre le rappel afin de convoquer les principaux Animaux du +pays.... On les entend déjà dans le feuillage.... Écoutez!... Ils +sont un peu timides et n'osent approcher.... [Bruits d'animaux +divers, tels que vaches, porcs, chevaux, ânes, etc.--Bas à +Tyltyl, le prenant à part.] Mais pourquoi avez-vous amené le +Chien?... Je vous l'ai déjà dit, il est au plus mal avec tout le +monde, même avec les arbres.... Je crains bien que sa présence +odieuse ne fasse tout manquer.... + +TYLTYL + +Je n'ai pu m'en débarasser.... [Au Chien, la menaçant] Veux-tu +bien t'en aller, vilaine bête!... + +LE CHIEN + +Qui?... Moi!... Pourquoi?... Qu'est-ce que j'ai fait?... + +TYLTYL + +Je te dis de t'en aller!... On n'a que faire de toi, c'est bien +simple.... Tu nous embêtes à la fin!... + +LE CHIEN + +Je ne dirai rien.... Je suivrai de loin.... On ne me verra +pas.... Veux-tu que je fasse le beau?... + +LA CHATTE, [bas, à Tyltyl.] + +Vous tolérez pareille désobéissance?... Donnez-lui donc quelques +coups de bâton sur le nez, il est vraiment insupportable!... + +TYLTYL, [battant le Chien.] + +Voilà qui t'apprendra à obéir plus vite!... + +LE CHIEN, [hurlant.] + +Aïe! Aïe! Aïe!... + +TYLTYL + +Qu'en dis-tu?... + +LE CHIEN + +Il faut que je t'embrasse puisque tu m'as battu!... + +[Il embrasse et caresse violemment Tyltyl.] + +TYLTYL + +Voyons.... C'est, bien.... Ça suffit.... Va-t'en!... + +MYTYL + +Non, non; je veux qu'il reste.... J'ai peur de tout quand il +n'est pas là .... + +LE CHIEN, [bondissant et renversant presque Mytyl, qu'il accable +de caresses précipitées et enthousiastes.] + +Oh! la bonne petite fille!... Qu'elle est belle! Qu'elle est +bonne!... Qu'elle est belle, qu'elle est douce!... Il faut que je +l'embrasse! Encore! encore! encore!... + +LA CHATTE + +Quel idiot!... Ma foi, nous verrons bien.... Ne perdons pas de +temps.... Tournez le Diamant.... + +TYLTYL + +Où faut-il me placer? + +LA CHATTE + +Dans ce rayon de lune; vous y verrez plus clair.... Là ! tournez +doucement.... + + [Tyltyl tourne le Diamant; aussitôt, un long frémissement + agite les branches et les feuilles. Les troncs les plus + anciens et les plus imposants s'entr'ouvrent pour livrer + passage à l'âme que chacun d'eux renferme. L'aspect de ces + âmes diffère suivant l'aspect et le caractère de l'arbre + qu'elles représentent. Celle de l'Orme, par exemple, est une + sorte de gnome poussif, ventru, bourru; celle du Tilleul est + placide, familière, joviale: celle du Hêtre, élégante et + agile; celle du Bouleau, blanche, réservée, inquiète; celle + du Saule, rabougrie, échevelée, plaintive; celle du Sapin, + longue, efflanquée, taciturne; celle du Cyprès, tragique; + celle du Marronnier, prétentieuse, un peu snob; celle du + Peuplier, allègre, encombrante, bavarde. Les unes sortent + lentement de leur tronc, engourdies, s'étirant, comme après + une captivité ou un sommeil séculaire, les autres s'en + dégagent d'un bond, alertes, empressées, et toutes viennent + se ranger autour des deux enfants, tout en se tenant autant + que possible à proximité de l'arbre dont elles sont nées.] + +LE PEUPLIER, [accourant le premier et criant à tue-tête.] + +Des Hommes!... De petits Hommes!... On pourra leur parler!... +C'est fini le Silence!... C'est fini!... D'où viennent-ils?... +Qui est-ce?... Qui sont-ils?... [Au Tilleul qui s'avance en +fumant tranquillement sa pipe.] Les connais-tu, toi, père +Tilleul?... + +LE TILLEUL + +Je ne me rappelle pas les avoir vus.... + +LE PEUPLIER + +Mais si, voyons, mais si!... Tu connais tous les Hommes, tu es +toujours à te promener autour de leurs maisons.... + +LE TILLEUL, [examinant les enfants.] + +Mais non, je vous assure.... Je ne les connais pas.... Ils sont +encore trop jeunes.... Je ne connais bien que les amoureux qui +viennent me voir au clair de lune; ou les buveurs de bière qui +trinquent sous mes branches.... + +LE MARRONNIER, [pincé, ajustant son monocle.] + +Qu'est-ce que c'est que ça?... C'est des pauvres de la +campagne?... + +LE PEUPLIER + +Oh! vous, monsieur le Marronnier, depuis que vous ne fréquentez +plus que les boulevards des grandes villes.... + +LE SAULE, [s'avançant en sabots et geignard.] + +Mon Dieu, mon Dieu!... Ils viennent encore me couper la tête et +les bras pour en faire des fagots!... + +LE PEUPLIER + +Silence!... Voici le Chêne qui sort de son palais!... Il a l'air +bien souffrant ce soir.... Ne trouvez-vous pas qu'il +vieillit?... Quel âge peut-il avoir?... Le Sapin dit qu'il a +quatre mille ans; mais je suis sûre qu'il exagère.... Attention, +il va nous dire ce que c'est.... + + [Le Chêne s'avance lentement. Il est fabuleusement vieux, + couronné de gui et vêtu d'une longue robe verte brodée de + mousse et de lichen. Il est aveugle, sa barbe blanche flotte + au vent. Il s'appuie d'une main sur un bâton noueux et de + l'autre sur un jeune Chêneau qui lui sert de guide. + L'Oiseau-Bleu est perché sur son épaule. À son approche, + mouvement de respect parmi les arbres qui se rangent et + s'inclinent.] + +TYLTYL + +Il a l'Oiseau-Bleu!... Vite! vite!... Par ici!... +Donnez-le-moi!... + +LES ARBRES + +Silence!... + +LA CHATTE, [à Tyltyl.] + +Découvrez-vous, c'est le Chêne!... + +LE CHÊNE, [à Tyltyl.] + +Qui es-tu?... + +TYLTYL + +Tyltyl, monsieur.... Quand est-ce que je pourrai prendre +l'Oiseau-Bleu?... + +LE CHÊNE + +Tyltyl, le fils du bûcheron?... + +TYLTYL + +Oui, monsieur.... + +LE CHÊNE + +Ton père nous a fait bien du mal.... Dans ma seule famille il a +mis à mort six cents de mes fils, quatre cent soixante-quinze +oncles et tantes, douze cents cousins et cousines, trois cent +quatre-vingts brus et douze mille arrière-petits-fils!... + +TYLTYL + +Je ne sais pas, monsieur.... Il ne l'a pas fait exprès.... + +LE CHÊNE + +Que viens-tu faire ici, et pourquoi as-tu fait sortir nos âmes de +leurs demeures?... + +TYLTYL + +Monsieur, je vous demande pardon de vous avoir dérangé.... C'est +la Chatte qui m'a dit que vous alliez nous dire où se trouve +l'Oiseau-Bleu.... + +LE CHÊNE + +Oui, je sais, tu cherches l'Oiseau-Bleu, c'est-à -dire le grand +secret des choses et du bonheur, pour que les Hommes rendent plus +dur encore notre esclavage.... + +TYLTYL + +Mais non, monsieur; c'est pour la petite fille de la Fée Bérylune +qui est très malade.... + +LE CHÊNE, lui imposant silence. + +Il suffit!... Je n'entends pas les Animaux.... Où sont-ils?... +Tout ceci les intéresse autant que nous.... Il ne faut pas que +nous, les Arbres, assumions seuls la responsabilité des mesures +graves qui s'imposent.... Le jour où les Hommes apprendront que +nous avons fait ce que nous allons faire, il y aura d'horribles +représailles.... Il convient donc que notre accord soit unanime, +pour que notre silence le soit également.... + +LE SAPIN, [regardant par-dessus les autres arbres.] + +Les Animaux arrivent.... Ils suivent le Lapin.... Voici l'âme du +Cheval, du Taureau, du BÅ“uf, de la Vache, du Loup, du Mouton, +du Porc, du Coq, de la Chèvre, de l'Âne et de l'Ours.... + + [Entrée successive des âmes des Animaux qui, à mesure que + les énumère le Sapin, s'avancent et vont s'asseoir entre les + arbres, à l'exception de l'âme de la Chèvre qui vagabonde çà + et là , et de celle du Porc qui fouille les racines.] + +LE CHÊNE + +Tous sont-ils ici présents?... + +LE LAPIN + +La Poule ne pouvait pas abandonner ses Å“ufs, le Lièvre faisait +des courses, le Cerf a mal aux cornes, le Renard est +souffrant,--voici le certificat du médecin,--l'Oie n'a pas +compris et le Dindon s'est mis en colère.... + +LE CHÊNE + +Ces abstentions sont extrêmement regrettables.... Néanmoins, nous +sommes en nombre suffisant.... Vous savez, mes frères, de quoi +il est question. L'enfant que voici, grâce à un talisman dérobé +aux puissances de la Terre, peut s'emparer de notre Oiseau-Bleu, +et nous arracher ainsi le secret que nous gardons depuis +l'origine de la Vie.... Or, nous connaissons assez l'Homme pour +n'avoir aucun doute sur le sort qu'il nous réserve lorsqu'il se +trouvera en possession de ce secret. C'est pourquoi il me semble +que toute hésitation serait aussi stupide que criminelle.... +L'heure est grave; il faut que l'enfant disparaisse avant qu'il +soit trop tard.... + +TYLTYL + +Que dit-il?... + +LE CHIEN, [rôdant autour du Chêne en montrant ses crocs.] + +As-tu vu mes dents, vieux perclus?... + +LE HÊTRE, [indigné.] + +Il insulte le Chêne!... + +LE CHÊNE + +C'est le Chien?... Qu'on l'expulse! Il ne faut pas que nous +tolérions un traître parmi nous!... + +LA CHATTE, [bas, à Tyltyl.] + +Éloignez le Chien.... C'est un malentendu.... Laissez-moi faire, +j'arrangerai les choses.... Mais éloignez-le au plus vite.... + +TYLTYL, [au Chien.] + +Veux-tu t'en aller!... + +LE CHIEN + +Laisse-moi donc lui déchirer ses pantoufles de mousse à ce vieux +goutteux-là !... On va rire!... + +TYLTYL + +Tais-toi donc!... Et va-t'en!... Mais va-t'en, vilaine bête!... + +LE CHIEN + +Bon, bon, on s'en ira.... Je reviendrai quand tu auras besoin de +moi.... + +LA CHATTE, [bas, à Tyltyl.] + +Il serait plus prudent de l'enchaîner, sinon il fera des bêtises; +les Arbres se fâcheront, et tout cela finira mal.... + +TYLTYL + +Comment faire?... J'ai égaré sa laisse.... + +LA CHATTE + +Voici tout juste le Lierre qui s'avance avec de solides liens.... + +LE CHIEN, grondant. + +Je reviendrai, je reviendrai!... Podagre! bronchiteux!... Tas de +vieux rabougris, tas de vieilles racines!...C'est la Chatte qui +mène tout!... Je lui revaudrai ça!... Qu'as-tu donc à chuchoter +ainsi, Judas, Tigre, Bazaine!... Wa, wa! wa!... + +LA CHATTE + +Vous voyez, il insulte tout le monde.... + +TYLTYL + +C'est vrai, il est insupportable et l'on ne s'entend plus.... +Monsieur le Lierre, voulez-vous l'enchaîner?... + +LE LIERRE, [s'approchant assez craintivement du Chien.] + +Il ne mordra pas?... + +LE CHIEN, [grondant.] + +Au contraire! au contraire!... Il va bien t'embrasser!... +Attends, tu vas voir ça!... Approche, approche donc, tas de +vieilles ficelles!... + +TYLTYL, [le menaçant du bâton.] + +Tylô!... + +LE CHIEN, [rampant aux pieds de Tyltyl en agitant la queue.] + +Que faut-il faire, mon petit dieu?... + +TYLTYL + +Te coucher, à plat ventre!... Obéis au Lierre.... Laisse-toi +garotter, sinon.... + +LE CHIEN, [grondant entre les dents pendant que le Lierre le +garotte.] + +Ficelle!... Corde à pendus!... Laisse à veaux!... Chaîne à +porcs!... Mon petit dieu, regarde.... Il me tord les pattes.... +Il m'étrangle!... + +TYLTYL + +Tant pis!... Tu l'as voulu!... Tais-toi, tiens-toi tranquille, tu +es insupportable!... + +LE CHIEN + +C'est égal, tu as tort.... Ils ont de vilaines intentions.... Mon +petit dieu, prends garde!... Il me ferme la bouche!... Je ne peux +plus parler!... + +LE LIERRE, [qui a ficelé le Chien comme un paquet.] + +Où faut-il le porter?... Je l'ai bien bâillonné.... il ne souffle +plus mot.... + +LE CHÊNE + +Qu'on l'attache solidement là -bas, derrière mon tronc, à ma +grosse racine.... Nous verrons ensuite ce qu'il convient d'en +faire.... [Le Lierre aidé du Peuplier porte le Chien derrière le +tronc du Chêne] Est-ce fait?... Bien, maintenant que nous voilà +débarrassés de ce témoin gênant et de ce renégat, délibérons +selon notre justice et notre vérité.... Mon émotion, je ne vous +le cache point, est profonde et pénible.... C'est la première +fois qu'il nous est donné de juger l'Homme et de lui faire sentir +notre puissance.... Je ne crois pas qu'après le mal qu'il nous a +fait, après les monstrueuses injustices que nous avons subies, il +reste le moindre doute sur la sentence qui l'attend.... + +TOUS LES ARBRES et TOUS LES ANIMAUX + +Non! Non! Non!... Pas de doute!... La pendaison!... La mort!... +Il y a trop d'injustice!... Il a trop abusé!... Il y a trop +longtemps!... Qu'on l'écrase! Qu'on le mange!... Tout de +suite!... Tout de suite!... + +TYLTYL, [à la Chatte.] + +Qu'ont-ils donc?... Ils ne sont pas contents?... + +LA CHATTE + +Ne vous inquiétez pas.... Ils sont un peu fâchés à cause que le +Printemps est en retard.... Laissez-moi faire, j'arrangerai tout +ça.... + +LE CHÊNE + +Cette unanimité était inévitable.... Il s'agit à présent de +savoir, pour éviter les représailles, quel genre de supplice sera +le plus pratique, le plus commode, le plus expéditif et le plus +sûr; celui qui laissera le moins de traces accusatrices lorsque +les Hommes retrouveront les petits corps dans la forêt.... + +TYLTYL + +Qu'est-ce que c'est que tout ça?... Où veut-il en venir?... Je +commence à en avoir assez.... Puisqu'il a l'Oiseau-Bleu, qu'il le +donne.... + +LE TAUREAU, [s'avançant.] + +Le plus pratique et le plus sûr, c'est un bon coup de corne au +creux de l'estomac.--Voulez-vous que je fonce?... + +LE CHÊNE + +Qui parle ainsi?... + +LA CHATTE + +C'est le Taureau. + +LA VACHE + +Il ferait mieux de se tenir tranquille.... Moi, je ne m'en mêle +pas.... J'ai à brouter toute l'herbe de la prairie qu'on voit +là -bas, dans le bleu de la lune.... J'ai trop à faire.... + +LE BÅ’UF + +Moi aussi. D'ailleurs, j'approuve tout d'avance.... + +LE HÊTRE + +Moi, j'offre ma plus haute branche pour les pendre.... + +LE LIERRE + +Et moi le nÅ“ud coulant.... + +LE SAPIN + +Et moi les quatre planches pour la petite boîte.... + +LE CYPRÈS + +Et moi la concession à perpétuité.... + +LE SAULE + +Le plus simple serait de les noyer dans une de mes rivières.... +Je m'en charge.... + +LE TILLEUL, [conciliant.] + +Voyons, voyons.... Est-il bien nécessaire d'en venir à ces +extrémités? Ils sont encore bien jeunes.... On pourrait tout +bonnement les empêcher de nuire en les retenant prisonniers dans +un clos que je me charge de construire en me plantant tout +autour.... + +LE CHÊNE + +Qui parle ainsi?... Je crois reconnaître la voix mielleuse du +Tilleul.... + +LE SAPIN + +En effet.... + +LE CHÊNE + +Il y a donc un renégat parmi nous, comme parmi les Animaux?... +Jusqu'ici, nous n'avions à déplorer que la défection des Arbres +fruitiers; mais ceux-ci ne sont pas de véritables Arbres.... + +LE PORC, [roulant de petits yeux gloutons.] + +Moi, je pense qu'il faut d'abord manger la petite fille.... Elle +doit être bien tendre.... + +TYLTYL + +Que dit-il celui-là ?... Attends un peu, espèce de.... + +LA CHATTE + +Je ne sais ce qu'ils ont; mais cela prend mauvaise tournure.... + +LE CHÊNE + +Silence!... Il s'agit de savoir qui de nous aura l'honneur de +porter le premier coup; qui écartera de nos cimes le plus grand +danger que nous ayons couru depuis la naissance de l'Homme.... + +LE SAPIN + +C'est à vous, notre roi et notre patriarche, que revient cet +honneur.... + +LE CHÊNE + +C'est le Sapin qui parle?... Hélas! je suis trop vieux! Je suis +aveugle, infirme, et mes bras engourdis ne m'obéissent plus.... +Non, c'est à vous, mon frère, toujours vert, toujours droit, +c'est à vous, qui vîtes naître la plupart de ces Arbres, +qu'échoit, à mon défaut, la gloire du noble geste de notre +délivrance.... + +LE SAPIN + +Je vous remercie, mon vénérable père.... Mais comme j'aurai déjà +l'honneur d'ensevelir les deux victimes, je craindrais d'éveiller +la juste jalousie de mes collègues; et je crois qu'après nous, le +plus ancien et le plus digne, celui qui possède la meilleure +massue, c'est le Hêtre.... + +LE HÊTRE + +Vous savez que je suis vermoulu et que ma massue n'est point +sûre.... Mais l'Orme et le Cyprès ont de puissantes armes.... + +L'ORME + +Je ne demanderais pas mieux; mais je puis à peine me tenir +debout.... Une taupe, cette nuit, m'a retourné le gros orteil.... + +LE CYPRÈS + +Quant à moi, je suis prêt.... Mais, comme mon bon frère le Sapin, +j'aurai déjà , sinon le privilège de les ensevelir, tout au moins +l'avantage de pleurer sur leur tombe.... Ce serait illégitimement +cumuler.... Demandez au Peuplier.... + +LE PEUPLIER + +A moi?... Y pensez-vous?... Mais mon bois est plus tendre que la +chair d'un enfant!... Et puis, je ne sais ce que j'ai.... Je +tremble de fièvre.... Regardez donc mes feuilles.... J'ai dû +prendre froid ce matin au lever du soleil.... + +LE CHÊNE, [éclatant d'indignation.] + +Vous avez peur de l'Homme!... Même ces petits enfants isolés et +sans armes vous inspirent la terreur mystérieuse qui fit toujours +de nous les esclaves que nous sommes!... Eh bien, non! C'est +assez!... Puisqu'il en est ainsi, puisque l'heure est unique, +j'irai seul, vieux, perclus, tremblant, aveugle, contre l'ennemi +héréditaire!... Où est-il?... + + [Tâtonnant de son bâton, il s'avance vers Tyltyl.] + +TYLTYL, [tirant son couteau de sa poche.] + +C'est à moi qu'il en a, ce vieux-là , avec son gros bâton?... + + [Tous les autres Arbres, poussant un cri d'épouvante à la + vue du couteau, l'arme mystérieuse et irrésistible de + l'Homme, s'interposent et retiennent le Chêne.] + +LES ARBRES + +Le couteau!... Prenez garde!.... Le couteau!... + +LE CHÊNE, se débattant. + +Laissez-moi!... Que m'importe!... Le couteau ou la hache!... Qui +me retient?... Quoi! vous êtes tous ici?... Quoi! vous tous vous +voulez?... [Jetant son bâton] Eh bien, soit!... Honte à nous!... +Que les Animaux nous délivrent!... + +LE TAUREAU + +C'est cela!... Je m'en charge!... Et d'un seul coup de corne!... + +LE BÅ’UF et LA VACHE, [le retenant par la queue.] + +De quoi te mêles-tu?...Ne fais pas de bêtises!... C'est une +mauvaise affaire!... Cela finira mal.... C'est nous qui +trinquerons.... Laisse donc.... C'est affaire aux Animaux +sauvages.... + +LE TAUREAU + +Non, non!... C'est mon affaire!... Attendez!... Mais retenez-moi +donc ou je fais un malheur!... + +TYLTYL, [à Mytyl qui pousse des cris aigus.] + +N'aie pas peur!... Mets-toi derrière moi.... J'ai mon couteau.... + +LE COQ + +C'est qu'il est crâne, le petit!... + +TYLTYL + +Alors, c'est décidé, c'est à moi qu'on en veut?... + +L'ÂNE + +Mais bien sûr, mon petit, tu y a mis le temps, à t'en +apercevoir!... + +LE PORC + +Tu peux faire ta prière, va, c'est ta dernière heure. Mais ne +cache pas la petite fille.... Je veux m'en régaler les yeux.... +C'est elle que je mangerai la première.... + +TYLTYL + +Qu'est-ce que je vous ai fait?... + +LE MOUTON + +Rien du tout, mon petit.... Mangé mon petit frère, mes deux +sÅ“urs, mes trois oncles, ma tante, bon-papa, bonne-maman.... +Attends, attends, quand tu seras par terre, tu verras que j'ai +des dents aussi.... + +L'ÂNE + +Et que j'ai des sabots!... + +LE CHEVAL, [piaffant fièrement.] + +Vous allez voir ce que vous allez voir!... Aimez-vous mieux que +je le déchire à belles dents ou que je vous l'abatte à coups de +pied?... [Il s'avance magnifiquement sur Tyltyl qui lui fait face +en levant son couteau. Tout à coup, le Cheval, pris de panique, +tourne le dos et fuit à toutes jambes.] Ah! mais non!... Ce n'est +pas juste!... Ce n'est pas de jeu!... Il se défend!... + +LE COQ, [ne pouvant cacher son admiration.] + +C'est égal, le petit n'a pas froid aux yeux!... + +LE PORC, [à l'Ours et au Loup.] + +Précipitons-nous tous ensemble.... Je vous soutiendrai par +derrière.... Nous les renverserons et nous nous partagerons la +petite fille quand elle sera par terre.... + +LE LOUP + +Amusez-les par là .... Je vais faire un mouvement tournant.... + + [Il tourne Tyltyl qu'il attaque par derrière et renverse à demi.] + +TYLTYL + +Judas!... [Il se redresse sur un genou, brandissant son couteau +et couvrant de son mieux sa petite sÅ“ur qui pousse des +hurlements de détresse.--Le voyant à demi renversé, tous les +Animaux et les Arbres se rapprochent et cherchent à lui porter +des coups. L'obscurité se fait subitement. Éperdument, Tyltyl +appelle à l'aide.] A moi! A moi!... Tylô! Tylô!... Où est la +Chatte?... Tylô!... Tylette! Tylette!... Venez! venez!... + +LA CHATTE, [hypocritement, à l'écart.] + +Je ne peux pas.... Je viens de me fouler la patte.... + +TYLTYL, [parant les coups et se défendant de son mieux.] + +A moi!... Tylô! Tylô!... Je ne peux plus!... Ils sont trop!... +L'Ours! le Cochon! le Loup! l'Âne! le Sapin! le Hêtre!... Tylô! +Tylô! Tylô!... + + [Traînant ses liens brisés, le Chien bondit de derrière le + tronc du Chêne et, bousculant Arbres et Animaux, se jette + devant Tyltyl qu'il détend avec rage.] + +LE CHIEN, [tout en distribuant d'énormes coups de dent.] + +Voilà ! voilà ! mon petit dieu!... N'aie pas peur! Allons-y!... +J'ai de bons coups de gueule!... Tiens, voilà pour toi, l'Ours, +là dans ton gros derrière!...Voyons, qui en veut encore?... Voilà +pour le Cochon, et ça pour le Cheval et la queue du Taureau! +Voilà ! j'ai déchiré la culotte du Hêtre et le jupon du Chêne!... +Le Sapin f.... le camp!... C'est égal, il fait chaud!... + +TYLTYL, [accablé.] + +Je n'en peux plus!... Le Cyprès m'a donné un grand coup sur la +tête.... + +LE CHIEN + +Aïe! c'est un coup du Saule!... Il m'a cassé la patte!... + +TYLTYL + +Ils reviennent à la charge! Tous ensemble!... Cette fois, c'est +le Loup!... + +LE CHIEN + +Attends, que je l'étrenne!... + +LE LOUP + +Imbécile!... Notre frère!... Ses parents ont noyé tes petits!... + +LE CHIEN + +Ils ont bien fait!... Tant mieux!... C'est qu'ils te +ressemblaient!... + +TOUS LES ARBRES et TOUS LES ANIMAUX + +Renégat!... Idiot!... Traître! Félon! Nigaud!... Judas!... +Laisse-le! C'est la mort! Viens à nous! + +LE CHIEN, [ivre d'ardeur et de dévouement.] + +Non! non!... Seul contre tous!... Non, non!... Fidèle aux dieux! +aux meilleurs! aux plus grands!... [À Tyltyl.]Prends garde, voici +l'Ours!... Méfie-toi du Taureau.... Je vais lui sauter à la +gorge.... Aïe!... C'est un coup de pied.... L'Âne m'a cassé deux +dents.... + +TYLTYL + +Je ne peux plus, Tylô!... Aïe!... C'est un coup de l'Orme.... +Regarde, ma main saigne.... C'est le Loup ou le Porc.... + +LE CHIEN + +Attends, mon petit dieu.... Laisse-moi t'embrasser. Là , un bon +coup de langue.... Ça te fera du bien.... Reste bien derrière +moi.... Ils n'osent plus approcher.... Si!... Les voilà qui +reviennent!... Ah! ce coup, c'est sérieux!... Tenons ferme!... + +TYLTYL, [se laissant tomber sur le sol.] + +Non, ce n'est plus possible.... + +LE CHIEN + +On vient!... J'entends, je flaire!... + +TYLTYL + +Où donc?... Qui donc?... + +LE CHIEN + +Là ! là !... C'est la Lumière!... Elle nous a retrouvés!... +Sauvés, mon petit roi!... Embrasse-moi!... Sauvés!... regarde!... +Ils se méfient!... Ils s'écartent!... Ils ont peur!... + +TYLTYL + +La Lumière!... La Lumière!... Venez donc!... Hâtez-vous!... Ils +se sont révoltés!... Ils sont tous contre nous!... + + [Entre la Lumière: à mesure qu'elle s'avance, l'Aurore se + lève sur la forêt qui s'éclaire.] + +LA LUMIÈRE + +Qu'est-ce donc?... Qu'y a-t-il?...Mais, malheureux! tu ne savais +donc pas!... Tourne le Diamant! Ils rentreront dans le Silence et +dans l'Obscurité; et tu ne verras plus leurs sentiments.... + + [Tyltyl tourne le Diamant.--Aussitôt les âmes de tous les + Arbres se précipitent dans les troncs qui se referment. + --Les âmes des Animaux disparaissent également; et l'on + voit, au loin, brouter une Vache et un Mouton paisibles, + etc.--La Forêt redevient innocente. Étonné, Tyltyl regarde + autour de soi.] + +TYLTYL + +Où sont-ils?... Qu'avaient-ils?... Est-ce qu'ils étaient +fous?... + +LA LUMIÈRE + +Mais non, ils sont toujours ainsi; mais on ne le sait pas parce +qu'on ne le voit pas.... Je te l'avais bien dit: il est dangereux +de les réveiller quand je ne suis pas là .... + +TYLTYL, [essuyant son couteau.] + +C'est égal; sans le Chien et si je n'avais pas eu mon couteau.... +Je n'aurais jamais cru qu'ils fussent si méchants!... + +LA LUMIÈRE + +Tu vois bien que l'Homme est tout seul contre tous, en ce +monde.... + +LE CHIEN + +Tu n'as pas trop de mal, mon petit dieu?... + +TYLTYL + +Rien de grave.... Quant à Mytyl, ils ne l'ont pas touchée.... +Mais toi, mon bon Tylô?... Tu as la bouche en sang, et ta patte +est cassée?... + +LE CHIEN + +Pas la peine d'en parler.... Demain, il n'y paraîtra plus.... +Mais l'affaire était chaude!... + +LA CHATTE, [sortant d'un fourré en boitant.] + +Je crois bien!... Le BÅ“uf m'a donné un coup de corne dans le +ventre.... On n'en voit pas la trace, mais il me fait bien +mal.... Et le Chêne m'a cassé la patte.... + +LE CHIEN + +J'aimerais bien savoir laquelle.... + +MYTYL, caressant la Chatte. + +Ma pauvre Tylette, est-ce vrai?... Où donc te trouvais-tu?... Je +ne t'ai pas aperçue.... + +LA CHATTE, [hypocritement.] + +Petite mère, j'ai été blessée tout de suite, en attaquant le +vilain Porc qui voulait te manger.... C'est alors que le Chêne +m'a donné ce grand coup qui m'a étourdie.... + +LE CHIEN, [à la Chatte, entre les dents.] + +Toi, tu sais, j'ai deux mots à te dire.... Tu ne perdras rien +pour attendre!... + +LA CHATTE, [plaintivement, à Mytyl.] + +Petite mère, il m'insulte.... Il veut me faire du mal.... + +MYTYL, [au Chien.] + +Veux-tu bien la laisser tranquille, vilaine bête.... + +Ils sortent tous. + +RIDEAU + + + + +ACTE QUATRIÈME + + + + +SIXIÈME TABLEAU + +DEVANT LE RIDEAU + + * * * * * + + [Entrent Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Chien, le Chat, le + Pain, le Feu, le Sucre, l'Eau et le Lait.] + +LA LUMIÈRE + +J'ai reçu un petit mot de la Fée Bérylune qui m'apprend que +l'Oiseau-Bleu se trouve probablement ici.... + +TYLTYL + +Où ça?... + +LA LUMIÈRE + +Ici, dans le cimetière qui est derrière ce mur.... Il paraît +qu'un des morts de ce cimetière le cache dans la tombe.... Reste +à savoir lequel.... Il faudra qu'on les passe en revue.... + +TYLTYL + +En revue?... Comment qu'on fera?... + +LA LUMIÈRE + +C'est bien simple: à minuit, pour ne pas trop les déranger, tu +tourneras le Diamant. On les verra sortir de terre; ou bien on +apercevra au fond de leurs tombes ceux qui ne sortent pas.... + +TYLTYL + +Ils ne seront pas fâchés?... + +LA LUMIÈRE + +Nullement, ils ne s'en douteront même pas.... Ils n'aiment pas +qu'on les dérange; mais comme de toutes façons ils ont coutume de +sortir à minuit, cela ne les gênera pas.... + +TYLTYL + +Pourquoi que le Pain, le Sucre et le Lait sont si pâles et +pourquoi qu'ils ne disent rien?... + +LE LAIT, [chancelant.] + +Je sens que je vais tourner.... + +LA LUMIÈRE, [bas, à Tyltyl.] + +Ne fais pas attention.... Ils ont peur des morts.. + +LE FEU, [gambadant.] + +Moi, je n'en ai pas peur!... J'ai l'habitude de les brûler.... +Dans les temps, je les brûlais tous; c'était bien plus amusant +qu'aujourd'hui.... + +TYLTYL + +Et pourquoi Tylô tremble-t-il?... Est-ce qu'il a peur aussi? + +LE CHIEN, [claquant des dents.] + +Moi?... Je ne tremble pas!... Moi, je n'ai jamais peur; mais si +tu t'en allais, je m'en irais aussi.... + +TYLTYL + +Et la Chatte ne dit rien?... + +LA CHATTE, [mystérieuse.] + +Je sais ce que c'est.... + +TYLTYL, [à la Lumière.] + +Tu viendras avec nous?... + +LA LUMIÈRE + +Non, il est préférable que je reste à la porte du cimetière avec +les Choses et les Animaux.... L'heure n'est pas venue.... La +Lumière ne peut pas encore pénétrer chez les morts.... Je vais te +laisser seul avec Mytyl.... + +TYLTYL + +Et Tylô ne peut pas rester avec-nous?... + +LE CHIEN + +Si, si, je reste, je reste ici.... Je veux rester près de mon +petit dieu!... + +LA LUMIÈRE + +C'est impossible.... L'ordre de la Fée est formel; du reste, il +n'y a rien à craindre.... + +LE CHIEN + +Bien, bien, tant pis.... S'ils sont méchants, mon petit dieu, tu +n'as qu'à faire comme ça [il siffle.] et tu verras.... Ce sera +comme dans la forêt: Wa! Wa! Wa!... + +LA LUMIÈRE + +Allons, adieu, mes chers petits.... Je ne serai pas loin.... +[Elle embrasse les enfants.] Ceux qui m'aiment et que j'aime me +retrouvent toujours.... [Aux Choses et aux Animaux.] Vous +autres.... par ici. + + [Elle sort avec les Choses et les Animaux. Les enfants + restent seuls au milieu de la scène. Le rideau s'ouvre pour + découvrir le septième tableau.] + + + + + +SEPTIÈME TABLEAU + +LE CIMETIÈRE + + +Il fait nuit. Clair de lune. Un cimetière de campagne. +Nombreuses tombes, tertres de gazon, croix de bois, +dalles funéraires, etc. + + * * * * * + + [Tyltyl et Mytyl sont debout près d'un cippe.] + +MYTYL + +J'ai peur. + +TYLTYL, [assez peu rassuré.] + +Moi, je n'ai jamais peur.... + +MYTYL + +C'est méchant, les morts, dis?.. + +TYLTYL + +Mais non, puisqu'ils ne vivent pas.... + +MYTYL + +Tu en as déjà vu?... + +TYLTYL + +Oui, une fois, dans le temps, lorsque j'étais très jeune.... + +MYTYL + +Comment c'est fait, dis?... + +TYLTYL + +C'est tout blanc, très tranquille et très froid, et ça ne parle +pas.... + +MYTYL + +Nous allons les voir, dis?... + +TYLTYL + +Bien sûr, puisque la Lumière l'a promis.... + +MYTYL + +Où c'est qu'ils sont, les morts?... + +TYLTYL + +Ici, sous le gazon ou sous ces grosses pierres. + +MYTYL + +Ils sont là toute l'année?... + +TYLTYL + +Oui. + +MYTYL, [montrant les dalles.] + +C'est les portes de leurs maisons?... + +TYLTYL + +Oui. + +MYTYL + +Est-ce qu'ils sortent quand il fait beau?... + +TYLTYL + +Ils ne peuvent sortir qu'à la nuit.... + +MYTYL + +Pourquoi?... + +TYLTYL + +Parce qu'ils sont en chemise.... + +MYTYL + +Est-ce qu'ils sortent aussi quand il pleut?. + +TYLTYL + +Quand il pleut, ils restent chez eux.... + +MYTYL + +C'est beau chez eux, dis?... + +TYLTYL + +On dit que c'est fort étroit.... + +MYTYL + +Est-ce qu'ils ont des petits enfants?... + +TYLTYL + +Bien sûr; ils ont tous ceux qui meurent.... + +MYTYL + +Et de quoi vivent-ils?... + +TYLTYL + +Ils mangent des racines.... + +MYTYL + +Est-ce que nous les verrons?... + +TYLTYL + +Bien sûr, puisqu'on voit tout quand le Diamant est tourné. + +MYTYL + +Et qu'est-ce qu'ils diront?... + +TYLTYL + +Ils ne diront rien, puisqu'ils ne parlent pas.... + +MYTYL + +Pourquoi qu'ils ne parlent pas?... + +TYLTYL + +Parce qu'ils n'ont rien à dire.... + +MYTYL + +Pourquoi qu'ils n'ont rien à dire?... + +TYLTYL + +Tu m'embêtes.... + + [Un silence.] + +MYTYL + +Quand tourneras-tu le Diamant?... + +TYLTYL + +Tu sais bien que la Lumière a dit d'attendre à minuit, parce +qu'alors on les dérange moins.... + +MYTYL + +Pourquoi qu'on les dérange moins?... + +TYLTYL + +Parce que c'est l'heure où ils sortent prendre l'air. + +MYTYL + +Il n'est pas minuit?... + +TYLTYL + +Vois-tu le cadran de l'église?... + +MYTYL + +Oui, je vois même la petite aiguille.... + +TYLTYL + +Et bien! minuit va sonner.... Là !... Tout juste.... +Entends-tu?... + +On entend sonner les douze coups de minuit. + +MYTYL + +Je veux m'en aller!... + +TYLTYL + +Ce n'est pas le moment.... Je vais tourner le Diamant.... + +MYTYL + +Non, non!... Ne le fais pas!... Je veux m'en aller!... J'ai si +peur, petit frère!... J'ai terriblement peur!... + +TYLTYL + +Mais il n'y a pas de danger.... + +MYTYL + +Je ne veux pas voir les morts!... Je ne veux pas les voir!... + +TYLTYL + +C'est bon, tu ne les verras pas, tu fermeras les yeux.... + +MYTYL, [s'accrochant aux vêtements de Tyltyl.] + +Tyltyl, je ne peux pas!... Non, ce n'est pas possible!... Ils +vont sortir de terre!... + +TYLTYL + +Ne tremble pas ainsi.... Ils ne sortiront qu'un moment.... + +MYTYL + +Mais tu trembles aussi, toi!... Ils seront effrayants!... + +TYLTYL + +Il est temps, l'heure passe.... + + [Tyltyl tourne le Diamant. Une terrifiante minute de silence + et d'immobilité; après quoi, lentement, les croix + chancellent, les tertres s'entr'ouvrent, les dalles se + soulèvent.] + +MYTYL, [se blottissant contre Tyltyl.] + +Ils sortent!... Ils sont là !... + + [Alors, de toutes les tombes béantes monte graduellement une + floraison d'abord grêle et timide comme une vapeur d'eau, + puis blanche et virginale et de plus en plus touffue, de + plus en plus haute, surabondante et merveilleuse, qui peu à + peu, irrésistiblement, envahissant toutes choses, transforme + le cimetière en une sorte de jardin féerique et nuptial, sur + lequel ne tardent pas à se lever les premiers rayons de + l'aube. La rosée scintille, les fleurs s'épanouissent, le + vent murmure dans les feuilles, les abeilles bourdonnent, + les oiseaux s'éveillent et inondent l'espace des premières + ivresses de leurs hymnes au soleil et à la vie. Stupéfaits, + éblouis, Tyltyl et Mytyl, se tenant par la main, font + quelques pas parmi les fleurs en cherchant la trace des + tombes.] + +MYTYL, [cherchant dans le gazon.] + +Où sont-ils, les morts?... + +TYLTYL, [cherchant de même.] + +Il n'y a pas de morts.... + + +RIDEAU + + + + +HUITIÈME TABLEAU + +DEVANT LE RIDEAU QUI REPRÉSENTE DE BEAUX NUAGES + + + Entrent: Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Chien, la Chatte, le + Pain, le Feu, le Sucre, l'Eau et le Lait. + + * * * * * + +LA LUMIÈRE + +Je crois que cette fois nous tenons L'Oiseau-Bleu. J'aurais dû y +penser dès la première étape.... Ce n'est que ce matin, en +reprenant mes forces dans l'aurore, que l'idée m'est venue comme +un rayon du ciel.... Nous sommes à l'entrée des jardins enchantés +où se trouvent réunis sous la garde du Destin, toutes les Joies, +tous les Bonheurs des Hommes.... + +TYLTYL + +Il y en a beaucoup? Est-ce qu'on en aura? Est-ce qu'ils sont +petits?... + +LA LUMIÈRE + +Il en est de petits et de grands, de gros et de délicats, de très +beaux et d'autres qui sont moins agréables.... Mais les plus +vilains furent, il y a quelque temps, expulsés des jardins et +cherchèrent refuge chez les Malheurs. Car il faut remarquer que +les Malheurs habitent un autre contigu, qui communique avec le +jardin des Bonheurs et n'en est séparé que par une sorte de +vapeur ou de rideau subtil que le vent qui souffle des hauteurs +de la Justice ou du fond de l'Éternité soulève à chaque +instant.... Maintenant, il s'agit de s'organiser et de prendre +certaines précautions. En général, les Bonheurs sont fort bons, +pourtant il en est quelques-uns qui sont plus dangereux et plus +perfides que les plus grands Malheurs.... + +LE PAIN + +J'ai une idée! S'ils sont dangereux et perfides, ne serait-il +pas préférable que nous attendissions tous à la porte, afin +d'être à même de prêter main-forte aux enfants s'ils étaient +obligés de fuir?... + +LE CHIEN + +Pas du tout! pas du tout!... Je veux aller partout avec mes +petits dieux!... Que tous ceux qui ont peur restent donc à la +porte!... Nous n'avons pas besoin [Regardant le Pain]. de +poltrons, [Regardant la Chatte] ni de traîtres.... + +LE FEU + +Moi, j'y vais!... Il paraît que c'est amusant!... On y danse tout +le temps.... + +LE PAIN + +Est-ce qu'on y mange aussi?... + +L'EAU, [gémissant.] + +Je n'ai jamais connu le plus petit Bonheur!... Je veux en voir +enfin!... + +LA LUMIÈRE + +Taisez-vous! Personne ne demande vos avis.... Voici ce que j'ai +décidé: le Chien, le Pain et le Sucre accompagneront les enfants. +L'Eau n'entrera pas, parce qu'elle est trop froide, ni le Feu qui +est trop turbulent. J'engage vivement le Lait à rester à la +porte, parce qu'il est trop impressionnable; quant à la Chatte, +elle fera comme elle voudra.... + +LE CHIEN + +Elle a peur!... + +LA CHATTE + +J'irai saluer en passant quelques Malheurs qui sont de vieux amis +et habitent à côté des Bonheurs.... + +TYLTYL + +Et toi, la Lumière, est-ce que tu ne viens pas?... + +LA LUMIÈRE + +Je ne peux pas entrer ainsi chez les Bonheurs; la plupart ne me +supportent pas.... Mais j'ai ici le voile épais dont je me +couvre quand je visite les gens heureux.... [Elle déplie un long +voile dont elle s'enveloppe soigneusement.] Il ne faut pas qu'un +rayon de mon âme les effraye, car il est beaucoup de Bonheurs qui +ont peur et ne sont pas heureux.... Voilà , de cette façon, les +moins jolis et les plus gros eux-mêmes n'auront plus rien à +redouter.... + + [Le rideau s'ouvre pour découvrir le neuvième tableau.] + + + + +NEUVIÈME TABLEAU + +LES JARDINS DES BONHEURS + + +Quand s'ouvre le rideau, on découvre, prise sur les premiers +plans des jardins, une sorte de salle formée de hautes colonnes +de marbre entre lesquelles, masquant tout le fond, sont tendues +de lourdes draperies de pourpre que soutiennent des cordages +d'or. Architecture rappelant les moments les plus sensuels et les +plus somptueux de la Renaissance (vénitienne ou flamande Véronèse +et Rubens). Guirlandes, cornes d'abondance, torsades, vases, +statues, dorures prodigués de toutes parts.--Au milieu, massive +et féerique table de jaspe et de vermeil, encombrée de flambeaux, +de cristaux, de vaisselle d'or et d'argent et surchargée de mets +fabuleux.--Autour de la table, mangent, boivent, hurlent, +chantent, s'agitent, se vautrent ou s'endorment parmi les +venaisons, les fruits miraculeux, les aiguières et les amphores +renversées, les plus gros Bonheurs de la terre. Ils sont énormes, +invraisemblablement obèses et rubiconds, couverts de velours et +de brocarts, couronnés d'or, de perles et de pierreries. De +belles esclaves apportent, sans cesse des plats empanachés et des +breuvages écumiants.--Musique vulgaire, hilare et brutale où +dominent les cuivres.--Une lumière lourde et rouge baigne la +scène. + + * * * * * + + [Tyltyl, Mytyl, le Chien, le Pain et le Sucre, d'abord assez + intimidés, se pressent, à droite, au premier plan, autour de + la Lumière. La Chatte, sans rien dire, se dirige vers le + fond, également à droite, soulève un rideau sombre et + disparaît.] + +TYLTYL + +Qu'est-ce que ces gros messieurs qui s'amusent et mangent tant de +bonnes choses? + +LA LUMIÈRE + +Ce sont les plus gros Bonheurs de la Terre, ceux qu'on peut voir +à l'Å“il nu. Il est possible, bien qu'assez peu probable, que +l'Oiseau-Bleu se soit un instant égaré parmi eux. C'est pourquoi +ne tourne pas encore le Diamant. Nous allons, pour la forme, +explorer tout 'd'abord cette partie de la salle. + +TYLTYL + +Est-ce qu'on peut s'approcher? + +LA LUMIÈRE + +Certainement. Ils ne sont pas méchants, bien que vulgaires et, +d'habitude, assez mal élevés. + +MYTYL + +Qu'ils ont de beaux gâteaux!... + +LE CHIEN + +Et du gibier! et des saucisses! et des gigots d'agneau et du foie +de veau!... [Proclamant.] Rien au monde n'est meilleur, rien +n'est plus beau et rien ne vaut le foie de veau!... + +LE PAIN + +Excepté les Pains-de-quatre-livres pétris de fine fleur de +froment! Ils en ont d'admirables!... Qu'ils sont beaux! qu'ils +sont beaux!... Ils sont plus gros que moi!... + +LE SUCRE + +Pardon, pardon, mille pardons.... Permettez, permettez.... Je ne +voudrais froisser personne; mais n'oubliez-vous pas les Sucreries +qui sont la gloire de cette table et dont l'éclat et la +magnificence surpassent, si j'ose m'exprimer ainsi, tout ce qu'il +y a dans cette salle et peut-être en tout autre lieu.... + +TYLTYL + +Qu'ils ont l'air contents et heureux!... Et ils crient! et ils +rient! et ils chantent!... Je crois qu'ils nous ont vus.... + + [En effet, une douzaine des plus Gros Bonheurs se sont levés + de table et s'avancent péniblement, en soutenant leur + ventre, vers le groupe des enfants.] + +LA LUMIÈRE + +Ne crains rien, ils sont très accueillants.... Ils vont +probablement t'inviter à dîner.... N'accepte pas, n'accepte rien, +de peur d'oublier ta mission.... + +TYLTYL + +Quoi? Pas même un petit gâteau? Ils ont l'air si bons, si frais, +si bien glacés de sucre, ornés de fruits confits et débordants de +crème!... + +LA LUMIÈRE + +Ils sont dangereux et briseraient ta volonté. Il faut savoir +sacrifier quelque chose au devoir qu'on remplit. Refuse poliment +mais avec fermeté. Les voici.... + +LE PLUS GROS DES BONHEURS, [tendant la main à Tyltyl.] + +Bonjour, Tyltyl!... + +TYLTYL, [étonné.] + +Vous me connaissez donc?... Qui êtes-vous?... + +LE GROS BONHEUR + +Je suis le plus gros des Bonheurs, le Bonheur-d'être-riche, et je +viens, au nom de mes frères, vous prier, vous et votre famille, +d'honorer de votre présence notre repas sans fin. Vous vous +trouverez au milieu de tout ce qu'il y a de mieux parmi les vrais +et gros Bonheurs de de cette Terre. Permettez que je vous +présente les principaux d'entre eux. Voici mon gendre, le +Bonheur-d'être-propriétaire, qui a le ventre en poire. Voici le +Bonheur-de-la-vanité-satisfaite, dont le visage est si +gracieusement bouffi. [Le Bonheur-de-la-vanité-satisfaite salue +d'un air protecteur.] Voici le +Bonheur-de-boire-quand-on-n'a-plus-soif et le +Bonheur-de-manger-quand-on-n'a-plus-faim, qui sont jumeaux et +ont les jambes en macaroni. [Ils saluent en chancelant.] Voici le +Bonheur-de-ne-rien-savoir, qui est sourd comme une limande, et le +Bonheur-de-ne-rien-comprendre, qui est aveugle comme une taupe. +Voici le Bonheur-de-ne-rien-faire et le +Bonheur-de-dormir-plus-qu'il-n'est-nécessaire, qui ont les mains +en mie de pain et les yeux en gelée de pêche. Voici enfin le +Rire-Épais qui est fendu jusqu'aux oreilles et auquel rien ne +peut résister.... + + [Le Rire-Épais salue en se tordant.] + +TYLTYL, [montrant du doigt un Gros Bonheur qui se tient un peu à +l'écart.] + +Et celui-là , qui n'ose pas approcher et nous tourne le dos?... + +LE GROS BONHEUR + +N'insistez pas, il est un peu gêné et n'est pas présentable à des +enfants.... [Saisissant les mains de Tyltyl.] Mais venez donc! On +recommence le festin.... C'est la douzième fois depuis l'aurore. +On n'attend plus que vous.... Entendez-vous tous les convives qui +vous réclament à grands cris?... Je ne puis vous les présenter +tous, ils sont extrêmement nombreux.... [Offrant le bras aux deux +enfants.] Permettez que je vous conduise aux deux places +d'honneur.... + +TYLTYL + +Je vous remercie bien, monsieur le Gros Bonheur.... Je regrette +vivement.... Je ne peux pas pour le moment.... Nous sommes très +pressés, nous cherchons l'Oiseau-Bleu. Vous ne sauriez pas, par +hasard, où il se cache? + +LE GROS BONHEUR + +L'Oiseau-Bleu?... Attendez donc.... Oui, oui, je me rappelle.... +On m'en a parlé dans le temps.... C'est, je crois, un oiseau qui +n'est pas comestible.... En tout cas, il n'a jamais paru sur +notre table.... C'est vous dire qu'on le tient en médiocre +estime.... Mais ne vous mettez pas en peine; nous avons tant +d'autres choses bien meilleures.... Vous allez vous mêler à notre +vie, vous verrez tout ce que nous faisons.... + +TYLTYL + +Que faites-vous? + +LE GROS BONHEUR + +Mais nous nous occupons sans cesse à ne rien faire.... Nous +n'avons pas une minute de repos.... Il faut boire, il faut +manger, il faut dormir. C'est extrêmement absorbant.... + +TYLTYL + +Est-ce que c'est amusant? + +LE GROS BONHEUR + +Mais oui.... Il le faut bien, il n'y a pas autre chose sur cette +Terre.... + +LA LUMIÈRE + +Croyez-vous?... + +LE GROS BONHEUR, [indiquant du doigt la Lumière, bas, à Tyltyl.] + +Quelle est cette jeune personne mal élevée?... + + [Durant toute la conversation précédente, une foule de Gros + Bonheurs de second ordre s'est occupée du Chien, du Sucre et + du Pain, et les a entraînés vers l'orgie. Tyltyl aperçoit + soudain ces derniers qui, attablés fraternellement avec + leurs hôtes, mangent, boivent et se trémoussent follement.] + +TYLTYL + +Voyez donc, la Lumière!... Ils sont à table!... + +LA LUMIÈRE + +Rappelle-les! sinon cela finira mal!... + +TYLTYL + +Tylô!...Tylô! ici!... Veux-tu venir ici, tout de suite, +entends-tu!... Et vous, là -bas, le Sucre et le Pain, qui donc +vous a permis de me quitter?... Qu'est-ce que vous faites là , +sans autorisation?... + +LE PAIN, [la bouche pleine.] + +Est-ce que tu ne pourrais pas nous parler plus poliment?... + +TYLTYL + +Quoi? C'est le Pain qui se permet de me tutoyer?... Mais +qu'est-ce qui te prend?... Et toi, Tylô!... Est-ce ainsi qu'on +obéit? Allons, viens ici, à genoux, à genoux!... Et plus vite que +ça!... + +LE CHIEN, [à mi-voix et du bout de la table.] + +Moi, quand je mange, je n'y suis pour personne et je n'entends +plus rien.... + +LE SUCRE, [mielleusement.] + +Excusez-nous, nous ne saurions quitter ainsi, sans les froisser, +d'aussi aimables hôtes.... + +LE GROS BONHEUR + +Vous voyez!... Ils vous donnent l'exemple.... Venez, on vous +attend.... Nous n'admettons pas de refus.... On vous fera une +douce violence.... Allons, les Gros Bonheurs, aidez-moi!... +Poussons-les de force vers la table, pour qu'ils soient heureux +malgré eux!... + + [Tous les Gros Bonheurs, avec des cris de joie et gambadant + de leur mieux, entraînent les enfants qui se débattent, + tandis que le Rire-Épais saisit vigoureusement la Lumière + par la taille.] + +LA LUMIÈRE + +Tourne le Diamant, il est temps!... + + [Tyltyl fait ce qu'ordonne la Lumière. Aussitôt la scène + s'illumine d'une clarté ineffablement pure, divinement + rosée, harmonieuse et légère. Les lourds ornements du + premier plan, les épaisses tentures rouges se détachent et + disparaissent, dévoilant un fabuleux et doux jardin de paix + légère et de sérénité, une sorte de palais de verdure aux + perspectives harmonieuses, où la magnificence des + feuillages, puissants et lumineux, exubérants et néanmoins + disciplinés, où l'ivresse virginale des fleurs et la fraîche + allégresse des eaux qui coulent, ruissellent et jaillissent + de toutes parts semblent entraîner jusqu'aux confins de + l'horizon l'idée même de la félicité. La table de l'orgie + s'effondre sans laisser de traces; les velours, les + brocarts, les couronnes des Gros Bonheurs, au souffle + lumineux qui envahit la scène, se soulèvent, se déchirent et + tombent, en même temps que les masques hilares, aux pieds + des convives abasourdis. Ceux-ci se dégonflent à vue + d'Å“il, comme des vessies crevées, s'entre-regardent, + clignotent sous les rayons inconnus qui les blessent, et, se + voyant enfin tels qu'ils sont en vérité, c'est-à -dire nus, + hideux, flasques et lamentables, se mettent à pousser des + hurlements de honte et d'épouvante, parmi lesquels on + distingue très nettement ceux du Rire-Épais qui dominent + tous les autres. Seul le Bonheur-de-ne-rien-comprendre + demeure parfaitement calme, tandis que ses collègues + s'agitent éperdument, cherchent à fuir, à se cacher dans les + coins qu'ils espèrent plus sombres. Mais il n'y a plus + d'ombre dans le jardin éblouissant. Aussi la plupart se + décident-ils à franchir, en désespoir de cause, le rideau + menaçant qui, sur là droite, dans un angle, ferme la voûte + de la caverne des Malheurs. A chaque fois que l'un d'eux, + dans la panique, soulève un pan de ce rideau, on entend + s'élever du creux de l'antre une tempête d'injures, + d'imprécations et de malédictions. Quant au Chien, au Pain + et au Sucre, l'oreille basse, ils rejoignent le groupe des + enfants, et, très penauds, se dissimulent derrière eux.] + +TYLTYL, [regardant fuir les Gros Bonheurs.] + +Dieu qu'ils sont laids!... Où vont-ils?... + +LA LUMIÈRE + +Ma foi, je crois qu'ils ont perdu la tête.... Ils vont se +réfugier chez les Malheurs où je crains fort qu'on ne les +retienne définitivement.... + +TYLTYL, [regardant autour de soi, émerveillé.] + +Oh! le beau jardin, le beau jardin!... Où sommes-nous?... + +LA LUMIÈRE + +Nous n'avons pas changé de place; ce sont tes yeux qui ont changé +de sphère.... Nous voyons à présent la vérité des choses; et nous +allons apercevoir l'âme des Bonheurs qui supportent la clarté du +Diamant. + +TYLTYL + +Que c'est beau!... Qu'il fait beau!... On se croirait en plein +été.... Tiens! on dirait qu'on s'approche et qu'on va s'occuper +de nous.... + + [En effet, les jardins commencent à se peupler de formes + angéliques qui semblent sortir d'un long sommeil et glissent + harmonieusement entre les arbres. Elles sont vêtues de robes + lumineuses, aux subtiles et suaves nuances: réveil de rose, + sourire d'eau, azur d'aurore, rosée d'ambre, etc.... ] + +LA LUMIÈRE + +Voici que s'avancent quelques Bonheurs aimables et curieux qui +vont nous renseigner.... + +TYLTYL + +Tu les connais?... + +LA LUMIÈRE + +Oui, je les connais tous; je viens souvent chez eux, sans qu'ils +sachent qui je suis.... + +TYLTYL + +Il y en a, il y en a!... Ils sortent de tous côtés!... + +LA LUMIÈRE + +Il y en avait beaucoup plus dans le temps. Les Gros Bonheurs leur +ont fait bien du tort. + +TYLTYL + +C'est égal, il en reste pas mal.... + +LA LUMIÈRE + +Tu en verras bien d'autres, à mesure que l'influence du Diamant +se répandra parmi les jardins.... On trouve sur la Terre beaucoup +plus de Bonheurs qu'on ne croit; mais la plupart des Hommes ne +les découvrent point.... + +TYLTYL + +En voici de petits qui s'avancent, courons à leur rencontre.... + +LA LUMIÈRE + +C'est inutile; ceux qui nous intéressent passeront par ici. Nous +n'avons pas le temps de faire la connaissance de tous les +autres.... + + [Une bande de Petits Bonheurs, gambadant et riant aux éclats, + accourt du fond des verdures et danse une ronde autour des + enfants.] + +TYLTYL + +Qu'ils sont jolis, jolis!... D'où viennent-ils, qui sont-ils?... + +LA LUMIÈRE + +Ce sont les Bonheurs des enfants.... + +TYLTYL + +Est-ce qu'on peut leur parler?... + +LA LUMIÈRE + +C'est inutile. Ils chantent, ils dansent, ils rient, mais ils ne +parlent pas encore.... + +TYLTYL, frétillant. + +Bonjour! Bonjour!... Oh! le gros, là , qui rit!... Qu'ils ont de +belles joues, qu'ils ont de belles robes!... Ils sont tous riches +ici?... + +LA LUMIÈRE + +Mais non, ici comme partout, il y a bien plus de pauvres que de +riches.... + +TYLTYL + +Où sont les pauvres?... + +LA LUMIÈRE + +On ne peut pas les distinguer.... Le Bonheur d'un enfant est +toujours revêtu de ce qu'il y a de plus beau sur terre et dans +les cieux. + +TYLTYL, [ne tenant plus en place.] + +Je voudrais danser avec eux.... + +LA LUMIÈRE + +C'est absolument impossible, nous n'avons pas le temps.... Je +vois qu'ils n'ont pas l'Oiseau-Bleu.... Du reste, ils sont +pressés, tu vois, ils sont déjà passés.... Eux non plus n'ont pas +de temps à perdre, car l'enfance est très brève.... + + [Une autre bande de Bonheurs, un peu plus grands que les + précédents, se précipite dans le jardin, et chantant à + tue-tête: «Les voilà ! les voilà ! Ils nous voient! Ils nous + voient!...» danse autour des enfants une joyeuse farandole, + à la fin de laquelle, celui qui paraît être le chef de la + petite troupe s'avance vers Tyltyl en lui tendant la main.] + +LE BONHEUR + +Bonjour, Tyltyl!... + +TYLTYL + +Encore un qui me connaît!... [A la Lumière.] On commence à me +connaître un peu partout.... Qui es-tu?... + +LE BONHEUR + +Tu ne me reconnais pas?... Je parie que tu ne reconnais aucun de +ceux qui sont ici?... + +TYLTYL, [assez embarrassé.] + +Mais non.... Je ne sais pas.... Je ne me rappelle pas vous avoir +vus.... + +LE BONHEUR + +Vous entendez?... J'en étais sûr!... Il ne nous a jamais vus!... +[Tous les autres Bonheurs de la bande éclatent de rire.] Mais, +mon petit Tyltyl, tu ne connais que nous!... Nous sommes toujours +autour de toi!... Nous mangeons, nous buvons, nous nous +éveillons, nous respirons, nous vivons avec toi!... + +TYLTYL + +Oui, oui, parfaitement, je sais, je me rappelle.... Mais je +voudrais savoir comment on vous appelle.... + +LE BONHEUR + +Je vois bien que tu ne sais rien.... Je suis le chef des +Bonheurs-de-ta-maison; et tous ceux-ci sont les autres Bonheurs +qui l'habitent.... + +TYLTYL + +Il y a donc des Bonheurs à la maison?... + + [Tous les Bonheurs éclatent de rire.] + +LE BONHEUR + +Vous l'avez entendu!... S'il y a des Bonheurs dans ta maison!... +Mais, petit malheureux, elle en est pleine à faire sauter les +portes et les fenêtres!... Nous rions, nous chantons, nous créons +de la joie à refouler les murs, à soulever les toits; mais nous +avons beau faire, tu ne vois rien, tu n'entends rien.... J'espère +qu'à l'avenir tu seras un peu plus raisonnable.... En attendant, +tu vas serrer la main aux plus notables.... Une fois rentré chez +toi, tu les reconnaîtras ainsi plus facilement.... Et puis, à la +fin d'un beau jour, tu sauras les encourager d'un sourire, les +remercier d'un mot aimable, car ils font vraiment tout ce qu'ils +peuvent pour te rendre la vie légère et délicieuse.... Moi +d'abord, ton serviteur, le Bonheur-de-se-bien-porter.... Je ne +suis pas le plus joli, mais le plus sérieux. Tu me +reconnaîtras?... Voici le Bonheur-de-l'air-pur, qui est à peu +près transparent.... Voici le Bonheur-d'aimer-ses-parents, qui +est vêtu de gris et toujours un peu triste, parce qu'on ne le +regarde jamais.... Voici le Bonheur-du-ciel-bleu, qui est +naturellement vêtu de bleu; et le Bonheur-de-la-forêt qui, non +moins naturellement, est habillé de vert, et que tu reverras +chaque fois que tu te mettras à la fenêtre.... Voici encore le +bon Bonheur-des-heures-de soleil qui est couleur de diamant, et +celui du-Printemps qui est d'émeraude folle.... + +TYLTYL + +Et vous êtes aussi beaux tous les jours?... + +LE BONHEUR + +Mais oui, c'est tous les jours dimanche, dans toutes les maisons, +quand on ouvre les yeux.... Et puis, quand vient le soir, voici +le Bonheur-des-couchers-de-soleil, qui est plus beau que tous les +rois du monde; et que suit le +Bonheur-devoir-se-lever-les-étoiles, doré comme un dieu +d'autrefois.... Puis, quand il fait mauvais, voici le +Bonheur-de-la-pluie qui est couvert de perles, et le +Bonheur-du-feu-d'hiver qui ouvre aux mains gelées son beau +manteau de pourpre.... Et je ne parle pas du meilleur de tous, +parce qu'il est presque frère des grandes Joies limpides que vous +verrez bientôt, et qui est le Bonheur-des-pensées-innocentes, le +plus clair d'entre nous.... Et puis, voici encore.... Mais +vraiment, ils sont trop!... Nous n'en finirions pas, et je dois +prévenir d'abord les Grandes-Joies qui sont là -haut, au fond, +près des portes du ciel, et ne savent pas encore que vous êtes +arrivés.... Je vais leur dépêcher le +Bonheur-de-courir-nu-pieds-dans-la-rosée, qui est le plus +agile.... [Au Bonheur qu'il vient de nommer et qui s'avance en +faisant des cabrioles.] Va!... + + [A ce moment, une sorte de diablotin en maillot noir, + bousculant tout le monde en poussant des cris inarticulés, + s'approche de Tyltyl, et gambade follement en l'accablant de + nasardes, taloches et coups de pied insaisissables.] + +TYLTYL, [ahuri et profondément indigné.] + +Qu'est-ce que c'est que ce sauvage? + +LE BONHEUR + +Bon! c'est encore le Plaisir-d'être-insupportable qui s'est +échappé de la caverne des Malheurs. On ne sait où l'enfermer. Il +s'évade de partout, et les Malheurs eux-mêmes ne veulent plus le +garder. + + [Le diablotin continue de lutiner Tyltyl qui essaye + vainement de se défendre, puis, soudain, riant aux éclats, + disparaît sans raison, comme il était venu.] + +TYLTYL + +Qu'est-ce qu'il a? Il est un peu fou? + +LA LUMIÈRE + +Je ne sais. Il paraît que c'est ainsi que tu es toi-même lorsque +tu n'es pas sage. Mais en attendant, il faudrait s'informer de +l'Oiseau-Bleu. Il se peut que le chef des Bonheurs-de-ta-maison +n'ignore pas où il se trouve.... + +TYLTYL + +Où est-il?... + +LE BONHEUR + +Il ne sait pas où se trouve l'Oiseau-Bleu!... + + [Tous les Bonheurs-de-la-maison éclatent de rire.] + +TYLTYL, [vexé.] + +Mais non, je ne sais pas.... Il n'y a pas de quoi rire.... + + [Nouveaux éclats de rires.] + +LE BONHEUR + +Voyons, ne te fâche pas.... et puis, soyons sérieux.... Il ne +sait pas, que voulez-vous, il n'est pas plus ridicule que la +plupart des Hommes.... Mais voici que le petit +Bonheur-de-courir-nu-pieds-dans-la-rosée a prévenu les +Grandes-Joies qui s'avancent vers nous.... + + [En effet, les hautes et belles figures angéliques, vêtues + de robes lumineuses, s'approchent lentement.] + +TYLTYL + +Qu'elles sont belles!... Pourquoi ne rient-elles pas?... Ne +sont-elles pas heureuses?... + +LA LUMIÈRE + +Ce n'est pas quand on rit qu'on est le plus heureux.... + +TYLTYL + +Qui sont-elles?... + +LE BONHEUR + +Ce sont les Grandes-Joies.... + +TYLTYL + +Tu sais leurs noms?... + +LE BONHEUR + +Naturellement, nous jouons souvent avec elles.... Voici d'abord: +devant les autres, la Grande-Joie-d'être-juste, qui sourit chaque +fois qu'une injustice est réparée,--je suis trop jeune, je ne +l'ai pas encore vu sourire. Derrière elle, c'est la +Joie-d'être-bonne, qui est la plus heureuse, mais la plus triste; +et qu'on a bien du mal à empêcher d'aller chez les Malheurs +qu'elle voudrait consoler. A droite, c'est la +Joie-du-travail-accompli à côté de la Joie-de-penser. Ensuite, +c'est la Joie-de-comprendre qui cherche toujours son frère, le +Bonheur-de-ne-rien-comprendre.... + +TYLTYL + +Mais je l'ai vu, son frère!... Il est allé chez les Malheurs avec +les Gros Bonheurs.... + +LE BONHEUR + +J'en étais sûr!... Il a mal tourné, de mauvaises fréquentations +l'ont entièrement perverti.... Mais n'en parle pas à sa sÅ“ur. +Elle voudrait aller le chercher et nous y perdrions une des plus +belles joies.... Voici encore, parmi les plus grandes, la +Joie-de-voir-ce-qui-est-beau, qui ajoute chaque jour quelques +rayons à la lumière qui règne ici.... + +TYLTYL + +Et là , au loin, au loin, dans les nuages d'or, celle que j'ai +peine à voir en me dressant tant que je peux sur la pointe des +pieds?... + +LE BONHEUR + +C'est la grande Joie-d'aimer.... Mais tu auras beau faire, tu es +bien trop petit pour la voir tout entière.... + +TYLTYL + +Et là -bas, tout au fond, celles qui sont voilées et ne +s'approchent pas?... + +LE BONHEUR + +Ce sont celles que les Hommes ne connaissent pas encore.... + +TYLTYL + +Que nous veulent les autres?... Pourquoi s'écartent-elles?... + +LE BONHEUR + +C'est devant une Joie nouvelle qui s'avance, peut-être la plus +pure que nous ayons ici.. + +TYLTYL + +Qui est-ce?... + +LE BONHEUR + +Tu ne la reconnais pas encore?... Mais regarde donc mieux, ouvre +donc tes deux yeux jusqu'au cÅ“ur de ton âme!... Elle t'a vu, +elle t'a vu!... Elle accourt en te tendant les bras!... C'est la +Joie de ta mère, c'est la Joie-sans-égale-de-l'amour-maternel!... + + [Après l'avoir acclamée, les autres Joies, accourues de + toutes parts, s'écartent en silence devant la + Joie-de-l'amour-maternel.] + +L'AMOUR MATERNEL + +Tyltyl! Et puis Mytyl!... Comment, c'est vous, c'est vous que je +retrouve ici!... Je ne m'attendais pas!... J'étais bien seule à +la maison, et voici que tous deux vous montez jusqu'au ciel où +rayonnent dans la Joie l'âme de toutes les mères!... Mais d'abord +des baisers, des baisers tant qu'on peut!... Tous les deux dans +mes bras, il n'y a rien au monde qui donne plus de bonheur!... +Tyltyl, tu ne ris pas?... Ni toi non plus, Mytyl?... Vous ne +connaissez pas l'amour de votre mère?... Mais regardez-moi donc, +et n'est-ce pas mes yeux, mes lèvres et mes bras?... + +TYLTYL + +Mais si, je reconnais, mais je ne savais pas.... Tu ressembles à +maman, mais tu es bien plus belle.... + +L'AMOUR MATERNEL + +Évidemment, moi, je ne vieillis plus.... Et chaque jour qui passe +m'apporte de la force, de la jeunesse et du bonheur.... Chacun de +tes sourires m'allège d'une année.... A la maison, cela ne se +voit pas, mais ici l'on voit tout, et c'est la vérité.... + +TYLTYL, [émerveillé, la contemplant et l'embrassant tour à tour.] + +Et cette belle robe, en quoi donc qu'elle est faite?... Est-ce +que c'est de la soie, de l'argent ou des perles?... + +L'AMOUR MATERNEL + +Non, ce sont des baisers, des regards, des caresses.... chaque +baiser qu'on donne y ajoute un rayon de lune ou de soleil.... + +TYLTYL + +C'est drôle, je n'aurais jamais cru que tu étais si riche.... Où +donc la cachais-tu?... Était-elle dans l'armoire dont papa a la +clef?... + +L'AMOUR MATERNEL + +Mais non, je l'ai toujours, mais on ne la voit pas, parce qu'on +ne voit rien quand les yeux sont fermés.... Toutes les mères sont +riches quand elles aiment leurs enfants.... Il n'en est pas de +pauvres, il n'en est pas de laides, il n'en est pas de +vieilles.... Leur amour est toujours la plus belle des Joies.... +Et quand elles semblent tristes, il suffit d'un baiser qu'elles +reçoivent ou qu'elles donnent pour que toutes leurs larmes +deviennent des étoiles dans le fond de leurs yeux.... + +TYLTYL, [la regardant avec étonnement.] + +Mais oui, c'est vrai, tes yeux, ils sont remplis d'étoiles.... Et +ce sont bien tes yeux, mais ils sont bien plus beaux.... Et c'est +ta main aussi, elle a sa petite bague.... Elle a même la brûlure +que tu t'es faite un soir en allumant la lampe.... Mais elle est +bien plus blanche et qu'elle a la peau fine!... On dirait qu'on y +voit couler de la lumière.... Elle ne travaille pas comme celle +de la maison?... + +L'AMOUR MATERNEL + +Mais si, c'est bien la même; tu n'avais donc pas vu qu'elle +devient toute blanche et s'emplit de lumière dès qu'elle te +caresse?... + +TYLTYL + +C'est étonnant, maman, c'est bien ta voix aussi; mais tu parles +bien mieux que chez nous.... + +L'AMOUR MATERNEL + +Chez nous on a bien trop à faire et l'on n'a pas le temps.... +Mais ce qu'on ne dit pas, on l'entend tout de même.... Maintenant +que tu m'as vue, me reconnaîtras-tu, sous ma robe déchirée, +lorsque tu rentreras demain dans la chaumière?... + +TYLTYL + +Je ne veux pas rentrer.... Puisque tu es ici, j'y veux rester +aussi, tant que tu y seras.... + +L'AMOUR MATERNEL + +Mais c'est la même chose, c'est là -bas que je suis, c'est là -bas +que nous sommes.... Tu n'es venu ici que pour te rendre compte et +pour apprendre enfin comment il faut me voir quand tu me vois +là -bas.... Comprends-tu, mon Tyltyl?... Tu te crois dans le ciel; +mais le ciel est partout où nous nous embrassons.... Il n'y a pas +deux mères, et tu n'en as pas d'autre.... Chaque enfant n'en a +qu'une et c'est toujours la même et toujours la plus belle; mais +il faut la connaître et savoir regarder.... Mais comment as-tu +fait pour arriver ici et trouver une route que les Hommes ont +cherchée depuis qu'ils habitent la Terre?... + +TYLTYL, [montrant la Lumière qui, par discrétion, s'est un peu +écartée.] + +C'est elle qui m'a conduit.... + +L'AMOUR MATERNEL + +Qui est-ce?... + +TYLTYL + +La Lumière.... + +L'AMOUR MATERNEL + +Je ne l'ai jamais vue.... On m'avait dit qu'elle vous aimait +bien et qu'elle était très bonne.... Mais pourquoi se +cache-t-elle?... Elle ne montre jamais son visage?... + +TYLTYL + +Mais si, mais elle a peur que les Bonheurs aient peur s'ils y +voyaient trop clair.... + +L'AMOUR MATERNEL + +Mais elle ne sait donc pas que nous n'attendons qu'elle!... +[Appelant les autres Grandes Joies.] Venez, venez, mes sÅ“urs! +Venez, accourez toutes, c'est la Lumière qui vient enfin nous +visiter!... + + [Frémissement parmi les Grandes Joies qui se rapprochent. + Cris: «La Lumière est ici!... La Lumière, la Lumière!...»] + +LA JOIE-DE-COMPRENDRE, [écartant toutes les autres pour venir +embrasser la Lumière.] + +Vous êtes la Lumière et nous ne savions pas!... Et voici des +années, des années, des années que nous vous attendons!... Me +reconnaissez-vous?... C'est la Joie-de-comprendre qui vous a +tant cherchée.... Nous sommes très heureuses, mais nous ne +voyons pas au delà de nous-mêmes.... + +LA JOIE-D'ÊTRE-JUSTE, [embrassant la Lumière à son tour.] + +Me reconnaissez-vous?... C'est la Joie-d'être-juste qui vous a +tant priée.... Nous sommes très heureuses, mais nous ne voyons +pas au delà de nos ombres.... + +LA JOIE-DE-VOIR-CE-QUI-EST-BEAU, [l'embrassant également.] + +Me reconnaissez-vous?... C'est la Joie-des-beautés qui vous a +tant aimée... Nous sommes très heureuses, mais nous ne voyons pas +au delà de nos songes.... + +LA JOIE-DE-COMPRENDRE + +Voyez, voyez, ma sÅ“ur, ne nous faites plus attendre.... Nous +sommes assez fortes, nous sommes assez pures.... Écartez donc ces +voiles qui nous cachent encore les dernières vérités et les +derniers bonheurs.... Voyez, toutes mes sÅ“urs s'agenouillent à +vos pieds.... Vous êtes notre reine et notre récompense.... + +LA LUMIÈRE, [resserrant ses voiles.] + +Mes sÅ“urs, mes belles sÅ“urs, j'obéis à mon Maître.... +L'heure n'est pas venue, elle sonnera peut-être et je vous +reviendrai sans craintes et sans ombres.... Adieu, relevez-vous, +embrassons-nous encore comme des sÅ“urs retrouvées, en +attendant le jour qui paraîtra bientôt.... + +L'AMOUR MATERNEL, [embrassant la Lumière.] + +Vous avez été bonne pour mes pauvres petits.... + +LA LUMIÈRE + +Je serai toujours bonne autour de ceux qui s'aiment.... + +LA JOIE-DE-COMPRENDRE, [s'approchant de la Lumière.] + +Que le dernier baiser soit posé sur mon front.... + + [Elles s'embrassent longuement, et, quand elles se séparent + et relèvent la tète, on voit des larmes dans leurs yeux.] + +TYLTYL, [étonné.] + +Pourquoi pleurez-vous?....[regardant les autres Joies] + +Tiens! vous pleurez aussi.... Mais pourquoi tout le monde a-t-il +des larmes plein les yeux?... + +LA LUMIÈRE + +Silence, mon enfant.... + + +RIDEAU + + + + +ACTE CINQUIÈME + + + + +DIXIÈME TABLEAU + +LE ROYAUME DE L'AVENIR + + +Les salles immenses du Palais d'Azur, où attendent les enfants +qui vont naître.--Infinies perspectives de colonnes de saphir +soutenant des voûtes de turquoise. Tout ici, depuis la lumière et +les dalles de lapis-lazuli jusqu'aux pulvérulences du fond où se +perdent les derniers arceaux, jusqu'aux moindres objets, est d'un +bleu irréel, intense, féerique. Seuls les chapiteaux et les +socles des colonnes, les clefs de voûte, quelques sièges quelques +bancs circulaires sont de marbre blanc ou d'albâtre.--A droite, +entre les colonnes, de grandes portes opalines. Ces portes, dont +le Temps, vers la fin de la scène, écartera les battants, +s'ouvrent sur la Vie actuelle et les quais de l'Aurore. Partout, +peuplant harmonieusement la salle, une foule d'enfants vêtus de +longues robes azurées.--Les uns jouent, d'autres se promènent, +d'autres causent ou songent; beaucoup sont endormis, beaucoup +aussi travaillent, entre les colonnades, aux inventions futures; +et leurs outils, leurs instruments, les appareils qu'ils +construisent, les plantes, les fleurs et les fruits qu'ils +cultivent ou qu'ils cueillent sont du même bleu surnaturel et +lumineux que l'atmosphère générale du Palais.--Parmi les enfants, +revêtues d'un azur plus pâle et plus diaphane, passent et +repassent quelques figures de haute taille, d'une beauté +souveraine et silencieuse, qui paraissent être des anges. + + * * * * * + + [Entrent à gauche, comme à la dérobée, en se glissant parmi + les colonnes du premier plan, Tyltyl, Mytyl et la Lumière. + Leur arrivée provoque un certain mouvement parmi les + Enfants-Bleus qui bientôt accourent de toutes parts et se + groupent autour des insolites visiteurs qu'ils contemplent + avec curiosité.] + +MYTYL + +Où est le Sucre, la Chatte et le bon Pain?... + +LA LUMIÈRE + +Ils ne peuvent pas entrer ici; ils connaîtraient l'Avenir et +n'obéiraient plus.... + +TYLTYL + +Et le Chien?... + +LA LUMIÈRE + +Il n'est pas bon, non plus, qu'il sache ce qui l'attend dans la +suite des siècles.... Je les ai emprisonnés dans les souterrains +de l'église.... + +TYLTYL + +Où sommes-nous?... + +LA LUMIÈRE + +Nous sommes dans le Royaume de l'Avenir, au milieu des enfants +qui ne sont pas encore nés. Puisque le Diamant nous permet de +voir clair en cette région que les Hommes n'aperçoivent pas, nous +y trouverons fort probablement l'Oiseau-Bleu.... + +TYLTYL + +Bien sûr que l'Oiseau sera bleu, puisque tout y est bleu.... +[Regardant tout autour de soi.] Dieu que c'est beau tout ça!... + +LA LUMIÈRE + +Regarde les enfants qui accourent.... + +TYLTYL + +Est-ce qu'ils sont fâchés?... + +LA LUMIÈRE + +Pas du tout.... Tu vois bien, ils sourient, mais ils sont +étonnés.... + +LES ENFANTS-BLEUS, [accourant de plus en plus nombreux.] + +Des petits Vivants.... Venez voir les petits Vivants!... + +TYLTYL + +Pourquoi qu'ils nous appellent «les petits Vivants»?... + +LA LUMIÈRE + +Parce qu'eux, ils ne vivent pas encore.... + +TYLTYL + +Qu'est-ce qu'ils font alors?... + +LA LUMIÈRE + +Ils attendent l'heure de leur naissance.... + +TYLTYL + +L'heure de leur naissance?... + +LA LUMIÈRE + +Oui; c'est d'ici que viennent tous les enfants qui naissent sur +notre Terre. Chacun attend son jour.... Quand les Pères et les +Mères désirent des enfants, on ouvre les grandes portes que tu +vois là , à droite; et les petits descendent.... + +TYLTYL + +Y en a-t-il! Y en a-t-il!... + +LA LUMIÈRE + +Il y en a bien davantage.... On ne les voit pas tous.... Pense +donc, il en faut de quoi peupler la fin des temps.... Personne ne +saurait les compter.... + +TYLTYL + +Et ces grandes personnes bleues, qu'est-ce que c'est?... + +LA LUMIÈRE + +On ne sait plus au juste.... On croit que ce sont des +gardiennes.... On dit qu'elles viendront sur Terre après les +Hommes.... Mais il n'est pas permis de les interroger.... + +TYLTYL + +Pourquoi? + +LA LUMIÈRE + +Parce que c'est le secret de la Terre.... + +TYLTYL + +Et les autres, les petits, on peut leur parler?... + +LA LUMIÈRE + +Bien sûr, il faut faire connaissance.... Tiens, en voilà un plus +curieux que les autres.... Approche-toi, parle-lui.... + +TYLTYL + +Qu'est-ce qu'il faut lui dire?... + +LA LUMIÈRE + +Ce que tu voudras, comme à un petit camarade.... + +TYLTYL + +Est-ce qu'on peut lui donner la main? + +LA LUMIÈRE + +Évidemment, il ne te fera pas de mal.... Mais voyons, n'aie donc +pas l'air si emprunté.... Je vais vous laisser seuls, vous serez +plus à l'aise entre vous.... J'ai d'ailleurs à causer avec la +Grande-personne Bleue.... + +TYLTYL, [s'approchant de l'Enfant-Bleu et lui tendant la main.] + +Bonjour!... [Touchant du doigt la robe bleue de l'Enfant.] +Qu'est-ce que c'est que ça? + +L'ENFANT, [touchant gravement du doigt le chapeau de Tyltyl.] + +Et ça?... + +TYLTYL + +Ça?... C'est mon chapeau.... Tu n'as pas de chapeau?... + +L'ENFANT + +Non; pourquoi c'est faire?... + +TYLTYL + +C'est pour dire bonjour.... Et puis, pour quand fait froid.... + +L'ENFANT + +Qu'est-ce que c'est faire froid?... + +TYLTYL + +Quand on tremble comme ça: brrr! brrr!... qu'on souffle dans ses +mains et qu'on fait aller les bras comme ceci.... + + [Il se brasse vigoureusement.] + +L'ENFANT + +Il fait froid sur la Terre?... + +TYLTYL + +Mais oui, des fois, l'hiver, quand on n'a pas de feu.... + +L'ENFANT + +Pourquoi qu'on n'en a pas?... + +TYLTYL + +Parce que ça coûte cher et qu'il faut de l'argent pour acheter du +bois.... + +L'ENFANT + +Quoi que c'est de l'argent? + +TYLTYL + +C'est avec quoi l'on paie.... + +L'ENFANT + +Ah!... + +TYLTYL + +Il y en a qui en ont, d'autres qui n'en ont point.... + +L'ENFANT + +Pourquoi?... + +TYLTYL + +C'est qu'ils ne sont pas riches.... Est-ce que tu es riche?... +Quel âge as-tu?... + +L'ENFANT + +Je vais naître bientôt.... Je naîtrai dans douze ans.... Est-ce +que c'est bon, naître?... + +TYLTYL + +Oh oui!... C'est amusant!... + +L'ENFANT + +Comment que tu as fait?... + +TYLTYL + +Je ne me rappelle plus.... Il y a si longtemps!... + +L'ENFANT + +On dit que c'est si beau, la Terre et les Vivants!... + +TYLTYL + +Mais oui, ce n'est pas mal.... Il y a des oiseaux, des gâteaux, +des jouets.... Quelques-uns les ont tous; mais ceux qui n'en ont +pas peuvent regarder les autres.... + +L'ENFANT + +On nous dit que les mères attendent à la porte.... Elles sont +bonnes, est-ce vrai?... + +TYLTYL + +Oh oui!... Elles sont meilleures que tout ce qu'il y a!... Les +bonnes-mamans aussi; mais elles meurent trop vite.... + +L'ENFANT + +Elles meurent?... Qu'est-ce que c'est ça?... + +TYLTYL + +Elles s'en vont un soir, et ne reviennent plus.... + +L'ENFANT + +Pourquoi?... + +TYLTYL + +Est-ce qu'on sait?... Peut-être qu'elles sont tristes.... + +L'ENFANT + +Elle est partie, la tienne?... + +TYLTYL + +Ma bonne-maman?... + +L'ENFANT + +Ta maman ou ta bonne-maman, est-ce que je sais, moi?... + +TYLTYL + +Ah! mais, ça n'est pas la même chose!... Les bonnes-mamans s'en +vont d'abord; c'est déjà assez triste.... La mienne était très +bonne.... + +L'ENFANT + +Qu'est-ce qu'ils ont, tes yeux?... Est-ce qu'ils font des +perles?... + +TYLTYL + +Mais non; c'est pas des perles.... + +L'ENFANT Qu'est-ce que c'est alors?... + +TYLTYL + +C'est rien, c'est tout ce bleu qui m'éblouit un peu.... + +L'ENFANT + +Comment que ça s'appelle?... + +TYLTYL + +Quoi?... + +L'ENFANT + +Là , ce qui tombe?... + +TYLTYL + +C'est rien, c'est un peu d'eau.... + +L'ENFANT + +Est-ce qu'elle sort des yeux?... + +TYLTYL + +Oui, des fois, quand on pleure.... + +L'ENFANT + +Qu'est-ce que c'est pleurer? + +TYLTYL + +Moi, je n'ai pas pleuré; c'est la faute à ce bleu.... Mais si +j'avais pleuré ce serait la même chose.... + +L'ENFANT + +Est-ce qu'on pleure souvent?... + +TYLTYL + +Pas les petits garçons, mais les petites filles.... On ne pleure +pas ici?... + +L'ENFANT + +Mais non, je ne sais pas.... + +TYLTYL + +Eh bien, tu apprendras.... Avec quoi que tu joues, ces grandes +ailes bleues?... + +L'ENFANT + +Ça?... C'est pour l'invention que je ferai sur Terre.... + +TYLTYL + +Quelle invention?... Tu as donc inventé quelque chose?... + +L'ENFANT + +Mais oui, tu ne sais pas?... Quand je serai sur Terre, il faudra +que j'invente la Chose qui rend Heureux.... + +TYLTYL + +Est-elle bonne à manger?... Est-ce qu'elle fait du bruit?... + +L'ENFANT + +Mais non, on n'entend rien.... + +TYLTYL + +C'est dommage.... + +L'ENFANT + +J'y travaille chaque jour.... Elle est presque achevée.... +Veux-tu voir?... + +TYLTYL + +Bien sûr.... Où donc est-elle?... + +L'ENFANT + +Là , on la voit d'ici, entre ces deux colonnes...? + +UN AUTRE ENFANT-BLEU, [s'approchant de Tyltyl et le tirant par la +manche.] + +Veux-tu voir la mienne, dis?... + +TYLTYL + +Mais quoi, qu'est-ce que c'est?... + +DEUXIÈME ENFANT + +Les trente-trois remèdes pour prolonger la vie.... Là , dans ces +flacons bleus.... + +TROISIÈME ENFANT, [sortant de la foule.] + +Moi, j'apporte une lumière que personne ne connaît!... [Il +s'illumine tout entier d'une flamme extraordinaire.] C'est assez +curieux, pas?... + +QUATRIÈME ENFANT, [tirant Tyltyl par le bras.] + +Viens donc voir ma machine qui vole dans les airs comme un oiseau +sans ailes!... + +CINQUIÈME ENFANT + +Non, non; d'abord la mienne qui trouve les trésors qui se cachent +dans la lune!... + + [Les Enfants-Bleus s'empressent autour de Tyltyl et de Mytyl + en criant tous ensemble: «Non, non, viens voir la mienne!... + Non, la mienne est plus belle!... La mienne est + étonnante!... La mienne est tout en sucre!... La sienne + n'est pas curieuse.... il m'en a pris l'idée!..., etc.». + Parmi ces exclamations désordonnées, on entraîne les petits + Vivants du côté des ateliers bleus; et là , chacun des + inventeurs met en mouvement sa machine idéale. C'est un + tournoiement céruléen de roues, de disques, de volants, + d'engrenages, de poulies, de courroies, d'objets étranges + et encore innommés qu'enveloppent les bleuâtres vapeurs de + l'irréel. Une foule d'appareils bizarres et mystérieux + s'élancent et planent sous les voûtes, ou rampent au pied + des colonnes, taudis que des enfants déroulent des cartes et + des plans, ouvrent des livres, découvrent des statues + azurées, apportent d'énormes fleurs, de gigantesques fruits + qui semblent formés de saphirs et de turquoises.] + +UN PETIT ENFANT-BLEU, [courbé sous le poids de colossales +pâquerettes d'azur.] + +Regardez donc mes fleurs!...3 + +TYLTYL + +Qu'est-ce que c'est?... Je ne les connais pas.... + +LE PETIT ENFANT-BLEU + +Ce sont des pâquerettes!... + +TYLTYL + +Pas possible!... Elles sont grandes comme des roues.... + +LE PETIT ENFANT-BLEU + +Et ce qu'elles sentent bon!... + +TYLTYL, [les humant.] + +Prodigieux!... + +LE PETIT ENFANT-BLEU + +Elles seront comme ça quand je serai sur Terre.... + +TYLTYL + +Quand donc?... + +LE PETIT ENFANT-BLEU + +Dans cinquante-trois ans, quatre mois et neuf jours.... + + [Arrivent deux Enfants-Bleus qui portent comme un lustre, + pendue à une perche, une invraisemblable grappe de raisins + dont les baies sont plus grosses que des poires.] + +L'UN DES ENFANTS QUI PORTENT LA GRAPPE + +Que dis-tu de mes fruits?... + +TYLTYL + +Une grappe de poires!... + +L'ENFANT + +Mais non, c'est des raisins!... Ils seront tous ainsi, lorsque +j'aurai trente ans.... J'ai trouvé le moyen.... + +UN AUTRE ENFANT, [écrasé sous une corbeille de pommes bleues +grosses comme des melons.] + +Et moi!... Voyez mes pommes!... + +TYLTYL + +Mais ce sont des melons!... + +L'ENFANT + +Mais non!... Ce sont mes pommes, et les moins belles encore!... +Toutes seront de même quand je serai vivant.... J'ai trouvé le +système!... + +UN AUTRE ENFANT, [apportant sur une brouette bleue des melons +bleus plus gros que des citrouilles.] + +Et mes petits melons?... + +TYLTYL + +Mais ce sont des citrouilles!... + +L'ENFANT AUX MELONS + +Quand je viendrai sur terre, les melons seront fiers!... Je +serai le jardinier du Roi des neuf Planètes.... + +TYLTYL + +Le Roi des neuf Planètes?... Où est-il?... + +LE ROI DES NEUF PLANÈTES, [s'avançant fièrement. Il semble avoir +quatre ans et peut à grand'peine se tenir debout sur ses petites +jambes torses.] + +Le voici! + +TYLTYL + +Eh bien! tu n'es pas grand.... + +LE ROI DES NEUF PLANÈTES, [grave et sentencieux.] + +Ce que je ferai sera grand. + +TYLTYL + +Qu'est-ce que tu feras? + +LE ROI DES NEUF PLANÈTES + +Je fonderai la Confédération générale des Planètes solaires. + +TYLTYL, [interloqué.] + +Ah, vraiment? + +LE ROI DE NEUF PLANÈTES + +Toutes en feront partie, excepté Saturne, Uranus et Neptune qui +sont à des distances exagérées et incommensurables. + + [Il se retire avec dignité.] + +TYLTYL + +Il est intéressant.... + +UN ENFANT-BLEU + +Et vois-tu celui-là ? + +TYLTYL + +Lequel? + +L'ENFANT + +Là , le petit qui dort au pied de la colonne.... + +TYLTYL + +Eh bien? + +L'ENFANT + +Il apportera la joie pure sur le Globe.. + +TYLTYL + +Comment?... + +L'ENFANT + +Par des idées qu'on n'a pas encore eues.... + +TYLTYL + +Et l'autre, le petit gros qui a les doigts dans le nez, qu'est-ce +qu'il fera, lui?... + +L'ENFANT + +Il doit trouver le feu pour réchauffer la Terre quand le Soleil +sera plus pâle.... + +TYLTYL + +Et les deux qui se tiennent par la main et s'embrassent tout le +temps: est-ce qu'ils sont frère et sÅ“ur?... + +L'ENFANT + +Mais non, ils sont très drôles.... Ce sont les Amoureux.... + +TYLTYL + +Qu'est-ce que c'est?... + +L'ENFANT + +Je ne sais pas.... C'est le Temps qui les appelle ainsi pour s'en +moquer.... Ils se regardent tout le jour dans les yeux, ils +s'embrassent et se disent adieu.... + +TYLTYL + +Pourquoi? + +L'ENFANT + +Il paraît qu'ils ne pourront pas partir ensemble.... + +TYLTYL + +Et le petit tout rose, qui semble si sérieux et qui suce son +pouce, qu'est-ce que c'est?... + +L'ENFANT + +Il paraît qu'il doit effacer l'Injustice sur la Terre.... + +TYLTYL + +Ah?... + +L'ENFANT + +On dit que c'est un travail effrayant.... + +TYLTYL + +Et le petit rousseau qui marche comme s'il n'y voyait pas. Est-ce +qu'il est aveugle?... + +L'ENFANT + +Pas encore; mais il le deviendra.... Regarde-le bien; il paraît +qu'il doit vaincre la Mort.... + +TYLTYL + +Qu'est-ce que ça veut dire?... + +L'ENFANT + +Je ne sais pas au juste; mais on dit que c'est grand.... + +TYLTYL, [montrant une foule d'enfants endormis au pied des +colonnes, sur les marches, les bancs, etc.] + +Et tous ceux-là qui dorment,--comme il y en a qui +dorment!--est-ce qu'ils ne font rien?... + +L'ENFANT + +Ils pensent à quelque chose.... + +TYLTYL + +A quoi?... + +L'ENFANT + +Ils ne le savent pas encore; mais ils doivent apporter quelque +chose sur la Terre; il est défendu de sortir les mains vides.... + +TYLTYL + +Qui est-ce qui le défend?... + +L'ENFANT + +C'est le Temps qui se tient à la porte.... Tu verras quand il +ouvrira.... Il est bien embêtant.... + +UN ENFANT, [accourant du fond de la salle, en fendant la foule.] + +Bonjour, Tyltyl!... + +TYLTYL + +Tiens!... Comment sait-il mon nom?... + +L'ENFANT, [qui vient d'accourir et qui embrasse Tyltyl et Mytyl +avec effusion.] + +Bonjour!... Ça va bien?...--Voyons, embrasse-moi, et toi aussi, +Mytyl.... Ce n'est pas étonnant que je sache ton nom, puisque je +serai ton frère.... On vient seulement de me dire que tu es +là .... J'étais tout au bout de la salle, en train d'emballer mes +idées....--Dis à maman que je suis prêt.... + +TYLTYL + +Comment?... Tu comptes venir chez nous? + +L'ENFANT + +Bien sûr, l'année prochaine, le dimanche des Rameaux.... Ne me +tourmente pas trop quand je serai petit.... Je suis bien content +de vous avoir embrassés d'avance....--Dis à Papa qu'il répare le +berceau....--Est-ce qu'on est bien chez nous?... + +TYLTYL + +Mais on n'y est pas mal.... Et Maman est si bonne!... + +L'ENFANT + +Et la nourriture?... + +TYLTYL + +Ça dépend.... Il y a même des jours où l'on a des gâteaux, +n'est-il pas vrai, Mytyl?... + +MYTYL + +Au Nouvel An et le Quatorze Juillet.... C'est maman qui les +fait.... + +TYLTYL + +Qu'as-tu là , dans ce sac?... Tu nous apportes quelque chose?... + +L'ENFANT, [très fièrement.] + +J'apporte trois maladies: la fièvre scarlatine, la coqueluche et +la rougeole.... + +TYLTYL + +Eh bien, si c'est tout ça!... Et après, que feras-tu?... + +L'ENFANT + +Après?... Je m'en irai.... + +TYLTYL + +Ce sera bien la peine de venir!... + +L'ENFANT + +Est-ce qu'on a le choix?... + + [A ce moment, on entend s'élever et se répandre une sorte de + vibration prolongée, puissante et cristalline qui semble + émaner des colonnes et des portes d'opale que touche une + lumière plus vive.] + +TYLTYL + +Qu'est-ce que c'est?... + +UN ENFANT + +C'est le Temps!... Il va ouvrir les portes!... + + [Aussitôt, un vaste remous se propage dans la foule des + Enfants-Bleus. La plupart quittent leurs machines et leurs + travaux, de nombreux dormeurs s'éveillent, et les uns comme + les autres tournent les yeux vers les portes d'opale et se + rapprochent de celles-ci.] + +LA LUMIÈRE [rejoignant Tyltyl.] + +Tâchons de nous dissimuler derrière les colonnes.... Il ne faut +pas que le Temps nous découvre.... + +TYLTYL + +D'où vient ce bruit?... + +UN ENFANT + +C'est l'Aurore qui se lève.... C'est l'heure où les enfants qui +naîtront aujourd'hui vont descendre sur Terre.... + +TYLTYL + +Comment qu'ils descendront?... Il y a des échelles?... + +L'ENFANT + +Tu vas voir.... Le Temps tire les verrous.... + +TYLTYL + +Qu'est-ce que c'est le Temps?... + +L'ENFANT + +C'est un vieil homme qui vient appeler ceux qui partent.... + +TYLTYL + +Est-ce qu'il est méchant?... + +L'ENFANT + +Non, mais il n'entend rien.... On a beau supplier, quand ce n'est +pas leur tour, il repousse tous ceux qui voudraient s'en +aller.... + +TYLTYL + +Est-ce qu'ils sont heureux de partir? + +L'ENFANT + +On n'est pas content quand on reste; mais on est triste quand on +s'en va.... Là ! Là !... Voilà qu'il ouvre!... + + [Les grandes portes opalines roulent lentement sur leurs + gonds. On entend, comme une musique lointaine, les rumeurs + de la Terre. Une clarté rouge et verte pénètre dans la + salle: et le Temps, haut vieillard à la barbe flottante, + armé de sa faux et de son sablier, paraît sur le seuil, + tandis qu'on aperçoit l'extrémité des voiles blanches et + dorées d'une galère amarrée à une sorte de quai que forment + les vapeurs roses de l'Aurore.] + +LE TEMPS, [sur le seuil.] + +Ceux dont l'heure est sonnée sont-ils prêts?... + +DES ENFANTS-BLEUS, [fendant la roule et accourant de toutes +parts.] + +Nous voici!... Nous voici!... Nous voici!... + +LE TEMPS, [d'une voix bourrue, aux enfants qui défilent devant +lui pour sortir.] + +Un à un!... Il s'en présente encore beaucoup plus qu'il n'en +faut!... C'est toujours la même chose!... On ne me trompe pas!... +[Repoussant un enfant.] Ce n'est pas ton tour!... Rentre, c'est +pour demain.... Toi non plus, rentre donc et reviens dans dix +ans.... Un treizième berger?... Il n'en fallait que douze; on +n'en a plus besoin, nous ne sommes plus au temps de Théocrite ou +de Virgile.... Encore des médecins?... Il y en a déjà trop; on +s'en plaint sur la Terre.... Et les ingénieurs, où sont-ils?... +On veut un honnête homme, un seul, comme phénomène.... Où donc +est l'honnête homme?... C'est toi?... [L'enfant fait signe que +oui.] Tu m'as l'air bien chétif.... tu ne vivras pas +longtemps!... Holà , vous autres, là , pas si vite!... Et toi, +qu'apportes-tu?... Rien du tout? les mains vides?... Alors on ne +passe pas.... Prépare quelque chose, un grand crime, si tu veux, +ou une maladie, moi, cela m'est égal.... mais il faut quelque +chose.... [Avisant un petit que d'autres poussent en avant et qui +résiste de toutes ses forces.] Eh bien, toi, qu'as-tu donc?... Tu +sais bien que c'est l'heure.... On demande un héros qui combatte +l'Injustice; c'est toi, il faut partir.... + +LES ENFANTS-BLEUS + +Il ne veut pas, monsieur.... + +LE TEMPS + +Comment?... Il ne veut pas?... Où donc se croit-il, ce petit +avorton?... Pas de réclamations, nous n'avons pas le temps.... + +LE PETIT, [que l'on pousse.] + +Non, non!... Je ne veux pas!... J'aime mieux ne pas naître!... +J'aime mieux rester ici!... + +LE TEMPS + +Il ne s'agit pas de ça.... Quand c'est l'heure, c'est l'heure!... +Allons, vite, en avant!... + +UN ENFANT, [s'avançant.] + +Oh! laissez-moi passer!... J'irai prendre sa place!... On dit que +mes parents sont vieux et m'attendent depuis si longtemps!... + +LE TEMPS + +Pas de ça.... L'heure est l'heure et le temps est le temps.... +On n'en finirait pas si l'on vous écoutait.... L'un veut, l'autre +refuse, c'est trop tôt, c'est trop tard.... [Écartant des enfants +qui ont envahi le seuil.] Pas si près, les petits.... Arrière les +curieux.... Ceux qui ne partent pas n'ont rien à voir dehors.... +Maintenant vous avez hâte; puis, votre tour venu, vous aurez peur +et vous reculerez.... Tenez, en voilà quatre qui tremblent comme +des feuilles.... [A un enfant qui, sur le point de franchir le +seuil, rentre brusquement.] Eh bien, quoi?... Qu'as-tu donc?... + +L'ENFANT + +J'ai oublié la boîte qui contient les deux crimes que je devrai +commettre.... + +UN AUTRE ENFANT + +Et moi le petit pot qui renferme l'idée pour éclairer les +foules.... + +TROISIÈME ENFANT + +J'ai oublié la greffe de ma plus belle poire!... + +LE TEMPS + +Courez vite les chercher!... Il ne nous reste plus que six cent +douze secondes.... La galère de l'Aurore bat déjà des voiles pour +montrer qu'elle attend.... Vous arriverez trop tard et vous ne +naîtrez plus.... Allons, vite, embarquons!... [Saisissant un +enfant qui veut lui passer entre les jambes pour gagner le quai.] +Ah! toi, non, par exemple!... C'est la troisième fois que tu +essayes de naître avant ton tour.... Que je ne t'y prenne plus, +sinon ce sera l'attente éternelle près de ma sÅ“ur l'Éternité; +et tu sais qu'on ne s'y amuse pas.... Mais voyons, sommes-nous +prêts?... Tout le monde est à son poste?... [Parcourant du regard +les enfants réunis sur le quai ou déjà assis dans la galère.] Il +en manque encore un.... Il a beau se cacher, je le vois dans la +foule.... On ne me trompe pas.... Allons, toi, le petit qu'on +appelle l'Amoureux, dis adieu à ta belle.... + + [Les deux petits qu'on appelle «les Amoureux», tendrement + enlacés et le visage livide de désespoir, s'avancent vers le + Temps et s'agenouillent à ses pieds.] + +PREMIER ENFANT + +Monsieur le Temps, laissez-moi partir avec lui!... + +DEUXIÈME ENFANT + +Monsieur le Temps, laissez-moi rester avec elle!... + +LE TEMPS + +Impossible!... Il ne nous reste plus que trois cent +quatre-vingt-quatorze secondes.. + +PREMIER ENFANT + +J'aime mieux ne pas naître!... + +LE TEMPS + +On n'a pas le choix.... + +DEUXIÈME ENFANT, [suppliant.] + +Monsieur le Temps, j'arriverai trop tard!... + +PREMIER ENFANT + +Je ne serai plus là quand elle descendra!... + +DEUXIÈME ENFANT + +Je ne le verrai plus!... + +PREMIER ENFANT + +Nous serons seuls au monde!... + +LE TEMPS + +Tout ça ne me regarde pas.... Réclamez auprès de la Vie.... Moi, +j'unis, je sépare, selon ce qu'on m'a dit.... [Saisissant l'un +des enfants.] Viens!... + +PREMIER ENFANT, se débattant. + +Non, non, non!... Elle aussi!... + +DEUXIÈME ENFANT, [s'accrochant aux vêtements du premier.] + +Laissez-le!.... Laissez-le!... + +LE TEMPS + +Mais voyons, ce n'est pas pour mourir, c'est pour vivre!... +[Entraînant le premier enfant.] Viens!... + +DEUXIÈME ENFANT, [tendant éperdument les bras vers l'enfant qu'on +enlève.] + +Un signe!... Un seul signe!... Dis-moi, comment te retrouver!... + +PREMIER ENFANT + +Je t'aimerai toujours!... + +DEUXIÈME ENFANT + +Je serai la plus triste!... Tu me reconnaîtras!... + + [Elle tombe et reste étendue sur le sol.] + +LE TEMPS + +Vous feriez beaucoup mieux d'espérer.... Et maintenant, c'est +tout.... [Consultant son sablier.] Il ne nous reste plus que +soixante-trois secondes.... + + [Derniers et violents remous parmi les enfants qui partent + et qui demeurent.--On échange des adieux précipités: «Adieu, + Pierre!... Adieu Jean....--As-tu tout ce qu'il faut?... + Annonce ma pensée!...--N'as-tu rien oublié?...--Tâche de me + reconnaître!...--Je te retrouverai!...--Ne perds pas tes + idées?...--Ne te penche pas trop sur l'Espace!...--Donne-moi + de tes nouvelles!...--On dit qu'on ne peut pas!...--Si, + si!... essaie toujours!...--Tâche de dire si c'est beau!... + --J'irai à ta rencontre!...--Je naîtrai sur un trône!...», + etc., etc.] + +LE TEMPS, [agitant ses clefs et sa faux.] + +Assez! assez!... L'ancre est levée!... + +Les voiles de la galère passent et disparaissent. Ou entend +s'éloigner les cris des enfants dans la galère: «Terre!... +terre!... Je la vois!... Elle est belle!... Elle est claire!... +Elle est grande!...». Puis, comme sortant du fond de l'abîme, un +chant extrêmement lointain d'allégresse et d'attente. + +TYLTYL, [à la Lumière.] + +Qu'est-ce?... Ce n'est pas eux qui chantent.... On dirait +d'autres voix.... + +LA LUMIÈRE + +Oui, c'est le chant des Mères qui viennent à leur rencontre... + + [Cependant, le Temps referme les portes opalines. Il se + retourne pour jeter un dernier regard dans la salle, et + soudain aperçoit Tyltyl, Mytyl et la Lumière.] + +LE TEMPS, [stupéfait et furieux.] + +Qu'est-ce que c'est?... Que faites-vous ici?... Qui êtes-vous?... +Pourquoi n'êtes-vous pas bleus?... Par où êtes-vous entrés?... + + [Il s'avance en les menaçant de sa faux.] + +LA LUMIÈRE, [à Tyltyl.] + +Ne réponds pas!... J'ai l'Oiseau-Bleu.... Il est caché sous ma +mante.... Sauvons-nous.... Tourne le Diamant, il perdra notre +trace.... + + [Ils s'esquivent à gauche, entre les colonnes du premier + plan.] + + +RIDEAU + + + + +ONZIÈME TABLEAU + +L'ADIEU + + +La scène représente un mur percé d'une petite porte. C'est la +pointe du jour. + + * * * * * + + [Entrent: Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Pain, le Sucre, le + Feu et le Lait.] + +LA LUMIÈRE + +Tu ne devinerais jamais où nous sommes.... + +TYLTYL + +Bien sûr que non, la Lumière, puisque je ne sais pas.... + +LA LUMIÈRE + +Tu ne reconnais pas ce mur et cette petite porte?... + +TYLTYL + +C'est un mur rouge et une petite porte verte.... + +LA LUMIÈRE + +Et ça ne te rappelle rien?... + +TYLTYL + +Ça me rappelle que le Temps nous a mis à la porte.... + +LA LUMIÈRE + +Qu'on est bizarre quand on rêve.... On ne reconnaît pas sa propre +main.... + +TYLTYL + +Qui est-ce qui rêve?... Est-ce moi?... + +LA LUMIÈRE + +C'est peut-être moi.... Qu'en sait-on?... En attendant, ce mur +entoure une maison que tu as vue plus d'une fois depuis ta +naissance.... + +TYLTYL + +Une maison que j'ai vue plus d'une fois? + +LA LUMIÈRE + +Mais oui, petit endormi!... C'est la maison que nous avons +quittée un soir, il y a tout juste, jour pour jour, une année.... + +TYLTYL + +Il y a tout juste une année?... Mais alors?... + +LA LUMIÈRE + +N'ouvre pas des yeux comme des grottes de saphir.... C'est elle, +c'est la bonne maison des parents.... + +TYLTYL, [s'approchant de la porte.] + +Mais je crois.... En effet.... Il me semble.... Cette petite +porte.... Je reconnais la chevillette.... Ils sont là ?... Nous +sommes près de Maman?... Je veux entrer tout de suite.... Je veux +l'embrasser tout de suite!... + +LA LUMIÈRE + +Un instant.... Ils dorment profondément; il ne faut pas les +réveiller en sursaut.... Du reste, la porte ne s'ouvrira que +lorsque l'heure sonnera.... + +TYLTYL + +Quelle heure?... Il y a longtemps à attendre?... + +LA LUMIÈRE + +Hélas, non!... quelques pauvres minutes.... + +TYLTYL + +Tu n'es pas heureuse de rentrer?... Qu'as-tu donc, la Lumière?... +Tu es pâle, on dirait que tu es malade.. + +LA LUMIÈRE + +Ce n'est rien, mon enfant.... Je me sens un peu triste, parce que +je vais vous quitter.... + +TYLTYL + +Nous quitter?... + +LA LUMIÈRE + +Il le faut.... Je n'ai plus rien à faire ici; l'année est +révolue, la Fée va revenir et te demander l'Oiseau-Bleu.... + +TYLTYL + +Mais c'est que je ne l'ai pas, l'Oiseau-Bleu!... Celui du +Souvenir est devenu tout noir, celui de l'Avenir est devenu tout +rouge, ceux de la Nuit sont morts et je n'ai pas pu prendre celui +de la Forêt.... Est-ce ma faute à moi s'ils changent de couleur, +s'ils meurent ou s'ils s'échappent?... Est-ce que la Fée sera +fâchée, et qu'est-ce qu'elle dira?... + +LA LUMIÈRE + +Nous avons fait ce que nous avons pu.... Il faut croire qu'il +n'existe pas, l'Oiseau-Bleu; ou qu'il change de couleur lorsqu'on +le met en cage.... + +TYLTYL + +Où est-elle, la cage?... + +LE PAIN + +Ici, maître.... Elle fut confiée à mes soins diligents durant ce +long et périlleux voyage; aujourd'hui que ma mission prend fin, +je vous la restitue, intacte et bien fermée, telle que je la +reçus.... [Comme un orateur qui prend la parole.] Maintenant, au +nom de tous, qu'il me soit permis d'ajouter quelques mots.... + +LE FEU + +Il n'a pas la parole!... + +L'EAU + +Silence!... + +LE PAIX + +Les interruptions malveillantes d'un ennemi méprisable, d'un +rival envieux.... [Élevant la voix.] ne m'empêcheront pas +d'accomplir mon devoir jusqu'au bout.... C'est donc au nom de +tous.... + +LE FEU + +Pas au mien.... J'ai une langue!... + +LE PAIX + +C'est donc au nom de tous, et avec une émotion contenue mais +sincère et profonde, que je prends congé de deux enfants +prédestinés, dont la haute mission se termine aujourd'hui. En +leur disant adieu avec toute l'affliction et toute la tendresse +qu'une mutuelle estime.. + +TYLTYL + +Comment?... Tu dis adieu?... Tu nous quittes donc aussi?... + +LE PAIN + +Hélas! il le faut bien.... Je vous quitte, il est vrai; mais la +séparation ne sera qu'apparente, vous ne m'entendrez plus +parler.... + +LE FEU + +Ce ne sera pas malheureux!... + +L'EAU + +Silence!... + +LE PAIN, [très digne.] + +Cela ne m'atteint point.... Je disais donc: vous ne m'entendrez +plus, vous ne me verrez plus sous ma forme animée.... Vos yeux +vont se fermer à la vie invisible des choses; mais je serai +toujours là , dans la huche, sur la planche, sur la table, à côté +de la soupe, moi qui suis, j'ose le dire, le plus fidèle +commensal et le plus vieil ami de l'Homme.... + +LE FEU + +Eh bien, et moi?... + +LA LUMIÈRE + +Voyons, les minutes passent, l'heure est près de sonner qui va +nous faire rentrer dans le silence.... Hâtez-vous d'embrasser les +enfants.... + +LE FEU, [se précipitant.] + +Moi d'abord, d'abord moi!... [Il embrasse violemment les +enfants.] Adieu, Tyltyl et Mytyl!... Adieu, mes chers petits.... +Souvenez-vous de moi si jamais vous avez besoin de quelqu'un pour +mettre le Feu quelque part.... + +MYTYL + +Aïe! aïe!... Il me brûle!... + +TYLTYL + +Aïe! aïe! Il me roussit le nez!..... + +LA LUMIÈRE + +Voyons, le Feu, modérez un peu vos transports.... Vous n'avez pas +affaire à votre cheminée.... + +L'EAU + +Quel idiot!... + +LE PAIN + +Est-il mal élevé!... + +L'EAU, [s'approchant des enfants.] + +Je vous embrasserai sans vous faire de mal, tendrement, mes +enfants.... + +LE FEU + +Prenez garde, ça mouille!... + +L'EAU + +Je suis aimante et douce; je suis bonne aux humains.... + +LE FEU + +Et les noyés?... + +L'EAU + +Aimez bien les Fontaines, écoutez les Ruisseaux.... Je serai +toujours là .... + +LE FEU + +Elle a tout inondé!... + +L'EAU + +Quand vous vous assiérez, le soir, au bord des Sources,--il y en +a plus d'une ici, dans la forêt,--essayez de comprendre ce +qu'elles essaient de dire.... Je ne peux plus.... Les larmes me +suffoquent et m'empêchent de parler.... + +LE FEU + +Il n'y paraît point!... + +L'EAU + +Souvenez-vous de moi lorsque vous verrez la carafe.... Vous me +trouverez également dans le broc, dans l'arrosoir, dans la +citerne et dans le robinet.... + +LE SUCRE, [naturellement papelard et doucereux.] + +S'il reste une petite place, dans votre souvenir, rappelez-vous +que parfois ma présence vous fut douce.... Je ne puis vous en +dire davantage.... Les larmes sont contraires à mon tempérament, +et me font bien du mal quand elles tombent sur mes pieds.... + +LE PAIN + +Jésuite!... + +LE FEU, [glapissant.] + +Sucre d'orge! berlingots! caramels!... + +TYLTYL + +Mais où donc sont passés Tylette et Tylô?... Que font-ils?... + + [Au même moment, on entend des cris aigus poussés par la + Chatte.] + +MYTYL, [alarmée.] + +C'est Tylette qui pleure!... On lui fait du mal!... + + [Entre en courant la Chatte, hérissée, dépeignée, les + vêtements déchirés, et tenant son mouchoir sur la joue, + comme si elle avait mal aux dents. Elle pousse des + gémissements courroucés et est serrée de très près par le + Chien qui l'accable de coups de tête, de coups de poing et + de coups de pied.] + +LE CHIEN, [battant la Chatte.] + +Là !... En as-tu assez?... En veux-tu encore?... Là ! là ! là !... + +LA LUMIÈRE, TYLTYL et MYTYL, [se précipitant pour les séparer.] + +Tylô!... Es-tu fou?... Par exemple!... A bas!... Veux-tu +finir!... A-t-on jamais vu!... Attends! attends!... + + [On les sépare énergiquement.] + +LA LUMIÈRE + +Qu'est-ce que c'est?... Que s'est-il passé?... + +LA CHATTE, [pleurnichant et s'essuyant les yeux.] + +C'est lui, madame la Lumière.... Il m'a dit des injures, il a mis +des clous dans ma soupe, il m'a tiré la queue, il m'a roué de +coups, et je n'avais rien fait, rien du tout, rien du tout!... + +LE CHIEN, [l'imitant.] + +Rien du tout, rien du tout!... [A mi-voix, lui faisant la nique.] +C'est égal, t'en as eu, t'en as eu, et du bon, et t'en auras +encore!... + +MYTYL, [serrant la Chatte dans ses bras.] + +Ma pauvre Tylette, dis-moi donc où c'est que t'as mal.... Je vais +pleurer aussi!... + +LA LUMIÈRE, [au Chien, sévèrement.] + +Votre conduite est d'autant plus indigne que vous choisissez pour +nous donner ce triste spectacle le moment, déjà assez pénible par +lui-même, où nous allons nous séparer de ces pauvres enfants.... + +LE CHIEN, [subitement dégrisé.] + +Nous séparer de ces pauvres enfants?... + +LA LUMIÈRE + +Oui, l'heure que vous savez va sonner.... Nous allons rentrer +dans le Silence.... Nous ne pourrons plus leur parler.... + +LE CHIEN, [poussant tout à coup de véritables hurlements de +désespoir et se jetant sur les enfants qu'il accable de caresses +violentes et tumultueuses.] + +Non, non!... Je ne veux pas!... Je ne veux pas!... Je parlerai +toujours!... Tu me comprendras maintenant, n'est-ce pas, mon +petit dieu?... Oui, oui, oui!.... Et l'on se dira tout, tout, +tout!... Et je serai Lien sage.... Et j'apprendrai à lire, à +écrire et à jouer aux dominos!... Et je serai toujours très +propre.... Et je ne volerai plus rien dans la cuisine.... Veux-tu +que je fasse quelque chose d'étonnant?... Veux-tu que j'embrasse +la Chatte?... + +MYTYL, [à la Chatte.] + +Et toi, Tylette?... Tu n'as rien à nous dire. + +LA CHATTE, [pincée, énigmatique.] + +Je vous aime tous deux, autant que vous le méritez.... + +LA LUMIÈRE + +Maintenant, qu'à mon tour, mes enfants, je vous donne le dernier +baiser.... + +TYLTYL et MYTYL, [s'accrochant à la robe de la Lumière.] + +Non, non, non, la Lumière!... Reste ici, avec nous!... Papa ne +dira rien.... Nous dirons à Maman que tu as été bonne.... + +LA LUMIÈRE + +Hélas! je ne peux pas.... Cette porte nous est fermée et je dois +vous quitter... + +TYLTYL + +Où iras-tu toute seule? + +LA LUMIÈRE + +Pas bien loin, mes enfants; là -bas, dans le pays du Silence des +choses.. + +TYLTYL + +Non, non; je ne veux pas.... Nous irons avec toi.... Je dirai à +Maman.... + +LA LUMIÈRE + +Ne pleurez pas, mes chers petits.... Je n'ai pas de voix comme +l'Eau; je n'ai que ma clarté que l'Homme n'entend point.... Mais +je veille sur lui jusqu'à la fin des jours.... Rappelez-vous bien +que c'est moi qui vous parle dans chaque rayon de lune qui +s'épanche, dans chaque étoile qui sourit, dans chaque aurore qui +se lève, dans chaque lampe qui s'allume, dans chaque pensée bonne +et claire de votre âme.... [Huit heures sonnent derrière le mur.] +Écoutez!... L'heure sonne.... Adieu!... La porte s'ouvre!... +Entrez, entrez, entrez!... + + [Elle pousse les enfants dans l'ouverture de la petite porte + qui vient de s'entrebâiller et se referme sur eux.--Le Pain + essuie une larme furtive, le Sucre, l'Eau, tout en pleurs, + etc., fuient précipitamment et disparaissent à droite et à + gauche, dans la coulisse. Hurlements du Chien à la + cantonade. La scène reste vide un instant, puis le décor + figurant le mur de la petite porte s'ouvre par le milieu, + pour découvrir le dernier tableau.] + + + + +DOUZIÈME TABLEAU + + +LE RÉVEIL + + +Le même intérieur qu'au premier tableau, mais tout, les murs, +l'atmosphère, y paraît incomparablement, féeriquement plus frais, +plus riant, plus heureux.--La lumière du jour filtre gaiement par +toutes les fentes des volets clos. + + * * * * * + + [A droite, au fond de la pièce, en leurs deux petits lits, + Tyltyl et Mytyl sont profondément endormis.--La Chatte, le + Chien et les Objets sont à la place qu'ils occupaient au + premier tableau, avant l'arrivée de la Fée.--Entre la Mère + Tyl.] + +LA MÈRE TYL, [d'une voix allègrement grondeuse.] + +Debout, voyons, debout! les petits paresseux!... Vous n'avez donc +pas honte?... Huit heures sont sonnées, le soleil est déjà plus +haut que la forêt!... Dieu! qu'ils dorment, qu'ils dorment!... +[Elle se penche et embrasse les enfants.] Ils sont tout +roses.... Tyltyl sent la lavande et Mytyl le muguet.... [Les +embrassant encore.] Que c'est bon les enfants!... Ils ne peuvent +pourtant pas dormir jusqu'à midi.... On ne peut pas en faire des +paresseux.... Et puis, je me suis laissée dire que ce n'est pas +trop bon pour la santé.... [Secouant doucement Tyltyl.] Allons, +allons, Tyltyl.... + +TYLTYL, [s'éveillant.] + +Quoi?... La Lumière?... Où est-elle? Non, non, ne t'en vas +pas.... + +LA MÈRE TYL + +La Lumière?... mais bien sûr qu'elle est là .... Il y a déjà pas +mal de temps.... Il fait aussi clair qu'à midi, bien que les +volets soient fermés.... Attends un peu que je les ouvre.... +[Elle pousse les volets, l'aveuglante clarté du grand jour +envahit la pièce.] Là , voilà !... Qu'est-ce que t'as?... T'as +l'air tout aveuglé... + +TYLTYL, [se frottant les yeux.] + +Maman, maman!... C'est toi!... + +LA MÈRE TYL + +Mais bien sûr que c'est moi.... Qui veux-tu que ce soit?... + +TYLTYL + +C'est toi.... Mais oui, c'est toi!... + +LA MÈRE TYL + +Mais oui, c'est moi.... Je n'ai pas changé de visage cette +nuit.... qu'as-tu donc à me regarder comme un émerveillé?... J'ai +peut-être le nez à l'envers?... + +TYLTYL + +Oh! que c'est bon de te revoir!... Il y a si longtemps, si +longtemps!... Il faut que je t'embrasse tout de suite.... Encore, +encore, encore!... Et puis, c'est bien mon lit!... Je suis dans +la maison!... + +LA MÈRE TYL + +Qu'est-ce que t'as?... Tu ne t'éveilles pas?... T'es pas malade, +au moins?... Voyons, montre ta langue.... Allons, lève-toi donc, +et puis habille-toi.... + +TYLTYL + +Tiens! je suis en chemise!... + +LA MÈRE TYL + +Bien sûr.... Passe ta culotte et ta petite veste.... Elles sont +là , sur la chaise.... + +TYLTYL + +Est-ce que j'ai fait ainsi tout mon voyage?... + +LA MÈRE TYL + +Quel voyage?... + +TYLTYL + +Mais oui, l'année dernière.... + +LA MÈRE TYL + +L'année dernière?... + +TYLTYL + +Mais oui, donc!... A Noël, lorsque je suis parti.... + +LA MÈRE TYL + +Lorsque t'es parti?... T'as pas quitté la chambre.... Je j'ai +couché hier soir, et je te retrouve ce matin.... T'as donc rêvé +tout ça?... + +TYLTYL + +Mais tu ne comprends pas!... C'était l'année passée, lorsque je +suis parti avec Mytyl, la Fée, la Lumière.... elle est bonne, la +Lumière! le Pain, le Sucre, l'Eau, le Feu. Ils se battaient tout +le temps.... T'es pas fâchée?... T'as pas été trop triste?... Et +Papa, qu'a-t-il dit?... Je ne pouvais pas refuser.... J'ai laissé +un billet pour expliquer.... + +LA MÈRE TYL + +Qu'est-ce que tu chantes là ?... Bien sûr que t'es malade, ou bien +tu dors encore.... [Elle lui donne une bourrade amicale.] Voyons, +réveille-toi.... Voyons, ça va-t-il mieux?... + +TYLTYL + +Mais, Maman, je t'assure.... C'est toi qui dors encore.... + +LA MÈRE TYL + +Comment! je dors encore?... Je suis debout depuis six heures.... +J'ai fait tout le ménage et rallumé le feu.... + +TYLTYL + +Mais demande à Mytyl si c'est pas vrai.... Ah! noirs en avons eu +des aventures!... + +LA MÈRE TYL + +Comment, Mytyl?... Quoi donc?... + +TYLTYL + +Elle était avec moi.... Nous avons revu bon-papa et +bonne-maman.... + +LA MÈRE TYL, [de plus en plus ahurie.] + +Bon-papa et bonne-maman?... + +TYLTYL + +Oui, au Pays du Souvenir.... C'était sur notre route.... Ils sont +morts, mais ils se portent bien.... Bonne-maman nous a fait une +belle tarte aux prunes.... Et puis les petits frères, Robert, +Jean, sa toupie, Madeleine et Pierrette, Pauline et puis +Riquette... + +MYTYL + +Riquette, elle marche à quatre pattes!... + +TYLTYL + +Et Pauline a toujours son bouton sur le nez.... + +MYTYL + +Nous t'avons vue aussi hier au soir. + +LA MÈRE TYL + +Hier au soir? Ce n'est pas étonnant puisque je t'ai couchée. + +TYLTYL + +Non, non, aux jardins des Bonheurs, tu étais bien plus belle, +mais tu te ressemblais.... + +LA MÈRE TYL + +Le jardin des Bonheurs? Je ne connais pas ça.... + +TYLTYL, [la contemplant, puis l'embrassant.] + +Oui, tu étais plus belle, mais je t'aime mieux comme ça... + +MYTYL, [l'embrassant également.] + +Moi aussi, moi aussi.... + +LA MÈRE TYL, [attendrie, mais fort inquiète.] + +Mon Dieu! qu'est-ce qu'ils ont?... Je vais les perdre aussi, +comme j'ai perdu les autres!... [Subitement affolée, elle +appelle.] Papa Tyl! Papa Tyl!... Venez donc! Les petits sont +malades!... + + [Entre le Père Tyl, très calme une hache à la main.] + +LE PÈRE TYL + +Qu'y a-t-il?... + +TYLTYL et MYTYL [accourant joyeusement pour embrasser leur père.] + +Tiens, Papa!... C'est Papa!... Bonjour, Papa!... Tu as bien +travaillé cette année?... + +LE PÈRE TYL + +Eh bien, quoi?... Qu'est-ce que c'est?... Ils n'ont pas l'air +malade; ils ont fort bonne mine.... + +LA MÈRE TYL, [larmoyante.] + +Il ne faut pas s'y fier.... Ce sera comme les autres.... Ils +avaient fort bonne mine aussi, jusqu'à la fin; et puis le bon +Dieu les a pris.... Je ne sais ce qu'ils ont.... Je les avais +couchés bien tranquillement hier au soir; et ce matin, quand ils +s'éveillent, voilà que tout va mal.... Ils ne savent plus ce +qu'ils disent; ils parlent d'un voyage.... Ils ont vu la Lumière, +grand-papa, grand'maman, qui sont morts mais qui se portent +bien.... + +TYLTYL + +Mais bon-papa, il a toujours sa jambe de bois.... + +MYTYL + +Et bonne-maman ses rhumatismes.... + +LA MÈRE TYL + +Tu entends?... Cours chercher le médecin!... + +LE PÈRE TYL + +Mais non, mais non.... Ils ne sont pas encore morts.... Voyons, +nous allons voir.... [On frappe à la porte île la maison.] +Entrez! + + [Entre la Voisine, petite vieille qui ressemble à la Fée du + premier acte, et qui marche en s'appuyant sur un bâton.] + +LA VOISINE + +Bien le bonjour et bonne fête à tous! + +TYLTYL + +C'est la Fée Bérylune! + +LA VOISINE + +Je viens chercher un peu de feu pour mon pot-au-feu de la +fête.... Il fait bien frisquet ce matin.... Bonjour, les enfants, +ça va bien?... + +TYLTYL + +Madame la Fée Bérylune, je n'ai pas trouvé l'Oiseau-Bleu.... + +LA VOISINE + +Que dit-il?... + +LA MÈRE TYL + +Ne m'en parlez pas, madame Berlingot.... Ils ne savent plus ce +qu'ils disent.... Ils sont comme ça depuis leur réveil.... Ils +ont dû manger quelque chose qui n'était pas bon.... + +LA VOISINE + +Eh bien, Tyltyl, tu ne reconnais pas la mère Berlingot, ta +voisine Berlingot?... + +TYLTYL + +Mais si, madame.... Vous êtes la Fée Bérylune.... Vous n'êtes pas +fâchée?... + +LA VOISINE + +Béry.... quoi? + +TYLTYL + +Bérylune + +LA VOISINE + +Berlingot, tu veux dire Berlingot.... + +TYLTYL + +Bérylune, Berlingot, comme vous voudrez, madame.... Mais Mytyl +qui sait bien.... + +LA MÈRE TYL + +Voilà le pis, c'est que Mytyl aussi.... + +LE PÈRE TYL + +Bah, bah!... Cela se passera; je vais leur donner quelques +claques.... + +LA VOISINE + +Laissez donc, ce n'est pas la peine.... Je connais ça; c'est rien +qu'un peu de songeries.... Ils auront dormi dans un rayon de +lune.... Ma petite fille qu'est bien malade est souvent comme +ça.... + +LA MÈRE TYL + +A propos, comment qu'elle va, ta petite fille? + +LA VOISINE + +Couci-couci.... Elle ne peut se lever.... Le docteur dit que +c'est les nerfs.... Tout de même je sais bien ce qui la +guérirait.... Elle me le demandait encore ce matin, pour son +petit noël; c'est une idée qu'elle a.... + +LA MÈRE TYL + +Oui, je sais, c'est toujours l'oiseau de Tyltyl.... Eh bien, +Tyltyl, ne vas-tu pas le lui donner enfin, à cette pauvre +petite?... + +TYLTYL + +Quoi, Maman?... + +LA MÈRE TYL + +Ton oiseau.... Pour ce que tu en fais.... Tu ne le regardes même +plus.... Elle en meurt d'envie depuis si longtemps!... + +TYLTYL + +Tiens, c'est vrai, mon oiseau.... Où est-il?... Ah! mais voilà la +cage!... Mytyl, vois-tu la cage?... C'est celle que portait le +Pain.... Oui, oui, c'est bien la même; mais il n'y a plus qu'un +oiseau.... Il a donc mangé l'autre?... Tiens, tiens!... Mais il +est bleu!... Mais c'est ma tourterelle!... Mais elle est bien +plus bleue que quand je suis parti!... Mais c'est là +l'Oiseau-Bleu que mous avons cherché!... Nous sommes allés si +loin et il était ici!... Ah! ça, c'est épatant!... Mytyl, vois-tu +l'oiseau?... Que dirait la Lumière?... Je vais décrocher la +Cage.... [Il monte sur une chaise et décroche la cage qu'il +apporte à la Voisine.] La voilà , madame Berlingot.... Il n'est +pas encore tout à fait bleu; ça viendra, vous verrez.... Mais +portez-le bien vite à votre petite fille.... + +LA VOISINE + +Non?... Vrai?... Tu me le donnes, comme ça, tout de suite et pour +rien?... Dieu! qu'elle va être heureuse!... [Embrassant Tyltyl.] +Il faut que je t'embrasse!... Je me sauve!... Je me sauve!... + +TYLTYL + +Oui, oui; allez vite.... Il y en a qui changent de couleur.... + +LA VOISINE + +Je reviendrai vous dire ce qu'elle aura dit.... + + [Elle sort.] + +TYLTYL, [après avoir longuement regardé autour de soi.] + +Papa, Maman; qu'avez-vous fait à la maison?... C'est la même +chose; mais elle est bien plus belle.... + +LE PÈRE TYL + +Comment, elle est plus belle?... + +TYLTYL + +Mais oui, tout est repeint, tout est remis à neuf, tout reluit, +tout est propre.... Ça n'était pas comme ça, l'année dernière.... + +LE PÈRE TYL + +L'année dernière?... + +TYLTYL, [allant à la fenêtre.] + +Et la forêt qu'on voit!... Est-elle grande, est-elle belle!... On +croirait qu'elle est neuve!... Qu'on est heureux ici!... [Allant +ouvrir la huche.] Où est le Pain?... Tiens, ils sont bien +tranquilles.... Et puis, voilà Tylô!... Bonjour, Tylô, Tylô!... +Ah! tu t'es bien battu!... Te rappelles-tu dans la forêt?... + +MYTYL + +Et Tylette?... Elle me reconnaît bien, mais elle ne parle +plus.... + +TYLTYL + +Monsieur le Pain.... [Se tâtant le front.] Tiens, je n'ai plus le +Diamant! Qui est-ce qui m'a pris mon petit chapeau vert?... Tant +pis! je n'en ai plus besoin....--Ah! le Feu!... Il est bon!... Il +pétille en riant pour faire enrager l'Eau.... [Courant à la +fontaine.]--Et l'Eau?... Bonjour, l'Eau!... Que dit-elle?... Elle +parle toujours, mais je ne la comprends plus aussi bien.. + +MYTYL + +Je ne vois pas le Sucre.... + +TYLTYL + +Dieu que je suis heureux, heureux, heureux!... + +MYTYL + +Moi aussi, moi aussi!... + +LA MÈRE TYL + +Qu'ont-ils donc à tourniller comme ça?... + +LE PÈRE TYL + +Laisse donc, t'inquiète pas.... Ils jouent à être heureux.... + +TYLTYL + +Moi, j'aimais surtout la Lumière.... Où est sa lampe?... Est-ce +qu'on peut l'allumer?... [Regardant encore autour de soi.] Dieu! +que c'est beau tout ça et que je suis content!... + + [On frappe à la porte de la maison.] + +LE PÈRE TYL + +Entrez donc!... + + [Entre la Voisine, tenant par la main une petite fille d'une + beauté blonde et merveilleuse qui serre dans ses bras la + tourterelle de Tyltyl.] + +LA VOISINE + +Vous voyez le miracle!... + +LA MÈRE TYL + +Pas possible!... Elle marche?... + +LA VOISINE + +Elle marche!... C'est-à -dire qu'elle court, qu'elle danse, +qu'elle vole!... Quand elle a vu l'oiseau, elle a sauté, comme +ça, d'un saut, vers la fenêtre, pour voir à la lumière si c'était +bien la tourterelle de Tyltyl.... Et puis pfff!... dans la rue, +comme un ange.... C'est tout juste si je pouvais la suivre.... + +TYLTYL, [s'approchant, émerveillé.] + +Oh! qu'elle ressemble à la Lumière!... + +MYTYL + +Elle est bien plus petite.... + +TYLTYL + +Sûr!... Mais elle grandira... + +LA VOISINE + +Que disent-ils?... Ça ne va pas encore?... + +LA MÈRE TYL + +Ça va mieux, ça se passe.... Quand ils auront déjeuné, il n'y +paraîtra plus.... + +LA VOISINE, [poussant la petite fille dans les bras de Tyltyl.] + +Allons, va, ma petite, va remercier Tyltyl.... + + [Tyltyl, soudainement intimidé, recule d'un pas.] + +LA MÈRE TYL + +Eh bien, Tyltyl, qu'est-ce que t'as?... T'as peur de la petite +fille?... Voyons, embrasse-la.... Voyons, un gros baiser.... +Mieux que ça.... Toi si effronté d'habitude!... Encore un!... +Mais qu'est-ce donc que t'as?... On dirait que tu vas pleurer.... + + [Tyltyl, après avoir gauchement embrassé la petite fille, + reste un moment debout devant elle, et les deux enfants se + regardent sans rien dire; puis, Tyltyl caressant la tète de + l'oiseau.] + +TYLTYL + +Est-ce qu'il est assez bleu?... + +LA PETITE FILLE + +Mais oui, je suis contente.... + +TYLTYL + +J'en ai vu de plus bleus.... Mais les tout à fait bleus, tu sais, +on a beau faire, on ne peut pas les attraper. + +LA PETITE FILLE + +Ça ne fait rien, il est bien joli.... + +TYLTYL + +Est-ce qu'il a mangé?... + +LA PETITE FILLE + +Pas encore.... Qu'est-ce qu'il mange?... + +TYLTYL + +De tout, du blé, du pain, du maïs, des cigales.... + +LA PETITE FILLE + +Comment qu'il mange, dis?... + +TYLTYL + +Par le bec, tu vas voir, je vais te montrer.... + + [Il va pour prendre l'oiseau des mains de la petite fille; + celle-ci résiste instinctivement, et, profitant de + l'hésitation de leur geste, la tourterelle s'échappe et s'en + vole.] + +LA PETITE FILLE, [poussant un cri de désespoir.] + +Maman!... Il est parti!... + + [Elle éclate en sanglots.] + +TYLTYL + +Ce n'est rien.... Ne pleure pas.... Je le rattraperai.... +[S'avançant sur le devant de la scène et s'adressant au public.] +Si quelqu'un le retrouve, voudrait-il nous le rendre?... Nous en +avons besoin pour être heureux plus tard.... + + +RIDEAU + + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of L'oiseau bleu, by Maurice Maeterlinck + + +*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 38849 *** diff --git a/38849-h/38849-h.htm b/38849-h/38849-h.htm new file mode 100644 index 0000000..9e3ff1c --- /dev/null +++ b/38849-h/38849-h.htm @@ -0,0 +1,7864 @@ +<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD XHTML 1.0 Strict//EN" + "http://www.w3.org/TR/xhtml1/DTD/xhtml1-strict.dtd"> +<!-- $Id: header.txt 236 2009-12-07 18:57:00Z vlsimpson $ --> + +<html xmlns="http://www.w3.org/1999/xhtml" xml:lang="en" lang="en"> + <head> + <meta http-equiv="Content-Type" content="text/html;charset=utf-8" /> + <meta http-equiv="Content-Style-Type" content="text/css" /> + <title> + The Project Gutenberg eBook of L'oiseau bleu, by Maurice Maeterlinck. + </title> + <style type="text/css"> + +body { + margin-left: 15%; + margin-right: 15%; + background-color: #FAEBD7; +} + + h1,h2,h3,h4,h5,h6 { + text-align: center; /* all headings centered */ + clear: both; +} + +p { + margin-top: .75em; + text-align: justify; + margin-bottom: .75em; +} + +hr { + width: 33%; + margin-top: 2em; + margin-bottom: 2em; + margin-left: auto; + margin-right: auto; + clear: both; +} + +table { + margin-left: auto; + margin-right: auto; +} + + +.blockquot { + margin-left: 5%; + margin-right: 10%; +} + +a:link {color: #800000; text-decoration: none; } +v:link {color: #800000; text-decoration: none; } + +.bb {border-bottom: solid 2px;} + +.bl {border-left: solid 2px;} + +.bt {border-top: solid 2px;} + +.br {border-right: solid 2px;} + +.bbox {border: solid 2px;} + +.center {text-align: center;} + +.smcap {font-variant: small-caps;} + +.u {text-decoration: underline;} + +.caption {font-weight: bold;} + + + </style> + </head> +<body> + + +<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 38849 ***</div> + + + + + +<h1 style="color: #000080;">L'OISEAU BLEU</h1> + +<h3>par</h3> + +<h2 style="color: #000080;">MAURICE MAETERLINCK</h2> + + +<h4>FÉERIE EN SIX ACTES ET DOUZE TABLEAUX</h4> + +<h4><i>Représentée pour la première fois,</i></h4> + +<h4><i>sur le Théâtre Artistique de Moscou, le 30 Septembre 1908,</i></h4> + +<h4><i>et à Paris, sur la scène du Théâtre Réjane,</i></h4> + +<h4><i>le 2 Mars 1911.</i></h4> + + + +<h5>PARIS</h5> + +<h5>Librairie CHARPENTIER et FASQUELLE</h5> + +<h5>EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR</h5> + +<h5>11, RUE DE GRENELLE, 11</h5> + +<h5>1911</h5> + + + +<hr style="width: 95%;" /> + +<p><a href="#Table_des_matieres">Table des matières</a></p> + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="COSTUMES" id="COSTUMES"></a>COSTUMES</h3> + + +<p>TYLTYL: Costume du Petit-Poucet dans les contes de Perrault: +petite culotte rouge-vermillon, courte veste bleu tendre, bas +blancs, souliers ou bottines de cuir fauve.</p> + +<p>MYTYL: Costume de Grethel ou bien du Petit Chaperon rouge.</p> + +<p>LA LUMIÈRE: Robe couleur de lune, c'est-à -dire d'or pâle à +reflets d'argent, gazes scintillantes, formant des rayons, etc. +Style néo-grec ou anglo-grec genre Walter Crane ou même plus ou +moins Empire.—Taille haute, bras nus, etc.—Coiffure: sorte de +diadème ou même de couronne légère.</p> + +<p>LA FÉE BÉRYLUNE, LA VOISINE BERLINGOT: Costume classique des +pauvresses de contes de fées. On pourrait supprimer au premier +acte la transformation de la Fée en princesse.</p> + +<p>LE PÈRE TYL, LA MÈRE TYL, GRAND-PAPA TYL, GRAND'MAMAN TYL: +Costumes légendaires des bûcherons et des paysans allemands dans +les contes de Grimm.</p> + +<p>LES FRÈRES ET SÅ’URS DE TYLTYL: Variantes du costume du +Petit-Poucet.</p> + +<p>LE TEMPS: Costume classique du Temps: vaste manteau noir ou gros +bleu, barbe blanche et flottante, faulx, sablier.</p> + +<p>L'AMOUR MATERNEL: Costume à peu près semblable à celui de la +Lumière, c'est-à -dire voiles souples et presque transparents de +statue grecque, blancs autant que possible. Perles et pierreries +aussi riches et aussi nombreuses qu'on voudra, pourvu qu'elles ne +rompent pas l'harmonie pure et candide de l'ensemble.</p> + +<p>LES GRANDES JOIES: Comme il est dit dans le texte, robes +lumineuses aux subtiles et suaves nuances: réveil de rose, +sourire d'eau, rosée d'ambre, azur d'aurore, etc.</p> + +<p>LES BONHEURS DE LA MAISON: Robes de diverses couleurs, ou si l'on +veut, costumes de paysans, de bergers, de bûcherons, etc., mais +idéalisés et féeriquement interprétés.</p> + +<p>LES GROS BONHEURS: Avant la transformation: amples et lourds +manteaux de brocarts rouges et jaunes, bijoux énormes et épais, +etc. Après la transformation: maillots café ou chocolat, donnant +l'impression de pantins en baudruche.</p> + +<p>LA NUIT: Amples vêtements noirs mystérieusement constellés, à +reflets mordorés. Voiles, pavots sombres, etc.</p> + +<p>LA PETITE FILLE DE LA VOISINE: Chevelure blonde et lumineuse, +longue robe blanche.</p> + +<p>LE CHIEN: Habit rouge, culotte blanche, bottes vernies, chapeau +ciré; costume rappelant plus ou moins celui de John Bull.</p> + +<p>LA CHATTE: Maillot de soie noire à paillettes</p> + +<p>Il convient que les têtes de ces deux personnages soient +discrètement animalisées.</p> + +<p>LE PAIN: Somptueux costume de pacha. Ample robe de soie ou de +velours cramoisi, broché d'or. Vaste turban. Cimeterre. Ventre +énorme, face rouge et extrêmement joufflue.</p> + +<p>LE SUCRE: Robe de soie, dans le genre de celles des eunuques, +mi-partie de blanc et de bleu pour rappeler le papier d'emballage +des pains de sucre; Coiffure des gardiens du sérail.</p> + +<p>LE FEU: Maillot rouge, manteau vermillon à reflets chatoyants, +doublé d'or. Aigrette de flammes versicolores.</p> + +<p>L'EAU: Robe couleur du temps du conte de Peau d'Ane, c'est-à -dire +bleuâtre ou glauque, à reflets transparents, effets de gaze +ruisselante, également style néo ou anglo-grec, mais plus ample, +plus flottant. Coiffure de fleurs et d'algues ou de roseaux.</p> + +<p>LES ANIMAUX: Costumes populaires ou paysans.</p> + +<p>LES ARBRES: Robes, nuances variées du vert ou de la teinte tronc +d'arbres. Attributs, feuilles ou branches qui les fassent +reconnaître.</p> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="TABLEAUX" id="TABLEAUX"></a>TABLEAUX</h3> + + +<p>1er TABLEAU (acte I): <i>La Cabane du Bûcheron.</i></p> + +<p>2e TABLEAU (acte II): <i>Chez la Fée.</i></p> + +<p>3e TABLEAU (acte II): <i>Le Pays du Souvenir.</i></p> + +<p>4e TABLEAU (acte III): <i>Le Palais de la Nuit.</i></p> + +<p>5e TABLEAU (acte III): <i>La Forêt.</i></p> + +<p>6e TABLEAU (acte IV): <i>Devant le Rideau.</i></p> + +<p>7e TABLEAU (acte IV): <i>Le Cimetière.</i></p> + +<p>8e TABLEAU (acte IV): <i>Devant le Rideau.</i></p> + +<p>9e TABLEAU (acte IV): <i>Le Palais des Bonheurs.</i></p> + +<p>10e TABLEAU (acte V): <i>Le Royaume de l'Avenir.</i></p> + +<p>11e TABLEAU (acte VI): <i>L'Adieu.</i></p> + +<p>12e TABLEAU (acte VI): <i>Le Réveil.</i></p> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="PERSONNAGES" id="PERSONNAGES"></a>PERSONNAGES</h3> + +<h4>(dans l'ordre de leur entrée en scène)</h4> + + +<table border="0" cellpadding="1" cellspacing="0" summary=""> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LA MÈRE TYL</span></td><td align="center">—</td><td align="left">M<sup>lle</sup> Méthivet.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">TYLTYL</span></td><td align="left">—</td><td align="left">M. Delphin.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">MYTYL</span></td><td align="left">—</td><td align="left">M<sup>lle</sup> Odette Carlia.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LA FÉE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">M<sup>me</sup> Gina Barbieri.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE PAIN</span></td><td align="left">—</td><td align="left">MM. R.L. Fugère.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE FEU</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Aurèle Sydney.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">L'EAU</span></td><td align="left">—</td><td align="left">M<sup>lles</sup> Isis.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE LAIT</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Diris.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE SUCRE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">MM.Bosman.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE CHIEN</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Séverin-Mars.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE CHAT</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Stephen.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LA LUMIÈRE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">M<sup>me</sup> Georgette Leblanc.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ M<sup>lle</sup>s Nini Mano.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Henriette Maillefer.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Fernande Fayeret.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Blanche Faveret.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Suzanne Bailly.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LES HEURES</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Raymonde Faveret.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Laurence Petit.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Jane Faveret.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Berthe Libovitz.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Antoinette Raymond.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Deroissy.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Georges.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE PÈRE TYL</span></td><td align="left">—</td><td align="left">M. Félix Barré.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">GRAND'MÈRE TYL</span></td><td align="left">—</td><td align="left">M<sup>me</sup> Daynes Grassot.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">GRAND-PÈRE TYL</span></td><td align="left">—</td><td align="left">M. Maillard.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">PIERROT</span></td><td align="left">—</td><td align="left">M<sup>lles</sup> Suterre.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">ROBERT</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Maria Fromet.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">JEANNETTE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Jeanne Evrard.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">MADELEINE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Giavelli.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">PIERRETTE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Henriette Gallet.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">PAULINE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Henriette Maillefer.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">RIQUETTE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Nini Mano</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LA NUIT</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Clarel.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE SOMMEIL</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Louise Starck.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LA MORT</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Rachel Horelick.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE RHUME DE CERVEAU</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Renée Dahon.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">1er ENFANT BLEU</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Maria Fromet.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">2e</span> —</td><td align="left">—</td><td align="left">Laura Walter.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">3e</span> —</td><td align="left">—</td><td align="left">Maria Dumont.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">4e</span> —</td><td align="left">—</td><td align="left">Fernande Faveret.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">5e</span> —</td><td align="left">—</td><td align="left">Maud Loti.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">6e</span> —</td><td align="left">—</td><td align="left">Suterre.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">7e</span> —</td><td align="left">—</td><td align="left">Suzanne Bailly.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">8e</span> —</td><td align="left">—</td><td align="left">Giavelli.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">9e</span> —</td><td align="left">—</td><td align="left">Madeleine Fromet.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE ROI DES NEUF PLANÈTES</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Batistina Rousseau.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">11e ENFANT BLEU</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Renée Pré.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">12e</span> —</td><td align="left">—</td><td align="left">Henriette Maillefer.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">13e</span> —</td><td align="left">—</td><td align="left">Béatrice Raymond.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">14e</span> —</td><td align="left">—</td><td align="left">Jeanne Corrège.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">L'AMOUREUX</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Lucy Fleury.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">L'AMOUREUSE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Blanche Borelli.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE TEMPS</span></td><td align="left">—</td><td align="left">M. Garry.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE PETIT FRÈRE A NAITRE</span>.</td><td align="left">—</td><td align="left">M<sup>lle</sup> Maria Fromet.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ M<sup>lles</sup> Berthe Libovitz.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Fernande Faveret.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Suzanne Faveret.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Blanche Faveret.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Raymonde Faveret.</td></tr> +<tr><td align="left">LES AUTRES ENFANTS BLEUS:</td><td align="left">—</td><td align="left">{ M<sup>lles</sup> Henriette Gallet.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Jeanne Evrard.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Denise Choquet.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Léa Dumont.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Marcelle Malherbe.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Juliette Malherbe.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Lucienne Chezeaux.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Dupechier.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ M<sup>lles</sup> Deroissy.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ George.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LES GARDIENNES</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Théloz.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Albert.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE CHEF DES GROS BONHEURS</span>.</td><td align="left">—</td><td align="left">M. Barré.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ MM. Alfroy.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Adalbert, etc.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LES AUTRES BONHEURS</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ M<sup>lle</sup> Lucienne Chezaux.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Nini Mano.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Jeanne Corrège.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LES PETITS BONHEURS</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Henriette Maillefer.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Fernand Faveret.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Blanche Faveret.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Louise Starck.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Rachel Horelick.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Jane Faveret.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Raymonde Faveret.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LES ADOLESCENTS</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Maud Loti.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Annette Libovitz.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Laurence Petit.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE CHEF DES BONHEURS</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ M<sup>lles</sup> Renée Beauval.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE BONHEUR DE SE BIEN PORTER</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Dorchèze.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">— DE L'AIR PUR</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Fleury.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">— D'AIMER SES PARENTS</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Gannoz.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">— DU CIEL BLEU</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Blanche Borelli.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">— DE LA FORÊT</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Diris.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE BONHEUR DES HEURES DE SOLEIL</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ M<sup>lles</sup> Boissière.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">—DU PRINTEMPS</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Renée Dahon.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">—DES COUCHERS DE SOLEIL</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Soyez.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">—DE VOIR SE LEVER</span></td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 4em; font-size: 0.8em;">LES ÉTOILES</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Georges.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">—DE LA PLUIE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Darièze.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">—DU FEU D'HIVER</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Carène.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">—DES PENSÉES INNOCENTES</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Laura Walter.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">—DE COURIR NU-PIEDS</span></td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 4em; font-size: 0.8em;">—DANS LA ROSÉE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Antoinette Raymond.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LA JOIE D'ÊTRE JUSTE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Albert.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">—D'ÊTRE BONNE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Bulaine.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">—DE LA GLOIRE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Théloz.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">—DE PENSER</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Deroissy.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">—DE COMPRENDRE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Lefebvre.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">—DE VOIR CE QUI EST BEAU</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Didier.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">—D'AIMER</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Dervil.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">L'AMOUR MATERNEL</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Méthivet.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Soyez.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LES JOIES INCONNUES</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Delettraz.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Dessoyer, etc.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LA VOISINE BERLINGOT</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ M<sup>me</sup> Gina Barbieri.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">SA PETITE FILLE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ M<sup>lle</sup> Juliette Malherbe.</td></tr> +</table> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h2><a name="LOISEAU_BLEU" id="LOISEAU_BLEU"></a>L'OISEAU BLEU</h2> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="ACTE_PREMIER" id="ACTE_PREMIER"></a>ACTE PREMIER</h3> + + + +<hr style="width: 45%;" /> +<h3><a name="PREMIER_TABLEAU" id="PREMIER_TABLEAU"></a>PREMIER TABLEAU</h3> + + +<h4>LA CABANE DU BÛCHERON</h4> + + +<p>Le théâtre représente l'intérieur d'une cabane de bûcheron, +simple, rustique, mais non point misérable.—Cheminée à manteau +où s'assoupit un feu de bûches.—Ustensiles de cuisine, armoire, +huche, horloge à poids, rouet, fontaine, etc.—Sur une table, une +lampe allumée.—Au pied de l'armoire, de chaque côté de +celle-ci, endormis, pelotonnés, le nez sous la queue, un Chien et +une Chatte.—Entre eux deux, un grand pain de sucre blanc et +bleu.—Accrochée au mur, une cage ronde renfermant une +tourterelle.—Au fond, deux fenêtres dont les volets intérieurs +sont fermés.—Sous l'une des fenêtres, un escabeau.—A gauche, la +porte d'entrée de la maison, munie d'un gros loquet.—A droite, +une autre porte.—Échelle menant à un grenier.—Également à +droite, deux petits lits d'enfant, au chevet desquels, sur deux +chaises, des vêtements se trouvent soigneusement pliés.</p> + +<hr style="width: 45%;" /> + +<blockquote><p>[Au lever du rideau, Tyltyl et Mytyl sont profondément +endormis dans leurs petits lits. La Mère Tyl les borde une +dernière fois, se penche sur eux, contemple un moment leur +sommeil, et appelle de la main le père Tyl qui passe la tête +dans l'entrebâillement de la porte. La Mère Tyl met un doigt +sur les lèvres pour lui commander le silence, puis sort à +droite sur la pointe des pieds, après avoir éteint la lampe. +La scène reste obscure un instant, puis une lumière dont +l'intensité augmente peu à peu filtre par les lames des +volets. La lampe sur la table se rallume d'elle-même. Les +deux enfants semblent s'éveiller et se mettent sur leur +séant.]</p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mytyl?</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Tyltyl?</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tu dors?</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Et toi?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais non, je dors pas puisque je te parle....</p> + +<p>MYTYL:</p> + +<p>C'est Noël, dis?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Pas encore; c'est demain. Mais le petit Noël n'apportera rien +cette année....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Pourquoi?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>J'ai entendu maman qui disait qu'elle n'avait pu aller à la ville +pour le prévenir.... Mais il viendra l'année prochaine....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>C'est long, l'année prochaine?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ce n'est pas trop court.... Mais il vient cette nuit chez les +enfants riches....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Ah?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tiens!... Maman a oublié la lampe!... J'ai une idée?...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Nous allons nous lever....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>C'est défendu....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Puisqu'il n'y a personne.... Tu vois les volets?...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Oh! qu'ils sont clairs!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est les lumières de la fête.</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Quelle fête?</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>En face, chez les petits riches. C'est l'arbre de Noël. Nous +allons les ouvrir....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Est-ce qu'on peut?</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Bien sûr, puisqu'on est seuls.... Tu entends la musique?... +Levons-nous....</p> + +<blockquote><p>[Les deux enfants se lèvent, courent à l'une des fenêtres, +montent sur l'escabeau et poussent les volets. Une vive +clarté pénètre dans la pièce. Les enfants regardent +avidement au dehors.]</p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>On voit tout!...</p> + +<p>MYTYL, [qui ne trouve qu'une place précaire sur l'escabeau.]</p> + +<p>Je vois pas....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Il neige!... Voilà deux voitures à six chevaux!...</p> + +<p>MYTYL Il en sort douze petits garçons!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>T'es bête!... C'est des petites filles....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Ils ont des pantalons....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tu t'y connais.... Ne me pousse pas ainsi!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Je t'ai pas touché.</p> + +<p>TYLTYL, [qui occupe à lui seul tout l'escabeau.]</p> + +<p>Tu prends toute la place....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Mais j'ai pas du tout de place!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tais-toi donc, on voit l'arbre!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Quel arbre?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais l'arbre de Noël!... Tu regardes le mur!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Je regarde le mur parce qu'y a pas de place....</p> + +<p>TYLTYL, [lui cédant une petite place avare sur l'escabeau.]</p> + +<p>Là !... En as-tu assez?... C'est-y pas la meilleure?... Il y en a +des lumières! Il y en a!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Qu'est-ce qu'ils font donc ceux qui font tant de bruit?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ils font de la musique.</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Est-ce qu'ils sont fâchés?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Non, mais c'est fatigant.</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Encore une voiture attelée de chevaux blancs!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tais-toi!... Regarde donc!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Qu'est-ce qui pend là , en or, après les branches?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais les jouets, pardi!... Des sabres, des fusils, des soldats, +des canons....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Et des poupées, dis, est-ce qu'on en a mis?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Des poupées?... C'est trop bête; ça ne les amuse pas....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Et autour de la table, qu'est-ce que c'est tout ça?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est des gâteaux, des fruits, des tartes à la crème....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>J'en ai mangé une fois, lorsque j'étais petite....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Moi aussi; c'est meilleur que le pain, mais on en a trop peu....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Ils n'en ont pas trop peu.... Il y en a plein la table.... Est-ce +qu'ils vont les manger?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Bien sûr; qu'en feraient-ils?...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Pourquoi qu'ils ne les mangent pas tout de suite?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Parce qu'ils n'ont pas faim....</p> + +<p>MYTYL, stupéfaite.</p> + +<p>Ils n'ont pas faim?... Pourquoi?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est qu'ils mangent quand ils veulent....</p> + +<p>MYTYL, incrédule.</p> + +<p>Tous les jours?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>On le dit....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Est-ce qu'ils mangeront tout?... Est-ce qu'ils en donneront?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>A qui?...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>A nous....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ils ne nous connaissent pas....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Si on leur demandait?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Cela ne se fait pas.</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Pourquoi?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Parce que c'est défendu.</p> + +<p>MYTYL, battant des mains.</p> + +<p>Oh! qu'ils sont donc jolis!...</p> + +<p>TYLTYL, enthousiasmé.</p> + +<p>Et ils rient et ils rient!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Et les petits qui dansent!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui, oui, dansons aussi!...</p> + +<blockquote><p>Ils trépignent de joie sur l'escabeau. </p></blockquote> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Oh! que c'est amusant!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>On leur donne les gâteaux!... Ils peuvent y toucher!... Ils +mangent! ils mangent! ils mangent!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Les plus petits aussi!... Ils en ont deux, trois, quatre!...</p> + +<p>TYLTYL, [ivre de joie.]</p> + +<p>Oh! c'est bon!... Que c'est bon! que c'est bon!...</p> + +<p>MYTYL, [comptant des gâteaux imaginaires.]</p> + +<p>Moi, j'en ai reçu douze!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et moi quatre fois douze!... Mais je t'en donnerai....</p> + +<blockquote><p>On frappe à la porte de la cabane. </p></blockquote> + +<p>TYLTYL, [subitement calmé et effrayé.]</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est?...</p> + +<p>MYTYL, [épouvantée.]</p> + +<p>C'est papa!...</p> + +<blockquote><p>[Comme ils tardent à ouvrir, on voit le gros loquet se +soulever de lui-même, en grinçant; la porte s'entrebâille +pour livrer passage à une petite vieille habillée de vert et +coiffée d'un chaperon rouge. Elle est bossue, boiteuse, +borgne; le nez et le menton se rencontrent, et elle marche +courbée sur un bâton. Il n'est pas douteux que ce ne soit +une fée.]</p></blockquote> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Avez-vous ici l'herbe qui chante ou l'oiseau qui est bleu?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Nous avons de l'herbe, mais elle ne chante pas....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Tyltyl a un oiseau.</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais je ne peux pas le donner....</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Pourquoi?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Parce qu'il est à moi.</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>C'est une raison, bien sûr. Où est-il, cet oiseau?...</p> + +<p>TYLTYL, [montrant la cage.]</p> + +<p>Dans la cage....</p> + +<p>LA FÉE, [mettant ses besicles pour examiner l'oiseau.]</p> + +<p>Je n'en veux pas; il n'est pas assez bleu. Il faudra que vous +m'alliez chercher celui dont j'ai besoin.</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais je ne sais pas où il est....</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Moi non plus. C'est pourquoi il faut le chercher. Je puis à la +rigueur me passer de l'herbe qui chante; mais il me faut +absolument l'Oiseau Bleu. C'est pour ma petite fille qui est très +malade.</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'est-ce qu'elle a?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>On ne sait pas au juste; elle voudrait être heureuse....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ah?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Savez-vous qui je suis?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Vous ressemblez un peu à notre voisine, Madame Berlingot....</p> + +<p>LA FÉE, se fâchant subitement.</p> + +<p>En aucune façon.... Il n'y a aucun rapport.... C'est +abominable!... Je suis la Fée Bérylune....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ah! très bien....</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Il faudra partir tout de suite.</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Vous viendrez avec nous?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>C'est absolument impossible à cause du pot-au-feu que j'ai mis ce +matin et qui s'empresse de déborder chaque fois que je m'absente +plus d'une heure.... [Montrant successivement le plafond, la +cheminée et la fenêtre.] Voulez-vous sortir par ici, par là ou +par là ?...</p> + +<p>TYLTYL, [montrant timidement la porte.]</p> + +<p>J'aimerais mieux sortir par là ....</p> + +<p>LA FÉE, [se fâchant encore subitement.]</p> + +<p>C'est absolument impossible, et c'est une habitude révoltante!... +[Indiquant la fenêtre.] Nous sortirons par là .... Eh bien!... +Qu'attendez-vous?... Habillez-vous tout de suite.... [Les enfants +obéissent et s'habillent rapidement.] Je vais aider Mytyl....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Nous n'avons pas de souliers....</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Ça n'a pas d'importance. Je vais vous donner un petit chapeau +merveilleux. Où sont donc vos parents?...</p> + +<p>TYLTYL, [montrant la porte à droite.]</p> + +<p>Ils sont là ; ils dorment....</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Et votre bon-papa et votre bonne-maman?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ils sont morts....</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Et vos petits frères et vos petites sÅ“urs.... Vous en +avez?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui, oui; trois petits frères....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Et quatre petites sÅ“urs....</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Où sont-ils?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ils sont morts aussi....</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Voulez-vous les revoir?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oh oui!... Tout de suite!... Montrez-les!...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Je ne les ai pas dans ma poche.... Mais ça tombe à merveille; +vous les reverrez en passant par le pays du Souvenir. C'est sur +la route de l'Oiseau-Bleu. Tout de suite à gauche, après le +troisième carrefour.—Que faisiez-vous quand j'ai frappé?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Nous jouions à manger des gâteaux.</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Vous avez des gâteaux?... Où sont-ils?</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Dans le palais des enfants riches.... Venez voir, c'est si +beau!...</p> + +<blockquote><p>[Il entraîne la Fée vers la fenêtre.] </p></blockquote> + +<p>LA FÉE, à la fenêtre.</p> + +<p>Mais ce sont les autres qui les mangent!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui; mais puisqu'on voit tout....</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Tu ne leur en veux pas?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Pourquoi?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Parce qu'ils mangent tout. Je trouve qu'ils ont grand tort de ne +pas t'en donner....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais non, puisqu'ils sont riches.... Hein? que c'est beau chez +eux!...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Ce n'est pas plus beau que chez toi.</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Heu!... Chez nous c'est plus noir, plus petit, sans gâteaux....</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>C'est absolument la même chose; c'est que tu n'y vois pas....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais si, j'y vois très bien, et j'ai de très bons yeux. Je lis +l'heure au cadran de l'église que papa ne voit pas....</p> + +<p>LA FÉE, [se fâchant subitement.]</p> + +<p>Je te dis que tu n'y vois pas!... Comment donc me vois-tu?... +Comment donc suis-je faite?... [Silence gêné de Tyltyl.] Eh bien, +répondras-tu? que je sache si tu vois?... Suis-je belle ou bien +laide?... [Silence de plus en plus embarrassé.] Tu ne veux pas +répondre?... Suis-je jeune ou bien veille?... Suis-je rose ou +bien jaune?... j'ai peut-être une bosse?...</p> + +<p>TYLTYL, [conciliant.]</p> + +<p>Non, non, elle n'est pas grande....</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Mais si, à voir ton air, on la croirait énorme.... Ai-je le nez +crochu et l'Å“il gauche crevé?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Non, non, je ne dis pas.... Qui est-ce qui l'a crevé?...</p> + +<p>LA FÉE, de plus en plus irritée.</p> + +<p>Mais il n'est pas crevé!... Insolent! misérable!... Il est plus +beau que l'autre; il est plus grand, plus clair, il est bleu +comme le ciel.... Et mes cheveux, vois-tu?... Ils sont blonds +comme les blés.... on dirait de l'or vierge!... Et j'en ai tant +et tant que la tête me pèse.... Ils s'échappent de partout.... +Les vois-tu sur mes mains?...</p> + +<blockquote><p>[Elle étale deux maigres mèches de cheveux gris.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui, j'en vois quelques-uns....</p> + +<p>LA FÉE, [indignée.]</p> + +<p>Quelques-uns!... Des gerbes! des brassées! des touffes! des flots +d'or!... Je sais bien que des gens disent qu'ils n'en voient +point; mais tu n'es pas de ces méchantes gens aveugles, je +suppose?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Non, non, je vois très bien ceux qui ne se cachent point....</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Mais il faut voir les autres avec la même audace!... C'est bien +curieux, les hommes.... Depuis la mort des fées, ils n'y voient +plus du tout et ne s'en doutent point.... Heureusement que j'ai +toujours sur moi tout ce qu'il faut pour rallumer les yeux +éteints.... Qu'est-ce que je tire de mon sac?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oh! le joli petit chapeau vert!... Qu'est-ce qui brille ainsi sur +la cocarde?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>C'est le gros Diamant qui fait voir....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ah!...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Oui; quand on a le chapeau sur la tête, on tourne un peu le +Diamant: de droite à gauche, par exemple, tiens, comme ceci, +vois-tu?... Il appuie alors sur une bosse de la tête que personne +ne connaît, et qui ouvre les yeux....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ça ne fait pas de mal?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Au contraire, il est fée.... On voit à l'instant même ce qu'il y +a dans les choses; l'âme du pain, du vin, du poivre, par +exemple....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Est-ce qu'on voit aussi l'âme du sucre?...</p> + +<p>LA FÉE, [subitement fâchée.]</p> + +<p>Cela va sans dire!... Je n'aime pas les questions inutiles.... +L'âme du sucre n'est pas plus intéressante que celle du +poivre.... Voilà , je vous donne ce que j'ai pour vous aider dans +la recherche de l'Oiseau-Bleu.... Je sais bien que +l'Anneau-qui-rend-invisible ou le Tapis-Volant vous seraient plus +utiles.... Mais j'ai perdu la clef de l'armoire où je les ai +serrés.... Ah! j'allais oublier.... [Montrant le Diamant.] Quand +on le tient ainsi, tu vois.... un petit tour de plus, on revoit +le Passé.... Encore un petit tour, et l'on voit l'Avenir.... +C'est curieux et pratique et ça ne fait pas de bruit....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Papa me le prendra....</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Il ne le verra pas; personne ne peut le voir tant qu'il est sur +ta tête.... Veux-tu l'essayer?... [Elle coiffe Tyltyl du petit +chapeau vert.] A présent, tourne le Diamant.... Un tour et puis +après....</p> + +<blockquote><p>[A peine Tyltyl a-t-il tourné le Diamant, qu'un changement +soudain et prodigieux s'opère en toutes choses. La vieille +fée est tout à coup une belle princesse merveilleuse; les +cailloux dont sont bâtis les murs de la cabane s'illuminent, +bleuissent comme des saphirs, deviennent transparents, +scintillent, éblouissent à l'égal des pierres les plus +précieuses. Le pauvre mobilier s'anime et resplendit; la +table de bois blanc s'affirme aussi grave, aussi noble +qu'une table de marbre, le cadran de l'horloge cligne de +l'Å“il et sourit avec aménité, tandis que la porte +derrière quoi va et vient le balancier s'entr'ouvre et +laisse s'échapper les Heures, qui, se tenant les mains et +riant aux éclats, se mettent à danser aux sons d'une musique +délicieuse. Effarement légitime de Tyltyl qui s'écrie en +montrant les Heures.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est que toutes ces belles dames?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>N'aie pas peur; ce sont les heures de ta vie qui sont heureuses +d'être libres et visibles un instant....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et pourquoi que les murs sont si clairs?... Est-ce qu'ils sont en +sucre ou en pierres précieuses?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Toutes les pierres sont pareilles, toutes les pierres sont +précieuses: mais l'homme n'en voit que quelques-unes....</p> + +<blockquote><p>[Pendant qu'ils parlent ainsi, la féerie continue et se +complète. Les âmes des Pains-de-quatre-livres, sous la forme +de bonshommes en maillots couleur croûte-de-pain, ahuris et +poudrés de farine, se dépêtrent de la huche et gambadent +autour de la table où ils sont rejoints par le Feu, qui, +sorti de l'âtre en maillot soufre et vermillon, les poursuit +en se tordant de rire.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est que ces vilains bonshommes?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Rien de grave; ce sont les âmes des Pains-de-quatre-livres qui +profitent du règne de la vérité pour sortir de la huche où elles +se trouvaient à l'étroit....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et le grand diable rouge qui sent mauvais?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Chut!... Ne parle pas trop haut, c'est le Feu.... Il a mauvais +caractère.</p> + +<blockquote><p>[Ce dialogue n'a pas interrompu la féerie. Le Chien et la +Chatte, couchés en rond au pied de l'armoire, poussant +simultanément un grand cri, disparaissent dans une trappe, +et à leur place surgissent deux personnages, dont l'un porte +un masque de bouledogue, et l'autre une tête de chatte. +Aussitôt, le petit homme au masque de bouledogue—que nous +appellerons dorénavant le Chien—se précipite sur Tyltyl +qu'il embrasse violemment et accable île bruyantes et +impétueuses caresses, cependant que la petite femme au +masque de chatte—que nous appellerons plus simplement la +Chatte—se donne un coup de peigne, se lave les mains et se +lisse la moustache, avant de s'approcher de Mytyl.] </p></blockquote> + +<p>LE CHIEN, [hurlant, sautant, bousculant tout, insupportable.]</p> + +<p>Mon petit dieu!... Bonjour! bonjour, mon petit dieu!... Enfin, +enfin, on peut parler! J'avais tant de choses à te dire!... +J'avais beau aboyer et remuer la queue!... Tu ne comprenais +pas!... Mais maintenant!... Bonjour! bonjour!... Je t'aime!... Je +t'aime!... Veux-tu que je fasse quelque chose d'étonnant?... +Veux-tu que je fasse le beau?... Veux-tu que je marche sur les +mains ou que je danse à la corde?...</p> + +<p>TYLTYL, à la Fée.</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est que ce monsieur à tête de chien?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Mais tu ne vois donc pas?... C'est l'âme de Tylô que tu as +délivrée....</p> + +<p>LA CHATTE, [s'approchant de Mytyl et lui tendant la main, +cérémonieusement, avec circonspection.]</p> + +<p>Bonjour, Mademoiselle.... Que vous êtes jolie ce matin!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Bonjour, Madame.... [A la Fée.] Qui est-ce?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>C'est facile à voir; c'est l'âme de Tylette qui te tend la +main.... Embrasse-la....</p> + +<p>LE CHIEN, [bousculant la Chatte.]</p> + +<p>Moi aussi!... J'embrasse le petit dieu!... J'embrasse la petite +fille!... J'embrasse tout le monde!... Chic!... On va +s'amuser!... Je vais faire peur à Tylette!... Hou! hou! hou!...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Monsieur, je ne vous connais pas....</p> + +<p>LA FÉE, [menaçant le Chien de sa baguette.]</p> + +<p>Toi, tu vas te tenir bien tranquille; sinon tu rentreras dans le +silence, jusqu'à la fin des temps....</p> + +<blockquote><p>[Cependant, la féerie a poursuivi son cours: le Rouet s'est +mis à tourner vertigineusement dans son coin en filant de +splendides rayons de lumière; la Fontaine, dans l'autre +angle, se prend à chanter d'une voix sur-aiguë et, se +transformant en fontaine lumineuse, inonde l'évier de nappes +de perles et d'émeraudes, à travers lesquelles s'élance +l'âme de l'Eau, pareille à une jeune fille ruisselante, +échevelée, pleurarde, qui va incontinent se battre avec le +feu.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et la dame mouillée?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>N'aie pas peur, c'est l'Eau qui sort du robinet....</p> + +<blockquote><p>[Le Pot-au-lait se renverse, tombe de la table, se brise sur +le sol; et du lait répandu s'élève une grande forme blanche +et pudibonde qui semble avoir peur de tout.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et la dame en chemise qui a peur?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>C'est le Lait qui a cassé son pot....</p> + +<blockquote><p>[Le Pain-de-sucre posé au pied de l'armoire grandit, +s'élargit et crève son enveloppe de papier d'où émerge un +être doucereux: et papelard, vêtu d'une souquenille +mi-partie de blanc et de bleu, qui, souriant béatement, +s'avance vers Mytyl.] </p></blockquote> + +<p>MYTYL, [avec inquiétude.]</p> + +<p>Que veut-il?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Mais c'est l'âme du Sucre!...</p> + +<p>MYTYL, [rassurée.]</p> + +<p>Est-ce qu'il a des sucres d'orge?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Mais il n'a que ça dans ses poches, et chacun de ses doigts en +est un....</p> + +<blockquote><p>[La Lampe tombe de la table, et aussitôt tombée, sa flamme +se redresse et se transforme en une lumineuse vierge d'une +incomparable beauté. Elle est vêtue de longs voiles +transparents et éblouissants, et se tient immobile en une +sorte d'extase.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est la Reine!</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>C'est la Sainte Vierge!...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Non, mes enfants, c'est la Lumière....</p> + +<blockquote><p>[Cependant, les casseroles, sur les rayons, tournent comme +des toupies hollandaises, l'armoire à linge claque ses +battants et commence un magnifique déroulement d'étoffes +couleur de lune et de soleil, auquel se mêlent, non moins +splendides, des chiffons et des guenilles qui descendent +l'échelle du grenier. Mais voici que trois coups assez rudes +sont frappés à la porte de droite.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL, [effrayé.]</p> + +<p>C'est papa!... Il nous a entendus!...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Tourne le Diamant!... De gauche à droite!...</p> + +<p>[Tyltyl tourne vivement le diamant.] Pas si vite!... Mon Dieu! Il +est trop tard!... Tu l'as tourné trop brusquement. Ils n'auront +pas le temps de reprendre leur place, et nous aurons bien des +ennuis.... [La Fée redevient vieille femme, les murs de la cabane +éteignent leurs splendeurs, les Heures rentrent dans l'horloge, +le Rouet s'arrête, etc. Mais dans la hâte et le désarroi général, +tandis que le Feu court follement autour de la pièce, à la +recherche de la cheminée, un des Pains-de-quatre-livres, qui n'a +pu retrouver place dans la huche, éclate en sanglots tout en +poussant des rugissements d'épouvante.] Qu'y a-t-il?...</p> + +<p>LE PAIN, [tout en larmes.]</p> + +<p>Il n'y a plus de place dans la huche!...</p> + +<p>LA FÉE, [se penchant sur la huche.]</p> + +<p>Mais si, mais si.... [Poussant les autres pains qui ont repris +leur place primitive.] Voyons, vite, rangez-vous....</p> + +<blockquote><p>[On heurte encore la porte.] </p></blockquote> + +<p>LE PAIN, [éperdu, s'efforçant vainement d'entrer dans la huche.]</p> + +<p>Il n'y a pas moyen!... Il me mangera le premier!...</p> + +<p>LE CHIEN, [gambadant autour de Tyltyl.]</p> + +<p>Mon petit dieu!... Je suis encore ici!... Je puis encore parler! +Je puis encore t'embrasser!... Encore! encore! encore!...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Comment, toi aussi?... Tu es encore là ?...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>J'ai de la veine.... Je n'ai pas pu rentrer dan le silence; la +trappe s'est refermée trop vite..</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>La mienne aussi.... Que va-t-il arriver?... Est-ce que c'est +dangereux?</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Mon Dieu, je dois vous dire la vérité: tous ceux qui +accompagneront les deux enfants, mourront à la fin du voyage....</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Et ceux qui ne les accompagneront pas?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Ils survivront quelques minutes....</p> + +<p>LA CHATTE, [au Chien.]</p> + +<p>Viens, rentrons dans la trappe....</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Non, non!... Je ne veux pas!... Je veux accompagner le petit +dieu!... Je veux lui parler tout le temps!...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Imbécile!...</p> + +<blockquote><p>[On heurte encore à la porte.] </p></blockquote> + +<p>LE PAIN, [pleurant à chaudes larmes.]</p> + +<p>Je ne veux pas mourir à la fin du voyage!... Je veux rentrer tout +de suite dans ma huche!...</p> + +<p>LE FEU, [qui n'a cessé de parcourir vertigineusement la pièce en +poussant des sifflements d'angoisse.]</p> + +<p>Je ne trouve plus ma cheminée!...</p> + +<p>L'EAU, [qui tente vainement de rentrer dans le robinet.]</p> + +<p>Je ne peux plus rentrer dans le robinet!...</p> + +<p>LE SUCRE, [qui s'agite autour de son enveloppe de papier.]</p> + +<p>J'ai crevé mon papier d'emballage!...</p> + +<p>LE LAIT, [lymphatique et pudibond.]</p> + +<p>On a cassé mon petit pot!...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Sont-ils bêtes, mon Dieu!... Sont-ils bêtes et poltrons!... Vous +aimeriez donc mieux continuer de vivre dans vos vilaines boîtes, +dans vos trappes et dans vos robinets que d'accompagner les +enfants qui vont chercher l'Oiseau?...</p> + +<p>TOUS, [à l'exception du Chien et de la Lumière.]</p> + +<p>Oui! oui! Tout de suite!... Mon robinet!... Ma huche!... Ma +cheminée!... Ma trappe!...</p> + +<p>LA FÉE, [à la Lumière qui regarde rêveusement les débris de sa +lampe.]</p> + +<p>Et toi, la Lumière, qu'en dis-tu?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>J'accompagnerai les enfants....</p> + +<p>LE CHIEN, [hurlant de joie.]</p> + +<p>Moi aussi! moi aussi!...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Voilà qui est des mieux. Du reste, il est trop tard pour reculer; +vous n'avez plus le choix, vous sortirez tous avec nous.... Mais +toi, le Feu, ne t'approche de personne, toi, le Chien, ne taquine +pas la Chatte, et toi, l'eau, tiens-toi droite et tâche de ne pas +couler partout....</p> + +<p>[Des coups violents sont encore frappés à la porte de droite.]</p> + +<p>TYLTYL, [écoutant.]</p> + +<p>C'est encore papa!... Cette fois, il se lève, je l'entends +marcher....</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Sortons par la fenêtre.... Vous viendrez tous chez moi, où +j'habillerai convenablement les animaux et les phénomènes.... [Au +Pain.] Toi, le Pain, prends la cage dans laquelle on mettra +l'Oiseau-Bleu.... Tu en auras la garde.... Vite, vite, ne perdons +pas de temps....</p> + +<blockquote><p>[La fenêtre s'allonge brusquement, comme une porte. Ils +sortent tous, après quoi la fenêtre reprend sa forme +primitive et se referme innocemment. La chambre est +redevenue obscure, et les deux petits lits sont plongés dans +l'ombre. La porte à droite s'entr'ouvre, et dans +l'entrebâillement paraissent les têtes du père et de la mère +Tyl.] </p></blockquote> + +<p>LE PÈRE TYL</p> + +<p>Ce n'était rien.... C'est le grillon qui chante....</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Tu les vois?...</p> + +<p>LE PÈRE TYL</p> + +<p>Bien sûr.... Ils dorment tranquillement....</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Je les entends respirer....</p> + +<p>[La porte se referme.]</p> + +<p>RIDEAU</p> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="ACTE_DEUXIEME" id="ACTE_DEUXIEME"></a>ACTE DEUXIÈME</h3> + + + +<hr style="width: 45%;" /> +<h3><a name="DEUXIEME_TABLEAU" id="DEUXIEME_TABLEAU"></a>DEUXIÈME TABLEAU</h3> + +<h4>CHEZ LA FÉE</h4> + + +<p>Un magnifique vestibule dans le palais de la Fée Bérylune. +Colonnes de marbre clair à chapiteaux d'or et d'argent, +escaliers, portiques, balustrades, etc.</p> + +<hr style="width: 45%;" /> + +<blockquote><p>[Entrent au fond, à droite, somptueusement habillés, la +Chatte, le Sucre et le Feu. Ils sortent d'un appartement +d'où émanent des rayons de lumière; c'est la garde-robe de +la Fée. La Chatte a jeté une gaze légère sur son maillot de +soie noire, le Sucre a revêtu une robe de soie, mi-partie de +blanc et de bleu tendre, et le Feu, coiffé d'aigrettes +multicolores, un long manteau cramoisi doublé d'or. Ils +traversent toute la salle et descendent au premier plan, à +droite, où la Chatte les réunit sous un portique.] </p></blockquote> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Par ici. Je connais tous les détours de ce palais.... La Fée +Bérylune l'a hérité de Barbe-Bleue.... Pendant que les enfants +et la Lumière rendent visite à la petite fille de la Fée, +profitons de notre dernière minute de liberté.... Je vous ai fait +venir ici, afin de vous entretenir de la situation qui nous est +faite.... Sommes-nous tous présents?...</p> + +<p>LE SUCRE</p> + +<p>Voici le Chien qui sort de la garde-robe de la Fée....</p> + +<p>LE FEU</p> + +<p>Comment diable s'est-il habillé?...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Il a pris la livrée d'un des laquais du carrosse de +Cendrillon.... C'est bien ce qu'il lui fallait.... Il a une âme +de valet.... Mais dissimulons-nous derrière la balustrade.... Je +m'en méfie étrangement.... Il vaudrait mieux qu'il n'entende pas +ce que j'ai à vous dire....</p> + +<p>LE SUCRE</p> + +<p>C'est inutile.... Il nous a éventés.... Tiens, voilà l'Eau qui +sort en même temps de la garde-robe.... Dieu! qu'elle est +belle!...</p> + +<blockquote><p>[Le Chien et l'Eau rejoignent le premier groupe.]</p></blockquote> + +<p>LE CHIEN, gambadant.</p> + +<p>Voilà ! voilà !... Sommes-nous beaux! Regardez donc ces dentelles, +et puis ces broderies!... C'est de l'or et du vrai!...</p> + +<p>LA CHATTE, [à l'Eau.]</p> + +<p>C'est la robe «couleur-du-temps» de Peau-d'Âne?... Il me semble +que je la connais....</p> + +<p>L'EAU</p> + +<p>Oui, c'est encore ce qui m'allait le mieux....</p> + +<p>LE FEU, [entre les dents.]</p> + +<p>Elle n'a pas son parapluie....</p> + +<p>L'EAU</p> + +<p>Vous dites?...</p> + +<p>LE FEU</p> + +<p>Rien, rien....</p> + +<p>L'EAU</p> + +<p>Je croyais que vous parliez d'un gros nez rouge que j'ai vu +l'autre jour....</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Voyons, ne nous querellons pas, nous avons mieux à faire.... Nous +n'attendons plus que le Pain: où est-il?...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Il n'en finissait pas de faire de l'embarras pour choisir son +costume....</p> + +<p>LE FEU</p> + +<p>C'est bien la peine, quand on a l'air idiot et qu'on porte un +gros ventre....</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Finalement, il s'est décidé pour une robe turque, ornée de +pierreries, un cimeterre et un turban....</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Le voilà !... Il a mis la plus belle robe de Barbe-Bleue....</p> + +<blockquote><p>[Entre le Pain, dans le costume qu'on vient de décrire. La +robe de soie est péniblement croisée sur son énorme ventre. +Il tient d'une main la garde du cimeterre passé dans sa +ceinture et de l'autre la cage destinée à l'Oiseau-Bleu.] </p></blockquote> + +<p>LE PAIN, [se dandidant vaniteusement.]</p> + +<p>Eh bien?... Comment me trouvez-vous?...</p> + +<p>LE CHIEN, [gambadant autour du Pain.]</p> + +<p>Qu'il est beau! qu'il est bête! qu'il est beau! qu'il est +beau!...</p> + +<p>LA CHATTE, [au Pain.]</p> + +<p>Les enfants sont-ils habillés?...</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>Oui, Monsieur Tyltyl a pris la veste rouge, les bas blancs et la +culotte bleue du Petit-Poucet; quant à Mademoiselle Mytyl, elle a +la robe de Grethel et les pantoufles de Cendrillon.... Mais la +grande affaire, ç'a été d'habiller la Lumière!...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Pourquoi?...</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>La Fée la trouvait si belle qu'elle ne voulait pas l'habiller du +tout!... Alors j'ai protesté au nom de notre dignité d'éléments +essentiels et éminemment respectables; et j'ai fini par déclarer +que, dans ces conditions, je refusais de sortir avec elle....</p> + +<p>LE FEU</p> + +<p>Il fallait lui acheter un abat-jour!...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Et la Fée, qu'a-t-elle répondu?...</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>Elle m'a donné quelques coups de bâton sur la tête et le +ventre....</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Et alors?...</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>Je fus promptement convaincu, mais au dernier moment, la Lumière +s'est décidée pour la robe «couleur-de-lune» qui se trouvait au +fond du coffre aux trésors de Peau-d'Ane....</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Voyons, c'est assez bavardé, le temps presse.... Il s'agit de +notre avenir.... Vous l'avez entendu, la Fée vient de le dire, la +fin de ce voyage marquera en même temps la fin de notre vie.... +Il s'agit donc de le prolonger autant que possible et par tous +les moyens possibles.... Mais il y a encore autre chose; il faut +que nous pensions au sort de notre race et à la destinée de nos +enfants....</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>Bravo! bravo!... La Chatte a raison!...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Écoutez-moi.... Nous tous ici présents, animaux, choses et +éléments, nous possédons une âme que l'homme ne connaît pas +encore. C'est pourquoi nous gardons un reste d'indépendance; +mais, s'il trouve l'Oiseau-Bleu, il saura tout, il verra tout, et +nous serons complètement à sa merci.... C'est ce que vient de +m'apprendre ma vieille amie la Nuit, qui est en même temps la +gardienne des mystères de la Vie.... Il est donc de notre intérêt +d'empêcher à tout prix qu'on ne trouve cet oiseau, fallût-il +aller jusqu'à mettre en péril la vie même des enfants....</p> + +<p>LE CHIEN, indigné.</p> + +<p>Que dit-elle, celle-là ?... Répète un peu que j'entende bien ce +que c'est?</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>Silence!... Vous n'avez pas la parole!... Je préside +l'assemblée....</p> + +<p>LE FEU</p> + +<p>Qui vous a nommé président?...</p> + +<p>L'EAU, [au Feu.]</p> + +<p>Silence!... De quoi vous mêlez-vous?...</p> + +<p>LE FEU</p> + +<p>Je me mêle de ce qu'il faut.... Je n'ai pas d'observations à +recevoir de vous....</p> + +<p>LE SUCRE, [conciliant.]</p> + +<p>Permettez.... Ne nous querellons point.... L'heure est grave.... +Il s'agit avant tout de s'entendre sur les mesures à prendre....</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>Je partage entièrement l'avis du Sucre et de la Chatte....</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>C'est idiot!... Il y a l'Homme, voilà tout!... Il faut lui obéir +et faire tout ce qu'il veut!... Il n'y a que ça de vrai.... Je ne +connais que lui!... Vive l'Homme!... A la vie, à la mort, tout +pour l'Homme!... l'Homme est dieu!...</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>Je partage entièrement l'avis du Chien.</p> + +<p>LA CHATTE, [au Chien.]</p> + +<p>Mais on donne ses raisons....</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Il n'y a pas de raisons!... J'aime l'Homme, ça suffit!... Si vous +faites quelque chose contre lui, je vous étranglerai d'abord et +j'irai tout lui révéler....</p> + +<p>LE SUCRE, [intervenant avec douceur.]</p> + +<p>Permettez.... N'aigrissons pas la discussion.... D'un certain +point de vue, vous avez raison, l'un et l'autre.... Il y a le +pour et le contre....</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>Je partage entièrement l'avis du Sucre!...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Est-ce que tous ici, l'Eau, le Feu, et vous-mêmes le Pain et le +Chien, nous ne sommes pas victimes d'une tyrannie sans nom?... +Rappelez-vous le temps où, avant la venue du despote, nous +errions librement sur la face de la Terre.... l'Eau et le Feu +étaient les seuls maîtres du monde; et voyez ce qu'ils sont +devenus!... Quant à nous, les chétifs descendants des grands +fauves.... Attention!... N'ayons l'air de rien.... Je vois +s'avancer la Fée et la Lumière.... La Lumière s'est mise du parti +de l'Homme; c'est notre pire ennemie.... Les voici....</p> + +<blockquote><p>[Entrent à droite, la Fée et la Lumière, suivies de Tyltyl +et de Mytyl.] </p></blockquote> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Eh bien?... qu'est-ce que c'est?... Que faites-vous dans ce +coin?... Vous avez l'air de conspirer.... Il est temps de se +mettre en route.... Je viens de décider que la Lumière sera votre +chef.... Vous lui obéirez tous comme à moi-même et je lui confie +ma baguète.... Les enfants visiteront ce soir leurs grand-parents +qui sont morts.... Vous ne les accompagnerez pas, par discrétion.... +Ils passeront la soirée au sein de leur famille décédée.... +Pendant ce temps, vous préparerez tout ce qu'il faut pour l'étape +de demain, qui sera longue.... Allons, debout, en route et chacun +à son poste!...</p> + +<p>LA CHATTE, [hypocritement.]</p> + +<p>C'est tout juste ce que je leur disais, Madame la Fée.... Je les +exhortais à remplir consciencieusement et courageusement tout +leur devoir; malheureusement, le Chien qui ne cessait de +m'interrompre....</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Que dit-elle?... Attends un peu!...</p> + +<blockquote><p>[Il va bondir sur la chatte, mais Tyltyl, qui a prévenu son +mouvement, l'arrête d'un geste menaçant.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>A bas, Tylô!... Prends garde; et s'il t'arrive encore une seul +fois de....</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Mon petit dieu, tu ne sais pas, c'est elle qui....</p> + +<p>TYLTYL, [le menaçant.]</p> + +<p>Tais-toi!...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Voyons, finissons-en.... Que le Pain, ce soir, remette la cage à +Tyltyl.... Il est possible que l'Oiseau-Bleu se cache dans le +Passé, chez les grands-parents.... En tout cas, c'est une chance +qu'il convient de ne point négliger.... Eh bien, le Pain, cette +cage?...</p> + +<p>LE PAIN, [solennel.]</p> + +<p>Un instant, s'il vous plaît, Madame le Fée.... [Comme un orateur +qui prend la parole.] Vous tous, soyez temoins que cette cage +d'argent qui me fut confiée par....</p> + +<p>LA FÉE, [l'interrompant].</p> + +<p>Assez!... Pas de phrases.... Nous sortirons par là , tandis que +les enfants sortiront par ici....</p> + +<p>TYLTYL, [avec inquiet.]</p> + +<p>Nous sortirons tout seuls?...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>J'ai faim!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Moi aussi!...</p> + +<p>LA FÉE, [au Pain.]</p> + +<p>Ouvre ta robe turque et donne leur une tranche de ton bon ventre.</p> + +<blockquote><p>[Le Pain ouvre sa robe, tire son cimeterre et coupe, à même +son gros ventre, deux tartines qu'il offre aux enfants.] </p></blockquote> + +<p>LE SUCRE, [s'approchant des enfants.]</p> + +<p>Permettez-moi de vous offrir en même temps quelques sucres +d'orge....</p> + +<blockquote><p>[Il casse un à un les cinq doigts de sa main gauche et les +leur présente.] </p></blockquote> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Qu'est-ce qu'il fait?... Il casse tous ses doigts....</p> + +<p>LE SUCRE, [engageant.]</p> + +<p>Goûtez-les, ils sont excellents.... C'est de vrais sucres +d'orge....</p> + +<p>MYTYL, [suçant un des doigts.]</p> + +<p>Dieu qu'il est bon!... Est-ce que tu en as beaucoup?...</p> + +<p>LE SUCRE, [modeste.]</p> + +<p>Mais qui, tant que je veux....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Est-ce que ça te fait mal quand tu les casses ainsi?...</p> + +<p>LE SUCRE</p> + +<p>Pas du tout.... Au contraire; c'est très avantageux, ils +repoussent tout de suite, et de cette façon, j'ai toujours des +doigts propres et neufs....</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Voyons, mes enfants, ne mangez pas trop de sucre. N'oubliez pas +que vous souperez tout à l'heure chez vos grands-parents....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ils sont ici?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Vous allez les voir à l'instant....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Comment les verrons-nous, puisqu'ils sont morts?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Comment seraient-ils morts puisqu'ils vivent dans votre +souvenir?... Les hommes ne savent pas ce secret parce qu'ils +savent bien peu de chose; au lieu que toi, grâce au Diamant, tu +vas voir que les morts dont on se souvient aussi heureux que +s'ils n'étaient point morts....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>La Luminière vient avec nous?...</p> + +<p>LA LUMINIÈRE</p> + +<p>Non, il est plus convenable que cela se passe en famille.... +J'attendrai ici près pour ne point paraître indiscrète.... Ils ne +m'ont pas invitée.</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Par où faut-il aller?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Par là .... Vous êtes au seuil du «Pays du Souvenir». Dès que tu +auras tourné le Diamant, tu verras un gros arbre muni d'un +écriteau, qui te montrera que tu es arrivé.... Mais n'oubliez pas +que vous devez être rentré tous les deux à neuf heures moins le +quart.... C'est extrêmement important.... Surtout soyez exacts, +car tout serait perdu si vous vous mettiez en retard.... A +bientôt.... [Appelant la Chatte, le Chien, la Lumière, etc.] Par +ici.... Et les petits par là ....</p> + +<p>Elle sort à droite avec la Lumière, les animaux, etc., tandis que +les enfants sortent à gauche.</p> + + +<p>RIDEAU</p> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="TROISIEME_TABLEAU" id="TROISIEME_TABLEAU"></a>TROISIÈME TABLEAU</h3> + +<h4>LE PAYS DU SOUVENIR</h4> + + +<p>Un épais brouillard d'où émerge, à droite, au tout premier plan, +le tronc d'un gros chêne muni d'un écriteau. Clarté laiteuse, +diffuse, impénétrable.</p> + +<hr style="width: 45%;" /> + +<blockquote><p>[Tyltyl et Mytyl se trouvent au pied du chêne.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Voici l'arbre!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Il y a l'écriteau!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Je ne peux pas lire.... Attends, je vais monter sur cette +racine.... C'est bien ça.... C'est écrit: «Pays du Souvenir».</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>C'est ici qu'il commence?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qui, il y a une flèche....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Eh bien, ou qu'ils sont, bon-papa et bonne-maman?</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Derrière le brouillard.... Nous allons voir....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Je ne vois rien du tout!... Je ne vois plus mes pieds ni mes +mains .. [Pleurnichant.] J'ai froid!... Je ne veux plus +voyager.... Je veux rentrer à la maison....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Voyons, ne pleure pas tout le temps, comme l'Eau.... T'es pas +honteuse? .. Une grande petite fille!... Regarde, le brouillard se +lève déjà .... Nous allons voir ce qu'il y a dedans....</p> + +<blockquote><p>[En effet, la brume s'est mise en mouvement; elle s'allège, +s'éclaire, se disperse, s'évapore. Bientôt, dans une lumière +de plus en plus transparente, on découvre, sous une voûte de +verdure, une riante maisonette de paysan, couverte de +plantes grimpantes. Les fenêtres et la porte sont ouvertes. +On voit des ruches d'abeilles sous un auvent, des pots de +fleurs sur l'appui des croisées, une cage ou dort un merle, +etc. Près de la porte un banc, sur lequel sont assis, +profondément endormis, un vieux paysan et sa femme, +c'est-à -dire le grand-père et la grand'mère de Tyltyl.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL, [les reconnaissant tout à coup.]</p> + +<p>C'est bon-papa et bonne-maman!...</p> + +<p>MYTYL, [battant des mains.]</p> + +<p>Qui! Qui!... C'est eux!... C'est eux!...</p> + +<p>TYLTYL, [encore un peu méfiant.]</p> + +<p>Attention!... On ne sait pas encore s'ils remuent.... Restons +derrière l'arbre....</p> + +<blockquote><p>[Grand'maman Tyl ouvre les yeux, lève la tête, s'étire, +pousse un soupir, regarde grand-papa Tyl qui lui aussi sort +lentement de son sommeil.]</p></blockquote> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>J'ai idée que nos petits-enfants qui sont encore en vie nous +venir voir aujourd'hui....</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Bien sûr, ils pensent à nous; car je me sens tout chose et j'ai +des fourmis dans les jambes....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Je crois qu'ils sont tout proches, car des larmes de joie dansent +avant mes yeux....</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Non, non; ils sont fort loin... Je me sens encore faible....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Je te dis qu'ils sont là ; j'ai déjà toute ma force....</p> + +<p>TYLTYL et MYTYL, se précipitant de derrière le chêne.</p> + +<p>Nous voilà !... Nous voilà !... Bon-papa, bonne-maman!... C'est +nous!... C'est nous!...</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Là !... Tu vois!... Qu'est-ce que je disais! J'étais sûr qu'ils +viendraient aujourd'hui....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Tyltyl! Mytyl!... C'est toi!... C'est elle!... C'est eux!... +[S'efforçant de courir au-devant d'eux.] Je ne peux pas +courir!... J'ai toujours mes rhumatismes!</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL, [accourant de même en clopinant.]</p> + +<p>Moi non plus.... Rapport à ma jambe de bois qui remplace toujours +celle que j'ai cassée en tombant du gros chêne....</p> + +<blockquote><p>[Les grands-parents et les enfants s'embrassent follement.] </p></blockquote> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Que tu es grandi et forci, mon Tyltyl!...</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL, [caressant les cheveux de Mytyl.]</p> + +<p>Et Mytyl!... Regarde donc!... Les beaux cheveux, les beaux +yeux!... Et puis, ce qu'elle sent bon!...</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Embrassons-nous encore!... Venez sur mes genoux....</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Et moi, je n'aurai rien?...</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Non, non.... A moi d'abord.... Comment vont Papa et Maman Tyl?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Fort bien, bonne-maman.... Ils dormaient quand nous sommes +sortis....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL, [les contemplant et les accablant de caresses.]</p> + +<p>Mon Dieu, qu'ils sont jolis et bien débarbouillés!... C'est maman +qui t'a débarbouillé?... Et tes bas ne sont pas troués!... C'est +moi qui les reprisais autrefois. Pourquoi ne venez-vous pas nous +voir plus souvent?... Cela nous fait tant de plaisir!... Voilà +des mois et des mois que vous nous oubliez et que nous ne voyons +plus personne....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Nous ne pouvions pas, bonne-maman; et c'est grâce à la Fée +qu'aujourd'hui....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Nous sommes toujours là , à attendre une petite visite de ceux qui +vivent.... Ils viennent si rarement!... La dernière fois que vous +êtes venus, voyons, c'était quand donc?... C'était à la +Toussaint, quand la cloche de l'église a tinté....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>A la Toussaint?... Nous ne sommes pas sortis ce jour-là , car nous +étions fort enrhumés....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Non, mais vous avez pensé à nous....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Eh bien, chaque fois que vous pensez à nous, nous nous réveillons +et nous vous revoyons....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Comment, il suffit que....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Mais voyons, tu sais bien....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais non, je ne sais pas....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL, [à Grand-Papa Tyl.]</p> + +<p>C'est étonnant, là -haut.... Ils ne savent pas encore.... Ils +n'apprennent donc rien?....</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>C'est comme de notre temps.... Les Vivants sont si bêtes quand +ils parlent des Autres....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Vous dormez tout le temps?...</p> + +<p>GRAND PAPA TYL</p> + +<p>Oui, nous dormons pas mal, en attendant qu'une pensée des Vivants +nous réveille.... Ah! c'est bien bon de dormir, quand la vie est +finie.... Mais il est agréable aussi de s'éveiller de temps en +temps....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Alors, vous n'êtes pas morts pour de vrai?...</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL, [sursautant.]</p> + +<p>Que dis-tu?... Qu'est-ce qu'il dit?... Voilà qu'il emploie des +mots que nous ne comprenons plus.... Est-ce que c'est un mot +nouveau, une invention nouvelle?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Le mot «mort»?...</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Oui; c'était ce mot-là .... Qu'est-ce que ça veut dire?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais ça veut dire qu'on ne vit plus....</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Sont-ils bêtes, là -haut!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Est-ce qu'on est bien ici?...</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Mais oui; pas mal, pas mal; et même si l'on priait encore....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Papa m'a dit qu'il ne faut plus prier....</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Mais si, mais si.... Prier c'est se souvenir....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Oui, oui, tout irait bien, si seulement vous veniez nous voir +plus souvent.... Te rappelles-tu, Tyltyl?... La dernière fois, +j'avais fait une belle tarte aux pommes.... Tu en as mangé tant +et tant que tu t'es fait du mal....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais je n'ai pas mangé de tarte aux pommes depuis l'année +dernière.... Il n'y a pas eu de pommes cette année....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Ne dis pas de bêtises.... Ici il y en a toujours....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ce n'est pas la même chose....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Comment? Ce n'est pas la même chose?... Mais tout est la même +chose puisqu'on peut s'embrasser....</p> + +<p>TYLTYL, [regardant tour à tour son grand-père et sa grand'mère.]</p> + +<p>Tu n'as pas changé, bon-papa, pas du tout, pas du tout.... Et +bonne-maman non plus n'a pas changé du tout.... Mais vous êtes +plus beaux....</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Eh! ça ne va pas mal.... Nous ne vieillissons plus.... Mais vous, +grandissez-vous!... Ah! oui, vous poussez ferme!... Tenez, là , +sur la porte, on voit encore la marque de la dernière fois.... +C'était à la Toussaint.... Voyons, tiens-toi bien droit.... +[Tyltyl se dresse contre la porte.] Quatre doigts!... C'est +énorme!... [Mytyl se dresse également contre la porte.] Et Mytyl, +quatre et demi!... Ah, ah! la mauvaise graine!... Ce que ça +pousse, ce que ça pousse!...</p> + +<p>TYLTYL, [regardant autour de soi avec ravissement.]</p> + +<p>Comme tout est bien de même, comme tout est à sa place!... Mais +comme tout est plus beau!... Voilà l'horloge avec la grande +aiguille dont j'ai cassé la pointe....</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Et voici la soupière que tu as écornée....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et voilà le trou que j'ai fait à la porte, le jour que j'ai +trouvé le vilebrequin....</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Ah oui, tu en as fait des dégâts!... Et voici le prunier où tu +aimais tant grimper quand je n'étais pas là .... Il a toujours ses +belles prunes rouges....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais elles sont bien plus belles!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Et voici le vieux merle!... Est-ce qu'il chante encore?...</p> + +<p>Le merle se réveille et se met à chanter à tue-tète.</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Tu vois bien.... Dès que l'on pense à lui....</p> + +<p>TYLTYL, [remarquant avec stupéfaction que le merle est +parfaitement bleu.]</p> + +<p>Mais il est bleu!... Mais c'est lui, l'Oiseau-Bleu que je dois +rapporter à la Fée!... Et vous ne disiez pas que vous l'aviez +ici! Oh! qu'il est bleu, bleu, bleu, comme une bille de verre +bleu!... [Suppliant.] Bon-papa, bonne-maman, voulez-vous me le +donner?...</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Bien oui, peut-être bien.... Qu'en penses-tu, maman Tyl?...</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Bien sûr, bien sûr.... A quoi qu'il sert ici.... Il ne fait que +dormir.... On ne l'entend jamais....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Je vais le mettre dans ma cage.... Tiens, où est-elle, ma +cage?... Ah! c'est vrai, je l'ai oubliée derrière le gros +arbre.... [Il court à l'arbre, rapporte la cage et y enferme le +merle.] Alors, vrai, vous me le donnez pour de vrai?... C'est la +Fée qui sera contente!... Et la Lumière donc!...</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Tu sais, je n'en réponds pas, de l'oiseau.... Je crains bien +qu'il ne puisse plus s'habituer à la vie agitée de là -haut, et +qu'il ne revienne ici par le premier bon vent.... Enfin, on verra +bien.... Laisse-le là , pour l'instant, et viens donc voir la +vache....</p> + +<p>TYLTYL, [remarquant les ruches.]</p> + +<p>Et les abeilles, dis, comment vont-elles?...</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Mais elles ne vont pas mal.... Elles ne vivent plus non plus, +comme vous dites là -bas; mais elles travaillent ferme....</p> + +<p>TYLTYL, [s'approchant des ruches.]</p> + +<p>Oh oui!... Ça sent le miel!... Les ruches doivent être +lourdes!... Toutes les fleurs sont si belles!... Et mes petites +sÅ“urs qui sont mortes, sont-elles ici aussi?...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Et mes trois petits frères qu'on avait enterrés, où sont-ils?...</p> + +<blockquote><p>[A ces mots, sept petits enfants de tailles inégales, en +flûte de Pan, sortent un à un de la maison.] </p></blockquote> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Les voici, les voici!... Aussitôt qu'on y pense, aussitôt qu'on +en parle, ils sont là , les gaillards!...</p> + +<blockquote><p>[Tyltyl et Mytyl courent au-devant des enfants. On se +bouscule, on s'embrasse, on danse, on tourbillonne, on +pousse des cris de joie.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tiens, Pierrot!... [Ils se prennent aux cheveux.] Ah! nous allons +nous battre encore comme dans le temps.... Et Robert!... Bonjour, +Jean!... Tu n'as plus ta toupie?... Madeleine et Pierrette, +Pauline et puis Riquette....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Oh! Riquette, Riquette!... Elle marche encore à quatre +pattes!...</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Oui, elle ne grandit plus....</p> + +<p>TYLTYL, [remarquant le petit Chien qui jappe autour d'eux.]</p> + +<p>Voilà Kiki dont j'ai coupé la queue avec les ciseaux de +Pauline.... Il n'a pas changé non plus....</p> + +<p>GRAND PAPA TYL, [sentencieux.]</p> + +<p>Non, rien ne change ici....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et Pauline a toujours son bouton sur le nez!...</p> + +<p>GRAND MAMAN TYL</p> + +<p>Oui, il ne s'en va pas; il n'y a rien à faire....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oh! qu'ils ont bonne mine, qu'ils sont gras et luisants!... +Qu'ils ont de belles joues!... Ils ont l'air bien nourris....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Ils se portent bien mieux depuis qu'ils ne vivent plus.... Il +n'y a plus rien à craindre, on n'est jamais malade, on n'a plus +d'inquiétudes....</p> + +<blockquote><p>[Dans la maison, l'horloge sonne huit heures.] </p></blockquote> + +<p>GRAND'MAMAN TYL, [stupéfaite.]</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est?...</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Ma foi, je ne sais pas.... Ce doit être l'horloge....</p> + +<p>GRAND-MAMAN TYL</p> + +<p>Ce n'est pas possible.... Elle ne sonne jamais....</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Parce que nous ne pensons plus à l'heure.... Quelqu'un a-t-il +pensé à l'heure?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui, c'est moi.... Quelle heure est-il?...</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Ma foi, je ne sais plus.... J'ai perdu l'habitude.... Elle a +sonné huit coups, ce doit être ce que? là -haut, ils appellent +huit heures.</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>La Lumière m'attend à neuf heures moins le quart.... C'est à +cause de la Fée.... C'est extrêmement important.... Je me +sauve....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Vous n'allez pas nous quitter ainsi au moment du souper!... Vite, +vite, dressons la table devant la porte.... J'ai justement une +excellente soupe aux choux et une belle tarte aux prunes....</p> + +<blockquote><p>[On sort la table, on la dresse devant la porte, on apporte +les plats, les assiettes, etc.... Tous y aident.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ma foi, puisque j'ai l'Oiseau-Bleu.... Et puis la soupe aux +choux, il y a si longtemps!... Depuis que je voyage.... On n'a +pas ça dans les hôtels....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Voilà !... C'est déjà fait.... A table, les enfants.... Si vous +êtes pressés, ne perdons pas de temps....</p> + +<blockquote><p>[On a allumé la lampe et servi la soupe. Les grands-parents +et les enfants s'assoient autour du repas du soir, parmi des +bousculades, des bourrades, des cris et des rires de joie.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL, [mangeant gloutonnement.]</p> + +<p>Qu'elle est bonne!... Mon Dieu, qu'elle est donc bonne!... J'en +veux encore! encore!</p> + +<blockquote><p>[Il brandit sa cuiller de bois et en frappe bruyamment son +assiette.] </p></blockquote> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Voyons, voyons, un peu de calme.... Tu es toujours aussi mal +élevé; et tu vas casser ton assiette....</p> + +<p>TYLTYL, [se dressant à demi sur son escabelle.]</p> + +<p>J'en veux encore, encore!...</p> + +<blockquote><p>[Il atteint et attire à soi la soupière qui se renverse et +se répand sur la table, et de là sur les genoux des +convives. Cris et hurlements d'échaudés.] </p></blockquote> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Tu vois!... Je te l'avais bien dit....</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL, [donnant à Tyltyl une gifle retentissante.]</p> + +<p>Voilà pour toi!...</p> + +<p>TYLTYL, [un instant déconcerté, mettant ensuite la main sur la +joue, avec ravissement.]</p> + +<p>Oh! oui, c'était comme ça, les claques que tu donnais quand tu +étais vivant.... Bon-papa, qu'elle est bonne et que ça fait du +bien!... Il faut que je t'embrasse!...</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Bon, bon; il y en a encore si ça te fait plaisir....</p> + +<blockquote><p>[La demie de huit heures sonne à l'horloge.]</p></blockquote> + +<p>TYLTYL, [sursautant.]</p> + +<p>Huit heures et demie!... [il jette sa cuiller.] Mytyl, nous +n'avons que le temps!...</p> + +<p>GRAND-MAMAN TYL</p> + +<p>Voyons!... Encore quelques minutes!... Le feu n'est pas à la +maison.... On se voit si rarement....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Non, ce n'est pas possible.... La Lumière est si bonne.... Et je +lui ai promis.... Allons, Mytyl, allons!...</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Dieu, que les Vivants sont donc contrariants avec toutes leurs +affaires et leurs agitations!...</p> + +<p>TYLTYL, [prenant sa cage et embrassant tout le monde en hâte et à +la ronde.]</p> + +<p>Adieu, Bon-papa.... Adieu, Bonne-maman.... Adieu, frères, +sÅ“urs, Pierrot, Robert, Pauline, Madeleine, Riquette, et toi +aussi, Kiki! Je sens bien que nous ne pouvons plus rester ici.... +Ne pleure pas, Bonne-maman, nous reviendrons souvent....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Revenez tous les jours!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui, oui! nous reviendrons le plus souvent possible....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>C'est notre seule joie, et c'est une telle fête quand votre +pensée nous visite!...</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Nous n'avons pas d'autres distractions....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Vite, vite!... Ma cage!... Mon oiseau!...</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL, lui passant la cage.</p> + +<p>Les voici!... Tu sais, je ne garantis rien; et s'il n'est pas bon +teint!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Adieu! adieu!...</p> + +<p>LES FRÈRES ET SÅ’URS TYL</p> + +<p>Adieu, Tyltyl!... Adieu, Mytyl!... Pensez au sucre d'orge!... +Adieu!... Revenez!... Revenez!...</p> + +<blockquote><p>[Tous agitent des mouchoirs tandis que Tyltyl et Mytyl +s'éloignent lentement. Mais déjà , durant les dernières +répliques, le brouillard du début s'est graduellement +reformé, et le son des voix s'est affaibli, de manière qu'à +la fin de la scène, tout a disparu dans la brume et qu'au +moment où le rideau baisse, Tyltyl et Mytyl se retrouvent +seuls visibles sous le gros chêne.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est par ici, Mytyl....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Où est la Lumière?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Je ne sais pas.... [Regardant l'oiseau dans la cage.] Tiens! +l'oiseau n'est plus bleu!... Il est devenu noir!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Donne-moi la main, petit frère.... J'ai bien peur et bien +froid....</p> + +<p>RIDEAU</p> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="ACTE_TROISIEME" id="ACTE_TROISIEME"></a>ACTE TROISIÈME</h3> + + + +<hr style="width: 45%;" /> +<h3><a name="QUATRIEME_TABLEAU" id="QUATRIEME_TABLEAU"></a>QUATRIÈME TABLEAU</h3> + +<h4>LE PALAIS DE LA NUIT</h4> + + +<p>Une vaste et prodigieuse salle d'une magnificence austère, +rigide, métallique et sépulcrale, donnant l'impression d'un +temple grec ou égyptien, dont les colonnes, les architraves, les +dalles, les ornements seraient de marbre noir, d'or et d'ébène. +La salle est en forme de trapèze. Des degrés de basalte, qui +occupent presque toute sa largeur, la divisent en trois plans +successifs qui s'élèvent graduellement vers le fond. A droite et +à gauche, entre les colonnes, des portes de bronze sombre. Au +fond, porte d'airain monumentale. Une lumière diffuse qui semble +émaner de l'éclat même du marbre et de l'ébène éclaire seule le +palais.</p> + +<hr style="width: 45%;" /> + +<blockquote><p>[Au lever du rideau, la Nuit, sous la figure d'une très +belle femme, couverte de longs vêtements noirs, est assise +sur les marches du second plan, entre deux enfants, dont +l'un, presque nu, comme l'Amour, sourit dans un profond +sommeil, tandis que l'autre se tient debout, immobile et +voilé des pieds à la tête.—Entre, à droite, au premier +plan, la Chatte.] </p></blockquote> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Qui va là ?...</p> + +<p>LA CHATTE, [se laissant choir avec accablement sur les degrés de +marbre.]</p> + +<p>C'est moi, mère la Nuit.... Je n'en peux plus....</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Qu'as-tu donc, mon enfant?... Tu es pâle, amaigrie et te voilà +crottée jusqu'aux moustaches.... Tu t'es encore battue dans les +gouttières, sous la neige et la pluie?...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Il est bien question de gouttières!... C'est de notre secret +qu'il s'agit!... C'est, le commencement de la fin!... J'ai pu +m'échapper un instant pour vous prévenir; mais je crains bien +qu'il n'y ait rien à faire....</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Quoi?... Qu'est-il donc arrivé?...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Je vous ai déjà parlé du petit Tyltyl, le fils du bûcheron, et du +Diamant merveilleux.... Eh bien, il vient ici pour vous réclamer +l'Oiseau-Bleu....</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Il ne le tient pas encore....</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Il le tiendra bientôt, si nous ne faisons pas quelque miracle.... +Voici ce qui se passe: la Lumière qui le guide et qui nous trahit +tous, car elle s'est mise entièrement du parti de l'Homme, la +Lumière vient d'apprendre que l'Oiseau-Bleu, le vrai, le seul qui +puisse vivre à la clarté du jour, se cache ici, parmi les oiseaux +bleus des songes qui se nourrissent des rayons de lune et meurent +dès qu'ils voient le soleil.... Elle sait qu'il lui est interdit +de franchir le seuil de votre palais; mais elle y envoie les +enfants; et comme vous ne pouvez pas empêcher l'Homme d'ouvrir +les portes de vos secrets, je ne sais trop comment tout cela +finira.... En tout cas, s'ils avaient le malheur de mettre la +main sur le véritable Oiseau-Bleu, nous n'aurions plus qu'à +disparaître....</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Seigneur, Seigneur!... En quels temps vivons-nous! Je n'ai plus +une minute de repos.... Je ne comprends plus l'Homme, depuis +quelques années.... Où veut-il en venir?... Il faut donc qu'il +sache tout?... Il a déjà saisi le tiers de mes Mystères, toutes +mes Terreurs ont peur et n'osent plus sortir, mes Fantômes sont +en fuite, la plupart de mes Maladies ne se portent pas bien....</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Je sais, ma mère la Nuit, je sais, les temps sont durs, et nous +sommes presque seules à lutter contre l'Homme.... Mais je les +entends qui s'approchent.... Je ne vois qu'un moyen: comme ce +sont des enfants, il faut leur faire une telle peur qu'ils +n'oseront pas insister ni ouvrir la grande porte du fond, +derrière laquelle se trouvent les oiseaux de la Lune.... Les +secrets des autres cavernes suffiront à détourner leur attention +ou à les terrifier....</p> + +<p>LA NUIT, [prêtant l'oreille à un bruit du dehors.]</p> + +<p>Qu'est-ce que j'entends?... Ils sont donc plusieurs?</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Ce n'est rien; ce sont nos amis: le Pain et le Sucre; l'Eau est +indisposée et le Feu n'a pu venir, parce qu'il est parent de la +Lumière.... Il n'y a que le Chien qui ne soit pas pour nous; mais +il n'y a jamais moyen de l'écarter....</p> + +<blockquote><p>[Entrent timidement, à droite, au premier plan, Tyltyl, +Mytyl, le Pain, le Sucre et le Chien.] </p></blockquote> + +<p>LA CHATTE, [se précipitant au-devant de Tyltyl.]</p> + +<p>Par ici, par ici, mon petit maître.... J'ai prévenu la Nuit qui +est enchantée de vous recevoir.... Il faut l'excuser, elle est un +peu souffrante; c'est pourquoi elle n'a pu aller au-devant de +vous....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Bonjour, madame la Nuit....</p> + +<p>LA NUIT, [froissée.]</p> + +<p>Bonjour? Je ne connais pas ça.... Tu pourrais bien me dire: bonne +nuit, ou tout au moins: bonsoir....</p> + +<p>TYLTYL, [mortifié.]</p> + +<p>Pardon, madame.... Je ne savais pas.... [Montrant du doigt les +deux enfants.] Ce sont vos deux petits garçons?... Ils sont bien +gentils....</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Oui, voici le Sommeil....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Pourquoi qu'il est si gros?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>C'est parce qu'il dort bien....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et l'autre qui se cache?... Pourquoi qu'il se voile la figure?... +Est-ce qu'il est malade?... Comment c'est qu'il se nomme?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>C'est la sÅ“ur du Sommeil.... Il vaut mieux ne pas la +nommer....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Pourquoi?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Parce que c'est un nom qu'on n'aime pas à entendre.... Mais +parlons d'autre chose.... La Chatte vient de me dire que vous +venez ici pour chercher l'Oiseau-Bleu?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui, madame, si vous le permettez.... Voulez-vous me dire où il +est?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Je n'en sais rien, mon petit ami.... Tout ce que je puis +affirmer, c'est qu'il n'est pas ici.... Je ne l'ai jamais vu....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Si, si.... La Lumière m'a dit qu'il est ici; et elle sait ce +qu'elle dit, la Lumière.... Voulez-vous me remettre vos clefs?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Mais, mon petit ami, tu comprends bien que je ne puis donner +ainsi mes clefs au premier venu.... J'ai la garde de tous les +secrets de la Nature, j'en suis responsable et il m'est +absolument défendu de les livrer à qui que ce soit, surtout à un +enfant....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Vous n'avez pas le droit de les refuser à l'Homme qui les +demande.... je le sais....</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Qui te l'a dit?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>La Lumière....</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Encore la Lumière! et toujours la Lumière!... De quoi se +mêle-t-elle à la fin?...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Veux-tu que je les lui prenne de force, mon petit dieu?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tais-toi, tiens-toi tranquille et tâche d'être poli.... [A la +Nuit.] Voyons, madame, donnez-moi vos clefs, s'il vous plaît....</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>As-tu le signe, au moins?... Où est-il?...</p> + +<p>TYLTYL, [touchant son chapeau.]</p> + +<p>Voyez le Diamant....</p> + +<p>LA NUIT, [se résignant à l'inévitable.]</p> + +<p>Enfin.... Voici celle qui ouvre toutes les portes de la salle.... +Tant pis pour toi s'il t'arrive malheur.... Je ne réponds de +rien.</p> + +<p>LE PAIN, [fort inquiet.]</p> + +<p>Est-ce que c'est dangereux?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Dangereux?... C'est-à -dire que moi-même je ne sais trop comment +je pourrai m'en tirer, lorsque certaines de ces portes de bronze +s'ouvriront sur l'abîme.... Il y a là , tout autour de la salle, +dans chacune de ces cavernes de basalte, tous les maux, tous les +fléaux, toutes les maladies, toutes les épouvantes, toutes les +catastrophes, tous les mystères qui affligent la vie depuis le +commencement du monde.... J'ai eu assez de mal à les enfermer là +avec l'aide du Destin; et ce n'est pas sans peine, je vous +assure, que je maintiens un peu d'ordre parmi ces personnages +indisciplinés.... On voit ce qu'il arrive lorsque l'un d'eux +s'échappe et se montre sur terre....</p> + +<p>LE PAIX</p> + +<p>Mon grand âge, mon expérience et mon dévouement font de moi le +protecteur naturel de ces deux enfants; c'est pourquoi, madame la +Nuit, permettez-moi de vous poser une question....</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Faites....</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>En cas de danger, par où faut-il fuir?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Il n'y a pas moyen de fuir.</p> + +<p>TYLTYL, [prenant la clef et montant les premières marches.]</p> + +<p>Commençons par ici.... Qu'y a-t-il derrière cette porte de +bronze?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Je crois que ce sont les Fantômes.... Il y a bien longtemps que +je ne l'ai ouverte et qu'ils ne sont sortis....</p> + +<p>TYLTYL, mettant la clef dans la serrure.</p> + +<p>Je vais voir.... [Au Pain] Avez-vous la cage de l'Oiseau-Bleu?...</p> + +<p>LE PAIN, claquant des dénis.</p> + +<p>Ce n'est pas que j'aie peur, mais ne croyez-vous pas qu'il serait +préférable de ne pas ouvrir et de regarder par le trou de la +serrure?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Je ne vous demande pas votre avis....</p> + +<p>MYTYL, [se mettant à pleurer tout à coup.]</p> + +<p>J'ai peur!... Où est le Sucre?... Je veux rentrer à la +maison!...</p> + +<p>LE SUCRE, [empressé, obséquieux.]</p> + +<p>Ici, mademoiselle, je suis ici.... Ne pleurez pas, je vais couper +un de mes doigts pour vous offrir un sucre d'orge....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Finissons-en....</p> + +<blockquote><p>[Il tourne la clef et entr'ouvre prudemment la porte. +Aussitôt s'échappent cinq ou six Spectres de formes diverses +et étranges qui se répandent de tous cotés. Le Pain +épouvanté jette la cage et va se cacher au fond de la salle, +pendant que la Nuit, pourchassant les Spectres, crie à +Tyltyl:] </p></blockquote> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Vite! vite!... Ferme la porte!... Ils s'échapperaient tous et +nous ne pourrions plus les rattraper!... Ils s'ennuient +là -dedans, depuis que l'Homme ne les prend plus au sérieux.... +[Elle pourchasse les Spectres en s'efforçant, à l'aide d'un fouet +formé de serpents, de les ramener vers la porte de leur prison.]</p> + +<p>Aidez-moi!... Par ici!... Par ici!...</p> + +<p>TYLTYL, [au Chien.]</p> + +<p>Aide-la, Tylô, vas-y donc!...</p> + +<p>LE CHIEN, [bondissant en aboyant.]</p> + +<p>Oui! oui! oui!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et le Pain, où est-il?...</p> + +<p>LE PAIN, du fond de la salle.</p> + +<p>Ici.... Je suis près de la porte pour les empêcher de sortir....</p> + +<blockquote><p>[Comme un des Spectres s'avance de ce côté, il fuit à toutes +jambes, en poussant des hurlements d'épouvante.] </p></blockquote> + +<p>LA NUIT, [à trois Spectres qu'elle a pris au collet.]</p> + +<p>Par ici, vous autres!... [A Tyltyl.] Rouvre un peu la porte.... +[Elle pousse les Spectres dans la caverne.] Là , ça va bien.... +[Le Chien en ramène deux autres.] Et encore ceux-ci.... Voyons, +vite, rangez-vous.... Vous savez bien que vous ne sortez plus +qu'à la Toussaint.</p> + +<blockquote><p>[Elle referme la porte.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL, [allant à une autre porte.]</p> + +<p>Qu'y a-t-il derrière celle-ci?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>A quoi bon?... Je te l'ai déjà dit, l'Oiseau-Bleu n'est jamais +venu par ici.... Enfin, comme tu voudras.... Ouvre-la si ça te +fait plaisir.... Ce sont les Maladies....</p> + +<p>TYLTYL, [la clef dans la serrure.]</p> + +<p>Est-ce qu'il faut prendre garde en ouvrant?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Non, ce n'est pas la peine.... Elles sont bien tranquilles, les +pauvres petites.... Elles ne sont pas heureuses.... L'Homme, +depuis quelque temps, leur fait une telle guerre!... Surtout +depuis la découverte des microbes.... Ouvre donc, tu verras....</p> + +<blockquote><p>[Tyltyl ouvre la porte toute grande. Rien ne paraît.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Elles ne sortent pas?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Je t'avais prévenu, presque toutes sont souffrantes et bien +découragées.... Les médecins ne sont pas gentils pour elles.... +Entre donc un instant, tu verras....</p> + +<blockquote><p>[Tyltyl entre dans la caverne et ressort aussitôt après.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>L'Oiseau-Bleu n'y est pas.... Elles ont l'air bien malades, vos +Maladies.... Elles n'ont même pas levé la tête.... [Une petite +Maladie, en pantoufles, robe de chambre et bonnet de coton, +s'échappe de la caverne et se met à gambader dans la salle.] +Tiens!... Une petite qui s'évade!... Qu'est-ce que c'est?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Ce n'est rien, c'est la plus petite, c'est le Rhume de +cerveau.... C'est une de celles qu'on persécute le moins et qui +se portent le mieux.... [Appelant le Rhume de cerveau] Viens +ici, ma petite.... C'est trop tôt; il faut attendre le +printemps....</p> + +<blockquote><p>[Le Rhume de cerveau, éternuant, toussant et se mouchant, +rentre dans la caverne dont Tyltyl referme la porte.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL, [allant à la porte voisine.]</p> + +<p>Voyons donc celle-ci.... Qu'est-ce que c'est?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Prends garde.... Ce sont les Guerres.... Elles sont plus +terribles et plus puissantes que jamais.... Dieu sait ce qui +arriverait si l'une d'elles s'échappait!... Heureusement, elles +sont assez obèses et manquent d'agilité.... Mais tenons-nous +prêts à repousser la porte tous ensemble, pendant que tu jetteras +un rapide coup d'Å“il dans la caverne....</p> + +<blockquote><p>[Tyltyl, avec mille précautions, entrebâille la porte de +manière qu'il n'y ait qu'une petite fente où il puisse +appliquer l'Å“il. Aussitôt, il s'arc-boute en criant:] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Vite! vite!... Poussez donc!... Elles m'ont vu!... Elles viennent +toutes!... Elles ouvrent la porte!...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Allons, tous!... Poussez ferme!... Voyons, le Pain, que +faites-vous?... Poussez tous!... Elles ont une force!... Ah! +voilà ! Ça y est.... Elles cèdent.... Il était temps!... As-tu +vu?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui, oui!... Elles sont énormes, épouvantables!... Je crois +qu'elles n'ont pas l'Oiseau-Bleu....</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Bien sûr qu'elles ne l'ont point.... Elles le mangeraient tout de +suite.... Eh bien, en as-tu assez?... Tu vois bien qu'il n'y a +rien à faire....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Il faut que je voie tout.... La Lumière l'a dit....</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>La Lumière l'a dit.... C'est facile à dire quand on a peur et +qu'on reste chez soi....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Allons à la suivante.... Qu'est-ce?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Ici, j'enferme les Ténèbres et les Terreurs....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Est-ce qu'on peut ouvrir?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Parfaitement.... Elles sont assez tranquilles; c'est comme les +Maladies....</p> + +<p>TYLTYL, [entr'ouvrant la porte avec une certaine méfiance et +risquant un regard dans la caverne.]</p> + +<p>Elles n'y sont pas....</p> + +<p>LA NUIT, [regardant à son tour dans la caverne.]</p> + +<p>Eh bien, les Ténèbres, que faites-vous?... Sortez donc un +instant, ça vous fera du bien, ça vous dégourdira. Et les +Terreurs aussi.... Il n'y a rien à Craindre.... [Quelques +Ténèbres et quelques Terreurs, sous la figure de femmes +couvertes, les premières de voiles noirs, les dernières de voiles +verdâtres, risquent piteusement quelques pas hors de la caverne, +et, sur un geste qu'ébauche Tyltyl, rentrent précipitamment.] +Voyons, tenez-vous donc.... C'est un enfant, il ne vous fera pas +de mal.... [A Tyltyl]. Elles sont devenues extrêmement timides; +excepté les grandes, celles que tu vois au fond....</p> + +<p>TYLTYL, [regardant vers le fond de la caverne.]</p> + +<p>Oh! qu'elles sont effrayantes!...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Elles sont enchaînées.... Ce sont les seules qui n'aient pas peur +de l'Homme.... Mais referme la porte, de crainte qu'elles ne se +fâchent....</p> + +<p>TYLTYL, [allant à la porte suivante.]</p> + +<p>Tiens!... Celle-ci est plus sombre.... Qu'est-ce que c'est?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Il y a plusieurs Mystères derrière celle-ci.... Si tu y tiens +absolument, tu peux l'ouvrir aussi.... Mais n'entre pas.... Sois +bien prudent, et puis préparons-nous à repousser la porte, comme +nous avons fait pour les Guerres....</p> + +<p>TYLTYL, [entr'ouvrant avec des précautions inouïes, et passant +craintivement la tête dans l'entrebâillement.]</p> + +<p>Oh!... Quel froid!... Mes yeux cuisent!... Fermez vite!... +Poussez donc! On repousse!... [La Nuit, le Chien, la Chatte et le +Sucre repoussent la porte.] Oh! j'ai vu!...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Quoi donc?...</p> + +<p>TYLTYL, [bouleversé.]</p> + +<p>Je ne sais pas, c'était épouvantable!... Ils étaient tous assis +comme des monstres sans yeux.... Quel était le géant qui voulait +me saisir?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>C'est probablement le Silence; il a la garde de cette porte.... +Il paraît que c'était effrayant?... Tu en es encore tout pâle et +tout tremblant....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui, je n'aurais pas cru.... Je n'avais jamais vu.... Et j'ai les +mains gelées....</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Ce sera bien pis tout à l'heure si tu continues....</p> + +<p>TYLTYL, [allant à la porte suivante.]</p> + +<p>Et celle-ci?... Est-elle aussi terrible?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Non, il y a un peu de tout.... J'y mets les Étoiles sans emploi, +mes parfums personnels, quelques Lueurs qui m'appartiennent, tels +que feux-follets, vers luisants, lucioles; on y serre aussi la +Rosée, le Chant des Rossignols, etc..</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Justement, les Étoiles, le Chant des Rossignols.... Ce doit être +celle-là .</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Ouvre-donc si tu veux; tout cela n'est pas bien méchant....</p> + +<blockquote><p>[Tyltyl ouvre la porte toute grande. Aussitôt les Étoiles, +sous la forme de belles jeunes filles voilées de lueurs +versicolores, s'échappent de leur prison, se répandent dans +la salle et forment sur les marches et autour des colonnes +de gracieuses rondes baignées d'une sorte de lumineuse +pénombre. Les Parfums de la Nuit, presque invisibles, les +Feux-follets, les Lucioles, la Rosée transparente se +joignent à elles, cependant que le Chant des Rossignols, +sortant à flots de la caverne, inonde le palais nocturne.] </p></blockquote> + +<p>MYTYL, [ravie, battant des mains.]</p> + +<p>Oh! les jolies madames!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et qu'elles dansent bien!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Et qu'elles sentent bon!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et qu'elles chantent bien!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est, ceux-là , qu'on ne voit presque pas?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Ce sont les Parfums de mon ombre....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et les autres, là -bas, qui sont en verre filé?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>C'est la Rosée des forêts et des plaines.... Mais en voilà +assez.... Ils n'en finiraient pas.... C'est le diable de les +faire rentrer une fois qu'ils se sont mis à danser.... [Frappant +dans ses mains.] Allons, vite, les Étoiles!... Ce n'est pas le +moment de danser.... Le ciel est couvert, il y a de gros +nuages.... Allons, vite, rentrez tous, sinon j'irai chercher un +rayon de soleil....</p> + +<blockquote><p>[Fuite épouvantée des Étoiles, Parfums, etc...., qui se +précipitent dans la caverne que l'on referme sur eux. En +même temps s'éteint le Chant des Rossignols.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL, [allant à la porte du fond.]</p> + +<p>Voici la grande porte du milieu....</p> + +<p>LA NUIT, gravement.</p> + +<p>N'ouvre pas celle-ci....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Pourquoi?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Parce que c'est défendu....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est donc là que se cache l'Oiseau-Bleu; la Lumière me l'a +dit....</p> + +<p>LA NUIT, [maternelle.]</p> + +<p>Écoute-moi, mon enfant.... J'ai été bonne et complaisante.... +J'ai fait pour toi ce que je n'avais fait jusqu'ici pour +personne.... Je t'ai livré tous mes secrets.... Je t'aime bien, +j'ai pitié de ta jeunesse et de ton innocence et je te parle +comme une mère.... Écoute-moi et crois-moi, mon enfant, renonce, +ne va point plus avant, ne tente pas le Destin, n'ouvre pas cette +porte....</p> + +<p>TYLTYL, [assez ébranlé.]</p> + +<p>Mais pourquoi?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Parce que je ne veux pas que tu te perdes.... Parce que nul de +ceux, entends-tu, nul de ceux qui l'ont entr'ouverte, ne fût-ce +que de l'épaisseur d'un cheveu, n'est revenu vivant à la lumière +du jour.... Parce que tout ce qu'on peut imaginer d'épouvantable, +parce que toutes les terreurs, toutes les horreurs dont on parle +sur terre, ne sont rien, comparées à la plus innocente de celles +qui assaillent un homme dès que son Å“il effleure les premières +menaces de l'abîme auquel personne n'ose donner un nom.... C'est +au point que moi-même, si tu t'obstines, malgré tout, à toucher +cette porte, je te demanderai d'attendre que je sois à l'abri +dans ma tour sans fenêtres.... Maintenant c'est à toi de savoir, +à toi de réfléchir....</p> + +<blockquote><p>[Mytyl, tout en larmes, pousse des cris de terreur +inarticulés et cherche à entraîner Tyltyl.] </p></blockquote> + +<p>LE PAIN, [claquant des dents.]</p> + +<p>Ne le faites pas, mon petit maître!... [Se jetant à genoux.] Ayez +pitié de nous!... Je vous le demande à genoux.... Vous voyez que +la Nuit a raison....</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>C'est notre vie à tous que vous sacrifiez....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Je dois l'ouvrir....</p> + +<p>MYTYL, [trépignant parmi des sanglots.]</p> + +<p>Je ne veux pas!... Je ne veux pas!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Que le Sucre et le Pain prennent Mytyl par la main et se sauvent +avec elle.... Je vais ouvrir....</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Sauve qui peut!... Venez vite!... Il est temps!...</p> + +<blockquote><p>[Elle fuit.]</p></blockquote> + +<p>LE PAIN, [fuyant éperdument.]</p> + +<p>Attendez au moins que nous soyons au bout de la salle!...</p> + +<p>LA CHATTE, [fuyant également.]</p> + +<p>Attendez!... attendez!...</p> + +<p>Ils se cachent derrière les colonnes à l'autre bout de la salle. +Tyltyl reste seul avec le Chien, près de la porte monumentale.</p> + +<p>LE CHIEN, [haletant et hoquetant d'épouvante contenue.]</p> + +<p>Moi, je reste, je reste.... Je n'ai pas peur.... Je reste!... Je +reste près de mon petit dieu.... Je reste!... Je reste....</p> + +<p>TYLTYL, [caressant le Chien.]</p> + +<p>C'est bien, Tylô, c'est bien!... Embrasse-moi.... Nous sommes +deux.... Maintenant gare à nous!... [Il met la clef dans la +serrure. Un cri d'épouvante part de l'autre bout de la salle où +se sont réfugiés les fuyards. A peine la clef a-t-elle touché la +porte que les hauts ballants de celle-ci s'ouvrent par le milieu, +glissent latéralement et disparaissent, à droite et à gauche, +dans l'épaisseur des murs, découvrant tout à coup, irréel, +infini, ineffable, le plus inattendu des jardins de rêve et de +lumière nocturne, où, parmi les étoiles et les planètes, +illuminant tout ce qu'ils touchent, volant sans cesse de +pierreries en pierreries, de rayons de lune en rayons de lune, de +féeriques oiseaux bleus évoluent perpétuellement et +harmonieusement jusqu'aux confins de l'horizon, innombrables au +point qu'ils semblent être le souffle, l'atmosphère azurée, la +substance même du jardin merveilleux.—Tyltyl, ébloui, éperdu, +debout dans la lumière du jardin:] Oh!... le ciel!... [Se +tournant vers ceux qui oui fui.] Venez vite!... Ils sont là !... +C'est eux! c'est eux! c'est eux!...Nous les tenons enfin!... Des +milliers d'oiseaux bleus! Des millions!... Des milliards!... Il y +en aura trop!... Viens, Mytyl!... Viens, Tylô!... Venez tous!... +Aidez-moi!... [S'élançant parmi les oiseaux.] On les prend à +pleines mains!... Ils ne sont pas farouches!... Ils n'ont pas +peur de nous!... Par ici! par ici!... [Mytyl et les autres +accourent. Ils entrent tous dans le jardin éblouissant, hormis la +Nuit et la Chatte.] Vous voyez!... Ils sont trop!... Ils viennent +dans mes mains!... Regardez donc, ils mangent les rayons de la +lune!... Mytyl, où donc es-tu?... Il y a tant d'ailes bleues, +tant de plumes qui tombent qu'on n'y voit plus du tout!... Tylô! +ne les mord pas.... Ne leur fais pas de mal!... Prends-les très +doucement!</p> + +<p>MYTYL, [enveloppée d'oiseaux bleus.]</p> + +<p>J'en ai déjà pris sept!... Oh! qu'ils battent des ailes!... Je ne +puis les tenir!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Moi non plus!... J'en ai trop!... Ils s'échappent!... Ils +reviennent!... Tylô en a aussi!... Ils vont nous entraîner!... +nous porter dans le ciel!... Viens, sortons par ici!... La +Lumière nous attend!... Elle sera contente!... Par ici, par +ici!...</p> + +<blockquote><p>[Ils s'évadent du jardin, les mains pleines d'oiseaux qui se +débattent, et, traversant toute la salle parmi l'affolement +des ailes azurées, sortent à droite, par où ils sont entrés, +suivis du Pain et du Sucre qui n'ont pas pris d'oiseaux. +—Restés seuls, la Nuit et la Chatte remontent vers le fond +et regardent anxieusement dans le jardin.] </p></blockquote> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Ils ne l'ont pas?...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Non.... Je le vois là sur ce rayon de lune.... Ils n'ont pas pu +l'atteindre, il se tenait trop haut....</p> + +<blockquote><p>[Le rideau tombe. Aussitôt après, devant le rideau tombé, +entrent simultanément, à gauche la Lumière, à droite Tyltyl, +Mytyl et le Chien, accourant tout couverts des oiseaux +qu'ils viennent de capturer. Mais déjà ceux-ci paraissent +inanimés et, la tête pendante et les ailes brisées, ne sont +plus dans leurs mains que d'inertes dépouilles.] </p></blockquote> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Eh bien, l'avez-vous-pris?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui, oui!... Tant qu'on voulait.... Il y en a des milliers!... +Les voici!... Les vois-tu!... [Regardant les oiseaux qu'il tend +vers la Lumière et s'apercevant qu'ils sont morts.] Tiens!... Ils +ne vivent plus.... Qu'est-ce qu'on leur a fait?... Les tiens +aussi, Mytyl?... Ceux de Tylô aussi. [Jetant avec colère les +cadavres d'oiseaux.] Ah! non, c'est trop vilain!... Qui est-ce +qui les a tués?... Je suis trop malheureux!...</p> + +<blockquote><p>[Il se cache la tête sous le bras et paraît tout secoué de +sanglots.] </p></blockquote> + +<p>LA LUMIÈRE, [le serrant maternellement dans ses bras.]</p> + +<p>Ne pleure pas, mon enfant.... Tu n'as pas pris celui qui peut +vivre en plein jour.... Il est allé ailleurs.... Nous le +retrouverons....</p> + +<p>LE CHIEN, [regardant les oiseaux morts.]</p> + +<p>Est-ce qu'on peut les manger?...</p> + +<blockquote><p>[Ils sortent tous à gauche.] </p></blockquote> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="CINQUIEME_TABLEAU" id="CINQUIEME_TABLEAU"></a>CINQUIÈME TABLEAU</h3> + +<h4>LA FORÊT</h4> + + +<p>Une forêt.—Il fait nuit.—Clair de lune.—Vieux arbres de +diverses espèces, notamment: un chêne, un hêtre, un orme, un +peuplier, un sapin, un cyprès, un tilleur, un marronnier, etc.</p> + +<hr style="width: 45%;" /> + +<blockquote><p>[Entre la Chatte.] </p></blockquote> + +<p>LA CHATTE, [saluant les arbres à la ronde.]</p> + +<p>Salut à tous les arbres!...</p> + +<p>MURMURE DES FEUILLAGES</p> + +<p>Salut!...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>C'est un grand jour que ce jour-ci!... Notre ennemi vient +délivrer vos énergies et se livrer lui-même.... C'est Tyltyl, le +fils du bûcheron qui vous a fait tant de mal.... Il cherche +l'Oiseau-Bleu que vous cachez à l'Homme depuis le commencement du +monde, et qui sait seul notre secret.... [Murmure dans les +feuilles.] Vous dites?... Ah! c'est le Peuplier qui parle.... +Oui, il possède un Diamant qui a la vertu de délivrer un instant +nos esprits; il peut nous forcer à livrer l'Oiseau-Bleu, et nous +serons dès lors, définitivement, à la merci de l'Homme.... +[Murmure dans les feuilles.] Qui parle?... Tiens! c'est le +Chêne.... Comment allez-vous?... [Murmure dans les feuilles du +Chêne.] Toujours enrhumé?... La Réglisse ne vous soigne plus?... +Toujours les rhumatismes?... Croyez-moi, c'est à cause de la +mousse; vous en mettez trop sur vos pieds.... L'Oiseau-Bleu est +toujours chez vous?... [Murmures dans les feuilles du Chêne.] +Vous dites?... Oui, il n'y a pas à hésiter, il faut en profiter, +il faut qu'il disparaisse.... [Murmure dans les feuilles.] +Plaît-il?... Oui, il est avec sa petite sÅ“ur; il faut qu'elle +meure aussi.... [Murmure dans les feuilles.] Oui, le Chien les +accompagne; il n'y a pas moyen de l'éloigner.... [Murmure dans +les feuilles.] Vous dites?... Le corrompre?... Impossible.... +J'ai essayé de tout.... [Murmures parmi les feuilles.] Ah! c'est +toi, le Sapin?... Oui, prépare quatre planches.... Oui, il y a +encore le Feu, le Sucre, l'Eau, le Pain.... Ils sont tous avec +nous, excepté le Pain qui est assez douteux.... Seule la Lumière +est favorable à l'Homme; mais elle ne viendra pas.... J'ai fait +croire aux petits qu'ils devaient s'échapper en cachette pendant +qu'elle dormait.... L'occasion est unique.... [Murmure dans les +feuilles.] Tiens! c'est la voix du Hêtre!... Oui, vous avez +raison; il faut que l'on prévienne les Animaux.... Le Lapin +a-t-il son tambour?... Il est chez vous?... Bien, qu'il batte le +rappel, tout de suite.... Les voici!...</p> + +<blockquote><p>[On entend s'éloigner les roulements de tambour du +Lapin.—Entrent Tyltyl, Mytyl et le Chien.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est ici?...</p> + +<p>LA CHATTE, [obséquieuse, doucereuse, empressé se précipitant +au-devant des enfants.]</p> + +<p>Ah! voilà , mon petit maître!... Que vous avez bonne mine et que +vous êtes joli, ce soir!... Je vous ai précédé pour annoncer +votre arrivée.... Tout va bien. Cette fois nous tenons +l'Oiseau-Bleu, j'en suis sûre.... Je viens d'envoyer le Lapin +battre le rappel afin de convoquer les principaux Animaux du +pays.... On les entend déjà dans le feuillage.... Écoutez!... Ils +sont un peu timides et n'osent approcher.... [Bruits d'animaux +divers, tels que vaches, porcs, chevaux, ânes, etc.—Bas à +Tyltyl, le prenant à part.] Mais pourquoi avez-vous amené le +Chien?... Je vous l'ai déjà dit, il est au plus mal avec tout le +monde, même avec les arbres.... Je crains bien que sa présence +odieuse ne fasse tout manquer....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Je n'ai pu m'en débarasser.... [Au Chien, la menaçant] Veux-tu +bien t'en aller, vilaine bête!...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Qui?... Moi!... Pourquoi?... Qu'est-ce que j'ai fait?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Je te dis de t'en aller!... On n'a que faire de toi, c'est bien +simple.... Tu nous embêtes à la fin!...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Je ne dirai rien.... Je suivrai de loin.... On ne me verra +pas.... Veux-tu que je fasse le beau?...</p> + +<p>LA CHATTE, [bas, à Tyltyl.]</p> + +<p>Vous tolérez pareille désobéissance?... Donnez-lui donc quelques +coups de bâton sur le nez, il est vraiment insupportable!...</p> + +<p>TYLTYL, [battant le Chien.]</p> + +<p>Voilà qui t'apprendra à obéir plus vite!...</p> + +<p>LE CHIEN, [hurlant.]</p> + +<p>Aïe! Aïe! Aïe!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'en dis-tu?...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Il faut que je t'embrasse puisque tu m'as battu!...</p> + +<p>[Il embrasse et caresse violemment Tyltyl.]</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Voyons.... C'est, bien.... Ça suffit.... Va-t'en!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Non, non; je veux qu'il reste.... J'ai peur de tout quand il +n'est pas là ....</p> + +<p>LE CHIEN, [bondissant et renversant presque Mytyl, qu'il accable +de caresses précipitées et enthousiastes.]</p> + +<p>Oh! la bonne petite fille!... Qu'elle est belle! Qu'elle est +bonne!... Qu'elle est belle, qu'elle est douce!... Il faut que je +l'embrasse! Encore! encore! encore!...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Quel idiot!... Ma foi, nous verrons bien.... Ne perdons pas de +temps.... Tournez le Diamant....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Où faut-il me placer?</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Dans ce rayon de lune; vous y verrez plus clair.... Là ! tournez +doucement....</p> + +<blockquote><p>[Tyltyl tourne le Diamant; aussitôt, un long frémissement +agite les branches et les feuilles. Les troncs les plus +anciens et les plus imposants s'entr'ouvrent pour livrer +passage à l'âme que chacun d'eux renferme. L'aspect de ces +âmes diffère suivant l'aspect et le caractère de l'arbre +qu'elles représentent. Celle de l'Orme, par exemple, est une +sorte de gnome poussif, ventru, bourru; celle du Tilleul est +placide, familière, joviale: celle du Hêtre, élégante et +agile; celle du Bouleau, blanche, réservée, inquiète; celle +du Saule, rabougrie, échevelée, plaintive; celle du Sapin, +longue, efflanquée, taciturne; celle du Cyprès, tragique; +celle du Marronnier, prétentieuse, un peu snob; celle du +Peuplier, allègre, encombrante, bavarde. Les unes sortent +lentement de leur tronc, engourdies, s'étirant, comme après +une captivité ou un sommeil séculaire, les autres s'en +dégagent d'un bond, alertes, empressées, et toutes viennent +se ranger autour des deux enfants, tout en se tenant autant +que possible à proximité de l'arbre dont elles sont nées.] </p></blockquote> + +<p>LE PEUPLIER, [accourant le premier et criant à tue-tête.]</p> + +<p>Des Hommes!... De petits Hommes!... On pourra leur parler!... +C'est fini le Silence!... C'est fini!... D'où viennent-ils?... +Qui est-ce?... Qui sont-ils?... [Au Tilleul qui s'avance en +fumant tranquillement sa pipe.] Les connais-tu, toi, père +Tilleul?...</p> + +<p>LE TILLEUL</p> + +<p>Je ne me rappelle pas les avoir vus....</p> + +<p>LE PEUPLIER</p> + +<p>Mais si, voyons, mais si!... Tu connais tous les Hommes, tu es +toujours à te promener autour de leurs maisons....</p> + +<p>LE TILLEUL, [examinant les enfants.]</p> + +<p>Mais non, je vous assure.... Je ne les connais pas.... Ils sont +encore trop jeunes.... Je ne connais bien que les amoureux qui +viennent me voir au clair de lune; ou les buveurs de bière qui +trinquent sous mes branches....</p> + +<p>LE MARRONNIER, [pincé, ajustant son monocle.]</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est que ça?... C'est des pauvres de la +campagne?...</p> + +<p>LE PEUPLIER</p> + +<p>Oh! vous, monsieur le Marronnier, depuis que vous ne fréquentez +plus que les boulevards des grandes villes....</p> + +<p>LE SAULE, [s'avançant en sabots et geignard.]</p> + +<p>Mon Dieu, mon Dieu!... Ils viennent encore me couper la tête et +les bras pour en faire des fagots!...</p> + +<p>LE PEUPLIER</p> + +<p>Silence!... Voici le Chêne qui sort de son palais!... Il a l'air +bien souffrant ce soir.... Ne trouvez-vous pas qu'il +vieillit?... Quel âge peut-il avoir?... Le Sapin dit qu'il a +quatre mille ans; mais je suis sûre qu'il exagère.... Attention, +il va nous dire ce que c'est....</p> + +<blockquote><p>[Le Chêne s'avance lentement. Il est fabuleusement vieux, +couronné de gui et vêtu d'une longue robe verte brodée de +mousse et de lichen. Il est aveugle, sa barbe blanche flotte +au vent. Il s'appuie d'une main sur un bâton noueux et de +l'autre sur un jeune Chêneau qui lui sert de guide. +L'Oiseau-Bleu est perché sur son épaule. À son approche, +mouvement de respect parmi les arbres qui se rangent et +s'inclinent.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Il a l'Oiseau-Bleu!... Vite! vite!... Par ici!... +Donnez-le-moi!...</p> + +<p>LES ARBRES</p> + +<p>Silence!...</p> + +<p>LA CHATTE, [à Tyltyl.]</p> + +<p>Découvrez-vous, c'est le Chêne!...</p> + +<p>LE CHÊNE, [à Tyltyl.]</p> + +<p>Qui es-tu?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tyltyl, monsieur.... Quand est-ce que je pourrai prendre +l'Oiseau-Bleu?...</p> + +<p>LE CHÊNE</p> + +<p>Tyltyl, le fils du bûcheron?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui, monsieur....</p> + +<p>LE CHÊNE</p> + +<p>Ton père nous a fait bien du mal.... Dans ma seule famille il a +mis à mort six cents de mes fils, quatre cent soixante-quinze +oncles et tantes, douze cents cousins et cousines, trois cent +quatre-vingts brus et douze mille arrière-petits-fils!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Je ne sais pas, monsieur.... Il ne l'a pas fait exprès....</p> + +<p>LE CHÊNE</p> + +<p>Que viens-tu faire ici, et pourquoi as-tu fait sortir nos âmes de +leurs demeures?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Monsieur, je vous demande pardon de vous avoir dérangé.... C'est +la Chatte qui m'a dit que vous alliez nous dire où se trouve +l'Oiseau-Bleu....</p> + +<p>LE CHÊNE</p> + +<p>Oui, je sais, tu cherches l'Oiseau-Bleu, c'est-à -dire le grand +secret des choses et du bonheur, pour que les Hommes rendent plus +dur encore notre esclavage....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais non, monsieur; c'est pour la petite fille de la Fée Bérylune +qui est très malade....</p> + +<p>LE CHÊNE, lui imposant silence.</p> + +<p>Il suffit!... Je n'entends pas les Animaux.... Où sont-ils?... +Tout ceci les intéresse autant que nous.... Il ne faut pas que +nous, les Arbres, assumions seuls la responsabilité des mesures +graves qui s'imposent.... Le jour où les Hommes apprendront que +nous avons fait ce que nous allons faire, il y aura d'horribles +représailles.... Il convient donc que notre accord soit unanime, +pour que notre silence le soit également....</p> + +<p>LE SAPIN, [regardant par-dessus les autres arbres.]</p> + +<p>Les Animaux arrivent.... Ils suivent le Lapin.... Voici l'âme du +Cheval, du Taureau, du BÅ“uf, de la Vache, du Loup, du Mouton, +du Porc, du Coq, de la Chèvre, de l'Âne et de l'Ours....</p> + +<blockquote><p>[Entrée successive des âmes des Animaux qui, à mesure que +les énumère le Sapin, s'avancent et vont s'asseoir entre les +arbres, à l'exception de l'âme de la Chèvre qui vagabonde çà +et là , et de celle du Porc qui fouille les racines.] </p></blockquote> + +<p>LE CHÊNE</p> + +<p>Tous sont-ils ici présents?...</p> + +<p>LE LAPIN</p> + +<p>La Poule ne pouvait pas abandonner ses Å“ufs, le Lièvre faisait +des courses, le Cerf a mal aux cornes, le Renard est +souffrant,—voici le certificat du médecin,—l'Oie n'a pas +compris et le Dindon s'est mis en colère....</p> + +<p>LE CHÊNE</p> + +<p>Ces abstentions sont extrêmement regrettables.... Néanmoins, nous +sommes en nombre suffisant.... Vous savez, mes frères, de quoi +il est question. L'enfant que voici, grâce à un talisman dérobé +aux puissances de la Terre, peut s'emparer de notre Oiseau-Bleu, +et nous arracher ainsi le secret que nous gardons depuis +l'origine de la Vie.... Or, nous connaissons assez l'Homme pour +n'avoir aucun doute sur le sort qu'il nous réserve lorsqu'il se +trouvera en possession de ce secret. C'est pourquoi il me semble +que toute hésitation serait aussi stupide que criminelle.... +L'heure est grave; il faut que l'enfant disparaisse avant qu'il +soit trop tard....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Que dit-il?...</p> + +<p>LE CHIEN, [rôdant autour du Chêne en montrant ses crocs.]</p> + +<p>As-tu vu mes dents, vieux perclus?...</p> + +<p>LE HÊTRE, [indigné.]</p> + +<p>Il insulte le Chêne!...</p> + +<p>LE CHÊNE</p> + +<p>C'est le Chien?... Qu'on l'expulse! Il ne faut pas que nous +tolérions un traître parmi nous!...</p> + +<p>LA CHATTE, [bas, à Tyltyl.]</p> + +<p>Éloignez le Chien.... C'est un malentendu.... Laissez-moi faire, +j'arrangerai les choses.... Mais éloignez-le au plus vite....</p> + +<p>TYLTYL, [au Chien.]</p> + +<p>Veux-tu t'en aller!...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Laisse-moi donc lui déchirer ses pantoufles de mousse à ce vieux +goutteux-là !... On va rire!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tais-toi donc!... Et va-t'en!... Mais va-t'en, vilaine bête!...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Bon, bon, on s'en ira.... Je reviendrai quand tu auras besoin de +moi....</p> + +<p>LA CHATTE, [bas, à Tyltyl.]</p> + +<p>Il serait plus prudent de l'enchaîner, sinon il fera des bêtises; +les Arbres se fâcheront, et tout cela finira mal....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Comment faire?... J'ai égaré sa laisse....</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Voici tout juste le Lierre qui s'avance avec de solides liens....</p> + +<p>LE CHIEN, grondant.</p> + +<p>Je reviendrai, je reviendrai!... Podagre! bronchiteux!... Tas de +vieux rabougris, tas de vieilles racines!...C'est la Chatte qui +mène tout!... Je lui revaudrai ça!... Qu'as-tu donc à chuchoter +ainsi, Judas, Tigre, Bazaine!... Wa, wa! wa!...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Vous voyez, il insulte tout le monde....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est vrai, il est insupportable et l'on ne s'entend plus.... +Monsieur le Lierre, voulez-vous l'enchaîner?...</p> + +<p>LE LIERRE, [s'approchant assez craintivement du Chien.]</p> + +<p>Il ne mordra pas?...</p> + +<p>LE CHIEN, [grondant.]</p> + +<p>Au contraire! au contraire!... Il va bien t'embrasser!... +Attends, tu vas voir ça!... Approche, approche donc, tas de +vieilles ficelles!...</p> + +<p>TYLTYL, [le menaçant du bâton.]</p> + +<p>Tylô!...</p> + +<p>LE CHIEN, [rampant aux pieds de Tyltyl en agitant la queue.]</p> + +<p>Que faut-il faire, mon petit dieu?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Te coucher, à plat ventre!... Obéis au Lierre.... Laisse-toi +garotter, sinon....</p> + +<p>LE CHIEN, [grondant entre les dents pendant que le Lierre le +garotte.]</p> + +<p>Ficelle!... Corde à pendus!... Laisse à veaux!... Chaîne à +porcs!... Mon petit dieu, regarde.... Il me tord les pattes.... +Il m'étrangle!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tant pis!... Tu l'as voulu!... Tais-toi, tiens-toi tranquille, tu +es insupportable!...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>C'est égal, tu as tort.... Ils ont de vilaines intentions.... Mon +petit dieu, prends garde!... Il me ferme la bouche!... Je ne peux +plus parler!...</p> + +<p>LE LIERRE, [qui a ficelé le Chien comme un paquet.]</p> + +<p>Où faut-il le porter?... Je l'ai bien bâillonné.... il ne souffle +plus mot....</p> + +<p>LE CHÊNE</p> + +<p>Qu'on l'attache solidement là -bas, derrière mon tronc, à ma +grosse racine.... Nous verrons ensuite ce qu'il convient d'en +faire.... [Le Lierre aidé du Peuplier porte le Chien derrière le +tronc du Chêne] Est-ce fait?... Bien, maintenant que nous voilà +débarrassés de ce témoin gênant et de ce renégat, délibérons +selon notre justice et notre vérité.... Mon émotion, je ne vous +le cache point, est profonde et pénible.... C'est la première +fois qu'il nous est donné de juger l'Homme et de lui faire sentir +notre puissance.... Je ne crois pas qu'après le mal qu'il nous a +fait, après les monstrueuses injustices que nous avons subies, il +reste le moindre doute sur la sentence qui l'attend....</p> + +<p>TOUS LES ARBRES et TOUS LES ANIMAUX</p> + +<p>Non! Non! Non!... Pas de doute!... La pendaison!... La mort!... +Il y a trop d'injustice!... Il a trop abusé!... Il y a trop +longtemps!... Qu'on l'écrase! Qu'on le mange!... Tout de +suite!... Tout de suite!...</p> + +<p>TYLTYL, [à la Chatte.]</p> + +<p>Qu'ont-ils donc?... Ils ne sont pas contents?...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Ne vous inquiétez pas.... Ils sont un peu fâchés à cause que le +Printemps est en retard.... Laissez-moi faire, j'arrangerai tout +ça....</p> + +<p>LE CHÊNE</p> + +<p>Cette unanimité était inévitable.... Il s'agit à présent de +savoir, pour éviter les représailles, quel genre de supplice sera +le plus pratique, le plus commode, le plus expéditif et le plus +sûr; celui qui laissera le moins de traces accusatrices lorsque +les Hommes retrouveront les petits corps dans la forêt....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est que tout ça?... Où veut-il en venir?... Je +commence à en avoir assez.... Puisqu'il a l'Oiseau-Bleu, qu'il le +donne....</p> + +<p>LE TAUREAU, [s'avançant.]</p> + +<p>Le plus pratique et le plus sûr, c'est un bon coup de corne au +creux de l'estomac.—Voulez-vous que je fonce?...</p> + +<p>LE CHÊNE</p> + +<p>Qui parle ainsi?...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>C'est le Taureau.</p> + +<p>LA VACHE</p> + +<p>Il ferait mieux de se tenir tranquille.... Moi, je ne m'en mêle +pas.... J'ai à brouter toute l'herbe de la prairie qu'on voit +là -bas, dans le bleu de la lune.... J'ai trop à faire....</p> + +<p>LE BÅ’UF</p> + +<p>Moi aussi. D'ailleurs, j'approuve tout d'avance....</p> + +<p>LE HÊTRE</p> + +<p>Moi, j'offre ma plus haute branche pour les pendre....</p> + +<p>LE LIERRE</p> + +<p>Et moi le nÅ“ud coulant....</p> + +<p>LE SAPIN</p> + +<p>Et moi les quatre planches pour la petite boîte....</p> + +<p>LE CYPRÈS</p> + +<p>Et moi la concession à perpétuité....</p> + +<p>LE SAULE</p> + +<p>Le plus simple serait de les noyer dans une de mes rivières.... +Je m'en charge....</p> + +<p>LE TILLEUL, [conciliant.]</p> + +<p>Voyons, voyons.... Est-il bien nécessaire d'en venir à ces +extrémités? Ils sont encore bien jeunes.... On pourrait tout +bonnement les empêcher de nuire en les retenant prisonniers dans +un clos que je me charge de construire en me plantant tout +autour....</p> + +<p>LE CHÊNE</p> + +<p>Qui parle ainsi?... Je crois reconnaître la voix mielleuse du +Tilleul....</p> + +<p>LE SAPIN</p> + +<p>En effet....</p> + +<p>LE CHÊNE</p> + +<p>Il y a donc un renégat parmi nous, comme parmi les Animaux?... +Jusqu'ici, nous n'avions à déplorer que la défection des Arbres +fruitiers; mais ceux-ci ne sont pas de véritables Arbres....</p> + +<p>LE PORC, [roulant de petits yeux gloutons.]</p> + +<p>Moi, je pense qu'il faut d'abord manger la petite fille.... Elle +doit être bien tendre....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Que dit-il celui-là ?... Attends un peu, espèce de....</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Je ne sais ce qu'ils ont; mais cela prend mauvaise tournure....</p> + +<p>LE CHÊNE</p> + +<p>Silence!... Il s'agit de savoir qui de nous aura l'honneur de +porter le premier coup; qui écartera de nos cimes le plus grand +danger que nous ayons couru depuis la naissance de l'Homme....</p> + +<p>LE SAPIN</p> + +<p>C'est à vous, notre roi et notre patriarche, que revient cet +honneur....</p> + +<p>LE CHÊNE</p> + +<p>C'est le Sapin qui parle?... Hélas! je suis trop vieux! Je suis +aveugle, infirme, et mes bras engourdis ne m'obéissent plus.... +Non, c'est à vous, mon frère, toujours vert, toujours droit, +c'est à vous, qui vîtes naître la plupart de ces Arbres, +qu'échoit, à mon défaut, la gloire du noble geste de notre +délivrance....</p> + +<p>LE SAPIN</p> + +<p>Je vous remercie, mon vénérable père.... Mais comme j'aurai déjà +l'honneur d'ensevelir les deux victimes, je craindrais d'éveiller +la juste jalousie de mes collègues; et je crois qu'après nous, le +plus ancien et le plus digne, celui qui possède la meilleure +massue, c'est le Hêtre....</p> + +<p>LE HÊTRE</p> + +<p>Vous savez que je suis vermoulu et que ma massue n'est point +sûre.... Mais l'Orme et le Cyprès ont de puissantes armes....</p> + +<p>L'ORME</p> + +<p>Je ne demanderais pas mieux; mais je puis à peine me tenir +debout.... Une taupe, cette nuit, m'a retourné le gros orteil....</p> + +<p>LE CYPRÈS</p> + +<p>Quant à moi, je suis prêt.... Mais, comme mon bon frère le Sapin, +j'aurai déjà , sinon le privilège de les ensevelir, tout au moins +l'avantage de pleurer sur leur tombe.... Ce serait illégitimement +cumuler.... Demandez au Peuplier....</p> + +<p>LE PEUPLIER</p> + +<p>A moi?... Y pensez-vous?... Mais mon bois est plus tendre que la +chair d'un enfant!... Et puis, je ne sais ce que j'ai.... Je +tremble de fièvre.... Regardez donc mes feuilles.... J'ai dû +prendre froid ce matin au lever du soleil....</p> + +<p>LE CHÊNE, [éclatant d'indignation.]</p> + +<p>Vous avez peur de l'Homme!... Même ces petits enfants isolés et +sans armes vous inspirent la terreur mystérieuse qui fit toujours +de nous les esclaves que nous sommes!... Eh bien, non! C'est +assez!... Puisqu'il en est ainsi, puisque l'heure est unique, +j'irai seul, vieux, perclus, tremblant, aveugle, contre l'ennemi +héréditaire!... Où est-il?...</p> + +<blockquote><p>[Tâtonnant de son bâton, il s'avance vers Tyltyl.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL, [tirant son couteau de sa poche.]</p> + +<p>C'est à moi qu'il en a, ce vieux-là , avec son gros bâton?...</p> + +<blockquote><p>[Tous les autres Arbres, poussant un cri d'épouvante à la +vue du couteau, l'arme mystérieuse et irrésistible de +l'Homme, s'interposent et retiennent le Chêne.] </p></blockquote> + +<p>LES ARBRES</p> + +<p>Le couteau!... Prenez garde!.... Le couteau!...</p> + +<p>LE CHÊNE, se débattant.</p> + +<p>Laissez-moi!... Que m'importe!... Le couteau ou la hache!... Qui +me retient?... Quoi! vous êtes tous ici?... Quoi! vous tous vous +voulez?... [Jetant son bâton] Eh bien, soit!... Honte à nous!... +Que les Animaux nous délivrent!...</p> + +<p>LE TAUREAU</p> + +<p>C'est cela!... Je m'en charge!... Et d'un seul coup de corne!...</p> + +<p>LE BÅ’UF et LA VACHE, [le retenant par la queue.]</p> + +<p>De quoi te mêles-tu?...Ne fais pas de bêtises!... C'est une +mauvaise affaire!... Cela finira mal.... C'est nous qui +trinquerons.... Laisse donc.... C'est affaire aux Animaux +sauvages....</p> + +<p>LE TAUREAU</p> + +<p>Non, non!... C'est mon affaire!... Attendez!... Mais retenez-moi +donc ou je fais un malheur!...</p> + +<p>TYLTYL, [à Mytyl qui pousse des cris aigus.]</p> + +<p>N'aie pas peur!... Mets-toi derrière moi.... J'ai mon couteau....</p> + +<p>LE COQ</p> + +<p>C'est qu'il est crâne, le petit!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Alors, c'est décidé, c'est à moi qu'on en veut?...</p> + +<p>L'ÂNE</p> + +<p>Mais bien sûr, mon petit, tu y a mis le temps, à t'en +apercevoir!...</p> + +<p>LE PORC</p> + +<p>Tu peux faire ta prière, va, c'est ta dernière heure. Mais ne +cache pas la petite fille.... Je veux m'en régaler les yeux.... +C'est elle que je mangerai la première....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'est-ce que je vous ai fait?...</p> + +<p>LE MOUTON</p> + +<p>Rien du tout, mon petit.... Mangé mon petit frère, mes deux +sÅ“urs, mes trois oncles, ma tante, bon-papa, bonne-maman.... +Attends, attends, quand tu seras par terre, tu verras que j'ai +des dents aussi....</p> + +<p>L'ÂNE</p> + +<p>Et que j'ai des sabots!...</p> + +<p>LE CHEVAL, [piaffant fièrement.]</p> + +<p>Vous allez voir ce que vous allez voir!... Aimez-vous mieux que +je le déchire à belles dents ou que je vous l'abatte à coups de +pied?... [Il s'avance magnifiquement sur Tyltyl qui lui fait face +en levant son couteau. Tout à coup, le Cheval, pris de panique, +tourne le dos et fuit à toutes jambes.] Ah! mais non!... Ce n'est +pas juste!... Ce n'est pas de jeu!... Il se défend!...</p> + +<p>LE COQ, [ne pouvant cacher son admiration.]</p> + +<p>C'est égal, le petit n'a pas froid aux yeux!...</p> + +<p>LE PORC, [à l'Ours et au Loup.]</p> + +<p>Précipitons-nous tous ensemble.... Je vous soutiendrai par +derrière.... Nous les renverserons et nous nous partagerons la +petite fille quand elle sera par terre....</p> + +<p>LE LOUP</p> + +<p>Amusez-les par là .... Je vais faire un mouvement tournant....</p> + +<blockquote><p>[Il tourne Tyltyl qu'il attaque par derrière et renverse à demi.]</p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Judas!... [Il se redresse sur un genou, brandissant son couteau +et couvrant de son mieux sa petite sÅ“ur qui pousse des +hurlements de détresse.—Le voyant à demi renversé, tous les +Animaux et les Arbres se rapprochent et cherchent à lui porter +des coups. L'obscurité se fait subitement. Éperdument, Tyltyl +appelle à l'aide.] A moi! A moi!... Tylô! Tylô!... Où est la +Chatte?... Tylô!... Tylette! Tylette!... Venez! venez!...</p> + +<p>LA CHATTE, [hypocritement, à l'écart.]</p> + +<p>Je ne peux pas.... Je viens de me fouler la patte....</p> + +<p>TYLTYL, [parant les coups et se défendant de son mieux.]</p> + +<p>A moi!... Tylô! Tylô!... Je ne peux plus!... Ils sont trop!... +L'Ours! le Cochon! le Loup! l'Âne! le Sapin! le Hêtre!... Tylô! +Tylô! Tylô!...</p> + +<blockquote><p>[Traînant ses liens brisés, le Chien bondit de derrière le +tronc du Chêne et, bousculant Arbres et Animaux, se jette +devant Tyltyl qu'il détend avec rage.] </p></blockquote> + +<p>LE CHIEN, [tout en distribuant d'énormes coups de dent.]</p> + +<p>Voilà ! voilà ! mon petit dieu!... N'aie pas peur! Allons-y!... +J'ai de bons coups de gueule!... Tiens, voilà pour toi, l'Ours, +là dans ton gros derrière!...Voyons, qui en veut encore?... Voilà +pour le Cochon, et ça pour le Cheval et la queue du Taureau! +Voilà ! j'ai déchiré la culotte du Hêtre et le jupon du Chêne!... +Le Sapin f.... le camp!... C'est égal, il fait chaud!...</p> + +<p>TYLTYL, [accablé.]</p> + +<p>Je n'en peux plus!... Le Cyprès m'a donné un grand coup sur la +tête....</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Aïe! c'est un coup du Saule!... Il m'a cassé la patte!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ils reviennent à la charge! Tous ensemble!... Cette fois, c'est +le Loup!...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Attends, que je l'étrenne!...</p> + +<p>LE LOUP</p> + +<p>Imbécile!... Notre frère!... Ses parents ont noyé tes petits!...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Ils ont bien fait!... Tant mieux!... C'est qu'ils te +ressemblaient!...</p> + +<p>TOUS LES ARBRES et TOUS LES ANIMAUX</p> + +<p>Renégat!... Idiot!... Traître! Félon! Nigaud!... Judas!... +Laisse-le! C'est la mort! Viens à nous!</p> + +<p>LE CHIEN, [ivre d'ardeur et de dévouement.]</p> + +<p>Non! non!... Seul contre tous!... Non, non!... Fidèle aux dieux! +aux meilleurs! aux plus grands!... [À Tyltyl.]Prends garde, voici +l'Ours!... Méfie-toi du Taureau.... Je vais lui sauter à la +gorge.... Aïe!... C'est un coup de pied.... L'Âne m'a cassé deux +dents....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Je ne peux plus, Tylô!... Aïe!... C'est un coup de l'Orme.... +Regarde, ma main saigne.... C'est le Loup ou le Porc....</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Attends, mon petit dieu.... Laisse-moi t'embrasser. Là , un bon +coup de langue.... Ça te fera du bien.... Reste bien derrière +moi.... Ils n'osent plus approcher.... Si!... Les voilà qui +reviennent!... Ah! ce coup, c'est sérieux!... Tenons ferme!...</p> + +<p>TYLTYL, [se laissant tomber sur le sol.]</p> + +<p>Non, ce n'est plus possible....</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>On vient!... J'entends, je flaire!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Où donc?... Qui donc?...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Là ! là !... C'est la Lumière!... Elle nous a retrouvés!... +Sauvés, mon petit roi!... Embrasse-moi!... Sauvés!... regarde!... +Ils se méfient!... Ils s'écartent!... Ils ont peur!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>La Lumière!... La Lumière!... Venez donc!... Hâtez-vous!... Ils +se sont révoltés!... Ils sont tous contre nous!...</p> + +<blockquote><p>[Entre la Lumière: à mesure qu'elle s'avance, l'Aurore se +lève sur la forêt qui s'éclaire.] </p></blockquote> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Qu'est-ce donc?... Qu'y a-t-il?...Mais, malheureux! tu ne savais +donc pas!... Tourne le Diamant! Ils rentreront dans le Silence et +dans l'Obscurité; et tu ne verras plus leurs sentiments....</p> + +<blockquote><p>[Tyltyl tourne le Diamant.—Aussitôt les âmes de tous les +Arbres se précipitent dans les troncs qui se referment. +—Les âmes des Animaux disparaissent également; et l'on +voit, au loin, brouter une Vache et un Mouton paisibles, +etc.—La Forêt redevient innocente. Étonné, Tyltyl regarde +autour de soi.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Où sont-ils?... Qu'avaient-ils?... Est-ce qu'ils étaient +fous?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Mais non, ils sont toujours ainsi; mais on ne le sait pas parce +qu'on ne le voit pas.... Je te l'avais bien dit: il est dangereux +de les réveiller quand je ne suis pas là ....</p> + +<p>TYLTYL, [essuyant son couteau.]</p> + +<p>C'est égal; sans le Chien et si je n'avais pas eu mon couteau.... +Je n'aurais jamais cru qu'ils fussent si méchants!...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Tu vois bien que l'Homme est tout seul contre tous, en ce +monde....</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Tu n'as pas trop de mal, mon petit dieu?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Rien de grave.... Quant à Mytyl, ils ne l'ont pas touchée.... +Mais toi, mon bon Tylô?... Tu as la bouche en sang, et ta patte +est cassée?...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Pas la peine d'en parler.... Demain, il n'y paraîtra plus.... +Mais l'affaire était chaude!...</p> + +<p>LA CHATTE, [sortant d'un fourré en boitant.]</p> + +<p>Je crois bien!... Le BÅ“uf m'a donné un coup de corne dans le +ventre.... On n'en voit pas la trace, mais il me fait bien +mal.... Et le Chêne m'a cassé la patte....</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>J'aimerais bien savoir laquelle....</p> + +<p>MYTYL, caressant la Chatte.</p> + +<p>Ma pauvre Tylette, est-ce vrai?... Où donc te trouvais-tu?... Je +ne t'ai pas aperçue....</p> + +<p>LA CHATTE, [hypocritement.]</p> + +<p>Petite mère, j'ai été blessée tout de suite, en attaquant le +vilain Porc qui voulait te manger.... C'est alors que le Chêne +m'a donné ce grand coup qui m'a étourdie....</p> + +<p>LE CHIEN, [à la Chatte, entre les dents.]</p> + +<p>Toi, tu sais, j'ai deux mots à te dire.... Tu ne perdras rien +pour attendre!...</p> + +<p>LA CHATTE, [plaintivement, à Mytyl.]</p> + +<p>Petite mère, il m'insulte.... Il veut me faire du mal....</p> + +<p>MYTYL, [au Chien.]</p> + +<p>Veux-tu bien la laisser tranquille, vilaine bête....</p> + +<p>Ils sortent tous.</p> + +<p>RIDEAU</p> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="ACTE_QUATRIEME" id="ACTE_QUATRIEME"></a>ACTE QUATRIÈME</h3> + + + +<hr style="width: 45%;" /> +<h3><a name="SIXIEME_TABLEAU" id="SIXIEME_TABLEAU"></a>SIXIÈME TABLEAU</h3> + +<h4>DEVANT LE RIDEAU</h4> + +<hr style="width: 45%;" /> + +<blockquote><p>[Entrent Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Chien, le Chat, le +Pain, le Feu, le Sucre, l'Eau et le Lait.] </p></blockquote> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>J'ai reçu un petit mot de la Fée Bérylune qui m'apprend que +l'Oiseau-Bleu se trouve probablement ici....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Où ça?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Ici, dans le cimetière qui est derrière ce mur.... Il paraît +qu'un des morts de ce cimetière le cache dans la tombe.... Reste +à savoir lequel.... Il faudra qu'on les passe en revue....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>En revue?... Comment qu'on fera?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>C'est bien simple: à minuit, pour ne pas trop les déranger, tu +tourneras le Diamant. On les verra sortir de terre; ou bien on +apercevra au fond de leurs tombes ceux qui ne sortent pas....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ils ne seront pas fâchés?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Nullement, ils ne s'en douteront même pas.... Ils n'aiment pas +qu'on les dérange; mais comme de toutes façons ils ont coutume de +sortir à minuit, cela ne les gênera pas....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Pourquoi que le Pain, le Sucre et le Lait sont si pâles et +pourquoi qu'ils ne disent rien?...</p> + +<p>LE LAIT, [chancelant.]</p> + +<p>Je sens que je vais tourner....</p> + +<p>LA LUMIÈRE, [bas, à Tyltyl.]</p> + +<p>Ne fais pas attention.... Ils ont peur des morts..</p> + +<p>LE FEU, [gambadant.]</p> + +<p>Moi, je n'en ai pas peur!... J'ai l'habitude de les brûler.... +Dans les temps, je les brûlais tous; c'était bien plus amusant +qu'aujourd'hui....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et pourquoi Tylô tremble-t-il?... Est-ce qu'il a peur aussi?</p> + +<p>LE CHIEN, [claquant des dents.]</p> + +<p>Moi?... Je ne tremble pas!... Moi, je n'ai jamais peur; mais si +tu t'en allais, je m'en irais aussi....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et la Chatte ne dit rien?...</p> + +<p>LA CHATTE, [mystérieuse.]</p> + +<p>Je sais ce que c'est....</p> + +<p>TYLTYL, [à la Lumière.]</p> + +<p>Tu viendras avec nous?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Non, il est préférable que je reste à la porte du cimetière avec +les Choses et les Animaux.... L'heure n'est pas venue.... La +Lumière ne peut pas encore pénétrer chez les morts.... Je vais te +laisser seul avec Mytyl....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et Tylô ne peut pas rester avec-nous?...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Si, si, je reste, je reste ici.... Je veux rester près de mon +petit dieu!...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>C'est impossible.... L'ordre de la Fée est formel; du reste, il +n'y a rien à craindre....</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Bien, bien, tant pis.... S'ils sont méchants, mon petit dieu, tu +n'as qu'à faire comme ça [il siffle.] et tu verras.... Ce sera +comme dans la forêt: Wa! Wa! Wa!...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Allons, adieu, mes chers petits.... Je ne serai pas loin.... +[Elle embrasse les enfants.] Ceux qui m'aiment et que j'aime me +retrouvent toujours.... [Aux Choses et aux Animaux.] Vous +autres.... par ici.</p> + +<blockquote><p>[Elle sort avec les Choses et les Animaux. Les enfants +restent seuls au milieu de la scène. Le rideau s'ouvre pour +découvrir le septième tableau.] </p></blockquote> + + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="SEPTIEME_TABLEAU" id="SEPTIEME_TABLEAU"></a>SEPTIÈME TABLEAU</h3> + +<h4>LE CIMETIÈRE</h4> + + +<p>Il fait nuit. Clair de lune. Un cimetière de campagne. +Nombreuses tombes, tertres de gazon, croix de bois, +dalles funéraires, etc.</p> + +<hr style="width: 45%;" /> + +<blockquote><p>[Tyltyl et Mytyl sont debout près d'un cippe.] </p></blockquote> + +<p>MYTYL</p> + +<p>J'ai peur.</p> + +<p>TYLTYL, [assez peu rassuré.]</p> + +<p>Moi, je n'ai jamais peur....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>C'est méchant, les morts, dis?..</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais non, puisqu'ils ne vivent pas....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Tu en as déjà vu?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui, une fois, dans le temps, lorsque j'étais très jeune....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Comment c'est fait, dis?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est tout blanc, très tranquille et très froid, et ça ne parle +pas....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Nous allons les voir, dis?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Bien sûr, puisque la Lumière l'a promis....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Où c'est qu'ils sont, les morts?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ici, sous le gazon ou sous ces grosses pierres.</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Ils sont là toute l'année?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui.</p> + +<p>MYTYL, [montrant les dalles.]</p> + +<p>C'est les portes de leurs maisons?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui.</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Est-ce qu'ils sortent quand il fait beau?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ils ne peuvent sortir qu'à la nuit....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Pourquoi?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Parce qu'ils sont en chemise....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Est-ce qu'ils sortent aussi quand il pleut?.</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Quand il pleut, ils restent chez eux....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>C'est beau chez eux, dis?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>On dit que c'est fort étroit....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Est-ce qu'ils ont des petits enfants?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Bien sûr; ils ont tous ceux qui meurent....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Et de quoi vivent-ils?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ils mangent des racines....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Est-ce que nous les verrons?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Bien sûr, puisqu'on voit tout quand le Diamant est tourné.</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Et qu'est-ce qu'ils diront?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ils ne diront rien, puisqu'ils ne parlent pas....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Pourquoi qu'ils ne parlent pas?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Parce qu'ils n'ont rien à dire....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Pourquoi qu'ils n'ont rien à dire?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tu m'embêtes....</p> + +<blockquote><p>[Un silence.]</p></blockquote> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Quand tourneras-tu le Diamant?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tu sais bien que la Lumière a dit d'attendre à minuit, parce +qu'alors on les dérange moins....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Pourquoi qu'on les dérange moins?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Parce que c'est l'heure où ils sortent prendre l'air.</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Il n'est pas minuit?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Vois-tu le cadran de l'église?...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Oui, je vois même la petite aiguille....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et bien! minuit va sonner.... Là !... Tout juste.... +Entends-tu?...</p> + +<p>On entend sonner les douze coups de minuit.</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Je veux m'en aller!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ce n'est pas le moment.... Je vais tourner le Diamant....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Non, non!... Ne le fais pas!... Je veux m'en aller!... J'ai si +peur, petit frère!... J'ai terriblement peur!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais il n'y a pas de danger....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Je ne veux pas voir les morts!... Je ne veux pas les voir!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est bon, tu ne les verras pas, tu fermeras les yeux....</p> + +<p>MYTYL, [s'accrochant aux vêtements de Tyltyl.]</p> + +<p>Tyltyl, je ne peux pas!... Non, ce n'est pas possible!... Ils +vont sortir de terre!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ne tremble pas ainsi.... Ils ne sortiront qu'un moment....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Mais tu trembles aussi, toi!... Ils seront effrayants!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Il est temps, l'heure passe....</p> + +<blockquote><p>[Tyltyl tourne le Diamant. Une terrifiante minute de silence +et d'immobilité; après quoi, lentement, les croix +chancellent, les tertres s'entr'ouvrent, les dalles se +soulèvent.] </p></blockquote> + +<p>MYTYL, [se blottissant contre Tyltyl.]</p> + +<p>Ils sortent!... Ils sont là !...</p> + +<blockquote><p>[Alors, de toutes les tombes béantes monte graduellement une +floraison d'abord grêle et timide comme une vapeur d'eau, +puis blanche et virginale et de plus en plus touffue, de +plus en plus haute, surabondante et merveilleuse, qui peu à +peu, irrésistiblement, envahissant toutes choses, transforme +le cimetière en une sorte de jardin féerique et nuptial, sur +lequel ne tardent pas à se lever les premiers rayons de +l'aube. La rosée scintille, les fleurs s'épanouissent, le +vent murmure dans les feuilles, les abeilles bourdonnent, +les oiseaux s'éveillent et inondent l'espace des premières +ivresses de leurs hymnes au soleil et à la vie. Stupéfaits, +éblouis, Tyltyl et Mytyl, se tenant par la main, font +quelques pas parmi les fleurs en cherchant la trace des +tombes.] </p></blockquote> + +<p>MYTYL, [cherchant dans le gazon.]</p> + +<p>Où sont-ils, les morts?...</p> + +<p>TYLTYL, [cherchant de même.]</p> + +<p>Il n'y a pas de morts....</p> + + +<p>RIDEAU</p> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="HUITIEME_TABLEAU" id="HUITIEME_TABLEAU"></a>HUITIÈME TABLEAU</h3> + +<h4>DEVANT LE RIDEAU QUI REPRÉSENTE DE BEAUX NUAGES</h4> + + +<blockquote><p>Entrent: Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Chien, la Chatte, le +Pain, le Feu, le Sucre, l'Eau et le Lait. </p></blockquote> + +<hr style="width: 45%;" /> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Je crois que cette fois nous tenons L'Oiseau-Bleu. J'aurais dû y +penser dès la première étape.... Ce n'est que ce matin, en +reprenant mes forces dans l'aurore, que l'idée m'est venue comme +un rayon du ciel.... Nous sommes à l'entrée des jardins enchantés +où se trouvent réunis sous la garde du Destin, toutes les Joies, +tous les Bonheurs des Hommes....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Il y en a beaucoup? Est-ce qu'on en aura? Est-ce qu'ils sont +petits?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Il en est de petits et de grands, de gros et de délicats, de très +beaux et d'autres qui sont moins agréables.... Mais les plus +vilains furent, il y a quelque temps, expulsés des jardins et +cherchèrent refuge chez les Malheurs. Car il faut remarquer que +les Malheurs habitent un autre contigu, qui communique avec le +jardin des Bonheurs et n'en est séparé que par une sorte de +vapeur ou de rideau subtil que le vent qui souffle des hauteurs +de la Justice ou du fond de l'Éternité soulève à chaque +instant.... Maintenant, il s'agit de s'organiser et de prendre +certaines précautions. En général, les Bonheurs sont fort bons, +pourtant il en est quelques-uns qui sont plus dangereux et plus +perfides que les plus grands Malheurs....</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>J'ai une idée! S'ils sont dangereux et perfides, ne serait-il +pas préférable que nous attendissions tous à la porte, afin +d'être à même de prêter main-forte aux enfants s'ils étaient +obligés de fuir?...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Pas du tout! pas du tout!... Je veux aller partout avec mes +petits dieux!... Que tous ceux qui ont peur restent donc à la +porte!... Nous n'avons pas besoin [Regardant le Pain]. de +poltrons, [Regardant la Chatte] ni de traîtres....</p> + +<p>LE FEU</p> + +<p>Moi, j'y vais!... Il paraît que c'est amusant!... On y danse tout +le temps....</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>Est-ce qu'on y mange aussi?...</p> + +<p>L'EAU, [gémissant.]</p> + +<p>Je n'ai jamais connu le plus petit Bonheur!... Je veux en voir +enfin!...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Taisez-vous! Personne ne demande vos avis.... Voici ce que j'ai +décidé: le Chien, le Pain et le Sucre accompagneront les enfants. +L'Eau n'entrera pas, parce qu'elle est trop froide, ni le Feu qui +est trop turbulent. J'engage vivement le Lait à rester à la +porte, parce qu'il est trop impressionnable; quant à la Chatte, +elle fera comme elle voudra....</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Elle a peur!...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>J'irai saluer en passant quelques Malheurs qui sont de vieux amis +et habitent à côté des Bonheurs....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et toi, la Lumière, est-ce que tu ne viens pas?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Je ne peux pas entrer ainsi chez les Bonheurs; la plupart ne me +supportent pas.... Mais j'ai ici le voile épais dont je me +couvre quand je visite les gens heureux.... [Elle déplie un long +voile dont elle s'enveloppe soigneusement.] Il ne faut pas qu'un +rayon de mon âme les effraye, car il est beaucoup de Bonheurs qui +ont peur et ne sont pas heureux.... Voilà , de cette façon, les +moins jolis et les plus gros eux-mêmes n'auront plus rien à +redouter....</p> + +<blockquote><p>[Le rideau s'ouvre pour découvrir le neuvième tableau.] </p></blockquote> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="NEUVIEME_TABLEAU" id="NEUVIEME_TABLEAU"></a>NEUVIÈME TABLEAU</h3> + +<h4>LES JARDINS DES BONHEURS</h4> + + +<p>Quand s'ouvre le rideau, on découvre, prise sur les premiers +plans des jardins, une sorte de salle formée de hautes colonnes +de marbre entre lesquelles, masquant tout le fond, sont tendues +de lourdes draperies de pourpre que soutiennent des cordages +d'or. Architecture rappelant les moments les plus sensuels et les +plus somptueux de la Renaissance (vénitienne ou flamande Véronèse +et Rubens). Guirlandes, cornes d'abondance, torsades, vases, +statues, dorures prodigués de toutes parts.—Au milieu, massive +et féerique table de jaspe et de vermeil, encombrée de flambeaux, +de cristaux, de vaisselle d'or et d'argent et surchargée de mets +fabuleux.—Autour de la table, mangent, boivent, hurlent, +chantent, s'agitent, se vautrent ou s'endorment parmi les +venaisons, les fruits miraculeux, les aiguières et les amphores +renversées, les plus gros Bonheurs de la terre. Ils sont énormes, +invraisemblablement obèses et rubiconds, couverts de velours et +de brocarts, couronnés d'or, de perles et de pierreries. De +belles esclaves apportent, sans cesse des plats empanachés et des +breuvages écumiants.—Musique vulgaire, hilare et brutale où +dominent les cuivres.—Une lumière lourde et rouge baigne la +scène.</p> + +<hr style="width: 45%;" /> + +<blockquote><p>[Tyltyl, Mytyl, le Chien, le Pain et le Sucre, d'abord assez +intimidés, se pressent, à droite, au premier plan, autour de +la Lumière. La Chatte, sans rien dire, se dirige vers le +fond, également à droite, soulève un rideau sombre et +disparaît.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'est-ce que ces gros messieurs qui s'amusent et mangent tant de +bonnes choses?</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Ce sont les plus gros Bonheurs de la Terre, ceux qu'on peut voir +à l'Å“il nu. Il est possible, bien qu'assez peu probable, que +l'Oiseau-Bleu se soit un instant égaré parmi eux. C'est pourquoi +ne tourne pas encore le Diamant. Nous allons, pour la forme, +explorer tout 'd'abord cette partie de la salle.</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Est-ce qu'on peut s'approcher?</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Certainement. Ils ne sont pas méchants, bien que vulgaires et, +d'habitude, assez mal élevés.</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Qu'ils ont de beaux gâteaux!...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Et du gibier! et des saucisses! et des gigots d'agneau et du foie +de veau!... [Proclamant.] Rien au monde n'est meilleur, rien +n'est plus beau et rien ne vaut le foie de veau!...</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>Excepté les Pains-de-quatre-livres pétris de fine fleur de +froment! Ils en ont d'admirables!... Qu'ils sont beaux! qu'ils +sont beaux!... Ils sont plus gros que moi!...</p> + +<p>LE SUCRE</p> + +<p>Pardon, pardon, mille pardons.... Permettez, permettez.... Je ne +voudrais froisser personne; mais n'oubliez-vous pas les Sucreries +qui sont la gloire de cette table et dont l'éclat et la +magnificence surpassent, si j'ose m'exprimer ainsi, tout ce qu'il +y a dans cette salle et peut-être en tout autre lieu....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'ils ont l'air contents et heureux!... Et ils crient! et ils +rient! et ils chantent!... Je crois qu'ils nous ont vus....</p> + +<blockquote><p>[En effet, une douzaine des plus Gros Bonheurs se sont levés +de table et s'avancent péniblement, en soutenant leur +ventre, vers le groupe des enfants.] </p></blockquote> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Ne crains rien, ils sont très accueillants.... Ils vont +probablement t'inviter à dîner.... N'accepte pas, n'accepte rien, +de peur d'oublier ta mission....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Quoi? Pas même un petit gâteau? Ils ont l'air si bons, si frais, +si bien glacés de sucre, ornés de fruits confits et débordants de +crème!...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Ils sont dangereux et briseraient ta volonté. Il faut savoir +sacrifier quelque chose au devoir qu'on remplit. Refuse poliment +mais avec fermeté. Les voici....</p> + +<p>LE PLUS GROS DES BONHEURS, [tendant la main à Tyltyl.]</p> + +<p>Bonjour, Tyltyl!...</p> + +<p>TYLTYL, [étonné.]</p> + +<p>Vous me connaissez donc?... Qui êtes-vous?...</p> + +<p>LE GROS BONHEUR</p> + +<p>Je suis le plus gros des Bonheurs, le Bonheur-d'être-riche, et je +viens, au nom de mes frères, vous prier, vous et votre famille, +d'honorer de votre présence notre repas sans fin. Vous vous +trouverez au milieu de tout ce qu'il y a de mieux parmi les vrais +et gros Bonheurs de de cette Terre. Permettez que je vous +présente les principaux d'entre eux. Voici mon gendre, le +Bonheur-d'être-propriétaire, qui a le ventre en poire. Voici le +Bonheur-de-la-vanité-satisfaite, dont le visage est si +gracieusement bouffi. [Le Bonheur-de-la-vanité-satisfaite salue +d'un air protecteur.] Voici le +Bonheur-de-boire-quand-on-n'a-plus-soif et le +Bonheur-de-manger-quand-on-n'a-plus-faim, qui sont jumeaux et +ont les jambes en macaroni. [Ils saluent en chancelant.] Voici le +Bonheur-de-ne-rien-savoir, qui est sourd comme une limande, et le +Bonheur-de-ne-rien-comprendre, qui est aveugle comme une taupe. +Voici le Bonheur-de-ne-rien-faire et le +Bonheur-de-dormir-plus-qu'il-n'est-nécessaire, qui ont les mains +en mie de pain et les yeux en gelée de pêche. Voici enfin le +Rire-Épais qui est fendu jusqu'aux oreilles et auquel rien ne +peut résister....</p> + +<blockquote><p>[Le Rire-Épais salue en se tordant.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL, [montrant du doigt un Gros Bonheur qui se tient un peu à +l'écart.]</p> + +<p>Et celui-là , qui n'ose pas approcher et nous tourne le dos?...</p> + +<p>LE GROS BONHEUR</p> + +<p>N'insistez pas, il est un peu gêné et n'est pas présentable à des +enfants.... [Saisissant les mains de Tyltyl.] Mais venez donc! On +recommence le festin.... C'est la douzième fois depuis l'aurore. +On n'attend plus que vous.... Entendez-vous tous les convives qui +vous réclament à grands cris?... Je ne puis vous les présenter +tous, ils sont extrêmement nombreux.... [Offrant le bras aux deux +enfants.] Permettez que je vous conduise aux deux places +d'honneur....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Je vous remercie bien, monsieur le Gros Bonheur.... Je regrette +vivement.... Je ne peux pas pour le moment.... Nous sommes très +pressés, nous cherchons l'Oiseau-Bleu. Vous ne sauriez pas, par +hasard, où il se cache?</p> + +<p>LE GROS BONHEUR</p> + +<p>L'Oiseau-Bleu?... Attendez donc.... Oui, oui, je me rappelle.... +On m'en a parlé dans le temps.... C'est, je crois, un oiseau qui +n'est pas comestible.... En tout cas, il n'a jamais paru sur +notre table.... C'est vous dire qu'on le tient en médiocre +estime.... Mais ne vous mettez pas en peine; nous avons tant +d'autres choses bien meilleures.... Vous allez vous mêler à notre +vie, vous verrez tout ce que nous faisons....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Que faites-vous?</p> + +<p>LE GROS BONHEUR</p> + +<p>Mais nous nous occupons sans cesse à ne rien faire.... Nous +n'avons pas une minute de repos.... Il faut boire, il faut +manger, il faut dormir. C'est extrêmement absorbant....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Est-ce que c'est amusant?</p> + +<p>LE GROS BONHEUR</p> + +<p>Mais oui.... Il le faut bien, il n'y a pas autre chose sur cette +Terre....</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Croyez-vous?...</p> + +<p>LE GROS BONHEUR, [indiquant du doigt la Lumière, bas, à Tyltyl.]</p> + +<p>Quelle est cette jeune personne mal élevée?...</p> + +<blockquote><p>[Durant toute la conversation précédente, une foule de Gros +Bonheurs de second ordre s'est occupée du Chien, du Sucre et +du Pain, et les a entraînés vers l'orgie. Tyltyl aperçoit +soudain ces derniers qui, attablés fraternellement avec +leurs hôtes, mangent, boivent et se trémoussent follement.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Voyez donc, la Lumière!... Ils sont à table!...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Rappelle-les! sinon cela finira mal!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tylô!...Tylô! ici!... Veux-tu venir ici, tout de suite, +entends-tu!... Et vous, là -bas, le Sucre et le Pain, qui donc +vous a permis de me quitter?... Qu'est-ce que vous faites là , +sans autorisation?...</p> + +<p>LE PAIN, [la bouche pleine.]</p> + +<p>Est-ce que tu ne pourrais pas nous parler plus poliment?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Quoi? C'est le Pain qui se permet de me tutoyer?... Mais +qu'est-ce qui te prend?... Et toi, Tylô!... Est-ce ainsi qu'on +obéit? Allons, viens ici, à genoux, à genoux!... Et plus vite que +ça!...</p> + +<p>LE CHIEN, [à mi-voix et du bout de la table.]</p> + +<p>Moi, quand je mange, je n'y suis pour personne et je n'entends +plus rien....</p> + +<p>LE SUCRE, [mielleusement.]</p> + +<p>Excusez-nous, nous ne saurions quitter ainsi, sans les froisser, +d'aussi aimables hôtes....</p> + +<p>LE GROS BONHEUR</p> + +<p>Vous voyez!... Ils vous donnent l'exemple.... Venez, on vous +attend.... Nous n'admettons pas de refus.... On vous fera une +douce violence.... Allons, les Gros Bonheurs, aidez-moi!... +Poussons-les de force vers la table, pour qu'ils soient heureux +malgré eux!...</p> + +<blockquote><p>[Tous les Gros Bonheurs, avec des cris de joie et gambadant +de leur mieux, entraînent les enfants qui se débattent, +tandis que le Rire-Épais saisit vigoureusement la Lumière +par la taille.]</p></blockquote> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Tourne le Diamant, il est temps!...</p> + +<blockquote><p>[Tyltyl fait ce qu'ordonne la Lumière. Aussitôt la scène +s'illumine d'une clarté ineffablement pure, divinement +rosée, harmonieuse et légère. Les lourds ornements du +premier plan, les épaisses tentures rouges se détachent et +disparaissent, dévoilant un fabuleux et doux jardin de paix +légère et de sérénité, une sorte de palais de verdure aux +perspectives harmonieuses, où la magnificence des +feuillages, puissants et lumineux, exubérants et néanmoins +disciplinés, où l'ivresse virginale des fleurs et la fraîche +allégresse des eaux qui coulent, ruissellent et jaillissent +de toutes parts semblent entraîner jusqu'aux confins de +l'horizon l'idée même de la félicité. La table de l'orgie +s'effondre sans laisser de traces; les velours, les +brocarts, les couronnes des Gros Bonheurs, au souffle +lumineux qui envahit la scène, se soulèvent, se déchirent et +tombent, en même temps que les masques hilares, aux pieds +des convives abasourdis. Ceux-ci se dégonflent à vue +d'Å“il, comme des vessies crevées, s'entre-regardent, +clignotent sous les rayons inconnus qui les blessent, et, se +voyant enfin tels qu'ils sont en vérité, c'est-à -dire nus, +hideux, flasques et lamentables, se mettent à pousser des +hurlements de honte et d'épouvante, parmi lesquels on +distingue très nettement ceux du Rire-Épais qui dominent +tous les autres. Seul le Bonheur-de-ne-rien-comprendre +demeure parfaitement calme, tandis que ses collègues +s'agitent éperdument, cherchent à fuir, à se cacher dans les +coins qu'ils espèrent plus sombres. Mais il n'y a plus +d'ombre dans le jardin éblouissant. Aussi la plupart se +décident-ils à franchir, en désespoir de cause, le rideau +menaçant qui, sur là droite, dans un angle, ferme la voûte +de la caverne des Malheurs. A chaque fois que l'un d'eux, +dans la panique, soulève un pan de ce rideau, on entend +s'élever du creux de l'antre une tempête d'injures, +d'imprécations et de malédictions. Quant au Chien, au Pain +et au Sucre, l'oreille basse, ils rejoignent le groupe des +enfants, et, très penauds, se dissimulent derrière eux.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL, [regardant fuir les Gros Bonheurs.]</p> + +<p>Dieu qu'ils sont laids!... Où vont-ils?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Ma foi, je crois qu'ils ont perdu la tête.... Ils vont se +réfugier chez les Malheurs où je crains fort qu'on ne les +retienne définitivement....</p> + +<p>TYLTYL, [regardant autour de soi, émerveillé.]</p> + +<p>Oh! le beau jardin, le beau jardin!... Où sommes-nous?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Nous n'avons pas changé de place; ce sont tes yeux qui ont changé +de sphère.... Nous voyons à présent la vérité des choses; et nous +allons apercevoir l'âme des Bonheurs qui supportent la clarté du +Diamant.</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Que c'est beau!... Qu'il fait beau!... On se croirait en plein +été.... Tiens! on dirait qu'on s'approche et qu'on va s'occuper +de nous....</p> + +<blockquote><p>[En effet, les jardins commencent à se peupler de formes +angéliques qui semblent sortir d'un long sommeil et glissent +harmonieusement entre les arbres. Elles sont vêtues de robes +lumineuses, aux subtiles et suaves nuances: réveil de rose, +sourire d'eau, azur d'aurore, rosée d'ambre, etc.... ]</p></blockquote> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Voici que s'avancent quelques Bonheurs aimables et curieux qui +vont nous renseigner....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tu les connais?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Oui, je les connais tous; je viens souvent chez eux, sans qu'ils +sachent qui je suis....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Il y en a, il y en a!... Ils sortent de tous côtés!...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Il y en avait beaucoup plus dans le temps. Les Gros Bonheurs leur +ont fait bien du tort.</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est égal, il en reste pas mal....</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Tu en verras bien d'autres, à mesure que l'influence du Diamant +se répandra parmi les jardins.... On trouve sur la Terre beaucoup +plus de Bonheurs qu'on ne croit; mais la plupart des Hommes ne +les découvrent point....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>En voici de petits qui s'avancent, courons à leur rencontre....</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>C'est inutile; ceux qui nous intéressent passeront par ici. Nous +n'avons pas le temps de faire la connaissance de tous les +autres....</p> + +<blockquote><p>[Une bande de Petits Bonheurs, gambadant et riant aux éclats, +accourt du fond des verdures et danse une ronde autour des +enfants.]</p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'ils sont jolis, jolis!... D'où viennent-ils, qui sont-ils?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Ce sont les Bonheurs des enfants....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Est-ce qu'on peut leur parler?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>C'est inutile. Ils chantent, ils dansent, ils rient, mais ils ne +parlent pas encore....</p> + +<p>TYLTYL, frétillant.</p> + +<p>Bonjour! Bonjour!... Oh! le gros, là , qui rit!... Qu'ils ont de +belles joues, qu'ils ont de belles robes!... Ils sont tous riches +ici?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Mais non, ici comme partout, il y a bien plus de pauvres que de +riches....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Où sont les pauvres?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>On ne peut pas les distinguer.... Le Bonheur d'un enfant est +toujours revêtu de ce qu'il y a de plus beau sur terre et dans +les cieux.</p> + +<p>TYLTYL, [ne tenant plus en place.]</p> + +<p>Je voudrais danser avec eux....</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>C'est absolument impossible, nous n'avons pas le temps.... Je +vois qu'ils n'ont pas l'Oiseau-Bleu.... Du reste, ils sont +pressés, tu vois, ils sont déjà passés.... Eux non plus n'ont pas +de temps à perdre, car l'enfance est très brève....</p> + +<blockquote><p>[Une autre bande de Bonheurs, un peu plus grands que les +précédents, se précipite dans le jardin, et chantant à +tue-tête: «Les voilà ! les voilà ! Ils nous voient! Ils nous +voient!...» danse autour des enfants une joyeuse farandole, +à la fin de laquelle, celui qui paraît être le chef de la +petite troupe s'avance vers Tyltyl en lui tendant la main.]</p></blockquote> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>Bonjour, Tyltyl!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Encore un qui me connaît!... [A la Lumière.] On commence à me +connaître un peu partout.... Qui es-tu?...</p> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>Tu ne me reconnais pas?... Je parie que tu ne reconnais aucun de +ceux qui sont ici?...</p> + +<p>TYLTYL, [assez embarrassé.]</p> + +<p>Mais non.... Je ne sais pas.... Je ne me rappelle pas vous avoir +vus....</p> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>Vous entendez?... J'en étais sûr!... Il ne nous a jamais vus!... +[Tous les autres Bonheurs de la bande éclatent de rire.] Mais, +mon petit Tyltyl, tu ne connais que nous!... Nous sommes toujours +autour de toi!... Nous mangeons, nous buvons, nous nous +éveillons, nous respirons, nous vivons avec toi!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui, oui, parfaitement, je sais, je me rappelle.... Mais je +voudrais savoir comment on vous appelle....</p> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>Je vois bien que tu ne sais rien.... Je suis le chef des +Bonheurs-de-ta-maison; et tous ceux-ci sont les autres Bonheurs +qui l'habitent....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Il y a donc des Bonheurs à la maison?...</p> + +<blockquote><p>[Tous les Bonheurs éclatent de rire.] </p></blockquote> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>Vous l'avez entendu!... S'il y a des Bonheurs dans ta maison!... +Mais, petit malheureux, elle en est pleine à faire sauter les +portes et les fenêtres!... Nous rions, nous chantons, nous créons +de la joie à refouler les murs, à soulever les toits; mais nous +avons beau faire, tu ne vois rien, tu n'entends rien.... J'espère +qu'à l'avenir tu seras un peu plus raisonnable.... En attendant, +tu vas serrer la main aux plus notables.... Une fois rentré chez +toi, tu les reconnaîtras ainsi plus facilement.... Et puis, à la +fin d'un beau jour, tu sauras les encourager d'un sourire, les +remercier d'un mot aimable, car ils font vraiment tout ce qu'ils +peuvent pour te rendre la vie légère et délicieuse.... Moi +d'abord, ton serviteur, le Bonheur-de-se-bien-porter.... Je ne +suis pas le plus joli, mais le plus sérieux. Tu me +reconnaîtras?... Voici le Bonheur-de-l'air-pur, qui est à peu +près transparent.... Voici le Bonheur-d'aimer-ses-parents, qui +est vêtu de gris et toujours un peu triste, parce qu'on ne le +regarde jamais.... Voici le Bonheur-du-ciel-bleu, qui est +naturellement vêtu de bleu; et le Bonheur-de-la-forêt qui, non +moins naturellement, est habillé de vert, et que tu reverras +chaque fois que tu te mettras à la fenêtre.... Voici encore le +bon Bonheur-des-heures-de soleil qui est couleur de diamant, et +celui du-Printemps qui est d'émeraude folle....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et vous êtes aussi beaux tous les jours?...</p> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>Mais oui, c'est tous les jours dimanche, dans toutes les maisons, +quand on ouvre les yeux.... Et puis, quand vient le soir, voici +le Bonheur-des-couchers-de-soleil, qui est plus beau que tous les +rois du monde; et que suit le +Bonheur-devoir-se-lever-les-étoiles, doré comme un dieu +d'autrefois.... Puis, quand il fait mauvais, voici le +Bonheur-de-la-pluie qui est couvert de perles, et le +Bonheur-du-feu-d'hiver qui ouvre aux mains gelées son beau +manteau de pourpre.... Et je ne parle pas du meilleur de tous, +parce qu'il est presque frère des grandes Joies limpides que vous +verrez bientôt, et qui est le Bonheur-des-pensées-innocentes, le +plus clair d'entre nous.... Et puis, voici encore.... Mais +vraiment, ils sont trop!... Nous n'en finirions pas, et je dois +prévenir d'abord les Grandes-Joies qui sont là -haut, au fond, +près des portes du ciel, et ne savent pas encore que vous êtes +arrivés.... Je vais leur dépêcher le +Bonheur-de-courir-nu-pieds-dans-la-rosée, qui est le plus +agile.... [Au Bonheur qu'il vient de nommer et qui s'avance en +faisant des cabrioles.] Va!...</p> + +<blockquote><p>[A ce moment, une sorte de diablotin en maillot noir, +bousculant tout le monde en poussant des cris inarticulés, +s'approche de Tyltyl, et gambade follement en l'accablant de +nasardes, taloches et coups de pied insaisissables.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL, [ahuri et profondément indigné.]</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est que ce sauvage?</p> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>Bon! c'est encore le Plaisir-d'être-insupportable qui s'est +échappé de la caverne des Malheurs. On ne sait où l'enfermer. Il +s'évade de partout, et les Malheurs eux-mêmes ne veulent plus le +garder.</p> + +<blockquote><p>[Le diablotin continue de lutiner Tyltyl qui essaye +vainement de se défendre, puis, soudain, riant aux éclats, +disparaît sans raison, comme il était venu.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'est-ce qu'il a? Il est un peu fou?</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Je ne sais. Il paraît que c'est ainsi que tu es toi-même lorsque +tu n'es pas sage. Mais en attendant, il faudrait s'informer de +l'Oiseau-Bleu. Il se peut que le chef des Bonheurs-de-ta-maison +n'ignore pas où il se trouve....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Où est-il?...</p> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>Il ne sait pas où se trouve l'Oiseau-Bleu!...</p> + +<blockquote><p>[Tous les Bonheurs-de-la-maison éclatent de rire.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL, [vexé.]</p> + +<p>Mais non, je ne sais pas.... Il n'y a pas de quoi rire....</p> + +<blockquote><p>[Nouveaux éclats de rires.] </p></blockquote> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>Voyons, ne te fâche pas.... et puis, soyons sérieux.... Il ne +sait pas, que voulez-vous, il n'est pas plus ridicule que la +plupart des Hommes.... Mais voici que le petit +Bonheur-de-courir-nu-pieds-dans-la-rosée a prévenu les +Grandes-Joies qui s'avancent vers nous....</p> + +<blockquote><p>[En effet, les hautes et belles figures angéliques, vêtues +de robes lumineuses, s'approchent lentement.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'elles sont belles!... Pourquoi ne rient-elles pas?... Ne +sont-elles pas heureuses?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Ce n'est pas quand on rit qu'on est le plus heureux....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qui sont-elles?...</p> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>Ce sont les Grandes-Joies....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tu sais leurs noms?...</p> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>Naturellement, nous jouons souvent avec elles.... Voici d'abord: +devant les autres, la Grande-Joie-d'être-juste, qui sourit chaque +fois qu'une injustice est réparée,—je suis trop jeune, je ne +l'ai pas encore vu sourire. Derrière elle, c'est la +Joie-d'être-bonne, qui est la plus heureuse, mais la plus triste; +et qu'on a bien du mal à empêcher d'aller chez les Malheurs +qu'elle voudrait consoler. A droite, c'est la +Joie-du-travail-accompli à côté de la Joie-de-penser. Ensuite, +c'est la Joie-de-comprendre qui cherche toujours son frère, le +Bonheur-de-ne-rien-comprendre....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais je l'ai vu, son frère!... Il est allé chez les Malheurs avec +les Gros Bonheurs....</p> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>J'en étais sûr!... Il a mal tourné, de mauvaises fréquentations +l'ont entièrement perverti.... Mais n'en parle pas à sa sÅ“ur. +Elle voudrait aller le chercher et nous y perdrions une des plus +belles joies.... Voici encore, parmi les plus grandes, la +Joie-de-voir-ce-qui-est-beau, qui ajoute chaque jour quelques +rayons à la lumière qui règne ici....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et là , au loin, au loin, dans les nuages d'or, celle que j'ai +peine à voir en me dressant tant que je peux sur la pointe des +pieds?...</p> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>C'est la grande Joie-d'aimer.... Mais tu auras beau faire, tu es +bien trop petit pour la voir tout entière....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et là -bas, tout au fond, celles qui sont voilées et ne +s'approchent pas?...</p> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>Ce sont celles que les Hommes ne connaissent pas encore....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Que nous veulent les autres?... Pourquoi s'écartent-elles?...</p> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>C'est devant une Joie nouvelle qui s'avance, peut-être la plus +pure que nous ayons ici..</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qui est-ce?...</p> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>Tu ne la reconnais pas encore?... Mais regarde donc mieux, ouvre +donc tes deux yeux jusqu'au cÅ“ur de ton âme!... Elle t'a vu, +elle t'a vu!... Elle accourt en te tendant les bras!... C'est la +Joie de ta mère, c'est la Joie-sans-égale-de-l'amour-maternel!...</p> + +<blockquote><p>[Après l'avoir acclamée, les autres Joies, accourues de +toutes parts, s'écartent en silence devant la +Joie-de-l'amour-maternel.] </p></blockquote> + +<p>L'AMOUR MATERNEL</p> + +<p>Tyltyl! Et puis Mytyl!... Comment, c'est vous, c'est vous que je +retrouve ici!... Je ne m'attendais pas!... J'étais bien seule à +la maison, et voici que tous deux vous montez jusqu'au ciel où +rayonnent dans la Joie l'âme de toutes les mères!... Mais d'abord +des baisers, des baisers tant qu'on peut!... Tous les deux dans +mes bras, il n'y a rien au monde qui donne plus de bonheur!... +Tyltyl, tu ne ris pas?... Ni toi non plus, Mytyl?... Vous ne +connaissez pas l'amour de votre mère?... Mais regardez-moi donc, +et n'est-ce pas mes yeux, mes lèvres et mes bras?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais si, je reconnais, mais je ne savais pas.... Tu ressembles à +maman, mais tu es bien plus belle....</p> + +<p>L'AMOUR MATERNEL</p> + +<p>Évidemment, moi, je ne vieillis plus.... Et chaque jour qui passe +m'apporte de la force, de la jeunesse et du bonheur.... Chacun de +tes sourires m'allège d'une année.... A la maison, cela ne se +voit pas, mais ici l'on voit tout, et c'est la vérité....</p> + +<p>TYLTYL, [émerveillé, la contemplant et l'embrassant tour à tour.]</p> + +<p>Et cette belle robe, en quoi donc qu'elle est faite?... Est-ce +que c'est de la soie, de l'argent ou des perles?...</p> + +<p>L'AMOUR MATERNEL</p> + +<p>Non, ce sont des baisers, des regards, des caresses.... chaque +baiser qu'on donne y ajoute un rayon de lune ou de soleil....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est drôle, je n'aurais jamais cru que tu étais si riche.... Où +donc la cachais-tu?... Était-elle dans l'armoire dont papa a la +clef?...</p> + +<p>L'AMOUR MATERNEL</p> + +<p>Mais non, je l'ai toujours, mais on ne la voit pas, parce qu'on +ne voit rien quand les yeux sont fermés.... Toutes les mères sont +riches quand elles aiment leurs enfants.... Il n'en est pas de +pauvres, il n'en est pas de laides, il n'en est pas de +vieilles.... Leur amour est toujours la plus belle des Joies.... +Et quand elles semblent tristes, il suffit d'un baiser qu'elles +reçoivent ou qu'elles donnent pour que toutes leurs larmes +deviennent des étoiles dans le fond de leurs yeux....</p> + +<p>TYLTYL, [la regardant avec étonnement.]</p> + +<p>Mais oui, c'est vrai, tes yeux, ils sont remplis d'étoiles.... Et +ce sont bien tes yeux, mais ils sont bien plus beaux.... Et c'est +ta main aussi, elle a sa petite bague.... Elle a même la brûlure +que tu t'es faite un soir en allumant la lampe.... Mais elle est +bien plus blanche et qu'elle a la peau fine!... On dirait qu'on y +voit couler de la lumière.... Elle ne travaille pas comme celle +de la maison?...</p> + +<p>L'AMOUR MATERNEL</p> + +<p>Mais si, c'est bien la même; tu n'avais donc pas vu qu'elle +devient toute blanche et s'emplit de lumière dès qu'elle te +caresse?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est étonnant, maman, c'est bien ta voix aussi; mais tu parles +bien mieux que chez nous....</p> + +<p>L'AMOUR MATERNEL</p> + +<p>Chez nous on a bien trop à faire et l'on n'a pas le temps.... +Mais ce qu'on ne dit pas, on l'entend tout de même.... Maintenant +que tu m'as vue, me reconnaîtras-tu, sous ma robe déchirée, +lorsque tu rentreras demain dans la chaumière?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Je ne veux pas rentrer.... Puisque tu es ici, j'y veux rester +aussi, tant que tu y seras....</p> + +<p>L'AMOUR MATERNEL</p> + +<p>Mais c'est la même chose, c'est là -bas que je suis, c'est là -bas +que nous sommes.... Tu n'es venu ici que pour te rendre compte et +pour apprendre enfin comment il faut me voir quand tu me vois +là -bas.... Comprends-tu, mon Tyltyl?... Tu te crois dans le ciel; +mais le ciel est partout où nous nous embrassons.... Il n'y a pas +deux mères, et tu n'en as pas d'autre.... Chaque enfant n'en a +qu'une et c'est toujours la même et toujours la plus belle; mais +il faut la connaître et savoir regarder.... Mais comment as-tu +fait pour arriver ici et trouver une route que les Hommes ont +cherchée depuis qu'ils habitent la Terre?...</p> + +<p>TYLTYL, [montrant la Lumière qui, par discrétion, s'est un peu +écartée.]</p> + +<p>C'est elle qui m'a conduit....</p> + +<p>L'AMOUR MATERNEL</p> + +<p>Qui est-ce?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>La Lumière....</p> + +<p>L'AMOUR MATERNEL</p> + +<p>Je ne l'ai jamais vue.... On m'avait dit qu'elle vous aimait +bien et qu'elle était très bonne.... Mais pourquoi se +cache-t-elle?... Elle ne montre jamais son visage?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais si, mais elle a peur que les Bonheurs aient peur s'ils y +voyaient trop clair....</p> + +<p>L'AMOUR MATERNEL</p> + +<p>Mais elle ne sait donc pas que nous n'attendons qu'elle!... +[Appelant les autres Grandes Joies.] Venez, venez, mes sÅ“urs! +Venez, accourez toutes, c'est la Lumière qui vient enfin nous +visiter!...</p> + +<blockquote><p>[Frémissement parmi les Grandes Joies qui se rapprochent. +Cris: «La Lumière est ici!... La Lumière, la Lumière!...»] </p></blockquote> + +<p>LA JOIE-DE-COMPRENDRE, [écartant toutes les autres pour venir +embrasser la Lumière.]</p> + +<p>Vous êtes la Lumière et nous ne savions pas!... Et voici des +années, des années, des années que nous vous attendons!... Me +reconnaissez-vous?... C'est la Joie-de-comprendre qui vous a +tant cherchée.... Nous sommes très heureuses, mais nous ne +voyons pas au delà de nous-mêmes....</p> + +<p>LA JOIE-D'ÊTRE-JUSTE, [embrassant la Lumière à son tour.]</p> + +<p>Me reconnaissez-vous?... C'est la Joie-d'être-juste qui vous a +tant priée.... Nous sommes très heureuses, mais nous ne voyons +pas au delà de nos ombres....</p> + +<p>LA JOIE-DE-VOIR-CE-QUI-EST-BEAU, [l'embrassant également.]</p> + +<p>Me reconnaissez-vous?... C'est la Joie-des-beautés qui vous a +tant aimée... Nous sommes très heureuses, mais nous ne voyons pas +au delà de nos songes....</p> + +<p>LA JOIE-DE-COMPRENDRE</p> + +<p>Voyez, voyez, ma sÅ“ur, ne nous faites plus attendre.... Nous +sommes assez fortes, nous sommes assez pures.... Écartez donc ces +voiles qui nous cachent encore les dernières vérités et les +derniers bonheurs.... Voyez, toutes mes sÅ“urs s'agenouillent à +vos pieds.... Vous êtes notre reine et notre récompense....</p> + +<p>LA LUMIÈRE, [resserrant ses voiles.]</p> + +<p>Mes sÅ“urs, mes belles sÅ“urs, j'obéis à mon Maître.... +L'heure n'est pas venue, elle sonnera peut-être et je vous +reviendrai sans craintes et sans ombres.... Adieu, relevez-vous, +embrassons-nous encore comme des sÅ“urs retrouvées, en +attendant le jour qui paraîtra bientôt....</p> + +<p>L'AMOUR MATERNEL, [embrassant la Lumière.]</p> + +<p>Vous avez été bonne pour mes pauvres petits....</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Je serai toujours bonne autour de ceux qui s'aiment....</p> + +<p>LA JOIE-DE-COMPRENDRE, [s'approchant de la Lumière.]</p> + +<p>Que le dernier baiser soit posé sur mon front....</p> + +<blockquote><p>[Elles s'embrassent longuement, et, quand elles se séparent +et relèvent la tète, on voit des larmes dans leurs yeux.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL, [étonné.]</p> + +<p>Pourquoi pleurez-vous?....[regardant les autres Joies]</p> + +<p>Tiens! vous pleurez aussi.... Mais pourquoi tout le monde a-t-il +des larmes plein les yeux?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Silence, mon enfant....</p> + + +<p>RIDEAU</p> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="ACTE_CINQUIEME" id="ACTE_CINQUIEME"></a>ACTE CINQUIÈME</h3> + + + +<hr style="width: 45%;" /> +<h3><a name="DIXIEME_TABLEAU" id="DIXIEME_TABLEAU"></a>DIXIÈME TABLEAU</h3> + +<h4>LE ROYAUME DE L'AVENIR</h4> + + +<p>Les salles immenses du Palais d'Azur, où attendent les enfants +qui vont naître.—Infinies perspectives de colonnes de saphir +soutenant des voûtes de turquoise. Tout ici, depuis la lumière et +les dalles de lapis-lazuli jusqu'aux pulvérulences du fond où se +perdent les derniers arceaux, jusqu'aux moindres objets, est d'un +bleu irréel, intense, féerique. Seuls les chapiteaux et les +socles des colonnes, les clefs de voûte, quelques sièges quelques +bancs circulaires sont de marbre blanc ou d'albâtre.—A droite, +entre les colonnes, de grandes portes opalines. Ces portes, dont +le Temps, vers la fin de la scène, écartera les battants, +s'ouvrent sur la Vie actuelle et les quais de l'Aurore. Partout, +peuplant harmonieusement la salle, une foule d'enfants vêtus de +longues robes azurées.—Les uns jouent, d'autres se promènent, +d'autres causent ou songent; beaucoup sont endormis, beaucoup +aussi travaillent, entre les colonnades, aux inventions futures; +et leurs outils, leurs instruments, les appareils qu'ils +construisent, les plantes, les fleurs et les fruits qu'ils +cultivent ou qu'ils cueillent sont du même bleu surnaturel et +lumineux que l'atmosphère générale du Palais.—Parmi les enfants, +revêtues d'un azur plus pâle et plus diaphane, passent et +repassent quelques figures de haute taille, d'une beauté +souveraine et silencieuse, qui paraissent être des anges.</p> + +<hr style="width: 45%;" /> + +<blockquote><p>[Entrent à gauche, comme à la dérobée, en se glissant parmi +les colonnes du premier plan, Tyltyl, Mytyl et la Lumière. +Leur arrivée provoque un certain mouvement parmi les +Enfants-Bleus qui bientôt accourent de toutes parts et se +groupent autour des insolites visiteurs qu'ils contemplent +avec curiosité.] </p></blockquote> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Où est le Sucre, la Chatte et le bon Pain?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Ils ne peuvent pas entrer ici; ils connaîtraient l'Avenir et +n'obéiraient plus....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et le Chien?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Il n'est pas bon, non plus, qu'il sache ce qui l'attend dans la +suite des siècles.... Je les ai emprisonnés dans les souterrains +de l'église....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Où sommes-nous?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Nous sommes dans le Royaume de l'Avenir, au milieu des enfants +qui ne sont pas encore nés. Puisque le Diamant nous permet de +voir clair en cette région que les Hommes n'aperçoivent pas, nous +y trouverons fort probablement l'Oiseau-Bleu....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Bien sûr que l'Oiseau sera bleu, puisque tout y est bleu.... +[Regardant tout autour de soi.] Dieu que c'est beau tout ça!...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Regarde les enfants qui accourent....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Est-ce qu'ils sont fâchés?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Pas du tout.... Tu vois bien, ils sourient, mais ils sont +étonnés....</p> + +<p>LES ENFANTS-BLEUS, [accourant de plus en plus nombreux.]</p> + +<p>Des petits Vivants.... Venez voir les petits Vivants!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Pourquoi qu'ils nous appellent «les petits Vivants»?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Parce qu'eux, ils ne vivent pas encore....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'est-ce qu'ils font alors?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Ils attendent l'heure de leur naissance....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>L'heure de leur naissance?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Oui; c'est d'ici que viennent tous les enfants qui naissent sur +notre Terre. Chacun attend son jour.... Quand les Pères et les +Mères désirent des enfants, on ouvre les grandes portes que tu +vois là , à droite; et les petits descendent....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Y en a-t-il! Y en a-t-il!...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Il y en a bien davantage.... On ne les voit pas tous.... Pense +donc, il en faut de quoi peupler la fin des temps.... Personne ne +saurait les compter....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et ces grandes personnes bleues, qu'est-ce que c'est?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>On ne sait plus au juste.... On croit que ce sont des +gardiennes.... On dit qu'elles viendront sur Terre après les +Hommes.... Mais il n'est pas permis de les interroger....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Pourquoi?</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Parce que c'est le secret de la Terre....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et les autres, les petits, on peut leur parler?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Bien sûr, il faut faire connaissance.... Tiens, en voilà un plus +curieux que les autres.... Approche-toi, parle-lui....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'est-ce qu'il faut lui dire?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Ce que tu voudras, comme à un petit camarade....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Est-ce qu'on peut lui donner la main?</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Évidemment, il ne te fera pas de mal.... Mais voyons, n'aie donc +pas l'air si emprunté.... Je vais vous laisser seuls, vous serez +plus à l'aise entre vous.... J'ai d'ailleurs à causer avec la +Grande-personne Bleue....</p> + +<p>TYLTYL, [s'approchant de l'Enfant-Bleu et lui tendant la main.]</p> + +<p>Bonjour!... [Touchant du doigt la robe bleue de l'Enfant.] +Qu'est-ce que c'est que ça?</p> + +<p>L'ENFANT, [touchant gravement du doigt le chapeau de Tyltyl.]</p> + +<p>Et ça?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ça?... C'est mon chapeau.... Tu n'as pas de chapeau?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Non; pourquoi c'est faire?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est pour dire bonjour.... Et puis, pour quand fait froid....</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est faire froid?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Quand on tremble comme ça: brrr! brrr!... qu'on souffle dans ses +mains et qu'on fait aller les bras comme ceci....</p> + +<blockquote><p>[Il se brasse vigoureusement.] </p></blockquote> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Il fait froid sur la Terre?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais oui, des fois, l'hiver, quand on n'a pas de feu....</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Pourquoi qu'on n'en a pas?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Parce que ça coûte cher et qu'il faut de l'argent pour acheter du +bois....</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Quoi que c'est de l'argent?</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est avec quoi l'on paie....</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Ah!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Il y en a qui en ont, d'autres qui n'en ont point....</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Pourquoi?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est qu'ils ne sont pas riches.... Est-ce que tu es riche?... +Quel âge as-tu?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Je vais naître bientôt.... Je naîtrai dans douze ans.... Est-ce +que c'est bon, naître?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oh oui!... C'est amusant!...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Comment que tu as fait?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Je ne me rappelle plus.... Il y a si longtemps!...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>On dit que c'est si beau, la Terre et les Vivants!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais oui, ce n'est pas mal.... Il y a des oiseaux, des gâteaux, +des jouets.... Quelques-uns les ont tous; mais ceux qui n'en ont +pas peuvent regarder les autres....</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>On nous dit que les mères attendent à la porte.... Elles sont +bonnes, est-ce vrai?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oh oui!... Elles sont meilleures que tout ce qu'il y a!... Les +bonnes-mamans aussi; mais elles meurent trop vite....</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Elles meurent?... Qu'est-ce que c'est ça?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Elles s'en vont un soir, et ne reviennent plus....</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Pourquoi?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Est-ce qu'on sait?... Peut-être qu'elles sont tristes....</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Elle est partie, la tienne?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ma bonne-maman?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Ta maman ou ta bonne-maman, est-ce que je sais, moi?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ah! mais, ça n'est pas la même chose!... Les bonnes-mamans s'en +vont d'abord; c'est déjà assez triste.... La mienne était très +bonne....</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Qu'est-ce qu'ils ont, tes yeux?... Est-ce qu'ils font des +perles?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais non; c'est pas des perles....</p> + +<p>L'ENFANT Qu'est-ce que c'est alors?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est rien, c'est tout ce bleu qui m'éblouit un peu....</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Comment que ça s'appelle?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Quoi?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Là , ce qui tombe?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est rien, c'est un peu d'eau....</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Est-ce qu'elle sort des yeux?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui, des fois, quand on pleure....</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est pleurer?</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Moi, je n'ai pas pleuré; c'est la faute à ce bleu.... Mais si +j'avais pleuré ce serait la même chose....</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Est-ce qu'on pleure souvent?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Pas les petits garçons, mais les petites filles.... On ne pleure +pas ici?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Mais non, je ne sais pas....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Eh bien, tu apprendras.... Avec quoi que tu joues, ces grandes +ailes bleues?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Ça?... C'est pour l'invention que je ferai sur Terre....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Quelle invention?... Tu as donc inventé quelque chose?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Mais oui, tu ne sais pas?... Quand je serai sur Terre, il faudra +que j'invente la Chose qui rend Heureux....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Est-elle bonne à manger?... Est-ce qu'elle fait du bruit?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Mais non, on n'entend rien....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est dommage....</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>J'y travaille chaque jour.... Elle est presque achevée.... +Veux-tu voir?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Bien sûr.... Où donc est-elle?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Là , on la voit d'ici, entre ces deux colonnes...?</p> + +<p>UN AUTRE ENFANT-BLEU, [s'approchant de Tyltyl et le tirant par la +manche.]</p> + +<p>Veux-tu voir la mienne, dis?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais quoi, qu'est-ce que c'est?...</p> + +<p>DEUXIÈME ENFANT</p> + +<p>Les trente-trois remèdes pour prolonger la vie.... Là , dans ces +flacons bleus....</p> + +<p>TROISIÈME ENFANT, [sortant de la foule.]</p> + +<p>Moi, j'apporte une lumière que personne ne connaît!... [Il +s'illumine tout entier d'une flamme extraordinaire.] C'est assez +curieux, pas?...</p> + +<p>QUATRIÈME ENFANT, [tirant Tyltyl par le bras.]</p> + +<p>Viens donc voir ma machine qui vole dans les airs comme un oiseau +sans ailes!...</p> + +<p>CINQUIÈME ENFANT</p> + +<p>Non, non; d'abord la mienne qui trouve les trésors qui se cachent +dans la lune!...</p> + +<blockquote><p>[Les Enfants-Bleus s'empressent autour de Tyltyl et de Mytyl +en criant tous ensemble: «Non, non, viens voir la mienne!... +Non, la mienne est plus belle!... La mienne est +étonnante!... La mienne est tout en sucre!... La sienne +n'est pas curieuse.... il m'en a pris l'idée!..., etc.». +Parmi ces exclamations désordonnées, on entraîne les petits +Vivants du côté des ateliers bleus; et là , chacun des +inventeurs met en mouvement sa machine idéale. C'est un +tournoiement céruléen de roues, de disques, de volants, +d'engrenages, de poulies, de courroies, d'objets étranges +et encore innommés qu'enveloppent les bleuâtres vapeurs de +l'irréel. Une foule d'appareils bizarres et mystérieux +s'élancent et planent sous les voûtes, ou rampent au pied +des colonnes, taudis que des enfants déroulent des cartes et +des plans, ouvrent des livres, découvrent des statues +azurées, apportent d'énormes fleurs, de gigantesques fruits +qui semblent formés de saphirs et de turquoises.] </p></blockquote> + +<p>UN PETIT ENFANT-BLEU, [courbé sous le poids de colossales +pâquerettes d'azur.]</p> + +<p>Regardez donc mes fleurs!...3</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est?... Je ne les connais pas....</p> + +<p>LE PETIT ENFANT-BLEU</p> + +<p>Ce sont des pâquerettes!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Pas possible!... Elles sont grandes comme des roues....</p> + +<p>LE PETIT ENFANT-BLEU</p> + +<p>Et ce qu'elles sentent bon!...</p> + +<p>TYLTYL, [les humant.]</p> + +<p>Prodigieux!...</p> + +<p>LE PETIT ENFANT-BLEU</p> + +<p>Elles seront comme ça quand je serai sur Terre....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Quand donc?...</p> + +<p>LE PETIT ENFANT-BLEU</p> + +<p>Dans cinquante-trois ans, quatre mois et neuf jours....</p> + +<blockquote><p>[Arrivent deux Enfants-Bleus qui portent comme un lustre, +pendue à une perche, une invraisemblable grappe de raisins +dont les baies sont plus grosses que des poires.] </p></blockquote> + +<p>L'UN DES ENFANTS QUI PORTENT LA GRAPPE</p> + +<p>Que dis-tu de mes fruits?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Une grappe de poires!...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Mais non, c'est des raisins!... Ils seront tous ainsi, lorsque +j'aurai trente ans.... J'ai trouvé le moyen....</p> + +<p>UN AUTRE ENFANT, [écrasé sous une corbeille de pommes bleues +grosses comme des melons.]</p> + +<p>Et moi!... Voyez mes pommes!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais ce sont des melons!...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Mais non!... Ce sont mes pommes, et les moins belles encore!... +Toutes seront de même quand je serai vivant.... J'ai trouvé le +système!...</p> + +<p>UN AUTRE ENFANT, [apportant sur une brouette bleue des melons +bleus plus gros que des citrouilles.]</p> + +<p>Et mes petits melons?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais ce sont des citrouilles!...</p> + +<p>L'ENFANT AUX MELONS</p> + +<p>Quand je viendrai sur terre, les melons seront fiers!... Je +serai le jardinier du Roi des neuf Planètes....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Le Roi des neuf Planètes?... Où est-il?...</p> + +<p>LE ROI DES NEUF PLANÈTES, [s'avançant fièrement. Il semble avoir +quatre ans et peut à grand'peine se tenir debout sur ses petites +jambes torses.]</p> + +<p>Le voici!</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Eh bien! tu n'es pas grand....</p> + +<p>LE ROI DES NEUF PLANÈTES, [grave et sentencieux.]</p> + +<p>Ce que je ferai sera grand.</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'est-ce que tu feras?</p> + +<p>LE ROI DES NEUF PLANÈTES</p> + +<p>Je fonderai la Confédération générale des Planètes solaires.</p> + +<p>TYLTYL, [interloqué.]</p> + +<p>Ah, vraiment?</p> + +<p>LE ROI DE NEUF PLANÈTES</p> + +<p>Toutes en feront partie, excepté Saturne, Uranus et Neptune qui +sont à des distances exagérées et incommensurables.</p> + +<blockquote><p>[Il se retire avec dignité.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Il est intéressant....</p> + +<p>UN ENFANT-BLEU</p> + +<p>Et vois-tu celui-là ?</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Lequel?</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Là , le petit qui dort au pied de la colonne....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Eh bien?</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Il apportera la joie pure sur le Globe..</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Comment?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Par des idées qu'on n'a pas encore eues....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et l'autre, le petit gros qui a les doigts dans le nez, qu'est-ce +qu'il fera, lui?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Il doit trouver le feu pour réchauffer la Terre quand le Soleil +sera plus pâle....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et les deux qui se tiennent par la main et s'embrassent tout le +temps: est-ce qu'ils sont frère et sÅ“ur?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Mais non, ils sont très drôles.... Ce sont les Amoureux....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Je ne sais pas.... C'est le Temps qui les appelle ainsi pour s'en +moquer.... Ils se regardent tout le jour dans les yeux, ils +s'embrassent et se disent adieu....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Pourquoi?</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Il paraît qu'ils ne pourront pas partir ensemble....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et le petit tout rose, qui semble si sérieux et qui suce son +pouce, qu'est-ce que c'est?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Il paraît qu'il doit effacer l'Injustice sur la Terre....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ah?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>On dit que c'est un travail effrayant....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et le petit rousseau qui marche comme s'il n'y voyait pas. Est-ce +qu'il est aveugle?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Pas encore; mais il le deviendra.... Regarde-le bien; il paraît +qu'il doit vaincre la Mort....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'est-ce que ça veut dire?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Je ne sais pas au juste; mais on dit que c'est grand....</p> + +<p>TYLTYL, [montrant une foule d'enfants endormis au pied des +colonnes, sur les marches, les bancs, etc.]</p> + +<p>Et tous ceux-là qui dorment,—comme il y en a qui +dorment!—est-ce qu'ils ne font rien?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Ils pensent à quelque chose....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>A quoi?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Ils ne le savent pas encore; mais ils doivent apporter quelque +chose sur la Terre; il est défendu de sortir les mains vides....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qui est-ce qui le défend?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>C'est le Temps qui se tient à la porte.... Tu verras quand il +ouvrira.... Il est bien embêtant....</p> + +<p>UN ENFANT, [accourant du fond de la salle, en fendant la foule.]</p> + +<p>Bonjour, Tyltyl!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tiens!... Comment sait-il mon nom?...</p> + +<p>L'ENFANT, [qui vient d'accourir et qui embrasse Tyltyl et Mytyl +avec effusion.]</p> + +<p>Bonjour!... Ça va bien?...—Voyons, embrasse-moi, et toi aussi, +Mytyl.... Ce n'est pas étonnant que je sache ton nom, puisque je +serai ton frère.... On vient seulement de me dire que tu es +là .... J'étais tout au bout de la salle, en train d'emballer mes +idées....—Dis à maman que je suis prêt....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Comment?... Tu comptes venir chez nous?</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Bien sûr, l'année prochaine, le dimanche des Rameaux.... Ne me +tourmente pas trop quand je serai petit.... Je suis bien content +de vous avoir embrassés d'avance....—Dis à Papa qu'il répare le +berceau....—Est-ce qu'on est bien chez nous?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais on n'y est pas mal.... Et Maman est si bonne!...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Et la nourriture?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ça dépend.... Il y a même des jours où l'on a des gâteaux, +n'est-il pas vrai, Mytyl?...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Au Nouvel An et le Quatorze Juillet.... C'est maman qui les +fait....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'as-tu là , dans ce sac?... Tu nous apportes quelque chose?...</p> + +<p>L'ENFANT, [très fièrement.]</p> + +<p>J'apporte trois maladies: la fièvre scarlatine, la coqueluche et +la rougeole....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Eh bien, si c'est tout ça!... Et après, que feras-tu?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Après?... Je m'en irai....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ce sera bien la peine de venir!...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Est-ce qu'on a le choix?...</p> + +<blockquote><p>[A ce moment, on entend s'élever et se répandre une sorte de +vibration prolongée, puissante et cristalline qui semble +émaner des colonnes et des portes d'opale que touche une +lumière plus vive.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est?...</p> + +<p>UN ENFANT</p> + +<p>C'est le Temps!... Il va ouvrir les portes!...</p> + +<blockquote><p>[Aussitôt, un vaste remous se propage dans la foule des +Enfants-Bleus. La plupart quittent leurs machines et leurs +travaux, de nombreux dormeurs s'éveillent, et les uns comme +les autres tournent les yeux vers les portes d'opale et se +rapprochent de celles-ci.] </p></blockquote> + +<p>LA LUMIÈRE [rejoignant Tyltyl.]</p> + +<p>Tâchons de nous dissimuler derrière les colonnes.... Il ne faut +pas que le Temps nous découvre....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>D'où vient ce bruit?...</p> + +<p>UN ENFANT</p> + +<p>C'est l'Aurore qui se lève.... C'est l'heure où les enfants qui +naîtront aujourd'hui vont descendre sur Terre....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Comment qu'ils descendront?... Il y a des échelles?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Tu vas voir.... Le Temps tire les verrous....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est le Temps?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>C'est un vieil homme qui vient appeler ceux qui partent....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Est-ce qu'il est méchant?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Non, mais il n'entend rien.... On a beau supplier, quand ce n'est +pas leur tour, il repousse tous ceux qui voudraient s'en +aller....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Est-ce qu'ils sont heureux de partir?</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>On n'est pas content quand on reste; mais on est triste quand on +s'en va.... Là ! Là !... Voilà qu'il ouvre!...</p> + +<blockquote><p>[Les grandes portes opalines roulent lentement sur leurs +gonds. On entend, comme une musique lointaine, les rumeurs +de la Terre. Une clarté rouge et verte pénètre dans la +salle: et le Temps, haut vieillard à la barbe flottante, +armé de sa faux et de son sablier, paraît sur le seuil, +tandis qu'on aperçoit l'extrémité des voiles blanches et +dorées d'une galère amarrée à une sorte de quai que forment +les vapeurs roses de l'Aurore.] </p></blockquote> + +<p>LE TEMPS, [sur le seuil.]</p> + +<p>Ceux dont l'heure est sonnée sont-ils prêts?...</p> + +<p>DES ENFANTS-BLEUS, [fendant la roule et accourant de toutes +parts.]</p> + +<p>Nous voici!... Nous voici!... Nous voici!...</p> + +<p>LE TEMPS, [d'une voix bourrue, aux enfants qui défilent devant +lui pour sortir.]</p> + +<p>Un à un!... Il s'en présente encore beaucoup plus qu'il n'en +faut!... C'est toujours la même chose!... On ne me trompe pas!... +[Repoussant un enfant.] Ce n'est pas ton tour!... Rentre, c'est +pour demain.... Toi non plus, rentre donc et reviens dans dix +ans.... Un treizième berger?... Il n'en fallait que douze; on +n'en a plus besoin, nous ne sommes plus au temps de Théocrite ou +de Virgile.... Encore des médecins?... Il y en a déjà trop; on +s'en plaint sur la Terre.... Et les ingénieurs, où sont-ils?... +On veut un honnête homme, un seul, comme phénomène.... Où donc +est l'honnête homme?... C'est toi?... [L'enfant fait signe que +oui.] Tu m'as l'air bien chétif.... tu ne vivras pas +longtemps!... Holà , vous autres, là , pas si vite!... Et toi, +qu'apportes-tu?... Rien du tout? les mains vides?... Alors on ne +passe pas.... Prépare quelque chose, un grand crime, si tu veux, +ou une maladie, moi, cela m'est égal.... mais il faut quelque +chose.... [Avisant un petit que d'autres poussent en avant et qui +résiste de toutes ses forces.] Eh bien, toi, qu'as-tu donc?... Tu +sais bien que c'est l'heure.... On demande un héros qui combatte +l'Injustice; c'est toi, il faut partir....</p> + +<p>LES ENFANTS-BLEUS</p> + +<p>Il ne veut pas, monsieur....</p> + +<p>LE TEMPS</p> + +<p>Comment?... Il ne veut pas?... Où donc se croit-il, ce petit +avorton?... Pas de réclamations, nous n'avons pas le temps....</p> + +<p>LE PETIT, [que l'on pousse.]</p> + +<p>Non, non!... Je ne veux pas!... J'aime mieux ne pas naître!... +J'aime mieux rester ici!...</p> + +<p>LE TEMPS</p> + +<p>Il ne s'agit pas de ça.... Quand c'est l'heure, c'est l'heure!... +Allons, vite, en avant!...</p> + +<p>UN ENFANT, [s'avançant.]</p> + +<p>Oh! laissez-moi passer!... J'irai prendre sa place!... On dit que +mes parents sont vieux et m'attendent depuis si longtemps!...</p> + +<p>LE TEMPS</p> + +<p>Pas de ça.... L'heure est l'heure et le temps est le temps.... +On n'en finirait pas si l'on vous écoutait.... L'un veut, l'autre +refuse, c'est trop tôt, c'est trop tard.... [Écartant des enfants +qui ont envahi le seuil.] Pas si près, les petits.... Arrière les +curieux.... Ceux qui ne partent pas n'ont rien à voir dehors.... +Maintenant vous avez hâte; puis, votre tour venu, vous aurez peur +et vous reculerez.... Tenez, en voilà quatre qui tremblent comme +des feuilles.... [A un enfant qui, sur le point de franchir le +seuil, rentre brusquement.] Eh bien, quoi?... Qu'as-tu donc?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>J'ai oublié la boîte qui contient les deux crimes que je devrai +commettre....</p> + +<p>UN AUTRE ENFANT</p> + +<p>Et moi le petit pot qui renferme l'idée pour éclairer les +foules....</p> + +<p>TROISIÈME ENFANT</p> + +<p>J'ai oublié la greffe de ma plus belle poire!...</p> + +<p>LE TEMPS</p> + +<p>Courez vite les chercher!... Il ne nous reste plus que six cent +douze secondes.... La galère de l'Aurore bat déjà des voiles pour +montrer qu'elle attend.... Vous arriverez trop tard et vous ne +naîtrez plus.... Allons, vite, embarquons!... [Saisissant un +enfant qui veut lui passer entre les jambes pour gagner le quai.] +Ah! toi, non, par exemple!... C'est la troisième fois que tu +essayes de naître avant ton tour.... Que je ne t'y prenne plus, +sinon ce sera l'attente éternelle près de ma sÅ“ur l'Éternité; +et tu sais qu'on ne s'y amuse pas.... Mais voyons, sommes-nous +prêts?... Tout le monde est à son poste?... [Parcourant du regard +les enfants réunis sur le quai ou déjà assis dans la galère.] Il +en manque encore un.... Il a beau se cacher, je le vois dans la +foule.... On ne me trompe pas.... Allons, toi, le petit qu'on +appelle l'Amoureux, dis adieu à ta belle....</p> + +<blockquote><p>[Les deux petits qu'on appelle «les Amoureux», tendrement +enlacés et le visage livide de désespoir, s'avancent vers le +Temps et s'agenouillent à ses pieds.] </p></blockquote> + +<p>PREMIER ENFANT</p> + +<p>Monsieur le Temps, laissez-moi partir avec lui!...</p> + +<p>DEUXIÈME ENFANT</p> + +<p>Monsieur le Temps, laissez-moi rester avec elle!...</p> + +<p>LE TEMPS</p> + +<p>Impossible!... Il ne nous reste plus que trois cent +quatre-vingt-quatorze secondes..</p> + +<p>PREMIER ENFANT</p> + +<p>J'aime mieux ne pas naître!...</p> + +<p>LE TEMPS</p> + +<p>On n'a pas le choix....</p> + +<p>DEUXIÈME ENFANT, [suppliant.]</p> + +<p>Monsieur le Temps, j'arriverai trop tard!...</p> + +<p>PREMIER ENFANT</p> + +<p>Je ne serai plus là quand elle descendra!...</p> + +<p>DEUXIÈME ENFANT</p> + +<p>Je ne le verrai plus!...</p> + +<p>PREMIER ENFANT</p> + +<p>Nous serons seuls au monde!...</p> + +<p>LE TEMPS</p> + +<p>Tout ça ne me regarde pas.... Réclamez auprès de la Vie.... Moi, +j'unis, je sépare, selon ce qu'on m'a dit.... [Saisissant l'un +des enfants.] Viens!...</p> + +<p>PREMIER ENFANT, se débattant.</p> + +<p>Non, non, non!... Elle aussi!...</p> + +<p>DEUXIÈME ENFANT, [s'accrochant aux vêtements du premier.]</p> + +<p>Laissez-le!.... Laissez-le!...</p> + +<p>LE TEMPS</p> + +<p>Mais voyons, ce n'est pas pour mourir, c'est pour vivre!... +[Entraînant le premier enfant.] Viens!...</p> + +<p>DEUXIÈME ENFANT, [tendant éperdument les bras vers l'enfant qu'on +enlève.]</p> + +<p>Un signe!... Un seul signe!... Dis-moi, comment te retrouver!...</p> + +<p>PREMIER ENFANT</p> + +<p>Je t'aimerai toujours!...</p> + +<p>DEUXIÈME ENFANT</p> + +<p>Je serai la plus triste!... Tu me reconnaîtras!...</p> + +<blockquote><p>[Elle tombe et reste étendue sur le sol.] </p></blockquote> + +<p>LE TEMPS</p> + +<p>Vous feriez beaucoup mieux d'espérer.... Et maintenant, c'est +tout.... [Consultant son sablier.] Il ne nous reste plus que +soixante-trois secondes....</p> + +<blockquote><p>[Derniers et violents remous parmi les enfants qui partent +et qui demeurent.—On échange des adieux précipités: «Adieu, +Pierre!... Adieu Jean....—As-tu tout ce qu'il faut?... +Annonce ma pensée!...—N'as-tu rien oublié?...—Tâche de me +reconnaître!...—Je te retrouverai!...—Ne perds pas tes +idées?...—Ne te penche pas trop sur l'Espace!...—Donne-moi +de tes nouvelles!...—On dit qu'on ne peut pas!...—Si, +si!... essaie toujours!...—Tâche de dire si c'est beau!... +—J'irai à ta rencontre!...—Je naîtrai sur un trône!...», +etc., etc.] </p></blockquote> + +<p>LE TEMPS, [agitant ses clefs et sa faux.]</p> + +<p>Assez! assez!... L'ancre est levée!...</p> + +<p>Les voiles de la galère passent et disparaissent. Ou entend +s'éloigner les cris des enfants dans la galère: «Terre!... +terre!... Je la vois!... Elle est belle!... Elle est claire!... +Elle est grande!...». Puis, comme sortant du fond de l'abîme, un +chant extrêmement lointain d'allégresse et d'attente.</p> + +<p>TYLTYL, [à la Lumière.]</p> + +<p>Qu'est-ce?... Ce n'est pas eux qui chantent.... On dirait +d'autres voix....</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Oui, c'est le chant des Mères qui viennent à leur rencontre...</p> + +<blockquote><p>[Cependant, le Temps referme les portes opalines. Il se +retourne pour jeter un dernier regard dans la salle, et +soudain aperçoit Tyltyl, Mytyl et la Lumière.] </p></blockquote> + +<p>LE TEMPS, [stupéfait et furieux.]</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est?... Que faites-vous ici?... Qui êtes-vous?... +Pourquoi n'êtes-vous pas bleus?... Par où êtes-vous entrés?...</p> + +<blockquote><p>[Il s'avance en les menaçant de sa faux.]</p></blockquote> + +<p>LA LUMIÈRE, [à Tyltyl.]</p> + +<p>Ne réponds pas!... J'ai l'Oiseau-Bleu.... Il est caché sous ma +mante.... Sauvons-nous.... Tourne le Diamant, il perdra notre +trace....</p> + +<blockquote><p>[Ils s'esquivent à gauche, entre les colonnes du premier +plan.] </p></blockquote> + + +<p>RIDEAU</p> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="ONZIEME_TABLEAU" id="ONZIEME_TABLEAU"></a>ONZIÈME TABLEAU</h3> + +<h4>L'ADIEU</h4> + + +<p>La scène représente un mur percé d'une petite porte. C'est la +pointe du jour.</p> + +<hr style="width: 45%;" /> + +<blockquote><p>[Entrent: Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Pain, le Sucre, le +Feu et le Lait.] </p></blockquote> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Tu ne devinerais jamais où nous sommes....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Bien sûr que non, la Lumière, puisque je ne sais pas....</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Tu ne reconnais pas ce mur et cette petite porte?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est un mur rouge et une petite porte verte....</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Et ça ne te rappelle rien?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ça me rappelle que le Temps nous a mis à la porte....</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Qu'on est bizarre quand on rêve.... On ne reconnaît pas sa propre +main....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qui est-ce qui rêve?... Est-ce moi?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>C'est peut-être moi.... Qu'en sait-on?... En attendant, ce mur +entoure une maison que tu as vue plus d'une fois depuis ta +naissance....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Une maison que j'ai vue plus d'une fois?</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Mais oui, petit endormi!... C'est la maison que nous avons +quittée un soir, il y a tout juste, jour pour jour, une année....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Il y a tout juste une année?... Mais alors?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>N'ouvre pas des yeux comme des grottes de saphir.... C'est elle, +c'est la bonne maison des parents....</p> + +<p>TYLTYL, [s'approchant de la porte.]</p> + +<p>Mais je crois.... En effet.... Il me semble.... Cette petite +porte.... Je reconnais la chevillette.... Ils sont là ?... Nous +sommes près de Maman?... Je veux entrer tout de suite.... Je veux +l'embrasser tout de suite!...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Un instant.... Ils dorment profondément; il ne faut pas les +réveiller en sursaut.... Du reste, la porte ne s'ouvrira que +lorsque l'heure sonnera....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Quelle heure?... Il y a longtemps à attendre?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Hélas, non!... quelques pauvres minutes....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tu n'es pas heureuse de rentrer?... Qu'as-tu donc, la Lumière?... +Tu es pâle, on dirait que tu es malade..</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Ce n'est rien, mon enfant.... Je me sens un peu triste, parce que +je vais vous quitter....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Nous quitter?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Il le faut.... Je n'ai plus rien à faire ici; l'année est +révolue, la Fée va revenir et te demander l'Oiseau-Bleu....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais c'est que je ne l'ai pas, l'Oiseau-Bleu!... Celui du +Souvenir est devenu tout noir, celui de l'Avenir est devenu tout +rouge, ceux de la Nuit sont morts et je n'ai pas pu prendre celui +de la Forêt.... Est-ce ma faute à moi s'ils changent de couleur, +s'ils meurent ou s'ils s'échappent?... Est-ce que la Fée sera +fâchée, et qu'est-ce qu'elle dira?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Nous avons fait ce que nous avons pu.... Il faut croire qu'il +n'existe pas, l'Oiseau-Bleu; ou qu'il change de couleur lorsqu'on +le met en cage....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Où est-elle, la cage?...</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>Ici, maître.... Elle fut confiée à mes soins diligents durant ce +long et périlleux voyage; aujourd'hui que ma mission prend fin, +je vous la restitue, intacte et bien fermée, telle que je la +reçus.... [Comme un orateur qui prend la parole.] Maintenant, au +nom de tous, qu'il me soit permis d'ajouter quelques mots....</p> + +<p>LE FEU</p> + +<p>Il n'a pas la parole!...</p> + +<p>L'EAU</p> + +<p>Silence!...</p> + +<p>LE PAIX</p> + +<p>Les interruptions malveillantes d'un ennemi méprisable, d'un +rival envieux.... [Élevant la voix.] ne m'empêcheront pas +d'accomplir mon devoir jusqu'au bout.... C'est donc au nom de +tous....</p> + +<p>LE FEU</p> + +<p>Pas au mien.... J'ai une langue!...</p> + +<p>LE PAIX</p> + +<p>C'est donc au nom de tous, et avec une émotion contenue mais +sincère et profonde, que je prends congé de deux enfants +prédestinés, dont la haute mission se termine aujourd'hui. En +leur disant adieu avec toute l'affliction et toute la tendresse +qu'une mutuelle estime..</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Comment?... Tu dis adieu?... Tu nous quittes donc aussi?...</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>Hélas! il le faut bien.... Je vous quitte, il est vrai; mais la +séparation ne sera qu'apparente, vous ne m'entendrez plus +parler....</p> + +<p>LE FEU</p> + +<p>Ce ne sera pas malheureux!...</p> + +<p>L'EAU</p> + +<p>Silence!...</p> + +<p>LE PAIN, [très digne.]</p> + +<p>Cela ne m'atteint point.... Je disais donc: vous ne m'entendrez +plus, vous ne me verrez plus sous ma forme animée.... Vos yeux +vont se fermer à la vie invisible des choses; mais je serai +toujours là , dans la huche, sur la planche, sur la table, à côté +de la soupe, moi qui suis, j'ose le dire, le plus fidèle +commensal et le plus vieil ami de l'Homme....</p> + +<p>LE FEU</p> + +<p>Eh bien, et moi?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Voyons, les minutes passent, l'heure est près de sonner qui va +nous faire rentrer dans le silence.... Hâtez-vous d'embrasser les +enfants....</p> + +<p>LE FEU, [se précipitant.]</p> + +<p>Moi d'abord, d'abord moi!... [Il embrasse violemment les +enfants.] Adieu, Tyltyl et Mytyl!... Adieu, mes chers petits.... +Souvenez-vous de moi si jamais vous avez besoin de quelqu'un pour +mettre le Feu quelque part....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Aïe! aïe!... Il me brûle!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Aïe! aïe! Il me roussit le nez!.....</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Voyons, le Feu, modérez un peu vos transports.... Vous n'avez pas +affaire à votre cheminée....</p> + +<p>L'EAU</p> + +<p>Quel idiot!...</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>Est-il mal élevé!...</p> + +<p>L'EAU, [s'approchant des enfants.]</p> + +<p>Je vous embrasserai sans vous faire de mal, tendrement, mes +enfants....</p> + +<p>LE FEU</p> + +<p>Prenez garde, ça mouille!...</p> + +<p>L'EAU</p> + +<p>Je suis aimante et douce; je suis bonne aux humains....</p> + +<p>LE FEU</p> + +<p>Et les noyés?...</p> + +<p>L'EAU</p> + +<p>Aimez bien les Fontaines, écoutez les Ruisseaux.... Je serai +toujours là ....</p> + +<p>LE FEU</p> + +<p>Elle a tout inondé!...</p> + +<p>L'EAU</p> + +<p>Quand vous vous assiérez, le soir, au bord des Sources,—il y en +a plus d'une ici, dans la forêt,—essayez de comprendre ce +qu'elles essaient de dire.... Je ne peux plus.... Les larmes me +suffoquent et m'empêchent de parler....</p> + +<p>LE FEU</p> + +<p>Il n'y paraît point!...</p> + +<p>L'EAU</p> + +<p>Souvenez-vous de moi lorsque vous verrez la carafe.... Vous me +trouverez également dans le broc, dans l'arrosoir, dans la +citerne et dans le robinet....</p> + +<p>LE SUCRE, [naturellement papelard et doucereux.]</p> + +<p>S'il reste une petite place, dans votre souvenir, rappelez-vous +que parfois ma présence vous fut douce.... Je ne puis vous en +dire davantage.... Les larmes sont contraires à mon tempérament, +et me font bien du mal quand elles tombent sur mes pieds....</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>Jésuite!...</p> + +<p>LE FEU, [glapissant.]</p> + +<p>Sucre d'orge! berlingots! caramels!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais où donc sont passés Tylette et Tylô?... Que font-ils?...</p> + +<blockquote><p>[Au même moment, on entend des cris aigus poussés par la +Chatte.] </p></blockquote> + +<p>MYTYL, [alarmée.]</p> + +<p>C'est Tylette qui pleure!... On lui fait du mal!...</p> + +<blockquote><p>[Entre en courant la Chatte, hérissée, dépeignée, les +vêtements déchirés, et tenant son mouchoir sur la joue, +comme si elle avait mal aux dents. Elle pousse des +gémissements courroucés et est serrée de très près par le +Chien qui l'accable de coups de tête, de coups de poing et +de coups de pied.] </p></blockquote> + +<p>LE CHIEN, [battant la Chatte.]</p> + +<p>Là !... En as-tu assez?... En veux-tu encore?... Là ! là ! là !...</p> + +<p>LA LUMIÈRE, TYLTYL et MYTYL, [se précipitant pour les séparer.]</p> + +<p>Tylô!... Es-tu fou?... Par exemple!... A bas!... Veux-tu +finir!... A-t-on jamais vu!... Attends! attends!...</p> + +<blockquote><p>[On les sépare énergiquement.] </p></blockquote> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est?... Que s'est-il passé?...</p> + +<p>LA CHATTE, [pleurnichant et s'essuyant les yeux.]</p> + +<p>C'est lui, madame la Lumière.... Il m'a dit des injures, il a mis +des clous dans ma soupe, il m'a tiré la queue, il m'a roué de +coups, et je n'avais rien fait, rien du tout, rien du tout!...</p> + +<p>LE CHIEN, [l'imitant.]</p> + +<p>Rien du tout, rien du tout!... [A mi-voix, lui faisant la nique.] +C'est égal, t'en as eu, t'en as eu, et du bon, et t'en auras +encore!...</p> + +<p>MYTYL, [serrant la Chatte dans ses bras.]</p> + +<p>Ma pauvre Tylette, dis-moi donc où c'est que t'as mal.... Je vais +pleurer aussi!...</p> + +<p>LA LUMIÈRE, [au Chien, sévèrement.]</p> + +<p>Votre conduite est d'autant plus indigne que vous choisissez pour +nous donner ce triste spectacle le moment, déjà assez pénible par +lui-même, où nous allons nous séparer de ces pauvres enfants....</p> + +<p>LE CHIEN, [subitement dégrisé.]</p> + +<p>Nous séparer de ces pauvres enfants?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Oui, l'heure que vous savez va sonner.... Nous allons rentrer +dans le Silence.... Nous ne pourrons plus leur parler....</p> + +<p>LE CHIEN, [poussant tout à coup de véritables hurlements de +désespoir et se jetant sur les enfants qu'il accable de caresses +violentes et tumultueuses.]</p> + +<p>Non, non!... Je ne veux pas!... Je ne veux pas!... Je parlerai +toujours!... Tu me comprendras maintenant, n'est-ce pas, mon +petit dieu?... Oui, oui, oui!.... Et l'on se dira tout, tout, +tout!... Et je serai Lien sage.... Et j'apprendrai à lire, à +écrire et à jouer aux dominos!... Et je serai toujours très +propre.... Et je ne volerai plus rien dans la cuisine.... Veux-tu +que je fasse quelque chose d'étonnant?... Veux-tu que j'embrasse +la Chatte?...</p> + +<p>MYTYL, [à la Chatte.]</p> + +<p>Et toi, Tylette?... Tu n'as rien à nous dire.</p> + +<p>LA CHATTE, [pincée, énigmatique.]</p> + +<p>Je vous aime tous deux, autant que vous le méritez....</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Maintenant, qu'à mon tour, mes enfants, je vous donne le dernier +baiser....</p> + +<p>TYLTYL et MYTYL, [s'accrochant à la robe de la Lumière.]</p> + +<p>Non, non, non, la Lumière!... Reste ici, avec nous!... Papa ne +dira rien.... Nous dirons à Maman que tu as été bonne....</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Hélas! je ne peux pas.... Cette porte nous est fermée et je dois +vous quitter...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Où iras-tu toute seule?</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Pas bien loin, mes enfants; là -bas, dans le pays du Silence des +choses..</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Non, non; je ne veux pas.... Nous irons avec toi.... Je dirai à +Maman....</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Ne pleurez pas, mes chers petits.... Je n'ai pas de voix comme +l'Eau; je n'ai que ma clarté que l'Homme n'entend point.... Mais +je veille sur lui jusqu'à la fin des jours.... Rappelez-vous bien +que c'est moi qui vous parle dans chaque rayon de lune qui +s'épanche, dans chaque étoile qui sourit, dans chaque aurore qui +se lève, dans chaque lampe qui s'allume, dans chaque pensée bonne +et claire de votre âme.... [Huit heures sonnent derrière le mur.] +Écoutez!... L'heure sonne.... Adieu!... La porte s'ouvre!... +Entrez, entrez, entrez!...</p> + +<blockquote><p>[Elle pousse les enfants dans l'ouverture de la petite porte +qui vient de s'entrebâiller et se referme sur eux.—Le Pain +essuie une larme furtive, le Sucre, l'Eau, tout en pleurs, +etc., fuient précipitamment et disparaissent à droite et à +gauche, dans la coulisse. Hurlements du Chien à la +cantonade. La scène reste vide un instant, puis le décor +figurant le mur de la petite porte s'ouvre par le milieu, +pour découvrir le dernier tableau.] </p></blockquote> + + + +<hr style="width: 65%;" /> + +<h3><a name="ACTE_SIXIEME" id="ACTE_SIXIEME"></a>ACTE SIXIÈME</h3> + +<hr style="width: 45%;" /> + +<h3><a name="DOUZIEME_TABLEAU" id="DOUZIEME_TABLEAU"></a>DOUZIÈME TABLEAU</h3> + + +<h4>LE RÉVEIL</h4> + + +<p>Le même intérieur qu'au premier tableau, mais tout, les murs, +l'atmosphère, y paraît incomparablement, féeriquement plus frais, +plus riant, plus heureux.—La lumière du jour filtre gaiement par +toutes les fentes des volets clos.</p> + +<hr style="width: 45%;" /> + +<blockquote><p>[A droite, au fond de la pièce, en leurs deux petits lits, +Tyltyl et Mytyl sont profondément endormis.—La Chatte, le +Chien et les Objets sont à la place qu'ils occupaient au +premier tableau, avant l'arrivée de la Fée.—Entre la Mère +Tyl.] </p></blockquote> + +<p>LA MÈRE TYL, [d'une voix allègrement grondeuse.]</p> + +<p>Debout, voyons, debout! les petits paresseux!... Vous n'avez donc +pas honte?... Huit heures sont sonnées, le soleil est déjà plus +haut que la forêt!... Dieu! qu'ils dorment, qu'ils dorment!... +[Elle se penche et embrasse les enfants.] Ils sont tout +roses.... Tyltyl sent la lavande et Mytyl le muguet.... [Les +embrassant encore.] Que c'est bon les enfants!... Ils ne peuvent +pourtant pas dormir jusqu'à midi.... On ne peut pas en faire des +paresseux.... Et puis, je me suis laissée dire que ce n'est pas +trop bon pour la santé.... [Secouant doucement Tyltyl.] Allons, +allons, Tyltyl....</p> + +<p>TYLTYL, [s'éveillant.]</p> + +<p>Quoi?... La Lumière?... Où est-elle? Non, non, ne t'en vas +pas....</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>La Lumière?... mais bien sûr qu'elle est là .... Il y a déjà pas +mal de temps.... Il fait aussi clair qu'à midi, bien que les +volets soient fermés.... Attends un peu que je les ouvre.... +[Elle pousse les volets, l'aveuglante clarté du grand jour +envahit la pièce.] Là , voilà !... Qu'est-ce que t'as?... T'as +l'air tout aveuglé...</p> + +<p>TYLTYL, [se frottant les yeux.]</p> + +<p>Maman, maman!... C'est toi!...</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Mais bien sûr que c'est moi.... Qui veux-tu que ce soit?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est toi.... Mais oui, c'est toi!...</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Mais oui, c'est moi.... Je n'ai pas changé de visage cette +nuit.... qu'as-tu donc à me regarder comme un émerveillé?... J'ai +peut-être le nez à l'envers?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oh! que c'est bon de te revoir!... Il y a si longtemps, si +longtemps!... Il faut que je t'embrasse tout de suite.... Encore, +encore, encore!... Et puis, c'est bien mon lit!... Je suis dans +la maison!...</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Qu'est-ce que t'as?... Tu ne t'éveilles pas?... T'es pas malade, +au moins?... Voyons, montre ta langue.... Allons, lève-toi donc, +et puis habille-toi....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tiens! je suis en chemise!...</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Bien sûr.... Passe ta culotte et ta petite veste.... Elles sont +là , sur la chaise....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Est-ce que j'ai fait ainsi tout mon voyage?...</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Quel voyage?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais oui, l'année dernière....</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>L'année dernière?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais oui, donc!... A Noël, lorsque je suis parti....</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Lorsque t'es parti?... T'as pas quitté la chambre.... Je j'ai +couché hier soir, et je te retrouve ce matin.... T'as donc rêvé +tout ça?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais tu ne comprends pas!... C'était l'année passée, lorsque je +suis parti avec Mytyl, la Fée, la Lumière.... elle est bonne, la +Lumière! le Pain, le Sucre, l'Eau, le Feu. Ils se battaient tout +le temps.... T'es pas fâchée?... T'as pas été trop triste?... Et +Papa, qu'a-t-il dit?... Je ne pouvais pas refuser.... J'ai laissé +un billet pour expliquer....</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Qu'est-ce que tu chantes là ?... Bien sûr que t'es malade, ou bien +tu dors encore.... [Elle lui donne une bourrade amicale.] Voyons, +réveille-toi.... Voyons, ça va-t-il mieux?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais, Maman, je t'assure.... C'est toi qui dors encore....</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Comment! je dors encore?... Je suis debout depuis six heures.... +J'ai fait tout le ménage et rallumé le feu....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais demande à Mytyl si c'est pas vrai.... Ah! noirs en avons eu +des aventures!...</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Comment, Mytyl?... Quoi donc?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Elle était avec moi.... Nous avons revu bon-papa et +bonne-maman....</p> + +<p>LA MÈRE TYL, [de plus en plus ahurie.]</p> + +<p>Bon-papa et bonne-maman?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui, au Pays du Souvenir.... C'était sur notre route.... Ils sont +morts, mais ils se portent bien.... Bonne-maman nous a fait une +belle tarte aux prunes.... Et puis les petits frères, Robert, +Jean, sa toupie, Madeleine et Pierrette, Pauline et puis +Riquette...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Riquette, elle marche à quatre pattes!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et Pauline a toujours son bouton sur le nez....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Nous t'avons vue aussi hier au soir.</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Hier au soir? Ce n'est pas étonnant puisque je t'ai couchée.</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Non, non, aux jardins des Bonheurs, tu étais bien plus belle, +mais tu te ressemblais....</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Le jardin des Bonheurs? Je ne connais pas ça....</p> + +<p>TYLTYL, [la contemplant, puis l'embrassant.]</p> + +<p>Oui, tu étais plus belle, mais je t'aime mieux comme ça...</p> + +<p>MYTYL, [l'embrassant également.]</p> + +<p>Moi aussi, moi aussi....</p> + +<p>LA MÈRE TYL, [attendrie, mais fort inquiète.]</p> + +<p>Mon Dieu! qu'est-ce qu'ils ont?... Je vais les perdre aussi, +comme j'ai perdu les autres!... [Subitement affolée, elle +appelle.] Papa Tyl! Papa Tyl!... Venez donc! Les petits sont +malades!...</p> + +<blockquote><p>[Entre le Père Tyl, très calme une hache à la main.] </p></blockquote> + +<p>LE PÈRE TYL</p> + +<p>Qu'y a-t-il?...</p> + +<p>TYLTYL et MYTYL [accourant joyeusement pour embrasser leur père.]</p> + +<p>Tiens, Papa!... C'est Papa!... Bonjour, Papa!... Tu as bien +travaillé cette année?...</p> + +<p>LE PÈRE TYL</p> + +<p>Eh bien, quoi?... Qu'est-ce que c'est?... Ils n'ont pas l'air +malade; ils ont fort bonne mine....</p> + +<p>LA MÈRE TYL, [larmoyante.]</p> + +<p>Il ne faut pas s'y fier.... Ce sera comme les autres.... Ils +avaient fort bonne mine aussi, jusqu'à la fin; et puis le bon +Dieu les a pris.... Je ne sais ce qu'ils ont.... Je les avais +couchés bien tranquillement hier au soir; et ce matin, quand ils +s'éveillent, voilà que tout va mal.... Ils ne savent plus ce +qu'ils disent; ils parlent d'un voyage.... Ils ont vu la Lumière, +grand-papa, grand'maman, qui sont morts mais qui se portent +bien....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais bon-papa, il a toujours sa jambe de bois....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Et bonne-maman ses rhumatismes....</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Tu entends?... Cours chercher le médecin!...</p> + +<p>LE PÈRE TYL</p> + +<p>Mais non, mais non.... Ils ne sont pas encore morts.... Voyons, +nous allons voir.... [On frappe à la porte île la maison.] +Entrez!</p> + +<blockquote><p>[Entre la Voisine, petite vieille qui ressemble à la Fée du +premier acte, et qui marche en s'appuyant sur un bâton.] </p></blockquote> + +<p>LA VOISINE</p> + +<p>Bien le bonjour et bonne fête à tous!</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est la Fée Bérylune!</p> + +<p>LA VOISINE</p> + +<p>Je viens chercher un peu de feu pour mon pot-au-feu de la +fête.... Il fait bien frisquet ce matin.... Bonjour, les enfants, +ça va bien?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Madame la Fée Bérylune, je n'ai pas trouvé l'Oiseau-Bleu....</p> + +<p>LA VOISINE</p> + +<p>Que dit-il?...</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Ne m'en parlez pas, madame Berlingot.... Ils ne savent plus ce +qu'ils disent.... Ils sont comme ça depuis leur réveil.... Ils +ont dû manger quelque chose qui n'était pas bon....</p> + +<p>LA VOISINE</p> + +<p>Eh bien, Tyltyl, tu ne reconnais pas la mère Berlingot, ta +voisine Berlingot?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais si, madame.... Vous êtes la Fée Bérylune.... Vous n'êtes pas +fâchée?...</p> + +<p>LA VOISINE</p> + +<p>Béry.... quoi?</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Bérylune</p> + +<p>LA VOISINE</p> + +<p>Berlingot, tu veux dire Berlingot....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Bérylune, Berlingot, comme vous voudrez, madame.... Mais Mytyl +qui sait bien....</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Voilà le pis, c'est que Mytyl aussi....</p> + +<p>LE PÈRE TYL</p> + +<p>Bah, bah!... Cela se passera; je vais leur donner quelques +claques....</p> + +<p>LA VOISINE</p> + +<p>Laissez donc, ce n'est pas la peine.... Je connais ça; c'est rien +qu'un peu de songeries.... Ils auront dormi dans un rayon de +lune.... Ma petite fille qu'est bien malade est souvent comme +ça....</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>A propos, comment qu'elle va, ta petite fille?</p> + +<p>LA VOISINE</p> + +<p>Couci-couci.... Elle ne peut se lever.... Le docteur dit que +c'est les nerfs.... Tout de même je sais bien ce qui la +guérirait.... Elle me le demandait encore ce matin, pour son +petit noël; c'est une idée qu'elle a....</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Oui, je sais, c'est toujours l'oiseau de Tyltyl.... Eh bien, +Tyltyl, ne vas-tu pas le lui donner enfin, à cette pauvre +petite?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Quoi, Maman?...</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Ton oiseau.... Pour ce que tu en fais.... Tu ne le regardes même +plus.... Elle en meurt d'envie depuis si longtemps!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tiens, c'est vrai, mon oiseau.... Où est-il?... Ah! mais voilà la +cage!... Mytyl, vois-tu la cage?... C'est celle que portait le +Pain.... Oui, oui, c'est bien la même; mais il n'y a plus qu'un +oiseau.... Il a donc mangé l'autre?... Tiens, tiens!... Mais il +est bleu!... Mais c'est ma tourterelle!... Mais elle est bien +plus bleue que quand je suis parti!... Mais c'est là +l'Oiseau-Bleu que mous avons cherché!... Nous sommes allés si +loin et il était ici!... Ah! ça, c'est épatant!... Mytyl, vois-tu +l'oiseau?... Que dirait la Lumière?... Je vais décrocher la +Cage.... [Il monte sur une chaise et décroche la cage qu'il +apporte à la Voisine.] La voilà , madame Berlingot.... Il n'est +pas encore tout à fait bleu; ça viendra, vous verrez.... Mais +portez-le bien vite à votre petite fille....</p> + +<p>LA VOISINE</p> + +<p>Non?... Vrai?... Tu me le donnes, comme ça, tout de suite et pour +rien?... Dieu! qu'elle va être heureuse!... [Embrassant Tyltyl.] +Il faut que je t'embrasse!... Je me sauve!... Je me sauve!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui, oui; allez vite.... Il y en a qui changent de couleur....</p> + +<p>LA VOISINE</p> + +<p>Je reviendrai vous dire ce qu'elle aura dit....</p> + +<blockquote><p>[Elle sort.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL, [après avoir longuement regardé autour de soi.]</p> + +<p>Papa, Maman; qu'avez-vous fait à la maison?... C'est la même +chose; mais elle est bien plus belle....</p> + +<p>LE PÈRE TYL</p> + +<p>Comment, elle est plus belle?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais oui, tout est repeint, tout est remis à neuf, tout reluit, +tout est propre.... Ça n'était pas comme ça, l'année dernière....</p> + +<p>LE PÈRE TYL</p> + +<p>L'année dernière?...</p> + +<p>TYLTYL, [allant à la fenêtre.]</p> + +<p>Et la forêt qu'on voit!... Est-elle grande, est-elle belle!... On +croirait qu'elle est neuve!... Qu'on est heureux ici!... [Allant +ouvrir la huche.] Où est le Pain?... Tiens, ils sont bien +tranquilles.... Et puis, voilà Tylô!... Bonjour, Tylô, Tylô!... +Ah! tu t'es bien battu!... Te rappelles-tu dans la forêt?...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Et Tylette?... Elle me reconnaît bien, mais elle ne parle +plus....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Monsieur le Pain.... [Se tâtant le front.] Tiens, je n'ai plus le +Diamant! Qui est-ce qui m'a pris mon petit chapeau vert?... Tant +pis! je n'en ai plus besoin....—Ah! le Feu!... Il est bon!... Il +pétille en riant pour faire enrager l'Eau.... [Courant à la +fontaine.]—Et l'Eau?... Bonjour, l'Eau!... Que dit-elle?... Elle +parle toujours, mais je ne la comprends plus aussi bien..</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Je ne vois pas le Sucre....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Dieu que je suis heureux, heureux, heureux!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Moi aussi, moi aussi!...</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Qu'ont-ils donc à tourniller comme ça?...</p> + +<p>LE PÈRE TYL</p> + +<p>Laisse donc, t'inquiète pas.... Ils jouent à être heureux....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Moi, j'aimais surtout la Lumière.... Où est sa lampe?... Est-ce +qu'on peut l'allumer?... [Regardant encore autour de soi.] Dieu! +que c'est beau tout ça et que je suis content!...</p> + +<blockquote><p>[On frappe à la porte de la maison.] </p></blockquote> + +<p>LE PÈRE TYL</p> + +<p>Entrez donc!...</p> + +<blockquote><p>[Entre la Voisine, tenant par la main une petite fille d'une +beauté blonde et merveilleuse qui serre dans ses bras la +tourterelle de Tyltyl.] </p></blockquote> + +<p>LA VOISINE</p> + +<p>Vous voyez le miracle!...</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Pas possible!... Elle marche?...</p> + +<p>LA VOISINE</p> + +<p>Elle marche!... C'est-à -dire qu'elle court, qu'elle danse, +qu'elle vole!... Quand elle a vu l'oiseau, elle a sauté, comme +ça, d'un saut, vers la fenêtre, pour voir à la lumière si c'était +bien la tourterelle de Tyltyl.... Et puis pfff!... dans la rue, +comme un ange.... C'est tout juste si je pouvais la suivre....</p> + +<p>TYLTYL, [s'approchant, émerveillé.]</p> + +<p>Oh! qu'elle ressemble à la Lumière!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Elle est bien plus petite....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Sûr!... Mais elle grandira...</p> + +<p>LA VOISINE</p> + +<p>Que disent-ils?... Ça ne va pas encore?...</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Ça va mieux, ça se passe.... Quand ils auront déjeuné, il n'y +paraîtra plus....</p> + +<p>LA VOISINE, [poussant la petite fille dans les bras de Tyltyl.]</p> + +<p>Allons, va, ma petite, va remercier Tyltyl....</p> + +<blockquote><p>[Tyltyl, soudainement intimidé, recule d'un pas.] </p></blockquote> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Eh bien, Tyltyl, qu'est-ce que t'as?... T'as peur de la petite +fille?... Voyons, embrasse-la.... Voyons, un gros baiser.... +Mieux que ça.... Toi si effronté d'habitude!... Encore un!... +Mais qu'est-ce donc que t'as?... On dirait que tu vas pleurer....</p> + +<blockquote><p>[Tyltyl, après avoir gauchement embrassé la petite fille, +reste un moment debout devant elle, et les deux enfants se +regardent sans rien dire; puis, Tyltyl caressant la tète de +l'oiseau.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Est-ce qu'il est assez bleu?...</p> + +<p>LA PETITE FILLE</p> + +<p>Mais oui, je suis contente....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>J'en ai vu de plus bleus.... Mais les tout à fait bleus, tu sais, +on a beau faire, on ne peut pas les attraper.</p> + +<p>LA PETITE FILLE</p> + +<p>Ça ne fait rien, il est bien joli....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Est-ce qu'il a mangé?...</p> + +<p>LA PETITE FILLE</p> + +<p>Pas encore.... Qu'est-ce qu'il mange?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>De tout, du blé, du pain, du maïs, des cigales....</p> + +<p>LA PETITE FILLE</p> + +<p>Comment qu'il mange, dis?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Par le bec, tu vas voir, je vais te montrer....</p> + +<blockquote><p>[Il va pour prendre l'oiseau des mains de la petite fille; +celle-ci résiste instinctivement, et, profitant de +l'hésitation de leur geste, la tourterelle s'échappe et s'en +vole.] </p></blockquote> + +<p>LA PETITE FILLE, [poussant un cri de désespoir.]</p> + +<p>Maman!... Il est parti!...</p> + +<blockquote><p>[Elle éclate en sanglots.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ce n'est rien.... Ne pleure pas.... Je le rattraperai.... +[S'avançant sur le devant de la scène et s'adressant au public.] +Si quelqu'un le retrouve, voudrait-il nous le rendre?... Nous en +avons besoin pour être heureux plus tard....</p> + + +<p>RIDEAU</p> +<hr style="width: 95%;" /> + +<p class="caption"><a name="Table_des_matieres" id="Table_des_matieres"></a>Table des matières</p> + + +<p style="font-size: 0.8em;"> +<a href="#COSTUMES">COSTUMES</a><br /> +<a href="#TABLEAUX">TABLEAUX</a><br /> +<a href="#PERSONNAGES">PERSONNAGES</a><br /><br /> +<a href="#LOISEAU_BLEU">L'OISEAU BLEU</a><br /><br /> +<a href="#ACTE_PREMIER">ACTE PREMIER</a><br /> +<a href="#PREMIER_TABLEAU">PREMIER TABLEAU</a><br /><br /> +<a href="#ACTE_DEUXIEME">ACTE DEUXIÈME</a><br /> +<a href="#DEUXIEME_TABLEAU">DEUXIÈME TABLEAU</a><br /> +<a href="#TROISIEME_TABLEAU">TROISIÈME TABLEAU</a><br /><br /> +<a href="#ACTE_TROISIEME">ACTE TROISIÈME</a><br /> +<a href="#QUATRIEME_TABLEAU">QUATRIÈME TABLEAU</a><br /> +<a href="#CINQUIEME_TABLEAU">CINQUIÈME TABLEAU</a><br /><br /> +<a href="#ACTE_QUATRIEME">ACTE QUATRIÈME</a><br /> +<a href="#SIXIEME_TABLEAU">SIXIÈME TABLEAU</a><br /> +<a href="#SEPTIEME_TABLEAU">SEPTIÈME TABLEAU</a><br /> +<a href="#HUITIEME_TABLEAU">HUITIÈME TABLEAU</a><br /> +<a href="#NEUVIEME_TABLEAU">NEUVIÈME TABLEAU</a><br /><br /> +<a href="#ACTE_CINQUIEME">ACTE CINQUIÈME</a><br /> +<a href="#DIXIEME_TABLEAU">DIXIÈME TABLEAU</a><br /> +<a href="#ONZIEME_TABLEAU">ONZIÈME TABLEAU</a><br /><br /> +<a href="#ACTE_SIXIEME">ACTE SIXIÈME</a><br /> +<a href="#DOUZIEME_TABLEAU">DOUZIÈME TABLEAU</a><br /> +</p> + + + + + + + + +<div>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 38849 ***</div> + +</body> +</html> diff --git a/LICENSE.txt b/LICENSE.txt new file mode 100644 index 0000000..6312041 --- /dev/null +++ b/LICENSE.txt @@ -0,0 +1,11 @@ +This eBook, including all associated images, markup, improvements, +metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be +in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES. + +Procedures for determining public domain status are described in +the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org. + +No investigation has been made concerning possible copyrights in +jurisdictions other than the United States. Anyone seeking to utilize +this eBook outside of the United States should confirm copyright +status under the laws that apply to them. diff --git a/README.md b/README.md new file mode 100644 index 0000000..6009df8 --- /dev/null +++ b/README.md @@ -0,0 +1,2 @@ +Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for +eBook #38849 (https://www.gutenberg.org/ebooks/38849) diff --git a/old/38849-0.txt b/old/38849-0.txt new file mode 100644 index 0000000..ba37ef8 --- /dev/null +++ b/old/38849-0.txt @@ -0,0 +1,8147 @@ +The Project Gutenberg EBook of L'oiseau bleu, by Maurice Maeterlinck + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: L'oiseau bleu + Feerie en six actes et douze tableaux + +Author: Maurice Maeterlinck + +Release Date: February 12, 2012 [EBook #38849] + +Language: French + +Character set encoding: UTF-8 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'OISEAU BLEU *** + + + + +Produced by Annemie Arnst & Marc D'Hooghe at +http://www.freeliterature.org (From images generously made +available by the Internet Archive.) + + + + + +L'OISEAU BLEU + +par + +MAURICE MAETERLINCK + + +FÉERIE EN SIX ACTES ET DOUZE TABLEAUX + +_Représentée pour la première fois,_ +_sur le Théâtre Artistique de Moscou, le 30 Septembre 1908,_ +_et à Paris, sur la scène du Théâtre Réjane,_ +_le 2 Mars 1911._ + + + +PARIS + +Librairie CHARPENTIER et FASQUELLE + +EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR + +11, RUE DE GRENELLE, 11 + +1911 + + + + +COSTUMES + + +TYLTYL: Costume du Petit-Poucet dans les contes de Perrault: +petite culotte rouge-vermillon, courte veste bleu tendre, bas +blancs, souliers ou bottines de cuir fauve. + +MYTYL: Costume de Grethel ou bien du Petit Chaperon rouge. + +LA LUMIÈRE: Robe couleur de lune, c'est-à -dire d'or pâle à +reflets d'argent, gazes scintillantes, formant des rayons, etc. +Style néo-grec ou anglo-grec genre Walter Crane ou même plus ou +moins Empire.--Taille haute, bras nus, etc.--Coiffure: sorte de +diadème ou même de couronne légère. + +LA FÉE BÉRYLUNE, LA VOISINE BERLINGOT: Costume classique des +pauvresses de contes de fées. On pourrait supprimer au premier +acte la transformation de la Fée en princesse. + +LE PÈRE TYL, LA MÈRE TYL, GRAND-PAPA TYL, GRAND'MAMAN TYL: +Costumes légendaires des bûcherons et des paysans allemands dans +les contes de Grimm. + +LES FRÈRES ET SÅ’URS DE TYLTYL: Variantes du costume du +Petit-Poucet. + +LE TEMPS: Costume classique du Temps: vaste manteau noir ou gros +bleu, barbe blanche et flottante, faulx, sablier. + +L'AMOUR MATERNEL: Costume à peu près semblable à celui de la +Lumière, c'est-à -dire voiles souples et presque transparents de +statue grecque, blancs autant que possible. Perles et pierreries +aussi riches et aussi nombreuses qu'on voudra, pourvu qu'elles ne +rompent pas l'harmonie pure et candide de l'ensemble. + +LES GRANDES JOIES: Comme il est dit dans le texte, robes +lumineuses aux subtiles et suaves nuances: réveil de rose, +sourire d'eau, rosée d'ambre, azur d'aurore, etc. + +LES BONHEURS DE LA MAISON: Robes de diverses couleurs, ou si l'on +veut, costumes de paysans, de bergers, de bûcherons, etc., mais +idéalisés et féeriquement interprétés. + +LES GROS BONHEURS: Avant la transformation: amples et lourds +manteaux de brocarts rouges et jaunes, bijoux énormes et épais, +etc. Après la transformation: maillots café ou chocolat, donnant +l'impression de pantins en baudruche. + +LA NUIT: Amples vêtements noirs mystérieusement constellés, à +reflets mordorés. Voiles, pavots sombres, etc. + +LA PETITE FILLE DE LA VOISINE: Chevelure blonde et lumineuse, +longue robe blanche. + +LE CHIEN: Habit rouge, culotte blanche, bottes vernies, chapeau +ciré; costume rappelant plus ou moins celui de John Bull. + +LA CHATTE: Maillot de soie noire à paillettes + +Il convient que les têtes de ces deux personnages soient +discrètement animalisées. + +LE PAIN: Somptueux costume de pacha. Ample robe de soie ou de +velours cramoisi, broché d'or. Vaste turban. Cimeterre. Ventre +énorme, face rouge et extrêmement joufflue. + +LE SUCRE: Robe de soie, dans le genre de celles des eunuques, +mi-partie de blanc et de bleu pour rappeler le papier d'emballage +des pains de sucre; Coiffure des gardiens du sérail. + +LE FEU: Maillot rouge, manteau vermillon à reflets chatoyants, +doublé d'or. Aigrette de flammes versicolores. + +L'EAU: Robe couleur du temps du conte de Peau d'Ane, c'est-à -dire +bleuâtre ou glauque, à reflets transparents, effets de gaze +ruisselante, également style néo ou anglo-grec, mais plus ample, +plus flottant. Coiffure de fleurs et d'algues ou de roseaux. + +LES ANIMAUX: Costumes populaires ou paysans. + +LES ARBRES: Robes, nuances variées du vert ou de la teinte tronc +d'arbres. Attributs, feuilles ou branches qui les fassent +reconnaître. + + + + +TABLEAUX + + +1er TABLEAU (acte I): _La Cabane du Bûcheron._ + +2e TABLEAU (acte II): _Chez la Fée._ + +3e TABLEAU (acte II): _Le Pays du Souvenir._ + +4e TABLEAU (acte III): _Le Palais de la Nuit._ + +5e TABLEAU (acte III): _La Forêt._ + +6e TABLEAU (acte IV): _Devant le Rideau._ + +7e TABLEAU (acte IV): _Le Cimetière._ + +8e TABLEAU (acte IV): _Devant le Rideau._ + +9e TABLEAU (acte IV): _Le Palais des Bonheurs._ + +10e TABLEAU (acte V): _Le Royaume de l'Avenir._ + +11e TABLEAU (acte VI): _L'Adieu._ + +12e TABLEAU (acte VI): _Le Réveil._ + + + + +PERSONNAGES + +(dans l'ordre de leur entrée en scène) + + + LA MÈRE TYL -- Mlle Méthivet. + TYLTYL -- M. Delphin. + MYTYL -- Mlle Odette Carlia. + LA FÉE -- Mme Gina Barbieri. + LE PAIN -- MM. R.L. Fugère. + LE FEU -- Aurèle Sydney. + L'EAU -- Mlles Isis. + LE LAIT -- Diris. + LE SUCRE -- MM. Bosman. + LE CHIEN -- Séverin-Mars. + LE CHAT -- Stephen. + LA LUMIÈRE -- Mme Georgette Leblanc. + { Mlles Nini Mano. + { Henriette Maillefer. + { Fernande Fayeret. + { Blanche Faveret. + { Suzanne Bailly. + LES HEURES -- { Raymonde Faveret. + { Laurence Petit. + { Jane Faveret. + { Berthe Libovitz. + { Antoinette Raymond. + { Deroissy. + { Georges. + + LE PÈRE TYL -- M. Félix Barré. + GRAND'MÈRE TYL -- Mme Daynes Grassot. + GRAND-PÈRE TYL -- M. Maillard. + PIERROT -- Mlles Suterre. + ROBERT -- Maria Fromet. + JEANNETTE -- Jeanne Evrard. + MADELEINE -- Giavelli. + PIERRETTE -- Henriette Gallet. + PAULINE -- Henriette Maillefer. + RIQUETTE -- Nini Mano + LA NUIT -- Clarel. + LE SOMMEIL -- Louise Starck. + LA MORT -- Rachel Horelick. + LE RHUME DE CERVEAU -- Renée Dahon. + 1er ENFANT BLEU -- Maria Fromet. + 2e -- -- Laura Walter. + 3e -- -- Maria Dumont. + 4e -- -- Fernande Faveret. + 5e -- -- Maud Loti. + 6e -- -- Suterre. + 7e -- -- Suzanne Bailly. + 8e -- -- Giavelli. + 9e -- -- Madeleine Fromet. + LE ROI DES NEUF PLANÈTES -- Batistina Rousseau. + 11e ENFANT BLEU -- Renée Pré. + 12e -- -- Henriette Maillefer. + 13e -- -- Béatrice Raymond. + 14e -- -- Jeanne Corrège. + L'AMOUREUX -- Lucy Fleury. + L'AMOUREUSE -- Blanche Borelli. + LE TEMPS -- M. Garry. + LE PETIT FRÈRE A NAITRE. -- Mlle Maria Fromet. + { Mlles Berthe Libovitz. + { Fernande Faveret. + { Suzanne Faveret. + { Blanche Faveret. + { Raymonde Faveret. + LES AUTRES ENFANTS BLEUS: -- { Mlles Henriette Gallet. + { Jeanne Evrard. + { Denise Choquet. + { Léa Dumont. + { Marcelle Malherbe. + { Juliette Malherbe. + { Lucienne Chezeaux. + { Dupechier. + + { Mlles Deroissy. + { George. + LES GARDIENNES -- { Théloz. + { Albert. + + LE CHEF DES GROS BONHEURS. M. Barré. + LES AUTRES BONHEURS { MM. Alfroy. + { Adalbert, etc. + + { Mlle Lucienne Chezaux. + { Nini Mano. + { Jeanne Corrège. + LES PETITS BONHEURS -- { Henriette Maillefer. + { Fernand Faveret. + { Blanche Faveret. + { Louise Starck. + { Rachel Horelick. + + { Jane Faveret. + { Raymonde Faveret. + LES ADOLESCENTS -- { Maud Loti. + { Annette Libovitz. + { Laurence Petit. + + LE CHEF DES BONHEURS { Mlles Renée Beauval. + + LE BONHEUR DE SE BIEN + PORTER { Dorchèze. + -- DE L'AIR PUR { Fleury. + -- D'AIMER SES PARENTS { Gannoz. + -- DU CIEL BLEU { Blanche Borelli. + -- DE LA FORÊT { Diris. + + LE BONHEUR DES HEURES DE + SOLEIL { Mlles Boissière. + -- DU PRINTEMPS { Renée Dahon. + -- DES COUCHERS DE SOLEIL { Soyez. + -- DE VOIR SE LEVER + LES ÉTOILES { Georges. + -- DE LA PLUIE { Darièze. + -- DU FEU D'HIVER { Carène. + -- DES PENSÉES INNOCENTES { Laura Walter. + -- DE COURIR NU-PIEDS + DANS LA ROSÉE { Antoinette Raymond. + + LA JOIE D'ÊTRE JUSTE { Albert. + -- D'ÊTRE BONNE { Bulaine. + -- DE LA GLOIRE { Théloz. + -- DE PENSER { Deroissy. + -- DE COMPRENDRE { Lefebvre. + -- DE VOIR CE QUI EST BEAU { Didier. + -- D'AIMER { Dervil. + + L'AMOUR MATERNEL { Méthivet. + + { Soyez. + LES JOIES INCONNUES { Delettraz. + { Dessoyer, etc. + + LA VOISINE BERLINGOT { Mme Gina Barbieri. + + SA PETITE FILLE { Mlle Juliette Malherbe. + + + + + + + +L'OISEAU BLEU + + + + +ACTE PREMIER + + + + +PREMIER TABLEAU + + +LA CABANE DU BÛCHERON + + +Le théâtre représente l'intérieur d'une cabane de bûcheron, +simple, rustique, mais non point misérable.--Cheminée à manteau +où s'assoupit un feu de bûches.--Ustensiles de cuisine, armoire, +huche, horloge à poids, rouet, fontaine, etc.--Sur une table, une +lampe allumée.--Au pied de l'armoire, de chaque côté de +celle-ci, endormis, pelotonnés, le nez sous la queue, un Chien et +une Chatte.--Entre eux deux, un grand pain de sucre blanc et +bleu.--Accrochée au mur, une cage ronde renfermant une +tourterelle.--Au fond, deux fenêtres dont les volets intérieurs +sont fermés.--Sous l'une des fenêtres, un escabeau.--A gauche, la +porte d'entrée de la maison, munie d'un gros loquet.--A droite, +une autre porte.--Échelle menant à un grenier.--Également à +droite, deux petits lits d'enfant, au chevet desquels, sur deux +chaises, des vêtements se trouvent soigneusement pliés. + + * * * * * + + [Au lever du rideau, Tyltyl et Mytyl sont profondément + endormis dans leurs petits lits. La Mère Tyl les borde une + dernière fois, se penche sur eux, contemple un moment leur + sommeil, et appelle de la main le père Tyl qui passe la tête + dans l'entrebâillement de la porte. La Mère Tyl met un doigt + sur les lèvres pour lui commander le silence, puis sort à + droite sur la pointe des pieds, après avoir éteint la lampe. + La scène reste obscure un instant, puis une lumière dont + l'intensité augmente peu à peu filtre par les lames des + volets. La lampe sur la table se rallume d'elle-même. Les + deux enfants semblent s'éveiller et se mettent sur leur + séant.] + +TYLTYL + +Mytyl? + +MYTYL + +Tyltyl? + +TYLTYL + +Tu dors? + +MYTYL + +Et toi?... + +TYLTYL + +Mais non, je dors pas puisque je te parle.... + +MYTYL: + +C'est Noël, dis?... + +TYLTYL + +Pas encore; c'est demain. Mais le petit Noël n'apportera rien +cette année.... + +MYTYL + +Pourquoi?... + +TYLTYL + +J'ai entendu maman qui disait qu'elle n'avait pu aller à la ville +pour le prévenir.... Mais il viendra l'année prochaine.... + +MYTYL + +C'est long, l'année prochaine?... + +TYLTYL + +Ce n'est pas trop court.... Mais il vient cette nuit chez les +enfants riches.... + +MYTYL + +Ah?... + +TYLTYL + +Tiens!... Maman a oublié la lampe!... J'ai une idée?... + +MYTYL + +?... + +TYLTYL + +Nous allons nous lever.... + +MYTYL + +C'est défendu.... + +TYLTYL + +Puisqu'il n'y a personne.... Tu vois les volets?... + +MYTYL + +Oh! qu'ils sont clairs!... + +TYLTYL + +C'est les lumières de la fête. + +MYTYL + +Quelle fête? + +TYLTYL + +En face, chez les petits riches. C'est l'arbre de Noël. Nous +allons les ouvrir.... + +MYTYL + +Est-ce qu'on peut? + +TYLTYL + +Bien sûr, puisqu'on est seuls.... Tu entends la musique?... +Levons-nous.... + + Les deux enfants se lèvent, courent à l'une des fenêtres, + montent sur l'escabeau et poussent les volets. Une vive + clarté pénètre dans la pièce. Les enfants regardent + avidement au dehors. + +TYLTYL + +On voit tout!... + +MYTYL, [qui ne trouve qu'une place précaire sur l'escabeau.] + +Je vois pas.... + +TYLTYL + +Il neige!... Voilà deux voitures à six chevaux!... + +MYTYL Il en sort douze petits garçons!... + +TYLTYL + +T'es bête!... C'est des petites filles.... + +MYTYL + +Ils ont des pantalons.... + +TYLTYL + +Tu t'y connais.... Ne me pousse pas ainsi!... + +MYTYL + +Je t'ai pas touché. + +TYLTYL, [qui occupe à lui seul tout l'escabeau.] + +Tu prends toute la place.... + +MYTYL + +Mais j'ai pas du tout de place!... + +TYLTYL + +Tais-toi donc, on voit l'arbre!... + +MYTYL + +Quel arbre?... + +TYLTYL + +Mais l'arbre de Noël!... Tu regardes le mur!... + +MYTYL + +Je regarde le mur parce qu'y a pas de place.... + +TYLTYL, [lui cédant une petite place avare sur l'escabeau.] + +Là !... En as-tu assez?... C'est-y pas la meilleure?... Il y en a +des lumières! Il y en a!... + +MYTYL + +Qu'est-ce qu'ils font donc ceux qui font tant de bruit?... + +TYLTYL + +Ils font de la musique. + +MYTYL + +Est-ce qu'ils sont fâchés?... + +TYLTYL + +Non, mais c'est fatigant. + +MYTYL + +Encore une voiture attelée de chevaux blancs!... + +TYLTYL + +Tais-toi!... Regarde donc!... + +MYTYL + +Qu'est-ce qui pend là , en or, après les branches?... + +TYLTYL + +Mais les jouets, pardi!... Des sabres, des fusils, des soldats, +des canons.... + +MYTYL + +Et des poupées, dis, est-ce qu'on en a mis?... + +TYLTYL + +Des poupées?... C'est trop bête; ça ne les amuse pas.... + +MYTYL + +Et autour de la table, qu'est-ce que c'est tout ça?... + +TYLTYL + +C'est des gâteaux, des fruits, des tartes à la crème.... + +MYTYL + +J'en ai mangé une fois, lorsque j'étais petite.... + +TYLTYL + +Moi aussi; c'est meilleur que le pain, mais on en a trop peu.... + +MYTYL + +Ils n'en ont pas trop peu.... Il y en a plein la table.... Est-ce +qu'ils vont les manger?... + +TYLTYL + +Bien sûr; qu'en feraient-ils?... + +MYTYL + +Pourquoi qu'ils ne les mangent pas tout de suite?... + +TYLTYL + +Parce qu'ils n'ont pas faim.... + +MYTYL, stupéfaite. + +Ils n'ont pas faim?... Pourquoi?... + +TYLTYL + +C'est qu'ils mangent quand ils veulent.... + +MYTYL, incrédule. + +Tous les jours?... + +TYLTYL + +On le dit.... + +MYTYL + +Est-ce qu'ils mangeront tout?... Est-ce qu'ils en donneront?... + +TYLTYL + +A qui?... + +MYTYL + +A nous.... + +TYLTYL + +Ils ne nous connaissent pas.... + +MYTYL + +Si on leur demandait?... + +TYLTYL + +Cela ne se fait pas. + +MYTYL + +Pourquoi?... + +TYLTYL + +Parce que c'est défendu. + +MYTYL, battant des mains. + +Oh! qu'ils sont donc jolis!... + +TYLTYL, enthousiasmé. + +Et ils rient et ils rient!... + +MYTYL + +Et les petits qui dansent!... + +TYLTYL + +Oui, oui, dansons aussi!... + + Ils trépignent de joie sur l'escabeau. + +MYTYL + +Oh! que c'est amusant!... + +TYLTYL + +On leur donne les gâteaux!... Ils peuvent y toucher!... Ils +mangent! ils mangent! ils mangent!... + +MYTYL + +Les plus petits aussi!... Ils en ont deux, trois, quatre!... + +TYLTYL, [ivre de joie.] + +Oh! c'est bon!... Que c'est bon! que c'est bon!... + +MYTYL, [comptant des gâteaux imaginaires.] + +Moi, j'en ai reçu douze!... + +TYLTYL + +Et moi quatre fois douze!... Mais je t'en donnerai.... + + On frappe à la porte de la cabane. + +TYLTYL, [subitement calmé et effrayé.] + +Qu'est-ce que c'est?... + +MYTYL, [épouvantée.] + +C'est papa!... + + Comme ils tardent à ouvrir, on voit le gros loquet se + soulever de lui-même, en grinçant; la porte s'entrebâille + pour livrer passage à une petite vieille habillée de vert et + coiffée d'un chaperon rouge. Elle est bossue, boiteuse, + borgne; le nez et le menton se rencontrent, et elle marche + courbée sur un bâton. Il n'est pas douteux que ce ne soit + une fée. + +LA FÉE + +Avez-vous ici l'herbe qui chante ou l'oiseau qui est bleu?... + +TYLTYL + +Nous avons de l'herbe, mais elle ne chante pas.... + +MYTYL + +Tyltyl a un oiseau. + +TYLTYL + +Mais je ne peux pas le donner.... + +LA FÉE + +Pourquoi?... + +TYLTYL + +Parce qu'il est à moi. + +LA FÉE + +C'est une raison, bien sûr. Où est-il, cet oiseau?... + +TYLTYL, [montrant la cage.] + +Dans la cage.... + +LA FÉE, [mettant ses besicles pour examiner l'oiseau.] + +Je n'en veux pas; il n'est pas assez bleu. Il faudra que vous +m'alliez chercher celui dont j'ai besoin. + +TYLTYL + +Mais je ne sais pas où il est.... + +LA FÉE + +Moi non plus. C'est pourquoi il faut le chercher. Je puis à la +rigueur me passer de l'herbe qui chante; mais il me faut +absolument l'Oiseau Bleu. C'est pour ma petite fille qui est très +malade. + +TYLTYL + +Qu'est-ce qu'elle a?... + +LA FÉE + +On ne sait pas au juste; elle voudrait être heureuse.... + +TYLTYL + +Ah?... + +LA FÉE + +Savez-vous qui je suis?... + +TYLTYL + +Vous ressemblez un peu à notre voisine, Madame Berlingot.... + +LA FÉE, se fâchant subitement. + +En aucune façon.... Il n'y a aucun rapport.... C'est +abominable!... Je suis la Fée Bérylune.... + +TYLTYL + +Ah! très bien.... + +LA FÉE + +Il faudra partir tout de suite. + +TYLTYL + +Vous viendrez avec nous?... + +LA FÉE + +C'est absolument impossible à cause du pot-au-feu que j'ai mis ce +matin et qui s'empresse de déborder chaque fois que je m'absente +plus d'une heure.... [Montrant successivement le plafond, la +cheminée et la fenêtre.] Voulez-vous sortir par ici, par là ou +par là ?... + +TYLTYL, [montrant timidement la porte.] + +J'aimerais mieux sortir par là .... + +LA FÉE, [se fâchant encore subitement.] + +C'est absolument impossible, et c'est une habitude révoltante!... +[Indiquant la fenêtre.] Nous sortirons par là .... Eh bien!... +Qu'attendez-vous?... Habillez-vous tout de suite.... [Les enfants +obéissent et s'habillent rapidement.] Je vais aider Mytyl.... + +TYLTYL + +Nous n'avons pas de souliers.... + +LA FÉE + +Ça n'a pas d'importance. Je vais vous donner un petit chapeau +merveilleux. Où sont donc vos parents?... + +TYLTYL, [montrant la porte à droite.] + +Ils sont là ; ils dorment.... + +LA FÉE + +Et votre bon-papa et votre bonne-maman?... + +TYLTYL + +Ils sont morts.... + +LA FÉE + +Et vos petits frères et vos petites sÅ“urs.... Vous en +avez?... + +TYLTYL + +Oui, oui; trois petits frères.... + +MYTYL + +Et quatre petites sÅ“urs.... + +LA FÉE + +Où sont-ils?... + +TYLTYL + +Ils sont morts aussi.... + +LA FÉE + +Voulez-vous les revoir?... + +TYLTYL + +Oh oui!... Tout de suite!... Montrez-les!... + +LA FÉE + +Je ne les ai pas dans ma poche.... Mais ça tombe à merveille; +vous les reverrez en passant par le pays du Souvenir. C'est sur +la route de l'Oiseau-Bleu. Tout de suite à gauche, après le +troisième carrefour.--Que faisiez-vous quand j'ai frappé?... + +TYLTYL + +Nous jouions à manger des gâteaux. + +LA FÉE + +Vous avez des gâteaux?... Où sont-ils? + +TYLTYL + +Dans le palais des enfants riches.... Venez voir, c'est si +beau!... + + [Il entraîne la Fée vers la fenêtre.] + +LA FÉE, à la fenêtre. + +Mais ce sont les autres qui les mangent!... + +TYLTYL + +Oui; mais puisqu'on voit tout.... + +LA FÉE + +Tu ne leur en veux pas?... + +TYLTYL + +Pourquoi?... + +LA FÉE + +Parce qu'ils mangent tout. Je trouve qu'ils ont grand tort de ne +pas t'en donner.... + +TYLTYL + +Mais non, puisqu'ils sont riches.... Hein? que c'est beau chez +eux!... + +LA FÉE + +Ce n'est pas plus beau que chez toi. + +TYLTYL + +Heu!... Chez nous c'est plus noir, plus petit, sans gâteaux.... + +LA FÉE + +C'est absolument la même chose; c'est que tu n'y vois pas.... + +TYLTYL + +Mais si, j'y vois très bien, et j'ai de très bons yeux. Je lis +l'heure au cadran de l'église que papa ne voit pas.... + +LA FÉE, [se fâchant subitement.] + +Je te dis que tu n'y vois pas!... Comment donc me vois-tu?... +Comment donc suis-je faite?... [Silence gêné de Tyltyl.] Eh bien, +répondras-tu? que je sache si tu vois?... Suis-je belle ou bien +laide?... [Silence de plus en plus embarrassé.] Tu ne veux pas +répondre?... Suis-je jeune ou bien veille?... Suis-je rose ou +bien jaune?... j'ai peut-être une bosse?... + +TYLTYL, [conciliant.] + +Non, non, elle n'est pas grande.... + +LA FÉE + +Mais si, à voir ton air, on la croirait énorme.... Ai-je le nez +crochu et l'Å“il gauche crevé?... + +TYLTYL + +Non, non, je ne dis pas.... Qui est-ce qui l'a crevé?... + +LA FÉE, de plus en plus irritée. + +Mais il n'est pas crevé!... Insolent! misérable!... Il est plus +beau que l'autre; il est plus grand, plus clair, il est bleu +comme le ciel.... Et mes cheveux, vois-tu?... Ils sont blonds +comme les blés.... on dirait de l'or vierge!... Et j'en ai tant +et tant que la tête me pèse.... Ils s'échappent de partout.... +Les vois-tu sur mes mains?... + + [Elle étale deux maigres mèches de cheveux gris.] + +TYLTYL + +Oui, j'en vois quelques-uns.... + +LA FÉE, [indignée.] + +Quelques-uns!... Des gerbes! des brassées! des touffes! des flots +d'or!... Je sais bien que des gens disent qu'ils n'en voient +point; mais tu n'es pas de ces méchantes gens aveugles, je +suppose?... + +TYLTYL + +Non, non, je vois très bien ceux qui ne se cachent point.... + +LA FÉE + +Mais il faut voir les autres avec la même audace!... C'est bien +curieux, les hommes.... Depuis la mort des fées, ils n'y voient +plus du tout et ne s'en doutent point.... Heureusement que j'ai +toujours sur moi tout ce qu'il faut pour rallumer les yeux +éteints.... Qu'est-ce que je tire de mon sac?... + +TYLTYL + +Oh! le joli petit chapeau vert!... Qu'est-ce qui brille ainsi sur +la cocarde?... + +LA FÉE + +C'est le gros Diamant qui fait voir.... + +TYLTYL + +Ah!... + +LA FÉE + +Oui; quand on a le chapeau sur la tête, on tourne un peu le +Diamant: de droite à gauche, par exemple, tiens, comme ceci, +vois-tu?... Il appuie alors sur une bosse de la tête que personne +ne connaît, et qui ouvre les yeux.... + +TYLTYL + +Ça ne fait pas de mal?... + +LA FÉE + +Au contraire, il est fée.... On voit à l'instant même ce qu'il y +a dans les choses; l'âme du pain, du vin, du poivre, par +exemple.... + +MYTYL + +Est-ce qu'on voit aussi l'âme du sucre?... + +LA FÉE, [subitement fâchée.] + +Cela va sans dire!... Je n'aime pas les questions inutiles.... +L'âme du sucre n'est pas plus intéressante que celle du +poivre.... Voilà , je vous donne ce que j'ai pour vous aider dans +la recherche de l'Oiseau-Bleu.... Je sais bien que +l'Anneau-qui-rend-invisible ou le Tapis-Volant vous seraient plus +utiles.... Mais j'ai perdu la clef de l'armoire où je les ai +serrés.... Ah! j'allais oublier.... [Montrant le Diamant.] Quand +on le tient ainsi, tu vois.... un petit tour de plus, on revoit +le Passé.... Encore un petit tour, et l'on voit l'Avenir.... +C'est curieux et pratique et ça ne fait pas de bruit.... + +TYLTYL + +Papa me le prendra.... + +LA FÉE + +Il ne le verra pas; personne ne peut le voir tant qu'il est sur +ta tête.... Veux-tu l'essayer?... [Elle coiffe Tyltyl du petit +chapeau vert.] A présent, tourne le Diamant.... Un tour et puis +après.... + + [A peine Tyltyl a-t-il tourné le Diamant, qu'un changement + soudain et prodigieux s'opère en toutes choses. La vieille + fée est tout à coup une belle princesse merveilleuse; les + cailloux dont sont bâtis les murs de la cabane s'illuminent, + bleuissent comme des saphirs, deviennent transparents, + scintillent, éblouissent à l'égal des pierres les plus + précieuses. Le pauvre mobilier s'anime et resplendit; la + table de bois blanc s'affirme aussi grave, aussi noble + qu'une table de marbre, le cadran de l'horloge cligne de + l'Å“il et sourit avec aménité, tandis que la porte + derrière quoi va et vient le balancier s'entr'ouvre et + laisse s'échapper les Heures, qui, se tenant les mains et + riant aux éclats, se mettent à danser aux sons d'une musique + délicieuse. Effarement légitime de Tyltyl qui s'écrie en + montrant les Heures.] + +TYLTYL + +Qu'est-ce que c'est que toutes ces belles dames?... + +LA FÉE + +N'aie pas peur; ce sont les heures de ta vie qui sont heureuses +d'être libres et visibles un instant.... + +TYLTYL + +Et pourquoi que les murs sont si clairs?... Est-ce qu'ils sont en +sucre ou en pierres précieuses?... + +LA FÉE + +Toutes les pierres sont pareilles, toutes les pierres sont +précieuses: mais l'homme n'en voit que quelques-unes.... + + [Pendant qu'ils parlent ainsi, la féerie continue et se + complète. Les âmes des Pains-de-quatre-livres, sous la forme + de bonshommes en maillots couleur croûte-de-pain, ahuris et + poudrés de farine, se dépêtrent de la huche et gambadent + autour de la table où ils sont rejoints par le Feu, qui, + sorti de l'âtre en maillot soufre et vermillon, les poursuit + en se tordant de rire.] + +TYLTYL + +Qu'est-ce que c'est que ces vilains bonshommes?... + +LA FÉE + +Rien de grave; ce sont les âmes des Pains-de-quatre-livres qui +profitent du règne de la vérité pour sortir de la huche où elles +se trouvaient à l'étroit.... + +TYLTYL + +Et le grand diable rouge qui sent mauvais?... + +LA FÉE + +Chut!... Ne parle pas trop haut, c'est le Feu.... Il a mauvais +caractère. + + [Ce dialogue n'a pas interrompu la féerie. Le Chien et la + Chatte, couchés en rond au pied de l'armoire, poussant + simultanément un grand cri, disparaissent dans une trappe, + et à leur place surgissent deux personnages, dont l'un porte + un masque de bouledogue, et l'autre une tête de chatte. + Aussitôt, le petit homme au masque de bouledogue--que nous + appellerons dorénavant le Chien--se précipite sur Tyltyl + qu'il embrasse violemment et accable île bruyantes et + impétueuses caresses, cependant que la petite femme au + masque de chatte--que nous appellerons plus simplement la + Chatte--se donne un coup de peigne, se lave les mains et se + lisse la moustache, avant de s'approcher de Mytyl.] + +LE CHIEN, [hurlant, sautant, bousculant tout, insupportable.] + +Mon petit dieu!... Bonjour! bonjour, mon petit dieu!... Enfin, +enfin, on peut parler! J'avais tant de choses à te dire!... +J'avais beau aboyer et remuer la queue!... Tu ne comprenais +pas!... Mais maintenant!... Bonjour! bonjour!... Je t'aime!... Je +t'aime!... Veux-tu que je fasse quelque chose d'étonnant?... +Veux-tu que je fasse le beau?... Veux-tu que je marche sur les +mains ou que je danse à la corde?... + +TYLTYL, à la Fée. + +Qu'est-ce que c'est que ce monsieur à tête de chien?... + +LA FÉE + +Mais tu ne vois donc pas?... C'est l'âme de Tylô que tu as +délivrée.... + +LA CHATTE, [s'approchant de Mytyl et lui tendant la main, +cérémonieusement, avec circonspection.] + +Bonjour, Mademoiselle.... Que vous êtes jolie ce matin!... + +MYTYL + +Bonjour, Madame.... [A la Fée.] Qui est-ce?... + +LA FÉE + +C'est facile à voir; c'est l'âme de Tylette qui te tend la +main.... Embrasse-la.... + +LE CHIEN, [bousculant la Chatte.] + +Moi aussi!... J'embrasse le petit dieu!... J'embrasse la petite +fille!... J'embrasse tout le monde!... Chic!... On va +s'amuser!... Je vais faire peur à Tylette!... Hou! hou! hou!... + +LA CHATTE + +Monsieur, je ne vous connais pas.... + +LA FÉE, [menaçant le Chien de sa baguette.] + +Toi, tu vas te tenir bien tranquille; sinon tu rentreras dans le +silence, jusqu'à la fin des temps.... + + [Cependant, la féerie a poursuivi son cours: le Rouet s'est + mis à tourner vertigineusement dans son coin en filant de + splendides rayons de lumière; la Fontaine, dans l'autre + angle, se prend à chanter d'une voix sur-aiguë et, se + transformant en fontaine lumineuse, inonde l'évier de nappes + de perles et d'émeraudes, à travers lesquelles s'élance + l'âme de l'Eau, pareille à une jeune fille ruisselante, + échevelée, pleurarde, qui va incontinent se battre avec le + feu.] + +TYLTYL + +Et la dame mouillée?... + +LA FÉE + +N'aie pas peur, c'est l'Eau qui sort du robinet.... + + [Le Pot-au-lait se renverse, tombe de la table, se brise sur + le sol; et du lait répandu s'élève une grande forme blanche + et pudibonde qui semble avoir peur de tout.] + +TYLTYL + +Et la dame en chemise qui a peur?... + +LA FÉE + +C'est le Lait qui a cassé son pot.... + + [Le Pain-de-sucre posé au pied de l'armoire grandit, + s'élargit et crève son enveloppe de papier d'où émerge un + être doucereux: et papelard, vêtu d'une souquenille + mi-partie de blanc et de bleu, qui, souriant béatement, + s'avance vers Mytyl.] + +MYTYL, [avec inquiétude.] + +Que veut-il?... + +LA FÉE + +Mais c'est l'âme du Sucre!... + +MYTYL, [rassurée.] + +Est-ce qu'il a des sucres d'orge?... + +LA FÉE + +Mais il n'a que ça dans ses poches, et chacun de ses doigts en +est un.... + + [La Lampe tombe de la table, et aussitôt tombée, sa flamme + se redresse et se transforme en une lumineuse vierge d'une + incomparable beauté. Elle est vêtue de longs voiles + transparents et éblouissants, et se tient immobile en une + sorte d'extase.] + +TYLTYL + +C'est la Reine! + +MYTYL + +C'est la Sainte Vierge!... + +LA FÉE + +Non, mes enfants, c'est la Lumière.... + + [Cependant, les casseroles, sur les rayons, tournent comme + des toupies hollandaises, l'armoire à linge claque ses + battants et commence un magnifique déroulement d'étoffes + couleur de lune et de soleil, auquel se mêlent, non moins + splendides, des chiffons et des guenilles qui descendent + l'échelle du grenier. Mais voici que trois coups assez rudes + sont frappés à la porte de droite.] + +TYLTYL, [effrayé.] + +C'est papa!... Il nous a entendus!... + +LA FÉE + +Tourne le Diamant!... De gauche à droite!... + +[Tyltyl tourne vivement le diamant.] Pas si vite!... Mon Dieu! Il +est trop tard!... Tu l'as tourné trop brusquement. Ils n'auront +pas le temps de reprendre leur place, et nous aurons bien des +ennuis.... [La Fée redevient vieille femme, les murs de la cabane +éteignent leurs splendeurs, les Heures rentrent dans l'horloge, +le Rouet s'arrête, etc. Mais dans la hâte et le désarroi général, +tandis que le Feu court follement autour de la pièce, à la +recherche de la cheminée, un des Pains-de-quatre-livres, qui n'a +pu retrouver place dans la huche, éclate en sanglots tout en +poussant des rugissements d'épouvante.] Qu'y a-t-il?... + +LE PAIN, [tout en larmes.] + +Il n'y a plus de place dans la huche!... + +LA FÉE, [se penchant sur la huche.] + +Mais si, mais si.... [Poussant les autres pains qui ont repris +leur place primitive.] Voyons, vite, rangez-vous.... + + [On heurte encore la porte.] + +LE PAIN, [éperdu, s'efforçant vainement d'entrer dans la huche.] + +Il n'y a pas moyen!... Il me mangera le premier!... + +LE CHIEN, [gambadant autour de Tyltyl.] + +Mon petit dieu!... Je suis encore ici!... Je puis encore parler! +Je puis encore t'embrasser!... Encore! encore! encore!... + +LA FÉE + +Comment, toi aussi?... Tu es encore là ?... + +LE CHIEN + +J'ai de la veine.... Je n'ai pas pu rentrer dan le silence; la +trappe s'est refermée trop vite.. + +LA CHATTE + +La mienne aussi.... Que va-t-il arriver?... Est-ce que c'est +dangereux? + +LA FÉE + +Mon Dieu, je dois vous dire la vérité: tous ceux qui +accompagneront les deux enfants, mourront à la fin du voyage.... + +LA CHATTE + +Et ceux qui ne les accompagneront pas?... + +LA FÉE + +Ils survivront quelques minutes.... + +LA CHATTE, [au Chien.] + +Viens, rentrons dans la trappe.... + +LE CHIEN + +Non, non!... Je ne veux pas!... Je veux accompagner le petit +dieu!... Je veux lui parler tout le temps!... + +LA CHATTE + +Imbécile!... + + [On heurte encore à la porte.] + +LE PAIN, [pleurant à chaudes larmes.] + +Je ne veux pas mourir à la fin du voyage!... Je veux rentrer tout +de suite dans ma huche!... + +LE FEU, [qui n'a cessé de parcourir vertigineusement la pièce en +poussant des sifflements d'angoisse.] + +Je ne trouve plus ma cheminée!... + +L'EAU, [qui tente vainement de rentrer dans le robinet.] + +Je ne peux plus rentrer dans le robinet!... + +LE SUCRE, [qui s'agite autour de son enveloppe de papier.] + +J'ai crevé mon papier d'emballage!... + +LE LAIT, [lymphatique et pudibond.] + +On a cassé mon petit pot!... + +LA FÉE + +Sont-ils bêtes, mon Dieu!... Sont-ils bêtes et poltrons!... Vous +aimeriez donc mieux continuer de vivre dans vos vilaines boîtes, +dans vos trappes et dans vos robinets que d'accompagner les +enfants qui vont chercher l'Oiseau?... + +TOUS, [à l'exception du Chien et de la Lumière.] + +Oui! oui! Tout de suite!... Mon robinet!... Ma huche!... Ma +cheminée!... Ma trappe!... + +LA FÉE, [à la Lumière qui regarde rêveusement les débris de sa +lampe.] + +Et toi, la Lumière, qu'en dis-tu?... + +LA LUMIÈRE + +J'accompagnerai les enfants.... + +LE CHIEN, [hurlant de joie.] + +Moi aussi! moi aussi!... + +LA FÉE + +Voilà qui est des mieux. Du reste, il est trop tard pour reculer; +vous n'avez plus le choix, vous sortirez tous avec nous.... Mais +toi, le Feu, ne t'approche de personne, toi, le Chien, ne taquine +pas la Chatte, et toi, l'eau, tiens-toi droite et tâche de ne pas +couler partout.... + +[Des coups violents sont encore frappés à la porte de droite.] + +TYLTYL, [écoutant.] + +C'est encore papa!... Cette fois, il se lève, je l'entends +marcher.... + +LA FÉE + +Sortons par la fenêtre.... Vous viendrez tous chez moi, où +j'habillerai convenablement les animaux et les phénomènes.... [Au +Pain.] Toi, le Pain, prends la cage dans laquelle on mettra +l'Oiseau-Bleu.... Tu en auras la garde.... Vite, vite, ne perdons +pas de temps.... + + [La fenêtre s'allonge brusquement, comme une porte. Ils + sortent tous, après quoi la fenêtre reprend sa forme + primitive et se referme innocemment. La chambre est + redevenue obscure, et les deux petits lits sont plongés dans + l'ombre. La porte à droite s'entr'ouvre, et dans + l'entrebâillement paraissent les têtes du père et de la mère + Tyl.] + +LE PÈRE TYL + +Ce n'était rien.... C'est le grillon qui chante.... + +LA MÈRE TYL + +Tu les vois?... + +LE PÈRE TYL + +Bien sûr.... Ils dorment tranquillement.... + +LA MÈRE TYL + +Je les entends respirer.... + +[La porte se referme.] + +RIDEAU + + + + +ACTE DEUXIÈME + + + + +DEUXIÈME TABLEAU + +CHEZ LA FÉE + + +Un magnifique vestibule dans le palais de la Fée Bérylune. +Colonnes de marbre clair à chapiteaux d'or et d'argent, +escaliers, portiques, balustrades, etc. + + * * * * * + + [Entrent au fond, à droite, somptueusement habillés, la + Chatte, le Sucre et le Feu. Ils sortent d'un appartement + d'où émanent des rayons de lumière; c'est la garde-robe de + la Fée. La Chatte a jeté une gaze légère sur son maillot de + soie noire, le Sucre a revêtu une robe de soie, mi-partie de + blanc et de bleu tendre, et le Feu, coiffé d'aigrettes + multicolores, un long manteau cramoisi doublé d'or. Ils + traversent toute la salle et descendent au premier plan, à + droite, où la Chatte les réunit sous un portique.] + +LA CHATTE + +Par ici. Je connais tous les détours de ce palais.... La Fée +Bérylune l'a hérité de Barbe-Bleue.... Pendant que les enfants +et la Lumière rendent visite à la petite fille de la Fée, +profitons de notre dernière minute de liberté.... Je vous ai fait +venir ici, afin de vous entretenir de la situation qui nous est +faite.... Sommes-nous tous présents?... + +LE SUCRE + +Voici le Chien qui sort de la garde-robe de la Fée.... + +LE FEU + +Comment diable s'est-il habillé?... + +LA CHATTE + +Il a pris la livrée d'un des laquais du carrosse de +Cendrillon.... C'est bien ce qu'il lui fallait.... Il a une âme +de valet.... Mais dissimulons-nous derrière la balustrade.... Je +m'en méfie étrangement.... Il vaudrait mieux qu'il n'entende pas +ce que j'ai à vous dire.... + +LE SUCRE + +C'est inutile.... Il nous a éventés.... Tiens, voilà l'Eau qui +sort en même temps de la garde-robe.... Dieu! qu'elle est +belle!... + + [Le Chien et l'Eau rejoignent le premier groupe.] + +LE CHIEN, gambadant. + +Voilà ! voilà !... Sommes-nous beaux! Regardez donc ces dentelles, +et puis ces broderies!... C'est de l'or et du vrai!... + +LA CHATTE, [à l'Eau.] + +C'est la robe «couleur-du-temps» de Peau-d'Âne?... Il me semble +que je la connais.... + +L'EAU + +Oui, c'est encore ce qui m'allait le mieux.... + +LE FEU, [entre les dents.] + +Elle n'a pas son parapluie.... + +L'EAU + +Vous dites?... + +LE FEU + +Rien, rien.... + +L'EAU + +Je croyais que vous parliez d'un gros nez rouge que j'ai vu +l'autre jour.... + +LA CHATTE + +Voyons, ne nous querellons pas, nous avons mieux à faire.... Nous +n'attendons plus que le Pain: où est-il?... + +LE CHIEN + +Il n'en finissait pas de faire de l'embarras pour choisir son +costume.... + +LE FEU + +C'est bien la peine, quand on a l'air idiot et qu'on porte un +gros ventre.... + +LE CHIEN + +Finalement, il s'est décidé pour une robe turque, ornée de +pierreries, un cimeterre et un turban.... + +LA CHATTE + +Le voilà !... Il a mis la plus belle robe de Barbe-Bleue.... + + [Entre le Pain, dans le costume qu'on vient de décrire. La + robe de soie est péniblement croisée sur son énorme ventre. + Il tient d'une main la garde du cimeterre passé dans sa + ceinture et de l'autre la cage destinée à l'Oiseau-Bleu.] + +LE PAIN, [se dandidant vaniteusement.] + +Eh bien?... Comment me trouvez-vous?... + +LE CHIEN, [gambadant autour du Pain.] + +Qu'il est beau! qu'il est bête! qu'il est beau! qu'il est +beau!... + +LA CHATTE, [au Pain.] + +Les enfants sont-ils habillés?... + +LE PAIN + +Oui, Monsieur Tyltyl a pris la veste rouge, les bas blancs et la +culotte bleue du Petit-Poucet; quant à Mademoiselle Mytyl, elle a +la robe de Grethel et les pantoufles de Cendrillon.... Mais la +grande affaire, ç'a été d'habiller la Lumière!... + +LA CHATTE + +Pourquoi?... + +LE PAIN + +La Fée la trouvait si belle qu'elle ne voulait pas l'habiller du +tout!... Alors j'ai protesté au nom de notre dignité d'éléments +essentiels et éminemment respectables; et j'ai fini par déclarer +que, dans ces conditions, je refusais de sortir avec elle.... + +LE FEU + +Il fallait lui acheter un abat-jour!... + +LA CHATTE + +Et la Fée, qu'a-t-elle répondu?... + +LE PAIN + +Elle m'a donné quelques coups de bâton sur la tête et le +ventre.... + +LA CHATTE + +Et alors?... + +LE PAIN + +Je fus promptement convaincu, mais au dernier moment, la Lumière +s'est décidée pour la robe «couleur-de-lune» qui se trouvait au +fond du coffre aux trésors de Peau-d'Ane.... + +LA CHATTE + +Voyons, c'est assez bavardé, le temps presse.... Il s'agit de +notre avenir.... Vous l'avez entendu, la Fée vient de le dire, la +fin de ce voyage marquera en même temps la fin de notre vie.... +Il s'agit donc de le prolonger autant que possible et par tous +les moyens possibles.... Mais il y a encore autre chose; il faut +que nous pensions au sort de notre race et à la destinée de nos +enfants.... + +LE PAIN + +Bravo! bravo!... La Chatte a raison!... + +LA CHATTE + +Écoutez-moi.... Nous tous ici présents, animaux, choses et +éléments, nous possédons une âme que l'homme ne connaît pas +encore. C'est pourquoi nous gardons un reste d'indépendance; +mais, s'il trouve l'Oiseau-Bleu, il saura tout, il verra tout, et +nous serons complètement à sa merci.... C'est ce que vient de +m'apprendre ma vieille amie la Nuit, qui est en même temps la +gardienne des mystères de la Vie.... Il est donc de notre intérêt +d'empêcher à tout prix qu'on ne trouve cet oiseau, fallût-il +aller jusqu'à mettre en péril la vie même des enfants.... + +LE CHIEN, indigné. + +Que dit-elle, celle-là ?... Répète un peu que j'entende bien ce +que c'est? + +LE PAIN + +Silence!... Vous n'avez pas la parole!... Je préside +l'assemblée.... + +LE FEU + +Qui vous a nommé président?... + +L'EAU, [au Feu.] + +Silence!... De quoi vous mêlez-vous?... + +LE FEU + +Je me mêle de ce qu'il faut.... Je n'ai pas d'observations à +recevoir de vous.... + +LE SUCRE, [conciliant.] + +Permettez.... Ne nous querellons point.... L'heure est grave.... +Il s'agit avant tout de s'entendre sur les mesures à prendre.... + +LE PAIN + +Je partage entièrement l'avis du Sucre et de la Chatte.... + +LE CHIEN + +C'est idiot!... Il y a l'Homme, voilà tout!... Il faut lui obéir +et faire tout ce qu'il veut!... Il n'y a que ça de vrai.... Je ne +connais que lui!... Vive l'Homme!... A la vie, à la mort, tout +pour l'Homme!... l'Homme est dieu!... + +LE PAIN + +Je partage entièrement l'avis du Chien. + +LA CHATTE, [au Chien.] + +Mais on donne ses raisons.... + +LE CHIEN + +Il n'y a pas de raisons!... J'aime l'Homme, ça suffit!... Si vous +faites quelque chose contre lui, je vous étranglerai d'abord et +j'irai tout lui révéler.... + +LE SUCRE, [intervenant avec douceur.] + +Permettez.... N'aigrissons pas la discussion.... D'un certain +point de vue, vous avez raison, l'un et l'autre.... Il y a le +pour et le contre.... + +LE PAIN + +Je partage entièrement l'avis du Sucre!... + +LA CHATTE + +Est-ce que tous ici, l'Eau, le Feu, et vous-mêmes le Pain et le +Chien, nous ne sommes pas victimes d'une tyrannie sans nom?... +Rappelez-vous le temps où, avant la venue du despote, nous +errions librement sur la face de la Terre.... l'Eau et le Feu +étaient les seuls maîtres du monde; et voyez ce qu'ils sont +devenus!... Quant à nous, les chétifs descendants des grands +fauves.... Attention!... N'ayons l'air de rien.... Je vois +s'avancer la Fée et la Lumière.... La Lumière s'est mise du parti +de l'Homme; c'est notre pire ennemie.... Les voici.... + + [Entrent à droite, la Fée et la Lumière, suivies de Tyltyl + et de Mytyl.] + +LA FÉE + +Eh bien?... qu'est-ce que c'est?... Que faites-vous dans ce +coin?... Vous avez l'air de conspirer.... Il est temps de se +mettre en route.... Je viens de décider que la Lumière sera votre +chef.... Vous lui obéirez tous comme à moi-même et je lui confie +ma baguète.... Les enfants visiteront ce soir leurs grand-parents +qui sont morts.... Vous ne les accompagnerez pas, par discrétion.... +Ils passeront la soirée au sein de leur famille décédée.... +Pendant ce temps, vous préparerez tout ce qu'il faut pour l'étape +de demain, qui sera longue.... Allons, debout, en route et chacun +à son poste!... + +LA CHATTE, [hypocritement.] + +C'est tout juste ce que je leur disais, Madame la Fée.... Je les +exhortais à remplir consciencieusement et courageusement tout +leur devoir; malheureusement, le Chien qui ne cessait de +m'interrompre.... + +LE CHIEN + +Que dit-elle?... Attends un peu!... + + [Il va bondir sur la chatte, mais Tyltyl, qui a prévenu son + mouvement, l'arrête d'un geste menaçant.] + +TYLTYL + +A bas, Tylô!... Prends garde; et s'il t'arrive encore une seul +fois de.... + +LE CHIEN + +Mon petit dieu, tu ne sais pas, c'est elle qui.... + +TYLTYL, [le menaçant.] + +Tais-toi!... + +LA FÉE + +Voyons, finissons-en.... Que le Pain, ce soir, remette la cage à +Tyltyl.... Il est possible que l'Oiseau-Bleu se cache dans le +Passé, chez les grands-parents.... En tout cas, c'est une chance +qu'il convient de ne point négliger.... Eh bien, le Pain, cette +cage?... + +LE PAIN, [solennel.] + +Un instant, s'il vous plaît, Madame le Fée.... [Comme un orateur +qui prend la parole.] Vous tous, soyez temoins que cette cage +d'argent qui me fut confiée par.... + +LA FÉE, [l'interrompant]. + +Assez!... Pas de phrases.... Nous sortirons par là , tandis que +les enfants sortiront par ici.... + +TYLTYL, [avec inquiet.] + +Nous sortirons tout seuls?... + +MYTYL + +J'ai faim!... + +TYLTYL + +Moi aussi!... + +LA FÉE, [au Pain.] + +Ouvre ta robe turque et donne leur une tranche de ton bon ventre. + + [Le Pain ouvre sa robe, tire son cimeterre et coupe, à même + son gros ventre, deux tartines qu'il offre aux enfants.] + +LE SUCRE, [s'approchant des enfants.] + +Permettez-moi de vous offrir en même temps quelques sucres +d'orge.... + + [Il casse un à un les cinq doigts de sa main gauche et les + leur présente.] + +MYTYL + +Qu'est-ce qu'il fait?... Il casse tous ses doigts.... + +LE SUCRE, [engageant.] + +Goûtez-les, ils sont excellents.... C'est de vrais sucres +d'orge.... + +MYTYL, [suçant un des doigts.] + +Dieu qu'il est bon!... Est-ce que tu en as beaucoup?... + +LE SUCRE, [modeste.] + +Mais qui, tant que je veux.... + +MYTYL + +Est-ce que ça te fait mal quand tu les casses ainsi?... + +LE SUCRE + +Pas du tout.... Au contraire; c'est très avantageux, ils +repoussent tout de suite, et de cette façon, j'ai toujours des +doigts propres et neufs.... + +LA FÉE + +Voyons, mes enfants, ne mangez pas trop de sucre. N'oubliez pas +que vous souperez tout à l'heure chez vos grands-parents.... + +TYLTYL + +Ils sont ici?... + +LA FÉE + +Vous allez les voir à l'instant.... + +TYLTYL + +Comment les verrons-nous, puisqu'ils sont morts?... + +LA FÉE + +Comment seraient-ils morts puisqu'ils vivent dans votre +souvenir?... Les hommes ne savent pas ce secret parce qu'ils +savent bien peu de chose; au lieu que toi, grâce au Diamant, tu +vas voir que les morts dont on se souvient aussi heureux que +s'ils n'étaient point morts.... + +TYLTYL + +La Luminière vient avec nous?... + +LA LUMINIÈRE + +Non, il est plus convenable que cela se passe en famille.... +J'attendrai ici près pour ne point paraître indiscrète.... Ils ne +m'ont pas invitée. + +TYLTYL + +Par où faut-il aller?... + +LA FÉE + +Par là .... Vous êtes au seuil du «Pays du Souvenir». Dès que tu +auras tourné le Diamant, tu verras un gros arbre muni d'un +écriteau, qui te montrera que tu es arrivé.... Mais n'oubliez pas +que vous devez être rentré tous les deux à neuf heures moins le +quart.... C'est extrêmement important.... Surtout soyez exacts, +car tout serait perdu si vous vous mettiez en retard.... A +bientôt.... [Appelant la Chatte, le Chien, la Lumière, etc.] Par +ici.... Et les petits par là .... + +Elle sort à droite avec la Lumière, les animaux, etc., tandis que +les enfants sortent à gauche. + + +RIDEAU + + + + +TROISIÈME TABLEAU + +LE PAYS DU SOUVENIR + + +Un épais brouillard d'où émerge, à droite, au tout premier plan, +le tronc d'un gros chêne muni d'un écriteau. Clarté laiteuse, +diffuse, impénétrable. + + * * * * * + + [Tyltyl et Mytyl se trouvent au pied du chêne.] + +TYLTYL + +Voici l'arbre!... + +MYTYL + +Il y a l'écriteau!... + +TYLTYL + +Je ne peux pas lire.... Attends, je vais monter sur cette +racine.... C'est bien ça.... C'est écrit: «Pays du Souvenir». + +MYTYL + +C'est ici qu'il commence?... + +TYLTYL + +Qui, il y a une flèche.... + +MYTYL + +Eh bien, ou qu'ils sont, bon-papa et bonne-maman? + +TYLTYL + +Derrière le brouillard.... Nous allons voir.... + +MYTYL + +Je ne vois rien du tout!... Je ne vois plus mes pieds ni mes +mains .. [Pleurnichant.] J'ai froid!... Je ne veux plus +voyager.... Je veux rentrer à la maison.... + +TYLTYL + +Voyons, ne pleure pas tout le temps, comme l'Eau.... T'es pas +honteuse? .. Une grande petite fille!... Regarde, le brouillard se +lève déjà .... Nous allons voir ce qu'il y a dedans.... + + [En effet, la brume s'est mise en mouvement; elle s'allège, + s'éclaire, se disperse, s'évapore. Bientôt, dans une lumière + de plus en plus transparente, on découvre, sous une voûte de + verdure, une riante maisonette de paysan, couverte de + plantes grimpantes. Les fenêtres et la porte sont ouvertes. + On voit des ruches d'abeilles sous un auvent, des pots de + fleurs sur l'appui des croisées, une cage ou dort un merle, + etc. Près de la porte un banc, sur lequel sont assis, + profondément endormis, un vieux paysan et sa femme, + c'est-à -dire le grand-père et la grand'mère de Tyltyl.] + +TYLTYL, [les reconnaissant tout à coup.] + +C'est bon-papa et bonne-maman!... + +MYTYL, [battant des mains.] + +Qui! Qui!... C'est eux!... C'est eux!... + +TYLTYL, [encore un peu méfiant.] + +Attention!... On ne sait pas encore s'ils remuent.... Restons +derrière l'arbre.... + + [Grand'maman Tyl ouvre les yeux, lève la tête, s'étire, + pousse un soupir, regarde grand-papa Tyl qui lui aussi sort + lentement de son sommeil.] + +GRAND'MAMAN TYL + +J'ai idée que nos petits-enfants qui sont encore en vie nous +venir voir aujourd'hui.... + +GRAND-PAPA TYL + +Bien sûr, ils pensent à nous; car je me sens tout chose et j'ai +des fourmis dans les jambes.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Je crois qu'ils sont tout proches, car des larmes de joie dansent +avant mes yeux.... + +GRAND-PAPA TYL + +Non, non; ils sont fort loin... Je me sens encore faible.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Je te dis qu'ils sont là ; j'ai déjà toute ma force.... + +TYLTYL et MYTYL, se précipitant de derrière le chêne. + +Nous voilà !... Nous voilà !... Bon-papa, bonne-maman!... C'est +nous!... C'est nous!... + +GRAND-PAPA TYL + +Là !... Tu vois!... Qu'est-ce que je disais! J'étais sûr qu'ils +viendraient aujourd'hui.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Tyltyl! Mytyl!... C'est toi!... C'est elle!... C'est eux!... +[S'efforçant de courir au-devant d'eux.] Je ne peux pas +courir!... J'ai toujours mes rhumatismes! + +GRAND-PAPA TYL, [accourant de même en clopinant.] + +Moi non plus.... Rapport à ma jambe de bois qui remplace toujours +celle que j'ai cassée en tombant du gros chêne.... + + [Les grands-parents et les enfants s'embrassent follement.] + +GRAND'MAMAN TYL + +Que tu es grandi et forci, mon Tyltyl!... + +GRAND-PAPA TYL, [caressant les cheveux de Mytyl.] + +Et Mytyl!... Regarde donc!... Les beaux cheveux, les beaux +yeux!... Et puis, ce qu'elle sent bon!... + +GRAND'MAMAN TYL + +Embrassons-nous encore!... Venez sur mes genoux.... + +GRAND-PAPA TYL + +Et moi, je n'aurai rien?... + +GRAND'MAMAN TYL + +Non, non.... A moi d'abord.... Comment vont Papa et Maman Tyl?... + +TYLTYL + +Fort bien, bonne-maman.... Ils dormaient quand nous sommes +sortis.... + +GRAND'MAMAN TYL, [les contemplant et les accablant de caresses.] + +Mon Dieu, qu'ils sont jolis et bien débarbouillés!... C'est maman +qui t'a débarbouillé?... Et tes bas ne sont pas troués!... C'est +moi qui les reprisais autrefois. Pourquoi ne venez-vous pas nous +voir plus souvent?... Cela nous fait tant de plaisir!... Voilà +des mois et des mois que vous nous oubliez et que nous ne voyons +plus personne.... + +TYLTYL + +Nous ne pouvions pas, bonne-maman; et c'est grâce à la Fée +qu'aujourd'hui.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Nous sommes toujours là , à attendre une petite visite de ceux qui +vivent.... Ils viennent si rarement!... La dernière fois que vous +êtes venus, voyons, c'était quand donc?... C'était à la +Toussaint, quand la cloche de l'église a tinté.... + +TYLTYL + +A la Toussaint?... Nous ne sommes pas sortis ce jour-là , car nous +étions fort enrhumés.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Non, mais vous avez pensé à nous.... + +TYLTYL + +Oui.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Eh bien, chaque fois que vous pensez à nous, nous nous réveillons +et nous vous revoyons.... + +TYLTYL + +Comment, il suffit que.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Mais voyons, tu sais bien.... + +TYLTYL + +Mais non, je ne sais pas.... + +GRAND'MAMAN TYL, [à Grand-Papa Tyl.] + +C'est étonnant, là -haut.... Ils ne savent pas encore.... Ils +n'apprennent donc rien?.... + +GRAND-PAPA TYL + +C'est comme de notre temps.... Les Vivants sont si bêtes quand +ils parlent des Autres.... + +TYLTYL + +Vous dormez tout le temps?... + +GRAND PAPA TYL + +Oui, nous dormons pas mal, en attendant qu'une pensée des Vivants +nous réveille.... Ah! c'est bien bon de dormir, quand la vie est +finie.... Mais il est agréable aussi de s'éveiller de temps en +temps.... + +TYLTYL + +Alors, vous n'êtes pas morts pour de vrai?... + +GRAND-PAPA TYL, [sursautant.] + +Que dis-tu?... Qu'est-ce qu'il dit?... Voilà qu'il emploie des +mots que nous ne comprenons plus.... Est-ce que c'est un mot +nouveau, une invention nouvelle?... + +TYLTYL + +Le mot «mort»?... + +GRAND-PAPA TYL + +Oui; c'était ce mot-là .... Qu'est-ce que ça veut dire?... + +TYLTYL + +Mais ça veut dire qu'on ne vit plus.... + +GRAND-PAPA TYL + +Sont-ils bêtes, là -haut!... + +TYLTYL + +Est-ce qu'on est bien ici?... + +GRAND-PAPA TYL + +Mais oui; pas mal, pas mal; et même si l'on priait encore.... + +TYLTYL + +Papa m'a dit qu'il ne faut plus prier.... + +GRAND-PAPA TYL + +Mais si, mais si.... Prier c'est se souvenir.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Oui, oui, tout irait bien, si seulement vous veniez nous voir +plus souvent.... Te rappelles-tu, Tyltyl?... La dernière fois, +j'avais fait une belle tarte aux pommes.... Tu en as mangé tant +et tant que tu t'es fait du mal.... + +TYLTYL + +Mais je n'ai pas mangé de tarte aux pommes depuis l'année +dernière.... Il n'y a pas eu de pommes cette année.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Ne dis pas de bêtises.... Ici il y en a toujours.... + +TYLTYL + +Ce n'est pas la même chose.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Comment? Ce n'est pas la même chose?... Mais tout est la même +chose puisqu'on peut s'embrasser.... + +TYLTYL, [regardant tour à tour son grand-père et sa grand'mère.] + +Tu n'as pas changé, bon-papa, pas du tout, pas du tout.... Et +bonne-maman non plus n'a pas changé du tout.... Mais vous êtes +plus beaux.... + +GRAND-PAPA TYL + +Eh! ça ne va pas mal.... Nous ne vieillissons plus.... Mais vous, +grandissez-vous!... Ah! oui, vous poussez ferme!... Tenez, là , +sur la porte, on voit encore la marque de la dernière fois.... +C'était à la Toussaint.... Voyons, tiens-toi bien droit.... +[Tyltyl se dresse contre la porte.] Quatre doigts!... C'est +énorme!... [Mytyl se dresse également contre la porte.] Et Mytyl, +quatre et demi!... Ah, ah! la mauvaise graine!... Ce que ça +pousse, ce que ça pousse!... + +TYLTYL, [regardant autour de soi avec ravissement.] + +Comme tout est bien de même, comme tout est à sa place!... Mais +comme tout est plus beau!... Voilà l'horloge avec la grande +aiguille dont j'ai cassé la pointe.... + +GRAND-PAPA TYL + +Et voici la soupière que tu as écornée.... + +TYLTYL + +Et voilà le trou que j'ai fait à la porte, le jour que j'ai +trouvé le vilebrequin.... + +GRAND-PAPA TYL + +Ah oui, tu en as fait des dégâts!... Et voici le prunier où tu +aimais tant grimper quand je n'étais pas là .... Il a toujours ses +belles prunes rouges.... + +TYLTYL + +Mais elles sont bien plus belles!... + +MYTYL + +Et voici le vieux merle!... Est-ce qu'il chante encore?... + +Le merle se réveille et se met à chanter à tue-tète. + +GRAND'MAMAN TYL + +Tu vois bien.... Dès que l'on pense à lui.... + +TYLTYL, [remarquant avec stupéfaction que le merle est +parfaitement bleu.] + +Mais il est bleu!... Mais c'est lui, l'Oiseau-Bleu que je dois +rapporter à la Fée!... Et vous ne disiez pas que vous l'aviez +ici! Oh! qu'il est bleu, bleu, bleu, comme une bille de verre +bleu!... [Suppliant.] Bon-papa, bonne-maman, voulez-vous me le +donner?... + +GRAND-PAPA TYL + +Bien oui, peut-être bien.... Qu'en penses-tu, maman Tyl?... + +GRAND'MAMAN TYL + +Bien sûr, bien sûr.... A quoi qu'il sert ici.... Il ne fait que +dormir.... On ne l'entend jamais.... + +TYLTYL + +Je vais le mettre dans ma cage.... Tiens, où est-elle, ma +cage?... Ah! c'est vrai, je l'ai oubliée derrière le gros +arbre.... [Il court à l'arbre, rapporte la cage et y enferme le +merle.] Alors, vrai, vous me le donnez pour de vrai?... C'est la +Fée qui sera contente!... Et la Lumière donc!... + +GRAND-PAPA TYL + +Tu sais, je n'en réponds pas, de l'oiseau.... Je crains bien +qu'il ne puisse plus s'habituer à la vie agitée de là -haut, et +qu'il ne revienne ici par le premier bon vent.... Enfin, on verra +bien.... Laisse-le là , pour l'instant, et viens donc voir la +vache.... + +TYLTYL, [remarquant les ruches.] + +Et les abeilles, dis, comment vont-elles?... + +GRAND-PAPA TYL + +Mais elles ne vont pas mal.... Elles ne vivent plus non plus, +comme vous dites là -bas; mais elles travaillent ferme.... + +TYLTYL, [s'approchant des ruches.] + +Oh oui!... Ça sent le miel!... Les ruches doivent être +lourdes!... Toutes les fleurs sont si belles!... Et mes petites +sÅ“urs qui sont mortes, sont-elles ici aussi?... + +MYTYL + +Et mes trois petits frères qu'on avait enterrés, où sont-ils?... + + [A ces mots, sept petits enfants de tailles inégales, en + flûte de Pan, sortent un à un de la maison.] + +GRAND'MAMAN TYL + +Les voici, les voici!... Aussitôt qu'on y pense, aussitôt qu'on +en parle, ils sont là , les gaillards!... + + [Tyltyl et Mytyl courent au-devant des enfants. On se + bouscule, on s'embrasse, on danse, on tourbillonne, on + pousse des cris de joie.] + +TYLTYL + +Tiens, Pierrot!... [Ils se prennent aux cheveux.] Ah! nous allons +nous battre encore comme dans le temps.... Et Robert!... Bonjour, +Jean!... Tu n'as plus ta toupie?... Madeleine et Pierrette, +Pauline et puis Riquette.... + +MYTYL + +Oh! Riquette, Riquette!... Elle marche encore à quatre +pattes!... + +GRAND'MAMAN TYL + +Oui, elle ne grandit plus.... + +TYLTYL, [remarquant le petit Chien qui jappe autour d'eux.] + +Voilà Kiki dont j'ai coupé la queue avec les ciseaux de +Pauline.... Il n'a pas changé non plus.... + +GRAND PAPA TYL, [sentencieux.] + +Non, rien ne change ici.... + +TYLTYL + +Et Pauline a toujours son bouton sur le nez!... + +GRAND MAMAN TYL + +Oui, il ne s'en va pas; il n'y a rien à faire.... + +TYLTYL + +Oh! qu'ils ont bonne mine, qu'ils sont gras et luisants!... +Qu'ils ont de belles joues!... Ils ont l'air bien nourris.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Ils se portent bien mieux depuis qu'ils ne vivent plus.... Il +n'y a plus rien à craindre, on n'est jamais malade, on n'a plus +d'inquiétudes.... + + [Dans la maison, l'horloge sonne huit heures.] + +GRAND'MAMAN TYL, [stupéfaite.] + +Qu'est-ce que c'est?... + +GRAND-PAPA TYL + +Ma foi, je ne sais pas.... Ce doit être l'horloge.... + +GRAND-MAMAN TYL + +Ce n'est pas possible.... Elle ne sonne jamais.... + +GRAND-PAPA TYL + +Parce que nous ne pensons plus à l'heure.... Quelqu'un a-t-il +pensé à l'heure?... + +TYLTYL + +Oui, c'est moi.... Quelle heure est-il?... + +GRAND-PAPA TYL + +Ma foi, je ne sais plus.... J'ai perdu l'habitude.... Elle a +sonné huit coups, ce doit être ce que? là -haut, ils appellent +huit heures. + +TYLTYL + +La Lumière m'attend à neuf heures moins le quart.... C'est à +cause de la Fée.... C'est extrêmement important.... Je me +sauve.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Vous n'allez pas nous quitter ainsi au moment du souper!... Vite, +vite, dressons la table devant la porte.... J'ai justement une +excellente soupe aux choux et une belle tarte aux prunes.... + + [On sort la table, on la dresse devant la porte, on apporte + les plats, les assiettes, etc.... Tous y aident.] + +TYLTYL + +Ma foi, puisque j'ai l'Oiseau-Bleu.... Et puis la soupe aux +choux, il y a si longtemps!... Depuis que je voyage.... On n'a +pas ça dans les hôtels.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Voilà !... C'est déjà fait.... A table, les enfants.... Si vous +êtes pressés, ne perdons pas de temps.... + + [On a allumé la lampe et servi la soupe. Les grands-parents + et les enfants s'assoient autour du repas du soir, parmi des + bousculades, des bourrades, des cris et des rires de joie.] + +TYLTYL, [mangeant gloutonnement.] + +Qu'elle est bonne!... Mon Dieu, qu'elle est donc bonne!... J'en +veux encore! encore! + + [Il brandit sa cuiller de bois et en frappe bruyamment son + assiette.] + +GRAND-PAPA TYL + +Voyons, voyons, un peu de calme.... Tu es toujours aussi mal +élevé; et tu vas casser ton assiette.... + +TYLTYL, [se dressant à demi sur son escabelle.] + +J'en veux encore, encore!... + + [Il atteint et attire à soi la soupière qui se renverse et + se répand sur la table, et de là sur les genoux des + convives. Cris et hurlements d'échaudés.] + +GRAND'MAMAN TYL + +Tu vois!... Je te l'avais bien dit.... + +GRAND-PAPA TYL, [donnant à Tyltyl une gifle retentissante.] + +Voilà pour toi!... + +TYLTYL, [un instant déconcerté, mettant ensuite la main sur la +joue, avec ravissement.] + +Oh! oui, c'était comme ça, les claques que tu donnais quand tu +étais vivant.... Bon-papa, qu'elle est bonne et que ça fait du +bien!... Il faut que je t'embrasse!... + +GRAND-PAPA TYL + +Bon, bon; il y en a encore si ça te fait plaisir.... + + [La demie de huit heures sonne à l'horloge.] + +TYLTYL, [sursautant.] + +Huit heures et demie!... [il jette sa cuiller.] Mytyl, nous +n'avons que le temps!... + +GRAND-MAMAN TYL + +Voyons!... Encore quelques minutes!... Le feu n'est pas à la +maison.... On se voit si rarement.... + +TYLTYL + +Non, ce n'est pas possible.... La Lumière est si bonne.... Et je +lui ai promis.... Allons, Mytyl, allons!... + +GRAND-PAPA TYL + +Dieu, que les Vivants sont donc contrariants avec toutes leurs +affaires et leurs agitations!... + +TYLTYL, [prenant sa cage et embrassant tout le monde en hâte et à +la ronde.] + +Adieu, Bon-papa.... Adieu, Bonne-maman.... Adieu, frères, +sÅ“urs, Pierrot, Robert, Pauline, Madeleine, Riquette, et toi +aussi, Kiki! Je sens bien que nous ne pouvons plus rester ici.... +Ne pleure pas, Bonne-maman, nous reviendrons souvent.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Revenez tous les jours!... + +TYLTYL + +Oui, oui! nous reviendrons le plus souvent possible.... + +GRAND'MAMAN TYL + +C'est notre seule joie, et c'est une telle fête quand votre +pensée nous visite!... + +GRAND-PAPA TYL + +Nous n'avons pas d'autres distractions.... + +TYLTYL + +Vite, vite!... Ma cage!... Mon oiseau!... + +GRAND-PAPA TYL, lui passant la cage. + +Les voici!... Tu sais, je ne garantis rien; et s'il n'est pas bon +teint!... + +TYLTYL + +Adieu! adieu!... + +LES FRÈRES ET SÅ’URS TYL + +Adieu, Tyltyl!... Adieu, Mytyl!... Pensez au sucre d'orge!... +Adieu!... Revenez!... Revenez!... + + [Tous agitent des mouchoirs tandis que Tyltyl et Mytyl + s'éloignent lentement. Mais déjà , durant les dernières + répliques, le brouillard du début s'est graduellement + reformé, et le son des voix s'est affaibli, de manière qu'à + la fin de la scène, tout a disparu dans la brume et qu'au + moment où le rideau baisse, Tyltyl et Mytyl se retrouvent + seuls visibles sous le gros chêne.] + +TYLTYL + +C'est par ici, Mytyl.... + +MYTYL + +Où est la Lumière?... + +TYLTYL + +Je ne sais pas.... [Regardant l'oiseau dans la cage.] Tiens! +l'oiseau n'est plus bleu!... Il est devenu noir!... + +MYTYL + +Donne-moi la main, petit frère.... J'ai bien peur et bien +froid.... + +RIDEAU + + + + +ACTE TROISIÈME + + + + +QUATRIÈME TABLEAU + +LE PALAIS DE LA NUIT + + +Une vaste et prodigieuse salle d'une magnificence austère, +rigide, métallique et sépulcrale, donnant l'impression d'un +temple grec ou égyptien, dont les colonnes, les architraves, les +dalles, les ornements seraient de marbre noir, d'or et d'ébène. +La salle est en forme de trapèze. Des degrés de basalte, qui +occupent presque toute sa largeur, la divisent en trois plans +successifs qui s'élèvent graduellement vers le fond. A droite et +à gauche, entre les colonnes, des portes de bronze sombre. Au +fond, porte d'airain monumentale. Une lumière diffuse qui semble +émaner de l'éclat même du marbre et de l'ébène éclaire seule le +palais. + + * * * * * + + [Au lever du rideau, la Nuit, sous la figure d'une très + belle femme, couverte de longs vêtements noirs, est assise + sur les marches du second plan, entre deux enfants, dont + l'un, presque nu, comme l'Amour, sourit dans un profond + sommeil, tandis que l'autre se tient debout, immobile et + voilé des pieds à la tête.--Entre, à droite, au premier + plan, la Chatte.] + +LA NUIT + +Qui va là ?... + +LA CHATTE, [se laissant choir avec accablement sur les degrés de +marbre.] + +C'est moi, mère la Nuit.... Je n'en peux plus.... + +LA NUIT + +Qu'as-tu donc, mon enfant?... Tu es pâle, amaigrie et te voilà +crottée jusqu'aux moustaches.... Tu t'es encore battue dans les +gouttières, sous la neige et la pluie?... + +LA CHATTE + +Il est bien question de gouttières!... C'est de notre secret +qu'il s'agit!... C'est, le commencement de la fin!... J'ai pu +m'échapper un instant pour vous prévenir; mais je crains bien +qu'il n'y ait rien à faire.... + +LA NUIT + +Quoi?... Qu'est-il donc arrivé?... + +LA CHATTE + +Je vous ai déjà parlé du petit Tyltyl, le fils du bûcheron, et du +Diamant merveilleux.... Eh bien, il vient ici pour vous réclamer +l'Oiseau-Bleu.... + +LA NUIT + +Il ne le tient pas encore.... + +LA CHATTE + +Il le tiendra bientôt, si nous ne faisons pas quelque miracle.... +Voici ce qui se passe: la Lumière qui le guide et qui nous trahit +tous, car elle s'est mise entièrement du parti de l'Homme, la +Lumière vient d'apprendre que l'Oiseau-Bleu, le vrai, le seul qui +puisse vivre à la clarté du jour, se cache ici, parmi les oiseaux +bleus des songes qui se nourrissent des rayons de lune et meurent +dès qu'ils voient le soleil.... Elle sait qu'il lui est interdit +de franchir le seuil de votre palais; mais elle y envoie les +enfants; et comme vous ne pouvez pas empêcher l'Homme d'ouvrir +les portes de vos secrets, je ne sais trop comment tout cela +finira.... En tout cas, s'ils avaient le malheur de mettre la +main sur le véritable Oiseau-Bleu, nous n'aurions plus qu'à +disparaître.... + +LA NUIT + +Seigneur, Seigneur!... En quels temps vivons-nous! Je n'ai plus +une minute de repos.... Je ne comprends plus l'Homme, depuis +quelques années.... Où veut-il en venir?... Il faut donc qu'il +sache tout?... Il a déjà saisi le tiers de mes Mystères, toutes +mes Terreurs ont peur et n'osent plus sortir, mes Fantômes sont +en fuite, la plupart de mes Maladies ne se portent pas bien.... + +LA CHATTE + +Je sais, ma mère la Nuit, je sais, les temps sont durs, et nous +sommes presque seules à lutter contre l'Homme.... Mais je les +entends qui s'approchent.... Je ne vois qu'un moyen: comme ce +sont des enfants, il faut leur faire une telle peur qu'ils +n'oseront pas insister ni ouvrir la grande porte du fond, +derrière laquelle se trouvent les oiseaux de la Lune.... Les +secrets des autres cavernes suffiront à détourner leur attention +ou à les terrifier.... + +LA NUIT, [prêtant l'oreille à un bruit du dehors.] + +Qu'est-ce que j'entends?... Ils sont donc plusieurs? + +LA CHATTE + +Ce n'est rien; ce sont nos amis: le Pain et le Sucre; l'Eau est +indisposée et le Feu n'a pu venir, parce qu'il est parent de la +Lumière.... Il n'y a que le Chien qui ne soit pas pour nous; mais +il n'y a jamais moyen de l'écarter.... + + [Entrent timidement, à droite, au premier plan, Tyltyl, + Mytyl, le Pain, le Sucre et le Chien.] + +LA CHATTE, [se précipitant au-devant de Tyltyl.] + +Par ici, par ici, mon petit maître.... J'ai prévenu la Nuit qui +est enchantée de vous recevoir.... Il faut l'excuser, elle est un +peu souffrante; c'est pourquoi elle n'a pu aller au-devant de +vous.... + +TYLTYL + +Bonjour, madame la Nuit.... + +LA NUIT, [froissée.] + +Bonjour? Je ne connais pas ça.... Tu pourrais bien me dire: bonne +nuit, ou tout au moins: bonsoir.... + +TYLTYL, [mortifié.] + +Pardon, madame.... Je ne savais pas.... [Montrant du doigt les +deux enfants.] Ce sont vos deux petits garçons?... Ils sont bien +gentils.... + +LA NUIT + +Oui, voici le Sommeil.... + +TYLTYL + +Pourquoi qu'il est si gros?... + +LA NUIT + +C'est parce qu'il dort bien.... + +TYLTYL + +Et l'autre qui se cache?... Pourquoi qu'il se voile la figure?... +Est-ce qu'il est malade?... Comment c'est qu'il se nomme?... + +LA NUIT + +C'est la sÅ“ur du Sommeil.... Il vaut mieux ne pas la +nommer.... + +TYLTYL + +Pourquoi?... + +LA NUIT + +Parce que c'est un nom qu'on n'aime pas à entendre.... Mais +parlons d'autre chose.... La Chatte vient de me dire que vous +venez ici pour chercher l'Oiseau-Bleu?... + +TYLTYL + +Oui, madame, si vous le permettez.... Voulez-vous me dire où il +est?... + +LA NUIT + +Je n'en sais rien, mon petit ami.... Tout ce que je puis +affirmer, c'est qu'il n'est pas ici.... Je ne l'ai jamais vu.... + +TYLTYL + +Si, si.... La Lumière m'a dit qu'il est ici; et elle sait ce +qu'elle dit, la Lumière.... Voulez-vous me remettre vos clefs?... + +LA NUIT + +Mais, mon petit ami, tu comprends bien que je ne puis donner +ainsi mes clefs au premier venu.... J'ai la garde de tous les +secrets de la Nature, j'en suis responsable et il m'est +absolument défendu de les livrer à qui que ce soit, surtout à un +enfant.... + +TYLTYL + +Vous n'avez pas le droit de les refuser à l'Homme qui les +demande.... je le sais.... + +LA NUIT + +Qui te l'a dit?... + +TYLTYL + +La Lumière.... + +LA NUIT + +Encore la Lumière! et toujours la Lumière!... De quoi se +mêle-t-elle à la fin?... + +LE CHIEN + +Veux-tu que je les lui prenne de force, mon petit dieu?... + +TYLTYL + +Tais-toi, tiens-toi tranquille et tâche d'être poli.... [A la +Nuit.] Voyons, madame, donnez-moi vos clefs, s'il vous plaît.... + +LA NUIT + +As-tu le signe, au moins?... Où est-il?... + +TYLTYL, [touchant son chapeau.] + +Voyez le Diamant.... + +LA NUIT, [se résignant à l'inévitable.] + +Enfin.... Voici celle qui ouvre toutes les portes de la salle.... +Tant pis pour toi s'il t'arrive malheur.... Je ne réponds de +rien. + +LE PAIN, [fort inquiet.] + +Est-ce que c'est dangereux?... + +LA NUIT + +Dangereux?... C'est-à -dire que moi-même je ne sais trop comment +je pourrai m'en tirer, lorsque certaines de ces portes de bronze +s'ouvriront sur l'abîme.... Il y a là , tout autour de la salle, +dans chacune de ces cavernes de basalte, tous les maux, tous les +fléaux, toutes les maladies, toutes les épouvantes, toutes les +catastrophes, tous les mystères qui affligent la vie depuis le +commencement du monde.... J'ai eu assez de mal à les enfermer là +avec l'aide du Destin; et ce n'est pas sans peine, je vous +assure, que je maintiens un peu d'ordre parmi ces personnages +indisciplinés.... On voit ce qu'il arrive lorsque l'un d'eux +s'échappe et se montre sur terre.... + +LE PAIX + +Mon grand âge, mon expérience et mon dévouement font de moi le +protecteur naturel de ces deux enfants; c'est pourquoi, madame la +Nuit, permettez-moi de vous poser une question.... + +LA NUIT + +Faites.... + +LE PAIN + +En cas de danger, par où faut-il fuir?... + +LA NUIT + +Il n'y a pas moyen de fuir. + +TYLTYL, [prenant la clef et montant les premières marches.] + +Commençons par ici.... Qu'y a-t-il derrière cette porte de +bronze?... + +LA NUIT + +Je crois que ce sont les Fantômes.... Il y a bien longtemps que +je ne l'ai ouverte et qu'ils ne sont sortis.... + +TYLTYL, mettant la clef dans la serrure. + +Je vais voir.... [Au Pain] Avez-vous la cage de l'Oiseau-Bleu?... + +LE PAIN, claquant des dénis. + +Ce n'est pas que j'aie peur, mais ne croyez-vous pas qu'il serait +préférable de ne pas ouvrir et de regarder par le trou de la +serrure?... + +TYLTYL + +Je ne vous demande pas votre avis.... + +MYTYL, [se mettant à pleurer tout à coup.] + +J'ai peur!... Où est le Sucre?... Je veux rentrer à la +maison!... + +LE SUCRE, [empressé, obséquieux.] + +Ici, mademoiselle, je suis ici.... Ne pleurez pas, je vais couper +un de mes doigts pour vous offrir un sucre d'orge.... + +TYLTYL + +Finissons-en.... + + [Il tourne la clef et entr'ouvre prudemment la porte. + Aussitôt s'échappent cinq ou six Spectres de formes diverses + et étranges qui se répandent de tous cotés. Le Pain + épouvanté jette la cage et va se cacher au fond de la salle, + pendant que la Nuit, pourchassant les Spectres, crie à + Tyltyl:] + +LA NUIT + +Vite! vite!... Ferme la porte!... Ils s'échapperaient tous et +nous ne pourrions plus les rattraper!... Ils s'ennuient +là -dedans, depuis que l'Homme ne les prend plus au sérieux.... +[Elle pourchasse les Spectres en s'efforçant, à l'aide d'un fouet +formé de serpents, de les ramener vers la porte de leur prison.] + +Aidez-moi!... Par ici!... Par ici!... + +TYLTYL, [au Chien.] + +Aide-la, Tylô, vas-y donc!... + +LE CHIEN, [bondissant en aboyant.] + +Oui! oui! oui!... + +TYLTYL + +Et le Pain, où est-il?... + +LE PAIN, du fond de la salle. + +Ici.... Je suis près de la porte pour les empêcher de sortir.... + + [Comme un des Spectres s'avance de ce côté, il fuit à toutes + jambes, en poussant des hurlements d'épouvante.] + +LA NUIT, [à trois Spectres qu'elle a pris au collet.] + +Par ici, vous autres!... [A Tyltyl.] Rouvre un peu la porte.... +[Elle pousse les Spectres dans la caverne.] Là , ça va bien.... +[Le Chien en ramène deux autres.] Et encore ceux-ci.... Voyons, +vite, rangez-vous.... Vous savez bien que vous ne sortez plus +qu'à la Toussaint. + + [Elle referme la porte.] + +TYLTYL, [allant à une autre porte.] + +Qu'y a-t-il derrière celle-ci?... + +LA NUIT + +A quoi bon?... Je te l'ai déjà dit, l'Oiseau-Bleu n'est jamais +venu par ici.... Enfin, comme tu voudras.... Ouvre-la si ça te +fait plaisir.... Ce sont les Maladies.... + +TYLTYL, [la clef dans la serrure.] + +Est-ce qu'il faut prendre garde en ouvrant?... + +LA NUIT + +Non, ce n'est pas la peine.... Elles sont bien tranquilles, les +pauvres petites.... Elles ne sont pas heureuses.... L'Homme, +depuis quelque temps, leur fait une telle guerre!... Surtout +depuis la découverte des microbes.... Ouvre donc, tu verras.... + + [Tyltyl ouvre la porte toute grande. Rien ne paraît.] + +TYLTYL + +Elles ne sortent pas?... + +LA NUIT + +Je t'avais prévenu, presque toutes sont souffrantes et bien +découragées.... Les médecins ne sont pas gentils pour elles.... +Entre donc un instant, tu verras.... + + [Tyltyl entre dans la caverne et ressort aussitôt après.] + +TYLTYL + +L'Oiseau-Bleu n'y est pas.... Elles ont l'air bien malades, vos +Maladies.... Elles n'ont même pas levé la tête.... [Une petite +Maladie, en pantoufles, robe de chambre et bonnet de coton, +s'échappe de la caverne et se met à gambader dans la salle.] +Tiens!... Une petite qui s'évade!... Qu'est-ce que c'est?... + +LA NUIT + +Ce n'est rien, c'est la plus petite, c'est le Rhume de +cerveau.... C'est une de celles qu'on persécute le moins et qui +se portent le mieux.... [Appelant le Rhume de cerveau] Viens +ici, ma petite.... C'est trop tôt; il faut attendre le +printemps.... + + [Le Rhume de cerveau, éternuant, toussant et se mouchant, + rentre dans la caverne dont Tyltyl referme la porte.] + +TYLTYL, [allant à la porte voisine.] + +Voyons donc celle-ci.... Qu'est-ce que c'est?... + +LA NUIT + +Prends garde.... Ce sont les Guerres.... Elles sont plus +terribles et plus puissantes que jamais.... Dieu sait ce qui +arriverait si l'une d'elles s'échappait!... Heureusement, elles +sont assez obèses et manquent d'agilité.... Mais tenons-nous +prêts à repousser la porte tous ensemble, pendant que tu jetteras +un rapide coup d'Å“il dans la caverne.... + + [Tyltyl, avec mille précautions, entrebâille la porte de + manière qu'il n'y ait qu'une petite fente où il puisse + appliquer l'Å“il. Aussitôt, il s'arc-boute en criant:] + +TYLTYL + +Vite! vite!... Poussez donc!... Elles m'ont vu!... Elles viennent +toutes!... Elles ouvrent la porte!... + +LA NUIT + +Allons, tous!... Poussez ferme!... Voyons, le Pain, que +faites-vous?... Poussez tous!... Elles ont une force!... Ah! +voilà ! Ça y est.... Elles cèdent.... Il était temps!... As-tu +vu?... + +TYLTYL + +Oui, oui!... Elles sont énormes, épouvantables!... Je crois +qu'elles n'ont pas l'Oiseau-Bleu.... + +LA NUIT + +Bien sûr qu'elles ne l'ont point.... Elles le mangeraient tout de +suite.... Eh bien, en as-tu assez?... Tu vois bien qu'il n'y a +rien à faire.... + +TYLTYL + +Il faut que je voie tout.... La Lumière l'a dit.... + +LA NUIT + +La Lumière l'a dit.... C'est facile à dire quand on a peur et +qu'on reste chez soi.... + +TYLTYL + +Allons à la suivante.... Qu'est-ce?... + +LA NUIT + +Ici, j'enferme les Ténèbres et les Terreurs.... + +TYLTYL + +Est-ce qu'on peut ouvrir?... + +LA NUIT + +Parfaitement.... Elles sont assez tranquilles; c'est comme les +Maladies.... + +TYLTYL, [entr'ouvrant la porte avec une certaine méfiance et +risquant un regard dans la caverne.] + +Elles n'y sont pas.... + +LA NUIT, [regardant à son tour dans la caverne.] + +Eh bien, les Ténèbres, que faites-vous?... Sortez donc un +instant, ça vous fera du bien, ça vous dégourdira. Et les +Terreurs aussi.... Il n'y a rien à Craindre.... [Quelques +Ténèbres et quelques Terreurs, sous la figure de femmes +couvertes, les premières de voiles noirs, les dernières de voiles +verdâtres, risquent piteusement quelques pas hors de la caverne, +et, sur un geste qu'ébauche Tyltyl, rentrent précipitamment.] +Voyons, tenez-vous donc.... C'est un enfant, il ne vous fera pas +de mal.... [A Tyltyl]. Elles sont devenues extrêmement timides; +excepté les grandes, celles que tu vois au fond.... + +TYLTYL, [regardant vers le fond de la caverne.] + +Oh! qu'elles sont effrayantes!... + +LA NUIT + +Elles sont enchaînées.... Ce sont les seules qui n'aient pas peur +de l'Homme.... Mais referme la porte, de crainte qu'elles ne se +fâchent.... + +TYLTYL, [allant à la porte suivante.] + +Tiens!... Celle-ci est plus sombre.... Qu'est-ce que c'est?... + +LA NUIT + +Il y a plusieurs Mystères derrière celle-ci.... Si tu y tiens +absolument, tu peux l'ouvrir aussi.... Mais n'entre pas.... Sois +bien prudent, et puis préparons-nous à repousser la porte, comme +nous avons fait pour les Guerres.... + +TYLTYL, [entr'ouvrant avec des précautions inouïes, et passant +craintivement la tête dans l'entrebâillement.] + +Oh!... Quel froid!... Mes yeux cuisent!... Fermez vite!... +Poussez donc! On repousse!... [La Nuit, le Chien, la Chatte et le +Sucre repoussent la porte.] Oh! j'ai vu!... + +LA NUIT + +Quoi donc?... + +TYLTYL, [bouleversé.] + +Je ne sais pas, c'était épouvantable!... Ils étaient tous assis +comme des monstres sans yeux.... Quel était le géant qui voulait +me saisir?... + +LA NUIT + +C'est probablement le Silence; il a la garde de cette porte.... +Il paraît que c'était effrayant?... Tu en es encore tout pâle et +tout tremblant.... + +TYLTYL + +Oui, je n'aurais pas cru.... Je n'avais jamais vu.... Et j'ai les +mains gelées.... + +LA NUIT + +Ce sera bien pis tout à l'heure si tu continues.... + +TYLTYL, [allant à la porte suivante.] + +Et celle-ci?... Est-elle aussi terrible?... + +LA NUIT + +Non, il y a un peu de tout.... J'y mets les Étoiles sans emploi, +mes parfums personnels, quelques Lueurs qui m'appartiennent, tels +que feux-follets, vers luisants, lucioles; on y serre aussi la +Rosée, le Chant des Rossignols, etc.. + +TYLTYL + +Justement, les Étoiles, le Chant des Rossignols.... Ce doit être +celle-là . + +LA NUIT + +Ouvre-donc si tu veux; tout cela n'est pas bien méchant.... + + [Tyltyl ouvre la porte toute grande. Aussitôt les Étoiles, + sous la forme de belles jeunes filles voilées de lueurs + versicolores, s'échappent de leur prison, se répandent dans + la salle et forment sur les marches et autour des colonnes + de gracieuses rondes baignées d'une sorte de lumineuse + pénombre. Les Parfums de la Nuit, presque invisibles, les + Feux-follets, les Lucioles, la Rosée transparente se + joignent à elles, cependant que le Chant des Rossignols, + sortant à flots de la caverne, inonde le palais nocturne.] + +MYTYL, [ravie, battant des mains.] + +Oh! les jolies madames!... + +TYLTYL + +Et qu'elles dansent bien!... + +MYTYL + +Et qu'elles sentent bon!... + +TYLTYL + +Et qu'elles chantent bien!... + +MYTYL + +Qu'est-ce que c'est, ceux-là , qu'on ne voit presque pas?... + +LA NUIT + +Ce sont les Parfums de mon ombre.... + +TYLTYL + +Et les autres, là -bas, qui sont en verre filé?... + +LA NUIT + +C'est la Rosée des forêts et des plaines.... Mais en voilà +assez.... Ils n'en finiraient pas.... C'est le diable de les +faire rentrer une fois qu'ils se sont mis à danser.... [Frappant +dans ses mains.] Allons, vite, les Étoiles!... Ce n'est pas le +moment de danser.... Le ciel est couvert, il y a de gros +nuages.... Allons, vite, rentrez tous, sinon j'irai chercher un +rayon de soleil.... + + [Fuite épouvantée des Étoiles, Parfums, etc...., qui se + précipitent dans la caverne que l'on referme sur eux. En + même temps s'éteint le Chant des Rossignols.] + +TYLTYL, [allant à la porte du fond.] + +Voici la grande porte du milieu.... + +LA NUIT, gravement. + +N'ouvre pas celle-ci.... + +TYLTYL + +Pourquoi?... + +LA NUIT + +Parce que c'est défendu.... + +TYLTYL + +C'est donc là que se cache l'Oiseau-Bleu; la Lumière me l'a +dit.... + +LA NUIT, [maternelle.] + +Écoute-moi, mon enfant.... J'ai été bonne et complaisante.... +J'ai fait pour toi ce que je n'avais fait jusqu'ici pour +personne.... Je t'ai livré tous mes secrets.... Je t'aime bien, +j'ai pitié de ta jeunesse et de ton innocence et je te parle +comme une mère.... Écoute-moi et crois-moi, mon enfant, renonce, +ne va point plus avant, ne tente pas le Destin, n'ouvre pas cette +porte.... + +TYLTYL, [assez ébranlé.] + +Mais pourquoi?... + +LA NUIT + +Parce que je ne veux pas que tu te perdes.... Parce que nul de +ceux, entends-tu, nul de ceux qui l'ont entr'ouverte, ne fût-ce +que de l'épaisseur d'un cheveu, n'est revenu vivant à la lumière +du jour.... Parce que tout ce qu'on peut imaginer d'épouvantable, +parce que toutes les terreurs, toutes les horreurs dont on parle +sur terre, ne sont rien, comparées à la plus innocente de celles +qui assaillent un homme dès que son Å“il effleure les premières +menaces de l'abîme auquel personne n'ose donner un nom.... C'est +au point que moi-même, si tu t'obstines, malgré tout, à toucher +cette porte, je te demanderai d'attendre que je sois à l'abri +dans ma tour sans fenêtres.... Maintenant c'est à toi de savoir, +à toi de réfléchir.... + + [Mytyl, tout en larmes, pousse des cris de terreur + inarticulés et cherche à entraîner Tyltyl.] + +LE PAIN, [claquant des dents.] + +Ne le faites pas, mon petit maître!... [Se jetant à genoux.] Ayez +pitié de nous!... Je vous le demande à genoux.... Vous voyez que +la Nuit a raison.... + +LA CHATTE + +C'est notre vie à tous que vous sacrifiez.... + +TYLTYL + +Je dois l'ouvrir.... + +MYTYL, [trépignant parmi des sanglots.] + +Je ne veux pas!... Je ne veux pas!... + +TYLTYL + +Que le Sucre et le Pain prennent Mytyl par la main et se sauvent +avec elle.... Je vais ouvrir.... + +LA NUIT + +Sauve qui peut!... Venez vite!... Il est temps!... + + [Elle fuit.] + +LE PAIN, [fuyant éperdument.] + +Attendez au moins que nous soyons au bout de la salle!... + +LA CHATTE, [fuyant également.] + +Attendez!... attendez!... + +Ils se cachent derrière les colonnes à l'autre bout de la salle. +Tyltyl reste seul avec le Chien, près de la porte monumentale. + +LE CHIEN, [haletant et hoquetant d'épouvante contenue.] + +Moi, je reste, je reste.... Je n'ai pas peur.... Je reste!... Je +reste près de mon petit dieu.... Je reste!... Je reste.... + +TYLTYL, [caressant le Chien.] + +C'est bien, Tylô, c'est bien!... Embrasse-moi.... Nous sommes +deux.... Maintenant gare à nous!... [Il met la clef dans la +serrure. Un cri d'épouvante part de l'autre bout de la salle où +se sont réfugiés les fuyards. A peine la clef a-t-elle touché la +porte que les hauts ballants de celle-ci s'ouvrent par le milieu, +glissent latéralement et disparaissent, à droite et à gauche, +dans l'épaisseur des murs, découvrant tout à coup, irréel, +infini, ineffable, le plus inattendu des jardins de rêve et de +lumière nocturne, où, parmi les étoiles et les planètes, +illuminant tout ce qu'ils touchent, volant sans cesse de +pierreries en pierreries, de rayons de lune en rayons de lune, de +féeriques oiseaux bleus évoluent perpétuellement et +harmonieusement jusqu'aux confins de l'horizon, innombrables au +point qu'ils semblent être le souffle, l'atmosphère azurée, la +substance même du jardin merveilleux.--Tyltyl, ébloui, éperdu, +debout dans la lumière du jardin:] Oh!... le ciel!... [Se +tournant vers ceux qui oui fui.] Venez vite!... Ils sont là !... +C'est eux! c'est eux! c'est eux!...Nous les tenons enfin!... Des +milliers d'oiseaux bleus! Des millions!... Des milliards!... Il y +en aura trop!... Viens, Mytyl!... Viens, Tylô!... Venez tous!... +Aidez-moi!... [S'élançant parmi les oiseaux.] On les prend à +pleines mains!... Ils ne sont pas farouches!... Ils n'ont pas +peur de nous!... Par ici! par ici!... [Mytyl et les autres +accourent. Ils entrent tous dans le jardin éblouissant, hormis la +Nuit et la Chatte.] Vous voyez!... Ils sont trop!... Ils viennent +dans mes mains!... Regardez donc, ils mangent les rayons de la +lune!... Mytyl, où donc es-tu?... Il y a tant d'ailes bleues, +tant de plumes qui tombent qu'on n'y voit plus du tout!... Tylô! +ne les mord pas.... Ne leur fais pas de mal!... Prends-les très +doucement! + +MYTYL, [enveloppée d'oiseaux bleus.] + +J'en ai déjà pris sept!... Oh! qu'ils battent des ailes!... Je ne +puis les tenir!... + +TYLTYL + +Moi non plus!... J'en ai trop!... Ils s'échappent!... Ils +reviennent!... Tylô en a aussi!... Ils vont nous entraîner!... +nous porter dans le ciel!... Viens, sortons par ici!... La +Lumière nous attend!... Elle sera contente!... Par ici, par +ici!... + + [Ils s'évadent du jardin, les mains pleines d'oiseaux qui se + débattent, et, traversant toute la salle parmi l'affolement + des ailes azurées, sortent à droite, par où ils sont entrés, + suivis du Pain et du Sucre qui n'ont pas pris d'oiseaux. + --Restés seuls, la Nuit et la Chatte remontent vers le fond + et regardent anxieusement dans le jardin.] + +LA NUIT + +Ils ne l'ont pas?... + +LA CHATTE + +Non.... Je le vois là sur ce rayon de lune.... Ils n'ont pas pu +l'atteindre, il se tenait trop haut.... + + [Le rideau tombe. Aussitôt après, devant le rideau tombé, + entrent simultanément, à gauche la Lumière, à droite Tyltyl, + Mytyl et le Chien, accourant tout couverts des oiseaux + qu'ils viennent de capturer. Mais déjà ceux-ci paraissent + inanimés et, la tête pendante et les ailes brisées, ne sont + plus dans leurs mains que d'inertes dépouilles.] + +LA LUMIÈRE + +Eh bien, l'avez-vous-pris?... + +TYLTYL + +Oui, oui!... Tant qu'on voulait.... Il y en a des milliers!... +Les voici!... Les vois-tu!... [Regardant les oiseaux qu'il tend +vers la Lumière et s'apercevant qu'ils sont morts.] Tiens!... Ils +ne vivent plus.... Qu'est-ce qu'on leur a fait?... Les tiens +aussi, Mytyl?... Ceux de Tylô aussi. [Jetant avec colère les +cadavres d'oiseaux.] Ah! non, c'est trop vilain!... Qui est-ce +qui les a tués?... Je suis trop malheureux!... + + [Il se cache la tête sous le bras et paraît tout secoué de + sanglots.] + +LA LUMIÈRE, [le serrant maternellement dans ses bras.] + +Ne pleure pas, mon enfant.... Tu n'as pas pris celui qui peut +vivre en plein jour.... Il est allé ailleurs.... Nous le +retrouverons.... + +LE CHIEN, [regardant les oiseaux morts.] + +Est-ce qu'on peut les manger?... + + [Ils sortent tous à gauche.] + + + + +CINQUIÈME TABLEAU + +LA FORÊT + + +Une forêt.--Il fait nuit.--Clair de lune.--Vieux arbres de +diverses espèces, notamment: un chêne, un hêtre, un orme, un +peuplier, un sapin, un cyprès, un tilleur, un marronnier, etc. + + * * * * * + + [Entre la Chatte.] + +LA CHATTE, [saluant les arbres à la ronde.] + +Salut à tous les arbres!... + +MURMURE DES FEUILLAGES + +Salut!... + +LA CHATTE + +C'est un grand jour que ce jour-ci!... Notre ennemi vient +délivrer vos énergies et se livrer lui-même.... C'est Tyltyl, le +fils du bûcheron qui vous a fait tant de mal.... Il cherche +l'Oiseau-Bleu que vous cachez à l'Homme depuis le commencement du +monde, et qui sait seul notre secret.... [Murmure dans les +feuilles.] Vous dites?... Ah! c'est le Peuplier qui parle.... +Oui, il possède un Diamant qui a la vertu de délivrer un instant +nos esprits; il peut nous forcer à livrer l'Oiseau-Bleu, et nous +serons dès lors, définitivement, à la merci de l'Homme.... +[Murmure dans les feuilles.] Qui parle?... Tiens! c'est le +Chêne.... Comment allez-vous?... [Murmure dans les feuilles du +Chêne.] Toujours enrhumé?... La Réglisse ne vous soigne plus?... +Toujours les rhumatismes?... Croyez-moi, c'est à cause de la +mousse; vous en mettez trop sur vos pieds.... L'Oiseau-Bleu est +toujours chez vous?... [Murmures dans les feuilles du Chêne.] +Vous dites?... Oui, il n'y a pas à hésiter, il faut en profiter, +il faut qu'il disparaisse.... [Murmure dans les feuilles.] +Plaît-il?... Oui, il est avec sa petite sÅ“ur; il faut qu'elle +meure aussi.... [Murmure dans les feuilles.] Oui, le Chien les +accompagne; il n'y a pas moyen de l'éloigner.... [Murmure dans +les feuilles.] Vous dites?... Le corrompre?... Impossible.... +J'ai essayé de tout.... [Murmures parmi les feuilles.] Ah! c'est +toi, le Sapin?... Oui, prépare quatre planches.... Oui, il y a +encore le Feu, le Sucre, l'Eau, le Pain.... Ils sont tous avec +nous, excepté le Pain qui est assez douteux.... Seule la Lumière +est favorable à l'Homme; mais elle ne viendra pas.... J'ai fait +croire aux petits qu'ils devaient s'échapper en cachette pendant +qu'elle dormait.... L'occasion est unique.... [Murmure dans les +feuilles.] Tiens! c'est la voix du Hêtre!... Oui, vous avez +raison; il faut que l'on prévienne les Animaux.... Le Lapin +a-t-il son tambour?... Il est chez vous?... Bien, qu'il batte le +rappel, tout de suite.... Les voici!... + + [On entend s'éloigner les roulements de tambour du + Lapin.--Entrent Tyltyl, Mytyl et le Chien.] + +TYLTYL + +C'est ici?... + +LA CHATTE, [obséquieuse, doucereuse, empressé se précipitant +au-devant des enfants.] + +Ah! voilà , mon petit maître!... Que vous avez bonne mine et que +vous êtes joli, ce soir!... Je vous ai précédé pour annoncer +votre arrivée.... Tout va bien. Cette fois nous tenons +l'Oiseau-Bleu, j'en suis sûre.... Je viens d'envoyer le Lapin +battre le rappel afin de convoquer les principaux Animaux du +pays.... On les entend déjà dans le feuillage.... Écoutez!... Ils +sont un peu timides et n'osent approcher.... [Bruits d'animaux +divers, tels que vaches, porcs, chevaux, ânes, etc.--Bas à +Tyltyl, le prenant à part.] Mais pourquoi avez-vous amené le +Chien?... Je vous l'ai déjà dit, il est au plus mal avec tout le +monde, même avec les arbres.... Je crains bien que sa présence +odieuse ne fasse tout manquer.... + +TYLTYL + +Je n'ai pu m'en débarasser.... [Au Chien, la menaçant] Veux-tu +bien t'en aller, vilaine bête!... + +LE CHIEN + +Qui?... Moi!... Pourquoi?... Qu'est-ce que j'ai fait?... + +TYLTYL + +Je te dis de t'en aller!... On n'a que faire de toi, c'est bien +simple.... Tu nous embêtes à la fin!... + +LE CHIEN + +Je ne dirai rien.... Je suivrai de loin.... On ne me verra +pas.... Veux-tu que je fasse le beau?... + +LA CHATTE, [bas, à Tyltyl.] + +Vous tolérez pareille désobéissance?... Donnez-lui donc quelques +coups de bâton sur le nez, il est vraiment insupportable!... + +TYLTYL, [battant le Chien.] + +Voilà qui t'apprendra à obéir plus vite!... + +LE CHIEN, [hurlant.] + +Aïe! Aïe! Aïe!... + +TYLTYL + +Qu'en dis-tu?... + +LE CHIEN + +Il faut que je t'embrasse puisque tu m'as battu!... + +[Il embrasse et caresse violemment Tyltyl.] + +TYLTYL + +Voyons.... C'est, bien.... Ça suffit.... Va-t'en!... + +MYTYL + +Non, non; je veux qu'il reste.... J'ai peur de tout quand il +n'est pas là .... + +LE CHIEN, [bondissant et renversant presque Mytyl, qu'il accable +de caresses précipitées et enthousiastes.] + +Oh! la bonne petite fille!... Qu'elle est belle! Qu'elle est +bonne!... Qu'elle est belle, qu'elle est douce!... Il faut que je +l'embrasse! Encore! encore! encore!... + +LA CHATTE + +Quel idiot!... Ma foi, nous verrons bien.... Ne perdons pas de +temps.... Tournez le Diamant.... + +TYLTYL + +Où faut-il me placer? + +LA CHATTE + +Dans ce rayon de lune; vous y verrez plus clair.... Là ! tournez +doucement.... + + [Tyltyl tourne le Diamant; aussitôt, un long frémissement + agite les branches et les feuilles. Les troncs les plus + anciens et les plus imposants s'entr'ouvrent pour livrer + passage à l'âme que chacun d'eux renferme. L'aspect de ces + âmes diffère suivant l'aspect et le caractère de l'arbre + qu'elles représentent. Celle de l'Orme, par exemple, est une + sorte de gnome poussif, ventru, bourru; celle du Tilleul est + placide, familière, joviale: celle du Hêtre, élégante et + agile; celle du Bouleau, blanche, réservée, inquiète; celle + du Saule, rabougrie, échevelée, plaintive; celle du Sapin, + longue, efflanquée, taciturne; celle du Cyprès, tragique; + celle du Marronnier, prétentieuse, un peu snob; celle du + Peuplier, allègre, encombrante, bavarde. Les unes sortent + lentement de leur tronc, engourdies, s'étirant, comme après + une captivité ou un sommeil séculaire, les autres s'en + dégagent d'un bond, alertes, empressées, et toutes viennent + se ranger autour des deux enfants, tout en se tenant autant + que possible à proximité de l'arbre dont elles sont nées.] + +LE PEUPLIER, [accourant le premier et criant à tue-tête.] + +Des Hommes!... De petits Hommes!... On pourra leur parler!... +C'est fini le Silence!... C'est fini!... D'où viennent-ils?... +Qui est-ce?... Qui sont-ils?... [Au Tilleul qui s'avance en +fumant tranquillement sa pipe.] Les connais-tu, toi, père +Tilleul?... + +LE TILLEUL + +Je ne me rappelle pas les avoir vus.... + +LE PEUPLIER + +Mais si, voyons, mais si!... Tu connais tous les Hommes, tu es +toujours à te promener autour de leurs maisons.... + +LE TILLEUL, [examinant les enfants.] + +Mais non, je vous assure.... Je ne les connais pas.... Ils sont +encore trop jeunes.... Je ne connais bien que les amoureux qui +viennent me voir au clair de lune; ou les buveurs de bière qui +trinquent sous mes branches.... + +LE MARRONNIER, [pincé, ajustant son monocle.] + +Qu'est-ce que c'est que ça?... C'est des pauvres de la +campagne?... + +LE PEUPLIER + +Oh! vous, monsieur le Marronnier, depuis que vous ne fréquentez +plus que les boulevards des grandes villes.... + +LE SAULE, [s'avançant en sabots et geignard.] + +Mon Dieu, mon Dieu!... Ils viennent encore me couper la tête et +les bras pour en faire des fagots!... + +LE PEUPLIER + +Silence!... Voici le Chêne qui sort de son palais!... Il a l'air +bien souffrant ce soir.... Ne trouvez-vous pas qu'il +vieillit?... Quel âge peut-il avoir?... Le Sapin dit qu'il a +quatre mille ans; mais je suis sûre qu'il exagère.... Attention, +il va nous dire ce que c'est.... + + [Le Chêne s'avance lentement. Il est fabuleusement vieux, + couronné de gui et vêtu d'une longue robe verte brodée de + mousse et de lichen. Il est aveugle, sa barbe blanche flotte + au vent. Il s'appuie d'une main sur un bâton noueux et de + l'autre sur un jeune Chêneau qui lui sert de guide. + L'Oiseau-Bleu est perché sur son épaule. À son approche, + mouvement de respect parmi les arbres qui se rangent et + s'inclinent.] + +TYLTYL + +Il a l'Oiseau-Bleu!... Vite! vite!... Par ici!... +Donnez-le-moi!... + +LES ARBRES + +Silence!... + +LA CHATTE, [à Tyltyl.] + +Découvrez-vous, c'est le Chêne!... + +LE CHÊNE, [à Tyltyl.] + +Qui es-tu?... + +TYLTYL + +Tyltyl, monsieur.... Quand est-ce que je pourrai prendre +l'Oiseau-Bleu?... + +LE CHÊNE + +Tyltyl, le fils du bûcheron?... + +TYLTYL + +Oui, monsieur.... + +LE CHÊNE + +Ton père nous a fait bien du mal.... Dans ma seule famille il a +mis à mort six cents de mes fils, quatre cent soixante-quinze +oncles et tantes, douze cents cousins et cousines, trois cent +quatre-vingts brus et douze mille arrière-petits-fils!... + +TYLTYL + +Je ne sais pas, monsieur.... Il ne l'a pas fait exprès.... + +LE CHÊNE + +Que viens-tu faire ici, et pourquoi as-tu fait sortir nos âmes de +leurs demeures?... + +TYLTYL + +Monsieur, je vous demande pardon de vous avoir dérangé.... C'est +la Chatte qui m'a dit que vous alliez nous dire où se trouve +l'Oiseau-Bleu.... + +LE CHÊNE + +Oui, je sais, tu cherches l'Oiseau-Bleu, c'est-à -dire le grand +secret des choses et du bonheur, pour que les Hommes rendent plus +dur encore notre esclavage.... + +TYLTYL + +Mais non, monsieur; c'est pour la petite fille de la Fée Bérylune +qui est très malade.... + +LE CHÊNE, lui imposant silence. + +Il suffit!... Je n'entends pas les Animaux.... Où sont-ils?... +Tout ceci les intéresse autant que nous.... Il ne faut pas que +nous, les Arbres, assumions seuls la responsabilité des mesures +graves qui s'imposent.... Le jour où les Hommes apprendront que +nous avons fait ce que nous allons faire, il y aura d'horribles +représailles.... Il convient donc que notre accord soit unanime, +pour que notre silence le soit également.... + +LE SAPIN, [regardant par-dessus les autres arbres.] + +Les Animaux arrivent.... Ils suivent le Lapin.... Voici l'âme du +Cheval, du Taureau, du BÅ“uf, de la Vache, du Loup, du Mouton, +du Porc, du Coq, de la Chèvre, de l'Âne et de l'Ours.... + + [Entrée successive des âmes des Animaux qui, à mesure que + les énumère le Sapin, s'avancent et vont s'asseoir entre les + arbres, à l'exception de l'âme de la Chèvre qui vagabonde çà + et là , et de celle du Porc qui fouille les racines.] + +LE CHÊNE + +Tous sont-ils ici présents?... + +LE LAPIN + +La Poule ne pouvait pas abandonner ses Å“ufs, le Lièvre faisait +des courses, le Cerf a mal aux cornes, le Renard est +souffrant,--voici le certificat du médecin,--l'Oie n'a pas +compris et le Dindon s'est mis en colère.... + +LE CHÊNE + +Ces abstentions sont extrêmement regrettables.... Néanmoins, nous +sommes en nombre suffisant.... Vous savez, mes frères, de quoi +il est question. L'enfant que voici, grâce à un talisman dérobé +aux puissances de la Terre, peut s'emparer de notre Oiseau-Bleu, +et nous arracher ainsi le secret que nous gardons depuis +l'origine de la Vie.... Or, nous connaissons assez l'Homme pour +n'avoir aucun doute sur le sort qu'il nous réserve lorsqu'il se +trouvera en possession de ce secret. C'est pourquoi il me semble +que toute hésitation serait aussi stupide que criminelle.... +L'heure est grave; il faut que l'enfant disparaisse avant qu'il +soit trop tard.... + +TYLTYL + +Que dit-il?... + +LE CHIEN, [rôdant autour du Chêne en montrant ses crocs.] + +As-tu vu mes dents, vieux perclus?... + +LE HÊTRE, [indigné.] + +Il insulte le Chêne!... + +LE CHÊNE + +C'est le Chien?... Qu'on l'expulse! Il ne faut pas que nous +tolérions un traître parmi nous!... + +LA CHATTE, [bas, à Tyltyl.] + +Éloignez le Chien.... C'est un malentendu.... Laissez-moi faire, +j'arrangerai les choses.... Mais éloignez-le au plus vite.... + +TYLTYL, [au Chien.] + +Veux-tu t'en aller!... + +LE CHIEN + +Laisse-moi donc lui déchirer ses pantoufles de mousse à ce vieux +goutteux-là !... On va rire!... + +TYLTYL + +Tais-toi donc!... Et va-t'en!... Mais va-t'en, vilaine bête!... + +LE CHIEN + +Bon, bon, on s'en ira.... Je reviendrai quand tu auras besoin de +moi.... + +LA CHATTE, [bas, à Tyltyl.] + +Il serait plus prudent de l'enchaîner, sinon il fera des bêtises; +les Arbres se fâcheront, et tout cela finira mal.... + +TYLTYL + +Comment faire?... J'ai égaré sa laisse.... + +LA CHATTE + +Voici tout juste le Lierre qui s'avance avec de solides liens.... + +LE CHIEN, grondant. + +Je reviendrai, je reviendrai!... Podagre! bronchiteux!... Tas de +vieux rabougris, tas de vieilles racines!...C'est la Chatte qui +mène tout!... Je lui revaudrai ça!... Qu'as-tu donc à chuchoter +ainsi, Judas, Tigre, Bazaine!... Wa, wa! wa!... + +LA CHATTE + +Vous voyez, il insulte tout le monde.... + +TYLTYL + +C'est vrai, il est insupportable et l'on ne s'entend plus.... +Monsieur le Lierre, voulez-vous l'enchaîner?... + +LE LIERRE, [s'approchant assez craintivement du Chien.] + +Il ne mordra pas?... + +LE CHIEN, [grondant.] + +Au contraire! au contraire!... Il va bien t'embrasser!... +Attends, tu vas voir ça!... Approche, approche donc, tas de +vieilles ficelles!... + +TYLTYL, [le menaçant du bâton.] + +Tylô!... + +LE CHIEN, [rampant aux pieds de Tyltyl en agitant la queue.] + +Que faut-il faire, mon petit dieu?... + +TYLTYL + +Te coucher, à plat ventre!... Obéis au Lierre.... Laisse-toi +garotter, sinon.... + +LE CHIEN, [grondant entre les dents pendant que le Lierre le +garotte.] + +Ficelle!... Corde à pendus!... Laisse à veaux!... Chaîne à +porcs!... Mon petit dieu, regarde.... Il me tord les pattes.... +Il m'étrangle!... + +TYLTYL + +Tant pis!... Tu l'as voulu!... Tais-toi, tiens-toi tranquille, tu +es insupportable!... + +LE CHIEN + +C'est égal, tu as tort.... Ils ont de vilaines intentions.... Mon +petit dieu, prends garde!... Il me ferme la bouche!... Je ne peux +plus parler!... + +LE LIERRE, [qui a ficelé le Chien comme un paquet.] + +Où faut-il le porter?... Je l'ai bien bâillonné.... il ne souffle +plus mot.... + +LE CHÊNE + +Qu'on l'attache solidement là -bas, derrière mon tronc, à ma +grosse racine.... Nous verrons ensuite ce qu'il convient d'en +faire.... [Le Lierre aidé du Peuplier porte le Chien derrière le +tronc du Chêne] Est-ce fait?... Bien, maintenant que nous voilà +débarrassés de ce témoin gênant et de ce renégat, délibérons +selon notre justice et notre vérité.... Mon émotion, je ne vous +le cache point, est profonde et pénible.... C'est la première +fois qu'il nous est donné de juger l'Homme et de lui faire sentir +notre puissance.... Je ne crois pas qu'après le mal qu'il nous a +fait, après les monstrueuses injustices que nous avons subies, il +reste le moindre doute sur la sentence qui l'attend.... + +TOUS LES ARBRES et TOUS LES ANIMAUX + +Non! Non! Non!... Pas de doute!... La pendaison!... La mort!... +Il y a trop d'injustice!... Il a trop abusé!... Il y a trop +longtemps!... Qu'on l'écrase! Qu'on le mange!... Tout de +suite!... Tout de suite!... + +TYLTYL, [à la Chatte.] + +Qu'ont-ils donc?... Ils ne sont pas contents?... + +LA CHATTE + +Ne vous inquiétez pas.... Ils sont un peu fâchés à cause que le +Printemps est en retard.... Laissez-moi faire, j'arrangerai tout +ça.... + +LE CHÊNE + +Cette unanimité était inévitable.... Il s'agit à présent de +savoir, pour éviter les représailles, quel genre de supplice sera +le plus pratique, le plus commode, le plus expéditif et le plus +sûr; celui qui laissera le moins de traces accusatrices lorsque +les Hommes retrouveront les petits corps dans la forêt.... + +TYLTYL + +Qu'est-ce que c'est que tout ça?... Où veut-il en venir?... Je +commence à en avoir assez.... Puisqu'il a l'Oiseau-Bleu, qu'il le +donne.... + +LE TAUREAU, [s'avançant.] + +Le plus pratique et le plus sûr, c'est un bon coup de corne au +creux de l'estomac.--Voulez-vous que je fonce?... + +LE CHÊNE + +Qui parle ainsi?... + +LA CHATTE + +C'est le Taureau. + +LA VACHE + +Il ferait mieux de se tenir tranquille.... Moi, je ne m'en mêle +pas.... J'ai à brouter toute l'herbe de la prairie qu'on voit +là -bas, dans le bleu de la lune.... J'ai trop à faire.... + +LE BÅ’UF + +Moi aussi. D'ailleurs, j'approuve tout d'avance.... + +LE HÊTRE + +Moi, j'offre ma plus haute branche pour les pendre.... + +LE LIERRE + +Et moi le nÅ“ud coulant.... + +LE SAPIN + +Et moi les quatre planches pour la petite boîte.... + +LE CYPRÈS + +Et moi la concession à perpétuité.... + +LE SAULE + +Le plus simple serait de les noyer dans une de mes rivières.... +Je m'en charge.... + +LE TILLEUL, [conciliant.] + +Voyons, voyons.... Est-il bien nécessaire d'en venir à ces +extrémités? Ils sont encore bien jeunes.... On pourrait tout +bonnement les empêcher de nuire en les retenant prisonniers dans +un clos que je me charge de construire en me plantant tout +autour.... + +LE CHÊNE + +Qui parle ainsi?... Je crois reconnaître la voix mielleuse du +Tilleul.... + +LE SAPIN + +En effet.... + +LE CHÊNE + +Il y a donc un renégat parmi nous, comme parmi les Animaux?... +Jusqu'ici, nous n'avions à déplorer que la défection des Arbres +fruitiers; mais ceux-ci ne sont pas de véritables Arbres.... + +LE PORC, [roulant de petits yeux gloutons.] + +Moi, je pense qu'il faut d'abord manger la petite fille.... Elle +doit être bien tendre.... + +TYLTYL + +Que dit-il celui-là ?... Attends un peu, espèce de.... + +LA CHATTE + +Je ne sais ce qu'ils ont; mais cela prend mauvaise tournure.... + +LE CHÊNE + +Silence!... Il s'agit de savoir qui de nous aura l'honneur de +porter le premier coup; qui écartera de nos cimes le plus grand +danger que nous ayons couru depuis la naissance de l'Homme.... + +LE SAPIN + +C'est à vous, notre roi et notre patriarche, que revient cet +honneur.... + +LE CHÊNE + +C'est le Sapin qui parle?... Hélas! je suis trop vieux! Je suis +aveugle, infirme, et mes bras engourdis ne m'obéissent plus.... +Non, c'est à vous, mon frère, toujours vert, toujours droit, +c'est à vous, qui vîtes naître la plupart de ces Arbres, +qu'échoit, à mon défaut, la gloire du noble geste de notre +délivrance.... + +LE SAPIN + +Je vous remercie, mon vénérable père.... Mais comme j'aurai déjà +l'honneur d'ensevelir les deux victimes, je craindrais d'éveiller +la juste jalousie de mes collègues; et je crois qu'après nous, le +plus ancien et le plus digne, celui qui possède la meilleure +massue, c'est le Hêtre.... + +LE HÊTRE + +Vous savez que je suis vermoulu et que ma massue n'est point +sûre.... Mais l'Orme et le Cyprès ont de puissantes armes.... + +L'ORME + +Je ne demanderais pas mieux; mais je puis à peine me tenir +debout.... Une taupe, cette nuit, m'a retourné le gros orteil.... + +LE CYPRÈS + +Quant à moi, je suis prêt.... Mais, comme mon bon frère le Sapin, +j'aurai déjà , sinon le privilège de les ensevelir, tout au moins +l'avantage de pleurer sur leur tombe.... Ce serait illégitimement +cumuler.... Demandez au Peuplier.... + +LE PEUPLIER + +A moi?... Y pensez-vous?... Mais mon bois est plus tendre que la +chair d'un enfant!... Et puis, je ne sais ce que j'ai.... Je +tremble de fièvre.... Regardez donc mes feuilles.... J'ai dû +prendre froid ce matin au lever du soleil.... + +LE CHÊNE, [éclatant d'indignation.] + +Vous avez peur de l'Homme!... Même ces petits enfants isolés et +sans armes vous inspirent la terreur mystérieuse qui fit toujours +de nous les esclaves que nous sommes!... Eh bien, non! C'est +assez!... Puisqu'il en est ainsi, puisque l'heure est unique, +j'irai seul, vieux, perclus, tremblant, aveugle, contre l'ennemi +héréditaire!... Où est-il?... + + [Tâtonnant de son bâton, il s'avance vers Tyltyl.] + +TYLTYL, [tirant son couteau de sa poche.] + +C'est à moi qu'il en a, ce vieux-là , avec son gros bâton?... + + [Tous les autres Arbres, poussant un cri d'épouvante à la + vue du couteau, l'arme mystérieuse et irrésistible de + l'Homme, s'interposent et retiennent le Chêne.] + +LES ARBRES + +Le couteau!... Prenez garde!.... Le couteau!... + +LE CHÊNE, se débattant. + +Laissez-moi!... Que m'importe!... Le couteau ou la hache!... Qui +me retient?... Quoi! vous êtes tous ici?... Quoi! vous tous vous +voulez?... [Jetant son bâton] Eh bien, soit!... Honte à nous!... +Que les Animaux nous délivrent!... + +LE TAUREAU + +C'est cela!... Je m'en charge!... Et d'un seul coup de corne!... + +LE BÅ’UF et LA VACHE, [le retenant par la queue.] + +De quoi te mêles-tu?...Ne fais pas de bêtises!... C'est une +mauvaise affaire!... Cela finira mal.... C'est nous qui +trinquerons.... Laisse donc.... C'est affaire aux Animaux +sauvages.... + +LE TAUREAU + +Non, non!... C'est mon affaire!... Attendez!... Mais retenez-moi +donc ou je fais un malheur!... + +TYLTYL, [à Mytyl qui pousse des cris aigus.] + +N'aie pas peur!... Mets-toi derrière moi.... J'ai mon couteau.... + +LE COQ + +C'est qu'il est crâne, le petit!... + +TYLTYL + +Alors, c'est décidé, c'est à moi qu'on en veut?... + +L'ÂNE + +Mais bien sûr, mon petit, tu y a mis le temps, à t'en +apercevoir!... + +LE PORC + +Tu peux faire ta prière, va, c'est ta dernière heure. Mais ne +cache pas la petite fille.... Je veux m'en régaler les yeux.... +C'est elle que je mangerai la première.... + +TYLTYL + +Qu'est-ce que je vous ai fait?... + +LE MOUTON + +Rien du tout, mon petit.... Mangé mon petit frère, mes deux +sÅ“urs, mes trois oncles, ma tante, bon-papa, bonne-maman.... +Attends, attends, quand tu seras par terre, tu verras que j'ai +des dents aussi.... + +L'ÂNE + +Et que j'ai des sabots!... + +LE CHEVAL, [piaffant fièrement.] + +Vous allez voir ce que vous allez voir!... Aimez-vous mieux que +je le déchire à belles dents ou que je vous l'abatte à coups de +pied?... [Il s'avance magnifiquement sur Tyltyl qui lui fait face +en levant son couteau. Tout à coup, le Cheval, pris de panique, +tourne le dos et fuit à toutes jambes.] Ah! mais non!... Ce n'est +pas juste!... Ce n'est pas de jeu!... Il se défend!... + +LE COQ, [ne pouvant cacher son admiration.] + +C'est égal, le petit n'a pas froid aux yeux!... + +LE PORC, [à l'Ours et au Loup.] + +Précipitons-nous tous ensemble.... Je vous soutiendrai par +derrière.... Nous les renverserons et nous nous partagerons la +petite fille quand elle sera par terre.... + +LE LOUP + +Amusez-les par là .... Je vais faire un mouvement tournant.... + + [Il tourne Tyltyl qu'il attaque par derrière et renverse à demi.] + +TYLTYL + +Judas!... [Il se redresse sur un genou, brandissant son couteau +et couvrant de son mieux sa petite sÅ“ur qui pousse des +hurlements de détresse.--Le voyant à demi renversé, tous les +Animaux et les Arbres se rapprochent et cherchent à lui porter +des coups. L'obscurité se fait subitement. Éperdument, Tyltyl +appelle à l'aide.] A moi! A moi!... Tylô! Tylô!... Où est la +Chatte?... Tylô!... Tylette! Tylette!... Venez! venez!... + +LA CHATTE, [hypocritement, à l'écart.] + +Je ne peux pas.... Je viens de me fouler la patte.... + +TYLTYL, [parant les coups et se défendant de son mieux.] + +A moi!... Tylô! Tylô!... Je ne peux plus!... Ils sont trop!... +L'Ours! le Cochon! le Loup! l'Âne! le Sapin! le Hêtre!... Tylô! +Tylô! Tylô!... + + [Traînant ses liens brisés, le Chien bondit de derrière le + tronc du Chêne et, bousculant Arbres et Animaux, se jette + devant Tyltyl qu'il détend avec rage.] + +LE CHIEN, [tout en distribuant d'énormes coups de dent.] + +Voilà ! voilà ! mon petit dieu!... N'aie pas peur! Allons-y!... +J'ai de bons coups de gueule!... Tiens, voilà pour toi, l'Ours, +là dans ton gros derrière!...Voyons, qui en veut encore?... Voilà +pour le Cochon, et ça pour le Cheval et la queue du Taureau! +Voilà ! j'ai déchiré la culotte du Hêtre et le jupon du Chêne!... +Le Sapin f.... le camp!... C'est égal, il fait chaud!... + +TYLTYL, [accablé.] + +Je n'en peux plus!... Le Cyprès m'a donné un grand coup sur la +tête.... + +LE CHIEN + +Aïe! c'est un coup du Saule!... Il m'a cassé la patte!... + +TYLTYL + +Ils reviennent à la charge! Tous ensemble!... Cette fois, c'est +le Loup!... + +LE CHIEN + +Attends, que je l'étrenne!... + +LE LOUP + +Imbécile!... Notre frère!... Ses parents ont noyé tes petits!... + +LE CHIEN + +Ils ont bien fait!... Tant mieux!... C'est qu'ils te +ressemblaient!... + +TOUS LES ARBRES et TOUS LES ANIMAUX + +Renégat!... Idiot!... Traître! Félon! Nigaud!... Judas!... +Laisse-le! C'est la mort! Viens à nous! + +LE CHIEN, [ivre d'ardeur et de dévouement.] + +Non! non!... Seul contre tous!... Non, non!... Fidèle aux dieux! +aux meilleurs! aux plus grands!... [À Tyltyl.]Prends garde, voici +l'Ours!... Méfie-toi du Taureau.... Je vais lui sauter à la +gorge.... Aïe!... C'est un coup de pied.... L'Âne m'a cassé deux +dents.... + +TYLTYL + +Je ne peux plus, Tylô!... Aïe!... C'est un coup de l'Orme.... +Regarde, ma main saigne.... C'est le Loup ou le Porc.... + +LE CHIEN + +Attends, mon petit dieu.... Laisse-moi t'embrasser. Là , un bon +coup de langue.... Ça te fera du bien.... Reste bien derrière +moi.... Ils n'osent plus approcher.... Si!... Les voilà qui +reviennent!... Ah! ce coup, c'est sérieux!... Tenons ferme!... + +TYLTYL, [se laissant tomber sur le sol.] + +Non, ce n'est plus possible.... + +LE CHIEN + +On vient!... J'entends, je flaire!... + +TYLTYL + +Où donc?... Qui donc?... + +LE CHIEN + +Là ! là !... C'est la Lumière!... Elle nous a retrouvés!... +Sauvés, mon petit roi!... Embrasse-moi!... Sauvés!... regarde!... +Ils se méfient!... Ils s'écartent!... Ils ont peur!... + +TYLTYL + +La Lumière!... La Lumière!... Venez donc!... Hâtez-vous!... Ils +se sont révoltés!... Ils sont tous contre nous!... + + [Entre la Lumière: à mesure qu'elle s'avance, l'Aurore se + lève sur la forêt qui s'éclaire.] + +LA LUMIÈRE + +Qu'est-ce donc?... Qu'y a-t-il?...Mais, malheureux! tu ne savais +donc pas!... Tourne le Diamant! Ils rentreront dans le Silence et +dans l'Obscurité; et tu ne verras plus leurs sentiments.... + + [Tyltyl tourne le Diamant.--Aussitôt les âmes de tous les + Arbres se précipitent dans les troncs qui se referment. + --Les âmes des Animaux disparaissent également; et l'on + voit, au loin, brouter une Vache et un Mouton paisibles, + etc.--La Forêt redevient innocente. Étonné, Tyltyl regarde + autour de soi.] + +TYLTYL + +Où sont-ils?... Qu'avaient-ils?... Est-ce qu'ils étaient +fous?... + +LA LUMIÈRE + +Mais non, ils sont toujours ainsi; mais on ne le sait pas parce +qu'on ne le voit pas.... Je te l'avais bien dit: il est dangereux +de les réveiller quand je ne suis pas là .... + +TYLTYL, [essuyant son couteau.] + +C'est égal; sans le Chien et si je n'avais pas eu mon couteau.... +Je n'aurais jamais cru qu'ils fussent si méchants!... + +LA LUMIÈRE + +Tu vois bien que l'Homme est tout seul contre tous, en ce +monde.... + +LE CHIEN + +Tu n'as pas trop de mal, mon petit dieu?... + +TYLTYL + +Rien de grave.... Quant à Mytyl, ils ne l'ont pas touchée.... +Mais toi, mon bon Tylô?... Tu as la bouche en sang, et ta patte +est cassée?... + +LE CHIEN + +Pas la peine d'en parler.... Demain, il n'y paraîtra plus.... +Mais l'affaire était chaude!... + +LA CHATTE, [sortant d'un fourré en boitant.] + +Je crois bien!... Le BÅ“uf m'a donné un coup de corne dans le +ventre.... On n'en voit pas la trace, mais il me fait bien +mal.... Et le Chêne m'a cassé la patte.... + +LE CHIEN + +J'aimerais bien savoir laquelle.... + +MYTYL, caressant la Chatte. + +Ma pauvre Tylette, est-ce vrai?... Où donc te trouvais-tu?... Je +ne t'ai pas aperçue.... + +LA CHATTE, [hypocritement.] + +Petite mère, j'ai été blessée tout de suite, en attaquant le +vilain Porc qui voulait te manger.... C'est alors que le Chêne +m'a donné ce grand coup qui m'a étourdie.... + +LE CHIEN, [à la Chatte, entre les dents.] + +Toi, tu sais, j'ai deux mots à te dire.... Tu ne perdras rien +pour attendre!... + +LA CHATTE, [plaintivement, à Mytyl.] + +Petite mère, il m'insulte.... Il veut me faire du mal.... + +MYTYL, [au Chien.] + +Veux-tu bien la laisser tranquille, vilaine bête.... + +Ils sortent tous. + +RIDEAU + + + + +ACTE QUATRIÈME + + + + +SIXIÈME TABLEAU + +DEVANT LE RIDEAU + + * * * * * + + [Entrent Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Chien, le Chat, le + Pain, le Feu, le Sucre, l'Eau et le Lait.] + +LA LUMIÈRE + +J'ai reçu un petit mot de la Fée Bérylune qui m'apprend que +l'Oiseau-Bleu se trouve probablement ici.... + +TYLTYL + +Où ça?... + +LA LUMIÈRE + +Ici, dans le cimetière qui est derrière ce mur.... Il paraît +qu'un des morts de ce cimetière le cache dans la tombe.... Reste +à savoir lequel.... Il faudra qu'on les passe en revue.... + +TYLTYL + +En revue?... Comment qu'on fera?... + +LA LUMIÈRE + +C'est bien simple: à minuit, pour ne pas trop les déranger, tu +tourneras le Diamant. On les verra sortir de terre; ou bien on +apercevra au fond de leurs tombes ceux qui ne sortent pas.... + +TYLTYL + +Ils ne seront pas fâchés?... + +LA LUMIÈRE + +Nullement, ils ne s'en douteront même pas.... Ils n'aiment pas +qu'on les dérange; mais comme de toutes façons ils ont coutume de +sortir à minuit, cela ne les gênera pas.... + +TYLTYL + +Pourquoi que le Pain, le Sucre et le Lait sont si pâles et +pourquoi qu'ils ne disent rien?... + +LE LAIT, [chancelant.] + +Je sens que je vais tourner.... + +LA LUMIÈRE, [bas, à Tyltyl.] + +Ne fais pas attention.... Ils ont peur des morts.. + +LE FEU, [gambadant.] + +Moi, je n'en ai pas peur!... J'ai l'habitude de les brûler.... +Dans les temps, je les brûlais tous; c'était bien plus amusant +qu'aujourd'hui.... + +TYLTYL + +Et pourquoi Tylô tremble-t-il?... Est-ce qu'il a peur aussi? + +LE CHIEN, [claquant des dents.] + +Moi?... Je ne tremble pas!... Moi, je n'ai jamais peur; mais si +tu t'en allais, je m'en irais aussi.... + +TYLTYL + +Et la Chatte ne dit rien?... + +LA CHATTE, [mystérieuse.] + +Je sais ce que c'est.... + +TYLTYL, [à la Lumière.] + +Tu viendras avec nous?... + +LA LUMIÈRE + +Non, il est préférable que je reste à la porte du cimetière avec +les Choses et les Animaux.... L'heure n'est pas venue.... La +Lumière ne peut pas encore pénétrer chez les morts.... Je vais te +laisser seul avec Mytyl.... + +TYLTYL + +Et Tylô ne peut pas rester avec-nous?... + +LE CHIEN + +Si, si, je reste, je reste ici.... Je veux rester près de mon +petit dieu!... + +LA LUMIÈRE + +C'est impossible.... L'ordre de la Fée est formel; du reste, il +n'y a rien à craindre.... + +LE CHIEN + +Bien, bien, tant pis.... S'ils sont méchants, mon petit dieu, tu +n'as qu'à faire comme ça [il siffle.] et tu verras.... Ce sera +comme dans la forêt: Wa! Wa! Wa!... + +LA LUMIÈRE + +Allons, adieu, mes chers petits.... Je ne serai pas loin.... +[Elle embrasse les enfants.] Ceux qui m'aiment et que j'aime me +retrouvent toujours.... [Aux Choses et aux Animaux.] Vous +autres.... par ici. + + [Elle sort avec les Choses et les Animaux. Les enfants + restent seuls au milieu de la scène. Le rideau s'ouvre pour + découvrir le septième tableau.] + + + + + +SEPTIÈME TABLEAU + +LE CIMETIÈRE + + +Il fait nuit. Clair de lune. Un cimetière de campagne. +Nombreuses tombes, tertres de gazon, croix de bois, +dalles funéraires, etc. + + * * * * * + + [Tyltyl et Mytyl sont debout près d'un cippe.] + +MYTYL + +J'ai peur. + +TYLTYL, [assez peu rassuré.] + +Moi, je n'ai jamais peur.... + +MYTYL + +C'est méchant, les morts, dis?.. + +TYLTYL + +Mais non, puisqu'ils ne vivent pas.... + +MYTYL + +Tu en as déjà vu?... + +TYLTYL + +Oui, une fois, dans le temps, lorsque j'étais très jeune.... + +MYTYL + +Comment c'est fait, dis?... + +TYLTYL + +C'est tout blanc, très tranquille et très froid, et ça ne parle +pas.... + +MYTYL + +Nous allons les voir, dis?... + +TYLTYL + +Bien sûr, puisque la Lumière l'a promis.... + +MYTYL + +Où c'est qu'ils sont, les morts?... + +TYLTYL + +Ici, sous le gazon ou sous ces grosses pierres. + +MYTYL + +Ils sont là toute l'année?... + +TYLTYL + +Oui. + +MYTYL, [montrant les dalles.] + +C'est les portes de leurs maisons?... + +TYLTYL + +Oui. + +MYTYL + +Est-ce qu'ils sortent quand il fait beau?... + +TYLTYL + +Ils ne peuvent sortir qu'à la nuit.... + +MYTYL + +Pourquoi?... + +TYLTYL + +Parce qu'ils sont en chemise.... + +MYTYL + +Est-ce qu'ils sortent aussi quand il pleut?. + +TYLTYL + +Quand il pleut, ils restent chez eux.... + +MYTYL + +C'est beau chez eux, dis?... + +TYLTYL + +On dit que c'est fort étroit.... + +MYTYL + +Est-ce qu'ils ont des petits enfants?... + +TYLTYL + +Bien sûr; ils ont tous ceux qui meurent.... + +MYTYL + +Et de quoi vivent-ils?... + +TYLTYL + +Ils mangent des racines.... + +MYTYL + +Est-ce que nous les verrons?... + +TYLTYL + +Bien sûr, puisqu'on voit tout quand le Diamant est tourné. + +MYTYL + +Et qu'est-ce qu'ils diront?... + +TYLTYL + +Ils ne diront rien, puisqu'ils ne parlent pas.... + +MYTYL + +Pourquoi qu'ils ne parlent pas?... + +TYLTYL + +Parce qu'ils n'ont rien à dire.... + +MYTYL + +Pourquoi qu'ils n'ont rien à dire?... + +TYLTYL + +Tu m'embêtes.... + + [Un silence.] + +MYTYL + +Quand tourneras-tu le Diamant?... + +TYLTYL + +Tu sais bien que la Lumière a dit d'attendre à minuit, parce +qu'alors on les dérange moins.... + +MYTYL + +Pourquoi qu'on les dérange moins?... + +TYLTYL + +Parce que c'est l'heure où ils sortent prendre l'air. + +MYTYL + +Il n'est pas minuit?... + +TYLTYL + +Vois-tu le cadran de l'église?... + +MYTYL + +Oui, je vois même la petite aiguille.... + +TYLTYL + +Et bien! minuit va sonner.... Là !... Tout juste.... +Entends-tu?... + +On entend sonner les douze coups de minuit. + +MYTYL + +Je veux m'en aller!... + +TYLTYL + +Ce n'est pas le moment.... Je vais tourner le Diamant.... + +MYTYL + +Non, non!... Ne le fais pas!... Je veux m'en aller!... J'ai si +peur, petit frère!... J'ai terriblement peur!... + +TYLTYL + +Mais il n'y a pas de danger.... + +MYTYL + +Je ne veux pas voir les morts!... Je ne veux pas les voir!... + +TYLTYL + +C'est bon, tu ne les verras pas, tu fermeras les yeux.... + +MYTYL, [s'accrochant aux vêtements de Tyltyl.] + +Tyltyl, je ne peux pas!... Non, ce n'est pas possible!... Ils +vont sortir de terre!... + +TYLTYL + +Ne tremble pas ainsi.... Ils ne sortiront qu'un moment.... + +MYTYL + +Mais tu trembles aussi, toi!... Ils seront effrayants!... + +TYLTYL + +Il est temps, l'heure passe.... + + [Tyltyl tourne le Diamant. Une terrifiante minute de silence + et d'immobilité; après quoi, lentement, les croix + chancellent, les tertres s'entr'ouvrent, les dalles se + soulèvent.] + +MYTYL, [se blottissant contre Tyltyl.] + +Ils sortent!... Ils sont là !... + + [Alors, de toutes les tombes béantes monte graduellement une + floraison d'abord grêle et timide comme une vapeur d'eau, + puis blanche et virginale et de plus en plus touffue, de + plus en plus haute, surabondante et merveilleuse, qui peu à + peu, irrésistiblement, envahissant toutes choses, transforme + le cimetière en une sorte de jardin féerique et nuptial, sur + lequel ne tardent pas à se lever les premiers rayons de + l'aube. La rosée scintille, les fleurs s'épanouissent, le + vent murmure dans les feuilles, les abeilles bourdonnent, + les oiseaux s'éveillent et inondent l'espace des premières + ivresses de leurs hymnes au soleil et à la vie. Stupéfaits, + éblouis, Tyltyl et Mytyl, se tenant par la main, font + quelques pas parmi les fleurs en cherchant la trace des + tombes.] + +MYTYL, [cherchant dans le gazon.] + +Où sont-ils, les morts?... + +TYLTYL, [cherchant de même.] + +Il n'y a pas de morts.... + + +RIDEAU + + + + +HUITIÈME TABLEAU + +DEVANT LE RIDEAU QUI REPRÉSENTE DE BEAUX NUAGES + + + Entrent: Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Chien, la Chatte, le + Pain, le Feu, le Sucre, l'Eau et le Lait. + + * * * * * + +LA LUMIÈRE + +Je crois que cette fois nous tenons L'Oiseau-Bleu. J'aurais dû y +penser dès la première étape.... Ce n'est que ce matin, en +reprenant mes forces dans l'aurore, que l'idée m'est venue comme +un rayon du ciel.... Nous sommes à l'entrée des jardins enchantés +où se trouvent réunis sous la garde du Destin, toutes les Joies, +tous les Bonheurs des Hommes.... + +TYLTYL + +Il y en a beaucoup? Est-ce qu'on en aura? Est-ce qu'ils sont +petits?... + +LA LUMIÈRE + +Il en est de petits et de grands, de gros et de délicats, de très +beaux et d'autres qui sont moins agréables.... Mais les plus +vilains furent, il y a quelque temps, expulsés des jardins et +cherchèrent refuge chez les Malheurs. Car il faut remarquer que +les Malheurs habitent un autre contigu, qui communique avec le +jardin des Bonheurs et n'en est séparé que par une sorte de +vapeur ou de rideau subtil que le vent qui souffle des hauteurs +de la Justice ou du fond de l'Éternité soulève à chaque +instant.... Maintenant, il s'agit de s'organiser et de prendre +certaines précautions. En général, les Bonheurs sont fort bons, +pourtant il en est quelques-uns qui sont plus dangereux et plus +perfides que les plus grands Malheurs.... + +LE PAIN + +J'ai une idée! S'ils sont dangereux et perfides, ne serait-il +pas préférable que nous attendissions tous à la porte, afin +d'être à même de prêter main-forte aux enfants s'ils étaient +obligés de fuir?... + +LE CHIEN + +Pas du tout! pas du tout!... Je veux aller partout avec mes +petits dieux!... Que tous ceux qui ont peur restent donc à la +porte!... Nous n'avons pas besoin [Regardant le Pain]. de +poltrons, [Regardant la Chatte] ni de traîtres.... + +LE FEU + +Moi, j'y vais!... Il paraît que c'est amusant!... On y danse tout +le temps.... + +LE PAIN + +Est-ce qu'on y mange aussi?... + +L'EAU, [gémissant.] + +Je n'ai jamais connu le plus petit Bonheur!... Je veux en voir +enfin!... + +LA LUMIÈRE + +Taisez-vous! Personne ne demande vos avis.... Voici ce que j'ai +décidé: le Chien, le Pain et le Sucre accompagneront les enfants. +L'Eau n'entrera pas, parce qu'elle est trop froide, ni le Feu qui +est trop turbulent. J'engage vivement le Lait à rester à la +porte, parce qu'il est trop impressionnable; quant à la Chatte, +elle fera comme elle voudra.... + +LE CHIEN + +Elle a peur!... + +LA CHATTE + +J'irai saluer en passant quelques Malheurs qui sont de vieux amis +et habitent à côté des Bonheurs.... + +TYLTYL + +Et toi, la Lumière, est-ce que tu ne viens pas?... + +LA LUMIÈRE + +Je ne peux pas entrer ainsi chez les Bonheurs; la plupart ne me +supportent pas.... Mais j'ai ici le voile épais dont je me +couvre quand je visite les gens heureux.... [Elle déplie un long +voile dont elle s'enveloppe soigneusement.] Il ne faut pas qu'un +rayon de mon âme les effraye, car il est beaucoup de Bonheurs qui +ont peur et ne sont pas heureux.... Voilà , de cette façon, les +moins jolis et les plus gros eux-mêmes n'auront plus rien à +redouter.... + + [Le rideau s'ouvre pour découvrir le neuvième tableau.] + + + + +NEUVIÈME TABLEAU + +LES JARDINS DES BONHEURS + + +Quand s'ouvre le rideau, on découvre, prise sur les premiers +plans des jardins, une sorte de salle formée de hautes colonnes +de marbre entre lesquelles, masquant tout le fond, sont tendues +de lourdes draperies de pourpre que soutiennent des cordages +d'or. Architecture rappelant les moments les plus sensuels et les +plus somptueux de la Renaissance (vénitienne ou flamande Véronèse +et Rubens). Guirlandes, cornes d'abondance, torsades, vases, +statues, dorures prodigués de toutes parts.--Au milieu, massive +et féerique table de jaspe et de vermeil, encombrée de flambeaux, +de cristaux, de vaisselle d'or et d'argent et surchargée de mets +fabuleux.--Autour de la table, mangent, boivent, hurlent, +chantent, s'agitent, se vautrent ou s'endorment parmi les +venaisons, les fruits miraculeux, les aiguières et les amphores +renversées, les plus gros Bonheurs de la terre. Ils sont énormes, +invraisemblablement obèses et rubiconds, couverts de velours et +de brocarts, couronnés d'or, de perles et de pierreries. De +belles esclaves apportent, sans cesse des plats empanachés et des +breuvages écumiants.--Musique vulgaire, hilare et brutale où +dominent les cuivres.--Une lumière lourde et rouge baigne la +scène. + + * * * * * + + [Tyltyl, Mytyl, le Chien, le Pain et le Sucre, d'abord assez + intimidés, se pressent, à droite, au premier plan, autour de + la Lumière. La Chatte, sans rien dire, se dirige vers le + fond, également à droite, soulève un rideau sombre et + disparaît.] + +TYLTYL + +Qu'est-ce que ces gros messieurs qui s'amusent et mangent tant de +bonnes choses? + +LA LUMIÈRE + +Ce sont les plus gros Bonheurs de la Terre, ceux qu'on peut voir +à l'Å“il nu. Il est possible, bien qu'assez peu probable, que +l'Oiseau-Bleu se soit un instant égaré parmi eux. C'est pourquoi +ne tourne pas encore le Diamant. Nous allons, pour la forme, +explorer tout 'd'abord cette partie de la salle. + +TYLTYL + +Est-ce qu'on peut s'approcher? + +LA LUMIÈRE + +Certainement. Ils ne sont pas méchants, bien que vulgaires et, +d'habitude, assez mal élevés. + +MYTYL + +Qu'ils ont de beaux gâteaux!... + +LE CHIEN + +Et du gibier! et des saucisses! et des gigots d'agneau et du foie +de veau!... [Proclamant.] Rien au monde n'est meilleur, rien +n'est plus beau et rien ne vaut le foie de veau!... + +LE PAIN + +Excepté les Pains-de-quatre-livres pétris de fine fleur de +froment! Ils en ont d'admirables!... Qu'ils sont beaux! qu'ils +sont beaux!... Ils sont plus gros que moi!... + +LE SUCRE + +Pardon, pardon, mille pardons.... Permettez, permettez.... Je ne +voudrais froisser personne; mais n'oubliez-vous pas les Sucreries +qui sont la gloire de cette table et dont l'éclat et la +magnificence surpassent, si j'ose m'exprimer ainsi, tout ce qu'il +y a dans cette salle et peut-être en tout autre lieu.... + +TYLTYL + +Qu'ils ont l'air contents et heureux!... Et ils crient! et ils +rient! et ils chantent!... Je crois qu'ils nous ont vus.... + + [En effet, une douzaine des plus Gros Bonheurs se sont levés + de table et s'avancent péniblement, en soutenant leur + ventre, vers le groupe des enfants.] + +LA LUMIÈRE + +Ne crains rien, ils sont très accueillants.... Ils vont +probablement t'inviter à dîner.... N'accepte pas, n'accepte rien, +de peur d'oublier ta mission.... + +TYLTYL + +Quoi? Pas même un petit gâteau? Ils ont l'air si bons, si frais, +si bien glacés de sucre, ornés de fruits confits et débordants de +crème!... + +LA LUMIÈRE + +Ils sont dangereux et briseraient ta volonté. Il faut savoir +sacrifier quelque chose au devoir qu'on remplit. Refuse poliment +mais avec fermeté. Les voici.... + +LE PLUS GROS DES BONHEURS, [tendant la main à Tyltyl.] + +Bonjour, Tyltyl!... + +TYLTYL, [étonné.] + +Vous me connaissez donc?... Qui êtes-vous?... + +LE GROS BONHEUR + +Je suis le plus gros des Bonheurs, le Bonheur-d'être-riche, et je +viens, au nom de mes frères, vous prier, vous et votre famille, +d'honorer de votre présence notre repas sans fin. Vous vous +trouverez au milieu de tout ce qu'il y a de mieux parmi les vrais +et gros Bonheurs de de cette Terre. Permettez que je vous +présente les principaux d'entre eux. Voici mon gendre, le +Bonheur-d'être-propriétaire, qui a le ventre en poire. Voici le +Bonheur-de-la-vanité-satisfaite, dont le visage est si +gracieusement bouffi. [Le Bonheur-de-la-vanité-satisfaite salue +d'un air protecteur.] Voici le +Bonheur-de-boire-quand-on-n'a-plus-soif et le +Bonheur-de-manger-quand-on-n'a-plus-faim, qui sont jumeaux et +ont les jambes en macaroni. [Ils saluent en chancelant.] Voici le +Bonheur-de-ne-rien-savoir, qui est sourd comme une limande, et le +Bonheur-de-ne-rien-comprendre, qui est aveugle comme une taupe. +Voici le Bonheur-de-ne-rien-faire et le +Bonheur-de-dormir-plus-qu'il-n'est-nécessaire, qui ont les mains +en mie de pain et les yeux en gelée de pêche. Voici enfin le +Rire-Épais qui est fendu jusqu'aux oreilles et auquel rien ne +peut résister.... + + [Le Rire-Épais salue en se tordant.] + +TYLTYL, [montrant du doigt un Gros Bonheur qui se tient un peu à +l'écart.] + +Et celui-là , qui n'ose pas approcher et nous tourne le dos?... + +LE GROS BONHEUR + +N'insistez pas, il est un peu gêné et n'est pas présentable à des +enfants.... [Saisissant les mains de Tyltyl.] Mais venez donc! On +recommence le festin.... C'est la douzième fois depuis l'aurore. +On n'attend plus que vous.... Entendez-vous tous les convives qui +vous réclament à grands cris?... Je ne puis vous les présenter +tous, ils sont extrêmement nombreux.... [Offrant le bras aux deux +enfants.] Permettez que je vous conduise aux deux places +d'honneur.... + +TYLTYL + +Je vous remercie bien, monsieur le Gros Bonheur.... Je regrette +vivement.... Je ne peux pas pour le moment.... Nous sommes très +pressés, nous cherchons l'Oiseau-Bleu. Vous ne sauriez pas, par +hasard, où il se cache? + +LE GROS BONHEUR + +L'Oiseau-Bleu?... Attendez donc.... Oui, oui, je me rappelle.... +On m'en a parlé dans le temps.... C'est, je crois, un oiseau qui +n'est pas comestible.... En tout cas, il n'a jamais paru sur +notre table.... C'est vous dire qu'on le tient en médiocre +estime.... Mais ne vous mettez pas en peine; nous avons tant +d'autres choses bien meilleures.... Vous allez vous mêler à notre +vie, vous verrez tout ce que nous faisons.... + +TYLTYL + +Que faites-vous? + +LE GROS BONHEUR + +Mais nous nous occupons sans cesse à ne rien faire.... Nous +n'avons pas une minute de repos.... Il faut boire, il faut +manger, il faut dormir. C'est extrêmement absorbant.... + +TYLTYL + +Est-ce que c'est amusant? + +LE GROS BONHEUR + +Mais oui.... Il le faut bien, il n'y a pas autre chose sur cette +Terre.... + +LA LUMIÈRE + +Croyez-vous?... + +LE GROS BONHEUR, [indiquant du doigt la Lumière, bas, à Tyltyl.] + +Quelle est cette jeune personne mal élevée?... + + [Durant toute la conversation précédente, une foule de Gros + Bonheurs de second ordre s'est occupée du Chien, du Sucre et + du Pain, et les a entraînés vers l'orgie. Tyltyl aperçoit + soudain ces derniers qui, attablés fraternellement avec + leurs hôtes, mangent, boivent et se trémoussent follement.] + +TYLTYL + +Voyez donc, la Lumière!... Ils sont à table!... + +LA LUMIÈRE + +Rappelle-les! sinon cela finira mal!... + +TYLTYL + +Tylô!...Tylô! ici!... Veux-tu venir ici, tout de suite, +entends-tu!... Et vous, là -bas, le Sucre et le Pain, qui donc +vous a permis de me quitter?... Qu'est-ce que vous faites là , +sans autorisation?... + +LE PAIN, [la bouche pleine.] + +Est-ce que tu ne pourrais pas nous parler plus poliment?... + +TYLTYL + +Quoi? C'est le Pain qui se permet de me tutoyer?... Mais +qu'est-ce qui te prend?... Et toi, Tylô!... Est-ce ainsi qu'on +obéit? Allons, viens ici, à genoux, à genoux!... Et plus vite que +ça!... + +LE CHIEN, [à mi-voix et du bout de la table.] + +Moi, quand je mange, je n'y suis pour personne et je n'entends +plus rien.... + +LE SUCRE, [mielleusement.] + +Excusez-nous, nous ne saurions quitter ainsi, sans les froisser, +d'aussi aimables hôtes.... + +LE GROS BONHEUR + +Vous voyez!... Ils vous donnent l'exemple.... Venez, on vous +attend.... Nous n'admettons pas de refus.... On vous fera une +douce violence.... Allons, les Gros Bonheurs, aidez-moi!... +Poussons-les de force vers la table, pour qu'ils soient heureux +malgré eux!... + + [Tous les Gros Bonheurs, avec des cris de joie et gambadant + de leur mieux, entraînent les enfants qui se débattent, + tandis que le Rire-Épais saisit vigoureusement la Lumière + par la taille.] + +LA LUMIÈRE + +Tourne le Diamant, il est temps!... + + [Tyltyl fait ce qu'ordonne la Lumière. Aussitôt la scène + s'illumine d'une clarté ineffablement pure, divinement + rosée, harmonieuse et légère. Les lourds ornements du + premier plan, les épaisses tentures rouges se détachent et + disparaissent, dévoilant un fabuleux et doux jardin de paix + légère et de sérénité, une sorte de palais de verdure aux + perspectives harmonieuses, où la magnificence des + feuillages, puissants et lumineux, exubérants et néanmoins + disciplinés, où l'ivresse virginale des fleurs et la fraîche + allégresse des eaux qui coulent, ruissellent et jaillissent + de toutes parts semblent entraîner jusqu'aux confins de + l'horizon l'idée même de la félicité. La table de l'orgie + s'effondre sans laisser de traces; les velours, les + brocarts, les couronnes des Gros Bonheurs, au souffle + lumineux qui envahit la scène, se soulèvent, se déchirent et + tombent, en même temps que les masques hilares, aux pieds + des convives abasourdis. Ceux-ci se dégonflent à vue + d'Å“il, comme des vessies crevées, s'entre-regardent, + clignotent sous les rayons inconnus qui les blessent, et, se + voyant enfin tels qu'ils sont en vérité, c'est-à -dire nus, + hideux, flasques et lamentables, se mettent à pousser des + hurlements de honte et d'épouvante, parmi lesquels on + distingue très nettement ceux du Rire-Épais qui dominent + tous les autres. Seul le Bonheur-de-ne-rien-comprendre + demeure parfaitement calme, tandis que ses collègues + s'agitent éperdument, cherchent à fuir, à se cacher dans les + coins qu'ils espèrent plus sombres. Mais il n'y a plus + d'ombre dans le jardin éblouissant. Aussi la plupart se + décident-ils à franchir, en désespoir de cause, le rideau + menaçant qui, sur là droite, dans un angle, ferme la voûte + de la caverne des Malheurs. A chaque fois que l'un d'eux, + dans la panique, soulève un pan de ce rideau, on entend + s'élever du creux de l'antre une tempête d'injures, + d'imprécations et de malédictions. Quant au Chien, au Pain + et au Sucre, l'oreille basse, ils rejoignent le groupe des + enfants, et, très penauds, se dissimulent derrière eux.] + +TYLTYL, [regardant fuir les Gros Bonheurs.] + +Dieu qu'ils sont laids!... Où vont-ils?... + +LA LUMIÈRE + +Ma foi, je crois qu'ils ont perdu la tête.... Ils vont se +réfugier chez les Malheurs où je crains fort qu'on ne les +retienne définitivement.... + +TYLTYL, [regardant autour de soi, émerveillé.] + +Oh! le beau jardin, le beau jardin!... Où sommes-nous?... + +LA LUMIÈRE + +Nous n'avons pas changé de place; ce sont tes yeux qui ont changé +de sphère.... Nous voyons à présent la vérité des choses; et nous +allons apercevoir l'âme des Bonheurs qui supportent la clarté du +Diamant. + +TYLTYL + +Que c'est beau!... Qu'il fait beau!... On se croirait en plein +été.... Tiens! on dirait qu'on s'approche et qu'on va s'occuper +de nous.... + + [En effet, les jardins commencent à se peupler de formes + angéliques qui semblent sortir d'un long sommeil et glissent + harmonieusement entre les arbres. Elles sont vêtues de robes + lumineuses, aux subtiles et suaves nuances: réveil de rose, + sourire d'eau, azur d'aurore, rosée d'ambre, etc.... ] + +LA LUMIÈRE + +Voici que s'avancent quelques Bonheurs aimables et curieux qui +vont nous renseigner.... + +TYLTYL + +Tu les connais?... + +LA LUMIÈRE + +Oui, je les connais tous; je viens souvent chez eux, sans qu'ils +sachent qui je suis.... + +TYLTYL + +Il y en a, il y en a!... Ils sortent de tous côtés!... + +LA LUMIÈRE + +Il y en avait beaucoup plus dans le temps. Les Gros Bonheurs leur +ont fait bien du tort. + +TYLTYL + +C'est égal, il en reste pas mal.... + +LA LUMIÈRE + +Tu en verras bien d'autres, à mesure que l'influence du Diamant +se répandra parmi les jardins.... On trouve sur la Terre beaucoup +plus de Bonheurs qu'on ne croit; mais la plupart des Hommes ne +les découvrent point.... + +TYLTYL + +En voici de petits qui s'avancent, courons à leur rencontre.... + +LA LUMIÈRE + +C'est inutile; ceux qui nous intéressent passeront par ici. Nous +n'avons pas le temps de faire la connaissance de tous les +autres.... + + [Une bande de Petits Bonheurs, gambadant et riant aux éclats, + accourt du fond des verdures et danse une ronde autour des + enfants.] + +TYLTYL + +Qu'ils sont jolis, jolis!... D'où viennent-ils, qui sont-ils?... + +LA LUMIÈRE + +Ce sont les Bonheurs des enfants.... + +TYLTYL + +Est-ce qu'on peut leur parler?... + +LA LUMIÈRE + +C'est inutile. Ils chantent, ils dansent, ils rient, mais ils ne +parlent pas encore.... + +TYLTYL, frétillant. + +Bonjour! Bonjour!... Oh! le gros, là , qui rit!... Qu'ils ont de +belles joues, qu'ils ont de belles robes!... Ils sont tous riches +ici?... + +LA LUMIÈRE + +Mais non, ici comme partout, il y a bien plus de pauvres que de +riches.... + +TYLTYL + +Où sont les pauvres?... + +LA LUMIÈRE + +On ne peut pas les distinguer.... Le Bonheur d'un enfant est +toujours revêtu de ce qu'il y a de plus beau sur terre et dans +les cieux. + +TYLTYL, [ne tenant plus en place.] + +Je voudrais danser avec eux.... + +LA LUMIÈRE + +C'est absolument impossible, nous n'avons pas le temps.... Je +vois qu'ils n'ont pas l'Oiseau-Bleu.... Du reste, ils sont +pressés, tu vois, ils sont déjà passés.... Eux non plus n'ont pas +de temps à perdre, car l'enfance est très brève.... + + [Une autre bande de Bonheurs, un peu plus grands que les + précédents, se précipite dans le jardin, et chantant à + tue-tête: «Les voilà ! les voilà ! Ils nous voient! Ils nous + voient!...» danse autour des enfants une joyeuse farandole, + à la fin de laquelle, celui qui paraît être le chef de la + petite troupe s'avance vers Tyltyl en lui tendant la main.] + +LE BONHEUR + +Bonjour, Tyltyl!... + +TYLTYL + +Encore un qui me connaît!... [A la Lumière.] On commence à me +connaître un peu partout.... Qui es-tu?... + +LE BONHEUR + +Tu ne me reconnais pas?... Je parie que tu ne reconnais aucun de +ceux qui sont ici?... + +TYLTYL, [assez embarrassé.] + +Mais non.... Je ne sais pas.... Je ne me rappelle pas vous avoir +vus.... + +LE BONHEUR + +Vous entendez?... J'en étais sûr!... Il ne nous a jamais vus!... +[Tous les autres Bonheurs de la bande éclatent de rire.] Mais, +mon petit Tyltyl, tu ne connais que nous!... Nous sommes toujours +autour de toi!... Nous mangeons, nous buvons, nous nous +éveillons, nous respirons, nous vivons avec toi!... + +TYLTYL + +Oui, oui, parfaitement, je sais, je me rappelle.... Mais je +voudrais savoir comment on vous appelle.... + +LE BONHEUR + +Je vois bien que tu ne sais rien.... Je suis le chef des +Bonheurs-de-ta-maison; et tous ceux-ci sont les autres Bonheurs +qui l'habitent.... + +TYLTYL + +Il y a donc des Bonheurs à la maison?... + + [Tous les Bonheurs éclatent de rire.] + +LE BONHEUR + +Vous l'avez entendu!... S'il y a des Bonheurs dans ta maison!... +Mais, petit malheureux, elle en est pleine à faire sauter les +portes et les fenêtres!... Nous rions, nous chantons, nous créons +de la joie à refouler les murs, à soulever les toits; mais nous +avons beau faire, tu ne vois rien, tu n'entends rien.... J'espère +qu'à l'avenir tu seras un peu plus raisonnable.... En attendant, +tu vas serrer la main aux plus notables.... Une fois rentré chez +toi, tu les reconnaîtras ainsi plus facilement.... Et puis, à la +fin d'un beau jour, tu sauras les encourager d'un sourire, les +remercier d'un mot aimable, car ils font vraiment tout ce qu'ils +peuvent pour te rendre la vie légère et délicieuse.... Moi +d'abord, ton serviteur, le Bonheur-de-se-bien-porter.... Je ne +suis pas le plus joli, mais le plus sérieux. Tu me +reconnaîtras?... Voici le Bonheur-de-l'air-pur, qui est à peu +près transparent.... Voici le Bonheur-d'aimer-ses-parents, qui +est vêtu de gris et toujours un peu triste, parce qu'on ne le +regarde jamais.... Voici le Bonheur-du-ciel-bleu, qui est +naturellement vêtu de bleu; et le Bonheur-de-la-forêt qui, non +moins naturellement, est habillé de vert, et que tu reverras +chaque fois que tu te mettras à la fenêtre.... Voici encore le +bon Bonheur-des-heures-de soleil qui est couleur de diamant, et +celui du-Printemps qui est d'émeraude folle.... + +TYLTYL + +Et vous êtes aussi beaux tous les jours?... + +LE BONHEUR + +Mais oui, c'est tous les jours dimanche, dans toutes les maisons, +quand on ouvre les yeux.... Et puis, quand vient le soir, voici +le Bonheur-des-couchers-de-soleil, qui est plus beau que tous les +rois du monde; et que suit le +Bonheur-devoir-se-lever-les-étoiles, doré comme un dieu +d'autrefois.... Puis, quand il fait mauvais, voici le +Bonheur-de-la-pluie qui est couvert de perles, et le +Bonheur-du-feu-d'hiver qui ouvre aux mains gelées son beau +manteau de pourpre.... Et je ne parle pas du meilleur de tous, +parce qu'il est presque frère des grandes Joies limpides que vous +verrez bientôt, et qui est le Bonheur-des-pensées-innocentes, le +plus clair d'entre nous.... Et puis, voici encore.... Mais +vraiment, ils sont trop!... Nous n'en finirions pas, et je dois +prévenir d'abord les Grandes-Joies qui sont là -haut, au fond, +près des portes du ciel, et ne savent pas encore que vous êtes +arrivés.... Je vais leur dépêcher le +Bonheur-de-courir-nu-pieds-dans-la-rosée, qui est le plus +agile.... [Au Bonheur qu'il vient de nommer et qui s'avance en +faisant des cabrioles.] Va!... + + [A ce moment, une sorte de diablotin en maillot noir, + bousculant tout le monde en poussant des cris inarticulés, + s'approche de Tyltyl, et gambade follement en l'accablant de + nasardes, taloches et coups de pied insaisissables.] + +TYLTYL, [ahuri et profondément indigné.] + +Qu'est-ce que c'est que ce sauvage? + +LE BONHEUR + +Bon! c'est encore le Plaisir-d'être-insupportable qui s'est +échappé de la caverne des Malheurs. On ne sait où l'enfermer. Il +s'évade de partout, et les Malheurs eux-mêmes ne veulent plus le +garder. + + [Le diablotin continue de lutiner Tyltyl qui essaye + vainement de se défendre, puis, soudain, riant aux éclats, + disparaît sans raison, comme il était venu.] + +TYLTYL + +Qu'est-ce qu'il a? Il est un peu fou? + +LA LUMIÈRE + +Je ne sais. Il paraît que c'est ainsi que tu es toi-même lorsque +tu n'es pas sage. Mais en attendant, il faudrait s'informer de +l'Oiseau-Bleu. Il se peut que le chef des Bonheurs-de-ta-maison +n'ignore pas où il se trouve.... + +TYLTYL + +Où est-il?... + +LE BONHEUR + +Il ne sait pas où se trouve l'Oiseau-Bleu!... + + [Tous les Bonheurs-de-la-maison éclatent de rire.] + +TYLTYL, [vexé.] + +Mais non, je ne sais pas.... Il n'y a pas de quoi rire.... + + [Nouveaux éclats de rires.] + +LE BONHEUR + +Voyons, ne te fâche pas.... et puis, soyons sérieux.... Il ne +sait pas, que voulez-vous, il n'est pas plus ridicule que la +plupart des Hommes.... Mais voici que le petit +Bonheur-de-courir-nu-pieds-dans-la-rosée a prévenu les +Grandes-Joies qui s'avancent vers nous.... + + [En effet, les hautes et belles figures angéliques, vêtues + de robes lumineuses, s'approchent lentement.] + +TYLTYL + +Qu'elles sont belles!... Pourquoi ne rient-elles pas?... Ne +sont-elles pas heureuses?... + +LA LUMIÈRE + +Ce n'est pas quand on rit qu'on est le plus heureux.... + +TYLTYL + +Qui sont-elles?... + +LE BONHEUR + +Ce sont les Grandes-Joies.... + +TYLTYL + +Tu sais leurs noms?... + +LE BONHEUR + +Naturellement, nous jouons souvent avec elles.... Voici d'abord: +devant les autres, la Grande-Joie-d'être-juste, qui sourit chaque +fois qu'une injustice est réparée,--je suis trop jeune, je ne +l'ai pas encore vu sourire. Derrière elle, c'est la +Joie-d'être-bonne, qui est la plus heureuse, mais la plus triste; +et qu'on a bien du mal à empêcher d'aller chez les Malheurs +qu'elle voudrait consoler. A droite, c'est la +Joie-du-travail-accompli à côté de la Joie-de-penser. Ensuite, +c'est la Joie-de-comprendre qui cherche toujours son frère, le +Bonheur-de-ne-rien-comprendre.... + +TYLTYL + +Mais je l'ai vu, son frère!... Il est allé chez les Malheurs avec +les Gros Bonheurs.... + +LE BONHEUR + +J'en étais sûr!... Il a mal tourné, de mauvaises fréquentations +l'ont entièrement perverti.... Mais n'en parle pas à sa sÅ“ur. +Elle voudrait aller le chercher et nous y perdrions une des plus +belles joies.... Voici encore, parmi les plus grandes, la +Joie-de-voir-ce-qui-est-beau, qui ajoute chaque jour quelques +rayons à la lumière qui règne ici.... + +TYLTYL + +Et là , au loin, au loin, dans les nuages d'or, celle que j'ai +peine à voir en me dressant tant que je peux sur la pointe des +pieds?... + +LE BONHEUR + +C'est la grande Joie-d'aimer.... Mais tu auras beau faire, tu es +bien trop petit pour la voir tout entière.... + +TYLTYL + +Et là -bas, tout au fond, celles qui sont voilées et ne +s'approchent pas?... + +LE BONHEUR + +Ce sont celles que les Hommes ne connaissent pas encore.... + +TYLTYL + +Que nous veulent les autres?... Pourquoi s'écartent-elles?... + +LE BONHEUR + +C'est devant une Joie nouvelle qui s'avance, peut-être la plus +pure que nous ayons ici.. + +TYLTYL + +Qui est-ce?... + +LE BONHEUR + +Tu ne la reconnais pas encore?... Mais regarde donc mieux, ouvre +donc tes deux yeux jusqu'au cÅ“ur de ton âme!... Elle t'a vu, +elle t'a vu!... Elle accourt en te tendant les bras!... C'est la +Joie de ta mère, c'est la Joie-sans-égale-de-l'amour-maternel!... + + [Après l'avoir acclamée, les autres Joies, accourues de + toutes parts, s'écartent en silence devant la + Joie-de-l'amour-maternel.] + +L'AMOUR MATERNEL + +Tyltyl! Et puis Mytyl!... Comment, c'est vous, c'est vous que je +retrouve ici!... Je ne m'attendais pas!... J'étais bien seule à +la maison, et voici que tous deux vous montez jusqu'au ciel où +rayonnent dans la Joie l'âme de toutes les mères!... Mais d'abord +des baisers, des baisers tant qu'on peut!... Tous les deux dans +mes bras, il n'y a rien au monde qui donne plus de bonheur!... +Tyltyl, tu ne ris pas?... Ni toi non plus, Mytyl?... Vous ne +connaissez pas l'amour de votre mère?... Mais regardez-moi donc, +et n'est-ce pas mes yeux, mes lèvres et mes bras?... + +TYLTYL + +Mais si, je reconnais, mais je ne savais pas.... Tu ressembles à +maman, mais tu es bien plus belle.... + +L'AMOUR MATERNEL + +Évidemment, moi, je ne vieillis plus.... Et chaque jour qui passe +m'apporte de la force, de la jeunesse et du bonheur.... Chacun de +tes sourires m'allège d'une année.... A la maison, cela ne se +voit pas, mais ici l'on voit tout, et c'est la vérité.... + +TYLTYL, [émerveillé, la contemplant et l'embrassant tour à tour.] + +Et cette belle robe, en quoi donc qu'elle est faite?... Est-ce +que c'est de la soie, de l'argent ou des perles?... + +L'AMOUR MATERNEL + +Non, ce sont des baisers, des regards, des caresses.... chaque +baiser qu'on donne y ajoute un rayon de lune ou de soleil.... + +TYLTYL + +C'est drôle, je n'aurais jamais cru que tu étais si riche.... Où +donc la cachais-tu?... Était-elle dans l'armoire dont papa a la +clef?... + +L'AMOUR MATERNEL + +Mais non, je l'ai toujours, mais on ne la voit pas, parce qu'on +ne voit rien quand les yeux sont fermés.... Toutes les mères sont +riches quand elles aiment leurs enfants.... Il n'en est pas de +pauvres, il n'en est pas de laides, il n'en est pas de +vieilles.... Leur amour est toujours la plus belle des Joies.... +Et quand elles semblent tristes, il suffit d'un baiser qu'elles +reçoivent ou qu'elles donnent pour que toutes leurs larmes +deviennent des étoiles dans le fond de leurs yeux.... + +TYLTYL, [la regardant avec étonnement.] + +Mais oui, c'est vrai, tes yeux, ils sont remplis d'étoiles.... Et +ce sont bien tes yeux, mais ils sont bien plus beaux.... Et c'est +ta main aussi, elle a sa petite bague.... Elle a même la brûlure +que tu t'es faite un soir en allumant la lampe.... Mais elle est +bien plus blanche et qu'elle a la peau fine!... On dirait qu'on y +voit couler de la lumière.... Elle ne travaille pas comme celle +de la maison?... + +L'AMOUR MATERNEL + +Mais si, c'est bien la même; tu n'avais donc pas vu qu'elle +devient toute blanche et s'emplit de lumière dès qu'elle te +caresse?... + +TYLTYL + +C'est étonnant, maman, c'est bien ta voix aussi; mais tu parles +bien mieux que chez nous.... + +L'AMOUR MATERNEL + +Chez nous on a bien trop à faire et l'on n'a pas le temps.... +Mais ce qu'on ne dit pas, on l'entend tout de même.... Maintenant +que tu m'as vue, me reconnaîtras-tu, sous ma robe déchirée, +lorsque tu rentreras demain dans la chaumière?... + +TYLTYL + +Je ne veux pas rentrer.... Puisque tu es ici, j'y veux rester +aussi, tant que tu y seras.... + +L'AMOUR MATERNEL + +Mais c'est la même chose, c'est là -bas que je suis, c'est là -bas +que nous sommes.... Tu n'es venu ici que pour te rendre compte et +pour apprendre enfin comment il faut me voir quand tu me vois +là -bas.... Comprends-tu, mon Tyltyl?... Tu te crois dans le ciel; +mais le ciel est partout où nous nous embrassons.... Il n'y a pas +deux mères, et tu n'en as pas d'autre.... Chaque enfant n'en a +qu'une et c'est toujours la même et toujours la plus belle; mais +il faut la connaître et savoir regarder.... Mais comment as-tu +fait pour arriver ici et trouver une route que les Hommes ont +cherchée depuis qu'ils habitent la Terre?... + +TYLTYL, [montrant la Lumière qui, par discrétion, s'est un peu +écartée.] + +C'est elle qui m'a conduit.... + +L'AMOUR MATERNEL + +Qui est-ce?... + +TYLTYL + +La Lumière.... + +L'AMOUR MATERNEL + +Je ne l'ai jamais vue.... On m'avait dit qu'elle vous aimait +bien et qu'elle était très bonne.... Mais pourquoi se +cache-t-elle?... Elle ne montre jamais son visage?... + +TYLTYL + +Mais si, mais elle a peur que les Bonheurs aient peur s'ils y +voyaient trop clair.... + +L'AMOUR MATERNEL + +Mais elle ne sait donc pas que nous n'attendons qu'elle!... +[Appelant les autres Grandes Joies.] Venez, venez, mes sÅ“urs! +Venez, accourez toutes, c'est la Lumière qui vient enfin nous +visiter!... + + [Frémissement parmi les Grandes Joies qui se rapprochent. + Cris: «La Lumière est ici!... La Lumière, la Lumière!...»] + +LA JOIE-DE-COMPRENDRE, [écartant toutes les autres pour venir +embrasser la Lumière.] + +Vous êtes la Lumière et nous ne savions pas!... Et voici des +années, des années, des années que nous vous attendons!... Me +reconnaissez-vous?... C'est la Joie-de-comprendre qui vous a +tant cherchée.... Nous sommes très heureuses, mais nous ne +voyons pas au delà de nous-mêmes.... + +LA JOIE-D'ÊTRE-JUSTE, [embrassant la Lumière à son tour.] + +Me reconnaissez-vous?... C'est la Joie-d'être-juste qui vous a +tant priée.... Nous sommes très heureuses, mais nous ne voyons +pas au delà de nos ombres.... + +LA JOIE-DE-VOIR-CE-QUI-EST-BEAU, [l'embrassant également.] + +Me reconnaissez-vous?... C'est la Joie-des-beautés qui vous a +tant aimée... Nous sommes très heureuses, mais nous ne voyons pas +au delà de nos songes.... + +LA JOIE-DE-COMPRENDRE + +Voyez, voyez, ma sÅ“ur, ne nous faites plus attendre.... Nous +sommes assez fortes, nous sommes assez pures.... Écartez donc ces +voiles qui nous cachent encore les dernières vérités et les +derniers bonheurs.... Voyez, toutes mes sÅ“urs s'agenouillent à +vos pieds.... Vous êtes notre reine et notre récompense.... + +LA LUMIÈRE, [resserrant ses voiles.] + +Mes sÅ“urs, mes belles sÅ“urs, j'obéis à mon Maître.... +L'heure n'est pas venue, elle sonnera peut-être et je vous +reviendrai sans craintes et sans ombres.... Adieu, relevez-vous, +embrassons-nous encore comme des sÅ“urs retrouvées, en +attendant le jour qui paraîtra bientôt.... + +L'AMOUR MATERNEL, [embrassant la Lumière.] + +Vous avez été bonne pour mes pauvres petits.... + +LA LUMIÈRE + +Je serai toujours bonne autour de ceux qui s'aiment.... + +LA JOIE-DE-COMPRENDRE, [s'approchant de la Lumière.] + +Que le dernier baiser soit posé sur mon front.... + + [Elles s'embrassent longuement, et, quand elles se séparent + et relèvent la tète, on voit des larmes dans leurs yeux.] + +TYLTYL, [étonné.] + +Pourquoi pleurez-vous?....[regardant les autres Joies] + +Tiens! vous pleurez aussi.... Mais pourquoi tout le monde a-t-il +des larmes plein les yeux?... + +LA LUMIÈRE + +Silence, mon enfant.... + + +RIDEAU + + + + +ACTE CINQUIÈME + + + + +DIXIÈME TABLEAU + +LE ROYAUME DE L'AVENIR + + +Les salles immenses du Palais d'Azur, où attendent les enfants +qui vont naître.--Infinies perspectives de colonnes de saphir +soutenant des voûtes de turquoise. Tout ici, depuis la lumière et +les dalles de lapis-lazuli jusqu'aux pulvérulences du fond où se +perdent les derniers arceaux, jusqu'aux moindres objets, est d'un +bleu irréel, intense, féerique. Seuls les chapiteaux et les +socles des colonnes, les clefs de voûte, quelques sièges quelques +bancs circulaires sont de marbre blanc ou d'albâtre.--A droite, +entre les colonnes, de grandes portes opalines. Ces portes, dont +le Temps, vers la fin de la scène, écartera les battants, +s'ouvrent sur la Vie actuelle et les quais de l'Aurore. Partout, +peuplant harmonieusement la salle, une foule d'enfants vêtus de +longues robes azurées.--Les uns jouent, d'autres se promènent, +d'autres causent ou songent; beaucoup sont endormis, beaucoup +aussi travaillent, entre les colonnades, aux inventions futures; +et leurs outils, leurs instruments, les appareils qu'ils +construisent, les plantes, les fleurs et les fruits qu'ils +cultivent ou qu'ils cueillent sont du même bleu surnaturel et +lumineux que l'atmosphère générale du Palais.--Parmi les enfants, +revêtues d'un azur plus pâle et plus diaphane, passent et +repassent quelques figures de haute taille, d'une beauté +souveraine et silencieuse, qui paraissent être des anges. + + * * * * * + + [Entrent à gauche, comme à la dérobée, en se glissant parmi + les colonnes du premier plan, Tyltyl, Mytyl et la Lumière. + Leur arrivée provoque un certain mouvement parmi les + Enfants-Bleus qui bientôt accourent de toutes parts et se + groupent autour des insolites visiteurs qu'ils contemplent + avec curiosité.] + +MYTYL + +Où est le Sucre, la Chatte et le bon Pain?... + +LA LUMIÈRE + +Ils ne peuvent pas entrer ici; ils connaîtraient l'Avenir et +n'obéiraient plus.... + +TYLTYL + +Et le Chien?... + +LA LUMIÈRE + +Il n'est pas bon, non plus, qu'il sache ce qui l'attend dans la +suite des siècles.... Je les ai emprisonnés dans les souterrains +de l'église.... + +TYLTYL + +Où sommes-nous?... + +LA LUMIÈRE + +Nous sommes dans le Royaume de l'Avenir, au milieu des enfants +qui ne sont pas encore nés. Puisque le Diamant nous permet de +voir clair en cette région que les Hommes n'aperçoivent pas, nous +y trouverons fort probablement l'Oiseau-Bleu.... + +TYLTYL + +Bien sûr que l'Oiseau sera bleu, puisque tout y est bleu.... +[Regardant tout autour de soi.] Dieu que c'est beau tout ça!... + +LA LUMIÈRE + +Regarde les enfants qui accourent.... + +TYLTYL + +Est-ce qu'ils sont fâchés?... + +LA LUMIÈRE + +Pas du tout.... Tu vois bien, ils sourient, mais ils sont +étonnés.... + +LES ENFANTS-BLEUS, [accourant de plus en plus nombreux.] + +Des petits Vivants.... Venez voir les petits Vivants!... + +TYLTYL + +Pourquoi qu'ils nous appellent «les petits Vivants»?... + +LA LUMIÈRE + +Parce qu'eux, ils ne vivent pas encore.... + +TYLTYL + +Qu'est-ce qu'ils font alors?... + +LA LUMIÈRE + +Ils attendent l'heure de leur naissance.... + +TYLTYL + +L'heure de leur naissance?... + +LA LUMIÈRE + +Oui; c'est d'ici que viennent tous les enfants qui naissent sur +notre Terre. Chacun attend son jour.... Quand les Pères et les +Mères désirent des enfants, on ouvre les grandes portes que tu +vois là , à droite; et les petits descendent.... + +TYLTYL + +Y en a-t-il! Y en a-t-il!... + +LA LUMIÈRE + +Il y en a bien davantage.... On ne les voit pas tous.... Pense +donc, il en faut de quoi peupler la fin des temps.... Personne ne +saurait les compter.... + +TYLTYL + +Et ces grandes personnes bleues, qu'est-ce que c'est?... + +LA LUMIÈRE + +On ne sait plus au juste.... On croit que ce sont des +gardiennes.... On dit qu'elles viendront sur Terre après les +Hommes.... Mais il n'est pas permis de les interroger.... + +TYLTYL + +Pourquoi? + +LA LUMIÈRE + +Parce que c'est le secret de la Terre.... + +TYLTYL + +Et les autres, les petits, on peut leur parler?... + +LA LUMIÈRE + +Bien sûr, il faut faire connaissance.... Tiens, en voilà un plus +curieux que les autres.... Approche-toi, parle-lui.... + +TYLTYL + +Qu'est-ce qu'il faut lui dire?... + +LA LUMIÈRE + +Ce que tu voudras, comme à un petit camarade.... + +TYLTYL + +Est-ce qu'on peut lui donner la main? + +LA LUMIÈRE + +Évidemment, il ne te fera pas de mal.... Mais voyons, n'aie donc +pas l'air si emprunté.... Je vais vous laisser seuls, vous serez +plus à l'aise entre vous.... J'ai d'ailleurs à causer avec la +Grande-personne Bleue.... + +TYLTYL, [s'approchant de l'Enfant-Bleu et lui tendant la main.] + +Bonjour!... [Touchant du doigt la robe bleue de l'Enfant.] +Qu'est-ce que c'est que ça? + +L'ENFANT, [touchant gravement du doigt le chapeau de Tyltyl.] + +Et ça?... + +TYLTYL + +Ça?... C'est mon chapeau.... Tu n'as pas de chapeau?... + +L'ENFANT + +Non; pourquoi c'est faire?... + +TYLTYL + +C'est pour dire bonjour.... Et puis, pour quand fait froid.... + +L'ENFANT + +Qu'est-ce que c'est faire froid?... + +TYLTYL + +Quand on tremble comme ça: brrr! brrr!... qu'on souffle dans ses +mains et qu'on fait aller les bras comme ceci.... + + [Il se brasse vigoureusement.] + +L'ENFANT + +Il fait froid sur la Terre?... + +TYLTYL + +Mais oui, des fois, l'hiver, quand on n'a pas de feu.... + +L'ENFANT + +Pourquoi qu'on n'en a pas?... + +TYLTYL + +Parce que ça coûte cher et qu'il faut de l'argent pour acheter du +bois.... + +L'ENFANT + +Quoi que c'est de l'argent? + +TYLTYL + +C'est avec quoi l'on paie.... + +L'ENFANT + +Ah!... + +TYLTYL + +Il y en a qui en ont, d'autres qui n'en ont point.... + +L'ENFANT + +Pourquoi?... + +TYLTYL + +C'est qu'ils ne sont pas riches.... Est-ce que tu es riche?... +Quel âge as-tu?... + +L'ENFANT + +Je vais naître bientôt.... Je naîtrai dans douze ans.... Est-ce +que c'est bon, naître?... + +TYLTYL + +Oh oui!... C'est amusant!... + +L'ENFANT + +Comment que tu as fait?... + +TYLTYL + +Je ne me rappelle plus.... Il y a si longtemps!... + +L'ENFANT + +On dit que c'est si beau, la Terre et les Vivants!... + +TYLTYL + +Mais oui, ce n'est pas mal.... Il y a des oiseaux, des gâteaux, +des jouets.... Quelques-uns les ont tous; mais ceux qui n'en ont +pas peuvent regarder les autres.... + +L'ENFANT + +On nous dit que les mères attendent à la porte.... Elles sont +bonnes, est-ce vrai?... + +TYLTYL + +Oh oui!... Elles sont meilleures que tout ce qu'il y a!... Les +bonnes-mamans aussi; mais elles meurent trop vite.... + +L'ENFANT + +Elles meurent?... Qu'est-ce que c'est ça?... + +TYLTYL + +Elles s'en vont un soir, et ne reviennent plus.... + +L'ENFANT + +Pourquoi?... + +TYLTYL + +Est-ce qu'on sait?... Peut-être qu'elles sont tristes.... + +L'ENFANT + +Elle est partie, la tienne?... + +TYLTYL + +Ma bonne-maman?... + +L'ENFANT + +Ta maman ou ta bonne-maman, est-ce que je sais, moi?... + +TYLTYL + +Ah! mais, ça n'est pas la même chose!... Les bonnes-mamans s'en +vont d'abord; c'est déjà assez triste.... La mienne était très +bonne.... + +L'ENFANT + +Qu'est-ce qu'ils ont, tes yeux?... Est-ce qu'ils font des +perles?... + +TYLTYL + +Mais non; c'est pas des perles.... + +L'ENFANT Qu'est-ce que c'est alors?... + +TYLTYL + +C'est rien, c'est tout ce bleu qui m'éblouit un peu.... + +L'ENFANT + +Comment que ça s'appelle?... + +TYLTYL + +Quoi?... + +L'ENFANT + +Là , ce qui tombe?... + +TYLTYL + +C'est rien, c'est un peu d'eau.... + +L'ENFANT + +Est-ce qu'elle sort des yeux?... + +TYLTYL + +Oui, des fois, quand on pleure.... + +L'ENFANT + +Qu'est-ce que c'est pleurer? + +TYLTYL + +Moi, je n'ai pas pleuré; c'est la faute à ce bleu.... Mais si +j'avais pleuré ce serait la même chose.... + +L'ENFANT + +Est-ce qu'on pleure souvent?... + +TYLTYL + +Pas les petits garçons, mais les petites filles.... On ne pleure +pas ici?... + +L'ENFANT + +Mais non, je ne sais pas.... + +TYLTYL + +Eh bien, tu apprendras.... Avec quoi que tu joues, ces grandes +ailes bleues?... + +L'ENFANT + +Ça?... C'est pour l'invention que je ferai sur Terre.... + +TYLTYL + +Quelle invention?... Tu as donc inventé quelque chose?... + +L'ENFANT + +Mais oui, tu ne sais pas?... Quand je serai sur Terre, il faudra +que j'invente la Chose qui rend Heureux.... + +TYLTYL + +Est-elle bonne à manger?... Est-ce qu'elle fait du bruit?... + +L'ENFANT + +Mais non, on n'entend rien.... + +TYLTYL + +C'est dommage.... + +L'ENFANT + +J'y travaille chaque jour.... Elle est presque achevée.... +Veux-tu voir?... + +TYLTYL + +Bien sûr.... Où donc est-elle?... + +L'ENFANT + +Là , on la voit d'ici, entre ces deux colonnes...? + +UN AUTRE ENFANT-BLEU, [s'approchant de Tyltyl et le tirant par la +manche.] + +Veux-tu voir la mienne, dis?... + +TYLTYL + +Mais quoi, qu'est-ce que c'est?... + +DEUXIÈME ENFANT + +Les trente-trois remèdes pour prolonger la vie.... Là , dans ces +flacons bleus.... + +TROISIÈME ENFANT, [sortant de la foule.] + +Moi, j'apporte une lumière que personne ne connaît!... [Il +s'illumine tout entier d'une flamme extraordinaire.] C'est assez +curieux, pas?... + +QUATRIÈME ENFANT, [tirant Tyltyl par le bras.] + +Viens donc voir ma machine qui vole dans les airs comme un oiseau +sans ailes!... + +CINQUIÈME ENFANT + +Non, non; d'abord la mienne qui trouve les trésors qui se cachent +dans la lune!... + + [Les Enfants-Bleus s'empressent autour de Tyltyl et de Mytyl + en criant tous ensemble: «Non, non, viens voir la mienne!... + Non, la mienne est plus belle!... La mienne est + étonnante!... La mienne est tout en sucre!... La sienne + n'est pas curieuse.... il m'en a pris l'idée!..., etc.». + Parmi ces exclamations désordonnées, on entraîne les petits + Vivants du côté des ateliers bleus; et là , chacun des + inventeurs met en mouvement sa machine idéale. C'est un + tournoiement céruléen de roues, de disques, de volants, + d'engrenages, de poulies, de courroies, d'objets étranges + et encore innommés qu'enveloppent les bleuâtres vapeurs de + l'irréel. Une foule d'appareils bizarres et mystérieux + s'élancent et planent sous les voûtes, ou rampent au pied + des colonnes, taudis que des enfants déroulent des cartes et + des plans, ouvrent des livres, découvrent des statues + azurées, apportent d'énormes fleurs, de gigantesques fruits + qui semblent formés de saphirs et de turquoises.] + +UN PETIT ENFANT-BLEU, [courbé sous le poids de colossales +pâquerettes d'azur.] + +Regardez donc mes fleurs!...3 + +TYLTYL + +Qu'est-ce que c'est?... Je ne les connais pas.... + +LE PETIT ENFANT-BLEU + +Ce sont des pâquerettes!... + +TYLTYL + +Pas possible!... Elles sont grandes comme des roues.... + +LE PETIT ENFANT-BLEU + +Et ce qu'elles sentent bon!... + +TYLTYL, [les humant.] + +Prodigieux!... + +LE PETIT ENFANT-BLEU + +Elles seront comme ça quand je serai sur Terre.... + +TYLTYL + +Quand donc?... + +LE PETIT ENFANT-BLEU + +Dans cinquante-trois ans, quatre mois et neuf jours.... + + [Arrivent deux Enfants-Bleus qui portent comme un lustre, + pendue à une perche, une invraisemblable grappe de raisins + dont les baies sont plus grosses que des poires.] + +L'UN DES ENFANTS QUI PORTENT LA GRAPPE + +Que dis-tu de mes fruits?... + +TYLTYL + +Une grappe de poires!... + +L'ENFANT + +Mais non, c'est des raisins!... Ils seront tous ainsi, lorsque +j'aurai trente ans.... J'ai trouvé le moyen.... + +UN AUTRE ENFANT, [écrasé sous une corbeille de pommes bleues +grosses comme des melons.] + +Et moi!... Voyez mes pommes!... + +TYLTYL + +Mais ce sont des melons!... + +L'ENFANT + +Mais non!... Ce sont mes pommes, et les moins belles encore!... +Toutes seront de même quand je serai vivant.... J'ai trouvé le +système!... + +UN AUTRE ENFANT, [apportant sur une brouette bleue des melons +bleus plus gros que des citrouilles.] + +Et mes petits melons?... + +TYLTYL + +Mais ce sont des citrouilles!... + +L'ENFANT AUX MELONS + +Quand je viendrai sur terre, les melons seront fiers!... Je +serai le jardinier du Roi des neuf Planètes.... + +TYLTYL + +Le Roi des neuf Planètes?... Où est-il?... + +LE ROI DES NEUF PLANÈTES, [s'avançant fièrement. Il semble avoir +quatre ans et peut à grand'peine se tenir debout sur ses petites +jambes torses.] + +Le voici! + +TYLTYL + +Eh bien! tu n'es pas grand.... + +LE ROI DES NEUF PLANÈTES, [grave et sentencieux.] + +Ce que je ferai sera grand. + +TYLTYL + +Qu'est-ce que tu feras? + +LE ROI DES NEUF PLANÈTES + +Je fonderai la Confédération générale des Planètes solaires. + +TYLTYL, [interloqué.] + +Ah, vraiment? + +LE ROI DE NEUF PLANÈTES + +Toutes en feront partie, excepté Saturne, Uranus et Neptune qui +sont à des distances exagérées et incommensurables. + + [Il se retire avec dignité.] + +TYLTYL + +Il est intéressant.... + +UN ENFANT-BLEU + +Et vois-tu celui-là ? + +TYLTYL + +Lequel? + +L'ENFANT + +Là , le petit qui dort au pied de la colonne.... + +TYLTYL + +Eh bien? + +L'ENFANT + +Il apportera la joie pure sur le Globe.. + +TYLTYL + +Comment?... + +L'ENFANT + +Par des idées qu'on n'a pas encore eues.... + +TYLTYL + +Et l'autre, le petit gros qui a les doigts dans le nez, qu'est-ce +qu'il fera, lui?... + +L'ENFANT + +Il doit trouver le feu pour réchauffer la Terre quand le Soleil +sera plus pâle.... + +TYLTYL + +Et les deux qui se tiennent par la main et s'embrassent tout le +temps: est-ce qu'ils sont frère et sÅ“ur?... + +L'ENFANT + +Mais non, ils sont très drôles.... Ce sont les Amoureux.... + +TYLTYL + +Qu'est-ce que c'est?... + +L'ENFANT + +Je ne sais pas.... C'est le Temps qui les appelle ainsi pour s'en +moquer.... Ils se regardent tout le jour dans les yeux, ils +s'embrassent et se disent adieu.... + +TYLTYL + +Pourquoi? + +L'ENFANT + +Il paraît qu'ils ne pourront pas partir ensemble.... + +TYLTYL + +Et le petit tout rose, qui semble si sérieux et qui suce son +pouce, qu'est-ce que c'est?... + +L'ENFANT + +Il paraît qu'il doit effacer l'Injustice sur la Terre.... + +TYLTYL + +Ah?... + +L'ENFANT + +On dit que c'est un travail effrayant.... + +TYLTYL + +Et le petit rousseau qui marche comme s'il n'y voyait pas. Est-ce +qu'il est aveugle?... + +L'ENFANT + +Pas encore; mais il le deviendra.... Regarde-le bien; il paraît +qu'il doit vaincre la Mort.... + +TYLTYL + +Qu'est-ce que ça veut dire?... + +L'ENFANT + +Je ne sais pas au juste; mais on dit que c'est grand.... + +TYLTYL, [montrant une foule d'enfants endormis au pied des +colonnes, sur les marches, les bancs, etc.] + +Et tous ceux-là qui dorment,--comme il y en a qui +dorment!--est-ce qu'ils ne font rien?... + +L'ENFANT + +Ils pensent à quelque chose.... + +TYLTYL + +A quoi?... + +L'ENFANT + +Ils ne le savent pas encore; mais ils doivent apporter quelque +chose sur la Terre; il est défendu de sortir les mains vides.... + +TYLTYL + +Qui est-ce qui le défend?... + +L'ENFANT + +C'est le Temps qui se tient à la porte.... Tu verras quand il +ouvrira.... Il est bien embêtant.... + +UN ENFANT, [accourant du fond de la salle, en fendant la foule.] + +Bonjour, Tyltyl!... + +TYLTYL + +Tiens!... Comment sait-il mon nom?... + +L'ENFANT, [qui vient d'accourir et qui embrasse Tyltyl et Mytyl +avec effusion.] + +Bonjour!... Ça va bien?...--Voyons, embrasse-moi, et toi aussi, +Mytyl.... Ce n'est pas étonnant que je sache ton nom, puisque je +serai ton frère.... On vient seulement de me dire que tu es +là .... J'étais tout au bout de la salle, en train d'emballer mes +idées....--Dis à maman que je suis prêt.... + +TYLTYL + +Comment?... Tu comptes venir chez nous? + +L'ENFANT + +Bien sûr, l'année prochaine, le dimanche des Rameaux.... Ne me +tourmente pas trop quand je serai petit.... Je suis bien content +de vous avoir embrassés d'avance....--Dis à Papa qu'il répare le +berceau....--Est-ce qu'on est bien chez nous?... + +TYLTYL + +Mais on n'y est pas mal.... Et Maman est si bonne!... + +L'ENFANT + +Et la nourriture?... + +TYLTYL + +Ça dépend.... Il y a même des jours où l'on a des gâteaux, +n'est-il pas vrai, Mytyl?... + +MYTYL + +Au Nouvel An et le Quatorze Juillet.... C'est maman qui les +fait.... + +TYLTYL + +Qu'as-tu là , dans ce sac?... Tu nous apportes quelque chose?... + +L'ENFANT, [très fièrement.] + +J'apporte trois maladies: la fièvre scarlatine, la coqueluche et +la rougeole.... + +TYLTYL + +Eh bien, si c'est tout ça!... Et après, que feras-tu?... + +L'ENFANT + +Après?... Je m'en irai.... + +TYLTYL + +Ce sera bien la peine de venir!... + +L'ENFANT + +Est-ce qu'on a le choix?... + + [A ce moment, on entend s'élever et se répandre une sorte de + vibration prolongée, puissante et cristalline qui semble + émaner des colonnes et des portes d'opale que touche une + lumière plus vive.] + +TYLTYL + +Qu'est-ce que c'est?... + +UN ENFANT + +C'est le Temps!... Il va ouvrir les portes!... + + [Aussitôt, un vaste remous se propage dans la foule des + Enfants-Bleus. La plupart quittent leurs machines et leurs + travaux, de nombreux dormeurs s'éveillent, et les uns comme + les autres tournent les yeux vers les portes d'opale et se + rapprochent de celles-ci.] + +LA LUMIÈRE [rejoignant Tyltyl.] + +Tâchons de nous dissimuler derrière les colonnes.... Il ne faut +pas que le Temps nous découvre.... + +TYLTYL + +D'où vient ce bruit?... + +UN ENFANT + +C'est l'Aurore qui se lève.... C'est l'heure où les enfants qui +naîtront aujourd'hui vont descendre sur Terre.... + +TYLTYL + +Comment qu'ils descendront?... Il y a des échelles?... + +L'ENFANT + +Tu vas voir.... Le Temps tire les verrous.... + +TYLTYL + +Qu'est-ce que c'est le Temps?... + +L'ENFANT + +C'est un vieil homme qui vient appeler ceux qui partent.... + +TYLTYL + +Est-ce qu'il est méchant?... + +L'ENFANT + +Non, mais il n'entend rien.... On a beau supplier, quand ce n'est +pas leur tour, il repousse tous ceux qui voudraient s'en +aller.... + +TYLTYL + +Est-ce qu'ils sont heureux de partir? + +L'ENFANT + +On n'est pas content quand on reste; mais on est triste quand on +s'en va.... Là ! Là !... Voilà qu'il ouvre!... + + [Les grandes portes opalines roulent lentement sur leurs + gonds. On entend, comme une musique lointaine, les rumeurs + de la Terre. Une clarté rouge et verte pénètre dans la + salle: et le Temps, haut vieillard à la barbe flottante, + armé de sa faux et de son sablier, paraît sur le seuil, + tandis qu'on aperçoit l'extrémité des voiles blanches et + dorées d'une galère amarrée à une sorte de quai que forment + les vapeurs roses de l'Aurore.] + +LE TEMPS, [sur le seuil.] + +Ceux dont l'heure est sonnée sont-ils prêts?... + +DES ENFANTS-BLEUS, [fendant la roule et accourant de toutes +parts.] + +Nous voici!... Nous voici!... Nous voici!... + +LE TEMPS, [d'une voix bourrue, aux enfants qui défilent devant +lui pour sortir.] + +Un à un!... Il s'en présente encore beaucoup plus qu'il n'en +faut!... C'est toujours la même chose!... On ne me trompe pas!... +[Repoussant un enfant.] Ce n'est pas ton tour!... Rentre, c'est +pour demain.... Toi non plus, rentre donc et reviens dans dix +ans.... Un treizième berger?... Il n'en fallait que douze; on +n'en a plus besoin, nous ne sommes plus au temps de Théocrite ou +de Virgile.... Encore des médecins?... Il y en a déjà trop; on +s'en plaint sur la Terre.... Et les ingénieurs, où sont-ils?... +On veut un honnête homme, un seul, comme phénomène.... Où donc +est l'honnête homme?... C'est toi?... [L'enfant fait signe que +oui.] Tu m'as l'air bien chétif.... tu ne vivras pas +longtemps!... Holà , vous autres, là , pas si vite!... Et toi, +qu'apportes-tu?... Rien du tout? les mains vides?... Alors on ne +passe pas.... Prépare quelque chose, un grand crime, si tu veux, +ou une maladie, moi, cela m'est égal.... mais il faut quelque +chose.... [Avisant un petit que d'autres poussent en avant et qui +résiste de toutes ses forces.] Eh bien, toi, qu'as-tu donc?... Tu +sais bien que c'est l'heure.... On demande un héros qui combatte +l'Injustice; c'est toi, il faut partir.... + +LES ENFANTS-BLEUS + +Il ne veut pas, monsieur.... + +LE TEMPS + +Comment?... Il ne veut pas?... Où donc se croit-il, ce petit +avorton?... Pas de réclamations, nous n'avons pas le temps.... + +LE PETIT, [que l'on pousse.] + +Non, non!... Je ne veux pas!... J'aime mieux ne pas naître!... +J'aime mieux rester ici!... + +LE TEMPS + +Il ne s'agit pas de ça.... Quand c'est l'heure, c'est l'heure!... +Allons, vite, en avant!... + +UN ENFANT, [s'avançant.] + +Oh! laissez-moi passer!... J'irai prendre sa place!... On dit que +mes parents sont vieux et m'attendent depuis si longtemps!... + +LE TEMPS + +Pas de ça.... L'heure est l'heure et le temps est le temps.... +On n'en finirait pas si l'on vous écoutait.... L'un veut, l'autre +refuse, c'est trop tôt, c'est trop tard.... [Écartant des enfants +qui ont envahi le seuil.] Pas si près, les petits.... Arrière les +curieux.... Ceux qui ne partent pas n'ont rien à voir dehors.... +Maintenant vous avez hâte; puis, votre tour venu, vous aurez peur +et vous reculerez.... Tenez, en voilà quatre qui tremblent comme +des feuilles.... [A un enfant qui, sur le point de franchir le +seuil, rentre brusquement.] Eh bien, quoi?... Qu'as-tu donc?... + +L'ENFANT + +J'ai oublié la boîte qui contient les deux crimes que je devrai +commettre.... + +UN AUTRE ENFANT + +Et moi le petit pot qui renferme l'idée pour éclairer les +foules.... + +TROISIÈME ENFANT + +J'ai oublié la greffe de ma plus belle poire!... + +LE TEMPS + +Courez vite les chercher!... Il ne nous reste plus que six cent +douze secondes.... La galère de l'Aurore bat déjà des voiles pour +montrer qu'elle attend.... Vous arriverez trop tard et vous ne +naîtrez plus.... Allons, vite, embarquons!... [Saisissant un +enfant qui veut lui passer entre les jambes pour gagner le quai.] +Ah! toi, non, par exemple!... C'est la troisième fois que tu +essayes de naître avant ton tour.... Que je ne t'y prenne plus, +sinon ce sera l'attente éternelle près de ma sÅ“ur l'Éternité; +et tu sais qu'on ne s'y amuse pas.... Mais voyons, sommes-nous +prêts?... Tout le monde est à son poste?... [Parcourant du regard +les enfants réunis sur le quai ou déjà assis dans la galère.] Il +en manque encore un.... Il a beau se cacher, je le vois dans la +foule.... On ne me trompe pas.... Allons, toi, le petit qu'on +appelle l'Amoureux, dis adieu à ta belle.... + + [Les deux petits qu'on appelle «les Amoureux», tendrement + enlacés et le visage livide de désespoir, s'avancent vers le + Temps et s'agenouillent à ses pieds.] + +PREMIER ENFANT + +Monsieur le Temps, laissez-moi partir avec lui!... + +DEUXIÈME ENFANT + +Monsieur le Temps, laissez-moi rester avec elle!... + +LE TEMPS + +Impossible!... Il ne nous reste plus que trois cent +quatre-vingt-quatorze secondes.. + +PREMIER ENFANT + +J'aime mieux ne pas naître!... + +LE TEMPS + +On n'a pas le choix.... + +DEUXIÈME ENFANT, [suppliant.] + +Monsieur le Temps, j'arriverai trop tard!... + +PREMIER ENFANT + +Je ne serai plus là quand elle descendra!... + +DEUXIÈME ENFANT + +Je ne le verrai plus!... + +PREMIER ENFANT + +Nous serons seuls au monde!... + +LE TEMPS + +Tout ça ne me regarde pas.... Réclamez auprès de la Vie.... Moi, +j'unis, je sépare, selon ce qu'on m'a dit.... [Saisissant l'un +des enfants.] Viens!... + +PREMIER ENFANT, se débattant. + +Non, non, non!... Elle aussi!... + +DEUXIÈME ENFANT, [s'accrochant aux vêtements du premier.] + +Laissez-le!.... Laissez-le!... + +LE TEMPS + +Mais voyons, ce n'est pas pour mourir, c'est pour vivre!... +[Entraînant le premier enfant.] Viens!... + +DEUXIÈME ENFANT, [tendant éperdument les bras vers l'enfant qu'on +enlève.] + +Un signe!... Un seul signe!... Dis-moi, comment te retrouver!... + +PREMIER ENFANT + +Je t'aimerai toujours!... + +DEUXIÈME ENFANT + +Je serai la plus triste!... Tu me reconnaîtras!... + + [Elle tombe et reste étendue sur le sol.] + +LE TEMPS + +Vous feriez beaucoup mieux d'espérer.... Et maintenant, c'est +tout.... [Consultant son sablier.] Il ne nous reste plus que +soixante-trois secondes.... + + [Derniers et violents remous parmi les enfants qui partent + et qui demeurent.--On échange des adieux précipités: «Adieu, + Pierre!... Adieu Jean....--As-tu tout ce qu'il faut?... + Annonce ma pensée!...--N'as-tu rien oublié?...--Tâche de me + reconnaître!...--Je te retrouverai!...--Ne perds pas tes + idées?...--Ne te penche pas trop sur l'Espace!...--Donne-moi + de tes nouvelles!...--On dit qu'on ne peut pas!...--Si, + si!... essaie toujours!...--Tâche de dire si c'est beau!... + --J'irai à ta rencontre!...--Je naîtrai sur un trône!...», + etc., etc.] + +LE TEMPS, [agitant ses clefs et sa faux.] + +Assez! assez!... L'ancre est levée!... + +Les voiles de la galère passent et disparaissent. Ou entend +s'éloigner les cris des enfants dans la galère: «Terre!... +terre!... Je la vois!... Elle est belle!... Elle est claire!... +Elle est grande!...». Puis, comme sortant du fond de l'abîme, un +chant extrêmement lointain d'allégresse et d'attente. + +TYLTYL, [à la Lumière.] + +Qu'est-ce?... Ce n'est pas eux qui chantent.... On dirait +d'autres voix.... + +LA LUMIÈRE + +Oui, c'est le chant des Mères qui viennent à leur rencontre... + + [Cependant, le Temps referme les portes opalines. Il se + retourne pour jeter un dernier regard dans la salle, et + soudain aperçoit Tyltyl, Mytyl et la Lumière.] + +LE TEMPS, [stupéfait et furieux.] + +Qu'est-ce que c'est?... Que faites-vous ici?... Qui êtes-vous?... +Pourquoi n'êtes-vous pas bleus?... Par où êtes-vous entrés?... + + [Il s'avance en les menaçant de sa faux.] + +LA LUMIÈRE, [à Tyltyl.] + +Ne réponds pas!... J'ai l'Oiseau-Bleu.... Il est caché sous ma +mante.... Sauvons-nous.... Tourne le Diamant, il perdra notre +trace.... + + [Ils s'esquivent à gauche, entre les colonnes du premier + plan.] + + +RIDEAU + + + + +ONZIÈME TABLEAU + +L'ADIEU + + +La scène représente un mur percé d'une petite porte. C'est la +pointe du jour. + + * * * * * + + [Entrent: Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Pain, le Sucre, le + Feu et le Lait.] + +LA LUMIÈRE + +Tu ne devinerais jamais où nous sommes.... + +TYLTYL + +Bien sûr que non, la Lumière, puisque je ne sais pas.... + +LA LUMIÈRE + +Tu ne reconnais pas ce mur et cette petite porte?... + +TYLTYL + +C'est un mur rouge et une petite porte verte.... + +LA LUMIÈRE + +Et ça ne te rappelle rien?... + +TYLTYL + +Ça me rappelle que le Temps nous a mis à la porte.... + +LA LUMIÈRE + +Qu'on est bizarre quand on rêve.... On ne reconnaît pas sa propre +main.... + +TYLTYL + +Qui est-ce qui rêve?... Est-ce moi?... + +LA LUMIÈRE + +C'est peut-être moi.... Qu'en sait-on?... En attendant, ce mur +entoure une maison que tu as vue plus d'une fois depuis ta +naissance.... + +TYLTYL + +Une maison que j'ai vue plus d'une fois? + +LA LUMIÈRE + +Mais oui, petit endormi!... C'est la maison que nous avons +quittée un soir, il y a tout juste, jour pour jour, une année.... + +TYLTYL + +Il y a tout juste une année?... Mais alors?... + +LA LUMIÈRE + +N'ouvre pas des yeux comme des grottes de saphir.... C'est elle, +c'est la bonne maison des parents.... + +TYLTYL, [s'approchant de la porte.] + +Mais je crois.... En effet.... Il me semble.... Cette petite +porte.... Je reconnais la chevillette.... Ils sont là ?... Nous +sommes près de Maman?... Je veux entrer tout de suite.... Je veux +l'embrasser tout de suite!... + +LA LUMIÈRE + +Un instant.... Ils dorment profondément; il ne faut pas les +réveiller en sursaut.... Du reste, la porte ne s'ouvrira que +lorsque l'heure sonnera.... + +TYLTYL + +Quelle heure?... Il y a longtemps à attendre?... + +LA LUMIÈRE + +Hélas, non!... quelques pauvres minutes.... + +TYLTYL + +Tu n'es pas heureuse de rentrer?... Qu'as-tu donc, la Lumière?... +Tu es pâle, on dirait que tu es malade.. + +LA LUMIÈRE + +Ce n'est rien, mon enfant.... Je me sens un peu triste, parce que +je vais vous quitter.... + +TYLTYL + +Nous quitter?... + +LA LUMIÈRE + +Il le faut.... Je n'ai plus rien à faire ici; l'année est +révolue, la Fée va revenir et te demander l'Oiseau-Bleu.... + +TYLTYL + +Mais c'est que je ne l'ai pas, l'Oiseau-Bleu!... Celui du +Souvenir est devenu tout noir, celui de l'Avenir est devenu tout +rouge, ceux de la Nuit sont morts et je n'ai pas pu prendre celui +de la Forêt.... Est-ce ma faute à moi s'ils changent de couleur, +s'ils meurent ou s'ils s'échappent?... Est-ce que la Fée sera +fâchée, et qu'est-ce qu'elle dira?... + +LA LUMIÈRE + +Nous avons fait ce que nous avons pu.... Il faut croire qu'il +n'existe pas, l'Oiseau-Bleu; ou qu'il change de couleur lorsqu'on +le met en cage.... + +TYLTYL + +Où est-elle, la cage?... + +LE PAIN + +Ici, maître.... Elle fut confiée à mes soins diligents durant ce +long et périlleux voyage; aujourd'hui que ma mission prend fin, +je vous la restitue, intacte et bien fermée, telle que je la +reçus.... [Comme un orateur qui prend la parole.] Maintenant, au +nom de tous, qu'il me soit permis d'ajouter quelques mots.... + +LE FEU + +Il n'a pas la parole!... + +L'EAU + +Silence!... + +LE PAIX + +Les interruptions malveillantes d'un ennemi méprisable, d'un +rival envieux.... [Élevant la voix.] ne m'empêcheront pas +d'accomplir mon devoir jusqu'au bout.... C'est donc au nom de +tous.... + +LE FEU + +Pas au mien.... J'ai une langue!... + +LE PAIX + +C'est donc au nom de tous, et avec une émotion contenue mais +sincère et profonde, que je prends congé de deux enfants +prédestinés, dont la haute mission se termine aujourd'hui. En +leur disant adieu avec toute l'affliction et toute la tendresse +qu'une mutuelle estime.. + +TYLTYL + +Comment?... Tu dis adieu?... Tu nous quittes donc aussi?... + +LE PAIN + +Hélas! il le faut bien.... Je vous quitte, il est vrai; mais la +séparation ne sera qu'apparente, vous ne m'entendrez plus +parler.... + +LE FEU + +Ce ne sera pas malheureux!... + +L'EAU + +Silence!... + +LE PAIN, [très digne.] + +Cela ne m'atteint point.... Je disais donc: vous ne m'entendrez +plus, vous ne me verrez plus sous ma forme animée.... Vos yeux +vont se fermer à la vie invisible des choses; mais je serai +toujours là , dans la huche, sur la planche, sur la table, à côté +de la soupe, moi qui suis, j'ose le dire, le plus fidèle +commensal et le plus vieil ami de l'Homme.... + +LE FEU + +Eh bien, et moi?... + +LA LUMIÈRE + +Voyons, les minutes passent, l'heure est près de sonner qui va +nous faire rentrer dans le silence.... Hâtez-vous d'embrasser les +enfants.... + +LE FEU, [se précipitant.] + +Moi d'abord, d'abord moi!... [Il embrasse violemment les +enfants.] Adieu, Tyltyl et Mytyl!... Adieu, mes chers petits.... +Souvenez-vous de moi si jamais vous avez besoin de quelqu'un pour +mettre le Feu quelque part.... + +MYTYL + +Aïe! aïe!... Il me brûle!... + +TYLTYL + +Aïe! aïe! Il me roussit le nez!..... + +LA LUMIÈRE + +Voyons, le Feu, modérez un peu vos transports.... Vous n'avez pas +affaire à votre cheminée.... + +L'EAU + +Quel idiot!... + +LE PAIN + +Est-il mal élevé!... + +L'EAU, [s'approchant des enfants.] + +Je vous embrasserai sans vous faire de mal, tendrement, mes +enfants.... + +LE FEU + +Prenez garde, ça mouille!... + +L'EAU + +Je suis aimante et douce; je suis bonne aux humains.... + +LE FEU + +Et les noyés?... + +L'EAU + +Aimez bien les Fontaines, écoutez les Ruisseaux.... Je serai +toujours là .... + +LE FEU + +Elle a tout inondé!... + +L'EAU + +Quand vous vous assiérez, le soir, au bord des Sources,--il y en +a plus d'une ici, dans la forêt,--essayez de comprendre ce +qu'elles essaient de dire.... Je ne peux plus.... Les larmes me +suffoquent et m'empêchent de parler.... + +LE FEU + +Il n'y paraît point!... + +L'EAU + +Souvenez-vous de moi lorsque vous verrez la carafe.... Vous me +trouverez également dans le broc, dans l'arrosoir, dans la +citerne et dans le robinet.... + +LE SUCRE, [naturellement papelard et doucereux.] + +S'il reste une petite place, dans votre souvenir, rappelez-vous +que parfois ma présence vous fut douce.... Je ne puis vous en +dire davantage.... Les larmes sont contraires à mon tempérament, +et me font bien du mal quand elles tombent sur mes pieds.... + +LE PAIN + +Jésuite!... + +LE FEU, [glapissant.] + +Sucre d'orge! berlingots! caramels!... + +TYLTYL + +Mais où donc sont passés Tylette et Tylô?... Que font-ils?... + + [Au même moment, on entend des cris aigus poussés par la + Chatte.] + +MYTYL, [alarmée.] + +C'est Tylette qui pleure!... On lui fait du mal!... + + [Entre en courant la Chatte, hérissée, dépeignée, les + vêtements déchirés, et tenant son mouchoir sur la joue, + comme si elle avait mal aux dents. Elle pousse des + gémissements courroucés et est serrée de très près par le + Chien qui l'accable de coups de tête, de coups de poing et + de coups de pied.] + +LE CHIEN, [battant la Chatte.] + +Là !... En as-tu assez?... En veux-tu encore?... Là ! là ! là !... + +LA LUMIÈRE, TYLTYL et MYTYL, [se précipitant pour les séparer.] + +Tylô!... Es-tu fou?... Par exemple!... A bas!... Veux-tu +finir!... A-t-on jamais vu!... Attends! attends!... + + [On les sépare énergiquement.] + +LA LUMIÈRE + +Qu'est-ce que c'est?... Que s'est-il passé?... + +LA CHATTE, [pleurnichant et s'essuyant les yeux.] + +C'est lui, madame la Lumière.... Il m'a dit des injures, il a mis +des clous dans ma soupe, il m'a tiré la queue, il m'a roué de +coups, et je n'avais rien fait, rien du tout, rien du tout!... + +LE CHIEN, [l'imitant.] + +Rien du tout, rien du tout!... [A mi-voix, lui faisant la nique.] +C'est égal, t'en as eu, t'en as eu, et du bon, et t'en auras +encore!... + +MYTYL, [serrant la Chatte dans ses bras.] + +Ma pauvre Tylette, dis-moi donc où c'est que t'as mal.... Je vais +pleurer aussi!... + +LA LUMIÈRE, [au Chien, sévèrement.] + +Votre conduite est d'autant plus indigne que vous choisissez pour +nous donner ce triste spectacle le moment, déjà assez pénible par +lui-même, où nous allons nous séparer de ces pauvres enfants.... + +LE CHIEN, [subitement dégrisé.] + +Nous séparer de ces pauvres enfants?... + +LA LUMIÈRE + +Oui, l'heure que vous savez va sonner.... Nous allons rentrer +dans le Silence.... Nous ne pourrons plus leur parler.... + +LE CHIEN, [poussant tout à coup de véritables hurlements de +désespoir et se jetant sur les enfants qu'il accable de caresses +violentes et tumultueuses.] + +Non, non!... Je ne veux pas!... Je ne veux pas!... Je parlerai +toujours!... Tu me comprendras maintenant, n'est-ce pas, mon +petit dieu?... Oui, oui, oui!.... Et l'on se dira tout, tout, +tout!... Et je serai Lien sage.... Et j'apprendrai à lire, à +écrire et à jouer aux dominos!... Et je serai toujours très +propre.... Et je ne volerai plus rien dans la cuisine.... Veux-tu +que je fasse quelque chose d'étonnant?... Veux-tu que j'embrasse +la Chatte?... + +MYTYL, [à la Chatte.] + +Et toi, Tylette?... Tu n'as rien à nous dire. + +LA CHATTE, [pincée, énigmatique.] + +Je vous aime tous deux, autant que vous le méritez.... + +LA LUMIÈRE + +Maintenant, qu'à mon tour, mes enfants, je vous donne le dernier +baiser.... + +TYLTYL et MYTYL, [s'accrochant à la robe de la Lumière.] + +Non, non, non, la Lumière!... Reste ici, avec nous!... Papa ne +dira rien.... Nous dirons à Maman que tu as été bonne.... + +LA LUMIÈRE + +Hélas! je ne peux pas.... Cette porte nous est fermée et je dois +vous quitter... + +TYLTYL + +Où iras-tu toute seule? + +LA LUMIÈRE + +Pas bien loin, mes enfants; là -bas, dans le pays du Silence des +choses.. + +TYLTYL + +Non, non; je ne veux pas.... Nous irons avec toi.... Je dirai à +Maman.... + +LA LUMIÈRE + +Ne pleurez pas, mes chers petits.... Je n'ai pas de voix comme +l'Eau; je n'ai que ma clarté que l'Homme n'entend point.... Mais +je veille sur lui jusqu'à la fin des jours.... Rappelez-vous bien +que c'est moi qui vous parle dans chaque rayon de lune qui +s'épanche, dans chaque étoile qui sourit, dans chaque aurore qui +se lève, dans chaque lampe qui s'allume, dans chaque pensée bonne +et claire de votre âme.... [Huit heures sonnent derrière le mur.] +Écoutez!... L'heure sonne.... Adieu!... La porte s'ouvre!... +Entrez, entrez, entrez!... + + [Elle pousse les enfants dans l'ouverture de la petite porte + qui vient de s'entrebâiller et se referme sur eux.--Le Pain + essuie une larme furtive, le Sucre, l'Eau, tout en pleurs, + etc., fuient précipitamment et disparaissent à droite et à + gauche, dans la coulisse. Hurlements du Chien à la + cantonade. La scène reste vide un instant, puis le décor + figurant le mur de la petite porte s'ouvre par le milieu, + pour découvrir le dernier tableau.] + + + + +DOUZIÈME TABLEAU + + +LE RÉVEIL + + +Le même intérieur qu'au premier tableau, mais tout, les murs, +l'atmosphère, y paraît incomparablement, féeriquement plus frais, +plus riant, plus heureux.--La lumière du jour filtre gaiement par +toutes les fentes des volets clos. + + * * * * * + + [A droite, au fond de la pièce, en leurs deux petits lits, + Tyltyl et Mytyl sont profondément endormis.--La Chatte, le + Chien et les Objets sont à la place qu'ils occupaient au + premier tableau, avant l'arrivée de la Fée.--Entre la Mère + Tyl.] + +LA MÈRE TYL, [d'une voix allègrement grondeuse.] + +Debout, voyons, debout! les petits paresseux!... Vous n'avez donc +pas honte?... Huit heures sont sonnées, le soleil est déjà plus +haut que la forêt!... Dieu! qu'ils dorment, qu'ils dorment!... +[Elle se penche et embrasse les enfants.] Ils sont tout +roses.... Tyltyl sent la lavande et Mytyl le muguet.... [Les +embrassant encore.] Que c'est bon les enfants!... Ils ne peuvent +pourtant pas dormir jusqu'à midi.... On ne peut pas en faire des +paresseux.... Et puis, je me suis laissée dire que ce n'est pas +trop bon pour la santé.... [Secouant doucement Tyltyl.] Allons, +allons, Tyltyl.... + +TYLTYL, [s'éveillant.] + +Quoi?... La Lumière?... Où est-elle? Non, non, ne t'en vas +pas.... + +LA MÈRE TYL + +La Lumière?... mais bien sûr qu'elle est là .... Il y a déjà pas +mal de temps.... Il fait aussi clair qu'à midi, bien que les +volets soient fermés.... Attends un peu que je les ouvre.... +[Elle pousse les volets, l'aveuglante clarté du grand jour +envahit la pièce.] Là , voilà !... Qu'est-ce que t'as?... T'as +l'air tout aveuglé... + +TYLTYL, [se frottant les yeux.] + +Maman, maman!... C'est toi!... + +LA MÈRE TYL + +Mais bien sûr que c'est moi.... Qui veux-tu que ce soit?... + +TYLTYL + +C'est toi.... Mais oui, c'est toi!... + +LA MÈRE TYL + +Mais oui, c'est moi.... Je n'ai pas changé de visage cette +nuit.... qu'as-tu donc à me regarder comme un émerveillé?... J'ai +peut-être le nez à l'envers?... + +TYLTYL + +Oh! que c'est bon de te revoir!... Il y a si longtemps, si +longtemps!... Il faut que je t'embrasse tout de suite.... Encore, +encore, encore!... Et puis, c'est bien mon lit!... Je suis dans +la maison!... + +LA MÈRE TYL + +Qu'est-ce que t'as?... Tu ne t'éveilles pas?... T'es pas malade, +au moins?... Voyons, montre ta langue.... Allons, lève-toi donc, +et puis habille-toi.... + +TYLTYL + +Tiens! je suis en chemise!... + +LA MÈRE TYL + +Bien sûr.... Passe ta culotte et ta petite veste.... Elles sont +là , sur la chaise.... + +TYLTYL + +Est-ce que j'ai fait ainsi tout mon voyage?... + +LA MÈRE TYL + +Quel voyage?... + +TYLTYL + +Mais oui, l'année dernière.... + +LA MÈRE TYL + +L'année dernière?... + +TYLTYL + +Mais oui, donc!... A Noël, lorsque je suis parti.... + +LA MÈRE TYL + +Lorsque t'es parti?... T'as pas quitté la chambre.... Je j'ai +couché hier soir, et je te retrouve ce matin.... T'as donc rêvé +tout ça?... + +TYLTYL + +Mais tu ne comprends pas!... C'était l'année passée, lorsque je +suis parti avec Mytyl, la Fée, la Lumière.... elle est bonne, la +Lumière! le Pain, le Sucre, l'Eau, le Feu. Ils se battaient tout +le temps.... T'es pas fâchée?... T'as pas été trop triste?... Et +Papa, qu'a-t-il dit?... Je ne pouvais pas refuser.... J'ai laissé +un billet pour expliquer.... + +LA MÈRE TYL + +Qu'est-ce que tu chantes là ?... Bien sûr que t'es malade, ou bien +tu dors encore.... [Elle lui donne une bourrade amicale.] Voyons, +réveille-toi.... Voyons, ça va-t-il mieux?... + +TYLTYL + +Mais, Maman, je t'assure.... C'est toi qui dors encore.... + +LA MÈRE TYL + +Comment! je dors encore?... Je suis debout depuis six heures.... +J'ai fait tout le ménage et rallumé le feu.... + +TYLTYL + +Mais demande à Mytyl si c'est pas vrai.... Ah! noirs en avons eu +des aventures!... + +LA MÈRE TYL + +Comment, Mytyl?... Quoi donc?... + +TYLTYL + +Elle était avec moi.... Nous avons revu bon-papa et +bonne-maman.... + +LA MÈRE TYL, [de plus en plus ahurie.] + +Bon-papa et bonne-maman?... + +TYLTYL + +Oui, au Pays du Souvenir.... C'était sur notre route.... Ils sont +morts, mais ils se portent bien.... Bonne-maman nous a fait une +belle tarte aux prunes.... Et puis les petits frères, Robert, +Jean, sa toupie, Madeleine et Pierrette, Pauline et puis +Riquette... + +MYTYL + +Riquette, elle marche à quatre pattes!... + +TYLTYL + +Et Pauline a toujours son bouton sur le nez.... + +MYTYL + +Nous t'avons vue aussi hier au soir. + +LA MÈRE TYL + +Hier au soir? Ce n'est pas étonnant puisque je t'ai couchée. + +TYLTYL + +Non, non, aux jardins des Bonheurs, tu étais bien plus belle, +mais tu te ressemblais.... + +LA MÈRE TYL + +Le jardin des Bonheurs? Je ne connais pas ça.... + +TYLTYL, [la contemplant, puis l'embrassant.] + +Oui, tu étais plus belle, mais je t'aime mieux comme ça... + +MYTYL, [l'embrassant également.] + +Moi aussi, moi aussi.... + +LA MÈRE TYL, [attendrie, mais fort inquiète.] + +Mon Dieu! qu'est-ce qu'ils ont?... Je vais les perdre aussi, +comme j'ai perdu les autres!... [Subitement affolée, elle +appelle.] Papa Tyl! Papa Tyl!... Venez donc! Les petits sont +malades!... + + [Entre le Père Tyl, très calme une hache à la main.] + +LE PÈRE TYL + +Qu'y a-t-il?... + +TYLTYL et MYTYL [accourant joyeusement pour embrasser leur père.] + +Tiens, Papa!... C'est Papa!... Bonjour, Papa!... Tu as bien +travaillé cette année?... + +LE PÈRE TYL + +Eh bien, quoi?... Qu'est-ce que c'est?... Ils n'ont pas l'air +malade; ils ont fort bonne mine.... + +LA MÈRE TYL, [larmoyante.] + +Il ne faut pas s'y fier.... Ce sera comme les autres.... Ils +avaient fort bonne mine aussi, jusqu'à la fin; et puis le bon +Dieu les a pris.... Je ne sais ce qu'ils ont.... Je les avais +couchés bien tranquillement hier au soir; et ce matin, quand ils +s'éveillent, voilà que tout va mal.... Ils ne savent plus ce +qu'ils disent; ils parlent d'un voyage.... Ils ont vu la Lumière, +grand-papa, grand'maman, qui sont morts mais qui se portent +bien.... + +TYLTYL + +Mais bon-papa, il a toujours sa jambe de bois.... + +MYTYL + +Et bonne-maman ses rhumatismes.... + +LA MÈRE TYL + +Tu entends?... Cours chercher le médecin!... + +LE PÈRE TYL + +Mais non, mais non.... Ils ne sont pas encore morts.... Voyons, +nous allons voir.... [On frappe à la porte île la maison.] +Entrez! + + [Entre la Voisine, petite vieille qui ressemble à la Fée du + premier acte, et qui marche en s'appuyant sur un bâton.] + +LA VOISINE + +Bien le bonjour et bonne fête à tous! + +TYLTYL + +C'est la Fée Bérylune! + +LA VOISINE + +Je viens chercher un peu de feu pour mon pot-au-feu de la +fête.... Il fait bien frisquet ce matin.... Bonjour, les enfants, +ça va bien?... + +TYLTYL + +Madame la Fée Bérylune, je n'ai pas trouvé l'Oiseau-Bleu.... + +LA VOISINE + +Que dit-il?... + +LA MÈRE TYL + +Ne m'en parlez pas, madame Berlingot.... Ils ne savent plus ce +qu'ils disent.... Ils sont comme ça depuis leur réveil.... Ils +ont dû manger quelque chose qui n'était pas bon.... + +LA VOISINE + +Eh bien, Tyltyl, tu ne reconnais pas la mère Berlingot, ta +voisine Berlingot?... + +TYLTYL + +Mais si, madame.... Vous êtes la Fée Bérylune.... Vous n'êtes pas +fâchée?... + +LA VOISINE + +Béry.... quoi? + +TYLTYL + +Bérylune + +LA VOISINE + +Berlingot, tu veux dire Berlingot.... + +TYLTYL + +Bérylune, Berlingot, comme vous voudrez, madame.... Mais Mytyl +qui sait bien.... + +LA MÈRE TYL + +Voilà le pis, c'est que Mytyl aussi.... + +LE PÈRE TYL + +Bah, bah!... Cela se passera; je vais leur donner quelques +claques.... + +LA VOISINE + +Laissez donc, ce n'est pas la peine.... Je connais ça; c'est rien +qu'un peu de songeries.... Ils auront dormi dans un rayon de +lune.... Ma petite fille qu'est bien malade est souvent comme +ça.... + +LA MÈRE TYL + +A propos, comment qu'elle va, ta petite fille? + +LA VOISINE + +Couci-couci.... Elle ne peut se lever.... Le docteur dit que +c'est les nerfs.... Tout de même je sais bien ce qui la +guérirait.... Elle me le demandait encore ce matin, pour son +petit noël; c'est une idée qu'elle a.... + +LA MÈRE TYL + +Oui, je sais, c'est toujours l'oiseau de Tyltyl.... Eh bien, +Tyltyl, ne vas-tu pas le lui donner enfin, à cette pauvre +petite?... + +TYLTYL + +Quoi, Maman?... + +LA MÈRE TYL + +Ton oiseau.... Pour ce que tu en fais.... Tu ne le regardes même +plus.... Elle en meurt d'envie depuis si longtemps!... + +TYLTYL + +Tiens, c'est vrai, mon oiseau.... Où est-il?... Ah! mais voilà la +cage!... Mytyl, vois-tu la cage?... C'est celle que portait le +Pain.... Oui, oui, c'est bien la même; mais il n'y a plus qu'un +oiseau.... Il a donc mangé l'autre?... Tiens, tiens!... Mais il +est bleu!... Mais c'est ma tourterelle!... Mais elle est bien +plus bleue que quand je suis parti!... Mais c'est là +l'Oiseau-Bleu que mous avons cherché!... Nous sommes allés si +loin et il était ici!... Ah! ça, c'est épatant!... Mytyl, vois-tu +l'oiseau?... Que dirait la Lumière?... Je vais décrocher la +Cage.... [Il monte sur une chaise et décroche la cage qu'il +apporte à la Voisine.] La voilà , madame Berlingot.... Il n'est +pas encore tout à fait bleu; ça viendra, vous verrez.... Mais +portez-le bien vite à votre petite fille.... + +LA VOISINE + +Non?... Vrai?... Tu me le donnes, comme ça, tout de suite et pour +rien?... Dieu! qu'elle va être heureuse!... [Embrassant Tyltyl.] +Il faut que je t'embrasse!... Je me sauve!... Je me sauve!... + +TYLTYL + +Oui, oui; allez vite.... Il y en a qui changent de couleur.... + +LA VOISINE + +Je reviendrai vous dire ce qu'elle aura dit.... + + [Elle sort.] + +TYLTYL, [après avoir longuement regardé autour de soi.] + +Papa, Maman; qu'avez-vous fait à la maison?... C'est la même +chose; mais elle est bien plus belle.... + +LE PÈRE TYL + +Comment, elle est plus belle?... + +TYLTYL + +Mais oui, tout est repeint, tout est remis à neuf, tout reluit, +tout est propre.... Ça n'était pas comme ça, l'année dernière.... + +LE PÈRE TYL + +L'année dernière?... + +TYLTYL, [allant à la fenêtre.] + +Et la forêt qu'on voit!... Est-elle grande, est-elle belle!... On +croirait qu'elle est neuve!... Qu'on est heureux ici!... [Allant +ouvrir la huche.] Où est le Pain?... Tiens, ils sont bien +tranquilles.... Et puis, voilà Tylô!... Bonjour, Tylô, Tylô!... +Ah! tu t'es bien battu!... Te rappelles-tu dans la forêt?... + +MYTYL + +Et Tylette?... Elle me reconnaît bien, mais elle ne parle +plus.... + +TYLTYL + +Monsieur le Pain.... [Se tâtant le front.] Tiens, je n'ai plus le +Diamant! Qui est-ce qui m'a pris mon petit chapeau vert?... Tant +pis! je n'en ai plus besoin....--Ah! le Feu!... Il est bon!... Il +pétille en riant pour faire enrager l'Eau.... [Courant à la +fontaine.]--Et l'Eau?... Bonjour, l'Eau!... Que dit-elle?... Elle +parle toujours, mais je ne la comprends plus aussi bien.. + +MYTYL + +Je ne vois pas le Sucre.... + +TYLTYL + +Dieu que je suis heureux, heureux, heureux!... + +MYTYL + +Moi aussi, moi aussi!... + +LA MÈRE TYL + +Qu'ont-ils donc à tourniller comme ça?... + +LE PÈRE TYL + +Laisse donc, t'inquiète pas.... Ils jouent à être heureux.... + +TYLTYL + +Moi, j'aimais surtout la Lumière.... Où est sa lampe?... Est-ce +qu'on peut l'allumer?... [Regardant encore autour de soi.] Dieu! +que c'est beau tout ça et que je suis content!... + + [On frappe à la porte de la maison.] + +LE PÈRE TYL + +Entrez donc!... + + [Entre la Voisine, tenant par la main une petite fille d'une + beauté blonde et merveilleuse qui serre dans ses bras la + tourterelle de Tyltyl.] + +LA VOISINE + +Vous voyez le miracle!... + +LA MÈRE TYL + +Pas possible!... Elle marche?... + +LA VOISINE + +Elle marche!... C'est-à -dire qu'elle court, qu'elle danse, +qu'elle vole!... Quand elle a vu l'oiseau, elle a sauté, comme +ça, d'un saut, vers la fenêtre, pour voir à la lumière si c'était +bien la tourterelle de Tyltyl.... Et puis pfff!... dans la rue, +comme un ange.... C'est tout juste si je pouvais la suivre.... + +TYLTYL, [s'approchant, émerveillé.] + +Oh! qu'elle ressemble à la Lumière!... + +MYTYL + +Elle est bien plus petite.... + +TYLTYL + +Sûr!... Mais elle grandira... + +LA VOISINE + +Que disent-ils?... Ça ne va pas encore?... + +LA MÈRE TYL + +Ça va mieux, ça se passe.... Quand ils auront déjeuné, il n'y +paraîtra plus.... + +LA VOISINE, [poussant la petite fille dans les bras de Tyltyl.] + +Allons, va, ma petite, va remercier Tyltyl.... + + [Tyltyl, soudainement intimidé, recule d'un pas.] + +LA MÈRE TYL + +Eh bien, Tyltyl, qu'est-ce que t'as?... T'as peur de la petite +fille?... Voyons, embrasse-la.... Voyons, un gros baiser.... +Mieux que ça.... Toi si effronté d'habitude!... Encore un!... +Mais qu'est-ce donc que t'as?... On dirait que tu vas pleurer.... + + [Tyltyl, après avoir gauchement embrassé la petite fille, + reste un moment debout devant elle, et les deux enfants se + regardent sans rien dire; puis, Tyltyl caressant la tète de + l'oiseau.] + +TYLTYL + +Est-ce qu'il est assez bleu?... + +LA PETITE FILLE + +Mais oui, je suis contente.... + +TYLTYL + +J'en ai vu de plus bleus.... Mais les tout à fait bleus, tu sais, +on a beau faire, on ne peut pas les attraper. + +LA PETITE FILLE + +Ça ne fait rien, il est bien joli.... + +TYLTYL + +Est-ce qu'il a mangé?... + +LA PETITE FILLE + +Pas encore.... Qu'est-ce qu'il mange?... + +TYLTYL + +De tout, du blé, du pain, du maïs, des cigales.... + +LA PETITE FILLE + +Comment qu'il mange, dis?... + +TYLTYL + +Par le bec, tu vas voir, je vais te montrer.... + + [Il va pour prendre l'oiseau des mains de la petite fille; + celle-ci résiste instinctivement, et, profitant de + l'hésitation de leur geste, la tourterelle s'échappe et s'en + vole.] + +LA PETITE FILLE, [poussant un cri de désespoir.] + +Maman!... Il est parti!... + + [Elle éclate en sanglots.] + +TYLTYL + +Ce n'est rien.... Ne pleure pas.... Je le rattraperai.... +[S'avançant sur le devant de la scène et s'adressant au public.] +Si quelqu'un le retrouve, voudrait-il nous le rendre?... Nous en +avons besoin pour être heureux plus tard.... + + +RIDEAU + + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of L'oiseau bleu, by Maurice Maeterlinck + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'OISEAU BLEU *** + +***** This file should be named 38849-0.txt or 38849-0.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/3/8/8/4/38849/ + +Produced by Annemie Arnst & Marc D'Hooghe at +http://www.freeliterature.org (From images generously made +available by the Internet Archive.) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: L'oiseau bleu + Feerie en six actes et douze tableaux + +Author: Maurice Maeterlinck + +Release Date: February 12, 2012 [EBook #38849] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'OISEAU BLEU *** + + + + +Produced by Annemie Arnst & Marc D'Hooghe at +http://www.freeliterature.org (From images generously made +available by the Internet Archive.) + + + + + +L'OISEAU BLEU + +par + +MAURICE MAETERLINCK + + +FÉERIE EN SIX ACTES ET DOUZE TABLEAUX + +_Représentée pour la première fois,_ +_sur le Théâtre Artistique de Moscou, le 30 Septembre 1908,_ +_et à Paris, sur la scène du Théâtre Réjane,_ +_le 2 Mars 1911._ + + + +PARIS + +Librairie CHARPENTIER et FASQUELLE + +EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR + +11, RUE DE GRENELLE, 11 + +1911 + + + + +COSTUMES + + +TYLTYL: Costume du Petit-Poucet dans les contes de Perrault: +petite culotte rouge-vermillon, courte veste bleu tendre, bas +blancs, souliers ou bottines de cuir fauve. + +MYTYL: Costume de Grethel ou bien du Petit Chaperon rouge. + +LA LUMIÈRE: Robe couleur de lune, c'est-à-dire d'or pâle à +reflets d'argent, gazes scintillantes, formant des rayons, etc. +Style néo-grec ou anglo-grec genre Walter Crane ou même plus ou +moins Empire.--Taille haute, bras nus, etc.--Coiffure: sorte de +diadème ou même de couronne légère. + +LA FÉE BÉRYLUNE, LA VOISINE BERLINGOT: Costume classique des +pauvresses de contes de fées. On pourrait supprimer au premier +acte la transformation de la Fée en princesse. + +LE PÈRE TYL, LA MÈRE TYL, GRAND-PAPA TYL, GRAND'MAMAN TYL: +Costumes légendaires des bûcherons et des paysans allemands dans +les contes de Grimm. + +LES FRÈRES ET SOEURS DE TYLTYL: Variantes du costume du +Petit-Poucet. + +LE TEMPS: Costume classique du Temps: vaste manteau noir ou gros +bleu, barbe blanche et flottante, faulx, sablier. + +L'AMOUR MATERNEL: Costume à peu près semblable à celui de la +Lumière, c'est-à-dire voiles souples et presque transparents de +statue grecque, blancs autant que possible. Perles et pierreries +aussi riches et aussi nombreuses qu'on voudra, pourvu qu'elles ne +rompent pas l'harmonie pure et candide de l'ensemble. + +LES GRANDES JOIES: Comme il est dit dans le texte, robes +lumineuses aux subtiles et suaves nuances: réveil de rose, +sourire d'eau, rosée d'ambre, azur d'aurore, etc. + +LES BONHEURS DE LA MAISON: Robes de diverses couleurs, ou si l'on +veut, costumes de paysans, de bergers, de bûcherons, etc., mais +idéalisés et féeriquement interprétés. + +LES GROS BONHEURS: Avant la transformation: amples et lourds +manteaux de brocarts rouges et jaunes, bijoux énormes et épais, +etc. Après la transformation: maillots café ou chocolat, donnant +l'impression de pantins en baudruche. + +LA NUIT: Amples vêtements noirs mystérieusement constellés, à +reflets mordorés. Voiles, pavots sombres, etc. + +LA PETITE FILLE DE LA VOISINE: Chevelure blonde et lumineuse, +longue robe blanche. + +LE CHIEN: Habit rouge, culotte blanche, bottes vernies, chapeau +ciré; costume rappelant plus ou moins celui de John Bull. + +LA CHATTE: Maillot de soie noire à paillettes + +Il convient que les têtes de ces deux personnages soient +discrètement animalisées. + +LE PAIN: Somptueux costume de pacha. Ample robe de soie ou de +velours cramoisi, broché d'or. Vaste turban. Cimeterre. Ventre +énorme, face rouge et extrêmement joufflue. + +LE SUCRE: Robe de soie, dans le genre de celles des eunuques, +mi-partie de blanc et de bleu pour rappeler le papier d'emballage +des pains de sucre; Coiffure des gardiens du sérail. + +LE FEU: Maillot rouge, manteau vermillon à reflets chatoyants, +doublé d'or. Aigrette de flammes versicolores. + +L'EAU: Robe couleur du temps du conte de Peau d'Ane, c'est-à-dire +bleuâtre ou glauque, à reflets transparents, effets de gaze +ruisselante, également style néo ou anglo-grec, mais plus ample, +plus flottant. Coiffure de fleurs et d'algues ou de roseaux. + +LES ANIMAUX: Costumes populaires ou paysans. + +LES ARBRES: Robes, nuances variées du vert ou de la teinte tronc +d'arbres. Attributs, feuilles ou branches qui les fassent +reconnaître. + + + + +TABLEAUX + + +1er TABLEAU (acte I): _La Cabane du Bûcheron._ + +2e TABLEAU (acte II): _Chez la Fée._ + +3e TABLEAU (acte II): _Le Pays du Souvenir._ + +4e TABLEAU (acte III): _Le Palais de la Nuit._ + +5e TABLEAU (acte III): _La Forêt._ + +6e TABLEAU (acte IV): _Devant le Rideau._ + +7e TABLEAU (acte IV): _Le Cimetière._ + +8e TABLEAU (acte IV): _Devant le Rideau._ + +9e TABLEAU (acte IV): _Le Palais des Bonheurs._ + +10e TABLEAU (acte V): _Le Royaume de l'Avenir._ + +11e TABLEAU (acte VI): _L'Adieu._ + +12e TABLEAU (acte VI): _Le Réveil._ + + + + +PERSONNAGES + +(dans l'ordre de leur entrée en scène) + + + LA MÈRE TYL -- Mlle Méthivet. + TYLTYL -- M. Delphin. + MYTYL -- Mlle Odette Carlia. + LA FÉE -- Mme Gina Barbieri. + LE PAIN -- MM. R.L. Fugère. + LE FEU -- Aurèle Sydney. + L'EAU -- Mlles Isis. + LE LAIT -- Diris. + LE SUCRE -- MM. Bosman. + LE CHIEN -- Séverin-Mars. + LE CHAT -- Stephen. + LA LUMIÈRE -- Mme Georgette Leblanc. + { Mlles Nini Mano. + { Henriette Maillefer. + { Fernande Fayeret. + { Blanche Faveret. + { Suzanne Bailly. + LES HEURES -- { Raymonde Faveret. + { Laurence Petit. + { Jane Faveret. + { Berthe Libovitz. + { Antoinette Raymond. + { Deroissy. + { Georges. + + LE PÈRE TYL -- M. Félix Barré. + GRAND'MÈRE TYL -- Mme Daynes Grassot. + GRAND-PÈRE TYL -- M. Maillard. + PIERROT -- Mlles Suterre. + ROBERT -- Maria Fromet. + JEANNETTE -- Jeanne Evrard. + MADELEINE -- Giavelli. + PIERRETTE -- Henriette Gallet. + PAULINE -- Henriette Maillefer. + RIQUETTE -- Nini Mano + LA NUIT -- Clarel. + LE SOMMEIL -- Louise Starck. + LA MORT -- Rachel Horelick. + LE RHUME DE CERVEAU -- Renée Dahon. + 1er ENFANT BLEU -- Maria Fromet. + 2e -- -- Laura Walter. + 3e -- -- Maria Dumont. + 4e -- -- Fernande Faveret. + 5e -- -- Maud Loti. + 6e -- -- Suterre. + 7e -- -- Suzanne Bailly. + 8e -- -- Giavelli. + 9e -- -- Madeleine Fromet. + LE ROI DES NEUF PLANÈTES -- Batistina Rousseau. + 11e ENFANT BLEU -- Renée Pré. + 12e -- -- Henriette Maillefer. + 13e -- -- Béatrice Raymond. + 14e -- -- Jeanne Corrège. + L'AMOUREUX -- Lucy Fleury. + L'AMOUREUSE -- Blanche Borelli. + LE TEMPS -- M. Garry. + LE PETIT FRÈRE A NAITRE. -- Mlle Maria Fromet. + { Mlles Berthe Libovitz. + { Fernande Faveret. + { Suzanne Faveret. + { Blanche Faveret. + { Raymonde Faveret. + LES AUTRES ENFANTS BLEUS: -- { Mlles Henriette Gallet. + { Jeanne Evrard. + { Denise Choquet. + { Léa Dumont. + { Marcelle Malherbe. + { Juliette Malherbe. + { Lucienne Chezeaux. + { Dupechier. + + { Mlles Deroissy. + { George. + LES GARDIENNES -- { Théloz. + { Albert. + + LE CHEF DES GROS BONHEURS. M. Barré. + LES AUTRES BONHEURS { MM. Alfroy. + { Adalbert, etc. + + { Mlle Lucienne Chezaux. + { Nini Mano. + { Jeanne Corrège. + LES PETITS BONHEURS -- { Henriette Maillefer. + { Fernand Faveret. + { Blanche Faveret. + { Louise Starck. + { Rachel Horelick. + + { Jane Faveret. + { Raymonde Faveret. + LES ADOLESCENTS -- { Maud Loti. + { Annette Libovitz. + { Laurence Petit. + + LE CHEF DES BONHEURS { Mlles Renée Beauval. + + LE BONHEUR DE SE BIEN + PORTER { Dorchèze. + -- DE L'AIR PUR { Fleury. + -- D'AIMER SES PARENTS { Gannoz. + -- DU CIEL BLEU { Blanche Borelli. + -- DE LA FORÊT { Diris. + + LE BONHEUR DES HEURES DE + SOLEIL { Mlles Boissière. + -- DU PRINTEMPS { Renée Dahon. + -- DES COUCHERS DE SOLEIL { Soyez. + -- DE VOIR SE LEVER + LES ÉTOILES { Georges. + -- DE LA PLUIE { Darièze. + -- DU FEU D'HIVER { Carène. + -- DES PENSÉES INNOCENTES { Laura Walter. + -- DE COURIR NU-PIEDS + DANS LA ROSÉE { Antoinette Raymond. + + LA JOIE D'ÊTRE JUSTE { Albert. + -- D'ÊTRE BONNE { Bulaine. + -- DE LA GLOIRE { Théloz. + -- DE PENSER { Deroissy. + -- DE COMPRENDRE { Lefebvre. + -- DE VOIR CE QUI EST BEAU { Didier. + -- D'AIMER { Dervil. + + L'AMOUR MATERNEL { Méthivet. + + { Soyez. + LES JOIES INCONNUES { Delettraz. + { Dessoyer, etc. + + LA VOISINE BERLINGOT { Mme Gina Barbieri. + + SA PETITE FILLE { Mlle Juliette Malherbe. + + + + + + + +L'OISEAU BLEU + + + + +ACTE PREMIER + + + + +PREMIER TABLEAU + + +LA CABANE DU BÛCHERON + + +Le théâtre représente l'intérieur d'une cabane de bûcheron, +simple, rustique, mais non point misérable.--Cheminée à manteau +où s'assoupit un feu de bûches.--Ustensiles de cuisine, armoire, +huche, horloge à poids, rouet, fontaine, etc.--Sur une table, une +lampe allumée.--Au pied de l'armoire, de chaque côté de +celle-ci, endormis, pelotonnés, le nez sous la queue, un Chien et +une Chatte.--Entre eux deux, un grand pain de sucre blanc et +bleu.--Accrochée au mur, une cage ronde renfermant une +tourterelle.--Au fond, deux fenêtres dont les volets intérieurs +sont fermés.--Sous l'une des fenêtres, un escabeau.--A gauche, la +porte d'entrée de la maison, munie d'un gros loquet.--A droite, +une autre porte.--Échelle menant à un grenier.--Également à +droite, deux petits lits d'enfant, au chevet desquels, sur deux +chaises, des vêtements se trouvent soigneusement pliés. + + * * * * * + + [Au lever du rideau, Tyltyl et Mytyl sont profondément + endormis dans leurs petits lits. La Mère Tyl les borde une + dernière fois, se penche sur eux, contemple un moment leur + sommeil, et appelle de la main le père Tyl qui passe la tête + dans l'entrebâillement de la porte. La Mère Tyl met un doigt + sur les lèvres pour lui commander le silence, puis sort à + droite sur la pointe des pieds, après avoir éteint la lampe. + La scène reste obscure un instant, puis une lumière dont + l'intensité augmente peu à peu filtre par les lames des + volets. La lampe sur la table se rallume d'elle-même. Les + deux enfants semblent s'éveiller et se mettent sur leur + séant.] + +TYLTYL + +Mytyl? + +MYTYL + +Tyltyl? + +TYLTYL + +Tu dors? + +MYTYL + +Et toi?... + +TYLTYL + +Mais non, je dors pas puisque je te parle.... + +MYTYL: + +C'est Noël, dis?... + +TYLTYL + +Pas encore; c'est demain. Mais le petit Noël n'apportera rien +cette année.... + +MYTYL + +Pourquoi?... + +TYLTYL + +J'ai entendu maman qui disait qu'elle n'avait pu aller à la ville +pour le prévenir.... Mais il viendra l'année prochaine.... + +MYTYL + +C'est long, l'année prochaine?... + +TYLTYL + +Ce n'est pas trop court.... Mais il vient cette nuit chez les +enfants riches.... + +MYTYL + +Ah?... + +TYLTYL + +Tiens!... Maman a oublié la lampe!... J'ai une idée?... + +MYTYL + +?... + +TYLTYL + +Nous allons nous lever.... + +MYTYL + +C'est défendu.... + +TYLTYL + +Puisqu'il n'y a personne.... Tu vois les volets?... + +MYTYL + +Oh! qu'ils sont clairs!... + +TYLTYL + +C'est les lumières de la fête. + +MYTYL + +Quelle fête? + +TYLTYL + +En face, chez les petits riches. C'est l'arbre de Noël. Nous +allons les ouvrir.... + +MYTYL + +Est-ce qu'on peut? + +TYLTYL + +Bien sûr, puisqu'on est seuls.... Tu entends la musique?... +Levons-nous.... + + Les deux enfants se lèvent, courent à l'une des fenêtres, + montent sur l'escabeau et poussent les volets. Une vive + clarté pénètre dans la pièce. Les enfants regardent + avidement au dehors. + +TYLTYL + +On voit tout!... + +MYTYL, [qui ne trouve qu'une place précaire sur l'escabeau.] + +Je vois pas.... + +TYLTYL + +Il neige!... Voilà deux voitures à six chevaux!... + +MYTYL Il en sort douze petits garçons!... + +TYLTYL + +T'es bête!... C'est des petites filles.... + +MYTYL + +Ils ont des pantalons.... + +TYLTYL + +Tu t'y connais.... Ne me pousse pas ainsi!... + +MYTYL + +Je t'ai pas touché. + +TYLTYL, [qui occupe à lui seul tout l'escabeau.] + +Tu prends toute la place.... + +MYTYL + +Mais j'ai pas du tout de place!... + +TYLTYL + +Tais-toi donc, on voit l'arbre!... + +MYTYL + +Quel arbre?... + +TYLTYL + +Mais l'arbre de Noël!... Tu regardes le mur!... + +MYTYL + +Je regarde le mur parce qu'y a pas de place.... + +TYLTYL, [lui cédant une petite place avare sur l'escabeau.] + +Là!... En as-tu assez?... C'est-y pas la meilleure?... Il y en a +des lumières! Il y en a!... + +MYTYL + +Qu'est-ce qu'ils font donc ceux qui font tant de bruit?... + +TYLTYL + +Ils font de la musique. + +MYTYL + +Est-ce qu'ils sont fâchés?... + +TYLTYL + +Non, mais c'est fatigant. + +MYTYL + +Encore une voiture attelée de chevaux blancs!... + +TYLTYL + +Tais-toi!... Regarde donc!... + +MYTYL + +Qu'est-ce qui pend là, en or, après les branches?... + +TYLTYL + +Mais les jouets, pardi!... Des sabres, des fusils, des soldats, +des canons.... + +MYTYL + +Et des poupées, dis, est-ce qu'on en a mis?... + +TYLTYL + +Des poupées?... C'est trop bête; ça ne les amuse pas.... + +MYTYL + +Et autour de la table, qu'est-ce que c'est tout ça?... + +TYLTYL + +C'est des gâteaux, des fruits, des tartes à la crème.... + +MYTYL + +J'en ai mangé une fois, lorsque j'étais petite.... + +TYLTYL + +Moi aussi; c'est meilleur que le pain, mais on en a trop peu.... + +MYTYL + +Ils n'en ont pas trop peu.... Il y en a plein la table.... Est-ce +qu'ils vont les manger?... + +TYLTYL + +Bien sûr; qu'en feraient-ils?... + +MYTYL + +Pourquoi qu'ils ne les mangent pas tout de suite?... + +TYLTYL + +Parce qu'ils n'ont pas faim.... + +MYTYL, stupéfaite. + +Ils n'ont pas faim?... Pourquoi?... + +TYLTYL + +C'est qu'ils mangent quand ils veulent.... + +MYTYL, incrédule. + +Tous les jours?... + +TYLTYL + +On le dit.... + +MYTYL + +Est-ce qu'ils mangeront tout?... Est-ce qu'ils en donneront?... + +TYLTYL + +A qui?... + +MYTYL + +A nous.... + +TYLTYL + +Ils ne nous connaissent pas.... + +MYTYL + +Si on leur demandait?... + +TYLTYL + +Cela ne se fait pas. + +MYTYL + +Pourquoi?... + +TYLTYL + +Parce que c'est défendu. + +MYTYL, battant des mains. + +Oh! qu'ils sont donc jolis!... + +TYLTYL, enthousiasmé. + +Et ils rient et ils rient!... + +MYTYL + +Et les petits qui dansent!... + +TYLTYL + +Oui, oui, dansons aussi!... + + Ils trépignent de joie sur l'escabeau. + +MYTYL + +Oh! que c'est amusant!... + +TYLTYL + +On leur donne les gâteaux!... Ils peuvent y toucher!... Ils +mangent! ils mangent! ils mangent!... + +MYTYL + +Les plus petits aussi!... Ils en ont deux, trois, quatre!... + +TYLTYL, [ivre de joie.] + +Oh! c'est bon!... Que c'est bon! que c'est bon!... + +MYTYL, [comptant des gâteaux imaginaires.] + +Moi, j'en ai reçu douze!... + +TYLTYL + +Et moi quatre fois douze!... Mais je t'en donnerai.... + + On frappe à la porte de la cabane. + +TYLTYL, [subitement calmé et effrayé.] + +Qu'est-ce que c'est?... + +MYTYL, [épouvantée.] + +C'est papa!... + + Comme ils tardent à ouvrir, on voit le gros loquet se + soulever de lui-même, en grinçant; la porte s'entrebâille + pour livrer passage à une petite vieille habillée de vert et + coiffée d'un chaperon rouge. Elle est bossue, boiteuse, + borgne; le nez et le menton se rencontrent, et elle marche + courbée sur un bâton. Il n'est pas douteux que ce ne soit + une fée. + +LA FÉE + +Avez-vous ici l'herbe qui chante ou l'oiseau qui est bleu?... + +TYLTYL + +Nous avons de l'herbe, mais elle ne chante pas.... + +MYTYL + +Tyltyl a un oiseau. + +TYLTYL + +Mais je ne peux pas le donner.... + +LA FÉE + +Pourquoi?... + +TYLTYL + +Parce qu'il est à moi. + +LA FÉE + +C'est une raison, bien sûr. Où est-il, cet oiseau?... + +TYLTYL, [montrant la cage.] + +Dans la cage.... + +LA FÉE, [mettant ses besicles pour examiner l'oiseau.] + +Je n'en veux pas; il n'est pas assez bleu. Il faudra que vous +m'alliez chercher celui dont j'ai besoin. + +TYLTYL + +Mais je ne sais pas où il est.... + +LA FÉE + +Moi non plus. C'est pourquoi il faut le chercher. Je puis à la +rigueur me passer de l'herbe qui chante; mais il me faut +absolument l'Oiseau Bleu. C'est pour ma petite fille qui est très +malade. + +TYLTYL + +Qu'est-ce qu'elle a?... + +LA FÉE + +On ne sait pas au juste; elle voudrait être heureuse.... + +TYLTYL + +Ah?... + +LA FÉE + +Savez-vous qui je suis?... + +TYLTYL + +Vous ressemblez un peu à notre voisine, Madame Berlingot.... + +LA FÉE, se fâchant subitement. + +En aucune façon.... Il n'y a aucun rapport.... C'est +abominable!... Je suis la Fée Bérylune.... + +TYLTYL + +Ah! très bien.... + +LA FÉE + +Il faudra partir tout de suite. + +TYLTYL + +Vous viendrez avec nous?... + +LA FÉE + +C'est absolument impossible à cause du pot-au-feu que j'ai mis ce +matin et qui s'empresse de déborder chaque fois que je m'absente +plus d'une heure.... [Montrant successivement le plafond, la +cheminée et la fenêtre.] Voulez-vous sortir par ici, par là ou +par là?... + +TYLTYL, [montrant timidement la porte.] + +J'aimerais mieux sortir par là.... + +LA FÉE, [se fâchant encore subitement.] + +C'est absolument impossible, et c'est une habitude révoltante!... +[Indiquant la fenêtre.] Nous sortirons par là.... Eh bien!... +Qu'attendez-vous?... Habillez-vous tout de suite.... [Les enfants +obéissent et s'habillent rapidement.] Je vais aider Mytyl.... + +TYLTYL + +Nous n'avons pas de souliers.... + +LA FÉE + +Ça n'a pas d'importance. Je vais vous donner un petit chapeau +merveilleux. Où sont donc vos parents?... + +TYLTYL, [montrant la porte à droite.] + +Ils sont là; ils dorment.... + +LA FÉE + +Et votre bon-papa et votre bonne-maman?... + +TYLTYL + +Ils sont morts.... + +LA FÉE + +Et vos petits frères et vos petites soeurs.... Vous en +avez?... + +TYLTYL + +Oui, oui; trois petits frères.... + +MYTYL + +Et quatre petites soeurs.... + +LA FÉE + +Où sont-ils?... + +TYLTYL + +Ils sont morts aussi.... + +LA FÉE + +Voulez-vous les revoir?... + +TYLTYL + +Oh oui!... Tout de suite!... Montrez-les!... + +LA FÉE + +Je ne les ai pas dans ma poche.... Mais ça tombe à merveille; +vous les reverrez en passant par le pays du Souvenir. C'est sur +la route de l'Oiseau-Bleu. Tout de suite à gauche, après le +troisième carrefour.--Que faisiez-vous quand j'ai frappé?... + +TYLTYL + +Nous jouions à manger des gâteaux. + +LA FÉE + +Vous avez des gâteaux?... Où sont-ils? + +TYLTYL + +Dans le palais des enfants riches.... Venez voir, c'est si +beau!... + + [Il entraîne la Fée vers la fenêtre.] + +LA FÉE, à la fenêtre. + +Mais ce sont les autres qui les mangent!... + +TYLTYL + +Oui; mais puisqu'on voit tout.... + +LA FÉE + +Tu ne leur en veux pas?... + +TYLTYL + +Pourquoi?... + +LA FÉE + +Parce qu'ils mangent tout. Je trouve qu'ils ont grand tort de ne +pas t'en donner.... + +TYLTYL + +Mais non, puisqu'ils sont riches.... Hein? que c'est beau chez +eux!... + +LA FÉE + +Ce n'est pas plus beau que chez toi. + +TYLTYL + +Heu!... Chez nous c'est plus noir, plus petit, sans gâteaux.... + +LA FÉE + +C'est absolument la même chose; c'est que tu n'y vois pas.... + +TYLTYL + +Mais si, j'y vois très bien, et j'ai de très bons yeux. Je lis +l'heure au cadran de l'église que papa ne voit pas.... + +LA FÉE, [se fâchant subitement.] + +Je te dis que tu n'y vois pas!... Comment donc me vois-tu?... +Comment donc suis-je faite?... [Silence gêné de Tyltyl.] Eh bien, +répondras-tu? que je sache si tu vois?... Suis-je belle ou bien +laide?... [Silence de plus en plus embarrassé.] Tu ne veux pas +répondre?... Suis-je jeune ou bien veille?... Suis-je rose ou +bien jaune?... j'ai peut-être une bosse?... + +TYLTYL, [conciliant.] + +Non, non, elle n'est pas grande.... + +LA FÉE + +Mais si, à voir ton air, on la croirait énorme.... Ai-je le nez +crochu et l'oeil gauche crevé?... + +TYLTYL + +Non, non, je ne dis pas.... Qui est-ce qui l'a crevé?... + +LA FÉE, de plus en plus irritée. + +Mais il n'est pas crevé!... Insolent! misérable!... Il est plus +beau que l'autre; il est plus grand, plus clair, il est bleu +comme le ciel.... Et mes cheveux, vois-tu?... Ils sont blonds +comme les blés.... on dirait de l'or vierge!... Et j'en ai tant +et tant que la tête me pèse.... Ils s'échappent de partout.... +Les vois-tu sur mes mains?... + + [Elle étale deux maigres mèches de cheveux gris.] + +TYLTYL + +Oui, j'en vois quelques-uns.... + +LA FÉE, [indignée.] + +Quelques-uns!... Des gerbes! des brassées! des touffes! des flots +d'or!... Je sais bien que des gens disent qu'ils n'en voient +point; mais tu n'es pas de ces méchantes gens aveugles, je +suppose?... + +TYLTYL + +Non, non, je vois très bien ceux qui ne se cachent point.... + +LA FÉE + +Mais il faut voir les autres avec la même audace!... C'est bien +curieux, les hommes.... Depuis la mort des fées, ils n'y voient +plus du tout et ne s'en doutent point.... Heureusement que j'ai +toujours sur moi tout ce qu'il faut pour rallumer les yeux +éteints.... Qu'est-ce que je tire de mon sac?... + +TYLTYL + +Oh! le joli petit chapeau vert!... Qu'est-ce qui brille ainsi sur +la cocarde?... + +LA FÉE + +C'est le gros Diamant qui fait voir.... + +TYLTYL + +Ah!... + +LA FÉE + +Oui; quand on a le chapeau sur la tête, on tourne un peu le +Diamant: de droite à gauche, par exemple, tiens, comme ceci, +vois-tu?... Il appuie alors sur une bosse de la tête que personne +ne connaît, et qui ouvre les yeux.... + +TYLTYL + +Ça ne fait pas de mal?... + +LA FÉE + +Au contraire, il est fée.... On voit à l'instant même ce qu'il y +a dans les choses; l'âme du pain, du vin, du poivre, par +exemple.... + +MYTYL + +Est-ce qu'on voit aussi l'âme du sucre?... + +LA FÉE, [subitement fâchée.] + +Cela va sans dire!... Je n'aime pas les questions inutiles.... +L'âme du sucre n'est pas plus intéressante que celle du +poivre.... Voilà, je vous donne ce que j'ai pour vous aider dans +la recherche de l'Oiseau-Bleu.... Je sais bien que +l'Anneau-qui-rend-invisible ou le Tapis-Volant vous seraient plus +utiles.... Mais j'ai perdu la clef de l'armoire où je les ai +serrés.... Ah! j'allais oublier.... [Montrant le Diamant.] Quand +on le tient ainsi, tu vois.... un petit tour de plus, on revoit +le Passé.... Encore un petit tour, et l'on voit l'Avenir.... +C'est curieux et pratique et ça ne fait pas de bruit.... + +TYLTYL + +Papa me le prendra.... + +LA FÉE + +Il ne le verra pas; personne ne peut le voir tant qu'il est sur +ta tête.... Veux-tu l'essayer?... [Elle coiffe Tyltyl du petit +chapeau vert.] A présent, tourne le Diamant.... Un tour et puis +après.... + + [A peine Tyltyl a-t-il tourné le Diamant, qu'un changement + soudain et prodigieux s'opère en toutes choses. La vieille + fée est tout à coup une belle princesse merveilleuse; les + cailloux dont sont bâtis les murs de la cabane s'illuminent, + bleuissent comme des saphirs, deviennent transparents, + scintillent, éblouissent à l'égal des pierres les plus + précieuses. Le pauvre mobilier s'anime et resplendit; la + table de bois blanc s'affirme aussi grave, aussi noble + qu'une table de marbre, le cadran de l'horloge cligne de + l'oeil et sourit avec aménité, tandis que la porte + derrière quoi va et vient le balancier s'entr'ouvre et + laisse s'échapper les Heures, qui, se tenant les mains et + riant aux éclats, se mettent à danser aux sons d'une musique + délicieuse. Effarement légitime de Tyltyl qui s'écrie en + montrant les Heures.] + +TYLTYL + +Qu'est-ce que c'est que toutes ces belles dames?... + +LA FÉE + +N'aie pas peur; ce sont les heures de ta vie qui sont heureuses +d'être libres et visibles un instant.... + +TYLTYL + +Et pourquoi que les murs sont si clairs?... Est-ce qu'ils sont en +sucre ou en pierres précieuses?... + +LA FÉE + +Toutes les pierres sont pareilles, toutes les pierres sont +précieuses: mais l'homme n'en voit que quelques-unes.... + + [Pendant qu'ils parlent ainsi, la féerie continue et se + complète. Les âmes des Pains-de-quatre-livres, sous la forme + de bonshommes en maillots couleur croûte-de-pain, ahuris et + poudrés de farine, se dépêtrent de la huche et gambadent + autour de la table où ils sont rejoints par le Feu, qui, + sorti de l'âtre en maillot soufre et vermillon, les poursuit + en se tordant de rire.] + +TYLTYL + +Qu'est-ce que c'est que ces vilains bonshommes?... + +LA FÉE + +Rien de grave; ce sont les âmes des Pains-de-quatre-livres qui +profitent du règne de la vérité pour sortir de la huche où elles +se trouvaient à l'étroit.... + +TYLTYL + +Et le grand diable rouge qui sent mauvais?... + +LA FÉE + +Chut!... Ne parle pas trop haut, c'est le Feu.... Il a mauvais +caractère. + + [Ce dialogue n'a pas interrompu la féerie. Le Chien et la + Chatte, couchés en rond au pied de l'armoire, poussant + simultanément un grand cri, disparaissent dans une trappe, + et à leur place surgissent deux personnages, dont l'un porte + un masque de bouledogue, et l'autre une tête de chatte. + Aussitôt, le petit homme au masque de bouledogue--que nous + appellerons dorénavant le Chien--se précipite sur Tyltyl + qu'il embrasse violemment et accable île bruyantes et + impétueuses caresses, cependant que la petite femme au + masque de chatte--que nous appellerons plus simplement la + Chatte--se donne un coup de peigne, se lave les mains et se + lisse la moustache, avant de s'approcher de Mytyl.] + +LE CHIEN, [hurlant, sautant, bousculant tout, insupportable.] + +Mon petit dieu!... Bonjour! bonjour, mon petit dieu!... Enfin, +enfin, on peut parler! J'avais tant de choses à te dire!... +J'avais beau aboyer et remuer la queue!... Tu ne comprenais +pas!... Mais maintenant!... Bonjour! bonjour!... Je t'aime!... Je +t'aime!... Veux-tu que je fasse quelque chose d'étonnant?... +Veux-tu que je fasse le beau?... Veux-tu que je marche sur les +mains ou que je danse à la corde?... + +TYLTYL, à la Fée. + +Qu'est-ce que c'est que ce monsieur à tête de chien?... + +LA FÉE + +Mais tu ne vois donc pas?... C'est l'âme de Tylô que tu as +délivrée.... + +LA CHATTE, [s'approchant de Mytyl et lui tendant la main, +cérémonieusement, avec circonspection.] + +Bonjour, Mademoiselle.... Que vous êtes jolie ce matin!... + +MYTYL + +Bonjour, Madame.... [A la Fée.] Qui est-ce?... + +LA FÉE + +C'est facile à voir; c'est l'âme de Tylette qui te tend la +main.... Embrasse-la.... + +LE CHIEN, [bousculant la Chatte.] + +Moi aussi!... J'embrasse le petit dieu!... J'embrasse la petite +fille!... J'embrasse tout le monde!... Chic!... On va +s'amuser!... Je vais faire peur à Tylette!... Hou! hou! hou!... + +LA CHATTE + +Monsieur, je ne vous connais pas.... + +LA FÉE, [menaçant le Chien de sa baguette.] + +Toi, tu vas te tenir bien tranquille; sinon tu rentreras dans le +silence, jusqu'à la fin des temps.... + + [Cependant, la féerie a poursuivi son cours: le Rouet s'est + mis à tourner vertigineusement dans son coin en filant de + splendides rayons de lumière; la Fontaine, dans l'autre + angle, se prend à chanter d'une voix sur-aiguë et, se + transformant en fontaine lumineuse, inonde l'évier de nappes + de perles et d'émeraudes, à travers lesquelles s'élance + l'âme de l'Eau, pareille à une jeune fille ruisselante, + échevelée, pleurarde, qui va incontinent se battre avec le + feu.] + +TYLTYL + +Et la dame mouillée?... + +LA FÉE + +N'aie pas peur, c'est l'Eau qui sort du robinet.... + + [Le Pot-au-lait se renverse, tombe de la table, se brise sur + le sol; et du lait répandu s'élève une grande forme blanche + et pudibonde qui semble avoir peur de tout.] + +TYLTYL + +Et la dame en chemise qui a peur?... + +LA FÉE + +C'est le Lait qui a cassé son pot.... + + [Le Pain-de-sucre posé au pied de l'armoire grandit, + s'élargit et crève son enveloppe de papier d'où émerge un + être doucereux: et papelard, vêtu d'une souquenille + mi-partie de blanc et de bleu, qui, souriant béatement, + s'avance vers Mytyl.] + +MYTYL, [avec inquiétude.] + +Que veut-il?... + +LA FÉE + +Mais c'est l'âme du Sucre!... + +MYTYL, [rassurée.] + +Est-ce qu'il a des sucres d'orge?... + +LA FÉE + +Mais il n'a que ça dans ses poches, et chacun de ses doigts en +est un.... + + [La Lampe tombe de la table, et aussitôt tombée, sa flamme + se redresse et se transforme en une lumineuse vierge d'une + incomparable beauté. Elle est vêtue de longs voiles + transparents et éblouissants, et se tient immobile en une + sorte d'extase.] + +TYLTYL + +C'est la Reine! + +MYTYL + +C'est la Sainte Vierge!... + +LA FÉE + +Non, mes enfants, c'est la Lumière.... + + [Cependant, les casseroles, sur les rayons, tournent comme + des toupies hollandaises, l'armoire à linge claque ses + battants et commence un magnifique déroulement d'étoffes + couleur de lune et de soleil, auquel se mêlent, non moins + splendides, des chiffons et des guenilles qui descendent + l'échelle du grenier. Mais voici que trois coups assez rudes + sont frappés à la porte de droite.] + +TYLTYL, [effrayé.] + +C'est papa!... Il nous a entendus!... + +LA FÉE + +Tourne le Diamant!... De gauche à droite!... + +[Tyltyl tourne vivement le diamant.] Pas si vite!... Mon Dieu! Il +est trop tard!... Tu l'as tourné trop brusquement. Ils n'auront +pas le temps de reprendre leur place, et nous aurons bien des +ennuis.... [La Fée redevient vieille femme, les murs de la cabane +éteignent leurs splendeurs, les Heures rentrent dans l'horloge, +le Rouet s'arrête, etc. Mais dans la hâte et le désarroi général, +tandis que le Feu court follement autour de la pièce, à la +recherche de la cheminée, un des Pains-de-quatre-livres, qui n'a +pu retrouver place dans la huche, éclate en sanglots tout en +poussant des rugissements d'épouvante.] Qu'y a-t-il?... + +LE PAIN, [tout en larmes.] + +Il n'y a plus de place dans la huche!... + +LA FÉE, [se penchant sur la huche.] + +Mais si, mais si.... [Poussant les autres pains qui ont repris +leur place primitive.] Voyons, vite, rangez-vous.... + + [On heurte encore la porte.] + +LE PAIN, [éperdu, s'efforçant vainement d'entrer dans la huche.] + +Il n'y a pas moyen!... Il me mangera le premier!... + +LE CHIEN, [gambadant autour de Tyltyl.] + +Mon petit dieu!... Je suis encore ici!... Je puis encore parler! +Je puis encore t'embrasser!... Encore! encore! encore!... + +LA FÉE + +Comment, toi aussi?... Tu es encore là?... + +LE CHIEN + +J'ai de la veine.... Je n'ai pas pu rentrer dan le silence; la +trappe s'est refermée trop vite.. + +LA CHATTE + +La mienne aussi.... Que va-t-il arriver?... Est-ce que c'est +dangereux? + +LA FÉE + +Mon Dieu, je dois vous dire la vérité: tous ceux qui +accompagneront les deux enfants, mourront à la fin du voyage.... + +LA CHATTE + +Et ceux qui ne les accompagneront pas?... + +LA FÉE + +Ils survivront quelques minutes.... + +LA CHATTE, [au Chien.] + +Viens, rentrons dans la trappe.... + +LE CHIEN + +Non, non!... Je ne veux pas!... Je veux accompagner le petit +dieu!... Je veux lui parler tout le temps!... + +LA CHATTE + +Imbécile!... + + [On heurte encore à la porte.] + +LE PAIN, [pleurant à chaudes larmes.] + +Je ne veux pas mourir à la fin du voyage!... Je veux rentrer tout +de suite dans ma huche!... + +LE FEU, [qui n'a cessé de parcourir vertigineusement la pièce en +poussant des sifflements d'angoisse.] + +Je ne trouve plus ma cheminée!... + +L'EAU, [qui tente vainement de rentrer dans le robinet.] + +Je ne peux plus rentrer dans le robinet!... + +LE SUCRE, [qui s'agite autour de son enveloppe de papier.] + +J'ai crevé mon papier d'emballage!... + +LE LAIT, [lymphatique et pudibond.] + +On a cassé mon petit pot!... + +LA FÉE + +Sont-ils bêtes, mon Dieu!... Sont-ils bêtes et poltrons!... Vous +aimeriez donc mieux continuer de vivre dans vos vilaines boîtes, +dans vos trappes et dans vos robinets que d'accompagner les +enfants qui vont chercher l'Oiseau?... + +TOUS, [à l'exception du Chien et de la Lumière.] + +Oui! oui! Tout de suite!... Mon robinet!... Ma huche!... Ma +cheminée!... Ma trappe!... + +LA FÉE, [à la Lumière qui regarde rêveusement les débris de sa +lampe.] + +Et toi, la Lumière, qu'en dis-tu?... + +LA LUMIÈRE + +J'accompagnerai les enfants.... + +LE CHIEN, [hurlant de joie.] + +Moi aussi! moi aussi!... + +LA FÉE + +Voilà qui est des mieux. Du reste, il est trop tard pour reculer; +vous n'avez plus le choix, vous sortirez tous avec nous.... Mais +toi, le Feu, ne t'approche de personne, toi, le Chien, ne taquine +pas la Chatte, et toi, l'eau, tiens-toi droite et tâche de ne pas +couler partout.... + +[Des coups violents sont encore frappés à la porte de droite.] + +TYLTYL, [écoutant.] + +C'est encore papa!... Cette fois, il se lève, je l'entends +marcher.... + +LA FÉE + +Sortons par la fenêtre.... Vous viendrez tous chez moi, où +j'habillerai convenablement les animaux et les phénomènes.... [Au +Pain.] Toi, le Pain, prends la cage dans laquelle on mettra +l'Oiseau-Bleu.... Tu en auras la garde.... Vite, vite, ne perdons +pas de temps.... + + [La fenêtre s'allonge brusquement, comme une porte. Ils + sortent tous, après quoi la fenêtre reprend sa forme + primitive et se referme innocemment. La chambre est + redevenue obscure, et les deux petits lits sont plongés dans + l'ombre. La porte à droite s'entr'ouvre, et dans + l'entrebâillement paraissent les têtes du père et de la mère + Tyl.] + +LE PÈRE TYL + +Ce n'était rien.... C'est le grillon qui chante.... + +LA MÈRE TYL + +Tu les vois?... + +LE PÈRE TYL + +Bien sûr.... Ils dorment tranquillement.... + +LA MÈRE TYL + +Je les entends respirer.... + +[La porte se referme.] + +RIDEAU + + + + +ACTE DEUXIÈME + + + + +DEUXIÈME TABLEAU + +CHEZ LA FÉE + + +Un magnifique vestibule dans le palais de la Fée Bérylune. +Colonnes de marbre clair à chapiteaux d'or et d'argent, +escaliers, portiques, balustrades, etc. + + * * * * * + + [Entrent au fond, à droite, somptueusement habillés, la + Chatte, le Sucre et le Feu. Ils sortent d'un appartement + d'où émanent des rayons de lumière; c'est la garde-robe de + la Fée. La Chatte a jeté une gaze légère sur son maillot de + soie noire, le Sucre a revêtu une robe de soie, mi-partie de + blanc et de bleu tendre, et le Feu, coiffé d'aigrettes + multicolores, un long manteau cramoisi doublé d'or. Ils + traversent toute la salle et descendent au premier plan, à + droite, où la Chatte les réunit sous un portique.] + +LA CHATTE + +Par ici. Je connais tous les détours de ce palais.... La Fée +Bérylune l'a hérité de Barbe-Bleue.... Pendant que les enfants +et la Lumière rendent visite à la petite fille de la Fée, +profitons de notre dernière minute de liberté.... Je vous ai fait +venir ici, afin de vous entretenir de la situation qui nous est +faite.... Sommes-nous tous présents?... + +LE SUCRE + +Voici le Chien qui sort de la garde-robe de la Fée.... + +LE FEU + +Comment diable s'est-il habillé?... + +LA CHATTE + +Il a pris la livrée d'un des laquais du carrosse de +Cendrillon.... C'est bien ce qu'il lui fallait.... Il a une âme +de valet.... Mais dissimulons-nous derrière la balustrade.... Je +m'en méfie étrangement.... Il vaudrait mieux qu'il n'entende pas +ce que j'ai à vous dire.... + +LE SUCRE + +C'est inutile.... Il nous a éventés.... Tiens, voilà l'Eau qui +sort en même temps de la garde-robe.... Dieu! qu'elle est +belle!... + + [Le Chien et l'Eau rejoignent le premier groupe.] + +LE CHIEN, gambadant. + +Voilà! voilà!... Sommes-nous beaux! Regardez donc ces dentelles, +et puis ces broderies!... C'est de l'or et du vrai!... + +LA CHATTE, [à l'Eau.] + +C'est la robe «couleur-du-temps» de Peau-d'Âne?... Il me semble +que je la connais.... + +L'EAU + +Oui, c'est encore ce qui m'allait le mieux.... + +LE FEU, [entre les dents.] + +Elle n'a pas son parapluie.... + +L'EAU + +Vous dites?... + +LE FEU + +Rien, rien.... + +L'EAU + +Je croyais que vous parliez d'un gros nez rouge que j'ai vu +l'autre jour.... + +LA CHATTE + +Voyons, ne nous querellons pas, nous avons mieux à faire.... Nous +n'attendons plus que le Pain: où est-il?... + +LE CHIEN + +Il n'en finissait pas de faire de l'embarras pour choisir son +costume.... + +LE FEU + +C'est bien la peine, quand on a l'air idiot et qu'on porte un +gros ventre.... + +LE CHIEN + +Finalement, il s'est décidé pour une robe turque, ornée de +pierreries, un cimeterre et un turban.... + +LA CHATTE + +Le voilà!... Il a mis la plus belle robe de Barbe-Bleue.... + + [Entre le Pain, dans le costume qu'on vient de décrire. La + robe de soie est péniblement croisée sur son énorme ventre. + Il tient d'une main la garde du cimeterre passé dans sa + ceinture et de l'autre la cage destinée à l'Oiseau-Bleu.] + +LE PAIN, [se dandidant vaniteusement.] + +Eh bien?... Comment me trouvez-vous?... + +LE CHIEN, [gambadant autour du Pain.] + +Qu'il est beau! qu'il est bête! qu'il est beau! qu'il est +beau!... + +LA CHATTE, [au Pain.] + +Les enfants sont-ils habillés?... + +LE PAIN + +Oui, Monsieur Tyltyl a pris la veste rouge, les bas blancs et la +culotte bleue du Petit-Poucet; quant à Mademoiselle Mytyl, elle a +la robe de Grethel et les pantoufles de Cendrillon.... Mais la +grande affaire, ç'a été d'habiller la Lumière!... + +LA CHATTE + +Pourquoi?... + +LE PAIN + +La Fée la trouvait si belle qu'elle ne voulait pas l'habiller du +tout!... Alors j'ai protesté au nom de notre dignité d'éléments +essentiels et éminemment respectables; et j'ai fini par déclarer +que, dans ces conditions, je refusais de sortir avec elle.... + +LE FEU + +Il fallait lui acheter un abat-jour!... + +LA CHATTE + +Et la Fée, qu'a-t-elle répondu?... + +LE PAIN + +Elle m'a donné quelques coups de bâton sur la tête et le +ventre.... + +LA CHATTE + +Et alors?... + +LE PAIN + +Je fus promptement convaincu, mais au dernier moment, la Lumière +s'est décidée pour la robe «couleur-de-lune» qui se trouvait au +fond du coffre aux trésors de Peau-d'Ane.... + +LA CHATTE + +Voyons, c'est assez bavardé, le temps presse.... Il s'agit de +notre avenir.... Vous l'avez entendu, la Fée vient de le dire, la +fin de ce voyage marquera en même temps la fin de notre vie.... +Il s'agit donc de le prolonger autant que possible et par tous +les moyens possibles.... Mais il y a encore autre chose; il faut +que nous pensions au sort de notre race et à la destinée de nos +enfants.... + +LE PAIN + +Bravo! bravo!... La Chatte a raison!... + +LA CHATTE + +Écoutez-moi.... Nous tous ici présents, animaux, choses et +éléments, nous possédons une âme que l'homme ne connaît pas +encore. C'est pourquoi nous gardons un reste d'indépendance; +mais, s'il trouve l'Oiseau-Bleu, il saura tout, il verra tout, et +nous serons complètement à sa merci.... C'est ce que vient de +m'apprendre ma vieille amie la Nuit, qui est en même temps la +gardienne des mystères de la Vie.... Il est donc de notre intérêt +d'empêcher à tout prix qu'on ne trouve cet oiseau, fallût-il +aller jusqu'à mettre en péril la vie même des enfants.... + +LE CHIEN, indigné. + +Que dit-elle, celle-là?... Répète un peu que j'entende bien ce +que c'est? + +LE PAIN + +Silence!... Vous n'avez pas la parole!... Je préside +l'assemblée.... + +LE FEU + +Qui vous a nommé président?... + +L'EAU, [au Feu.] + +Silence!... De quoi vous mêlez-vous?... + +LE FEU + +Je me mêle de ce qu'il faut.... Je n'ai pas d'observations à +recevoir de vous.... + +LE SUCRE, [conciliant.] + +Permettez.... Ne nous querellons point.... L'heure est grave.... +Il s'agit avant tout de s'entendre sur les mesures à prendre.... + +LE PAIN + +Je partage entièrement l'avis du Sucre et de la Chatte.... + +LE CHIEN + +C'est idiot!... Il y a l'Homme, voilà tout!... Il faut lui obéir +et faire tout ce qu'il veut!... Il n'y a que ça de vrai.... Je ne +connais que lui!... Vive l'Homme!... A la vie, à la mort, tout +pour l'Homme!... l'Homme est dieu!... + +LE PAIN + +Je partage entièrement l'avis du Chien. + +LA CHATTE, [au Chien.] + +Mais on donne ses raisons.... + +LE CHIEN + +Il n'y a pas de raisons!... J'aime l'Homme, ça suffit!... Si vous +faites quelque chose contre lui, je vous étranglerai d'abord et +j'irai tout lui révéler.... + +LE SUCRE, [intervenant avec douceur.] + +Permettez.... N'aigrissons pas la discussion.... D'un certain +point de vue, vous avez raison, l'un et l'autre.... Il y a le +pour et le contre.... + +LE PAIN + +Je partage entièrement l'avis du Sucre!... + +LA CHATTE + +Est-ce que tous ici, l'Eau, le Feu, et vous-mêmes le Pain et le +Chien, nous ne sommes pas victimes d'une tyrannie sans nom?... +Rappelez-vous le temps où, avant la venue du despote, nous +errions librement sur la face de la Terre.... l'Eau et le Feu +étaient les seuls maîtres du monde; et voyez ce qu'ils sont +devenus!... Quant à nous, les chétifs descendants des grands +fauves.... Attention!... N'ayons l'air de rien.... Je vois +s'avancer la Fée et la Lumière.... La Lumière s'est mise du parti +de l'Homme; c'est notre pire ennemie.... Les voici.... + + [Entrent à droite, la Fée et la Lumière, suivies de Tyltyl + et de Mytyl.] + +LA FÉE + +Eh bien?... qu'est-ce que c'est?... Que faites-vous dans ce +coin?... Vous avez l'air de conspirer.... Il est temps de se +mettre en route.... Je viens de décider que la Lumière sera votre +chef.... Vous lui obéirez tous comme à moi-même et je lui confie +ma baguète.... Les enfants visiteront ce soir leurs grand-parents +qui sont morts.... Vous ne les accompagnerez pas, par discrétion.... +Ils passeront la soirée au sein de leur famille décédée.... +Pendant ce temps, vous préparerez tout ce qu'il faut pour l'étape +de demain, qui sera longue.... Allons, debout, en route et chacun +à son poste!... + +LA CHATTE, [hypocritement.] + +C'est tout juste ce que je leur disais, Madame la Fée.... Je les +exhortais à remplir consciencieusement et courageusement tout +leur devoir; malheureusement, le Chien qui ne cessait de +m'interrompre.... + +LE CHIEN + +Que dit-elle?... Attends un peu!... + + [Il va bondir sur la chatte, mais Tyltyl, qui a prévenu son + mouvement, l'arrête d'un geste menaçant.] + +TYLTYL + +A bas, Tylô!... Prends garde; et s'il t'arrive encore une seul +fois de.... + +LE CHIEN + +Mon petit dieu, tu ne sais pas, c'est elle qui.... + +TYLTYL, [le menaçant.] + +Tais-toi!... + +LA FÉE + +Voyons, finissons-en.... Que le Pain, ce soir, remette la cage à +Tyltyl.... Il est possible que l'Oiseau-Bleu se cache dans le +Passé, chez les grands-parents.... En tout cas, c'est une chance +qu'il convient de ne point négliger.... Eh bien, le Pain, cette +cage?... + +LE PAIN, [solennel.] + +Un instant, s'il vous plaît, Madame le Fée.... [Comme un orateur +qui prend la parole.] Vous tous, soyez temoins que cette cage +d'argent qui me fut confiée par.... + +LA FÉE, [l'interrompant]. + +Assez!... Pas de phrases.... Nous sortirons par là, tandis que +les enfants sortiront par ici.... + +TYLTYL, [avec inquiet.] + +Nous sortirons tout seuls?... + +MYTYL + +J'ai faim!... + +TYLTYL + +Moi aussi!... + +LA FÉE, [au Pain.] + +Ouvre ta robe turque et donne leur une tranche de ton bon ventre. + + [Le Pain ouvre sa robe, tire son cimeterre et coupe, à même + son gros ventre, deux tartines qu'il offre aux enfants.] + +LE SUCRE, [s'approchant des enfants.] + +Permettez-moi de vous offrir en même temps quelques sucres +d'orge.... + + [Il casse un à un les cinq doigts de sa main gauche et les + leur présente.] + +MYTYL + +Qu'est-ce qu'il fait?... Il casse tous ses doigts.... + +LE SUCRE, [engageant.] + +Goûtez-les, ils sont excellents.... C'est de vrais sucres +d'orge.... + +MYTYL, [suçant un des doigts.] + +Dieu qu'il est bon!... Est-ce que tu en as beaucoup?... + +LE SUCRE, [modeste.] + +Mais qui, tant que je veux.... + +MYTYL + +Est-ce que ça te fait mal quand tu les casses ainsi?... + +LE SUCRE + +Pas du tout.... Au contraire; c'est très avantageux, ils +repoussent tout de suite, et de cette façon, j'ai toujours des +doigts propres et neufs.... + +LA FÉE + +Voyons, mes enfants, ne mangez pas trop de sucre. N'oubliez pas +que vous souperez tout à l'heure chez vos grands-parents.... + +TYLTYL + +Ils sont ici?... + +LA FÉE + +Vous allez les voir à l'instant.... + +TYLTYL + +Comment les verrons-nous, puisqu'ils sont morts?... + +LA FÉE + +Comment seraient-ils morts puisqu'ils vivent dans votre +souvenir?... Les hommes ne savent pas ce secret parce qu'ils +savent bien peu de chose; au lieu que toi, grâce au Diamant, tu +vas voir que les morts dont on se souvient aussi heureux que +s'ils n'étaient point morts.... + +TYLTYL + +La Luminière vient avec nous?... + +LA LUMINIÈRE + +Non, il est plus convenable que cela se passe en famille.... +J'attendrai ici près pour ne point paraître indiscrète.... Ils ne +m'ont pas invitée. + +TYLTYL + +Par où faut-il aller?... + +LA FÉE + +Par là.... Vous êtes au seuil du «Pays du Souvenir». Dès que tu +auras tourné le Diamant, tu verras un gros arbre muni d'un +écriteau, qui te montrera que tu es arrivé.... Mais n'oubliez pas +que vous devez être rentré tous les deux à neuf heures moins le +quart.... C'est extrêmement important.... Surtout soyez exacts, +car tout serait perdu si vous vous mettiez en retard.... A +bientôt.... [Appelant la Chatte, le Chien, la Lumière, etc.] Par +ici.... Et les petits par là.... + +Elle sort à droite avec la Lumière, les animaux, etc., tandis que +les enfants sortent à gauche. + + +RIDEAU + + + + +TROISIÈME TABLEAU + +LE PAYS DU SOUVENIR + + +Un épais brouillard d'où émerge, à droite, au tout premier plan, +le tronc d'un gros chêne muni d'un écriteau. Clarté laiteuse, +diffuse, impénétrable. + + * * * * * + + [Tyltyl et Mytyl se trouvent au pied du chêne.] + +TYLTYL + +Voici l'arbre!... + +MYTYL + +Il y a l'écriteau!... + +TYLTYL + +Je ne peux pas lire.... Attends, je vais monter sur cette +racine.... C'est bien ça.... C'est écrit: «Pays du Souvenir». + +MYTYL + +C'est ici qu'il commence?... + +TYLTYL + +Qui, il y a une flèche.... + +MYTYL + +Eh bien, ou qu'ils sont, bon-papa et bonne-maman? + +TYLTYL + +Derrière le brouillard.... Nous allons voir.... + +MYTYL + +Je ne vois rien du tout!... Je ne vois plus mes pieds ni mes +mains .. [Pleurnichant.] J'ai froid!... Je ne veux plus +voyager.... Je veux rentrer à la maison.... + +TYLTYL + +Voyons, ne pleure pas tout le temps, comme l'Eau.... T'es pas +honteuse? .. Une grande petite fille!... Regarde, le brouillard se +lève déjà.... Nous allons voir ce qu'il y a dedans.... + + [En effet, la brume s'est mise en mouvement; elle s'allège, + s'éclaire, se disperse, s'évapore. Bientôt, dans une lumière + de plus en plus transparente, on découvre, sous une voûte de + verdure, une riante maisonette de paysan, couverte de + plantes grimpantes. Les fenêtres et la porte sont ouvertes. + On voit des ruches d'abeilles sous un auvent, des pots de + fleurs sur l'appui des croisées, une cage ou dort un merle, + etc. Près de la porte un banc, sur lequel sont assis, + profondément endormis, un vieux paysan et sa femme, + c'est-à-dire le grand-père et la grand'mère de Tyltyl.] + +TYLTYL, [les reconnaissant tout à coup.] + +C'est bon-papa et bonne-maman!... + +MYTYL, [battant des mains.] + +Qui! Qui!... C'est eux!... C'est eux!... + +TYLTYL, [encore un peu méfiant.] + +Attention!... On ne sait pas encore s'ils remuent.... Restons +derrière l'arbre.... + + [Grand'maman Tyl ouvre les yeux, lève la tête, s'étire, + pousse un soupir, regarde grand-papa Tyl qui lui aussi sort + lentement de son sommeil.] + +GRAND'MAMAN TYL + +J'ai idée que nos petits-enfants qui sont encore en vie nous +venir voir aujourd'hui.... + +GRAND-PAPA TYL + +Bien sûr, ils pensent à nous; car je me sens tout chose et j'ai +des fourmis dans les jambes.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Je crois qu'ils sont tout proches, car des larmes de joie dansent +avant mes yeux.... + +GRAND-PAPA TYL + +Non, non; ils sont fort loin... Je me sens encore faible.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Je te dis qu'ils sont là; j'ai déjà toute ma force.... + +TYLTYL et MYTYL, se précipitant de derrière le chêne. + +Nous voilà!... Nous voilà!... Bon-papa, bonne-maman!... C'est +nous!... C'est nous!... + +GRAND-PAPA TYL + +Là!... Tu vois!... Qu'est-ce que je disais! J'étais sûr qu'ils +viendraient aujourd'hui.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Tyltyl! Mytyl!... C'est toi!... C'est elle!... C'est eux!... +[S'efforçant de courir au-devant d'eux.] Je ne peux pas +courir!... J'ai toujours mes rhumatismes! + +GRAND-PAPA TYL, [accourant de même en clopinant.] + +Moi non plus.... Rapport à ma jambe de bois qui remplace toujours +celle que j'ai cassée en tombant du gros chêne.... + + [Les grands-parents et les enfants s'embrassent follement.] + +GRAND'MAMAN TYL + +Que tu es grandi et forci, mon Tyltyl!... + +GRAND-PAPA TYL, [caressant les cheveux de Mytyl.] + +Et Mytyl!... Regarde donc!... Les beaux cheveux, les beaux +yeux!... Et puis, ce qu'elle sent bon!... + +GRAND'MAMAN TYL + +Embrassons-nous encore!... Venez sur mes genoux.... + +GRAND-PAPA TYL + +Et moi, je n'aurai rien?... + +GRAND'MAMAN TYL + +Non, non.... A moi d'abord.... Comment vont Papa et Maman Tyl?... + +TYLTYL + +Fort bien, bonne-maman.... Ils dormaient quand nous sommes +sortis.... + +GRAND'MAMAN TYL, [les contemplant et les accablant de caresses.] + +Mon Dieu, qu'ils sont jolis et bien débarbouillés!... C'est maman +qui t'a débarbouillé?... Et tes bas ne sont pas troués!... C'est +moi qui les reprisais autrefois. Pourquoi ne venez-vous pas nous +voir plus souvent?... Cela nous fait tant de plaisir!... Voilà +des mois et des mois que vous nous oubliez et que nous ne voyons +plus personne.... + +TYLTYL + +Nous ne pouvions pas, bonne-maman; et c'est grâce à la Fée +qu'aujourd'hui.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Nous sommes toujours là, à attendre une petite visite de ceux qui +vivent.... Ils viennent si rarement!... La dernière fois que vous +êtes venus, voyons, c'était quand donc?... C'était à la +Toussaint, quand la cloche de l'église a tinté.... + +TYLTYL + +A la Toussaint?... Nous ne sommes pas sortis ce jour-là, car nous +étions fort enrhumés.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Non, mais vous avez pensé à nous.... + +TYLTYL + +Oui.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Eh bien, chaque fois que vous pensez à nous, nous nous réveillons +et nous vous revoyons.... + +TYLTYL + +Comment, il suffit que.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Mais voyons, tu sais bien.... + +TYLTYL + +Mais non, je ne sais pas.... + +GRAND'MAMAN TYL, [à Grand-Papa Tyl.] + +C'est étonnant, là-haut.... Ils ne savent pas encore.... Ils +n'apprennent donc rien?.... + +GRAND-PAPA TYL + +C'est comme de notre temps.... Les Vivants sont si bêtes quand +ils parlent des Autres.... + +TYLTYL + +Vous dormez tout le temps?... + +GRAND PAPA TYL + +Oui, nous dormons pas mal, en attendant qu'une pensée des Vivants +nous réveille.... Ah! c'est bien bon de dormir, quand la vie est +finie.... Mais il est agréable aussi de s'éveiller de temps en +temps.... + +TYLTYL + +Alors, vous n'êtes pas morts pour de vrai?... + +GRAND-PAPA TYL, [sursautant.] + +Que dis-tu?... Qu'est-ce qu'il dit?... Voilà qu'il emploie des +mots que nous ne comprenons plus.... Est-ce que c'est un mot +nouveau, une invention nouvelle?... + +TYLTYL + +Le mot «mort»?... + +GRAND-PAPA TYL + +Oui; c'était ce mot-là.... Qu'est-ce que ça veut dire?... + +TYLTYL + +Mais ça veut dire qu'on ne vit plus.... + +GRAND-PAPA TYL + +Sont-ils bêtes, là-haut!... + +TYLTYL + +Est-ce qu'on est bien ici?... + +GRAND-PAPA TYL + +Mais oui; pas mal, pas mal; et même si l'on priait encore.... + +TYLTYL + +Papa m'a dit qu'il ne faut plus prier.... + +GRAND-PAPA TYL + +Mais si, mais si.... Prier c'est se souvenir.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Oui, oui, tout irait bien, si seulement vous veniez nous voir +plus souvent.... Te rappelles-tu, Tyltyl?... La dernière fois, +j'avais fait une belle tarte aux pommes.... Tu en as mangé tant +et tant que tu t'es fait du mal.... + +TYLTYL + +Mais je n'ai pas mangé de tarte aux pommes depuis l'année +dernière.... Il n'y a pas eu de pommes cette année.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Ne dis pas de bêtises.... Ici il y en a toujours.... + +TYLTYL + +Ce n'est pas la même chose.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Comment? Ce n'est pas la même chose?... Mais tout est la même +chose puisqu'on peut s'embrasser.... + +TYLTYL, [regardant tour à tour son grand-père et sa grand'mère.] + +Tu n'as pas changé, bon-papa, pas du tout, pas du tout.... Et +bonne-maman non plus n'a pas changé du tout.... Mais vous êtes +plus beaux.... + +GRAND-PAPA TYL + +Eh! ça ne va pas mal.... Nous ne vieillissons plus.... Mais vous, +grandissez-vous!... Ah! oui, vous poussez ferme!... Tenez, là, +sur la porte, on voit encore la marque de la dernière fois.... +C'était à la Toussaint.... Voyons, tiens-toi bien droit.... +[Tyltyl se dresse contre la porte.] Quatre doigts!... C'est +énorme!... [Mytyl se dresse également contre la porte.] Et Mytyl, +quatre et demi!... Ah, ah! la mauvaise graine!... Ce que ça +pousse, ce que ça pousse!... + +TYLTYL, [regardant autour de soi avec ravissement.] + +Comme tout est bien de même, comme tout est à sa place!... Mais +comme tout est plus beau!... Voilà l'horloge avec la grande +aiguille dont j'ai cassé la pointe.... + +GRAND-PAPA TYL + +Et voici la soupière que tu as écornée.... + +TYLTYL + +Et voilà le trou que j'ai fait à la porte, le jour que j'ai +trouvé le vilebrequin.... + +GRAND-PAPA TYL + +Ah oui, tu en as fait des dégâts!... Et voici le prunier où tu +aimais tant grimper quand je n'étais pas là.... Il a toujours ses +belles prunes rouges.... + +TYLTYL + +Mais elles sont bien plus belles!... + +MYTYL + +Et voici le vieux merle!... Est-ce qu'il chante encore?... + +Le merle se réveille et se met à chanter à tue-tète. + +GRAND'MAMAN TYL + +Tu vois bien.... Dès que l'on pense à lui.... + +TYLTYL, [remarquant avec stupéfaction que le merle est +parfaitement bleu.] + +Mais il est bleu!... Mais c'est lui, l'Oiseau-Bleu que je dois +rapporter à la Fée!... Et vous ne disiez pas que vous l'aviez +ici! Oh! qu'il est bleu, bleu, bleu, comme une bille de verre +bleu!... [Suppliant.] Bon-papa, bonne-maman, voulez-vous me le +donner?... + +GRAND-PAPA TYL + +Bien oui, peut-être bien.... Qu'en penses-tu, maman Tyl?... + +GRAND'MAMAN TYL + +Bien sûr, bien sûr.... A quoi qu'il sert ici.... Il ne fait que +dormir.... On ne l'entend jamais.... + +TYLTYL + +Je vais le mettre dans ma cage.... Tiens, où est-elle, ma +cage?... Ah! c'est vrai, je l'ai oubliée derrière le gros +arbre.... [Il court à l'arbre, rapporte la cage et y enferme le +merle.] Alors, vrai, vous me le donnez pour de vrai?... C'est la +Fée qui sera contente!... Et la Lumière donc!... + +GRAND-PAPA TYL + +Tu sais, je n'en réponds pas, de l'oiseau.... Je crains bien +qu'il ne puisse plus s'habituer à la vie agitée de là-haut, et +qu'il ne revienne ici par le premier bon vent.... Enfin, on verra +bien.... Laisse-le là, pour l'instant, et viens donc voir la +vache.... + +TYLTYL, [remarquant les ruches.] + +Et les abeilles, dis, comment vont-elles?... + +GRAND-PAPA TYL + +Mais elles ne vont pas mal.... Elles ne vivent plus non plus, +comme vous dites là-bas; mais elles travaillent ferme.... + +TYLTYL, [s'approchant des ruches.] + +Oh oui!... Ça sent le miel!... Les ruches doivent être +lourdes!... Toutes les fleurs sont si belles!... Et mes petites +soeurs qui sont mortes, sont-elles ici aussi?... + +MYTYL + +Et mes trois petits frères qu'on avait enterrés, où sont-ils?... + + [A ces mots, sept petits enfants de tailles inégales, en + flûte de Pan, sortent un à un de la maison.] + +GRAND'MAMAN TYL + +Les voici, les voici!... Aussitôt qu'on y pense, aussitôt qu'on +en parle, ils sont là, les gaillards!... + + [Tyltyl et Mytyl courent au-devant des enfants. On se + bouscule, on s'embrasse, on danse, on tourbillonne, on + pousse des cris de joie.] + +TYLTYL + +Tiens, Pierrot!... [Ils se prennent aux cheveux.] Ah! nous allons +nous battre encore comme dans le temps.... Et Robert!... Bonjour, +Jean!... Tu n'as plus ta toupie?... Madeleine et Pierrette, +Pauline et puis Riquette.... + +MYTYL + +Oh! Riquette, Riquette!... Elle marche encore à quatre +pattes!... + +GRAND'MAMAN TYL + +Oui, elle ne grandit plus.... + +TYLTYL, [remarquant le petit Chien qui jappe autour d'eux.] + +Voilà Kiki dont j'ai coupé la queue avec les ciseaux de +Pauline.... Il n'a pas changé non plus.... + +GRAND PAPA TYL, [sentencieux.] + +Non, rien ne change ici.... + +TYLTYL + +Et Pauline a toujours son bouton sur le nez!... + +GRAND MAMAN TYL + +Oui, il ne s'en va pas; il n'y a rien à faire.... + +TYLTYL + +Oh! qu'ils ont bonne mine, qu'ils sont gras et luisants!... +Qu'ils ont de belles joues!... Ils ont l'air bien nourris.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Ils se portent bien mieux depuis qu'ils ne vivent plus.... Il +n'y a plus rien à craindre, on n'est jamais malade, on n'a plus +d'inquiétudes.... + + [Dans la maison, l'horloge sonne huit heures.] + +GRAND'MAMAN TYL, [stupéfaite.] + +Qu'est-ce que c'est?... + +GRAND-PAPA TYL + +Ma foi, je ne sais pas.... Ce doit être l'horloge.... + +GRAND-MAMAN TYL + +Ce n'est pas possible.... Elle ne sonne jamais.... + +GRAND-PAPA TYL + +Parce que nous ne pensons plus à l'heure.... Quelqu'un a-t-il +pensé à l'heure?... + +TYLTYL + +Oui, c'est moi.... Quelle heure est-il?... + +GRAND-PAPA TYL + +Ma foi, je ne sais plus.... J'ai perdu l'habitude.... Elle a +sonné huit coups, ce doit être ce que? là-haut, ils appellent +huit heures. + +TYLTYL + +La Lumière m'attend à neuf heures moins le quart.... C'est à +cause de la Fée.... C'est extrêmement important.... Je me +sauve.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Vous n'allez pas nous quitter ainsi au moment du souper!... Vite, +vite, dressons la table devant la porte.... J'ai justement une +excellente soupe aux choux et une belle tarte aux prunes.... + + [On sort la table, on la dresse devant la porte, on apporte + les plats, les assiettes, etc.... Tous y aident.] + +TYLTYL + +Ma foi, puisque j'ai l'Oiseau-Bleu.... Et puis la soupe aux +choux, il y a si longtemps!... Depuis que je voyage.... On n'a +pas ça dans les hôtels.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Voilà!... C'est déjà fait.... A table, les enfants.... Si vous +êtes pressés, ne perdons pas de temps.... + + [On a allumé la lampe et servi la soupe. Les grands-parents + et les enfants s'assoient autour du repas du soir, parmi des + bousculades, des bourrades, des cris et des rires de joie.] + +TYLTYL, [mangeant gloutonnement.] + +Qu'elle est bonne!... Mon Dieu, qu'elle est donc bonne!... J'en +veux encore! encore! + + [Il brandit sa cuiller de bois et en frappe bruyamment son + assiette.] + +GRAND-PAPA TYL + +Voyons, voyons, un peu de calme.... Tu es toujours aussi mal +élevé; et tu vas casser ton assiette.... + +TYLTYL, [se dressant à demi sur son escabelle.] + +J'en veux encore, encore!... + + [Il atteint et attire à soi la soupière qui se renverse et + se répand sur la table, et de là sur les genoux des + convives. Cris et hurlements d'échaudés.] + +GRAND'MAMAN TYL + +Tu vois!... Je te l'avais bien dit.... + +GRAND-PAPA TYL, [donnant à Tyltyl une gifle retentissante.] + +Voilà pour toi!... + +TYLTYL, [un instant déconcerté, mettant ensuite la main sur la +joue, avec ravissement.] + +Oh! oui, c'était comme ça, les claques que tu donnais quand tu +étais vivant.... Bon-papa, qu'elle est bonne et que ça fait du +bien!... Il faut que je t'embrasse!... + +GRAND-PAPA TYL + +Bon, bon; il y en a encore si ça te fait plaisir.... + + [La demie de huit heures sonne à l'horloge.] + +TYLTYL, [sursautant.] + +Huit heures et demie!... [il jette sa cuiller.] Mytyl, nous +n'avons que le temps!... + +GRAND-MAMAN TYL + +Voyons!... Encore quelques minutes!... Le feu n'est pas à la +maison.... On se voit si rarement.... + +TYLTYL + +Non, ce n'est pas possible.... La Lumière est si bonne.... Et je +lui ai promis.... Allons, Mytyl, allons!... + +GRAND-PAPA TYL + +Dieu, que les Vivants sont donc contrariants avec toutes leurs +affaires et leurs agitations!... + +TYLTYL, [prenant sa cage et embrassant tout le monde en hâte et à +la ronde.] + +Adieu, Bon-papa.... Adieu, Bonne-maman.... Adieu, frères, +soeurs, Pierrot, Robert, Pauline, Madeleine, Riquette, et toi +aussi, Kiki! Je sens bien que nous ne pouvons plus rester ici.... +Ne pleure pas, Bonne-maman, nous reviendrons souvent.... + +GRAND'MAMAN TYL + +Revenez tous les jours!... + +TYLTYL + +Oui, oui! nous reviendrons le plus souvent possible.... + +GRAND'MAMAN TYL + +C'est notre seule joie, et c'est une telle fête quand votre +pensée nous visite!... + +GRAND-PAPA TYL + +Nous n'avons pas d'autres distractions.... + +TYLTYL + +Vite, vite!... Ma cage!... Mon oiseau!... + +GRAND-PAPA TYL, lui passant la cage. + +Les voici!... Tu sais, je ne garantis rien; et s'il n'est pas bon +teint!... + +TYLTYL + +Adieu! adieu!... + +LES FRÈRES ET SOEURS TYL + +Adieu, Tyltyl!... Adieu, Mytyl!... Pensez au sucre d'orge!... +Adieu!... Revenez!... Revenez!... + + [Tous agitent des mouchoirs tandis que Tyltyl et Mytyl + s'éloignent lentement. Mais déjà, durant les dernières + répliques, le brouillard du début s'est graduellement + reformé, et le son des voix s'est affaibli, de manière qu'à + la fin de la scène, tout a disparu dans la brume et qu'au + moment où le rideau baisse, Tyltyl et Mytyl se retrouvent + seuls visibles sous le gros chêne.] + +TYLTYL + +C'est par ici, Mytyl.... + +MYTYL + +Où est la Lumière?... + +TYLTYL + +Je ne sais pas.... [Regardant l'oiseau dans la cage.] Tiens! +l'oiseau n'est plus bleu!... Il est devenu noir!... + +MYTYL + +Donne-moi la main, petit frère.... J'ai bien peur et bien +froid.... + +RIDEAU + + + + +ACTE TROISIÈME + + + + +QUATRIÈME TABLEAU + +LE PALAIS DE LA NUIT + + +Une vaste et prodigieuse salle d'une magnificence austère, +rigide, métallique et sépulcrale, donnant l'impression d'un +temple grec ou égyptien, dont les colonnes, les architraves, les +dalles, les ornements seraient de marbre noir, d'or et d'ébène. +La salle est en forme de trapèze. Des degrés de basalte, qui +occupent presque toute sa largeur, la divisent en trois plans +successifs qui s'élèvent graduellement vers le fond. A droite et +à gauche, entre les colonnes, des portes de bronze sombre. Au +fond, porte d'airain monumentale. Une lumière diffuse qui semble +émaner de l'éclat même du marbre et de l'ébène éclaire seule le +palais. + + * * * * * + + [Au lever du rideau, la Nuit, sous la figure d'une très + belle femme, couverte de longs vêtements noirs, est assise + sur les marches du second plan, entre deux enfants, dont + l'un, presque nu, comme l'Amour, sourit dans un profond + sommeil, tandis que l'autre se tient debout, immobile et + voilé des pieds à la tête.--Entre, à droite, au premier + plan, la Chatte.] + +LA NUIT + +Qui va là?... + +LA CHATTE, [se laissant choir avec accablement sur les degrés de +marbre.] + +C'est moi, mère la Nuit.... Je n'en peux plus.... + +LA NUIT + +Qu'as-tu donc, mon enfant?... Tu es pâle, amaigrie et te voilà +crottée jusqu'aux moustaches.... Tu t'es encore battue dans les +gouttières, sous la neige et la pluie?... + +LA CHATTE + +Il est bien question de gouttières!... C'est de notre secret +qu'il s'agit!... C'est, le commencement de la fin!... J'ai pu +m'échapper un instant pour vous prévenir; mais je crains bien +qu'il n'y ait rien à faire.... + +LA NUIT + +Quoi?... Qu'est-il donc arrivé?... + +LA CHATTE + +Je vous ai déjà parlé du petit Tyltyl, le fils du bûcheron, et du +Diamant merveilleux.... Eh bien, il vient ici pour vous réclamer +l'Oiseau-Bleu.... + +LA NUIT + +Il ne le tient pas encore.... + +LA CHATTE + +Il le tiendra bientôt, si nous ne faisons pas quelque miracle.... +Voici ce qui se passe: la Lumière qui le guide et qui nous trahit +tous, car elle s'est mise entièrement du parti de l'Homme, la +Lumière vient d'apprendre que l'Oiseau-Bleu, le vrai, le seul qui +puisse vivre à la clarté du jour, se cache ici, parmi les oiseaux +bleus des songes qui se nourrissent des rayons de lune et meurent +dès qu'ils voient le soleil.... Elle sait qu'il lui est interdit +de franchir le seuil de votre palais; mais elle y envoie les +enfants; et comme vous ne pouvez pas empêcher l'Homme d'ouvrir +les portes de vos secrets, je ne sais trop comment tout cela +finira.... En tout cas, s'ils avaient le malheur de mettre la +main sur le véritable Oiseau-Bleu, nous n'aurions plus qu'à +disparaître.... + +LA NUIT + +Seigneur, Seigneur!... En quels temps vivons-nous! Je n'ai plus +une minute de repos.... Je ne comprends plus l'Homme, depuis +quelques années.... Où veut-il en venir?... Il faut donc qu'il +sache tout?... Il a déjà saisi le tiers de mes Mystères, toutes +mes Terreurs ont peur et n'osent plus sortir, mes Fantômes sont +en fuite, la plupart de mes Maladies ne se portent pas bien.... + +LA CHATTE + +Je sais, ma mère la Nuit, je sais, les temps sont durs, et nous +sommes presque seules à lutter contre l'Homme.... Mais je les +entends qui s'approchent.... Je ne vois qu'un moyen: comme ce +sont des enfants, il faut leur faire une telle peur qu'ils +n'oseront pas insister ni ouvrir la grande porte du fond, +derrière laquelle se trouvent les oiseaux de la Lune.... Les +secrets des autres cavernes suffiront à détourner leur attention +ou à les terrifier.... + +LA NUIT, [prêtant l'oreille à un bruit du dehors.] + +Qu'est-ce que j'entends?... Ils sont donc plusieurs? + +LA CHATTE + +Ce n'est rien; ce sont nos amis: le Pain et le Sucre; l'Eau est +indisposée et le Feu n'a pu venir, parce qu'il est parent de la +Lumière.... Il n'y a que le Chien qui ne soit pas pour nous; mais +il n'y a jamais moyen de l'écarter.... + + [Entrent timidement, à droite, au premier plan, Tyltyl, + Mytyl, le Pain, le Sucre et le Chien.] + +LA CHATTE, [se précipitant au-devant de Tyltyl.] + +Par ici, par ici, mon petit maître.... J'ai prévenu la Nuit qui +est enchantée de vous recevoir.... Il faut l'excuser, elle est un +peu souffrante; c'est pourquoi elle n'a pu aller au-devant de +vous.... + +TYLTYL + +Bonjour, madame la Nuit.... + +LA NUIT, [froissée.] + +Bonjour? Je ne connais pas ça.... Tu pourrais bien me dire: bonne +nuit, ou tout au moins: bonsoir.... + +TYLTYL, [mortifié.] + +Pardon, madame.... Je ne savais pas.... [Montrant du doigt les +deux enfants.] Ce sont vos deux petits garçons?... Ils sont bien +gentils.... + +LA NUIT + +Oui, voici le Sommeil.... + +TYLTYL + +Pourquoi qu'il est si gros?... + +LA NUIT + +C'est parce qu'il dort bien.... + +TYLTYL + +Et l'autre qui se cache?... Pourquoi qu'il se voile la figure?... +Est-ce qu'il est malade?... Comment c'est qu'il se nomme?... + +LA NUIT + +C'est la soeur du Sommeil.... Il vaut mieux ne pas la +nommer.... + +TYLTYL + +Pourquoi?... + +LA NUIT + +Parce que c'est un nom qu'on n'aime pas à entendre.... Mais +parlons d'autre chose.... La Chatte vient de me dire que vous +venez ici pour chercher l'Oiseau-Bleu?... + +TYLTYL + +Oui, madame, si vous le permettez.... Voulez-vous me dire où il +est?... + +LA NUIT + +Je n'en sais rien, mon petit ami.... Tout ce que je puis +affirmer, c'est qu'il n'est pas ici.... Je ne l'ai jamais vu.... + +TYLTYL + +Si, si.... La Lumière m'a dit qu'il est ici; et elle sait ce +qu'elle dit, la Lumière.... Voulez-vous me remettre vos clefs?... + +LA NUIT + +Mais, mon petit ami, tu comprends bien que je ne puis donner +ainsi mes clefs au premier venu.... J'ai la garde de tous les +secrets de la Nature, j'en suis responsable et il m'est +absolument défendu de les livrer à qui que ce soit, surtout à un +enfant.... + +TYLTYL + +Vous n'avez pas le droit de les refuser à l'Homme qui les +demande.... je le sais.... + +LA NUIT + +Qui te l'a dit?... + +TYLTYL + +La Lumière.... + +LA NUIT + +Encore la Lumière! et toujours la Lumière!... De quoi se +mêle-t-elle à la fin?... + +LE CHIEN + +Veux-tu que je les lui prenne de force, mon petit dieu?... + +TYLTYL + +Tais-toi, tiens-toi tranquille et tâche d'être poli.... [A la +Nuit.] Voyons, madame, donnez-moi vos clefs, s'il vous plaît.... + +LA NUIT + +As-tu le signe, au moins?... Où est-il?... + +TYLTYL, [touchant son chapeau.] + +Voyez le Diamant.... + +LA NUIT, [se résignant à l'inévitable.] + +Enfin.... Voici celle qui ouvre toutes les portes de la salle.... +Tant pis pour toi s'il t'arrive malheur.... Je ne réponds de +rien. + +LE PAIN, [fort inquiet.] + +Est-ce que c'est dangereux?... + +LA NUIT + +Dangereux?... C'est-à-dire que moi-même je ne sais trop comment +je pourrai m'en tirer, lorsque certaines de ces portes de bronze +s'ouvriront sur l'abîme.... Il y a là, tout autour de la salle, +dans chacune de ces cavernes de basalte, tous les maux, tous les +fléaux, toutes les maladies, toutes les épouvantes, toutes les +catastrophes, tous les mystères qui affligent la vie depuis le +commencement du monde.... J'ai eu assez de mal à les enfermer là +avec l'aide du Destin; et ce n'est pas sans peine, je vous +assure, que je maintiens un peu d'ordre parmi ces personnages +indisciplinés.... On voit ce qu'il arrive lorsque l'un d'eux +s'échappe et se montre sur terre.... + +LE PAIX + +Mon grand âge, mon expérience et mon dévouement font de moi le +protecteur naturel de ces deux enfants; c'est pourquoi, madame la +Nuit, permettez-moi de vous poser une question.... + +LA NUIT + +Faites.... + +LE PAIN + +En cas de danger, par où faut-il fuir?... + +LA NUIT + +Il n'y a pas moyen de fuir. + +TYLTYL, [prenant la clef et montant les premières marches.] + +Commençons par ici.... Qu'y a-t-il derrière cette porte de +bronze?... + +LA NUIT + +Je crois que ce sont les Fantômes.... Il y a bien longtemps que +je ne l'ai ouverte et qu'ils ne sont sortis.... + +TYLTYL, mettant la clef dans la serrure. + +Je vais voir.... [Au Pain] Avez-vous la cage de l'Oiseau-Bleu?... + +LE PAIN, claquant des dénis. + +Ce n'est pas que j'aie peur, mais ne croyez-vous pas qu'il serait +préférable de ne pas ouvrir et de regarder par le trou de la +serrure?... + +TYLTYL + +Je ne vous demande pas votre avis.... + +MYTYL, [se mettant à pleurer tout à coup.] + +J'ai peur!... Où est le Sucre?... Je veux rentrer à la +maison!... + +LE SUCRE, [empressé, obséquieux.] + +Ici, mademoiselle, je suis ici.... Ne pleurez pas, je vais couper +un de mes doigts pour vous offrir un sucre d'orge.... + +TYLTYL + +Finissons-en.... + + [Il tourne la clef et entr'ouvre prudemment la porte. + Aussitôt s'échappent cinq ou six Spectres de formes diverses + et étranges qui se répandent de tous cotés. Le Pain + épouvanté jette la cage et va se cacher au fond de la salle, + pendant que la Nuit, pourchassant les Spectres, crie à + Tyltyl:] + +LA NUIT + +Vite! vite!... Ferme la porte!... Ils s'échapperaient tous et +nous ne pourrions plus les rattraper!... Ils s'ennuient +là-dedans, depuis que l'Homme ne les prend plus au sérieux.... +[Elle pourchasse les Spectres en s'efforçant, à l'aide d'un fouet +formé de serpents, de les ramener vers la porte de leur prison.] + +Aidez-moi!... Par ici!... Par ici!... + +TYLTYL, [au Chien.] + +Aide-la, Tylô, vas-y donc!... + +LE CHIEN, [bondissant en aboyant.] + +Oui! oui! oui!... + +TYLTYL + +Et le Pain, où est-il?... + +LE PAIN, du fond de la salle. + +Ici.... Je suis près de la porte pour les empêcher de sortir.... + + [Comme un des Spectres s'avance de ce côté, il fuit à toutes + jambes, en poussant des hurlements d'épouvante.] + +LA NUIT, [à trois Spectres qu'elle a pris au collet.] + +Par ici, vous autres!... [A Tyltyl.] Rouvre un peu la porte.... +[Elle pousse les Spectres dans la caverne.] Là, ça va bien.... +[Le Chien en ramène deux autres.] Et encore ceux-ci.... Voyons, +vite, rangez-vous.... Vous savez bien que vous ne sortez plus +qu'à la Toussaint. + + [Elle referme la porte.] + +TYLTYL, [allant à une autre porte.] + +Qu'y a-t-il derrière celle-ci?... + +LA NUIT + +A quoi bon?... Je te l'ai déjà dit, l'Oiseau-Bleu n'est jamais +venu par ici.... Enfin, comme tu voudras.... Ouvre-la si ça te +fait plaisir.... Ce sont les Maladies.... + +TYLTYL, [la clef dans la serrure.] + +Est-ce qu'il faut prendre garde en ouvrant?... + +LA NUIT + +Non, ce n'est pas la peine.... Elles sont bien tranquilles, les +pauvres petites.... Elles ne sont pas heureuses.... L'Homme, +depuis quelque temps, leur fait une telle guerre!... Surtout +depuis la découverte des microbes.... Ouvre donc, tu verras.... + + [Tyltyl ouvre la porte toute grande. Rien ne paraît.] + +TYLTYL + +Elles ne sortent pas?... + +LA NUIT + +Je t'avais prévenu, presque toutes sont souffrantes et bien +découragées.... Les médecins ne sont pas gentils pour elles.... +Entre donc un instant, tu verras.... + + [Tyltyl entre dans la caverne et ressort aussitôt après.] + +TYLTYL + +L'Oiseau-Bleu n'y est pas.... Elles ont l'air bien malades, vos +Maladies.... Elles n'ont même pas levé la tête.... [Une petite +Maladie, en pantoufles, robe de chambre et bonnet de coton, +s'échappe de la caverne et se met à gambader dans la salle.] +Tiens!... Une petite qui s'évade!... Qu'est-ce que c'est?... + +LA NUIT + +Ce n'est rien, c'est la plus petite, c'est le Rhume de +cerveau.... C'est une de celles qu'on persécute le moins et qui +se portent le mieux.... [Appelant le Rhume de cerveau] Viens +ici, ma petite.... C'est trop tôt; il faut attendre le +printemps.... + + [Le Rhume de cerveau, éternuant, toussant et se mouchant, + rentre dans la caverne dont Tyltyl referme la porte.] + +TYLTYL, [allant à la porte voisine.] + +Voyons donc celle-ci.... Qu'est-ce que c'est?... + +LA NUIT + +Prends garde.... Ce sont les Guerres.... Elles sont plus +terribles et plus puissantes que jamais.... Dieu sait ce qui +arriverait si l'une d'elles s'échappait!... Heureusement, elles +sont assez obèses et manquent d'agilité.... Mais tenons-nous +prêts à repousser la porte tous ensemble, pendant que tu jetteras +un rapide coup d'oeil dans la caverne.... + + [Tyltyl, avec mille précautions, entrebâille la porte de + manière qu'il n'y ait qu'une petite fente où il puisse + appliquer l'oeil. Aussitôt, il s'arc-boute en criant:] + +TYLTYL + +Vite! vite!... Poussez donc!... Elles m'ont vu!... Elles viennent +toutes!... Elles ouvrent la porte!... + +LA NUIT + +Allons, tous!... Poussez ferme!... Voyons, le Pain, que +faites-vous?... Poussez tous!... Elles ont une force!... Ah! +voilà! Ça y est.... Elles cèdent.... Il était temps!... As-tu +vu?... + +TYLTYL + +Oui, oui!... Elles sont énormes, épouvantables!... Je crois +qu'elles n'ont pas l'Oiseau-Bleu.... + +LA NUIT + +Bien sûr qu'elles ne l'ont point.... Elles le mangeraient tout de +suite.... Eh bien, en as-tu assez?... Tu vois bien qu'il n'y a +rien à faire.... + +TYLTYL + +Il faut que je voie tout.... La Lumière l'a dit.... + +LA NUIT + +La Lumière l'a dit.... C'est facile à dire quand on a peur et +qu'on reste chez soi.... + +TYLTYL + +Allons à la suivante.... Qu'est-ce?... + +LA NUIT + +Ici, j'enferme les Ténèbres et les Terreurs.... + +TYLTYL + +Est-ce qu'on peut ouvrir?... + +LA NUIT + +Parfaitement.... Elles sont assez tranquilles; c'est comme les +Maladies.... + +TYLTYL, [entr'ouvrant la porte avec une certaine méfiance et +risquant un regard dans la caverne.] + +Elles n'y sont pas.... + +LA NUIT, [regardant à son tour dans la caverne.] + +Eh bien, les Ténèbres, que faites-vous?... Sortez donc un +instant, ça vous fera du bien, ça vous dégourdira. Et les +Terreurs aussi.... Il n'y a rien à Craindre.... [Quelques +Ténèbres et quelques Terreurs, sous la figure de femmes +couvertes, les premières de voiles noirs, les dernières de voiles +verdâtres, risquent piteusement quelques pas hors de la caverne, +et, sur un geste qu'ébauche Tyltyl, rentrent précipitamment.] +Voyons, tenez-vous donc.... C'est un enfant, il ne vous fera pas +de mal.... [A Tyltyl]. Elles sont devenues extrêmement timides; +excepté les grandes, celles que tu vois au fond.... + +TYLTYL, [regardant vers le fond de la caverne.] + +Oh! qu'elles sont effrayantes!... + +LA NUIT + +Elles sont enchaînées.... Ce sont les seules qui n'aient pas peur +de l'Homme.... Mais referme la porte, de crainte qu'elles ne se +fâchent.... + +TYLTYL, [allant à la porte suivante.] + +Tiens!... Celle-ci est plus sombre.... Qu'est-ce que c'est?... + +LA NUIT + +Il y a plusieurs Mystères derrière celle-ci.... Si tu y tiens +absolument, tu peux l'ouvrir aussi.... Mais n'entre pas.... Sois +bien prudent, et puis préparons-nous à repousser la porte, comme +nous avons fait pour les Guerres.... + +TYLTYL, [entr'ouvrant avec des précautions inouïes, et passant +craintivement la tête dans l'entrebâillement.] + +Oh!... Quel froid!... Mes yeux cuisent!... Fermez vite!... +Poussez donc! On repousse!... [La Nuit, le Chien, la Chatte et le +Sucre repoussent la porte.] Oh! j'ai vu!... + +LA NUIT + +Quoi donc?... + +TYLTYL, [bouleversé.] + +Je ne sais pas, c'était épouvantable!... Ils étaient tous assis +comme des monstres sans yeux.... Quel était le géant qui voulait +me saisir?... + +LA NUIT + +C'est probablement le Silence; il a la garde de cette porte.... +Il paraît que c'était effrayant?... Tu en es encore tout pâle et +tout tremblant.... + +TYLTYL + +Oui, je n'aurais pas cru.... Je n'avais jamais vu.... Et j'ai les +mains gelées.... + +LA NUIT + +Ce sera bien pis tout à l'heure si tu continues.... + +TYLTYL, [allant à la porte suivante.] + +Et celle-ci?... Est-elle aussi terrible?... + +LA NUIT + +Non, il y a un peu de tout.... J'y mets les Étoiles sans emploi, +mes parfums personnels, quelques Lueurs qui m'appartiennent, tels +que feux-follets, vers luisants, lucioles; on y serre aussi la +Rosée, le Chant des Rossignols, etc.. + +TYLTYL + +Justement, les Étoiles, le Chant des Rossignols.... Ce doit être +celle-là. + +LA NUIT + +Ouvre-donc si tu veux; tout cela n'est pas bien méchant.... + + [Tyltyl ouvre la porte toute grande. Aussitôt les Étoiles, + sous la forme de belles jeunes filles voilées de lueurs + versicolores, s'échappent de leur prison, se répandent dans + la salle et forment sur les marches et autour des colonnes + de gracieuses rondes baignées d'une sorte de lumineuse + pénombre. Les Parfums de la Nuit, presque invisibles, les + Feux-follets, les Lucioles, la Rosée transparente se + joignent à elles, cependant que le Chant des Rossignols, + sortant à flots de la caverne, inonde le palais nocturne.] + +MYTYL, [ravie, battant des mains.] + +Oh! les jolies madames!... + +TYLTYL + +Et qu'elles dansent bien!... + +MYTYL + +Et qu'elles sentent bon!... + +TYLTYL + +Et qu'elles chantent bien!... + +MYTYL + +Qu'est-ce que c'est, ceux-là, qu'on ne voit presque pas?... + +LA NUIT + +Ce sont les Parfums de mon ombre.... + +TYLTYL + +Et les autres, là-bas, qui sont en verre filé?... + +LA NUIT + +C'est la Rosée des forêts et des plaines.... Mais en voilà +assez.... Ils n'en finiraient pas.... C'est le diable de les +faire rentrer une fois qu'ils se sont mis à danser.... [Frappant +dans ses mains.] Allons, vite, les Étoiles!... Ce n'est pas le +moment de danser.... Le ciel est couvert, il y a de gros +nuages.... Allons, vite, rentrez tous, sinon j'irai chercher un +rayon de soleil.... + + [Fuite épouvantée des Étoiles, Parfums, etc...., qui se + précipitent dans la caverne que l'on referme sur eux. En + même temps s'éteint le Chant des Rossignols.] + +TYLTYL, [allant à la porte du fond.] + +Voici la grande porte du milieu.... + +LA NUIT, gravement. + +N'ouvre pas celle-ci.... + +TYLTYL + +Pourquoi?... + +LA NUIT + +Parce que c'est défendu.... + +TYLTYL + +C'est donc là que se cache l'Oiseau-Bleu; la Lumière me l'a +dit.... + +LA NUIT, [maternelle.] + +Écoute-moi, mon enfant.... J'ai été bonne et complaisante.... +J'ai fait pour toi ce que je n'avais fait jusqu'ici pour +personne.... Je t'ai livré tous mes secrets.... Je t'aime bien, +j'ai pitié de ta jeunesse et de ton innocence et je te parle +comme une mère.... Écoute-moi et crois-moi, mon enfant, renonce, +ne va point plus avant, ne tente pas le Destin, n'ouvre pas cette +porte.... + +TYLTYL, [assez ébranlé.] + +Mais pourquoi?... + +LA NUIT + +Parce que je ne veux pas que tu te perdes.... Parce que nul de +ceux, entends-tu, nul de ceux qui l'ont entr'ouverte, ne fût-ce +que de l'épaisseur d'un cheveu, n'est revenu vivant à la lumière +du jour.... Parce que tout ce qu'on peut imaginer d'épouvantable, +parce que toutes les terreurs, toutes les horreurs dont on parle +sur terre, ne sont rien, comparées à la plus innocente de celles +qui assaillent un homme dès que son oeil effleure les premières +menaces de l'abîme auquel personne n'ose donner un nom.... C'est +au point que moi-même, si tu t'obstines, malgré tout, à toucher +cette porte, je te demanderai d'attendre que je sois à l'abri +dans ma tour sans fenêtres.... Maintenant c'est à toi de savoir, +à toi de réfléchir.... + + [Mytyl, tout en larmes, pousse des cris de terreur + inarticulés et cherche à entraîner Tyltyl.] + +LE PAIN, [claquant des dents.] + +Ne le faites pas, mon petit maître!... [Se jetant à genoux.] Ayez +pitié de nous!... Je vous le demande à genoux.... Vous voyez que +la Nuit a raison.... + +LA CHATTE + +C'est notre vie à tous que vous sacrifiez.... + +TYLTYL + +Je dois l'ouvrir.... + +MYTYL, [trépignant parmi des sanglots.] + +Je ne veux pas!... Je ne veux pas!... + +TYLTYL + +Que le Sucre et le Pain prennent Mytyl par la main et se sauvent +avec elle.... Je vais ouvrir.... + +LA NUIT + +Sauve qui peut!... Venez vite!... Il est temps!... + + [Elle fuit.] + +LE PAIN, [fuyant éperdument.] + +Attendez au moins que nous soyons au bout de la salle!... + +LA CHATTE, [fuyant également.] + +Attendez!... attendez!... + +Ils se cachent derrière les colonnes à l'autre bout de la salle. +Tyltyl reste seul avec le Chien, près de la porte monumentale. + +LE CHIEN, [haletant et hoquetant d'épouvante contenue.] + +Moi, je reste, je reste.... Je n'ai pas peur.... Je reste!... Je +reste près de mon petit dieu.... Je reste!... Je reste.... + +TYLTYL, [caressant le Chien.] + +C'est bien, Tylô, c'est bien!... Embrasse-moi.... Nous sommes +deux.... Maintenant gare à nous!... [Il met la clef dans la +serrure. Un cri d'épouvante part de l'autre bout de la salle où +se sont réfugiés les fuyards. A peine la clef a-t-elle touché la +porte que les hauts ballants de celle-ci s'ouvrent par le milieu, +glissent latéralement et disparaissent, à droite et à gauche, +dans l'épaisseur des murs, découvrant tout à coup, irréel, +infini, ineffable, le plus inattendu des jardins de rêve et de +lumière nocturne, où, parmi les étoiles et les planètes, +illuminant tout ce qu'ils touchent, volant sans cesse de +pierreries en pierreries, de rayons de lune en rayons de lune, de +féeriques oiseaux bleus évoluent perpétuellement et +harmonieusement jusqu'aux confins de l'horizon, innombrables au +point qu'ils semblent être le souffle, l'atmosphère azurée, la +substance même du jardin merveilleux.--Tyltyl, ébloui, éperdu, +debout dans la lumière du jardin:] Oh!... le ciel!... [Se +tournant vers ceux qui oui fui.] Venez vite!... Ils sont là!... +C'est eux! c'est eux! c'est eux!...Nous les tenons enfin!... Des +milliers d'oiseaux bleus! Des millions!... Des milliards!... Il y +en aura trop!... Viens, Mytyl!... Viens, Tylô!... Venez tous!... +Aidez-moi!... [S'élançant parmi les oiseaux.] On les prend à +pleines mains!... Ils ne sont pas farouches!... Ils n'ont pas +peur de nous!... Par ici! par ici!... [Mytyl et les autres +accourent. Ils entrent tous dans le jardin éblouissant, hormis la +Nuit et la Chatte.] Vous voyez!... Ils sont trop!... Ils viennent +dans mes mains!... Regardez donc, ils mangent les rayons de la +lune!... Mytyl, où donc es-tu?... Il y a tant d'ailes bleues, +tant de plumes qui tombent qu'on n'y voit plus du tout!... Tylô! +ne les mord pas.... Ne leur fais pas de mal!... Prends-les très +doucement! + +MYTYL, [enveloppée d'oiseaux bleus.] + +J'en ai déjà pris sept!... Oh! qu'ils battent des ailes!... Je ne +puis les tenir!... + +TYLTYL + +Moi non plus!... J'en ai trop!... Ils s'échappent!... Ils +reviennent!... Tylô en a aussi!... Ils vont nous entraîner!... +nous porter dans le ciel!... Viens, sortons par ici!... La +Lumière nous attend!... Elle sera contente!... Par ici, par +ici!... + + [Ils s'évadent du jardin, les mains pleines d'oiseaux qui se + débattent, et, traversant toute la salle parmi l'affolement + des ailes azurées, sortent à droite, par où ils sont entrés, + suivis du Pain et du Sucre qui n'ont pas pris d'oiseaux. + --Restés seuls, la Nuit et la Chatte remontent vers le fond + et regardent anxieusement dans le jardin.] + +LA NUIT + +Ils ne l'ont pas?... + +LA CHATTE + +Non.... Je le vois là sur ce rayon de lune.... Ils n'ont pas pu +l'atteindre, il se tenait trop haut.... + + [Le rideau tombe. Aussitôt après, devant le rideau tombé, + entrent simultanément, à gauche la Lumière, à droite Tyltyl, + Mytyl et le Chien, accourant tout couverts des oiseaux + qu'ils viennent de capturer. Mais déjà ceux-ci paraissent + inanimés et, la tête pendante et les ailes brisées, ne sont + plus dans leurs mains que d'inertes dépouilles.] + +LA LUMIÈRE + +Eh bien, l'avez-vous-pris?... + +TYLTYL + +Oui, oui!... Tant qu'on voulait.... Il y en a des milliers!... +Les voici!... Les vois-tu!... [Regardant les oiseaux qu'il tend +vers la Lumière et s'apercevant qu'ils sont morts.] Tiens!... Ils +ne vivent plus.... Qu'est-ce qu'on leur a fait?... Les tiens +aussi, Mytyl?... Ceux de Tylô aussi. [Jetant avec colère les +cadavres d'oiseaux.] Ah! non, c'est trop vilain!... Qui est-ce +qui les a tués?... Je suis trop malheureux!... + + [Il se cache la tête sous le bras et paraît tout secoué de + sanglots.] + +LA LUMIÈRE, [le serrant maternellement dans ses bras.] + +Ne pleure pas, mon enfant.... Tu n'as pas pris celui qui peut +vivre en plein jour.... Il est allé ailleurs.... Nous le +retrouverons.... + +LE CHIEN, [regardant les oiseaux morts.] + +Est-ce qu'on peut les manger?... + + [Ils sortent tous à gauche.] + + + + +CINQUIÈME TABLEAU + +LA FORÊT + + +Une forêt.--Il fait nuit.--Clair de lune.--Vieux arbres de +diverses espèces, notamment: un chêne, un hêtre, un orme, un +peuplier, un sapin, un cyprès, un tilleur, un marronnier, etc. + + * * * * * + + [Entre la Chatte.] + +LA CHATTE, [saluant les arbres à la ronde.] + +Salut à tous les arbres!... + +MURMURE DES FEUILLAGES + +Salut!... + +LA CHATTE + +C'est un grand jour que ce jour-ci!... Notre ennemi vient +délivrer vos énergies et se livrer lui-même.... C'est Tyltyl, le +fils du bûcheron qui vous a fait tant de mal.... Il cherche +l'Oiseau-Bleu que vous cachez à l'Homme depuis le commencement du +monde, et qui sait seul notre secret.... [Murmure dans les +feuilles.] Vous dites?... Ah! c'est le Peuplier qui parle.... +Oui, il possède un Diamant qui a la vertu de délivrer un instant +nos esprits; il peut nous forcer à livrer l'Oiseau-Bleu, et nous +serons dès lors, définitivement, à la merci de l'Homme.... +[Murmure dans les feuilles.] Qui parle?... Tiens! c'est le +Chêne.... Comment allez-vous?... [Murmure dans les feuilles du +Chêne.] Toujours enrhumé?... La Réglisse ne vous soigne plus?... +Toujours les rhumatismes?... Croyez-moi, c'est à cause de la +mousse; vous en mettez trop sur vos pieds.... L'Oiseau-Bleu est +toujours chez vous?... [Murmures dans les feuilles du Chêne.] +Vous dites?... Oui, il n'y a pas à hésiter, il faut en profiter, +il faut qu'il disparaisse.... [Murmure dans les feuilles.] +Plaît-il?... Oui, il est avec sa petite soeur; il faut qu'elle +meure aussi.... [Murmure dans les feuilles.] Oui, le Chien les +accompagne; il n'y a pas moyen de l'éloigner.... [Murmure dans +les feuilles.] Vous dites?... Le corrompre?... Impossible.... +J'ai essayé de tout.... [Murmures parmi les feuilles.] Ah! c'est +toi, le Sapin?... Oui, prépare quatre planches.... Oui, il y a +encore le Feu, le Sucre, l'Eau, le Pain.... Ils sont tous avec +nous, excepté le Pain qui est assez douteux.... Seule la Lumière +est favorable à l'Homme; mais elle ne viendra pas.... J'ai fait +croire aux petits qu'ils devaient s'échapper en cachette pendant +qu'elle dormait.... L'occasion est unique.... [Murmure dans les +feuilles.] Tiens! c'est la voix du Hêtre!... Oui, vous avez +raison; il faut que l'on prévienne les Animaux.... Le Lapin +a-t-il son tambour?... Il est chez vous?... Bien, qu'il batte le +rappel, tout de suite.... Les voici!... + + [On entend s'éloigner les roulements de tambour du + Lapin.--Entrent Tyltyl, Mytyl et le Chien.] + +TYLTYL + +C'est ici?... + +LA CHATTE, [obséquieuse, doucereuse, empressé se précipitant +au-devant des enfants.] + +Ah! voilà, mon petit maître!... Que vous avez bonne mine et que +vous êtes joli, ce soir!... Je vous ai précédé pour annoncer +votre arrivée.... Tout va bien. Cette fois nous tenons +l'Oiseau-Bleu, j'en suis sûre.... Je viens d'envoyer le Lapin +battre le rappel afin de convoquer les principaux Animaux du +pays.... On les entend déjà dans le feuillage.... Écoutez!... Ils +sont un peu timides et n'osent approcher.... [Bruits d'animaux +divers, tels que vaches, porcs, chevaux, ânes, etc.--Bas à +Tyltyl, le prenant à part.] Mais pourquoi avez-vous amené le +Chien?... Je vous l'ai déjà dit, il est au plus mal avec tout le +monde, même avec les arbres.... Je crains bien que sa présence +odieuse ne fasse tout manquer.... + +TYLTYL + +Je n'ai pu m'en débarasser.... [Au Chien, la menaçant] Veux-tu +bien t'en aller, vilaine bête!... + +LE CHIEN + +Qui?... Moi!... Pourquoi?... Qu'est-ce que j'ai fait?... + +TYLTYL + +Je te dis de t'en aller!... On n'a que faire de toi, c'est bien +simple.... Tu nous embêtes à la fin!... + +LE CHIEN + +Je ne dirai rien.... Je suivrai de loin.... On ne me verra +pas.... Veux-tu que je fasse le beau?... + +LA CHATTE, [bas, à Tyltyl.] + +Vous tolérez pareille désobéissance?... Donnez-lui donc quelques +coups de bâton sur le nez, il est vraiment insupportable!... + +TYLTYL, [battant le Chien.] + +Voilà qui t'apprendra à obéir plus vite!... + +LE CHIEN, [hurlant.] + +Aïe! Aïe! Aïe!... + +TYLTYL + +Qu'en dis-tu?... + +LE CHIEN + +Il faut que je t'embrasse puisque tu m'as battu!... + +[Il embrasse et caresse violemment Tyltyl.] + +TYLTYL + +Voyons.... C'est, bien.... Ça suffit.... Va-t'en!... + +MYTYL + +Non, non; je veux qu'il reste.... J'ai peur de tout quand il +n'est pas là.... + +LE CHIEN, [bondissant et renversant presque Mytyl, qu'il accable +de caresses précipitées et enthousiastes.] + +Oh! la bonne petite fille!... Qu'elle est belle! Qu'elle est +bonne!... Qu'elle est belle, qu'elle est douce!... Il faut que je +l'embrasse! Encore! encore! encore!... + +LA CHATTE + +Quel idiot!... Ma foi, nous verrons bien.... Ne perdons pas de +temps.... Tournez le Diamant.... + +TYLTYL + +Où faut-il me placer? + +LA CHATTE + +Dans ce rayon de lune; vous y verrez plus clair.... Là! tournez +doucement.... + + [Tyltyl tourne le Diamant; aussitôt, un long frémissement + agite les branches et les feuilles. Les troncs les plus + anciens et les plus imposants s'entr'ouvrent pour livrer + passage à l'âme que chacun d'eux renferme. L'aspect de ces + âmes diffère suivant l'aspect et le caractère de l'arbre + qu'elles représentent. Celle de l'Orme, par exemple, est une + sorte de gnome poussif, ventru, bourru; celle du Tilleul est + placide, familière, joviale: celle du Hêtre, élégante et + agile; celle du Bouleau, blanche, réservée, inquiète; celle + du Saule, rabougrie, échevelée, plaintive; celle du Sapin, + longue, efflanquée, taciturne; celle du Cyprès, tragique; + celle du Marronnier, prétentieuse, un peu snob; celle du + Peuplier, allègre, encombrante, bavarde. Les unes sortent + lentement de leur tronc, engourdies, s'étirant, comme après + une captivité ou un sommeil séculaire, les autres s'en + dégagent d'un bond, alertes, empressées, et toutes viennent + se ranger autour des deux enfants, tout en se tenant autant + que possible à proximité de l'arbre dont elles sont nées.] + +LE PEUPLIER, [accourant le premier et criant à tue-tête.] + +Des Hommes!... De petits Hommes!... On pourra leur parler!... +C'est fini le Silence!... C'est fini!... D'où viennent-ils?... +Qui est-ce?... Qui sont-ils?... [Au Tilleul qui s'avance en +fumant tranquillement sa pipe.] Les connais-tu, toi, père +Tilleul?... + +LE TILLEUL + +Je ne me rappelle pas les avoir vus.... + +LE PEUPLIER + +Mais si, voyons, mais si!... Tu connais tous les Hommes, tu es +toujours à te promener autour de leurs maisons.... + +LE TILLEUL, [examinant les enfants.] + +Mais non, je vous assure.... Je ne les connais pas.... Ils sont +encore trop jeunes.... Je ne connais bien que les amoureux qui +viennent me voir au clair de lune; ou les buveurs de bière qui +trinquent sous mes branches.... + +LE MARRONNIER, [pincé, ajustant son monocle.] + +Qu'est-ce que c'est que ça?... C'est des pauvres de la +campagne?... + +LE PEUPLIER + +Oh! vous, monsieur le Marronnier, depuis que vous ne fréquentez +plus que les boulevards des grandes villes.... + +LE SAULE, [s'avançant en sabots et geignard.] + +Mon Dieu, mon Dieu!... Ils viennent encore me couper la tête et +les bras pour en faire des fagots!... + +LE PEUPLIER + +Silence!... Voici le Chêne qui sort de son palais!... Il a l'air +bien souffrant ce soir.... Ne trouvez-vous pas qu'il +vieillit?... Quel âge peut-il avoir?... Le Sapin dit qu'il a +quatre mille ans; mais je suis sûre qu'il exagère.... Attention, +il va nous dire ce que c'est.... + + [Le Chêne s'avance lentement. Il est fabuleusement vieux, + couronné de gui et vêtu d'une longue robe verte brodée de + mousse et de lichen. Il est aveugle, sa barbe blanche flotte + au vent. Il s'appuie d'une main sur un bâton noueux et de + l'autre sur un jeune Chêneau qui lui sert de guide. + L'Oiseau-Bleu est perché sur son épaule. À son approche, + mouvement de respect parmi les arbres qui se rangent et + s'inclinent.] + +TYLTYL + +Il a l'Oiseau-Bleu!... Vite! vite!... Par ici!... +Donnez-le-moi!... + +LES ARBRES + +Silence!... + +LA CHATTE, [à Tyltyl.] + +Découvrez-vous, c'est le Chêne!... + +LE CHÊNE, [à Tyltyl.] + +Qui es-tu?... + +TYLTYL + +Tyltyl, monsieur.... Quand est-ce que je pourrai prendre +l'Oiseau-Bleu?... + +LE CHÊNE + +Tyltyl, le fils du bûcheron?... + +TYLTYL + +Oui, monsieur.... + +LE CHÊNE + +Ton père nous a fait bien du mal.... Dans ma seule famille il a +mis à mort six cents de mes fils, quatre cent soixante-quinze +oncles et tantes, douze cents cousins et cousines, trois cent +quatre-vingts brus et douze mille arrière-petits-fils!... + +TYLTYL + +Je ne sais pas, monsieur.... Il ne l'a pas fait exprès.... + +LE CHÊNE + +Que viens-tu faire ici, et pourquoi as-tu fait sortir nos âmes de +leurs demeures?... + +TYLTYL + +Monsieur, je vous demande pardon de vous avoir dérangé.... C'est +la Chatte qui m'a dit que vous alliez nous dire où se trouve +l'Oiseau-Bleu.... + +LE CHÊNE + +Oui, je sais, tu cherches l'Oiseau-Bleu, c'est-à-dire le grand +secret des choses et du bonheur, pour que les Hommes rendent plus +dur encore notre esclavage.... + +TYLTYL + +Mais non, monsieur; c'est pour la petite fille de la Fée Bérylune +qui est très malade.... + +LE CHÊNE, lui imposant silence. + +Il suffit!... Je n'entends pas les Animaux.... Où sont-ils?... +Tout ceci les intéresse autant que nous.... Il ne faut pas que +nous, les Arbres, assumions seuls la responsabilité des mesures +graves qui s'imposent.... Le jour où les Hommes apprendront que +nous avons fait ce que nous allons faire, il y aura d'horribles +représailles.... Il convient donc que notre accord soit unanime, +pour que notre silence le soit également.... + +LE SAPIN, [regardant par-dessus les autres arbres.] + +Les Animaux arrivent.... Ils suivent le Lapin.... Voici l'âme du +Cheval, du Taureau, du Boeuf, de la Vache, du Loup, du Mouton, +du Porc, du Coq, de la Chèvre, de l'Âne et de l'Ours.... + + [Entrée successive des âmes des Animaux qui, à mesure que + les énumère le Sapin, s'avancent et vont s'asseoir entre les + arbres, à l'exception de l'âme de la Chèvre qui vagabonde çà + et là, et de celle du Porc qui fouille les racines.] + +LE CHÊNE + +Tous sont-ils ici présents?... + +LE LAPIN + +La Poule ne pouvait pas abandonner ses oeufs, le Lièvre faisait +des courses, le Cerf a mal aux cornes, le Renard est +souffrant,--voici le certificat du médecin,--l'Oie n'a pas +compris et le Dindon s'est mis en colère.... + +LE CHÊNE + +Ces abstentions sont extrêmement regrettables.... Néanmoins, nous +sommes en nombre suffisant.... Vous savez, mes frères, de quoi +il est question. L'enfant que voici, grâce à un talisman dérobé +aux puissances de la Terre, peut s'emparer de notre Oiseau-Bleu, +et nous arracher ainsi le secret que nous gardons depuis +l'origine de la Vie.... Or, nous connaissons assez l'Homme pour +n'avoir aucun doute sur le sort qu'il nous réserve lorsqu'il se +trouvera en possession de ce secret. C'est pourquoi il me semble +que toute hésitation serait aussi stupide que criminelle.... +L'heure est grave; il faut que l'enfant disparaisse avant qu'il +soit trop tard.... + +TYLTYL + +Que dit-il?... + +LE CHIEN, [rôdant autour du Chêne en montrant ses crocs.] + +As-tu vu mes dents, vieux perclus?... + +LE HÊTRE, [indigné.] + +Il insulte le Chêne!... + +LE CHÊNE + +C'est le Chien?... Qu'on l'expulse! Il ne faut pas que nous +tolérions un traître parmi nous!... + +LA CHATTE, [bas, à Tyltyl.] + +Éloignez le Chien.... C'est un malentendu.... Laissez-moi faire, +j'arrangerai les choses.... Mais éloignez-le au plus vite.... + +TYLTYL, [au Chien.] + +Veux-tu t'en aller!... + +LE CHIEN + +Laisse-moi donc lui déchirer ses pantoufles de mousse à ce vieux +goutteux-là!... On va rire!... + +TYLTYL + +Tais-toi donc!... Et va-t'en!... Mais va-t'en, vilaine bête!... + +LE CHIEN + +Bon, bon, on s'en ira.... Je reviendrai quand tu auras besoin de +moi.... + +LA CHATTE, [bas, à Tyltyl.] + +Il serait plus prudent de l'enchaîner, sinon il fera des bêtises; +les Arbres se fâcheront, et tout cela finira mal.... + +TYLTYL + +Comment faire?... J'ai égaré sa laisse.... + +LA CHATTE + +Voici tout juste le Lierre qui s'avance avec de solides liens.... + +LE CHIEN, grondant. + +Je reviendrai, je reviendrai!... Podagre! bronchiteux!... Tas de +vieux rabougris, tas de vieilles racines!...C'est la Chatte qui +mène tout!... Je lui revaudrai ça!... Qu'as-tu donc à chuchoter +ainsi, Judas, Tigre, Bazaine!... Wa, wa! wa!... + +LA CHATTE + +Vous voyez, il insulte tout le monde.... + +TYLTYL + +C'est vrai, il est insupportable et l'on ne s'entend plus.... +Monsieur le Lierre, voulez-vous l'enchaîner?... + +LE LIERRE, [s'approchant assez craintivement du Chien.] + +Il ne mordra pas?... + +LE CHIEN, [grondant.] + +Au contraire! au contraire!... Il va bien t'embrasser!... +Attends, tu vas voir ça!... Approche, approche donc, tas de +vieilles ficelles!... + +TYLTYL, [le menaçant du bâton.] + +Tylô!... + +LE CHIEN, [rampant aux pieds de Tyltyl en agitant la queue.] + +Que faut-il faire, mon petit dieu?... + +TYLTYL + +Te coucher, à plat ventre!... Obéis au Lierre.... Laisse-toi +garotter, sinon.... + +LE CHIEN, [grondant entre les dents pendant que le Lierre le +garotte.] + +Ficelle!... Corde à pendus!... Laisse à veaux!... Chaîne à +porcs!... Mon petit dieu, regarde.... Il me tord les pattes.... +Il m'étrangle!... + +TYLTYL + +Tant pis!... Tu l'as voulu!... Tais-toi, tiens-toi tranquille, tu +es insupportable!... + +LE CHIEN + +C'est égal, tu as tort.... Ils ont de vilaines intentions.... Mon +petit dieu, prends garde!... Il me ferme la bouche!... Je ne peux +plus parler!... + +LE LIERRE, [qui a ficelé le Chien comme un paquet.] + +Où faut-il le porter?... Je l'ai bien bâillonné.... il ne souffle +plus mot.... + +LE CHÊNE + +Qu'on l'attache solidement là-bas, derrière mon tronc, à ma +grosse racine.... Nous verrons ensuite ce qu'il convient d'en +faire.... [Le Lierre aidé du Peuplier porte le Chien derrière le +tronc du Chêne] Est-ce fait?... Bien, maintenant que nous voilà +débarrassés de ce témoin gênant et de ce renégat, délibérons +selon notre justice et notre vérité.... Mon émotion, je ne vous +le cache point, est profonde et pénible.... C'est la première +fois qu'il nous est donné de juger l'Homme et de lui faire sentir +notre puissance.... Je ne crois pas qu'après le mal qu'il nous a +fait, après les monstrueuses injustices que nous avons subies, il +reste le moindre doute sur la sentence qui l'attend.... + +TOUS LES ARBRES et TOUS LES ANIMAUX + +Non! Non! Non!... Pas de doute!... La pendaison!... La mort!... +Il y a trop d'injustice!... Il a trop abusé!... Il y a trop +longtemps!... Qu'on l'écrase! Qu'on le mange!... Tout de +suite!... Tout de suite!... + +TYLTYL, [à la Chatte.] + +Qu'ont-ils donc?... Ils ne sont pas contents?... + +LA CHATTE + +Ne vous inquiétez pas.... Ils sont un peu fâchés à cause que le +Printemps est en retard.... Laissez-moi faire, j'arrangerai tout +ça.... + +LE CHÊNE + +Cette unanimité était inévitable.... Il s'agit à présent de +savoir, pour éviter les représailles, quel genre de supplice sera +le plus pratique, le plus commode, le plus expéditif et le plus +sûr; celui qui laissera le moins de traces accusatrices lorsque +les Hommes retrouveront les petits corps dans la forêt.... + +TYLTYL + +Qu'est-ce que c'est que tout ça?... Où veut-il en venir?... Je +commence à en avoir assez.... Puisqu'il a l'Oiseau-Bleu, qu'il le +donne.... + +LE TAUREAU, [s'avançant.] + +Le plus pratique et le plus sûr, c'est un bon coup de corne au +creux de l'estomac.--Voulez-vous que je fonce?... + +LE CHÊNE + +Qui parle ainsi?... + +LA CHATTE + +C'est le Taureau. + +LA VACHE + +Il ferait mieux de se tenir tranquille.... Moi, je ne m'en mêle +pas.... J'ai à brouter toute l'herbe de la prairie qu'on voit +là-bas, dans le bleu de la lune.... J'ai trop à faire.... + +LE BOEUF + +Moi aussi. D'ailleurs, j'approuve tout d'avance.... + +LE HÊTRE + +Moi, j'offre ma plus haute branche pour les pendre.... + +LE LIERRE + +Et moi le noeud coulant.... + +LE SAPIN + +Et moi les quatre planches pour la petite boîte.... + +LE CYPRÈS + +Et moi la concession à perpétuité.... + +LE SAULE + +Le plus simple serait de les noyer dans une de mes rivières.... +Je m'en charge.... + +LE TILLEUL, [conciliant.] + +Voyons, voyons.... Est-il bien nécessaire d'en venir à ces +extrémités? Ils sont encore bien jeunes.... On pourrait tout +bonnement les empêcher de nuire en les retenant prisonniers dans +un clos que je me charge de construire en me plantant tout +autour.... + +LE CHÊNE + +Qui parle ainsi?... Je crois reconnaître la voix mielleuse du +Tilleul.... + +LE SAPIN + +En effet.... + +LE CHÊNE + +Il y a donc un renégat parmi nous, comme parmi les Animaux?... +Jusqu'ici, nous n'avions à déplorer que la défection des Arbres +fruitiers; mais ceux-ci ne sont pas de véritables Arbres.... + +LE PORC, [roulant de petits yeux gloutons.] + +Moi, je pense qu'il faut d'abord manger la petite fille.... Elle +doit être bien tendre.... + +TYLTYL + +Que dit-il celui-là?... Attends un peu, espèce de.... + +LA CHATTE + +Je ne sais ce qu'ils ont; mais cela prend mauvaise tournure.... + +LE CHÊNE + +Silence!... Il s'agit de savoir qui de nous aura l'honneur de +porter le premier coup; qui écartera de nos cimes le plus grand +danger que nous ayons couru depuis la naissance de l'Homme.... + +LE SAPIN + +C'est à vous, notre roi et notre patriarche, que revient cet +honneur.... + +LE CHÊNE + +C'est le Sapin qui parle?... Hélas! je suis trop vieux! Je suis +aveugle, infirme, et mes bras engourdis ne m'obéissent plus.... +Non, c'est à vous, mon frère, toujours vert, toujours droit, +c'est à vous, qui vîtes naître la plupart de ces Arbres, +qu'échoit, à mon défaut, la gloire du noble geste de notre +délivrance.... + +LE SAPIN + +Je vous remercie, mon vénérable père.... Mais comme j'aurai déjà +l'honneur d'ensevelir les deux victimes, je craindrais d'éveiller +la juste jalousie de mes collègues; et je crois qu'après nous, le +plus ancien et le plus digne, celui qui possède la meilleure +massue, c'est le Hêtre.... + +LE HÊTRE + +Vous savez que je suis vermoulu et que ma massue n'est point +sûre.... Mais l'Orme et le Cyprès ont de puissantes armes.... + +L'ORME + +Je ne demanderais pas mieux; mais je puis à peine me tenir +debout.... Une taupe, cette nuit, m'a retourné le gros orteil.... + +LE CYPRÈS + +Quant à moi, je suis prêt.... Mais, comme mon bon frère le Sapin, +j'aurai déjà, sinon le privilège de les ensevelir, tout au moins +l'avantage de pleurer sur leur tombe.... Ce serait illégitimement +cumuler.... Demandez au Peuplier.... + +LE PEUPLIER + +A moi?... Y pensez-vous?... Mais mon bois est plus tendre que la +chair d'un enfant!... Et puis, je ne sais ce que j'ai.... Je +tremble de fièvre.... Regardez donc mes feuilles.... J'ai dû +prendre froid ce matin au lever du soleil.... + +LE CHÊNE, [éclatant d'indignation.] + +Vous avez peur de l'Homme!... Même ces petits enfants isolés et +sans armes vous inspirent la terreur mystérieuse qui fit toujours +de nous les esclaves que nous sommes!... Eh bien, non! C'est +assez!... Puisqu'il en est ainsi, puisque l'heure est unique, +j'irai seul, vieux, perclus, tremblant, aveugle, contre l'ennemi +héréditaire!... Où est-il?... + + [Tâtonnant de son bâton, il s'avance vers Tyltyl.] + +TYLTYL, [tirant son couteau de sa poche.] + +C'est à moi qu'il en a, ce vieux-là, avec son gros bâton?... + + [Tous les autres Arbres, poussant un cri d'épouvante à la + vue du couteau, l'arme mystérieuse et irrésistible de + l'Homme, s'interposent et retiennent le Chêne.] + +LES ARBRES + +Le couteau!... Prenez garde!.... Le couteau!... + +LE CHÊNE, se débattant. + +Laissez-moi!... Que m'importe!... Le couteau ou la hache!... Qui +me retient?... Quoi! vous êtes tous ici?... Quoi! vous tous vous +voulez?... [Jetant son bâton] Eh bien, soit!... Honte à nous!... +Que les Animaux nous délivrent!... + +LE TAUREAU + +C'est cela!... Je m'en charge!... Et d'un seul coup de corne!... + +LE BOEUF et LA VACHE, [le retenant par la queue.] + +De quoi te mêles-tu?...Ne fais pas de bêtises!... C'est une +mauvaise affaire!... Cela finira mal.... C'est nous qui +trinquerons.... Laisse donc.... C'est affaire aux Animaux +sauvages.... + +LE TAUREAU + +Non, non!... C'est mon affaire!... Attendez!... Mais retenez-moi +donc ou je fais un malheur!... + +TYLTYL, [à Mytyl qui pousse des cris aigus.] + +N'aie pas peur!... Mets-toi derrière moi.... J'ai mon couteau.... + +LE COQ + +C'est qu'il est crâne, le petit!... + +TYLTYL + +Alors, c'est décidé, c'est à moi qu'on en veut?... + +L'ÂNE + +Mais bien sûr, mon petit, tu y a mis le temps, à t'en +apercevoir!... + +LE PORC + +Tu peux faire ta prière, va, c'est ta dernière heure. Mais ne +cache pas la petite fille.... Je veux m'en régaler les yeux.... +C'est elle que je mangerai la première.... + +TYLTYL + +Qu'est-ce que je vous ai fait?... + +LE MOUTON + +Rien du tout, mon petit.... Mangé mon petit frère, mes deux +soeurs, mes trois oncles, ma tante, bon-papa, bonne-maman.... +Attends, attends, quand tu seras par terre, tu verras que j'ai +des dents aussi.... + +L'ÂNE + +Et que j'ai des sabots!... + +LE CHEVAL, [piaffant fièrement.] + +Vous allez voir ce que vous allez voir!... Aimez-vous mieux que +je le déchire à belles dents ou que je vous l'abatte à coups de +pied?... [Il s'avance magnifiquement sur Tyltyl qui lui fait face +en levant son couteau. Tout à coup, le Cheval, pris de panique, +tourne le dos et fuit à toutes jambes.] Ah! mais non!... Ce n'est +pas juste!... Ce n'est pas de jeu!... Il se défend!... + +LE COQ, [ne pouvant cacher son admiration.] + +C'est égal, le petit n'a pas froid aux yeux!... + +LE PORC, [à l'Ours et au Loup.] + +Précipitons-nous tous ensemble.... Je vous soutiendrai par +derrière.... Nous les renverserons et nous nous partagerons la +petite fille quand elle sera par terre.... + +LE LOUP + +Amusez-les par là.... Je vais faire un mouvement tournant.... + + [Il tourne Tyltyl qu'il attaque par derrière et renverse à demi.] + +TYLTYL + +Judas!... [Il se redresse sur un genou, brandissant son couteau +et couvrant de son mieux sa petite soeur qui pousse des +hurlements de détresse.--Le voyant à demi renversé, tous les +Animaux et les Arbres se rapprochent et cherchent à lui porter +des coups. L'obscurité se fait subitement. Éperdument, Tyltyl +appelle à l'aide.] A moi! A moi!... Tylô! Tylô!... Où est la +Chatte?... Tylô!... Tylette! Tylette!... Venez! venez!... + +LA CHATTE, [hypocritement, à l'écart.] + +Je ne peux pas.... Je viens de me fouler la patte.... + +TYLTYL, [parant les coups et se défendant de son mieux.] + +A moi!... Tylô! Tylô!... Je ne peux plus!... Ils sont trop!... +L'Ours! le Cochon! le Loup! l'Âne! le Sapin! le Hêtre!... Tylô! +Tylô! Tylô!... + + [Traînant ses liens brisés, le Chien bondit de derrière le + tronc du Chêne et, bousculant Arbres et Animaux, se jette + devant Tyltyl qu'il détend avec rage.] + +LE CHIEN, [tout en distribuant d'énormes coups de dent.] + +Voilà! voilà! mon petit dieu!... N'aie pas peur! Allons-y!... +J'ai de bons coups de gueule!... Tiens, voilà pour toi, l'Ours, +là dans ton gros derrière!...Voyons, qui en veut encore?... Voilà +pour le Cochon, et ça pour le Cheval et la queue du Taureau! +Voilà! j'ai déchiré la culotte du Hêtre et le jupon du Chêne!... +Le Sapin f.... le camp!... C'est égal, il fait chaud!... + +TYLTYL, [accablé.] + +Je n'en peux plus!... Le Cyprès m'a donné un grand coup sur la +tête.... + +LE CHIEN + +Aïe! c'est un coup du Saule!... Il m'a cassé la patte!... + +TYLTYL + +Ils reviennent à la charge! Tous ensemble!... Cette fois, c'est +le Loup!... + +LE CHIEN + +Attends, que je l'étrenne!... + +LE LOUP + +Imbécile!... Notre frère!... Ses parents ont noyé tes petits!... + +LE CHIEN + +Ils ont bien fait!... Tant mieux!... C'est qu'ils te +ressemblaient!... + +TOUS LES ARBRES et TOUS LES ANIMAUX + +Renégat!... Idiot!... Traître! Félon! Nigaud!... Judas!... +Laisse-le! C'est la mort! Viens à nous! + +LE CHIEN, [ivre d'ardeur et de dévouement.] + +Non! non!... Seul contre tous!... Non, non!... Fidèle aux dieux! +aux meilleurs! aux plus grands!... [À Tyltyl.]Prends garde, voici +l'Ours!... Méfie-toi du Taureau.... Je vais lui sauter à la +gorge.... Aïe!... C'est un coup de pied.... L'Âne m'a cassé deux +dents.... + +TYLTYL + +Je ne peux plus, Tylô!... Aïe!... C'est un coup de l'Orme.... +Regarde, ma main saigne.... C'est le Loup ou le Porc.... + +LE CHIEN + +Attends, mon petit dieu.... Laisse-moi t'embrasser. Là, un bon +coup de langue.... Ça te fera du bien.... Reste bien derrière +moi.... Ils n'osent plus approcher.... Si!... Les voilà qui +reviennent!... Ah! ce coup, c'est sérieux!... Tenons ferme!... + +TYLTYL, [se laissant tomber sur le sol.] + +Non, ce n'est plus possible.... + +LE CHIEN + +On vient!... J'entends, je flaire!... + +TYLTYL + +Où donc?... Qui donc?... + +LE CHIEN + +Là! là!... C'est la Lumière!... Elle nous a retrouvés!... +Sauvés, mon petit roi!... Embrasse-moi!... Sauvés!... regarde!... +Ils se méfient!... Ils s'écartent!... Ils ont peur!... + +TYLTYL + +La Lumière!... La Lumière!... Venez donc!... Hâtez-vous!... Ils +se sont révoltés!... Ils sont tous contre nous!... + + [Entre la Lumière: à mesure qu'elle s'avance, l'Aurore se + lève sur la forêt qui s'éclaire.] + +LA LUMIÈRE + +Qu'est-ce donc?... Qu'y a-t-il?...Mais, malheureux! tu ne savais +donc pas!... Tourne le Diamant! Ils rentreront dans le Silence et +dans l'Obscurité; et tu ne verras plus leurs sentiments.... + + [Tyltyl tourne le Diamant.--Aussitôt les âmes de tous les + Arbres se précipitent dans les troncs qui se referment. + --Les âmes des Animaux disparaissent également; et l'on + voit, au loin, brouter une Vache et un Mouton paisibles, + etc.--La Forêt redevient innocente. Étonné, Tyltyl regarde + autour de soi.] + +TYLTYL + +Où sont-ils?... Qu'avaient-ils?... Est-ce qu'ils étaient +fous?... + +LA LUMIÈRE + +Mais non, ils sont toujours ainsi; mais on ne le sait pas parce +qu'on ne le voit pas.... Je te l'avais bien dit: il est dangereux +de les réveiller quand je ne suis pas là.... + +TYLTYL, [essuyant son couteau.] + +C'est égal; sans le Chien et si je n'avais pas eu mon couteau.... +Je n'aurais jamais cru qu'ils fussent si méchants!... + +LA LUMIÈRE + +Tu vois bien que l'Homme est tout seul contre tous, en ce +monde.... + +LE CHIEN + +Tu n'as pas trop de mal, mon petit dieu?... + +TYLTYL + +Rien de grave.... Quant à Mytyl, ils ne l'ont pas touchée.... +Mais toi, mon bon Tylô?... Tu as la bouche en sang, et ta patte +est cassée?... + +LE CHIEN + +Pas la peine d'en parler.... Demain, il n'y paraîtra plus.... +Mais l'affaire était chaude!... + +LA CHATTE, [sortant d'un fourré en boitant.] + +Je crois bien!... Le Boeuf m'a donné un coup de corne dans le +ventre.... On n'en voit pas la trace, mais il me fait bien +mal.... Et le Chêne m'a cassé la patte.... + +LE CHIEN + +J'aimerais bien savoir laquelle.... + +MYTYL, caressant la Chatte. + +Ma pauvre Tylette, est-ce vrai?... Où donc te trouvais-tu?... Je +ne t'ai pas aperçue.... + +LA CHATTE, [hypocritement.] + +Petite mère, j'ai été blessée tout de suite, en attaquant le +vilain Porc qui voulait te manger.... C'est alors que le Chêne +m'a donné ce grand coup qui m'a étourdie.... + +LE CHIEN, [à la Chatte, entre les dents.] + +Toi, tu sais, j'ai deux mots à te dire.... Tu ne perdras rien +pour attendre!... + +LA CHATTE, [plaintivement, à Mytyl.] + +Petite mère, il m'insulte.... Il veut me faire du mal.... + +MYTYL, [au Chien.] + +Veux-tu bien la laisser tranquille, vilaine bête.... + +Ils sortent tous. + +RIDEAU + + + + +ACTE QUATRIÈME + + + + +SIXIÈME TABLEAU + +DEVANT LE RIDEAU + + * * * * * + + [Entrent Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Chien, le Chat, le + Pain, le Feu, le Sucre, l'Eau et le Lait.] + +LA LUMIÈRE + +J'ai reçu un petit mot de la Fée Bérylune qui m'apprend que +l'Oiseau-Bleu se trouve probablement ici.... + +TYLTYL + +Où ça?... + +LA LUMIÈRE + +Ici, dans le cimetière qui est derrière ce mur.... Il paraît +qu'un des morts de ce cimetière le cache dans la tombe.... Reste +à savoir lequel.... Il faudra qu'on les passe en revue.... + +TYLTYL + +En revue?... Comment qu'on fera?... + +LA LUMIÈRE + +C'est bien simple: à minuit, pour ne pas trop les déranger, tu +tourneras le Diamant. On les verra sortir de terre; ou bien on +apercevra au fond de leurs tombes ceux qui ne sortent pas.... + +TYLTYL + +Ils ne seront pas fâchés?... + +LA LUMIÈRE + +Nullement, ils ne s'en douteront même pas.... Ils n'aiment pas +qu'on les dérange; mais comme de toutes façons ils ont coutume de +sortir à minuit, cela ne les gênera pas.... + +TYLTYL + +Pourquoi que le Pain, le Sucre et le Lait sont si pâles et +pourquoi qu'ils ne disent rien?... + +LE LAIT, [chancelant.] + +Je sens que je vais tourner.... + +LA LUMIÈRE, [bas, à Tyltyl.] + +Ne fais pas attention.... Ils ont peur des morts.. + +LE FEU, [gambadant.] + +Moi, je n'en ai pas peur!... J'ai l'habitude de les brûler.... +Dans les temps, je les brûlais tous; c'était bien plus amusant +qu'aujourd'hui.... + +TYLTYL + +Et pourquoi Tylô tremble-t-il?... Est-ce qu'il a peur aussi? + +LE CHIEN, [claquant des dents.] + +Moi?... Je ne tremble pas!... Moi, je n'ai jamais peur; mais si +tu t'en allais, je m'en irais aussi.... + +TYLTYL + +Et la Chatte ne dit rien?... + +LA CHATTE, [mystérieuse.] + +Je sais ce que c'est.... + +TYLTYL, [à la Lumière.] + +Tu viendras avec nous?... + +LA LUMIÈRE + +Non, il est préférable que je reste à la porte du cimetière avec +les Choses et les Animaux.... L'heure n'est pas venue.... La +Lumière ne peut pas encore pénétrer chez les morts.... Je vais te +laisser seul avec Mytyl.... + +TYLTYL + +Et Tylô ne peut pas rester avec-nous?... + +LE CHIEN + +Si, si, je reste, je reste ici.... Je veux rester près de mon +petit dieu!... + +LA LUMIÈRE + +C'est impossible.... L'ordre de la Fée est formel; du reste, il +n'y a rien à craindre.... + +LE CHIEN + +Bien, bien, tant pis.... S'ils sont méchants, mon petit dieu, tu +n'as qu'à faire comme ça [il siffle.] et tu verras.... Ce sera +comme dans la forêt: Wa! Wa! Wa!... + +LA LUMIÈRE + +Allons, adieu, mes chers petits.... Je ne serai pas loin.... +[Elle embrasse les enfants.] Ceux qui m'aiment et que j'aime me +retrouvent toujours.... [Aux Choses et aux Animaux.] Vous +autres.... par ici. + + [Elle sort avec les Choses et les Animaux. Les enfants + restent seuls au milieu de la scène. Le rideau s'ouvre pour + découvrir le septième tableau.] + + + + + +SEPTIÈME TABLEAU + +LE CIMETIÈRE + + +Il fait nuit. Clair de lune. Un cimetière de campagne. +Nombreuses tombes, tertres de gazon, croix de bois, +dalles funéraires, etc. + + * * * * * + + [Tyltyl et Mytyl sont debout près d'un cippe.] + +MYTYL + +J'ai peur. + +TYLTYL, [assez peu rassuré.] + +Moi, je n'ai jamais peur.... + +MYTYL + +C'est méchant, les morts, dis?.. + +TYLTYL + +Mais non, puisqu'ils ne vivent pas.... + +MYTYL + +Tu en as déjà vu?... + +TYLTYL + +Oui, une fois, dans le temps, lorsque j'étais très jeune.... + +MYTYL + +Comment c'est fait, dis?... + +TYLTYL + +C'est tout blanc, très tranquille et très froid, et ça ne parle +pas.... + +MYTYL + +Nous allons les voir, dis?... + +TYLTYL + +Bien sûr, puisque la Lumière l'a promis.... + +MYTYL + +Où c'est qu'ils sont, les morts?... + +TYLTYL + +Ici, sous le gazon ou sous ces grosses pierres. + +MYTYL + +Ils sont là toute l'année?... + +TYLTYL + +Oui. + +MYTYL, [montrant les dalles.] + +C'est les portes de leurs maisons?... + +TYLTYL + +Oui. + +MYTYL + +Est-ce qu'ils sortent quand il fait beau?... + +TYLTYL + +Ils ne peuvent sortir qu'à la nuit.... + +MYTYL + +Pourquoi?... + +TYLTYL + +Parce qu'ils sont en chemise.... + +MYTYL + +Est-ce qu'ils sortent aussi quand il pleut?. + +TYLTYL + +Quand il pleut, ils restent chez eux.... + +MYTYL + +C'est beau chez eux, dis?... + +TYLTYL + +On dit que c'est fort étroit.... + +MYTYL + +Est-ce qu'ils ont des petits enfants?... + +TYLTYL + +Bien sûr; ils ont tous ceux qui meurent.... + +MYTYL + +Et de quoi vivent-ils?... + +TYLTYL + +Ils mangent des racines.... + +MYTYL + +Est-ce que nous les verrons?... + +TYLTYL + +Bien sûr, puisqu'on voit tout quand le Diamant est tourné. + +MYTYL + +Et qu'est-ce qu'ils diront?... + +TYLTYL + +Ils ne diront rien, puisqu'ils ne parlent pas.... + +MYTYL + +Pourquoi qu'ils ne parlent pas?... + +TYLTYL + +Parce qu'ils n'ont rien à dire.... + +MYTYL + +Pourquoi qu'ils n'ont rien à dire?... + +TYLTYL + +Tu m'embêtes.... + + [Un silence.] + +MYTYL + +Quand tourneras-tu le Diamant?... + +TYLTYL + +Tu sais bien que la Lumière a dit d'attendre à minuit, parce +qu'alors on les dérange moins.... + +MYTYL + +Pourquoi qu'on les dérange moins?... + +TYLTYL + +Parce que c'est l'heure où ils sortent prendre l'air. + +MYTYL + +Il n'est pas minuit?... + +TYLTYL + +Vois-tu le cadran de l'église?... + +MYTYL + +Oui, je vois même la petite aiguille.... + +TYLTYL + +Et bien! minuit va sonner.... Là!... Tout juste.... +Entends-tu?... + +On entend sonner les douze coups de minuit. + +MYTYL + +Je veux m'en aller!... + +TYLTYL + +Ce n'est pas le moment.... Je vais tourner le Diamant.... + +MYTYL + +Non, non!... Ne le fais pas!... Je veux m'en aller!... J'ai si +peur, petit frère!... J'ai terriblement peur!... + +TYLTYL + +Mais il n'y a pas de danger.... + +MYTYL + +Je ne veux pas voir les morts!... Je ne veux pas les voir!... + +TYLTYL + +C'est bon, tu ne les verras pas, tu fermeras les yeux.... + +MYTYL, [s'accrochant aux vêtements de Tyltyl.] + +Tyltyl, je ne peux pas!... Non, ce n'est pas possible!... Ils +vont sortir de terre!... + +TYLTYL + +Ne tremble pas ainsi.... Ils ne sortiront qu'un moment.... + +MYTYL + +Mais tu trembles aussi, toi!... Ils seront effrayants!... + +TYLTYL + +Il est temps, l'heure passe.... + + [Tyltyl tourne le Diamant. Une terrifiante minute de silence + et d'immobilité; après quoi, lentement, les croix + chancellent, les tertres s'entr'ouvrent, les dalles se + soulèvent.] + +MYTYL, [se blottissant contre Tyltyl.] + +Ils sortent!... Ils sont là!... + + [Alors, de toutes les tombes béantes monte graduellement une + floraison d'abord grêle et timide comme une vapeur d'eau, + puis blanche et virginale et de plus en plus touffue, de + plus en plus haute, surabondante et merveilleuse, qui peu à + peu, irrésistiblement, envahissant toutes choses, transforme + le cimetière en une sorte de jardin féerique et nuptial, sur + lequel ne tardent pas à se lever les premiers rayons de + l'aube. La rosée scintille, les fleurs s'épanouissent, le + vent murmure dans les feuilles, les abeilles bourdonnent, + les oiseaux s'éveillent et inondent l'espace des premières + ivresses de leurs hymnes au soleil et à la vie. Stupéfaits, + éblouis, Tyltyl et Mytyl, se tenant par la main, font + quelques pas parmi les fleurs en cherchant la trace des + tombes.] + +MYTYL, [cherchant dans le gazon.] + +Où sont-ils, les morts?... + +TYLTYL, [cherchant de même.] + +Il n'y a pas de morts.... + + +RIDEAU + + + + +HUITIÈME TABLEAU + +DEVANT LE RIDEAU QUI REPRÉSENTE DE BEAUX NUAGES + + + Entrent: Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Chien, la Chatte, le + Pain, le Feu, le Sucre, l'Eau et le Lait. + + * * * * * + +LA LUMIÈRE + +Je crois que cette fois nous tenons L'Oiseau-Bleu. J'aurais dû y +penser dès la première étape.... Ce n'est que ce matin, en +reprenant mes forces dans l'aurore, que l'idée m'est venue comme +un rayon du ciel.... Nous sommes à l'entrée des jardins enchantés +où se trouvent réunis sous la garde du Destin, toutes les Joies, +tous les Bonheurs des Hommes.... + +TYLTYL + +Il y en a beaucoup? Est-ce qu'on en aura? Est-ce qu'ils sont +petits?... + +LA LUMIÈRE + +Il en est de petits et de grands, de gros et de délicats, de très +beaux et d'autres qui sont moins agréables.... Mais les plus +vilains furent, il y a quelque temps, expulsés des jardins et +cherchèrent refuge chez les Malheurs. Car il faut remarquer que +les Malheurs habitent un autre contigu, qui communique avec le +jardin des Bonheurs et n'en est séparé que par une sorte de +vapeur ou de rideau subtil que le vent qui souffle des hauteurs +de la Justice ou du fond de l'Éternité soulève à chaque +instant.... Maintenant, il s'agit de s'organiser et de prendre +certaines précautions. En général, les Bonheurs sont fort bons, +pourtant il en est quelques-uns qui sont plus dangereux et plus +perfides que les plus grands Malheurs.... + +LE PAIN + +J'ai une idée! S'ils sont dangereux et perfides, ne serait-il +pas préférable que nous attendissions tous à la porte, afin +d'être à même de prêter main-forte aux enfants s'ils étaient +obligés de fuir?... + +LE CHIEN + +Pas du tout! pas du tout!... Je veux aller partout avec mes +petits dieux!... Que tous ceux qui ont peur restent donc à la +porte!... Nous n'avons pas besoin [Regardant le Pain]. de +poltrons, [Regardant la Chatte] ni de traîtres.... + +LE FEU + +Moi, j'y vais!... Il paraît que c'est amusant!... On y danse tout +le temps.... + +LE PAIN + +Est-ce qu'on y mange aussi?... + +L'EAU, [gémissant.] + +Je n'ai jamais connu le plus petit Bonheur!... Je veux en voir +enfin!... + +LA LUMIÈRE + +Taisez-vous! Personne ne demande vos avis.... Voici ce que j'ai +décidé: le Chien, le Pain et le Sucre accompagneront les enfants. +L'Eau n'entrera pas, parce qu'elle est trop froide, ni le Feu qui +est trop turbulent. J'engage vivement le Lait à rester à la +porte, parce qu'il est trop impressionnable; quant à la Chatte, +elle fera comme elle voudra.... + +LE CHIEN + +Elle a peur!... + +LA CHATTE + +J'irai saluer en passant quelques Malheurs qui sont de vieux amis +et habitent à côté des Bonheurs.... + +TYLTYL + +Et toi, la Lumière, est-ce que tu ne viens pas?... + +LA LUMIÈRE + +Je ne peux pas entrer ainsi chez les Bonheurs; la plupart ne me +supportent pas.... Mais j'ai ici le voile épais dont je me +couvre quand je visite les gens heureux.... [Elle déplie un long +voile dont elle s'enveloppe soigneusement.] Il ne faut pas qu'un +rayon de mon âme les effraye, car il est beaucoup de Bonheurs qui +ont peur et ne sont pas heureux.... Voilà, de cette façon, les +moins jolis et les plus gros eux-mêmes n'auront plus rien à +redouter.... + + [Le rideau s'ouvre pour découvrir le neuvième tableau.] + + + + +NEUVIÈME TABLEAU + +LES JARDINS DES BONHEURS + + +Quand s'ouvre le rideau, on découvre, prise sur les premiers +plans des jardins, une sorte de salle formée de hautes colonnes +de marbre entre lesquelles, masquant tout le fond, sont tendues +de lourdes draperies de pourpre que soutiennent des cordages +d'or. Architecture rappelant les moments les plus sensuels et les +plus somptueux de la Renaissance (vénitienne ou flamande Véronèse +et Rubens). Guirlandes, cornes d'abondance, torsades, vases, +statues, dorures prodigués de toutes parts.--Au milieu, massive +et féerique table de jaspe et de vermeil, encombrée de flambeaux, +de cristaux, de vaisselle d'or et d'argent et surchargée de mets +fabuleux.--Autour de la table, mangent, boivent, hurlent, +chantent, s'agitent, se vautrent ou s'endorment parmi les +venaisons, les fruits miraculeux, les aiguières et les amphores +renversées, les plus gros Bonheurs de la terre. Ils sont énormes, +invraisemblablement obèses et rubiconds, couverts de velours et +de brocarts, couronnés d'or, de perles et de pierreries. De +belles esclaves apportent, sans cesse des plats empanachés et des +breuvages écumiants.--Musique vulgaire, hilare et brutale où +dominent les cuivres.--Une lumière lourde et rouge baigne la +scène. + + * * * * * + + [Tyltyl, Mytyl, le Chien, le Pain et le Sucre, d'abord assez + intimidés, se pressent, à droite, au premier plan, autour de + la Lumière. La Chatte, sans rien dire, se dirige vers le + fond, également à droite, soulève un rideau sombre et + disparaît.] + +TYLTYL + +Qu'est-ce que ces gros messieurs qui s'amusent et mangent tant de +bonnes choses? + +LA LUMIÈRE + +Ce sont les plus gros Bonheurs de la Terre, ceux qu'on peut voir +à l'oeil nu. Il est possible, bien qu'assez peu probable, que +l'Oiseau-Bleu se soit un instant égaré parmi eux. C'est pourquoi +ne tourne pas encore le Diamant. Nous allons, pour la forme, +explorer tout 'd'abord cette partie de la salle. + +TYLTYL + +Est-ce qu'on peut s'approcher? + +LA LUMIÈRE + +Certainement. Ils ne sont pas méchants, bien que vulgaires et, +d'habitude, assez mal élevés. + +MYTYL + +Qu'ils ont de beaux gâteaux!... + +LE CHIEN + +Et du gibier! et des saucisses! et des gigots d'agneau et du foie +de veau!... [Proclamant.] Rien au monde n'est meilleur, rien +n'est plus beau et rien ne vaut le foie de veau!... + +LE PAIN + +Excepté les Pains-de-quatre-livres pétris de fine fleur de +froment! Ils en ont d'admirables!... Qu'ils sont beaux! qu'ils +sont beaux!... Ils sont plus gros que moi!... + +LE SUCRE + +Pardon, pardon, mille pardons.... Permettez, permettez.... Je ne +voudrais froisser personne; mais n'oubliez-vous pas les Sucreries +qui sont la gloire de cette table et dont l'éclat et la +magnificence surpassent, si j'ose m'exprimer ainsi, tout ce qu'il +y a dans cette salle et peut-être en tout autre lieu.... + +TYLTYL + +Qu'ils ont l'air contents et heureux!... Et ils crient! et ils +rient! et ils chantent!... Je crois qu'ils nous ont vus.... + + [En effet, une douzaine des plus Gros Bonheurs se sont levés + de table et s'avancent péniblement, en soutenant leur + ventre, vers le groupe des enfants.] + +LA LUMIÈRE + +Ne crains rien, ils sont très accueillants.... Ils vont +probablement t'inviter à dîner.... N'accepte pas, n'accepte rien, +de peur d'oublier ta mission.... + +TYLTYL + +Quoi? Pas même un petit gâteau? Ils ont l'air si bons, si frais, +si bien glacés de sucre, ornés de fruits confits et débordants de +crème!... + +LA LUMIÈRE + +Ils sont dangereux et briseraient ta volonté. Il faut savoir +sacrifier quelque chose au devoir qu'on remplit. Refuse poliment +mais avec fermeté. Les voici.... + +LE PLUS GROS DES BONHEURS, [tendant la main à Tyltyl.] + +Bonjour, Tyltyl!... + +TYLTYL, [étonné.] + +Vous me connaissez donc?... Qui êtes-vous?... + +LE GROS BONHEUR + +Je suis le plus gros des Bonheurs, le Bonheur-d'être-riche, et je +viens, au nom de mes frères, vous prier, vous et votre famille, +d'honorer de votre présence notre repas sans fin. Vous vous +trouverez au milieu de tout ce qu'il y a de mieux parmi les vrais +et gros Bonheurs de de cette Terre. Permettez que je vous +présente les principaux d'entre eux. Voici mon gendre, le +Bonheur-d'être-propriétaire, qui a le ventre en poire. Voici le +Bonheur-de-la-vanité-satisfaite, dont le visage est si +gracieusement bouffi. [Le Bonheur-de-la-vanité-satisfaite salue +d'un air protecteur.] Voici le +Bonheur-de-boire-quand-on-n'a-plus-soif et le +Bonheur-de-manger-quand-on-n'a-plus-faim, qui sont jumeaux et +ont les jambes en macaroni. [Ils saluent en chancelant.] Voici le +Bonheur-de-ne-rien-savoir, qui est sourd comme une limande, et le +Bonheur-de-ne-rien-comprendre, qui est aveugle comme une taupe. +Voici le Bonheur-de-ne-rien-faire et le +Bonheur-de-dormir-plus-qu'il-n'est-nécessaire, qui ont les mains +en mie de pain et les yeux en gelée de pêche. Voici enfin le +Rire-Épais qui est fendu jusqu'aux oreilles et auquel rien ne +peut résister.... + + [Le Rire-Épais salue en se tordant.] + +TYLTYL, [montrant du doigt un Gros Bonheur qui se tient un peu à +l'écart.] + +Et celui-là, qui n'ose pas approcher et nous tourne le dos?... + +LE GROS BONHEUR + +N'insistez pas, il est un peu gêné et n'est pas présentable à des +enfants.... [Saisissant les mains de Tyltyl.] Mais venez donc! On +recommence le festin.... C'est la douzième fois depuis l'aurore. +On n'attend plus que vous.... Entendez-vous tous les convives qui +vous réclament à grands cris?... Je ne puis vous les présenter +tous, ils sont extrêmement nombreux.... [Offrant le bras aux deux +enfants.] Permettez que je vous conduise aux deux places +d'honneur.... + +TYLTYL + +Je vous remercie bien, monsieur le Gros Bonheur.... Je regrette +vivement.... Je ne peux pas pour le moment.... Nous sommes très +pressés, nous cherchons l'Oiseau-Bleu. Vous ne sauriez pas, par +hasard, où il se cache? + +LE GROS BONHEUR + +L'Oiseau-Bleu?... Attendez donc.... Oui, oui, je me rappelle.... +On m'en a parlé dans le temps.... C'est, je crois, un oiseau qui +n'est pas comestible.... En tout cas, il n'a jamais paru sur +notre table.... C'est vous dire qu'on le tient en médiocre +estime.... Mais ne vous mettez pas en peine; nous avons tant +d'autres choses bien meilleures.... Vous allez vous mêler à notre +vie, vous verrez tout ce que nous faisons.... + +TYLTYL + +Que faites-vous? + +LE GROS BONHEUR + +Mais nous nous occupons sans cesse à ne rien faire.... Nous +n'avons pas une minute de repos.... Il faut boire, il faut +manger, il faut dormir. C'est extrêmement absorbant.... + +TYLTYL + +Est-ce que c'est amusant? + +LE GROS BONHEUR + +Mais oui.... Il le faut bien, il n'y a pas autre chose sur cette +Terre.... + +LA LUMIÈRE + +Croyez-vous?... + +LE GROS BONHEUR, [indiquant du doigt la Lumière, bas, à Tyltyl.] + +Quelle est cette jeune personne mal élevée?... + + [Durant toute la conversation précédente, une foule de Gros + Bonheurs de second ordre s'est occupée du Chien, du Sucre et + du Pain, et les a entraînés vers l'orgie. Tyltyl aperçoit + soudain ces derniers qui, attablés fraternellement avec + leurs hôtes, mangent, boivent et se trémoussent follement.] + +TYLTYL + +Voyez donc, la Lumière!... Ils sont à table!... + +LA LUMIÈRE + +Rappelle-les! sinon cela finira mal!... + +TYLTYL + +Tylô!...Tylô! ici!... Veux-tu venir ici, tout de suite, +entends-tu!... Et vous, là-bas, le Sucre et le Pain, qui donc +vous a permis de me quitter?... Qu'est-ce que vous faites là, +sans autorisation?... + +LE PAIN, [la bouche pleine.] + +Est-ce que tu ne pourrais pas nous parler plus poliment?... + +TYLTYL + +Quoi? C'est le Pain qui se permet de me tutoyer?... Mais +qu'est-ce qui te prend?... Et toi, Tylô!... Est-ce ainsi qu'on +obéit? Allons, viens ici, à genoux, à genoux!... Et plus vite que +ça!... + +LE CHIEN, [à mi-voix et du bout de la table.] + +Moi, quand je mange, je n'y suis pour personne et je n'entends +plus rien.... + +LE SUCRE, [mielleusement.] + +Excusez-nous, nous ne saurions quitter ainsi, sans les froisser, +d'aussi aimables hôtes.... + +LE GROS BONHEUR + +Vous voyez!... Ils vous donnent l'exemple.... Venez, on vous +attend.... Nous n'admettons pas de refus.... On vous fera une +douce violence.... Allons, les Gros Bonheurs, aidez-moi!... +Poussons-les de force vers la table, pour qu'ils soient heureux +malgré eux!... + + [Tous les Gros Bonheurs, avec des cris de joie et gambadant + de leur mieux, entraînent les enfants qui se débattent, + tandis que le Rire-Épais saisit vigoureusement la Lumière + par la taille.] + +LA LUMIÈRE + +Tourne le Diamant, il est temps!... + + [Tyltyl fait ce qu'ordonne la Lumière. Aussitôt la scène + s'illumine d'une clarté ineffablement pure, divinement + rosée, harmonieuse et légère. Les lourds ornements du + premier plan, les épaisses tentures rouges se détachent et + disparaissent, dévoilant un fabuleux et doux jardin de paix + légère et de sérénité, une sorte de palais de verdure aux + perspectives harmonieuses, où la magnificence des + feuillages, puissants et lumineux, exubérants et néanmoins + disciplinés, où l'ivresse virginale des fleurs et la fraîche + allégresse des eaux qui coulent, ruissellent et jaillissent + de toutes parts semblent entraîner jusqu'aux confins de + l'horizon l'idée même de la félicité. La table de l'orgie + s'effondre sans laisser de traces; les velours, les + brocarts, les couronnes des Gros Bonheurs, au souffle + lumineux qui envahit la scène, se soulèvent, se déchirent et + tombent, en même temps que les masques hilares, aux pieds + des convives abasourdis. Ceux-ci se dégonflent à vue + d'oeil, comme des vessies crevées, s'entre-regardent, + clignotent sous les rayons inconnus qui les blessent, et, se + voyant enfin tels qu'ils sont en vérité, c'est-à-dire nus, + hideux, flasques et lamentables, se mettent à pousser des + hurlements de honte et d'épouvante, parmi lesquels on + distingue très nettement ceux du Rire-Épais qui dominent + tous les autres. Seul le Bonheur-de-ne-rien-comprendre + demeure parfaitement calme, tandis que ses collègues + s'agitent éperdument, cherchent à fuir, à se cacher dans les + coins qu'ils espèrent plus sombres. Mais il n'y a plus + d'ombre dans le jardin éblouissant. Aussi la plupart se + décident-ils à franchir, en désespoir de cause, le rideau + menaçant qui, sur là droite, dans un angle, ferme la voûte + de la caverne des Malheurs. A chaque fois que l'un d'eux, + dans la panique, soulève un pan de ce rideau, on entend + s'élever du creux de l'antre une tempête d'injures, + d'imprécations et de malédictions. Quant au Chien, au Pain + et au Sucre, l'oreille basse, ils rejoignent le groupe des + enfants, et, très penauds, se dissimulent derrière eux.] + +TYLTYL, [regardant fuir les Gros Bonheurs.] + +Dieu qu'ils sont laids!... Où vont-ils?... + +LA LUMIÈRE + +Ma foi, je crois qu'ils ont perdu la tête.... Ils vont se +réfugier chez les Malheurs où je crains fort qu'on ne les +retienne définitivement.... + +TYLTYL, [regardant autour de soi, émerveillé.] + +Oh! le beau jardin, le beau jardin!... Où sommes-nous?... + +LA LUMIÈRE + +Nous n'avons pas changé de place; ce sont tes yeux qui ont changé +de sphère.... Nous voyons à présent la vérité des choses; et nous +allons apercevoir l'âme des Bonheurs qui supportent la clarté du +Diamant. + +TYLTYL + +Que c'est beau!... Qu'il fait beau!... On se croirait en plein +été.... Tiens! on dirait qu'on s'approche et qu'on va s'occuper +de nous.... + + [En effet, les jardins commencent à se peupler de formes + angéliques qui semblent sortir d'un long sommeil et glissent + harmonieusement entre les arbres. Elles sont vêtues de robes + lumineuses, aux subtiles et suaves nuances: réveil de rose, + sourire d'eau, azur d'aurore, rosée d'ambre, etc.... ] + +LA LUMIÈRE + +Voici que s'avancent quelques Bonheurs aimables et curieux qui +vont nous renseigner.... + +TYLTYL + +Tu les connais?... + +LA LUMIÈRE + +Oui, je les connais tous; je viens souvent chez eux, sans qu'ils +sachent qui je suis.... + +TYLTYL + +Il y en a, il y en a!... Ils sortent de tous côtés!... + +LA LUMIÈRE + +Il y en avait beaucoup plus dans le temps. Les Gros Bonheurs leur +ont fait bien du tort. + +TYLTYL + +C'est égal, il en reste pas mal.... + +LA LUMIÈRE + +Tu en verras bien d'autres, à mesure que l'influence du Diamant +se répandra parmi les jardins.... On trouve sur la Terre beaucoup +plus de Bonheurs qu'on ne croit; mais la plupart des Hommes ne +les découvrent point.... + +TYLTYL + +En voici de petits qui s'avancent, courons à leur rencontre.... + +LA LUMIÈRE + +C'est inutile; ceux qui nous intéressent passeront par ici. Nous +n'avons pas le temps de faire la connaissance de tous les +autres.... + + [Une bande de Petits Bonheurs, gambadant et riant aux éclats, + accourt du fond des verdures et danse une ronde autour des + enfants.] + +TYLTYL + +Qu'ils sont jolis, jolis!... D'où viennent-ils, qui sont-ils?... + +LA LUMIÈRE + +Ce sont les Bonheurs des enfants.... + +TYLTYL + +Est-ce qu'on peut leur parler?... + +LA LUMIÈRE + +C'est inutile. Ils chantent, ils dansent, ils rient, mais ils ne +parlent pas encore.... + +TYLTYL, frétillant. + +Bonjour! Bonjour!... Oh! le gros, là, qui rit!... Qu'ils ont de +belles joues, qu'ils ont de belles robes!... Ils sont tous riches +ici?... + +LA LUMIÈRE + +Mais non, ici comme partout, il y a bien plus de pauvres que de +riches.... + +TYLTYL + +Où sont les pauvres?... + +LA LUMIÈRE + +On ne peut pas les distinguer.... Le Bonheur d'un enfant est +toujours revêtu de ce qu'il y a de plus beau sur terre et dans +les cieux. + +TYLTYL, [ne tenant plus en place.] + +Je voudrais danser avec eux.... + +LA LUMIÈRE + +C'est absolument impossible, nous n'avons pas le temps.... Je +vois qu'ils n'ont pas l'Oiseau-Bleu.... Du reste, ils sont +pressés, tu vois, ils sont déjà passés.... Eux non plus n'ont pas +de temps à perdre, car l'enfance est très brève.... + + [Une autre bande de Bonheurs, un peu plus grands que les + précédents, se précipite dans le jardin, et chantant à + tue-tête: «Les voilà! les voilà! Ils nous voient! Ils nous + voient!...» danse autour des enfants une joyeuse farandole, + à la fin de laquelle, celui qui paraît être le chef de la + petite troupe s'avance vers Tyltyl en lui tendant la main.] + +LE BONHEUR + +Bonjour, Tyltyl!... + +TYLTYL + +Encore un qui me connaît!... [A la Lumière.] On commence à me +connaître un peu partout.... Qui es-tu?... + +LE BONHEUR + +Tu ne me reconnais pas?... Je parie que tu ne reconnais aucun de +ceux qui sont ici?... + +TYLTYL, [assez embarrassé.] + +Mais non.... Je ne sais pas.... Je ne me rappelle pas vous avoir +vus.... + +LE BONHEUR + +Vous entendez?... J'en étais sûr!... Il ne nous a jamais vus!... +[Tous les autres Bonheurs de la bande éclatent de rire.] Mais, +mon petit Tyltyl, tu ne connais que nous!... Nous sommes toujours +autour de toi!... Nous mangeons, nous buvons, nous nous +éveillons, nous respirons, nous vivons avec toi!... + +TYLTYL + +Oui, oui, parfaitement, je sais, je me rappelle.... Mais je +voudrais savoir comment on vous appelle.... + +LE BONHEUR + +Je vois bien que tu ne sais rien.... Je suis le chef des +Bonheurs-de-ta-maison; et tous ceux-ci sont les autres Bonheurs +qui l'habitent.... + +TYLTYL + +Il y a donc des Bonheurs à la maison?... + + [Tous les Bonheurs éclatent de rire.] + +LE BONHEUR + +Vous l'avez entendu!... S'il y a des Bonheurs dans ta maison!... +Mais, petit malheureux, elle en est pleine à faire sauter les +portes et les fenêtres!... Nous rions, nous chantons, nous créons +de la joie à refouler les murs, à soulever les toits; mais nous +avons beau faire, tu ne vois rien, tu n'entends rien.... J'espère +qu'à l'avenir tu seras un peu plus raisonnable.... En attendant, +tu vas serrer la main aux plus notables.... Une fois rentré chez +toi, tu les reconnaîtras ainsi plus facilement.... Et puis, à la +fin d'un beau jour, tu sauras les encourager d'un sourire, les +remercier d'un mot aimable, car ils font vraiment tout ce qu'ils +peuvent pour te rendre la vie légère et délicieuse.... Moi +d'abord, ton serviteur, le Bonheur-de-se-bien-porter.... Je ne +suis pas le plus joli, mais le plus sérieux. Tu me +reconnaîtras?... Voici le Bonheur-de-l'air-pur, qui est à peu +près transparent.... Voici le Bonheur-d'aimer-ses-parents, qui +est vêtu de gris et toujours un peu triste, parce qu'on ne le +regarde jamais.... Voici le Bonheur-du-ciel-bleu, qui est +naturellement vêtu de bleu; et le Bonheur-de-la-forêt qui, non +moins naturellement, est habillé de vert, et que tu reverras +chaque fois que tu te mettras à la fenêtre.... Voici encore le +bon Bonheur-des-heures-de soleil qui est couleur de diamant, et +celui du-Printemps qui est d'émeraude folle.... + +TYLTYL + +Et vous êtes aussi beaux tous les jours?... + +LE BONHEUR + +Mais oui, c'est tous les jours dimanche, dans toutes les maisons, +quand on ouvre les yeux.... Et puis, quand vient le soir, voici +le Bonheur-des-couchers-de-soleil, qui est plus beau que tous les +rois du monde; et que suit le +Bonheur-devoir-se-lever-les-étoiles, doré comme un dieu +d'autrefois.... Puis, quand il fait mauvais, voici le +Bonheur-de-la-pluie qui est couvert de perles, et le +Bonheur-du-feu-d'hiver qui ouvre aux mains gelées son beau +manteau de pourpre.... Et je ne parle pas du meilleur de tous, +parce qu'il est presque frère des grandes Joies limpides que vous +verrez bientôt, et qui est le Bonheur-des-pensées-innocentes, le +plus clair d'entre nous.... Et puis, voici encore.... Mais +vraiment, ils sont trop!... Nous n'en finirions pas, et je dois +prévenir d'abord les Grandes-Joies qui sont là-haut, au fond, +près des portes du ciel, et ne savent pas encore que vous êtes +arrivés.... Je vais leur dépêcher le +Bonheur-de-courir-nu-pieds-dans-la-rosée, qui est le plus +agile.... [Au Bonheur qu'il vient de nommer et qui s'avance en +faisant des cabrioles.] Va!... + + [A ce moment, une sorte de diablotin en maillot noir, + bousculant tout le monde en poussant des cris inarticulés, + s'approche de Tyltyl, et gambade follement en l'accablant de + nasardes, taloches et coups de pied insaisissables.] + +TYLTYL, [ahuri et profondément indigné.] + +Qu'est-ce que c'est que ce sauvage? + +LE BONHEUR + +Bon! c'est encore le Plaisir-d'être-insupportable qui s'est +échappé de la caverne des Malheurs. On ne sait où l'enfermer. Il +s'évade de partout, et les Malheurs eux-mêmes ne veulent plus le +garder. + + [Le diablotin continue de lutiner Tyltyl qui essaye + vainement de se défendre, puis, soudain, riant aux éclats, + disparaît sans raison, comme il était venu.] + +TYLTYL + +Qu'est-ce qu'il a? Il est un peu fou? + +LA LUMIÈRE + +Je ne sais. Il paraît que c'est ainsi que tu es toi-même lorsque +tu n'es pas sage. Mais en attendant, il faudrait s'informer de +l'Oiseau-Bleu. Il se peut que le chef des Bonheurs-de-ta-maison +n'ignore pas où il se trouve.... + +TYLTYL + +Où est-il?... + +LE BONHEUR + +Il ne sait pas où se trouve l'Oiseau-Bleu!... + + [Tous les Bonheurs-de-la-maison éclatent de rire.] + +TYLTYL, [vexé.] + +Mais non, je ne sais pas.... Il n'y a pas de quoi rire.... + + [Nouveaux éclats de rires.] + +LE BONHEUR + +Voyons, ne te fâche pas.... et puis, soyons sérieux.... Il ne +sait pas, que voulez-vous, il n'est pas plus ridicule que la +plupart des Hommes.... Mais voici que le petit +Bonheur-de-courir-nu-pieds-dans-la-rosée a prévenu les +Grandes-Joies qui s'avancent vers nous.... + + [En effet, les hautes et belles figures angéliques, vêtues + de robes lumineuses, s'approchent lentement.] + +TYLTYL + +Qu'elles sont belles!... Pourquoi ne rient-elles pas?... Ne +sont-elles pas heureuses?... + +LA LUMIÈRE + +Ce n'est pas quand on rit qu'on est le plus heureux.... + +TYLTYL + +Qui sont-elles?... + +LE BONHEUR + +Ce sont les Grandes-Joies.... + +TYLTYL + +Tu sais leurs noms?... + +LE BONHEUR + +Naturellement, nous jouons souvent avec elles.... Voici d'abord: +devant les autres, la Grande-Joie-d'être-juste, qui sourit chaque +fois qu'une injustice est réparée,--je suis trop jeune, je ne +l'ai pas encore vu sourire. Derrière elle, c'est la +Joie-d'être-bonne, qui est la plus heureuse, mais la plus triste; +et qu'on a bien du mal à empêcher d'aller chez les Malheurs +qu'elle voudrait consoler. A droite, c'est la +Joie-du-travail-accompli à côté de la Joie-de-penser. Ensuite, +c'est la Joie-de-comprendre qui cherche toujours son frère, le +Bonheur-de-ne-rien-comprendre.... + +TYLTYL + +Mais je l'ai vu, son frère!... Il est allé chez les Malheurs avec +les Gros Bonheurs.... + +LE BONHEUR + +J'en étais sûr!... Il a mal tourné, de mauvaises fréquentations +l'ont entièrement perverti.... Mais n'en parle pas à sa soeur. +Elle voudrait aller le chercher et nous y perdrions une des plus +belles joies.... Voici encore, parmi les plus grandes, la +Joie-de-voir-ce-qui-est-beau, qui ajoute chaque jour quelques +rayons à la lumière qui règne ici.... + +TYLTYL + +Et là, au loin, au loin, dans les nuages d'or, celle que j'ai +peine à voir en me dressant tant que je peux sur la pointe des +pieds?... + +LE BONHEUR + +C'est la grande Joie-d'aimer.... Mais tu auras beau faire, tu es +bien trop petit pour la voir tout entière.... + +TYLTYL + +Et là-bas, tout au fond, celles qui sont voilées et ne +s'approchent pas?... + +LE BONHEUR + +Ce sont celles que les Hommes ne connaissent pas encore.... + +TYLTYL + +Que nous veulent les autres?... Pourquoi s'écartent-elles?... + +LE BONHEUR + +C'est devant une Joie nouvelle qui s'avance, peut-être la plus +pure que nous ayons ici.. + +TYLTYL + +Qui est-ce?... + +LE BONHEUR + +Tu ne la reconnais pas encore?... Mais regarde donc mieux, ouvre +donc tes deux yeux jusqu'au coeur de ton âme!... Elle t'a vu, +elle t'a vu!... Elle accourt en te tendant les bras!... C'est la +Joie de ta mère, c'est la Joie-sans-égale-de-l'amour-maternel!... + + [Après l'avoir acclamée, les autres Joies, accourues de + toutes parts, s'écartent en silence devant la + Joie-de-l'amour-maternel.] + +L'AMOUR MATERNEL + +Tyltyl! Et puis Mytyl!... Comment, c'est vous, c'est vous que je +retrouve ici!... Je ne m'attendais pas!... J'étais bien seule à +la maison, et voici que tous deux vous montez jusqu'au ciel où +rayonnent dans la Joie l'âme de toutes les mères!... Mais d'abord +des baisers, des baisers tant qu'on peut!... Tous les deux dans +mes bras, il n'y a rien au monde qui donne plus de bonheur!... +Tyltyl, tu ne ris pas?... Ni toi non plus, Mytyl?... Vous ne +connaissez pas l'amour de votre mère?... Mais regardez-moi donc, +et n'est-ce pas mes yeux, mes lèvres et mes bras?... + +TYLTYL + +Mais si, je reconnais, mais je ne savais pas.... Tu ressembles à +maman, mais tu es bien plus belle.... + +L'AMOUR MATERNEL + +Évidemment, moi, je ne vieillis plus.... Et chaque jour qui passe +m'apporte de la force, de la jeunesse et du bonheur.... Chacun de +tes sourires m'allège d'une année.... A la maison, cela ne se +voit pas, mais ici l'on voit tout, et c'est la vérité.... + +TYLTYL, [émerveillé, la contemplant et l'embrassant tour à tour.] + +Et cette belle robe, en quoi donc qu'elle est faite?... Est-ce +que c'est de la soie, de l'argent ou des perles?... + +L'AMOUR MATERNEL + +Non, ce sont des baisers, des regards, des caresses.... chaque +baiser qu'on donne y ajoute un rayon de lune ou de soleil.... + +TYLTYL + +C'est drôle, je n'aurais jamais cru que tu étais si riche.... Où +donc la cachais-tu?... Était-elle dans l'armoire dont papa a la +clef?... + +L'AMOUR MATERNEL + +Mais non, je l'ai toujours, mais on ne la voit pas, parce qu'on +ne voit rien quand les yeux sont fermés.... Toutes les mères sont +riches quand elles aiment leurs enfants.... Il n'en est pas de +pauvres, il n'en est pas de laides, il n'en est pas de +vieilles.... Leur amour est toujours la plus belle des Joies.... +Et quand elles semblent tristes, il suffit d'un baiser qu'elles +reçoivent ou qu'elles donnent pour que toutes leurs larmes +deviennent des étoiles dans le fond de leurs yeux.... + +TYLTYL, [la regardant avec étonnement.] + +Mais oui, c'est vrai, tes yeux, ils sont remplis d'étoiles.... Et +ce sont bien tes yeux, mais ils sont bien plus beaux.... Et c'est +ta main aussi, elle a sa petite bague.... Elle a même la brûlure +que tu t'es faite un soir en allumant la lampe.... Mais elle est +bien plus blanche et qu'elle a la peau fine!... On dirait qu'on y +voit couler de la lumière.... Elle ne travaille pas comme celle +de la maison?... + +L'AMOUR MATERNEL + +Mais si, c'est bien la même; tu n'avais donc pas vu qu'elle +devient toute blanche et s'emplit de lumière dès qu'elle te +caresse?... + +TYLTYL + +C'est étonnant, maman, c'est bien ta voix aussi; mais tu parles +bien mieux que chez nous.... + +L'AMOUR MATERNEL + +Chez nous on a bien trop à faire et l'on n'a pas le temps.... +Mais ce qu'on ne dit pas, on l'entend tout de même.... Maintenant +que tu m'as vue, me reconnaîtras-tu, sous ma robe déchirée, +lorsque tu rentreras demain dans la chaumière?... + +TYLTYL + +Je ne veux pas rentrer.... Puisque tu es ici, j'y veux rester +aussi, tant que tu y seras.... + +L'AMOUR MATERNEL + +Mais c'est la même chose, c'est là-bas que je suis, c'est là-bas +que nous sommes.... Tu n'es venu ici que pour te rendre compte et +pour apprendre enfin comment il faut me voir quand tu me vois +là-bas.... Comprends-tu, mon Tyltyl?... Tu te crois dans le ciel; +mais le ciel est partout où nous nous embrassons.... Il n'y a pas +deux mères, et tu n'en as pas d'autre.... Chaque enfant n'en a +qu'une et c'est toujours la même et toujours la plus belle; mais +il faut la connaître et savoir regarder.... Mais comment as-tu +fait pour arriver ici et trouver une route que les Hommes ont +cherchée depuis qu'ils habitent la Terre?... + +TYLTYL, [montrant la Lumière qui, par discrétion, s'est un peu +écartée.] + +C'est elle qui m'a conduit.... + +L'AMOUR MATERNEL + +Qui est-ce?... + +TYLTYL + +La Lumière.... + +L'AMOUR MATERNEL + +Je ne l'ai jamais vue.... On m'avait dit qu'elle vous aimait +bien et qu'elle était très bonne.... Mais pourquoi se +cache-t-elle?... Elle ne montre jamais son visage?... + +TYLTYL + +Mais si, mais elle a peur que les Bonheurs aient peur s'ils y +voyaient trop clair.... + +L'AMOUR MATERNEL + +Mais elle ne sait donc pas que nous n'attendons qu'elle!... +[Appelant les autres Grandes Joies.] Venez, venez, mes soeurs! +Venez, accourez toutes, c'est la Lumière qui vient enfin nous +visiter!... + + [Frémissement parmi les Grandes Joies qui se rapprochent. + Cris: «La Lumière est ici!... La Lumière, la Lumière!...»] + +LA JOIE-DE-COMPRENDRE, [écartant toutes les autres pour venir +embrasser la Lumière.] + +Vous êtes la Lumière et nous ne savions pas!... Et voici des +années, des années, des années que nous vous attendons!... Me +reconnaissez-vous?... C'est la Joie-de-comprendre qui vous a +tant cherchée.... Nous sommes très heureuses, mais nous ne +voyons pas au delà de nous-mêmes.... + +LA JOIE-D'ÊTRE-JUSTE, [embrassant la Lumière à son tour.] + +Me reconnaissez-vous?... C'est la Joie-d'être-juste qui vous a +tant priée.... Nous sommes très heureuses, mais nous ne voyons +pas au delà de nos ombres.... + +LA JOIE-DE-VOIR-CE-QUI-EST-BEAU, [l'embrassant également.] + +Me reconnaissez-vous?... C'est la Joie-des-beautés qui vous a +tant aimée... Nous sommes très heureuses, mais nous ne voyons pas +au delà de nos songes.... + +LA JOIE-DE-COMPRENDRE + +Voyez, voyez, ma soeur, ne nous faites plus attendre.... Nous +sommes assez fortes, nous sommes assez pures.... Écartez donc ces +voiles qui nous cachent encore les dernières vérités et les +derniers bonheurs.... Voyez, toutes mes soeurs s'agenouillent à +vos pieds.... Vous êtes notre reine et notre récompense.... + +LA LUMIÈRE, [resserrant ses voiles.] + +Mes soeurs, mes belles soeurs, j'obéis à mon Maître.... +L'heure n'est pas venue, elle sonnera peut-être et je vous +reviendrai sans craintes et sans ombres.... Adieu, relevez-vous, +embrassons-nous encore comme des soeurs retrouvées, en +attendant le jour qui paraîtra bientôt.... + +L'AMOUR MATERNEL, [embrassant la Lumière.] + +Vous avez été bonne pour mes pauvres petits.... + +LA LUMIÈRE + +Je serai toujours bonne autour de ceux qui s'aiment.... + +LA JOIE-DE-COMPRENDRE, [s'approchant de la Lumière.] + +Que le dernier baiser soit posé sur mon front.... + + [Elles s'embrassent longuement, et, quand elles se séparent + et relèvent la tète, on voit des larmes dans leurs yeux.] + +TYLTYL, [étonné.] + +Pourquoi pleurez-vous?....[regardant les autres Joies] + +Tiens! vous pleurez aussi.... Mais pourquoi tout le monde a-t-il +des larmes plein les yeux?... + +LA LUMIÈRE + +Silence, mon enfant.... + + +RIDEAU + + + + +ACTE CINQUIÈME + + + + +DIXIÈME TABLEAU + +LE ROYAUME DE L'AVENIR + + +Les salles immenses du Palais d'Azur, où attendent les enfants +qui vont naître.--Infinies perspectives de colonnes de saphir +soutenant des voûtes de turquoise. Tout ici, depuis la lumière et +les dalles de lapis-lazuli jusqu'aux pulvérulences du fond où se +perdent les derniers arceaux, jusqu'aux moindres objets, est d'un +bleu irréel, intense, féerique. Seuls les chapiteaux et les +socles des colonnes, les clefs de voûte, quelques sièges quelques +bancs circulaires sont de marbre blanc ou d'albâtre.--A droite, +entre les colonnes, de grandes portes opalines. Ces portes, dont +le Temps, vers la fin de la scène, écartera les battants, +s'ouvrent sur la Vie actuelle et les quais de l'Aurore. Partout, +peuplant harmonieusement la salle, une foule d'enfants vêtus de +longues robes azurées.--Les uns jouent, d'autres se promènent, +d'autres causent ou songent; beaucoup sont endormis, beaucoup +aussi travaillent, entre les colonnades, aux inventions futures; +et leurs outils, leurs instruments, les appareils qu'ils +construisent, les plantes, les fleurs et les fruits qu'ils +cultivent ou qu'ils cueillent sont du même bleu surnaturel et +lumineux que l'atmosphère générale du Palais.--Parmi les enfants, +revêtues d'un azur plus pâle et plus diaphane, passent et +repassent quelques figures de haute taille, d'une beauté +souveraine et silencieuse, qui paraissent être des anges. + + * * * * * + + [Entrent à gauche, comme à la dérobée, en se glissant parmi + les colonnes du premier plan, Tyltyl, Mytyl et la Lumière. + Leur arrivée provoque un certain mouvement parmi les + Enfants-Bleus qui bientôt accourent de toutes parts et se + groupent autour des insolites visiteurs qu'ils contemplent + avec curiosité.] + +MYTYL + +Où est le Sucre, la Chatte et le bon Pain?... + +LA LUMIÈRE + +Ils ne peuvent pas entrer ici; ils connaîtraient l'Avenir et +n'obéiraient plus.... + +TYLTYL + +Et le Chien?... + +LA LUMIÈRE + +Il n'est pas bon, non plus, qu'il sache ce qui l'attend dans la +suite des siècles.... Je les ai emprisonnés dans les souterrains +de l'église.... + +TYLTYL + +Où sommes-nous?... + +LA LUMIÈRE + +Nous sommes dans le Royaume de l'Avenir, au milieu des enfants +qui ne sont pas encore nés. Puisque le Diamant nous permet de +voir clair en cette région que les Hommes n'aperçoivent pas, nous +y trouverons fort probablement l'Oiseau-Bleu.... + +TYLTYL + +Bien sûr que l'Oiseau sera bleu, puisque tout y est bleu.... +[Regardant tout autour de soi.] Dieu que c'est beau tout ça!... + +LA LUMIÈRE + +Regarde les enfants qui accourent.... + +TYLTYL + +Est-ce qu'ils sont fâchés?... + +LA LUMIÈRE + +Pas du tout.... Tu vois bien, ils sourient, mais ils sont +étonnés.... + +LES ENFANTS-BLEUS, [accourant de plus en plus nombreux.] + +Des petits Vivants.... Venez voir les petits Vivants!... + +TYLTYL + +Pourquoi qu'ils nous appellent «les petits Vivants»?... + +LA LUMIÈRE + +Parce qu'eux, ils ne vivent pas encore.... + +TYLTYL + +Qu'est-ce qu'ils font alors?... + +LA LUMIÈRE + +Ils attendent l'heure de leur naissance.... + +TYLTYL + +L'heure de leur naissance?... + +LA LUMIÈRE + +Oui; c'est d'ici que viennent tous les enfants qui naissent sur +notre Terre. Chacun attend son jour.... Quand les Pères et les +Mères désirent des enfants, on ouvre les grandes portes que tu +vois là, à droite; et les petits descendent.... + +TYLTYL + +Y en a-t-il! Y en a-t-il!... + +LA LUMIÈRE + +Il y en a bien davantage.... On ne les voit pas tous.... Pense +donc, il en faut de quoi peupler la fin des temps.... Personne ne +saurait les compter.... + +TYLTYL + +Et ces grandes personnes bleues, qu'est-ce que c'est?... + +LA LUMIÈRE + +On ne sait plus au juste.... On croit que ce sont des +gardiennes.... On dit qu'elles viendront sur Terre après les +Hommes.... Mais il n'est pas permis de les interroger.... + +TYLTYL + +Pourquoi? + +LA LUMIÈRE + +Parce que c'est le secret de la Terre.... + +TYLTYL + +Et les autres, les petits, on peut leur parler?... + +LA LUMIÈRE + +Bien sûr, il faut faire connaissance.... Tiens, en voilà un plus +curieux que les autres.... Approche-toi, parle-lui.... + +TYLTYL + +Qu'est-ce qu'il faut lui dire?... + +LA LUMIÈRE + +Ce que tu voudras, comme à un petit camarade.... + +TYLTYL + +Est-ce qu'on peut lui donner la main? + +LA LUMIÈRE + +Évidemment, il ne te fera pas de mal.... Mais voyons, n'aie donc +pas l'air si emprunté.... Je vais vous laisser seuls, vous serez +plus à l'aise entre vous.... J'ai d'ailleurs à causer avec la +Grande-personne Bleue.... + +TYLTYL, [s'approchant de l'Enfant-Bleu et lui tendant la main.] + +Bonjour!... [Touchant du doigt la robe bleue de l'Enfant.] +Qu'est-ce que c'est que ça? + +L'ENFANT, [touchant gravement du doigt le chapeau de Tyltyl.] + +Et ça?... + +TYLTYL + +Ça?... C'est mon chapeau.... Tu n'as pas de chapeau?... + +L'ENFANT + +Non; pourquoi c'est faire?... + +TYLTYL + +C'est pour dire bonjour.... Et puis, pour quand fait froid.... + +L'ENFANT + +Qu'est-ce que c'est faire froid?... + +TYLTYL + +Quand on tremble comme ça: brrr! brrr!... qu'on souffle dans ses +mains et qu'on fait aller les bras comme ceci.... + + [Il se brasse vigoureusement.] + +L'ENFANT + +Il fait froid sur la Terre?... + +TYLTYL + +Mais oui, des fois, l'hiver, quand on n'a pas de feu.... + +L'ENFANT + +Pourquoi qu'on n'en a pas?... + +TYLTYL + +Parce que ça coûte cher et qu'il faut de l'argent pour acheter du +bois.... + +L'ENFANT + +Quoi que c'est de l'argent? + +TYLTYL + +C'est avec quoi l'on paie.... + +L'ENFANT + +Ah!... + +TYLTYL + +Il y en a qui en ont, d'autres qui n'en ont point.... + +L'ENFANT + +Pourquoi?... + +TYLTYL + +C'est qu'ils ne sont pas riches.... Est-ce que tu es riche?... +Quel âge as-tu?... + +L'ENFANT + +Je vais naître bientôt.... Je naîtrai dans douze ans.... Est-ce +que c'est bon, naître?... + +TYLTYL + +Oh oui!... C'est amusant!... + +L'ENFANT + +Comment que tu as fait?... + +TYLTYL + +Je ne me rappelle plus.... Il y a si longtemps!... + +L'ENFANT + +On dit que c'est si beau, la Terre et les Vivants!... + +TYLTYL + +Mais oui, ce n'est pas mal.... Il y a des oiseaux, des gâteaux, +des jouets.... Quelques-uns les ont tous; mais ceux qui n'en ont +pas peuvent regarder les autres.... + +L'ENFANT + +On nous dit que les mères attendent à la porte.... Elles sont +bonnes, est-ce vrai?... + +TYLTYL + +Oh oui!... Elles sont meilleures que tout ce qu'il y a!... Les +bonnes-mamans aussi; mais elles meurent trop vite.... + +L'ENFANT + +Elles meurent?... Qu'est-ce que c'est ça?... + +TYLTYL + +Elles s'en vont un soir, et ne reviennent plus.... + +L'ENFANT + +Pourquoi?... + +TYLTYL + +Est-ce qu'on sait?... Peut-être qu'elles sont tristes.... + +L'ENFANT + +Elle est partie, la tienne?... + +TYLTYL + +Ma bonne-maman?... + +L'ENFANT + +Ta maman ou ta bonne-maman, est-ce que je sais, moi?... + +TYLTYL + +Ah! mais, ça n'est pas la même chose!... Les bonnes-mamans s'en +vont d'abord; c'est déjà assez triste.... La mienne était très +bonne.... + +L'ENFANT + +Qu'est-ce qu'ils ont, tes yeux?... Est-ce qu'ils font des +perles?... + +TYLTYL + +Mais non; c'est pas des perles.... + +L'ENFANT Qu'est-ce que c'est alors?... + +TYLTYL + +C'est rien, c'est tout ce bleu qui m'éblouit un peu.... + +L'ENFANT + +Comment que ça s'appelle?... + +TYLTYL + +Quoi?... + +L'ENFANT + +Là, ce qui tombe?... + +TYLTYL + +C'est rien, c'est un peu d'eau.... + +L'ENFANT + +Est-ce qu'elle sort des yeux?... + +TYLTYL + +Oui, des fois, quand on pleure.... + +L'ENFANT + +Qu'est-ce que c'est pleurer? + +TYLTYL + +Moi, je n'ai pas pleuré; c'est la faute à ce bleu.... Mais si +j'avais pleuré ce serait la même chose.... + +L'ENFANT + +Est-ce qu'on pleure souvent?... + +TYLTYL + +Pas les petits garçons, mais les petites filles.... On ne pleure +pas ici?... + +L'ENFANT + +Mais non, je ne sais pas.... + +TYLTYL + +Eh bien, tu apprendras.... Avec quoi que tu joues, ces grandes +ailes bleues?... + +L'ENFANT + +Ça?... C'est pour l'invention que je ferai sur Terre.... + +TYLTYL + +Quelle invention?... Tu as donc inventé quelque chose?... + +L'ENFANT + +Mais oui, tu ne sais pas?... Quand je serai sur Terre, il faudra +que j'invente la Chose qui rend Heureux.... + +TYLTYL + +Est-elle bonne à manger?... Est-ce qu'elle fait du bruit?... + +L'ENFANT + +Mais non, on n'entend rien.... + +TYLTYL + +C'est dommage.... + +L'ENFANT + +J'y travaille chaque jour.... Elle est presque achevée.... +Veux-tu voir?... + +TYLTYL + +Bien sûr.... Où donc est-elle?... + +L'ENFANT + +Là, on la voit d'ici, entre ces deux colonnes...? + +UN AUTRE ENFANT-BLEU, [s'approchant de Tyltyl et le tirant par la +manche.] + +Veux-tu voir la mienne, dis?... + +TYLTYL + +Mais quoi, qu'est-ce que c'est?... + +DEUXIÈME ENFANT + +Les trente-trois remèdes pour prolonger la vie.... Là, dans ces +flacons bleus.... + +TROISIÈME ENFANT, [sortant de la foule.] + +Moi, j'apporte une lumière que personne ne connaît!... [Il +s'illumine tout entier d'une flamme extraordinaire.] C'est assez +curieux, pas?... + +QUATRIÈME ENFANT, [tirant Tyltyl par le bras.] + +Viens donc voir ma machine qui vole dans les airs comme un oiseau +sans ailes!... + +CINQUIÈME ENFANT + +Non, non; d'abord la mienne qui trouve les trésors qui se cachent +dans la lune!... + + [Les Enfants-Bleus s'empressent autour de Tyltyl et de Mytyl + en criant tous ensemble: «Non, non, viens voir la mienne!... + Non, la mienne est plus belle!... La mienne est + étonnante!... La mienne est tout en sucre!... La sienne + n'est pas curieuse.... il m'en a pris l'idée!..., etc.». + Parmi ces exclamations désordonnées, on entraîne les petits + Vivants du côté des ateliers bleus; et là, chacun des + inventeurs met en mouvement sa machine idéale. C'est un + tournoiement céruléen de roues, de disques, de volants, + d'engrenages, de poulies, de courroies, d'objets étranges + et encore innommés qu'enveloppent les bleuâtres vapeurs de + l'irréel. Une foule d'appareils bizarres et mystérieux + s'élancent et planent sous les voûtes, ou rampent au pied + des colonnes, taudis que des enfants déroulent des cartes et + des plans, ouvrent des livres, découvrent des statues + azurées, apportent d'énormes fleurs, de gigantesques fruits + qui semblent formés de saphirs et de turquoises.] + +UN PETIT ENFANT-BLEU, [courbé sous le poids de colossales +pâquerettes d'azur.] + +Regardez donc mes fleurs!...3 + +TYLTYL + +Qu'est-ce que c'est?... Je ne les connais pas.... + +LE PETIT ENFANT-BLEU + +Ce sont des pâquerettes!... + +TYLTYL + +Pas possible!... Elles sont grandes comme des roues.... + +LE PETIT ENFANT-BLEU + +Et ce qu'elles sentent bon!... + +TYLTYL, [les humant.] + +Prodigieux!... + +LE PETIT ENFANT-BLEU + +Elles seront comme ça quand je serai sur Terre.... + +TYLTYL + +Quand donc?... + +LE PETIT ENFANT-BLEU + +Dans cinquante-trois ans, quatre mois et neuf jours.... + + [Arrivent deux Enfants-Bleus qui portent comme un lustre, + pendue à une perche, une invraisemblable grappe de raisins + dont les baies sont plus grosses que des poires.] + +L'UN DES ENFANTS QUI PORTENT LA GRAPPE + +Que dis-tu de mes fruits?... + +TYLTYL + +Une grappe de poires!... + +L'ENFANT + +Mais non, c'est des raisins!... Ils seront tous ainsi, lorsque +j'aurai trente ans.... J'ai trouvé le moyen.... + +UN AUTRE ENFANT, [écrasé sous une corbeille de pommes bleues +grosses comme des melons.] + +Et moi!... Voyez mes pommes!... + +TYLTYL + +Mais ce sont des melons!... + +L'ENFANT + +Mais non!... Ce sont mes pommes, et les moins belles encore!... +Toutes seront de même quand je serai vivant.... J'ai trouvé le +système!... + +UN AUTRE ENFANT, [apportant sur une brouette bleue des melons +bleus plus gros que des citrouilles.] + +Et mes petits melons?... + +TYLTYL + +Mais ce sont des citrouilles!... + +L'ENFANT AUX MELONS + +Quand je viendrai sur terre, les melons seront fiers!... Je +serai le jardinier du Roi des neuf Planètes.... + +TYLTYL + +Le Roi des neuf Planètes?... Où est-il?... + +LE ROI DES NEUF PLANÈTES, [s'avançant fièrement. Il semble avoir +quatre ans et peut à grand'peine se tenir debout sur ses petites +jambes torses.] + +Le voici! + +TYLTYL + +Eh bien! tu n'es pas grand.... + +LE ROI DES NEUF PLANÈTES, [grave et sentencieux.] + +Ce que je ferai sera grand. + +TYLTYL + +Qu'est-ce que tu feras? + +LE ROI DES NEUF PLANÈTES + +Je fonderai la Confédération générale des Planètes solaires. + +TYLTYL, [interloqué.] + +Ah, vraiment? + +LE ROI DE NEUF PLANÈTES + +Toutes en feront partie, excepté Saturne, Uranus et Neptune qui +sont à des distances exagérées et incommensurables. + + [Il se retire avec dignité.] + +TYLTYL + +Il est intéressant.... + +UN ENFANT-BLEU + +Et vois-tu celui-là? + +TYLTYL + +Lequel? + +L'ENFANT + +Là, le petit qui dort au pied de la colonne.... + +TYLTYL + +Eh bien? + +L'ENFANT + +Il apportera la joie pure sur le Globe.. + +TYLTYL + +Comment?... + +L'ENFANT + +Par des idées qu'on n'a pas encore eues.... + +TYLTYL + +Et l'autre, le petit gros qui a les doigts dans le nez, qu'est-ce +qu'il fera, lui?... + +L'ENFANT + +Il doit trouver le feu pour réchauffer la Terre quand le Soleil +sera plus pâle.... + +TYLTYL + +Et les deux qui se tiennent par la main et s'embrassent tout le +temps: est-ce qu'ils sont frère et soeur?... + +L'ENFANT + +Mais non, ils sont très drôles.... Ce sont les Amoureux.... + +TYLTYL + +Qu'est-ce que c'est?... + +L'ENFANT + +Je ne sais pas.... C'est le Temps qui les appelle ainsi pour s'en +moquer.... Ils se regardent tout le jour dans les yeux, ils +s'embrassent et se disent adieu.... + +TYLTYL + +Pourquoi? + +L'ENFANT + +Il paraît qu'ils ne pourront pas partir ensemble.... + +TYLTYL + +Et le petit tout rose, qui semble si sérieux et qui suce son +pouce, qu'est-ce que c'est?... + +L'ENFANT + +Il paraît qu'il doit effacer l'Injustice sur la Terre.... + +TYLTYL + +Ah?... + +L'ENFANT + +On dit que c'est un travail effrayant.... + +TYLTYL + +Et le petit rousseau qui marche comme s'il n'y voyait pas. Est-ce +qu'il est aveugle?... + +L'ENFANT + +Pas encore; mais il le deviendra.... Regarde-le bien; il paraît +qu'il doit vaincre la Mort.... + +TYLTYL + +Qu'est-ce que ça veut dire?... + +L'ENFANT + +Je ne sais pas au juste; mais on dit que c'est grand.... + +TYLTYL, [montrant une foule d'enfants endormis au pied des +colonnes, sur les marches, les bancs, etc.] + +Et tous ceux-là qui dorment,--comme il y en a qui +dorment!--est-ce qu'ils ne font rien?... + +L'ENFANT + +Ils pensent à quelque chose.... + +TYLTYL + +A quoi?... + +L'ENFANT + +Ils ne le savent pas encore; mais ils doivent apporter quelque +chose sur la Terre; il est défendu de sortir les mains vides.... + +TYLTYL + +Qui est-ce qui le défend?... + +L'ENFANT + +C'est le Temps qui se tient à la porte.... Tu verras quand il +ouvrira.... Il est bien embêtant.... + +UN ENFANT, [accourant du fond de la salle, en fendant la foule.] + +Bonjour, Tyltyl!... + +TYLTYL + +Tiens!... Comment sait-il mon nom?... + +L'ENFANT, [qui vient d'accourir et qui embrasse Tyltyl et Mytyl +avec effusion.] + +Bonjour!... Ça va bien?...--Voyons, embrasse-moi, et toi aussi, +Mytyl.... Ce n'est pas étonnant que je sache ton nom, puisque je +serai ton frère.... On vient seulement de me dire que tu es +là.... J'étais tout au bout de la salle, en train d'emballer mes +idées....--Dis à maman que je suis prêt.... + +TYLTYL + +Comment?... Tu comptes venir chez nous? + +L'ENFANT + +Bien sûr, l'année prochaine, le dimanche des Rameaux.... Ne me +tourmente pas trop quand je serai petit.... Je suis bien content +de vous avoir embrassés d'avance....--Dis à Papa qu'il répare le +berceau....--Est-ce qu'on est bien chez nous?... + +TYLTYL + +Mais on n'y est pas mal.... Et Maman est si bonne!... + +L'ENFANT + +Et la nourriture?... + +TYLTYL + +Ça dépend.... Il y a même des jours où l'on a des gâteaux, +n'est-il pas vrai, Mytyl?... + +MYTYL + +Au Nouvel An et le Quatorze Juillet.... C'est maman qui les +fait.... + +TYLTYL + +Qu'as-tu là, dans ce sac?... Tu nous apportes quelque chose?... + +L'ENFANT, [très fièrement.] + +J'apporte trois maladies: la fièvre scarlatine, la coqueluche et +la rougeole.... + +TYLTYL + +Eh bien, si c'est tout ça!... Et après, que feras-tu?... + +L'ENFANT + +Après?... Je m'en irai.... + +TYLTYL + +Ce sera bien la peine de venir!... + +L'ENFANT + +Est-ce qu'on a le choix?... + + [A ce moment, on entend s'élever et se répandre une sorte de + vibration prolongée, puissante et cristalline qui semble + émaner des colonnes et des portes d'opale que touche une + lumière plus vive.] + +TYLTYL + +Qu'est-ce que c'est?... + +UN ENFANT + +C'est le Temps!... Il va ouvrir les portes!... + + [Aussitôt, un vaste remous se propage dans la foule des + Enfants-Bleus. La plupart quittent leurs machines et leurs + travaux, de nombreux dormeurs s'éveillent, et les uns comme + les autres tournent les yeux vers les portes d'opale et se + rapprochent de celles-ci.] + +LA LUMIÈRE [rejoignant Tyltyl.] + +Tâchons de nous dissimuler derrière les colonnes.... Il ne faut +pas que le Temps nous découvre.... + +TYLTYL + +D'où vient ce bruit?... + +UN ENFANT + +C'est l'Aurore qui se lève.... C'est l'heure où les enfants qui +naîtront aujourd'hui vont descendre sur Terre.... + +TYLTYL + +Comment qu'ils descendront?... Il y a des échelles?... + +L'ENFANT + +Tu vas voir.... Le Temps tire les verrous.... + +TYLTYL + +Qu'est-ce que c'est le Temps?... + +L'ENFANT + +C'est un vieil homme qui vient appeler ceux qui partent.... + +TYLTYL + +Est-ce qu'il est méchant?... + +L'ENFANT + +Non, mais il n'entend rien.... On a beau supplier, quand ce n'est +pas leur tour, il repousse tous ceux qui voudraient s'en +aller.... + +TYLTYL + +Est-ce qu'ils sont heureux de partir? + +L'ENFANT + +On n'est pas content quand on reste; mais on est triste quand on +s'en va.... Là! Là!... Voilà qu'il ouvre!... + + [Les grandes portes opalines roulent lentement sur leurs + gonds. On entend, comme une musique lointaine, les rumeurs + de la Terre. Une clarté rouge et verte pénètre dans la + salle: et le Temps, haut vieillard à la barbe flottante, + armé de sa faux et de son sablier, paraît sur le seuil, + tandis qu'on aperçoit l'extrémité des voiles blanches et + dorées d'une galère amarrée à une sorte de quai que forment + les vapeurs roses de l'Aurore.] + +LE TEMPS, [sur le seuil.] + +Ceux dont l'heure est sonnée sont-ils prêts?... + +DES ENFANTS-BLEUS, [fendant la roule et accourant de toutes +parts.] + +Nous voici!... Nous voici!... Nous voici!... + +LE TEMPS, [d'une voix bourrue, aux enfants qui défilent devant +lui pour sortir.] + +Un à un!... Il s'en présente encore beaucoup plus qu'il n'en +faut!... C'est toujours la même chose!... On ne me trompe pas!... +[Repoussant un enfant.] Ce n'est pas ton tour!... Rentre, c'est +pour demain.... Toi non plus, rentre donc et reviens dans dix +ans.... Un treizième berger?... Il n'en fallait que douze; on +n'en a plus besoin, nous ne sommes plus au temps de Théocrite ou +de Virgile.... Encore des médecins?... Il y en a déjà trop; on +s'en plaint sur la Terre.... Et les ingénieurs, où sont-ils?... +On veut un honnête homme, un seul, comme phénomène.... Où donc +est l'honnête homme?... C'est toi?... [L'enfant fait signe que +oui.] Tu m'as l'air bien chétif.... tu ne vivras pas +longtemps!... Holà, vous autres, là, pas si vite!... Et toi, +qu'apportes-tu?... Rien du tout? les mains vides?... Alors on ne +passe pas.... Prépare quelque chose, un grand crime, si tu veux, +ou une maladie, moi, cela m'est égal.... mais il faut quelque +chose.... [Avisant un petit que d'autres poussent en avant et qui +résiste de toutes ses forces.] Eh bien, toi, qu'as-tu donc?... Tu +sais bien que c'est l'heure.... On demande un héros qui combatte +l'Injustice; c'est toi, il faut partir.... + +LES ENFANTS-BLEUS + +Il ne veut pas, monsieur.... + +LE TEMPS + +Comment?... Il ne veut pas?... Où donc se croit-il, ce petit +avorton?... Pas de réclamations, nous n'avons pas le temps.... + +LE PETIT, [que l'on pousse.] + +Non, non!... Je ne veux pas!... J'aime mieux ne pas naître!... +J'aime mieux rester ici!... + +LE TEMPS + +Il ne s'agit pas de ça.... Quand c'est l'heure, c'est l'heure!... +Allons, vite, en avant!... + +UN ENFANT, [s'avançant.] + +Oh! laissez-moi passer!... J'irai prendre sa place!... On dit que +mes parents sont vieux et m'attendent depuis si longtemps!... + +LE TEMPS + +Pas de ça.... L'heure est l'heure et le temps est le temps.... +On n'en finirait pas si l'on vous écoutait.... L'un veut, l'autre +refuse, c'est trop tôt, c'est trop tard.... [Écartant des enfants +qui ont envahi le seuil.] Pas si près, les petits.... Arrière les +curieux.... Ceux qui ne partent pas n'ont rien à voir dehors.... +Maintenant vous avez hâte; puis, votre tour venu, vous aurez peur +et vous reculerez.... Tenez, en voilà quatre qui tremblent comme +des feuilles.... [A un enfant qui, sur le point de franchir le +seuil, rentre brusquement.] Eh bien, quoi?... Qu'as-tu donc?... + +L'ENFANT + +J'ai oublié la boîte qui contient les deux crimes que je devrai +commettre.... + +UN AUTRE ENFANT + +Et moi le petit pot qui renferme l'idée pour éclairer les +foules.... + +TROISIÈME ENFANT + +J'ai oublié la greffe de ma plus belle poire!... + +LE TEMPS + +Courez vite les chercher!... Il ne nous reste plus que six cent +douze secondes.... La galère de l'Aurore bat déjà des voiles pour +montrer qu'elle attend.... Vous arriverez trop tard et vous ne +naîtrez plus.... Allons, vite, embarquons!... [Saisissant un +enfant qui veut lui passer entre les jambes pour gagner le quai.] +Ah! toi, non, par exemple!... C'est la troisième fois que tu +essayes de naître avant ton tour.... Que je ne t'y prenne plus, +sinon ce sera l'attente éternelle près de ma soeur l'Éternité; +et tu sais qu'on ne s'y amuse pas.... Mais voyons, sommes-nous +prêts?... Tout le monde est à son poste?... [Parcourant du regard +les enfants réunis sur le quai ou déjà assis dans la galère.] Il +en manque encore un.... Il a beau se cacher, je le vois dans la +foule.... On ne me trompe pas.... Allons, toi, le petit qu'on +appelle l'Amoureux, dis adieu à ta belle.... + + [Les deux petits qu'on appelle «les Amoureux», tendrement + enlacés et le visage livide de désespoir, s'avancent vers le + Temps et s'agenouillent à ses pieds.] + +PREMIER ENFANT + +Monsieur le Temps, laissez-moi partir avec lui!... + +DEUXIÈME ENFANT + +Monsieur le Temps, laissez-moi rester avec elle!... + +LE TEMPS + +Impossible!... Il ne nous reste plus que trois cent +quatre-vingt-quatorze secondes.. + +PREMIER ENFANT + +J'aime mieux ne pas naître!... + +LE TEMPS + +On n'a pas le choix.... + +DEUXIÈME ENFANT, [suppliant.] + +Monsieur le Temps, j'arriverai trop tard!... + +PREMIER ENFANT + +Je ne serai plus là quand elle descendra!... + +DEUXIÈME ENFANT + +Je ne le verrai plus!... + +PREMIER ENFANT + +Nous serons seuls au monde!... + +LE TEMPS + +Tout ça ne me regarde pas.... Réclamez auprès de la Vie.... Moi, +j'unis, je sépare, selon ce qu'on m'a dit.... [Saisissant l'un +des enfants.] Viens!... + +PREMIER ENFANT, se débattant. + +Non, non, non!... Elle aussi!... + +DEUXIÈME ENFANT, [s'accrochant aux vêtements du premier.] + +Laissez-le!.... Laissez-le!... + +LE TEMPS + +Mais voyons, ce n'est pas pour mourir, c'est pour vivre!... +[Entraînant le premier enfant.] Viens!... + +DEUXIÈME ENFANT, [tendant éperdument les bras vers l'enfant qu'on +enlève.] + +Un signe!... Un seul signe!... Dis-moi, comment te retrouver!... + +PREMIER ENFANT + +Je t'aimerai toujours!... + +DEUXIÈME ENFANT + +Je serai la plus triste!... Tu me reconnaîtras!... + + [Elle tombe et reste étendue sur le sol.] + +LE TEMPS + +Vous feriez beaucoup mieux d'espérer.... Et maintenant, c'est +tout.... [Consultant son sablier.] Il ne nous reste plus que +soixante-trois secondes.... + + [Derniers et violents remous parmi les enfants qui partent + et qui demeurent.--On échange des adieux précipités: «Adieu, + Pierre!... Adieu Jean....--As-tu tout ce qu'il faut?... + Annonce ma pensée!...--N'as-tu rien oublié?...--Tâche de me + reconnaître!...--Je te retrouverai!...--Ne perds pas tes + idées?...--Ne te penche pas trop sur l'Espace!...--Donne-moi + de tes nouvelles!...--On dit qu'on ne peut pas!...--Si, + si!... essaie toujours!...--Tâche de dire si c'est beau!... + --J'irai à ta rencontre!...--Je naîtrai sur un trône!...», + etc., etc.] + +LE TEMPS, [agitant ses clefs et sa faux.] + +Assez! assez!... L'ancre est levée!... + +Les voiles de la galère passent et disparaissent. Ou entend +s'éloigner les cris des enfants dans la galère: «Terre!... +terre!... Je la vois!... Elle est belle!... Elle est claire!... +Elle est grande!...». Puis, comme sortant du fond de l'abîme, un +chant extrêmement lointain d'allégresse et d'attente. + +TYLTYL, [à la Lumière.] + +Qu'est-ce?... Ce n'est pas eux qui chantent.... On dirait +d'autres voix.... + +LA LUMIÈRE + +Oui, c'est le chant des Mères qui viennent à leur rencontre... + + [Cependant, le Temps referme les portes opalines. Il se + retourne pour jeter un dernier regard dans la salle, et + soudain aperçoit Tyltyl, Mytyl et la Lumière.] + +LE TEMPS, [stupéfait et furieux.] + +Qu'est-ce que c'est?... Que faites-vous ici?... Qui êtes-vous?... +Pourquoi n'êtes-vous pas bleus?... Par où êtes-vous entrés?... + + [Il s'avance en les menaçant de sa faux.] + +LA LUMIÈRE, [à Tyltyl.] + +Ne réponds pas!... J'ai l'Oiseau-Bleu.... Il est caché sous ma +mante.... Sauvons-nous.... Tourne le Diamant, il perdra notre +trace.... + + [Ils s'esquivent à gauche, entre les colonnes du premier + plan.] + + +RIDEAU + + + + +ONZIÈME TABLEAU + +L'ADIEU + + +La scène représente un mur percé d'une petite porte. C'est la +pointe du jour. + + * * * * * + + [Entrent: Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Pain, le Sucre, le + Feu et le Lait.] + +LA LUMIÈRE + +Tu ne devinerais jamais où nous sommes.... + +TYLTYL + +Bien sûr que non, la Lumière, puisque je ne sais pas.... + +LA LUMIÈRE + +Tu ne reconnais pas ce mur et cette petite porte?... + +TYLTYL + +C'est un mur rouge et une petite porte verte.... + +LA LUMIÈRE + +Et ça ne te rappelle rien?... + +TYLTYL + +Ça me rappelle que le Temps nous a mis à la porte.... + +LA LUMIÈRE + +Qu'on est bizarre quand on rêve.... On ne reconnaît pas sa propre +main.... + +TYLTYL + +Qui est-ce qui rêve?... Est-ce moi?... + +LA LUMIÈRE + +C'est peut-être moi.... Qu'en sait-on?... En attendant, ce mur +entoure une maison que tu as vue plus d'une fois depuis ta +naissance.... + +TYLTYL + +Une maison que j'ai vue plus d'une fois? + +LA LUMIÈRE + +Mais oui, petit endormi!... C'est la maison que nous avons +quittée un soir, il y a tout juste, jour pour jour, une année.... + +TYLTYL + +Il y a tout juste une année?... Mais alors?... + +LA LUMIÈRE + +N'ouvre pas des yeux comme des grottes de saphir.... C'est elle, +c'est la bonne maison des parents.... + +TYLTYL, [s'approchant de la porte.] + +Mais je crois.... En effet.... Il me semble.... Cette petite +porte.... Je reconnais la chevillette.... Ils sont là?... Nous +sommes près de Maman?... Je veux entrer tout de suite.... Je veux +l'embrasser tout de suite!... + +LA LUMIÈRE + +Un instant.... Ils dorment profondément; il ne faut pas les +réveiller en sursaut.... Du reste, la porte ne s'ouvrira que +lorsque l'heure sonnera.... + +TYLTYL + +Quelle heure?... Il y a longtemps à attendre?... + +LA LUMIÈRE + +Hélas, non!... quelques pauvres minutes.... + +TYLTYL + +Tu n'es pas heureuse de rentrer?... Qu'as-tu donc, la Lumière?... +Tu es pâle, on dirait que tu es malade.. + +LA LUMIÈRE + +Ce n'est rien, mon enfant.... Je me sens un peu triste, parce que +je vais vous quitter.... + +TYLTYL + +Nous quitter?... + +LA LUMIÈRE + +Il le faut.... Je n'ai plus rien à faire ici; l'année est +révolue, la Fée va revenir et te demander l'Oiseau-Bleu.... + +TYLTYL + +Mais c'est que je ne l'ai pas, l'Oiseau-Bleu!... Celui du +Souvenir est devenu tout noir, celui de l'Avenir est devenu tout +rouge, ceux de la Nuit sont morts et je n'ai pas pu prendre celui +de la Forêt.... Est-ce ma faute à moi s'ils changent de couleur, +s'ils meurent ou s'ils s'échappent?... Est-ce que la Fée sera +fâchée, et qu'est-ce qu'elle dira?... + +LA LUMIÈRE + +Nous avons fait ce que nous avons pu.... Il faut croire qu'il +n'existe pas, l'Oiseau-Bleu; ou qu'il change de couleur lorsqu'on +le met en cage.... + +TYLTYL + +Où est-elle, la cage?... + +LE PAIN + +Ici, maître.... Elle fut confiée à mes soins diligents durant ce +long et périlleux voyage; aujourd'hui que ma mission prend fin, +je vous la restitue, intacte et bien fermée, telle que je la +reçus.... [Comme un orateur qui prend la parole.] Maintenant, au +nom de tous, qu'il me soit permis d'ajouter quelques mots.... + +LE FEU + +Il n'a pas la parole!... + +L'EAU + +Silence!... + +LE PAIX + +Les interruptions malveillantes d'un ennemi méprisable, d'un +rival envieux.... [Élevant la voix.] ne m'empêcheront pas +d'accomplir mon devoir jusqu'au bout.... C'est donc au nom de +tous.... + +LE FEU + +Pas au mien.... J'ai une langue!... + +LE PAIX + +C'est donc au nom de tous, et avec une émotion contenue mais +sincère et profonde, que je prends congé de deux enfants +prédestinés, dont la haute mission se termine aujourd'hui. En +leur disant adieu avec toute l'affliction et toute la tendresse +qu'une mutuelle estime.. + +TYLTYL + +Comment?... Tu dis adieu?... Tu nous quittes donc aussi?... + +LE PAIN + +Hélas! il le faut bien.... Je vous quitte, il est vrai; mais la +séparation ne sera qu'apparente, vous ne m'entendrez plus +parler.... + +LE FEU + +Ce ne sera pas malheureux!... + +L'EAU + +Silence!... + +LE PAIN, [très digne.] + +Cela ne m'atteint point.... Je disais donc: vous ne m'entendrez +plus, vous ne me verrez plus sous ma forme animée.... Vos yeux +vont se fermer à la vie invisible des choses; mais je serai +toujours là, dans la huche, sur la planche, sur la table, à côté +de la soupe, moi qui suis, j'ose le dire, le plus fidèle +commensal et le plus vieil ami de l'Homme.... + +LE FEU + +Eh bien, et moi?... + +LA LUMIÈRE + +Voyons, les minutes passent, l'heure est près de sonner qui va +nous faire rentrer dans le silence.... Hâtez-vous d'embrasser les +enfants.... + +LE FEU, [se précipitant.] + +Moi d'abord, d'abord moi!... [Il embrasse violemment les +enfants.] Adieu, Tyltyl et Mytyl!... Adieu, mes chers petits.... +Souvenez-vous de moi si jamais vous avez besoin de quelqu'un pour +mettre le Feu quelque part.... + +MYTYL + +Aïe! aïe!... Il me brûle!... + +TYLTYL + +Aïe! aïe! Il me roussit le nez!..... + +LA LUMIÈRE + +Voyons, le Feu, modérez un peu vos transports.... Vous n'avez pas +affaire à votre cheminée.... + +L'EAU + +Quel idiot!... + +LE PAIN + +Est-il mal élevé!... + +L'EAU, [s'approchant des enfants.] + +Je vous embrasserai sans vous faire de mal, tendrement, mes +enfants.... + +LE FEU + +Prenez garde, ça mouille!... + +L'EAU + +Je suis aimante et douce; je suis bonne aux humains.... + +LE FEU + +Et les noyés?... + +L'EAU + +Aimez bien les Fontaines, écoutez les Ruisseaux.... Je serai +toujours là.... + +LE FEU + +Elle a tout inondé!... + +L'EAU + +Quand vous vous assiérez, le soir, au bord des Sources,--il y en +a plus d'une ici, dans la forêt,--essayez de comprendre ce +qu'elles essaient de dire.... Je ne peux plus.... Les larmes me +suffoquent et m'empêchent de parler.... + +LE FEU + +Il n'y paraît point!... + +L'EAU + +Souvenez-vous de moi lorsque vous verrez la carafe.... Vous me +trouverez également dans le broc, dans l'arrosoir, dans la +citerne et dans le robinet.... + +LE SUCRE, [naturellement papelard et doucereux.] + +S'il reste une petite place, dans votre souvenir, rappelez-vous +que parfois ma présence vous fut douce.... Je ne puis vous en +dire davantage.... Les larmes sont contraires à mon tempérament, +et me font bien du mal quand elles tombent sur mes pieds.... + +LE PAIN + +Jésuite!... + +LE FEU, [glapissant.] + +Sucre d'orge! berlingots! caramels!... + +TYLTYL + +Mais où donc sont passés Tylette et Tylô?... Que font-ils?... + + [Au même moment, on entend des cris aigus poussés par la + Chatte.] + +MYTYL, [alarmée.] + +C'est Tylette qui pleure!... On lui fait du mal!... + + [Entre en courant la Chatte, hérissée, dépeignée, les + vêtements déchirés, et tenant son mouchoir sur la joue, + comme si elle avait mal aux dents. Elle pousse des + gémissements courroucés et est serrée de très près par le + Chien qui l'accable de coups de tête, de coups de poing et + de coups de pied.] + +LE CHIEN, [battant la Chatte.] + +Là!... En as-tu assez?... En veux-tu encore?... Là! là! là!... + +LA LUMIÈRE, TYLTYL et MYTYL, [se précipitant pour les séparer.] + +Tylô!... Es-tu fou?... Par exemple!... A bas!... Veux-tu +finir!... A-t-on jamais vu!... Attends! attends!... + + [On les sépare énergiquement.] + +LA LUMIÈRE + +Qu'est-ce que c'est?... Que s'est-il passé?... + +LA CHATTE, [pleurnichant et s'essuyant les yeux.] + +C'est lui, madame la Lumière.... Il m'a dit des injures, il a mis +des clous dans ma soupe, il m'a tiré la queue, il m'a roué de +coups, et je n'avais rien fait, rien du tout, rien du tout!... + +LE CHIEN, [l'imitant.] + +Rien du tout, rien du tout!... [A mi-voix, lui faisant la nique.] +C'est égal, t'en as eu, t'en as eu, et du bon, et t'en auras +encore!... + +MYTYL, [serrant la Chatte dans ses bras.] + +Ma pauvre Tylette, dis-moi donc où c'est que t'as mal.... Je vais +pleurer aussi!... + +LA LUMIÈRE, [au Chien, sévèrement.] + +Votre conduite est d'autant plus indigne que vous choisissez pour +nous donner ce triste spectacle le moment, déjà assez pénible par +lui-même, où nous allons nous séparer de ces pauvres enfants.... + +LE CHIEN, [subitement dégrisé.] + +Nous séparer de ces pauvres enfants?... + +LA LUMIÈRE + +Oui, l'heure que vous savez va sonner.... Nous allons rentrer +dans le Silence.... Nous ne pourrons plus leur parler.... + +LE CHIEN, [poussant tout à coup de véritables hurlements de +désespoir et se jetant sur les enfants qu'il accable de caresses +violentes et tumultueuses.] + +Non, non!... Je ne veux pas!... Je ne veux pas!... Je parlerai +toujours!... Tu me comprendras maintenant, n'est-ce pas, mon +petit dieu?... Oui, oui, oui!.... Et l'on se dira tout, tout, +tout!... Et je serai Lien sage.... Et j'apprendrai à lire, à +écrire et à jouer aux dominos!... Et je serai toujours très +propre.... Et je ne volerai plus rien dans la cuisine.... Veux-tu +que je fasse quelque chose d'étonnant?... Veux-tu que j'embrasse +la Chatte?... + +MYTYL, [à la Chatte.] + +Et toi, Tylette?... Tu n'as rien à nous dire. + +LA CHATTE, [pincée, énigmatique.] + +Je vous aime tous deux, autant que vous le méritez.... + +LA LUMIÈRE + +Maintenant, qu'à mon tour, mes enfants, je vous donne le dernier +baiser.... + +TYLTYL et MYTYL, [s'accrochant à la robe de la Lumière.] + +Non, non, non, la Lumière!... Reste ici, avec nous!... Papa ne +dira rien.... Nous dirons à Maman que tu as été bonne.... + +LA LUMIÈRE + +Hélas! je ne peux pas.... Cette porte nous est fermée et je dois +vous quitter... + +TYLTYL + +Où iras-tu toute seule? + +LA LUMIÈRE + +Pas bien loin, mes enfants; là-bas, dans le pays du Silence des +choses.. + +TYLTYL + +Non, non; je ne veux pas.... Nous irons avec toi.... Je dirai à +Maman.... + +LA LUMIÈRE + +Ne pleurez pas, mes chers petits.... Je n'ai pas de voix comme +l'Eau; je n'ai que ma clarté que l'Homme n'entend point.... Mais +je veille sur lui jusqu'à la fin des jours.... Rappelez-vous bien +que c'est moi qui vous parle dans chaque rayon de lune qui +s'épanche, dans chaque étoile qui sourit, dans chaque aurore qui +se lève, dans chaque lampe qui s'allume, dans chaque pensée bonne +et claire de votre âme.... [Huit heures sonnent derrière le mur.] +Écoutez!... L'heure sonne.... Adieu!... La porte s'ouvre!... +Entrez, entrez, entrez!... + + [Elle pousse les enfants dans l'ouverture de la petite porte + qui vient de s'entrebâiller et se referme sur eux.--Le Pain + essuie une larme furtive, le Sucre, l'Eau, tout en pleurs, + etc., fuient précipitamment et disparaissent à droite et à + gauche, dans la coulisse. Hurlements du Chien à la + cantonade. La scène reste vide un instant, puis le décor + figurant le mur de la petite porte s'ouvre par le milieu, + pour découvrir le dernier tableau.] + + + + +DOUZIÈME TABLEAU + + +LE RÉVEIL + + +Le même intérieur qu'au premier tableau, mais tout, les murs, +l'atmosphère, y paraît incomparablement, féeriquement plus frais, +plus riant, plus heureux.--La lumière du jour filtre gaiement par +toutes les fentes des volets clos. + + * * * * * + + [A droite, au fond de la pièce, en leurs deux petits lits, + Tyltyl et Mytyl sont profondément endormis.--La Chatte, le + Chien et les Objets sont à la place qu'ils occupaient au + premier tableau, avant l'arrivée de la Fée.--Entre la Mère + Tyl.] + +LA MÈRE TYL, [d'une voix allègrement grondeuse.] + +Debout, voyons, debout! les petits paresseux!... Vous n'avez donc +pas honte?... Huit heures sont sonnées, le soleil est déjà plus +haut que la forêt!... Dieu! qu'ils dorment, qu'ils dorment!... +[Elle se penche et embrasse les enfants.] Ils sont tout +roses.... Tyltyl sent la lavande et Mytyl le muguet.... [Les +embrassant encore.] Que c'est bon les enfants!... Ils ne peuvent +pourtant pas dormir jusqu'à midi.... On ne peut pas en faire des +paresseux.... Et puis, je me suis laissée dire que ce n'est pas +trop bon pour la santé.... [Secouant doucement Tyltyl.] Allons, +allons, Tyltyl.... + +TYLTYL, [s'éveillant.] + +Quoi?... La Lumière?... Où est-elle? Non, non, ne t'en vas +pas.... + +LA MÈRE TYL + +La Lumière?... mais bien sûr qu'elle est là.... Il y a déjà pas +mal de temps.... Il fait aussi clair qu'à midi, bien que les +volets soient fermés.... Attends un peu que je les ouvre.... +[Elle pousse les volets, l'aveuglante clarté du grand jour +envahit la pièce.] Là, voilà!... Qu'est-ce que t'as?... T'as +l'air tout aveuglé... + +TYLTYL, [se frottant les yeux.] + +Maman, maman!... C'est toi!... + +LA MÈRE TYL + +Mais bien sûr que c'est moi.... Qui veux-tu que ce soit?... + +TYLTYL + +C'est toi.... Mais oui, c'est toi!... + +LA MÈRE TYL + +Mais oui, c'est moi.... Je n'ai pas changé de visage cette +nuit.... qu'as-tu donc à me regarder comme un émerveillé?... J'ai +peut-être le nez à l'envers?... + +TYLTYL + +Oh! que c'est bon de te revoir!... Il y a si longtemps, si +longtemps!... Il faut que je t'embrasse tout de suite.... Encore, +encore, encore!... Et puis, c'est bien mon lit!... Je suis dans +la maison!... + +LA MÈRE TYL + +Qu'est-ce que t'as?... Tu ne t'éveilles pas?... T'es pas malade, +au moins?... Voyons, montre ta langue.... Allons, lève-toi donc, +et puis habille-toi.... + +TYLTYL + +Tiens! je suis en chemise!... + +LA MÈRE TYL + +Bien sûr.... Passe ta culotte et ta petite veste.... Elles sont +là, sur la chaise.... + +TYLTYL + +Est-ce que j'ai fait ainsi tout mon voyage?... + +LA MÈRE TYL + +Quel voyage?... + +TYLTYL + +Mais oui, l'année dernière.... + +LA MÈRE TYL + +L'année dernière?... + +TYLTYL + +Mais oui, donc!... A Noël, lorsque je suis parti.... + +LA MÈRE TYL + +Lorsque t'es parti?... T'as pas quitté la chambre.... Je j'ai +couché hier soir, et je te retrouve ce matin.... T'as donc rêvé +tout ça?... + +TYLTYL + +Mais tu ne comprends pas!... C'était l'année passée, lorsque je +suis parti avec Mytyl, la Fée, la Lumière.... elle est bonne, la +Lumière! le Pain, le Sucre, l'Eau, le Feu. Ils se battaient tout +le temps.... T'es pas fâchée?... T'as pas été trop triste?... Et +Papa, qu'a-t-il dit?... Je ne pouvais pas refuser.... J'ai laissé +un billet pour expliquer.... + +LA MÈRE TYL + +Qu'est-ce que tu chantes là?... Bien sûr que t'es malade, ou bien +tu dors encore.... [Elle lui donne une bourrade amicale.] Voyons, +réveille-toi.... Voyons, ça va-t-il mieux?... + +TYLTYL + +Mais, Maman, je t'assure.... C'est toi qui dors encore.... + +LA MÈRE TYL + +Comment! je dors encore?... Je suis debout depuis six heures.... +J'ai fait tout le ménage et rallumé le feu.... + +TYLTYL + +Mais demande à Mytyl si c'est pas vrai.... Ah! noirs en avons eu +des aventures!... + +LA MÈRE TYL + +Comment, Mytyl?... Quoi donc?... + +TYLTYL + +Elle était avec moi.... Nous avons revu bon-papa et +bonne-maman.... + +LA MÈRE TYL, [de plus en plus ahurie.] + +Bon-papa et bonne-maman?... + +TYLTYL + +Oui, au Pays du Souvenir.... C'était sur notre route.... Ils sont +morts, mais ils se portent bien.... Bonne-maman nous a fait une +belle tarte aux prunes.... Et puis les petits frères, Robert, +Jean, sa toupie, Madeleine et Pierrette, Pauline et puis +Riquette... + +MYTYL + +Riquette, elle marche à quatre pattes!... + +TYLTYL + +Et Pauline a toujours son bouton sur le nez.... + +MYTYL + +Nous t'avons vue aussi hier au soir. + +LA MÈRE TYL + +Hier au soir? Ce n'est pas étonnant puisque je t'ai couchée. + +TYLTYL + +Non, non, aux jardins des Bonheurs, tu étais bien plus belle, +mais tu te ressemblais.... + +LA MÈRE TYL + +Le jardin des Bonheurs? Je ne connais pas ça.... + +TYLTYL, [la contemplant, puis l'embrassant.] + +Oui, tu étais plus belle, mais je t'aime mieux comme ça... + +MYTYL, [l'embrassant également.] + +Moi aussi, moi aussi.... + +LA MÈRE TYL, [attendrie, mais fort inquiète.] + +Mon Dieu! qu'est-ce qu'ils ont?... Je vais les perdre aussi, +comme j'ai perdu les autres!... [Subitement affolée, elle +appelle.] Papa Tyl! Papa Tyl!... Venez donc! Les petits sont +malades!... + + [Entre le Père Tyl, très calme une hache à la main.] + +LE PÈRE TYL + +Qu'y a-t-il?... + +TYLTYL et MYTYL [accourant joyeusement pour embrasser leur père.] + +Tiens, Papa!... C'est Papa!... Bonjour, Papa!... Tu as bien +travaillé cette année?... + +LE PÈRE TYL + +Eh bien, quoi?... Qu'est-ce que c'est?... Ils n'ont pas l'air +malade; ils ont fort bonne mine.... + +LA MÈRE TYL, [larmoyante.] + +Il ne faut pas s'y fier.... Ce sera comme les autres.... Ils +avaient fort bonne mine aussi, jusqu'à la fin; et puis le bon +Dieu les a pris.... Je ne sais ce qu'ils ont.... Je les avais +couchés bien tranquillement hier au soir; et ce matin, quand ils +s'éveillent, voilà que tout va mal.... Ils ne savent plus ce +qu'ils disent; ils parlent d'un voyage.... Ils ont vu la Lumière, +grand-papa, grand'maman, qui sont morts mais qui se portent +bien.... + +TYLTYL + +Mais bon-papa, il a toujours sa jambe de bois.... + +MYTYL + +Et bonne-maman ses rhumatismes.... + +LA MÈRE TYL + +Tu entends?... Cours chercher le médecin!... + +LE PÈRE TYL + +Mais non, mais non.... Ils ne sont pas encore morts.... Voyons, +nous allons voir.... [On frappe à la porte île la maison.] +Entrez! + + [Entre la Voisine, petite vieille qui ressemble à la Fée du + premier acte, et qui marche en s'appuyant sur un bâton.] + +LA VOISINE + +Bien le bonjour et bonne fête à tous! + +TYLTYL + +C'est la Fée Bérylune! + +LA VOISINE + +Je viens chercher un peu de feu pour mon pot-au-feu de la +fête.... Il fait bien frisquet ce matin.... Bonjour, les enfants, +ça va bien?... + +TYLTYL + +Madame la Fée Bérylune, je n'ai pas trouvé l'Oiseau-Bleu.... + +LA VOISINE + +Que dit-il?... + +LA MÈRE TYL + +Ne m'en parlez pas, madame Berlingot.... Ils ne savent plus ce +qu'ils disent.... Ils sont comme ça depuis leur réveil.... Ils +ont dû manger quelque chose qui n'était pas bon.... + +LA VOISINE + +Eh bien, Tyltyl, tu ne reconnais pas la mère Berlingot, ta +voisine Berlingot?... + +TYLTYL + +Mais si, madame.... Vous êtes la Fée Bérylune.... Vous n'êtes pas +fâchée?... + +LA VOISINE + +Béry.... quoi? + +TYLTYL + +Bérylune + +LA VOISINE + +Berlingot, tu veux dire Berlingot.... + +TYLTYL + +Bérylune, Berlingot, comme vous voudrez, madame.... Mais Mytyl +qui sait bien.... + +LA MÈRE TYL + +Voilà le pis, c'est que Mytyl aussi.... + +LE PÈRE TYL + +Bah, bah!... Cela se passera; je vais leur donner quelques +claques.... + +LA VOISINE + +Laissez donc, ce n'est pas la peine.... Je connais ça; c'est rien +qu'un peu de songeries.... Ils auront dormi dans un rayon de +lune.... Ma petite fille qu'est bien malade est souvent comme +ça.... + +LA MÈRE TYL + +A propos, comment qu'elle va, ta petite fille? + +LA VOISINE + +Couci-couci.... Elle ne peut se lever.... Le docteur dit que +c'est les nerfs.... Tout de même je sais bien ce qui la +guérirait.... Elle me le demandait encore ce matin, pour son +petit noël; c'est une idée qu'elle a.... + +LA MÈRE TYL + +Oui, je sais, c'est toujours l'oiseau de Tyltyl.... Eh bien, +Tyltyl, ne vas-tu pas le lui donner enfin, à cette pauvre +petite?... + +TYLTYL + +Quoi, Maman?... + +LA MÈRE TYL + +Ton oiseau.... Pour ce que tu en fais.... Tu ne le regardes même +plus.... Elle en meurt d'envie depuis si longtemps!... + +TYLTYL + +Tiens, c'est vrai, mon oiseau.... Où est-il?... Ah! mais voilà la +cage!... Mytyl, vois-tu la cage?... C'est celle que portait le +Pain.... Oui, oui, c'est bien la même; mais il n'y a plus qu'un +oiseau.... Il a donc mangé l'autre?... Tiens, tiens!... Mais il +est bleu!... Mais c'est ma tourterelle!... Mais elle est bien +plus bleue que quand je suis parti!... Mais c'est là +l'Oiseau-Bleu que mous avons cherché!... Nous sommes allés si +loin et il était ici!... Ah! ça, c'est épatant!... Mytyl, vois-tu +l'oiseau?... Que dirait la Lumière?... Je vais décrocher la +Cage.... [Il monte sur une chaise et décroche la cage qu'il +apporte à la Voisine.] La voilà, madame Berlingot.... Il n'est +pas encore tout à fait bleu; ça viendra, vous verrez.... Mais +portez-le bien vite à votre petite fille.... + +LA VOISINE + +Non?... Vrai?... Tu me le donnes, comme ça, tout de suite et pour +rien?... Dieu! qu'elle va être heureuse!... [Embrassant Tyltyl.] +Il faut que je t'embrasse!... Je me sauve!... Je me sauve!... + +TYLTYL + +Oui, oui; allez vite.... Il y en a qui changent de couleur.... + +LA VOISINE + +Je reviendrai vous dire ce qu'elle aura dit.... + + [Elle sort.] + +TYLTYL, [après avoir longuement regardé autour de soi.] + +Papa, Maman; qu'avez-vous fait à la maison?... C'est la même +chose; mais elle est bien plus belle.... + +LE PÈRE TYL + +Comment, elle est plus belle?... + +TYLTYL + +Mais oui, tout est repeint, tout est remis à neuf, tout reluit, +tout est propre.... Ça n'était pas comme ça, l'année dernière.... + +LE PÈRE TYL + +L'année dernière?... + +TYLTYL, [allant à la fenêtre.] + +Et la forêt qu'on voit!... Est-elle grande, est-elle belle!... On +croirait qu'elle est neuve!... Qu'on est heureux ici!... [Allant +ouvrir la huche.] Où est le Pain?... Tiens, ils sont bien +tranquilles.... Et puis, voilà Tylô!... Bonjour, Tylô, Tylô!... +Ah! tu t'es bien battu!... Te rappelles-tu dans la forêt?... + +MYTYL + +Et Tylette?... Elle me reconnaît bien, mais elle ne parle +plus.... + +TYLTYL + +Monsieur le Pain.... [Se tâtant le front.] Tiens, je n'ai plus le +Diamant! Qui est-ce qui m'a pris mon petit chapeau vert?... Tant +pis! je n'en ai plus besoin....--Ah! le Feu!... Il est bon!... Il +pétille en riant pour faire enrager l'Eau.... [Courant à la +fontaine.]--Et l'Eau?... Bonjour, l'Eau!... Que dit-elle?... Elle +parle toujours, mais je ne la comprends plus aussi bien.. + +MYTYL + +Je ne vois pas le Sucre.... + +TYLTYL + +Dieu que je suis heureux, heureux, heureux!... + +MYTYL + +Moi aussi, moi aussi!... + +LA MÈRE TYL + +Qu'ont-ils donc à tourniller comme ça?... + +LE PÈRE TYL + +Laisse donc, t'inquiète pas.... Ils jouent à être heureux.... + +TYLTYL + +Moi, j'aimais surtout la Lumière.... Où est sa lampe?... Est-ce +qu'on peut l'allumer?... [Regardant encore autour de soi.] Dieu! +que c'est beau tout ça et que je suis content!... + + [On frappe à la porte de la maison.] + +LE PÈRE TYL + +Entrez donc!... + + [Entre la Voisine, tenant par la main une petite fille d'une + beauté blonde et merveilleuse qui serre dans ses bras la + tourterelle de Tyltyl.] + +LA VOISINE + +Vous voyez le miracle!... + +LA MÈRE TYL + +Pas possible!... Elle marche?... + +LA VOISINE + +Elle marche!... C'est-à-dire qu'elle court, qu'elle danse, +qu'elle vole!... Quand elle a vu l'oiseau, elle a sauté, comme +ça, d'un saut, vers la fenêtre, pour voir à la lumière si c'était +bien la tourterelle de Tyltyl.... Et puis pfff!... dans la rue, +comme un ange.... C'est tout juste si je pouvais la suivre.... + +TYLTYL, [s'approchant, émerveillé.] + +Oh! qu'elle ressemble à la Lumière!... + +MYTYL + +Elle est bien plus petite.... + +TYLTYL + +Sûr!... Mais elle grandira... + +LA VOISINE + +Que disent-ils?... Ça ne va pas encore?... + +LA MÈRE TYL + +Ça va mieux, ça se passe.... Quand ils auront déjeuné, il n'y +paraîtra plus.... + +LA VOISINE, [poussant la petite fille dans les bras de Tyltyl.] + +Allons, va, ma petite, va remercier Tyltyl.... + + [Tyltyl, soudainement intimidé, recule d'un pas.] + +LA MÈRE TYL + +Eh bien, Tyltyl, qu'est-ce que t'as?... T'as peur de la petite +fille?... Voyons, embrasse-la.... Voyons, un gros baiser.... +Mieux que ça.... Toi si effronté d'habitude!... Encore un!... +Mais qu'est-ce donc que t'as?... On dirait que tu vas pleurer.... + + [Tyltyl, après avoir gauchement embrassé la petite fille, + reste un moment debout devant elle, et les deux enfants se + regardent sans rien dire; puis, Tyltyl caressant la tète de + l'oiseau.] + +TYLTYL + +Est-ce qu'il est assez bleu?... + +LA PETITE FILLE + +Mais oui, je suis contente.... + +TYLTYL + +J'en ai vu de plus bleus.... Mais les tout à fait bleus, tu sais, +on a beau faire, on ne peut pas les attraper. + +LA PETITE FILLE + +Ça ne fait rien, il est bien joli.... + +TYLTYL + +Est-ce qu'il a mangé?... + +LA PETITE FILLE + +Pas encore.... Qu'est-ce qu'il mange?... + +TYLTYL + +De tout, du blé, du pain, du maïs, des cigales.... + +LA PETITE FILLE + +Comment qu'il mange, dis?... + +TYLTYL + +Par le bec, tu vas voir, je vais te montrer.... + + [Il va pour prendre l'oiseau des mains de la petite fille; + celle-ci résiste instinctivement, et, profitant de + l'hésitation de leur geste, la tourterelle s'échappe et s'en + vole.] + +LA PETITE FILLE, [poussant un cri de désespoir.] + +Maman!... Il est parti!... + + [Elle éclate en sanglots.] + +TYLTYL + +Ce n'est rien.... Ne pleure pas.... Je le rattraperai.... +[S'avançant sur le devant de la scène et s'adressant au public.] +Si quelqu'un le retrouve, voudrait-il nous le rendre?... Nous en +avons besoin pour être heureux plus tard.... + + +RIDEAU + + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of L'oiseau bleu, by Maurice Maeterlinck + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'OISEAU BLEU *** + +***** This file should be named 38849-8.txt or 38849-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/3/8/8/4/38849/ + +Produced by Annemie Arnst & Marc D'Hooghe at +http://www.freeliterature.org (From images generously made +available by the Internet Archive.) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the +trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone +providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance +with this agreement, and any volunteers associated with the production, +promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works, +harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, +that arise directly or indirectly from any of the following which you do +or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm +work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any +Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause. + + +Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm + +Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of +electronic works in formats readable by the widest variety of computers +including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact +information can be found at the Foundation's web site and official +page at https://pglaf.org + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. 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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: L'oiseau bleu + Feerie en six actes et douze tableaux + +Author: Maurice Maeterlinck + +Release Date: February 12, 2012 [EBook #38849] + +Language: French + +Character set encoding: UTF-8 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'OISEAU BLEU *** + + + + +Produced by Annemie Arnst & Marc D'Hooghe at +http://www.freeliterature.org (From images generously made +available by the Internet Archive.) + + + + + + +</pre> + + + + + +<h1 style="color: #000080;">L'OISEAU BLEU</h1> + +<h3>par</h3> + +<h2 style="color: #000080;">MAURICE MAETERLINCK</h2> + + +<h4>FÉERIE EN SIX ACTES ET DOUZE TABLEAUX</h4> + +<h4><i>Représentée pour la première fois,</i></h4> + +<h4><i>sur le Théâtre Artistique de Moscou, le 30 Septembre 1908,</i></h4> + +<h4><i>et à Paris, sur la scène du Théâtre Réjane,</i></h4> + +<h4><i>le 2 Mars 1911.</i></h4> + + + +<h5>PARIS</h5> + +<h5>Librairie CHARPENTIER et FASQUELLE</h5> + +<h5>EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR</h5> + +<h5>11, RUE DE GRENELLE, 11</h5> + +<h5>1911</h5> + + + +<hr style="width: 95%;" /> + +<p><a href="#Table_des_matieres">Table des matières</a></p> + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="COSTUMES" id="COSTUMES"></a>COSTUMES</h3> + + +<p>TYLTYL: Costume du Petit-Poucet dans les contes de Perrault: +petite culotte rouge-vermillon, courte veste bleu tendre, bas +blancs, souliers ou bottines de cuir fauve.</p> + +<p>MYTYL: Costume de Grethel ou bien du Petit Chaperon rouge.</p> + +<p>LA LUMIÈRE: Robe couleur de lune, c'est-à -dire d'or pâle à +reflets d'argent, gazes scintillantes, formant des rayons, etc. +Style néo-grec ou anglo-grec genre Walter Crane ou même plus ou +moins Empire.—Taille haute, bras nus, etc.—Coiffure: sorte de +diadème ou même de couronne légère.</p> + +<p>LA FÉE BÉRYLUNE, LA VOISINE BERLINGOT: Costume classique des +pauvresses de contes de fées. On pourrait supprimer au premier +acte la transformation de la Fée en princesse.</p> + +<p>LE PÈRE TYL, LA MÈRE TYL, GRAND-PAPA TYL, GRAND'MAMAN TYL: +Costumes légendaires des bûcherons et des paysans allemands dans +les contes de Grimm.</p> + +<p>LES FRÈRES ET SÅ’URS DE TYLTYL: Variantes du costume du +Petit-Poucet.</p> + +<p>LE TEMPS: Costume classique du Temps: vaste manteau noir ou gros +bleu, barbe blanche et flottante, faulx, sablier.</p> + +<p>L'AMOUR MATERNEL: Costume à peu près semblable à celui de la +Lumière, c'est-à -dire voiles souples et presque transparents de +statue grecque, blancs autant que possible. Perles et pierreries +aussi riches et aussi nombreuses qu'on voudra, pourvu qu'elles ne +rompent pas l'harmonie pure et candide de l'ensemble.</p> + +<p>LES GRANDES JOIES: Comme il est dit dans le texte, robes +lumineuses aux subtiles et suaves nuances: réveil de rose, +sourire d'eau, rosée d'ambre, azur d'aurore, etc.</p> + +<p>LES BONHEURS DE LA MAISON: Robes de diverses couleurs, ou si l'on +veut, costumes de paysans, de bergers, de bûcherons, etc., mais +idéalisés et féeriquement interprétés.</p> + +<p>LES GROS BONHEURS: Avant la transformation: amples et lourds +manteaux de brocarts rouges et jaunes, bijoux énormes et épais, +etc. Après la transformation: maillots café ou chocolat, donnant +l'impression de pantins en baudruche.</p> + +<p>LA NUIT: Amples vêtements noirs mystérieusement constellés, à +reflets mordorés. Voiles, pavots sombres, etc.</p> + +<p>LA PETITE FILLE DE LA VOISINE: Chevelure blonde et lumineuse, +longue robe blanche.</p> + +<p>LE CHIEN: Habit rouge, culotte blanche, bottes vernies, chapeau +ciré; costume rappelant plus ou moins celui de John Bull.</p> + +<p>LA CHATTE: Maillot de soie noire à paillettes</p> + +<p>Il convient que les têtes de ces deux personnages soient +discrètement animalisées.</p> + +<p>LE PAIN: Somptueux costume de pacha. Ample robe de soie ou de +velours cramoisi, broché d'or. Vaste turban. Cimeterre. Ventre +énorme, face rouge et extrêmement joufflue.</p> + +<p>LE SUCRE: Robe de soie, dans le genre de celles des eunuques, +mi-partie de blanc et de bleu pour rappeler le papier d'emballage +des pains de sucre; Coiffure des gardiens du sérail.</p> + +<p>LE FEU: Maillot rouge, manteau vermillon à reflets chatoyants, +doublé d'or. Aigrette de flammes versicolores.</p> + +<p>L'EAU: Robe couleur du temps du conte de Peau d'Ane, c'est-à -dire +bleuâtre ou glauque, à reflets transparents, effets de gaze +ruisselante, également style néo ou anglo-grec, mais plus ample, +plus flottant. Coiffure de fleurs et d'algues ou de roseaux.</p> + +<p>LES ANIMAUX: Costumes populaires ou paysans.</p> + +<p>LES ARBRES: Robes, nuances variées du vert ou de la teinte tronc +d'arbres. Attributs, feuilles ou branches qui les fassent +reconnaître.</p> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="TABLEAUX" id="TABLEAUX"></a>TABLEAUX</h3> + + +<p>1er TABLEAU (acte I): <i>La Cabane du Bûcheron.</i></p> + +<p>2e TABLEAU (acte II): <i>Chez la Fée.</i></p> + +<p>3e TABLEAU (acte II): <i>Le Pays du Souvenir.</i></p> + +<p>4e TABLEAU (acte III): <i>Le Palais de la Nuit.</i></p> + +<p>5e TABLEAU (acte III): <i>La Forêt.</i></p> + +<p>6e TABLEAU (acte IV): <i>Devant le Rideau.</i></p> + +<p>7e TABLEAU (acte IV): <i>Le Cimetière.</i></p> + +<p>8e TABLEAU (acte IV): <i>Devant le Rideau.</i></p> + +<p>9e TABLEAU (acte IV): <i>Le Palais des Bonheurs.</i></p> + +<p>10e TABLEAU (acte V): <i>Le Royaume de l'Avenir.</i></p> + +<p>11e TABLEAU (acte VI): <i>L'Adieu.</i></p> + +<p>12e TABLEAU (acte VI): <i>Le Réveil.</i></p> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="PERSONNAGES" id="PERSONNAGES"></a>PERSONNAGES</h3> + +<h4>(dans l'ordre de leur entrée en scène)</h4> + + +<table border="0" cellpadding="1" cellspacing="0" summary=""> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LA MÈRE TYL</span></td><td align="center">—</td><td align="left">M<sup>lle</sup> Méthivet.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">TYLTYL</span></td><td align="left">—</td><td align="left">M. Delphin.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">MYTYL</span></td><td align="left">—</td><td align="left">M<sup>lle</sup> Odette Carlia.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LA FÉE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">M<sup>me</sup> Gina Barbieri.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE PAIN</span></td><td align="left">—</td><td align="left">MM. R.L. Fugère.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE FEU</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Aurèle Sydney.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">L'EAU</span></td><td align="left">—</td><td align="left">M<sup>lles</sup> Isis.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE LAIT</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Diris.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE SUCRE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">MM.Bosman.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE CHIEN</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Séverin-Mars.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE CHAT</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Stephen.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LA LUMIÈRE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">M<sup>me</sup> Georgette Leblanc.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ M<sup>lle</sup>s Nini Mano.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Henriette Maillefer.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Fernande Fayeret.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Blanche Faveret.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Suzanne Bailly.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LES HEURES</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Raymonde Faveret.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Laurence Petit.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Jane Faveret.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Berthe Libovitz.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Antoinette Raymond.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Deroissy.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Georges.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE PÈRE TYL</span></td><td align="left">—</td><td align="left">M. Félix Barré.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">GRAND'MÈRE TYL</span></td><td align="left">—</td><td align="left">M<sup>me</sup> Daynes Grassot.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">GRAND-PÈRE TYL</span></td><td align="left">—</td><td align="left">M. Maillard.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">PIERROT</span></td><td align="left">—</td><td align="left">M<sup>lles</sup> Suterre.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">ROBERT</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Maria Fromet.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">JEANNETTE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Jeanne Evrard.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">MADELEINE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Giavelli.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">PIERRETTE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Henriette Gallet.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">PAULINE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Henriette Maillefer.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">RIQUETTE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Nini Mano</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LA NUIT</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Clarel.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE SOMMEIL</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Louise Starck.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LA MORT</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Rachel Horelick.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE RHUME DE CERVEAU</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Renée Dahon.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">1er ENFANT BLEU</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Maria Fromet.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">2e</span> —</td><td align="left">—</td><td align="left">Laura Walter.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">3e</span> —</td><td align="left">—</td><td align="left">Maria Dumont.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">4e</span> —</td><td align="left">—</td><td align="left">Fernande Faveret.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">5e</span> —</td><td align="left">—</td><td align="left">Maud Loti.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">6e</span> —</td><td align="left">—</td><td align="left">Suterre.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">7e</span> —</td><td align="left">—</td><td align="left">Suzanne Bailly.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">8e</span> —</td><td align="left">—</td><td align="left">Giavelli.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">9e</span> —</td><td align="left">—</td><td align="left">Madeleine Fromet.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE ROI DES NEUF PLANÈTES</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Batistina Rousseau.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">11e ENFANT BLEU</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Renée Pré.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">12e</span> —</td><td align="left">—</td><td align="left">Henriette Maillefer.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">13e</span> —</td><td align="left">—</td><td align="left">Béatrice Raymond.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">14e</span> —</td><td align="left">—</td><td align="left">Jeanne Corrège.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">L'AMOUREUX</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Lucy Fleury.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">L'AMOUREUSE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">Blanche Borelli.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE TEMPS</span></td><td align="left">—</td><td align="left">M. Garry.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE PETIT FRÈRE A NAITRE</span>.</td><td align="left">—</td><td align="left">M<sup>lle</sup> Maria Fromet.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ M<sup>lles</sup> Berthe Libovitz.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Fernande Faveret.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Suzanne Faveret.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Blanche Faveret.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Raymonde Faveret.</td></tr> +<tr><td align="left">LES AUTRES ENFANTS BLEUS:</td><td align="left">—</td><td align="left">{ M<sup>lles</sup> Henriette Gallet.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Jeanne Evrard.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Denise Choquet.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Léa Dumont.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Marcelle Malherbe.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Juliette Malherbe.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Lucienne Chezeaux.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Dupechier.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ M<sup>lles</sup> Deroissy.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ George.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LES GARDIENNES</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Théloz.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Albert.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE CHEF DES GROS BONHEURS</span>.</td><td align="left">—</td><td align="left">M. Barré.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ MM. Alfroy.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Adalbert, etc.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LES AUTRES BONHEURS</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ M<sup>lle</sup> Lucienne Chezaux.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Nini Mano.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Jeanne Corrège.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LES PETITS BONHEURS</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Henriette Maillefer.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Fernand Faveret.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Blanche Faveret.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Louise Starck.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Rachel Horelick.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Jane Faveret.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Raymonde Faveret.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LES ADOLESCENTS</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Maud Loti.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Annette Libovitz.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Laurence Petit.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE CHEF DES BONHEURS</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ M<sup>lles</sup> Renée Beauval.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE BONHEUR DE SE BIEN PORTER</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Dorchèze.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">— DE L'AIR PUR</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Fleury.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">— D'AIMER SES PARENTS</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Gannoz.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">— DU CIEL BLEU</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Blanche Borelli.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">— DE LA FORÊT</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Diris.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LE BONHEUR DES HEURES DE SOLEIL</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ M<sup>lles</sup> Boissière.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">—DU PRINTEMPS</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Renée Dahon.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">—DES COUCHERS DE SOLEIL</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Soyez.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">—DE VOIR SE LEVER</span></td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 4em; font-size: 0.8em;">LES ÉTOILES</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Georges.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">—DE LA PLUIE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Darièze.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">—DU FEU D'HIVER</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Carène.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">—DES PENSÉES INNOCENTES</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Laura Walter.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">—DE COURIR NU-PIEDS</span></td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 4em; font-size: 0.8em;">—DANS LA ROSÉE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Antoinette Raymond.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LA JOIE D'ÊTRE JUSTE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Albert.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">—D'ÊTRE BONNE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Bulaine.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">—DE LA GLOIRE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Théloz.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">—DE PENSER</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Deroissy.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">—DE COMPRENDRE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Lefebvre.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">—DE VOIR CE QUI EST BEAU</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Didier.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em; font-size: 0.8em;">—D'AIMER</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Dervil.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">L'AMOUR MATERNEL</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Méthivet.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Soyez.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LES JOIES INCONNUES</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ Delettraz.</td></tr> +<tr><td align="left"></td><td align="left"></td><td align="left">{ Dessoyer, etc.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">LA VOISINE BERLINGOT</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ M<sup>me</sup> Gina Barbieri.</td></tr> +<tr><td align="left"><span style="font-size: 0.8em;">SA PETITE FILLE</span></td><td align="left">—</td><td align="left">{ M<sup>lle</sup> Juliette Malherbe.</td></tr> +</table> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h2><a name="LOISEAU_BLEU" id="LOISEAU_BLEU"></a>L'OISEAU BLEU</h2> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="ACTE_PREMIER" id="ACTE_PREMIER"></a>ACTE PREMIER</h3> + + + +<hr style="width: 45%;" /> +<h3><a name="PREMIER_TABLEAU" id="PREMIER_TABLEAU"></a>PREMIER TABLEAU</h3> + + +<h4>LA CABANE DU BÛCHERON</h4> + + +<p>Le théâtre représente l'intérieur d'une cabane de bûcheron, +simple, rustique, mais non point misérable.—Cheminée à manteau +où s'assoupit un feu de bûches.—Ustensiles de cuisine, armoire, +huche, horloge à poids, rouet, fontaine, etc.—Sur une table, une +lampe allumée.—Au pied de l'armoire, de chaque côté de +celle-ci, endormis, pelotonnés, le nez sous la queue, un Chien et +une Chatte.—Entre eux deux, un grand pain de sucre blanc et +bleu.—Accrochée au mur, une cage ronde renfermant une +tourterelle.—Au fond, deux fenêtres dont les volets intérieurs +sont fermés.—Sous l'une des fenêtres, un escabeau.—A gauche, la +porte d'entrée de la maison, munie d'un gros loquet.—A droite, +une autre porte.—Échelle menant à un grenier.—Également à +droite, deux petits lits d'enfant, au chevet desquels, sur deux +chaises, des vêtements se trouvent soigneusement pliés.</p> + +<hr style="width: 45%;" /> + +<blockquote><p>[Au lever du rideau, Tyltyl et Mytyl sont profondément +endormis dans leurs petits lits. La Mère Tyl les borde une +dernière fois, se penche sur eux, contemple un moment leur +sommeil, et appelle de la main le père Tyl qui passe la tête +dans l'entrebâillement de la porte. La Mère Tyl met un doigt +sur les lèvres pour lui commander le silence, puis sort à +droite sur la pointe des pieds, après avoir éteint la lampe. +La scène reste obscure un instant, puis une lumière dont +l'intensité augmente peu à peu filtre par les lames des +volets. La lampe sur la table se rallume d'elle-même. Les +deux enfants semblent s'éveiller et se mettent sur leur +séant.]</p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mytyl?</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Tyltyl?</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tu dors?</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Et toi?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais non, je dors pas puisque je te parle....</p> + +<p>MYTYL:</p> + +<p>C'est Noël, dis?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Pas encore; c'est demain. Mais le petit Noël n'apportera rien +cette année....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Pourquoi?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>J'ai entendu maman qui disait qu'elle n'avait pu aller à la ville +pour le prévenir.... Mais il viendra l'année prochaine....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>C'est long, l'année prochaine?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ce n'est pas trop court.... Mais il vient cette nuit chez les +enfants riches....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Ah?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tiens!... Maman a oublié la lampe!... J'ai une idée?...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Nous allons nous lever....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>C'est défendu....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Puisqu'il n'y a personne.... Tu vois les volets?...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Oh! qu'ils sont clairs!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est les lumières de la fête.</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Quelle fête?</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>En face, chez les petits riches. C'est l'arbre de Noël. Nous +allons les ouvrir....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Est-ce qu'on peut?</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Bien sûr, puisqu'on est seuls.... Tu entends la musique?... +Levons-nous....</p> + +<blockquote><p>[Les deux enfants se lèvent, courent à l'une des fenêtres, +montent sur l'escabeau et poussent les volets. Une vive +clarté pénètre dans la pièce. Les enfants regardent +avidement au dehors.]</p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>On voit tout!...</p> + +<p>MYTYL, [qui ne trouve qu'une place précaire sur l'escabeau.]</p> + +<p>Je vois pas....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Il neige!... Voilà deux voitures à six chevaux!...</p> + +<p>MYTYL Il en sort douze petits garçons!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>T'es bête!... C'est des petites filles....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Ils ont des pantalons....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tu t'y connais.... Ne me pousse pas ainsi!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Je t'ai pas touché.</p> + +<p>TYLTYL, [qui occupe à lui seul tout l'escabeau.]</p> + +<p>Tu prends toute la place....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Mais j'ai pas du tout de place!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tais-toi donc, on voit l'arbre!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Quel arbre?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais l'arbre de Noël!... Tu regardes le mur!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Je regarde le mur parce qu'y a pas de place....</p> + +<p>TYLTYL, [lui cédant une petite place avare sur l'escabeau.]</p> + +<p>Là !... En as-tu assez?... C'est-y pas la meilleure?... Il y en a +des lumières! Il y en a!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Qu'est-ce qu'ils font donc ceux qui font tant de bruit?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ils font de la musique.</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Est-ce qu'ils sont fâchés?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Non, mais c'est fatigant.</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Encore une voiture attelée de chevaux blancs!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tais-toi!... Regarde donc!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Qu'est-ce qui pend là , en or, après les branches?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais les jouets, pardi!... Des sabres, des fusils, des soldats, +des canons....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Et des poupées, dis, est-ce qu'on en a mis?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Des poupées?... C'est trop bête; ça ne les amuse pas....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Et autour de la table, qu'est-ce que c'est tout ça?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est des gâteaux, des fruits, des tartes à la crème....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>J'en ai mangé une fois, lorsque j'étais petite....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Moi aussi; c'est meilleur que le pain, mais on en a trop peu....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Ils n'en ont pas trop peu.... Il y en a plein la table.... Est-ce +qu'ils vont les manger?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Bien sûr; qu'en feraient-ils?...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Pourquoi qu'ils ne les mangent pas tout de suite?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Parce qu'ils n'ont pas faim....</p> + +<p>MYTYL, stupéfaite.</p> + +<p>Ils n'ont pas faim?... Pourquoi?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est qu'ils mangent quand ils veulent....</p> + +<p>MYTYL, incrédule.</p> + +<p>Tous les jours?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>On le dit....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Est-ce qu'ils mangeront tout?... Est-ce qu'ils en donneront?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>A qui?...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>A nous....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ils ne nous connaissent pas....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Si on leur demandait?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Cela ne se fait pas.</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Pourquoi?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Parce que c'est défendu.</p> + +<p>MYTYL, battant des mains.</p> + +<p>Oh! qu'ils sont donc jolis!...</p> + +<p>TYLTYL, enthousiasmé.</p> + +<p>Et ils rient et ils rient!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Et les petits qui dansent!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui, oui, dansons aussi!...</p> + +<blockquote><p>Ils trépignent de joie sur l'escabeau. </p></blockquote> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Oh! que c'est amusant!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>On leur donne les gâteaux!... Ils peuvent y toucher!... Ils +mangent! ils mangent! ils mangent!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Les plus petits aussi!... Ils en ont deux, trois, quatre!...</p> + +<p>TYLTYL, [ivre de joie.]</p> + +<p>Oh! c'est bon!... Que c'est bon! que c'est bon!...</p> + +<p>MYTYL, [comptant des gâteaux imaginaires.]</p> + +<p>Moi, j'en ai reçu douze!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et moi quatre fois douze!... Mais je t'en donnerai....</p> + +<blockquote><p>On frappe à la porte de la cabane. </p></blockquote> + +<p>TYLTYL, [subitement calmé et effrayé.]</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est?...</p> + +<p>MYTYL, [épouvantée.]</p> + +<p>C'est papa!...</p> + +<blockquote><p>[Comme ils tardent à ouvrir, on voit le gros loquet se +soulever de lui-même, en grinçant; la porte s'entrebâille +pour livrer passage à une petite vieille habillée de vert et +coiffée d'un chaperon rouge. Elle est bossue, boiteuse, +borgne; le nez et le menton se rencontrent, et elle marche +courbée sur un bâton. Il n'est pas douteux que ce ne soit +une fée.]</p></blockquote> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Avez-vous ici l'herbe qui chante ou l'oiseau qui est bleu?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Nous avons de l'herbe, mais elle ne chante pas....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Tyltyl a un oiseau.</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais je ne peux pas le donner....</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Pourquoi?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Parce qu'il est à moi.</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>C'est une raison, bien sûr. Où est-il, cet oiseau?...</p> + +<p>TYLTYL, [montrant la cage.]</p> + +<p>Dans la cage....</p> + +<p>LA FÉE, [mettant ses besicles pour examiner l'oiseau.]</p> + +<p>Je n'en veux pas; il n'est pas assez bleu. Il faudra que vous +m'alliez chercher celui dont j'ai besoin.</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais je ne sais pas où il est....</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Moi non plus. C'est pourquoi il faut le chercher. Je puis à la +rigueur me passer de l'herbe qui chante; mais il me faut +absolument l'Oiseau Bleu. C'est pour ma petite fille qui est très +malade.</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'est-ce qu'elle a?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>On ne sait pas au juste; elle voudrait être heureuse....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ah?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Savez-vous qui je suis?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Vous ressemblez un peu à notre voisine, Madame Berlingot....</p> + +<p>LA FÉE, se fâchant subitement.</p> + +<p>En aucune façon.... Il n'y a aucun rapport.... C'est +abominable!... Je suis la Fée Bérylune....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ah! très bien....</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Il faudra partir tout de suite.</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Vous viendrez avec nous?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>C'est absolument impossible à cause du pot-au-feu que j'ai mis ce +matin et qui s'empresse de déborder chaque fois que je m'absente +plus d'une heure.... [Montrant successivement le plafond, la +cheminée et la fenêtre.] Voulez-vous sortir par ici, par là ou +par là ?...</p> + +<p>TYLTYL, [montrant timidement la porte.]</p> + +<p>J'aimerais mieux sortir par là ....</p> + +<p>LA FÉE, [se fâchant encore subitement.]</p> + +<p>C'est absolument impossible, et c'est une habitude révoltante!... +[Indiquant la fenêtre.] Nous sortirons par là .... Eh bien!... +Qu'attendez-vous?... Habillez-vous tout de suite.... [Les enfants +obéissent et s'habillent rapidement.] Je vais aider Mytyl....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Nous n'avons pas de souliers....</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Ça n'a pas d'importance. Je vais vous donner un petit chapeau +merveilleux. Où sont donc vos parents?...</p> + +<p>TYLTYL, [montrant la porte à droite.]</p> + +<p>Ils sont là ; ils dorment....</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Et votre bon-papa et votre bonne-maman?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ils sont morts....</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Et vos petits frères et vos petites sÅ“urs.... Vous en +avez?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui, oui; trois petits frères....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Et quatre petites sÅ“urs....</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Où sont-ils?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ils sont morts aussi....</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Voulez-vous les revoir?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oh oui!... Tout de suite!... Montrez-les!...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Je ne les ai pas dans ma poche.... Mais ça tombe à merveille; +vous les reverrez en passant par le pays du Souvenir. C'est sur +la route de l'Oiseau-Bleu. Tout de suite à gauche, après le +troisième carrefour.—Que faisiez-vous quand j'ai frappé?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Nous jouions à manger des gâteaux.</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Vous avez des gâteaux?... Où sont-ils?</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Dans le palais des enfants riches.... Venez voir, c'est si +beau!...</p> + +<blockquote><p>[Il entraîne la Fée vers la fenêtre.] </p></blockquote> + +<p>LA FÉE, à la fenêtre.</p> + +<p>Mais ce sont les autres qui les mangent!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui; mais puisqu'on voit tout....</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Tu ne leur en veux pas?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Pourquoi?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Parce qu'ils mangent tout. Je trouve qu'ils ont grand tort de ne +pas t'en donner....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais non, puisqu'ils sont riches.... Hein? que c'est beau chez +eux!...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Ce n'est pas plus beau que chez toi.</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Heu!... Chez nous c'est plus noir, plus petit, sans gâteaux....</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>C'est absolument la même chose; c'est que tu n'y vois pas....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais si, j'y vois très bien, et j'ai de très bons yeux. Je lis +l'heure au cadran de l'église que papa ne voit pas....</p> + +<p>LA FÉE, [se fâchant subitement.]</p> + +<p>Je te dis que tu n'y vois pas!... Comment donc me vois-tu?... +Comment donc suis-je faite?... [Silence gêné de Tyltyl.] Eh bien, +répondras-tu? que je sache si tu vois?... Suis-je belle ou bien +laide?... [Silence de plus en plus embarrassé.] Tu ne veux pas +répondre?... Suis-je jeune ou bien veille?... Suis-je rose ou +bien jaune?... j'ai peut-être une bosse?...</p> + +<p>TYLTYL, [conciliant.]</p> + +<p>Non, non, elle n'est pas grande....</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Mais si, à voir ton air, on la croirait énorme.... Ai-je le nez +crochu et l'Å“il gauche crevé?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Non, non, je ne dis pas.... Qui est-ce qui l'a crevé?...</p> + +<p>LA FÉE, de plus en plus irritée.</p> + +<p>Mais il n'est pas crevé!... Insolent! misérable!... Il est plus +beau que l'autre; il est plus grand, plus clair, il est bleu +comme le ciel.... Et mes cheveux, vois-tu?... Ils sont blonds +comme les blés.... on dirait de l'or vierge!... Et j'en ai tant +et tant que la tête me pèse.... Ils s'échappent de partout.... +Les vois-tu sur mes mains?...</p> + +<blockquote><p>[Elle étale deux maigres mèches de cheveux gris.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui, j'en vois quelques-uns....</p> + +<p>LA FÉE, [indignée.]</p> + +<p>Quelques-uns!... Des gerbes! des brassées! des touffes! des flots +d'or!... Je sais bien que des gens disent qu'ils n'en voient +point; mais tu n'es pas de ces méchantes gens aveugles, je +suppose?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Non, non, je vois très bien ceux qui ne se cachent point....</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Mais il faut voir les autres avec la même audace!... C'est bien +curieux, les hommes.... Depuis la mort des fées, ils n'y voient +plus du tout et ne s'en doutent point.... Heureusement que j'ai +toujours sur moi tout ce qu'il faut pour rallumer les yeux +éteints.... Qu'est-ce que je tire de mon sac?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oh! le joli petit chapeau vert!... Qu'est-ce qui brille ainsi sur +la cocarde?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>C'est le gros Diamant qui fait voir....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ah!...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Oui; quand on a le chapeau sur la tête, on tourne un peu le +Diamant: de droite à gauche, par exemple, tiens, comme ceci, +vois-tu?... Il appuie alors sur une bosse de la tête que personne +ne connaît, et qui ouvre les yeux....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ça ne fait pas de mal?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Au contraire, il est fée.... On voit à l'instant même ce qu'il y +a dans les choses; l'âme du pain, du vin, du poivre, par +exemple....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Est-ce qu'on voit aussi l'âme du sucre?...</p> + +<p>LA FÉE, [subitement fâchée.]</p> + +<p>Cela va sans dire!... Je n'aime pas les questions inutiles.... +L'âme du sucre n'est pas plus intéressante que celle du +poivre.... Voilà , je vous donne ce que j'ai pour vous aider dans +la recherche de l'Oiseau-Bleu.... Je sais bien que +l'Anneau-qui-rend-invisible ou le Tapis-Volant vous seraient plus +utiles.... Mais j'ai perdu la clef de l'armoire où je les ai +serrés.... Ah! j'allais oublier.... [Montrant le Diamant.] Quand +on le tient ainsi, tu vois.... un petit tour de plus, on revoit +le Passé.... Encore un petit tour, et l'on voit l'Avenir.... +C'est curieux et pratique et ça ne fait pas de bruit....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Papa me le prendra....</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Il ne le verra pas; personne ne peut le voir tant qu'il est sur +ta tête.... Veux-tu l'essayer?... [Elle coiffe Tyltyl du petit +chapeau vert.] A présent, tourne le Diamant.... Un tour et puis +après....</p> + +<blockquote><p>[A peine Tyltyl a-t-il tourné le Diamant, qu'un changement +soudain et prodigieux s'opère en toutes choses. La vieille +fée est tout à coup une belle princesse merveilleuse; les +cailloux dont sont bâtis les murs de la cabane s'illuminent, +bleuissent comme des saphirs, deviennent transparents, +scintillent, éblouissent à l'égal des pierres les plus +précieuses. Le pauvre mobilier s'anime et resplendit; la +table de bois blanc s'affirme aussi grave, aussi noble +qu'une table de marbre, le cadran de l'horloge cligne de +l'Å“il et sourit avec aménité, tandis que la porte +derrière quoi va et vient le balancier s'entr'ouvre et +laisse s'échapper les Heures, qui, se tenant les mains et +riant aux éclats, se mettent à danser aux sons d'une musique +délicieuse. Effarement légitime de Tyltyl qui s'écrie en +montrant les Heures.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est que toutes ces belles dames?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>N'aie pas peur; ce sont les heures de ta vie qui sont heureuses +d'être libres et visibles un instant....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et pourquoi que les murs sont si clairs?... Est-ce qu'ils sont en +sucre ou en pierres précieuses?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Toutes les pierres sont pareilles, toutes les pierres sont +précieuses: mais l'homme n'en voit que quelques-unes....</p> + +<blockquote><p>[Pendant qu'ils parlent ainsi, la féerie continue et se +complète. Les âmes des Pains-de-quatre-livres, sous la forme +de bonshommes en maillots couleur croûte-de-pain, ahuris et +poudrés de farine, se dépêtrent de la huche et gambadent +autour de la table où ils sont rejoints par le Feu, qui, +sorti de l'âtre en maillot soufre et vermillon, les poursuit +en se tordant de rire.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est que ces vilains bonshommes?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Rien de grave; ce sont les âmes des Pains-de-quatre-livres qui +profitent du règne de la vérité pour sortir de la huche où elles +se trouvaient à l'étroit....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et le grand diable rouge qui sent mauvais?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Chut!... Ne parle pas trop haut, c'est le Feu.... Il a mauvais +caractère.</p> + +<blockquote><p>[Ce dialogue n'a pas interrompu la féerie. Le Chien et la +Chatte, couchés en rond au pied de l'armoire, poussant +simultanément un grand cri, disparaissent dans une trappe, +et à leur place surgissent deux personnages, dont l'un porte +un masque de bouledogue, et l'autre une tête de chatte. +Aussitôt, le petit homme au masque de bouledogue—que nous +appellerons dorénavant le Chien—se précipite sur Tyltyl +qu'il embrasse violemment et accable île bruyantes et +impétueuses caresses, cependant que la petite femme au +masque de chatte—que nous appellerons plus simplement la +Chatte—se donne un coup de peigne, se lave les mains et se +lisse la moustache, avant de s'approcher de Mytyl.] </p></blockquote> + +<p>LE CHIEN, [hurlant, sautant, bousculant tout, insupportable.]</p> + +<p>Mon petit dieu!... Bonjour! bonjour, mon petit dieu!... Enfin, +enfin, on peut parler! J'avais tant de choses à te dire!... +J'avais beau aboyer et remuer la queue!... Tu ne comprenais +pas!... Mais maintenant!... Bonjour! bonjour!... Je t'aime!... Je +t'aime!... Veux-tu que je fasse quelque chose d'étonnant?... +Veux-tu que je fasse le beau?... Veux-tu que je marche sur les +mains ou que je danse à la corde?...</p> + +<p>TYLTYL, à la Fée.</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est que ce monsieur à tête de chien?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Mais tu ne vois donc pas?... C'est l'âme de Tylô que tu as +délivrée....</p> + +<p>LA CHATTE, [s'approchant de Mytyl et lui tendant la main, +cérémonieusement, avec circonspection.]</p> + +<p>Bonjour, Mademoiselle.... Que vous êtes jolie ce matin!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Bonjour, Madame.... [A la Fée.] Qui est-ce?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>C'est facile à voir; c'est l'âme de Tylette qui te tend la +main.... Embrasse-la....</p> + +<p>LE CHIEN, [bousculant la Chatte.]</p> + +<p>Moi aussi!... J'embrasse le petit dieu!... J'embrasse la petite +fille!... J'embrasse tout le monde!... Chic!... On va +s'amuser!... Je vais faire peur à Tylette!... Hou! hou! hou!...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Monsieur, je ne vous connais pas....</p> + +<p>LA FÉE, [menaçant le Chien de sa baguette.]</p> + +<p>Toi, tu vas te tenir bien tranquille; sinon tu rentreras dans le +silence, jusqu'à la fin des temps....</p> + +<blockquote><p>[Cependant, la féerie a poursuivi son cours: le Rouet s'est +mis à tourner vertigineusement dans son coin en filant de +splendides rayons de lumière; la Fontaine, dans l'autre +angle, se prend à chanter d'une voix sur-aiguë et, se +transformant en fontaine lumineuse, inonde l'évier de nappes +de perles et d'émeraudes, à travers lesquelles s'élance +l'âme de l'Eau, pareille à une jeune fille ruisselante, +échevelée, pleurarde, qui va incontinent se battre avec le +feu.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et la dame mouillée?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>N'aie pas peur, c'est l'Eau qui sort du robinet....</p> + +<blockquote><p>[Le Pot-au-lait se renverse, tombe de la table, se brise sur +le sol; et du lait répandu s'élève une grande forme blanche +et pudibonde qui semble avoir peur de tout.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et la dame en chemise qui a peur?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>C'est le Lait qui a cassé son pot....</p> + +<blockquote><p>[Le Pain-de-sucre posé au pied de l'armoire grandit, +s'élargit et crève son enveloppe de papier d'où émerge un +être doucereux: et papelard, vêtu d'une souquenille +mi-partie de blanc et de bleu, qui, souriant béatement, +s'avance vers Mytyl.] </p></blockquote> + +<p>MYTYL, [avec inquiétude.]</p> + +<p>Que veut-il?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Mais c'est l'âme du Sucre!...</p> + +<p>MYTYL, [rassurée.]</p> + +<p>Est-ce qu'il a des sucres d'orge?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Mais il n'a que ça dans ses poches, et chacun de ses doigts en +est un....</p> + +<blockquote><p>[La Lampe tombe de la table, et aussitôt tombée, sa flamme +se redresse et se transforme en une lumineuse vierge d'une +incomparable beauté. Elle est vêtue de longs voiles +transparents et éblouissants, et se tient immobile en une +sorte d'extase.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est la Reine!</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>C'est la Sainte Vierge!...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Non, mes enfants, c'est la Lumière....</p> + +<blockquote><p>[Cependant, les casseroles, sur les rayons, tournent comme +des toupies hollandaises, l'armoire à linge claque ses +battants et commence un magnifique déroulement d'étoffes +couleur de lune et de soleil, auquel se mêlent, non moins +splendides, des chiffons et des guenilles qui descendent +l'échelle du grenier. Mais voici que trois coups assez rudes +sont frappés à la porte de droite.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL, [effrayé.]</p> + +<p>C'est papa!... Il nous a entendus!...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Tourne le Diamant!... De gauche à droite!...</p> + +<p>[Tyltyl tourne vivement le diamant.] Pas si vite!... Mon Dieu! Il +est trop tard!... Tu l'as tourné trop brusquement. Ils n'auront +pas le temps de reprendre leur place, et nous aurons bien des +ennuis.... [La Fée redevient vieille femme, les murs de la cabane +éteignent leurs splendeurs, les Heures rentrent dans l'horloge, +le Rouet s'arrête, etc. Mais dans la hâte et le désarroi général, +tandis que le Feu court follement autour de la pièce, à la +recherche de la cheminée, un des Pains-de-quatre-livres, qui n'a +pu retrouver place dans la huche, éclate en sanglots tout en +poussant des rugissements d'épouvante.] Qu'y a-t-il?...</p> + +<p>LE PAIN, [tout en larmes.]</p> + +<p>Il n'y a plus de place dans la huche!...</p> + +<p>LA FÉE, [se penchant sur la huche.]</p> + +<p>Mais si, mais si.... [Poussant les autres pains qui ont repris +leur place primitive.] Voyons, vite, rangez-vous....</p> + +<blockquote><p>[On heurte encore la porte.] </p></blockquote> + +<p>LE PAIN, [éperdu, s'efforçant vainement d'entrer dans la huche.]</p> + +<p>Il n'y a pas moyen!... Il me mangera le premier!...</p> + +<p>LE CHIEN, [gambadant autour de Tyltyl.]</p> + +<p>Mon petit dieu!... Je suis encore ici!... Je puis encore parler! +Je puis encore t'embrasser!... Encore! encore! encore!...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Comment, toi aussi?... Tu es encore là ?...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>J'ai de la veine.... Je n'ai pas pu rentrer dan le silence; la +trappe s'est refermée trop vite..</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>La mienne aussi.... Que va-t-il arriver?... Est-ce que c'est +dangereux?</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Mon Dieu, je dois vous dire la vérité: tous ceux qui +accompagneront les deux enfants, mourront à la fin du voyage....</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Et ceux qui ne les accompagneront pas?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Ils survivront quelques minutes....</p> + +<p>LA CHATTE, [au Chien.]</p> + +<p>Viens, rentrons dans la trappe....</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Non, non!... Je ne veux pas!... Je veux accompagner le petit +dieu!... Je veux lui parler tout le temps!...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Imbécile!...</p> + +<blockquote><p>[On heurte encore à la porte.] </p></blockquote> + +<p>LE PAIN, [pleurant à chaudes larmes.]</p> + +<p>Je ne veux pas mourir à la fin du voyage!... Je veux rentrer tout +de suite dans ma huche!...</p> + +<p>LE FEU, [qui n'a cessé de parcourir vertigineusement la pièce en +poussant des sifflements d'angoisse.]</p> + +<p>Je ne trouve plus ma cheminée!...</p> + +<p>L'EAU, [qui tente vainement de rentrer dans le robinet.]</p> + +<p>Je ne peux plus rentrer dans le robinet!...</p> + +<p>LE SUCRE, [qui s'agite autour de son enveloppe de papier.]</p> + +<p>J'ai crevé mon papier d'emballage!...</p> + +<p>LE LAIT, [lymphatique et pudibond.]</p> + +<p>On a cassé mon petit pot!...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Sont-ils bêtes, mon Dieu!... Sont-ils bêtes et poltrons!... Vous +aimeriez donc mieux continuer de vivre dans vos vilaines boîtes, +dans vos trappes et dans vos robinets que d'accompagner les +enfants qui vont chercher l'Oiseau?...</p> + +<p>TOUS, [à l'exception du Chien et de la Lumière.]</p> + +<p>Oui! oui! Tout de suite!... Mon robinet!... Ma huche!... Ma +cheminée!... Ma trappe!...</p> + +<p>LA FÉE, [à la Lumière qui regarde rêveusement les débris de sa +lampe.]</p> + +<p>Et toi, la Lumière, qu'en dis-tu?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>J'accompagnerai les enfants....</p> + +<p>LE CHIEN, [hurlant de joie.]</p> + +<p>Moi aussi! moi aussi!...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Voilà qui est des mieux. Du reste, il est trop tard pour reculer; +vous n'avez plus le choix, vous sortirez tous avec nous.... Mais +toi, le Feu, ne t'approche de personne, toi, le Chien, ne taquine +pas la Chatte, et toi, l'eau, tiens-toi droite et tâche de ne pas +couler partout....</p> + +<p>[Des coups violents sont encore frappés à la porte de droite.]</p> + +<p>TYLTYL, [écoutant.]</p> + +<p>C'est encore papa!... Cette fois, il se lève, je l'entends +marcher....</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Sortons par la fenêtre.... Vous viendrez tous chez moi, où +j'habillerai convenablement les animaux et les phénomènes.... [Au +Pain.] Toi, le Pain, prends la cage dans laquelle on mettra +l'Oiseau-Bleu.... Tu en auras la garde.... Vite, vite, ne perdons +pas de temps....</p> + +<blockquote><p>[La fenêtre s'allonge brusquement, comme une porte. Ils +sortent tous, après quoi la fenêtre reprend sa forme +primitive et se referme innocemment. La chambre est +redevenue obscure, et les deux petits lits sont plongés dans +l'ombre. La porte à droite s'entr'ouvre, et dans +l'entrebâillement paraissent les têtes du père et de la mère +Tyl.] </p></blockquote> + +<p>LE PÈRE TYL</p> + +<p>Ce n'était rien.... C'est le grillon qui chante....</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Tu les vois?...</p> + +<p>LE PÈRE TYL</p> + +<p>Bien sûr.... Ils dorment tranquillement....</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Je les entends respirer....</p> + +<p>[La porte se referme.]</p> + +<p>RIDEAU</p> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="ACTE_DEUXIEME" id="ACTE_DEUXIEME"></a>ACTE DEUXIÈME</h3> + + + +<hr style="width: 45%;" /> +<h3><a name="DEUXIEME_TABLEAU" id="DEUXIEME_TABLEAU"></a>DEUXIÈME TABLEAU</h3> + +<h4>CHEZ LA FÉE</h4> + + +<p>Un magnifique vestibule dans le palais de la Fée Bérylune. +Colonnes de marbre clair à chapiteaux d'or et d'argent, +escaliers, portiques, balustrades, etc.</p> + +<hr style="width: 45%;" /> + +<blockquote><p>[Entrent au fond, à droite, somptueusement habillés, la +Chatte, le Sucre et le Feu. Ils sortent d'un appartement +d'où émanent des rayons de lumière; c'est la garde-robe de +la Fée. La Chatte a jeté une gaze légère sur son maillot de +soie noire, le Sucre a revêtu une robe de soie, mi-partie de +blanc et de bleu tendre, et le Feu, coiffé d'aigrettes +multicolores, un long manteau cramoisi doublé d'or. Ils +traversent toute la salle et descendent au premier plan, à +droite, où la Chatte les réunit sous un portique.] </p></blockquote> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Par ici. Je connais tous les détours de ce palais.... La Fée +Bérylune l'a hérité de Barbe-Bleue.... Pendant que les enfants +et la Lumière rendent visite à la petite fille de la Fée, +profitons de notre dernière minute de liberté.... Je vous ai fait +venir ici, afin de vous entretenir de la situation qui nous est +faite.... Sommes-nous tous présents?...</p> + +<p>LE SUCRE</p> + +<p>Voici le Chien qui sort de la garde-robe de la Fée....</p> + +<p>LE FEU</p> + +<p>Comment diable s'est-il habillé?...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Il a pris la livrée d'un des laquais du carrosse de +Cendrillon.... C'est bien ce qu'il lui fallait.... Il a une âme +de valet.... Mais dissimulons-nous derrière la balustrade.... Je +m'en méfie étrangement.... Il vaudrait mieux qu'il n'entende pas +ce que j'ai à vous dire....</p> + +<p>LE SUCRE</p> + +<p>C'est inutile.... Il nous a éventés.... Tiens, voilà l'Eau qui +sort en même temps de la garde-robe.... Dieu! qu'elle est +belle!...</p> + +<blockquote><p>[Le Chien et l'Eau rejoignent le premier groupe.]</p></blockquote> + +<p>LE CHIEN, gambadant.</p> + +<p>Voilà ! voilà !... Sommes-nous beaux! Regardez donc ces dentelles, +et puis ces broderies!... C'est de l'or et du vrai!...</p> + +<p>LA CHATTE, [à l'Eau.]</p> + +<p>C'est la robe «couleur-du-temps» de Peau-d'Âne?... Il me semble +que je la connais....</p> + +<p>L'EAU</p> + +<p>Oui, c'est encore ce qui m'allait le mieux....</p> + +<p>LE FEU, [entre les dents.]</p> + +<p>Elle n'a pas son parapluie....</p> + +<p>L'EAU</p> + +<p>Vous dites?...</p> + +<p>LE FEU</p> + +<p>Rien, rien....</p> + +<p>L'EAU</p> + +<p>Je croyais que vous parliez d'un gros nez rouge que j'ai vu +l'autre jour....</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Voyons, ne nous querellons pas, nous avons mieux à faire.... Nous +n'attendons plus que le Pain: où est-il?...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Il n'en finissait pas de faire de l'embarras pour choisir son +costume....</p> + +<p>LE FEU</p> + +<p>C'est bien la peine, quand on a l'air idiot et qu'on porte un +gros ventre....</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Finalement, il s'est décidé pour une robe turque, ornée de +pierreries, un cimeterre et un turban....</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Le voilà !... Il a mis la plus belle robe de Barbe-Bleue....</p> + +<blockquote><p>[Entre le Pain, dans le costume qu'on vient de décrire. La +robe de soie est péniblement croisée sur son énorme ventre. +Il tient d'une main la garde du cimeterre passé dans sa +ceinture et de l'autre la cage destinée à l'Oiseau-Bleu.] </p></blockquote> + +<p>LE PAIN, [se dandidant vaniteusement.]</p> + +<p>Eh bien?... Comment me trouvez-vous?...</p> + +<p>LE CHIEN, [gambadant autour du Pain.]</p> + +<p>Qu'il est beau! qu'il est bête! qu'il est beau! qu'il est +beau!...</p> + +<p>LA CHATTE, [au Pain.]</p> + +<p>Les enfants sont-ils habillés?...</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>Oui, Monsieur Tyltyl a pris la veste rouge, les bas blancs et la +culotte bleue du Petit-Poucet; quant à Mademoiselle Mytyl, elle a +la robe de Grethel et les pantoufles de Cendrillon.... Mais la +grande affaire, ç'a été d'habiller la Lumière!...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Pourquoi?...</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>La Fée la trouvait si belle qu'elle ne voulait pas l'habiller du +tout!... Alors j'ai protesté au nom de notre dignité d'éléments +essentiels et éminemment respectables; et j'ai fini par déclarer +que, dans ces conditions, je refusais de sortir avec elle....</p> + +<p>LE FEU</p> + +<p>Il fallait lui acheter un abat-jour!...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Et la Fée, qu'a-t-elle répondu?...</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>Elle m'a donné quelques coups de bâton sur la tête et le +ventre....</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Et alors?...</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>Je fus promptement convaincu, mais au dernier moment, la Lumière +s'est décidée pour la robe «couleur-de-lune» qui se trouvait au +fond du coffre aux trésors de Peau-d'Ane....</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Voyons, c'est assez bavardé, le temps presse.... Il s'agit de +notre avenir.... Vous l'avez entendu, la Fée vient de le dire, la +fin de ce voyage marquera en même temps la fin de notre vie.... +Il s'agit donc de le prolonger autant que possible et par tous +les moyens possibles.... Mais il y a encore autre chose; il faut +que nous pensions au sort de notre race et à la destinée de nos +enfants....</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>Bravo! bravo!... La Chatte a raison!...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Écoutez-moi.... Nous tous ici présents, animaux, choses et +éléments, nous possédons une âme que l'homme ne connaît pas +encore. C'est pourquoi nous gardons un reste d'indépendance; +mais, s'il trouve l'Oiseau-Bleu, il saura tout, il verra tout, et +nous serons complètement à sa merci.... C'est ce que vient de +m'apprendre ma vieille amie la Nuit, qui est en même temps la +gardienne des mystères de la Vie.... Il est donc de notre intérêt +d'empêcher à tout prix qu'on ne trouve cet oiseau, fallût-il +aller jusqu'à mettre en péril la vie même des enfants....</p> + +<p>LE CHIEN, indigné.</p> + +<p>Que dit-elle, celle-là ?... Répète un peu que j'entende bien ce +que c'est?</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>Silence!... Vous n'avez pas la parole!... Je préside +l'assemblée....</p> + +<p>LE FEU</p> + +<p>Qui vous a nommé président?...</p> + +<p>L'EAU, [au Feu.]</p> + +<p>Silence!... De quoi vous mêlez-vous?...</p> + +<p>LE FEU</p> + +<p>Je me mêle de ce qu'il faut.... Je n'ai pas d'observations à +recevoir de vous....</p> + +<p>LE SUCRE, [conciliant.]</p> + +<p>Permettez.... Ne nous querellons point.... L'heure est grave.... +Il s'agit avant tout de s'entendre sur les mesures à prendre....</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>Je partage entièrement l'avis du Sucre et de la Chatte....</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>C'est idiot!... Il y a l'Homme, voilà tout!... Il faut lui obéir +et faire tout ce qu'il veut!... Il n'y a que ça de vrai.... Je ne +connais que lui!... Vive l'Homme!... A la vie, à la mort, tout +pour l'Homme!... l'Homme est dieu!...</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>Je partage entièrement l'avis du Chien.</p> + +<p>LA CHATTE, [au Chien.]</p> + +<p>Mais on donne ses raisons....</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Il n'y a pas de raisons!... J'aime l'Homme, ça suffit!... Si vous +faites quelque chose contre lui, je vous étranglerai d'abord et +j'irai tout lui révéler....</p> + +<p>LE SUCRE, [intervenant avec douceur.]</p> + +<p>Permettez.... N'aigrissons pas la discussion.... D'un certain +point de vue, vous avez raison, l'un et l'autre.... Il y a le +pour et le contre....</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>Je partage entièrement l'avis du Sucre!...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Est-ce que tous ici, l'Eau, le Feu, et vous-mêmes le Pain et le +Chien, nous ne sommes pas victimes d'une tyrannie sans nom?... +Rappelez-vous le temps où, avant la venue du despote, nous +errions librement sur la face de la Terre.... l'Eau et le Feu +étaient les seuls maîtres du monde; et voyez ce qu'ils sont +devenus!... Quant à nous, les chétifs descendants des grands +fauves.... Attention!... N'ayons l'air de rien.... Je vois +s'avancer la Fée et la Lumière.... La Lumière s'est mise du parti +de l'Homme; c'est notre pire ennemie.... Les voici....</p> + +<blockquote><p>[Entrent à droite, la Fée et la Lumière, suivies de Tyltyl +et de Mytyl.] </p></blockquote> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Eh bien?... qu'est-ce que c'est?... Que faites-vous dans ce +coin?... Vous avez l'air de conspirer.... Il est temps de se +mettre en route.... Je viens de décider que la Lumière sera votre +chef.... Vous lui obéirez tous comme à moi-même et je lui confie +ma baguète.... Les enfants visiteront ce soir leurs grand-parents +qui sont morts.... Vous ne les accompagnerez pas, par discrétion.... +Ils passeront la soirée au sein de leur famille décédée.... +Pendant ce temps, vous préparerez tout ce qu'il faut pour l'étape +de demain, qui sera longue.... Allons, debout, en route et chacun +à son poste!...</p> + +<p>LA CHATTE, [hypocritement.]</p> + +<p>C'est tout juste ce que je leur disais, Madame la Fée.... Je les +exhortais à remplir consciencieusement et courageusement tout +leur devoir; malheureusement, le Chien qui ne cessait de +m'interrompre....</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Que dit-elle?... Attends un peu!...</p> + +<blockquote><p>[Il va bondir sur la chatte, mais Tyltyl, qui a prévenu son +mouvement, l'arrête d'un geste menaçant.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>A bas, Tylô!... Prends garde; et s'il t'arrive encore une seul +fois de....</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Mon petit dieu, tu ne sais pas, c'est elle qui....</p> + +<p>TYLTYL, [le menaçant.]</p> + +<p>Tais-toi!...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Voyons, finissons-en.... Que le Pain, ce soir, remette la cage à +Tyltyl.... Il est possible que l'Oiseau-Bleu se cache dans le +Passé, chez les grands-parents.... En tout cas, c'est une chance +qu'il convient de ne point négliger.... Eh bien, le Pain, cette +cage?...</p> + +<p>LE PAIN, [solennel.]</p> + +<p>Un instant, s'il vous plaît, Madame le Fée.... [Comme un orateur +qui prend la parole.] Vous tous, soyez temoins que cette cage +d'argent qui me fut confiée par....</p> + +<p>LA FÉE, [l'interrompant].</p> + +<p>Assez!... Pas de phrases.... Nous sortirons par là , tandis que +les enfants sortiront par ici....</p> + +<p>TYLTYL, [avec inquiet.]</p> + +<p>Nous sortirons tout seuls?...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>J'ai faim!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Moi aussi!...</p> + +<p>LA FÉE, [au Pain.]</p> + +<p>Ouvre ta robe turque et donne leur une tranche de ton bon ventre.</p> + +<blockquote><p>[Le Pain ouvre sa robe, tire son cimeterre et coupe, à même +son gros ventre, deux tartines qu'il offre aux enfants.] </p></blockquote> + +<p>LE SUCRE, [s'approchant des enfants.]</p> + +<p>Permettez-moi de vous offrir en même temps quelques sucres +d'orge....</p> + +<blockquote><p>[Il casse un à un les cinq doigts de sa main gauche et les +leur présente.] </p></blockquote> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Qu'est-ce qu'il fait?... Il casse tous ses doigts....</p> + +<p>LE SUCRE, [engageant.]</p> + +<p>Goûtez-les, ils sont excellents.... C'est de vrais sucres +d'orge....</p> + +<p>MYTYL, [suçant un des doigts.]</p> + +<p>Dieu qu'il est bon!... Est-ce que tu en as beaucoup?...</p> + +<p>LE SUCRE, [modeste.]</p> + +<p>Mais qui, tant que je veux....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Est-ce que ça te fait mal quand tu les casses ainsi?...</p> + +<p>LE SUCRE</p> + +<p>Pas du tout.... Au contraire; c'est très avantageux, ils +repoussent tout de suite, et de cette façon, j'ai toujours des +doigts propres et neufs....</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Voyons, mes enfants, ne mangez pas trop de sucre. N'oubliez pas +que vous souperez tout à l'heure chez vos grands-parents....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ils sont ici?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Vous allez les voir à l'instant....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Comment les verrons-nous, puisqu'ils sont morts?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Comment seraient-ils morts puisqu'ils vivent dans votre +souvenir?... Les hommes ne savent pas ce secret parce qu'ils +savent bien peu de chose; au lieu que toi, grâce au Diamant, tu +vas voir que les morts dont on se souvient aussi heureux que +s'ils n'étaient point morts....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>La Luminière vient avec nous?...</p> + +<p>LA LUMINIÈRE</p> + +<p>Non, il est plus convenable que cela se passe en famille.... +J'attendrai ici près pour ne point paraître indiscrète.... Ils ne +m'ont pas invitée.</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Par où faut-il aller?...</p> + +<p>LA FÉE</p> + +<p>Par là .... Vous êtes au seuil du «Pays du Souvenir». Dès que tu +auras tourné le Diamant, tu verras un gros arbre muni d'un +écriteau, qui te montrera que tu es arrivé.... Mais n'oubliez pas +que vous devez être rentré tous les deux à neuf heures moins le +quart.... C'est extrêmement important.... Surtout soyez exacts, +car tout serait perdu si vous vous mettiez en retard.... A +bientôt.... [Appelant la Chatte, le Chien, la Lumière, etc.] Par +ici.... Et les petits par là ....</p> + +<p>Elle sort à droite avec la Lumière, les animaux, etc., tandis que +les enfants sortent à gauche.</p> + + +<p>RIDEAU</p> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="TROISIEME_TABLEAU" id="TROISIEME_TABLEAU"></a>TROISIÈME TABLEAU</h3> + +<h4>LE PAYS DU SOUVENIR</h4> + + +<p>Un épais brouillard d'où émerge, à droite, au tout premier plan, +le tronc d'un gros chêne muni d'un écriteau. Clarté laiteuse, +diffuse, impénétrable.</p> + +<hr style="width: 45%;" /> + +<blockquote><p>[Tyltyl et Mytyl se trouvent au pied du chêne.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Voici l'arbre!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Il y a l'écriteau!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Je ne peux pas lire.... Attends, je vais monter sur cette +racine.... C'est bien ça.... C'est écrit: «Pays du Souvenir».</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>C'est ici qu'il commence?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qui, il y a une flèche....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Eh bien, ou qu'ils sont, bon-papa et bonne-maman?</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Derrière le brouillard.... Nous allons voir....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Je ne vois rien du tout!... Je ne vois plus mes pieds ni mes +mains .. [Pleurnichant.] J'ai froid!... Je ne veux plus +voyager.... Je veux rentrer à la maison....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Voyons, ne pleure pas tout le temps, comme l'Eau.... T'es pas +honteuse? .. Une grande petite fille!... Regarde, le brouillard se +lève déjà .... Nous allons voir ce qu'il y a dedans....</p> + +<blockquote><p>[En effet, la brume s'est mise en mouvement; elle s'allège, +s'éclaire, se disperse, s'évapore. Bientôt, dans une lumière +de plus en plus transparente, on découvre, sous une voûte de +verdure, une riante maisonette de paysan, couverte de +plantes grimpantes. Les fenêtres et la porte sont ouvertes. +On voit des ruches d'abeilles sous un auvent, des pots de +fleurs sur l'appui des croisées, une cage ou dort un merle, +etc. Près de la porte un banc, sur lequel sont assis, +profondément endormis, un vieux paysan et sa femme, +c'est-à -dire le grand-père et la grand'mère de Tyltyl.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL, [les reconnaissant tout à coup.]</p> + +<p>C'est bon-papa et bonne-maman!...</p> + +<p>MYTYL, [battant des mains.]</p> + +<p>Qui! Qui!... C'est eux!... C'est eux!...</p> + +<p>TYLTYL, [encore un peu méfiant.]</p> + +<p>Attention!... On ne sait pas encore s'ils remuent.... Restons +derrière l'arbre....</p> + +<blockquote><p>[Grand'maman Tyl ouvre les yeux, lève la tête, s'étire, +pousse un soupir, regarde grand-papa Tyl qui lui aussi sort +lentement de son sommeil.]</p></blockquote> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>J'ai idée que nos petits-enfants qui sont encore en vie nous +venir voir aujourd'hui....</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Bien sûr, ils pensent à nous; car je me sens tout chose et j'ai +des fourmis dans les jambes....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Je crois qu'ils sont tout proches, car des larmes de joie dansent +avant mes yeux....</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Non, non; ils sont fort loin... Je me sens encore faible....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Je te dis qu'ils sont là ; j'ai déjà toute ma force....</p> + +<p>TYLTYL et MYTYL, se précipitant de derrière le chêne.</p> + +<p>Nous voilà !... Nous voilà !... Bon-papa, bonne-maman!... C'est +nous!... C'est nous!...</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Là !... Tu vois!... Qu'est-ce que je disais! J'étais sûr qu'ils +viendraient aujourd'hui....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Tyltyl! Mytyl!... C'est toi!... C'est elle!... C'est eux!... +[S'efforçant de courir au-devant d'eux.] Je ne peux pas +courir!... J'ai toujours mes rhumatismes!</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL, [accourant de même en clopinant.]</p> + +<p>Moi non plus.... Rapport à ma jambe de bois qui remplace toujours +celle que j'ai cassée en tombant du gros chêne....</p> + +<blockquote><p>[Les grands-parents et les enfants s'embrassent follement.] </p></blockquote> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Que tu es grandi et forci, mon Tyltyl!...</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL, [caressant les cheveux de Mytyl.]</p> + +<p>Et Mytyl!... Regarde donc!... Les beaux cheveux, les beaux +yeux!... Et puis, ce qu'elle sent bon!...</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Embrassons-nous encore!... Venez sur mes genoux....</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Et moi, je n'aurai rien?...</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Non, non.... A moi d'abord.... Comment vont Papa et Maman Tyl?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Fort bien, bonne-maman.... Ils dormaient quand nous sommes +sortis....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL, [les contemplant et les accablant de caresses.]</p> + +<p>Mon Dieu, qu'ils sont jolis et bien débarbouillés!... C'est maman +qui t'a débarbouillé?... Et tes bas ne sont pas troués!... C'est +moi qui les reprisais autrefois. Pourquoi ne venez-vous pas nous +voir plus souvent?... Cela nous fait tant de plaisir!... Voilà +des mois et des mois que vous nous oubliez et que nous ne voyons +plus personne....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Nous ne pouvions pas, bonne-maman; et c'est grâce à la Fée +qu'aujourd'hui....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Nous sommes toujours là , à attendre une petite visite de ceux qui +vivent.... Ils viennent si rarement!... La dernière fois que vous +êtes venus, voyons, c'était quand donc?... C'était à la +Toussaint, quand la cloche de l'église a tinté....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>A la Toussaint?... Nous ne sommes pas sortis ce jour-là , car nous +étions fort enrhumés....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Non, mais vous avez pensé à nous....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Eh bien, chaque fois que vous pensez à nous, nous nous réveillons +et nous vous revoyons....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Comment, il suffit que....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Mais voyons, tu sais bien....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais non, je ne sais pas....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL, [à Grand-Papa Tyl.]</p> + +<p>C'est étonnant, là -haut.... Ils ne savent pas encore.... Ils +n'apprennent donc rien?....</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>C'est comme de notre temps.... Les Vivants sont si bêtes quand +ils parlent des Autres....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Vous dormez tout le temps?...</p> + +<p>GRAND PAPA TYL</p> + +<p>Oui, nous dormons pas mal, en attendant qu'une pensée des Vivants +nous réveille.... Ah! c'est bien bon de dormir, quand la vie est +finie.... Mais il est agréable aussi de s'éveiller de temps en +temps....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Alors, vous n'êtes pas morts pour de vrai?...</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL, [sursautant.]</p> + +<p>Que dis-tu?... Qu'est-ce qu'il dit?... Voilà qu'il emploie des +mots que nous ne comprenons plus.... Est-ce que c'est un mot +nouveau, une invention nouvelle?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Le mot «mort»?...</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Oui; c'était ce mot-là .... Qu'est-ce que ça veut dire?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais ça veut dire qu'on ne vit plus....</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Sont-ils bêtes, là -haut!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Est-ce qu'on est bien ici?...</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Mais oui; pas mal, pas mal; et même si l'on priait encore....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Papa m'a dit qu'il ne faut plus prier....</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Mais si, mais si.... Prier c'est se souvenir....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Oui, oui, tout irait bien, si seulement vous veniez nous voir +plus souvent.... Te rappelles-tu, Tyltyl?... La dernière fois, +j'avais fait une belle tarte aux pommes.... Tu en as mangé tant +et tant que tu t'es fait du mal....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais je n'ai pas mangé de tarte aux pommes depuis l'année +dernière.... Il n'y a pas eu de pommes cette année....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Ne dis pas de bêtises.... Ici il y en a toujours....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ce n'est pas la même chose....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Comment? Ce n'est pas la même chose?... Mais tout est la même +chose puisqu'on peut s'embrasser....</p> + +<p>TYLTYL, [regardant tour à tour son grand-père et sa grand'mère.]</p> + +<p>Tu n'as pas changé, bon-papa, pas du tout, pas du tout.... Et +bonne-maman non plus n'a pas changé du tout.... Mais vous êtes +plus beaux....</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Eh! ça ne va pas mal.... Nous ne vieillissons plus.... Mais vous, +grandissez-vous!... Ah! oui, vous poussez ferme!... Tenez, là , +sur la porte, on voit encore la marque de la dernière fois.... +C'était à la Toussaint.... Voyons, tiens-toi bien droit.... +[Tyltyl se dresse contre la porte.] Quatre doigts!... C'est +énorme!... [Mytyl se dresse également contre la porte.] Et Mytyl, +quatre et demi!... Ah, ah! la mauvaise graine!... Ce que ça +pousse, ce que ça pousse!...</p> + +<p>TYLTYL, [regardant autour de soi avec ravissement.]</p> + +<p>Comme tout est bien de même, comme tout est à sa place!... Mais +comme tout est plus beau!... Voilà l'horloge avec la grande +aiguille dont j'ai cassé la pointe....</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Et voici la soupière que tu as écornée....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et voilà le trou que j'ai fait à la porte, le jour que j'ai +trouvé le vilebrequin....</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Ah oui, tu en as fait des dégâts!... Et voici le prunier où tu +aimais tant grimper quand je n'étais pas là .... Il a toujours ses +belles prunes rouges....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais elles sont bien plus belles!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Et voici le vieux merle!... Est-ce qu'il chante encore?...</p> + +<p>Le merle se réveille et se met à chanter à tue-tète.</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Tu vois bien.... Dès que l'on pense à lui....</p> + +<p>TYLTYL, [remarquant avec stupéfaction que le merle est +parfaitement bleu.]</p> + +<p>Mais il est bleu!... Mais c'est lui, l'Oiseau-Bleu que je dois +rapporter à la Fée!... Et vous ne disiez pas que vous l'aviez +ici! Oh! qu'il est bleu, bleu, bleu, comme une bille de verre +bleu!... [Suppliant.] Bon-papa, bonne-maman, voulez-vous me le +donner?...</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Bien oui, peut-être bien.... Qu'en penses-tu, maman Tyl?...</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Bien sûr, bien sûr.... A quoi qu'il sert ici.... Il ne fait que +dormir.... On ne l'entend jamais....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Je vais le mettre dans ma cage.... Tiens, où est-elle, ma +cage?... Ah! c'est vrai, je l'ai oubliée derrière le gros +arbre.... [Il court à l'arbre, rapporte la cage et y enferme le +merle.] Alors, vrai, vous me le donnez pour de vrai?... C'est la +Fée qui sera contente!... Et la Lumière donc!...</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Tu sais, je n'en réponds pas, de l'oiseau.... Je crains bien +qu'il ne puisse plus s'habituer à la vie agitée de là -haut, et +qu'il ne revienne ici par le premier bon vent.... Enfin, on verra +bien.... Laisse-le là , pour l'instant, et viens donc voir la +vache....</p> + +<p>TYLTYL, [remarquant les ruches.]</p> + +<p>Et les abeilles, dis, comment vont-elles?...</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Mais elles ne vont pas mal.... Elles ne vivent plus non plus, +comme vous dites là -bas; mais elles travaillent ferme....</p> + +<p>TYLTYL, [s'approchant des ruches.]</p> + +<p>Oh oui!... Ça sent le miel!... Les ruches doivent être +lourdes!... Toutes les fleurs sont si belles!... Et mes petites +sÅ“urs qui sont mortes, sont-elles ici aussi?...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Et mes trois petits frères qu'on avait enterrés, où sont-ils?...</p> + +<blockquote><p>[A ces mots, sept petits enfants de tailles inégales, en +flûte de Pan, sortent un à un de la maison.] </p></blockquote> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Les voici, les voici!... Aussitôt qu'on y pense, aussitôt qu'on +en parle, ils sont là , les gaillards!...</p> + +<blockquote><p>[Tyltyl et Mytyl courent au-devant des enfants. On se +bouscule, on s'embrasse, on danse, on tourbillonne, on +pousse des cris de joie.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tiens, Pierrot!... [Ils se prennent aux cheveux.] Ah! nous allons +nous battre encore comme dans le temps.... Et Robert!... Bonjour, +Jean!... Tu n'as plus ta toupie?... Madeleine et Pierrette, +Pauline et puis Riquette....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Oh! Riquette, Riquette!... Elle marche encore à quatre +pattes!...</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Oui, elle ne grandit plus....</p> + +<p>TYLTYL, [remarquant le petit Chien qui jappe autour d'eux.]</p> + +<p>Voilà Kiki dont j'ai coupé la queue avec les ciseaux de +Pauline.... Il n'a pas changé non plus....</p> + +<p>GRAND PAPA TYL, [sentencieux.]</p> + +<p>Non, rien ne change ici....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et Pauline a toujours son bouton sur le nez!...</p> + +<p>GRAND MAMAN TYL</p> + +<p>Oui, il ne s'en va pas; il n'y a rien à faire....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oh! qu'ils ont bonne mine, qu'ils sont gras et luisants!... +Qu'ils ont de belles joues!... Ils ont l'air bien nourris....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Ils se portent bien mieux depuis qu'ils ne vivent plus.... Il +n'y a plus rien à craindre, on n'est jamais malade, on n'a plus +d'inquiétudes....</p> + +<blockquote><p>[Dans la maison, l'horloge sonne huit heures.] </p></blockquote> + +<p>GRAND'MAMAN TYL, [stupéfaite.]</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est?...</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Ma foi, je ne sais pas.... Ce doit être l'horloge....</p> + +<p>GRAND-MAMAN TYL</p> + +<p>Ce n'est pas possible.... Elle ne sonne jamais....</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Parce que nous ne pensons plus à l'heure.... Quelqu'un a-t-il +pensé à l'heure?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui, c'est moi.... Quelle heure est-il?...</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Ma foi, je ne sais plus.... J'ai perdu l'habitude.... Elle a +sonné huit coups, ce doit être ce que? là -haut, ils appellent +huit heures.</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>La Lumière m'attend à neuf heures moins le quart.... C'est à +cause de la Fée.... C'est extrêmement important.... Je me +sauve....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Vous n'allez pas nous quitter ainsi au moment du souper!... Vite, +vite, dressons la table devant la porte.... J'ai justement une +excellente soupe aux choux et une belle tarte aux prunes....</p> + +<blockquote><p>[On sort la table, on la dresse devant la porte, on apporte +les plats, les assiettes, etc.... Tous y aident.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ma foi, puisque j'ai l'Oiseau-Bleu.... Et puis la soupe aux +choux, il y a si longtemps!... Depuis que je voyage.... On n'a +pas ça dans les hôtels....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Voilà !... C'est déjà fait.... A table, les enfants.... Si vous +êtes pressés, ne perdons pas de temps....</p> + +<blockquote><p>[On a allumé la lampe et servi la soupe. Les grands-parents +et les enfants s'assoient autour du repas du soir, parmi des +bousculades, des bourrades, des cris et des rires de joie.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL, [mangeant gloutonnement.]</p> + +<p>Qu'elle est bonne!... Mon Dieu, qu'elle est donc bonne!... J'en +veux encore! encore!</p> + +<blockquote><p>[Il brandit sa cuiller de bois et en frappe bruyamment son +assiette.] </p></blockquote> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Voyons, voyons, un peu de calme.... Tu es toujours aussi mal +élevé; et tu vas casser ton assiette....</p> + +<p>TYLTYL, [se dressant à demi sur son escabelle.]</p> + +<p>J'en veux encore, encore!...</p> + +<blockquote><p>[Il atteint et attire à soi la soupière qui se renverse et +se répand sur la table, et de là sur les genoux des +convives. Cris et hurlements d'échaudés.] </p></blockquote> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Tu vois!... Je te l'avais bien dit....</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL, [donnant à Tyltyl une gifle retentissante.]</p> + +<p>Voilà pour toi!...</p> + +<p>TYLTYL, [un instant déconcerté, mettant ensuite la main sur la +joue, avec ravissement.]</p> + +<p>Oh! oui, c'était comme ça, les claques que tu donnais quand tu +étais vivant.... Bon-papa, qu'elle est bonne et que ça fait du +bien!... Il faut que je t'embrasse!...</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Bon, bon; il y en a encore si ça te fait plaisir....</p> + +<blockquote><p>[La demie de huit heures sonne à l'horloge.]</p></blockquote> + +<p>TYLTYL, [sursautant.]</p> + +<p>Huit heures et demie!... [il jette sa cuiller.] Mytyl, nous +n'avons que le temps!...</p> + +<p>GRAND-MAMAN TYL</p> + +<p>Voyons!... Encore quelques minutes!... Le feu n'est pas à la +maison.... On se voit si rarement....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Non, ce n'est pas possible.... La Lumière est si bonne.... Et je +lui ai promis.... Allons, Mytyl, allons!...</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Dieu, que les Vivants sont donc contrariants avec toutes leurs +affaires et leurs agitations!...</p> + +<p>TYLTYL, [prenant sa cage et embrassant tout le monde en hâte et à +la ronde.]</p> + +<p>Adieu, Bon-papa.... Adieu, Bonne-maman.... Adieu, frères, +sÅ“urs, Pierrot, Robert, Pauline, Madeleine, Riquette, et toi +aussi, Kiki! Je sens bien que nous ne pouvons plus rester ici.... +Ne pleure pas, Bonne-maman, nous reviendrons souvent....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>Revenez tous les jours!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui, oui! nous reviendrons le plus souvent possible....</p> + +<p>GRAND'MAMAN TYL</p> + +<p>C'est notre seule joie, et c'est une telle fête quand votre +pensée nous visite!...</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL</p> + +<p>Nous n'avons pas d'autres distractions....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Vite, vite!... Ma cage!... Mon oiseau!...</p> + +<p>GRAND-PAPA TYL, lui passant la cage.</p> + +<p>Les voici!... Tu sais, je ne garantis rien; et s'il n'est pas bon +teint!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Adieu! adieu!...</p> + +<p>LES FRÈRES ET SÅ’URS TYL</p> + +<p>Adieu, Tyltyl!... Adieu, Mytyl!... Pensez au sucre d'orge!... +Adieu!... Revenez!... Revenez!...</p> + +<blockquote><p>[Tous agitent des mouchoirs tandis que Tyltyl et Mytyl +s'éloignent lentement. Mais déjà , durant les dernières +répliques, le brouillard du début s'est graduellement +reformé, et le son des voix s'est affaibli, de manière qu'à +la fin de la scène, tout a disparu dans la brume et qu'au +moment où le rideau baisse, Tyltyl et Mytyl se retrouvent +seuls visibles sous le gros chêne.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est par ici, Mytyl....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Où est la Lumière?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Je ne sais pas.... [Regardant l'oiseau dans la cage.] Tiens! +l'oiseau n'est plus bleu!... Il est devenu noir!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Donne-moi la main, petit frère.... J'ai bien peur et bien +froid....</p> + +<p>RIDEAU</p> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="ACTE_TROISIEME" id="ACTE_TROISIEME"></a>ACTE TROISIÈME</h3> + + + +<hr style="width: 45%;" /> +<h3><a name="QUATRIEME_TABLEAU" id="QUATRIEME_TABLEAU"></a>QUATRIÈME TABLEAU</h3> + +<h4>LE PALAIS DE LA NUIT</h4> + + +<p>Une vaste et prodigieuse salle d'une magnificence austère, +rigide, métallique et sépulcrale, donnant l'impression d'un +temple grec ou égyptien, dont les colonnes, les architraves, les +dalles, les ornements seraient de marbre noir, d'or et d'ébène. +La salle est en forme de trapèze. Des degrés de basalte, qui +occupent presque toute sa largeur, la divisent en trois plans +successifs qui s'élèvent graduellement vers le fond. A droite et +à gauche, entre les colonnes, des portes de bronze sombre. Au +fond, porte d'airain monumentale. Une lumière diffuse qui semble +émaner de l'éclat même du marbre et de l'ébène éclaire seule le +palais.</p> + +<hr style="width: 45%;" /> + +<blockquote><p>[Au lever du rideau, la Nuit, sous la figure d'une très +belle femme, couverte de longs vêtements noirs, est assise +sur les marches du second plan, entre deux enfants, dont +l'un, presque nu, comme l'Amour, sourit dans un profond +sommeil, tandis que l'autre se tient debout, immobile et +voilé des pieds à la tête.—Entre, à droite, au premier +plan, la Chatte.] </p></blockquote> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Qui va là ?...</p> + +<p>LA CHATTE, [se laissant choir avec accablement sur les degrés de +marbre.]</p> + +<p>C'est moi, mère la Nuit.... Je n'en peux plus....</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Qu'as-tu donc, mon enfant?... Tu es pâle, amaigrie et te voilà +crottée jusqu'aux moustaches.... Tu t'es encore battue dans les +gouttières, sous la neige et la pluie?...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Il est bien question de gouttières!... C'est de notre secret +qu'il s'agit!... C'est, le commencement de la fin!... J'ai pu +m'échapper un instant pour vous prévenir; mais je crains bien +qu'il n'y ait rien à faire....</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Quoi?... Qu'est-il donc arrivé?...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Je vous ai déjà parlé du petit Tyltyl, le fils du bûcheron, et du +Diamant merveilleux.... Eh bien, il vient ici pour vous réclamer +l'Oiseau-Bleu....</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Il ne le tient pas encore....</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Il le tiendra bientôt, si nous ne faisons pas quelque miracle.... +Voici ce qui se passe: la Lumière qui le guide et qui nous trahit +tous, car elle s'est mise entièrement du parti de l'Homme, la +Lumière vient d'apprendre que l'Oiseau-Bleu, le vrai, le seul qui +puisse vivre à la clarté du jour, se cache ici, parmi les oiseaux +bleus des songes qui se nourrissent des rayons de lune et meurent +dès qu'ils voient le soleil.... Elle sait qu'il lui est interdit +de franchir le seuil de votre palais; mais elle y envoie les +enfants; et comme vous ne pouvez pas empêcher l'Homme d'ouvrir +les portes de vos secrets, je ne sais trop comment tout cela +finira.... En tout cas, s'ils avaient le malheur de mettre la +main sur le véritable Oiseau-Bleu, nous n'aurions plus qu'à +disparaître....</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Seigneur, Seigneur!... En quels temps vivons-nous! Je n'ai plus +une minute de repos.... Je ne comprends plus l'Homme, depuis +quelques années.... Où veut-il en venir?... Il faut donc qu'il +sache tout?... Il a déjà saisi le tiers de mes Mystères, toutes +mes Terreurs ont peur et n'osent plus sortir, mes Fantômes sont +en fuite, la plupart de mes Maladies ne se portent pas bien....</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Je sais, ma mère la Nuit, je sais, les temps sont durs, et nous +sommes presque seules à lutter contre l'Homme.... Mais je les +entends qui s'approchent.... Je ne vois qu'un moyen: comme ce +sont des enfants, il faut leur faire une telle peur qu'ils +n'oseront pas insister ni ouvrir la grande porte du fond, +derrière laquelle se trouvent les oiseaux de la Lune.... Les +secrets des autres cavernes suffiront à détourner leur attention +ou à les terrifier....</p> + +<p>LA NUIT, [prêtant l'oreille à un bruit du dehors.]</p> + +<p>Qu'est-ce que j'entends?... Ils sont donc plusieurs?</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Ce n'est rien; ce sont nos amis: le Pain et le Sucre; l'Eau est +indisposée et le Feu n'a pu venir, parce qu'il est parent de la +Lumière.... Il n'y a que le Chien qui ne soit pas pour nous; mais +il n'y a jamais moyen de l'écarter....</p> + +<blockquote><p>[Entrent timidement, à droite, au premier plan, Tyltyl, +Mytyl, le Pain, le Sucre et le Chien.] </p></blockquote> + +<p>LA CHATTE, [se précipitant au-devant de Tyltyl.]</p> + +<p>Par ici, par ici, mon petit maître.... J'ai prévenu la Nuit qui +est enchantée de vous recevoir.... Il faut l'excuser, elle est un +peu souffrante; c'est pourquoi elle n'a pu aller au-devant de +vous....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Bonjour, madame la Nuit....</p> + +<p>LA NUIT, [froissée.]</p> + +<p>Bonjour? Je ne connais pas ça.... Tu pourrais bien me dire: bonne +nuit, ou tout au moins: bonsoir....</p> + +<p>TYLTYL, [mortifié.]</p> + +<p>Pardon, madame.... Je ne savais pas.... [Montrant du doigt les +deux enfants.] Ce sont vos deux petits garçons?... Ils sont bien +gentils....</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Oui, voici le Sommeil....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Pourquoi qu'il est si gros?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>C'est parce qu'il dort bien....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et l'autre qui se cache?... Pourquoi qu'il se voile la figure?... +Est-ce qu'il est malade?... Comment c'est qu'il se nomme?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>C'est la sÅ“ur du Sommeil.... Il vaut mieux ne pas la +nommer....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Pourquoi?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Parce que c'est un nom qu'on n'aime pas à entendre.... Mais +parlons d'autre chose.... La Chatte vient de me dire que vous +venez ici pour chercher l'Oiseau-Bleu?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui, madame, si vous le permettez.... Voulez-vous me dire où il +est?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Je n'en sais rien, mon petit ami.... Tout ce que je puis +affirmer, c'est qu'il n'est pas ici.... Je ne l'ai jamais vu....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Si, si.... La Lumière m'a dit qu'il est ici; et elle sait ce +qu'elle dit, la Lumière.... Voulez-vous me remettre vos clefs?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Mais, mon petit ami, tu comprends bien que je ne puis donner +ainsi mes clefs au premier venu.... J'ai la garde de tous les +secrets de la Nature, j'en suis responsable et il m'est +absolument défendu de les livrer à qui que ce soit, surtout à un +enfant....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Vous n'avez pas le droit de les refuser à l'Homme qui les +demande.... je le sais....</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Qui te l'a dit?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>La Lumière....</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Encore la Lumière! et toujours la Lumière!... De quoi se +mêle-t-elle à la fin?...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Veux-tu que je les lui prenne de force, mon petit dieu?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tais-toi, tiens-toi tranquille et tâche d'être poli.... [A la +Nuit.] Voyons, madame, donnez-moi vos clefs, s'il vous plaît....</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>As-tu le signe, au moins?... Où est-il?...</p> + +<p>TYLTYL, [touchant son chapeau.]</p> + +<p>Voyez le Diamant....</p> + +<p>LA NUIT, [se résignant à l'inévitable.]</p> + +<p>Enfin.... Voici celle qui ouvre toutes les portes de la salle.... +Tant pis pour toi s'il t'arrive malheur.... Je ne réponds de +rien.</p> + +<p>LE PAIN, [fort inquiet.]</p> + +<p>Est-ce que c'est dangereux?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Dangereux?... C'est-à -dire que moi-même je ne sais trop comment +je pourrai m'en tirer, lorsque certaines de ces portes de bronze +s'ouvriront sur l'abîme.... Il y a là , tout autour de la salle, +dans chacune de ces cavernes de basalte, tous les maux, tous les +fléaux, toutes les maladies, toutes les épouvantes, toutes les +catastrophes, tous les mystères qui affligent la vie depuis le +commencement du monde.... J'ai eu assez de mal à les enfermer là +avec l'aide du Destin; et ce n'est pas sans peine, je vous +assure, que je maintiens un peu d'ordre parmi ces personnages +indisciplinés.... On voit ce qu'il arrive lorsque l'un d'eux +s'échappe et se montre sur terre....</p> + +<p>LE PAIX</p> + +<p>Mon grand âge, mon expérience et mon dévouement font de moi le +protecteur naturel de ces deux enfants; c'est pourquoi, madame la +Nuit, permettez-moi de vous poser une question....</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Faites....</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>En cas de danger, par où faut-il fuir?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Il n'y a pas moyen de fuir.</p> + +<p>TYLTYL, [prenant la clef et montant les premières marches.]</p> + +<p>Commençons par ici.... Qu'y a-t-il derrière cette porte de +bronze?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Je crois que ce sont les Fantômes.... Il y a bien longtemps que +je ne l'ai ouverte et qu'ils ne sont sortis....</p> + +<p>TYLTYL, mettant la clef dans la serrure.</p> + +<p>Je vais voir.... [Au Pain] Avez-vous la cage de l'Oiseau-Bleu?...</p> + +<p>LE PAIN, claquant des dénis.</p> + +<p>Ce n'est pas que j'aie peur, mais ne croyez-vous pas qu'il serait +préférable de ne pas ouvrir et de regarder par le trou de la +serrure?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Je ne vous demande pas votre avis....</p> + +<p>MYTYL, [se mettant à pleurer tout à coup.]</p> + +<p>J'ai peur!... Où est le Sucre?... Je veux rentrer à la +maison!...</p> + +<p>LE SUCRE, [empressé, obséquieux.]</p> + +<p>Ici, mademoiselle, je suis ici.... Ne pleurez pas, je vais couper +un de mes doigts pour vous offrir un sucre d'orge....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Finissons-en....</p> + +<blockquote><p>[Il tourne la clef et entr'ouvre prudemment la porte. +Aussitôt s'échappent cinq ou six Spectres de formes diverses +et étranges qui se répandent de tous cotés. Le Pain +épouvanté jette la cage et va se cacher au fond de la salle, +pendant que la Nuit, pourchassant les Spectres, crie à +Tyltyl:] </p></blockquote> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Vite! vite!... Ferme la porte!... Ils s'échapperaient tous et +nous ne pourrions plus les rattraper!... Ils s'ennuient +là -dedans, depuis que l'Homme ne les prend plus au sérieux.... +[Elle pourchasse les Spectres en s'efforçant, à l'aide d'un fouet +formé de serpents, de les ramener vers la porte de leur prison.]</p> + +<p>Aidez-moi!... Par ici!... Par ici!...</p> + +<p>TYLTYL, [au Chien.]</p> + +<p>Aide-la, Tylô, vas-y donc!...</p> + +<p>LE CHIEN, [bondissant en aboyant.]</p> + +<p>Oui! oui! oui!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et le Pain, où est-il?...</p> + +<p>LE PAIN, du fond de la salle.</p> + +<p>Ici.... Je suis près de la porte pour les empêcher de sortir....</p> + +<blockquote><p>[Comme un des Spectres s'avance de ce côté, il fuit à toutes +jambes, en poussant des hurlements d'épouvante.] </p></blockquote> + +<p>LA NUIT, [à trois Spectres qu'elle a pris au collet.]</p> + +<p>Par ici, vous autres!... [A Tyltyl.] Rouvre un peu la porte.... +[Elle pousse les Spectres dans la caverne.] Là , ça va bien.... +[Le Chien en ramène deux autres.] Et encore ceux-ci.... Voyons, +vite, rangez-vous.... Vous savez bien que vous ne sortez plus +qu'à la Toussaint.</p> + +<blockquote><p>[Elle referme la porte.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL, [allant à une autre porte.]</p> + +<p>Qu'y a-t-il derrière celle-ci?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>A quoi bon?... Je te l'ai déjà dit, l'Oiseau-Bleu n'est jamais +venu par ici.... Enfin, comme tu voudras.... Ouvre-la si ça te +fait plaisir.... Ce sont les Maladies....</p> + +<p>TYLTYL, [la clef dans la serrure.]</p> + +<p>Est-ce qu'il faut prendre garde en ouvrant?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Non, ce n'est pas la peine.... Elles sont bien tranquilles, les +pauvres petites.... Elles ne sont pas heureuses.... L'Homme, +depuis quelque temps, leur fait une telle guerre!... Surtout +depuis la découverte des microbes.... Ouvre donc, tu verras....</p> + +<blockquote><p>[Tyltyl ouvre la porte toute grande. Rien ne paraît.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Elles ne sortent pas?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Je t'avais prévenu, presque toutes sont souffrantes et bien +découragées.... Les médecins ne sont pas gentils pour elles.... +Entre donc un instant, tu verras....</p> + +<blockquote><p>[Tyltyl entre dans la caverne et ressort aussitôt après.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>L'Oiseau-Bleu n'y est pas.... Elles ont l'air bien malades, vos +Maladies.... Elles n'ont même pas levé la tête.... [Une petite +Maladie, en pantoufles, robe de chambre et bonnet de coton, +s'échappe de la caverne et se met à gambader dans la salle.] +Tiens!... Une petite qui s'évade!... Qu'est-ce que c'est?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Ce n'est rien, c'est la plus petite, c'est le Rhume de +cerveau.... C'est une de celles qu'on persécute le moins et qui +se portent le mieux.... [Appelant le Rhume de cerveau] Viens +ici, ma petite.... C'est trop tôt; il faut attendre le +printemps....</p> + +<blockquote><p>[Le Rhume de cerveau, éternuant, toussant et se mouchant, +rentre dans la caverne dont Tyltyl referme la porte.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL, [allant à la porte voisine.]</p> + +<p>Voyons donc celle-ci.... Qu'est-ce que c'est?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Prends garde.... Ce sont les Guerres.... Elles sont plus +terribles et plus puissantes que jamais.... Dieu sait ce qui +arriverait si l'une d'elles s'échappait!... Heureusement, elles +sont assez obèses et manquent d'agilité.... Mais tenons-nous +prêts à repousser la porte tous ensemble, pendant que tu jetteras +un rapide coup d'Å“il dans la caverne....</p> + +<blockquote><p>[Tyltyl, avec mille précautions, entrebâille la porte de +manière qu'il n'y ait qu'une petite fente où il puisse +appliquer l'Å“il. Aussitôt, il s'arc-boute en criant:] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Vite! vite!... Poussez donc!... Elles m'ont vu!... Elles viennent +toutes!... Elles ouvrent la porte!...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Allons, tous!... Poussez ferme!... Voyons, le Pain, que +faites-vous?... Poussez tous!... Elles ont une force!... Ah! +voilà ! Ça y est.... Elles cèdent.... Il était temps!... As-tu +vu?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui, oui!... Elles sont énormes, épouvantables!... Je crois +qu'elles n'ont pas l'Oiseau-Bleu....</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Bien sûr qu'elles ne l'ont point.... Elles le mangeraient tout de +suite.... Eh bien, en as-tu assez?... Tu vois bien qu'il n'y a +rien à faire....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Il faut que je voie tout.... La Lumière l'a dit....</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>La Lumière l'a dit.... C'est facile à dire quand on a peur et +qu'on reste chez soi....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Allons à la suivante.... Qu'est-ce?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Ici, j'enferme les Ténèbres et les Terreurs....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Est-ce qu'on peut ouvrir?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Parfaitement.... Elles sont assez tranquilles; c'est comme les +Maladies....</p> + +<p>TYLTYL, [entr'ouvrant la porte avec une certaine méfiance et +risquant un regard dans la caverne.]</p> + +<p>Elles n'y sont pas....</p> + +<p>LA NUIT, [regardant à son tour dans la caverne.]</p> + +<p>Eh bien, les Ténèbres, que faites-vous?... Sortez donc un +instant, ça vous fera du bien, ça vous dégourdira. Et les +Terreurs aussi.... Il n'y a rien à Craindre.... [Quelques +Ténèbres et quelques Terreurs, sous la figure de femmes +couvertes, les premières de voiles noirs, les dernières de voiles +verdâtres, risquent piteusement quelques pas hors de la caverne, +et, sur un geste qu'ébauche Tyltyl, rentrent précipitamment.] +Voyons, tenez-vous donc.... C'est un enfant, il ne vous fera pas +de mal.... [A Tyltyl]. Elles sont devenues extrêmement timides; +excepté les grandes, celles que tu vois au fond....</p> + +<p>TYLTYL, [regardant vers le fond de la caverne.]</p> + +<p>Oh! qu'elles sont effrayantes!...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Elles sont enchaînées.... Ce sont les seules qui n'aient pas peur +de l'Homme.... Mais referme la porte, de crainte qu'elles ne se +fâchent....</p> + +<p>TYLTYL, [allant à la porte suivante.]</p> + +<p>Tiens!... Celle-ci est plus sombre.... Qu'est-ce que c'est?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Il y a plusieurs Mystères derrière celle-ci.... Si tu y tiens +absolument, tu peux l'ouvrir aussi.... Mais n'entre pas.... Sois +bien prudent, et puis préparons-nous à repousser la porte, comme +nous avons fait pour les Guerres....</p> + +<p>TYLTYL, [entr'ouvrant avec des précautions inouïes, et passant +craintivement la tête dans l'entrebâillement.]</p> + +<p>Oh!... Quel froid!... Mes yeux cuisent!... Fermez vite!... +Poussez donc! On repousse!... [La Nuit, le Chien, la Chatte et le +Sucre repoussent la porte.] Oh! j'ai vu!...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Quoi donc?...</p> + +<p>TYLTYL, [bouleversé.]</p> + +<p>Je ne sais pas, c'était épouvantable!... Ils étaient tous assis +comme des monstres sans yeux.... Quel était le géant qui voulait +me saisir?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>C'est probablement le Silence; il a la garde de cette porte.... +Il paraît que c'était effrayant?... Tu en es encore tout pâle et +tout tremblant....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui, je n'aurais pas cru.... Je n'avais jamais vu.... Et j'ai les +mains gelées....</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Ce sera bien pis tout à l'heure si tu continues....</p> + +<p>TYLTYL, [allant à la porte suivante.]</p> + +<p>Et celle-ci?... Est-elle aussi terrible?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Non, il y a un peu de tout.... J'y mets les Étoiles sans emploi, +mes parfums personnels, quelques Lueurs qui m'appartiennent, tels +que feux-follets, vers luisants, lucioles; on y serre aussi la +Rosée, le Chant des Rossignols, etc..</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Justement, les Étoiles, le Chant des Rossignols.... Ce doit être +celle-là .</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Ouvre-donc si tu veux; tout cela n'est pas bien méchant....</p> + +<blockquote><p>[Tyltyl ouvre la porte toute grande. Aussitôt les Étoiles, +sous la forme de belles jeunes filles voilées de lueurs +versicolores, s'échappent de leur prison, se répandent dans +la salle et forment sur les marches et autour des colonnes +de gracieuses rondes baignées d'une sorte de lumineuse +pénombre. Les Parfums de la Nuit, presque invisibles, les +Feux-follets, les Lucioles, la Rosée transparente se +joignent à elles, cependant que le Chant des Rossignols, +sortant à flots de la caverne, inonde le palais nocturne.] </p></blockquote> + +<p>MYTYL, [ravie, battant des mains.]</p> + +<p>Oh! les jolies madames!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et qu'elles dansent bien!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Et qu'elles sentent bon!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et qu'elles chantent bien!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est, ceux-là , qu'on ne voit presque pas?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Ce sont les Parfums de mon ombre....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et les autres, là -bas, qui sont en verre filé?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>C'est la Rosée des forêts et des plaines.... Mais en voilà +assez.... Ils n'en finiraient pas.... C'est le diable de les +faire rentrer une fois qu'ils se sont mis à danser.... [Frappant +dans ses mains.] Allons, vite, les Étoiles!... Ce n'est pas le +moment de danser.... Le ciel est couvert, il y a de gros +nuages.... Allons, vite, rentrez tous, sinon j'irai chercher un +rayon de soleil....</p> + +<blockquote><p>[Fuite épouvantée des Étoiles, Parfums, etc...., qui se +précipitent dans la caverne que l'on referme sur eux. En +même temps s'éteint le Chant des Rossignols.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL, [allant à la porte du fond.]</p> + +<p>Voici la grande porte du milieu....</p> + +<p>LA NUIT, gravement.</p> + +<p>N'ouvre pas celle-ci....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Pourquoi?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Parce que c'est défendu....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est donc là que se cache l'Oiseau-Bleu; la Lumière me l'a +dit....</p> + +<p>LA NUIT, [maternelle.]</p> + +<p>Écoute-moi, mon enfant.... J'ai été bonne et complaisante.... +J'ai fait pour toi ce que je n'avais fait jusqu'ici pour +personne.... Je t'ai livré tous mes secrets.... Je t'aime bien, +j'ai pitié de ta jeunesse et de ton innocence et je te parle +comme une mère.... Écoute-moi et crois-moi, mon enfant, renonce, +ne va point plus avant, ne tente pas le Destin, n'ouvre pas cette +porte....</p> + +<p>TYLTYL, [assez ébranlé.]</p> + +<p>Mais pourquoi?...</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Parce que je ne veux pas que tu te perdes.... Parce que nul de +ceux, entends-tu, nul de ceux qui l'ont entr'ouverte, ne fût-ce +que de l'épaisseur d'un cheveu, n'est revenu vivant à la lumière +du jour.... Parce que tout ce qu'on peut imaginer d'épouvantable, +parce que toutes les terreurs, toutes les horreurs dont on parle +sur terre, ne sont rien, comparées à la plus innocente de celles +qui assaillent un homme dès que son Å“il effleure les premières +menaces de l'abîme auquel personne n'ose donner un nom.... C'est +au point que moi-même, si tu t'obstines, malgré tout, à toucher +cette porte, je te demanderai d'attendre que je sois à l'abri +dans ma tour sans fenêtres.... Maintenant c'est à toi de savoir, +à toi de réfléchir....</p> + +<blockquote><p>[Mytyl, tout en larmes, pousse des cris de terreur +inarticulés et cherche à entraîner Tyltyl.] </p></blockquote> + +<p>LE PAIN, [claquant des dents.]</p> + +<p>Ne le faites pas, mon petit maître!... [Se jetant à genoux.] Ayez +pitié de nous!... Je vous le demande à genoux.... Vous voyez que +la Nuit a raison....</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>C'est notre vie à tous que vous sacrifiez....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Je dois l'ouvrir....</p> + +<p>MYTYL, [trépignant parmi des sanglots.]</p> + +<p>Je ne veux pas!... Je ne veux pas!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Que le Sucre et le Pain prennent Mytyl par la main et se sauvent +avec elle.... Je vais ouvrir....</p> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Sauve qui peut!... Venez vite!... Il est temps!...</p> + +<blockquote><p>[Elle fuit.]</p></blockquote> + +<p>LE PAIN, [fuyant éperdument.]</p> + +<p>Attendez au moins que nous soyons au bout de la salle!...</p> + +<p>LA CHATTE, [fuyant également.]</p> + +<p>Attendez!... attendez!...</p> + +<p>Ils se cachent derrière les colonnes à l'autre bout de la salle. +Tyltyl reste seul avec le Chien, près de la porte monumentale.</p> + +<p>LE CHIEN, [haletant et hoquetant d'épouvante contenue.]</p> + +<p>Moi, je reste, je reste.... Je n'ai pas peur.... Je reste!... Je +reste près de mon petit dieu.... Je reste!... Je reste....</p> + +<p>TYLTYL, [caressant le Chien.]</p> + +<p>C'est bien, Tylô, c'est bien!... Embrasse-moi.... Nous sommes +deux.... Maintenant gare à nous!... [Il met la clef dans la +serrure. Un cri d'épouvante part de l'autre bout de la salle où +se sont réfugiés les fuyards. A peine la clef a-t-elle touché la +porte que les hauts ballants de celle-ci s'ouvrent par le milieu, +glissent latéralement et disparaissent, à droite et à gauche, +dans l'épaisseur des murs, découvrant tout à coup, irréel, +infini, ineffable, le plus inattendu des jardins de rêve et de +lumière nocturne, où, parmi les étoiles et les planètes, +illuminant tout ce qu'ils touchent, volant sans cesse de +pierreries en pierreries, de rayons de lune en rayons de lune, de +féeriques oiseaux bleus évoluent perpétuellement et +harmonieusement jusqu'aux confins de l'horizon, innombrables au +point qu'ils semblent être le souffle, l'atmosphère azurée, la +substance même du jardin merveilleux.—Tyltyl, ébloui, éperdu, +debout dans la lumière du jardin:] Oh!... le ciel!... [Se +tournant vers ceux qui oui fui.] Venez vite!... Ils sont là !... +C'est eux! c'est eux! c'est eux!...Nous les tenons enfin!... Des +milliers d'oiseaux bleus! Des millions!... Des milliards!... Il y +en aura trop!... Viens, Mytyl!... Viens, Tylô!... Venez tous!... +Aidez-moi!... [S'élançant parmi les oiseaux.] On les prend à +pleines mains!... Ils ne sont pas farouches!... Ils n'ont pas +peur de nous!... Par ici! par ici!... [Mytyl et les autres +accourent. Ils entrent tous dans le jardin éblouissant, hormis la +Nuit et la Chatte.] Vous voyez!... Ils sont trop!... Ils viennent +dans mes mains!... Regardez donc, ils mangent les rayons de la +lune!... Mytyl, où donc es-tu?... Il y a tant d'ailes bleues, +tant de plumes qui tombent qu'on n'y voit plus du tout!... Tylô! +ne les mord pas.... Ne leur fais pas de mal!... Prends-les très +doucement!</p> + +<p>MYTYL, [enveloppée d'oiseaux bleus.]</p> + +<p>J'en ai déjà pris sept!... Oh! qu'ils battent des ailes!... Je ne +puis les tenir!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Moi non plus!... J'en ai trop!... Ils s'échappent!... Ils +reviennent!... Tylô en a aussi!... Ils vont nous entraîner!... +nous porter dans le ciel!... Viens, sortons par ici!... La +Lumière nous attend!... Elle sera contente!... Par ici, par +ici!...</p> + +<blockquote><p>[Ils s'évadent du jardin, les mains pleines d'oiseaux qui se +débattent, et, traversant toute la salle parmi l'affolement +des ailes azurées, sortent à droite, par où ils sont entrés, +suivis du Pain et du Sucre qui n'ont pas pris d'oiseaux. +—Restés seuls, la Nuit et la Chatte remontent vers le fond +et regardent anxieusement dans le jardin.] </p></blockquote> + +<p>LA NUIT</p> + +<p>Ils ne l'ont pas?...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Non.... Je le vois là sur ce rayon de lune.... Ils n'ont pas pu +l'atteindre, il se tenait trop haut....</p> + +<blockquote><p>[Le rideau tombe. Aussitôt après, devant le rideau tombé, +entrent simultanément, à gauche la Lumière, à droite Tyltyl, +Mytyl et le Chien, accourant tout couverts des oiseaux +qu'ils viennent de capturer. Mais déjà ceux-ci paraissent +inanimés et, la tête pendante et les ailes brisées, ne sont +plus dans leurs mains que d'inertes dépouilles.] </p></blockquote> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Eh bien, l'avez-vous-pris?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui, oui!... Tant qu'on voulait.... Il y en a des milliers!... +Les voici!... Les vois-tu!... [Regardant les oiseaux qu'il tend +vers la Lumière et s'apercevant qu'ils sont morts.] Tiens!... Ils +ne vivent plus.... Qu'est-ce qu'on leur a fait?... Les tiens +aussi, Mytyl?... Ceux de Tylô aussi. [Jetant avec colère les +cadavres d'oiseaux.] Ah! non, c'est trop vilain!... Qui est-ce +qui les a tués?... Je suis trop malheureux!...</p> + +<blockquote><p>[Il se cache la tête sous le bras et paraît tout secoué de +sanglots.] </p></blockquote> + +<p>LA LUMIÈRE, [le serrant maternellement dans ses bras.]</p> + +<p>Ne pleure pas, mon enfant.... Tu n'as pas pris celui qui peut +vivre en plein jour.... Il est allé ailleurs.... Nous le +retrouverons....</p> + +<p>LE CHIEN, [regardant les oiseaux morts.]</p> + +<p>Est-ce qu'on peut les manger?...</p> + +<blockquote><p>[Ils sortent tous à gauche.] </p></blockquote> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="CINQUIEME_TABLEAU" id="CINQUIEME_TABLEAU"></a>CINQUIÈME TABLEAU</h3> + +<h4>LA FORÊT</h4> + + +<p>Une forêt.—Il fait nuit.—Clair de lune.—Vieux arbres de +diverses espèces, notamment: un chêne, un hêtre, un orme, un +peuplier, un sapin, un cyprès, un tilleur, un marronnier, etc.</p> + +<hr style="width: 45%;" /> + +<blockquote><p>[Entre la Chatte.] </p></blockquote> + +<p>LA CHATTE, [saluant les arbres à la ronde.]</p> + +<p>Salut à tous les arbres!...</p> + +<p>MURMURE DES FEUILLAGES</p> + +<p>Salut!...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>C'est un grand jour que ce jour-ci!... Notre ennemi vient +délivrer vos énergies et se livrer lui-même.... C'est Tyltyl, le +fils du bûcheron qui vous a fait tant de mal.... Il cherche +l'Oiseau-Bleu que vous cachez à l'Homme depuis le commencement du +monde, et qui sait seul notre secret.... [Murmure dans les +feuilles.] Vous dites?... Ah! c'est le Peuplier qui parle.... +Oui, il possède un Diamant qui a la vertu de délivrer un instant +nos esprits; il peut nous forcer à livrer l'Oiseau-Bleu, et nous +serons dès lors, définitivement, à la merci de l'Homme.... +[Murmure dans les feuilles.] Qui parle?... Tiens! c'est le +Chêne.... Comment allez-vous?... [Murmure dans les feuilles du +Chêne.] Toujours enrhumé?... La Réglisse ne vous soigne plus?... +Toujours les rhumatismes?... Croyez-moi, c'est à cause de la +mousse; vous en mettez trop sur vos pieds.... L'Oiseau-Bleu est +toujours chez vous?... [Murmures dans les feuilles du Chêne.] +Vous dites?... Oui, il n'y a pas à hésiter, il faut en profiter, +il faut qu'il disparaisse.... [Murmure dans les feuilles.] +Plaît-il?... Oui, il est avec sa petite sÅ“ur; il faut qu'elle +meure aussi.... [Murmure dans les feuilles.] Oui, le Chien les +accompagne; il n'y a pas moyen de l'éloigner.... [Murmure dans +les feuilles.] Vous dites?... Le corrompre?... Impossible.... +J'ai essayé de tout.... [Murmures parmi les feuilles.] Ah! c'est +toi, le Sapin?... Oui, prépare quatre planches.... Oui, il y a +encore le Feu, le Sucre, l'Eau, le Pain.... Ils sont tous avec +nous, excepté le Pain qui est assez douteux.... Seule la Lumière +est favorable à l'Homme; mais elle ne viendra pas.... J'ai fait +croire aux petits qu'ils devaient s'échapper en cachette pendant +qu'elle dormait.... L'occasion est unique.... [Murmure dans les +feuilles.] Tiens! c'est la voix du Hêtre!... Oui, vous avez +raison; il faut que l'on prévienne les Animaux.... Le Lapin +a-t-il son tambour?... Il est chez vous?... Bien, qu'il batte le +rappel, tout de suite.... Les voici!...</p> + +<blockquote><p>[On entend s'éloigner les roulements de tambour du +Lapin.—Entrent Tyltyl, Mytyl et le Chien.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est ici?...</p> + +<p>LA CHATTE, [obséquieuse, doucereuse, empressé se précipitant +au-devant des enfants.]</p> + +<p>Ah! voilà , mon petit maître!... Que vous avez bonne mine et que +vous êtes joli, ce soir!... Je vous ai précédé pour annoncer +votre arrivée.... Tout va bien. Cette fois nous tenons +l'Oiseau-Bleu, j'en suis sûre.... Je viens d'envoyer le Lapin +battre le rappel afin de convoquer les principaux Animaux du +pays.... On les entend déjà dans le feuillage.... Écoutez!... Ils +sont un peu timides et n'osent approcher.... [Bruits d'animaux +divers, tels que vaches, porcs, chevaux, ânes, etc.—Bas à +Tyltyl, le prenant à part.] Mais pourquoi avez-vous amené le +Chien?... Je vous l'ai déjà dit, il est au plus mal avec tout le +monde, même avec les arbres.... Je crains bien que sa présence +odieuse ne fasse tout manquer....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Je n'ai pu m'en débarasser.... [Au Chien, la menaçant] Veux-tu +bien t'en aller, vilaine bête!...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Qui?... Moi!... Pourquoi?... Qu'est-ce que j'ai fait?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Je te dis de t'en aller!... On n'a que faire de toi, c'est bien +simple.... Tu nous embêtes à la fin!...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Je ne dirai rien.... Je suivrai de loin.... On ne me verra +pas.... Veux-tu que je fasse le beau?...</p> + +<p>LA CHATTE, [bas, à Tyltyl.]</p> + +<p>Vous tolérez pareille désobéissance?... Donnez-lui donc quelques +coups de bâton sur le nez, il est vraiment insupportable!...</p> + +<p>TYLTYL, [battant le Chien.]</p> + +<p>Voilà qui t'apprendra à obéir plus vite!...</p> + +<p>LE CHIEN, [hurlant.]</p> + +<p>Aïe! Aïe! Aïe!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'en dis-tu?...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Il faut que je t'embrasse puisque tu m'as battu!...</p> + +<p>[Il embrasse et caresse violemment Tyltyl.]</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Voyons.... C'est, bien.... Ça suffit.... Va-t'en!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Non, non; je veux qu'il reste.... J'ai peur de tout quand il +n'est pas là ....</p> + +<p>LE CHIEN, [bondissant et renversant presque Mytyl, qu'il accable +de caresses précipitées et enthousiastes.]</p> + +<p>Oh! la bonne petite fille!... Qu'elle est belle! Qu'elle est +bonne!... Qu'elle est belle, qu'elle est douce!... Il faut que je +l'embrasse! Encore! encore! encore!...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Quel idiot!... Ma foi, nous verrons bien.... Ne perdons pas de +temps.... Tournez le Diamant....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Où faut-il me placer?</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Dans ce rayon de lune; vous y verrez plus clair.... Là ! tournez +doucement....</p> + +<blockquote><p>[Tyltyl tourne le Diamant; aussitôt, un long frémissement +agite les branches et les feuilles. Les troncs les plus +anciens et les plus imposants s'entr'ouvrent pour livrer +passage à l'âme que chacun d'eux renferme. L'aspect de ces +âmes diffère suivant l'aspect et le caractère de l'arbre +qu'elles représentent. Celle de l'Orme, par exemple, est une +sorte de gnome poussif, ventru, bourru; celle du Tilleul est +placide, familière, joviale: celle du Hêtre, élégante et +agile; celle du Bouleau, blanche, réservée, inquiète; celle +du Saule, rabougrie, échevelée, plaintive; celle du Sapin, +longue, efflanquée, taciturne; celle du Cyprès, tragique; +celle du Marronnier, prétentieuse, un peu snob; celle du +Peuplier, allègre, encombrante, bavarde. Les unes sortent +lentement de leur tronc, engourdies, s'étirant, comme après +une captivité ou un sommeil séculaire, les autres s'en +dégagent d'un bond, alertes, empressées, et toutes viennent +se ranger autour des deux enfants, tout en se tenant autant +que possible à proximité de l'arbre dont elles sont nées.] </p></blockquote> + +<p>LE PEUPLIER, [accourant le premier et criant à tue-tête.]</p> + +<p>Des Hommes!... De petits Hommes!... On pourra leur parler!... +C'est fini le Silence!... C'est fini!... D'où viennent-ils?... +Qui est-ce?... Qui sont-ils?... [Au Tilleul qui s'avance en +fumant tranquillement sa pipe.] Les connais-tu, toi, père +Tilleul?...</p> + +<p>LE TILLEUL</p> + +<p>Je ne me rappelle pas les avoir vus....</p> + +<p>LE PEUPLIER</p> + +<p>Mais si, voyons, mais si!... Tu connais tous les Hommes, tu es +toujours à te promener autour de leurs maisons....</p> + +<p>LE TILLEUL, [examinant les enfants.]</p> + +<p>Mais non, je vous assure.... Je ne les connais pas.... Ils sont +encore trop jeunes.... Je ne connais bien que les amoureux qui +viennent me voir au clair de lune; ou les buveurs de bière qui +trinquent sous mes branches....</p> + +<p>LE MARRONNIER, [pincé, ajustant son monocle.]</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est que ça?... C'est des pauvres de la +campagne?...</p> + +<p>LE PEUPLIER</p> + +<p>Oh! vous, monsieur le Marronnier, depuis que vous ne fréquentez +plus que les boulevards des grandes villes....</p> + +<p>LE SAULE, [s'avançant en sabots et geignard.]</p> + +<p>Mon Dieu, mon Dieu!... Ils viennent encore me couper la tête et +les bras pour en faire des fagots!...</p> + +<p>LE PEUPLIER</p> + +<p>Silence!... Voici le Chêne qui sort de son palais!... Il a l'air +bien souffrant ce soir.... Ne trouvez-vous pas qu'il +vieillit?... Quel âge peut-il avoir?... Le Sapin dit qu'il a +quatre mille ans; mais je suis sûre qu'il exagère.... Attention, +il va nous dire ce que c'est....</p> + +<blockquote><p>[Le Chêne s'avance lentement. Il est fabuleusement vieux, +couronné de gui et vêtu d'une longue robe verte brodée de +mousse et de lichen. Il est aveugle, sa barbe blanche flotte +au vent. Il s'appuie d'une main sur un bâton noueux et de +l'autre sur un jeune Chêneau qui lui sert de guide. +L'Oiseau-Bleu est perché sur son épaule. À son approche, +mouvement de respect parmi les arbres qui se rangent et +s'inclinent.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Il a l'Oiseau-Bleu!... Vite! vite!... Par ici!... +Donnez-le-moi!...</p> + +<p>LES ARBRES</p> + +<p>Silence!...</p> + +<p>LA CHATTE, [à Tyltyl.]</p> + +<p>Découvrez-vous, c'est le Chêne!...</p> + +<p>LE CHÊNE, [à Tyltyl.]</p> + +<p>Qui es-tu?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tyltyl, monsieur.... Quand est-ce que je pourrai prendre +l'Oiseau-Bleu?...</p> + +<p>LE CHÊNE</p> + +<p>Tyltyl, le fils du bûcheron?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui, monsieur....</p> + +<p>LE CHÊNE</p> + +<p>Ton père nous a fait bien du mal.... Dans ma seule famille il a +mis à mort six cents de mes fils, quatre cent soixante-quinze +oncles et tantes, douze cents cousins et cousines, trois cent +quatre-vingts brus et douze mille arrière-petits-fils!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Je ne sais pas, monsieur.... Il ne l'a pas fait exprès....</p> + +<p>LE CHÊNE</p> + +<p>Que viens-tu faire ici, et pourquoi as-tu fait sortir nos âmes de +leurs demeures?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Monsieur, je vous demande pardon de vous avoir dérangé.... C'est +la Chatte qui m'a dit que vous alliez nous dire où se trouve +l'Oiseau-Bleu....</p> + +<p>LE CHÊNE</p> + +<p>Oui, je sais, tu cherches l'Oiseau-Bleu, c'est-à -dire le grand +secret des choses et du bonheur, pour que les Hommes rendent plus +dur encore notre esclavage....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais non, monsieur; c'est pour la petite fille de la Fée Bérylune +qui est très malade....</p> + +<p>LE CHÊNE, lui imposant silence.</p> + +<p>Il suffit!... Je n'entends pas les Animaux.... Où sont-ils?... +Tout ceci les intéresse autant que nous.... Il ne faut pas que +nous, les Arbres, assumions seuls la responsabilité des mesures +graves qui s'imposent.... Le jour où les Hommes apprendront que +nous avons fait ce que nous allons faire, il y aura d'horribles +représailles.... Il convient donc que notre accord soit unanime, +pour que notre silence le soit également....</p> + +<p>LE SAPIN, [regardant par-dessus les autres arbres.]</p> + +<p>Les Animaux arrivent.... Ils suivent le Lapin.... Voici l'âme du +Cheval, du Taureau, du BÅ“uf, de la Vache, du Loup, du Mouton, +du Porc, du Coq, de la Chèvre, de l'Âne et de l'Ours....</p> + +<blockquote><p>[Entrée successive des âmes des Animaux qui, à mesure que +les énumère le Sapin, s'avancent et vont s'asseoir entre les +arbres, à l'exception de l'âme de la Chèvre qui vagabonde çà +et là , et de celle du Porc qui fouille les racines.] </p></blockquote> + +<p>LE CHÊNE</p> + +<p>Tous sont-ils ici présents?...</p> + +<p>LE LAPIN</p> + +<p>La Poule ne pouvait pas abandonner ses Å“ufs, le Lièvre faisait +des courses, le Cerf a mal aux cornes, le Renard est +souffrant,—voici le certificat du médecin,—l'Oie n'a pas +compris et le Dindon s'est mis en colère....</p> + +<p>LE CHÊNE</p> + +<p>Ces abstentions sont extrêmement regrettables.... Néanmoins, nous +sommes en nombre suffisant.... Vous savez, mes frères, de quoi +il est question. L'enfant que voici, grâce à un talisman dérobé +aux puissances de la Terre, peut s'emparer de notre Oiseau-Bleu, +et nous arracher ainsi le secret que nous gardons depuis +l'origine de la Vie.... Or, nous connaissons assez l'Homme pour +n'avoir aucun doute sur le sort qu'il nous réserve lorsqu'il se +trouvera en possession de ce secret. C'est pourquoi il me semble +que toute hésitation serait aussi stupide que criminelle.... +L'heure est grave; il faut que l'enfant disparaisse avant qu'il +soit trop tard....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Que dit-il?...</p> + +<p>LE CHIEN, [rôdant autour du Chêne en montrant ses crocs.]</p> + +<p>As-tu vu mes dents, vieux perclus?...</p> + +<p>LE HÊTRE, [indigné.]</p> + +<p>Il insulte le Chêne!...</p> + +<p>LE CHÊNE</p> + +<p>C'est le Chien?... Qu'on l'expulse! Il ne faut pas que nous +tolérions un traître parmi nous!...</p> + +<p>LA CHATTE, [bas, à Tyltyl.]</p> + +<p>Éloignez le Chien.... C'est un malentendu.... Laissez-moi faire, +j'arrangerai les choses.... Mais éloignez-le au plus vite....</p> + +<p>TYLTYL, [au Chien.]</p> + +<p>Veux-tu t'en aller!...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Laisse-moi donc lui déchirer ses pantoufles de mousse à ce vieux +goutteux-là !... On va rire!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tais-toi donc!... Et va-t'en!... Mais va-t'en, vilaine bête!...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Bon, bon, on s'en ira.... Je reviendrai quand tu auras besoin de +moi....</p> + +<p>LA CHATTE, [bas, à Tyltyl.]</p> + +<p>Il serait plus prudent de l'enchaîner, sinon il fera des bêtises; +les Arbres se fâcheront, et tout cela finira mal....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Comment faire?... J'ai égaré sa laisse....</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Voici tout juste le Lierre qui s'avance avec de solides liens....</p> + +<p>LE CHIEN, grondant.</p> + +<p>Je reviendrai, je reviendrai!... Podagre! bronchiteux!... Tas de +vieux rabougris, tas de vieilles racines!...C'est la Chatte qui +mène tout!... Je lui revaudrai ça!... Qu'as-tu donc à chuchoter +ainsi, Judas, Tigre, Bazaine!... Wa, wa! wa!...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Vous voyez, il insulte tout le monde....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est vrai, il est insupportable et l'on ne s'entend plus.... +Monsieur le Lierre, voulez-vous l'enchaîner?...</p> + +<p>LE LIERRE, [s'approchant assez craintivement du Chien.]</p> + +<p>Il ne mordra pas?...</p> + +<p>LE CHIEN, [grondant.]</p> + +<p>Au contraire! au contraire!... Il va bien t'embrasser!... +Attends, tu vas voir ça!... Approche, approche donc, tas de +vieilles ficelles!...</p> + +<p>TYLTYL, [le menaçant du bâton.]</p> + +<p>Tylô!...</p> + +<p>LE CHIEN, [rampant aux pieds de Tyltyl en agitant la queue.]</p> + +<p>Que faut-il faire, mon petit dieu?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Te coucher, à plat ventre!... Obéis au Lierre.... Laisse-toi +garotter, sinon....</p> + +<p>LE CHIEN, [grondant entre les dents pendant que le Lierre le +garotte.]</p> + +<p>Ficelle!... Corde à pendus!... Laisse à veaux!... Chaîne à +porcs!... Mon petit dieu, regarde.... Il me tord les pattes.... +Il m'étrangle!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tant pis!... Tu l'as voulu!... Tais-toi, tiens-toi tranquille, tu +es insupportable!...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>C'est égal, tu as tort.... Ils ont de vilaines intentions.... Mon +petit dieu, prends garde!... Il me ferme la bouche!... Je ne peux +plus parler!...</p> + +<p>LE LIERRE, [qui a ficelé le Chien comme un paquet.]</p> + +<p>Où faut-il le porter?... Je l'ai bien bâillonné.... il ne souffle +plus mot....</p> + +<p>LE CHÊNE</p> + +<p>Qu'on l'attache solidement là -bas, derrière mon tronc, à ma +grosse racine.... Nous verrons ensuite ce qu'il convient d'en +faire.... [Le Lierre aidé du Peuplier porte le Chien derrière le +tronc du Chêne] Est-ce fait?... Bien, maintenant que nous voilà +débarrassés de ce témoin gênant et de ce renégat, délibérons +selon notre justice et notre vérité.... Mon émotion, je ne vous +le cache point, est profonde et pénible.... C'est la première +fois qu'il nous est donné de juger l'Homme et de lui faire sentir +notre puissance.... Je ne crois pas qu'après le mal qu'il nous a +fait, après les monstrueuses injustices que nous avons subies, il +reste le moindre doute sur la sentence qui l'attend....</p> + +<p>TOUS LES ARBRES et TOUS LES ANIMAUX</p> + +<p>Non! Non! Non!... Pas de doute!... La pendaison!... La mort!... +Il y a trop d'injustice!... Il a trop abusé!... Il y a trop +longtemps!... Qu'on l'écrase! Qu'on le mange!... Tout de +suite!... Tout de suite!...</p> + +<p>TYLTYL, [à la Chatte.]</p> + +<p>Qu'ont-ils donc?... Ils ne sont pas contents?...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Ne vous inquiétez pas.... Ils sont un peu fâchés à cause que le +Printemps est en retard.... Laissez-moi faire, j'arrangerai tout +ça....</p> + +<p>LE CHÊNE</p> + +<p>Cette unanimité était inévitable.... Il s'agit à présent de +savoir, pour éviter les représailles, quel genre de supplice sera +le plus pratique, le plus commode, le plus expéditif et le plus +sûr; celui qui laissera le moins de traces accusatrices lorsque +les Hommes retrouveront les petits corps dans la forêt....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est que tout ça?... Où veut-il en venir?... Je +commence à en avoir assez.... Puisqu'il a l'Oiseau-Bleu, qu'il le +donne....</p> + +<p>LE TAUREAU, [s'avançant.]</p> + +<p>Le plus pratique et le plus sûr, c'est un bon coup de corne au +creux de l'estomac.—Voulez-vous que je fonce?...</p> + +<p>LE CHÊNE</p> + +<p>Qui parle ainsi?...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>C'est le Taureau.</p> + +<p>LA VACHE</p> + +<p>Il ferait mieux de se tenir tranquille.... Moi, je ne m'en mêle +pas.... J'ai à brouter toute l'herbe de la prairie qu'on voit +là -bas, dans le bleu de la lune.... J'ai trop à faire....</p> + +<p>LE BÅ’UF</p> + +<p>Moi aussi. D'ailleurs, j'approuve tout d'avance....</p> + +<p>LE HÊTRE</p> + +<p>Moi, j'offre ma plus haute branche pour les pendre....</p> + +<p>LE LIERRE</p> + +<p>Et moi le nÅ“ud coulant....</p> + +<p>LE SAPIN</p> + +<p>Et moi les quatre planches pour la petite boîte....</p> + +<p>LE CYPRÈS</p> + +<p>Et moi la concession à perpétuité....</p> + +<p>LE SAULE</p> + +<p>Le plus simple serait de les noyer dans une de mes rivières.... +Je m'en charge....</p> + +<p>LE TILLEUL, [conciliant.]</p> + +<p>Voyons, voyons.... Est-il bien nécessaire d'en venir à ces +extrémités? Ils sont encore bien jeunes.... On pourrait tout +bonnement les empêcher de nuire en les retenant prisonniers dans +un clos que je me charge de construire en me plantant tout +autour....</p> + +<p>LE CHÊNE</p> + +<p>Qui parle ainsi?... Je crois reconnaître la voix mielleuse du +Tilleul....</p> + +<p>LE SAPIN</p> + +<p>En effet....</p> + +<p>LE CHÊNE</p> + +<p>Il y a donc un renégat parmi nous, comme parmi les Animaux?... +Jusqu'ici, nous n'avions à déplorer que la défection des Arbres +fruitiers; mais ceux-ci ne sont pas de véritables Arbres....</p> + +<p>LE PORC, [roulant de petits yeux gloutons.]</p> + +<p>Moi, je pense qu'il faut d'abord manger la petite fille.... Elle +doit être bien tendre....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Que dit-il celui-là ?... Attends un peu, espèce de....</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>Je ne sais ce qu'ils ont; mais cela prend mauvaise tournure....</p> + +<p>LE CHÊNE</p> + +<p>Silence!... Il s'agit de savoir qui de nous aura l'honneur de +porter le premier coup; qui écartera de nos cimes le plus grand +danger que nous ayons couru depuis la naissance de l'Homme....</p> + +<p>LE SAPIN</p> + +<p>C'est à vous, notre roi et notre patriarche, que revient cet +honneur....</p> + +<p>LE CHÊNE</p> + +<p>C'est le Sapin qui parle?... Hélas! je suis trop vieux! Je suis +aveugle, infirme, et mes bras engourdis ne m'obéissent plus.... +Non, c'est à vous, mon frère, toujours vert, toujours droit, +c'est à vous, qui vîtes naître la plupart de ces Arbres, +qu'échoit, à mon défaut, la gloire du noble geste de notre +délivrance....</p> + +<p>LE SAPIN</p> + +<p>Je vous remercie, mon vénérable père.... Mais comme j'aurai déjà +l'honneur d'ensevelir les deux victimes, je craindrais d'éveiller +la juste jalousie de mes collègues; et je crois qu'après nous, le +plus ancien et le plus digne, celui qui possède la meilleure +massue, c'est le Hêtre....</p> + +<p>LE HÊTRE</p> + +<p>Vous savez que je suis vermoulu et que ma massue n'est point +sûre.... Mais l'Orme et le Cyprès ont de puissantes armes....</p> + +<p>L'ORME</p> + +<p>Je ne demanderais pas mieux; mais je puis à peine me tenir +debout.... Une taupe, cette nuit, m'a retourné le gros orteil....</p> + +<p>LE CYPRÈS</p> + +<p>Quant à moi, je suis prêt.... Mais, comme mon bon frère le Sapin, +j'aurai déjà , sinon le privilège de les ensevelir, tout au moins +l'avantage de pleurer sur leur tombe.... Ce serait illégitimement +cumuler.... Demandez au Peuplier....</p> + +<p>LE PEUPLIER</p> + +<p>A moi?... Y pensez-vous?... Mais mon bois est plus tendre que la +chair d'un enfant!... Et puis, je ne sais ce que j'ai.... Je +tremble de fièvre.... Regardez donc mes feuilles.... J'ai dû +prendre froid ce matin au lever du soleil....</p> + +<p>LE CHÊNE, [éclatant d'indignation.]</p> + +<p>Vous avez peur de l'Homme!... Même ces petits enfants isolés et +sans armes vous inspirent la terreur mystérieuse qui fit toujours +de nous les esclaves que nous sommes!... Eh bien, non! C'est +assez!... Puisqu'il en est ainsi, puisque l'heure est unique, +j'irai seul, vieux, perclus, tremblant, aveugle, contre l'ennemi +héréditaire!... Où est-il?...</p> + +<blockquote><p>[Tâtonnant de son bâton, il s'avance vers Tyltyl.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL, [tirant son couteau de sa poche.]</p> + +<p>C'est à moi qu'il en a, ce vieux-là , avec son gros bâton?...</p> + +<blockquote><p>[Tous les autres Arbres, poussant un cri d'épouvante à la +vue du couteau, l'arme mystérieuse et irrésistible de +l'Homme, s'interposent et retiennent le Chêne.] </p></blockquote> + +<p>LES ARBRES</p> + +<p>Le couteau!... Prenez garde!.... Le couteau!...</p> + +<p>LE CHÊNE, se débattant.</p> + +<p>Laissez-moi!... Que m'importe!... Le couteau ou la hache!... Qui +me retient?... Quoi! vous êtes tous ici?... Quoi! vous tous vous +voulez?... [Jetant son bâton] Eh bien, soit!... Honte à nous!... +Que les Animaux nous délivrent!...</p> + +<p>LE TAUREAU</p> + +<p>C'est cela!... Je m'en charge!... Et d'un seul coup de corne!...</p> + +<p>LE BÅ’UF et LA VACHE, [le retenant par la queue.]</p> + +<p>De quoi te mêles-tu?...Ne fais pas de bêtises!... C'est une +mauvaise affaire!... Cela finira mal.... C'est nous qui +trinquerons.... Laisse donc.... C'est affaire aux Animaux +sauvages....</p> + +<p>LE TAUREAU</p> + +<p>Non, non!... C'est mon affaire!... Attendez!... Mais retenez-moi +donc ou je fais un malheur!...</p> + +<p>TYLTYL, [à Mytyl qui pousse des cris aigus.]</p> + +<p>N'aie pas peur!... Mets-toi derrière moi.... J'ai mon couteau....</p> + +<p>LE COQ</p> + +<p>C'est qu'il est crâne, le petit!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Alors, c'est décidé, c'est à moi qu'on en veut?...</p> + +<p>L'ÂNE</p> + +<p>Mais bien sûr, mon petit, tu y a mis le temps, à t'en +apercevoir!...</p> + +<p>LE PORC</p> + +<p>Tu peux faire ta prière, va, c'est ta dernière heure. Mais ne +cache pas la petite fille.... Je veux m'en régaler les yeux.... +C'est elle que je mangerai la première....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'est-ce que je vous ai fait?...</p> + +<p>LE MOUTON</p> + +<p>Rien du tout, mon petit.... Mangé mon petit frère, mes deux +sÅ“urs, mes trois oncles, ma tante, bon-papa, bonne-maman.... +Attends, attends, quand tu seras par terre, tu verras que j'ai +des dents aussi....</p> + +<p>L'ÂNE</p> + +<p>Et que j'ai des sabots!...</p> + +<p>LE CHEVAL, [piaffant fièrement.]</p> + +<p>Vous allez voir ce que vous allez voir!... Aimez-vous mieux que +je le déchire à belles dents ou que je vous l'abatte à coups de +pied?... [Il s'avance magnifiquement sur Tyltyl qui lui fait face +en levant son couteau. Tout à coup, le Cheval, pris de panique, +tourne le dos et fuit à toutes jambes.] Ah! mais non!... Ce n'est +pas juste!... Ce n'est pas de jeu!... Il se défend!...</p> + +<p>LE COQ, [ne pouvant cacher son admiration.]</p> + +<p>C'est égal, le petit n'a pas froid aux yeux!...</p> + +<p>LE PORC, [à l'Ours et au Loup.]</p> + +<p>Précipitons-nous tous ensemble.... Je vous soutiendrai par +derrière.... Nous les renverserons et nous nous partagerons la +petite fille quand elle sera par terre....</p> + +<p>LE LOUP</p> + +<p>Amusez-les par là .... Je vais faire un mouvement tournant....</p> + +<blockquote><p>[Il tourne Tyltyl qu'il attaque par derrière et renverse à demi.]</p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Judas!... [Il se redresse sur un genou, brandissant son couteau +et couvrant de son mieux sa petite sÅ“ur qui pousse des +hurlements de détresse.—Le voyant à demi renversé, tous les +Animaux et les Arbres se rapprochent et cherchent à lui porter +des coups. L'obscurité se fait subitement. Éperdument, Tyltyl +appelle à l'aide.] A moi! A moi!... Tylô! Tylô!... Où est la +Chatte?... Tylô!... Tylette! Tylette!... Venez! venez!...</p> + +<p>LA CHATTE, [hypocritement, à l'écart.]</p> + +<p>Je ne peux pas.... Je viens de me fouler la patte....</p> + +<p>TYLTYL, [parant les coups et se défendant de son mieux.]</p> + +<p>A moi!... Tylô! Tylô!... Je ne peux plus!... Ils sont trop!... +L'Ours! le Cochon! le Loup! l'Âne! le Sapin! le Hêtre!... Tylô! +Tylô! Tylô!...</p> + +<blockquote><p>[Traînant ses liens brisés, le Chien bondit de derrière le +tronc du Chêne et, bousculant Arbres et Animaux, se jette +devant Tyltyl qu'il détend avec rage.] </p></blockquote> + +<p>LE CHIEN, [tout en distribuant d'énormes coups de dent.]</p> + +<p>Voilà ! voilà ! mon petit dieu!... N'aie pas peur! Allons-y!... +J'ai de bons coups de gueule!... Tiens, voilà pour toi, l'Ours, +là dans ton gros derrière!...Voyons, qui en veut encore?... Voilà +pour le Cochon, et ça pour le Cheval et la queue du Taureau! +Voilà ! j'ai déchiré la culotte du Hêtre et le jupon du Chêne!... +Le Sapin f.... le camp!... C'est égal, il fait chaud!...</p> + +<p>TYLTYL, [accablé.]</p> + +<p>Je n'en peux plus!... Le Cyprès m'a donné un grand coup sur la +tête....</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Aïe! c'est un coup du Saule!... Il m'a cassé la patte!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ils reviennent à la charge! Tous ensemble!... Cette fois, c'est +le Loup!...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Attends, que je l'étrenne!...</p> + +<p>LE LOUP</p> + +<p>Imbécile!... Notre frère!... Ses parents ont noyé tes petits!...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Ils ont bien fait!... Tant mieux!... C'est qu'ils te +ressemblaient!...</p> + +<p>TOUS LES ARBRES et TOUS LES ANIMAUX</p> + +<p>Renégat!... Idiot!... Traître! Félon! Nigaud!... Judas!... +Laisse-le! C'est la mort! Viens à nous!</p> + +<p>LE CHIEN, [ivre d'ardeur et de dévouement.]</p> + +<p>Non! non!... Seul contre tous!... Non, non!... Fidèle aux dieux! +aux meilleurs! aux plus grands!... [À Tyltyl.]Prends garde, voici +l'Ours!... Méfie-toi du Taureau.... Je vais lui sauter à la +gorge.... Aïe!... C'est un coup de pied.... L'Âne m'a cassé deux +dents....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Je ne peux plus, Tylô!... Aïe!... C'est un coup de l'Orme.... +Regarde, ma main saigne.... C'est le Loup ou le Porc....</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Attends, mon petit dieu.... Laisse-moi t'embrasser. Là , un bon +coup de langue.... Ça te fera du bien.... Reste bien derrière +moi.... Ils n'osent plus approcher.... Si!... Les voilà qui +reviennent!... Ah! ce coup, c'est sérieux!... Tenons ferme!...</p> + +<p>TYLTYL, [se laissant tomber sur le sol.]</p> + +<p>Non, ce n'est plus possible....</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>On vient!... J'entends, je flaire!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Où donc?... Qui donc?...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Là ! là !... C'est la Lumière!... Elle nous a retrouvés!... +Sauvés, mon petit roi!... Embrasse-moi!... Sauvés!... regarde!... +Ils se méfient!... Ils s'écartent!... Ils ont peur!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>La Lumière!... La Lumière!... Venez donc!... Hâtez-vous!... Ils +se sont révoltés!... Ils sont tous contre nous!...</p> + +<blockquote><p>[Entre la Lumière: à mesure qu'elle s'avance, l'Aurore se +lève sur la forêt qui s'éclaire.] </p></blockquote> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Qu'est-ce donc?... Qu'y a-t-il?...Mais, malheureux! tu ne savais +donc pas!... Tourne le Diamant! Ils rentreront dans le Silence et +dans l'Obscurité; et tu ne verras plus leurs sentiments....</p> + +<blockquote><p>[Tyltyl tourne le Diamant.—Aussitôt les âmes de tous les +Arbres se précipitent dans les troncs qui se referment. +—Les âmes des Animaux disparaissent également; et l'on +voit, au loin, brouter une Vache et un Mouton paisibles, +etc.—La Forêt redevient innocente. Étonné, Tyltyl regarde +autour de soi.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Où sont-ils?... Qu'avaient-ils?... Est-ce qu'ils étaient +fous?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Mais non, ils sont toujours ainsi; mais on ne le sait pas parce +qu'on ne le voit pas.... Je te l'avais bien dit: il est dangereux +de les réveiller quand je ne suis pas là ....</p> + +<p>TYLTYL, [essuyant son couteau.]</p> + +<p>C'est égal; sans le Chien et si je n'avais pas eu mon couteau.... +Je n'aurais jamais cru qu'ils fussent si méchants!...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Tu vois bien que l'Homme est tout seul contre tous, en ce +monde....</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Tu n'as pas trop de mal, mon petit dieu?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Rien de grave.... Quant à Mytyl, ils ne l'ont pas touchée.... +Mais toi, mon bon Tylô?... Tu as la bouche en sang, et ta patte +est cassée?...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Pas la peine d'en parler.... Demain, il n'y paraîtra plus.... +Mais l'affaire était chaude!...</p> + +<p>LA CHATTE, [sortant d'un fourré en boitant.]</p> + +<p>Je crois bien!... Le BÅ“uf m'a donné un coup de corne dans le +ventre.... On n'en voit pas la trace, mais il me fait bien +mal.... Et le Chêne m'a cassé la patte....</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>J'aimerais bien savoir laquelle....</p> + +<p>MYTYL, caressant la Chatte.</p> + +<p>Ma pauvre Tylette, est-ce vrai?... Où donc te trouvais-tu?... Je +ne t'ai pas aperçue....</p> + +<p>LA CHATTE, [hypocritement.]</p> + +<p>Petite mère, j'ai été blessée tout de suite, en attaquant le +vilain Porc qui voulait te manger.... C'est alors que le Chêne +m'a donné ce grand coup qui m'a étourdie....</p> + +<p>LE CHIEN, [à la Chatte, entre les dents.]</p> + +<p>Toi, tu sais, j'ai deux mots à te dire.... Tu ne perdras rien +pour attendre!...</p> + +<p>LA CHATTE, [plaintivement, à Mytyl.]</p> + +<p>Petite mère, il m'insulte.... Il veut me faire du mal....</p> + +<p>MYTYL, [au Chien.]</p> + +<p>Veux-tu bien la laisser tranquille, vilaine bête....</p> + +<p>Ils sortent tous.</p> + +<p>RIDEAU</p> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="ACTE_QUATRIEME" id="ACTE_QUATRIEME"></a>ACTE QUATRIÈME</h3> + + + +<hr style="width: 45%;" /> +<h3><a name="SIXIEME_TABLEAU" id="SIXIEME_TABLEAU"></a>SIXIÈME TABLEAU</h3> + +<h4>DEVANT LE RIDEAU</h4> + +<hr style="width: 45%;" /> + +<blockquote><p>[Entrent Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Chien, le Chat, le +Pain, le Feu, le Sucre, l'Eau et le Lait.] </p></blockquote> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>J'ai reçu un petit mot de la Fée Bérylune qui m'apprend que +l'Oiseau-Bleu se trouve probablement ici....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Où ça?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Ici, dans le cimetière qui est derrière ce mur.... Il paraît +qu'un des morts de ce cimetière le cache dans la tombe.... Reste +à savoir lequel.... Il faudra qu'on les passe en revue....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>En revue?... Comment qu'on fera?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>C'est bien simple: à minuit, pour ne pas trop les déranger, tu +tourneras le Diamant. On les verra sortir de terre; ou bien on +apercevra au fond de leurs tombes ceux qui ne sortent pas....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ils ne seront pas fâchés?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Nullement, ils ne s'en douteront même pas.... Ils n'aiment pas +qu'on les dérange; mais comme de toutes façons ils ont coutume de +sortir à minuit, cela ne les gênera pas....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Pourquoi que le Pain, le Sucre et le Lait sont si pâles et +pourquoi qu'ils ne disent rien?...</p> + +<p>LE LAIT, [chancelant.]</p> + +<p>Je sens que je vais tourner....</p> + +<p>LA LUMIÈRE, [bas, à Tyltyl.]</p> + +<p>Ne fais pas attention.... Ils ont peur des morts..</p> + +<p>LE FEU, [gambadant.]</p> + +<p>Moi, je n'en ai pas peur!... J'ai l'habitude de les brûler.... +Dans les temps, je les brûlais tous; c'était bien plus amusant +qu'aujourd'hui....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et pourquoi Tylô tremble-t-il?... Est-ce qu'il a peur aussi?</p> + +<p>LE CHIEN, [claquant des dents.]</p> + +<p>Moi?... Je ne tremble pas!... Moi, je n'ai jamais peur; mais si +tu t'en allais, je m'en irais aussi....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et la Chatte ne dit rien?...</p> + +<p>LA CHATTE, [mystérieuse.]</p> + +<p>Je sais ce que c'est....</p> + +<p>TYLTYL, [à la Lumière.]</p> + +<p>Tu viendras avec nous?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Non, il est préférable que je reste à la porte du cimetière avec +les Choses et les Animaux.... L'heure n'est pas venue.... La +Lumière ne peut pas encore pénétrer chez les morts.... Je vais te +laisser seul avec Mytyl....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et Tylô ne peut pas rester avec-nous?...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Si, si, je reste, je reste ici.... Je veux rester près de mon +petit dieu!...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>C'est impossible.... L'ordre de la Fée est formel; du reste, il +n'y a rien à craindre....</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Bien, bien, tant pis.... S'ils sont méchants, mon petit dieu, tu +n'as qu'à faire comme ça [il siffle.] et tu verras.... Ce sera +comme dans la forêt: Wa! Wa! Wa!...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Allons, adieu, mes chers petits.... Je ne serai pas loin.... +[Elle embrasse les enfants.] Ceux qui m'aiment et que j'aime me +retrouvent toujours.... [Aux Choses et aux Animaux.] Vous +autres.... par ici.</p> + +<blockquote><p>[Elle sort avec les Choses et les Animaux. Les enfants +restent seuls au milieu de la scène. Le rideau s'ouvre pour +découvrir le septième tableau.] </p></blockquote> + + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="SEPTIEME_TABLEAU" id="SEPTIEME_TABLEAU"></a>SEPTIÈME TABLEAU</h3> + +<h4>LE CIMETIÈRE</h4> + + +<p>Il fait nuit. Clair de lune. Un cimetière de campagne. +Nombreuses tombes, tertres de gazon, croix de bois, +dalles funéraires, etc.</p> + +<hr style="width: 45%;" /> + +<blockquote><p>[Tyltyl et Mytyl sont debout près d'un cippe.] </p></blockquote> + +<p>MYTYL</p> + +<p>J'ai peur.</p> + +<p>TYLTYL, [assez peu rassuré.]</p> + +<p>Moi, je n'ai jamais peur....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>C'est méchant, les morts, dis?..</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais non, puisqu'ils ne vivent pas....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Tu en as déjà vu?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui, une fois, dans le temps, lorsque j'étais très jeune....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Comment c'est fait, dis?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est tout blanc, très tranquille et très froid, et ça ne parle +pas....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Nous allons les voir, dis?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Bien sûr, puisque la Lumière l'a promis....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Où c'est qu'ils sont, les morts?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ici, sous le gazon ou sous ces grosses pierres.</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Ils sont là toute l'année?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui.</p> + +<p>MYTYL, [montrant les dalles.]</p> + +<p>C'est les portes de leurs maisons?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui.</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Est-ce qu'ils sortent quand il fait beau?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ils ne peuvent sortir qu'à la nuit....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Pourquoi?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Parce qu'ils sont en chemise....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Est-ce qu'ils sortent aussi quand il pleut?.</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Quand il pleut, ils restent chez eux....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>C'est beau chez eux, dis?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>On dit que c'est fort étroit....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Est-ce qu'ils ont des petits enfants?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Bien sûr; ils ont tous ceux qui meurent....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Et de quoi vivent-ils?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ils mangent des racines....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Est-ce que nous les verrons?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Bien sûr, puisqu'on voit tout quand le Diamant est tourné.</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Et qu'est-ce qu'ils diront?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ils ne diront rien, puisqu'ils ne parlent pas....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Pourquoi qu'ils ne parlent pas?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Parce qu'ils n'ont rien à dire....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Pourquoi qu'ils n'ont rien à dire?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tu m'embêtes....</p> + +<blockquote><p>[Un silence.]</p></blockquote> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Quand tourneras-tu le Diamant?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tu sais bien que la Lumière a dit d'attendre à minuit, parce +qu'alors on les dérange moins....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Pourquoi qu'on les dérange moins?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Parce que c'est l'heure où ils sortent prendre l'air.</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Il n'est pas minuit?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Vois-tu le cadran de l'église?...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Oui, je vois même la petite aiguille....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et bien! minuit va sonner.... Là !... Tout juste.... +Entends-tu?...</p> + +<p>On entend sonner les douze coups de minuit.</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Je veux m'en aller!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ce n'est pas le moment.... Je vais tourner le Diamant....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Non, non!... Ne le fais pas!... Je veux m'en aller!... J'ai si +peur, petit frère!... J'ai terriblement peur!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais il n'y a pas de danger....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Je ne veux pas voir les morts!... Je ne veux pas les voir!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est bon, tu ne les verras pas, tu fermeras les yeux....</p> + +<p>MYTYL, [s'accrochant aux vêtements de Tyltyl.]</p> + +<p>Tyltyl, je ne peux pas!... Non, ce n'est pas possible!... Ils +vont sortir de terre!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ne tremble pas ainsi.... Ils ne sortiront qu'un moment....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Mais tu trembles aussi, toi!... Ils seront effrayants!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Il est temps, l'heure passe....</p> + +<blockquote><p>[Tyltyl tourne le Diamant. Une terrifiante minute de silence +et d'immobilité; après quoi, lentement, les croix +chancellent, les tertres s'entr'ouvrent, les dalles se +soulèvent.] </p></blockquote> + +<p>MYTYL, [se blottissant contre Tyltyl.]</p> + +<p>Ils sortent!... Ils sont là !...</p> + +<blockquote><p>[Alors, de toutes les tombes béantes monte graduellement une +floraison d'abord grêle et timide comme une vapeur d'eau, +puis blanche et virginale et de plus en plus touffue, de +plus en plus haute, surabondante et merveilleuse, qui peu à +peu, irrésistiblement, envahissant toutes choses, transforme +le cimetière en une sorte de jardin féerique et nuptial, sur +lequel ne tardent pas à se lever les premiers rayons de +l'aube. La rosée scintille, les fleurs s'épanouissent, le +vent murmure dans les feuilles, les abeilles bourdonnent, +les oiseaux s'éveillent et inondent l'espace des premières +ivresses de leurs hymnes au soleil et à la vie. Stupéfaits, +éblouis, Tyltyl et Mytyl, se tenant par la main, font +quelques pas parmi les fleurs en cherchant la trace des +tombes.] </p></blockquote> + +<p>MYTYL, [cherchant dans le gazon.]</p> + +<p>Où sont-ils, les morts?...</p> + +<p>TYLTYL, [cherchant de même.]</p> + +<p>Il n'y a pas de morts....</p> + + +<p>RIDEAU</p> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="HUITIEME_TABLEAU" id="HUITIEME_TABLEAU"></a>HUITIÈME TABLEAU</h3> + +<h4>DEVANT LE RIDEAU QUI REPRÉSENTE DE BEAUX NUAGES</h4> + + +<blockquote><p>Entrent: Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Chien, la Chatte, le +Pain, le Feu, le Sucre, l'Eau et le Lait. </p></blockquote> + +<hr style="width: 45%;" /> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Je crois que cette fois nous tenons L'Oiseau-Bleu. J'aurais dû y +penser dès la première étape.... Ce n'est que ce matin, en +reprenant mes forces dans l'aurore, que l'idée m'est venue comme +un rayon du ciel.... Nous sommes à l'entrée des jardins enchantés +où se trouvent réunis sous la garde du Destin, toutes les Joies, +tous les Bonheurs des Hommes....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Il y en a beaucoup? Est-ce qu'on en aura? Est-ce qu'ils sont +petits?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Il en est de petits et de grands, de gros et de délicats, de très +beaux et d'autres qui sont moins agréables.... Mais les plus +vilains furent, il y a quelque temps, expulsés des jardins et +cherchèrent refuge chez les Malheurs. Car il faut remarquer que +les Malheurs habitent un autre contigu, qui communique avec le +jardin des Bonheurs et n'en est séparé que par une sorte de +vapeur ou de rideau subtil que le vent qui souffle des hauteurs +de la Justice ou du fond de l'Éternité soulève à chaque +instant.... Maintenant, il s'agit de s'organiser et de prendre +certaines précautions. En général, les Bonheurs sont fort bons, +pourtant il en est quelques-uns qui sont plus dangereux et plus +perfides que les plus grands Malheurs....</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>J'ai une idée! S'ils sont dangereux et perfides, ne serait-il +pas préférable que nous attendissions tous à la porte, afin +d'être à même de prêter main-forte aux enfants s'ils étaient +obligés de fuir?...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Pas du tout! pas du tout!... Je veux aller partout avec mes +petits dieux!... Que tous ceux qui ont peur restent donc à la +porte!... Nous n'avons pas besoin [Regardant le Pain]. de +poltrons, [Regardant la Chatte] ni de traîtres....</p> + +<p>LE FEU</p> + +<p>Moi, j'y vais!... Il paraît que c'est amusant!... On y danse tout +le temps....</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>Est-ce qu'on y mange aussi?...</p> + +<p>L'EAU, [gémissant.]</p> + +<p>Je n'ai jamais connu le plus petit Bonheur!... Je veux en voir +enfin!...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Taisez-vous! Personne ne demande vos avis.... Voici ce que j'ai +décidé: le Chien, le Pain et le Sucre accompagneront les enfants. +L'Eau n'entrera pas, parce qu'elle est trop froide, ni le Feu qui +est trop turbulent. J'engage vivement le Lait à rester à la +porte, parce qu'il est trop impressionnable; quant à la Chatte, +elle fera comme elle voudra....</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Elle a peur!...</p> + +<p>LA CHATTE</p> + +<p>J'irai saluer en passant quelques Malheurs qui sont de vieux amis +et habitent à côté des Bonheurs....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et toi, la Lumière, est-ce que tu ne viens pas?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Je ne peux pas entrer ainsi chez les Bonheurs; la plupart ne me +supportent pas.... Mais j'ai ici le voile épais dont je me +couvre quand je visite les gens heureux.... [Elle déplie un long +voile dont elle s'enveloppe soigneusement.] Il ne faut pas qu'un +rayon de mon âme les effraye, car il est beaucoup de Bonheurs qui +ont peur et ne sont pas heureux.... Voilà , de cette façon, les +moins jolis et les plus gros eux-mêmes n'auront plus rien à +redouter....</p> + +<blockquote><p>[Le rideau s'ouvre pour découvrir le neuvième tableau.] </p></blockquote> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="NEUVIEME_TABLEAU" id="NEUVIEME_TABLEAU"></a>NEUVIÈME TABLEAU</h3> + +<h4>LES JARDINS DES BONHEURS</h4> + + +<p>Quand s'ouvre le rideau, on découvre, prise sur les premiers +plans des jardins, une sorte de salle formée de hautes colonnes +de marbre entre lesquelles, masquant tout le fond, sont tendues +de lourdes draperies de pourpre que soutiennent des cordages +d'or. Architecture rappelant les moments les plus sensuels et les +plus somptueux de la Renaissance (vénitienne ou flamande Véronèse +et Rubens). Guirlandes, cornes d'abondance, torsades, vases, +statues, dorures prodigués de toutes parts.—Au milieu, massive +et féerique table de jaspe et de vermeil, encombrée de flambeaux, +de cristaux, de vaisselle d'or et d'argent et surchargée de mets +fabuleux.—Autour de la table, mangent, boivent, hurlent, +chantent, s'agitent, se vautrent ou s'endorment parmi les +venaisons, les fruits miraculeux, les aiguières et les amphores +renversées, les plus gros Bonheurs de la terre. Ils sont énormes, +invraisemblablement obèses et rubiconds, couverts de velours et +de brocarts, couronnés d'or, de perles et de pierreries. De +belles esclaves apportent, sans cesse des plats empanachés et des +breuvages écumiants.—Musique vulgaire, hilare et brutale où +dominent les cuivres.—Une lumière lourde et rouge baigne la +scène.</p> + +<hr style="width: 45%;" /> + +<blockquote><p>[Tyltyl, Mytyl, le Chien, le Pain et le Sucre, d'abord assez +intimidés, se pressent, à droite, au premier plan, autour de +la Lumière. La Chatte, sans rien dire, se dirige vers le +fond, également à droite, soulève un rideau sombre et +disparaît.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'est-ce que ces gros messieurs qui s'amusent et mangent tant de +bonnes choses?</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Ce sont les plus gros Bonheurs de la Terre, ceux qu'on peut voir +à l'Å“il nu. Il est possible, bien qu'assez peu probable, que +l'Oiseau-Bleu se soit un instant égaré parmi eux. C'est pourquoi +ne tourne pas encore le Diamant. Nous allons, pour la forme, +explorer tout 'd'abord cette partie de la salle.</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Est-ce qu'on peut s'approcher?</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Certainement. Ils ne sont pas méchants, bien que vulgaires et, +d'habitude, assez mal élevés.</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Qu'ils ont de beaux gâteaux!...</p> + +<p>LE CHIEN</p> + +<p>Et du gibier! et des saucisses! et des gigots d'agneau et du foie +de veau!... [Proclamant.] Rien au monde n'est meilleur, rien +n'est plus beau et rien ne vaut le foie de veau!...</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>Excepté les Pains-de-quatre-livres pétris de fine fleur de +froment! Ils en ont d'admirables!... Qu'ils sont beaux! qu'ils +sont beaux!... Ils sont plus gros que moi!...</p> + +<p>LE SUCRE</p> + +<p>Pardon, pardon, mille pardons.... Permettez, permettez.... Je ne +voudrais froisser personne; mais n'oubliez-vous pas les Sucreries +qui sont la gloire de cette table et dont l'éclat et la +magnificence surpassent, si j'ose m'exprimer ainsi, tout ce qu'il +y a dans cette salle et peut-être en tout autre lieu....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'ils ont l'air contents et heureux!... Et ils crient! et ils +rient! et ils chantent!... Je crois qu'ils nous ont vus....</p> + +<blockquote><p>[En effet, une douzaine des plus Gros Bonheurs se sont levés +de table et s'avancent péniblement, en soutenant leur +ventre, vers le groupe des enfants.] </p></blockquote> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Ne crains rien, ils sont très accueillants.... Ils vont +probablement t'inviter à dîner.... N'accepte pas, n'accepte rien, +de peur d'oublier ta mission....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Quoi? Pas même un petit gâteau? Ils ont l'air si bons, si frais, +si bien glacés de sucre, ornés de fruits confits et débordants de +crème!...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Ils sont dangereux et briseraient ta volonté. Il faut savoir +sacrifier quelque chose au devoir qu'on remplit. Refuse poliment +mais avec fermeté. Les voici....</p> + +<p>LE PLUS GROS DES BONHEURS, [tendant la main à Tyltyl.]</p> + +<p>Bonjour, Tyltyl!...</p> + +<p>TYLTYL, [étonné.]</p> + +<p>Vous me connaissez donc?... Qui êtes-vous?...</p> + +<p>LE GROS BONHEUR</p> + +<p>Je suis le plus gros des Bonheurs, le Bonheur-d'être-riche, et je +viens, au nom de mes frères, vous prier, vous et votre famille, +d'honorer de votre présence notre repas sans fin. Vous vous +trouverez au milieu de tout ce qu'il y a de mieux parmi les vrais +et gros Bonheurs de de cette Terre. Permettez que je vous +présente les principaux d'entre eux. Voici mon gendre, le +Bonheur-d'être-propriétaire, qui a le ventre en poire. Voici le +Bonheur-de-la-vanité-satisfaite, dont le visage est si +gracieusement bouffi. [Le Bonheur-de-la-vanité-satisfaite salue +d'un air protecteur.] Voici le +Bonheur-de-boire-quand-on-n'a-plus-soif et le +Bonheur-de-manger-quand-on-n'a-plus-faim, qui sont jumeaux et +ont les jambes en macaroni. [Ils saluent en chancelant.] Voici le +Bonheur-de-ne-rien-savoir, qui est sourd comme une limande, et le +Bonheur-de-ne-rien-comprendre, qui est aveugle comme une taupe. +Voici le Bonheur-de-ne-rien-faire et le +Bonheur-de-dormir-plus-qu'il-n'est-nécessaire, qui ont les mains +en mie de pain et les yeux en gelée de pêche. Voici enfin le +Rire-Épais qui est fendu jusqu'aux oreilles et auquel rien ne +peut résister....</p> + +<blockquote><p>[Le Rire-Épais salue en se tordant.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL, [montrant du doigt un Gros Bonheur qui se tient un peu à +l'écart.]</p> + +<p>Et celui-là , qui n'ose pas approcher et nous tourne le dos?...</p> + +<p>LE GROS BONHEUR</p> + +<p>N'insistez pas, il est un peu gêné et n'est pas présentable à des +enfants.... [Saisissant les mains de Tyltyl.] Mais venez donc! On +recommence le festin.... C'est la douzième fois depuis l'aurore. +On n'attend plus que vous.... Entendez-vous tous les convives qui +vous réclament à grands cris?... Je ne puis vous les présenter +tous, ils sont extrêmement nombreux.... [Offrant le bras aux deux +enfants.] Permettez que je vous conduise aux deux places +d'honneur....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Je vous remercie bien, monsieur le Gros Bonheur.... Je regrette +vivement.... Je ne peux pas pour le moment.... Nous sommes très +pressés, nous cherchons l'Oiseau-Bleu. Vous ne sauriez pas, par +hasard, où il se cache?</p> + +<p>LE GROS BONHEUR</p> + +<p>L'Oiseau-Bleu?... Attendez donc.... Oui, oui, je me rappelle.... +On m'en a parlé dans le temps.... C'est, je crois, un oiseau qui +n'est pas comestible.... En tout cas, il n'a jamais paru sur +notre table.... C'est vous dire qu'on le tient en médiocre +estime.... Mais ne vous mettez pas en peine; nous avons tant +d'autres choses bien meilleures.... Vous allez vous mêler à notre +vie, vous verrez tout ce que nous faisons....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Que faites-vous?</p> + +<p>LE GROS BONHEUR</p> + +<p>Mais nous nous occupons sans cesse à ne rien faire.... Nous +n'avons pas une minute de repos.... Il faut boire, il faut +manger, il faut dormir. C'est extrêmement absorbant....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Est-ce que c'est amusant?</p> + +<p>LE GROS BONHEUR</p> + +<p>Mais oui.... Il le faut bien, il n'y a pas autre chose sur cette +Terre....</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Croyez-vous?...</p> + +<p>LE GROS BONHEUR, [indiquant du doigt la Lumière, bas, à Tyltyl.]</p> + +<p>Quelle est cette jeune personne mal élevée?...</p> + +<blockquote><p>[Durant toute la conversation précédente, une foule de Gros +Bonheurs de second ordre s'est occupée du Chien, du Sucre et +du Pain, et les a entraînés vers l'orgie. Tyltyl aperçoit +soudain ces derniers qui, attablés fraternellement avec +leurs hôtes, mangent, boivent et se trémoussent follement.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Voyez donc, la Lumière!... Ils sont à table!...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Rappelle-les! sinon cela finira mal!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tylô!...Tylô! ici!... Veux-tu venir ici, tout de suite, +entends-tu!... Et vous, là -bas, le Sucre et le Pain, qui donc +vous a permis de me quitter?... Qu'est-ce que vous faites là , +sans autorisation?...</p> + +<p>LE PAIN, [la bouche pleine.]</p> + +<p>Est-ce que tu ne pourrais pas nous parler plus poliment?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Quoi? C'est le Pain qui se permet de me tutoyer?... Mais +qu'est-ce qui te prend?... Et toi, Tylô!... Est-ce ainsi qu'on +obéit? Allons, viens ici, à genoux, à genoux!... Et plus vite que +ça!...</p> + +<p>LE CHIEN, [à mi-voix et du bout de la table.]</p> + +<p>Moi, quand je mange, je n'y suis pour personne et je n'entends +plus rien....</p> + +<p>LE SUCRE, [mielleusement.]</p> + +<p>Excusez-nous, nous ne saurions quitter ainsi, sans les froisser, +d'aussi aimables hôtes....</p> + +<p>LE GROS BONHEUR</p> + +<p>Vous voyez!... Ils vous donnent l'exemple.... Venez, on vous +attend.... Nous n'admettons pas de refus.... On vous fera une +douce violence.... Allons, les Gros Bonheurs, aidez-moi!... +Poussons-les de force vers la table, pour qu'ils soient heureux +malgré eux!...</p> + +<blockquote><p>[Tous les Gros Bonheurs, avec des cris de joie et gambadant +de leur mieux, entraînent les enfants qui se débattent, +tandis que le Rire-Épais saisit vigoureusement la Lumière +par la taille.]</p></blockquote> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Tourne le Diamant, il est temps!...</p> + +<blockquote><p>[Tyltyl fait ce qu'ordonne la Lumière. Aussitôt la scène +s'illumine d'une clarté ineffablement pure, divinement +rosée, harmonieuse et légère. Les lourds ornements du +premier plan, les épaisses tentures rouges se détachent et +disparaissent, dévoilant un fabuleux et doux jardin de paix +légère et de sérénité, une sorte de palais de verdure aux +perspectives harmonieuses, où la magnificence des +feuillages, puissants et lumineux, exubérants et néanmoins +disciplinés, où l'ivresse virginale des fleurs et la fraîche +allégresse des eaux qui coulent, ruissellent et jaillissent +de toutes parts semblent entraîner jusqu'aux confins de +l'horizon l'idée même de la félicité. La table de l'orgie +s'effondre sans laisser de traces; les velours, les +brocarts, les couronnes des Gros Bonheurs, au souffle +lumineux qui envahit la scène, se soulèvent, se déchirent et +tombent, en même temps que les masques hilares, aux pieds +des convives abasourdis. Ceux-ci se dégonflent à vue +d'Å“il, comme des vessies crevées, s'entre-regardent, +clignotent sous les rayons inconnus qui les blessent, et, se +voyant enfin tels qu'ils sont en vérité, c'est-à -dire nus, +hideux, flasques et lamentables, se mettent à pousser des +hurlements de honte et d'épouvante, parmi lesquels on +distingue très nettement ceux du Rire-Épais qui dominent +tous les autres. Seul le Bonheur-de-ne-rien-comprendre +demeure parfaitement calme, tandis que ses collègues +s'agitent éperdument, cherchent à fuir, à se cacher dans les +coins qu'ils espèrent plus sombres. Mais il n'y a plus +d'ombre dans le jardin éblouissant. Aussi la plupart se +décident-ils à franchir, en désespoir de cause, le rideau +menaçant qui, sur là droite, dans un angle, ferme la voûte +de la caverne des Malheurs. A chaque fois que l'un d'eux, +dans la panique, soulève un pan de ce rideau, on entend +s'élever du creux de l'antre une tempête d'injures, +d'imprécations et de malédictions. Quant au Chien, au Pain +et au Sucre, l'oreille basse, ils rejoignent le groupe des +enfants, et, très penauds, se dissimulent derrière eux.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL, [regardant fuir les Gros Bonheurs.]</p> + +<p>Dieu qu'ils sont laids!... Où vont-ils?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Ma foi, je crois qu'ils ont perdu la tête.... Ils vont se +réfugier chez les Malheurs où je crains fort qu'on ne les +retienne définitivement....</p> + +<p>TYLTYL, [regardant autour de soi, émerveillé.]</p> + +<p>Oh! le beau jardin, le beau jardin!... Où sommes-nous?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Nous n'avons pas changé de place; ce sont tes yeux qui ont changé +de sphère.... Nous voyons à présent la vérité des choses; et nous +allons apercevoir l'âme des Bonheurs qui supportent la clarté du +Diamant.</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Que c'est beau!... Qu'il fait beau!... On se croirait en plein +été.... Tiens! on dirait qu'on s'approche et qu'on va s'occuper +de nous....</p> + +<blockquote><p>[En effet, les jardins commencent à se peupler de formes +angéliques qui semblent sortir d'un long sommeil et glissent +harmonieusement entre les arbres. Elles sont vêtues de robes +lumineuses, aux subtiles et suaves nuances: réveil de rose, +sourire d'eau, azur d'aurore, rosée d'ambre, etc.... ]</p></blockquote> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Voici que s'avancent quelques Bonheurs aimables et curieux qui +vont nous renseigner....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tu les connais?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Oui, je les connais tous; je viens souvent chez eux, sans qu'ils +sachent qui je suis....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Il y en a, il y en a!... Ils sortent de tous côtés!...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Il y en avait beaucoup plus dans le temps. Les Gros Bonheurs leur +ont fait bien du tort.</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est égal, il en reste pas mal....</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Tu en verras bien d'autres, à mesure que l'influence du Diamant +se répandra parmi les jardins.... On trouve sur la Terre beaucoup +plus de Bonheurs qu'on ne croit; mais la plupart des Hommes ne +les découvrent point....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>En voici de petits qui s'avancent, courons à leur rencontre....</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>C'est inutile; ceux qui nous intéressent passeront par ici. Nous +n'avons pas le temps de faire la connaissance de tous les +autres....</p> + +<blockquote><p>[Une bande de Petits Bonheurs, gambadant et riant aux éclats, +accourt du fond des verdures et danse une ronde autour des +enfants.]</p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'ils sont jolis, jolis!... D'où viennent-ils, qui sont-ils?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Ce sont les Bonheurs des enfants....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Est-ce qu'on peut leur parler?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>C'est inutile. Ils chantent, ils dansent, ils rient, mais ils ne +parlent pas encore....</p> + +<p>TYLTYL, frétillant.</p> + +<p>Bonjour! Bonjour!... Oh! le gros, là , qui rit!... Qu'ils ont de +belles joues, qu'ils ont de belles robes!... Ils sont tous riches +ici?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Mais non, ici comme partout, il y a bien plus de pauvres que de +riches....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Où sont les pauvres?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>On ne peut pas les distinguer.... Le Bonheur d'un enfant est +toujours revêtu de ce qu'il y a de plus beau sur terre et dans +les cieux.</p> + +<p>TYLTYL, [ne tenant plus en place.]</p> + +<p>Je voudrais danser avec eux....</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>C'est absolument impossible, nous n'avons pas le temps.... Je +vois qu'ils n'ont pas l'Oiseau-Bleu.... Du reste, ils sont +pressés, tu vois, ils sont déjà passés.... Eux non plus n'ont pas +de temps à perdre, car l'enfance est très brève....</p> + +<blockquote><p>[Une autre bande de Bonheurs, un peu plus grands que les +précédents, se précipite dans le jardin, et chantant à +tue-tête: «Les voilà ! les voilà ! Ils nous voient! Ils nous +voient!...» danse autour des enfants une joyeuse farandole, +à la fin de laquelle, celui qui paraît être le chef de la +petite troupe s'avance vers Tyltyl en lui tendant la main.]</p></blockquote> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>Bonjour, Tyltyl!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Encore un qui me connaît!... [A la Lumière.] On commence à me +connaître un peu partout.... Qui es-tu?...</p> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>Tu ne me reconnais pas?... Je parie que tu ne reconnais aucun de +ceux qui sont ici?...</p> + +<p>TYLTYL, [assez embarrassé.]</p> + +<p>Mais non.... Je ne sais pas.... Je ne me rappelle pas vous avoir +vus....</p> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>Vous entendez?... J'en étais sûr!... Il ne nous a jamais vus!... +[Tous les autres Bonheurs de la bande éclatent de rire.] Mais, +mon petit Tyltyl, tu ne connais que nous!... Nous sommes toujours +autour de toi!... Nous mangeons, nous buvons, nous nous +éveillons, nous respirons, nous vivons avec toi!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui, oui, parfaitement, je sais, je me rappelle.... Mais je +voudrais savoir comment on vous appelle....</p> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>Je vois bien que tu ne sais rien.... Je suis le chef des +Bonheurs-de-ta-maison; et tous ceux-ci sont les autres Bonheurs +qui l'habitent....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Il y a donc des Bonheurs à la maison?...</p> + +<blockquote><p>[Tous les Bonheurs éclatent de rire.] </p></blockquote> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>Vous l'avez entendu!... S'il y a des Bonheurs dans ta maison!... +Mais, petit malheureux, elle en est pleine à faire sauter les +portes et les fenêtres!... Nous rions, nous chantons, nous créons +de la joie à refouler les murs, à soulever les toits; mais nous +avons beau faire, tu ne vois rien, tu n'entends rien.... J'espère +qu'à l'avenir tu seras un peu plus raisonnable.... En attendant, +tu vas serrer la main aux plus notables.... Une fois rentré chez +toi, tu les reconnaîtras ainsi plus facilement.... Et puis, à la +fin d'un beau jour, tu sauras les encourager d'un sourire, les +remercier d'un mot aimable, car ils font vraiment tout ce qu'ils +peuvent pour te rendre la vie légère et délicieuse.... Moi +d'abord, ton serviteur, le Bonheur-de-se-bien-porter.... Je ne +suis pas le plus joli, mais le plus sérieux. Tu me +reconnaîtras?... Voici le Bonheur-de-l'air-pur, qui est à peu +près transparent.... Voici le Bonheur-d'aimer-ses-parents, qui +est vêtu de gris et toujours un peu triste, parce qu'on ne le +regarde jamais.... Voici le Bonheur-du-ciel-bleu, qui est +naturellement vêtu de bleu; et le Bonheur-de-la-forêt qui, non +moins naturellement, est habillé de vert, et que tu reverras +chaque fois que tu te mettras à la fenêtre.... Voici encore le +bon Bonheur-des-heures-de soleil qui est couleur de diamant, et +celui du-Printemps qui est d'émeraude folle....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et vous êtes aussi beaux tous les jours?...</p> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>Mais oui, c'est tous les jours dimanche, dans toutes les maisons, +quand on ouvre les yeux.... Et puis, quand vient le soir, voici +le Bonheur-des-couchers-de-soleil, qui est plus beau que tous les +rois du monde; et que suit le +Bonheur-devoir-se-lever-les-étoiles, doré comme un dieu +d'autrefois.... Puis, quand il fait mauvais, voici le +Bonheur-de-la-pluie qui est couvert de perles, et le +Bonheur-du-feu-d'hiver qui ouvre aux mains gelées son beau +manteau de pourpre.... Et je ne parle pas du meilleur de tous, +parce qu'il est presque frère des grandes Joies limpides que vous +verrez bientôt, et qui est le Bonheur-des-pensées-innocentes, le +plus clair d'entre nous.... Et puis, voici encore.... Mais +vraiment, ils sont trop!... Nous n'en finirions pas, et je dois +prévenir d'abord les Grandes-Joies qui sont là -haut, au fond, +près des portes du ciel, et ne savent pas encore que vous êtes +arrivés.... Je vais leur dépêcher le +Bonheur-de-courir-nu-pieds-dans-la-rosée, qui est le plus +agile.... [Au Bonheur qu'il vient de nommer et qui s'avance en +faisant des cabrioles.] Va!...</p> + +<blockquote><p>[A ce moment, une sorte de diablotin en maillot noir, +bousculant tout le monde en poussant des cris inarticulés, +s'approche de Tyltyl, et gambade follement en l'accablant de +nasardes, taloches et coups de pied insaisissables.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL, [ahuri et profondément indigné.]</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est que ce sauvage?</p> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>Bon! c'est encore le Plaisir-d'être-insupportable qui s'est +échappé de la caverne des Malheurs. On ne sait où l'enfermer. Il +s'évade de partout, et les Malheurs eux-mêmes ne veulent plus le +garder.</p> + +<blockquote><p>[Le diablotin continue de lutiner Tyltyl qui essaye +vainement de se défendre, puis, soudain, riant aux éclats, +disparaît sans raison, comme il était venu.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'est-ce qu'il a? Il est un peu fou?</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Je ne sais. Il paraît que c'est ainsi que tu es toi-même lorsque +tu n'es pas sage. Mais en attendant, il faudrait s'informer de +l'Oiseau-Bleu. Il se peut que le chef des Bonheurs-de-ta-maison +n'ignore pas où il se trouve....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Où est-il?...</p> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>Il ne sait pas où se trouve l'Oiseau-Bleu!...</p> + +<blockquote><p>[Tous les Bonheurs-de-la-maison éclatent de rire.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL, [vexé.]</p> + +<p>Mais non, je ne sais pas.... Il n'y a pas de quoi rire....</p> + +<blockquote><p>[Nouveaux éclats de rires.] </p></blockquote> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>Voyons, ne te fâche pas.... et puis, soyons sérieux.... Il ne +sait pas, que voulez-vous, il n'est pas plus ridicule que la +plupart des Hommes.... Mais voici que le petit +Bonheur-de-courir-nu-pieds-dans-la-rosée a prévenu les +Grandes-Joies qui s'avancent vers nous....</p> + +<blockquote><p>[En effet, les hautes et belles figures angéliques, vêtues +de robes lumineuses, s'approchent lentement.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'elles sont belles!... Pourquoi ne rient-elles pas?... Ne +sont-elles pas heureuses?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Ce n'est pas quand on rit qu'on est le plus heureux....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qui sont-elles?...</p> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>Ce sont les Grandes-Joies....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tu sais leurs noms?...</p> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>Naturellement, nous jouons souvent avec elles.... Voici d'abord: +devant les autres, la Grande-Joie-d'être-juste, qui sourit chaque +fois qu'une injustice est réparée,—je suis trop jeune, je ne +l'ai pas encore vu sourire. Derrière elle, c'est la +Joie-d'être-bonne, qui est la plus heureuse, mais la plus triste; +et qu'on a bien du mal à empêcher d'aller chez les Malheurs +qu'elle voudrait consoler. A droite, c'est la +Joie-du-travail-accompli à côté de la Joie-de-penser. Ensuite, +c'est la Joie-de-comprendre qui cherche toujours son frère, le +Bonheur-de-ne-rien-comprendre....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais je l'ai vu, son frère!... Il est allé chez les Malheurs avec +les Gros Bonheurs....</p> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>J'en étais sûr!... Il a mal tourné, de mauvaises fréquentations +l'ont entièrement perverti.... Mais n'en parle pas à sa sÅ“ur. +Elle voudrait aller le chercher et nous y perdrions une des plus +belles joies.... Voici encore, parmi les plus grandes, la +Joie-de-voir-ce-qui-est-beau, qui ajoute chaque jour quelques +rayons à la lumière qui règne ici....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et là , au loin, au loin, dans les nuages d'or, celle que j'ai +peine à voir en me dressant tant que je peux sur la pointe des +pieds?...</p> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>C'est la grande Joie-d'aimer.... Mais tu auras beau faire, tu es +bien trop petit pour la voir tout entière....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et là -bas, tout au fond, celles qui sont voilées et ne +s'approchent pas?...</p> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>Ce sont celles que les Hommes ne connaissent pas encore....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Que nous veulent les autres?... Pourquoi s'écartent-elles?...</p> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>C'est devant une Joie nouvelle qui s'avance, peut-être la plus +pure que nous ayons ici..</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qui est-ce?...</p> + +<p>LE BONHEUR</p> + +<p>Tu ne la reconnais pas encore?... Mais regarde donc mieux, ouvre +donc tes deux yeux jusqu'au cÅ“ur de ton âme!... Elle t'a vu, +elle t'a vu!... Elle accourt en te tendant les bras!... C'est la +Joie de ta mère, c'est la Joie-sans-égale-de-l'amour-maternel!...</p> + +<blockquote><p>[Après l'avoir acclamée, les autres Joies, accourues de +toutes parts, s'écartent en silence devant la +Joie-de-l'amour-maternel.] </p></blockquote> + +<p>L'AMOUR MATERNEL</p> + +<p>Tyltyl! Et puis Mytyl!... Comment, c'est vous, c'est vous que je +retrouve ici!... Je ne m'attendais pas!... J'étais bien seule à +la maison, et voici que tous deux vous montez jusqu'au ciel où +rayonnent dans la Joie l'âme de toutes les mères!... Mais d'abord +des baisers, des baisers tant qu'on peut!... Tous les deux dans +mes bras, il n'y a rien au monde qui donne plus de bonheur!... +Tyltyl, tu ne ris pas?... Ni toi non plus, Mytyl?... Vous ne +connaissez pas l'amour de votre mère?... Mais regardez-moi donc, +et n'est-ce pas mes yeux, mes lèvres et mes bras?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais si, je reconnais, mais je ne savais pas.... Tu ressembles à +maman, mais tu es bien plus belle....</p> + +<p>L'AMOUR MATERNEL</p> + +<p>Évidemment, moi, je ne vieillis plus.... Et chaque jour qui passe +m'apporte de la force, de la jeunesse et du bonheur.... Chacun de +tes sourires m'allège d'une année.... A la maison, cela ne se +voit pas, mais ici l'on voit tout, et c'est la vérité....</p> + +<p>TYLTYL, [émerveillé, la contemplant et l'embrassant tour à tour.]</p> + +<p>Et cette belle robe, en quoi donc qu'elle est faite?... Est-ce +que c'est de la soie, de l'argent ou des perles?...</p> + +<p>L'AMOUR MATERNEL</p> + +<p>Non, ce sont des baisers, des regards, des caresses.... chaque +baiser qu'on donne y ajoute un rayon de lune ou de soleil....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est drôle, je n'aurais jamais cru que tu étais si riche.... Où +donc la cachais-tu?... Était-elle dans l'armoire dont papa a la +clef?...</p> + +<p>L'AMOUR MATERNEL</p> + +<p>Mais non, je l'ai toujours, mais on ne la voit pas, parce qu'on +ne voit rien quand les yeux sont fermés.... Toutes les mères sont +riches quand elles aiment leurs enfants.... Il n'en est pas de +pauvres, il n'en est pas de laides, il n'en est pas de +vieilles.... Leur amour est toujours la plus belle des Joies.... +Et quand elles semblent tristes, il suffit d'un baiser qu'elles +reçoivent ou qu'elles donnent pour que toutes leurs larmes +deviennent des étoiles dans le fond de leurs yeux....</p> + +<p>TYLTYL, [la regardant avec étonnement.]</p> + +<p>Mais oui, c'est vrai, tes yeux, ils sont remplis d'étoiles.... Et +ce sont bien tes yeux, mais ils sont bien plus beaux.... Et c'est +ta main aussi, elle a sa petite bague.... Elle a même la brûlure +que tu t'es faite un soir en allumant la lampe.... Mais elle est +bien plus blanche et qu'elle a la peau fine!... On dirait qu'on y +voit couler de la lumière.... Elle ne travaille pas comme celle +de la maison?...</p> + +<p>L'AMOUR MATERNEL</p> + +<p>Mais si, c'est bien la même; tu n'avais donc pas vu qu'elle +devient toute blanche et s'emplit de lumière dès qu'elle te +caresse?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est étonnant, maman, c'est bien ta voix aussi; mais tu parles +bien mieux que chez nous....</p> + +<p>L'AMOUR MATERNEL</p> + +<p>Chez nous on a bien trop à faire et l'on n'a pas le temps.... +Mais ce qu'on ne dit pas, on l'entend tout de même.... Maintenant +que tu m'as vue, me reconnaîtras-tu, sous ma robe déchirée, +lorsque tu rentreras demain dans la chaumière?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Je ne veux pas rentrer.... Puisque tu es ici, j'y veux rester +aussi, tant que tu y seras....</p> + +<p>L'AMOUR MATERNEL</p> + +<p>Mais c'est la même chose, c'est là -bas que je suis, c'est là -bas +que nous sommes.... Tu n'es venu ici que pour te rendre compte et +pour apprendre enfin comment il faut me voir quand tu me vois +là -bas.... Comprends-tu, mon Tyltyl?... Tu te crois dans le ciel; +mais le ciel est partout où nous nous embrassons.... Il n'y a pas +deux mères, et tu n'en as pas d'autre.... Chaque enfant n'en a +qu'une et c'est toujours la même et toujours la plus belle; mais +il faut la connaître et savoir regarder.... Mais comment as-tu +fait pour arriver ici et trouver une route que les Hommes ont +cherchée depuis qu'ils habitent la Terre?...</p> + +<p>TYLTYL, [montrant la Lumière qui, par discrétion, s'est un peu +écartée.]</p> + +<p>C'est elle qui m'a conduit....</p> + +<p>L'AMOUR MATERNEL</p> + +<p>Qui est-ce?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>La Lumière....</p> + +<p>L'AMOUR MATERNEL</p> + +<p>Je ne l'ai jamais vue.... On m'avait dit qu'elle vous aimait +bien et qu'elle était très bonne.... Mais pourquoi se +cache-t-elle?... Elle ne montre jamais son visage?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais si, mais elle a peur que les Bonheurs aient peur s'ils y +voyaient trop clair....</p> + +<p>L'AMOUR MATERNEL</p> + +<p>Mais elle ne sait donc pas que nous n'attendons qu'elle!... +[Appelant les autres Grandes Joies.] Venez, venez, mes sÅ“urs! +Venez, accourez toutes, c'est la Lumière qui vient enfin nous +visiter!...</p> + +<blockquote><p>[Frémissement parmi les Grandes Joies qui se rapprochent. +Cris: «La Lumière est ici!... La Lumière, la Lumière!...»] </p></blockquote> + +<p>LA JOIE-DE-COMPRENDRE, [écartant toutes les autres pour venir +embrasser la Lumière.]</p> + +<p>Vous êtes la Lumière et nous ne savions pas!... Et voici des +années, des années, des années que nous vous attendons!... Me +reconnaissez-vous?... C'est la Joie-de-comprendre qui vous a +tant cherchée.... Nous sommes très heureuses, mais nous ne +voyons pas au delà de nous-mêmes....</p> + +<p>LA JOIE-D'ÊTRE-JUSTE, [embrassant la Lumière à son tour.]</p> + +<p>Me reconnaissez-vous?... C'est la Joie-d'être-juste qui vous a +tant priée.... Nous sommes très heureuses, mais nous ne voyons +pas au delà de nos ombres....</p> + +<p>LA JOIE-DE-VOIR-CE-QUI-EST-BEAU, [l'embrassant également.]</p> + +<p>Me reconnaissez-vous?... C'est la Joie-des-beautés qui vous a +tant aimée... Nous sommes très heureuses, mais nous ne voyons pas +au delà de nos songes....</p> + +<p>LA JOIE-DE-COMPRENDRE</p> + +<p>Voyez, voyez, ma sÅ“ur, ne nous faites plus attendre.... Nous +sommes assez fortes, nous sommes assez pures.... Écartez donc ces +voiles qui nous cachent encore les dernières vérités et les +derniers bonheurs.... Voyez, toutes mes sÅ“urs s'agenouillent à +vos pieds.... Vous êtes notre reine et notre récompense....</p> + +<p>LA LUMIÈRE, [resserrant ses voiles.]</p> + +<p>Mes sÅ“urs, mes belles sÅ“urs, j'obéis à mon Maître.... +L'heure n'est pas venue, elle sonnera peut-être et je vous +reviendrai sans craintes et sans ombres.... Adieu, relevez-vous, +embrassons-nous encore comme des sÅ“urs retrouvées, en +attendant le jour qui paraîtra bientôt....</p> + +<p>L'AMOUR MATERNEL, [embrassant la Lumière.]</p> + +<p>Vous avez été bonne pour mes pauvres petits....</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Je serai toujours bonne autour de ceux qui s'aiment....</p> + +<p>LA JOIE-DE-COMPRENDRE, [s'approchant de la Lumière.]</p> + +<p>Que le dernier baiser soit posé sur mon front....</p> + +<blockquote><p>[Elles s'embrassent longuement, et, quand elles se séparent +et relèvent la tète, on voit des larmes dans leurs yeux.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL, [étonné.]</p> + +<p>Pourquoi pleurez-vous?....[regardant les autres Joies]</p> + +<p>Tiens! vous pleurez aussi.... Mais pourquoi tout le monde a-t-il +des larmes plein les yeux?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Silence, mon enfant....</p> + + +<p>RIDEAU</p> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="ACTE_CINQUIEME" id="ACTE_CINQUIEME"></a>ACTE CINQUIÈME</h3> + + + +<hr style="width: 45%;" /> +<h3><a name="DIXIEME_TABLEAU" id="DIXIEME_TABLEAU"></a>DIXIÈME TABLEAU</h3> + +<h4>LE ROYAUME DE L'AVENIR</h4> + + +<p>Les salles immenses du Palais d'Azur, où attendent les enfants +qui vont naître.—Infinies perspectives de colonnes de saphir +soutenant des voûtes de turquoise. Tout ici, depuis la lumière et +les dalles de lapis-lazuli jusqu'aux pulvérulences du fond où se +perdent les derniers arceaux, jusqu'aux moindres objets, est d'un +bleu irréel, intense, féerique. Seuls les chapiteaux et les +socles des colonnes, les clefs de voûte, quelques sièges quelques +bancs circulaires sont de marbre blanc ou d'albâtre.—A droite, +entre les colonnes, de grandes portes opalines. Ces portes, dont +le Temps, vers la fin de la scène, écartera les battants, +s'ouvrent sur la Vie actuelle et les quais de l'Aurore. Partout, +peuplant harmonieusement la salle, une foule d'enfants vêtus de +longues robes azurées.—Les uns jouent, d'autres se promènent, +d'autres causent ou songent; beaucoup sont endormis, beaucoup +aussi travaillent, entre les colonnades, aux inventions futures; +et leurs outils, leurs instruments, les appareils qu'ils +construisent, les plantes, les fleurs et les fruits qu'ils +cultivent ou qu'ils cueillent sont du même bleu surnaturel et +lumineux que l'atmosphère générale du Palais.—Parmi les enfants, +revêtues d'un azur plus pâle et plus diaphane, passent et +repassent quelques figures de haute taille, d'une beauté +souveraine et silencieuse, qui paraissent être des anges.</p> + +<hr style="width: 45%;" /> + +<blockquote><p>[Entrent à gauche, comme à la dérobée, en se glissant parmi +les colonnes du premier plan, Tyltyl, Mytyl et la Lumière. +Leur arrivée provoque un certain mouvement parmi les +Enfants-Bleus qui bientôt accourent de toutes parts et se +groupent autour des insolites visiteurs qu'ils contemplent +avec curiosité.] </p></blockquote> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Où est le Sucre, la Chatte et le bon Pain?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Ils ne peuvent pas entrer ici; ils connaîtraient l'Avenir et +n'obéiraient plus....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et le Chien?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Il n'est pas bon, non plus, qu'il sache ce qui l'attend dans la +suite des siècles.... Je les ai emprisonnés dans les souterrains +de l'église....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Où sommes-nous?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Nous sommes dans le Royaume de l'Avenir, au milieu des enfants +qui ne sont pas encore nés. Puisque le Diamant nous permet de +voir clair en cette région que les Hommes n'aperçoivent pas, nous +y trouverons fort probablement l'Oiseau-Bleu....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Bien sûr que l'Oiseau sera bleu, puisque tout y est bleu.... +[Regardant tout autour de soi.] Dieu que c'est beau tout ça!...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Regarde les enfants qui accourent....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Est-ce qu'ils sont fâchés?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Pas du tout.... Tu vois bien, ils sourient, mais ils sont +étonnés....</p> + +<p>LES ENFANTS-BLEUS, [accourant de plus en plus nombreux.]</p> + +<p>Des petits Vivants.... Venez voir les petits Vivants!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Pourquoi qu'ils nous appellent «les petits Vivants»?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Parce qu'eux, ils ne vivent pas encore....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'est-ce qu'ils font alors?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Ils attendent l'heure de leur naissance....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>L'heure de leur naissance?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Oui; c'est d'ici que viennent tous les enfants qui naissent sur +notre Terre. Chacun attend son jour.... Quand les Pères et les +Mères désirent des enfants, on ouvre les grandes portes que tu +vois là , à droite; et les petits descendent....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Y en a-t-il! Y en a-t-il!...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Il y en a bien davantage.... On ne les voit pas tous.... Pense +donc, il en faut de quoi peupler la fin des temps.... Personne ne +saurait les compter....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et ces grandes personnes bleues, qu'est-ce que c'est?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>On ne sait plus au juste.... On croit que ce sont des +gardiennes.... On dit qu'elles viendront sur Terre après les +Hommes.... Mais il n'est pas permis de les interroger....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Pourquoi?</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Parce que c'est le secret de la Terre....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et les autres, les petits, on peut leur parler?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Bien sûr, il faut faire connaissance.... Tiens, en voilà un plus +curieux que les autres.... Approche-toi, parle-lui....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'est-ce qu'il faut lui dire?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Ce que tu voudras, comme à un petit camarade....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Est-ce qu'on peut lui donner la main?</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Évidemment, il ne te fera pas de mal.... Mais voyons, n'aie donc +pas l'air si emprunté.... Je vais vous laisser seuls, vous serez +plus à l'aise entre vous.... J'ai d'ailleurs à causer avec la +Grande-personne Bleue....</p> + +<p>TYLTYL, [s'approchant de l'Enfant-Bleu et lui tendant la main.]</p> + +<p>Bonjour!... [Touchant du doigt la robe bleue de l'Enfant.] +Qu'est-ce que c'est que ça?</p> + +<p>L'ENFANT, [touchant gravement du doigt le chapeau de Tyltyl.]</p> + +<p>Et ça?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ça?... C'est mon chapeau.... Tu n'as pas de chapeau?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Non; pourquoi c'est faire?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est pour dire bonjour.... Et puis, pour quand fait froid....</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est faire froid?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Quand on tremble comme ça: brrr! brrr!... qu'on souffle dans ses +mains et qu'on fait aller les bras comme ceci....</p> + +<blockquote><p>[Il se brasse vigoureusement.] </p></blockquote> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Il fait froid sur la Terre?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais oui, des fois, l'hiver, quand on n'a pas de feu....</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Pourquoi qu'on n'en a pas?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Parce que ça coûte cher et qu'il faut de l'argent pour acheter du +bois....</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Quoi que c'est de l'argent?</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est avec quoi l'on paie....</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Ah!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Il y en a qui en ont, d'autres qui n'en ont point....</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Pourquoi?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est qu'ils ne sont pas riches.... Est-ce que tu es riche?... +Quel âge as-tu?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Je vais naître bientôt.... Je naîtrai dans douze ans.... Est-ce +que c'est bon, naître?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oh oui!... C'est amusant!...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Comment que tu as fait?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Je ne me rappelle plus.... Il y a si longtemps!...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>On dit que c'est si beau, la Terre et les Vivants!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais oui, ce n'est pas mal.... Il y a des oiseaux, des gâteaux, +des jouets.... Quelques-uns les ont tous; mais ceux qui n'en ont +pas peuvent regarder les autres....</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>On nous dit que les mères attendent à la porte.... Elles sont +bonnes, est-ce vrai?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oh oui!... Elles sont meilleures que tout ce qu'il y a!... Les +bonnes-mamans aussi; mais elles meurent trop vite....</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Elles meurent?... Qu'est-ce que c'est ça?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Elles s'en vont un soir, et ne reviennent plus....</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Pourquoi?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Est-ce qu'on sait?... Peut-être qu'elles sont tristes....</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Elle est partie, la tienne?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ma bonne-maman?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Ta maman ou ta bonne-maman, est-ce que je sais, moi?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ah! mais, ça n'est pas la même chose!... Les bonnes-mamans s'en +vont d'abord; c'est déjà assez triste.... La mienne était très +bonne....</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Qu'est-ce qu'ils ont, tes yeux?... Est-ce qu'ils font des +perles?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais non; c'est pas des perles....</p> + +<p>L'ENFANT Qu'est-ce que c'est alors?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est rien, c'est tout ce bleu qui m'éblouit un peu....</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Comment que ça s'appelle?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Quoi?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Là , ce qui tombe?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est rien, c'est un peu d'eau....</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Est-ce qu'elle sort des yeux?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui, des fois, quand on pleure....</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est pleurer?</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Moi, je n'ai pas pleuré; c'est la faute à ce bleu.... Mais si +j'avais pleuré ce serait la même chose....</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Est-ce qu'on pleure souvent?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Pas les petits garçons, mais les petites filles.... On ne pleure +pas ici?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Mais non, je ne sais pas....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Eh bien, tu apprendras.... Avec quoi que tu joues, ces grandes +ailes bleues?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Ça?... C'est pour l'invention que je ferai sur Terre....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Quelle invention?... Tu as donc inventé quelque chose?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Mais oui, tu ne sais pas?... Quand je serai sur Terre, il faudra +que j'invente la Chose qui rend Heureux....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Est-elle bonne à manger?... Est-ce qu'elle fait du bruit?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Mais non, on n'entend rien....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est dommage....</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>J'y travaille chaque jour.... Elle est presque achevée.... +Veux-tu voir?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Bien sûr.... Où donc est-elle?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Là , on la voit d'ici, entre ces deux colonnes...?</p> + +<p>UN AUTRE ENFANT-BLEU, [s'approchant de Tyltyl et le tirant par la +manche.]</p> + +<p>Veux-tu voir la mienne, dis?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais quoi, qu'est-ce que c'est?...</p> + +<p>DEUXIÈME ENFANT</p> + +<p>Les trente-trois remèdes pour prolonger la vie.... Là , dans ces +flacons bleus....</p> + +<p>TROISIÈME ENFANT, [sortant de la foule.]</p> + +<p>Moi, j'apporte une lumière que personne ne connaît!... [Il +s'illumine tout entier d'une flamme extraordinaire.] C'est assez +curieux, pas?...</p> + +<p>QUATRIÈME ENFANT, [tirant Tyltyl par le bras.]</p> + +<p>Viens donc voir ma machine qui vole dans les airs comme un oiseau +sans ailes!...</p> + +<p>CINQUIÈME ENFANT</p> + +<p>Non, non; d'abord la mienne qui trouve les trésors qui se cachent +dans la lune!...</p> + +<blockquote><p>[Les Enfants-Bleus s'empressent autour de Tyltyl et de Mytyl +en criant tous ensemble: «Non, non, viens voir la mienne!... +Non, la mienne est plus belle!... La mienne est +étonnante!... La mienne est tout en sucre!... La sienne +n'est pas curieuse.... il m'en a pris l'idée!..., etc.». +Parmi ces exclamations désordonnées, on entraîne les petits +Vivants du côté des ateliers bleus; et là , chacun des +inventeurs met en mouvement sa machine idéale. C'est un +tournoiement céruléen de roues, de disques, de volants, +d'engrenages, de poulies, de courroies, d'objets étranges +et encore innommés qu'enveloppent les bleuâtres vapeurs de +l'irréel. Une foule d'appareils bizarres et mystérieux +s'élancent et planent sous les voûtes, ou rampent au pied +des colonnes, taudis que des enfants déroulent des cartes et +des plans, ouvrent des livres, découvrent des statues +azurées, apportent d'énormes fleurs, de gigantesques fruits +qui semblent formés de saphirs et de turquoises.] </p></blockquote> + +<p>UN PETIT ENFANT-BLEU, [courbé sous le poids de colossales +pâquerettes d'azur.]</p> + +<p>Regardez donc mes fleurs!...3</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est?... Je ne les connais pas....</p> + +<p>LE PETIT ENFANT-BLEU</p> + +<p>Ce sont des pâquerettes!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Pas possible!... Elles sont grandes comme des roues....</p> + +<p>LE PETIT ENFANT-BLEU</p> + +<p>Et ce qu'elles sentent bon!...</p> + +<p>TYLTYL, [les humant.]</p> + +<p>Prodigieux!...</p> + +<p>LE PETIT ENFANT-BLEU</p> + +<p>Elles seront comme ça quand je serai sur Terre....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Quand donc?...</p> + +<p>LE PETIT ENFANT-BLEU</p> + +<p>Dans cinquante-trois ans, quatre mois et neuf jours....</p> + +<blockquote><p>[Arrivent deux Enfants-Bleus qui portent comme un lustre, +pendue à une perche, une invraisemblable grappe de raisins +dont les baies sont plus grosses que des poires.] </p></blockquote> + +<p>L'UN DES ENFANTS QUI PORTENT LA GRAPPE</p> + +<p>Que dis-tu de mes fruits?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Une grappe de poires!...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Mais non, c'est des raisins!... Ils seront tous ainsi, lorsque +j'aurai trente ans.... J'ai trouvé le moyen....</p> + +<p>UN AUTRE ENFANT, [écrasé sous une corbeille de pommes bleues +grosses comme des melons.]</p> + +<p>Et moi!... Voyez mes pommes!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais ce sont des melons!...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Mais non!... Ce sont mes pommes, et les moins belles encore!... +Toutes seront de même quand je serai vivant.... J'ai trouvé le +système!...</p> + +<p>UN AUTRE ENFANT, [apportant sur une brouette bleue des melons +bleus plus gros que des citrouilles.]</p> + +<p>Et mes petits melons?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais ce sont des citrouilles!...</p> + +<p>L'ENFANT AUX MELONS</p> + +<p>Quand je viendrai sur terre, les melons seront fiers!... Je +serai le jardinier du Roi des neuf Planètes....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Le Roi des neuf Planètes?... Où est-il?...</p> + +<p>LE ROI DES NEUF PLANÈTES, [s'avançant fièrement. Il semble avoir +quatre ans et peut à grand'peine se tenir debout sur ses petites +jambes torses.]</p> + +<p>Le voici!</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Eh bien! tu n'es pas grand....</p> + +<p>LE ROI DES NEUF PLANÈTES, [grave et sentencieux.]</p> + +<p>Ce que je ferai sera grand.</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'est-ce que tu feras?</p> + +<p>LE ROI DES NEUF PLANÈTES</p> + +<p>Je fonderai la Confédération générale des Planètes solaires.</p> + +<p>TYLTYL, [interloqué.]</p> + +<p>Ah, vraiment?</p> + +<p>LE ROI DE NEUF PLANÈTES</p> + +<p>Toutes en feront partie, excepté Saturne, Uranus et Neptune qui +sont à des distances exagérées et incommensurables.</p> + +<blockquote><p>[Il se retire avec dignité.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Il est intéressant....</p> + +<p>UN ENFANT-BLEU</p> + +<p>Et vois-tu celui-là ?</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Lequel?</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Là , le petit qui dort au pied de la colonne....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Eh bien?</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Il apportera la joie pure sur le Globe..</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Comment?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Par des idées qu'on n'a pas encore eues....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et l'autre, le petit gros qui a les doigts dans le nez, qu'est-ce +qu'il fera, lui?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Il doit trouver le feu pour réchauffer la Terre quand le Soleil +sera plus pâle....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et les deux qui se tiennent par la main et s'embrassent tout le +temps: est-ce qu'ils sont frère et sÅ“ur?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Mais non, ils sont très drôles.... Ce sont les Amoureux....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Je ne sais pas.... C'est le Temps qui les appelle ainsi pour s'en +moquer.... Ils se regardent tout le jour dans les yeux, ils +s'embrassent et se disent adieu....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Pourquoi?</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Il paraît qu'ils ne pourront pas partir ensemble....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et le petit tout rose, qui semble si sérieux et qui suce son +pouce, qu'est-ce que c'est?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Il paraît qu'il doit effacer l'Injustice sur la Terre....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ah?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>On dit que c'est un travail effrayant....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et le petit rousseau qui marche comme s'il n'y voyait pas. Est-ce +qu'il est aveugle?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Pas encore; mais il le deviendra.... Regarde-le bien; il paraît +qu'il doit vaincre la Mort....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'est-ce que ça veut dire?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Je ne sais pas au juste; mais on dit que c'est grand....</p> + +<p>TYLTYL, [montrant une foule d'enfants endormis au pied des +colonnes, sur les marches, les bancs, etc.]</p> + +<p>Et tous ceux-là qui dorment,—comme il y en a qui +dorment!—est-ce qu'ils ne font rien?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Ils pensent à quelque chose....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>A quoi?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Ils ne le savent pas encore; mais ils doivent apporter quelque +chose sur la Terre; il est défendu de sortir les mains vides....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qui est-ce qui le défend?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>C'est le Temps qui se tient à la porte.... Tu verras quand il +ouvrira.... Il est bien embêtant....</p> + +<p>UN ENFANT, [accourant du fond de la salle, en fendant la foule.]</p> + +<p>Bonjour, Tyltyl!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tiens!... Comment sait-il mon nom?...</p> + +<p>L'ENFANT, [qui vient d'accourir et qui embrasse Tyltyl et Mytyl +avec effusion.]</p> + +<p>Bonjour!... Ça va bien?...—Voyons, embrasse-moi, et toi aussi, +Mytyl.... Ce n'est pas étonnant que je sache ton nom, puisque je +serai ton frère.... On vient seulement de me dire que tu es +là .... J'étais tout au bout de la salle, en train d'emballer mes +idées....—Dis à maman que je suis prêt....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Comment?... Tu comptes venir chez nous?</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Bien sûr, l'année prochaine, le dimanche des Rameaux.... Ne me +tourmente pas trop quand je serai petit.... Je suis bien content +de vous avoir embrassés d'avance....—Dis à Papa qu'il répare le +berceau....—Est-ce qu'on est bien chez nous?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais on n'y est pas mal.... Et Maman est si bonne!...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Et la nourriture?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ça dépend.... Il y a même des jours où l'on a des gâteaux, +n'est-il pas vrai, Mytyl?...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Au Nouvel An et le Quatorze Juillet.... C'est maman qui les +fait....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'as-tu là , dans ce sac?... Tu nous apportes quelque chose?...</p> + +<p>L'ENFANT, [très fièrement.]</p> + +<p>J'apporte trois maladies: la fièvre scarlatine, la coqueluche et +la rougeole....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Eh bien, si c'est tout ça!... Et après, que feras-tu?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Après?... Je m'en irai....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ce sera bien la peine de venir!...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Est-ce qu'on a le choix?...</p> + +<blockquote><p>[A ce moment, on entend s'élever et se répandre une sorte de +vibration prolongée, puissante et cristalline qui semble +émaner des colonnes et des portes d'opale que touche une +lumière plus vive.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est?...</p> + +<p>UN ENFANT</p> + +<p>C'est le Temps!... Il va ouvrir les portes!...</p> + +<blockquote><p>[Aussitôt, un vaste remous se propage dans la foule des +Enfants-Bleus. La plupart quittent leurs machines et leurs +travaux, de nombreux dormeurs s'éveillent, et les uns comme +les autres tournent les yeux vers les portes d'opale et se +rapprochent de celles-ci.] </p></blockquote> + +<p>LA LUMIÈRE [rejoignant Tyltyl.]</p> + +<p>Tâchons de nous dissimuler derrière les colonnes.... Il ne faut +pas que le Temps nous découvre....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>D'où vient ce bruit?...</p> + +<p>UN ENFANT</p> + +<p>C'est l'Aurore qui se lève.... C'est l'heure où les enfants qui +naîtront aujourd'hui vont descendre sur Terre....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Comment qu'ils descendront?... Il y a des échelles?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Tu vas voir.... Le Temps tire les verrous....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est le Temps?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>C'est un vieil homme qui vient appeler ceux qui partent....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Est-ce qu'il est méchant?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>Non, mais il n'entend rien.... On a beau supplier, quand ce n'est +pas leur tour, il repousse tous ceux qui voudraient s'en +aller....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Est-ce qu'ils sont heureux de partir?</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>On n'est pas content quand on reste; mais on est triste quand on +s'en va.... Là ! Là !... Voilà qu'il ouvre!...</p> + +<blockquote><p>[Les grandes portes opalines roulent lentement sur leurs +gonds. On entend, comme une musique lointaine, les rumeurs +de la Terre. Une clarté rouge et verte pénètre dans la +salle: et le Temps, haut vieillard à la barbe flottante, +armé de sa faux et de son sablier, paraît sur le seuil, +tandis qu'on aperçoit l'extrémité des voiles blanches et +dorées d'une galère amarrée à une sorte de quai que forment +les vapeurs roses de l'Aurore.] </p></blockquote> + +<p>LE TEMPS, [sur le seuil.]</p> + +<p>Ceux dont l'heure est sonnée sont-ils prêts?...</p> + +<p>DES ENFANTS-BLEUS, [fendant la roule et accourant de toutes +parts.]</p> + +<p>Nous voici!... Nous voici!... Nous voici!...</p> + +<p>LE TEMPS, [d'une voix bourrue, aux enfants qui défilent devant +lui pour sortir.]</p> + +<p>Un à un!... Il s'en présente encore beaucoup plus qu'il n'en +faut!... C'est toujours la même chose!... On ne me trompe pas!... +[Repoussant un enfant.] Ce n'est pas ton tour!... Rentre, c'est +pour demain.... Toi non plus, rentre donc et reviens dans dix +ans.... Un treizième berger?... Il n'en fallait que douze; on +n'en a plus besoin, nous ne sommes plus au temps de Théocrite ou +de Virgile.... Encore des médecins?... Il y en a déjà trop; on +s'en plaint sur la Terre.... Et les ingénieurs, où sont-ils?... +On veut un honnête homme, un seul, comme phénomène.... Où donc +est l'honnête homme?... C'est toi?... [L'enfant fait signe que +oui.] Tu m'as l'air bien chétif.... tu ne vivras pas +longtemps!... Holà , vous autres, là , pas si vite!... Et toi, +qu'apportes-tu?... Rien du tout? les mains vides?... Alors on ne +passe pas.... Prépare quelque chose, un grand crime, si tu veux, +ou une maladie, moi, cela m'est égal.... mais il faut quelque +chose.... [Avisant un petit que d'autres poussent en avant et qui +résiste de toutes ses forces.] Eh bien, toi, qu'as-tu donc?... Tu +sais bien que c'est l'heure.... On demande un héros qui combatte +l'Injustice; c'est toi, il faut partir....</p> + +<p>LES ENFANTS-BLEUS</p> + +<p>Il ne veut pas, monsieur....</p> + +<p>LE TEMPS</p> + +<p>Comment?... Il ne veut pas?... Où donc se croit-il, ce petit +avorton?... Pas de réclamations, nous n'avons pas le temps....</p> + +<p>LE PETIT, [que l'on pousse.]</p> + +<p>Non, non!... Je ne veux pas!... J'aime mieux ne pas naître!... +J'aime mieux rester ici!...</p> + +<p>LE TEMPS</p> + +<p>Il ne s'agit pas de ça.... Quand c'est l'heure, c'est l'heure!... +Allons, vite, en avant!...</p> + +<p>UN ENFANT, [s'avançant.]</p> + +<p>Oh! laissez-moi passer!... J'irai prendre sa place!... On dit que +mes parents sont vieux et m'attendent depuis si longtemps!...</p> + +<p>LE TEMPS</p> + +<p>Pas de ça.... L'heure est l'heure et le temps est le temps.... +On n'en finirait pas si l'on vous écoutait.... L'un veut, l'autre +refuse, c'est trop tôt, c'est trop tard.... [Écartant des enfants +qui ont envahi le seuil.] Pas si près, les petits.... Arrière les +curieux.... Ceux qui ne partent pas n'ont rien à voir dehors.... +Maintenant vous avez hâte; puis, votre tour venu, vous aurez peur +et vous reculerez.... Tenez, en voilà quatre qui tremblent comme +des feuilles.... [A un enfant qui, sur le point de franchir le +seuil, rentre brusquement.] Eh bien, quoi?... Qu'as-tu donc?...</p> + +<p>L'ENFANT</p> + +<p>J'ai oublié la boîte qui contient les deux crimes que je devrai +commettre....</p> + +<p>UN AUTRE ENFANT</p> + +<p>Et moi le petit pot qui renferme l'idée pour éclairer les +foules....</p> + +<p>TROISIÈME ENFANT</p> + +<p>J'ai oublié la greffe de ma plus belle poire!...</p> + +<p>LE TEMPS</p> + +<p>Courez vite les chercher!... Il ne nous reste plus que six cent +douze secondes.... La galère de l'Aurore bat déjà des voiles pour +montrer qu'elle attend.... Vous arriverez trop tard et vous ne +naîtrez plus.... Allons, vite, embarquons!... [Saisissant un +enfant qui veut lui passer entre les jambes pour gagner le quai.] +Ah! toi, non, par exemple!... C'est la troisième fois que tu +essayes de naître avant ton tour.... Que je ne t'y prenne plus, +sinon ce sera l'attente éternelle près de ma sÅ“ur l'Éternité; +et tu sais qu'on ne s'y amuse pas.... Mais voyons, sommes-nous +prêts?... Tout le monde est à son poste?... [Parcourant du regard +les enfants réunis sur le quai ou déjà assis dans la galère.] Il +en manque encore un.... Il a beau se cacher, je le vois dans la +foule.... On ne me trompe pas.... Allons, toi, le petit qu'on +appelle l'Amoureux, dis adieu à ta belle....</p> + +<blockquote><p>[Les deux petits qu'on appelle «les Amoureux», tendrement +enlacés et le visage livide de désespoir, s'avancent vers le +Temps et s'agenouillent à ses pieds.] </p></blockquote> + +<p>PREMIER ENFANT</p> + +<p>Monsieur le Temps, laissez-moi partir avec lui!...</p> + +<p>DEUXIÈME ENFANT</p> + +<p>Monsieur le Temps, laissez-moi rester avec elle!...</p> + +<p>LE TEMPS</p> + +<p>Impossible!... Il ne nous reste plus que trois cent +quatre-vingt-quatorze secondes..</p> + +<p>PREMIER ENFANT</p> + +<p>J'aime mieux ne pas naître!...</p> + +<p>LE TEMPS</p> + +<p>On n'a pas le choix....</p> + +<p>DEUXIÈME ENFANT, [suppliant.]</p> + +<p>Monsieur le Temps, j'arriverai trop tard!...</p> + +<p>PREMIER ENFANT</p> + +<p>Je ne serai plus là quand elle descendra!...</p> + +<p>DEUXIÈME ENFANT</p> + +<p>Je ne le verrai plus!...</p> + +<p>PREMIER ENFANT</p> + +<p>Nous serons seuls au monde!...</p> + +<p>LE TEMPS</p> + +<p>Tout ça ne me regarde pas.... Réclamez auprès de la Vie.... Moi, +j'unis, je sépare, selon ce qu'on m'a dit.... [Saisissant l'un +des enfants.] Viens!...</p> + +<p>PREMIER ENFANT, se débattant.</p> + +<p>Non, non, non!... Elle aussi!...</p> + +<p>DEUXIÈME ENFANT, [s'accrochant aux vêtements du premier.]</p> + +<p>Laissez-le!.... Laissez-le!...</p> + +<p>LE TEMPS</p> + +<p>Mais voyons, ce n'est pas pour mourir, c'est pour vivre!... +[Entraînant le premier enfant.] Viens!...</p> + +<p>DEUXIÈME ENFANT, [tendant éperdument les bras vers l'enfant qu'on +enlève.]</p> + +<p>Un signe!... Un seul signe!... Dis-moi, comment te retrouver!...</p> + +<p>PREMIER ENFANT</p> + +<p>Je t'aimerai toujours!...</p> + +<p>DEUXIÈME ENFANT</p> + +<p>Je serai la plus triste!... Tu me reconnaîtras!...</p> + +<blockquote><p>[Elle tombe et reste étendue sur le sol.] </p></blockquote> + +<p>LE TEMPS</p> + +<p>Vous feriez beaucoup mieux d'espérer.... Et maintenant, c'est +tout.... [Consultant son sablier.] Il ne nous reste plus que +soixante-trois secondes....</p> + +<blockquote><p>[Derniers et violents remous parmi les enfants qui partent +et qui demeurent.—On échange des adieux précipités: «Adieu, +Pierre!... Adieu Jean....—As-tu tout ce qu'il faut?... +Annonce ma pensée!...—N'as-tu rien oublié?...—Tâche de me +reconnaître!...—Je te retrouverai!...—Ne perds pas tes +idées?...—Ne te penche pas trop sur l'Espace!...—Donne-moi +de tes nouvelles!...—On dit qu'on ne peut pas!...—Si, +si!... essaie toujours!...—Tâche de dire si c'est beau!... +—J'irai à ta rencontre!...—Je naîtrai sur un trône!...», +etc., etc.] </p></blockquote> + +<p>LE TEMPS, [agitant ses clefs et sa faux.]</p> + +<p>Assez! assez!... L'ancre est levée!...</p> + +<p>Les voiles de la galère passent et disparaissent. Ou entend +s'éloigner les cris des enfants dans la galère: «Terre!... +terre!... Je la vois!... Elle est belle!... Elle est claire!... +Elle est grande!...». Puis, comme sortant du fond de l'abîme, un +chant extrêmement lointain d'allégresse et d'attente.</p> + +<p>TYLTYL, [à la Lumière.]</p> + +<p>Qu'est-ce?... Ce n'est pas eux qui chantent.... On dirait +d'autres voix....</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Oui, c'est le chant des Mères qui viennent à leur rencontre...</p> + +<blockquote><p>[Cependant, le Temps referme les portes opalines. Il se +retourne pour jeter un dernier regard dans la salle, et +soudain aperçoit Tyltyl, Mytyl et la Lumière.] </p></blockquote> + +<p>LE TEMPS, [stupéfait et furieux.]</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est?... Que faites-vous ici?... Qui êtes-vous?... +Pourquoi n'êtes-vous pas bleus?... Par où êtes-vous entrés?...</p> + +<blockquote><p>[Il s'avance en les menaçant de sa faux.]</p></blockquote> + +<p>LA LUMIÈRE, [à Tyltyl.]</p> + +<p>Ne réponds pas!... J'ai l'Oiseau-Bleu.... Il est caché sous ma +mante.... Sauvons-nous.... Tourne le Diamant, il perdra notre +trace....</p> + +<blockquote><p>[Ils s'esquivent à gauche, entre les colonnes du premier +plan.] </p></blockquote> + + +<p>RIDEAU</p> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="ONZIEME_TABLEAU" id="ONZIEME_TABLEAU"></a>ONZIÈME TABLEAU</h3> + +<h4>L'ADIEU</h4> + + +<p>La scène représente un mur percé d'une petite porte. C'est la +pointe du jour.</p> + +<hr style="width: 45%;" /> + +<blockquote><p>[Entrent: Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Pain, le Sucre, le +Feu et le Lait.] </p></blockquote> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Tu ne devinerais jamais où nous sommes....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Bien sûr que non, la Lumière, puisque je ne sais pas....</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Tu ne reconnais pas ce mur et cette petite porte?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est un mur rouge et une petite porte verte....</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Et ça ne te rappelle rien?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ça me rappelle que le Temps nous a mis à la porte....</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Qu'on est bizarre quand on rêve.... On ne reconnaît pas sa propre +main....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Qui est-ce qui rêve?... Est-ce moi?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>C'est peut-être moi.... Qu'en sait-on?... En attendant, ce mur +entoure une maison que tu as vue plus d'une fois depuis ta +naissance....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Une maison que j'ai vue plus d'une fois?</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Mais oui, petit endormi!... C'est la maison que nous avons +quittée un soir, il y a tout juste, jour pour jour, une année....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Il y a tout juste une année?... Mais alors?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>N'ouvre pas des yeux comme des grottes de saphir.... C'est elle, +c'est la bonne maison des parents....</p> + +<p>TYLTYL, [s'approchant de la porte.]</p> + +<p>Mais je crois.... En effet.... Il me semble.... Cette petite +porte.... Je reconnais la chevillette.... Ils sont là ?... Nous +sommes près de Maman?... Je veux entrer tout de suite.... Je veux +l'embrasser tout de suite!...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Un instant.... Ils dorment profondément; il ne faut pas les +réveiller en sursaut.... Du reste, la porte ne s'ouvrira que +lorsque l'heure sonnera....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Quelle heure?... Il y a longtemps à attendre?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Hélas, non!... quelques pauvres minutes....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tu n'es pas heureuse de rentrer?... Qu'as-tu donc, la Lumière?... +Tu es pâle, on dirait que tu es malade..</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Ce n'est rien, mon enfant.... Je me sens un peu triste, parce que +je vais vous quitter....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Nous quitter?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Il le faut.... Je n'ai plus rien à faire ici; l'année est +révolue, la Fée va revenir et te demander l'Oiseau-Bleu....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais c'est que je ne l'ai pas, l'Oiseau-Bleu!... Celui du +Souvenir est devenu tout noir, celui de l'Avenir est devenu tout +rouge, ceux de la Nuit sont morts et je n'ai pas pu prendre celui +de la Forêt.... Est-ce ma faute à moi s'ils changent de couleur, +s'ils meurent ou s'ils s'échappent?... Est-ce que la Fée sera +fâchée, et qu'est-ce qu'elle dira?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Nous avons fait ce que nous avons pu.... Il faut croire qu'il +n'existe pas, l'Oiseau-Bleu; ou qu'il change de couleur lorsqu'on +le met en cage....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Où est-elle, la cage?...</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>Ici, maître.... Elle fut confiée à mes soins diligents durant ce +long et périlleux voyage; aujourd'hui que ma mission prend fin, +je vous la restitue, intacte et bien fermée, telle que je la +reçus.... [Comme un orateur qui prend la parole.] Maintenant, au +nom de tous, qu'il me soit permis d'ajouter quelques mots....</p> + +<p>LE FEU</p> + +<p>Il n'a pas la parole!...</p> + +<p>L'EAU</p> + +<p>Silence!...</p> + +<p>LE PAIX</p> + +<p>Les interruptions malveillantes d'un ennemi méprisable, d'un +rival envieux.... [Élevant la voix.] ne m'empêcheront pas +d'accomplir mon devoir jusqu'au bout.... C'est donc au nom de +tous....</p> + +<p>LE FEU</p> + +<p>Pas au mien.... J'ai une langue!...</p> + +<p>LE PAIX</p> + +<p>C'est donc au nom de tous, et avec une émotion contenue mais +sincère et profonde, que je prends congé de deux enfants +prédestinés, dont la haute mission se termine aujourd'hui. En +leur disant adieu avec toute l'affliction et toute la tendresse +qu'une mutuelle estime..</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Comment?... Tu dis adieu?... Tu nous quittes donc aussi?...</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>Hélas! il le faut bien.... Je vous quitte, il est vrai; mais la +séparation ne sera qu'apparente, vous ne m'entendrez plus +parler....</p> + +<p>LE FEU</p> + +<p>Ce ne sera pas malheureux!...</p> + +<p>L'EAU</p> + +<p>Silence!...</p> + +<p>LE PAIN, [très digne.]</p> + +<p>Cela ne m'atteint point.... Je disais donc: vous ne m'entendrez +plus, vous ne me verrez plus sous ma forme animée.... Vos yeux +vont se fermer à la vie invisible des choses; mais je serai +toujours là , dans la huche, sur la planche, sur la table, à côté +de la soupe, moi qui suis, j'ose le dire, le plus fidèle +commensal et le plus vieil ami de l'Homme....</p> + +<p>LE FEU</p> + +<p>Eh bien, et moi?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Voyons, les minutes passent, l'heure est près de sonner qui va +nous faire rentrer dans le silence.... Hâtez-vous d'embrasser les +enfants....</p> + +<p>LE FEU, [se précipitant.]</p> + +<p>Moi d'abord, d'abord moi!... [Il embrasse violemment les +enfants.] Adieu, Tyltyl et Mytyl!... Adieu, mes chers petits.... +Souvenez-vous de moi si jamais vous avez besoin de quelqu'un pour +mettre le Feu quelque part....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Aïe! aïe!... Il me brûle!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Aïe! aïe! Il me roussit le nez!.....</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Voyons, le Feu, modérez un peu vos transports.... Vous n'avez pas +affaire à votre cheminée....</p> + +<p>L'EAU</p> + +<p>Quel idiot!...</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>Est-il mal élevé!...</p> + +<p>L'EAU, [s'approchant des enfants.]</p> + +<p>Je vous embrasserai sans vous faire de mal, tendrement, mes +enfants....</p> + +<p>LE FEU</p> + +<p>Prenez garde, ça mouille!...</p> + +<p>L'EAU</p> + +<p>Je suis aimante et douce; je suis bonne aux humains....</p> + +<p>LE FEU</p> + +<p>Et les noyés?...</p> + +<p>L'EAU</p> + +<p>Aimez bien les Fontaines, écoutez les Ruisseaux.... Je serai +toujours là ....</p> + +<p>LE FEU</p> + +<p>Elle a tout inondé!...</p> + +<p>L'EAU</p> + +<p>Quand vous vous assiérez, le soir, au bord des Sources,—il y en +a plus d'une ici, dans la forêt,—essayez de comprendre ce +qu'elles essaient de dire.... Je ne peux plus.... Les larmes me +suffoquent et m'empêchent de parler....</p> + +<p>LE FEU</p> + +<p>Il n'y paraît point!...</p> + +<p>L'EAU</p> + +<p>Souvenez-vous de moi lorsque vous verrez la carafe.... Vous me +trouverez également dans le broc, dans l'arrosoir, dans la +citerne et dans le robinet....</p> + +<p>LE SUCRE, [naturellement papelard et doucereux.]</p> + +<p>S'il reste une petite place, dans votre souvenir, rappelez-vous +que parfois ma présence vous fut douce.... Je ne puis vous en +dire davantage.... Les larmes sont contraires à mon tempérament, +et me font bien du mal quand elles tombent sur mes pieds....</p> + +<p>LE PAIN</p> + +<p>Jésuite!...</p> + +<p>LE FEU, [glapissant.]</p> + +<p>Sucre d'orge! berlingots! caramels!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais où donc sont passés Tylette et Tylô?... Que font-ils?...</p> + +<blockquote><p>[Au même moment, on entend des cris aigus poussés par la +Chatte.] </p></blockquote> + +<p>MYTYL, [alarmée.]</p> + +<p>C'est Tylette qui pleure!... On lui fait du mal!...</p> + +<blockquote><p>[Entre en courant la Chatte, hérissée, dépeignée, les +vêtements déchirés, et tenant son mouchoir sur la joue, +comme si elle avait mal aux dents. Elle pousse des +gémissements courroucés et est serrée de très près par le +Chien qui l'accable de coups de tête, de coups de poing et +de coups de pied.] </p></blockquote> + +<p>LE CHIEN, [battant la Chatte.]</p> + +<p>Là !... En as-tu assez?... En veux-tu encore?... Là ! là ! là !...</p> + +<p>LA LUMIÈRE, TYLTYL et MYTYL, [se précipitant pour les séparer.]</p> + +<p>Tylô!... Es-tu fou?... Par exemple!... A bas!... Veux-tu +finir!... A-t-on jamais vu!... Attends! attends!...</p> + +<blockquote><p>[On les sépare énergiquement.] </p></blockquote> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est?... Que s'est-il passé?...</p> + +<p>LA CHATTE, [pleurnichant et s'essuyant les yeux.]</p> + +<p>C'est lui, madame la Lumière.... Il m'a dit des injures, il a mis +des clous dans ma soupe, il m'a tiré la queue, il m'a roué de +coups, et je n'avais rien fait, rien du tout, rien du tout!...</p> + +<p>LE CHIEN, [l'imitant.]</p> + +<p>Rien du tout, rien du tout!... [A mi-voix, lui faisant la nique.] +C'est égal, t'en as eu, t'en as eu, et du bon, et t'en auras +encore!...</p> + +<p>MYTYL, [serrant la Chatte dans ses bras.]</p> + +<p>Ma pauvre Tylette, dis-moi donc où c'est que t'as mal.... Je vais +pleurer aussi!...</p> + +<p>LA LUMIÈRE, [au Chien, sévèrement.]</p> + +<p>Votre conduite est d'autant plus indigne que vous choisissez pour +nous donner ce triste spectacle le moment, déjà assez pénible par +lui-même, où nous allons nous séparer de ces pauvres enfants....</p> + +<p>LE CHIEN, [subitement dégrisé.]</p> + +<p>Nous séparer de ces pauvres enfants?...</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Oui, l'heure que vous savez va sonner.... Nous allons rentrer +dans le Silence.... Nous ne pourrons plus leur parler....</p> + +<p>LE CHIEN, [poussant tout à coup de véritables hurlements de +désespoir et se jetant sur les enfants qu'il accable de caresses +violentes et tumultueuses.]</p> + +<p>Non, non!... Je ne veux pas!... Je ne veux pas!... Je parlerai +toujours!... Tu me comprendras maintenant, n'est-ce pas, mon +petit dieu?... Oui, oui, oui!.... Et l'on se dira tout, tout, +tout!... Et je serai Lien sage.... Et j'apprendrai à lire, à +écrire et à jouer aux dominos!... Et je serai toujours très +propre.... Et je ne volerai plus rien dans la cuisine.... Veux-tu +que je fasse quelque chose d'étonnant?... Veux-tu que j'embrasse +la Chatte?...</p> + +<p>MYTYL, [à la Chatte.]</p> + +<p>Et toi, Tylette?... Tu n'as rien à nous dire.</p> + +<p>LA CHATTE, [pincée, énigmatique.]</p> + +<p>Je vous aime tous deux, autant que vous le méritez....</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Maintenant, qu'à mon tour, mes enfants, je vous donne le dernier +baiser....</p> + +<p>TYLTYL et MYTYL, [s'accrochant à la robe de la Lumière.]</p> + +<p>Non, non, non, la Lumière!... Reste ici, avec nous!... Papa ne +dira rien.... Nous dirons à Maman que tu as été bonne....</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Hélas! je ne peux pas.... Cette porte nous est fermée et je dois +vous quitter...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Où iras-tu toute seule?</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Pas bien loin, mes enfants; là -bas, dans le pays du Silence des +choses..</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Non, non; je ne veux pas.... Nous irons avec toi.... Je dirai à +Maman....</p> + +<p>LA LUMIÈRE</p> + +<p>Ne pleurez pas, mes chers petits.... Je n'ai pas de voix comme +l'Eau; je n'ai que ma clarté que l'Homme n'entend point.... Mais +je veille sur lui jusqu'à la fin des jours.... Rappelez-vous bien +que c'est moi qui vous parle dans chaque rayon de lune qui +s'épanche, dans chaque étoile qui sourit, dans chaque aurore qui +se lève, dans chaque lampe qui s'allume, dans chaque pensée bonne +et claire de votre âme.... [Huit heures sonnent derrière le mur.] +Écoutez!... L'heure sonne.... Adieu!... La porte s'ouvre!... +Entrez, entrez, entrez!...</p> + +<blockquote><p>[Elle pousse les enfants dans l'ouverture de la petite porte +qui vient de s'entrebâiller et se referme sur eux.—Le Pain +essuie une larme furtive, le Sucre, l'Eau, tout en pleurs, +etc., fuient précipitamment et disparaissent à droite et à +gauche, dans la coulisse. Hurlements du Chien à la +cantonade. La scène reste vide un instant, puis le décor +figurant le mur de la petite porte s'ouvre par le milieu, +pour découvrir le dernier tableau.] </p></blockquote> + + + +<hr style="width: 65%;" /> + +<h3><a name="ACTE_SIXIEME" id="ACTE_SIXIEME"></a>ACTE SIXIÈME</h3> + +<hr style="width: 45%;" /> + +<h3><a name="DOUZIEME_TABLEAU" id="DOUZIEME_TABLEAU"></a>DOUZIÈME TABLEAU</h3> + + +<h4>LE RÉVEIL</h4> + + +<p>Le même intérieur qu'au premier tableau, mais tout, les murs, +l'atmosphère, y paraît incomparablement, féeriquement plus frais, +plus riant, plus heureux.—La lumière du jour filtre gaiement par +toutes les fentes des volets clos.</p> + +<hr style="width: 45%;" /> + +<blockquote><p>[A droite, au fond de la pièce, en leurs deux petits lits, +Tyltyl et Mytyl sont profondément endormis.—La Chatte, le +Chien et les Objets sont à la place qu'ils occupaient au +premier tableau, avant l'arrivée de la Fée.—Entre la Mère +Tyl.] </p></blockquote> + +<p>LA MÈRE TYL, [d'une voix allègrement grondeuse.]</p> + +<p>Debout, voyons, debout! les petits paresseux!... Vous n'avez donc +pas honte?... Huit heures sont sonnées, le soleil est déjà plus +haut que la forêt!... Dieu! qu'ils dorment, qu'ils dorment!... +[Elle se penche et embrasse les enfants.] Ils sont tout +roses.... Tyltyl sent la lavande et Mytyl le muguet.... [Les +embrassant encore.] Que c'est bon les enfants!... Ils ne peuvent +pourtant pas dormir jusqu'à midi.... On ne peut pas en faire des +paresseux.... Et puis, je me suis laissée dire que ce n'est pas +trop bon pour la santé.... [Secouant doucement Tyltyl.] Allons, +allons, Tyltyl....</p> + +<p>TYLTYL, [s'éveillant.]</p> + +<p>Quoi?... La Lumière?... Où est-elle? Non, non, ne t'en vas +pas....</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>La Lumière?... mais bien sûr qu'elle est là .... Il y a déjà pas +mal de temps.... Il fait aussi clair qu'à midi, bien que les +volets soient fermés.... Attends un peu que je les ouvre.... +[Elle pousse les volets, l'aveuglante clarté du grand jour +envahit la pièce.] Là , voilà !... Qu'est-ce que t'as?... T'as +l'air tout aveuglé...</p> + +<p>TYLTYL, [se frottant les yeux.]</p> + +<p>Maman, maman!... C'est toi!...</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Mais bien sûr que c'est moi.... Qui veux-tu que ce soit?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est toi.... Mais oui, c'est toi!...</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Mais oui, c'est moi.... Je n'ai pas changé de visage cette +nuit.... qu'as-tu donc à me regarder comme un émerveillé?... J'ai +peut-être le nez à l'envers?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oh! que c'est bon de te revoir!... Il y a si longtemps, si +longtemps!... Il faut que je t'embrasse tout de suite.... Encore, +encore, encore!... Et puis, c'est bien mon lit!... Je suis dans +la maison!...</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Qu'est-ce que t'as?... Tu ne t'éveilles pas?... T'es pas malade, +au moins?... Voyons, montre ta langue.... Allons, lève-toi donc, +et puis habille-toi....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tiens! je suis en chemise!...</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Bien sûr.... Passe ta culotte et ta petite veste.... Elles sont +là , sur la chaise....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Est-ce que j'ai fait ainsi tout mon voyage?...</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Quel voyage?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais oui, l'année dernière....</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>L'année dernière?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais oui, donc!... A Noël, lorsque je suis parti....</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Lorsque t'es parti?... T'as pas quitté la chambre.... Je j'ai +couché hier soir, et je te retrouve ce matin.... T'as donc rêvé +tout ça?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais tu ne comprends pas!... C'était l'année passée, lorsque je +suis parti avec Mytyl, la Fée, la Lumière.... elle est bonne, la +Lumière! le Pain, le Sucre, l'Eau, le Feu. Ils se battaient tout +le temps.... T'es pas fâchée?... T'as pas été trop triste?... Et +Papa, qu'a-t-il dit?... Je ne pouvais pas refuser.... J'ai laissé +un billet pour expliquer....</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Qu'est-ce que tu chantes là ?... Bien sûr que t'es malade, ou bien +tu dors encore.... [Elle lui donne une bourrade amicale.] Voyons, +réveille-toi.... Voyons, ça va-t-il mieux?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais, Maman, je t'assure.... C'est toi qui dors encore....</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Comment! je dors encore?... Je suis debout depuis six heures.... +J'ai fait tout le ménage et rallumé le feu....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais demande à Mytyl si c'est pas vrai.... Ah! noirs en avons eu +des aventures!...</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Comment, Mytyl?... Quoi donc?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Elle était avec moi.... Nous avons revu bon-papa et +bonne-maman....</p> + +<p>LA MÈRE TYL, [de plus en plus ahurie.]</p> + +<p>Bon-papa et bonne-maman?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui, au Pays du Souvenir.... C'était sur notre route.... Ils sont +morts, mais ils se portent bien.... Bonne-maman nous a fait une +belle tarte aux prunes.... Et puis les petits frères, Robert, +Jean, sa toupie, Madeleine et Pierrette, Pauline et puis +Riquette...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Riquette, elle marche à quatre pattes!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Et Pauline a toujours son bouton sur le nez....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Nous t'avons vue aussi hier au soir.</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Hier au soir? Ce n'est pas étonnant puisque je t'ai couchée.</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Non, non, aux jardins des Bonheurs, tu étais bien plus belle, +mais tu te ressemblais....</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Le jardin des Bonheurs? Je ne connais pas ça....</p> + +<p>TYLTYL, [la contemplant, puis l'embrassant.]</p> + +<p>Oui, tu étais plus belle, mais je t'aime mieux comme ça...</p> + +<p>MYTYL, [l'embrassant également.]</p> + +<p>Moi aussi, moi aussi....</p> + +<p>LA MÈRE TYL, [attendrie, mais fort inquiète.]</p> + +<p>Mon Dieu! qu'est-ce qu'ils ont?... Je vais les perdre aussi, +comme j'ai perdu les autres!... [Subitement affolée, elle +appelle.] Papa Tyl! Papa Tyl!... Venez donc! Les petits sont +malades!...</p> + +<blockquote><p>[Entre le Père Tyl, très calme une hache à la main.] </p></blockquote> + +<p>LE PÈRE TYL</p> + +<p>Qu'y a-t-il?...</p> + +<p>TYLTYL et MYTYL [accourant joyeusement pour embrasser leur père.]</p> + +<p>Tiens, Papa!... C'est Papa!... Bonjour, Papa!... Tu as bien +travaillé cette année?...</p> + +<p>LE PÈRE TYL</p> + +<p>Eh bien, quoi?... Qu'est-ce que c'est?... Ils n'ont pas l'air +malade; ils ont fort bonne mine....</p> + +<p>LA MÈRE TYL, [larmoyante.]</p> + +<p>Il ne faut pas s'y fier.... Ce sera comme les autres.... Ils +avaient fort bonne mine aussi, jusqu'à la fin; et puis le bon +Dieu les a pris.... Je ne sais ce qu'ils ont.... Je les avais +couchés bien tranquillement hier au soir; et ce matin, quand ils +s'éveillent, voilà que tout va mal.... Ils ne savent plus ce +qu'ils disent; ils parlent d'un voyage.... Ils ont vu la Lumière, +grand-papa, grand'maman, qui sont morts mais qui se portent +bien....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais bon-papa, il a toujours sa jambe de bois....</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Et bonne-maman ses rhumatismes....</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Tu entends?... Cours chercher le médecin!...</p> + +<p>LE PÈRE TYL</p> + +<p>Mais non, mais non.... Ils ne sont pas encore morts.... Voyons, +nous allons voir.... [On frappe à la porte île la maison.] +Entrez!</p> + +<blockquote><p>[Entre la Voisine, petite vieille qui ressemble à la Fée du +premier acte, et qui marche en s'appuyant sur un bâton.] </p></blockquote> + +<p>LA VOISINE</p> + +<p>Bien le bonjour et bonne fête à tous!</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>C'est la Fée Bérylune!</p> + +<p>LA VOISINE</p> + +<p>Je viens chercher un peu de feu pour mon pot-au-feu de la +fête.... Il fait bien frisquet ce matin.... Bonjour, les enfants, +ça va bien?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Madame la Fée Bérylune, je n'ai pas trouvé l'Oiseau-Bleu....</p> + +<p>LA VOISINE</p> + +<p>Que dit-il?...</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Ne m'en parlez pas, madame Berlingot.... Ils ne savent plus ce +qu'ils disent.... Ils sont comme ça depuis leur réveil.... Ils +ont dû manger quelque chose qui n'était pas bon....</p> + +<p>LA VOISINE</p> + +<p>Eh bien, Tyltyl, tu ne reconnais pas la mère Berlingot, ta +voisine Berlingot?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais si, madame.... Vous êtes la Fée Bérylune.... Vous n'êtes pas +fâchée?...</p> + +<p>LA VOISINE</p> + +<p>Béry.... quoi?</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Bérylune</p> + +<p>LA VOISINE</p> + +<p>Berlingot, tu veux dire Berlingot....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Bérylune, Berlingot, comme vous voudrez, madame.... Mais Mytyl +qui sait bien....</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Voilà le pis, c'est que Mytyl aussi....</p> + +<p>LE PÈRE TYL</p> + +<p>Bah, bah!... Cela se passera; je vais leur donner quelques +claques....</p> + +<p>LA VOISINE</p> + +<p>Laissez donc, ce n'est pas la peine.... Je connais ça; c'est rien +qu'un peu de songeries.... Ils auront dormi dans un rayon de +lune.... Ma petite fille qu'est bien malade est souvent comme +ça....</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>A propos, comment qu'elle va, ta petite fille?</p> + +<p>LA VOISINE</p> + +<p>Couci-couci.... Elle ne peut se lever.... Le docteur dit que +c'est les nerfs.... Tout de même je sais bien ce qui la +guérirait.... Elle me le demandait encore ce matin, pour son +petit noël; c'est une idée qu'elle a....</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Oui, je sais, c'est toujours l'oiseau de Tyltyl.... Eh bien, +Tyltyl, ne vas-tu pas le lui donner enfin, à cette pauvre +petite?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Quoi, Maman?...</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Ton oiseau.... Pour ce que tu en fais.... Tu ne le regardes même +plus.... Elle en meurt d'envie depuis si longtemps!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Tiens, c'est vrai, mon oiseau.... Où est-il?... Ah! mais voilà la +cage!... Mytyl, vois-tu la cage?... C'est celle que portait le +Pain.... Oui, oui, c'est bien la même; mais il n'y a plus qu'un +oiseau.... Il a donc mangé l'autre?... Tiens, tiens!... Mais il +est bleu!... Mais c'est ma tourterelle!... Mais elle est bien +plus bleue que quand je suis parti!... Mais c'est là +l'Oiseau-Bleu que mous avons cherché!... Nous sommes allés si +loin et il était ici!... Ah! ça, c'est épatant!... Mytyl, vois-tu +l'oiseau?... Que dirait la Lumière?... Je vais décrocher la +Cage.... [Il monte sur une chaise et décroche la cage qu'il +apporte à la Voisine.] La voilà , madame Berlingot.... Il n'est +pas encore tout à fait bleu; ça viendra, vous verrez.... Mais +portez-le bien vite à votre petite fille....</p> + +<p>LA VOISINE</p> + +<p>Non?... Vrai?... Tu me le donnes, comme ça, tout de suite et pour +rien?... Dieu! qu'elle va être heureuse!... [Embrassant Tyltyl.] +Il faut que je t'embrasse!... Je me sauve!... Je me sauve!...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Oui, oui; allez vite.... Il y en a qui changent de couleur....</p> + +<p>LA VOISINE</p> + +<p>Je reviendrai vous dire ce qu'elle aura dit....</p> + +<blockquote><p>[Elle sort.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL, [après avoir longuement regardé autour de soi.]</p> + +<p>Papa, Maman; qu'avez-vous fait à la maison?... C'est la même +chose; mais elle est bien plus belle....</p> + +<p>LE PÈRE TYL</p> + +<p>Comment, elle est plus belle?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Mais oui, tout est repeint, tout est remis à neuf, tout reluit, +tout est propre.... Ça n'était pas comme ça, l'année dernière....</p> + +<p>LE PÈRE TYL</p> + +<p>L'année dernière?...</p> + +<p>TYLTYL, [allant à la fenêtre.]</p> + +<p>Et la forêt qu'on voit!... Est-elle grande, est-elle belle!... On +croirait qu'elle est neuve!... Qu'on est heureux ici!... [Allant +ouvrir la huche.] Où est le Pain?... Tiens, ils sont bien +tranquilles.... Et puis, voilà Tylô!... Bonjour, Tylô, Tylô!... +Ah! tu t'es bien battu!... Te rappelles-tu dans la forêt?...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Et Tylette?... Elle me reconnaît bien, mais elle ne parle +plus....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Monsieur le Pain.... [Se tâtant le front.] Tiens, je n'ai plus le +Diamant! Qui est-ce qui m'a pris mon petit chapeau vert?... Tant +pis! je n'en ai plus besoin....—Ah! le Feu!... Il est bon!... Il +pétille en riant pour faire enrager l'Eau.... [Courant à la +fontaine.]—Et l'Eau?... Bonjour, l'Eau!... Que dit-elle?... Elle +parle toujours, mais je ne la comprends plus aussi bien..</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Je ne vois pas le Sucre....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Dieu que je suis heureux, heureux, heureux!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Moi aussi, moi aussi!...</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Qu'ont-ils donc à tourniller comme ça?...</p> + +<p>LE PÈRE TYL</p> + +<p>Laisse donc, t'inquiète pas.... Ils jouent à être heureux....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Moi, j'aimais surtout la Lumière.... Où est sa lampe?... Est-ce +qu'on peut l'allumer?... [Regardant encore autour de soi.] Dieu! +que c'est beau tout ça et que je suis content!...</p> + +<blockquote><p>[On frappe à la porte de la maison.] </p></blockquote> + +<p>LE PÈRE TYL</p> + +<p>Entrez donc!...</p> + +<blockquote><p>[Entre la Voisine, tenant par la main une petite fille d'une +beauté blonde et merveilleuse qui serre dans ses bras la +tourterelle de Tyltyl.] </p></blockquote> + +<p>LA VOISINE</p> + +<p>Vous voyez le miracle!...</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Pas possible!... Elle marche?...</p> + +<p>LA VOISINE</p> + +<p>Elle marche!... C'est-à -dire qu'elle court, qu'elle danse, +qu'elle vole!... Quand elle a vu l'oiseau, elle a sauté, comme +ça, d'un saut, vers la fenêtre, pour voir à la lumière si c'était +bien la tourterelle de Tyltyl.... Et puis pfff!... dans la rue, +comme un ange.... C'est tout juste si je pouvais la suivre....</p> + +<p>TYLTYL, [s'approchant, émerveillé.]</p> + +<p>Oh! qu'elle ressemble à la Lumière!...</p> + +<p>MYTYL</p> + +<p>Elle est bien plus petite....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Sûr!... Mais elle grandira...</p> + +<p>LA VOISINE</p> + +<p>Que disent-ils?... Ça ne va pas encore?...</p> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Ça va mieux, ça se passe.... Quand ils auront déjeuné, il n'y +paraîtra plus....</p> + +<p>LA VOISINE, [poussant la petite fille dans les bras de Tyltyl.]</p> + +<p>Allons, va, ma petite, va remercier Tyltyl....</p> + +<blockquote><p>[Tyltyl, soudainement intimidé, recule d'un pas.] </p></blockquote> + +<p>LA MÈRE TYL</p> + +<p>Eh bien, Tyltyl, qu'est-ce que t'as?... T'as peur de la petite +fille?... Voyons, embrasse-la.... Voyons, un gros baiser.... +Mieux que ça.... Toi si effronté d'habitude!... Encore un!... +Mais qu'est-ce donc que t'as?... On dirait que tu vas pleurer....</p> + +<blockquote><p>[Tyltyl, après avoir gauchement embrassé la petite fille, +reste un moment debout devant elle, et les deux enfants se +regardent sans rien dire; puis, Tyltyl caressant la tète de +l'oiseau.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Est-ce qu'il est assez bleu?...</p> + +<p>LA PETITE FILLE</p> + +<p>Mais oui, je suis contente....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>J'en ai vu de plus bleus.... Mais les tout à fait bleus, tu sais, +on a beau faire, on ne peut pas les attraper.</p> + +<p>LA PETITE FILLE</p> + +<p>Ça ne fait rien, il est bien joli....</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Est-ce qu'il a mangé?...</p> + +<p>LA PETITE FILLE</p> + +<p>Pas encore.... Qu'est-ce qu'il mange?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>De tout, du blé, du pain, du maïs, des cigales....</p> + +<p>LA PETITE FILLE</p> + +<p>Comment qu'il mange, dis?...</p> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Par le bec, tu vas voir, je vais te montrer....</p> + +<blockquote><p>[Il va pour prendre l'oiseau des mains de la petite fille; +celle-ci résiste instinctivement, et, profitant de +l'hésitation de leur geste, la tourterelle s'échappe et s'en +vole.] </p></blockquote> + +<p>LA PETITE FILLE, [poussant un cri de désespoir.]</p> + +<p>Maman!... Il est parti!...</p> + +<blockquote><p>[Elle éclate en sanglots.] </p></blockquote> + +<p>TYLTYL</p> + +<p>Ce n'est rien.... Ne pleure pas.... Je le rattraperai.... +[S'avançant sur le devant de la scène et s'adressant au public.] +Si quelqu'un le retrouve, voudrait-il nous le rendre?... Nous en +avons besoin pour être heureux plus tard....</p> + + +<p>RIDEAU</p> +<hr style="width: 95%;" /> + +<p class="caption"><a name="Table_des_matieres" id="Table_des_matieres"></a>Table des matières</p> + + +<p style="font-size: 0.8em;"> +<a href="#COSTUMES">COSTUMES</a><br /> +<a href="#TABLEAUX">TABLEAUX</a><br /> +<a href="#PERSONNAGES">PERSONNAGES</a><br /><br /> +<a href="#LOISEAU_BLEU">L'OISEAU BLEU</a><br /><br /> +<a href="#ACTE_PREMIER">ACTE PREMIER</a><br /> +<a href="#PREMIER_TABLEAU">PREMIER TABLEAU</a><br /><br /> +<a href="#ACTE_DEUXIEME">ACTE DEUXIÈME</a><br /> +<a href="#DEUXIEME_TABLEAU">DEUXIÈME TABLEAU</a><br /> +<a href="#TROISIEME_TABLEAU">TROISIÈME TABLEAU</a><br /><br /> +<a href="#ACTE_TROISIEME">ACTE TROISIÈME</a><br /> +<a href="#QUATRIEME_TABLEAU">QUATRIÈME TABLEAU</a><br /> +<a href="#CINQUIEME_TABLEAU">CINQUIÈME TABLEAU</a><br /><br /> +<a href="#ACTE_QUATRIEME">ACTE QUATRIÈME</a><br /> +<a href="#SIXIEME_TABLEAU">SIXIÈME TABLEAU</a><br /> +<a href="#SEPTIEME_TABLEAU">SEPTIÈME TABLEAU</a><br /> +<a href="#HUITIEME_TABLEAU">HUITIÈME TABLEAU</a><br /> +<a href="#NEUVIEME_TABLEAU">NEUVIÈME TABLEAU</a><br /><br /> +<a href="#ACTE_CINQUIEME">ACTE CINQUIÈME</a><br /> +<a href="#DIXIEME_TABLEAU">DIXIÈME TABLEAU</a><br /> +<a href="#ONZIEME_TABLEAU">ONZIÈME TABLEAU</a><br /><br /> +<a href="#ACTE_SIXIEME">ACTE SIXIÈME</a><br /> +<a href="#DOUZIEME_TABLEAU">DOUZIÈME TABLEAU</a><br /> +</p> + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of L'oiseau bleu, by Maurice Maeterlinck + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'OISEAU BLEU *** + +***** This file should be named 38849-h.htm or 38849-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/3/8/8/4/38849/ + +Produced by Annemie Arnst & Marc D'Hooghe at +http://www.freeliterature.org (From images generously made +available by the Internet Archive.) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. 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