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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: L'Illustration, No. 0015, 10 Juin 1843 + +Author: Various + +Release Date: August 19, 2011 [EBook #37135] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION *** + + + + +Produced by Rénald Lévesque + + + + + + + +L'Illustration, No. 0015, 10 Juin 1843 + +L'ILLUSTRATION, + +JOURNAL UNIVERSEL. + +Nº 15. Vol. I. SAMEDI 10 JUIN 1843 + +Bureaux, rue de Seine. 33, + +Ab pour Paris.--3 mois, 8 fr..--6 mois 16 fr,--Un an, 30 fr. Prix de +chaque Nº 75 c.--La collection mensuelle, 2 fr. 75. + +Ab. pour les Dep.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr. pour +l'étranger,--10--20--40 + + + +SOMMAIRE + +Troubles en Irlande. _Portrait d'O'Connell_.--Courrier de Paris.--Suite +de concerts de la rue de la victoire. _O Salutaris de Palestrina; rue de +la salle des concerts_.--La cour du grand duc, nouvelle, par Eugène +Guinot (suite).--Distribution prix de l'Académie des jeux floraux. +_Jetons de présence, statue de Clémence Isaure._--Les plaisirs des +Champs-Elysées. _L'attelage des chèvres; le pesage; le dynamomètre; le +physicien; les chanteurs ambulants; le restaurant +Ledoyen._--Compte-rendu de l'Académie des sciences depuis le +commencement de l'année.--Météorologie pendant le mois de mai.--La +galvanographie.--Trois gravures d'après Garvani.--Théâtre de +l'Opéra-Comique. _Une scène d'Angélique et Médor_. +--Bibliographie.--Ameublements. Un salon Louis XV. Problèmes +divers.--Rébus. + + + +Troubles en Irlande. + +L'Europe est dans l'attente, le sol tremble en Irlande, et la guerre +semble près de l'ensanglanter. Jamais O'Connell n'a eu plus de +puissance. A sa voix, les populations se lèvent par milliers et lui +dressent sur les routes des arcs de triomphe; les laboureurs abandonnent +leurs charrues, les artisans leurs ateliers, et le suivent à pied, en +chariots, à cheval; les femmes montent en croupe; partout les villages, +les villes se dépeuplent pour faire au «grand agitateur» un cortège tel +que n'en ont plus les rois, tel que n'avaient point les orateurs +antiques, tel que, pour en trouver qui lui soient comparables, il +faudrait peut-être remonter par la pensée jusqu'aux annales de la Judée, +et se rappeler les multitudes fanatisées, errantes et haletantes aux +prédications des prophètes. O'Connell s'arrête et parle: 500 mille +hommes s'arrêtent et écoutent. A ses gestes plus qu'à ses paroles, ils +relatent tour è tour en applaudissements, en murmures, ils jettent au +ciel des cris terribles contre leurs oppresseurs. Mais que le tribun +fasse un signe, aussitôt tout rentre dans le silence, dans le calme; +attentive et soumise, on dirait que la foule immense n'a comme lui +qu'une voix et un coeur. Pareil spectacle ne s'est vu nulle part +ailleurs de notre temps et y semble un anachronisme sublime. Quelle +émotion profonde s'est donc emparée de cette nation, et quelle est la +source de l'autorité de celui qui la guide? Que veut l'Irlande? + +Ce qu'elle veut? Quand même vous pourriez l'ignorer, répondez avec +assurance:--Quoi qu'elle veuille, elle a raison de le vouloir. Quelle +que soit sa cause, sa cause est juste et sainte. Une preuve suffit: +l'Irlande a les sympathies de la France, et jamais la France ne s'est +trompée dans ses sympathies. + +Certes, la cause politique de l'Irlande n'est pas à beaucoup d'égards +celle de la France. Si l'on consulte ses regrets, ses plaintes, ses +voeux, on voit aisément qu'entre elle et nous il y a la distance de +plusieurs siècles. Il est évident qu'elle aspire à une constitution dont +les principaux éléments appartiennent à un passé dont nous ne voulons +plus. Supposer que O'Connell ait jamais été sympathique à nos +révolutions, supposer que s'il pouvait prendre place parmi nos +représentants, il fut disposé le moins du monde à y joindre sa voix à +celle des fractions libérales, ce serait assurément une lourde erreur. +Il y a plus, s'il faut tout dire; le rappel de l'union, considéré en +théorie et en dehors des circonstances qui peuvent en fait le rendre +utile et même nécessaire, est une mesure directement contraire aux +principes d'unité et d'association des peuples qui ont toujours inspiré +et distingué la politique française. Cependant, en prenant parti pour +l'Irlande, nous ne sommes pas en contradiction avec nous-mêmes: nous +aimons et nous devons aimer l'Irlande; tous nos voeux sont pour elle, +parce qu'elle est asservie, opprimée, parce qu'elle souffre parce qu'en +elle l'humanité est indignement violée, parce qu'elle a besoin d'être +aimée et d'être encouragée, parce qu'enfin il est un principe de morale +qui domine toutes les théories politiques: c'est que la charité est le +premier de tous les devoirs pour les individus et pour les peuples, +comme la liberté est pour eux le premier de tous les biens. + +[Illustration: O'Connell.] + +Ajoutons seulement cette autre réserve: les inimitiés de races sont de +fausses inimitiés qui doivent tôt ou tard disparaître; la cause du +peuple irlandais est au fond celle du peuple anglais; les misères des +classes ouvrières anglaises n'excitent pas moins de pitié en Europe que +celles des Irlandais; et il y a longtemps que les deux peuples, s'ils +avaient pu comprendre quel est leur ennemi commun, se seraient tendu la +main et affranchis ensembles. + +Quoi qu'il en soit, il est trop vrai que l'antipathie de races a fait +alliance avec l'esprit de caste, et que de la part de l'Angleterre il y +a eu ligue contre les Irlandais entre ces deux principes d'oppression. +Nous savons tous que depuis sept siècles, l'Irlande conquise par les +Anglais n'a pas cessé jusqu'à nos jours d'être traitée en peuple +conquis; nous savons que son histoire, à partir de l'année 1469, en une +bule du pape Adrien IV l'a livrée en proie à l'Angleterre, n'est qu'une +longue suite de souffrances de constants mais vains efforts pour briser +ses fers. Et n'est-ce pas une chose remarquable que cette impuissance +absolue de l'Angleterre à s'associer les peuples qu'elle a vaincus, à +leur faire oublier ses victoires, à les faire entrer en partage de ses +moeurs, de sa civilisation, de sa nationalité? Que ses colonies secouent +sans cesse leur joug avec une haine impatiente: que l'Amérique du Nord, +malgré la communauté d'origine, ait répudié et énergiquement repoussé au +delà des mers sa tutelle tyrannique; que l'Inde énervée et rêveuse, +enchaînée pendant son sommeil, ait des réveils parfois si terribles, il +n'y a rien qui doive étonner. On conçoit qu'il soit difficile à +l'Angleterre d'étendre aussi loin une influence active et soutenue. Mais +que sur le même sol pour ainsi dire, qu'entre ces rivages baignés des +mêmes flots, que dans les limites restreintes de ce petit archipel où +elle a planté comme un sceptre son orgueilleux triplent et d'où elle +prétend gouverner le monde, elle n'ait su ni voulu, dans l'espace de +sept cents ans, se concilier les sympathies d'une population vive, +aimante, accessible à tous les sentiments nobles et généreux; qu'elle +n'ait réussi ni par affection, ni par ruse à l'attacher à elle par aucun +lieu de fraternité; qu'elle ne l'ait pas même habituée à la résignation, +n'est-ce point là une haute et sévère condamnation de son caractère et +de la tendance matérialiste de ses instincts? + +A l'irritation naturelle des Irlandais, après l'injuste envahissement de +leur territoire, vint se joindre, dans les siècles suivants un autre +sujet de ressentiment non moins légitime et non moins profond, lorsque +l'Angleterre fut devenue protestante, elle voulut imposer sa réforme +religieuse à l'Irlande; il s'ensuivit des guerres opiniâtres éternelles +qui n'eurent d'autres résultats que d'accroître les souffrances et +l'humiliation de l'Irlande. Ce malheureux pays fut surchargé d'impôts: +il fut obligé de payer d'énormes dîmes au clergé anglican; il lui lut +défendu d'exporter le blé, le bétail, tes lainages; des lois furent +rendues pour interdire aux catholiques l'entrée au Parlement, les +fonctions publiques et jusqu'au droit d'acquérir des biens-fonds. Les +Irlandais n'eurent plus d'autres ressources pour vivre que de louer à +des prix exorbitants les domaines dont ils avaient été dépouiller. La +misère, la corruption, furent les conséquences nécessaires de cette +odieuse politique. + +Au dernier siècle, Swift écrivait: «Traversez l'Irlande, regardez ces +figures hâves, ces bouges misérables, ces champs à peine défrichés, ces +femmes nues, ces bommes qui ressemblent à des bêtes fauves; dites si le +jugement de Dieu n'est pas descendu sur nos têtes. Est-ce l'Irlande ou +la Laponie, et reconnaîtrez-vous notre pays où la terre est fertile, le +ciel doux, le climat modéré, les hommes doués de qualités souples, +variées, heureuses? Des haillons, une détestable nourriture, la +désolation de presque tout le royaume; les habitants sans bas, sans +souliers, sans abri, vivant de pommes de terre; en aucun pays on ne vit +jamais autant de mendiants.» + +Le spectacle que l'Irlande offre aujourd'hui au voyageur; n'est pas +moins déplorable, la misère n'y est pas moins affreuse; mais sous +différents rapports, la condition politique du pays, quoique loin d'être +ce qu'il faudrait qu'elle fût, s'est considérablement améliorée. + +L'insurrection victorieuse des colonies anglaises de l'Amérique du Nord +ouvrit une ère nouvelle. Ce grand événement inspira à l'Irlande plus de +confiance dans l'avenir; pour la première fois, depuis plusieurs +siècles, elle se sentit renaître à la vie politique. Ses côtes étaient +menacées d'une descente et d'une invasion étrangères; l'Angleterre, +occupée à soumettre ses colonies rebelles, ne pouvait la défendre; elle +trouva en elle les ressources nécessaires. L'Irlande se couvrit en peu +de jours d'une milice volontaire qui s'arma, s'enrégimenta, s'organisa +elle-même, nomma ses chefs. Une armée de quarante mille hommes fut sur +pied, et dès lors l'Irlande eut le secret de sa force; mais il lui +restait à apprendre les moyens de s'en servir. + +L'Angleterre, au plus fort même de sa tyrannie, avait été contrainte de +laisser aux Irlandais des libertés et des droits tels que peu de peuples +en possèdent encore aujourd'hui en Europe: ce n'était point générosité +de sa part; ses moeurs, ses habitudes, ses préjugés mêmes, l'obligeaient +à ces concessions. Ainsi, tandis qu'elle exerçait sur l'Irlande une +oppression dont rien n'égale;'iniquité, la presse y était libre et +n'avait jamais cessé de l'être. Le principe de la responsabilité des +agents du pouvoir devant l'autorité judiciaire était demeuré intact au +milieu des plus grands troubles. Les Irlandais ne pouvaient à la vérité +se réunir dans leurs églises pour prier Dieu comme il leur convenait, +mais ils étaient libres de s'assembler sur les places publiques pour +délibérer sur les rigueurs dont ils étaient victimes. Jamais en Irlande +le principe du jury n'a été contesté: jamais, et dans aucun temps, le +gouvernement anglais n'a mis en doute le droit qu'ont tous les citoyens +de s'associer; jamais on ne l'a vu interdire l'usage de peur de l'abus, +et prétendre régler ce droit en faisant dépendre son exercice d'une +autorisation officielle, comme si la nécessité de l'autorisation n'était +pas négative du droit. + +Les Volontaires se servirent de ces libertés pour entreprendre +l'indépendance de l'Irlande. Le jury, la liberté de la presse, le droit +d'association, la responsabilité des agents du pouvoir, l'habeas-corpus, +devinrent dans leurs mains des armes redoutables, et l'Angleterre +comprit enfin qu'il y avait en Irlande des adversaires avec lesquels il +fallait compter. Les catholiques y gagnèrent les premiers, et +quelques-unes des lois d'oppression qui avaient été dirigées contre eux +furent rappelées. + +L'Irlande avait un Parlement, mais ce Parlement ne pouvait s'assembler +sans que les motifs de sa convocation et les projets de loi qu'on se +proposait d'y discuter n'eussent préalablement été approuvés par le +gouvernement anglais. Sur l'initiative des volontaires, le Parlement +irlandaise déclara indépendant, et proclama qu'aucun pouvoir sur la +terre n'avait le droit de faire des lois obligatoires pour l'Irlande, +hors le roi, les lords et les communes d'Irlande. Ces faits se passaient +en 1782. + +Hardiment engagée dans cette voie de réforme et d'indépendance, +l'Irlande travailla rapidement à s'affranchir des entraves que lui avait +imposées;'Angleterre: l'explosion de la révolution française accéléra +encore ce mouvement. Le gouvernement anglais se hâta de faire les +concessions les plus impérieusement réclamées par les réformateurs +irlandais, soit protestants, soit catholiques; mais l'appel que les plus +ardents d'entre firent aux armes françaises compromit leur cause. + +L'Angleterre, qui avait toléré assez patiemment l'insurrection légale +des Irlandais, ne pouvait souffrir une invasion française; elle défendit +sa conquête et ses privilèges par les armes, et l'Irlande retomba sous +le joug. Alors, dans la crainte que le Parlement irlandais ne vint à +recouvrer encore une fois son indépendance, l'Angleterre voulut lui en +ôter les moyens en l'incorporant au Parlement anglais. La corruption +unie à la violence triompha des répugnances les plus opiniâtres, et, en +1800, l'union fut prononcée entre l'Irlande et la Grande-Bretagne. Il ne +faut pas croire que cette union eut pour effet de confondre l'Irlande +avec l'Angleterre, d'en faire une province anglaise, soumise en touts +points au même gouvernement, à la même police et aux mêmes lois. L'acte +de l'union laissa à l'Irlande toutes ses lois, seulement il établit que +désormais toutes les lois nécessaires aux deux pays seraient faites par +un parlement commun, où l'Angleterre et l'Irlande enverraient leurs +représentants. + +Jusque-là il n'avait été question en Irlande que de l'indépendance +politique: les catholiques, il est vrai, avaient été délivrés des lois +les plus oppressives portées contre eux, mais ils étaient encore sous le +poids des lois qui les rendaient incapables d'exercer les droits +politiques. Le gouvernement anglais s'était engagé à abolir ces lois +comme un adoucissement aux rigueurs de l'acte d'union; mais, malgré +l'engagement formel pris par Pitt, ces lois ne lurent pas rappelées, par +suite de la résistance de Georges III. Dès lors, l'Irlande, avertie par +ses malheurs passés, au lieu de recourir à la violence et à la révolte +pour obtenir justice, n'employa plus pour obtenir le redressement de ses +griefs, que les moyens légaux que lui offrait la Constitution: elle en +appela à la presse et à l'association. Vers l'année 1810, un comité de +catholiques s'organisa à Dublin pour obtenir l'émancipation catholique; +elle avait pour but le progrès légal; elle mit en oeuvre l'agitation +sans violence, la résistance sans; révolution; aussi réunit-elle bientôt +dans son sein tout ce qu'il y avait en Irlande d'instincts et de besoins +d'indépendance. + +Ce n'était pas assez, pour triompher, d'avoir une cause sainte, de +défendre la cause de la liberté politique et religieuse, il fallait être +conduits avec sagesse et prudente, il fallait trouver un chef capable de +diriger le peuple, qui gagnât la confiance de l'Irlande et n'effrayât +pas d'abord l'Angleterre; un homme profondément pénétré de l'état du +pays, comprenant également ses besoins et ses périls, assez puissant par +la parole pour exciter dans l'âme du peuple des passions ardentes contre +ce qui restait de servitude, et assez sage pour en arrêter l'élan à la +limite de l'insurrection; qui, jurisconsulte subtil autant que tribun +éloquent, assez impétueux pour pousser l'Irlande et assez fort pour la +contenir à son gré, sût se contenir dans les bornes de la légalité et +défendre lui-même avec succès devant un jury les excès qu'il avait +encouragés. Cet homme, ce chef, l'Irlande le trouva dans Daniel +O'Connell. + +Ou se trompe certainement lorsque l'on attribue à O'Connell l'honneur +d'avoir réveillé chez les Irlandais la haine de la servitude et d'avoir +conquis la liberté religieuse. Le mouvement d'indépendance avait précédé +de longtemps l'apparition d'O'Connell sur la scène du monde; mais le +mérite de cet homme extraordinaire est d'avoir adopté la défense de son +pays malheureux, d'avoir compris les souffrances de l'Irlande, de s'en +être fait le représentant, de s'être dévoué à cette noble tâche, et +d'avoir hâté, par ses qualités les plus diverses, le triomphe de la +cause dont il s'était constitué l'organe. + +Né à Dublin, d'une famille ancienne et qui descend, dit-on, des anciens +rois d'Irlande, O'Connell fut élevé en France dans les colléges +catholiques de Saint-Omer et de Douai. Jeune encore, il embrassa la +carrière du barreau et se distingua par une éloquence forte et +passionnée et par une ardeur intrépide à défendre ses coreligionnaires. +Orateur applaudi dans les meetings, il se trouva porté tout +naturellement à faire partie de l'association catholique, et il ne tarda +pas à en devenir un des directeurs et après quelques années le chef +tout-puissant. + +Assurément, ce qui distingue O'Connell, ce n'est pas l'éclat de telle +qualité particulière, c'est plutôt l'assemblage de plusieurs qualités +ordinaires, mais dont la réunion est singulièrement rare. Il y a, sans +contredit, dans les rangs des catholiques irlandais, des orateurs d'une +éloquence plus pure, des écrivains plus remarquables, des hommes +d'action aussi courageux et aussi résolus; mais O'Connell réunit les +qualités d'orateur, d'écrivain et d'homme d'action, et il les soumet à +une prudence consommée qui dirige ses actions les plus spontanées en +apparence. Accordez-lui en outre un bon ses parfait, et vous comprendrez +la fortune d'O'Connell. + +Grâce à ces qualités, O'Connell, en prenant en main la direction de +l'association catholique, comprit que l'Irlande avait été trop +facilement abattue par l'Angleterre dans toutes ses tentatives +d'insurrection pour qu'elle dût demander désormais aux armes la justice +qu'elle demandait de l'Angleterre. Un zèle imprudent eût fait perdre les +lentes acquisitions des cinquante dernières aimées, et avant de songer à +une indépendance complète, il fallait user de tous les moyens que +fourniraient les droits que l'Angleterre avait reconnus à l'Irlande. +Demeurant strictement dans les limites de la légalité, O'Connell +entreprit de donner à son pays la seule situation qui pût le satisfaire, +et tenir l'Angleterre dans une inquiétude favorable à l'Irlande; il +établit un état permanent de guerre constitutionnelle, si l'on peut se +servir de cette expression, une paix sans cesse agitée, un état +intermédiaire entre le régime des lois et l'insurrection. + +C'est dans la conduite de cette association qu'il faut admirer le génie +d'O'Connell. Il lui a donné les bases d'un parlement régulier; elle est +représentée par un comité central séant à Dublin et composé de membres +dont le mode d'élection a varié suivant les circonstances. Ce comité, +sous l'inspiration d'O'Connell, s'assemble régulièrement, examine les +lois proposées, les discute, censure les actes du pouvoir et ses agents, +prend des résolutions, les publie dans un journal spécial. Comme tous +les gouvernements établis, l'association lève des impôts en échange de +la protection qu'elle donne. Elle commande, et l'Irlande obéit. Dès +qu'elle l'ordonne, toutes les paroisses d'Irlande s'assemblent; des +réunions se forment le même jour dans tout le pays. Elle s'établit comme +la patronne de tous les citoyens; elle provoque et reçoit les plaintes +de quiconque a des griefs contre l'autorité publique, contre les +ministres protestants, contre les magistrats. C'est elle qui conduit les +élections. + +Telle est l'oeuvre la plus imposante d'O'Connell. Ce n'est pas tout que +d'organiser, il faut constituer et maintenir. C'est encore à O'Connell +que l'association doit d'avoir traversé tous les obstacles que lui +imposait le gouvernement anglais. C'est à sa sagacité et à son +incomparable intelligence des détours de la chicane, que l'association a +dû son salut, car toujours il a su mettre en défaut la haine de ses +antagonistes, et toujours il a su trouver pour elle la forme que le +législateur avait oublié d'interdire. «Il est bien aisé, s'écriait un +jurisconsulte expérimenté, il est bien aisé de dire qu'il faut arrêter +M. O'Connell et le livrer à la justice; mais la difficulté est de le +surprendre en défaut et de trouver une loi qu'on puisse l'accuser +d'avoir formellement violée.» Singulière situation de l'Angleterre, +gênée par ses propres lois dans ses plus ardents désirs d'oppression! Ou +trouver ailleurs une tyrannie qui tolère, dans un pays vaincu et +enchaîné, la liberté de la presse, le jury et le droit de s'associer le +plus illimité? + +_(La suite à un autre numéro.)_ + + + +Courrier de Paris. + +En arrivant sur le boulevard Saint-Antoine, un peu avant la place de la +Bastille, si vous jetez les yeux du coté opposé à la place Royale, vous +verrez trois maisons neuves qui montrent aux passants leur blanche +façade de pierre de taille et de moellons. Les toits sont à peine +achevés; les fenêtres, encore dépouillées de boiserie et de vitres, +permettent à l'oeil de pénétrer par leurs ouvertures béantes dans cette +solitude pleine de tristesse des bâtiments en construction. Laissez +passer quelques jours, et ce désert sera peuplé et bruyant, du +rez-de-chaussée à la mansarde; à peine attendra-t-on que la dernière +pierre soit posée et que le maçon ait donné le dernier coup de truelle. +Le Parisien n'y regarde pas de si près; dès qu'il voit les choses, il +faut qu'il en jouisse; le proverbe: _Qui va doucement va sûrement_, +n'est pas fait pour son usage; vivement et promptement, telle est sa +divise, et Dieu pour tout le monde! Si M. le préfet de police le +laissait faire, il essaierait de traverser les ponts dont une seule +arche serait construite; les murs sont encore humides, les poutres tout +au plus assurées, l'escalier et les cours pleins de poussière et de +chaux, et le voilà qui s'installe dans la maison! Que la chose soit +possible, en attendant l'achèvement des fondations et des voûtes, il se +logera dans la hotte du plâtrier! Médecins et pharmaciens retirent le +bénéfice le plus net de cette ardeur de location expéditive; les +migraines, les rhumes et les maux de poitrine fleurissent à l'ombre des +fraîches murailles.--Mais revenons à nos trois maisons. En elles-mêmes, +elles n'ont rien de particulier ni de remarquable. Figurez-vous trois +maisons comme Paris en bâtit tous les jours par centaines: une boutique +et six étages, voilà l'architecture actuelle; le métier du tailleur de +pierres y prend plus de part que l'art de Vitruve et de Palladio. Mais +si vous interrogez le sol sur lequel pèsent ces masses énormes, ces +espèces de casernes où les Parisiens s'entassent, le sol vous répondra +quelque chose. Il n'y a pas, en effet, un seul de ces entassements de +pierres et de charpentes qui ne recouvre pour ainsi dire un lieu célèbre +par un homme ou par un événement. Que voulez-vous? cette terre +parisienne a de tout temps, été si féconde en grands crimes et en +grandes actions! Dans chaque sillon de ce champ immense, remue depuis +des siècles, quelque chose d'illustre ou de fatal a germé. Les +générations y sommeillent l'une sur l'autre, couche par couche; la +pioche n'y tombe pas sans heurter un nom; l'architecte n'y pose pas une +fondation qui ne s'appuie à un souvenir. Sous ce Paris visible, sous ce +Paris palpable, qui étale aux yeux ses hommes, ses maisons et ses rues, +il y a le Paris qu'on ne voit plus, le Paris qu'on ne touche ni du doigt +ni de l'oeil, le Paris qui se tient enseveli et caché dans ses propres +entrailles: la ville vivante a le pied sur la ville morte. L'histoire du +Paris souterrain, du Paris à fleur de terre, est une histoire à faire. + +Remuez le terrain où s'élèvent nos trois maisons neuves: qu'y trouvez +vous? Eh! mon Dieu, tout simplement la philosophie du dix-huitième +siècle, la souveraine audacieuse et irrésistible qui a changé la France +de fond en comble et conquis le monde. Ces trois lourdes maisons +froidement alignées, ces boutiques qui attendent le boulanger ou la +mercière du coin, ces appartements innocemment destinés à d'honnêtes +rentiers de la place Royale ou de la rue Saint-Louis n'intéressent ni +votre âme ni votre imagination; mais prêtez l'oreille aux échos du +passé, mais regardez à travers le linceul de la mort, aussitôt tout +change et tout s'anime sur ce sol que vous fouliez aux pieds avec +indifférence; ce n'est plus une habitation banale, ouverte au premier +bourgeois et au premier marchand venus qui paierait leurs loyers, C'est +le rendez-vous des esprits les plus entreprenants, des imaginations les +plus ardentes du siècle dernier. Vous êtes là en plein dix-huitième +siècle; vous vivez de sa vie, à la fois frivole et sérieuse, dogmatique +et sensuelle; dans cette demeure ainsi reconstruite, les affaires, le +plaisir, la philosophie se donnent la main et combattent en même temps; +Ia passion, le rude sarcasme, la raillerie légère, sont les hôtes du +logis. Que vous dirai-je? Vous n'êtes plus dans mes trois maisons +neuves, mais dans la maison de Beaumarchais; et ne voyez-vous pas +là-bas, sur les murailles, une ombre leste et souriante? C'est l'ombre +de Figaro qui passe; on aperçoit encore le bout de sa résille, le manche +de sa guitare, un éclair de son oeil provoquant et spirituel, et la lame +de son rasoir affilé comme sa langue à deux tranchants? + +A cette place même, un peu avant la Révolution, Beaumarchais s'était +fait bâtir une habitation immense et magnifique; Voltaire en était le +dieu lare: sa statue en décorait l'entrée; son portrait se répétait de +salon en salon. Traversez ces sentiers de sable qui se croisent dans le +jardin, passez sous ces rochers postiches, sous ces massifs de verdure, +vous découvrez un temple d'une forme antique. Quelle est la divinité +qu'on y encense? Est-ce la sage Minerve, ou Apollon aux flèches rapides, +ou Mars au casque retentissant? Non: c'est encore Voltaire. + +Beaumarchais s'était d'ailleurs soumis scrupuleusement à cette doctrine +que son dieu Voltaire enseigne quelque part: _le superflu, chose si +nécessaire_. Le nécessaire, selon la doctrine de Voltaire, se montrait +partout dans la maison de Beaumarchais: riches peintures, magnifiques +statues, adorables bas-reliefs; Rome, la Grèce et l'art de Jean Goujon. +La philosophie d'une part, de l'autre Hébé et Ganimède; ici une sentence +de quelque sage gravée en lettres d'or; là cet apophthègme en latin +macaronique inscrit au fronton de la salle à manger: + +ERENT TEMPLUM A BACCHO, +AMISQUE GOURMANTIBUS. + +Curieux mélange de raillerie et de gravité, de foi et de scepticisme, où +se trouve résumé d'une manière originale le caractère singulier de ce +siècle qui se passionnait et souffrait avec Jean-Jacques pour la cause +et l'avenir de l'humanité, et d'autre part se livrait au plaisir et au +doute avec insouciance, disant comme Figaro: «Qui sait si le monde +durera trois semaines?» + +Ainsi la maison de Beaumarchais n'existe plus; abattue, il y a déjà +plusieurs années, pour les menus plaisirs du canal Saint-Martin, elle +était restée longtemps à l'état de terrain vague. L'oeil rencontrait +avec tristesse, cette immense et stérile solitude dans le voisinage d'un +faubourg si actif et si peuplé Maintenant ce désert est bâti du haut en +bas, ou peu s'en faut, bâti par des maçons et rien de plus: il ne faut +pas compter sur l'étrusque et l'ionique que Beaumarchais n'avait pas +épargné, ni sur des frises imitées du temple d'Antonin et de Faustine. +Cependant les maçons ont eu beau faire, un homme d'un peu de savoir, de +coeur et d'esprit, ne passera par-là sans dresser l'oreille et sans +ouvrir les yeux, comme s'il entendait encore la voix mordante de Figaro, +comme s'il voyait briller derrière la jalousie le regard amoureux de +Rosine et la vive prunelle de Suzanne. + +De la guitare de Figaro au cor de M. Vivier, il y a la différence du +cuivre à la corde, mais, au fond, il s'agit de la même chose, +c'est-à-dire de deux artistes; l'un toutefois l'emporte sur l'autre, +comme le chêne sur l'humble charmille, et je suis obligé de le dire, au +risque de froisser l'amour-propre du barbier de Séville, ce n'est pas +Figaro qui est le chêne. Après tout, qu'importe à Figaro? il n'a jamais +eu la prétention d'être un virtuose: Figaro n'a été musicien que par +hasard et en payant, comme il a été tant d'autres choses; poète, +barbier, diplomate, auteur dramatique, journaliste, commis, médecin, +apothicaire même, suivant les évolutions de son étoile. Si Figaro +portait une guitare, celait seulement pour accompagner sa philosophie: + + Le vin et la paresse + Se partagent mon coeur. + Si l'une est ma maîtresse, + L'autre est mon serviteur; + +et aussi pour fredonner de temps en temps un air tendre sous le balcon +de quelque piquante Lisette andalouse, tandis que le seigneur comte +Almaviva engluait les Rosines.--Quant à M. Vivier, c'est autre chose: M. +Vivier n'a jamais couru en aventurier les rues île Séville, ni livré +bataille aux Bartholo et aux Basile, et ceci explique comment M. Vivier +est devenu un artiste remarquable, un joueur de cor, ou, pour parler la +langue technique, un corniste étonnant, tandis que Figaro n'a jamais +fait que racler de la guitare. + +M. Vivier est à Paris depuis quelques semaines; jusque-là il n'était pas +autre chose qu'un homme comme un autre, parfaitement inconnu. Employé à +Lyon dans une maison de commerce, M. Vivier ressemblait en apparence à +un simple commis tenant la partie double et vantant la marchandise. +Mais, à peine le métier laissait-il à notre jeune homme une heure de +loisir, qu'aussitôt le commis faisait place à l'artiste: M. Vivier +s'enfermait dans sa mansarde; là, s'attaquant corps à cor au dur et +rebelle instrument, à force de courage, d'adresse et de persévérance, il +est parvenu à le dompter, à le soumettre, à le rendre plus docile, plus +obéissant, plus fécond qu'il ne s'est jamais montré sous la main de ses +dominateurs les plus heureux et les plus célèbres. En un mot, M Vivier +lui arrache des secrets qu'il semblait dérober aux autres. Giulu Paër, +le Messie du cor. Punto et Rodolphe, ses apôtres, Gallay, Dauprat, +Duvernoi, Meugal, et d'autres aussi fameux n'ont pas obtenu ce qu'il +accorde à M. Vivier. + +Que leur disait-il, en effet? Il répondait à leur provocation par un son +unique, par des notes successives. Nos maîtres avaient l'exciter à +parler davantage, avec tout l'art imaginable, ils n'en tiraient pas un +mot de plus, M. Vivier, et c'est là le merveilleux de sa découverte, M. +Vivier a donné à l'instrument soliloque une double, une triple voix; +avec M. Vivier, le cor chante la romance de Richard, une _Pierre +brûlante_ et, du même coup, vous entendez la partie de Blondel et la +partie de Richard. Vous plaît-il d'écouler la _Chasse du jeune Henri?_ +notre cor, en véritable sorcier qu'il est, exécute par trois sons +simultanés les marches d'harmonie les traits de violon et la fanfare. Si +M. Vivier ne s'entend pas avec le diable, il ne s'en faut guère; c'était +du moins l'avis d'Auber, d'Halévv et d'Adolphe Adam, qui se trouvaient +là avec nous autres ignorants, tandis que M Vivier faisait ses tours de +force. Comment est-il parvenu à cette découverte et à ce prodige +d'acoustique? c'est son secret et il le garde.--Dieu ou diable, +toujours est-il certain que M. Vivier vient d'augmenter le bataillon des +phénomènes vivants que Paris recrute incessamment. L'été n'est pas +favorable aux cornettistes; mais arrive janvier et la saison des +concerte, ce cor diabolique fera fureur. + +Notre virtuose ne posséderait pas son secret miraculeux, qu'il lui +resterait encore un moyen de faire du bruit et d'être remarqué; M. +Vivier se rattache à une haute parenté; un sang fameux coule dans ses +veines; il est positivement le neveu d'un des hommes les plus étonnants +du dix-neuvième siècle, de M. de Perpignan, ce héros aussi modeste que +brave, qui a laissé un de ses membres sur tous les champs de bataille, +depuis le passage des Thermopyles jusqu'à la prise de la Casauba. Après +avoir cueilli de sanglantes moissons de lauriers et dispersé plusieurs +armées de sa propre main, M. de Perpignan se repose des fatigues de la +guerre dans les arts de la paix. Comme Apollon, il préside aux concerts +et s'adonne aux Muses, particulièrement à Thalie et à Melpomene; Momus +et ses grelots lui sont également familiers. Quelle joie pour ce +vénérable guerrier de voir que son exemple fructifie dans sa famille, et +que les arts y fleurissent à l'ombre de ses cicatrices! Chargé d'ans et +de décorations, obligé de faire halte après avoir parcouru le monde +l'épée à la main et renversé tant de citadelles, il est bien doux à ce +Nestor des soldats français, le soir, quand ses blessures se rouvrent, +d'avoir un neveu près de son chevet et de pouvoir lui dire: «Joue-moi un +air de cor.» + +On sait que le bazar Bonne-Nouvelle a ouvert un champ d'asile aux +peintres proscrits par le jury d'examen. Là, le paysage, le tableau +d'histoire, le portrait, la miniature, le crayon et le pastel, exilés +des honneurs du Louvre, sont venus s'abriter, non sans douleur, non sans +rancune, non sans lamentation; dans ce Louvre au petit pied, image de la +patrie absente, peu à peu nos peintures proscrites se sont acclimatées, +et le public leur a rendu visite dans ce bazar hospitalier. + +Deux hommes pleins d'activité et d'intelligence, M. Techner et +Guillemin, ont résolu de faire succéder à cette exposition passagère une +exposition permanente qui réunira à la fois les oeuvres des vieux +maîtres et les productions des peintres vivants. Les artistes, obligés +de disséminer leurs ouvrages chez les marchands de tableaux, auront «un +musée perpétuel» et de vastes salles éclatantes de lumière, au lieu de +la sombre nuit et du faux jour des étroites boutiques. Une riche +bibliothèque destinée à seconder les études des artistes servira de +complément à l'entreprise; enfin on nous promet un journal consacré tout +entier au monde des beaux-arts, c'est-à-dire au mouvement si curieux et +si varié des idées, des travaux, des affaires qui l'animent. A peine MM. +Techner et Guillemin avaient-ils fait entendre le premier bruit de cette +vaste entreprise, que les artistes en comprenaient l'utilité et +l'importance. Beaucoup de talents et de noms honorables ont déjà donné +leur adhésion; les autres viendront certainement compléter la liste, et +Paris possédera bientôt un magnifique établissement dont Londres, sa +rivale, lui donnait depuis longtemps l'exemple, et qu'il n'avait pas +encore songé à s'approprier. Ainsi, dans notre ville prodigieuse, +toujours debout, toujours curieuse de nouveautés, toujours ardente et +infatigable, chaque matin amène une amélioration ou une découverte; tout +s'agite, tout se renouvelle, tout change, tout s'agrandit, et la +civilisation y gagne quelque chose. + +L'auteur de _Lucrèce_, M. Ponsard, a quitté Taris; M Ponsard est devenu +un personnage; il est naturel que nous tenions note de son départ. Où va +M. Ponsard? le jeune poète retourne tout simplement dans sa province, +sans plus de mystères ni de fracas; après le grand éclat de sa tragédie. +M. Ponsard aurait pu exploiter sa célébrité à l'exemple de certains +poètes et de certains fabricants de drames que tout le monde devine, ce +qui nous dispense de les nommer; qui empêchait M. Ponsard de se montrer +dans les différentes cours de l'Europe comme un géant ou un Hercule du +Nord, ni de crier partout: Me voilà! acceptez ma dédicace! Un cardan, un +crachat, quelques roubles, s'il vous plaît.--M. Ponsard reste dans sa +modestie et dans sa simplicité: il part, il abandonne Paris pour +retrouver la paix des heures studieuses, isolées et paisibles; M. +Ponsard se soucie fort peu de baiser la main ou la semelle des ducs +héréditaires et des autocrates: il n'adore qu'une divinité, la Poésie! +Il n'encense qu'un roi, l'Art! C'est une religion trop rare aujourd'hui +pour qu'on n'encourage pas les jeunes lévites qui y reviennent. M. +Ponsard, dans sa retraite, s'occupera de sa seconde tragédie; il l'a +promise au Théâtre-Français pour l'hiver de 1845, c'est-à-dire dans +dix-huit mois. Notre poète veut pas s'enrôler dans le régiment des +improvisateurs à tant la ligne et des génies de pacotille.--Cependant on +annonce que M. Alexandre Dumas vient d'achever trois romans, quatre +drames en cinq actes, douze vaudevilles, et de recevoir sa +cent-cinquante-septième décoration du shah de Perse. + +M Harel ne se tient pas pour battu; nous parlions tout à l'heure de +Beaumarchais; après la chute du _Barbier de Séville_, Beaumarchais fit +une foudroyante préface: M. Harel va, dit-on, l'imiter. La chute _des +Grands et des petits_ l'autorise à prendre cet exemple et cette +consolation. Public, critiques, directeurs. M. Harel doit passer tous +ses ennemis au fil de sa plume. On cite déjà quelques traits de cette +attaque à coups d'épigrammes. En voici qui frappent à bout portant sur un +certain commissaire du roi, accrédité auprès d'un certain théâtre. +M. *** est un homme comblé, qui n'a rien demandé à l'éducation de ce que +lui a refusé la nature. Allons! courage M. Harel, singez Beaumarchais; +mais rappelez-vous que le _Mariage de Figaro_ suivit de près la préface +du _Barbier de Séville._ + +Hier, une foule immense encombrait le boulevard Bonne-Nouvelle.--De quoi +s'agit-il? D'un escamoteur qui déjeune avec un sabre! Paris est toujours +ce Paris que faisait dire à Rabelais: «O peuple! tant sot par nature +qu'ung bateleur, ung vendeur de rogaston, ung mulet avec ses cymbales, +ung vieilleux, au mylieu d'un carrefour, assemble plus de gents que ne +ferait onc ung prescheur évangélique!» + + + +Salle de concerts de la rue de la Victoire. + +C'est M. Henri Herz, l'habile et célèbre pianiste qui en est +propriétaire, et qui l'a fait construire il y a peu d'années. Elle n'a +rien de commun avec celle du conservatoire, dont nous faisions remarquer +naguère l'extrême simplicité. Celle-ci au contraire, est brillante, +somptueuse et tout à fait mondaine, de vives peintures la décorent; +d'élégantes arabesques l'enveloppent de leurs replis onduleux; l'or y +étincelle de toutes parts, à la clarté de mille bougies.... Mais que +vais-je faire, essayer de la peindre avec des paroles? Dieu m'en +préserve! Pour en donner au lecteur une idée complète. _L'Illustration_ +a des moyens bien plus sûrs que la description la plus exacte et la plus +détaillée. + +Donc, en ce lieu si richement et si coquettement orné, l'élite de la +société parisienne se réunit chaque hiver toutes les fois qu'un artiste +français ou étranger vient invoquer son suffrage. Aréopage quelquefois +sévère, plus souvent bienveillant, mais toujours éclairé, et dont les +arrêts sont à peu près sans appel. C'est là que madame Damoreau est +venue prouver récemment que ce terrible vent du nord, l'ennemi mortel de +tous les gosiers mélodieux, qu'elle avait osé braver au centre même de +son empire, avait désarmé devant elle, ci n'avait altéré ni l'étonnante +justesse de ses intonations, ni la délicatesse de ses indexions, ni la +vibration douce et veloutée de sa voix. C'est là que M. Servais a fait +admirer, dans quatre concerts successifs, cette puissance d'archet, +cette audace de doigté, cette richesse de style, qui font de lui le plus +étonnant des violoncellistes. C'est là que M. Ponsard a révélé au public +dilettante un talent si puissant dans ses effet et si original dans ses +moyens, que personne, avant de l'avoir entendu, n'aurait pu s'en faire +une idée. C'est là que mademoiselle Lia Duport, madame Iweins, MM. +Ponsard, Géraldy, Sivori... Mais, hélas! pourquoi ces doux souvenirs +sont-ils déjà si loin de nous? Pourquoi le temps, à Paris, court-il si +vite? Voilà plus d'un mois déjà que les violons sont rentrés dans leurs +bulles et les flûtes dans leurs étuis, et que toutes ces bouches +harmonieuse sont fermées; pourquoi troubler un repos si respectable et +si bien gagné? Parler de musique au mois de juin, ne serait-ce pas +d'ailleurs le même anachronisme que si nous parlions du rossignol et des +russes au mois de décembre? + +Nous ne pouvons nous dispenser pourtant de dire quelques mots des +dernières expéditions musicales dont la salle de M. Herz a été le +théâtre, et qui ont eu lieu sous le commandement de M. le prince de la +Moscowa. + +Depuis quelques mois, en effet, M. le prince de la Moscowa est à la tête +d'une armée chantante, la plus nombreuse qu'on ait encore vue peut-être, +la mieux disciplinée, la plus riche en soldats exercés et dévoués. Ces +soldats ne sont point des artistes; c'est bien mieux vraiment. Allez +donc demander aux artistes ce zèle, cette ardeur, cet enthousiasme, et +surtout ce désintéressement personnel qui fait que chaque exécutant +s'oublie et ne songe qu'à l'effet général! Un amateur fait de la musique +pour son plaisir, et, s'il est habile, pour le plaisir des autres, et +voilà pourquoi il la fait bien; mais l'artiste est toujours préoccupé de +quelque arrière-pensée: il a sa fortune à faire, sa réputation à établir +ou à étendre, et les occasions de se mettra en contact avec le public ne +sont pas assez fréquentes pour qu'il néglige d'en tirer parti. Ne lui +proposez donc pas de jouer son rôle dans un choeur ou dans un morceau +d'ensemble, ce serait pour lui du temps et des sons perdus. S'il consent +à figurer dans un duo où il lui faudra partages les applaudissements de +l'auditoire, soyez bien sûr qu'il vous fait un sacrifice: ce qu'il +recherche, ce qu'il choisit de préférence, ce sont les airs et surtout +les cavatines modernes où abondent les difficultés mécaniques, où il est +sûr enfin de briller, et de briller tout seul; mais ne venez pas lui +parler d'un psaume de Marcello, d'un motet de Haydn, d'un madrigal de +l'abbé Clari, d'un choeur de Haendel ou de Palestrina. Palestrina! +Haendel! Marcello! qu'est-ce que cela? à peine en a-t-il entendu parler +dans sa jeunesse; que voulez-vous qu'il fasse de pareille denrée? + +Le discrédit où était tombée depuis longtemps la musique d'ensemble, et +surtout la musique ancienne, avait produit une large lacune, un vide +immense, que déploraient amèrement les vrais amateurs, ceux qui ne +cherchent dans l'art musical que les pures jouissances qu'il procure et +les nobles sentiments qu'il fait naître, C'est pour combler ce vide que +M le prince de la Moscowa, musicien habile, et qui a déjà fait ses +preuves comme compositeur, vient d'organiser la SOCIÉTÉ DES CONCERTS DE +MUSIQUE VOCALE, RELIGIEUSE ET CLASSIQUE. Tout ce qu'il y a dans Paris +d'amateurs distingués a compris immédiatement sa pensée et s'est +empressé de répondre à son appel, et la société a déjà donné, dans la +salle de M. Herz, trois séances également remarquables par l' intérêt +qu'elles ont excité et par le succès qui a couronné les efforts des +exécutants. + +Ainsi que nous l'avons déjà dit, la musique ancienne fait tous les frais +de ces réunions, et presque exclusivement la musique d'ensemble. Les +deux illustres chefs de l'école du Midi et de l'école du Nord, +Palestrina et Roland Lassue, y ont occupé, comme de raison, lu place +d'honneur. Avec eux, Marcello, Clari, Martini, Haendel, Joseph Haydn, +Sébastien Bach, etc., etc., viennent figurer tour à tour, et recueillir +leur part d'admiration et d'hommages. Il faut le dire, on entendrait +difficilement ailleurs les grandes pensées de ces vieux maîtres +interprétées avec autant d'intelligence et par des voix aussi +harmonieuses. Madame de Sparre, madame Merlin, madame Dubignon, +mademoiselle de Chaucourtois, mademoiselle Thoru, M. le prince +Belgiposo, en savent tout autant que des artistes, et ne sont point des +artistes; c'est là justement la cause de leur supériorité. Leur organe +ne s'est point fatigué, leur goût ne s'est point émoussé dans cette +lutte sans repos que les chanteurs de profession sont obligés de +soutenir contre les trompettes, les trombones, les timbales et tout ce +barbare fracas qui a pris, dans nos théâtres, la place de l'harmonie; +ils n'ont perdu ni le sentiment des nuances délicates, ni cette calme et +pure vibration à laquelle la voix humaine doit son plus grand charme et +ses effets les plus délicieux. Aussi, quand toutes ces voix si +intelligentes et si doucement sonores se réunissent pour l'exécution +d'une composition chorale, l'harmonieux ensemble qui en résulte Jette +dans l'âme des auditeurs une émotion profonde et mystérieuse que nous +chercherions en vain à définir et que nous renonçons à décrire. +L'entreprise de M. le prince de la Moscowa est noble et belle, et nous +ne doutons pas qu'elle n'exerce l'influence la plus puissante et la plus +salutaire sur les destinées ultérieures de l'art musical. + +[Partition musicale illustrée: O SALUTARIS HOSTIA. Musique de +PALESTRINA.] + +[Illustration: Salle de concerts de la rue de la Victoire.] + + + +La cour du grand-duc. + +NOUVELLE. Suite.--Voir page 213. + +Les malheurs du prince avaient tellement absorbé l'attention et la +sensibilité de Balthazard, que le souvenir de ses propres embarras +s'était complètement effacé pendant cette soirée où le grand-duc lui +avait révélé les secrets de sa position politique et financière. Ce ne +fut qu'après être sorti du palais, qu'il fit un retour sur lui-même. +Comment se tirer d'affaire avec les acteurs engagé et amenés à deux cent +lieues de Paris sur la foi des traités? que leur dire, et comment leur +faire entendre raison? Le malheureux directeur passa une mauvaise nuit. +Aussitôt que parut le jour, il se leva, demandant à la fraîcheur du +matin de calmer ses esprits agités, et de lui inspirer quelque bonne et +habile manoeuvre pour sortir de ce mauvais pas. Dans une promenade de +deux heures, il eut tout le loisir de parcourir Carlstadt et d'admirer +les agréments de cette capitale. Carlstadt était une ville élégante, +coquette, oisive, avec des rues larges et droites qui la perçaient de +part en part, de jolies maisons bien alignées, dont les fenêtres étaient +armées de petits miroirs indiscrets qui reflétaient les passants et +transportaient dans les appartements les scènes de la voie publique; de +sorte que les habitants pouvaient, grâce à ce daguerréotype animé, +satisfaire leur curiosité sans se déranger. C'est là une innocente +récréation que se donnent volontiers les bourgeois allemands. Du reste, +la capitale du Grand-Duché de Noeristhein paraissait ne s'occuper que +fort peu d'industrie et de commerce; le mouvement y était modéré, le +luxe en était banni, et sa prospérité tenait surtout aux goûts modestes, +à la philosophie flegmatique de ses citoyens. + +Une troupe de comédiens, ne pouvait pas faire fortune dans un pareil +pays.--Il faudrait absolument reprendre le chemin de la France, pensa +Balthazard après avoir fait le tour de la ville; puis il consulta sa +montre, et, jugeant que l'heure était convenable, il se dirigea vers le +palais, où il entra sans plus de façon que la veille. Le fidèle Wilfrid, +remplissant les fonctions de gentilhomme ordinaire le reçut comme une +vieille connaissance, et s'empressa de l'introduire dans le cabinet du +grand-duc. Son Altesse lui parut plus soucieuse que la veille. Le prince +marchait à grands pas, le front baissé, les bras croisés, et tenant à la +main des papiers dont la lecture l'avait évidemment contrarié. Pendant +quelques instants il garda le silence; puis, s'arrêtant devant +Balthazard, il lui du tristement: + +«Vous me trouvez ce matin moins calme qu'hier soir; c'est que je viens +de recevoir d'assez mauvaises nouvelles, et je ne sais pas me défendre +contre une première impression... Ah! vraiment, tout cela me pèse, et je +leur abandonnerais de grand coeur cette pauvre souveraineté, cette +couronne d'épines qu'ils me disputent, si l'honneur ne me commandait de +soutenir jusqu'au bout mes droits légitimes... Oui, en ce moment je +n'ambitionne qu'un sort paisible, et je donnerais volontiers mon +grand-duché, mon titre, ma couronne, pour aller vivre tranquillement à +Paris en simple particulier, avec trente mille livres de rentes. + +--Je le crois bien!» s'écria Balthazard qui, dans ses plus beaux rêves, +n'avait jamais élevé si haut ses voeux téméraires. + +Cette naïve exclamation fit sourire le prince. Il ne fallait que peu de +chose pour chasser ses ennuis et lui rendre cette légère dose de bonne +humeur qui flottait habituellement à la surface de son caractère. + +--Je comprends, reprit-il gaîment; vous trouver, que je ne suis pas +dégoûté! Dépenser trente mille francs de revenu dans l'indépendance et +les plaisirs de la vie parisienne est un sort plus digne d'envie que +gouverner tous les grands-duchés du monde. Vous avez, raison, et je le +sais par expérience, car il y a une dizaine d'années, lorsque je n'étais +encore que prince héréditaire, j'ai passé six mois à Paris, libre, +riche, insouciant, et mes souvenirs me disent que ces jours là ont été +les plus beaux de ma vie. + +--Eh bien! est-ce qu'en liquidant tout ce que vous avez ici vous ne +pourriez pas réaliser cette fortune? D'ailleurs, ce cousin dont vous me +faisiez l'honneur de me parler hier vous assurerait avec plaisir vos +trente mille francs de rente, si vous lui cédiez votre place qu'il +envie... Mais, monseigneur, voulez-vous que je vous parle franchement? + +--Je ne demande pas mieux. + +--Une existence paisible et modeste aurait sans doute beaucoup de charme +pour vous, et vous le dites dans la sincérité de votre âme; mais d'un +autre côté vous tenez essentiellement à votre couronne, et ce n'est pas +seulement par ces raisons d'honneur que vous invoquiez tout à l'heure. +On a beau dire et s'exagérer les douceurs du calme et de la retraite +dans un moment de fatigue et d'orage, un trône, tout boiteux qu'il soit, +est un siège que l'on ne saurait quitter sans regrets... Voilà mon +opinion, formée à l'école dramatique; c'est peut-être une réminiscence +de quelque ancien rôle, mais on trouve parfois la vérité au théâtre. Or +donc, puisque, à tout prendre, ce qui vous convient le mieux est de +rester en place, vous devriez... Mais pardon, mes paroles sont peut-être +trop libres... + +--Parlez en toute liberté, mon cher directeur, je vous le permets et je +vous en prie. Je devrais donc, disiez-vous?... + +--Vous devriez, au lieu de vous livrer au découragement et aux idées +poétiques, ne pas attendre le coup qui vous frappera, ne pas vous +contenter de tomber noblement. Les circonstances sont favorables, vous +n'avez plus de ministres ni conseillers d'État pour vous induire en +erreur et vous embrouiller dans vos projets. Fort de votre bon droit et +de l'amour de vos sujets, il est impossible que vous ne trouviez pas un +moyen d'assurer votre position et de rétablir vos finances. + +--Il n'y en a qu'un seul. + +--Cela suffit. + +--Un bon mariage. + +--Au fait, c'est vrai, je n'y pensais pas, vous êtes garçon!... Eh bien! +vous voilà sauvé, un bon mariage!... C'est comme cela que les grandes +maisons se consolident quand elles sont menacées de tomber en ruines. +Épousez-moi une grosse héritière, la fille unique de quelque riche +banquier. + +--Vous n'y pensez pas! une mésalliance! + +--Ah! si vous faites le fier!... + +--Ce n'est pas moi, je n'ai pas de préjugés; mais que dirait l'Autriche +si je me permettais de déroger? Ce serait un nouveau grief dont on ne +manquerait pas de se servir contre moi. Et puis, les millions d'un +banquier ne me suffiraient pas; il me faut une alliance avec une famille +puissante sur laquelle je puisse m'affermir. Cette alliance, telle que +je la souhaite, s'offrait à mes voeux; il y a quelques jours encore je +pouvais prétendre à ce moyen de salut. Un de mes voisins, le prince +Maximilien de Hanau, qui est très bien en cour de Vienne, a une soeur à +marier: la princesse Edwige est jeune, belle, aimable et riche; c'est un +excellent parti, et j'avais déjà entamé les préliminaires d'une demande +en mariage; mais deux dépêches que j'ai reçues ce matin renversent +toutes mes espérances. Voilà le motif de l'abattement dans lequel vous +m'avez trouvé tout-à-l'heure. + +--Voyons reprit Balthazard. Votre Altesse est peut-être trop prompte à +se décourager. + +--Jugez-en vous-même. J'ai un rival, l'électeur Biberick; ses États sont +moins considérables que les miens, mais il est plus solidement établi +dans sont petit électorat que je ne le suis dans mon grand-duché. + +--Permettes, monseigneur, j'ai vu l'année dernière à Bade l'électeur de +Biberick, qui s'y trouvait en même temps que nous; sans flatterie, ce +prince ne saurait soutenir aucune comparaison avec Votre Altesse: vous +avez à peine trente ans et il en a plus de quarante; vous êtes bien fait +de votre personne, il est lourd, épais et mal bâti; vous avez le visage +agréable et noble, sa figure est commune et disgracieuse; vos cheveux +sont du blond le plus pur et les siens d'un rouge flamboyant. La +princesse Edwige ne peut manquer de vous donner la préférence. + +--Fort bien, mais on ne lui laissera pas le choix; elle dépend de son +auguste frère, qui la mariera sans la consulter. + +--Voilà ce qu'il faut empêcher. + +--Comment? + +--En inspirant de l'amour à la jeune personne. Il y a tant de ressources +dans le sentiment! On voit tous les jours des mariages de convenances +détruits et rompus au profit d'un mariage d'inclination. + +--Oui, cela se voit dans les comédies... + +--Qui fournissent d'excellentes leçons... + +--Aux gens d'un certain monde; mais nous autres princes, nous n'avons +pas le bénéfice de ces suites de combats où l'accord de deux coeurs bien +épris fait plier tous les obstacles. + +--Sur ce point-là, monseigneur, j'ose ne pas être entièrement de votre +avis. Les maîtres de l'art que j'étudie et que je pratique depuis trente +ans m'ont appris que ces sortes d'affaires se traitent dans les palais à +peu près comme ailleurs; toute la différence est dans la forme, plus +pompeuse chez vous. Du reste, pourquoi ne feriez-vous pas une tentative? +Si j'avais un conseil à vous donner, ce serait de vous mettre en route +dès demain, et d'aller faire une visite au prince de Hanau. + +--C'est inutile. Pour voir le prince et sa soeur je n'ai pas besoin de me +déranger; une de ces dépêches m'annonce leur prochaine arrivée à +Carlstadt. Comprenez-vous maintenant tout le malheur de ma position? Ils +arrivent! Au retour d'un voyage qu'ils viennent de faire en Prusse, ils +traversent mes États et s'arrêtent dans ma capitale, où ils me demandent +l'hospitalité pour deux ou trois jours. Vous voyez bien que je vais être +perdu dans leur esprit. Que penseront-ils de moi quand ils me trouveront +seul, abandonné, dans mon palais désert? Croyez-vous après cela que la +princesse soit tentée de partager mon sort et de passer sa vie dans ma +triste solitude? L'année dernière elle est allée à Biberick; l'électeur +l'a dignement reçue. Il avait du moins à lui offrir les plaisirs d'une +cour animée; il pouvait mettre à ses ordres des gentilshommes, des +chambellans; il pouvait lui donner des concerts, des fêtes, des bals. Et +moi, rien! Suis-je assez malheureux! assez humilié! Et pour qu'aucun +affront ne me soit épargné, mon rival veut que son mariage soit négocié +ici même; oui vraiment! l'électeur me brave à ce point! Il vient de +m'expédier un ambassadeur, le baron Pépinster, chargé, dit-il, de +conclure un traité de commerce qui serait fort avantageux pour moi; mais +cette affaire n'est qu'un vain prétexte. Le baron n'a d'autre mission +que de s'entendre avec le prince de Hanau; cette rencontre est +habilement ménagée, pour que la négociation conjugale s'accomplisse +secrètement et sans appareil. Voilà ce qu'il me faudra voir! Je serai +contraint de subir cet outrage, de dévorer l'injure, de donner au prince +et à sa soeur le spectacle de ma misère, de mon abaissement!... Ah! que +ne ferais-je pas pour me soustraire à cette honte! + +--Il y aurait peut-être un moyen! s'écria Balthazard après un instant de +réflexion. + +--Un moyen? Parlez, quel qu'il soit, je l'adopte. + +--Un moyen bizarre et hardi! continua Balthazard. + +--N'importe! je suis prêt à tout risquer. + +--Il vous faut dissimuler votre abandon, repeupler ce palais, avoir une +cour? + +--Oui. + +--Pensez-vous que les courtisans qui vous ont délaissé répondraient à +votre appel, consentiraient à revenir? + +--Jamais. Ne vous ai-je pas dit qu'ils étaient gagnés par mes ennemis? + +--Pourriez-vous en trouver d'autres parmi vos sujets les plus +distingués? + +--Impossible! Il n'y a que très peu de gentilshommes parmi mes sujets +Ah! si une cour pouvait s'improviser! dussé-je prendre les derniers +bourgeois de Carlstadt... + +--J'ai mieux que cela à vous offrir. + +--Quoi donc? + +--Mes comédiens. + +--Comment? vous voulez que je me compose une cour avec vos acteurs? + +--Oui, monseigneur, et vous ne sauriez trouver mieux. Remarquez que mes +comédiens sont habitués à jouer tous les rôles, et qu'ils seront tout de +suite à leur aise dans l'emploi de grands seigneurs. Je vous réponds de +leur talent comme de leur discrétion et de leur probité. Dès que vos +illustres visiteurs seront partis, dès que vous n'aurez plus besoin +d'eux, ils donneront leur démission Songez d'ailleurs que vous n'avez +pas à choisir. Le temps presse, le danger est à vos portes, il ne vous +est pas permis d'hésiter. + +--Mais, cependant, si une pareille ruse venait à se découvrir!... + +--Ceci n'est qu'une supposition, une crainte chimérique. Si, au +contraire, vous ne voulez pas risquer la partie que je vous propose, +votre malheur est certain.» + +Le grand-duc se laissa aisément persuader. Sous une apparence +insouciante et molle, son caractère ne manquait ni de résolution, ni +d'un certain penchant vers les entreprises étranges et hasardeuses. Il +n'ignorait pas que la fortune favorise ceux qui osent, et il avait toute +l'audace que donne une situation désespérée.--L'expédient de Balthazard +fut donc adopté avec une joyeuse intrépidité. + +«A merveille! s'écria le directeur; vous ne vous repentirez pas de votre +détermination. Vous voyez en ma personne un échantillon de vos futurs +courtisans, et puisqu'il s'agit ici de se partager les honneurs et les +grandes charges de l'État, nous allons, si vous voulez, bien, commencer +par moi. Je crois être déjà dans l'esprit de mon rôle en vous adressant +cette requête. Un homme de coeur doit toujours demander, toujours se +hâter, et profiter de l'absence de ses rivaux pour obtenir ce qu'il y a +de mieux. Que votre altesse soit donc assez bonne pour me nommer premier +ministre. + +--Accordé! répondit gaîment le prince. Votre excellence peut entrer +immédiatement en fonctions. + +C'est ce que mon excellence ne manquera pas de faire, en vous demandant +votre signature au bas de quelques actes dont je vais m'occuper tout de +suite. Mais d'abord, souffrez, monseigneur, que je vous adresse deux ou +trois questions, afin de me mettre au courant. Quand on est nouveau venu +dans un pays et novice au ministère, on a besoin de s'instruire.... S'il +vous fallait déployer l'appareil de la force pour faire exécuter vos +ordres, le pourriez-vous? + +--Mais, sans aucun doute. + +--Votre altesse a des soldats? + +--Un régiment. + +--Combien d'homme? + +--Cent vingt environ, sans compter la musique. + +--Sont-ils obéissants, dévoués? + +--Obéissance passive, dévouement sans bornes; soldats et officiers se +feraient tuer pour moi. + +--C'est leur devoir. Maintenant autre chose: Avez-vous une prison dans +vos huis? + +--Certainement. + +--Mais, je veux dire, une bonne prison, forte et bien gardée, des murs +épais, de solides barreaux, des geôliers incorruptibles et farouches? + +--J'ai tout lieu de croire que le château de Ranfrang possède toutes ces +qualités. Le fait est que je m'en suis très peu servi: mais il a été +bâti par un homme qui s'y entendait, mon aïeul, le grand-duc Rodolphe +l'Inflexible. + +--Beau surnom pour un souverain! Celui-là, j'en suis sûr, n'a jamais +manqué d'argent ni de courtisans. Vous, monseigneur (souffrez que votre +ministre vous parle le langage de la vérité), vous avez peut-être eu +tort délaisser sans locataires ce domaine de la couronne, une prison a +besoin d'être entretenue par l'habitation. Aussi le premier acte de +l'autorité que vous avez bien voulu me confier sera consacré à une +salutaire mesure d'incarcération. Je pense que le château de Ranfrang +peut contenir une vingtaine de prisonniers? + +--Quoi! vous voulez, faire enfermer vingt personnes? + +--Peut-être plus, peut-être moins; car je ne sais pas au juste Combien +votre ancienne cour contenait de grands dignitaires. Ce sont ces +déserteurs que je veux mettre à l'ombre des hautes murailles +construites: par Rodolphe l'Inflexible C'est indispensable. + +--Mais c'est illégal! + +--Vous dites?... Pardon, monseigneur; vous vous êtes servi d'un mot que +je ne comprends pas bien. Il me semble que, dans un bon gouvernement +allemand, ce qui est absolument nécessaire est nécessairement légal; +voilà ma politique. D'ailleurs, en qualité de premier ministre, je suis +responsable. Que vous faut-il de plus? Vous sentez bien que si nous +laissions libres vos courtisans, il n'y aurait pas moyen de jouer la +comédie que nous préparons; ils nous trahiraient. Le salut de l'État +exige donc que ces messieurs soient emprisonnés, et ce sera justice; car +enfin ils remplissent leur office depuis douze ou quinze ans, terme +moyen; et quel est, je vous prie, le courtisan qui en douze ou quinze +ans n'a pas mérité quelques jours de prison? D'ailleurs, vous l'avez dit +vous-même, ce sont des traîtres, ne les ménagez donc pas; et pour votre +Sûreté, pour le succès de vos projets qui doivent assurer le bonheur de +votre peuple, écrivez les noms des coupables, signez l'ordre, et +infligez sans remords à ces déserteurs le trop doux châtiment d'une +semaine de captivité.» + +Le grand-duc écrivit les noms et signa plusieurs ordres qui furent +aussitôt remis aux officiers les plus alertes du régiment, avec +injonction d'exécuter sur l'heure leur mission, et de conduire les +prisonniers au château de Ranfrang situé à trois quarts de lieue de +Carlstadt. + +«Il ne reste plus à présent qu'à faire venir votre cour, dit Balthazard. +Votre altesse a-t-elle des carrosses? + +--Oui, certes! une berline, une calèche et un cabriolet. + +--Et des chevaux? + +--Six de trait et deux de selle. + +--Je prends la berline, la calèche et quatre chevaux; je vais à +Krusthal, je ramène ce soir nos acteurs que je mets au fait de leur +rôle; nous arrivons à la nuit et nous nous installons au palais, pour +vous servir, monseigneur. + +--Très bien; mais, avant de partir, répondez, je vous prie, au baron +Pépinster qui me demande une audience. + +--Deux lignes bien sèches, bien ministérielles, qui l'ajourneront à +demain. Il faut qu'il nous trouve sous les armes... Voilà le billet +écrit, mais comment signer? Le nom de Balthazard ne convient guère à une +excellence allemande. + +--Vous avez raison; il vous faut un autre nom, accompagné d'un titre; Je +vous fais comte de Lipandorf. + +--Merci monseigneur. Je porterai noblement ce titre, et je tous le +rendrai fidèlement, avec mon portefeuille, lorsque la comédie sera +finie.» + +Le comte de Lipandorf signa le billet que Wilfrid fut chargé de remettre +au baron de Pépinster; puis aussitôt que les voitures furent attelées, +il partit pour Krusthal. + +Eugène Guinot + +(La fin à un prochain numéro.) + + + +Distribution des prix de l'Académie des Jeux floraux. + +[Illustration: Jeton de présence mainteneurs des Jeux floraux.] + +Au mois dernier, pendant que nous courions en wagon, pour la plus grande +gloire de l'industrie, Toulouse célébrait une fête en l'honneur des +beaux-arts; l'Académie des Jeux floraux tenait sa séance annuelle. Aucun +journal n'en a fait mention; la cérémonie s'est passée à huis clos, +relativement au reste de la France; les noms des poètes couronnés n'ont +pas été proclamés au delà des départements méridionaux, et les +applaudissements ont à peine trouvé des échos à Marseille et à +Montauban. + +Il y a cinq cent vingt ans, plusieurs siècles avant la création de +l'Académie française, sept _trobadors_ de Toulouse établirent _une +compagnie du gay savoir_. Au mois de novembre 1323, le mardi qui suivit +la fête de la Toussaint, ils envoyèrent, dans les pays de _la +Langue-d'Oc_, une lettre circulaire en vers par laquelle ils ouvraient +un concours, dont le prix était une violette d'or fin. + + Disem, per dreit jutjamen, + A cel que la fara plus nèta, + Donaren una violeta + De fin aur, en senhal d'amor. + +Le 1er mai de l'année suivante, des poètes affluèrent de toutes parts au +lieu du rendez-vous, dans un verger du faubourg des Augustines, au pied +d'un gigantesque laurier. Un jour entier fut consacré à la lecture des +pièces de vers; le second jour, les sept troubadours délibérèrent, après +avoir entendu la messe, et le troisième, leur sentence fut prononcée en +présence de deux _capitouls_, ou consuls de la ville. La violette fut +décernée à maître Arnaud Vidal, de Castelnaudary. _E yazuhet la violeta +de l'aur a Tonena, nès a saber la premiéra que si dona_. Après +l'adjudication des prix, les _capitouls_ décidèrent que dorénavant, +_d'uqui en avant_, la violette serait achetée aux frais de la ville. + +Les années suivantes les fondateurs prirent la qualification de +_mainteneurs_, s'adjoignirent un chancelier et un bedeau, et rédigèrent +leurs statuts. Le Conseil municipal leur vint en aide, vota des fonds +pour deux nouveaux prix, l'_églantine_ et le _souci_ et accorda au +_Collége du gay savoir_, l'autorisation de siéger à l'hôtel-de-ville, +connu des lors sous le nom pompeux de _Capitole_. L'institution acquit +tant de célébrité, qu'en 1388, Jean d'Aragon, par une ambassade +expresse, priait Charles VI de lui expédier des poètes languedociens, +afin d'introduire la gaie science en Espagne, _studia partices quam +gayam scientiam vocabunt instituerentur_. Peu de rois s'aviseraient +aujourd'hui de demander à leurs voisins un assortiment de littérateurs; +on aimerait mieux en exporter. + +Pendant le quinzième siècle, la société _du gay savoir_ tint +régulièrement ses assemblées. Un dame noble et riche, Clémence Isaure, +acheva de consolider l'oeuvre des _mainteneurs_, en lui consacrant +_plusieurs grands et notables revenus_. Il est resté si peu de documents +sur l'histoire de cette femme célèbre, que plusieurs écrivains graves, +Catel, Lafaille, Cazeneuve, et tout récemment les auteurs de _l'Histoire +de la ville de Toulouse_, ont trouvé plaisant de présenter Clémence +Isaure comme un personnage imaginaire. + +Après sa mort, on lui éleva une statue, qui figura d'abord sur le +mausolée de l'illustre dame, les mains jointes et un lion à ses pieds. +Le conseil municipal imagina, en 1627, de la mutiler sous prétexte de +l'embellir. Deux artistes, les nommés Aure et Pascot, furent chargés de +_raccommoder et blanchir le visage, de lui ôter le chapelet qu'elle +avait, de refaire les bras, de couper le lion qui était sous ses pieds, +et d'en faire une plinthe._ + +[Illustration: Statue de Clémence Isaure, en marbre blanc, dans la salle +du grand Consistoire, au Capitole de Toulouse.] + +La salle où elle est aujourd'hui placée sert aux séances particulières +des académiciens. Sur le piédestal, on lit une épitaphe, dont voici la +traduction: «Clémence Isaure, fille de Louis Isaure de la célèbre +famille des Isaures, vécut cinquante ans dans le célibat et la vertu; +elle établit pour l'usage public de sa patrie des marchés au blé, au +vin, au poisson et aux herbes; elle les légua aux capitouls et citoyens +de Toulouse, à condition qu'ils célébreraient tous les ans les _Jeus +floraux_ dans la Maison-de-Ville qu'elle avait fait bâtir à ses frais; +qu'ils iraient jeter des roses sur son tombeau, et que le reste des +revenus serait employé à un banquet. Si l'on néglige d'exécuter sa +volonté, que le fisc s'empare du legs de plein droit, et exécute la +condition ci-dessus. Elle a voulu, de son vivant, qu'on lui érigeât ce +monument où elle repose en paix.» + +La société littéraire des Jeux floraux, érigée en Académie par lettres +patentes de Septembre 1694, a conservé ses vieux usages presque aussi +religieusement que ses vieux souvenirs. Les revenus de la place _de Ia +Pierre_, l'un des immeubles légués à la ville par dame Clémence, +contribuent encore aux frais de la cérémonie annuelle. L'Académie, après +avoir suspendu ses séance de 1790 à 1806, les a reprises et continuées +paisiblement jusqu'à nos jours, et les récompenses qu'elle distribue ne +sont pas sans influence sur l'état intellectuel du midi. + +Le nombre des _mainteneurs_, fixé à trente-six par les lettres patentes, +est de quarante depuis un édit de 1725. Le préfet de la Haute-Garonne et +maire de Toulouse sont _académicien né_. On compte parmi les membres du +docte tribunal le baron de Lamothe-Langon, le comte Jules de Rességuier, +M. Alexandre Soumis (de l'Académie française), et le baron de Montbel, +ancien ministre. Ceux qui ont obtenu trois prix, autres que le lis, +peuvent demander à l'Académie des lettres de _Maîtres ès jeux floraux._ +MM. Victor Hugo, de Chateaubriand, Babur-Lormian, Bignan, Rebout de +Nîmes, sont maîtres des jeux floraux. On voit que les sept présidents de +la _gaie compagnie_ ont d'assez dignes successeurs. + +L'Académie a cinq fleurs à distribuer: + +1. L'amarante d'or, d'une valeur de 100 fr., prix de l'ode, institué par +les lettres patentes de 1694; + +2. La violette d'argent d'une valeur de 200 fr., prix du poème, de +l'épître ou du discours en vers; + +3. Le souci d'argent, d'une valeur de 200 fr., prix de l'églogue, de +l'idylle, de l'élégie, ou de la balade; + +4. Le lis d'argent, d'une valeur de 60 fr., d'un hymne ou d'un sonnet à +la _Vierge_ fondé sous Louis XV, par M. Malepèvre; + +5. L'églantine d'or, d'une valeur de 150 fr., prix d'un discours dont +l'Académie donne le sujet. + +La cérémonie annuelle a lieu chaque année le 3 mai. Les lettres de 1691 +avaient assigné aux séances la salle du Capitole, appelée le _grand +consistoire_; mais un édit de 1773 a ordonné qu'elles se tiendraient +dans la salle des _illustres_, où sont rangés les buste des principaux +personnages dont s'honore Toulouse. Il est d'usage, depuis 1527, que la +_Fête des Fleurs_ débute par l'éloge de Clémence Isaure, que suit +immédiatement le rapport du secrétaire perpétuel sur les résultats du +concours. Cependant une députation de _mainteneurs_ se rend +processionnellement à l'église de la Daurade, où Clémence Isaure repose +sous le maître-autel. Les fleurs y sont déposées le matin; le curé les +bénit et les remet aux commissaires de l'Académie, qui retournent au +Capitule, en ayant soin de passer par la rue de Clémence Isaure. On +proclame les vainqueurs; on les invite à faire la lecture de leurs +ouvrage, et la séance se termine par l'indication du sujet du discours +pour l'année suivante: _ê sempre cosi_. + +Les pièces couronnées en 1843 sont: _Simon de Monfort_, ode, par M. +Jallus; les _Enfants de Moncode_, poème, par M. Vincent Bataille; la +_Prière des petits enfants_, hymne à la Vierge, par M. Lébraly. Six +autres compositions ont obtenu des _fleurs réservées_ c'est-à-dire des +prix qui n'avaient pas été adjugés dans les concours précédents: _Le +dévouement_, ode par H. Lébraly; les _Adieux à Ia Mer_, ode, par madame +Thore; _Épître à un centenaire_, par M. Magnien; Épître à M. l'abbé L. +B., par M. Baudin; le _Ver luisant_, idylle, par M. Granger; _le Rêve +de la Chatelaine_, ballade, par M. Rocher. + +L'Académie propose, pour le concours de 1844, _l'éloge de Dante +Alighieri_ A l'oeuvre donc, prosateurs et poètes taillez vos plumes et +grattez-vous le front. Animez-vous au souvenir des hommes célèbres qui +ont conquis à diverses époques, les fleurs rémunératrices; Ronsard, +Baif, Maynard, le président Hainault, La Monnoye, La Motte Houdard, +Fayard, Marmontel, Mallevoye, Chenedullé, Mollevant, d'Avrigny, Victor +Hugo! + +Quel concours a de plus favorables conditions? Point de sujets donnés, +sauf ceux du discours en prose et de l'hymne; rien qui gêne l'élan +poétique, rien qui entrave l'essor de la pensée: il faudrait avoir +l'imagination bien stérile pour ne pas risquer au moins une ode à cette +glorieuse loterie des Jeux floraux. + + + +Les plaisirs des Champs-Elysées. + +I. + +[Illustration: Champs-Elysées.--L'attelage de chèvres.] + +Dans quelle catégorie les rangerons-nous? Les plaisirs des +Champs-Elysées sont-ils forains, champêtres ou urbains? N'aperçois-je +point les pénates roulants des directeurs de phénomènes? Polichinelle ne +dresse-t-il point son théâtre nomade entre un Hercule du nord et un lion +de Némée, bête farouche qui a laissé les poils de sa crinière aux mains +des gamins de nos quatre-vingt-six département? Décidément nous sommes +dans une foire. Mais non, regardez là-bas ces joueurs de boules et de +mail, et, plus loin, cet individu étendu sur l'herbe fraîche à la +manière de Corydon, et cet autre, qui parcourt lentement les longues +allées, un volume de vers à la main. Les boules, le mail, un sommeil sur +l'herbe, la lecture sous les arbres verts, tout cela ne fait-il pas +naître dans l'imagination des idées champêtres et bucoliques? On se +croirait à vingt lieues de Paris, si tout à coup le passage d'un omnibus +ou d'une brillante calèche, le bruit de la foule devant la porte d'un +théâtre, la présence des sergents de ville et des gardes municipaux ne +vous tirait brusquement de votre erreur. Foire bruyante, retraite +silencieuse, rendez-vous du monde élégant, les Champs-Elysées sont tout +cela à la fois. Ou y trouve tout, même la solitude. Il y a là de quoi +défrayer tous les âges, tous les états, tous les goûts, l'enfance, la +jeunesse, l'âge mur, la vieillesse; l'artisan, l'homme de lettres, +fashionable s'y rencontrent à la fois. Là, viennent se résumer les mille +variétes de l'existence parisienne; là, s'étalent les notabilités, les +excentricités, les prodiges, les phénomènes de tous les pays. Nous avons +vu passer tour à tour sur la chaussée, espèce de voie romaine qui mène à +l'Arc-de-Triomphe, des Chinois, des Persans, des Arabes, et jusque des +naturels des Sandwich. Le monde entier traverse perpétuellement au trot +ou au galop cette longue avenue de Paris. Dites-moi ce qu'on ne fait pas +et ce qu'on ne voit pas aux Champs-Elysées? On y mange, on y joue, on y +danse, on y dort. On y voit Moscou en flammes, des chevaux qui valsent, +des chiens qui font tourner le roi à l'écarté, des géants et des nains, +et mille autres choses encore dont l'éloquence et les poumons de +Bilboquet pourraient seuls entreprendre la nomenclature. + +[Illustration: Champs-Elysées.--Pesage.] + +Il n'est personne qui n'éprouve de temps en temps le besoin de redevenir +enfant. Souvent les longs voyages de la pensée ramènent l'homme, de +circuits en circuits, parmi la verdure et les fleurs des impressions +premières. On cherche à ressaisir le rêve évanoui de l'enfance. Comme le +bon Pérégrinus, du conte d'Hoffmann, il est inutile d'attendre la veille +de la Noël pour satisfaire ce désir. N'achetez pas des bonbons et des +joujoux, n'allumez pas vos bougies, ne vous enfermez point dans votre +salon, ne jouissez pas dans la solitude de ces plaisirs rétrospectifs, +mais prenez le chemin des Champs-Elysées, vous y retrouverez toutes les +émotions enfantines de votre printemps. Choisissez pour accomplir ce +pèlerinage une de ces belles journées d'été pendant lesquelles le +crépuscule, en se prolongeant, fait pour ainsi dire un jour nouveau dans +le jour; mêlez-tons à tous les jeux, arrêtez-vous devant tous les +spectacles, écoutez la parade de Pierrot et la chanson du troubadour +nomade, achetez pour un sou votre avenir renfermé dans une coquille de +noix, et vous redeviendrez enfant pendant quelques heures. Le souvenir +rajeunit. + +Je suppose que votre première station sera pour Polichinelle: à tout +seigneur tout honneur. Hélas! s'il faut en croire un de ses plus grands +admirateurs, Polichinelle, qui avait déjà de si grands défauts, est allé +en empirant: aujourd'hui il fait parade de sa violence comme d'une +vertu, il est devenu l'effroi de ses voisins, il a tué les gardiens de +la paix publique, les soldats, les magistrats, les juges, et bien plus +que cela, les femmes et les enfants! M. Polichinelle a porté ses défis +jusqu'au diable qui l'inspirait, mais qui savait le punir, et dont il ne +reconnaît plus le pouvoir. Polichinelle est odieux! + +Qui oserait regarder Polichinelle, après avoir appris que c'est son +Plutarque, son ami, Charles Nodier enfin, qui a fulminé contre lui cet +anathème? + +Il faut donc reporter votre esprit et vos yeux sur des idées et des +spectacles plus riants. Entre deux rangs de chaises, s'avance une +calèche en miniature traînée par des chèvres; le capricieux animal a +subi enfin le joug de l'homme. Ces chèvres indociles que Virgile aimait +tant à voir pendantes, _pendentes_ au sommet des roches moussues, posent +maintenant un pied réglé sur le sable lin des allées. Une petite fille +blanche et rose s'étale comme une duchesse sur les coussins de la +voiture; sur le siège, son frère, armé d'un long fouet, tient les rênes +et fait semblant de guider le fringant attelage. L'automédon de dix ans +n'ose tourner son regard ni à droite ni à gauche, tant il comprend la +gravité et les périls de sa mission. Les deux amalthées cheminent +cependant paisiblement, et se résignent à leur abaissement en songeant +qu'en amusant des enfants elles sont encore dans leur rôle de nourrices. +L'équipage enfantin attire à lui toutes les sympathies. Involontairement +on se souvient de cet autre enfant, qui se promenait ainsi, ses beaux +cheveux blonds dénoués, sur la terrasse des Tuileries, souriant à la +foule, et saluant les vieux grenadiers de son père qui lui portaient les +armes. L'idée du roi de Rome est liée à celle de ces voitures qui furent +inventées pour lui. Les deux chèvres marchent ordinairement au pas, mais +quelquefois, à un coup de fouet intempestif du jeune cocher, elles se +lâchent, s'emportent, et se mettent à cabrioler au milieu de la +promenade. Il faut alors entendre les cris des mères épouvantées! +Heureusement le danger n'est jamais considérable; le loueur retient +d'une main son attelage par les cornes, de l'autre il soutient la +calèche qui commence à loucher, et les enfants descendent, après avoir +subi toutes les péripéties d'une chute qui n'a pas eu lieu; les mères se +remettent de leurs émotions, et le public, qui a fait tout de suite +cercle autour de l'accident, se retire après s'être donné gratis la +distraction de voir des chèvres prendre le mors aux dents. + +Seuls les enfants du riche peuvent se permettre cette distraction à tant +l'heure; les autres enfants contemplent de loin la calèche coquette ou +la suivent d'un pas envieux. Que ne donneraient-ils pas, eux aussi, pour +s'asseoir sur ces coussins de soie! Quel que soit votre désir de +redevenir enfant, il n'est pas probable que vous le poussiez jusqu'à +vouloir vous donner le plaisir de la locomotion par les chèvres. Ce +plaisir que vous n'osez prendre, procurez-le à un de ces pauvres enfants +dont le coeur palpite rien qu'en entendant sonner les grelots qui +pendent au cou des chèvres Plus tard, il se souviendra qu'il a eu aussi +son jour de fortune, qu'il a guidé des chevaux et roulé carrosse à son +tour. + +[Illustration: Champs-Elysées.--Dynamomètre.] + +Mais tous les plaisirs des Champs-Elysées ne sont pas destinés à +l'enfance, il en est qui peuvent piquer la curiosité de l'âge mur. Voici +d'abord le dynamomètre, invention toute philanthropique, au moyen de +laquelle l'homme peut faire l'essai de ses forces de la façon la plus +pacifique, un simple coup de poing, appliqué sur un plastron rembourré, +devient le témoignage irrécusable de votre vigueur ou de votre +faiblesse. Le dynamomètre a pris naissance à Tivoli. Dans les premières +années qui suivirent 1820, les femmes récemment émancipées par les +romans à la mode, recherchaient toutes les occasions de déployer les +qualités qui appartiennent à un autre sexe. Le dynamomètre, sans cesse +entouré d'athlètes féminins, répondait continuellement par zéro à tous +ces efforts qui n'aboutissaient qu'à rompre la couture fragile de +quelques gants parfumés. Aujourd'hui les femmes semblent avoir compris +que le pugilat n'est point de leur domaine, s'il faut s'en fier à l'état +d'abandon dans lequel elles laissent le dynamomètre des Champs-Elysées, +qui n'attire plus que les coups de poing distraits des rares amateurs de +cette boxe innocente. + +[Illustration: Champs-Elysées.--Le physicien.] + +Si vous vous êtes livré par hasard aux fatigues de cette gymnastique, +asseyez-vous sur ce fauteuil surmonté d'un dais, et placé sur une +estrade comme un trône oriental. Tout en goûtant les douceurs du repos, +vous mettrez en pratique la maxime du sage; _Connais-toi toi-même._ Tout +à l'heure vous vous rendiez compte de votre force, maintenant vous allez +connaître votre poids. Le fauteuil sur lequel vous êtes assis est une +balance. D'une semaine, d'un mois, d'une année à l'autre, vous pouvez +mesurer les progrès de votre maigreur ou de votre embonpoint, et par +suite mobilier votre régime. Cette consultation hygiénique coûte cinq +centimes, et elle en vaut bien une autre. + +Maintenant la science nous réclame. Les secrets de la physique vont nous +être dévoilés par un profiteur en plein vent. Les auditeurs sont +nombreux, les appareils déployés sur une grande table. La machine +électrique fonctionne; pour un sou on se fait électriser, on assiste à +la formation de la foudre, les phénomènes de l'électricité n'ont plus de +secret pour personne, la bouteille de Leyde éclate pour tout le monde. +Qui voudrait pour la bagatelle de cinq centimes refuser de se donner +l'innocente frayeur de l'étincelle électrique? Ce cours de physique +ambulant est aussi suivi que ceux de la Sorbonne et du Collège de France. +Tout ce qui est mystérieux intéresse vivement les masses; aussi la +physique serait-elle sans rivale dans l'empressement de la foule, si la +musique n'existait pas. + +Autrefois les chanteurs nomades pullulaient, pour ainsi dire, dans +Paris; pas de rue, pas de place publique, pas de carrefour qui ne +retentit des accents de ces bohémiens de l'art. La poésie populaire +avait en eux d'infatigables interprètes. Malheureusement ils ne se sont +pas contentés de chanter les refrains inspirés par la muse familière, +ils ont voulu aborder la cavatine, le nocturne, la romance et même le +_lied_. Leur ambition les a perdus. Chassés des cafés, des restaurants, +sous prétexte qu'ils offensaient l'oreille délicate des habitués, à +peine si les lointains établissements du faubourg Saint-Jacques et du +quartier latin leur offrent encore de temps en temps une hospitalité +humiliante et pleine de périls. Nulle part ils ne sont reçus, les +malheureux ne sont que tolérés; de n'est plus avec l'audace triomphante +des anciens jours qu'ils se présentent avec leur guitare fêlée et leur +redingote en lambeaux. Leur air est modeste, et leur allure timide. Ils +ne chantent pas, ils fredonnent. + +Pauvres chanteurs ambulants, rapsodes du pauvre, chaque jour voit +disparaître une de vos illustrations. Ce n'est pas l'âge, ce n'est pas +la misère, ce n'est pas l'indifférence populaire qui cause votre perte, +c'est l'avidité barbare de ceux qui exploitent les oeuvres de la pensée. +Il y a un au à peine nous avons vu traîner sur les bancs de la police +correctionnelle ce doyen des chanteurs en plein vent, ce représentant de +la gaie science, ce troubadour en haillons, ce fameux musicien qui, tour +à tour basse ou baryton, ténor grave ou doux, a charmé les échos de tous +les carrefours, de toutes les barrières, de tous les villages, de tous +les hameaux, ce père Aubert enfin dont la réputation est universelle. +Quel crime, direz-vous, avait donc pu commettre le père Aubert? + +Sa voix chevrotante l'aurait-elle trahi? l'obole du peuple aurait-elle +cessé de remplir son escarcelle? Chaste poésie, voile ta face, muse, +remonte au cieux! Le père Aubert aurait-il mendié? + +Rassurez-vous le père Aubert n'est ni un mendiant ni un vagabond. Ou +l'accuse d'avoir violé les lois sur la propriété littéraire. + +Les éditeurs patentés prétendent qu'en vendant leurs chansons aux +ouvriers, aux bonnes d'enfants, aux paysans, aux grisettes, le père +Aubert nuit essentiellement à la vente, et leur avocat conclut à 500 +francs de domages-intérêts contre le délinquant. Où diable le père +Aubert aurait-il pu prendre 500 francs? + +Le tribunal a eu pitié de la musique nomade. Euterpe n'a été condamnée +qu'à 25 francs d'amende. Le père Aubert laissera plus d'une brillante +recette aux buissons du fisc, si le fisc parvient jamais à l'attraper: +car qui pourrait dire où est le père Albert? Peut-être chante-t-il la +_Marseillaise_ dans les villages des frontières, peut-être dort-il au +bord de quelque fossé du sommeil du juste et du ménestrel, ou bien +encore charme-t-il de la Champagne avec les refrains de la grâce de +Dieu. Ses petits cahiers se vendent à foison, les sous pleuvent autour +de lui. Père Aubert, vous êtes heureux, vous recommencez la ritournelle, +vous mettez une chanterelle neuve à votre violon, tremblez, malheureux +troubadour, un huissier vous guette et va saisir votre recette parce que +vous vous êtes permis de chanter _Cinq sous! cinq sous!_ sans la +permission d'un éditeur. + +Cette jurisprudence éloigne de Paris tous les chanteurs ambulants. Ils +ne veulent pas s'exposer aux dangers de faire la contrebande lyrique. +Voilà donc une nouvelle puissance qu'on enlève au peuple. Chassé des +théâtres par la cherté des places il avait les chanteurs nomades, les +trouvères de l'atelier, on les lui enlève; il ne lui reste plus que les +joueurs d'orgue. Nous nous attendons un de ces jours à voir une +coalition d'éditeurs réclamer 1000 francs de dommages-intérêts à des +montreurs de singes sous prétexte qu'il font voir leurs animaux sur des +airs de Meyerbeer ou de Loïsa Pujet. + +En attendant cette recrudescence de persécution, la musique +instrumentale triomphe. Le violon, la basse, la clarinette, retentissent +aux Champs-Elysées, bien plus que la voix humaine. L'orchestre a tué les +choeurs. C'est à peine si de loin en loin on entend une basse ou un +soprano modulant _le feu de Tolède_ ou _Adieu, mon beau navire_. Plus de +sûreté d'intonation, plus d'audace dans les fioritures, plus de liberté +dans le point d'orgue. Et comment le virtuose pourrait-il donner un +libre essor à ses inspirations, quand il lui faut tendre l'oreille, non +pas à la mesure, mais au pas d'un huissier qui les guette au milieu de +leurs roulades, et attend le moment de les surprendre en flagrant délit +de contrefaçon? + +[Illustration: Champs-Elysées.--Les chanteurs ambulants.] + +Cette première excursion aux Champs-Elysées ne serait pas complète si +nous ne jetions un rapide coup d'oeil sur la gastronomie locale. Nous ne +parlerons pas des pommes de terre frites dont la renommée est reconnue +dans le monde entier, nous laisserons les détails de côté, ce sujet nous +entraînerait trop loin. Entrons dans le restaurant Ledoyen, non point +pour y commenter la carte, mais pour y évoquer les souvenirs de notre +histoire. Nous sommes dans un restaurant politique. C'est ici que tous +les ministères tombés viennent oublier leur chute le verre à la main +Nous ne savons ce qui a valu à Ledoyen l'insigne et difficile honneur de +consoler les estomacs déchus du ministère. Que de secrets renfermés dans +ce cabinet particulier, qui a vu passer tour à tour MM. de Villèle, de +Martignac, Molé, Thiers, et bien d'autres encore dont le nom n'est pas +moins illustre! Que de confidences échangées entre la poire et le +fromage! Que de fois les ministres déchus auraient pu en sortant de chez +Ledoyen se donner le plaisir de commander la carte de leurs successeurs! + +[Illustration: Champs-Elysées.--Restaurant Ledoyen.] + +La nuit est venue. Renvoyez votre promenade à demain, à moins que vous +ne préfériez courir la bague ou tourbillonner en carrousel, si vous êtes +assez heureux pour que les révélations de la balance publique ne vous +aient point interdit ces jeux. + + + +Académie des sciences + +COMPTE-RENDU DES TRAVAUX DU PREMIER TRIMESTRE DE 1843. + +(Suite.--Voir page 217.) + +II.--Zoologie. + +_Animaux phosphorescents_.--M. de Quatrefages a continué ses recherches +sur l'anatomie des animaux inférieurs qui habit eut les côtes de la +France. Ses études sur la phosphorescence de quelques-uns d'entre eux +l'ont conduit aux conclurions suivantes: 1º Il y a chez ces animaux +production de lumière sous forme d'étincelles dans l'intérieur du corps +à l'abri du contait de l'air; 2º cette production de lumière est +indépendante de toute sécrétion matérielle; 3º elle se rapproche sous ce +point de vue de la sécrétion de lumière observée chez plusieurs +poissons; 4º cette lumière se montre uniquement dans le tissu musculaire +et au moment de la contraction; 5º la production de cette lumière épuise +rapidement l'animal. Ces observations sont intéressantes en ce qu'elles +tendent à lier deux ordres de phénomènes dont l'analogie n'avait été +qu'entrevue auparavant: savoir la phosphorescence et l'électricité +animales. + +_Foie des insectes._-M. L. Dufour, l'un des plus habiles entomologistes +dont s'honore la France, a fait une étude approfondie de la structure et +des fonctions du foie dans les insectes. On avait cru que dans ces +animaux cet organe sécrétait à la fois la bile et l'urine; mais il a +prouvé qu'on s'était laissé abuser par des apparences, et que dans ces +animaux comme dans l'homme le foie sécrète seulement de la bile. Ces +recherches sont d'autant plus intéressantes que les fonctions du foie +étant encore mal connues, ou s'était élevé de cette double fonction chez +les insectes pour établir entre la sécrétion de la bile et celle de +l'urine une analogie qui n'exista pas. + +_Lézard d'Afrique._-H. Guyon a découvert à Alger l'animal connu des +Romains sous le nom de _Jaculus_ et à la côte Barbaresque sous celui de +Zureig, qui exprime la même idée. Cet animal avait été entrevu par +Desfontaines, qui raconte qu'il le vit courir avec une rapidité telle +qu'il ne put s'en faire une image exacte; il le prit pour un serpent. M. +Guyon vient de constater qu'il appartient à l'ordre des sauriens +(lézards), et au genre _seps_. Sa course est d'une rapidité dont rien ne +saurait donner l'idée. + +III.--MÉTÉOROLOGIE. + +_Incendies allumés par des aréolithes_.--Lorsque des granges ou des +meules de blé sont consumées par le feu, il arrive quelquefois que les +recherches les plus minutieuses ne peuvent faire découvrir l'origine de +l'incendie, que l'on attribue en général à la malveillance. Le juge de +paix de Moutierender a remarqué que ces incendies commençaient toujours +dans les combles et les bâtiments où il n'y a point de foyer. En +comparant les circonstances qui ont accompagné quatre incendies dans le +voisinage du lieu qu'il habile, ce magistrat fait voir que les incendies +ont été accompagnés ou précédés de chutes de globes de feu, qui ne sont +rien autre chose que des aréolithes, ou étoiles filantes en ignition. +Ainsi, le 18 novembre 1842, à onze heures du soir, une jeune fille +entrant dans sa chambre, ayant jour sur un jardin clos, vit une forte +lueur passer et frapper les vitres de sa fenêtre. Elle pensa que +quelqu'un traversait le jardin, portant un falot ou une chandelle +allumée; ayant ouvert la fenêtre, elle ne vit plus rien et n'entendit +personne. Le lendemain à deux heures du matin, le grenier de cette +chambre et ceux de quatre maisons étaient enflammés avant qu'aucun +secours eût pu être porté. Dans les premiers jours de décembre, entre +cinq et six heures du matin, on vit un globe lumineux jetant une si +grande lumière que plusieurs personnes sortirent de la maison. Suivant +le rapport de plusieurs individus, ce globe alla descendre dans une +forêt. L'auteur de la lettre cite encore d'autres exemples qui ne sont +pas moins probables. M. Arago accepte pleinement cette explication, qui +doit être connue des magistrats, afin que on ne cherche pas de coupable +là où il n'y en a point. + +IV.--SCIENCES PHYSIQUES ET CHIMIQUES. + +_Nouvel acide du soufre._--La découverte de ce composé est la plus +intéressante dont l'Académie ait eu à s'occuper. MM. Furdos et Gélis, +en examinant avec soin l'action de l'iode sur les hyposulfites et plus +particulièrement sur ceux de soude et de baryte, ont reconnu ce nouvel +acide, qui peut être appelé acide hyposulfurique bisulfuré. Il est +incolore et sans odeur, d'une saveur acide très prononcée, il n'a que +peu de stabilité, et même, à la température ordinaire, ses éléments +subissent peu à peu une dissociation de laquelle résulte du soufre, de +l'acide sulfureux et de l'acide sulfurique. La série des combinaisons +oxygénées du soufre, à laquelle M. Langlois a ajouté, il y a deux ans, +l'acide hyposulfurique, vient donc de s'accroître d'un nouveau composé +qui est aujourd'hui le sixième connu. Le rapport de M. Pelouze, sur le +travail de MM. Fordos et Gélis, a été très favorable: «L'Académie, +a-t-il dit, voudra encourager les efforts de deux jeunes chimistes qui, +dans une position modeste, cultivent les sciences avec tant d'ardeur et +de succès.» + +_Chimie moléculaire_-M. Pelouze avait lu un mémoire sur l'acide +hypochloreux, suivi de quelques observations sur les mêmes corps +considérés à l'état amorphe et à l'état cristallisé. Cet académicien +avait conclu de ses expériences qu'il était important d'établir une +distinction, même au point de vue purement chimique, entre des corps qui +ne diffèrent que par un état particulier d'agrégation, tels que l'oxyde +de mercure précipité d'une dissolution mercurielle, et l'oxyde obtenu +par la calcination du nitrate, ou encore la craie et le spath d'Islande. +M. Gay-Lussac, «tout en s'associant pleinement aux éloges que mérite la +première partie du mémoire de M. Pelouze,» a critiqué les conclusions de +la seconde partie. Il a donné le détail de nouvelles expériences +desquelles il semble bien résulter que l'on ne saurait voir dans la +différence d'action du chlore, sur les deux oxydes de mercure, autre +chose que l'effet d'une cause purement mécanique. Il a rappelé aussi +que MM. Dumas et Stas ont fait brûler le diamant dans l'oxygène plus +facilement que l'anthracite et aussi bien que le carbone ordinaire. + +_Chimie appliquée._--Depuis longtemps M. Biot poursuit ses travaux si +remarquables sur la polarisation circulaire et sur l'application des +propriétés optiques à l'analyse chimique des mélanges liquides ou +solides dans lesquels le sucre de canne cristallisable est associé à des +sucres incristallisables. On comprend de suite toute l'importance des +procédés de ce genre pour prévenir des fraudes commerciales trop +fréquentes. On sait en effet que les sirops de sucre et les cassonades +sont souvent falsifiés à l'aide de sucre de fécule ou de raisin +(glucose), dont le prix est moindre et dont la composition chimique est +aussi différente. On sait d'ailleurs que l'action de la chaleur +détermine, dans les solutions de sucre de canne, la formation d'une +quantité de mélasse ou de sucre incristallisable d'autant plus +considérable que cette action est prolongée plus longtemps. Ou pourra +donc également se servir des procédés optiques de M. Biot pour mesurer +les proportions de sucre de canne cristallisable qui restent dans les +mélasses, en décolorant par le charbon animal les solutions que l'on en +formerait. Quelques essais de ce genre, tentés sur des mélasses des +colonies provenant des raffineries les mieux dirigées, y ont fait +découvrir au savant académicien des proportions de sucre cristallisable +très considérables, qui se sont élevées à plus de 40 p. 100 de leur +poids. Des expériences directes de M. Pelouze ont confirmé ces résultats +de M. Biot. «Ce serait un beau problème commercial à résoudre que +d'extraire des mélasses, par quelque procédé économique, une partie, +sinon la totalité, de ce sucre cristallisable qu'elles renferment pour +employer le reste, avec les portions incristallisables, à enrichir les +sucres de fécule fabriqués par les acides.» + +_Photographie._--M. Moeser, physicien de Koenisberg, paraît être le +premier qui ait signalé un nouveau genre d'images produites sous +l'influence de la lumière, sur une surface polie, par un corps placé +très près de cette surface. Les images de ce genre se forment sur un +verre de montre placé bien près du cadran, sur les verres placés au +devant des gravures encadrées, etc.. M. Moeser attribue ce curieux +phénomène à des radiations lumineuses; M. Knoor de Kazan y voit +l'influence de la chaleur, et donne le nom de _thermographie_ à l'art +nouveau qu'il veut créer. M. Fixeau rattache tout simplement la +formation des images de Moeser à l'existence bien constatée des matières +grasses et volatiles qui souillent la plupart des corps à leur surface. +Enfin, en plaçant une médaille sur une plaque de verre au-dessous de +laquelle se trouve une plaque métallique, M. Karsten (le fils du +minéralogiste) a reconnu qu'il se forme une image sur la surface +supérieure du verre, lorsqu'on fait tomber l'étincelle d'une machine +électrique sur la médaille. Si la médaille repose sur plusieurs plaques +de verre, et que la dernière soit en contact avec une plaque de métal, +l'étincelle engendre des images sur toutes les plaques, mais seulement à +leurs surfaces supérieures. Les images les plus faibles correspondent +aux plaques les plus éloignées de la médaille. L'étincelle est +nécessaire; M. Karsten n'a pas réussi avec l'électricité de la pile: les +images, d'ailleurs, ne deviennent visibles qu'en les exposant à une +vapeur; mais le souffle le plus léger suffit. La vapeur d'eau se dépose +en gouttelettes sur toutes les parties dont l'état moléculaire a changé, +tandis qu'elle se répand uniformément là où l'électricité n'a pas +sensiblement altéré la plaque. L'effet est instantané et les dessins de +la plus grande pureté. + +Peu de temps après le vote de la loi qui accordait une récompense +nationale à MM. Daguerre et Niepce, M. Arago avait indiqué une +expérience très curieuse à faire au moyen du daguerréotype. M. Ed. +Becquerel, répondant à ce appel, projeta un spectre solaire et +stationnaire sur une plaque iodurée; et il reconnut, après l'expérience, +que la matière chimique était restée intacte le long des stries qui +correspondaient précisément aux raies que Frauenhofer a découvertes dans +le spectre. Sur une nouvelle indication de M. Arago, M. Ed. Becquerel a +renouvelé l'expérience en plongeant la plaque iodurée par moitié dans +l'eau et dans l'air, et il a constaté qu'il n'y a aucune différence bien +sensible entre les deux moitiés de l'image du spectre sur cette plaque. +M Arago a donné à ce sujet des développements très curieux et propres à +avancer la théorie de la lumière. + +M. Daguerre a communiquée l'Académie, entre autres observations +curieuses ou utiles sur l'art qu'on lui doit, un nouveau procédé de +polissage des plaques. Au moyen de ce procédé, on obtient des résultats +identiques tant que les circonstances extérieures restent les mêmes. + +_Physique expérimentale._--L'Académie a reçu un assez grand nombre de +communications intéressantes qui se rattachent à ce titre, + +M. Dupré a imaginé un appareil très simple et très ingénieux pour +remplacer la machine d'Atwood, employée exclusivement jusqu'à ce jour, +dans les cours publics, à la démonstration _à posteriori_, des lois de +la pesanteur. + +M. Mateucci, qui s'est livré spécialement depuis quelques années à +l'étude des phénomènes électro-physiologiques des animaux, a fait, sur +ce point important, des découvertes fort curieuses. D'abord, il a réussi +à composer une véritable pile voltaïque avec des Grenouilles disposées +de telle sorte, que les jambes de l'une posent sur les nerfs de l'autre; +et il a constaté avec le galvanomètre que le courant propre de cet +animal augmente dans l'acte de la contraction. Bien plus, il a reconnu +le courant électrique musculaire dans toutes les masses musculaires, +quel que soit l'animal. Ce courant est considérablement affaibli chez +les animaux qui ont été tués par l'hydrogène sulfuré; il l'est aussi par +l'influence du refroidissement et par celle de l'opium ingéré dans +l'estomac. + +L'opinion que l'huile répandue à la surface des flots peut produire du +calme est fort ancienne. Elle a été reproduite récemment par M. Van +Beek, qui a rédigé à ce sujet un mémoire inséré dans les _Annales de +chimie et de physique_ du mois de mars 1842. Après avoir rapporté +plusieurs témoignages à l'appui de cette propriété merveilleuse, +l'auteur émet l'idée que l'on pourrait trouver dans l'emploi de l'huile, +pendant les tempêtes, un moyen de protéger les digues et autres +constructions maritimes contre la violence des vagues, en la versant sur +l'eau près du rivage. M. Van Beek qui est membre de l'Institut naval des +Pays-Bas, a même fait, l'année dernière, à cette société savante, une +proposition tendant à obtenir du gouvernement qu'il fît exécuter des +expériences à ce sujet. Une commission de cinq membres nommée _ad hoc_ a +fait un seul essai duquel elle a tiré des conclusions défavorable à +l'idée de M. Van Beek. Cependant deux des commissaires avaient fait +séparément une expérience en versant une petite quantité d'huile dans un +ruisseau, un jour où le vent soufflait avec violence, et ils observèrent +un changement dans l'aspect et dans le mouvement de l'eau. Un autre +membre de la commission avait obtenu ce même résultat dans une +expérience semblable. Aussi M. Lipkens l'un des commissaires, a-t-il +écrit à M. Arago pour réclamer contre la manière dont ses collègues ont +opéré en son absence. Il a fait ressortir la nécessité d'opérer sur de +flots soulevés par le vent et non par des brisants, et a montré que le +jugement de la commission hollandaise ne pouvait être considéré comme +décisif. + +--M. Régnault a présenté à l'Académie, de la part de M. Reizet, une pile +d'une construction nouvelle, remarquable par ses effets énergiques. +Cette pile, imaginée par M. Bunsen, professeur de chimie à l'université +de Marbourg, est formée de quarante éléments, occupe très peu d'espace +et suffit pour produire tous les effets qu'on n'obtient ordinairement +qu'avec un nombre d'éléments beaucoup plus considérable. L'Académie a pu +en juger par les expériences qui ont été faites sous ses yeux.--M. +Bunsen a fait des essais relatifs à un mode d'éclairage produit par un +jet de lumière du courant entre deux pointes de charbon. Il s'est pour +cela servi d'une batterie de quarante-huit couples. Le jet de lumière, +en éloignant les pointes de charbon, pouvait être allongé jusqu'à 7 +millimètres. M. Bunsen évalue l'intensité de cette lumière à celle de +572 bougies stéariques. La dépense, pour entretenir cette lumière +pendant une heure, était: pour le zinc, 300 grammes, pour l'acide +Sulfurique, 456 grammes, et pour l'acide nitrique, 608 grammes. + + + +Le mois de mai. + +Le mois de mai 1843 a eu à supporter les imputations les plus graves et +on l'a accusé d'être plus froid, plus humide, plus variable, plus +maussade que tous ses prédécesseurs. Les jardiniers, les promeneurs, les +poètes, les fleuristes, les tailleurs, les couturières l'ont accablé +d'imprécations. Voyons si ces accusations sont fondées. Plus heureux que +les magistrats, forcés d'écouter des avocats, vous n'aurez pas, ô +lecteur! de plaidoyer à subir, vous n'aurez point à peser en vous-même +la valeur douteuse d'un argument et démêler la vérité au milieu des +sophismes dont on cherche à l'obscurcir: tout se réduit à une question +de chiffres. Un mois de mai froid, c'est celui où la température moyenne +a été au-dessous de la température moyenne générale du mois de mai, +considéré dans un grand nombre d'années Or, la température moyenne du +mois de mai, déduite de quarante années d'observations métérologique +faites à l'Observatoire de Paris, est de 14°, 4. Le mois de mai 1843 a +donc été un mois froid, puisque sa température (13º, 6) est au-dessous +de la moyenne générale. Cette température a-t-elle été +extraordinairement basse? En aucune manière: il suffit, pour s'en +convaincre de jeter les yeux sur le tableau suivant, qui présente la +température moyenne et la quantité d'eau tombée pendant les mois de mai +des vingt-trois années qui viennent de s'écouler. + + Années Température Quantité de pluie + moyenne. centimètres. + + 1820 14,1 9,106 + 1821 12,1 4,610 + 1822 16,7 4,605 + 1823 15,2 5,430 + 1824 12,6 7,596 + 1825 14,2 6,436 + 1826 12,6 4,470 + 1827 14,6 11,620 + 1828 13,1 6,490 + 1829 14,9 9,030 + 1830 14,6 12,340 + 1831 14,2 6,420 + 1832 13,2 5,428 + 1833 17,7 2,305 + 1834 18,2 4,380 + 1835 13,8 4,955 + 1836 12,4 2,624 + 1837 11,0 7,921 + 1838 14,2 4,704 + 1839 13,6 3,382 + 1840 15,1 3.381 + 1841 17,3 4,606 + 1842 14,5 2,415 + +Depuis vingt-trois ans, il y a donc eu six mois de mai plus froids que +celui de 1843: ce sont ceux des années de 1821, 1824, 1826, 1832, 1836, +1837, et un aussi froid, celui de 1839. Ainsi donc le mois de mai qui +vient de s'écouler n'est point extraordinaire sous le point de vue de la +température; seulement sa moyenne est de 0º, 8 au-dessous de la moyenne +générale. + +A-t-il été plus pluvieux qu'il ne l'est habituellement à Paris? Ici +encore la statistique nous montre qu'il y a eu, depuis 1820 huit années +dans lesquelles la quantité d'eau tombée est supérieure à celle de 1843, +et nous voyons qu'il en est deux (1827 et 1830) où elle a été presque +double. + +En grand coupable qui comparait devant un tribunal après des gens +accusés de peccadilles inspire beaucoup plus d'horreur que s'il venait +précédé de scélérats qui ont fait pire que lui. En général, le jugement +sera plus sévère; c'est ce qui est arrivé au mois de mai 1843, dont nous +instruisons le procès en ce moment. En 1840, 1841 et 1842, la +température avait été supérieure à la moyenne et la quantité de pluie +peu considérable, surtout en 1840 et 1842. Il en est résulté pour le +mois de mai passé un effet de contraste tout à son désavantage et dont +il a été la victime. + +En résumé, on ne le citera jamais parmi les mois qui tendent à +réhabiliter sa vieille réputation en réalisant les fictions des poètes; +mais ce n'est pas non plus un de ces mois qui bouleversent les notions +astronomiques du tranquille citadin, et réveillent dans son esprit des +idées mal effacées sur le refroidissement du globe ou un changement dans +l'inclinaison de l'équateur sur l'écliptique. C'est un mois de mai un +peu au-dessous du médiocre de médiocre et ici exactement égal à 14º, 4, +parfaitement en harmonie avec tout ce qui se fait aujourd'hui, _Lucrèce_ +et _l'Illustration_ exceptés. + +OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES. + +FAITES À L'OBSERVATOIRE DE PARIS + +1843.--MAI. + + +1 Jours du mois. +2 Hauteur du baromètre réduite à la température de 0 à midi. +3 Températures extrêmes de la journée. +3a Minimum. +3b Maximum. +4 Températures moyennes calculées. +5 État du ciel à midi. +6 Vents à midi. + + + 1 2 3 4 5 6 + + 3a 3b + +1 757,19 11,0 21,9 16,0 Nuageux. S. S. E. +2 753,01 9,0 22,1 15,0 Beau, quelques nuages. E. N. E. +3 754,63 8,0 21,9 14,4 Orages, tonnerre, + faible pluie. N. +4 754,01 8,9 19,0 15,0 Assez beau. S. O. +5 752,31 7,7 21,1 15,9 Nuageux. S. O. +6 748,31 11,5 21,0 15,9 Couvert, pluie. O. fort +7 748,26 6,6 17,8 11,7 Couvert. S. S. E. +8 745,00 5,5 13,9 9,4 Très nuageux. N. O. +9 749,74 4,5 11,9 7,9 Couvert. S. O. +10 756,31 4,3 16,2 9,8 Nuageux. S. O. +11 760,96 8,9 19,9 13,9 Très nuageux. N. E. +12 762,00 7,5 20,2 15,3 Couvert. S. O. +13 758,60 12,0 17,8 13,2 Couvert. O. N. O. +14 751,87 7,0 21,0 15,4 Couvert. S. S. E. +15 749,80 10,0 19,8 14,5 Couvert. O. N. O. +16 745,20 8,2 16,0 11,8 Pluie. S. O. fort. +17 746,17 6,0 16,0 10,6 Couvert. O. S. O. +18 750,33 8,5 15,3 11,6 Couvert. N. N. O. +19 754,90 8,3 15,1 11,4 Couvert. O. N. O. +20 752,36 9,8 25,0 15,9 Très nuageux. E. +21 751,48 11,0 19,0 14,7 Couvert. S. O. +22 752,24 10,8 18,8 14,5 Couvert. O. S. O. +23 748,68 11,0 22,8 16,4 Couvert. S. E. +24 746,74 13,3 19,0 15,9 Couvert. S. S. E. +25 749,92 15,1 20,8 17,7 Nuageux O. +26 754,62 10,4 17,8 13,6 Couvert. S. E. assez fort. +27 750,28 12,0 19,2 15,3 Couvert. S. O. +28 750,28 11,0 17,3 13,9 Couvert. O. S. O +29 757,24 10,3 18,0 13,8 Couvert, pluie. O. fort. +30 760,98 8,1 17,8 12,6 Couvert O. N. O. faible +31 757,75 12,0 20,8 16,0 Couvert S. S. O. + + 752,63 9,3 18,8 13,6 (Moyenne) + +Pluie dans la cour, 8 cent. 355 +Pl. sur la terrasse, 5 cent. 930. + + + + +De la galvanographie. + +Il y a déjà quelques années qu'un savant anglais, M. Thomas Spencer, de +Liverpool, en étudiant l'action réductive exercée par les courants +galvaniques sur les métaux dissous, découvrit que le cuivre ainsi +revivifié de ses dissolutions dans les acides possédait la propriété de +mouler la surface métallique sur laquelle on le précipitait, avec une +exactitude telle, que les moindres modifications de cette surface, les +stries du poli et jusqu'aux accidents de coloration, étaient reproduits +avec la plus merveilleuse fidélité. En donnant la publicité à cette +curieuse découverte, M. Spencer indiqua les principales applications qui +en pourraient être faites aux arts plastiques et à l'industrie; et il +fit voir comment, en envisageant un dessin comme une surface présentant +à la fois des saillies et des dépressions, on pourrait arrivera +transformer directement, et sans aucun recours au burin, le travail du +dessinateur en une planche en cuivre gravée soit en relief soit en +creux. + +Quelque temps après, M. Jacobi de Saint-Pétersbourg, fut également +conduit à découvrir cette curieuse propriété plastique du cuivre réduit +par courant galvanique; et il donna au public connaissance de sa +découverte, d'abord dans une lettre adressée à Michael Faraday et +publiée par celui-ci dans le _Philadelphia Magazine_ (septembre 1839), +puis dans une série de lettres écrites au prince de Démidoff, et qui +parurent en 1840 dans le journal _'Artiste._ C'est depuis cette époque +surtout que de nombreuses tentatives ont été faites pour résoudre le +problème indiqué par M Spencer, tentatives qui n'ont point encore obtenu +un plein succès, mais dont les résultats déjà acquis permettent +d'affirmer que, dans un avenir qui n'est pas éloigné, le travail du +graveur pourra être entièrement supprimé, et l'oeuvre du dessinateur +pourra être placée, par une simple opération chimique, dans des +conditions qui en permettront la reproduction indéfinie. + +La reproduction d'une oeuvre d'art ou d'un signe graphique quelconque +par la voie de l'impression est aujourd'hui effectuée à l'aide de trois +procédés différents, dont nous devons indiquer les caractères +distinctifs: l'impression typographique, l'impression en taille douce et +l'impression lithographique. Ces trois procédés exigent également que +l'oeuvre à reproduire soit tracée sur une surface résistante et dont la +planimétrie soit parfaite, c'est là leur caractère commun: ils diffèrent +en ce que, dans le premier procédé, le trait ou la ligne qui doit +marquer fait saillie au-dessus du plan de la surface; dans le second il +est au contraire déprimé au dessous de ce plan, et dans le troisième, il +est contenu dans le plan, et n'est représenté que par un état +particulier de la surface elle-même. Ces trois artifices ont le même +but; celui de permettre que l'encre d'impression, distribuée sur ces +surfaces à l'aide d'un tampon ou d'un rouleau, aille s'arrêter ou +s'accumuler en quantités rigoureusement déterminées sur certaines +portions de la surface seulement, de telle sorte que ces portions-là +seules puissent donner épreuve en transmettant sous le foulage de la +presse, à la feuille encore humide de papier, les portions d'encre +qu'elles ont reçues. + +Dans l'impression typographique les lignes à reproduire font saillie sur +le plan métallique mobile que l'on appelle la forme. Un rouleau +cylindrique, formé d'une pâte molle et élastique, et dont la surface +lisse et unie est revêtue d'une mince couche d'une encre épaisse et +grasse, effleure rapidement les lignes en saillie, laissant sur chacune +d'elles une portion de son encre sans atteindre les fonds ou le +intervalles qui les séparent, la quantité d'encre que reçoit chacune +d'elles étant proportionnelle à sa largeur et à sa hauteur absolue +au-dessus du plan de la forme. Alors un plateau métallique parfaitement +plan et parfaitement parallèle aussi à la surface de la forme, s'abaisse +sur celle-ci, et comprime sur les saillies noircies d'encre la feuille +de papier qui en doit recevoir l'empreinte et dans laquelle elles +s'impriment. Avec les dispositions mécaniques que l'on possède +aujourd'hui, l'opération tout entière s'exécute en moins de cinq +secondes. + +Dans l'impression en taille-douce, au contraire, les lignes à reproduire +sont entaillées plus ou moins profondément dans une planche métallique +d'acier, de cuivre ou d'étain. L'encre d'impression, distribuée d'abord +grossièrement sur toute la surface de la planche, est ensuite ramenée +avec soin dans toutes les tailles, et enlevée avec plus de soin encore +de toutes les parties qui doivent venir blanches à l'épreuve; puis la +planche de métal et la feuille de papier passent toutes deux entre deux +cylindres de fonte, et, sous l'écrasement d'une pression énorme, le +papier pénètre jusqu'au fond des tailles, et s'y imprègne de l'encre que +la main de l'imprimeur y a laissée. L'impression en taille-douce est, à +vrai dire, un procédé de moulage, et la pile du papier humide est une +matière plastique qui donne la contre épreuve en relief du moule en +creux, la planche gravée. + +Les procédés de l'impression lithographique reposent sur une tout autre +donnée: c'est la propriété, commune à toutes les surfaces polies de se +comporter d'une façon toute spéciale suivant qu'elles ont été +primitivement souillées par un corps gras ou un liquide aqueux, par +l'huile, par exemple, ou par l'eau. Il n'est personne peut-être qui +n'ait remarqué que certaines surfaces polies à un haut degré, celles des +bois vernis, de la glace, du marbre, et plus spécialement encore toutes +les surfaces métalliques parfaitement nettes et brillantes, ne se +mouillent pas d'ordinaire au contact de l'eau. Ce contact a beau être +prolongé, on a beau lasser sa plieuse à étaler le liquide dans l'espoir +d'en former une pellicule uniformément étendue sur toute la surface +polie, il semblerait que celle-ci exerce sur le liquide une sorte +d'action répulsive, et qu'elle le contraint à se retirer sur lui-même en +gouttelettes sphéridales qui ne conservent avec cette surface que les +rapports les plus limités possibles. Si maintenant, sur une surface +polie qui présente ce phénomène de ne point mouiller avec l'eau, on +verse une goutte d'huile, un phénomène tout inverse du premier se +produit. La gouttelette, d'abord globuleuse, s'aplatit de plus en plus +et devient lenticulaire; les bords vont sans cesse s'élargissant pour +envahir un espace plus grand, et la surface entière, si grande qu'elle +soit, pourra être complètement recouverte par une toute petite goutte +d'huile qui y formera une pellicule adhérente, sans solution de +continuité aucune, et tellement mince qu'elle pourra paraître irisée +comme la paroi d'une bulle de savon. Mais si, au contraire, par un +artifice quelconque, la surface polie a été mise dans des conditions +telles qu'elle mouille avec l'eau, alors, sur cette surface une fois +humide, il sera impossible de faire adhérer l'huile, et le rôle de ces +deux liquides sera complètement interverti. En fait, une surface polie +est indifférente soit à l'huile soit à l'eau; mais aussitôt que l'un de +ces liquides vient à toucher cette surface il y adhère en formant une +pellicule infiniment mince, et c'est cette pellicule du premier liquide, +quel qu'il soit, qui exerce une action véritablement répulsive sur le +second. + +C'est cette propriété des surfaces polies qui est mise en oeuvre dans +l'impression lithographique et dans certains procédés de transport sur +métal, dont nous aurons peut-être à parler par la suite, et qui +paraissent destinés à prendre une grande extension, sinon à remplacer +complètement les procédés du stéréotypage. Un dessin sur pierre n'est +autre chose, en effet, qu'une surface polie dont certaines portions, les +traits du dessin, mouillent avec l'huile et les corps gras, tandis que +les autres, les blancs ne mouillent qu'avec l'eau ou les liquides +aqueux. Sur cette surface l'imprimeur passe alternativement une éponge +imbibée d'eau et un cylindre imprègne d'une encre grasse: les deux +liquides s'arrêtent, se déposent, se limitent là où l'état spécial de la +surface les retient, et la feuille de papier, sous le foulage de la +presse, va à son tour s'en imprégner. + +Ces détails étaient nécessaires pour faire comprendre les difficultés +pratiques de la question que nous allons maintenant aborder; ils étaient +nécessaires surtout pour que l'on pût bien saisir l'énorme importance de +la gravure en relief, de celle dans laquelle les traits à reproduire, +faisant saillie sur le fond de la planche, donnent épreuve à la presse +typographique. Une seule planche en cuivre» gravée en relief, pourra +fournir au tirage mécanique jusqu'à 15,000 épreuves par jour, et cela +pendant tant de jours que l'on voudra, ou peu s'en faut; et la même +planche, gravée en creux, ne donnera guère à la presse en taille-douce +que 3,000 épreuves en tout, à raison de 200 épreuves par jour. Les +procédés de transport sur pierre ou sur métal sont plus limités encore, +et la cinq-centième épreuve d'un dessin sur pierre n'est plus qu'une +grisaille où l'on ne reconnaît plus ni couleur, ni modelé, ni forme. + +Or, c'est dans la possibilité de multiplier indéfiniment, avec une +rapidité extrême et à très bas prix, le nombre des épreuves, que git +aujourd'hui tout le problème: ce n'est plus que sur des tirages de dix, +de vingt, de trente mille exemplaires que peuvent être basées les bonnes +opérations de librairie. + +Cela dit, voyons par quels artifices on peut, à l'aide d'un courant +galvanique, transformer le dessin d'un artiste en une planche en cuivre +gravée en relief, et capable de donner un nombre indéfini d'épreuves à +la presse typographique. + +Toutes les applications qui ont été faites jusqu'ici des courants +galvaniques aux besoins de l'industrie reposent sur la propriété +suivante: + +Lorsque qu'on fait passer, à l'aide de deux surfaces métalliques, un +courant galvanique à travers une solution saline convenablement choisie, +la surface par laquelle le courant débouche dans la solution est +attaquée, corrodée, dissoute, et le métal entraîné est charrié par le +courant vers l'autre surface, sur laquelle il est revivifié et précipité +à l'état métallique. Mais, pour que cette action ait lieu également? sur +toute l'étendue des deux surfaces, il faut que ces deux surfaces soient +sur toute leur étendue dans des conditions identiques et également +exposées à l'action du courant; car si certaines portions de ces +surfaces, et certaines portions seulement, étaient recouvertes d'une +courbe protectrice quelconque, celles-là ne seraient pas modifiées par +le passage du courant, dont l'action s'exercerait exclusivement sur les +parties qui ne seraient pas ainsi protégées. + +[Illustration.] + +Or, la surface métallique par laquelle le courant galvanique débouche +dans la solution saline, ainsi que celle par laquelle il s'en échappe, +peut-être du dessin, et l'action du courant qui passe peut être utilisée +soit à déposer du métal sur les traits du dessin au pôle négatif, soit à +enlever du métal d'entre les traits du dessin au pôle positif. Voici +comment. + +[Illustration.] + +Soit une planche de cuivre rouge dont le poli et la planimétrie soient +suffisamment parfait pour satisfaire aux exigences du tirage +typographique. Sur cette planche un étale à chaud une couche si mince +que l'on voudra d'un vernis résineux quelconque, et les vernis dont on +fait usage sont en général composés de térébenthine de Venise, de poix +blanche, de suif et de noir de fumée. Cette planche ainsi préparée est +livrée à l'artiste, qui y trace son idée à l'aide d'un stylet +suffisamment résistant pour entamer l'épaisseur du vernis. Son travail +terminé, la planche est pour l'artiste un véritable dessin dans lequel +les noirs sont représentés par les surfaces de cuivre mises à nu, les +blancs ou les clairs par les surfaces intactes. Pour le chimiste, au +contraire, cette planche ne sera qu'une surface métallique dont les +différentes portions sont placées dans des conditions différentes, +celles-ci étant livrées unes à l'action d'un courant, celles-là étant +complètement abritées de cette action sous leur couche de vernis. Que +l'on dispose, en effet, une planche ainsi préparée dans une solution +d'un sel de cuivre, au pôle par lequel le courant s'échappe de la +solution, incontinent le métal que le courant charrie avec lui se +déposera sur tous les points où la surface du cuivre a été mise à nu, et +il ne s'en déposera pas un atome en aucun autre point. Molécule par +molécule le dépôt s'agrandira là où une fois il a commencé de +s'effectuer, et les traits du dessin s'élèveront comme de petites +murailles, et se détacheront en saillie sur le plan du vernis. + +Renversons les conditions de l'expérience. Soit, comme tout à l'heure, +une planche métallique convenablement dressée, et supposons que +l'artiste trace sur cette planche son dessin avec une encre grasse, +siccative et inattaquable aux acides. Que la planche ainsi préparée soit +placée dans une solution d'un sel de cuivre, mais cette fois-ci au pôle +par lequel le courant y débouche; et aussitôt l'action du courant +s'exercera à entailler le métal dans l'intervalle des traits; et +ceux-ci, au bout d'un certain temps fort court, surgiront en relief, +leurs bords taillés à pic avec une netteté et une précision auxquelles +le burin le plus hardi et le plus habile ne saurait atteindre. + +Telles sont les deux idées principales sur lesquelles reposent toutes +les tentatives sérieuses de galvanographie: obtenir un relief par dépôt +au pôle négatif, par érosion au pôle positif. Viennent maintenant les +difficultés d'exécution, et celles-ci sont nombreuses et malaisées à +surmonter. + +Dans le procédé opératoire que nous avons indiqué en premier lieu, c'est +le trait même du dessinateur qui devient le moule dans lequel vient se +déposer le cuivre réduit; et les moindres intentions de l'artiste se +trouvent ainsi reproduites avec cette merveilleuse fidélité qui +caractérise le moulage galvanique. Mais ce sillon lui-même, tracé avec +une pointe conique ou triangulaire, est une tranchée à bords obliques +dont le bord seul représente le trait du dessinateur. A mesure que ce +sillon est comblé par les molécules de cuivre qui s'y précipitent, le +trait s'élargit, et le premier mérite du procédé, sa merveilleuse +exactitude, est dès lors sacrifié. Pour qu'il en fût autrement, il +faudrait que la taille faite par le stylet dans le vernis fût à bords +verticaux; et c'est déjà là une condition à peu près impossible à +réaliser. D'ailleurs, cette condition fut-elle réalisable, la solution +du problème n'en serait guère plus avancée pour cela. En effet, la +taille dont il est question forme, à la vérité, une digue qui limite le +dépôt de cuivre tant que cette taille n'est pas comblée; mais aussitôt +que cette limite est franchie, le cuivre déborde de toutes parts: les +lignes voisines se confondent par leurs sommets, et pour peu que les +tailles du dessin soient serrées, le dépôt ne forme plus qu'une croûte +massive et continue, dans laquelle les formes les plus saillantes de +l'oeuvre sont à peine indiquées. + +A la vérité, l'on a tiré parti de ce résultat pour résoudre le problème +sous une autre forme. Considérant un dessin tracé dans un vernis, à +l'aide d'une pointe, comme un moule à bon creux dont toutes les parties +sont de dépouille, on a déposé dans ce moule du métal plastique, et on a +prolongé le dépôt jusqu'à former une masse solide et continue: puis on a +détaché la contre-épreuve du moule. Ici le travail du dessinateur était +bien représenté par une planche en cuivre gravée en relief; mais ce +relief n'avait, et ne pouvait avoir, que l'épaisseur même de la couche +de vernis, dans laquelle le dessin était tracé; et l'on s'est trouvé +renfermé entre les deux termes de ce dilemme jusqu'ici insoluble: +exécuter le dessin dans un vernis épais, ce qui enlève au dessinateur +toute la liberté et la souplesse de son crayon; exécuter le dessin dans +un vernis mince, ce qui enlevé à la reproduction les reliefs qu'exigent +les procédés de l'impression typographique. + +Le deuxième mode opératoire que nous avons indiqué offre également des +difficultés, mais elles sont d'un autre ordre. Ce ne sont plus les +procédés de gravure, mais les procédés de dessin qui sont en défaut. Il +ne s'agit plus, en effet, d'édifier une petite muraille de cuivre sur +chacun des traits du dessin, mais bien de creuser entre chacun d'eux une +fosse plus ou moins profonde; il s'agit, en d'autres termes, d'attaquer, +de ronger, de dissoudre toutes les portions de la surface de cuivre que +les traits du dessin ne protègent pas, en laissant entièrement intactes +celles qui sont ainsi abritées; et pour cela faire il faut bien que +toutes les portions qui doivent être enlevées soient également +attaquables, que toutes celles qui doivent rester intactes soient +également protégées. Ce sont là les deux conditions que devra remplir le +procédé de dessin que l'on mettra en usage: et les procédés dont nous +avons aujourd'hui connaissance ne nous paraissent pas encore de nature à +remplir toujours, partout, et dans tous les cas, ces indispensables +conditions. Toutefois, les gravures de W. Rémon, qui accompagnent cet +article, et qui ont été obtenues sur de simples dessins, l'aide de +procédés semblables à ceux que nous venons d'indiquer, sont de nature à +convaincre nos lecteurs que si le problème n'est pas encore entièrement +résolu, il touche du moins de bien près à la solution. + +[Illustration.] + +Quant à l'avenir qui est réservé à la galvanographie, il est difficile +aujourd'hui d'en préciser les limites. Peut-être l'art typographique +tout entier touche-t-il à une rénovation complète; et, chose singulière, +cette rénovation ne serait qu'une renaissance des procédés anciens, que +la découverte de l'imprimerie a fait tomber en désuétude. La tablette +enduite de cire et le stylet remplaceraient le papier et le crayon; le +copiste ou l'enlumineur succéderait à son tour à l'ouvrier compositeur, +qui jadis lui succéda; et l'inépuisable richesse et la variété des +anciens manuscrits pourraient bien renaître à la place de la sécheresse +et de l'uniformité de notre impression moderne. + +_N. B._ Les gravures qui accompagnent cet article ont été faites, à +titre d'essai, sur des dessins que M. Garvani destine à une importante +publication, qui paraîtra en octobre chez M. Hetzel, éditeur du _Voyage +où il vous plaira_ et des _Scènes de la vie privée et publique des +animaux._ + + + +Théâtres. + +THÉÂTRE DE L'OPÉRA-COMIQUE, + +_Angélique et Médor_ opéra comique en un acte, paroles de M, SAUVAGE, +musique de M. A. THOMAS. + +Nous avons une vieille dette à payer à l'Opéra-Comique. Il y a un mois +au moins que ce titre d'un si heureux augure a décoré pour la première +fois son affiche, et MM. Sauvage et Thomas ont raisons de se plaindre +que nous n'ayons pas encore donné de leurs nouvelles aux lecteurs de +_l'Illustration_. Passe encore, si nous n'avions eu à raconter qu'une +défaite! Ces messieurs auraient pris patience, sans doute, et nous +auraient su gré de nos lenteurs. Mais retarder de quatre semaines le +bulletin d'une victoire! voilà qui est impardonnable. Nous confessons +humblement notre faute, et nous nous recommandons à la clémence de M. +Sauvage et à la grandeur d'âme de M. Thomas. + +Quoique jeune. M, Thomas a déjà fourni une assez longue carrière +dramatique. Il est du petit nombre des lauréats du Conservatoire pour +qui se sont ouvertes comme d'elles-mêmes, les portes d'airain de ce +sanctuaire de l'Opéra-Comique, accessible à si peu d'élus. M Thomas a +déjà produit six partitions pour le moins: _la Double échelle, le +Perruquier de la régence, le Panier fleuri, Carmaquala, le guérilléro_ +et enfin, _Angélique et Médor_ Si nous omettons quelqu'un de ses titres, +qu'il nous le pardonne; l'oubli est tout-à-fait involontaire. + +A l'Opéra-Comique les essais de M. Thomas ont été plus ou moins heureux; +mais enfin il n'a jamais essuyé de revers Les deux campagnes qu'il a +faites sur la scène de l'Académie royale de Musique n'ont pas eu un +résultat aussi favorable. Est-ce parce que les auditeurs y sont plus +difficiles, ou bien parce qu'un terrain plus vaste exige plus de vigueur +et d'haleine chez celui qui veut le parcourir? l'un et l'autre +peut-être. Mais, sans examiner aujourd'hui cette question, bornons-nous +à constater que la place Fayard vient d'offrir à M. Thomas un honnête +dédommagement des échecs que la rue Lepelletier lui a vu subir. + +Les qualités prédominantes chez M. Thomas sont la clarté, la facilité, +l'élégance et la grâce; ce qui paraît lui manquer c'est la verve, la +force, la passion. On a donc le droit de présumer qu'il réussira sans +peine à l'Opéra-Comique, à moins qu'il n'ait à traiter un sujet trop +dramatique, et à l'Opéra, il paraîtra souvent au-dessous de sa tâche. + +_Angélique et Médor_ était justement un livret tel qu'il le faut à ce +compositeur. Rien de mieux dans le sujet ni dans les caractères, aucune +situation forte, aucune scène trop vive, aucune passion trop énergique; +des sentiments tendres, des idées gracieuses ou plaisantes. M. Thomas +était là sur son terrain, et tout-à-fait à son aise. Il y a bien paru. + +Son ouverture n'est, à proprement parler qu'une longue valse, précédée +d'une courte introduction. L'introduction est agréablement instrumentée, +modulée d'une manière piquante. La valse est fraîche, vive, et légère, +et se développe avec une grâce où l'on reconnaît l'habileté de l'auteur. + +Il y a une très jolie romance, et un de ténor qui nous a paru fort +élégant, mais que le chanteur à qui il est confié rend lourd et gauche. +Il est presque toujours imprudent de compter sur l'agilité des chanteurs +d'aujourd'hui. Ajoutez-y un duo très bien fait, un trio charmant, et +deux airs bouffes peu remarquables en eux-mêmes, mais qui, du moins, ne +nuisent pas à l'effet des autres morceaux, et vous comprendrez que le +total forme un ensemble assez satisfaisant. Il n'en faut pas tant pour +faire vivre longtemps et bien une partition en un acte. + +[Illustration: Théâtre de l'Opéra-Comique.--Une scène d'Angélique et +Médor.] + +La pièce, d'ailleurs, est amusante et spirituelle, et l'on y rit de très +grand coeur de la sottise de Joliveau et des méprises de Mirouflet. + +Joliveau! Mirouflet! voilà des noms qui sonnent bien étrangement à +l'oreille, et qu'on ne s'attendait guère à trouver en compagnie de ces +noms si poétiques et si mélodieux q'Angélique et de Médor. + +C'est pourtant l'histoire de Joliveau et de Mirouflet que je vais vous +raconter, et aussi celle de Muguet; car, pour ce qui d'Angélique et de +Médor, vous en savez sur eux autant que moi, j'aime à le croire. + +Mirouflet est cordonnier, établi, et exerçant _de père en fils_ sa noble +profession rue Brise-Miche, A peine au sortir de l'enfance, Muguet fut +placé chez lui en apprentissage; mais la nature n'avait point destiné le +jeune Muguet à chausser ses semblables; le cuir lui répugnait et le +tranchet lui faisait peur. Vous voyez que ce nom de Muguet lui allait à +merveille. Un jour il s'échappa de la boutique du père Mirouflet, et dit +adieu pour toujours à la rue Brise-Miche. Que loi arriva-t-il, une fois +lancé dans le monde? Sans doute assez d'aventures pour remplir toute une +Odyssée; mais, il n'a pas écrit ses confessions comme Jean-Jacques, et +il faudra, faute de mieux, vous contenter du dernier épisode. + +Le voilà donc, cet ancien élève de saint Crépin, coquettement poudré et +vêtu à la dernière mode,--mode de 1780, s'il vous plaît,--portant bas de +soie, boucles d'or, gilet de satin, jabot de dentelle et habit gorge de +pigeon. Où le retrouvons-nous? à l'Opéra, dans le cabinet de M. le +secrétaire général de cet harmonieux établissement. Il vient de signer +un contrat par lequel il met pour trois ans à la disposition de +l'Académie royale de Musique sa jambe faite au tour, ses yeux en amande, +sa bouche en coeur et son _la_ de poitrine, le plus beau _la_ de France +et de Navarre, Cette supériorité n'a rien d'étonnant: Muguet arrive +d'Italie, et c'est à Naples qu'il a trouvé ce _la_ merveilleux. + +Il y a rencontré autre chose encore: une jeune Française, propriétaire +d'un joli visage, d'une tournure élégante et d'une charmante voix. +Muguet a donné à mademoiselle Amélie des leçons de chant, dont elle a +bien profité; mais, tandis que la bouche du fripon parlait _flautat_ et +_trille molle_, il parait que ses yeux disaient tout autre chose, et +avaient su se faire comprendre: si bien que maître Muguet, ténor moral +et vertueux, se disposait à demander Amélie à sa mère, quant tout à coup +cette mère mourut, et mademoiselle Amélie quitta subitement l'Italie. + +Jugez de la joie du jeune ténor, quand il l'aperçoit, à l'Opéra, dans le +cabinet de M. Joliveau! Elle est engagée, comme lui, et doit, le soir +même, jouer le rôle d'Angélique dans l'opéra de _Roland_, où il jouera +celui de Médor. Malheureusement elle n'est pas seule: un grand +personnage, M. le duc de Vaudiéres, la protège, la suit partout, et se +mêle de toutes ses affaires: et M. Joliveau prétend qu'un grand seigneur +ne fait pas cela pour rien. Le drôle a été nourri dans un sérail, il a +de l'expérience, et on peut l'en croire. Muguet l'en croit, mais il veut +du moins revoir encore une fois son infidèle, et lui dire tout ce qu'il +pense de son procédé. Comment y parvenir? C'est ici que Mirouflet lui +est d'un secours inappréciable. + +Mirouflet est en effet le professeur de chant de mademoiselle Amélie, +depuis qu'elle est à l'Opéra. Cela vous étonne, et vous me demandez, +sous quel prétexte cet honnête Mirouflet a changé d'état? Rassures-vous, +Mirouflet n'a point quitté la rue Brise-Miche. Mirouflet est tout-à-fait +incapable d'une infidélité, même passagère envers la botte et +l'escarpin. Mois ces deux belles professions, de cordonnier et de maître +de chant, ont bien plus d'analogie qu'il ne vous semble. Quel est, des +deux côtés, le point essentiel, le fondement de l'art, le principe sur +lequel doit être basé l'enseignement? + + C'est la mesure + Exacte et sure, + Tout me l'assure, + Tout dépend de là. + +Cette vérité frappe si vivement M. le duc, qu'il exige que sa protégée +reçoive la première leçon séance tenante Or, Mirouflet n'a rien à +refuser à Muguet. Muguet paraît tout à coup, voyez la gravure, et se +glisse entre le maître et l'élève; y a-t-il rien de plus audacieux à la +fois et de plus indiscret. + + + +Ameublements.--Salon Louis XV. + +[Illustration:] + +La Révolution, en nivelant les conditions, a donné à chacun le droit de +se meubler suivant son caprice et sa fortune. Mais, avant de jouir de +cette liberté, les lambris dorés, les gracieuses peintures des Boucher +et des Vanloo ont été badigeonnées, quand trop de zèle n'a pas poussé +les iconoclastes politiques à gratter ces chefs-d'oeuvre. Mais quand on +eut détruit, il fallut reconstruire. La maison française se reniant +elle-même, prit les noms et les vêtements des Grecs et des Romains, +oublia que nos moeurs et notre climat s'y opposaient. Les campagnes +d'Égypte et d'Italie et les évènements politiques eurent une influence +plus ou moins grande sur les costumes et les ameublements. Les arts +resteront étrangers pendant longtemps aux décorations intérieures. Les +ouvriers ignorants dirigeaient en maîtres absolus. De ce chaos est sorti +le mauvais goût généralement désigné sous le nom de modes de l'Empire. +Les source auxquelles on avait puisé étaient bonnes sans doute, mais on +manquait d'exécution et de sentiment. La paix vint donner un nouvel +essor aux arts. + +On commença à sortir du labyrinthe dans lequel on marchait depuis +quarante ans. L'ouvrier, dans le massacre du passé, confondit les +époques en croyant inventer: mélange blessant pour l'oeil de l'artiste. +Notre époque s'est imposé une tâche digne d'encouragement en rendant à +chacun ce qui lui appartient. + +Dans le brillant salon exécuté par la maison Girond de Gand (et que +notre gravure représente), nous ne nous lassons pas d'admirer le goût et +le savoir tapissier. Les meubles ne sont pas scrupuleusement de la même +époque que les tentures; mais le modèle est choisi dans ce qui s'en +rapproche le plus. Les bronzes, quoique lourds, sont d'un beau travail +et d'un charmant effet. Nous en dirons peut-être autant du dessin de la +cheminée et des vases de Chine qui supportent les candélabres, surtout +quand on les compare à la légèreté des rinceaux qui courent autour des +glaces, des tapisseries, et s'étendent jusqu'au plafond. En résumé, +l'ensemble de ce salon est d'une heureuse invention. Si nous avons fait +quelque critiques, c'est dans l'espérance de voir ces légers défauts +disparaître. + + + +Amusements des sciences. + +SOLUTION DES QUESTIONS POSÉES DANS LE DERNIER NUMÉRO. + +I. Donnez un liard et faites rendre un centime à chacune des vingt +personnes. Vous aurez distribué vingt liards ou cinq sous, et vous +recevrez vingt centimes ou quatre sous. En définitive, vous n'aurez +dépensé qu'un sou, qui se trouvera partagé en vingt parties égales. + +II. + +42 59 44 9 40 21 46 7 + +61 10 41 54 45 8 30 20 + +12 43 60 55 22 57 6 47 + +53 62 11 30 25 28 19 38 + +32 43 54 27 56 23 48 5 + +63 52 31 24 29 26 37 18 + +14 33 2 51 16 35 4 49 + + 1 64 15 34 3 50 17 36 + +La figure précédente indique la solution, lorsque l'on veut partir d'une +case située à l'un des quatre angles. Les numéros des 64 cases de cette +figure indiquent;'ordre dans lequel elles doivent être successivement +parcourues partir de la case 1. Ainsi le Cavalier, posé d'abord sur la +case à l'angle 1, sautera sur la case 2, puis sur la case 3, et ainsi de +suite jusqu'à la case 64, où se termine sa course. Il est facile de voir +que la marche pourrait être suivie en partant de la case 64, parcourant +successivement 63, 62, etc., jusqu'à la case 1. Cette solution en +comprend donc implicitement 12, puisqu'elle s'étend à trois cases prises +pour point de départ sur chacun des quatre angles de l'échiquier. + +Voici un moyen aussi simple qu'amusant de trouver, à volonté des +solutions du problème: prenez 64 petits carrés de carton que vous +partagerez en deux cases, dans chacune desquelles sera inscrit l'un des +huit nombres compris entre 1 et 8. Cherchez à disposer ces 64 carrés les +uns à coté des autres, ou en plusieurs bandes les unes au-dessous des +autres, de telle sorte que dans deux carrés successifs la différence des +nombres supérieurs soit égale à 1 ou à 2, celle des nombres inférieurs +étant 2 ou 1. Vous formerez une suite du genre celle que nous donnons +ci-après écrite en quatre bandes parallèles; et, pour faciliter les +comparaisons, nous avons répété en tête de chacune des trois dernières +bandes le carré qui termine la précédente. On voit facilement que tous +les nombres de cette suite satisfont à la condition énoncée. Ainsi dans +les deux premiers carrés, la différence entre les nombres supérieurs 8 +et 7 est 1; la différence entre les nombres inférieurs 1 et 3 est 2; les +différences entre 3 et 1, puis 7 et 8 du sixième et septième carré, sont +respectivement 2 et 1. De même pour les autres. + + + 8 7 8 7 5 3 1 2 1 2 4 6 8 7 8 6 + - - - - - - - - - - - - - - - - + 1 3 5 7 8 7 8 6 4 2 1 2 3 5 7 8 + +------------------------------------------------------------------ + +6 4 2 1 2 1 3 5 7 6 8 7 8 6 4 2 1 +- - - - - - - - - - - - - - - - - +8 7 8 6 4 2 1 2 1 3 4 6 8 7 8 7 5 + +----------------------------------------------------------------- + +1 2 1 3 5 7 5 6 8 7 8 7 5 3 1 2 1 +- - - - - - - - - - - - - - - - - +5 3 1 2 1 1 3 1 2 4 6 8 7 8 7 6 3 + +----------------------------------------------------------------- + +1 2 4 3 4 6 4 3 5 4 3 5 5 4 3 5 6 +- - - - - - - - - - - - - - - - - +3 1 2 4 6 5 4 6 5 3 5 6 4 5 3 4 6 + +----------------------------------------------------------------- + +Cela posé, convenons que le nombre supérieur désigne le numéro d'une +case de l'échiquier compté de gauche à droite, et que le nombre +inférieur désigne le rang de la bande où est cette case, de haut en bas. +8/1 représentera la huitième case à droite sur la première bande d'en +haut; 7/3 sur la septième case à droite de la troisième bande comptée de +haut en bas, et ainsi de suite. Alors il ne reste plus qu'à faire suivre +au cavalier, sur l'échiquier, la marche indiquée par la suite de nos +petits carrés de carton. + +La figure ci-après est l'expression de la solution donnée par la suite +précédente. + +34 49 22 11 30 39 24 1 + +21 10 33 50 23 12 37 40 + +48 53 62 57 38 25 2 13 + + 9 20 51 54 63 60 41 20 + +32 47 58 61 36 53 14 3 + +19 8 55 52 59 64 27 42 + +46 31 6 17 44 29 4 15 + + 7 18 45 30 5 16 43 28 + + + +NOUVELLE QUESTION À RÉSOUDRE + +Trouver pour le cavalier une marche rentrante, c'est-à-dire une marche +telle qu'il puisse revenir de la soixante-quatrième case à laquelle il +arrive, sur la première que l'on a prise pour point de départ. + + + +Rébus. + +EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS. + +Soldats! du haut de ces Pyramides quarante siècles (quatre mille ans) +vous contemplent! + + + +[Illustration: Rébus.] + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + +End of Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0015, 10 Juin 1843, by Various + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION *** + +***** This file should be named 37135-8.txt or 37135-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/3/7/1/3/37135/ + +Produced by Rénald Lévesque + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: L'Illustration, No. 0015, 10 Juin 1843 + +Author: Various + +Release Date: August 19, 2011 [EBook #37135] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION *** + + + + +Produced by Rénald Lévesque + + + + + +</pre> + + + + +<br><br> + +<div class="cont"> + + + + +<p>L'Illustration, No. 0015, 10 Juin 1843</p> + + + +<p class="mid"><img alt="" src="images/001.png"></p> + +<pre> + Nº 15. Vol. I. SAMEDI 10 JUIN 1843 + Bureaux, rue de Seine. 33, + + Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr..--6 mois 16 fr,--Un an, 30 fr. Prix de + chaque Nº 75 c.--La collection mensuelle, 2 fr. 75. + + Ab. pour les Dep.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr. pour + l'étranger, -- 10 -- 20 -- 40 +</pre> + +<br><br> + +<div class="somm"> + +<h3>SOMMAIRE</h3> + +<p><b>Troubles en Irlande</b>. <i>Portrait d'O'Connell</i>.--<b>Courrier de Paris. --Suite +de concerts de la rue de la victoire</b>. <i>O Salutaris de Palestrina; rue de +la salle des concerts</i>.<b>--La cour du grand duc</b>, nouvelle, par Eugène +Guinot (suite).--<i>Distribution prix de l'Académie des jeux floraux</i>. +<i>Jetons de présence, statue de Clémence Isaure.</i>--<b>Les plaisirs des +Champs-Elysées</b>. <i>L'attelage des chèvres; le pesage; le dynamomètre; le +physicien; les chanteurs ambulants; le restaurant +Ledoyen.</i><b>--Compte-rendu de l'Académie des sciences depuis le +commencement de l'année.--Météorologie pendant le mois de mai.--La +galvanographie.</b>--Trois gravures d'après Garvani.--<b>Théâtre de +l'Opéra-Comique</b>. <i>Une scène d'Angélique et Médor</i>. +<b>--Bibliographie.--Ameublements. Un salon Louis XV. Problèmes +divers.--Rébus.</b></p> +</div> + +<h3>Troubles en Irlande.</h3> + +<p>L'Europe est dans l'attente, le sol tremble en Irlande, et la guerre +semble près de l'ensanglanter. Jamais O'Connell n'a eu plus de +puissance. A sa voix, les populations se lèvent par milliers et lui +dressent sur les routes des arcs de triomphe; les laboureurs abandonnent +leurs charrues, les artisans leurs ateliers, et le suivent à pied, en +chariots, à cheval; les femmes montent en croupe; partout les villages, +les villes se dépeuplent pour faire au «grand agitateur» un cortège tel +que n'en ont plus les rois, tel que n'avaient point les orateurs +antiques, tel que, pour en trouver qui lui soient comparables, il +faudrait peut-être remonter par la pensée jusqu'aux annales de la Judée, +et se rappeler les multitudes fanatisées, errantes et haletantes aux +prédications des prophètes. O'Connell s'arrête et parle: 500 mille +hommes s'arrêtent et écoutent. A ses gestes plus qu'à ses paroles, ils +relatent tour è tour en applaudissements, en murmures, ils jettent au +ciel des cris terribles contre leurs oppresseurs. Mais que le tribun +fasse un signe, aussitôt tout rentre dans le silence, dans le calme; +attentive et soumise, on dirait que la foule immense n'a comme lui +qu'une voix et un coeur. Pareil spectacle ne s'est vu nulle part +ailleurs de notre temps et y semble un anachronisme sublime. Quelle +émotion profonde s'est donc emparée de cette nation, et quelle est la +source de l'autorité de celui qui la guide? Que veut l'Irlande?</p> + +<p>Ce qu'elle veut? Quand même vous pourriez l'ignorer, répondez avec +assurance:--Quoi qu'elle veuille, elle a raison de le vouloir. Quelle +que soit sa cause, sa cause est juste et sainte. Une preuve suffit: +l'Irlande a les sympathies de la France, et jamais la France ne s'est +trompée dans ses sympathies.</p> + +<p>Certes, la cause politique de l'Irlande n'est pas à beaucoup d'égards +celle de la France. Si l'on consulte ses regrets, ses plaintes, ses +voeux, on voit aisément qu'entre elle et nous il y a la distance de +plusieurs siècles. Il est évident qu'elle aspire à une constitution dont +les principaux éléments appartiennent à un passé dont nous ne voulons +plus. Supposer que O'Connell ait jamais été sympathique à nos +révolutions, supposer que s'il pouvait prendre place parmi nos +représentants, il fut disposé le moins du monde à y joindre sa voix à +celle des fractions libérales, ce serait assurément une lourde erreur. +Il y a plus, s'il faut tout dire; le rappel de l'union, considéré en +théorie et en dehors des circonstances qui peuvent en fait le rendre +utile et même nécessaire, est une mesure directement contraire aux +principes d'unité et d'association des peuples qui ont toujours inspiré +et distingué la politique française. Cependant, en prenant parti pour +l'Irlande, nous ne sommes pas en contradiction avec nous-mêmes: nous +aimons et nous devons aimer l'Irlande; tous nos voeux sont pour elle, +parce qu'elle est asservie, opprimée, parce qu'elle souffre parce qu'en +elle l'humanité est indignement violée, parce qu'elle a besoin d'être +aimée et d'être encouragée, parce qu'enfin il est un principe de morale +qui domine toutes les théories politiques: c'est que la charité est le +premier de tous les devoirs pour les individus et pour les peuples, +comme la liberté est pour eux le premier de tous les biens.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/001a.png"><br> <b>O'Connell.</b></p> + +<p>Ajoutons seulement cette autre réserve: les inimitiés de races sont de +fausses inimitiés qui doivent tôt ou tard disparaître; la cause du +peuple irlandais est au fond celle du peuple anglais; les misères des +classes ouvrières anglaises n'excitent pas moins de pitié en Europe que +celles des Irlandais; et il y a longtemps que les deux peuples, s'ils +avaient pu comprendre quel est leur ennemi commun, se seraient tendu la +main et affranchis ensembles.</p> + +<p>Quoi qu'il en soit, il est trop vrai que l'antipathie de races a fait +alliance avec l'esprit de caste, et que de la part de l'Angleterre il y +a eu ligue contre les Irlandais entre ces deux principes d'oppression. +Nous savons tous que depuis sept siècles, l'Irlande conquise par les +Anglais n'a pas cessé jusqu'à nos jours d'être traitée en peuple +conquis; nous savons que son histoire, à partir de l'année 1469, en une +bule du pape Adrien IV l'a livrée en proie à l'Angleterre, n'est qu'une +longue suite de souffrances de constants mais vains efforts pour briser +ses fers. Et n'est-ce pas une chose remarquable que cette impuissance +absolue de l'Angleterre à s'associer les peuples qu'elle a vaincus, à +leur faire oublier ses victoires, à les faire entrer en partage de ses +moeurs, de sa civilisation, de sa nationalité? Que ses colonies secouent +sans cesse leur joug avec une haine impatiente: que l'Amérique du Nord, +malgré la communauté d'origine, ait répudié et énergiquement repoussé au +delà des mers sa tutelle tyrannique; que l'Inde énervée et rêveuse, +enchaînée pendant son sommeil, ait des réveils parfois si terribles, il +n'y a rien qui doive étonner. On conçoit qu'il soit difficile à +l'Angleterre d'étendre aussi loin une influence active et soutenue. Mais +que sur le même sol pour ainsi dire, qu'entre ces rivages baignés des +mêmes flots, que dans les limites restreintes de ce petit archipel où +elle a planté comme un sceptre son orgueilleux triplent et d'où elle +prétend gouverner le monde, elle n'ait su ni voulu, dans l'espace de +sept cents ans, se concilier les sympathies d'une population vive, +aimante, accessible à tous les sentiments nobles et généreux; qu'elle +n'ait réussi ni par affection, ni par ruse à l'attacher à elle par aucun +lieu de fraternité; qu'elle ne l'ait pas même habituée à la résignation, +n'est-ce point là une haute et sévère condamnation de son caractère et +de la tendance matérialiste de ses instincts?</p> + +<p>A l'irritation naturelle des Irlandais, après l'injuste envahissement de +leur territoire, vint se joindre, dans les siècles suivants un autre +sujet de ressentiment non moins légitime et non moins profond, lorsque +l'Angleterre fut devenue protestante, elle voulut imposer sa réforme +religieuse à l'Irlande; il s'ensuivit des guerres opiniâtres éternelles +qui n'eurent d'autres résultats que d'accroître les souffrances et +l'humiliation de l'Irlande. Ce malheureux pays fut surchargé d'impôts: +il fut obligé de payer d'énormes dîmes au clergé anglican; il lui lut +défendu d'exporter le blé, le bétail, tes lainages; des lois furent +rendues pour interdire aux catholiques l'entrée au Parlement, les +fonctions publiques et jusqu'au droit d'acquérir des biens-fonds. Les +Irlandais n'eurent plus d'autres ressources pour vivre que de louer à +des prix exorbitants les domaines dont ils avaient été dépouiller. La +misère, la corruption, furent les conséquences nécessaires de cette +odieuse politique.</p> + +<p>Au dernier siècle, Swift écrivait: «Traversez l'Irlande, regardez ces +figures hâves, ces bouges misérables, ces champs à peine défrichés, ces +femmes nues, ces bommes qui ressemblent à des bêtes fauves; dites si le +jugement de Dieu n'est pas descendu sur nos têtes. Est-ce l'Irlande ou +la Laponie, et reconnaîtrez-vous notre pays où la terre est fertile, le +ciel doux, le climat modéré, les hommes doués de qualités souples, +variées, heureuses? Des haillons, une détestable nourriture, la +désolation de presque tout le royaume; les habitants sans bas, sans +souliers, sans abri, vivant de pommes de terre; en aucun pays on ne vit +jamais autant de mendiants.»</p> + +<p>Le spectacle que l'Irlande offre aujourd'hui au voyageur; n'est pas +moins déplorable, la misère n'y est pas moins affreuse; mais sous +différents rapports, la condition politique du pays, quoique loin d'être +ce qu'il faudrait qu'elle fût, s'est considérablement améliorée.</p> + +<p>L'insurrection victorieuse des colonies anglaises de l'Amérique du Nord +ouvrit une ère nouvelle. Ce grand événement inspira à l'Irlande plus de +confiance dans l'avenir; pour la première fois, depuis plusieurs +siècles, elle se sentit renaître à la vie politique. Ses côtes étaient +menacées d'une descente et d'une invasion étrangères; l'Angleterre, +occupée à soumettre ses colonies rebelles, ne pouvait la défendre; elle +trouva en elle les ressources nécessaires. L'Irlande se couvrit en peu +de jours d'une milice volontaire qui s'arma, s'enrégimenta, s'organisa +elle-même, nomma ses chefs. Une armée de quarante mille hommes fut sur +pied, et dès lors l'Irlande eut le secret de sa force; mais il lui +restait à apprendre les moyens de s'en servir.</p> + +<p>L'Angleterre, au plus fort même de sa tyrannie, avait été contrainte de +laisser aux Irlandais des libertés et des droits tels que peu de peuples +en possèdent encore aujourd'hui en Europe: ce n'était point générosité +de sa part; ses moeurs, ses habitudes, ses préjugés mêmes, l'obligeaient +à ces concessions. Ainsi, tandis qu'elle exerçait sur l'Irlande une +oppression dont rien n'égale;'iniquité, la presse y était libre et +n'avait jamais cessé de l'être. Le principe de la responsabilité des +agents du pouvoir devant l'autorité judiciaire était demeuré intact au +milieu des plus grands troubles. Les Irlandais ne pouvaient à la vérité +se réunir dans leurs églises pour prier Dieu comme il leur convenait, +mais ils étaient libres de s'assembler sur les places publiques pour +délibérer sur les rigueurs dont ils étaient victimes. Jamais en Irlande +le principe du jury n'a été contesté: jamais, et dans aucun temps, le +gouvernement anglais n'a mis en doute le droit qu'ont tous les citoyens +de s'associer; jamais on ne l'a vu interdire l'usage de peur de l'abus, +et prétendre régler ce droit en faisant dépendre son exercice d'une +autorisation officielle, comme si la nécessité de l'autorisation n'était +pas négative du droit.</p> + +<p>Les Volontaires se servirent de ces libertés pour entreprendre +l'indépendance de l'Irlande. Le jury, la liberté de la presse, le droit +d'association, la responsabilité des agents du pouvoir, l'habeas-corpus, +devinrent dans leurs mains des armes redoutables, et l'Angleterre +comprit enfin qu'il y avait en Irlande des adversaires avec lesquels il +fallait compter. Les catholiques y gagnèrent les premiers, et +quelques-unes des lois d'oppression qui avaient été dirigées contre eux +furent rappelées.</p> + +<p>L'Irlande avait un Parlement, mais ce Parlement ne pouvait s'assembler +sans que les motifs de sa convocation et les projets de loi qu'on se +proposait d'y discuter n'eussent préalablement été approuvés par le +gouvernement anglais. Sur l'initiative des volontaires, le Parlement +irlandaise déclara indépendant, et proclama qu'aucun pouvoir sur la +terre n'avait le droit de faire des lois obligatoires pour l'Irlande, +hors le roi, les lords et les communes d'Irlande. Ces faits se passaient +en 1782.</p> + +<p>Hardiment engagée dans cette voie de réforme et d'indépendance, +l'Irlande travailla rapidement à s'affranchir des entraves que lui avait +imposées;'Angleterre: l'explosion de la révolution française accéléra +encore ce mouvement. Le gouvernement anglais se hâta de faire les +concessions les plus impérieusement réclamées par les réformateurs +irlandais, soit protestants, soit catholiques; mais l'appel que les plus +ardents d'entre firent aux armes françaises compromit leur cause.</p> + +<p>L'Angleterre, qui avait toléré assez patiemment l'insurrection légale +des Irlandais, ne pouvait souffrir une invasion française; elle défendit +sa conquête et ses privilèges par les armes, et l'Irlande retomba sous +le joug. Alors, dans la crainte que le Parlement irlandais ne vint à +recouvrer encore une fois son indépendance, l'Angleterre voulut lui en +ôter les moyens en l'incorporant au Parlement anglais. La corruption +unie à la violence triompha des répugnances les plus opiniâtres, et, en +1800, l'union fut prononcée entre l'Irlande et la Grande-Bretagne. Il ne +faut pas croire que cette union eut pour effet de confondre l'Irlande +avec l'Angleterre, d'en faire une province anglaise, soumise en touts +points au même gouvernement, à la même police et aux mêmes lois. L'acte +de l'union laissa à l'Irlande toutes ses lois, seulement il établit que +désormais toutes les lois nécessaires aux deux pays seraient faites par +un parlement commun, où l'Angleterre et l'Irlande enverraient leurs +représentants.</p> + +<p>Jusque-là il n'avait été question en Irlande que de l'indépendance +politique: les catholiques, il est vrai, avaient été délivrés des lois +les plus oppressives portées contre eux, mais ils étaient encore sous le +poids des lois qui les rendaient incapables d'exercer les droits +politiques. Le gouvernement anglais s'était engagé à abolir ces lois +comme un adoucissement aux rigueurs de l'acte d'union; mais, malgré +l'engagement formel pris par Pitt, ces lois ne lurent pas rappelées, par +suite de la résistance de Georges III. Dès lors, l'Irlande, avertie par +ses malheurs passés, au lieu de recourir à la violence et à la révolte +pour obtenir justice, n'employa plus pour obtenir le redressement de ses +griefs, que les moyens légaux que lui offrait la Constitution: elle en +appela à la presse et à l'association. Vers l'année 1810, un comité de +catholiques s'organisa à Dublin pour obtenir l'émancipation catholique; +elle avait pour but le progrès légal; elle mit en oeuvre l'agitation +sans violence, la résistance sans; révolution; aussi réunit-elle bientôt +dans son sein tout ce qu'il y avait en Irlande d'instincts et de besoins +d'indépendance.</p> + +<p>Ce n'était pas assez, pour triompher, d'avoir une cause sainte, de +défendre la cause de la liberté politique et religieuse, il fallait être +conduits avec sagesse et prudente, il fallait trouver un chef capable de +diriger le peuple, qui gagnât la confiance de l'Irlande et n'effrayât +pas d'abord l'Angleterre; un homme profondément pénétré de l'état du +pays, comprenant également ses besoins et ses périls, assez puissant par +la parole pour exciter dans l'âme du peuple des passions ardentes contre +ce qui restait de servitude, et assez sage pour en arrêter l'élan à la +limite de l'insurrection; qui, jurisconsulte subtil autant que tribun +éloquent, assez impétueux pour pousser l'Irlande et assez fort pour la +contenir à son gré, sût se contenir dans les bornes de la légalité et +défendre lui-même avec succès devant un jury les excès qu'il avait +encouragés. Cet homme, ce chef, l'Irlande le trouva dans Daniel +O'Connell.</p> + +<p>Ou se trompe certainement lorsque l'on attribue à O'Connell l'honneur +d'avoir réveillé chez les Irlandais la haine de la servitude et d'avoir +conquis la liberté religieuse. Le mouvement d'indépendance avait précédé +de longtemps l'apparition d'O'Connell sur la scène du monde; mais le +mérite de cet homme extraordinaire est d'avoir adopté la défense de son +pays malheureux, d'avoir compris les souffrances de l'Irlande, de s'en +être fait le représentant, de s'être dévoué à cette noble tâche, et +d'avoir hâté, par ses qualités les plus diverses, le triomphe de la +cause dont il s'était constitué l'organe.</p> + +<p>Né à Dublin, d'une famille ancienne et qui descend, dit-on, des anciens +rois d'Irlande, O'Connell fut élevé en France dans les colléges +catholiques de Saint-Omer et de Douai. Jeune encore, il embrassa la +carrière du barreau et se distingua par une éloquence forte et +passionnée et par une ardeur intrépide à défendre ses coreligionnaires. +Orateur applaudi dans les meetings, il se trouva porté tout +naturellement à faire partie de l'association catholique, et il ne tarda +pas à en devenir un des directeurs et après quelques années le chef +tout-puissant.</p> + +<p>Assurément, ce qui distingue O'Connell, ce n'est pas l'éclat de telle +qualité particulière, c'est plutôt l'assemblage de plusieurs qualités +ordinaires, mais dont la réunion est singulièrement rare. Il y a, sans +contredit, dans les rangs des catholiques irlandais, des orateurs d'une +éloquence plus pure, des écrivains plus remarquables, des hommes +d'action aussi courageux et aussi résolus; mais O'Connell réunit les +qualités d'orateur, d'écrivain et d'homme d'action, et il les soumet à +une prudence consommée qui dirige ses actions les plus spontanées en +apparence. Accordez-lui en outre un bon ses parfait, et vous comprendrez +la fortune d'O'Connell.</p> + +<p>Grâce à ces qualités, O'Connell, en prenant en main la direction de +l'association catholique, comprit que l'Irlande avait été trop +facilement abattue par l'Angleterre dans toutes ses tentatives +d'insurrection pour qu'elle dût demander désormais aux armes la justice +qu'elle demandait de l'Angleterre. Un zèle imprudent eût fait perdre les +lentes acquisitions des cinquante dernières aimées, et avant de songer à +une indépendance complète, il fallait user de tous les moyens que +fourniraient les droits que l'Angleterre avait reconnus à l'Irlande. +Demeurant strictement dans les limites de la légalité, O'Connell +entreprit de donner à son pays la seule situation qui pût le satisfaire, +et tenir l'Angleterre dans une inquiétude favorable à l'Irlande; il +établit un état permanent de guerre constitutionnelle, si l'on peut se +servir de cette expression, une paix sans cesse agitée, un état +intermédiaire entre le régime des lois et l'insurrection.</p> + +<p>C'est dans la conduite de cette association qu'il faut admirer le génie +d'O'Connell. Il lui a donné les bases d'un parlement régulier; elle est +représentée par un comité central séant à Dublin et composé de membres +dont le mode d'élection a varié suivant les circonstances. Ce comité, +sous l'inspiration d'O'Connell, s'assemble régulièrement, examine les +lois proposées, les discute, censure les actes du pouvoir et ses agents, +prend des résolutions, les publie dans un journal spécial. Comme tous +les gouvernements établis, l'association lève des impôts en échange de +la protection qu'elle donne. Elle commande, et l'Irlande obéit. Dès +qu'elle l'ordonne, toutes les paroisses d'Irlande s'assemblent; des +réunions se forment le même jour dans tout le pays. Elle s'établit comme +la patronne de tous les citoyens; elle provoque et reçoit les plaintes +de quiconque a des griefs contre l'autorité publique, contre les +ministres protestants, contre les magistrats. C'est elle qui conduit les +élections.</p> + +<p>Telle est l'oeuvre la plus imposante d'O'Connell. Ce n'est pas tout que +d'organiser, il faut constituer et maintenir. C'est encore à O'Connell +que l'association doit d'avoir traversé tous les obstacles que lui +imposait le gouvernement anglais. C'est à sa sagacité et à son +incomparable intelligence des détours de la chicane, que l'association a +dû son salut, car toujours il a su mettre en défaut la haine de ses +antagonistes, et toujours il a su trouver pour elle la forme que le +législateur avait oublié d'interdire. «Il est bien aisé, s'écriait un +jurisconsulte expérimenté, il est bien aisé de dire qu'il faut arrêter +M. O'Connell et le livrer à la justice; mais la difficulté est de le +surprendre en défaut et de trouver une loi qu'on puisse l'accuser +d'avoir formellement violée.» Singulière situation de l'Angleterre, +gênée par ses propres lois dans ses plus ardents désirs d'oppression! Ou +trouver ailleurs une tyrannie qui tolère, dans un pays vaincu et +enchaîné, la liberté de la presse, le jury et le droit de s'associer le +plus illimité?</p> + +<p><i>(La suite à un autre numéro.)</i></p> +<br><br> + +<h2>Courrier de Paris.</h2> + +<p>En arrivant sur le boulevard Saint-Antoine, un peu avant la place de la +Bastille, si vous jetez les yeux du coté opposé à la place Royale, vous +verrez trois maisons neuves qui montrent aux passants leur blanche +façade de pierre de taille et de moellons. Les toits sont à peine +achevés; les fenêtres, encore dépouillées de boiserie et de vitres, +permettent à l'oeil de pénétrer par leurs ouvertures béantes dans cette +solitude pleine de tristesse des bâtiments en construction. Laissez +passer quelques jours, et ce désert sera peuplé et bruyant, du +rez-de-chaussée à la mansarde; à peine attendra-t-on que la dernière +pierre soit posée et que le maçon ait donné le dernier coup de truelle. +Le Parisien n'y regarde pas de si près; dès qu'il voit les choses, il +faut qu'il en jouisse; le proverbe: <i>Qui va doucement va sûrement</i>, +n'est pas fait pour son usage; vivement et promptement, telle est sa +divise, et Dieu pour tout le monde! Si M. le préfet de police le +laissait faire, il essaierait de traverser les ponts dont une seule +arche serait construite; les murs sont encore humides, les poutres tout +au plus assurées, l'escalier et les cours pleins de poussière et de +chaux, et le voilà qui s'installe dans la maison! Que la chose soit +possible, en attendant l'achèvement des fondations et des voûtes, il se +logera dans la hotte du plâtrier! Médecins et pharmaciens retirent le +bénéfice le plus net de cette ardeur de location expéditive; les +migraines, les rhumes et les maux de poitrine fleurissent à l'ombre des +fraîches murailles.--Mais revenons à nos trois maisons. En elles-mêmes, +elles n'ont rien de particulier ni de remarquable. Figurez-vous trois +maisons comme Paris en bâtit tous les jours par centaines: une boutique +et six étages, voilà l'architecture actuelle; le métier du tailleur de +pierres y prend plus de part que l'art de Vitruve et de Palladio. Mais +si vous interrogez le sol sur lequel pèsent ces masses énormes, ces +espèces de casernes où les Parisiens s'entassent, le sol vous répondra +quelque chose. Il n'y a pas, en effet, un seul de ces entassements de +pierres et de charpentes qui ne recouvre pour ainsi dire un lieu célèbre +par un homme ou par un événement. Que voulez-vous? cette terre +parisienne a de tout temps, été si féconde en grands crimes et en +grandes actions! Dans chaque sillon de ce champ immense, remue depuis +des siècles, quelque chose d'illustre ou de fatal a germé. Les +générations y sommeillent l'une sur l'autre, couche par couche; la +pioche n'y tombe pas sans heurter un nom; l'architecte n'y pose pas une +fondation qui ne s'appuie à un souvenir. Sous ce Paris visible, sous ce +Paris palpable, qui étale aux yeux ses hommes, ses maisons et ses rues, +il y a le Paris qu'on ne voit plus, le Paris qu'on ne touche ni du doigt +ni de l'oeil, le Paris qui se tient enseveli et caché dans ses propres +entrailles: la ville vivante a le pied sur la ville morte. L'histoire du +Paris souterrain, du Paris à fleur de terre, est une histoire à faire.</p> + +<p>Remuez le terrain où s'élèvent nos trois maisons neuves: qu'y trouvez +vous? Eh! mon Dieu, tout simplement la philosophie du dix-huitième +siècle, la souveraine audacieuse et irrésistible qui a changé la France +de fond en comble et conquis le monde. Ces trois lourdes maisons +froidement alignées, ces boutiques qui attendent le boulanger ou la +mercière du coin, ces appartements innocemment destinés à d'honnêtes +rentiers de la place Royale ou de la rue Saint-Louis n'intéressent ni +votre âme ni votre imagination; mais prêtez l'oreille aux échos du +passé, mais regardez à travers le linceul de la mort, aussitôt tout +change et tout s'anime sur ce sol que vous fouliez aux pieds avec +indifférence; ce n'est plus une habitation banale, ouverte au premier +bourgeois et au premier marchand venus qui paierait leurs loyers, C'est +le rendez-vous des esprits les plus entreprenants, des imaginations les +plus ardentes du siècle dernier. Vous êtes là en plein dix-huitième +siècle; vous vivez de sa vie, à la fois frivole et sérieuse, dogmatique +et sensuelle; dans cette demeure ainsi reconstruite, les affaires, le +plaisir, la philosophie se donnent la main et combattent en même temps; +Ia passion, le rude sarcasme, la raillerie légère, sont les hôtes du +logis. Que vous dirai-je? Vous n'êtes plus dans mes trois maisons +neuves, mais dans la maison de Beaumarchais; et ne voyez-vous pas +là-bas, sur les murailles, une ombre leste et souriante? C'est l'ombre +de Figaro qui passe; on aperçoit encore le bout de sa résille, le manche +de sa guitare, un éclair de son oeil provoquant et spirituel, et la lame +de son rasoir affilé comme sa langue à deux tranchants?</p> + +<p>A cette place même, un peu avant la Révolution, Beaumarchais s'était +fait bâtir une habitation immense et magnifique; Voltaire en était le +dieu lare: sa statue en décorait l'entrée; son portrait se répétait de +salon en salon. Traversez ces sentiers de sable qui se croisent dans le +jardin, passez sous ces rochers postiches, sous ces massifs de verdure, +vous découvrez un temple d'une forme antique. Quelle est la divinité +qu'on y encense? Est-ce la sage Minerve, ou Apollon aux flèches rapides, +ou Mars au casque retentissant? Non: c'est encore Voltaire.</p> + +<p>Beaumarchais s'était d'ailleurs soumis scrupuleusement à cette doctrine +que son dieu Voltaire enseigne quelque part: <i>le superflu, chose si +nécessaire</i>. Le nécessaire, selon la doctrine de Voltaire, se montrait +partout dans la maison de Beaumarchais: riches peintures, magnifiques +statues, adorables bas-reliefs; Rome, la Grèce et l'art de Jean Goujon. +La philosophie d'une part, de l'autre Hébé et Ganimède; ici une sentence +de quelque sage gravée en lettres d'or; là cet apophthègme en latin +macaronique inscrit au fronton de la salle à manger:</p> + +<p class="mid">ERENT TEMPLUM A BACCHO,<br> +AMISQUE GOURMANTIBUS.</p> + +<p>Curieux mélange de raillerie et de gravité, de foi et de scepticisme, où +se trouve résumé d'une manière originale le caractère singulier de ce +siècle qui se passionnait et souffrait avec Jean-Jacques pour la cause +et l'avenir de l'humanité, et d'autre part se livrait au plaisir et au +doute avec insouciance, disant comme Figaro: «Qui sait si le monde +durera trois semaines?»</p> + +<p>Ainsi la maison de Beaumarchais n'existe plus; abattue, il y a déjà +plusieurs années, pour les menus plaisirs du canal Saint-Martin, elle +était restée longtemps à l'état de terrain vague. L'oeil rencontrait +avec tristesse, cette immense et stérile solitude dans le voisinage d'un +faubourg si actif et si peuplé Maintenant ce désert est bâti du haut en +bas, ou peu s'en faut, bâti par des maçons et rien de plus: il ne faut +pas compter sur l'étrusque et l'ionique que Beaumarchais n'avait pas +épargné, ni sur des frises imitées du temple d'Antonin et de Faustine. +Cependant les maçons ont eu beau faire, un homme d'un peu de savoir, de +coeur et d'esprit, ne passera par-là sans dresser l'oreille et sans +ouvrir les yeux, comme s'il entendait encore la voix mordante de Figaro, +comme s'il voyait briller derrière la jalousie le regard amoureux de +Rosine et la vive prunelle de Suzanne.</p> + +<p>De la guitare de Figaro au cor de M. Vivier, il y a la différence du +cuivre à la corde, mais, au fond, il s'agit de la même chose, +c'est-à-dire de deux artistes; l'un toutefois l'emporte sur l'autre, +comme le chêne sur l'humble charmille, et je suis obligé de le dire, au +risque de froisser l'amour-propre du barbier de Séville, ce n'est pas +Figaro qui est le chêne. Après tout, qu'importe à Figaro? il n'a jamais +eu la prétention d'être un virtuose: Figaro n'a été musicien que par +hasard et en payant, comme il a été tant d'autres choses; poète, +barbier, diplomate, auteur dramatique, journaliste, commis, médecin, +apothicaire même, suivant les évolutions de son étoile. Si Figaro +portait une guitare, celait seulement pour accompagner sa philosophie:</p> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i18"> Le vin et la paresse +<p class="i18"> Se partagent mon coeur. +<p class="i18"> Si l'une est ma maîtresse, +<p class="i18"> L'autre est mon serviteur; +</div></div> + +<p>et aussi pour fredonner de temps en temps un air tendre sous le balcon +de quelque piquante Lisette andalouse, tandis que le seigneur comte +Almaviva engluait les Rosines.--Quant à M. Vivier, c'est autre chose: M. +Vivier n'a jamais couru en aventurier les rues île Séville, ni livré +bataille aux Bartholo et aux Basile, et ceci explique comment M. Vivier +est devenu un artiste remarquable, un joueur de cor, ou, pour parler la +langue technique, un corniste étonnant, tandis que Figaro n'a jamais +fait que racler de la guitare.</p> + +<p>M. Vivier est à Paris depuis quelques semaines; jusque-là il n'était pas +autre chose qu'un homme comme un autre, parfaitement inconnu. Employé à +Lyon dans une maison de commerce, M. Vivier ressemblait en apparence à +un simple commis tenant la partie double et vantant la marchandise. +Mais, à peine le métier laissait-il à notre jeune homme une heure de +loisir, qu'aussitôt le commis faisait place à l'artiste: M. Vivier +s'enfermait dans sa mansarde; là, s'attaquant corps à cor au dur et +rebelle instrument, à force de courage, d'adresse et de persévérance, il +est parvenu à le dompter, à le soumettre, à le rendre plus docile, plus +obéissant, plus fécond qu'il ne s'est jamais montré sous la main de ses +dominateurs les plus heureux et les plus célèbres. En un mot, M Vivier +lui arrache des secrets qu'il semblait dérober aux autres. Giulu Paër, +le Messie du cor. Punto et Rodolphe, ses apôtres, Gallay, Dauprat, +Duvernoi, Meugal, et d'autres aussi fameux n'ont pas obtenu ce qu'il +accorde à M. Vivier.</p> + +<p>Que leur disait-il, en effet? Il répondait à leur provocation par un son +unique, par des notes successives. Nos maîtres avaient l'exciter à +parler davantage, avec tout l'art imaginable, ils n'en tiraient pas un +mot de plus, M. Vivier, et c'est là le merveilleux de sa découverte, M. +Vivier a donné à l'instrument soliloque une double, une triple voix; +avec M. Vivier, le cor chante la romance de Richard, une <i>Pierre +brûlante</i> et, du même coup, vous entendez la partie de Blondel et la +partie de Richard. Vous plaît-il d'écouler la <i>Chasse du jeune Henri?</i> +notre cor, en véritable sorcier qu'il est, exécute par trois sons +simultanés les marches d'harmonie les traits de violon et la fanfare. Si +M. Vivier ne s'entend pas avec le diable, il ne s'en faut guère; c'était +du moins l'avis d'Auber, d'Halévv et d'Adolphe Adam, qui se trouvaient +là avec nous autres ignorants, tandis que M Vivier faisait ses tours de +force. Comment est-il parvenu à cette découverte et à ce prodige +d'acoustique? c'est son secret et il le garde. --Dieu ou diable, +toujours est-il certain que M. Vivier vient d'augmenter le bataillon des +phénomènes vivants que Paris recrute incessamment. L'été n'est pas +favorable aux cornettistes; mais arrive janvier et la saison des +concerte, ce cor diabolique fera fureur.</p> + +<p>Notre virtuose ne posséderait pas son secret miraculeux, qu'il lui +resterait encore un moyen de faire du bruit et d'être remarqué; M. +Vivier se rattache à une haute parenté; un sang fameux coule dans ses +veines; il est positivement le neveu d'un des hommes les plus étonnants +du dix-neuvième siècle, de M. de Perpignan, ce héros aussi modeste que +brave, qui a laissé un de ses membres sur tous les champs de bataille, +depuis le passage des Thermopyles jusqu'à la prise de la Casauba. Après +avoir cueilli de sanglantes moissons de lauriers et dispersé plusieurs +armées de sa propre main, M. de Perpignan se repose des fatigues de la +guerre dans les arts de la paix. Comme Apollon, il préside aux concerts +et s'adonne aux Muses, particulièrement à Thalie et à Melpomene; Momus +et ses grelots lui sont également familiers. Quelle joie pour ce +vénérable guerrier de voir que son exemple fructifie dans sa famille, et +que les arts y fleurissent à l'ombre de ses cicatrices! Chargé d'ans et +de décorations, obligé de faire halte après avoir parcouru le monde +l'épée à la main et renversé tant de citadelles, il est bien doux à ce +Nestor des soldats français, le soir, quand ses blessures se rouvrent, +d'avoir un neveu près de son chevet et de pouvoir lui dire: «Joue-moi un +air de cor.»</p> + +<p>On sait que le bazar Bonne-Nouvelle a ouvert un champ d'asile aux +peintres proscrits par le jury d'examen. Là, le paysage, le tableau +d'histoire, le portrait, la miniature, le crayon et le pastel, exilés +des honneurs du Louvre, sont venus s'abriter, non sans douleur, non sans +rancune, non sans lamentation; dans ce Louvre au petit pied, image de la +patrie absente, peu à peu nos peintures proscrites se sont acclimatées, +et le public leur a rendu visite dans ce bazar hospitalier.</p> + +<p>Deux hommes pleins d'activité et d'intelligence, M. Techner et +Guillemin, ont résolu de faire succéder à cette exposition passagère une +exposition permanente qui réunira à la fois les oeuvres des vieux +maîtres et les productions des peintres vivants. Les artistes, obligés +de disséminer leurs ouvrages chez les marchands de tableaux, auront «un +musée perpétuel» et de vastes salles éclatantes de lumière, au lieu de +la sombre nuit et du faux jour des étroites boutiques. Une riche +bibliothèque destinée à seconder les études des artistes servira de +complément à l'entreprise; enfin on nous promet un journal consacré tout +entier au monde des beaux-arts, c'est-à-dire au mouvement si curieux et +si varié des idées, des travaux, des affaires qui l'animent. A peine MM. +Techner et Guillemin avaient-ils fait entendre le premier bruit de cette +vaste entreprise, que les artistes en comprenaient l'utilité et +l'importance. Beaucoup de talents et de noms honorables ont déjà donné +leur adhésion; les autres viendront certainement compléter la liste, et +Paris possédera bientôt un magnifique établissement dont Londres, sa +rivale, lui donnait depuis longtemps l'exemple, et qu'il n'avait pas +encore songé à s'approprier. Ainsi, dans notre ville prodigieuse, +toujours debout, toujours curieuse de nouveautés, toujours ardente et +infatigable, chaque matin amène une amélioration ou une découverte; tout +s'agite, tout se renouvelle, tout change, tout s'agrandit, et la +civilisation y gagne quelque chose.</p> + +<p>L'auteur de <i>Lucrèce</i>, M. Ponsard, a quitté Taris; M Ponsard est devenu +un personnage; il est naturel que nous tenions note de son départ. Où va +M. Ponsard? le jeune poète retourne tout simplement dans sa province, +sans plus de mystères ni de fracas; après le grand éclat de sa tragédie. +M. Ponsard aurait pu exploiter sa célébrité à l'exemple de certains +poètes et de certains fabricants de drames que tout le monde devine, ce +qui nous dispense de les nommer; qui empêchait M. Ponsard de se montrer +dans les différentes cours de l'Europe comme un géant ou un Hercule du +Nord, ni de crier partout: Me voilà! acceptez ma dédicace! Un cardan, un +crachat, quelques roubles, s'il vous plaît.--M. Ponsard reste dans sa +modestie et dans sa simplicité: il part, il abandonne Paris pour +retrouver la paix des heures studieuses, isolées et paisibles; M. +Ponsard se soucie fort peu de baiser la main ou la semelle des ducs +héréditaires et des autocrates: il n'adore qu'une divinité, la Poésie! +Il n'encense qu'un roi, l'Art! C'est une religion trop rare aujourd'hui +pour qu'on n'encourage pas les jeunes lévites qui y reviennent. M. +Ponsard, dans sa retraite, s'occupera de sa seconde tragédie; il l'a +promise au Théâtre-Français pour l'hiver de 1845, c'est-à-dire dans +dix-huit mois. Notre poète veut pas s'enrôler dans le régiment des +improvisateurs à tant la ligne et des génies de pacotille.--Cependant on +annonce que M. Alexandre Dumas vient d'achever trois romans, quatre +drames en cinq actes, douze vaudevilles, et de recevoir sa +cent-cinquante-septième décoration du shah de Perse.</p> + +<p>M Harel ne se tient pas pour battu; nous parlions tout à l'heure de +Beaumarchais; après la chute du <i>Barbier de Séville</i>, Beaumarchais fit +une foudroyante préface: M. Harel va, dit-on, l'imiter. La chute <i>des +Grands et des petits</i> l'autorise à prendre cet exemple et cette +consolation. Public, critiques, directeurs. M. Harel doit passer tous +ses ennemis au fil de sa plume. On cite déjà quelques traits de cette +attaque à coups d'épigrammes. En voici qui frappent à bout portant sur un +certain commissaire du roi, accrédité auprès d'un certain théâtre. M. +*** est un homme comblé, qui n'a rien demandé à l'éducation de ce que +lui a refusé la nature. Allons! courage M. Harel, singez Beaumarchais; +mais rappelez-vous que le <i>Mariage de Figaro</i> suivit de près la préface +du <i>Barbier de Séville.</i></p> + +<p>Hier, une foule immense encombrait le boulevard Bonne-Nouvelle.--De quoi +s'agit-il? D'un escamoteur qui déjeune avec un sabre! Paris est toujours +ce Paris que faisait dire à Rabelais: «O peuple! tant sot par nature +qu'ung bateleur, ung vendeur de rogaston, ung mulet avec ses cymbales, +ung vieilleux, au mylieu d'un carrefour, assemble plus de gents que ne +ferait onc ung prescheur évangélique!»</p> +<br><br> + +<h2>Salle de concerts de la rue de la Victoire.</h2> + +<p>C'est M. Henri Herz, l'habile et célèbre pianiste qui en est +propriétaire, et qui l'a fait construire il y a peu d'années. Elle n'a +rien de commun avec celle du conservatoire, dont nous faisions remarquer +naguère l'extrême simplicité. Celle-ci au contraire, est brillante, +somptueuse et tout à fait mondaine, de vives peintures la décorent; +d'élégantes arabesques l'enveloppent de leurs replis onduleux; l'or y +étincelle de toutes parts, à la clarté de mille bougies.... Mais que +vais-je faire, essayer de la peindre avec des paroles? Dieu m'en +préserve! Pour en donner au lecteur une idée complète. <i>L'Illustration</i> +a des moyens bien plus sûrs que la description la plus exacte et la plus +détaillée.</p> + +<p>Donc, en ce lieu si richement et si coquettement orné, l'élite de la +société parisienne se réunit chaque hiver toutes les fois qu'un artiste +français ou étranger vient invoquer son suffrage. Aréopage quelquefois +sévère, plus souvent bienveillant, mais toujours éclairé, et dont les +arrêts sont à peu près sans appel. C'est là que madame Damoreau est +venue prouver récemment que ce terrible vent du nord, l'ennemi mortel de +tous les gosiers mélodieux, qu'elle avait osé braver au centre même de +son empire, avait désarmé devant elle, ci n'avait altéré ni l'étonnante +justesse de ses intonations, ni la délicatesse de ses indexions, ni la +vibration douce et veloutée de sa voix. C'est là que M. Servais a fait +admirer, dans quatre concerts successifs, cette puissance d'archet, +cette audace de doigté, cette richesse de style, qui font de lui le plus +étonnant des violoncellistes. C'est là que M. Ponsard a révélé au public +dilettante un talent si puissant dans ses effet et si original dans ses +moyens, que personne, avant de l'avoir entendu, n'aurait pu s'en faire +une idée. C'est là que mademoiselle Lia Duport, madame Iweins, MM. +Ponsard, Géraldy, Sivori... Mais, hélas! pourquoi ces doux souvenirs +sont-ils déjà si loin de nous? Pourquoi le temps, à Paris, court-il si +vite? Voilà plus d'un mois déjà que les violons sont rentrés dans leurs +bulles et les flûtes dans leurs étuis, et que toutes ces bouches +harmonieuse sont fermées; pourquoi troubler un repos si respectable et +si bien gagné? Parler de musique au mois de juin, ne serait-ce pas +d'ailleurs le même anachronisme que si nous parlions du rossignol et des +russes au mois de décembre?</p> + +<p>Nous ne pouvons nous dispenser pourtant de dire quelques mots des +dernières expéditions musicales dont la salle de M. Herz a été le +théâtre, et qui ont eu lieu sous le commandement de M. le prince de la +Moscowa.</p> + +<p>Depuis quelques mois, en effet, M. le prince de la Moscowa est à la tête +d'une armée chantante, la plus nombreuse qu'on ait encore vue peut-être, +la mieux disciplinée, la plus riche en soldats exercés et dévoués. Ces +soldats ne sont point des artistes; c'est bien mieux vraiment. Allez +donc demander aux artistes ce zèle, cette ardeur, cet enthousiasme, et +surtout ce désintéressement personnel qui fait que chaque exécutant +s'oublie et ne songe qu'à l'effet général! Un amateur fait de la musique +pour son plaisir, et, s'il est habile, pour le plaisir des autres, et +voilà pourquoi il la fait bien; mais l'artiste est toujours préoccupé de +quelque arrière-pensée: il a sa fortune à faire, sa réputation à établir +ou à étendre, et les occasions de se mettra en contact avec le public ne +sont pas assez fréquentes pour qu'il néglige d'en tirer parti. Ne lui +proposez donc pas de jouer son rôle dans un choeur ou dans un morceau +d'ensemble, ce serait pour lui du temps et des sons perdus. S'il consent +à figurer dans un duo où il lui faudra partages les applaudissements de +l'auditoire, soyez bien sûr qu'il vous fait un sacrifice: ce qu'il +recherche, ce qu'il choisit de préférence, ce sont les airs et surtout +les cavatines modernes où abondent les difficultés mécaniques, où il est +sûr enfin de briller, et de briller tout seul; mais ne venez pas lui +parler d'un psaume de Marcello, d'un motet de Haydn, d'un madrigal de +l'abbé Clari, d'un choeur de Haendel ou de Palestrina. Palestrina! +Haendel! Marcello! qu'est-ce que cela? à peine en a-t-il entendu parler +dans sa jeunesse; que voulez-vous qu'il fasse de pareille denrée?</p> + +<p>Le discrédit où était tombée depuis longtemps la musique d'ensemble, et +surtout la musique ancienne, avait produit une large lacune, un vide +immense, que déploraient amèrement les vrais amateurs, ceux qui ne +cherchent dans l'art musical que les pures jouissances qu'il procure et +les nobles sentiments qu'il fait naître, C'est pour combler ce vide que +M le prince de la Moscowa, musicien habile, et qui a déjà fait ses +preuves comme compositeur, vient d'organiser la <span class="sc">Société des concerts de +musique vocale, religieuse et classique</span>. Tout ce qu'il y a dans Paris +d'amateurs distingués a compris immédiatement sa pensée et s'est +empressé de répondre à son appel, et la société a déjà donné, dans la +salle de M. Herz, trois séances également remarquables par l' intérêt +qu'elles ont excité et par le succès qui a couronné les efforts des +exécutants.</p> + +<p>Ainsi que nous l'avons déjà dit, la musique ancienne fait tous les frais +de ces réunions, et presque exclusivement la musique d'ensemble. Les +deux illustres chefs de l'école du Midi et de l'école du Nord, +Palestrina et Roland Lassue, y ont occupé, comme de raison, lu place +d'honneur. Avec eux, Marcello, Clari, Martini, Haendel, Joseph Haydn, +Sébastien Bach, etc., etc., viennent figurer tour à tour, et recueillir +leur part d'admiration et d'hommages. Il faut le dire, on entendrait +difficilement ailleurs les grandes pensées de ces vieux maîtres +interprétées avec autant d'intelligence et par des voix aussi +harmonieuses. Madame de Sparre, madame Merlin, madame Dubignon, +mademoiselle de Chaucourtois, mademoiselle Thoru, M. le prince +Belgiposo, en savent tout autant que des artistes, et ne sont point des +artistes; c'est là justement la cause de leur supériorité. Leur organe +ne s'est point fatigué, leur goût ne s'est point émoussé dans cette +lutte sans repos que les chanteurs de profession sont obligés de +soutenir contre les trompettes, les trombones, les timbales et tout ce +barbare fracas qui a pris, dans nos théâtres, la place de l'harmonie; +ils n'ont perdu ni le sentiment des nuances délicates, ni cette calme et +pure vibration à laquelle la voix humaine doit son plus grand charme et +ses effets les plus délicieux. Aussi, quand toutes ces voix si +intelligentes et si doucement sonores se réunissent pour l'exécution +d'une composition chorale, l'harmonieux ensemble qui en résulte Jette +dans l'âme des auditeurs une émotion profonde et mystérieuse que nous +chercherions en vain à définir et que nous renonçons à décrire. +L'entreprise de M. le prince de la Moscowa est noble et belle, et nous +ne doutons pas qu'elle n'exerce l'influence la plus puissante et la plus +salutaire sur les destinées ultérieures de l'art musical.</p> + + +<p class="mid"><img alt="" src="images/002a.png"><br> +<p class="mid"><img alt="" src="images/002b.png"><br> +<p class="mid"><img alt="" src="images/002csmall.png"><br><a href="images/002clarge.png">(Agrandissement)</a><br> +<p class="mid"><img alt="" src="images/003asmall.png"><br><a href="images/003alarge.png">(Agrandissement)</a></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/003b.png"><br><b>Salle de concerts de la rue de la Victoire.</b></p> + +<br><br> + +<h2>La cour du grand-duc.</h2> + +<h4>NOUVELLE. Suite.--Voir page 213.</h4> + +<p>Les malheurs du prince avaient tellement absorbé l'attention et la +sensibilité de Balthazard, que le souvenir de ses propres embarras +s'était complètement effacé pendant cette soirée où le grand-duc lui +avait révélé les secrets de sa position politique et financière. Ce ne +fut qu'après être sorti du palais, qu'il fit un retour sur lui-même. +Comment se tirer d'affaire avec les acteurs engagé et amenés à deux cent +lieues de Paris sur la foi des traités? que leur dire, et comment leur +faire entendre raison? Le malheureux directeur passa une mauvaise nuit. +Aussitôt que parut le jour, il se leva, demandant à la fraîcheur du +matin de calmer ses esprits agités, et de lui inspirer quelque bonne et +habile manoeuvre pour sortir de ce mauvais pas. Dans une promenade de +deux heures, il eut tout le loisir de parcourir Carlstadt et d'admirer +les agréments de cette capitale. Carlstadt était une ville élégante, +coquette, oisive, avec des rues larges et droites qui la perçaient de +part en part, de jolies maisons bien alignées, dont les fenêtres étaient +armées de petits miroirs indiscrets qui reflétaient les passants et +transportaient dans les appartements les scènes de la voie publique; de +sorte que les habitants pouvaient, grâce à ce daguerréotype animé, +satisfaire leur curiosité sans se déranger. C'est là une innocente +récréation que se donnent volontiers les bourgeois allemands. Du reste, +la capitale du Grand-Duché de Noeristhein paraissait ne s'occuper que +fort peu d'industrie et de commerce; le mouvement y était modéré, le +luxe en était banni, et sa prospérité tenait surtout aux goûts modestes, +à la philosophie flegmatique de ses citoyens.</p> + +<p>Une troupe de comédiens, ne pouvait pas faire fortune dans un pareil +pays.--Il faudrait absolument reprendre le chemin de la France, pensa +Balthazard après avoir fait le tour de la ville; puis il consulta sa +montre, et, jugeant que l'heure était convenable, il se dirigea vers le +palais, où il entra sans plus de façon que la veille. Le fidèle Wilfrid, +remplissant les fonctions de gentilhomme ordinaire le reçut comme une +vieille connaissance, et s'empressa de l'introduire dans le cabinet du +grand-duc. Son Altesse lui parut plus soucieuse que la veille. Le prince +marchait à grands pas, le front baissé, les bras croisés, et tenant à la +main des papiers dont la lecture l'avait évidemment contrarié. Pendant +quelques instants il garda le silence; puis, s'arrêtant devant +Balthazard, il lui du tristement:</p> + +<p>«Vous me trouvez ce matin moins calme qu'hier soir; c'est que je viens +de recevoir d'assez mauvaises nouvelles, et je ne sais pas me défendre +contre une première impression... Ah! vraiment, tout cela me pèse, et je +leur abandonnerais de grand coeur cette pauvre souveraineté, cette +couronne d'épines qu'ils me disputent, si l'honneur ne me commandait de +soutenir jusqu'au bout mes droits légitimes... Oui, en ce moment je +n'ambitionne qu'un sort paisible, et je donnerais volontiers mon +grand-duché, mon titre, ma couronne, pour aller vivre tranquillement à +Paris en simple particulier, avec trente mille livres de rentes.</p> + +<p>--Je le crois bien!» s'écria Balthazard qui, dans ses plus beaux rêves, +n'avait jamais élevé si haut ses voeux téméraires.</p> + +<p>Cette naïve exclamation fit sourire le prince. Il ne fallait que peu de +chose pour chasser ses ennuis et lui rendre cette légère dose de bonne +humeur qui flottait habituellement à la surface de son caractère.</p> + +<p>--Je comprends, reprit-il gaîment; vous trouver, que je ne suis pas +dégoûté! Dépenser trente mille francs de revenu dans l'indépendance et +les plaisirs de la vie parisienne est un sort plus digne d'envie que +gouverner tous les grands-duchés du monde. Vous avez, raison, et je le +sais par expérience, car il y a une dizaine d'années, lorsque je n'étais +encore que prince héréditaire, j'ai passé six mois à Paris, libre, +riche, insouciant, et mes souvenirs me disent que ces jours là ont été +les plus beaux de ma vie.</p> + +<p>--Eh bien! est-ce qu'en liquidant tout ce que vous avez ici vous ne +pourriez pas réaliser cette fortune? D'ailleurs, ce cousin dont vous me +faisiez l'honneur de me parler hier vous assurerait avec plaisir vos +trente mille francs de rente, si vous lui cédiez votre place qu'il +envie... Mais, monseigneur, voulez-vous que je vous parle franchement?</p> + +<p>--Je ne demande pas mieux.</p> + +<p>--Une existence paisible et modeste aurait sans doute beaucoup de charme +pour vous, et vous le dites dans la sincérité de votre âme; mais d'un +autre côté vous tenez essentiellement à votre couronne, et ce n'est pas +seulement par ces raisons d'honneur que vous invoquiez tout à l'heure. +On a beau dire et s'exagérer les douceurs du calme et de la retraite +dans un moment de fatigue et d'orage, un trône, tout boiteux qu'il soit, +est un siège que l'on ne saurait quitter sans regrets... Voilà mon +opinion, formée à l'école dramatique; c'est peut-être une réminiscence +de quelque ancien rôle, mais on trouve parfois la vérité au théâtre. Or +donc, puisque, à tout prendre, ce qui vous convient le mieux est de +rester en place, vous devriez... Mais pardon, mes paroles sont peut-être +trop libres...</p> + +<p>--Parlez en toute liberté, mon cher directeur, je vous le permets et je +vous en prie. Je devrais donc, disiez-vous?...</p> + +<p>--Vous devriez, au lieu de vous livrer au découragement et aux idées +poétiques, ne pas attendre le coup qui vous frappera, ne pas vous +contenter de tomber noblement. Les circonstances sont favorables, vous +n'avez plus de ministres ni conseillers d'État pour vous induire en +erreur et vous embrouiller dans vos projets. Fort de votre bon droit et +de l'amour de vos sujets, il est impossible que vous ne trouviez pas un +moyen d'assurer votre position et de rétablir vos finances.</p> + +<p>--Il n'y en a qu'un seul.</p> + +<p>--Cela suffit.</p> + +<p>--Un bon mariage.</p> + +<p>--Au fait, c'est vrai, je n'y pensais pas, vous êtes garçon!... Eh bien! +vous voilà sauvé, un bon mariage!... C'est comme cela que les grandes +maisons se consolident quand elles sont menacées de tomber en ruines. +Épousez-moi une grosse héritière, la fille unique de quelque riche +banquier.</p> + +<p>--Vous n'y pensez pas! une mésalliance!</p> + +<p>--Ah! si vous faites le fier!...</p> + +<p>--Ce n'est pas moi, je n'ai pas de préjugés; mais que dirait l'Autriche +si je me permettais de déroger? Ce serait un nouveau grief dont on ne +manquerait pas de se servir contre moi. Et puis, les millions d'un +banquier ne me suffiraient pas; il me faut une alliance avec une famille +puissante sur laquelle je puisse m'affermir. Cette alliance, telle que +je la souhaite, s'offrait à mes voeux; il y a quelques jours encore je +pouvais prétendre à ce moyen de salut. Un de mes voisins, le prince +Maximilien de Hanau, qui est très bien en cour de Vienne, a une soeur à +marier: la princesse Edwige est jeune, belle, aimable et riche; c'est un +excellent parti, et j'avais déjà entamé les préliminaires d'une demande +en mariage; mais deux dépêches que j'ai reçues ce matin renversent +toutes mes espérances. Voilà le motif de l'abattement dans lequel vous +m'avez trouvé tout-à-l'heure.</p> + +<p>--Voyons reprit Balthazard. Votre Altesse est peut-être trop prompte à +se décourager.</p> + +<p>--Jugez-en vous-même. J'ai un rival, l'électeur Biberick; ses États sont +moins considérables que les miens, mais il est plus solidement établi +dans sont petit électorat que je ne le suis dans mon grand-duché.</p> + +<p>--Permettes, monseigneur, j'ai vu l'année dernière à Bade l'électeur de +Biberick, qui s'y trouvait en même temps que nous; sans flatterie, ce +prince ne saurait soutenir aucune comparaison avec Votre Altesse: vous +avez à peine trente ans et il en a plus de quarante; vous êtes bien fait +de votre personne, il est lourd, épais et mal bâti; vous avez le visage +agréable et noble, sa figure est commune et disgracieuse; vos cheveux +sont du blond le plus pur et les siens d'un rouge flamboyant. La +princesse Edwige ne peut manquer de vous donner la préférence.</p> + +<p>--Fort bien, mais on ne lui laissera pas le choix; elle dépend de son +auguste frère, qui la mariera sans la consulter.</p> + +<p>--Voilà ce qu'il faut empêcher.</p> + +<p>--Comment?</p> + +<p>--En inspirant de l'amour à la jeune personne. Il y a tant de ressources +dans le sentiment! On voit tous les jours des mariages de convenances +détruits et rompus au profit d'un mariage d'inclination.</p> + +<p>--Oui, cela se voit dans les comédies...</p> + +<p>--Qui fournissent d'excellentes leçons...</p> + +<p>--Aux gens d'un certain monde; mais nous autres princes, nous n'avons +pas le bénéfice de ces suites de combats où l'accord de deux coeurs bien +épris fait plier tous les obstacles.</p> + +<p>--Sur ce point-là, monseigneur, j'ose ne pas être entièrement de votre +avis. Les maîtres de l'art que j'étudie et que je pratique depuis trente +ans m'ont appris que ces sortes d'affaires se traitent dans les palais à +peu près comme ailleurs; toute la différence est dans la forme, plus +pompeuse chez vous. Du reste, pourquoi ne feriez-vous pas une tentative? +Si j'avais un conseil à vous donner, ce serait de vous mettre en route +dès demain, et d'aller faire une visite au prince de Hanau.</p> + +<p>--C'est inutile. Pour voir le prince et sa soeur je n'ai pas besoin de me +déranger; une de ces dépêches m'annonce leur prochaine arrivée à +Carlstadt. Comprenez-vous maintenant tout le malheur de ma position? Ils +arrivent! Au retour d'un voyage qu'ils viennent de faire en Prusse, ils +traversent mes États et s'arrêtent dans ma capitale, où ils me demandent +l'hospitalité pour deux ou trois jours. Vous voyez bien que je vais être +perdu dans leur esprit. Que penseront-ils de moi quand ils me trouveront +seul, abandonné, dans mon palais désert? Croyez-vous après cela que la +princesse soit tentée de partager mon sort et de passer sa vie dans ma +triste solitude? L'année dernière elle est allée à Biberick; l'électeur +l'a dignement reçue. Il avait du moins à lui offrir les plaisirs d'une +cour animée; il pouvait mettre à ses ordres des gentilshommes, des +chambellans; il pouvait lui donner des concerts, des fêtes, des bals. Et +moi, rien! Suis-je assez malheureux! assez humilié! Et pour qu'aucun +affront ne me soit épargné, mon rival veut que son mariage soit négocié +ici même; oui vraiment! l'électeur me brave à ce point! Il vient de +m'expédier un ambassadeur, le baron Pépinster, chargé, dit-il, de +conclure un traité de commerce qui serait fort avantageux pour moi; mais +cette affaire n'est qu'un vain prétexte. Le baron n'a d'autre mission +que de s'entendre avec le prince de Hanau; cette rencontre est +habilement ménagée, pour que la négociation conjugale s'accomplisse +secrètement et sans appareil. Voilà ce qu'il me faudra voir! Je serai +contraint de subir cet outrage, de dévorer l'injure, de donner au prince +et à sa soeur le spectacle de ma misère, de mon abaissement!... Ah! que +ne ferais-je pas pour me soustraire à cette honte!</p> + +<p>--Il y aurait peut-être un moyen! s'écria Balthazard après un instant de +réflexion.</p> + +<p>--Un moyen? Parlez, quel qu'il soit, je l'adopte.</p> + +<p>--Un moyen bizarre et hardi! continua Balthazard.</p> + +<p>--N'importe! je suis prêt à tout risquer.</p> + +<p>--Il vous faut dissimuler votre abandon, repeupler ce palais, avoir une +cour?</p> + +<p>--Oui.</p> + +<p>--Pensez-vous que les courtisans qui vous ont délaissé répondraient à +votre appel, consentiraient à revenir?</p> + +<p>--Jamais. Ne vous ai-je pas dit qu'ils étaient gagnés par mes ennemis?</p> + +<p>--Pourriez-vous en trouver d'autres parmi vos sujets les plus +distingués?</p> + +<p>--Impossible! Il n'y a que très peu de gentilshommes parmi mes sujets +Ah! si une cour pouvait s'improviser! dussé-je prendre les derniers +bourgeois de Carlstadt...</p> + +<p>--J'ai mieux que cela à vous offrir.</p> + +<p>--Quoi donc?</p> + +<p>--Mes comédiens.</p> + +<p>--Comment? vous voulez que je me compose une cour avec vos acteurs?</p> + +<p>--Oui, monseigneur, et vous ne sauriez trouver mieux. Remarquez que mes +comédiens sont habitués à jouer tous les rôles, et qu'ils seront tout de +suite à leur aise dans l'emploi de grands seigneurs. Je vous réponds de +leur talent comme de leur discrétion et de leur probité. Dès que vos +illustres visiteurs seront partis, dès que vous n'aurez plus besoin +d'eux, ils donneront leur démission Songez d'ailleurs que vous n'avez +pas à choisir. Le temps presse, le danger est à vos portes, il ne vous +est pas permis d'hésiter.</p> + +<p>--Mais, cependant, si une pareille ruse venait à se découvrir!...</p> + +<p>--Ceci n'est qu'une supposition, une crainte chimérique. Si, au +contraire, vous ne voulez pas risquer la partie que je vous propose, +votre malheur est certain.»</p> + +<p>Le grand-duc se laissa aisément persuader. Sous une apparence +insouciante et molle, son caractère ne manquait ni de résolution, ni +d'un certain penchant vers les entreprises étranges et hasardeuses. Il +n'ignorait pas que la fortune favorise ceux qui osent, et il avait toute +l'audace que donne une situation désespérée.--L'expédient de Balthazard +fut donc adopté avec une joyeuse intrépidité.</p> + +<p>«A merveille! s'écria le directeur; vous ne vous repentirez pas de votre +détermination. Vous voyez en ma personne un échantillon de vos futurs +courtisans, et puisqu'il s'agit ici de se partager les honneurs et les +grandes charges de l'État, nous allons, si vous voulez, bien, commencer +par moi. Je crois être déjà dans l'esprit de mon rôle en vous adressant +cette requête. Un homme de coeur doit toujours demander, toujours se +hâter, et profiter de l'absence de ses rivaux pour obtenir ce qu'il y a +de mieux. Que votre altesse soit donc assez bonne pour me nommer premier +ministre.</p> + +<p>--Accordé! répondit gaîment le prince. Votre excellence peut entrer +immédiatement en fonctions.</p> + +<p>C'est ce que mon excellence ne manquera pas de faire, en vous demandant +votre signature au bas de quelques actes dont je vais m'occuper tout de +suite. Mais d'abord, souffrez, monseigneur, que je vous adresse deux ou +trois questions, afin de me mettre au courant. Quand on est nouveau venu +dans un pays et novice au ministère, on a besoin de s'instruire.... S'il +vous fallait déployer l'appareil de la force pour faire exécuter vos +ordres, le pourriez-vous?</p> + +<p>--Mais, sans aucun doute.</p> + +<p>--Votre altesse a des soldats?</p> + +<p>--Un régiment.</p> + +<p>--Combien d'homme?</p> + +<p>--Cent vingt environ, sans compter la musique.</p> + +<p>--Sont-ils obéissants, dévoués?</p> + +<p>--Obéissance passive, dévouement sans bornes; soldats et officiers se +feraient tuer pour moi.</p> + +<p>--C'est leur devoir. Maintenant autre chose: Avez-vous une prison dans +vos huis?</p> + +<p>--Certainement.</p> + +<p>--Mais, je veux dire, une bonne prison, forte et bien gardée, des murs +épais, de solides barreaux, des geôliers incorruptibles et farouches?</p> + +<p>--J'ai tout lieu de croire que le château de Ranfrang possède toutes ces +qualités. Le fait est que je m'en suis très peu servi: mais il a été +bâti par un homme qui s'y entendait, mon aïeul, le grand-duc Rodolphe +l'Inflexible.</p> + +<p>--Beau surnom pour un souverain! Celui-là, j'en suis sûr, n'a jamais +manqué d'argent ni de courtisans. Vous, monseigneur (souffrez que votre +ministre vous parle le langage de la vérité), vous avez peut-être eu +tort délaisser sans locataires ce domaine de la couronne, une prison a +besoin d'être entretenue par l'habitation. Aussi le premier acte de +l'autorité que vous avez bien voulu me confier sera consacré à une +salutaire mesure d'incarcération. Je pense que le château de Ranfrang +peut contenir une vingtaine de prisonniers?</p> + +<p>--Quoi! vous voulez, faire enfermer vingt personnes?</p> + +<p>--Peut-être plus, peut-être moins; car je ne sais pas au juste Combien +votre ancienne cour contenait de grands dignitaires. Ce sont ces +déserteurs que je veux mettre à l'ombre des hautes murailles +construites: par Rodolphe l'Inflexible C'est indispensable.</p> + +<p>--Mais c'est illégal!</p> + +<p>--Vous dites?... Pardon, monseigneur; vous vous êtes servi d'un mot que +je ne comprends pas bien. Il me semble que, dans un bon gouvernement +allemand, ce qui est absolument nécessaire est nécessairement légal; +voilà ma politique. D'ailleurs, en qualité de premier ministre, je suis +responsable. Que vous faut-il de plus? Vous sentez bien que si nous +laissions libres vos courtisans, il n'y aurait pas moyen de jouer la +comédie que nous préparons; ils nous trahiraient. Le salut de l'État +exige donc que ces messieurs soient emprisonnés, et ce sera justice; car +enfin ils remplissent leur office depuis douze ou quinze ans, terme +moyen; et quel est, je vous prie, le courtisan qui en douze ou quinze +ans n'a pas mérité quelques jours de prison? D'ailleurs, vous l'avez dit +vous-même, ce sont des traîtres, ne les ménagez donc pas; et pour votre +Sûreté, pour le succès de vos projets qui doivent assurer le bonheur de +votre peuple, écrivez les noms des coupables, signez l'ordre, et +infligez sans remords à ces déserteurs le trop doux châtiment d'une +semaine de captivité.»</p> + +<p>Le grand-duc écrivit les noms et signa plusieurs ordres qui furent +aussitôt remis aux officiers les plus alertes du régiment, avec +injonction d'exécuter sur l'heure leur mission, et de conduire les +prisonniers au château de Ranfrang situé à trois quarts de lieue de +Carlstadt.</p> + +<p>«Il ne reste plus à présent qu'à faire venir votre cour, dit Balthazard. +Votre altesse a-t-elle des carrosses?</p> + +<p>--Oui, certes! une berline, une calèche et un cabriolet.</p> + +<p>--Et des chevaux?</p> + +<p>--Six de trait et deux de selle.</p> + +<p>--Je prends la berline, la calèche et quatre chevaux; je vais à +Krusthal, je ramène ce soir nos acteurs que je mets au fait de leur +rôle; nous arrivons à la nuit et nous nous installons au palais, pour +vous servir, monseigneur.</p> + +<p>--Très bien; mais, avant de partir, répondez, je vous prie, au baron +Pépinster qui me demande une audience.</p> + +<p>--Deux lignes bien sèches, bien ministérielles, qui l'ajourneront à +demain. Il faut qu'il nous trouve sous les armes... Voilà le billet +écrit, mais comment signer? Le nom de Balthazard ne convient guère à une +excellence allemande.</p> + +<p>--Vous avez raison; il vous faut un autre nom, accompagné d'un titre; Je +vous fais comte de Lipandorf.</p> + +<p>--Merci monseigneur. Je porterai noblement ce titre, et je tous le +rendrai fidèlement, avec mon portefeuille, lorsque la comédie sera +finie.»</p> + +<p>Le comte de Lipandorf signa le billet que Wilfrid fut chargé de remettre +au baron de Pépinster; puis aussitôt que les voitures furent attelées, +il partit pour Krusthal.</p> + +<p>Eugène Guinot</p> + +<p>(La fin à un prochain numéro.)</p> +<br><br> + +<h2>Distribution des prix de l'Académie des Jeux floraux.</h2> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/004a.png"><br><b>Jeton de présence mainteneurs des Jeux floraux.</b></p> + +<p>Au mois dernier, pendant que nous courions en wagon, pour la plus grande +gloire de l'industrie, Toulouse célébrait une fête en l'honneur des +beaux-arts; l'Académie des Jeux floraux tenait sa séance annuelle. Aucun +journal n'en a fait mention; la cérémonie s'est passée à huis clos, +relativement au reste de la France; les noms des poètes couronnés n'ont +pas été proclamés au delà des départements méridionaux, et les +applaudissements ont à peine trouvé des échos à Marseille et à +Montauban.</p> + +<p>Il y a cinq cent vingt ans, plusieurs siècles avant la création de +l'Académie française, sept <i>trobadors</i> de Toulouse établirent <i>une +compagnie du gay savoir</i>. Au mois de novembre 1323, le mardi qui suivit +la fête de la Toussaint, ils envoyèrent, dans les pays de <i>la +Langue-d'Oc</i>, une lettre circulaire en vers par laquelle ils ouvraient +un concours, dont le prix était une violette d'or fin.</p> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i18"> Disem, per dreit jutjamen,</p> +<p class="i18"> A cel que la fara plus nèta,</p> +<p class="i18"> Donaren una violeta</p> +<p class="i18"> De fin aur, en senhal d'amor.</p> +</div></div> + +<p>Le 1er mai de l'année suivante, des poètes affluèrent de toutes parts au +lieu du rendez-vous, dans un verger du faubourg des Augustines, au pied +d'un gigantesque laurier. Un jour entier fut consacré à la lecture des +pièces de vers; le second jour, les sept troubadours délibérèrent, après +avoir entendu la messe, et le troisième, leur sentence fut prononcée en +présence de deux <i>capitouls</i>, ou consuls de la ville. La violette fut +décernée à maître Arnaud Vidal, de Castelnaudary. <i>E yazuhet la violeta +de l'aur a Tonena, nès a saber la premiéra que si dona</i>. Après +l'adjudication des prix, les <i>capitouls</i> décidèrent que dorénavant, +<i>d'uqui en avant</i>, la violette serait achetée aux frais de la ville.</p> + +<p>Les années suivantes les fondateurs prirent la qualification de +<i>mainteneurs</i>, s'adjoignirent un chancelier et un bedeau, et rédigèrent +leurs statuts. Le Conseil municipal leur vint en aide, vota des fonds +pour deux nouveaux prix, l'<i>églantine</i> et le <i>souci</i> et accorda au +<i>Collége du gay savoir</i>, l'autorisation de siéger à l'hôtel-de-ville, +connu des lors sous le nom pompeux de <i>Capitole</i>. L'institution acquit +tant de célébrité, qu'en 1388, Jean d'Aragon, par une ambassade +expresse, priait Charles VI de lui expédier des poètes languedociens, +afin d'introduire la gaie science en Espagne, <i>studia partices quam +gayam scientiam vocabunt instituerentur</i>. Peu de rois s'aviseraient +aujourd'hui de demander à leurs voisins un assortiment de littérateurs; +on aimerait mieux en exporter.</p> + +<p>Pendant le quinzième siècle, la société <i>du gay savoir</i> tint +régulièrement ses assemblées. Un dame noble et riche, Clémence Isaure, +acheva de consolider l'oeuvre des <i>mainteneurs</i>, en lui consacrant +<i>plusieurs grands et notables revenus</i>. Il est resté si peu de documents +sur l'histoire de cette femme célèbre, que plusieurs écrivains graves, +Catel, Lafaille, Cazeneuve, et tout récemment les auteurs de <i>l'Histoire +de la ville de Toulouse</i>, ont trouvé plaisant de présenter Clémence +Isaure comme un personnage imaginaire.</p> + +<p>Après sa mort, on lui éleva une statue, qui figura d'abord sur le +mausolée de l'illustre dame, les mains jointes et un lion à ses pieds. +Le conseil municipal imagina, en 1627, de la mutiler sous prétexte de +l'embellir. Deux artistes, les nommés Aure et Pascot, furent chargés de +<i>raccommoder et blanchir le visage, de lui ôter le chapelet qu'elle +avait, de refaire les bras, de couper le lion qui était sous ses pieds, +et d'en faire une plinthe.</i></p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/004b.png"><br><b> + Statue de Clémence Isaure, en marbre<br> + blanc, dans la salle du grand Consistoire,<br> + au Capitole de Toulouse.</b></p> + +<p>La salle où elle est aujourd'hui placée sert aux séances particulières +des académiciens. Sur le piédestal, on lit une épitaphe, dont voici la +traduction: «Clémence Isaure, fille de Louis Isaure de la célèbre +famille des Isaures, vécut cinquante ans dans le célibat et la vertu; +elle établit pour l'usage public de sa patrie des marchés au blé, au +vin, au poisson et aux herbes; elle les légua aux capitouls et citoyens +de Toulouse, à condition qu'ils célébreraient tous les ans les <i>Jeus +floraux</i> dans la Maison-de-Ville qu'elle avait fait bâtir à ses frais; +qu'ils iraient jeter des roses sur son tombeau, et que le reste des +revenus serait employé à un banquet. Si l'on néglige d'exécuter sa +volonté, que le fisc s'empare du legs de plein droit, et exécute la +condition ci-dessus. Elle a voulu, de son vivant, qu'on lui érigeât ce +monument où elle repose en paix.»</p> + +<p>La société littéraire des Jeux floraux, érigée en Académie par lettres +patentes de Septembre 1694, a conservé ses vieux usages presque aussi +religieusement que ses vieux souvenirs. Les revenus de la place <i>de Ia +Pierre</i>, l'un des immeubles légués à la ville par dame Clémence, +contribuent encore aux frais de la cérémonie annuelle. L'Académie, après +avoir suspendu ses séance de 1790 à 1806, les a reprises et continuées +paisiblement jusqu'à nos jours, et les récompenses qu'elle distribue ne +sont pas sans influence sur l'état intellectuel du midi.</p> + +<p>Le nombre des <i>mainteneurs</i>, fixé à trente-six par les lettres patentes, +est de quarante depuis un édit de 1725. Le préfet de la Haute-Garonne et +maire de Toulouse sont <i>académicien né</i>. On compte parmi les membres du +docte tribunal le baron de Lamothe-Langon, le comte Jules de Rességuier, +M. Alexandre Soumis (de l'Académie française), et le baron de Montbel, +ancien ministre. Ceux qui ont obtenu trois prix, autres que le lis, +peuvent demander à l'Académie des lettres de <i>Maîtres ès jeux floraux.</i> +MM. Victor Hugo, de Chateaubriand, Babur-Lormian, Bignan, Rebout de +Nîmes, sont maîtres des jeux floraux. On voit que les sept présidents de +la <i>gaie compagnie</i> ont d'assez dignes successeurs.</p> + +<p>L'Académie a cinq fleurs à distribuer:</p> + +<p>1. L'amarante d'or, d'une valeur de 100 fr., prix de l'ode, institué par +les lettres patentes de 1694;</p> + +<p>2. La violette d'argent d'une valeur de 200 fr., prix du poème, de +l'épître ou du discours en vers;</p> + +<p>3. Le souci d'argent, d'une valeur de 200 fr., prix de l'églogue, de +l'idylle, de l'élégie, ou de la balade;</p> + +<p>4. Le lis d'argent, d'une valeur de 60 fr., d'un hymne ou d'un sonnet à +la <i>Vierge</i> fondé sous Louis XV, par M. Malepèvre;</p> + +<p>5. L'églantine d'or, d'une valeur de 150 fr., prix d'un discours dont +l'Académie donne le sujet.</p> + +<p>La cérémonie annuelle a lieu chaque année le 3 mai. Les lettres de 1691 +avaient assigné aux séances la salle du Capitole, appelée le <i>grand +consistoire</i>; mais un édit de 1773 a ordonné qu'elles se tiendraient +dans la salle des <i>illustres</i>, où sont rangés les buste des principaux +personnages dont s'honore Toulouse. Il est d'usage, depuis 1527, que la +<i>Fête des Fleurs</i> débute par l'éloge de Clémence Isaure, que suit +immédiatement le rapport du secrétaire perpétuel sur les résultats du +concours. Cependant une députation de <i>mainteneurs</i> se rend +processionnellement à l'église de la Daurade, où Clémence Isaure repose +sous le maître-autel. Les fleurs y sont déposées le matin; le curé les +bénit et les remet aux commissaires de l'Académie, qui retournent au +Capitule, en ayant soin de passer par la rue de Clémence Isaure. On +proclame les vainqueurs; on les invite à faire la lecture de leurs +ouvrage, et la séance se termine par l'indication du sujet du discours +pour l'année suivante: <i>ê sempre cosi</i>.</p> + +<p>Les pièces couronnées en 1843 sont: <i>Simon de Monfort</i>, ode, par M. +Jallus; les <i>Enfants de Moncode</i>, poème, par M. Vincent Bataille; la +<i>Prière des petits enfants</i>, hymne à la Vierge, par M. Lébraly. Six +autres compositions ont obtenu des <i>fleurs réservées</i> c'est-à-dire des +prix qui n'avaient pas été adjugés dans les concours précédents: <i>Le +dévouement</i>, ode par H. Lébraly; les <i>Adieux à Ia Mer</i>, ode, par madame +Thore; <i>Épître à un centenaire</i>, par M. Magnien; Épître à M. l'abbé L. +B., par M. Baudin; le <i>Ver luisant</i>, idylle, par M. Granger; <i>le Rêve +de la Chatelaine</i>, ballade, par M. Rocher.</p> + +<p>L'Académie propose, pour le concours de 1844, <i>l'éloge de Dante +Alighieri</i> A l'oeuvre donc, prosateurs et poètes taillez vos plumes et +grattez-vous le front. Animez-vous au souvenir des hommes célèbres qui +ont conquis à diverses époques, les fleurs rémunératrices; Ronsard, +Baif, Maynard, le président Hainault, La Monnoye, La Motte Houdard, +Fayard, Marmontel, Mallevoye, Chenedullé, Mollevant, d'Avrigny, Victor +Hugo!</p> + +<p>Quel concours a de plus favorables conditions? Point de sujets donnés, +sauf ceux du discours en prose et de l'hymne; rien qui gêne l'élan +poétique, rien qui entrave l'essor de la pensée: il faudrait avoir +l'imagination bien stérile pour ne pas risquer au moins une ode à cette +glorieuse loterie des Jeux floraux.</p> + +<br><br> + +<h2>Les plaisirs des Champs-Elysées.</h2> + +<h3>I.</h3> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/004c.png"><br><b>Champs-Elysées.--L'attelage de chèvres.</b></p> + +<p>Dans quelle catégorie les rangerons-nous? Les plaisirs des +Champs-Elysées sont-ils forains, champêtres ou urbains? N'aperçois-je +point les pénates roulants des directeurs de phénomènes? Polichinelle ne +dresse-t-il point son théâtre nomade entre un Hercule du nord et un lion +de Némée, bête farouche qui a laissé les poils de sa crinière aux mains +des gamins de nos quatre-vingt-six département? Décidément nous sommes +dans une foire. Mais non, regardez là-bas ces joueurs de boules et de +mail, et, plus loin, cet individu étendu sur l'herbe fraîche à la +manière de Corydon, et cet autre, qui parcourt lentement les longues +allées, un volume de vers à la main. Les boules, le mail, un sommeil sur +l'herbe, la lecture sous les arbres verts, tout cela ne fait-il pas +naître dans l'imagination des idées champêtres et bucoliques? On se +croirait à vingt lieues de Paris, si tout à coup le passage d'un omnibus +ou d'une brillante calèche, le bruit de la foule devant la porte d'un +théâtre, la présence des sergents de ville et des gardes municipaux ne +vous tirait brusquement de votre erreur. Foire bruyante, retraite +silencieuse, rendez-vous du monde élégant, les Champs-Elysées sont tout +cela à la fois. Ou y trouve tout, même la solitude. Il y a là de quoi +défrayer tous les âges, tous les états, tous les goûts, l'enfance, la +jeunesse, l'âge mur, la vieillesse; l'artisan, l'homme de lettres, +fashionable s'y rencontrent à la fois. Là, viennent se résumer les mille +variétes de l'existence parisienne; là, s'étalent les notabilités, les +excentricités, les prodiges, les phénomènes de tous les pays. Nous avons +vu passer tour à tour sur la chaussée, espèce de voie romaine qui mène à +l'Arc-de-Triomphe, des Chinois, des Persans, des Arabes, et jusque des +naturels des Sandwich. Le monde entier traverse perpétuellement au trot +ou au galop cette longue avenue de Paris. Dites-moi ce qu'on ne fait pas +et ce qu'on ne voit pas aux Champs-Elysées? On y mange, on y joue, on y +danse, on y dort. On y voit Moscou en flammes, des chevaux qui valsent, +des chiens qui font tourner le roi à l'écarté, des géants et des nains, +et mille autres choses encore dont l'éloquence et les poumons de +Bilboquet pourraient seuls entreprendre la nomenclature.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/005a.png"><br><b>Champs-Elysées.--Pesage.</b></p> + +<p>Il n'est personne qui n'éprouve de temps en temps le besoin de redevenir +enfant. Souvent les longs voyages de la pensée ramènent l'homme, de +circuits en circuits, parmi la verdure et les fleurs des impressions +premières. On cherche à ressaisir le rêve évanoui de l'enfance. Comme le +bon Pérégrinus, du conte d'Hoffmann, il est inutile d'attendre la veille +de la Noël pour satisfaire ce désir. N'achetez pas des bonbons et des +joujoux, n'allumez pas vos bougies, ne vous enfermez point dans votre +salon, ne jouissez pas dans la solitude de ces plaisirs rétrospectifs, +mais prenez le chemin des Champs-Elysées, vous y retrouverez toutes les +émotions enfantines de votre printemps. Choisissez pour accomplir ce +pèlerinage une de ces belles journées d'été pendant lesquelles le +crépuscule, en se prolongeant, fait pour ainsi dire un jour nouveau dans +le jour; mêlez-tons à tous les jeux, arrêtez-vous devant tous les +spectacles, écoutez la parade de Pierrot et la chanson du troubadour +nomade, achetez pour un sou votre avenir renfermé dans une coquille de +noix, et vous redeviendrez enfant pendant quelques heures. Le souvenir +rajeunit.</p> + +<p>Je suppose que votre première station sera pour Polichinelle: à tout +seigneur tout honneur. Hélas! s'il faut en croire un de ses plus grands +admirateurs, Polichinelle, qui avait déjà de si grands défauts, est allé +en empirant: aujourd'hui il fait parade de sa violence comme d'une +vertu, il est devenu l'effroi de ses voisins, il a tué les gardiens de +la paix publique, les soldats, les magistrats, les juges, et bien plus +que cela, les femmes et les enfants! M. Polichinelle a porté ses défis +jusqu'au diable qui l'inspirait, mais qui savait le punir, et dont il ne +reconnaît plus le pouvoir. Polichinelle est odieux!</p> + +<p>Qui oserait regarder Polichinelle, après avoir appris que c'est son +Plutarque, son ami, Charles Nodier enfin, qui a fulminé contre lui cet +anathème?</p> + +<p>Il faut donc reporter votre esprit et vos yeux sur des idées et des +spectacles plus riants. Entre deux rangs de chaises, s'avance une +calèche en miniature traînée par des chèvres; le capricieux animal a +subi enfin le joug de l'homme. Ces chèvres indociles que Virgile aimait +tant à voir pendantes, <i>pendentes</i> au sommet des roches moussues, posent +maintenant un pied réglé sur le sable lin des allées. Une petite fille +blanche et rose s'étale comme une duchesse sur les coussins de la +voiture; sur le siège, son frère, armé d'un long fouet, tient les rênes +et fait semblant de guider le fringant attelage. L'automédon de dix ans +n'ose tourner son regard ni à droite ni à gauche, tant il comprend la +gravité et les périls de sa mission. Les deux amalthées cheminent +cependant paisiblement, et se résignent à leur abaissement en songeant +qu'en amusant des enfants elles sont encore dans leur rôle de nourrices. +L'équipage enfantin attire à lui toutes les sympathies. Involontairement +on se souvient de cet autre enfant, qui se promenait ainsi, ses beaux +cheveux blonds dénoués, sur la terrasse des Tuileries, souriant à la +foule, et saluant les vieux grenadiers de son père qui lui portaient les +armes. L'idée du roi de Rome est liée à celle de ces voitures qui furent +inventées pour lui. Les deux chèvres marchent ordinairement au pas, mais +quelquefois, à un coup de fouet intempestif du jeune cocher, elles se +lâchent, s'emportent, et se mettent à cabrioler au milieu de la +promenade. Il faut alors entendre les cris des mères épouvantées! +Heureusement le danger n'est jamais considérable; le loueur retient +d'une main son attelage par les cornes, de l'autre il soutient la +calèche qui commence à loucher, et les enfants descendent, après avoir +subi toutes les péripéties d'une chute qui n'a pas eu lieu; les mères se +remettent de leurs émotions, et le public, qui a fait tout de suite +cercle autour de l'accident, se retire après s'être donné gratis la +distraction de voir des chèvres prendre le mors aux dents.</p> + +<p>Seuls les enfants du riche peuvent se permettre cette distraction à tant +l'heure; les autres enfants contemplent de loin la calèche coquette ou +la suivent d'un pas envieux. Que ne donneraient-ils pas, eux aussi, pour +s'asseoir sur ces coussins de soie! Quel que soit votre désir de +redevenir enfant, il n'est pas probable que vous le poussiez jusqu'à +vouloir vous donner le plaisir de la locomotion par les chèvres. Ce +plaisir que vous n'osez prendre, procurez-le à un de ces pauvres enfants +dont le coeur palpite rien qu'en entendant sonner les grelots qui +pendent au cou des chèvres Plus tard, il se souviendra qu'il a eu aussi +son jour de fortune, qu'il a guidé des chevaux et roulé carrosse à son +tour.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/005b.png"><br><b>Champs-Elysées.--Dynamomètre.</b></p> + +<p>Mais tous les plaisirs des Champs-Elysées ne sont pas destinés à +l'enfance, il en est qui peuvent piquer la curiosité de l'âge mur. Voici +d'abord le dynamomètre, invention toute philanthropique, au moyen de +laquelle l'homme peut faire l'essai de ses forces de la façon la plus +pacifique, un simple coup de poing, appliqué sur un plastron rembourré, +devient le témoignage irrécusable de votre vigueur ou de votre +faiblesse. Le dynamomètre a pris naissance à Tivoli. Dans les premières +années qui suivirent 1820, les femmes récemment émancipées par les +romans à la mode, recherchaient toutes les occasions de déployer les +qualités qui appartiennent à un autre sexe. Le dynamomètre, sans cesse +entouré d'athlètes féminins, répondait continuellement par zéro à tous +ces efforts qui n'aboutissaient qu'à rompre la couture fragile de +quelques gants parfumés. Aujourd'hui les femmes semblent avoir compris +que le pugilat n'est point de leur domaine, s'il faut s'en fier à l'état +d'abandon dans lequel elles laissent le dynamomètre des Champs-Elysées, +qui n'attire plus que les coups de poing distraits des rares amateurs de +cette boxe innocente.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/006a.png"><br><b>Champs-Elysées.--Le physicien.</b></p> + +<p>Si vous vous êtes livré par hasard aux fatigues de cette gymnastique, +asseyez-vous sur ce fauteuil surmonté d'un dais, et placé sur une +estrade comme un trône oriental. Tout en goûtant les douceurs du repos, +vous mettrez en pratique la maxime du sage; <i>Connais-toi toi-même.</i> Tout +à l'heure vous vous rendiez compte de votre force, maintenant vous allez +connaître votre poids. Le fauteuil sur lequel vous êtes assis est une +balance. D'une semaine, d'un mois, d'une année à l'autre, vous pouvez +mesurer les progrès de votre maigreur ou de votre embonpoint, et par +suite mobilier votre régime. Cette consultation hygiénique coûte cinq +centimes, et elle en vaut bien une autre.</p> + +<p>Maintenant la science nous réclame. Les secrets de la physique vont nous +être dévoilés par un profiteur en plein vent. Les auditeurs sont +nombreux, les appareils déployés sur une grande table. La machine +électrique fonctionne; pour un sou on se fait électriser, on assiste à +la formation de la foudre, les phénomènes de l'électricité n'ont plus de +secret pour personne, la bouteille de Leyde éclate pour tout le monde. +Qui voudrait pour la bagatelle de cinq centimes refuser de se donner +l'innocente frayeur de l'étincelle électrique? Ce cours de physique +ambulant est aussi suivi que ceux de la Sorbonne et du Collège de France. +Tout ce qui est mystérieux intéresse vivement les masses; aussi la +physique serait-elle sans rivale dans l'empressement de la foule, si la +musique n'existait pas.</p> + +<p>Autrefois les chanteurs nomades pullulaient, pour ainsi dire, dans +Paris; pas de rue, pas de place publique, pas de carrefour qui ne +retentit des accents de ces bohémiens de l'art. La poésie populaire +avait en eux d'infatigables interprètes. Malheureusement ils ne se sont +pas contentés de chanter les refrains inspirés par la muse familière, +ils ont voulu aborder la cavatine, le nocturne, la romance et même le +<i>lied</i>. Leur ambition les a perdus. Chassés des cafés, des restaurants, +sous prétexte qu'ils offensaient l'oreille délicate des habitués, à +peine si les lointains établissements du faubourg Saint-Jacques et du +quartier latin leur offrent encore de temps en temps une hospitalité +humiliante et pleine de périls. Nulle part ils ne sont reçus, les +malheureux ne sont que tolérés; de n'est plus avec l'audace triomphante +des anciens jours qu'ils se présentent avec leur guitare fêlée et leur +redingote en lambeaux. Leur air est modeste, et leur allure timide. Ils +ne chantent pas, ils fredonnent.</p> + +<p>Pauvres chanteurs ambulants, rapsodes du pauvre, chaque jour voit +disparaître une de vos illustrations. Ce n'est pas l'âge, ce n'est pas +la misère, ce n'est pas l'indifférence populaire qui cause votre perte, +c'est l'avidité barbare de ceux qui exploitent les oeuvres de la pensée. +Il y a un au à peine nous avons vu traîner sur les bancs de la police +correctionnelle ce doyen des chanteurs en plein vent, ce représentant de +la gaie science, ce troubadour en haillons, ce fameux musicien qui, tour +à tour basse ou baryton, ténor grave ou doux, a charmé les échos de tous +les carrefours, de toutes les barrières, de tous les villages, de tous +les hameaux, ce père Aubert enfin dont la réputation est universelle. +Quel crime, direz-vous, avait donc pu commettre le père Aubert?</p> + +<p>Sa voix chevrotante l'aurait-elle trahi? l'obole du peuple aurait-elle +cessé de remplir son escarcelle? Chaste poésie, voile ta face, muse, +remonte au cieux! Le père Aubert aurait-il mendié?</p> + +<p>Rassurez-vous le père Aubert n'est ni un mendiant ni un vagabond. Ou +l'accuse d'avoir violé les lois sur la propriété littéraire.</p> + +<p>Les éditeurs patentés prétendent qu'en vendant leurs chansons aux +ouvriers, aux bonnes d'enfants, aux paysans, aux grisettes, le père +Aubert nuit essentiellement à la vente, et leur avocat conclut à 500 +francs de domages-intérêts contre le délinquant. Où diable le père +Aubert aurait-il pu prendre 500 francs?</p> + +<p>Le tribunal a eu pitié de la musique nomade. Euterpe n'a été condamnée +qu'à 25 francs d'amende. Le père Aubert laissera plus d'une brillante +recette aux buissons du fisc, si le fisc parvient jamais à l'attraper: +car qui pourrait dire où est le père Albert? Peut-être chante-t-il la +<i>Marseillaise</i> dans les villages des frontières, peut-être dort-il au +bord de quelque fossé du sommeil du juste et du ménestrel, ou bien +encore charme-t-il de la Champagne avec les refrains de la grâce de +Dieu. Ses petits cahiers se vendent à foison, les sous pleuvent autour +de lui. Père Aubert, vous êtes heureux, vous recommencez la ritournelle, +vous mettez une chanterelle neuve à votre violon, tremblez, malheureux +troubadour, un huissier vous guette et va saisir votre recette parce que +vous vous êtes permis de chanter <i>Cinq sous! cinq sous!</i> sans la +permission d'un éditeur.</p> + +<p>Cette jurisprudence éloigne de Paris tous les chanteurs ambulants. Ils +ne veulent pas s'exposer aux dangers de faire la contrebande lyrique. +Voilà donc une nouvelle puissance qu'on enlève au peuple. Chassé des +théâtres par la cherté des places il avait les chanteurs nomades, les +trouvères de l'atelier, on les lui enlève; il ne lui reste plus que les +joueurs d'orgue. Nous nous attendons un de ces jours à voir une +coalition d'éditeurs réclamer 1000 francs de dommages-intérêts à des +montreurs de singes sous prétexte qu'il font voir leurs animaux sur des +airs de Meyerbeer ou de Loïsa Pujet.</p> + +<p>En attendant cette recrudescence de persécution, la musique +instrumentale triomphe. Le violon, la basse, la clarinette, retentissent +aux Champs-Elysées, bien plus que la voix humaine. L'orchestre a tué les +choeurs. C'est à peine si de loin en loin on entend une basse ou un +soprano modulant <i>le feu de Tolède</i> ou <i>Adieu, mon beau navire</i>. Plus de +sûreté d'intonation, plus d'audace dans les fioritures, plus de liberté +dans le point d'orgue. Et comment le virtuose pourrait-il donner un +libre essor à ses inspirations, quand il lui faut tendre l'oreille, non +pas à la mesure, mais au pas d'un huissier qui les guette au milieu de +leurs roulades, et attend le moment de les surprendre en flagrant délit +de contrefaçon?</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/006b.png"><br> <b>Champs-Elysées.--Les chanteurs ambulants.</b></p> + +<p>Cette première excursion aux Champs-Elysées ne serait pas complète si +nous ne jetions un rapide coup d'oeil sur la gastronomie locale. Nous ne +parlerons pas des pommes de terre frites dont la renommée est reconnue +dans le monde entier, nous laisserons les détails de côté, ce sujet nous +entraînerait trop loin. Entrons dans le restaurant Ledoyen, non point +pour y commenter la carte, mais pour y évoquer les souvenirs de notre +histoire. Nous sommes dans un restaurant politique. C'est ici que tous +les ministères tombés viennent oublier leur chute le verre à la main +Nous ne savons ce qui a valu à Ledoyen l'insigne et difficile honneur de +consoler les estomacs déchus du ministère. Que de secrets renfermés dans +ce cabinet particulier, qui a vu passer tour à tour MM. de Villèle, de +Martignac, Molé, Thiers, et bien d'autres encore dont le nom n'est pas +moins illustre! Que de confidences échangées entre la poire et le +fromage! Que de fois les ministres déchus auraient pu en sortant de chez +Ledoyen se donner le plaisir de commander la carte de leurs successeurs!</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/007.png"><br><b>Champs-Elysées.--Restaurant Ledoyen.</b></p> + +<p>La nuit est venue. Renvoyez votre promenade à demain, à moins que vous +ne préfériez courir la bague ou tourbillonner en carrousel, si vous êtes +assez heureux pour que les révélations de la balance publique ne vous +aient point interdit ces jeux.</p> + +<br><br> + +<h2>Académie des sciences</h2> + +<h4>COMPTE-RENDU DES TRAVAUX DU PREMIER TRIMESTRE DE 1843.</h4> + +<p class="mid">(Suite.--Voir page 217.)</p> +<br> + +<h3>II.--Zoologie.</h3> + +<p><i>Animaux phosphorescents</i>.--M. de Quatrefages a continué ses recherches +sur l'anatomie des animaux inférieurs qui habit eut les côtes de la +France. Ses études sur la phosphorescence de quelques-uns d'entre eux +l'ont conduit aux conclurions suivantes: 1º Il y a chez ces animaux +production de lumière sous forme d'étincelles dans l'intérieur du corps +à l'abri du contait de l'air; 2º cette production de lumière est +indépendante de toute sécrétion matérielle; 3º elle se rapproche sous ce +point de vue de la sécrétion de lumière observée chez plusieurs +poissons; 4º cette lumière se montre uniquement dans le tissu musculaire +et au moment de la contraction; 5º la production de cette lumière épuise +rapidement l'animal. Ces observations sont intéressantes en ce qu'elles +tendent à lier deux ordres de phénomènes dont l'analogie n'avait été +qu'entrevue auparavant: savoir la phosphorescence et l'électricité +animales.</p> + +<p><i>Foie des insectes.</i>-M. L. Dufour, l'un des plus habiles entomologistes +dont s'honore la France, a fait une étude approfondie de la structure et +des fonctions du foie dans les insectes. On avait cru que dans ces +animaux cet organe sécrétait à la fois la bile et l'urine; mais il a +prouvé qu'on s'était laissé abuser par des apparences, et que dans ces +animaux comme dans l'homme le foie sécrète seulement de la bile. Ces +recherches sont d'autant plus intéressantes que les fonctions du foie +étant encore mal connues, ou s'était élevé de cette double fonction chez +les insectes pour établir entre la sécrétion de la bile et celle de +l'urine une analogie qui n'exista pas.</p> + +<p><i>Lézard d'Afrique.</i>-H. Guyon a découvert à Alger l'animal connu des +Romains sous le nom de <i>Jaculus</i> et à la côte Barbaresque sous celui de +Zureig, qui exprime la même idée. Cet animal avait été entrevu par +Desfontaines, qui raconte qu'il le vit courir avec une rapidité telle +qu'il ne put s'en faire une image exacte; il le prit pour un serpent. M. +Guyon vient de constater qu'il appartient à l'ordre des sauriens +(lézards), et au genre <i>seps</i>. Sa course est d'une rapidité dont rien ne +saurait donner l'idée.</p> + +<h3>III.--MÉTÉOROLOGIE.</h3> + +<p><i>Incendies allumés par des aréolithes</i>.--Lorsque des granges ou des +meules de blé sont consumées par le feu, il arrive quelquefois que les +recherches les plus minutieuses ne peuvent faire découvrir l'origine de +l'incendie, que l'on attribue en général à la malveillance. Le juge de +paix de Moutierender a remarqué que ces incendies commençaient toujours +dans les combles et les bâtiments où il n'y a point de foyer. En +comparant les circonstances qui ont accompagné quatre incendies dans le +voisinage du lieu qu'il habile, ce magistrat fait voir que les incendies +ont été accompagnés ou précédés de chutes de globes de feu, qui ne sont +rien autre chose que des aréolithes, ou étoiles filantes en ignition. +Ainsi, le 18 novembre 1842, à onze heures du soir, une jeune fille +entrant dans sa chambre, ayant jour sur un jardin clos, vit une forte +lueur passer et frapper les vitres de sa fenêtre. Elle pensa que +quelqu'un traversait le jardin, portant un falot ou une chandelle +allumée; ayant ouvert la fenêtre, elle ne vit plus rien et n'entendit +personne. Le lendemain à deux heures du matin, le grenier de cette +chambre et ceux de quatre maisons étaient enflammés avant qu'aucun +secours eût pu être porté. Dans les premiers jours de décembre, entre +cinq et six heures du matin, on vit un globe lumineux jetant une si +grande lumière que plusieurs personnes sortirent de la maison. Suivant +le rapport de plusieurs individus, ce globe alla descendre dans une +forêt. L'auteur de la lettre cite encore d'autres exemples qui ne sont +pas moins probables. M. Arago accepte pleinement cette explication, qui +doit être connue des magistrats, afin que on ne cherche pas de coupable +là où il n'y en a point.</p> + +<h3>IV.--SCIENCES PHYSIQUES ET CHIMIQUES.</h3> + +<p><i>Nouvel acide du soufre.</i>--La découverte de ce composé est la plus +intéressante dont l'Académie ait eu à s'occuper. MM. Furdos et Gélis, +en examinant avec soin l'action de l'iode sur les hyposulfites et plus +particulièrement sur ceux de soude et de baryte, ont reconnu ce nouvel +acide, qui peut être appelé acide hyposulfurique bisulfuré. Il est +incolore et sans odeur, d'une saveur acide très prononcée, il n'a que +peu de stabilité, et même, à la température ordinaire, ses éléments +subissent peu à peu une dissociation de laquelle résulte du soufre, de +l'acide sulfureux et de l'acide sulfurique. La série des combinaisons +oxygénées du soufre, à laquelle M. Langlois a ajouté, il y a deux ans, +l'acide hyposulfurique, vient donc de s'accroître d'un nouveau composé +qui est aujourd'hui le sixième connu. Le rapport de M. Pelouze, sur le +travail de MM. Fordos et Gélis, a été très favorable: «L'Académie, +a-t-il dit, voudra encourager les efforts de deux jeunes chimistes qui, +dans une position modeste, cultivent les sciences avec tant d'ardeur et +de succès.»</p> + +<p><i>Chimie moléculaire</i>-M. Pelouze avait lu un mémoire sur l'acide +hypochloreux, suivi de quelques observations sur les mêmes corps +considérés à l'état amorphe et à l'état cristallisé. Cet académicien +avait conclu de ses expériences qu'il était important d'établir une +distinction, même au point de vue purement chimique, entre des corps qui +ne diffèrent que par un état particulier d'agrégation, tels que l'oxyde +de mercure précipité d'une dissolution mercurielle, et l'oxyde obtenu +par la calcination du nitrate, ou encore la craie et le spath d'Islande. +M. Gay-Lussac, «tout en s'associant pleinement aux éloges que mérite la +première partie du mémoire de M. Pelouze,» a critiqué les conclusions de +la seconde partie. Il a donné le détail de nouvelles expériences +desquelles il semble bien résulter que l'on ne saurait voir dans la +différence d'action du chlore, sur les deux oxydes de mercure, autre +chose que l'effet d'une cause purement mécanique. Il a rappelé aussi +que MM. Dumas et Stas ont fait brûler le diamant dans l'oxygène plus +facilement que l'anthracite et aussi bien que le carbone ordinaire.</p> + +<p><i>Chimie appliquée.</i>--Depuis longtemps M. Biot poursuit ses travaux si +remarquables sur la polarisation circulaire et sur l'application des +propriétés optiques à l'analyse chimique des mélanges liquides ou +solides dans lesquels le sucre de canne cristallisable est associé à des +sucres incristallisables. On comprend de suite toute l'importance des +procédés de ce genre pour prévenir des fraudes commerciales trop +fréquentes. On sait en effet que les sirops de sucre et les cassonades +sont souvent falsifiés à l'aide de sucre de fécule ou de raisin +(glucose), dont le prix est moindre et dont la composition chimique est +aussi différente. On sait d'ailleurs que l'action de la chaleur +détermine, dans les solutions de sucre de canne, la formation d'une +quantité de mélasse ou de sucre incristallisable d'autant plus +considérable que cette action est prolongée plus longtemps. Ou pourra +donc également se servir des procédés optiques de M. Biot pour mesurer +les proportions de sucre de canne cristallisable qui restent dans les +mélasses, en décolorant par le charbon animal les solutions que l'on en +formerait. Quelques essais de ce genre, tentés sur des mélasses des +colonies provenant des raffineries les mieux dirigées, y ont fait +découvrir au savant académicien des proportions de sucre cristallisable +très considérables, qui se sont élevées à plus de 40 p. 100 de leur +poids. Des expériences directes de M. Pelouze ont confirmé ces résultats +de M. Biot. «Ce serait un beau problème commercial à résoudre que +d'extraire des mélasses, par quelque procédé économique, une partie, +sinon la totalité, de ce sucre cristallisable qu'elles renferment pour +employer le reste, avec les portions incristallisables, à enrichir les +sucres de fécule fabriqués par les acides.»</p> + +<p><i>Photographie.</i>--M. Moeser, physicien de Koenisberg, paraît être le +premier qui ait signalé un nouveau genre d'images produites sous +l'influence de la lumière, sur une surface polie, par un corps placé +très près de cette surface. Les images de ce genre se forment sur un +verre de montre placé bien près du cadran, sur les verres placés au +devant des gravures encadrées, etc.. M. Moeser attribue ce curieux +phénomène à des radiations lumineuses; M. Knoor de Kazan y voit +l'influence de la chaleur, et donne le nom de <i>thermographie</i> à l'art +nouveau qu'il veut créer. M. Fixeau rattache tout simplement la +formation des images de Moeser à l'existence bien constatée des matières +grasses et volatiles qui souillent la plupart des corps à leur surface. +Enfin, en plaçant une médaille sur une plaque de verre au-dessous de +laquelle se trouve une plaque métallique, M. Karsten (le fils du +minéralogiste) a reconnu qu'il se forme une image sur la surface +supérieure du verre, lorsqu'on fait tomber l'étincelle d'une machine +électrique sur la médaille. Si la médaille repose sur plusieurs plaques +de verre, et que la dernière soit en contact avec une plaque de métal, +l'étincelle engendre des images sur toutes les plaques, mais seulement à +leurs surfaces supérieures. Les images les plus faibles correspondent +aux plaques les plus éloignées de la médaille. L'étincelle est +nécessaire; M. Karsten n'a pas réussi avec l'électricité de la pile: les +images, d'ailleurs, ne deviennent visibles qu'en les exposant à une +vapeur; mais le souffle le plus léger suffit. La vapeur d'eau se dépose +en gouttelettes sur toutes les parties dont l'état moléculaire a changé, +tandis qu'elle se répand uniformément là où l'électricité n'a pas +sensiblement altéré la plaque. L'effet est instantané et les dessins de +la plus grande pureté.</p> + +<p>Peu de temps après le vote de la loi qui accordait une récompense +nationale à MM. Daguerre et Niepce, M. Arago avait indiqué une +expérience très curieuse à faire au moyen du daguerréotype. M. Ed. +Becquerel, répondant à ce appel, projeta un spectre solaire et +stationnaire sur une plaque iodurée; et il reconnut, après l'expérience, +que la matière chimique était restée intacte le long des stries qui +correspondaient précisément aux raies que Frauenhofer a découvertes dans +le spectre. Sur une nouvelle indication de M. Arago, M. Ed. Becquerel a +renouvelé l'expérience en plongeant la plaque iodurée par moitié dans +l'eau et dans l'air, et il a constaté qu'il n'y a aucune différence bien +sensible entre les deux moitiés de l'image du spectre sur cette plaque. +M Arago a donné à ce sujet des développements très curieux et propres à +avancer la théorie de la lumière.</p> + +<p>M. Daguerre a communiquée l'Académie, entre autres observations +curieuses ou utiles sur l'art qu'on lui doit, un nouveau procédé de +polissage des plaques. Au moyen de ce procédé, on obtient des résultats +identiques tant que les circonstances extérieures restent les mêmes.</p> + +<p><i>Physique expérimentale.</i>--L'Académie a reçu un assez grand nombre de +communications intéressantes qui se rattachent à ce titre,</p> + +<p>M. Dupré a imaginé un appareil très simple et très ingénieux pour +remplacer la machine d'Atwood, employée exclusivement jusqu'à ce jour, +dans les cours publics, à la démonstration <i>à posteriori</i>, des lois de +la pesanteur.</p> + +<p>M. Mateucci, qui s'est livré spécialement depuis quelques années à +l'étude des phénomènes électro-physiologiques des animaux, a fait, sur +ce point important, des découvertes fort curieuses. D'abord, il a réussi +à composer une véritable pile voltaïque avec des Grenouilles disposées +de telle sorte, que les jambes de l'une posent sur les nerfs de l'autre; +et il a constaté avec le galvanomètre que le courant propre de cet +animal augmente dans l'acte de la contraction. Bien plus, il a reconnu +le courant électrique musculaire dans toutes les masses musculaires, +quel que soit l'animal. Ce courant est considérablement affaibli chez +les animaux qui ont été tués par l'hydrogène sulfuré; il l'est aussi par +l'influence du refroidissement et par celle de l'opium ingéré dans +l'estomac.</p> + +<p>L'opinion que l'huile répandue à la surface des flots peut produire du +calme est fort ancienne. Elle a été reproduite récemment par M. Van +Beek, qui a rédigé à ce sujet un mémoire inséré dans les <i>Annales de +chimie et de physique</i> du mois de mars 1842. Après avoir rapporté +plusieurs témoignages à l'appui de cette propriété merveilleuse, +l'auteur émet l'idée que l'on pourrait trouver dans l'emploi de l'huile, +pendant les tempêtes, un moyen de protéger les digues et autres +constructions maritimes contre la violence des vagues, en la versant sur +l'eau près du rivage. M. Van Beek qui est membre de l'Institut naval des +Pays-Bas, a même fait, l'année dernière, à cette société savante, une +proposition tendant à obtenir du gouvernement qu'il fît exécuter des +expériences à ce sujet. Une commission de cinq membres nommée <i>ad hoc</i> a +fait un seul essai duquel elle a tiré des conclusions défavorable à +l'idée de M. Van Beek. Cependant deux des commissaires avaient fait +séparément une expérience en versant une petite quantité d'huile dans un +ruisseau, un jour où le vent soufflait avec violence, et ils observèrent +un changement dans l'aspect et dans le mouvement de l'eau. Un autre +membre de la commission avait obtenu ce même résultat dans une +expérience semblable. Aussi M. Lipkens l'un des commissaires, a-t-il +écrit à M. Arago pour réclamer contre la manière dont ses collègues ont +opéré en son absence. Il a fait ressortir la nécessité d'opérer sur de +flots soulevés par le vent et non par des brisants, et a montré que le +jugement de la commission hollandaise ne pouvait être considéré comme +décisif.</p> + +<p>--M. Régnault a présenté à l'Académie, de la part de M. Reizet, une pile +d'une construction nouvelle, remarquable par ses effets énergiques. +Cette pile, imaginée par M. Bunsen, professeur de chimie à l'université +de Marbourg, est formée de quarante éléments, occupe très peu d'espace +et suffit pour produire tous les effets qu'on n'obtient ordinairement +qu'avec un nombre d'éléments beaucoup plus considérable. L'Académie a pu +en juger par les expériences qui ont été faites sous ses yeux.--M. +Bunsen a fait des essais relatifs à un mode d'éclairage produit par un +jet de lumière du courant entre deux pointes de charbon. Il s'est pour +cela servi d'une batterie de quarante-huit couples. Le jet de lumière, +en éloignant les pointes de charbon, pouvait être allongé jusqu'à 7 +millimètres. M. Bunsen évalue l'intensité de cette lumière à celle de +572 bougies stéariques. La dépense, pour entretenir cette lumière +pendant une heure, était: pour le zinc, 300 grammes, pour l'acide +Sulfurique, 456 grammes, et pour l'acide nitrique, 608 grammes.</p> +<br><br> + + +<h2>Le mois de mai.</h2> + +<p>Le mois de mai 1843 a eu à supporter les imputations les plus graves et +on l'a accusé d'être plus froid, plus humide, plus variable, plus +maussade que tous ses prédécesseurs. Les jardiniers, les promeneurs, les +poètes, les fleuristes, les tailleurs, les couturières l'ont accablé +d'imprécations. Voyons si ces accusations sont fondées. Plus heureux que +les magistrats, forcés d'écouter des avocats, vous n'aurez pas, ô +lecteur! de plaidoyer à subir, vous n'aurez point à peser en vous-même +la valeur douteuse d'un argument et démêler la vérité au milieu des +sophismes dont on cherche à l'obscurcir: tout se réduit à une question +de chiffres. Un mois de mai froid, c'est celui où la température moyenne +a été au-dessous de la température moyenne générale du mois de mai, +considéré dans un grand nombre d'années Or, la température moyenne du +mois de mai, déduite de quarante années d'observations métérologique +faites à l'Observatoire de Paris, est de 14°, 4. Le mois de mai 1843 a +donc été un mois froid, puisque sa température (13º, 6) est au-dessous +de la moyenne générale. Cette température a-t-elle été +extraordinairement basse? En aucune manière: il suffit, pour s'en +convaincre de jeter les yeux sur le tableau suivant, qui présente la +température moyenne et la quantité d'eau tombée pendant les mois de mai +des vingt-trois années qui viennent de s'écouler.</p> + +<pre> + Années Température Quantité de pluie + moyenne. centimètres. + + 1820 14,1 9,106 + 1821 12,1 4,610 + 1822 16,7 4,605 + 1823 15,2 5,430 + 1824 12,6 7,596 + 1825 14,2 6,436 + 1826 12,6 4,470 + 1827 14,6 11,620 + 1828 13,1 6,490 + 1829 14,9 9,030 + 1830 14,6 12,340 + 1831 14,2 6,420 + 1832 13,2 5,428 + 1833 17,7 2,305 + 1834 18,2 4,380 + 1835 13,8 4,955 + 1836 12,4 2,624 + 1837 11,0 7,921 + 1838 14,2 4,704 + 1839 13,6 3,382 + 1840 15,1 3.381 + 1841 17,3 4,606 + 1842 14,5 2,415 +</pre> + +<p>Depuis vingt-trois ans, il y a donc eu six mois de mai plus froids que +celui de 1843: ce sont ceux des années de 1821, 1824, 1826, 1832, 1836, +1837, et un aussi froid, celui de 1839. Ainsi donc le mois de mai qui +vient de s'écouler n'est point extraordinaire sous le point de vue de la +température; seulement sa moyenne est de 0º, 8 au-dessous de la moyenne +générale.</p> + +<p>A-t-il été plus pluvieux qu'il ne l'est habituellement à Paris? Ici +encore la statistique nous montre qu'il y a eu, depuis 1820 huit années +dans lesquelles la quantité d'eau tombée est supérieure à celle de 1843, +et nous voyons qu'il en est deux (1827 et 1830) où elle a été presque +double.</p> + +<p>En grand coupable qui comparait devant un tribunal après des gens +accusés de peccadilles inspire beaucoup plus d'horreur que s'il venait +précédé de scélérats qui ont fait pire que lui. En général, le jugement +sera plus sévère; c'est ce qui est arrivé au mois de mai 1843, dont nous +instruisons le procès en ce moment. En 1840, 1841 et 1842, la +température avait été supérieure à la moyenne et la quantité de pluie +peu considérable, surtout en 1840 et 1842. Il en est résulté pour le +mois de mai passé un effet de contraste tout à son désavantage et dont +il a été la victime.</p> + +<p>En résumé, on ne le citera jamais parmi les mois qui tendent à +réhabiliter sa vieille réputation en réalisant les fictions des poètes; +mais ce n'est pas non plus un de ces mois qui bouleversent les notions +astronomiques du tranquille citadin, et réveillent dans son esprit des +idées mal effacées sur le refroidissement du globe ou un changement dans +l'inclinaison de l'équateur sur l'écliptique. C'est un mois de mai un +peu au-dessous du médiocre de médiocre et ici exactement égal à 14º, 4, +parfaitement en harmonie avec tout ce qui se fait aujourd'hui, <i>Lucrèce</i> +et <i>l'Illustration</i> exceptés.</p> + +<h3>OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES.</h3> + +<h4>FAITES À L'OBSERVATOIRE DE PARIS</h4> + +<p class="mid">1843.--MAI.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/008.png"><br> + +<pre> +1 757,19 11,0 21,9 16,0 Nuageux. S. S. E. +2 753,01 9,0 22,1 15,0 Beau, quelques nuages. E. N. E. +3 754,63 8,0 21,9 14,4 Orages, tonnerre, + faible pluie. N. +4 754,01 8,9 19,0 15,0 Assez beau. S. O. +5 752,31 7,7 21,1 15,9 Nuageux. S. O. +6 748,31 11,5 21,0 15,9 Couvert, pluie. O. fort +7 748,26 6,6 17,8 11,7 Couvert. S. S. E. +8 745,00 5,5 13,9 9,4 Très nuageux. N. O. +9 749,74 4,5 11,9 7,9 Couvert. S. O. +10 756,31 4,3 16,2 9,8 Nuageux. S. O. +11 760,96 8,9 19,9 13,9 Très nuageux. N. E. +12 762,00 7,5 20,2 15,3 Couvert. S. O. +13 758,60 12,0 17,8 13,2 Couvert. O. N. O. +14 751,87 7,0 21,0 15,4 Couvert. S. S. E. +15 749,80 10,0 19,8 14,5 Couvert. O. N. O. +16 745,20 8,2 16,0 11,8 Pluie. S. O. fort. +17 746,17 6,0 16,0 10,6 Couvert. O. S. O. +18 750,33 8,5 15,3 11,6 Couvert. N. N. O. +19 754,90 8,3 15,1 11,4 Couvert. O. N. O. +20 752,36 9,8 25,0 15,9 Très nuageux. E. +21 751,48 11,0 19,0 14,7 Couvert. S. O. +22 752,24 10,8 18,8 14,5 Couvert. O. S. O. +23 748,68 11,0 22,8 16,4 Couvert. S. E. +24 746,74 13,3 19,0 15,9 Couvert. S. S. E. +25 749,92 15,1 20,8 17,7 Nuageux O. +26 754,62 10,4 17,8 13,6 Couvert. S. E. assez fort. +27 750,28 12,0 19,2 15,3 Couvert. S. O. +28 750,28 11,0 17,3 13,9 Couvert. O. S. O +29 757,24 10,3 18,0 13,8 Couvert, pluie. O. fort. +30 760,98 8,1 17,8 12,6 Couvert O. N. O. faible +31 757,75 12,0 20,8 16,0 Couvert S. S. O. + + 752,63 9,3 18,8 13,6 (Moyenne) + +Pluie dans la cour, 8 cent. 355 +Pl. sur la terrasse, 5 cent. 930. +</pre> + +<br><br> + +<h2>De la galvanographie.</h2> + +<p>Il y a déjà quelques années qu'un savant anglais, M. Thomas Spencer, de +Liverpool, en étudiant l'action réductive exercée par les courants +galvaniques sur les métaux dissous, découvrit que le cuivre ainsi +revivifié de ses dissolutions dans les acides possédait la propriété de +mouler la surface métallique sur laquelle on le précipitait, avec une +exactitude telle, que les moindres modifications de cette surface, les +stries du poli et jusqu'aux accidents de coloration, étaient reproduits +avec la plus merveilleuse fidélité. En donnant la publicité à cette +curieuse découverte, M. Spencer indiqua les principales applications qui +en pourraient être faites aux arts plastiques et à l'industrie; et il +fit voir comment, en envisageant un dessin comme une surface présentant +à la fois des saillies et des dépressions, on pourrait arrivera +transformer directement, et sans aucun recours au burin, le travail du +dessinateur en une planche en cuivre gravée soit en relief soit en +creux.</p> + +<p>Quelque temps après, M. Jacobi de Saint-Pétersbourg, fut également +conduit à découvrir cette curieuse propriété plastique du cuivre réduit +par courant galvanique; et il donna au public connaissance de sa +découverte, d'abord dans une lettre adressée à Michael Faraday et +publiée par celui-ci dans le <i>Philadelphia Magazine</i> (septembre 1839), +puis dans une série de lettres écrites au prince de Démidoff, et qui +parurent en 1840 dans le journal <i>'Artiste.</i> C'est depuis cette époque +surtout que de nombreuses tentatives ont été faites pour résoudre le +problème indiqué par M Spencer, tentatives qui n'ont point encore obtenu +un plein succès, mais dont les résultats déjà acquis permettent +d'affirmer que, dans un avenir qui n'est pas éloigné, le travail du +graveur pourra être entièrement supprimé, et l'oeuvre du dessinateur +pourra être placée, par une simple opération chimique, dans des +conditions qui en permettront la reproduction indéfinie.</p> + +<p>La reproduction d'une oeuvre d'art ou d'un signe graphique quelconque +par la voie de l'impression est aujourd'hui effectuée à l'aide de trois +procédés différents, dont nous devons indiquer les caractères +distinctifs: l'impression typographique, l'impression en taille douce et +l'impression lithographique. Ces trois procédés exigent également que +l'oeuvre à reproduire soit tracée sur une surface résistante et dont la +planimétrie soit parfaite, c'est là leur caractère commun: ils diffèrent +en ce que, dans le premier procédé, le trait ou la ligne qui doit +marquer fait saillie au-dessus du plan de la surface; dans le second il +est au contraire déprimé au dessous de ce plan, et dans le troisième, il +est contenu dans le plan, et n'est représenté que par un état +particulier de la surface elle-même. Ces trois artifices ont le même +but; celui de permettre que l'encre d'impression, distribuée sur ces +surfaces à l'aide d'un tampon ou d'un rouleau, aille s'arrêter ou +s'accumuler en quantités rigoureusement déterminées sur certaines +portions de la surface seulement, de telle sorte que ces portions-là +seules puissent donner épreuve en transmettant sous le foulage de la +presse, à la feuille encore humide de papier, les portions d'encre +qu'elles ont reçues.</p> + +<p>Dans l'impression typographique les lignes à reproduire font saillie sur +le plan métallique mobile que l'on appelle la forme. Un rouleau +cylindrique, formé d'une pâte molle et élastique, et dont la surface +lisse et unie est revêtue d'une mince couche d'une encre épaisse et +grasse, effleure rapidement les lignes en saillie, laissant sur chacune +d'elles une portion de son encre sans atteindre les fonds ou le +intervalles qui les séparent, la quantité d'encre que reçoit chacune +d'elles étant proportionnelle à sa largeur et à sa hauteur absolue +au-dessus du plan de la forme. Alors un plateau métallique parfaitement +plan et parfaitement parallèle aussi à la surface de la forme, s'abaisse +sur celle-ci, et comprime sur les saillies noircies d'encre la feuille +de papier qui en doit recevoir l'empreinte et dans laquelle elles +s'impriment. Avec les dispositions mécaniques que l'on possède +aujourd'hui, l'opération tout entière s'exécute en moins de cinq +secondes.</p> + +<p>Dans l'impression en taille-douce, au contraire, les lignes à reproduire +sont entaillées plus ou moins profondément dans une planche métallique +d'acier, de cuivre ou d'étain. L'encre d'impression, distribuée d'abord +grossièrement sur toute la surface de la planche, est ensuite ramenée +avec soin dans toutes les tailles, et enlevée avec plus de soin encore +de toutes les parties qui doivent venir blanches à l'épreuve; puis la +planche de métal et la feuille de papier passent toutes deux entre deux +cylindres de fonte, et, sous l'écrasement d'une pression énorme, le +papier pénètre jusqu'au fond des tailles, et s'y imprègne de l'encre que +la main de l'imprimeur y a laissée. L'impression en taille-douce est, à +vrai dire, un procédé de moulage, et la pile du papier humide est une +matière plastique qui donne la contre épreuve en relief du moule en +creux, la planche gravée.</p> + +<p>Les procédés de l'impression lithographique reposent sur une tout autre +donnée: c'est la propriété, commune à toutes les surfaces polies de se +comporter d'une façon toute spéciale suivant qu'elles ont été +primitivement souillées par un corps gras ou un liquide aqueux, par +l'huile, par exemple, ou par l'eau. Il n'est personne peut-être qui +n'ait remarqué que certaines surfaces polies à un haut degré, celles des +bois vernis, de la glace, du marbre, et plus spécialement encore toutes +les surfaces métalliques parfaitement nettes et brillantes, ne se +mouillent pas d'ordinaire au contact de l'eau. Ce contact a beau être +prolongé, on a beau lasser sa plieuse à étaler le liquide dans l'espoir +d'en former une pellicule uniformément étendue sur toute la surface +polie, il semblerait que celle-ci exerce sur le liquide une sorte +d'action répulsive, et qu'elle le contraint à se retirer sur lui-même en +gouttelettes sphéridales qui ne conservent avec cette surface que les +rapports les plus limités possibles. Si maintenant, sur une surface +polie qui présente ce phénomène de ne point mouiller avec l'eau, on +verse une goutte d'huile, un phénomène tout inverse du premier se +produit. La gouttelette, d'abord globuleuse, s'aplatit de plus en plus +et devient lenticulaire; les bords vont sans cesse s'élargissant pour +envahir un espace plus grand, et la surface entière, si grande qu'elle +soit, pourra être complètement recouverte par une toute petite goutte +d'huile qui y formera une pellicule adhérente, sans solution de +continuité aucune, et tellement mince qu'elle pourra paraître irisée +comme la paroi d'une bulle de savon. Mais si, au contraire, par un +artifice quelconque, la surface polie a été mise dans des conditions +telles qu'elle mouille avec l'eau, alors, sur cette surface une fois +humide, il sera impossible de faire adhérer l'huile, et le rôle de ces +deux liquides sera complètement interverti. En fait, une surface polie +est indifférente soit à l'huile soit à l'eau; mais aussitôt que l'un de +ces liquides vient à toucher cette surface il y adhère en formant une +pellicule infiniment mince, et c'est cette pellicule du premier liquide, +quel qu'il soit, qui exerce une action véritablement répulsive sur le +second.</p> + +<p>C'est cette propriété des surfaces polies qui est mise en oeuvre dans +l'impression lithographique et dans certains procédés de transport sur +métal, dont nous aurons peut-être à parler par la suite, et qui +paraissent destinés à prendre une grande extension, sinon à remplacer +complètement les procédés du stéréotypage. Un dessin sur pierre n'est +autre chose, en effet, qu'une surface polie dont certaines portions, les +traits du dessin, mouillent avec l'huile et les corps gras, tandis que +les autres, les blancs ne mouillent qu'avec l'eau ou les liquides +aqueux. Sur cette surface l'imprimeur passe alternativement une éponge +imbibée d'eau et un cylindre imprègne d'une encre grasse: les deux +liquides s'arrêtent, se déposent, se limitent là où l'état spécial de la +surface les retient, et la feuille de papier, sous le foulage de la +presse, va à son tour s'en imprégner.</p> + +<p>Ces détails étaient nécessaires pour faire comprendre les difficultés +pratiques de la question que nous allons maintenant aborder; ils étaient +nécessaires surtout pour que l'on pût bien saisir l'énorme importance de +la gravure en relief, de celle dans laquelle les traits à reproduire, +faisant saillie sur le fond de la planche, donnent épreuve à la presse +typographique. Une seule planche en cuivre» gravée en relief, pourra +fournir au tirage mécanique jusqu'à 15,000 épreuves par jour, et cela +pendant tant de jours que l'on voudra, ou peu s'en faut; et la même +planche, gravée en creux, ne donnera guère à la presse en taille-douce +que 3,000 épreuves en tout, à raison de 200 épreuves par jour. Les +procédés de transport sur pierre ou sur métal sont plus limités encore, +et la cinq-centième épreuve d'un dessin sur pierre n'est plus qu'une +grisaille où l'on ne reconnaît plus ni couleur, ni modelé, ni forme.</p> + +<p>Or, c'est dans la possibilité de multiplier indéfiniment, avec une +rapidité extrême et à très bas prix, le nombre des épreuves, que git +aujourd'hui tout le problème: ce n'est plus que sur des tirages de dix, +de vingt, de trente mille exemplaires que peuvent être basées les bonnes +opérations de librairie.</p> + +<p>Cela dit, voyons par quels artifices on peut, à l'aide d'un courant +galvanique, transformer le dessin d'un artiste en une planche en cuivre +gravée en relief, et capable de donner un nombre indéfini d'épreuves à +la presse typographique.</p> + +<p>Toutes les applications qui ont été faites jusqu'ici des courants +galvaniques aux besoins de l'industrie reposent sur la propriété +suivante:</p> + +<p>Lorsque qu'on fait passer, à l'aide de deux surfaces métalliques, un +courant galvanique à travers une solution saline convenablement choisie, +la surface par laquelle le courant débouche dans la solution est +attaquée, corrodée, dissoute, et le métal entraîné est charrié par le +courant vers l'autre surface, sur laquelle il est revivifié et précipité +à l'état métallique. Mais, pour que cette action ait lieu également? sur +toute l'étendue des deux surfaces, il faut que ces deux surfaces soient +sur toute leur étendue dans des conditions identiques et également +exposées à l'action du courant; car si certaines portions de ces +surfaces, et certaines portions seulement, étaient recouvertes d'une +courbe protectrice quelconque, celles-là ne seraient pas modifiées par +le passage du courant, dont l'action s'exercerait exclusivement sur les +parties qui ne seraient pas ainsi protégées.</p> + + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="echiquier"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;"> +<p class="mid"><img alt="" src="images/009a.png"></p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;"> +<p class="mid"><img alt="" src="images/009b.png"></p> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + + +<p>Or, la surface métallique par laquelle le courant galvanique débouche +dans la solution saline, ainsi que celle par laquelle il s'en échappe, +peut-être du dessin, et l'action du courant qui passe peut être utilisée +soit à déposer du métal sur les traits du dessin au pôle négatif, soit à +enlever du métal d'entre les traits du dessin au pôle positif. Voici +comment.</p> + + + +<p>Soit une planche de cuivre rouge dont le poli et la planimétrie soient +suffisamment parfait pour satisfaire aux exigences du tirage +typographique. Sur cette planche un étale à chaud une couche si mince +que l'on voudra d'un vernis résineux quelconque, et les vernis dont on +fait usage sont en général composés de térébenthine de Venise, de poix +blanche, de suif et de noir de fumée. Cette planche ainsi préparée est +livrée à l'artiste, qui y trace son idée à l'aide d'un stylet +suffisamment résistant pour entamer l'épaisseur du vernis. Son travail +terminé, la planche est pour l'artiste un véritable dessin dans lequel +les noirs sont représentés par les surfaces de cuivre mises à nu, les +blancs ou les clairs par les surfaces intactes. Pour le chimiste, au +contraire, cette planche ne sera qu'une surface métallique dont les +différentes portions sont placées dans des conditions différentes, +celles-ci étant livrées unes à l'action d'un courant, celles-là étant +complètement abritées de cette action sous leur couche de vernis. Que +l'on dispose, en effet, une planche ainsi préparée dans une solution +d'un sel de cuivre, au pôle par lequel le courant s'échappe de la +solution, incontinent le métal que le courant charrie avec lui se +déposera sur tous les points où la surface du cuivre a été mise à nu, et +il ne s'en déposera pas un atome en aucun autre point. Molécule par +molécule le dépôt s'agrandira là où une fois il a commencé de +s'effectuer, et les traits du dessin s'élèveront comme de petites +murailles, et se détacheront en saillie sur le plan du vernis.</p> + +<p>Renversons les conditions de l'expérience. Soit, comme tout à l'heure, +une planche métallique convenablement dressée, et supposons que +l'artiste trace sur cette planche son dessin avec une encre grasse, +siccative et inattaquable aux acides. Que la planche ainsi préparée soit +placée dans une solution d'un sel de cuivre, mais cette fois-ci au pôle +par lequel le courant y débouche; et aussitôt l'action du courant +s'exercera à entailler le métal dans l'intervalle des traits; et +ceux-ci, au bout d'un certain temps fort court, surgiront en relief, +leurs bords taillés à pic avec une netteté et une précision auxquelles +le burin le plus hardi et le plus habile ne saurait atteindre.</p> + +<p>Telles sont les deux idées principales sur lesquelles reposent toutes +les tentatives sérieuses de galvanographie: obtenir un relief par dépôt +au pôle négatif, par érosion au pôle positif. Viennent maintenant les +difficultés d'exécution, et celles-ci sont nombreuses et malaisées à +surmonter.</p> + +<p>Dans le procédé opératoire que nous avons indiqué en premier lieu, c'est +le trait même du dessinateur qui devient le moule dans lequel vient se +déposer le cuivre réduit; et les moindres intentions de l'artiste se +trouvent ainsi reproduites avec cette merveilleuse fidélité qui +caractérise le moulage galvanique. Mais ce sillon lui-même, tracé avec +une pointe conique ou triangulaire, est une tranchée à bords obliques +dont le bord seul représente le trait du dessinateur. A mesure que ce +sillon est comblé par les molécules de cuivre qui s'y précipitent, le +trait s'élargit, et le premier mérite du procédé, sa merveilleuse +exactitude, est dès lors sacrifié. Pour qu'il en fût autrement, il +faudrait que la taille faite par le stylet dans le vernis fût à bords +verticaux; et c'est déjà là une condition à peu près impossible à +réaliser. D'ailleurs, cette condition fut-elle réalisable, la solution +du problème n'en serait guère plus avancée pour cela. En effet, la +taille dont il est question forme, à la vérité, une digue qui limite le +dépôt de cuivre tant que cette taille n'est pas comblée; mais aussitôt +que cette limite est franchie, le cuivre déborde de toutes parts: les +lignes voisines se confondent par leurs sommets, et pour peu que les +tailles du dessin soient serrées, le dépôt ne forme plus qu'une croûte +massive et continue, dans laquelle les formes les plus saillantes de +l'oeuvre sont à peine indiquées.</p> + +<p>A la vérité, l'on a tiré parti de ce résultat pour résoudre le problème +sous une autre forme. Considérant un dessin tracé dans un vernis, à +l'aide d'une pointe, comme un moule à bon creux dont toutes les parties +sont de dépouille, on a déposé dans ce moule du métal plastique, et on a +prolongé le dépôt jusqu'à former une masse solide et continue: puis on a +détaché la contre-épreuve du moule. Ici le travail du dessinateur était +bien représenté par une planche en cuivre gravée en relief; mais ce +relief n'avait, et ne pouvait avoir, que l'épaisseur même de la couche +de vernis, dans laquelle le dessin était tracé; et l'on s'est trouvé +renfermé entre les deux termes de ce dilemme jusqu'ici insoluble: +exécuter le dessin dans un vernis épais, ce qui enlève au dessinateur +toute la liberté et la souplesse de son crayon; exécuter le dessin dans +un vernis mince, ce qui enlevé à la reproduction les reliefs qu'exigent +les procédés de l'impression typographique.</p> + +<p>Le deuxième mode opératoire que nous avons indiqué offre également des +difficultés, mais elles sont d'un autre ordre. Ce ne sont plus les +procédés de gravure, mais les procédés de dessin qui sont en défaut. Il +ne s'agit plus, en effet, d'édifier une petite muraille de cuivre sur +chacun des traits du dessin, mais bien de creuser entre chacun d'eux une +fosse plus ou moins profonde; il s'agit, en d'autres termes, d'attaquer, +de ronger, de dissoudre toutes les portions de la surface de cuivre que +les traits du dessin ne protègent pas, en laissant entièrement intactes +celles qui sont ainsi abritées; et pour cela faire il faut bien que +toutes les portions qui doivent être enlevées soient également +attaquables, que toutes celles qui doivent rester intactes soient +également protégées. Ce sont là les deux conditions que devra remplir le +procédé de dessin que l'on mettra en usage: et les procédés dont nous +avons aujourd'hui connaissance ne nous paraissent pas encore de nature à +remplir toujours, partout, et dans tous les cas, ces indispensables +conditions. Toutefois, les gravures de W. Rémon, qui accompagnent cet +article, et qui ont été obtenues sur de simples dessins, l'aide de +procédés semblables à ceux que nous venons d'indiquer, sont de nature à +convaincre nos lecteurs que si le problème n'est pas encore entièrement +résolu, il touche du moins de bien près à la solution.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/009c.png"></p> + +<p>Quant à l'avenir qui est réservé à la galvanographie, il est difficile +aujourd'hui d'en préciser les limites. Peut-être l'art typographique +tout entier touche-t-il à une rénovation complète; et, chose singulière, +cette rénovation ne serait qu'une renaissance des procédés anciens, que +la découverte de l'imprimerie a fait tomber en désuétude. La tablette +enduite de cire et le stylet remplaceraient le papier et le crayon; le +copiste ou l'enlumineur succéderait à son tour à l'ouvrier compositeur, +qui jadis lui succéda; et l'inépuisable richesse et la variété des +anciens manuscrits pourraient bien renaître à la place de la sécheresse +et de l'uniformité de notre impression moderne.</p> + +<p><i>N. B.</i> Les gravures qui accompagnent cet article ont été faites, à +titre d'essai, sur des dessins que M. Garvani destine à une importante +publication, qui paraîtra en octobre chez M. Hetzel, éditeur du <i>Voyage +où il vous plaira</i> et des <i>Scènes de la vie privée et publique des +animaux.</i></p> + +<br><br> + +<h2>Théâtres.</h2> + +<h4>THÉÂTRE DE L'OPÉRA-COMIQUE,</h4> + +<p><i>Angélique et Médor</i> opéra comique en un acte, paroles de M, <span class="sc">Sauvage</span>, +musique de <span class="sc">M. A. Thomas</span>.</p> + +<p>Nous avons une vieille dette à payer à l'Opéra-Comique. Il y a un mois +au moins que ce titre d'un si heureux augure a décoré pour la première +fois son affiche, et MM. Sauvage et Thomas ont raisons de se plaindre +que nous n'ayons pas encore donné de leurs nouvelles aux lecteurs de +<i>l'Illustration</i>. Passe encore, si nous n'avions eu à raconter qu'une +défaite! Ces messieurs auraient pris patience, sans doute, et nous +auraient su gré de nos lenteurs. Mais retarder de quatre semaines le +bulletin d'une victoire! voilà qui est impardonnable. Nous confessons +humblement notre faute, et nous nous recommandons à la clémence de M. +Sauvage et à la grandeur d'âme de M. Thomas.</p> + +<p>Quoique jeune. M, Thomas a déjà fourni une assez longue carrière +dramatique. Il est du petit nombre des lauréats du Conservatoire pour +qui se sont ouvertes comme d'elles-mêmes, les portes d'airain de ce +sanctuaire de l'Opéra-Comique, accessible à si peu d'élus. M Thomas a +déjà produit six partitions pour le moins: <i>la Double échelle, le +Perruquier de la régence, le Panier fleuri, Carmaquala, le guérilléro</i> +et enfin, <i>Angélique et Médor</i> Si nous omettons quelqu'un de ses titres, +qu'il nous le pardonne; l'oubli est tout-à-fait involontaire.</p> + +<p>A l'Opéra-Comique les essais de M. Thomas ont été plus ou moins heureux; +mais enfin il n'a jamais essuyé de revers Les deux campagnes qu'il a +faites sur la scène de l'Académie royale de Musique n'ont pas eu un +résultat aussi favorable. Est-ce parce que les auditeurs y sont plus +difficiles, ou bien parce qu'un terrain plus vaste exige plus de vigueur +et d'haleine chez celui qui veut le parcourir? l'un et l'autre +peut-être. Mais, sans examiner aujourd'hui cette question, bornons-nous +à constater que la place Fayard vient d'offrir à M. Thomas un honnête +dédommagement des échecs que la rue Lepelletier lui a vu subir.</p> + +<p>Les qualités prédominantes chez M. Thomas sont la clarté, la facilité, +l'élégance et la grâce; ce qui paraît lui manquer c'est la verve, la +force, la passion. On a donc le droit de présumer qu'il réussira sans +peine à l'Opéra-Comique, à moins qu'il n'ait à traiter un sujet trop +dramatique, et à l'Opéra, il paraîtra souvent au-dessous de sa tâche.</p> + +<p><i>Angélique et Médor</i> était justement un livret tel qu'il le faut à ce +compositeur. Rien de mieux dans le sujet ni dans les caractères, aucune +situation forte, aucune scène trop vive, aucune passion trop énergique; +des sentiments tendres, des idées gracieuses ou plaisantes. M. Thomas +était là sur son terrain, et tout-à-fait à son aise. Il y a bien paru.</p> + +<p>Son ouverture n'est, à proprement parler qu'une longue valse, précédée +d'une courte introduction. L'introduction est agréablement instrumentée, +modulée d'une manière piquante. La valse est fraîche, vive, et légère, +et se développe avec une grâce où l'on reconnaît l'habileté de l'auteur.</p> + +<p>Il y a une très jolie romance, et un de ténor qui nous a paru fort +élégant, mais que le chanteur à qui il est confié rend lourd et gauche. +Il est presque toujours imprudent de compter sur l'agilité des chanteurs +d'aujourd'hui. Ajoutez-y un duo très bien fait, un trio charmant, et +deux airs bouffes peu remarquables en eux-mêmes, mais qui, du moins, ne +nuisent pas à l'effet des autres morceaux, et vous comprendrez que le +total forme un ensemble assez satisfaisant. Il n'en faut pas tant pour +faire vivre longtemps et bien une partition en un acte.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/010.png"><br><b>Théâtre de l'Opéra-Comique.--Une scène d'Angélique et +Médor.</b></p> + +<p>La pièce, d'ailleurs, est amusante et spirituelle, et l'on y rit de très +grand coeur de la sottise de Joliveau et des méprises de Mirouflet.</p> + +<p>Joliveau! Mirouflet! voilà des noms qui sonnent bien étrangement à +l'oreille, et qu'on ne s'attendait guère à trouver en compagnie de ces +noms si poétiques et si mélodieux q'Angélique et de Médor.</p> + +<p>C'est pourtant l'histoire de Joliveau et de Mirouflet que je vais vous +raconter, et aussi celle de Muguet; car, pour ce qui d'Angélique et de +Médor, vous en savez sur eux autant que moi, j'aime à le croire.</p> + +<p>Mirouflet est cordonnier, établi, et exerçant <i>de père en fils</i> sa noble +profession rue Brise-Miche, A peine au sortir de l'enfance, Muguet fut +placé chez lui en apprentissage; mais la nature n'avait point destiné le +jeune Muguet à chausser ses semblables; le cuir lui répugnait et le +tranchet lui faisait peur. Vous voyez que ce nom de Muguet lui allait à +merveille. Un jour il s'échappa de la boutique du père Mirouflet, et dit +adieu pour toujours à la rue Brise-Miche. Que loi arriva-t-il, une fois +lancé dans le monde? Sans doute assez d'aventures pour remplir toute une +Odyssée; mais, il n'a pas écrit ses confessions comme Jean-Jacques, et +il faudra, faute de mieux, vous contenter du dernier épisode.</p> + +<p>Le voilà donc, cet ancien élève de saint Crépin, coquettement poudré et +vêtu à la dernière mode,--mode de 1780, s'il vous plaît,--portant bas de +soie, boucles d'or, gilet de satin, jabot de dentelle et habit gorge de +pigeon. Où le retrouvons-nous? à l'Opéra, dans le cabinet de M. le +secrétaire général de cet harmonieux établissement. Il vient de signer +un contrat par lequel il met pour trois ans à la disposition de +l'Académie royale de Musique sa jambe faite au tour, ses yeux en amande, +sa bouche en coeur et son <i>la</i> de poitrine, le plus beau <i>la</i> de France +et de Navarre, Cette supériorité n'a rien d'étonnant: Muguet arrive +d'Italie, et c'est à Naples qu'il a trouvé ce <i>la</i> merveilleux.</p> + +<p>Il y a rencontré autre chose encore: une jeune Française, propriétaire +d'un joli visage, d'une tournure élégante et d'une charmante voix. +Muguet a donné à mademoiselle Amélie des leçons de chant, dont elle a +bien profité; mais, tandis que la bouche du fripon parlait <i>flautat</i> et +<i>trille molle</i>, il parait que ses yeux disaient tout autre chose, et +avaient su se faire comprendre: si bien que maître Muguet, ténor moral +et vertueux, se disposait à demander Amélie à sa mère, quant tout à coup +cette mère mourut, et mademoiselle Amélie quitta subitement l'Italie.</p> + +<p>Jugez de la joie du jeune ténor, quand il l'aperçoit, à l'Opéra, dans le +cabinet de M. Joliveau! Elle est engagée, comme lui, et doit, le soir +même, jouer le rôle d'Angélique dans l'opéra de <i>Roland</i>, où il jouera +celui de Médor. Malheureusement elle n'est pas seule: un grand +personnage, M. le duc de Vaudiéres, la protège, la suit partout, et se +mêle de toutes ses affaires: et M. Joliveau prétend qu'un grand seigneur +ne fait pas cela pour rien. Le drôle a été nourri dans un sérail, il a +de l'expérience, et on peut l'en croire. Muguet l'en croit, mais il veut +du moins revoir encore une fois son infidèle, et lui dire tout ce qu'il +pense de son procédé. Comment y parvenir? C'est ici que Mirouflet lui +est d'un secours inappréciable.</p> + +<p>Mirouflet est en effet le professeur de chant de mademoiselle Amélie, +depuis qu'elle est à l'Opéra. Cela vous étonne, et vous me demandez, +sous quel prétexte cet honnête Mirouflet a changé d'état? Rassures-vous, +Mirouflet n'a point quitté la rue Brise-Miche. Mirouflet est tout-à-fait +incapable d'une infidélité, même passagère envers la botte et +l'escarpin. Mois ces deux belles professions, de cordonnier et de maître +de chant, ont bien plus d'analogie qu'il ne vous semble. Quel est, des +deux côtés, le point essentiel, le fondement de l'art, le principe sur +lequel doit être basé l'enseignement?</p> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i20"> C'est la mesure</p> +<p class="i20"> Exacte et sure,</p> +<p class="i20"> Tout me l'assure,</p> +<p class="i20"> Tout dépend de là.</p> +</div></div> + +<p>Cette vérité frappe si vivement M. le duc, qu'il exige que sa protégée +reçoive la première leçon séance tenante Or, Mirouflet n'a rien à +refuser à Muguet. Muguet paraît tout à coup, voyez la gravure, et se +glisse entre le maître et l'élève; y a-t-il rien de plus audacieux à la +fois et de plus indiscret.</p> +<br><br> + +<h2>Ameublements.--Salon Louis XV.</h2> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/011a.png"></p> + +<p>La Révolution, en nivelant les conditions, a donné à chacun le droit de +se meubler suivant son caprice et sa fortune. Mais, avant de jouir de +cette liberté, les lambris dorés, les gracieuses peintures des Boucher +et des Vanloo ont été badigeonnées, quand trop de zèle n'a pas poussé +les iconoclastes politiques à gratter ces chefs-d'oeuvre. Mais quand on +eut détruit, il fallut reconstruire. La maison française se reniant +elle-même, prit les noms et les vêtements des Grecs et des Romains, +oublia que nos moeurs et notre climat s'y opposaient. Les campagnes +d'Égypte et d'Italie et les évènements politiques eurent une influence +plus ou moins grande sur les costumes et les ameublements. Les arts +resteront étrangers pendant longtemps aux décorations intérieures. Les +ouvriers ignorants dirigeaient en maîtres absolus. De ce chaos est sorti +le mauvais goût généralement désigné sous le nom de modes de l'Empire. +Les source auxquelles on avait puisé étaient bonnes sans doute, mais on +manquait d'exécution et de sentiment. La paix vint donner un nouvel +essor aux arts.</p> + +<p>On commença à sortir du labyrinthe dans lequel on marchait depuis +quarante ans. L'ouvrier, dans le massacre du passé, confondit les +époques en croyant inventer: mélange blessant pour l'oeil de l'artiste. +Notre époque s'est imposé une tâche digne d'encouragement en rendant à +chacun ce qui lui appartient.</p> + +<p>Dans le brillant salon exécuté par la maison Girond de Gand (et que +notre gravure représente), nous ne nous lassons pas d'admirer le goût et +le savoir tapissier. Les meubles ne sont pas scrupuleusement de la même +époque que les tentures; mais le modèle est choisi dans ce qui s'en +rapproche le plus. Les bronzes, quoique lourds, sont d'un beau travail +et d'un charmant effet. Nous en dirons peut-être autant du dessin de la +cheminée et des vases de Chine qui supportent les candélabres, surtout +quand on les compare à la légèreté des rinceaux qui courent autour des +glaces, des tapisseries, et s'étendent jusqu'au plafond. En résumé, +l'ensemble de ce salon est d'une heureuse invention. Si nous avons fait +quelque critiques, c'est dans l'espérance de voir ces légers défauts +disparaître.</p> + +<br><br> + +<h2>Amusements des sciences.</h2> + +<h4>SOLUTION DES QUESTIONS POSÉES DANS LE DERNIER NUMÉRO.</h4> + +<h3>I.</h3> + +<p>Donnez un liard et faites rendre un centime à chacune des vingt +personnes. Vous aurez distribué vingt liards ou cinq sous, et vous +recevrez vingt centimes ou quatre sous. En définitive, vous n'aurez +dépensé qu'un sou, qui se trouvera partagé en vingt parties égales.</p> + +<h3>II.</h3> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/011b.png"></p> + +<p>La figure précédente indique la solution, lorsque l'on veut partir d'une +case située à l'un des quatre angles. Les numéros des 64 cases de cette +figure indiquent;'ordre dans lequel elles doivent être successivement +parcourues partir de la case 1. Ainsi le Cavalier, posé d'abord sur la +case à l'angle 1, sautera sur la case 2, puis sur la case 3, et ainsi de +suite jusqu'à la case 64, où se termine sa course. Il est facile de voir +que la marche pourrait être suivie en partant de la case 64, parcourant +successivement 63, 62, etc., jusqu'à la case 1. Cette solution en +comprend donc implicitement 12, puisqu'elle s'étend à trois cases prises +pour point de départ sur chacun des quatre angles de l'échiquier.</p> + +<p>Voici un moyen aussi simple qu'amusant de trouver, à volonté des +solutions du problème: prenez 64 petits carrés de carton que vous +partagerez en deux cases, dans chacune desquelles sera inscrit l'un des +huit nombres compris entre 1 et 8. Cherchez à disposer ces 64 carrés les +uns à coté des autres, ou en plusieurs bandes les unes au-dessous des +autres, de telle sorte que dans deux carrés successifs la différence des +nombres supérieurs soit égale à 1 ou à 2, celle des nombres inférieurs +étant 2 ou 1. Vous formerez une suite du genre celle que nous donnons +ci-après écrite en quatre bandes parallèles; et, pour faciliter les +comparaisons, nous avons répété en tête de chacune des trois dernières +bandes le carré qui termine la précédente. On voit facilement que tous +les nombres de cette suite satisfont à la condition énoncée. Ainsi dans +les deux premiers carrés, la différence entre les nombres supérieurs 8 +et 7 est 1; la différence entre les nombres inférieurs 1 et 3 est 2; les +différences entre 3 et 1, puis 7 et 8 du sixième et septième carré, sont +respectivement 2 et 1. De même pour les autres.</p> + +<pre> + 8 7 8 7 5 3 1 2 1 2 4 6 8 7 8 6 + - - - - - - - - - - - - - - - - + 1 3 5 7 8 7 8 6 4 2 1 2 3 5 7 8 + +------------------------------------------------------------------ + +6 4 2 1 2 1 3 5 7 6 8 7 8 6 4 2 1 +- - - - - - - - - - - - - - - - - +8 7 8 6 4 2 1 2 1 3 4 6 8 7 8 7 5 + +----------------------------------------------------------------- + +1 2 1 3 5 7 5 6 8 7 8 7 5 3 1 2 1 +- - - - - - - - - - - - - - - - - +5 3 1 2 1 1 3 1 2 4 6 8 7 8 7 6 3 + +----------------------------------------------------------------- + +1 2 4 3 4 6 4 3 5 4 3 5 5 4 3 5 6 +- - - - - - - - - - - - - - - - - +3 1 2 4 6 5 4 6 5 3 5 6 4 5 3 4 6 + +----------------------------------------------------------------- +</pre> + +<p>Cela posé, convenons que le nombre supérieur désigne le numéro d'une +case de l'échiquier compté de gauche à droite, et que le nombre +inférieur désigne le rang de la bande où est cette case, de haut en bas. +8/1 représentera la huitième case à droite sur la première bande d'en +haut; 7/3 sur la septième case à droite de la troisième bande comptée de +haut en bas, et ainsi de suite. Alors il ne reste plus qu'à faire suivre +au cavalier, sur l'échiquier, la marche indiquée par la suite de nos +petits carrés de carton.</p> + +<p>La figure ci-après est l'expression de la solution donnée par la suite +précédente.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/011c.png"></p> + +<br><br> + +<h3>NOUVELLE QUESTION À RÉSOUDRE</h3> + +<p>Trouver pour le cavalier une marche rentrante, c'est-à-dire une marche +telle qu'il puisse revenir de la soixante-quatrième case à laquelle il +arrive, sur la première que l'on a prise pour point de départ.</p> + +<br><br> + +<h2>Rébus.</h2> + +<h4>EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS.</h4> + +<p class="mid">Soldats! du haut de ces Pyramides quarante siècles (quatre mille ans) +vous contemplent!</p> +<br><br> +<p class="mid"><img alt="" src="images/011d.png"></p> + + + + + + + + +<br><br> +</div> + + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0015, 10 Juin 1843, by Various + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION *** + +***** This file should be named 37135-h.htm or 37135-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/3/7/1/3/37135/ + +Produced by Rénald Lévesque + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. 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Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + http://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. + + +</pre> + +</body> +</html> diff --git a/37135-h/images/001.png b/37135-h/images/001.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..d02459d --- /dev/null +++ b/37135-h/images/001.png diff --git a/37135-h/images/001a.png b/37135-h/images/001a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..d648596 --- /dev/null +++ b/37135-h/images/001a.png diff --git a/37135-h/images/002a.png b/37135-h/images/002a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..2e9030a --- /dev/null +++ b/37135-h/images/002a.png 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