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| author | Roger Frank <rfrank@pglaf.org> | 2025-10-14 20:01:51 -0700 |
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No. 0007, 15 Avril 1843 + +Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois 16 fr.--Un an, 30 fr. +Prix de chaque Nº, 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75. + +Nº 7. Vol. 1.--SAMEDI 15 AVRIL 1843. +Bureaux, rue de Seine, 33. + +Ab. pour les Dep.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr. +pour l'Étranger. -- 10 -- 20 -- 40 + + +SOMMAIRE. + +Écroulement du vieux Beffroi de Valenciennes, avec _une gravure._--Un +mot sur l'Université--Courrier de Paris. Le givre, une réconciliation, +les deux yeux, un enfant mort en bas âge, les portraits et les modèles, +appétit monstre, un mari reconnaissant, l'auteur et le directeur. +Représentation de pièces historiques. Lucrèce.--Romance. Musique de M. +Flotow, paroles de M. E. de Loutay, avec _une vignette._--Chronique +musicale. Concerts du Conservatoire. _Salle du Conservatoire_.--Des +Caisses d'Épargne.--Longchamp. _L'Obélisque et les Champs-Elysées, une +scène de Longchamp._--La Vengeance des Trépassés, nouvelle (3e partie), +avec une _gravure._--De l'Éloquence de la Chaire au XIXe siècle. _Le +dimanche des Rameaux, portraits de M. de Boulogne, de M. Deguerry, de M. +Combalot, de M. Lacordaire, de M. de Ravignan, de M. Coeur, une +prédication à Saint-Roch._--Bulletin bibliographique.--Annonces.--M. le +maréchal comte d'Erlon.. _Portrait._--Sur la locomotion +aérienne.--Rébus. + + + +Écroulement du vieux Beffroi de Valenciennes. + +Depuis la chute de la flèche métropolitaine de Cambrai en 1809, disent +les journaux du Nord, nul événement aussi épouvantable que l'écroulement +du beffroi de Valenciennes n'était venu frapper de consternation nos +provinces. + +A la suite d'interminables lenteurs, après avoir renvoyé cette affaire +de commission en commission, après avoir même fait visiter le beffroi +par un architecte de Paris, M. Visconti, le conseil municipal de +Valenciennes avait enfin voté la restauration du vieux monument: +restauration difficile, dont la direction fut confiée à l'architecte de +la ville, et les travaux adjugés au rabais à un entrepreneur. Les +ouvrages commencèrent il y a peu de mois, et bientôt l'on s'aperçut de +toutes les difficultés qu'ils présentaient: les ouvriers avaient fait de +si fortes tranchées dans la vieille maçonnerie, que l'architecte +lui-même en fut effrayé. Des lézardes se montrèrent le long de +l'édifier, et dans la matinée du vendredi 7 avril, les pierres +commencèrent à tomber successivement du faîte, avertissant les habitants +de la Place d'Armes de l'effroyable catastrophe qui les menaçait. + +Le même jour, à quatre heures vingt minutes du soir, la tour s'écroula +tout entière avec un fracas épouvantable, s'abattant à peu près sur +elle-même; le poids des pierres bleues qui couronnaient le beffroi, et +surtout celui des vingt-quatre consoles qui supportaient le balcon, et +ne pesaient pas moins de six milliers chacune, étaient devenus trop +lourds pour les piétements affaiblis. On conçoit ce qu'a dû présenter +d'horrible la chute d'une telle masse, qui comptait soixante-dix mètres +de hauteur depuis la base jusqu'au paratonnerre, s'écroulant d'un seul +coup, et tombant sur les habitations de son pourtour et les maisons +voisines; les cloches, dont l'une ne pesait pas moins de neuf mille +livres, enfoncèrent tous les étages jusqu'aux caves; enfin le dôme de la +tour, violemment précipité, alla rouler jusqu'à la Place du Commerce. La +Place d'Armes et l'entrée des rues voisines furent presque ensevelies +sous une montagne de pierres, de poutres, de fer, de cloches et de +plâtras. + +La première victime fut le malheureux guetteur, monté à son poste en +tremblant, vendredi à midi, et qui entendit pendant quatre heures tomber +une à une autour de lui les pierres du couronnement; il fut relevé +respirant encore, et tenant en sa main son ouvrage de cordonnier; mais +il expira bientôt après, par suite de l'affreuse commotion qu'il avait +éprouvée. L'entrepreneur, resté sur l'échafaudage, fut dangereusement +blessé, le serrurier, placé près de lui, a été sauvé miraculeusement. + +Les journaux quotidiens ont donné la liste des victimes de cet affreux +événement: ils annonçaient que le chiffre exact n'en était pas encore +connu. On sait aujourd'hui que sept personnages seulement ont perdu la +vie, mais plusieurs blessés sont dans un état désespéré. Les habitants +et la garnison rivalisèrent de zèle et de dévouement pour sauver les +malheureux ensevelis sous les décombres: la compagnie d'Anzin envoya +aussitôt des travailleurs intelligents et actifs, et mit à la +disposition de la ville les chèvres, les grues et tous les outils de ses +mines. Grâce à ces secours réunis, l'on put déblayer un peu la place, et +sauver la vie a quelques blessés gisants sous des monceaux de ruines. + +[Illustration: Écroulement du Beffroi de Valenciennes, le 7 avril.] + +Le malheur qui vient d'arriver est immense: mais si l'on considère ce +qu'il pouvait être, il faut encore rendre grâces à Dieu de ce que le +nombre des victimes ait été aussi restreint. Une ou deux heures plus +tôt, l'écroulement atteignait plus de cinquante individus; et si le +couronnement s'était, dans sa chute, incliné un peu à droite ou à +gauche, une foule de maisons eussent été infailliblement écrasées. + +La perte matérielle de la ville est considérable: Valenciennes se trouve +à la fois privée de son seul monument, du vieux souvenir de ses libertés +communales, de ses bureaux d'octroi, de son horloge, de son carillon et +d'un grand nombre de maisons attenantes au beffroi, qui étaient des +propriétés communales. + +Une grave responsabilité va peser sur les entrepreneurs des travaux: +l'administration n'avait cessé de leur recommander de prendre les plus +grandes précautions; peu persuadée d'ailleurs par les assurances +réitérées de l'architecte, qui prétendait répondre sur sa tête de la +solidité de la tour, la municipalité avait ordonné, le matin même du 7 +avril que l'on évacuât immédiatement les bâtiments du beffroi et les +petites maisons qui y étaient adossées; en même temps elle fit cesser la +sonnerie des cloches et interdit la circulation des voitures aux +alentours du monument C'est grâce à la promptitude et à l'énergie de ces +mesures que la ville n'a pas en à déplorer de plus grands malheurs. + +Le beffroi de Valenciennes était sans contredit l'un des plus anciens +et des plus remarquables monuments du nord de la France. Nos lecteurs +trouveront donc nous l'espérons, quelque intérêt dans la notice +historique que nous joignons au récit de l'événement. Nous puisons la +plupart de nos documents dans l'histoire de Valenciennes par +_d'Oultreman_, et les deux derniers feuilletons de _l'Écho de la +Frontière._ + +Notice historique + +SUR LE BEFFROI DE VALENCIENNES. + +L'antiquité du beffroi de Valenciennes remonte jusqu'au treizième siècle +En 1222, sous le règne de la comtesse Jeanne de Flandres, fille du +fameux empereur Baudouin de Constantinople, un premier beffroi fut élevé +sur la place du Marché: mais, soit que la construction en fût vicieuse +ou l'emplacement mal choisi, il fut démoli dès l'an 1237, et l'on jeta +les fondements d'une nouvelle tour à l'extrémité méridionale de la +place. Cette fois la comtesse Jeanne chargea le seigneur de Materen, +gouverneur de la ville, de surveiller la construction du monument. De +1238 à 1240 l'édifice fut achevé dans toutes les normes. C'était une +tour quadrilatérale, à angles arrondis, bâtie en grès dans la partie +inférieure, et en pierres blanches à partir d'une certaine hauteur +jusqu'au sommet, qui se terminait alors par quatre petites tourelles en +encorbellement, et par une plate-forme générale, garnie de murs d'appui +crénelés. Au-dessus de cette plate-forme, couverte de plomb, s'élevait +la hutte de bois du guetteur, fortement établie sur un soubassement qui +la rehaussait encore de plusieurs toises. A la base de la tour étaient +adossées plusieurs constructions servant de lieu de dépôt pour +marchandises. + +En l'an 1558, deux cloches furent placées au beffroi. La première grosse +cloche, dite _Blanche cloche_, du poids de 9.000 livres, et la seconde, +la cloche des ouvriers, nommée _Curiande_, du poids de 3,800 livres, +fondue par Guillaume de Saint-Omer; elle sonna pour la première fois le +jour de la Toussaint de la même année. + +Au commencement du seizième siècle, Jacquemart-Levayrier, dit l'_Arbre +d'or_, voulant _réjouir_ ses concitoyens, institua quatre musiciens, ou +_museux_, qui devaient, sur le balcon du beffroi, jouer du hautbois tous +les jours à midi, et du matin jusqu'au soir les jours de marché. Cet +usage se perpétua pendant deux siècles; mais, en l'an VII, la République +confisqua et fit vendre les biens affectés à cette fondation. + +Pendant les guerres de Charles-Quint avec François Ier et Henri VIII, on +avait éprouvé que le guetteur ne voyait pas d'assez loin l'approche des +partis français qui venaient ravager les environs de Valenciennes; en +conséquence, le beffroi fut exhaussé en 1546; la flèche fut de même +relevée de vingt-deux pieds en 1647, et l'on y plaça, comme girouette, +un grand aigle doré, emblème héraldique de l'empereur Charles-Quint. + +Le beffroi resta longtemps en cet état sans éprouver de nouveaux +changements. En 1578, le baron de Harchies, voulant faire un coup de +main sur la ville, s'empara du beffroi, mais il en fut bientôt chassé. + +En 1615, il y eut quelques agrandissements apportés aux bâtiments du +pourtour, qui servaient alors de bourse aux marchands. De 1680 à 1700, +le magistrat éleva devant la tour un bâtiment à la moderne, faisant face +à la place, surmonté, aux deux ailes, de deux petites lanternes, ou +belvédères, de très-bon goût, qu'un auteur signale, dans un livre +d'architecture, comme un modèle d'élégance. En 1712, on rebâtit sur les +autres faces neuf maisons d'habitation, décorées de jolies sculptures, +et connues sous le nom de leurs diverses enseignes: le _Dromadaire, le +Taureau-Marin, le Cheval-Marin, le Triton, la Sirène, le Chameau, le +Castor et l'Éléphant._ L'octroi occupait le _Dromadaire_ et le +_Taureau-Marin._ Les six autres maisons étaient louées à certaines +professions désignées, qu'on ne pouvait changer sans la licence du +magistrat. Outre les deux pavillons, la façade de la tour se composait +encore d'une galerie découverte et de deux balcons aux étages +supérieurs. Les bustes des douze Césars, plus grands que nature, les +quatre Saisons, et autres sculptures délicates, ornaient ces +constructions. + +De 1782 à 1784, sous la prévôté de M. de Pujol, qui fit reconstruire ou +réparer presque tous les monuments de Valenciennes, le couronnement du +beffroi fut remis à neuf et de nouveau exhaussé. On démolit la +plate-forme et toute la partie supérieure, jusqu'à l'endroit où l'on +trouva la bâtisse saine et solide; là-dessus fut élevé un nouveau +couronnement dans le style Louis XV. Les colonnes ornées, les balcons +contournés, les vases Pompadour, vinrent se placer sur la tour gothique +de Jeanne de Flandres. Les pierres employées pour cette restauration +étaient en calcaire bleu, leur solidité ayant paru supérieure à celle +des pierres blanches, + + ......Color deterrimus albis; + +malheureusement ces pierres bleues étaient d'une pesanteur énorme, et +devaient tôt ou tard écraser l'édifice: aussi prévit-on dès lors un +écroulement; et _M. de Rollecour, l'un des magistrats, défendit à son +cocher, sous peine d'être chassé, de jamais passer avec sa voiture dans +les environs du beffroi._--On oublia en même temps de garnir de plomb +le palier du balcon, et la pluie, filtrant au travers des pierres, fit +pourrir peu à peu les dernières assises. + +Le 30 mai 1795, à l'ouverture du siège de Valenciennes, la garnison et +les habitants prêtant à la République le serment solennel de fidélité, +le zèle patriotique des sans-culottes s'affligea de voir l'énorme fleur +de lis sculptée au faîte du beffroi; des ouvriers furent envoyés pour +l'effacer, mais ils ne purent jamais l'atteindre; il fallut se borner à +couvrir le signe monarchique sous les plis d'un vaste drapeau tricolore. +La tour du beffroi, pendant tout le siège, servit de point de mire aux +obus de l'armée ennemie, mais elle soutint assez bien ce bombardement. +«Il est vrai, dit l'_Écho de la Frontière_, que les canons du duc d'York +ne lui firent pas d'aussi grandes brèches que les modernes +restaurateurs.» + +En 1800, la girouette aux armes d'Espagne fut remplacée par une +brillante Renommée sonnant de la trompette. Cette statue, debout sur un +globe doré, fut menée en triomphe par les rues de la ville avant d'être +hissée sur son piédestal. Mais deux ans après, un violent ouragan +abattit la Renommée, qui heureusement n'atteignit personne dans sa +chute.--A la Restauration, on plaça sur le beffroi un lion d'or, emblème +héraldique de Valenciennes. + +En 1811 le maire de la ville, M. Benoist, eut la fantaisie de remplacer +les deux élégants belvédères et tout le bâtiment de la façade par une +lourde construction où furent logés l'octroi et le Cercle du Commerce. +Chacun protesta contre cet acte de vandalisme, et M. le général +Pommereul, préfet du Nord, témoigna là-dessus son sentiment à +l'architecte d'une façon toute militaire. + +Enfin, depuis dix ans on projetait une restauration complète du beffroi; +plût à Dieu qu'on l'eut entreprise plus tôt et sur de meilleurs plans! + +M. le capitaine Coste, en 1824, avait pris, avec le graphomètre, les +différentes dimensions de la tour. On nous saura peut-être gré de les +reproduire ici: + +De la base au balcon. 79 m. 50 c. +Du balcon au-dessus du dôme. 14 50 +Du dôme au-dessus de la lanterne, sous la boule. 7 50 +De la lanterne jusqu'au bout du paratonnerre. 8 55 + +Total. 70 m. 05 c. + +La sonnerie du beffroi était fort belle et fort ancienne. Au moment où +nous écrivons, elle est à peu près dégagée de dessous les décombres, et +chacun se presse pour la voir.--Elle se composait de huit cloches: 1º le +gros bourdon, d'un poids énorme, sans millésime apparent; 2º une cloche +à la date de 1346, avec une légende historique dont on ne peut encore +lire qu'une partie: _Nuit et jour peut oïr la communauté_; le reste de +la devise est enseveli sous les plâtras; 3º deux cloches de 1555, dont +l'une porte ces mots: _Réjouissant les coeurs par vrais accords_; 4° +deux cloches de 1597, blasonnées du cygne valenciennois; 5º une cloche +de 1626, avec le même signe et cette inscription: _Nous avons été fait +pour l'horloger de Valenciennes par Jean Delecourt et ses fils, en 1626_; +enfin une dernière cloche sans date, mais entourée d'ornements, parmi +lesquels on distingue des fleurs de lis, une madone, un saint Michel à +cheval et des armoiries flanquées de deux bâtons en croix de +Saint-André, comme on en voit sur quelques emblèmes de Charles-Quint. + +Toutes ces cloches sont en parfait état; elles n'ont éprouvé aucune +avarie dans leur chute. + + + +Un mot sur l'Université. + +Parmi les diverses propositions, toutes vaines et avortées, par +lesquelles d'honorables députés des divers bancs de la Chambre ont du +moins manifesté depuis quelques jours le désir louable de combattre +l'affaiblissement de l'esprit public et l'atonie politique où nous +tombons de plus en plus, la proposition d'admettre les candidats au +baccalauréat à subir leur examen sans avoir à justifier d'études +universitaires, nous semble devoir être remarquée non pour son résultat +immédiat (elle a été repoussée), mais pour l'arriére-pensée politique +qui l'a inspirée et pour cet esprit agressif contre l'Université, qui +gagne et se propagerait enfin de proche en proche dans tous les partis +d'une façon bientôt inquiétante. En effet, au moment même où cette +proposition était faite par un esprit d'ailleurs éclairé, M. de Carné, +M. Arago, de son côté, à propos d'une pétition qui demandait que les +candidats à l'école polytechnique ne soient pas, à l'avenir forcés +d'être bacheliers, non content d'appuyer cette requête, comme il en a +assurément le droit plus que personne au monde, et comme député, et +comme ancien professeur de cette école célèbre et comme savant éminent, +a pris de là occasion d'attaquer aussi l'Université, repoussant, comme +inutile, frivole et presque dangereux, son enseignement, l'étude des +belles-lettres et de la philosophie. + +En temps ordinaire, et sans cette espèce, de coalition fortuite, nous +l'avouons, mais générale et malheureuse, contre l'Université de France, +nous laisserions volontiers cette respectable matrone se justifier +seule, par l'organe de ses rhéteurs émérites et de ses philosophes en +robe et en bonnet, et défendre seule son monopole contre M. de Carné, la +nature de son enseignement et ses traditions un peu routinières contre +M. Arago. + +Mais c'est un des malheurs de ce pays d'être en ce moment divisé, non +plus seulement comme tous les pays du monde, en esprits jeunes, ardents, +aventureux et plus ou moins témérairement novateurs, et en esprits plus +mûrs, et, si l'on veut, plus désabusés et plus ou moins sagement +conservateurs, mais bien en trois partis exclusifs, intraitables, +aveugles, qui s'anathématisent sans relâche et se damnent l'un l'autre +sans miséricorde, savoir: un parti qui ne voit, ne comprend, ne veut, +et, chose étrange! n'espère que le passé! un parti qui, par +compensation, ne cherche, ne voit, ne sait, ne pleure que l'avenir, +toujours en retard d'un millier d'années au gré de son impatience; +enfin, un parti qui, naturellement effrayé de cette soif monstrueuse, +également déraisonnable des deux parts, et de ce qui n'est plus et de ce +qui ne saurait être encore, se condamnerait volontiers, lui, de peur de +donner gain de cause à l'un de ses adversaires, à une impuissance +absolue, à une éternelle immobilité, sommeil perfide, torpeur +dangereuse, qui, lorsqu'elle se prolonge, n'est autre chose que la mort +même des nations. + +Et, dans la plupart des questions qui se débattent, le parti qui veut, +au fond, revenir purement et simplement au passé, irrité de la +résistance qu'on lui oppose justement, s'allie tout bas au parti +novateur et nie effrontément au pouvoir les facultés dont il se réserve, +à part soi, d'user largement un jour contre ses imprudents amis, si +jamais il gouverne encore. + +Il faut donc que les hommes sages qui croient que l'idée même du progrés +normal implique, avec celle de ne point rétrograder, l'idée d'une +succession graduée de développements mesurés et toujours plus ou moins +lents, interviennent enfin. Oui, bon gré, mal gré, quand il s'agit, par +exemple, d'une institution aussi considérable que l'Université de +France, liée aux plus grands souvenirs et de la monarchie et de la +démocratie française, au temps de Philippe, le Bel et de Louis XIV, +comme au temps de François Ier et de Napoléon, d'une institution +vieille, mais forte encore, dont la chute, qui peut le nier? nous +livrerait demain à coup sûr, sans parler des tentatives des factions, à +toute la honte de l'éducation au rabais et à je ne sais quel +maquignonnage des intelligences qui révolte également et le sens moral +et la raison; alors ou jamais il faut bien prêter secours au passé et à +la tradition, dans l'intérêt même de l'avenir et des perfectionnements +ultérieurs du monde. + +«Mais à quoi servent positivement les études classiques, commence-t-on à +s'écrier de toutes parts, et la philosophie, et son histoire, et les +monades de Leibnitz, et les tourbillons de Descartes, et la vision en +Dieu de Malebranche? Cicéron ne disait-il pas déjà assez naïvement: «Je +ne sais pourquoi il n'y a rien de si absurde qui n'ait été enseigné et +soutenu par quelque philosophe.» Et Fontenelle: «Oh! moi, la +philosophie, quand j'étais petit, tout petit, je commençais déjà à n'y +rien comprendre.» + +Oui, sans doute, messieurs les mathématiciens; mais ce même Cicéron que +vous citez, n'en consacra pas moins la moitié de sa vie à étudier les +philosophes de la Grèce, et à faire connaître leurs idées à ses +concitoyens; et, au rapport de Pline, il était plus glorieux d'avoir par +là reculé pour les Romains les limites du génie, que d'avoir administré +la République. Ce n'est pas apparemment faute de connaître et de +cultiver les sciences physiques et mathématiques que l'illustre géomètre +Descartes et l'illustre savant Leibnitz se sont tant occupés de +philosophie; et Fontenelle, l'un des esprits les plus sceptiques, mais +les plus polis et les plus fins qui aient jamais été, s'il vivait de +notre temps, ne se hâterait pas tant de nier l'éducation générale ou de +la définir un apprentissage, et non plus une culture libérale et +préparatoire. Il lui semblerait que, sans donner tête baissée dans aucun +système exclusif, et à ne considérer même la philosophie que comme +l'idéal suprême non encore réalisé de la raison humaine en quête de la +vérité divine, il y a bien quelque profit pour l'âme, qu'elle réussisse +ou non, à chercher encore à conquérir cet idéal par le mâle exercice de +la pensée, de même qu'il y a encore profit pour le corps et +développement dans les exercices, en apparence et immédiatement +inutiles, du gymnase. Et quant à l'histoire de la philosophie, ne +fit-elle que nous enseigner la tolérance et l'indulgence, par le +spectacle des grandes erreurs où sont tombés de tous temps les plus +grands esprits, apprit-elle seulement à ceux qui ne doutent de rien +qu'il y a de grands mathématiciens qui ont douté de tout, et que +Socrate, le plus sage des hommes, disait volontiers dans les rues à qui +voulait l'entendre, et surtout en présence des sophistes de son temps, +si pleins de morgue et de pédantisme, qu'_il ne savait rien_; +serait-elle donc, cette histoire, si inutile de nos jours? + +On insiste: mais le reste des études universitaires, où est son utilité? +D'abord, cette utilité fût-elle impossible à démontrer positivement, +nous n'admettons pas que ce fût là une raison si péremptoire de les +condamner et de les supprimer dans le haut enseignement. On ne peut pas +ainsi rendre compte de tout; et les choses les plus nécessaires, les +plus divines, sont précisément celles-là même qui se laissent le moins +analyser, étant simples de leur nature. Après cela, nous laisserons +répondre un homme dont les savants ne récuseront pas la compétence, +l'illustre Cuvier: «Il est plus nécessaire qu'on ne croit, pour +apprendre à bien raisonner, de se nourrir des ouvrages qui ne passent +d'ordinaire que pour être bien écrits En effet, les premiers éléments +des sciences n'exercent peut-être pas assez la logique, précisément +parce qu'ils sont trop évidents; et c'est en s'occupant des matières +délicates de la morale et du goût, qu'on acquiert cette finesse de tact +qui conduit seule aux hautes découvertes.» Ajoutons que ceux qui se +livrent à l'étude des sciences positives, ne rencontrant point sur leur +route les passions des hommes, s'accoutumeraient volontiers à ne croire +qu'à ce qui est susceptible d'être mesuré, pesé, calculé +mathématiquement. L'étude réfléchie de la littérature est un +contre-poids à cette tendance étroite et fausse. + +Il y a plus; notre civilisation est tellement basée sur celle des Grecs +et des Latins, qu'il serait presque impossible d'exposer avec clarté +l'histoire du monde chrétien, et en particulier celle de notre pays, à +qui ne connaîtrait pas la civilisation des anciens par leur littérature. + +Ceux qui contestent si fort l'utilité du grec et du latin ne voudraient +pas apparemment supprimer celle de la langue maternelle. Ils ignorent +donc que le latin contenant les racines, c'est-à-dire, _la raison_ du +français, si on en supprime l'étude, un enseignement supérieur de la +langue française devient par là même impossible. Et ce coup, porté à la +langue nationale, atteindrait, qu'on ne s'y trompe pas, l'intelligence, +le goût, la vie même de la France! L'allemand, dit-on, tiendra lieu du +latin. Quand l'allemand aurait la perfection du latin, ce qui n'est pas, +là ne sont pas nos origines. Gardons-nous bien de soumettre ainsi +gratuitement l'esprit français au génie germanique, en altérant ou en +brisant nous-mêmes l'idéal du type collectif auquel la pensée publique +emprunte ses formes. + +Tout ceci ne va pas à nier, à Dieu ne plaise! l'utilité de quelques-unes +des réformes proposées par l'esprit de _réalisme_ qui, on en conviendra, +nous domine de plus en plus; et si l'on reconnaît avec nous, que nul +homme, nul peuple véritablement grand ne fut réaliste, nous sommes prêts +à accorder que le temps consacré à l'étude des langues anciennes est +beaucoup trop long; que les méthodes d'enseignement ont grand besoin +d'être perfectionnées; qu'une distribution plus rationnelle, sinon une +répartition plus égale des divers éléments de l'instruction publique, +opérée avec sagacité et mesure, et l'admission dans les collèges de +certaines branches d'étude qui se rapportent à l'exercice des +professions non littéraires et même non libérales, seraient des +innovations à la fois largement bienfaisantes et conservatrices à +l'époque, où nous vivons. + +Au reste, pour déterminer un peu nettement ce que doit être l'Université +de France au dix-neuvième siècle, il faudrait s'entendre sur cette +question: Qu'est-ce que la France? Comme pour les Grecs au temps de +Socrate, il nous semble qu'après tant d'utopies sans fondement, de +théories sans élévation et de luttes sans moralité, le temps est venu +pour les grandes nations de l'Europe de s'appliquer cette sage maxime: +«Connais-toi toi-même.» Qu'est-ce donc que la France? Est-il impossible +de trouver à rette simple et grande question une réponse à la fois +positive et satisfaisante pour toute l'âme? Cette question résolue +mettrait fin à tant de discussions? Que nos lecteurs y pensent un peu; +nous y réfléchirons beaucoup de notre côté, et nous saisirons quelque +occasion d'arriver ensemble, s'il est possible, à la lumière sur ce +point capital. + + + +Courrier de Paris. + +LE GIVRE.--UNE RÉCONCILIATION.--LES DEUX YEUX.--UN ENFANT MORT EN BAS +AGE.--LES PORTRAITS ET LES MODÈLES.--APPÉTIT MONSTRE.--UN MARI +RECONNAISSANT.--L'AUTEUR ET LE DIRECTEUR. + +C'est une véritable trahison, et le printemps se conduit avec nous d'une +manière indécente. Eh quoi! il nous sourit d'abord de son sourire le +plus doux, il nous envoie de charmants rayons de soleil, il nous inonde +de brises caressantes, il agite, sous nos fenêtres, des bouquets de +feuilles et de fleurs précoces pour nous engager à sortir de nos +demeures et pour nous attirer dehors, nous, pauvres innocents, coeurs +crédules, âmes confiantes; nous, prisonniers des villes, que tout coin +d'azur ravit et console, nous allons sur la foi de ces belles promesses. + +Voici Paris qui se répand de tous côtés, d'un air de fête, s'ébattant +dans ses rues et dans ses promenades pareilles à une cage immense qui +laisserait envoler ses oiseaux par milliers. Puis, tandis qu'on se fie à +ces perfides caresses d'avril, tout à coup le ciel se voile, le vent +souffle de sa bouche glacée des tourbillons de pluie et de grésil. Il +faut voir comme cette foule gazouillante cesse ses joyeux ébats et +s'enfuit par volées; les mains rentrent dans les profondeurs du paletot; +les nez reprennent l'abri du foulard; mille gracieux petits visages +féminins, qui commençaient à s'épanouir sous le frais chapeau de couleur +printanière, s'enveloppent de velours et disparaissent sous le voile et +dans la fourrure. Le printemps, qui se permet de pareilles +plaisanteries, ne ressemble-t-il pas à ces soldats d'escarmouches, +grands fabricants de surprises et d'embuscades? De même que ceux-ci se +cachent derrière les haies et au détour des monts, pour lancer leurs +fusillades de même avril masque de quelques rayons de soleil sa +mitraille de neige et de vent. Pour nous, arbustes à deux pieds et trop +souvent sans fleurs et sans fruits, le mal n'est pas mortel. Le premier +moment paraît désagréable, je le confesse; il est toujours pénible de +découvrir un traître dans un ami plein de sourires, et d'être gelé quand +on a la bonhomie de compter sur le soleil.--Après tout, il nous reste +l'abri du foyer et le toit de nos maisons.--Mais qui sauvera ces frêles +habitants des vergers qu'avril a trompés et attirés dans ses pièges? Ils +ont mis prématurément au jour leurs fleurs d'une blancheur éblouissante +et d'un rose virginal, fleurs délicates, promesses embaumées des plus +beaux fruits. Le givre leur donne le frisson et les tue; le fruit meurt +dans sa fleur.--Et ce jeune enfant, plein d'espérances, qui succombe aux +bras de sa mère, et ces génies qui s'éteignent à leurs premiers rayons, +et ces rêves de bonheur, d'amour, de gloire, morts et ensevelis sur le +seuil, n'est-ce pas aussi quelque givre d'avril qui les a glacés? + +Comment Longchamp n'aurait-il pas souffert de cette froidure? Comment ce +vent aigu aurait-il épargné sa couronne? + +Madame Charles B... s'y est fait voir; c'est une des lionnes les plus +rugissantes de la Chaussée-d'Antin; elle a cependant un mérite que +beaucoup de panthères se refusent: madame Charles B... n'est ni +médisante ni jalouse. Quoique coquette et fêtée, elle ne hait pas les +jolies femmes; elle fait plus que ne pas les haïr, elle semble les aimer +et les recherche. Ses soirées et ses bals offrent la collection, à peu +près complète, de ce que Paris possède de plus exquis et de plus +charmant en brunes et en blondes; ce sont les deux nuances qu'elle +préfère à juste raison. Son plus grand souci est d'apprendre qu'il y a +quelque part un piquant visage féminin dont elle n'a pas encore eu la +visite. Aussitôt elle en entreprend la recherche avec l'ardeur de ces +bibliomanes passionnés, de ces furieux antiquaires qui poursuivent un +Elzévir ou une médaille, et maigrissent tant qu'ils ne les ont pas +trouvés. Je vois cette différence entre eux et madame Charles B...., +qu'ils aiment la médaille et l'Elzévir d'un amour égoïste et pour +eux-mêmes, tandis que madame B.... ne fait des fouilles que pour les +autres; elle veut qu'on dise: «Étiez-vous, hier, au bal de madame B...? +il y avait toutes les jolies femmes de Paris!»--Les plus fins valseurs +et le plus fin orchestre, les plus jolies femmes et les meilleures +glaces, voilà l'ambition de madame de B...; de tout le reste, elle s'en +inquiète fort peu.--Mercredi dernier, elle était à l'Opéra. Dans la loge +placée en face de la sienne, une jeune femme, d'une remarquable beauté, +attirait l'attention. On se demandait son nom, mais personne ne le +connaissait.--«Ah! dit madame B..... qui n'en savait pas plus qu'une +autre, il faudra que l'hiver prochain j'aie ces deux yeux-là dans mon +salon?» + +Dans la trilogie des _Burgraves_, Job, âgé de cent ans, devait dire à +Magnus, son fils, qui en compte soixante: «Jeune homme, taisez-vous!» +Cette apostrophe m'a rappelé le mot d'un autre patriarche; celui-ci +n'avait que quatre-vingts ans, et son fils en possédait cinquante. Le +fils s'avisa de mourir subitement; on alla trouver le père; et lui, +apprenant la fatale nouvelle, de s'écrier: «J'avais bien dit que je ne +pourrais pas élever cet enfant-là!» + +Le salon de peinture est resté fermé toute la semaine; cette clôture de +huit jours a jeté la désolalion dans le peuple des désoeuvrés; il y a +toujours à Paris quelque lieu d'asile pour cette nation qui n'a rien à +faire. Mais le salon est son paradis de prédilection; au 15 février, le +flâneur, cette espèce errante de le flore parisienne, entre en +possession du Louvre et n'en sort qu'au 15 mai. Le flâneur a donc été +obligé de porter, cette semaine, sa tente ailleurs: le matin, à la place +du Carrousel, au moment de la garde montante; et, le reste de la +journée, à la grâce de Dieu. Après tout, le flâneur est philosophe et +prend volontiers son parti: aujourd'hui au Champ-de-Mars, demain au +rond-point de la Bastille, peu lui importe! Mais la classe véritablement +et douloureusement frappée par cette clôture momentanée du salon, c'est +l'estimable classe qui a son portrait à l'exposition de 1843. M. de +Cailleux ne sait pas le mal qu'il lui a fait. Tous ces honnêtes gens +avaient pris, depuis un mois, la douce habitude d'aller, de dix heures à +quatre heures, se contempler eux-mêmes sur tuile et encadrés; les uns +aimaient à se voir dans l'attitude héroïque d'un garde national +patrouillant autour de sa mairie; les autres, majestueusement coiffés de +leur bonnet d'avocat ou de leur toge magistrale; ceux-ci plongés dans la +poésie du registre en partie double; ceux-là arrosant leurs tulipes, ou +jouant au cheval fondu avec leur dernier né, ou souriant agréablement à +la compagne de leur vie, occupée de leur broder des pantoufles. Être +privé, pendant huit jours, de sa propre image, quelle douleur et quelle +abstinence! Les portraits en bustes ne savaient que devenir, les +portraits en pied tombaient dans la tristesse, les poitraits de famille +perdaient le boire et le manger. Je ne plaisante pas; j'ai des preuves +de ce que j'avance. Un de mes voisins s'est fait peindre cette année, +lui et son chien, sa femme et son chat, son fils et son serin; c'est une +peinture de famille au grand complet. Or, je n'ai pas mis le pied une +seule fois au Louvre, sans rencontrer le père, la mère et l'eufant, se +promenant de long en large devant leur propre tableau. Le serin +manquait, il est vrai et le chat aussi. Le gardien avait sans doute +exigé qu'on les laissât au dépôt des cannes.--Eh bien! toute cette +semaine, mon voisin a été d'une humeur de dogue: il ne pouvait plus se +mirer à l'huile dans sa propre image ni dans l'image des siens. +Assurément, si on avait besoin d'apprendre combien l'homme s'adore +lui-même, il suffirait de se mettre en vedette dans la galerie des +portraits. Là vous rencontrez à chaque pas les modèles en extase devant +leurs copies; et, par un admirable don de la Providence, ce sont les +plus laids en réalité et en peinture, qui paraissent s'aimer le plus et +faire avec le plus de satisfaction des petites mines à leurs portraits. + +En vérité, c'est effrayant! Avez-vous examiné le relevé statistique et +officiel de la consommation de la bonne ville de Paris, pendant le mois +de mars qui vient de finir? Mais on n'a jamais vu un pareil ogre! Le +mois de mars 1842 s'était distingué par un assez bel appétit, je +l'avoue; il avait fait cuire et assaisonner, en trente jours 5.721 +boeufs, 1.281 vaches, 5.439 veaux, 52.000 moutons. C'est quelque chose, +surtout quand on songe ce que cette effroyable cuisine exige de grils, +de casseroles et de marmites; mais enfin on peut s'en tirer. Interrogez +le mois de mars 1843, s'il vous plaît; il vous répondra, en haussant les +épaules, que son frère aîné de 1842 s'est tenu à la diète, et que, lui, +1843 n'aurait fait de tout cela qu'une bouchée. 6.987 boeufs, 1.458 +vaches. 6.051 veaux. 38.128 moutons, voilà le menu de ce terrible mois. +Quel petit souper!--On attribue généralement cette consommation +extraordinaire de moutons et de veaux, à l'apparition des _Margraves,_ +ces hommes géants. + +M. V..... espérait en vain depuis longtemps le bonheur d'être père. +Le ciel vient de mettre fin à son attente, et de combler tous ses voeux. +M. V.... en a reçu hier l'heureuse nouvelle. Je ne chercherai pas à vous +donner une idée de sa joie. Dans son transport, il a écrit à madame +V.... la lettre que voici: «Ma chère amie, je te remercie beaucoup du +fils que tu as bien voulu me donner.» + +On parle beaucoup, dans le monde dramatique, d'une aventure qui aurait +un directeur et un auteur pour acteurs principaux. Le directeur se croit +le droit d'accuser l'auteur de lui avoir fait une de ces délicates +blessures dont plus d'un héros de Molière se plaint assez naïvement. Le +directeur exposait son grief à un de ces amis intimes qui n'a jamais +écrit une ligne de sa vie. Celui-ci cherchait à le consoler. «Me +consoler, répliqua l'autre, me consoler, jamais! Si cela venait de ta +part, si c'était toi, je ne dis pas; mais un homme d'esprit, un homme +qui fait des pièces, c'est humiliant!» + +Le bruit court qu'un prince héréditaire d'Allemagne a retrouvé, au +comptoir d'un café du boulevard Palien, la princesse sa fille, qui lui +avait été enlevée au berceau il y a dix ans, sans qu'on eût jamais +retrouvé ses traces. Nous éclaircirons cette nouvelle singulière dans +notre prochain courrier. + + + +Premières Représentations. + +DE PIÈCES DE THÉÂTRE HISTORIQUES. +ÉTUDES SUR LUCRÈCE. + +Lorsqu'une oeuvre dramatique dont le sujet est emprunté à l'histoire +s'annonce dans le monde littéraire, l'homme d'étude se prépare à l'aller +entendre en évoquant ses souvenirs; l'homme du monde interroge sa +bibliothèque, et veut connaître au moins les données principales sur +lesquelles l'auteur a construit sa fable. Ce travail, que font +quelques-uns, pourquoi la presse ne le ferait-elle point pour tous? +Toutes les fois que serait prochaine la représentation d'une grande +pièce dont les récits de l'histoire forment la trame principale, +pourquoi ne la ferait-on pas précéder d'une analyse des sources +historiques où l'auteur a pu s'inspirer? Nous tentons de commencer ce +travail par l'oeuvre d'un jeune homme qui nous est tout à fait inconnu, +mais qui est déjà cité par quelques hommes de goùt et de sens, comme +ayant fait consciencieusement un de ces ouvrages sérieux que repousse, +depuis longtemps une décourageante ironie. + +L'événement qui fait le sujet de la tragédie que l'Odéon annonce n'est +pas seulement un fait domestique plein d'intérêt et de grandeur, c'est +aussi toute une révolution politique qui renversa la royauté romaine. +«Sextus Tarquin, dit Montesquieu, en violant Lucrèce, fit une chose qui +presque toujours a fait chasser les tyrans; car le peuple à qui une +action pareille fait sentir sa servitude, prend d'abord une résolution +extrême.» + +Disons quelques mots des personnages qui figurent dans la tradition +historique. + +La haine de tous les siècles, malgré quelques apologistes, a poursuivi +Sextus Tarquin digne fils du Superbe. C'est ce même Sextus qui +s'introduisit dans Gabies assiégée, en se donnant pour victime de la +colère paternelle, et qui, lorsqu'il se fut rendu maître de ses dupes, +interpréta avec tant d'esprit les têtes des hauts pavots coupées par son +père devant l'envoyé chargé de le consulter sur le sort des vaincus. + +Lucrèce, fille de Lucrétius Tricipitinus, épousa Collatin, parent de +Tarquin. Collatin ne doit qu'à la vertu et au courage de sa femme, et +son nom historique et l'honneur d'avoir été un des deux premiers consuls +de Rome. + +Enfin un hasard providentiel comme on le verra par le récit qui suit, +donna pour témoin à ce grand drame un homme dont la grandeur inconnue +jusqu'alors créa la force et la gloire de Rome. L. Junius appartenait à +une famille considérable: son père avait épousé une fille de Tarquin +l'Ancien; Tarquin le Superbe, redoutant son crédit, le fit assassiner. +Son fils aîné aurait pu le venger; il eut le même sort. Lucius Junius, +son second fils, quoique fort jeune, comprit, dit Tite-Live qu'il ne +devait laisser au tyran rien à redouter dans son caractère, et rien à +désirer dans sa fortune. En effet. Tarquin, comme tuteur, administra les +biens de l'orphelin qu'il avait fait, et, Junius contrefit l'insensé, +cherchant dans le mépris la sûreté qu'il ne trouvait pas dans la +justice. Il se hissa même surnommer Brute, pour qu'à l'abri de ce surnom +le genie libérateur du peuple romain pût atteindre son heure. Th. Howe a +réuni avec fidélité, dans sa vie de Junius Brutus, les traits de feinte +démence que les auteurs ont rapportés de lui. + +Les principaux personnages étant ainsi esquissés, nous ne pouvons mieux +faire, après avoir indiqué en passant le récit de Denys d'Halicarnasse +et les vers ingénieux, mais froids d'Ovide dans ses Fastes, que +d'essayer de traduire l'excellente narration de Tite-Live. Niebuhr +n'hésite pas à l'appeler le chef-d'oeuvre de toute son histoire. + +La scène se passe au siège d'Ardée, que les Romains voulaient prendre +par la famine. + +«Les jeunes princes passaient assez souvent leurs loisirs entre eux à +des festins et des parties de plaisir. Un jour on buvait chez Sextus, ou +soupait aussi Collatin Tarquin, fils d'Égérius; la conversation des +convives tomba sur leurs femmes: chacun exalta la sienne. La discussion +s'animait: «Il n'y a pas besoin de tant de paroles, dit Collatin; en peu +d'heure, vous pouvez savoir combien ma Lucrèce l'emporte sur les autres. +Si nous sommes jeunes et forts, montons à cheval, et allons voir par +nous-mêmes ce que font nos femmes; chacun de nous tiendra pour preuve +décisive ce qui frappera ses veux au retour d'un mari qu'on n'attend +pas.» On était échauffé par le vin: «Allons!» c'est le cri général. Ils +volent à Rome de toute la vitesse de leurs chevaux. Ils y arrivent à la +tombée de la nuit, et de là poursuivent jusqu'à Collatie. Ils trouvent +Lucrèce, non pas comme les brus rivales, dans la pompe d'un festin avec +leurs compagnes, mais au milieu de ses appartements, et, malgré la nuit +avancée, travaillant à la laine, entourée de ses femmes, qui veillaient +comme elle. Dans la lutte engagée, le prix est décerné à Lucrèce; elle +accueille avec grâce son mari et les Tarquins, et le vainqueur se fait +un plaisir d'inviter les jeunes princes. C'est là que Sextus est saisi +du criminel désir de déshonorer Lucrèce par la violence, désir qu'irrite +tant de beauté jointe à tant de vertu. Après une joyeuse nuit, ils +retournent au camp. + +«Peu de jours après, Sextus Tarquinius, à l'insu de Collatin, n'ayant +qu'un seul homme de suite, vint à Collatie. On ignorait ses projets, on +lui fait bon accueil, et après souper il est conduit à la chambre des +hôtes. Quand tout lui paraît tranquille et livré au sommeil, brûlant +d'amour, l'épée à la main, il va à Lucrèce endormie, et lui appuyant la +main gauche sur la poitrine; «Silence. Lucrèce, lui dit-il, je suis +Sextus Tarquin, j'ai mon épée; tu meurs si tu dis un mot.» Ainsi +éveillée et saisie de terreur. Lucrèce ne voit aucun secours, et la mort +est devant elle. Alors Tarquin fait l'aveu de son amour, conjure, mêle +les menaces aux prières, emploie tous les moyens qui peuvent émouvoir +l'esprit d'une femme; elle demeure inébranlable, insensible même à la +crainte de la mort; il y ajoute la crainte du déshonneur. Il la tuera, +dit-il, et près d'elle il placera le corps nu d'un esclave égorgé comme +elle, afin qu'on dise qu'elle a péri surprise dans un ignoble adultère. +Par cette terreur, le crime triomphe de la vertu obstinée de Lucrèce, et +Tarquin part glorieux de sa victoire sur l'honneur d'une femme. + +Inconsolable d'un si grand malheur. Lucrèce envoie un messager à Rome +et à Ardée, vers son père et son mari. Elle leur mande de venir chacun +avec un ami fidèle: qu'il fallait agir et se hâter: qu'il était arrivé +une chose affreuse. Sp. Lucrétius amène P. Valerius, fils de Volesus, et +Collatin L. Junius Brutus, avec qui il retournait à Rome quand il avait +rencontré le courrier de son épouse. Ils la trouvent assise dans sa +chambre et désolée. A leur arrivée, ses larmes jaillirent: son mari lui +demande si tout va bien: «Non, répond-elle, il ne peut y avoir rien de +bien pour une femme qui a perdu l'honneur. Les traces d'un étranger sont +dans ton lit, Collatin. Au reste, le corps seul a été souillé, l'âme est +pure; ma mort en rendra témoignage. Mais donnez-moi vos mains et votre +serment que l'adultère ne restera pas impuni. C'est Sextus Tarquin, qui, +lâche ennemi quand j'avais cru recevoir un hôte, et s'armant de +violence, a emporté d'ici, la nuit dernière, une joie mortelle pour moi, +mortelle aussi pour lui, si vous êtes des hommes.» Tous, l'un après +l'autre, lui donnent leur parole; ils veulent consoler son désespoir en +rejetant la faute de la victime sur le coupable; ils lui répètent que +l'âme seule peut faillir, et non le corps, et qu'où il n'y a pas eu de +consentement, il ne peut y avoir de crime. «Vous verrez, leur +répond-elle, ce qui lui est dû. Quant à moi, si je m'absous de la faute, +je ne m'exempte pas du châtiment: nulle femme ne citera Lucrèce pour +pouvoir vivre sans honneur.» Alors elle s'enfonce dans le coeur un +couteau qu'elle tenait caché sous sa robe; elle tombe expirante sous le +coup. Son mari, son père, poussent ensemble un cri d'horreur. + +Tandis qu'ils sont en proie à leur douleur, Brutus retire de la blessure +le couteau d'où le sang dégoutte, et le tenant devant lui: «Par ce sang +si pur avant l'outrage royal, je jure, et vous, dieux, je vous prends à +témoins, je jure de poursuivre Tarquin le Superbe et sa scélérate +épouse, et ses enfants et sa race, par le fer, par le feu, par toutes +les armes qui seront en mon pouvoir; je jure de ne jamais souffrir ni +qu'eux ni qu'un autre régnent dans Rome!» Il passe ensuite le couteau à +Collatin, puis à Lucrétius et à Valerius, stupéfaits du prodige qui met +une nouvelle âme dans la poitrine de Brutus. Ils font le serment qu'il +leur dicte, et passant tout entiers du désespoir à la fureur, ils +suivent Brutus qui les appelle et les guide à la destruction de la +royauté. + +C'est là sans contredit un grand et magnifique tableau. + +Quoique Valére-Maxime ait appelé Lucrèce l'honneur et la gloire de la +chasteté romaine, son héroïsme n'en a pas moins été l'objet de doutes +railleurs et de suppositions peu bienveillantes. On a eu tort cependant +de ranger saint Augustin au nombre de ses détracteurs. Saint Augustin +n'examine que la question du suicide. Mais une foule d'écrivains +inférieurs qui trouvent moyen de faire de petits quatrains avec de +grandes choses, ont eu le triste courage de s'égayer au prix de tant de +noblesse et de malheur. Depuis l'épigramme latine rapportée par Henri +Etienne, jusqu'à la chanson de Marmontel, on pourrait citer une assez +longue liste de ces esprits malheureux pour qui la chasteté n'est qu'une +vertu équivoque et qui prête à rire. Un de nos plus grands écrivains +n'a-t-il pas essayé de déshonorer la vierge qui sauva la France! + +Parmi les auteurs qui ont sérieusement discuté le mérite de Lucrèce, il +en est qui ont porté l'égarement jusqu'à ne voir dans sa mort qu'un acte +de fanatisme politique qui voulait à tout prix l'expulsion des Tarquins. +D'autres ont cru que l'amour n'était pas étranger à la première partie +de l'histoire de Lucrèce. Parmi ces derniers, il faut citer surtout le +comte Verri dans ses Nuits romaines aux tombeaux des Scipions, en +présence des ombres des plus glorieux Romains; l'ombre de Pomponius +accuse Lucrèce de ne s'être tuée qu'après avoir reconnu que son +déshonneur à demi volontaire serait révélé par l'indiscrétion de Sextus. +Cicéron la défend mollement; Brutus le Jeune, avec plus de chaleur, veut +repousser l'accusation et interpelle l'ombre de Lucrèce: Lucrèce, sourde +à cet appel, s'appuie sur un tombeau, se tait et pleure. + + + +[Illustration et partition musicale: Tout mon amour.] + +Chronique musicale.--Concerts du Conservatoire + +Il va, à l'école royale de musique et de déclamation, une petite salle +destinée originairement à servir de théâtre aux exercices des élèves, et +disposée de telle sorte qu'elle peut devenir alternativement et selon +qu'il convient, salle de spectacle, ou salle de concert. Là, point de +lustre étincelant, point de tapis, de peintures, de dorures, rien de ce +qui attire et éblouit la foule. Aucune salle peut-être, dans nos +quatre-vingt-six départements, n'est plus modestement décorée, ni +éclairée avec plus d'économie: aucune n'affecte un plus profond dédain +pour le luxe et pour l'élégance extérieure. En revanche, il n'en est +aucune assurément dont les portes soient assiégées chaque année avec +plus d'empressement, et qui se remplisse d'un auditoire plus éclairé, +plus attentif, plus difficile à satisfaire, et plus prompt à la +reconnaissance et à l'enthousiasme, lorsqu'il est satisfait. + +[Illustration: (Salle des Concerts du Conservatoire.)] + +Voilà quinze ans que la société des artistes qui concourent à +l'exécution des concerts du Conservatoire s'est organisée. Ce fut M. +Habeneck qui, en 1828, les réunit et jeta les fondements de leur +association. Depuis cette époque, il n'a pas cessé de les diriger. Le +but de cet habile et savant musicien était, dans l'origine, de faire +connaître au public les productions d'un homme de génie depuis longtemps +illustre et vénéré en Allemagne, mais que la France n'avait pas encore +compris. Seul, Habeneck avait déjà fait une étude consciencieuse et +approfondie des procédés et du style de Beethoven; il avait deviné tous +les secrets de ce génie mystérieux, et lui avait voué dans son coeur un +culte pour lequel il cherchait partout des prosélytes. Déjà deux fois, à +l'Académie royale de Musique, il avait tenté d'introduire les artistes, +ses confrères, dans ce monde inconnu et merveilleux, créé par l'auteur +des modernes symphonies. Deux fois il avait échoué. La formation de la +société des concerts fut le signal de la troisième tentative. Celle-ci +réussit plus complètement qu'Habeneck lui-même n'eut peut-être osé +l'espérer. + +Nous n'essaierons pas de décrire les transports d'admiration et +d'enthousiasme qui éclatèrent de toutes parts à l'apparition de ces +chefs-d'oeuvre si hardiment conçus, si neufs de pensée et de forme, si +riches de coloris, si vastes de proportions, si magnifiques +d'ordonnance. Ce fut, pour la France artiste, comme la découverte d'un +nouvel univers, et la révélation d'un nouveau dieu. + +L'orchestre, formé et dirigé par Habeneck, était en même temps une chose +merveilleuse et tout à fait inattendue. On n'avait pas encore vu +d'exemple d'une exécution purement instrumentale aussi intelligente, +aussi habilement nuancée, aussi chaleureuse, aussi puissante. Dès le +premier jour, cet orchestre incomparable parut avoir atteint les limites +extrêmes de l'art, et pourtant il s'est perfectionné, depuis cette +époque, d'année en année. Aujourd'hui sa réputation est établie dans +toute l'Europe, et l'Allemagne, cette patrie de la musique +instrumentale, n'en a pas un seul qu'elle puisse ni qu'elle ose lui +comparer. + +Tous les ans la société donne huit ou neuf concerts. Chacun est consacré +à l'exécution d'une des oeuvres symphoniques de Beethoven. Cela dure +depuis quinze années, et l'admiration publique paraît encore aussi vive, +aussi jeune que le premier jour. + +Malgré cette large place accordée à Beethoven, les autres maîtres de +l'art ancien et moderne ont néanmoins conservé la leur. Marcello, +Pergolése, Haendel, Gluck, Haydn, Mozart, Weber, Méhul, Chérubini, +viennent figurer tour à tour dans cette lice glorieuse, et si les +représentants de l'art italien y paraissent plus rarement et en plus +petit nombre, c'est sans doute à cause de la difficulté qu'il y aurait à +leur trouver des interprètes dignes d'eux. L'école italienne est +essentiellement vocale, et malheureusement le chant, sauf de rares +exceptions, a toujours été jusqu'ici la partie faible des concerts du +Conservatoire. + +Nous ne pourrions nous étendre sur ce sujet, sans nous exposer à +raconter ce qui est su de tous nos lecteurs. Cependant on ne nous saura +pas mauvais gré, nous l'espérons, de jeter un coup d'oeil rapide sur les +séances de cette année. + +Il y en a déjà eu six, et plusieurs ont excité un vif intérêt. + +Trois symphonies nouvelles ont été essayées:--La première, de M. +Mendelshon-Bartholdy, l'un des compositeurs vivants les plus renommés en +Allemagne;--la seconde, de M. Swencke, Allemand aussi, mais qui habite +Paris depuis longtemps;--la troisième, de M. Rousselot. Celui-ci est +Français, élève de notre Conservatoire, et même, si nous ne nous +trompons, fit partie, pendant plusieurs années, de la Société des +Concerts. + +M. Rousselot est jeune, et probablement l'ouvrage qu'il a fait entendre +était son coup d'essai en ce genre. Du moins l'étendue excessive de +quelques parties, l'abondance et peut-être la prolixité de ses +développements, semblent nous donner le droit de le supposer. L'art de +se borner, la force et le courage nécessaires pour supprimer sans pitié +certains détails, et pour aller droit au but, sont presque toujours les +fruits précieux et tardifs des années et de l'expérience. Peut-être +encore pourrait-on désirer, dans la symphonie de M. Rousselot, plus de +chaleur, plus de verve, et des idées d'une plus grande valeur; mais, +s'il y a quelques défauts, il s'y trouve aussi de belles qualités, une +entente remarquable de l'instrumentation, une extrême habileté de +contre-pointiste. Personne ne sait mieux que lui prendre un sujet, lui +donner mille positions, mille formes différentes, le présenter sous +mille aspects divers. C'est même parce qu'il abuse quelquefois de ses +ressources et de sa fécondité en ce genre, qu'il tombe dans +l'inconvénient que nous signalions tout à l'heure. Son défaut n'est que +l'excès d'une qualité. C'est donc, à tout prendre, un heureux défaut, et +tout le monde comprendra qu'il est plus facile de modérer une faculté +que l'on a, que de suppléer à une faculté qui nous manque. La symphonie +de M. Rousselot est, en résumé, une oeuvre consciencieuse et fort +estimable, et qui atteste un remarquable talent. + +A quelques modifications près, on en peut dire autant des ouvrages de +MM. Swencke et Mendelshon-Bartholdy. Peut-être y a-t-il chez ces deux +compositeurs une démarche plus assurée, une disposition de parties plus +régulière. Cela prouve qu'ils n'en étaient pas à leur début, et que M. +Rousselot est plus jeune qu'eux. Nous ne doutons pas qu'il ne se console +aisément de ce malheur. + +Dans une discussion entre deux soeurs, l'une, faute de meilleures +raisons, faisait prévaloir son droit de primogéniture. «Je suis +l'aînée, dit-elle.--C'est-à-dire la plus vieille, répondit l'autre, je +ne t'envie pas cet avantage.» + +Parmi les oeuvres de musique religieuse exécutées cette année, on a +surtout distingué un magnifique motet de Chérubini, et deux fragments +d'une messe de J. Haydn. Ces trois morceaux ont paru également +admirables par l'élévation de la pensée et la puissance de l'exécution. + +Quand un artiste étranger vient à Paris, le plus grand honneur auquel il +puisse aspirer c'est d'être admis à figurer aux concerts du +Conservatoire. C'est là que Sigismond Thalberg s'est fait entendre pour +la première fois. Ces! là que, cette année, Camille Sivori est venu +établir ses droits à la succession de Paganini, qui était jusqu'à +présent restée vacante. + +La sixième séance a été remarquable, non par la révélation d'un talent +nouveau, mais par l'exhumation d'un chef-d'oeuvre oublié, ou peut-être +inconnu en France. Madame Viardot, cette jeune cantatrice dont nous +avons apprécié, dans notre dernier numéro, en parlant du +Théâtre-Italien, le talent si brillant et si varié, a fait entendre un +air de Pergolése, qui est assurément l'une des plus charmantes créations +de ce grand homme. Rien de plus piquant, de plus gracieux, de plus +élégant, de plus frais, et même de plus neuf que ce morceau. +L'auditoire, d'abord surpris, bientôt ému et transporté, l'a salué +d'acclamations unanimes, et l'a redemandé tout d'une voix. Madame +Viardot s'est prêtée à ce désir avec une grâce parfaite, et n'y a rien +perdu pour son propre compte. Moins préoccupé cette fois du compositeur, +le public, a concentré son attention sur la cantatrice, et a compris +tout ce qu'il y avait d'esprit, de délicatesse, d'élégance et de charme +dans son exécution. Il s'est émerveillé surtout, et à juste titre, de +voir ces qualités appliquées à une composition qui date de plus d'un +siècle. Pour retrouver avec tant de précision les intentions d'un maître +ancien, pour pénétrer tous les secrets d'un style qui a si peu +d'analogie avec le style moderne, pour rompre aussi résolument avec +toutes les habitudes et tous les préjugés musicaux d'aujourd'hui, il +faut joindre à une intelligence supérieure un tact exquis et une +érudition peu commune. Soutenir un compositeur vivant est beau, sans +doute; mais il faut une bien autre puissance pour ressusciter un mort, +et l'on ne s'étonnera pas que ce prodige, opéré si victorieusement par +madame Viardot, l'ait encore élevée dans l'estime de tous les +connaisseurs. + + + +Des Caisses d'Épargne. + +Les _Caisses d'Épargne et de Prévoyance_ ont pour objet de recevoir au +fur et à mesure en dépôt les moindres économies des citoyens qui n'ont +que leur travail journalier pour vivre, de faire fructifier ces modestes +épargnes au moyen des ressources de l'intérêt composé, de les grossir +enfin insensiblement jusqu'au moment où elles sont suffisantes pour +avoir une destination utile, ou former un placement avantageux. + +Le dix-huitième siècle, qui ne connut, lui, que les tontines, ne pouvait +que mettre en avant l'idée d'appliquer les intérêts composés. C'est ce +qu'il fit. Mais ce fut seulement en 1810 qu'on vit surgir en Angleterre, +pays de calcul et d'application pratique, la première caisse d'épargne +véritablement digne de ce nom, une caisse gérée gratuitement et dotée +des fonds nécessaires pour garantir ses engagements. Le nombre des +caisses d'épargne depuis lors alla toujours en augmentant, et il y a +quelques années, on en comptait dans le Royaume-Uni environ 500, +dépositaires de 600 millions, qui appartenaient à plus de 500,000 +personnes. En 1818, une société anonyme, à la tête de laquelle étaient +des hommes dont les noms ont été constamment entourés de l'estime et de +la reconnaissance, publiques, fonda la Caisse de Paris sur des principes +qui depuis ont servi de modèle aux autres. Outre le vénérable +Larochefoucault-Liancourt, il nous sera permis de citer, parmi les +fondateurs, deux honorables citoyens dont les noms se retrouvent à côté +de toutes les institutions utiles et bienfaisantes, MM. François et +Benjamin Delessert. + +Malgré l'exemple donné par la Caisse d'Epargne de Paris, on ne comptait +en France, à la fin de la Restauration, que treize établissements de ce +genre. Depuis cette époque, leur nombre s'accrut dans une progression +rapide, et qui indiquait suffisamment que les masses commençaient à +apprécier les bienfaits de cette institution. En 1836, il existait déjà +220 caisses qui avaient au trésor 93 millions, dont la moitié environ +avait été versée par la Caisse de Paris. Au 31 décembre 1839, le solde +total des caisses était de 167,474,629 fr. 25 cent. + +Les lois des 5 juin 1835 et 31 mars 1837 modifièrent les bases sur +lesquelles avaient été primitivement établies les Caisses d'Épargne. Le +minimum de la somme à déposer est toujours cependant de 1 fr., sans +fraction de franc. On ne peut verser plus de 500 fr. par semaine, et la +somme appartenant à chaque déposant ne peut excéder 5,000 fr.; les +sociétés de secours mutuels sont seules admises à avoir un dépôt de +6,000 fr. La dernière de ces lois réalisa en même temps une grande +amélioration en autorisant les Caisses à verser en compte courant leurs +fonds au Trésor public, qui leur en paie un intérêt de 4 pour 100. Il +opère aussi sans frais le transfert d'une Caisse à l'autre dans toute la +France. L'État devient ainsi l'administrateur de la fortune publique et +privée; payant un intérêt de 4 p. 100, il est dans la nécessité +d'employer les sommes qui, auparavant, restaient inactives dans ses +coffres. La Caisse, de son côté, paie aux déposants un intérêt, non plus +de 5 p. 100, comme dans le principe, mais seulement de 3 fr. 75 cent. +pour 100 fr. La différence entre 5 fr. 75 cent. et 4 fr. est bonifiée au +profit de la Caisse, qui subvient, au moyen des ressources qu'elle en +tire, à ses frais d'administration. Cette réduction d'intérêts s'est +opérée sans secousse ni perturbation; car on avait déjà reconnu que les +déposants avaient moins en vue un intérêt considérable qu'une +accumulation successive de petits capitaux, la facilité de les retirer à +volonté et la sûreté du placement. + +H y a trois classes d'individus auxquels les Caisses d'Épargne peuvent +surtout être utiles; les domestiques et autres gens à gages, les +ouvriers, les habitants des campagnes. + +Les premiers placent généralement mal leurs économies, en des mains peu +sures. Désabusés aujourd'hui par tous les mécomptes et toutes les pertes +qu'ils ont subis, ils commencent à se servir des Caisses d'Épargne. + +Les ouvriers ont eu plus de peine à en prendre le chemin. Les préjugés +particuliers à cette classe, les tentations, de funestes habitudes, de +mauvaises connaissances, les en ont bien longtemps empêchés. Peu à peu, +toutefois, ils sont arrivés à se convaincre que les Caisses d'Épargne +sont, suivant l'expression de M. de Cormenin, des écoles de moralité, où +le travail, fondé sur l'intérêt personnel, maîtrise les vices et les +mauvaises passions des hommes. «Il n'y a pas d'exemple, dit M. B. +Delessert, qu'un porteur de livret ait été condamné par les tribunaux. » +Le nombre des ouvriers déposants s'accroît dans une rapide progression. +Aujourd'hui, ils forment la majorité des déposants nouveaux. Mais il +n'en est pas de même dans les départements, pour les habitants des +campagnes. Défiants et soupçonneux, ils ne veulent pas qu'on sache +qu'ils ont de l'argent, ou bien ils se croiraient perdus s'ils le +sortaient de la cachette où ils l'ont enfoui, et où il dort improductif +jusqu'à ce qu'ils achètent un petit lot de terre. Que de capitaux ces +habitudes inintelligentes n'enlèvent-elles pas à la circulation. + +En tête de toutes les Caisses d'Épargne du royaume, se place +naturellement celle de Paris. Il ne sera sans doute pas sans intérêt +d'extraire du rapport présenté par M. B. Delessert quelques détails sur +sa situation. + +En 1841, la Caisse a reçu à divers titres. 40,041,548 f. 50 c. +Elle a remboursé par contre. ...... 26,911,458 78 + +Augmentation des versements sur les remboursements. + 13,130,009 52 + +Au 31 décembre 1841, le solde du aux +déposants était de........... 83,485,457 50 + +En 1841, il y a eu 34,303 déposants nouveaux, dont 18,875 ouvriers, et +7,200 domestiques. La moyenne de chaque versement a été de 141 fr.; +celle de chaque remboursement, de 410 fr.; celle de chacun des 134,000 +livrets existants au 31 décembre 1841, de 619 fr. A cette même époque, +les 285 Caisses d'Épargne des départements, non compris celle de Paris, +avaient en compte courant à la Caisse des dépôts et consignations, +157,988,002 fr.; en y joignant ce qui était dû à la Caisse de Paris, +nous trouvons un total de 241,661,552 fr. et une augmentation totale de +32,921,001 fr. pour la seule année 1841. + +Que de passions domptées, que de mauvais conseils repousses, que de +vertus acquises pour amasser et conserver ces 241 millions! En prévenant +de nombreuses douleurs, ces habitudes d'ordre et d'économie donnent de +nouveaux gages à la paix, à la tranquillité publiques; car il ne faut +pas s'y tromper, le pauvre qui commence à avoir une petite propriété +cherche dès lors à se garantir, par une économie soutenue, contre les +privations de l'indigence, et du moment où il a un petit pécule placé +sur l'État, non-seulement il n'y attache pas moins d'importance que le +plus fort capitaliste à ses trésors, mais il cherche sans cesse à le +grossir. Si nous en voulions une preuve, il nous suffirait de citer un +exemple. A l'occasion du mariage du duc et de la duchesse d'Orléans, +40.000 fr. furent distribués entre 1,760 livrets, qui furent répartis à +Paris entre autant d'enfants. Le nombre de ces livrets est encore +aujourd'hui de 1,698, et la somme due aux jeunes déposants est de +136.000 fr.: en quatre ans et demi elle s'est accrue de 97.000 fr. + +On voit donc de quel intérêt il peut être pour le pays et pour les +individus d'augmenter le nombre des Caisses d'Épargne. Seconder le +mouvement qui porte les petits capitaux vers ces utiles établissements, +c'est répandre dans la population des éléments de sécurité et de +bonheur. + + + +Longchamp. + +L'abbaye de Longchamp.--Mort de Philippe le long.--Henri IV et Catherine +de Verdun.--Lettre de Saint Vincent de Paul.--Sermons prêchés à +Boulogne.--Ermites du mont Valérien.--Conversion de mademoiselle +Lemaure.--Les _Ténèbres_ à Longchamp.--Le musicien Lalande.--Longchamp +sous Louis XV.--La Guimard et ses _armes portantes._--Equipage de +mademoiselle Duthé.--Mademoiselle Cléophile.--Anecdote--M. le comte +d'Artois (Charles X).--Efforts de l'archevêque de Paris contre +Longchamp.--Arrestation de mademoiselle Rancourt.--Longchamp de +1780--Carrosses de porcelaine.--Les princes à Longchamp--Modes de +1784.--Voitures anglaises.--Mesdemoiselles Adeline et +Deschamps.--Longchamp de 1787.--Parodie de Longchamp, par le marquis de +Villette.--Interruption de Longchamp.--Modes de 1793.--Démolition de +l'abbaye.--Renaissance de Longchamp.--Semaine sainte de l'an VIII.--Vol +d'un couvert.--Longchamp de l'an X.--Verts inédits de Luc de Lancival. +Longchamp en 1815.--Conclusion. + +En racontant l'histoire des moutons de Dindenout, Rabelais a écrit celle +du genre humain. Dans la foule qui piétine, roule, ou chevauche à +Longchamp, peu de gens se demandent l'origine de cette promenade +annuelle. Nous y venons parce que nos pères y sont venus, c'est une des +clauses de l'héritage que nous ont légué les générations précédentes, et +que nous transmettrons à nos descendants. Les usages, une fois établis, +trouvent une raison d'être dans leur existence même; plus ils durent, +plus ils se consolident, et on les observe encore longtemps après en +avoir oublié la cause première. Pourquoi ces flots vont-ils à la mer? +parce qu'ils sont poussés par d'autres flots, et que, derrière ceux-ci, +d'autres encore suivent la même pente invincible.... Mais qui s'inquiète +de la source? + +On a beaucoup disserté sur Longchamp sans approfondir ce sujet si +important dans l'histoire des moeurs parisiennes. Chaque écrivain, +jugeant plus commode de copier servilement ses prédécesseurs que de +recourir aux pièces originales, s'est contenté d'allégations +incomplètes, de vagues généralités, de notions acceptées sans examen. +Ces maladroits défrichements ont laissé le sol vierge encore, et nos +études sur Longchamp seront, nous osons l'espérer, moins imparfaites que +celles de nos devanciers. + +Au nord du village de Boulogne, entre le bois et la Seine, s'étend une +plaine étroite qui doit à sa configuration le nom de Longchamp _(longus +campus)_, et non pas Longchamps, comme on l'écrit sans égard pour la +syntaxe et pour l'étymologie. Ce fut là que dame Isabelle de France +bâtit, en 1250, le monastère de _l'Humilité de Notre-Dame_. Elle avait +écrit à Méméric, chancelier de l'Université: «Je veux assurer mon salut +par quelque pieuse fondation; le roi Louis IX, mon frère, m'octroie +trente mille livres parisis; dois-je établir un couvent ou un hôpital?» +Le chancelier opta pour qu'on ouvrit un asile à des nonnes de l'ordre de +Sainte-Claire. La Révolution lui a donné tort: elle eût conservé +l'hôpital, elle a démoli le couvent. + +L'origine royale de Longchamp lui valut le patronage des souverains. +Saint Louis en visitait souvent les religieuses; Marguerite et Jeanne de +Brabant. Blanche de France, Jeanne de Navarre et douze autres princesses +y prirent le voile. Philippe le Long y mourut le 2 janvier 1321, d'une +dysenterie compliquée de fièvre quarte. Pendant qu'il agonisait, l'abbé +et les moines de Saint-Denis vinrent processionnellement l'assister, +apportant comme remèdes un morceau de la Vraie Croix, un saint clou et +un bras de saint Simon. L'application de ces pieuses reliques parut +soulager le moribond; mais, suivant la chronique du _continuateur de +Nangis_, la maladie étant revenue par la faute du roi, il fit son +testament et expira. + +Longchamp, comme tous les autres monastères, comme toutes les +institutions humaines, passa de la grandeur à la décadence, de la +ferveur au relâchement, de la régularité au désordre. Saint Louis y +avait maintenu la stricte observance de la règle; son petit-fils, Henri +IV, y prit une maîtresse, Catherine de Verdun, jeune religieuse de +vingt-deux ans, à laquelle il donna le prieuré de Saint-Louis de Vernon, +et dont le frére, Nicolas de Verdun, devint premier président du +Parlement de Paris. Cet exemple paraît avoir été fatal à la moralité de +l'abbaye, à en juger par une lettre que saint Vinrent de Paul écrivait, +le 25 octobre 1632, au cardinal Mazarin: «Il est certain, disait-il, +que, depuis deux cents ans, ce monastère a marché vers la ruine totale +de la discipline et la dépravation des moeurs. Les parloirs sont ouverts +aux premiers venus, même aux jeunes gens sans parents. Les frères +mineurs recteurs aggravent le mal; les religieuses portent des vêtements +immodestes, des montres d'or. Lorsque la guerre les força à se réfugier +dans la ville, la plupart se livrèrent à toute espèce de scandale, en se +rendant seules et en secret dans les maisons de ceux qu'elles désiraient +voir.....» + +Nous citons ce curieux passage, non pour dénigrer les nonnes de +Longchamp, mais pour établir que les relations du couvent avec la +capitale étaient fréquentes, et que les Parisiens préludaient par des +promenades partielles à la grande promenade périodique. Plusieurs +circonstances contribuaient à les entraîner vers ces parages. Dès le +quinzième siècle, on allait à Boulogne entendre prêcher le carême par +les cordeliers aumôniers de Longchamp. «En 1429, selon le _Journal de +Charles VII_, frère Richard, cordelier, revenu depuis peu de Jérusalem, +fit un si beau sermon, qu'après le retour des gens de Paris qui y +avaient assisté, on vit plus de cent feux à Paris, en lesquels les +hommes brûlaient tables, cartes, billes, billards, boules, et les femmes +les atours de leur tête, comme _bourreaux de truffes_, pièces de cuir et +de baleine, leurs _cornes_ et leurs _queues._ «En outre, il fallait +passer par Longchamp pour monter au Mont-Valérien, habité par des +ermites qui, au temps où Mercier rédigeait son _Tableau de Paris_, en +1782, attiraient encore, après quatre ou cinq siècles, _un concours +étonnant de peuple et de bourgeois_ Il y avait _fluxion_ sur ce point, +et l'autorité ecclésiastique fut souvent obligée d'employer des mesures +coërcitives. «Les évêques de Paris, dit l'abbé Leboeuf, ont toujours +veillé à ce qu'un trop grand concours à Longchamp n'en troublai la +retraite. La bulle du pape Grégoire XIII, sur un jubilé, en avait +assigné l'église pour une des sept stations. Pierre de Gondi, évêque, +mit l'église de Saint-Roch à la place de celle de Longchamp; et lorsque +le pape eut appris ces raisons, il loua sa prudence par un bref que j'ai +vu, daté du 10 mars 1584.» + +Ce fut au commencement du règne de Louis XV que se régularisèrent les +excursions qui avaient pour fut l'abbaye. Une cantatrice célèbre, +mademoiselle Le Maure, quitta théâtre en 1727, à la vive douleur du +public, qui regrette toujours ceux qui prennent envers lui l'initiative +de l'abandon. Des scrupules religieux avaient déterminé la retraite de +mademoiselle Le Maure; mais le chant était sa vie; elle n'y put renoncer +d'une manière absolue, et lasse de dire les amours _d'Armide_ ou +d'_Alceste_, elle fit retentir de ses notes éclatantes les voûtes de +l'église de Longchamp. Les saintes filles se formérent aux leçons de +l'actrice; leur psalmodie lugubre devint un angélique concert et tout +Paris accourut les entendre chanter _Ténèbres_ pendant la semaine +sainte. L'abbesse, étonnée de ce succès, se mit en quête de belles voix, +et demanda aux choeurs de l'Opéra. Les _dryades_ du _Triomphe de +l'Amour_, les _divinités infernales_ de _Persée_, entonnèrent, +concurremment avec les vierges du Seigneur, _quare fremuerunt gentes_, +ou _miserere mei, Deus_. Les Parisiens se crurent au spectacle. On +assiégea les portes, on s'amoncela dans la nef, on escalada les +galeries, on monta sur les chaises, sur les tombeaux, sur les autels des +chapelles. Ce fut, pendant plusieurs années, une effroyable cohue, une +avalanche de bruyants visiteurs, l'invasion d'une petite église par une +grande ville. Le jour enfin, les curieux, arrivant le mercredi saint aux +portes de Longchamp, les trouvèrent fermées par ordre de M. de Beaumont, +archevêque de Paris. Le pèlerinage annuel n'en continua pas moins. +C'était une inauguration des promenades, une fête publique du printemps, +une manifestation joyeuse en l'honneur du soleil et des toilettes +d'avril, des nouvelles feuilles et des nouvelles modes, des beaux jours +renaissants et des jolies femmes ranimées. C'était, à défaut des +cantiques de Longchamp, un hommage rendu à celui qui vivifie la nature +après l'hiver. + +En recherchant ce qui concerne les premiers Longchamp, nous n'avons +exhumé qu'une seule anecdote. Lalande, musicien de la chapelle du roi, +voulant aller à Longchamp, se rend chez le loueur de chevaux Mousset, et +loue un cheval avec selle de velours, housse galonnée, bride et bridon +d'or; il donne 9 fr. d'arrhes. En sortant de l'écurie, il rencontre +trois de ses collègues, Daigremont, Douillet et Mondoville, qui +l'invitent à monter avec eux dans une calèche et à les accompagner à +Longchamp. Lalande répond qu'il vient de louer un cheval, mais que s'il +peut retirer ses arrhes il sera volontiers de la partie. On retourne +chez le loueur: «M. Mousset, dit Lalande, montrez-moi donc encore une +fois le cheval que j'ai arrêté.--Le voici. Monsieur.--Savez-vous qu'il +est bien court, votre cheval, et qu'il y a peu d'espace entre le cou et +la queue? Car enfin, c'est moi qui paie: je prends la première place, +voici celle de Daigremont, Doublet se tiendra là; mais je ne vois pas où +diable sera placé Mondoville, et celui-là compte!» + +Le loueur, après avoir écouté attentivement ce calcul, se hâte de +restituer les arrhes. + +De 1750 à 1760 Longchamp atteignit son apogée. C'était alors une +solennité: grands seigneurs, diplomates, fonctionnaires publics, +financiers et fermiers-généraux y faisaient assaut de luxe et +d'élégance. A Naples, à Madrid, le roi lui-même par un sentiment de +pieuse vénération, n'aurait pas osé monter en voiture pendant la semaine +sainte: à Paris, au contraire, l'aristocratie préparait longtemps à +l'avance les plus somptueux équipages, et les bourgeois modestes, ceux +qui allaient ordinairement à pied, dérogeaient durant trois jours à leur +habitude. Calèches, fiacres, cabriolets, carrosses de remise, chevaux, +chaises à porteur, vinaigrettes, tous les véhicules disponibles étaient +mis en réquisition. Dès le mercredi saint, une immense cohue encombrait +les allées des Champs-Elysées et du bois de Boulogne. Les actrices y +venaient briguer les applaudissements que les vacances de Pâques les +empêchaient de chercher sur le théâtre. Les femmes qu'on appelait alors +_les impures_, et qui doivent leur nom actuel au quartier qu'elles +habitent, se montraient resplendissantes de diamants qui les paraient +sans les éclipser. Les journalistes, les pamphlétaires, les peintres de +moeurs, ne manquaient pas au rendez-vous général, et les nombreux +documents qu'ils ont recueillis nous mettent à même de tracer, presque +année par année, une monographie de Longchamp. + +La promenade de mars 1768 fut favorisée par la beauté du temps et de la +douceur de la température. «Les princes, les grands du royaume, disent +les _mémoires_ contemporains, s'y rendirent dans les équipages les plus +lestes et les plus magnifiques.» L'héroïne de la fête fut la danseuse +Guimard, que Marmontel avait surnommée la _belle damnée_. Elle parut +_dans un char d'une élégance exquise,_ sur les panneaux duquel, pour +mieux rivaliser avec les grandes dames, elle avait fait peindre des +_armes parlantes_. L'écusson portait un _marc d'or,_ d'où s'élevait une +plante parasite, un gui de chêne; les grâces servaient de supports et +les amours de cimier. Ce blason révélait un lucre honteux; mais, sous ce +règne, la licence étaient trop commune pour qu'il lui fût possible +d'être effrontée, et l'un oublia l'imprudence de l'aveu pour ne songer +qu'à l'esprit des emblèmes. + +Quelques années plus tard, en avril 1774, nous voyons la chanteuse Duthé +succéder à mademoiselle Guimard dans les fonctions de _beauté à la +mode_. Cet équipage doré, vernissé, traîné par six chevaux fringants, +n'appartient point, comme on pourrait le croire, à une princesse du sang +royal; il porte tout simplement la Duthé. Le mercredi et le jeudi saints +elle excite l'admiration; on la proclame et elle se croit sans rivale; +mais, le troisième jour un autre équipage, non moins doré, traîné par +six chevaux non moins superbes, galope à côté du sien. Quelle était donc +celle qui dressait ainsi carrosse contre carrosse, celle qui opposait sa +piquante physionomie à la beauté fade et régulière de la Duthé? Une +obscure élève d'Audinot, _danseuse en double_ à l'Opéra, la demoiselle +Cléophile, qui devait une subite opulence à la protection du comte +d'Aranda. + +Un an après, la Duthé faisait l'épreuve de l'inconstance du public. Au +moment où son équipage entrait en ville, des groupes menaçants +l'environnèrent; des huées, des sifflets, des cris d'indignation +l'assaillirent avec tant de violence qu'elle fut obligée de rétrograder. +Des bruits vagues, calomnieux peut-être, avaient provoqué cette +explosion de mécontentements. Le comte d'Artois, marié depuis deux ans à +Marie-Thérèse de Savoie, venait souvent _incognito_ de Versailles à +Paris. «Las de _biscuit de Savoie_, disait M. de Bievre, il venait à +Paris prendre _du thé_; et les Parisiens, d'ordinaire peu scrupuleux, +avaient pris parti pour la comtesse délaissée. + +L'affluence d'actrices et de femmes équivoques faisait de Longchamp un +spectacle assez scandaleux pour que l'archevêque de Paris cherchât à en +arrêter les progrès, après en avoir entravé la naissance. Il pria le +ministre de faire fermer les portes du bois de Boulogne durant la +semaine sainte, par respect pour le jubilé de 1776; mais ses +réclamations avortèrent, et la promenade eut son cours. + +La tragédienne Rancourt, la _prima donna_ du Longchamp de 1777 faillit +n'y pas assister. Le 29 mars, resplendissante et fière comme si elle eût +joué Roxane, elle s'apprêtait à monter en voiture. Vous pensez aller à +Longchamp, madame; vous êtes toute au désir de plaire et de briller; +mais vous avez compté sans vos créanciers. Vous n'avez pas aperçu les +recors en embuscade autour de votre hôtel; les voici, ils vous +entourent, ils s'emparent de votre personne, ils vous invitent poliment +à coucher au Fort-l'Évêque. Heureusement qu'un homme généreux, mais peu +désintéressé, en sacrifiant quelques milliers de louis, va vous rendre à +l'ovation qui vous attend. + +Le Longchamp de 1780 fut des plus brillants, en dépit de la vivacité du +froid. La file des voitures allait sans interruption depuis la place +Louis XV jusqu'à la porte Maillot, entre deux haies de soldats du guet. +Les voitures circulaient plus librement dans le bois, dont la garde +avait été confiée à la maréchaussée. On signala comme des merveilles +deux carrosses de porcelaine. L'un, occupé par la duchesse de +Valentinois, avait pour attelage quatre chevaux gris-pommelé, dont les +harnais étaient de soie cramoisie brodée en argent, le second +appartenait à _une impure_, mademoiselle Beaupré. Il reparut l'année +suivante avec un prince du sang, le duc de Chartres pour écuyer +cavalcadeur, «ce qui, disent les _mémoires_ de Bachaumont, n'augmenta +pas pour lui la vénération publique.» + +Malgré la présence de Monsieur, du comte et de la comtesse d'Artois, du +duc et de la duchesse de Bourbon. Le Longchamp de 1781 fut triste. +Pendant quelques aimées, il y eut diminution progressive dans le luxe et +le nombre des équipages, quoique les modes eussent atteint un degré +d'extravagance qui aurait du donner de la splendeur à la fête annuelle +de la mode. C'était le temps des étoffes, _entrailles de petit-maître, +soupir étouffé, jambe de nymphe émue, centre de puce en fièvre de lait:_ +les hommes étaient coiffés _à l'oiseau royal, au cabriolet, à la +Ramponneau, à la grecque, à l'hérisson;_ les femmes portaient de +gigantesques bonnets _à la Belle-Poule, à la d'Estaing, au ballon, à la +Montgolfier, au Port-Mahon, au compte-rendu, aux relevailles de la +reine_. Les carrosses massifs avaient été remplacés par des cabriolets +importés d'Angleterre, _wiskys_ ou _garricks_, voitures légères, mais +d'une si prodigieuse hauteur que le peuple disait, en les voyant passer: +«Voilà des gens qui vont allumer les réverbères.» Il parut, au Longchamp +de 1786, un _wisky_ dont la caisse disparaissait dans le brancard. Les +laquais étaient assis sur le devant, et le cocher, placé derrière sur un +siège élevé, dirigeait les chevaux par-dessus la tête de ses maîtres. +Les beautés remarquables et remarquées de cette même année furent les +demoiselles Adeline et Deschamps, appartenant toutes deux à la +_Comédie-Italienne_ La première avait reçu de M. de Weymeranges, +intendant des postes et relais, un présent de mille louis pour son +_longchamp_. La seconde est nommée par Delille dans _une épître sur le +luxe:_ + + Cette beauté vénale, émule de Deschamps, + Des débris de vingt ducs scandalise Longchamps. + +Une modification essentielle, introduite au Longchamp de 1787. lui +rendit momentanément son éclat primitif. On renonça à suivre la route +inégale et sablonneuse de l'abbaye, pour adopter l'allée qui va de la +Muette à Madrid. «Depuis longtemps, écrit l'annaliste Bachaumont, on ne +se rappelle pas avoir vu tant de monde, tant de voitures aussi belles et +aussi bizarres: les _wiskys_ y brillaient surtout. Beaucoup de +petits-maîtres, beaucoup de dames avaient fait faire une voiture +différente pour chaque jour. Un _wisky_ plus bizarre et plus galant que +les autres a fait pendant ce temps la matière des conversations. Ce +_wisky_ était surmonté d'une Folie avec sa marotte; dedans étaient +quatre marionnettes, deux de chaque sexe, saluant à droite et «gauche +sans cesse; tout cela était mené par un ânon joliment harnaché, et un +jockey dirigeait l'animal. On lisait sur la voiture: _D'où viens-je? où +vais-je? où suis-je?_ On l'a appelé la _parodie de Longchamp_, dont en +effet on semblait vouloir faire la critique. Quoi qu'il en soit, ce +concours a dû satisfaire le marquis de Villette, qui passe aujourd'hui +pour l'auteur.» + +La révolution suspendit Lonçchamp. Comment l'aurait-on solennisé? Tous +les chevaux avaient été accaparés pour le service des quatorze armées, +et le sang coulait sur la place ci-devant de Louis XV. Si quelques +voitures avaient osé s'aventurer dans les Champs-Elysées, elles auraient +rencontré chemin faisant les charrettes chargées de victimes. Longchamp +tomba en même temps que la monarchie. Ne pensez pas toutefois que la +mode ait complètement perdu son empire. Exilée de Longchamp, elle se +réfugiait dans les _galeries de bois_ C'était au Palais-Égalité qu'on +voyait les redingotes _à la Zutime_ en _pékin velouté et lacté;_ les +douillettes _à la laponne_ en _florence unie_; les habits _à la +républicaine_: les _caracos à la Nina_; les robes _à la turque, à la +persienne, à la Psyché, au lever de Venus_. Où diable la mythologie +va-t-elle se nicher? + +Cependant l'on abattait sans pitié le vieux monastère; on brisait les +nombreux tombeaux de l'église édifiée par sainte Isabelle, et les +cendres de la fondatrice, de Jeanne de Bourgogne, femme de Philippe le +Long, de Jeanne de Navarre, de Jean II, comte de Dreux, étaient +dispersées par des mains profanes. Longchamp semblait mort avec la +religion qui l'avait enfanté; les vainqueurs de thermidor le +ressuscitèrent. Nous sommes en germinal an V (avril 1797). La terreur +est anéantie, l'échafaud renversé, la _jeunesse dorée_ triomphante; +Longchamp va renaître pour les ébats des parvenus du Directoire. «Le +peuple, dit le _Miroir_ du 26 germinal, commence à voir que ces +opulentes niaiseries lui sont de la plus grande utilité. On ne peut +compter le nombre des couturières, des marchandes de modes, que nos +jolies promeneuses ont fait travailler, pour fixer les regards pendant +cette fête, qui, en elle-même, ne ressemble à rien. Pendant que les +amours s'occupent de leur parure, les forgerons, les charpentiers, les +selliers, travaillent sans cesse à confectionner, à équiper les chars et +les chevaux qui doivent traîner cette foule élégante et badine. Gloire à +Longchamp, aux niais qui y galopent, aux badauds qui les considèrent! +Ils font travailler, ils font vivre le pauvre monde.» + +En vertu de ces doctrines, exprimées dans un style qui exhale un parfum +d'ancien régime, les Parisiens se portent à Longchamp, le jour du +_ci-devant_ mercredi saint. On brave la pluie; on veut reconnaître les +lieux; mais il y a encore peu d'élégantes voitures, et l'on ne distingue +qu'un seul équipage à quatre chevaux, conduits par des jockeys vêtus à +l'anglaise. Le jeudi, les équipages, plus nombreux, vont et reviennent +sur deux lignes parallèles. La citoyenne Tallien, la citoyenne Récamier, +la citoyenne Lange, la citoyenne Mézerai, du théâtre Louvois, la +danseuse Lanxade, ont les honneurs de la journée. Le vendredi, on compte +deux mille voitures. Les héroïnes de la veille reparaissent avec des +toilettes différentes. L'écuyer Franconi a réuni ses musiciens dans une +vaste _gondole_, qu'escorte une foule d'écuyers, et donne un concert +ambulant aux promeneurs, depuis la place Louis XV jusqu'à Bagatelle. Des +troupes à pied et à cheval, des agents de police, sont distribués sur +toute la route; car le gouvernement est averti qu'une _grande +conspiration_ se prépare, et qu'on doit profiter de Longchamp pour +prendre le _Chemin de Ia Révolte_. Comme un symbole, de l'aristocratie +déchue, se montre à cette fête une calèche de forme antique, lourde et +vermoulue, conduite par deux maigres laquais, et péniblement tiraillée +par deux maigres haridelles. A l'entrée des Champs-Elysées s'est formé +un groupe d'humoristes, qui narguent le faste des nouveaux enrichis. +«Tiens, voici un ex-jacobin.--Celui-ci est un valet qui a dénoncé son +maître.--Voilà un comité révolutionnaire: le père, la mère, le fils, +tout en était...» Le soir, les _citoyennes_, en costume d'amazone, ou +habillées _à la grecque_ et étincelantes de diamants, vont au théâtre +Feydeau entendre Garat chanter _Enfant chéri des Dames_ et l'air +d'_Alceste: Au nom des Dieux._ Voilà Longchamp reconstitué! + +Diverses particularités signalèrent la semaine sainte de germinal an +VIII (1798). Le _vendredi saint_ fut en même temps le _mardi-gras;_ on +confondit le carême et le carnaval. Il y eut un _bal masqué_ le _jeudi +saint_, et le lendemain on exécuta le _Stabat_, au grand mécontentement +des vieux hébertistes. Les _merveilleux_ de l'an VIII figurèrent à +Longchamp en habits gros bleu, brodés en soie bleu-de-ciel, à _collet +triplement juponné_, avec cravates nouées sur le côté gauche, gilets _à +la débâcle_, et demi-chemises de batiste. Les couleurs chamois, serin et +violet, dominaient dans les ajustements des dames. Quelques robes +étaient bleu-clair recouvertes de linon. La coiffure en vogue était le +fichu-marmotte sur un chapeau de paille. + +Le soir du vendredi saint, un jeune homme entre chez le restaurateur +Naudet; il commande une _bisque aux écrevisses,_ un vol-au-vent, une +_suprême_, des biscuits à la crème et une bouteille de Volney. Il mange +vite; et, comme par distraction, met un couvert dans sa poche. Madame +Naudet s'en aperçoit, et sans esclandre, elle ajoute sur la carte: un +couvert d'argent, 54 fr. Le _merveilleux_, en payant, se contenta de +dire: «Je ne croyais pas que la carte montât si haut.» + +En l'an X, Longchamp a repris racine, et inspiré des vers à Luce de +Lancival, un des grands poètes de l'Empire: + + Célèbre qui voudra les plaisirs de Longchamps: + Pour moi, je choisis mieux le sujet de mes chants; + Mon pinceau se refuse à la caricature. + J'abandonne à Callot la grotesque figure + Du dédaigneux Mondor, brillant fils du hasard, + Pompeusement assis au fond du même char + Dont naguère il ouvrait et fermait la portière; + Ce fat, tout rayonnant de son luxe éphémère, + Et qui, pour trois louis, s'estime trop heureux + De louer un coursier qui sera vendu deux; + Et nos Vénus, sortant de l'écume de l'onde, + ui prennent le grand ton pour le ton du grand monde, + Et pensent ennoblir leurs vulgaires appas, + En affichant le prix que les paie un Midas. + Ce qui déplaît à voir n'est point aimable à peindre, + Et Longchamp me déplaît, à parler sans rien feindre. + Tout Paris à Longchamp vole. Qu'y trouve-t-on? + Maint badaud à cheval, en fiacre, en phaéton, + Maint piéton vomissant mainte injure grossière, + Beaucoup de bruit, d'ennui, de rhume et de poussière. + +Tel est encore Longchamp de nos jours; car depuis l'an VIII, il n'a plus +été interrompu, même lorsque les chevaux des Cosaques rongeaient les +arbres des Champs-Elysées, et que la hache des sapeurs ennemis décimait +le Bois de Boulogne. + +C'est toujours le même programme, exécuté de la même manière; ainsi, +cette année, on s'est occupé de Longchamp plusieurs mois à l'avance. La +_fashion_ noble ou financière a fait renouveler ses équipages. Les +_lions_ ont demandé des tilburys et des _wurks_ à Desouches-Touchard, +des habits à Humann, des cannes à Verdier. Les élégantes se sont +pourvues des capotes d'Alexandrine, des chapeaux de Lemonnier-Pelvey, +surmontés des plumes de Zacharie. Et que d'étoffes nouvellement +inventées par nos industriels! _échelle orientale, droguet catalan, +pékin en camaïeux, lampas burgrave, étoile polaire, caméléon fleuri,_ +etc. Tout cela a été préparé sous l'influence d'un printemps hâtif, et +le retour inattendu du froid a déçu bien des espérances, retenu bien des +promeneurs au coin du feu, bien des voitures sous la remise; néanmoins, +quoique les Champs-Elysées fussent déserts le mercredi, jour de pluie et +de giboulées, on y a vu, malgré l'incertitude du temps, un public de +choix le jeudi, et une très-grande affluence le vendredi. M. Gabriel +Delessert avait, suivant l'usage, publié une ordonnance pour prévenir +tous accidents et désordres pendant les promenades de Longchamp, avec +défense de rompre la file, de conduire des voitures dans les +contre-allées, de monter sur les arbres et sur les candélabres destinés +à l'éclairage public. Ces mesures n'ont pas été inutiles le dernier +jour, car la foule est revenue avec le soleil; deux lignes de voitures +s'étendaient de la place de la Concorde à la porte Maillot; c'était le +mardi-gras, moins les masques. Au milieu de la chaussée, circulaient les +équipages armoriés, les calèches de la Chaussée-d'Antin, et celles de +quelques actrices assez jolies pour avoir voiture avec deux mille francs +d'appointements. A l'entour, des _sportsmen_, en habit _fumée de +Londres_, caracolaient sur leurs nouvelles montures; des commis +s'évertuaient à modérer le langage de leurs _locatis_; de gracieuses +cavalières paradaient en amazones de _casimirienne_ à boutons d'or, à +manches _amadis_. Dans les contre-allées erraient les curieux vulgaires, +les spectateurs désoeuvrés, qui contribuent eux-mêmes à former le +spectacle. + +[Illustration.] + +Voilà le Longchamp de cette année; ce sera sans doute, avec de légères +variantes, celui de 1844. Longtemps encore, toujours peut-être, on verra +les modes nouvelles s'épanouir durant ces trois jours consacrés. Comment +voulez-vous que cet usage périsse? Il est devenu en quelque sorte une +des fonctions de note organisme. Il est protégé par la coquetterie des +femmes, l'orgueil des riches, l'intérêt des commerçants. Qui pourrait +ébranler un édifice assis sur les bases aussi éternelles? + + + +La Vengeance des Trépassés. + +NOUVELLE. +(Suite.-Voyez p. 73 et 89.) + +[Illustration.] + +§ 3.--Le Moulin.--La famille de Ponce-Pilate. + +Mille terreurs, mille soupçons s'élevaient dans le coeur des fugitifs, +qui n'osaient encore se les communiquer. Ils allaient sans parler, +respirant à peine, livrés tour à tour à l'espoir d'être sauvés et à la +crainte d'être trahis. Tout à coup on leur barre le chemin; dans la +nuit, une figure humaine est debout devant eux, une main se pose sur +l'épaule de don Christoval qui marchait le premier, et une douce voix +connue leur dit: _C'est moi_. Trop tard! don Christoval avait déjà +frappé. La pauvre Rachel ne jeta pas un cri; mais elle ajouta aussitôt: +«Je suis morte! vous avez tué votre libératrice.» En même temps +l'abîme ténébreux dans lequel ils étaient plongés tous trois s'ouvrit +comme par enchantement et laissa apercevoir l'immensité du ciel brillant +d'étoiles. Rachel, par un dernier effort, poussa en avant ses protégés, +et lorsque, après avoir fait un pas, ils se retournèrent vers elle, la +porte s'était remise à sa place, le rocher était refermé, tout était +silencieux et immobile. + +Leur premier mouvement fut de tomber à genoux pour remercier Dieu. Ils +se trouvaient dans une prairie couverte d'une herbe haute et touffue; +derrière eux s'élevait un énorme massif de rochers sur lesquels avaient +crû çà et là des chênes et des pins, dont les spectres noirs et +mélancoliques se dessinaient sur le ciel doucement éclairé d'une lueur +crépusculaire. La sinistre maison devait être située derrière ces +rochers, car on ne la découvrait nulle part, en sorte que rien ne +souillait la pureté de ce paysage. Au sortir d'une atmosphère chargée de +vapeurs de sang. Léonor et Christoval respiraient avec délices, et cet +air embaumé leur rendait les forces dont ils avaient tant besoin. + +Don Christoval cherchait la meilleure direction à suivre, quand leur +oreille fut frappée d'un bruit lointain et régulier. Ils reconnurent le +tic-tac d'un moulin; ils se dirigèrent de ce côté, en marchant avec +toute la vitesse possible dans cette grande herbe où il leur eût été +facile de se cacher, même en plein jour. Le bruit devenait plus +distinct; il semblait que ce fût une voix amie qui les appelât. Au bout +d'un quart d'heure, ils distinguèrent la maisonnette du meunier. Mais un +obstacle imprévu les arrêta court: ce fut le ruisseau qui faisait +tourner le moulin. Heureusement ils crurent distinguer quelqu'un près de +la maison. Don Christoval, d'une voix forte dont il tâchait pourtant de +calculer et de ménager la portée, cria: _Au secours!_ et aussitôt un +homme accourut vers eux. Quand il fut sur le bord du ruisseau. Léonor ne +put se tenir de lui crier à son tour _sauvez-nous!_ l'homme ne répondit +qu'un mot _attendez!_ et il disparut. Au bout de cinq minutes il revint +avec une planche qu'il jeta sur le ruisseau, et les amants se crurent +sauvés en touchant l'autre rive. + +Le meunier n'attendit pas leurs questions: «Vous venez de +là-bas?--Hélas! oui.--Par quel miracle vous êtes-vous échappés?--Nous +avons été délivrés par un ange qui a été bien mal payé de ce bienfait. +Mais vous savez donc....--Je sais tout. Vous n'êtes pas les premiers qui +se sauvent ici. Oui, la Rachel est un ange parmi les démons. Aussi je +commence à leur devenir suspect; mais n'importe, venez; nous trouverons +moyen de vous cacher comme ceux d'il y a un mois.» + +Ils touchaient au seuil de la porte, lorsqu'on vit soudain des lanternes +courir le long de l'eau, dans la prairie. Elles descendaient vers le +moulin, et l'air retentissait de ces cris: Juan! Juanito! Juan! Juan! +«Les voici, dit le meunier; ils veulent passer. Carmen, dit-il à la +meunière qui était sortie au-devant d'eux, Carmen, cache ces étrangers. +» En même temps, il tourna les talons; et, comme l'on continuait à +crier: Juan! Juanito! il se mit à répondre de toutes ses forces: «Oui, +maître, oui! me voilà! me voilà! + +--Ils seront bientôt ici, dit la meunière; vite, vite, fourrez-vous dans +le bluteau. Là!... bon!... Entassez-vous tant que vous pourrez dans la +farine. C'est cela! et ne bougez.» La bonne Carmen ayant laissé retomber +le couvercle de toile et fait un signe de croix sur le bluteau, alla +s'asseoir près du berceau de son enfant, et se mit à le bercer en +chantant une vieille romance sur le Cid. + +Bientôt la porte s'ouvrit avec impétuosité, et trois hommes se +précipitèrent dans la chambre. Juan les suivait. Sans dire une parole, +ils coururent au lit, le visitèrent par-dessous avec leurs lanternes; +ils levèrent même les couvertures. Ensuite ils ouvrirent l'armoire; en +un mot, ils fouillèrent dans tous les coins et recoins dont ils purent +s'aviser, mais, par bonheur, ils ne s'avisèrent pas du bluteau. Enfin +l'un d'eux rompit le silence, et ce fut pour s'écrier avec des jurements +horribles: «Malheur à eux, si nous les rattrapons, les traîtres, les +scélérats, qui ont volé nos bons maîtres! ils le paieront cher! Et toi, +Juan, si l'on découvrait que tu aies favorisé leur fuite, que tu es leur +complice, ton affaire serait bientôt faite, ainsi qu'à ta femme et à ton +marmot! + +--Vous me faites tort, mes braves camarades, répondit le meunier. +J'atteste le ciel que je voudrais avoir ces coquins en ma seule +puissance, les tenir là, à ma discrétion, et je vous montrerais bientôt +quel homme je suis! Mais je puis vous garantir qu'ils n'ont pas pris de +ce côté; ou, s'ils y sont venus, le ruisseau leur aura fait rebrousser +chemin, et je n'en ai point vu. Probablement ils se seront jetés sur la +route de Jaen. En tout cas, ils ne peuvent manquer d'être rejoints, +puisque vous me dites que toute la maison est à leurs trousses. Mais +vous n'avez plus rien à faire ce soir; vous devez être fatigués; ne +voulez-vous pas vous rafraîchir? + +--Volontiers, ami Juan, répondit un autre qu'à sa voix, don Christoval +reconnut pour le portier qui les avait d'abord repoussés; mais nous +avons déjà soupé, il nous faut peu de chose. + +--Un bon beignet de pâte, à l'huile, arrosé d'une outre de vin vieux, +dit Carmen. Nous avons de l'huile admirable; et quant au vin, vous m'en +direz des nouvelles.» + +Les quatre hommes s'assirent autour de la table. Carmen prit un plat +creux, s'approcha du bluteau, leva le couvercle, et puisa de la farine +pour faire son beignet, affectant de rester longuement devant le bluteau +ouvert. Cependant un des bandits qui n'avait pas encore parlé: «Que +j'aurais du plaisir, dit-il, à planter mon poignard au coeur de ces +misérables, comme cela!...» En achevant ces mots, il enfonçait son +poignard au milieu de la table avec rage. L'arme se tint debout en +tremblant; la lame avait pénétré dans le bois à six lignes au moins de +profondeur. + +«Carmen, dit le meunier, arrête le moulin. Il est une heure passée; +c'est aujourd'hui dimanche..., et apporte-nous l'outre.» Le souper +commença et la conversation continua de plus en plus animée et enjolivée +de mille plaisanteries atroces ou indécentes. Le meunier faisait le bon +compagnon, enchérissant sur ses convives, et avait soin de les faire +boire largement, en s'épargnant lui-même sans qu'il y parût. Enfin, il +joua si bien son jeu, qu'ils sortirent du moulin plus assurés que jamais +du dévouement du meunier et complètement ivres, à ce point, qu'en +repassant le ruisseau, l'un de ces honnêtes gens y tomba, et y fût +resté, s'il se fût trouvé en la seule compagnie de l'honnête Juan. + +Léonor et Christoval furent tirés de leur asile, tellement enfarinés de +la tête aux pieds, que leur visage et leurs mains ressemblaient à ceux +d'une statue de marbre blanc. En les voyant dans cet état, le meunier et +sa femme firent de grands éclats de rire, auxquels eux-mêmes prirent +part très-volontiers. «Vous voilà hors du plus grand péril, dit Juan; +mais ce n'est pas tout: il faut trouver moyen de gagner la ville voisine +sans être découverts, car nous sommes toujours sur le domaine de vos +ennemis. Or, ils sont puissants et vigilants! et, s'ils vous +surprennent, il n'est point de violence qu'ils ne se permettent pour +s'assurer de vous et vous empêcher de découvrir leurs crimes à la +justice. Le point du jour approche; voici ce qu'il faut faire: vous +allez prendre un de mes habits, et cette jeune dame fera à ma femme +l'honneur de revêtir un des siens. Nous partirons avec ma voiture. Vous +savez conduire une voiture? Vous conduirez donc la mienne à pied, et +madame et moi serons assis sur les sacs: elle pourra même faire semblant +de dormir, cela fera que, si l'on nous rencontre, l'on aura moins de +soupçons; car je suis connu dans le pays, et vous passerez pour mon +garçon de moulin.» + +--Rien n'est mieux arrangé, reprit don Christoval; dites-moi seulement +comment il se peut faire qu'un si honnête homme que vous soit au service +d'une troupe d'assassins.--Je vous conterai tout cela en route, dit le +meunier. Nous n'avons pas de temps à perdre.» + +Les travestissements finis et la voiture préparée, l'on partit. L'aurore +n'était pas encore levée, mais une ligne rouge, qui enflammait l'horizon +du côté de l'orient annonçait son approche. Au fond de la voûte céleste +les étoiles avaient disparu sous un voile grisâtre; et, à l'extrémité +opposée, la lune brillait encore, pale et légère, dans un ciel bleu. +L'air était frais et calme; les oiseaux se taisaient, endormis dans les +vieux oliviers qui bordaient la route, et le silence universel attestait +que la nature n'était pas encore réveillée. On sait que, par l'effet +d'un de ces mystères dont notre vie est tissue, cette heure matinale +verse au coeur de l'homme l'espoir et la confiance, comme la venue des +ténèbres y jette le découragement et la terreur. Nos voyageurs, dans +cette heureuse disposition qu'inspire le retour de la clarté, sortirent +du moulin, Christoval, en équipage de garçon meunier, un fouet à la +main, Léonor en habit de paysanne. Ils embrassèrent la bonne Carmen, qui +pleurait et ne pouvait s'empêcher d'avoir peur, et l'on se sépara pour +ne jamais se revoir, selon toutes les apparences. Ainsi va la vie! + +Tous trois étant montés sur la voiture, Juan et Léonor assis côte à côte +et don Christoval sur le devant, comme celui qui conduisait les chevaux, +le meunier prit la parole en ces termes: «Regardez entre les arbres: +voyez-vous là bas la maison isolée enveloppée d'une petite vapeur +blanche? Tenez, voilà le premier rayon du soleil qui l'éclairé. C'est là +que vous devriez être à cette heure, étendus sans mouvement et sans une +goutte de sang dans les veines, au lieu de rouler tranquillement comme +nous faisons, sur une bonne route bien sablée. Il est certain que Dieu a +opéré miraculeusement en votre faveur. + +«Il y a trois ans que cette famille vint s'établir dans le pays. Nul ne +les connaissait, et personne, aujourd'hui même, ne pourra vous dire d'où +ils sortaient. Ils achetèrent cette maison avec ses dépendances, qui +sont très-vastes. C'était un vieux manoir inhabité depuis des siècles: +on le disait hanté par des apparitions; ainsi vous voyez que ce n'est +pas d'hier que c'est un lieu redoutable. Ils firent réparer +l'habitation. On y travailla longtemps; et je me souviens, moi, d'y +avoir mené du sable et des pierres. Dans ce temps-là, je n'étais pas +encore marié et je n'avais pas loué leur moulin. Je ne pensais qu'à me +faire soldat; c'était bien loin de songer à devenir meunier! Pour en +revenir à eux, ils se sont mis à vivre très-mystérieusement, et ont +toujours continué depuis. Ils se donnent pour Moresques, mais la vérité +est que ce sont des Hébreux, ou, si vous l'aimez mieux, des juifs. Ils +sont très-riches, et on les croit profondément versés dans les secrets +de la cabale. Mais ce n'est pas là le plus extraordinaire de leur +histoire; le voici: ils sont tous venus au monde avec une main lépreuse, +la main droite; aussi vous avez dû remarquer qu'ils portent tous un gant +à cette main, et ne la découvrent jamais. Cette lèpre reste immobile et +ne se répand pas sur le reste du corps avant un certain âge, qui est +trente ans pour les femmes, et quarante ans pour les hommes. Alors cette +horrible maladie se met en mouvement; elle commence par les jambes, et +monte lentement, lentement, jusqu'à ce qu'elle envahisse le corps tout +entier; et, au fur et à mesure qu'elle gagne du terrain, elle tue les +endroits par où elle a passé, de manière qu'il y a dans le même individu +une moitié morte et une moitié vivante. Quand le mal s'est emparé de la +tête, c'est fini! mais il faut beaucoup de temps pour en arriver là. + +«Il est impossible de guérir ce mal, et vous croirez sans peine que les +hommes n'y peuvent rien, quand vous saurez que c'est un châtiment de +Dieu sur toute une race. Ces gens descendent, à ce qu'on dit, de +Ponce-Pilate, qui signa l'arrêt de mort de notre Sauveur, et ils doivent +porter jusqu'à la consommation des siècles le signe et la peine du crime +de leur ancêtre. + +«Mais, s'ils ne peuvent vaincre cette lèpre hideuse, ils ont du moins +trouvé moyen de la combattre et de retarder ses progrès: c'est en +prenant des bains tièdes dans du sang de chrétien. + +« La situation de leur demeure, au milieu de cette immense plaine +déserte, au sortir d'un défilé de la montagne Noire, les sert +admirablement. Quelque voyageur égaré ou attardé vient de temps à autre +leur demander asile, et ces infortunés voyageurs disparaissent sans +laisser aucune trace de leur passage. Ils ont chez eux une demi-douzaine +de domestiques, ou plutôt d'assassins à leur solde, qui, en un clin +d'oeil, et à l'aide de certaines machines, vous expédient un homme dans +l'autre monde. Après quoi, le vieux père, qui est le plus avancé dans sa +maladie, prend son bain, et l'on assure que les trois autres membres de +la famille se plongent successivement dans cette cuve sanglante.» + +Ici don Christoval interrompit le récit du meunier: «Je ne croirai +jamais, dit-il, que deux créatures aussi charmantes que le sont Amine et +Rachel participent ni à ce bain atroce, ni au meurtre qui a servi à le +préparer. + +--Je ne sais ce qui est d'Amine; quant à Rachel, vous avez raison. Comme +elle est la plus jeune, il n'y a pas longtemps qu'elle est instruite des +sombres mystères de la maison paternelle, et elle ne demanderait pas +mieux que de s'enfuir; mais comment? avec le secours de qui? et où se +réfugier? + +--Mais, demanda Léonor, comment avez-vous su tous ces détails! + +--Par deux domestiques qui se sont échappés de cet affreux repaire, il y +a un mois; et qui se sont sauvés, comme vous, dans mon moulin, jusque-là +je ne me doutais pas de la moindre chose. Ce moulin appartient à la +famille de Ponce-Pilate: ils me la louent bon marché et j'y gagne +beaucoup d'argent. Mais il n'est argent ni intérêt qui tiennent! je ne +puis souffrir en silence qu'on égorge ainsi mon prochain à deux pas de +moi, surtout étant, comme je suis, d'une famille de vieux chrétiens! +Mais nous voilà arrivés à Huescar sans avoir, grâce à Dieu, fait de +mauvaise rencontre. Dès que, vous serez en sûreté, j'irai avertir la +justice. + +--Hélas, dit Léonor, dans votre déposition, n'oubliez pas de justifier +la pauvre Rachel! c'est à elle que nous devons la vie, et probablement +elle nous eût accompagnés, sans la cruelle méprise qui, peut-être, à +l'heure qu'il est, lui a ravi l'existence. Que sera-t-elle devenue, sans +secours, dans ce couloir voûté? Aura-t-elle pu en sortir? Quel +traitement aura-t-elle reçu du reste de sa famille? Je vous avoue que +ces pensées me tourmentent beaucoup!» + +§ 4.--La Bohémienne. + +Sur ces entrefaites, la voiture était entrée dans les rues d'Huscar. Ils +allèrent descendre à l'enseigne du Saint-Sacrement, dont l'hôte était un +ancien ami du meunier. Il se trouvait justement dans cette auberge des +marchands qui retournaient à Murcie après avoir terminé leurs affaires à +Hescar: ils consentirent à prendre dans leur compagnie don Christoval et +Léonor, qui passait pour sa femme. Ceux-ci ne quittèrent pas le brave +Juan sans mille protestations d'amitié et sans l'avoir forcé d'accepter +une généreuse récompense. + +De Murcie, il leur fut aisé de gagner Alicante, où, trouvant encore une +occasion toute prête, ils s'embarquèrent pour Barcelone. Léonor +regrettait les chevriers de la montagne Noire; mais don Christoval lui +fit comprendre qu'il n'y avait de sûreté pour eux en aucun endroit de +l'Espagne, à cause du grand crédit de l'archevêque, qui, tôt ou lard, +finirait par les découvrir dans la retraite la plus cachée. Léonor se +rendit à ces raisons. + +Leur dessein était de se retirer quelque part en France, et d'y attendre +que la mort du prélat ou son indulgence, sur laquelle, à vrai dire, ils +ne comptaient guère, leur permit de rentrer en Espagne. + +Ils descendirent à Barcelone, et résolurent de continuer leur route par +terre, parce que la navigation fatiguait trop Léonor. Ils étaient trop +loin pour risquer beaucoup d'être poursuivis, outre qu'ils étaient +toujours déguisés; et une fois au delà des Pyrénées, ils n'avaient plus +rien à craindre. + +Aucun incident remarquable ne troubla leur voyage jusqu'à Llivia, petit +village situé à l'entrée de la montagne. Ils y arrivèrent avec la nuit. +L'unique auberge de l'endroit était un cabaret d'apparence assez +chétive, mais, comme il n'y avait pas à choisir, ils allèrent y +descendre. + +On remisa leur chaise, ensuite ils demandèrent une chambre: on leur dit +qu'il n'y en avait point de disponible pour l'heure, mais que sûrement +ils en auraient une pour coucher. En attendant, ils devaient se +contenter d'une espèce de salle commune, où étaient entassés bon nombre +de buveurs, qui faisaient grand bruit, car la méchante fortune de nos +voyageurs voulut que ce fût précisément la fête de l'endroit. Ils se +soumirent et prirent place dans un coin. Peu à peu, cependant, les +pratiques du cabaretier se retirèrent pour aller danser ou voir danser +dans une grange voisine, et les nouveaux venus luirent souper plus +tranquillement qu'ils ne l'avaient espéré. Ce souper fut meilleur aussi +qu'on n'aurait dû s'y attendre: il se composait de gibier, de +pâtisseries et de fruits, le tout relevé par un très-bon vin. Avant la +fin du repas, Léonor et don Christoval étaient demeurés tout à fait +seuls; cependant la prudence ne leur permit pas de s'entretenir de leurs +affaires, de peur d'être espionnés et entendus à travers une simple +cloison de planches mince comme du pallier. Ils causèrent de choses +indifférentes, et bien leur en prit. Après le dessert, don Christoval +sortit pour faire préparer enfin leur chambre, y transporter leur bagage +et s'occuper avec l'hôte d'autres détails touchant le départ du +lendemain et la route à suivre. Léonor, pensive, accoudée sur la table, +la tête appuyée sur sa main, prêtait l'oreille au bruit de la danse +lointaine, et son regard se perdait dans la partie obscure et profonde +de cette salle déserte. Tout à coup en face d'elle, dans l'angle opposé, +il lui sembla distinguer une forme humaine qui se mouvait et grandissait +dans l'ombre. La lampe de cuivre qui brûlait devant elle, suspendue à +une crémaillère en bois, lui donnait sur le visage, et la vivacité de la +lumière formait une sorte de rempart devant ses yeux éblouis. Léonor ne +put se défendre d'un sentiment de surprise et même de frayeur. La +personne inconnue s'approcha lentement jusqu'au bord de la table qui la +séparait de Léonor. C'était une grande femme maigre avec de beaux traits +réguliers, un teint cuivré et des yeux noirs brillants comme deux +flammes sombres. Elle était coiffée d'une espèce de turban rouge, vêtue +d'une longue robe grise qui s'en allait en guenilles, et paraissait +avoir quarante ans ou un peu plus. Il était facile de reconnaître une +Egyptienne ou Bohémienne. «Madame, dit-elle en bon espagnol, n'ayez pas +peur de moi; je m'étais endormie là, sur une natte: la faim m'a +réveillée tout à l'heure; voulez-vous me donner à +manger?--Très-volontiers; tout ce qui est là est à votre service. Prenez +une chaise, ma pauvre femme, et buvez et mangez.» L'Égyptienne ne se le +fit pas répéter: elle s'assit en face de Léonor, qui la considérait avec +compassion, et se mit à souper silencieusement, en personne affamée. +Quand elle fut rassasiée: «Que le ciel, ma bonne dame, vous récompense +de votre charité, dit-elle d'une voix grave et émue; je n'ai pas d'autre +moyen de reconnaître le bien une vous m'avez fait; cependant, si vous le +désirez, je vous dirai votre bonne aventure. C'est un art dans lequel je +passe pour habile.--Oh! que vous me feriez plaisir! dit Léonor. » + +L'Égyptienne, sans répondre, remplit un verre d'eau; puis, tirant de sa +poche unie petite boîte oblongue dans laquelle étaient renfermées des +plantes et des graines desséchées, elle y chercha une feuille de buis, +une feuille de romarin et un grain de genièvre, qu'elle plaça dans une +cuiller d'argent soigneusement essuyée, au-dessus de la flamme de la +lampe. Tandis que ces substances se calcinaient avec un faible +pétillement et une odeur aromatique, l'Égyptienne marmottait des paroles +rapides dans une langue inconnue. Sans s'interrompre, elle versa les +cendres dans le verre d'eau; et comme elles flottaient légèrement à la +surface, elle pria Léonor de souffler trois fois dessus pour les +submerger. Enfin, elle sortit de sa poche deux autres objets: un morceau +de parchemin chargé de caractères et de figures cabalistiques qu'elle +glissa sous le verre; plus, un petit volume également écrit sur +parchemin, qu'elle ouvrit à un endroit marqué, et posa ainsi ouvert +au-dessus de l'eau, comme un toit. Elle l'y laissa environ une minute, +pendant laquelle elle continuait toujours ses prières et ses évocations. +Enfin elle remit le livre dans sa poche, et dit: «Tout est prêt. » + +Elle s'agenouilla alors. Le verre était au niveau de ses yeux; elle y +regarda, et traduisait ce qu'elle voyait dans l'eau, «Vous avez été +religieuse, au moins avez-vous porté l'habit de novice.--Vous vous êtes +enfuie de votre couvent,--la nuit,--avec un cavalier.--Vous avez +traversé un bois,--ensuite une plaine;--on vous reçoit dans une vaste +maison;--vous avez échappé à un grand péril....--Attendez! interrompit +Léonor: ne pouvez-vous me donner des nouvelles de notre libératrice?--Je +ne puis vous parler que de vous seule; je ne vois que vous. Au sortir +d'ici, vous voyagerez encore longtemps....» La Bohémienne resta quelques +minutes sans parler, comme absorbée dans une contemplation plus +attentive, puis elle reprit d'une voix attendrie: «Ah! ma fille! vous +avez déjà supporté bien des peines; mais ce n'est rien, au prix de +celles qui vous attendent!--Quelles sont ces peines?--Je n'ai pas le +courage de vous en faire le détail. Armez-vous de force et de +patience!--N'est-il aucun moyen de prévenir mon sort?--Aucun! Tout ce +que je puis vous dire et encore cela ne vous servira de rien, c'est que +vous devez prendre garde au rosaire, et que vous mourrez au milieu de +l'eau, par le feu.--Au milieu de l'eau, par le feu! répéta Léonor +épouvantée de ces sinistres paroles. Grand Dieu! n'est-il donc sur la +terre aucun refuge pour moi? Oh! cherchez, indiquez-moi un asile où je +puisse trouver le repos.» La Bohémienne, cette fois, ne regarda plus +dans le verre; elle mit sa main sur ses yeux, réfléchit profondément, et +dit: «Le repos? vous ne le trouverez qu'en terre sainte!» + +Sur ce mot, elle se leva, et sortit de la chambre. + +F. G. + +_(La suite à un prochain numéro.)_ + + + +Sur l'Éloquence de la Chaire +AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE. + +L'histoire de la chaire sacrée en France, depuis le commencement de ce +siècle, offre trois périodes bien distinctes dont chacune a une +physionomie particulière, en grande partie déterminée par les +événements. + +Nous ne pouvons qu'effleurer ici un sujet si vaste. Nous passerons +rapidement sur les deux premières périodes surtout. Notre but sera +atteint si nous pouvons en mettre les traits distinctifs et +caractéristiques en relief, dans une esquisse impartiale de +quelques-unes des figures principales. + +Au commencement de ce siècle, la France sortait à peine d'une crise +violente et douloureuse. La lutte subsistait toujours, au dehors contre +les ennemis de la nationalité, au dedans entre les anciennes traditions +vivantes encore et les idées issues de la Révolution. Alors il se +présenta un homme singulièrement propre à défendre et à gouverner la +France, dans cette situation difficile. Quoi qu'on ait dit des idées +absolues de Napoléon, c'était aussi l'homme des transactions, et il le +montra en cette occasion. Pour satisfaire les partisans de l'ordre +nouveau, tout en conservant la puissance royale, il en abolit le titre +et consacra l'égalité civile. Il rouvrit ensuite les églises pour +attirer à lui les hommes du passé; car, en rétablissant le culte, +Napoléon semble avoir été guidé plutôt par ses vues de domination que +par une conviction religieuse bien profonde. Le traité conclu avec le +Saint-Siège en est une preuve éclatante: au lieu de creuser les idées, +on s'appliquait plus particulièrement à polir les formes. Dans la +crainte sans doute d'effrayer ceux que l'on voulait attirer dans le +giron de l'Église, par la rigidité d'une morale trop austère, on prêcha +presque exclusivement sur le dogme. Au reste, cette méthode ne laissait +pas que d'être logique; il était assez naturel, avant de déduire les +conséquences pratiques, de chercher à pénétrer les esprits de la +doctrine qui leur sert de base. + +Il y eut sous l'Empire plusieurs prédicateurs qui jouirent d'une grande +réputation, et qui la méritaient à bien des titres. Ne pouvant les citer +tous, nous nous bornerons à parler de MM. de Boulogue et Frayssinous, +qui nous semblent les plus remarquables. Ils résument en quelque sorte +l'illustration de la chaire pendant cette période à laquelle ils ont +survécu, mais dans laquelle permettent de les classer le temps de leur +plus grande vogue et surtout le genre de leur talent. + +M. de Boulogne avait déjà acquis quelque gloire avant la Révolution. Né +de parents pauvres, il avait étudié un peu tard; mais ses dispositions +naturelles, jointes à beaucoup d'ardeur pour l'étude, suppléèrent à +l'éducation première qui lui manquait. Ordonné prêtre, il vint à Paris +pour tenter la fortune de la chaire. Il y vécut longtemps solliciteur +obscur. Il trouva enfin des protecteurs puissants, fut présenté au roi, +et prêcha devant lui en 1787, M de Boulogne avait alors quarante ans. + +Pour bien juger la longue carrière de M. de Boulogne, tour à tour +pamphlétaire et journaliste, mais prédicateur avant tout, il faut se +faire une idée nette de son caractère, sous peine de trouver en lui des +contradictions inexplicables. Avec une conscience droite, des intentions +pures et un grand amour pour le bien, il était dans sa conduite plein +d'hésitation; souvent même il paraissait agir par boutade. Cela +provenait de cette imagination vive et mobile qui était le fond de son +talent. Il était de ces hommes sur qui l'impression du moment est +toute-puissante; aussi l'action des événements est-elle plus visible +chez lui que chez tout autre. Avant de se montrer l'adversaire ardent de +toute concession libérale et de tout progrès en politique, il avait +partagé, du moins jusqu'à un certain point, les idées qui avaient cours +à la fin du dix-huitième siècle. On lit en effet dans un de ses discours +imprimés de cette époque: «Le peuple seul a des droits, les rois n'ont +que des devoirs.» Ces paroles sont curieuses dans la bouche de celui qui +a prêché plus tard le sermon: «La France veut son Dieu! la France veut +son roi!» Mais il faut, pour les comprendre, se reporter à un autre +temps, et faire la part d'une époque où l'orateur[1] appelé à prêcher +devant Louis XVI, le matin même de l'ouverture des États-Généraux, avait +pris pour texte de son discours ce verset prophétique: _Deposuit +potentes de sede et exaltavit humiles._ + + [Note 1: M. l'abbé de Laboissière.] + +M. de Boulogne n'aimait pas beaucoup l'Empereur; on assure même qu'il ne +l'épargnait pas dans la liberté de ses entretiens intimes. Cependant il +le loua beaucoup dans ses sermons et dans ses mandements. Il fut nomme +chapelain de l'Empereur et évêque de Troyes. Mais, après avoir joui +quelque temps de la faveur du maître, il encourut aussi sa disgrâce. +Voici à quelle occasion.--Nommé en 1809 pour prêcher l'anniversaire du +sacre et de la bataille d'Austerlitz, M. de Boulogne fut obligé de +soumettre son discours à la censure d'un personnage en crédit. Celui-ci +corrigea les passages qui lui semblaient trop hardis, et en retrancha +même quelques-uns tout entiers. Le prélat consentit à ces modifications. + +La cérémonie eut lieu à Notre-Dame, où l'Empereur se rendit avec son +cortège de rois. La fête fut brillante: mais il arriva que, dans la +chaleur du débit, M. de Boulogne, qui avait appris son discours par +coeur, oublia de supprimer les passages notés. Quoiqu'il n'y eût dans +ces passages rien de blessant pour personne, Napoléon n'était pas homme +à oublier un manque de soumission. Trois ans de cachot et d'exil +prouvèrent plus tard à l'évêque de Troyes comment Napoléon savait se +venger. + +Les persécutions essuyées sous l'Empire furent un titre sous la +Restauration. M. de Boulogne fut fait pair en 1822. Deux ans après, il +mourut à Paris à l'âge de soixante-dix-sept ans. + +M. de Boulogne avait une physionomie spirituelle et douce. Il avait un +talent d'orateur incontestable; sa manière un peu ampoulée et pompeuse +le rendait surtout propre à prêcher dans les grandes occasions. On voit +que ses sermons sont travaillés avec soin; mais on y trouve plus de +style que de pensées, plus d'images que de sentiments. Ce prédicateur, +si agréable à entendre, perd beaucoup à être lu, surtout aujourd'hui. En +effet, il faisait aux affaires de son temps des allusions dont +l'à-propos est perdu pour nous. Ce qui a fait son plus grand succès est +peut-être ce qui rend aujourd'hui la lecture de ses sermons un peu +froide et monotone. + +M. Frayssinous était, sous tous les rapports, un homme supérieur à.M. de +Boulogne. Sa vie a été aussi plus conséquente avec elle-même. Les +commencements en furent cependant obscur et difficiles. En 1804, il +n'était encore que simple vicaire dans une commune du diocèse de Rhodes. +A la suite d'un petit démêlé avec son curé, il s'en vint à Paris, qu'il +n'aurait peut-être jamais vu sans cela. Il était sans argent: et, ne +connaissant personne dans cette ville où il devait plus tard arriver aux +plus grands honneurs, il alla demander un asile à Saint-Sulpice, où il +fut accueilli avec plaisir. Les prêtres étaient rares alors, ainsi que +le talent, et il n'est pas étonnant que celui de M. Frayssinous parvint +bientôt à se faire jour. Il avait été suivi à Paris par M. Royer, son +parent, et ils se réunirent tous deux pour faire des conférences dans +l'église des Carmes. La nouveauté de l'enseignement et l'éloquence des +deux prédicateurs firent du bruit, et bientôt la petite église de la rue +de Vaugirard ne suffit pas pour contenir la foule. Grâce à ce succès, M. +Frayssinous vit s'ouvrir devant lui les portes de l'église +Saint-Sulpice, où il établit désormais ses conférences. + +Là, ses succès et sa réputation furent croissants de jour en jour. On +venait l'entendre une première fois attiré seulement par la curiosité; +on y revenait séduit par les charmes de l'éloquence. + +Rien n'était en effet plus attrayant que la minière de M. Frayssinous. +Sa figure imposante, la douceur et la pureté de son style, sa grâce +touchante et persuasive, son éloquence tout entière, étaient ce qu'il +fallait alors pour captiver les auditeurs. Au lieu de jeter de fiers +mépris à la raison révoltée, il cherchait à la soumettre en démontrant +qu'aucune philosophie n'avait, comme le christianisme, résolu les grands +problèmes de l'existence et dévoilé le mystère de la destinée, apporté +plus de consolation dans la douleur et mis plus d'espérances dans la +mort. M. Frayssinous avait dans le talent beaucoup d'analogie avec celui +de Chateaubriand. Tous les deux procèdent par l'émotion, et s'adressent +au coeur plutôt qu'à l'intelligence. + +M. Frayssinous était trop prudent; il craignait trop de blesser +inutilement les auditeurs, pour mêler de la politique à ses conférences. +Mais la police impériale était trop ombrageuse pour se contenter de la +neutralité. On trouva mauvais que le conférencier ne parlât que de Dieu. +On lui en fit des reproches, et il fut obligé d'accorder aussi quelque +chose à César, et de parler de _celui que Dieu avait ramené +miraculeusement des bords du Nil, et de la main qui avait été suscitée +pour relever les autels._ + +Malgré ces concessions, les conférences furent suspendues en 1809, pour +n'être reprises qu'à la Restauration. Cinq années de silence et de +méditations mûrirent encore un talent si remarquable. En 1814. M. +Frayssinous remonta dans la chaire, et continua ses conférences, presque +sans interruption jusqu'en 1822. Cette époque ferma, pour ainsi dire, sa +carrière oratoire, en lui ouvrant celle des honneurs. M fut sacré évêque +d'Hermopolis, et appelé à siéger à l'Académie et à la Chambre des Pairs. +Bientôt il fut nommé grand-maître de l'Université et ministre des +affaires ecclésiastiques. Nous ne le suivrons pas sur ce terrain brûlant +de la politique.[2] Nous dirons seulement que l'évêque d'Hermopolis n'a pas +fait oublier l'abbé Frayssinous, et que ses conférences de Saint-Sulpice +restent son plus beau titre. + + [Note 2: On sait que la loi du sacrilège, si victorieusement + combattue par M. Royer-Collard et désapprouvée par une partie + du clergé, fut présentée par M. Frayssinous.] + +Ces conférences ont été recueillies et publiées par leur auteur sous le +titre de _Défense du christianisme_. Le plan en est vaste, +ingénieusement rempli, et les grâces d'une littérature toujours élégante +n'en excluent ni la science théologique ni la profondeur des vues +sociales. Aussi lorsque l'on songe que la nomination à l'Académie de +l'éloquent évêque a fait crier dans le temps, on s'étonne moins des +récriminations auxquelles a donné lieu celle de son successeur. + +Après 1830, M. Frayssinous refusa le serment et renonça à la pairie. +Dévoué à la branche aînée des Bourbons qui l'avait comblé de ses +bienfaits, il se rendit à Prague en 1835, pour diriger l'éducation du +duc de Bordeaux. Il est revenu en France en 1838, et y a vécu dans la +retraite jusqu'à sa mort arrivée en 1842. + +La prédication catholique qui avait été sous l'Empire, timide et +soumise, je dirais presque résignée, prit un autre caractère sous la +Restauration. + +Dans les dernières années de son règne. Napoléon s'était aliéné le +clergé en s'immisçant aux affaires ecclésiastiques, et surtout par ses +démêlés avant le Saint-Siège. Il tomba. Les prêtres accueillirent les +Bourbons avec enthousiasme et fondèrent sur leur retour de grandes +espérances qui ne se sont pas toutes réalisées. En effet, la Charte +excitait parmi eux beaucoup de défiance. Ils croyaient que la religion +était la seule base solide de la société, et que la monarchie etait le +seul gouvernement conciliable avec la religion. Ainsi ils eurent le tort +d'établir une sorte de solidarité entre la foi et les formes +gouvernementales, si variables de leur nature. Mais on ne s'arrêtait +point là. Ce que voulait la majorité du clergé qui s'était ralliée à +cette faction royaliste appelée les _ultra_, ce n'était pas +l'absolutisme proprement dit, ce n'était pas non plus l'ancien régime, +c'était quelque chose de nouveau. On rêvait alors une féodalité +constitutionnelle. + +Partant de la nécessité de l'union de la royauté et de la religion, la +prédication devait avoir un caractère expressif et politique. C'est +aussi ce qui arriva. Le clergé, en défendant la cause de la royauté, +croyait défendre la cause de la religion, et s'habitua à comprendre dans +une même réprobation les ennemis de Dieu et ceux du roi. Le trône et +l'autel devinrent le thème ordinaire des prédications. Cette alliance +entre la politique et le culte fit à la religion beaucoup de tort. Elle +en éloigna d'abord tous ceux qui avaient été blessés, soit dans leurs +intérêts, soit dans leurs opinions, soit dans leurs sentiments +nationaux, par les événements de 1815. Quelques paroles réactionnaires +aliénèrent aussi les hommes positifs, qui, habitués aux affaires, +avaient accueilli les institutions nouvelles, mais qui ne croyaient pas +qu'il fût possible de ne tenir aucun compte des événements et de l'état +où se trouvaient alors les esprits. + +Cette situation explique les troubles qui, suivant les lieux se +manifestaient alors à l'occasion des misions nombreuses qui furent +faites, souvent avec trop-peu de prudence, pendant la Restauration. Elle +explique aussi les justes reproches dont ces missions furent l'objet de +la part des organes de la presse. Chaque prédicateur était alors un +adversaire politique. Les missionnaires prêchant au milieu des passions +émues en avaient toute la véhémence. Mais combien de prédicateurs +réellement éloquents dont la renommée ne s'est pas même étendue bien +loin! Telle est la destinée des succès oratoires les plus brillants, les +plus flatteurs de tous pour l'amour-propre. Ils sont fugitifs comme +l'émotion qu'ils produisent Quelquefois, lorsque l'impression a été bien +profonde, il se conserve quelque trace dans le souvenir des auditeurs. +Mais après que reste-t-il, surtout lorsqu'ils n'ont pas écrit? un nom +qui s'efface de jour en jour. + +[Illustration: (Le dimanche des Rameaux.--Portail latéral de +Saint-Eustache.)] + +Au reste, quand même ils auraient publié leurs sermons et pu exprimer +par le style les mouvements passionnés de leur éloquence, est-il bien +sûr que cela les aurait sauvés de l'oubli? nous ne le croyons pas. Comme +ils avaient subordonné leur enseignement à un point de vue particulier, +lorsque les circonstances ont changé, ils ont dû nécessairement beaucoup +perdre de leur importance. C'est pour ce motif que nous n'insisterons +pas sur la biographie des prédicateurs sous la Restauration. Nous +citerons simplement les Maccarthi, les Guyon, les Fayet, les Ollivier, +les Deguerry, et nous pourrions facilement étendre la liste. Mais nous +avons hâte d'arriver à la période ouverte par la révolution de juillet. +Les événements de 1830 n'apportèrent pas un grand changement dans les +relations qui existaient entre l'Église et l'État. Quelques mots furent +remplacés dans la Charte par des mots à peu près équivalents, mais les +lois réglementaires du culte ne furent point modifiées: on les exécuta +seulement avec plus de rigueur, dans le principe surtout. Néanmoins +cette révolution, dynastique pour ses résultats, mais démocratique par +ses moyens, jeta dans les esprits une activité et une agitation qui se +communiquèrent aussi au clergé. + +[Illustration: M. de Boulogne.] + +Nous sommes obligé de reprendre encore ici la marche des idées depuis le +commencement du siècle; M.. Chateaubriand et M. Frayssinous avaient +cherché à calmer les répugnances que le catholicisme inspirait alors: +ils avaient voulu en faire aimer la poésie, mais là s'était arrêtée leur +action. Les méditations, les harmonies rêveuses et un peu sensuelles de +M. Lamartine, ont été l'expression du degré de foi qui régnait alors +dans la société. D'un autre côté la Restauration avait mis en honneur la +pratique extérieure du culte; tout serviteur dévoué de la monarchie +voulait, par cela même, paraître bon chrétien. Mais la religion ainsi +pratiquée, s'arrêtait évidemment à l'écorce, si je puis m'exprimer +ainsi, et occupait plus de place dans les habitudes que dans les +consciences. + +[Illustration: M. Deguerry.] + +Tout à coup apparut l'_Essai sur l'indifférence_, de M. de Lamennais. +Ce livre, qui alors était aussi un événement, fit peut-être autant de +bruit qu'en ont fait plus tard les _Paroles d'un Croyant._ Rome n'osa se +décider d'abord, et le clergé de France se partagea, en attendant la +décision, en deux camps ennemis. Il y eut alors une guerre de pamphlets +et de brochures qui ne sera pas un des épisodes les moins curieux de +l'histoire des idées religieuses au dix-neuvième siècle. + +L'idée philosophique développée dans _l'Essai_ établissait le _sens +commun_, c'est-à-dire la manifestation générale de la raison humaine +comme la règle de la certitude. Ce n'était rien moins qu'introduire le +principe démocratique dans l'ordre des faits intellectuels; et, de +conséquence en conséquence, M. de Lamennais et ses disciples devaient +nécessairement transporter les mêmes idées sur le terrain de la +politique. La révolution de juillet aidant, c'est ce qui arriva bientôt. +On sait l'histoire orageuse de l'_Avenir_. Quelque courte que fût la +durée de ce journal, son action fut grande sur le jeune clergé. S'il ne +fit pas beaucoup de partisans au gouvernement nouveau, il lui rendit du +moins un grand service, en ce qu'il habitua les prêtres à voir avec +indifférence la chute du trône qui venait de s'écrouler, mais +l'influence de M. Lamennais s'est perpétuée par l'élite du clergé, dont +il s'était entouré pour la rédaction de son journal. Ses disciples ont +été dispersés par les foudres du Saint-Siège; ils se sont séparés de lui +en reniant l'ensemble de ses doctrines, mais ils n'en ont pas moins +conservé, peut-être à leur insu, beaucoup de la manière et aussi +quelques-unes des idées de leur ancien maître. Sous la Restauration, le +comble de l'audace, pour un prédicateur, était de déclarer que le salut +de la religion ne dépendait pas de celui de la légitimité. Depuis 1830, +la prédication a souvent côtoyé les opinions radicales et démocratiques, +quelquefois même elle s'y est lancée à pleines voiles. Et ce qui prouve +que M. de Lamennais est pour beaucoup dans cette tendance nouvelle du +clergé, c'est que ce sont ceux qui l'ont approché de plus près qui ont +été le plus loin en ce sens. + +Aujourd'hui, l'éloquence de la chaire tient plus par la manière générale +à l'Empire qu'à la Restauration. A cette dernière époque il eut trop de +reproches directs et de récriminations violentes; mais, à présent, le +clergé, loin de se montrer hostile au mouvement, cherche à s'y associer +dans certaines limites afin de le diriger. + +Il y a une remarque qui n'est pas non plus sans intérêt c'est que jamais +plus qu'aujourd'hui le clergé ne s'était montré satisfait des progrès de +l'Église. Il se plaît à montrer la croix triomphant partout, et de la +meilleure foi du monde il exagère ses dernières victoires. On dirait +qu'il cherche à attirer ainsi les esprits indécis et toujours prêts à +imiter les autres, et les âmes timides qui n'embrassent jamais que le +parti de la victoire. + +Il nous reste à entrer dans quelques détails biographiques sur les +prédicateurs les plus en vogue. Malheureusement, la vie des +prédicateurs, comme la vie de tous les hommes d'étude, est rarement +féconde en incidents. Nous serons donc forcé d'être court, et nous +parlerons seulement de quatre des prédicateurs qui ont en ce moment le +plus de réputation. + +M. Combalot est né en 1794 à Chastenay (Isère). On assure qu'il s'était +destiné d'abord à la profession d'avocat, et qu'une retraite spirituelle +changea tout à coup sa vocation. Quoi qu'il en soit, il fut ordonné +prêtre à 25 ans. Il vint à Paris quelque temps après et entra chez les +jésuites. Il n'y fut qu'un an, et à peine rentré dans la vie séculière +il commença ses prédications. Il parcourut d'abord les départements, et +s'il faut tout dire, il ne fut pas celui qui réveilla sur son passage le +moins d'irritation. + +Depuis ce temps. M. Combalot s'est voué tout entier à la prédication et +aux retraites ecclésiastiques. Si Combalot est un véritable orateur: il +a toute la fougue, toute l'impétuosité d'un tribun. Sa parole est animée +et brûlante; ses images sont belliqueuses et pleines d'actualité. Il y +a, dans sa physionomie bilieuse et fortement caractérisée, le cachet +d'une indomptable fermeté. La manière de ce prédicateur n'est pas +cependant exempte de tout reproche: il est quelquefois incorrect: ses +comparaisons sont parfois triviales et ses métaphores heurtées. Un +logicien sévère pourrait aussi lui demander plus de suite dans ses +raisonnements. Souvent un mot réveille en lui une idée soudaine, qu'il +saisit au passage, et il semble alors rompre, pour la suivre, le plan +qu'il s'était tracé d'abord. On suit l'improvisation dans ses discours, +mais, malgré ces défauts, à cause de ces défauts peut-être. M. Combalot +domine son auditoire et le remue profondément. + +[Illustration: M. Combalot.] + +Le talent du M. Lacordaire a beaucoup d'analogie avec celui de M. +Combalot: sa puissance d'entraînement est la même, il a ses qualités +brillantes et quelques-uns de ses défauts. Il s'écarte moins de son +sujet, ou, pour parler plus juste, il y revient souvent. L'éloquence de +M. Lacordaire se compose surtout d'élans enthousiastes qui enlèvent les +jeunes imaginations. On n'a pas encore oublié le sermon qu'il prêcha à +Notre-Dame le 15 janvier 1841. Comme il avait exalté les gloires de la +France! comme il avait attiré à lui tous ceux qui se sentaient au coeur +quelque fierté nationale! S'il suffisait, pour être un orateur parfait, +d'exercer sur son auditoire...... influence toute-puissante, M. +Lacordaire serait le premier des orateurs: mais, malheureusement, le +moment qui suit n'est pas aussi favorable que celui pendant lequel on +l'écoute. Ainsi, dans ce sermon dont nous venons de faire mention, et +qu'il prêcha avec son froc de dominicain, beaucoup d'auditeurs +parfaitement disposés en sa faveur furent frappés de son exagération. + +[Illustration: M. Lacordaire.] + +M. Lacordaire était avocat avant d'être prêtre. Il est né à +Recey-Sur-Ource (Côte-d'Or), et peut avoir aujourd'hui 41 ans, il eut, à +ce qu'il dit lui-même, une enfance turbulente, et ses idées, au sortir +du collège, n'annonçaient guère un futur prédicateur. Au grand chagrin +de sa pieuse mère, il déclarait, à qui voulait l'entendre, que Dieu +était une chimère, et le catholicisme une sottise. Son droit terminé, il +vint faire son stage à Paris et travailla chez un avocat. Deux ans +après, c'est-à-dire en 1824, le jeune athée, subitement converti, était +entré au séminaire de Saint-Sulpice. Il ne se proposait rien moins, à +cette époque, que d'aller en Amérique convertir les peuplades sauvages, +et respirer, loin de cette Europe décrépite, l'air pur du Nouveau-Monde. +M. de Lamennais, dont les ouvrages avaient beaucoup contribué à sa +conversion, l'en dissuada, et pour donner carrière à son insatiable +activité l'attacha depuis à l'_Avenir_, dont il fut un des principaux +rédacteurs. + +Le journal tomba. M. Lacordaire accompagna à Rome M. de Lamennais et le +quitta brusquement. Il publia bientôt une rétractation, où il déclarait +qu'il n'avait jamais adhéré par _conviction_ aux doctrines de M. de +Lamennais, qu'il n'avait fait que céder par _lassitude_ aux +sollicitations qui lui étaient faites en s'associant à son oeuvre. + +C'est à dater de cette époque que la réputation de M. Lacordaire, comme +orateur, a commencé. Elle grandit en peu de temps. On lui proposa de +prêcher le Carême à Notre-Dame en 1835, mais à condition qu'il +soumettrait à M. Affre, alors vicaire-général, le plan de ses sermons. +On redoutait la fougue et les idées démocratiques du jeune prédicateur. +Cependant on ne put si bien faire, que ses discours ne portassent +l'empreinte du catholicisme libéral et un peu révolutionnaire de +l'_Avenir_. Il y était question de souveraineté du peuple et d'idées +analogues qui ne devaient pas flatter beaucoup un légitimiste inflexible +comme M. de Quélen. Un auteur assure avoir vu l'archevêque s'agiter sur +son siège pendant que l'orateur développait devant lui ses théories +nationales. Aussi n'est-il pas étonnant que, malgré le succès qu'il +avait obtenu dans cette station du Carême, on l'engageât à faire un +voyage à Rome. Il en revint l'année suivante et prêcha encore à +Notre-Dame; comme on trouvait que son style et ses idées n'étaient guère +amendés, on lui conseilla un nouveau voyage. On assure que ce fut alors +que M. Lacordaire, pour s'affranchir de la censure épiscopale, résolut +d'entrer dans l'ordre de Saint-Dominique, dont il prit l'habit en juin +1840. + +La figure maigre et allongée de M. Lacordaire s'anime, quand il parle, +d'une expression enthousiaste et poétique. C'est un homme à imagination +ardente, dont les opinions peuvent changer; mais on sent que sa parole +exprime la conviction. + +[Illustration: (M. de Ravignan.)] + +M. de Ravignan a une manière plus posée et plus réfléchie que M. +Lacordaire. Il se tient aussi plus en garde contre tout ce qui pourrait +donner à la prédication un caractère politique. C'est là le motif qui +l'a fait probablement substituer à ce dernier pour les prédications de +Notre-Dame. Il suit une marche rigoureusement logique. Malgré la science +dont il brille, il ne transporte cependant point son auditoire; on sent +comme quelque chose de factice dans la chaleur de son débit et dans la +vivacité calculée de son geste. + +Où est né M. de Ravignan? les biographes ne sont pas d'accord sur ce +point. Les uns le font naître à Paris, les autres à Bordeaux ou dans les +environs. La dernière opinion nous paraît la plus vraisemblable. + +En 1816, époque à laquelle il fut nommé conseiller-auditeur, M. de +Ravignan pouvait avoir vingt-trois ans. Sept ans après, il entra dans la +magistrature et occupa avec distinction pendant dix-huit mois la place +de substitut du procureur du roi près le tribunal de la Seine. Il +renonça au monde, disposa de sa fortune en faveur de ses héritiers +naturels et entra au séminaire de Saint-Sulpice, qu'il quitta bientôt +pour entrer à Montrouge dans la maison des jésuites. On assure que M. de +Ravignan fut tonsuré par M. Frayssinous, que l'on venait de sacrer +évêque, et qui, prévoyant dès lors sa gloire future, dit en s'adressant +à ceux qui l'entouraient: «Voilà celui qui doit me succéder dans +l'oeuvre des conférences.» + +Après avoir passé plusieurs années à étudier les Pères de l'Église et à +s'instruire dans la science des prédicateurs. M. de Ravignan fut nommé +pour prêcher le Carême à Notre-Dame. Ce fut le 12 février 1837 qu'il y +ouvrit sa première conférence. Il les a continuées depuis avec un succès +dont rien n'annonce le déclin. Prêchant presque toujours sur des +matières qui ont rapport au dogme, M. de Ravignan a peu excité la +critique des journaux. + +[Illustration: Une prédication à Saint-Roch.] + +M. Coeur n'est pas avocat. Sa vocation semble l'avoir porté d'abord vers +le professorat et l'état ecclésiastique. Après avoir achevé ses études, +qui furent brillantes, il fut quelque temps régent de rhétorique et de +philosophie dans un petit séminaire de province. Puis, il vint à Paris +en 1827 pour suivre les cours publics professés par les hommes célèbres +qui ont abandonné depuis les triomphes pacifiques de la Sorbonne et du +Collège de France pour une scène plus orageuse. Il y passa deux ans et +alla ensuite passer quelque temps dans la solitude de la Chartreuse pour +se préparer à recevoir la prêtrise, qui lui fut conférée en juin 1829. +Il venait d'atteindre sa vingt-quatrième année. + +La réputation de M. Coeur a commencé en province, lors des prédications +qu'il fit à Lyon en 1833, et plus tard à Nantes et à Bordeaux. Paris +devait appeler à lui un talent déjà si distingué, et la Sorbonne a rendu +justice à M. Coeur en le nommant à remplir à la Faculté de Théologie la +chaire d'éloquence sacrée. + +M. Coeur a une figure assez commune, un geste lourd et un timbre de voix +un peu voilé. Il manque de ces qualités extérieures qui concourent à +faire un orateur. Mais sa parole est d'une lucidité admirable. On lui +sait gré de tous les efforts qu'on n'est pas obligé de faire pour saisir +sa pensée. Sa manière est savante et philosophique; il excelle à +exprimer de ces vérités que tout le monde sait, mais que personne +n'avait encore exprimées. Son style est abondant et fleuri.--un peu trop +fleuri peut-être; mais c'est là un défaut dont il aurait tort de se +corriger tout à fait. Ce qui serait de la recherche dans tout autre +semble naturel en lui et il y a tel passage de ses cours et de ses +sermons qui rappelle les plus, charmantes page» de Bernardin de +Saint-Pierre. + +[Illustration: M. Coeur.] + +M. Coeur n'a pas encore dit son dernier mot comme prédicateur. Mais tout +annonce qu'il s'élèvera avant qu'il soit de la réputation de MM. +Lacordaire et de Ravignan, à moins qu'il ne soit absorbé complètement +par l'enseignement de la Sorbonne. + + + +Bulletin bibliographique. + +_Histoire des États-Généraux et des institutions représentatives en +France depuis l'origine de la monarchie jusqu'en_ 1789; par A.-C. +THIBAUDEAU, auteur des _Mémoires sur la Convention_ et de _L'Histoire du +Consulat et de l'Empire_. 2 vol. in-8. Paris, 1843. Paulin, 15 fr. + +«Les États-Généraux ont eu, dit M. Thibaudeau, une influence immense sur +les destinées de la nation Française. Dépositaires de ses pouvoirs, ils +l'ont éclairée sur ses intérêts et sur ses besoins; ils lui ont révélé +et enseigné ses droits, ils ont mis à découvert les abus criants du +pouvoir, les plaies profondes de la société; ce sont eux qui en ont +indiqué et réclamé les réformes et les remèdes. Ils ont contribué à +former l'opinion, à créer un esprit public. De temps en temps ils ont +secoué et réveillé la royauté par l'expression du voeu national. Ils +l'ont, par l'empire du droit et de la raison, forcée à sortir de son +ornière et à marcher avec le siècle. Elle a marché à pas lents, de +mauvaise grâce, de mauvaise foi, mais elle n'est pas restée +stationnaire. Les célèbres ordonnances qui formaient notre droit publie, +dont nos pères se glorifiaient et que l'Europe admirait, ce ne sont ni +les rois ni leurs conseillers qui en eurent la pensée: les +États-Généraux en ont fourni la matière; elles ont été calquées sur +leurs cahiers. C'est au cri des États-Généraux qu'éclata la plus +glorieuse des révolutions. Qui peut dire où en serait la France, si elle +n'avait pas en les États-Généraux. » + +L'histoire des États-Généraux, en d'autres termes, l'histoire de la +longue lutte de la royauté et de la nation, de la légitimité et de la +souveraineté du peuple, de l'absolutisme et de la légalité, tel est le +vaste et beau sujet que M. Thibaudeau s'est proposé de traiter, car +cette histoire ne tient qu'une petite place dans les histoires de +France. Quelques écrivains avaient, il est vrai, essayé, à diverses +époques, de combler cette importante lacune; mais leurs travaux sont +très-abrégés, superficiels, incomplets et fautifs. D'ailleurs, M. +Thibaudeau s'est aidé surtout de documents précieux restés inédits +jusqu'à ce jour, et dont ses prédécesseurs n'avaient pas pu profiter. + +Les États-Généraux ne datent que de 1502. Cependant ils n'ont pas été +improvisés. D'autres institutions analogues les ont amenés et leur ont +servi de base. Il faut nécessairement connaître ces précédents pour +apprécier l'origine des États, leur constitution, leurs vices, leur +utilité. Une longue et savante introduction placée en tête du premier +volume contient l'exposé des vicissitudes diverses qu'avait subies, +pendant sept siècles, depuis sa fondation jusqu'au règne de Philippe le +Bel, la monarchie française. + +Ces prémisses posées, M. Thibaudeau aborde franchement son sujet. Il +montre les États-Généraux naissant sous Philippe le Bel (1302), se +développant sous ses successeurs, empiétant peu à peu sur l'autorité +royale, essayant d'établir un gouvernement représentatif, gouvernant un +instant, pendant la captivité du roi Jean, puis, mal compris et mal +secondés par le peuple, laissant échapper une partie du pouvoir dont ils +s'étaient emparés, ne cessant pas cependant, malgré l'inutilité de leurs +réclamations, d'adresser à la couronne des remontrances qui ne seraient +pas tolérées dans les gouvernements constitutionnels, préparant autant +qu'il était en eux la grande régénération du royaume, remplacés pendant +une période de près de deux siècles, de 1614 jusqu'en 1789, par des +assemblées de notables, instruments dociles de la monarchie absolue, +rappelés enfin en 1789, et disparaissant pour toujours dans cette +tempête qui engloutit clergé, noblesse, tiers-état, toute distinction +d'ordres, et créa la nation française. + +_History of the House of Commons_, from the convention-parliament of +1688-9 to the passing of the reform bill in 1832; by W. CHARLES +TOWNSEND, Esq., recorder of Macclesfield. + +_Histoire de la Chambre des Communes_ depuis la convention de 1688-9, +jusqu'au vote du bill de réforme en 1832; un vol. in-8. Londres. +Colburn, 14 schellings (non traduite.) + +A en juger par le premier volume qui vient de paraître, cet ouvrage de +M. Townsend ne tiendra pas les promesses de son titre. Il n'est jusqu'à +présent qu'un recueil assez indigeste d'anecdotes ou de biographies. +S'il se fût présenté avec un air plus convenable et plus modeste, il eût +été sans aucun doute beaucoup mieux accueilli par la critique; mais il +lui sied trop mal d'avoir de telles prétentions. M. Townsend ne peut pas +croire qu'il a écrit une histoire de la chambre des communes: il ne le +persuadera pas au lecteur, que son annonce mensongère aura trompé. + +L'histoire que M. Townsend s'était proposé d'écrire renferme une période +de 144 années; car elle s'étend depuis la convention de 1688-9 jusqu'à +la promulgation du bill de réforme en 1832. Cette période, M. Townsend +la divise en trois époques. La première de ces époques, qui commence à +l'abdication de Jacques II et finit à la mort de Georges Ier, en 1727, +se trouve comprise tout entière dans le premier volume que le libraire +Colburn vient de mettre en vente. + +Ce volume, divisé en treize chapitres, se compose des biographies de +tous les _speakers_ qui ont présidé la chambre des communes pendant ces +39 années, et de celle des principaux _lawyers_, ou jurisconsultes qui y +ont jeté quelque éclat, Somers, sir Robert Sawyer, sir William Williams, +Robert Priée, sir Bartholomew Shower et lord Lechmere. On y trouve en +outre trois curieux chapitres sur les divers _privilèges_ dont +jouissaient les membres de la chambre des communes. Mais, nous le +répétons une fois encore, pourquoi cette compilation a-t-elle pris un si +beau titre? + +_Les Annales du Parlement français_, ou Compte-rendu méthodique des +débats de la Chambre des Pairs et de la Chambre des Députés, publié par +une société de publicistes, sous la direction de M. FLEURY (4e année de +la publication). Chaque année, 1 volume in-4° du prix de 25 fr.--Chaque +discussion se vend séparément 25 cent. la feuille. Paris, Firmin Didot. + +MM. Firmin Didot suivent, depuis quatre années, l'exemple que leur avait +donné le libraire Hansard: à la fin de chaque session ils réimpriment, +en un beau volume in-4º, les _Parliamentary debates_ des Chambres +françaises. Cette publication, faite avec le plus grand soin, ne pouvait +manquer d'obtenir un grand succès. D'une part, en effet, elle s'adresse +non-seulement aux pairs et aux députés, mais aux administrateurs, aux +jurisconsultes, à tous les hommes qui se livrent à des études sérieuses +sur la politique, la législation, et à l'économie politique; d'autre +part, elle ne peut être remplacée par aucune collection, car elle est +conçue sur un plan entièrement nouveau. Tandis que toutes les autres +publications périodiques offrent, pour chaque session, une série de +séances, les _Annales du Parlement français_ offrent, pour la même +période, une série de discussions complètes. Tout ce qui concerne le +même sujet, depuis la _première_ présentation du projet jusqu'au +_dernier_ vote, est réuni sans interruption. Les exposés des motifs et +les rapports dans les deux Chambres sont transcrits _in extenso_. Les +discours prononcés sont tantôt reproduits en entier d'après le +_Moniteur_, tantôt analysés avec soin, le plus souvent en conformité des +procès-verbaux qui offrent la meilleure garantie d'exactitude et +d'impartialité. Les textes des projets présentés, amendés et votés, sont +transcrits en entier sur plusieurs colonnes, de manière que l'oeil peut +suivre facilement les transformations subies dans la discussion. + +Chaque volume comprend ainsi une session entière; mais pour que cette +classification méthodique ne fasse pas perdre de vue l'ordre naturel des +débats, les sommaires des séances, en ordre chronologique, indiquent +_tous_ les travaux des deux Chambres et tous les noms des pairs et des +députés qui ont pris part aux débats. + +Enfin des tables alphabétiques permettent de rechercher facilement les +travaux des deux Chambres et de chacun de leurs membres. + +_Des Monts-de-Piété et des Banques de prêt sur nantissement_ en France, +en Belgique, en Angleterre, en Italie, en Allemagne, par A. BLAIZE. 1 +vol.. in-8° de 440 pages. Paris, 1843. Pagnerre, 9 francs. + +Frappé des inconvénients et des abus actuels des Monts-de-Piété, M. A. +BLAIZE a consacré plusieurs années de sa jeunesse à examiner cette +question, qui intéresse à un si haut degré la condition présente et +peut-être même l'avenir des classes inférieures. Il a réuni en un seul +volume une masse énorme de documents inédits ou disséminés dans de +nombreux ouvrages; mais il ne s'est pas contenté de signaler le mal, il +a en outre essayé d'indiquer les remèdes capables de le guérir. Le livre +qu'il vient de publier est tout à la fois un ouvrage de statistique et +de théorie, qui s'adresse aux hommes sérieux et positifs. Toutes les +réformes qu'il propose sont, non-seulement possibles, mais immédiatement +réalisables. + +M. A. BLAIZE a divisé son travail en trois parties. La première comprend +l'histoire des banques de prêts sur nantissement depuis le Moyen-Age +jusqu'à nos jours Un fait curieux, l'apparition des aventuriers italiens +désignés, au Moyen-Age, sous le nom de Caoursins et de Lombards, et qui +paraissent avoir été d'abord les agents de la cour de Rome, l'a conduit +à des recherches du plus haut intérêt pour l'histoire des finances et de +l'économie politique. Ainsi M. BLAIZE a surtout puisé aux sources +officielles; les ordonnances du Louvre lui ont fourni des matériaux +précieux. + +La seconde partie est consacrée à l'examen de l'organisation des +Monts-de-Piété en général, mais principalement de celui de Paris, le +plus considérable de tous. M A. Blaize a étudié ses opérations dans le +plus grand détail, et s'est appuyé uniquement sur les comptes +administratifs. Il discute avec un soin tout particulier la question des +commissionnaires, débattue depuis plusieurs années entre eux et +l'administration, et dont la solution, quelle qu'elle soit, ne peut être +éloignée et exercera une grande influence sur l'avenir du Mont-de-Piété. +Est-il nécessaire d'ajouter qu'il considère en fait et en droit leur +suppression «comme chose juste, utile et légale.» + +Dans la troisième partie, M. A Blaize expose et développe les réformes +qu'il voudrait voir introduire dans le régime des Monts-de-Piété. Les +institutions ne sauraient rester stationnaires; elles doivent se mettre +en harmonie avec le développement progressif des sociétés. M. A. Blaize +propose douze réformes principales qui feraient, dit-il, des monts +d'_impiété_, comme les appelait Nicolas Barianno, des banques populaires +et de véritables institutions de bienfaisance et contiendraient le germe +d'une transformation sociale. + +Enfin, pour compléter son travail, M. A. Blaize a réuni dans un +appendice tous les documents qu'il a pu recueillir sur les banques +étrangères de prêts sur nantissement. Il passe successivement en revue +l'Angleterre, l'Écosse, l'Irlande, la Belgique, la Hollande, +l'Allemagne, l'Italie, le Piémont, l'Espagne, la Russie et la Chine. +Trois curieux paragraphes, intitulés: Législation, Jurisprudence et +Bibliographie des Monts-de-Piété, terminent cet appendice. + +M. A. Blaize a rempli son but; il réussira certainement «à appeler sur +cette matière, si importante à ses yeux et si ignorée, l'attention des +hommes de bien, à provoquer des études sérieuses et les réformes que +commandent, en faveur des classes déshéritées, la justice et la raison.» +Son livre mérite à un double titre nos éloges. C'est une bonne action et +de plus un ouvrage consciencieux, méthodique, clair, et écrit dans +certaines parties avec cette noble chaleur qui vient plus encore du +coeur que de l'esprit. + +_De la création de la Richesse_, ou des intérêts matériels en France, +statistique comparée et raisonnée, par J.-H SCHNITZLER; 2 vol. in-8º. +Paris, 1842. Lebrun, 15 fr. + +M. J-H. Schnitzler a entrepris, depuis plusieurs années, un important +ouvrage, intitule _Statistique générale de la France_. Cet ouvrage, +accompagné de nombreux tableaux et divisé en deux parties, doit former 4 +vol. in-8°. La seconde partie seule a paru, sous le titre de: _Création +de la Richesse_. M Schnitzler l'a publiée séparément, «malgré son +imperfection trop réelle, afin de mieux débrouiller l'énorme amas de +matériaux qu'il lui a fallu mettre en oeuvre, et, afin de puiser, dans +les indulgents suffrages du public, l'encouragement dont il a besoin +pour mener à bien une entreprise si difficile.» + +Le premier volume de la _Création de la Richesse_ est consacré à la +_production_, c'est-à-dire à l'industrie dans son acception la plus +générale (agriculture, exploitation des mines, industrie manufacturière, +etc.) Le second volume traite de la _circulation_ ou du commerce (des +importations et des exportations de la France, de ses relations +mercantiles avec tous les pays du monde, des transports par terre et par +mer, de l'état de tous les ports du royaume, etc.). + +Ces deux volumes embrassent ainsi les _intérêts matériels_ dans leur +vaste ensemble et les examinent sous toutes leurs faces. + +Les _intérêts moraux_ seront l'objet des deux premiers volumes qui +paraîtront dans le courant de cette année. Après avoir traité avec +détail du territoire, de la population et de la consommation, M. +Schnitzler annonce qu'il exposera d'une manière complète et dans un +ordre méthodique, tous les faits relatifs à l'État (constitution, +gouvernement, administration, force publique, etc.), à l'Église et aux +Écoles. + +_Voyage en Bulgarie_ pendant l'année 1841, par M. BLANQUI, membre de +l'institut; 1 vol. in-18. Paris, 1843. W. Coquebert, 3 fr. 50 c. + +Vers le milieu de l'année 1841, à la suite de quelques exactions +financières plus rudes que de coutume, une partie des populations +chrétiennes de la Bulgarie se souleva contre les Turcs. Ce mouvement, +mal combiné, fut bientôt comprime par la force militaire. Pendant +plusieurs semaines, des bandes d'Albanais, déchaînées contre les +insurgés mirent à feu et à sang la malheureuse Bulgarie. Le bruit de +leurs dévastations retentit bientôt dans toute l'Europe chrétienne, dont +les cabinets venaient de se concerter d'une manière si éclatante en +faveur de l'Empire ottoman. La France s'en montra surtout vivement +préoccupée, et M. Guizot, ministre des affaires étrangères, chargea +alors M Blanqui d'aller constater le véritable état des choses, en +traversant la Turquie d'Europe dans sa plus grande longueur, depuis +Belgrade jusqu'à Constantinople. + +M. Blanqui était parti de Paris publiciste de l'opposition, il est +revenu de Constantinople candidat ministériel. A son retour, il a rédigé +un travail officiel qui ne lui appartient plus; mais il publie +aujourd'hui la relation personnelle de son voyage. On ne peut refuser à +M. Blanqui un esprit vif et prompt et un style net et facile. Son +_Voyage en Bulgarie_ a en outre le mérite de nous faire connaître, +superficiellement il est vrai, l'état physique, économique et moral +d'une vaste contrée bien rarement visitée et plus rarement décrite par +les voyageurs français ou étrangers. + +M. Blanqui s'embarque à Vienne sur le Danube, et descend ce beau fleuve +jusqu'à Belgrade, où il rend une visite au prince Michel et à la +princesse Lioubitza. A Belgrade il prend la voie de terre pour gagner +Constantinople; il traverse successivement Vidin, dont le pacha, le +fameux Hussein, l'exterminateur des janissaires, lui fait une magnifique +réception, Nissa, Sophie, Ousonnjava, Andrinople et Constantinople. Un +bateau à vapeur le ramène ensuite à Malte et à Marseille. L'importance +actuelle et future du Danube, les dernières révolutions de la Servie, le +caractère, l'agriculture et le commerce des Bulgares, la quarantaine et +la navigation à vapeur en Orient, forment les sujets de plusieurs +chapitres qui permettent au lecteur de reprendre haleine.... car M. +Blanqui ne s'arrête pas longtemps dans le même pays. Enfin un rapport +sur les prisons de la Turquie termine ce joli petit volume, dont la +lecture est aussi agréable qu'instructive. + +_Poésies_ d'ANTOINETTE QUARRÉ, de Dijon; 1 vol. in-8º, 1843. Paris, +Ledoyen.--Dijon, Lamarche. + +Mademoiselle Antoinette Quarré est une jeune lingère qui a toujours +habité Dijon, sa ville natale. Dès son enfance, elle aima passionnément +la poésie. A peine les travaux de l'atelier lui laissaient-ils un +instant du repos, elle lisait les tragédies de Racine; elle en récitait +les plus belles tirades. Enfin, un jour le hasard fit tomber entre ses +mains un volume des _Méditations poétiques_ de M. de Lamartine. «Il me +sembla, dit-elle, qu'un monde nouveau se révélait à ma pensée, et je +m'abandonnai avec délices à l'enivrement de cette lecture, qui venait de +compléter en quelque sorte mon existence intellectuelle. Ce livre chéri +ne me quitta plus, et, à force de le relire, j'en appris bientôt toutes +les pages. C'est ainsi que, accoutumée à cette langue harmonieuse des +vers, j'en vins tout naturellement à la parler à mon tour; mes propres +pensées se revêtirent d'elles-mêmes d'expressions poétiques, et j'y +trouvai du plaisir. » + +A dater de cette époque, mademoiselle Antoinette Quarré composa, dans +ses moments de loisir, quelques petites pièces pleines de fautes et +d'incorrections; car les règles de l'art lui étaient tout à fait +inconnues; mais déjà un homme d'esprit et de goût. M. Roget de +Belloguet, ayant pris connaissance de ces premiers essais, y découvrit +les germes d'un beau talent. Il alla trouver la jeune fille ignorante, +l'aida de ses conseils et de ses leçons, et plus tard lui fit ouvrir les +colonnes d'une revue littéraire qui s'imprimait alors à Dijon. Les +premiers vers publiés par mademoiselle Antoinette Quarré furent +accueillis avec faveur. M. de Lamartine adressa à la jeune lingère +dijonnaise une de ses plus gracieuses épîtres; dès lors la réputation de +mademoiselle Quarré s'accrut dans la même proportion que son talent. Une +souscription qui fut bientôt remplie s'ouvrit à Dijon pour l'impression +de ses oeuvres choisies. Le Conseil municipal et l'Académie des +sciences, arts et belles-lettres de Dijon, s'empressèrent de s'associer +à ce généreux mouvement d'une ville que sa réputation littéraire place +au premier rang parmi les villes de la France. + +Telle est l'histoire de ce charmant volume qui nous arrive de la +capitale de la Bourgogne. Disciple de M. de Lamartine, mademoiselle +Antoinette Quarré imite parfois un peu servilement les rhythmes de son +maître; mais alors même qu'elles paraissent trop monotonement +harmonieuses, ses strophes renferment toujours quelque pensée délicate +ou profonde. Pour elle, la forme n'est évidemment qu'un moyen, qu'un +accessoire. Elle a un but plus élevé, elle cherche à parler à l'âme ou +au coeur. On a peine à comprendre, en lisant ses poésies, comment, au +milieu des soucis d'une vie laborieuse et pauvre, en gagnant péniblement +son pain de chaque jour, une jeune fille a pu atteindre à une pareille +perfection de style, développer si largement son intelligence et trouver +en elle de tels trésors de sentiment. Cependant le doute est-il +possible? Les preuves ne sont-elles pas là dans nos mains, sous nos +yeux? N'avons-nous pas lu _Un fils, la réponse à M. de Lamartine, à mon +Perroquet, à Dijon, la Madone, l'Invocation,_ et tant d'autres petits +chefs-d'oeuvre qui nous autorisent à ajouter dès à présent le nom de +mademoiselle Antoinette Quarré à la liste déjà si longue des écrivains +auxquels Dijon s'enorgueillit d'avoir donné le jour. + +_Rimes héroïques_, par AUGUSTE BARBIER. 1 joli vol. in-18. Paris, 1843. +Paul Masgana, 3 fr. 50. + +En feuilletant les oeuvres lyriques de Torquato Tasso, M. A. Barbier y a +trouvé un recueil de sonnets intitulé: _Rime héroïque_. Ce sont des vers +adresses à différents princes de l'Italie, en l'honneur de leur mariage +ou de la naissance de leurs enfants. L'auteur des _Iambes_ a pensé que +ce titre pouvait s'appliquer avec plus de raison encore aux chants +inspirés par ceux qui se sont dévoués au bien de leurs semblables. Il a +donc recueilli toutes les pièces, de vers que, dans ses lectures ou dans +ses voyages, l'émotion d'un pieux souvenir, un grand acte de vertu ou de +patriotisme avaient pu lui inspirer, et les groupant par ordre de temps, +il en a composé une sorte de galerie qu'il a décorée du titre de _Rimes +héroïques._--La forme du sonnet est celle que sa pensée a revêtue, «car, +dit-il, ce petit poème, d'invention moderne, a le mérite d'encadrer avec +précision l'idée ou le sentiment.» + + + +M. le Maréchal comte d'Erlon. + +M. le lieutenant-général Drouet, comte d'Erlon, vient, par ordonnance +royale du 9 avril, d'être élevé à la dignité de maréchal de France. + +Aux termes de la loi du 4 août 1839, sur l'organisation de +l'état-major-général de l'armée, le nombre des maréchaux de France est +de six au plus en temps de paix, et pourra être porté à douze en temps +de guerre. Lorsqu'en temps de paix le nombre des maréchaux de France +excédera la limite fixée, la réduction s'opérera par voie d'extinction; +toutefois, il pourra être fait une promotion sur trois vacances. + +A l'époque où cette loi fut rendue, le nombre des maréchaux de France +était de douze. Depuis, six d'entre eux sont morts, et sur ces six +vacances, deux promotions ont été faites: celles de M. le +lieutenant-général comte Horace Sébastiani et de M. le +lieutenant-général comte Drouet d'Erlon. + +[Illustration: M. le maréchal comte d'Erlon.] + +Aujourd'hui, le nombre des maréchaux de France est de huit, dont un +seul, M. le duc de Dalmatie, est de la première promotion, faite par +Napoléon, le 19 mai 1804, le lendemain de son élévation au trône +impérial. Voici les noms des huit maréchaux actuels: Duc de DALMATIE +(Soult), président du conseil et ministre de la Guerre; duc de REGGIO +(Oudinot), gouverneur de l'hôtel royal des Invalides; comte MOLITOR; +comte GÉRARD, grand-chancelier de l'ordre, royal de la Légion-d'Honneur; +marquis de GROUCHY; comte VALÉE; comte Horace SÉBASTIANI; comte DROUET +D'ERLON. + +Les six derniers maréchaux morts sont: comte de Lobau (Mouton); marquis +Maison; duc de Tarente (Macdonald); duc de Bellune (Victor); duc de +Conégliano (Moncey); comte Clauzel. + +La dignité de maréchal de France, en vertu de la même loi du 4 août +1839, n'est conférée qu'aux lieutenants-généraux qui auront commandé en +chef devant l'ennemi: 1° une armée ou un corps d'armée composé de +plusieurs divisions de différentes armes; 2º les armes de l'artillerie +et du génie dans une armée composée de plusieurs corps d'armée. Le +nouvel élu, doyen des lieutenants-généraux depuis quelques années, et +dont la nomination à ce grade remonte au 27 août 1803, satisfait depuis +longtemps à la première de ces conditions, puisqu'il plusieurs reprises, +sous l'Empire, il a commandé en chef des corps d'armée formés de +plusieurs divisions. + +M. le maréchal Drouet d'Erlon, né à Reims le 29 juillet 1765, débuta +dans la carrière militaire par être soldat dans un bataillon de +volontaires nationaux, où il s'enrôla en 1792. Son courage et son +intelligence l'ayant fait distinguer par le général Lefebvre, il devint +son aide-de-camp, et fit sous ses ordres les campagnes de 1793, 1794, +1795 et 1796, aux armées de la Moselle et de Sambre-et-Meuse. En 1799, +il fut nommé, général de brigade. Attaché à l'armée qui, en 1803, +s'empara du Hanovre, il fut élevé au grade de général de division. Il +servit en cette qualité à la grande armée d'Allemagne, prit une part +active à la bataille d'Iéna, et contribua à la prise de Halle. Chef +d'état-major-général du corps d'armée du maréchal Lannes, il se signala +à la bataille de Friedland, le 14 juin 1807, et y fut blessé. Le 29 mai, +il fut nommé grand-officier de la Légion-d'Honneur. En 1809, il +contribua à soumettre le Tyrol. Chargé du commandement du 9e corps +d'armée d'Espagne, il obtint, en 1810, des succès en Portugal, et lit sa +jonction avec Masséna, le 26 décembre 1811 A la fin de décembre 1812, il +força le général anglais Hill à se retirer sous les murs de Lisbonne. En +1815, il commandait l'armée du centre et obtint des succès sur la +Guenna. Vers la lin de juillet, il emporta de vive force le Col-de-Maya, +après la plus vigoureuse résistance de la part des Espagnols. Il +commandait un corps d'armée à la bataille de Vittoria, devint un des +lieutenants du maréchal Soult lors de l'invasion de l'armée anglaise +dans le midi de la France, et combattit, en 1814, dans toutes les +affaires où le territoire national fut énergiquement disputé à l'ennemi, +notamment à Orthez et à Toulouse. + +A la première Restauration, M. le comte d'Erlon fut nommé commandant de +la 16e division militaire (Lille), chevalier de Saint-Louis et grand +cordon de la Légion-d'Honneur. Après le débarquement de l'Empereur au +golfe Juan, le général Lefebvre-Desnouettes ayant formé le projet de +rassembler toutes les forces qui se trouvaient dans le nord de la +France, pour tenter un coup de main sur Paris, M. le général Drouet +d'Erlon fut prévenu de complicité dans ce hardi dessein, et arrêté, le +13 mars 1813, par ordre du duc de Feltre (Clark), alors ministre, de la +Guerre. Le cours des événements le rendit bientôt à la liberté, et lui +permit de s'emparer de la citadelle de Lille, où il se maintint jusqu'au +20 mars. Le 28 du même mois, il fit proclamer et reconnaître l'Empereur +dans la 16e division. Napoléon l'éleva à la pairie par décret du 2 juin, +et lui confia le commandement du premier corps de son armée, à la tête +duquel il fit, à Fleuras et à Waterloo, des prodiges de valeur que la +fortune rendit inutiles. Le général d'Erlon commanda ensuite l'aide +droite de l'armée sous Paris, et après la capitulation, il se retira au +delà de la Loire. Compris dans l'ordonnance de proscription du 24 +juillet 1815, il quitta son corps d'armée, et fut assez heureux pour +arriver à Bayreuth, en Bavière, où il trouva un asile. Plus tard il +s'établit aux environs de Munich et y vécut, dans une modeste retraite, +de l'exploitation industrielle d'une brasserie. Il fut cité, le 12 juin +1815, devant le conseil de guerre de la 11e division militaire, à +Bordeaux, pour être jugé par contumace; mais l'instruction n'ayant pas +été trouvée suffisante, l'affaire fut suspendue jusqu'à plus ample +informé et n'eut pas d'autre suite. + +La révolution de Juillet 1830 rappela en France le comte d'Erlon, et il +fut réintégré dans son grade. Son nom figura de nouveau sur la liste des +lieutenants-généraux en activité, publiée par l'_Almanach royal et +national_ de 1831, après en avoir été effacé pendant quinze années. Pair +de France, le 19 novembre 1831, M. le comte d'Erlon fut nommé, par +ordonnance royale du 27 juillet 1834, gouverneur-général des possessions +françaises dans le nord de l'Afrique, et conserva ce commandement +jusqu'au 8 août 1833, jour où il quitta Alger, une ordonnance du 8 +juillet lui ayant donné pour successeur le maréchal Clauzel, qu'il vient +de remplacer à son tour dans la dignité de maréchal de France. Peu de +temps après son retour d'Algérie, M. le lieutenant-général d'Erlon fut +appelé de nouveau au commandement de la 12e division militaire, qu'il +avait occupé avant son départ pour l'Afrique, et qu'il occupait encore +au moment de sa promotion au maréchalat. + + + +Sur la Locomotion aérienne + +LETTRE + +A M. LE DIRECTEUR DE L'ILLUSTRATION. + +Monsieur, + +Vous avez inséré dans le dernier numéro de votre _Journal universel_ une +description, avec figures, d'une machine à vapeur aérienne. Il paraît +que la curiosité publique est vivement excitée, en Angleterre, par cette +prétendue invention, et qu'il en a été même question au Parlement. En +mettant vos lecteurs au courant du sujet, vous n'avez fait, ce me +semble, que justifier votre titre et la promesse de ne rien laisser +échapper de ce qui attire l'attention générale, à tort ou à raison. Vous +avez eu soin, d'ailleurs, de ne parler de la _découverte_ de M. Henson +qu'avec une prudente réserve, et je suis convaincu que tous vos +lecteurs, mis en garde par la manière dont vous la leur avez exposée, ne +l'auront accueillie qu'avec une extrême défiance, peut-être même la +plupart avec une complète incrédulité. + +Pour moi, Monsieur, j'avoue que je me range décidément au nombre de +ceux-ci, et je vous demande la permission de vous soumettre quelques +réflexions au sujet du problème que M. Henson s'est proposé et de la +solution qu'il s'imagine en avoir trouvée. Si vous jugez convenable de +les communiquer à mes co-abonnés, j'ose croire que ceux qui prendront la +peine de les lire tomberont d'accord avec moi sur l'absurdité théorique +de cette solution; et quant à l'impossibilité pratique, je laisse à M. +Henson lui-même le soin de la démontrer, s'il ne l'a déjà fait. + +Le principe fondamental de la nouvelle machine consiste, dit-on, en ce +qu'elle _emprunte à la Nature_ la force nécessaire pour se mettre en +mouvement et s'élever dans l'air; la machine à vapeur qu'elle porte lui +restitue d'ailleurs, à chaque instant, la vitesse que lui fait perdre la +résistance de l'air. On ajoute fort judicieusement, comme exemple à +l'appui de cette idée, qu'un oiseau s'envole beaucoup plus facilement +lorsqu'il est perché au sommet d'un rocher ou d'un arbre, que lorsqu'il +lui faut s'élever de terre. + +Je trouve à ceci, monsieur Henson, une petite difficulté qui m'arrête +tout d'abord. Vous lancez votre machine dans les airs, de l'extrémité +supérieure d'un plan incliné: fort bien! Mais comment l'aurez-vous +hissée au sommet de ce plan?--à grand renfort de poulies, de cordes, de +cabestans, d'engrenages, etc.; le tout mis en action par des hommes, par +des chevaux, par la vapeur, que sais-je? En tout cas, par un moteur +qu'il faut payer; car si la _Nature_ consent à vous prêter de la force, +ce n'est, assurément, pas pour rien. Puis, lorsque vous aurez abandonné +l'appareil à lui-même, dans quel sens pensez-vous donc que s'exercera la +vitesse qu'il acquiert en vertu de sa chute? Tout le monde ne répond-il +pas, dans le sens vertical, de haut en bas.--Comment voulez-vous donc +que cette vitesse puisse servir à un mouvement de progression horizontal +dans un sens perpendiculaire à sa direction? Bien plus! comment oser +dire qu'elle puisse changer de direction, et que votre aérostat d'un +nouveau genre ait plus de vitesse à la descente? Ne voyez-vous pas que +vous nous proposez tout simplement le mouvement perpétuel? Nierez-vous +que votre histoire soit tout à fait analogue à celle du couvreur qui, +venant de glisser le long d'un toit, passe, pendant sa chute, devant une +fenêtre ouverte au premier étage, et profite de cette heureuse +circonstance pour entrer de plain-pied dans l'appartement, à la grande +surprise des locataires? Si le grand Newton ne s'est pas avisé de cette +importante modification aux lois de la pesanteur universelle, c'est +qu'il n'a philosophé qu'à propos de la chute d'une simple pomme dans son +jardin. Nous, au contraire, n'avons-nous pas appris par nos bonnes +l'anecdote de la chute du couvreur? Étonnez-vous donc un peu des progrès +de la mécanique appliquée! + +Mais votre comparaison de l'oiseau me paraît tout à fait ingénieuse, et +je désire vous y suivre, monsieur Henson! Oui, sans doute, votre oiseau +vole avec moins de peine quand, d'un point culminant, il s'élance dans +les airs, pour se maintenir à la même hauteur ou pour descendre, que +lorsqu'il lui faut d'abord s'élever de terre à la hauteur qu'il veut +atteindre. Vous-même, j'en suis sûr, vous éprouvez moins de fatigue à +descendre qu'à monter un escalier. Il est vraiment à regretter que ces +grandes vérités n'aient pas été vulgarisées, depuis longtemps, par +quelque couplet _ad hoc_, dans la chanson de M. de la Palice; vous +auriez moins de mal à nous les faire comprendre.--Mais comment votre +oiseau a-t-il gagné le sommet de l'arbre sur lequel vous le perchez si +gratuitement? Comment êtes-vous parvenu au haut de l'escalier que vous +n'avez plus qu'à descendre? Je vous vois, vous et votre oiseau, dans un +cruel embarras! Il va falloir que vous commenciez, vous, par monter, +lui, par s'envoler de bas en haut. Tirez-vous de là si vous pouvez. + +Encore quelques mots, Monsieur le Directeur.--M. Henson nous promet une +machine de la force de 20 chevaux, ne pesant pas plus de 500 kil., avec +l'eau nécessaire pour l'entretenir. Je regrette qu'il ne nous ait pas +parlé du temps du voyage. Mais jele suppose d'une heure seulement. Or, +jusqu'à ce jour, on n'a jamais réussi à brûler moins de 2 kil. et demi +de charbon par heure et par force de cheval; ce qui, pour 20 chevaux +fait 50 kilog.--Il faut aussi compter au moins 12 kilog. et demi d'eau +par heure et par cheval; et, pour la machine en question, 250 +kilog.--Comme 50 et 250 l'ont 300 kilog., voilà, si je ne m'abuse, la +totalité du poids de la machine absorbé uniquement par +l'approvisionnement d'une heure en eau et en charbon. Quant à la machine +elle-même, il paraît qu'elle ne pèse rien du tout. Ce résultat n'est pas +moins merveilleux que le reste; car on n'a pas encore, que je sache, +réduit le poids d'une machine à vapeur à moins de 500 à 400 kilog. par +force de cheval développée; ce qui coterait à 6.000 kilog., au bas mot, +le poids de celle de M. Henson. + +Il y a donc quelques raisons de croire, Monsieur le Directeur, que la +nouvelle invention doit être classée au premier rang parmi les +_puffs_-monstres dont l'imagination féconde de nos voisins d'outre-mer +nous gratifie si souvent aujourd'hui. Mais ce qui me semble fort +divertissant, c'est que, cette fois, où ils paraissent avoir dépassé les +limites du genre, ils se sont dupés eux-mêmes, semblables aux conteurs +qui finissent par se persuader de la réalité des aventures qu'ils ne +peuvent plus faire croire à personne. + +Agréez, je vous prie, etc. + +UN DE VOS ABONNÉS + + + +Rébus. + +EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS.. L'approche de la Comète a effrayé les +vieilles bonnes femmes. + +[Illustration: Rébus.] + + + + + + + + +End of Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0007, 15 Avril 1843, by Various + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0007, 15 *** + +***** This file should be named 34547-8.txt or 34547-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/3/4/5/4/34547/ + +Produced by Rénald Lévesque + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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No. 0007, 15 Avril 1843 by Various</title> + +<link rel="coverpage" href="images/cover.jpg"> + +<style type="text/css"> + + +body {margin-left: 10%; margin-right: 10%} + +h1,h2,h3,h4,h5,h6 {text-align: center;} +p {text-align: justify} +blockquote {text-align: justify} + +hr {width: 50%; text-align: center} +hr.full {width: 100%} +hr.short {width: 10%; text-align: center} + +.note {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.footnote {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.side {padding-left: 10px; font-weight: bold; font-size: 75%; + float: right; margin-left: 10px; border-left: thin dashed; width: 80px; text-indent: 0px; font-style: italic; text-align: left} + +.sc {font-variant: small-caps} +.lef {float: left} +.mid {text-align: center} +.rig {float: right} +.sml {font-size: 10pt} +.overl {font-size: 10pt; text-decoration: overline; text-align: center} +.cont {width: 650px} +.somm {float: left; width: 300px; font-size: 10pt; padding: 1em} + +span.pagenum {font-size: 70%; left: 91%; right: 1%; position: absolute} +span.linenum {font-size: 70%; right: 91%; left: 1%; position: absolute} + +.poem {margin-bottom: 1em; margin-left: 10%; margin-right: 10%; + text-align: left} +.poem .stanza {margin: 1em 0em} +.poem .stanza.i {margin: 1em 0em; font-style: italic;} +.poem p {padding-left: 3em; margin: 0px; text-indent: -3em} +.poem p.i2 {margin-left: 1em} +.poem p.i4 {margin-left: 2em} +.poem p.i6 {margin-left: 3em} +.poem p.i8 {margin-left: 4em} +.poem p.i10 {margin-left: 5em} +.poem p.i12 {margin-left: 6em} +.poem p.i14 {margin-left: 7em} +.poem p.i16 {margin-left: 8em} +.poem p.i18 {margin-left: 9em} +.poem p.i20 {margin-left: 10em} +.poem p.i30 {margin-left: 15em} + + + +</style> +</head> +<body> + + +<pre> + +Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0007, 15 Avril 1843, by Various + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: L'Illustration, No. 0007, 15 Avril 1843 + +Author: Various + +Release Date: December 2, 2010 [EBook #34547] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0007, 15 *** + + + + +Produced by Rénald Lévesque + + + + + +</pre> + + + + +<br><br> + +<div class="cont"> + + + + +<p class="mid"><img alt="" src="images/001.png"></p> + +<hr class="full"> +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="sommaire"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 49%;"> +<span class="sml">Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an. 30 fr.<br> + +Prix de chaque N° 75 c.--La collection mens. br., 2 fr 75.</span> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 2%;"> + + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 49%;"> +<span class="sml">Ab. pour les Dep.--3 mois. 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an. 32 fr.<br> +pour l'étranger,--3 mois. 10 fr.--6 mois, 20 fr.--Un an. 40 fr.</span> + </td> + + </tr> + </tbody> +</table> + + + + +<p class="mid"><b>Nº 7. Vol. 1.--SAMEDI 15 AVRIL 1843.<br> +Bureaux, rue de Seine, 33.</b></p> + + +<div class="somm"> +<h3>SOMMAIRE.</h3> + +<p><b>Écroulement du vieux Beffroi de Valenciennes</b>, avec <i>une gravure.</i>--<b>Un +mot sur l'Université--Courrier de Paris</b>. Le givre, une réconciliation, +les deux yeux, un enfant mort en bas âge, les portraits et les modèles, +appétit monstre, un mari reconnaissant, l'auteur et le directeur. +<b>Représentation de pièces historiques.</b> Lucrèce.--<b>Romance.</b> Musique de M. +Flotow, paroles de M. E. de Loutay, avec <i>une vignette.</i>--<b>Chronique +musicale.</b> Concerts du Conservatoire. <i>Salle du Conservatoire</i>.--<b>Des +Caisses d'Épargne.</b>--<b>Longchamp.</b> <i>L'Obélisque et les Champs-Elysées, une +scène de Longchamp.</i>--<b>La Vengeance des Trépassés,</b> nouvelle (3e partie), +avec une <i>gravure.</i>--<b>De l'Éloquence de la Chaire au XIXe siècle.</b> <i>Le +dimanche des Rameaux, portraits de M. de Boulogne, de M. Deguerry, de M. +Combalot, de M. Lacordaire, de M. de Ravignan, de M. Coeur, une +prédication à Saint-Roch.</i>--Bulletin bibliographique.--<b>Annonces.--M. le +maréchal comte d'Erlon.</b>. <i>Portrait.</i>--<b>Sur la locomotion +aérienne.--Rébus.</b></p> +</div> + +<h3>Écroulement du vieux Beffroi de Valenciennes.</h3> + +<p>Depuis la chute de la flèche métropolitaine de Cambrai en 1809, disent +les journaux du Nord, nul événement aussi épouvantable que l'écroulement +du beffroi de Valenciennes n'était venu frapper de consternation nos +provinces.</p> + +<p>A la suite d'interminables lenteurs, après avoir renvoyé cette affaire +de commission en commission, après avoir même fait visiter le beffroi +par un architecte de Paris, M. Visconti, le conseil municipal de +Valenciennes avait enfin voté la restauration du vieux monument: +restauration difficile, dont la direction fut confiée à l'architecte de +la ville, et les travaux adjugés au rabais à un entrepreneur. Les +ouvrages commencèrent il y a peu de mois, et bientôt l'on s'aperçut de +toutes les difficultés qu'ils présentaient: les ouvriers avaient fait de +si fortes tranchées dans la vieille maçonnerie, que l'architecte +lui-même en fut effrayé. Des lézardes se montrèrent le long de +l'édifier, et dans la matinée du vendredi 7 avril, les pierres +commencèrent à tomber successivement du faîte, avertissant les habitants +de la Place d'Armes de l'effroyable catastrophe qui les menaçait.</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/001a.png"><br> + <b>Écroulement du Beffroi de Valenciennes, le 7 avril.</b></p> + +<p>Le même jour, à quatre heures vingt minutes du soir, la tour s'écroula +tout entière avec un fracas épouvantable, s'abattant à peu près sur +elle-même; le poids des pierres bleues qui couronnaient le beffroi, et +surtout celui des vingt-quatre consoles qui supportaient le balcon, et +ne pesaient pas moins de six milliers chacune, étaient devenus trop +lourds pour les piétements affaiblis. On conçoit ce qu'a dû présenter +d'horrible la chute d'une telle masse, qui comptait soixante-dix mètres +de hauteur depuis la base jusqu'au paratonnerre, s'écroulant d'un seul +coup, et tombant sur les habitations de son pourtour et les maisons +voisines; les cloches, dont l'une ne pesait pas moins de neuf mille +livres, enfoncèrent tous les étages jusqu'aux caves; enfin le dôme de la +tour, violemment précipité, alla rouler jusqu'à la Place du Commerce. La +Place d'Armes et l'entrée des rues voisines furent presque ensevelies +sous une montagne de pierres, de poutres, de fer, de cloches et de +plâtras.</p> + +<p>La première victime fut le malheureux guetteur, monté à son poste en +tremblant, vendredi à midi, et qui entendit pendant quatre heures tomber +une à une autour de lui les pierres du couronnement; il fut relevé +respirant encore, et tenant en sa main son ouvrage de cordonnier; mais +il expira bientôt après, par suite de l'affreuse commotion qu'il avait +éprouvée. L'entrepreneur, resté sur l'échafaudage, fut dangereusement +blessé, le serrurier, placé près de lui, a été sauvé miraculeusement.</p> + +<p>Les journaux quotidiens ont donné la liste des victimes de cet affreux +événement: ils annonçaient que le chiffre exact n'en était pas encore +connu. On sait aujourd'hui que sept personnages seulement ont perdu la +vie, mais plusieurs blessés sont dans un état désespéré. Les habitants +et la garnison rivalisèrent de zèle et de dévouement pour sauver les +malheureux ensevelis sous les décombres: la compagnie d'Anzin envoya +aussitôt des travailleurs intelligents et actifs, et mit à la +disposition de la ville les chèvres, les grues et tous les outils de ses +mines. Grâce à ces secours réunis, l'on put déblayer un peu la place, et +sauver la vie a quelques blessés gisants sous des monceaux de ruines.</p> + +<p>Le malheur qui vient d'arriver est immense: mais si l'on considère ce +qu'il pouvait être, il faut encore rendre grâces à Dieu de ce que le +nombre des victimes ait été aussi restreint. Une ou deux heures plus +tôt, l'écroulement atteignait plus de cinquante individus; et si le +couronnement s'était, dans sa chute, incliné un peu à droite ou à +gauche, une foule de maisons eussent été infailliblement écrasées.</p> + +<p>La perte matérielle de la ville est considérable: Valenciennes se trouve +à la fois privée de son seul monument, du vieux souvenir de ses libertés +communales, de ses bureaux d'octroi, de son horloge, de son carillon et +d'un grand nombre de maisons attenantes au beffroi, qui étaient des +propriétés communales.</p> + +<p>Une grave responsabilité va peser sur les entrepreneurs des travaux: +l'administration n'avait cessé de leur recommander de prendre les plus +grandes précautions; peu persuadée d'ailleurs par les assurances +réitérées de l'architecte, qui prétendait répondre sur sa tête de la +solidité de la tour, la municipalité avait ordonné, le matin même du 7 +avril que l'on évacuât immédiatement les bâtiments du beffroi et les +petites maisons qui y étaient adossées; en même temps elle fit cesser la +sonnerie des cloches et interdit la circulation des voitures aux +alentours du monument C'est grâce à la promptitude et à l'énergie de ces +mesures que la ville n'a pas en à déplorer de plus grands malheurs.</p> + +<p>Le beffroi de Valenciennes était sans contredit l'un des plus anciens +et des plus remarquables monuments du nord de la France. Nos lecteurs +trouveront donc nous l'espérons, quelque intérêt dans la notice +historique que nous joignons au récit de l'événement. Nous puisons la +plupart de nos documents dans l'histoire de Valenciennes par +<i>d'Oultreman</i>, et les deux derniers feuilletons de <i>l'Écho de la +Frontière.</i></p> + +<h3>Notice historique</h3> + +<h4>SUR LE BEFFROI DE VALENCIENNES.</h4> + +<p>L'antiquité du beffroi de Valenciennes remonte jusqu'au treizième siècle +En 1222, sous le règne de la comtesse Jeanne de Flandres, fille du +fameux empereur Baudouin de Constantinople, un premier beffroi fut élevé +sur la place du Marché: mais, soit que la construction en fût vicieuse +ou l'emplacement mal choisi, il fut démoli dès l'an 1237, et l'on jeta +les fondements d'une nouvelle tour à l'extrémité méridionale de la +place. Cette fois la comtesse Jeanne chargea le seigneur de Materen, +gouverneur de la ville, de surveiller la construction du monument. De +1238 à 1240 l'édifice fut achevé dans toutes les normes. C'était une +tour quadrilatérale, à angles arrondis, bâtie en grès dans la partie +inférieure, et en pierres blanches à partir d'une certaine hauteur +jusqu'au sommet, qui se terminait alors par quatre petites tourelles en +encorbellement, et par une plate-forme générale, garnie de murs d'appui +crénelés. Au-dessus de cette plate-forme, couverte de plomb, s'élevait +la hutte de bois du guetteur, fortement établie sur un soubassement qui +la rehaussait encore de plusieurs toises. A la base de la tour étaient +adossées plusieurs constructions servant de lieu de dépôt pour +marchandises.</p> + +<p>En l'an 1558, deux cloches furent placées au beffroi. La première grosse +cloche, dite <i>Blanche cloche</i>, du poids de 9.000 livres, et la seconde, +la cloche des ouvriers, nommée <i>Curiande</i>, du poids de 3,800 livres, +fondue par Guillaume de Saint-Omer; elle sonna pour la première fois le +jour de la Toussaint de la même année.</p> + +<p>Au commencement du seizième siècle, Jacquemart-Levayrier, dit l'<i>Arbre +d'or</i>, voulant <i>réjouir</i> ses concitoyens, institua quatre musiciens, ou +<i>museux</i>, qui devaient, sur le balcon du beffroi, jouer du hautbois tous +les jours à midi, et du matin jusqu'au soir les jours de marché. Cet +usage se perpétua pendant deux siècles; mais, en l'an VII, la République +confisqua et fit vendre les biens affectés à cette fondation.</p> + +<p>Pendant les guerres de Charles-Quint avec François Ier et Henri VIII, on +avait éprouvé que le guetteur ne voyait pas d'assez loin l'approche des +partis français qui venaient ravager les environs de Valenciennes; en +conséquence, le beffroi fut exhaussé en 1546; la flèche fut de même +relevée de vingt-deux pieds en 1647, et l'on y plaça, comme girouette, +un grand aigle doré, emblème héraldique de l'empereur Charles-Quint.</p> + +<p>Le beffroi resta longtemps en cet état sans éprouver de nouveaux +changements. En 1578, le baron de Harchies, voulant faire un coup de +main sur la ville, s'empara du beffroi, mais il en fut bientôt chassé.</p> + +<p>En 1615, il y eut quelques agrandissements apportés aux bâtiments du +pourtour, qui servaient alors de bourse aux marchands. De 1680 à 1700, +le magistrat éleva devant la tour un bâtiment à la moderne, faisant face +à la place, surmonté, aux deux ailes, de deux petites lanternes, ou +belvédères, de très-bon goût, qu'un auteur signale, dans un livre +d'architecture, comme un modèle d'élégance. En 1712, on rebâtit sur les +autres faces neuf maisons d'habitation, décorées de jolies sculptures, +et connues sous le nom de leurs diverses enseignes: le <i>Dromadaire, le +Taureau-Marin, le Cheval-Marin, le Triton, la Sirène, le Chameau, le +Castor et l'Éléphant.</i> L'octroi occupait le <i>Dromadaire</i> et le +<i>Taureau-Marin.</i> Les six autres maisons étaient louées à certaines +professions désignées, qu'on ne pouvait changer sans la licence du +magistrat. Outre les deux pavillons, la façade de la tour se composait +encore d'une galerie découverte et de deux balcons aux étages +supérieurs. Les bustes des douze Césars, plus grands que nature, les +quatre Saisons, et autres sculptures délicates, ornaient ces +constructions.</p> + +<p>De 1782 à 1784, sous la prévôté de M. de Pujol, qui fit reconstruire ou +réparer presque tous les monuments de Valenciennes, le couronnement du +beffroi fut remis à neuf et de nouveau exhaussé. On démolit la +plate-forme et toute la partie supérieure, jusqu'à l'endroit où l'on +trouva la bâtisse saine et solide; là-dessus fut élevé un nouveau +couronnement dans le style Louis XV. Les colonnes ornées, les balcons +contournés, les vases Pompadour, vinrent se placer sur la tour gothique +de Jeanne de Flandres. Les pierres employées pour cette restauration +étaient en calcaire bleu, leur solidité ayant paru supérieure à celle +des pierres blanches,</p> + +<p class="mid">......Color deterrimus albis;</p> + +<p>malheureusement ces pierres bleues étaient d'une pesanteur énorme, et +devaient tôt ou tard écraser l'édifice: aussi prévit-on dès lors un +écroulement; et <i>M. de Rollecour, l'un des magistrats, défendit à son +cocher, sous peine d'être chassé, de jamais passer avec sa voiture dans +les environs du beffroi.</i>--On oublia en même temps de garnir de plomb +le palier du balcon, et la pluie, filtrant au travers des pierres, fit +pourrir peu à peu les dernières assises.</p> + +<p>Le 30 mai 1795, à l'ouverture du siège de Valenciennes, la garnison et +les habitants prêtant à la République le serment solennel de fidélité, +le zèle patriotique des sans-culottes s'affligea de voir l'énorme fleur +de lis sculptée au faîte du beffroi; des ouvriers furent envoyés pour +l'effacer, mais ils ne purent jamais l'atteindre; il fallut se borner à +couvrir le signe monarchique sous les plis d'un vaste drapeau tricolore. +La tour du beffroi, pendant tout le siège, servit de point de mire aux +obus de l'armée ennemie, mais elle soutint assez bien ce bombardement. +«Il est vrai, dit l'<i>Écho de la Frontière</i>, que les canons du duc d'York +ne lui firent pas d'aussi grandes brèches que les modernes +restaurateurs.»</p> + +<p>En 1800, la girouette aux armes d'Espagne fut remplacée par une +brillante Renommée sonnant de la trompette. Cette statue, debout sur un +globe doré, fut menée en triomphe par les rues de la ville avant d'être +hissée sur son piédestal. Mais deux ans après, un violent ouragan +abattit la Renommée, qui heureusement n'atteignit personne dans sa +chute.--A la Restauration, on plaça sur le beffroi un lion d'or, emblème +héraldique de Valenciennes.</p> + +<p>En 1811 le maire de la ville, M. Benoist, eut la fantaisie de remplacer +les deux élégants belvédères et tout le bâtiment de la façade par une +lourde construction où furent logés l'octroi et le Cercle du Commerce. +Chacun protesta contre cet acte de vandalisme, et M. le général +Pommereul, préfet du Nord, témoigna là-dessus son sentiment à +l'architecte d'une façon toute militaire.</p> + +<p>Enfin, depuis dix ans on projetait une restauration complète du beffroi; +plût à Dieu qu'on l'eut entreprise plus tôt et sur de meilleurs plans!</p> + +<p>M. le capitaine Coste, en 1824, avait pris, avec le graphomètre, les +différentes dimensions de la tour. On nous saura peut-être gré de les +reproduire ici:</p> + +<pre> +De la base au balcon. 79 m. 50 c. +Du balcon au-dessus du dôme. 14 50 +Du dôme au-dessus de la lanterne, sous la boule. 7 50 +De la lanterne jusqu'au bout du paratonnerre. 8 55 + +Total. 70 m. 05 c. +</pre> + +<p>La sonnerie du beffroi était fort belle et fort ancienne. Au moment où +nous écrivons, elle est à peu près dégagée de dessous les décombres, et +chacun se presse pour la voir.--Elle se composait de huit cloches: 1º le +gros bourdon, d'un poids énorme, sans millésime apparent; 2º une cloche +à la date de 1346, avec une légende historique dont on ne peut encore +lire qu'une partie: <i>Nuit et jour peut oïr la communauté</i>; le reste de +la devise est enseveli sous les plâtras; 3º deux cloches de 1555, dont +l'une porte ces mots: <i>Réjouissant les coeurs par vrais accords</i>; 4° +deux cloches de 1597, blasonnées du cygne valenciennois; 5º une cloche +de 1626, avec le même signe et cette inscription: <i>Nous avons été fait +pour l'horloger de Valenciennes par Jean Delecourt et ses fils, en 1626</i>; +enfin une dernière cloche sans date, mais entourée d'ornements, parmi +lesquels on distingue des fleurs de lis, une madone, un saint Michel à +cheval et des armoiries flanquées de deux bâtons en croix de +Saint-André, comme on en voit sur quelques emblèmes de Charles-Quint.</p> + +<p>Toutes ces cloches sont en parfait état; elles n'ont éprouvé aucune +avarie dans leur chute.</p> +<br> + +<h3>Un mot sur l'Université.</h3> + +<p>Parmi les diverses propositions, toutes vaines et avortées, par +lesquelles d'honorables députés des divers bancs de la Chambre ont du +moins manifesté depuis quelques jours le désir louable de combattre +l'affaiblissement de l'esprit public et l'atonie politique où nous +tombons de plus en plus, la proposition d'admettre les candidats au +baccalauréat à subir leur examen sans avoir à justifier d'études +universitaires, nous semble devoir être remarquée non pour son résultat +immédiat (elle a été repoussée), mais pour l'arriére-pensée politique +qui l'a inspirée et pour cet esprit agressif contre l'Université, qui +gagne et se propagerait enfin de proche en proche dans tous les partis +d'une façon bientôt inquiétante. En effet, au moment même où cette +proposition était faite par un esprit d'ailleurs éclairé, M. de Carné, +M. Arago, de son côté, à propos d'une pétition qui demandait que les +candidats à l'école polytechnique ne soient pas, à l'avenir forcés +d'être bacheliers, non content d'appuyer cette requête, comme il en a +assurément le droit plus que personne au monde, et comme député, et +comme ancien professeur de cette école célèbre et comme savant éminent, +a pris de là occasion d'attaquer aussi l'Université, repoussant, comme +inutile, frivole et presque dangereux, son enseignement, l'étude des +belles-lettres et de la philosophie.</p> + +<p>En temps ordinaire, et sans cette espèce, de coalition fortuite, nous +l'avouons, mais générale et malheureuse, contre l'Université de France, +nous laisserions volontiers cette respectable matrone se justifier +seule, par l'organe de ses rhéteurs émérites et de ses philosophes en +robe et en bonnet, et défendre seule son monopole contre M. de Carné, la +nature de son enseignement et ses traditions un peu routinières contre +M. Arago.</p> + +<p>Mais c'est un des malheurs de ce pays d'être en ce moment divisé, non +plus seulement comme tous les pays du monde, en esprits jeunes, ardents, +aventureux et plus ou moins témérairement novateurs, et en esprits plus +mûrs, et, si l'on veut, plus désabusés et plus ou moins sagement +conservateurs, mais bien en trois partis exclusifs, intraitables, +aveugles, qui s'anathématisent sans relâche et se damnent l'un l'autre +sans miséricorde, savoir: un parti qui ne voit, ne comprend, ne veut, +et, chose étrange! n'espère que le passé! un parti qui, par +compensation, ne cherche, ne voit, ne sait, ne pleure que l'avenir, +toujours en retard d'un millier d'années au gré de son impatience; +enfin, un parti qui, naturellement effrayé de cette soif monstrueuse, +également déraisonnable des deux parts, et de ce qui n'est plus et de ce +qui ne saurait être encore, se condamnerait volontiers, lui, de peur de +donner gain de cause à l'un de ses adversaires, à une impuissance +absolue, à une éternelle immobilité, sommeil perfide, torpeur +dangereuse, qui, lorsqu'elle se prolonge, n'est autre chose que la mort +même des nations.</p> + +<p>Et, dans la plupart des questions qui se débattent, le parti qui veut, +au fond, revenir purement et simplement au passé, irrité de la +résistance qu'on lui oppose justement, s'allie tout bas au parti +novateur et nie effrontément au pouvoir les facultés dont il se réserve, +à part soi, d'user largement un jour contre ses imprudents amis, si +jamais il gouverne encore.</p> + +<p>Il faut donc que les hommes sages qui croient que l'idée même du progrés +normal implique, avec celle de ne point rétrograder, l'idée d'une +succession graduée de développements mesurés et toujours plus ou moins +lents, interviennent enfin. Oui, bon gré, mal gré, quand il s'agit, par +exemple, d'une institution aussi considérable que l'Université de +France, liée aux plus grands souvenirs et de la monarchie et de la +démocratie française, au temps de Philippe, le Bel et de Louis XIV, +comme au temps de François Ier et de Napoléon, d'une institution +vieille, mais forte encore, dont la chute, qui peut le nier? nous +livrerait demain à coup sûr, sans parler des tentatives des factions, à +toute la honte de l'éducation au rabais et à je ne sais quel +maquignonnage des intelligences qui révolte également et le sens moral +et la raison; alors ou jamais il faut bien prêter secours au passé et à +la tradition, dans l'intérêt même de l'avenir et des perfectionnements +ultérieurs du monde.</p> + +<p>«Mais à quoi servent positivement les études classiques, commence-t-on à +s'écrier de toutes parts, et la philosophie, et son histoire, et les +monades de Leibnitz, et les tourbillons de Descartes, et la vision en +Dieu de Malebranche? Cicéron ne disait-il pas déjà assez naïvement: «Je +ne sais pourquoi il n'y a rien de si absurde qui n'ait été enseigné et +soutenu par quelque philosophe.» Et Fontenelle: «Oh! moi, la +philosophie, quand j'étais petit, tout petit, je commençais déjà à n'y +rien comprendre.»</p> + +<p>Oui, sans doute, messieurs les mathématiciens; mais ce même Cicéron que +vous citez, n'en consacra pas moins la moitié de sa vie à étudier les +philosophes de la Grèce, et à faire connaître leurs idées à ses +concitoyens; et, au rapport de Pline, il était plus glorieux d'avoir par +là reculé pour les Romains les limites du génie, que d'avoir administré +la République. Ce n'est pas apparemment faute de connaître et de +cultiver les sciences physiques et mathématiques que l'illustre géomètre +Descartes et l'illustre savant Leibnitz se sont tant occupés de +philosophie; et Fontenelle, l'un des esprits les plus sceptiques, mais +les plus polis et les plus fins qui aient jamais été, s'il vivait de +notre temps, ne se hâterait pas tant de nier l'éducation générale ou de +la définir un apprentissage, et non plus une culture libérale et +préparatoire. Il lui semblerait que, sans donner tête baissée dans aucun +système exclusif, et à ne considérer même la philosophie que comme +l'idéal suprême non encore réalisé de la raison humaine en quête de la +vérité divine, il y a bien quelque profit pour l'âme, qu'elle réussisse +ou non, à chercher encore à conquérir cet idéal par le mâle exercice de +la pensée, de même qu'il y a encore profit pour le corps et +développement dans les exercices, en apparence et immédiatement +inutiles, du gymnase. Et quant à l'histoire de la philosophie, ne +fit-elle que nous enseigner la tolérance et l'indulgence, par le +spectacle des grandes erreurs où sont tombés de tous temps les plus +grands esprits, apprit-elle seulement à ceux qui ne doutent de rien +qu'il y a de grands mathématiciens qui ont douté de tout, et que +Socrate, le plus sage des hommes, disait volontiers dans les rues à qui +voulait l'entendre, et surtout en présence des sophistes de son temps, +si pleins de morgue et de pédantisme, qu'<i>il ne savait rien</i>; +serait-elle donc, cette histoire, si inutile de nos jours?</p> + +<p>On insiste: mais le reste des études universitaires, où est son utilité? +D'abord, cette utilité fût-elle impossible à démontrer positivement, +nous n'admettons pas que ce fût là une raison si péremptoire de les +condamner et de les supprimer dans le haut enseignement. On ne peut pas +ainsi rendre compte de tout; et les choses les plus nécessaires, les +plus divines, sont précisément celles-là même qui se laissent le moins +analyser, étant simples de leur nature. Après cela, nous laisserons +répondre un homme dont les savants ne récuseront pas la compétence, +l'illustre Cuvier: «Il est plus nécessaire qu'on ne croit, pour +apprendre à bien raisonner, de se nourrir des ouvrages qui ne passent +d'ordinaire que pour être bien écrits En effet, les premiers éléments +des sciences n'exercent peut-être pas assez la logique, précisément +parce qu'ils sont trop évidents; et c'est en s'occupant des matières +délicates de la morale et du goût, qu'on acquiert cette finesse de tact +qui conduit seule aux hautes découvertes.» Ajoutons que ceux qui se +livrent à l'étude des sciences positives, ne rencontrant point sur leur +route les passions des hommes, s'accoutumeraient volontiers à ne croire +qu'à ce qui est susceptible d'être mesuré, pesé, calculé +mathématiquement. L'étude réfléchie de la littérature est un +contre-poids à cette tendance étroite et fausse.</p> + +<p>Il y a plus; notre civilisation est tellement basée sur celle des Grecs +et des Latins, qu'il serait presque impossible d'exposer avec clarté +l'histoire du monde chrétien, et en particulier celle de notre pays, à +qui ne connaîtrait pas la civilisation des anciens par leur littérature.</p> + +<p>Ceux qui contestent si fort l'utilité du grec et du latin ne voudraient +pas apparemment supprimer celle de la langue maternelle. Ils ignorent +donc que le latin contenant les racines, c'est-à-dire, <i>la raison</i> du +français, si on en supprime l'étude, un enseignement supérieur de la +langue française devient par là même impossible. Et ce coup, porté à la +langue nationale, atteindrait, qu'on ne s'y trompe pas, l'intelligence, +le goût, la vie même de la France! L'allemand, dit-on, tiendra lieu du +latin. Quand l'allemand aurait la perfection du latin, ce qui n'est pas, +là ne sont pas nos origines. Gardons-nous bien de soumettre ainsi +gratuitement l'esprit français au génie germanique, en altérant ou en +brisant nous-mêmes l'idéal du type collectif auquel la pensée publique +emprunte ses formes.</p> + +<p>Tout ceci ne va pas à nier, à Dieu ne plaise! l'utilité de quelques-unes +des réformes proposées par l'esprit de <i>réalisme</i> qui, on en conviendra, +nous domine de plus en plus; et si l'on reconnaît avec nous, que nul +homme, nul peuple véritablement grand ne fut réaliste, nous sommes prêts +à accorder que le temps consacré à l'étude des langues anciennes est +beaucoup trop long; que les méthodes d'enseignement ont grand besoin +d'être perfectionnées; qu'une distribution plus rationnelle, sinon une +répartition plus égale des divers éléments de l'instruction publique, +opérée avec sagacité et mesure, et l'admission dans les collèges de +certaines branches d'étude qui se rapportent à l'exercice des +professions non littéraires et même non libérales, seraient des +innovations à la fois largement bienfaisantes et conservatrices à +l'époque, où nous vivons.</p> + +<p>Au reste, pour déterminer un peu nettement ce que doit être l'Université +de France au dix-neuvième siècle, il faudrait s'entendre sur cette +question: Qu'est-ce que la France? Comme pour les Grecs au temps de +Socrate, il nous semble qu'après tant d'utopies sans fondement, de +théories sans élévation et de luttes sans moralité, le temps est venu +pour les grandes nations de l'Europe de s'appliquer cette sage maxime: +«Connais-toi toi-même.» Qu'est-ce donc que la France? Est-il impossible +de trouver à rette simple et grande question une réponse à la fois +positive et satisfaisante pour toute l'âme? Cette question résolue +mettrait fin à tant de discussions? Que nos lecteurs y pensent un peu; +nous y réfléchirons beaucoup de notre côté, et nous saisirons quelque +occasion d'arriver ensemble, s'il est possible, à la lumière sur ce +point capital.</p> +<br> + +<h3>Courrier de Paris.</h3> + +<p class="mid">LE GIVRE.--UNE RÉCONCILIATION.--LES DEUX YEUX.--UN ENFANT MORT EN BAS +AGE.--LES PORTRAITS ET LES MODÈLES.--APPÉTIT MONSTRE.--UN MARI +RECONNAISSANT.--L'AUTEUR ET LE DIRECTEUR.</p> + +<p>C'est une véritable trahison, et le printemps se conduit avec nous d'une +manière indécente. Eh quoi! il nous sourit d'abord de son sourire le +plus doux, il nous envoie de charmants rayons de soleil, il nous inonde +de brises caressantes, il agite, sous nos fenêtres, des bouquets de +feuilles et de fleurs précoces pour nous engager à sortir de nos +demeures et pour nous attirer dehors, nous, pauvres innocents, coeurs +crédules, âmes confiantes; nous, prisonniers des villes, que tout coin +d'azur ravit et console, nous allons sur la foi de ces belles promesses.</p> + +<p>Voici Paris qui se répand de tous côtés, d'un air de fête, s'ébattant +dans ses rues et dans ses promenades pareilles à une cage immense qui +laisserait envoler ses oiseaux par milliers. Puis, tandis qu'on se fie à +ces perfides caresses d'avril, tout à coup le ciel se voile, le vent +souffle de sa bouche glacée des tourbillons de pluie et de grésil. Il +faut voir comme cette foule gazouillante cesse ses joyeux ébats et +s'enfuit par volées; les mains rentrent dans les profondeurs du paletot; +les nez reprennent l'abri du foulard; mille gracieux petits visages +féminins, qui commençaient à s'épanouir sous le frais chapeau de couleur +printanière, s'enveloppent de velours et disparaissent sous le voile et +dans la fourrure. Le printemps, qui se permet de pareilles +plaisanteries, ne ressemble-t-il pas à ces soldats d'escarmouches, +grands fabricants de surprises et d'embuscades? De même que ceux-ci se +cachent derrière les haies et au détour des monts, pour lancer leurs +fusillades de même avril masque de quelques rayons de soleil sa +mitraille de neige et de vent. Pour nous, arbustes à deux pieds et trop +souvent sans fleurs et sans fruits, le mal n'est pas mortel. Le premier +moment paraît désagréable, je le confesse; il est toujours pénible de +découvrir un traître dans un ami plein de sourires, et d'être gelé quand +on a la bonhomie de compter sur le soleil.--Après tout, il nous reste +l'abri du foyer et le toit de nos maisons.--Mais qui sauvera ces frêles +habitants des vergers qu'avril a trompés et attirés dans ses pièges? Ils +ont mis prématurément au jour leurs fleurs d'une blancheur éblouissante +et d'un rose virginal, fleurs délicates, promesses embaumées des plus +beaux fruits. Le givre leur donne le frisson et les tue; le fruit meurt +dans sa fleur.--Et ce jeune enfant, plein d'espérances, qui succombe aux +bras de sa mère, et ces génies qui s'éteignent à leurs premiers rayons, +et ces rêves de bonheur, d'amour, de gloire, morts et ensevelis sur le +seuil, n'est-ce pas aussi quelque givre d'avril qui les a glacés?</p> + +<p>Comment Longchamp n'aurait-il pas souffert de cette froidure? Comment ce +vent aigu aurait-il épargné sa couronne?</p> + +<p>Madame Charles B... s'y est fait voir; c'est une des lionnes les plus +rugissantes de la Chaussée-d'Antin; elle a cependant un mérite que +beaucoup de panthères se refusent: madame Charles B... n'est ni +médisante ni jalouse. Quoique coquette et fêtée, elle ne hait pas les +jolies femmes; elle fait plus que ne pas les haïr, elle semble les aimer +et les recherche. Ses soirées et ses bals offrent la collection, à peu +près complète, de ce que Paris possède de plus exquis et de plus +charmant en brunes et en blondes; ce sont les deux nuances qu'elle +préfère à juste raison. Son plus grand souci est d'apprendre qu'il y a +quelque part un piquant visage féminin dont elle n'a pas encore eu la +visite. Aussitôt elle en entreprend la recherche avec l'ardeur de ces +bibliomanes passionnés, de ces furieux antiquaires qui poursuivent un +Elzévir ou une médaille, et maigrissent tant qu'ils ne les ont pas +trouvés. Je vois cette différence entre eux et madame Charles B...., +qu'ils aiment la médaille et l'Elzévir d'un amour égoïste et pour +eux-mêmes, tandis que madame B.... ne fait des fouilles que pour les +autres; elle veut qu'on dise: «Étiez-vous, hier, au bal de madame B...? +il y avait toutes les jolies femmes de Paris!»--Les plus fins valseurs +et le plus fin orchestre, les plus jolies femmes et les meilleures +glaces, voilà l'ambition de madame de B...; de tout le reste, elle s'en +inquiète fort peu.--Mercredi dernier, elle était à l'Opéra. Dans la loge +placée en face de la sienne, une jeune femme, d'une remarquable beauté, +attirait l'attention. On se demandait son nom, mais personne ne le +connaissait.--«Ah! dit madame B..... qui n'en savait pas plus qu'une +autre, il faudra que l'hiver prochain j'aie ces deux yeux-là dans mon +salon?»</p> + +<p>Dans la trilogie des <i>Burgraves</i>, Job, âgé de cent ans, devait dire à +Magnus, son fils, qui en compte soixante: «Jeune homme, taisez-vous!» +Cette apostrophe m'a rappelé le mot d'un autre patriarche; celui-ci +n'avait que quatre-vingts ans, et son fils en possédait cinquante. Le +fils s'avisa de mourir subitement; on alla trouver le père; et lui, +apprenant la fatale nouvelle, de s'écrier: «J'avais bien dit que je ne +pourrais pas élever cet enfant-là!»</p> + +<p>Le salon de peinture est resté fermé toute la semaine; cette clôture de +huit jours a jeté la désolalion dans le peuple des désoeuvrés; il y a +toujours à Paris quelque lieu d'asile pour cette nation qui n'a rien à +faire. Mais le salon est son paradis de prédilection; au 15 février, le +flâneur, cette espèce errante de le flore parisienne, entre en +possession du Louvre et n'en sort qu'au 15 mai. Le flâneur a donc été +obligé de porter, cette semaine, sa tente ailleurs: le matin, à la place +du Carrousel, au moment de la garde montante; et, le reste de la +journée, à la grâce de Dieu. Après tout, le flâneur est philosophe et +prend volontiers son parti: aujourd'hui au Champ-de-Mars, demain au +rond-point de la Bastille, peu lui importe! Mais la classe véritablement +et douloureusement frappée par cette clôture momentanée du salon, c'est +l'estimable classe qui a son portrait à l'exposition de 1843. M. de +Cailleux ne sait pas le mal qu'il lui a fait. Tous ces honnêtes gens +avaient pris, depuis un mois, la douce habitude d'aller, de dix heures à +quatre heures, se contempler eux-mêmes sur tuile et encadrés; les uns +aimaient à se voir dans l'attitude héroïque d'un garde national +patrouillant autour de sa mairie; les autres, majestueusement coiffés de +leur bonnet d'avocat ou de leur toge magistrale; ceux-ci plongés dans la +poésie du registre en partie double; ceux-là arrosant leurs tulipes, ou +jouant au cheval fondu avec leur dernier né, ou souriant agréablement à +la compagne de leur vie, occupée de leur broder des pantoufles. Être +privé, pendant huit jours, de sa propre image, quelle douleur et quelle +abstinence! Les portraits en bustes ne savaient que devenir, les +portraits en pied tombaient dans la tristesse, les poitraits de famille +perdaient le boire et le manger. Je ne plaisante pas; j'ai des preuves +de ce que j'avance. Un de mes voisins s'est fait peindre cette année, +lui et son chien, sa femme et son chat, son fils et son serin; c'est une +peinture de famille au grand complet. Or, je n'ai pas mis le pied une +seule fois au Louvre, sans rencontrer le père, la mère et l'eufant, se +promenant de long en large devant leur propre tableau. Le serin +manquait, il est vrai et le chat aussi. Le gardien avait sans doute +exigé qu'on les laissât au dépôt des cannes.--Eh bien! toute cette +semaine, mon voisin a été d'une humeur de dogue: il ne pouvait plus se +mirer à l'huile dans sa propre image ni dans l'image des siens. +Assurément, si on avait besoin d'apprendre combien l'homme s'adore +lui-même, il suffirait de se mettre en vedette dans la galerie des +portraits. Là vous rencontrez à chaque pas les modèles en extase devant +leurs copies; et, par un admirable don de la Providence, ce sont les +plus laids en réalité et en peinture, qui paraissent s'aimer le plus et +faire avec le plus de satisfaction des petites mines à leurs portraits.</p> + +<p>En vérité, c'est effrayant! Avez-vous examiné le relevé statistique et +officiel de la consommation de la bonne ville de Paris, pendant le mois +de mars qui vient de finir? Mais on n'a jamais vu un pareil ogre! Le +mois de mars 1842 s'était distingué par un assez bel appétit, je +l'avoue; il avait fait cuire et assaisonner, en trente jours 5.721 +boeufs, 1.281 vaches, 5.439 veaux, 52.000 moutons. C'est quelque chose, +surtout quand on songe ce que cette effroyable cuisine exige de grils, +de casseroles et de marmites; mais enfin on peut s'en tirer. Interrogez +le mois de mars 1843, s'il vous plaît; il vous répondra, en haussant les +épaules, que son frère aîné de 1842 s'est tenu à la diète, et que, lui, +1843 n'aurait fait de tout cela qu'une bouchée. 6.987 boeufs, 1.458 +vaches. 6.051 veaux. 38.128 moutons, voilà le menu de ce terrible mois. +Quel petit souper!--On attribue généralement cette consommation +extraordinaire de moutons et de veaux, à l'apparition des <i>Margraves,</i> +ces hommes géants.</p> + +<p>M. V..... espérait en vain depuis longtemps le bonheur d'être père. +Le ciel vient de mettre fin à son attente, et de combler tous ses voeux. +M. V.... en a reçu hier l'heureuse nouvelle. Je ne chercherai pas à vous +donner une idée de sa joie. Dans son transport, il a écrit à madame +V.... la lettre que voici: «Ma chère amie, je te remercie beaucoup du +fils que tu as bien voulu me donner.»</p> + +<p>On parle beaucoup, dans le monde dramatique, d'une aventure qui aurait +un directeur et un auteur pour acteurs principaux. Le directeur se croit +le droit d'accuser l'auteur de lui avoir fait une de ces délicates +blessures dont plus d'un héros de Molière se plaint assez naïvement. Le +directeur exposait son grief à un de ces amis intimes qui n'a jamais +écrit une ligne de sa vie. Celui-ci cherchait à le consoler. «Me +consoler, répliqua l'autre, me consoler, jamais! Si cela venait de ta +part, si c'était toi, je ne dis pas; mais un homme d'esprit, un homme +qui fait des pièces, c'est humiliant!»</p> + +<p>Le bruit court qu'un prince héréditaire d'Allemagne a retrouvé, au +comptoir d'un café du boulevard Palien, la princesse sa fille, qui lui +avait été enlevée au berceau il y a dix ans, sans qu'on eût jamais +retrouvé ses traces. Nous éclaircirons cette nouvelle singulière dans +notre prochain courrier.</p> +<br> + +<h3>Premières Représentations.</h3> + +<p class="mid">DE PIÈCES DE THÉÂTRE HISTORIQUES.</p> + +<h4>ÉTUDES SUR LUCRÈCE.</h4> + +<p>Lorsqu'une oeuvre dramatique dont le sujet est emprunté à l'histoire +s'annonce dans le monde littéraire, l'homme d'étude se prépare à l'aller +entendre en évoquant ses souvenirs; l'homme du monde interroge sa +bibliothèque, et veut connaître au moins les données principales sur +lesquelles l'auteur a construit sa fable. Ce travail, que font +quelques-uns, pourquoi la presse ne le ferait-elle point pour tous? +Toutes les fois que serait prochaine la représentation d'une grande +pièce dont les récits de l'histoire forment la trame principale, +pourquoi ne la ferait-on pas précéder d'une analyse des sources +historiques où l'auteur a pu s'inspirer? Nous tentons de commencer ce +travail par l'oeuvre d'un jeune homme qui nous est tout à fait inconnu, +mais qui est déjà cité par quelques hommes de goùt et de sens, comme +ayant fait consciencieusement un de ces ouvrages sérieux que repousse, +depuis longtemps une décourageante ironie.</p> + +<p>L'événement qui fait le sujet de la tragédie que l'Odéon annonce n'est +pas seulement un fait domestique plein d'intérêt et de grandeur, c'est +aussi toute une révolution politique qui renversa la royauté romaine. +«Sextus Tarquin, dit Montesquieu, en violant Lucrèce, fit une chose qui +presque toujours a fait chasser les tyrans; car le peuple à qui une +action pareille fait sentir sa servitude, prend d'abord une résolution +extrême.»</p> + +<p>Disons quelques mots des personnages qui figurent dans la tradition +historique.</p> + +<p>La haine de tous les siècles, malgré quelques apologistes, a poursuivi +Sextus Tarquin digne fils du Superbe. C'est ce même Sextus qui +s'introduisit dans Gabies assiégée, en se donnant pour victime de la +colère paternelle, et qui, lorsqu'il se fut rendu maître de ses dupes, +interpréta avec tant d'esprit les têtes des hauts pavots coupées par son +père devant l'envoyé chargé de le consulter sur le sort des vaincus.</p> + +<p>Lucrèce, fille de Lucrétius Tricipitinus, épousa Collatin, parent de +Tarquin. Collatin ne doit qu'à la vertu et au courage de sa femme, et +son nom historique et l'honneur d'avoir été un des deux premiers consuls +de Rome.</p> + +<p>Enfin un hasard providentiel comme on le verra par le récit qui suit, +donna pour témoin à ce grand drame un homme dont la grandeur inconnue +jusqu'alors créa la force et la gloire de Rome. L. Junius appartenait à +une famille considérable: son père avait épousé une fille de Tarquin +l'Ancien; Tarquin le Superbe, redoutant son crédit, le fit assassiner. +Son fils aîné aurait pu le venger; il eut le même sort. Lucius Junius, +son second fils, quoique fort jeune, comprit, dit Tite-Live qu'il ne +devait laisser au tyran rien à redouter dans son caractère, et rien à +désirer dans sa fortune. En effet. Tarquin, comme tuteur, administra les +biens de l'orphelin qu'il avait fait, et, Junius contrefit l'insensé, +cherchant dans le mépris la sûreté qu'il ne trouvait pas dans la +justice. Il se hissa même surnommer Brute, pour qu'à l'abri de ce surnom +le genie libérateur du peuple romain pût atteindre son heure. Th. Howe a +réuni avec fidélité, dans sa vie de Junius Brutus, les traits de feinte +démence que les auteurs ont rapportés de lui.</p> + +<p>Les principaux personnages étant ainsi esquissés, nous ne pouvons mieux +faire, après avoir indiqué en passant le récit de Denys d'Halicarnasse +et les vers ingénieux, mais froids d'Ovide dans ses Fastes, que +d'essayer de traduire l'excellente narration de Tite-Live. Niebuhr +n'hésite pas à l'appeler le chef-d'oeuvre de toute son histoire.</p> + +<p>La scène se passe au siège d'Ardée, que les Romains voulaient prendre +par la famine.</p> + +<p>«Les jeunes princes passaient assez souvent leurs loisirs entre eux à +des festins et des parties de plaisir. Un jour on buvait chez Sextus, ou +soupait aussi Collatin Tarquin, fils d'Égérius; la conversation des +convives tomba sur leurs femmes: chacun exalta la sienne. La discussion +s'animait: «Il n'y a pas besoin de tant de paroles, dit Collatin; en peu +d'heure, vous pouvez savoir combien ma Lucrèce l'emporte sur les autres. +Si nous sommes jeunes et forts, montons à cheval, et allons voir par +nous-mêmes ce que font nos femmes; chacun de nous tiendra pour preuve +décisive ce qui frappera ses veux au retour d'un mari qu'on n'attend +pas.» On était échauffé par le vin: «Allons!» c'est le cri général. Ils +volent à Rome de toute la vitesse de leurs chevaux. Ils y arrivent à la +tombée de la nuit, et de là poursuivent jusqu'à Collatie. Ils trouvent +Lucrèce, non pas comme les brus rivales, dans la pompe d'un festin avec +leurs compagnes, mais au milieu de ses appartements, et, malgré la nuit +avancée, travaillant à la laine, entourée de ses femmes, qui veillaient +comme elle. Dans la lutte engagée, le prix est décerné à Lucrèce; elle +accueille avec grâce son mari et les Tarquins, et le vainqueur se fait +un plaisir d'inviter les jeunes princes. C'est là que Sextus est saisi +du criminel désir de déshonorer Lucrèce par la violence, désir qu'irrite +tant de beauté jointe à tant de vertu. Après une joyeuse nuit, ils +retournent au camp.</p> + +<p>«Peu de jours après, Sextus Tarquinius, à l'insu de Collatin, n'ayant +qu'un seul homme de suite, vint à Collatie. On ignorait ses projets, on +lui fait bon accueil, et après souper il est conduit à la chambre des +hôtes. Quand tout lui paraît tranquille et livré au sommeil, brûlant +d'amour, l'épée à la main, il va à Lucrèce endormie, et lui appuyant la +main gauche sur la poitrine; «Silence. Lucrèce, lui dit-il, je suis +Sextus Tarquin, j'ai mon épée; tu meurs si tu dis un mot.» Ainsi +éveillée et saisie de terreur. Lucrèce ne voit aucun secours, et la mort +est devant elle. Alors Tarquin fait l'aveu de son amour, conjure, mêle +les menaces aux prières, emploie tous les moyens qui peuvent émouvoir +l'esprit d'une femme; elle demeure inébranlable, insensible même à la +crainte de la mort; il y ajoute la crainte du déshonneur. Il la tuera, +dit-il, et près d'elle il placera le corps nu d'un esclave égorgé comme +elle, afin qu'on dise qu'elle a péri surprise dans un ignoble adultère. +Par cette terreur, le crime triomphe de la vertu obstinée de Lucrèce, et +Tarquin part glorieux de sa victoire sur l'honneur d'une femme.</p> + +<p>Inconsolable d'un si grand malheur. Lucrèce envoie un messager à Rome +et à Ardée, vers son père et son mari. Elle leur mande de venir chacun +avec un ami fidèle: qu'il fallait agir et se hâter: qu'il était arrivé +une chose affreuse. Sp. Lucrétius amène P. Valerius, fils de Volesus, et +Collatin L. Junius Brutus, avec qui il retournait à Rome quand il avait +rencontré le courrier de son épouse. Ils la trouvent assise dans sa +chambre et désolée. A leur arrivée, ses larmes jaillirent: son mari lui +demande si tout va bien: «Non, répond-elle, il ne peut y avoir rien de +bien pour une femme qui a perdu l'honneur. Les traces d'un étranger sont +dans ton lit, Collatin. Au reste, le corps seul a été souillé, l'âme est +pure; ma mort en rendra témoignage. Mais donnez-moi vos mains et votre +serment que l'adultère ne restera pas impuni. C'est Sextus Tarquin, qui, +lâche ennemi quand j'avais cru recevoir un hôte, et s'armant de +violence, a emporté d'ici, la nuit dernière, une joie mortelle pour moi, +mortelle aussi pour lui, si vous êtes des hommes.» Tous, l'un après +l'autre, lui donnent leur parole; ils veulent consoler son désespoir en +rejetant la faute de la victime sur le coupable; ils lui répètent que +l'âme seule peut faillir, et non le corps, et qu'où il n'y a pas eu de +consentement, il ne peut y avoir de crime. «Vous verrez, leur +répond-elle, ce qui lui est dû. Quant à moi, si je m'absous de la faute, +je ne m'exempte pas du châtiment: nulle femme ne citera Lucrèce pour +pouvoir vivre sans honneur.» Alors elle s'enfonce dans le coeur un +couteau qu'elle tenait caché sous sa robe; elle tombe expirante sous le +coup. Son mari, son père, poussent ensemble un cri d'horreur.</p> + +<p>Tandis qu'ils sont en proie à leur douleur, Brutus retire de la blessure +le couteau d'où le sang dégoutte, et le tenant devant lui: «Par ce sang +si pur avant l'outrage royal, je jure, et vous, dieux, je vous prends à +témoins, je jure de poursuivre Tarquin le Superbe et sa scélérate +épouse, et ses enfants et sa race, par le fer, par le feu, par toutes +les armes qui seront en mon pouvoir; je jure de ne jamais souffrir ni +qu'eux ni qu'un autre régnent dans Rome!» Il passe ensuite le couteau à +Collatin, puis à Lucrétius et à Valerius, stupéfaits du prodige qui met +une nouvelle âme dans la poitrine de Brutus. Ils font le serment qu'il +leur dicte, et passant tout entiers du désespoir à la fureur, ils +suivent Brutus qui les appelle et les guide à la destruction de la +royauté.</p> + +<p>C'est là sans contredit un grand et magnifique tableau.</p> + +<p>Quoique Valére-Maxime ait appelé Lucrèce l'honneur et la gloire de la +chasteté romaine, son héroïsme n'en a pas moins été l'objet de doutes +railleurs et de suppositions peu bienveillantes. On a eu tort cependant +de ranger saint Augustin au nombre de ses détracteurs. Saint Augustin +n'examine que la question du suicide. Mais une foule d'écrivains +inférieurs qui trouvent moyen de faire de petits quatrains avec de +grandes choses, ont eu le triste courage de s'égayer au prix de tant de +noblesse et de malheur. Depuis l'épigramme latine rapportée par Henri +Etienne, jusqu'à la chanson de Marmontel, on pourrait citer une assez +longue liste de ces esprits malheureux pour qui la chasteté n'est qu'une +vertu équivoque et qui prête à rire. Un de nos plus grands écrivains +n'a-t-il pas essayé de déshonorer la vierge qui sauva la France!</p> + +<p>Parmi les auteurs qui ont sérieusement discuté le mérite de Lucrèce, il +en est qui ont porté l'égarement jusqu'à ne voir dans sa mort qu'un acte +de fanatisme politique qui voulait à tout prix l'expulsion des Tarquins. +D'autres ont cru que l'amour n'était pas étranger à la première partie +de l'histoire de Lucrèce. Parmi ces derniers, il faut citer surtout le +comte Verri dans ses Nuits romaines aux tombeaux des Scipions, en +présence des ombres des plus glorieux Romains; l'ombre de Pomponius +accuse Lucrèce de ne s'être tuée qu'après avoir reconnu que son +déshonneur à demi volontaire serait révélé par l'indiscrétion de Sextus. +Cicéron la défend mollement; Brutus le Jeune, avec plus de chaleur, veut +repousser l'accusation et interpelle l'ombre de Lucrèce: Lucrèce, sourde +à cet appel, s'appuie sur un tombeau, se tait et pleure.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/002a.png"></p> +<p class="mid"><img alt="" src="images/003small.png"><br><a href="images/003large.png">(Agrandissement)</a></p> + + + +<h3>Chronique musicale.--Concerts du Conservatoire</h3> + +<p>Il va, à l'école royale de musique et de déclamation, une petite salle +destinée originairement à servir de théâtre aux exercices des élèves, et +disposée de telle sorte qu'elle peut devenir alternativement et selon +qu'il convient, salle de spectacle, ou salle de concert. Là, point de +lustre étincelant, point de tapis, de peintures, de dorures, rien de ce +qui attire et éblouit la foule. Aucune salle peut-être, dans nos +quatre-vingt-six départements, n'est plus modestement décorée, ni +éclairée avec plus d'économie: aucune n'affecte un plus profond dédain +pour le luxe et pour l'élégance extérieure. En revanche, il n'en est +aucune assurément dont les portes soient assiégées chaque année avec +plus d'empressement, et qui se remplisse d'un auditoire plus éclairé, +plus attentif, plus difficile à satisfaire, et plus prompt à la +reconnaissance et à l'enthousiasme, lorsqu'il est satisfait.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/003b.png"><br><b>(Salle des Concerts du Conservatoire.)</b></p> + +<p>Voilà quinze ans que la société des artistes qui concourent à +l'exécution des concerts du Conservatoire s'est organisée. Ce fut M. +Habeneck qui, en 1828, les réunit et jeta les fondements de leur +association. Depuis cette époque, il n'a pas cessé de les diriger. Le +but de cet habile et savant musicien était, dans l'origine, de faire +connaître au public les productions d'un homme de génie depuis longtemps +illustre et vénéré en Allemagne, mais que la France n'avait pas encore +compris. Seul, Habeneck avait déjà fait une étude consciencieuse et +approfondie des procédés et du style de Beethoven; il avait deviné tous +les secrets de ce génie mystérieux, et lui avait voué dans son coeur un +culte pour lequel il cherchait partout des prosélytes. Déjà deux fois, à +l'Académie royale de Musique, il avait tenté d'introduire les artistes, +ses confrères, dans ce monde inconnu et merveilleux, créé par l'auteur +des modernes symphonies. Deux fois il avait échoué. La formation de la +société des concerts fut le signal de la troisième tentative. Celle-ci +réussit plus complètement qu'Habeneck lui-même n'eut peut-être osé +l'espérer.</p> + +<p>Nous n'essaierons pas de décrire les transports d'admiration et +d'enthousiasme qui éclatèrent de toutes parts à l'apparition de ces +chefs-d'oeuvre si hardiment conçus, si neufs de pensée et de forme, si +riches de coloris, si vastes de proportions, si magnifiques +d'ordonnance. Ce fut, pour la France artiste, comme la découverte d'un +nouvel univers, et la révélation d'un nouveau dieu.</p> + +<p>L'orchestre, formé et dirigé par Habeneck, était en même temps une chose +merveilleuse et tout à fait inattendue. On n'avait pas encore vu +d'exemple d'une exécution purement instrumentale aussi intelligente, +aussi habilement nuancée, aussi chaleureuse, aussi puissante. Dès le +premier jour, cet orchestre incomparable parut avoir atteint les limites +extrêmes de l'art, et pourtant il s'est perfectionné, depuis cette +époque, d'année en année. Aujourd'hui sa réputation est établie dans +toute l'Europe, et l'Allemagne, cette patrie de la musique +instrumentale, n'en a pas un seul qu'elle puisse ni qu'elle ose lui +comparer.</p> + +<p>Tous les ans la société donne huit ou neuf concerts. Chacun est consacré +à l'exécution d'une des oeuvres symphoniques de Beethoven. Cela dure +depuis quinze années, et l'admiration publique paraît encore aussi vive, +aussi jeune que le premier jour.</p> + +<p>Malgré cette large place accordée à Beethoven, les autres maîtres de +l'art ancien et moderne ont néanmoins conservé la leur. Marcello, +Pergolése, Haendel, Gluck, Haydn, Mozart, Weber, Méhul, Chérubini, +viennent figurer tour à tour dans cette lice glorieuse, et si les +représentants de l'art italien y paraissent plus rarement et en plus +petit nombre, c'est sans doute à cause de la difficulté qu'il y aurait à +leur trouver des interprètes dignes d'eux. L'école italienne est +essentiellement vocale, et malheureusement le chant, sauf de rares +exceptions, a toujours été jusqu'ici la partie faible des concerts du +Conservatoire.</p> + +<p>Nous ne pourrions nous étendre sur ce sujet, sans nous exposer à +raconter ce qui est su de tous nos lecteurs. Cependant on ne nous saura +pas mauvais gré, nous l'espérons, de jeter un coup d'oeil rapide sur les +séances de cette année.</p> + +<p>Il y en a déjà eu six, et plusieurs ont excité un vif intérêt.</p> + +<p>Trois symphonies nouvelles ont été essayées:--La première, de M. +Mendelshon-Bartholdy, l'un des compositeurs vivants les plus renommés en +Allemagne;--la seconde, de M. Swencke, Allemand aussi, mais qui habite +Paris depuis longtemps;--la troisième, de M. Rousselot. Celui-ci est +Français, élève de notre Conservatoire, et même, si nous ne nous +trompons, fit partie, pendant plusieurs années, de la Société des +Concerts.</p> + +<p>M. Rousselot est jeune, et probablement l'ouvrage qu'il a fait entendre +était son coup d'essai en ce genre. Du moins l'étendue excessive de +quelques parties, l'abondance et peut-être la prolixité de ses +développements, semblent nous donner le droit de le supposer. L'art de +se borner, la force et le courage nécessaires pour supprimer sans pitié +certains détails, et pour aller droit au but, sont presque toujours les +fruits précieux et tardifs des années et de l'expérience. Peut-être +encore pourrait-on désirer, dans la symphonie de M. Rousselot, plus de +chaleur, plus de verve, et des idées d'une plus grande valeur; mais, +s'il y a quelques défauts, il s'y trouve aussi de belles qualités, une +entente remarquable de l'instrumentation, une extrême habileté de +contre-pointiste. Personne ne sait mieux que lui prendre un sujet, lui +donner mille positions, mille formes différentes, le présenter sous +mille aspects divers. C'est même parce qu'il abuse quelquefois de ses +ressources et de sa fécondité en ce genre, qu'il tombe dans +l'inconvénient que nous signalions tout à l'heure. Son défaut n'est que +l'excès d'une qualité. C'est donc, à tout prendre, un heureux défaut, et +tout le monde comprendra qu'il est plus facile de modérer une faculté +que l'on a, que de suppléer à une faculté qui nous manque. La symphonie +de M. Rousselot est, en résumé, une oeuvre consciencieuse et fort +estimable, et qui atteste un remarquable talent.</p> + +<p>A quelques modifications près, on en peut dire autant des ouvrages de +MM. Swencke et Mendelshon-Bartholdy. Peut-être y a-t-il chez ces deux +compositeurs une démarche plus assurée, une disposition de parties plus +régulière. Cela prouve qu'ils n'en étaient pas à leur début, et que M. +Rousselot est plus jeune qu'eux. Nous ne doutons pas qu'il ne se console +aisément de ce malheur.</p> + +<p>Dans une discussion entre deux soeurs, l'une, faute de meilleures +raisons, faisait prévaloir son droit de primogéniture. «Je suis +l'aînée, dit-elle.--C'est-à-dire la plus vieille, répondit l'autre, je +ne t'envie pas cet avantage.»</p> + +<p>Parmi les oeuvres de musique religieuse exécutées cette année, on a +surtout distingué un magnifique motet de Chérubini, et deux fragments +d'une messe de J. Haydn. Ces trois morceaux ont paru également +admirables par l'élévation de la pensée et la puissance de l'exécution.</p> + +<p>Quand un artiste étranger vient à Paris, le plus grand honneur auquel il +puisse aspirer c'est d'être admis à figurer aux concerts du +Conservatoire. C'est là que Sigismond Thalberg s'est fait entendre pour +la première fois. Ces! là que, cette année, Camille Sivori est venu +établir ses droits à la succession de Paganini, qui était jusqu'à +présent restée vacante.</p> + +<p>La sixième séance a été remarquable, non par la révélation d'un talent +nouveau, mais par l'exhumation d'un chef-d'oeuvre oublié, ou peut-être +inconnu en France. Madame Viardot, cette jeune cantatrice dont nous +avons apprécié, dans notre dernier numéro, en parlant du +Théâtre-Italien, le talent si brillant et si varié, a fait entendre un +air de Pergolése, qui est assurément l'une des plus charmantes créations +de ce grand homme. Rien de plus piquant, de plus gracieux, de plus +élégant, de plus frais, et même de plus neuf que ce morceau. +L'auditoire, d'abord surpris, bientôt ému et transporté, l'a salué +d'acclamations unanimes, et l'a redemandé tout d'une voix. Madame +Viardot s'est prêtée à ce désir avec une grâce parfaite, et n'y a rien +perdu pour son propre compte. Moins préoccupé cette fois du compositeur, +le public, a concentré son attention sur la cantatrice, et a compris +tout ce qu'il y avait d'esprit, de délicatesse, d'élégance et de charme +dans son exécution. Il s'est émerveillé surtout, et à juste titre, de +voir ces qualités appliquées à une composition qui date de plus d'un +siècle. Pour retrouver avec tant de précision les intentions d'un maître +ancien, pour pénétrer tous les secrets d'un style qui a si peu +d'analogie avec le style moderne, pour rompre aussi résolument avec +toutes les habitudes et tous les préjugés musicaux d'aujourd'hui, il +faut joindre à une intelligence supérieure un tact exquis et une +érudition peu commune. Soutenir un compositeur vivant est beau, sans +doute; mais il faut une bien autre puissance pour ressusciter un mort, +et l'on ne s'étonnera pas que ce prodige, opéré si victorieusement par +madame Viardot, l'ait encore élevée dans l'estime de tous les +connaisseurs.</p> +<br> + +<h3>Des Caisses d'Épargne.</h3> + +<p>Les <i>Caisses d'Épargne et de Prévoyance</i> ont pour objet de recevoir au +fur et à mesure en dépôt les moindres économies des citoyens qui n'ont +que leur travail journalier pour vivre, de faire fructifier ces modestes +épargnes au moyen des ressources de l'intérêt composé, de les grossir +enfin insensiblement jusqu'au moment où elles sont suffisantes pour +avoir une destination utile, ou former un placement avantageux.</p> + +<p>Le dix-huitième siècle, qui ne connut, lui, que les tontines, ne pouvait +que mettre en avant l'idée d'appliquer les intérêts composés. C'est ce +qu'il fit. Mais ce fut seulement en 1810 qu'on vit surgir en Angleterre, +pays de calcul et d'application pratique, la première caisse d'épargne +véritablement digne de ce nom, une caisse gérée gratuitement et dotée +des fonds nécessaires pour garantir ses engagements. Le nombre des +caisses d'épargne depuis lors alla toujours en augmentant, et il y a +quelques années, on en comptait dans le Royaume-Uni environ 500, +dépositaires de 600 millions, qui appartenaient à plus de 500,000 +personnes. En 1818, une société anonyme, à la tête de laquelle étaient +des hommes dont les noms ont été constamment entourés de l'estime et de +la reconnaissance, publiques, fonda la Caisse de Paris sur des principes +qui depuis ont servi de modèle aux autres. Outre le vénérable +Larochefoucault-Liancourt, il nous sera permis de citer, parmi les +fondateurs, deux honorables citoyens dont les noms se retrouvent à côté +de toutes les institutions utiles et bienfaisantes, MM. François et +Benjamin Delessert.</p> + +<p>Malgré l'exemple donné par la Caisse d'Epargne de Paris, on ne comptait +en France, à la fin de la Restauration, que treize établissements de ce +genre. Depuis cette époque, leur nombre s'accrut dans une progression +rapide, et qui indiquait suffisamment que les masses commençaient à +apprécier les bienfaits de cette institution. En 1836, il existait déjà +220 caisses qui avaient au trésor 93 millions, dont la moitié environ +avait été versée par la Caisse de Paris. Au 31 décembre 1839, le solde +total des caisses était de 167,474,629 fr. 25 cent.</p> + +<p>Les lois des 5 juin 1835 et 31 mars 1837 modifièrent les bases sur +lesquelles avaient été primitivement établies les Caisses d'Épargne. Le +minimum de la somme à déposer est toujours cependant de 1 fr., sans +fraction de franc. On ne peut verser plus de 500 fr. par semaine, et la +somme appartenant à chaque déposant ne peut excéder 5,000 fr.; les +sociétés de secours mutuels sont seules admises à avoir un dépôt de +6,000 fr. La dernière de ces lois réalisa en même temps une grande +amélioration en autorisant les Caisses à verser en compte courant leurs +fonds au Trésor public, qui leur en paie un intérêt de 4 pour 100. Il +opère aussi sans frais le transfert d'une Caisse à l'autre dans toute la +France. L'État devient ainsi l'administrateur de la fortune publique et +privée; payant un intérêt de 4 p. 100, il est dans la nécessité +d'employer les sommes qui, auparavant, restaient inactives dans ses +coffres. La Caisse, de son côté, paie aux déposants un intérêt, non plus +de 5 p. 100, comme dans le principe, mais seulement de 3 fr. 75 cent. +pour 100 fr. La différence entre 5 fr. 75 cent. et 4 fr. est bonifiée au +profit de la Caisse, qui subvient, au moyen des ressources qu'elle en +tire, à ses frais d'administration. Cette réduction d'intérêts s'est +opérée sans secousse ni perturbation; car on avait déjà reconnu que les +déposants avaient moins en vue un intérêt considérable qu'une +accumulation successive de petits capitaux, la facilité de les retirer à +volonté et la sûreté du placement.</p> + +<p>H y a trois classes d'individus auxquels les Caisses d'Épargne peuvent +surtout être utiles; les domestiques et autres gens à gages, les +ouvriers, les habitants des campagnes.</p> + +<p>Les premiers placent généralement mal leurs économies, en des mains peu +sures. Désabusés aujourd'hui par tous les mécomptes et toutes les pertes +qu'ils ont subis, ils commencent à se servir des Caisses d'Épargne.</p> + +<p>Les ouvriers ont eu plus de peine à en prendre le chemin. Les préjugés +particuliers à cette classe, les tentations, de funestes habitudes, de +mauvaises connaissances, les en ont bien longtemps empêchés. Peu à peu, +toutefois, ils sont arrivés à se convaincre que les Caisses d'Épargne +sont, suivant l'expression de M. de Cormenin, des écoles de moralité, où +le travail, fondé sur l'intérêt personnel, maîtrise les vices et les +mauvaises passions des hommes. «Il n'y a pas d'exemple, dit M. B. +Delessert, qu'un porteur de livret ait été condamné par les tribunaux. » +Le nombre des ouvriers déposants s'accroît dans une rapide progression. +Aujourd'hui, ils forment la majorité des déposants nouveaux. Mais il +n'en est pas de même dans les départements, pour les habitants des +campagnes. Défiants et soupçonneux, ils ne veulent pas qu'on sache +qu'ils ont de l'argent, ou bien ils se croiraient perdus s'ils le +sortaient de la cachette où ils l'ont enfoui, et où il dort improductif +jusqu'à ce qu'ils achètent un petit lot de terre. Que de capitaux ces +habitudes inintelligentes n'enlèvent-elles pas à la circulation.</p> + +<p>En tête de toutes les Caisses d'Épargne du royaume, se place +naturellement celle de Paris. Il ne sera sans doute pas sans intérêt +d'extraire du rapport présenté par M. B. Delessert quelques détails sur +sa situation.</p> + +<pre> +En 1841, la Caisse a reçu à divers titres. 40,041,548 f. 50 c. +Elle a remboursé par contre. ...... 26,911,458 78 + +Augmentation des versements sur les remboursements. + 13,130,009 52 + +Au 31 décembre 1841, le solde du aux +déposants était de........... 83,485,457 50 +</pre> + +<p>En 1841, il y a eu 34,303 déposants nouveaux, dont 18,875 ouvriers, et +7,200 domestiques. La moyenne de chaque versement a été de 141 fr.; +celle de chaque remboursement, de 410 fr.; celle de chacun des 134,000 +livrets existants au 31 décembre 1841, de 619 fr. A cette même époque, +les 285 Caisses d'Épargne des départements, non compris celle de Paris, +avaient en compte courant à la Caisse des dépôts et consignations, +157,988,002 fr.; en y joignant ce qui était dû à la Caisse de Paris, +nous trouvons un total de 241,661,552 fr. et une augmentation totale de +32,921,001 fr. pour la seule année 1841.</p> + +<p>Que de passions domptées, que de mauvais conseils repousses, que de +vertus acquises pour amasser et conserver ces 241 millions! En prévenant +de nombreuses douleurs, ces habitudes d'ordre et d'économie donnent de +nouveaux gages à la paix, à la tranquillité publiques; car il ne faut +pas s'y tromper, le pauvre qui commence à avoir une petite propriété +cherche dès lors à se garantir, par une économie soutenue, contre les +privations de l'indigence, et du moment où il a un petit pécule placé +sur l'État, non-seulement il n'y attache pas moins d'importance que le +plus fort capitaliste à ses trésors, mais il cherche sans cesse à le +grossir. Si nous en voulions une preuve, il nous suffirait de citer un +exemple. A l'occasion du mariage du duc et de la duchesse d'Orléans, +40.000 fr. furent distribués entre 1,760 livrets, qui furent répartis à +Paris entre autant d'enfants. Le nombre de ces livrets est encore +aujourd'hui de 1,698, et la somme due aux jeunes déposants est de +136.000 fr.: en quatre ans et demi elle s'est accrue de 97.000 fr.</p> + +<p>On voit donc de quel intérêt il peut être pour le pays et pour les +individus d'augmenter le nombre des Caisses d'Épargne. Seconder le +mouvement qui porte les petits capitaux vers ces utiles établissements, +c'est répandre dans la population des éléments de sécurité et de +bonheur.</p> +<br> + +<h3>Longchamp.</h3> + +<p class="mid">L'abbaye de Longchamp.--Mort de Philippe le long.--Henri IV et Catherine +de Verdun.--Lettre de Saint Vincent de Paul.--Sermons prêchés à +Boulogne.--Ermites du mont Valérien.--Conversion de mademoiselle +Lemaure.--Les <i>Ténèbres</i> à Longchamp.--Le musicien Lalande.--Longchamp +sous Louis XV.--La Guimard et ses <i>armes portantes.</i>--Equipage de +mademoiselle Duthé.--Mademoiselle Cléophile.--Anecdote--M. le comte +d'Artois (Charles X).--Efforts de l'archevêque de Paris contre +Longchamp.--Arrestation de mademoiselle Rancourt.--Longchamp de +1780--Carrosses de porcelaine.--Les princes à Longchamp--Modes de +1784.--Voitures anglaises.--Mesdemoiselles Adeline et +Deschamps.--Longchamp de 1787.--Parodie de Longchamp, par le marquis de +Villette.--Interruption de Longchamp.--Modes de 1793.--Démolition de +l'abbaye.--Renaissance de Longchamp.--Semaine sainte de l'an VIII.--Vol +d'un couvert.--Longchamp de l'an X.--Verts inédits de Luc de Lancival. +Longchamp en 1815.--Conclusion.</p> + +<p>En racontant l'histoire des moutons de Dindenout, Rabelais a écrit celle +du genre humain. Dans la foule qui piétine, roule, ou chevauche à +Longchamp, peu de gens se demandent l'origine de cette promenade +annuelle. Nous y venons parce que nos pères y sont venus, c'est une des +clauses de l'héritage que nous ont légué les générations précédentes, et +que nous transmettrons à nos descendants. Les usages, une fois établis, +trouvent une raison d'être dans leur existence même; plus ils durent, +plus ils se consolident, et on les observe encore longtemps après en +avoir oublié la cause première. Pourquoi ces flots vont-ils à la mer? +parce qu'ils sont poussés par d'autres flots, et que, derrière ceux-ci, +d'autres encore suivent la même pente invincible.... Mais qui s'inquiète +de la source?</p> + +<p>On a beaucoup disserté sur Longchamp sans approfondir ce sujet si +important dans l'histoire des moeurs parisiennes. Chaque écrivain, +jugeant plus commode de copier servilement ses prédécesseurs que de +recourir aux pièces originales, s'est contenté d'allégations +incomplètes, de vagues généralités, de notions acceptées sans examen. +Ces maladroits défrichements ont laissé le sol vierge encore, et nos +études sur Longchamp seront, nous osons l'espérer, moins imparfaites que +celles de nos devanciers.</p> + +<p>Au nord du village de Boulogne, entre le bois et la Seine, s'étend une +plaine étroite qui doit à sa configuration le nom de Longchamp <i>(longus +campus)</i>, et non pas Longchamps, comme on l'écrit sans égard pour la +syntaxe et pour l'étymologie. Ce fut là que dame Isabelle de France +bâtit, en 1250, le monastère de <i>l'Humilité de Notre-Dame</i>. Elle avait +écrit à Méméric, chancelier de l'Université: «Je veux assurer mon salut +par quelque pieuse fondation; le roi Louis IX, mon frère, m'octroie +trente mille livres parisis; dois-je établir un couvent ou un hôpital?» +Le chancelier opta pour qu'on ouvrit un asile à des nonnes de l'ordre de +Sainte-Claire. La Révolution lui a donné tort: elle eût conservé +l'hôpital, elle a démoli le couvent.</p> + +<p>L'origine royale de Longchamp lui valut le patronage des souverains. +Saint Louis en visitait souvent les religieuses; Marguerite et Jeanne de +Brabant. Blanche de France, Jeanne de Navarre et douze autres princesses +y prirent le voile. Philippe le Long y mourut le 2 janvier 1321, d'une +dysenterie compliquée de fièvre quarte. Pendant qu'il agonisait, l'abbé +et les moines de Saint-Denis vinrent processionnellement l'assister, +apportant comme remèdes un morceau de la Vraie Croix, un saint clou et +un bras de saint Simon. L'application de ces pieuses reliques parut +soulager le moribond; mais, suivant la chronique du <i>continuateur de +Nangis</i>, la maladie étant revenue par la faute du roi, il fit son +testament et expira.</p> + +<p>Longchamp, comme tous les autres monastères, comme toutes les +institutions humaines, passa de la grandeur à la décadence, de la +ferveur au relâchement, de la régularité au désordre. Saint Louis y +avait maintenu la stricte observance de la règle; son petit-fils, Henri +IV, y prit une maîtresse, Catherine de Verdun, jeune religieuse de +vingt-deux ans, à laquelle il donna le prieuré de Saint-Louis de Vernon, +et dont le frére, Nicolas de Verdun, devint premier président du +Parlement de Paris. Cet exemple paraît avoir été fatal à la moralité de +l'abbaye, à en juger par une lettre que saint Vinrent de Paul écrivait, +le 25 octobre 1632, au cardinal Mazarin: «Il est certain, disait-il, +que, depuis deux cents ans, ce monastère a marché vers la ruine totale +de la discipline et la dépravation des moeurs. Les parloirs sont ouverts +aux premiers venus, même aux jeunes gens sans parents. Les frères +mineurs recteurs aggravent le mal; les religieuses portent des vêtements +immodestes, des montres d'or. Lorsque la guerre les força à se réfugier +dans la ville, la plupart se livrèrent à toute espèce de scandale, en se +rendant seules et en secret dans les maisons de ceux qu'elles désiraient +voir.....»</p> + +<p>Nous citons ce curieux passage, non pour dénigrer les nonnes de +Longchamp, mais pour établir que les relations du couvent avec la +capitale étaient fréquentes, et que les Parisiens préludaient par des +promenades partielles à la grande promenade périodique. Plusieurs +circonstances contribuaient à les entraîner vers ces parages. Dès le +quinzième siècle, on allait à Boulogne entendre prêcher le carême par +les cordeliers aumôniers de Longchamp. «En 1429, selon le <i>Journal de +Charles VII</i>, frère Richard, cordelier, revenu depuis peu de Jérusalem, +fit un si beau sermon, qu'après le retour des gens de Paris qui y +avaient assisté, on vit plus de cent feux à Paris, en lesquels les +hommes brûlaient tables, cartes, billes, billards, boules, et les femmes +les atours de leur tête, comme <i>bourreaux de truffes</i>, pièces de cuir et +de baleine, leurs <i>cornes</i> et leurs <i>queues.</i> «En outre, il fallait +passer par Longchamp pour monter au Mont-Valérien, habité par des +ermites qui, au temps où Mercier rédigeait son <i>Tableau de Paris</i>, en +1782, attiraient encore, après quatre ou cinq siècles, <i>un concours +étonnant de peuple et de bourgeois</i> Il y avait <i>fluxion</i> sur ce point, +et l'autorité ecclésiastique fut souvent obligée d'employer des mesures +coërcitives. «Les évêques de Paris, dit l'abbé Leboeuf, ont toujours +veillé à ce qu'un trop grand concours à Longchamp n'en troublai la +retraite. La bulle du pape Grégoire XIII, sur un jubilé, en avait +assigné l'église pour une des sept stations. Pierre de Gondi, évêque, +mit l'église de Saint-Roch à la place de celle de Longchamp; et lorsque +le pape eut appris ces raisons, il loua sa prudence par un bref que j'ai +vu, daté du 10 mars 1584.»</p> + +<p>Ce fut au commencement du règne de Louis XV que se régularisèrent les +excursions qui avaient pour fut l'abbaye. Une cantatrice célèbre, +mademoiselle Le Maure, quitta théâtre en 1727, à la vive douleur du +public, qui regrette toujours ceux qui prennent envers lui l'initiative +de l'abandon. Des scrupules religieux avaient déterminé la retraite de +mademoiselle Le Maure; mais le chant était sa vie; elle n'y put renoncer +d'une manière absolue, et lasse de dire les amours <i>d'Armide</i> ou +d'<i>Alceste</i>, elle fit retentir de ses notes éclatantes les voûtes de +l'église de Longchamp. Les saintes filles se formérent aux leçons de +l'actrice; leur psalmodie lugubre devint un angélique concert et tout +Paris accourut les entendre chanter <i>Ténèbres</i> pendant la semaine +sainte. L'abbesse, étonnée de ce succès, se mit en quête de belles voix, +et demanda aux choeurs de l'Opéra. Les <i>dryades</i> du <i>Triomphe de +l'Amour</i>, les <i>divinités infernales</i> de <i>Persée</i>, entonnèrent, +concurremment avec les vierges du Seigneur, <i>quare fremuerunt gentes</i>, +ou <i>miserere mei, Deus</i>. Les Parisiens se crurent au spectacle. On +assiégea les portes, on s'amoncela dans la nef, on escalada les +galeries, on monta sur les chaises, sur les tombeaux, sur les autels des +chapelles. Ce fut, pendant plusieurs années, une effroyable cohue, une +avalanche de bruyants visiteurs, l'invasion d'une petite église par une +grande ville. Le jour enfin, les curieux, arrivant le mercredi saint aux +portes de Longchamp, les trouvèrent fermées par ordre de M. de Beaumont, +archevêque de Paris. Le pèlerinage annuel n'en continua pas moins. +C'était une inauguration des promenades, une fête publique du printemps, +une manifestation joyeuse en l'honneur du soleil et des toilettes +d'avril, des nouvelles feuilles et des nouvelles modes, des beaux jours +renaissants et des jolies femmes ranimées. C'était, à défaut des +cantiques de Longchamp, un hommage rendu à celui qui vivifie la nature +après l'hiver.</p> + +<p>En recherchant ce qui concerne les premiers Longchamp, nous n'avons +exhumé qu'une seule anecdote. Lalande, musicien de la chapelle du roi, +voulant aller à Longchamp, se rend chez le loueur de chevaux Mousset, et +loue un cheval avec selle de velours, housse galonnée, bride et bridon +d'or; il donne 9 fr. d'arrhes. En sortant de l'écurie, il rencontre +trois de ses collègues, Daigremont, Douillet et Mondoville, qui +l'invitent à monter avec eux dans une calèche et à les accompagner à +Longchamp. Lalande répond qu'il vient de louer un cheval, mais que s'il +peut retirer ses arrhes il sera volontiers de la partie. On retourne +chez le loueur: «M. Mousset, dit Lalande, montrez-moi donc encore une +fois le cheval que j'ai arrêté.--Le voici. Monsieur.--Savez-vous qu'il +est bien court, votre cheval, et qu'il y a peu d'espace entre le cou et +la queue? Car enfin, c'est moi qui paie: je prends la première place, +voici celle de Daigremont, Doublet se tiendra là; mais je ne vois pas où +diable sera placé Mondoville, et celui-là compte!»</p> + +<p>Le loueur, après avoir écouté attentivement ce calcul, se hâte de +restituer les arrhes.</p> + +<p>De 1750 à 1760 Longchamp atteignit son apogée. C'était alors une +solennité: grands seigneurs, diplomates, fonctionnaires publics, +financiers et fermiers-généraux y faisaient assaut de luxe et +d'élégance. A Naples, à Madrid, le roi lui-même par un sentiment de +pieuse vénération, n'aurait pas osé monter en voiture pendant la semaine +sainte: à Paris, au contraire, l'aristocratie préparait longtemps à +l'avance les plus somptueux équipages, et les bourgeois modestes, ceux +qui allaient ordinairement à pied, dérogeaient durant trois jours à leur +habitude. Calèches, fiacres, cabriolets, carrosses de remise, chevaux, +chaises à porteur, vinaigrettes, tous les véhicules disponibles étaient +mis en réquisition. Dès le mercredi saint, une immense cohue encombrait +les allées des Champs-Elysées et du bois de Boulogne. Les actrices y +venaient briguer les applaudissements que les vacances de Pâques les +empêchaient de chercher sur le théâtre. Les femmes qu'on appelait alors +<i>les impures</i>, et qui doivent leur nom actuel au quartier qu'elles +habitent, se montraient resplendissantes de diamants qui les paraient +sans les éclipser. Les journalistes, les pamphlétaires, les peintres de +moeurs, ne manquaient pas au rendez-vous général, et les nombreux +documents qu'ils ont recueillis nous mettent à même de tracer, presque +année par année, une monographie de Longchamp.</p> + +<p>La promenade de mars 1768 fut favorisée par la beauté du temps et de la +douceur de la température. «Les princes, les grands du royaume, disent +les <i>mémoires</i> contemporains, s'y rendirent dans les équipages les plus +lestes et les plus magnifiques.» L'héroïne de la fête fut la danseuse +Guimard, que Marmontel avait surnommée la <i>belle damnée</i>. Elle parut +<i>dans un char d'une élégance exquise,</i> sur les panneaux duquel, pour +mieux rivaliser avec les grandes dames, elle avait fait peindre des +<i>armes parlantes</i>. L'écusson portait un <i>marc d'or,</i> d'où s'élevait une +plante parasite, un gui de chêne; les grâces servaient de supports et +les amours de cimier. Ce blason révélait un lucre honteux; mais, sous ce +règne, la licence étaient trop commune pour qu'il lui fût possible +d'être effrontée, et l'un oublia l'imprudence de l'aveu pour ne songer +qu'à l'esprit des emblèmes.</p> + +<p>Quelques années plus tard, en avril 1774, nous voyons la chanteuse Duthé +succéder à mademoiselle Guimard dans les fonctions de <i>beauté à la +mode</i>. Cet équipage doré, vernissé, traîné par six chevaux fringants, +n'appartient point, comme on pourrait le croire, à une princesse du sang +royal; il porte tout simplement la Duthé. Le mercredi et le jeudi saints +elle excite l'admiration; on la proclame et elle se croit sans rivale; +mais, le troisième jour un autre équipage, non moins doré, traîné par +six chevaux non moins superbes, galope à côté du sien. Quelle était donc +celle qui dressait ainsi carrosse contre carrosse, celle qui opposait sa +piquante physionomie à la beauté fade et régulière de la Duthé? Une +obscure élève d'Audinot, <i>danseuse en double</i> à l'Opéra, la demoiselle +Cléophile, qui devait une subite opulence à la protection du comte +d'Aranda.</p> + +<p>Un an après, la Duthé faisait l'épreuve de l'inconstance du public. Au +moment où son équipage entrait en ville, des groupes menaçants +l'environnèrent; des huées, des sifflets, des cris d'indignation +l'assaillirent avec tant de violence qu'elle fut obligée de rétrograder. +Des bruits vagues, calomnieux peut-être, avaient provoqué cette +explosion de mécontentements. Le comte d'Artois, marié depuis deux ans à +Marie-Thérèse de Savoie, venait souvent <i>incognito</i> de Versailles à +Paris. «Las de <i>biscuit de Savoie</i>, disait M. de Bievre, il venait à +Paris prendre <i>du thé</i>; et les Parisiens, d'ordinaire peu scrupuleux, +avaient pris parti pour la comtesse délaissée.</p> + +<p>L'affluence d'actrices et de femmes équivoques faisait de Longchamp un +spectacle assez scandaleux pour que l'archevêque de Paris cherchât à en +arrêter les progrès, après en avoir entravé la naissance. Il pria le +ministre de faire fermer les portes du bois de Boulogne durant la +semaine sainte, par respect pour le jubilé de 1776; mais ses +réclamations avortèrent, et la promenade eut son cours.</p> + +<p>La tragédienne Rancourt, la <i>prima donna</i> du Longchamp de 1777 faillit +n'y pas assister. Le 29 mars, resplendissante et fière comme si elle eût +joué Roxane, elle s'apprêtait à monter en voiture. Vous pensez aller à +Longchamp, madame; vous êtes toute au désir de plaire et de briller; +mais vous avez compté sans vos créanciers. Vous n'avez pas aperçu les +recors en embuscade autour de votre hôtel; les voici, ils vous +entourent, ils s'emparent de votre personne, ils vous invitent poliment +à coucher au Fort-l'Évêque. Heureusement qu'un homme généreux, mais peu +désintéressé, en sacrifiant quelques milliers de louis, va vous rendre à +l'ovation qui vous attend.</p> + +<p>Le Longchamp de 1780 fut des plus brillants, en dépit de la vivacité du +froid. La file des voitures allait sans interruption depuis la place +Louis XV jusqu'à la porte Maillot, entre deux haies de soldats du guet. +Les voitures circulaient plus librement dans le bois, dont la garde +avait été confiée à la maréchaussée. On signala comme des merveilles +deux carrosses de porcelaine. L'un, occupé par la duchesse de +Valentinois, avait pour attelage quatre chevaux gris-pommelé, dont les +harnais étaient de soie cramoisie brodée en argent, le second +appartenait à <i>une impure</i>, mademoiselle Beaupré. Il reparut l'année +suivante avec un prince du sang, le duc de Chartres pour écuyer +cavalcadeur, «ce qui, disent les <i>mémoires</i> de Bachaumont, n'augmenta +pas pour lui la vénération publique.»</p> + +<p>Malgré la présence de Monsieur, du comte et de la comtesse d'Artois, du +duc et de la duchesse de Bourbon. Le Longchamp de 1781 fut triste. +Pendant quelques aimées, il y eut diminution progressive dans le luxe et +le nombre des équipages, quoique les modes eussent atteint un degré +d'extravagance qui aurait du donner de la splendeur à la fête annuelle +de la mode. C'était le temps des étoffes, <i>entrailles de petit-maître, +soupir étouffé, jambe de nymphe émue, centre de puce en fièvre de lait:</i> +les hommes étaient coiffés <i>à l'oiseau royal, au cabriolet, à la +Ramponneau, à la grecque, à l'hérisson;</i> les femmes portaient de +gigantesques bonnets <i>à la Belle-Poule, à la d'Estaing, au ballon, à la +Montgolfier, au Port-Mahon, au compte-rendu, aux relevailles de la +reine</i>. Les carrosses massifs avaient été remplacés par des cabriolets +importés d'Angleterre, <i>wiskys</i> ou <i>garricks</i>, voitures légères, mais +d'une si prodigieuse hauteur que le peuple disait, en les voyant passer: +«Voilà des gens qui vont allumer les réverbères.» Il parut, au Longchamp +de 1786, un <i>wisky</i> dont la caisse disparaissait dans le brancard. Les +laquais étaient assis sur le devant, et le cocher, placé derrière sur un +siège élevé, dirigeait les chevaux par-dessus la tête de ses maîtres. +Les beautés remarquables et remarquées de cette même année furent les +demoiselles Adeline et Deschamps, appartenant toutes deux à la +<i>Comédie-Italienne</i> La première avait reçu de M. de Weymeranges, +intendant des postes et relais, un présent de mille louis pour son +<i>longchamp</i>. La seconde est nommée par Delille dans <i>une épître sur le +luxe:</i></p> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i14">Cette beauté vénale, émule de Deschamps, +<p class="i14">Des débris de vingt ducs scandalise Longchamps. +</div></div> + +<p>Une modification essentielle, introduite au Longchamp de 1787. lui +rendit momentanément son éclat primitif. On renonça à suivre la route +inégale et sablonneuse de l'abbaye, pour adopter l'allée qui va de la +Muette à Madrid. «Depuis longtemps, écrit l'annaliste Bachaumont, on ne +se rappelle pas avoir vu tant de monde, tant de voitures aussi belles et +aussi bizarres: les <i>wiskys</i> y brillaient surtout. Beaucoup de +petits-maîtres, beaucoup de dames avaient fait faire une voiture +différente pour chaque jour. Un <i>wisky</i> plus bizarre et plus galant que +les autres a fait pendant ce temps la matière des conversations. Ce +<i>wisky</i> était surmonté d'une Folie avec sa marotte; dedans étaient +quatre marionnettes, deux de chaque sexe, saluant à droite et «gauche +sans cesse; tout cela était mené par un ânon joliment harnaché, et un +jockey dirigeait l'animal. On lisait sur la voiture: <i>D'où viens-je? où +vais-je? où suis-je?</i> On l'a appelé la <i>parodie de Longchamp</i>, dont en +effet on semblait vouloir faire la critique. Quoi qu'il en soit, ce +concours a dû satisfaire le marquis de Villette, qui passe aujourd'hui +pour l'auteur.»</p> + +<p>La révolution suspendit Lonçchamp. Comment l'aurait-on solennisé? Tous +les chevaux avaient été accaparés pour le service des quatorze armées, +et le sang coulait sur la place ci-devant de Louis XV. Si quelques +voitures avaient osé s'aventurer dans les Champs-Elysées, elles auraient +rencontré chemin faisant les charrettes chargées de victimes. Longchamp +tomba en même temps que la monarchie. Ne pensez pas toutefois que la +mode ait complètement perdu son empire. Exilée de Longchamp, elle se +réfugiait dans les <i>galeries de bois</i> C'était au Palais-Égalité qu'on +voyait les redingotes <i>à la Zutime</i> en <i>pékin velouté et lacté;</i> les +douillettes <i>à la laponne</i> en <i>florence unie</i>; les habits <i>à la +républicaine</i>: les <i>caracos à la Nina</i>; les robes <i>à la turque, à la +persienne, à la Psyché, au lever de Venus</i>. Où diable la mythologie +va-t-elle se nicher?</p> + +<p>Cependant l'on abattait sans pitié le vieux monastère; on brisait les +nombreux tombeaux de l'église édifiée par sainte Isabelle, et les +cendres de la fondatrice, de Jeanne de Bourgogne, femme de Philippe le +Long, de Jeanne de Navarre, de Jean II, comte de Dreux, étaient +dispersées par des mains profanes. Longchamp semblait mort avec la +religion qui l'avait enfanté; les vainqueurs de thermidor le +ressuscitèrent. Nous sommes en germinal an V (avril 1797). La terreur +est anéantie, l'échafaud renversé, la <i>jeunesse dorée</i> triomphante; +Longchamp va renaître pour les ébats des parvenus du Directoire. «Le +peuple, dit le <i>Miroir</i> du 26 germinal, commence à voir que ces +opulentes niaiseries lui sont de la plus grande utilité. On ne peut +compter le nombre des couturières, des marchandes de modes, que nos +jolies promeneuses ont fait travailler, pour fixer les regards pendant +cette fête, qui, en elle-même, ne ressemble à rien. Pendant que les +amours s'occupent de leur parure, les forgerons, les charpentiers, les +selliers, travaillent sans cesse à confectionner, à équiper les chars et +les chevaux qui doivent traîner cette foule élégante et badine. Gloire à +Longchamp, aux niais qui y galopent, aux badauds qui les considèrent! +Ils font travailler, ils font vivre le pauvre monde.»</p> + +<p>En vertu de ces doctrines, exprimées dans un style qui exhale un parfum +d'ancien régime, les Parisiens se portent à Longchamp, le jour du +<i>ci-devant</i> mercredi saint. On brave la pluie; on veut reconnaître les +lieux; mais il y a encore peu d'élégantes voitures, et l'on ne distingue +qu'un seul équipage à quatre chevaux, conduits par des jockeys vêtus à +l'anglaise. Le jeudi, les équipages, plus nombreux, vont et reviennent +sur deux lignes parallèles. La citoyenne Tallien, la citoyenne Récamier, +la citoyenne Lange, la citoyenne Mézerai, du théâtre Louvois, la +danseuse Lanxade, ont les honneurs de la journée. Le vendredi, on compte +deux mille voitures. Les héroïnes de la veille reparaissent avec des +toilettes différentes. L'écuyer Franconi a réuni ses musiciens dans une +vaste <i>gondole</i>, qu'escorte une foule d'écuyers, et donne un concert +ambulant aux promeneurs, depuis la place Louis XV jusqu'à Bagatelle. Des +troupes à pied et à cheval, des agents de police, sont distribués sur +toute la route; car le gouvernement est averti qu'une <i>grande +conspiration</i> se prépare, et qu'on doit profiter de Longchamp pour +prendre le <i>Chemin de Ia Révolte</i>. Comme un symbole, de l'aristocratie +déchue, se montre à cette fête une calèche de forme antique, lourde et +vermoulue, conduite par deux maigres laquais, et péniblement tiraillée +par deux maigres haridelles. A l'entrée des Champs-Elysées s'est formé +un groupe d'humoristes, qui narguent le faste des nouveaux enrichis. +«Tiens, voici un ex-jacobin.--Celui-ci est un valet qui a dénoncé son +maître.--Voilà un comité révolutionnaire: le père, la mère, le fils, +tout en était...» Le soir, les <i>citoyennes</i>, en costume d'amazone, ou +habillées <i>à la grecque</i> et étincelantes de diamants, vont au théâtre +Feydeau entendre Garat chanter <i>Enfant chéri des Dames</i> et l'air +d'<i>Alceste: Au nom des Dieux.</i> Voilà Longchamp reconstitué!</p> + +<p>Diverses particularités signalèrent la semaine sainte de germinal an +VIII (1798). Le <i>vendredi saint</i> fut en même temps le <i>mardi-gras;</i> on +confondit le carême et le carnaval. Il y eut un <i>bal masqué</i> le <i>jeudi +saint</i>, et le lendemain on exécuta le <i>Stabat</i>, au grand mécontentement +des vieux hébertistes. Les <i>merveilleux</i> de l'an VIII figurèrent à +Longchamp en habits gros bleu, brodés en soie bleu-de-ciel, à <i>collet +triplement juponné</i>, avec cravates nouées sur le côté gauche, gilets <i>à +la débâcle</i>, et demi-chemises de batiste. Les couleurs chamois, serin et +violet, dominaient dans les ajustements des dames. Quelques robes +étaient bleu-clair recouvertes de linon. La coiffure en vogue était le +fichu-marmotte sur un chapeau de paille.</p> + +<p>Le soir du vendredi saint, un jeune homme entre chez le restaurateur +Naudet; il commande une <i>bisque aux écrevisses,</i> un vol-au-vent, une +<i>suprême</i>, des biscuits à la crème et une bouteille de Volney. Il mange +vite; et, comme par distraction, met un couvert dans sa poche. Madame +Naudet s'en aperçoit, et sans esclandre, elle ajoute sur la carte: un +couvert d'argent, 54 fr. Le <i>merveilleux</i>, en payant, se contenta de +dire: «Je ne croyais pas que la carte montât si haut.»</p> + +<p>En l'an X, Longchamp a repris racine, et inspiré des vers à Luce de +Lancival, un des grands poètes de l'Empire:</p> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i14">Célèbre qui voudra les plaisirs de Longchamps:</p> +<p class="i14">Pour moi, je choisis mieux le sujet de mes chants;</p> +<p class="i14">Mon pinceau se refuse à la caricature.</p> +<p class="i14">J'abandonne à Callot la grotesque figure</p> +<p class="i14">Du dédaigneux Mondor, brillant fils du hasard,</p> +<p class="i14">Pompeusement assis au fond du même char</p> +<p class="i14">Dont naguère il ouvrait et fermait la portière;</p> +<p class="i14">Ce fat, tout rayonnant de son luxe éphémère,</p> +<p class="i14">Et qui, pour trois louis, s'estime trop heureux</p> +<p class="i14">De louer un coursier qui sera vendu deux;</p> +<p class="i14">Et nos Vénus, sortant de l'écume de l'onde,</p> +<p class="i14">Qui prennent le grand ton pour le ton du grand monde,</p> +<p class="i14">Et pensent ennoblir leurs vulgaires appas,</p> +<p class="i14">En affichant le prix que les paie un Midas.</p> +<p class="i14">Ce qui déplaît à voir n'est point aimable à peindre,</p> +<p class="i14">Et Longchamp me déplaît, à parler sans rien feindre.</p> +<p class="i14">Tout Paris à Longchamp vole. Qu'y trouve-t-on?</p> +<p class="i14">Maint badaud à cheval, en fiacre, en phaéton,</p> +<p class="i14">Maint piéton vomissant mainte injure grossière,</p> +<p class="i14">Beaucoup de bruit, d'ennui, de rhume et de poussière.</p> +</div></div> + +<p>Tel est encore Longchamp de nos jours; car depuis l'an VIII, il n'a plus +été interrompu, même lorsque les chevaux des Cosaques rongeaient les +arbres des Champs-Elysées, et que la hache des sapeurs ennemis décimait +le Bois de Boulogne.</p> + +<p>C'est toujours le même programme, exécuté de la même manière; ainsi, +cette année, on s'est occupé de Longchamp plusieurs mois à l'avance. La +<i>fashion</i> noble ou financière a fait renouveler ses équipages. Les +<i>lions</i> ont demandé des tilburys et des <i>wurks</i> à Desouches-Touchard, +des habits à Humann, des cannes à Verdier. Les élégantes se sont +pourvues des capotes d'Alexandrine, des chapeaux de Lemonnier-Pelvey, +surmontés des plumes de Zacharie. Et que d'étoffes nouvellement +inventées par nos industriels! <i>échelle orientale, droguet catalan, +pékin en camaïeux, lampas burgrave, étoile polaire, caméléon fleuri,</i> +etc. Tout cela a été préparé sous l'influence d'un printemps hâtif, et +le retour inattendu du froid a déçu bien des espérances, retenu bien des +promeneurs au coin du feu, bien des voitures sous la remise; néanmoins, +quoique les Champs-Elysées fussent déserts le mercredi, jour de pluie et +de giboulées, on y a vu, malgré l'incertitude du temps, un public de +choix le jeudi, et une très-grande affluence le vendredi. M. Gabriel +Delessert avait, suivant l'usage, publié une ordonnance pour prévenir +tous accidents et désordres pendant les promenades de Longchamp, avec +défense de rompre la file, de conduire des voitures dans les +contre-allées, de monter sur les arbres et sur les candélabres destinés +à l'éclairage public. Ces mesures n'ont pas été inutiles le dernier +jour, car la foule est revenue avec le soleil; deux lignes de voitures +s'étendaient de la place de la Concorde à la porte Maillot; c'était le +mardi-gras, moins les masques. Au milieu de la chaussée, circulaient les +équipages armoriés, les calèches de la Chaussée-d'Antin, et celles de +quelques actrices assez jolies pour avoir voiture avec deux mille francs +d'appointements. A l'entour, des <i>sportsmen</i>, en habit <i>fumée de +Londres</i>, caracolaient sur leurs nouvelles montures; des commis +s'évertuaient à modérer le langage de leurs <i>locatis</i>; de gracieuses +cavalières paradaient en amazones de <i>casimirienne</i> à boutons d'or, à +manches <i>amadis</i>. Dans les contre-allées erraient les curieux vulgaires, +les spectateurs désoeuvrés, qui contribuent eux-mêmes à former le +spectacle.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/004.png"></p> + +<p>Voilà le Longchamp de cette année; ce sera sans doute, avec de légères +variantes, celui de 1844. Longtemps encore, toujours peut-être, on verra +les modes nouvelles s'épanouir durant ces trois jours consacrés. Comment +voulez-vous que cet usage périsse? Il est devenu en quelque sorte une +des fonctions de note organisme. Il est protégé par la coquetterie des +femmes, l'orgueil des riches, l'intérêt des commerçants. Qui pourrait +ébranler un édifice assis sur les bases aussi éternelles?</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/005a.png"></p> +<br><br> + +<h3>La Vengeance des Trépassés.</h3> + +<h4>NOUVELLE.<br> +(Suite.)</h4><br> + + +<h3>§ 3.--Le Moulin.--La famille de Ponce-Pilate.</h3> + +<p>Mille terreurs, mille soupçons s'élevaient dans le coeur des fugitifs, +qui n'osaient encore se les communiquer. Ils allaient sans parler, +respirant à peine, livrés tour à tour à l'espoir d'être sauvés et à la +crainte d'être trahis. Tout à coup on leur barre le chemin; dans la +nuit, une figure humaine est debout devant eux, une main se pose sur +l'épaule de don Christoval qui marchait le premier, et une douce voix +connue leur dit: <i>C'est moi</i>. Trop tard! don Christoval avait déjà +frappé. La pauvre Rachel ne jeta pas un cri; mais elle ajouta aussitôt: +«Je suis morte! vous avez tué votre libératrice.» En même temps +l'abîme ténébreux dans lequel ils étaient plongés tous trois s'ouvrit +comme par enchantement et laissa apercevoir l'immensité du ciel brillant +d'étoiles. Rachel, par un dernier effort, poussa en avant ses protégés, +et lorsque, après avoir fait un pas, ils se retournèrent vers elle, la +porte s'était remise à sa place, le rocher était refermé, tout était +silencieux et immobile.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/005b.png"></p> + +<p>Leur premier mouvement fut de tomber à genoux pour remercier Dieu. Ils +se trouvaient dans une prairie couverte d'une herbe haute et touffue; +derrière eux s'élevait un énorme massif de rochers sur lesquels avaient +crû çà et là des chênes et des pins, dont les spectres noirs et +mélancoliques se dessinaient sur le ciel doucement éclairé d'une lueur +crépusculaire. La sinistre maison devait être située derrière ces +rochers, car on ne la découvrait nulle part, en sorte que rien ne +souillait la pureté de ce paysage. Au sortir d'une atmosphère chargée de +vapeurs de sang. Léonor et Christoval respiraient avec délices, et cet +air embaumé leur rendait les forces dont ils avaient tant besoin.</p> + +<p>Don Christoval cherchait la meilleure direction à suivre, quand leur +oreille fut frappée d'un bruit lointain et régulier. Ils reconnurent le +tic-tac d'un moulin; ils se dirigèrent de ce côté, en marchant avec +toute la vitesse possible dans cette grande herbe où il leur eût été +facile de se cacher, même en plein jour. Le bruit devenait plus +distinct; il semblait que ce fût une voix amie qui les appelât. Au bout +d'un quart d'heure, ils distinguèrent la maisonnette du meunier. Mais un +obstacle imprévu les arrêta court: ce fut le ruisseau qui faisait +tourner le moulin. Heureusement ils crurent distinguer quelqu'un près de +la maison. Don Christoval, d'une voix forte dont il tâchait pourtant de +calculer et de ménager la portée, cria: <i>Au secours!</i> et aussitôt un +homme accourut vers eux. Quand il fut sur le bord du ruisseau. Léonor ne +put se tenir de lui crier à son tour <i>sauvez-nous!</i> l'homme ne répondit +qu'un mot <i>attendez!</i> et il disparut. Au bout de cinq minutes il revint +avec une planche qu'il jeta sur le ruisseau, et les amants se crurent +sauvés en touchant l'autre rive.</p> + +<p>Le meunier n'attendit pas leurs questions: «Vous venez de +là-bas?--Hélas! oui.--Par quel miracle vous êtes-vous échappés?--Nous +avons été délivrés par un ange qui a été bien mal payé de ce bienfait. +Mais vous savez donc....--Je sais tout. Vous n'êtes pas les premiers qui +se sauvent ici. Oui, la Rachel est un ange parmi les démons. Aussi je +commence à leur devenir suspect; mais n'importe, venez; nous trouverons +moyen de vous cacher comme ceux d'il y a un mois.»</p> + +<p>Ils touchaient au seuil de la porte, lorsqu'on vit soudain des lanternes +courir le long de l'eau, dans la prairie. Elles descendaient vers le +moulin, et l'air retentissait de ces cris: Juan! Juanito! Juan! Juan! +«Les voici, dit le meunier; ils veulent passer. Carmen, dit-il à la +meunière qui était sortie au-devant d'eux, Carmen, cache ces étrangers. +» En même temps, il tourna les talons; et, comme l'on continuait à +crier: Juan! Juanito! il se mit à répondre de toutes ses forces: «Oui, +maître, oui! me voilà! me voilà!</p> + +<p>--Ils seront bientôt ici, dit la meunière; vite, vite, fourrez-vous dans +le bluteau. Là!... bon!... Entassez-vous tant que vous pourrez dans la +farine. C'est cela! et ne bougez.» La bonne Carmen ayant laissé retomber +le couvercle de toile et fait un signe de croix sur le bluteau, alla +s'asseoir près du berceau de son enfant, et se mit à le bercer en +chantant une vieille romance sur le Cid.</p> + +<p>Bientôt la porte s'ouvrit avec impétuosité, et trois hommes se +précipitèrent dans la chambre. Juan les suivait. Sans dire une parole, +ils coururent au lit, le visitèrent par-dessous avec leurs lanternes; +ils levèrent même les couvertures. Ensuite ils ouvrirent l'armoire; en +un mot, ils fouillèrent dans tous les coins et recoins dont ils purent +s'aviser, mais, par bonheur, ils ne s'avisèrent pas du bluteau. Enfin +l'un d'eux rompit le silence, et ce fut pour s'écrier avec des jurements +horribles: «Malheur à eux, si nous les rattrapons, les traîtres, les +scélérats, qui ont volé nos bons maîtres! ils le paieront cher! Et toi, +Juan, si l'on découvrait que tu aies favorisé leur fuite, que tu es leur +complice, ton affaire serait bientôt faite, ainsi qu'à ta femme et à ton +marmot!</p> + +<p>--Vous me faites tort, mes braves camarades, répondit le meunier. +J'atteste le ciel que je voudrais avoir ces coquins en ma seule +puissance, les tenir là, à ma discrétion, et je vous montrerais bientôt +quel homme je suis! Mais je puis vous garantir qu'ils n'ont pas pris de +ce côté; ou, s'ils y sont venus, le ruisseau leur aura fait rebrousser +chemin, et je n'en ai point vu. Probablement ils se seront jetés sur la +route de Jaen. En tout cas, ils ne peuvent manquer d'être rejoints, +puisque vous me dites que toute la maison est à leurs trousses. Mais +vous n'avez plus rien à faire ce soir; vous devez être fatigués; ne +voulez-vous pas vous rafraîchir?</p> + +<p>--Volontiers, ami Juan, répondit un autre qu'à sa voix, don Christoval +reconnut pour le portier qui les avait d'abord repoussés; mais nous +avons déjà soupé, il nous faut peu de chose.</p> + +<p>--Un bon beignet de pâte, à l'huile, arrosé d'une outre de vin vieux, +dit Carmen. Nous avons de l'huile admirable; et quant au vin, vous m'en +direz des nouvelles.»</p> + +<p>Les quatre hommes s'assirent autour de la table. Carmen prit un plat +creux, s'approcha du bluteau, leva le couvercle, et puisa de la farine +pour faire son beignet, affectant de rester longuement devant le bluteau +ouvert. Cependant un des bandits qui n'avait pas encore parlé: «Que +j'aurais du plaisir, dit-il, à planter mon poignard au coeur de ces +misérables, comme cela!...» En achevant ces mots, il enfonçait son +poignard au milieu de la table avec rage. L'arme se tint debout en +tremblant; la lame avait pénétré dans le bois à six lignes au moins de +profondeur.</p> + +<p>«Carmen, dit le meunier, arrête le moulin. Il est une heure passée; +c'est aujourd'hui dimanche..., et apporte-nous l'outre.» Le souper +commença et la conversation continua de plus en plus animée et enjolivée +de mille plaisanteries atroces ou indécentes. Le meunier faisait le bon +compagnon, enchérissant sur ses convives, et avait soin de les faire +boire largement, en s'épargnant lui-même sans qu'il y parût. Enfin, il +joua si bien son jeu, qu'ils sortirent du moulin plus assurés que jamais +du dévouement du meunier et complètement ivres, à ce point, qu'en +repassant le ruisseau, l'un de ces honnêtes gens y tomba, et y fût +resté, s'il se fût trouvé en la seule compagnie de l'honnête Juan.</p> + +<p>Léonor et Christoval furent tirés de leur asile, tellement enfarinés de +la tête aux pieds, que leur visage et leurs mains ressemblaient à ceux +d'une statue de marbre blanc. En les voyant dans cet état, le meunier et +sa femme firent de grands éclats de rire, auxquels eux-mêmes prirent +part très-volontiers. «Vous voilà hors du plus grand péril, dit Juan; +mais ce n'est pas tout: il faut trouver moyen de gagner la ville voisine +sans être découverts, car nous sommes toujours sur le domaine de vos +ennemis. Or, ils sont puissants et vigilants! et, s'ils vous +surprennent, il n'est point de violence qu'ils ne se permettent pour +s'assurer de vous et vous empêcher de découvrir leurs crimes à la +justice. Le point du jour approche; voici ce qu'il faut faire: vous +allez prendre un de mes habits, et cette jeune dame fera à ma femme +l'honneur de revêtir un des siens. Nous partirons avec ma voiture. Vous +savez conduire une voiture? Vous conduirez donc la mienne à pied, et +madame et moi serons assis sur les sacs: elle pourra même faire semblant +de dormir, cela fera que, si l'on nous rencontre, l'on aura moins de +soupçons; car je suis connu dans le pays, et vous passerez pour mon +garçon de moulin.»</p> + +<p>--Rien n'est mieux arrangé, reprit don Christoval; dites-moi seulement +comment il se peut faire qu'un si honnête homme que vous soit au service +d'une troupe d'assassins.--Je vous conterai tout cela en route, dit le +meunier. Nous n'avons pas de temps à perdre.»</p> + +<p>Les travestissements finis et la voiture préparée, l'on partit. L'aurore +n'était pas encore levée, mais une ligne rouge, qui enflammait l'horizon +du côté de l'orient annonçait son approche. Au fond de la voûte céleste +les étoiles avaient disparu sous un voile grisâtre; et, à l'extrémité +opposée, la lune brillait encore, pale et légère, dans un ciel bleu. +L'air était frais et calme; les oiseaux se taisaient, endormis dans les +vieux oliviers qui bordaient la route, et le silence universel attestait +que la nature n'était pas encore réveillée. On sait que, par l'effet +d'un de ces mystères dont notre vie est tissue, cette heure matinale +verse au coeur de l'homme l'espoir et la confiance, comme la venue des +ténèbres y jette le découragement et la terreur. Nos voyageurs, dans +cette heureuse disposition qu'inspire le retour de la clarté, sortirent +du moulin, Christoval, en équipage de garçon meunier, un fouet à la +main, Léonor en habit de paysanne. Ils embrassèrent la bonne Carmen, qui +pleurait et ne pouvait s'empêcher d'avoir peur, et l'on se sépara pour +ne jamais se revoir, selon toutes les apparences. Ainsi va la vie!</p> + +<p>Tous trois étant montés sur la voiture, Juan et Léonor assis côte à côte +et don Christoval sur le devant, comme celui qui conduisait les chevaux, +le meunier prit la parole en ces termes: «Regardez entre les arbres: +voyez-vous là bas la maison isolée enveloppée d'une petite vapeur +blanche? Tenez, voilà le premier rayon du soleil qui l'éclairé. C'est là +que vous devriez être à cette heure, étendus sans mouvement et sans une +goutte de sang dans les veines, au lieu de rouler tranquillement comme +nous faisons, sur une bonne route bien sablée. Il est certain que Dieu a +opéré miraculeusement en votre faveur.</p> + +<p>«Il y a trois ans que cette famille vint s'établir dans le pays. Nul ne +les connaissait, et personne, aujourd'hui même, ne pourra vous dire d'où +ils sortaient. Ils achetèrent cette maison avec ses dépendances, qui +sont très-vastes. C'était un vieux manoir inhabité depuis des siècles: +on le disait hanté par des apparitions; ainsi vous voyez que ce n'est +pas d'hier que c'est un lieu redoutable. Ils firent réparer +l'habitation. On y travailla longtemps; et je me souviens, moi, d'y +avoir mené du sable et des pierres. Dans ce temps-là, je n'étais pas +encore marié et je n'avais pas loué leur moulin. Je ne pensais qu'à me +faire soldat; c'était bien loin de songer à devenir meunier! Pour en +revenir à eux, ils se sont mis à vivre très-mystérieusement, et ont +toujours continué depuis. Ils se donnent pour Moresques, mais la vérité +est que ce sont des Hébreux, ou, si vous l'aimez mieux, des juifs. Ils +sont très-riches, et on les croit profondément versés dans les secrets +de la cabale. Mais ce n'est pas là le plus extraordinaire de leur +histoire; le voici: ils sont tous venus au monde avec une main lépreuse, +la main droite; aussi vous avez dû remarquer qu'ils portent tous un gant +à cette main, et ne la découvrent jamais. Cette lèpre reste immobile et +ne se répand pas sur le reste du corps avant un certain âge, qui est +trente ans pour les femmes, et quarante ans pour les hommes. Alors cette +horrible maladie se met en mouvement; elle commence par les jambes, et +monte lentement, lentement, jusqu'à ce qu'elle envahisse le corps tout +entier; et, au fur et à mesure qu'elle gagne du terrain, elle tue les +endroits par où elle a passé, de manière qu'il y a dans le même individu +une moitié morte et une moitié vivante. Quand le mal s'est emparé de la +tête, c'est fini! mais il faut beaucoup de temps pour en arriver là.</p> + +<p>«Il est impossible de guérir ce mal, et vous croirez sans peine que les +hommes n'y peuvent rien, quand vous saurez que c'est un châtiment de +Dieu sur toute une race. Ces gens descendent, à ce qu'on dit, de +Ponce-Pilate, qui signa l'arrêt de mort de notre Sauveur, et ils doivent +porter jusqu'à la consommation des siècles le signe et la peine du crime +de leur ancêtre.</p> + +<p>«Mais, s'ils ne peuvent vaincre cette lèpre hideuse, ils ont du moins +trouvé moyen de la combattre et de retarder ses progrès: c'est en +prenant des bains tièdes dans du sang de chrétien.</p> + +<p>« La situation de leur demeure, au milieu de cette immense plaine +déserte, au sortir d'un défilé de la montagne Noire, les sert +admirablement. Quelque voyageur égaré ou attardé vient de temps à autre +leur demander asile, et ces infortunés voyageurs disparaissent sans +laisser aucune trace de leur passage. Ils ont chez eux une demi-douzaine +de domestiques, ou plutôt d'assassins à leur solde, qui, en un clin +d'oeil, et à l'aide de certaines machines, vous expédient un homme dans +l'autre monde. Après quoi, le vieux père, qui est le plus avancé dans sa +maladie, prend son bain, et l'on assure que les trois autres membres de +la famille se plongent successivement dans cette cuve sanglante.»</p> + +<p>Ici don Christoval interrompit le récit du meunier: «Je ne croirai +jamais, dit-il, que deux créatures aussi charmantes que le sont Amine et +Rachel participent ni à ce bain atroce, ni au meurtre qui a servi à le +préparer.</p> + +<p>--Je ne sais ce qui est d'Amine; quant à Rachel, vous avez raison. Comme +elle est la plus jeune, il n'y a pas longtemps qu'elle est instruite des +sombres mystères de la maison paternelle, et elle ne demanderait pas +mieux que de s'enfuir; mais comment? avec le secours de qui? et où se +réfugier?</p> + +<p>--Mais, demanda Léonor, comment avez-vous su tous ces détails!</p> + +<p>--Par deux domestiques qui se sont échappés de cet affreux repaire, il y +a un mois; et qui se sont sauvés, comme vous, dans mon moulin, jusque-là +je ne me doutais pas de la moindre chose. Ce moulin appartient à la +famille de Ponce-Pilate: ils me la louent bon marché et j'y gagne +beaucoup d'argent. Mais il n'est argent ni intérêt qui tiennent! je ne +puis souffrir en silence qu'on égorge ainsi mon prochain à deux pas de +moi, surtout étant, comme je suis, d'une famille de vieux chrétiens! +Mais nous voilà arrivés à Huescar sans avoir, grâce à Dieu, fait de +mauvaise rencontre. Dès que, vous serez en sûreté, j'irai avertir la +justice.</p> + +<p>--Hélas, dit Léonor, dans votre déposition, n'oubliez pas de justifier +la pauvre Rachel! c'est à elle que nous devons la vie, et probablement +elle nous eût accompagnés, sans la cruelle méprise qui, peut-être, à +l'heure qu'il est, lui a ravi l'existence. Que sera-t-elle devenue, sans +secours, dans ce couloir voûté? Aura-t-elle pu en sortir? Quel +traitement aura-t-elle reçu du reste de sa famille? Je vous avoue que +ces pensées me tourmentent beaucoup!»</p> + +<h3>§ 4.--La Bohémienne.</h3> + +<p>Sur ces entrefaites, la voiture était entrée dans les rues d'Huscar. Ils +allèrent descendre à l'enseigne du Saint-Sacrement, dont l'hôte était un +ancien ami du meunier. Il se trouvait justement dans cette auberge des +marchands qui retournaient à Murcie après avoir terminé leurs affaires à +Hescar: ils consentirent à prendre dans leur compagnie don Christoval et +Léonor, qui passait pour sa femme. Ceux-ci ne quittèrent pas le brave +Juan sans mille protestations d'amitié et sans l'avoir forcé d'accepter +une généreuse récompense.</p> + +<p>De Murcie, il leur fut aisé de gagner Alicante, où, trouvant encore une +occasion toute prête, ils s'embarquèrent pour Barcelone. Léonor +regrettait les chevriers de la montagne Noire; mais don Christoval lui +fit comprendre qu'il n'y avait de sûreté pour eux en aucun endroit de +l'Espagne, à cause du grand crédit de l'archevêque, qui, tôt ou lard, +finirait par les découvrir dans la retraite la plus cachée. Léonor se +rendit à ces raisons.</p> + +<p>Leur dessein était de se retirer quelque part en France, et d'y attendre +que la mort du prélat ou son indulgence, sur laquelle, à vrai dire, ils +ne comptaient guère, leur permit de rentrer en Espagne.</p> + +<p>Ils descendirent à Barcelone, et résolurent de continuer leur route par +terre, parce que la navigation fatiguait trop Léonor. Ils étaient trop +loin pour risquer beaucoup d'être poursuivis, outre qu'ils étaient +toujours déguisés; et une fois au delà des Pyrénées, ils n'avaient plus +rien à craindre.</p> + +<p>Aucun incident remarquable ne troubla leur voyage jusqu'à Llivia, petit +village situé à l'entrée de la montagne. Ils y arrivèrent avec la nuit. +L'unique auberge de l'endroit était un cabaret d'apparence assez +chétive, mais, comme il n'y avait pas à choisir, ils allèrent y +descendre.</p> + +<p>On remisa leur chaise, ensuite ils demandèrent une chambre: on leur dit +qu'il n'y en avait point de disponible pour l'heure, mais que sûrement +ils en auraient une pour coucher. En attendant, ils devaient se +contenter d'une espèce de salle commune, où étaient entassés bon nombre +de buveurs, qui faisaient grand bruit, car la méchante fortune de nos +voyageurs voulut que ce fût précisément la fête de l'endroit. Ils se +soumirent et prirent place dans un coin. Peu à peu, cependant, les +pratiques du cabaretier se retirèrent pour aller danser ou voir danser +dans une grange voisine, et les nouveaux venus luirent souper plus +tranquillement qu'ils ne l'avaient espéré. Ce souper fut meilleur aussi +qu'on n'aurait dû s'y attendre: il se composait de gibier, de +pâtisseries et de fruits, le tout relevé par un très-bon vin. Avant la +fin du repas, Léonor et don Christoval étaient demeurés tout à fait +seuls; cependant la prudence ne leur permit pas de s'entretenir de leurs +affaires, de peur d'être espionnés et entendus à travers une simple +cloison de planches mince comme du pallier. Ils causèrent de choses +indifférentes, et bien leur en prit. Après le dessert, don Christoval +sortit pour faire préparer enfin leur chambre, y transporter leur bagage +et s'occuper avec l'hôte d'autres détails touchant le départ du +lendemain et la route à suivre. Léonor, pensive, accoudée sur la table, +la tête appuyée sur sa main, prêtait l'oreille au bruit de la danse +lointaine, et son regard se perdait dans la partie obscure et profonde +de cette salle déserte. Tout à coup en face d'elle, dans l'angle opposé, +il lui sembla distinguer une forme humaine qui se mouvait et grandissait +dans l'ombre. La lampe de cuivre qui brûlait devant elle, suspendue à +une crémaillère en bois, lui donnait sur le visage, et la vivacité de la +lumière formait une sorte de rempart devant ses yeux éblouis. Léonor ne +put se défendre d'un sentiment de surprise et même de frayeur. La +personne inconnue s'approcha lentement jusqu'au bord de la table qui la +séparait de Léonor. C'était une grande femme maigre avec de beaux traits +réguliers, un teint cuivré et des yeux noirs brillants comme deux +flammes sombres. Elle était coiffée d'une espèce de turban rouge, vêtue +d'une longue robe grise qui s'en allait en guenilles, et paraissait +avoir quarante ans ou un peu plus. Il était facile de reconnaître une +Egyptienne ou Bohémienne. «Madame, dit-elle en bon espagnol, n'ayez pas +peur de moi; je m'étais endormie là, sur une natte: la faim m'a +réveillée tout à l'heure; voulez-vous me donner à +manger?--Très-volontiers; tout ce qui est là est à votre service. Prenez +une chaise, ma pauvre femme, et buvez et mangez.» L'Égyptienne ne se le +fit pas répéter: elle s'assit en face de Léonor, qui la considérait avec +compassion, et se mit à souper silencieusement, en personne affamée. +Quand elle fut rassasiée: «Que le ciel, ma bonne dame, vous récompense +de votre charité, dit-elle d'une voix grave et émue; je n'ai pas d'autre +moyen de reconnaître le bien une vous m'avez fait; cependant, si vous le +désirez, je vous dirai votre bonne aventure. C'est un art dans lequel je +passe pour habile.--Oh! que vous me feriez plaisir! dit Léonor. »</p> + +<p>L'Égyptienne, sans répondre, remplit un verre d'eau; puis, tirant de sa +poche unie petite boîte oblongue dans laquelle étaient renfermées des +plantes et des graines desséchées, elle y chercha une feuille de buis, +une feuille de romarin et un grain de genièvre, qu'elle plaça dans une +cuiller d'argent soigneusement essuyée, au-dessus de la flamme de la +lampe. Tandis que ces substances se calcinaient avec un faible +pétillement et une odeur aromatique, l'Égyptienne marmottait des paroles +rapides dans une langue inconnue. Sans s'interrompre, elle versa les +cendres dans le verre d'eau; et comme elles flottaient légèrement à la +surface, elle pria Léonor de souffler trois fois dessus pour les +submerger. Enfin, elle sortit de sa poche deux autres objets: un morceau +de parchemin chargé de caractères et de figures cabalistiques qu'elle +glissa sous le verre; plus, un petit volume également écrit sur +parchemin, qu'elle ouvrit à un endroit marqué, et posa ainsi ouvert +au-dessus de l'eau, comme un toit. Elle l'y laissa environ une minute, +pendant laquelle elle continuait toujours ses prières et ses évocations. +Enfin elle remit le livre dans sa poche, et dit: «Tout est prêt. »</p> + +<p>Elle s'agenouilla alors. Le verre était au niveau de ses yeux; elle y +regarda, et traduisait ce qu'elle voyait dans l'eau, «Vous avez été +religieuse, au moins avez-vous porté l'habit de novice.--Vous vous êtes +enfuie de votre couvent,--la nuit,--avec un cavalier.--Vous avez +traversé un bois,--ensuite une plaine;--on vous reçoit dans une vaste +maison;--vous avez échappé à un grand péril....--Attendez! interrompit +Léonor: ne pouvez-vous me donner des nouvelles de notre libératrice?--Je +ne puis vous parler que de vous seule; je ne vois que vous. Au sortir +d'ici, vous voyagerez encore longtemps....» La Bohémienne resta quelques +minutes sans parler, comme absorbée dans une contemplation plus +attentive, puis elle reprit d'une voix attendrie: «Ah! ma fille! vous +avez déjà supporté bien des peines; mais ce n'est rien, au prix de +celles qui vous attendent!--Quelles sont ces peines?--Je n'ai pas le +courage de vous en faire le détail. Armez-vous de force et de +patience!--N'est-il aucun moyen de prévenir mon sort?--Aucun! Tout ce +que je puis vous dire et encore cela ne vous servira de rien, c'est que +vous devez prendre garde au rosaire, et que vous mourrez au milieu de +l'eau, par le feu.--Au milieu de l'eau, par le feu! répéta Léonor +épouvantée de ces sinistres paroles. Grand Dieu! n'est-il donc sur la +terre aucun refuge pour moi? Oh! cherchez, indiquez-moi un asile où je +puisse trouver le repos.» La Bohémienne, cette fois, ne regarda plus +dans le verre; elle mit sa main sur ses yeux, réfléchit profondément, et +dit: «Le repos? vous ne le trouverez qu'en terre sainte!»</p> + +<p>Sur ce mot, elle se leva, et sortit de la chambre.<br> + +<span class="rig">F. G.</span></p> + +<p><i>(La suite à un prochain numéro.)</i></p> + +<br><br> + +<h3>Sur l'Éloquence de la Chaire</h3> + +<h4>AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.</h4> + +<p>L'histoire de la chaire sacrée en France, depuis le commencement de ce +siècle, offre trois périodes bien distinctes dont chacune a une +physionomie particulière, en grande partie déterminée par les +événements.</p> + +<p>Nous ne pouvons qu'effleurer ici un sujet si vaste. Nous passerons +rapidement sur les deux premières périodes surtout. Notre but sera +atteint si nous pouvons en mettre les traits distinctifs et +caractéristiques en relief, dans une esquisse impartiale de +quelques-unes des figures principales.</p> + +<p>Au commencement de ce siècle, la France sortait à peine d'une crise +violente et douloureuse. La lutte subsistait toujours, au dehors contre +les ennemis de la nationalité, au dedans entre les anciennes traditions +vivantes encore et les idées issues de la Révolution. Alors il se +présenta un homme singulièrement propre à défendre et à gouverner la +France, dans cette situation difficile. Quoi qu'on ait dit des idées +absolues de Napoléon, c'était aussi l'homme des transactions, et il le +montra en cette occasion. Pour satisfaire les partisans de l'ordre +nouveau, tout en conservant la puissance royale, il en abolit le titre +et consacra l'égalité civile. Il rouvrit ensuite les églises pour +attirer à lui les hommes du passé; car, en rétablissant le culte, +Napoléon semble avoir été guidé plutôt par ses vues de domination que +par une conviction religieuse bien profonde. Le traité conclu avec le +Saint-Siège en est une preuve éclatante: au lieu de creuser les idées, +on s'appliquait plus particulièrement à polir les formes. Dans la +crainte sans doute d'effrayer ceux que l'on voulait attirer dans le +giron de l'Église, par la rigidité d'une morale trop austère, on prêcha +presque exclusivement sur le dogme. Au reste, cette méthode ne laissait +pas que d'être logique; il était assez naturel, avant de déduire les +conséquences pratiques, de chercher à pénétrer les esprits de la +doctrine qui leur sert de base.</p> + +<p>Il y eut sous l'Empire plusieurs prédicateurs qui jouirent d'une grande +réputation, et qui la méritaient à bien des titres. Ne pouvant les citer +tous, nous nous bornerons à parler de MM. de Boulogue et Frayssinous, +qui nous semblent les plus remarquables. Ils résument en quelque sorte +l'illustration de la chaire pendant cette période à laquelle ils ont +survécu, mais dans laquelle permettent de les classer le temps de leur +plus grande vogue et surtout le genre de leur talent.</p> + +<p>M. de Boulogne avait déjà acquis quelque gloire avant la Révolution. Né +de parents pauvres, il avait étudié un peu tard; mais ses dispositions +naturelles, jointes à beaucoup d'ardeur pour l'étude, suppléèrent à +l'éducation première qui lui manquait. Ordonné prêtre, il vint à Paris +pour tenter la fortune de la chaire. Il y vécut longtemps solliciteur +obscur. Il trouva enfin des protecteurs puissants, fut présenté au roi, +et prêcha devant lui en 1787, M de Boulogne avait alors quarante ans.</p> + +<p>Pour bien juger la longue carrière de M. de Boulogne, tour à tour +pamphlétaire et journaliste, mais prédicateur avant tout, il faut se +faire une idée nette de son caractère, sous peine de trouver en lui des +contradictions inexplicables. Avec une conscience droite, des intentions +pures et un grand amour pour le bien, il était dans sa conduite plein +d'hésitation; souvent même il paraissait agir par boutade. Cela +provenait de cette imagination vive et mobile qui était le fond de son +talent. Il était de ces hommes sur qui l'impression du moment est +toute-puissante; aussi l'action des événements est-elle plus visible +chez lui que chez tout autre. Avant de se montrer l'adversaire ardent de +toute concession libérale et de tout progrès en politique, il avait +partagé, du moins jusqu'à un certain point, les idées qui avaient cours +à la fin du dix-huitième siècle. On lit en effet dans un de ses discours +imprimés de cette époque: «Le peuple seul a des droits, les rois n'ont +que des devoirs.» Ces paroles sont curieuses dans la bouche de celui qui +a prêché plus tard le sermon: «La France veut son Dieu! la France veut +son roi!» Mais il faut, pour les comprendre, se reporter à un autre +temps, et faire la part d'une époque où l'orateur<a id="footnotetag1" name="footnotetag1"></a><a href="#footnote1"><sup class="sml">1</sup></a> appelé à prêcher +devant Louis XVI, le matin même de l'ouverture des États-Généraux, avait +pris pour texte de son discours ce verset prophétique: <i>Deposuit +potentes de sede et exaltavit humiles.</i></p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote1" name="footnote1"><b>Note 1: </b></a><a href="#footnotetag1">(retour) </a>M. l'abbé de Laboissière.</blockquote> + +<p>M. de Boulogne n'aimait pas beaucoup l'Empereur; on assure même qu'il ne +l'épargnait pas dans la liberté de ses entretiens intimes. Cependant il +le loua beaucoup dans ses sermons et dans ses mandements. Il fut nomme +chapelain de l'Empereur et évêque de Troyes. Mais, après avoir joui +quelque temps de la faveur du maître, il encourut aussi sa disgrâce. +Voici à quelle occasion.--Nommé en 1809 pour prêcher l'anniversaire du +sacre et de la bataille d'Austerlitz, M. de Boulogne fut obligé de +soumettre son discours à la censure d'un personnage en crédit. Celui-ci +corrigea les passages qui lui semblaient trop hardis, et en retrancha +même quelques-uns tout entiers. Le prélat consentit à ces modifications.</p> + +<p>La cérémonie eut lieu à Notre-Dame, où l'Empereur se rendit avec son +cortège de rois. La fête fut brillante: mais il arriva que, dans la +chaleur du débit, M. de Boulogne, qui avait appris son discours par +coeur, oublia de supprimer les passages notés. Quoiqu'il n'y eût dans +ces passages rien de blessant pour personne, Napoléon n'était pas homme +à oublier un manque de soumission. Trois ans de cachot et d'exil +prouvèrent plus tard à l'évêque de Troyes comment Napoléon savait se +venger.</p> + +<p>Les persécutions essuyées sous l'Empire furent un titre sous la +Restauration. M. de Boulogne fut fait pair en 1822. Deux ans après, il +mourut à Paris à l'âge de soixante-dix-sept ans.</p> + +<p>M. de Boulogne avait une physionomie spirituelle et douce. Il avait un +talent d'orateur incontestable; sa manière un peu ampoulée et pompeuse +le rendait surtout propre à prêcher dans les grandes occasions. On voit +que ses sermons sont travaillés avec soin; mais on y trouve plus de +style que de pensées, plus d'images que de sentiments. Ce prédicateur, +si agréable à entendre, perd beaucoup à être lu, surtout aujourd'hui. En +effet, il faisait aux affaires de son temps des allusions dont +l'à-propos est perdu pour nous. Ce qui a fait son plus grand succès est +peut-être ce qui rend aujourd'hui la lecture de ses sermons un peu +froide et monotone.</p> + +<p>M. Frayssinous était, sous tous les rapports, un homme supérieur à.M. de +Boulogne. Sa vie a été aussi plus conséquente avec elle-même. Les +commencements en furent cependant obscur et difficiles. En 1804, il +n'était encore que simple vicaire dans une commune du diocèse de Rhodes. +A la suite d'un petit démêlé avec son curé, il s'en vint à Paris, qu'il +n'aurait peut-être jamais vu sans cela. Il était sans argent: et, ne +connaissant personne dans cette ville où il devait plus tard arriver aux +plus grands honneurs, il alla demander un asile à Saint-Sulpice, où il +fut accueilli avec plaisir. Les prêtres étaient rares alors, ainsi que +le talent, et il n'est pas étonnant que celui de M. Frayssinous parvint +bientôt à se faire jour. Il avait été suivi à Paris par M. Royer, son +parent, et ils se réunirent tous deux pour faire des conférences dans +l'église des Carmes. La nouveauté de l'enseignement et l'éloquence des +deux prédicateurs firent du bruit, et bientôt la petite église de la rue +de Vaugirard ne suffit pas pour contenir la foule. Grâce à ce succès, M. +Frayssinous vit s'ouvrir devant lui les portes de l'église +Saint-Sulpice, où il établit désormais ses conférences.</p> + +<p>Là, ses succès et sa réputation furent croissants de jour en jour. On +venait l'entendre une première fois attiré seulement par la curiosité; +on y revenait séduit par les charmes de l'éloquence.</p> + +<p>Rien n'était en effet plus attrayant que la minière de M. Frayssinous. +Sa figure imposante, la douceur et la pureté de son style, sa grâce +touchante et persuasive, son éloquence tout entière, étaient ce qu'il +fallait alors pour captiver les auditeurs. Au lieu de jeter de fiers +mépris à la raison révoltée, il cherchait à la soumettre en démontrant +qu'aucune philosophie n'avait, comme le christianisme, résolu les grands +problèmes de l'existence et dévoilé le mystère de la destinée, apporté +plus de consolation dans la douleur et mis plus d'espérances dans la +mort. M. Frayssinous avait dans le talent beaucoup d'analogie avec celui +de Chateaubriand. Tous les deux procèdent par l'émotion, et s'adressent +au coeur plutôt qu'à l'intelligence.</p> + +<p>M. Frayssinous était trop prudent; il craignait trop de blesser +inutilement les auditeurs, pour mêler de la politique à ses conférences. +Mais la police impériale était trop ombrageuse pour se contenter de la +neutralité. On trouva mauvais que le conférencier ne parlât que de Dieu. +On lui en fit des reproches, et il fut obligé d'accorder aussi quelque +chose à César, et de parler de <i>celui que Dieu avait ramené +miraculeusement des bords du Nil, et de la main qui avait été suscitée +pour relever les autels.</i></p> + +<p>Malgré ces concessions, les conférences furent suspendues en 1809, pour +n'être reprises qu'à la Restauration. Cinq années de silence et de +méditations mûrirent encore un talent si remarquable. En 1814. M. +Frayssinous remonta dans la chaire, et continua ses conférences, presque +sans interruption jusqu'en 1822. Cette époque ferma, pour ainsi dire, sa +carrière oratoire, en lui ouvrant celle des honneurs. M fut sacré évêque +d'Hermopolis, et appelé à siéger à l'Académie et à la Chambre des Pairs. +Bientôt il fut nommé grand-maître de l'Université et ministre des +affaires ecclésiastiques. Nous ne le suivrons pas sur ce terrain brûlant +de la politique.<a id="footnotetag2" name="footnotetag2"></a><a href="#footnote2"><sup class="sml">2</sup></a> Nous dirons seulement que l'évêque d'Hermopolis n'a pas +fait oublier l'abbé Frayssinous, et que ses conférences de Saint-Sulpice +restent son plus beau titre.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote2" name="footnote2"><b>Note 2: </b></a><a href="#footnotetag2">(retour) </a>On sait que la loi du sacrilège, si victorieusement +combattue par M. Royer-Collard et désapprouvée par une partie du clergé, +fut présentée par M. Frayssinous.</blockquote> + +<p>Ces conférences ont été recueillies et publiées par leur auteur sous le +titre de <i>Défense du christianisme</i>. Le plan en est vaste, +ingénieusement rempli, et les grâces d'une littérature toujours élégante +n'en excluent ni la science théologique ni la profondeur des vues +sociales. Aussi lorsque l'on songe que la nomination à l'Académie de +l'éloquent évêque a fait crier dans le temps, on s'étonne moins des +récriminations auxquelles a donné lieu celle de son successeur.</p> + +<p>Après 1830, M. Frayssinous refusa le serment et renonça à la pairie. +Dévoué à la branche aînée des Bourbons qui l'avait comblé de ses +bienfaits, il se rendit à Prague en 1835, pour diriger l'éducation du +duc de Bordeaux. Il est revenu en France en 1838, et y a vécu dans la +retraite jusqu'à sa mort arrivée en 1842.</p> + +<p>La prédication catholique qui avait été sous l'Empire, timide et +soumise, je dirais presque résignée, prit un autre caractère sous la +Restauration.</p> + +<p>Dans les dernières années de son règne. Napoléon s'était aliéné le +clergé en s'immisçant aux affaires ecclésiastiques, et surtout par ses +démêlés avant le Saint-Siège. Il tomba. Les prêtres accueillirent les +Bourbons avec enthousiasme et fondèrent sur leur retour de grandes +espérances qui ne se sont pas toutes réalisées. En effet, la Charte +excitait parmi eux beaucoup de défiance. Ils croyaient que la religion +était la seule base solide de la société, et que la monarchie etait le +seul gouvernement conciliable avec la religion. Ainsi ils eurent le tort +d'établir une sorte de solidarité entre la foi et les formes +gouvernementales, si variables de leur nature. Mais on ne s'arrêtait +point là. Ce que voulait la majorité du clergé qui s'était ralliée à +cette faction royaliste appelée les <i>ultra</i>, ce n'était pas +l'absolutisme proprement dit, ce n'était pas non plus l'ancien régime, +c'était quelque chose de nouveau. On rêvait alors une féodalité +constitutionnelle.</p> + +<p>Partant de la nécessité de l'union de la royauté et de la religion, la +prédication devait avoir un caractère expressif et politique. C'est +aussi ce qui arriva. Le clergé, en défendant la cause de la royauté, +croyait défendre la cause de la religion, et s'habitua à comprendre dans +une même réprobation les ennemis de Dieu et ceux du roi. Le trône et +l'autel devinrent le thème ordinaire des prédications. Cette alliance +entre la politique et le culte fit à la religion beaucoup de tort. Elle +en éloigna d'abord tous ceux qui avaient été blessés, soit dans leurs +intérêts, soit dans leurs opinions, soit dans leurs sentiments +nationaux, par les événements de 1815. Quelques paroles réactionnaires +aliénèrent aussi les hommes positifs, qui, habitués aux affaires, +avaient accueilli les institutions nouvelles, mais qui ne croyaient pas +qu'il fût possible de ne tenir aucun compte des événements et de l'état +où se trouvaient alors les esprits.</p> + +<p>Cette situation explique les troubles qui, suivant les lieux se +manifestaient alors à l'occasion des misions nombreuses qui furent +faites, souvent avec trop-peu de prudence, pendant la Restauration. Elle +explique aussi les justes reproches dont ces missions furent l'objet de +la part des organes de la presse. Chaque prédicateur était alors un +adversaire politique. Les missionnaires prêchant au milieu des passions +émues en avaient toute la véhémence. Mais combien de prédicateurs +réellement éloquents dont la renommée ne s'est pas même étendue bien +loin! Telle est la destinée des succès oratoires les plus brillants, les +plus flatteurs de tous pour l'amour-propre. Ils sont fugitifs comme +l'émotion qu'ils produisent Quelquefois, lorsque l'impression a été bien +profonde, il se conserve quelque trace dans le souvenir des auditeurs. +Mais après que reste-t-il, surtout lorsqu'ils n'ont pas écrit? un nom +qui s'efface de jour en jour.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/006a.png"><br><b>(Le dimanche des Rameaux.--Portail latéral de +Saint-Eustache.)</b></p> + +<p>Au reste, quand même ils auraient publié leurs sermons et pu exprimer +par le style les mouvements passionnés de leur éloquence, est-il bien +sûr que cela les aurait sauvés de l'oubli? nous ne le croyons pas. Comme +ils avaient subordonné leur enseignement à un point de vue particulier, +lorsque les circonstances ont changé, ils ont dû nécessairement beaucoup +perdre de leur importance. C'est pour ce motif que nous n'insisterons +pas sur la biographie des prédicateurs sous la Restauration. Nous +citerons simplement les Maccarthi, les Guyon, les Fayet, les Ollivier, +les Deguerry, et nous pourrions facilement étendre la liste. Mais nous +avons hâte d'arriver à la période ouverte par la révolution de juillet. +Les événements de 1830 n'apportèrent pas un grand changement dans les +relations qui existaient entre l'Église et l'État. Quelques mots furent +remplacés dans la Charte par des mots à peu près équivalents, mais les +lois réglementaires du culte ne furent point modifiées: on les exécuta +seulement avec plus de rigueur, dans le principe surtout. Néanmoins +cette révolution, dynastique pour ses résultats, mais démocratique par +ses moyens, jeta dans les esprits une activité et une agitation qui se +communiquèrent aussi au clergé.</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/006b.png"><br> <b>M. de Boulogne.</b></p> + +<p>Nous sommes obligé de reprendre encore ici la marche des idées depuis le +commencement du siècle; M.. Chateaubriand et M. Frayssinous avaient +cherché à calmer les répugnances que le catholicisme inspirait alors: +ils avaient voulu en faire aimer la poésie, mais là s'était arrêtée leur +action. Les méditations, les harmonies rêveuses et un peu sensuelles de +M. Lamartine, ont été l'expression du degré de foi qui régnait alors +dans la société. D'un autre côté la Restauration avait mis en honneur la +pratique extérieure du culte; tout serviteur dévoué de la monarchie +voulait, par cela même, paraître bon chrétien. Mais la religion ainsi +pratiquée, s'arrêtait évidemment à l'écorce, si je puis m'exprimer +ainsi, et occupait plus de place dans les habitudes que dans les +consciences.</p> + +<p>Tout à coup apparut l'<i>Essai sur l'indifférence</i>, de M. de Lamennais. +Ce livre, qui alors était aussi un événement, fit peut-être autant de +bruit qu'en ont fait plus tard les <i>Paroles d'un Croyant.</i> Rome n'osa se +décider d'abord, et le clergé de France se partagea, en attendant la +décision, en deux camps ennemis. Il y eut alors une guerre de pamphlets +et de brochures qui ne sera pas un des épisodes les moins curieux de +l'histoire des idées religieuses au dix-neuvième siècle.</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/006c.png"><br> <b>M. Deguerry.</b></p> + +<p>L'idée philosophique développée dans <i>l'Essai</i> établissait le <i>sens +commun</i>, c'est-à-dire la manifestation générale de la raison humaine +comme la règle de la certitude. Ce n'était rien moins qu'introduire le +principe démocratique dans l'ordre des faits intellectuels; et, de +conséquence en conséquence, M. de Lamennais et ses disciples devaient +nécessairement transporter les mêmes idées sur le terrain de la +politique. La révolution de juillet aidant, c'est ce qui arriva bientôt. +On sait l'histoire orageuse de l'<i>Avenir</i>. Quelque courte que fût la +durée de ce journal, son action fut grande sur le jeune clergé. S'il ne +fit pas beaucoup de partisans au gouvernement nouveau, il lui rendit du +moins un grand service, en ce qu'il habitua les prêtres à voir avec +indifférence la chute du trône qui venait de s'écrouler, mais +l'influence de M. Lamennais s'est perpétuée par l'élite du clergé, dont +il s'était entouré pour la rédaction de son journal. Ses disciples ont +été dispersés par les foudres du Saint-Siège; ils se sont séparés de lui +en reniant l'ensemble de ses doctrines, mais ils n'en ont pas moins +conservé, peut-être à leur insu, beaucoup de la manière et aussi +quelques-unes des idées de leur ancien maître. Sous la Restauration, le +comble de l'audace, pour un prédicateur, était de déclarer que le salut +de la religion ne dépendait pas de celui de la légitimité. Depuis 1830, +la prédication a souvent côtoyé les opinions radicales et démocratiques, +quelquefois même elle s'y est lancée à pleines voiles. Et ce qui prouve +que M. de Lamennais est pour beaucoup dans cette tendance nouvelle du +clergé, c'est que ce sont ceux qui l'ont approché de plus près qui ont +été le plus loin en ce sens.</p> + +<p>Aujourd'hui, l'éloquence de la chaire tient plus par la manière générale +à l'Empire qu'à la Restauration. A cette dernière époque il eut trop de +reproches directs et de récriminations violentes; mais, à présent, le +clergé, loin de se montrer hostile au mouvement, cherche à s'y associer +dans certaines limites afin de le diriger.</p> + +<p>Il y a une remarque qui n'est pas non plus sans intérêt c'est que jamais +plus qu'aujourd'hui le clergé ne s'était montré satisfait des progrès de +l'Église. Il se plaît à montrer la croix triomphant partout, et de la +meilleure foi du monde il exagère ses dernières victoires. On dirait +qu'il cherche à attirer ainsi les esprits indécis et toujours prêts à +imiter les autres, et les âmes timides qui n'embrassent jamais que le +parti de la victoire.</p> + +<p>Il nous reste à entrer dans quelques détails biographiques sur les +prédicateurs les plus en vogue. Malheureusement, la vie des +prédicateurs, comme la vie de tous les hommes d'étude, est rarement +féconde en incidents. Nous serons donc forcé d'être court, et nous +parlerons seulement de quatre des prédicateurs qui ont en ce moment le +plus de réputation.</p> + +<p>M. Combalot est né en 1794 à Chastenay (Isère). On assure qu'il s'était +destiné d'abord à la profession d'avocat, et qu'une retraite spirituelle +changea tout à coup sa vocation. Quoi qu'il en soit, il fut ordonné +prêtre à 25 ans. Il vint à Paris quelque temps après et entra chez les +jésuites. Il n'y fut qu'un an, et à peine rentré dans la vie séculière +il commença ses prédications. Il parcourut d'abord les départements, et +s'il faut tout dire, il ne fut pas celui qui réveilla sur son passage le +moins d'irritation.</p> + +<p>Depuis ce temps. M. Combalot s'est voué tout entier à la prédication et +aux retraites ecclésiastiques. Si Combalot est un véritable orateur: il +a toute la fougue, toute l'impétuosité d'un tribun. Sa parole est animée +et brûlante; ses images sont belliqueuses et pleines d'actualité. Il y +a, dans sa physionomie bilieuse et fortement caractérisée, le cachet +d'une indomptable fermeté. La manière de ce prédicateur n'est pas +cependant exempte de tout reproche: il est quelquefois incorrect: ses +comparaisons sont parfois triviales et ses métaphores heurtées. Un +logicien sévère pourrait aussi lui demander plus de suite dans ses +raisonnements. Souvent un mot réveille en lui une idée soudaine, qu'il +saisit au passage, et il semble alors rompre, pour la suivre, le plan +qu'il s'était tracé d'abord. On suit l'improvisation dans ses discours, +mais, malgré ces défauts, à cause de ces défauts peut-être. M. Combalot +domine son auditoire et le remue profondément.</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/006d.png"><br> <b>M. Combalot.</b></p> + +<p>Le talent du M. Lacordaire a beaucoup d'analogie avec celui de M. +Combalot: sa puissance d'entraînement est la même, il a ses qualités +brillantes et quelques-uns de ses défauts. Il s'écarte moins de son +sujet, ou, pour parler plus juste, il y revient souvent. L'éloquence de +M. Lacordaire se compose surtout d'élans enthousiastes qui enlèvent les +jeunes imaginations. On n'a pas encore oublié le sermon qu'il prêcha à +Notre-Dame le 15 janvier 1841. Comme il avait exalté les gloires de la +France! comme il avait attiré à lui tous ceux qui se sentaient au coeur +quelque fierté nationale! S'il suffisait, pour être un orateur parfait, +d'exercer sur son auditoire...... influence toute-puissante, M. +Lacordaire serait le premier des orateurs: mais, malheureusement, le +moment qui suit n'est pas aussi favorable que celui pendant lequel on +l'écoute. Ainsi, dans ce sermon dont nous venons de faire mention, et +qu'il prêcha avec son froc de dominicain, beaucoup d'auditeurs +parfaitement disposés en sa faveur furent frappés de son exagération.</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/007a.png"><br> <b>M. Lacordaire.</b></p> + +<p>M. Lacordaire était avocat avant d'être prêtre. Il est né à +Recey-Sur-Ource (Côte-d'Or), et peut avoir aujourd'hui 41 ans, il eut, à +ce qu'il dit lui-même, une enfance turbulente, et ses idées, au sortir +du collège, n'annonçaient guère un futur prédicateur. Au grand chagrin +de sa pieuse mère, il déclarait, à qui voulait l'entendre, que Dieu +était une chimère, et le catholicisme une sottise. Son droit terminé, il +vint faire son stage à Paris et travailla chez un avocat. Deux ans +après, c'est-à-dire en 1824, le jeune athée, subitement converti, était +entré au séminaire de Saint-Sulpice. Il ne se proposait rien moins, à +cette époque, que d'aller en Amérique convertir les peuplades sauvages, +et respirer, loin de cette Europe décrépite, l'air pur du Nouveau-Monde. +M. de Lamennais, dont les ouvrages avaient beaucoup contribué à sa +conversion, l'en dissuada, et pour donner carrière à son insatiable +activité l'attacha depuis à l'<i>Avenir</i>, dont il fut un des principaux +rédacteurs.</p> + +<p>Le journal tomba. M. Lacordaire accompagna à Rome M. de Lamennais et le +quitta brusquement. Il publia bientôt une rétractation, où il déclarait +qu'il n'avait jamais adhéré par <i>conviction</i> aux doctrines de M. de +Lamennais, qu'il n'avait fait que céder par <i>lassitude</i> aux +sollicitations qui lui étaient faites en s'associant à son oeuvre.</p> + +<p>C'est à dater de cette époque que la réputation de M. Lacordaire, comme +orateur, a commencé. Elle grandit en peu de temps. On lui proposa de +prêcher le Carême à Notre-Dame en 1835, mais à condition qu'il +soumettrait à M. Affre, alors vicaire-général, le plan de ses sermons. +On redoutait la fougue et les idées démocratiques du jeune prédicateur. +Cependant on ne put si bien faire, que ses discours ne portassent +l'empreinte du catholicisme libéral et un peu révolutionnaire de +l'<i>Avenir</i>. Il y était question de souveraineté du peuple et d'idées +analogues qui ne devaient pas flatter beaucoup un légitimiste inflexible +comme M. de Quélen. Un auteur assure avoir vu l'archevêque s'agiter sur +son siège pendant que l'orateur développait devant lui ses théories +nationales. Aussi n'est-il pas étonnant que, malgré le succès qu'il +avait obtenu dans cette station du Carême, on l'engageât à faire un +voyage à Rome. Il en revint l'année suivante et prêcha encore à +Notre-Dame; comme on trouvait que son style et ses idées n'étaient guère +amendés, on lui conseilla un nouveau voyage. On assure que ce fut alors +que M. Lacordaire, pour s'affranchir de la censure épiscopale, résolut +d'entrer dans l'ordre de Saint-Dominique, dont il prit l'habit en juin +1840.</p> + +<p>La figure maigre et allongée de M. Lacordaire s'anime, quand il parle, +d'une expression enthousiaste et poétique. C'est un homme à imagination +ardente, dont les opinions peuvent changer; mais on sent que sa parole +exprime la conviction.</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/007b.png"><br> <b>(M. de Ravignan.)</b></p> + +<p>M. de Ravignan a une manière plus posée et plus réfléchie que M. +Lacordaire. Il se tient aussi plus en garde contre tout ce qui pourrait +donner à la prédication un caractère politique. C'est là le motif qui +l'a fait probablement substituer à ce dernier pour les prédications de +Notre-Dame. Il suit une marche rigoureusement logique. Malgré la science +dont il brille, il ne transporte cependant point son auditoire; on sent +comme quelque chose de factice dans la chaleur de son débit et dans la +vivacité calculée de son geste.</p> + +<p>Où est né M. de Ravignan? les biographes ne sont pas d'accord sur ce +point. Les uns le font naître à Paris, les autres à Bordeaux ou dans les +environs. La dernière opinion nous paraît la plus vraisemblable.</p> + +<p>En 1816, époque à laquelle il fut nommé conseiller-auditeur, M. de +Ravignan pouvait avoir vingt-trois ans. Sept ans après, il entra dans la +magistrature et occupa avec distinction pendant dix-huit mois la place +de substitut du procureur du roi près le tribunal de la Seine. Il +renonça au monde, disposa de sa fortune en faveur de ses héritiers +naturels et entra au séminaire de Saint-Sulpice, qu'il quitta bientôt +pour entrer à Montrouge dans la maison des jésuites. On assure que M. de +Ravignan fut tonsuré par M. Frayssinous, que l'on venait de sacrer +évêque, et qui, prévoyant dès lors sa gloire future, dit en s'adressant +à ceux qui l'entouraient: «Voilà celui qui doit me succéder dans +l'oeuvre des conférences.»</p> + +<p>Après avoir passé plusieurs années à étudier les Pères de l'Église et à +s'instruire dans la science des prédicateurs. M. de Ravignan fut nommé +pour prêcher le Carême à Notre-Dame. Ce fut le 12 février 1837 qu'il y +ouvrit sa première conférence. Il les a continuées depuis avec un succès +dont rien n'annonce le déclin. Prêchant presque toujours sur des +matières qui ont rapport au dogme, M. de Ravignan a peu excité la +critique des journaux.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/007d.png"><br><b>Une prédication à Saint-Roch.</b></p> + +<p>M. Coeur n'est pas avocat. Sa vocation semble l'avoir porté d'abord vers +le professorat et l'état ecclésiastique. Après avoir achevé ses études, +qui furent brillantes, il fut quelque temps régent de rhétorique et de +<span class="lef"><img alt="" src="images/007c.png"><br> <b>M. Coeur.</b></span> +philosophie dans un petit séminaire de province. Puis, il vint à Paris +en 1827 pour suivre les cours publics professés par les hommes célèbres +qui ont abandonné depuis les triomphes pacifiques de la Sorbonne et du +Collège de France pour une scène plus orageuse. Il y passa deux ans et +alla ensuite passer quelque temps dans la solitude de la Chartreuse pour +se préparer à recevoir la prêtrise, qui lui fut conférée en juin 1829. +Il venait d'atteindre sa vingt-quatrième année.</p> + + + +<p>La réputation de M. Coeur a commencé en province, lors des prédications +qu'il fit à Lyon en 1833, et plus tard à Nantes et à Bordeaux. Paris +devait appeler à lui un talent déjà si distingué, et la Sorbonne a rendu +justice à M. Coeur en le nommant à remplir à la Faculté de Théologie la +chaire d'éloquence sacrée.</p> + +<p>M. Coeur a une figure assez commune, un geste lourd et un timbre de voix +un peu voilé. Il manque de ces qualités extérieures qui concourent à +faire un orateur. Mais sa parole est d'une lucidité admirable. On lui +sait gré de tous les efforts qu'on n'est pas obligé de faire pour saisir +sa pensée. Sa manière est savante et philosophique; il excelle à +exprimer de ces vérités que tout le monde sait, mais que personne +n'avait encore exprimées. Son style est abondant et fleuri.--un peu trop +fleuri peut-être; mais c'est là un défaut dont il aurait tort de se +corriger tout à fait. Ce qui serait de la recherche dans tout autre +semble naturel en lui et il y a tel passage de ses cours et de ses +sermons qui rappelle les plus, charmantes page» de Bernardin de +Saint-Pierre.</p> + +<p>M. Coeur n'a pas encore dit son dernier mot comme prédicateur. Mais tout +annonce qu'il s'élèvera avant qu'il soit de la réputation de MM. +Lacordaire et de Ravignan, à moins qu'il ne soit absorbé complètement +par l'enseignement de la Sorbonne.</p><br><br> + +<h3>Bulletin bibliographique.</h3> + +<p class="mid"><i>Histoire des États-Généraux et des institutions représentatives en +France depuis l'origine de la monarchie jusqu'en</i> 1789; par <span class="sc">A.-C. +Thibaudeau</span>, auteur des <i>Mémoires sur la Convention</i> et de <i>L'Histoire du +Consulat et de l'Empire</i>. 2 vol. in-8. Paris, 1843. Paulin, 15 fr.</p> + +<p>«Les États-Généraux ont eu, dit M. Thibaudeau, une influence immense sur +les destinées de la nation Française. Dépositaires de ses pouvoirs, ils +l'ont éclairée sur ses intérêts et sur ses besoins; ils lui ont révélé +et enseigné ses droits, ils ont mis à découvert les abus criants du +pouvoir, les plaies profondes de la société; ce sont eux qui en ont +indiqué et réclamé les réformes et les remèdes. Ils ont contribué à +former l'opinion, à créer un esprit public. De temps en temps ils ont +secoué et réveillé la royauté par l'expression du voeu national. Ils +l'ont, par l'empire du droit et de la raison, forcée à sortir de son +ornière et à marcher avec le siècle. Elle a marché à pas lents, de +mauvaise grâce, de mauvaise foi, mais elle n'est pas restée +stationnaire. Les célèbres ordonnances qui formaient notre droit publie, +dont nos pères se glorifiaient et que l'Europe admirait, ce ne sont ni +les rois ni leurs conseillers qui en eurent la pensée: les +États-Généraux en ont fourni la matière; elles ont été calquées sur +leurs cahiers. C'est au cri des États-Généraux qu'éclata la plus +glorieuse des révolutions. Qui peut dire où en serait la France, si elle +n'avait pas en les États-Généraux. »</p> + +<p>L'histoire des États-Généraux, en d'autres termes, l'histoire de la +longue lutte de la royauté et de la nation, de la légitimité et de la +souveraineté du peuple, de l'absolutisme et de la légalité, tel est le +vaste et beau sujet que M. Thibaudeau s'est proposé de traiter, car +cette histoire ne tient qu'une petite place dans les histoires de +France. Quelques écrivains avaient, il est vrai, essayé, à diverses +époques, de combler cette importante lacune; mais leurs travaux sont +très-abrégés, superficiels, incomplets et fautifs. D'ailleurs, M. +Thibaudeau s'est aidé surtout de documents précieux restés inédits +jusqu'à ce jour, et dont ses prédécesseurs n'avaient pas pu profiter.</p> + +<p>Les États-Généraux ne datent que de 1502. Cependant ils n'ont pas été +improvisés. D'autres institutions analogues les ont amenés et leur ont +servi de base. Il faut nécessairement connaître ces précédents pour +apprécier l'origine des États, leur constitution, leurs vices, leur +utilité. Une longue et savante introduction placée en tête du premier +volume contient l'exposé des vicissitudes diverses qu'avait subies, +pendant sept siècles, depuis sa fondation jusqu'au règne de Philippe le +Bel, la monarchie française.</p> + +<p>Ces prémisses posées, M. Thibaudeau aborde franchement son sujet. Il +montre les États-Généraux naissant sous Philippe le Bel (1302), se +développant sous ses successeurs, empiétant peu à peu sur l'autorité +royale, essayant d'établir un gouvernement représentatif, gouvernant un +instant, pendant la captivité du roi Jean, puis, mal compris et mal +secondés par le peuple, laissant échapper une partie du pouvoir dont ils +s'étaient emparés, ne cessant pas cependant, malgré l'inutilité de leurs +réclamations, d'adresser à la couronne des remontrances qui ne seraient +pas tolérées dans les gouvernements constitutionnels, préparant autant +qu'il était en eux la grande régénération du royaume, remplacés pendant +une période de près de deux siècles, de 1614 jusqu'en 1789, par des +assemblées de notables, instruments dociles de la monarchie absolue, +rappelés enfin en 1789, et disparaissant pour toujours dans cette +tempête qui engloutit clergé, noblesse, tiers-état, toute distinction +d'ordres, et créa la nation française.</p> + +<p><i>History of the House of Commons</i>, from the convention-parliament of +1688-9 to the passing of the reform bill in 1832; by <span class="sc">W. Charles +Townsend</span>, Esq., recorder of Macclesfield.</p> + +<p><i>Histoire de la Chambre des Communes</i> depuis la convention de 1688-9, +jusqu'au vote du bill de réforme en 1832; un vol. in-8. Londres. +Colburn, 14 schellings (non traduite.)</p> + +<p>A en juger par le premier volume qui vient de paraître, cet ouvrage de +M. Townsend ne tiendra pas les promesses de son titre. Il n'est jusqu'à +présent qu'un recueil assez indigeste d'anecdotes ou de biographies. +S'il se fût présenté avec un air plus convenable et plus modeste, il eût +été sans aucun doute beaucoup mieux accueilli par la critique; mais il +lui sied trop mal d'avoir de telles prétentions. M. Townsend ne peut pas +croire qu'il a écrit une histoire de la chambre des communes: il ne le +persuadera pas au lecteur, que son annonce mensongère aura trompé.</p> + +<p>L'histoire que M. Townsend s'était proposé d'écrire renferme une période +de 144 années; car elle s'étend depuis la convention de 1688-9 jusqu'à +la promulgation du bill de réforme en 1832. Cette période, M. Townsend +la divise en trois époques. La première de ces époques, qui commence à +l'abdication de Jacques II et finit à la mort de Georges Ier, en 1727, +se trouve comprise tout entière dans le premier volume que le libraire +Colburn vient de mettre en vente.</p> + +<p>Ce volume, divisé en treize chapitres, se compose des biographies de +tous les <i>speakers</i> qui ont présidé la chambre des communes pendant ces +39 années, et de celle des principaux <i>lawyers</i>, ou jurisconsultes qui y +ont jeté quelque éclat, Somers, sir Robert Sawyer, sir William Williams, +Robert Priée, sir Bartholomew Shower et lord Lechmere. On y trouve en +outre trois curieux chapitres sur les divers <i>privilèges</i> dont +jouissaient les membres de la chambre des communes. Mais, nous le +répétons une fois encore, pourquoi cette compilation a-t-elle pris un si +beau titre?</p> + +<p><i>Les Annales du Parlement français</i>, ou Compte-rendu méthodique des +débats de la Chambre des Pairs et de la Chambre des Députés, publié par +une société de publicistes, sous la direction de <span class="sc">M. Fleury</span> (4e année de +la publication). Chaque année, 1 volume in-4° du prix de 25 fr.--Chaque +discussion se vend séparément 25 cent. la feuille. Paris, Firmin Didot.</p> + +<p>MM. Firmin Didot suivent, depuis quatre années, l'exemple que leur avait +donné le libraire Hansard: à la fin de chaque session ils réimpriment, +en un beau volume in-4º, les <i>Parliamentary debates</i> des Chambres +françaises. Cette publication, faite avec le plus grand soin, ne pouvait +manquer d'obtenir un grand succès. D'une part, en effet, elle s'adresse +non-seulement aux pairs et aux députés, mais aux administrateurs, aux +jurisconsultes, à tous les hommes qui se livrent à des études sérieuses +sur la politique, la législation, et à l'économie politique; d'autre +part, elle ne peut être remplacée par aucune collection, car elle est +conçue sur un plan entièrement nouveau. Tandis que toutes les autres +publications périodiques offrent, pour chaque session, une série de +séances, les <i>Annales du Parlement français</i> offrent, pour la même +période, une série de discussions complètes. Tout ce qui concerne le +même sujet, depuis la <i>première</i> présentation du projet jusqu'au +<i>dernier</i> vote, est réuni sans interruption. Les exposés des motifs et +les rapports dans les deux Chambres sont transcrits <i>in extenso</i>. Les +discours prononcés sont tantôt reproduits en entier d'après le +<i>Moniteur</i>, tantôt analysés avec soin, le plus souvent en conformité des +procès-verbaux qui offrent la meilleure garantie d'exactitude et +d'impartialité. Les textes des projets présentés, amendés et votés, sont +transcrits en entier sur plusieurs colonnes, de manière que l'oeil peut +suivre facilement les transformations subies dans la discussion.</p> + +<p>Chaque volume comprend ainsi une session entière; mais pour que cette +classification méthodique ne fasse pas perdre de vue l'ordre naturel des +débats, les sommaires des séances, en ordre chronologique, indiquent +<i>tous</i> les travaux des deux Chambres et tous les noms des pairs et des +députés qui ont pris part aux débats.</p> + +<p>Enfin des tables alphabétiques permettent de rechercher facilement les +travaux des deux Chambres et de chacun de leurs membres.</p> + +<p><i>Des Monts-de-Piété et des Banques de prêt sur nantissement</i> en France, +en Belgique, en Angleterre, en Italie, en Allemagne, par <span class="sc">A. Blaize</span>. 1 +vol.. in-8° de 440 pages. Paris, 1843. Pagnerre, 9 francs.</p> + +<p>Frappé des inconvénients et des abus actuels des Monts-de-Piété, <span class="sc">M. A. +Blaize</span> a consacré plusieurs années de sa jeunesse à examiner cette +question, qui intéresse à un si haut degré la condition présente et +peut-être même l'avenir des classes inférieures. Il a réuni en un seul +volume une masse énorme de documents inédits ou disséminés dans de +nombreux ouvrages; mais il ne s'est pas contenté de signaler le mal, il +a en outre essayé d'indiquer les remèdes capables de le guérir. Le livre +qu'il vient de publier est tout à la fois un ouvrage de statistique et +de théorie, qui s'adresse aux hommes sérieux et positifs. Toutes les +réformes qu'il propose sont, non-seulement possibles, mais immédiatement +réalisables.</p> + +<p><span class="sc">M. A. Blaize</span> a divisé son travail en trois parties. La première comprend +l'histoire des banques de prêts sur nantissement depuis le Moyen-Age +jusqu'à nos jours Un fait curieux, l'apparition des aventuriers italiens +désignés, au Moyen-Age, sous le nom de Caoursins et de Lombards, et qui +paraissent avoir été d'abord les agents de la cour de Rome, l'a conduit +à des recherches du plus haut intérêt pour l'histoire des finances et de +l'économie politique. Ainsi <span class="sc">M. Blaize</span> a surtout puisé aux sources +officielles; les ordonnances du Louvre lui ont fourni des matériaux +précieux.</p> + +<p>La seconde partie est consacrée à l'examen de l'organisation des +Monts-de-Piété en général, mais principalement de celui de Paris, le +plus considérable de tous. M A. Blaize a étudié ses opérations dans le +plus grand détail, et s'est appuyé uniquement sur les comptes +administratifs. Il discute avec un soin tout particulier la question des +commissionnaires, débattue depuis plusieurs années entre eux et +l'administration, et dont la solution, quelle qu'elle soit, ne peut être +éloignée et exercera une grande influence sur l'avenir du Mont-de-Piété. +Est-il nécessaire d'ajouter qu'il considère en fait et en droit leur +suppression «comme chose juste, utile et légale.»</p> + +<p>Dans la troisième partie, M. A Blaize expose et développe les réformes +qu'il voudrait voir introduire dans le régime des Monts-de-Piété. Les +institutions ne sauraient rester stationnaires; elles doivent se mettre +en harmonie avec le développement progressif des sociétés. M. A. Blaize +propose douze réformes principales qui feraient, dit-il, des monts +d'<i>impiété</i>, comme les appelait Nicolas Barianno, des banques populaires +et de véritables institutions de bienfaisance et contiendraient le germe +d'une transformation sociale.</p> + +<p>Enfin, pour compléter son travail, M. A. Blaize a réuni dans un +appendice tous les documents qu'il a pu recueillir sur les banques +étrangères de prêts sur nantissement. Il passe successivement en revue +l'Angleterre, l'Écosse, l'Irlande, la Belgique, la Hollande, +l'Allemagne, l'Italie, le Piémont, l'Espagne, la Russie et la Chine. +Trois curieux paragraphes, intitulés: Législation, Jurisprudence et +Bibliographie des Monts-de-Piété, terminent cet appendice.</p> + +<p>M. A. Blaize a rempli son but; il réussira certainement «à appeler sur +cette matière, si importante à ses yeux et si ignorée, l'attention des +hommes de bien, à provoquer des études sérieuses et les réformes que +commandent, en faveur des classes déshéritées, la justice et la raison.» +Son livre mérite à un double titre nos éloges. C'est une bonne action et +de plus un ouvrage consciencieux, méthodique, clair, et écrit dans +certaines parties avec cette noble chaleur qui vient plus encore du +coeur que de l'esprit.</p> + +<p><i>De la création de la Richesse</i>, ou des intérêts matériels en France, +statistique comparée et raisonnée, par <span class="sc">J.-H Schnitzler</span>; 2 vol. in-8º. +Paris, 1842. Lebrun, 15 fr.</p> + +<p>M. J-H. Schnitzler a entrepris, depuis plusieurs années, un important +ouvrage, intitule <i>Statistique générale de la France</i>. Cet ouvrage, +accompagné de nombreux tableaux et divisé en deux parties, doit former 4 +vol. in-8°. La seconde partie seule a paru, sous le titre de: <i>Création +de la Richesse</i>. M Schnitzler l'a publiée séparément, «malgré son +imperfection trop réelle, afin de mieux débrouiller l'énorme amas de +matériaux qu'il lui a fallu mettre en oeuvre, et, afin de puiser, dans +les indulgents suffrages du public, l'encouragement dont il a besoin +pour mener à bien une entreprise si difficile.»</p> + +<p>Le premier volume de la <i>Création de la Richesse</i> est consacré à la +<i>production</i>, c'est-à-dire à l'industrie dans son acception la plus +générale (agriculture, exploitation des mines, industrie manufacturière, +etc.) Le second volume traite de la <i>circulation</i> ou du commerce (des +importations et des exportations de la France, de ses relations +mercantiles avec tous les pays du monde, des transports par terre et par +mer, de l'état de tous les ports du royaume, etc.).</p> + +<p>Ces deux volumes embrassent ainsi les <i>intérêts matériels</i> dans leur +vaste ensemble et les examinent sous toutes leurs faces.</p> + +<p>Les <i>intérêts moraux</i> seront l'objet des deux premiers volumes qui +paraîtront dans le courant de cette année. Après avoir traité avec +détail du territoire, de la population et de la consommation, M. +Schnitzler annonce qu'il exposera d'une manière complète et dans un +ordre méthodique, tous les faits relatifs à l'État (constitution, +gouvernement, administration, force publique, etc.), à l'Église et aux +Écoles.</p> + +<p><i>Voyage en Bulgarie</i> pendant l'année 1841, par <span class="sc">M. Blanqui,</span> membre de +l'institut; 1 vol. in-18. Paris, 1843. W. Coquebert, 3 fr. 50 c.</p> + +<p>Vers le milieu de l'année 1841, à la suite de quelques exactions +financières plus rudes que de coutume, une partie des populations +chrétiennes de la Bulgarie se souleva contre les Turcs. Ce mouvement, +mal combiné, fut bientôt comprime par la force militaire. Pendant +plusieurs semaines, des bandes d'Albanais, déchaînées contre les +insurgés mirent à feu et à sang la malheureuse Bulgarie. Le bruit de +leurs dévastations retentit bientôt dans toute l'Europe chrétienne, dont +les cabinets venaient de se concerter d'une manière si éclatante en +faveur de l'Empire ottoman. La France s'en montra surtout vivement +préoccupée, et M. Guizot, ministre des affaires étrangères, chargea +alors M Blanqui d'aller constater le véritable état des choses, en +traversant la Turquie d'Europe dans sa plus grande longueur, depuis +Belgrade jusqu'à Constantinople.</p> + +<p>M. Blanqui était parti de Paris publiciste de l'opposition, il est +revenu de Constantinople candidat ministériel. A son retour, il a rédigé +un travail officiel qui ne lui appartient plus; mais il publie +aujourd'hui la relation personnelle de son voyage. On ne peut refuser à +M. Blanqui un esprit vif et prompt et un style net et facile. Son +<i>Voyage en Bulgarie</i> a en outre le mérite de nous faire connaître, +superficiellement il est vrai, l'état physique, économique et moral +d'une vaste contrée bien rarement visitée et plus rarement décrite par +les voyageurs français ou étrangers.</p> + +<p>M. Blanqui s'embarque à Vienne sur le Danube, et descend ce beau fleuve +jusqu'à Belgrade, où il rend une visite au prince Michel et à la +princesse Lioubitza. A Belgrade il prend la voie de terre pour gagner +Constantinople; il traverse successivement Vidin, dont le pacha, le +fameux Hussein, l'exterminateur des janissaires, lui fait une magnifique +réception, Nissa, Sophie, Ousonnjava, Andrinople et Constantinople. Un +bateau à vapeur le ramène ensuite à Malte et à Marseille. L'importance +actuelle et future du Danube, les dernières révolutions de la Servie, le +caractère, l'agriculture et le commerce des Bulgares, la quarantaine et +la navigation à vapeur en Orient, forment les sujets de plusieurs +chapitres qui permettent au lecteur de reprendre haleine.... car M. +Blanqui ne s'arrête pas longtemps dans le même pays. Enfin un rapport +sur les prisons de la Turquie termine ce joli petit volume, dont la +lecture est aussi agréable qu'instructive.</p> + +<p><i>Poésies</i> d'<span class="sc">Antoinette Quarré</span>, de Dijon; 1 vol. in-8º, 1843. Paris, +Ledoyen.--Dijon, Lamarche.</p> + +<p>Mademoiselle Antoinette Quarré est une jeune lingère qui a toujours +habité Dijon, sa ville natale. Dès son enfance, elle aima passionnément +la poésie. A peine les travaux de l'atelier lui laissaient-ils un +instant du repos, elle lisait les tragédies de Racine; elle en récitait +les plus belles tirades. Enfin, un jour le hasard fit tomber entre ses +mains un volume des <i>Méditations poétiques</i> de M. de Lamartine. «Il me +sembla, dit-elle, qu'un monde nouveau se révélait à ma pensée, et je +m'abandonnai avec délices à l'enivrement de cette lecture, qui venait de +compléter en quelque sorte mon existence intellectuelle. Ce livre chéri +ne me quitta plus, et, à force de le relire, j'en appris bientôt toutes +les pages. C'est ainsi que, accoutumée à cette langue harmonieuse des +vers, j'en vins tout naturellement à la parler à mon tour; mes propres +pensées se revêtirent d'elles-mêmes d'expressions poétiques, et j'y +trouvai du plaisir. »</p> + +<p>A dater de cette époque, mademoiselle Antoinette Quarré composa, dans +ses moments de loisir, quelques petites pièces pleines de fautes et +d'incorrections; car les règles de l'art lui étaient tout à fait +inconnues; mais déjà un homme d'esprit et de goût. M. Roget de +Belloguet, ayant pris connaissance de ces premiers essais, y découvrit +les germes d'un beau talent. Il alla trouver la jeune fille ignorante, +l'aida de ses conseils et de ses leçons, et plus tard lui fit ouvrir les +colonnes d'une revue littéraire qui s'imprimait alors à Dijon. Les +premiers vers publiés par mademoiselle Antoinette Quarré furent +accueillis avec faveur. M. de Lamartine adressa à la jeune lingère +dijonnaise une de ses plus gracieuses épîtres; dès lors la réputation de +mademoiselle Quarré s'accrut dans la même proportion que son talent. Une +souscription qui fut bientôt remplie s'ouvrit à Dijon pour l'impression +de ses oeuvres choisies. Le Conseil municipal et l'Académie des +sciences, arts et belles-lettres de Dijon, s'empressèrent de s'associer +à ce généreux mouvement d'une ville que sa réputation littéraire place +au premier rang parmi les villes de la France.</p> + +<p>Telle est l'histoire de ce charmant volume qui nous arrive de la +capitale de la Bourgogne. Disciple de M. de Lamartine, mademoiselle +Antoinette Quarré imite parfois un peu servilement les rhythmes de son +maître; mais alors même qu'elles paraissent trop monotonement +harmonieuses, ses strophes renferment toujours quelque pensée délicate +ou profonde. Pour elle, la forme n'est évidemment qu'un moyen, qu'un +accessoire. Elle a un but plus élevé, elle cherche à parler à l'âme ou +au coeur. On a peine à comprendre, en lisant ses poésies, comment, au +milieu des soucis d'une vie laborieuse et pauvre, en gagnant péniblement +son pain de chaque jour, une jeune fille a pu atteindre à une pareille +perfection de style, développer si largement son intelligence et trouver +en elle de tels trésors de sentiment. Cependant le doute est-il +possible? Les preuves ne sont-elles pas là dans nos mains, sous nos +yeux? N'avons-nous pas lu <i>Un fils, la réponse à M. de Lamartine, à mon +Perroquet, à Dijon, la Madone, l'Invocation,</i> et tant d'autres petits +chefs-d'oeuvre qui nous autorisent à ajouter dès à présent le nom de +mademoiselle Antoinette Quarré à la liste déjà si longue des écrivains +auxquels Dijon s'enorgueillit d'avoir donné le jour.</p> + +<p><i>Rimes héroïques</i>, par <span class="sc">Auguste Barbier</span>. 1 joli vol. in-18. Paris, 1843. +Paul Masgana, 3 fr. 50.</p> + +<p>En feuilletant les oeuvres lyriques de Torquato Tasso, M. A. Barbier y a +trouvé un recueil de sonnets intitulé: <i>Rime héroïque</i>. Ce sont des vers +adresses à différents princes de l'Italie, en l'honneur de leur mariage +ou de la naissance de leurs enfants. L'auteur des <i>Iambes</i> a pensé que +ce titre pouvait s'appliquer avec plus de raison encore aux chants +inspirés par ceux qui se sont dévoués au bien de leurs semblables. Il a +donc recueilli toutes les pièces, de vers que, dans ses lectures ou dans +ses voyages, l'émotion d'un pieux souvenir, un grand acte de vertu ou de +patriotisme avaient pu lui inspirer, et les groupant par ordre de temps, +il en a composé une sorte de galerie qu'il a décorée du titre de <i>Rimes +héroïques.</i>--La forme du sonnet est celle que sa pensée a revêtue, «car, +dit-il, ce petit poème, d'invention moderne, a le mérite d'encadrer avec +précision l'idée ou le sentiment.»</p><br> + +<h3>M. le Maréchal comte d'Erlon.</h3> + +<p>M. le lieutenant-général Drouet, comte d'Erlon, vient, par ordonnance +royale du 9 avril, d'être élevé à la dignité de maréchal de France.</p> + +<p>Aux termes de la loi du 4 août 1839, sur l'organisation de +l'état-major-général de l'armée, le nombre des maréchaux de France est +de six au plus en temps de paix, et pourra être porté à douze en temps +de guerre. Lorsqu'en temps de paix le nombre des maréchaux de France +excédera la limite fixée, la réduction s'opérera par voie d'extinction; +toutefois, il pourra être fait une promotion sur trois vacances.</p> + +<p>A l'époque où cette loi fut rendue, le nombre des maréchaux de France +était de douze. Depuis, six d'entre eux sont morts, et sur ces six +vacances, deux promotions ont été faites: celles de M. le +lieutenant-général comte Horace Sébastiani et de M. le +lieutenant-général comte Drouet d'Erlon.</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/008a.png"><br> <b>M. le maréchal comte d'Erlon.</b></p> + +<p>Aujourd'hui, le nombre des maréchaux de France est de huit, dont un +seul, M. le duc de Dalmatie, est de la première promotion, faite par +Napoléon, le 19 mai 1804, le lendemain de son élévation au trône +impérial. Voici les noms des huit maréchaux actuels: Duc de <span class="sc">Dalmatie</span> +(Soult), président du conseil et ministre de la Guerre; duc de <span class="sc">Reggio</span> +(Oudinot), gouverneur de l'hôtel royal des Invalides; comte <span class="sc">Molitor</span>; +comte <span class="sc">Gérard</span>, grand-chancelier de l'ordre, royal de la Légion-d'Honneur; +marquis de <span class="sc">Grouchy</span>; comte <span class="sc">Valée</span>; comte Horace <span class="sc">Sébastiani</span>; comte <span class="sc">Drouet +d'Erlon</span>.</p> + +<p>Les six derniers maréchaux morts sont: comte de Lobau (Mouton); marquis +Maison; duc de Tarente (Macdonald); duc de Bellune (Victor); duc de +Conégliano (Moncey); comte Clauzel.</p> + +<p>La dignité de maréchal de France, en vertu de la même loi du 4 août +1839, n'est conférée qu'aux lieutenants-généraux qui auront commandé en +chef devant l'ennemi: 1° une armée ou un corps d'armée composé de +plusieurs divisions de différentes armes; 2º les armes de l'artillerie +et du génie dans une armée composée de plusieurs corps d'armée. Le +nouvel élu, doyen des lieutenants-généraux depuis quelques années, et +dont la nomination à ce grade remonte au 27 août 1803, satisfait depuis +longtemps à la première de ces conditions, puisqu'il plusieurs reprises, +sous l'Empire, il a commandé en chef des corps d'armée formés de +plusieurs divisions.</p> + +<p>M. le maréchal Drouet d'Erlon, né à Reims le 29 juillet 1765, débuta +dans la carrière militaire par être soldat dans un bataillon de +volontaires nationaux, où il s'enrôla en 1792. Son courage et son +intelligence l'ayant fait distinguer par le général Lefebvre, il devint +son aide-de-camp, et fit sous ses ordres les campagnes de 1793, 1794, +1795 et 1796, aux armées de la Moselle et de Sambre-et-Meuse. En 1799, +il fut nommé, général de brigade. Attaché à l'armée qui, en 1803, +s'empara du Hanovre, il fut élevé au grade de général de division. Il +servit en cette qualité à la grande armée d'Allemagne, prit une part +active à la bataille d'Iéna, et contribua à la prise de Halle. Chef +d'état-major-général du corps d'armée du maréchal Lannes, il se signala +à la bataille de Friedland, le 14 juin 1807, et y fut blessé. Le 29 mai, +il fut nommé grand-officier de la Légion-d'Honneur. En 1809, il +contribua à soumettre le Tyrol. Chargé du commandement du 9e corps +d'armée d'Espagne, il obtint, en 1810, des succès en Portugal, et lit sa +jonction avec Masséna, le 26 décembre 1811 A la fin de décembre 1812, il +força le général anglais Hill à se retirer sous les murs de Lisbonne. En +1815, il commandait l'armée du centre et obtint des succès sur la +Guenna. Vers la lin de juillet, il emporta de vive force le Col-de-Maya, +après la plus vigoureuse résistance de la part des Espagnols. Il +commandait un corps d'armée à la bataille de Vittoria, devint un des +lieutenants du maréchal Soult lors de l'invasion de l'armée anglaise +dans le midi de la France, et combattit, en 1814, dans toutes les +affaires où le territoire national fut énergiquement disputé à l'ennemi, +notamment à Orthez et à Toulouse.</p> + +<p>A la première Restauration, M. le comte d'Erlon fut nommé commandant de +la 16e division militaire (Lille), chevalier de Saint-Louis et grand +cordon de la Légion-d'Honneur. Après le débarquement de l'Empereur au +golfe Juan, le général Lefebvre-Desnouettes ayant formé le projet de +rassembler toutes les forces qui se trouvaient dans le nord de la +France, pour tenter un coup de main sur Paris, M. le général Drouet +d'Erlon fut prévenu de complicité dans ce hardi dessein, et arrêté, le +13 mars 1813, par ordre du duc de Feltre (Clark), alors ministre, de la +Guerre. Le cours des événements le rendit bientôt à la liberté, et lui +permit de s'emparer de la citadelle de Lille, où il se maintint jusqu'au +20 mars. Le 28 du même mois, il fit proclamer et reconnaître l'Empereur +dans la 16e division. Napoléon l'éleva à la pairie par décret du 2 juin, +et lui confia le commandement du premier corps de son armée, à la tête +duquel il fit, à Fleuras et à Waterloo, des prodiges de valeur que la +fortune rendit inutiles. Le général d'Erlon commanda ensuite l'aide +droite de l'armée sous Paris, et après la capitulation, il se retira au +delà de la Loire. Compris dans l'ordonnance de proscription du 24 +juillet 1815, il quitta son corps d'armée, et fut assez heureux pour +arriver à Bayreuth, en Bavière, où il trouva un asile. Plus tard il +s'établit aux environs de Munich et y vécut, dans une modeste retraite, +de l'exploitation industrielle d'une brasserie. Il fut cité, le 12 juin +1815, devant le conseil de guerre de la 11e division militaire, à +Bordeaux, pour être jugé par contumace; mais l'instruction n'ayant pas +été trouvée suffisante, l'affaire fut suspendue jusqu'à plus ample +informé et n'eut pas d'autre suite.</p> + +<p>La révolution de Juillet 1830 rappela en France le comte d'Erlon, et il +fut réintégré dans son grade. Son nom figura de nouveau sur la liste des +lieutenants-généraux en activité, publiée par l'<i>Almanach royal et +national</i> de 1831, après en avoir été effacé pendant quinze années. Pair +de France, le 19 novembre 1831, M. le comte d'Erlon fut nommé, par +ordonnance royale du 27 juillet 1834, gouverneur-général des possessions +françaises dans le nord de l'Afrique, et conserva ce commandement +jusqu'au 8 août 1833, jour où il quitta Alger, une ordonnance du 8 +juillet lui ayant donné pour successeur le maréchal Clauzel, qu'il vient +de remplacer à son tour dans la dignité de maréchal de France. Peu de +temps après son retour d'Algérie, M. le lieutenant-général d'Erlon fut +appelé de nouveau au commandement de la 12e division militaire, qu'il +avait occupé avant son départ pour l'Afrique, et qu'il occupait encore +au moment de sa promotion au maréchalat.</p><br> + +<h3>Sur la Locomotion aérienne</h3> + +<h4>LETTRE<br> +A M. LE DIRECTEUR DE L'ILLUSTRATION.</h4> + +<p>Monsieur,</p> + +<p>Vous avez inséré dans le dernier numéro de votre <i>Journal universel</i> une +description, avec figures, d'une machine à vapeur aérienne. Il paraît +que la curiosité publique est vivement excitée, en Angleterre, par cette +prétendue invention, et qu'il en a été même question au Parlement. En +mettant vos lecteurs au courant du sujet, vous n'avez fait, ce me +semble, que justifier votre titre et la promesse de ne rien laisser +échapper de ce qui attire l'attention générale, à tort ou à raison. Vous +avez eu soin, d'ailleurs, de ne parler de la <i>découverte</i> de M. Henson +qu'avec une prudente réserve, et je suis convaincu que tous vos +lecteurs, mis en garde par la manière dont vous la leur avez exposée, ne +l'auront accueillie qu'avec une extrême défiance, peut-être même la +plupart avec une complète incrédulité.</p> + +<p>Pour moi, Monsieur, j'avoue que je me range décidément au nombre de +ceux-ci, et je vous demande la permission de vous soumettre quelques +réflexions au sujet du problème que M. Henson s'est proposé et de la +solution qu'il s'imagine en avoir trouvée. Si vous jugez convenable de +les communiquer à mes co-abonnés, j'ose croire que ceux qui prendront la +peine de les lire tomberont d'accord avec moi sur l'absurdité théorique +de cette solution; et quant à l'impossibilité pratique, je laisse à M. +Henson lui-même le soin de la démontrer, s'il ne l'a déjà fait.</p> + +<p>Le principe fondamental de la nouvelle machine consiste, dit-on, en ce +qu'elle <i>emprunte à la Nature</i> la force nécessaire pour se mettre en +mouvement et s'élever dans l'air; la machine à vapeur qu'elle porte lui +restitue d'ailleurs, à chaque instant, la vitesse que lui fait perdre la +résistance de l'air. On ajoute fort judicieusement, comme exemple à +l'appui de cette idée, qu'un oiseau s'envole beaucoup plus facilement +lorsqu'il est perché au sommet d'un rocher ou d'un arbre, que lorsqu'il +lui faut s'élever de terre.</p> + +<p>Je trouve à ceci, monsieur Henson, une petite difficulté qui m'arrête +tout d'abord. Vous lancez votre machine dans les airs, de l'extrémité +supérieure d'un plan incliné: fort bien! Mais comment l'aurez-vous +hissée au sommet de ce plan?--à grand renfort de poulies, de cordes, de +cabestans, d'engrenages, etc.; le tout mis en action par des hommes, par +des chevaux, par la vapeur, que sais-je? En tout cas, par un moteur +qu'il faut payer; car si la <i>Nature</i> consent à vous prêter de la force, +ce n'est, assurément, pas pour rien. Puis, lorsque vous aurez abandonné +l'appareil à lui-même, dans quel sens pensez-vous donc que s'exercera la +vitesse qu'il acquiert en vertu de sa chute? Tout le monde ne répond-il +pas, dans le sens vertical, de haut en bas.--Comment voulez-vous donc +que cette vitesse puisse servir à un mouvement de progression horizontal +dans un sens perpendiculaire à sa direction? Bien plus! comment oser +dire qu'elle puisse changer de direction, et que votre aérostat d'un +nouveau genre ait plus de vitesse à la descente? Ne voyez-vous pas que +vous nous proposez tout simplement le mouvement perpétuel? Nierez-vous +que votre histoire soit tout à fait analogue à celle du couvreur qui, +venant de glisser le long d'un toit, passe, pendant sa chute, devant une +fenêtre ouverte au premier étage, et profite de cette heureuse +circonstance pour entrer de plain-pied dans l'appartement, à la grande +surprise des locataires? Si le grand Newton ne s'est pas avisé de cette +importante modification aux lois de la pesanteur universelle, c'est +qu'il n'a philosophé qu'à propos de la chute d'une simple pomme dans son +jardin. Nous, au contraire, n'avons-nous pas appris par nos bonnes +l'anecdote de la chute du couvreur? Étonnez-vous donc un peu des progrès +de la mécanique appliquée!</p> + +<p>Mais votre comparaison de l'oiseau me paraît tout à fait ingénieuse, et +je désire vous y suivre, monsieur Henson! Oui, sans doute, votre oiseau +vole avec moins de peine quand, d'un point culminant, il s'élance dans +les airs, pour se maintenir à la même hauteur ou pour descendre, que +lorsqu'il lui faut d'abord s'élever de terre à la hauteur qu'il veut +atteindre. Vous-même, j'en suis sûr, vous éprouvez moins de fatigue à +descendre qu'à monter un escalier. Il est vraiment à regretter que ces +grandes vérités n'aient pas été vulgarisées, depuis longtemps, par +quelque couplet <i>ad hoc</i>, dans la chanson de M. de la Palice; vous +auriez moins de mal à nous les faire comprendre.--Mais comment votre +oiseau a-t-il gagné le sommet de l'arbre sur lequel vous le perchez si +gratuitement? Comment êtes-vous parvenu au haut de l'escalier que vous +n'avez plus qu'à descendre? Je vous vois, vous et votre oiseau, dans un +cruel embarras! Il va falloir que vous commenciez, vous, par monter, +lui, par s'envoler de bas en haut. Tirez-vous de là si vous pouvez.</p> + +<p>Encore quelques mots, Monsieur le Directeur.--M. Henson nous promet une +machine de la force de 20 chevaux, ne pesant pas plus de 500 kil., avec +l'eau nécessaire pour l'entretenir. Je regrette qu'il ne nous ait pas +parlé du temps du voyage. Mais jele suppose d'une heure seulement. Or, +jusqu'à ce jour, on n'a jamais réussi à brûler moins de 2 kil. et demi +de charbon par heure et par force de cheval; ce qui, pour 20 chevaux +fait 50 kilog.--Il faut aussi compter au moins 12 kilog. et demi d'eau +par heure et par cheval; et, pour la machine en question, 250 +kilog.--Comme 50 et 250 l'ont 300 kilog., voilà, si je ne m'abuse, la +totalité du poids de la machine absorbé uniquement par +l'approvisionnement d'une heure en eau et en charbon. Quant à la machine +elle-même, il paraît qu'elle ne pèse rien du tout. Ce résultat n'est pas +moins merveilleux que le reste; car on n'a pas encore, que je sache, +réduit le poids d'une machine à vapeur à moins de 500 à 400 kilog. par +force de cheval développée; ce qui coterait à 6.000 kilog., au bas mot, +le poids de celle de M. Henson.</p> + +<p>Il y a donc quelques raisons de croire, Monsieur le Directeur, que la +nouvelle invention doit être classée au premier rang parmi les +<i>puffs</i>-monstres dont l'imagination féconde de nos voisins d'outre-mer +nous gratifie si souvent aujourd'hui. Mais ce qui me semble fort +divertissant, c'est que, cette fois, où ils paraissent avoir dépassé les +limites du genre, ils se sont dupés eux-mêmes, semblables aux conteurs +qui finissent par se persuader de la réalité des aventures qu'ils ne +peuvent plus faire croire à personne.</p> + +<p>Agréez, je vous prie, etc.</p> + +<p>UN DE VOS ABONNÉS</p> + +<br> + +<h3>Rébus.</h3> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/008b.png"></p> + +<br><br> + +<h3>EXPLICATION DU<br><br>DERNIER RÉBUS.</h3> + +<br> + +<p class="mid">L'approche de la Comète a effrayé<br><br> +les vieilles bonnes femmes..</p> + +<br><br><br> +</div> + +<br><br> + + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0007, 15 Avril 1843, by Various + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0007, 15 *** + +***** This file should be named 34547-h.htm or 34547-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/3/4/5/4/34547/ + +Produced by Rénald Lévesque + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact +information can be found at the Foundation's web site and official +page at http://pglaf.org + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. 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Donations are accepted in a number of other +ways including checks, online payments and credit card donations. +To donate, please visit: http://pglaf.org/donate + + +Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic +works. + +Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + http://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. + + +</pre> + +</body> +</html> + + diff --git a/34547-h/images/001.png b/34547-h/images/001.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..deab894 --- /dev/null +++ b/34547-h/images/001.png diff --git a/34547-h/images/001a.png b/34547-h/images/001a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..b68dfee --- /dev/null +++ b/34547-h/images/001a.png diff --git a/34547-h/images/002a.png b/34547-h/images/002a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..70dc53a --- /dev/null +++ b/34547-h/images/002a.png diff --git a/34547-h/images/003b.png b/34547-h/images/003b.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..73dc37d --- /dev/null +++ b/34547-h/images/003b.png diff --git a/34547-h/images/003large.png b/34547-h/images/003large.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..4522f53 --- /dev/null +++ b/34547-h/images/003large.png diff --git a/34547-h/images/003small.png b/34547-h/images/003small.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..55f8432 --- /dev/null +++ b/34547-h/images/003small.png diff --git a/34547-h/images/004.png b/34547-h/images/004.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..17812a5 --- /dev/null +++ b/34547-h/images/004.png diff --git a/34547-h/images/005a.png b/34547-h/images/005a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..e8824d2 --- /dev/null +++ b/34547-h/images/005a.png diff --git a/34547-h/images/005b.png b/34547-h/images/005b.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..766912d --- /dev/null +++ b/34547-h/images/005b.png diff --git a/34547-h/images/006a.png b/34547-h/images/006a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..b60d5d2 --- /dev/null +++ b/34547-h/images/006a.png diff --git a/34547-h/images/006b.png b/34547-h/images/006b.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..a249f7d --- /dev/null +++ b/34547-h/images/006b.png diff --git a/34547-h/images/006c.png b/34547-h/images/006c.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..2e0d324 --- /dev/null +++ b/34547-h/images/006c.png diff --git a/34547-h/images/006d.png b/34547-h/images/006d.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..6dcbd1f --- /dev/null +++ b/34547-h/images/006d.png diff --git a/34547-h/images/007a.png b/34547-h/images/007a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..3ec44d5 --- /dev/null +++ b/34547-h/images/007a.png diff --git a/34547-h/images/007b.png b/34547-h/images/007b.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..8003b43 --- /dev/null +++ b/34547-h/images/007b.png diff --git a/34547-h/images/007c.png b/34547-h/images/007c.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..a3e421b --- /dev/null +++ b/34547-h/images/007c.png diff --git a/34547-h/images/007d.png b/34547-h/images/007d.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..27cf710 --- /dev/null +++ b/34547-h/images/007d.png diff --git a/34547-h/images/008a.png b/34547-h/images/008a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..4be4084 --- /dev/null +++ b/34547-h/images/008a.png diff --git a/34547-h/images/008b.png b/34547-h/images/008b.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..83271ed --- /dev/null +++ b/34547-h/images/008b.png diff --git a/34547-h/images/cover.jpg b/34547-h/images/cover.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..afa8aed --- /dev/null +++ b/34547-h/images/cover.jpg diff --git a/LICENSE.txt b/LICENSE.txt new file mode 100644 index 0000000..6312041 --- /dev/null +++ b/LICENSE.txt @@ -0,0 +1,11 @@ +This eBook, including all associated images, markup, improvements, +metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be +in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES. + +Procedures for determining public domain status are described in +the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org. + +No investigation has been made concerning possible copyrights in +jurisdictions other than the United States. 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