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authorRoger Frank <rfrank@pglaf.org>2025-10-14 20:01:51 -0700
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+Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0007, 15 Avril 1843, by Various
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: L'Illustration, No. 0007, 15 Avril 1843
+
+Author: Various
+
+Release Date: December 2, 2010 [EBook #34547]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0007, 15 ***
+
+
+
+
+Produced by Rénald Lévesque
+
+
+
+
+
+
+L'Illustration. No. 0007, 15 Avril 1843
+
+Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois 16 fr.--Un an, 30 fr.
+Prix de chaque Nº, 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75.
+
+Nº 7. Vol. 1.--SAMEDI 15 AVRIL 1843.
+Bureaux, rue de Seine, 33.
+
+Ab. pour les Dep.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr.
+pour l'Étranger. -- 10 -- 20 -- 40
+
+
+SOMMAIRE.
+
+Écroulement du vieux Beffroi de Valenciennes, avec _une gravure._--Un
+mot sur l'Université--Courrier de Paris. Le givre, une réconciliation,
+les deux yeux, un enfant mort en bas âge, les portraits et les modèles,
+appétit monstre, un mari reconnaissant, l'auteur et le directeur.
+Représentation de pièces historiques. Lucrèce.--Romance. Musique de M.
+Flotow, paroles de M. E. de Loutay, avec _une vignette._--Chronique
+musicale. Concerts du Conservatoire. _Salle du Conservatoire_.--Des
+Caisses d'Épargne.--Longchamp. _L'Obélisque et les Champs-Elysées, une
+scène de Longchamp._--La Vengeance des Trépassés, nouvelle (3e partie),
+avec une _gravure._--De l'Éloquence de la Chaire au XIXe siècle. _Le
+dimanche des Rameaux, portraits de M. de Boulogne, de M. Deguerry, de M.
+Combalot, de M. Lacordaire, de M. de Ravignan, de M. Coeur, une
+prédication à Saint-Roch._--Bulletin bibliographique.--Annonces.--M. le
+maréchal comte d'Erlon.. _Portrait._--Sur la locomotion
+aérienne.--Rébus.
+
+
+
+Écroulement du vieux Beffroi de Valenciennes.
+
+Depuis la chute de la flèche métropolitaine de Cambrai en 1809, disent
+les journaux du Nord, nul événement aussi épouvantable que l'écroulement
+du beffroi de Valenciennes n'était venu frapper de consternation nos
+provinces.
+
+A la suite d'interminables lenteurs, après avoir renvoyé cette affaire
+de commission en commission, après avoir même fait visiter le beffroi
+par un architecte de Paris, M. Visconti, le conseil municipal de
+Valenciennes avait enfin voté la restauration du vieux monument:
+restauration difficile, dont la direction fut confiée à l'architecte de
+la ville, et les travaux adjugés au rabais à un entrepreneur. Les
+ouvrages commencèrent il y a peu de mois, et bientôt l'on s'aperçut de
+toutes les difficultés qu'ils présentaient: les ouvriers avaient fait de
+si fortes tranchées dans la vieille maçonnerie, que l'architecte
+lui-même en fut effrayé. Des lézardes se montrèrent le long de
+l'édifier, et dans la matinée du vendredi 7 avril, les pierres
+commencèrent à tomber successivement du faîte, avertissant les habitants
+de la Place d'Armes de l'effroyable catastrophe qui les menaçait.
+
+Le même jour, à quatre heures vingt minutes du soir, la tour s'écroula
+tout entière avec un fracas épouvantable, s'abattant à peu près sur
+elle-même; le poids des pierres bleues qui couronnaient le beffroi, et
+surtout celui des vingt-quatre consoles qui supportaient le balcon, et
+ne pesaient pas moins de six milliers chacune, étaient devenus trop
+lourds pour les piétements affaiblis. On conçoit ce qu'a dû présenter
+d'horrible la chute d'une telle masse, qui comptait soixante-dix mètres
+de hauteur depuis la base jusqu'au paratonnerre, s'écroulant d'un seul
+coup, et tombant sur les habitations de son pourtour et les maisons
+voisines; les cloches, dont l'une ne pesait pas moins de neuf mille
+livres, enfoncèrent tous les étages jusqu'aux caves; enfin le dôme de la
+tour, violemment précipité, alla rouler jusqu'à la Place du Commerce. La
+Place d'Armes et l'entrée des rues voisines furent presque ensevelies
+sous une montagne de pierres, de poutres, de fer, de cloches et de
+plâtras.
+
+La première victime fut le malheureux guetteur, monté à son poste en
+tremblant, vendredi à midi, et qui entendit pendant quatre heures tomber
+une à une autour de lui les pierres du couronnement; il fut relevé
+respirant encore, et tenant en sa main son ouvrage de cordonnier; mais
+il expira bientôt après, par suite de l'affreuse commotion qu'il avait
+éprouvée. L'entrepreneur, resté sur l'échafaudage, fut dangereusement
+blessé, le serrurier, placé près de lui, a été sauvé miraculeusement.
+
+Les journaux quotidiens ont donné la liste des victimes de cet affreux
+événement: ils annonçaient que le chiffre exact n'en était pas encore
+connu. On sait aujourd'hui que sept personnages seulement ont perdu la
+vie, mais plusieurs blessés sont dans un état désespéré. Les habitants
+et la garnison rivalisèrent de zèle et de dévouement pour sauver les
+malheureux ensevelis sous les décombres: la compagnie d'Anzin envoya
+aussitôt des travailleurs intelligents et actifs, et mit à la
+disposition de la ville les chèvres, les grues et tous les outils de ses
+mines. Grâce à ces secours réunis, l'on put déblayer un peu la place, et
+sauver la vie a quelques blessés gisants sous des monceaux de ruines.
+
+[Illustration: Écroulement du Beffroi de Valenciennes, le 7 avril.]
+
+Le malheur qui vient d'arriver est immense: mais si l'on considère ce
+qu'il pouvait être, il faut encore rendre grâces à Dieu de ce que le
+nombre des victimes ait été aussi restreint. Une ou deux heures plus
+tôt, l'écroulement atteignait plus de cinquante individus; et si le
+couronnement s'était, dans sa chute, incliné un peu à droite ou à
+gauche, une foule de maisons eussent été infailliblement écrasées.
+
+La perte matérielle de la ville est considérable: Valenciennes se trouve
+à la fois privée de son seul monument, du vieux souvenir de ses libertés
+communales, de ses bureaux d'octroi, de son horloge, de son carillon et
+d'un grand nombre de maisons attenantes au beffroi, qui étaient des
+propriétés communales.
+
+Une grave responsabilité va peser sur les entrepreneurs des travaux:
+l'administration n'avait cessé de leur recommander de prendre les plus
+grandes précautions; peu persuadée d'ailleurs par les assurances
+réitérées de l'architecte, qui prétendait répondre sur sa tête de la
+solidité de la tour, la municipalité avait ordonné, le matin même du 7
+avril que l'on évacuât immédiatement les bâtiments du beffroi et les
+petites maisons qui y étaient adossées; en même temps elle fit cesser la
+sonnerie des cloches et interdit la circulation des voitures aux
+alentours du monument C'est grâce à la promptitude et à l'énergie de ces
+mesures que la ville n'a pas en à déplorer de plus grands malheurs.
+
+Le beffroi de Valenciennes était sans contredit l'un des plus anciens
+et des plus remarquables monuments du nord de la France. Nos lecteurs
+trouveront donc nous l'espérons, quelque intérêt dans la notice
+historique que nous joignons au récit de l'événement. Nous puisons la
+plupart de nos documents dans l'histoire de Valenciennes par
+_d'Oultreman_, et les deux derniers feuilletons de _l'Écho de la
+Frontière._
+
+Notice historique
+
+SUR LE BEFFROI DE VALENCIENNES.
+
+L'antiquité du beffroi de Valenciennes remonte jusqu'au treizième siècle
+En 1222, sous le règne de la comtesse Jeanne de Flandres, fille du
+fameux empereur Baudouin de Constantinople, un premier beffroi fut élevé
+sur la place du Marché: mais, soit que la construction en fût vicieuse
+ou l'emplacement mal choisi, il fut démoli dès l'an 1237, et l'on jeta
+les fondements d'une nouvelle tour à l'extrémité méridionale de la
+place. Cette fois la comtesse Jeanne chargea le seigneur de Materen,
+gouverneur de la ville, de surveiller la construction du monument. De
+1238 à 1240 l'édifice fut achevé dans toutes les normes. C'était une
+tour quadrilatérale, à angles arrondis, bâtie en grès dans la partie
+inférieure, et en pierres blanches à partir d'une certaine hauteur
+jusqu'au sommet, qui se terminait alors par quatre petites tourelles en
+encorbellement, et par une plate-forme générale, garnie de murs d'appui
+crénelés. Au-dessus de cette plate-forme, couverte de plomb, s'élevait
+la hutte de bois du guetteur, fortement établie sur un soubassement qui
+la rehaussait encore de plusieurs toises. A la base de la tour étaient
+adossées plusieurs constructions servant de lieu de dépôt pour
+marchandises.
+
+En l'an 1558, deux cloches furent placées au beffroi. La première grosse
+cloche, dite _Blanche cloche_, du poids de 9.000 livres, et la seconde,
+la cloche des ouvriers, nommée _Curiande_, du poids de 3,800 livres,
+fondue par Guillaume de Saint-Omer; elle sonna pour la première fois le
+jour de la Toussaint de la même année.
+
+Au commencement du seizième siècle, Jacquemart-Levayrier, dit l'_Arbre
+d'or_, voulant _réjouir_ ses concitoyens, institua quatre musiciens, ou
+_museux_, qui devaient, sur le balcon du beffroi, jouer du hautbois tous
+les jours à midi, et du matin jusqu'au soir les jours de marché. Cet
+usage se perpétua pendant deux siècles; mais, en l'an VII, la République
+confisqua et fit vendre les biens affectés à cette fondation.
+
+Pendant les guerres de Charles-Quint avec François Ier et Henri VIII, on
+avait éprouvé que le guetteur ne voyait pas d'assez loin l'approche des
+partis français qui venaient ravager les environs de Valenciennes; en
+conséquence, le beffroi fut exhaussé en 1546; la flèche fut de même
+relevée de vingt-deux pieds en 1647, et l'on y plaça, comme girouette,
+un grand aigle doré, emblème héraldique de l'empereur Charles-Quint.
+
+Le beffroi resta longtemps en cet état sans éprouver de nouveaux
+changements. En 1578, le baron de Harchies, voulant faire un coup de
+main sur la ville, s'empara du beffroi, mais il en fut bientôt chassé.
+
+En 1615, il y eut quelques agrandissements apportés aux bâtiments du
+pourtour, qui servaient alors de bourse aux marchands. De 1680 à 1700,
+le magistrat éleva devant la tour un bâtiment à la moderne, faisant face
+à la place, surmonté, aux deux ailes, de deux petites lanternes, ou
+belvédères, de très-bon goût, qu'un auteur signale, dans un livre
+d'architecture, comme un modèle d'élégance. En 1712, on rebâtit sur les
+autres faces neuf maisons d'habitation, décorées de jolies sculptures,
+et connues sous le nom de leurs diverses enseignes: le _Dromadaire, le
+Taureau-Marin, le Cheval-Marin, le Triton, la Sirène, le Chameau, le
+Castor et l'Éléphant._ L'octroi occupait le _Dromadaire_ et le
+_Taureau-Marin._ Les six autres maisons étaient louées à certaines
+professions désignées, qu'on ne pouvait changer sans la licence du
+magistrat. Outre les deux pavillons, la façade de la tour se composait
+encore d'une galerie découverte et de deux balcons aux étages
+supérieurs. Les bustes des douze Césars, plus grands que nature, les
+quatre Saisons, et autres sculptures délicates, ornaient ces
+constructions.
+
+De 1782 à 1784, sous la prévôté de M. de Pujol, qui fit reconstruire ou
+réparer presque tous les monuments de Valenciennes, le couronnement du
+beffroi fut remis à neuf et de nouveau exhaussé. On démolit la
+plate-forme et toute la partie supérieure, jusqu'à l'endroit où l'on
+trouva la bâtisse saine et solide; là-dessus fut élevé un nouveau
+couronnement dans le style Louis XV. Les colonnes ornées, les balcons
+contournés, les vases Pompadour, vinrent se placer sur la tour gothique
+de Jeanne de Flandres. Les pierres employées pour cette restauration
+étaient en calcaire bleu, leur solidité ayant paru supérieure à celle
+des pierres blanches,
+
+ ......Color deterrimus albis;
+
+malheureusement ces pierres bleues étaient d'une pesanteur énorme, et
+devaient tôt ou tard écraser l'édifice: aussi prévit-on dès lors un
+écroulement; et _M. de Rollecour, l'un des magistrats, défendit à son
+cocher, sous peine d'être chassé, de jamais passer avec sa voiture dans
+les environs du beffroi._--On oublia en même temps de garnir de plomb
+le palier du balcon, et la pluie, filtrant au travers des pierres, fit
+pourrir peu à peu les dernières assises.
+
+Le 30 mai 1795, à l'ouverture du siège de Valenciennes, la garnison et
+les habitants prêtant à la République le serment solennel de fidélité,
+le zèle patriotique des sans-culottes s'affligea de voir l'énorme fleur
+de lis sculptée au faîte du beffroi; des ouvriers furent envoyés pour
+l'effacer, mais ils ne purent jamais l'atteindre; il fallut se borner à
+couvrir le signe monarchique sous les plis d'un vaste drapeau tricolore.
+La tour du beffroi, pendant tout le siège, servit de point de mire aux
+obus de l'armée ennemie, mais elle soutint assez bien ce bombardement.
+«Il est vrai, dit l'_Écho de la Frontière_, que les canons du duc d'York
+ne lui firent pas d'aussi grandes brèches que les modernes
+restaurateurs.»
+
+En 1800, la girouette aux armes d'Espagne fut remplacée par une
+brillante Renommée sonnant de la trompette. Cette statue, debout sur un
+globe doré, fut menée en triomphe par les rues de la ville avant d'être
+hissée sur son piédestal. Mais deux ans après, un violent ouragan
+abattit la Renommée, qui heureusement n'atteignit personne dans sa
+chute.--A la Restauration, on plaça sur le beffroi un lion d'or, emblème
+héraldique de Valenciennes.
+
+En 1811 le maire de la ville, M. Benoist, eut la fantaisie de remplacer
+les deux élégants belvédères et tout le bâtiment de la façade par une
+lourde construction où furent logés l'octroi et le Cercle du Commerce.
+Chacun protesta contre cet acte de vandalisme, et M. le général
+Pommereul, préfet du Nord, témoigna là-dessus son sentiment à
+l'architecte d'une façon toute militaire.
+
+Enfin, depuis dix ans on projetait une restauration complète du beffroi;
+plût à Dieu qu'on l'eut entreprise plus tôt et sur de meilleurs plans!
+
+M. le capitaine Coste, en 1824, avait pris, avec le graphomètre, les
+différentes dimensions de la tour. On nous saura peut-être gré de les
+reproduire ici:
+
+De la base au balcon. 79 m. 50 c.
+Du balcon au-dessus du dôme. 14 50
+Du dôme au-dessus de la lanterne, sous la boule. 7 50
+De la lanterne jusqu'au bout du paratonnerre. 8 55
+
+Total. 70 m. 05 c.
+
+La sonnerie du beffroi était fort belle et fort ancienne. Au moment où
+nous écrivons, elle est à peu près dégagée de dessous les décombres, et
+chacun se presse pour la voir.--Elle se composait de huit cloches: 1º le
+gros bourdon, d'un poids énorme, sans millésime apparent; 2º une cloche
+à la date de 1346, avec une légende historique dont on ne peut encore
+lire qu'une partie: _Nuit et jour peut oïr la communauté_; le reste de
+la devise est enseveli sous les plâtras; 3º deux cloches de 1555, dont
+l'une porte ces mots: _Réjouissant les coeurs par vrais accords_; 4°
+deux cloches de 1597, blasonnées du cygne valenciennois; 5º une cloche
+de 1626, avec le même signe et cette inscription: _Nous avons été fait
+pour l'horloger de Valenciennes par Jean Delecourt et ses fils, en 1626_;
+enfin une dernière cloche sans date, mais entourée d'ornements, parmi
+lesquels on distingue des fleurs de lis, une madone, un saint Michel à
+cheval et des armoiries flanquées de deux bâtons en croix de
+Saint-André, comme on en voit sur quelques emblèmes de Charles-Quint.
+
+Toutes ces cloches sont en parfait état; elles n'ont éprouvé aucune
+avarie dans leur chute.
+
+
+
+Un mot sur l'Université.
+
+Parmi les diverses propositions, toutes vaines et avortées, par
+lesquelles d'honorables députés des divers bancs de la Chambre ont du
+moins manifesté depuis quelques jours le désir louable de combattre
+l'affaiblissement de l'esprit public et l'atonie politique où nous
+tombons de plus en plus, la proposition d'admettre les candidats au
+baccalauréat à subir leur examen sans avoir à justifier d'études
+universitaires, nous semble devoir être remarquée non pour son résultat
+immédiat (elle a été repoussée), mais pour l'arriére-pensée politique
+qui l'a inspirée et pour cet esprit agressif contre l'Université, qui
+gagne et se propagerait enfin de proche en proche dans tous les partis
+d'une façon bientôt inquiétante. En effet, au moment même où cette
+proposition était faite par un esprit d'ailleurs éclairé, M. de Carné,
+M. Arago, de son côté, à propos d'une pétition qui demandait que les
+candidats à l'école polytechnique ne soient pas, à l'avenir forcés
+d'être bacheliers, non content d'appuyer cette requête, comme il en a
+assurément le droit plus que personne au monde, et comme député, et
+comme ancien professeur de cette école célèbre et comme savant éminent,
+a pris de là occasion d'attaquer aussi l'Université, repoussant, comme
+inutile, frivole et presque dangereux, son enseignement, l'étude des
+belles-lettres et de la philosophie.
+
+En temps ordinaire, et sans cette espèce, de coalition fortuite, nous
+l'avouons, mais générale et malheureuse, contre l'Université de France,
+nous laisserions volontiers cette respectable matrone se justifier
+seule, par l'organe de ses rhéteurs émérites et de ses philosophes en
+robe et en bonnet, et défendre seule son monopole contre M. de Carné, la
+nature de son enseignement et ses traditions un peu routinières contre
+M. Arago.
+
+Mais c'est un des malheurs de ce pays d'être en ce moment divisé, non
+plus seulement comme tous les pays du monde, en esprits jeunes, ardents,
+aventureux et plus ou moins témérairement novateurs, et en esprits plus
+mûrs, et, si l'on veut, plus désabusés et plus ou moins sagement
+conservateurs, mais bien en trois partis exclusifs, intraitables,
+aveugles, qui s'anathématisent sans relâche et se damnent l'un l'autre
+sans miséricorde, savoir: un parti qui ne voit, ne comprend, ne veut,
+et, chose étrange! n'espère que le passé! un parti qui, par
+compensation, ne cherche, ne voit, ne sait, ne pleure que l'avenir,
+toujours en retard d'un millier d'années au gré de son impatience;
+enfin, un parti qui, naturellement effrayé de cette soif monstrueuse,
+également déraisonnable des deux parts, et de ce qui n'est plus et de ce
+qui ne saurait être encore, se condamnerait volontiers, lui, de peur de
+donner gain de cause à l'un de ses adversaires, à une impuissance
+absolue, à une éternelle immobilité, sommeil perfide, torpeur
+dangereuse, qui, lorsqu'elle se prolonge, n'est autre chose que la mort
+même des nations.
+
+Et, dans la plupart des questions qui se débattent, le parti qui veut,
+au fond, revenir purement et simplement au passé, irrité de la
+résistance qu'on lui oppose justement, s'allie tout bas au parti
+novateur et nie effrontément au pouvoir les facultés dont il se réserve,
+à part soi, d'user largement un jour contre ses imprudents amis, si
+jamais il gouverne encore.
+
+Il faut donc que les hommes sages qui croient que l'idée même du progrés
+normal implique, avec celle de ne point rétrograder, l'idée d'une
+succession graduée de développements mesurés et toujours plus ou moins
+lents, interviennent enfin. Oui, bon gré, mal gré, quand il s'agit, par
+exemple, d'une institution aussi considérable que l'Université de
+France, liée aux plus grands souvenirs et de la monarchie et de la
+démocratie française, au temps de Philippe, le Bel et de Louis XIV,
+comme au temps de François Ier et de Napoléon, d'une institution
+vieille, mais forte encore, dont la chute, qui peut le nier? nous
+livrerait demain à coup sûr, sans parler des tentatives des factions, à
+toute la honte de l'éducation au rabais et à je ne sais quel
+maquignonnage des intelligences qui révolte également et le sens moral
+et la raison; alors ou jamais il faut bien prêter secours au passé et à
+la tradition, dans l'intérêt même de l'avenir et des perfectionnements
+ultérieurs du monde.
+
+«Mais à quoi servent positivement les études classiques, commence-t-on à
+s'écrier de toutes parts, et la philosophie, et son histoire, et les
+monades de Leibnitz, et les tourbillons de Descartes, et la vision en
+Dieu de Malebranche? Cicéron ne disait-il pas déjà assez naïvement: «Je
+ne sais pourquoi il n'y a rien de si absurde qui n'ait été enseigné et
+soutenu par quelque philosophe.» Et Fontenelle: «Oh! moi, la
+philosophie, quand j'étais petit, tout petit, je commençais déjà à n'y
+rien comprendre.»
+
+Oui, sans doute, messieurs les mathématiciens; mais ce même Cicéron que
+vous citez, n'en consacra pas moins la moitié de sa vie à étudier les
+philosophes de la Grèce, et à faire connaître leurs idées à ses
+concitoyens; et, au rapport de Pline, il était plus glorieux d'avoir par
+là reculé pour les Romains les limites du génie, que d'avoir administré
+la République. Ce n'est pas apparemment faute de connaître et de
+cultiver les sciences physiques et mathématiques que l'illustre géomètre
+Descartes et l'illustre savant Leibnitz se sont tant occupés de
+philosophie; et Fontenelle, l'un des esprits les plus sceptiques, mais
+les plus polis et les plus fins qui aient jamais été, s'il vivait de
+notre temps, ne se hâterait pas tant de nier l'éducation générale ou de
+la définir un apprentissage, et non plus une culture libérale et
+préparatoire. Il lui semblerait que, sans donner tête baissée dans aucun
+système exclusif, et à ne considérer même la philosophie que comme
+l'idéal suprême non encore réalisé de la raison humaine en quête de la
+vérité divine, il y a bien quelque profit pour l'âme, qu'elle réussisse
+ou non, à chercher encore à conquérir cet idéal par le mâle exercice de
+la pensée, de même qu'il y a encore profit pour le corps et
+développement dans les exercices, en apparence et immédiatement
+inutiles, du gymnase. Et quant à l'histoire de la philosophie, ne
+fit-elle que nous enseigner la tolérance et l'indulgence, par le
+spectacle des grandes erreurs où sont tombés de tous temps les plus
+grands esprits, apprit-elle seulement à ceux qui ne doutent de rien
+qu'il y a de grands mathématiciens qui ont douté de tout, et que
+Socrate, le plus sage des hommes, disait volontiers dans les rues à qui
+voulait l'entendre, et surtout en présence des sophistes de son temps,
+si pleins de morgue et de pédantisme, qu'_il ne savait rien_;
+serait-elle donc, cette histoire, si inutile de nos jours?
+
+On insiste: mais le reste des études universitaires, où est son utilité?
+D'abord, cette utilité fût-elle impossible à démontrer positivement,
+nous n'admettons pas que ce fût là une raison si péremptoire de les
+condamner et de les supprimer dans le haut enseignement. On ne peut pas
+ainsi rendre compte de tout; et les choses les plus nécessaires, les
+plus divines, sont précisément celles-là même qui se laissent le moins
+analyser, étant simples de leur nature. Après cela, nous laisserons
+répondre un homme dont les savants ne récuseront pas la compétence,
+l'illustre Cuvier: «Il est plus nécessaire qu'on ne croit, pour
+apprendre à bien raisonner, de se nourrir des ouvrages qui ne passent
+d'ordinaire que pour être bien écrits En effet, les premiers éléments
+des sciences n'exercent peut-être pas assez la logique, précisément
+parce qu'ils sont trop évidents; et c'est en s'occupant des matières
+délicates de la morale et du goût, qu'on acquiert cette finesse de tact
+qui conduit seule aux hautes découvertes.» Ajoutons que ceux qui se
+livrent à l'étude des sciences positives, ne rencontrant point sur leur
+route les passions des hommes, s'accoutumeraient volontiers à ne croire
+qu'à ce qui est susceptible d'être mesuré, pesé, calculé
+mathématiquement. L'étude réfléchie de la littérature est un
+contre-poids à cette tendance étroite et fausse.
+
+Il y a plus; notre civilisation est tellement basée sur celle des Grecs
+et des Latins, qu'il serait presque impossible d'exposer avec clarté
+l'histoire du monde chrétien, et en particulier celle de notre pays, à
+qui ne connaîtrait pas la civilisation des anciens par leur littérature.
+
+Ceux qui contestent si fort l'utilité du grec et du latin ne voudraient
+pas apparemment supprimer celle de la langue maternelle. Ils ignorent
+donc que le latin contenant les racines, c'est-à-dire, _la raison_ du
+français, si on en supprime l'étude, un enseignement supérieur de la
+langue française devient par là même impossible. Et ce coup, porté à la
+langue nationale, atteindrait, qu'on ne s'y trompe pas, l'intelligence,
+le goût, la vie même de la France! L'allemand, dit-on, tiendra lieu du
+latin. Quand l'allemand aurait la perfection du latin, ce qui n'est pas,
+là ne sont pas nos origines. Gardons-nous bien de soumettre ainsi
+gratuitement l'esprit français au génie germanique, en altérant ou en
+brisant nous-mêmes l'idéal du type collectif auquel la pensée publique
+emprunte ses formes.
+
+Tout ceci ne va pas à nier, à Dieu ne plaise! l'utilité de quelques-unes
+des réformes proposées par l'esprit de _réalisme_ qui, on en conviendra,
+nous domine de plus en plus; et si l'on reconnaît avec nous, que nul
+homme, nul peuple véritablement grand ne fut réaliste, nous sommes prêts
+à accorder que le temps consacré à l'étude des langues anciennes est
+beaucoup trop long; que les méthodes d'enseignement ont grand besoin
+d'être perfectionnées; qu'une distribution plus rationnelle, sinon une
+répartition plus égale des divers éléments de l'instruction publique,
+opérée avec sagacité et mesure, et l'admission dans les collèges de
+certaines branches d'étude qui se rapportent à l'exercice des
+professions non littéraires et même non libérales, seraient des
+innovations à la fois largement bienfaisantes et conservatrices à
+l'époque, où nous vivons.
+
+Au reste, pour déterminer un peu nettement ce que doit être l'Université
+de France au dix-neuvième siècle, il faudrait s'entendre sur cette
+question: Qu'est-ce que la France? Comme pour les Grecs au temps de
+Socrate, il nous semble qu'après tant d'utopies sans fondement, de
+théories sans élévation et de luttes sans moralité, le temps est venu
+pour les grandes nations de l'Europe de s'appliquer cette sage maxime:
+«Connais-toi toi-même.» Qu'est-ce donc que la France? Est-il impossible
+de trouver à rette simple et grande question une réponse à la fois
+positive et satisfaisante pour toute l'âme? Cette question résolue
+mettrait fin à tant de discussions? Que nos lecteurs y pensent un peu;
+nous y réfléchirons beaucoup de notre côté, et nous saisirons quelque
+occasion d'arriver ensemble, s'il est possible, à la lumière sur ce
+point capital.
+
+
+
+Courrier de Paris.
+
+LE GIVRE.--UNE RÉCONCILIATION.--LES DEUX YEUX.--UN ENFANT MORT EN BAS
+AGE.--LES PORTRAITS ET LES MODÈLES.--APPÉTIT MONSTRE.--UN MARI
+RECONNAISSANT.--L'AUTEUR ET LE DIRECTEUR.
+
+C'est une véritable trahison, et le printemps se conduit avec nous d'une
+manière indécente. Eh quoi! il nous sourit d'abord de son sourire le
+plus doux, il nous envoie de charmants rayons de soleil, il nous inonde
+de brises caressantes, il agite, sous nos fenêtres, des bouquets de
+feuilles et de fleurs précoces pour nous engager à sortir de nos
+demeures et pour nous attirer dehors, nous, pauvres innocents, coeurs
+crédules, âmes confiantes; nous, prisonniers des villes, que tout coin
+d'azur ravit et console, nous allons sur la foi de ces belles promesses.
+
+Voici Paris qui se répand de tous côtés, d'un air de fête, s'ébattant
+dans ses rues et dans ses promenades pareilles à une cage immense qui
+laisserait envoler ses oiseaux par milliers. Puis, tandis qu'on se fie à
+ces perfides caresses d'avril, tout à coup le ciel se voile, le vent
+souffle de sa bouche glacée des tourbillons de pluie et de grésil. Il
+faut voir comme cette foule gazouillante cesse ses joyeux ébats et
+s'enfuit par volées; les mains rentrent dans les profondeurs du paletot;
+les nez reprennent l'abri du foulard; mille gracieux petits visages
+féminins, qui commençaient à s'épanouir sous le frais chapeau de couleur
+printanière, s'enveloppent de velours et disparaissent sous le voile et
+dans la fourrure. Le printemps, qui se permet de pareilles
+plaisanteries, ne ressemble-t-il pas à ces soldats d'escarmouches,
+grands fabricants de surprises et d'embuscades? De même que ceux-ci se
+cachent derrière les haies et au détour des monts, pour lancer leurs
+fusillades de même avril masque de quelques rayons de soleil sa
+mitraille de neige et de vent. Pour nous, arbustes à deux pieds et trop
+souvent sans fleurs et sans fruits, le mal n'est pas mortel. Le premier
+moment paraît désagréable, je le confesse; il est toujours pénible de
+découvrir un traître dans un ami plein de sourires, et d'être gelé quand
+on a la bonhomie de compter sur le soleil.--Après tout, il nous reste
+l'abri du foyer et le toit de nos maisons.--Mais qui sauvera ces frêles
+habitants des vergers qu'avril a trompés et attirés dans ses pièges? Ils
+ont mis prématurément au jour leurs fleurs d'une blancheur éblouissante
+et d'un rose virginal, fleurs délicates, promesses embaumées des plus
+beaux fruits. Le givre leur donne le frisson et les tue; le fruit meurt
+dans sa fleur.--Et ce jeune enfant, plein d'espérances, qui succombe aux
+bras de sa mère, et ces génies qui s'éteignent à leurs premiers rayons,
+et ces rêves de bonheur, d'amour, de gloire, morts et ensevelis sur le
+seuil, n'est-ce pas aussi quelque givre d'avril qui les a glacés?
+
+Comment Longchamp n'aurait-il pas souffert de cette froidure? Comment ce
+vent aigu aurait-il épargné sa couronne?
+
+Madame Charles B... s'y est fait voir; c'est une des lionnes les plus
+rugissantes de la Chaussée-d'Antin; elle a cependant un mérite que
+beaucoup de panthères se refusent: madame Charles B... n'est ni
+médisante ni jalouse. Quoique coquette et fêtée, elle ne hait pas les
+jolies femmes; elle fait plus que ne pas les haïr, elle semble les aimer
+et les recherche. Ses soirées et ses bals offrent la collection, à peu
+près complète, de ce que Paris possède de plus exquis et de plus
+charmant en brunes et en blondes; ce sont les deux nuances qu'elle
+préfère à juste raison. Son plus grand souci est d'apprendre qu'il y a
+quelque part un piquant visage féminin dont elle n'a pas encore eu la
+visite. Aussitôt elle en entreprend la recherche avec l'ardeur de ces
+bibliomanes passionnés, de ces furieux antiquaires qui poursuivent un
+Elzévir ou une médaille, et maigrissent tant qu'ils ne les ont pas
+trouvés. Je vois cette différence entre eux et madame Charles B....,
+qu'ils aiment la médaille et l'Elzévir d'un amour égoïste et pour
+eux-mêmes, tandis que madame B.... ne fait des fouilles que pour les
+autres; elle veut qu'on dise: «Étiez-vous, hier, au bal de madame B...?
+il y avait toutes les jolies femmes de Paris!»--Les plus fins valseurs
+et le plus fin orchestre, les plus jolies femmes et les meilleures
+glaces, voilà l'ambition de madame de B...; de tout le reste, elle s'en
+inquiète fort peu.--Mercredi dernier, elle était à l'Opéra. Dans la loge
+placée en face de la sienne, une jeune femme, d'une remarquable beauté,
+attirait l'attention. On se demandait son nom, mais personne ne le
+connaissait.--«Ah! dit madame B..... qui n'en savait pas plus qu'une
+autre, il faudra que l'hiver prochain j'aie ces deux yeux-là dans mon
+salon?»
+
+Dans la trilogie des _Burgraves_, Job, âgé de cent ans, devait dire à
+Magnus, son fils, qui en compte soixante: «Jeune homme, taisez-vous!»
+Cette apostrophe m'a rappelé le mot d'un autre patriarche; celui-ci
+n'avait que quatre-vingts ans, et son fils en possédait cinquante. Le
+fils s'avisa de mourir subitement; on alla trouver le père; et lui,
+apprenant la fatale nouvelle, de s'écrier: «J'avais bien dit que je ne
+pourrais pas élever cet enfant-là!»
+
+Le salon de peinture est resté fermé toute la semaine; cette clôture de
+huit jours a jeté la désolalion dans le peuple des désoeuvrés; il y a
+toujours à Paris quelque lieu d'asile pour cette nation qui n'a rien à
+faire. Mais le salon est son paradis de prédilection; au 15 février, le
+flâneur, cette espèce errante de le flore parisienne, entre en
+possession du Louvre et n'en sort qu'au 15 mai. Le flâneur a donc été
+obligé de porter, cette semaine, sa tente ailleurs: le matin, à la place
+du Carrousel, au moment de la garde montante; et, le reste de la
+journée, à la grâce de Dieu. Après tout, le flâneur est philosophe et
+prend volontiers son parti: aujourd'hui au Champ-de-Mars, demain au
+rond-point de la Bastille, peu lui importe! Mais la classe véritablement
+et douloureusement frappée par cette clôture momentanée du salon, c'est
+l'estimable classe qui a son portrait à l'exposition de 1843. M. de
+Cailleux ne sait pas le mal qu'il lui a fait. Tous ces honnêtes gens
+avaient pris, depuis un mois, la douce habitude d'aller, de dix heures à
+quatre heures, se contempler eux-mêmes sur tuile et encadrés; les uns
+aimaient à se voir dans l'attitude héroïque d'un garde national
+patrouillant autour de sa mairie; les autres, majestueusement coiffés de
+leur bonnet d'avocat ou de leur toge magistrale; ceux-ci plongés dans la
+poésie du registre en partie double; ceux-là arrosant leurs tulipes, ou
+jouant au cheval fondu avec leur dernier né, ou souriant agréablement à
+la compagne de leur vie, occupée de leur broder des pantoufles. Être
+privé, pendant huit jours, de sa propre image, quelle douleur et quelle
+abstinence! Les portraits en bustes ne savaient que devenir, les
+portraits en pied tombaient dans la tristesse, les poitraits de famille
+perdaient le boire et le manger. Je ne plaisante pas; j'ai des preuves
+de ce que j'avance. Un de mes voisins s'est fait peindre cette année,
+lui et son chien, sa femme et son chat, son fils et son serin; c'est une
+peinture de famille au grand complet. Or, je n'ai pas mis le pied une
+seule fois au Louvre, sans rencontrer le père, la mère et l'eufant, se
+promenant de long en large devant leur propre tableau. Le serin
+manquait, il est vrai et le chat aussi. Le gardien avait sans doute
+exigé qu'on les laissât au dépôt des cannes.--Eh bien! toute cette
+semaine, mon voisin a été d'une humeur de dogue: il ne pouvait plus se
+mirer à l'huile dans sa propre image ni dans l'image des siens.
+Assurément, si on avait besoin d'apprendre combien l'homme s'adore
+lui-même, il suffirait de se mettre en vedette dans la galerie des
+portraits. Là vous rencontrez à chaque pas les modèles en extase devant
+leurs copies; et, par un admirable don de la Providence, ce sont les
+plus laids en réalité et en peinture, qui paraissent s'aimer le plus et
+faire avec le plus de satisfaction des petites mines à leurs portraits.
+
+En vérité, c'est effrayant! Avez-vous examiné le relevé statistique et
+officiel de la consommation de la bonne ville de Paris, pendant le mois
+de mars qui vient de finir? Mais on n'a jamais vu un pareil ogre! Le
+mois de mars 1842 s'était distingué par un assez bel appétit, je
+l'avoue; il avait fait cuire et assaisonner, en trente jours 5.721
+boeufs, 1.281 vaches, 5.439 veaux, 52.000 moutons. C'est quelque chose,
+surtout quand on songe ce que cette effroyable cuisine exige de grils,
+de casseroles et de marmites; mais enfin on peut s'en tirer. Interrogez
+le mois de mars 1843, s'il vous plaît; il vous répondra, en haussant les
+épaules, que son frère aîné de 1842 s'est tenu à la diète, et que, lui,
+1843 n'aurait fait de tout cela qu'une bouchée. 6.987 boeufs, 1.458
+vaches. 6.051 veaux. 38.128 moutons, voilà le menu de ce terrible mois.
+Quel petit souper!--On attribue généralement cette consommation
+extraordinaire de moutons et de veaux, à l'apparition des _Margraves,_
+ces hommes géants.
+
+M. V..... espérait en vain depuis longtemps le bonheur d'être père.
+Le ciel vient de mettre fin à son attente, et de combler tous ses voeux.
+M. V.... en a reçu hier l'heureuse nouvelle. Je ne chercherai pas à vous
+donner une idée de sa joie. Dans son transport, il a écrit à madame
+V.... la lettre que voici: «Ma chère amie, je te remercie beaucoup du
+fils que tu as bien voulu me donner.»
+
+On parle beaucoup, dans le monde dramatique, d'une aventure qui aurait
+un directeur et un auteur pour acteurs principaux. Le directeur se croit
+le droit d'accuser l'auteur de lui avoir fait une de ces délicates
+blessures dont plus d'un héros de Molière se plaint assez naïvement. Le
+directeur exposait son grief à un de ces amis intimes qui n'a jamais
+écrit une ligne de sa vie. Celui-ci cherchait à le consoler. «Me
+consoler, répliqua l'autre, me consoler, jamais! Si cela venait de ta
+part, si c'était toi, je ne dis pas; mais un homme d'esprit, un homme
+qui fait des pièces, c'est humiliant!»
+
+Le bruit court qu'un prince héréditaire d'Allemagne a retrouvé, au
+comptoir d'un café du boulevard Palien, la princesse sa fille, qui lui
+avait été enlevée au berceau il y a dix ans, sans qu'on eût jamais
+retrouvé ses traces. Nous éclaircirons cette nouvelle singulière dans
+notre prochain courrier.
+
+
+
+Premières Représentations.
+
+DE PIÈCES DE THÉÂTRE HISTORIQUES.
+ÉTUDES SUR LUCRÈCE.
+
+Lorsqu'une oeuvre dramatique dont le sujet est emprunté à l'histoire
+s'annonce dans le monde littéraire, l'homme d'étude se prépare à l'aller
+entendre en évoquant ses souvenirs; l'homme du monde interroge sa
+bibliothèque, et veut connaître au moins les données principales sur
+lesquelles l'auteur a construit sa fable. Ce travail, que font
+quelques-uns, pourquoi la presse ne le ferait-elle point pour tous?
+Toutes les fois que serait prochaine la représentation d'une grande
+pièce dont les récits de l'histoire forment la trame principale,
+pourquoi ne la ferait-on pas précéder d'une analyse des sources
+historiques où l'auteur a pu s'inspirer? Nous tentons de commencer ce
+travail par l'oeuvre d'un jeune homme qui nous est tout à fait inconnu,
+mais qui est déjà cité par quelques hommes de goùt et de sens, comme
+ayant fait consciencieusement un de ces ouvrages sérieux que repousse,
+depuis longtemps une décourageante ironie.
+
+L'événement qui fait le sujet de la tragédie que l'Odéon annonce n'est
+pas seulement un fait domestique plein d'intérêt et de grandeur, c'est
+aussi toute une révolution politique qui renversa la royauté romaine.
+«Sextus Tarquin, dit Montesquieu, en violant Lucrèce, fit une chose qui
+presque toujours a fait chasser les tyrans; car le peuple à qui une
+action pareille fait sentir sa servitude, prend d'abord une résolution
+extrême.»
+
+Disons quelques mots des personnages qui figurent dans la tradition
+historique.
+
+La haine de tous les siècles, malgré quelques apologistes, a poursuivi
+Sextus Tarquin digne fils du Superbe. C'est ce même Sextus qui
+s'introduisit dans Gabies assiégée, en se donnant pour victime de la
+colère paternelle, et qui, lorsqu'il se fut rendu maître de ses dupes,
+interpréta avec tant d'esprit les têtes des hauts pavots coupées par son
+père devant l'envoyé chargé de le consulter sur le sort des vaincus.
+
+Lucrèce, fille de Lucrétius Tricipitinus, épousa Collatin, parent de
+Tarquin. Collatin ne doit qu'à la vertu et au courage de sa femme, et
+son nom historique et l'honneur d'avoir été un des deux premiers consuls
+de Rome.
+
+Enfin un hasard providentiel comme on le verra par le récit qui suit,
+donna pour témoin à ce grand drame un homme dont la grandeur inconnue
+jusqu'alors créa la force et la gloire de Rome. L. Junius appartenait à
+une famille considérable: son père avait épousé une fille de Tarquin
+l'Ancien; Tarquin le Superbe, redoutant son crédit, le fit assassiner.
+Son fils aîné aurait pu le venger; il eut le même sort. Lucius Junius,
+son second fils, quoique fort jeune, comprit, dit Tite-Live qu'il ne
+devait laisser au tyran rien à redouter dans son caractère, et rien à
+désirer dans sa fortune. En effet. Tarquin, comme tuteur, administra les
+biens de l'orphelin qu'il avait fait, et, Junius contrefit l'insensé,
+cherchant dans le mépris la sûreté qu'il ne trouvait pas dans la
+justice. Il se hissa même surnommer Brute, pour qu'à l'abri de ce surnom
+le genie libérateur du peuple romain pût atteindre son heure. Th. Howe a
+réuni avec fidélité, dans sa vie de Junius Brutus, les traits de feinte
+démence que les auteurs ont rapportés de lui.
+
+Les principaux personnages étant ainsi esquissés, nous ne pouvons mieux
+faire, après avoir indiqué en passant le récit de Denys d'Halicarnasse
+et les vers ingénieux, mais froids d'Ovide dans ses Fastes, que
+d'essayer de traduire l'excellente narration de Tite-Live. Niebuhr
+n'hésite pas à l'appeler le chef-d'oeuvre de toute son histoire.
+
+La scène se passe au siège d'Ardée, que les Romains voulaient prendre
+par la famine.
+
+«Les jeunes princes passaient assez souvent leurs loisirs entre eux à
+des festins et des parties de plaisir. Un jour on buvait chez Sextus, ou
+soupait aussi Collatin Tarquin, fils d'Égérius; la conversation des
+convives tomba sur leurs femmes: chacun exalta la sienne. La discussion
+s'animait: «Il n'y a pas besoin de tant de paroles, dit Collatin; en peu
+d'heure, vous pouvez savoir combien ma Lucrèce l'emporte sur les autres.
+Si nous sommes jeunes et forts, montons à cheval, et allons voir par
+nous-mêmes ce que font nos femmes; chacun de nous tiendra pour preuve
+décisive ce qui frappera ses veux au retour d'un mari qu'on n'attend
+pas.» On était échauffé par le vin: «Allons!» c'est le cri général. Ils
+volent à Rome de toute la vitesse de leurs chevaux. Ils y arrivent à la
+tombée de la nuit, et de là poursuivent jusqu'à Collatie. Ils trouvent
+Lucrèce, non pas comme les brus rivales, dans la pompe d'un festin avec
+leurs compagnes, mais au milieu de ses appartements, et, malgré la nuit
+avancée, travaillant à la laine, entourée de ses femmes, qui veillaient
+comme elle. Dans la lutte engagée, le prix est décerné à Lucrèce; elle
+accueille avec grâce son mari et les Tarquins, et le vainqueur se fait
+un plaisir d'inviter les jeunes princes. C'est là que Sextus est saisi
+du criminel désir de déshonorer Lucrèce par la violence, désir qu'irrite
+tant de beauté jointe à tant de vertu. Après une joyeuse nuit, ils
+retournent au camp.
+
+«Peu de jours après, Sextus Tarquinius, à l'insu de Collatin, n'ayant
+qu'un seul homme de suite, vint à Collatie. On ignorait ses projets, on
+lui fait bon accueil, et après souper il est conduit à la chambre des
+hôtes. Quand tout lui paraît tranquille et livré au sommeil, brûlant
+d'amour, l'épée à la main, il va à Lucrèce endormie, et lui appuyant la
+main gauche sur la poitrine; «Silence. Lucrèce, lui dit-il, je suis
+Sextus Tarquin, j'ai mon épée; tu meurs si tu dis un mot.» Ainsi
+éveillée et saisie de terreur. Lucrèce ne voit aucun secours, et la mort
+est devant elle. Alors Tarquin fait l'aveu de son amour, conjure, mêle
+les menaces aux prières, emploie tous les moyens qui peuvent émouvoir
+l'esprit d'une femme; elle demeure inébranlable, insensible même à la
+crainte de la mort; il y ajoute la crainte du déshonneur. Il la tuera,
+dit-il, et près d'elle il placera le corps nu d'un esclave égorgé comme
+elle, afin qu'on dise qu'elle a péri surprise dans un ignoble adultère.
+Par cette terreur, le crime triomphe de la vertu obstinée de Lucrèce, et
+Tarquin part glorieux de sa victoire sur l'honneur d'une femme.
+
+Inconsolable d'un si grand malheur. Lucrèce envoie un messager à Rome
+et à Ardée, vers son père et son mari. Elle leur mande de venir chacun
+avec un ami fidèle: qu'il fallait agir et se hâter: qu'il était arrivé
+une chose affreuse. Sp. Lucrétius amène P. Valerius, fils de Volesus, et
+Collatin L. Junius Brutus, avec qui il retournait à Rome quand il avait
+rencontré le courrier de son épouse. Ils la trouvent assise dans sa
+chambre et désolée. A leur arrivée, ses larmes jaillirent: son mari lui
+demande si tout va bien: «Non, répond-elle, il ne peut y avoir rien de
+bien pour une femme qui a perdu l'honneur. Les traces d'un étranger sont
+dans ton lit, Collatin. Au reste, le corps seul a été souillé, l'âme est
+pure; ma mort en rendra témoignage. Mais donnez-moi vos mains et votre
+serment que l'adultère ne restera pas impuni. C'est Sextus Tarquin, qui,
+lâche ennemi quand j'avais cru recevoir un hôte, et s'armant de
+violence, a emporté d'ici, la nuit dernière, une joie mortelle pour moi,
+mortelle aussi pour lui, si vous êtes des hommes.» Tous, l'un après
+l'autre, lui donnent leur parole; ils veulent consoler son désespoir en
+rejetant la faute de la victime sur le coupable; ils lui répètent que
+l'âme seule peut faillir, et non le corps, et qu'où il n'y a pas eu de
+consentement, il ne peut y avoir de crime. «Vous verrez, leur
+répond-elle, ce qui lui est dû. Quant à moi, si je m'absous de la faute,
+je ne m'exempte pas du châtiment: nulle femme ne citera Lucrèce pour
+pouvoir vivre sans honneur.» Alors elle s'enfonce dans le coeur un
+couteau qu'elle tenait caché sous sa robe; elle tombe expirante sous le
+coup. Son mari, son père, poussent ensemble un cri d'horreur.
+
+Tandis qu'ils sont en proie à leur douleur, Brutus retire de la blessure
+le couteau d'où le sang dégoutte, et le tenant devant lui: «Par ce sang
+si pur avant l'outrage royal, je jure, et vous, dieux, je vous prends à
+témoins, je jure de poursuivre Tarquin le Superbe et sa scélérate
+épouse, et ses enfants et sa race, par le fer, par le feu, par toutes
+les armes qui seront en mon pouvoir; je jure de ne jamais souffrir ni
+qu'eux ni qu'un autre régnent dans Rome!» Il passe ensuite le couteau à
+Collatin, puis à Lucrétius et à Valerius, stupéfaits du prodige qui met
+une nouvelle âme dans la poitrine de Brutus. Ils font le serment qu'il
+leur dicte, et passant tout entiers du désespoir à la fureur, ils
+suivent Brutus qui les appelle et les guide à la destruction de la
+royauté.
+
+C'est là sans contredit un grand et magnifique tableau.
+
+Quoique Valére-Maxime ait appelé Lucrèce l'honneur et la gloire de la
+chasteté romaine, son héroïsme n'en a pas moins été l'objet de doutes
+railleurs et de suppositions peu bienveillantes. On a eu tort cependant
+de ranger saint Augustin au nombre de ses détracteurs. Saint Augustin
+n'examine que la question du suicide. Mais une foule d'écrivains
+inférieurs qui trouvent moyen de faire de petits quatrains avec de
+grandes choses, ont eu le triste courage de s'égayer au prix de tant de
+noblesse et de malheur. Depuis l'épigramme latine rapportée par Henri
+Etienne, jusqu'à la chanson de Marmontel, on pourrait citer une assez
+longue liste de ces esprits malheureux pour qui la chasteté n'est qu'une
+vertu équivoque et qui prête à rire. Un de nos plus grands écrivains
+n'a-t-il pas essayé de déshonorer la vierge qui sauva la France!
+
+Parmi les auteurs qui ont sérieusement discuté le mérite de Lucrèce, il
+en est qui ont porté l'égarement jusqu'à ne voir dans sa mort qu'un acte
+de fanatisme politique qui voulait à tout prix l'expulsion des Tarquins.
+D'autres ont cru que l'amour n'était pas étranger à la première partie
+de l'histoire de Lucrèce. Parmi ces derniers, il faut citer surtout le
+comte Verri dans ses Nuits romaines aux tombeaux des Scipions, en
+présence des ombres des plus glorieux Romains; l'ombre de Pomponius
+accuse Lucrèce de ne s'être tuée qu'après avoir reconnu que son
+déshonneur à demi volontaire serait révélé par l'indiscrétion de Sextus.
+Cicéron la défend mollement; Brutus le Jeune, avec plus de chaleur, veut
+repousser l'accusation et interpelle l'ombre de Lucrèce: Lucrèce, sourde
+à cet appel, s'appuie sur un tombeau, se tait et pleure.
+
+
+
+[Illustration et partition musicale: Tout mon amour.]
+
+Chronique musicale.--Concerts du Conservatoire
+
+Il va, à l'école royale de musique et de déclamation, une petite salle
+destinée originairement à servir de théâtre aux exercices des élèves, et
+disposée de telle sorte qu'elle peut devenir alternativement et selon
+qu'il convient, salle de spectacle, ou salle de concert. Là, point de
+lustre étincelant, point de tapis, de peintures, de dorures, rien de ce
+qui attire et éblouit la foule. Aucune salle peut-être, dans nos
+quatre-vingt-six départements, n'est plus modestement décorée, ni
+éclairée avec plus d'économie: aucune n'affecte un plus profond dédain
+pour le luxe et pour l'élégance extérieure. En revanche, il n'en est
+aucune assurément dont les portes soient assiégées chaque année avec
+plus d'empressement, et qui se remplisse d'un auditoire plus éclairé,
+plus attentif, plus difficile à satisfaire, et plus prompt à la
+reconnaissance et à l'enthousiasme, lorsqu'il est satisfait.
+
+[Illustration: (Salle des Concerts du Conservatoire.)]
+
+Voilà quinze ans que la société des artistes qui concourent à
+l'exécution des concerts du Conservatoire s'est organisée. Ce fut M.
+Habeneck qui, en 1828, les réunit et jeta les fondements de leur
+association. Depuis cette époque, il n'a pas cessé de les diriger. Le
+but de cet habile et savant musicien était, dans l'origine, de faire
+connaître au public les productions d'un homme de génie depuis longtemps
+illustre et vénéré en Allemagne, mais que la France n'avait pas encore
+compris. Seul, Habeneck avait déjà fait une étude consciencieuse et
+approfondie des procédés et du style de Beethoven; il avait deviné tous
+les secrets de ce génie mystérieux, et lui avait voué dans son coeur un
+culte pour lequel il cherchait partout des prosélytes. Déjà deux fois, à
+l'Académie royale de Musique, il avait tenté d'introduire les artistes,
+ses confrères, dans ce monde inconnu et merveilleux, créé par l'auteur
+des modernes symphonies. Deux fois il avait échoué. La formation de la
+société des concerts fut le signal de la troisième tentative. Celle-ci
+réussit plus complètement qu'Habeneck lui-même n'eut peut-être osé
+l'espérer.
+
+Nous n'essaierons pas de décrire les transports d'admiration et
+d'enthousiasme qui éclatèrent de toutes parts à l'apparition de ces
+chefs-d'oeuvre si hardiment conçus, si neufs de pensée et de forme, si
+riches de coloris, si vastes de proportions, si magnifiques
+d'ordonnance. Ce fut, pour la France artiste, comme la découverte d'un
+nouvel univers, et la révélation d'un nouveau dieu.
+
+L'orchestre, formé et dirigé par Habeneck, était en même temps une chose
+merveilleuse et tout à fait inattendue. On n'avait pas encore vu
+d'exemple d'une exécution purement instrumentale aussi intelligente,
+aussi habilement nuancée, aussi chaleureuse, aussi puissante. Dès le
+premier jour, cet orchestre incomparable parut avoir atteint les limites
+extrêmes de l'art, et pourtant il s'est perfectionné, depuis cette
+époque, d'année en année. Aujourd'hui sa réputation est établie dans
+toute l'Europe, et l'Allemagne, cette patrie de la musique
+instrumentale, n'en a pas un seul qu'elle puisse ni qu'elle ose lui
+comparer.
+
+Tous les ans la société donne huit ou neuf concerts. Chacun est consacré
+à l'exécution d'une des oeuvres symphoniques de Beethoven. Cela dure
+depuis quinze années, et l'admiration publique paraît encore aussi vive,
+aussi jeune que le premier jour.
+
+Malgré cette large place accordée à Beethoven, les autres maîtres de
+l'art ancien et moderne ont néanmoins conservé la leur. Marcello,
+Pergolése, Haendel, Gluck, Haydn, Mozart, Weber, Méhul, Chérubini,
+viennent figurer tour à tour dans cette lice glorieuse, et si les
+représentants de l'art italien y paraissent plus rarement et en plus
+petit nombre, c'est sans doute à cause de la difficulté qu'il y aurait à
+leur trouver des interprètes dignes d'eux. L'école italienne est
+essentiellement vocale, et malheureusement le chant, sauf de rares
+exceptions, a toujours été jusqu'ici la partie faible des concerts du
+Conservatoire.
+
+Nous ne pourrions nous étendre sur ce sujet, sans nous exposer à
+raconter ce qui est su de tous nos lecteurs. Cependant on ne nous saura
+pas mauvais gré, nous l'espérons, de jeter un coup d'oeil rapide sur les
+séances de cette année.
+
+Il y en a déjà eu six, et plusieurs ont excité un vif intérêt.
+
+Trois symphonies nouvelles ont été essayées:--La première, de M.
+Mendelshon-Bartholdy, l'un des compositeurs vivants les plus renommés en
+Allemagne;--la seconde, de M. Swencke, Allemand aussi, mais qui habite
+Paris depuis longtemps;--la troisième, de M. Rousselot. Celui-ci est
+Français, élève de notre Conservatoire, et même, si nous ne nous
+trompons, fit partie, pendant plusieurs années, de la Société des
+Concerts.
+
+M. Rousselot est jeune, et probablement l'ouvrage qu'il a fait entendre
+était son coup d'essai en ce genre. Du moins l'étendue excessive de
+quelques parties, l'abondance et peut-être la prolixité de ses
+développements, semblent nous donner le droit de le supposer. L'art de
+se borner, la force et le courage nécessaires pour supprimer sans pitié
+certains détails, et pour aller droit au but, sont presque toujours les
+fruits précieux et tardifs des années et de l'expérience. Peut-être
+encore pourrait-on désirer, dans la symphonie de M. Rousselot, plus de
+chaleur, plus de verve, et des idées d'une plus grande valeur; mais,
+s'il y a quelques défauts, il s'y trouve aussi de belles qualités, une
+entente remarquable de l'instrumentation, une extrême habileté de
+contre-pointiste. Personne ne sait mieux que lui prendre un sujet, lui
+donner mille positions, mille formes différentes, le présenter sous
+mille aspects divers. C'est même parce qu'il abuse quelquefois de ses
+ressources et de sa fécondité en ce genre, qu'il tombe dans
+l'inconvénient que nous signalions tout à l'heure. Son défaut n'est que
+l'excès d'une qualité. C'est donc, à tout prendre, un heureux défaut, et
+tout le monde comprendra qu'il est plus facile de modérer une faculté
+que l'on a, que de suppléer à une faculté qui nous manque. La symphonie
+de M. Rousselot est, en résumé, une oeuvre consciencieuse et fort
+estimable, et qui atteste un remarquable talent.
+
+A quelques modifications près, on en peut dire autant des ouvrages de
+MM. Swencke et Mendelshon-Bartholdy. Peut-être y a-t-il chez ces deux
+compositeurs une démarche plus assurée, une disposition de parties plus
+régulière. Cela prouve qu'ils n'en étaient pas à leur début, et que M.
+Rousselot est plus jeune qu'eux. Nous ne doutons pas qu'il ne se console
+aisément de ce malheur.
+
+Dans une discussion entre deux soeurs, l'une, faute de meilleures
+raisons, faisait prévaloir son droit de primogéniture. «Je suis
+l'aînée, dit-elle.--C'est-à-dire la plus vieille, répondit l'autre, je
+ne t'envie pas cet avantage.»
+
+Parmi les oeuvres de musique religieuse exécutées cette année, on a
+surtout distingué un magnifique motet de Chérubini, et deux fragments
+d'une messe de J. Haydn. Ces trois morceaux ont paru également
+admirables par l'élévation de la pensée et la puissance de l'exécution.
+
+Quand un artiste étranger vient à Paris, le plus grand honneur auquel il
+puisse aspirer c'est d'être admis à figurer aux concerts du
+Conservatoire. C'est là que Sigismond Thalberg s'est fait entendre pour
+la première fois. Ces! là que, cette année, Camille Sivori est venu
+établir ses droits à la succession de Paganini, qui était jusqu'à
+présent restée vacante.
+
+La sixième séance a été remarquable, non par la révélation d'un talent
+nouveau, mais par l'exhumation d'un chef-d'oeuvre oublié, ou peut-être
+inconnu en France. Madame Viardot, cette jeune cantatrice dont nous
+avons apprécié, dans notre dernier numéro, en parlant du
+Théâtre-Italien, le talent si brillant et si varié, a fait entendre un
+air de Pergolése, qui est assurément l'une des plus charmantes créations
+de ce grand homme. Rien de plus piquant, de plus gracieux, de plus
+élégant, de plus frais, et même de plus neuf que ce morceau.
+L'auditoire, d'abord surpris, bientôt ému et transporté, l'a salué
+d'acclamations unanimes, et l'a redemandé tout d'une voix. Madame
+Viardot s'est prêtée à ce désir avec une grâce parfaite, et n'y a rien
+perdu pour son propre compte. Moins préoccupé cette fois du compositeur,
+le public, a concentré son attention sur la cantatrice, et a compris
+tout ce qu'il y avait d'esprit, de délicatesse, d'élégance et de charme
+dans son exécution. Il s'est émerveillé surtout, et à juste titre, de
+voir ces qualités appliquées à une composition qui date de plus d'un
+siècle. Pour retrouver avec tant de précision les intentions d'un maître
+ancien, pour pénétrer tous les secrets d'un style qui a si peu
+d'analogie avec le style moderne, pour rompre aussi résolument avec
+toutes les habitudes et tous les préjugés musicaux d'aujourd'hui, il
+faut joindre à une intelligence supérieure un tact exquis et une
+érudition peu commune. Soutenir un compositeur vivant est beau, sans
+doute; mais il faut une bien autre puissance pour ressusciter un mort,
+et l'on ne s'étonnera pas que ce prodige, opéré si victorieusement par
+madame Viardot, l'ait encore élevée dans l'estime de tous les
+connaisseurs.
+
+
+
+Des Caisses d'Épargne.
+
+Les _Caisses d'Épargne et de Prévoyance_ ont pour objet de recevoir au
+fur et à mesure en dépôt les moindres économies des citoyens qui n'ont
+que leur travail journalier pour vivre, de faire fructifier ces modestes
+épargnes au moyen des ressources de l'intérêt composé, de les grossir
+enfin insensiblement jusqu'au moment où elles sont suffisantes pour
+avoir une destination utile, ou former un placement avantageux.
+
+Le dix-huitième siècle, qui ne connut, lui, que les tontines, ne pouvait
+que mettre en avant l'idée d'appliquer les intérêts composés. C'est ce
+qu'il fit. Mais ce fut seulement en 1810 qu'on vit surgir en Angleterre,
+pays de calcul et d'application pratique, la première caisse d'épargne
+véritablement digne de ce nom, une caisse gérée gratuitement et dotée
+des fonds nécessaires pour garantir ses engagements. Le nombre des
+caisses d'épargne depuis lors alla toujours en augmentant, et il y a
+quelques années, on en comptait dans le Royaume-Uni environ 500,
+dépositaires de 600 millions, qui appartenaient à plus de 500,000
+personnes. En 1818, une société anonyme, à la tête de laquelle étaient
+des hommes dont les noms ont été constamment entourés de l'estime et de
+la reconnaissance, publiques, fonda la Caisse de Paris sur des principes
+qui depuis ont servi de modèle aux autres. Outre le vénérable
+Larochefoucault-Liancourt, il nous sera permis de citer, parmi les
+fondateurs, deux honorables citoyens dont les noms se retrouvent à côté
+de toutes les institutions utiles et bienfaisantes, MM. François et
+Benjamin Delessert.
+
+Malgré l'exemple donné par la Caisse d'Epargne de Paris, on ne comptait
+en France, à la fin de la Restauration, que treize établissements de ce
+genre. Depuis cette époque, leur nombre s'accrut dans une progression
+rapide, et qui indiquait suffisamment que les masses commençaient à
+apprécier les bienfaits de cette institution. En 1836, il existait déjà
+220 caisses qui avaient au trésor 93 millions, dont la moitié environ
+avait été versée par la Caisse de Paris. Au 31 décembre 1839, le solde
+total des caisses était de 167,474,629 fr. 25 cent.
+
+Les lois des 5 juin 1835 et 31 mars 1837 modifièrent les bases sur
+lesquelles avaient été primitivement établies les Caisses d'Épargne. Le
+minimum de la somme à déposer est toujours cependant de 1 fr., sans
+fraction de franc. On ne peut verser plus de 500 fr. par semaine, et la
+somme appartenant à chaque déposant ne peut excéder 5,000 fr.; les
+sociétés de secours mutuels sont seules admises à avoir un dépôt de
+6,000 fr. La dernière de ces lois réalisa en même temps une grande
+amélioration en autorisant les Caisses à verser en compte courant leurs
+fonds au Trésor public, qui leur en paie un intérêt de 4 pour 100. Il
+opère aussi sans frais le transfert d'une Caisse à l'autre dans toute la
+France. L'État devient ainsi l'administrateur de la fortune publique et
+privée; payant un intérêt de 4 p. 100, il est dans la nécessité
+d'employer les sommes qui, auparavant, restaient inactives dans ses
+coffres. La Caisse, de son côté, paie aux déposants un intérêt, non plus
+de 5 p. 100, comme dans le principe, mais seulement de 3 fr. 75 cent.
+pour 100 fr. La différence entre 5 fr. 75 cent. et 4 fr. est bonifiée au
+profit de la Caisse, qui subvient, au moyen des ressources qu'elle en
+tire, à ses frais d'administration. Cette réduction d'intérêts s'est
+opérée sans secousse ni perturbation; car on avait déjà reconnu que les
+déposants avaient moins en vue un intérêt considérable qu'une
+accumulation successive de petits capitaux, la facilité de les retirer à
+volonté et la sûreté du placement.
+
+H y a trois classes d'individus auxquels les Caisses d'Épargne peuvent
+surtout être utiles; les domestiques et autres gens à gages, les
+ouvriers, les habitants des campagnes.
+
+Les premiers placent généralement mal leurs économies, en des mains peu
+sures. Désabusés aujourd'hui par tous les mécomptes et toutes les pertes
+qu'ils ont subis, ils commencent à se servir des Caisses d'Épargne.
+
+Les ouvriers ont eu plus de peine à en prendre le chemin. Les préjugés
+particuliers à cette classe, les tentations, de funestes habitudes, de
+mauvaises connaissances, les en ont bien longtemps empêchés. Peu à peu,
+toutefois, ils sont arrivés à se convaincre que les Caisses d'Épargne
+sont, suivant l'expression de M. de Cormenin, des écoles de moralité, où
+le travail, fondé sur l'intérêt personnel, maîtrise les vices et les
+mauvaises passions des hommes. «Il n'y a pas d'exemple, dit M. B.
+Delessert, qu'un porteur de livret ait été condamné par les tribunaux. »
+Le nombre des ouvriers déposants s'accroît dans une rapide progression.
+Aujourd'hui, ils forment la majorité des déposants nouveaux. Mais il
+n'en est pas de même dans les départements, pour les habitants des
+campagnes. Défiants et soupçonneux, ils ne veulent pas qu'on sache
+qu'ils ont de l'argent, ou bien ils se croiraient perdus s'ils le
+sortaient de la cachette où ils l'ont enfoui, et où il dort improductif
+jusqu'à ce qu'ils achètent un petit lot de terre. Que de capitaux ces
+habitudes inintelligentes n'enlèvent-elles pas à la circulation.
+
+En tête de toutes les Caisses d'Épargne du royaume, se place
+naturellement celle de Paris. Il ne sera sans doute pas sans intérêt
+d'extraire du rapport présenté par M. B. Delessert quelques détails sur
+sa situation.
+
+En 1841, la Caisse a reçu à divers titres. 40,041,548 f. 50 c.
+Elle a remboursé par contre. ...... 26,911,458 78
+
+Augmentation des versements sur les remboursements.
+ 13,130,009 52
+
+Au 31 décembre 1841, le solde du aux
+déposants était de........... 83,485,457 50
+
+En 1841, il y a eu 34,303 déposants nouveaux, dont 18,875 ouvriers, et
+7,200 domestiques. La moyenne de chaque versement a été de 141 fr.;
+celle de chaque remboursement, de 410 fr.; celle de chacun des 134,000
+livrets existants au 31 décembre 1841, de 619 fr. A cette même époque,
+les 285 Caisses d'Épargne des départements, non compris celle de Paris,
+avaient en compte courant à la Caisse des dépôts et consignations,
+157,988,002 fr.; en y joignant ce qui était dû à la Caisse de Paris,
+nous trouvons un total de 241,661,552 fr. et une augmentation totale de
+32,921,001 fr. pour la seule année 1841.
+
+Que de passions domptées, que de mauvais conseils repousses, que de
+vertus acquises pour amasser et conserver ces 241 millions! En prévenant
+de nombreuses douleurs, ces habitudes d'ordre et d'économie donnent de
+nouveaux gages à la paix, à la tranquillité publiques; car il ne faut
+pas s'y tromper, le pauvre qui commence à avoir une petite propriété
+cherche dès lors à se garantir, par une économie soutenue, contre les
+privations de l'indigence, et du moment où il a un petit pécule placé
+sur l'État, non-seulement il n'y attache pas moins d'importance que le
+plus fort capitaliste à ses trésors, mais il cherche sans cesse à le
+grossir. Si nous en voulions une preuve, il nous suffirait de citer un
+exemple. A l'occasion du mariage du duc et de la duchesse d'Orléans,
+40.000 fr. furent distribués entre 1,760 livrets, qui furent répartis à
+Paris entre autant d'enfants. Le nombre de ces livrets est encore
+aujourd'hui de 1,698, et la somme due aux jeunes déposants est de
+136.000 fr.: en quatre ans et demi elle s'est accrue de 97.000 fr.
+
+On voit donc de quel intérêt il peut être pour le pays et pour les
+individus d'augmenter le nombre des Caisses d'Épargne. Seconder le
+mouvement qui porte les petits capitaux vers ces utiles établissements,
+c'est répandre dans la population des éléments de sécurité et de
+bonheur.
+
+
+
+Longchamp.
+
+L'abbaye de Longchamp.--Mort de Philippe le long.--Henri IV et Catherine
+de Verdun.--Lettre de Saint Vincent de Paul.--Sermons prêchés à
+Boulogne.--Ermites du mont Valérien.--Conversion de mademoiselle
+Lemaure.--Les _Ténèbres_ à Longchamp.--Le musicien Lalande.--Longchamp
+sous Louis XV.--La Guimard et ses _armes portantes._--Equipage de
+mademoiselle Duthé.--Mademoiselle Cléophile.--Anecdote--M. le comte
+d'Artois (Charles X).--Efforts de l'archevêque de Paris contre
+Longchamp.--Arrestation de mademoiselle Rancourt.--Longchamp de
+1780--Carrosses de porcelaine.--Les princes à Longchamp--Modes de
+1784.--Voitures anglaises.--Mesdemoiselles Adeline et
+Deschamps.--Longchamp de 1787.--Parodie de Longchamp, par le marquis de
+Villette.--Interruption de Longchamp.--Modes de 1793.--Démolition de
+l'abbaye.--Renaissance de Longchamp.--Semaine sainte de l'an VIII.--Vol
+d'un couvert.--Longchamp de l'an X.--Verts inédits de Luc de Lancival.
+Longchamp en 1815.--Conclusion.
+
+En racontant l'histoire des moutons de Dindenout, Rabelais a écrit celle
+du genre humain. Dans la foule qui piétine, roule, ou chevauche à
+Longchamp, peu de gens se demandent l'origine de cette promenade
+annuelle. Nous y venons parce que nos pères y sont venus, c'est une des
+clauses de l'héritage que nous ont légué les générations précédentes, et
+que nous transmettrons à nos descendants. Les usages, une fois établis,
+trouvent une raison d'être dans leur existence même; plus ils durent,
+plus ils se consolident, et on les observe encore longtemps après en
+avoir oublié la cause première. Pourquoi ces flots vont-ils à la mer?
+parce qu'ils sont poussés par d'autres flots, et que, derrière ceux-ci,
+d'autres encore suivent la même pente invincible.... Mais qui s'inquiète
+de la source?
+
+On a beaucoup disserté sur Longchamp sans approfondir ce sujet si
+important dans l'histoire des moeurs parisiennes. Chaque écrivain,
+jugeant plus commode de copier servilement ses prédécesseurs que de
+recourir aux pièces originales, s'est contenté d'allégations
+incomplètes, de vagues généralités, de notions acceptées sans examen.
+Ces maladroits défrichements ont laissé le sol vierge encore, et nos
+études sur Longchamp seront, nous osons l'espérer, moins imparfaites que
+celles de nos devanciers.
+
+Au nord du village de Boulogne, entre le bois et la Seine, s'étend une
+plaine étroite qui doit à sa configuration le nom de Longchamp _(longus
+campus)_, et non pas Longchamps, comme on l'écrit sans égard pour la
+syntaxe et pour l'étymologie. Ce fut là que dame Isabelle de France
+bâtit, en 1250, le monastère de _l'Humilité de Notre-Dame_. Elle avait
+écrit à Méméric, chancelier de l'Université: «Je veux assurer mon salut
+par quelque pieuse fondation; le roi Louis IX, mon frère, m'octroie
+trente mille livres parisis; dois-je établir un couvent ou un hôpital?»
+Le chancelier opta pour qu'on ouvrit un asile à des nonnes de l'ordre de
+Sainte-Claire. La Révolution lui a donné tort: elle eût conservé
+l'hôpital, elle a démoli le couvent.
+
+L'origine royale de Longchamp lui valut le patronage des souverains.
+Saint Louis en visitait souvent les religieuses; Marguerite et Jeanne de
+Brabant. Blanche de France, Jeanne de Navarre et douze autres princesses
+y prirent le voile. Philippe le Long y mourut le 2 janvier 1321, d'une
+dysenterie compliquée de fièvre quarte. Pendant qu'il agonisait, l'abbé
+et les moines de Saint-Denis vinrent processionnellement l'assister,
+apportant comme remèdes un morceau de la Vraie Croix, un saint clou et
+un bras de saint Simon. L'application de ces pieuses reliques parut
+soulager le moribond; mais, suivant la chronique du _continuateur de
+Nangis_, la maladie étant revenue par la faute du roi, il fit son
+testament et expira.
+
+Longchamp, comme tous les autres monastères, comme toutes les
+institutions humaines, passa de la grandeur à la décadence, de la
+ferveur au relâchement, de la régularité au désordre. Saint Louis y
+avait maintenu la stricte observance de la règle; son petit-fils, Henri
+IV, y prit une maîtresse, Catherine de Verdun, jeune religieuse de
+vingt-deux ans, à laquelle il donna le prieuré de Saint-Louis de Vernon,
+et dont le frére, Nicolas de Verdun, devint premier président du
+Parlement de Paris. Cet exemple paraît avoir été fatal à la moralité de
+l'abbaye, à en juger par une lettre que saint Vinrent de Paul écrivait,
+le 25 octobre 1632, au cardinal Mazarin: «Il est certain, disait-il,
+que, depuis deux cents ans, ce monastère a marché vers la ruine totale
+de la discipline et la dépravation des moeurs. Les parloirs sont ouverts
+aux premiers venus, même aux jeunes gens sans parents. Les frères
+mineurs recteurs aggravent le mal; les religieuses portent des vêtements
+immodestes, des montres d'or. Lorsque la guerre les força à se réfugier
+dans la ville, la plupart se livrèrent à toute espèce de scandale, en se
+rendant seules et en secret dans les maisons de ceux qu'elles désiraient
+voir.....»
+
+Nous citons ce curieux passage, non pour dénigrer les nonnes de
+Longchamp, mais pour établir que les relations du couvent avec la
+capitale étaient fréquentes, et que les Parisiens préludaient par des
+promenades partielles à la grande promenade périodique. Plusieurs
+circonstances contribuaient à les entraîner vers ces parages. Dès le
+quinzième siècle, on allait à Boulogne entendre prêcher le carême par
+les cordeliers aumôniers de Longchamp. «En 1429, selon le _Journal de
+Charles VII_, frère Richard, cordelier, revenu depuis peu de Jérusalem,
+fit un si beau sermon, qu'après le retour des gens de Paris qui y
+avaient assisté, on vit plus de cent feux à Paris, en lesquels les
+hommes brûlaient tables, cartes, billes, billards, boules, et les femmes
+les atours de leur tête, comme _bourreaux de truffes_, pièces de cuir et
+de baleine, leurs _cornes_ et leurs _queues._ «En outre, il fallait
+passer par Longchamp pour monter au Mont-Valérien, habité par des
+ermites qui, au temps où Mercier rédigeait son _Tableau de Paris_, en
+1782, attiraient encore, après quatre ou cinq siècles, _un concours
+étonnant de peuple et de bourgeois_ Il y avait _fluxion_ sur ce point,
+et l'autorité ecclésiastique fut souvent obligée d'employer des mesures
+coërcitives. «Les évêques de Paris, dit l'abbé Leboeuf, ont toujours
+veillé à ce qu'un trop grand concours à Longchamp n'en troublai la
+retraite. La bulle du pape Grégoire XIII, sur un jubilé, en avait
+assigné l'église pour une des sept stations. Pierre de Gondi, évêque,
+mit l'église de Saint-Roch à la place de celle de Longchamp; et lorsque
+le pape eut appris ces raisons, il loua sa prudence par un bref que j'ai
+vu, daté du 10 mars 1584.»
+
+Ce fut au commencement du règne de Louis XV que se régularisèrent les
+excursions qui avaient pour fut l'abbaye. Une cantatrice célèbre,
+mademoiselle Le Maure, quitta théâtre en 1727, à la vive douleur du
+public, qui regrette toujours ceux qui prennent envers lui l'initiative
+de l'abandon. Des scrupules religieux avaient déterminé la retraite de
+mademoiselle Le Maure; mais le chant était sa vie; elle n'y put renoncer
+d'une manière absolue, et lasse de dire les amours _d'Armide_ ou
+d'_Alceste_, elle fit retentir de ses notes éclatantes les voûtes de
+l'église de Longchamp. Les saintes filles se formérent aux leçons de
+l'actrice; leur psalmodie lugubre devint un angélique concert et tout
+Paris accourut les entendre chanter _Ténèbres_ pendant la semaine
+sainte. L'abbesse, étonnée de ce succès, se mit en quête de belles voix,
+et demanda aux choeurs de l'Opéra. Les _dryades_ du _Triomphe de
+l'Amour_, les _divinités infernales_ de _Persée_, entonnèrent,
+concurremment avec les vierges du Seigneur, _quare fremuerunt gentes_,
+ou _miserere mei, Deus_. Les Parisiens se crurent au spectacle. On
+assiégea les portes, on s'amoncela dans la nef, on escalada les
+galeries, on monta sur les chaises, sur les tombeaux, sur les autels des
+chapelles. Ce fut, pendant plusieurs années, une effroyable cohue, une
+avalanche de bruyants visiteurs, l'invasion d'une petite église par une
+grande ville. Le jour enfin, les curieux, arrivant le mercredi saint aux
+portes de Longchamp, les trouvèrent fermées par ordre de M. de Beaumont,
+archevêque de Paris. Le pèlerinage annuel n'en continua pas moins.
+C'était une inauguration des promenades, une fête publique du printemps,
+une manifestation joyeuse en l'honneur du soleil et des toilettes
+d'avril, des nouvelles feuilles et des nouvelles modes, des beaux jours
+renaissants et des jolies femmes ranimées. C'était, à défaut des
+cantiques de Longchamp, un hommage rendu à celui qui vivifie la nature
+après l'hiver.
+
+En recherchant ce qui concerne les premiers Longchamp, nous n'avons
+exhumé qu'une seule anecdote. Lalande, musicien de la chapelle du roi,
+voulant aller à Longchamp, se rend chez le loueur de chevaux Mousset, et
+loue un cheval avec selle de velours, housse galonnée, bride et bridon
+d'or; il donne 9 fr. d'arrhes. En sortant de l'écurie, il rencontre
+trois de ses collègues, Daigremont, Douillet et Mondoville, qui
+l'invitent à monter avec eux dans une calèche et à les accompagner à
+Longchamp. Lalande répond qu'il vient de louer un cheval, mais que s'il
+peut retirer ses arrhes il sera volontiers de la partie. On retourne
+chez le loueur: «M. Mousset, dit Lalande, montrez-moi donc encore une
+fois le cheval que j'ai arrêté.--Le voici. Monsieur.--Savez-vous qu'il
+est bien court, votre cheval, et qu'il y a peu d'espace entre le cou et
+la queue? Car enfin, c'est moi qui paie: je prends la première place,
+voici celle de Daigremont, Doublet se tiendra là; mais je ne vois pas où
+diable sera placé Mondoville, et celui-là compte!»
+
+Le loueur, après avoir écouté attentivement ce calcul, se hâte de
+restituer les arrhes.
+
+De 1750 à 1760 Longchamp atteignit son apogée. C'était alors une
+solennité: grands seigneurs, diplomates, fonctionnaires publics,
+financiers et fermiers-généraux y faisaient assaut de luxe et
+d'élégance. A Naples, à Madrid, le roi lui-même par un sentiment de
+pieuse vénération, n'aurait pas osé monter en voiture pendant la semaine
+sainte: à Paris, au contraire, l'aristocratie préparait longtemps à
+l'avance les plus somptueux équipages, et les bourgeois modestes, ceux
+qui allaient ordinairement à pied, dérogeaient durant trois jours à leur
+habitude. Calèches, fiacres, cabriolets, carrosses de remise, chevaux,
+chaises à porteur, vinaigrettes, tous les véhicules disponibles étaient
+mis en réquisition. Dès le mercredi saint, une immense cohue encombrait
+les allées des Champs-Elysées et du bois de Boulogne. Les actrices y
+venaient briguer les applaudissements que les vacances de Pâques les
+empêchaient de chercher sur le théâtre. Les femmes qu'on appelait alors
+_les impures_, et qui doivent leur nom actuel au quartier qu'elles
+habitent, se montraient resplendissantes de diamants qui les paraient
+sans les éclipser. Les journalistes, les pamphlétaires, les peintres de
+moeurs, ne manquaient pas au rendez-vous général, et les nombreux
+documents qu'ils ont recueillis nous mettent à même de tracer, presque
+année par année, une monographie de Longchamp.
+
+La promenade de mars 1768 fut favorisée par la beauté du temps et de la
+douceur de la température. «Les princes, les grands du royaume, disent
+les _mémoires_ contemporains, s'y rendirent dans les équipages les plus
+lestes et les plus magnifiques.» L'héroïne de la fête fut la danseuse
+Guimard, que Marmontel avait surnommée la _belle damnée_. Elle parut
+_dans un char d'une élégance exquise,_ sur les panneaux duquel, pour
+mieux rivaliser avec les grandes dames, elle avait fait peindre des
+_armes parlantes_. L'écusson portait un _marc d'or,_ d'où s'élevait une
+plante parasite, un gui de chêne; les grâces servaient de supports et
+les amours de cimier. Ce blason révélait un lucre honteux; mais, sous ce
+règne, la licence étaient trop commune pour qu'il lui fût possible
+d'être effrontée, et l'un oublia l'imprudence de l'aveu pour ne songer
+qu'à l'esprit des emblèmes.
+
+Quelques années plus tard, en avril 1774, nous voyons la chanteuse Duthé
+succéder à mademoiselle Guimard dans les fonctions de _beauté à la
+mode_. Cet équipage doré, vernissé, traîné par six chevaux fringants,
+n'appartient point, comme on pourrait le croire, à une princesse du sang
+royal; il porte tout simplement la Duthé. Le mercredi et le jeudi saints
+elle excite l'admiration; on la proclame et elle se croit sans rivale;
+mais, le troisième jour un autre équipage, non moins doré, traîné par
+six chevaux non moins superbes, galope à côté du sien. Quelle était donc
+celle qui dressait ainsi carrosse contre carrosse, celle qui opposait sa
+piquante physionomie à la beauté fade et régulière de la Duthé? Une
+obscure élève d'Audinot, _danseuse en double_ à l'Opéra, la demoiselle
+Cléophile, qui devait une subite opulence à la protection du comte
+d'Aranda.
+
+Un an après, la Duthé faisait l'épreuve de l'inconstance du public. Au
+moment où son équipage entrait en ville, des groupes menaçants
+l'environnèrent; des huées, des sifflets, des cris d'indignation
+l'assaillirent avec tant de violence qu'elle fut obligée de rétrograder.
+Des bruits vagues, calomnieux peut-être, avaient provoqué cette
+explosion de mécontentements. Le comte d'Artois, marié depuis deux ans à
+Marie-Thérèse de Savoie, venait souvent _incognito_ de Versailles à
+Paris. «Las de _biscuit de Savoie_, disait M. de Bievre, il venait à
+Paris prendre _du thé_; et les Parisiens, d'ordinaire peu scrupuleux,
+avaient pris parti pour la comtesse délaissée.
+
+L'affluence d'actrices et de femmes équivoques faisait de Longchamp un
+spectacle assez scandaleux pour que l'archevêque de Paris cherchât à en
+arrêter les progrès, après en avoir entravé la naissance. Il pria le
+ministre de faire fermer les portes du bois de Boulogne durant la
+semaine sainte, par respect pour le jubilé de 1776; mais ses
+réclamations avortèrent, et la promenade eut son cours.
+
+La tragédienne Rancourt, la _prima donna_ du Longchamp de 1777 faillit
+n'y pas assister. Le 29 mars, resplendissante et fière comme si elle eût
+joué Roxane, elle s'apprêtait à monter en voiture. Vous pensez aller à
+Longchamp, madame; vous êtes toute au désir de plaire et de briller;
+mais vous avez compté sans vos créanciers. Vous n'avez pas aperçu les
+recors en embuscade autour de votre hôtel; les voici, ils vous
+entourent, ils s'emparent de votre personne, ils vous invitent poliment
+à coucher au Fort-l'Évêque. Heureusement qu'un homme généreux, mais peu
+désintéressé, en sacrifiant quelques milliers de louis, va vous rendre à
+l'ovation qui vous attend.
+
+Le Longchamp de 1780 fut des plus brillants, en dépit de la vivacité du
+froid. La file des voitures allait sans interruption depuis la place
+Louis XV jusqu'à la porte Maillot, entre deux haies de soldats du guet.
+Les voitures circulaient plus librement dans le bois, dont la garde
+avait été confiée à la maréchaussée. On signala comme des merveilles
+deux carrosses de porcelaine. L'un, occupé par la duchesse de
+Valentinois, avait pour attelage quatre chevaux gris-pommelé, dont les
+harnais étaient de soie cramoisie brodée en argent, le second
+appartenait à _une impure_, mademoiselle Beaupré. Il reparut l'année
+suivante avec un prince du sang, le duc de Chartres pour écuyer
+cavalcadeur, «ce qui, disent les _mémoires_ de Bachaumont, n'augmenta
+pas pour lui la vénération publique.»
+
+Malgré la présence de Monsieur, du comte et de la comtesse d'Artois, du
+duc et de la duchesse de Bourbon. Le Longchamp de 1781 fut triste.
+Pendant quelques aimées, il y eut diminution progressive dans le luxe et
+le nombre des équipages, quoique les modes eussent atteint un degré
+d'extravagance qui aurait du donner de la splendeur à la fête annuelle
+de la mode. C'était le temps des étoffes, _entrailles de petit-maître,
+soupir étouffé, jambe de nymphe émue, centre de puce en fièvre de lait:_
+les hommes étaient coiffés _à l'oiseau royal, au cabriolet, à la
+Ramponneau, à la grecque, à l'hérisson;_ les femmes portaient de
+gigantesques bonnets _à la Belle-Poule, à la d'Estaing, au ballon, à la
+Montgolfier, au Port-Mahon, au compte-rendu, aux relevailles de la
+reine_. Les carrosses massifs avaient été remplacés par des cabriolets
+importés d'Angleterre, _wiskys_ ou _garricks_, voitures légères, mais
+d'une si prodigieuse hauteur que le peuple disait, en les voyant passer:
+«Voilà des gens qui vont allumer les réverbères.» Il parut, au Longchamp
+de 1786, un _wisky_ dont la caisse disparaissait dans le brancard. Les
+laquais étaient assis sur le devant, et le cocher, placé derrière sur un
+siège élevé, dirigeait les chevaux par-dessus la tête de ses maîtres.
+Les beautés remarquables et remarquées de cette même année furent les
+demoiselles Adeline et Deschamps, appartenant toutes deux à la
+_Comédie-Italienne_ La première avait reçu de M. de Weymeranges,
+intendant des postes et relais, un présent de mille louis pour son
+_longchamp_. La seconde est nommée par Delille dans _une épître sur le
+luxe:_
+
+ Cette beauté vénale, émule de Deschamps,
+ Des débris de vingt ducs scandalise Longchamps.
+
+Une modification essentielle, introduite au Longchamp de 1787. lui
+rendit momentanément son éclat primitif. On renonça à suivre la route
+inégale et sablonneuse de l'abbaye, pour adopter l'allée qui va de la
+Muette à Madrid. «Depuis longtemps, écrit l'annaliste Bachaumont, on ne
+se rappelle pas avoir vu tant de monde, tant de voitures aussi belles et
+aussi bizarres: les _wiskys_ y brillaient surtout. Beaucoup de
+petits-maîtres, beaucoup de dames avaient fait faire une voiture
+différente pour chaque jour. Un _wisky_ plus bizarre et plus galant que
+les autres a fait pendant ce temps la matière des conversations. Ce
+_wisky_ était surmonté d'une Folie avec sa marotte; dedans étaient
+quatre marionnettes, deux de chaque sexe, saluant à droite et «gauche
+sans cesse; tout cela était mené par un ânon joliment harnaché, et un
+jockey dirigeait l'animal. On lisait sur la voiture: _D'où viens-je? où
+vais-je? où suis-je?_ On l'a appelé la _parodie de Longchamp_, dont en
+effet on semblait vouloir faire la critique. Quoi qu'il en soit, ce
+concours a dû satisfaire le marquis de Villette, qui passe aujourd'hui
+pour l'auteur.»
+
+La révolution suspendit Lonçchamp. Comment l'aurait-on solennisé? Tous
+les chevaux avaient été accaparés pour le service des quatorze armées,
+et le sang coulait sur la place ci-devant de Louis XV. Si quelques
+voitures avaient osé s'aventurer dans les Champs-Elysées, elles auraient
+rencontré chemin faisant les charrettes chargées de victimes. Longchamp
+tomba en même temps que la monarchie. Ne pensez pas toutefois que la
+mode ait complètement perdu son empire. Exilée de Longchamp, elle se
+réfugiait dans les _galeries de bois_ C'était au Palais-Égalité qu'on
+voyait les redingotes _à la Zutime_ en _pékin velouté et lacté;_ les
+douillettes _à la laponne_ en _florence unie_; les habits _à la
+républicaine_: les _caracos à la Nina_; les robes _à la turque, à la
+persienne, à la Psyché, au lever de Venus_. Où diable la mythologie
+va-t-elle se nicher?
+
+Cependant l'on abattait sans pitié le vieux monastère; on brisait les
+nombreux tombeaux de l'église édifiée par sainte Isabelle, et les
+cendres de la fondatrice, de Jeanne de Bourgogne, femme de Philippe le
+Long, de Jeanne de Navarre, de Jean II, comte de Dreux, étaient
+dispersées par des mains profanes. Longchamp semblait mort avec la
+religion qui l'avait enfanté; les vainqueurs de thermidor le
+ressuscitèrent. Nous sommes en germinal an V (avril 1797). La terreur
+est anéantie, l'échafaud renversé, la _jeunesse dorée_ triomphante;
+Longchamp va renaître pour les ébats des parvenus du Directoire. «Le
+peuple, dit le _Miroir_ du 26 germinal, commence à voir que ces
+opulentes niaiseries lui sont de la plus grande utilité. On ne peut
+compter le nombre des couturières, des marchandes de modes, que nos
+jolies promeneuses ont fait travailler, pour fixer les regards pendant
+cette fête, qui, en elle-même, ne ressemble à rien. Pendant que les
+amours s'occupent de leur parure, les forgerons, les charpentiers, les
+selliers, travaillent sans cesse à confectionner, à équiper les chars et
+les chevaux qui doivent traîner cette foule élégante et badine. Gloire à
+Longchamp, aux niais qui y galopent, aux badauds qui les considèrent!
+Ils font travailler, ils font vivre le pauvre monde.»
+
+En vertu de ces doctrines, exprimées dans un style qui exhale un parfum
+d'ancien régime, les Parisiens se portent à Longchamp, le jour du
+_ci-devant_ mercredi saint. On brave la pluie; on veut reconnaître les
+lieux; mais il y a encore peu d'élégantes voitures, et l'on ne distingue
+qu'un seul équipage à quatre chevaux, conduits par des jockeys vêtus à
+l'anglaise. Le jeudi, les équipages, plus nombreux, vont et reviennent
+sur deux lignes parallèles. La citoyenne Tallien, la citoyenne Récamier,
+la citoyenne Lange, la citoyenne Mézerai, du théâtre Louvois, la
+danseuse Lanxade, ont les honneurs de la journée. Le vendredi, on compte
+deux mille voitures. Les héroïnes de la veille reparaissent avec des
+toilettes différentes. L'écuyer Franconi a réuni ses musiciens dans une
+vaste _gondole_, qu'escorte une foule d'écuyers, et donne un concert
+ambulant aux promeneurs, depuis la place Louis XV jusqu'à Bagatelle. Des
+troupes à pied et à cheval, des agents de police, sont distribués sur
+toute la route; car le gouvernement est averti qu'une _grande
+conspiration_ se prépare, et qu'on doit profiter de Longchamp pour
+prendre le _Chemin de Ia Révolte_. Comme un symbole, de l'aristocratie
+déchue, se montre à cette fête une calèche de forme antique, lourde et
+vermoulue, conduite par deux maigres laquais, et péniblement tiraillée
+par deux maigres haridelles. A l'entrée des Champs-Elysées s'est formé
+un groupe d'humoristes, qui narguent le faste des nouveaux enrichis.
+«Tiens, voici un ex-jacobin.--Celui-ci est un valet qui a dénoncé son
+maître.--Voilà un comité révolutionnaire: le père, la mère, le fils,
+tout en était...» Le soir, les _citoyennes_, en costume d'amazone, ou
+habillées _à la grecque_ et étincelantes de diamants, vont au théâtre
+Feydeau entendre Garat chanter _Enfant chéri des Dames_ et l'air
+d'_Alceste: Au nom des Dieux._ Voilà Longchamp reconstitué!
+
+Diverses particularités signalèrent la semaine sainte de germinal an
+VIII (1798). Le _vendredi saint_ fut en même temps le _mardi-gras;_ on
+confondit le carême et le carnaval. Il y eut un _bal masqué_ le _jeudi
+saint_, et le lendemain on exécuta le _Stabat_, au grand mécontentement
+des vieux hébertistes. Les _merveilleux_ de l'an VIII figurèrent à
+Longchamp en habits gros bleu, brodés en soie bleu-de-ciel, à _collet
+triplement juponné_, avec cravates nouées sur le côté gauche, gilets _à
+la débâcle_, et demi-chemises de batiste. Les couleurs chamois, serin et
+violet, dominaient dans les ajustements des dames. Quelques robes
+étaient bleu-clair recouvertes de linon. La coiffure en vogue était le
+fichu-marmotte sur un chapeau de paille.
+
+Le soir du vendredi saint, un jeune homme entre chez le restaurateur
+Naudet; il commande une _bisque aux écrevisses,_ un vol-au-vent, une
+_suprême_, des biscuits à la crème et une bouteille de Volney. Il mange
+vite; et, comme par distraction, met un couvert dans sa poche. Madame
+Naudet s'en aperçoit, et sans esclandre, elle ajoute sur la carte: un
+couvert d'argent, 54 fr. Le _merveilleux_, en payant, se contenta de
+dire: «Je ne croyais pas que la carte montât si haut.»
+
+En l'an X, Longchamp a repris racine, et inspiré des vers à Luce de
+Lancival, un des grands poètes de l'Empire:
+
+ Célèbre qui voudra les plaisirs de Longchamps:
+ Pour moi, je choisis mieux le sujet de mes chants;
+ Mon pinceau se refuse à la caricature.
+ J'abandonne à Callot la grotesque figure
+ Du dédaigneux Mondor, brillant fils du hasard,
+ Pompeusement assis au fond du même char
+ Dont naguère il ouvrait et fermait la portière;
+ Ce fat, tout rayonnant de son luxe éphémère,
+ Et qui, pour trois louis, s'estime trop heureux
+ De louer un coursier qui sera vendu deux;
+ Et nos Vénus, sortant de l'écume de l'onde,
+ ui prennent le grand ton pour le ton du grand monde,
+ Et pensent ennoblir leurs vulgaires appas,
+ En affichant le prix que les paie un Midas.
+ Ce qui déplaît à voir n'est point aimable à peindre,
+ Et Longchamp me déplaît, à parler sans rien feindre.
+ Tout Paris à Longchamp vole. Qu'y trouve-t-on?
+ Maint badaud à cheval, en fiacre, en phaéton,
+ Maint piéton vomissant mainte injure grossière,
+ Beaucoup de bruit, d'ennui, de rhume et de poussière.
+
+Tel est encore Longchamp de nos jours; car depuis l'an VIII, il n'a plus
+été interrompu, même lorsque les chevaux des Cosaques rongeaient les
+arbres des Champs-Elysées, et que la hache des sapeurs ennemis décimait
+le Bois de Boulogne.
+
+C'est toujours le même programme, exécuté de la même manière; ainsi,
+cette année, on s'est occupé de Longchamp plusieurs mois à l'avance. La
+_fashion_ noble ou financière a fait renouveler ses équipages. Les
+_lions_ ont demandé des tilburys et des _wurks_ à Desouches-Touchard,
+des habits à Humann, des cannes à Verdier. Les élégantes se sont
+pourvues des capotes d'Alexandrine, des chapeaux de Lemonnier-Pelvey,
+surmontés des plumes de Zacharie. Et que d'étoffes nouvellement
+inventées par nos industriels! _échelle orientale, droguet catalan,
+pékin en camaïeux, lampas burgrave, étoile polaire, caméléon fleuri,_
+etc. Tout cela a été préparé sous l'influence d'un printemps hâtif, et
+le retour inattendu du froid a déçu bien des espérances, retenu bien des
+promeneurs au coin du feu, bien des voitures sous la remise; néanmoins,
+quoique les Champs-Elysées fussent déserts le mercredi, jour de pluie et
+de giboulées, on y a vu, malgré l'incertitude du temps, un public de
+choix le jeudi, et une très-grande affluence le vendredi. M. Gabriel
+Delessert avait, suivant l'usage, publié une ordonnance pour prévenir
+tous accidents et désordres pendant les promenades de Longchamp, avec
+défense de rompre la file, de conduire des voitures dans les
+contre-allées, de monter sur les arbres et sur les candélabres destinés
+à l'éclairage public. Ces mesures n'ont pas été inutiles le dernier
+jour, car la foule est revenue avec le soleil; deux lignes de voitures
+s'étendaient de la place de la Concorde à la porte Maillot; c'était le
+mardi-gras, moins les masques. Au milieu de la chaussée, circulaient les
+équipages armoriés, les calèches de la Chaussée-d'Antin, et celles de
+quelques actrices assez jolies pour avoir voiture avec deux mille francs
+d'appointements. A l'entour, des _sportsmen_, en habit _fumée de
+Londres_, caracolaient sur leurs nouvelles montures; des commis
+s'évertuaient à modérer le langage de leurs _locatis_; de gracieuses
+cavalières paradaient en amazones de _casimirienne_ à boutons d'or, à
+manches _amadis_. Dans les contre-allées erraient les curieux vulgaires,
+les spectateurs désoeuvrés, qui contribuent eux-mêmes à former le
+spectacle.
+
+[Illustration.]
+
+Voilà le Longchamp de cette année; ce sera sans doute, avec de légères
+variantes, celui de 1844. Longtemps encore, toujours peut-être, on verra
+les modes nouvelles s'épanouir durant ces trois jours consacrés. Comment
+voulez-vous que cet usage périsse? Il est devenu en quelque sorte une
+des fonctions de note organisme. Il est protégé par la coquetterie des
+femmes, l'orgueil des riches, l'intérêt des commerçants. Qui pourrait
+ébranler un édifice assis sur les bases aussi éternelles?
+
+
+
+La Vengeance des Trépassés.
+
+NOUVELLE.
+(Suite.-Voyez p. 73 et 89.)
+
+[Illustration.]
+
+§ 3.--Le Moulin.--La famille de Ponce-Pilate.
+
+Mille terreurs, mille soupçons s'élevaient dans le coeur des fugitifs,
+qui n'osaient encore se les communiquer. Ils allaient sans parler,
+respirant à peine, livrés tour à tour à l'espoir d'être sauvés et à la
+crainte d'être trahis. Tout à coup on leur barre le chemin; dans la
+nuit, une figure humaine est debout devant eux, une main se pose sur
+l'épaule de don Christoval qui marchait le premier, et une douce voix
+connue leur dit: _C'est moi_. Trop tard! don Christoval avait déjà
+frappé. La pauvre Rachel ne jeta pas un cri; mais elle ajouta aussitôt:
+«Je suis morte! vous avez tué votre libératrice.» En même temps
+l'abîme ténébreux dans lequel ils étaient plongés tous trois s'ouvrit
+comme par enchantement et laissa apercevoir l'immensité du ciel brillant
+d'étoiles. Rachel, par un dernier effort, poussa en avant ses protégés,
+et lorsque, après avoir fait un pas, ils se retournèrent vers elle, la
+porte s'était remise à sa place, le rocher était refermé, tout était
+silencieux et immobile.
+
+Leur premier mouvement fut de tomber à genoux pour remercier Dieu. Ils
+se trouvaient dans une prairie couverte d'une herbe haute et touffue;
+derrière eux s'élevait un énorme massif de rochers sur lesquels avaient
+crû çà et là des chênes et des pins, dont les spectres noirs et
+mélancoliques se dessinaient sur le ciel doucement éclairé d'une lueur
+crépusculaire. La sinistre maison devait être située derrière ces
+rochers, car on ne la découvrait nulle part, en sorte que rien ne
+souillait la pureté de ce paysage. Au sortir d'une atmosphère chargée de
+vapeurs de sang. Léonor et Christoval respiraient avec délices, et cet
+air embaumé leur rendait les forces dont ils avaient tant besoin.
+
+Don Christoval cherchait la meilleure direction à suivre, quand leur
+oreille fut frappée d'un bruit lointain et régulier. Ils reconnurent le
+tic-tac d'un moulin; ils se dirigèrent de ce côté, en marchant avec
+toute la vitesse possible dans cette grande herbe où il leur eût été
+facile de se cacher, même en plein jour. Le bruit devenait plus
+distinct; il semblait que ce fût une voix amie qui les appelât. Au bout
+d'un quart d'heure, ils distinguèrent la maisonnette du meunier. Mais un
+obstacle imprévu les arrêta court: ce fut le ruisseau qui faisait
+tourner le moulin. Heureusement ils crurent distinguer quelqu'un près de
+la maison. Don Christoval, d'une voix forte dont il tâchait pourtant de
+calculer et de ménager la portée, cria: _Au secours!_ et aussitôt un
+homme accourut vers eux. Quand il fut sur le bord du ruisseau. Léonor ne
+put se tenir de lui crier à son tour _sauvez-nous!_ l'homme ne répondit
+qu'un mot _attendez!_ et il disparut. Au bout de cinq minutes il revint
+avec une planche qu'il jeta sur le ruisseau, et les amants se crurent
+sauvés en touchant l'autre rive.
+
+Le meunier n'attendit pas leurs questions: «Vous venez de
+là-bas?--Hélas! oui.--Par quel miracle vous êtes-vous échappés?--Nous
+avons été délivrés par un ange qui a été bien mal payé de ce bienfait.
+Mais vous savez donc....--Je sais tout. Vous n'êtes pas les premiers qui
+se sauvent ici. Oui, la Rachel est un ange parmi les démons. Aussi je
+commence à leur devenir suspect; mais n'importe, venez; nous trouverons
+moyen de vous cacher comme ceux d'il y a un mois.»
+
+Ils touchaient au seuil de la porte, lorsqu'on vit soudain des lanternes
+courir le long de l'eau, dans la prairie. Elles descendaient vers le
+moulin, et l'air retentissait de ces cris: Juan! Juanito! Juan! Juan!
+«Les voici, dit le meunier; ils veulent passer. Carmen, dit-il à la
+meunière qui était sortie au-devant d'eux, Carmen, cache ces étrangers.
+» En même temps, il tourna les talons; et, comme l'on continuait à
+crier: Juan! Juanito! il se mit à répondre de toutes ses forces: «Oui,
+maître, oui! me voilà! me voilà!
+
+--Ils seront bientôt ici, dit la meunière; vite, vite, fourrez-vous dans
+le bluteau. Là!... bon!... Entassez-vous tant que vous pourrez dans la
+farine. C'est cela! et ne bougez.» La bonne Carmen ayant laissé retomber
+le couvercle de toile et fait un signe de croix sur le bluteau, alla
+s'asseoir près du berceau de son enfant, et se mit à le bercer en
+chantant une vieille romance sur le Cid.
+
+Bientôt la porte s'ouvrit avec impétuosité, et trois hommes se
+précipitèrent dans la chambre. Juan les suivait. Sans dire une parole,
+ils coururent au lit, le visitèrent par-dessous avec leurs lanternes;
+ils levèrent même les couvertures. Ensuite ils ouvrirent l'armoire; en
+un mot, ils fouillèrent dans tous les coins et recoins dont ils purent
+s'aviser, mais, par bonheur, ils ne s'avisèrent pas du bluteau. Enfin
+l'un d'eux rompit le silence, et ce fut pour s'écrier avec des jurements
+horribles: «Malheur à eux, si nous les rattrapons, les traîtres, les
+scélérats, qui ont volé nos bons maîtres! ils le paieront cher! Et toi,
+Juan, si l'on découvrait que tu aies favorisé leur fuite, que tu es leur
+complice, ton affaire serait bientôt faite, ainsi qu'à ta femme et à ton
+marmot!
+
+--Vous me faites tort, mes braves camarades, répondit le meunier.
+J'atteste le ciel que je voudrais avoir ces coquins en ma seule
+puissance, les tenir là, à ma discrétion, et je vous montrerais bientôt
+quel homme je suis! Mais je puis vous garantir qu'ils n'ont pas pris de
+ce côté; ou, s'ils y sont venus, le ruisseau leur aura fait rebrousser
+chemin, et je n'en ai point vu. Probablement ils se seront jetés sur la
+route de Jaen. En tout cas, ils ne peuvent manquer d'être rejoints,
+puisque vous me dites que toute la maison est à leurs trousses. Mais
+vous n'avez plus rien à faire ce soir; vous devez être fatigués; ne
+voulez-vous pas vous rafraîchir?
+
+--Volontiers, ami Juan, répondit un autre qu'à sa voix, don Christoval
+reconnut pour le portier qui les avait d'abord repoussés; mais nous
+avons déjà soupé, il nous faut peu de chose.
+
+--Un bon beignet de pâte, à l'huile, arrosé d'une outre de vin vieux,
+dit Carmen. Nous avons de l'huile admirable; et quant au vin, vous m'en
+direz des nouvelles.»
+
+Les quatre hommes s'assirent autour de la table. Carmen prit un plat
+creux, s'approcha du bluteau, leva le couvercle, et puisa de la farine
+pour faire son beignet, affectant de rester longuement devant le bluteau
+ouvert. Cependant un des bandits qui n'avait pas encore parlé: «Que
+j'aurais du plaisir, dit-il, à planter mon poignard au coeur de ces
+misérables, comme cela!...» En achevant ces mots, il enfonçait son
+poignard au milieu de la table avec rage. L'arme se tint debout en
+tremblant; la lame avait pénétré dans le bois à six lignes au moins de
+profondeur.
+
+«Carmen, dit le meunier, arrête le moulin. Il est une heure passée;
+c'est aujourd'hui dimanche..., et apporte-nous l'outre.» Le souper
+commença et la conversation continua de plus en plus animée et enjolivée
+de mille plaisanteries atroces ou indécentes. Le meunier faisait le bon
+compagnon, enchérissant sur ses convives, et avait soin de les faire
+boire largement, en s'épargnant lui-même sans qu'il y parût. Enfin, il
+joua si bien son jeu, qu'ils sortirent du moulin plus assurés que jamais
+du dévouement du meunier et complètement ivres, à ce point, qu'en
+repassant le ruisseau, l'un de ces honnêtes gens y tomba, et y fût
+resté, s'il se fût trouvé en la seule compagnie de l'honnête Juan.
+
+Léonor et Christoval furent tirés de leur asile, tellement enfarinés de
+la tête aux pieds, que leur visage et leurs mains ressemblaient à ceux
+d'une statue de marbre blanc. En les voyant dans cet état, le meunier et
+sa femme firent de grands éclats de rire, auxquels eux-mêmes prirent
+part très-volontiers. «Vous voilà hors du plus grand péril, dit Juan;
+mais ce n'est pas tout: il faut trouver moyen de gagner la ville voisine
+sans être découverts, car nous sommes toujours sur le domaine de vos
+ennemis. Or, ils sont puissants et vigilants! et, s'ils vous
+surprennent, il n'est point de violence qu'ils ne se permettent pour
+s'assurer de vous et vous empêcher de découvrir leurs crimes à la
+justice. Le point du jour approche; voici ce qu'il faut faire: vous
+allez prendre un de mes habits, et cette jeune dame fera à ma femme
+l'honneur de revêtir un des siens. Nous partirons avec ma voiture. Vous
+savez conduire une voiture? Vous conduirez donc la mienne à pied, et
+madame et moi serons assis sur les sacs: elle pourra même faire semblant
+de dormir, cela fera que, si l'on nous rencontre, l'on aura moins de
+soupçons; car je suis connu dans le pays, et vous passerez pour mon
+garçon de moulin.»
+
+--Rien n'est mieux arrangé, reprit don Christoval; dites-moi seulement
+comment il se peut faire qu'un si honnête homme que vous soit au service
+d'une troupe d'assassins.--Je vous conterai tout cela en route, dit le
+meunier. Nous n'avons pas de temps à perdre.»
+
+Les travestissements finis et la voiture préparée, l'on partit. L'aurore
+n'était pas encore levée, mais une ligne rouge, qui enflammait l'horizon
+du côté de l'orient annonçait son approche. Au fond de la voûte céleste
+les étoiles avaient disparu sous un voile grisâtre; et, à l'extrémité
+opposée, la lune brillait encore, pale et légère, dans un ciel bleu.
+L'air était frais et calme; les oiseaux se taisaient, endormis dans les
+vieux oliviers qui bordaient la route, et le silence universel attestait
+que la nature n'était pas encore réveillée. On sait que, par l'effet
+d'un de ces mystères dont notre vie est tissue, cette heure matinale
+verse au coeur de l'homme l'espoir et la confiance, comme la venue des
+ténèbres y jette le découragement et la terreur. Nos voyageurs, dans
+cette heureuse disposition qu'inspire le retour de la clarté, sortirent
+du moulin, Christoval, en équipage de garçon meunier, un fouet à la
+main, Léonor en habit de paysanne. Ils embrassèrent la bonne Carmen, qui
+pleurait et ne pouvait s'empêcher d'avoir peur, et l'on se sépara pour
+ne jamais se revoir, selon toutes les apparences. Ainsi va la vie!
+
+Tous trois étant montés sur la voiture, Juan et Léonor assis côte à côte
+et don Christoval sur le devant, comme celui qui conduisait les chevaux,
+le meunier prit la parole en ces termes: «Regardez entre les arbres:
+voyez-vous là bas la maison isolée enveloppée d'une petite vapeur
+blanche? Tenez, voilà le premier rayon du soleil qui l'éclairé. C'est là
+que vous devriez être à cette heure, étendus sans mouvement et sans une
+goutte de sang dans les veines, au lieu de rouler tranquillement comme
+nous faisons, sur une bonne route bien sablée. Il est certain que Dieu a
+opéré miraculeusement en votre faveur.
+
+«Il y a trois ans que cette famille vint s'établir dans le pays. Nul ne
+les connaissait, et personne, aujourd'hui même, ne pourra vous dire d'où
+ils sortaient. Ils achetèrent cette maison avec ses dépendances, qui
+sont très-vastes. C'était un vieux manoir inhabité depuis des siècles:
+on le disait hanté par des apparitions; ainsi vous voyez que ce n'est
+pas d'hier que c'est un lieu redoutable. Ils firent réparer
+l'habitation. On y travailla longtemps; et je me souviens, moi, d'y
+avoir mené du sable et des pierres. Dans ce temps-là, je n'étais pas
+encore marié et je n'avais pas loué leur moulin. Je ne pensais qu'à me
+faire soldat; c'était bien loin de songer à devenir meunier! Pour en
+revenir à eux, ils se sont mis à vivre très-mystérieusement, et ont
+toujours continué depuis. Ils se donnent pour Moresques, mais la vérité
+est que ce sont des Hébreux, ou, si vous l'aimez mieux, des juifs. Ils
+sont très-riches, et on les croit profondément versés dans les secrets
+de la cabale. Mais ce n'est pas là le plus extraordinaire de leur
+histoire; le voici: ils sont tous venus au monde avec une main lépreuse,
+la main droite; aussi vous avez dû remarquer qu'ils portent tous un gant
+à cette main, et ne la découvrent jamais. Cette lèpre reste immobile et
+ne se répand pas sur le reste du corps avant un certain âge, qui est
+trente ans pour les femmes, et quarante ans pour les hommes. Alors cette
+horrible maladie se met en mouvement; elle commence par les jambes, et
+monte lentement, lentement, jusqu'à ce qu'elle envahisse le corps tout
+entier; et, au fur et à mesure qu'elle gagne du terrain, elle tue les
+endroits par où elle a passé, de manière qu'il y a dans le même individu
+une moitié morte et une moitié vivante. Quand le mal s'est emparé de la
+tête, c'est fini! mais il faut beaucoup de temps pour en arriver là.
+
+«Il est impossible de guérir ce mal, et vous croirez sans peine que les
+hommes n'y peuvent rien, quand vous saurez que c'est un châtiment de
+Dieu sur toute une race. Ces gens descendent, à ce qu'on dit, de
+Ponce-Pilate, qui signa l'arrêt de mort de notre Sauveur, et ils doivent
+porter jusqu'à la consommation des siècles le signe et la peine du crime
+de leur ancêtre.
+
+«Mais, s'ils ne peuvent vaincre cette lèpre hideuse, ils ont du moins
+trouvé moyen de la combattre et de retarder ses progrès: c'est en
+prenant des bains tièdes dans du sang de chrétien.
+
+« La situation de leur demeure, au milieu de cette immense plaine
+déserte, au sortir d'un défilé de la montagne Noire, les sert
+admirablement. Quelque voyageur égaré ou attardé vient de temps à autre
+leur demander asile, et ces infortunés voyageurs disparaissent sans
+laisser aucune trace de leur passage. Ils ont chez eux une demi-douzaine
+de domestiques, ou plutôt d'assassins à leur solde, qui, en un clin
+d'oeil, et à l'aide de certaines machines, vous expédient un homme dans
+l'autre monde. Après quoi, le vieux père, qui est le plus avancé dans sa
+maladie, prend son bain, et l'on assure que les trois autres membres de
+la famille se plongent successivement dans cette cuve sanglante.»
+
+Ici don Christoval interrompit le récit du meunier: «Je ne croirai
+jamais, dit-il, que deux créatures aussi charmantes que le sont Amine et
+Rachel participent ni à ce bain atroce, ni au meurtre qui a servi à le
+préparer.
+
+--Je ne sais ce qui est d'Amine; quant à Rachel, vous avez raison. Comme
+elle est la plus jeune, il n'y a pas longtemps qu'elle est instruite des
+sombres mystères de la maison paternelle, et elle ne demanderait pas
+mieux que de s'enfuir; mais comment? avec le secours de qui? et où se
+réfugier?
+
+--Mais, demanda Léonor, comment avez-vous su tous ces détails!
+
+--Par deux domestiques qui se sont échappés de cet affreux repaire, il y
+a un mois; et qui se sont sauvés, comme vous, dans mon moulin, jusque-là
+je ne me doutais pas de la moindre chose. Ce moulin appartient à la
+famille de Ponce-Pilate: ils me la louent bon marché et j'y gagne
+beaucoup d'argent. Mais il n'est argent ni intérêt qui tiennent! je ne
+puis souffrir en silence qu'on égorge ainsi mon prochain à deux pas de
+moi, surtout étant, comme je suis, d'une famille de vieux chrétiens!
+Mais nous voilà arrivés à Huescar sans avoir, grâce à Dieu, fait de
+mauvaise rencontre. Dès que, vous serez en sûreté, j'irai avertir la
+justice.
+
+--Hélas, dit Léonor, dans votre déposition, n'oubliez pas de justifier
+la pauvre Rachel! c'est à elle que nous devons la vie, et probablement
+elle nous eût accompagnés, sans la cruelle méprise qui, peut-être, à
+l'heure qu'il est, lui a ravi l'existence. Que sera-t-elle devenue, sans
+secours, dans ce couloir voûté? Aura-t-elle pu en sortir? Quel
+traitement aura-t-elle reçu du reste de sa famille? Je vous avoue que
+ces pensées me tourmentent beaucoup!»
+
+§ 4.--La Bohémienne.
+
+Sur ces entrefaites, la voiture était entrée dans les rues d'Huscar. Ils
+allèrent descendre à l'enseigne du Saint-Sacrement, dont l'hôte était un
+ancien ami du meunier. Il se trouvait justement dans cette auberge des
+marchands qui retournaient à Murcie après avoir terminé leurs affaires à
+Hescar: ils consentirent à prendre dans leur compagnie don Christoval et
+Léonor, qui passait pour sa femme. Ceux-ci ne quittèrent pas le brave
+Juan sans mille protestations d'amitié et sans l'avoir forcé d'accepter
+une généreuse récompense.
+
+De Murcie, il leur fut aisé de gagner Alicante, où, trouvant encore une
+occasion toute prête, ils s'embarquèrent pour Barcelone. Léonor
+regrettait les chevriers de la montagne Noire; mais don Christoval lui
+fit comprendre qu'il n'y avait de sûreté pour eux en aucun endroit de
+l'Espagne, à cause du grand crédit de l'archevêque, qui, tôt ou lard,
+finirait par les découvrir dans la retraite la plus cachée. Léonor se
+rendit à ces raisons.
+
+Leur dessein était de se retirer quelque part en France, et d'y attendre
+que la mort du prélat ou son indulgence, sur laquelle, à vrai dire, ils
+ne comptaient guère, leur permit de rentrer en Espagne.
+
+Ils descendirent à Barcelone, et résolurent de continuer leur route par
+terre, parce que la navigation fatiguait trop Léonor. Ils étaient trop
+loin pour risquer beaucoup d'être poursuivis, outre qu'ils étaient
+toujours déguisés; et une fois au delà des Pyrénées, ils n'avaient plus
+rien à craindre.
+
+Aucun incident remarquable ne troubla leur voyage jusqu'à Llivia, petit
+village situé à l'entrée de la montagne. Ils y arrivèrent avec la nuit.
+L'unique auberge de l'endroit était un cabaret d'apparence assez
+chétive, mais, comme il n'y avait pas à choisir, ils allèrent y
+descendre.
+
+On remisa leur chaise, ensuite ils demandèrent une chambre: on leur dit
+qu'il n'y en avait point de disponible pour l'heure, mais que sûrement
+ils en auraient une pour coucher. En attendant, ils devaient se
+contenter d'une espèce de salle commune, où étaient entassés bon nombre
+de buveurs, qui faisaient grand bruit, car la méchante fortune de nos
+voyageurs voulut que ce fût précisément la fête de l'endroit. Ils se
+soumirent et prirent place dans un coin. Peu à peu, cependant, les
+pratiques du cabaretier se retirèrent pour aller danser ou voir danser
+dans une grange voisine, et les nouveaux venus luirent souper plus
+tranquillement qu'ils ne l'avaient espéré. Ce souper fut meilleur aussi
+qu'on n'aurait dû s'y attendre: il se composait de gibier, de
+pâtisseries et de fruits, le tout relevé par un très-bon vin. Avant la
+fin du repas, Léonor et don Christoval étaient demeurés tout à fait
+seuls; cependant la prudence ne leur permit pas de s'entretenir de leurs
+affaires, de peur d'être espionnés et entendus à travers une simple
+cloison de planches mince comme du pallier. Ils causèrent de choses
+indifférentes, et bien leur en prit. Après le dessert, don Christoval
+sortit pour faire préparer enfin leur chambre, y transporter leur bagage
+et s'occuper avec l'hôte d'autres détails touchant le départ du
+lendemain et la route à suivre. Léonor, pensive, accoudée sur la table,
+la tête appuyée sur sa main, prêtait l'oreille au bruit de la danse
+lointaine, et son regard se perdait dans la partie obscure et profonde
+de cette salle déserte. Tout à coup en face d'elle, dans l'angle opposé,
+il lui sembla distinguer une forme humaine qui se mouvait et grandissait
+dans l'ombre. La lampe de cuivre qui brûlait devant elle, suspendue à
+une crémaillère en bois, lui donnait sur le visage, et la vivacité de la
+lumière formait une sorte de rempart devant ses yeux éblouis. Léonor ne
+put se défendre d'un sentiment de surprise et même de frayeur. La
+personne inconnue s'approcha lentement jusqu'au bord de la table qui la
+séparait de Léonor. C'était une grande femme maigre avec de beaux traits
+réguliers, un teint cuivré et des yeux noirs brillants comme deux
+flammes sombres. Elle était coiffée d'une espèce de turban rouge, vêtue
+d'une longue robe grise qui s'en allait en guenilles, et paraissait
+avoir quarante ans ou un peu plus. Il était facile de reconnaître une
+Egyptienne ou Bohémienne. «Madame, dit-elle en bon espagnol, n'ayez pas
+peur de moi; je m'étais endormie là, sur une natte: la faim m'a
+réveillée tout à l'heure; voulez-vous me donner à
+manger?--Très-volontiers; tout ce qui est là est à votre service. Prenez
+une chaise, ma pauvre femme, et buvez et mangez.» L'Égyptienne ne se le
+fit pas répéter: elle s'assit en face de Léonor, qui la considérait avec
+compassion, et se mit à souper silencieusement, en personne affamée.
+Quand elle fut rassasiée: «Que le ciel, ma bonne dame, vous récompense
+de votre charité, dit-elle d'une voix grave et émue; je n'ai pas d'autre
+moyen de reconnaître le bien une vous m'avez fait; cependant, si vous le
+désirez, je vous dirai votre bonne aventure. C'est un art dans lequel je
+passe pour habile.--Oh! que vous me feriez plaisir! dit Léonor. »
+
+L'Égyptienne, sans répondre, remplit un verre d'eau; puis, tirant de sa
+poche unie petite boîte oblongue dans laquelle étaient renfermées des
+plantes et des graines desséchées, elle y chercha une feuille de buis,
+une feuille de romarin et un grain de genièvre, qu'elle plaça dans une
+cuiller d'argent soigneusement essuyée, au-dessus de la flamme de la
+lampe. Tandis que ces substances se calcinaient avec un faible
+pétillement et une odeur aromatique, l'Égyptienne marmottait des paroles
+rapides dans une langue inconnue. Sans s'interrompre, elle versa les
+cendres dans le verre d'eau; et comme elles flottaient légèrement à la
+surface, elle pria Léonor de souffler trois fois dessus pour les
+submerger. Enfin, elle sortit de sa poche deux autres objets: un morceau
+de parchemin chargé de caractères et de figures cabalistiques qu'elle
+glissa sous le verre; plus, un petit volume également écrit sur
+parchemin, qu'elle ouvrit à un endroit marqué, et posa ainsi ouvert
+au-dessus de l'eau, comme un toit. Elle l'y laissa environ une minute,
+pendant laquelle elle continuait toujours ses prières et ses évocations.
+Enfin elle remit le livre dans sa poche, et dit: «Tout est prêt. »
+
+Elle s'agenouilla alors. Le verre était au niveau de ses yeux; elle y
+regarda, et traduisait ce qu'elle voyait dans l'eau, «Vous avez été
+religieuse, au moins avez-vous porté l'habit de novice.--Vous vous êtes
+enfuie de votre couvent,--la nuit,--avec un cavalier.--Vous avez
+traversé un bois,--ensuite une plaine;--on vous reçoit dans une vaste
+maison;--vous avez échappé à un grand péril....--Attendez! interrompit
+Léonor: ne pouvez-vous me donner des nouvelles de notre libératrice?--Je
+ne puis vous parler que de vous seule; je ne vois que vous. Au sortir
+d'ici, vous voyagerez encore longtemps....» La Bohémienne resta quelques
+minutes sans parler, comme absorbée dans une contemplation plus
+attentive, puis elle reprit d'une voix attendrie: «Ah! ma fille! vous
+avez déjà supporté bien des peines; mais ce n'est rien, au prix de
+celles qui vous attendent!--Quelles sont ces peines?--Je n'ai pas le
+courage de vous en faire le détail. Armez-vous de force et de
+patience!--N'est-il aucun moyen de prévenir mon sort?--Aucun! Tout ce
+que je puis vous dire et encore cela ne vous servira de rien, c'est que
+vous devez prendre garde au rosaire, et que vous mourrez au milieu de
+l'eau, par le feu.--Au milieu de l'eau, par le feu! répéta Léonor
+épouvantée de ces sinistres paroles. Grand Dieu! n'est-il donc sur la
+terre aucun refuge pour moi? Oh! cherchez, indiquez-moi un asile où je
+puisse trouver le repos.» La Bohémienne, cette fois, ne regarda plus
+dans le verre; elle mit sa main sur ses yeux, réfléchit profondément, et
+dit: «Le repos? vous ne le trouverez qu'en terre sainte!»
+
+Sur ce mot, elle se leva, et sortit de la chambre.
+
+F. G.
+
+_(La suite à un prochain numéro.)_
+
+
+
+Sur l'Éloquence de la Chaire
+AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.
+
+L'histoire de la chaire sacrée en France, depuis le commencement de ce
+siècle, offre trois périodes bien distinctes dont chacune a une
+physionomie particulière, en grande partie déterminée par les
+événements.
+
+Nous ne pouvons qu'effleurer ici un sujet si vaste. Nous passerons
+rapidement sur les deux premières périodes surtout. Notre but sera
+atteint si nous pouvons en mettre les traits distinctifs et
+caractéristiques en relief, dans une esquisse impartiale de
+quelques-unes des figures principales.
+
+Au commencement de ce siècle, la France sortait à peine d'une crise
+violente et douloureuse. La lutte subsistait toujours, au dehors contre
+les ennemis de la nationalité, au dedans entre les anciennes traditions
+vivantes encore et les idées issues de la Révolution. Alors il se
+présenta un homme singulièrement propre à défendre et à gouverner la
+France, dans cette situation difficile. Quoi qu'on ait dit des idées
+absolues de Napoléon, c'était aussi l'homme des transactions, et il le
+montra en cette occasion. Pour satisfaire les partisans de l'ordre
+nouveau, tout en conservant la puissance royale, il en abolit le titre
+et consacra l'égalité civile. Il rouvrit ensuite les églises pour
+attirer à lui les hommes du passé; car, en rétablissant le culte,
+Napoléon semble avoir été guidé plutôt par ses vues de domination que
+par une conviction religieuse bien profonde. Le traité conclu avec le
+Saint-Siège en est une preuve éclatante: au lieu de creuser les idées,
+on s'appliquait plus particulièrement à polir les formes. Dans la
+crainte sans doute d'effrayer ceux que l'on voulait attirer dans le
+giron de l'Église, par la rigidité d'une morale trop austère, on prêcha
+presque exclusivement sur le dogme. Au reste, cette méthode ne laissait
+pas que d'être logique; il était assez naturel, avant de déduire les
+conséquences pratiques, de chercher à pénétrer les esprits de la
+doctrine qui leur sert de base.
+
+Il y eut sous l'Empire plusieurs prédicateurs qui jouirent d'une grande
+réputation, et qui la méritaient à bien des titres. Ne pouvant les citer
+tous, nous nous bornerons à parler de MM. de Boulogue et Frayssinous,
+qui nous semblent les plus remarquables. Ils résument en quelque sorte
+l'illustration de la chaire pendant cette période à laquelle ils ont
+survécu, mais dans laquelle permettent de les classer le temps de leur
+plus grande vogue et surtout le genre de leur talent.
+
+M. de Boulogne avait déjà acquis quelque gloire avant la Révolution. Né
+de parents pauvres, il avait étudié un peu tard; mais ses dispositions
+naturelles, jointes à beaucoup d'ardeur pour l'étude, suppléèrent à
+l'éducation première qui lui manquait. Ordonné prêtre, il vint à Paris
+pour tenter la fortune de la chaire. Il y vécut longtemps solliciteur
+obscur. Il trouva enfin des protecteurs puissants, fut présenté au roi,
+et prêcha devant lui en 1787, M de Boulogne avait alors quarante ans.
+
+Pour bien juger la longue carrière de M. de Boulogne, tour à tour
+pamphlétaire et journaliste, mais prédicateur avant tout, il faut se
+faire une idée nette de son caractère, sous peine de trouver en lui des
+contradictions inexplicables. Avec une conscience droite, des intentions
+pures et un grand amour pour le bien, il était dans sa conduite plein
+d'hésitation; souvent même il paraissait agir par boutade. Cela
+provenait de cette imagination vive et mobile qui était le fond de son
+talent. Il était de ces hommes sur qui l'impression du moment est
+toute-puissante; aussi l'action des événements est-elle plus visible
+chez lui que chez tout autre. Avant de se montrer l'adversaire ardent de
+toute concession libérale et de tout progrès en politique, il avait
+partagé, du moins jusqu'à un certain point, les idées qui avaient cours
+à la fin du dix-huitième siècle. On lit en effet dans un de ses discours
+imprimés de cette époque: «Le peuple seul a des droits, les rois n'ont
+que des devoirs.» Ces paroles sont curieuses dans la bouche de celui qui
+a prêché plus tard le sermon: «La France veut son Dieu! la France veut
+son roi!» Mais il faut, pour les comprendre, se reporter à un autre
+temps, et faire la part d'une époque où l'orateur[1] appelé à prêcher
+devant Louis XVI, le matin même de l'ouverture des États-Généraux, avait
+pris pour texte de son discours ce verset prophétique: _Deposuit
+potentes de sede et exaltavit humiles._
+
+ [Note 1: M. l'abbé de Laboissière.]
+
+M. de Boulogne n'aimait pas beaucoup l'Empereur; on assure même qu'il ne
+l'épargnait pas dans la liberté de ses entretiens intimes. Cependant il
+le loua beaucoup dans ses sermons et dans ses mandements. Il fut nomme
+chapelain de l'Empereur et évêque de Troyes. Mais, après avoir joui
+quelque temps de la faveur du maître, il encourut aussi sa disgrâce.
+Voici à quelle occasion.--Nommé en 1809 pour prêcher l'anniversaire du
+sacre et de la bataille d'Austerlitz, M. de Boulogne fut obligé de
+soumettre son discours à la censure d'un personnage en crédit. Celui-ci
+corrigea les passages qui lui semblaient trop hardis, et en retrancha
+même quelques-uns tout entiers. Le prélat consentit à ces modifications.
+
+La cérémonie eut lieu à Notre-Dame, où l'Empereur se rendit avec son
+cortège de rois. La fête fut brillante: mais il arriva que, dans la
+chaleur du débit, M. de Boulogne, qui avait appris son discours par
+coeur, oublia de supprimer les passages notés. Quoiqu'il n'y eût dans
+ces passages rien de blessant pour personne, Napoléon n'était pas homme
+à oublier un manque de soumission. Trois ans de cachot et d'exil
+prouvèrent plus tard à l'évêque de Troyes comment Napoléon savait se
+venger.
+
+Les persécutions essuyées sous l'Empire furent un titre sous la
+Restauration. M. de Boulogne fut fait pair en 1822. Deux ans après, il
+mourut à Paris à l'âge de soixante-dix-sept ans.
+
+M. de Boulogne avait une physionomie spirituelle et douce. Il avait un
+talent d'orateur incontestable; sa manière un peu ampoulée et pompeuse
+le rendait surtout propre à prêcher dans les grandes occasions. On voit
+que ses sermons sont travaillés avec soin; mais on y trouve plus de
+style que de pensées, plus d'images que de sentiments. Ce prédicateur,
+si agréable à entendre, perd beaucoup à être lu, surtout aujourd'hui. En
+effet, il faisait aux affaires de son temps des allusions dont
+l'à-propos est perdu pour nous. Ce qui a fait son plus grand succès est
+peut-être ce qui rend aujourd'hui la lecture de ses sermons un peu
+froide et monotone.
+
+M. Frayssinous était, sous tous les rapports, un homme supérieur à.M. de
+Boulogne. Sa vie a été aussi plus conséquente avec elle-même. Les
+commencements en furent cependant obscur et difficiles. En 1804, il
+n'était encore que simple vicaire dans une commune du diocèse de Rhodes.
+A la suite d'un petit démêlé avec son curé, il s'en vint à Paris, qu'il
+n'aurait peut-être jamais vu sans cela. Il était sans argent: et, ne
+connaissant personne dans cette ville où il devait plus tard arriver aux
+plus grands honneurs, il alla demander un asile à Saint-Sulpice, où il
+fut accueilli avec plaisir. Les prêtres étaient rares alors, ainsi que
+le talent, et il n'est pas étonnant que celui de M. Frayssinous parvint
+bientôt à se faire jour. Il avait été suivi à Paris par M. Royer, son
+parent, et ils se réunirent tous deux pour faire des conférences dans
+l'église des Carmes. La nouveauté de l'enseignement et l'éloquence des
+deux prédicateurs firent du bruit, et bientôt la petite église de la rue
+de Vaugirard ne suffit pas pour contenir la foule. Grâce à ce succès, M.
+Frayssinous vit s'ouvrir devant lui les portes de l'église
+Saint-Sulpice, où il établit désormais ses conférences.
+
+Là, ses succès et sa réputation furent croissants de jour en jour. On
+venait l'entendre une première fois attiré seulement par la curiosité;
+on y revenait séduit par les charmes de l'éloquence.
+
+Rien n'était en effet plus attrayant que la minière de M. Frayssinous.
+Sa figure imposante, la douceur et la pureté de son style, sa grâce
+touchante et persuasive, son éloquence tout entière, étaient ce qu'il
+fallait alors pour captiver les auditeurs. Au lieu de jeter de fiers
+mépris à la raison révoltée, il cherchait à la soumettre en démontrant
+qu'aucune philosophie n'avait, comme le christianisme, résolu les grands
+problèmes de l'existence et dévoilé le mystère de la destinée, apporté
+plus de consolation dans la douleur et mis plus d'espérances dans la
+mort. M. Frayssinous avait dans le talent beaucoup d'analogie avec celui
+de Chateaubriand. Tous les deux procèdent par l'émotion, et s'adressent
+au coeur plutôt qu'à l'intelligence.
+
+M. Frayssinous était trop prudent; il craignait trop de blesser
+inutilement les auditeurs, pour mêler de la politique à ses conférences.
+Mais la police impériale était trop ombrageuse pour se contenter de la
+neutralité. On trouva mauvais que le conférencier ne parlât que de Dieu.
+On lui en fit des reproches, et il fut obligé d'accorder aussi quelque
+chose à César, et de parler de _celui que Dieu avait ramené
+miraculeusement des bords du Nil, et de la main qui avait été suscitée
+pour relever les autels._
+
+Malgré ces concessions, les conférences furent suspendues en 1809, pour
+n'être reprises qu'à la Restauration. Cinq années de silence et de
+méditations mûrirent encore un talent si remarquable. En 1814. M.
+Frayssinous remonta dans la chaire, et continua ses conférences, presque
+sans interruption jusqu'en 1822. Cette époque ferma, pour ainsi dire, sa
+carrière oratoire, en lui ouvrant celle des honneurs. M fut sacré évêque
+d'Hermopolis, et appelé à siéger à l'Académie et à la Chambre des Pairs.
+Bientôt il fut nommé grand-maître de l'Université et ministre des
+affaires ecclésiastiques. Nous ne le suivrons pas sur ce terrain brûlant
+de la politique.[2] Nous dirons seulement que l'évêque d'Hermopolis n'a pas
+fait oublier l'abbé Frayssinous, et que ses conférences de Saint-Sulpice
+restent son plus beau titre.
+
+ [Note 2: On sait que la loi du sacrilège, si victorieusement
+ combattue par M. Royer-Collard et désapprouvée par une partie
+ du clergé, fut présentée par M. Frayssinous.]
+
+Ces conférences ont été recueillies et publiées par leur auteur sous le
+titre de _Défense du christianisme_. Le plan en est vaste,
+ingénieusement rempli, et les grâces d'une littérature toujours élégante
+n'en excluent ni la science théologique ni la profondeur des vues
+sociales. Aussi lorsque l'on songe que la nomination à l'Académie de
+l'éloquent évêque a fait crier dans le temps, on s'étonne moins des
+récriminations auxquelles a donné lieu celle de son successeur.
+
+Après 1830, M. Frayssinous refusa le serment et renonça à la pairie.
+Dévoué à la branche aînée des Bourbons qui l'avait comblé de ses
+bienfaits, il se rendit à Prague en 1835, pour diriger l'éducation du
+duc de Bordeaux. Il est revenu en France en 1838, et y a vécu dans la
+retraite jusqu'à sa mort arrivée en 1842.
+
+La prédication catholique qui avait été sous l'Empire, timide et
+soumise, je dirais presque résignée, prit un autre caractère sous la
+Restauration.
+
+Dans les dernières années de son règne. Napoléon s'était aliéné le
+clergé en s'immisçant aux affaires ecclésiastiques, et surtout par ses
+démêlés avant le Saint-Siège. Il tomba. Les prêtres accueillirent les
+Bourbons avec enthousiasme et fondèrent sur leur retour de grandes
+espérances qui ne se sont pas toutes réalisées. En effet, la Charte
+excitait parmi eux beaucoup de défiance. Ils croyaient que la religion
+était la seule base solide de la société, et que la monarchie etait le
+seul gouvernement conciliable avec la religion. Ainsi ils eurent le tort
+d'établir une sorte de solidarité entre la foi et les formes
+gouvernementales, si variables de leur nature. Mais on ne s'arrêtait
+point là. Ce que voulait la majorité du clergé qui s'était ralliée à
+cette faction royaliste appelée les _ultra_, ce n'était pas
+l'absolutisme proprement dit, ce n'était pas non plus l'ancien régime,
+c'était quelque chose de nouveau. On rêvait alors une féodalité
+constitutionnelle.
+
+Partant de la nécessité de l'union de la royauté et de la religion, la
+prédication devait avoir un caractère expressif et politique. C'est
+aussi ce qui arriva. Le clergé, en défendant la cause de la royauté,
+croyait défendre la cause de la religion, et s'habitua à comprendre dans
+une même réprobation les ennemis de Dieu et ceux du roi. Le trône et
+l'autel devinrent le thème ordinaire des prédications. Cette alliance
+entre la politique et le culte fit à la religion beaucoup de tort. Elle
+en éloigna d'abord tous ceux qui avaient été blessés, soit dans leurs
+intérêts, soit dans leurs opinions, soit dans leurs sentiments
+nationaux, par les événements de 1815. Quelques paroles réactionnaires
+aliénèrent aussi les hommes positifs, qui, habitués aux affaires,
+avaient accueilli les institutions nouvelles, mais qui ne croyaient pas
+qu'il fût possible de ne tenir aucun compte des événements et de l'état
+où se trouvaient alors les esprits.
+
+Cette situation explique les troubles qui, suivant les lieux se
+manifestaient alors à l'occasion des misions nombreuses qui furent
+faites, souvent avec trop-peu de prudence, pendant la Restauration. Elle
+explique aussi les justes reproches dont ces missions furent l'objet de
+la part des organes de la presse. Chaque prédicateur était alors un
+adversaire politique. Les missionnaires prêchant au milieu des passions
+émues en avaient toute la véhémence. Mais combien de prédicateurs
+réellement éloquents dont la renommée ne s'est pas même étendue bien
+loin! Telle est la destinée des succès oratoires les plus brillants, les
+plus flatteurs de tous pour l'amour-propre. Ils sont fugitifs comme
+l'émotion qu'ils produisent Quelquefois, lorsque l'impression a été bien
+profonde, il se conserve quelque trace dans le souvenir des auditeurs.
+Mais après que reste-t-il, surtout lorsqu'ils n'ont pas écrit? un nom
+qui s'efface de jour en jour.
+
+[Illustration: (Le dimanche des Rameaux.--Portail latéral de
+Saint-Eustache.)]
+
+Au reste, quand même ils auraient publié leurs sermons et pu exprimer
+par le style les mouvements passionnés de leur éloquence, est-il bien
+sûr que cela les aurait sauvés de l'oubli? nous ne le croyons pas. Comme
+ils avaient subordonné leur enseignement à un point de vue particulier,
+lorsque les circonstances ont changé, ils ont dû nécessairement beaucoup
+perdre de leur importance. C'est pour ce motif que nous n'insisterons
+pas sur la biographie des prédicateurs sous la Restauration. Nous
+citerons simplement les Maccarthi, les Guyon, les Fayet, les Ollivier,
+les Deguerry, et nous pourrions facilement étendre la liste. Mais nous
+avons hâte d'arriver à la période ouverte par la révolution de juillet.
+Les événements de 1830 n'apportèrent pas un grand changement dans les
+relations qui existaient entre l'Église et l'État. Quelques mots furent
+remplacés dans la Charte par des mots à peu près équivalents, mais les
+lois réglementaires du culte ne furent point modifiées: on les exécuta
+seulement avec plus de rigueur, dans le principe surtout. Néanmoins
+cette révolution, dynastique pour ses résultats, mais démocratique par
+ses moyens, jeta dans les esprits une activité et une agitation qui se
+communiquèrent aussi au clergé.
+
+[Illustration: M. de Boulogne.]
+
+Nous sommes obligé de reprendre encore ici la marche des idées depuis le
+commencement du siècle; M.. Chateaubriand et M. Frayssinous avaient
+cherché à calmer les répugnances que le catholicisme inspirait alors:
+ils avaient voulu en faire aimer la poésie, mais là s'était arrêtée leur
+action. Les méditations, les harmonies rêveuses et un peu sensuelles de
+M. Lamartine, ont été l'expression du degré de foi qui régnait alors
+dans la société. D'un autre côté la Restauration avait mis en honneur la
+pratique extérieure du culte; tout serviteur dévoué de la monarchie
+voulait, par cela même, paraître bon chrétien. Mais la religion ainsi
+pratiquée, s'arrêtait évidemment à l'écorce, si je puis m'exprimer
+ainsi, et occupait plus de place dans les habitudes que dans les
+consciences.
+
+[Illustration: M. Deguerry.]
+
+Tout à coup apparut l'_Essai sur l'indifférence_, de M. de Lamennais.
+Ce livre, qui alors était aussi un événement, fit peut-être autant de
+bruit qu'en ont fait plus tard les _Paroles d'un Croyant._ Rome n'osa se
+décider d'abord, et le clergé de France se partagea, en attendant la
+décision, en deux camps ennemis. Il y eut alors une guerre de pamphlets
+et de brochures qui ne sera pas un des épisodes les moins curieux de
+l'histoire des idées religieuses au dix-neuvième siècle.
+
+L'idée philosophique développée dans _l'Essai_ établissait le _sens
+commun_, c'est-à-dire la manifestation générale de la raison humaine
+comme la règle de la certitude. Ce n'était rien moins qu'introduire le
+principe démocratique dans l'ordre des faits intellectuels; et, de
+conséquence en conséquence, M. de Lamennais et ses disciples devaient
+nécessairement transporter les mêmes idées sur le terrain de la
+politique. La révolution de juillet aidant, c'est ce qui arriva bientôt.
+On sait l'histoire orageuse de l'_Avenir_. Quelque courte que fût la
+durée de ce journal, son action fut grande sur le jeune clergé. S'il ne
+fit pas beaucoup de partisans au gouvernement nouveau, il lui rendit du
+moins un grand service, en ce qu'il habitua les prêtres à voir avec
+indifférence la chute du trône qui venait de s'écrouler, mais
+l'influence de M. Lamennais s'est perpétuée par l'élite du clergé, dont
+il s'était entouré pour la rédaction de son journal. Ses disciples ont
+été dispersés par les foudres du Saint-Siège; ils se sont séparés de lui
+en reniant l'ensemble de ses doctrines, mais ils n'en ont pas moins
+conservé, peut-être à leur insu, beaucoup de la manière et aussi
+quelques-unes des idées de leur ancien maître. Sous la Restauration, le
+comble de l'audace, pour un prédicateur, était de déclarer que le salut
+de la religion ne dépendait pas de celui de la légitimité. Depuis 1830,
+la prédication a souvent côtoyé les opinions radicales et démocratiques,
+quelquefois même elle s'y est lancée à pleines voiles. Et ce qui prouve
+que M. de Lamennais est pour beaucoup dans cette tendance nouvelle du
+clergé, c'est que ce sont ceux qui l'ont approché de plus près qui ont
+été le plus loin en ce sens.
+
+Aujourd'hui, l'éloquence de la chaire tient plus par la manière générale
+à l'Empire qu'à la Restauration. A cette dernière époque il eut trop de
+reproches directs et de récriminations violentes; mais, à présent, le
+clergé, loin de se montrer hostile au mouvement, cherche à s'y associer
+dans certaines limites afin de le diriger.
+
+Il y a une remarque qui n'est pas non plus sans intérêt c'est que jamais
+plus qu'aujourd'hui le clergé ne s'était montré satisfait des progrès de
+l'Église. Il se plaît à montrer la croix triomphant partout, et de la
+meilleure foi du monde il exagère ses dernières victoires. On dirait
+qu'il cherche à attirer ainsi les esprits indécis et toujours prêts à
+imiter les autres, et les âmes timides qui n'embrassent jamais que le
+parti de la victoire.
+
+Il nous reste à entrer dans quelques détails biographiques sur les
+prédicateurs les plus en vogue. Malheureusement, la vie des
+prédicateurs, comme la vie de tous les hommes d'étude, est rarement
+féconde en incidents. Nous serons donc forcé d'être court, et nous
+parlerons seulement de quatre des prédicateurs qui ont en ce moment le
+plus de réputation.
+
+M. Combalot est né en 1794 à Chastenay (Isère). On assure qu'il s'était
+destiné d'abord à la profession d'avocat, et qu'une retraite spirituelle
+changea tout à coup sa vocation. Quoi qu'il en soit, il fut ordonné
+prêtre à 25 ans. Il vint à Paris quelque temps après et entra chez les
+jésuites. Il n'y fut qu'un an, et à peine rentré dans la vie séculière
+il commença ses prédications. Il parcourut d'abord les départements, et
+s'il faut tout dire, il ne fut pas celui qui réveilla sur son passage le
+moins d'irritation.
+
+Depuis ce temps. M. Combalot s'est voué tout entier à la prédication et
+aux retraites ecclésiastiques. Si Combalot est un véritable orateur: il
+a toute la fougue, toute l'impétuosité d'un tribun. Sa parole est animée
+et brûlante; ses images sont belliqueuses et pleines d'actualité. Il y
+a, dans sa physionomie bilieuse et fortement caractérisée, le cachet
+d'une indomptable fermeté. La manière de ce prédicateur n'est pas
+cependant exempte de tout reproche: il est quelquefois incorrect: ses
+comparaisons sont parfois triviales et ses métaphores heurtées. Un
+logicien sévère pourrait aussi lui demander plus de suite dans ses
+raisonnements. Souvent un mot réveille en lui une idée soudaine, qu'il
+saisit au passage, et il semble alors rompre, pour la suivre, le plan
+qu'il s'était tracé d'abord. On suit l'improvisation dans ses discours,
+mais, malgré ces défauts, à cause de ces défauts peut-être. M. Combalot
+domine son auditoire et le remue profondément.
+
+[Illustration: M. Combalot.]
+
+Le talent du M. Lacordaire a beaucoup d'analogie avec celui de M.
+Combalot: sa puissance d'entraînement est la même, il a ses qualités
+brillantes et quelques-uns de ses défauts. Il s'écarte moins de son
+sujet, ou, pour parler plus juste, il y revient souvent. L'éloquence de
+M. Lacordaire se compose surtout d'élans enthousiastes qui enlèvent les
+jeunes imaginations. On n'a pas encore oublié le sermon qu'il prêcha à
+Notre-Dame le 15 janvier 1841. Comme il avait exalté les gloires de la
+France! comme il avait attiré à lui tous ceux qui se sentaient au coeur
+quelque fierté nationale! S'il suffisait, pour être un orateur parfait,
+d'exercer sur son auditoire...... influence toute-puissante, M.
+Lacordaire serait le premier des orateurs: mais, malheureusement, le
+moment qui suit n'est pas aussi favorable que celui pendant lequel on
+l'écoute. Ainsi, dans ce sermon dont nous venons de faire mention, et
+qu'il prêcha avec son froc de dominicain, beaucoup d'auditeurs
+parfaitement disposés en sa faveur furent frappés de son exagération.
+
+[Illustration: M. Lacordaire.]
+
+M. Lacordaire était avocat avant d'être prêtre. Il est né à
+Recey-Sur-Ource (Côte-d'Or), et peut avoir aujourd'hui 41 ans, il eut, à
+ce qu'il dit lui-même, une enfance turbulente, et ses idées, au sortir
+du collège, n'annonçaient guère un futur prédicateur. Au grand chagrin
+de sa pieuse mère, il déclarait, à qui voulait l'entendre, que Dieu
+était une chimère, et le catholicisme une sottise. Son droit terminé, il
+vint faire son stage à Paris et travailla chez un avocat. Deux ans
+après, c'est-à-dire en 1824, le jeune athée, subitement converti, était
+entré au séminaire de Saint-Sulpice. Il ne se proposait rien moins, à
+cette époque, que d'aller en Amérique convertir les peuplades sauvages,
+et respirer, loin de cette Europe décrépite, l'air pur du Nouveau-Monde.
+M. de Lamennais, dont les ouvrages avaient beaucoup contribué à sa
+conversion, l'en dissuada, et pour donner carrière à son insatiable
+activité l'attacha depuis à l'_Avenir_, dont il fut un des principaux
+rédacteurs.
+
+Le journal tomba. M. Lacordaire accompagna à Rome M. de Lamennais et le
+quitta brusquement. Il publia bientôt une rétractation, où il déclarait
+qu'il n'avait jamais adhéré par _conviction_ aux doctrines de M. de
+Lamennais, qu'il n'avait fait que céder par _lassitude_ aux
+sollicitations qui lui étaient faites en s'associant à son oeuvre.
+
+C'est à dater de cette époque que la réputation de M. Lacordaire, comme
+orateur, a commencé. Elle grandit en peu de temps. On lui proposa de
+prêcher le Carême à Notre-Dame en 1835, mais à condition qu'il
+soumettrait à M. Affre, alors vicaire-général, le plan de ses sermons.
+On redoutait la fougue et les idées démocratiques du jeune prédicateur.
+Cependant on ne put si bien faire, que ses discours ne portassent
+l'empreinte du catholicisme libéral et un peu révolutionnaire de
+l'_Avenir_. Il y était question de souveraineté du peuple et d'idées
+analogues qui ne devaient pas flatter beaucoup un légitimiste inflexible
+comme M. de Quélen. Un auteur assure avoir vu l'archevêque s'agiter sur
+son siège pendant que l'orateur développait devant lui ses théories
+nationales. Aussi n'est-il pas étonnant que, malgré le succès qu'il
+avait obtenu dans cette station du Carême, on l'engageât à faire un
+voyage à Rome. Il en revint l'année suivante et prêcha encore à
+Notre-Dame; comme on trouvait que son style et ses idées n'étaient guère
+amendés, on lui conseilla un nouveau voyage. On assure que ce fut alors
+que M. Lacordaire, pour s'affranchir de la censure épiscopale, résolut
+d'entrer dans l'ordre de Saint-Dominique, dont il prit l'habit en juin
+1840.
+
+La figure maigre et allongée de M. Lacordaire s'anime, quand il parle,
+d'une expression enthousiaste et poétique. C'est un homme à imagination
+ardente, dont les opinions peuvent changer; mais on sent que sa parole
+exprime la conviction.
+
+[Illustration: (M. de Ravignan.)]
+
+M. de Ravignan a une manière plus posée et plus réfléchie que M.
+Lacordaire. Il se tient aussi plus en garde contre tout ce qui pourrait
+donner à la prédication un caractère politique. C'est là le motif qui
+l'a fait probablement substituer à ce dernier pour les prédications de
+Notre-Dame. Il suit une marche rigoureusement logique. Malgré la science
+dont il brille, il ne transporte cependant point son auditoire; on sent
+comme quelque chose de factice dans la chaleur de son débit et dans la
+vivacité calculée de son geste.
+
+Où est né M. de Ravignan? les biographes ne sont pas d'accord sur ce
+point. Les uns le font naître à Paris, les autres à Bordeaux ou dans les
+environs. La dernière opinion nous paraît la plus vraisemblable.
+
+En 1816, époque à laquelle il fut nommé conseiller-auditeur, M. de
+Ravignan pouvait avoir vingt-trois ans. Sept ans après, il entra dans la
+magistrature et occupa avec distinction pendant dix-huit mois la place
+de substitut du procureur du roi près le tribunal de la Seine. Il
+renonça au monde, disposa de sa fortune en faveur de ses héritiers
+naturels et entra au séminaire de Saint-Sulpice, qu'il quitta bientôt
+pour entrer à Montrouge dans la maison des jésuites. On assure que M. de
+Ravignan fut tonsuré par M. Frayssinous, que l'on venait de sacrer
+évêque, et qui, prévoyant dès lors sa gloire future, dit en s'adressant
+à ceux qui l'entouraient: «Voilà celui qui doit me succéder dans
+l'oeuvre des conférences.»
+
+Après avoir passé plusieurs années à étudier les Pères de l'Église et à
+s'instruire dans la science des prédicateurs. M. de Ravignan fut nommé
+pour prêcher le Carême à Notre-Dame. Ce fut le 12 février 1837 qu'il y
+ouvrit sa première conférence. Il les a continuées depuis avec un succès
+dont rien n'annonce le déclin. Prêchant presque toujours sur des
+matières qui ont rapport au dogme, M. de Ravignan a peu excité la
+critique des journaux.
+
+[Illustration: Une prédication à Saint-Roch.]
+
+M. Coeur n'est pas avocat. Sa vocation semble l'avoir porté d'abord vers
+le professorat et l'état ecclésiastique. Après avoir achevé ses études,
+qui furent brillantes, il fut quelque temps régent de rhétorique et de
+philosophie dans un petit séminaire de province. Puis, il vint à Paris
+en 1827 pour suivre les cours publics professés par les hommes célèbres
+qui ont abandonné depuis les triomphes pacifiques de la Sorbonne et du
+Collège de France pour une scène plus orageuse. Il y passa deux ans et
+alla ensuite passer quelque temps dans la solitude de la Chartreuse pour
+se préparer à recevoir la prêtrise, qui lui fut conférée en juin 1829.
+Il venait d'atteindre sa vingt-quatrième année.
+
+La réputation de M. Coeur a commencé en province, lors des prédications
+qu'il fit à Lyon en 1833, et plus tard à Nantes et à Bordeaux. Paris
+devait appeler à lui un talent déjà si distingué, et la Sorbonne a rendu
+justice à M. Coeur en le nommant à remplir à la Faculté de Théologie la
+chaire d'éloquence sacrée.
+
+M. Coeur a une figure assez commune, un geste lourd et un timbre de voix
+un peu voilé. Il manque de ces qualités extérieures qui concourent à
+faire un orateur. Mais sa parole est d'une lucidité admirable. On lui
+sait gré de tous les efforts qu'on n'est pas obligé de faire pour saisir
+sa pensée. Sa manière est savante et philosophique; il excelle à
+exprimer de ces vérités que tout le monde sait, mais que personne
+n'avait encore exprimées. Son style est abondant et fleuri.--un peu trop
+fleuri peut-être; mais c'est là un défaut dont il aurait tort de se
+corriger tout à fait. Ce qui serait de la recherche dans tout autre
+semble naturel en lui et il y a tel passage de ses cours et de ses
+sermons qui rappelle les plus, charmantes page» de Bernardin de
+Saint-Pierre.
+
+[Illustration: M. Coeur.]
+
+M. Coeur n'a pas encore dit son dernier mot comme prédicateur. Mais tout
+annonce qu'il s'élèvera avant qu'il soit de la réputation de MM.
+Lacordaire et de Ravignan, à moins qu'il ne soit absorbé complètement
+par l'enseignement de la Sorbonne.
+
+
+
+Bulletin bibliographique.
+
+_Histoire des États-Généraux et des institutions représentatives en
+France depuis l'origine de la monarchie jusqu'en_ 1789; par A.-C.
+THIBAUDEAU, auteur des _Mémoires sur la Convention_ et de _L'Histoire du
+Consulat et de l'Empire_. 2 vol. in-8. Paris, 1843. Paulin, 15 fr.
+
+«Les États-Généraux ont eu, dit M. Thibaudeau, une influence immense sur
+les destinées de la nation Française. Dépositaires de ses pouvoirs, ils
+l'ont éclairée sur ses intérêts et sur ses besoins; ils lui ont révélé
+et enseigné ses droits, ils ont mis à découvert les abus criants du
+pouvoir, les plaies profondes de la société; ce sont eux qui en ont
+indiqué et réclamé les réformes et les remèdes. Ils ont contribué à
+former l'opinion, à créer un esprit public. De temps en temps ils ont
+secoué et réveillé la royauté par l'expression du voeu national. Ils
+l'ont, par l'empire du droit et de la raison, forcée à sortir de son
+ornière et à marcher avec le siècle. Elle a marché à pas lents, de
+mauvaise grâce, de mauvaise foi, mais elle n'est pas restée
+stationnaire. Les célèbres ordonnances qui formaient notre droit publie,
+dont nos pères se glorifiaient et que l'Europe admirait, ce ne sont ni
+les rois ni leurs conseillers qui en eurent la pensée: les
+États-Généraux en ont fourni la matière; elles ont été calquées sur
+leurs cahiers. C'est au cri des États-Généraux qu'éclata la plus
+glorieuse des révolutions. Qui peut dire où en serait la France, si elle
+n'avait pas en les États-Généraux. »
+
+L'histoire des États-Généraux, en d'autres termes, l'histoire de la
+longue lutte de la royauté et de la nation, de la légitimité et de la
+souveraineté du peuple, de l'absolutisme et de la légalité, tel est le
+vaste et beau sujet que M. Thibaudeau s'est proposé de traiter, car
+cette histoire ne tient qu'une petite place dans les histoires de
+France. Quelques écrivains avaient, il est vrai, essayé, à diverses
+époques, de combler cette importante lacune; mais leurs travaux sont
+très-abrégés, superficiels, incomplets et fautifs. D'ailleurs, M.
+Thibaudeau s'est aidé surtout de documents précieux restés inédits
+jusqu'à ce jour, et dont ses prédécesseurs n'avaient pas pu profiter.
+
+Les États-Généraux ne datent que de 1502. Cependant ils n'ont pas été
+improvisés. D'autres institutions analogues les ont amenés et leur ont
+servi de base. Il faut nécessairement connaître ces précédents pour
+apprécier l'origine des États, leur constitution, leurs vices, leur
+utilité. Une longue et savante introduction placée en tête du premier
+volume contient l'exposé des vicissitudes diverses qu'avait subies,
+pendant sept siècles, depuis sa fondation jusqu'au règne de Philippe le
+Bel, la monarchie française.
+
+Ces prémisses posées, M. Thibaudeau aborde franchement son sujet. Il
+montre les États-Généraux naissant sous Philippe le Bel (1302), se
+développant sous ses successeurs, empiétant peu à peu sur l'autorité
+royale, essayant d'établir un gouvernement représentatif, gouvernant un
+instant, pendant la captivité du roi Jean, puis, mal compris et mal
+secondés par le peuple, laissant échapper une partie du pouvoir dont ils
+s'étaient emparés, ne cessant pas cependant, malgré l'inutilité de leurs
+réclamations, d'adresser à la couronne des remontrances qui ne seraient
+pas tolérées dans les gouvernements constitutionnels, préparant autant
+qu'il était en eux la grande régénération du royaume, remplacés pendant
+une période de près de deux siècles, de 1614 jusqu'en 1789, par des
+assemblées de notables, instruments dociles de la monarchie absolue,
+rappelés enfin en 1789, et disparaissant pour toujours dans cette
+tempête qui engloutit clergé, noblesse, tiers-état, toute distinction
+d'ordres, et créa la nation française.
+
+_History of the House of Commons_, from the convention-parliament of
+1688-9 to the passing of the reform bill in 1832; by W. CHARLES
+TOWNSEND, Esq., recorder of Macclesfield.
+
+_Histoire de la Chambre des Communes_ depuis la convention de 1688-9,
+jusqu'au vote du bill de réforme en 1832; un vol. in-8. Londres.
+Colburn, 14 schellings (non traduite.)
+
+A en juger par le premier volume qui vient de paraître, cet ouvrage de
+M. Townsend ne tiendra pas les promesses de son titre. Il n'est jusqu'à
+présent qu'un recueil assez indigeste d'anecdotes ou de biographies.
+S'il se fût présenté avec un air plus convenable et plus modeste, il eût
+été sans aucun doute beaucoup mieux accueilli par la critique; mais il
+lui sied trop mal d'avoir de telles prétentions. M. Townsend ne peut pas
+croire qu'il a écrit une histoire de la chambre des communes: il ne le
+persuadera pas au lecteur, que son annonce mensongère aura trompé.
+
+L'histoire que M. Townsend s'était proposé d'écrire renferme une période
+de 144 années; car elle s'étend depuis la convention de 1688-9 jusqu'à
+la promulgation du bill de réforme en 1832. Cette période, M. Townsend
+la divise en trois époques. La première de ces époques, qui commence à
+l'abdication de Jacques II et finit à la mort de Georges Ier, en 1727,
+se trouve comprise tout entière dans le premier volume que le libraire
+Colburn vient de mettre en vente.
+
+Ce volume, divisé en treize chapitres, se compose des biographies de
+tous les _speakers_ qui ont présidé la chambre des communes pendant ces
+39 années, et de celle des principaux _lawyers_, ou jurisconsultes qui y
+ont jeté quelque éclat, Somers, sir Robert Sawyer, sir William Williams,
+Robert Priée, sir Bartholomew Shower et lord Lechmere. On y trouve en
+outre trois curieux chapitres sur les divers _privilèges_ dont
+jouissaient les membres de la chambre des communes. Mais, nous le
+répétons une fois encore, pourquoi cette compilation a-t-elle pris un si
+beau titre?
+
+_Les Annales du Parlement français_, ou Compte-rendu méthodique des
+débats de la Chambre des Pairs et de la Chambre des Députés, publié par
+une société de publicistes, sous la direction de M. FLEURY (4e année de
+la publication). Chaque année, 1 volume in-4° du prix de 25 fr.--Chaque
+discussion se vend séparément 25 cent. la feuille. Paris, Firmin Didot.
+
+MM. Firmin Didot suivent, depuis quatre années, l'exemple que leur avait
+donné le libraire Hansard: à la fin de chaque session ils réimpriment,
+en un beau volume in-4º, les _Parliamentary debates_ des Chambres
+françaises. Cette publication, faite avec le plus grand soin, ne pouvait
+manquer d'obtenir un grand succès. D'une part, en effet, elle s'adresse
+non-seulement aux pairs et aux députés, mais aux administrateurs, aux
+jurisconsultes, à tous les hommes qui se livrent à des études sérieuses
+sur la politique, la législation, et à l'économie politique; d'autre
+part, elle ne peut être remplacée par aucune collection, car elle est
+conçue sur un plan entièrement nouveau. Tandis que toutes les autres
+publications périodiques offrent, pour chaque session, une série de
+séances, les _Annales du Parlement français_ offrent, pour la même
+période, une série de discussions complètes. Tout ce qui concerne le
+même sujet, depuis la _première_ présentation du projet jusqu'au
+_dernier_ vote, est réuni sans interruption. Les exposés des motifs et
+les rapports dans les deux Chambres sont transcrits _in extenso_. Les
+discours prononcés sont tantôt reproduits en entier d'après le
+_Moniteur_, tantôt analysés avec soin, le plus souvent en conformité des
+procès-verbaux qui offrent la meilleure garantie d'exactitude et
+d'impartialité. Les textes des projets présentés, amendés et votés, sont
+transcrits en entier sur plusieurs colonnes, de manière que l'oeil peut
+suivre facilement les transformations subies dans la discussion.
+
+Chaque volume comprend ainsi une session entière; mais pour que cette
+classification méthodique ne fasse pas perdre de vue l'ordre naturel des
+débats, les sommaires des séances, en ordre chronologique, indiquent
+_tous_ les travaux des deux Chambres et tous les noms des pairs et des
+députés qui ont pris part aux débats.
+
+Enfin des tables alphabétiques permettent de rechercher facilement les
+travaux des deux Chambres et de chacun de leurs membres.
+
+_Des Monts-de-Piété et des Banques de prêt sur nantissement_ en France,
+en Belgique, en Angleterre, en Italie, en Allemagne, par A. BLAIZE. 1
+vol.. in-8° de 440 pages. Paris, 1843. Pagnerre, 9 francs.
+
+Frappé des inconvénients et des abus actuels des Monts-de-Piété, M. A.
+BLAIZE a consacré plusieurs années de sa jeunesse à examiner cette
+question, qui intéresse à un si haut degré la condition présente et
+peut-être même l'avenir des classes inférieures. Il a réuni en un seul
+volume une masse énorme de documents inédits ou disséminés dans de
+nombreux ouvrages; mais il ne s'est pas contenté de signaler le mal, il
+a en outre essayé d'indiquer les remèdes capables de le guérir. Le livre
+qu'il vient de publier est tout à la fois un ouvrage de statistique et
+de théorie, qui s'adresse aux hommes sérieux et positifs. Toutes les
+réformes qu'il propose sont, non-seulement possibles, mais immédiatement
+réalisables.
+
+M. A. BLAIZE a divisé son travail en trois parties. La première comprend
+l'histoire des banques de prêts sur nantissement depuis le Moyen-Age
+jusqu'à nos jours Un fait curieux, l'apparition des aventuriers italiens
+désignés, au Moyen-Age, sous le nom de Caoursins et de Lombards, et qui
+paraissent avoir été d'abord les agents de la cour de Rome, l'a conduit
+à des recherches du plus haut intérêt pour l'histoire des finances et de
+l'économie politique. Ainsi M. BLAIZE a surtout puisé aux sources
+officielles; les ordonnances du Louvre lui ont fourni des matériaux
+précieux.
+
+La seconde partie est consacrée à l'examen de l'organisation des
+Monts-de-Piété en général, mais principalement de celui de Paris, le
+plus considérable de tous. M A. Blaize a étudié ses opérations dans le
+plus grand détail, et s'est appuyé uniquement sur les comptes
+administratifs. Il discute avec un soin tout particulier la question des
+commissionnaires, débattue depuis plusieurs années entre eux et
+l'administration, et dont la solution, quelle qu'elle soit, ne peut être
+éloignée et exercera une grande influence sur l'avenir du Mont-de-Piété.
+Est-il nécessaire d'ajouter qu'il considère en fait et en droit leur
+suppression «comme chose juste, utile et légale.»
+
+Dans la troisième partie, M. A Blaize expose et développe les réformes
+qu'il voudrait voir introduire dans le régime des Monts-de-Piété. Les
+institutions ne sauraient rester stationnaires; elles doivent se mettre
+en harmonie avec le développement progressif des sociétés. M. A. Blaize
+propose douze réformes principales qui feraient, dit-il, des monts
+d'_impiété_, comme les appelait Nicolas Barianno, des banques populaires
+et de véritables institutions de bienfaisance et contiendraient le germe
+d'une transformation sociale.
+
+Enfin, pour compléter son travail, M. A. Blaize a réuni dans un
+appendice tous les documents qu'il a pu recueillir sur les banques
+étrangères de prêts sur nantissement. Il passe successivement en revue
+l'Angleterre, l'Écosse, l'Irlande, la Belgique, la Hollande,
+l'Allemagne, l'Italie, le Piémont, l'Espagne, la Russie et la Chine.
+Trois curieux paragraphes, intitulés: Législation, Jurisprudence et
+Bibliographie des Monts-de-Piété, terminent cet appendice.
+
+M. A. Blaize a rempli son but; il réussira certainement «à appeler sur
+cette matière, si importante à ses yeux et si ignorée, l'attention des
+hommes de bien, à provoquer des études sérieuses et les réformes que
+commandent, en faveur des classes déshéritées, la justice et la raison.»
+Son livre mérite à un double titre nos éloges. C'est une bonne action et
+de plus un ouvrage consciencieux, méthodique, clair, et écrit dans
+certaines parties avec cette noble chaleur qui vient plus encore du
+coeur que de l'esprit.
+
+_De la création de la Richesse_, ou des intérêts matériels en France,
+statistique comparée et raisonnée, par J.-H SCHNITZLER; 2 vol. in-8º.
+Paris, 1842. Lebrun, 15 fr.
+
+M. J-H. Schnitzler a entrepris, depuis plusieurs années, un important
+ouvrage, intitule _Statistique générale de la France_. Cet ouvrage,
+accompagné de nombreux tableaux et divisé en deux parties, doit former 4
+vol. in-8°. La seconde partie seule a paru, sous le titre de: _Création
+de la Richesse_. M Schnitzler l'a publiée séparément, «malgré son
+imperfection trop réelle, afin de mieux débrouiller l'énorme amas de
+matériaux qu'il lui a fallu mettre en oeuvre, et, afin de puiser, dans
+les indulgents suffrages du public, l'encouragement dont il a besoin
+pour mener à bien une entreprise si difficile.»
+
+Le premier volume de la _Création de la Richesse_ est consacré à la
+_production_, c'est-à-dire à l'industrie dans son acception la plus
+générale (agriculture, exploitation des mines, industrie manufacturière,
+etc.) Le second volume traite de la _circulation_ ou du commerce (des
+importations et des exportations de la France, de ses relations
+mercantiles avec tous les pays du monde, des transports par terre et par
+mer, de l'état de tous les ports du royaume, etc.).
+
+Ces deux volumes embrassent ainsi les _intérêts matériels_ dans leur
+vaste ensemble et les examinent sous toutes leurs faces.
+
+Les _intérêts moraux_ seront l'objet des deux premiers volumes qui
+paraîtront dans le courant de cette année. Après avoir traité avec
+détail du territoire, de la population et de la consommation, M.
+Schnitzler annonce qu'il exposera d'une manière complète et dans un
+ordre méthodique, tous les faits relatifs à l'État (constitution,
+gouvernement, administration, force publique, etc.), à l'Église et aux
+Écoles.
+
+_Voyage en Bulgarie_ pendant l'année 1841, par M. BLANQUI, membre de
+l'institut; 1 vol. in-18. Paris, 1843. W. Coquebert, 3 fr. 50 c.
+
+Vers le milieu de l'année 1841, à la suite de quelques exactions
+financières plus rudes que de coutume, une partie des populations
+chrétiennes de la Bulgarie se souleva contre les Turcs. Ce mouvement,
+mal combiné, fut bientôt comprime par la force militaire. Pendant
+plusieurs semaines, des bandes d'Albanais, déchaînées contre les
+insurgés mirent à feu et à sang la malheureuse Bulgarie. Le bruit de
+leurs dévastations retentit bientôt dans toute l'Europe chrétienne, dont
+les cabinets venaient de se concerter d'une manière si éclatante en
+faveur de l'Empire ottoman. La France s'en montra surtout vivement
+préoccupée, et M. Guizot, ministre des affaires étrangères, chargea
+alors M Blanqui d'aller constater le véritable état des choses, en
+traversant la Turquie d'Europe dans sa plus grande longueur, depuis
+Belgrade jusqu'à Constantinople.
+
+M. Blanqui était parti de Paris publiciste de l'opposition, il est
+revenu de Constantinople candidat ministériel. A son retour, il a rédigé
+un travail officiel qui ne lui appartient plus; mais il publie
+aujourd'hui la relation personnelle de son voyage. On ne peut refuser à
+M. Blanqui un esprit vif et prompt et un style net et facile. Son
+_Voyage en Bulgarie_ a en outre le mérite de nous faire connaître,
+superficiellement il est vrai, l'état physique, économique et moral
+d'une vaste contrée bien rarement visitée et plus rarement décrite par
+les voyageurs français ou étrangers.
+
+M. Blanqui s'embarque à Vienne sur le Danube, et descend ce beau fleuve
+jusqu'à Belgrade, où il rend une visite au prince Michel et à la
+princesse Lioubitza. A Belgrade il prend la voie de terre pour gagner
+Constantinople; il traverse successivement Vidin, dont le pacha, le
+fameux Hussein, l'exterminateur des janissaires, lui fait une magnifique
+réception, Nissa, Sophie, Ousonnjava, Andrinople et Constantinople. Un
+bateau à vapeur le ramène ensuite à Malte et à Marseille. L'importance
+actuelle et future du Danube, les dernières révolutions de la Servie, le
+caractère, l'agriculture et le commerce des Bulgares, la quarantaine et
+la navigation à vapeur en Orient, forment les sujets de plusieurs
+chapitres qui permettent au lecteur de reprendre haleine.... car M.
+Blanqui ne s'arrête pas longtemps dans le même pays. Enfin un rapport
+sur les prisons de la Turquie termine ce joli petit volume, dont la
+lecture est aussi agréable qu'instructive.
+
+_Poésies_ d'ANTOINETTE QUARRÉ, de Dijon; 1 vol. in-8º, 1843. Paris,
+Ledoyen.--Dijon, Lamarche.
+
+Mademoiselle Antoinette Quarré est une jeune lingère qui a toujours
+habité Dijon, sa ville natale. Dès son enfance, elle aima passionnément
+la poésie. A peine les travaux de l'atelier lui laissaient-ils un
+instant du repos, elle lisait les tragédies de Racine; elle en récitait
+les plus belles tirades. Enfin, un jour le hasard fit tomber entre ses
+mains un volume des _Méditations poétiques_ de M. de Lamartine. «Il me
+sembla, dit-elle, qu'un monde nouveau se révélait à ma pensée, et je
+m'abandonnai avec délices à l'enivrement de cette lecture, qui venait de
+compléter en quelque sorte mon existence intellectuelle. Ce livre chéri
+ne me quitta plus, et, à force de le relire, j'en appris bientôt toutes
+les pages. C'est ainsi que, accoutumée à cette langue harmonieuse des
+vers, j'en vins tout naturellement à la parler à mon tour; mes propres
+pensées se revêtirent d'elles-mêmes d'expressions poétiques, et j'y
+trouvai du plaisir. »
+
+A dater de cette époque, mademoiselle Antoinette Quarré composa, dans
+ses moments de loisir, quelques petites pièces pleines de fautes et
+d'incorrections; car les règles de l'art lui étaient tout à fait
+inconnues; mais déjà un homme d'esprit et de goût. M. Roget de
+Belloguet, ayant pris connaissance de ces premiers essais, y découvrit
+les germes d'un beau talent. Il alla trouver la jeune fille ignorante,
+l'aida de ses conseils et de ses leçons, et plus tard lui fit ouvrir les
+colonnes d'une revue littéraire qui s'imprimait alors à Dijon. Les
+premiers vers publiés par mademoiselle Antoinette Quarré furent
+accueillis avec faveur. M. de Lamartine adressa à la jeune lingère
+dijonnaise une de ses plus gracieuses épîtres; dès lors la réputation de
+mademoiselle Quarré s'accrut dans la même proportion que son talent. Une
+souscription qui fut bientôt remplie s'ouvrit à Dijon pour l'impression
+de ses oeuvres choisies. Le Conseil municipal et l'Académie des
+sciences, arts et belles-lettres de Dijon, s'empressèrent de s'associer
+à ce généreux mouvement d'une ville que sa réputation littéraire place
+au premier rang parmi les villes de la France.
+
+Telle est l'histoire de ce charmant volume qui nous arrive de la
+capitale de la Bourgogne. Disciple de M. de Lamartine, mademoiselle
+Antoinette Quarré imite parfois un peu servilement les rhythmes de son
+maître; mais alors même qu'elles paraissent trop monotonement
+harmonieuses, ses strophes renferment toujours quelque pensée délicate
+ou profonde. Pour elle, la forme n'est évidemment qu'un moyen, qu'un
+accessoire. Elle a un but plus élevé, elle cherche à parler à l'âme ou
+au coeur. On a peine à comprendre, en lisant ses poésies, comment, au
+milieu des soucis d'une vie laborieuse et pauvre, en gagnant péniblement
+son pain de chaque jour, une jeune fille a pu atteindre à une pareille
+perfection de style, développer si largement son intelligence et trouver
+en elle de tels trésors de sentiment. Cependant le doute est-il
+possible? Les preuves ne sont-elles pas là dans nos mains, sous nos
+yeux? N'avons-nous pas lu _Un fils, la réponse à M. de Lamartine, à mon
+Perroquet, à Dijon, la Madone, l'Invocation,_ et tant d'autres petits
+chefs-d'oeuvre qui nous autorisent à ajouter dès à présent le nom de
+mademoiselle Antoinette Quarré à la liste déjà si longue des écrivains
+auxquels Dijon s'enorgueillit d'avoir donné le jour.
+
+_Rimes héroïques_, par AUGUSTE BARBIER. 1 joli vol. in-18. Paris, 1843.
+Paul Masgana, 3 fr. 50.
+
+En feuilletant les oeuvres lyriques de Torquato Tasso, M. A. Barbier y a
+trouvé un recueil de sonnets intitulé: _Rime héroïque_. Ce sont des vers
+adresses à différents princes de l'Italie, en l'honneur de leur mariage
+ou de la naissance de leurs enfants. L'auteur des _Iambes_ a pensé que
+ce titre pouvait s'appliquer avec plus de raison encore aux chants
+inspirés par ceux qui se sont dévoués au bien de leurs semblables. Il a
+donc recueilli toutes les pièces, de vers que, dans ses lectures ou dans
+ses voyages, l'émotion d'un pieux souvenir, un grand acte de vertu ou de
+patriotisme avaient pu lui inspirer, et les groupant par ordre de temps,
+il en a composé une sorte de galerie qu'il a décorée du titre de _Rimes
+héroïques._--La forme du sonnet est celle que sa pensée a revêtue, «car,
+dit-il, ce petit poème, d'invention moderne, a le mérite d'encadrer avec
+précision l'idée ou le sentiment.»
+
+
+
+M. le Maréchal comte d'Erlon.
+
+M. le lieutenant-général Drouet, comte d'Erlon, vient, par ordonnance
+royale du 9 avril, d'être élevé à la dignité de maréchal de France.
+
+Aux termes de la loi du 4 août 1839, sur l'organisation de
+l'état-major-général de l'armée, le nombre des maréchaux de France est
+de six au plus en temps de paix, et pourra être porté à douze en temps
+de guerre. Lorsqu'en temps de paix le nombre des maréchaux de France
+excédera la limite fixée, la réduction s'opérera par voie d'extinction;
+toutefois, il pourra être fait une promotion sur trois vacances.
+
+A l'époque où cette loi fut rendue, le nombre des maréchaux de France
+était de douze. Depuis, six d'entre eux sont morts, et sur ces six
+vacances, deux promotions ont été faites: celles de M. le
+lieutenant-général comte Horace Sébastiani et de M. le
+lieutenant-général comte Drouet d'Erlon.
+
+[Illustration: M. le maréchal comte d'Erlon.]
+
+Aujourd'hui, le nombre des maréchaux de France est de huit, dont un
+seul, M. le duc de Dalmatie, est de la première promotion, faite par
+Napoléon, le 19 mai 1804, le lendemain de son élévation au trône
+impérial. Voici les noms des huit maréchaux actuels: Duc de DALMATIE
+(Soult), président du conseil et ministre de la Guerre; duc de REGGIO
+(Oudinot), gouverneur de l'hôtel royal des Invalides; comte MOLITOR;
+comte GÉRARD, grand-chancelier de l'ordre, royal de la Légion-d'Honneur;
+marquis de GROUCHY; comte VALÉE; comte Horace SÉBASTIANI; comte DROUET
+D'ERLON.
+
+Les six derniers maréchaux morts sont: comte de Lobau (Mouton); marquis
+Maison; duc de Tarente (Macdonald); duc de Bellune (Victor); duc de
+Conégliano (Moncey); comte Clauzel.
+
+La dignité de maréchal de France, en vertu de la même loi du 4 août
+1839, n'est conférée qu'aux lieutenants-généraux qui auront commandé en
+chef devant l'ennemi: 1° une armée ou un corps d'armée composé de
+plusieurs divisions de différentes armes; 2º les armes de l'artillerie
+et du génie dans une armée composée de plusieurs corps d'armée. Le
+nouvel élu, doyen des lieutenants-généraux depuis quelques années, et
+dont la nomination à ce grade remonte au 27 août 1803, satisfait depuis
+longtemps à la première de ces conditions, puisqu'il plusieurs reprises,
+sous l'Empire, il a commandé en chef des corps d'armée formés de
+plusieurs divisions.
+
+M. le maréchal Drouet d'Erlon, né à Reims le 29 juillet 1765, débuta
+dans la carrière militaire par être soldat dans un bataillon de
+volontaires nationaux, où il s'enrôla en 1792. Son courage et son
+intelligence l'ayant fait distinguer par le général Lefebvre, il devint
+son aide-de-camp, et fit sous ses ordres les campagnes de 1793, 1794,
+1795 et 1796, aux armées de la Moselle et de Sambre-et-Meuse. En 1799,
+il fut nommé, général de brigade. Attaché à l'armée qui, en 1803,
+s'empara du Hanovre, il fut élevé au grade de général de division. Il
+servit en cette qualité à la grande armée d'Allemagne, prit une part
+active à la bataille d'Iéna, et contribua à la prise de Halle. Chef
+d'état-major-général du corps d'armée du maréchal Lannes, il se signala
+à la bataille de Friedland, le 14 juin 1807, et y fut blessé. Le 29 mai,
+il fut nommé grand-officier de la Légion-d'Honneur. En 1809, il
+contribua à soumettre le Tyrol. Chargé du commandement du 9e corps
+d'armée d'Espagne, il obtint, en 1810, des succès en Portugal, et lit sa
+jonction avec Masséna, le 26 décembre 1811 A la fin de décembre 1812, il
+força le général anglais Hill à se retirer sous les murs de Lisbonne. En
+1815, il commandait l'armée du centre et obtint des succès sur la
+Guenna. Vers la lin de juillet, il emporta de vive force le Col-de-Maya,
+après la plus vigoureuse résistance de la part des Espagnols. Il
+commandait un corps d'armée à la bataille de Vittoria, devint un des
+lieutenants du maréchal Soult lors de l'invasion de l'armée anglaise
+dans le midi de la France, et combattit, en 1814, dans toutes les
+affaires où le territoire national fut énergiquement disputé à l'ennemi,
+notamment à Orthez et à Toulouse.
+
+A la première Restauration, M. le comte d'Erlon fut nommé commandant de
+la 16e division militaire (Lille), chevalier de Saint-Louis et grand
+cordon de la Légion-d'Honneur. Après le débarquement de l'Empereur au
+golfe Juan, le général Lefebvre-Desnouettes ayant formé le projet de
+rassembler toutes les forces qui se trouvaient dans le nord de la
+France, pour tenter un coup de main sur Paris, M. le général Drouet
+d'Erlon fut prévenu de complicité dans ce hardi dessein, et arrêté, le
+13 mars 1813, par ordre du duc de Feltre (Clark), alors ministre, de la
+Guerre. Le cours des événements le rendit bientôt à la liberté, et lui
+permit de s'emparer de la citadelle de Lille, où il se maintint jusqu'au
+20 mars. Le 28 du même mois, il fit proclamer et reconnaître l'Empereur
+dans la 16e division. Napoléon l'éleva à la pairie par décret du 2 juin,
+et lui confia le commandement du premier corps de son armée, à la tête
+duquel il fit, à Fleuras et à Waterloo, des prodiges de valeur que la
+fortune rendit inutiles. Le général d'Erlon commanda ensuite l'aide
+droite de l'armée sous Paris, et après la capitulation, il se retira au
+delà de la Loire. Compris dans l'ordonnance de proscription du 24
+juillet 1815, il quitta son corps d'armée, et fut assez heureux pour
+arriver à Bayreuth, en Bavière, où il trouva un asile. Plus tard il
+s'établit aux environs de Munich et y vécut, dans une modeste retraite,
+de l'exploitation industrielle d'une brasserie. Il fut cité, le 12 juin
+1815, devant le conseil de guerre de la 11e division militaire, à
+Bordeaux, pour être jugé par contumace; mais l'instruction n'ayant pas
+été trouvée suffisante, l'affaire fut suspendue jusqu'à plus ample
+informé et n'eut pas d'autre suite.
+
+La révolution de Juillet 1830 rappela en France le comte d'Erlon, et il
+fut réintégré dans son grade. Son nom figura de nouveau sur la liste des
+lieutenants-généraux en activité, publiée par l'_Almanach royal et
+national_ de 1831, après en avoir été effacé pendant quinze années. Pair
+de France, le 19 novembre 1831, M. le comte d'Erlon fut nommé, par
+ordonnance royale du 27 juillet 1834, gouverneur-général des possessions
+françaises dans le nord de l'Afrique, et conserva ce commandement
+jusqu'au 8 août 1833, jour où il quitta Alger, une ordonnance du 8
+juillet lui ayant donné pour successeur le maréchal Clauzel, qu'il vient
+de remplacer à son tour dans la dignité de maréchal de France. Peu de
+temps après son retour d'Algérie, M. le lieutenant-général d'Erlon fut
+appelé de nouveau au commandement de la 12e division militaire, qu'il
+avait occupé avant son départ pour l'Afrique, et qu'il occupait encore
+au moment de sa promotion au maréchalat.
+
+
+
+Sur la Locomotion aérienne
+
+LETTRE
+
+A M. LE DIRECTEUR DE L'ILLUSTRATION.
+
+Monsieur,
+
+Vous avez inséré dans le dernier numéro de votre _Journal universel_ une
+description, avec figures, d'une machine à vapeur aérienne. Il paraît
+que la curiosité publique est vivement excitée, en Angleterre, par cette
+prétendue invention, et qu'il en a été même question au Parlement. En
+mettant vos lecteurs au courant du sujet, vous n'avez fait, ce me
+semble, que justifier votre titre et la promesse de ne rien laisser
+échapper de ce qui attire l'attention générale, à tort ou à raison. Vous
+avez eu soin, d'ailleurs, de ne parler de la _découverte_ de M. Henson
+qu'avec une prudente réserve, et je suis convaincu que tous vos
+lecteurs, mis en garde par la manière dont vous la leur avez exposée, ne
+l'auront accueillie qu'avec une extrême défiance, peut-être même la
+plupart avec une complète incrédulité.
+
+Pour moi, Monsieur, j'avoue que je me range décidément au nombre de
+ceux-ci, et je vous demande la permission de vous soumettre quelques
+réflexions au sujet du problème que M. Henson s'est proposé et de la
+solution qu'il s'imagine en avoir trouvée. Si vous jugez convenable de
+les communiquer à mes co-abonnés, j'ose croire que ceux qui prendront la
+peine de les lire tomberont d'accord avec moi sur l'absurdité théorique
+de cette solution; et quant à l'impossibilité pratique, je laisse à M.
+Henson lui-même le soin de la démontrer, s'il ne l'a déjà fait.
+
+Le principe fondamental de la nouvelle machine consiste, dit-on, en ce
+qu'elle _emprunte à la Nature_ la force nécessaire pour se mettre en
+mouvement et s'élever dans l'air; la machine à vapeur qu'elle porte lui
+restitue d'ailleurs, à chaque instant, la vitesse que lui fait perdre la
+résistance de l'air. On ajoute fort judicieusement, comme exemple à
+l'appui de cette idée, qu'un oiseau s'envole beaucoup plus facilement
+lorsqu'il est perché au sommet d'un rocher ou d'un arbre, que lorsqu'il
+lui faut s'élever de terre.
+
+Je trouve à ceci, monsieur Henson, une petite difficulté qui m'arrête
+tout d'abord. Vous lancez votre machine dans les airs, de l'extrémité
+supérieure d'un plan incliné: fort bien! Mais comment l'aurez-vous
+hissée au sommet de ce plan?--à grand renfort de poulies, de cordes, de
+cabestans, d'engrenages, etc.; le tout mis en action par des hommes, par
+des chevaux, par la vapeur, que sais-je? En tout cas, par un moteur
+qu'il faut payer; car si la _Nature_ consent à vous prêter de la force,
+ce n'est, assurément, pas pour rien. Puis, lorsque vous aurez abandonné
+l'appareil à lui-même, dans quel sens pensez-vous donc que s'exercera la
+vitesse qu'il acquiert en vertu de sa chute? Tout le monde ne répond-il
+pas, dans le sens vertical, de haut en bas.--Comment voulez-vous donc
+que cette vitesse puisse servir à un mouvement de progression horizontal
+dans un sens perpendiculaire à sa direction? Bien plus! comment oser
+dire qu'elle puisse changer de direction, et que votre aérostat d'un
+nouveau genre ait plus de vitesse à la descente? Ne voyez-vous pas que
+vous nous proposez tout simplement le mouvement perpétuel? Nierez-vous
+que votre histoire soit tout à fait analogue à celle du couvreur qui,
+venant de glisser le long d'un toit, passe, pendant sa chute, devant une
+fenêtre ouverte au premier étage, et profite de cette heureuse
+circonstance pour entrer de plain-pied dans l'appartement, à la grande
+surprise des locataires? Si le grand Newton ne s'est pas avisé de cette
+importante modification aux lois de la pesanteur universelle, c'est
+qu'il n'a philosophé qu'à propos de la chute d'une simple pomme dans son
+jardin. Nous, au contraire, n'avons-nous pas appris par nos bonnes
+l'anecdote de la chute du couvreur? Étonnez-vous donc un peu des progrès
+de la mécanique appliquée!
+
+Mais votre comparaison de l'oiseau me paraît tout à fait ingénieuse, et
+je désire vous y suivre, monsieur Henson! Oui, sans doute, votre oiseau
+vole avec moins de peine quand, d'un point culminant, il s'élance dans
+les airs, pour se maintenir à la même hauteur ou pour descendre, que
+lorsqu'il lui faut d'abord s'élever de terre à la hauteur qu'il veut
+atteindre. Vous-même, j'en suis sûr, vous éprouvez moins de fatigue à
+descendre qu'à monter un escalier. Il est vraiment à regretter que ces
+grandes vérités n'aient pas été vulgarisées, depuis longtemps, par
+quelque couplet _ad hoc_, dans la chanson de M. de la Palice; vous
+auriez moins de mal à nous les faire comprendre.--Mais comment votre
+oiseau a-t-il gagné le sommet de l'arbre sur lequel vous le perchez si
+gratuitement? Comment êtes-vous parvenu au haut de l'escalier que vous
+n'avez plus qu'à descendre? Je vous vois, vous et votre oiseau, dans un
+cruel embarras! Il va falloir que vous commenciez, vous, par monter,
+lui, par s'envoler de bas en haut. Tirez-vous de là si vous pouvez.
+
+Encore quelques mots, Monsieur le Directeur.--M. Henson nous promet une
+machine de la force de 20 chevaux, ne pesant pas plus de 500 kil., avec
+l'eau nécessaire pour l'entretenir. Je regrette qu'il ne nous ait pas
+parlé du temps du voyage. Mais jele suppose d'une heure seulement. Or,
+jusqu'à ce jour, on n'a jamais réussi à brûler moins de 2 kil. et demi
+de charbon par heure et par force de cheval; ce qui, pour 20 chevaux
+fait 50 kilog.--Il faut aussi compter au moins 12 kilog. et demi d'eau
+par heure et par cheval; et, pour la machine en question, 250
+kilog.--Comme 50 et 250 l'ont 300 kilog., voilà, si je ne m'abuse, la
+totalité du poids de la machine absorbé uniquement par
+l'approvisionnement d'une heure en eau et en charbon. Quant à la machine
+elle-même, il paraît qu'elle ne pèse rien du tout. Ce résultat n'est pas
+moins merveilleux que le reste; car on n'a pas encore, que je sache,
+réduit le poids d'une machine à vapeur à moins de 500 à 400 kilog. par
+force de cheval développée; ce qui coterait à 6.000 kilog., au bas mot,
+le poids de celle de M. Henson.
+
+Il y a donc quelques raisons de croire, Monsieur le Directeur, que la
+nouvelle invention doit être classée au premier rang parmi les
+_puffs_-monstres dont l'imagination féconde de nos voisins d'outre-mer
+nous gratifie si souvent aujourd'hui. Mais ce qui me semble fort
+divertissant, c'est que, cette fois, où ils paraissent avoir dépassé les
+limites du genre, ils se sont dupés eux-mêmes, semblables aux conteurs
+qui finissent par se persuader de la réalité des aventures qu'ils ne
+peuvent plus faire croire à personne.
+
+Agréez, je vous prie, etc.
+
+UN DE VOS ABONNÉS
+
+
+
+Rébus.
+
+EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS.. L'approche de la Comète a effrayé les
+vieilles bonnes femmes.
+
+[Illustration: Rébus.]
+
+
+
+
+
+
+
+
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+
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+
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+electronic work, or any part of this electronic work, without
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+Gutenberg-tm License.
+
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+1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
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+unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.
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+- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
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+ owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he
+ has agreed to donate royalties under this paragraph to the
+ Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments
+ must be paid within 60 days following each date on which you
+ prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax
+ returns. Royalty payments should be clearly marked as such and
+ sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the
+ address specified in Section 4, "Information about donations to
+ the Project Gutenberg Literary Archive Foundation."
+
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+ you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
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+ License. You must require such a user to return or
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+ and discontinue all use of and all access to other copies of
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+is also defective, you may demand a refund in writing without further
+opportunities to fix the problem.
+
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+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
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+If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
+law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
+interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
+the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
+provision of this agreement shall not void the remaining provisions.
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+1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
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+with this agreement, and any volunteers associated with the production,
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+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ http://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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+ <title>The Project Gutenberg eBook of L'illustration, L'Illustration. No. 0007, 15 Avril 1843 by Various</title>
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+Title: L'Illustration, No. 0007, 15 Avril 1843
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+Author: Various
+
+Release Date: December 2, 2010 [EBook #34547]
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+Language: French
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+Character set encoding: ISO-8859-1
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+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0007, 15 ***
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+Produced by Rénald Lévesque
+
+
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+
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+
+<br><br>
+
+<div class="cont">
+
+
+
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/001.png"></p>
+
+<hr class="full">
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="sommaire">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 49%;">
+<span class="sml">Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an. 30 fr.<br>
+
+Prix de chaque N° 75 c.--La collection mens. br., 2 fr 75.</span>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 2%;">
+
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 49%;">
+<span class="sml">Ab. pour les Dep.--3 mois. 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an. 32 fr.<br>
+pour l'étranger,--3 mois. 10 fr.--6 mois, 20 fr.--Un an. 40 fr.</span>
+ </td>
+
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+
+
+
+<p class="mid"><b>Nº 7. Vol. 1.--SAMEDI 15 AVRIL 1843.<br>
+Bureaux, rue de Seine, 33.</b></p>
+
+
+<div class="somm">
+<h3>SOMMAIRE.</h3>
+
+<p><b>Écroulement du vieux Beffroi de Valenciennes</b>, avec <i>une gravure.</i>--<b>Un
+mot sur l'Université--Courrier de Paris</b>. Le givre, une réconciliation,
+les deux yeux, un enfant mort en bas âge, les portraits et les modèles,
+appétit monstre, un mari reconnaissant, l'auteur et le directeur.
+<b>Représentation de pièces historiques.</b> Lucrèce.--<b>Romance.</b> Musique de M.
+Flotow, paroles de M. E. de Loutay, avec <i>une vignette.</i>--<b>Chronique
+musicale.</b> Concerts du Conservatoire. <i>Salle du Conservatoire</i>.--<b>Des
+Caisses d'Épargne.</b>--<b>Longchamp.</b> <i>L'Obélisque et les Champs-Elysées, une
+scène de Longchamp.</i>--<b>La Vengeance des Trépassés,</b> nouvelle (3e partie),
+avec une <i>gravure.</i>--<b>De l'Éloquence de la Chaire au XIXe siècle.</b> <i>Le
+dimanche des Rameaux, portraits de M. de Boulogne, de M. Deguerry, de M.
+Combalot, de M. Lacordaire, de M. de Ravignan, de M. Coeur, une
+prédication à Saint-Roch.</i>--Bulletin bibliographique.--<b>Annonces.--M. le
+maréchal comte d'Erlon.</b>. <i>Portrait.</i>--<b>Sur la locomotion
+aérienne.--Rébus.</b></p>
+</div>
+
+<h3>Écroulement du vieux Beffroi de Valenciennes.</h3>
+
+<p>Depuis la chute de la flèche métropolitaine de Cambrai en 1809, disent
+les journaux du Nord, nul événement aussi épouvantable que l'écroulement
+du beffroi de Valenciennes n'était venu frapper de consternation nos
+provinces.</p>
+
+<p>A la suite d'interminables lenteurs, après avoir renvoyé cette affaire
+de commission en commission, après avoir même fait visiter le beffroi
+par un architecte de Paris, M. Visconti, le conseil municipal de
+Valenciennes avait enfin voté la restauration du vieux monument:
+restauration difficile, dont la direction fut confiée à l'architecte de
+la ville, et les travaux adjugés au rabais à un entrepreneur. Les
+ouvrages commencèrent il y a peu de mois, et bientôt l'on s'aperçut de
+toutes les difficultés qu'ils présentaient: les ouvriers avaient fait de
+si fortes tranchées dans la vieille maçonnerie, que l'architecte
+lui-même en fut effrayé. Des lézardes se montrèrent le long de
+l'édifier, et dans la matinée du vendredi 7 avril, les pierres
+commencèrent à tomber successivement du faîte, avertissant les habitants
+de la Place d'Armes de l'effroyable catastrophe qui les menaçait.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/001a.png"><br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<b>Écroulement du Beffroi de Valenciennes, le 7 avril.</b></p>
+
+<p>Le même jour, à quatre heures vingt minutes du soir, la tour s'écroula
+tout entière avec un fracas épouvantable, s'abattant à peu près sur
+elle-même; le poids des pierres bleues qui couronnaient le beffroi, et
+surtout celui des vingt-quatre consoles qui supportaient le balcon, et
+ne pesaient pas moins de six milliers chacune, étaient devenus trop
+lourds pour les piétements affaiblis. On conçoit ce qu'a dû présenter
+d'horrible la chute d'une telle masse, qui comptait soixante-dix mètres
+de hauteur depuis la base jusqu'au paratonnerre, s'écroulant d'un seul
+coup, et tombant sur les habitations de son pourtour et les maisons
+voisines; les cloches, dont l'une ne pesait pas moins de neuf mille
+livres, enfoncèrent tous les étages jusqu'aux caves; enfin le dôme de la
+tour, violemment précipité, alla rouler jusqu'à la Place du Commerce. La
+Place d'Armes et l'entrée des rues voisines furent presque ensevelies
+sous une montagne de pierres, de poutres, de fer, de cloches et de
+plâtras.</p>
+
+<p>La première victime fut le malheureux guetteur, monté à son poste en
+tremblant, vendredi à midi, et qui entendit pendant quatre heures tomber
+une à une autour de lui les pierres du couronnement; il fut relevé
+respirant encore, et tenant en sa main son ouvrage de cordonnier; mais
+il expira bientôt après, par suite de l'affreuse commotion qu'il avait
+éprouvée. L'entrepreneur, resté sur l'échafaudage, fut dangereusement
+blessé, le serrurier, placé près de lui, a été sauvé miraculeusement.</p>
+
+<p>Les journaux quotidiens ont donné la liste des victimes de cet affreux
+événement: ils annonçaient que le chiffre exact n'en était pas encore
+connu. On sait aujourd'hui que sept personnages seulement ont perdu la
+vie, mais plusieurs blessés sont dans un état désespéré. Les habitants
+et la garnison rivalisèrent de zèle et de dévouement pour sauver les
+malheureux ensevelis sous les décombres: la compagnie d'Anzin envoya
+aussitôt des travailleurs intelligents et actifs, et mit à la
+disposition de la ville les chèvres, les grues et tous les outils de ses
+mines. Grâce à ces secours réunis, l'on put déblayer un peu la place, et
+sauver la vie a quelques blessés gisants sous des monceaux de ruines.</p>
+
+<p>Le malheur qui vient d'arriver est immense: mais si l'on considère ce
+qu'il pouvait être, il faut encore rendre grâces à Dieu de ce que le
+nombre des victimes ait été aussi restreint. Une ou deux heures plus
+tôt, l'écroulement atteignait plus de cinquante individus; et si le
+couronnement s'était, dans sa chute, incliné un peu à droite ou à
+gauche, une foule de maisons eussent été infailliblement écrasées.</p>
+
+<p>La perte matérielle de la ville est considérable: Valenciennes se trouve
+à la fois privée de son seul monument, du vieux souvenir de ses libertés
+communales, de ses bureaux d'octroi, de son horloge, de son carillon et
+d'un grand nombre de maisons attenantes au beffroi, qui étaient des
+propriétés communales.</p>
+
+<p>Une grave responsabilité va peser sur les entrepreneurs des travaux:
+l'administration n'avait cessé de leur recommander de prendre les plus
+grandes précautions; peu persuadée d'ailleurs par les assurances
+réitérées de l'architecte, qui prétendait répondre sur sa tête de la
+solidité de la tour, la municipalité avait ordonné, le matin même du 7
+avril que l'on évacuât immédiatement les bâtiments du beffroi et les
+petites maisons qui y étaient adossées; en même temps elle fit cesser la
+sonnerie des cloches et interdit la circulation des voitures aux
+alentours du monument C'est grâce à la promptitude et à l'énergie de ces
+mesures que la ville n'a pas en à déplorer de plus grands malheurs.</p>
+
+<p>Le beffroi de Valenciennes était sans contredit l'un des plus anciens
+et des plus remarquables monuments du nord de la France. Nos lecteurs
+trouveront donc nous l'espérons, quelque intérêt dans la notice
+historique que nous joignons au récit de l'événement. Nous puisons la
+plupart de nos documents dans l'histoire de Valenciennes par
+<i>d'Oultreman</i>, et les deux derniers feuilletons de <i>l'Écho de la
+Frontière.</i></p>
+
+<h3>Notice historique</h3>
+
+<h4>SUR LE BEFFROI DE VALENCIENNES.</h4>
+
+<p>L'antiquité du beffroi de Valenciennes remonte jusqu'au treizième siècle
+En 1222, sous le règne de la comtesse Jeanne de Flandres, fille du
+fameux empereur Baudouin de Constantinople, un premier beffroi fut élevé
+sur la place du Marché: mais, soit que la construction en fût vicieuse
+ou l'emplacement mal choisi, il fut démoli dès l'an 1237, et l'on jeta
+les fondements d'une nouvelle tour à l'extrémité méridionale de la
+place. Cette fois la comtesse Jeanne chargea le seigneur de Materen,
+gouverneur de la ville, de surveiller la construction du monument. De
+1238 à 1240 l'édifice fut achevé dans toutes les normes. C'était une
+tour quadrilatérale, à angles arrondis, bâtie en grès dans la partie
+inférieure, et en pierres blanches à partir d'une certaine hauteur
+jusqu'au sommet, qui se terminait alors par quatre petites tourelles en
+encorbellement, et par une plate-forme générale, garnie de murs d'appui
+crénelés. Au-dessus de cette plate-forme, couverte de plomb, s'élevait
+la hutte de bois du guetteur, fortement établie sur un soubassement qui
+la rehaussait encore de plusieurs toises. A la base de la tour étaient
+adossées plusieurs constructions servant de lieu de dépôt pour
+marchandises.</p>
+
+<p>En l'an 1558, deux cloches furent placées au beffroi. La première grosse
+cloche, dite <i>Blanche cloche</i>, du poids de 9.000 livres, et la seconde,
+la cloche des ouvriers, nommée <i>Curiande</i>, du poids de 3,800 livres,
+fondue par Guillaume de Saint-Omer; elle sonna pour la première fois le
+jour de la Toussaint de la même année.</p>
+
+<p>Au commencement du seizième siècle, Jacquemart-Levayrier, dit l'<i>Arbre
+d'or</i>, voulant <i>réjouir</i> ses concitoyens, institua quatre musiciens, ou
+<i>museux</i>, qui devaient, sur le balcon du beffroi, jouer du hautbois tous
+les jours à midi, et du matin jusqu'au soir les jours de marché. Cet
+usage se perpétua pendant deux siècles; mais, en l'an VII, la République
+confisqua et fit vendre les biens affectés à cette fondation.</p>
+
+<p>Pendant les guerres de Charles-Quint avec François Ier et Henri VIII, on
+avait éprouvé que le guetteur ne voyait pas d'assez loin l'approche des
+partis français qui venaient ravager les environs de Valenciennes; en
+conséquence, le beffroi fut exhaussé en 1546; la flèche fut de même
+relevée de vingt-deux pieds en 1647, et l'on y plaça, comme girouette,
+un grand aigle doré, emblème héraldique de l'empereur Charles-Quint.</p>
+
+<p>Le beffroi resta longtemps en cet état sans éprouver de nouveaux
+changements. En 1578, le baron de Harchies, voulant faire un coup de
+main sur la ville, s'empara du beffroi, mais il en fut bientôt chassé.</p>
+
+<p>En 1615, il y eut quelques agrandissements apportés aux bâtiments du
+pourtour, qui servaient alors de bourse aux marchands. De 1680 à 1700,
+le magistrat éleva devant la tour un bâtiment à la moderne, faisant face
+à la place, surmonté, aux deux ailes, de deux petites lanternes, ou
+belvédères, de très-bon goût, qu'un auteur signale, dans un livre
+d'architecture, comme un modèle d'élégance. En 1712, on rebâtit sur les
+autres faces neuf maisons d'habitation, décorées de jolies sculptures,
+et connues sous le nom de leurs diverses enseignes: le <i>Dromadaire, le
+Taureau-Marin, le Cheval-Marin, le Triton, la Sirène, le Chameau, le
+Castor et l'Éléphant.</i> L'octroi occupait le <i>Dromadaire</i> et le
+<i>Taureau-Marin.</i> Les six autres maisons étaient louées à certaines
+professions désignées, qu'on ne pouvait changer sans la licence du
+magistrat. Outre les deux pavillons, la façade de la tour se composait
+encore d'une galerie découverte et de deux balcons aux étages
+supérieurs. Les bustes des douze Césars, plus grands que nature, les
+quatre Saisons, et autres sculptures délicates, ornaient ces
+constructions.</p>
+
+<p>De 1782 à 1784, sous la prévôté de M. de Pujol, qui fit reconstruire ou
+réparer presque tous les monuments de Valenciennes, le couronnement du
+beffroi fut remis à neuf et de nouveau exhaussé. On démolit la
+plate-forme et toute la partie supérieure, jusqu'à l'endroit où l'on
+trouva la bâtisse saine et solide; là-dessus fut élevé un nouveau
+couronnement dans le style Louis XV. Les colonnes ornées, les balcons
+contournés, les vases Pompadour, vinrent se placer sur la tour gothique
+de Jeanne de Flandres. Les pierres employées pour cette restauration
+étaient en calcaire bleu, leur solidité ayant paru supérieure à celle
+des pierres blanches,</p>
+
+<p class="mid">......Color deterrimus albis;</p>
+
+<p>malheureusement ces pierres bleues étaient d'une pesanteur énorme, et
+devaient tôt ou tard écraser l'édifice: aussi prévit-on dès lors un
+écroulement; et <i>M. de Rollecour, l'un des magistrats, défendit à son
+cocher, sous peine d'être chassé, de jamais passer avec sa voiture dans
+les environs du beffroi.</i>--On oublia en même temps de garnir de plomb
+le palier du balcon, et la pluie, filtrant au travers des pierres, fit
+pourrir peu à peu les dernières assises.</p>
+
+<p>Le 30 mai 1795, à l'ouverture du siège de Valenciennes, la garnison et
+les habitants prêtant à la République le serment solennel de fidélité,
+le zèle patriotique des sans-culottes s'affligea de voir l'énorme fleur
+de lis sculptée au faîte du beffroi; des ouvriers furent envoyés pour
+l'effacer, mais ils ne purent jamais l'atteindre; il fallut se borner à
+couvrir le signe monarchique sous les plis d'un vaste drapeau tricolore.
+La tour du beffroi, pendant tout le siège, servit de point de mire aux
+obus de l'armée ennemie, mais elle soutint assez bien ce bombardement.
+«Il est vrai, dit l'<i>Écho de la Frontière</i>, que les canons du duc d'York
+ne lui firent pas d'aussi grandes brèches que les modernes
+restaurateurs.»</p>
+
+<p>En 1800, la girouette aux armes d'Espagne fut remplacée par une
+brillante Renommée sonnant de la trompette. Cette statue, debout sur un
+globe doré, fut menée en triomphe par les rues de la ville avant d'être
+hissée sur son piédestal. Mais deux ans après, un violent ouragan
+abattit la Renommée, qui heureusement n'atteignit personne dans sa
+chute.--A la Restauration, on plaça sur le beffroi un lion d'or, emblème
+héraldique de Valenciennes.</p>
+
+<p>En 1811 le maire de la ville, M. Benoist, eut la fantaisie de remplacer
+les deux élégants belvédères et tout le bâtiment de la façade par une
+lourde construction où furent logés l'octroi et le Cercle du Commerce.
+Chacun protesta contre cet acte de vandalisme, et M. le général
+Pommereul, préfet du Nord, témoigna là-dessus son sentiment à
+l'architecte d'une façon toute militaire.</p>
+
+<p>Enfin, depuis dix ans on projetait une restauration complète du beffroi;
+plût à Dieu qu'on l'eut entreprise plus tôt et sur de meilleurs plans!</p>
+
+<p>M. le capitaine Coste, en 1824, avait pris, avec le graphomètre, les
+différentes dimensions de la tour. On nous saura peut-être gré de les
+reproduire ici:</p>
+
+<pre>
+De la base au balcon. 79 m. 50 c.
+Du balcon au-dessus du dôme. 14 50
+Du dôme au-dessus de la lanterne, sous la boule. 7 50
+De la lanterne jusqu'au bout du paratonnerre. 8 55
+
+Total. 70 m. 05 c.
+</pre>
+
+<p>La sonnerie du beffroi était fort belle et fort ancienne. Au moment où
+nous écrivons, elle est à peu près dégagée de dessous les décombres, et
+chacun se presse pour la voir.--Elle se composait de huit cloches: 1º le
+gros bourdon, d'un poids énorme, sans millésime apparent; 2º une cloche
+à la date de 1346, avec une légende historique dont on ne peut encore
+lire qu'une partie: <i>Nuit et jour peut oïr la communauté</i>; le reste de
+la devise est enseveli sous les plâtras; 3º deux cloches de 1555, dont
+l'une porte ces mots: <i>Réjouissant les coeurs par vrais accords</i>; 4°
+deux cloches de 1597, blasonnées du cygne valenciennois; 5º une cloche
+de 1626, avec le même signe et cette inscription: <i>Nous avons été fait
+pour l'horloger de Valenciennes par Jean Delecourt et ses fils, en 1626</i>;
+enfin une dernière cloche sans date, mais entourée d'ornements, parmi
+lesquels on distingue des fleurs de lis, une madone, un saint Michel à
+cheval et des armoiries flanquées de deux bâtons en croix de
+Saint-André, comme on en voit sur quelques emblèmes de Charles-Quint.</p>
+
+<p>Toutes ces cloches sont en parfait état; elles n'ont éprouvé aucune
+avarie dans leur chute.</p>
+<br>
+
+<h3>Un mot sur l'Université.</h3>
+
+<p>Parmi les diverses propositions, toutes vaines et avortées, par
+lesquelles d'honorables députés des divers bancs de la Chambre ont du
+moins manifesté depuis quelques jours le désir louable de combattre
+l'affaiblissement de l'esprit public et l'atonie politique où nous
+tombons de plus en plus, la proposition d'admettre les candidats au
+baccalauréat à subir leur examen sans avoir à justifier d'études
+universitaires, nous semble devoir être remarquée non pour son résultat
+immédiat (elle a été repoussée), mais pour l'arriére-pensée politique
+qui l'a inspirée et pour cet esprit agressif contre l'Université, qui
+gagne et se propagerait enfin de proche en proche dans tous les partis
+d'une façon bientôt inquiétante. En effet, au moment même où cette
+proposition était faite par un esprit d'ailleurs éclairé, M. de Carné,
+M. Arago, de son côté, à propos d'une pétition qui demandait que les
+candidats à l'école polytechnique ne soient pas, à l'avenir forcés
+d'être bacheliers, non content d'appuyer cette requête, comme il en a
+assurément le droit plus que personne au monde, et comme député, et
+comme ancien professeur de cette école célèbre et comme savant éminent,
+a pris de là occasion d'attaquer aussi l'Université, repoussant, comme
+inutile, frivole et presque dangereux, son enseignement, l'étude des
+belles-lettres et de la philosophie.</p>
+
+<p>En temps ordinaire, et sans cette espèce, de coalition fortuite, nous
+l'avouons, mais générale et malheureuse, contre l'Université de France,
+nous laisserions volontiers cette respectable matrone se justifier
+seule, par l'organe de ses rhéteurs émérites et de ses philosophes en
+robe et en bonnet, et défendre seule son monopole contre M. de Carné, la
+nature de son enseignement et ses traditions un peu routinières contre
+M. Arago.</p>
+
+<p>Mais c'est un des malheurs de ce pays d'être en ce moment divisé, non
+plus seulement comme tous les pays du monde, en esprits jeunes, ardents,
+aventureux et plus ou moins témérairement novateurs, et en esprits plus
+mûrs, et, si l'on veut, plus désabusés et plus ou moins sagement
+conservateurs, mais bien en trois partis exclusifs, intraitables,
+aveugles, qui s'anathématisent sans relâche et se damnent l'un l'autre
+sans miséricorde, savoir: un parti qui ne voit, ne comprend, ne veut,
+et, chose étrange! n'espère que le passé! un parti qui, par
+compensation, ne cherche, ne voit, ne sait, ne pleure que l'avenir,
+toujours en retard d'un millier d'années au gré de son impatience;
+enfin, un parti qui, naturellement effrayé de cette soif monstrueuse,
+également déraisonnable des deux parts, et de ce qui n'est plus et de ce
+qui ne saurait être encore, se condamnerait volontiers, lui, de peur de
+donner gain de cause à l'un de ses adversaires, à une impuissance
+absolue, à une éternelle immobilité, sommeil perfide, torpeur
+dangereuse, qui, lorsqu'elle se prolonge, n'est autre chose que la mort
+même des nations.</p>
+
+<p>Et, dans la plupart des questions qui se débattent, le parti qui veut,
+au fond, revenir purement et simplement au passé, irrité de la
+résistance qu'on lui oppose justement, s'allie tout bas au parti
+novateur et nie effrontément au pouvoir les facultés dont il se réserve,
+à part soi, d'user largement un jour contre ses imprudents amis, si
+jamais il gouverne encore.</p>
+
+<p>Il faut donc que les hommes sages qui croient que l'idée même du progrés
+normal implique, avec celle de ne point rétrograder, l'idée d'une
+succession graduée de développements mesurés et toujours plus ou moins
+lents, interviennent enfin. Oui, bon gré, mal gré, quand il s'agit, par
+exemple, d'une institution aussi considérable que l'Université de
+France, liée aux plus grands souvenirs et de la monarchie et de la
+démocratie française, au temps de Philippe, le Bel et de Louis XIV,
+comme au temps de François Ier et de Napoléon, d'une institution
+vieille, mais forte encore, dont la chute, qui peut le nier? nous
+livrerait demain à coup sûr, sans parler des tentatives des factions, à
+toute la honte de l'éducation au rabais et à je ne sais quel
+maquignonnage des intelligences qui révolte également et le sens moral
+et la raison; alors ou jamais il faut bien prêter secours au passé et à
+la tradition, dans l'intérêt même de l'avenir et des perfectionnements
+ultérieurs du monde.</p>
+
+<p>«Mais à quoi servent positivement les études classiques, commence-t-on à
+s'écrier de toutes parts, et la philosophie, et son histoire, et les
+monades de Leibnitz, et les tourbillons de Descartes, et la vision en
+Dieu de Malebranche? Cicéron ne disait-il pas déjà assez naïvement: «Je
+ne sais pourquoi il n'y a rien de si absurde qui n'ait été enseigné et
+soutenu par quelque philosophe.» Et Fontenelle: «Oh! moi, la
+philosophie, quand j'étais petit, tout petit, je commençais déjà à n'y
+rien comprendre.»</p>
+
+<p>Oui, sans doute, messieurs les mathématiciens; mais ce même Cicéron que
+vous citez, n'en consacra pas moins la moitié de sa vie à étudier les
+philosophes de la Grèce, et à faire connaître leurs idées à ses
+concitoyens; et, au rapport de Pline, il était plus glorieux d'avoir par
+là reculé pour les Romains les limites du génie, que d'avoir administré
+la République. Ce n'est pas apparemment faute de connaître et de
+cultiver les sciences physiques et mathématiques que l'illustre géomètre
+Descartes et l'illustre savant Leibnitz se sont tant occupés de
+philosophie; et Fontenelle, l'un des esprits les plus sceptiques, mais
+les plus polis et les plus fins qui aient jamais été, s'il vivait de
+notre temps, ne se hâterait pas tant de nier l'éducation générale ou de
+la définir un apprentissage, et non plus une culture libérale et
+préparatoire. Il lui semblerait que, sans donner tête baissée dans aucun
+système exclusif, et à ne considérer même la philosophie que comme
+l'idéal suprême non encore réalisé de la raison humaine en quête de la
+vérité divine, il y a bien quelque profit pour l'âme, qu'elle réussisse
+ou non, à chercher encore à conquérir cet idéal par le mâle exercice de
+la pensée, de même qu'il y a encore profit pour le corps et
+développement dans les exercices, en apparence et immédiatement
+inutiles, du gymnase. Et quant à l'histoire de la philosophie, ne
+fit-elle que nous enseigner la tolérance et l'indulgence, par le
+spectacle des grandes erreurs où sont tombés de tous temps les plus
+grands esprits, apprit-elle seulement à ceux qui ne doutent de rien
+qu'il y a de grands mathématiciens qui ont douté de tout, et que
+Socrate, le plus sage des hommes, disait volontiers dans les rues à qui
+voulait l'entendre, et surtout en présence des sophistes de son temps,
+si pleins de morgue et de pédantisme, qu'<i>il ne savait rien</i>;
+serait-elle donc, cette histoire, si inutile de nos jours?</p>
+
+<p>On insiste: mais le reste des études universitaires, où est son utilité?
+D'abord, cette utilité fût-elle impossible à démontrer positivement,
+nous n'admettons pas que ce fût là une raison si péremptoire de les
+condamner et de les supprimer dans le haut enseignement. On ne peut pas
+ainsi rendre compte de tout; et les choses les plus nécessaires, les
+plus divines, sont précisément celles-là même qui se laissent le moins
+analyser, étant simples de leur nature. Après cela, nous laisserons
+répondre un homme dont les savants ne récuseront pas la compétence,
+l'illustre Cuvier: «Il est plus nécessaire qu'on ne croit, pour
+apprendre à bien raisonner, de se nourrir des ouvrages qui ne passent
+d'ordinaire que pour être bien écrits En effet, les premiers éléments
+des sciences n'exercent peut-être pas assez la logique, précisément
+parce qu'ils sont trop évidents; et c'est en s'occupant des matières
+délicates de la morale et du goût, qu'on acquiert cette finesse de tact
+qui conduit seule aux hautes découvertes.» Ajoutons que ceux qui se
+livrent à l'étude des sciences positives, ne rencontrant point sur leur
+route les passions des hommes, s'accoutumeraient volontiers à ne croire
+qu'à ce qui est susceptible d'être mesuré, pesé, calculé
+mathématiquement. L'étude réfléchie de la littérature est un
+contre-poids à cette tendance étroite et fausse.</p>
+
+<p>Il y a plus; notre civilisation est tellement basée sur celle des Grecs
+et des Latins, qu'il serait presque impossible d'exposer avec clarté
+l'histoire du monde chrétien, et en particulier celle de notre pays, à
+qui ne connaîtrait pas la civilisation des anciens par leur littérature.</p>
+
+<p>Ceux qui contestent si fort l'utilité du grec et du latin ne voudraient
+pas apparemment supprimer celle de la langue maternelle. Ils ignorent
+donc que le latin contenant les racines, c'est-à-dire, <i>la raison</i> du
+français, si on en supprime l'étude, un enseignement supérieur de la
+langue française devient par là même impossible. Et ce coup, porté à la
+langue nationale, atteindrait, qu'on ne s'y trompe pas, l'intelligence,
+le goût, la vie même de la France! L'allemand, dit-on, tiendra lieu du
+latin. Quand l'allemand aurait la perfection du latin, ce qui n'est pas,
+là ne sont pas nos origines. Gardons-nous bien de soumettre ainsi
+gratuitement l'esprit français au génie germanique, en altérant ou en
+brisant nous-mêmes l'idéal du type collectif auquel la pensée publique
+emprunte ses formes.</p>
+
+<p>Tout ceci ne va pas à nier, à Dieu ne plaise! l'utilité de quelques-unes
+des réformes proposées par l'esprit de <i>réalisme</i> qui, on en conviendra,
+nous domine de plus en plus; et si l'on reconnaît avec nous, que nul
+homme, nul peuple véritablement grand ne fut réaliste, nous sommes prêts
+à accorder que le temps consacré à l'étude des langues anciennes est
+beaucoup trop long; que les méthodes d'enseignement ont grand besoin
+d'être perfectionnées; qu'une distribution plus rationnelle, sinon une
+répartition plus égale des divers éléments de l'instruction publique,
+opérée avec sagacité et mesure, et l'admission dans les collèges de
+certaines branches d'étude qui se rapportent à l'exercice des
+professions non littéraires et même non libérales, seraient des
+innovations à la fois largement bienfaisantes et conservatrices à
+l'époque, où nous vivons.</p>
+
+<p>Au reste, pour déterminer un peu nettement ce que doit être l'Université
+de France au dix-neuvième siècle, il faudrait s'entendre sur cette
+question: Qu'est-ce que la France? Comme pour les Grecs au temps de
+Socrate, il nous semble qu'après tant d'utopies sans fondement, de
+théories sans élévation et de luttes sans moralité, le temps est venu
+pour les grandes nations de l'Europe de s'appliquer cette sage maxime:
+«Connais-toi toi-même.» Qu'est-ce donc que la France? Est-il impossible
+de trouver à rette simple et grande question une réponse à la fois
+positive et satisfaisante pour toute l'âme? Cette question résolue
+mettrait fin à tant de discussions? Que nos lecteurs y pensent un peu;
+nous y réfléchirons beaucoup de notre côté, et nous saisirons quelque
+occasion d'arriver ensemble, s'il est possible, à la lumière sur ce
+point capital.</p>
+<br>
+
+<h3>Courrier de Paris.</h3>
+
+<p class="mid">LE GIVRE.--UNE RÉCONCILIATION.--LES DEUX YEUX.--UN ENFANT MORT EN BAS
+AGE.--LES PORTRAITS ET LES MODÈLES.--APPÉTIT MONSTRE.--UN MARI
+RECONNAISSANT.--L'AUTEUR ET LE DIRECTEUR.</p>
+
+<p>C'est une véritable trahison, et le printemps se conduit avec nous d'une
+manière indécente. Eh quoi! il nous sourit d'abord de son sourire le
+plus doux, il nous envoie de charmants rayons de soleil, il nous inonde
+de brises caressantes, il agite, sous nos fenêtres, des bouquets de
+feuilles et de fleurs précoces pour nous engager à sortir de nos
+demeures et pour nous attirer dehors, nous, pauvres innocents, coeurs
+crédules, âmes confiantes; nous, prisonniers des villes, que tout coin
+d'azur ravit et console, nous allons sur la foi de ces belles promesses.</p>
+
+<p>Voici Paris qui se répand de tous côtés, d'un air de fête, s'ébattant
+dans ses rues et dans ses promenades pareilles à une cage immense qui
+laisserait envoler ses oiseaux par milliers. Puis, tandis qu'on se fie à
+ces perfides caresses d'avril, tout à coup le ciel se voile, le vent
+souffle de sa bouche glacée des tourbillons de pluie et de grésil. Il
+faut voir comme cette foule gazouillante cesse ses joyeux ébats et
+s'enfuit par volées; les mains rentrent dans les profondeurs du paletot;
+les nez reprennent l'abri du foulard; mille gracieux petits visages
+féminins, qui commençaient à s'épanouir sous le frais chapeau de couleur
+printanière, s'enveloppent de velours et disparaissent sous le voile et
+dans la fourrure. Le printemps, qui se permet de pareilles
+plaisanteries, ne ressemble-t-il pas à ces soldats d'escarmouches,
+grands fabricants de surprises et d'embuscades? De même que ceux-ci se
+cachent derrière les haies et au détour des monts, pour lancer leurs
+fusillades de même avril masque de quelques rayons de soleil sa
+mitraille de neige et de vent. Pour nous, arbustes à deux pieds et trop
+souvent sans fleurs et sans fruits, le mal n'est pas mortel. Le premier
+moment paraît désagréable, je le confesse; il est toujours pénible de
+découvrir un traître dans un ami plein de sourires, et d'être gelé quand
+on a la bonhomie de compter sur le soleil.--Après tout, il nous reste
+l'abri du foyer et le toit de nos maisons.--Mais qui sauvera ces frêles
+habitants des vergers qu'avril a trompés et attirés dans ses pièges? Ils
+ont mis prématurément au jour leurs fleurs d'une blancheur éblouissante
+et d'un rose virginal, fleurs délicates, promesses embaumées des plus
+beaux fruits. Le givre leur donne le frisson et les tue; le fruit meurt
+dans sa fleur.--Et ce jeune enfant, plein d'espérances, qui succombe aux
+bras de sa mère, et ces génies qui s'éteignent à leurs premiers rayons,
+et ces rêves de bonheur, d'amour, de gloire, morts et ensevelis sur le
+seuil, n'est-ce pas aussi quelque givre d'avril qui les a glacés?</p>
+
+<p>Comment Longchamp n'aurait-il pas souffert de cette froidure? Comment ce
+vent aigu aurait-il épargné sa couronne?</p>
+
+<p>Madame Charles B... s'y est fait voir; c'est une des lionnes les plus
+rugissantes de la Chaussée-d'Antin; elle a cependant un mérite que
+beaucoup de panthères se refusent: madame Charles B... n'est ni
+médisante ni jalouse. Quoique coquette et fêtée, elle ne hait pas les
+jolies femmes; elle fait plus que ne pas les haïr, elle semble les aimer
+et les recherche. Ses soirées et ses bals offrent la collection, à peu
+près complète, de ce que Paris possède de plus exquis et de plus
+charmant en brunes et en blondes; ce sont les deux nuances qu'elle
+préfère à juste raison. Son plus grand souci est d'apprendre qu'il y a
+quelque part un piquant visage féminin dont elle n'a pas encore eu la
+visite. Aussitôt elle en entreprend la recherche avec l'ardeur de ces
+bibliomanes passionnés, de ces furieux antiquaires qui poursuivent un
+Elzévir ou une médaille, et maigrissent tant qu'ils ne les ont pas
+trouvés. Je vois cette différence entre eux et madame Charles B....,
+qu'ils aiment la médaille et l'Elzévir d'un amour égoïste et pour
+eux-mêmes, tandis que madame B.... ne fait des fouilles que pour les
+autres; elle veut qu'on dise: «Étiez-vous, hier, au bal de madame B...?
+il y avait toutes les jolies femmes de Paris!»--Les plus fins valseurs
+et le plus fin orchestre, les plus jolies femmes et les meilleures
+glaces, voilà l'ambition de madame de B...; de tout le reste, elle s'en
+inquiète fort peu.--Mercredi dernier, elle était à l'Opéra. Dans la loge
+placée en face de la sienne, une jeune femme, d'une remarquable beauté,
+attirait l'attention. On se demandait son nom, mais personne ne le
+connaissait.--«Ah! dit madame B..... qui n'en savait pas plus qu'une
+autre, il faudra que l'hiver prochain j'aie ces deux yeux-là dans mon
+salon?»</p>
+
+<p>Dans la trilogie des <i>Burgraves</i>, Job, âgé de cent ans, devait dire à
+Magnus, son fils, qui en compte soixante: «Jeune homme, taisez-vous!»
+Cette apostrophe m'a rappelé le mot d'un autre patriarche; celui-ci
+n'avait que quatre-vingts ans, et son fils en possédait cinquante. Le
+fils s'avisa de mourir subitement; on alla trouver le père; et lui,
+apprenant la fatale nouvelle, de s'écrier: «J'avais bien dit que je ne
+pourrais pas élever cet enfant-là!»</p>
+
+<p>Le salon de peinture est resté fermé toute la semaine; cette clôture de
+huit jours a jeté la désolalion dans le peuple des désoeuvrés; il y a
+toujours à Paris quelque lieu d'asile pour cette nation qui n'a rien à
+faire. Mais le salon est son paradis de prédilection; au 15 février, le
+flâneur, cette espèce errante de le flore parisienne, entre en
+possession du Louvre et n'en sort qu'au 15 mai. Le flâneur a donc été
+obligé de porter, cette semaine, sa tente ailleurs: le matin, à la place
+du Carrousel, au moment de la garde montante; et, le reste de la
+journée, à la grâce de Dieu. Après tout, le flâneur est philosophe et
+prend volontiers son parti: aujourd'hui au Champ-de-Mars, demain au
+rond-point de la Bastille, peu lui importe! Mais la classe véritablement
+et douloureusement frappée par cette clôture momentanée du salon, c'est
+l'estimable classe qui a son portrait à l'exposition de 1843. M. de
+Cailleux ne sait pas le mal qu'il lui a fait. Tous ces honnêtes gens
+avaient pris, depuis un mois, la douce habitude d'aller, de dix heures à
+quatre heures, se contempler eux-mêmes sur tuile et encadrés; les uns
+aimaient à se voir dans l'attitude héroïque d'un garde national
+patrouillant autour de sa mairie; les autres, majestueusement coiffés de
+leur bonnet d'avocat ou de leur toge magistrale; ceux-ci plongés dans la
+poésie du registre en partie double; ceux-là arrosant leurs tulipes, ou
+jouant au cheval fondu avec leur dernier né, ou souriant agréablement à
+la compagne de leur vie, occupée de leur broder des pantoufles. Être
+privé, pendant huit jours, de sa propre image, quelle douleur et quelle
+abstinence! Les portraits en bustes ne savaient que devenir, les
+portraits en pied tombaient dans la tristesse, les poitraits de famille
+perdaient le boire et le manger. Je ne plaisante pas; j'ai des preuves
+de ce que j'avance. Un de mes voisins s'est fait peindre cette année,
+lui et son chien, sa femme et son chat, son fils et son serin; c'est une
+peinture de famille au grand complet. Or, je n'ai pas mis le pied une
+seule fois au Louvre, sans rencontrer le père, la mère et l'eufant, se
+promenant de long en large devant leur propre tableau. Le serin
+manquait, il est vrai et le chat aussi. Le gardien avait sans doute
+exigé qu'on les laissât au dépôt des cannes.--Eh bien! toute cette
+semaine, mon voisin a été d'une humeur de dogue: il ne pouvait plus se
+mirer à l'huile dans sa propre image ni dans l'image des siens.
+Assurément, si on avait besoin d'apprendre combien l'homme s'adore
+lui-même, il suffirait de se mettre en vedette dans la galerie des
+portraits. Là vous rencontrez à chaque pas les modèles en extase devant
+leurs copies; et, par un admirable don de la Providence, ce sont les
+plus laids en réalité et en peinture, qui paraissent s'aimer le plus et
+faire avec le plus de satisfaction des petites mines à leurs portraits.</p>
+
+<p>En vérité, c'est effrayant! Avez-vous examiné le relevé statistique et
+officiel de la consommation de la bonne ville de Paris, pendant le mois
+de mars qui vient de finir? Mais on n'a jamais vu un pareil ogre! Le
+mois de mars 1842 s'était distingué par un assez bel appétit, je
+l'avoue; il avait fait cuire et assaisonner, en trente jours 5.721
+boeufs, 1.281 vaches, 5.439 veaux, 52.000 moutons. C'est quelque chose,
+surtout quand on songe ce que cette effroyable cuisine exige de grils,
+de casseroles et de marmites; mais enfin on peut s'en tirer. Interrogez
+le mois de mars 1843, s'il vous plaît; il vous répondra, en haussant les
+épaules, que son frère aîné de 1842 s'est tenu à la diète, et que, lui,
+1843 n'aurait fait de tout cela qu'une bouchée. 6.987 boeufs, 1.458
+vaches. 6.051 veaux. 38.128 moutons, voilà le menu de ce terrible mois.
+Quel petit souper!--On attribue généralement cette consommation
+extraordinaire de moutons et de veaux, à l'apparition des <i>Margraves,</i>
+ces hommes géants.</p>
+
+<p>M. V..... espérait en vain depuis longtemps le bonheur d'être père.
+Le ciel vient de mettre fin à son attente, et de combler tous ses voeux.
+M. V.... en a reçu hier l'heureuse nouvelle. Je ne chercherai pas à vous
+donner une idée de sa joie. Dans son transport, il a écrit à madame
+V.... la lettre que voici: «Ma chère amie, je te remercie beaucoup du
+fils que tu as bien voulu me donner.»</p>
+
+<p>On parle beaucoup, dans le monde dramatique, d'une aventure qui aurait
+un directeur et un auteur pour acteurs principaux. Le directeur se croit
+le droit d'accuser l'auteur de lui avoir fait une de ces délicates
+blessures dont plus d'un héros de Molière se plaint assez naïvement. Le
+directeur exposait son grief à un de ces amis intimes qui n'a jamais
+écrit une ligne de sa vie. Celui-ci cherchait à le consoler. «Me
+consoler, répliqua l'autre, me consoler, jamais! Si cela venait de ta
+part, si c'était toi, je ne dis pas; mais un homme d'esprit, un homme
+qui fait des pièces, c'est humiliant!»</p>
+
+<p>Le bruit court qu'un prince héréditaire d'Allemagne a retrouvé, au
+comptoir d'un café du boulevard Palien, la princesse sa fille, qui lui
+avait été enlevée au berceau il y a dix ans, sans qu'on eût jamais
+retrouvé ses traces. Nous éclaircirons cette nouvelle singulière dans
+notre prochain courrier.</p>
+<br>
+
+<h3>Premières Représentations.</h3>
+
+<p class="mid">DE PIÈCES DE THÉÂTRE HISTORIQUES.</p>
+
+<h4>ÉTUDES SUR LUCRÈCE.</h4>
+
+<p>Lorsqu'une oeuvre dramatique dont le sujet est emprunté à l'histoire
+s'annonce dans le monde littéraire, l'homme d'étude se prépare à l'aller
+entendre en évoquant ses souvenirs; l'homme du monde interroge sa
+bibliothèque, et veut connaître au moins les données principales sur
+lesquelles l'auteur a construit sa fable. Ce travail, que font
+quelques-uns, pourquoi la presse ne le ferait-elle point pour tous?
+Toutes les fois que serait prochaine la représentation d'une grande
+pièce dont les récits de l'histoire forment la trame principale,
+pourquoi ne la ferait-on pas précéder d'une analyse des sources
+historiques où l'auteur a pu s'inspirer? Nous tentons de commencer ce
+travail par l'oeuvre d'un jeune homme qui nous est tout à fait inconnu,
+mais qui est déjà cité par quelques hommes de goùt et de sens, comme
+ayant fait consciencieusement un de ces ouvrages sérieux que repousse,
+depuis longtemps une décourageante ironie.</p>
+
+<p>L'événement qui fait le sujet de la tragédie que l'Odéon annonce n'est
+pas seulement un fait domestique plein d'intérêt et de grandeur, c'est
+aussi toute une révolution politique qui renversa la royauté romaine.
+«Sextus Tarquin, dit Montesquieu, en violant Lucrèce, fit une chose qui
+presque toujours a fait chasser les tyrans; car le peuple à qui une
+action pareille fait sentir sa servitude, prend d'abord une résolution
+extrême.»</p>
+
+<p>Disons quelques mots des personnages qui figurent dans la tradition
+historique.</p>
+
+<p>La haine de tous les siècles, malgré quelques apologistes, a poursuivi
+Sextus Tarquin digne fils du Superbe. C'est ce même Sextus qui
+s'introduisit dans Gabies assiégée, en se donnant pour victime de la
+colère paternelle, et qui, lorsqu'il se fut rendu maître de ses dupes,
+interpréta avec tant d'esprit les têtes des hauts pavots coupées par son
+père devant l'envoyé chargé de le consulter sur le sort des vaincus.</p>
+
+<p>Lucrèce, fille de Lucrétius Tricipitinus, épousa Collatin, parent de
+Tarquin. Collatin ne doit qu'à la vertu et au courage de sa femme, et
+son nom historique et l'honneur d'avoir été un des deux premiers consuls
+de Rome.</p>
+
+<p>Enfin un hasard providentiel comme on le verra par le récit qui suit,
+donna pour témoin à ce grand drame un homme dont la grandeur inconnue
+jusqu'alors créa la force et la gloire de Rome. L. Junius appartenait à
+une famille considérable: son père avait épousé une fille de Tarquin
+l'Ancien; Tarquin le Superbe, redoutant son crédit, le fit assassiner.
+Son fils aîné aurait pu le venger; il eut le même sort. Lucius Junius,
+son second fils, quoique fort jeune, comprit, dit Tite-Live qu'il ne
+devait laisser au tyran rien à redouter dans son caractère, et rien à
+désirer dans sa fortune. En effet. Tarquin, comme tuteur, administra les
+biens de l'orphelin qu'il avait fait, et, Junius contrefit l'insensé,
+cherchant dans le mépris la sûreté qu'il ne trouvait pas dans la
+justice. Il se hissa même surnommer Brute, pour qu'à l'abri de ce surnom
+le genie libérateur du peuple romain pût atteindre son heure. Th. Howe a
+réuni avec fidélité, dans sa vie de Junius Brutus, les traits de feinte
+démence que les auteurs ont rapportés de lui.</p>
+
+<p>Les principaux personnages étant ainsi esquissés, nous ne pouvons mieux
+faire, après avoir indiqué en passant le récit de Denys d'Halicarnasse
+et les vers ingénieux, mais froids d'Ovide dans ses Fastes, que
+d'essayer de traduire l'excellente narration de Tite-Live. Niebuhr
+n'hésite pas à l'appeler le chef-d'oeuvre de toute son histoire.</p>
+
+<p>La scène se passe au siège d'Ardée, que les Romains voulaient prendre
+par la famine.</p>
+
+<p>«Les jeunes princes passaient assez souvent leurs loisirs entre eux à
+des festins et des parties de plaisir. Un jour on buvait chez Sextus, ou
+soupait aussi Collatin Tarquin, fils d'Égérius; la conversation des
+convives tomba sur leurs femmes: chacun exalta la sienne. La discussion
+s'animait: «Il n'y a pas besoin de tant de paroles, dit Collatin; en peu
+d'heure, vous pouvez savoir combien ma Lucrèce l'emporte sur les autres.
+Si nous sommes jeunes et forts, montons à cheval, et allons voir par
+nous-mêmes ce que font nos femmes; chacun de nous tiendra pour preuve
+décisive ce qui frappera ses veux au retour d'un mari qu'on n'attend
+pas.» On était échauffé par le vin: «Allons!» c'est le cri général. Ils
+volent à Rome de toute la vitesse de leurs chevaux. Ils y arrivent à la
+tombée de la nuit, et de là poursuivent jusqu'à Collatie. Ils trouvent
+Lucrèce, non pas comme les brus rivales, dans la pompe d'un festin avec
+leurs compagnes, mais au milieu de ses appartements, et, malgré la nuit
+avancée, travaillant à la laine, entourée de ses femmes, qui veillaient
+comme elle. Dans la lutte engagée, le prix est décerné à Lucrèce; elle
+accueille avec grâce son mari et les Tarquins, et le vainqueur se fait
+un plaisir d'inviter les jeunes princes. C'est là que Sextus est saisi
+du criminel désir de déshonorer Lucrèce par la violence, désir qu'irrite
+tant de beauté jointe à tant de vertu. Après une joyeuse nuit, ils
+retournent au camp.</p>
+
+<p>«Peu de jours après, Sextus Tarquinius, à l'insu de Collatin, n'ayant
+qu'un seul homme de suite, vint à Collatie. On ignorait ses projets, on
+lui fait bon accueil, et après souper il est conduit à la chambre des
+hôtes. Quand tout lui paraît tranquille et livré au sommeil, brûlant
+d'amour, l'épée à la main, il va à Lucrèce endormie, et lui appuyant la
+main gauche sur la poitrine; «Silence. Lucrèce, lui dit-il, je suis
+Sextus Tarquin, j'ai mon épée; tu meurs si tu dis un mot.» Ainsi
+éveillée et saisie de terreur. Lucrèce ne voit aucun secours, et la mort
+est devant elle. Alors Tarquin fait l'aveu de son amour, conjure, mêle
+les menaces aux prières, emploie tous les moyens qui peuvent émouvoir
+l'esprit d'une femme; elle demeure inébranlable, insensible même à la
+crainte de la mort; il y ajoute la crainte du déshonneur. Il la tuera,
+dit-il, et près d'elle il placera le corps nu d'un esclave égorgé comme
+elle, afin qu'on dise qu'elle a péri surprise dans un ignoble adultère.
+Par cette terreur, le crime triomphe de la vertu obstinée de Lucrèce, et
+Tarquin part glorieux de sa victoire sur l'honneur d'une femme.</p>
+
+<p>Inconsolable d'un si grand malheur. Lucrèce envoie un messager à Rome
+et à Ardée, vers son père et son mari. Elle leur mande de venir chacun
+avec un ami fidèle: qu'il fallait agir et se hâter: qu'il était arrivé
+une chose affreuse. Sp. Lucrétius amène P. Valerius, fils de Volesus, et
+Collatin L. Junius Brutus, avec qui il retournait à Rome quand il avait
+rencontré le courrier de son épouse. Ils la trouvent assise dans sa
+chambre et désolée. A leur arrivée, ses larmes jaillirent: son mari lui
+demande si tout va bien: «Non, répond-elle, il ne peut y avoir rien de
+bien pour une femme qui a perdu l'honneur. Les traces d'un étranger sont
+dans ton lit, Collatin. Au reste, le corps seul a été souillé, l'âme est
+pure; ma mort en rendra témoignage. Mais donnez-moi vos mains et votre
+serment que l'adultère ne restera pas impuni. C'est Sextus Tarquin, qui,
+lâche ennemi quand j'avais cru recevoir un hôte, et s'armant de
+violence, a emporté d'ici, la nuit dernière, une joie mortelle pour moi,
+mortelle aussi pour lui, si vous êtes des hommes.» Tous, l'un après
+l'autre, lui donnent leur parole; ils veulent consoler son désespoir en
+rejetant la faute de la victime sur le coupable; ils lui répètent que
+l'âme seule peut faillir, et non le corps, et qu'où il n'y a pas eu de
+consentement, il ne peut y avoir de crime. «Vous verrez, leur
+répond-elle, ce qui lui est dû. Quant à moi, si je m'absous de la faute,
+je ne m'exempte pas du châtiment: nulle femme ne citera Lucrèce pour
+pouvoir vivre sans honneur.» Alors elle s'enfonce dans le coeur un
+couteau qu'elle tenait caché sous sa robe; elle tombe expirante sous le
+coup. Son mari, son père, poussent ensemble un cri d'horreur.</p>
+
+<p>Tandis qu'ils sont en proie à leur douleur, Brutus retire de la blessure
+le couteau d'où le sang dégoutte, et le tenant devant lui: «Par ce sang
+si pur avant l'outrage royal, je jure, et vous, dieux, je vous prends à
+témoins, je jure de poursuivre Tarquin le Superbe et sa scélérate
+épouse, et ses enfants et sa race, par le fer, par le feu, par toutes
+les armes qui seront en mon pouvoir; je jure de ne jamais souffrir ni
+qu'eux ni qu'un autre régnent dans Rome!» Il passe ensuite le couteau à
+Collatin, puis à Lucrétius et à Valerius, stupéfaits du prodige qui met
+une nouvelle âme dans la poitrine de Brutus. Ils font le serment qu'il
+leur dicte, et passant tout entiers du désespoir à la fureur, ils
+suivent Brutus qui les appelle et les guide à la destruction de la
+royauté.</p>
+
+<p>C'est là sans contredit un grand et magnifique tableau.</p>
+
+<p>Quoique Valére-Maxime ait appelé Lucrèce l'honneur et la gloire de la
+chasteté romaine, son héroïsme n'en a pas moins été l'objet de doutes
+railleurs et de suppositions peu bienveillantes. On a eu tort cependant
+de ranger saint Augustin au nombre de ses détracteurs. Saint Augustin
+n'examine que la question du suicide. Mais une foule d'écrivains
+inférieurs qui trouvent moyen de faire de petits quatrains avec de
+grandes choses, ont eu le triste courage de s'égayer au prix de tant de
+noblesse et de malheur. Depuis l'épigramme latine rapportée par Henri
+Etienne, jusqu'à la chanson de Marmontel, on pourrait citer une assez
+longue liste de ces esprits malheureux pour qui la chasteté n'est qu'une
+vertu équivoque et qui prête à rire. Un de nos plus grands écrivains
+n'a-t-il pas essayé de déshonorer la vierge qui sauva la France!</p>
+
+<p>Parmi les auteurs qui ont sérieusement discuté le mérite de Lucrèce, il
+en est qui ont porté l'égarement jusqu'à ne voir dans sa mort qu'un acte
+de fanatisme politique qui voulait à tout prix l'expulsion des Tarquins.
+D'autres ont cru que l'amour n'était pas étranger à la première partie
+de l'histoire de Lucrèce. Parmi ces derniers, il faut citer surtout le
+comte Verri dans ses Nuits romaines aux tombeaux des Scipions, en
+présence des ombres des plus glorieux Romains; l'ombre de Pomponius
+accuse Lucrèce de ne s'être tuée qu'après avoir reconnu que son
+déshonneur à demi volontaire serait révélé par l'indiscrétion de Sextus.
+Cicéron la défend mollement; Brutus le Jeune, avec plus de chaleur, veut
+repousser l'accusation et interpelle l'ombre de Lucrèce: Lucrèce, sourde
+à cet appel, s'appuie sur un tombeau, se tait et pleure.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/002a.png"></p>
+<p class="mid"><img alt="" src="images/003small.png"><br><a href="images/003large.png">(Agrandissement)</a></p>
+
+
+
+<h3>Chronique musicale.--Concerts du Conservatoire</h3>
+
+<p>Il va, à l'école royale de musique et de déclamation, une petite salle
+destinée originairement à servir de théâtre aux exercices des élèves, et
+disposée de telle sorte qu'elle peut devenir alternativement et selon
+qu'il convient, salle de spectacle, ou salle de concert. Là, point de
+lustre étincelant, point de tapis, de peintures, de dorures, rien de ce
+qui attire et éblouit la foule. Aucune salle peut-être, dans nos
+quatre-vingt-six départements, n'est plus modestement décorée, ni
+éclairée avec plus d'économie: aucune n'affecte un plus profond dédain
+pour le luxe et pour l'élégance extérieure. En revanche, il n'en est
+aucune assurément dont les portes soient assiégées chaque année avec
+plus d'empressement, et qui se remplisse d'un auditoire plus éclairé,
+plus attentif, plus difficile à satisfaire, et plus prompt à la
+reconnaissance et à l'enthousiasme, lorsqu'il est satisfait.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/003b.png"><br><b>(Salle des Concerts du Conservatoire.)</b></p>
+
+<p>Voilà quinze ans que la société des artistes qui concourent à
+l'exécution des concerts du Conservatoire s'est organisée. Ce fut M.
+Habeneck qui, en 1828, les réunit et jeta les fondements de leur
+association. Depuis cette époque, il n'a pas cessé de les diriger. Le
+but de cet habile et savant musicien était, dans l'origine, de faire
+connaître au public les productions d'un homme de génie depuis longtemps
+illustre et vénéré en Allemagne, mais que la France n'avait pas encore
+compris. Seul, Habeneck avait déjà fait une étude consciencieuse et
+approfondie des procédés et du style de Beethoven; il avait deviné tous
+les secrets de ce génie mystérieux, et lui avait voué dans son coeur un
+culte pour lequel il cherchait partout des prosélytes. Déjà deux fois, à
+l'Académie royale de Musique, il avait tenté d'introduire les artistes,
+ses confrères, dans ce monde inconnu et merveilleux, créé par l'auteur
+des modernes symphonies. Deux fois il avait échoué. La formation de la
+société des concerts fut le signal de la troisième tentative. Celle-ci
+réussit plus complètement qu'Habeneck lui-même n'eut peut-être osé
+l'espérer.</p>
+
+<p>Nous n'essaierons pas de décrire les transports d'admiration et
+d'enthousiasme qui éclatèrent de toutes parts à l'apparition de ces
+chefs-d'oeuvre si hardiment conçus, si neufs de pensée et de forme, si
+riches de coloris, si vastes de proportions, si magnifiques
+d'ordonnance. Ce fut, pour la France artiste, comme la découverte d'un
+nouvel univers, et la révélation d'un nouveau dieu.</p>
+
+<p>L'orchestre, formé et dirigé par Habeneck, était en même temps une chose
+merveilleuse et tout à fait inattendue. On n'avait pas encore vu
+d'exemple d'une exécution purement instrumentale aussi intelligente,
+aussi habilement nuancée, aussi chaleureuse, aussi puissante. Dès le
+premier jour, cet orchestre incomparable parut avoir atteint les limites
+extrêmes de l'art, et pourtant il s'est perfectionné, depuis cette
+époque, d'année en année. Aujourd'hui sa réputation est établie dans
+toute l'Europe, et l'Allemagne, cette patrie de la musique
+instrumentale, n'en a pas un seul qu'elle puisse ni qu'elle ose lui
+comparer.</p>
+
+<p>Tous les ans la société donne huit ou neuf concerts. Chacun est consacré
+à l'exécution d'une des oeuvres symphoniques de Beethoven. Cela dure
+depuis quinze années, et l'admiration publique paraît encore aussi vive,
+aussi jeune que le premier jour.</p>
+
+<p>Malgré cette large place accordée à Beethoven, les autres maîtres de
+l'art ancien et moderne ont néanmoins conservé la leur. Marcello,
+Pergolése, Haendel, Gluck, Haydn, Mozart, Weber, Méhul, Chérubini,
+viennent figurer tour à tour dans cette lice glorieuse, et si les
+représentants de l'art italien y paraissent plus rarement et en plus
+petit nombre, c'est sans doute à cause de la difficulté qu'il y aurait à
+leur trouver des interprètes dignes d'eux. L'école italienne est
+essentiellement vocale, et malheureusement le chant, sauf de rares
+exceptions, a toujours été jusqu'ici la partie faible des concerts du
+Conservatoire.</p>
+
+<p>Nous ne pourrions nous étendre sur ce sujet, sans nous exposer à
+raconter ce qui est su de tous nos lecteurs. Cependant on ne nous saura
+pas mauvais gré, nous l'espérons, de jeter un coup d'oeil rapide sur les
+séances de cette année.</p>
+
+<p>Il y en a déjà eu six, et plusieurs ont excité un vif intérêt.</p>
+
+<p>Trois symphonies nouvelles ont été essayées:--La première, de M.
+Mendelshon-Bartholdy, l'un des compositeurs vivants les plus renommés en
+Allemagne;--la seconde, de M. Swencke, Allemand aussi, mais qui habite
+Paris depuis longtemps;--la troisième, de M. Rousselot. Celui-ci est
+Français, élève de notre Conservatoire, et même, si nous ne nous
+trompons, fit partie, pendant plusieurs années, de la Société des
+Concerts.</p>
+
+<p>M. Rousselot est jeune, et probablement l'ouvrage qu'il a fait entendre
+était son coup d'essai en ce genre. Du moins l'étendue excessive de
+quelques parties, l'abondance et peut-être la prolixité de ses
+développements, semblent nous donner le droit de le supposer. L'art de
+se borner, la force et le courage nécessaires pour supprimer sans pitié
+certains détails, et pour aller droit au but, sont presque toujours les
+fruits précieux et tardifs des années et de l'expérience. Peut-être
+encore pourrait-on désirer, dans la symphonie de M. Rousselot, plus de
+chaleur, plus de verve, et des idées d'une plus grande valeur; mais,
+s'il y a quelques défauts, il s'y trouve aussi de belles qualités, une
+entente remarquable de l'instrumentation, une extrême habileté de
+contre-pointiste. Personne ne sait mieux que lui prendre un sujet, lui
+donner mille positions, mille formes différentes, le présenter sous
+mille aspects divers. C'est même parce qu'il abuse quelquefois de ses
+ressources et de sa fécondité en ce genre, qu'il tombe dans
+l'inconvénient que nous signalions tout à l'heure. Son défaut n'est que
+l'excès d'une qualité. C'est donc, à tout prendre, un heureux défaut, et
+tout le monde comprendra qu'il est plus facile de modérer une faculté
+que l'on a, que de suppléer à une faculté qui nous manque. La symphonie
+de M. Rousselot est, en résumé, une oeuvre consciencieuse et fort
+estimable, et qui atteste un remarquable talent.</p>
+
+<p>A quelques modifications près, on en peut dire autant des ouvrages de
+MM. Swencke et Mendelshon-Bartholdy. Peut-être y a-t-il chez ces deux
+compositeurs une démarche plus assurée, une disposition de parties plus
+régulière. Cela prouve qu'ils n'en étaient pas à leur début, et que M.
+Rousselot est plus jeune qu'eux. Nous ne doutons pas qu'il ne se console
+aisément de ce malheur.</p>
+
+<p>Dans une discussion entre deux soeurs, l'une, faute de meilleures
+raisons, faisait prévaloir son droit de primogéniture. «Je suis
+l'aînée, dit-elle.--C'est-à-dire la plus vieille, répondit l'autre, je
+ne t'envie pas cet avantage.»</p>
+
+<p>Parmi les oeuvres de musique religieuse exécutées cette année, on a
+surtout distingué un magnifique motet de Chérubini, et deux fragments
+d'une messe de J. Haydn. Ces trois morceaux ont paru également
+admirables par l'élévation de la pensée et la puissance de l'exécution.</p>
+
+<p>Quand un artiste étranger vient à Paris, le plus grand honneur auquel il
+puisse aspirer c'est d'être admis à figurer aux concerts du
+Conservatoire. C'est là que Sigismond Thalberg s'est fait entendre pour
+la première fois. Ces! là que, cette année, Camille Sivori est venu
+établir ses droits à la succession de Paganini, qui était jusqu'à
+présent restée vacante.</p>
+
+<p>La sixième séance a été remarquable, non par la révélation d'un talent
+nouveau, mais par l'exhumation d'un chef-d'oeuvre oublié, ou peut-être
+inconnu en France. Madame Viardot, cette jeune cantatrice dont nous
+avons apprécié, dans notre dernier numéro, en parlant du
+Théâtre-Italien, le talent si brillant et si varié, a fait entendre un
+air de Pergolése, qui est assurément l'une des plus charmantes créations
+de ce grand homme. Rien de plus piquant, de plus gracieux, de plus
+élégant, de plus frais, et même de plus neuf que ce morceau.
+L'auditoire, d'abord surpris, bientôt ému et transporté, l'a salué
+d'acclamations unanimes, et l'a redemandé tout d'une voix. Madame
+Viardot s'est prêtée à ce désir avec une grâce parfaite, et n'y a rien
+perdu pour son propre compte. Moins préoccupé cette fois du compositeur,
+le public, a concentré son attention sur la cantatrice, et a compris
+tout ce qu'il y avait d'esprit, de délicatesse, d'élégance et de charme
+dans son exécution. Il s'est émerveillé surtout, et à juste titre, de
+voir ces qualités appliquées à une composition qui date de plus d'un
+siècle. Pour retrouver avec tant de précision les intentions d'un maître
+ancien, pour pénétrer tous les secrets d'un style qui a si peu
+d'analogie avec le style moderne, pour rompre aussi résolument avec
+toutes les habitudes et tous les préjugés musicaux d'aujourd'hui, il
+faut joindre à une intelligence supérieure un tact exquis et une
+érudition peu commune. Soutenir un compositeur vivant est beau, sans
+doute; mais il faut une bien autre puissance pour ressusciter un mort,
+et l'on ne s'étonnera pas que ce prodige, opéré si victorieusement par
+madame Viardot, l'ait encore élevée dans l'estime de tous les
+connaisseurs.</p>
+<br>
+
+<h3>Des Caisses d'Épargne.</h3>
+
+<p>Les <i>Caisses d'Épargne et de Prévoyance</i> ont pour objet de recevoir au
+fur et à mesure en dépôt les moindres économies des citoyens qui n'ont
+que leur travail journalier pour vivre, de faire fructifier ces modestes
+épargnes au moyen des ressources de l'intérêt composé, de les grossir
+enfin insensiblement jusqu'au moment où elles sont suffisantes pour
+avoir une destination utile, ou former un placement avantageux.</p>
+
+<p>Le dix-huitième siècle, qui ne connut, lui, que les tontines, ne pouvait
+que mettre en avant l'idée d'appliquer les intérêts composés. C'est ce
+qu'il fit. Mais ce fut seulement en 1810 qu'on vit surgir en Angleterre,
+pays de calcul et d'application pratique, la première caisse d'épargne
+véritablement digne de ce nom, une caisse gérée gratuitement et dotée
+des fonds nécessaires pour garantir ses engagements. Le nombre des
+caisses d'épargne depuis lors alla toujours en augmentant, et il y a
+quelques années, on en comptait dans le Royaume-Uni environ 500,
+dépositaires de 600 millions, qui appartenaient à plus de 500,000
+personnes. En 1818, une société anonyme, à la tête de laquelle étaient
+des hommes dont les noms ont été constamment entourés de l'estime et de
+la reconnaissance, publiques, fonda la Caisse de Paris sur des principes
+qui depuis ont servi de modèle aux autres. Outre le vénérable
+Larochefoucault-Liancourt, il nous sera permis de citer, parmi les
+fondateurs, deux honorables citoyens dont les noms se retrouvent à côté
+de toutes les institutions utiles et bienfaisantes, MM. François et
+Benjamin Delessert.</p>
+
+<p>Malgré l'exemple donné par la Caisse d'Epargne de Paris, on ne comptait
+en France, à la fin de la Restauration, que treize établissements de ce
+genre. Depuis cette époque, leur nombre s'accrut dans une progression
+rapide, et qui indiquait suffisamment que les masses commençaient à
+apprécier les bienfaits de cette institution. En 1836, il existait déjà
+220 caisses qui avaient au trésor 93 millions, dont la moitié environ
+avait été versée par la Caisse de Paris. Au 31 décembre 1839, le solde
+total des caisses était de 167,474,629 fr. 25 cent.</p>
+
+<p>Les lois des 5 juin 1835 et 31 mars 1837 modifièrent les bases sur
+lesquelles avaient été primitivement établies les Caisses d'Épargne. Le
+minimum de la somme à déposer est toujours cependant de 1 fr., sans
+fraction de franc. On ne peut verser plus de 500 fr. par semaine, et la
+somme appartenant à chaque déposant ne peut excéder 5,000 fr.; les
+sociétés de secours mutuels sont seules admises à avoir un dépôt de
+6,000 fr. La dernière de ces lois réalisa en même temps une grande
+amélioration en autorisant les Caisses à verser en compte courant leurs
+fonds au Trésor public, qui leur en paie un intérêt de 4 pour 100. Il
+opère aussi sans frais le transfert d'une Caisse à l'autre dans toute la
+France. L'État devient ainsi l'administrateur de la fortune publique et
+privée; payant un intérêt de 4 p. 100, il est dans la nécessité
+d'employer les sommes qui, auparavant, restaient inactives dans ses
+coffres. La Caisse, de son côté, paie aux déposants un intérêt, non plus
+de 5 p. 100, comme dans le principe, mais seulement de 3 fr. 75 cent.
+pour 100 fr. La différence entre 5 fr. 75 cent. et 4 fr. est bonifiée au
+profit de la Caisse, qui subvient, au moyen des ressources qu'elle en
+tire, à ses frais d'administration. Cette réduction d'intérêts s'est
+opérée sans secousse ni perturbation; car on avait déjà reconnu que les
+déposants avaient moins en vue un intérêt considérable qu'une
+accumulation successive de petits capitaux, la facilité de les retirer à
+volonté et la sûreté du placement.</p>
+
+<p>H y a trois classes d'individus auxquels les Caisses d'Épargne peuvent
+surtout être utiles; les domestiques et autres gens à gages, les
+ouvriers, les habitants des campagnes.</p>
+
+<p>Les premiers placent généralement mal leurs économies, en des mains peu
+sures. Désabusés aujourd'hui par tous les mécomptes et toutes les pertes
+qu'ils ont subis, ils commencent à se servir des Caisses d'Épargne.</p>
+
+<p>Les ouvriers ont eu plus de peine à en prendre le chemin. Les préjugés
+particuliers à cette classe, les tentations, de funestes habitudes, de
+mauvaises connaissances, les en ont bien longtemps empêchés. Peu à peu,
+toutefois, ils sont arrivés à se convaincre que les Caisses d'Épargne
+sont, suivant l'expression de M. de Cormenin, des écoles de moralité, où
+le travail, fondé sur l'intérêt personnel, maîtrise les vices et les
+mauvaises passions des hommes. «Il n'y a pas d'exemple, dit M. B.
+Delessert, qu'un porteur de livret ait été condamné par les tribunaux. »
+Le nombre des ouvriers déposants s'accroît dans une rapide progression.
+Aujourd'hui, ils forment la majorité des déposants nouveaux. Mais il
+n'en est pas de même dans les départements, pour les habitants des
+campagnes. Défiants et soupçonneux, ils ne veulent pas qu'on sache
+qu'ils ont de l'argent, ou bien ils se croiraient perdus s'ils le
+sortaient de la cachette où ils l'ont enfoui, et où il dort improductif
+jusqu'à ce qu'ils achètent un petit lot de terre. Que de capitaux ces
+habitudes inintelligentes n'enlèvent-elles pas à la circulation.</p>
+
+<p>En tête de toutes les Caisses d'Épargne du royaume, se place
+naturellement celle de Paris. Il ne sera sans doute pas sans intérêt
+d'extraire du rapport présenté par M. B. Delessert quelques détails sur
+sa situation.</p>
+
+<pre>
+En 1841, la Caisse a reçu à divers titres. 40,041,548 f. 50 c.
+Elle a remboursé par contre. ...... 26,911,458 78
+
+Augmentation des versements sur les remboursements.
+ 13,130,009 52
+
+Au 31 décembre 1841, le solde du aux
+déposants était de........... 83,485,457 50
+</pre>
+
+<p>En 1841, il y a eu 34,303 déposants nouveaux, dont 18,875 ouvriers, et
+7,200 domestiques. La moyenne de chaque versement a été de 141 fr.;
+celle de chaque remboursement, de 410 fr.; celle de chacun des 134,000
+livrets existants au 31 décembre 1841, de 619 fr. A cette même époque,
+les 285 Caisses d'Épargne des départements, non compris celle de Paris,
+avaient en compte courant à la Caisse des dépôts et consignations,
+157,988,002 fr.; en y joignant ce qui était dû à la Caisse de Paris,
+nous trouvons un total de 241,661,552 fr. et une augmentation totale de
+32,921,001 fr. pour la seule année 1841.</p>
+
+<p>Que de passions domptées, que de mauvais conseils repousses, que de
+vertus acquises pour amasser et conserver ces 241 millions! En prévenant
+de nombreuses douleurs, ces habitudes d'ordre et d'économie donnent de
+nouveaux gages à la paix, à la tranquillité publiques; car il ne faut
+pas s'y tromper, le pauvre qui commence à avoir une petite propriété
+cherche dès lors à se garantir, par une économie soutenue, contre les
+privations de l'indigence, et du moment où il a un petit pécule placé
+sur l'État, non-seulement il n'y attache pas moins d'importance que le
+plus fort capitaliste à ses trésors, mais il cherche sans cesse à le
+grossir. Si nous en voulions une preuve, il nous suffirait de citer un
+exemple. A l'occasion du mariage du duc et de la duchesse d'Orléans,
+40.000 fr. furent distribués entre 1,760 livrets, qui furent répartis à
+Paris entre autant d'enfants. Le nombre de ces livrets est encore
+aujourd'hui de 1,698, et la somme due aux jeunes déposants est de
+136.000 fr.: en quatre ans et demi elle s'est accrue de 97.000 fr.</p>
+
+<p>On voit donc de quel intérêt il peut être pour le pays et pour les
+individus d'augmenter le nombre des Caisses d'Épargne. Seconder le
+mouvement qui porte les petits capitaux vers ces utiles établissements,
+c'est répandre dans la population des éléments de sécurité et de
+bonheur.</p>
+<br>
+
+<h3>Longchamp.</h3>
+
+<p class="mid">L'abbaye de Longchamp.--Mort de Philippe le long.--Henri IV et Catherine
+de Verdun.--Lettre de Saint Vincent de Paul.--Sermons prêchés à
+Boulogne.--Ermites du mont Valérien.--Conversion de mademoiselle
+Lemaure.--Les <i>Ténèbres</i> à Longchamp.--Le musicien Lalande.--Longchamp
+sous Louis XV.--La Guimard et ses <i>armes portantes.</i>--Equipage de
+mademoiselle Duthé.--Mademoiselle Cléophile.--Anecdote--M. le comte
+d'Artois (Charles X).--Efforts de l'archevêque de Paris contre
+Longchamp.--Arrestation de mademoiselle Rancourt.--Longchamp de
+1780--Carrosses de porcelaine.--Les princes à Longchamp--Modes de
+1784.--Voitures anglaises.--Mesdemoiselles Adeline et
+Deschamps.--Longchamp de 1787.--Parodie de Longchamp, par le marquis de
+Villette.--Interruption de Longchamp.--Modes de 1793.--Démolition de
+l'abbaye.--Renaissance de Longchamp.--Semaine sainte de l'an VIII.--Vol
+d'un couvert.--Longchamp de l'an X.--Verts inédits de Luc de Lancival.
+Longchamp en 1815.--Conclusion.</p>
+
+<p>En racontant l'histoire des moutons de Dindenout, Rabelais a écrit celle
+du genre humain. Dans la foule qui piétine, roule, ou chevauche à
+Longchamp, peu de gens se demandent l'origine de cette promenade
+annuelle. Nous y venons parce que nos pères y sont venus, c'est une des
+clauses de l'héritage que nous ont légué les générations précédentes, et
+que nous transmettrons à nos descendants. Les usages, une fois établis,
+trouvent une raison d'être dans leur existence même; plus ils durent,
+plus ils se consolident, et on les observe encore longtemps après en
+avoir oublié la cause première. Pourquoi ces flots vont-ils à la mer?
+parce qu'ils sont poussés par d'autres flots, et que, derrière ceux-ci,
+d'autres encore suivent la même pente invincible.... Mais qui s'inquiète
+de la source?</p>
+
+<p>On a beaucoup disserté sur Longchamp sans approfondir ce sujet si
+important dans l'histoire des moeurs parisiennes. Chaque écrivain,
+jugeant plus commode de copier servilement ses prédécesseurs que de
+recourir aux pièces originales, s'est contenté d'allégations
+incomplètes, de vagues généralités, de notions acceptées sans examen.
+Ces maladroits défrichements ont laissé le sol vierge encore, et nos
+études sur Longchamp seront, nous osons l'espérer, moins imparfaites que
+celles de nos devanciers.</p>
+
+<p>Au nord du village de Boulogne, entre le bois et la Seine, s'étend une
+plaine étroite qui doit à sa configuration le nom de Longchamp <i>(longus
+campus)</i>, et non pas Longchamps, comme on l'écrit sans égard pour la
+syntaxe et pour l'étymologie. Ce fut là que dame Isabelle de France
+bâtit, en 1250, le monastère de <i>l'Humilité de Notre-Dame</i>. Elle avait
+écrit à Méméric, chancelier de l'Université: «Je veux assurer mon salut
+par quelque pieuse fondation; le roi Louis IX, mon frère, m'octroie
+trente mille livres parisis; dois-je établir un couvent ou un hôpital?»
+Le chancelier opta pour qu'on ouvrit un asile à des nonnes de l'ordre de
+Sainte-Claire. La Révolution lui a donné tort: elle eût conservé
+l'hôpital, elle a démoli le couvent.</p>
+
+<p>L'origine royale de Longchamp lui valut le patronage des souverains.
+Saint Louis en visitait souvent les religieuses; Marguerite et Jeanne de
+Brabant. Blanche de France, Jeanne de Navarre et douze autres princesses
+y prirent le voile. Philippe le Long y mourut le 2 janvier 1321, d'une
+dysenterie compliquée de fièvre quarte. Pendant qu'il agonisait, l'abbé
+et les moines de Saint-Denis vinrent processionnellement l'assister,
+apportant comme remèdes un morceau de la Vraie Croix, un saint clou et
+un bras de saint Simon. L'application de ces pieuses reliques parut
+soulager le moribond; mais, suivant la chronique du <i>continuateur de
+Nangis</i>, la maladie étant revenue par la faute du roi, il fit son
+testament et expira.</p>
+
+<p>Longchamp, comme tous les autres monastères, comme toutes les
+institutions humaines, passa de la grandeur à la décadence, de la
+ferveur au relâchement, de la régularité au désordre. Saint Louis y
+avait maintenu la stricte observance de la règle; son petit-fils, Henri
+IV, y prit une maîtresse, Catherine de Verdun, jeune religieuse de
+vingt-deux ans, à laquelle il donna le prieuré de Saint-Louis de Vernon,
+et dont le frére, Nicolas de Verdun, devint premier président du
+Parlement de Paris. Cet exemple paraît avoir été fatal à la moralité de
+l'abbaye, à en juger par une lettre que saint Vinrent de Paul écrivait,
+le 25 octobre 1632, au cardinal Mazarin: «Il est certain, disait-il,
+que, depuis deux cents ans, ce monastère a marché vers la ruine totale
+de la discipline et la dépravation des moeurs. Les parloirs sont ouverts
+aux premiers venus, même aux jeunes gens sans parents. Les frères
+mineurs recteurs aggravent le mal; les religieuses portent des vêtements
+immodestes, des montres d'or. Lorsque la guerre les força à se réfugier
+dans la ville, la plupart se livrèrent à toute espèce de scandale, en se
+rendant seules et en secret dans les maisons de ceux qu'elles désiraient
+voir.....»</p>
+
+<p>Nous citons ce curieux passage, non pour dénigrer les nonnes de
+Longchamp, mais pour établir que les relations du couvent avec la
+capitale étaient fréquentes, et que les Parisiens préludaient par des
+promenades partielles à la grande promenade périodique. Plusieurs
+circonstances contribuaient à les entraîner vers ces parages. Dès le
+quinzième siècle, on allait à Boulogne entendre prêcher le carême par
+les cordeliers aumôniers de Longchamp. «En 1429, selon le <i>Journal de
+Charles VII</i>, frère Richard, cordelier, revenu depuis peu de Jérusalem,
+fit un si beau sermon, qu'après le retour des gens de Paris qui y
+avaient assisté, on vit plus de cent feux à Paris, en lesquels les
+hommes brûlaient tables, cartes, billes, billards, boules, et les femmes
+les atours de leur tête, comme <i>bourreaux de truffes</i>, pièces de cuir et
+de baleine, leurs <i>cornes</i> et leurs <i>queues.</i> «En outre, il fallait
+passer par Longchamp pour monter au Mont-Valérien, habité par des
+ermites qui, au temps où Mercier rédigeait son <i>Tableau de Paris</i>, en
+1782, attiraient encore, après quatre ou cinq siècles, <i>un concours
+étonnant de peuple et de bourgeois</i> Il y avait <i>fluxion</i> sur ce point,
+et l'autorité ecclésiastique fut souvent obligée d'employer des mesures
+coërcitives. «Les évêques de Paris, dit l'abbé Leboeuf, ont toujours
+veillé à ce qu'un trop grand concours à Longchamp n'en troublai la
+retraite. La bulle du pape Grégoire XIII, sur un jubilé, en avait
+assigné l'église pour une des sept stations. Pierre de Gondi, évêque,
+mit l'église de Saint-Roch à la place de celle de Longchamp; et lorsque
+le pape eut appris ces raisons, il loua sa prudence par un bref que j'ai
+vu, daté du 10 mars 1584.»</p>
+
+<p>Ce fut au commencement du règne de Louis XV que se régularisèrent les
+excursions qui avaient pour fut l'abbaye. Une cantatrice célèbre,
+mademoiselle Le Maure, quitta théâtre en 1727, à la vive douleur du
+public, qui regrette toujours ceux qui prennent envers lui l'initiative
+de l'abandon. Des scrupules religieux avaient déterminé la retraite de
+mademoiselle Le Maure; mais le chant était sa vie; elle n'y put renoncer
+d'une manière absolue, et lasse de dire les amours <i>d'Armide</i> ou
+d'<i>Alceste</i>, elle fit retentir de ses notes éclatantes les voûtes de
+l'église de Longchamp. Les saintes filles se formérent aux leçons de
+l'actrice; leur psalmodie lugubre devint un angélique concert et tout
+Paris accourut les entendre chanter <i>Ténèbres</i> pendant la semaine
+sainte. L'abbesse, étonnée de ce succès, se mit en quête de belles voix,
+et demanda aux choeurs de l'Opéra. Les <i>dryades</i> du <i>Triomphe de
+l'Amour</i>, les <i>divinités infernales</i> de <i>Persée</i>, entonnèrent,
+concurremment avec les vierges du Seigneur, <i>quare fremuerunt gentes</i>,
+ou <i>miserere mei, Deus</i>. Les Parisiens se crurent au spectacle. On
+assiégea les portes, on s'amoncela dans la nef, on escalada les
+galeries, on monta sur les chaises, sur les tombeaux, sur les autels des
+chapelles. Ce fut, pendant plusieurs années, une effroyable cohue, une
+avalanche de bruyants visiteurs, l'invasion d'une petite église par une
+grande ville. Le jour enfin, les curieux, arrivant le mercredi saint aux
+portes de Longchamp, les trouvèrent fermées par ordre de M. de Beaumont,
+archevêque de Paris. Le pèlerinage annuel n'en continua pas moins.
+C'était une inauguration des promenades, une fête publique du printemps,
+une manifestation joyeuse en l'honneur du soleil et des toilettes
+d'avril, des nouvelles feuilles et des nouvelles modes, des beaux jours
+renaissants et des jolies femmes ranimées. C'était, à défaut des
+cantiques de Longchamp, un hommage rendu à celui qui vivifie la nature
+après l'hiver.</p>
+
+<p>En recherchant ce qui concerne les premiers Longchamp, nous n'avons
+exhumé qu'une seule anecdote. Lalande, musicien de la chapelle du roi,
+voulant aller à Longchamp, se rend chez le loueur de chevaux Mousset, et
+loue un cheval avec selle de velours, housse galonnée, bride et bridon
+d'or; il donne 9 fr. d'arrhes. En sortant de l'écurie, il rencontre
+trois de ses collègues, Daigremont, Douillet et Mondoville, qui
+l'invitent à monter avec eux dans une calèche et à les accompagner à
+Longchamp. Lalande répond qu'il vient de louer un cheval, mais que s'il
+peut retirer ses arrhes il sera volontiers de la partie. On retourne
+chez le loueur: «M. Mousset, dit Lalande, montrez-moi donc encore une
+fois le cheval que j'ai arrêté.--Le voici. Monsieur.--Savez-vous qu'il
+est bien court, votre cheval, et qu'il y a peu d'espace entre le cou et
+la queue? Car enfin, c'est moi qui paie: je prends la première place,
+voici celle de Daigremont, Doublet se tiendra là; mais je ne vois pas où
+diable sera placé Mondoville, et celui-là compte!»</p>
+
+<p>Le loueur, après avoir écouté attentivement ce calcul, se hâte de
+restituer les arrhes.</p>
+
+<p>De 1750 à 1760 Longchamp atteignit son apogée. C'était alors une
+solennité: grands seigneurs, diplomates, fonctionnaires publics,
+financiers et fermiers-généraux y faisaient assaut de luxe et
+d'élégance. A Naples, à Madrid, le roi lui-même par un sentiment de
+pieuse vénération, n'aurait pas osé monter en voiture pendant la semaine
+sainte: à Paris, au contraire, l'aristocratie préparait longtemps à
+l'avance les plus somptueux équipages, et les bourgeois modestes, ceux
+qui allaient ordinairement à pied, dérogeaient durant trois jours à leur
+habitude. Calèches, fiacres, cabriolets, carrosses de remise, chevaux,
+chaises à porteur, vinaigrettes, tous les véhicules disponibles étaient
+mis en réquisition. Dès le mercredi saint, une immense cohue encombrait
+les allées des Champs-Elysées et du bois de Boulogne. Les actrices y
+venaient briguer les applaudissements que les vacances de Pâques les
+empêchaient de chercher sur le théâtre. Les femmes qu'on appelait alors
+<i>les impures</i>, et qui doivent leur nom actuel au quartier qu'elles
+habitent, se montraient resplendissantes de diamants qui les paraient
+sans les éclipser. Les journalistes, les pamphlétaires, les peintres de
+moeurs, ne manquaient pas au rendez-vous général, et les nombreux
+documents qu'ils ont recueillis nous mettent à même de tracer, presque
+année par année, une monographie de Longchamp.</p>
+
+<p>La promenade de mars 1768 fut favorisée par la beauté du temps et de la
+douceur de la température. «Les princes, les grands du royaume, disent
+les <i>mémoires</i> contemporains, s'y rendirent dans les équipages les plus
+lestes et les plus magnifiques.» L'héroïne de la fête fut la danseuse
+Guimard, que Marmontel avait surnommée la <i>belle damnée</i>. Elle parut
+<i>dans un char d'une élégance exquise,</i> sur les panneaux duquel, pour
+mieux rivaliser avec les grandes dames, elle avait fait peindre des
+<i>armes parlantes</i>. L'écusson portait un <i>marc d'or,</i> d'où s'élevait une
+plante parasite, un gui de chêne; les grâces servaient de supports et
+les amours de cimier. Ce blason révélait un lucre honteux; mais, sous ce
+règne, la licence étaient trop commune pour qu'il lui fût possible
+d'être effrontée, et l'un oublia l'imprudence de l'aveu pour ne songer
+qu'à l'esprit des emblèmes.</p>
+
+<p>Quelques années plus tard, en avril 1774, nous voyons la chanteuse Duthé
+succéder à mademoiselle Guimard dans les fonctions de <i>beauté à la
+mode</i>. Cet équipage doré, vernissé, traîné par six chevaux fringants,
+n'appartient point, comme on pourrait le croire, à une princesse du sang
+royal; il porte tout simplement la Duthé. Le mercredi et le jeudi saints
+elle excite l'admiration; on la proclame et elle se croit sans rivale;
+mais, le troisième jour un autre équipage, non moins doré, traîné par
+six chevaux non moins superbes, galope à côté du sien. Quelle était donc
+celle qui dressait ainsi carrosse contre carrosse, celle qui opposait sa
+piquante physionomie à la beauté fade et régulière de la Duthé? Une
+obscure élève d'Audinot, <i>danseuse en double</i> à l'Opéra, la demoiselle
+Cléophile, qui devait une subite opulence à la protection du comte
+d'Aranda.</p>
+
+<p>Un an après, la Duthé faisait l'épreuve de l'inconstance du public. Au
+moment où son équipage entrait en ville, des groupes menaçants
+l'environnèrent; des huées, des sifflets, des cris d'indignation
+l'assaillirent avec tant de violence qu'elle fut obligée de rétrograder.
+Des bruits vagues, calomnieux peut-être, avaient provoqué cette
+explosion de mécontentements. Le comte d'Artois, marié depuis deux ans à
+Marie-Thérèse de Savoie, venait souvent <i>incognito</i> de Versailles à
+Paris. «Las de <i>biscuit de Savoie</i>, disait M. de Bievre, il venait à
+Paris prendre <i>du thé</i>; et les Parisiens, d'ordinaire peu scrupuleux,
+avaient pris parti pour la comtesse délaissée.</p>
+
+<p>L'affluence d'actrices et de femmes équivoques faisait de Longchamp un
+spectacle assez scandaleux pour que l'archevêque de Paris cherchât à en
+arrêter les progrès, après en avoir entravé la naissance. Il pria le
+ministre de faire fermer les portes du bois de Boulogne durant la
+semaine sainte, par respect pour le jubilé de 1776; mais ses
+réclamations avortèrent, et la promenade eut son cours.</p>
+
+<p>La tragédienne Rancourt, la <i>prima donna</i> du Longchamp de 1777 faillit
+n'y pas assister. Le 29 mars, resplendissante et fière comme si elle eût
+joué Roxane, elle s'apprêtait à monter en voiture. Vous pensez aller à
+Longchamp, madame; vous êtes toute au désir de plaire et de briller;
+mais vous avez compté sans vos créanciers. Vous n'avez pas aperçu les
+recors en embuscade autour de votre hôtel; les voici, ils vous
+entourent, ils s'emparent de votre personne, ils vous invitent poliment
+à coucher au Fort-l'Évêque. Heureusement qu'un homme généreux, mais peu
+désintéressé, en sacrifiant quelques milliers de louis, va vous rendre à
+l'ovation qui vous attend.</p>
+
+<p>Le Longchamp de 1780 fut des plus brillants, en dépit de la vivacité du
+froid. La file des voitures allait sans interruption depuis la place
+Louis XV jusqu'à la porte Maillot, entre deux haies de soldats du guet.
+Les voitures circulaient plus librement dans le bois, dont la garde
+avait été confiée à la maréchaussée. On signala comme des merveilles
+deux carrosses de porcelaine. L'un, occupé par la duchesse de
+Valentinois, avait pour attelage quatre chevaux gris-pommelé, dont les
+harnais étaient de soie cramoisie brodée en argent, le second
+appartenait à <i>une impure</i>, mademoiselle Beaupré. Il reparut l'année
+suivante avec un prince du sang, le duc de Chartres pour écuyer
+cavalcadeur, «ce qui, disent les <i>mémoires</i> de Bachaumont, n'augmenta
+pas pour lui la vénération publique.»</p>
+
+<p>Malgré la présence de Monsieur, du comte et de la comtesse d'Artois, du
+duc et de la duchesse de Bourbon. Le Longchamp de 1781 fut triste.
+Pendant quelques aimées, il y eut diminution progressive dans le luxe et
+le nombre des équipages, quoique les modes eussent atteint un degré
+d'extravagance qui aurait du donner de la splendeur à la fête annuelle
+de la mode. C'était le temps des étoffes, <i>entrailles de petit-maître,
+soupir étouffé, jambe de nymphe émue, centre de puce en fièvre de lait:</i>
+les hommes étaient coiffés <i>à l'oiseau royal, au cabriolet, à la
+Ramponneau, à la grecque, à l'hérisson;</i> les femmes portaient de
+gigantesques bonnets <i>à la Belle-Poule, à la d'Estaing, au ballon, à la
+Montgolfier, au Port-Mahon, au compte-rendu, aux relevailles de la
+reine</i>. Les carrosses massifs avaient été remplacés par des cabriolets
+importés d'Angleterre, <i>wiskys</i> ou <i>garricks</i>, voitures légères, mais
+d'une si prodigieuse hauteur que le peuple disait, en les voyant passer:
+«Voilà des gens qui vont allumer les réverbères.» Il parut, au Longchamp
+de 1786, un <i>wisky</i> dont la caisse disparaissait dans le brancard. Les
+laquais étaient assis sur le devant, et le cocher, placé derrière sur un
+siège élevé, dirigeait les chevaux par-dessus la tête de ses maîtres.
+Les beautés remarquables et remarquées de cette même année furent les
+demoiselles Adeline et Deschamps, appartenant toutes deux à la
+<i>Comédie-Italienne</i> La première avait reçu de M. de Weymeranges,
+intendant des postes et relais, un présent de mille louis pour son
+<i>longchamp</i>. La seconde est nommée par Delille dans <i>une épître sur le
+luxe:</i></p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14">Cette beauté vénale, émule de Deschamps,
+<p class="i14">Des débris de vingt ducs scandalise Longchamps.
+</div></div>
+
+<p>Une modification essentielle, introduite au Longchamp de 1787. lui
+rendit momentanément son éclat primitif. On renonça à suivre la route
+inégale et sablonneuse de l'abbaye, pour adopter l'allée qui va de la
+Muette à Madrid. «Depuis longtemps, écrit l'annaliste Bachaumont, on ne
+se rappelle pas avoir vu tant de monde, tant de voitures aussi belles et
+aussi bizarres: les <i>wiskys</i> y brillaient surtout. Beaucoup de
+petits-maîtres, beaucoup de dames avaient fait faire une voiture
+différente pour chaque jour. Un <i>wisky</i> plus bizarre et plus galant que
+les autres a fait pendant ce temps la matière des conversations. Ce
+<i>wisky</i> était surmonté d'une Folie avec sa marotte; dedans étaient
+quatre marionnettes, deux de chaque sexe, saluant à droite et «gauche
+sans cesse; tout cela était mené par un ânon joliment harnaché, et un
+jockey dirigeait l'animal. On lisait sur la voiture: <i>D'où viens-je? où
+vais-je? où suis-je?</i> On l'a appelé la <i>parodie de Longchamp</i>, dont en
+effet on semblait vouloir faire la critique. Quoi qu'il en soit, ce
+concours a dû satisfaire le marquis de Villette, qui passe aujourd'hui
+pour l'auteur.»</p>
+
+<p>La révolution suspendit Lonçchamp. Comment l'aurait-on solennisé? Tous
+les chevaux avaient été accaparés pour le service des quatorze armées,
+et le sang coulait sur la place ci-devant de Louis XV. Si quelques
+voitures avaient osé s'aventurer dans les Champs-Elysées, elles auraient
+rencontré chemin faisant les charrettes chargées de victimes. Longchamp
+tomba en même temps que la monarchie. Ne pensez pas toutefois que la
+mode ait complètement perdu son empire. Exilée de Longchamp, elle se
+réfugiait dans les <i>galeries de bois</i> C'était au Palais-Égalité qu'on
+voyait les redingotes <i>à la Zutime</i> en <i>pékin velouté et lacté;</i> les
+douillettes <i>à la laponne</i> en <i>florence unie</i>; les habits <i>à la
+républicaine</i>: les <i>caracos à la Nina</i>; les robes <i>à la turque, à la
+persienne, à la Psyché, au lever de Venus</i>. Où diable la mythologie
+va-t-elle se nicher?</p>
+
+<p>Cependant l'on abattait sans pitié le vieux monastère; on brisait les
+nombreux tombeaux de l'église édifiée par sainte Isabelle, et les
+cendres de la fondatrice, de Jeanne de Bourgogne, femme de Philippe le
+Long, de Jeanne de Navarre, de Jean II, comte de Dreux, étaient
+dispersées par des mains profanes. Longchamp semblait mort avec la
+religion qui l'avait enfanté; les vainqueurs de thermidor le
+ressuscitèrent. Nous sommes en germinal an V (avril 1797). La terreur
+est anéantie, l'échafaud renversé, la <i>jeunesse dorée</i> triomphante;
+Longchamp va renaître pour les ébats des parvenus du Directoire. «Le
+peuple, dit le <i>Miroir</i> du 26 germinal, commence à voir que ces
+opulentes niaiseries lui sont de la plus grande utilité. On ne peut
+compter le nombre des couturières, des marchandes de modes, que nos
+jolies promeneuses ont fait travailler, pour fixer les regards pendant
+cette fête, qui, en elle-même, ne ressemble à rien. Pendant que les
+amours s'occupent de leur parure, les forgerons, les charpentiers, les
+selliers, travaillent sans cesse à confectionner, à équiper les chars et
+les chevaux qui doivent traîner cette foule élégante et badine. Gloire à
+Longchamp, aux niais qui y galopent, aux badauds qui les considèrent!
+Ils font travailler, ils font vivre le pauvre monde.»</p>
+
+<p>En vertu de ces doctrines, exprimées dans un style qui exhale un parfum
+d'ancien régime, les Parisiens se portent à Longchamp, le jour du
+<i>ci-devant</i> mercredi saint. On brave la pluie; on veut reconnaître les
+lieux; mais il y a encore peu d'élégantes voitures, et l'on ne distingue
+qu'un seul équipage à quatre chevaux, conduits par des jockeys vêtus à
+l'anglaise. Le jeudi, les équipages, plus nombreux, vont et reviennent
+sur deux lignes parallèles. La citoyenne Tallien, la citoyenne Récamier,
+la citoyenne Lange, la citoyenne Mézerai, du théâtre Louvois, la
+danseuse Lanxade, ont les honneurs de la journée. Le vendredi, on compte
+deux mille voitures. Les héroïnes de la veille reparaissent avec des
+toilettes différentes. L'écuyer Franconi a réuni ses musiciens dans une
+vaste <i>gondole</i>, qu'escorte une foule d'écuyers, et donne un concert
+ambulant aux promeneurs, depuis la place Louis XV jusqu'à Bagatelle. Des
+troupes à pied et à cheval, des agents de police, sont distribués sur
+toute la route; car le gouvernement est averti qu'une <i>grande
+conspiration</i> se prépare, et qu'on doit profiter de Longchamp pour
+prendre le <i>Chemin de Ia Révolte</i>. Comme un symbole, de l'aristocratie
+déchue, se montre à cette fête une calèche de forme antique, lourde et
+vermoulue, conduite par deux maigres laquais, et péniblement tiraillée
+par deux maigres haridelles. A l'entrée des Champs-Elysées s'est formé
+un groupe d'humoristes, qui narguent le faste des nouveaux enrichis.
+«Tiens, voici un ex-jacobin.--Celui-ci est un valet qui a dénoncé son
+maître.--Voilà un comité révolutionnaire: le père, la mère, le fils,
+tout en était...» Le soir, les <i>citoyennes</i>, en costume d'amazone, ou
+habillées <i>à la grecque</i> et étincelantes de diamants, vont au théâtre
+Feydeau entendre Garat chanter <i>Enfant chéri des Dames</i> et l'air
+d'<i>Alceste: Au nom des Dieux.</i> Voilà Longchamp reconstitué!</p>
+
+<p>Diverses particularités signalèrent la semaine sainte de germinal an
+VIII (1798). Le <i>vendredi saint</i> fut en même temps le <i>mardi-gras;</i> on
+confondit le carême et le carnaval. Il y eut un <i>bal masqué</i> le <i>jeudi
+saint</i>, et le lendemain on exécuta le <i>Stabat</i>, au grand mécontentement
+des vieux hébertistes. Les <i>merveilleux</i> de l'an VIII figurèrent à
+Longchamp en habits gros bleu, brodés en soie bleu-de-ciel, à <i>collet
+triplement juponné</i>, avec cravates nouées sur le côté gauche, gilets <i>à
+la débâcle</i>, et demi-chemises de batiste. Les couleurs chamois, serin et
+violet, dominaient dans les ajustements des dames. Quelques robes
+étaient bleu-clair recouvertes de linon. La coiffure en vogue était le
+fichu-marmotte sur un chapeau de paille.</p>
+
+<p>Le soir du vendredi saint, un jeune homme entre chez le restaurateur
+Naudet; il commande une <i>bisque aux écrevisses,</i> un vol-au-vent, une
+<i>suprême</i>, des biscuits à la crème et une bouteille de Volney. Il mange
+vite; et, comme par distraction, met un couvert dans sa poche. Madame
+Naudet s'en aperçoit, et sans esclandre, elle ajoute sur la carte: un
+couvert d'argent, 54 fr. Le <i>merveilleux</i>, en payant, se contenta de
+dire: «Je ne croyais pas que la carte montât si haut.»</p>
+
+<p>En l'an X, Longchamp a repris racine, et inspiré des vers à Luce de
+Lancival, un des grands poètes de l'Empire:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14">Célèbre qui voudra les plaisirs de Longchamps:</p>
+<p class="i14">Pour moi, je choisis mieux le sujet de mes chants;</p>
+<p class="i14">Mon pinceau se refuse à la caricature.</p>
+<p class="i14">J'abandonne à Callot la grotesque figure</p>
+<p class="i14">Du dédaigneux Mondor, brillant fils du hasard,</p>
+<p class="i14">Pompeusement assis au fond du même char</p>
+<p class="i14">Dont naguère il ouvrait et fermait la portière;</p>
+<p class="i14">Ce fat, tout rayonnant de son luxe éphémère,</p>
+<p class="i14">Et qui, pour trois louis, s'estime trop heureux</p>
+<p class="i14">De louer un coursier qui sera vendu deux;</p>
+<p class="i14">Et nos Vénus, sortant de l'écume de l'onde,</p>
+<p class="i14">Qui prennent le grand ton pour le ton du grand monde,</p>
+<p class="i14">Et pensent ennoblir leurs vulgaires appas,</p>
+<p class="i14">En affichant le prix que les paie un Midas.</p>
+<p class="i14">Ce qui déplaît à voir n'est point aimable à peindre,</p>
+<p class="i14">Et Longchamp me déplaît, à parler sans rien feindre.</p>
+<p class="i14">Tout Paris à Longchamp vole. Qu'y trouve-t-on?</p>
+<p class="i14">Maint badaud à cheval, en fiacre, en phaéton,</p>
+<p class="i14">Maint piéton vomissant mainte injure grossière,</p>
+<p class="i14">Beaucoup de bruit, d'ennui, de rhume et de poussière.</p>
+</div></div>
+
+<p>Tel est encore Longchamp de nos jours; car depuis l'an VIII, il n'a plus
+été interrompu, même lorsque les chevaux des Cosaques rongeaient les
+arbres des Champs-Elysées, et que la hache des sapeurs ennemis décimait
+le Bois de Boulogne.</p>
+
+<p>C'est toujours le même programme, exécuté de la même manière; ainsi,
+cette année, on s'est occupé de Longchamp plusieurs mois à l'avance. La
+<i>fashion</i> noble ou financière a fait renouveler ses équipages. Les
+<i>lions</i> ont demandé des tilburys et des <i>wurks</i> à Desouches-Touchard,
+des habits à Humann, des cannes à Verdier. Les élégantes se sont
+pourvues des capotes d'Alexandrine, des chapeaux de Lemonnier-Pelvey,
+surmontés des plumes de Zacharie. Et que d'étoffes nouvellement
+inventées par nos industriels! <i>échelle orientale, droguet catalan,
+pékin en camaïeux, lampas burgrave, étoile polaire, caméléon fleuri,</i>
+etc. Tout cela a été préparé sous l'influence d'un printemps hâtif, et
+le retour inattendu du froid a déçu bien des espérances, retenu bien des
+promeneurs au coin du feu, bien des voitures sous la remise; néanmoins,
+quoique les Champs-Elysées fussent déserts le mercredi, jour de pluie et
+de giboulées, on y a vu, malgré l'incertitude du temps, un public de
+choix le jeudi, et une très-grande affluence le vendredi. M. Gabriel
+Delessert avait, suivant l'usage, publié une ordonnance pour prévenir
+tous accidents et désordres pendant les promenades de Longchamp, avec
+défense de rompre la file, de conduire des voitures dans les
+contre-allées, de monter sur les arbres et sur les candélabres destinés
+à l'éclairage public. Ces mesures n'ont pas été inutiles le dernier
+jour, car la foule est revenue avec le soleil; deux lignes de voitures
+s'étendaient de la place de la Concorde à la porte Maillot; c'était le
+mardi-gras, moins les masques. Au milieu de la chaussée, circulaient les
+équipages armoriés, les calèches de la Chaussée-d'Antin, et celles de
+quelques actrices assez jolies pour avoir voiture avec deux mille francs
+d'appointements. A l'entour, des <i>sportsmen</i>, en habit <i>fumée de
+Londres</i>, caracolaient sur leurs nouvelles montures; des commis
+s'évertuaient à modérer le langage de leurs <i>locatis</i>; de gracieuses
+cavalières paradaient en amazones de <i>casimirienne</i> à boutons d'or, à
+manches <i>amadis</i>. Dans les contre-allées erraient les curieux vulgaires,
+les spectateurs désoeuvrés, qui contribuent eux-mêmes à former le
+spectacle.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/004.png"></p>
+
+<p>Voilà le Longchamp de cette année; ce sera sans doute, avec de légères
+variantes, celui de 1844. Longtemps encore, toujours peut-être, on verra
+les modes nouvelles s'épanouir durant ces trois jours consacrés. Comment
+voulez-vous que cet usage périsse? Il est devenu en quelque sorte une
+des fonctions de note organisme. Il est protégé par la coquetterie des
+femmes, l'orgueil des riches, l'intérêt des commerçants. Qui pourrait
+ébranler un édifice assis sur les bases aussi éternelles?</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/005a.png"></p>
+<br><br>
+
+<h3>La Vengeance des Trépassés.</h3>
+
+<h4>NOUVELLE.<br>
+(Suite.)</h4><br>
+
+
+<h3>§ 3.--Le Moulin.--La famille de Ponce-Pilate.</h3>
+
+<p>Mille terreurs, mille soupçons s'élevaient dans le coeur des fugitifs,
+qui n'osaient encore se les communiquer. Ils allaient sans parler,
+respirant à peine, livrés tour à tour à l'espoir d'être sauvés et à la
+crainte d'être trahis. Tout à coup on leur barre le chemin; dans la
+nuit, une figure humaine est debout devant eux, une main se pose sur
+l'épaule de don Christoval qui marchait le premier, et une douce voix
+connue leur dit: <i>C'est moi</i>. Trop tard! don Christoval avait déjà
+frappé. La pauvre Rachel ne jeta pas un cri; mais elle ajouta aussitôt:
+«Je suis morte! vous avez tué votre libératrice.» En même temps
+l'abîme ténébreux dans lequel ils étaient plongés tous trois s'ouvrit
+comme par enchantement et laissa apercevoir l'immensité du ciel brillant
+d'étoiles. Rachel, par un dernier effort, poussa en avant ses protégés,
+et lorsque, après avoir fait un pas, ils se retournèrent vers elle, la
+porte s'était remise à sa place, le rocher était refermé, tout était
+silencieux et immobile.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/005b.png"></p>
+
+<p>Leur premier mouvement fut de tomber à genoux pour remercier Dieu. Ils
+se trouvaient dans une prairie couverte d'une herbe haute et touffue;
+derrière eux s'élevait un énorme massif de rochers sur lesquels avaient
+crû çà et là des chênes et des pins, dont les spectres noirs et
+mélancoliques se dessinaient sur le ciel doucement éclairé d'une lueur
+crépusculaire. La sinistre maison devait être située derrière ces
+rochers, car on ne la découvrait nulle part, en sorte que rien ne
+souillait la pureté de ce paysage. Au sortir d'une atmosphère chargée de
+vapeurs de sang. Léonor et Christoval respiraient avec délices, et cet
+air embaumé leur rendait les forces dont ils avaient tant besoin.</p>
+
+<p>Don Christoval cherchait la meilleure direction à suivre, quand leur
+oreille fut frappée d'un bruit lointain et régulier. Ils reconnurent le
+tic-tac d'un moulin; ils se dirigèrent de ce côté, en marchant avec
+toute la vitesse possible dans cette grande herbe où il leur eût été
+facile de se cacher, même en plein jour. Le bruit devenait plus
+distinct; il semblait que ce fût une voix amie qui les appelât. Au bout
+d'un quart d'heure, ils distinguèrent la maisonnette du meunier. Mais un
+obstacle imprévu les arrêta court: ce fut le ruisseau qui faisait
+tourner le moulin. Heureusement ils crurent distinguer quelqu'un près de
+la maison. Don Christoval, d'une voix forte dont il tâchait pourtant de
+calculer et de ménager la portée, cria: <i>Au secours!</i> et aussitôt un
+homme accourut vers eux. Quand il fut sur le bord du ruisseau. Léonor ne
+put se tenir de lui crier à son tour <i>sauvez-nous!</i> l'homme ne répondit
+qu'un mot <i>attendez!</i> et il disparut. Au bout de cinq minutes il revint
+avec une planche qu'il jeta sur le ruisseau, et les amants se crurent
+sauvés en touchant l'autre rive.</p>
+
+<p>Le meunier n'attendit pas leurs questions: «Vous venez de
+là-bas?--Hélas! oui.--Par quel miracle vous êtes-vous échappés?--Nous
+avons été délivrés par un ange qui a été bien mal payé de ce bienfait.
+Mais vous savez donc....--Je sais tout. Vous n'êtes pas les premiers qui
+se sauvent ici. Oui, la Rachel est un ange parmi les démons. Aussi je
+commence à leur devenir suspect; mais n'importe, venez; nous trouverons
+moyen de vous cacher comme ceux d'il y a un mois.»</p>
+
+<p>Ils touchaient au seuil de la porte, lorsqu'on vit soudain des lanternes
+courir le long de l'eau, dans la prairie. Elles descendaient vers le
+moulin, et l'air retentissait de ces cris: Juan! Juanito! Juan! Juan!
+«Les voici, dit le meunier; ils veulent passer. Carmen, dit-il à la
+meunière qui était sortie au-devant d'eux, Carmen, cache ces étrangers.
+» En même temps, il tourna les talons; et, comme l'on continuait à
+crier: Juan! Juanito! il se mit à répondre de toutes ses forces: «Oui,
+maître, oui! me voilà! me voilà!</p>
+
+<p>--Ils seront bientôt ici, dit la meunière; vite, vite, fourrez-vous dans
+le bluteau. Là!... bon!... Entassez-vous tant que vous pourrez dans la
+farine. C'est cela! et ne bougez.» La bonne Carmen ayant laissé retomber
+le couvercle de toile et fait un signe de croix sur le bluteau, alla
+s'asseoir près du berceau de son enfant, et se mit à le bercer en
+chantant une vieille romance sur le Cid.</p>
+
+<p>Bientôt la porte s'ouvrit avec impétuosité, et trois hommes se
+précipitèrent dans la chambre. Juan les suivait. Sans dire une parole,
+ils coururent au lit, le visitèrent par-dessous avec leurs lanternes;
+ils levèrent même les couvertures. Ensuite ils ouvrirent l'armoire; en
+un mot, ils fouillèrent dans tous les coins et recoins dont ils purent
+s'aviser, mais, par bonheur, ils ne s'avisèrent pas du bluteau. Enfin
+l'un d'eux rompit le silence, et ce fut pour s'écrier avec des jurements
+horribles: «Malheur à eux, si nous les rattrapons, les traîtres, les
+scélérats, qui ont volé nos bons maîtres! ils le paieront cher! Et toi,
+Juan, si l'on découvrait que tu aies favorisé leur fuite, que tu es leur
+complice, ton affaire serait bientôt faite, ainsi qu'à ta femme et à ton
+marmot!</p>
+
+<p>--Vous me faites tort, mes braves camarades, répondit le meunier.
+J'atteste le ciel que je voudrais avoir ces coquins en ma seule
+puissance, les tenir là, à ma discrétion, et je vous montrerais bientôt
+quel homme je suis! Mais je puis vous garantir qu'ils n'ont pas pris de
+ce côté; ou, s'ils y sont venus, le ruisseau leur aura fait rebrousser
+chemin, et je n'en ai point vu. Probablement ils se seront jetés sur la
+route de Jaen. En tout cas, ils ne peuvent manquer d'être rejoints,
+puisque vous me dites que toute la maison est à leurs trousses. Mais
+vous n'avez plus rien à faire ce soir; vous devez être fatigués; ne
+voulez-vous pas vous rafraîchir?</p>
+
+<p>--Volontiers, ami Juan, répondit un autre qu'à sa voix, don Christoval
+reconnut pour le portier qui les avait d'abord repoussés; mais nous
+avons déjà soupé, il nous faut peu de chose.</p>
+
+<p>--Un bon beignet de pâte, à l'huile, arrosé d'une outre de vin vieux,
+dit Carmen. Nous avons de l'huile admirable; et quant au vin, vous m'en
+direz des nouvelles.»</p>
+
+<p>Les quatre hommes s'assirent autour de la table. Carmen prit un plat
+creux, s'approcha du bluteau, leva le couvercle, et puisa de la farine
+pour faire son beignet, affectant de rester longuement devant le bluteau
+ouvert. Cependant un des bandits qui n'avait pas encore parlé: «Que
+j'aurais du plaisir, dit-il, à planter mon poignard au coeur de ces
+misérables, comme cela!...» En achevant ces mots, il enfonçait son
+poignard au milieu de la table avec rage. L'arme se tint debout en
+tremblant; la lame avait pénétré dans le bois à six lignes au moins de
+profondeur.</p>
+
+<p>«Carmen, dit le meunier, arrête le moulin. Il est une heure passée;
+c'est aujourd'hui dimanche..., et apporte-nous l'outre.» Le souper
+commença et la conversation continua de plus en plus animée et enjolivée
+de mille plaisanteries atroces ou indécentes. Le meunier faisait le bon
+compagnon, enchérissant sur ses convives, et avait soin de les faire
+boire largement, en s'épargnant lui-même sans qu'il y parût. Enfin, il
+joua si bien son jeu, qu'ils sortirent du moulin plus assurés que jamais
+du dévouement du meunier et complètement ivres, à ce point, qu'en
+repassant le ruisseau, l'un de ces honnêtes gens y tomba, et y fût
+resté, s'il se fût trouvé en la seule compagnie de l'honnête Juan.</p>
+
+<p>Léonor et Christoval furent tirés de leur asile, tellement enfarinés de
+la tête aux pieds, que leur visage et leurs mains ressemblaient à ceux
+d'une statue de marbre blanc. En les voyant dans cet état, le meunier et
+sa femme firent de grands éclats de rire, auxquels eux-mêmes prirent
+part très-volontiers. «Vous voilà hors du plus grand péril, dit Juan;
+mais ce n'est pas tout: il faut trouver moyen de gagner la ville voisine
+sans être découverts, car nous sommes toujours sur le domaine de vos
+ennemis. Or, ils sont puissants et vigilants! et, s'ils vous
+surprennent, il n'est point de violence qu'ils ne se permettent pour
+s'assurer de vous et vous empêcher de découvrir leurs crimes à la
+justice. Le point du jour approche; voici ce qu'il faut faire: vous
+allez prendre un de mes habits, et cette jeune dame fera à ma femme
+l'honneur de revêtir un des siens. Nous partirons avec ma voiture. Vous
+savez conduire une voiture? Vous conduirez donc la mienne à pied, et
+madame et moi serons assis sur les sacs: elle pourra même faire semblant
+de dormir, cela fera que, si l'on nous rencontre, l'on aura moins de
+soupçons; car je suis connu dans le pays, et vous passerez pour mon
+garçon de moulin.»</p>
+
+<p>--Rien n'est mieux arrangé, reprit don Christoval; dites-moi seulement
+comment il se peut faire qu'un si honnête homme que vous soit au service
+d'une troupe d'assassins.--Je vous conterai tout cela en route, dit le
+meunier. Nous n'avons pas de temps à perdre.»</p>
+
+<p>Les travestissements finis et la voiture préparée, l'on partit. L'aurore
+n'était pas encore levée, mais une ligne rouge, qui enflammait l'horizon
+du côté de l'orient annonçait son approche. Au fond de la voûte céleste
+les étoiles avaient disparu sous un voile grisâtre; et, à l'extrémité
+opposée, la lune brillait encore, pale et légère, dans un ciel bleu.
+L'air était frais et calme; les oiseaux se taisaient, endormis dans les
+vieux oliviers qui bordaient la route, et le silence universel attestait
+que la nature n'était pas encore réveillée. On sait que, par l'effet
+d'un de ces mystères dont notre vie est tissue, cette heure matinale
+verse au coeur de l'homme l'espoir et la confiance, comme la venue des
+ténèbres y jette le découragement et la terreur. Nos voyageurs, dans
+cette heureuse disposition qu'inspire le retour de la clarté, sortirent
+du moulin, Christoval, en équipage de garçon meunier, un fouet à la
+main, Léonor en habit de paysanne. Ils embrassèrent la bonne Carmen, qui
+pleurait et ne pouvait s'empêcher d'avoir peur, et l'on se sépara pour
+ne jamais se revoir, selon toutes les apparences. Ainsi va la vie!</p>
+
+<p>Tous trois étant montés sur la voiture, Juan et Léonor assis côte à côte
+et don Christoval sur le devant, comme celui qui conduisait les chevaux,
+le meunier prit la parole en ces termes: «Regardez entre les arbres:
+voyez-vous là bas la maison isolée enveloppée d'une petite vapeur
+blanche? Tenez, voilà le premier rayon du soleil qui l'éclairé. C'est là
+que vous devriez être à cette heure, étendus sans mouvement et sans une
+goutte de sang dans les veines, au lieu de rouler tranquillement comme
+nous faisons, sur une bonne route bien sablée. Il est certain que Dieu a
+opéré miraculeusement en votre faveur.</p>
+
+<p>«Il y a trois ans que cette famille vint s'établir dans le pays. Nul ne
+les connaissait, et personne, aujourd'hui même, ne pourra vous dire d'où
+ils sortaient. Ils achetèrent cette maison avec ses dépendances, qui
+sont très-vastes. C'était un vieux manoir inhabité depuis des siècles:
+on le disait hanté par des apparitions; ainsi vous voyez que ce n'est
+pas d'hier que c'est un lieu redoutable. Ils firent réparer
+l'habitation. On y travailla longtemps; et je me souviens, moi, d'y
+avoir mené du sable et des pierres. Dans ce temps-là, je n'étais pas
+encore marié et je n'avais pas loué leur moulin. Je ne pensais qu'à me
+faire soldat; c'était bien loin de songer à devenir meunier! Pour en
+revenir à eux, ils se sont mis à vivre très-mystérieusement, et ont
+toujours continué depuis. Ils se donnent pour Moresques, mais la vérité
+est que ce sont des Hébreux, ou, si vous l'aimez mieux, des juifs. Ils
+sont très-riches, et on les croit profondément versés dans les secrets
+de la cabale. Mais ce n'est pas là le plus extraordinaire de leur
+histoire; le voici: ils sont tous venus au monde avec une main lépreuse,
+la main droite; aussi vous avez dû remarquer qu'ils portent tous un gant
+à cette main, et ne la découvrent jamais. Cette lèpre reste immobile et
+ne se répand pas sur le reste du corps avant un certain âge, qui est
+trente ans pour les femmes, et quarante ans pour les hommes. Alors cette
+horrible maladie se met en mouvement; elle commence par les jambes, et
+monte lentement, lentement, jusqu'à ce qu'elle envahisse le corps tout
+entier; et, au fur et à mesure qu'elle gagne du terrain, elle tue les
+endroits par où elle a passé, de manière qu'il y a dans le même individu
+une moitié morte et une moitié vivante. Quand le mal s'est emparé de la
+tête, c'est fini! mais il faut beaucoup de temps pour en arriver là.</p>
+
+<p>«Il est impossible de guérir ce mal, et vous croirez sans peine que les
+hommes n'y peuvent rien, quand vous saurez que c'est un châtiment de
+Dieu sur toute une race. Ces gens descendent, à ce qu'on dit, de
+Ponce-Pilate, qui signa l'arrêt de mort de notre Sauveur, et ils doivent
+porter jusqu'à la consommation des siècles le signe et la peine du crime
+de leur ancêtre.</p>
+
+<p>«Mais, s'ils ne peuvent vaincre cette lèpre hideuse, ils ont du moins
+trouvé moyen de la combattre et de retarder ses progrès: c'est en
+prenant des bains tièdes dans du sang de chrétien.</p>
+
+<p>« La situation de leur demeure, au milieu de cette immense plaine
+déserte, au sortir d'un défilé de la montagne Noire, les sert
+admirablement. Quelque voyageur égaré ou attardé vient de temps à autre
+leur demander asile, et ces infortunés voyageurs disparaissent sans
+laisser aucune trace de leur passage. Ils ont chez eux une demi-douzaine
+de domestiques, ou plutôt d'assassins à leur solde, qui, en un clin
+d'oeil, et à l'aide de certaines machines, vous expédient un homme dans
+l'autre monde. Après quoi, le vieux père, qui est le plus avancé dans sa
+maladie, prend son bain, et l'on assure que les trois autres membres de
+la famille se plongent successivement dans cette cuve sanglante.»</p>
+
+<p>Ici don Christoval interrompit le récit du meunier: «Je ne croirai
+jamais, dit-il, que deux créatures aussi charmantes que le sont Amine et
+Rachel participent ni à ce bain atroce, ni au meurtre qui a servi à le
+préparer.</p>
+
+<p>--Je ne sais ce qui est d'Amine; quant à Rachel, vous avez raison. Comme
+elle est la plus jeune, il n'y a pas longtemps qu'elle est instruite des
+sombres mystères de la maison paternelle, et elle ne demanderait pas
+mieux que de s'enfuir; mais comment? avec le secours de qui? et où se
+réfugier?</p>
+
+<p>--Mais, demanda Léonor, comment avez-vous su tous ces détails!</p>
+
+<p>--Par deux domestiques qui se sont échappés de cet affreux repaire, il y
+a un mois; et qui se sont sauvés, comme vous, dans mon moulin, jusque-là
+je ne me doutais pas de la moindre chose. Ce moulin appartient à la
+famille de Ponce-Pilate: ils me la louent bon marché et j'y gagne
+beaucoup d'argent. Mais il n'est argent ni intérêt qui tiennent! je ne
+puis souffrir en silence qu'on égorge ainsi mon prochain à deux pas de
+moi, surtout étant, comme je suis, d'une famille de vieux chrétiens!
+Mais nous voilà arrivés à Huescar sans avoir, grâce à Dieu, fait de
+mauvaise rencontre. Dès que, vous serez en sûreté, j'irai avertir la
+justice.</p>
+
+<p>--Hélas, dit Léonor, dans votre déposition, n'oubliez pas de justifier
+la pauvre Rachel! c'est à elle que nous devons la vie, et probablement
+elle nous eût accompagnés, sans la cruelle méprise qui, peut-être, à
+l'heure qu'il est, lui a ravi l'existence. Que sera-t-elle devenue, sans
+secours, dans ce couloir voûté? Aura-t-elle pu en sortir? Quel
+traitement aura-t-elle reçu du reste de sa famille? Je vous avoue que
+ces pensées me tourmentent beaucoup!»</p>
+
+<h3>§ 4.--La Bohémienne.</h3>
+
+<p>Sur ces entrefaites, la voiture était entrée dans les rues d'Huscar. Ils
+allèrent descendre à l'enseigne du Saint-Sacrement, dont l'hôte était un
+ancien ami du meunier. Il se trouvait justement dans cette auberge des
+marchands qui retournaient à Murcie après avoir terminé leurs affaires à
+Hescar: ils consentirent à prendre dans leur compagnie don Christoval et
+Léonor, qui passait pour sa femme. Ceux-ci ne quittèrent pas le brave
+Juan sans mille protestations d'amitié et sans l'avoir forcé d'accepter
+une généreuse récompense.</p>
+
+<p>De Murcie, il leur fut aisé de gagner Alicante, où, trouvant encore une
+occasion toute prête, ils s'embarquèrent pour Barcelone. Léonor
+regrettait les chevriers de la montagne Noire; mais don Christoval lui
+fit comprendre qu'il n'y avait de sûreté pour eux en aucun endroit de
+l'Espagne, à cause du grand crédit de l'archevêque, qui, tôt ou lard,
+finirait par les découvrir dans la retraite la plus cachée. Léonor se
+rendit à ces raisons.</p>
+
+<p>Leur dessein était de se retirer quelque part en France, et d'y attendre
+que la mort du prélat ou son indulgence, sur laquelle, à vrai dire, ils
+ne comptaient guère, leur permit de rentrer en Espagne.</p>
+
+<p>Ils descendirent à Barcelone, et résolurent de continuer leur route par
+terre, parce que la navigation fatiguait trop Léonor. Ils étaient trop
+loin pour risquer beaucoup d'être poursuivis, outre qu'ils étaient
+toujours déguisés; et une fois au delà des Pyrénées, ils n'avaient plus
+rien à craindre.</p>
+
+<p>Aucun incident remarquable ne troubla leur voyage jusqu'à Llivia, petit
+village situé à l'entrée de la montagne. Ils y arrivèrent avec la nuit.
+L'unique auberge de l'endroit était un cabaret d'apparence assez
+chétive, mais, comme il n'y avait pas à choisir, ils allèrent y
+descendre.</p>
+
+<p>On remisa leur chaise, ensuite ils demandèrent une chambre: on leur dit
+qu'il n'y en avait point de disponible pour l'heure, mais que sûrement
+ils en auraient une pour coucher. En attendant, ils devaient se
+contenter d'une espèce de salle commune, où étaient entassés bon nombre
+de buveurs, qui faisaient grand bruit, car la méchante fortune de nos
+voyageurs voulut que ce fût précisément la fête de l'endroit. Ils se
+soumirent et prirent place dans un coin. Peu à peu, cependant, les
+pratiques du cabaretier se retirèrent pour aller danser ou voir danser
+dans une grange voisine, et les nouveaux venus luirent souper plus
+tranquillement qu'ils ne l'avaient espéré. Ce souper fut meilleur aussi
+qu'on n'aurait dû s'y attendre: il se composait de gibier, de
+pâtisseries et de fruits, le tout relevé par un très-bon vin. Avant la
+fin du repas, Léonor et don Christoval étaient demeurés tout à fait
+seuls; cependant la prudence ne leur permit pas de s'entretenir de leurs
+affaires, de peur d'être espionnés et entendus à travers une simple
+cloison de planches mince comme du pallier. Ils causèrent de choses
+indifférentes, et bien leur en prit. Après le dessert, don Christoval
+sortit pour faire préparer enfin leur chambre, y transporter leur bagage
+et s'occuper avec l'hôte d'autres détails touchant le départ du
+lendemain et la route à suivre. Léonor, pensive, accoudée sur la table,
+la tête appuyée sur sa main, prêtait l'oreille au bruit de la danse
+lointaine, et son regard se perdait dans la partie obscure et profonde
+de cette salle déserte. Tout à coup en face d'elle, dans l'angle opposé,
+il lui sembla distinguer une forme humaine qui se mouvait et grandissait
+dans l'ombre. La lampe de cuivre qui brûlait devant elle, suspendue à
+une crémaillère en bois, lui donnait sur le visage, et la vivacité de la
+lumière formait une sorte de rempart devant ses yeux éblouis. Léonor ne
+put se défendre d'un sentiment de surprise et même de frayeur. La
+personne inconnue s'approcha lentement jusqu'au bord de la table qui la
+séparait de Léonor. C'était une grande femme maigre avec de beaux traits
+réguliers, un teint cuivré et des yeux noirs brillants comme deux
+flammes sombres. Elle était coiffée d'une espèce de turban rouge, vêtue
+d'une longue robe grise qui s'en allait en guenilles, et paraissait
+avoir quarante ans ou un peu plus. Il était facile de reconnaître une
+Egyptienne ou Bohémienne. «Madame, dit-elle en bon espagnol, n'ayez pas
+peur de moi; je m'étais endormie là, sur une natte: la faim m'a
+réveillée tout à l'heure; voulez-vous me donner à
+manger?--Très-volontiers; tout ce qui est là est à votre service. Prenez
+une chaise, ma pauvre femme, et buvez et mangez.» L'Égyptienne ne se le
+fit pas répéter: elle s'assit en face de Léonor, qui la considérait avec
+compassion, et se mit à souper silencieusement, en personne affamée.
+Quand elle fut rassasiée: «Que le ciel, ma bonne dame, vous récompense
+de votre charité, dit-elle d'une voix grave et émue; je n'ai pas d'autre
+moyen de reconnaître le bien une vous m'avez fait; cependant, si vous le
+désirez, je vous dirai votre bonne aventure. C'est un art dans lequel je
+passe pour habile.--Oh! que vous me feriez plaisir! dit Léonor. »</p>
+
+<p>L'Égyptienne, sans répondre, remplit un verre d'eau; puis, tirant de sa
+poche unie petite boîte oblongue dans laquelle étaient renfermées des
+plantes et des graines desséchées, elle y chercha une feuille de buis,
+une feuille de romarin et un grain de genièvre, qu'elle plaça dans une
+cuiller d'argent soigneusement essuyée, au-dessus de la flamme de la
+lampe. Tandis que ces substances se calcinaient avec un faible
+pétillement et une odeur aromatique, l'Égyptienne marmottait des paroles
+rapides dans une langue inconnue. Sans s'interrompre, elle versa les
+cendres dans le verre d'eau; et comme elles flottaient légèrement à la
+surface, elle pria Léonor de souffler trois fois dessus pour les
+submerger. Enfin, elle sortit de sa poche deux autres objets: un morceau
+de parchemin chargé de caractères et de figures cabalistiques qu'elle
+glissa sous le verre; plus, un petit volume également écrit sur
+parchemin, qu'elle ouvrit à un endroit marqué, et posa ainsi ouvert
+au-dessus de l'eau, comme un toit. Elle l'y laissa environ une minute,
+pendant laquelle elle continuait toujours ses prières et ses évocations.
+Enfin elle remit le livre dans sa poche, et dit: «Tout est prêt. »</p>
+
+<p>Elle s'agenouilla alors. Le verre était au niveau de ses yeux; elle y
+regarda, et traduisait ce qu'elle voyait dans l'eau, «Vous avez été
+religieuse, au moins avez-vous porté l'habit de novice.--Vous vous êtes
+enfuie de votre couvent,--la nuit,--avec un cavalier.--Vous avez
+traversé un bois,--ensuite une plaine;--on vous reçoit dans une vaste
+maison;--vous avez échappé à un grand péril....--Attendez! interrompit
+Léonor: ne pouvez-vous me donner des nouvelles de notre libératrice?--Je
+ne puis vous parler que de vous seule; je ne vois que vous. Au sortir
+d'ici, vous voyagerez encore longtemps....» La Bohémienne resta quelques
+minutes sans parler, comme absorbée dans une contemplation plus
+attentive, puis elle reprit d'une voix attendrie: «Ah! ma fille! vous
+avez déjà supporté bien des peines; mais ce n'est rien, au prix de
+celles qui vous attendent!--Quelles sont ces peines?--Je n'ai pas le
+courage de vous en faire le détail. Armez-vous de force et de
+patience!--N'est-il aucun moyen de prévenir mon sort?--Aucun! Tout ce
+que je puis vous dire et encore cela ne vous servira de rien, c'est que
+vous devez prendre garde au rosaire, et que vous mourrez au milieu de
+l'eau, par le feu.--Au milieu de l'eau, par le feu! répéta Léonor
+épouvantée de ces sinistres paroles. Grand Dieu! n'est-il donc sur la
+terre aucun refuge pour moi? Oh! cherchez, indiquez-moi un asile où je
+puisse trouver le repos.» La Bohémienne, cette fois, ne regarda plus
+dans le verre; elle mit sa main sur ses yeux, réfléchit profondément, et
+dit: «Le repos? vous ne le trouverez qu'en terre sainte!»</p>
+
+<p>Sur ce mot, elle se leva, et sortit de la chambre.<br>
+
+<span class="rig">F. G.</span></p>
+
+<p><i>(La suite à un prochain numéro.)</i></p>
+
+<br><br>
+
+<h3>Sur l'Éloquence de la Chaire</h3>
+
+<h4>AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.</h4>
+
+<p>L'histoire de la chaire sacrée en France, depuis le commencement de ce
+siècle, offre trois périodes bien distinctes dont chacune a une
+physionomie particulière, en grande partie déterminée par les
+événements.</p>
+
+<p>Nous ne pouvons qu'effleurer ici un sujet si vaste. Nous passerons
+rapidement sur les deux premières périodes surtout. Notre but sera
+atteint si nous pouvons en mettre les traits distinctifs et
+caractéristiques en relief, dans une esquisse impartiale de
+quelques-unes des figures principales.</p>
+
+<p>Au commencement de ce siècle, la France sortait à peine d'une crise
+violente et douloureuse. La lutte subsistait toujours, au dehors contre
+les ennemis de la nationalité, au dedans entre les anciennes traditions
+vivantes encore et les idées issues de la Révolution. Alors il se
+présenta un homme singulièrement propre à défendre et à gouverner la
+France, dans cette situation difficile. Quoi qu'on ait dit des idées
+absolues de Napoléon, c'était aussi l'homme des transactions, et il le
+montra en cette occasion. Pour satisfaire les partisans de l'ordre
+nouveau, tout en conservant la puissance royale, il en abolit le titre
+et consacra l'égalité civile. Il rouvrit ensuite les églises pour
+attirer à lui les hommes du passé; car, en rétablissant le culte,
+Napoléon semble avoir été guidé plutôt par ses vues de domination que
+par une conviction religieuse bien profonde. Le traité conclu avec le
+Saint-Siège en est une preuve éclatante: au lieu de creuser les idées,
+on s'appliquait plus particulièrement à polir les formes. Dans la
+crainte sans doute d'effrayer ceux que l'on voulait attirer dans le
+giron de l'Église, par la rigidité d'une morale trop austère, on prêcha
+presque exclusivement sur le dogme. Au reste, cette méthode ne laissait
+pas que d'être logique; il était assez naturel, avant de déduire les
+conséquences pratiques, de chercher à pénétrer les esprits de la
+doctrine qui leur sert de base.</p>
+
+<p>Il y eut sous l'Empire plusieurs prédicateurs qui jouirent d'une grande
+réputation, et qui la méritaient à bien des titres. Ne pouvant les citer
+tous, nous nous bornerons à parler de MM. de Boulogue et Frayssinous,
+qui nous semblent les plus remarquables. Ils résument en quelque sorte
+l'illustration de la chaire pendant cette période à laquelle ils ont
+survécu, mais dans laquelle permettent de les classer le temps de leur
+plus grande vogue et surtout le genre de leur talent.</p>
+
+<p>M. de Boulogne avait déjà acquis quelque gloire avant la Révolution. Né
+de parents pauvres, il avait étudié un peu tard; mais ses dispositions
+naturelles, jointes à beaucoup d'ardeur pour l'étude, suppléèrent à
+l'éducation première qui lui manquait. Ordonné prêtre, il vint à Paris
+pour tenter la fortune de la chaire. Il y vécut longtemps solliciteur
+obscur. Il trouva enfin des protecteurs puissants, fut présenté au roi,
+et prêcha devant lui en 1787, M de Boulogne avait alors quarante ans.</p>
+
+<p>Pour bien juger la longue carrière de M. de Boulogne, tour à tour
+pamphlétaire et journaliste, mais prédicateur avant tout, il faut se
+faire une idée nette de son caractère, sous peine de trouver en lui des
+contradictions inexplicables. Avec une conscience droite, des intentions
+pures et un grand amour pour le bien, il était dans sa conduite plein
+d'hésitation; souvent même il paraissait agir par boutade. Cela
+provenait de cette imagination vive et mobile qui était le fond de son
+talent. Il était de ces hommes sur qui l'impression du moment est
+toute-puissante; aussi l'action des événements est-elle plus visible
+chez lui que chez tout autre. Avant de se montrer l'adversaire ardent de
+toute concession libérale et de tout progrès en politique, il avait
+partagé, du moins jusqu'à un certain point, les idées qui avaient cours
+à la fin du dix-huitième siècle. On lit en effet dans un de ses discours
+imprimés de cette époque: «Le peuple seul a des droits, les rois n'ont
+que des devoirs.» Ces paroles sont curieuses dans la bouche de celui qui
+a prêché plus tard le sermon: «La France veut son Dieu! la France veut
+son roi!» Mais il faut, pour les comprendre, se reporter à un autre
+temps, et faire la part d'une époque où l'orateur<a id="footnotetag1" name="footnotetag1"></a><a href="#footnote1"><sup class="sml">1</sup></a> appelé à prêcher
+devant Louis XVI, le matin même de l'ouverture des États-Généraux, avait
+pris pour texte de son discours ce verset prophétique: <i>Deposuit
+potentes de sede et exaltavit humiles.</i></p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote1" name="footnote1"><b>Note 1: </b></a><a href="#footnotetag1">(retour) </a>M. l'abbé de Laboissière.</blockquote>
+
+<p>M. de Boulogne n'aimait pas beaucoup l'Empereur; on assure même qu'il ne
+l'épargnait pas dans la liberté de ses entretiens intimes. Cependant il
+le loua beaucoup dans ses sermons et dans ses mandements. Il fut nomme
+chapelain de l'Empereur et évêque de Troyes. Mais, après avoir joui
+quelque temps de la faveur du maître, il encourut aussi sa disgrâce.
+Voici à quelle occasion.--Nommé en 1809 pour prêcher l'anniversaire du
+sacre et de la bataille d'Austerlitz, M. de Boulogne fut obligé de
+soumettre son discours à la censure d'un personnage en crédit. Celui-ci
+corrigea les passages qui lui semblaient trop hardis, et en retrancha
+même quelques-uns tout entiers. Le prélat consentit à ces modifications.</p>
+
+<p>La cérémonie eut lieu à Notre-Dame, où l'Empereur se rendit avec son
+cortège de rois. La fête fut brillante: mais il arriva que, dans la
+chaleur du débit, M. de Boulogne, qui avait appris son discours par
+coeur, oublia de supprimer les passages notés. Quoiqu'il n'y eût dans
+ces passages rien de blessant pour personne, Napoléon n'était pas homme
+à oublier un manque de soumission. Trois ans de cachot et d'exil
+prouvèrent plus tard à l'évêque de Troyes comment Napoléon savait se
+venger.</p>
+
+<p>Les persécutions essuyées sous l'Empire furent un titre sous la
+Restauration. M. de Boulogne fut fait pair en 1822. Deux ans après, il
+mourut à Paris à l'âge de soixante-dix-sept ans.</p>
+
+<p>M. de Boulogne avait une physionomie spirituelle et douce. Il avait un
+talent d'orateur incontestable; sa manière un peu ampoulée et pompeuse
+le rendait surtout propre à prêcher dans les grandes occasions. On voit
+que ses sermons sont travaillés avec soin; mais on y trouve plus de
+style que de pensées, plus d'images que de sentiments. Ce prédicateur,
+si agréable à entendre, perd beaucoup à être lu, surtout aujourd'hui. En
+effet, il faisait aux affaires de son temps des allusions dont
+l'à-propos est perdu pour nous. Ce qui a fait son plus grand succès est
+peut-être ce qui rend aujourd'hui la lecture de ses sermons un peu
+froide et monotone.</p>
+
+<p>M. Frayssinous était, sous tous les rapports, un homme supérieur à.M. de
+Boulogne. Sa vie a été aussi plus conséquente avec elle-même. Les
+commencements en furent cependant obscur et difficiles. En 1804, il
+n'était encore que simple vicaire dans une commune du diocèse de Rhodes.
+A la suite d'un petit démêlé avec son curé, il s'en vint à Paris, qu'il
+n'aurait peut-être jamais vu sans cela. Il était sans argent: et, ne
+connaissant personne dans cette ville où il devait plus tard arriver aux
+plus grands honneurs, il alla demander un asile à Saint-Sulpice, où il
+fut accueilli avec plaisir. Les prêtres étaient rares alors, ainsi que
+le talent, et il n'est pas étonnant que celui de M. Frayssinous parvint
+bientôt à se faire jour. Il avait été suivi à Paris par M. Royer, son
+parent, et ils se réunirent tous deux pour faire des conférences dans
+l'église des Carmes. La nouveauté de l'enseignement et l'éloquence des
+deux prédicateurs firent du bruit, et bientôt la petite église de la rue
+de Vaugirard ne suffit pas pour contenir la foule. Grâce à ce succès, M.
+Frayssinous vit s'ouvrir devant lui les portes de l'église
+Saint-Sulpice, où il établit désormais ses conférences.</p>
+
+<p>Là, ses succès et sa réputation furent croissants de jour en jour. On
+venait l'entendre une première fois attiré seulement par la curiosité;
+on y revenait séduit par les charmes de l'éloquence.</p>
+
+<p>Rien n'était en effet plus attrayant que la minière de M. Frayssinous.
+Sa figure imposante, la douceur et la pureté de son style, sa grâce
+touchante et persuasive, son éloquence tout entière, étaient ce qu'il
+fallait alors pour captiver les auditeurs. Au lieu de jeter de fiers
+mépris à la raison révoltée, il cherchait à la soumettre en démontrant
+qu'aucune philosophie n'avait, comme le christianisme, résolu les grands
+problèmes de l'existence et dévoilé le mystère de la destinée, apporté
+plus de consolation dans la douleur et mis plus d'espérances dans la
+mort. M. Frayssinous avait dans le talent beaucoup d'analogie avec celui
+de Chateaubriand. Tous les deux procèdent par l'émotion, et s'adressent
+au coeur plutôt qu'à l'intelligence.</p>
+
+<p>M. Frayssinous était trop prudent; il craignait trop de blesser
+inutilement les auditeurs, pour mêler de la politique à ses conférences.
+Mais la police impériale était trop ombrageuse pour se contenter de la
+neutralité. On trouva mauvais que le conférencier ne parlât que de Dieu.
+On lui en fit des reproches, et il fut obligé d'accorder aussi quelque
+chose à César, et de parler de <i>celui que Dieu avait ramené
+miraculeusement des bords du Nil, et de la main qui avait été suscitée
+pour relever les autels.</i></p>
+
+<p>Malgré ces concessions, les conférences furent suspendues en 1809, pour
+n'être reprises qu'à la Restauration. Cinq années de silence et de
+méditations mûrirent encore un talent si remarquable. En 1814. M.
+Frayssinous remonta dans la chaire, et continua ses conférences, presque
+sans interruption jusqu'en 1822. Cette époque ferma, pour ainsi dire, sa
+carrière oratoire, en lui ouvrant celle des honneurs. M fut sacré évêque
+d'Hermopolis, et appelé à siéger à l'Académie et à la Chambre des Pairs.
+Bientôt il fut nommé grand-maître de l'Université et ministre des
+affaires ecclésiastiques. Nous ne le suivrons pas sur ce terrain brûlant
+de la politique.<a id="footnotetag2" name="footnotetag2"></a><a href="#footnote2"><sup class="sml">2</sup></a> Nous dirons seulement que l'évêque d'Hermopolis n'a pas
+fait oublier l'abbé Frayssinous, et que ses conférences de Saint-Sulpice
+restent son plus beau titre.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote2" name="footnote2"><b>Note 2: </b></a><a href="#footnotetag2">(retour) </a>On sait que la loi du sacrilège, si victorieusement
+combattue par M. Royer-Collard et désapprouvée par une partie du clergé,
+fut présentée par M. Frayssinous.</blockquote>
+
+<p>Ces conférences ont été recueillies et publiées par leur auteur sous le
+titre de <i>Défense du christianisme</i>. Le plan en est vaste,
+ingénieusement rempli, et les grâces d'une littérature toujours élégante
+n'en excluent ni la science théologique ni la profondeur des vues
+sociales. Aussi lorsque l'on songe que la nomination à l'Académie de
+l'éloquent évêque a fait crier dans le temps, on s'étonne moins des
+récriminations auxquelles a donné lieu celle de son successeur.</p>
+
+<p>Après 1830, M. Frayssinous refusa le serment et renonça à la pairie.
+Dévoué à la branche aînée des Bourbons qui l'avait comblé de ses
+bienfaits, il se rendit à Prague en 1835, pour diriger l'éducation du
+duc de Bordeaux. Il est revenu en France en 1838, et y a vécu dans la
+retraite jusqu'à sa mort arrivée en 1842.</p>
+
+<p>La prédication catholique qui avait été sous l'Empire, timide et
+soumise, je dirais presque résignée, prit un autre caractère sous la
+Restauration.</p>
+
+<p>Dans les dernières années de son règne. Napoléon s'était aliéné le
+clergé en s'immisçant aux affaires ecclésiastiques, et surtout par ses
+démêlés avant le Saint-Siège. Il tomba. Les prêtres accueillirent les
+Bourbons avec enthousiasme et fondèrent sur leur retour de grandes
+espérances qui ne se sont pas toutes réalisées. En effet, la Charte
+excitait parmi eux beaucoup de défiance. Ils croyaient que la religion
+était la seule base solide de la société, et que la monarchie etait le
+seul gouvernement conciliable avec la religion. Ainsi ils eurent le tort
+d'établir une sorte de solidarité entre la foi et les formes
+gouvernementales, si variables de leur nature. Mais on ne s'arrêtait
+point là. Ce que voulait la majorité du clergé qui s'était ralliée à
+cette faction royaliste appelée les <i>ultra</i>, ce n'était pas
+l'absolutisme proprement dit, ce n'était pas non plus l'ancien régime,
+c'était quelque chose de nouveau. On rêvait alors une féodalité
+constitutionnelle.</p>
+
+<p>Partant de la nécessité de l'union de la royauté et de la religion, la
+prédication devait avoir un caractère expressif et politique. C'est
+aussi ce qui arriva. Le clergé, en défendant la cause de la royauté,
+croyait défendre la cause de la religion, et s'habitua à comprendre dans
+une même réprobation les ennemis de Dieu et ceux du roi. Le trône et
+l'autel devinrent le thème ordinaire des prédications. Cette alliance
+entre la politique et le culte fit à la religion beaucoup de tort. Elle
+en éloigna d'abord tous ceux qui avaient été blessés, soit dans leurs
+intérêts, soit dans leurs opinions, soit dans leurs sentiments
+nationaux, par les événements de 1815. Quelques paroles réactionnaires
+aliénèrent aussi les hommes positifs, qui, habitués aux affaires,
+avaient accueilli les institutions nouvelles, mais qui ne croyaient pas
+qu'il fût possible de ne tenir aucun compte des événements et de l'état
+où se trouvaient alors les esprits.</p>
+
+<p>Cette situation explique les troubles qui, suivant les lieux se
+manifestaient alors à l'occasion des misions nombreuses qui furent
+faites, souvent avec trop-peu de prudence, pendant la Restauration. Elle
+explique aussi les justes reproches dont ces missions furent l'objet de
+la part des organes de la presse. Chaque prédicateur était alors un
+adversaire politique. Les missionnaires prêchant au milieu des passions
+émues en avaient toute la véhémence. Mais combien de prédicateurs
+réellement éloquents dont la renommée ne s'est pas même étendue bien
+loin! Telle est la destinée des succès oratoires les plus brillants, les
+plus flatteurs de tous pour l'amour-propre. Ils sont fugitifs comme
+l'émotion qu'ils produisent Quelquefois, lorsque l'impression a été bien
+profonde, il se conserve quelque trace dans le souvenir des auditeurs.
+Mais après que reste-t-il, surtout lorsqu'ils n'ont pas écrit? un nom
+qui s'efface de jour en jour.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/006a.png"><br><b>(Le dimanche des Rameaux.--Portail latéral de
+Saint-Eustache.)</b></p>
+
+<p>Au reste, quand même ils auraient publié leurs sermons et pu exprimer
+par le style les mouvements passionnés de leur éloquence, est-il bien
+sûr que cela les aurait sauvés de l'oubli? nous ne le croyons pas. Comme
+ils avaient subordonné leur enseignement à un point de vue particulier,
+lorsque les circonstances ont changé, ils ont dû nécessairement beaucoup
+perdre de leur importance. C'est pour ce motif que nous n'insisterons
+pas sur la biographie des prédicateurs sous la Restauration. Nous
+citerons simplement les Maccarthi, les Guyon, les Fayet, les Ollivier,
+les Deguerry, et nous pourrions facilement étendre la liste. Mais nous
+avons hâte d'arriver à la période ouverte par la révolution de juillet.
+Les événements de 1830 n'apportèrent pas un grand changement dans les
+relations qui existaient entre l'Église et l'État. Quelques mots furent
+remplacés dans la Charte par des mots à peu près équivalents, mais les
+lois réglementaires du culte ne furent point modifiées: on les exécuta
+seulement avec plus de rigueur, dans le principe surtout. Néanmoins
+cette révolution, dynastique pour ses résultats, mais démocratique par
+ses moyens, jeta dans les esprits une activité et une agitation qui se
+communiquèrent aussi au clergé.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/006b.png"><br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<b>M. de Boulogne.</b></p>
+
+<p>Nous sommes obligé de reprendre encore ici la marche des idées depuis le
+commencement du siècle; M.. Chateaubriand et M. Frayssinous avaient
+cherché à calmer les répugnances que le catholicisme inspirait alors:
+ils avaient voulu en faire aimer la poésie, mais là s'était arrêtée leur
+action. Les méditations, les harmonies rêveuses et un peu sensuelles de
+M. Lamartine, ont été l'expression du degré de foi qui régnait alors
+dans la société. D'un autre côté la Restauration avait mis en honneur la
+pratique extérieure du culte; tout serviteur dévoué de la monarchie
+voulait, par cela même, paraître bon chrétien. Mais la religion ainsi
+pratiquée, s'arrêtait évidemment à l'écorce, si je puis m'exprimer
+ainsi, et occupait plus de place dans les habitudes que dans les
+consciences.</p>
+
+<p>Tout à coup apparut l'<i>Essai sur l'indifférence</i>, de M. de Lamennais.
+Ce livre, qui alors était aussi un événement, fit peut-être autant de
+bruit qu'en ont fait plus tard les <i>Paroles d'un Croyant.</i> Rome n'osa se
+décider d'abord, et le clergé de France se partagea, en attendant la
+décision, en deux camps ennemis. Il y eut alors une guerre de pamphlets
+et de brochures qui ne sera pas un des épisodes les moins curieux de
+l'histoire des idées religieuses au dix-neuvième siècle.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/006c.png"><br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<b>M. Deguerry.</b></p>
+
+<p>L'idée philosophique développée dans <i>l'Essai</i> établissait le <i>sens
+commun</i>, c'est-à-dire la manifestation générale de la raison humaine
+comme la règle de la certitude. Ce n'était rien moins qu'introduire le
+principe démocratique dans l'ordre des faits intellectuels; et, de
+conséquence en conséquence, M. de Lamennais et ses disciples devaient
+nécessairement transporter les mêmes idées sur le terrain de la
+politique. La révolution de juillet aidant, c'est ce qui arriva bientôt.
+On sait l'histoire orageuse de l'<i>Avenir</i>. Quelque courte que fût la
+durée de ce journal, son action fut grande sur le jeune clergé. S'il ne
+fit pas beaucoup de partisans au gouvernement nouveau, il lui rendit du
+moins un grand service, en ce qu'il habitua les prêtres à voir avec
+indifférence la chute du trône qui venait de s'écrouler, mais
+l'influence de M. Lamennais s'est perpétuée par l'élite du clergé, dont
+il s'était entouré pour la rédaction de son journal. Ses disciples ont
+été dispersés par les foudres du Saint-Siège; ils se sont séparés de lui
+en reniant l'ensemble de ses doctrines, mais ils n'en ont pas moins
+conservé, peut-être à leur insu, beaucoup de la manière et aussi
+quelques-unes des idées de leur ancien maître. Sous la Restauration, le
+comble de l'audace, pour un prédicateur, était de déclarer que le salut
+de la religion ne dépendait pas de celui de la légitimité. Depuis 1830,
+la prédication a souvent côtoyé les opinions radicales et démocratiques,
+quelquefois même elle s'y est lancée à pleines voiles. Et ce qui prouve
+que M. de Lamennais est pour beaucoup dans cette tendance nouvelle du
+clergé, c'est que ce sont ceux qui l'ont approché de plus près qui ont
+été le plus loin en ce sens.</p>
+
+<p>Aujourd'hui, l'éloquence de la chaire tient plus par la manière générale
+à l'Empire qu'à la Restauration. A cette dernière époque il eut trop de
+reproches directs et de récriminations violentes; mais, à présent, le
+clergé, loin de se montrer hostile au mouvement, cherche à s'y associer
+dans certaines limites afin de le diriger.</p>
+
+<p>Il y a une remarque qui n'est pas non plus sans intérêt c'est que jamais
+plus qu'aujourd'hui le clergé ne s'était montré satisfait des progrès de
+l'Église. Il se plaît à montrer la croix triomphant partout, et de la
+meilleure foi du monde il exagère ses dernières victoires. On dirait
+qu'il cherche à attirer ainsi les esprits indécis et toujours prêts à
+imiter les autres, et les âmes timides qui n'embrassent jamais que le
+parti de la victoire.</p>
+
+<p>Il nous reste à entrer dans quelques détails biographiques sur les
+prédicateurs les plus en vogue. Malheureusement, la vie des
+prédicateurs, comme la vie de tous les hommes d'étude, est rarement
+féconde en incidents. Nous serons donc forcé d'être court, et nous
+parlerons seulement de quatre des prédicateurs qui ont en ce moment le
+plus de réputation.</p>
+
+<p>M. Combalot est né en 1794 à Chastenay (Isère). On assure qu'il s'était
+destiné d'abord à la profession d'avocat, et qu'une retraite spirituelle
+changea tout à coup sa vocation. Quoi qu'il en soit, il fut ordonné
+prêtre à 25 ans. Il vint à Paris quelque temps après et entra chez les
+jésuites. Il n'y fut qu'un an, et à peine rentré dans la vie séculière
+il commença ses prédications. Il parcourut d'abord les départements, et
+s'il faut tout dire, il ne fut pas celui qui réveilla sur son passage le
+moins d'irritation.</p>
+
+<p>Depuis ce temps. M. Combalot s'est voué tout entier à la prédication et
+aux retraites ecclésiastiques. Si Combalot est un véritable orateur: il
+a toute la fougue, toute l'impétuosité d'un tribun. Sa parole est animée
+et brûlante; ses images sont belliqueuses et pleines d'actualité. Il y
+a, dans sa physionomie bilieuse et fortement caractérisée, le cachet
+d'une indomptable fermeté. La manière de ce prédicateur n'est pas
+cependant exempte de tout reproche: il est quelquefois incorrect: ses
+comparaisons sont parfois triviales et ses métaphores heurtées. Un
+logicien sévère pourrait aussi lui demander plus de suite dans ses
+raisonnements. Souvent un mot réveille en lui une idée soudaine, qu'il
+saisit au passage, et il semble alors rompre, pour la suivre, le plan
+qu'il s'était tracé d'abord. On suit l'improvisation dans ses discours,
+mais, malgré ces défauts, à cause de ces défauts peut-être. M. Combalot
+domine son auditoire et le remue profondément.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/006d.png"><br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<b>M. Combalot.</b></p>
+
+<p>Le talent du M. Lacordaire a beaucoup d'analogie avec celui de M.
+Combalot: sa puissance d'entraînement est la même, il a ses qualités
+brillantes et quelques-uns de ses défauts. Il s'écarte moins de son
+sujet, ou, pour parler plus juste, il y revient souvent. L'éloquence de
+M. Lacordaire se compose surtout d'élans enthousiastes qui enlèvent les
+jeunes imaginations. On n'a pas encore oublié le sermon qu'il prêcha à
+Notre-Dame le 15 janvier 1841. Comme il avait exalté les gloires de la
+France! comme il avait attiré à lui tous ceux qui se sentaient au coeur
+quelque fierté nationale! S'il suffisait, pour être un orateur parfait,
+d'exercer sur son auditoire...... influence toute-puissante, M.
+Lacordaire serait le premier des orateurs: mais, malheureusement, le
+moment qui suit n'est pas aussi favorable que celui pendant lequel on
+l'écoute. Ainsi, dans ce sermon dont nous venons de faire mention, et
+qu'il prêcha avec son froc de dominicain, beaucoup d'auditeurs
+parfaitement disposés en sa faveur furent frappés de son exagération.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/007a.png"><br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<b>M. Lacordaire.</b></p>
+
+<p>M. Lacordaire était avocat avant d'être prêtre. Il est né à
+Recey-Sur-Ource (Côte-d'Or), et peut avoir aujourd'hui 41 ans, il eut, à
+ce qu'il dit lui-même, une enfance turbulente, et ses idées, au sortir
+du collège, n'annonçaient guère un futur prédicateur. Au grand chagrin
+de sa pieuse mère, il déclarait, à qui voulait l'entendre, que Dieu
+était une chimère, et le catholicisme une sottise. Son droit terminé, il
+vint faire son stage à Paris et travailla chez un avocat. Deux ans
+après, c'est-à-dire en 1824, le jeune athée, subitement converti, était
+entré au séminaire de Saint-Sulpice. Il ne se proposait rien moins, à
+cette époque, que d'aller en Amérique convertir les peuplades sauvages,
+et respirer, loin de cette Europe décrépite, l'air pur du Nouveau-Monde.
+M. de Lamennais, dont les ouvrages avaient beaucoup contribué à sa
+conversion, l'en dissuada, et pour donner carrière à son insatiable
+activité l'attacha depuis à l'<i>Avenir</i>, dont il fut un des principaux
+rédacteurs.</p>
+
+<p>Le journal tomba. M. Lacordaire accompagna à Rome M. de Lamennais et le
+quitta brusquement. Il publia bientôt une rétractation, où il déclarait
+qu'il n'avait jamais adhéré par <i>conviction</i> aux doctrines de M. de
+Lamennais, qu'il n'avait fait que céder par <i>lassitude</i> aux
+sollicitations qui lui étaient faites en s'associant à son oeuvre.</p>
+
+<p>C'est à dater de cette époque que la réputation de M. Lacordaire, comme
+orateur, a commencé. Elle grandit en peu de temps. On lui proposa de
+prêcher le Carême à Notre-Dame en 1835, mais à condition qu'il
+soumettrait à M. Affre, alors vicaire-général, le plan de ses sermons.
+On redoutait la fougue et les idées démocratiques du jeune prédicateur.
+Cependant on ne put si bien faire, que ses discours ne portassent
+l'empreinte du catholicisme libéral et un peu révolutionnaire de
+l'<i>Avenir</i>. Il y était question de souveraineté du peuple et d'idées
+analogues qui ne devaient pas flatter beaucoup un légitimiste inflexible
+comme M. de Quélen. Un auteur assure avoir vu l'archevêque s'agiter sur
+son siège pendant que l'orateur développait devant lui ses théories
+nationales. Aussi n'est-il pas étonnant que, malgré le succès qu'il
+avait obtenu dans cette station du Carême, on l'engageât à faire un
+voyage à Rome. Il en revint l'année suivante et prêcha encore à
+Notre-Dame; comme on trouvait que son style et ses idées n'étaient guère
+amendés, on lui conseilla un nouveau voyage. On assure que ce fut alors
+que M. Lacordaire, pour s'affranchir de la censure épiscopale, résolut
+d'entrer dans l'ordre de Saint-Dominique, dont il prit l'habit en juin
+1840.</p>
+
+<p>La figure maigre et allongée de M. Lacordaire s'anime, quand il parle,
+d'une expression enthousiaste et poétique. C'est un homme à imagination
+ardente, dont les opinions peuvent changer; mais on sent que sa parole
+exprime la conviction.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/007b.png"><br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<b>(M. de Ravignan.)</b></p>
+
+<p>M. de Ravignan a une manière plus posée et plus réfléchie que M.
+Lacordaire. Il se tient aussi plus en garde contre tout ce qui pourrait
+donner à la prédication un caractère politique. C'est là le motif qui
+l'a fait probablement substituer à ce dernier pour les prédications de
+Notre-Dame. Il suit une marche rigoureusement logique. Malgré la science
+dont il brille, il ne transporte cependant point son auditoire; on sent
+comme quelque chose de factice dans la chaleur de son débit et dans la
+vivacité calculée de son geste.</p>
+
+<p>Où est né M. de Ravignan? les biographes ne sont pas d'accord sur ce
+point. Les uns le font naître à Paris, les autres à Bordeaux ou dans les
+environs. La dernière opinion nous paraît la plus vraisemblable.</p>
+
+<p>En 1816, époque à laquelle il fut nommé conseiller-auditeur, M. de
+Ravignan pouvait avoir vingt-trois ans. Sept ans après, il entra dans la
+magistrature et occupa avec distinction pendant dix-huit mois la place
+de substitut du procureur du roi près le tribunal de la Seine. Il
+renonça au monde, disposa de sa fortune en faveur de ses héritiers
+naturels et entra au séminaire de Saint-Sulpice, qu'il quitta bientôt
+pour entrer à Montrouge dans la maison des jésuites. On assure que M. de
+Ravignan fut tonsuré par M. Frayssinous, que l'on venait de sacrer
+évêque, et qui, prévoyant dès lors sa gloire future, dit en s'adressant
+à ceux qui l'entouraient: «Voilà celui qui doit me succéder dans
+l'oeuvre des conférences.»</p>
+
+<p>Après avoir passé plusieurs années à étudier les Pères de l'Église et à
+s'instruire dans la science des prédicateurs. M. de Ravignan fut nommé
+pour prêcher le Carême à Notre-Dame. Ce fut le 12 février 1837 qu'il y
+ouvrit sa première conférence. Il les a continuées depuis avec un succès
+dont rien n'annonce le déclin. Prêchant presque toujours sur des
+matières qui ont rapport au dogme, M. de Ravignan a peu excité la
+critique des journaux.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/007d.png"><br><b>Une prédication à Saint-Roch.</b></p>
+
+<p>M. Coeur n'est pas avocat. Sa vocation semble l'avoir porté d'abord vers
+le professorat et l'état ecclésiastique. Après avoir achevé ses études,
+qui furent brillantes, il fut quelque temps régent de rhétorique et de
+<span class="lef"><img alt="" src="images/007c.png"><br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<b>M. Coeur.</b></span>
+philosophie dans un petit séminaire de province. Puis, il vint à Paris
+en 1827 pour suivre les cours publics professés par les hommes célèbres
+qui ont abandonné depuis les triomphes pacifiques de la Sorbonne et du
+Collège de France pour une scène plus orageuse. Il y passa deux ans et
+alla ensuite passer quelque temps dans la solitude de la Chartreuse pour
+se préparer à recevoir la prêtrise, qui lui fut conférée en juin 1829.
+Il venait d'atteindre sa vingt-quatrième année.</p>
+
+
+
+<p>La réputation de M. Coeur a commencé en province, lors des prédications
+qu'il fit à Lyon en 1833, et plus tard à Nantes et à Bordeaux. Paris
+devait appeler à lui un talent déjà si distingué, et la Sorbonne a rendu
+justice à M. Coeur en le nommant à remplir à la Faculté de Théologie la
+chaire d'éloquence sacrée.</p>
+
+<p>M. Coeur a une figure assez commune, un geste lourd et un timbre de voix
+un peu voilé. Il manque de ces qualités extérieures qui concourent à
+faire un orateur. Mais sa parole est d'une lucidité admirable. On lui
+sait gré de tous les efforts qu'on n'est pas obligé de faire pour saisir
+sa pensée. Sa manière est savante et philosophique; il excelle à
+exprimer de ces vérités que tout le monde sait, mais que personne
+n'avait encore exprimées. Son style est abondant et fleuri.--un peu trop
+fleuri peut-être; mais c'est là un défaut dont il aurait tort de se
+corriger tout à fait. Ce qui serait de la recherche dans tout autre
+semble naturel en lui et il y a tel passage de ses cours et de ses
+sermons qui rappelle les plus, charmantes page» de Bernardin de
+Saint-Pierre.</p>
+
+<p>M. Coeur n'a pas encore dit son dernier mot comme prédicateur. Mais tout
+annonce qu'il s'élèvera avant qu'il soit de la réputation de MM.
+Lacordaire et de Ravignan, à moins qu'il ne soit absorbé complètement
+par l'enseignement de la Sorbonne.</p><br><br>
+
+<h3>Bulletin bibliographique.</h3>
+
+<p class="mid"><i>Histoire des États-Généraux et des institutions représentatives en
+France depuis l'origine de la monarchie jusqu'en</i> 1789; par <span class="sc">A.-C.
+Thibaudeau</span>, auteur des <i>Mémoires sur la Convention</i> et de <i>L'Histoire du
+Consulat et de l'Empire</i>. 2 vol. in-8. Paris, 1843. Paulin, 15 fr.</p>
+
+<p>«Les États-Généraux ont eu, dit M. Thibaudeau, une influence immense sur
+les destinées de la nation Française. Dépositaires de ses pouvoirs, ils
+l'ont éclairée sur ses intérêts et sur ses besoins; ils lui ont révélé
+et enseigné ses droits, ils ont mis à découvert les abus criants du
+pouvoir, les plaies profondes de la société; ce sont eux qui en ont
+indiqué et réclamé les réformes et les remèdes. Ils ont contribué à
+former l'opinion, à créer un esprit public. De temps en temps ils ont
+secoué et réveillé la royauté par l'expression du voeu national. Ils
+l'ont, par l'empire du droit et de la raison, forcée à sortir de son
+ornière et à marcher avec le siècle. Elle a marché à pas lents, de
+mauvaise grâce, de mauvaise foi, mais elle n'est pas restée
+stationnaire. Les célèbres ordonnances qui formaient notre droit publie,
+dont nos pères se glorifiaient et que l'Europe admirait, ce ne sont ni
+les rois ni leurs conseillers qui en eurent la pensée: les
+États-Généraux en ont fourni la matière; elles ont été calquées sur
+leurs cahiers. C'est au cri des États-Généraux qu'éclata la plus
+glorieuse des révolutions. Qui peut dire où en serait la France, si elle
+n'avait pas en les États-Généraux. »</p>
+
+<p>L'histoire des États-Généraux, en d'autres termes, l'histoire de la
+longue lutte de la royauté et de la nation, de la légitimité et de la
+souveraineté du peuple, de l'absolutisme et de la légalité, tel est le
+vaste et beau sujet que M. Thibaudeau s'est proposé de traiter, car
+cette histoire ne tient qu'une petite place dans les histoires de
+France. Quelques écrivains avaient, il est vrai, essayé, à diverses
+époques, de combler cette importante lacune; mais leurs travaux sont
+très-abrégés, superficiels, incomplets et fautifs. D'ailleurs, M.
+Thibaudeau s'est aidé surtout de documents précieux restés inédits
+jusqu'à ce jour, et dont ses prédécesseurs n'avaient pas pu profiter.</p>
+
+<p>Les États-Généraux ne datent que de 1502. Cependant ils n'ont pas été
+improvisés. D'autres institutions analogues les ont amenés et leur ont
+servi de base. Il faut nécessairement connaître ces précédents pour
+apprécier l'origine des États, leur constitution, leurs vices, leur
+utilité. Une longue et savante introduction placée en tête du premier
+volume contient l'exposé des vicissitudes diverses qu'avait subies,
+pendant sept siècles, depuis sa fondation jusqu'au règne de Philippe le
+Bel, la monarchie française.</p>
+
+<p>Ces prémisses posées, M. Thibaudeau aborde franchement son sujet. Il
+montre les États-Généraux naissant sous Philippe le Bel (1302), se
+développant sous ses successeurs, empiétant peu à peu sur l'autorité
+royale, essayant d'établir un gouvernement représentatif, gouvernant un
+instant, pendant la captivité du roi Jean, puis, mal compris et mal
+secondés par le peuple, laissant échapper une partie du pouvoir dont ils
+s'étaient emparés, ne cessant pas cependant, malgré l'inutilité de leurs
+réclamations, d'adresser à la couronne des remontrances qui ne seraient
+pas tolérées dans les gouvernements constitutionnels, préparant autant
+qu'il était en eux la grande régénération du royaume, remplacés pendant
+une période de près de deux siècles, de 1614 jusqu'en 1789, par des
+assemblées de notables, instruments dociles de la monarchie absolue,
+rappelés enfin en 1789, et disparaissant pour toujours dans cette
+tempête qui engloutit clergé, noblesse, tiers-état, toute distinction
+d'ordres, et créa la nation française.</p>
+
+<p><i>History of the House of Commons</i>, from the convention-parliament of
+1688-9 to the passing of the reform bill in 1832; by <span class="sc">W. Charles
+Townsend</span>, Esq., recorder of Macclesfield.</p>
+
+<p><i>Histoire de la Chambre des Communes</i> depuis la convention de 1688-9,
+jusqu'au vote du bill de réforme en 1832; un vol. in-8. Londres.
+Colburn, 14 schellings (non traduite.)</p>
+
+<p>A en juger par le premier volume qui vient de paraître, cet ouvrage de
+M. Townsend ne tiendra pas les promesses de son titre. Il n'est jusqu'à
+présent qu'un recueil assez indigeste d'anecdotes ou de biographies.
+S'il se fût présenté avec un air plus convenable et plus modeste, il eût
+été sans aucun doute beaucoup mieux accueilli par la critique; mais il
+lui sied trop mal d'avoir de telles prétentions. M. Townsend ne peut pas
+croire qu'il a écrit une histoire de la chambre des communes: il ne le
+persuadera pas au lecteur, que son annonce mensongère aura trompé.</p>
+
+<p>L'histoire que M. Townsend s'était proposé d'écrire renferme une période
+de 144 années; car elle s'étend depuis la convention de 1688-9 jusqu'à
+la promulgation du bill de réforme en 1832. Cette période, M. Townsend
+la divise en trois époques. La première de ces époques, qui commence à
+l'abdication de Jacques II et finit à la mort de Georges Ier, en 1727,
+se trouve comprise tout entière dans le premier volume que le libraire
+Colburn vient de mettre en vente.</p>
+
+<p>Ce volume, divisé en treize chapitres, se compose des biographies de
+tous les <i>speakers</i> qui ont présidé la chambre des communes pendant ces
+39 années, et de celle des principaux <i>lawyers</i>, ou jurisconsultes qui y
+ont jeté quelque éclat, Somers, sir Robert Sawyer, sir William Williams,
+Robert Priée, sir Bartholomew Shower et lord Lechmere. On y trouve en
+outre trois curieux chapitres sur les divers <i>privilèges</i> dont
+jouissaient les membres de la chambre des communes. Mais, nous le
+répétons une fois encore, pourquoi cette compilation a-t-elle pris un si
+beau titre?</p>
+
+<p><i>Les Annales du Parlement français</i>, ou Compte-rendu méthodique des
+débats de la Chambre des Pairs et de la Chambre des Députés, publié par
+une société de publicistes, sous la direction de <span class="sc">M. Fleury</span> (4e année de
+la publication). Chaque année, 1 volume in-4° du prix de 25 fr.--Chaque
+discussion se vend séparément 25 cent. la feuille. Paris, Firmin Didot.</p>
+
+<p>MM. Firmin Didot suivent, depuis quatre années, l'exemple que leur avait
+donné le libraire Hansard: à la fin de chaque session ils réimpriment,
+en un beau volume in-4º, les <i>Parliamentary debates</i> des Chambres
+françaises. Cette publication, faite avec le plus grand soin, ne pouvait
+manquer d'obtenir un grand succès. D'une part, en effet, elle s'adresse
+non-seulement aux pairs et aux députés, mais aux administrateurs, aux
+jurisconsultes, à tous les hommes qui se livrent à des études sérieuses
+sur la politique, la législation, et à l'économie politique; d'autre
+part, elle ne peut être remplacée par aucune collection, car elle est
+conçue sur un plan entièrement nouveau. Tandis que toutes les autres
+publications périodiques offrent, pour chaque session, une série de
+séances, les <i>Annales du Parlement français</i> offrent, pour la même
+période, une série de discussions complètes. Tout ce qui concerne le
+même sujet, depuis la <i>première</i> présentation du projet jusqu'au
+<i>dernier</i> vote, est réuni sans interruption. Les exposés des motifs et
+les rapports dans les deux Chambres sont transcrits <i>in extenso</i>. Les
+discours prononcés sont tantôt reproduits en entier d'après le
+<i>Moniteur</i>, tantôt analysés avec soin, le plus souvent en conformité des
+procès-verbaux qui offrent la meilleure garantie d'exactitude et
+d'impartialité. Les textes des projets présentés, amendés et votés, sont
+transcrits en entier sur plusieurs colonnes, de manière que l'oeil peut
+suivre facilement les transformations subies dans la discussion.</p>
+
+<p>Chaque volume comprend ainsi une session entière; mais pour que cette
+classification méthodique ne fasse pas perdre de vue l'ordre naturel des
+débats, les sommaires des séances, en ordre chronologique, indiquent
+<i>tous</i> les travaux des deux Chambres et tous les noms des pairs et des
+députés qui ont pris part aux débats.</p>
+
+<p>Enfin des tables alphabétiques permettent de rechercher facilement les
+travaux des deux Chambres et de chacun de leurs membres.</p>
+
+<p><i>Des Monts-de-Piété et des Banques de prêt sur nantissement</i> en France,
+en Belgique, en Angleterre, en Italie, en Allemagne, par <span class="sc">A. Blaize</span>. 1
+vol.. in-8° de 440 pages. Paris, 1843. Pagnerre, 9 francs.</p>
+
+<p>Frappé des inconvénients et des abus actuels des Monts-de-Piété, <span class="sc">M. A.
+Blaize</span> a consacré plusieurs années de sa jeunesse à examiner cette
+question, qui intéresse à un si haut degré la condition présente et
+peut-être même l'avenir des classes inférieures. Il a réuni en un seul
+volume une masse énorme de documents inédits ou disséminés dans de
+nombreux ouvrages; mais il ne s'est pas contenté de signaler le mal, il
+a en outre essayé d'indiquer les remèdes capables de le guérir. Le livre
+qu'il vient de publier est tout à la fois un ouvrage de statistique et
+de théorie, qui s'adresse aux hommes sérieux et positifs. Toutes les
+réformes qu'il propose sont, non-seulement possibles, mais immédiatement
+réalisables.</p>
+
+<p><span class="sc">M. A. Blaize</span> a divisé son travail en trois parties. La première comprend
+l'histoire des banques de prêts sur nantissement depuis le Moyen-Age
+jusqu'à nos jours Un fait curieux, l'apparition des aventuriers italiens
+désignés, au Moyen-Age, sous le nom de Caoursins et de Lombards, et qui
+paraissent avoir été d'abord les agents de la cour de Rome, l'a conduit
+à des recherches du plus haut intérêt pour l'histoire des finances et de
+l'économie politique. Ainsi <span class="sc">M. Blaize</span> a surtout puisé aux sources
+officielles; les ordonnances du Louvre lui ont fourni des matériaux
+précieux.</p>
+
+<p>La seconde partie est consacrée à l'examen de l'organisation des
+Monts-de-Piété en général, mais principalement de celui de Paris, le
+plus considérable de tous. M A. Blaize a étudié ses opérations dans le
+plus grand détail, et s'est appuyé uniquement sur les comptes
+administratifs. Il discute avec un soin tout particulier la question des
+commissionnaires, débattue depuis plusieurs années entre eux et
+l'administration, et dont la solution, quelle qu'elle soit, ne peut être
+éloignée et exercera une grande influence sur l'avenir du Mont-de-Piété.
+Est-il nécessaire d'ajouter qu'il considère en fait et en droit leur
+suppression «comme chose juste, utile et légale.»</p>
+
+<p>Dans la troisième partie, M. A Blaize expose et développe les réformes
+qu'il voudrait voir introduire dans le régime des Monts-de-Piété. Les
+institutions ne sauraient rester stationnaires; elles doivent se mettre
+en harmonie avec le développement progressif des sociétés. M. A. Blaize
+propose douze réformes principales qui feraient, dit-il, des monts
+d'<i>impiété</i>, comme les appelait Nicolas Barianno, des banques populaires
+et de véritables institutions de bienfaisance et contiendraient le germe
+d'une transformation sociale.</p>
+
+<p>Enfin, pour compléter son travail, M. A. Blaize a réuni dans un
+appendice tous les documents qu'il a pu recueillir sur les banques
+étrangères de prêts sur nantissement. Il passe successivement en revue
+l'Angleterre, l'Écosse, l'Irlande, la Belgique, la Hollande,
+l'Allemagne, l'Italie, le Piémont, l'Espagne, la Russie et la Chine.
+Trois curieux paragraphes, intitulés: Législation, Jurisprudence et
+Bibliographie des Monts-de-Piété, terminent cet appendice.</p>
+
+<p>M. A. Blaize a rempli son but; il réussira certainement «à appeler sur
+cette matière, si importante à ses yeux et si ignorée, l'attention des
+hommes de bien, à provoquer des études sérieuses et les réformes que
+commandent, en faveur des classes déshéritées, la justice et la raison.»
+Son livre mérite à un double titre nos éloges. C'est une bonne action et
+de plus un ouvrage consciencieux, méthodique, clair, et écrit dans
+certaines parties avec cette noble chaleur qui vient plus encore du
+coeur que de l'esprit.</p>
+
+<p><i>De la création de la Richesse</i>, ou des intérêts matériels en France,
+statistique comparée et raisonnée, par <span class="sc">J.-H Schnitzler</span>; 2 vol. in-8º.
+Paris, 1842. Lebrun, 15 fr.</p>
+
+<p>M. J-H. Schnitzler a entrepris, depuis plusieurs années, un important
+ouvrage, intitule <i>Statistique générale de la France</i>. Cet ouvrage,
+accompagné de nombreux tableaux et divisé en deux parties, doit former 4
+vol. in-8°. La seconde partie seule a paru, sous le titre de: <i>Création
+de la Richesse</i>. M Schnitzler l'a publiée séparément, «malgré son
+imperfection trop réelle, afin de mieux débrouiller l'énorme amas de
+matériaux qu'il lui a fallu mettre en oeuvre, et, afin de puiser, dans
+les indulgents suffrages du public, l'encouragement dont il a besoin
+pour mener à bien une entreprise si difficile.»</p>
+
+<p>Le premier volume de la <i>Création de la Richesse</i> est consacré à la
+<i>production</i>, c'est-à-dire à l'industrie dans son acception la plus
+générale (agriculture, exploitation des mines, industrie manufacturière,
+etc.) Le second volume traite de la <i>circulation</i> ou du commerce (des
+importations et des exportations de la France, de ses relations
+mercantiles avec tous les pays du monde, des transports par terre et par
+mer, de l'état de tous les ports du royaume, etc.).</p>
+
+<p>Ces deux volumes embrassent ainsi les <i>intérêts matériels</i> dans leur
+vaste ensemble et les examinent sous toutes leurs faces.</p>
+
+<p>Les <i>intérêts moraux</i> seront l'objet des deux premiers volumes qui
+paraîtront dans le courant de cette année. Après avoir traité avec
+détail du territoire, de la population et de la consommation, M.
+Schnitzler annonce qu'il exposera d'une manière complète et dans un
+ordre méthodique, tous les faits relatifs à l'État (constitution,
+gouvernement, administration, force publique, etc.), à l'Église et aux
+Écoles.</p>
+
+<p><i>Voyage en Bulgarie</i> pendant l'année 1841, par <span class="sc">M. Blanqui,</span> membre de
+l'institut; 1 vol. in-18. Paris, 1843. W. Coquebert, 3 fr. 50 c.</p>
+
+<p>Vers le milieu de l'année 1841, à la suite de quelques exactions
+financières plus rudes que de coutume, une partie des populations
+chrétiennes de la Bulgarie se souleva contre les Turcs. Ce mouvement,
+mal combiné, fut bientôt comprime par la force militaire. Pendant
+plusieurs semaines, des bandes d'Albanais, déchaînées contre les
+insurgés mirent à feu et à sang la malheureuse Bulgarie. Le bruit de
+leurs dévastations retentit bientôt dans toute l'Europe chrétienne, dont
+les cabinets venaient de se concerter d'une manière si éclatante en
+faveur de l'Empire ottoman. La France s'en montra surtout vivement
+préoccupée, et M. Guizot, ministre des affaires étrangères, chargea
+alors M Blanqui d'aller constater le véritable état des choses, en
+traversant la Turquie d'Europe dans sa plus grande longueur, depuis
+Belgrade jusqu'à Constantinople.</p>
+
+<p>M. Blanqui était parti de Paris publiciste de l'opposition, il est
+revenu de Constantinople candidat ministériel. A son retour, il a rédigé
+un travail officiel qui ne lui appartient plus; mais il publie
+aujourd'hui la relation personnelle de son voyage. On ne peut refuser à
+M. Blanqui un esprit vif et prompt et un style net et facile. Son
+<i>Voyage en Bulgarie</i> a en outre le mérite de nous faire connaître,
+superficiellement il est vrai, l'état physique, économique et moral
+d'une vaste contrée bien rarement visitée et plus rarement décrite par
+les voyageurs français ou étrangers.</p>
+
+<p>M. Blanqui s'embarque à Vienne sur le Danube, et descend ce beau fleuve
+jusqu'à Belgrade, où il rend une visite au prince Michel et à la
+princesse Lioubitza. A Belgrade il prend la voie de terre pour gagner
+Constantinople; il traverse successivement Vidin, dont le pacha, le
+fameux Hussein, l'exterminateur des janissaires, lui fait une magnifique
+réception, Nissa, Sophie, Ousonnjava, Andrinople et Constantinople. Un
+bateau à vapeur le ramène ensuite à Malte et à Marseille. L'importance
+actuelle et future du Danube, les dernières révolutions de la Servie, le
+caractère, l'agriculture et le commerce des Bulgares, la quarantaine et
+la navigation à vapeur en Orient, forment les sujets de plusieurs
+chapitres qui permettent au lecteur de reprendre haleine.... car M.
+Blanqui ne s'arrête pas longtemps dans le même pays. Enfin un rapport
+sur les prisons de la Turquie termine ce joli petit volume, dont la
+lecture est aussi agréable qu'instructive.</p>
+
+<p><i>Poésies</i> d'<span class="sc">Antoinette Quarré</span>, de Dijon; 1 vol. in-8º, 1843. Paris,
+Ledoyen.--Dijon, Lamarche.</p>
+
+<p>Mademoiselle Antoinette Quarré est une jeune lingère qui a toujours
+habité Dijon, sa ville natale. Dès son enfance, elle aima passionnément
+la poésie. A peine les travaux de l'atelier lui laissaient-ils un
+instant du repos, elle lisait les tragédies de Racine; elle en récitait
+les plus belles tirades. Enfin, un jour le hasard fit tomber entre ses
+mains un volume des <i>Méditations poétiques</i> de M. de Lamartine. «Il me
+sembla, dit-elle, qu'un monde nouveau se révélait à ma pensée, et je
+m'abandonnai avec délices à l'enivrement de cette lecture, qui venait de
+compléter en quelque sorte mon existence intellectuelle. Ce livre chéri
+ne me quitta plus, et, à force de le relire, j'en appris bientôt toutes
+les pages. C'est ainsi que, accoutumée à cette langue harmonieuse des
+vers, j'en vins tout naturellement à la parler à mon tour; mes propres
+pensées se revêtirent d'elles-mêmes d'expressions poétiques, et j'y
+trouvai du plaisir. »</p>
+
+<p>A dater de cette époque, mademoiselle Antoinette Quarré composa, dans
+ses moments de loisir, quelques petites pièces pleines de fautes et
+d'incorrections; car les règles de l'art lui étaient tout à fait
+inconnues; mais déjà un homme d'esprit et de goût. M. Roget de
+Belloguet, ayant pris connaissance de ces premiers essais, y découvrit
+les germes d'un beau talent. Il alla trouver la jeune fille ignorante,
+l'aida de ses conseils et de ses leçons, et plus tard lui fit ouvrir les
+colonnes d'une revue littéraire qui s'imprimait alors à Dijon. Les
+premiers vers publiés par mademoiselle Antoinette Quarré furent
+accueillis avec faveur. M. de Lamartine adressa à la jeune lingère
+dijonnaise une de ses plus gracieuses épîtres; dès lors la réputation de
+mademoiselle Quarré s'accrut dans la même proportion que son talent. Une
+souscription qui fut bientôt remplie s'ouvrit à Dijon pour l'impression
+de ses oeuvres choisies. Le Conseil municipal et l'Académie des
+sciences, arts et belles-lettres de Dijon, s'empressèrent de s'associer
+à ce généreux mouvement d'une ville que sa réputation littéraire place
+au premier rang parmi les villes de la France.</p>
+
+<p>Telle est l'histoire de ce charmant volume qui nous arrive de la
+capitale de la Bourgogne. Disciple de M. de Lamartine, mademoiselle
+Antoinette Quarré imite parfois un peu servilement les rhythmes de son
+maître; mais alors même qu'elles paraissent trop monotonement
+harmonieuses, ses strophes renferment toujours quelque pensée délicate
+ou profonde. Pour elle, la forme n'est évidemment qu'un moyen, qu'un
+accessoire. Elle a un but plus élevé, elle cherche à parler à l'âme ou
+au coeur. On a peine à comprendre, en lisant ses poésies, comment, au
+milieu des soucis d'une vie laborieuse et pauvre, en gagnant péniblement
+son pain de chaque jour, une jeune fille a pu atteindre à une pareille
+perfection de style, développer si largement son intelligence et trouver
+en elle de tels trésors de sentiment. Cependant le doute est-il
+possible? Les preuves ne sont-elles pas là dans nos mains, sous nos
+yeux? N'avons-nous pas lu <i>Un fils, la réponse à M. de Lamartine, à mon
+Perroquet, à Dijon, la Madone, l'Invocation,</i> et tant d'autres petits
+chefs-d'oeuvre qui nous autorisent à ajouter dès à présent le nom de
+mademoiselle Antoinette Quarré à la liste déjà si longue des écrivains
+auxquels Dijon s'enorgueillit d'avoir donné le jour.</p>
+
+<p><i>Rimes héroïques</i>, par <span class="sc">Auguste Barbier</span>. 1 joli vol. in-18. Paris, 1843.
+Paul Masgana, 3 fr. 50.</p>
+
+<p>En feuilletant les oeuvres lyriques de Torquato Tasso, M. A. Barbier y a
+trouvé un recueil de sonnets intitulé: <i>Rime héroïque</i>. Ce sont des vers
+adresses à différents princes de l'Italie, en l'honneur de leur mariage
+ou de la naissance de leurs enfants. L'auteur des <i>Iambes</i> a pensé que
+ce titre pouvait s'appliquer avec plus de raison encore aux chants
+inspirés par ceux qui se sont dévoués au bien de leurs semblables. Il a
+donc recueilli toutes les pièces, de vers que, dans ses lectures ou dans
+ses voyages, l'émotion d'un pieux souvenir, un grand acte de vertu ou de
+patriotisme avaient pu lui inspirer, et les groupant par ordre de temps,
+il en a composé une sorte de galerie qu'il a décorée du titre de <i>Rimes
+héroïques.</i>--La forme du sonnet est celle que sa pensée a revêtue, «car,
+dit-il, ce petit poème, d'invention moderne, a le mérite d'encadrer avec
+précision l'idée ou le sentiment.»</p><br>
+
+<h3>M. le Maréchal comte d'Erlon.</h3>
+
+<p>M. le lieutenant-général Drouet, comte d'Erlon, vient, par ordonnance
+royale du 9 avril, d'être élevé à la dignité de maréchal de France.</p>
+
+<p>Aux termes de la loi du 4 août 1839, sur l'organisation de
+l'état-major-général de l'armée, le nombre des maréchaux de France est
+de six au plus en temps de paix, et pourra être porté à douze en temps
+de guerre. Lorsqu'en temps de paix le nombre des maréchaux de France
+excédera la limite fixée, la réduction s'opérera par voie d'extinction;
+toutefois, il pourra être fait une promotion sur trois vacances.</p>
+
+<p>A l'époque où cette loi fut rendue, le nombre des maréchaux de France
+était de douze. Depuis, six d'entre eux sont morts, et sur ces six
+vacances, deux promotions ont été faites: celles de M. le
+lieutenant-général comte Horace Sébastiani et de M. le
+lieutenant-général comte Drouet d'Erlon.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/008a.png"><br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<b>M. le maréchal comte d'Erlon.</b></p>
+
+<p>Aujourd'hui, le nombre des maréchaux de France est de huit, dont un
+seul, M. le duc de Dalmatie, est de la première promotion, faite par
+Napoléon, le 19 mai 1804, le lendemain de son élévation au trône
+impérial. Voici les noms des huit maréchaux actuels: Duc de <span class="sc">Dalmatie</span>
+(Soult), président du conseil et ministre de la Guerre; duc de <span class="sc">Reggio</span>
+(Oudinot), gouverneur de l'hôtel royal des Invalides; comte <span class="sc">Molitor</span>;
+comte <span class="sc">Gérard</span>, grand-chancelier de l'ordre, royal de la Légion-d'Honneur;
+marquis de <span class="sc">Grouchy</span>; comte <span class="sc">Valée</span>; comte Horace <span class="sc">Sébastiani</span>; comte <span class="sc">Drouet
+d'Erlon</span>.</p>
+
+<p>Les six derniers maréchaux morts sont: comte de Lobau (Mouton); marquis
+Maison; duc de Tarente (Macdonald); duc de Bellune (Victor); duc de
+Conégliano (Moncey); comte Clauzel.</p>
+
+<p>La dignité de maréchal de France, en vertu de la même loi du 4 août
+1839, n'est conférée qu'aux lieutenants-généraux qui auront commandé en
+chef devant l'ennemi: 1° une armée ou un corps d'armée composé de
+plusieurs divisions de différentes armes; 2º les armes de l'artillerie
+et du génie dans une armée composée de plusieurs corps d'armée. Le
+nouvel élu, doyen des lieutenants-généraux depuis quelques années, et
+dont la nomination à ce grade remonte au 27 août 1803, satisfait depuis
+longtemps à la première de ces conditions, puisqu'il plusieurs reprises,
+sous l'Empire, il a commandé en chef des corps d'armée formés de
+plusieurs divisions.</p>
+
+<p>M. le maréchal Drouet d'Erlon, né à Reims le 29 juillet 1765, débuta
+dans la carrière militaire par être soldat dans un bataillon de
+volontaires nationaux, où il s'enrôla en 1792. Son courage et son
+intelligence l'ayant fait distinguer par le général Lefebvre, il devint
+son aide-de-camp, et fit sous ses ordres les campagnes de 1793, 1794,
+1795 et 1796, aux armées de la Moselle et de Sambre-et-Meuse. En 1799,
+il fut nommé, général de brigade. Attaché à l'armée qui, en 1803,
+s'empara du Hanovre, il fut élevé au grade de général de division. Il
+servit en cette qualité à la grande armée d'Allemagne, prit une part
+active à la bataille d'Iéna, et contribua à la prise de Halle. Chef
+d'état-major-général du corps d'armée du maréchal Lannes, il se signala
+à la bataille de Friedland, le 14 juin 1807, et y fut blessé. Le 29 mai,
+il fut nommé grand-officier de la Légion-d'Honneur. En 1809, il
+contribua à soumettre le Tyrol. Chargé du commandement du 9e corps
+d'armée d'Espagne, il obtint, en 1810, des succès en Portugal, et lit sa
+jonction avec Masséna, le 26 décembre 1811 A la fin de décembre 1812, il
+força le général anglais Hill à se retirer sous les murs de Lisbonne. En
+1815, il commandait l'armée du centre et obtint des succès sur la
+Guenna. Vers la lin de juillet, il emporta de vive force le Col-de-Maya,
+après la plus vigoureuse résistance de la part des Espagnols. Il
+commandait un corps d'armée à la bataille de Vittoria, devint un des
+lieutenants du maréchal Soult lors de l'invasion de l'armée anglaise
+dans le midi de la France, et combattit, en 1814, dans toutes les
+affaires où le territoire national fut énergiquement disputé à l'ennemi,
+notamment à Orthez et à Toulouse.</p>
+
+<p>A la première Restauration, M. le comte d'Erlon fut nommé commandant de
+la 16e division militaire (Lille), chevalier de Saint-Louis et grand
+cordon de la Légion-d'Honneur. Après le débarquement de l'Empereur au
+golfe Juan, le général Lefebvre-Desnouettes ayant formé le projet de
+rassembler toutes les forces qui se trouvaient dans le nord de la
+France, pour tenter un coup de main sur Paris, M. le général Drouet
+d'Erlon fut prévenu de complicité dans ce hardi dessein, et arrêté, le
+13 mars 1813, par ordre du duc de Feltre (Clark), alors ministre, de la
+Guerre. Le cours des événements le rendit bientôt à la liberté, et lui
+permit de s'emparer de la citadelle de Lille, où il se maintint jusqu'au
+20 mars. Le 28 du même mois, il fit proclamer et reconnaître l'Empereur
+dans la 16e division. Napoléon l'éleva à la pairie par décret du 2 juin,
+et lui confia le commandement du premier corps de son armée, à la tête
+duquel il fit, à Fleuras et à Waterloo, des prodiges de valeur que la
+fortune rendit inutiles. Le général d'Erlon commanda ensuite l'aide
+droite de l'armée sous Paris, et après la capitulation, il se retira au
+delà de la Loire. Compris dans l'ordonnance de proscription du 24
+juillet 1815, il quitta son corps d'armée, et fut assez heureux pour
+arriver à Bayreuth, en Bavière, où il trouva un asile. Plus tard il
+s'établit aux environs de Munich et y vécut, dans une modeste retraite,
+de l'exploitation industrielle d'une brasserie. Il fut cité, le 12 juin
+1815, devant le conseil de guerre de la 11e division militaire, à
+Bordeaux, pour être jugé par contumace; mais l'instruction n'ayant pas
+été trouvée suffisante, l'affaire fut suspendue jusqu'à plus ample
+informé et n'eut pas d'autre suite.</p>
+
+<p>La révolution de Juillet 1830 rappela en France le comte d'Erlon, et il
+fut réintégré dans son grade. Son nom figura de nouveau sur la liste des
+lieutenants-généraux en activité, publiée par l'<i>Almanach royal et
+national</i> de 1831, après en avoir été effacé pendant quinze années. Pair
+de France, le 19 novembre 1831, M. le comte d'Erlon fut nommé, par
+ordonnance royale du 27 juillet 1834, gouverneur-général des possessions
+françaises dans le nord de l'Afrique, et conserva ce commandement
+jusqu'au 8 août 1833, jour où il quitta Alger, une ordonnance du 8
+juillet lui ayant donné pour successeur le maréchal Clauzel, qu'il vient
+de remplacer à son tour dans la dignité de maréchal de France. Peu de
+temps après son retour d'Algérie, M. le lieutenant-général d'Erlon fut
+appelé de nouveau au commandement de la 12e division militaire, qu'il
+avait occupé avant son départ pour l'Afrique, et qu'il occupait encore
+au moment de sa promotion au maréchalat.</p><br>
+
+<h3>Sur la Locomotion aérienne</h3>
+
+<h4>LETTRE<br>
+A M. LE DIRECTEUR DE L'ILLUSTRATION.</h4>
+
+<p>Monsieur,</p>
+
+<p>Vous avez inséré dans le dernier numéro de votre <i>Journal universel</i> une
+description, avec figures, d'une machine à vapeur aérienne. Il paraît
+que la curiosité publique est vivement excitée, en Angleterre, par cette
+prétendue invention, et qu'il en a été même question au Parlement. En
+mettant vos lecteurs au courant du sujet, vous n'avez fait, ce me
+semble, que justifier votre titre et la promesse de ne rien laisser
+échapper de ce qui attire l'attention générale, à tort ou à raison. Vous
+avez eu soin, d'ailleurs, de ne parler de la <i>découverte</i> de M. Henson
+qu'avec une prudente réserve, et je suis convaincu que tous vos
+lecteurs, mis en garde par la manière dont vous la leur avez exposée, ne
+l'auront accueillie qu'avec une extrême défiance, peut-être même la
+plupart avec une complète incrédulité.</p>
+
+<p>Pour moi, Monsieur, j'avoue que je me range décidément au nombre de
+ceux-ci, et je vous demande la permission de vous soumettre quelques
+réflexions au sujet du problème que M. Henson s'est proposé et de la
+solution qu'il s'imagine en avoir trouvée. Si vous jugez convenable de
+les communiquer à mes co-abonnés, j'ose croire que ceux qui prendront la
+peine de les lire tomberont d'accord avec moi sur l'absurdité théorique
+de cette solution; et quant à l'impossibilité pratique, je laisse à M.
+Henson lui-même le soin de la démontrer, s'il ne l'a déjà fait.</p>
+
+<p>Le principe fondamental de la nouvelle machine consiste, dit-on, en ce
+qu'elle <i>emprunte à la Nature</i> la force nécessaire pour se mettre en
+mouvement et s'élever dans l'air; la machine à vapeur qu'elle porte lui
+restitue d'ailleurs, à chaque instant, la vitesse que lui fait perdre la
+résistance de l'air. On ajoute fort judicieusement, comme exemple à
+l'appui de cette idée, qu'un oiseau s'envole beaucoup plus facilement
+lorsqu'il est perché au sommet d'un rocher ou d'un arbre, que lorsqu'il
+lui faut s'élever de terre.</p>
+
+<p>Je trouve à ceci, monsieur Henson, une petite difficulté qui m'arrête
+tout d'abord. Vous lancez votre machine dans les airs, de l'extrémité
+supérieure d'un plan incliné: fort bien! Mais comment l'aurez-vous
+hissée au sommet de ce plan?--à grand renfort de poulies, de cordes, de
+cabestans, d'engrenages, etc.; le tout mis en action par des hommes, par
+des chevaux, par la vapeur, que sais-je? En tout cas, par un moteur
+qu'il faut payer; car si la <i>Nature</i> consent à vous prêter de la force,
+ce n'est, assurément, pas pour rien. Puis, lorsque vous aurez abandonné
+l'appareil à lui-même, dans quel sens pensez-vous donc que s'exercera la
+vitesse qu'il acquiert en vertu de sa chute? Tout le monde ne répond-il
+pas, dans le sens vertical, de haut en bas.--Comment voulez-vous donc
+que cette vitesse puisse servir à un mouvement de progression horizontal
+dans un sens perpendiculaire à sa direction? Bien plus! comment oser
+dire qu'elle puisse changer de direction, et que votre aérostat d'un
+nouveau genre ait plus de vitesse à la descente? Ne voyez-vous pas que
+vous nous proposez tout simplement le mouvement perpétuel? Nierez-vous
+que votre histoire soit tout à fait analogue à celle du couvreur qui,
+venant de glisser le long d'un toit, passe, pendant sa chute, devant une
+fenêtre ouverte au premier étage, et profite de cette heureuse
+circonstance pour entrer de plain-pied dans l'appartement, à la grande
+surprise des locataires? Si le grand Newton ne s'est pas avisé de cette
+importante modification aux lois de la pesanteur universelle, c'est
+qu'il n'a philosophé qu'à propos de la chute d'une simple pomme dans son
+jardin. Nous, au contraire, n'avons-nous pas appris par nos bonnes
+l'anecdote de la chute du couvreur? Étonnez-vous donc un peu des progrès
+de la mécanique appliquée!</p>
+
+<p>Mais votre comparaison de l'oiseau me paraît tout à fait ingénieuse, et
+je désire vous y suivre, monsieur Henson! Oui, sans doute, votre oiseau
+vole avec moins de peine quand, d'un point culminant, il s'élance dans
+les airs, pour se maintenir à la même hauteur ou pour descendre, que
+lorsqu'il lui faut d'abord s'élever de terre à la hauteur qu'il veut
+atteindre. Vous-même, j'en suis sûr, vous éprouvez moins de fatigue à
+descendre qu'à monter un escalier. Il est vraiment à regretter que ces
+grandes vérités n'aient pas été vulgarisées, depuis longtemps, par
+quelque couplet <i>ad hoc</i>, dans la chanson de M. de la Palice; vous
+auriez moins de mal à nous les faire comprendre.--Mais comment votre
+oiseau a-t-il gagné le sommet de l'arbre sur lequel vous le perchez si
+gratuitement? Comment êtes-vous parvenu au haut de l'escalier que vous
+n'avez plus qu'à descendre? Je vous vois, vous et votre oiseau, dans un
+cruel embarras! Il va falloir que vous commenciez, vous, par monter,
+lui, par s'envoler de bas en haut. Tirez-vous de là si vous pouvez.</p>
+
+<p>Encore quelques mots, Monsieur le Directeur.--M. Henson nous promet une
+machine de la force de 20 chevaux, ne pesant pas plus de 500 kil., avec
+l'eau nécessaire pour l'entretenir. Je regrette qu'il ne nous ait pas
+parlé du temps du voyage. Mais jele suppose d'une heure seulement. Or,
+jusqu'à ce jour, on n'a jamais réussi à brûler moins de 2 kil. et demi
+de charbon par heure et par force de cheval; ce qui, pour 20 chevaux
+fait 50 kilog.--Il faut aussi compter au moins 12 kilog. et demi d'eau
+par heure et par cheval; et, pour la machine en question, 250
+kilog.--Comme 50 et 250 l'ont 300 kilog., voilà, si je ne m'abuse, la
+totalité du poids de la machine absorbé uniquement par
+l'approvisionnement d'une heure en eau et en charbon. Quant à la machine
+elle-même, il paraît qu'elle ne pèse rien du tout. Ce résultat n'est pas
+moins merveilleux que le reste; car on n'a pas encore, que je sache,
+réduit le poids d'une machine à vapeur à moins de 500 à 400 kilog. par
+force de cheval développée; ce qui coterait à 6.000 kilog., au bas mot,
+le poids de celle de M. Henson.</p>
+
+<p>Il y a donc quelques raisons de croire, Monsieur le Directeur, que la
+nouvelle invention doit être classée au premier rang parmi les
+<i>puffs</i>-monstres dont l'imagination féconde de nos voisins d'outre-mer
+nous gratifie si souvent aujourd'hui. Mais ce qui me semble fort
+divertissant, c'est que, cette fois, où ils paraissent avoir dépassé les
+limites du genre, ils se sont dupés eux-mêmes, semblables aux conteurs
+qui finissent par se persuader de la réalité des aventures qu'ils ne
+peuvent plus faire croire à personne.</p>
+
+<p>Agréez, je vous prie, etc.</p>
+
+<p>UN DE VOS ABONNÉS</p>
+
+<br>
+
+<h3>Rébus.</h3>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/008b.png"></p>
+
+<br><br>
+
+<h3>EXPLICATION DU<br><br>DERNIER RÉBUS.</h3>
+
+<br>
+
+<p class="mid">L'approche de la Comète a effrayé<br><br>
+les vieilles bonnes femmes..</p>
+
+<br><br><br>
+</div>
+
+<br><br>
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0007, 15 Avril 1843, by Various
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+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
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+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
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+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
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+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
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+
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+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
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+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
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+
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+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
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+status under the laws that apply to them.
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+Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for
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