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authorRoger Frank <rfrank@pglaf.org>2025-10-14 20:01:47 -0700
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+Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0006, 8 Avril 1843, by Various
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: L'Illustration, No. 0006, 8 Avril 1843
+
+Author: Various
+
+Release Date: November 30, 2010 [EBook #34516]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK
+L'ILLUSTRATION, NO. 0006, 8 AVRIL 1843 ***
+
+
+
+
+Produced by Rénald Lévesque
+
+
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+
+
+
+
+
+L'ILLUSTRATION,
+
+
+Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an, 30 fr.
+Prix de chaque Nº, 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75.
+
+Nº 6. Vol. 1.--SAMEDI 8 AVRIL 1843.
+
+Bureaux, rue de Seine, 33.--Réimprimé.
+
+Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr.
+pour l'Étranger. -- 10 -- 20 -- 40
+
+
+SOMMAIRE. Ce qu'annonçait la Comète.--La machine à vapeur aérienne.
+Description. _Trois Gravures_.--Courrier de Paris. Théâtre-Italien;
+Procès d'un Dauphin; le Burgrave; Phèdre et la Pologne; une aménité; un
+jeune homme à marier; la loge du cintre; la victime de l'amitié.--Les
+Frontières du Maine. _Carte_.--Tribunaux. La Police correctionnelle; les
+circonstances atténuantes. _Escalier de la Police
+correctionnelle_.--Poètes Italien» contemporains. Louis Carrer
+_Portrait_.--Beaux-Arts. Salon. _Tableau de Giraud; Marine d'Isabey;
+Statue de Desboeufs; les Condottieri de Baron._--La Vengeance des
+Trépassés. Nouvelle, par F. G., 2e partie, _Une Gravure._--Nouvelles
+inventions. Le procédé Rouillet. _Une Gravure_.--Industrie. Le sucre de
+canne et le sucre de betterave.--Théâtres. _Georges et Thérèse;
+Mademoiselle Déjazet; les Marocains; l'Escamoteur Philippe; le Paradis
+des Funambules._--Bulletin bibliographique.--Annonces,--Observations
+météorologique.--Modes. _Cinq Gravures_.--Rébus.
+
+
+
+Ce qu'annonçait la Comète.
+
+Que nous criait en parcourant notre ciel cette messagère
+échevelée?--Nous vous le demandions il y a huit jours: nous vous le
+demandons encore. Nos lecteurs y ont-ils pensé?
+
+Nous n'ignorons pas que M. Arago vient de réfuter savamment l'opinion
+partout populaire qui attache depuis si longtemps à l'apparition de ces
+astres une influence mystérieuse sur les destinées terrestres, et nous
+admirons beaucoup les _Pensées sur la Comète_, où l'illustre Bayle
+soutint, en 1682, avec tant d'adresse et de dialectique, la même thèse,
+à savoir que cette espèce de phénomène ne saurait avoir aucune
+influence, ni morale ni physique, sur notre globe. Mais sceptiques et
+savants démocrates auront beau dire, le peuple s'obstinera longtemps
+encore dans son erreur. Et il faut convenir qu'il y avait bien quelque
+grandeur et quelque piété dans cette naïve croyance, que le ciel, tout
+en racontant à la terre la gloire de Dieu, lui parle aussi, de loin en
+loin, de l'avenir qui l'attend elle-même et des grands événements
+qu'elle doit craindre ou espérer.
+
+Mais assurément si les astres daignent parler de notre race, ce n'est
+sans doute qu'à de rares intervalles, et à certains moments solennels et
+décisifs de son histoire. Qui oserait aujourd'hui affirmer, comme on le
+pensait au Moyen-Age, qu'ils s'occupent jamais de chacun de nous en
+particulier, si ce n'est peut-être, dans son grenier, quelque pauvre
+astrologue fourvoyé au milieu de notre siècle incrédule? car il y a
+encore des astrologues comme il y a des alchimistes. «L'astrologie, dit
+Bailly, est la maladie l'a plus longue qui ait affligé la raison
+humaine; on lui connaît une durée de cinquante siècles.» Bailly veut
+dire qu'elle est aussi vieille que le genre humain; mais alors maladie
+est-il bien le mot propre?
+
+
+
+[Illustration: (Machine à vapeur aérienne de M. Henson.--Voyez
+l'explication des renvois sous la deuxième figure.)]
+
+[Illustration: A. Châssis ou ailes--BB. Poteaux d'où partent des chaînes
+de fer qui soutiennent les divers parties du châssis--C. Pièce
+longitudinale qui forme la limite extérieure de l'espace réservé pour
+les roues à vannes.--DD. Les roues à vannes mues par la machine à
+vapeur.--EE-.. La queue tournant à F sur une charnière.--G. Le char
+contenant la machine à vapeur, la cargaison et les passagers.--II. Le
+gouvernail.--(voir la description, p. 85.)]
+
+Au siècle dernier, oui, au dix-huitième siècle, on croyait encore çà et
+là; à Paris, en dépit de Bayle et de Voltaire, que l'apparition des
+comètes présageait de grands malheurs publics. Un grand seigneur, tout
+fier d'avoir par sa naissance une étoile à lui seul, disait alors à un
+roturier qui se moquait de ses terreurs puériles: «Vous en parlez bien à
+votre aise, vous autres que cela ne regarde jamais.»
+
+[Illustration: (Machine aérienne à vapeur de M. Henson.--Port de
+Douvres.)]
+
+Eh bien! aujourd'hui, Monseigneur, la chose nous regarde autant que
+vous. Mais n'est-il pas fâcheux pour nous que depuis 89 nous ayons perdu
+cette superbe croyance, juste au moment d'en recueillir les bénéfices?
+Frères, est-ce que par hasard nous nous serions aperçus tout bas, en
+nous comptant et en comptant les étoiles, qu'il n'y en a pas au
+firmament une pour chacun de nous?
+
+C'est donc des nations ou du sort général du monde que s'occupent
+apparemment les comètes. Serait-ce de l'Allemagne que celle-ci nous
+aurait parlé, et de la discussion qui vient de s'élever entre la Prusse
+et la Russie? Peut-être; mais, en tout cas, ce fait nous semble notable.
+Pourquoi? le voici.
+
+Quatre villes soi-disant libres, trente-sept princes, dont deux
+seulement, les rois de Bavière et de Danemark, possèdent des États de
+quelque importance, et au-dessus de cette féodalité deux puissances qui
+s'en disputent la direction, la Prusse et l'Autriche, voilà comment le
+congrès de Vienne a laissé l'Allemagne. Or; dernièrement le cabinet de
+Berlin a écrit à celui de Saint-Pétersbourg, pour l'inviter à faire
+participer tous les États de l'Union de douanes aux facilités
+commerciales concédées dernièrement à la Prusse. Cette demande n'est
+rien, ou peu de chose, mais elle soulève par la forme une grave question
+de souveraineté. Le roi de Prusse a-t-il le droit de négocier, de
+stipuler, en un mot de faire acte de souveraineté, au nom du
+_Zollverein?_ Le cabinet russe s'est prononcé énergiquement pour la
+négative. La confédération germanique n'a pas à ses yeux le caractère
+d'un corps politique un; c'est une réunion intime d'États, mais qui ne
+saurait agir en dehors comme un seul et même État. La Russie suit
+directement en tout ceci, et en divisant l'Allemagne, l'intérêt évident
+de son ambition. Ce n'est pas l'indépendance et la souveraineté légitime
+des petits princes allemands qu'elle vient défendre; c'est bien moins
+encore l'intérêt de l'Autriche qu'elle soutient; car l'Autriche, appelée
+par le Danube à jouer un rôle en Orient, doit inspirer à la Russie plus
+d'ombrage encore que la Prusse, quelque entreprenante et habile que soit
+cette dernière puissance. Que ce fait ne passe: donc point inaperçu de
+notre pays. Si la France a dans l'Europe sub-occidentale des intérêts
+parfaitement distincts de ceux de l'Allemagne, elle a aussi avec elle,
+dans le Nord, un grand intérêt commun. N'est-il pas pour nous
+aujourd'hui plus à désirer qu'à craindre, que l'Allemagne constitue
+librement sa nationalité par une combinaison plus large et plus simple?
+car, après tout, l'Allemagne a des instincts généreux, et une fois en
+possession de sa vie propre, il lui serait impossible de ne pas réagir
+contre le despotisme russe, et de ne pas concourir, par exemple, au
+soulagement, sinon à la délivrance de la Pologne.
+
+Mais il sourirait à notre amour-propre que le grand événement annoncé
+intéressât plus directement encore notre pays. Et pourquoi ne serait-ce
+point, par exemple, la résurrection de nos colonies, dont, au souvenir
+de tant de malheurs anciens et sous l'impression de deux grands
+désastres récents, on est de toutes parts porté à déplorer l'entière
+destruction?
+
+Sans nous dissimuler que la prudence semblerait nous commander en ce
+moment de nous fortifier en Europe, et de concentrer notre marine dans
+la Méditerranée, nous devons signaler à l'attention publique quelques
+efforts tentés en ce moment à Paris pour régénérer nos colonies.
+
+On a eu raison de le dire: le jour où les progrès de la civilisation
+européenne eurent fait proscrire la traite des noirs, l'ancien monde
+colonial fut brisé. Qu'on ne l'oublie pas: si nous avons eu des colonies
+riches et puissantes, c'est que le gouvernement de Louis XIV avait
+accordé une prime par tête d'esclave noir importé dans nos îles, et nous
+sommes depuis 89 en présence d'une émancipation universelle, admirable
+sans doute, et sainte, mais dont le mode pratique et les conditions sont
+extrêmement difficiles à régler. «Périssent les colonies plutôt qu'un
+principe!» s'écriait le jeune Barnave à la tribune révolutionnaire. A la
+bonne heure, mais si on pouvait sauver à la fois et le principe et ce
+qui reste de nos colonies?
+
+Parmi les divers projets mis en avant pour atteindre ce grand but, le
+plus original et le plus complet a été produit par un économiste, M.
+Lechevalier. Agissant d'abord par voie d'exemple et d'essai sur la
+Guyane, ce hardi publiciste a proposé la fondation d'une grande
+compagnie qui, faisant l'acquisition de toutes les propriétés, hommes et
+choses, serait chargée d'amener, par des transitions habilement ménagées
+et réglées d'avance, l'émancipation des esclaves, et exploiterait sur
+une grande échelle toutes les ressources de ces riches contrées. La
+commission coloniale, présidée par M. le duc de Broglie, consultée sur
+ce projet, a été d'avis «que le département de la Marine ferait une
+chose utile et d'intérêt public en encourageant ces dispositions, et en
+se prêtant au concours demandé pour l'exploration de la colonie.» Une
+commission spéciale formée pour discuter la colonisation de la Guyane,
+sous la présidence de M. le comte de Tascher, pair de France, a adressé
+à l'unanimité à M. le président du conseil un rapport favorable au
+projet, et d'où il résulte qu'il y a lieu d'espérer en l'avenir de la
+Guyane; que la proposition de M. Lechevalier présente des avantages et
+des garanties, et qu'en conséquence, M. le ministre de la marine peut
+comprendre dans sa demande de crédits supplémentaires une somme de
+500,000 fr., dont moitié pour fonds d'études et voyages d'explorations,
+l'autre moitié demeurant en réserve pour subvenir ultérieurement, s'il y
+a lieu, aux dépenses nécessaires pour parvenir à la formation d'une
+grande compagnie d'exploitation. Les Chambres seront sans doute
+prochainement appelées à délibérer sur ce projet; mais, dès aujourd'hui,
+le plan dont il est question ayant pour but d'arriver à l'émancipation
+des esclaves, en diminuant les sacrifices du Trésor et en les faisant
+tourner à l'avantage de la culture coloniale et à l'intérêt de la
+mère-patrie, mérite d'être étudié sérieusement.
+
+Mais non; si les astres parlent, ce n'est sans doute qu'entre eux, et
+une comète qui se respecte ne doit élever la voix que pour être entendue
+de toute la terre et lui annoncer un de ces grands événements qui en
+renouvellent entièrement la face. A lire les journaux anglais, on
+croirait volontiers, depuis quelques jours, que le grand événement
+prédit au monde, c'est la découverte de cette voiture aérienne à vapeur
+dont nous donnons aujourd'hui la description. A entendre les voix
+triomphantes qui nous arrivent de l'autre côté de la Manche,
+l'Angleterre, si riche sur terre et si formidable sur mer, vient de
+conquérir à son activité et à son commerce un nouvel élément, l'air, et
+elle menace déjà de lancer sur nos têtes d'inévitables flottes.
+L'imagination s'étonne sans doute et s'effraie de l'aspect brusque et
+nouveau qu'une seule invention de ce genre donnerait au monde, soit en
+paix soit en guerre. Conçoit-on après cela une discussion sérieuse sur
+la loi des douanes? Pour maintenir quelque chose qui y ressemblât,
+croit-on qu'il suffirait d'établir contre les contrebandiers aéronautes,
+sur la frontière des divers États, des croisières volantes de douaniers,
+comme on a établi au loin, contre les pirates ou les négriers, des
+croisières maritimes? Et les fortifications de Paris, à quoi
+serviraient-elles? Certes, si des armées volantes pouvaient ainsi venir
+demain planer sur nos places-fortes, nos ingénieurs n'auraient plus
+seulement à les entourer d'une ceinture de fossés et de remparts, mais
+encore à les couvrir supérieurement comme d'un bouclier et à construire
+par-dessus les maisons quelque immense _tortue_.
+
+Mais sans entrer dans le monde chimérique des hypothèses, les réalités
+contemporaines n'offrent-elles pas de toutes parts à la pensée
+philosophique, qui s'interroge sur l'avenir, un champ sans limites? Du
+sud au septentrion, et d'occident en orient, le monde ancien et le monde
+nouveau tressaillent à la fois comme sous un souffle mystérieux.--Sans
+parler de la jeune Amérique et de son prodigieux développement, l'ancien
+continent tout entier semble à la veille de se transfigurer.--Ce n'est
+pas pour rien que la France a mis le pied sur la terre d'Afrique, si
+voisine de nous, si longtemps étrangère et ennemie, encore inconnue, et
+dont le passé presque nul et l'histoire encore vide semblent tant
+demander à l'avenir. Et cependant là-bas, au fond et au centre de la
+vieille Asie, le céleste empire de la Chine, si fier, si jaloux, et
+depuis tant de siècles, de sa civilisation à huis clos, s'épouvante de
+voir ses fleuves lui apporter une civilisation nouvelle, et déjà se
+lézarder de toutes parts et créneler sa muraille. Cet empire étrange, ce
+monde peuplé de 500,000,000 d'habitants, jusqu'ici muets pour notre
+monde, que va-t-il devenir au contact longtemps redouté de l'Europe?
+Va-t-il changer et renaître? Va-t-il mourir? Et l'Angleterre est-elle
+seule destinée à en faire l'autopsie? Nous en reparlerons.
+
+
+
+DESCRIPTION DE LA MACHINE A VAPEUR AÉRIENNE
+DE M. HENSON.
+
+Construire une machine à vapeur qui puisse se mouvoir dans l'air au gré
+de son conducteur, et transporter avec elle à plusieurs centaines de
+mètres au-dessus du sol des dépêches, des marchandises et des passagers,
+tel est le problème mécanique que M. Henson s'est proposé de
+résoudre.--Réussira-t-il? On l'ignore encore, mais les moyens qu'il
+emploie pour atteindre ce but sont entièrement différents de ceux dont
+on a essayé de faire usage jusqu'à ce jour, et il est permis d'espérer
+que quelque succès viendra tôt ou tard récompenser ses efforts.
+
+Que le lecteur se représente un vaste châssis en bois de 50 mètres de
+longueur et de 10 mètres de largeur, solide quoique léger, recouvert de
+soie ou de drap, remplissant l'office d'ailes, bien qu'il n'ait ni
+jointures ni mouvement, et s'avançant dans l'atmosphère, un de ses côtés
+plus élevé que l'autre. Au milieu du côté inférieur s'attache une queue
+de 15 à 16 mètres de longueur, construite comme ce châssis; au-dessous
+de cette queue est un gouvernail.
+
+Enfin, au-dessous du châssis se trouvent suspendues la voiture destinée
+au transport des marchandises et des voyageurs, et une machine à vapeur
+aussi puissante qu'elle est petite et légère, qui met en mouvement deux
+espèces de roues à vannes, semblables à des ailes de moulin à vent, de 7
+mètres environ de diamètre et situées sous le châssis.
+
+Une semblable machine, avec son charbon, son eau, sa cargaison et ses
+passagers, ne pèsera pas plus de 1.500 kilogrammes; or, comme sa
+superficie est d'environ 1.500 mètres carrés, elle occupe 52 centimètres
+carrés pour 170 grammes de poids; elle est par conséquent plus légère
+que beaucoup d'oiseaux.
+
+Cependant, malgré sa légèreté, elle ne pourrait pas se soutenir
+longtemps sur l'air, elle descendrait peu à peu jusqu'à terre; mais on
+remarquera, d'une part, qu'elle s'avance au milieu de l'atmosphère, sa
+partie antérieure! légèrement élevée. Dans cette position, elle présente
+sa surface inférieure aux couches d'air qu'elle traverse; la résistance
+que ces couches lui opposent l'empêche de tomber. D'autre part, elle est
+également soutenue par la rapidité de sa marche.
+
+Mais, dira-t-on, qu'arriverait-il si la vitesse diminuait, et comment
+obtenir une vitesse suffisante? Toutes les tentatives faites jusqu'à ce
+jour ont échoué, parce qu'il n'existait aucune machine à la fois assez
+légère et assez, puissante pour élever son propre poids dans l'air avec
+la vitesse nécessaire. Cette double difficulté, M. Henson prétend
+l'avoir vaincue: 1º par l'invention d'une nouvelle machine à vapeur
+aussi puissante que légère, et 2º par un procédé très-singulier qui
+demande une explication particulière.
+
+Les divers inventeurs de machines aériennes ont cru jusqu'à ce jour que
+leur machine devait avoir en elle-même la force nécessaire pour se
+mettre en mouvement, s'élever et se soutenir dans l'air. M. Henson croit
+que cette erreur a empêché leurs entreprises de réussir; l'ait seul
+étant impuissant, il a recours à la nature: sa machine, prête à partir,
+est lancée dans l'air de l'extrémité supérieure d'un plan incliné. A
+mesure qu'elle descend, elle acquiert la vitesse qui lui est nécessaire
+pour qu'elle puisse se soutenir sur l'atmosphère durant le reste de son
+voyage. La résistance que l'air lui oppose ralentirait peu à peu sa
+vitesse; la machine à vapeur n'a d'autre but que de réparer constamment
+cette perte de vitesse. Un oiseau prend-il son vol du haut d'un arbre ou
+d'un rocher, d'abord il plonge dans l'air pour acquérir une certaine
+vitesse. Une fois ce mouvement imprimé, il a peu d'efforts à faire pour
+monter plus haut et augmenter la rapidité de sa course. Avec quelle
+peine, au contraire, le même oiseau ne s'élève-t-il pas de terre au
+sommet d'un arbre ou d'un rocher! Ce fait est une conséquence nécessaire
+d'un axiome mécanique bien connu: une fois en mouvement, un corps
+continue à se mouvoir, si sa force égale celle des obstacles qu'il
+rencontre. M. Henson ayant lancé sa machine, lui donne, à l'aide de sa
+machine à vapeur, une force égale à celle des obstacles qu'elle doit
+surmonter.
+
+On demandera encore, nous le savons, si la machine à vapeur de M. Henson
+est suffisante pour obtenir ce résultat.
+
+Cette question en soulève deux autres, à savoir: quelle est la puissance
+de cette machine, et quels obstacles aura-t-elle à surmonter? Il est
+plus facile de répondre à la première de ces deux questions qu'à la
+seconde. La puissance d'une machine à vapeur dépend principalement de la
+quantité de vapeur que produit le générateur; or, d'après les
+expériences faites, la machine de M. Henson représentera une force de 20
+chevaux. Le générateur et le condensateur sont aussi nouveaux
+qu'ingénieux: le premier se compose d'une cinquantaine de cônes de
+cuivre tronqués et renversés, disposés au-dessus et à l'entour de la
+fournaise; le condensateur est formé d'un certain nombre de petits
+tuyaux exposés au courant d'air produit par la course de la machine.
+Enfin le poids total de la machine, avec l'eau nécessaire pour
+l'entretenir, ne dépasse pas 600 livres.
+
+Quelle résistance cette machine rencontrera-t-elle? Sera-t-elle assez
+forte pour en triompher? L'expérience qui sera faite prochainement
+permettra seule de répondre à cette dernière question.
+
+
+
+Courrier de Paris.
+
+THÉÂTRE-ITALIEN.--PROCÈS D'UN DAUPHIN.--LE BURGRAVE. PHÈDRE ET LA
+POLOGNE.--UNE AMÉNITÉ.--UN JEUNE HOMME A MARIER.--LA LOGE DU CINTRE.--LA
+VICTIME DE L'AMITIÉ.
+
+Les rossignols sont envolés, comme dit le feuilleton dilettante dans son
+jour de deuil; le Théâtre-Italien vient de clore ses portes, et la
+cavatine va prendre le paquebot de Boulogne ou de Calais. Ninetta,
+Otello, Don Pasquale jetteront, en passant, quelques notes aux alcyons.
+D'ordinaire, on se quittait avec larmes; c'était, des deux parts, un
+assaut d'émotion flagrante et d'attentions délicates; le parterre et les
+loges s'abîmaient en bravos, se ruinaient en bouquets monstres. L'autre
+jour, à la clôture, tout s'est passé froidement; sans doute on y a mis
+des procédés: le camélia, la violette, le laurier ont cherché à fleurir
+et à échauffer la séparation; mais, vous savez, quand deux amis sont à
+la veille d'une rupture, ils ont beau s'efforcer de sourire comme par le
+passé, et de se serrer tendrement la main, il y a, dans leurs
+démonstrations caressantes, un ne sait quoi de contraint et de glacé
+qui les dénonce. Comment? qu'est-ce à dire? le public et le
+Théâtre-Italien auraient-ils assez l'un de l'autre? Après dix ans d'une
+union intime, d'une passion qui s'est emportée jusqu'à l'aveuglement et
+à la fureur, tout serait-il fini? Faudrait-il mettre cet amour
+transalpin sur le grand bûcher où ce capricieux Paris brûle, pèle mêle,
+tous ses caprices, toutes ses fantaisies, toutes ses admirations d'une
+année, d'un mois, d'une semaine, d'un jour, pour semer ensuite leurs
+cendres au vent? Je ne dis pas cela, comme dit Alceste; mais, enfin, il
+y a dans l'air quelque chose d'inquiétant. Le vent qui souffle sur le
+Théâtre-Italien n'a plus la douceur de cette bise amoureuse où fauvettes
+et rossignols ont chanté si longtemps.
+
+Il s'est passé un fait qui atteste la réalité de cet attiédissement.
+Lablache a déclaré publiquement, à la face du parterre, qu'il chantait à
+Paris pour la dernière fois. Dieu! si une parelle nouvelle était
+inopinément tombée sur le public de l'année dernière, quel bruit! quelle
+désolation! il se serait dressé sur ses banquettes, il aurait bondi dans
+toutes ses loges, et, s'emparant de Don Géronimo de vive force, il
+l'aurait porté dix fois autour de la salle, en palanquin ou sur ses
+épaules, criant à tue-tête: _Lablache for ever!_ Hier il ne s'est guère
+plus ému que si Morelli eût annoncé qu'il allait cultiver ses
+tulipes.--Ainsi Lablache nous quitte, et nous quitte sans rémission.
+Pourquoi s'en va-t-il? c'est là le mystère. Le Théâtre-Italien est en ce
+moment plein de logogriphes et d'énigmes de la même espèce; les
+meilleurs y montrent les dents, les plus unis s'y querellent.
+
+Une histoire non moins grave et non moins intéressante, c'est le procès
+du Dauphin. «Quoi! le Dauphin devant un tribunal?--Oui, le Dauphin, un
+vrai fils de roi.--En police correctionnelle... ou en cour
+d'assises?--Non pas, mais au tribunal de commerce.--Où en est la
+royauté, hélas!»--Le conflit était sérieux: il s'agissait du Dauphin,
+fils de _Charles VI_, opéra en cinq actes d: M. Casimir Delavigne,
+musique de M. Fromental Halévy. Le Dauphin ne voulait plus l'être, sous
+prétexte que ce rôle de Dauphin était peu digne d'un _ut_ de poitrine de
+sa qualité... M. Léon Pillet déclarait que l'_ut_ de poitrine et le
+Dauphin étaient parfaitement au diapason l'un de l'autre. Les
+Xaintrailles et les Lahire du tribunal de commerce, donnant gain de
+cause à M. Léon Pillet ont forcé, comme la chose leur était arrivé
+autrefois, le Dauphin de rester et d'être le Dauphin; ainsi finit la
+bataille. Le tribunal a jugé sagement qu'un Dauphin qui palpe 100.000 fr.
+par an ne peut joindre à cet agrément incontestable, l'autre agrément
+d'envoyer promener son directeur, tandis que tant d'honnêtes Dauphins
+chanteraient pour beaucoup moins, du tout leur coeur, et même
+déchanteraient.
+
+On siffle toujours, et l'on distribue quelques coups de poings çà et
+là, aux représentants de la trilogie de M. Victor Hugo; il ne faut pas
+perdre les bonnes habitudes. Mercredi, deux adversaires étaient aux
+prises, l'un hugolâtre et l'autre hugophobe; ils échangeaient, depuis
+un quart d'heure, des regards flamboyants, et se lançaient de vives
+apostrophes. L'hugophobe avait le dessus, et pressait vivement
+l'hugolâtre, qui se défendait par toute l'artillerie en usage dans son
+armée: nain, rococo, racinien, mirmidon, perruque! Tout à coup, à bout
+de munitions et se levant sur ses ergots: «Enfin, monsieur, cria-t-il à
+son antagoniste; enfin.... vous êtes... vous êtes un... vous êtes un
+Burgrave! L'hugolâtre, dans sa colère, avait oublié son tôle.
+
+Phèdre ne se livre pas, elle, aux boxeurs du parterre. Drapée dans son
+harmonieuse tunique, elle a quitté Trëzence, l'autre jour, pour venir
+dans les salons d'Érard réciter sa passion et ses beaux vers, au
+bénéfice des jeunes élèves de: l'_École polonaise_, enfants de la
+proscription, Phèdre est arrivée sur son char; ses nobles coursiers n
+étaient nullement affligés; ils n'avaient point l'oeil morne, ni la tête
+baissée; comme Phèdre avait évité le chemin de Mycène, en passant par
+la rue Croix-des-Petits-Champs, nul monstre sauvage ne s'est roulé sous
+le pied de ses chevaux, en replis tortueux. Avec Phèdre, Camille et
+Bérénice sont aussi venues, apportant dans cette bonne action, l'une son
+iambe implacable, l'autre sa plaintive élégie; et si quelqu'un,
+tristement et diversement ému de cette passion fatale, de ce pudique
+amour, de ce désespoir furieux, avait demandé: Qui est Phèdre? qui est
+Bérénice? qui est Camille? C'est mademoiselle Rachel, aurait-on
+répondu. Remords cuisants, chastes soupirs, terrible malédiction, elle a
+pris tous les tons poétiques, elle a eu toutes les voix harmonieuses,
+elle a prodigué les luttes les plus opposées de l'âme et du coeur, pour
+ces pauvret jeunes exilés de la Pologne. Voilà qui est bien; que le
+talent et la poésie appellent la richesse et le loisir à l'aide du
+malheur et de l'exil! Camille aura pu y trouver quelque soulagement à la
+perte de son cher Curiace, Phèdre en faire la déclaration sans remords à
+Hyppolyte, et Bérénice dira comme Titus: «Je n'ai pas perdu ma journée.»
+
+Vendredi il y avait grand concert chez madame L. C. G..., une des
+aimables et jolies comtesses du faubourg Saint-Germain. Thalherg s'y
+faisait entendre, et Duprez et Artôt; on applaudissait. Les petites
+mains délicates et parfumées n'étaient pas les moins ardentes à battre
+motivées d'enthousiasme et de ravissement. Le gracieux sourire et
+l'hospitalité charmante de la comtesse, châtelaine de l'endroit,
+assaisonnaient agréablement l'archet d'Artôt, le gosier de Duprez et le
+piano de Thalherg. Tout à coup entre; M. de Cham... d'un air tout
+effaré. M. de Cham... est un de ces hommes qui ressemblent à une
+sinistre nouvelle; dès que vous le voyez, vous ne savez point, à la mine
+ahurie qu'il vous apporte, s'il ne vient pas vous annoncer que votre
+maison brûle, que votre banquier a fait banqueroute, ou que votre
+meilleur ami vous a enlevé votre maîtresse. A cette profession
+d'enseigne de mauvais augure, M. de Cham... joint l'avantage de ne
+pouvoir hasarder un geste sans faire une maladresse, ni prononcer un mot
+sans dire une bêtise. Le plaisant, c'est que notre homme a la persuasion
+la plus cordiale de sa dextérité et de sa finesse. Tous ses saluts
+aboutissent à renverser un fauteuil, à écraser un pied ou à briser une
+porcelaine: toutes ses galanteries se travestissent en un mauvais
+compliment. Après tout, il est si naïf et se mire si ingénument dans sa
+balourdise, il est si bon homme, d'ailleurs, qu'on lui pardonne, et même
+on l'aime mieux comme cela.--Il entre donc de l'air que je vous ai dit.
+Artôt exécutait la prière de _Moïse_. Mon de Cham... ouvre les oreilles
+(et, Dieu merci! il a de quoi), allonge le cou et écoute en regardant de
+temps en temps ses voisins d'un oeil désespéré. Le solo fini, il se
+glisse à la rencontre de la comtesse, qui traversait la foule en
+aspirant un magnifique bouquet de violettes, de roses blanches et de
+myosotis: «Ah! M. de Cham.... vous voilà, lui dit-elle de son plus fin
+sourire.--Oui, madame, et très-heureux de vous voir. Je sors du concert
+de M. Guizot, et vraiment c'était bien plus ennuyeux qu'ici.» Il dit, et
+regagnant sa place, l'ingénieux de Cham... laboura cruellement du coude
+le nez d'une douairière tendrement absorbée dans la contemplation de la
+barbe fantastique d'Artôt.
+
+Dans la même soirée, j'ai entendu le dialogue suivant:--«Eh bien, ma
+chère, mariez-vous votre jeune cousine Anna?--Mais, oui, ma chère, si
+nous lui trouvons quelque chose qui nous aille.--Et, tenez, j'ai votre
+affaire: un jeune homme!--Vous le nommez?--Ah! je ne sais pas son nom;
+mars il vous convient à ravir.--Sa fortune?--On ne m'en a rien dit: mais,
+certainement, il fera le bonheur d'Anna.--Son esprit, son coeur, sa
+position dans le monde?--Oh! vous ne sauriez mieux faire!--Qui est-ce
+donc, enfin»--Vous savez, ma chère, vous savez bien... c'est ce jeune
+homme que... ce jeune homme qui valse à deux temps.»
+
+Vous savez, ou plutôt vous ne savez peut-être pas ce qu'on appelle une
+loge du cintre: la loge du cintre est une de ces cages étroites,
+imperceptibles et malsaines qu'on peut apercevoir à l'aide d'un
+excellent télescope, perchées au sommet d'un théâtre comme un nid
+d'hirondelle sur un haut peuplier. La loge du cintre est le champ
+d'asile des mamans de ces demoiselles des portières de ces
+messieurs... Un comparse du Théâtre-Français, un de ces braves Romains de
+la tragédie classique, aborda dernièrement, chapeau bas et avec toute
+l'humilité d'un soldat d'Auguste et de Néron, l'auteur des _Burgraves_.
+en méditation dans la coulisse: «Monsieur, pourriez-vous me faire
+l'honneur d'une loge du cintre pour mon épouse?--Quoi! une loge du
+cintre! Mais, mon ami, savez-vous ce que vous demandez? Cela n'est pas
+possible. J'y ai des princes!»
+
+Le vicomte de S... est un de ces éternels Adonis qui croient à leur
+éternelle fraîcheur et à leur jeunesse éternelle; c'est un étourdi en
+cheveux gris, un adolescent de cinquante ans; il y a bien trente ans
+qu'il est intimement lié avec madame de Val..., liaison tout amicale,
+toute d'estime, car de S... a d'excellentes qualités; elles ressortent
+d'autant plus qu'il a de nombreux ridicules. Il est honnête, sincère,
+dévoué; il donnerait sa fortune pour ses amis, j'entends pour ses vrais
+amis, et peut-être sa vie; mais pour tout au monde, il ne leur
+accorderait pas qu'il n'est plus à la fleur de l'âge. Vous lui
+demanderiez à emprunter six mois de sa prétendue jeunesse pour vous
+sauver d'un péril, ou pour vous tirer vivant d'une fondrière ou d'un
+puits artésien, qu'il vous les refuserait. Un jour--il y a quelques
+semaines de cela--madame de Val... avait réuni une société nombreuse
+dans son joli appartement de la rue Bergère; la conversation était
+animée; le vicomte y semait l'esprit de toutes mains: il en a plein ses
+poches. Une opinion lui échappa, je ne sais plus sur quel point de
+politique, de morale ou de littérature, que madame de Val... crut devoir
+contredire avec cette finesse d'aperçu et ce bon goût qui donnent tant
+de charme à ses moindres paroles. «Eh! quoi, vous pensez cela?--Eh! oui,
+vraiment, madame.--Vraiment, mon vieil ami?» A ces mots, de S... pâlit,
+ses lèvres se contractèrent et il se laissa aller sur le dos de son
+fauteuil. On crut qu'il se trouvait mal. «Non, ce n'est rien,» dit-il;
+et se levant tout à coup, il prit son chapeau, salua brusquement et
+sortit. «De S..., qu'avez-vous donc?» s'écria madame de Val...; mais il
+était déjà loin.
+
+Le lendemain, madame de Val... reçut le billet suivant, sous enveloppe
+parfumée, et pour cachet une colombe tenant dans son bec une rose
+enlacée d'une branche de myrte. La lettre était ainsi conçue: «Madame,
+hier, vous m'avez appelé votre vieil ami; je ne devais pas attendre cela
+de vous, après trente ans d'affection.»
+
+Nous l'avons en contant, madame, échappé belle.
+
+La comète a failli caresser de l'extrémité de sa queue la face de notre
+globe sublunaire. Vous devinez ce que doivent procurer d'agrément les
+caresses d'une comète. Ajoutez à sa queue quelques aunes de plus, et
+cette queue nous faisait la nôtre; l'Académie des Sciences l'atteste. Je
+vous le demande, où seraient maintenant Lablache, le Dauphin, les
+_Burgraves,_ Phèdre, la Pologne, M. de Cham..., madame L. C. G., la loge
+du cintre, M. le vicomte de S..., madame de Val..., _l'Illustration_
+et moi-même, qui viens de vous conter tranquillement tous mes petits
+contes? Mais, grâces au ciel (c'est bien le cas de le dire), la comète,
+de mauvaise humeur sans doute d'avoir compromis inutilement sa queue
+dans cette affaire, vient de se replonger, bien loin de nous, dans les
+immenses profondeurs de l'infini. Qu'elle y reste! Nous ne lui enverrons
+pas M. de Sercy en ambassade pour la prier de revenir.
+
+
+
+Les frontières du Maine
+
+ET LE DERNIER TRAITÉ ENTRE L'ANGLETERRE ET LES ÉTATS-UNIS.
+
+Quand l'Angleterre reconnut, par le traité de 1783 l'indépendance des
+États-Unis, la frontière nord-est de l'Union avait été fixée ainsi qu'il
+suit par l'article 2 de ce traité: «Pour prévenir toutes les disputes
+qui pourraient s'élever à l'avenir au sujet des frontières desdits
+États-Unis, il est ici convenu de déclarer que leurs frontières sont et
+seront, à partir de l'angle nord-est de la Nouvelle-Ecosse (divisée
+aujourd'hui en Nouvelle-Ecosse et en Nouveau-Brunswick), c'est-à-dire
+l'angle qui est formé par une ligne tirée dans la direction du nord, de
+la source de la rivière Sainte-Croix aux hautes terres, puis le long de
+ces hautes terres qui séparent les eaux qui s'écoulent dans la rivière
+Saint-Laurent de celles qui se jettent dans l'Océan Atlantique, jusqu'à
+celle des sources du Connecticut, qui est situé le plus au
+nord-ouest... etc.»
+
+Cet article n'était pas très-clair à l'époque où le traité fut conclu,
+et ne l'est pas davantage aujourd'hui. Le territoire en litige n'était
+pas habité et avait à peine été exploré par les chasseurs. La situation
+de l'angle nord-ouest de la Nouvelle-Ecosse était plus que
+problématique, car on ne savait pas exactement lequel des cours d'eaux
+qui parcourent ce pays était la rivière Sainte-Croix, et, à plus forte
+raison ignorait-on où il fallait fixer sa source. On était convenu, par
+le traité, de suivre une certaine ligne de hautes terres: mais des qu'on
+voulut mettre le traité en exécution on chercha vainement quelles
+étaient ces hautes terres qui devaient séparer le bassin du
+Saint-Laurent du bassin des affluents de Atlantique, et on douta même de
+leur existence C'est que les négociateurs du traité s'étaient basés sur
+une carte publiée par Mitchell en 1753, alors fort estimée et reconnue
+depuis fort inexacte.
+
+En 1794, un nouveau traité fut conclu entre l'Angleterre et les
+États-Unis, et un des objets de ce traité était de déterminer exactement
+ce que c'était que la rivière Sainte-Croix. Des commissaires furent
+nommés de part et d'autre; ils firent un rapport en 1798, qui devait
+être considéré par les termes mêmes du traité comme définitif. On trouva
+une source plus ou moins exacte de la rivière Sainte-Croix et un des
+points de la frontière fut ainsi fixé. C'était un premier pas.
+Malheureusement la guerre éclata entre les deux États avant que les
+explorations eussent donné de nouveaux résultats, et elles ne furent
+reprises qu'après le traite de Gand, en 1814. Des commissaires
+explorateurs furent envoyés sur le terrain par les deux gouvernements;
+d'admirables travaux furent entrepris, mais la question ne fut pas
+résolue; les commissaires eux-mêmes ne s'entendirent pas. Au milieu de
+toutes ces incertitudes, chaque gouvernement se forma une opinion à son
+avantage. Les États-Unis, en établissant la ligne de démarcation à
+partir de la rivière Sainte-Croix, dans la direction du nord, lui
+faisaient traverser le fleuve Saint-Jean, dont le cours supérieur leur
+aurait appartenu, et le faisaient aboutir à quarante-un milles de
+Saint-Laurent, vers le 48e degré de latitude nord; car, selon eux, ce
+n'était que là que l'on rencontrait les hautes terres désignées par le
+traité de 1783, et tout le pays à l'ouest de cette ligne, en suivant les
+hautes terres dans la même direction jusqu'à la source du Connecticut,
+devait appartenir à l'Union. Les Anglais ne pouvaient accepter
+bénévolement une telle décision, car cette ligne de frontières qui
+traversait ainsi du sud au nord, presque dans toute son étendue, la
+vaste péninsule formée par l'Océan, le golfe Saint-Laurent et le fleuve
+du même nom, interrompait toute communication entre les provinces de la
+Nouvelle-Ecosse et le Canada, entre Halifax et Québec, entre les riches
+établissements de la baie de Fundy et le Saint-Laurent.
+
+[Illustration: Carte]
+
+La difficulté restait entière. On était convenu, de part et d'autre, par
+le traité de Gand, qu'en cas de dissentiment, on déférerait le jugement
+de la contestation à l'arbitrage d'un tiers. En conséquence, le roi des
+Pays-Bas fut choisi pour arbitre en 1828. Sa sentence fut rendue et
+communiquée aux intéressés dans les premiers jours du mois de janvier
+1831. Ce n'était pas une interprétation des questions qu'il devait
+résoudre, au moins quant au point principal; il proposait simplement une
+transaction. Selon le roi des Pays-Bas, il était impossible de fixer
+exactement l'angle nord-ouest de la Nouvelle-Ecosse qu'avait voulu
+désigner le traité de 1783, car les cartes dont on s'était servi étaient
+remplies d'erreurs; quant aux hautes terres, il était manifeste qu'il en
+existait plusieurs lignes, mais aucune ne résistait aux objections. En
+conséquence il proposait, comme le parti le plus juste et le plus
+raisonnable, de substituer à la démarcation imaginaire du traité de 1783
+une délimitation toute nouvelle, en tenant compte, autant que possible,
+des convenances réciproques. Le gouvernement anglais se montra disposé à
+accepter la décision de son allié, bien qu'elle allât à rencontre de ses
+prétentions, et peu de jours après qu'elle lui eut été communiquée, lord
+Palmerston envoya au ministre britannique à Washington l'acceptation de
+son gouvernement.
+
+Mais dans le même temps, le ministre des États-Unis à La Haye, M.
+Preble, de l'État du Maine, en recevant la sentence du roi Guillaume, au
+lieu de la transmettre purement et simplement à son gouvernement,
+protesta contre cette sentence d'arbitrage, et sans attendre des
+instructions ultérieures, partit aussitôt pour New-York, d'où il se
+rendit dans l'État du Maine avant d'aller à Washington. Or, il y a dans
+la Constitution fédérale des États-Unis un article qui interdit au
+gouvernement fédéral la faculté de céder aucune portion de territoire
+d'un Etat particulier sans le consentement de cet État. L'État du Maine
+était le plus intéressé dans cette affaire; de sa décision dépendait le
+rejet ou l'acceptation des propositions d'accommodement: encouragée par
+la protestation de M. Preble, la législature du Maine prit les devants
+sur la délibération du président et du congrès, et déclara que l'arbitre
+avait dépassé la limite de ses droits, en substituant un compromis à
+l'interprétation qu'on lui demandait.
+
+Les dispositions du président et du cabinet étaient beaucoup plus
+conciliantes, et s'il n'avait tenu qu'à eux, la transaction aurait été
+acceptée; mais, aux États-Unis, le droit de ratifier les traités
+appartient au Sénat. La convention proposée par le roi Guillaume lui fut
+donc soumise. Une grande majorité se prononça pour le rejet de cette
+sentence. Ce fut en vain que le président exprima le plus vif désir que
+la convention fût acceptée; ce fut en vain que le comité des affaires
+étrangères, auquel fut renvoyé le message, fit un rapport conforme à
+l'opinion du président, le Sénat refusa sa ratification, et le
+gouvernement fédéral se vit obligé de notifier au gouvernement anglais
+qu'il regardait le jugement du roi des Pays-Bas comme non avenu; mais en
+même temps il lui faisait espérer que la difficulté constitutionnelle
+pourrait être levée au moyen d'un arrangement qui se négociait entre
+l'État du Maine et le gouvernement fédéral. Le cabinet de Washington
+s'était flatté d'un vain espoir. Il s'agissait d'obtenir de l'État du
+Maine la cession du territoire contesté moyennant une indemnité
+pécuniaire, et quand l'Union aurait été substituée aux droits de l'État
+du Maine, le cabinet américain en aurait disposé pour le plus grand bien
+de la république tout entière. Cette combinaison manqua. Le Maine
+consentit, mais l'État de Massachusetts, dont le Maine n'était qu'un
+démembrement, et dont il fallait obtenir l'autorisation comme
+propriétaire de la moitié du terrain, refusa son adhésion à
+l'arrangement proposé. De son côté, le gouvernement anglais, las de
+faire des avances inutiles, déclara qu'il ne se considérait plus comme
+lié par les offres réitérées qu'il avait faites, et qu'il ne
+consentirait plus en aucun cas à accepter la ligne tracée par le roi des
+Pays-Bas. De la sorte, la solution du différend fut encore indéfiniment
+ajournée.
+
+Les négociations n'étaient cependant pas rompues; mais elles faillirent
+l'être par une simple querelle de juridiction entre le gouverneur de
+l'État du Maine et le gouverneur de la colonie anglaise du
+Nouveau-Brunswick, qui compliqua d'une manière fâcheuse la question du
+territoire contesté, et dont les journaux ont retenti assez longtemps
+pour qu'il soit inutile d'en rappeler les détails. Ce débat apaisé, les
+deux gouvernements envoyèrent, chacun de son côté, des commissaires pour
+explorer le territoire contesté, où manquaient tous les éléments
+d'observations topographiques. «En arrivant sur le terrain de nos
+opérations, disaient les deux officiers du génie anglais, dans le
+rapport adressé par eux, en 1840, à lord Palmerston, nous apprîmes que
+nous aurions à explorer un pays désert, où l'on ne rencontrait pas un
+être humain, à l'exception de quelques pionniers et de quelques Indiens
+errants occupés à la chasse. Ce désert n'a jamais été traversé par des
+personnes capables de faire des observations exactes, de sorte que
+toutes les cartes que nous avons vues sont incomplètes. Si nous n'avions
+pas eu le bonheur d'engager à notre service deux Indiens intelligents,
+dont les cartes informes étaient tracées sur l'écorce des arbres, nous
+aurions perdu tout notre temps à couper des communications à travers des
+forêts impénétrables.» Ces difficultés n'empêchèrent pas les
+commissaires anglais d'arriver à une conclusion conforme aux prétentions
+de leur gouvernement, et ils crurent avoir prouvé dans leur rapport que
+la Grande-Bretagne avait un titre clair et inaliénable à la totalité du
+territoire en litige. Dans le même temps, les commissaires envoyés par
+les États-Unis étaient arrivés à une conclusion semblable en faveur des
+prétentions de leur gouvernement, de sorte que, lorsque le ministère
+tory arriva au pouvoir, la question était au même point qu'en 1840,
+après tant de recherches et d'efforts pour arriver à un compromis.
+
+Sir Robert Peel, au milieu des embarras de la situation, résolut de
+terminer à tout prix et sans retard cette question, qui pouvait
+compliquer d'une manière si fâcheuse sa position. Un plénipotentiaire
+fut envoyé à Washington au commencement de l'année 1812, pour négocier
+une transaction. C'était lord Ashburton, célèbre sous le nom d'Alexandre
+Baring, chef de la plus puissante maison de banque et de commerce du
+monde entier, et qui, par son mariage avec la fille d'un négociant de
+Philadelphie, a d'étroites relations avec les États-Unis. Dès le début
+des négociations, il devint évident que l'Angleterre avait hâte
+d'arriver à une solution pacifique. Le cabinet de Washington a profité
+de cette disposition, et a obtenu tout ce qu'exigeaient ses intérêts et
+sa vanité. Adoptant pour base de l'arrangement la proposition faite en
+1839 par lord Palmerston, de prendre la rivière Saint-Jean pour ligne
+limitrophe, lord Ashburton a cédé aux États-Unis toute la partie du
+territoire contesté, fertile, habitable et couverte des plus riches
+forêts, et n'a réservé à l'Angleterre qu'un pays dont les neuf dixièmes
+sont sans valeur. En un certain point, les deux rives du Saint-Jean sont
+occupées par une colonie d'origine française, un des débris de l'Acadie.
+Le plénipotentiaire anglais refusait sur ce seul point de prendre la
+rivière pour limite, ne voulant pas couper en deux et placer sous des
+lois différentes cet établissement; mais il a été forcé de céder devant
+les exigences du cabinet américain, et la colonie de Madawaska a été
+divisée. Une autre concession non moins importante lui a été imposée;
+c'est la faculté accordée aux Américains de naviguer librement sur le
+Saint-Jean jusqu'à la mer, à travers la province anglaise du
+Nouveau-Brunswick. De plus, il a été stipulé que tous les produits non
+manufacturés du pays arrosé par le Saint-Jean ou par ses tributaires
+pourraient descendre la rivière jusqu'à la mer, et que les produits
+américains, lorsqu'ils traverseraient le Nouveau-Brunswick, seraient
+admis dans les ports de cette province comme des produits anglais. En
+outre, l'Angleterre paie aux États du Maine et de Massachusetts une
+indemnité de 300,000 dollars (environ 1,000,000 fr.). Par cet
+arrangement, l'Angleterre s'assure, à la vérité, une ligne de
+communication entre les possessions du Canada et le Nouveau-Brunswick et
+la Nouvelle-Ecosse, mais elle a ouvert aux Américains un libre accès au
+coeur même de ses provinces. Tel est en substance le traité conclu à
+Washington le 9 août 1842, qu'ont imposé à l'Angleterre les embarras de
+sa situation politique et financière. D'abord la Grande-Bretagne tout
+entière l'a accueilli avec enthousiasme, comme terminant un différend
+qui pouvait amener tôt ou tard un conflit entre deux nations dont le
+plus grand intérêt est de demeurer en bonne intelligence; mais bientôt,
+quand on a connu les détails du traité, la presse et le pays ont retenti
+des plaintes des citoyens touchant les sacrifices faits à l'honneur et
+aux intérêts de la Grande-Bretagne, par la _capitulation Ashburton_.
+Cependant le sentiment de la nécessité de conserver entre les deux pays
+la bonne intelligence, a fait taire ce mécontentement, et la discussion
+que lord Palmerston a voulu soulever récemment, dans la Chambre des
+Communes, au sujet de ce traité, a tourné entièrement à l'avantage du
+ministère.
+
+
+
+Tribunaux.
+
+LA POLICE CORRECTIONNELLE.
+
+Les audiences de la police correctionnelle commencent en général entre
+onze heures et midi; mais tous les matins, avant neuf heures,
+quatre-vingt ou cent individus viennent s'entasser sur les marches du
+grand escalier situé à l'extrémité de la salle des Pas-Perdus et
+conduisant à la 6e chambre. A dix heures et demie, les portes sont
+ouvertes; cette foule, composée en grande partie d'hommes et d'enfants,
+se précipite dans l'antichambre qui précède la salle d'audience, puis
+dans l'étroite enceinte réservée au _public_. Les gardes municipaux de
+service sont souvent obligés d'employer la force pour le repousser.
+Rarement tous les curieux qui se pressaient sur l'escalier voient leur
+patience récompensée. L'enceinte réservée suffisamment remplie, le
+passage est barré par la crosse d'un fusil. Quand une personne sort, une
+autre personne entre; telle est la consigne; aussi, sans même entrer
+dans la salle de la police correctionnelle, en se promenant quelques
+instants, de midi à quatre heures, devant le grand escalier de la salle
+des Pas-Perdus, un observateur intelligent peut-il apprendre à connaître
+le _public_ qui assiste presque régulièrement aux audiences de la 6e
+chambre, la plus célèbre des trois chambres de la police correctionnelle
+du tribunal de la Seine.
+
+Triste étude, en vérité, pour le dessinateur comme pour le moraliste!
+Sur les cent individus dont se compose l'auditoire, il y en a plus de
+cinquante qui n'ont d'autre profession que le vol; ils viennent tantôt
+assister au jugement de leurs complices et leur faire des signes
+convenus, tantôt se familiariser d'avance avec l'aspect et les formes de
+la justice, prendre des leçons d'adresse ou d'audace, quelquefois même
+s'exercer à commettre des vols jusque sous les yeux des magistrats. Au
+milieu de cette bande d'escrocs se trouvent disséminés çà et là des
+ouvriers sans ouvrage, des écoliers qui font l'école buissonnière, des
+vieillards pauvres qui n'ont d'autre but que de passer quelques heures
+dans une chambre bien chauffée, et enfin cinq ou six honnêtes bourgeois
+attirés à la 6e chambre par le désir d'assister en personne à
+quelques-unes de ces scènes dramatiques ou ridicules que racontent
+chaque matin à leurs abonnés les journaux judiciaires.
+
+Les écrivains spirituels se sont créé, depuis un certain nombre
+d'années, une nouvelle spécialité littéraire. Développant avec un art
+remarquable les situations tragiques ou comiques dont les débats de
+certaines causes leur fournissaient la première idée, ils composèrent
+d'abord de petites scènes qui obtinrent beaucoup de succès; puis ils se
+laissèrent entraîner par leur imagination, et ils inventèrent des procès
+plus ou moins vraisemblables. Le public, quand on l'intéresse ou quand
+on l'amuse, se fâche rarement; satisfait de pleurer et de rire tour à
+tour, il prit un tel goût à ces contes de la police correctionnelle, que
+tous les journaux politiques remplirent leurs colonnes des meilleurs
+articles de la _Gazette des Tribunaux_, et de son rival _le Droit_. La
+vérité est connue aujourd'hui de tout le monde, et cependant on hésite à
+y ajouter foi, on craint de perdre une illusion qui procure de temps à
+autre quelques distractions.
+
+[Illustration.]
+
+Mais, en réalité, la police correctionnelle du département de la Seine
+n'offre pas un spectacle aussi émouvant ou aussi divertissant que
+persiste à le croire, malgré les nombreux avertissements qu'elle a
+reçus, la majorité du public. Quand les trois juges et l'avocat du roi
+qui composent le tribunal se sont assis sur leurs sièges, l'huissier
+audiencier fait faire silence, prend le rôle du jour et appelle les
+causes; alors les gendarmes ou les gardes municipaux de service
+introduisent par une porte basse, dans une espèce de loge ou de tribune
+garnie de deux bancs de bois, les prévenus, qui ont été amenés le matin
+même de la Force ou de la Roquette à la Conciergerie. Ce sont presque
+toujours:
+
+Un forçat libéré accusé d'avoir rompu son ban;
+
+Un vieillard que les sergents de ville ont surpris tendant la main au
+moment où, dénué de toute ressource et trop faible pour travailler, il
+sentait les premières atteintes de cette terrible maladie qu'on appelle
+la faim;
+
+Un jeune homme de dix-huit à vingt ans, qui a déjà subi plusieurs
+condamnations et qui a été arrêté une quatrième fois en flagrant délit
+de vol, qui se glorifie de son crime, qui insulte la justice; car il se
+sent lui-même aussi indigne de pitié qu'il est incapable de se repentir
+et de se corriger;
+
+Un pauvre petit enfant étranger, accusé d'avoir mendié, qui s'avoue
+coupable et qui promet de ne plus recommencer si on l'acquitte;
+
+Des enfants vagabonds que leurs parents ne viennent pas réclamer parce
+qu'ils sont trop pauvres pour pouvoir les nourrir, ou parce qu'ils ont
+vainement essayé de vaincre leurs mauvais penchants;
+
+Un ouvrier dont l'ivresse a fait presque un meurtrier;
+
+Une femme adultère et son complice.
+
+[Illustration.]
+
+Toujours le vice ou la misère! toujours des malheureux qui n'ont pas de
+moyens d'existence ou qui ne vivent que du produit de leurs vols! Qu'on
+cesse donc de regarder la police correctionnelle comme, l'un des
+théâtres les plus curieux et les plus agréables de Paris; ce ne sont pas
+des distractions qu'il faut y venir chercher, ce sont des leçons. Toutes
+les classes de la société y en trouveront: des ouvriers verront avec un
+effroi salutaire les terribles conséquences qu'entraînent d'ordinaire
+après elles la paresse, l'imprévoyance et la débauche; une partie de la
+bourgeoisie y rougira peut-être de son égoïsme, elle comprendra qu'elle
+a de grands sacrifices à faire; qu'au lien d'essuyer en passant quelques
+larmes, elle doit s'efforcer d'en tarir la source; que ce n'est pas
+seulement le mal présent, mais plus encore le mal futur qu'il importe de
+guérir.--Si cet infortuné qui vient s'asseoir sur ce banc de honte pour
+s'entendre condamner à cinq années d'emprisonnement était né dans la
+même position sociale que ses juges ou que son défenseur, s'il avait
+reçu une meilleure éducation, il serait peut-être resté toute sa vie un
+honnête homme. Mais à peine sa mère l'eut-elle mis au jour, elle
+l'abandonna; personne ne lui a donné un sage conseil; il n'a jamais en
+sous les yeux que de mauvais exemples; il voudrait travailler, mais on
+ne lui a pas appris un état; tous les ateliers sont fermés pour lui. Le
+besoin le détermine à commettre un premier vol; malheureusement on le
+surprend en flagrant délit, on l'arrête, on le juge, on le condamne, on
+l'enferme avec d'autres malfaiteurs. Si courte que soit sa peine, quand
+il l'aura subie, il sera perdu sans ressource.
+
+C'est donc parfois un devoir pour la presse de raconter, mais sans y
+rien ajouter, sans en rien retrancher, quelques-uns des petits drames
+qui se jouent journellement aux audiences de la police correctionnelle.
+Outre l'intérêt bien naturel qu'ils inspirent, ces récits renferment
+d'utiles enseignements que l'écrivain doit s'attacher à signaler à
+l'attention publique. Il y a certaines gens, assez honnêtes d'ailleurs,
+que le mot seul de morale fait bailler d'ennui; ils ont le vice en
+horreur dans leur vie privée, mais ils le trouvent amusant dans les
+journaux. Suivant eux, la littérature et les beaux-arts ne doivent se
+proposer qu'un but, celui de plaire, comme si l'humanité avait été créée
+uniquement pour se divertir. Il y aurait du courage à résister à ces
+erreurs du goût public, à réagir, à ne pas mentir pour plaire, à ne pas
+exciter le rire avec le récit de faits qui ne doivent jamais exciter que
+l'indignation ou la pitié. La presse a une mission plus noble à remplir:
+instruire et moraliser, telle est sa devise; qu'elle y reste toujours
+fidèle désormais, elle ne tardera pas à reconquérir l'influence qu'elle
+a perdue.
+
+Ajoutons toutefois que la seconde partie d'une audience de la police
+correctionnelle ne ensemble en rien à la première. Le drame fini, la
+comédie commence. Après les affaires des détenus ou des individus qui
+ont obtenu leur liberté provisoire sous caution, mais qui sont également
+poursuivis à la requête du ministère public, viennent les causes dites
+_entre parties._ Certaines classes de la population parisienne font un
+abus vraiment extraordinaire du droit de citation directe, droit que le
+législateur aurait cependant tort d'abolir. Les juges sont doués d'une
+patience évangélique. Que de petites passons se démènent chaque jour
+autour de ce tribunal! que de ridicules s'y étalent avec orgueil! que de
+sottises s'y débitent! que d'esprit s'y dépense inutilement! Il y a là
+des peintures de moeurs et de caractères assez vives et assez
+divertissantes pour qu'il soit inutile ou même fâcheux de les convertir
+en charges. Il faudrait se contenter de présenter le miroir à ces scènes
+de comédie, et ne les point affaiblir, les dénaturer, en les parodiant.
+
+
+
+DES CIRCONSTANCES ATTÉNUANTES.
+
+L'application des circonstances atténuantes en matière criminelle n'est
+pas, en général, parfaitement appréciée par tous les esprits. Les effets
+de ce système sont surtout inexactement jugés. Quelques verdicts du jury
+ont fait penser qu'il abusait de la faculté mise à sa disposition. Les
+expressions mêmes de la formule qui exprime cette faculté lui ont nui
+dans l'opinion publique; on a été porté à en induire que la répression
+ressentait une certaine mollesse, la justice pénale quelque relâchement.
+Quelques magistrats ont même déjà manifesté des alarmes. Cette idée, qui
+se fonde sur de vagues préoccupations ou sur des actes isolés, mais non
+sur les faits généraux, n'est nullement fondée; elle a été réfutée
+récemment par un savant criminaliste, M. Faustin Hélie, dans la _Revue de
+Législation_, et il nous a paru curieux et utile d'emprunter à cette
+dissertation quelques observations qui sont de nature à éclairer cette
+question morale et pratique et à rectifier des jugements conçus
+peut-être avec quelque légèreté.
+
+Le système des circonstances atténuantes a été adopté par la loi du 28
+avril 1832. Les jurés, en matière criminelle, et les juges, en matière
+correctionnelle, ont été investis de la faculté de déclarer qu'il existe
+en faveur du prévenu des circonstances atténuantes; cette déclaration a
+pour effet de faire diminuer la peine portée par la loi; cette peine
+peut alors descendre, en matière correctionnelle, jusqu'au taux des
+peines de simple police, et en matière criminelle, d'un ou de deux
+degrés, suivant l'application des juges de la Cour d'assises. Or, ce que
+nous voulons examiner, c'est l'effet de ce droit d'atténuation sur la
+marche générale de la répression.
+
+Un premier fait est incontestable: c'est la diminution du nombre des
+acquittements. Les acquittements n'avaient cessé de s'accroître jusqu'à
+la promulgation de la loi du 28 avril 1832; en 1826, sur cent accusés,
+on comptait trente-huit acquittés; en 1831, on en comptait quarante-six.
+La faculté de déclarer des circonstances atténuantes a subitement arrêté
+cette progression, qui menaçait de détruire toute répression. En 1833,
+sur cent accusés, il n'y eut plus que quarante-un acquittements; ce
+nombre s'abaissa successivement, en 1834, à quarante; en 1835, à
+trente-neuf; en 1836, à trente-six; en 1839, à trente-cinq; enfin, en
+1840, à trente-trois. Ce premier résultat est donc bien constaté.
+
+Les acquittements nombreux attestent ou une mauvaise législation ou une
+mauvaise justice. Les jurés rejettent les accusations, soit parce que
+les lois pénales leur semblent trop rigoureuses, soit parce que des
+procédures mal instruites amènent devant eux des accusés sur lesquels
+pèsent des charges insuffisantes. Avant la réforme de 1832, le nombre
+extraordinaire des acquittements, à peu près la moitié des accusés,
+était dû principalement à l'excessive sévérité du Code Pénal; les jurés
+hésitaient à condamner, quand les peines étaient hors de proportion avec
+les délits: ils acquittaient en haine de la loi. Il fallait un terme à
+un tel désordre; l'admission des circonstances atténuantes a eu pour but
+de le faire cesser. Le législateur pensa que les jurés pouvant atténuer
+les peines, ne prononceraient plus autant d'acquittements. Cette
+prévision s'est rapidement réalisée. C'est là, il faut le dire, le
+progrès le plus sûr qu'ait pu faire la justice. Avant tout, il faut
+atteindre et punir les coupables; le degré de la punition n'a, ainsi que
+nous le dirons plus loin, qu'un intérêt secondaire.
+
+Un deuxième résultat est également constaté. Avant la loi modificative
+du Code, les déclarations du jury, lors même qu'elles déclaraient
+l'accusé coupable, n'étaient pas sincères: il mutilait les accusations,
+écartait les circonstances aggravantes et bouleversait la qualification
+des faits incriminés. En 1826, sur cent accusations admises par le jury,
+soixante étaient modifiées par le rejet des circonstances aggravantes;
+ce nombre s'était, successivement élevé jusqu'à soixante-neuf sur cent
+en 1832. A partir de cette époque, les accusations admises sans
+changement dans la qualification des faits se sont élevées chaque année:
+aujourd'hui, cinquante sur cent seulement sont modifiées. D'où nait
+cette différence? C'est que les jurés n'ont plus en besoin de faire des
+déclarations mensongères pour mettre la peine en rapport avec le délit;
+l'atténuation dont la loi les a investis leur a suffi; leurs verdicts
+sont devenus sincères; ils ont affirmé tous les faits que l'accusation
+prouvait. Cette deuxième amélioration est évidente; elle démontre que la
+justice est rentrée dans la voie de la vérité; elle démontre aussi que
+la législation a cessé d'être en opposition avec les moeurs publiques,
+et que ses dispositions sont, en général, acceptées.
+
+Maintenant il est très-vrai que le bénéfice des circonstances
+atténuantes a été étendu à un très-grand nombre de condamnés. Nous
+verrons tout à l'heure ce chiffre, qui est assurément fort élevé; mais
+plusieurs considérations très-graves l'expliquent facilement.
+
+D'abord, on vient de voir que si, d'un côté, le nombre des atténuations
+de peines s'accroit, d'un autre côté, et par une sorti; d'équation
+mathématique, le nombre des acquittements diminue, et les déclarations
+du jury deviennent plus fermes et plus sincères. Or, ne doit-on pas
+préférer, dans l'intérêt de la répression, des peines atténuées à des
+acquittements complets? La justice n'est-elle pas plus satisfaite par la
+déclaration consciencieuse de tous les faits de l'accusation que par la
+dénégation mensongère d'une partie de ces faits pour arriver, par un
+détour frauduleux, à une diminution de peine que la déclaration de
+circonstances anémiantes régularise? Avant la loi de 1832, l'expérience
+des années antérieures nous l'apprend, le jury aurait acquitté le tiers
+de ces condamnés, et il aurait, à l'égard des autres, dénié les
+circonstances aggravantes. Ces déclarations, désavouées par la
+conscience, auraient-elles donc produit une répression meilleure? Un
+châtiment, quel qu'il soit, quand il frappe un coupable, n'est-il pas
+préférable à une complète impunité?
+
+Sans doute les peines ont diminué dans leur gravité ou dans leur durée.
+Mais suit-il donc de là que la mesure de la répression se soit
+affaiblie? Constatons d'abord dans quelles limites cette atténuation
+s'est opérée. Avant la loi de 1832, le nombre des condamnations à des
+peines afflictives ou infamantes s'abaissait chaque année: ce chiffre,
+qui était de quarante sur cent accusés en 1826, n'était plus que de
+vingt-sept sur cent en 1832. Et remarquez que le système des
+circonstances atténuantes n'existait point à cette époque. Les peines
+afflictives ne se transformaient que fort rarement en peines
+correctionnelles; elles n'étaient remplacées que par les acquittements,
+dont le chiffre s'élevait incessamment. Depuis 1832, ces peines n'ont
+pas été appliquées plus fréquemment; mais les condamnations
+correctionnelles ont graduellement augmenté. En 1840, sur cent accusés,
+vingt-huit ont été condamnés à des peines afflictives et infamantes, et
+trente-neuf à des peines correctionnelles. Ainsi, le chiffre général des
+condamnations a tendu sans cesse à se relever depuis l'adoption des
+circonstances atténuantes. Ce chiffre, qui était de soixante-deux sur
+cent accusés en 1826, et même de cinquante-quatre sur cent en 1831, est
+remonté par degrés à soixante-sept sur cent en 1840. Une espèce de
+réaction s'est même manifestée dans la distribution des peines pendant
+ces dernières années. Les condamnations ont été plus fermes et plus
+nombreuses; les peines se sont élevées, soit par leur intensité, soit
+par leur durée.
+
+Faut-il attribuer cette réaction morale, cette fermeté plus grande, aux
+lumières que les jurés acquièrent à mesure qu'ils exercent leurs
+fonctions, aux temps plus calmes qui ont succédé à des temps de troubles
+politiques, à l'inquiétude causée par quelques verdicts empreints d'une
+indulgence excessive, enfin, à l'instinct de conservation qu'éprouvent
+les citoyens à la vue des crimes qui semblent s'accroître? Il faut
+l'attribuer sans doute à toutes ces causes; mais son véritable, son
+principal motif est dans la faculté attribuée au jury, par la
+déclaration des circonstances atténuantes, de faire bonne justice,
+justice suivant sa conscience, c'est-à-dire de proportionner la peine
+avec le délit. Le jury exprime de la manière la plus naïve et la plus
+sincère les mouvements de la conscience individuelle, bien plus que de
+la conscience sociale; il est plus préoccupé de la justice intrinsèque
+d'une peine que des motifs d'utilité générale qui s'attachent à son
+application; son point de vue se borne généralement à la cause qu'il
+juge; il s'étend rarement aux causes de la même nature dont le nombre et
+la répétition exigent une répression plus ou moins sévère. Il déclarera
+la culpabilité qui lui est démontrée, mais à condition que les effets
+de cette déclaration lui paraîtront équitables. Vainement vous voudriez
+couvrir la loi pénale d'un voile à ses yeux; ce voile, vaine fiction du
+législateur, il le déchire tous les jours. Il pèse la peine en pesant
+les termes de sa déclaration; il rejettera, comme il l'a fait tant de
+fois, la condamnation la plus juste, si le châtiment lui paraît hors de
+proportion avec le crime.
+
+Les faits sont donc incontestables: le système des circonstances
+atténuantes a produit des condamnations plus nombreuses, une
+distribution plus ferme des peines, une appréciation plus consciencieuse
+et plus exacte des faits incriminés. Une seule objection peut être
+opposée à ces bienfaits. Les peines appliquées sont plus nombreuses,
+mais elles sont moins fortes; elles perdent en intensité ce qu'elles
+gagnent en nombre; les peines afflictives et infamantes semblent tendre à
+se transformer en peines correctionnelles; elles se dépouillent de leur
+appareil afflictif et de leur intimidation.
+
+Cette objection, vue de près, disparaît promptement. Il n'est pas vrai,
+d'abord, que les peines afflictives tendent à se correctionnaliser, et
+cela par une raison très-simple, c'est que la loi a posé des limites que
+cette tendance ne pourrait franchir. Mais prenons successivement les
+différentes peines afflictives, et nous verrons que leur marche est
+plutôt ascendante que décroissante. Ainsi, la peine qui semblait devoir
+exciter la répugnance la plus grande de la part des jurés, parce qu'elle
+fait peser sur eux une responsabilité plus grande, la peine de mort, n'a
+pas cessé d'être appliquée; en 1840, cinquante-un accusés ont été
+condamnés à cette peine, et ce chiffre, qui avait varié dans les années
+précédentes, paraît disposé à s'élever. Les condamnés aux travaux forcés
+à perpétuité qui, en 1835, étaient au nombre de cent quarante-un, sont
+montés successivement à cent soixante-dix-sept, cent
+quatre-vingt-dix-sept, cent quatre-vingt-dix-huit; en 1841, ils ont été
+de cent quatre-vingt-cinq. Les condamnés aux travaux forcés à temps se
+sont généralement maintenus au chiffre de huit cents chaque année; les
+dernières années ont présenté les chiffres de huit cent cinquante-deux,
+huit cent quatre-vingt-trois et mille cinquante-six. Enfin, les
+condamnés à la réclusion, qui n'étaient qu'au nombre de six cent
+quatre-vingt-quatorze en 1833, ont atteint les chiffres de neuf cent
+vingt-trois et mille trente-deux en 1839 et 1840. Sans doute, il faut
+tenir compte de l'augmentation générale des accusations et des
+condamnations, mais il ne résulte pas moins de ces chiffres que la
+répression ne s'affaiblit pas, et que les peines afflictives reçoivent
+une application journalière et continuelle.
+
+Maintenant, nous ne prétendons nullement méconnaître qu'un certain
+nombre de peines afflictives se soient transformées en peines
+correctionnelles. Est-ce véritablement un mal? La société a-t-elle un
+intérêt réel à ce qu'une peine afflictive soit appliquée à certains
+faits plutôt qu'une peine correctionnelle? Son principal intérêt
+n'est-il pas que les coupables soient punis? Il est, d'ailleurs, reconnu
+maintenant que le régime des maisons centrales est plus rigoureux et
+plus répressif que celui des bagnes; et, dans les maisons centrales, les
+condamnés à la réclusion et à l'emprisonnement de plus d'un an sont
+soumis au même régime et subissent la même peine. Il n'y aurait donc que
+la durée plus brève de la peine qui pourrait lui enlever une partie de
+son effet d'intimidation; mais l'efficacité d'une peine est dans la
+certitude de son application bien plus que dans sa durée; elle est
+surtout dans le mode de son exécution. Sans doute la prolongation de
+cette exécution ajoute à la rigueur de la punition, mais elle n'est
+qu'une cause secondaire d'intimidation. Le système pénitentiaire peut la
+désirer, parce qu'elle augmente son action sur le condamné, mais la
+répression est moins intéressée à cette prolongation au delà de
+certaines limites. Il suffit que la peine soit assez longue, pour peser
+sur la vie du coupable, mais elle ne doit pas puiser toute sa gravité
+dans sa durée.
+
+La justice n'a donc pas fléchi: le système des circonstances atténuantes
+ne l'a donc pas désarmée; elle a même puisé dans son application une
+puissance nouvelle: sa marche a été plus sûre, plus ferme, plus
+certaine. La répression a été plus complète, car elle a atteint un plus
+grand nombre de coupables; elle a été plus juste, car le rapport entre
+le délit et la peine a été établi avec plus de soin; elle a été mieux
+réglée, car la conscience, qui se débattait naguère contre l'exagération
+des châtiments, applaudit à ses jugements depuis qu'il est permis de
+concilier la peine avec la gravité du fait.
+
+Voilà les résultats qu'a produits le système des circonstances
+atténuantes, résultats constatés par la statistique, et qu'il est
+impossible de dénier. La justice et la morale elles-mêmes doivent donc
+applaudir à une innovation qui a assuré une répression plus étendue,
+bien que modérée, des actions criminelles.
+
+
+
+Poètes italiens contemporains.
+
+LOUIS CARRER.
+
+Parmi les poètes italiens contemporains, l'un des plus aimables, l'un
+des plus gracieux et des plus nationaux, c'est sans doute le Vénitien
+Carrer, dont le nom est à peine connu en France.
+
+La vocation de ce poète se déclara un jour que, presque enfant, il
+entendit le célèbre improvisateur Sgricci. Le feu divin s'alluma dans
+l'âme du jeune Louis, et l'adolescent, dans lequel rien jusque-là
+n'avait révélé le poète, eut l'audace de parler à son tour aux
+Vénitiens, encore frémissants des applaudissements prodigués au Sgricci,
+cette langue des vers, toujours si douce à leur oreille. Le succès fut
+complet, et, pour que rien n'y manquai, pour que le talent fût en
+quelque sorte sacré par le génie, Byron, alors à Venise, prédit que cet
+enfant ferait un jour la gloire du pays où il était né. Toutefois
+Carrer, loin de se laisser étourdir par de si nombreux applaudissements
+et par un tel suffrage, eut vite compris qu'ils ne devaient être pour
+lui qu'un encouragent; qu'il pouvait devenir un poète, mais qu'il ne
+l'était pas encore. L'art de l'improvisation ne fut à ses yeux qu'un des
+degrés les plus infimes de la poésie, et il se mit à travailler
+assidûment, convaincu que les oeuvres faites lentement, difficilement
+même, sont les seules durables. Naturellement doué d'une riche
+imagination, il étudia avec patience la forme, cette partie de l'art si
+difficile, et sans laquelle pourtant il n'est point d'art véritable.
+
+[Illustration: (Louis Carrer.)]
+
+Or, cette qualité de la forme, Carrer, aujourd'hui, la possède à un
+degré éminent, comme l'atteste le recueil que nous avons sous les yeux,
+et qui contient des poésies de différents genres: ballades, sonnets,
+odes, nouvelles, etc. Les ballades sont empruntées parfois à des
+traditions étrangères, mais plus souvent à des légendes vénitiennes, et
+celles-ci sont, nous l'avouons, celles que nous préférons; tout
+imprégnées qu'elles sont du parfum des lagunes, riches, étincelantes
+d'or et de pierreries, comme _Venise la belle_, riantes alors même que
+le fond en est sombre ou sanglant. L'arbre des tombeaux pour le poète
+vénitien, ce n'est pas le sombre cyprès, mais le myrte, et parfois même
+l'oranger. La mort, c'est le seuil de la vie heureuse.
+
+Les sonnets, écrits dans la langue italienne, vraie langue du sonnet,
+ont cette perfection de forme sans laquelle ce genre n'existe pas; mais
+ils nous semblent, de même que les odes, trop souvent dénués d'une
+pensée forte ou originale. En somme, ce que nous aimons le mieux, ce qui
+nous paraît le véritable titre de gloire du poète, ce sont les ballades,
+dont nous donnerons de préférence quelques-unes à nos lecteurs.
+
+Selon une tradition populaire à Venise, un patricien devint amoureux
+d'une jeune fille du peuple, et, désolée de ne pouvoir être sa femme,
+celle-ci se précipita dans l'Adriatique, où elle périt; après sa mort,
+le jeune noble ne voulut jamais accepter d'autre épouse, et, devenu
+doge, il se déclara le fiancé de la mer. C'est là, selon les enfants des
+lagunes, l'origine de la fête qui fut célébrée chaque année le jour de
+l'Ascension, tant que Venise a eu un doge, cérémonie dans laquelle, du
+haut du _Bucentaure_, le chef de la république jetait solennellement
+dans la mer l'anneau, symbole d'une mystique union. Les historiens
+donnent à cette cérémonie une autre, ou plutôt d'autres origines sur
+lesquelles ils ne peuvent s'accorder; mais les poètes aiment d'ordinaire
+mieux la légende que l'histoire; l'érudition les effraie, et nul ne
+s'étonnera de voir Carrer adopter la croyance des pêcheurs de Venise. On
+sera, nous n'en doutons pas, tenté de l'en remercier, quand on verra de
+quelle poésie limpide et brillante, j'ai presque dit phosphorescente
+comme les flots de l'Adriatique, il a su la revêtir.
+
+
+L'ÉPOUSE DE L'ADRIATIQUE.
+
+«Qu'elle se taise, la joyeuse fanfare, qu'elle se taise sur la route
+azurée de la mer, qu'elle se taise parmi les rochers où, pauvre âme nue,
+je me cache pour soupirer.
+
+«Qu'on me le donne, l'anneau d'or, et alors je cesserai ma plainte,
+alors en silence j'attendrai l'époux qui me fut fiancé.
+
+«Qu'il n'appartienne jamais à une autre celui-là qui m'a donné sa foi;
+il m'a nommée sienne, et je l'attends; après la mort nous serons unis.
+
+«Pour ce jour je le prépare, le lit nuptial; je le fais d'écume
+moelleuse, trompant, dans cette douce occupation, l'ardent désir qui me
+consume.
+
+«Quand, parvenu à son dernier jour, mon époux descendra enfin vers moi,
+il me trouvera venant à sa rencontre au bord de la grotte où je gémis.
+
+«Alors mon sein et mes cheveux seront ornés de deux colliers de
+coquillages; alors je me ceindrai la taille d'une verte ceinture
+d'algues marines.
+
+«Alors il verra briller à mon doigt l'anneau qu'il m'a jeté du haut du
+trône d'or, cet anneau que depuis si longues années je tiens là caché
+sur mon coeur.
+
+«Le reconnais-tu, le reconnais-tu, cet anneau que jamais je n'ai
+quitté?--Oui, je le reconnais, bien-aimée; c'est lui que je te donnai
+dans un jour de bonheur.
+
+«Mais comme tu es froide et pâle!--C'est la mer qui m'a faite ainsi,
+cher amour: toi, tu as vécu au milieu des joies de la vie; et moi,
+j'étais ici seule, toujours attendant, toujours pensant à lui.
+
+«Chère épouse! ô toi qui si confiante as attendu ma venue, enfin nous
+voilà réunis; maintenant rien ne peut nous séparer, je ne le quitterai
+plus.
+
+«Tant que durera le jour, je les parcourrai avec lui, ces ondes amies,
+et quand viendra la nuit, elle sera l'asile de mon sommeil, la grotte
+silencieuse.
+
+«Ensemble à toute heure et pourtant nous désirant toujours, notre amour,
+né sur la mer, ne finira qu'avec la mer.»
+
+Après avoir entendu cette fille des lagunes qui pour son noble amant
+veut séparer de ces jolies coquillages dont, enfant, elle avait, comme
+tous les enfants de Venise, formé de gracieux colliers; après avoir vu
+récompenser son fidèle amour par une éternelle union au sein de cette
+mer tant aimée de tout Vénitien, suivons la capricieuse imagination du
+poète en Espagne, où il a trouvé une de ses plus originales ballades.
+Mais comment rendre l'harmonie de ce rhythme si parfaitement adapté au
+sujet? C'est quelque chose qui rappelle le rhythme adopté par Byron dans
+_Mazeppa_: c'est le galop régulier du cheval qui doit emporter la belle
+Espagnole, et pas une minute l'esprit ne peut oublier le noble et
+fantastique animal qui se trouve ainsi le _principal personnage_ de ce
+petit drame. Selon la manière d'un autre grand poète, Goethe, dans
+plusieurs de ses adorables ballades, la pièce n'a pas de dénouement, et
+le lecteur peut le faire riant ou terrible à volonté.
+
+
+LE CHEVAL D'ESTRAMADURE.
+
+«Un indomptable destrier bal les plaines de l'Estramadure; le royaume en
+est en deuil, et ducs, chevaliers et princes, tous ont peur du fier
+animal.
+
+«--Qui lui mettra le frein et la selle, je le jure, pour peu qu'il soit
+chrétien, celui-là sera l'époux d'Isabelle, il deviendra gendre du
+roi.--
+
+«Tel est le ban que, par ordre du monarque, un héraut va proclamant de
+contrée en contrée; mais depuis six mois il est proclamé et il n'a pas
+paru encore le brave qui doit gagner le prix.
+
+«Le héraut a vu la Castille et Grenade, il a visité Cadix et Séville, il
+a traversé le Tage et le Douro. «Vainement il a proclamé son ban sur les
+places d'Oviédo et de Pampelune, vainement il a vu et la Murcie, et
+l'Aragon et le beau sol catalan.
+
+«Mais un jour voilà que se présente un obscur Biscayen, et cet homme
+pauvre, riche de son seul courage, offre de lutter contre le sauvage
+coursier.
+
+«Les grands étonnés raillent son audace. «Bonhomme, disent-ils, prends
+l'étrille; sans elle que peut un homme de ta sorte en semblable
+affaire?»
+
+«L'étranger ne répond rien; il renferme au dedans de lui sa trop juste
+colère; il attend, et après une longue attente, on l'introduit devant le
+roi.
+
+«Il se découvre d'abord; puis, s'adressant respectueusement au monarque:
+«--La proclamation que j'ai entendue plusieurs fois est-elle fidèle, ô
+roi?
+
+«Celui qui mettra le frein et la selle à un coursier qui épouvante le
+royaume, celui-là sera-t-il l'époux d'Isabelle, deviendra-t-il gendre du
+roi?
+
+«--Oui, dit le roi, tel est mon ban, et, je le jure, telle sera la
+récompense du vainqueur, pourvu qu'il adore notre Dieu.--
+
+«Et le souverain avait à peine fini de parler, que déjà le brave inconnu
+était sur le chemin où se montrait le plus souvent l'indomptable
+coursier.
+
+«Il y marchait depuis peu de temps, lorsque sous de rapides bonds il
+entend retentir la terre; le peuple fuit épouvanté et le laisse seul
+avec l'être mystérieux qu'il doit vaincre.
+
+«Le soleil avait presque achevé sa course, et le roi, assis sur la
+terrasse, parlait ainsi à sa fille assise près de lui.
+
+«--Il est parti dès le commencement du jour, le hardi Biscayen; le
+soleil va se coucher, il n'est pas encore de retour: quel aura été son
+destin?--
+
+«Et la jeune fille répondait: «Ô mon père! je ne crains rien, car elle
+annonçait une haute valeur, la figure de l'hôte inconnu.
+
+«Isabelle parlait encore, quand la plaine fil entendre de bruyantes
+acclamations, et bientôt l'étranger parut menant après lui le cheval
+enfin dompté.
+
+«Le peuple qui lui faisait cortège vantait hautement sa valeur, et
+bientôt, se séparant de la foule, le vainqueur s'approcha du roi, tenant
+toujours le cheval dompté.
+
+«--Le voilà, dit-il, de mes mains il a reçu la selle et le frein;
+maintenant elle m'appartient la main d'Isabelle, maintenant je dois être
+ton gendre.
+
+«Le roi se troubla en entendant ces paroles, et il allait... Une sorte
+de terreur le retint, et d'une voix douce et contenue il parla ainsi à
+l'étranger:
+
+«--Ta demande est audacieuse, Biscayen; mais d'abord dis-moi ton rang,
+afin que je sache à qui je parle.
+
+«--Tu ne me l'as pas demandé lorsque pour loi je me suis offert à la
+lutte; mon titre de noblesse, c'est l'action que j'ai faite, c'est à
+elle de répondre pour moi.
+
+«Il doit le suffire de savoir que moi aussi j'adore Jésus. Le ciel sait
+le reste, le ciel qui m'a fait vaincre et a combattu avec moi.
+
+«Et le roi lui répond: «Non, Biscayen, cela ne suffit pas, car il ne
+peut être l'époux de ma fille, celui qui n'est pas de sang royal.
+
+«Demande de riches vêtements, demande des bijoux précieux, tu les
+obtiendras de moi, mais, je te le répète, si tu n'es pas de sang royal,
+ne me la demande pas, la main d'Isabelle.
+
+«--Ce ne sont ni de riches vêlements ni des bijoux précieux qui me
+furent promis; tu l'as juré que tu me donnerais Isabelle.
+
+«--Tu obtiendras de moi toute autre belle de mon royaume, et j'y
+joindrai une riche dot; mais, je te le dis encore, il n'aura pas la main
+d'Isabelle, celui-là qui n'est pas roi.
+
+«--Que me parles-tu d'autre belle? que me fait la dot que tu m'offres?
+c'est pour Isabelle que j'ai voulu vaincre. Ô roi! remplis ta promesse.
+
+«--Pars, fuis loin de mes yeux, arrogant aventurier, et si tu ne veux
+mourir, ne reparais jamais devant moi.
+
+«L'étranger se tut, et jetant sur le roi un regard de colère, il partit,
+emmenant avec lui le cheval qu'il avait dompté.
+
+«On n'entendit plus parler ni de lui, ni du sauvage coursier, mais sur
+le front d'Isabelle plana depuis lors un sombre nuage.
+
+«A un an de là un roi puissant demanda la main de la jeune fille;
+celle-ci ne le refusa pas, elle ne l'accepta pas non plus, sa bouche
+resta muette.
+
+«Cependant le roi son père a engagé sa parole, le jour des noces a été
+proclamé dans toute la contrée, et de chaque point de l'Espagne on
+accourt pour assister à la cérémonie sacrée.
+
+«La foule se presse et augmente de moment en moment dans l'auguste
+cathédrale où se voit déjà l'archevêque, la mitre en tête et la crosse à
+la main.
+
+«Sur deux haies, des deux côtés de la porte, sont rangés les varlets et
+les hallebardiers contenant le peuple et gardant la voie libre pour les
+chevaliers.
+
+«Déjà s'approche le royal cortège, déjà s'entend le son des trompettes;
+la messe va commencer, chacun est à son poste.
+
+«L'autel est paré en fête: les fleurs et les cierges brillent de toutes
+parts. Isabelle, vêtue de blanc, est là debout entre son père et son
+époux.
+
+«Mais quelle sourde rumeur se répand dans la foule? On parle tout bas du
+Biscayen, et plusieurs disent: «Si par hasard il était là?»
+
+«A peine a-t-on commencé le saint et redoutable sacrifice, qu'un bruit
+s'élève dans un coin reculé de l'église.
+
+«L orgue retentit, comme touché par une main invisible; les lumières
+s'éteignent toutes à la fois, et on entend au loin gronder le tonnerre.
+
+«Parmi les assistants renversés à terre, plusieurs virent une tombe
+s'ouvrir, et de l'abîme surgit un destrier que tous eurent bientôt
+reconnu.
+
+«C'était bien celui auquel l'aventurier avait mis le frein et la selle,
+c'était bien celui qui pendant si longtemps avait épouvanté le roi et le
+royaume.
+
+«A son aspect nul ne demeure; l'épouvante chasse du temple tous ceux qui
+s'y trouvent, et le roi et le nouvel époux prennent la fuite comme les
+autres.
+
+«Pour Isabelle, pour la jeune fille qui s'était rendue à la cérémonie
+sans refuser, mais sans consentir, elle resta ferme au lieu où elle
+était, tandis que tous les autres prenaient la fuite.
+
+«Le cheval s'approche d'elle, il plie doucement les jarrets, et, d'un
+doux regard, le mystérieux animal semble l'inviter à se placer sur son
+dos.
+
+«La jeune fille y monte confiante; d'une main ferme elle saisit la
+bride, et le destrier n'a pas plus tôt senti le doux fardeau, qu'il
+part, rapide comme l'éclair.
+
+«Sorti de l'église, il traverse la cité, prend à travers la campagne. Où
+alla-l-il? nul ne le sait.
+
+«Peu à peu l'épouvante de la foule se calme; mais vainement le monarque
+essaie de vaincre sa terreur.
+
+«Toujours il croit voir les cierges s'éteindre au milieu des rites
+sacrés, toujours il croit entendre le sourd galop d'un cheval.
+
+«Il demande à ceux qui l'entourent s'ils ont vu l'étranger qui doit
+arriver; et, à peine a-t-il reçu leur repose, que de nouveau il leur
+adresse la même question.
+
+«Le pauvre fou vécut ainsi une longue année, puis il mourut, laissant la
+couronne à son plus proche parent.
+
+«Et jamais nul n'entendit plus parler ni de l'aventurier inconnu ni de
+la belle Isabelle, emportée par le destrier.»
+
+Pour faire bien connaître notre poète, il nous faudrait citer encore la
+_Vendetta_, avec son naïf refrain: _l'antique histoire le dit ainsi: la
+Chapelle des Innocents_, empruntée à une tradition suisse, plus sombre,
+plus dépouillée d'ornements que les autres ballades de Carrer, mais
+pleine d'expression; _Le Sultan, le Maure, le Chanteur Stratella_, l'une
+des plus longues pièces, mais peut-être la plus belle du recueil, qui
+suffirait seule à révéler un poète éminent: petit drame plein d'émotion,
+où Carrer a déployé, en même temps qu'une vive sensibilité, l'étonnante
+flexibilité de son talent et toutes les richesses d'un rhythme
+heureusement varié.
+
+Dans l'impossibilité de tout citer, nous terminerons nos citations par
+un sonnet dont la vague expression nous semble révéler autant les
+douleurs d'une haute ambition poétique que celles d'un amour trompé.
+
+«Désormais je n'espère plus l'obtenir, la paix: je ne l'attends plus, la
+guérison du mal qui me dévore sans relâche; il pâlit, le rayon qui me
+donna la vie; mes jours volent rapides vers leur terme.
+
+«Elle brûle et fume encore ma plaie cachée, et la honte s'ajoute à
+l'injure; et toi, vain nuage, toi, vile écume, toi, gloire, autre
+perfide, tu me fuis aussi!
+
+«Comment se sont évanouies tant de douces espérances, comment est-il
+mort si vite cet amour si profond? Et toi, lâche! tu les pleures les
+jours écoulés, tu pleures l'heure de la joie.
+
+«Et l'avenir? je l'attends, je le considère avec stupeur. Tout secours
+humain arrivera trop tard; il ne peut plus être apaisé, le soupir de mon
+coeur.»
+
+
+
+Beaux-Arts.--Salon de 1843
+
+(Voyez p. 44, 56 et 68.) TABLEAUX ET SCULPTURES.
+
+[Illustration: (Le Colin-Maillard, par M. Giraud.)]
+
+_M. E. Giraud--Colin-Maillard._--Monsieur l'abbé a les yeux bandés, il
+s'avance les mains étendues dans le vide; pourtant on serait tenté de
+croire que le bandeau est mal assuré sur ses yeux et que l'abbé triche
+un peu, car il poursuit les dames et ne se soucie point de prendre le
+cavalier qui vient lui parler imprudemment à l'oreille; mais les dames
+se dérobent, et l'une, glissant, tombe sur l'herbe, sans doute pour
+montrer à demi sa jolie jambe, et relever une de ses mains jusqu'aux
+lèvres du jeune chevalier qui, par fortune, se trouve derrière elle au
+moment de sa chute. Cependant M. l'abbé pose lourdement son escarpin sur
+la queue du griffon, le mignon fanfreluche, flocon de soie avec un petit
+nez rose et deux jolis yeux noirs; le faune joue de la flûte sur son
+piédestal, et semble rire de ce pauvre abbé, qui fait tomber la dame au
+bénéfice de son prochain.--Une gaieté vive et gracieuse anime toute cette
+scène; les figures sont dessinées avec une facilité charmante, et les
+moindres détails spirituellement traités.
+
+[(Port de Boutogne, par M. Isabey. Voyez page 50.)]
+
+_Les Crêpes_, de M. Giraud, se recommandent par les mêmes qualités de
+conception et de dessin; mais les _Crêpes_ ne semblent-elles pas être à
+Watteau ce que les _Beignets à la Cour_ sont aux comédies de Marivaux?
+
+_M. Desboeufs.--La Science_, statue en marbre--La science, on le sait,
+est et demeure éternellement vierge, comme la divine Minerve, sa
+patronne; elle a même quelquefois des airs de pruderie, des
+susceptibilités de vieille fille; aussi ne voyons-nous pas sans quelque
+peine la statue de _la Science_ placée près de _la Cassandre_ de M.
+Pradier, et nous craignions qu'elle ne se couvrît tout à coup le visage
+de ses mains pudibondes, comme Ovide nous raconte que firent autrefois
+les statues de Vesta, lorsque la prêtresse Rhéa Sylvia accoucha dans le
+temple de la déesse. Heureusement on a eu soin de la tourner un peu du
+côté de la fenêtre, de façon qu'à la rigueur elle n'est pas obligée de
+voir la fille de Priam. _La Science_ de M. Desboeufs a l'air grave et
+austère; son front est pur et sans rides, sa tête est même élégamment
+couronnée de myrte; mais le souci de la pensée semble visible dans le
+pli de sa narine et de sa bouche. Elle laisse tomber sa main droite, qui
+tient un manuscrit, et accoude son bras gauche sur une de ces petites
+colonnes quadrilatérales dont les sculpteurs font un si grand usage
+(ainsi, _la Cassandre_ de M. Pradier a le dos appuyé sur un véritable
+cube, tout à fait chimérique). _La Science_ est surtout antique par sa
+draperie remarquablement sévère, quoique un peu trop uniformément
+chiffonnée; le corps, les contours surtout se sentent bien sous les plis
+de cette draperie, qui rappelle de loin celle de la Cérès antique. Grâce
+à Dieu, M. Desboeufs s'est montré fort économe d'attributs allégoriques;
+et, sauf quelques figures de géométrie que l'on aperçoit au bas de la
+statue, tout est laissé à la sagacité du spectateur.
+
+Nous croyons devoir, à ce propos d'allégorie, prévenir nos lecteurs
+contre l'explication, assez plausible d'ailleurs, que nous leur avions
+donnée des bateaux à vapeur et télégraphes du tableau de M. Papety. Nous
+avons lu, sur ces appendices symboliques, des interprétations depuis si
+différentes, que nous ne savons plus vraiment à quoi nous en tenir. Les
+peintres s'amuseraient-ils à torturer de ces logogriphes l'esprit
+curieux des bonnes gens, comme fit Goethe dans son _Faust?_ «Voilà
+trente ans, écrivait-il, que les Allemands se donnent du tracas avec les
+manches à balais du Bloksberg et les conversations des chats dans la
+cuisine de la sorcière; trente ans qu'ils ne cessent d'interpréter et
+d'allégoriser sur ce burlesque non-sens dramatique. En vérité, on
+devrait, dans sa jeunesse, se donner plus souvent de ces plaisirs, et
+leur jeter à la tête des blocs comme le Brocken.»
+
+_M. Baron.--Des Condottieri._--Chacun se souvient encore du succès
+qu'avait obtenu à la dernière Exposition la _Sieste en Italie_. M. Baron
+n'a rien perdu de son originalité; la fantaisie de son pinceau est
+toujours vive et charmante comme au premier jour. Il y a peu de ballades
+en poésie qui valent ces condottieri, jouissant des heures de trêve dans
+le sein de leurs foyers ou de leurs corps-de-garde, comme vous voudrez,
+car il est impossible de localiser la scène; cela se passe dans un lieu
+quelconque où il y a une table, une lampe à la voûte et une grande
+cheminée.
+
+Un condottiere fourbit activement sa cuirasse, tandis que ses camarades
+interrogent les dés, qu'une jeune femme, le dos tourné à la table des
+joueurs, les pieds étendus vers la flamme du foyer, semble chercher sur
+des cordes de sa guitare l'expression de sa pensée insouciante et
+rêveuse.--Sur le premier plan, couchés à terre, un enfant et un
+chien.--Les figures sont remarquablement expressives, même on y voit
+peinte une certaine crânerie, qui rappelle les personnages à plumets des
+comédies de cape et d'épée; ces condottieri conservent, en pleine paix,
+leur air de bravoure, et, si l'on peut dire ainsi, leur visage ne
+désarme pas.
+
+[Illustration: Les Condottieri, par M. Baron.]
+
+Nous regrettons d'ailleurs de trouver quelque alliage dans le talent
+original de M. Baron: il nous semble que ses figures rappellent
+l'accentuation particulière à M. Poittevin, et ses murailles les
+procédés ordinaires de M. Decamps. Cette seconde imitation est surtout
+manifeste, et nous en sommes d'autant plus fâchés pour M. Baron, que
+cette année _le Decamps_, comme on dit, semble tout à fait à la mode, et
+que l'on aperçoit sur de fort méchantes toiles des réminiscences ou
+copies de ce genre. Un jour on reprochait à un grand paysagiste d'imiter
+les moutons d'un autre; aussitôt il les supprima; que M. Baron supprime
+de même ses murailles, s'il ne peut pas les imaginer autrement, qu'il se
+retranche sévèrement tout ce qu'autrui peut lui revendiquer:
+
+ Mon verre est bien petit, mais je bois dans mon verre.
+
+
+
+La Vengeance des Trépassés.
+
+NOUVELLE.
+
+(Suite.--Voyez page 73.)
+
+Léonor fut saisie d'une profonde émotion en écoutant cet air, qui, la
+nuit précédente, avait déterminé sa fuite, et, selon toute apparence,
+décidé du sort de toute sa vie. Quand le couplet fut achevé, elle fit un
+signe à don Christoval, et ils chantèrent à deux voix _l'estrivillo_;
+
+ Mira no tardes,
+ (Ayolé!)
+ Que suele en un momento
+ Mudarse al ayre.
+
+Avant qu'ils eussent fini, une fenêtre s'était ouverte, et une jeune
+dame avait paru derrière les barreaux; elle écouta attentivement les
+chanteurs. Aussitôt le couplet achevé, don Christoval adressa la parole
+à la maîtresse de ce logis, et renouvela sa requête, si brutalement
+repoussée par le portier. La dame avança le bras hors des barreaux comme
+pour faire un signe d'assentiment, puis elle se retira, et la fenêtre fut
+refermée.... Mais quelques minutes après, la grand'porte s'ouvrit, et le
+portier, tenant une lanterne, vint chercher les étrangers. Il s'empara
+du cheval en grommelant: «Vous eussiez mieux l'ait de rester dehors;
+vous n'avez pas voulu me croire; c'est votre affaire!» Et, sans même
+retourner la tête, il se dirigea vers l'écurie. Un laquais se présenta à
+sa place, et introduisit les hôtes dans un salon étincelant de lumière.
+Les meubles, les draperies relevées de franges d'or, tout ce luxe
+annonçait une demeure où le bon goût s'alliait avec l'opulence. On
+voyait aux quatre coins des caisses d'arbustes fleuris; les consoles
+étaient chargées de grands vases de porcelaine de la Chine remplis de
+fleurs, et tout autour de ce lieu de délices régnait un large divan avec
+des coussins d'étoffe de soie cramoisie pareille aux tentures. Trois
+personnes étaient assises sur le divan: un vieillard majestueux,
+habillé, à la mode orientale, d'un riche cafetan bleu, et coiffé d'un
+turban de mousseline aussi blanche que la barbe vénérable qui lui
+descendait jusqu'au milieu de la poitrine. Deux jeunes dames étaient à
+ses côtés, parées avec élégance et belles comme le jour. L'une, qui
+paraissait l'aînée, était brune et avait à la main un bouquet de roses
+muscades; l'autre était blonde et tenait un luth ou théorbe de forme
+antique. Le vieillard se leva pour faire honneur à ses hôtes: «Soyez les
+bienvenus sous mon toit, leur dit-il; je vous présente mes deux filles,
+Amine et Rachel.» Rachel était la musicienne.
+
+Don Christoval remarqua que les deux soeurs portaient de jolis gants
+noirs qui montaient jusqu'au coude, et par conséquent ne permettaient
+pas de juger de la beauté des bras. Le vieillard était pareillement
+ganté de noir, mais seulement à la main droite; la gauche était nue.
+
+La conversation s'engagea, et les voyageurs furent naturellement amenés
+à dire qui ils étaient, d'où ils venaient, où ils allaient. Don
+Christoval se garda bien de faire connaître la vérité; mais comme il
+avait infiniment d'esprit, il improvisa une histoire suivant laquelle il
+se nommait don Fernand Tellez, nouvellement marié, et allant avec sa
+femme rejoindre sa famille établie à Jaen, ou dans les environs. Il
+arrangea si bien la chose, avec force détails, qu'il était impossible de
+soupçonner sa véracité. De sa part, le maître de la maison ne voulut pas
+demeurer en reste, il leur apprit donc qu'il s'appelait Ibrahim, natif
+du port de Ceuta, par conséquent Moresque de nation et de religion, il
+avait longtemps habité Cordoue, où il avait fait fortune par le
+commerce; mais des chagrins et des malheurs particuliers l'avaient
+dégoûté de cette ville et même de la fréquentation des hommes; en sorte
+qu'il s'était retiré avec ses deux filles et son frère dans cette
+demeure isolée, où ils vivaient en paix, conservant les pratiques
+religieuses et les moeurs de leur pays, sans jamais voir personne, si ce
+n'est de temps à autre quelque passant égaré de sa route, à qui ils
+accordaient avec plaisir l'hospitalité.
+
+En cet endroit, la porte de la salle s'ouvrit, et l'on vit paraître un
+second vieillard. Mais autant le premier avait la contenance noble et la
+mine loyale, autant celui-ci avait l'extérieur commun et repoussant,
+mauvaise figure, les yeux enfoncés, le regard faux, un long nez
+perpendiculaire et la barbe horizontale; ses lèvres minces semblaient
+vouloir se cacher dans sa bouche. Cet autre vieillard avait aussi la
+main gauche nue et la droite couverte d'un gant noir. Ah! s'écria
+Ibrahim, voilà mon frère Diego, dont je vous parlais; il revient de la
+ville, où le soin de nos affaires le contraint d'aller quelquefois.
+Puisqu'il est arrivé, rien ne nous empêche plus de nous mettre à table.
+On vient de m'avertir que le souper était servi. Passons, s'il vous
+plaît, dans la salle à manger.
+
+Amine et Rachel s'approchant de leur père, lui prirent chacune un bras
+et l'aidèrent à se lever avec des difficultés inouïes. Les étrangers
+s'aperçurent alors que ce beau vieillard avait la moitié du corps
+paralysée. Pour le faire avancer, une de ses filles poussait doucement
+du pied la jambe insensible, et le pauvre Ibrahim s'aidait de l'autre
+comme il pouvait, s'appuyant de tout son poids sur ses belles
+conductrices. Cette opération ne se lit pas sans bien des gémissements à
+demi étouffés de la part du malade, et une grande compassion de la part
+des assistants. Ibrahim fit même quelques exclamations que Léonor et don
+Christoval ne purent comprendre, car il se servait de la langue arabe.
+On parvint à la fin dans la salle à manger, et Ibrahim une fois assis,
+ne tarda pas à reprendre sa belle humeur. Il fit mettre Léonor auprès de
+lui; don Christoval se mit en face, entre Amine et Rachel; le frère
+Diego s'assit à la gauche d'Ibrahim.
+
+Amine et Rachel, après s'être placées, commencèrent à tirer leurs gants.
+Elles ôtèrent celui du bras gauche, et don Christoval, qui avait une
+passion particulière pour les beaux bras, faillit tomber en extase
+devant la perfection de ceux qu'on offrait à ses regards. Il attendait
+avec impatience le moment de juger si les bras droits seraient aussi
+admirables; mais son attente fut vaine. Les gants du bras droit
+demeurèrent en place, et les deux hommes conservèrent aussi le gant noir
+de leur main droite. Cela parut très-singulier à don Christoval; car
+évidemment cette main droite gantée devait être incommode à table. Il y
+avait donc quelque chose là-dessous. Don Christoval ne savait que
+penser: mais il était trop bien élevé pour se permettre aucune question
+sur cette bizarrerie, et même pour avoir l'air de s'en apercevoir. Il
+finit par s'imaginer que c'était un point de religion, ou peut-être un
+voeu obligatoire pour tous les membres de cette famille, de ne pas
+découvrir leur main droite.
+
+[Illustration.]
+
+Ibrahim, en chef de maison, commença par faire ses excuses à ses hôtes
+pour la mauvaise chère. Effectivement la table n'était garnie que de
+fruits; mais c'étaient des fruits magnifiques servis dans des vases et
+des corbeilles d'argent ciselé; un seul plat couvert était au milieu, et
+Ibrahim ayant enlevé le couvercle, on vit qu'il contenait deux poulets
+accommodés au riz. Nous ne buvons point de vin, dit Ibrahim, notre loi
+nous le défend; mais comme nos hôtes ne sont pas assujettis à nos
+pratiques, j'ai fait placer devant vous un flacon du meilleur cru
+d'Espagne. Ne vous en faites pas faute.
+
+Les convives se mirent à manger de bon appétit, et la conversation
+s'étant animée: Frère, demanda Ibrahim, que dit-on de nouveau à la
+ville? On ne s'y entretient, répondit Diego, que d'un accident arrivé
+chez les nonnes de Sainte-Claire, et qui a failli les consumer toutes
+vives dans leur maison. Une jeune religieuse avait l'habitude de lire en
+cachette, pendant la nuit, des livres de poésie et d'amour. Or, la nuit
+dernière le sommeil l'ayant surprise, le feu se mit à ses rideaux et se
+communiqua avec rapidité. Par bonheur, le jardinier, qui faisait le guet
+contre les voleurs, dans son verger, donna l'alarme assez à temps, et
+les secours qu'on s'empressa d'apporter sauvèrent les bâtiments du
+monastère. Les soeurs en seront quittes pour quelques cellules réduites
+en cendres.--Personne au moins n'a péri? dit Léonor d'une voix
+émue--Pardonnez-moi. La jeune religieuse fut dévorée par les flammes; on
+ne retrouva que ses os calcinés. De plus, une vieille tourière, dont la
+cellule touchait le foyer de l'incendie, périt également étouffée par la
+fumée qui l'empêcha de fuir. Comme vous voyez, le dommage n'est pas
+grand! Il n'y a de regrettable que la jeune fille; car pour la
+décrépite, il y aura toujours assez de celles-là. La perte des meubles
+n'est rien. Les nonnes ont fait une quête dont le produit, à ce qu'on
+assure, réparerait deux ou trois désastres pareils; de sorte qu'elles y
+gagneront encore en fin de compte. Est-ce que les nonnes et les moines
+ne se tirent pas toujours d'affaire?
+
+Le vilain Diego se tut sur cette interrogation. Léonor était extrêmement
+pâle et agitée. Pour empêcher qu'on ne prit garde à son trouble et pour
+donner un autre tour à la conversation, don Christoval se mit à dire:
+Excusez ma franchise, mon cher hôte; mais ce riz me paraît bien fade. Je
+crois que votre cuisinier y a totalement oublié le sel; je n'en vois pas
+non plus sur la table. Ne serait-il pas possible d'en avoir?--Nous n'en
+faisons point usage, dit gravement Ibrahim; mais on va vous en
+donner.--Il lit un signe, et l'esclave noir qui servait à table étant
+dehors pour le moment, Rachel se leva, sortit par une porte située
+derrière don Christoval, par conséquent vis-à-vis Léonor, et rentra une
+minute après tenant une salière. Don Christoval, l'ayant remerciée,
+sala son riz et prit du sel sur la pointe de son couteau, pour en mettre
+dans celui de Léonor; mais en passant par-dessus l'assiette de Rachel,
+quelques grains y tombèrent. Rachel ne s'en aperçut pas d'aburd, mais à
+la première cuillerée elle ne put douter de ce qui était arrivé. Elle
+réagit et regarda fixement don Christoval, qui n'y faisait point
+attention, étant absorbé par l'état où il voyait sa compagne. En effet,
+depuis une minute, la pâleur de Léonor s'était considérablement accrue;
+on aurait dit le visage d'une morte, et malgré tous ses efforts pour
+combattre l'évanouissement, elle se laissa aller à la renverse sur le
+dos de son siège, en poussant un faible soupir comme une personne à
+l'agonie.
+
+Aussitôt le repas est interrompu, on entoure Léonor, on la secourt, on
+la questionne.--Ce n'est rien, dit-elle, en reprenant ses esprits, ce
+n'est rien. La fatigue de cette journée a été grande pour moi; j'avais
+la fièvre en me mettant à table; le récit de don Diego m'a vivement
+émue; il n'est pas surprenant que mon souper m'ait tait mal J'ai eu tort
+de manger; j'avais plus besoin de repos que de nourriture. Je sens que
+le lit me remettra; je souhaiterais me retirer pour dormir.--A
+l'instant, répondit Ibrahim d'un ton plein de bonté. Et il ajouta, en
+regardant ses filles et avec un clignement d'oeil qui n'échappa point à
+don Christoval:--Tout est-il prépare dans la chambre des hôtes?--Rachel
+se hâta de prévenir sa soeur, et répondit:-Non, mon père; mais ce soin
+me regarde: dans une minute tout sera prêt.--En disant ces mots, elle
+s'élança hors de la salle, mais non par la même porte par où elle était
+allée chercher le sel.
+
+Amine apporta des senteurs exquises à Léonor, qui parvint enfin à
+comprimer le, frisson nerveux dont elle était saisie. Don Christoval
+était rêveur; Ibrahim et Diego gardaient le silence. Tous les
+personnages commençaient à être embarrassés les uns des autres, sans
+trop savoir pourquoi. Léonor voulut essayer de faire quelques tours dans
+le salon; Amine lui offrit son bras, qu'elle accepta, et elles allaient
+commencer leur promenade, quand Rachel reparut une bougie à la main. On
+se donna mutuellement le bonsoir, et, avec un sourire équivoque, Diego
+ajouta, par forme d'encouragement: «Il faut espérer que demain, madame,
+vous ne sentirez plus aucun mal.»
+
+Lorsqu'ils furent seuls dans leur chambre, la porte fermée au verrou,
+Léonor s'arma de résolution et murmura à l'oreille de don Christoval;
+«Nous sommes perdus! nous sommes dans un coupe-gorge!
+
+--Comment, qui vous l'a dit?
+
+--Quand vous avez demandé du sel, Rachel est allée vous en chercher.
+Lorsqu'elle est rentrée, j'avais par hasard les yeux attachés sur la
+porte par où elle était sortie et à laquelle vous tourniez le dos. Hé
+bien, quelle qu'ait été sa promptitude à refermer cette horrible porte,
+mon regard s'est glissé dans la pièce voisine, et je suis certaine
+d'avoir entrevu, à la faible lueur d'une flamme qui brûlait dans cette
+pièce, un cadavre humain suspendu au plafond!
+
+--Ô ciel! êtes-vous bien sûre de ne pas vous être trompée?
+
+--Plût à Dieu! mais non, don Christoval, comptez sur ce que je vous dis.
+Rappelez-vous le propos de cet homme qui ne voulait pas nous introduire:
+_vous eussiez mieux fuit de rester dehors._ Il faut trouver un moyen de
+fuite, ou bien c'est fait de nous.
+
+--Et mes pistolets sont restés à l'arçon de ma selle! J'ai bien un
+poignard, mais ils auront l'avantage et du nombre et des armes!
+
+--Nous ne sommes qu'au premier étage; si cette fenêtre donnait sur la
+campagne, peut-être avec les draps du lit...»
+
+Don Christoval courut examiner la fenêtre, et Léonor se mit en devoir de
+défaire le lit.
+
+«Hélas! dit-il en revenant, la fenêtre donne effectivement sur un
+jardin, mais elle est grillée.»
+
+Cette grille confirmait leurs craintes. Léonor, épouvantée, laissa
+tomber le traversin qu'elle avait dérangé à moitié. En ce moment, un
+objet caché dans le pli du drap s'échappa et lit un peu de bruit en
+tombant sur le plancher. Don Christoval ramassa une petite clef dans
+l'anneau de laquelle était glissé un papier plié en deux. Il l'ouvrit et
+lut ces mots tracés au crayon: «Nous avons mangé du sel ensemble, je ne
+puis vous laisser périr. Cette clef ouvre le buffet de votre chambre.
+Que Dieu protège votre fuite! Éteignez votre lumière, et surtout ne
+partez pas avant que le lit ait disparu.»
+
+Ce billet secourable venait sans doute de Rachel. Les termes n'en
+étaient pas clairs à la première lecture; il en fallut une seconde,
+après laquelle les deux amants, un peu moins émus, examinèrent la
+chambre qu'on leur avait donnée. C'était une vaste pièce toute
+lambrissée en chêne, si haute que la lumière de la bougie éclairait à
+peine le plafond. L'ameublement consistait en un lit à baldaquin placé
+sur une estrade et en quelques vieux fauteuils de tapisserie; rien de
+plus, pas même un miroir sur la cheminée gothique. Dans un coin on
+voyait s'avancer en saillie le buffet, ou placard mentionné dans la
+lettre de Rachel. Don Christoval y essaya la clef avec précaution. La
+porte s'ouvrit silencieusement, et la lumière approchée découvrit que
+cette prétendue armoire n'avait pas de fond, mais servait d'entrée à un
+passage obscur et bas. C'est là-dedans qu'il fallait s'engager à tout
+hasard pour conserver la dernière chance de salut.
+
+D'après les instructions de leur libératrice, il ne fallait point partir
+sur-le-champ, mais attendre, et attendre dans les ténèbres; car
+apparemment on guettait le moment où ils seraient couchés et endormis.
+Don Christoval tira de sa poche une petite lanterne sourde qu'il portait
+toujours en voyage; il ralluma, souffla la bougie, puis Léonor et
+Christoval, blottis dans l'angle de la cheminée, celui-ci cachant encore
+sa lanterne sous son manteau, attendirent avec anxiété l'événement qui
+devait leur servir de signal.
+
+Au bout d'un quart d'heure, qui leur avait paru un siècle, il leur
+sembla ouïe marcher sur leur tête. Léonor crut avoir distingué un son de
+ferraille, comme si l'on eût secoué des chaînes. Le silence se rétablit
+et se prolongea si longtemps, qu'après avoir passé par tous les degrés
+de l'angoisse, ils ne savaient plus que penser. Don Christoval en était
+à se demander si tout cela ne serait pas un jeu, une mauvaise
+plaisanterie concertée d'avance pour s'égayer ensuite aux dépens de la
+terreur qu'ils auraient eue. Un si grossier manque de convenance était
+bien invraisemblable; mais enfin l'heure s'écoulait et rien ne
+paraissait. Soudain, à quelques pas d'eux, un coup énorme est frappé, un
+coup étouffé, sourd. C'était le ciel du lit qui s'abattait chargé d'une
+masse de plomb considérable. Une minute après, le grincement d'une
+poulie mal graissée se fit entendre, et à travers l'ombre claire d'une
+nuit d'été, Christoval et Léonor virent leur lit remuer, descendre
+lentement et enfin s'abîmer à travers le plancher.
+
+Ce n'était pas le moment de s'arrêter à trembler; l'heure était arrivée.
+Christoval et Léonor s'élancèrent dans le passage masqué par le buffet,
+dont ils eurent la présence d'esprit de refermer les portes derrière
+eux. Ce passage était complètement obscur, bas et voûté, s'abaissait par
+une pente si rapide, qu'ils avaient beaucoup de peine à ne point
+glisser. Ils tâchaient de se retenir aux murailles et avançaient à
+tâtons dans ce labyrinthe de pierre qui ne finissait pas. Don Christoval
+tenait d'une main sa tremblante compagne et de l'autre son poignard à
+tout événement. F. G.
+
+(La suite à un autre numéro.)
+
+
+
+Nouvelles Inventions.
+
+LE PROCÉDÉ ROUILLET.
+
+Dans l'art du dessin il y a une partie qui n'est autre chose que
+l'imitation exacte du contour des objets, de leurs positions et de leurs
+proportions relatives; c'est la reproduction matérielle de ce que nous
+voyons; l'imagination et le sentiment n'ont aucune part dans ce travail
+entièrement mécanique, mais dont la difficulté est extrême. Ainsi, les
+peintres consument de longues années, s'épuisent en efforts multipliés
+pour arriver à bien dessiner, c'est-à-dire à reproduire ce qu'ils
+voient. Au lieu de pouvoir se livrer sans crainte à l'inspiration, ils
+sont arrêtés dans la composition de leurs tableaux par les proportions,
+la perspective, la forme des objets. Un procédé, au moyen duquel cette
+difficulté serait éliminée rendrait donc un immense service à l'art en
+général et à la peinture en particulier. L'artiste serait ramené à sa
+véritable vocation, qui n'est pas de copier servilement la nature, mais
+de l'idéaliser; de même que ce n'est pas celui qui taille la statue dans
+le marbre qui est le statuaire, mais celui qui traduit sa pensée en la
+matérialisant dans une masse d'argile. De même aussi celui-là n'est
+point un géomètre, qui sait mesurer exactement les longueurs des côtés
+d'un triangle, mais celui qui, de la connaissance d'un côté de ce
+triangle et de ses angles adjacents, déduit la figure et la grandeur du
+triangle tout entier.
+
+Un peintre, M. Amaranthe Rouillet, vient de résoudre le problème de la
+reproduction exacte des objets. Il a imaginé un appareil simple,
+très-portatif, commode et totalement différent de la chambre-claire, du
+diagraphe et du daguerréotype. Avec cet appareil, on peut, sans savoir
+dessiner, dessiner très-rapidement, à une échelle quelconque, un édifice
+en perspective, un paysage, une statue, et faire le portrait d'une
+personne avec une exactitude incroyable. Le crayon, la plume, le fusain,
+le pinceau, peuvent être mis indifféremment en usage. Le dessin est
+d'une exactitude miraculeuse, le portrait d'une ressemblance telle,
+qu'on reconnaît une personne vue par derrière, ou dont la figure est
+cachée. Les raccourcis les plus étonnants sont rendus complètement au
+moyen d'un simple trait. Un grand nombre de peintres ont vu les dessins
+de M. Rouillet et en ont été étonnés; tous ont avoué qu'il leur serait
+impossible d'atteindre à cette perfection dans la vérité des contours.
+La plupart désirent que son procédé entre dans le domaine public;
+quelques-uns voudraient qu'il restât secret: ce sont ceux dont tout le
+mérite consiste à faire des yeux, des oreilles, des bras et des jambes
+dans les proportions voulues; copistes d'académies, qui sont aux
+véritables artistes ce que l'ouvrier statuaire, dont nous parlions tout
+à l'heure, est au sculpteur.
+
+Le procédé de M. Rouillet, utile aux artistes, sera un service immense
+rendu aux savants, aux voyageurs, aux artisans, aux décorateurs et aux
+mécaniciens. Pouvoir reproduire fidèlement, facilement et rapidement
+tous les objets de la nature et de l'art, est un bienfait dont la
+société tout entière lui sera reconnaissante. Le dessin suivant a été
+fait en deux minutes: il représente l'enfant de l'auteur, modèle bien
+remuant, posant mal, et qu'on a dû saisir, pour ainsi dire, au vol
+pendant qu'il attendait sa soupe. Toutes les personnes qui comprennent
+la nature seront frappées de la vérité naïve de cet ensemble, et ceux
+qui ont vu le petit modèle le reconnaîtront à l'instant. Faisons des
+voeux pour que la découverte de M. Rouillet, fruit de cinq ans de
+méditations assidues et d'essais multipliés, soit portée à la
+connaissance du public. Diminuer les difficultés matérielles de l'art
+pour faire une place plus large aux sentiments et à l'imagination, ce
+n'est point diminuer le mérite de l'artiste, c'est au contraire diriger
+toutes ses facultés vers l'étude du beau et l'intelligence du sujet,
+dans la disposition des personnages, l'expression des sentiments,
+l'harmonie des couleurs et la traduction poétique des beautés de la
+nature.
+
+[Illustration:]
+
+
+
+Industrie.
+
+LE SUCRE DE CANNE ET LE SUCRE DE BETTERAVE..
+
+I.
+
+Production de la Canne et fabrication du Sucre.
+
+La canne à sucre paraît originaire de l'Orient, où elle peut se
+reproduire par semence. Dans les autres pays, on a adopté l'habitude de
+la planter par boutures, et elle pousse ainsi d'une manière surprenante.
+
+Dans l'Inde, chaque bouture donne trois à six cannes, qui, lorsqu'on les
+coupe, ont de deux à trois mètres de hauteur et vingt-cinq à trente
+millimètres de diamètre. On les plante vers la fin de mai, et la récolte
+se l'ail environ neuf mois après leur plantation, c'est-à-dire vers
+janvier et février. Il existe plusieurs variétés de cette plante
+précieuse. On en compte trois principales: la _canne du Brésil_, qui,
+quoique venue originairement de l'Asie, a reçu ce nom parce qu'elle
+était arrivée aux Antilles en passant à travers le Brésil; la _canne
+d'Olahiti_, la plus robuste, celle qui fournit le plus de sucre, et la
+canne à sucre violette, connue sous le nom de _Batavia_.
+
+Les cannes viennent ordinairement, dans les Antilles, de boutures et de
+rejetons. Les premières ne peuvent généralement être coupées avant
+quinze ou seize mois, tandis que les secondes le sont d'habitude de onze
+à douze. Les mois de février, mars, avril et mai, sont ceux employés à
+la coupe et à la récolte. L'abattage des cannes est en général une
+opération longue, difficile, coûteuse, et qui nécessite l'emploi d'un
+personnel considérable. D'abord toutes les cannes ne parviennent pas
+ensemble à la maturité, et même les parties d'une même tige ne mûrissent
+pas toujours au même moment. La coupe d'une plantation peut donc ainsi
+durer trois mois; car il faut n'abattre à la fois que la quantité de
+cannes qui peut être immédiatement broyée par le moulin: sans cette
+indispensable précaution, le sucre qu'elle contient entrerait rapidement
+en fermentation. Il en serait de même du jus, si on ne se hâtait de
+l'employer. Ce jus, ou plutôt ce suc susceptible de se convertir en
+sucre, est ce qu'on appelle _vesou_.
+
+Pour opérer cette conversion, on a recours à plusieurs opérations
+successives dont nous allons donner la description. Nous croyons ne
+pouvoir mieux faire que de l'emprunter à un savant économiste. M. Rodet.
+
+«Dans l'intérieur d'une sucrerie proprement dite, dit M. Rodet, sont
+établis sur une même ligne les fourneaux et leurs chaudières. L'ensemble
+des chaudières se nomme _équipage_. On en a souvent deux dans la même
+sucrerie; mais, dans ce cas, les chaudières de même nom sont de diverses
+grandeurs, et on les distingue en _grand_ et _petit équipage_. Un seul
+foyer chauffe tout l'équipage et est placé sous la plus petite
+chaudière. Chaque chaudière a son nom; la plus rapprochée du bassin à
+jus s'appelle _la grande_; celle qui suit _la propre_; la troisième,
+_le flambeau_; la quatrième, _le sirop_, et la dernière, _la batterie_.
+
+«Toutes les chaudières diminuent de grandeur, depuis la _grande_ jusqu'à
+la dernière, et cela en raison du rapprochement du jus; presque partout
+encore, ces vases sont en fonte, et leur contenance est encore augmentée
+par la maçonnerie exhaussée qui les entoure. La partie supérieure du
+fourneau n'est pas de niveau, et reçoit une pente de 4 à 5 centimètres
+par chaudière. _La batterie_ est la plus élevée d'environ 20 à 22
+centimètres. Cette précaution est prise pour ne point perdre le sirop
+quand celui-ci s'enlève au-dessus des chaudières, et dans ce cas il
+rentre dans celle qui précède celle dont il sort; il entraîne sans
+inconvénients quelques écumes avec lui, puisqu'il rentre dans une
+chaudière de sucre moins purifiée. Près de chaque chaudière est un petit
+bassin correspondant à une gouttière qui se rend dans _la grande_. Ces
+bassins reçoivent les écumes, à mesure qu'on les enlève.
+
+«Les anciennes chaudières étaient en fonte et se brisaient fréquemment.
+Quelques personnes en ont substitué de cuivre, de forme conique et à
+fond presque plat. Ce changement a été une amélioration à laquelle on a
+fait faire de nouveaux progrès.
+
+«On fait couler le jus du bassin dans _la grande_, on y ajoute une
+certaine quantité de chaux préparée à l'avance, et de suite on remplit
+avec le suc ainsi traité _le sirop_ et _le flambeau_. On opère de même
+une seconde fois, et l'on verse dans _la propre_; il faut alors remplir
+de nouveau _la grande_ et continuer l'addition de la chaux. Aussitôt que
+les quatre grandes chaudières sont pleines de jus et _la batterie_ d'eau,
+on allume le foyer, qui, étant plus rapproché du _sirop_ et du
+_flambeau_, les fait bouillir d'abord; on enlève alors les écumes, et
+l'on fait passer le _vesou_ de ces deux chaudières dans _la batterie_.
+Pendant ce temps on a enlevé les grosses écumes du suc de la _propre_,
+et on le fait passer dans le _flambeau_; celui de la _grande_ est
+transporté dans _la propre_, et _l'équipage_ est en roulement complet.
+Ce changement de chaudière se fait au fur et à mesure que chaque
+opération est terminée; mais on réunit toujours dans _la batterie_ le
+produit de plusieurs chauffes des autres chaudières Quand le sirop de
+_la batterie_ est arrivé au degré favorable, on le verse dans le
+rafraîchissoir après avoir diminué le feu, et de suite on remplit la
+batterie avec la charge du _sirop_, celui-ci avec celle du _flambeau_,
+le _flambeau_ avec le vesou de _la propre_, et cette dernière avec le
+jus de la _grande_, et l'on continue de travailler.
+
+«D'un premier rafraîchissoir où il a été déposé, le sirop encore chaud
+est porté dans un second rafraîchissoir, où l'on ajoute une seconde
+cuite plus rapprochée que la première, afin que la cristallisation
+commence aussitôt après la réunion; on remue ou l'on _mouve_ bien ces
+deux cuites, qui, réunies, forment un _empli_, et l'on va verser le
+tout dans un bac ou dans des formes. On appelle _bac_ un coffre de trois
+mètres trente centimètres de long sur deux mètres de large, et
+trente-trois centimètres de profondeur. Les formes sont des vases
+coniques en terre cuite de différentes dimensions. On verse plusieurs
+emplis dans le même bac, mais sans remuer le sirop déjà déposé, et qui
+commence à cristalliser.»
+
+Telle est la méthode la plus généralement adoptée dans les colonies
+françaises pour la fabrication du sucre. Ces opérations terminées, on
+procède au travail de la purgerie.
+
+«Les _purgeries_ sont de deux sortes, suivant l'espèce de sucre qui doit
+y être préparé. Celle à _moscouade_, ou _sucre brut_, est un bâtiment de
+vingt-trois mètres de long sur environ sept mètres de large, et divisé
+en deux parties. L'une, creusée dans le sol de deux mètres au moins, est
+partagée en plusieurs bassins que l'on nomme _bassins à mélasse_, et
+l'autre, construite au-dessus de la première, est appelée _le plancher_.
+Celui-ci est à claire-voie et se trouve au niveau du sol. Les bassins
+sont cimentés avec soin, et ont ordinairement une partie de leur fond un
+peu plus creuse que l'autre pour favoriser le puisage des mélasses. Des
+barriques ouvertes par le dessus, et reposant sur l'un des fonds, qui
+est percé de quelques trous, reçoivent, les sucres à égoutter, quand
+toutefois on a placé dans les trous dont nous venons de parler des
+cannes à sucre qui se prolongent jusqu'au-dessus du tonneau; on laisse
+le sucre s'égoutter pendant près de trois semaines, après lesquelles on
+remplit la barrique et on place le fond supérieur; on ferme avec des
+chevilles les trous pratiqués dans le fond de la barrique, et le sucre
+peut alors être expédié.
+
+«On construit quelquefois, à l'une des extrémités de la purgerie, un
+fourneau en maçonnerie sur lequel sont établies deux chaudières à faire
+cuire et raffiner les sirops égouttés des formes.
+
+«Le sirop incristallisable que l'on nomme _mélasse_, et qui est produit
+par l'égouttage des sucres, sert à préparer le rhum, esprit alcoolique
+que l'on porte au titre de 20 à 24 degrés. On peut aussi l'employer à la
+nourriture du bétail en y mêlant de la paille hachée ou de la bagasse
+coupée en très-petits morceaux.
+
+«A la Guadeloupe et à la Martinique il y a environ 50 p. cent de
+mélasse; à Cayenne et à Bourbon, 60 p. cent.»
+
+Ces chiffres peuvent donner à connaître l'état de la fabrication dans
+les Antilles, et combien les colons pourraient gagner en améliorant
+seulement leurs procédés, s'il est vrai, ainsi que le prétendent
+plusieurs chimistes distingués, que la mélasse est en quelque sorti un
+produit dégénéré, résultant d'une fabrication vicieuse, et que tout ce
+que contient la canne est matière cristallisable.
+
+«La _purgerie_, continue M. Rodet, dans laquelle on prépare le sucre
+_terré_ ou _claircé_, demande des dimensions beaucoup plus grandes, et
+aussi à être divisée en divers compartiments par des traverses en bois.
+Ceux-ci portent le nom de _cabanes_, et reçoivent les formes pleines de
+sucre à égoutter. On les y place sur des puis de forme particulière,
+après avoir enlevé la cheville qui s'opposait à l'écoulement du sirop.
+Il serait plus avantageux de placer ces formes sur des gouttières qui
+conduiraient les sirops dans un bassin unique où l'on pourrait les
+reprendre pour leur faire subir une nouvelle cuite. Quand la partie
+liquide du sucre s'est écoulée, on porte les formes sur d'autres pots,
+et l'on procède au _terrage_ ou au _clairçage._»
+
+De tous les sucres, si nous en croyons les expériences qui ont été
+faites et les calculs fournis par M. Longchamps, le plus riche est le
+sucre de l'Inde. Dans l'Inde, un hectare planté en cannes produit 32,110
+kil. de _vesou_, lesquels rendent 5,681 kil. de moscouade; par
+conséquent, 100 de vesou rendent 17,70 de moscouade. Dans les colonies
+anglaises de l'Amérique, 100 de vesou produisent, d'après Edward, 12,15
+de moscouade. A la Martinique, les expériences ont amené le chiffre de
+11,8 de moscouade pour 100 de vesou. A la Guadeloupe le chiffre est le
+même; bien que 100 de vesou y donnent 17 de matière sucrée, on n'y
+obtient que 12 environ de moscouade, le reste est à l'état de mélasse.
+
+Pour terrer le sucre, on étend sur la forme une couche d'argile
+plastique qui doit être peu ou même point calcaire, et ne contenir ni
+sels facilement dissolubles dans l'eau, ni matières colorantes avec,
+lesquelles l'eau puisse se combiner. Cette couche d'argile fait en
+quelque sorte l'office de philtre et est lentement traversée par l'eau,
+qui, pénétrant ainsi pour ainsi dire goutte à goutte et par la base dans
+la forme emplie de sucre brut, lave le grain en sucre et le purifie en
+repoussant devant, elle le sirop qui le salit. On comprend facilement
+que plus l'eau avance dans la forme, moins elle a la faculté de se
+charger de sirop. Si, l'opération terminée, vous redressez et videz la
+forme, vous trouverez dans le pain qui en sortira une série de courbes
+de moins en moins blanches. Vient d'abord le _sucre-tête_, c'est-à-dire
+l'extrémité du cône, qui est jaunâtre; immédiatement après, le _petit
+sucre_, d'une nuance tirant sur le gris. Après ces deux couches
+commencent les couches blanches, qui, en leur appliquant le même
+raisonnement, présenteront, suivant leur position, divers degrés de
+pureté. Elles forment ce qu'un appelle le _sucre terré blanc_, et on en
+compte quatre sortes, toujours de plus en plus blanches, jusqu'à la
+quatrième, qui est précisément à la base du cône, d'où lui est venu le
+nom usité dans le commerce, de _bonne quatrième_.
+
+Le _clairçage_ a beaucoup d'analogie avec le terrage, car c'est la
+filtration à travers le sucre brut d'une eau complètement saturée de
+sucre, et qui a pour objet, par la pression qu'elle exerce au dehors, de
+dégager les cristaux de la mélasse qui les enveloppe. Pour rendre le
+clairçage à la fois plus facile et plus parfait, on traite d'abord le
+sucre avec du noir animal ou du sang. Le clairçage est dans le
+traitement des sucres une amélioration qui aurait fait plus de progrès
+sans les obstacles imposés par nos lois de douanes. Il suffira, pour
+s'en convaincre, de jeter les yeux sur le tableau suivant, qui résume
+les tarifs aujourd'hui payés par les sucres selon leurs différentes
+provenances.
+
+[Illustration: tableau.]
+
+On reconnaît, à la seule inspection de ce tableau, combien notre
+législation douanière est préjudiciable aux colonies, puisque, pour
+accorder une protection aux raffineries indigènes, elle a voulu en
+élevant le droit dans une si forte proportion, et suivant le degré de
+perfection dans la fabrication, imposer aux sucres épurés et blanchis
+par le _clairçage_ ou tout autre procédé de fabrication analogue, une
+taxe proportionnée à leur richesse cristallisable. Aussi, qu'en est-il
+résulté? Il ne vient pas de sucres claircés, et aujourd'hui même on ne
+terre presque plus dans les Antilles françaises qui de ce fait, sont
+condamnées à livrer leurs sucres sous la forme la plus défectueuse
+possible. Mais notre système économique ne s'est pas borné à mettre
+obstacle à ces exportations de détail, il a porté à nos colonies
+d'autres coups plus terribles encore.
+
+Ainsi qu'on a pu le remarquer, et par ce que nous avons dit de la
+culture, et par la description que nous avons citée des procédés actuels
+de la fabrication, il faut absolument que toute sucrerie contienne
+non-seulement les plantations et le nombre de noirs ou d'individus
+nécessaires à la culture et à la récolte des cannes, mais encore les
+moulins à sucre, les purgeries, en un mot, que la production et la
+fabrication coexistent simultanément sur la même habitation. Les
+conséquences de ce système ont été, d'abord, qu'il n'a pu y avoir aux
+colonies que des habitations considérables par leur étendue ou leur
+production, et qui partant ont toutes exigé de gros capitaux pour leur
+acquisition. En outre, il a fallu leur appliquer un fonds de roulement
+proportionnel, et enfin consacrer chaque année aux frais de la culture,
+au renouvellement des instruments ou des agents du travail, à
+l'entretien des bâtiments, des sommes qui, à titre d'intérêts,
+ajoutaient encore aux charges coloniales. Mais ce n'est pas tout encore.
+Une habitation, avec la constitution que nous venons de lui donner, et
+qu'elle doit nécessairement avoir, ne peut être divisée. Production,
+fabrication, tout est d'un seul morceau; c'est un seul et unique lot qui
+doit tomber en partage à l'un ou à l'autre des héritiers, sauf une
+soulte à donner par lui à ses autres cohéritiers. Un exemple va nous
+faire mieux comprendre. Nous allons nous expliquer.
+
+Un colon meurt en laissant plusieurs enfants. Comme les colonies sont
+régies par le Code civil, qui prescrit pour les successions l'égalité
+dans les partages, on estime fictivement, d'après l'inventaire de la
+succession, ce qui doit revenir à chacun des enfants. Mais le défunt n'a
+laissé qu'une seule chose, qu'un seul immeuble, et cet immeuble est
+impartageable: c'est sa sucrerie. Alors un des enfants est oblige de la
+prendre et de tenir compte de leur part à chacun de ses cohéritiers.
+Comme il n'a pas d'argent, il emprunte pour remplir ses engagements, le
+plus souvent à gros intérêts, ou du moins à un taux qui n'est jamais
+inférieur à 10 p. 100, et qui s'élève quelquefois à 12 p. 100. C'est le
+taux de l'intérêt colonial. Or, comme il n'y a pas d'argent aux
+colonies, il paie en nature. Toutes ses récoltes, sauf une part
+considérée comme nécessaire, et qui est prélevée en sa faveur, sont la
+propriété du prêteur, qui les vend ou fait vendre pour son compte,
+jusqu'à parfait paiement. On comprend dès lors qu'avec la situation
+actuelle des colonies, l'emprunteur soit bien longtemps à se libérer,
+qu'il y passe même sa vie entière. Au moment où il devient propriétaire,
+il meurt, et les mêmes faits que nous venons de signaler se reproduisent
+au préjudice de ses enfants; et encore nous avons choisi ici l'hypothèse
+la plus favorable, car souvent le colon décède avant d'avoir remboursé
+ses créanciers, et ne peut laisser ainsi à ses descendants qu'une
+succession grevée de dettes. Aujourd'hui, au prix où sont les sucres
+coloniaux, par suite de la concurrence indigène, avec le droit qu'ils
+ont à acquitter, non-seulement il ne reste rien au colon, mais encore il
+vend 17 fr., et l'année dernière seulement 15 fr., ce qu'il aurait dû
+vendre 23 fr. 50 c, somme égale à son prix de revient.
+
+(La suite à un prochain numéro.)
+
+
+
+Théâtres.
+
+_Georges et Thérèse_ (Gymnase).--_La Chambre Verte_.--_Un
+Péché_ (Vaudeville).--_Mademoiselle Déjazet au Sérail_
+(Palais-Royal).--_Un Tour de Roulette_ (Odéon).--_Les Marocains_
+(Cirque-Olympique).--Le paradis des Funambules. _La Statue de sainte
+Claire_ (Gaieté).--L'escamoteur Philippe.
+
+D'où venez-vous, mes chers enfants? Toi, Thérèse, avec ta jeunesse et
+ton bonnet blanc à barbes flottantes, ton doux et naïf sourire et ton
+cotillon court?--Toi, Georges, avec tes longs cheveux lisses, ton bâton
+noueux, ton air à la fois candide et résolu et la veste bretonne?--Ah!
+monsieur, nous venons de bien loin, bien loin.... de par delà les
+mers!--Quoi! seuls?--Oui, seuls.--Si jeunes:--Ma soeur a seize ans et
+moi dix-huit.--Mais d'où, enfin?--De Pondichéry; et, chemin faisant,
+nous sommes arrivés en Bretagne.
+
+Et voilà Georges et Thérèse qui se remettent en route, la soeur
+s'appuyant sur le bras du frère, le frère soutenant la soeur et veillant
+sur elle, d'un regard tendre et intrépide. Il écarte les ronces et les
+cailloux de son chemin: si elle est lasse, il lui prépare un siège de
+mousse; si le soleil est trop ardent, il lui fait un abri de feuillage;
+la fatigue a-t-elle excité sa soif, il court puiser une eau pure à
+quelque source murmurante; et prenez garde! n'approchez pas de Thérèse
+d'un air provoquant, attiré par l'attrait de sa beauté, il vous en
+arriverait mal. Georges fait sentinelle comme un jeune molosse vigilant,
+tout prêt à donner la chasse aux larrons.
+
+Il est un nom qu'ils prononcent dans tous leurs dangers et dans toutes
+leurs prières, comme le nom d'un bon ange: c'est le nom de leur mère.
+Elle leur a dit en mourant: «Allez, mes pauvres orphelins, allez
+chercher la France;» et ils sont venus en France, après avoir couvert de
+baisers et inondé de larmes le linceul et la tombe.
+
+[Illustration: (Théâtre du Gymnase.--Une scène de _Georges et
+Thérèse_.--Mademoiselle Julienne.)]
+
+Les voici à Paris, perdus dans cette grande ville, mais Thérèse toujours
+avec sa candeur, et Georges avec son courage. Ils cherchent à utiliser
+honnêtement leur résignation et leur jeunesse: une marquise les
+accueille, une bonne et vieille marquise. D'abord tout leur sourit dans
+cette maison hospitalière; la marquise les aime. Et qui ne les aimerait
+pas, si bons, si sincères, si dévoués? Mais l'amour vient se jeter à
+travers ce bonheur. L'amour gâte tout.--La marquise a un neveu et
+Thérèse a deux beaux yeux. Le neveu s'éprend des deux beaux yeux, et les
+deux beaux yeux, tout chastes qu'ils sont, regardent furtivement le
+neveu. «Quoi! dit la marquise, vous aviser d'être aimable et d'être
+aimée! allez-vous-en, petite malheureuse!»--Georges est fier, et il va
+partir, et Thérèse, le coeur gros, va le suivre. Mon Dieu! faudra-t-il
+nous embarquer avec Thérèse et Georges pour retourner à Pondichéry?...
+Je soupçonne que quelque lettre, venue je ne sais d'où, nous épargnera
+les frais de ce grand voyage.
+
+[Illustration: (Théâtre du Palais-Royal.--Costume du rôle principal, dans
+le vaudeville _Mademoiselle Déjazet au sérail._)]
+
+La lettre arrive en effet, ou tombe de la poche de Georges, peu importe.
+Ô merveilleux effet de la lettre! au lieu d'être chassés cruellement,
+Georges et Thérèse sont reconnus pour les petits enfants de la marquise.
+C'est toute une histoire de fils exilé, maudit et repentant, dont je
+n'ai pas le loisir aujourd'hui d'aller chercher les preuves authentiques
+dans les Indes.
+
+Et ainsi la Providence tient toujours en réserve une grand'maman
+marquise, et un bon petit cousin pour les orphelines qui viennent de
+Pondichéry et qui sont bien sages.--Petit drame mouillé de pleurs.
+
+Un comte et un duc sont mariés tous deux; rien de plus ordinaire. Le
+comte n'aime guère sa femme, et le duc n'aime pas du tout la sienne;
+cela s'est vu. C'est la duchesse que le comte désire, c'est la comtesse
+que désire le duc; je n'y trouve rien d'invraisemblable.--Cependant la
+nuit vient. Ô nuit favorable! Duc et comte se glissent d'un pas
+conquérant dans une certaine chambre verte, chacun à son heure, bien
+entendu. Le comte croit en sortir emportant pour trophée une couronne de
+duchesse, et le duc une branche du laurier, ou plutôt de myrte, cueillie
+sur les domaines d'une comtesse. Mais le comte s'était entendu avec le
+duché pour se moquer des deux infidèles, et l'un avait pris la place de
+l'autre dans l'obscurité et dans la chambre verte. Ainsi le duc et le
+comte, croyant braconner sur les terres du voisin, n'ont fait, en
+définitive, que chasser légitimement sur les leurs. Qui se moque du
+comté? c'est le duché. Oui se moque du duché? c'est le comté. Et la
+comtesse n'épargne pas le comte! et la duchesse n'épargne pas le duc! Si
+ce vaudeville n'est pas d'un goût très-virginal, il n'encourage pas du
+moins l'usurpation.
+
+Comment! mademoiselle Déjazet au sérail! est-il possible? La grisette
+insouciante et légère enfermée dans cette cage? Frétillon, la vive et
+babillarde Frétillon, en compagnie des muets et des Calpigi? Mais elle
+en mourra, la _poveretta_, ne sachant plus à qui parler. Enfin elle y
+est, il faut bien qu'elle y reste. Et puis, Frétillon est philosophe;
+elle se contente de ce qu'elle a, quand elle n'a pas autre chose.
+Frétillon accepte le médiocre et même le mauvais, faute de mieux; c'est
+la bonne philosophie. Et le mieux, d'ailleurs, n'est-ce pas ce qu'on
+tient? Qui peut compter sur l'inconnu?
+
+Ce que fait mademoiselle Déjazet au sérail? vraiment ce n'est pas
+difficile à deviner. Elle fait ce qu'elle fait partout: vêtue du costume
+albanais, elle chante, elle rit, elle jette au vent mille gaillardes
+bouffées d'insouciance et de gaieté. De son côté, Alcide Tousez roucoule
+et lance des regards langoureux et triomphants, qui laissent de beaucoup
+derrière lui tous les Amurath, tous les Sélim et tous les Mustapha du
+monde, et compromettent singulièrement la pruderie de la Sublime
+Porte.--Mais comment mademoiselle Déjazet a-t-elle permis qu'on donnât
+son nom, son propre nom, à un vaudeville?
+
+Je m'aperçois que j'ai oublié _Un Péché_, du théâtre du Vaudeville, et
+compagnon de la _Chambre verte_. Je m'en confesse. Ce péché se présente
+sous la forme d'une petite pensionnaire de dix-sept ans, joli péché!
+C'est M. d'Ercilly qui a fait ce péché, et qui l'a mis en pension sans
+en rien dire à personne; lui, cependant, a atteint la quarantaine.--Je
+passe les mois de nourrice.--D'Ercilly veut se marier; il convoite
+madame d'Harville, je crois, une veuve très-piquante; le vaudeville
+n'est peuplé que de veuves piquantes. Madame d'Harville est près de
+consentir, bien qu'elle trouve notre homme un tant soit peu jaloux et
+bourru. Mais voici qu'un jeune galant arrive, pâle, ému, égaré; il vient
+se mettre sous la protection de madame d'Harville: «Qu'avez-vous donc?
+--Je suis adoré d'une charmante pensionnaire, et la petite veut que je
+l'enlève; venez à mon aide.--Et son nom?--Thérèse
+d'Ercilly.--Comment?--La fille de M. d'Ercilly.--Oh! oh!» dit la veuve.
+Et la pièce continue ainsi de oh! oh! en ah! ah! spirituel quiproquo
+dans lequel d'Ercilly est plaisamment ballotté, et madame d'Harville
+avec lui: l'un voulant cacher son secret, l'autre voulant le lui
+arracher; si bien que d'Ercilly perd dans cette lutte, ingénieusement
+comique, le coeur et la main de la veuve.... Je vous le dis, en vérité,
+mes frères, en vérité, je vous le dis: il faut toujours, tôt ou tard,
+payer ses péchés mignons.
+
+[Illustration: (Cirque olympique.--Les Sauteurs maroquins)]
+
+Un tour de roue, et vous êtes à terre, ou porté gaiement au but de votre
+route; un tour de roulette, et votre bourse est pleine ou vide; de haut
+en bas, la roue de fortune va et vient: elle élève le pauvre diable dans
+un moment de caprice, et fait choir le riche: le maître descend pour
+faire place au valet. Ainsi de Floricourt et de Bertrand; Bertrand est le
+valet, Floricourt est le maître. Floricourt, jeune étourdi, se ruine en
+folle paresse; le jeu l'a enrichi, le jeu le met à sec. Bertrand, tout
+au contraire, n'avait pas un denier, et le voici cousu d'or; c'est
+Floricourt qui le sert. Quant à lui, il prend des airs et se dandine.
+Heureusement que Floricourt est adoré: une jeune femme l'aimait riche;
+pauvre, elle l'aime davantage et l'épouse. Ô femme amoureuse! je te
+reconnais bien là. Floricourt est converti; il ne jouera plus et
+travaillera. Et Bertrand? un second tour de roulette le renvoie à
+l'antichambre. Pourquoi donc? ce Bertrand était bonhomme, au fond de
+l'âme; mais, après tout, laissons faire aux dieux!
+
+Tomber du salon dans l'antichambre, c'est quelque chose; toutefois, on
+ne risque pas de se casser les reins, l'affaire étant de plain-pied, en
+définitive; mais tomber du haut de la pyramide humaine, Dieu vous en
+garde, et moi aussi! Pour moi, je suis sûr d'être à l'abri de cette
+chute; et la raison, c'est que je n'irai jamais me loger à un pareil
+étage; pas si Marocain!
+
+On a fait des pyramides en pierre, en granit, en marbre, en je ne sais
+quoi; mais il fallait notre siècle de progrès pour bâtir des pyramides
+en chair humaine. Les fondations, comme vous le voyez, sont faites de
+pieds en chair et en os; l'entre-sol a des épaules pour assises, ainsi
+du second et ainsi du troisième; le Cirque-Olympique s'est arrêté à
+cette hauteur du bâtiment. Peut-être l'architecte-voyer a-t-il défendu
+de bâtir plus haut, de par M. le préfet de la Seine; mais, il y a deux
+ou trois ans, le théâtre de la Porte-Saint-Martin, ayant obtenu une
+dispense, avait élevé une maison à six étages de Marocains. Je dois dire
+que le cinquième et le sixième se louaient difficilement, et que le
+propriétaire, plusieurs fois, fit mander des architectes à
+l'amphithéâtre de l'École de Médecine et à l'Hôtel-Dieu pour récrépir
+une jambe, un bras, une cuisse de l'édifice, et faire toutes autres
+réparations locatives.
+
+Puisque le Cirque-Olympique nous amène au boulevard du Temple, entrons
+sans façon au théâtre de la Gaieté. Dieu!!! _la Statue de sainte
+Claire!_ Cette statue serait-elle, par hasard, une des victimes du jury
+de peinture et de sculpture, réfugiée là pour s'y faire un petit Louvre
+et une petite exposition particulière? Non, pas encore: il ne s'agit
+point d'un Phidias méconnu ou d'un Canova incompris; cette statue est de
+carton peint, et fabriquée par le mélodrame, seigneur du lieu, et pour
+ses besoins personnels; elle n'en a pas l'air, mais elle cache un gros
+crime. Le scélérat s'appelle Duhamel. J'avoue que je m'y serais laissé
+prendre; le nom de Duhamel est fait pour inspirer de la confiance. J'ai
+connu une grande quantité de Duhamel; tous faisaient croître des
+berceaux de capucines à leur fenêtre, et sautaient avec candeur à bas du
+lit, pour aller voir lever l'aurore, mais enfin, il n'y a pas de Duhamel
+qui n'ait son exception: celle-ci est affreuse. Ce Duhamel,--et j'espère
+bien que nous n'en verrons plus de pareil,--ce fieffé Duhamel, vole,
+pille, assassine, et fait bien d'autres choses encore. A la fin, il
+reçoit son prix de vertu: le procureur du roi le flaire, le gendarme le
+prend au collet, et je ne sais pas si la statue de sainte Claire ne lui
+tombe pas sur le dos; pour moi, je l'espère.--Tous mes honnêtes Duhamel
+sont venus me trouver ce matin, pour m'annoncer qu'ils allaient demander
+à qui de droit l'autorisation de changer leur nom en celui de Caramel.
+
+[Illustration: (Philippe le prestidigitateur, au bazar du boulevard
+Bonne-Nouvelle)]
+
+Sortons de cet enfer, et montons au paradis... au paradis des
+Funambules. Ah! vraiment, oui, c'est le paradis; demandez plutôt aux
+habitants. Est-ce dans l'enfer qu'on se foule et qu'on se presse ainsi?
+Non pas, vraiment; les pauvres ombres n'y vont qu'à leurs corps
+défendant; il faut qu'elles soient damnées et condamnées, et poursuivies
+à outrance par la grande fourche de Belzébuth. Mais là, voyez nos gens;
+c'est à qui entrera; ils se poussent, ils se heurtent, ils se disputent
+la jouissance de ce séjour des bienheureux. Et comme les places
+manquent, on en fait en s'entassant, en s'enlaçant, en se pelotonnant,
+en s'asseyant sur son voisin; les têtes sont dans les bras, les bras
+sont dans les jambes, les yeux regardent à travers les dos, les nez se
+mettent je ne sais où, tout cela vit sans remuer ni respirer. Ô paradis!
+les anges y mangent de la galette avec délices, les archanges sucent du
+sucre d'orge, les dominations jettent des trognons de pommes à
+l'avant-scène.
+
+Mais où sommes-nous? grand Dieu! je sens autour de moi comme une odeur
+de sorcier; et en effet, voici un magicien qui se dresse devant moi. Il
+est coiffé à l'égyptienne; il est vêtu d'une longue robe flottante ornée
+de mille broderies mystérieuses et de signes hiéroglyphiques. A-t-il
+soulevé quelque dalle du temple de Memphis? Sort-il de quelque forêt de
+Bohême, ou d'un exemplaire du Cabinet des fées? Peu importe; c'est un
+grand et un charmant sorcier. Demandez-le aux petites filles,
+demandez-le aux petits garçons, demandez-le même aux grands enfants,
+depuis vingt ans jusqu'à soixante, à toute cette multitude ébahie, que
+ce grand enchanteur Philippe, digne héritier de Merlin et de
+Parapharagaramus, charme et surprend, ravit et étonne, par son officine
+diabolique du bazar Bonne-Nouvelle. En ce moment, tel que j'ai l'honneur
+de vous le faire voir, Philippe exécute le tour merveilleux des
+poissons, accommodés du bout de sa baguette magique. Je ne vous dirai
+pas si les poissons sont frais, mais je vous engage à y aller goûter.
+
+Et moi qui oubliais les noms des auteurs de ces vaudevilles et de ces
+comédies. Que dirait la postérité? _George et Thérèse_ ont pour père M.
+Auvray; MM. Desnoyers et Danvin ont bâti _la Chambre Verte_; M. Bavard a
+conduit _Mademoiselle Déjazet au Sérail_: le _Péché_ a été commis par
+MM. Samson et Jules de Wailly; M. Armand Durantin a fait tourner la
+_Roulette_, et M. Eugène a taillé _la Statue de sainte Claire_. Qui dit
+Eugène, ou Léon, ou Achille, ou Gustave, en matière dramatique, dit
+sifflets.
+
+[Illustration: (Le paradis du théâtre des Funambules.)]
+
+
+
+Bulletin bibliographique.
+
+_Économistes financiers du dix-huitième siècle._--Vauran--: Projet d'une
+dîme royale.--- BOISGUILBERT: Détail de la France; Factum de la France
+et Opuscules divers.--JEAN LAW: Considérations sur le numéraire et le
+commerce; Mémoires et Lettres sur les Banques; Opuscules divers.--MELOX:
+Essai politique sur le commerce--DUTOT: Réflexions politiques sur le
+commerce et les finances. Précédés de Notices historiques sur chaque
+auteur et accompagnés de commentaires et de notes explicatives; par M.
+EUGÈNE DAME.--Paris, 1843. _Guillaumin_. Un magnifique volume grand
+in-8, de 1,008 pages à une seule colonne. 13 fr. 50 c.
+
+M. Guillaumin a commencé l'année dernière la publication des oeuvres des
+principaux économistes français ou étrangers. Cette importante
+collection doit former douze à quinze volumes. Cinq de ces volumes sont
+déjà en vente; ils contiennent le _Traité_ et le _Cours d'Économie
+politique_ de J.-B. Say, et la _Richesse des Nations_ d'Adam Smith. Dans
+le courant de l'année 1843, paraîtront successivement: Turgot (1 vol.),
+_les Physiocrates_, Quesnay, Mercier de la Rivière, Dupont de Nemours (1
+vol.); Malthus (1 vol.); Ricardo (1 vol.). Le texte de chaque ouvrage,
+revu et corrigé avec le plus grand soin, est accompagné de notes
+explicatives et historiques, de commentaires et notices biographiques,
+par M. M. Blanqui, Eugène Daire, Hippolyte Dussard, Rossi et Horace Say.
+
+_Les Économistes financiers du dix-huitième siècle_ formeront le premier
+volume de la collection des principaux économistes. A ces divers
+penseurs, que, un seul excepté, la France a vus naître, appartient, en
+elle, la gloire d'avoir marché les premiers à la conquête des vérités
+économiques. Avec eux finit l'ère de l'empirisme ou de la routine, et
+commence celle du raisonnement en ce qui touche les intérêts matériels
+de la société. Ils sont les véritables précurseurs de l'école
+physiocratique dont Quesnay fut le chef, et de l'école industrielle qui
+eut Adam Smith pour fondateur. Bien qu'ils soient désignés par le titre
+d'_Economistes financiers_, il ne faut pas induire de cette dénomination
+qu'ils n'ont accordé leur attention qu'à l'impôt. Loin de la, presque
+toutes les questions qu'agitent encore de nos jours la presse et la
+tribune des Chambres législatives, ont été soulevées et débattues ans
+les écrits de Vauban, de Boisguilbert et de leurs successeurs immédiats.
+En résumé, ce furent ces _ancêtres de ta science_, qu'on nous permette
+cette expression, qui détermineront le grand mouvement économique auquel
+la France doit sa prospérité actuelle.
+
+_Colonisation de l'Algérie_; par ENFANTIN.--Paris, 1843. _Bertrand._ 1
+vol in-8 de 542 pages, avec une carte. 7 fr. 50 c.
+
+Le nouvel ouvrage de M. Enfantin se divise en cinq parties, une
+introduction et une conclusion séparées par trois livres.
+
+L'INTRODUCTION a pour titre: _Des colonisations en général._ M. Enfantin
+definit d'abord ce qu'il entend par le mot colonisation. Dans son
+opinion, «c'est le transport d'une population civile considérable, d'une
+population agricole, commerçante et industrielle, formant familles,
+villages et villes, et des arts et des sciences qu'une semblable
+population apporte ou attire nécessairement. Mais ce mot comprend aussi
+l'organisation par la France, c'est-à-dire par le gouvernement et
+l'administration, par des Français, de la population indigène, dans les
+villes et dans les campagnes.» Cette définition donnée, M Enfantin
+examine plusieurs systèmes coloniaux différents, selon les époques et
+selon le degré de civilisation des peuples colonisateurs; il se demande
+ensuite ce que peut et ce que doit être une colonisation faite par la
+France en Algérie, au dix-neuvième siècle. Selon lui, notre politique
+n'est plus absolue, elle transige et concilie, elle veut associer; par
+conséquent deux problèmes à résoudre: 1º modifier progressivement les
+institutions, les moeurs, les habitudes des indigènes; 2º modifier aussi
+celles des Européens colons, de manière à faire vivre les uns et les
+autres en société, sur un même sol et sous un même gouvernement. Les
+institutions coloniales données par la France à l'Algérie doivent faire
+tendre les deux populations (indigène et européenne) vers un ut commun,
+sous le triple rapport administratif, judiciaire et religieux.
+--application de ce principe à la _constitution de la propriété_ dans
+l'Algérie française, telle est la base de l'ouvrage de M. Enfantin.
+
+Ainsi, M. Enfantin aborde la question générale de la _colonisation_ de
+l'Algérie par son côté le plus apparent, le plus _matériel_, qui lui
+permet cependant, sinon d'embrasser, au moins de toucher presque toutes
+les parties de ce grand ensemble.
+
+Le LIVRE Ier, intitulé: _Constitution de la propriété_, se divise en
+trois chapitres. M. Enfantin recherche d'abord quel était, en 1830,
+l'état de la propriété en Algérie, et quel est actuellement l'état de la
+propriété en France; puis il compare ces deux manières de concevoir la
+propriété, et il se demande ce qu'elle doit être pour l'Algérie
+française.
+
+Dans le LIVRE II _(colonisation européenne)_, M. Enfantin établit,
+d'après des considérations historiques, géographiques et politiques, les
+lieux qui sont propres à la colonisation civile ou à la colonisation
+militaire, et l'ordre selon lequel ces deux espèces de colonisation
+doivent être commencées et progressivement développées; il traite
+ensuite du personnel et du matériel des colonies civiles et des colonies
+militaires.
+
+Le LIVRE III _colonisation indigène_ est consacré aux mêmes questions
+qui font l'objet du livre deuxième, seulement ces questions se
+rattachent à la population indigène.
+
+La CONCLUSION renferme l'examen spécial d'une question naturellement
+touchée et soulevée dans toutes les autres parties, celle du
+_gouvernement_ de l'Algérie. M Enfantin indique ses rapports avec le
+gouvernement central, la nature et les limites de ses attributions, et
+sa hiérarchie supérieure, politique, militaire et administrative,
+relativement aux colonies européennes et aux tribus indigènes; enfin, il
+expose l'organisation spéciale des villes d'Algérie, de leur population
+indigène et européenne, dans le but de compléter ce qui, dans le cours de
+l'ouvrage, a été plus particulièrement présenté comme relatif aux tribus
+indigènes et aux colonies agricoles, civiles ou militaires, fondées par
+la France.
+
+Quoi que soit le sort réservé dans l'avenir aux projets de K. Enfantin,
+nous devons, dès aujourd'hui, nous empresser de reconnaître que la
+_Colonisation de l'Algérie_ est un de ces ouvrages utiles, pleins de
+faits et d'idées, qui honorent leur auteur, et qui se recommandent
+d'eux-mêmes à l'attention de tous les hommes.
+
+_Histoire des Invasions des Sarrasins en Italie, du septième au onzième
+siècle_; par César FAMIN. Tome 1er. in-8 de 27 feuilles 1/4.--Paris,
+1843. _Didot_. 6 fr.
+
+Cet ouvrage fut commencé en 1833, à Palerme et à Naples, où son auteur
+fit un séjour de huit années. Des circonstances extraordinaires avaient
+empêché M. César Famin de le continuer et de l'achever. Enfin il a pu
+reprendre ses travaux, si longtemps interrompus, et il vient de publier
+un premier volume.
+
+_L'Histoire des Invasions des Sarrasins en Italie_ se divisera en trois
+parties: dans la première, M. César Famin tracera l'histoire des
+différentes incursions faites par les Arabes d'Asie et d'Afrique, tant
+sur le continent, de l'Italie que sur les îles qui en dépendent, depuis
+l'année 632 jusqu'à l'année 1242. Cette première partie doit indiquer
+les dates précises des épisodes les plus importants, appeler sur la
+scène les principaux acteurs de ce grand drame, et relever, en passant,
+les erreurs plus ou moins graves dans lesquelles sont tombés la plupart
+des auteurs arabes ou occidentaux dont les écrits se rattachent au même
+sujet. La seconde partie sera consacrée à l'examen de la condition
+religieuse des Italiens pendant la domination des Arabes, du droit civil
+et criminel des Arabes, du mode d'administration, des impôts, de la
+division territoriale, du sort des esclaves, du partage du butin, de la
+valeur et de l'espèce des monnaies. Enfin, dans la troisième partie,
+l'auteur recherchera les traces de l'influence des Arabes sur l'Italie
+et sur ses habitants.
+
+Le tome 1er, qui vient d'être publié, contient sept chapitres de la
+première partie intitulée _Histoire_.--Le chapitre premier a pour titre:
+_Esquisse sommaire de l'histoire des Arabes et de celle des Italiens au
+moment où commencèrent les invasions._--Les six chapitres suivants
+embrassent la période de temps qui s'étend depuis les premières courses
+des Sarrasins, en 632, jusqu'à la mort du pape Jean VIII, en 885.
+
+_De l'Idiotie chez les Enfants,_ et des autres particularités
+d'intelligence ou de caractère qui nécessitent pour eux une instruction
+et une éducation spéciales; de leur responsabilité morale; par FÉLIX
+VOISIN, médecin en chef de l'hospice des aliénés de Bicêtre. Une
+brochure in-8 de 124 pages.
+
+--Paris, 1843. _Baillière_.
+
+Le Conseil général des hospices vient de prendre en considération
+particulière la seule et dernière classe des aliénés, qui, jusqu'à ce
+jour, était restée en quelque sorte dans l'oubli, celle des _enfants
+idiots_; il a pensé qu'il y avait des distinctions à faire et à établir
+entre les individus compris sous cette fatale dénomination, et qu'il
+était possible d'en appeler quelques-uns à une partie de l'existence
+intellectuelle et morale propre à l'humanité; en conséquence, il a voulu
+que les idiots qui peuvent présenter quelque prise à l'action des
+modificateurs externes, reçussent les bienfaits d'une instruction et
+d'une éducation spéciales, et il a nommé tout récemment, à Bicêtre, un
+instituteur qui, sous la direction et la surveillance des médecins en
+chef de l'hospice, pût exclusivement se consacrer à ces fonctions
+honorables.
+
+M. Félix Voisin, qui, depuis treize ans, s'occupe de cette grave
+question avec un zèle digne des plus grands éloges, s'est empressé de
+réunir tous les matériaux scientifiques qu'il possède sur la matière, et
+d'exposer le plan qu'il a suivi et qu'il se propose de suivre encore
+dans l'intérêt des enfants idiots. En publiant ces documents, «il
+espère, dit-il, pouvoir démontrer que les médecins de l'époque actuelle
+ne sont point restés sans action devant les enfants qui, d'une manière
+ou d'une autre, sortent de la ligne ordinaire, et qui, par cela même,
+tant pour eux que pour la société, ont, en général, besoin,--selon les
+expressions de Montaigne,--d'être ployés et appliqués au niveau de la
+générale et grande maîtresse, la nature universelle. Dans cette oeuvre
+de science et de philanthropie, les médecins ne se sont laissé devancer
+par personne; ils ont les premiers fait connaître ce que c'est que
+l'idiotie, et expose les principes et indique les méthodes propres à
+modifier la constitution instinctive intellectuelle, morale et
+perceptive des enfants qui ont le malheur d'en être atteints.»
+
+La brochure de M. Félix Voisin contient, entre autres documents curieux,
+un mémoire sur l'idiotie, donné à l'Académie royale de Médecine, le 24
+janvier 1843, et une analyse psychologique de l'entendement humain chez
+les idiots.»
+
+_Rapport annuel sur les Progrès de la Chimie_, présente le 31 mars 1842,
+à l'Académie royale des Sciences de Stockholm; par J. BERZÉLIUS,
+secrétaire perpétuel. Traduit du suédois par PH. PLANTAMOUR (3e année).
+1 vol. in-8 de 336 pages.
+
+--Paris, 1843. _Fortin, Masson et comp._ 5 fr.
+
+Il suffit d'annoncer la publication d'un pareil ouvrage pour appeler sur
+lui l'attention publique. Son titre indique son but et son utilité; le
+nom de l'auteur est une garantie de son importance et de sa valeur M.
+Berzélius a divisé son rapport en quatre grandes parties: chimie
+inorganique, chimie minera logique, chimie organique et chimie animale.
+Il passe successivement en revue, dans la première partie, les
+phénomènes physico-chimiques en général, les métalloïdes et leurs
+combinaisons binaires, les métaux, les sels, les analyses chimiques et
+les appareils;--dans la seconde, la loi de symétrie des cristaux, les
+minéraux nouveaux, les minéraux connus non oxydés, les minéraux oxydés,
+les minéraux d'origine organique; la troisième partie comprend les
+acides organiques, les bases végétales, les matières indifférentes, les
+huiles grasses, les huiles essentielles, les résines, les matières
+colorantes, les matières cristallisées propres à certains végétaux, les
+matières végétales non cristallisées, les produits de la fermentation
+alcoolique, la fermentation acide, les produits de la putréfaction et
+les produits de la distillation sèche, etc., etc.;--enfin, la
+quatrième partie est consacrée à l'examen de tous les phénomènes de la
+chimie animale, qui ont fourni quelques observations curieuses durant le
+cours de l'année 1842.
+
+_Un autre Monde_, Transformations, visions, incarnations, excursions,
+locomotions, explorations, pérégrinations, stations, folâtreries,
+cosmogonies, rêveries, lubies, fantasmagories, apothéoses, zoomorphoses,
+lilliomorphoses, métamorphoses, métempsycoses et autres choses; par
+GRANDVILLE.--Paris, 1843. _Fournier_, libraire-éditeur. 1 vol. petit
+in-4, paraissant en 56 livraisons d'une feuille, comprenant du texte et
+4 ou 5 gravures et un grand sujet tiré à part et colorié. Prix de la
+livraison: 50 c. (8 ont paru.)
+
+Le titre et les nombreux sous-titres de cet ouvrage indiquent d'avance
+au lecteur, ou plutôt au spectateur, qu'il va voir des choses étranges
+et surnaturelles. _Un autre Monde_, ce n'est pas le monde que nous
+habitons, ce n'est pas non plus l'autre monde, celui que nous devons,
+selon certaines religions, habiter après notre mort, c'est un monde tout
+autre, dont nul être vivant n'avait pu jusqu'à ce jour soupçonner
+l'existence. Grandville l'avait enfanté, il y a longtemps déjà, dans les
+profondeurs mystérieuses de son imagination; et il commence, depuis
+quelques mois seulement, à nous initier peu à peu aux secrets de cette
+création nouvelle. Nous n'en connaissons encore,--il est vrai,--qu'une
+très-faible partie; mais notre curiosité est vivement excitée; les
+révélations déjà faites par le poète-dessinateur sont tellement
+bizarres, que nous attendons avec une impatience enfantine celles qui
+doivent suivre bientôt. Grandville est, sans contredit, le dessinateur
+le plus extraordinaire et le plus original de _notre Monde_. Ce qu'il
+avait fait pour les animaux, il essaie de le faire pour les objets
+inanimés, pour les végétaux; il leur donne une figure humaine. Jetez les
+yeux sur les premières livraisons de _L'autre Monde_, qu'y voyez-vous?
+des machines à vapeur qui font de la musique, des maillots qui dansent,
+des plantes qui se battent ou qui se réveillent au matin d'un beau jour.
+Cette tentative sera-t-elle aussi heureuse que les précédentes? c'est ce
+que nous apprendrons aux lecteurs du bulletin bibliographique de
+_l'Illustration_, dès que les trente-six semaines, nécessaires au
+créateur de _l'autre Monde_ pour achever son oeuvre, seront écoulées. En
+intendant cette époque fatale, applaudissons aux efforts de Grandville,
+soutenons son courage, et promettons-lui un succès complet.
+
+_Fables_: par M. VIENNET, l'un des quarante de l'Académie
+française.--Paris, 1843. 1 vol. in-18. 5 fr. 80 c.
+
+M. Viennet a exercé un grand nombre de professions: d'abord il devait
+être l'un des curés de Paris, la Révolution de 1789 le força de devenir
+un artilleur de marine; sous la Restauration, il fut nomme député; la
+Révolution de Juillet en a fait un pair de France et un académicien.
+Mais, dans quelque position que le sort l'ait place, M. Viennet n'a
+jamais cessé d'être ce qu'on appelle vulgairement un homme de lettres,
+car il est né, comme il l'avoue lui-même, «avec un prodigieux amour pour
+la gloire sans alliage du lucre.» Son ambition était attachée à une idée
+fixe. Il ne tenait nullement à être un César ou un Richelieu; si Dieu le
+lui eût proposé, il ne répond pas qu'il l'eût accepté: c'est à la gloire
+des poètes qu'il visait. Une statue de Corneille, de Molière, de
+Voltaire, le tenait un extase. Il lui importait fort peu que l'histoire
+parlât de lui à la postérité, c'était lui qui voulait parler par ses
+ouvrages aux générations futures. L'idée de voir ses livres entre les
+mains d'un homme qui devait naître dans trois ou quatre siècles, le
+faisaient bondir de joie comme un enfant.
+
+Entraîné par cette passion fatale, M. Viennet s'est rendu coupable de
+bien des péchés littéraires; il a fait des comédies, des tragédies, des
+poèmes, des épîtres, des dialogues, des épigrammes, des histoires, des
+opéras-comiques, etc.; aussi passa-t-il tour à tour--pour nous servir de
+ses propres expressions,--du Capitole à la roche Tarpeienne, du Panthéon
+aux Gémonies. Aujourd'hui il publie un recueil de fables, et les rieurs
+se rangent de son côté. Oubliant qu'il s'est un peu moqué d'_Arbogaste_
+et de certaines épîtres, le public lit avec un véritable plaisir ces
+charmants apologues satiriques, qu'un homme qui naîtra dans trois ou
+quatre siècles tiendra peut-être encore un jour entre ses mains. Que M.
+Viennet soit donc heureux, si l'histoire ne parle pas de lui à la
+postérité, il doit espérer de parler au moins par ses fables aux
+générations futures.
+
+_Oberon_, poème héroïque; par C.-M. WIELAND; traduction entièrement
+nouvelle, par AUGUSTE JULLIEN, précédée d'une notice et suivie de
+notes.--Paris, 1843. 1 vol. in-18. _Paul Masgana_. 3 fr. 50 c.
+
+«Aussi longtemps que la poésie sera de la poésie, l'or de l'or, le
+cristal du cristal, on aimera, on admirera _Oberon_ comme un
+chef-d'oeuvre de l'art.» Que pourrions-nous ajouter à cet éloge de
+Goethe?
+
+Tous les matériaux qui ont servi à Wieland pour la composition de son
+poème, et surtout pour la fable proprement dite, sont tirés en grande
+partie d'ouvrages connus. C'est la réunion de ces éléments divers qui
+constitue l'originalité réelle du poème Dans le fait, _Oberon_ comprend
+trois actions principales: l'entreprise tentée par Huon sur l'ordre de
+l'empereur; l'histoire de ses amours avec Itezia, et la réconciliation
+d'Oberon et de Titania. Mais ces trois actions, ou plutôt ces trois
+fables se rattachent si intimement au noeud véritable du récit,
+qu'aucune ne peut, sans le concours des autres, ni se développer, ni se
+dénouer avec succès. Tout s'enchaîne avec un art admirable. «Mouvements
+dramatiques, tableaux variés, exploits héroïques, magiques,
+incantations, se trouvent unis, a dit un critique, par une dépendance
+mutuelle si bien établie, que l'absence d'un seul des événements ou de
+l'un des personnages détruirait l'harmonie de l'ensemble.»
+
+Ce _chef-d'oeuvre de l'art_, depuis son apparition en 1780, a trouvé
+plus d'un interprète; mais ses traducteurs français ne se contentaient
+pas de faire de grossiers contre-sens, de mutiler des strophes, de
+sacrifier des images charmantes, ils avaient supprimé un chaut tout
+entier. M. Auguste Jullien a corrigé les fautes et a réparé les
+injustices de ses prédécesseurs. La traduction qu'il vient de publier
+est aussi fidèle et aussi complète qu'elle est élégante. En la lisant,
+on peut jusqu'à un certain point se consoler de ne pas savoir
+l'allemand.
+
+_Séances et travaux de l'Académie des Sciences morales et politiques_.
+Compte-rendu par M. M. CH. VERGÉ et LOISEAU, sous la direction de M.
+MIGNET, secrétaire perpétuel de l'Académie. Douze cahiers de 4 ou 5
+feuilles par mois, formant chaque année 2 forts vol. in-8 avec une table
+générale des matières.--Paris, au bureau du _Moniteur universel_. 20 fr.
+par an.
+
+Réunir dans une collection accessible à tous, les Mémoires et
+communications soit des membres de l'Académie, soit des savants
+étrangers admis à l'honneur de lui soumettre les résultats de leurs
+recherches; tel est le but que s'est propose le Compte-rendu de
+l'Académie des Sciences morales et politiques.
+
+Cette publication, organisée sur des bases analogues à celles du
+Compte-rendu périodique de l'Académie des Sciences, paraît sous les
+auspices de l'Académie elle-même, et sous la direction de son secrétaire
+perpétuel. Les encouragements que l'Administration lui a accordés dès
+son début, et l'accueil favorable qu'elle a reçu du public, attestent
+assez son importance et son utilité.
+
+Elle se compose de deux parties distinctes: 1º d'un Bulletin mensuel qui
+résume sommairement, dans un ordre chronologique, les actes officiels et
+les décisions de l'Académie; 2º des Lectures, communications et travaux
+académiques, qui sont reproduits ou dans leur texte primitif et sans
+aucune modification, ou par extraits et sous forme d'analyse toujours
+très-développée, suivant la nature des divers documents soumis à
+l'Académie.
+
+Le Compte-rendu, publié par M. Charles Vergé et Loiseau, paraît depuis
+un an.--Deux volumes sont en vente au prix d'abonnement.
+
+
+
+Modes.
+
+[Illustration: COSTUMES D'HOMMES PAR HEMANN.]
+
+COIFFURES DE PRINTEMPS.
+
+Voici paraître des capotes en couleur tendre, coiffure légère qui repose
+la tête des lourds chapeaux d'hiver. Alexandrine fait des capotes
+entourées de plusieurs biais qui ont beaucoup de légèreté, et donnent au
+visage une grande douceur. La forme en est légèrement cambrée, et
+s'évase un peu vers le bas, de façon à laisser les cheveux en liberté.
+
+[Illustration.]
+
+Ses petits chapeaux de crêpe, avec une plume-saule, ont toute l'élégance
+qu'exige une toilette recherchée. C'est une véritable parure de
+printemps, une coiffure destinée à briller en voiture ouverte par une de
+ces premières belles journées qui font valoir toutes les coquetteries.
+
+[Illustration.]
+
+Alexandrine prépare pour la grande semaine des pailles de riz qu'elle
+terminera selon les exigences de chaque toilette, avec ce goût
+d'innovation artistique qu'il nous est permis de signaler et non pas de
+révéler.
+
+[Illustration.]
+
+Le châle de cachemire va faire place au mantelet, quelque chose qui
+ressemble à la mante et à la pelisse de nos mères, un retour au mantelet
+garni, faisant écharpe.
+
+Il est question de robes garnies sur le côté; c'est probable, en raison
+de la mode de l'hiver, et parce que la direction semble être encore une
+grande élégance à laquelle les robes unies ne répondraient pas. Quant
+aux manches et aux corsages, rien n'est connu. Le soir en demi-toilette,
+les manches courtes se portent familièrement. Quelle que soit l'étoffe
+de sa robe, une femme peut, à son gré, mettre des manches courtes avec
+un fichu très-simple, et un petit bonnet de tulle à rubans de gaze. En
+un mot, les manches courtes n'ont plus aucune prétention à la parure,
+c'est une façon comme une autre.
+
+Pour ces derniers jours de réunion où le velours est encore permis, je
+recommande les coiffures turques que fait Alexandrine, avec des fichus
+ou des écharpes en tissus d'Orient. Il est difficile de trouver
+l'élégance plus riche et plus distinguée que sous cette forme
+artistique. On ne saurait appeler cela un turban, cela peut-être n'en a
+pas la sévérité; cependant c'est une coiffure de caractère qu'il ne faut
+pas confondre avec les caprices colifichets nés d'une fantaisie
+parisienne.
+
+[Illustration.]
+
+La semaine prochaine, nous comblerons toutes les lacunes laissées
+aujourd'hui par scrupule. Ce sera près du jour des révélations, et nous
+parlerons à coup sûr.
+
+
+
+Rébus.
+
+EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS. Je ne suis sensible qu'à l'argent.
+
+[Illustration.]
+
+
+
+
+
+
+
+
+
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+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
+collection are in the public domain in the United States. If an
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+ the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
+ you already use to calculate your applicable taxes. The fee is
+ owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he
+ has agreed to donate royalties under this paragraph to the
+ Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments
+ must be paid within 60 days following each date on which you
+ prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax
+ returns. Royalty payments should be clearly marked as such and
+ sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the
+ address specified in Section 4, "Information about donations to
+ the Project Gutenberg Literary Archive Foundation."
+
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+ does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
+ License. You must require such a user to return or
+ destroy all copies of the works possessed in a physical medium
+ and discontinue all use of and all access to other copies of
+ Project Gutenberg-tm works.
+
+- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any
+ money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
+ electronic work is discovered and reported to you within 90 days
+ of receipt of the work.
+
+- You comply with all other terms of this agreement for free
+ distribution of Project Gutenberg-tm works.
+
+1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm
+electronic work or group of works on different terms than are set
+forth in this agreement, you must obtain permission in writing from
+both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael
+Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the
+Foundation as set forth in Section 3 below.
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+1.F.
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+public domain works in creating the Project Gutenberg-tm
+collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic
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+
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+
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+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
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+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
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+ <title>The Project Gutenberg eBook of L'illustration, L'Illustration, No. 0006, 8 Avril 1843 by Various</title>
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+Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0006, 8 Avril 1843, by Various
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+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
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+with this eBook or online at www.gutenberg.org
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+Title: L'Illustration, No. 0006, 8 Avril 1843
+
+Author: Various
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+Release Date: November 30, 2010 [EBook #34516]
+
+Language: French
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+Character set encoding: ISO-8859-1
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+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK
+L'ILLUSTRATION, NO. 0006, 8 AVRIL 1843 ***
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+Produced by Rénald Lévesque
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+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="sommaire">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 49%;">
+<span class="sml">Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an. 30 fr.<br>
+Prix de chaque N° 75 c.--La collection mens. br., 2 fr 75.</span>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 2%;">
+
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 49%;">
+<span class="sml">Ab. pour les Dep.--3 mois. 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an. 32 fr.<br>
+pour l'étranger,--3 mois. 10 fr.--6 mois, 20 fr.--Un an. 40 fr.</span>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+<p class="mid"><b>Nº 6. Vol. 1.--SAMEDI 8 AVRIL 1843.<br>
+Bureaux, rue de Seine, 33.--Réimprimé.</b></p>
+
+<div class="somm">
+
+<p>SOMMAIRE. <b>Ce qu'annonçait la Comète.--La machine à vapeur aérienne.</b>
+Description. <i>Trois Gravures</i>.--<b>Courrier de Paris</b>. Théâtre-Italien;
+Procès d'un Dauphin; le Burgrave; Phèdre et la Pologne; une aménité; un
+jeune homme à marier; la loge du cintre; la victime de l'amitié.--<b>Les
+Frontières du Maine</b>. <i>Carte</i>.--<b>Tribunaux</b>. La Police correctionnelle; les
+circonstances atténuantes. <i>Escalier de la Police
+correctionnelle</i>.--<b>Poètes Italien» contemporains</b>. Louis Carrer
+<i>Portrait</i>.--<b>Beaux-Arts</b>. Salon. <i>Tableau de Giraud; Marine d'Isabey;
+Statue de Desboeufs; les Condottieri de Baron.</i>--<b>La Vengeance des
+Trépassés</b>. Nouvelle, par F. G., 2e partie, <i>Une Gravure.</i>--<b>Nouvelles
+inventions</b>. Le procédé Rouillet. <i>Une Gravure</i>.--<b>Industrie</b>. Le sucre de
+canne et le sucre de betterave.--<b>Théâtres.</b> <i>Georges et Thérèse;
+Mademoiselle Déjazet; les Marocains; l'Escamoteur Philippe; le Paradis
+des Funambules.</i>--<b>Bulletin bibliographique</b>.--<b>Annonces,--Observations
+météorologique.--Modes.</b> <i>Cinq Gravures</i>.--<b>Rébus.</b></p>
+</div>
+
+
+<h3>Ce qu'annonçait la Comète.</h3>
+
+<p>Que nous criait en parcourant notre ciel cette messagère
+échevelée?--Nous vous le demandions il y a huit jours: nous vous le
+demandons encore. Nos lecteurs y ont-ils pensé?</p>
+
+<p>Nous n'ignorons pas que M. Arago vient de réfuter savamment l'opinion
+partout populaire qui attache depuis si longtemps à l'apparition de ces
+astres une influence mystérieuse sur les destinées terrestres, et nous
+admirons beaucoup les <i>Pensées sur la Comète</i>, où l'illustre Bayle
+soutint, en 1682, avec tant d'adresse et de dialectique, la même thèse,
+à savoir que cette espèce de phénomène ne saurait avoir aucune
+influence, ni morale ni physique, sur notre globe. Mais sceptiques et
+savants démocrates auront beau dire, le peuple s'obstinera longtemps
+encore dans son erreur. Et il faut convenir qu'il y avait bien quelque
+grandeur et quelque piété dans cette naïve croyance, que le ciel, tout
+en racontant à la terre la gloire de Dieu, lui parle aussi, de loin en
+loin, de l'avenir qui l'attend elle-même et des grands événements
+qu'elle doit craindre ou espérer.</p>
+
+<p>Mais assurément si les astres daignent parler de notre race, ce n'est
+sans doute qu'à de rares intervalles, et à certains moments solennels et
+décisifs de son histoire. Qui oserait aujourd'hui affirmer, comme on le
+pensait au Moyen-Age, qu'ils s'occupent jamais de chacun de nous en
+particulier, si ce n'est peut-être, dans son grenier, quelque pauvre
+astrologue fourvoyé au milieu de notre siècle incrédule? car il y a
+encore des astrologues comme il y a des alchimistes. «L'astrologie, dit
+Bailly, est la maladie l'a plus longue qui ait affligé la raison
+humaine; on lui connaît une durée de cinquante siècles.» Bailly veut
+dire qu'elle est aussi vieille que le genre humain; mais alors maladie
+est-il bien le mot propre?</p>
+
+<p>Au siècle dernier, oui, au dix-huitième siècle, on croyait encore çà et
+là; à Paris, en dépit de Bayle et de Voltaire, que l'apparition des
+comètes présageait de grands malheurs publics. Un grand seigneur, tout
+fier d'avoir par sa naissance une étoile à lui seul, disait alors à un
+roturier qui se moquait de ses terreurs puériles: «Vous en parlez bien à
+votre aise, vous autres que cela ne regarde jamais.»</p>
+
+<p>Eh bien! aujourd'hui, Monseigneur, la chose nous regarde autant que
+vous. Mais n'est-il pas fâcheux pour nous que depuis 89 nous ayons perdu
+cette superbe croyance, juste au moment d'en recueillir les bénéfices?
+Frères, est-ce que par hasard nous nous serions aperçus tout bas, en
+nous comptant et en comptant les étoiles, qu'il n'y en a pas au
+firmament une pour chacun de nous?</p>
+
+<p>C'est donc des nations ou du sort général du monde que s'occupent
+apparemment les comètes. Serait-ce de l'Allemagne que celle-ci nous
+aurait parlé, et de la discussion qui vient de s'élever entre la Prusse
+et la Russie? Peut-être; mais, en tout cas, ce fait nous semble notable.
+Pourquoi? le voici.</p>
+
+<p>Quatre villes soi-disant libres, trente-sept princes, dont deux
+seulement, les rois de Bavière et de Danemark, possèdent des États de
+quelque importance, et au-dessus de cette féodalité deux puissances qui
+s'en disputent la direction, la Prusse et l'Autriche, voilà comment le
+congrès de Vienne a laissé l'Allemagne. Or; dernièrement le cabinet de
+Berlin a écrit à celui de Saint-Pétersbourg, pour l'inviter à faire
+participer tous les États de l'Union de douanes aux facilités
+commerciales concédées dernièrement à la Prusse. Cette demande n'est
+rien, ou peu de chose, mais elle soulève par la forme une grave question
+de souveraineté. Le roi de Prusse a-t-il le droit de négocier, de
+stipuler, en un mot de faire acte de souveraineté, au nom du
+<i>Zollverein?</i> Le cabinet russe s'est prononcé énergiquement pour la
+négative. La confédération germanique n'a pas à ses yeux le caractère
+d'un corps politique un; c'est une réunion intime d'États, mais qui ne
+saurait agir en dehors comme un seul et même État. La Russie suit
+directement en tout ceci, et en divisant l'Allemagne, l'intérêt évident
+de son ambition. Ce n'est pas l'indépendance et la souveraineté légitime
+des petits princes allemands qu'elle vient défendre; c'est bien moins
+encore l'intérêt de l'Autriche qu'elle soutient; car l'Autriche, appelée
+par le Danube à jouer un rôle en Orient, doit inspirer à la Russie plus
+d'ombrage encore que la Prusse, quelque entreprenante et habile que soit
+cette dernière puissance. Que ce fait ne passe: donc point inaperçu de
+notre pays. Si la France a dans l'Europe sub-occidentale des intérêts
+parfaitement distincts de ceux de l'Allemagne, elle a aussi avec elle,
+dans le Nord, un grand intérêt commun. N'est-il pas pour nous
+aujourd'hui plus à désirer qu'à craindre, que l'Allemagne constitue
+librement sa nationalité par une combinaison plus large et plus simple?
+car, après tout, l'Allemagne a des instincts généreux, et une fois en
+possession de sa vie propre, il lui serait impossible de ne pas réagir
+contre le despotisme russe, et de ne pas concourir, par exemple, au
+soulagement, sinon à la délivrance de la Pologne.</p>
+
+<p>Mais il sourirait à notre amour-propre que le grand événement annoncé
+intéressât plus directement encore notre pays. Et pourquoi ne serait-ce
+point, par exemple, la résurrection de nos colonies, dont, au souvenir
+de tant de malheurs anciens et sous l'impression de deux grands
+désastres récents, on est de toutes parts porté à déplorer l'entière
+destruction?</p>
+
+<p>Sans nous dissimuler que la prudence semblerait nous commander en ce
+moment de nous fortifier en Europe, et de concentrer notre marine dans
+la Méditerranée, nous devons signaler à l'attention publique quelques
+efforts tentés en ce moment à Paris pour régénérer nos colonies.</p>
+
+<p>On a eu raison de le dire: le jour où les progrès de la civilisation
+européenne eurent fait proscrire la traite des noirs, l'ancien monde
+colonial fut brisé. Qu'on ne l'oublie pas: si nous avons eu des colonies
+riches et puissantes, c'est que le gouvernement de Louis XIV avait
+accordé une prime par tête d'esclave noir importé dans nos îles, et nous
+sommes depuis 89 en présence d'une émancipation universelle, admirable
+sans doute, et sainte, mais dont le mode pratique et les conditions sont
+extrêmement difficiles à régler. «Périssent les colonies plutôt qu'un
+principe!» s'écriait le jeune Barnave à la tribune révolutionnaire. A la
+bonne heure, mais si on pouvait sauver à la fois et le principe et ce
+qui reste de nos colonies?</p>
+
+<p>Parmi les divers projets mis en avant pour atteindre ce grand but, le
+plus original et le plus complet a été produit par un économiste, M.
+Lechevalier. Agissant d'abord par voie d'exemple et d'essai sur la
+Guyane, ce hardi publiciste a proposé la fondation d'une grande
+compagnie qui, faisant l'acquisition de toutes les propriétés, hommes et
+choses, serait chargée d'amener, par des transitions habilement ménagées
+et réglées d'avance, l'émancipation des esclaves, et exploiterait sur
+une grande échelle toutes les ressources de ces riches contrées. La
+commission coloniale, présidée par M. le duc de Broglie, consultée sur
+ce projet, a été d'avis «que le département de la Marine ferait une
+chose utile et d'intérêt public en encourageant ces dispositions, et en
+se prêtant au concours demandé pour l'exploration de la colonie.» Une
+commission spéciale formée pour discuter la colonisation de la Guyane,
+sous la présidence de M. le comte de Tascher, pair de France, a adressé
+à l'unanimité à M. le président du conseil un rapport favorable au
+projet, et d'où il résulte qu'il y a lieu d'espérer en l'avenir de la
+Guyane; que la proposition de M. Lechevalier présente des avantages et
+des garanties, et qu'en conséquence, M. le ministre de la marine peut
+comprendre dans sa demande de crédits supplémentaires une somme de
+500,000 fr., dont moitié pour fonds d'études et voyages d'explorations,
+l'autre moitié demeurant en réserve pour subvenir ultérieurement, s'il y
+a lieu, aux dépenses nécessaires pour parvenir à la formation d'une
+grande compagnie d'exploitation. Les Chambres seront sans doute
+prochainement appelées à délibérer sur ce projet; mais, dès aujourd'hui,
+le plan dont il est question ayant pour but d'arriver à l'émancipation
+des esclaves, en diminuant les sacrifices du Trésor et en les faisant
+tourner à l'avantage de la culture coloniale et à l'intérêt de la
+mère-patrie, mérite d'être étudié sérieusement.</p>
+
+<p>Mais non; si les astres parlent, ce n'est sans doute qu'entre eux, et
+une comète qui se respecte ne doit élever la voix que pour être entendue
+de toute la terre et lui annoncer un de ces grands événements qui en
+renouvellent entièrement la face. A lire les journaux anglais, on
+croirait volontiers, depuis quelques jours, que le grand événement
+prédit au monde, c'est la découverte de cette voiture aérienne à vapeur
+dont nous donnons aujourd'hui la description. A entendre les voix
+triomphantes qui nous arrivent de l'autre côté de la Manche,
+l'Angleterre, si riche sur terre et si formidable sur mer, vient de
+conquérir à son activité et à son commerce un nouvel élément, l'air, et
+elle menace déjà de lancer sur nos têtes d'inévitables flottes.
+L'imagination s'étonne sans doute et s'effraie de l'aspect brusque et
+nouveau qu'une seule invention de ce genre donnerait au monde, soit en
+paix soit en guerre. Conçoit-on après cela une discussion sérieuse sur
+la loi des douanes? Pour maintenir quelque chose qui y ressemblât,
+croit-on qu'il suffirait d'établir contre les contrebandiers aéronautes,
+sur la frontière des divers États, des croisières volantes de douaniers,
+comme on a établi au loin, contre les pirates ou les négriers, des
+croisières maritimes? Et les fortifications de Paris, à quoi
+serviraient-elles? Certes, si des armées volantes pouvaient ainsi venir
+demain planer sur nos places-fortes, nos ingénieurs n'auraient plus
+seulement à les entourer d'une ceinture de fossés et de remparts, mais
+encore à les couvrir supérieurement comme d'un bouclier et à construire
+par-dessus les maisons quelque immense <i>tortue</i>.</p>
+
+<p>Mais sans entrer dans le monde chimérique des hypothèses, les réalités
+contemporaines n'offrent-elles pas de toutes parts à la pensée
+philosophique, qui s'interroge sur l'avenir, un champ sans limites? Du
+sud au septentrion, et d'occident en orient, le monde ancien et le monde
+nouveau tressaillent à la fois comme sous un souffle mystérieux.--Sans
+parler de la jeune Amérique et de son prodigieux développement, l'ancien
+continent tout entier semble à la veille de se transfigurer.--Ce n'est
+pas pour rien que la France a mis le pied sur la terre d'Afrique, si
+voisine de nous, si longtemps étrangère et ennemie, encore inconnue, et
+dont le passé presque nul et l'histoire encore vide semblent tant
+demander à l'avenir. Et cependant là-bas, au fond et au centre de la
+vieille Asie, le céleste empire de la Chine, si fier, si jaloux, et
+depuis tant de siècles, de sa civilisation à huis clos, s'épouvante de
+voir ses fleuves lui apporter une civilisation nouvelle, et déjà se
+lézarder de toutes parts et créneler sa muraille. Cet empire étrange, ce
+monde peuplé de 500,000,000 d'habitants, jusqu'ici muets pour notre
+monde, que va-t-il devenir au contact longtemps redouté de l'Europe?
+Va-t-il changer et renaître? Va-t-il mourir? Et l'Angleterre est-elle
+seule destinée à en faire l'autopsie? Nous en reparlerons.</p>
+
+<h3>DESCRIPTION DE LA MACHINE A VAPEUR AÉRIENNE<br>
+DE M. HENSON.</h3>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/001a.png"><br><b>(Machine à vapeur aérienne de M. Henson.--Voyez
+l'explication des renvois sous la deuxième figure.)</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/001c.png"><br><b>A. Châssis ou ailes--BB. Poteaux d'où partent des chaînes
+de fer qui soutiennent les divers parties du châssis--C. Pièce
+longitudinale qui forme la limite extérieure de l'espace réservé pour
+les roues à vannes.--DD. Les roues à vannes mues par la machine à
+vapeur.--EE.. La queue tournant à F sur une charnière.--G. Le char
+contenant la machine à vapeur, la cargaison et les passagers.--II. Le
+gouvernail.</b></p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/002.png"><br>
+<b>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;(Machine aérienne à vapeur de M. Henson.<br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;--Port de Douvres.)</b></p>
+
+
+
+<p>Construire une machine à vapeur qui puisse se mouvoir dans l'air au gré
+de son conducteur, et transporter avec elle à plusieurs centaines de
+mètres au-dessus du sol des dépêches, des marchandises et des passagers,
+tel est le problème mécanique que M. Henson s'est proposé de
+résoudre.--Réussira-t-il? On l'ignore encore, mais les moyens qu'il
+emploie pour atteindre ce but sont entièrement différents de ceux dont
+on a essayé de faire usage jusqu'à ce jour, et il est permis d'espérer
+que quelque succès viendra tôt ou tard récompenser ses efforts.</p>
+
+<p>Que le lecteur se représente un vaste châssis en bois de 50 mètres de
+longueur et de 10 mètres de largeur, solide quoique léger, recouvert de
+soie ou de drap, remplissant l'office d'ailes, bien qu'il n'ait ni
+jointures ni mouvement, et s'avançant dans l'atmosphère, un de ses côtés
+plus élevé que l'autre. Au milieu du côté inférieur s'attache une queue
+de 15 à 16 mètres de longueur, construite comme ce châssis; au-dessous
+de cette queue est un gouvernail.</p>
+
+<p>Enfin, au-dessous du châssis se trouvent suspendues la voiture destinée
+au transport des marchandises et des voyageurs, et une machine à vapeur
+aussi puissante qu'elle est petite et légère, qui met en mouvement deux
+espèces de roues à vannes, semblables à des ailes de moulin à vent, de 7
+mètres environ de diamètre et situées sous le châssis.</p>
+
+<p>Une semblable machine, avec son charbon, son eau, sa cargaison et ses
+passagers, ne pèsera pas plus de 1.500 kilogrammes; or, comme sa
+superficie est d'environ 1.500 mètres carrés, elle occupe 52 centimètres
+carrés pour 170 grammes de poids; elle est par conséquent plus légère
+que beaucoup d'oiseaux.</p>
+
+<p>Cependant, malgré sa légèreté, elle ne pourrait pas se soutenir
+longtemps sur l'air, elle descendrait peu à peu jusqu'à terre; mais on
+remarquera, d'une part, qu'elle s'avance au milieu de l'atmosphère, sa
+partie antérieure! légèrement élevée. Dans cette position, elle présente
+sa surface inférieure aux couches d'air qu'elle traverse; la résistance
+que ces couches lui opposent l'empêche de tomber. D'autre part, elle est
+également soutenue par la rapidité de sa marche.</p>
+
+<p>Mais, dira-t-on, qu'arriverait-il si la vitesse diminuait, et comment
+obtenir une vitesse suffisante? Toutes les tentatives faites jusqu'à ce
+jour ont échoué, parce qu'il n'existait aucune machine à la fois assez
+légère et assez, puissante pour élever son propre poids dans l'air avec
+la vitesse nécessaire. Cette double difficulté, M. Henson prétend
+l'avoir vaincue: 1° par l'invention d'une nouvelle machine à vapeur
+aussi puissante que légère, et 2º par un procédé très-singulier qui
+demande une explication particulière.</p>
+
+<p>Les divers inventeurs de machines aériennes ont cru jusqu'à ce jour que
+leur machine devait avoir en elle-même la force nécessaire pour se
+mettre en mouvement, s'élever et se soutenir dans l'air. M. Henson croit
+que cette erreur a empêché leurs entreprises de réussir; l'ait seul
+étant impuissant, il a recours à la nature: sa machine, prête à partir,
+est lancée dans l'air de l'extrémité supérieure d'un plan incliné. A
+mesure qu'elle descend, elle acquiert la vitesse qui lui est nécessaire
+pour qu'elle puisse se soutenir sur l'atmosphère durant le reste de son
+voyage. La résistance que l'air lui oppose ralentirait peu à peu sa
+vitesse; la machine à vapeur n'a d'autre but que de réparer constamment
+cette perte de vitesse. Un oiseau prend-il son vol du haut d'un arbre ou
+d'un rocher, d'abord il plonge dans l'air pour acquérir une certaine
+vitesse. Une fois ce mouvement imprimé, il a peu d'efforts à faire pour
+monter plus haut et augmenter la rapidité de sa course. Avec quelle
+peine, au contraire, le même oiseau ne s'élève-t-il pas de terre au
+sommet d'un arbre ou d'un rocher! Ce fait est une conséquence nécessaire
+d'un axiome mécanique bien connu: une fois en mouvement, un corps
+continue à se mouvoir, si sa force égale celle des obstacles qu'il
+rencontre. M. Henson ayant lancé sa machine, lui donne, à l'aide de sa
+machine à vapeur, une force égale à celle des obstacles qu'elle doit
+surmonter.</p>
+
+<p>On demandera encore, nous le savons, si la machine à vapeur de M. Henson
+est suffisante pour obtenir ce résultat.</p>
+
+<p>Cette question en soulève deux autres, à savoir: quelle est la puissance
+de cette machine, et quels obstacles aura-t-elle à surmonter? Il est
+plus facile de répondre à la première de ces deux questions qu'à la
+seconde. La puissance d'une machine à vapeur dépend principalement de la
+quantité de vapeur que produit le générateur; or, d'après les
+expériences faites, la machine de M. Henson représentera une force de 20
+chevaux. Le générateur et le condensateur sont aussi nouveaux
+qu'ingénieux: le premier se compose d'une cinquantaine de cônes de
+cuivre tronqués et renversés, disposés au-dessus et à l'entour de la
+fournaise; le condensateur est formé d'un certain nombre de petits
+tuyaux exposés au courant d'air produit par la course de la machine.
+Enfin le poids total de la machine, avec l'eau nécessaire pour
+l'entretenir, ne dépasse pas 600 livres.</p>
+
+<p>Quelle résistance cette machine rencontrera-t-elle? Sera-t-elle assez
+forte pour en triompher? L'expérience qui sera faite prochainement
+permettra seule de répondre à cette dernière question.</p>
+<br>
+
+<h3>Courrier de Paris.</h3>
+
+<p class="mid">THÉÂTRE-ITALIEN.--PROCÈS D'UN DAUPHIN.--LE BURGRAVE. PHÈDRE ET LA
+POLOGNE.--UNE AMÉNITÉ.--UN JEUNE HOMME A MARIER.--LA LOGE DU CINTRE.--LA
+VICTIME DE L'AMITIÉ.</p>
+
+<p>Les rossignols sont envolés, comme dit le feuilleton dilettante dans son
+jour de deuil; le Théâtre-Italien vient de clore ses portes, et la
+cavatine va prendre le paquebot de Boulogne ou de Calais. Ninetta,
+Otello, Don Pasquale jetteront, en passant, quelques notes aux alcyons.
+D'ordinaire, on se quittait avec larmes; c'était, des deux parts, un
+assaut d'émotion flagrante et d'attentions délicates; le parterre et les
+loges s'abîmaient en bravos, se ruinaient en bouquets monstres. L'autre
+jour, à la clôture, tout s'est passé froidement; sans doute on y a mis
+des procédés: le camélia, la violette, le laurier ont cherché à fleurir
+et à échauffer la séparation; mais, vous savez, quand deux amis sont à
+la veille d'une rupture, ils ont beau s'efforcer de sourire comme par le
+passé, et de se serrer tendrement la main, il y a, dans leurs
+démonstrations caressantes, un ne sait quoi de contraint et de glacé
+qui les dénonce. Comment? qu'est-ce à dire? le public et le
+Théâtre-Italien auraient-ils assez l'un de l'autre? Après dix ans d'une
+union intime, d'une passion qui s'est emportée jusqu'à l'aveuglement et
+à la fureur, tout serait-il fini? Faudrait-il mettre cet amour
+transalpin sur le grand bûcher où ce capricieux Paris brûle, pèle mêle,
+tous ses caprices, toutes ses fantaisies, toutes ses admirations d'une
+année, d'un mois, d'une semaine, d'un jour, pour semer ensuite leurs
+cendres au vent? Je ne dis pas cela, comme dit Alceste; mais, enfin, il
+y a dans l'air quelque chose d'inquiétant. Le vent qui souffle sur le
+Théâtre-Italien n'a plus la douceur de cette bise amoureuse où fauvettes
+et rossignols ont chanté si longtemps.</p>
+
+<p>Il s'est passé un fait qui atteste la réalité de cet attiédissement.
+Lablache a déclaré publiquement, à la face du parterre, qu'il chantait à
+Paris pour la dernière fois. Dieu! si une parelle nouvelle était
+inopinément tombée sur le public de l'année dernière, quel bruit! quelle
+désolation! il se serait dressé sur ses banquettes, il aurait bondi dans
+toutes ses loges, et, s'emparant de Don Géronimo de vive force, il
+l'aurait porté dix fois autour de la salle, en palanquin ou sur ses
+épaules, criant à tue-tête: <i>Lablache for ever!</i> Hier il ne s'est guère
+plus ému que si Morelli eût annoncé qu'il allait cultiver ses
+tulipes.--Ainsi Lablache nous quitte, et nous quitte sans rémission.
+Pourquoi s'en va-t-il? c'est là le mystère. Le Théâtre-Italien est en ce
+moment plein de logogriphes et d'énigmes de la même espèce; les
+meilleurs y montrent les dents, les plus unis s'y querellent.</p>
+
+<p>Une histoire non moins grave et non moins intéressante, c'est le procès
+du Dauphin. «Quoi! le Dauphin devant un tribunal?--Oui, le Dauphin, un
+vrai fils de roi.--En police correctionnelle... ou en cour
+d'assises?--Non pas, mais au tribunal de commerce.--Où en est la
+royauté, hélas!»--Le conflit était sérieux: il s'agissait du Dauphin,
+fils de <i>Charles VI</i>, opéra en cinq actes d: M. Casimir Delavigne,
+musique de M. Fromental Halévy. Le Dauphin ne voulait plus l'être, sous
+prétexte que ce rôle de Dauphin était peu digne d'un <i>ut</i> de poitrine de
+sa qualité... M. Léon Pillet déclarait que l'<i>ut</i> de poitrine et le
+Dauphin étaient parfaitement au diapason l'un de l'autre. Les
+Xaintrailles et les Lahire du tribunal de commerce, donnant gain de
+cause à M. Léon Pillet ont forcé, comme la chose leur était arrivé
+autrefois, le Dauphin de rester et d'être le Dauphin; ainsi finit la
+bataille. Le tribunal a jugé sagement qu'un Dauphin qui palpe 100.000 fr.
+par an ne peut joindre à cet agrément incontestable, l'autre agrément
+d'envoyer promener son directeur, tandis que tant d'honnêtes Dauphins
+chanteraient pour beaucoup moins, du tout leur coeur, et même
+déchanteraient.</p>
+
+<p>On siffle toujours, et l'on distribue quelques coups de poings çà et
+là, aux représentants de la trilogie de M. Victor Hugo; il ne faut pas
+perdre les bonnes habitudes. Mercredi, deux adversaires étaient aux
+prises, l'un hugolâtre et l'autre hugophobe; ils échangeaient, depuis
+un quart d'heure, des regards flamboyants, et se lançaient de vives
+apostrophes. L'hugophobe avait le dessus, et pressait vivement
+l'hugolâtre, qui se défendait par toute l'artillerie en usage dans son
+armée: nain, rococo, racinien, mirmidon, perruque! Tout à coup, à bout
+de munitions et se levant sur ses ergots: «Enfin, monsieur, cria-t-il à
+son antagoniste; enfin.... vous êtes... vous êtes un... vous êtes un
+Burgrave! L'hugolâtre, dans sa colère, avait oublié son tôle.</p>
+
+<p>Phèdre ne se livre pas, elle, aux boxeurs du parterre. Drapée dans son
+harmonieuse tunique, elle a quitté Trëzence, l'autre jour, pour venir
+dans les salons d'Érard réciter sa passion et ses beaux vers, au
+bénéfice des jeunes élèves de: l'<i>École polonaise</i>, enfants de la
+proscription, Phèdre est arrivée sur son char; ses nobles coursiers n
+étaient nullement affligés; ils n'avaient point l'oeil morne, ni la tête
+baissée; comme Phèdre avait évité le chemin de Mycène, en passant par
+la rue Croix-des-Petits-Champs, nul monstre sauvage ne s'est roulé sous
+le pied de ses chevaux, en replis tortueux. Avec Phèdre, Camille et
+Bérénice sont aussi venues, apportant dans cette bonne action, l'une son
+iambe implacable, l'autre sa plaintive élégie; et si quelqu'un,
+tristement et diversement ému de cette passion fatale, de ce pudique
+amour, de ce désespoir furieux, avait demandé: Qui est Phèdre? qui est
+Bérénice? qui est Camille? C'est mademoiselle Rachel, aurait-on
+répondu. Remords cuisants, chastes soupirs, terrible malédiction, elle a
+pris tous les tons poétiques, elle a eu toutes les voix harmonieuses,
+elle a prodigué les luttes les plus opposées de l'âme et du coeur, pour
+ces pauvret jeunes exilés de la Pologne. Voilà qui est bien; que le
+talent et la poésie appellent la richesse et le loisir à l'aide du
+malheur et de l'exil! Camille aura pu y trouver quelque soulagement à la
+perte de son cher Curiace, Phèdre en faire la déclaration sans remords à
+Hyppolyte, et Bérénice dira comme Titus: «Je n'ai pas perdu ma journée.»</p>
+
+<p>Vendredi il y avait grand concert chez madame L. C. G..., une des
+aimables et jolies comtesses du faubourg Saint-Germain. Thalherg s'y
+faisait entendre, et Duprez et Artôt; on applaudissait. Les petites
+mains délicates et parfumées n'étaient pas les moins ardentes à battre
+motivées d'enthousiasme et de ravissement. Le gracieux sourire et
+l'hospitalité charmante de la comtesse, châtelaine de l'endroit,
+assaisonnaient agréablement l'archet d'Artôt, le gosier de Duprez et le
+piano de Thalherg. Tout à coup entre; M. de Cham... d'un air tout
+effaré. M. de Cham... est un de ces hommes qui ressemblent à une
+sinistre nouvelle; dès que vous le voyez, vous ne savez point, à la mine
+ahurie qu'il vous apporte, s'il ne vient pas vous annoncer que votre
+maison brûle, que votre banquier a fait banqueroute, ou que votre
+meilleur ami vous a enlevé votre maîtresse. A cette profession
+d'enseigne de mauvais augure, M. de Cham... joint l'avantage de ne
+pouvoir hasarder un geste sans faire une maladresse, ni prononcer un mot
+sans dire une bêtise. Le plaisant, c'est que notre homme a la persuasion
+la plus cordiale de sa dextérité et de sa finesse. Tous ses saluts
+aboutissent à renverser un fauteuil, à écraser un pied ou à briser une
+porcelaine: toutes ses galanteries se travestissent en un mauvais
+compliment. Après tout, il est si naïf et se mire si ingénument dans sa
+balourdise, il est si bon homme, d'ailleurs, qu'on lui pardonne, et même
+on l'aime mieux comme cela.--Il entre donc de l'air que je vous ai dit.
+Artôt exécutait la prière de <i>Moïse</i>. Mon de Cham... ouvre les oreilles
+(et, Dieu merci! il a de quoi), allonge le cou et écoute en regardant de
+temps en temps ses voisins d'un oeil désespéré. Le solo fini, il se
+glisse à la rencontre de la comtesse, qui traversait la foule en
+aspirant un magnifique bouquet de violettes, de roses blanches et de
+myosotis: «Ah! M. de Cham.... vous voilà, lui dit-elle de son plus fin
+sourire.--Oui, madame, et très-heureux de vous voir. Je sors du concert
+de M. Guizot, et vraiment c'était bien plus ennuyeux qu'ici.» Il dit, et
+regagnant sa place, l'ingénieux de Cham... laboura cruellement du coude
+le nez d'une douairière tendrement absorbée dans la contemplation de la
+barbe fantastique d'Artôt.</p>
+
+<p>Dans la même soirée, j'ai entendu le dialogue suivant:--«Eh bien, ma
+chère, mariez-vous votre jeune cousine Anna?--Mais, oui, ma chère, si
+nous lui trouvons quelque chose qui nous aille.--Et, tenez, j'ai votre
+affaire: un jeune homme!--Vous le nommez?--Ah! je ne sais pas son nom;
+mars il vous convient à ravir.--Sa fortune?--On ne m'en a rien dit: mais,
+certainement, il fera le bonheur d'Anna.--Son esprit, son coeur, sa
+position dans le monde?--Oh! vous ne sauriez mieux faire!--Qui est-ce
+donc, enfin»--Vous savez, ma chère, vous savez bien... c'est ce jeune
+homme que... ce jeune homme qui valse à deux temps.»</p>
+
+<p>Vous savez, ou plutôt vous ne savez peut-être pas ce qu'on appelle une
+loge du cintre: la loge du cintre est une de ces cages étroites,
+imperceptibles et malsaines qu'on peut apercevoir à l'aide d'un
+excellent télescope, perchées au sommet d'un théâtre comme un nid
+d'hirondelle sur un haut peuplier. La loge du cintre est le champ
+d'asile des mamans de ces demoiselles des portières de ces
+messieurs... Un comparse du Théâtre-Français, un de ces braves Romains de
+la tragédie classique, aborda dernièrement, chapeau bas et avec toute
+l'humilité d'un soldat d'Auguste et de Néron, l'auteur des <i>Burgraves</i>.
+en méditation dans la coulisse: «Monsieur, pourriez-vous me faire
+l'honneur d'une loge du cintre pour mon épouse?--Quoi! une loge du
+cintre! Mais, mon ami, savez-vous ce que vous demandez? Cela n'est pas
+possible. J'y ai des princes!»</p>
+
+<p>Le vicomte de S... est un de ces éternels Adonis qui croient à leur
+éternelle fraîcheur et à leur jeunesse éternelle; c'est un étourdi en
+cheveux gris, un adolescent de cinquante ans; il y a bien trente ans
+qu'il est intimement lié avec madame de Val..., liaison tout amicale,
+toute d'estime, car de S... a d'excellentes qualités; elles ressortent
+d'autant plus qu'il a de nombreux ridicules. Il est honnête, sincère,
+dévoué; il donnerait sa fortune pour ses amis, j'entends pour ses vrais
+amis, et peut-être sa vie; mais pour tout au monde, il ne leur
+accorderait pas qu'il n'est plus à la fleur de l'âge. Vous lui
+demanderiez à emprunter six mois de sa prétendue jeunesse pour vous
+sauver d'un péril, ou pour vous tirer vivant d'une fondrière ou d'un
+puits artésien, qu'il vous les refuserait. Un jour--il y a quelques
+semaines de cela--madame de Val... avait réuni une société nombreuse
+dans son joli appartement de la rue Bergère; la conversation était
+animée; le vicomte y semait l'esprit de toutes mains: il en a plein ses
+poches. Une opinion lui échappa, je ne sais plus sur quel point de
+politique, de morale ou de littérature, que madame de Val... crut devoir
+contredire avec cette finesse d'aperçu et ce bon goût qui donnent tant
+de charme à ses moindres paroles. «Eh! quoi, vous pensez cela?--Eh! oui,
+vraiment, madame.--Vraiment, mon vieil ami?» A ces mots, de S... pâlit,
+ses lèvres se contractèrent et il se laissa aller sur le dos de son
+fauteuil. On crut qu'il se trouvait mal. «Non, ce n'est rien,» dit-il;
+et se levant tout à coup, il prit son chapeau, salua brusquement et
+sortit. «De S..., qu'avez-vous donc?» s'écria madame de Val...; mais il
+était déjà loin.</p>
+
+<p>Le lendemain, madame de Val... reçut le billet suivant, sous enveloppe
+parfumée, et pour cachet une colombe tenant dans son bec une rose
+enlacée d'une branche de myrte. La lettre était ainsi conçue: «Madame,
+hier, vous m'avez appelé votre vieil ami; je ne devais pas attendre cela
+de vous, après trente ans d'affection.»</p>
+
+<p>Nous l'avons en contant, madame, échappé belle.</p>
+
+<p>La comète a failli caresser de l'extrémité de sa queue la face de notre
+globe sublunaire. Vous devinez ce que doivent procurer d'agrément les
+caresses d'une comète. Ajoutez à sa queue quelques aunes de plus, et
+cette queue nous faisait la nôtre; l'Académie des Sciences l'atteste. Je
+vous le demande, où seraient maintenant Lablache, le Dauphin, les
+<i>Burgraves,</i> Phèdre, la Pologne, M. de Cham..., madame L. C. G., la loge
+du cintre, M. le vicomte de S..., madame de Val..., <i>l'Illustration</i>
+et moi-même, qui viens de vous conter tranquillement tous mes petits
+contes? Mais, grâces au ciel (c'est bien le cas de le dire), la comète,
+de mauvaise humeur sans doute d'avoir compromis inutilement sa queue
+dans cette affaire, vient de se replonger, bien loin de nous, dans les
+immenses profondeurs de l'infini. Qu'elle y reste! Nous ne lui enverrons
+pas M. de Sercy en ambassade pour la prier de revenir.</p>
+
+<h3>Les frontières du Maine</h3>
+
+<h4>ET LE DERNIER TRAITÉ ENTRE L'ANGLETERRE ET LES ÉTATS-UNIS.</h4>
+
+<p>Quand l'Angleterre reconnut, par le traité de 1783 l'indépendance des
+États-Unis, la frontière nord-est de l'Union avait été fixée ainsi qu'il
+suit par l'article 2 de ce traité: «Pour prévenir toutes les disputes
+qui pourraient s'élever à l'avenir au sujet des frontières desdits
+États-Unis, il est ici convenu de déclarer que leurs frontières sont et
+seront, à partir de l'angle nord-est de la Nouvelle-Ecosse (divisée
+aujourd'hui en Nouvelle-Ecosse et en Nouveau-Brunswick), c'est-à-dire
+l'angle qui est formé par une ligne tirée dans la direction du nord, de
+la source de la rivière Sainte-Croix aux hautes terres, puis le long de
+ces hautes terres qui séparent les eaux qui s'écoulent dans la rivière
+Saint-Laurent de celles qui se jettent dans l'Océan Atlantique, jusqu'à
+celle des sources du Connecticut, qui est situé le plus au
+nord-ouest... etc.»</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/003.png"></p>
+
+<p>Cet article n'était pas très-clair à l'époque où le traité fut conclu,
+et ne l'est pas davantage aujourd'hui. Le territoire en litige n'était
+pas habité et avait à peine été exploré par les chasseurs. La situation
+de l'angle nord-ouest de la Nouvelle-Ecosse était plus que
+problématique, car on ne savait pas exactement lequel des cours d'eaux
+qui parcourent ce pays était la rivière Sainte-Croix, et, à plus forte
+raison ignorait-on où il fallait fixer sa source. On était convenu, par
+le traité, de suivre une certaine ligne de hautes terres: mais des qu'on
+voulut mettre le traité en exécution on chercha vainement quelles
+étaient ces hautes terres qui devaient séparer le bassin du
+Saint-Laurent du bassin des affluents de Atlantique, et on douta même de
+leur existence C'est que les négociateurs du traité s'étaient basés sur
+une carte publiée par Mitchell en 1753, alors fort estimée et reconnue
+depuis fort inexacte.</p>
+
+<p>En 1794, un nouveau traité fut conclu entre l'Angleterre et les
+États-Unis, et un des objets de ce traité était de déterminer exactement
+ce que c'était que la rivière Sainte-Croix. Des commissaires furent
+nommés de part et d'autre; ils firent un rapport en 1798, qui devait
+être considéré par les termes mêmes du traité comme définitif. On trouva
+une source plus ou moins exacte de la rivière Sainte-Croix et un des
+points de la frontière fut ainsi fixé. C'était un premier pas.
+Malheureusement la guerre éclata entre les deux États avant que les
+explorations eussent donné de nouveaux résultats, et elles ne furent
+reprises qu'après le traite de Gand, en 1814. Des commissaires
+explorateurs furent envoyés sur le terrain par les deux gouvernements;
+d'admirables travaux furent entrepris, mais la question ne fut pas
+résolue; les commissaires eux-mêmes ne s'entendirent pas. Au milieu de
+toutes ces incertitudes, chaque gouvernement se forma une opinion à son
+avantage. Les États-Unis, en établissant la ligne de démarcation à
+partir de la rivière Sainte-Croix, dans la direction du nord, lui
+faisaient traverser le fleuve Saint-Jean, dont le cours supérieur leur
+aurait appartenu, et le faisaient aboutir à quarante-un milles de
+Saint-Laurent, vers le 48e degré de latitude nord; car, selon eux, ce
+n'était que là que l'on rencontrait les hautes terres désignées par le
+traité de 1783, et tout le pays à l'ouest de cette ligne, en suivant les
+hautes terres dans la même direction jusqu'à la source du Connecticut,
+devait appartenir à l'Union. Les Anglais ne pouvaient accepter
+bénévolement une telle décision, car cette ligne de frontières qui
+traversait ainsi du sud au nord, presque dans toute son étendue, la
+vaste péninsule formée par l'Océan, le golfe Saint-Laurent et le fleuve
+du même nom, interrompait toute communication entre les provinces de la
+Nouvelle-Ecosse et le Canada, entre Halifax et Québec, entre les riches
+établissements de la baie de Fundy et le Saint-Laurent.</p>
+
+
+
+<p>La difficulté restait entière. On était convenu, de part et d'autre, par
+le traité de Gand, qu'en cas de dissentiment, on déférerait le jugement
+de la contestation à l'arbitrage d'un tiers. En conséquence, le roi des
+Pays-Bas fut choisi pour arbitre en 1828. Sa sentence fut rendue et
+communiquée aux intéressés dans les premiers jours du mois de janvier
+1831. Ce n'était pas une interprétation des questions qu'il devait
+résoudre, au moins quant au point principal; il proposait simplement une
+transaction. Selon le roi des Pays-Bas, il était impossible de fixer
+exactement l'angle nord-ouest de la Nouvelle-Ecosse qu'avait voulu
+désigner le traité de 1783, car les cartes dont on s'était servi étaient
+remplies d'erreurs; quant aux hautes terres, il était manifeste qu'il en
+existait plusieurs lignes, mais aucune ne résistait aux objections. En
+conséquence il proposait, comme le parti le plus juste et le plus
+raisonnable, de substituer à la démarcation imaginaire du traité de 1783
+une délimitation toute nouvelle, en tenant compte, autant que possible,
+des convenances réciproques. Le gouvernement anglais se montra disposé à
+accepter la décision de son allié, bien qu'elle allât à rencontre de ses
+prétentions, et peu de jours après qu'elle lui eut été communiquée, lord
+Palmerston envoya au ministre britannique à Washington l'acceptation de
+son gouvernement.</p>
+
+<p>Mais dans le même temps, le ministre des États-Unis à La Haye, M.
+Preble, de l'État du Maine, en recevant la sentence du roi Guillaume, au
+lieu de la transmettre purement et simplement à son gouvernement,
+protesta contre cette sentence d'arbitrage, et sans attendre des
+instructions ultérieures, partit aussitôt pour New-York, d'où il se
+rendit dans l'État du Maine avant d'aller à Washington. Or, il y a dans
+la Constitution fédérale des États-Unis un article qui interdit au
+gouvernement fédéral la faculté de céder aucune portion de territoire
+d'un Etat particulier sans le consentement de cet État. L'État du Maine
+était le plus intéressé dans cette affaire; de sa décision dépendait le
+rejet ou l'acceptation des propositions d'accommodement: encouragée par
+la protestation de M. Preble, la législature du Maine prit les devants
+sur la délibération du président et du congrès, et déclara que l'arbitre
+avait dépassé la limite de ses droits, en substituant un compromis à
+l'interprétation qu'on lui demandait.</p>
+
+<p>Les dispositions du président et du cabinet étaient beaucoup plus
+conciliantes, et s'il n'avait tenu qu'à eux, la transaction aurait été
+acceptée; mais, aux États-Unis, le droit de ratifier les traités
+appartient au Sénat. La convention proposée par le roi Guillaume lui fut
+donc soumise. Une grande majorité se prononça pour le rejet de cette
+sentence. Ce fut en vain que le président exprima le plus vif désir que
+la convention fût acceptée; ce fut en vain que le comité des affaires
+étrangères, auquel fut renvoyé le message, fit un rapport conforme à
+l'opinion du président, le Sénat refusa sa ratification, et le
+gouvernement fédéral se vit obligé de notifier au gouvernement anglais
+qu'il regardait le jugement du roi des Pays-Bas comme non avenu; mais en
+même temps il lui faisait espérer que la difficulté constitutionnelle
+pourrait être levée au moyen d'un arrangement qui se négociait entre
+l'État du Maine et le gouvernement fédéral. Le cabinet de Washington
+s'était flatté d'un vain espoir. Il s'agissait d'obtenir de l'État du
+Maine la cession du territoire contesté moyennant une indemnité
+pécuniaire, et quand l'Union aurait été substituée aux droits de l'État
+du Maine, le cabinet américain en aurait disposé pour le plus grand bien
+de la république tout entière. Cette combinaison manqua. Le Maine
+consentit, mais l'État de Massachusetts, dont le Maine n'était qu'un
+démembrement, et dont il fallait obtenir l'autorisation comme
+propriétaire de la moitié du terrain, refusa son adhésion à
+l'arrangement proposé. De son côté, le gouvernement anglais, las de
+faire des avances inutiles, déclara qu'il ne se considérait plus comme
+lié par les offres réitérées qu'il avait faites, et qu'il ne
+consentirait plus en aucun cas à accepter la ligne tracée par le roi des
+Pays-Bas. De la sorte, la solution du différend fut encore indéfiniment
+ajournée.</p>
+
+<p>Les négociations n'étaient cependant pas rompues; mais elles faillirent
+l'être par une simple querelle de juridiction entre le gouverneur de
+l'État du Maine et le gouverneur de la colonie anglaise du
+Nouveau-Brunswick, qui compliqua d'une manière fâcheuse la question du
+territoire contesté, et dont les journaux ont retenti assez longtemps
+pour qu'il soit inutile d'en rappeler les détails. Ce débat apaisé, les
+deux gouvernements envoyèrent, chacun de son côté, des commissaires pour
+explorer le territoire contesté, où manquaient tous les éléments
+d'observations topographiques. «En arrivant sur le terrain de nos
+opérations, disaient les deux officiers du génie anglais, dans le
+rapport adressé par eux, en 1840, à lord Palmerston, nous apprîmes que
+nous aurions à explorer un pays désert, où l'on ne rencontrait pas un
+être humain, à l'exception de quelques pionniers et de quelques Indiens
+errants occupés à la chasse. Ce désert n'a jamais été traversé par des
+personnes capables de faire des observations exactes, de sorte que
+toutes les cartes que nous avons vues sont incomplètes. Si nous n'avions
+pas eu le bonheur d'engager à notre service deux Indiens intelligents,
+dont les cartes informes étaient tracées sur l'écorce des arbres, nous
+aurions perdu tout notre temps à couper des communications à travers des
+forêts impénétrables.» Ces difficultés n'empêchèrent pas les
+commissaires anglais d'arriver à une conclusion conforme aux prétentions
+de leur gouvernement, et ils crurent avoir prouvé dans leur rapport que
+la Grande-Bretagne avait un titre clair et inaliénable à la totalité du
+territoire en litige. Dans le même temps, les commissaires envoyés par
+les États-Unis étaient arrivés à une conclusion semblable en faveur des
+prétentions de leur gouvernement, de sorte que, lorsque le ministère
+tory arriva au pouvoir, la question était au même point qu'en 1840,
+après tant de recherches et d'efforts pour arriver à un compromis.</p>
+
+<p>Sir Robert Peel, au milieu des embarras de la situation, résolut de
+terminer à tout prix et sans retard cette question, qui pouvait
+compliquer d'une manière si fâcheuse sa position. Un plénipotentiaire
+fut envoyé à Washington au commencement de l'année 1812, pour négocier
+une transaction. C'était lord Ashburton, célèbre sous le nom d'Alexandre
+Baring, chef de la plus puissante maison de banque et de commerce du
+monde entier, et qui, par son mariage avec la fille d'un négociant de
+Philadelphie, a d'étroites relations avec les États-Unis. Dès le début
+des négociations, il devint évident que l'Angleterre avait hâte
+d'arriver à une solution pacifique. Le cabinet de Washington a profité
+de cette disposition, et a obtenu tout ce qu'exigeaient ses intérêts et
+sa vanité. Adoptant pour base de l'arrangement la proposition faite en
+1839 par lord Palmerston, de prendre la rivière Saint-Jean pour ligne
+limitrophe, lord Ashburton a cédé aux États-Unis toute la partie du
+territoire contesté, fertile, habitable et couverte des plus riches
+forêts, et n'a réservé à l'Angleterre qu'un pays dont les neuf dixièmes
+sont sans valeur. En un certain point, les deux rives du Saint-Jean sont
+occupées par une colonie d'origine française, un des débris de l'Acadie.
+Le plénipotentiaire anglais refusait sur ce seul point de prendre la
+rivière pour limite, ne voulant pas couper en deux et placer sous des
+lois différentes cet établissement; mais il a été forcé de céder devant
+les exigences du cabinet américain, et la colonie de Madawaska a été
+divisée. Une autre concession non moins importante lui a été imposée;
+c'est la faculté accordée aux Américains de naviguer librement sur le
+Saint-Jean jusqu'à la mer, à travers la province anglaise du
+Nouveau-Brunswick. De plus, il a été stipulé que tous les produits non
+manufacturés du pays arrosé par le Saint-Jean ou par ses tributaires
+pourraient descendre la rivière jusqu'à la mer, et que les produits
+américains, lorsqu'ils traverseraient le Nouveau-Brunswick, seraient
+admis dans les ports de cette province comme des produits anglais. En
+outre, l'Angleterre paie aux États du Maine et de Massachusetts une
+indemnité de 300,000 dollars (environ 1,000,000 fr.). Par cet
+arrangement, l'Angleterre s'assure, à la vérité, une ligne de
+communication entre les possessions du Canada et le Nouveau-Brunswick et
+la Nouvelle-Ecosse, mais elle a ouvert aux Américains un libre accès au
+coeur même de ses provinces. Tel est en substance le traité conclu à
+Washington le 9 août 1842, qu'ont imposé à l'Angleterre les embarras de
+sa situation politique et financière. D'abord la Grande-Bretagne tout
+entière l'a accueilli avec enthousiasme, comme terminant un différend
+qui pouvait amener tôt ou tard un conflit entre deux nations dont le
+plus grand intérêt est de demeurer en bonne intelligence; mais bientôt,
+quand on a connu les détails du traité, la presse et le pays ont retenti
+des plaintes des citoyens touchant les sacrifices faits à l'honneur et
+aux intérêts de la Grande-Bretagne, par la <i>capitulation Ashburton</i>.
+Cependant le sentiment de la nécessité de conserver entre les deux pays
+la bonne intelligence, a fait taire ce mécontentement, et la discussion
+que lord Palmerston a voulu soulever récemment, dans la Chambre des
+Communes, au sujet de ce traité, a tourné entièrement à l'avantage du
+ministère.</p>
+
+<h3>Tribunaux.</h3>
+
+<h4>LA POLICE CORRECTIONNELLE.</h4>
+
+<p>Les audiences de la police correctionnelle commencent en général entre
+onze heures et midi; mais tous les matins, avant neuf heures,
+quatre-vingt ou cent individus viennent s'entasser sur les marches du
+grand escalier situé à l'extrémité de la salle des Pas-Perdus et
+conduisant à la 6e chambre. A dix heures et demie, les portes sont
+ouvertes; cette foule, composée en grande partie d'hommes et d'enfants,
+se précipite dans l'antichambre qui précède la salle d'audience, puis
+dans l'étroite enceinte réservée au <i>public</i>. Les gardes municipaux de
+service sont souvent obligés d'employer la force pour le repousser.
+Rarement tous les curieux qui se pressaient sur l'escalier voient leur
+patience récompensée. L'enceinte réservée suffisamment remplie, le
+passage est barré par la crosse d'un fusil. Quand une personne sort, une
+autre personne entre; telle est la consigne; aussi, sans même entrer
+dans la salle de la police correctionnelle, en se promenant quelques
+instants, de midi à quatre heures, devant le grand escalier de la salle
+des Pas-Perdus, un observateur intelligent peut-il apprendre à connaître
+le <i>public</i> qui assiste presque régulièrement aux audiences de la 6e
+chambre, la plus célèbre des trois chambres de la police correctionnelle
+du tribunal de la Seine.</p>
+
+<p>Triste étude, en vérité, pour le dessinateur comme pour le moraliste!
+Sur les cent individus dont se compose l'auditoire, il y en a plus de
+cinquante qui n'ont d'autre profession que le vol; ils viennent tantôt
+assister au jugement de leurs complices et leur faire des signes
+convenus, tantôt se familiariser d'avance avec l'aspect et les formes de
+la justice, prendre des leçons d'adresse ou d'audace, quelquefois même
+s'exercer à commettre des vols jusque sous les yeux des magistrats. Au
+milieu de cette bande d'escrocs se trouvent disséminés çà et là des
+ouvriers sans ouvrage, des écoliers qui font l'école buissonnière, des
+vieillards pauvres qui n'ont d'autre but que de passer quelques heures
+dans une chambre bien chauffée, et enfin cinq ou six honnêtes bourgeois
+attirés à la 6e chambre par le désir d'assister en personne à
+quelques-unes de ces scènes dramatiques ou ridicules que racontent
+chaque matin à leurs abonnés les journaux judiciaires.</p>
+
+<p>Les écrivains spirituels se sont créé, depuis un certain nombre
+d'années, une nouvelle spécialité littéraire. Développant avec un art
+remarquable les situations tragiques ou comiques dont les débats de
+certaines causes leur fournissaient la première idée, ils composèrent
+d'abord de petites scènes qui obtinrent beaucoup de succès; puis ils se
+laissèrent entraîner par leur imagination, et ils inventèrent des procès
+plus ou moins vraisemblables. Le public, quand on l'intéresse ou quand
+on l'amuse, se fâche rarement; satisfait de pleurer et de rire tour à
+tour, il prit un tel goût à ces contes de la police correctionnelle, que
+tous les journaux politiques remplirent leurs colonnes des meilleurs
+articles de la <i>Gazette des Tribunaux</i>, et de son rival <i>le Droit</i>. La
+vérité est connue aujourd'hui de tout le monde, et cependant on hésite à
+y ajouter foi, on craint de perdre une illusion qui procure de temps à
+autre quelques distractions.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/004.png"></p>
+
+<p>Mais, en réalité, la police correctionnelle du département de la Seine
+n'offre pas un spectacle aussi émouvant ou aussi divertissant que
+persiste à le croire, malgré les nombreux avertissements qu'elle a
+reçus, la majorité du public. Quand les trois juges et l'avocat du roi
+qui composent le tribunal se sont assis sur leurs sièges, l'huissier
+audiencier fait faire silence, prend le rôle du jour et appelle les
+causes; alors les gendarmes ou les gardes municipaux de service
+introduisent par une porte basse, dans une espèce de loge ou de tribune
+garnie de deux bancs de bois, les prévenus, qui ont été amenés le matin
+même de la Force ou de la Roquette à la Conciergerie. Ce sont presque
+toujours:</p>
+
+<p>Un forçat libéré accusé d'avoir rompu son ban;</p>
+
+<p>Un vieillard que les sergents de ville ont surpris tendant la main au
+moment où, dénué de toute ressource et trop faible pour travailler, il
+sentait les premières atteintes de cette terrible maladie qu'on appelle
+la faim;</p>
+
+<p>Un jeune homme de dix-huit à vingt ans, qui a déjà subi plusieurs
+condamnations et qui a été arrêté une quatrième fois en flagrant délit
+de vol, qui se glorifie de son crime, qui insulte la justice; car il se
+sent lui-même aussi indigne de pitié qu'il est incapable de se repentir
+et de se corriger;</p>
+
+<p>Un pauvre petit enfant étranger, accusé d'avoir mendié, qui s'avoue
+coupable et qui promet de ne plus recommencer si on l'acquitte;</p>
+
+<p>Des enfants vagabonds que leurs parents ne viennent pas réclamer parce
+qu'ils sont trop pauvres pour pouvoir les nourrir, ou parce qu'ils ont
+vainement essayé de vaincre leurs mauvais penchants;</p>
+
+<p>Un ouvrier dont l'ivresse a fait presque un meurtrier;</p>
+
+<p>Une femme adultère et son complice.</p>
+
+<p>Toujours le vice ou la misère! toujours des malheureux qui n'ont pas de
+moyens d'existence ou qui ne vivent que du produit de leurs vols! Qu'on
+cesse donc de regarder la police correctionnelle comme, l'un des
+théâtres les plus curieux et les plus agréables de Paris; ce ne sont pas
+des distractions qu'il faut y venir chercher, ce sont des leçons. Toutes
+les classes de la société y en trouveront: des ouvriers verront avec un
+effroi salutaire les terribles conséquences qu'entraînent d'ordinaire
+après elles la paresse, l'imprévoyance et la débauche; une partie de la
+bourgeoisie y rougira peut-être de son égoïsme, elle comprendra qu'elle
+a de grands sacrifices à faire; qu'au lien d'essuyer en passant quelques
+larmes, elle doit s'efforcer d'en tarir la source; que ce n'est pas
+seulement le mal présent, mais plus encore le mal futur qu'il importe de
+guérir.--Si cet infortuné qui vient s'asseoir sur ce banc de honte pour
+s'entendre condamner à cinq années d'emprisonnement était né dans la
+même position sociale que ses juges ou que son défenseur, s'il avait
+reçu une meilleure éducation, il serait peut-être resté toute sa vie un
+honnête homme. Mais à peine sa mère l'eut-elle mis au jour, elle
+l'abandonna; personne ne lui a donné un sage conseil; il n'a jamais en
+sous les yeux que de mauvais exemples; il voudrait travailler, mais on
+ne lui a pas appris un état; tous les ateliers sont fermés pour lui. Le
+besoin le détermine à commettre un premier vol; malheureusement on le
+surprend en flagrant délit, on l'arrête, on le juge, on le condamne, on
+l'enferme avec d'autres malfaiteurs. Si courte que soit sa peine, quand
+il l'aura subie, il sera perdu sans ressource.</p>
+
+<p>C'est donc parfois un devoir pour la presse de raconter, mais sans y
+rien ajouter, sans en rien retrancher, quelques-uns des petits drames
+qui se jouent journellement aux audiences de la police correctionnelle.
+Outre l'intérêt bien naturel qu'ils inspirent, ces récits renferment
+d'utiles enseignements que l'écrivain doit s'attacher à signaler à
+l'attention publique. Il y a certaines gens, assez honnêtes d'ailleurs,
+que le mot seul de morale fait bailler d'ennui; ils ont le vice en
+horreur dans leur vie privée, mais ils le trouvent amusant dans les
+journaux. Suivant eux, la littérature et les beaux-arts ne doivent se
+proposer qu'un but, celui de plaire, comme si l'humanité avait été créée
+uniquement pour se divertir. Il y aurait du courage à résister à ces
+erreurs du goût public, à réagir, à ne pas mentir pour plaire, à ne pas
+exciter le rire avec le récit de faits qui ne doivent jamais exciter que
+l'indignation ou la pitié. La presse a une mission plus noble à remplir:
+instruire et moraliser, telle est sa devise; qu'elle y reste toujours
+fidèle désormais, elle ne tardera pas à reconquérir l'influence qu'elle
+a perdue.</p>
+
+<p>Ajoutons toutefois que la seconde partie d'une audience de la police
+correctionnelle ne ensemble en rien à la première. Le drame fini, la
+comédie commence. Après les affaires des détenus ou des individus qui
+ont obtenu leur liberté provisoire sous caution, mais qui sont également
+poursuivis à la requête du ministère public, viennent les causes dites
+<i>entre parties.</i> Certaines classes de la population parisienne font un
+abus vraiment extraordinaire du droit de citation directe, droit que le
+législateur aurait cependant tort d'abolir. Les juges sont doués d'une
+patience évangélique. Que de petites passons se démènent chaque jour
+autour de ce tribunal! que de ridicules s'y étalent avec orgueil! que de
+sottises s'y débitent! que d'esprit s'y dépense inutilement! Il y a là
+des peintures de moeurs et de caractères assez vives et assez
+divertissantes pour qu'il soit inutile ou même fâcheux de les convertir
+en charges. Il faudrait se contenter de présenter le miroir à ces scènes
+de comédie, et ne les point affaiblir, les dénaturer, en les parodiant.</p>
+
+<h4>DES CIRCONSTANCES ATTÉNUANTES.</h4>
+
+<p>L'application des circonstances atténuantes en matière criminelle n'est
+pas, en général, parfaitement appréciée par tous les esprits. Les effets
+de ce système sont surtout inexactement jugés. Quelques verdicts du jury
+ont fait penser qu'il abusait de la faculté mise à sa disposition. Les
+expressions mêmes de la formule qui exprime cette faculté lui ont nui
+dans l'opinion publique; on a été porté à en induire que la répression
+ressentait une certaine mollesse, la justice pénale quelque relâchement.
+Quelques magistrats ont même déjà manifesté des alarmes. Cette idée, qui
+se fonde sur de vagues préoccupations ou sur des actes isolés, mais non
+sur les faits généraux, n'est nullement fondée; elle a été réfutée
+récemment par un savant criminaliste, M. Faustin Hélie, dans la <i>Revue de
+Législation</i>, et il nous a paru curieux et utile d'emprunter à cette
+dissertation quelques observations qui sont de nature à éclairer cette
+question morale et pratique et à rectifier des jugements conçus
+peut-être avec quelque légèreté.</p>
+
+<p>Le système des circonstances atténuantes a été adopté par la loi du 28
+avril 1832. Les jurés, en matière criminelle, et les juges, en matière
+correctionnelle, ont été investis de la faculté de déclarer qu'il existe
+en faveur du prévenu des circonstances atténuantes; cette déclaration a
+pour effet de faire diminuer la peine portée par la loi; cette peine
+peut alors descendre, en matière correctionnelle, jusqu'au taux des
+peines de simple police, et en matière criminelle, d'un ou de deux
+degrés, suivant l'application des juges de la Cour d'assises. Or, ce que
+nous voulons examiner, c'est l'effet de ce droit d'atténuation sur la
+marche générale de la répression.</p>
+
+<p>Un premier fait est incontestable: c'est la diminution du nombre des
+acquittements. Les acquittements n'avaient cessé de s'accroître jusqu'à
+la promulgation de la loi du 28 avril 1832; en 1826, sur cent accusés,
+on comptait trente-huit acquittés; en 1831, on en comptait quarante-six.
+La faculté de déclarer des circonstances atténuantes a subitement arrêté
+cette progression, qui menaçait de détruire toute répression. En 1833,
+sur cent accusés, il n'y eut plus que quarante-un acquittements; ce
+nombre s'abaissa successivement, en 1834, à quarante; en 1835, à
+trente-neuf; en 1836, à trente-six; en 1839, à trente-cinq; enfin, en
+1840, à trente-trois. Ce premier résultat est donc bien constaté.</p>
+
+<p>Les acquittements nombreux attestent ou une mauvaise législation ou une
+mauvaise justice. Les jurés rejettent les accusations, soit parce que
+les lois pénales leur semblent trop rigoureuses, soit parce que des
+procédures mal instruites amènent devant eux des accusés sur lesquels
+pèsent des charges insuffisantes. Avant la réforme de 1832, le nombre
+extraordinaire des acquittements, à peu près la moitié des accusés,
+était dû principalement à l'excessive sévérité du Code Pénal; les jurés
+hésitaient à condamner, quand les peines étaient hors de proportion avec
+les délits: ils acquittaient en haine de la loi. Il fallait un terme à
+un tel désordre; l'admission des circonstances atténuantes a eu pour but
+de le faire cesser. Le législateur pensa que les jurés pouvant atténuer
+les peines, ne prononceraient plus autant d'acquittements. Cette
+prévision s'est rapidement réalisée. C'est là, il faut le dire, le
+progrès le plus sûr qu'ait pu faire la justice. Avant tout, il faut
+atteindre et punir les coupables; le degré de la punition n'a, ainsi que
+nous le dirons plus loin, qu'un intérêt secondaire.</p>
+
+<p>Un deuxième résultat est également constaté. Avant la loi modificative
+du Code, les déclarations du jury, lors même qu'elles déclaraient
+l'accusé coupable, n'étaient pas sincères: il mutilait les accusations,
+écartait les circonstances aggravantes et bouleversait la qualification
+des faits incriminés. En 1826, sur cent accusations admises par le jury,
+soixante étaient modifiées par le rejet des circonstances aggravantes;
+ce nombre s'était, successivement élevé jusqu'à soixante-neuf sur cent
+en 1832. A partir de cette époque, les accusations admises sans
+changement dans la qualification des faits se sont élevées chaque année:
+aujourd'hui, cinquante sur cent seulement sont modifiées. D'où nait
+cette différence? C'est que les jurés n'ont plus en besoin de faire des
+déclarations mensongères pour mettre la peine en rapport avec le délit;
+l'atténuation dont la loi les a investis leur a suffi; leurs verdicts
+sont devenus sincères; ils ont affirmé tous les faits que l'accusation
+prouvait. Cette deuxième amélioration est évidente; elle démontre que la
+justice est rentrée dans la voie de la vérité; elle démontre aussi que
+la législation a cessé d'être en opposition avec les moeurs publiques,
+et que ses dispositions sont, en général, acceptées.</p>
+
+<p>Maintenant il est très-vrai que le bénéfice des circonstances
+atténuantes a été étendu à un très-grand nombre de condamnés. Nous
+verrons tout à l'heure ce chiffre, qui est assurément fort élevé; mais
+plusieurs considérations très-graves l'expliquent facilement.</p>
+
+<p>D'abord, on vient de voir que si, d'un côté, le nombre des atténuations
+de peines s'accroit, d'un autre côté, et par une sorti; d'équation
+mathématique, le nombre des acquittements diminue, et les déclarations
+du jury deviennent plus fermes et plus sincères. Or, ne doit-on pas
+préférer, dans l'intérêt de la répression, des peines atténuées à des
+acquittements complets? La justice n'est-elle pas plus satisfaite par la
+déclaration consciencieuse de tous les faits de l'accusation que par la
+dénégation mensongère d'une partie de ces faits pour arriver, par un
+détour frauduleux, à une diminution de peine que la déclaration de
+circonstances anémiantes régularise? Avant la loi de 1832, l'expérience
+des années antérieures nous l'apprend, le jury aurait acquitté le tiers
+de ces condamnés, et il aurait, à l'égard des autres, dénié les
+circonstances aggravantes. Ces déclarations, désavouées par la
+conscience, auraient-elles donc produit une répression meilleure? Un
+châtiment, quel qu'il soit, quand il frappe un coupable, n'est-il pas
+préférable à une complète impunité?</p>
+
+<p>Sans doute les peines ont diminué dans leur gravité ou dans leur durée.
+Mais suit-il donc de là que la mesure de la répression se soit
+affaiblie? Constatons d'abord dans quelles limites cette atténuation
+s'est opérée. Avant la loi de 1832, le nombre des condamnations à des
+peines afflictives ou infamantes s'abaissait chaque année: ce chiffre,
+qui était de quarante sur cent accusés en 1826, n'était plus que de
+vingt-sept sur cent en 1832. Et remarquez que le système des
+circonstances atténuantes n'existait point à cette époque. Les peines
+afflictives ne se transformaient que fort rarement en peines
+correctionnelles; elles n'étaient remplacées que par les acquittements,
+dont le chiffre s'élevait incessamment. Depuis 1832, ces peines n'ont
+pas été appliquées plus fréquemment; mais les condamnations
+correctionnelles ont graduellement augmenté. En 1840, sur cent accusés,
+vingt-huit ont été condamnés à des peines afflictives et infamantes, et
+trente-neuf à des peines correctionnelles. Ainsi, le chiffre général des
+condamnations a tendu sans cesse à se relever depuis l'adoption des
+circonstances atténuantes. Ce chiffre, qui était de soixante-deux sur
+cent accusés en 1826, et même de cinquante-quatre sur cent en 1831, est
+remonté par degrés à soixante-sept sur cent en 1840. Une espèce de
+réaction s'est même manifestée dans la distribution des peines pendant
+ces dernières années. Les condamnations ont été plus fermes et plus
+nombreuses; les peines se sont élevées, soit par leur intensité, soit
+par leur durée.</p>
+
+<p>Faut-il attribuer cette réaction morale, cette fermeté plus grande, aux
+lumières que les jurés acquièrent à mesure qu'ils exercent leurs
+fonctions, aux temps plus calmes qui ont succédé à des temps de troubles
+politiques, à l'inquiétude causée par quelques verdicts empreints d'une
+indulgence excessive, enfin, à l'instinct de conservation qu'éprouvent
+les citoyens à la vue des crimes qui semblent s'accroître? Il faut
+l'attribuer sans doute à toutes ces causes; mais son véritable, son
+principal motif est dans la faculté attribuée au jury, par la
+déclaration des circonstances atténuantes, de faire bonne justice,
+justice suivant sa conscience, c'est-à-dire de proportionner la peine
+avec le délit. Le jury exprime de la manière la plus naïve et la plus
+sincère les mouvements de la conscience individuelle, bien plus que de
+la conscience sociale; il est plus préoccupé de la justice intrinsèque
+d'une peine que des motifs d'utilité générale qui s'attachent à son
+application; son point de vue se borne généralement à la cause qu'il
+juge; il s'étend rarement aux causes de la même nature dont le nombre et
+la répétition exigent une répression plus ou moins sévère. Il déclarera
+la culpabilité qui lui est démontrée, mais à condition que les effets
+de cette déclaration lui paraîtront équitables. Vainement vous voudriez
+couvrir la loi pénale d'un voile à ses yeux; ce voile, vaine fiction du
+législateur, il le déchire tous les jours. Il pèse la peine en pesant
+les termes de sa déclaration; il rejettera, comme il l'a fait tant de
+fois, la condamnation la plus juste, si le châtiment lui paraît hors de
+proportion avec le crime.</p>
+
+<p>Les faits sont donc incontestables: le système des circonstances
+atténuantes a produit des condamnations plus nombreuses, une
+distribution plus ferme des peines, une appréciation plus consciencieuse
+et plus exacte des faits incriminés. Une seule objection peut être
+opposée à ces bienfaits. Les peines appliquées sont plus nombreuses,
+mais elles sont moins fortes; elles perdent en intensité ce qu'elles
+gagnent en nombre; les peines afflictives et infamantes semblent tendre à
+se transformer en peines correctionnelles; elles se dépouillent de leur
+appareil afflictif et de leur intimidation.</p>
+
+<p>Cette objection, vue de près, disparaît promptement. Il n'est pas vrai,
+d'abord, que les peines afflictives tendent à se correctionnaliser, et
+cela par une raison très-simple, c'est que la loi a posé des limites que
+cette tendance ne pourrait franchir. Mais prenons successivement les
+différentes peines afflictives, et nous verrons que leur marche est
+plutôt ascendante que décroissante. Ainsi, la peine qui semblait devoir
+exciter la répugnance la plus grande de la part des jurés, parce qu'elle
+fait peser sur eux une responsabilité plus grande, la peine de mort, n'a
+pas cessé d'être appliquée; en 1840, cinquante-un accusés ont été
+condamnés à cette peine, et ce chiffre, qui avait varié dans les années
+précédentes, paraît disposé à s'élever. Les condamnés aux travaux forcés
+à perpétuité qui, en 1835, étaient au nombre de cent quarante-un, sont
+montés successivement à cent soixante-dix-sept, cent
+quatre-vingt-dix-sept, cent quatre-vingt-dix-huit; en 1841, ils ont été
+de cent quatre-vingt-cinq. Les condamnés aux travaux forcés à temps se
+sont généralement maintenus au chiffre de huit cents chaque année; les
+dernières années ont présenté les chiffres de huit cent cinquante-deux,
+huit cent quatre-vingt-trois et mille cinquante-six. Enfin, les
+condamnés à la réclusion, qui n'étaient qu'au nombre de six cent
+quatre-vingt-quatorze en 1833, ont atteint les chiffres de neuf cent
+vingt-trois et mille trente-deux en 1839 et 1840. Sans doute, il faut
+tenir compte de l'augmentation générale des accusations et des
+condamnations, mais il ne résulte pas moins de ces chiffres que la
+répression ne s'affaiblit pas, et que les peines afflictives reçoivent
+une application journalière et continuelle.</p>
+
+<p>Maintenant, nous ne prétendons nullement méconnaître qu'un certain
+nombre de peines afflictives se soient transformées en peines
+correctionnelles. Est-ce véritablement un mal? La société a-t-elle un
+intérêt réel à ce qu'une peine afflictive soit appliquée à certains
+faits plutôt qu'une peine correctionnelle? Son principal intérêt
+n'est-il pas que les coupables soient punis? Il est, d'ailleurs, reconnu
+maintenant que le régime des maisons centrales est plus rigoureux et
+plus répressif que celui des bagnes; et, dans les maisons centrales, les
+condamnés à la réclusion et à l'emprisonnement de plus d'un an sont
+soumis au même régime et subissent la même peine. Il n'y aurait donc que
+la durée plus brève de la peine qui pourrait lui enlever une partie de
+son effet d'intimidation; mais l'efficacité d'une peine est dans la
+certitude de son application bien plus que dans sa durée; elle est
+surtout dans le mode de son exécution. Sans doute la prolongation de
+cette exécution ajoute à la rigueur de la punition, mais elle n'est
+qu'une cause secondaire d'intimidation. Le système pénitentiaire peut la
+désirer, parce qu'elle augmente son action sur le condamné, mais la
+répression est moins intéressée à cette prolongation au delà de
+certaines limites. Il suffit que la peine soit assez longue, pour peser
+sur la vie du coupable, mais elle ne doit pas puiser toute sa gravité
+dans sa durée.</p>
+
+<p>La justice n'a donc pas fléchi: le système des circonstances atténuantes
+ne l'a donc pas désarmée; elle a même puisé dans son application une
+puissance nouvelle: sa marche a été plus sûre, plus ferme, plus
+certaine. La répression a été plus complète, car elle a atteint un plus
+grand nombre de coupables; elle a été plus juste, car le rapport entre
+le délit et la peine a été établi avec plus de soin; elle a été mieux
+réglée, car la conscience, qui se débattait naguère contre l'exagération
+des châtiments, applaudit à ses jugements depuis qu'il est permis de
+concilier la peine avec la gravité du fait.</p>
+
+<p>Voilà les résultats qu'a produits le système des circonstances
+atténuantes, résultats constatés par la statistique, et qu'il est
+impossible de dénier. La justice et la morale elles-mêmes doivent donc
+applaudir à une innovation qui a assuré une répression plus étendue,
+bien que modérée, des actions criminelles.</p>
+
+<h3>Poètes italiens contemporains.</h3>
+
+<h4>LOUIS CARRER.</h4>
+
+<p>Parmi les poètes italiens contemporains, l'un des plus aimables, l'un
+des plus gracieux et des plus nationaux, c'est sans doute le Vénitien
+Carrer, dont le nom est à peine connu en France.</p>
+
+<p>La vocation de ce poète se déclara un jour que, presque enfant, il
+entendit le célèbre improvisateur Sgricci. Le feu divin s'alluma dans
+l'âme du jeune Louis, et l'adolescent, dans lequel rien jusque-là
+n'avait révélé le poète, eut l'audace de parler à son tour aux
+Vénitiens, encore frémissants des applaudissements prodigués au Sgricci,
+cette langue des vers, toujours si douce à leur oreille. Le succès fut
+complet, et, pour que rien n'y manquai, pour que le talent fût en
+quelque sorte sacré par le génie, Byron, alors à Venise, prédit que cet
+enfant ferait un jour la gloire du pays où il était né. Toutefois
+Carrer, loin de se laisser étourdir par de si nombreux applaudissements
+et par un tel suffrage, eut vite compris qu'ils ne devaient être pour
+lui qu'un encouragent; qu'il pouvait devenir un poète, mais qu'il ne
+l'était pas encore. L'art de l'improvisation ne fut à ses yeux qu'un des
+degrés les plus infimes de la poésie, et il se mit à travailler
+assidûment, convaincu que les oeuvres faites lentement, difficilement
+même, sont les seules durables. Naturellement doué d'une riche
+imagination, il étudia avec patience la forme, cette partie de l'art si
+difficile, et sans laquelle pourtant il n'est point d'art véritable.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/005.png"><br><b>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;(Louis Carrer.)</b></p>
+
+<p>Or, cette qualité de la forme, Carrer, aujourd'hui, la possède à un
+degré éminent, comme l'atteste le recueil que nous avons sous les yeux,
+et qui contient des poésies de différents genres: ballades, sonnets,
+odes, nouvelles, etc. Les ballades sont empruntées parfois à des
+traditions étrangères, mais plus souvent à des légendes vénitiennes, et
+celles-ci sont, nous l'avouons, celles que nous préférons; tout
+imprégnées qu'elles sont du parfum des lagunes, riches, étincelantes
+d'or et de pierreries, comme <i>Venise la belle</i>, riantes alors même que
+le fond en est sombre ou sanglant. L'arbre des tombeaux pour le poète
+vénitien, ce n'est pas le sombre cyprès, mais le myrte, et parfois même
+l'oranger. La mort, c'est le seuil de la vie heureuse.</p>
+
+<p>Les sonnets, écrits dans la langue italienne, vraie langue du sonnet,
+ont cette perfection de forme sans laquelle ce genre n'existe pas; mais
+ils nous semblent, de même que les odes, trop souvent dénués d'une
+pensée forte ou originale. En somme, ce que nous aimons le mieux, ce qui
+nous paraît le véritable titre de gloire du poète, ce sont les ballades,
+dont nous donnerons de préférence quelques-unes à nos lecteurs.</p>
+
+<p>Selon une tradition populaire à Venise, un patricien devint amoureux
+d'une jeune fille du peuple, et, désolée de ne pouvoir être sa femme,
+celle-ci se précipita dans l'Adriatique, où elle périt; après sa mort,
+le jeune noble ne voulut jamais accepter d'autre épouse, et, devenu
+doge, il se déclara le fiancé de la mer. C'est là, selon les enfants des
+lagunes, l'origine de la fête qui fut célébrée chaque année le jour de
+l'Ascension, tant que Venise a eu un doge, cérémonie dans laquelle, du
+haut du <i>Bucentaure</i>, le chef de la république jetait solennellement
+dans la mer l'anneau, symbole d'une mystique union. Les historiens
+donnent à cette cérémonie une autre, ou plutôt d'autres origines sur
+lesquelles ils ne peuvent s'accorder; mais les poètes aiment d'ordinaire
+mieux la légende que l'histoire; l'érudition les effraie, et nul ne
+s'étonnera de voir Carrer adopter la croyance des pêcheurs de Venise. On
+sera, nous n'en doutons pas, tenté de l'en remercier, quand on verra de
+quelle poésie limpide et brillante, j'ai presque dit phosphorescente
+comme les flots de l'Adriatique, il a su la revêtir.</p>
+
+<h4>L'ÉPOUSE DE L'ADRIATIQUE.</h4>
+
+<p>«Qu'elle se taise, la joyeuse fanfare, qu'elle se taise sur la route
+azurée de la mer, qu'elle se taise parmi les rochers où, pauvre âme nue,
+je me cache pour soupirer.</p>
+
+<p>«Qu'on me le donne, l'anneau d'or, et alors je cesserai ma plainte,
+alors en silence j'attendrai l'époux qui me fut fiancé.</p>
+
+<p>«Qu'il n'appartienne jamais à une autre celui-là qui m'a donné sa foi;
+il m'a nommée sienne, et je l'attends; après la mort nous serons unis.</p>
+
+<p>«Pour ce jour je le prépare, le lit nuptial; je le fais d'écume
+moelleuse, trompant, dans cette douce occupation, l'ardent désir qui me
+consume.</p>
+
+<p>«Quand, parvenu à son dernier jour, mon époux descendra enfin vers moi,
+il me trouvera venant à sa rencontre au bord de la grotte où je gémis.</p>
+
+<p>«Alors mon sein et mes cheveux seront ornés de deux colliers de
+coquillages; alors je me ceindrai la taille d'une verte ceinture
+d'algues marines.</p>
+
+<p>«Alors il verra briller à mon doigt l'anneau qu'il m'a jeté du haut du
+trône d'or, cet anneau que depuis si longues années je tiens là caché
+sur mon coeur.</p>
+
+<p>«Le reconnais-tu, le reconnais-tu, cet anneau que jamais je n'ai
+quitté?--Oui, je le reconnais, bien-aimée; c'est lui que je te donnai
+dans un jour de bonheur.</p>
+
+<p>«Mais comme tu es froide et pâle!--C'est la mer qui m'a faite ainsi,
+cher amour: toi, tu as vécu au milieu des joies de la vie; et moi,
+j'étais ici seule, toujours attendant, toujours pensant à lui.</p>
+
+<p>«Chère épouse! ô toi qui si confiante as attendu ma venue, enfin nous
+voilà réunis; maintenant rien ne peut nous séparer, je ne le quitterai
+plus.</p>
+
+<p>«Tant que durera le jour, je les parcourrai avec lui, ces ondes amies,
+et quand viendra la nuit, elle sera l'asile de mon sommeil, la grotte
+silencieuse.</p>
+
+<p>«Ensemble à toute heure et pourtant nous désirant toujours, notre amour,
+né sur la mer, ne finira qu'avec la mer.»</p>
+
+<p>Après avoir entendu cette fille des lagunes qui pour son noble amant
+veut séparer de ces jolies coquillages dont, enfant, elle avait, comme
+tous les enfants de Venise, formé de gracieux colliers; après avoir vu
+récompenser son fidèle amour par une éternelle union au sein de cette
+mer tant aimée de tout Vénitien, suivons la capricieuse imagination du
+poète en Espagne, où il a trouvé une de ses plus originales ballades.
+Mais comment rendre l'harmonie de ce rhythme si parfaitement adapté au
+sujet? C'est quelque chose qui rappelle le rhythme adopté par Byron dans
+<i>Mazeppa</i>: c'est le galop régulier du cheval qui doit emporter la belle
+Espagnole, et pas une minute l'esprit ne peut oublier le noble et
+fantastique animal qui se trouve ainsi le <i>principal personnage</i> de ce
+petit drame. Selon la manière d'un autre grand poète, Goethe, dans
+plusieurs de ses adorables ballades, la pièce n'a pas de dénouement, et
+le lecteur peut le faire riant ou terrible à volonté.</p>
+
+<h4>LE CHEVAL D'ESTRAMADURE.</h4>
+
+<p>«Un indomptable destrier bal les plaines de l'Estramadure; le royaume en
+est en deuil, et ducs, chevaliers et princes, tous ont peur du fier
+animal.</p>
+
+<p>«--Qui lui mettra le frein et la selle, je le jure, pour peu qu'il soit
+chrétien, celui-là sera l'époux d'Isabelle, il deviendra gendre du
+roi.--</p>
+
+<p>«Tel est le ban que, par ordre du monarque, un héraut va proclamant de
+contrée en contrée; mais depuis six mois il est proclamé et il n'a pas
+paru encore le brave qui doit gagner le prix.</p>
+
+<p>«Le héraut a vu la Castille et Grenade, il a visité Cadix et Séville, il
+a traversé le Tage et le Douro. «Vainement il a proclamé son ban sur les
+places d'Oviédo et de Pampelune, vainement il a vu et la Murcie, et
+l'Aragon et le beau sol catalan.</p>
+
+<p>«Mais un jour voilà que se présente un obscur Biscayen, et cet homme
+pauvre, riche de son seul courage, offre de lutter contre le sauvage
+coursier.</p>
+
+<p>«Les grands étonnés raillent son audace. «Bonhomme, disent-ils, prends
+l'étrille; sans elle que peut un homme de ta sorte en semblable
+affaire?»</p>
+
+<p>«L'étranger ne répond rien; il renferme au dedans de lui sa trop juste
+colère; il attend, et après une longue attente, on l'introduit devant le
+roi.</p>
+
+<p>«Il se découvre d'abord; puis, s'adressant respectueusement au monarque:
+«--La proclamation que j'ai entendue plusieurs fois est-elle fidèle, ô
+roi?</p>
+
+<p>«Celui qui mettra le frein et la selle à un coursier qui épouvante le
+royaume, celui-là sera-t-il l'époux d'Isabelle, deviendra-t-il gendre du
+roi?</p>
+
+<p>«--Oui, dit le roi, tel est mon ban, et, je le jure, telle sera la
+récompense du vainqueur, pourvu qu'il adore notre Dieu.--</p>
+
+<p>«Et le souverain avait à peine fini de parler, que déjà le brave inconnu
+était sur le chemin où se montrait le plus souvent l'indomptable
+coursier.</p>
+
+<p>«Il y marchait depuis peu de temps, lorsque sous de rapides bonds il
+entend retentir la terre; le peuple fuit épouvanté et le laisse seul
+avec l'être mystérieux qu'il doit vaincre.</p>
+
+<p>«Le soleil avait presque achevé sa course, et le roi, assis sur la
+terrasse, parlait ainsi à sa fille assise près de lui.</p>
+
+<p>«--Il est parti dès le commencement du jour, le hardi Biscayen; le
+soleil va se coucher, il n'est pas encore de retour: quel aura été son
+destin?--</p>
+
+<p>«Et la jeune fille répondait: «Ô mon père! je ne crains rien, car elle
+annonçait une haute valeur, la figure de l'hôte inconnu.</p>
+
+<p>«Isabelle parlait encore, quand la plaine fil entendre de bruyantes
+acclamations, et bientôt l'étranger parut menant après lui le cheval
+enfin dompté.</p>
+
+<p>«Le peuple qui lui faisait cortège vantait hautement sa valeur, et
+bientôt, se séparant de la foule, le vainqueur s'approcha du roi, tenant
+toujours le cheval dompté.</p>
+
+<p>«--Le voilà, dit-il, de mes mains il a reçu la selle et le frein;
+maintenant elle m'appartient la main d'Isabelle, maintenant je dois être
+ton gendre.</p>
+
+<p>«Le roi se troubla en entendant ces paroles, et il allait... Une sorte
+de terreur le retint, et d'une voix douce et contenue il parla ainsi à
+l'étranger:</p>
+
+<p>«--Ta demande est audacieuse, Biscayen; mais d'abord dis-moi ton rang,
+afin que je sache à qui je parle.</p>
+
+<p>«--Tu ne me l'as pas demandé lorsque pour loi je me suis offert à la
+lutte; mon titre de noblesse, c'est l'action que j'ai faite, c'est à
+elle de répondre pour moi.</p>
+
+<p>«Il doit le suffire de savoir que moi aussi j'adore Jésus. Le ciel sait
+le reste, le ciel qui m'a fait vaincre et a combattu avec moi.</p>
+
+<p>«Et le roi lui répond: «Non, Biscayen, cela ne suffit pas, car il ne
+peut être l'époux de ma fille, celui qui n'est pas de sang royal.</p>
+
+<p>«Demande de riches vêtements, demande des bijoux précieux, tu les
+obtiendras de moi, mais, je te le répète, si tu n'es pas de sang royal,
+ne me la demande pas, la main d'Isabelle.</p>
+
+<p>«--Ce ne sont ni de riches vêlements ni des bijoux précieux qui me
+furent promis; tu l'as juré que tu me donnerais Isabelle.</p>
+
+<p>«--Tu obtiendras de moi toute autre belle de mon royaume, et j'y
+joindrai une riche dot; mais, je te le dis encore, il n'aura pas la main
+d'Isabelle, celui-là qui n'est pas roi.</p>
+
+<p>«--Que me parles-tu d'autre belle? que me fait la dot que tu m'offres?
+c'est pour Isabelle que j'ai voulu vaincre. Ô roi! remplis ta promesse.</p>
+
+<p>«--Pars, fuis loin de mes yeux, arrogant aventurier, et si tu ne veux
+mourir, ne reparais jamais devant moi.</p>
+
+<p>«L'étranger se tut, et jetant sur le roi un regard de colère, il partit,
+emmenant avec lui le cheval qu'il avait dompté.</p>
+
+<p>«On n'entendit plus parler ni de lui, ni du sauvage coursier, mais sur
+le front d'Isabelle plana depuis lors un sombre nuage.</p>
+
+<p>«A un an de là un roi puissant demanda la main de la jeune fille;
+celle-ci ne le refusa pas, elle ne l'accepta pas non plus, sa bouche
+resta muette.</p>
+
+<p>«Cependant le roi son père a engagé sa parole, le jour des noces a été
+proclamé dans toute la contrée, et de chaque point de l'Espagne on
+accourt pour assister à la cérémonie sacrée.</p>
+
+<p>«La foule se presse et augmente de moment en moment dans l'auguste
+cathédrale où se voit déjà l'archevêque, la mitre en tête et la crosse à
+la main.</p>
+
+<p>«Sur deux haies, des deux côtés de la porte, sont rangés les varlets et
+les hallebardiers contenant le peuple et gardant la voie libre pour les
+chevaliers.</p>
+
+<p>«Déjà s'approche le royal cortège, déjà s'entend le son des trompettes;
+la messe va commencer, chacun est à son poste.</p>
+
+<p>«L'autel est paré en fête: les fleurs et les cierges brillent de toutes
+parts. Isabelle, vêtue de blanc, est là debout entre son père et son
+époux.</p>
+
+<p>«Mais quelle sourde rumeur se répand dans la foule? On parle tout bas du
+Biscayen, et plusieurs disent: «Si par hasard il était là?»</p>
+
+<p>«A peine a-t-on commencé le saint et redoutable sacrifice, qu'un bruit
+s'élève dans un coin reculé de l'église.</p>
+
+<p>«L orgue retentit, comme touché par une main invisible; les lumières
+s'éteignent toutes à la fois, et on entend au loin gronder le tonnerre.</p>
+
+<p>«Parmi les assistants renversés à terre, plusieurs virent une tombe
+s'ouvrir, et de l'abîme surgit un destrier que tous eurent bientôt
+reconnu.</p>
+
+<p>«C'était bien celui auquel l'aventurier avait mis le frein et la selle,
+c'était bien celui qui pendant si longtemps avait épouvanté le roi et le
+royaume.</p>
+
+<p>«A son aspect nul ne demeure; l'épouvante chasse du temple tous ceux qui
+s'y trouvent, et le roi et le nouvel époux prennent la fuite comme les
+autres.</p>
+
+<p>«Pour Isabelle, pour la jeune fille qui s'était rendue à la cérémonie
+sans refuser, mais sans consentir, elle resta ferme au lieu où elle
+était, tandis que tous les autres prenaient la fuite.</p>
+
+<p>«Le cheval s'approche d'elle, il plie doucement les jarrets, et, d'un
+doux regard, le mystérieux animal semble l'inviter à se placer sur son
+dos.</p>
+
+<p>«La jeune fille y monte confiante; d'une main ferme elle saisit la
+bride, et le destrier n'a pas plus tôt senti le doux fardeau, qu'il
+part, rapide comme l'éclair.</p>
+
+<p>«Sorti de l'église, il traverse la cité, prend à travers la campagne. Où
+alla-l-il? nul ne le sait.</p>
+
+<p>«Peu à peu l'épouvante de la foule se calme; mais vainement le monarque
+essaie de vaincre sa terreur.</p>
+
+<p>«Toujours il croit voir les cierges s'éteindre au milieu des rites
+sacrés, toujours il croit entendre le sourd galop d'un cheval.</p>
+
+<p>«Il demande à ceux qui l'entourent s'ils ont vu l'étranger qui doit
+arriver; et, à peine a-t-il reçu leur repose, que de nouveau il leur
+adresse la même question.</p>
+
+<p>«Le pauvre fou vécut ainsi une longue année, puis il mourut, laissant la
+couronne à son plus proche parent.</p>
+
+<p>«Et jamais nul n'entendit plus parler ni de l'aventurier inconnu ni de
+la belle Isabelle, emportée par le destrier.»</p>
+
+<p>Pour faire bien connaître notre poète, il nous faudrait citer encore la
+<i>Vendetta</i>, avec son naïf refrain: <i>l'antique histoire le dit ainsi: la
+Chapelle des Innocents</i>, empruntée à une tradition suisse, plus sombre,
+plus dépouillée d'ornements que les autres ballades de Carrer, mais
+pleine d'expression; <i>Le Sultan, le Maure, le Chanteur Stratella</i>, l'une
+des plus longues pièces, mais peut-être la plus belle du recueil, qui
+suffirait seule à révéler un poète éminent: petit drame plein d'émotion,
+où Carrer a déployé, en même temps qu'une vive sensibilité, l'étonnante
+flexibilité de son talent et toutes les richesses d'un rhythme
+heureusement varié.</p>
+
+<p>Dans l'impossibilité de tout citer, nous terminerons nos citations par
+un sonnet dont la vague expression nous semble révéler autant les
+douleurs d'une haute ambition poétique que celles d'un amour trompé.</p>
+
+<p>«Désormais je n'espère plus l'obtenir, la paix: je ne l'attends plus, la
+guérison du mal qui me dévore sans relâche; il pâlit, le rayon qui me
+donna la vie; mes jours volent rapides vers leur terme.</p>
+
+<p>«Elle brûle et fume encore ma plaie cachée, et la honte s'ajoute à
+l'injure; et toi, vain nuage, toi, vile écume, toi, gloire, autre
+perfide, tu me fuis aussi!</p>
+
+<p>«Comment se sont évanouies tant de douces espérances, comment est-il
+mort si vite cet amour si profond? Et toi, lâche! tu les pleures les
+jours écoulés, tu pleures l'heure de la joie.</p>
+
+<p>«Et l'avenir? je l'attends, je le considère avec stupeur. Tout secours
+humain arrivera trop tard; il ne peut plus être apaisé, le soupir de mon
+coeur.»</p>
+
+<h3>Beaux-Arts.--Salon de 1843</h3>
+
+<h4>TABLEAUX ET SCULPTURES.</h4>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/006a.png"><br><b>(Le Colin-Maillard, par M. Giraud.)</b></p>
+
+<p><i>M. E. Giraud--Colin-Maillard.</i>--Monsieur l'abbé a les yeux bandés, il
+s'avance les mains étendues dans le vide; pourtant on serait tenté de
+croire que le bandeau est mal assuré sur ses yeux et que l'abbé triche
+un peu, car il poursuit les dames et ne se soucie point de prendre le
+cavalier qui vient lui parler imprudemment à l'oreille; mais les dames
+se dérobent, et l'une, glissant, tombe sur l'herbe, sans doute pour
+montrer à demi sa jolie jambe, et relever une de ses mains jusqu'aux
+lèvres du jeune chevalier qui, par fortune, se trouve derrière elle au
+moment de sa chute. Cependant M. l'abbé pose lourdement son escarpin sur
+la queue du griffon, le mignon fanfreluche, flocon de soie avec un petit
+nez rose et deux jolis yeux noirs; le faune joue de la flûte sur son
+piédestal, et semble rire de ce pauvre abbé, qui fait tomber la dame au
+bénéfice de son prochain.--Une gaieté vive et gracieuse anime toute cette
+scène; les figures sont dessinées avec une facilité charmante, et les
+moindres détails spirituellement traités.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/006b.png"><br><b>(Port de Boutogne, par M. Isabey.)</b></p>
+
+<p><i>Les Crêpes</i>, de M. Giraud, se recommandent par les mêmes qualités de
+conception et de dessin; mais les <i>Crêpes</i> ne semblent-elles pas être à
+Watteau ce que les <i>Beignets à la Cour</i> sont aux comédies de Marivaux?</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/006c.png"><br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<b>(La Science, par M. Desboeufs.)</b></p>
+
+<p><i>M. Desboeufs.--La Science</i>, statue en marbre--La science, on le sait,
+est et demeure éternellement vierge, comme la divine Minerve, sa
+patronne; elle a même quelquefois des airs de pruderie, des
+susceptibilités de vieille fille; aussi ne voyons-nous pas sans quelque
+peine la statue de <i>la Science</i> placée près de <i>la Cassandre</i> de M.
+Pradier, et nous craignions qu'elle ne se couvrît tout à coup le visage
+de ses mains pudibondes, comme Ovide nous raconte que firent autrefois
+les statues de Vesta, lorsque la prêtresse Rhéa Sylvia accoucha dans le
+temple de la déesse. Heureusement on a eu soin de la tourner un peu du
+côté de la fenêtre, de façon qu'à la rigueur elle n'est pas obligée de
+voir la fille de Priam. <i>La Science</i> de M. Desboeufs a l'air grave et
+austère; son front est pur et sans rides, sa tête est même élégamment
+couronnée de myrte; mais le souci de la pensée semble visible dans le
+pli de sa narine et de sa bouche. Elle laisse tomber sa main droite, qui
+tient un manuscrit, et accoude son bras gauche sur une de ces petites
+colonnes quadrilatérales dont les sculpteurs font un si grand usage
+(ainsi, <i>la Cassandre</i> de M. Pradier a le dos appuyé sur un véritable
+cube, tout à fait chimérique). <i>La Science</i> est surtout antique par sa
+draperie remarquablement sévère, quoique un peu trop uniformément
+chiffonnée; le corps, les contours surtout se sentent bien sous les plis
+de cette draperie, qui rappelle de loin celle de la Cérès antique. Grâce
+à Dieu, M. Desboeufs s'est montré fort économe d'attributs allégoriques;
+et, sauf quelques figures de géométrie que l'on aperçoit au bas de la
+statue, tout est laissé à la sagacité du spectateur.</p>
+
+<p>Nous croyons devoir, à ce propos d'allégorie, prévenir nos lecteurs
+contre l'explication, assez plausible d'ailleurs, que nous leur avions
+donnée des bateaux à vapeur et télégraphes du tableau de M. Papety. Nous
+avons lu, sur ces appendices symboliques, des interprétations depuis si
+différentes, que nous ne savons plus vraiment à quoi nous en tenir. Les
+peintres s'amuseraient-ils à torturer de ces logogriphes l'esprit
+curieux des bonnes gens, comme fit Goethe dans son <i>Faust?</i> «Voilà
+trente ans, écrivait-il, que les Allemands se donnent du tracas avec les
+manches à balais du Bloksberg et les conversations des chats dans la
+cuisine de la sorcière; trente ans qu'ils ne cessent d'interpréter et
+d'allégoriser sur ce burlesque non-sens dramatique. En vérité, on
+devrait, dans sa jeunesse, se donner plus souvent de ces plaisirs, et
+leur jeter à la tête des blocs comme le Brocken.»</p>
+
+<p><i>M. Baron.--Des Condottieri.</i>--Chacun se souvient encore du succès
+qu'avait obtenu à la dernière Exposition la <i>Sieste en Italie</i>. M. Baron
+n'a rien perdu de son originalité; la fantaisie de son pinceau est
+toujours vive et charmante comme au premier jour. Il y a peu de ballades
+en poésie qui valent ces condottieri, jouissant des heures de trêve dans
+le sein de leurs foyers ou de leurs corps-de-garde, comme vous voudrez,
+car il est impossible de localiser la scène; cela se passe dans un lieu
+quelconque où il y a une table, une lampe à la voûte et une grande
+cheminée.</p>
+
+<p>Un condottiere fourbit activement sa cuirasse, tandis que ses camarades
+interrogent les dés, qu'une jeune femme, le dos tourné à la table des
+joueurs, les pieds étendus vers la flamme du foyer, semble chercher sur
+des cordes de sa guitare l'expression de sa pensée insouciante et
+rêveuse.--Sur le premier plan, couchés à terre, un enfant et un
+chien.--Les figures sont remarquablement expressives, même on y voit
+peinte une certaine crânerie, qui rappelle les personnages à plumets des
+comédies de cape et d'épée; ces condottieri conservent, en pleine paix,
+leur air de bravoure, et, si l'on peut dire ainsi, leur visage ne
+désarme pas.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/007a.png"><br><b>Les Condottieri, par M. Baron.</b></p>
+
+<p>Nous regrettons d'ailleurs de trouver quelque alliage dans le talent
+original de M. Baron: il nous semble que ses figures rappellent
+l'accentuation particulière à M. Poittevin, et ses murailles les
+procédés ordinaires de M. Decamps. Cette seconde imitation est surtout
+manifeste, et nous en sommes d'autant plus fâchés pour M. Baron, que
+cette année <i>le Decamps</i>, comme on dit, semble tout à fait à la mode, et
+que l'on aperçoit sur de fort méchantes toiles des réminiscences ou
+copies de ce genre. Un jour on reprochait à un grand paysagiste d'imiter
+les moutons d'un autre; aussitôt il les supprima; que M. Baron supprime
+de même ses murailles, s'il ne peut pas les imaginer autrement, qu'il se
+retranche sévèrement tout ce qu'autrui peut lui revendiquer:</p>
+
+<p class="mid">Mon verre est bien petit, mais je bois dans mon verre.</p>
+<br>
+
+<h3>La Vengeance des Trépassés.</h3>
+
+<p class="mid">NOUVELLE.</p>
+
+<p class="mid">(Suite.)</p>
+
+<p>Léonor fut saisie d'une profonde émotion en écoutant cet air, qui, la
+nuit précédente, avait déterminé sa fuite, et, selon toute apparence,
+décidé du sort de toute sa vie. Quand le couplet fut achevé, elle fit un
+signe à don Christoval, et ils chantèrent à deux voix <i>l'estrivillo</i>;</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i16">Mira no tardes,</p>
+<p class="i20"> (Ayolé!)</p>
+<p class="i16">Que suele en un momento</p>
+<p class="i16">Mudarse al ayre.</p>
+</div></div>
+
+<p>Avant qu'ils eussent fini, une fenêtre s'était ouverte, et une jeune
+dame avait paru derrière les barreaux; elle écouta attentivement les
+chanteurs. Aussitôt le couplet achevé, don Christoval adressa la parole
+à la maîtresse de ce logis, et renouvela sa requête, si brutalement
+repoussée par le portier. La dame avança le bras hors des barreaux comme
+pour faire un signe d'assentiment, puis elle se retira, et la fenêtre fut
+refermée.... Mais quelques minutes après, la grand'porte s'ouvrit, et le
+portier, tenant une lanterne, vint chercher les étrangers. Il s'empara
+du cheval en grommelant: «Vous eussiez mieux l'ait de rester dehors;
+vous n'avez pas voulu me croire; c'est votre affaire!» Et, sans même
+retourner la tête, il se dirigea vers l'écurie. Un laquais se présenta à
+sa place, et introduisit les hôtes dans un salon étincelant de lumière.
+Les meubles, les draperies relevées de franges d'or, tout ce luxe
+annonçait une demeure où le bon goût s'alliait avec l'opulence. On
+voyait aux quatre coins des caisses d'arbustes fleuris; les consoles
+étaient chargées de grands vases de porcelaine de la Chine remplis de
+fleurs, et tout autour de ce lieu de délices régnait un large divan avec
+des coussins d'étoffe de soie cramoisie pareille aux tentures. Trois
+personnes étaient assises sur le divan: un vieillard majestueux,
+habillé, à la mode orientale, d'un riche cafetan bleu, et coiffé d'un
+turban de mousseline aussi blanche que la barbe vénérable qui lui
+descendait jusqu'au milieu de la poitrine. Deux jeunes dames étaient à
+ses côtés, parées avec élégance et belles comme le jour. L'une, qui
+paraissait l'aînée, était brune et avait à la main un bouquet de roses
+muscades; l'autre était blonde et tenait un luth ou théorbe de forme
+antique. Le vieillard se leva pour faire honneur à ses hôtes: «Soyez les
+bienvenus sous mon toit, leur dit-il; je vous présente mes deux filles,
+Amine et Rachel.» Rachel était la musicienne.</p>
+
+<p>Don Christoval remarqua que les deux soeurs portaient de jolis gants
+noirs qui montaient jusqu'au coude, et par conséquent ne permettaient
+pas de juger de la beauté des bras. Le vieillard était pareillement
+ganté de noir, mais seulement à la main droite; la gauche était nue.</p>
+
+<p>La conversation s'engagea, et les voyageurs furent naturellement amenés
+à dire qui ils étaient, d'où ils venaient, où ils allaient. Don
+Christoval se garda bien de faire connaître la vérité; mais comme il
+avait infiniment d'esprit, il improvisa une histoire suivant laquelle il
+se nommait don Fernand Tellez, nouvellement marié, et allant avec sa
+femme rejoindre sa famille établie à Jaen, ou dans les environs. Il
+arrangea si bien la chose, avec force détails, qu'il était impossible de
+soupçonner sa véracité. De sa part, le maître de la maison ne voulut pas
+demeurer en reste, il leur apprit donc qu'il s'appelait Ibrahim, natif
+du port de Ceuta, par conséquent Moresque de nation et de religion, il
+avait longtemps habité Cordoue, où il avait fait fortune par le
+commerce; mais des chagrins et des malheurs particuliers l'avaient
+dégoûté de cette ville et même de la fréquentation des hommes; en sorte
+qu'il s'était retiré avec ses deux filles et son frère dans cette
+demeure isolée, où ils vivaient en paix, conservant les pratiques
+religieuses et les moeurs de leur pays, sans jamais voir personne, si ce
+n'est de temps à autre quelque passant égaré de sa route, à qui ils
+accordaient avec plaisir l'hospitalité.</p>
+
+<p>En cet endroit, la porte de la salle s'ouvrit, et l'on vit paraître un
+second vieillard. Mais autant le premier avait la contenance noble et la
+mine loyale, autant celui-ci avait l'extérieur commun et repoussant,
+mauvaise figure, les yeux enfoncés, le regard faux, un long nez
+perpendiculaire et la barbe horizontale; ses lèvres minces semblaient
+vouloir se cacher dans sa bouche. Cet autre vieillard avait aussi la
+main gauche nue et la droite couverte d'un gant noir. Ah! s'écria
+Ibrahim, voilà mon frère Diego, dont je vous parlais; il revient de la
+ville, où le soin de nos affaires le contraint d'aller quelquefois.
+Puisqu'il est arrivé, rien ne nous empêche plus de nous mettre à table.
+On vient de m'avertir que le souper était servi. Passons, s'il vous
+plaît, dans la salle à manger.</p>
+
+<p>Amine et Rachel s'approchant de leur père, lui prirent chacune un bras
+et l'aidèrent à se lever avec des difficultés inouïes. Les étrangers
+s'aperçurent alors que ce beau vieillard avait la moitié du corps
+paralysée. Pour le faire avancer, une de ses filles poussait doucement
+du pied la jambe insensible, et le pauvre Ibrahim s'aidait de l'autre
+comme il pouvait, s'appuyant de tout son poids sur ses belles
+conductrices. Cette opération ne se lit pas sans bien des gémissements à
+demi étouffés de la part du malade, et une grande compassion de la part
+des assistants. Ibrahim fit même quelques exclamations que Léonor et don
+Christoval ne purent comprendre, car il se servait de la langue arabe.
+On parvint à la fin dans la salle à manger, et Ibrahim une fois assis,
+ne tarda pas à reprendre sa belle humeur. Il fit mettre Léonor auprès de
+lui; don Christoval se mit en face, entre Amine et Rachel; le frère
+Diego s'assit à la gauche d'Ibrahim.</p>
+
+<p>Amine et Rachel, après s'être placées, commencèrent à tirer leurs gants.
+Elles ôtèrent celui du bras gauche, et don Christoval, qui avait une
+passion particulière pour les beaux bras, faillit tomber en extase
+devant la perfection de ceux qu'on offrait à ses regards. Il attendait
+avec impatience le moment de juger si les bras droits seraient aussi
+admirables; mais son attente fut vaine. Les gants du bras droit
+demeurèrent en place, et les deux hommes conservèrent aussi le gant noir
+de leur main droite. Cela parut très-singulier à don Christoval; car
+évidemment cette main droite gantée devait être incommode à table. Il y
+avait donc quelque chose là-dessous. Don Christoval ne savait que
+penser: mais il était trop bien élevé pour se permettre aucune question
+sur cette bizarrerie, et même pour avoir l'air de s'en apercevoir. Il
+finit par s'imaginer que c'était un point de religion, ou peut-être un
+voeu obligatoire pour tous les membres de cette famille, de ne pas
+découvrir leur main droite.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/007b.png"></p>
+
+<p>Ibrahim, en chef de maison, commença par faire ses excuses à ses hôtes
+pour la mauvaise chère. Effectivement la table n'était garnie que de
+fruits; mais c'étaient des fruits magnifiques servis dans des vases et
+des corbeilles d'argent ciselé; un seul plat couvert était au milieu, et
+Ibrahim ayant enlevé le couvercle, on vit qu'il contenait deux poulets
+accommodés au riz. Nous ne buvons point de vin, dit Ibrahim, notre loi
+nous le défend; mais comme nos hôtes ne sont pas assujettis à nos
+pratiques, j'ai fait placer devant vous un flacon du meilleur cru
+d'Espagne. Ne vous en faites pas faute.</p>
+
+<p>Les convives se mirent à manger de bon appétit, et la conversation
+s'étant animée: Frère, demanda Ibrahim, que dit-on de nouveau à la
+ville? On ne s'y entretient, répondit Diego, que d'un accident arrivé
+chez les nonnes de Sainte-Claire, et qui a failli les consumer toutes
+vives dans leur maison. Une jeune religieuse avait l'habitude de lire en
+cachette, pendant la nuit, des livres de poésie et d'amour. Or, la nuit
+dernière le sommeil l'ayant surprise, le feu se mit à ses rideaux et se
+communiqua avec rapidité. Par bonheur, le jardinier, qui faisait le guet
+contre les voleurs, dans son verger, donna l'alarme assez à temps, et
+les secours qu'on s'empressa d'apporter sauvèrent les bâtiments du
+monastère. Les soeurs en seront quittes pour quelques cellules réduites
+en cendres.--Personne au moins n'a péri? dit Léonor d'une voix
+émue--Pardonnez-moi. La jeune religieuse fut dévorée par les flammes; on
+ne retrouva que ses os calcinés. De plus, une vieille tourière, dont la
+cellule touchait le foyer de l'incendie, périt également étouffée par la
+fumée qui l'empêcha de fuir. Comme vous voyez, le dommage n'est pas
+grand! Il n'y a de regrettable que la jeune fille; car pour la
+décrépite, il y aura toujours assez de celles-là. La perte des meubles
+n'est rien. Les nonnes ont fait une quête dont le produit, à ce qu'on
+assure, réparerait deux ou trois désastres pareils; de sorte qu'elles y
+gagneront encore en fin de compte. Est-ce que les nonnes et les moines
+ne se tirent pas toujours d'affaire?</p>
+
+<p>Le vilain Diego se tut sur cette interrogation. Léonor était extrêmement
+pâle et agitée. Pour empêcher qu'on ne prit garde à son trouble et pour
+donner un autre tour à la conversation, don Christoval se mit à dire:
+Excusez ma franchise, mon cher hôte; mais ce riz me paraît bien fade. Je
+crois que votre cuisinier y a totalement oublié le sel; je n'en vois pas
+non plus sur la table. Ne serait-il pas possible d'en avoir?--Nous n'en
+faisons point usage, dit gravement Ibrahim; mais on va vous en
+donner.--Il lit un signe, et l'esclave noir qui servait à table étant
+dehors pour le moment, Rachel se leva, sortit par une porte située
+derrière don Christoval, par conséquent vis-à-vis Léonor, et rentra une
+minute après tenant une salière. Don Christoval, l'ayant remerciée,
+sala son riz et prit du sel sur la pointe de son couteau, pour en mettre
+dans celui de Léonor; mais en passant par-dessus l'assiette de Rachel,
+quelques grains y tombèrent. Rachel ne s'en aperçut pas d'aburd, mais à
+la première cuillerée elle ne put douter de ce qui était arrivé. Elle
+réagit et regarda fixement don Christoval, qui n'y faisait point
+attention, étant absorbé par l'état où il voyait sa compagne. En effet,
+depuis une minute, la pâleur de Léonor s'était considérablement accrue;
+on aurait dit le visage d'une morte, et malgré tous ses efforts pour
+combattre l'évanouissement, elle se laissa aller à la renverse sur le
+dos de son siège, en poussant un faible soupir comme une personne à
+l'agonie.</p>
+
+<p>Aussitôt le repas est interrompu, on entoure Léonor, on la secourt, on
+la questionne.--Ce n'est rien, dit-elle, en reprenant ses esprits, ce
+n'est rien. La fatigue de cette journée a été grande pour moi; j'avais
+la fièvre en me mettant à table; le récit de don Diego m'a vivement
+émue; il n'est pas surprenant que mon souper m'ait tait mal J'ai eu tort
+de manger; j'avais plus besoin de repos que de nourriture. Je sens que
+le lit me remettra; je souhaiterais me retirer pour dormir.--A
+l'instant, répondit Ibrahim d'un ton plein de bonté. Et il ajouta, en
+regardant ses filles et avec un clignement d'oeil qui n'échappa point à
+don Christoval:--Tout est-il prépare dans la chambre des hôtes?--Rachel
+se hâta de prévenir sa soeur, et répondit:-Non, mon père; mais ce soin
+me regarde: dans une minute tout sera prêt.--En disant ces mots, elle
+s'élança hors de la salle, mais non par la même porte par où elle était
+allée chercher le sel.</p>
+
+<p>Amine apporta des senteurs exquises à Léonor, qui parvint enfin à
+comprimer le, frisson nerveux dont elle était saisie. Don Christoval
+était rêveur; Ibrahim et Diego gardaient le silence. Tous les
+personnages commençaient à être embarrassés les uns des autres, sans
+trop savoir pourquoi. Léonor voulut essayer de faire quelques tours dans
+le salon; Amine lui offrit son bras, qu'elle accepta, et elles allaient
+commencer leur promenade, quand Rachel reparut une bougie à la main. On
+se donna mutuellement le bonsoir, et, avec un sourire équivoque, Diego
+ajouta, par forme d'encouragement: «Il faut espérer que demain, madame,
+vous ne sentirez plus aucun mal.»</p>
+
+<p>Lorsqu'ils furent seuls dans leur chambre, la porte fermée au verrou,
+Léonor s'arma de résolution et murmura à l'oreille de don Christoval;
+«Nous sommes perdus! nous sommes dans un coupe-gorge!</p>
+
+<p>--Comment, qui vous l'a dit?</p>
+
+<p>--Quand vous avez demandé du sel, Rachel est allée vous en chercher.
+Lorsqu'elle est rentrée, j'avais par hasard les yeux attachés sur la
+porte par où elle était sortie et à laquelle vous tourniez le dos. Hé
+bien, quelle qu'ait été sa promptitude à refermer cette horrible porte,
+mon regard s'est glissé dans la pièce voisine, et je suis certaine
+d'avoir entrevu, à la faible lueur d'une flamme qui brûlait dans cette
+pièce, un cadavre humain suspendu au plafond!</p>
+
+<p>--Ô ciel! êtes-vous bien sûre de ne pas vous être trompée?</p>
+
+<p>--Plût à Dieu! mais non, don Christoval, comptez sur ce que je vous dis.
+Rappelez-vous le propos de cet homme qui ne voulait pas nous introduire:
+<i>vous eussiez mieux fuit de rester dehors.</i> Il faut trouver un moyen de
+fuite, ou bien c'est fait de nous.</p>
+
+<p>--Et mes pistolets sont restés à l'arçon de ma selle! J'ai bien un
+poignard, mais ils auront l'avantage et du nombre et des armes!</p>
+
+<p>--Nous ne sommes qu'au premier étage; si cette fenêtre donnait sur la
+campagne, peut-être avec les draps du lit...»</p>
+
+<p>Don Christoval courut examiner la fenêtre, et Léonor se mit en devoir de
+défaire le lit.</p>
+
+<p>«Hélas! dit-il en revenant, la fenêtre donne effectivement sur un
+jardin, mais elle est grillée.»</p>
+
+<p>Cette grille confirmait leurs craintes. Léonor, épouvantée, laissa
+tomber le traversin qu'elle avait dérangé à moitié. En ce moment, un
+objet caché dans le pli du drap s'échappa et lit un peu de bruit en
+tombant sur le plancher. Don Christoval ramassa une petite clef dans
+l'anneau de laquelle était glissé un papier plié en deux. Il l'ouvrit et
+lut ces mots tracés au crayon: «Nous avons mangé du sel ensemble, je ne
+puis vous laisser périr. Cette clef ouvre le buffet de votre chambre.
+Que Dieu protège votre fuite! Éteignez votre lumière, et surtout ne
+partez pas avant que le lit ait disparu.»</p>
+
+<p>Ce billet secourable venait sans doute de Rachel. Les termes n'en
+étaient pas clairs à la première lecture; il en fallut une seconde,
+après laquelle les deux amants, un peu moins émus, examinèrent la
+chambre qu'on leur avait donnée. C'était une vaste pièce toute
+lambrissée en chêne, si haute que la lumière de la bougie éclairait à
+peine le plafond. L'ameublement consistait en un lit à baldaquin placé
+sur une estrade et en quelques vieux fauteuils de tapisserie; rien de
+plus, pas même un miroir sur la cheminée gothique. Dans un coin on
+voyait s'avancer en saillie le buffet, ou placard mentionné dans la
+lettre de Rachel. Don Christoval y essaya la clef avec précaution. La
+porte s'ouvrit silencieusement, et la lumière approchée découvrit que
+cette prétendue armoire n'avait pas de fond, mais servait d'entrée à un
+passage obscur et bas. C'est là-dedans qu'il fallait s'engager à tout
+hasard pour conserver la dernière chance de salut.</p>
+
+<p>D'après les instructions de leur libératrice, il ne fallait point partir
+sur-le-champ, mais attendre, et attendre dans les ténèbres; car
+apparemment on guettait le moment où ils seraient couchés et endormis.
+Don Christoval tira de sa poche une petite lanterne sourde qu'il portait
+toujours en voyage; il ralluma, souffla la bougie, puis Léonor et
+Christoval, blottis dans l'angle de la cheminée, celui-ci cachant encore
+sa lanterne sous son manteau, attendirent avec anxiété l'événement qui
+devait leur servir de signal.</p>
+
+<p>Au bout d'un quart d'heure, qui leur avait paru un siècle, il leur
+sembla ouïe marcher sur leur tête. Léonor crut avoir distingué un son de
+ferraille, comme si l'on eût secoué des chaînes. Le silence se rétablit
+et se prolongea si longtemps, qu'après avoir passé par tous les degrés
+de l'angoisse, ils ne savaient plus que penser. Don Christoval en était
+à se demander si tout cela ne serait pas un jeu, une mauvaise
+plaisanterie concertée d'avance pour s'égayer ensuite aux dépens de la
+terreur qu'ils auraient eue. Un si grossier manque de convenance était
+bien invraisemblable; mais enfin l'heure s'écoulait et rien ne
+paraissait. Soudain, à quelques pas d'eux, un coup énorme est frappé, un
+coup étouffé, sourd. C'était le ciel du lit qui s'abattait chargé d'une
+masse de plomb considérable. Une minute après, le grincement d'une
+poulie mal graissée se fit entendre, et à travers l'ombre claire d'une
+nuit d'été, Christoval et Léonor virent leur lit remuer, descendre
+lentement et enfin s'abîmer à travers le plancher.</p>
+
+<p>Ce n'était pas le moment de s'arrêter à trembler; l'heure était arrivée.
+Christoval et Léonor s'élancèrent dans le passage masqué par le buffet,
+dont ils eurent la présence d'esprit de refermer les portes derrière
+eux. Ce passage était complètement obscur, bas et voûté, s'abaissait par
+une pente si rapide, qu'ils avaient beaucoup de peine à ne point
+glisser. Ils tâchaient de se retenir aux murailles et avançaient à
+tâtons dans ce labyrinthe de pierre qui ne finissait pas. Don Christoval
+tenait d'une main sa tremblante compagne et de l'autre son poignard à
+tout événement. F. G.</p>
+
+<p>(La suite à un autre numéro.)</p><br>
+
+<h3>Nouvelles Inventions.</h3>
+
+<h4>LE PROCÉDÉ ROUILLET.</h4>
+
+<p>Dans l'art du dessin il y a une partie qui n'est autre chose que
+l'imitation exacte du contour des objets, de leurs positions et de leurs
+proportions relatives; c'est la reproduction matérielle de ce que nous
+voyons; l'imagination et le sentiment n'ont aucune part dans ce travail
+entièrement mécanique, mais dont la difficulté est extrême. Ainsi, les
+peintres consument de longues années, s'épuisent en efforts multipliés
+pour arriver à bien dessiner, c'est-à-dire à reproduire ce qu'ils
+voient. Au lieu de pouvoir se livrer sans crainte à l'inspiration, ils
+sont arrêtés dans la composition de leurs tableaux par les proportions,
+la perspective, la forme des objets. Un procédé, au moyen duquel cette
+difficulté serait éliminée rendrait donc un immense service à l'art en
+général et à la peinture en particulier. L'artiste serait ramené à sa
+véritable vocation, qui n'est pas de copier servilement la nature, mais
+de l'idéaliser; de même que ce n'est pas celui qui taille la statue dans
+le marbre qui est le statuaire, mais celui qui traduit sa pensée en la
+matérialisant dans une masse d'argile. De même aussi celui-là n'est
+point un géomètre, qui sait mesurer exactement les longueurs des côtés
+d'un triangle, mais celui qui, de la connaissance d'un côté de ce
+triangle et de ses angles adjacents, déduit la figure et la grandeur du
+triangle tout entier.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/008.png"></p>
+
+<p>Un peintre, M. Amaranthe Rouillet, vient de résoudre le problème de la
+reproduction exacte des objets. Il a imaginé un appareil simple,
+très-portatif, commode et totalement différent de la chambre-claire, du
+diagraphe et du daguerréotype. Avec cet appareil, on peut, sans savoir
+dessiner, dessiner très-rapidement, à une échelle quelconque, un édifice
+en perspective, un paysage, une statue, et faire le portrait d'une
+personne avec une exactitude incroyable. Le crayon, la plume, le fusain,
+le pinceau, peuvent être mis indifféremment en usage. Le dessin est
+d'une exactitude miraculeuse, le portrait d'une ressemblance telle,
+qu'on reconnaît une personne vue par derrière, ou dont la figure est
+cachée. Les raccourcis les plus étonnants sont rendus complètement au
+moyen d'un simple trait. Un grand nombre de peintres ont vu les dessins
+de M. Rouillet et en ont été étonnés; tous ont avoué qu'il leur serait
+impossible d'atteindre à cette perfection dans la vérité des contours.
+La plupart désirent que son procédé entre dans le domaine public;
+quelques-uns voudraient qu'il restât secret: ce sont ceux dont tout le
+mérite consiste à faire des yeux, des oreilles, des bras et des jambes
+dans les proportions voulues; copistes d'académies, qui sont aux
+véritables artistes ce que l'ouvrier statuaire, dont nous parlions tout
+à l'heure, est au sculpteur.</p>
+
+<p>Le procédé de M. Rouillet, utile aux artistes, sera un service immense
+rendu aux savants, aux voyageurs, aux artisans, aux décorateurs et aux
+mécaniciens. Pouvoir reproduire fidèlement, facilement et rapidement
+tous les objets de la nature et de l'art, est un bienfait dont la
+société tout entière lui sera reconnaissante. Le dessin suivant a été
+fait en deux minutes: il représente l'enfant de l'auteur, modèle bien
+remuant, posant mal, et qu'on a dû saisir, pour ainsi dire, au vol
+pendant qu'il attendait sa soupe. Toutes les personnes qui comprennent
+la nature seront frappées de la vérité naïve de cet ensemble, et ceux
+qui ont vu le petit modèle le reconnaîtront à l'instant. Faisons des
+voeux pour que la découverte de M. Rouillet, fruit de cinq ans de
+méditations assidues et d'essais multipliés, soit portée à la
+connaissance du public. Diminuer les difficultés matérielles de l'art
+pour faire une place plus large aux sentiments et à l'imagination, ce
+n'est point diminuer le mérite de l'artiste, c'est au contraire diriger
+toutes ses facultés vers l'étude du beau et l'intelligence du sujet,
+dans la disposition des personnages, l'expression des sentiments,
+l'harmonie des couleurs et la traduction poétique des beautés de la
+nature.</p>
+<br>
+
+
+<h3>Industrie.</h3>
+
+<h4>LE SUCRE DE CANNE ET LE SUCRE DE BETTERAVE..</h4>
+
+<h4>I.</h4>
+
+<h5>Production de la Canne et fabrication du Sucre.</h5>
+
+<p>La canne à sucre paraît originaire de l'Orient, où elle peut se
+reproduire par semence. Dans les autres pays, on a adopté l'habitude de
+la planter par boutures, et elle pousse ainsi d'une manière surprenante.</p>
+
+<p>Dans l'Inde, chaque bouture donne trois à six cannes, qui, lorsqu'on les
+coupe, ont de deux à trois mètres de hauteur et vingt-cinq à trente
+millimètres de diamètre. On les plante vers la fin de mai, et la récolte
+se l'ail environ neuf mois après leur plantation, c'est-à-dire vers
+janvier et février. Il existe plusieurs variétés de cette plante
+précieuse. On en compte trois principales: la <i>canne du Brésil</i>, qui,
+quoique venue originairement de l'Asie, a reçu ce nom parce qu'elle
+était arrivée aux Antilles en passant à travers le Brésil; la <i>canne
+d'Olahiti</i>, la plus robuste, celle qui fournit le plus de sucre, et la
+canne à sucre violette, connue sous le nom de <i>Batavia</i>.</p>
+
+<p>Les cannes viennent ordinairement, dans les Antilles, de boutures et de
+rejetons. Les premières ne peuvent généralement être coupées avant
+quinze ou seize mois, tandis que les secondes le sont d'habitude de onze
+à douze. Les mois de février, mars, avril et mai, sont ceux employés à
+la coupe et à la récolte. L'abattage des cannes est en général une
+opération longue, difficile, coûteuse, et qui nécessite l'emploi d'un
+personnel considérable. D'abord toutes les cannes ne parviennent pas
+ensemble à la maturité, et même les parties d'une même tige ne mûrissent
+pas toujours au même moment. La coupe d'une plantation peut donc ainsi
+durer trois mois; car il faut n'abattre à la fois que la quantité de
+cannes qui peut être immédiatement broyée par le moulin: sans cette
+indispensable précaution, le sucre qu'elle contient entrerait rapidement
+en fermentation. Il en serait de même du jus, si on ne se hâtait de
+l'employer. Ce jus, ou plutôt ce suc susceptible de se convertir en
+sucre, est ce qu'on appelle <i>vesou</i>.</p>
+
+<p>Pour opérer cette conversion, on a recours à plusieurs opérations
+successives dont nous allons donner la description. Nous croyons ne
+pouvoir mieux faire que de l'emprunter à un savant économiste. M. Rodet.</p>
+
+<p>«Dans l'intérieur d'une sucrerie proprement dite, dit M. Rodet, sont
+établis sur une même ligne les fourneaux et leurs chaudières. L'ensemble
+des chaudières se nomme <i>équipage</i>. On en a souvent deux dans la même
+sucrerie; mais, dans ce cas, les chaudières de même nom sont de diverses
+grandeurs, et on les distingue en <i>grand</i> et <i>petit équipage</i>. Un seul
+foyer chauffe tout l'équipage et est placé sous la plus petite
+chaudière. Chaque chaudière a son nom; la plus rapprochée du bassin à
+jus s'appelle <i>la grande</i>; celle qui suit <i>la propre</i>; la troisième,
+<i>le flambeau</i>; la quatrième, <i>le sirop</i>, et la dernière, <i>la batterie</i>.</p>
+
+<p>«Toutes les chaudières diminuent de grandeur, depuis la <i>grande</i> jusqu'à
+la dernière, et cela en raison du rapprochement du jus; presque partout
+encore, ces vases sont en fonte, et leur contenance est encore augmentée
+par la maçonnerie exhaussée qui les entoure. La partie supérieure du
+fourneau n'est pas de niveau, et reçoit une pente de 4 à 5 centimètres
+par chaudière. <i>La batterie</i> est la plus élevée d'environ 20 à 22
+centimètres. Cette précaution est prise pour ne point perdre le sirop
+quand celui-ci s'enlève au-dessus des chaudières, et dans ce cas il
+rentre dans celle qui précède celle dont il sort; il entraîne sans
+inconvénients quelques écumes avec lui, puisqu'il rentre dans une
+chaudière de sucre moins purifiée. Près de chaque chaudière est un petit
+bassin correspondant à une gouttière qui se rend dans <i>la grande</i>. Ces
+bassins reçoivent les écumes, à mesure qu'on les enlève.</p>
+
+<p>«Les anciennes chaudières étaient en fonte et se brisaient fréquemment.
+Quelques personnes en ont substitué de cuivre, de forme conique et à
+fond presque plat. Ce changement a été une amélioration à laquelle on a
+fait faire de nouveaux progrès.</p>
+
+<p>«On fait couler le jus du bassin dans <i>la grande</i>, on y ajoute une
+certaine quantité de chaux préparée à l'avance, et de suite on remplit
+avec le suc ainsi traité <i>le sirop</i> et <i>le flambeau</i>. On opère de même
+une seconde fois, et l'on verse dans <i>la propre</i>; il faut alors remplir
+de nouveau <i>la grande</i> et continuer l'addition de la chaux. Aussitôt que
+les quatre grandes chaudières sont pleines de jus et <i>la batterie</i> d'eau,
+on allume le foyer, qui, étant plus rapproché du <i>sirop</i> et du
+<i>flambeau</i>, les fait bouillir d'abord; on enlève alors les écumes, et
+l'on fait passer le <i>vesou</i> de ces deux chaudières dans <i>la batterie</i>.
+Pendant ce temps on a enlevé les grosses écumes du suc de la <i>propre</i>,
+et on le fait passer dans le <i>flambeau</i>; celui de la <i>grande</i> est
+transporté dans <i>la propre</i>, et <i>l'équipage</i> est en roulement complet.
+Ce changement de chaudière se fait au fur et à mesure que chaque
+opération est terminée; mais on réunit toujours dans <i>la batterie</i> le
+produit de plusieurs chauffes des autres chaudières Quand le sirop de
+<i>la batterie</i> est arrivé au degré favorable, on le verse dans le
+rafraîchissoir après avoir diminué le feu, et de suite on remplit la
+batterie avec la charge du <i>sirop</i>, celui-ci avec celle du <i>flambeau</i>,
+le <i>flambeau</i> avec le vesou de <i>la propre</i>, et cette dernière avec le
+jus de la <i>grande</i>, et l'on continue de travailler.</p>
+
+<p>«D'un premier rafraîchissoir où il a été déposé, le sirop encore chaud
+est porté dans un second rafraîchissoir, où l'on ajoute une seconde
+cuite plus rapprochée que la première, afin que la cristallisation
+commence aussitôt après la réunion; on remue ou l'on <i>mouve</i> bien ces
+deux cuites, qui, réunies, forment un <i>empli</i>, et l'on va verser le
+tout dans un bac ou dans des formes. On appelle <i>bac</i> un coffre de trois
+mètres trente centimètres de long sur deux mètres de large, et
+trente-trois centimètres de profondeur. Les formes sont des vases
+coniques en terre cuite de différentes dimensions. On verse plusieurs
+emplis dans le même bac, mais sans remuer le sirop déjà déposé, et qui
+commence à cristalliser.»</p>
+
+<p>Telle est la méthode la plus généralement adoptée dans les colonies
+françaises pour la fabrication du sucre. Ces opérations terminées, on
+procède au travail de la purgerie.</p>
+
+<p>«Les <i>purgeries</i> sont de deux sortes, suivant l'espèce de sucre qui doit
+y être préparé. Celle à <i>moscouade</i>, ou <i>sucre brut</i>, est un bâtiment de
+vingt-trois mètres de long sur environ sept mètres de large, et divisé
+en deux parties. L'une, creusée dans le sol de deux mètres au moins, est
+partagée en plusieurs bassins que l'on nomme <i>bassins à mélasse</i>, et
+l'autre, construite au-dessus de la première, est appelée <i>le plancher</i>.
+Celui-ci est à claire-voie et se trouve au niveau du sol. Les bassins
+sont cimentés avec soin, et ont ordinairement une partie de leur fond un
+peu plus creuse que l'autre pour favoriser le puisage des mélasses. Des
+barriques ouvertes par le dessus, et reposant sur l'un des fonds, qui
+est percé de quelques trous, reçoivent, les sucres à égoutter, quand
+toutefois on a placé dans les trous dont nous venons de parler des
+cannes à sucre qui se prolongent jusqu'au-dessus du tonneau; on laisse
+le sucre s'égoutter pendant près de trois semaines, après lesquelles on
+remplit la barrique et on place le fond supérieur; on ferme avec des
+chevilles les trous pratiqués dans le fond de la barrique, et le sucre
+peut alors être expédié.</p>
+
+<p>«On construit quelquefois, à l'une des extrémités de la purgerie, un
+fourneau en maçonnerie sur lequel sont établies deux chaudières à faire
+cuire et raffiner les sirops égouttés des formes.</p>
+
+<p>«Le sirop incristallisable que l'on nomme <i>mélasse</i>, et qui est produit
+par l'égouttage des sucres, sert à préparer le rhum, esprit alcoolique
+que l'on porte au titre de 20 à 24 degrés. On peut aussi l'employer à la
+nourriture du bétail en y mêlant de la paille hachée ou de la bagasse
+coupée en très-petits morceaux.</p>
+
+<p>«A la Guadeloupe et à la Martinique il y a environ 50 p. cent de
+mélasse; à Cayenne et à Bourbon, 60 p. cent.»</p>
+
+<p>Ces chiffres peuvent donner à connaître l'état de la fabrication dans
+les Antilles, et combien les colons pourraient gagner en améliorant
+seulement leurs procédés, s'il est vrai, ainsi que le prétendent
+plusieurs chimistes distingués, que la mélasse est en quelque sorti un
+produit dégénéré, résultant d'une fabrication vicieuse, et que tout ce
+que contient la canne est matière cristallisable.</p>
+
+<p>«La <i>purgerie</i>, continue M. Rodet, dans laquelle on prépare le sucre
+<i>terré</i> ou <i>claircé</i>, demande des dimensions beaucoup plus grandes, et
+aussi à être divisée en divers compartiments par des traverses en bois.
+Ceux-ci portent le nom de <i>cabanes</i>, et reçoivent les formes pleines de
+sucre à égoutter. On les y place sur des puis de forme particulière,
+après avoir enlevé la cheville qui s'opposait à l'écoulement du sirop.
+Il serait plus avantageux de placer ces formes sur des gouttières qui
+conduiraient les sirops dans un bassin unique où l'on pourrait les
+reprendre pour leur faire subir une nouvelle cuite. Quand la partie
+liquide du sucre s'est écoulée, on porte les formes sur d'autres pots,
+et l'on procède au <i>terrage</i> ou au <i>clairçage.</i>»</p>
+
+<p>De tous les sucres, si nous en croyons les expériences qui ont été
+faites et les calculs fournis par M. Longchamps, le plus riche est le
+sucre de l'Inde. Dans l'Inde, un hectare planté en cannes produit 32,110
+kil. de <i>vesou</i>, lesquels rendent 5,681 kil. de moscouade; par
+conséquent, 100 de vesou rendent 17,70 de moscouade. Dans les colonies
+anglaises de l'Amérique, 100 de vesou produisent, d'après Edward, 12,15
+de moscouade. A la Martinique, les expériences ont amené le chiffre de
+11,8 de moscouade pour 100 de vesou. A la Guadeloupe le chiffre est le
+même; bien que 100 de vesou y donnent 17 de matière sucrée, on n'y
+obtient que 12 environ de moscouade, le reste est à l'état de mélasse.</p>
+
+<p>Pour terrer le sucre, on étend sur la forme une couche d'argile
+plastique qui doit être peu ou même point calcaire, et ne contenir ni
+sels facilement dissolubles dans l'eau, ni matières colorantes avec,
+lesquelles l'eau puisse se combiner. Cette couche d'argile fait en
+quelque sorte l'office de philtre et est lentement traversée par l'eau,
+qui, pénétrant ainsi pour ainsi dire goutte à goutte et par la base dans
+la forme emplie de sucre brut, lave le grain en sucre et le purifie en
+repoussant devant, elle le sirop qui le salit. On comprend facilement
+que plus l'eau avance dans la forme, moins elle a la faculté de se
+charger de sirop. Si, l'opération terminée, vous redressez et videz la
+forme, vous trouverez dans le pain qui en sortira une série de courbes
+de moins en moins blanches. Vient d'abord le <i>sucre-tête</i>, c'est-à-dire
+l'extrémité du cône, qui est jaunâtre; immédiatement après, le <i>petit
+sucre</i>, d'une nuance tirant sur le gris. Après ces deux couches
+commencent les couches blanches, qui, en leur appliquant le même
+raisonnement, présenteront, suivant leur position, divers degrés de
+pureté. Elles forment ce qu'un appelle le <i>sucre terré blanc</i>, et on en
+compte quatre sortes, toujours de plus en plus blanches, jusqu'à la
+quatrième, qui est précisément à la base du cône, d'où lui est venu le
+nom usité dans le commerce, de <i>bonne quatrième</i>.</p>
+
+<p>Le <i>clairçage</i> a beaucoup d'analogie avec le terrage, car c'est la
+filtration à travers le sucre brut d'une eau complètement saturée de
+sucre, et qui a pour objet, par la pression qu'elle exerce au dehors, de
+dégager les cristaux de la mélasse qui les enveloppe. Pour rendre le
+clairçage à la fois plus facile et plus parfait, on traite d'abord le
+sucre avec du noir animal ou du sang. Le clairçage est dans le
+traitement des sucres une amélioration qui aurait fait plus de progrès
+sans les obstacles imposés par nos lois de douanes. Il suffira, pour
+s'en convaincre, de jeter les yeux sur le tableau suivant, qui résume
+les tarifs aujourd'hui payés par les sucres selon leurs différentes
+provenances.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/008a.png"></p>
+
+<p>On reconnaît, à la seule inspection de ce tableau, combien notre
+législation douanière est préjudiciable aux colonies, puisque, pour
+accorder une protection aux raffineries indigènes, elle a voulu en
+élevant le droit dans une si forte proportion, et suivant le degré de
+perfection dans la fabrication, imposer aux sucres épurés et blanchis
+par le <i>clairçage</i> ou tout autre procédé de fabrication analogue, une
+taxe proportionnée à leur richesse cristallisable. Aussi, qu'en est-il
+résulté? Il ne vient pas de sucres claircés, et aujourd'hui même on ne
+terre presque plus dans les Antilles françaises qui de ce fait, sont
+condamnées à livrer leurs sucres sous la forme la plus défectueuse
+possible. Mais notre système économique ne s'est pas borné à mettre
+obstacle à ces exportations de détail, il a porté à nos colonies
+d'autres coups plus terribles encore.</p>
+
+<p>Ainsi qu'on a pu le remarquer, et par ce que nous avons dit de la
+culture, et par la description que nous avons citée des procédés actuels
+de la fabrication, il faut absolument que toute sucrerie contienne
+non-seulement les plantations et le nombre de noirs ou d'individus
+nécessaires à la culture et à la récolte des cannes, mais encore les
+moulins à sucre, les purgeries, en un mot, que la production et la
+fabrication coexistent simultanément sur la même habitation. Les
+conséquences de ce système ont été, d'abord, qu'il n'a pu y avoir aux
+colonies que des habitations considérables par leur étendue ou leur
+production, et qui partant ont toutes exigé de gros capitaux pour leur
+acquisition. En outre, il a fallu leur appliquer un fonds de roulement
+proportionnel, et enfin consacrer chaque année aux frais de la culture,
+au renouvellement des instruments ou des agents du travail, à
+l'entretien des bâtiments, des sommes qui, à titre d'intérêts,
+ajoutaient encore aux charges coloniales. Mais ce n'est pas tout encore.
+Une habitation, avec la constitution que nous venons de lui donner, et
+qu'elle doit nécessairement avoir, ne peut être divisée. Production,
+fabrication, tout est d'un seul morceau; c'est un seul et unique lot qui
+doit tomber en partage à l'un ou à l'autre des héritiers, sauf une
+soulte à donner par lui à ses autres cohéritiers. Un exemple va nous
+faire mieux comprendre. Nous allons nous expliquer.</p>
+
+<p>Un colon meurt en laissant plusieurs enfants. Comme les colonies sont
+régies par le Code civil, qui prescrit pour les successions l'égalité
+dans les partages, on estime fictivement, d'après l'inventaire de la
+succession, ce qui doit revenir à chacun des enfants. Mais le défunt n'a
+laissé qu'une seule chose, qu'un seul immeuble, et cet immeuble est
+impartageable: c'est sa sucrerie. Alors un des enfants est oblige de la
+prendre et de tenir compte de leur part à chacun de ses cohéritiers.
+Comme il n'a pas d'argent, il emprunte pour remplir ses engagements, le
+plus souvent à gros intérêts, ou du moins à un taux qui n'est jamais
+inférieur à 10 p. 100, et qui s'élève quelquefois à 12 p. 100. C'est le
+taux de l'intérêt colonial. Or, comme il n'y a pas d'argent aux
+colonies, il paie en nature. Toutes ses récoltes, sauf une part
+considérée comme nécessaire, et qui est prélevée en sa faveur, sont la
+propriété du prêteur, qui les vend ou fait vendre pour son compte,
+jusqu'à parfait paiement. On comprend dès lors qu'avec la situation
+actuelle des colonies, l'emprunteur soit bien longtemps à se libérer,
+qu'il y passe même sa vie entière. Au moment où il devient propriétaire,
+il meurt, et les mêmes faits que nous venons de signaler se reproduisent
+au préjudice de ses enfants; et encore nous avons choisi ici l'hypothèse
+la plus favorable, car souvent le colon décède avant d'avoir remboursé
+ses créanciers, et ne peut laisser ainsi à ses descendants qu'une
+succession grevée de dettes. Aujourd'hui, au prix où sont les sucres
+coloniaux, par suite de la concurrence indigène, avec le droit qu'ils
+ont à acquitter, non-seulement il ne reste rien au colon, mais encore il
+vend 17 fr., et l'année dernière seulement 15 fr., ce qu'il aurait dû
+vendre 23 fr. 50 c, somme égale à son prix de revient.</p>
+
+<p>(La suite à un prochain numéro.)</p>
+
+<h3>Théâtres.</h3>
+
+<p class="mid"><i>Georges et Thérèse</i> (Gymnase).--<i>La Chambre Verte</i>.--<i>Un
+Péché</i> (Vaudeville).--<i>Mademoiselle Déjazet au Sérail</i>
+(Palais-Royal).--<i>Un Tour de Roulette</i> (Odéon).--<i>Les Marocains</i>
+(Cirque-Olympique).--Le paradis des Funambules. <i>La Statue de sainte
+Claire</i> (Gaieté).--L'escamoteur Philippe.</p>
+
+<p>D'où venez-vous, mes chers enfants? Toi, Thérèse, avec ta jeunesse et
+ton bonnet blanc à barbes flottantes, ton doux et naïf sourire et ton
+cotillon court?--Toi, Georges, avec tes longs cheveux lisses, ton bâton
+noueux, ton air à la fois candide et résolu et la veste bretonne?--Ah!
+monsieur, nous venons de bien loin, bien loin.... de par delà les
+mers!--Quoi! seuls?--Oui, seuls.--Si jeunes:--Ma soeur a seize ans et
+moi dix-huit.--Mais d'où, enfin?--De Pondichéry; et, chemin faisant,
+nous sommes arrivés en Bretagne.</p>
+
+<p>Et voilà Georges et Thérèse qui se remettent en route, la soeur
+s'appuyant sur le bras du frère, le frère soutenant la soeur et veillant
+sur elle, d'un regard tendre et intrépide. Il écarte les ronces et les
+cailloux de son chemin: si elle est lasse, il lui prépare un siège de
+mousse; si le soleil est trop ardent, il lui fait un abri de feuillage;
+la fatigue a-t-elle excité sa soif, il court puiser une eau pure à
+quelque source murmurante; et prenez garde! n'approchez pas de Thérèse
+d'un air provoquant, attiré par l'attrait de sa beauté, il vous en
+arriverait mal. Georges fait sentinelle comme un jeune molosse vigilant,
+tout prêt à donner la chasse aux larrons.</p>
+
+<p>Il est un nom qu'ils prononcent dans tous leurs dangers et dans toutes
+leurs prières, comme le nom d'un bon ange: c'est le nom de leur mère.
+Elle leur a dit en mourant: «Allez, mes pauvres orphelins, allez
+chercher la France;» et ils sont venus en France, après avoir couvert de
+baisers et inondé de larmes le linceul et la tombe.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/009a.png"><br><b>(Théâtre du Gymnase.--Une scène de <i>Georges et
+Thérèse</i>.--Mademoiselle Julienne.)</b></p>
+
+<p>Les voici à Paris, perdus dans cette grande ville, mais Thérèse toujours
+avec sa candeur, et Georges avec son courage. Ils cherchent à utiliser
+honnêtement leur résignation et leur jeunesse: une marquise les
+accueille, une bonne et vieille marquise. D'abord tout leur sourit dans
+cette maison hospitalière; la marquise les aime. Et qui ne les aimerait
+pas, si bons, si sincères, si dévoués? Mais l'amour vient se jeter à
+travers ce bonheur. L'amour gâte tout.--La marquise a un neveu et
+Thérèse a deux beaux yeux. Le neveu s'éprend des deux beaux yeux, et les
+deux beaux yeux, tout chastes qu'ils sont, regardent furtivement le
+neveu. «Quoi! dit la marquise, vous aviser d'être aimable et d'être
+aimée! allez-vous-en, petite malheureuse!»--Georges est fier, et il va
+partir, et Thérèse, le coeur gros, va le suivre. Mon Dieu! faudra-t-il
+nous embarquer avec Thérèse et Georges pour retourner à Pondichéry?...
+Je soupçonne que quelque lettre, venue je ne sais d'où, nous épargnera
+les frais de ce grand voyage.</p>
+
+
+
+<p>La lettre arrive en effet, ou tombe de la poche de Georges, peu importe.
+Ô merveilleux effet de la lettre! au lieu d'être chassés cruellement,
+Georges et Thérèse sont reconnus pour les petits enfants de la marquise.
+C'est toute une histoire de fils exilé, maudit et repentant, dont je
+n'ai pas le loisir aujourd'hui d'aller chercher les preuves authentiques
+dans les Indes.</p>
+
+<p>Et ainsi la Providence tient toujours en réserve une grand'maman
+marquise, et un bon petit cousin pour les orphelines qui viennent de
+Pondichéry et qui sont bien sages.--Petit drame mouillé de pleurs.</p>
+
+<p>Un comte et un duc sont mariés tous deux; rien de plus ordinaire. Le
+comte n'aime guère sa femme, et le duc n'aime pas du tout la sienne;
+cela s'est vu. C'est la duchesse que le comte désire, c'est la comtesse
+que désire le duc; je n'y trouve rien d'invraisemblable.--Cependant la
+nuit vient. Ô nuit favorable! Duc et comte se glissent d'un pas
+conquérant dans une certaine chambre verte, chacun à son heure, bien
+entendu. Le comte croit en sortir emportant pour trophée une couronne de
+duchesse, et le duc une branche du laurier, ou plutôt de myrte, cueillie
+sur les domaines d'une comtesse. Mais le comte s'était entendu avec le
+duché pour se moquer des deux infidèles, et l'un avait pris la place de
+l'autre dans l'obscurité et dans la chambre verte. Ainsi le duc et le
+comte, croyant braconner sur les terres du voisin, n'ont fait, en
+définitive, que chasser légitimement sur les leurs. Qui se moque du
+comté? c'est le duché. Oui se moque du duché? c'est le comté. Et la
+comtesse n'épargne pas le comte! et la duchesse n'épargne pas le duc! Si
+ce vaudeville n'est pas d'un goût très-virginal, il n'encourage pas du
+moins l'usurpation.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/009b.png"><br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<b>Théâtre du Palais-Royal.--Costume<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; du rôle principal, dans le vaudeville<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<i>Mademoiselle Déjazet au sérail.</i></b></p>
+
+<p>Comment! mademoiselle Déjazet au sérail! est-il possible? La grisette
+insouciante et légère enfermée dans cette cage? Frétillon, la vive et
+babillarde Frétillon, en compagnie des muets et des Calpigi? Mais elle
+en mourra, la <i>poveretta</i>, ne sachant plus à qui parler. Enfin elle y
+est, il faut bien qu'elle y reste. Et puis, Frétillon est philosophe;
+elle se contente de ce qu'elle a, quand elle n'a pas autre chose.
+Frétillon accepte le médiocre et même le mauvais, faute de mieux; c'est
+la bonne philosophie. Et le mieux, d'ailleurs, n'est-ce pas ce qu'on
+tient? Qui peut compter sur l'inconnu?</p>
+
+<p>Ce que fait mademoiselle Déjazet au sérail? vraiment ce n'est pas
+difficile à deviner. Elle fait ce qu'elle fait partout: vêtue du costume
+albanais, elle chante, elle rit, elle jette au vent mille gaillardes
+bouffées d'insouciance et de gaieté. De son côté, Alcide Tousez roucoule
+et lance des regards langoureux et triomphants, qui laissent de beaucoup
+derrière lui tous les Amurath, tous les Sélim et tous les Mustapha du
+monde, et compromettent singulièrement la pruderie de la Sublime
+Porte.--Mais comment mademoiselle Déjazet a-t-elle permis qu'on donnât
+son nom, son propre nom, à un vaudeville?</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/009c.png"><br>
+<b>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Cirque olympique.--<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;Les Sauteurs maroquins)</b></p>
+
+<p>Je m'aperçois que j'ai oublié <i>Un Péché</i>, du théâtre du Vaudeville, et
+compagnon de la <i>Chambre verte</i>. Je m'en confesse. Ce péché se présente
+sous la forme d'une petite pensionnaire de dix-sept ans, joli péché!
+C'est M. d'Ercilly qui a fait ce péché, et qui l'a mis en pension sans
+en rien dire à personne; lui, cependant, a atteint la quarantaine.--Je
+passe les mois de nourrice.--D'Ercilly veut se marier; il convoite
+madame d'Harville, je crois, une veuve très-piquante; le vaudeville
+n'est peuplé que de veuves piquantes. Madame d'Harville est près de
+consentir, bien qu'elle trouve notre homme un tant soit peu jaloux et
+bourru. Mais voici qu'un jeune galant arrive, pâle, ému, égaré; il vient
+se mettre sous la protection de madame d'Harville: «Qu'avez-vous donc?
+--Je suis adoré d'une charmante pensionnaire, et la petite veut que je
+l'enlève; venez à mon aide.--Et son nom?--Thérèse
+d'Ercilly.--Comment?--La fille de M. d'Ercilly.--Oh! oh!» dit la veuve.
+Et la pièce continue ainsi de oh! oh! en ah! ah! spirituel quiproquo
+dans lequel d'Ercilly est plaisamment ballotté, et madame d'Harville
+avec lui: l'un voulant cacher son secret, l'autre voulant le lui
+arracher; si bien que d'Ercilly perd dans cette lutte, ingénieusement
+comique, le coeur et la main de la veuve.... Je vous le dis, en vérité,
+mes frères, en vérité, je vous le dis: il faut toujours, tôt ou tard,
+payer ses péchés mignons.</p>
+
+
+
+<p>Un tour de roue, et vous êtes à terre, ou porté gaiement au but de votre
+route; un tour de roulette, et votre bourse est pleine ou vide; de haut
+en bas, la roue de fortune va et vient: elle élève le pauvre diable dans
+un moment de caprice, et fait choir le riche: le maître descend pour
+faire place au valet. Ainsi de Floricourt et de Bertrand; Bertrand est le
+valet, Floricourt est le maître. Floricourt, jeune étourdi, se ruine en
+folle paresse; le jeu l'a enrichi, le jeu le met à sec. Bertrand, tout
+au contraire, n'avait pas un denier, et le voici cousu d'or; c'est
+Floricourt qui le sert. Quant à lui, il prend des airs et se dandine.
+Heureusement que Floricourt est adoré: une jeune femme l'aimait riche;
+pauvre, elle l'aime davantage et l'épouse. Ô femme amoureuse! je te
+reconnais bien là. Floricourt est converti; il ne jouera plus et
+travaillera. Et Bertrand? un second tour de roulette le renvoie à
+l'antichambre. Pourquoi donc? ce Bertrand était bonhomme, au fond de
+l'âme; mais, après tout, laissons faire aux dieux!</p>
+
+<p>Tomber du salon dans l'antichambre, c'est quelque chose; toutefois, on
+ne risque pas de se casser les reins, l'affaire étant de plain-pied, en
+définitive; mais tomber du haut de la pyramide humaine, Dieu vous en
+garde, et moi aussi! Pour moi, je suis sûr d'être à l'abri de cette
+chute; et la raison, c'est que je n'irai jamais me loger à un pareil
+étage; pas si Marocain!</p>
+
+<p>On a fait des pyramides en pierre, en granit, en marbre, en je ne sais
+quoi; mais il fallait notre siècle de progrès pour bâtir des pyramides
+en chair humaine. Les fondations, comme vous le voyez, sont faites de
+pieds en chair et en os; l'entre-sol a des épaules pour assises, ainsi
+du second et ainsi du troisième; le Cirque-Olympique s'est arrêté à
+cette hauteur du bâtiment. Peut-être l'architecte-voyer a-t-il défendu
+de bâtir plus haut, de par M. le préfet de la Seine; mais, il y a deux
+ou trois ans, le théâtre de la Porte-Saint-Martin, ayant obtenu une
+dispense, avait élevé une maison à six étages de Marocains. Je dois dire
+que le cinquième et le sixième se louaient difficilement, et que le
+propriétaire, plusieurs fois, fit mander des architectes à
+l'amphithéâtre de l'École de Médecine et à l'Hôtel-Dieu pour récrépir
+une jambe, un bras, une cuisse de l'édifice, et faire toutes autres
+réparations locatives.</p>
+
+<p>Puisque le Cirque-Olympique nous amène au boulevard du Temple, entrons
+sans façon au théâtre de la Gaieté. Dieu!!! <i>la Statue de sainte
+Claire!</i> Cette statue serait-elle, par hasard, une des victimes du jury
+de peinture et de sculpture, réfugiée là pour s'y faire un petit Louvre
+et une petite exposition particulière? Non, pas encore: il ne s'agit
+point d'un Phidias méconnu ou d'un Canova incompris; cette statue est de
+carton peint, et fabriquée par le mélodrame, seigneur du lieu, et pour
+ses besoins personnels; elle n'en a pas l'air, mais elle cache un gros
+crime. Le scélérat s'appelle Duhamel. J'avoue que je m'y serais laissé
+prendre; le nom de Duhamel est fait pour inspirer de la confiance. J'ai
+connu une grande quantité de Duhamel; tous faisaient croître des
+berceaux de capucines à leur fenêtre, et sautaient avec candeur à bas du
+lit, pour aller voir lever l'aurore, mais enfin, il n'y a pas de Duhamel
+qui n'ait son exception: celle-ci est affreuse. Ce Duhamel,--et j'espère
+bien que nous n'en verrons plus de pareil,--ce fieffé Duhamel, vole,
+pille, assassine, et fait bien d'autres choses encore. A la fin, il
+reçoit son prix de vertu: le procureur du roi le flaire, le gendarme le
+prend au collet, et je ne sais pas si la statue de sainte Claire ne lui
+tombe pas sur le dos; pour moi, je l'espère.--Tous mes honnêtes Duhamel
+sont venus me trouver ce matin, pour m'annoncer qu'ils allaient demander
+à qui de droit l'autorisation de changer leur nom en celui de Caramel.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/010a.png"><br><b>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Philippe le prestidigitateur, au bazar du <br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;boulevard Bonne-Nouvelle.</b></p>
+
+<p>Sortons de cet enfer, et montons au paradis... au paradis des
+Funambules. Ah! vraiment, oui, c'est le paradis; demandez plutôt aux
+habitants. Est-ce dans l'enfer qu'on se foule et qu'on se presse ainsi?
+Non pas, vraiment; les pauvres ombres n'y vont qu'à leurs corps
+défendant; il faut qu'elles soient damnées et condamnées, et poursuivies
+à outrance par la grande fourche de Belzébuth. Mais là, voyez nos gens;
+c'est à qui entrera; ils se poussent, ils se heurtent, ils se disputent
+la jouissance de ce séjour des bienheureux. Et comme les places
+manquent, on en fait en s'entassant, en s'enlaçant, en se pelotonnant,
+en s'asseyant sur son voisin; les têtes sont dans les bras, les bras
+sont dans les jambes, les yeux regardent à travers les dos, les nez se
+mettent je ne sais où, tout cela vit sans remuer ni respirer. Ô paradis!
+les anges y mangent de la galette avec délices, les archanges sucent du
+sucre d'orge, les dominations jettent des trognons de pommes à
+l'avant-scène.</p>
+
+<p>Mais où sommes-nous? grand Dieu! je sens autour de moi comme une odeur
+de sorcier; et en effet, voici un magicien qui se dresse devant moi. Il
+est coiffé à l'égyptienne; il est vêtu d'une longue robe flottante ornée
+de mille broderies mystérieuses et de signes hiéroglyphiques. A-t-il
+soulevé quelque dalle du temple de Memphis? Sort-il de quelque forêt de
+Bohême, ou d'un exemplaire du Cabinet des fées? Peu importe; c'est un
+grand et un charmant sorcier. Demandez-le aux petites filles,
+demandez-le aux petits garçons, demandez-le même aux grands enfants,
+depuis vingt ans jusqu'à soixante, à toute cette multitude ébahie, que
+ce grand enchanteur Philippe, digne héritier de Merlin et de
+Parapharagaramus, charme et surprend, ravit et étonne, par son officine
+diabolique du bazar Bonne-Nouvelle. En ce moment, tel que j'ai l'honneur
+de vous le faire voir, Philippe exécute le tour merveilleux des
+poissons, accommodés du bout de sa baguette magique. Je ne vous dirai
+pas si les poissons sont frais, mais je vous engage à y aller goûter.</p>
+
+<p>Et moi qui oubliais les noms des auteurs de ces vaudevilles et de ces
+comédies. Que dirait la postérité? <i>George et Thérèse</i> ont pour père M.
+Auvray; MM. Desnoyers et Danvin ont bâti <i>la Chambre Verte</i>; M. Bavard a
+conduit <i>Mademoiselle Déjazet au Sérail</i>: le <i>Péché</i> a été commis par
+MM. Samson et Jules de Wailly; M. Armand Durantin a fait tourner la
+<i>Roulette</i>, et M. Eugène a taillé <i>la Statue de sainte Claire</i>. Qui dit
+Eugène, ou Léon, ou Achille, ou Gustave, en matière dramatique, dit
+sifflets.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/010b.png"><br><b>(Le paradis du théâtre des Funambules.)</b></p>
+<br>
+
+<h3>Bulletin bibliographique.</h3>
+
+<p><i>Économistes financiers du dix-huitième siècle.</i>--Vauran--: Projet d'une
+dîme royale.--- <span class="sc">Boisguilbert</span>: Détail de la France; Factum de la France
+et Opuscules divers.--<span class="sc">Jean Law</span>: Considérations sur le numéraire et le
+commerce; Mémoires et Lettres sur les Banques; Opuscules divers.--<span class="sc">Melox</span>:
+Essai politique sur le commerce--<span class="sc">Dutot</span>: Réflexions politiques sur le
+commerce et les finances. Précédés de Notices historiques sur chaque
+auteur et accompagnés de commentaires et de notes explicatives; par M.
+<span class="sc">Eugène Dame</span>.--Paris, 1843. <i>Guillaumin</i>. Un magnifique volume grand
+in-8, de 1,008 pages à une seule colonne. 13 fr. 50 c.</p>
+
+<p>M. Guillaumin a commencé l'année dernière la publication des oeuvres des
+principaux économistes français ou étrangers. Cette importante
+collection doit former douze à quinze volumes. Cinq de ces volumes sont
+déjà en vente; ils contiennent le <i>Traité</i> et le <i>Cours d'Économie
+politique</i> de J.-B. Say, et la <i>Richesse des Nations</i> d'Adam Smith. Dans
+le courant de l'année 1843, paraîtront successivement: Turgot (1 vol.),
+<i>les Physiocrates</i>, Quesnay, Mercier de la Rivière, Dupont de Nemours (1
+vol.); Malthus (1 vol.); Ricardo (1 vol.). Le texte de chaque ouvrage,
+revu et corrigé avec le plus grand soin, est accompagné de notes
+explicatives et historiques, de commentaires et notices biographiques,
+par M. M. Blanqui, Eugène Daire, Hippolyte Dussard, Rossi et Horace Say.</p>
+
+<p><i>Les Économistes financiers du dix-huitième siècle</i> formeront le premier
+volume de la collection des principaux économistes. A ces divers
+penseurs, que, un seul excepté, la France a vus naître, appartient, en
+elle, la gloire d'avoir marché les premiers à la conquête des vérités
+économiques. Avec eux finit l'ère de l'empirisme ou de la routine, et
+commence celle du raisonnement en ce qui touche les intérêts matériels
+de la société. Ils sont les véritables précurseurs de l'école
+physiocratique dont Quesnay fut le chef, et de l'école industrielle qui
+eut Adam Smith pour fondateur. Bien qu'ils soient désignés par le titre
+d'<i>Economistes financiers</i>, il ne faut pas induire de cette dénomination
+qu'ils n'ont accordé leur attention qu'à l'impôt. Loin de la, presque
+toutes les questions qu'agitent encore de nos jours la presse et la
+tribune des Chambres législatives, ont été soulevées et débattues ans
+les écrits de Vauban, de Boisguilbert et de leurs successeurs immédiats.
+En résumé, ce furent ces <i>ancêtres de ta science</i>, qu'on nous permette
+cette expression, qui détermineront le grand mouvement économique auquel
+la France doit sa prospérité actuelle.</p>
+
+<p><i>Colonisation de l'Algérie</i>; par <span class="sc">Enfantin</span>.--Paris, 1843. <i>Bertrand.</i> 1
+vol in-8 de 542 pages, avec une carte. 7 fr. 50 c.</p>
+
+<p>Le nouvel ouvrage de M. Enfantin se divise en cinq parties, une
+introduction et une conclusion séparées par trois livres.</p>
+
+<p><span class="sc">L'Introduction</span> a pour titre: <i>Des colonisations en général.</i> M. Enfantin
+definit d'abord ce qu'il entend par le mot colonisation. Dans son
+opinion, «c'est le transport d'une population civile considérable, d'une
+population agricole, commerçante et industrielle, formant familles,
+villages et villes, et des arts et des sciences qu'une semblable
+population apporte ou attire nécessairement. Mais ce mot comprend aussi
+l'organisation par la France, c'est-à-dire par le gouvernement et
+l'administration, par des Français, de la population indigène, dans les
+villes et dans les campagnes.» Cette définition donnée, M Enfantin
+examine plusieurs systèmes coloniaux différents, selon les époques et
+selon le degré de civilisation des peuples colonisateurs; il se demande
+ensuite ce que peut et ce que doit être une colonisation faite par la
+France en Algérie, au dix-neuvième siècle. Selon lui, notre politique
+n'est plus absolue, elle transige et concilie, elle veut associer; par
+conséquent deux problèmes à résoudre: 1º modifier progressivement les
+institutions, les moeurs, les habitudes des indigènes; 2° modifier aussi
+celles des Européens colons, de manière à faire vivre les uns et les
+autres en société, sur un même sol et sous un même gouvernement. Les
+institutions coloniales données par la France à l'Algérie doivent faire
+tendre les deux populations (indigène et européenne) vers un ut commun,
+sous le triple rapport administratif, judiciaire et religieux.
+--application de ce principe à la <i>constitution de la propriété</i> dans
+l'Algérie française, telle est la base de l'ouvrage de M. Enfantin.</p>
+
+<p>Ainsi, M. Enfantin aborde la question générale de la <i>colonisation</i> de
+l'Algérie par son côté le plus apparent, le plus <i>matériel</i>, qui lui
+permet cependant, sinon d'embrasser, au moins de toucher presque toutes
+les parties de ce grand ensemble.</p>
+
+<p>Le <span class="sc">Livre</span> Ier, intitulé: <i>Constitution de la propriété</i>, se divise en
+trois chapitres. M. Enfantin recherche d'abord quel était, en 1830,
+l'état de la propriété en Algérie, et quel est actuellement l'état de la
+propriété en France; puis il compare ces deux manières de concevoir la
+propriété, et il se demande ce qu'elle doit être pour l'Algérie
+française.</p>
+
+<p>Dans le <span class="sc">Livre II</span> <i>(colonisation européenne)</i>, M. Enfantin établit,
+d'après des considérations historiques, géographiques et politiques, les
+lieux qui sont propres à la colonisation civile ou à la colonisation
+militaire, et l'ordre selon lequel ces deux espèces de colonisation
+doivent être commencées et progressivement développées; il traite
+ensuite du personnel et du matériel des colonies civiles et des colonies
+militaires.</p>
+
+<p>Le <span class="sc">Livre III</span> <i>colonisation indigène</i> est consacré aux mêmes questions
+qui font l'objet du livre deuxième, seulement ces questions se
+rattachent à la population indigène.</p>
+
+<p>La <span class="sc">Conclusion</span> renferme l'examen spécial d'une question naturellement
+touchée et soulevée dans toutes les autres parties, celle du
+<i>gouvernement</i> de l'Algérie. M Enfantin indique ses rapports avec le
+gouvernement central, la nature et les limites de ses attributions, et
+sa hiérarchie supérieure, politique, militaire et administrative,
+relativement aux colonies européennes et aux tribus indigènes; enfin, il
+expose l'organisation spéciale des villes d'Algérie, de leur population
+indigène et européenne, dans le but de compléter ce qui, dans le cours de
+l'ouvrage, a été plus particulièrement présenté comme relatif aux tribus
+indigènes et aux colonies agricoles, civiles ou militaires, fondées par
+la France.</p>
+
+<p>Quoi que soit le sort réservé dans l'avenir aux projets de K. Enfantin,
+nous devons, dès aujourd'hui, nous empresser de reconnaître que la
+<i>Colonisation de l'Algérie</i> est un de ces ouvrages utiles, pleins de
+faits et d'idées, qui honorent leur auteur, et qui se recommandent
+d'eux-mêmes à l'attention de tous les hommes.</p>
+
+<p><i>Histoire des Invasions des Sarrasins en Italie, du septième au onzième
+siècle</i>; par César <span class="sc">Famin</span>. Tome 1er. in-8 de 27 feuilles 1/4.--Paris,
+1843. <i>Didot</i>. 6 fr.</p>
+
+<p>Cet ouvrage fut commencé en 1833, à Palerme et à Naples, où son auteur
+fit un séjour de huit années. Des circonstances extraordinaires avaient
+empêché M. César Famin de le continuer et de l'achever. Enfin il a pu
+reprendre ses travaux, si longtemps interrompus, et il vient de publier
+un premier volume.</p>
+
+<p><i>L'Histoire des Invasions des Sarrasins en Italie</i> se divisera en trois
+parties: dans la première, M. César Famin tracera l'histoire des
+différentes incursions faites par les Arabes d'Asie et d'Afrique, tant
+sur le continent, de l'Italie que sur les îles qui en dépendent, depuis
+l'année 632 jusqu'à l'année 1242. Cette première partie doit indiquer
+les dates précises des épisodes les plus importants, appeler sur la
+scène les principaux acteurs de ce grand drame, et relever, en passant,
+les erreurs plus ou moins graves dans lesquelles sont tombés la plupart
+des auteurs arabes ou occidentaux dont les écrits se rattachent au même
+sujet. La seconde partie sera consacrée à l'examen de la condition
+religieuse des Italiens pendant la domination des Arabes, du droit civil
+et criminel des Arabes, du mode d'administration, des impôts, de la
+division territoriale, du sort des esclaves, du partage du butin, de la
+valeur et de l'espèce des monnaies. Enfin, dans la troisième partie,
+l'auteur recherchera les traces de l'influence des Arabes sur l'Italie
+et sur ses habitants.</p>
+
+<p>Le tome 1er, qui vient d'être publié, contient sept chapitres de la
+première partie intitulée <i>Histoire</i>.--Le chapitre premier a pour titre:
+<i>Esquisse sommaire de l'histoire des Arabes et de celle des Italiens au
+moment où commencèrent les invasions.</i>--Les six chapitres suivants
+embrassent la période de temps qui s'étend depuis les premières courses
+des Sarrasins, en 632, jusqu'à la mort du pape Jean VIII, en 885.</p>
+
+<p><i>De l'Idiotie chez les Enfants,</i> et des autres particularités
+d'intelligence ou de caractère qui nécessitent pour eux une instruction
+et une éducation spéciales; de leur responsabilité morale; par <span class="sc">Félix
+Voisin</span>, médecin en chef de l'hospice des aliénés de Bicêtre. Une
+brochure in-8 de 124 pages.</p>
+
+<p>--Paris, 1843. <i>Baillière</i>.</p>
+
+<p>Le Conseil général des hospices vient de prendre en considération
+particulière la seule et dernière classe des aliénés, qui, jusqu'à ce
+jour, était restée en quelque sorte dans l'oubli, celle des <i>enfants
+idiots</i>; il a pensé qu'il y avait des distinctions à faire et à établir
+entre les individus compris sous cette fatale dénomination, et qu'il
+était possible d'en appeler quelques-uns à une partie de l'existence
+intellectuelle et morale propre à l'humanité; en conséquence, il a voulu
+que les idiots qui peuvent présenter quelque prise à l'action des
+modificateurs externes, reçussent les bienfaits d'une instruction et
+d'une éducation spéciales, et il a nommé tout récemment, à Bicêtre, un
+instituteur qui, sous la direction et la surveillance des médecins en
+chef de l'hospice, pût exclusivement se consacrer à ces fonctions
+honorables.</p>
+
+<p>M. Félix Voisin, qui, depuis treize ans, s'occupe de cette grave
+question avec un zèle digne des plus grands éloges, s'est empressé de
+réunir tous les matériaux scientifiques qu'il possède sur la matière, et
+d'exposer le plan qu'il a suivi et qu'il se propose de suivre encore
+dans l'intérêt des enfants idiots. En publiant ces documents, «il
+espère, dit-il, pouvoir démontrer que les médecins de l'époque actuelle
+ne sont point restés sans action devant les enfants qui, d'une manière
+ou d'une autre, sortent de la ligne ordinaire, et qui, par cela même,
+tant pour eux que pour la société, ont, en général, besoin,--selon les
+expressions de Montaigne,--d'être ployés et appliqués au niveau de la
+générale et grande maîtresse, la nature universelle. Dans cette oeuvre
+de science et de philanthropie, les médecins ne se sont laissé devancer
+par personne; ils ont les premiers fait connaître ce que c'est que
+l'idiotie, et expose les principes et indique les méthodes propres à
+modifier la constitution instinctive intellectuelle, morale et
+perceptive des enfants qui ont le malheur d'en être atteints.»</p>
+
+<p>La brochure de M. Félix Voisin contient, entre autres documents curieux,
+un mémoire sur l'idiotie, donné à l'Académie royale de Médecine, le 24
+janvier 1843, et une analyse psychologique de l'entendement humain chez
+les idiots.»</p>
+
+<p><i>Rapport annuel sur les Progrès de la Chimie</i>, présente le 31 mars 1842,
+à l'Académie royale des Sciences de Stockholm; par <span class="sc">J. Berzélius</span>,
+secrétaire perpétuel. Traduit du suédois par <span class="sc">Ph. Plantamour</span> (3e année).
+1 vol. in-8 de 336 pages.</p>
+
+<p>--Paris, 1843. <i>Fortin, Masson et comp.</i> 5 fr.</p>
+
+<p>Il suffit d'annoncer la publication d'un pareil ouvrage pour appeler sur
+lui l'attention publique. Son titre indique son but et son utilité; le
+nom de l'auteur est une garantie de son importance et de sa valeur M.
+Berzélius a divisé son rapport en quatre grandes parties: chimie
+inorganique, chimie minera logique, chimie organique et chimie animale.
+Il passe successivement en revue, dans la première partie, les
+phénomènes physico-chimiques en général, les métalloïdes et leurs
+combinaisons binaires, les métaux, les sels, les analyses chimiques et
+les appareils;--dans la seconde, la loi de symétrie des cristaux, les
+minéraux nouveaux, les minéraux connus non oxydés, les minéraux oxydés,
+les minéraux d'origine organique; la troisième partie comprend les
+acides organiques, les bases végétales, les matières indifférentes, les
+huiles grasses, les huiles essentielles, les résines, les matières
+colorantes, les matières cristallisées propres à certains végétaux, les
+matières végétales non cristallisées, les produits de la fermentation
+alcoolique, la fermentation acide, les produits de la putréfaction et
+les produits de la distillation sèche, etc., etc.;--enfin, la
+quatrième partie est consacrée à l'examen de tous les phénomènes de la
+chimie animale, qui ont fourni quelques observations curieuses durant le
+cours de l'année 1842.</p>
+
+<p><i>Un autre Monde</i>, Transformations, visions, incarnations, excursions,
+locomotions, explorations, pérégrinations, stations, folâtreries,
+cosmogonies, rêveries, lubies, fantasmagories, apothéoses, zoomorphoses,
+lilliomorphoses, métamorphoses, métempsycoses et autres choses; par
+<span class="sc">Grandville</span>.--Paris, 1843. <i>Fournier</i>, libraire-éditeur. 1 vol. petit
+in-4, paraissant en 56 livraisons d'une feuille, comprenant du texte et
+4 ou 5 gravures et un grand sujet tiré à part et colorié. Prix de la
+livraison: 50 c. (8 ont paru.)</p>
+
+<p>Le titre et les nombreux sous-titres de cet ouvrage indiquent d'avance
+au lecteur, ou plutôt au spectateur, qu'il va voir des choses étranges
+et surnaturelles. <i>Un autre Monde</i>, ce n'est pas le monde que nous
+habitons, ce n'est pas non plus l'autre monde, celui que nous devons,
+selon certaines religions, habiter après notre mort, c'est un monde tout
+autre, dont nul être vivant n'avait pu jusqu'à ce jour soupçonner
+l'existence. Grandville l'avait enfanté, il y a longtemps déjà, dans les
+profondeurs mystérieuses de son imagination; et il commence, depuis
+quelques mois seulement, à nous initier peu à peu aux secrets de cette
+création nouvelle. Nous n'en connaissons encore,--il est vrai,--qu'une
+très-faible partie; mais notre curiosité est vivement excitée; les
+révélations déjà faites par le poète-dessinateur sont tellement
+bizarres, que nous attendons avec une impatience enfantine celles qui
+doivent suivre bientôt. Grandville est, sans contredit, le dessinateur
+le plus extraordinaire et le plus original de <i>notre Monde</i>. Ce qu'il
+avait fait pour les animaux, il essaie de le faire pour les objets
+inanimés, pour les végétaux; il leur donne une figure humaine. Jetez les
+yeux sur les premières livraisons de <i>L'autre Monde</i>, qu'y voyez-vous?
+des machines à vapeur qui font de la musique, des maillots qui dansent,
+des plantes qui se battent ou qui se réveillent au matin d'un beau jour.
+Cette tentative sera-t-elle aussi heureuse que les précédentes? c'est ce
+que nous apprendrons aux lecteurs du bulletin bibliographique de
+<i>l'Illustration</i>, dès que les trente-six semaines, nécessaires au
+créateur de <i>l'autre Monde</i> pour achever son oeuvre, seront écoulées. En
+intendant cette époque fatale, applaudissons aux efforts de Grandville,
+soutenons son courage, et promettons-lui un succès complet.</p>
+
+<p><i>Fables</i>: par <span class="sc">M. Viennet</span>, l'un des quarante de l'Académie
+française.--Paris, 1843. 1 vol. in-18. 5 fr. 80 c.</p>
+
+<p>M. Viennet a exercé un grand nombre de professions: d'abord il devait
+être l'un des curés de Paris, la Révolution de 1789 le força de devenir
+un artilleur de marine; sous la Restauration, il fut nomme député; la
+Révolution de Juillet en a fait un pair de France et un académicien.
+Mais, dans quelque position que le sort l'ait place, M. Viennet n'a
+jamais cessé d'être ce qu'on appelle vulgairement un homme de lettres,
+car il est né, comme il l'avoue lui-même, «avec un prodigieux amour pour
+la gloire sans alliage du lucre.» Son ambition était attachée à une idée
+fixe. Il ne tenait nullement à être un César ou un Richelieu; si Dieu le
+lui eût proposé, il ne répond pas qu'il l'eût accepté: c'est à la gloire
+des poètes qu'il visait. Une statue de Corneille, de Molière, de
+Voltaire, le tenait un extase. Il lui importait fort peu que l'histoire
+parlât de lui à la postérité, c'était lui qui voulait parler par ses
+ouvrages aux générations futures. L'idée de voir ses livres entre les
+mains d'un homme qui devait naître dans trois ou quatre siècles, le
+faisaient bondir de joie comme un enfant.</p>
+
+<p>Entraîné par cette passion fatale, M. Viennet s'est rendu coupable de
+bien des péchés littéraires; il a fait des comédies, des tragédies, des
+poèmes, des épîtres, des dialogues, des épigrammes, des histoires, des
+opéras-comiques, etc.; aussi passa-t-il tour à tour--pour nous servir de
+ses propres expressions,--du Capitole à la roche Tarpeienne, du Panthéon
+aux Gémonies. Aujourd'hui il publie un recueil de fables, et les rieurs
+se rangent de son côté. Oubliant qu'il s'est un peu moqué d'<i>Arbogaste</i>
+et de certaines épîtres, le public lit avec un véritable plaisir ces
+charmants apologues satiriques, qu'un homme qui naîtra dans trois ou
+quatre siècles tiendra peut-être encore un jour entre ses mains. Que M.
+Viennet soit donc heureux, si l'histoire ne parle pas de lui à la
+postérité, il doit espérer de parler au moins par ses fables aux
+générations futures.</p>
+
+<p><i>Oberon</i>, poème héroïque; par <span class="sc">C.-M. Wieland</span>; traduction entièrement
+nouvelle, par <span class="sc">Auguste Jullien</span>, précédée d'une notice et suivie de
+notes.--Paris, 1843. 1 vol. in-18. <i>Paul Masgana</i>. 3 fr. 50 c.</p>
+
+<p>«Aussi longtemps que la poésie sera de la poésie, l'or de l'or, le
+cristal du cristal, on aimera, on admirera <i>Oberon</i> comme un
+chef-d'oeuvre de l'art.» Que pourrions-nous ajouter à cet éloge de
+Goethe?</p>
+
+<p>Tous les matériaux qui ont servi à Wieland pour la composition de son
+poème, et surtout pour la fable proprement dite, sont tirés en grande
+partie d'ouvrages connus. C'est la réunion de ces éléments divers qui
+constitue l'originalité réelle du poème Dans le fait, <i>Oberon</i> comprend
+trois actions principales: l'entreprise tentée par Huon sur l'ordre de
+l'empereur; l'histoire de ses amours avec Itezia, et la réconciliation
+d'Oberon et de Titania. Mais ces trois actions, ou plutôt ces trois
+fables se rattachent si intimement au noeud véritable du récit,
+qu'aucune ne peut, sans le concours des autres, ni se développer, ni se
+dénouer avec succès. Tout s'enchaîne avec un art admirable. «Mouvements
+dramatiques, tableaux variés, exploits héroïques, magiques,
+incantations, se trouvent unis, a dit un critique, par une dépendance
+mutuelle si bien établie, que l'absence d'un seul des événements ou de
+l'un des personnages détruirait l'harmonie de l'ensemble.»</p>
+
+<p>Ce <i>chef-d'oeuvre de l'art</i>, depuis son apparition en 1780, a trouvé
+plus d'un interprète; mais ses traducteurs français ne se contentaient
+pas de faire de grossiers contre-sens, de mutiler des strophes, de
+sacrifier des images charmantes, ils avaient supprimé un chaut tout
+entier. M. Auguste Jullien a corrigé les fautes et a réparé les
+injustices de ses prédécesseurs. La traduction qu'il vient de publier
+est aussi fidèle et aussi complète qu'elle est élégante. En la lisant,
+on peut jusqu'à un certain point se consoler de ne pas savoir
+l'allemand.</p>
+
+<p><i>Séances et travaux de l'Académie des Sciences morales et politiques</i>.
+Compte-rendu par <span class="sc">M. M. Ch. Vergé</span> et <span class="sc">Loiseau</span>, sous la direction de <span class="sc">M.
+Mignet</span>, secrétaire perpétuel de l'Académie. Douze cahiers de 4 ou 5
+feuilles par mois, formant chaque année 2 forts vol. in-8 avec une table
+générale des matières.--Paris, au bureau du Moniteur universel. 20 fr.
+par an.</p>
+
+<p>Réunir dans une collection accessible à tous, les Mémoires et
+communications soit des membres de l'Académie, soit des savants
+étrangers admis à l'honneur de lui soumettre les résultats de leurs
+recherches; tel est le but que s'est propose le Compte-rendu de
+l'Académie des Sciences morales et politiques.</p>
+
+<p>Cette publication, organisée sur des bases analogues à celles du
+Compte-rendu périodique de l'Académie des Sciences, paraît sous les
+auspices de l'Académie elle-même, et sous la direction de son secrétaire
+perpétuel. Les encouragements que l'Administration lui a accordés dès
+son début, et l'accueil favorable qu'elle a reçu du public, attestent
+assez son importance et son utilité.</p>
+
+<p>Elle se compose de deux parties distinctes: 1º d'un Bulletin mensuel qui
+résume sommairement, dans un ordre chronologique, les actes officiels et
+les décisions de l'Académie; 2º des Lectures, communications et travaux
+académiques, qui sont reproduits ou dans leur texte primitif et sans
+aucune modification, ou par extraits et sous forme d'analyse toujours
+très-développée, suivant la nature des divers documents soumis à
+l'Académie.</p>
+
+<p>Le Compte-rendu, publié par M. Charles Vergé et Loiseau, paraît depuis
+un an.--Deux volumes sont en vente au prix d'abonnement.</p>
+
+<br>
+
+
+<h3>Modes.</h3>
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="mode">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;">
+<b>COSTUMES D'HOMMES PAR HEMANN.</b>
+<img alt="" src="images/012a.png"><br>
+<br><br>
+<img alt="" src="images/012c.png"><br>
+
+<p>Alexandrine prépare pour la grande semaine des pailles de riz qu'elle
+terminera selon les exigences de chaque toilette, avec ce goût
+d'innovation artistique qu'il nous est permis de signaler et non pas de
+révéler.</p>
+
+<img alt="" src="images/012e.png"><br>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;">
+<b>COIFFURES DE PRINTEMPS.</b>
+
+<p>Voici paraître des capotes en couleur tendre, coiffure légère qui repose
+la tête des lourds chapeaux d'hiver. Alexandrine fait des capotes
+entourées de plusieurs biais qui ont beaucoup de légèreté, et donnent au
+visage une grande douceur. La forme en est légèrement cambrée, et
+s'évase un peu vers le bas, de façon à laisser les cheveux en liberté.</p>
+
+<img alt="" src="images/012b.png"><br>
+<p>Ses petits chapeaux de crêpe, avec une plume-saule, ont toute l'élégance
+qu'exige une toilette recherchée. C'est une véritable parure de
+printemps, une coiffure destinée à briller en voiture ouverte par une de
+ces premières belles journées qui font valoir toutes les coquetteries.</p>
+
+<img alt="" src="images/012d.png"><br>
+
+<p>Le châle de cachemire va faire place au mantelet, quelque chose qui
+ressemble à la mante et à la pelisse de nos mères, un retour au mantelet
+garni, faisant écharpe.</p>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+<p>Il est question de robes garnies sur le côté; c'est probable, en raison
+de la mode de l'hiver, et parce que la direction semble être encore une
+grande élégance à laquelle les robes unies ne répondraient pas. Quant
+aux manches et aux corsages, rien n'est connu. Le soir en demi-toilette,
+les manches courtes se portent familièrement. Quelle que soit l'étoffe
+de sa robe, une femme peut, à son gré, mettre des manches courtes avec
+un fichu très-simple, et un petit bonnet de tulle à rubans de gaze. En
+un mot, les manches courtes n'ont plus aucune prétention à la parure,
+c'est une façon comme une autre.</p>
+
+<p>Pour ces derniers jours de réunion où le velours est encore permis, je
+recommande les coiffures turques que fait Alexandrine, avec des fichus
+ou des écharpes en tissus d'Orient. Il est difficile de trouver
+l'élégance plus riche et plus distinguée que sous cette forme
+artistique. On ne saurait appeler cela un turban, cela peut-être n'en a
+pas la sévérité; cependant c'est une coiffure de caractère qu'il ne faut
+pas confondre avec les caprices colifichets nés d'une fantaisie
+parisienne.</p>
+
+<p>La semaine prochaine, nous comblerons toutes les lacunes laissées
+aujourd'hui par scrupule. Ce sera près du jour des révélations, et nous
+parlerons à coup sûr.</p>
+
+<br>
+
+<h3>Rébus.</h3>
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="mode">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;">
+ <br><br><br>
+<b>EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS.<br>Je ne suis sensible qu'à l'argent.</b>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;">
+<img alt="" src="images/012f.png"><br>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+
+
+
+
+<br><br>
+</div>
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0006, 8 Avril 1843, by Various
+
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+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
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+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
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+
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+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
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+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
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+
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+
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+Literary Archive Foundation
+
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+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
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+
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+Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for
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