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| author | Roger Frank <rfrank@pglaf.org> | 2025-10-14 20:01:47 -0700 |
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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: L'Illustration, No. 0006, 8 Avril 1843 + +Author: Various + +Release Date: November 30, 2010 [EBook #34516] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK +L'ILLUSTRATION, NO. 0006, 8 AVRIL 1843 *** + + + + +Produced by Rénald Lévesque + + + + + + + + +L'ILLUSTRATION, + + +Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an, 30 fr. +Prix de chaque Nº, 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75. + +Nº 6. Vol. 1.--SAMEDI 8 AVRIL 1843. + +Bureaux, rue de Seine, 33.--Réimprimé. + +Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr. +pour l'Étranger. -- 10 -- 20 -- 40 + + +SOMMAIRE. Ce qu'annonçait la Comète.--La machine à vapeur aérienne. +Description. _Trois Gravures_.--Courrier de Paris. Théâtre-Italien; +Procès d'un Dauphin; le Burgrave; Phèdre et la Pologne; une aménité; un +jeune homme à marier; la loge du cintre; la victime de l'amitié.--Les +Frontières du Maine. _Carte_.--Tribunaux. La Police correctionnelle; les +circonstances atténuantes. _Escalier de la Police +correctionnelle_.--Poètes Italien» contemporains. Louis Carrer +_Portrait_.--Beaux-Arts. Salon. _Tableau de Giraud; Marine d'Isabey; +Statue de Desboeufs; les Condottieri de Baron._--La Vengeance des +Trépassés. Nouvelle, par F. G., 2e partie, _Une Gravure._--Nouvelles +inventions. Le procédé Rouillet. _Une Gravure_.--Industrie. Le sucre de +canne et le sucre de betterave.--Théâtres. _Georges et Thérèse; +Mademoiselle Déjazet; les Marocains; l'Escamoteur Philippe; le Paradis +des Funambules._--Bulletin bibliographique.--Annonces,--Observations +météorologique.--Modes. _Cinq Gravures_.--Rébus. + + + +Ce qu'annonçait la Comète. + +Que nous criait en parcourant notre ciel cette messagère +échevelée?--Nous vous le demandions il y a huit jours: nous vous le +demandons encore. Nos lecteurs y ont-ils pensé? + +Nous n'ignorons pas que M. Arago vient de réfuter savamment l'opinion +partout populaire qui attache depuis si longtemps à l'apparition de ces +astres une influence mystérieuse sur les destinées terrestres, et nous +admirons beaucoup les _Pensées sur la Comète_, où l'illustre Bayle +soutint, en 1682, avec tant d'adresse et de dialectique, la même thèse, +à savoir que cette espèce de phénomène ne saurait avoir aucune +influence, ni morale ni physique, sur notre globe. Mais sceptiques et +savants démocrates auront beau dire, le peuple s'obstinera longtemps +encore dans son erreur. Et il faut convenir qu'il y avait bien quelque +grandeur et quelque piété dans cette naïve croyance, que le ciel, tout +en racontant à la terre la gloire de Dieu, lui parle aussi, de loin en +loin, de l'avenir qui l'attend elle-même et des grands événements +qu'elle doit craindre ou espérer. + +Mais assurément si les astres daignent parler de notre race, ce n'est +sans doute qu'à de rares intervalles, et à certains moments solennels et +décisifs de son histoire. Qui oserait aujourd'hui affirmer, comme on le +pensait au Moyen-Age, qu'ils s'occupent jamais de chacun de nous en +particulier, si ce n'est peut-être, dans son grenier, quelque pauvre +astrologue fourvoyé au milieu de notre siècle incrédule? car il y a +encore des astrologues comme il y a des alchimistes. «L'astrologie, dit +Bailly, est la maladie l'a plus longue qui ait affligé la raison +humaine; on lui connaît une durée de cinquante siècles.» Bailly veut +dire qu'elle est aussi vieille que le genre humain; mais alors maladie +est-il bien le mot propre? + + + +[Illustration: (Machine à vapeur aérienne de M. Henson.--Voyez +l'explication des renvois sous la deuxième figure.)] + +[Illustration: A. Châssis ou ailes--BB. Poteaux d'où partent des chaînes +de fer qui soutiennent les divers parties du châssis--C. Pièce +longitudinale qui forme la limite extérieure de l'espace réservé pour +les roues à vannes.--DD. Les roues à vannes mues par la machine à +vapeur.--EE-.. La queue tournant à F sur une charnière.--G. Le char +contenant la machine à vapeur, la cargaison et les passagers.--II. Le +gouvernail.--(voir la description, p. 85.)] + +Au siècle dernier, oui, au dix-huitième siècle, on croyait encore çà et +là; à Paris, en dépit de Bayle et de Voltaire, que l'apparition des +comètes présageait de grands malheurs publics. Un grand seigneur, tout +fier d'avoir par sa naissance une étoile à lui seul, disait alors à un +roturier qui se moquait de ses terreurs puériles: «Vous en parlez bien à +votre aise, vous autres que cela ne regarde jamais.» + +[Illustration: (Machine aérienne à vapeur de M. Henson.--Port de +Douvres.)] + +Eh bien! aujourd'hui, Monseigneur, la chose nous regarde autant que +vous. Mais n'est-il pas fâcheux pour nous que depuis 89 nous ayons perdu +cette superbe croyance, juste au moment d'en recueillir les bénéfices? +Frères, est-ce que par hasard nous nous serions aperçus tout bas, en +nous comptant et en comptant les étoiles, qu'il n'y en a pas au +firmament une pour chacun de nous? + +C'est donc des nations ou du sort général du monde que s'occupent +apparemment les comètes. Serait-ce de l'Allemagne que celle-ci nous +aurait parlé, et de la discussion qui vient de s'élever entre la Prusse +et la Russie? Peut-être; mais, en tout cas, ce fait nous semble notable. +Pourquoi? le voici. + +Quatre villes soi-disant libres, trente-sept princes, dont deux +seulement, les rois de Bavière et de Danemark, possèdent des États de +quelque importance, et au-dessus de cette féodalité deux puissances qui +s'en disputent la direction, la Prusse et l'Autriche, voilà comment le +congrès de Vienne a laissé l'Allemagne. Or; dernièrement le cabinet de +Berlin a écrit à celui de Saint-Pétersbourg, pour l'inviter à faire +participer tous les États de l'Union de douanes aux facilités +commerciales concédées dernièrement à la Prusse. Cette demande n'est +rien, ou peu de chose, mais elle soulève par la forme une grave question +de souveraineté. Le roi de Prusse a-t-il le droit de négocier, de +stipuler, en un mot de faire acte de souveraineté, au nom du +_Zollverein?_ Le cabinet russe s'est prononcé énergiquement pour la +négative. La confédération germanique n'a pas à ses yeux le caractère +d'un corps politique un; c'est une réunion intime d'États, mais qui ne +saurait agir en dehors comme un seul et même État. La Russie suit +directement en tout ceci, et en divisant l'Allemagne, l'intérêt évident +de son ambition. Ce n'est pas l'indépendance et la souveraineté légitime +des petits princes allemands qu'elle vient défendre; c'est bien moins +encore l'intérêt de l'Autriche qu'elle soutient; car l'Autriche, appelée +par le Danube à jouer un rôle en Orient, doit inspirer à la Russie plus +d'ombrage encore que la Prusse, quelque entreprenante et habile que soit +cette dernière puissance. Que ce fait ne passe: donc point inaperçu de +notre pays. Si la France a dans l'Europe sub-occidentale des intérêts +parfaitement distincts de ceux de l'Allemagne, elle a aussi avec elle, +dans le Nord, un grand intérêt commun. N'est-il pas pour nous +aujourd'hui plus à désirer qu'à craindre, que l'Allemagne constitue +librement sa nationalité par une combinaison plus large et plus simple? +car, après tout, l'Allemagne a des instincts généreux, et une fois en +possession de sa vie propre, il lui serait impossible de ne pas réagir +contre le despotisme russe, et de ne pas concourir, par exemple, au +soulagement, sinon à la délivrance de la Pologne. + +Mais il sourirait à notre amour-propre que le grand événement annoncé +intéressât plus directement encore notre pays. Et pourquoi ne serait-ce +point, par exemple, la résurrection de nos colonies, dont, au souvenir +de tant de malheurs anciens et sous l'impression de deux grands +désastres récents, on est de toutes parts porté à déplorer l'entière +destruction? + +Sans nous dissimuler que la prudence semblerait nous commander en ce +moment de nous fortifier en Europe, et de concentrer notre marine dans +la Méditerranée, nous devons signaler à l'attention publique quelques +efforts tentés en ce moment à Paris pour régénérer nos colonies. + +On a eu raison de le dire: le jour où les progrès de la civilisation +européenne eurent fait proscrire la traite des noirs, l'ancien monde +colonial fut brisé. Qu'on ne l'oublie pas: si nous avons eu des colonies +riches et puissantes, c'est que le gouvernement de Louis XIV avait +accordé une prime par tête d'esclave noir importé dans nos îles, et nous +sommes depuis 89 en présence d'une émancipation universelle, admirable +sans doute, et sainte, mais dont le mode pratique et les conditions sont +extrêmement difficiles à régler. «Périssent les colonies plutôt qu'un +principe!» s'écriait le jeune Barnave à la tribune révolutionnaire. A la +bonne heure, mais si on pouvait sauver à la fois et le principe et ce +qui reste de nos colonies? + +Parmi les divers projets mis en avant pour atteindre ce grand but, le +plus original et le plus complet a été produit par un économiste, M. +Lechevalier. Agissant d'abord par voie d'exemple et d'essai sur la +Guyane, ce hardi publiciste a proposé la fondation d'une grande +compagnie qui, faisant l'acquisition de toutes les propriétés, hommes et +choses, serait chargée d'amener, par des transitions habilement ménagées +et réglées d'avance, l'émancipation des esclaves, et exploiterait sur +une grande échelle toutes les ressources de ces riches contrées. La +commission coloniale, présidée par M. le duc de Broglie, consultée sur +ce projet, a été d'avis «que le département de la Marine ferait une +chose utile et d'intérêt public en encourageant ces dispositions, et en +se prêtant au concours demandé pour l'exploration de la colonie.» Une +commission spéciale formée pour discuter la colonisation de la Guyane, +sous la présidence de M. le comte de Tascher, pair de France, a adressé +à l'unanimité à M. le président du conseil un rapport favorable au +projet, et d'où il résulte qu'il y a lieu d'espérer en l'avenir de la +Guyane; que la proposition de M. Lechevalier présente des avantages et +des garanties, et qu'en conséquence, M. le ministre de la marine peut +comprendre dans sa demande de crédits supplémentaires une somme de +500,000 fr., dont moitié pour fonds d'études et voyages d'explorations, +l'autre moitié demeurant en réserve pour subvenir ultérieurement, s'il y +a lieu, aux dépenses nécessaires pour parvenir à la formation d'une +grande compagnie d'exploitation. Les Chambres seront sans doute +prochainement appelées à délibérer sur ce projet; mais, dès aujourd'hui, +le plan dont il est question ayant pour but d'arriver à l'émancipation +des esclaves, en diminuant les sacrifices du Trésor et en les faisant +tourner à l'avantage de la culture coloniale et à l'intérêt de la +mère-patrie, mérite d'être étudié sérieusement. + +Mais non; si les astres parlent, ce n'est sans doute qu'entre eux, et +une comète qui se respecte ne doit élever la voix que pour être entendue +de toute la terre et lui annoncer un de ces grands événements qui en +renouvellent entièrement la face. A lire les journaux anglais, on +croirait volontiers, depuis quelques jours, que le grand événement +prédit au monde, c'est la découverte de cette voiture aérienne à vapeur +dont nous donnons aujourd'hui la description. A entendre les voix +triomphantes qui nous arrivent de l'autre côté de la Manche, +l'Angleterre, si riche sur terre et si formidable sur mer, vient de +conquérir à son activité et à son commerce un nouvel élément, l'air, et +elle menace déjà de lancer sur nos têtes d'inévitables flottes. +L'imagination s'étonne sans doute et s'effraie de l'aspect brusque et +nouveau qu'une seule invention de ce genre donnerait au monde, soit en +paix soit en guerre. Conçoit-on après cela une discussion sérieuse sur +la loi des douanes? Pour maintenir quelque chose qui y ressemblât, +croit-on qu'il suffirait d'établir contre les contrebandiers aéronautes, +sur la frontière des divers États, des croisières volantes de douaniers, +comme on a établi au loin, contre les pirates ou les négriers, des +croisières maritimes? Et les fortifications de Paris, à quoi +serviraient-elles? Certes, si des armées volantes pouvaient ainsi venir +demain planer sur nos places-fortes, nos ingénieurs n'auraient plus +seulement à les entourer d'une ceinture de fossés et de remparts, mais +encore à les couvrir supérieurement comme d'un bouclier et à construire +par-dessus les maisons quelque immense _tortue_. + +Mais sans entrer dans le monde chimérique des hypothèses, les réalités +contemporaines n'offrent-elles pas de toutes parts à la pensée +philosophique, qui s'interroge sur l'avenir, un champ sans limites? Du +sud au septentrion, et d'occident en orient, le monde ancien et le monde +nouveau tressaillent à la fois comme sous un souffle mystérieux.--Sans +parler de la jeune Amérique et de son prodigieux développement, l'ancien +continent tout entier semble à la veille de se transfigurer.--Ce n'est +pas pour rien que la France a mis le pied sur la terre d'Afrique, si +voisine de nous, si longtemps étrangère et ennemie, encore inconnue, et +dont le passé presque nul et l'histoire encore vide semblent tant +demander à l'avenir. Et cependant là-bas, au fond et au centre de la +vieille Asie, le céleste empire de la Chine, si fier, si jaloux, et +depuis tant de siècles, de sa civilisation à huis clos, s'épouvante de +voir ses fleuves lui apporter une civilisation nouvelle, et déjà se +lézarder de toutes parts et créneler sa muraille. Cet empire étrange, ce +monde peuplé de 500,000,000 d'habitants, jusqu'ici muets pour notre +monde, que va-t-il devenir au contact longtemps redouté de l'Europe? +Va-t-il changer et renaître? Va-t-il mourir? Et l'Angleterre est-elle +seule destinée à en faire l'autopsie? Nous en reparlerons. + + + +DESCRIPTION DE LA MACHINE A VAPEUR AÉRIENNE +DE M. HENSON. + +Construire une machine à vapeur qui puisse se mouvoir dans l'air au gré +de son conducteur, et transporter avec elle à plusieurs centaines de +mètres au-dessus du sol des dépêches, des marchandises et des passagers, +tel est le problème mécanique que M. Henson s'est proposé de +résoudre.--Réussira-t-il? On l'ignore encore, mais les moyens qu'il +emploie pour atteindre ce but sont entièrement différents de ceux dont +on a essayé de faire usage jusqu'à ce jour, et il est permis d'espérer +que quelque succès viendra tôt ou tard récompenser ses efforts. + +Que le lecteur se représente un vaste châssis en bois de 50 mètres de +longueur et de 10 mètres de largeur, solide quoique léger, recouvert de +soie ou de drap, remplissant l'office d'ailes, bien qu'il n'ait ni +jointures ni mouvement, et s'avançant dans l'atmosphère, un de ses côtés +plus élevé que l'autre. Au milieu du côté inférieur s'attache une queue +de 15 à 16 mètres de longueur, construite comme ce châssis; au-dessous +de cette queue est un gouvernail. + +Enfin, au-dessous du châssis se trouvent suspendues la voiture destinée +au transport des marchandises et des voyageurs, et une machine à vapeur +aussi puissante qu'elle est petite et légère, qui met en mouvement deux +espèces de roues à vannes, semblables à des ailes de moulin à vent, de 7 +mètres environ de diamètre et situées sous le châssis. + +Une semblable machine, avec son charbon, son eau, sa cargaison et ses +passagers, ne pèsera pas plus de 1.500 kilogrammes; or, comme sa +superficie est d'environ 1.500 mètres carrés, elle occupe 52 centimètres +carrés pour 170 grammes de poids; elle est par conséquent plus légère +que beaucoup d'oiseaux. + +Cependant, malgré sa légèreté, elle ne pourrait pas se soutenir +longtemps sur l'air, elle descendrait peu à peu jusqu'à terre; mais on +remarquera, d'une part, qu'elle s'avance au milieu de l'atmosphère, sa +partie antérieure! légèrement élevée. Dans cette position, elle présente +sa surface inférieure aux couches d'air qu'elle traverse; la résistance +que ces couches lui opposent l'empêche de tomber. D'autre part, elle est +également soutenue par la rapidité de sa marche. + +Mais, dira-t-on, qu'arriverait-il si la vitesse diminuait, et comment +obtenir une vitesse suffisante? Toutes les tentatives faites jusqu'à ce +jour ont échoué, parce qu'il n'existait aucune machine à la fois assez +légère et assez, puissante pour élever son propre poids dans l'air avec +la vitesse nécessaire. Cette double difficulté, M. Henson prétend +l'avoir vaincue: 1º par l'invention d'une nouvelle machine à vapeur +aussi puissante que légère, et 2º par un procédé très-singulier qui +demande une explication particulière. + +Les divers inventeurs de machines aériennes ont cru jusqu'à ce jour que +leur machine devait avoir en elle-même la force nécessaire pour se +mettre en mouvement, s'élever et se soutenir dans l'air. M. Henson croit +que cette erreur a empêché leurs entreprises de réussir; l'ait seul +étant impuissant, il a recours à la nature: sa machine, prête à partir, +est lancée dans l'air de l'extrémité supérieure d'un plan incliné. A +mesure qu'elle descend, elle acquiert la vitesse qui lui est nécessaire +pour qu'elle puisse se soutenir sur l'atmosphère durant le reste de son +voyage. La résistance que l'air lui oppose ralentirait peu à peu sa +vitesse; la machine à vapeur n'a d'autre but que de réparer constamment +cette perte de vitesse. Un oiseau prend-il son vol du haut d'un arbre ou +d'un rocher, d'abord il plonge dans l'air pour acquérir une certaine +vitesse. Une fois ce mouvement imprimé, il a peu d'efforts à faire pour +monter plus haut et augmenter la rapidité de sa course. Avec quelle +peine, au contraire, le même oiseau ne s'élève-t-il pas de terre au +sommet d'un arbre ou d'un rocher! Ce fait est une conséquence nécessaire +d'un axiome mécanique bien connu: une fois en mouvement, un corps +continue à se mouvoir, si sa force égale celle des obstacles qu'il +rencontre. M. Henson ayant lancé sa machine, lui donne, à l'aide de sa +machine à vapeur, une force égale à celle des obstacles qu'elle doit +surmonter. + +On demandera encore, nous le savons, si la machine à vapeur de M. Henson +est suffisante pour obtenir ce résultat. + +Cette question en soulève deux autres, à savoir: quelle est la puissance +de cette machine, et quels obstacles aura-t-elle à surmonter? Il est +plus facile de répondre à la première de ces deux questions qu'à la +seconde. La puissance d'une machine à vapeur dépend principalement de la +quantité de vapeur que produit le générateur; or, d'après les +expériences faites, la machine de M. Henson représentera une force de 20 +chevaux. Le générateur et le condensateur sont aussi nouveaux +qu'ingénieux: le premier se compose d'une cinquantaine de cônes de +cuivre tronqués et renversés, disposés au-dessus et à l'entour de la +fournaise; le condensateur est formé d'un certain nombre de petits +tuyaux exposés au courant d'air produit par la course de la machine. +Enfin le poids total de la machine, avec l'eau nécessaire pour +l'entretenir, ne dépasse pas 600 livres. + +Quelle résistance cette machine rencontrera-t-elle? Sera-t-elle assez +forte pour en triompher? L'expérience qui sera faite prochainement +permettra seule de répondre à cette dernière question. + + + +Courrier de Paris. + +THÉÂTRE-ITALIEN.--PROCÈS D'UN DAUPHIN.--LE BURGRAVE. PHÈDRE ET LA +POLOGNE.--UNE AMÉNITÉ.--UN JEUNE HOMME A MARIER.--LA LOGE DU CINTRE.--LA +VICTIME DE L'AMITIÉ. + +Les rossignols sont envolés, comme dit le feuilleton dilettante dans son +jour de deuil; le Théâtre-Italien vient de clore ses portes, et la +cavatine va prendre le paquebot de Boulogne ou de Calais. Ninetta, +Otello, Don Pasquale jetteront, en passant, quelques notes aux alcyons. +D'ordinaire, on se quittait avec larmes; c'était, des deux parts, un +assaut d'émotion flagrante et d'attentions délicates; le parterre et les +loges s'abîmaient en bravos, se ruinaient en bouquets monstres. L'autre +jour, à la clôture, tout s'est passé froidement; sans doute on y a mis +des procédés: le camélia, la violette, le laurier ont cherché à fleurir +et à échauffer la séparation; mais, vous savez, quand deux amis sont à +la veille d'une rupture, ils ont beau s'efforcer de sourire comme par le +passé, et de se serrer tendrement la main, il y a, dans leurs +démonstrations caressantes, un ne sait quoi de contraint et de glacé +qui les dénonce. Comment? qu'est-ce à dire? le public et le +Théâtre-Italien auraient-ils assez l'un de l'autre? Après dix ans d'une +union intime, d'une passion qui s'est emportée jusqu'à l'aveuglement et +à la fureur, tout serait-il fini? Faudrait-il mettre cet amour +transalpin sur le grand bûcher où ce capricieux Paris brûle, pèle mêle, +tous ses caprices, toutes ses fantaisies, toutes ses admirations d'une +année, d'un mois, d'une semaine, d'un jour, pour semer ensuite leurs +cendres au vent? Je ne dis pas cela, comme dit Alceste; mais, enfin, il +y a dans l'air quelque chose d'inquiétant. Le vent qui souffle sur le +Théâtre-Italien n'a plus la douceur de cette bise amoureuse où fauvettes +et rossignols ont chanté si longtemps. + +Il s'est passé un fait qui atteste la réalité de cet attiédissement. +Lablache a déclaré publiquement, à la face du parterre, qu'il chantait à +Paris pour la dernière fois. Dieu! si une parelle nouvelle était +inopinément tombée sur le public de l'année dernière, quel bruit! quelle +désolation! il se serait dressé sur ses banquettes, il aurait bondi dans +toutes ses loges, et, s'emparant de Don Géronimo de vive force, il +l'aurait porté dix fois autour de la salle, en palanquin ou sur ses +épaules, criant à tue-tête: _Lablache for ever!_ Hier il ne s'est guère +plus ému que si Morelli eût annoncé qu'il allait cultiver ses +tulipes.--Ainsi Lablache nous quitte, et nous quitte sans rémission. +Pourquoi s'en va-t-il? c'est là le mystère. Le Théâtre-Italien est en ce +moment plein de logogriphes et d'énigmes de la même espèce; les +meilleurs y montrent les dents, les plus unis s'y querellent. + +Une histoire non moins grave et non moins intéressante, c'est le procès +du Dauphin. «Quoi! le Dauphin devant un tribunal?--Oui, le Dauphin, un +vrai fils de roi.--En police correctionnelle... ou en cour +d'assises?--Non pas, mais au tribunal de commerce.--Où en est la +royauté, hélas!»--Le conflit était sérieux: il s'agissait du Dauphin, +fils de _Charles VI_, opéra en cinq actes d: M. Casimir Delavigne, +musique de M. Fromental Halévy. Le Dauphin ne voulait plus l'être, sous +prétexte que ce rôle de Dauphin était peu digne d'un _ut_ de poitrine de +sa qualité... M. Léon Pillet déclarait que l'_ut_ de poitrine et le +Dauphin étaient parfaitement au diapason l'un de l'autre. Les +Xaintrailles et les Lahire du tribunal de commerce, donnant gain de +cause à M. Léon Pillet ont forcé, comme la chose leur était arrivé +autrefois, le Dauphin de rester et d'être le Dauphin; ainsi finit la +bataille. Le tribunal a jugé sagement qu'un Dauphin qui palpe 100.000 fr. +par an ne peut joindre à cet agrément incontestable, l'autre agrément +d'envoyer promener son directeur, tandis que tant d'honnêtes Dauphins +chanteraient pour beaucoup moins, du tout leur coeur, et même +déchanteraient. + +On siffle toujours, et l'on distribue quelques coups de poings çà et +là, aux représentants de la trilogie de M. Victor Hugo; il ne faut pas +perdre les bonnes habitudes. Mercredi, deux adversaires étaient aux +prises, l'un hugolâtre et l'autre hugophobe; ils échangeaient, depuis +un quart d'heure, des regards flamboyants, et se lançaient de vives +apostrophes. L'hugophobe avait le dessus, et pressait vivement +l'hugolâtre, qui se défendait par toute l'artillerie en usage dans son +armée: nain, rococo, racinien, mirmidon, perruque! Tout à coup, à bout +de munitions et se levant sur ses ergots: «Enfin, monsieur, cria-t-il à +son antagoniste; enfin.... vous êtes... vous êtes un... vous êtes un +Burgrave! L'hugolâtre, dans sa colère, avait oublié son tôle. + +Phèdre ne se livre pas, elle, aux boxeurs du parterre. Drapée dans son +harmonieuse tunique, elle a quitté Trëzence, l'autre jour, pour venir +dans les salons d'Érard réciter sa passion et ses beaux vers, au +bénéfice des jeunes élèves de: l'_École polonaise_, enfants de la +proscription, Phèdre est arrivée sur son char; ses nobles coursiers n +étaient nullement affligés; ils n'avaient point l'oeil morne, ni la tête +baissée; comme Phèdre avait évité le chemin de Mycène, en passant par +la rue Croix-des-Petits-Champs, nul monstre sauvage ne s'est roulé sous +le pied de ses chevaux, en replis tortueux. Avec Phèdre, Camille et +Bérénice sont aussi venues, apportant dans cette bonne action, l'une son +iambe implacable, l'autre sa plaintive élégie; et si quelqu'un, +tristement et diversement ému de cette passion fatale, de ce pudique +amour, de ce désespoir furieux, avait demandé: Qui est Phèdre? qui est +Bérénice? qui est Camille? C'est mademoiselle Rachel, aurait-on +répondu. Remords cuisants, chastes soupirs, terrible malédiction, elle a +pris tous les tons poétiques, elle a eu toutes les voix harmonieuses, +elle a prodigué les luttes les plus opposées de l'âme et du coeur, pour +ces pauvret jeunes exilés de la Pologne. Voilà qui est bien; que le +talent et la poésie appellent la richesse et le loisir à l'aide du +malheur et de l'exil! Camille aura pu y trouver quelque soulagement à la +perte de son cher Curiace, Phèdre en faire la déclaration sans remords à +Hyppolyte, et Bérénice dira comme Titus: «Je n'ai pas perdu ma journée.» + +Vendredi il y avait grand concert chez madame L. C. G..., une des +aimables et jolies comtesses du faubourg Saint-Germain. Thalherg s'y +faisait entendre, et Duprez et Artôt; on applaudissait. Les petites +mains délicates et parfumées n'étaient pas les moins ardentes à battre +motivées d'enthousiasme et de ravissement. Le gracieux sourire et +l'hospitalité charmante de la comtesse, châtelaine de l'endroit, +assaisonnaient agréablement l'archet d'Artôt, le gosier de Duprez et le +piano de Thalherg. Tout à coup entre; M. de Cham... d'un air tout +effaré. M. de Cham... est un de ces hommes qui ressemblent à une +sinistre nouvelle; dès que vous le voyez, vous ne savez point, à la mine +ahurie qu'il vous apporte, s'il ne vient pas vous annoncer que votre +maison brûle, que votre banquier a fait banqueroute, ou que votre +meilleur ami vous a enlevé votre maîtresse. A cette profession +d'enseigne de mauvais augure, M. de Cham... joint l'avantage de ne +pouvoir hasarder un geste sans faire une maladresse, ni prononcer un mot +sans dire une bêtise. Le plaisant, c'est que notre homme a la persuasion +la plus cordiale de sa dextérité et de sa finesse. Tous ses saluts +aboutissent à renverser un fauteuil, à écraser un pied ou à briser une +porcelaine: toutes ses galanteries se travestissent en un mauvais +compliment. Après tout, il est si naïf et se mire si ingénument dans sa +balourdise, il est si bon homme, d'ailleurs, qu'on lui pardonne, et même +on l'aime mieux comme cela.--Il entre donc de l'air que je vous ai dit. +Artôt exécutait la prière de _Moïse_. Mon de Cham... ouvre les oreilles +(et, Dieu merci! il a de quoi), allonge le cou et écoute en regardant de +temps en temps ses voisins d'un oeil désespéré. Le solo fini, il se +glisse à la rencontre de la comtesse, qui traversait la foule en +aspirant un magnifique bouquet de violettes, de roses blanches et de +myosotis: «Ah! M. de Cham.... vous voilà, lui dit-elle de son plus fin +sourire.--Oui, madame, et très-heureux de vous voir. Je sors du concert +de M. Guizot, et vraiment c'était bien plus ennuyeux qu'ici.» Il dit, et +regagnant sa place, l'ingénieux de Cham... laboura cruellement du coude +le nez d'une douairière tendrement absorbée dans la contemplation de la +barbe fantastique d'Artôt. + +Dans la même soirée, j'ai entendu le dialogue suivant:--«Eh bien, ma +chère, mariez-vous votre jeune cousine Anna?--Mais, oui, ma chère, si +nous lui trouvons quelque chose qui nous aille.--Et, tenez, j'ai votre +affaire: un jeune homme!--Vous le nommez?--Ah! je ne sais pas son nom; +mars il vous convient à ravir.--Sa fortune?--On ne m'en a rien dit: mais, +certainement, il fera le bonheur d'Anna.--Son esprit, son coeur, sa +position dans le monde?--Oh! vous ne sauriez mieux faire!--Qui est-ce +donc, enfin»--Vous savez, ma chère, vous savez bien... c'est ce jeune +homme que... ce jeune homme qui valse à deux temps.» + +Vous savez, ou plutôt vous ne savez peut-être pas ce qu'on appelle une +loge du cintre: la loge du cintre est une de ces cages étroites, +imperceptibles et malsaines qu'on peut apercevoir à l'aide d'un +excellent télescope, perchées au sommet d'un théâtre comme un nid +d'hirondelle sur un haut peuplier. La loge du cintre est le champ +d'asile des mamans de ces demoiselles des portières de ces +messieurs... Un comparse du Théâtre-Français, un de ces braves Romains de +la tragédie classique, aborda dernièrement, chapeau bas et avec toute +l'humilité d'un soldat d'Auguste et de Néron, l'auteur des _Burgraves_. +en méditation dans la coulisse: «Monsieur, pourriez-vous me faire +l'honneur d'une loge du cintre pour mon épouse?--Quoi! une loge du +cintre! Mais, mon ami, savez-vous ce que vous demandez? Cela n'est pas +possible. J'y ai des princes!» + +Le vicomte de S... est un de ces éternels Adonis qui croient à leur +éternelle fraîcheur et à leur jeunesse éternelle; c'est un étourdi en +cheveux gris, un adolescent de cinquante ans; il y a bien trente ans +qu'il est intimement lié avec madame de Val..., liaison tout amicale, +toute d'estime, car de S... a d'excellentes qualités; elles ressortent +d'autant plus qu'il a de nombreux ridicules. Il est honnête, sincère, +dévoué; il donnerait sa fortune pour ses amis, j'entends pour ses vrais +amis, et peut-être sa vie; mais pour tout au monde, il ne leur +accorderait pas qu'il n'est plus à la fleur de l'âge. Vous lui +demanderiez à emprunter six mois de sa prétendue jeunesse pour vous +sauver d'un péril, ou pour vous tirer vivant d'une fondrière ou d'un +puits artésien, qu'il vous les refuserait. Un jour--il y a quelques +semaines de cela--madame de Val... avait réuni une société nombreuse +dans son joli appartement de la rue Bergère; la conversation était +animée; le vicomte y semait l'esprit de toutes mains: il en a plein ses +poches. Une opinion lui échappa, je ne sais plus sur quel point de +politique, de morale ou de littérature, que madame de Val... crut devoir +contredire avec cette finesse d'aperçu et ce bon goût qui donnent tant +de charme à ses moindres paroles. «Eh! quoi, vous pensez cela?--Eh! oui, +vraiment, madame.--Vraiment, mon vieil ami?» A ces mots, de S... pâlit, +ses lèvres se contractèrent et il se laissa aller sur le dos de son +fauteuil. On crut qu'il se trouvait mal. «Non, ce n'est rien,» dit-il; +et se levant tout à coup, il prit son chapeau, salua brusquement et +sortit. «De S..., qu'avez-vous donc?» s'écria madame de Val...; mais il +était déjà loin. + +Le lendemain, madame de Val... reçut le billet suivant, sous enveloppe +parfumée, et pour cachet une colombe tenant dans son bec une rose +enlacée d'une branche de myrte. La lettre était ainsi conçue: «Madame, +hier, vous m'avez appelé votre vieil ami; je ne devais pas attendre cela +de vous, après trente ans d'affection.» + +Nous l'avons en contant, madame, échappé belle. + +La comète a failli caresser de l'extrémité de sa queue la face de notre +globe sublunaire. Vous devinez ce que doivent procurer d'agrément les +caresses d'une comète. Ajoutez à sa queue quelques aunes de plus, et +cette queue nous faisait la nôtre; l'Académie des Sciences l'atteste. Je +vous le demande, où seraient maintenant Lablache, le Dauphin, les +_Burgraves,_ Phèdre, la Pologne, M. de Cham..., madame L. C. G., la loge +du cintre, M. le vicomte de S..., madame de Val..., _l'Illustration_ +et moi-même, qui viens de vous conter tranquillement tous mes petits +contes? Mais, grâces au ciel (c'est bien le cas de le dire), la comète, +de mauvaise humeur sans doute d'avoir compromis inutilement sa queue +dans cette affaire, vient de se replonger, bien loin de nous, dans les +immenses profondeurs de l'infini. Qu'elle y reste! Nous ne lui enverrons +pas M. de Sercy en ambassade pour la prier de revenir. + + + +Les frontières du Maine + +ET LE DERNIER TRAITÉ ENTRE L'ANGLETERRE ET LES ÉTATS-UNIS. + +Quand l'Angleterre reconnut, par le traité de 1783 l'indépendance des +États-Unis, la frontière nord-est de l'Union avait été fixée ainsi qu'il +suit par l'article 2 de ce traité: «Pour prévenir toutes les disputes +qui pourraient s'élever à l'avenir au sujet des frontières desdits +États-Unis, il est ici convenu de déclarer que leurs frontières sont et +seront, à partir de l'angle nord-est de la Nouvelle-Ecosse (divisée +aujourd'hui en Nouvelle-Ecosse et en Nouveau-Brunswick), c'est-à-dire +l'angle qui est formé par une ligne tirée dans la direction du nord, de +la source de la rivière Sainte-Croix aux hautes terres, puis le long de +ces hautes terres qui séparent les eaux qui s'écoulent dans la rivière +Saint-Laurent de celles qui se jettent dans l'Océan Atlantique, jusqu'à +celle des sources du Connecticut, qui est situé le plus au +nord-ouest... etc.» + +Cet article n'était pas très-clair à l'époque où le traité fut conclu, +et ne l'est pas davantage aujourd'hui. Le territoire en litige n'était +pas habité et avait à peine été exploré par les chasseurs. La situation +de l'angle nord-ouest de la Nouvelle-Ecosse était plus que +problématique, car on ne savait pas exactement lequel des cours d'eaux +qui parcourent ce pays était la rivière Sainte-Croix, et, à plus forte +raison ignorait-on où il fallait fixer sa source. On était convenu, par +le traité, de suivre une certaine ligne de hautes terres: mais des qu'on +voulut mettre le traité en exécution on chercha vainement quelles +étaient ces hautes terres qui devaient séparer le bassin du +Saint-Laurent du bassin des affluents de Atlantique, et on douta même de +leur existence C'est que les négociateurs du traité s'étaient basés sur +une carte publiée par Mitchell en 1753, alors fort estimée et reconnue +depuis fort inexacte. + +En 1794, un nouveau traité fut conclu entre l'Angleterre et les +États-Unis, et un des objets de ce traité était de déterminer exactement +ce que c'était que la rivière Sainte-Croix. Des commissaires furent +nommés de part et d'autre; ils firent un rapport en 1798, qui devait +être considéré par les termes mêmes du traité comme définitif. On trouva +une source plus ou moins exacte de la rivière Sainte-Croix et un des +points de la frontière fut ainsi fixé. C'était un premier pas. +Malheureusement la guerre éclata entre les deux États avant que les +explorations eussent donné de nouveaux résultats, et elles ne furent +reprises qu'après le traite de Gand, en 1814. Des commissaires +explorateurs furent envoyés sur le terrain par les deux gouvernements; +d'admirables travaux furent entrepris, mais la question ne fut pas +résolue; les commissaires eux-mêmes ne s'entendirent pas. Au milieu de +toutes ces incertitudes, chaque gouvernement se forma une opinion à son +avantage. Les États-Unis, en établissant la ligne de démarcation à +partir de la rivière Sainte-Croix, dans la direction du nord, lui +faisaient traverser le fleuve Saint-Jean, dont le cours supérieur leur +aurait appartenu, et le faisaient aboutir à quarante-un milles de +Saint-Laurent, vers le 48e degré de latitude nord; car, selon eux, ce +n'était que là que l'on rencontrait les hautes terres désignées par le +traité de 1783, et tout le pays à l'ouest de cette ligne, en suivant les +hautes terres dans la même direction jusqu'à la source du Connecticut, +devait appartenir à l'Union. Les Anglais ne pouvaient accepter +bénévolement une telle décision, car cette ligne de frontières qui +traversait ainsi du sud au nord, presque dans toute son étendue, la +vaste péninsule formée par l'Océan, le golfe Saint-Laurent et le fleuve +du même nom, interrompait toute communication entre les provinces de la +Nouvelle-Ecosse et le Canada, entre Halifax et Québec, entre les riches +établissements de la baie de Fundy et le Saint-Laurent. + +[Illustration: Carte] + +La difficulté restait entière. On était convenu, de part et d'autre, par +le traité de Gand, qu'en cas de dissentiment, on déférerait le jugement +de la contestation à l'arbitrage d'un tiers. En conséquence, le roi des +Pays-Bas fut choisi pour arbitre en 1828. Sa sentence fut rendue et +communiquée aux intéressés dans les premiers jours du mois de janvier +1831. Ce n'était pas une interprétation des questions qu'il devait +résoudre, au moins quant au point principal; il proposait simplement une +transaction. Selon le roi des Pays-Bas, il était impossible de fixer +exactement l'angle nord-ouest de la Nouvelle-Ecosse qu'avait voulu +désigner le traité de 1783, car les cartes dont on s'était servi étaient +remplies d'erreurs; quant aux hautes terres, il était manifeste qu'il en +existait plusieurs lignes, mais aucune ne résistait aux objections. En +conséquence il proposait, comme le parti le plus juste et le plus +raisonnable, de substituer à la démarcation imaginaire du traité de 1783 +une délimitation toute nouvelle, en tenant compte, autant que possible, +des convenances réciproques. Le gouvernement anglais se montra disposé à +accepter la décision de son allié, bien qu'elle allât à rencontre de ses +prétentions, et peu de jours après qu'elle lui eut été communiquée, lord +Palmerston envoya au ministre britannique à Washington l'acceptation de +son gouvernement. + +Mais dans le même temps, le ministre des États-Unis à La Haye, M. +Preble, de l'État du Maine, en recevant la sentence du roi Guillaume, au +lieu de la transmettre purement et simplement à son gouvernement, +protesta contre cette sentence d'arbitrage, et sans attendre des +instructions ultérieures, partit aussitôt pour New-York, d'où il se +rendit dans l'État du Maine avant d'aller à Washington. Or, il y a dans +la Constitution fédérale des États-Unis un article qui interdit au +gouvernement fédéral la faculté de céder aucune portion de territoire +d'un Etat particulier sans le consentement de cet État. L'État du Maine +était le plus intéressé dans cette affaire; de sa décision dépendait le +rejet ou l'acceptation des propositions d'accommodement: encouragée par +la protestation de M. Preble, la législature du Maine prit les devants +sur la délibération du président et du congrès, et déclara que l'arbitre +avait dépassé la limite de ses droits, en substituant un compromis à +l'interprétation qu'on lui demandait. + +Les dispositions du président et du cabinet étaient beaucoup plus +conciliantes, et s'il n'avait tenu qu'à eux, la transaction aurait été +acceptée; mais, aux États-Unis, le droit de ratifier les traités +appartient au Sénat. La convention proposée par le roi Guillaume lui fut +donc soumise. Une grande majorité se prononça pour le rejet de cette +sentence. Ce fut en vain que le président exprima le plus vif désir que +la convention fût acceptée; ce fut en vain que le comité des affaires +étrangères, auquel fut renvoyé le message, fit un rapport conforme à +l'opinion du président, le Sénat refusa sa ratification, et le +gouvernement fédéral se vit obligé de notifier au gouvernement anglais +qu'il regardait le jugement du roi des Pays-Bas comme non avenu; mais en +même temps il lui faisait espérer que la difficulté constitutionnelle +pourrait être levée au moyen d'un arrangement qui se négociait entre +l'État du Maine et le gouvernement fédéral. Le cabinet de Washington +s'était flatté d'un vain espoir. Il s'agissait d'obtenir de l'État du +Maine la cession du territoire contesté moyennant une indemnité +pécuniaire, et quand l'Union aurait été substituée aux droits de l'État +du Maine, le cabinet américain en aurait disposé pour le plus grand bien +de la république tout entière. Cette combinaison manqua. Le Maine +consentit, mais l'État de Massachusetts, dont le Maine n'était qu'un +démembrement, et dont il fallait obtenir l'autorisation comme +propriétaire de la moitié du terrain, refusa son adhésion à +l'arrangement proposé. De son côté, le gouvernement anglais, las de +faire des avances inutiles, déclara qu'il ne se considérait plus comme +lié par les offres réitérées qu'il avait faites, et qu'il ne +consentirait plus en aucun cas à accepter la ligne tracée par le roi des +Pays-Bas. De la sorte, la solution du différend fut encore indéfiniment +ajournée. + +Les négociations n'étaient cependant pas rompues; mais elles faillirent +l'être par une simple querelle de juridiction entre le gouverneur de +l'État du Maine et le gouverneur de la colonie anglaise du +Nouveau-Brunswick, qui compliqua d'une manière fâcheuse la question du +territoire contesté, et dont les journaux ont retenti assez longtemps +pour qu'il soit inutile d'en rappeler les détails. Ce débat apaisé, les +deux gouvernements envoyèrent, chacun de son côté, des commissaires pour +explorer le territoire contesté, où manquaient tous les éléments +d'observations topographiques. «En arrivant sur le terrain de nos +opérations, disaient les deux officiers du génie anglais, dans le +rapport adressé par eux, en 1840, à lord Palmerston, nous apprîmes que +nous aurions à explorer un pays désert, où l'on ne rencontrait pas un +être humain, à l'exception de quelques pionniers et de quelques Indiens +errants occupés à la chasse. Ce désert n'a jamais été traversé par des +personnes capables de faire des observations exactes, de sorte que +toutes les cartes que nous avons vues sont incomplètes. Si nous n'avions +pas eu le bonheur d'engager à notre service deux Indiens intelligents, +dont les cartes informes étaient tracées sur l'écorce des arbres, nous +aurions perdu tout notre temps à couper des communications à travers des +forêts impénétrables.» Ces difficultés n'empêchèrent pas les +commissaires anglais d'arriver à une conclusion conforme aux prétentions +de leur gouvernement, et ils crurent avoir prouvé dans leur rapport que +la Grande-Bretagne avait un titre clair et inaliénable à la totalité du +territoire en litige. Dans le même temps, les commissaires envoyés par +les États-Unis étaient arrivés à une conclusion semblable en faveur des +prétentions de leur gouvernement, de sorte que, lorsque le ministère +tory arriva au pouvoir, la question était au même point qu'en 1840, +après tant de recherches et d'efforts pour arriver à un compromis. + +Sir Robert Peel, au milieu des embarras de la situation, résolut de +terminer à tout prix et sans retard cette question, qui pouvait +compliquer d'une manière si fâcheuse sa position. Un plénipotentiaire +fut envoyé à Washington au commencement de l'année 1812, pour négocier +une transaction. C'était lord Ashburton, célèbre sous le nom d'Alexandre +Baring, chef de la plus puissante maison de banque et de commerce du +monde entier, et qui, par son mariage avec la fille d'un négociant de +Philadelphie, a d'étroites relations avec les États-Unis. Dès le début +des négociations, il devint évident que l'Angleterre avait hâte +d'arriver à une solution pacifique. Le cabinet de Washington a profité +de cette disposition, et a obtenu tout ce qu'exigeaient ses intérêts et +sa vanité. Adoptant pour base de l'arrangement la proposition faite en +1839 par lord Palmerston, de prendre la rivière Saint-Jean pour ligne +limitrophe, lord Ashburton a cédé aux États-Unis toute la partie du +territoire contesté, fertile, habitable et couverte des plus riches +forêts, et n'a réservé à l'Angleterre qu'un pays dont les neuf dixièmes +sont sans valeur. En un certain point, les deux rives du Saint-Jean sont +occupées par une colonie d'origine française, un des débris de l'Acadie. +Le plénipotentiaire anglais refusait sur ce seul point de prendre la +rivière pour limite, ne voulant pas couper en deux et placer sous des +lois différentes cet établissement; mais il a été forcé de céder devant +les exigences du cabinet américain, et la colonie de Madawaska a été +divisée. Une autre concession non moins importante lui a été imposée; +c'est la faculté accordée aux Américains de naviguer librement sur le +Saint-Jean jusqu'à la mer, à travers la province anglaise du +Nouveau-Brunswick. De plus, il a été stipulé que tous les produits non +manufacturés du pays arrosé par le Saint-Jean ou par ses tributaires +pourraient descendre la rivière jusqu'à la mer, et que les produits +américains, lorsqu'ils traverseraient le Nouveau-Brunswick, seraient +admis dans les ports de cette province comme des produits anglais. En +outre, l'Angleterre paie aux États du Maine et de Massachusetts une +indemnité de 300,000 dollars (environ 1,000,000 fr.). Par cet +arrangement, l'Angleterre s'assure, à la vérité, une ligne de +communication entre les possessions du Canada et le Nouveau-Brunswick et +la Nouvelle-Ecosse, mais elle a ouvert aux Américains un libre accès au +coeur même de ses provinces. Tel est en substance le traité conclu à +Washington le 9 août 1842, qu'ont imposé à l'Angleterre les embarras de +sa situation politique et financière. D'abord la Grande-Bretagne tout +entière l'a accueilli avec enthousiasme, comme terminant un différend +qui pouvait amener tôt ou tard un conflit entre deux nations dont le +plus grand intérêt est de demeurer en bonne intelligence; mais bientôt, +quand on a connu les détails du traité, la presse et le pays ont retenti +des plaintes des citoyens touchant les sacrifices faits à l'honneur et +aux intérêts de la Grande-Bretagne, par la _capitulation Ashburton_. +Cependant le sentiment de la nécessité de conserver entre les deux pays +la bonne intelligence, a fait taire ce mécontentement, et la discussion +que lord Palmerston a voulu soulever récemment, dans la Chambre des +Communes, au sujet de ce traité, a tourné entièrement à l'avantage du +ministère. + + + +Tribunaux. + +LA POLICE CORRECTIONNELLE. + +Les audiences de la police correctionnelle commencent en général entre +onze heures et midi; mais tous les matins, avant neuf heures, +quatre-vingt ou cent individus viennent s'entasser sur les marches du +grand escalier situé à l'extrémité de la salle des Pas-Perdus et +conduisant à la 6e chambre. A dix heures et demie, les portes sont +ouvertes; cette foule, composée en grande partie d'hommes et d'enfants, +se précipite dans l'antichambre qui précède la salle d'audience, puis +dans l'étroite enceinte réservée au _public_. Les gardes municipaux de +service sont souvent obligés d'employer la force pour le repousser. +Rarement tous les curieux qui se pressaient sur l'escalier voient leur +patience récompensée. L'enceinte réservée suffisamment remplie, le +passage est barré par la crosse d'un fusil. Quand une personne sort, une +autre personne entre; telle est la consigne; aussi, sans même entrer +dans la salle de la police correctionnelle, en se promenant quelques +instants, de midi à quatre heures, devant le grand escalier de la salle +des Pas-Perdus, un observateur intelligent peut-il apprendre à connaître +le _public_ qui assiste presque régulièrement aux audiences de la 6e +chambre, la plus célèbre des trois chambres de la police correctionnelle +du tribunal de la Seine. + +Triste étude, en vérité, pour le dessinateur comme pour le moraliste! +Sur les cent individus dont se compose l'auditoire, il y en a plus de +cinquante qui n'ont d'autre profession que le vol; ils viennent tantôt +assister au jugement de leurs complices et leur faire des signes +convenus, tantôt se familiariser d'avance avec l'aspect et les formes de +la justice, prendre des leçons d'adresse ou d'audace, quelquefois même +s'exercer à commettre des vols jusque sous les yeux des magistrats. Au +milieu de cette bande d'escrocs se trouvent disséminés çà et là des +ouvriers sans ouvrage, des écoliers qui font l'école buissonnière, des +vieillards pauvres qui n'ont d'autre but que de passer quelques heures +dans une chambre bien chauffée, et enfin cinq ou six honnêtes bourgeois +attirés à la 6e chambre par le désir d'assister en personne à +quelques-unes de ces scènes dramatiques ou ridicules que racontent +chaque matin à leurs abonnés les journaux judiciaires. + +Les écrivains spirituels se sont créé, depuis un certain nombre +d'années, une nouvelle spécialité littéraire. Développant avec un art +remarquable les situations tragiques ou comiques dont les débats de +certaines causes leur fournissaient la première idée, ils composèrent +d'abord de petites scènes qui obtinrent beaucoup de succès; puis ils se +laissèrent entraîner par leur imagination, et ils inventèrent des procès +plus ou moins vraisemblables. Le public, quand on l'intéresse ou quand +on l'amuse, se fâche rarement; satisfait de pleurer et de rire tour à +tour, il prit un tel goût à ces contes de la police correctionnelle, que +tous les journaux politiques remplirent leurs colonnes des meilleurs +articles de la _Gazette des Tribunaux_, et de son rival _le Droit_. La +vérité est connue aujourd'hui de tout le monde, et cependant on hésite à +y ajouter foi, on craint de perdre une illusion qui procure de temps à +autre quelques distractions. + +[Illustration.] + +Mais, en réalité, la police correctionnelle du département de la Seine +n'offre pas un spectacle aussi émouvant ou aussi divertissant que +persiste à le croire, malgré les nombreux avertissements qu'elle a +reçus, la majorité du public. Quand les trois juges et l'avocat du roi +qui composent le tribunal se sont assis sur leurs sièges, l'huissier +audiencier fait faire silence, prend le rôle du jour et appelle les +causes; alors les gendarmes ou les gardes municipaux de service +introduisent par une porte basse, dans une espèce de loge ou de tribune +garnie de deux bancs de bois, les prévenus, qui ont été amenés le matin +même de la Force ou de la Roquette à la Conciergerie. Ce sont presque +toujours: + +Un forçat libéré accusé d'avoir rompu son ban; + +Un vieillard que les sergents de ville ont surpris tendant la main au +moment où, dénué de toute ressource et trop faible pour travailler, il +sentait les premières atteintes de cette terrible maladie qu'on appelle +la faim; + +Un jeune homme de dix-huit à vingt ans, qui a déjà subi plusieurs +condamnations et qui a été arrêté une quatrième fois en flagrant délit +de vol, qui se glorifie de son crime, qui insulte la justice; car il se +sent lui-même aussi indigne de pitié qu'il est incapable de se repentir +et de se corriger; + +Un pauvre petit enfant étranger, accusé d'avoir mendié, qui s'avoue +coupable et qui promet de ne plus recommencer si on l'acquitte; + +Des enfants vagabonds que leurs parents ne viennent pas réclamer parce +qu'ils sont trop pauvres pour pouvoir les nourrir, ou parce qu'ils ont +vainement essayé de vaincre leurs mauvais penchants; + +Un ouvrier dont l'ivresse a fait presque un meurtrier; + +Une femme adultère et son complice. + +[Illustration.] + +Toujours le vice ou la misère! toujours des malheureux qui n'ont pas de +moyens d'existence ou qui ne vivent que du produit de leurs vols! Qu'on +cesse donc de regarder la police correctionnelle comme, l'un des +théâtres les plus curieux et les plus agréables de Paris; ce ne sont pas +des distractions qu'il faut y venir chercher, ce sont des leçons. Toutes +les classes de la société y en trouveront: des ouvriers verront avec un +effroi salutaire les terribles conséquences qu'entraînent d'ordinaire +après elles la paresse, l'imprévoyance et la débauche; une partie de la +bourgeoisie y rougira peut-être de son égoïsme, elle comprendra qu'elle +a de grands sacrifices à faire; qu'au lien d'essuyer en passant quelques +larmes, elle doit s'efforcer d'en tarir la source; que ce n'est pas +seulement le mal présent, mais plus encore le mal futur qu'il importe de +guérir.--Si cet infortuné qui vient s'asseoir sur ce banc de honte pour +s'entendre condamner à cinq années d'emprisonnement était né dans la +même position sociale que ses juges ou que son défenseur, s'il avait +reçu une meilleure éducation, il serait peut-être resté toute sa vie un +honnête homme. Mais à peine sa mère l'eut-elle mis au jour, elle +l'abandonna; personne ne lui a donné un sage conseil; il n'a jamais en +sous les yeux que de mauvais exemples; il voudrait travailler, mais on +ne lui a pas appris un état; tous les ateliers sont fermés pour lui. Le +besoin le détermine à commettre un premier vol; malheureusement on le +surprend en flagrant délit, on l'arrête, on le juge, on le condamne, on +l'enferme avec d'autres malfaiteurs. Si courte que soit sa peine, quand +il l'aura subie, il sera perdu sans ressource. + +C'est donc parfois un devoir pour la presse de raconter, mais sans y +rien ajouter, sans en rien retrancher, quelques-uns des petits drames +qui se jouent journellement aux audiences de la police correctionnelle. +Outre l'intérêt bien naturel qu'ils inspirent, ces récits renferment +d'utiles enseignements que l'écrivain doit s'attacher à signaler à +l'attention publique. Il y a certaines gens, assez honnêtes d'ailleurs, +que le mot seul de morale fait bailler d'ennui; ils ont le vice en +horreur dans leur vie privée, mais ils le trouvent amusant dans les +journaux. Suivant eux, la littérature et les beaux-arts ne doivent se +proposer qu'un but, celui de plaire, comme si l'humanité avait été créée +uniquement pour se divertir. Il y aurait du courage à résister à ces +erreurs du goût public, à réagir, à ne pas mentir pour plaire, à ne pas +exciter le rire avec le récit de faits qui ne doivent jamais exciter que +l'indignation ou la pitié. La presse a une mission plus noble à remplir: +instruire et moraliser, telle est sa devise; qu'elle y reste toujours +fidèle désormais, elle ne tardera pas à reconquérir l'influence qu'elle +a perdue. + +Ajoutons toutefois que la seconde partie d'une audience de la police +correctionnelle ne ensemble en rien à la première. Le drame fini, la +comédie commence. Après les affaires des détenus ou des individus qui +ont obtenu leur liberté provisoire sous caution, mais qui sont également +poursuivis à la requête du ministère public, viennent les causes dites +_entre parties._ Certaines classes de la population parisienne font un +abus vraiment extraordinaire du droit de citation directe, droit que le +législateur aurait cependant tort d'abolir. Les juges sont doués d'une +patience évangélique. Que de petites passons se démènent chaque jour +autour de ce tribunal! que de ridicules s'y étalent avec orgueil! que de +sottises s'y débitent! que d'esprit s'y dépense inutilement! Il y a là +des peintures de moeurs et de caractères assez vives et assez +divertissantes pour qu'il soit inutile ou même fâcheux de les convertir +en charges. Il faudrait se contenter de présenter le miroir à ces scènes +de comédie, et ne les point affaiblir, les dénaturer, en les parodiant. + + + +DES CIRCONSTANCES ATTÉNUANTES. + +L'application des circonstances atténuantes en matière criminelle n'est +pas, en général, parfaitement appréciée par tous les esprits. Les effets +de ce système sont surtout inexactement jugés. Quelques verdicts du jury +ont fait penser qu'il abusait de la faculté mise à sa disposition. Les +expressions mêmes de la formule qui exprime cette faculté lui ont nui +dans l'opinion publique; on a été porté à en induire que la répression +ressentait une certaine mollesse, la justice pénale quelque relâchement. +Quelques magistrats ont même déjà manifesté des alarmes. Cette idée, qui +se fonde sur de vagues préoccupations ou sur des actes isolés, mais non +sur les faits généraux, n'est nullement fondée; elle a été réfutée +récemment par un savant criminaliste, M. Faustin Hélie, dans la _Revue de +Législation_, et il nous a paru curieux et utile d'emprunter à cette +dissertation quelques observations qui sont de nature à éclairer cette +question morale et pratique et à rectifier des jugements conçus +peut-être avec quelque légèreté. + +Le système des circonstances atténuantes a été adopté par la loi du 28 +avril 1832. Les jurés, en matière criminelle, et les juges, en matière +correctionnelle, ont été investis de la faculté de déclarer qu'il existe +en faveur du prévenu des circonstances atténuantes; cette déclaration a +pour effet de faire diminuer la peine portée par la loi; cette peine +peut alors descendre, en matière correctionnelle, jusqu'au taux des +peines de simple police, et en matière criminelle, d'un ou de deux +degrés, suivant l'application des juges de la Cour d'assises. Or, ce que +nous voulons examiner, c'est l'effet de ce droit d'atténuation sur la +marche générale de la répression. + +Un premier fait est incontestable: c'est la diminution du nombre des +acquittements. Les acquittements n'avaient cessé de s'accroître jusqu'à +la promulgation de la loi du 28 avril 1832; en 1826, sur cent accusés, +on comptait trente-huit acquittés; en 1831, on en comptait quarante-six. +La faculté de déclarer des circonstances atténuantes a subitement arrêté +cette progression, qui menaçait de détruire toute répression. En 1833, +sur cent accusés, il n'y eut plus que quarante-un acquittements; ce +nombre s'abaissa successivement, en 1834, à quarante; en 1835, à +trente-neuf; en 1836, à trente-six; en 1839, à trente-cinq; enfin, en +1840, à trente-trois. Ce premier résultat est donc bien constaté. + +Les acquittements nombreux attestent ou une mauvaise législation ou une +mauvaise justice. Les jurés rejettent les accusations, soit parce que +les lois pénales leur semblent trop rigoureuses, soit parce que des +procédures mal instruites amènent devant eux des accusés sur lesquels +pèsent des charges insuffisantes. Avant la réforme de 1832, le nombre +extraordinaire des acquittements, à peu près la moitié des accusés, +était dû principalement à l'excessive sévérité du Code Pénal; les jurés +hésitaient à condamner, quand les peines étaient hors de proportion avec +les délits: ils acquittaient en haine de la loi. Il fallait un terme à +un tel désordre; l'admission des circonstances atténuantes a eu pour but +de le faire cesser. Le législateur pensa que les jurés pouvant atténuer +les peines, ne prononceraient plus autant d'acquittements. Cette +prévision s'est rapidement réalisée. C'est là, il faut le dire, le +progrès le plus sûr qu'ait pu faire la justice. Avant tout, il faut +atteindre et punir les coupables; le degré de la punition n'a, ainsi que +nous le dirons plus loin, qu'un intérêt secondaire. + +Un deuxième résultat est également constaté. Avant la loi modificative +du Code, les déclarations du jury, lors même qu'elles déclaraient +l'accusé coupable, n'étaient pas sincères: il mutilait les accusations, +écartait les circonstances aggravantes et bouleversait la qualification +des faits incriminés. En 1826, sur cent accusations admises par le jury, +soixante étaient modifiées par le rejet des circonstances aggravantes; +ce nombre s'était, successivement élevé jusqu'à soixante-neuf sur cent +en 1832. A partir de cette époque, les accusations admises sans +changement dans la qualification des faits se sont élevées chaque année: +aujourd'hui, cinquante sur cent seulement sont modifiées. D'où nait +cette différence? C'est que les jurés n'ont plus en besoin de faire des +déclarations mensongères pour mettre la peine en rapport avec le délit; +l'atténuation dont la loi les a investis leur a suffi; leurs verdicts +sont devenus sincères; ils ont affirmé tous les faits que l'accusation +prouvait. Cette deuxième amélioration est évidente; elle démontre que la +justice est rentrée dans la voie de la vérité; elle démontre aussi que +la législation a cessé d'être en opposition avec les moeurs publiques, +et que ses dispositions sont, en général, acceptées. + +Maintenant il est très-vrai que le bénéfice des circonstances +atténuantes a été étendu à un très-grand nombre de condamnés. Nous +verrons tout à l'heure ce chiffre, qui est assurément fort élevé; mais +plusieurs considérations très-graves l'expliquent facilement. + +D'abord, on vient de voir que si, d'un côté, le nombre des atténuations +de peines s'accroit, d'un autre côté, et par une sorti; d'équation +mathématique, le nombre des acquittements diminue, et les déclarations +du jury deviennent plus fermes et plus sincères. Or, ne doit-on pas +préférer, dans l'intérêt de la répression, des peines atténuées à des +acquittements complets? La justice n'est-elle pas plus satisfaite par la +déclaration consciencieuse de tous les faits de l'accusation que par la +dénégation mensongère d'une partie de ces faits pour arriver, par un +détour frauduleux, à une diminution de peine que la déclaration de +circonstances anémiantes régularise? Avant la loi de 1832, l'expérience +des années antérieures nous l'apprend, le jury aurait acquitté le tiers +de ces condamnés, et il aurait, à l'égard des autres, dénié les +circonstances aggravantes. Ces déclarations, désavouées par la +conscience, auraient-elles donc produit une répression meilleure? Un +châtiment, quel qu'il soit, quand il frappe un coupable, n'est-il pas +préférable à une complète impunité? + +Sans doute les peines ont diminué dans leur gravité ou dans leur durée. +Mais suit-il donc de là que la mesure de la répression se soit +affaiblie? Constatons d'abord dans quelles limites cette atténuation +s'est opérée. Avant la loi de 1832, le nombre des condamnations à des +peines afflictives ou infamantes s'abaissait chaque année: ce chiffre, +qui était de quarante sur cent accusés en 1826, n'était plus que de +vingt-sept sur cent en 1832. Et remarquez que le système des +circonstances atténuantes n'existait point à cette époque. Les peines +afflictives ne se transformaient que fort rarement en peines +correctionnelles; elles n'étaient remplacées que par les acquittements, +dont le chiffre s'élevait incessamment. Depuis 1832, ces peines n'ont +pas été appliquées plus fréquemment; mais les condamnations +correctionnelles ont graduellement augmenté. En 1840, sur cent accusés, +vingt-huit ont été condamnés à des peines afflictives et infamantes, et +trente-neuf à des peines correctionnelles. Ainsi, le chiffre général des +condamnations a tendu sans cesse à se relever depuis l'adoption des +circonstances atténuantes. Ce chiffre, qui était de soixante-deux sur +cent accusés en 1826, et même de cinquante-quatre sur cent en 1831, est +remonté par degrés à soixante-sept sur cent en 1840. Une espèce de +réaction s'est même manifestée dans la distribution des peines pendant +ces dernières années. Les condamnations ont été plus fermes et plus +nombreuses; les peines se sont élevées, soit par leur intensité, soit +par leur durée. + +Faut-il attribuer cette réaction morale, cette fermeté plus grande, aux +lumières que les jurés acquièrent à mesure qu'ils exercent leurs +fonctions, aux temps plus calmes qui ont succédé à des temps de troubles +politiques, à l'inquiétude causée par quelques verdicts empreints d'une +indulgence excessive, enfin, à l'instinct de conservation qu'éprouvent +les citoyens à la vue des crimes qui semblent s'accroître? Il faut +l'attribuer sans doute à toutes ces causes; mais son véritable, son +principal motif est dans la faculté attribuée au jury, par la +déclaration des circonstances atténuantes, de faire bonne justice, +justice suivant sa conscience, c'est-à-dire de proportionner la peine +avec le délit. Le jury exprime de la manière la plus naïve et la plus +sincère les mouvements de la conscience individuelle, bien plus que de +la conscience sociale; il est plus préoccupé de la justice intrinsèque +d'une peine que des motifs d'utilité générale qui s'attachent à son +application; son point de vue se borne généralement à la cause qu'il +juge; il s'étend rarement aux causes de la même nature dont le nombre et +la répétition exigent une répression plus ou moins sévère. Il déclarera +la culpabilité qui lui est démontrée, mais à condition que les effets +de cette déclaration lui paraîtront équitables. Vainement vous voudriez +couvrir la loi pénale d'un voile à ses yeux; ce voile, vaine fiction du +législateur, il le déchire tous les jours. Il pèse la peine en pesant +les termes de sa déclaration; il rejettera, comme il l'a fait tant de +fois, la condamnation la plus juste, si le châtiment lui paraît hors de +proportion avec le crime. + +Les faits sont donc incontestables: le système des circonstances +atténuantes a produit des condamnations plus nombreuses, une +distribution plus ferme des peines, une appréciation plus consciencieuse +et plus exacte des faits incriminés. Une seule objection peut être +opposée à ces bienfaits. Les peines appliquées sont plus nombreuses, +mais elles sont moins fortes; elles perdent en intensité ce qu'elles +gagnent en nombre; les peines afflictives et infamantes semblent tendre à +se transformer en peines correctionnelles; elles se dépouillent de leur +appareil afflictif et de leur intimidation. + +Cette objection, vue de près, disparaît promptement. Il n'est pas vrai, +d'abord, que les peines afflictives tendent à se correctionnaliser, et +cela par une raison très-simple, c'est que la loi a posé des limites que +cette tendance ne pourrait franchir. Mais prenons successivement les +différentes peines afflictives, et nous verrons que leur marche est +plutôt ascendante que décroissante. Ainsi, la peine qui semblait devoir +exciter la répugnance la plus grande de la part des jurés, parce qu'elle +fait peser sur eux une responsabilité plus grande, la peine de mort, n'a +pas cessé d'être appliquée; en 1840, cinquante-un accusés ont été +condamnés à cette peine, et ce chiffre, qui avait varié dans les années +précédentes, paraît disposé à s'élever. Les condamnés aux travaux forcés +à perpétuité qui, en 1835, étaient au nombre de cent quarante-un, sont +montés successivement à cent soixante-dix-sept, cent +quatre-vingt-dix-sept, cent quatre-vingt-dix-huit; en 1841, ils ont été +de cent quatre-vingt-cinq. Les condamnés aux travaux forcés à temps se +sont généralement maintenus au chiffre de huit cents chaque année; les +dernières années ont présenté les chiffres de huit cent cinquante-deux, +huit cent quatre-vingt-trois et mille cinquante-six. Enfin, les +condamnés à la réclusion, qui n'étaient qu'au nombre de six cent +quatre-vingt-quatorze en 1833, ont atteint les chiffres de neuf cent +vingt-trois et mille trente-deux en 1839 et 1840. Sans doute, il faut +tenir compte de l'augmentation générale des accusations et des +condamnations, mais il ne résulte pas moins de ces chiffres que la +répression ne s'affaiblit pas, et que les peines afflictives reçoivent +une application journalière et continuelle. + +Maintenant, nous ne prétendons nullement méconnaître qu'un certain +nombre de peines afflictives se soient transformées en peines +correctionnelles. Est-ce véritablement un mal? La société a-t-elle un +intérêt réel à ce qu'une peine afflictive soit appliquée à certains +faits plutôt qu'une peine correctionnelle? Son principal intérêt +n'est-il pas que les coupables soient punis? Il est, d'ailleurs, reconnu +maintenant que le régime des maisons centrales est plus rigoureux et +plus répressif que celui des bagnes; et, dans les maisons centrales, les +condamnés à la réclusion et à l'emprisonnement de plus d'un an sont +soumis au même régime et subissent la même peine. Il n'y aurait donc que +la durée plus brève de la peine qui pourrait lui enlever une partie de +son effet d'intimidation; mais l'efficacité d'une peine est dans la +certitude de son application bien plus que dans sa durée; elle est +surtout dans le mode de son exécution. Sans doute la prolongation de +cette exécution ajoute à la rigueur de la punition, mais elle n'est +qu'une cause secondaire d'intimidation. Le système pénitentiaire peut la +désirer, parce qu'elle augmente son action sur le condamné, mais la +répression est moins intéressée à cette prolongation au delà de +certaines limites. Il suffit que la peine soit assez longue, pour peser +sur la vie du coupable, mais elle ne doit pas puiser toute sa gravité +dans sa durée. + +La justice n'a donc pas fléchi: le système des circonstances atténuantes +ne l'a donc pas désarmée; elle a même puisé dans son application une +puissance nouvelle: sa marche a été plus sûre, plus ferme, plus +certaine. La répression a été plus complète, car elle a atteint un plus +grand nombre de coupables; elle a été plus juste, car le rapport entre +le délit et la peine a été établi avec plus de soin; elle a été mieux +réglée, car la conscience, qui se débattait naguère contre l'exagération +des châtiments, applaudit à ses jugements depuis qu'il est permis de +concilier la peine avec la gravité du fait. + +Voilà les résultats qu'a produits le système des circonstances +atténuantes, résultats constatés par la statistique, et qu'il est +impossible de dénier. La justice et la morale elles-mêmes doivent donc +applaudir à une innovation qui a assuré une répression plus étendue, +bien que modérée, des actions criminelles. + + + +Poètes italiens contemporains. + +LOUIS CARRER. + +Parmi les poètes italiens contemporains, l'un des plus aimables, l'un +des plus gracieux et des plus nationaux, c'est sans doute le Vénitien +Carrer, dont le nom est à peine connu en France. + +La vocation de ce poète se déclara un jour que, presque enfant, il +entendit le célèbre improvisateur Sgricci. Le feu divin s'alluma dans +l'âme du jeune Louis, et l'adolescent, dans lequel rien jusque-là +n'avait révélé le poète, eut l'audace de parler à son tour aux +Vénitiens, encore frémissants des applaudissements prodigués au Sgricci, +cette langue des vers, toujours si douce à leur oreille. Le succès fut +complet, et, pour que rien n'y manquai, pour que le talent fût en +quelque sorte sacré par le génie, Byron, alors à Venise, prédit que cet +enfant ferait un jour la gloire du pays où il était né. Toutefois +Carrer, loin de se laisser étourdir par de si nombreux applaudissements +et par un tel suffrage, eut vite compris qu'ils ne devaient être pour +lui qu'un encouragent; qu'il pouvait devenir un poète, mais qu'il ne +l'était pas encore. L'art de l'improvisation ne fut à ses yeux qu'un des +degrés les plus infimes de la poésie, et il se mit à travailler +assidûment, convaincu que les oeuvres faites lentement, difficilement +même, sont les seules durables. Naturellement doué d'une riche +imagination, il étudia avec patience la forme, cette partie de l'art si +difficile, et sans laquelle pourtant il n'est point d'art véritable. + +[Illustration: (Louis Carrer.)] + +Or, cette qualité de la forme, Carrer, aujourd'hui, la possède à un +degré éminent, comme l'atteste le recueil que nous avons sous les yeux, +et qui contient des poésies de différents genres: ballades, sonnets, +odes, nouvelles, etc. Les ballades sont empruntées parfois à des +traditions étrangères, mais plus souvent à des légendes vénitiennes, et +celles-ci sont, nous l'avouons, celles que nous préférons; tout +imprégnées qu'elles sont du parfum des lagunes, riches, étincelantes +d'or et de pierreries, comme _Venise la belle_, riantes alors même que +le fond en est sombre ou sanglant. L'arbre des tombeaux pour le poète +vénitien, ce n'est pas le sombre cyprès, mais le myrte, et parfois même +l'oranger. La mort, c'est le seuil de la vie heureuse. + +Les sonnets, écrits dans la langue italienne, vraie langue du sonnet, +ont cette perfection de forme sans laquelle ce genre n'existe pas; mais +ils nous semblent, de même que les odes, trop souvent dénués d'une +pensée forte ou originale. En somme, ce que nous aimons le mieux, ce qui +nous paraît le véritable titre de gloire du poète, ce sont les ballades, +dont nous donnerons de préférence quelques-unes à nos lecteurs. + +Selon une tradition populaire à Venise, un patricien devint amoureux +d'une jeune fille du peuple, et, désolée de ne pouvoir être sa femme, +celle-ci se précipita dans l'Adriatique, où elle périt; après sa mort, +le jeune noble ne voulut jamais accepter d'autre épouse, et, devenu +doge, il se déclara le fiancé de la mer. C'est là, selon les enfants des +lagunes, l'origine de la fête qui fut célébrée chaque année le jour de +l'Ascension, tant que Venise a eu un doge, cérémonie dans laquelle, du +haut du _Bucentaure_, le chef de la république jetait solennellement +dans la mer l'anneau, symbole d'une mystique union. Les historiens +donnent à cette cérémonie une autre, ou plutôt d'autres origines sur +lesquelles ils ne peuvent s'accorder; mais les poètes aiment d'ordinaire +mieux la légende que l'histoire; l'érudition les effraie, et nul ne +s'étonnera de voir Carrer adopter la croyance des pêcheurs de Venise. On +sera, nous n'en doutons pas, tenté de l'en remercier, quand on verra de +quelle poésie limpide et brillante, j'ai presque dit phosphorescente +comme les flots de l'Adriatique, il a su la revêtir. + + +L'ÉPOUSE DE L'ADRIATIQUE. + +«Qu'elle se taise, la joyeuse fanfare, qu'elle se taise sur la route +azurée de la mer, qu'elle se taise parmi les rochers où, pauvre âme nue, +je me cache pour soupirer. + +«Qu'on me le donne, l'anneau d'or, et alors je cesserai ma plainte, +alors en silence j'attendrai l'époux qui me fut fiancé. + +«Qu'il n'appartienne jamais à une autre celui-là qui m'a donné sa foi; +il m'a nommée sienne, et je l'attends; après la mort nous serons unis. + +«Pour ce jour je le prépare, le lit nuptial; je le fais d'écume +moelleuse, trompant, dans cette douce occupation, l'ardent désir qui me +consume. + +«Quand, parvenu à son dernier jour, mon époux descendra enfin vers moi, +il me trouvera venant à sa rencontre au bord de la grotte où je gémis. + +«Alors mon sein et mes cheveux seront ornés de deux colliers de +coquillages; alors je me ceindrai la taille d'une verte ceinture +d'algues marines. + +«Alors il verra briller à mon doigt l'anneau qu'il m'a jeté du haut du +trône d'or, cet anneau que depuis si longues années je tiens là caché +sur mon coeur. + +«Le reconnais-tu, le reconnais-tu, cet anneau que jamais je n'ai +quitté?--Oui, je le reconnais, bien-aimée; c'est lui que je te donnai +dans un jour de bonheur. + +«Mais comme tu es froide et pâle!--C'est la mer qui m'a faite ainsi, +cher amour: toi, tu as vécu au milieu des joies de la vie; et moi, +j'étais ici seule, toujours attendant, toujours pensant à lui. + +«Chère épouse! ô toi qui si confiante as attendu ma venue, enfin nous +voilà réunis; maintenant rien ne peut nous séparer, je ne le quitterai +plus. + +«Tant que durera le jour, je les parcourrai avec lui, ces ondes amies, +et quand viendra la nuit, elle sera l'asile de mon sommeil, la grotte +silencieuse. + +«Ensemble à toute heure et pourtant nous désirant toujours, notre amour, +né sur la mer, ne finira qu'avec la mer.» + +Après avoir entendu cette fille des lagunes qui pour son noble amant +veut séparer de ces jolies coquillages dont, enfant, elle avait, comme +tous les enfants de Venise, formé de gracieux colliers; après avoir vu +récompenser son fidèle amour par une éternelle union au sein de cette +mer tant aimée de tout Vénitien, suivons la capricieuse imagination du +poète en Espagne, où il a trouvé une de ses plus originales ballades. +Mais comment rendre l'harmonie de ce rhythme si parfaitement adapté au +sujet? C'est quelque chose qui rappelle le rhythme adopté par Byron dans +_Mazeppa_: c'est le galop régulier du cheval qui doit emporter la belle +Espagnole, et pas une minute l'esprit ne peut oublier le noble et +fantastique animal qui se trouve ainsi le _principal personnage_ de ce +petit drame. Selon la manière d'un autre grand poète, Goethe, dans +plusieurs de ses adorables ballades, la pièce n'a pas de dénouement, et +le lecteur peut le faire riant ou terrible à volonté. + + +LE CHEVAL D'ESTRAMADURE. + +«Un indomptable destrier bal les plaines de l'Estramadure; le royaume en +est en deuil, et ducs, chevaliers et princes, tous ont peur du fier +animal. + +«--Qui lui mettra le frein et la selle, je le jure, pour peu qu'il soit +chrétien, celui-là sera l'époux d'Isabelle, il deviendra gendre du +roi.-- + +«Tel est le ban que, par ordre du monarque, un héraut va proclamant de +contrée en contrée; mais depuis six mois il est proclamé et il n'a pas +paru encore le brave qui doit gagner le prix. + +«Le héraut a vu la Castille et Grenade, il a visité Cadix et Séville, il +a traversé le Tage et le Douro. «Vainement il a proclamé son ban sur les +places d'Oviédo et de Pampelune, vainement il a vu et la Murcie, et +l'Aragon et le beau sol catalan. + +«Mais un jour voilà que se présente un obscur Biscayen, et cet homme +pauvre, riche de son seul courage, offre de lutter contre le sauvage +coursier. + +«Les grands étonnés raillent son audace. «Bonhomme, disent-ils, prends +l'étrille; sans elle que peut un homme de ta sorte en semblable +affaire?» + +«L'étranger ne répond rien; il renferme au dedans de lui sa trop juste +colère; il attend, et après une longue attente, on l'introduit devant le +roi. + +«Il se découvre d'abord; puis, s'adressant respectueusement au monarque: +«--La proclamation que j'ai entendue plusieurs fois est-elle fidèle, ô +roi? + +«Celui qui mettra le frein et la selle à un coursier qui épouvante le +royaume, celui-là sera-t-il l'époux d'Isabelle, deviendra-t-il gendre du +roi? + +«--Oui, dit le roi, tel est mon ban, et, je le jure, telle sera la +récompense du vainqueur, pourvu qu'il adore notre Dieu.-- + +«Et le souverain avait à peine fini de parler, que déjà le brave inconnu +était sur le chemin où se montrait le plus souvent l'indomptable +coursier. + +«Il y marchait depuis peu de temps, lorsque sous de rapides bonds il +entend retentir la terre; le peuple fuit épouvanté et le laisse seul +avec l'être mystérieux qu'il doit vaincre. + +«Le soleil avait presque achevé sa course, et le roi, assis sur la +terrasse, parlait ainsi à sa fille assise près de lui. + +«--Il est parti dès le commencement du jour, le hardi Biscayen; le +soleil va se coucher, il n'est pas encore de retour: quel aura été son +destin?-- + +«Et la jeune fille répondait: «Ô mon père! je ne crains rien, car elle +annonçait une haute valeur, la figure de l'hôte inconnu. + +«Isabelle parlait encore, quand la plaine fil entendre de bruyantes +acclamations, et bientôt l'étranger parut menant après lui le cheval +enfin dompté. + +«Le peuple qui lui faisait cortège vantait hautement sa valeur, et +bientôt, se séparant de la foule, le vainqueur s'approcha du roi, tenant +toujours le cheval dompté. + +«--Le voilà, dit-il, de mes mains il a reçu la selle et le frein; +maintenant elle m'appartient la main d'Isabelle, maintenant je dois être +ton gendre. + +«Le roi se troubla en entendant ces paroles, et il allait... Une sorte +de terreur le retint, et d'une voix douce et contenue il parla ainsi à +l'étranger: + +«--Ta demande est audacieuse, Biscayen; mais d'abord dis-moi ton rang, +afin que je sache à qui je parle. + +«--Tu ne me l'as pas demandé lorsque pour loi je me suis offert à la +lutte; mon titre de noblesse, c'est l'action que j'ai faite, c'est à +elle de répondre pour moi. + +«Il doit le suffire de savoir que moi aussi j'adore Jésus. Le ciel sait +le reste, le ciel qui m'a fait vaincre et a combattu avec moi. + +«Et le roi lui répond: «Non, Biscayen, cela ne suffit pas, car il ne +peut être l'époux de ma fille, celui qui n'est pas de sang royal. + +«Demande de riches vêtements, demande des bijoux précieux, tu les +obtiendras de moi, mais, je te le répète, si tu n'es pas de sang royal, +ne me la demande pas, la main d'Isabelle. + +«--Ce ne sont ni de riches vêlements ni des bijoux précieux qui me +furent promis; tu l'as juré que tu me donnerais Isabelle. + +«--Tu obtiendras de moi toute autre belle de mon royaume, et j'y +joindrai une riche dot; mais, je te le dis encore, il n'aura pas la main +d'Isabelle, celui-là qui n'est pas roi. + +«--Que me parles-tu d'autre belle? que me fait la dot que tu m'offres? +c'est pour Isabelle que j'ai voulu vaincre. Ô roi! remplis ta promesse. + +«--Pars, fuis loin de mes yeux, arrogant aventurier, et si tu ne veux +mourir, ne reparais jamais devant moi. + +«L'étranger se tut, et jetant sur le roi un regard de colère, il partit, +emmenant avec lui le cheval qu'il avait dompté. + +«On n'entendit plus parler ni de lui, ni du sauvage coursier, mais sur +le front d'Isabelle plana depuis lors un sombre nuage. + +«A un an de là un roi puissant demanda la main de la jeune fille; +celle-ci ne le refusa pas, elle ne l'accepta pas non plus, sa bouche +resta muette. + +«Cependant le roi son père a engagé sa parole, le jour des noces a été +proclamé dans toute la contrée, et de chaque point de l'Espagne on +accourt pour assister à la cérémonie sacrée. + +«La foule se presse et augmente de moment en moment dans l'auguste +cathédrale où se voit déjà l'archevêque, la mitre en tête et la crosse à +la main. + +«Sur deux haies, des deux côtés de la porte, sont rangés les varlets et +les hallebardiers contenant le peuple et gardant la voie libre pour les +chevaliers. + +«Déjà s'approche le royal cortège, déjà s'entend le son des trompettes; +la messe va commencer, chacun est à son poste. + +«L'autel est paré en fête: les fleurs et les cierges brillent de toutes +parts. Isabelle, vêtue de blanc, est là debout entre son père et son +époux. + +«Mais quelle sourde rumeur se répand dans la foule? On parle tout bas du +Biscayen, et plusieurs disent: «Si par hasard il était là?» + +«A peine a-t-on commencé le saint et redoutable sacrifice, qu'un bruit +s'élève dans un coin reculé de l'église. + +«L orgue retentit, comme touché par une main invisible; les lumières +s'éteignent toutes à la fois, et on entend au loin gronder le tonnerre. + +«Parmi les assistants renversés à terre, plusieurs virent une tombe +s'ouvrir, et de l'abîme surgit un destrier que tous eurent bientôt +reconnu. + +«C'était bien celui auquel l'aventurier avait mis le frein et la selle, +c'était bien celui qui pendant si longtemps avait épouvanté le roi et le +royaume. + +«A son aspect nul ne demeure; l'épouvante chasse du temple tous ceux qui +s'y trouvent, et le roi et le nouvel époux prennent la fuite comme les +autres. + +«Pour Isabelle, pour la jeune fille qui s'était rendue à la cérémonie +sans refuser, mais sans consentir, elle resta ferme au lieu où elle +était, tandis que tous les autres prenaient la fuite. + +«Le cheval s'approche d'elle, il plie doucement les jarrets, et, d'un +doux regard, le mystérieux animal semble l'inviter à se placer sur son +dos. + +«La jeune fille y monte confiante; d'une main ferme elle saisit la +bride, et le destrier n'a pas plus tôt senti le doux fardeau, qu'il +part, rapide comme l'éclair. + +«Sorti de l'église, il traverse la cité, prend à travers la campagne. Où +alla-l-il? nul ne le sait. + +«Peu à peu l'épouvante de la foule se calme; mais vainement le monarque +essaie de vaincre sa terreur. + +«Toujours il croit voir les cierges s'éteindre au milieu des rites +sacrés, toujours il croit entendre le sourd galop d'un cheval. + +«Il demande à ceux qui l'entourent s'ils ont vu l'étranger qui doit +arriver; et, à peine a-t-il reçu leur repose, que de nouveau il leur +adresse la même question. + +«Le pauvre fou vécut ainsi une longue année, puis il mourut, laissant la +couronne à son plus proche parent. + +«Et jamais nul n'entendit plus parler ni de l'aventurier inconnu ni de +la belle Isabelle, emportée par le destrier.» + +Pour faire bien connaître notre poète, il nous faudrait citer encore la +_Vendetta_, avec son naïf refrain: _l'antique histoire le dit ainsi: la +Chapelle des Innocents_, empruntée à une tradition suisse, plus sombre, +plus dépouillée d'ornements que les autres ballades de Carrer, mais +pleine d'expression; _Le Sultan, le Maure, le Chanteur Stratella_, l'une +des plus longues pièces, mais peut-être la plus belle du recueil, qui +suffirait seule à révéler un poète éminent: petit drame plein d'émotion, +où Carrer a déployé, en même temps qu'une vive sensibilité, l'étonnante +flexibilité de son talent et toutes les richesses d'un rhythme +heureusement varié. + +Dans l'impossibilité de tout citer, nous terminerons nos citations par +un sonnet dont la vague expression nous semble révéler autant les +douleurs d'une haute ambition poétique que celles d'un amour trompé. + +«Désormais je n'espère plus l'obtenir, la paix: je ne l'attends plus, la +guérison du mal qui me dévore sans relâche; il pâlit, le rayon qui me +donna la vie; mes jours volent rapides vers leur terme. + +«Elle brûle et fume encore ma plaie cachée, et la honte s'ajoute à +l'injure; et toi, vain nuage, toi, vile écume, toi, gloire, autre +perfide, tu me fuis aussi! + +«Comment se sont évanouies tant de douces espérances, comment est-il +mort si vite cet amour si profond? Et toi, lâche! tu les pleures les +jours écoulés, tu pleures l'heure de la joie. + +«Et l'avenir? je l'attends, je le considère avec stupeur. Tout secours +humain arrivera trop tard; il ne peut plus être apaisé, le soupir de mon +coeur.» + + + +Beaux-Arts.--Salon de 1843 + +(Voyez p. 44, 56 et 68.) TABLEAUX ET SCULPTURES. + +[Illustration: (Le Colin-Maillard, par M. Giraud.)] + +_M. E. Giraud--Colin-Maillard._--Monsieur l'abbé a les yeux bandés, il +s'avance les mains étendues dans le vide; pourtant on serait tenté de +croire que le bandeau est mal assuré sur ses yeux et que l'abbé triche +un peu, car il poursuit les dames et ne se soucie point de prendre le +cavalier qui vient lui parler imprudemment à l'oreille; mais les dames +se dérobent, et l'une, glissant, tombe sur l'herbe, sans doute pour +montrer à demi sa jolie jambe, et relever une de ses mains jusqu'aux +lèvres du jeune chevalier qui, par fortune, se trouve derrière elle au +moment de sa chute. Cependant M. l'abbé pose lourdement son escarpin sur +la queue du griffon, le mignon fanfreluche, flocon de soie avec un petit +nez rose et deux jolis yeux noirs; le faune joue de la flûte sur son +piédestal, et semble rire de ce pauvre abbé, qui fait tomber la dame au +bénéfice de son prochain.--Une gaieté vive et gracieuse anime toute cette +scène; les figures sont dessinées avec une facilité charmante, et les +moindres détails spirituellement traités. + +[(Port de Boutogne, par M. Isabey. Voyez page 50.)] + +_Les Crêpes_, de M. Giraud, se recommandent par les mêmes qualités de +conception et de dessin; mais les _Crêpes_ ne semblent-elles pas être à +Watteau ce que les _Beignets à la Cour_ sont aux comédies de Marivaux? + +_M. Desboeufs.--La Science_, statue en marbre--La science, on le sait, +est et demeure éternellement vierge, comme la divine Minerve, sa +patronne; elle a même quelquefois des airs de pruderie, des +susceptibilités de vieille fille; aussi ne voyons-nous pas sans quelque +peine la statue de _la Science_ placée près de _la Cassandre_ de M. +Pradier, et nous craignions qu'elle ne se couvrît tout à coup le visage +de ses mains pudibondes, comme Ovide nous raconte que firent autrefois +les statues de Vesta, lorsque la prêtresse Rhéa Sylvia accoucha dans le +temple de la déesse. Heureusement on a eu soin de la tourner un peu du +côté de la fenêtre, de façon qu'à la rigueur elle n'est pas obligée de +voir la fille de Priam. _La Science_ de M. Desboeufs a l'air grave et +austère; son front est pur et sans rides, sa tête est même élégamment +couronnée de myrte; mais le souci de la pensée semble visible dans le +pli de sa narine et de sa bouche. Elle laisse tomber sa main droite, qui +tient un manuscrit, et accoude son bras gauche sur une de ces petites +colonnes quadrilatérales dont les sculpteurs font un si grand usage +(ainsi, _la Cassandre_ de M. Pradier a le dos appuyé sur un véritable +cube, tout à fait chimérique). _La Science_ est surtout antique par sa +draperie remarquablement sévère, quoique un peu trop uniformément +chiffonnée; le corps, les contours surtout se sentent bien sous les plis +de cette draperie, qui rappelle de loin celle de la Cérès antique. Grâce +à Dieu, M. Desboeufs s'est montré fort économe d'attributs allégoriques; +et, sauf quelques figures de géométrie que l'on aperçoit au bas de la +statue, tout est laissé à la sagacité du spectateur. + +Nous croyons devoir, à ce propos d'allégorie, prévenir nos lecteurs +contre l'explication, assez plausible d'ailleurs, que nous leur avions +donnée des bateaux à vapeur et télégraphes du tableau de M. Papety. Nous +avons lu, sur ces appendices symboliques, des interprétations depuis si +différentes, que nous ne savons plus vraiment à quoi nous en tenir. Les +peintres s'amuseraient-ils à torturer de ces logogriphes l'esprit +curieux des bonnes gens, comme fit Goethe dans son _Faust?_ «Voilà +trente ans, écrivait-il, que les Allemands se donnent du tracas avec les +manches à balais du Bloksberg et les conversations des chats dans la +cuisine de la sorcière; trente ans qu'ils ne cessent d'interpréter et +d'allégoriser sur ce burlesque non-sens dramatique. En vérité, on +devrait, dans sa jeunesse, se donner plus souvent de ces plaisirs, et +leur jeter à la tête des blocs comme le Brocken.» + +_M. Baron.--Des Condottieri._--Chacun se souvient encore du succès +qu'avait obtenu à la dernière Exposition la _Sieste en Italie_. M. Baron +n'a rien perdu de son originalité; la fantaisie de son pinceau est +toujours vive et charmante comme au premier jour. Il y a peu de ballades +en poésie qui valent ces condottieri, jouissant des heures de trêve dans +le sein de leurs foyers ou de leurs corps-de-garde, comme vous voudrez, +car il est impossible de localiser la scène; cela se passe dans un lieu +quelconque où il y a une table, une lampe à la voûte et une grande +cheminée. + +Un condottiere fourbit activement sa cuirasse, tandis que ses camarades +interrogent les dés, qu'une jeune femme, le dos tourné à la table des +joueurs, les pieds étendus vers la flamme du foyer, semble chercher sur +des cordes de sa guitare l'expression de sa pensée insouciante et +rêveuse.--Sur le premier plan, couchés à terre, un enfant et un +chien.--Les figures sont remarquablement expressives, même on y voit +peinte une certaine crânerie, qui rappelle les personnages à plumets des +comédies de cape et d'épée; ces condottieri conservent, en pleine paix, +leur air de bravoure, et, si l'on peut dire ainsi, leur visage ne +désarme pas. + +[Illustration: Les Condottieri, par M. Baron.] + +Nous regrettons d'ailleurs de trouver quelque alliage dans le talent +original de M. Baron: il nous semble que ses figures rappellent +l'accentuation particulière à M. Poittevin, et ses murailles les +procédés ordinaires de M. Decamps. Cette seconde imitation est surtout +manifeste, et nous en sommes d'autant plus fâchés pour M. Baron, que +cette année _le Decamps_, comme on dit, semble tout à fait à la mode, et +que l'on aperçoit sur de fort méchantes toiles des réminiscences ou +copies de ce genre. Un jour on reprochait à un grand paysagiste d'imiter +les moutons d'un autre; aussitôt il les supprima; que M. Baron supprime +de même ses murailles, s'il ne peut pas les imaginer autrement, qu'il se +retranche sévèrement tout ce qu'autrui peut lui revendiquer: + + Mon verre est bien petit, mais je bois dans mon verre. + + + +La Vengeance des Trépassés. + +NOUVELLE. + +(Suite.--Voyez page 73.) + +Léonor fut saisie d'une profonde émotion en écoutant cet air, qui, la +nuit précédente, avait déterminé sa fuite, et, selon toute apparence, +décidé du sort de toute sa vie. Quand le couplet fut achevé, elle fit un +signe à don Christoval, et ils chantèrent à deux voix _l'estrivillo_; + + Mira no tardes, + (Ayolé!) + Que suele en un momento + Mudarse al ayre. + +Avant qu'ils eussent fini, une fenêtre s'était ouverte, et une jeune +dame avait paru derrière les barreaux; elle écouta attentivement les +chanteurs. Aussitôt le couplet achevé, don Christoval adressa la parole +à la maîtresse de ce logis, et renouvela sa requête, si brutalement +repoussée par le portier. La dame avança le bras hors des barreaux comme +pour faire un signe d'assentiment, puis elle se retira, et la fenêtre fut +refermée.... Mais quelques minutes après, la grand'porte s'ouvrit, et le +portier, tenant une lanterne, vint chercher les étrangers. Il s'empara +du cheval en grommelant: «Vous eussiez mieux l'ait de rester dehors; +vous n'avez pas voulu me croire; c'est votre affaire!» Et, sans même +retourner la tête, il se dirigea vers l'écurie. Un laquais se présenta à +sa place, et introduisit les hôtes dans un salon étincelant de lumière. +Les meubles, les draperies relevées de franges d'or, tout ce luxe +annonçait une demeure où le bon goût s'alliait avec l'opulence. On +voyait aux quatre coins des caisses d'arbustes fleuris; les consoles +étaient chargées de grands vases de porcelaine de la Chine remplis de +fleurs, et tout autour de ce lieu de délices régnait un large divan avec +des coussins d'étoffe de soie cramoisie pareille aux tentures. Trois +personnes étaient assises sur le divan: un vieillard majestueux, +habillé, à la mode orientale, d'un riche cafetan bleu, et coiffé d'un +turban de mousseline aussi blanche que la barbe vénérable qui lui +descendait jusqu'au milieu de la poitrine. Deux jeunes dames étaient à +ses côtés, parées avec élégance et belles comme le jour. L'une, qui +paraissait l'aînée, était brune et avait à la main un bouquet de roses +muscades; l'autre était blonde et tenait un luth ou théorbe de forme +antique. Le vieillard se leva pour faire honneur à ses hôtes: «Soyez les +bienvenus sous mon toit, leur dit-il; je vous présente mes deux filles, +Amine et Rachel.» Rachel était la musicienne. + +Don Christoval remarqua que les deux soeurs portaient de jolis gants +noirs qui montaient jusqu'au coude, et par conséquent ne permettaient +pas de juger de la beauté des bras. Le vieillard était pareillement +ganté de noir, mais seulement à la main droite; la gauche était nue. + +La conversation s'engagea, et les voyageurs furent naturellement amenés +à dire qui ils étaient, d'où ils venaient, où ils allaient. Don +Christoval se garda bien de faire connaître la vérité; mais comme il +avait infiniment d'esprit, il improvisa une histoire suivant laquelle il +se nommait don Fernand Tellez, nouvellement marié, et allant avec sa +femme rejoindre sa famille établie à Jaen, ou dans les environs. Il +arrangea si bien la chose, avec force détails, qu'il était impossible de +soupçonner sa véracité. De sa part, le maître de la maison ne voulut pas +demeurer en reste, il leur apprit donc qu'il s'appelait Ibrahim, natif +du port de Ceuta, par conséquent Moresque de nation et de religion, il +avait longtemps habité Cordoue, où il avait fait fortune par le +commerce; mais des chagrins et des malheurs particuliers l'avaient +dégoûté de cette ville et même de la fréquentation des hommes; en sorte +qu'il s'était retiré avec ses deux filles et son frère dans cette +demeure isolée, où ils vivaient en paix, conservant les pratiques +religieuses et les moeurs de leur pays, sans jamais voir personne, si ce +n'est de temps à autre quelque passant égaré de sa route, à qui ils +accordaient avec plaisir l'hospitalité. + +En cet endroit, la porte de la salle s'ouvrit, et l'on vit paraître un +second vieillard. Mais autant le premier avait la contenance noble et la +mine loyale, autant celui-ci avait l'extérieur commun et repoussant, +mauvaise figure, les yeux enfoncés, le regard faux, un long nez +perpendiculaire et la barbe horizontale; ses lèvres minces semblaient +vouloir se cacher dans sa bouche. Cet autre vieillard avait aussi la +main gauche nue et la droite couverte d'un gant noir. Ah! s'écria +Ibrahim, voilà mon frère Diego, dont je vous parlais; il revient de la +ville, où le soin de nos affaires le contraint d'aller quelquefois. +Puisqu'il est arrivé, rien ne nous empêche plus de nous mettre à table. +On vient de m'avertir que le souper était servi. Passons, s'il vous +plaît, dans la salle à manger. + +Amine et Rachel s'approchant de leur père, lui prirent chacune un bras +et l'aidèrent à se lever avec des difficultés inouïes. Les étrangers +s'aperçurent alors que ce beau vieillard avait la moitié du corps +paralysée. Pour le faire avancer, une de ses filles poussait doucement +du pied la jambe insensible, et le pauvre Ibrahim s'aidait de l'autre +comme il pouvait, s'appuyant de tout son poids sur ses belles +conductrices. Cette opération ne se lit pas sans bien des gémissements à +demi étouffés de la part du malade, et une grande compassion de la part +des assistants. Ibrahim fit même quelques exclamations que Léonor et don +Christoval ne purent comprendre, car il se servait de la langue arabe. +On parvint à la fin dans la salle à manger, et Ibrahim une fois assis, +ne tarda pas à reprendre sa belle humeur. Il fit mettre Léonor auprès de +lui; don Christoval se mit en face, entre Amine et Rachel; le frère +Diego s'assit à la gauche d'Ibrahim. + +Amine et Rachel, après s'être placées, commencèrent à tirer leurs gants. +Elles ôtèrent celui du bras gauche, et don Christoval, qui avait une +passion particulière pour les beaux bras, faillit tomber en extase +devant la perfection de ceux qu'on offrait à ses regards. Il attendait +avec impatience le moment de juger si les bras droits seraient aussi +admirables; mais son attente fut vaine. Les gants du bras droit +demeurèrent en place, et les deux hommes conservèrent aussi le gant noir +de leur main droite. Cela parut très-singulier à don Christoval; car +évidemment cette main droite gantée devait être incommode à table. Il y +avait donc quelque chose là-dessous. Don Christoval ne savait que +penser: mais il était trop bien élevé pour se permettre aucune question +sur cette bizarrerie, et même pour avoir l'air de s'en apercevoir. Il +finit par s'imaginer que c'était un point de religion, ou peut-être un +voeu obligatoire pour tous les membres de cette famille, de ne pas +découvrir leur main droite. + +[Illustration.] + +Ibrahim, en chef de maison, commença par faire ses excuses à ses hôtes +pour la mauvaise chère. Effectivement la table n'était garnie que de +fruits; mais c'étaient des fruits magnifiques servis dans des vases et +des corbeilles d'argent ciselé; un seul plat couvert était au milieu, et +Ibrahim ayant enlevé le couvercle, on vit qu'il contenait deux poulets +accommodés au riz. Nous ne buvons point de vin, dit Ibrahim, notre loi +nous le défend; mais comme nos hôtes ne sont pas assujettis à nos +pratiques, j'ai fait placer devant vous un flacon du meilleur cru +d'Espagne. Ne vous en faites pas faute. + +Les convives se mirent à manger de bon appétit, et la conversation +s'étant animée: Frère, demanda Ibrahim, que dit-on de nouveau à la +ville? On ne s'y entretient, répondit Diego, que d'un accident arrivé +chez les nonnes de Sainte-Claire, et qui a failli les consumer toutes +vives dans leur maison. Une jeune religieuse avait l'habitude de lire en +cachette, pendant la nuit, des livres de poésie et d'amour. Or, la nuit +dernière le sommeil l'ayant surprise, le feu se mit à ses rideaux et se +communiqua avec rapidité. Par bonheur, le jardinier, qui faisait le guet +contre les voleurs, dans son verger, donna l'alarme assez à temps, et +les secours qu'on s'empressa d'apporter sauvèrent les bâtiments du +monastère. Les soeurs en seront quittes pour quelques cellules réduites +en cendres.--Personne au moins n'a péri? dit Léonor d'une voix +émue--Pardonnez-moi. La jeune religieuse fut dévorée par les flammes; on +ne retrouva que ses os calcinés. De plus, une vieille tourière, dont la +cellule touchait le foyer de l'incendie, périt également étouffée par la +fumée qui l'empêcha de fuir. Comme vous voyez, le dommage n'est pas +grand! Il n'y a de regrettable que la jeune fille; car pour la +décrépite, il y aura toujours assez de celles-là. La perte des meubles +n'est rien. Les nonnes ont fait une quête dont le produit, à ce qu'on +assure, réparerait deux ou trois désastres pareils; de sorte qu'elles y +gagneront encore en fin de compte. Est-ce que les nonnes et les moines +ne se tirent pas toujours d'affaire? + +Le vilain Diego se tut sur cette interrogation. Léonor était extrêmement +pâle et agitée. Pour empêcher qu'on ne prit garde à son trouble et pour +donner un autre tour à la conversation, don Christoval se mit à dire: +Excusez ma franchise, mon cher hôte; mais ce riz me paraît bien fade. Je +crois que votre cuisinier y a totalement oublié le sel; je n'en vois pas +non plus sur la table. Ne serait-il pas possible d'en avoir?--Nous n'en +faisons point usage, dit gravement Ibrahim; mais on va vous en +donner.--Il lit un signe, et l'esclave noir qui servait à table étant +dehors pour le moment, Rachel se leva, sortit par une porte située +derrière don Christoval, par conséquent vis-à-vis Léonor, et rentra une +minute après tenant une salière. Don Christoval, l'ayant remerciée, +sala son riz et prit du sel sur la pointe de son couteau, pour en mettre +dans celui de Léonor; mais en passant par-dessus l'assiette de Rachel, +quelques grains y tombèrent. Rachel ne s'en aperçut pas d'aburd, mais à +la première cuillerée elle ne put douter de ce qui était arrivé. Elle +réagit et regarda fixement don Christoval, qui n'y faisait point +attention, étant absorbé par l'état où il voyait sa compagne. En effet, +depuis une minute, la pâleur de Léonor s'était considérablement accrue; +on aurait dit le visage d'une morte, et malgré tous ses efforts pour +combattre l'évanouissement, elle se laissa aller à la renverse sur le +dos de son siège, en poussant un faible soupir comme une personne à +l'agonie. + +Aussitôt le repas est interrompu, on entoure Léonor, on la secourt, on +la questionne.--Ce n'est rien, dit-elle, en reprenant ses esprits, ce +n'est rien. La fatigue de cette journée a été grande pour moi; j'avais +la fièvre en me mettant à table; le récit de don Diego m'a vivement +émue; il n'est pas surprenant que mon souper m'ait tait mal J'ai eu tort +de manger; j'avais plus besoin de repos que de nourriture. Je sens que +le lit me remettra; je souhaiterais me retirer pour dormir.--A +l'instant, répondit Ibrahim d'un ton plein de bonté. Et il ajouta, en +regardant ses filles et avec un clignement d'oeil qui n'échappa point à +don Christoval:--Tout est-il prépare dans la chambre des hôtes?--Rachel +se hâta de prévenir sa soeur, et répondit:-Non, mon père; mais ce soin +me regarde: dans une minute tout sera prêt.--En disant ces mots, elle +s'élança hors de la salle, mais non par la même porte par où elle était +allée chercher le sel. + +Amine apporta des senteurs exquises à Léonor, qui parvint enfin à +comprimer le, frisson nerveux dont elle était saisie. Don Christoval +était rêveur; Ibrahim et Diego gardaient le silence. Tous les +personnages commençaient à être embarrassés les uns des autres, sans +trop savoir pourquoi. Léonor voulut essayer de faire quelques tours dans +le salon; Amine lui offrit son bras, qu'elle accepta, et elles allaient +commencer leur promenade, quand Rachel reparut une bougie à la main. On +se donna mutuellement le bonsoir, et, avec un sourire équivoque, Diego +ajouta, par forme d'encouragement: «Il faut espérer que demain, madame, +vous ne sentirez plus aucun mal.» + +Lorsqu'ils furent seuls dans leur chambre, la porte fermée au verrou, +Léonor s'arma de résolution et murmura à l'oreille de don Christoval; +«Nous sommes perdus! nous sommes dans un coupe-gorge! + +--Comment, qui vous l'a dit? + +--Quand vous avez demandé du sel, Rachel est allée vous en chercher. +Lorsqu'elle est rentrée, j'avais par hasard les yeux attachés sur la +porte par où elle était sortie et à laquelle vous tourniez le dos. Hé +bien, quelle qu'ait été sa promptitude à refermer cette horrible porte, +mon regard s'est glissé dans la pièce voisine, et je suis certaine +d'avoir entrevu, à la faible lueur d'une flamme qui brûlait dans cette +pièce, un cadavre humain suspendu au plafond! + +--Ô ciel! êtes-vous bien sûre de ne pas vous être trompée? + +--Plût à Dieu! mais non, don Christoval, comptez sur ce que je vous dis. +Rappelez-vous le propos de cet homme qui ne voulait pas nous introduire: +_vous eussiez mieux fuit de rester dehors._ Il faut trouver un moyen de +fuite, ou bien c'est fait de nous. + +--Et mes pistolets sont restés à l'arçon de ma selle! J'ai bien un +poignard, mais ils auront l'avantage et du nombre et des armes! + +--Nous ne sommes qu'au premier étage; si cette fenêtre donnait sur la +campagne, peut-être avec les draps du lit...» + +Don Christoval courut examiner la fenêtre, et Léonor se mit en devoir de +défaire le lit. + +«Hélas! dit-il en revenant, la fenêtre donne effectivement sur un +jardin, mais elle est grillée.» + +Cette grille confirmait leurs craintes. Léonor, épouvantée, laissa +tomber le traversin qu'elle avait dérangé à moitié. En ce moment, un +objet caché dans le pli du drap s'échappa et lit un peu de bruit en +tombant sur le plancher. Don Christoval ramassa une petite clef dans +l'anneau de laquelle était glissé un papier plié en deux. Il l'ouvrit et +lut ces mots tracés au crayon: «Nous avons mangé du sel ensemble, je ne +puis vous laisser périr. Cette clef ouvre le buffet de votre chambre. +Que Dieu protège votre fuite! Éteignez votre lumière, et surtout ne +partez pas avant que le lit ait disparu.» + +Ce billet secourable venait sans doute de Rachel. Les termes n'en +étaient pas clairs à la première lecture; il en fallut une seconde, +après laquelle les deux amants, un peu moins émus, examinèrent la +chambre qu'on leur avait donnée. C'était une vaste pièce toute +lambrissée en chêne, si haute que la lumière de la bougie éclairait à +peine le plafond. L'ameublement consistait en un lit à baldaquin placé +sur une estrade et en quelques vieux fauteuils de tapisserie; rien de +plus, pas même un miroir sur la cheminée gothique. Dans un coin on +voyait s'avancer en saillie le buffet, ou placard mentionné dans la +lettre de Rachel. Don Christoval y essaya la clef avec précaution. La +porte s'ouvrit silencieusement, et la lumière approchée découvrit que +cette prétendue armoire n'avait pas de fond, mais servait d'entrée à un +passage obscur et bas. C'est là-dedans qu'il fallait s'engager à tout +hasard pour conserver la dernière chance de salut. + +D'après les instructions de leur libératrice, il ne fallait point partir +sur-le-champ, mais attendre, et attendre dans les ténèbres; car +apparemment on guettait le moment où ils seraient couchés et endormis. +Don Christoval tira de sa poche une petite lanterne sourde qu'il portait +toujours en voyage; il ralluma, souffla la bougie, puis Léonor et +Christoval, blottis dans l'angle de la cheminée, celui-ci cachant encore +sa lanterne sous son manteau, attendirent avec anxiété l'événement qui +devait leur servir de signal. + +Au bout d'un quart d'heure, qui leur avait paru un siècle, il leur +sembla ouïe marcher sur leur tête. Léonor crut avoir distingué un son de +ferraille, comme si l'on eût secoué des chaînes. Le silence se rétablit +et se prolongea si longtemps, qu'après avoir passé par tous les degrés +de l'angoisse, ils ne savaient plus que penser. Don Christoval en était +à se demander si tout cela ne serait pas un jeu, une mauvaise +plaisanterie concertée d'avance pour s'égayer ensuite aux dépens de la +terreur qu'ils auraient eue. Un si grossier manque de convenance était +bien invraisemblable; mais enfin l'heure s'écoulait et rien ne +paraissait. Soudain, à quelques pas d'eux, un coup énorme est frappé, un +coup étouffé, sourd. C'était le ciel du lit qui s'abattait chargé d'une +masse de plomb considérable. Une minute après, le grincement d'une +poulie mal graissée se fit entendre, et à travers l'ombre claire d'une +nuit d'été, Christoval et Léonor virent leur lit remuer, descendre +lentement et enfin s'abîmer à travers le plancher. + +Ce n'était pas le moment de s'arrêter à trembler; l'heure était arrivée. +Christoval et Léonor s'élancèrent dans le passage masqué par le buffet, +dont ils eurent la présence d'esprit de refermer les portes derrière +eux. Ce passage était complètement obscur, bas et voûté, s'abaissait par +une pente si rapide, qu'ils avaient beaucoup de peine à ne point +glisser. Ils tâchaient de se retenir aux murailles et avançaient à +tâtons dans ce labyrinthe de pierre qui ne finissait pas. Don Christoval +tenait d'une main sa tremblante compagne et de l'autre son poignard à +tout événement. F. G. + +(La suite à un autre numéro.) + + + +Nouvelles Inventions. + +LE PROCÉDÉ ROUILLET. + +Dans l'art du dessin il y a une partie qui n'est autre chose que +l'imitation exacte du contour des objets, de leurs positions et de leurs +proportions relatives; c'est la reproduction matérielle de ce que nous +voyons; l'imagination et le sentiment n'ont aucune part dans ce travail +entièrement mécanique, mais dont la difficulté est extrême. Ainsi, les +peintres consument de longues années, s'épuisent en efforts multipliés +pour arriver à bien dessiner, c'est-à-dire à reproduire ce qu'ils +voient. Au lieu de pouvoir se livrer sans crainte à l'inspiration, ils +sont arrêtés dans la composition de leurs tableaux par les proportions, +la perspective, la forme des objets. Un procédé, au moyen duquel cette +difficulté serait éliminée rendrait donc un immense service à l'art en +général et à la peinture en particulier. L'artiste serait ramené à sa +véritable vocation, qui n'est pas de copier servilement la nature, mais +de l'idéaliser; de même que ce n'est pas celui qui taille la statue dans +le marbre qui est le statuaire, mais celui qui traduit sa pensée en la +matérialisant dans une masse d'argile. De même aussi celui-là n'est +point un géomètre, qui sait mesurer exactement les longueurs des côtés +d'un triangle, mais celui qui, de la connaissance d'un côté de ce +triangle et de ses angles adjacents, déduit la figure et la grandeur du +triangle tout entier. + +Un peintre, M. Amaranthe Rouillet, vient de résoudre le problème de la +reproduction exacte des objets. Il a imaginé un appareil simple, +très-portatif, commode et totalement différent de la chambre-claire, du +diagraphe et du daguerréotype. Avec cet appareil, on peut, sans savoir +dessiner, dessiner très-rapidement, à une échelle quelconque, un édifice +en perspective, un paysage, une statue, et faire le portrait d'une +personne avec une exactitude incroyable. Le crayon, la plume, le fusain, +le pinceau, peuvent être mis indifféremment en usage. Le dessin est +d'une exactitude miraculeuse, le portrait d'une ressemblance telle, +qu'on reconnaît une personne vue par derrière, ou dont la figure est +cachée. Les raccourcis les plus étonnants sont rendus complètement au +moyen d'un simple trait. Un grand nombre de peintres ont vu les dessins +de M. Rouillet et en ont été étonnés; tous ont avoué qu'il leur serait +impossible d'atteindre à cette perfection dans la vérité des contours. +La plupart désirent que son procédé entre dans le domaine public; +quelques-uns voudraient qu'il restât secret: ce sont ceux dont tout le +mérite consiste à faire des yeux, des oreilles, des bras et des jambes +dans les proportions voulues; copistes d'académies, qui sont aux +véritables artistes ce que l'ouvrier statuaire, dont nous parlions tout +à l'heure, est au sculpteur. + +Le procédé de M. Rouillet, utile aux artistes, sera un service immense +rendu aux savants, aux voyageurs, aux artisans, aux décorateurs et aux +mécaniciens. Pouvoir reproduire fidèlement, facilement et rapidement +tous les objets de la nature et de l'art, est un bienfait dont la +société tout entière lui sera reconnaissante. Le dessin suivant a été +fait en deux minutes: il représente l'enfant de l'auteur, modèle bien +remuant, posant mal, et qu'on a dû saisir, pour ainsi dire, au vol +pendant qu'il attendait sa soupe. Toutes les personnes qui comprennent +la nature seront frappées de la vérité naïve de cet ensemble, et ceux +qui ont vu le petit modèle le reconnaîtront à l'instant. Faisons des +voeux pour que la découverte de M. Rouillet, fruit de cinq ans de +méditations assidues et d'essais multipliés, soit portée à la +connaissance du public. Diminuer les difficultés matérielles de l'art +pour faire une place plus large aux sentiments et à l'imagination, ce +n'est point diminuer le mérite de l'artiste, c'est au contraire diriger +toutes ses facultés vers l'étude du beau et l'intelligence du sujet, +dans la disposition des personnages, l'expression des sentiments, +l'harmonie des couleurs et la traduction poétique des beautés de la +nature. + +[Illustration:] + + + +Industrie. + +LE SUCRE DE CANNE ET LE SUCRE DE BETTERAVE.. + +I. + +Production de la Canne et fabrication du Sucre. + +La canne à sucre paraît originaire de l'Orient, où elle peut se +reproduire par semence. Dans les autres pays, on a adopté l'habitude de +la planter par boutures, et elle pousse ainsi d'une manière surprenante. + +Dans l'Inde, chaque bouture donne trois à six cannes, qui, lorsqu'on les +coupe, ont de deux à trois mètres de hauteur et vingt-cinq à trente +millimètres de diamètre. On les plante vers la fin de mai, et la récolte +se l'ail environ neuf mois après leur plantation, c'est-à-dire vers +janvier et février. Il existe plusieurs variétés de cette plante +précieuse. On en compte trois principales: la _canne du Brésil_, qui, +quoique venue originairement de l'Asie, a reçu ce nom parce qu'elle +était arrivée aux Antilles en passant à travers le Brésil; la _canne +d'Olahiti_, la plus robuste, celle qui fournit le plus de sucre, et la +canne à sucre violette, connue sous le nom de _Batavia_. + +Les cannes viennent ordinairement, dans les Antilles, de boutures et de +rejetons. Les premières ne peuvent généralement être coupées avant +quinze ou seize mois, tandis que les secondes le sont d'habitude de onze +à douze. Les mois de février, mars, avril et mai, sont ceux employés à +la coupe et à la récolte. L'abattage des cannes est en général une +opération longue, difficile, coûteuse, et qui nécessite l'emploi d'un +personnel considérable. D'abord toutes les cannes ne parviennent pas +ensemble à la maturité, et même les parties d'une même tige ne mûrissent +pas toujours au même moment. La coupe d'une plantation peut donc ainsi +durer trois mois; car il faut n'abattre à la fois que la quantité de +cannes qui peut être immédiatement broyée par le moulin: sans cette +indispensable précaution, le sucre qu'elle contient entrerait rapidement +en fermentation. Il en serait de même du jus, si on ne se hâtait de +l'employer. Ce jus, ou plutôt ce suc susceptible de se convertir en +sucre, est ce qu'on appelle _vesou_. + +Pour opérer cette conversion, on a recours à plusieurs opérations +successives dont nous allons donner la description. Nous croyons ne +pouvoir mieux faire que de l'emprunter à un savant économiste. M. Rodet. + +«Dans l'intérieur d'une sucrerie proprement dite, dit M. Rodet, sont +établis sur une même ligne les fourneaux et leurs chaudières. L'ensemble +des chaudières se nomme _équipage_. On en a souvent deux dans la même +sucrerie; mais, dans ce cas, les chaudières de même nom sont de diverses +grandeurs, et on les distingue en _grand_ et _petit équipage_. Un seul +foyer chauffe tout l'équipage et est placé sous la plus petite +chaudière. Chaque chaudière a son nom; la plus rapprochée du bassin à +jus s'appelle _la grande_; celle qui suit _la propre_; la troisième, +_le flambeau_; la quatrième, _le sirop_, et la dernière, _la batterie_. + +«Toutes les chaudières diminuent de grandeur, depuis la _grande_ jusqu'à +la dernière, et cela en raison du rapprochement du jus; presque partout +encore, ces vases sont en fonte, et leur contenance est encore augmentée +par la maçonnerie exhaussée qui les entoure. La partie supérieure du +fourneau n'est pas de niveau, et reçoit une pente de 4 à 5 centimètres +par chaudière. _La batterie_ est la plus élevée d'environ 20 à 22 +centimètres. Cette précaution est prise pour ne point perdre le sirop +quand celui-ci s'enlève au-dessus des chaudières, et dans ce cas il +rentre dans celle qui précède celle dont il sort; il entraîne sans +inconvénients quelques écumes avec lui, puisqu'il rentre dans une +chaudière de sucre moins purifiée. Près de chaque chaudière est un petit +bassin correspondant à une gouttière qui se rend dans _la grande_. Ces +bassins reçoivent les écumes, à mesure qu'on les enlève. + +«Les anciennes chaudières étaient en fonte et se brisaient fréquemment. +Quelques personnes en ont substitué de cuivre, de forme conique et à +fond presque plat. Ce changement a été une amélioration à laquelle on a +fait faire de nouveaux progrès. + +«On fait couler le jus du bassin dans _la grande_, on y ajoute une +certaine quantité de chaux préparée à l'avance, et de suite on remplit +avec le suc ainsi traité _le sirop_ et _le flambeau_. On opère de même +une seconde fois, et l'on verse dans _la propre_; il faut alors remplir +de nouveau _la grande_ et continuer l'addition de la chaux. Aussitôt que +les quatre grandes chaudières sont pleines de jus et _la batterie_ d'eau, +on allume le foyer, qui, étant plus rapproché du _sirop_ et du +_flambeau_, les fait bouillir d'abord; on enlève alors les écumes, et +l'on fait passer le _vesou_ de ces deux chaudières dans _la batterie_. +Pendant ce temps on a enlevé les grosses écumes du suc de la _propre_, +et on le fait passer dans le _flambeau_; celui de la _grande_ est +transporté dans _la propre_, et _l'équipage_ est en roulement complet. +Ce changement de chaudière se fait au fur et à mesure que chaque +opération est terminée; mais on réunit toujours dans _la batterie_ le +produit de plusieurs chauffes des autres chaudières Quand le sirop de +_la batterie_ est arrivé au degré favorable, on le verse dans le +rafraîchissoir après avoir diminué le feu, et de suite on remplit la +batterie avec la charge du _sirop_, celui-ci avec celle du _flambeau_, +le _flambeau_ avec le vesou de _la propre_, et cette dernière avec le +jus de la _grande_, et l'on continue de travailler. + +«D'un premier rafraîchissoir où il a été déposé, le sirop encore chaud +est porté dans un second rafraîchissoir, où l'on ajoute une seconde +cuite plus rapprochée que la première, afin que la cristallisation +commence aussitôt après la réunion; on remue ou l'on _mouve_ bien ces +deux cuites, qui, réunies, forment un _empli_, et l'on va verser le +tout dans un bac ou dans des formes. On appelle _bac_ un coffre de trois +mètres trente centimètres de long sur deux mètres de large, et +trente-trois centimètres de profondeur. Les formes sont des vases +coniques en terre cuite de différentes dimensions. On verse plusieurs +emplis dans le même bac, mais sans remuer le sirop déjà déposé, et qui +commence à cristalliser.» + +Telle est la méthode la plus généralement adoptée dans les colonies +françaises pour la fabrication du sucre. Ces opérations terminées, on +procède au travail de la purgerie. + +«Les _purgeries_ sont de deux sortes, suivant l'espèce de sucre qui doit +y être préparé. Celle à _moscouade_, ou _sucre brut_, est un bâtiment de +vingt-trois mètres de long sur environ sept mètres de large, et divisé +en deux parties. L'une, creusée dans le sol de deux mètres au moins, est +partagée en plusieurs bassins que l'on nomme _bassins à mélasse_, et +l'autre, construite au-dessus de la première, est appelée _le plancher_. +Celui-ci est à claire-voie et se trouve au niveau du sol. Les bassins +sont cimentés avec soin, et ont ordinairement une partie de leur fond un +peu plus creuse que l'autre pour favoriser le puisage des mélasses. Des +barriques ouvertes par le dessus, et reposant sur l'un des fonds, qui +est percé de quelques trous, reçoivent, les sucres à égoutter, quand +toutefois on a placé dans les trous dont nous venons de parler des +cannes à sucre qui se prolongent jusqu'au-dessus du tonneau; on laisse +le sucre s'égoutter pendant près de trois semaines, après lesquelles on +remplit la barrique et on place le fond supérieur; on ferme avec des +chevilles les trous pratiqués dans le fond de la barrique, et le sucre +peut alors être expédié. + +«On construit quelquefois, à l'une des extrémités de la purgerie, un +fourneau en maçonnerie sur lequel sont établies deux chaudières à faire +cuire et raffiner les sirops égouttés des formes. + +«Le sirop incristallisable que l'on nomme _mélasse_, et qui est produit +par l'égouttage des sucres, sert à préparer le rhum, esprit alcoolique +que l'on porte au titre de 20 à 24 degrés. On peut aussi l'employer à la +nourriture du bétail en y mêlant de la paille hachée ou de la bagasse +coupée en très-petits morceaux. + +«A la Guadeloupe et à la Martinique il y a environ 50 p. cent de +mélasse; à Cayenne et à Bourbon, 60 p. cent.» + +Ces chiffres peuvent donner à connaître l'état de la fabrication dans +les Antilles, et combien les colons pourraient gagner en améliorant +seulement leurs procédés, s'il est vrai, ainsi que le prétendent +plusieurs chimistes distingués, que la mélasse est en quelque sorti un +produit dégénéré, résultant d'une fabrication vicieuse, et que tout ce +que contient la canne est matière cristallisable. + +«La _purgerie_, continue M. Rodet, dans laquelle on prépare le sucre +_terré_ ou _claircé_, demande des dimensions beaucoup plus grandes, et +aussi à être divisée en divers compartiments par des traverses en bois. +Ceux-ci portent le nom de _cabanes_, et reçoivent les formes pleines de +sucre à égoutter. On les y place sur des puis de forme particulière, +après avoir enlevé la cheville qui s'opposait à l'écoulement du sirop. +Il serait plus avantageux de placer ces formes sur des gouttières qui +conduiraient les sirops dans un bassin unique où l'on pourrait les +reprendre pour leur faire subir une nouvelle cuite. Quand la partie +liquide du sucre s'est écoulée, on porte les formes sur d'autres pots, +et l'on procède au _terrage_ ou au _clairçage._» + +De tous les sucres, si nous en croyons les expériences qui ont été +faites et les calculs fournis par M. Longchamps, le plus riche est le +sucre de l'Inde. Dans l'Inde, un hectare planté en cannes produit 32,110 +kil. de _vesou_, lesquels rendent 5,681 kil. de moscouade; par +conséquent, 100 de vesou rendent 17,70 de moscouade. Dans les colonies +anglaises de l'Amérique, 100 de vesou produisent, d'après Edward, 12,15 +de moscouade. A la Martinique, les expériences ont amené le chiffre de +11,8 de moscouade pour 100 de vesou. A la Guadeloupe le chiffre est le +même; bien que 100 de vesou y donnent 17 de matière sucrée, on n'y +obtient que 12 environ de moscouade, le reste est à l'état de mélasse. + +Pour terrer le sucre, on étend sur la forme une couche d'argile +plastique qui doit être peu ou même point calcaire, et ne contenir ni +sels facilement dissolubles dans l'eau, ni matières colorantes avec, +lesquelles l'eau puisse se combiner. Cette couche d'argile fait en +quelque sorte l'office de philtre et est lentement traversée par l'eau, +qui, pénétrant ainsi pour ainsi dire goutte à goutte et par la base dans +la forme emplie de sucre brut, lave le grain en sucre et le purifie en +repoussant devant, elle le sirop qui le salit. On comprend facilement +que plus l'eau avance dans la forme, moins elle a la faculté de se +charger de sirop. Si, l'opération terminée, vous redressez et videz la +forme, vous trouverez dans le pain qui en sortira une série de courbes +de moins en moins blanches. Vient d'abord le _sucre-tête_, c'est-à-dire +l'extrémité du cône, qui est jaunâtre; immédiatement après, le _petit +sucre_, d'une nuance tirant sur le gris. Après ces deux couches +commencent les couches blanches, qui, en leur appliquant le même +raisonnement, présenteront, suivant leur position, divers degrés de +pureté. Elles forment ce qu'un appelle le _sucre terré blanc_, et on en +compte quatre sortes, toujours de plus en plus blanches, jusqu'à la +quatrième, qui est précisément à la base du cône, d'où lui est venu le +nom usité dans le commerce, de _bonne quatrième_. + +Le _clairçage_ a beaucoup d'analogie avec le terrage, car c'est la +filtration à travers le sucre brut d'une eau complètement saturée de +sucre, et qui a pour objet, par la pression qu'elle exerce au dehors, de +dégager les cristaux de la mélasse qui les enveloppe. Pour rendre le +clairçage à la fois plus facile et plus parfait, on traite d'abord le +sucre avec du noir animal ou du sang. Le clairçage est dans le +traitement des sucres une amélioration qui aurait fait plus de progrès +sans les obstacles imposés par nos lois de douanes. Il suffira, pour +s'en convaincre, de jeter les yeux sur le tableau suivant, qui résume +les tarifs aujourd'hui payés par les sucres selon leurs différentes +provenances. + +[Illustration: tableau.] + +On reconnaît, à la seule inspection de ce tableau, combien notre +législation douanière est préjudiciable aux colonies, puisque, pour +accorder une protection aux raffineries indigènes, elle a voulu en +élevant le droit dans une si forte proportion, et suivant le degré de +perfection dans la fabrication, imposer aux sucres épurés et blanchis +par le _clairçage_ ou tout autre procédé de fabrication analogue, une +taxe proportionnée à leur richesse cristallisable. Aussi, qu'en est-il +résulté? Il ne vient pas de sucres claircés, et aujourd'hui même on ne +terre presque plus dans les Antilles françaises qui de ce fait, sont +condamnées à livrer leurs sucres sous la forme la plus défectueuse +possible. Mais notre système économique ne s'est pas borné à mettre +obstacle à ces exportations de détail, il a porté à nos colonies +d'autres coups plus terribles encore. + +Ainsi qu'on a pu le remarquer, et par ce que nous avons dit de la +culture, et par la description que nous avons citée des procédés actuels +de la fabrication, il faut absolument que toute sucrerie contienne +non-seulement les plantations et le nombre de noirs ou d'individus +nécessaires à la culture et à la récolte des cannes, mais encore les +moulins à sucre, les purgeries, en un mot, que la production et la +fabrication coexistent simultanément sur la même habitation. Les +conséquences de ce système ont été, d'abord, qu'il n'a pu y avoir aux +colonies que des habitations considérables par leur étendue ou leur +production, et qui partant ont toutes exigé de gros capitaux pour leur +acquisition. En outre, il a fallu leur appliquer un fonds de roulement +proportionnel, et enfin consacrer chaque année aux frais de la culture, +au renouvellement des instruments ou des agents du travail, à +l'entretien des bâtiments, des sommes qui, à titre d'intérêts, +ajoutaient encore aux charges coloniales. Mais ce n'est pas tout encore. +Une habitation, avec la constitution que nous venons de lui donner, et +qu'elle doit nécessairement avoir, ne peut être divisée. Production, +fabrication, tout est d'un seul morceau; c'est un seul et unique lot qui +doit tomber en partage à l'un ou à l'autre des héritiers, sauf une +soulte à donner par lui à ses autres cohéritiers. Un exemple va nous +faire mieux comprendre. Nous allons nous expliquer. + +Un colon meurt en laissant plusieurs enfants. Comme les colonies sont +régies par le Code civil, qui prescrit pour les successions l'égalité +dans les partages, on estime fictivement, d'après l'inventaire de la +succession, ce qui doit revenir à chacun des enfants. Mais le défunt n'a +laissé qu'une seule chose, qu'un seul immeuble, et cet immeuble est +impartageable: c'est sa sucrerie. Alors un des enfants est oblige de la +prendre et de tenir compte de leur part à chacun de ses cohéritiers. +Comme il n'a pas d'argent, il emprunte pour remplir ses engagements, le +plus souvent à gros intérêts, ou du moins à un taux qui n'est jamais +inférieur à 10 p. 100, et qui s'élève quelquefois à 12 p. 100. C'est le +taux de l'intérêt colonial. Or, comme il n'y a pas d'argent aux +colonies, il paie en nature. Toutes ses récoltes, sauf une part +considérée comme nécessaire, et qui est prélevée en sa faveur, sont la +propriété du prêteur, qui les vend ou fait vendre pour son compte, +jusqu'à parfait paiement. On comprend dès lors qu'avec la situation +actuelle des colonies, l'emprunteur soit bien longtemps à se libérer, +qu'il y passe même sa vie entière. Au moment où il devient propriétaire, +il meurt, et les mêmes faits que nous venons de signaler se reproduisent +au préjudice de ses enfants; et encore nous avons choisi ici l'hypothèse +la plus favorable, car souvent le colon décède avant d'avoir remboursé +ses créanciers, et ne peut laisser ainsi à ses descendants qu'une +succession grevée de dettes. Aujourd'hui, au prix où sont les sucres +coloniaux, par suite de la concurrence indigène, avec le droit qu'ils +ont à acquitter, non-seulement il ne reste rien au colon, mais encore il +vend 17 fr., et l'année dernière seulement 15 fr., ce qu'il aurait dû +vendre 23 fr. 50 c, somme égale à son prix de revient. + +(La suite à un prochain numéro.) + + + +Théâtres. + +_Georges et Thérèse_ (Gymnase).--_La Chambre Verte_.--_Un +Péché_ (Vaudeville).--_Mademoiselle Déjazet au Sérail_ +(Palais-Royal).--_Un Tour de Roulette_ (Odéon).--_Les Marocains_ +(Cirque-Olympique).--Le paradis des Funambules. _La Statue de sainte +Claire_ (Gaieté).--L'escamoteur Philippe. + +D'où venez-vous, mes chers enfants? Toi, Thérèse, avec ta jeunesse et +ton bonnet blanc à barbes flottantes, ton doux et naïf sourire et ton +cotillon court?--Toi, Georges, avec tes longs cheveux lisses, ton bâton +noueux, ton air à la fois candide et résolu et la veste bretonne?--Ah! +monsieur, nous venons de bien loin, bien loin.... de par delà les +mers!--Quoi! seuls?--Oui, seuls.--Si jeunes:--Ma soeur a seize ans et +moi dix-huit.--Mais d'où, enfin?--De Pondichéry; et, chemin faisant, +nous sommes arrivés en Bretagne. + +Et voilà Georges et Thérèse qui se remettent en route, la soeur +s'appuyant sur le bras du frère, le frère soutenant la soeur et veillant +sur elle, d'un regard tendre et intrépide. Il écarte les ronces et les +cailloux de son chemin: si elle est lasse, il lui prépare un siège de +mousse; si le soleil est trop ardent, il lui fait un abri de feuillage; +la fatigue a-t-elle excité sa soif, il court puiser une eau pure à +quelque source murmurante; et prenez garde! n'approchez pas de Thérèse +d'un air provoquant, attiré par l'attrait de sa beauté, il vous en +arriverait mal. Georges fait sentinelle comme un jeune molosse vigilant, +tout prêt à donner la chasse aux larrons. + +Il est un nom qu'ils prononcent dans tous leurs dangers et dans toutes +leurs prières, comme le nom d'un bon ange: c'est le nom de leur mère. +Elle leur a dit en mourant: «Allez, mes pauvres orphelins, allez +chercher la France;» et ils sont venus en France, après avoir couvert de +baisers et inondé de larmes le linceul et la tombe. + +[Illustration: (Théâtre du Gymnase.--Une scène de _Georges et +Thérèse_.--Mademoiselle Julienne.)] + +Les voici à Paris, perdus dans cette grande ville, mais Thérèse toujours +avec sa candeur, et Georges avec son courage. Ils cherchent à utiliser +honnêtement leur résignation et leur jeunesse: une marquise les +accueille, une bonne et vieille marquise. D'abord tout leur sourit dans +cette maison hospitalière; la marquise les aime. Et qui ne les aimerait +pas, si bons, si sincères, si dévoués? Mais l'amour vient se jeter à +travers ce bonheur. L'amour gâte tout.--La marquise a un neveu et +Thérèse a deux beaux yeux. Le neveu s'éprend des deux beaux yeux, et les +deux beaux yeux, tout chastes qu'ils sont, regardent furtivement le +neveu. «Quoi! dit la marquise, vous aviser d'être aimable et d'être +aimée! allez-vous-en, petite malheureuse!»--Georges est fier, et il va +partir, et Thérèse, le coeur gros, va le suivre. Mon Dieu! faudra-t-il +nous embarquer avec Thérèse et Georges pour retourner à Pondichéry?... +Je soupçonne que quelque lettre, venue je ne sais d'où, nous épargnera +les frais de ce grand voyage. + +[Illustration: (Théâtre du Palais-Royal.--Costume du rôle principal, dans +le vaudeville _Mademoiselle Déjazet au sérail._)] + +La lettre arrive en effet, ou tombe de la poche de Georges, peu importe. +Ô merveilleux effet de la lettre! au lieu d'être chassés cruellement, +Georges et Thérèse sont reconnus pour les petits enfants de la marquise. +C'est toute une histoire de fils exilé, maudit et repentant, dont je +n'ai pas le loisir aujourd'hui d'aller chercher les preuves authentiques +dans les Indes. + +Et ainsi la Providence tient toujours en réserve une grand'maman +marquise, et un bon petit cousin pour les orphelines qui viennent de +Pondichéry et qui sont bien sages.--Petit drame mouillé de pleurs. + +Un comte et un duc sont mariés tous deux; rien de plus ordinaire. Le +comte n'aime guère sa femme, et le duc n'aime pas du tout la sienne; +cela s'est vu. C'est la duchesse que le comte désire, c'est la comtesse +que désire le duc; je n'y trouve rien d'invraisemblable.--Cependant la +nuit vient. Ô nuit favorable! Duc et comte se glissent d'un pas +conquérant dans une certaine chambre verte, chacun à son heure, bien +entendu. Le comte croit en sortir emportant pour trophée une couronne de +duchesse, et le duc une branche du laurier, ou plutôt de myrte, cueillie +sur les domaines d'une comtesse. Mais le comte s'était entendu avec le +duché pour se moquer des deux infidèles, et l'un avait pris la place de +l'autre dans l'obscurité et dans la chambre verte. Ainsi le duc et le +comte, croyant braconner sur les terres du voisin, n'ont fait, en +définitive, que chasser légitimement sur les leurs. Qui se moque du +comté? c'est le duché. Oui se moque du duché? c'est le comté. Et la +comtesse n'épargne pas le comte! et la duchesse n'épargne pas le duc! Si +ce vaudeville n'est pas d'un goût très-virginal, il n'encourage pas du +moins l'usurpation. + +Comment! mademoiselle Déjazet au sérail! est-il possible? La grisette +insouciante et légère enfermée dans cette cage? Frétillon, la vive et +babillarde Frétillon, en compagnie des muets et des Calpigi? Mais elle +en mourra, la _poveretta_, ne sachant plus à qui parler. Enfin elle y +est, il faut bien qu'elle y reste. Et puis, Frétillon est philosophe; +elle se contente de ce qu'elle a, quand elle n'a pas autre chose. +Frétillon accepte le médiocre et même le mauvais, faute de mieux; c'est +la bonne philosophie. Et le mieux, d'ailleurs, n'est-ce pas ce qu'on +tient? Qui peut compter sur l'inconnu? + +Ce que fait mademoiselle Déjazet au sérail? vraiment ce n'est pas +difficile à deviner. Elle fait ce qu'elle fait partout: vêtue du costume +albanais, elle chante, elle rit, elle jette au vent mille gaillardes +bouffées d'insouciance et de gaieté. De son côté, Alcide Tousez roucoule +et lance des regards langoureux et triomphants, qui laissent de beaucoup +derrière lui tous les Amurath, tous les Sélim et tous les Mustapha du +monde, et compromettent singulièrement la pruderie de la Sublime +Porte.--Mais comment mademoiselle Déjazet a-t-elle permis qu'on donnât +son nom, son propre nom, à un vaudeville? + +Je m'aperçois que j'ai oublié _Un Péché_, du théâtre du Vaudeville, et +compagnon de la _Chambre verte_. Je m'en confesse. Ce péché se présente +sous la forme d'une petite pensionnaire de dix-sept ans, joli péché! +C'est M. d'Ercilly qui a fait ce péché, et qui l'a mis en pension sans +en rien dire à personne; lui, cependant, a atteint la quarantaine.--Je +passe les mois de nourrice.--D'Ercilly veut se marier; il convoite +madame d'Harville, je crois, une veuve très-piquante; le vaudeville +n'est peuplé que de veuves piquantes. Madame d'Harville est près de +consentir, bien qu'elle trouve notre homme un tant soit peu jaloux et +bourru. Mais voici qu'un jeune galant arrive, pâle, ému, égaré; il vient +se mettre sous la protection de madame d'Harville: «Qu'avez-vous donc? +--Je suis adoré d'une charmante pensionnaire, et la petite veut que je +l'enlève; venez à mon aide.--Et son nom?--Thérèse +d'Ercilly.--Comment?--La fille de M. d'Ercilly.--Oh! oh!» dit la veuve. +Et la pièce continue ainsi de oh! oh! en ah! ah! spirituel quiproquo +dans lequel d'Ercilly est plaisamment ballotté, et madame d'Harville +avec lui: l'un voulant cacher son secret, l'autre voulant le lui +arracher; si bien que d'Ercilly perd dans cette lutte, ingénieusement +comique, le coeur et la main de la veuve.... Je vous le dis, en vérité, +mes frères, en vérité, je vous le dis: il faut toujours, tôt ou tard, +payer ses péchés mignons. + +[Illustration: (Cirque olympique.--Les Sauteurs maroquins)] + +Un tour de roue, et vous êtes à terre, ou porté gaiement au but de votre +route; un tour de roulette, et votre bourse est pleine ou vide; de haut +en bas, la roue de fortune va et vient: elle élève le pauvre diable dans +un moment de caprice, et fait choir le riche: le maître descend pour +faire place au valet. Ainsi de Floricourt et de Bertrand; Bertrand est le +valet, Floricourt est le maître. Floricourt, jeune étourdi, se ruine en +folle paresse; le jeu l'a enrichi, le jeu le met à sec. Bertrand, tout +au contraire, n'avait pas un denier, et le voici cousu d'or; c'est +Floricourt qui le sert. Quant à lui, il prend des airs et se dandine. +Heureusement que Floricourt est adoré: une jeune femme l'aimait riche; +pauvre, elle l'aime davantage et l'épouse. Ô femme amoureuse! je te +reconnais bien là. Floricourt est converti; il ne jouera plus et +travaillera. Et Bertrand? un second tour de roulette le renvoie à +l'antichambre. Pourquoi donc? ce Bertrand était bonhomme, au fond de +l'âme; mais, après tout, laissons faire aux dieux! + +Tomber du salon dans l'antichambre, c'est quelque chose; toutefois, on +ne risque pas de se casser les reins, l'affaire étant de plain-pied, en +définitive; mais tomber du haut de la pyramide humaine, Dieu vous en +garde, et moi aussi! Pour moi, je suis sûr d'être à l'abri de cette +chute; et la raison, c'est que je n'irai jamais me loger à un pareil +étage; pas si Marocain! + +On a fait des pyramides en pierre, en granit, en marbre, en je ne sais +quoi; mais il fallait notre siècle de progrès pour bâtir des pyramides +en chair humaine. Les fondations, comme vous le voyez, sont faites de +pieds en chair et en os; l'entre-sol a des épaules pour assises, ainsi +du second et ainsi du troisième; le Cirque-Olympique s'est arrêté à +cette hauteur du bâtiment. Peut-être l'architecte-voyer a-t-il défendu +de bâtir plus haut, de par M. le préfet de la Seine; mais, il y a deux +ou trois ans, le théâtre de la Porte-Saint-Martin, ayant obtenu une +dispense, avait élevé une maison à six étages de Marocains. Je dois dire +que le cinquième et le sixième se louaient difficilement, et que le +propriétaire, plusieurs fois, fit mander des architectes à +l'amphithéâtre de l'École de Médecine et à l'Hôtel-Dieu pour récrépir +une jambe, un bras, une cuisse de l'édifice, et faire toutes autres +réparations locatives. + +Puisque le Cirque-Olympique nous amène au boulevard du Temple, entrons +sans façon au théâtre de la Gaieté. Dieu!!! _la Statue de sainte +Claire!_ Cette statue serait-elle, par hasard, une des victimes du jury +de peinture et de sculpture, réfugiée là pour s'y faire un petit Louvre +et une petite exposition particulière? Non, pas encore: il ne s'agit +point d'un Phidias méconnu ou d'un Canova incompris; cette statue est de +carton peint, et fabriquée par le mélodrame, seigneur du lieu, et pour +ses besoins personnels; elle n'en a pas l'air, mais elle cache un gros +crime. Le scélérat s'appelle Duhamel. J'avoue que je m'y serais laissé +prendre; le nom de Duhamel est fait pour inspirer de la confiance. J'ai +connu une grande quantité de Duhamel; tous faisaient croître des +berceaux de capucines à leur fenêtre, et sautaient avec candeur à bas du +lit, pour aller voir lever l'aurore, mais enfin, il n'y a pas de Duhamel +qui n'ait son exception: celle-ci est affreuse. Ce Duhamel,--et j'espère +bien que nous n'en verrons plus de pareil,--ce fieffé Duhamel, vole, +pille, assassine, et fait bien d'autres choses encore. A la fin, il +reçoit son prix de vertu: le procureur du roi le flaire, le gendarme le +prend au collet, et je ne sais pas si la statue de sainte Claire ne lui +tombe pas sur le dos; pour moi, je l'espère.--Tous mes honnêtes Duhamel +sont venus me trouver ce matin, pour m'annoncer qu'ils allaient demander +à qui de droit l'autorisation de changer leur nom en celui de Caramel. + +[Illustration: (Philippe le prestidigitateur, au bazar du boulevard +Bonne-Nouvelle)] + +Sortons de cet enfer, et montons au paradis... au paradis des +Funambules. Ah! vraiment, oui, c'est le paradis; demandez plutôt aux +habitants. Est-ce dans l'enfer qu'on se foule et qu'on se presse ainsi? +Non pas, vraiment; les pauvres ombres n'y vont qu'à leurs corps +défendant; il faut qu'elles soient damnées et condamnées, et poursuivies +à outrance par la grande fourche de Belzébuth. Mais là, voyez nos gens; +c'est à qui entrera; ils se poussent, ils se heurtent, ils se disputent +la jouissance de ce séjour des bienheureux. Et comme les places +manquent, on en fait en s'entassant, en s'enlaçant, en se pelotonnant, +en s'asseyant sur son voisin; les têtes sont dans les bras, les bras +sont dans les jambes, les yeux regardent à travers les dos, les nez se +mettent je ne sais où, tout cela vit sans remuer ni respirer. Ô paradis! +les anges y mangent de la galette avec délices, les archanges sucent du +sucre d'orge, les dominations jettent des trognons de pommes à +l'avant-scène. + +Mais où sommes-nous? grand Dieu! je sens autour de moi comme une odeur +de sorcier; et en effet, voici un magicien qui se dresse devant moi. Il +est coiffé à l'égyptienne; il est vêtu d'une longue robe flottante ornée +de mille broderies mystérieuses et de signes hiéroglyphiques. A-t-il +soulevé quelque dalle du temple de Memphis? Sort-il de quelque forêt de +Bohême, ou d'un exemplaire du Cabinet des fées? Peu importe; c'est un +grand et un charmant sorcier. Demandez-le aux petites filles, +demandez-le aux petits garçons, demandez-le même aux grands enfants, +depuis vingt ans jusqu'à soixante, à toute cette multitude ébahie, que +ce grand enchanteur Philippe, digne héritier de Merlin et de +Parapharagaramus, charme et surprend, ravit et étonne, par son officine +diabolique du bazar Bonne-Nouvelle. En ce moment, tel que j'ai l'honneur +de vous le faire voir, Philippe exécute le tour merveilleux des +poissons, accommodés du bout de sa baguette magique. Je ne vous dirai +pas si les poissons sont frais, mais je vous engage à y aller goûter. + +Et moi qui oubliais les noms des auteurs de ces vaudevilles et de ces +comédies. Que dirait la postérité? _George et Thérèse_ ont pour père M. +Auvray; MM. Desnoyers et Danvin ont bâti _la Chambre Verte_; M. Bavard a +conduit _Mademoiselle Déjazet au Sérail_: le _Péché_ a été commis par +MM. Samson et Jules de Wailly; M. Armand Durantin a fait tourner la +_Roulette_, et M. Eugène a taillé _la Statue de sainte Claire_. Qui dit +Eugène, ou Léon, ou Achille, ou Gustave, en matière dramatique, dit +sifflets. + +[Illustration: (Le paradis du théâtre des Funambules.)] + + + +Bulletin bibliographique. + +_Économistes financiers du dix-huitième siècle._--Vauran--: Projet d'une +dîme royale.--- BOISGUILBERT: Détail de la France; Factum de la France +et Opuscules divers.--JEAN LAW: Considérations sur le numéraire et le +commerce; Mémoires et Lettres sur les Banques; Opuscules divers.--MELOX: +Essai politique sur le commerce--DUTOT: Réflexions politiques sur le +commerce et les finances. Précédés de Notices historiques sur chaque +auteur et accompagnés de commentaires et de notes explicatives; par M. +EUGÈNE DAME.--Paris, 1843. _Guillaumin_. Un magnifique volume grand +in-8, de 1,008 pages à une seule colonne. 13 fr. 50 c. + +M. Guillaumin a commencé l'année dernière la publication des oeuvres des +principaux économistes français ou étrangers. Cette importante +collection doit former douze à quinze volumes. Cinq de ces volumes sont +déjà en vente; ils contiennent le _Traité_ et le _Cours d'Économie +politique_ de J.-B. Say, et la _Richesse des Nations_ d'Adam Smith. Dans +le courant de l'année 1843, paraîtront successivement: Turgot (1 vol.), +_les Physiocrates_, Quesnay, Mercier de la Rivière, Dupont de Nemours (1 +vol.); Malthus (1 vol.); Ricardo (1 vol.). Le texte de chaque ouvrage, +revu et corrigé avec le plus grand soin, est accompagné de notes +explicatives et historiques, de commentaires et notices biographiques, +par M. M. Blanqui, Eugène Daire, Hippolyte Dussard, Rossi et Horace Say. + +_Les Économistes financiers du dix-huitième siècle_ formeront le premier +volume de la collection des principaux économistes. A ces divers +penseurs, que, un seul excepté, la France a vus naître, appartient, en +elle, la gloire d'avoir marché les premiers à la conquête des vérités +économiques. Avec eux finit l'ère de l'empirisme ou de la routine, et +commence celle du raisonnement en ce qui touche les intérêts matériels +de la société. Ils sont les véritables précurseurs de l'école +physiocratique dont Quesnay fut le chef, et de l'école industrielle qui +eut Adam Smith pour fondateur. Bien qu'ils soient désignés par le titre +d'_Economistes financiers_, il ne faut pas induire de cette dénomination +qu'ils n'ont accordé leur attention qu'à l'impôt. Loin de la, presque +toutes les questions qu'agitent encore de nos jours la presse et la +tribune des Chambres législatives, ont été soulevées et débattues ans +les écrits de Vauban, de Boisguilbert et de leurs successeurs immédiats. +En résumé, ce furent ces _ancêtres de ta science_, qu'on nous permette +cette expression, qui détermineront le grand mouvement économique auquel +la France doit sa prospérité actuelle. + +_Colonisation de l'Algérie_; par ENFANTIN.--Paris, 1843. _Bertrand._ 1 +vol in-8 de 542 pages, avec une carte. 7 fr. 50 c. + +Le nouvel ouvrage de M. Enfantin se divise en cinq parties, une +introduction et une conclusion séparées par trois livres. + +L'INTRODUCTION a pour titre: _Des colonisations en général._ M. Enfantin +definit d'abord ce qu'il entend par le mot colonisation. Dans son +opinion, «c'est le transport d'une population civile considérable, d'une +population agricole, commerçante et industrielle, formant familles, +villages et villes, et des arts et des sciences qu'une semblable +population apporte ou attire nécessairement. Mais ce mot comprend aussi +l'organisation par la France, c'est-à-dire par le gouvernement et +l'administration, par des Français, de la population indigène, dans les +villes et dans les campagnes.» Cette définition donnée, M Enfantin +examine plusieurs systèmes coloniaux différents, selon les époques et +selon le degré de civilisation des peuples colonisateurs; il se demande +ensuite ce que peut et ce que doit être une colonisation faite par la +France en Algérie, au dix-neuvième siècle. Selon lui, notre politique +n'est plus absolue, elle transige et concilie, elle veut associer; par +conséquent deux problèmes à résoudre: 1º modifier progressivement les +institutions, les moeurs, les habitudes des indigènes; 2º modifier aussi +celles des Européens colons, de manière à faire vivre les uns et les +autres en société, sur un même sol et sous un même gouvernement. Les +institutions coloniales données par la France à l'Algérie doivent faire +tendre les deux populations (indigène et européenne) vers un ut commun, +sous le triple rapport administratif, judiciaire et religieux. +--application de ce principe à la _constitution de la propriété_ dans +l'Algérie française, telle est la base de l'ouvrage de M. Enfantin. + +Ainsi, M. Enfantin aborde la question générale de la _colonisation_ de +l'Algérie par son côté le plus apparent, le plus _matériel_, qui lui +permet cependant, sinon d'embrasser, au moins de toucher presque toutes +les parties de ce grand ensemble. + +Le LIVRE Ier, intitulé: _Constitution de la propriété_, se divise en +trois chapitres. M. Enfantin recherche d'abord quel était, en 1830, +l'état de la propriété en Algérie, et quel est actuellement l'état de la +propriété en France; puis il compare ces deux manières de concevoir la +propriété, et il se demande ce qu'elle doit être pour l'Algérie +française. + +Dans le LIVRE II _(colonisation européenne)_, M. Enfantin établit, +d'après des considérations historiques, géographiques et politiques, les +lieux qui sont propres à la colonisation civile ou à la colonisation +militaire, et l'ordre selon lequel ces deux espèces de colonisation +doivent être commencées et progressivement développées; il traite +ensuite du personnel et du matériel des colonies civiles et des colonies +militaires. + +Le LIVRE III _colonisation indigène_ est consacré aux mêmes questions +qui font l'objet du livre deuxième, seulement ces questions se +rattachent à la population indigène. + +La CONCLUSION renferme l'examen spécial d'une question naturellement +touchée et soulevée dans toutes les autres parties, celle du +_gouvernement_ de l'Algérie. M Enfantin indique ses rapports avec le +gouvernement central, la nature et les limites de ses attributions, et +sa hiérarchie supérieure, politique, militaire et administrative, +relativement aux colonies européennes et aux tribus indigènes; enfin, il +expose l'organisation spéciale des villes d'Algérie, de leur population +indigène et européenne, dans le but de compléter ce qui, dans le cours de +l'ouvrage, a été plus particulièrement présenté comme relatif aux tribus +indigènes et aux colonies agricoles, civiles ou militaires, fondées par +la France. + +Quoi que soit le sort réservé dans l'avenir aux projets de K. Enfantin, +nous devons, dès aujourd'hui, nous empresser de reconnaître que la +_Colonisation de l'Algérie_ est un de ces ouvrages utiles, pleins de +faits et d'idées, qui honorent leur auteur, et qui se recommandent +d'eux-mêmes à l'attention de tous les hommes. + +_Histoire des Invasions des Sarrasins en Italie, du septième au onzième +siècle_; par César FAMIN. Tome 1er. in-8 de 27 feuilles 1/4.--Paris, +1843. _Didot_. 6 fr. + +Cet ouvrage fut commencé en 1833, à Palerme et à Naples, où son auteur +fit un séjour de huit années. Des circonstances extraordinaires avaient +empêché M. César Famin de le continuer et de l'achever. Enfin il a pu +reprendre ses travaux, si longtemps interrompus, et il vient de publier +un premier volume. + +_L'Histoire des Invasions des Sarrasins en Italie_ se divisera en trois +parties: dans la première, M. César Famin tracera l'histoire des +différentes incursions faites par les Arabes d'Asie et d'Afrique, tant +sur le continent, de l'Italie que sur les îles qui en dépendent, depuis +l'année 632 jusqu'à l'année 1242. Cette première partie doit indiquer +les dates précises des épisodes les plus importants, appeler sur la +scène les principaux acteurs de ce grand drame, et relever, en passant, +les erreurs plus ou moins graves dans lesquelles sont tombés la plupart +des auteurs arabes ou occidentaux dont les écrits se rattachent au même +sujet. La seconde partie sera consacrée à l'examen de la condition +religieuse des Italiens pendant la domination des Arabes, du droit civil +et criminel des Arabes, du mode d'administration, des impôts, de la +division territoriale, du sort des esclaves, du partage du butin, de la +valeur et de l'espèce des monnaies. Enfin, dans la troisième partie, +l'auteur recherchera les traces de l'influence des Arabes sur l'Italie +et sur ses habitants. + +Le tome 1er, qui vient d'être publié, contient sept chapitres de la +première partie intitulée _Histoire_.--Le chapitre premier a pour titre: +_Esquisse sommaire de l'histoire des Arabes et de celle des Italiens au +moment où commencèrent les invasions._--Les six chapitres suivants +embrassent la période de temps qui s'étend depuis les premières courses +des Sarrasins, en 632, jusqu'à la mort du pape Jean VIII, en 885. + +_De l'Idiotie chez les Enfants,_ et des autres particularités +d'intelligence ou de caractère qui nécessitent pour eux une instruction +et une éducation spéciales; de leur responsabilité morale; par FÉLIX +VOISIN, médecin en chef de l'hospice des aliénés de Bicêtre. Une +brochure in-8 de 124 pages. + +--Paris, 1843. _Baillière_. + +Le Conseil général des hospices vient de prendre en considération +particulière la seule et dernière classe des aliénés, qui, jusqu'à ce +jour, était restée en quelque sorte dans l'oubli, celle des _enfants +idiots_; il a pensé qu'il y avait des distinctions à faire et à établir +entre les individus compris sous cette fatale dénomination, et qu'il +était possible d'en appeler quelques-uns à une partie de l'existence +intellectuelle et morale propre à l'humanité; en conséquence, il a voulu +que les idiots qui peuvent présenter quelque prise à l'action des +modificateurs externes, reçussent les bienfaits d'une instruction et +d'une éducation spéciales, et il a nommé tout récemment, à Bicêtre, un +instituteur qui, sous la direction et la surveillance des médecins en +chef de l'hospice, pût exclusivement se consacrer à ces fonctions +honorables. + +M. Félix Voisin, qui, depuis treize ans, s'occupe de cette grave +question avec un zèle digne des plus grands éloges, s'est empressé de +réunir tous les matériaux scientifiques qu'il possède sur la matière, et +d'exposer le plan qu'il a suivi et qu'il se propose de suivre encore +dans l'intérêt des enfants idiots. En publiant ces documents, «il +espère, dit-il, pouvoir démontrer que les médecins de l'époque actuelle +ne sont point restés sans action devant les enfants qui, d'une manière +ou d'une autre, sortent de la ligne ordinaire, et qui, par cela même, +tant pour eux que pour la société, ont, en général, besoin,--selon les +expressions de Montaigne,--d'être ployés et appliqués au niveau de la +générale et grande maîtresse, la nature universelle. Dans cette oeuvre +de science et de philanthropie, les médecins ne se sont laissé devancer +par personne; ils ont les premiers fait connaître ce que c'est que +l'idiotie, et expose les principes et indique les méthodes propres à +modifier la constitution instinctive intellectuelle, morale et +perceptive des enfants qui ont le malheur d'en être atteints.» + +La brochure de M. Félix Voisin contient, entre autres documents curieux, +un mémoire sur l'idiotie, donné à l'Académie royale de Médecine, le 24 +janvier 1843, et une analyse psychologique de l'entendement humain chez +les idiots.» + +_Rapport annuel sur les Progrès de la Chimie_, présente le 31 mars 1842, +à l'Académie royale des Sciences de Stockholm; par J. BERZÉLIUS, +secrétaire perpétuel. Traduit du suédois par PH. PLANTAMOUR (3e année). +1 vol. in-8 de 336 pages. + +--Paris, 1843. _Fortin, Masson et comp._ 5 fr. + +Il suffit d'annoncer la publication d'un pareil ouvrage pour appeler sur +lui l'attention publique. Son titre indique son but et son utilité; le +nom de l'auteur est une garantie de son importance et de sa valeur M. +Berzélius a divisé son rapport en quatre grandes parties: chimie +inorganique, chimie minera logique, chimie organique et chimie animale. +Il passe successivement en revue, dans la première partie, les +phénomènes physico-chimiques en général, les métalloïdes et leurs +combinaisons binaires, les métaux, les sels, les analyses chimiques et +les appareils;--dans la seconde, la loi de symétrie des cristaux, les +minéraux nouveaux, les minéraux connus non oxydés, les minéraux oxydés, +les minéraux d'origine organique; la troisième partie comprend les +acides organiques, les bases végétales, les matières indifférentes, les +huiles grasses, les huiles essentielles, les résines, les matières +colorantes, les matières cristallisées propres à certains végétaux, les +matières végétales non cristallisées, les produits de la fermentation +alcoolique, la fermentation acide, les produits de la putréfaction et +les produits de la distillation sèche, etc., etc.;--enfin, la +quatrième partie est consacrée à l'examen de tous les phénomènes de la +chimie animale, qui ont fourni quelques observations curieuses durant le +cours de l'année 1842. + +_Un autre Monde_, Transformations, visions, incarnations, excursions, +locomotions, explorations, pérégrinations, stations, folâtreries, +cosmogonies, rêveries, lubies, fantasmagories, apothéoses, zoomorphoses, +lilliomorphoses, métamorphoses, métempsycoses et autres choses; par +GRANDVILLE.--Paris, 1843. _Fournier_, libraire-éditeur. 1 vol. petit +in-4, paraissant en 56 livraisons d'une feuille, comprenant du texte et +4 ou 5 gravures et un grand sujet tiré à part et colorié. Prix de la +livraison: 50 c. (8 ont paru.) + +Le titre et les nombreux sous-titres de cet ouvrage indiquent d'avance +au lecteur, ou plutôt au spectateur, qu'il va voir des choses étranges +et surnaturelles. _Un autre Monde_, ce n'est pas le monde que nous +habitons, ce n'est pas non plus l'autre monde, celui que nous devons, +selon certaines religions, habiter après notre mort, c'est un monde tout +autre, dont nul être vivant n'avait pu jusqu'à ce jour soupçonner +l'existence. Grandville l'avait enfanté, il y a longtemps déjà, dans les +profondeurs mystérieuses de son imagination; et il commence, depuis +quelques mois seulement, à nous initier peu à peu aux secrets de cette +création nouvelle. Nous n'en connaissons encore,--il est vrai,--qu'une +très-faible partie; mais notre curiosité est vivement excitée; les +révélations déjà faites par le poète-dessinateur sont tellement +bizarres, que nous attendons avec une impatience enfantine celles qui +doivent suivre bientôt. Grandville est, sans contredit, le dessinateur +le plus extraordinaire et le plus original de _notre Monde_. Ce qu'il +avait fait pour les animaux, il essaie de le faire pour les objets +inanimés, pour les végétaux; il leur donne une figure humaine. Jetez les +yeux sur les premières livraisons de _L'autre Monde_, qu'y voyez-vous? +des machines à vapeur qui font de la musique, des maillots qui dansent, +des plantes qui se battent ou qui se réveillent au matin d'un beau jour. +Cette tentative sera-t-elle aussi heureuse que les précédentes? c'est ce +que nous apprendrons aux lecteurs du bulletin bibliographique de +_l'Illustration_, dès que les trente-six semaines, nécessaires au +créateur de _l'autre Monde_ pour achever son oeuvre, seront écoulées. En +intendant cette époque fatale, applaudissons aux efforts de Grandville, +soutenons son courage, et promettons-lui un succès complet. + +_Fables_: par M. VIENNET, l'un des quarante de l'Académie +française.--Paris, 1843. 1 vol. in-18. 5 fr. 80 c. + +M. Viennet a exercé un grand nombre de professions: d'abord il devait +être l'un des curés de Paris, la Révolution de 1789 le força de devenir +un artilleur de marine; sous la Restauration, il fut nomme député; la +Révolution de Juillet en a fait un pair de France et un académicien. +Mais, dans quelque position que le sort l'ait place, M. Viennet n'a +jamais cessé d'être ce qu'on appelle vulgairement un homme de lettres, +car il est né, comme il l'avoue lui-même, «avec un prodigieux amour pour +la gloire sans alliage du lucre.» Son ambition était attachée à une idée +fixe. Il ne tenait nullement à être un César ou un Richelieu; si Dieu le +lui eût proposé, il ne répond pas qu'il l'eût accepté: c'est à la gloire +des poètes qu'il visait. Une statue de Corneille, de Molière, de +Voltaire, le tenait un extase. Il lui importait fort peu que l'histoire +parlât de lui à la postérité, c'était lui qui voulait parler par ses +ouvrages aux générations futures. L'idée de voir ses livres entre les +mains d'un homme qui devait naître dans trois ou quatre siècles, le +faisaient bondir de joie comme un enfant. + +Entraîné par cette passion fatale, M. Viennet s'est rendu coupable de +bien des péchés littéraires; il a fait des comédies, des tragédies, des +poèmes, des épîtres, des dialogues, des épigrammes, des histoires, des +opéras-comiques, etc.; aussi passa-t-il tour à tour--pour nous servir de +ses propres expressions,--du Capitole à la roche Tarpeienne, du Panthéon +aux Gémonies. Aujourd'hui il publie un recueil de fables, et les rieurs +se rangent de son côté. Oubliant qu'il s'est un peu moqué d'_Arbogaste_ +et de certaines épîtres, le public lit avec un véritable plaisir ces +charmants apologues satiriques, qu'un homme qui naîtra dans trois ou +quatre siècles tiendra peut-être encore un jour entre ses mains. Que M. +Viennet soit donc heureux, si l'histoire ne parle pas de lui à la +postérité, il doit espérer de parler au moins par ses fables aux +générations futures. + +_Oberon_, poème héroïque; par C.-M. WIELAND; traduction entièrement +nouvelle, par AUGUSTE JULLIEN, précédée d'une notice et suivie de +notes.--Paris, 1843. 1 vol. in-18. _Paul Masgana_. 3 fr. 50 c. + +«Aussi longtemps que la poésie sera de la poésie, l'or de l'or, le +cristal du cristal, on aimera, on admirera _Oberon_ comme un +chef-d'oeuvre de l'art.» Que pourrions-nous ajouter à cet éloge de +Goethe? + +Tous les matériaux qui ont servi à Wieland pour la composition de son +poème, et surtout pour la fable proprement dite, sont tirés en grande +partie d'ouvrages connus. C'est la réunion de ces éléments divers qui +constitue l'originalité réelle du poème Dans le fait, _Oberon_ comprend +trois actions principales: l'entreprise tentée par Huon sur l'ordre de +l'empereur; l'histoire de ses amours avec Itezia, et la réconciliation +d'Oberon et de Titania. Mais ces trois actions, ou plutôt ces trois +fables se rattachent si intimement au noeud véritable du récit, +qu'aucune ne peut, sans le concours des autres, ni se développer, ni se +dénouer avec succès. Tout s'enchaîne avec un art admirable. «Mouvements +dramatiques, tableaux variés, exploits héroïques, magiques, +incantations, se trouvent unis, a dit un critique, par une dépendance +mutuelle si bien établie, que l'absence d'un seul des événements ou de +l'un des personnages détruirait l'harmonie de l'ensemble.» + +Ce _chef-d'oeuvre de l'art_, depuis son apparition en 1780, a trouvé +plus d'un interprète; mais ses traducteurs français ne se contentaient +pas de faire de grossiers contre-sens, de mutiler des strophes, de +sacrifier des images charmantes, ils avaient supprimé un chaut tout +entier. M. Auguste Jullien a corrigé les fautes et a réparé les +injustices de ses prédécesseurs. La traduction qu'il vient de publier +est aussi fidèle et aussi complète qu'elle est élégante. En la lisant, +on peut jusqu'à un certain point se consoler de ne pas savoir +l'allemand. + +_Séances et travaux de l'Académie des Sciences morales et politiques_. +Compte-rendu par M. M. CH. VERGÉ et LOISEAU, sous la direction de M. +MIGNET, secrétaire perpétuel de l'Académie. Douze cahiers de 4 ou 5 +feuilles par mois, formant chaque année 2 forts vol. in-8 avec une table +générale des matières.--Paris, au bureau du _Moniteur universel_. 20 fr. +par an. + +Réunir dans une collection accessible à tous, les Mémoires et +communications soit des membres de l'Académie, soit des savants +étrangers admis à l'honneur de lui soumettre les résultats de leurs +recherches; tel est le but que s'est propose le Compte-rendu de +l'Académie des Sciences morales et politiques. + +Cette publication, organisée sur des bases analogues à celles du +Compte-rendu périodique de l'Académie des Sciences, paraît sous les +auspices de l'Académie elle-même, et sous la direction de son secrétaire +perpétuel. Les encouragements que l'Administration lui a accordés dès +son début, et l'accueil favorable qu'elle a reçu du public, attestent +assez son importance et son utilité. + +Elle se compose de deux parties distinctes: 1º d'un Bulletin mensuel qui +résume sommairement, dans un ordre chronologique, les actes officiels et +les décisions de l'Académie; 2º des Lectures, communications et travaux +académiques, qui sont reproduits ou dans leur texte primitif et sans +aucune modification, ou par extraits et sous forme d'analyse toujours +très-développée, suivant la nature des divers documents soumis à +l'Académie. + +Le Compte-rendu, publié par M. Charles Vergé et Loiseau, paraît depuis +un an.--Deux volumes sont en vente au prix d'abonnement. + + + +Modes. + +[Illustration: COSTUMES D'HOMMES PAR HEMANN.] + +COIFFURES DE PRINTEMPS. + +Voici paraître des capotes en couleur tendre, coiffure légère qui repose +la tête des lourds chapeaux d'hiver. Alexandrine fait des capotes +entourées de plusieurs biais qui ont beaucoup de légèreté, et donnent au +visage une grande douceur. La forme en est légèrement cambrée, et +s'évase un peu vers le bas, de façon à laisser les cheveux en liberté. + +[Illustration.] + +Ses petits chapeaux de crêpe, avec une plume-saule, ont toute l'élégance +qu'exige une toilette recherchée. C'est une véritable parure de +printemps, une coiffure destinée à briller en voiture ouverte par une de +ces premières belles journées qui font valoir toutes les coquetteries. + +[Illustration.] + +Alexandrine prépare pour la grande semaine des pailles de riz qu'elle +terminera selon les exigences de chaque toilette, avec ce goût +d'innovation artistique qu'il nous est permis de signaler et non pas de +révéler. + +[Illustration.] + +Le châle de cachemire va faire place au mantelet, quelque chose qui +ressemble à la mante et à la pelisse de nos mères, un retour au mantelet +garni, faisant écharpe. + +Il est question de robes garnies sur le côté; c'est probable, en raison +de la mode de l'hiver, et parce que la direction semble être encore une +grande élégance à laquelle les robes unies ne répondraient pas. Quant +aux manches et aux corsages, rien n'est connu. Le soir en demi-toilette, +les manches courtes se portent familièrement. Quelle que soit l'étoffe +de sa robe, une femme peut, à son gré, mettre des manches courtes avec +un fichu très-simple, et un petit bonnet de tulle à rubans de gaze. En +un mot, les manches courtes n'ont plus aucune prétention à la parure, +c'est une façon comme une autre. + +Pour ces derniers jours de réunion où le velours est encore permis, je +recommande les coiffures turques que fait Alexandrine, avec des fichus +ou des écharpes en tissus d'Orient. Il est difficile de trouver +l'élégance plus riche et plus distinguée que sous cette forme +artistique. On ne saurait appeler cela un turban, cela peut-être n'en a +pas la sévérité; cependant c'est une coiffure de caractère qu'il ne faut +pas confondre avec les caprices colifichets nés d'une fantaisie +parisienne. + +[Illustration.] + +La semaine prochaine, nous comblerons toutes les lacunes laissées +aujourd'hui par scrupule. Ce sera près du jour des révélations, et nous +parlerons à coup sûr. + + + +Rébus. + +EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS. Je ne suis sensible qu'à l'argent. + +[Illustration.] + + + + + + + + + +End of Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0006, 8 Avril 1843, by Various + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK +L'ILLUSTRATION, NO. 0006, 8 AVRIL 1843 *** + +***** This file should be named 34516-8.txt or 34516-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/3/4/5/1/34516/ + +Produced by Rénald Lévesque + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact +information can be found at the Foundation's web site and official +page at http://pglaf.org + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. Compliance requirements are not uniform and it takes a +considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up +with these requirements. We do not solicit donations in locations +where we have not received written confirmation of compliance. To +SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any +particular state visit http://pglaf.org + +While we cannot and do not solicit contributions from states where we +have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition +against accepting unsolicited donations from donors in such states who +approach us with offers to donate. + +International donations are gratefully accepted, but we cannot make +any statements concerning tax treatment of donations received from +outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. + +Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation +methods and addresses. Donations are accepted in a number of other +ways including checks, online payments and credit card donations. +To donate, please visit: http://pglaf.org/donate + + +Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic +works. + +Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + http://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. diff --git a/34516-8.zip b/34516-8.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..fcf4797 --- /dev/null +++ b/34516-8.zip diff --git a/34516-h.zip b/34516-h.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..86dd005 --- /dev/null +++ b/34516-h.zip diff --git a/34516-h/34516-h.htm b/34516-h/34516-h.htm new file mode 100644 index 0000000..e398802 --- /dev/null +++ b/34516-h/34516-h.htm @@ -0,0 +1,3394 @@ +<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.01 Transitional//EN"> +<html> +<head> + <meta http-equiv="content-type" content="text/html; charset=ISO-8859-1"> + <title>The Project Gutenberg eBook of L'illustration, L'Illustration, No. 0006, 8 Avril 1843 by Various</title> + +<link rel="coverpage" href="images/cover.jpg"> + +<style type="text/css"> + + +body {margin-left: 10%; margin-right: 10%} + +h1,h2,h3,h4,h5,h6 {text-align: center;} +p {text-align: justify} +blockquote {text-align: justify} + +hr {width: 50%; text-align: center} +hr.full {width: 100%} +hr.short {width: 10%; text-align: center} + +.note {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.footnote {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.side {padding-left: 10px; font-weight: bold; font-size: 75%; + float: right; margin-left: 10px; border-left: thin dashed; width: 80px; text-indent: 0px; font-style: italic; text-align: left} + +.sc {font-variant: small-caps} +.lef {float: left} +.mid {text-align: center} +.rig {float: right} +.sml {font-size: 10pt} +.overl {font-size: 10pt; text-decoration: overline; text-align: center} +.cont {width: 650px} +.somm {float: left; width: 300px; font-size: 10pt; padding: 1em} + +span.pagenum {font-size: 70%; left: 91%; right: 1%; position: absolute} +span.linenum {font-size: 70%; right: 91%; left: 1%; position: absolute} + +.poem {margin-bottom: 1em; margin-left: 10%; margin-right: 10%; + text-align: left} +.poem .stanza {margin: 1em 0em} +.poem .stanza.i {margin: 1em 0em; font-style: italic;} +.poem p {padding-left: 3em; margin: 0px; text-indent: -3em} +.poem p.i2 {margin-left: 1em} +.poem p.i4 {margin-left: 2em} +.poem p.i6 {margin-left: 3em} +.poem p.i8 {margin-left: 4em} +.poem p.i10 {margin-left: 5em} +.poem p.i12 {margin-left: 6em} +.poem p.i14 {margin-left: 7em} +.poem p.i16 {margin-left: 8em} +.poem p.i18 {margin-left: 9em} +.poem p.i20 {margin-left: 10em} +.poem p.i30 {margin-left: 15em} + + + +</style> +</head> +<body> + + +<pre> + +Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0006, 8 Avril 1843, by Various + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: L'Illustration, No. 0006, 8 Avril 1843 + +Author: Various + +Release Date: November 30, 2010 [EBook #34516] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK +L'ILLUSTRATION, NO. 0006, 8 AVRIL 1843 *** + + + + +Produced by Rénald Lévesque + + + + + +</pre> + + + + +<br><br> + +<div class="cont"> + + +<p class="mid"><img alt="" src="images/000.png"></p> + +<hr class="full"> +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="sommaire"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 49%;"> +<span class="sml">Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an. 30 fr.<br> +Prix de chaque N° 75 c.--La collection mens. br., 2 fr 75.</span> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 2%;"> + + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 49%;"> +<span class="sml">Ab. pour les Dep.--3 mois. 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an. 32 fr.<br> +pour l'étranger,--3 mois. 10 fr.--6 mois, 20 fr.--Un an. 40 fr.</span> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + +<p class="mid"><b>Nº 6. Vol. 1.--SAMEDI 8 AVRIL 1843.<br> +Bureaux, rue de Seine, 33.--Réimprimé.</b></p> + +<div class="somm"> + +<p>SOMMAIRE. <b>Ce qu'annonçait la Comète.--La machine à vapeur aérienne.</b> +Description. <i>Trois Gravures</i>.--<b>Courrier de Paris</b>. Théâtre-Italien; +Procès d'un Dauphin; le Burgrave; Phèdre et la Pologne; une aménité; un +jeune homme à marier; la loge du cintre; la victime de l'amitié.--<b>Les +Frontières du Maine</b>. <i>Carte</i>.--<b>Tribunaux</b>. La Police correctionnelle; les +circonstances atténuantes. <i>Escalier de la Police +correctionnelle</i>.--<b>Poètes Italien» contemporains</b>. Louis Carrer +<i>Portrait</i>.--<b>Beaux-Arts</b>. Salon. <i>Tableau de Giraud; Marine d'Isabey; +Statue de Desboeufs; les Condottieri de Baron.</i>--<b>La Vengeance des +Trépassés</b>. Nouvelle, par F. G., 2e partie, <i>Une Gravure.</i>--<b>Nouvelles +inventions</b>. Le procédé Rouillet. <i>Une Gravure</i>.--<b>Industrie</b>. Le sucre de +canne et le sucre de betterave.--<b>Théâtres.</b> <i>Georges et Thérèse; +Mademoiselle Déjazet; les Marocains; l'Escamoteur Philippe; le Paradis +des Funambules.</i>--<b>Bulletin bibliographique</b>.--<b>Annonces,--Observations +météorologique.--Modes.</b> <i>Cinq Gravures</i>.--<b>Rébus.</b></p> +</div> + + +<h3>Ce qu'annonçait la Comète.</h3> + +<p>Que nous criait en parcourant notre ciel cette messagère +échevelée?--Nous vous le demandions il y a huit jours: nous vous le +demandons encore. Nos lecteurs y ont-ils pensé?</p> + +<p>Nous n'ignorons pas que M. Arago vient de réfuter savamment l'opinion +partout populaire qui attache depuis si longtemps à l'apparition de ces +astres une influence mystérieuse sur les destinées terrestres, et nous +admirons beaucoup les <i>Pensées sur la Comète</i>, où l'illustre Bayle +soutint, en 1682, avec tant d'adresse et de dialectique, la même thèse, +à savoir que cette espèce de phénomène ne saurait avoir aucune +influence, ni morale ni physique, sur notre globe. Mais sceptiques et +savants démocrates auront beau dire, le peuple s'obstinera longtemps +encore dans son erreur. Et il faut convenir qu'il y avait bien quelque +grandeur et quelque piété dans cette naïve croyance, que le ciel, tout +en racontant à la terre la gloire de Dieu, lui parle aussi, de loin en +loin, de l'avenir qui l'attend elle-même et des grands événements +qu'elle doit craindre ou espérer.</p> + +<p>Mais assurément si les astres daignent parler de notre race, ce n'est +sans doute qu'à de rares intervalles, et à certains moments solennels et +décisifs de son histoire. Qui oserait aujourd'hui affirmer, comme on le +pensait au Moyen-Age, qu'ils s'occupent jamais de chacun de nous en +particulier, si ce n'est peut-être, dans son grenier, quelque pauvre +astrologue fourvoyé au milieu de notre siècle incrédule? car il y a +encore des astrologues comme il y a des alchimistes. «L'astrologie, dit +Bailly, est la maladie l'a plus longue qui ait affligé la raison +humaine; on lui connaît une durée de cinquante siècles.» Bailly veut +dire qu'elle est aussi vieille que le genre humain; mais alors maladie +est-il bien le mot propre?</p> + +<p>Au siècle dernier, oui, au dix-huitième siècle, on croyait encore çà et +là; à Paris, en dépit de Bayle et de Voltaire, que l'apparition des +comètes présageait de grands malheurs publics. Un grand seigneur, tout +fier d'avoir par sa naissance une étoile à lui seul, disait alors à un +roturier qui se moquait de ses terreurs puériles: «Vous en parlez bien à +votre aise, vous autres que cela ne regarde jamais.»</p> + +<p>Eh bien! aujourd'hui, Monseigneur, la chose nous regarde autant que +vous. Mais n'est-il pas fâcheux pour nous que depuis 89 nous ayons perdu +cette superbe croyance, juste au moment d'en recueillir les bénéfices? +Frères, est-ce que par hasard nous nous serions aperçus tout bas, en +nous comptant et en comptant les étoiles, qu'il n'y en a pas au +firmament une pour chacun de nous?</p> + +<p>C'est donc des nations ou du sort général du monde que s'occupent +apparemment les comètes. Serait-ce de l'Allemagne que celle-ci nous +aurait parlé, et de la discussion qui vient de s'élever entre la Prusse +et la Russie? Peut-être; mais, en tout cas, ce fait nous semble notable. +Pourquoi? le voici.</p> + +<p>Quatre villes soi-disant libres, trente-sept princes, dont deux +seulement, les rois de Bavière et de Danemark, possèdent des États de +quelque importance, et au-dessus de cette féodalité deux puissances qui +s'en disputent la direction, la Prusse et l'Autriche, voilà comment le +congrès de Vienne a laissé l'Allemagne. Or; dernièrement le cabinet de +Berlin a écrit à celui de Saint-Pétersbourg, pour l'inviter à faire +participer tous les États de l'Union de douanes aux facilités +commerciales concédées dernièrement à la Prusse. Cette demande n'est +rien, ou peu de chose, mais elle soulève par la forme une grave question +de souveraineté. Le roi de Prusse a-t-il le droit de négocier, de +stipuler, en un mot de faire acte de souveraineté, au nom du +<i>Zollverein?</i> Le cabinet russe s'est prononcé énergiquement pour la +négative. La confédération germanique n'a pas à ses yeux le caractère +d'un corps politique un; c'est une réunion intime d'États, mais qui ne +saurait agir en dehors comme un seul et même État. La Russie suit +directement en tout ceci, et en divisant l'Allemagne, l'intérêt évident +de son ambition. Ce n'est pas l'indépendance et la souveraineté légitime +des petits princes allemands qu'elle vient défendre; c'est bien moins +encore l'intérêt de l'Autriche qu'elle soutient; car l'Autriche, appelée +par le Danube à jouer un rôle en Orient, doit inspirer à la Russie plus +d'ombrage encore que la Prusse, quelque entreprenante et habile que soit +cette dernière puissance. Que ce fait ne passe: donc point inaperçu de +notre pays. Si la France a dans l'Europe sub-occidentale des intérêts +parfaitement distincts de ceux de l'Allemagne, elle a aussi avec elle, +dans le Nord, un grand intérêt commun. N'est-il pas pour nous +aujourd'hui plus à désirer qu'à craindre, que l'Allemagne constitue +librement sa nationalité par une combinaison plus large et plus simple? +car, après tout, l'Allemagne a des instincts généreux, et une fois en +possession de sa vie propre, il lui serait impossible de ne pas réagir +contre le despotisme russe, et de ne pas concourir, par exemple, au +soulagement, sinon à la délivrance de la Pologne.</p> + +<p>Mais il sourirait à notre amour-propre que le grand événement annoncé +intéressât plus directement encore notre pays. Et pourquoi ne serait-ce +point, par exemple, la résurrection de nos colonies, dont, au souvenir +de tant de malheurs anciens et sous l'impression de deux grands +désastres récents, on est de toutes parts porté à déplorer l'entière +destruction?</p> + +<p>Sans nous dissimuler que la prudence semblerait nous commander en ce +moment de nous fortifier en Europe, et de concentrer notre marine dans +la Méditerranée, nous devons signaler à l'attention publique quelques +efforts tentés en ce moment à Paris pour régénérer nos colonies.</p> + +<p>On a eu raison de le dire: le jour où les progrès de la civilisation +européenne eurent fait proscrire la traite des noirs, l'ancien monde +colonial fut brisé. Qu'on ne l'oublie pas: si nous avons eu des colonies +riches et puissantes, c'est que le gouvernement de Louis XIV avait +accordé une prime par tête d'esclave noir importé dans nos îles, et nous +sommes depuis 89 en présence d'une émancipation universelle, admirable +sans doute, et sainte, mais dont le mode pratique et les conditions sont +extrêmement difficiles à régler. «Périssent les colonies plutôt qu'un +principe!» s'écriait le jeune Barnave à la tribune révolutionnaire. A la +bonne heure, mais si on pouvait sauver à la fois et le principe et ce +qui reste de nos colonies?</p> + +<p>Parmi les divers projets mis en avant pour atteindre ce grand but, le +plus original et le plus complet a été produit par un économiste, M. +Lechevalier. Agissant d'abord par voie d'exemple et d'essai sur la +Guyane, ce hardi publiciste a proposé la fondation d'une grande +compagnie qui, faisant l'acquisition de toutes les propriétés, hommes et +choses, serait chargée d'amener, par des transitions habilement ménagées +et réglées d'avance, l'émancipation des esclaves, et exploiterait sur +une grande échelle toutes les ressources de ces riches contrées. La +commission coloniale, présidée par M. le duc de Broglie, consultée sur +ce projet, a été d'avis «que le département de la Marine ferait une +chose utile et d'intérêt public en encourageant ces dispositions, et en +se prêtant au concours demandé pour l'exploration de la colonie.» Une +commission spéciale formée pour discuter la colonisation de la Guyane, +sous la présidence de M. le comte de Tascher, pair de France, a adressé +à l'unanimité à M. le président du conseil un rapport favorable au +projet, et d'où il résulte qu'il y a lieu d'espérer en l'avenir de la +Guyane; que la proposition de M. Lechevalier présente des avantages et +des garanties, et qu'en conséquence, M. le ministre de la marine peut +comprendre dans sa demande de crédits supplémentaires une somme de +500,000 fr., dont moitié pour fonds d'études et voyages d'explorations, +l'autre moitié demeurant en réserve pour subvenir ultérieurement, s'il y +a lieu, aux dépenses nécessaires pour parvenir à la formation d'une +grande compagnie d'exploitation. Les Chambres seront sans doute +prochainement appelées à délibérer sur ce projet; mais, dès aujourd'hui, +le plan dont il est question ayant pour but d'arriver à l'émancipation +des esclaves, en diminuant les sacrifices du Trésor et en les faisant +tourner à l'avantage de la culture coloniale et à l'intérêt de la +mère-patrie, mérite d'être étudié sérieusement.</p> + +<p>Mais non; si les astres parlent, ce n'est sans doute qu'entre eux, et +une comète qui se respecte ne doit élever la voix que pour être entendue +de toute la terre et lui annoncer un de ces grands événements qui en +renouvellent entièrement la face. A lire les journaux anglais, on +croirait volontiers, depuis quelques jours, que le grand événement +prédit au monde, c'est la découverte de cette voiture aérienne à vapeur +dont nous donnons aujourd'hui la description. A entendre les voix +triomphantes qui nous arrivent de l'autre côté de la Manche, +l'Angleterre, si riche sur terre et si formidable sur mer, vient de +conquérir à son activité et à son commerce un nouvel élément, l'air, et +elle menace déjà de lancer sur nos têtes d'inévitables flottes. +L'imagination s'étonne sans doute et s'effraie de l'aspect brusque et +nouveau qu'une seule invention de ce genre donnerait au monde, soit en +paix soit en guerre. Conçoit-on après cela une discussion sérieuse sur +la loi des douanes? Pour maintenir quelque chose qui y ressemblât, +croit-on qu'il suffirait d'établir contre les contrebandiers aéronautes, +sur la frontière des divers États, des croisières volantes de douaniers, +comme on a établi au loin, contre les pirates ou les négriers, des +croisières maritimes? Et les fortifications de Paris, à quoi +serviraient-elles? Certes, si des armées volantes pouvaient ainsi venir +demain planer sur nos places-fortes, nos ingénieurs n'auraient plus +seulement à les entourer d'une ceinture de fossés et de remparts, mais +encore à les couvrir supérieurement comme d'un bouclier et à construire +par-dessus les maisons quelque immense <i>tortue</i>.</p> + +<p>Mais sans entrer dans le monde chimérique des hypothèses, les réalités +contemporaines n'offrent-elles pas de toutes parts à la pensée +philosophique, qui s'interroge sur l'avenir, un champ sans limites? Du +sud au septentrion, et d'occident en orient, le monde ancien et le monde +nouveau tressaillent à la fois comme sous un souffle mystérieux.--Sans +parler de la jeune Amérique et de son prodigieux développement, l'ancien +continent tout entier semble à la veille de se transfigurer.--Ce n'est +pas pour rien que la France a mis le pied sur la terre d'Afrique, si +voisine de nous, si longtemps étrangère et ennemie, encore inconnue, et +dont le passé presque nul et l'histoire encore vide semblent tant +demander à l'avenir. Et cependant là-bas, au fond et au centre de la +vieille Asie, le céleste empire de la Chine, si fier, si jaloux, et +depuis tant de siècles, de sa civilisation à huis clos, s'épouvante de +voir ses fleuves lui apporter une civilisation nouvelle, et déjà se +lézarder de toutes parts et créneler sa muraille. Cet empire étrange, ce +monde peuplé de 500,000,000 d'habitants, jusqu'ici muets pour notre +monde, que va-t-il devenir au contact longtemps redouté de l'Europe? +Va-t-il changer et renaître? Va-t-il mourir? Et l'Angleterre est-elle +seule destinée à en faire l'autopsie? Nous en reparlerons.</p> + +<h3>DESCRIPTION DE LA MACHINE A VAPEUR AÉRIENNE<br> +DE M. HENSON.</h3> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/001a.png"><br><b>(Machine à vapeur aérienne de M. Henson.--Voyez +l'explication des renvois sous la deuxième figure.)</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/001c.png"><br><b>A. Châssis ou ailes--BB. Poteaux d'où partent des chaînes +de fer qui soutiennent les divers parties du châssis--C. Pièce +longitudinale qui forme la limite extérieure de l'espace réservé pour +les roues à vannes.--DD. Les roues à vannes mues par la machine à +vapeur.--EE.. La queue tournant à F sur une charnière.--G. Le char +contenant la machine à vapeur, la cargaison et les passagers.--II. Le +gouvernail.</b></p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/002.png"><br> +<b> (Machine aérienne à vapeur de M. Henson.<br> + --Port de Douvres.)</b></p> + + + +<p>Construire une machine à vapeur qui puisse se mouvoir dans l'air au gré +de son conducteur, et transporter avec elle à plusieurs centaines de +mètres au-dessus du sol des dépêches, des marchandises et des passagers, +tel est le problème mécanique que M. Henson s'est proposé de +résoudre.--Réussira-t-il? On l'ignore encore, mais les moyens qu'il +emploie pour atteindre ce but sont entièrement différents de ceux dont +on a essayé de faire usage jusqu'à ce jour, et il est permis d'espérer +que quelque succès viendra tôt ou tard récompenser ses efforts.</p> + +<p>Que le lecteur se représente un vaste châssis en bois de 50 mètres de +longueur et de 10 mètres de largeur, solide quoique léger, recouvert de +soie ou de drap, remplissant l'office d'ailes, bien qu'il n'ait ni +jointures ni mouvement, et s'avançant dans l'atmosphère, un de ses côtés +plus élevé que l'autre. Au milieu du côté inférieur s'attache une queue +de 15 à 16 mètres de longueur, construite comme ce châssis; au-dessous +de cette queue est un gouvernail.</p> + +<p>Enfin, au-dessous du châssis se trouvent suspendues la voiture destinée +au transport des marchandises et des voyageurs, et une machine à vapeur +aussi puissante qu'elle est petite et légère, qui met en mouvement deux +espèces de roues à vannes, semblables à des ailes de moulin à vent, de 7 +mètres environ de diamètre et situées sous le châssis.</p> + +<p>Une semblable machine, avec son charbon, son eau, sa cargaison et ses +passagers, ne pèsera pas plus de 1.500 kilogrammes; or, comme sa +superficie est d'environ 1.500 mètres carrés, elle occupe 52 centimètres +carrés pour 170 grammes de poids; elle est par conséquent plus légère +que beaucoup d'oiseaux.</p> + +<p>Cependant, malgré sa légèreté, elle ne pourrait pas se soutenir +longtemps sur l'air, elle descendrait peu à peu jusqu'à terre; mais on +remarquera, d'une part, qu'elle s'avance au milieu de l'atmosphère, sa +partie antérieure! légèrement élevée. Dans cette position, elle présente +sa surface inférieure aux couches d'air qu'elle traverse; la résistance +que ces couches lui opposent l'empêche de tomber. D'autre part, elle est +également soutenue par la rapidité de sa marche.</p> + +<p>Mais, dira-t-on, qu'arriverait-il si la vitesse diminuait, et comment +obtenir une vitesse suffisante? Toutes les tentatives faites jusqu'à ce +jour ont échoué, parce qu'il n'existait aucune machine à la fois assez +légère et assez, puissante pour élever son propre poids dans l'air avec +la vitesse nécessaire. Cette double difficulté, M. Henson prétend +l'avoir vaincue: 1° par l'invention d'une nouvelle machine à vapeur +aussi puissante que légère, et 2º par un procédé très-singulier qui +demande une explication particulière.</p> + +<p>Les divers inventeurs de machines aériennes ont cru jusqu'à ce jour que +leur machine devait avoir en elle-même la force nécessaire pour se +mettre en mouvement, s'élever et se soutenir dans l'air. M. Henson croit +que cette erreur a empêché leurs entreprises de réussir; l'ait seul +étant impuissant, il a recours à la nature: sa machine, prête à partir, +est lancée dans l'air de l'extrémité supérieure d'un plan incliné. A +mesure qu'elle descend, elle acquiert la vitesse qui lui est nécessaire +pour qu'elle puisse se soutenir sur l'atmosphère durant le reste de son +voyage. La résistance que l'air lui oppose ralentirait peu à peu sa +vitesse; la machine à vapeur n'a d'autre but que de réparer constamment +cette perte de vitesse. Un oiseau prend-il son vol du haut d'un arbre ou +d'un rocher, d'abord il plonge dans l'air pour acquérir une certaine +vitesse. Une fois ce mouvement imprimé, il a peu d'efforts à faire pour +monter plus haut et augmenter la rapidité de sa course. Avec quelle +peine, au contraire, le même oiseau ne s'élève-t-il pas de terre au +sommet d'un arbre ou d'un rocher! Ce fait est une conséquence nécessaire +d'un axiome mécanique bien connu: une fois en mouvement, un corps +continue à se mouvoir, si sa force égale celle des obstacles qu'il +rencontre. M. Henson ayant lancé sa machine, lui donne, à l'aide de sa +machine à vapeur, une force égale à celle des obstacles qu'elle doit +surmonter.</p> + +<p>On demandera encore, nous le savons, si la machine à vapeur de M. Henson +est suffisante pour obtenir ce résultat.</p> + +<p>Cette question en soulève deux autres, à savoir: quelle est la puissance +de cette machine, et quels obstacles aura-t-elle à surmonter? Il est +plus facile de répondre à la première de ces deux questions qu'à la +seconde. La puissance d'une machine à vapeur dépend principalement de la +quantité de vapeur que produit le générateur; or, d'après les +expériences faites, la machine de M. Henson représentera une force de 20 +chevaux. Le générateur et le condensateur sont aussi nouveaux +qu'ingénieux: le premier se compose d'une cinquantaine de cônes de +cuivre tronqués et renversés, disposés au-dessus et à l'entour de la +fournaise; le condensateur est formé d'un certain nombre de petits +tuyaux exposés au courant d'air produit par la course de la machine. +Enfin le poids total de la machine, avec l'eau nécessaire pour +l'entretenir, ne dépasse pas 600 livres.</p> + +<p>Quelle résistance cette machine rencontrera-t-elle? Sera-t-elle assez +forte pour en triompher? L'expérience qui sera faite prochainement +permettra seule de répondre à cette dernière question.</p> +<br> + +<h3>Courrier de Paris.</h3> + +<p class="mid">THÉÂTRE-ITALIEN.--PROCÈS D'UN DAUPHIN.--LE BURGRAVE. PHÈDRE ET LA +POLOGNE.--UNE AMÉNITÉ.--UN JEUNE HOMME A MARIER.--LA LOGE DU CINTRE.--LA +VICTIME DE L'AMITIÉ.</p> + +<p>Les rossignols sont envolés, comme dit le feuilleton dilettante dans son +jour de deuil; le Théâtre-Italien vient de clore ses portes, et la +cavatine va prendre le paquebot de Boulogne ou de Calais. Ninetta, +Otello, Don Pasquale jetteront, en passant, quelques notes aux alcyons. +D'ordinaire, on se quittait avec larmes; c'était, des deux parts, un +assaut d'émotion flagrante et d'attentions délicates; le parterre et les +loges s'abîmaient en bravos, se ruinaient en bouquets monstres. L'autre +jour, à la clôture, tout s'est passé froidement; sans doute on y a mis +des procédés: le camélia, la violette, le laurier ont cherché à fleurir +et à échauffer la séparation; mais, vous savez, quand deux amis sont à +la veille d'une rupture, ils ont beau s'efforcer de sourire comme par le +passé, et de se serrer tendrement la main, il y a, dans leurs +démonstrations caressantes, un ne sait quoi de contraint et de glacé +qui les dénonce. Comment? qu'est-ce à dire? le public et le +Théâtre-Italien auraient-ils assez l'un de l'autre? Après dix ans d'une +union intime, d'une passion qui s'est emportée jusqu'à l'aveuglement et +à la fureur, tout serait-il fini? Faudrait-il mettre cet amour +transalpin sur le grand bûcher où ce capricieux Paris brûle, pèle mêle, +tous ses caprices, toutes ses fantaisies, toutes ses admirations d'une +année, d'un mois, d'une semaine, d'un jour, pour semer ensuite leurs +cendres au vent? Je ne dis pas cela, comme dit Alceste; mais, enfin, il +y a dans l'air quelque chose d'inquiétant. Le vent qui souffle sur le +Théâtre-Italien n'a plus la douceur de cette bise amoureuse où fauvettes +et rossignols ont chanté si longtemps.</p> + +<p>Il s'est passé un fait qui atteste la réalité de cet attiédissement. +Lablache a déclaré publiquement, à la face du parterre, qu'il chantait à +Paris pour la dernière fois. Dieu! si une parelle nouvelle était +inopinément tombée sur le public de l'année dernière, quel bruit! quelle +désolation! il se serait dressé sur ses banquettes, il aurait bondi dans +toutes ses loges, et, s'emparant de Don Géronimo de vive force, il +l'aurait porté dix fois autour de la salle, en palanquin ou sur ses +épaules, criant à tue-tête: <i>Lablache for ever!</i> Hier il ne s'est guère +plus ému que si Morelli eût annoncé qu'il allait cultiver ses +tulipes.--Ainsi Lablache nous quitte, et nous quitte sans rémission. +Pourquoi s'en va-t-il? c'est là le mystère. Le Théâtre-Italien est en ce +moment plein de logogriphes et d'énigmes de la même espèce; les +meilleurs y montrent les dents, les plus unis s'y querellent.</p> + +<p>Une histoire non moins grave et non moins intéressante, c'est le procès +du Dauphin. «Quoi! le Dauphin devant un tribunal?--Oui, le Dauphin, un +vrai fils de roi.--En police correctionnelle... ou en cour +d'assises?--Non pas, mais au tribunal de commerce.--Où en est la +royauté, hélas!»--Le conflit était sérieux: il s'agissait du Dauphin, +fils de <i>Charles VI</i>, opéra en cinq actes d: M. Casimir Delavigne, +musique de M. Fromental Halévy. Le Dauphin ne voulait plus l'être, sous +prétexte que ce rôle de Dauphin était peu digne d'un <i>ut</i> de poitrine de +sa qualité... M. Léon Pillet déclarait que l'<i>ut</i> de poitrine et le +Dauphin étaient parfaitement au diapason l'un de l'autre. Les +Xaintrailles et les Lahire du tribunal de commerce, donnant gain de +cause à M. Léon Pillet ont forcé, comme la chose leur était arrivé +autrefois, le Dauphin de rester et d'être le Dauphin; ainsi finit la +bataille. Le tribunal a jugé sagement qu'un Dauphin qui palpe 100.000 fr. +par an ne peut joindre à cet agrément incontestable, l'autre agrément +d'envoyer promener son directeur, tandis que tant d'honnêtes Dauphins +chanteraient pour beaucoup moins, du tout leur coeur, et même +déchanteraient.</p> + +<p>On siffle toujours, et l'on distribue quelques coups de poings çà et +là, aux représentants de la trilogie de M. Victor Hugo; il ne faut pas +perdre les bonnes habitudes. Mercredi, deux adversaires étaient aux +prises, l'un hugolâtre et l'autre hugophobe; ils échangeaient, depuis +un quart d'heure, des regards flamboyants, et se lançaient de vives +apostrophes. L'hugophobe avait le dessus, et pressait vivement +l'hugolâtre, qui se défendait par toute l'artillerie en usage dans son +armée: nain, rococo, racinien, mirmidon, perruque! Tout à coup, à bout +de munitions et se levant sur ses ergots: «Enfin, monsieur, cria-t-il à +son antagoniste; enfin.... vous êtes... vous êtes un... vous êtes un +Burgrave! L'hugolâtre, dans sa colère, avait oublié son tôle.</p> + +<p>Phèdre ne se livre pas, elle, aux boxeurs du parterre. Drapée dans son +harmonieuse tunique, elle a quitté Trëzence, l'autre jour, pour venir +dans les salons d'Érard réciter sa passion et ses beaux vers, au +bénéfice des jeunes élèves de: l'<i>École polonaise</i>, enfants de la +proscription, Phèdre est arrivée sur son char; ses nobles coursiers n +étaient nullement affligés; ils n'avaient point l'oeil morne, ni la tête +baissée; comme Phèdre avait évité le chemin de Mycène, en passant par +la rue Croix-des-Petits-Champs, nul monstre sauvage ne s'est roulé sous +le pied de ses chevaux, en replis tortueux. Avec Phèdre, Camille et +Bérénice sont aussi venues, apportant dans cette bonne action, l'une son +iambe implacable, l'autre sa plaintive élégie; et si quelqu'un, +tristement et diversement ému de cette passion fatale, de ce pudique +amour, de ce désespoir furieux, avait demandé: Qui est Phèdre? qui est +Bérénice? qui est Camille? C'est mademoiselle Rachel, aurait-on +répondu. Remords cuisants, chastes soupirs, terrible malédiction, elle a +pris tous les tons poétiques, elle a eu toutes les voix harmonieuses, +elle a prodigué les luttes les plus opposées de l'âme et du coeur, pour +ces pauvret jeunes exilés de la Pologne. Voilà qui est bien; que le +talent et la poésie appellent la richesse et le loisir à l'aide du +malheur et de l'exil! Camille aura pu y trouver quelque soulagement à la +perte de son cher Curiace, Phèdre en faire la déclaration sans remords à +Hyppolyte, et Bérénice dira comme Titus: «Je n'ai pas perdu ma journée.»</p> + +<p>Vendredi il y avait grand concert chez madame L. C. G..., une des +aimables et jolies comtesses du faubourg Saint-Germain. Thalherg s'y +faisait entendre, et Duprez et Artôt; on applaudissait. Les petites +mains délicates et parfumées n'étaient pas les moins ardentes à battre +motivées d'enthousiasme et de ravissement. Le gracieux sourire et +l'hospitalité charmante de la comtesse, châtelaine de l'endroit, +assaisonnaient agréablement l'archet d'Artôt, le gosier de Duprez et le +piano de Thalherg. Tout à coup entre; M. de Cham... d'un air tout +effaré. M. de Cham... est un de ces hommes qui ressemblent à une +sinistre nouvelle; dès que vous le voyez, vous ne savez point, à la mine +ahurie qu'il vous apporte, s'il ne vient pas vous annoncer que votre +maison brûle, que votre banquier a fait banqueroute, ou que votre +meilleur ami vous a enlevé votre maîtresse. A cette profession +d'enseigne de mauvais augure, M. de Cham... joint l'avantage de ne +pouvoir hasarder un geste sans faire une maladresse, ni prononcer un mot +sans dire une bêtise. Le plaisant, c'est que notre homme a la persuasion +la plus cordiale de sa dextérité et de sa finesse. Tous ses saluts +aboutissent à renverser un fauteuil, à écraser un pied ou à briser une +porcelaine: toutes ses galanteries se travestissent en un mauvais +compliment. Après tout, il est si naïf et se mire si ingénument dans sa +balourdise, il est si bon homme, d'ailleurs, qu'on lui pardonne, et même +on l'aime mieux comme cela.--Il entre donc de l'air que je vous ai dit. +Artôt exécutait la prière de <i>Moïse</i>. Mon de Cham... ouvre les oreilles +(et, Dieu merci! il a de quoi), allonge le cou et écoute en regardant de +temps en temps ses voisins d'un oeil désespéré. Le solo fini, il se +glisse à la rencontre de la comtesse, qui traversait la foule en +aspirant un magnifique bouquet de violettes, de roses blanches et de +myosotis: «Ah! M. de Cham.... vous voilà, lui dit-elle de son plus fin +sourire.--Oui, madame, et très-heureux de vous voir. Je sors du concert +de M. Guizot, et vraiment c'était bien plus ennuyeux qu'ici.» Il dit, et +regagnant sa place, l'ingénieux de Cham... laboura cruellement du coude +le nez d'une douairière tendrement absorbée dans la contemplation de la +barbe fantastique d'Artôt.</p> + +<p>Dans la même soirée, j'ai entendu le dialogue suivant:--«Eh bien, ma +chère, mariez-vous votre jeune cousine Anna?--Mais, oui, ma chère, si +nous lui trouvons quelque chose qui nous aille.--Et, tenez, j'ai votre +affaire: un jeune homme!--Vous le nommez?--Ah! je ne sais pas son nom; +mars il vous convient à ravir.--Sa fortune?--On ne m'en a rien dit: mais, +certainement, il fera le bonheur d'Anna.--Son esprit, son coeur, sa +position dans le monde?--Oh! vous ne sauriez mieux faire!--Qui est-ce +donc, enfin»--Vous savez, ma chère, vous savez bien... c'est ce jeune +homme que... ce jeune homme qui valse à deux temps.»</p> + +<p>Vous savez, ou plutôt vous ne savez peut-être pas ce qu'on appelle une +loge du cintre: la loge du cintre est une de ces cages étroites, +imperceptibles et malsaines qu'on peut apercevoir à l'aide d'un +excellent télescope, perchées au sommet d'un théâtre comme un nid +d'hirondelle sur un haut peuplier. La loge du cintre est le champ +d'asile des mamans de ces demoiselles des portières de ces +messieurs... Un comparse du Théâtre-Français, un de ces braves Romains de +la tragédie classique, aborda dernièrement, chapeau bas et avec toute +l'humilité d'un soldat d'Auguste et de Néron, l'auteur des <i>Burgraves</i>. +en méditation dans la coulisse: «Monsieur, pourriez-vous me faire +l'honneur d'une loge du cintre pour mon épouse?--Quoi! une loge du +cintre! Mais, mon ami, savez-vous ce que vous demandez? Cela n'est pas +possible. J'y ai des princes!»</p> + +<p>Le vicomte de S... est un de ces éternels Adonis qui croient à leur +éternelle fraîcheur et à leur jeunesse éternelle; c'est un étourdi en +cheveux gris, un adolescent de cinquante ans; il y a bien trente ans +qu'il est intimement lié avec madame de Val..., liaison tout amicale, +toute d'estime, car de S... a d'excellentes qualités; elles ressortent +d'autant plus qu'il a de nombreux ridicules. Il est honnête, sincère, +dévoué; il donnerait sa fortune pour ses amis, j'entends pour ses vrais +amis, et peut-être sa vie; mais pour tout au monde, il ne leur +accorderait pas qu'il n'est plus à la fleur de l'âge. Vous lui +demanderiez à emprunter six mois de sa prétendue jeunesse pour vous +sauver d'un péril, ou pour vous tirer vivant d'une fondrière ou d'un +puits artésien, qu'il vous les refuserait. Un jour--il y a quelques +semaines de cela--madame de Val... avait réuni une société nombreuse +dans son joli appartement de la rue Bergère; la conversation était +animée; le vicomte y semait l'esprit de toutes mains: il en a plein ses +poches. Une opinion lui échappa, je ne sais plus sur quel point de +politique, de morale ou de littérature, que madame de Val... crut devoir +contredire avec cette finesse d'aperçu et ce bon goût qui donnent tant +de charme à ses moindres paroles. «Eh! quoi, vous pensez cela?--Eh! oui, +vraiment, madame.--Vraiment, mon vieil ami?» A ces mots, de S... pâlit, +ses lèvres se contractèrent et il se laissa aller sur le dos de son +fauteuil. On crut qu'il se trouvait mal. «Non, ce n'est rien,» dit-il; +et se levant tout à coup, il prit son chapeau, salua brusquement et +sortit. «De S..., qu'avez-vous donc?» s'écria madame de Val...; mais il +était déjà loin.</p> + +<p>Le lendemain, madame de Val... reçut le billet suivant, sous enveloppe +parfumée, et pour cachet une colombe tenant dans son bec une rose +enlacée d'une branche de myrte. La lettre était ainsi conçue: «Madame, +hier, vous m'avez appelé votre vieil ami; je ne devais pas attendre cela +de vous, après trente ans d'affection.»</p> + +<p>Nous l'avons en contant, madame, échappé belle.</p> + +<p>La comète a failli caresser de l'extrémité de sa queue la face de notre +globe sublunaire. Vous devinez ce que doivent procurer d'agrément les +caresses d'une comète. Ajoutez à sa queue quelques aunes de plus, et +cette queue nous faisait la nôtre; l'Académie des Sciences l'atteste. Je +vous le demande, où seraient maintenant Lablache, le Dauphin, les +<i>Burgraves,</i> Phèdre, la Pologne, M. de Cham..., madame L. C. G., la loge +du cintre, M. le vicomte de S..., madame de Val..., <i>l'Illustration</i> +et moi-même, qui viens de vous conter tranquillement tous mes petits +contes? Mais, grâces au ciel (c'est bien le cas de le dire), la comète, +de mauvaise humeur sans doute d'avoir compromis inutilement sa queue +dans cette affaire, vient de se replonger, bien loin de nous, dans les +immenses profondeurs de l'infini. Qu'elle y reste! Nous ne lui enverrons +pas M. de Sercy en ambassade pour la prier de revenir.</p> + +<h3>Les frontières du Maine</h3> + +<h4>ET LE DERNIER TRAITÉ ENTRE L'ANGLETERRE ET LES ÉTATS-UNIS.</h4> + +<p>Quand l'Angleterre reconnut, par le traité de 1783 l'indépendance des +États-Unis, la frontière nord-est de l'Union avait été fixée ainsi qu'il +suit par l'article 2 de ce traité: «Pour prévenir toutes les disputes +qui pourraient s'élever à l'avenir au sujet des frontières desdits +États-Unis, il est ici convenu de déclarer que leurs frontières sont et +seront, à partir de l'angle nord-est de la Nouvelle-Ecosse (divisée +aujourd'hui en Nouvelle-Ecosse et en Nouveau-Brunswick), c'est-à-dire +l'angle qui est formé par une ligne tirée dans la direction du nord, de +la source de la rivière Sainte-Croix aux hautes terres, puis le long de +ces hautes terres qui séparent les eaux qui s'écoulent dans la rivière +Saint-Laurent de celles qui se jettent dans l'Océan Atlantique, jusqu'à +celle des sources du Connecticut, qui est situé le plus au +nord-ouest... etc.»</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/003.png"></p> + +<p>Cet article n'était pas très-clair à l'époque où le traité fut conclu, +et ne l'est pas davantage aujourd'hui. Le territoire en litige n'était +pas habité et avait à peine été exploré par les chasseurs. La situation +de l'angle nord-ouest de la Nouvelle-Ecosse était plus que +problématique, car on ne savait pas exactement lequel des cours d'eaux +qui parcourent ce pays était la rivière Sainte-Croix, et, à plus forte +raison ignorait-on où il fallait fixer sa source. On était convenu, par +le traité, de suivre une certaine ligne de hautes terres: mais des qu'on +voulut mettre le traité en exécution on chercha vainement quelles +étaient ces hautes terres qui devaient séparer le bassin du +Saint-Laurent du bassin des affluents de Atlantique, et on douta même de +leur existence C'est que les négociateurs du traité s'étaient basés sur +une carte publiée par Mitchell en 1753, alors fort estimée et reconnue +depuis fort inexacte.</p> + +<p>En 1794, un nouveau traité fut conclu entre l'Angleterre et les +États-Unis, et un des objets de ce traité était de déterminer exactement +ce que c'était que la rivière Sainte-Croix. Des commissaires furent +nommés de part et d'autre; ils firent un rapport en 1798, qui devait +être considéré par les termes mêmes du traité comme définitif. On trouva +une source plus ou moins exacte de la rivière Sainte-Croix et un des +points de la frontière fut ainsi fixé. C'était un premier pas. +Malheureusement la guerre éclata entre les deux États avant que les +explorations eussent donné de nouveaux résultats, et elles ne furent +reprises qu'après le traite de Gand, en 1814. Des commissaires +explorateurs furent envoyés sur le terrain par les deux gouvernements; +d'admirables travaux furent entrepris, mais la question ne fut pas +résolue; les commissaires eux-mêmes ne s'entendirent pas. Au milieu de +toutes ces incertitudes, chaque gouvernement se forma une opinion à son +avantage. Les États-Unis, en établissant la ligne de démarcation à +partir de la rivière Sainte-Croix, dans la direction du nord, lui +faisaient traverser le fleuve Saint-Jean, dont le cours supérieur leur +aurait appartenu, et le faisaient aboutir à quarante-un milles de +Saint-Laurent, vers le 48e degré de latitude nord; car, selon eux, ce +n'était que là que l'on rencontrait les hautes terres désignées par le +traité de 1783, et tout le pays à l'ouest de cette ligne, en suivant les +hautes terres dans la même direction jusqu'à la source du Connecticut, +devait appartenir à l'Union. Les Anglais ne pouvaient accepter +bénévolement une telle décision, car cette ligne de frontières qui +traversait ainsi du sud au nord, presque dans toute son étendue, la +vaste péninsule formée par l'Océan, le golfe Saint-Laurent et le fleuve +du même nom, interrompait toute communication entre les provinces de la +Nouvelle-Ecosse et le Canada, entre Halifax et Québec, entre les riches +établissements de la baie de Fundy et le Saint-Laurent.</p> + + + +<p>La difficulté restait entière. On était convenu, de part et d'autre, par +le traité de Gand, qu'en cas de dissentiment, on déférerait le jugement +de la contestation à l'arbitrage d'un tiers. En conséquence, le roi des +Pays-Bas fut choisi pour arbitre en 1828. Sa sentence fut rendue et +communiquée aux intéressés dans les premiers jours du mois de janvier +1831. Ce n'était pas une interprétation des questions qu'il devait +résoudre, au moins quant au point principal; il proposait simplement une +transaction. Selon le roi des Pays-Bas, il était impossible de fixer +exactement l'angle nord-ouest de la Nouvelle-Ecosse qu'avait voulu +désigner le traité de 1783, car les cartes dont on s'était servi étaient +remplies d'erreurs; quant aux hautes terres, il était manifeste qu'il en +existait plusieurs lignes, mais aucune ne résistait aux objections. En +conséquence il proposait, comme le parti le plus juste et le plus +raisonnable, de substituer à la démarcation imaginaire du traité de 1783 +une délimitation toute nouvelle, en tenant compte, autant que possible, +des convenances réciproques. Le gouvernement anglais se montra disposé à +accepter la décision de son allié, bien qu'elle allât à rencontre de ses +prétentions, et peu de jours après qu'elle lui eut été communiquée, lord +Palmerston envoya au ministre britannique à Washington l'acceptation de +son gouvernement.</p> + +<p>Mais dans le même temps, le ministre des États-Unis à La Haye, M. +Preble, de l'État du Maine, en recevant la sentence du roi Guillaume, au +lieu de la transmettre purement et simplement à son gouvernement, +protesta contre cette sentence d'arbitrage, et sans attendre des +instructions ultérieures, partit aussitôt pour New-York, d'où il se +rendit dans l'État du Maine avant d'aller à Washington. Or, il y a dans +la Constitution fédérale des États-Unis un article qui interdit au +gouvernement fédéral la faculté de céder aucune portion de territoire +d'un Etat particulier sans le consentement de cet État. L'État du Maine +était le plus intéressé dans cette affaire; de sa décision dépendait le +rejet ou l'acceptation des propositions d'accommodement: encouragée par +la protestation de M. Preble, la législature du Maine prit les devants +sur la délibération du président et du congrès, et déclara que l'arbitre +avait dépassé la limite de ses droits, en substituant un compromis à +l'interprétation qu'on lui demandait.</p> + +<p>Les dispositions du président et du cabinet étaient beaucoup plus +conciliantes, et s'il n'avait tenu qu'à eux, la transaction aurait été +acceptée; mais, aux États-Unis, le droit de ratifier les traités +appartient au Sénat. La convention proposée par le roi Guillaume lui fut +donc soumise. Une grande majorité se prononça pour le rejet de cette +sentence. Ce fut en vain que le président exprima le plus vif désir que +la convention fût acceptée; ce fut en vain que le comité des affaires +étrangères, auquel fut renvoyé le message, fit un rapport conforme à +l'opinion du président, le Sénat refusa sa ratification, et le +gouvernement fédéral se vit obligé de notifier au gouvernement anglais +qu'il regardait le jugement du roi des Pays-Bas comme non avenu; mais en +même temps il lui faisait espérer que la difficulté constitutionnelle +pourrait être levée au moyen d'un arrangement qui se négociait entre +l'État du Maine et le gouvernement fédéral. Le cabinet de Washington +s'était flatté d'un vain espoir. Il s'agissait d'obtenir de l'État du +Maine la cession du territoire contesté moyennant une indemnité +pécuniaire, et quand l'Union aurait été substituée aux droits de l'État +du Maine, le cabinet américain en aurait disposé pour le plus grand bien +de la république tout entière. Cette combinaison manqua. Le Maine +consentit, mais l'État de Massachusetts, dont le Maine n'était qu'un +démembrement, et dont il fallait obtenir l'autorisation comme +propriétaire de la moitié du terrain, refusa son adhésion à +l'arrangement proposé. De son côté, le gouvernement anglais, las de +faire des avances inutiles, déclara qu'il ne se considérait plus comme +lié par les offres réitérées qu'il avait faites, et qu'il ne +consentirait plus en aucun cas à accepter la ligne tracée par le roi des +Pays-Bas. De la sorte, la solution du différend fut encore indéfiniment +ajournée.</p> + +<p>Les négociations n'étaient cependant pas rompues; mais elles faillirent +l'être par une simple querelle de juridiction entre le gouverneur de +l'État du Maine et le gouverneur de la colonie anglaise du +Nouveau-Brunswick, qui compliqua d'une manière fâcheuse la question du +territoire contesté, et dont les journaux ont retenti assez longtemps +pour qu'il soit inutile d'en rappeler les détails. Ce débat apaisé, les +deux gouvernements envoyèrent, chacun de son côté, des commissaires pour +explorer le territoire contesté, où manquaient tous les éléments +d'observations topographiques. «En arrivant sur le terrain de nos +opérations, disaient les deux officiers du génie anglais, dans le +rapport adressé par eux, en 1840, à lord Palmerston, nous apprîmes que +nous aurions à explorer un pays désert, où l'on ne rencontrait pas un +être humain, à l'exception de quelques pionniers et de quelques Indiens +errants occupés à la chasse. Ce désert n'a jamais été traversé par des +personnes capables de faire des observations exactes, de sorte que +toutes les cartes que nous avons vues sont incomplètes. Si nous n'avions +pas eu le bonheur d'engager à notre service deux Indiens intelligents, +dont les cartes informes étaient tracées sur l'écorce des arbres, nous +aurions perdu tout notre temps à couper des communications à travers des +forêts impénétrables.» Ces difficultés n'empêchèrent pas les +commissaires anglais d'arriver à une conclusion conforme aux prétentions +de leur gouvernement, et ils crurent avoir prouvé dans leur rapport que +la Grande-Bretagne avait un titre clair et inaliénable à la totalité du +territoire en litige. Dans le même temps, les commissaires envoyés par +les États-Unis étaient arrivés à une conclusion semblable en faveur des +prétentions de leur gouvernement, de sorte que, lorsque le ministère +tory arriva au pouvoir, la question était au même point qu'en 1840, +après tant de recherches et d'efforts pour arriver à un compromis.</p> + +<p>Sir Robert Peel, au milieu des embarras de la situation, résolut de +terminer à tout prix et sans retard cette question, qui pouvait +compliquer d'une manière si fâcheuse sa position. Un plénipotentiaire +fut envoyé à Washington au commencement de l'année 1812, pour négocier +une transaction. C'était lord Ashburton, célèbre sous le nom d'Alexandre +Baring, chef de la plus puissante maison de banque et de commerce du +monde entier, et qui, par son mariage avec la fille d'un négociant de +Philadelphie, a d'étroites relations avec les États-Unis. Dès le début +des négociations, il devint évident que l'Angleterre avait hâte +d'arriver à une solution pacifique. Le cabinet de Washington a profité +de cette disposition, et a obtenu tout ce qu'exigeaient ses intérêts et +sa vanité. Adoptant pour base de l'arrangement la proposition faite en +1839 par lord Palmerston, de prendre la rivière Saint-Jean pour ligne +limitrophe, lord Ashburton a cédé aux États-Unis toute la partie du +territoire contesté, fertile, habitable et couverte des plus riches +forêts, et n'a réservé à l'Angleterre qu'un pays dont les neuf dixièmes +sont sans valeur. En un certain point, les deux rives du Saint-Jean sont +occupées par une colonie d'origine française, un des débris de l'Acadie. +Le plénipotentiaire anglais refusait sur ce seul point de prendre la +rivière pour limite, ne voulant pas couper en deux et placer sous des +lois différentes cet établissement; mais il a été forcé de céder devant +les exigences du cabinet américain, et la colonie de Madawaska a été +divisée. Une autre concession non moins importante lui a été imposée; +c'est la faculté accordée aux Américains de naviguer librement sur le +Saint-Jean jusqu'à la mer, à travers la province anglaise du +Nouveau-Brunswick. De plus, il a été stipulé que tous les produits non +manufacturés du pays arrosé par le Saint-Jean ou par ses tributaires +pourraient descendre la rivière jusqu'à la mer, et que les produits +américains, lorsqu'ils traverseraient le Nouveau-Brunswick, seraient +admis dans les ports de cette province comme des produits anglais. En +outre, l'Angleterre paie aux États du Maine et de Massachusetts une +indemnité de 300,000 dollars (environ 1,000,000 fr.). Par cet +arrangement, l'Angleterre s'assure, à la vérité, une ligne de +communication entre les possessions du Canada et le Nouveau-Brunswick et +la Nouvelle-Ecosse, mais elle a ouvert aux Américains un libre accès au +coeur même de ses provinces. Tel est en substance le traité conclu à +Washington le 9 août 1842, qu'ont imposé à l'Angleterre les embarras de +sa situation politique et financière. D'abord la Grande-Bretagne tout +entière l'a accueilli avec enthousiasme, comme terminant un différend +qui pouvait amener tôt ou tard un conflit entre deux nations dont le +plus grand intérêt est de demeurer en bonne intelligence; mais bientôt, +quand on a connu les détails du traité, la presse et le pays ont retenti +des plaintes des citoyens touchant les sacrifices faits à l'honneur et +aux intérêts de la Grande-Bretagne, par la <i>capitulation Ashburton</i>. +Cependant le sentiment de la nécessité de conserver entre les deux pays +la bonne intelligence, a fait taire ce mécontentement, et la discussion +que lord Palmerston a voulu soulever récemment, dans la Chambre des +Communes, au sujet de ce traité, a tourné entièrement à l'avantage du +ministère.</p> + +<h3>Tribunaux.</h3> + +<h4>LA POLICE CORRECTIONNELLE.</h4> + +<p>Les audiences de la police correctionnelle commencent en général entre +onze heures et midi; mais tous les matins, avant neuf heures, +quatre-vingt ou cent individus viennent s'entasser sur les marches du +grand escalier situé à l'extrémité de la salle des Pas-Perdus et +conduisant à la 6e chambre. A dix heures et demie, les portes sont +ouvertes; cette foule, composée en grande partie d'hommes et d'enfants, +se précipite dans l'antichambre qui précède la salle d'audience, puis +dans l'étroite enceinte réservée au <i>public</i>. Les gardes municipaux de +service sont souvent obligés d'employer la force pour le repousser. +Rarement tous les curieux qui se pressaient sur l'escalier voient leur +patience récompensée. L'enceinte réservée suffisamment remplie, le +passage est barré par la crosse d'un fusil. Quand une personne sort, une +autre personne entre; telle est la consigne; aussi, sans même entrer +dans la salle de la police correctionnelle, en se promenant quelques +instants, de midi à quatre heures, devant le grand escalier de la salle +des Pas-Perdus, un observateur intelligent peut-il apprendre à connaître +le <i>public</i> qui assiste presque régulièrement aux audiences de la 6e +chambre, la plus célèbre des trois chambres de la police correctionnelle +du tribunal de la Seine.</p> + +<p>Triste étude, en vérité, pour le dessinateur comme pour le moraliste! +Sur les cent individus dont se compose l'auditoire, il y en a plus de +cinquante qui n'ont d'autre profession que le vol; ils viennent tantôt +assister au jugement de leurs complices et leur faire des signes +convenus, tantôt se familiariser d'avance avec l'aspect et les formes de +la justice, prendre des leçons d'adresse ou d'audace, quelquefois même +s'exercer à commettre des vols jusque sous les yeux des magistrats. Au +milieu de cette bande d'escrocs se trouvent disséminés çà et là des +ouvriers sans ouvrage, des écoliers qui font l'école buissonnière, des +vieillards pauvres qui n'ont d'autre but que de passer quelques heures +dans une chambre bien chauffée, et enfin cinq ou six honnêtes bourgeois +attirés à la 6e chambre par le désir d'assister en personne à +quelques-unes de ces scènes dramatiques ou ridicules que racontent +chaque matin à leurs abonnés les journaux judiciaires.</p> + +<p>Les écrivains spirituels se sont créé, depuis un certain nombre +d'années, une nouvelle spécialité littéraire. Développant avec un art +remarquable les situations tragiques ou comiques dont les débats de +certaines causes leur fournissaient la première idée, ils composèrent +d'abord de petites scènes qui obtinrent beaucoup de succès; puis ils se +laissèrent entraîner par leur imagination, et ils inventèrent des procès +plus ou moins vraisemblables. Le public, quand on l'intéresse ou quand +on l'amuse, se fâche rarement; satisfait de pleurer et de rire tour à +tour, il prit un tel goût à ces contes de la police correctionnelle, que +tous les journaux politiques remplirent leurs colonnes des meilleurs +articles de la <i>Gazette des Tribunaux</i>, et de son rival <i>le Droit</i>. La +vérité est connue aujourd'hui de tout le monde, et cependant on hésite à +y ajouter foi, on craint de perdre une illusion qui procure de temps à +autre quelques distractions.</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/004.png"></p> + +<p>Mais, en réalité, la police correctionnelle du département de la Seine +n'offre pas un spectacle aussi émouvant ou aussi divertissant que +persiste à le croire, malgré les nombreux avertissements qu'elle a +reçus, la majorité du public. Quand les trois juges et l'avocat du roi +qui composent le tribunal se sont assis sur leurs sièges, l'huissier +audiencier fait faire silence, prend le rôle du jour et appelle les +causes; alors les gendarmes ou les gardes municipaux de service +introduisent par une porte basse, dans une espèce de loge ou de tribune +garnie de deux bancs de bois, les prévenus, qui ont été amenés le matin +même de la Force ou de la Roquette à la Conciergerie. Ce sont presque +toujours:</p> + +<p>Un forçat libéré accusé d'avoir rompu son ban;</p> + +<p>Un vieillard que les sergents de ville ont surpris tendant la main au +moment où, dénué de toute ressource et trop faible pour travailler, il +sentait les premières atteintes de cette terrible maladie qu'on appelle +la faim;</p> + +<p>Un jeune homme de dix-huit à vingt ans, qui a déjà subi plusieurs +condamnations et qui a été arrêté une quatrième fois en flagrant délit +de vol, qui se glorifie de son crime, qui insulte la justice; car il se +sent lui-même aussi indigne de pitié qu'il est incapable de se repentir +et de se corriger;</p> + +<p>Un pauvre petit enfant étranger, accusé d'avoir mendié, qui s'avoue +coupable et qui promet de ne plus recommencer si on l'acquitte;</p> + +<p>Des enfants vagabonds que leurs parents ne viennent pas réclamer parce +qu'ils sont trop pauvres pour pouvoir les nourrir, ou parce qu'ils ont +vainement essayé de vaincre leurs mauvais penchants;</p> + +<p>Un ouvrier dont l'ivresse a fait presque un meurtrier;</p> + +<p>Une femme adultère et son complice.</p> + +<p>Toujours le vice ou la misère! toujours des malheureux qui n'ont pas de +moyens d'existence ou qui ne vivent que du produit de leurs vols! Qu'on +cesse donc de regarder la police correctionnelle comme, l'un des +théâtres les plus curieux et les plus agréables de Paris; ce ne sont pas +des distractions qu'il faut y venir chercher, ce sont des leçons. Toutes +les classes de la société y en trouveront: des ouvriers verront avec un +effroi salutaire les terribles conséquences qu'entraînent d'ordinaire +après elles la paresse, l'imprévoyance et la débauche; une partie de la +bourgeoisie y rougira peut-être de son égoïsme, elle comprendra qu'elle +a de grands sacrifices à faire; qu'au lien d'essuyer en passant quelques +larmes, elle doit s'efforcer d'en tarir la source; que ce n'est pas +seulement le mal présent, mais plus encore le mal futur qu'il importe de +guérir.--Si cet infortuné qui vient s'asseoir sur ce banc de honte pour +s'entendre condamner à cinq années d'emprisonnement était né dans la +même position sociale que ses juges ou que son défenseur, s'il avait +reçu une meilleure éducation, il serait peut-être resté toute sa vie un +honnête homme. Mais à peine sa mère l'eut-elle mis au jour, elle +l'abandonna; personne ne lui a donné un sage conseil; il n'a jamais en +sous les yeux que de mauvais exemples; il voudrait travailler, mais on +ne lui a pas appris un état; tous les ateliers sont fermés pour lui. Le +besoin le détermine à commettre un premier vol; malheureusement on le +surprend en flagrant délit, on l'arrête, on le juge, on le condamne, on +l'enferme avec d'autres malfaiteurs. Si courte que soit sa peine, quand +il l'aura subie, il sera perdu sans ressource.</p> + +<p>C'est donc parfois un devoir pour la presse de raconter, mais sans y +rien ajouter, sans en rien retrancher, quelques-uns des petits drames +qui se jouent journellement aux audiences de la police correctionnelle. +Outre l'intérêt bien naturel qu'ils inspirent, ces récits renferment +d'utiles enseignements que l'écrivain doit s'attacher à signaler à +l'attention publique. Il y a certaines gens, assez honnêtes d'ailleurs, +que le mot seul de morale fait bailler d'ennui; ils ont le vice en +horreur dans leur vie privée, mais ils le trouvent amusant dans les +journaux. Suivant eux, la littérature et les beaux-arts ne doivent se +proposer qu'un but, celui de plaire, comme si l'humanité avait été créée +uniquement pour se divertir. Il y aurait du courage à résister à ces +erreurs du goût public, à réagir, à ne pas mentir pour plaire, à ne pas +exciter le rire avec le récit de faits qui ne doivent jamais exciter que +l'indignation ou la pitié. La presse a une mission plus noble à remplir: +instruire et moraliser, telle est sa devise; qu'elle y reste toujours +fidèle désormais, elle ne tardera pas à reconquérir l'influence qu'elle +a perdue.</p> + +<p>Ajoutons toutefois que la seconde partie d'une audience de la police +correctionnelle ne ensemble en rien à la première. Le drame fini, la +comédie commence. Après les affaires des détenus ou des individus qui +ont obtenu leur liberté provisoire sous caution, mais qui sont également +poursuivis à la requête du ministère public, viennent les causes dites +<i>entre parties.</i> Certaines classes de la population parisienne font un +abus vraiment extraordinaire du droit de citation directe, droit que le +législateur aurait cependant tort d'abolir. Les juges sont doués d'une +patience évangélique. Que de petites passons se démènent chaque jour +autour de ce tribunal! que de ridicules s'y étalent avec orgueil! que de +sottises s'y débitent! que d'esprit s'y dépense inutilement! Il y a là +des peintures de moeurs et de caractères assez vives et assez +divertissantes pour qu'il soit inutile ou même fâcheux de les convertir +en charges. Il faudrait se contenter de présenter le miroir à ces scènes +de comédie, et ne les point affaiblir, les dénaturer, en les parodiant.</p> + +<h4>DES CIRCONSTANCES ATTÉNUANTES.</h4> + +<p>L'application des circonstances atténuantes en matière criminelle n'est +pas, en général, parfaitement appréciée par tous les esprits. Les effets +de ce système sont surtout inexactement jugés. Quelques verdicts du jury +ont fait penser qu'il abusait de la faculté mise à sa disposition. Les +expressions mêmes de la formule qui exprime cette faculté lui ont nui +dans l'opinion publique; on a été porté à en induire que la répression +ressentait une certaine mollesse, la justice pénale quelque relâchement. +Quelques magistrats ont même déjà manifesté des alarmes. Cette idée, qui +se fonde sur de vagues préoccupations ou sur des actes isolés, mais non +sur les faits généraux, n'est nullement fondée; elle a été réfutée +récemment par un savant criminaliste, M. Faustin Hélie, dans la <i>Revue de +Législation</i>, et il nous a paru curieux et utile d'emprunter à cette +dissertation quelques observations qui sont de nature à éclairer cette +question morale et pratique et à rectifier des jugements conçus +peut-être avec quelque légèreté.</p> + +<p>Le système des circonstances atténuantes a été adopté par la loi du 28 +avril 1832. Les jurés, en matière criminelle, et les juges, en matière +correctionnelle, ont été investis de la faculté de déclarer qu'il existe +en faveur du prévenu des circonstances atténuantes; cette déclaration a +pour effet de faire diminuer la peine portée par la loi; cette peine +peut alors descendre, en matière correctionnelle, jusqu'au taux des +peines de simple police, et en matière criminelle, d'un ou de deux +degrés, suivant l'application des juges de la Cour d'assises. Or, ce que +nous voulons examiner, c'est l'effet de ce droit d'atténuation sur la +marche générale de la répression.</p> + +<p>Un premier fait est incontestable: c'est la diminution du nombre des +acquittements. Les acquittements n'avaient cessé de s'accroître jusqu'à +la promulgation de la loi du 28 avril 1832; en 1826, sur cent accusés, +on comptait trente-huit acquittés; en 1831, on en comptait quarante-six. +La faculté de déclarer des circonstances atténuantes a subitement arrêté +cette progression, qui menaçait de détruire toute répression. En 1833, +sur cent accusés, il n'y eut plus que quarante-un acquittements; ce +nombre s'abaissa successivement, en 1834, à quarante; en 1835, à +trente-neuf; en 1836, à trente-six; en 1839, à trente-cinq; enfin, en +1840, à trente-trois. Ce premier résultat est donc bien constaté.</p> + +<p>Les acquittements nombreux attestent ou une mauvaise législation ou une +mauvaise justice. Les jurés rejettent les accusations, soit parce que +les lois pénales leur semblent trop rigoureuses, soit parce que des +procédures mal instruites amènent devant eux des accusés sur lesquels +pèsent des charges insuffisantes. Avant la réforme de 1832, le nombre +extraordinaire des acquittements, à peu près la moitié des accusés, +était dû principalement à l'excessive sévérité du Code Pénal; les jurés +hésitaient à condamner, quand les peines étaient hors de proportion avec +les délits: ils acquittaient en haine de la loi. Il fallait un terme à +un tel désordre; l'admission des circonstances atténuantes a eu pour but +de le faire cesser. Le législateur pensa que les jurés pouvant atténuer +les peines, ne prononceraient plus autant d'acquittements. Cette +prévision s'est rapidement réalisée. C'est là, il faut le dire, le +progrès le plus sûr qu'ait pu faire la justice. Avant tout, il faut +atteindre et punir les coupables; le degré de la punition n'a, ainsi que +nous le dirons plus loin, qu'un intérêt secondaire.</p> + +<p>Un deuxième résultat est également constaté. Avant la loi modificative +du Code, les déclarations du jury, lors même qu'elles déclaraient +l'accusé coupable, n'étaient pas sincères: il mutilait les accusations, +écartait les circonstances aggravantes et bouleversait la qualification +des faits incriminés. En 1826, sur cent accusations admises par le jury, +soixante étaient modifiées par le rejet des circonstances aggravantes; +ce nombre s'était, successivement élevé jusqu'à soixante-neuf sur cent +en 1832. A partir de cette époque, les accusations admises sans +changement dans la qualification des faits se sont élevées chaque année: +aujourd'hui, cinquante sur cent seulement sont modifiées. D'où nait +cette différence? C'est que les jurés n'ont plus en besoin de faire des +déclarations mensongères pour mettre la peine en rapport avec le délit; +l'atténuation dont la loi les a investis leur a suffi; leurs verdicts +sont devenus sincères; ils ont affirmé tous les faits que l'accusation +prouvait. Cette deuxième amélioration est évidente; elle démontre que la +justice est rentrée dans la voie de la vérité; elle démontre aussi que +la législation a cessé d'être en opposition avec les moeurs publiques, +et que ses dispositions sont, en général, acceptées.</p> + +<p>Maintenant il est très-vrai que le bénéfice des circonstances +atténuantes a été étendu à un très-grand nombre de condamnés. Nous +verrons tout à l'heure ce chiffre, qui est assurément fort élevé; mais +plusieurs considérations très-graves l'expliquent facilement.</p> + +<p>D'abord, on vient de voir que si, d'un côté, le nombre des atténuations +de peines s'accroit, d'un autre côté, et par une sorti; d'équation +mathématique, le nombre des acquittements diminue, et les déclarations +du jury deviennent plus fermes et plus sincères. Or, ne doit-on pas +préférer, dans l'intérêt de la répression, des peines atténuées à des +acquittements complets? La justice n'est-elle pas plus satisfaite par la +déclaration consciencieuse de tous les faits de l'accusation que par la +dénégation mensongère d'une partie de ces faits pour arriver, par un +détour frauduleux, à une diminution de peine que la déclaration de +circonstances anémiantes régularise? Avant la loi de 1832, l'expérience +des années antérieures nous l'apprend, le jury aurait acquitté le tiers +de ces condamnés, et il aurait, à l'égard des autres, dénié les +circonstances aggravantes. Ces déclarations, désavouées par la +conscience, auraient-elles donc produit une répression meilleure? Un +châtiment, quel qu'il soit, quand il frappe un coupable, n'est-il pas +préférable à une complète impunité?</p> + +<p>Sans doute les peines ont diminué dans leur gravité ou dans leur durée. +Mais suit-il donc de là que la mesure de la répression se soit +affaiblie? Constatons d'abord dans quelles limites cette atténuation +s'est opérée. Avant la loi de 1832, le nombre des condamnations à des +peines afflictives ou infamantes s'abaissait chaque année: ce chiffre, +qui était de quarante sur cent accusés en 1826, n'était plus que de +vingt-sept sur cent en 1832. Et remarquez que le système des +circonstances atténuantes n'existait point à cette époque. Les peines +afflictives ne se transformaient que fort rarement en peines +correctionnelles; elles n'étaient remplacées que par les acquittements, +dont le chiffre s'élevait incessamment. Depuis 1832, ces peines n'ont +pas été appliquées plus fréquemment; mais les condamnations +correctionnelles ont graduellement augmenté. En 1840, sur cent accusés, +vingt-huit ont été condamnés à des peines afflictives et infamantes, et +trente-neuf à des peines correctionnelles. Ainsi, le chiffre général des +condamnations a tendu sans cesse à se relever depuis l'adoption des +circonstances atténuantes. Ce chiffre, qui était de soixante-deux sur +cent accusés en 1826, et même de cinquante-quatre sur cent en 1831, est +remonté par degrés à soixante-sept sur cent en 1840. Une espèce de +réaction s'est même manifestée dans la distribution des peines pendant +ces dernières années. Les condamnations ont été plus fermes et plus +nombreuses; les peines se sont élevées, soit par leur intensité, soit +par leur durée.</p> + +<p>Faut-il attribuer cette réaction morale, cette fermeté plus grande, aux +lumières que les jurés acquièrent à mesure qu'ils exercent leurs +fonctions, aux temps plus calmes qui ont succédé à des temps de troubles +politiques, à l'inquiétude causée par quelques verdicts empreints d'une +indulgence excessive, enfin, à l'instinct de conservation qu'éprouvent +les citoyens à la vue des crimes qui semblent s'accroître? Il faut +l'attribuer sans doute à toutes ces causes; mais son véritable, son +principal motif est dans la faculté attribuée au jury, par la +déclaration des circonstances atténuantes, de faire bonne justice, +justice suivant sa conscience, c'est-à-dire de proportionner la peine +avec le délit. Le jury exprime de la manière la plus naïve et la plus +sincère les mouvements de la conscience individuelle, bien plus que de +la conscience sociale; il est plus préoccupé de la justice intrinsèque +d'une peine que des motifs d'utilité générale qui s'attachent à son +application; son point de vue se borne généralement à la cause qu'il +juge; il s'étend rarement aux causes de la même nature dont le nombre et +la répétition exigent une répression plus ou moins sévère. Il déclarera +la culpabilité qui lui est démontrée, mais à condition que les effets +de cette déclaration lui paraîtront équitables. Vainement vous voudriez +couvrir la loi pénale d'un voile à ses yeux; ce voile, vaine fiction du +législateur, il le déchire tous les jours. Il pèse la peine en pesant +les termes de sa déclaration; il rejettera, comme il l'a fait tant de +fois, la condamnation la plus juste, si le châtiment lui paraît hors de +proportion avec le crime.</p> + +<p>Les faits sont donc incontestables: le système des circonstances +atténuantes a produit des condamnations plus nombreuses, une +distribution plus ferme des peines, une appréciation plus consciencieuse +et plus exacte des faits incriminés. Une seule objection peut être +opposée à ces bienfaits. Les peines appliquées sont plus nombreuses, +mais elles sont moins fortes; elles perdent en intensité ce qu'elles +gagnent en nombre; les peines afflictives et infamantes semblent tendre à +se transformer en peines correctionnelles; elles se dépouillent de leur +appareil afflictif et de leur intimidation.</p> + +<p>Cette objection, vue de près, disparaît promptement. Il n'est pas vrai, +d'abord, que les peines afflictives tendent à se correctionnaliser, et +cela par une raison très-simple, c'est que la loi a posé des limites que +cette tendance ne pourrait franchir. Mais prenons successivement les +différentes peines afflictives, et nous verrons que leur marche est +plutôt ascendante que décroissante. Ainsi, la peine qui semblait devoir +exciter la répugnance la plus grande de la part des jurés, parce qu'elle +fait peser sur eux une responsabilité plus grande, la peine de mort, n'a +pas cessé d'être appliquée; en 1840, cinquante-un accusés ont été +condamnés à cette peine, et ce chiffre, qui avait varié dans les années +précédentes, paraît disposé à s'élever. Les condamnés aux travaux forcés +à perpétuité qui, en 1835, étaient au nombre de cent quarante-un, sont +montés successivement à cent soixante-dix-sept, cent +quatre-vingt-dix-sept, cent quatre-vingt-dix-huit; en 1841, ils ont été +de cent quatre-vingt-cinq. Les condamnés aux travaux forcés à temps se +sont généralement maintenus au chiffre de huit cents chaque année; les +dernières années ont présenté les chiffres de huit cent cinquante-deux, +huit cent quatre-vingt-trois et mille cinquante-six. Enfin, les +condamnés à la réclusion, qui n'étaient qu'au nombre de six cent +quatre-vingt-quatorze en 1833, ont atteint les chiffres de neuf cent +vingt-trois et mille trente-deux en 1839 et 1840. Sans doute, il faut +tenir compte de l'augmentation générale des accusations et des +condamnations, mais il ne résulte pas moins de ces chiffres que la +répression ne s'affaiblit pas, et que les peines afflictives reçoivent +une application journalière et continuelle.</p> + +<p>Maintenant, nous ne prétendons nullement méconnaître qu'un certain +nombre de peines afflictives se soient transformées en peines +correctionnelles. Est-ce véritablement un mal? La société a-t-elle un +intérêt réel à ce qu'une peine afflictive soit appliquée à certains +faits plutôt qu'une peine correctionnelle? Son principal intérêt +n'est-il pas que les coupables soient punis? Il est, d'ailleurs, reconnu +maintenant que le régime des maisons centrales est plus rigoureux et +plus répressif que celui des bagnes; et, dans les maisons centrales, les +condamnés à la réclusion et à l'emprisonnement de plus d'un an sont +soumis au même régime et subissent la même peine. Il n'y aurait donc que +la durée plus brève de la peine qui pourrait lui enlever une partie de +son effet d'intimidation; mais l'efficacité d'une peine est dans la +certitude de son application bien plus que dans sa durée; elle est +surtout dans le mode de son exécution. Sans doute la prolongation de +cette exécution ajoute à la rigueur de la punition, mais elle n'est +qu'une cause secondaire d'intimidation. Le système pénitentiaire peut la +désirer, parce qu'elle augmente son action sur le condamné, mais la +répression est moins intéressée à cette prolongation au delà de +certaines limites. Il suffit que la peine soit assez longue, pour peser +sur la vie du coupable, mais elle ne doit pas puiser toute sa gravité +dans sa durée.</p> + +<p>La justice n'a donc pas fléchi: le système des circonstances atténuantes +ne l'a donc pas désarmée; elle a même puisé dans son application une +puissance nouvelle: sa marche a été plus sûre, plus ferme, plus +certaine. La répression a été plus complète, car elle a atteint un plus +grand nombre de coupables; elle a été plus juste, car le rapport entre +le délit et la peine a été établi avec plus de soin; elle a été mieux +réglée, car la conscience, qui se débattait naguère contre l'exagération +des châtiments, applaudit à ses jugements depuis qu'il est permis de +concilier la peine avec la gravité du fait.</p> + +<p>Voilà les résultats qu'a produits le système des circonstances +atténuantes, résultats constatés par la statistique, et qu'il est +impossible de dénier. La justice et la morale elles-mêmes doivent donc +applaudir à une innovation qui a assuré une répression plus étendue, +bien que modérée, des actions criminelles.</p> + +<h3>Poètes italiens contemporains.</h3> + +<h4>LOUIS CARRER.</h4> + +<p>Parmi les poètes italiens contemporains, l'un des plus aimables, l'un +des plus gracieux et des plus nationaux, c'est sans doute le Vénitien +Carrer, dont le nom est à peine connu en France.</p> + +<p>La vocation de ce poète se déclara un jour que, presque enfant, il +entendit le célèbre improvisateur Sgricci. Le feu divin s'alluma dans +l'âme du jeune Louis, et l'adolescent, dans lequel rien jusque-là +n'avait révélé le poète, eut l'audace de parler à son tour aux +Vénitiens, encore frémissants des applaudissements prodigués au Sgricci, +cette langue des vers, toujours si douce à leur oreille. Le succès fut +complet, et, pour que rien n'y manquai, pour que le talent fût en +quelque sorte sacré par le génie, Byron, alors à Venise, prédit que cet +enfant ferait un jour la gloire du pays où il était né. Toutefois +Carrer, loin de se laisser étourdir par de si nombreux applaudissements +et par un tel suffrage, eut vite compris qu'ils ne devaient être pour +lui qu'un encouragent; qu'il pouvait devenir un poète, mais qu'il ne +l'était pas encore. L'art de l'improvisation ne fut à ses yeux qu'un des +degrés les plus infimes de la poésie, et il se mit à travailler +assidûment, convaincu que les oeuvres faites lentement, difficilement +même, sont les seules durables. Naturellement doué d'une riche +imagination, il étudia avec patience la forme, cette partie de l'art si +difficile, et sans laquelle pourtant il n'est point d'art véritable.</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/005.png"><br><b> (Louis Carrer.)</b></p> + +<p>Or, cette qualité de la forme, Carrer, aujourd'hui, la possède à un +degré éminent, comme l'atteste le recueil que nous avons sous les yeux, +et qui contient des poésies de différents genres: ballades, sonnets, +odes, nouvelles, etc. Les ballades sont empruntées parfois à des +traditions étrangères, mais plus souvent à des légendes vénitiennes, et +celles-ci sont, nous l'avouons, celles que nous préférons; tout +imprégnées qu'elles sont du parfum des lagunes, riches, étincelantes +d'or et de pierreries, comme <i>Venise la belle</i>, riantes alors même que +le fond en est sombre ou sanglant. L'arbre des tombeaux pour le poète +vénitien, ce n'est pas le sombre cyprès, mais le myrte, et parfois même +l'oranger. La mort, c'est le seuil de la vie heureuse.</p> + +<p>Les sonnets, écrits dans la langue italienne, vraie langue du sonnet, +ont cette perfection de forme sans laquelle ce genre n'existe pas; mais +ils nous semblent, de même que les odes, trop souvent dénués d'une +pensée forte ou originale. En somme, ce que nous aimons le mieux, ce qui +nous paraît le véritable titre de gloire du poète, ce sont les ballades, +dont nous donnerons de préférence quelques-unes à nos lecteurs.</p> + +<p>Selon une tradition populaire à Venise, un patricien devint amoureux +d'une jeune fille du peuple, et, désolée de ne pouvoir être sa femme, +celle-ci se précipita dans l'Adriatique, où elle périt; après sa mort, +le jeune noble ne voulut jamais accepter d'autre épouse, et, devenu +doge, il se déclara le fiancé de la mer. C'est là, selon les enfants des +lagunes, l'origine de la fête qui fut célébrée chaque année le jour de +l'Ascension, tant que Venise a eu un doge, cérémonie dans laquelle, du +haut du <i>Bucentaure</i>, le chef de la république jetait solennellement +dans la mer l'anneau, symbole d'une mystique union. Les historiens +donnent à cette cérémonie une autre, ou plutôt d'autres origines sur +lesquelles ils ne peuvent s'accorder; mais les poètes aiment d'ordinaire +mieux la légende que l'histoire; l'érudition les effraie, et nul ne +s'étonnera de voir Carrer adopter la croyance des pêcheurs de Venise. On +sera, nous n'en doutons pas, tenté de l'en remercier, quand on verra de +quelle poésie limpide et brillante, j'ai presque dit phosphorescente +comme les flots de l'Adriatique, il a su la revêtir.</p> + +<h4>L'ÉPOUSE DE L'ADRIATIQUE.</h4> + +<p>«Qu'elle se taise, la joyeuse fanfare, qu'elle se taise sur la route +azurée de la mer, qu'elle se taise parmi les rochers où, pauvre âme nue, +je me cache pour soupirer.</p> + +<p>«Qu'on me le donne, l'anneau d'or, et alors je cesserai ma plainte, +alors en silence j'attendrai l'époux qui me fut fiancé.</p> + +<p>«Qu'il n'appartienne jamais à une autre celui-là qui m'a donné sa foi; +il m'a nommée sienne, et je l'attends; après la mort nous serons unis.</p> + +<p>«Pour ce jour je le prépare, le lit nuptial; je le fais d'écume +moelleuse, trompant, dans cette douce occupation, l'ardent désir qui me +consume.</p> + +<p>«Quand, parvenu à son dernier jour, mon époux descendra enfin vers moi, +il me trouvera venant à sa rencontre au bord de la grotte où je gémis.</p> + +<p>«Alors mon sein et mes cheveux seront ornés de deux colliers de +coquillages; alors je me ceindrai la taille d'une verte ceinture +d'algues marines.</p> + +<p>«Alors il verra briller à mon doigt l'anneau qu'il m'a jeté du haut du +trône d'or, cet anneau que depuis si longues années je tiens là caché +sur mon coeur.</p> + +<p>«Le reconnais-tu, le reconnais-tu, cet anneau que jamais je n'ai +quitté?--Oui, je le reconnais, bien-aimée; c'est lui que je te donnai +dans un jour de bonheur.</p> + +<p>«Mais comme tu es froide et pâle!--C'est la mer qui m'a faite ainsi, +cher amour: toi, tu as vécu au milieu des joies de la vie; et moi, +j'étais ici seule, toujours attendant, toujours pensant à lui.</p> + +<p>«Chère épouse! ô toi qui si confiante as attendu ma venue, enfin nous +voilà réunis; maintenant rien ne peut nous séparer, je ne le quitterai +plus.</p> + +<p>«Tant que durera le jour, je les parcourrai avec lui, ces ondes amies, +et quand viendra la nuit, elle sera l'asile de mon sommeil, la grotte +silencieuse.</p> + +<p>«Ensemble à toute heure et pourtant nous désirant toujours, notre amour, +né sur la mer, ne finira qu'avec la mer.»</p> + +<p>Après avoir entendu cette fille des lagunes qui pour son noble amant +veut séparer de ces jolies coquillages dont, enfant, elle avait, comme +tous les enfants de Venise, formé de gracieux colliers; après avoir vu +récompenser son fidèle amour par une éternelle union au sein de cette +mer tant aimée de tout Vénitien, suivons la capricieuse imagination du +poète en Espagne, où il a trouvé une de ses plus originales ballades. +Mais comment rendre l'harmonie de ce rhythme si parfaitement adapté au +sujet? C'est quelque chose qui rappelle le rhythme adopté par Byron dans +<i>Mazeppa</i>: c'est le galop régulier du cheval qui doit emporter la belle +Espagnole, et pas une minute l'esprit ne peut oublier le noble et +fantastique animal qui se trouve ainsi le <i>principal personnage</i> de ce +petit drame. Selon la manière d'un autre grand poète, Goethe, dans +plusieurs de ses adorables ballades, la pièce n'a pas de dénouement, et +le lecteur peut le faire riant ou terrible à volonté.</p> + +<h4>LE CHEVAL D'ESTRAMADURE.</h4> + +<p>«Un indomptable destrier bal les plaines de l'Estramadure; le royaume en +est en deuil, et ducs, chevaliers et princes, tous ont peur du fier +animal.</p> + +<p>«--Qui lui mettra le frein et la selle, je le jure, pour peu qu'il soit +chrétien, celui-là sera l'époux d'Isabelle, il deviendra gendre du +roi.--</p> + +<p>«Tel est le ban que, par ordre du monarque, un héraut va proclamant de +contrée en contrée; mais depuis six mois il est proclamé et il n'a pas +paru encore le brave qui doit gagner le prix.</p> + +<p>«Le héraut a vu la Castille et Grenade, il a visité Cadix et Séville, il +a traversé le Tage et le Douro. «Vainement il a proclamé son ban sur les +places d'Oviédo et de Pampelune, vainement il a vu et la Murcie, et +l'Aragon et le beau sol catalan.</p> + +<p>«Mais un jour voilà que se présente un obscur Biscayen, et cet homme +pauvre, riche de son seul courage, offre de lutter contre le sauvage +coursier.</p> + +<p>«Les grands étonnés raillent son audace. «Bonhomme, disent-ils, prends +l'étrille; sans elle que peut un homme de ta sorte en semblable +affaire?»</p> + +<p>«L'étranger ne répond rien; il renferme au dedans de lui sa trop juste +colère; il attend, et après une longue attente, on l'introduit devant le +roi.</p> + +<p>«Il se découvre d'abord; puis, s'adressant respectueusement au monarque: +«--La proclamation que j'ai entendue plusieurs fois est-elle fidèle, ô +roi?</p> + +<p>«Celui qui mettra le frein et la selle à un coursier qui épouvante le +royaume, celui-là sera-t-il l'époux d'Isabelle, deviendra-t-il gendre du +roi?</p> + +<p>«--Oui, dit le roi, tel est mon ban, et, je le jure, telle sera la +récompense du vainqueur, pourvu qu'il adore notre Dieu.--</p> + +<p>«Et le souverain avait à peine fini de parler, que déjà le brave inconnu +était sur le chemin où se montrait le plus souvent l'indomptable +coursier.</p> + +<p>«Il y marchait depuis peu de temps, lorsque sous de rapides bonds il +entend retentir la terre; le peuple fuit épouvanté et le laisse seul +avec l'être mystérieux qu'il doit vaincre.</p> + +<p>«Le soleil avait presque achevé sa course, et le roi, assis sur la +terrasse, parlait ainsi à sa fille assise près de lui.</p> + +<p>«--Il est parti dès le commencement du jour, le hardi Biscayen; le +soleil va se coucher, il n'est pas encore de retour: quel aura été son +destin?--</p> + +<p>«Et la jeune fille répondait: «Ô mon père! je ne crains rien, car elle +annonçait une haute valeur, la figure de l'hôte inconnu.</p> + +<p>«Isabelle parlait encore, quand la plaine fil entendre de bruyantes +acclamations, et bientôt l'étranger parut menant après lui le cheval +enfin dompté.</p> + +<p>«Le peuple qui lui faisait cortège vantait hautement sa valeur, et +bientôt, se séparant de la foule, le vainqueur s'approcha du roi, tenant +toujours le cheval dompté.</p> + +<p>«--Le voilà, dit-il, de mes mains il a reçu la selle et le frein; +maintenant elle m'appartient la main d'Isabelle, maintenant je dois être +ton gendre.</p> + +<p>«Le roi se troubla en entendant ces paroles, et il allait... Une sorte +de terreur le retint, et d'une voix douce et contenue il parla ainsi à +l'étranger:</p> + +<p>«--Ta demande est audacieuse, Biscayen; mais d'abord dis-moi ton rang, +afin que je sache à qui je parle.</p> + +<p>«--Tu ne me l'as pas demandé lorsque pour loi je me suis offert à la +lutte; mon titre de noblesse, c'est l'action que j'ai faite, c'est à +elle de répondre pour moi.</p> + +<p>«Il doit le suffire de savoir que moi aussi j'adore Jésus. Le ciel sait +le reste, le ciel qui m'a fait vaincre et a combattu avec moi.</p> + +<p>«Et le roi lui répond: «Non, Biscayen, cela ne suffit pas, car il ne +peut être l'époux de ma fille, celui qui n'est pas de sang royal.</p> + +<p>«Demande de riches vêtements, demande des bijoux précieux, tu les +obtiendras de moi, mais, je te le répète, si tu n'es pas de sang royal, +ne me la demande pas, la main d'Isabelle.</p> + +<p>«--Ce ne sont ni de riches vêlements ni des bijoux précieux qui me +furent promis; tu l'as juré que tu me donnerais Isabelle.</p> + +<p>«--Tu obtiendras de moi toute autre belle de mon royaume, et j'y +joindrai une riche dot; mais, je te le dis encore, il n'aura pas la main +d'Isabelle, celui-là qui n'est pas roi.</p> + +<p>«--Que me parles-tu d'autre belle? que me fait la dot que tu m'offres? +c'est pour Isabelle que j'ai voulu vaincre. Ô roi! remplis ta promesse.</p> + +<p>«--Pars, fuis loin de mes yeux, arrogant aventurier, et si tu ne veux +mourir, ne reparais jamais devant moi.</p> + +<p>«L'étranger se tut, et jetant sur le roi un regard de colère, il partit, +emmenant avec lui le cheval qu'il avait dompté.</p> + +<p>«On n'entendit plus parler ni de lui, ni du sauvage coursier, mais sur +le front d'Isabelle plana depuis lors un sombre nuage.</p> + +<p>«A un an de là un roi puissant demanda la main de la jeune fille; +celle-ci ne le refusa pas, elle ne l'accepta pas non plus, sa bouche +resta muette.</p> + +<p>«Cependant le roi son père a engagé sa parole, le jour des noces a été +proclamé dans toute la contrée, et de chaque point de l'Espagne on +accourt pour assister à la cérémonie sacrée.</p> + +<p>«La foule se presse et augmente de moment en moment dans l'auguste +cathédrale où se voit déjà l'archevêque, la mitre en tête et la crosse à +la main.</p> + +<p>«Sur deux haies, des deux côtés de la porte, sont rangés les varlets et +les hallebardiers contenant le peuple et gardant la voie libre pour les +chevaliers.</p> + +<p>«Déjà s'approche le royal cortège, déjà s'entend le son des trompettes; +la messe va commencer, chacun est à son poste.</p> + +<p>«L'autel est paré en fête: les fleurs et les cierges brillent de toutes +parts. Isabelle, vêtue de blanc, est là debout entre son père et son +époux.</p> + +<p>«Mais quelle sourde rumeur se répand dans la foule? On parle tout bas du +Biscayen, et plusieurs disent: «Si par hasard il était là?»</p> + +<p>«A peine a-t-on commencé le saint et redoutable sacrifice, qu'un bruit +s'élève dans un coin reculé de l'église.</p> + +<p>«L orgue retentit, comme touché par une main invisible; les lumières +s'éteignent toutes à la fois, et on entend au loin gronder le tonnerre.</p> + +<p>«Parmi les assistants renversés à terre, plusieurs virent une tombe +s'ouvrir, et de l'abîme surgit un destrier que tous eurent bientôt +reconnu.</p> + +<p>«C'était bien celui auquel l'aventurier avait mis le frein et la selle, +c'était bien celui qui pendant si longtemps avait épouvanté le roi et le +royaume.</p> + +<p>«A son aspect nul ne demeure; l'épouvante chasse du temple tous ceux qui +s'y trouvent, et le roi et le nouvel époux prennent la fuite comme les +autres.</p> + +<p>«Pour Isabelle, pour la jeune fille qui s'était rendue à la cérémonie +sans refuser, mais sans consentir, elle resta ferme au lieu où elle +était, tandis que tous les autres prenaient la fuite.</p> + +<p>«Le cheval s'approche d'elle, il plie doucement les jarrets, et, d'un +doux regard, le mystérieux animal semble l'inviter à se placer sur son +dos.</p> + +<p>«La jeune fille y monte confiante; d'une main ferme elle saisit la +bride, et le destrier n'a pas plus tôt senti le doux fardeau, qu'il +part, rapide comme l'éclair.</p> + +<p>«Sorti de l'église, il traverse la cité, prend à travers la campagne. Où +alla-l-il? nul ne le sait.</p> + +<p>«Peu à peu l'épouvante de la foule se calme; mais vainement le monarque +essaie de vaincre sa terreur.</p> + +<p>«Toujours il croit voir les cierges s'éteindre au milieu des rites +sacrés, toujours il croit entendre le sourd galop d'un cheval.</p> + +<p>«Il demande à ceux qui l'entourent s'ils ont vu l'étranger qui doit +arriver; et, à peine a-t-il reçu leur repose, que de nouveau il leur +adresse la même question.</p> + +<p>«Le pauvre fou vécut ainsi une longue année, puis il mourut, laissant la +couronne à son plus proche parent.</p> + +<p>«Et jamais nul n'entendit plus parler ni de l'aventurier inconnu ni de +la belle Isabelle, emportée par le destrier.»</p> + +<p>Pour faire bien connaître notre poète, il nous faudrait citer encore la +<i>Vendetta</i>, avec son naïf refrain: <i>l'antique histoire le dit ainsi: la +Chapelle des Innocents</i>, empruntée à une tradition suisse, plus sombre, +plus dépouillée d'ornements que les autres ballades de Carrer, mais +pleine d'expression; <i>Le Sultan, le Maure, le Chanteur Stratella</i>, l'une +des plus longues pièces, mais peut-être la plus belle du recueil, qui +suffirait seule à révéler un poète éminent: petit drame plein d'émotion, +où Carrer a déployé, en même temps qu'une vive sensibilité, l'étonnante +flexibilité de son talent et toutes les richesses d'un rhythme +heureusement varié.</p> + +<p>Dans l'impossibilité de tout citer, nous terminerons nos citations par +un sonnet dont la vague expression nous semble révéler autant les +douleurs d'une haute ambition poétique que celles d'un amour trompé.</p> + +<p>«Désormais je n'espère plus l'obtenir, la paix: je ne l'attends plus, la +guérison du mal qui me dévore sans relâche; il pâlit, le rayon qui me +donna la vie; mes jours volent rapides vers leur terme.</p> + +<p>«Elle brûle et fume encore ma plaie cachée, et la honte s'ajoute à +l'injure; et toi, vain nuage, toi, vile écume, toi, gloire, autre +perfide, tu me fuis aussi!</p> + +<p>«Comment se sont évanouies tant de douces espérances, comment est-il +mort si vite cet amour si profond? Et toi, lâche! tu les pleures les +jours écoulés, tu pleures l'heure de la joie.</p> + +<p>«Et l'avenir? je l'attends, je le considère avec stupeur. Tout secours +humain arrivera trop tard; il ne peut plus être apaisé, le soupir de mon +coeur.»</p> + +<h3>Beaux-Arts.--Salon de 1843</h3> + +<h4>TABLEAUX ET SCULPTURES.</h4> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/006a.png"><br><b>(Le Colin-Maillard, par M. Giraud.)</b></p> + +<p><i>M. E. Giraud--Colin-Maillard.</i>--Monsieur l'abbé a les yeux bandés, il +s'avance les mains étendues dans le vide; pourtant on serait tenté de +croire que le bandeau est mal assuré sur ses yeux et que l'abbé triche +un peu, car il poursuit les dames et ne se soucie point de prendre le +cavalier qui vient lui parler imprudemment à l'oreille; mais les dames +se dérobent, et l'une, glissant, tombe sur l'herbe, sans doute pour +montrer à demi sa jolie jambe, et relever une de ses mains jusqu'aux +lèvres du jeune chevalier qui, par fortune, se trouve derrière elle au +moment de sa chute. Cependant M. l'abbé pose lourdement son escarpin sur +la queue du griffon, le mignon fanfreluche, flocon de soie avec un petit +nez rose et deux jolis yeux noirs; le faune joue de la flûte sur son +piédestal, et semble rire de ce pauvre abbé, qui fait tomber la dame au +bénéfice de son prochain.--Une gaieté vive et gracieuse anime toute cette +scène; les figures sont dessinées avec une facilité charmante, et les +moindres détails spirituellement traités.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/006b.png"><br><b>(Port de Boutogne, par M. Isabey.)</b></p> + +<p><i>Les Crêpes</i>, de M. Giraud, se recommandent par les mêmes qualités de +conception et de dessin; mais les <i>Crêpes</i> ne semblent-elles pas être à +Watteau ce que les <i>Beignets à la Cour</i> sont aux comédies de Marivaux?</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/006c.png"><br> <b>(La Science, par M. Desboeufs.)</b></p> + +<p><i>M. Desboeufs.--La Science</i>, statue en marbre--La science, on le sait, +est et demeure éternellement vierge, comme la divine Minerve, sa +patronne; elle a même quelquefois des airs de pruderie, des +susceptibilités de vieille fille; aussi ne voyons-nous pas sans quelque +peine la statue de <i>la Science</i> placée près de <i>la Cassandre</i> de M. +Pradier, et nous craignions qu'elle ne se couvrît tout à coup le visage +de ses mains pudibondes, comme Ovide nous raconte que firent autrefois +les statues de Vesta, lorsque la prêtresse Rhéa Sylvia accoucha dans le +temple de la déesse. Heureusement on a eu soin de la tourner un peu du +côté de la fenêtre, de façon qu'à la rigueur elle n'est pas obligée de +voir la fille de Priam. <i>La Science</i> de M. Desboeufs a l'air grave et +austère; son front est pur et sans rides, sa tête est même élégamment +couronnée de myrte; mais le souci de la pensée semble visible dans le +pli de sa narine et de sa bouche. Elle laisse tomber sa main droite, qui +tient un manuscrit, et accoude son bras gauche sur une de ces petites +colonnes quadrilatérales dont les sculpteurs font un si grand usage +(ainsi, <i>la Cassandre</i> de M. Pradier a le dos appuyé sur un véritable +cube, tout à fait chimérique). <i>La Science</i> est surtout antique par sa +draperie remarquablement sévère, quoique un peu trop uniformément +chiffonnée; le corps, les contours surtout se sentent bien sous les plis +de cette draperie, qui rappelle de loin celle de la Cérès antique. Grâce +à Dieu, M. Desboeufs s'est montré fort économe d'attributs allégoriques; +et, sauf quelques figures de géométrie que l'on aperçoit au bas de la +statue, tout est laissé à la sagacité du spectateur.</p> + +<p>Nous croyons devoir, à ce propos d'allégorie, prévenir nos lecteurs +contre l'explication, assez plausible d'ailleurs, que nous leur avions +donnée des bateaux à vapeur et télégraphes du tableau de M. Papety. Nous +avons lu, sur ces appendices symboliques, des interprétations depuis si +différentes, que nous ne savons plus vraiment à quoi nous en tenir. Les +peintres s'amuseraient-ils à torturer de ces logogriphes l'esprit +curieux des bonnes gens, comme fit Goethe dans son <i>Faust?</i> «Voilà +trente ans, écrivait-il, que les Allemands se donnent du tracas avec les +manches à balais du Bloksberg et les conversations des chats dans la +cuisine de la sorcière; trente ans qu'ils ne cessent d'interpréter et +d'allégoriser sur ce burlesque non-sens dramatique. En vérité, on +devrait, dans sa jeunesse, se donner plus souvent de ces plaisirs, et +leur jeter à la tête des blocs comme le Brocken.»</p> + +<p><i>M. Baron.--Des Condottieri.</i>--Chacun se souvient encore du succès +qu'avait obtenu à la dernière Exposition la <i>Sieste en Italie</i>. M. Baron +n'a rien perdu de son originalité; la fantaisie de son pinceau est +toujours vive et charmante comme au premier jour. Il y a peu de ballades +en poésie qui valent ces condottieri, jouissant des heures de trêve dans +le sein de leurs foyers ou de leurs corps-de-garde, comme vous voudrez, +car il est impossible de localiser la scène; cela se passe dans un lieu +quelconque où il y a une table, une lampe à la voûte et une grande +cheminée.</p> + +<p>Un condottiere fourbit activement sa cuirasse, tandis que ses camarades +interrogent les dés, qu'une jeune femme, le dos tourné à la table des +joueurs, les pieds étendus vers la flamme du foyer, semble chercher sur +des cordes de sa guitare l'expression de sa pensée insouciante et +rêveuse.--Sur le premier plan, couchés à terre, un enfant et un +chien.--Les figures sont remarquablement expressives, même on y voit +peinte une certaine crânerie, qui rappelle les personnages à plumets des +comédies de cape et d'épée; ces condottieri conservent, en pleine paix, +leur air de bravoure, et, si l'on peut dire ainsi, leur visage ne +désarme pas.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/007a.png"><br><b>Les Condottieri, par M. Baron.</b></p> + +<p>Nous regrettons d'ailleurs de trouver quelque alliage dans le talent +original de M. Baron: il nous semble que ses figures rappellent +l'accentuation particulière à M. Poittevin, et ses murailles les +procédés ordinaires de M. Decamps. Cette seconde imitation est surtout +manifeste, et nous en sommes d'autant plus fâchés pour M. Baron, que +cette année <i>le Decamps</i>, comme on dit, semble tout à fait à la mode, et +que l'on aperçoit sur de fort méchantes toiles des réminiscences ou +copies de ce genre. Un jour on reprochait à un grand paysagiste d'imiter +les moutons d'un autre; aussitôt il les supprima; que M. Baron supprime +de même ses murailles, s'il ne peut pas les imaginer autrement, qu'il se +retranche sévèrement tout ce qu'autrui peut lui revendiquer:</p> + +<p class="mid">Mon verre est bien petit, mais je bois dans mon verre.</p> +<br> + +<h3>La Vengeance des Trépassés.</h3> + +<p class="mid">NOUVELLE.</p> + +<p class="mid">(Suite.)</p> + +<p>Léonor fut saisie d'une profonde émotion en écoutant cet air, qui, la +nuit précédente, avait déterminé sa fuite, et, selon toute apparence, +décidé du sort de toute sa vie. Quand le couplet fut achevé, elle fit un +signe à don Christoval, et ils chantèrent à deux voix <i>l'estrivillo</i>;</p> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i16">Mira no tardes,</p> +<p class="i20"> (Ayolé!)</p> +<p class="i16">Que suele en un momento</p> +<p class="i16">Mudarse al ayre.</p> +</div></div> + +<p>Avant qu'ils eussent fini, une fenêtre s'était ouverte, et une jeune +dame avait paru derrière les barreaux; elle écouta attentivement les +chanteurs. Aussitôt le couplet achevé, don Christoval adressa la parole +à la maîtresse de ce logis, et renouvela sa requête, si brutalement +repoussée par le portier. La dame avança le bras hors des barreaux comme +pour faire un signe d'assentiment, puis elle se retira, et la fenêtre fut +refermée.... Mais quelques minutes après, la grand'porte s'ouvrit, et le +portier, tenant une lanterne, vint chercher les étrangers. Il s'empara +du cheval en grommelant: «Vous eussiez mieux l'ait de rester dehors; +vous n'avez pas voulu me croire; c'est votre affaire!» Et, sans même +retourner la tête, il se dirigea vers l'écurie. Un laquais se présenta à +sa place, et introduisit les hôtes dans un salon étincelant de lumière. +Les meubles, les draperies relevées de franges d'or, tout ce luxe +annonçait une demeure où le bon goût s'alliait avec l'opulence. On +voyait aux quatre coins des caisses d'arbustes fleuris; les consoles +étaient chargées de grands vases de porcelaine de la Chine remplis de +fleurs, et tout autour de ce lieu de délices régnait un large divan avec +des coussins d'étoffe de soie cramoisie pareille aux tentures. Trois +personnes étaient assises sur le divan: un vieillard majestueux, +habillé, à la mode orientale, d'un riche cafetan bleu, et coiffé d'un +turban de mousseline aussi blanche que la barbe vénérable qui lui +descendait jusqu'au milieu de la poitrine. Deux jeunes dames étaient à +ses côtés, parées avec élégance et belles comme le jour. L'une, qui +paraissait l'aînée, était brune et avait à la main un bouquet de roses +muscades; l'autre était blonde et tenait un luth ou théorbe de forme +antique. Le vieillard se leva pour faire honneur à ses hôtes: «Soyez les +bienvenus sous mon toit, leur dit-il; je vous présente mes deux filles, +Amine et Rachel.» Rachel était la musicienne.</p> + +<p>Don Christoval remarqua que les deux soeurs portaient de jolis gants +noirs qui montaient jusqu'au coude, et par conséquent ne permettaient +pas de juger de la beauté des bras. Le vieillard était pareillement +ganté de noir, mais seulement à la main droite; la gauche était nue.</p> + +<p>La conversation s'engagea, et les voyageurs furent naturellement amenés +à dire qui ils étaient, d'où ils venaient, où ils allaient. Don +Christoval se garda bien de faire connaître la vérité; mais comme il +avait infiniment d'esprit, il improvisa une histoire suivant laquelle il +se nommait don Fernand Tellez, nouvellement marié, et allant avec sa +femme rejoindre sa famille établie à Jaen, ou dans les environs. Il +arrangea si bien la chose, avec force détails, qu'il était impossible de +soupçonner sa véracité. De sa part, le maître de la maison ne voulut pas +demeurer en reste, il leur apprit donc qu'il s'appelait Ibrahim, natif +du port de Ceuta, par conséquent Moresque de nation et de religion, il +avait longtemps habité Cordoue, où il avait fait fortune par le +commerce; mais des chagrins et des malheurs particuliers l'avaient +dégoûté de cette ville et même de la fréquentation des hommes; en sorte +qu'il s'était retiré avec ses deux filles et son frère dans cette +demeure isolée, où ils vivaient en paix, conservant les pratiques +religieuses et les moeurs de leur pays, sans jamais voir personne, si ce +n'est de temps à autre quelque passant égaré de sa route, à qui ils +accordaient avec plaisir l'hospitalité.</p> + +<p>En cet endroit, la porte de la salle s'ouvrit, et l'on vit paraître un +second vieillard. Mais autant le premier avait la contenance noble et la +mine loyale, autant celui-ci avait l'extérieur commun et repoussant, +mauvaise figure, les yeux enfoncés, le regard faux, un long nez +perpendiculaire et la barbe horizontale; ses lèvres minces semblaient +vouloir se cacher dans sa bouche. Cet autre vieillard avait aussi la +main gauche nue et la droite couverte d'un gant noir. Ah! s'écria +Ibrahim, voilà mon frère Diego, dont je vous parlais; il revient de la +ville, où le soin de nos affaires le contraint d'aller quelquefois. +Puisqu'il est arrivé, rien ne nous empêche plus de nous mettre à table. +On vient de m'avertir que le souper était servi. Passons, s'il vous +plaît, dans la salle à manger.</p> + +<p>Amine et Rachel s'approchant de leur père, lui prirent chacune un bras +et l'aidèrent à se lever avec des difficultés inouïes. Les étrangers +s'aperçurent alors que ce beau vieillard avait la moitié du corps +paralysée. Pour le faire avancer, une de ses filles poussait doucement +du pied la jambe insensible, et le pauvre Ibrahim s'aidait de l'autre +comme il pouvait, s'appuyant de tout son poids sur ses belles +conductrices. Cette opération ne se lit pas sans bien des gémissements à +demi étouffés de la part du malade, et une grande compassion de la part +des assistants. Ibrahim fit même quelques exclamations que Léonor et don +Christoval ne purent comprendre, car il se servait de la langue arabe. +On parvint à la fin dans la salle à manger, et Ibrahim une fois assis, +ne tarda pas à reprendre sa belle humeur. Il fit mettre Léonor auprès de +lui; don Christoval se mit en face, entre Amine et Rachel; le frère +Diego s'assit à la gauche d'Ibrahim.</p> + +<p>Amine et Rachel, après s'être placées, commencèrent à tirer leurs gants. +Elles ôtèrent celui du bras gauche, et don Christoval, qui avait une +passion particulière pour les beaux bras, faillit tomber en extase +devant la perfection de ceux qu'on offrait à ses regards. Il attendait +avec impatience le moment de juger si les bras droits seraient aussi +admirables; mais son attente fut vaine. Les gants du bras droit +demeurèrent en place, et les deux hommes conservèrent aussi le gant noir +de leur main droite. Cela parut très-singulier à don Christoval; car +évidemment cette main droite gantée devait être incommode à table. Il y +avait donc quelque chose là-dessous. Don Christoval ne savait que +penser: mais il était trop bien élevé pour se permettre aucune question +sur cette bizarrerie, et même pour avoir l'air de s'en apercevoir. Il +finit par s'imaginer que c'était un point de religion, ou peut-être un +voeu obligatoire pour tous les membres de cette famille, de ne pas +découvrir leur main droite.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/007b.png"></p> + +<p>Ibrahim, en chef de maison, commença par faire ses excuses à ses hôtes +pour la mauvaise chère. Effectivement la table n'était garnie que de +fruits; mais c'étaient des fruits magnifiques servis dans des vases et +des corbeilles d'argent ciselé; un seul plat couvert était au milieu, et +Ibrahim ayant enlevé le couvercle, on vit qu'il contenait deux poulets +accommodés au riz. Nous ne buvons point de vin, dit Ibrahim, notre loi +nous le défend; mais comme nos hôtes ne sont pas assujettis à nos +pratiques, j'ai fait placer devant vous un flacon du meilleur cru +d'Espagne. Ne vous en faites pas faute.</p> + +<p>Les convives se mirent à manger de bon appétit, et la conversation +s'étant animée: Frère, demanda Ibrahim, que dit-on de nouveau à la +ville? On ne s'y entretient, répondit Diego, que d'un accident arrivé +chez les nonnes de Sainte-Claire, et qui a failli les consumer toutes +vives dans leur maison. Une jeune religieuse avait l'habitude de lire en +cachette, pendant la nuit, des livres de poésie et d'amour. Or, la nuit +dernière le sommeil l'ayant surprise, le feu se mit à ses rideaux et se +communiqua avec rapidité. Par bonheur, le jardinier, qui faisait le guet +contre les voleurs, dans son verger, donna l'alarme assez à temps, et +les secours qu'on s'empressa d'apporter sauvèrent les bâtiments du +monastère. Les soeurs en seront quittes pour quelques cellules réduites +en cendres.--Personne au moins n'a péri? dit Léonor d'une voix +émue--Pardonnez-moi. La jeune religieuse fut dévorée par les flammes; on +ne retrouva que ses os calcinés. De plus, une vieille tourière, dont la +cellule touchait le foyer de l'incendie, périt également étouffée par la +fumée qui l'empêcha de fuir. Comme vous voyez, le dommage n'est pas +grand! Il n'y a de regrettable que la jeune fille; car pour la +décrépite, il y aura toujours assez de celles-là. La perte des meubles +n'est rien. Les nonnes ont fait une quête dont le produit, à ce qu'on +assure, réparerait deux ou trois désastres pareils; de sorte qu'elles y +gagneront encore en fin de compte. Est-ce que les nonnes et les moines +ne se tirent pas toujours d'affaire?</p> + +<p>Le vilain Diego se tut sur cette interrogation. Léonor était extrêmement +pâle et agitée. Pour empêcher qu'on ne prit garde à son trouble et pour +donner un autre tour à la conversation, don Christoval se mit à dire: +Excusez ma franchise, mon cher hôte; mais ce riz me paraît bien fade. Je +crois que votre cuisinier y a totalement oublié le sel; je n'en vois pas +non plus sur la table. Ne serait-il pas possible d'en avoir?--Nous n'en +faisons point usage, dit gravement Ibrahim; mais on va vous en +donner.--Il lit un signe, et l'esclave noir qui servait à table étant +dehors pour le moment, Rachel se leva, sortit par une porte située +derrière don Christoval, par conséquent vis-à-vis Léonor, et rentra une +minute après tenant une salière. Don Christoval, l'ayant remerciée, +sala son riz et prit du sel sur la pointe de son couteau, pour en mettre +dans celui de Léonor; mais en passant par-dessus l'assiette de Rachel, +quelques grains y tombèrent. Rachel ne s'en aperçut pas d'aburd, mais à +la première cuillerée elle ne put douter de ce qui était arrivé. Elle +réagit et regarda fixement don Christoval, qui n'y faisait point +attention, étant absorbé par l'état où il voyait sa compagne. En effet, +depuis une minute, la pâleur de Léonor s'était considérablement accrue; +on aurait dit le visage d'une morte, et malgré tous ses efforts pour +combattre l'évanouissement, elle se laissa aller à la renverse sur le +dos de son siège, en poussant un faible soupir comme une personne à +l'agonie.</p> + +<p>Aussitôt le repas est interrompu, on entoure Léonor, on la secourt, on +la questionne.--Ce n'est rien, dit-elle, en reprenant ses esprits, ce +n'est rien. La fatigue de cette journée a été grande pour moi; j'avais +la fièvre en me mettant à table; le récit de don Diego m'a vivement +émue; il n'est pas surprenant que mon souper m'ait tait mal J'ai eu tort +de manger; j'avais plus besoin de repos que de nourriture. Je sens que +le lit me remettra; je souhaiterais me retirer pour dormir.--A +l'instant, répondit Ibrahim d'un ton plein de bonté. Et il ajouta, en +regardant ses filles et avec un clignement d'oeil qui n'échappa point à +don Christoval:--Tout est-il prépare dans la chambre des hôtes?--Rachel +se hâta de prévenir sa soeur, et répondit:-Non, mon père; mais ce soin +me regarde: dans une minute tout sera prêt.--En disant ces mots, elle +s'élança hors de la salle, mais non par la même porte par où elle était +allée chercher le sel.</p> + +<p>Amine apporta des senteurs exquises à Léonor, qui parvint enfin à +comprimer le, frisson nerveux dont elle était saisie. Don Christoval +était rêveur; Ibrahim et Diego gardaient le silence. Tous les +personnages commençaient à être embarrassés les uns des autres, sans +trop savoir pourquoi. Léonor voulut essayer de faire quelques tours dans +le salon; Amine lui offrit son bras, qu'elle accepta, et elles allaient +commencer leur promenade, quand Rachel reparut une bougie à la main. On +se donna mutuellement le bonsoir, et, avec un sourire équivoque, Diego +ajouta, par forme d'encouragement: «Il faut espérer que demain, madame, +vous ne sentirez plus aucun mal.»</p> + +<p>Lorsqu'ils furent seuls dans leur chambre, la porte fermée au verrou, +Léonor s'arma de résolution et murmura à l'oreille de don Christoval; +«Nous sommes perdus! nous sommes dans un coupe-gorge!</p> + +<p>--Comment, qui vous l'a dit?</p> + +<p>--Quand vous avez demandé du sel, Rachel est allée vous en chercher. +Lorsqu'elle est rentrée, j'avais par hasard les yeux attachés sur la +porte par où elle était sortie et à laquelle vous tourniez le dos. Hé +bien, quelle qu'ait été sa promptitude à refermer cette horrible porte, +mon regard s'est glissé dans la pièce voisine, et je suis certaine +d'avoir entrevu, à la faible lueur d'une flamme qui brûlait dans cette +pièce, un cadavre humain suspendu au plafond!</p> + +<p>--Ô ciel! êtes-vous bien sûre de ne pas vous être trompée?</p> + +<p>--Plût à Dieu! mais non, don Christoval, comptez sur ce que je vous dis. +Rappelez-vous le propos de cet homme qui ne voulait pas nous introduire: +<i>vous eussiez mieux fuit de rester dehors.</i> Il faut trouver un moyen de +fuite, ou bien c'est fait de nous.</p> + +<p>--Et mes pistolets sont restés à l'arçon de ma selle! J'ai bien un +poignard, mais ils auront l'avantage et du nombre et des armes!</p> + +<p>--Nous ne sommes qu'au premier étage; si cette fenêtre donnait sur la +campagne, peut-être avec les draps du lit...»</p> + +<p>Don Christoval courut examiner la fenêtre, et Léonor se mit en devoir de +défaire le lit.</p> + +<p>«Hélas! dit-il en revenant, la fenêtre donne effectivement sur un +jardin, mais elle est grillée.»</p> + +<p>Cette grille confirmait leurs craintes. Léonor, épouvantée, laissa +tomber le traversin qu'elle avait dérangé à moitié. En ce moment, un +objet caché dans le pli du drap s'échappa et lit un peu de bruit en +tombant sur le plancher. Don Christoval ramassa une petite clef dans +l'anneau de laquelle était glissé un papier plié en deux. Il l'ouvrit et +lut ces mots tracés au crayon: «Nous avons mangé du sel ensemble, je ne +puis vous laisser périr. Cette clef ouvre le buffet de votre chambre. +Que Dieu protège votre fuite! Éteignez votre lumière, et surtout ne +partez pas avant que le lit ait disparu.»</p> + +<p>Ce billet secourable venait sans doute de Rachel. Les termes n'en +étaient pas clairs à la première lecture; il en fallut une seconde, +après laquelle les deux amants, un peu moins émus, examinèrent la +chambre qu'on leur avait donnée. C'était une vaste pièce toute +lambrissée en chêne, si haute que la lumière de la bougie éclairait à +peine le plafond. L'ameublement consistait en un lit à baldaquin placé +sur une estrade et en quelques vieux fauteuils de tapisserie; rien de +plus, pas même un miroir sur la cheminée gothique. Dans un coin on +voyait s'avancer en saillie le buffet, ou placard mentionné dans la +lettre de Rachel. Don Christoval y essaya la clef avec précaution. La +porte s'ouvrit silencieusement, et la lumière approchée découvrit que +cette prétendue armoire n'avait pas de fond, mais servait d'entrée à un +passage obscur et bas. C'est là-dedans qu'il fallait s'engager à tout +hasard pour conserver la dernière chance de salut.</p> + +<p>D'après les instructions de leur libératrice, il ne fallait point partir +sur-le-champ, mais attendre, et attendre dans les ténèbres; car +apparemment on guettait le moment où ils seraient couchés et endormis. +Don Christoval tira de sa poche une petite lanterne sourde qu'il portait +toujours en voyage; il ralluma, souffla la bougie, puis Léonor et +Christoval, blottis dans l'angle de la cheminée, celui-ci cachant encore +sa lanterne sous son manteau, attendirent avec anxiété l'événement qui +devait leur servir de signal.</p> + +<p>Au bout d'un quart d'heure, qui leur avait paru un siècle, il leur +sembla ouïe marcher sur leur tête. Léonor crut avoir distingué un son de +ferraille, comme si l'on eût secoué des chaînes. Le silence se rétablit +et se prolongea si longtemps, qu'après avoir passé par tous les degrés +de l'angoisse, ils ne savaient plus que penser. Don Christoval en était +à se demander si tout cela ne serait pas un jeu, une mauvaise +plaisanterie concertée d'avance pour s'égayer ensuite aux dépens de la +terreur qu'ils auraient eue. Un si grossier manque de convenance était +bien invraisemblable; mais enfin l'heure s'écoulait et rien ne +paraissait. Soudain, à quelques pas d'eux, un coup énorme est frappé, un +coup étouffé, sourd. C'était le ciel du lit qui s'abattait chargé d'une +masse de plomb considérable. Une minute après, le grincement d'une +poulie mal graissée se fit entendre, et à travers l'ombre claire d'une +nuit d'été, Christoval et Léonor virent leur lit remuer, descendre +lentement et enfin s'abîmer à travers le plancher.</p> + +<p>Ce n'était pas le moment de s'arrêter à trembler; l'heure était arrivée. +Christoval et Léonor s'élancèrent dans le passage masqué par le buffet, +dont ils eurent la présence d'esprit de refermer les portes derrière +eux. Ce passage était complètement obscur, bas et voûté, s'abaissait par +une pente si rapide, qu'ils avaient beaucoup de peine à ne point +glisser. Ils tâchaient de se retenir aux murailles et avançaient à +tâtons dans ce labyrinthe de pierre qui ne finissait pas. Don Christoval +tenait d'une main sa tremblante compagne et de l'autre son poignard à +tout événement. F. G.</p> + +<p>(La suite à un autre numéro.)</p><br> + +<h3>Nouvelles Inventions.</h3> + +<h4>LE PROCÉDÉ ROUILLET.</h4> + +<p>Dans l'art du dessin il y a une partie qui n'est autre chose que +l'imitation exacte du contour des objets, de leurs positions et de leurs +proportions relatives; c'est la reproduction matérielle de ce que nous +voyons; l'imagination et le sentiment n'ont aucune part dans ce travail +entièrement mécanique, mais dont la difficulté est extrême. Ainsi, les +peintres consument de longues années, s'épuisent en efforts multipliés +pour arriver à bien dessiner, c'est-à-dire à reproduire ce qu'ils +voient. Au lieu de pouvoir se livrer sans crainte à l'inspiration, ils +sont arrêtés dans la composition de leurs tableaux par les proportions, +la perspective, la forme des objets. Un procédé, au moyen duquel cette +difficulté serait éliminée rendrait donc un immense service à l'art en +général et à la peinture en particulier. L'artiste serait ramené à sa +véritable vocation, qui n'est pas de copier servilement la nature, mais +de l'idéaliser; de même que ce n'est pas celui qui taille la statue dans +le marbre qui est le statuaire, mais celui qui traduit sa pensée en la +matérialisant dans une masse d'argile. De même aussi celui-là n'est +point un géomètre, qui sait mesurer exactement les longueurs des côtés +d'un triangle, mais celui qui, de la connaissance d'un côté de ce +triangle et de ses angles adjacents, déduit la figure et la grandeur du +triangle tout entier.</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/008.png"></p> + +<p>Un peintre, M. Amaranthe Rouillet, vient de résoudre le problème de la +reproduction exacte des objets. Il a imaginé un appareil simple, +très-portatif, commode et totalement différent de la chambre-claire, du +diagraphe et du daguerréotype. Avec cet appareil, on peut, sans savoir +dessiner, dessiner très-rapidement, à une échelle quelconque, un édifice +en perspective, un paysage, une statue, et faire le portrait d'une +personne avec une exactitude incroyable. Le crayon, la plume, le fusain, +le pinceau, peuvent être mis indifféremment en usage. Le dessin est +d'une exactitude miraculeuse, le portrait d'une ressemblance telle, +qu'on reconnaît une personne vue par derrière, ou dont la figure est +cachée. Les raccourcis les plus étonnants sont rendus complètement au +moyen d'un simple trait. Un grand nombre de peintres ont vu les dessins +de M. Rouillet et en ont été étonnés; tous ont avoué qu'il leur serait +impossible d'atteindre à cette perfection dans la vérité des contours. +La plupart désirent que son procédé entre dans le domaine public; +quelques-uns voudraient qu'il restât secret: ce sont ceux dont tout le +mérite consiste à faire des yeux, des oreilles, des bras et des jambes +dans les proportions voulues; copistes d'académies, qui sont aux +véritables artistes ce que l'ouvrier statuaire, dont nous parlions tout +à l'heure, est au sculpteur.</p> + +<p>Le procédé de M. Rouillet, utile aux artistes, sera un service immense +rendu aux savants, aux voyageurs, aux artisans, aux décorateurs et aux +mécaniciens. Pouvoir reproduire fidèlement, facilement et rapidement +tous les objets de la nature et de l'art, est un bienfait dont la +société tout entière lui sera reconnaissante. Le dessin suivant a été +fait en deux minutes: il représente l'enfant de l'auteur, modèle bien +remuant, posant mal, et qu'on a dû saisir, pour ainsi dire, au vol +pendant qu'il attendait sa soupe. Toutes les personnes qui comprennent +la nature seront frappées de la vérité naïve de cet ensemble, et ceux +qui ont vu le petit modèle le reconnaîtront à l'instant. Faisons des +voeux pour que la découverte de M. Rouillet, fruit de cinq ans de +méditations assidues et d'essais multipliés, soit portée à la +connaissance du public. Diminuer les difficultés matérielles de l'art +pour faire une place plus large aux sentiments et à l'imagination, ce +n'est point diminuer le mérite de l'artiste, c'est au contraire diriger +toutes ses facultés vers l'étude du beau et l'intelligence du sujet, +dans la disposition des personnages, l'expression des sentiments, +l'harmonie des couleurs et la traduction poétique des beautés de la +nature.</p> +<br> + + +<h3>Industrie.</h3> + +<h4>LE SUCRE DE CANNE ET LE SUCRE DE BETTERAVE..</h4> + +<h4>I.</h4> + +<h5>Production de la Canne et fabrication du Sucre.</h5> + +<p>La canne à sucre paraît originaire de l'Orient, où elle peut se +reproduire par semence. Dans les autres pays, on a adopté l'habitude de +la planter par boutures, et elle pousse ainsi d'une manière surprenante.</p> + +<p>Dans l'Inde, chaque bouture donne trois à six cannes, qui, lorsqu'on les +coupe, ont de deux à trois mètres de hauteur et vingt-cinq à trente +millimètres de diamètre. On les plante vers la fin de mai, et la récolte +se l'ail environ neuf mois après leur plantation, c'est-à-dire vers +janvier et février. Il existe plusieurs variétés de cette plante +précieuse. On en compte trois principales: la <i>canne du Brésil</i>, qui, +quoique venue originairement de l'Asie, a reçu ce nom parce qu'elle +était arrivée aux Antilles en passant à travers le Brésil; la <i>canne +d'Olahiti</i>, la plus robuste, celle qui fournit le plus de sucre, et la +canne à sucre violette, connue sous le nom de <i>Batavia</i>.</p> + +<p>Les cannes viennent ordinairement, dans les Antilles, de boutures et de +rejetons. Les premières ne peuvent généralement être coupées avant +quinze ou seize mois, tandis que les secondes le sont d'habitude de onze +à douze. Les mois de février, mars, avril et mai, sont ceux employés à +la coupe et à la récolte. L'abattage des cannes est en général une +opération longue, difficile, coûteuse, et qui nécessite l'emploi d'un +personnel considérable. D'abord toutes les cannes ne parviennent pas +ensemble à la maturité, et même les parties d'une même tige ne mûrissent +pas toujours au même moment. La coupe d'une plantation peut donc ainsi +durer trois mois; car il faut n'abattre à la fois que la quantité de +cannes qui peut être immédiatement broyée par le moulin: sans cette +indispensable précaution, le sucre qu'elle contient entrerait rapidement +en fermentation. Il en serait de même du jus, si on ne se hâtait de +l'employer. Ce jus, ou plutôt ce suc susceptible de se convertir en +sucre, est ce qu'on appelle <i>vesou</i>.</p> + +<p>Pour opérer cette conversion, on a recours à plusieurs opérations +successives dont nous allons donner la description. Nous croyons ne +pouvoir mieux faire que de l'emprunter à un savant économiste. M. Rodet.</p> + +<p>«Dans l'intérieur d'une sucrerie proprement dite, dit M. Rodet, sont +établis sur une même ligne les fourneaux et leurs chaudières. L'ensemble +des chaudières se nomme <i>équipage</i>. On en a souvent deux dans la même +sucrerie; mais, dans ce cas, les chaudières de même nom sont de diverses +grandeurs, et on les distingue en <i>grand</i> et <i>petit équipage</i>. Un seul +foyer chauffe tout l'équipage et est placé sous la plus petite +chaudière. Chaque chaudière a son nom; la plus rapprochée du bassin à +jus s'appelle <i>la grande</i>; celle qui suit <i>la propre</i>; la troisième, +<i>le flambeau</i>; la quatrième, <i>le sirop</i>, et la dernière, <i>la batterie</i>.</p> + +<p>«Toutes les chaudières diminuent de grandeur, depuis la <i>grande</i> jusqu'à +la dernière, et cela en raison du rapprochement du jus; presque partout +encore, ces vases sont en fonte, et leur contenance est encore augmentée +par la maçonnerie exhaussée qui les entoure. La partie supérieure du +fourneau n'est pas de niveau, et reçoit une pente de 4 à 5 centimètres +par chaudière. <i>La batterie</i> est la plus élevée d'environ 20 à 22 +centimètres. Cette précaution est prise pour ne point perdre le sirop +quand celui-ci s'enlève au-dessus des chaudières, et dans ce cas il +rentre dans celle qui précède celle dont il sort; il entraîne sans +inconvénients quelques écumes avec lui, puisqu'il rentre dans une +chaudière de sucre moins purifiée. Près de chaque chaudière est un petit +bassin correspondant à une gouttière qui se rend dans <i>la grande</i>. Ces +bassins reçoivent les écumes, à mesure qu'on les enlève.</p> + +<p>«Les anciennes chaudières étaient en fonte et se brisaient fréquemment. +Quelques personnes en ont substitué de cuivre, de forme conique et à +fond presque plat. Ce changement a été une amélioration à laquelle on a +fait faire de nouveaux progrès.</p> + +<p>«On fait couler le jus du bassin dans <i>la grande</i>, on y ajoute une +certaine quantité de chaux préparée à l'avance, et de suite on remplit +avec le suc ainsi traité <i>le sirop</i> et <i>le flambeau</i>. On opère de même +une seconde fois, et l'on verse dans <i>la propre</i>; il faut alors remplir +de nouveau <i>la grande</i> et continuer l'addition de la chaux. Aussitôt que +les quatre grandes chaudières sont pleines de jus et <i>la batterie</i> d'eau, +on allume le foyer, qui, étant plus rapproché du <i>sirop</i> et du +<i>flambeau</i>, les fait bouillir d'abord; on enlève alors les écumes, et +l'on fait passer le <i>vesou</i> de ces deux chaudières dans <i>la batterie</i>. +Pendant ce temps on a enlevé les grosses écumes du suc de la <i>propre</i>, +et on le fait passer dans le <i>flambeau</i>; celui de la <i>grande</i> est +transporté dans <i>la propre</i>, et <i>l'équipage</i> est en roulement complet. +Ce changement de chaudière se fait au fur et à mesure que chaque +opération est terminée; mais on réunit toujours dans <i>la batterie</i> le +produit de plusieurs chauffes des autres chaudières Quand le sirop de +<i>la batterie</i> est arrivé au degré favorable, on le verse dans le +rafraîchissoir après avoir diminué le feu, et de suite on remplit la +batterie avec la charge du <i>sirop</i>, celui-ci avec celle du <i>flambeau</i>, +le <i>flambeau</i> avec le vesou de <i>la propre</i>, et cette dernière avec le +jus de la <i>grande</i>, et l'on continue de travailler.</p> + +<p>«D'un premier rafraîchissoir où il a été déposé, le sirop encore chaud +est porté dans un second rafraîchissoir, où l'on ajoute une seconde +cuite plus rapprochée que la première, afin que la cristallisation +commence aussitôt après la réunion; on remue ou l'on <i>mouve</i> bien ces +deux cuites, qui, réunies, forment un <i>empli</i>, et l'on va verser le +tout dans un bac ou dans des formes. On appelle <i>bac</i> un coffre de trois +mètres trente centimètres de long sur deux mètres de large, et +trente-trois centimètres de profondeur. Les formes sont des vases +coniques en terre cuite de différentes dimensions. On verse plusieurs +emplis dans le même bac, mais sans remuer le sirop déjà déposé, et qui +commence à cristalliser.»</p> + +<p>Telle est la méthode la plus généralement adoptée dans les colonies +françaises pour la fabrication du sucre. Ces opérations terminées, on +procède au travail de la purgerie.</p> + +<p>«Les <i>purgeries</i> sont de deux sortes, suivant l'espèce de sucre qui doit +y être préparé. Celle à <i>moscouade</i>, ou <i>sucre brut</i>, est un bâtiment de +vingt-trois mètres de long sur environ sept mètres de large, et divisé +en deux parties. L'une, creusée dans le sol de deux mètres au moins, est +partagée en plusieurs bassins que l'on nomme <i>bassins à mélasse</i>, et +l'autre, construite au-dessus de la première, est appelée <i>le plancher</i>. +Celui-ci est à claire-voie et se trouve au niveau du sol. Les bassins +sont cimentés avec soin, et ont ordinairement une partie de leur fond un +peu plus creuse que l'autre pour favoriser le puisage des mélasses. Des +barriques ouvertes par le dessus, et reposant sur l'un des fonds, qui +est percé de quelques trous, reçoivent, les sucres à égoutter, quand +toutefois on a placé dans les trous dont nous venons de parler des +cannes à sucre qui se prolongent jusqu'au-dessus du tonneau; on laisse +le sucre s'égoutter pendant près de trois semaines, après lesquelles on +remplit la barrique et on place le fond supérieur; on ferme avec des +chevilles les trous pratiqués dans le fond de la barrique, et le sucre +peut alors être expédié.</p> + +<p>«On construit quelquefois, à l'une des extrémités de la purgerie, un +fourneau en maçonnerie sur lequel sont établies deux chaudières à faire +cuire et raffiner les sirops égouttés des formes.</p> + +<p>«Le sirop incristallisable que l'on nomme <i>mélasse</i>, et qui est produit +par l'égouttage des sucres, sert à préparer le rhum, esprit alcoolique +que l'on porte au titre de 20 à 24 degrés. On peut aussi l'employer à la +nourriture du bétail en y mêlant de la paille hachée ou de la bagasse +coupée en très-petits morceaux.</p> + +<p>«A la Guadeloupe et à la Martinique il y a environ 50 p. cent de +mélasse; à Cayenne et à Bourbon, 60 p. cent.»</p> + +<p>Ces chiffres peuvent donner à connaître l'état de la fabrication dans +les Antilles, et combien les colons pourraient gagner en améliorant +seulement leurs procédés, s'il est vrai, ainsi que le prétendent +plusieurs chimistes distingués, que la mélasse est en quelque sorti un +produit dégénéré, résultant d'une fabrication vicieuse, et que tout ce +que contient la canne est matière cristallisable.</p> + +<p>«La <i>purgerie</i>, continue M. Rodet, dans laquelle on prépare le sucre +<i>terré</i> ou <i>claircé</i>, demande des dimensions beaucoup plus grandes, et +aussi à être divisée en divers compartiments par des traverses en bois. +Ceux-ci portent le nom de <i>cabanes</i>, et reçoivent les formes pleines de +sucre à égoutter. On les y place sur des puis de forme particulière, +après avoir enlevé la cheville qui s'opposait à l'écoulement du sirop. +Il serait plus avantageux de placer ces formes sur des gouttières qui +conduiraient les sirops dans un bassin unique où l'on pourrait les +reprendre pour leur faire subir une nouvelle cuite. Quand la partie +liquide du sucre s'est écoulée, on porte les formes sur d'autres pots, +et l'on procède au <i>terrage</i> ou au <i>clairçage.</i>»</p> + +<p>De tous les sucres, si nous en croyons les expériences qui ont été +faites et les calculs fournis par M. Longchamps, le plus riche est le +sucre de l'Inde. Dans l'Inde, un hectare planté en cannes produit 32,110 +kil. de <i>vesou</i>, lesquels rendent 5,681 kil. de moscouade; par +conséquent, 100 de vesou rendent 17,70 de moscouade. Dans les colonies +anglaises de l'Amérique, 100 de vesou produisent, d'après Edward, 12,15 +de moscouade. A la Martinique, les expériences ont amené le chiffre de +11,8 de moscouade pour 100 de vesou. A la Guadeloupe le chiffre est le +même; bien que 100 de vesou y donnent 17 de matière sucrée, on n'y +obtient que 12 environ de moscouade, le reste est à l'état de mélasse.</p> + +<p>Pour terrer le sucre, on étend sur la forme une couche d'argile +plastique qui doit être peu ou même point calcaire, et ne contenir ni +sels facilement dissolubles dans l'eau, ni matières colorantes avec, +lesquelles l'eau puisse se combiner. Cette couche d'argile fait en +quelque sorte l'office de philtre et est lentement traversée par l'eau, +qui, pénétrant ainsi pour ainsi dire goutte à goutte et par la base dans +la forme emplie de sucre brut, lave le grain en sucre et le purifie en +repoussant devant, elle le sirop qui le salit. On comprend facilement +que plus l'eau avance dans la forme, moins elle a la faculté de se +charger de sirop. Si, l'opération terminée, vous redressez et videz la +forme, vous trouverez dans le pain qui en sortira une série de courbes +de moins en moins blanches. Vient d'abord le <i>sucre-tête</i>, c'est-à-dire +l'extrémité du cône, qui est jaunâtre; immédiatement après, le <i>petit +sucre</i>, d'une nuance tirant sur le gris. Après ces deux couches +commencent les couches blanches, qui, en leur appliquant le même +raisonnement, présenteront, suivant leur position, divers degrés de +pureté. Elles forment ce qu'un appelle le <i>sucre terré blanc</i>, et on en +compte quatre sortes, toujours de plus en plus blanches, jusqu'à la +quatrième, qui est précisément à la base du cône, d'où lui est venu le +nom usité dans le commerce, de <i>bonne quatrième</i>.</p> + +<p>Le <i>clairçage</i> a beaucoup d'analogie avec le terrage, car c'est la +filtration à travers le sucre brut d'une eau complètement saturée de +sucre, et qui a pour objet, par la pression qu'elle exerce au dehors, de +dégager les cristaux de la mélasse qui les enveloppe. Pour rendre le +clairçage à la fois plus facile et plus parfait, on traite d'abord le +sucre avec du noir animal ou du sang. Le clairçage est dans le +traitement des sucres une amélioration qui aurait fait plus de progrès +sans les obstacles imposés par nos lois de douanes. Il suffira, pour +s'en convaincre, de jeter les yeux sur le tableau suivant, qui résume +les tarifs aujourd'hui payés par les sucres selon leurs différentes +provenances.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/008a.png"></p> + +<p>On reconnaît, à la seule inspection de ce tableau, combien notre +législation douanière est préjudiciable aux colonies, puisque, pour +accorder une protection aux raffineries indigènes, elle a voulu en +élevant le droit dans une si forte proportion, et suivant le degré de +perfection dans la fabrication, imposer aux sucres épurés et blanchis +par le <i>clairçage</i> ou tout autre procédé de fabrication analogue, une +taxe proportionnée à leur richesse cristallisable. Aussi, qu'en est-il +résulté? Il ne vient pas de sucres claircés, et aujourd'hui même on ne +terre presque plus dans les Antilles françaises qui de ce fait, sont +condamnées à livrer leurs sucres sous la forme la plus défectueuse +possible. Mais notre système économique ne s'est pas borné à mettre +obstacle à ces exportations de détail, il a porté à nos colonies +d'autres coups plus terribles encore.</p> + +<p>Ainsi qu'on a pu le remarquer, et par ce que nous avons dit de la +culture, et par la description que nous avons citée des procédés actuels +de la fabrication, il faut absolument que toute sucrerie contienne +non-seulement les plantations et le nombre de noirs ou d'individus +nécessaires à la culture et à la récolte des cannes, mais encore les +moulins à sucre, les purgeries, en un mot, que la production et la +fabrication coexistent simultanément sur la même habitation. Les +conséquences de ce système ont été, d'abord, qu'il n'a pu y avoir aux +colonies que des habitations considérables par leur étendue ou leur +production, et qui partant ont toutes exigé de gros capitaux pour leur +acquisition. En outre, il a fallu leur appliquer un fonds de roulement +proportionnel, et enfin consacrer chaque année aux frais de la culture, +au renouvellement des instruments ou des agents du travail, à +l'entretien des bâtiments, des sommes qui, à titre d'intérêts, +ajoutaient encore aux charges coloniales. Mais ce n'est pas tout encore. +Une habitation, avec la constitution que nous venons de lui donner, et +qu'elle doit nécessairement avoir, ne peut être divisée. Production, +fabrication, tout est d'un seul morceau; c'est un seul et unique lot qui +doit tomber en partage à l'un ou à l'autre des héritiers, sauf une +soulte à donner par lui à ses autres cohéritiers. Un exemple va nous +faire mieux comprendre. Nous allons nous expliquer.</p> + +<p>Un colon meurt en laissant plusieurs enfants. Comme les colonies sont +régies par le Code civil, qui prescrit pour les successions l'égalité +dans les partages, on estime fictivement, d'après l'inventaire de la +succession, ce qui doit revenir à chacun des enfants. Mais le défunt n'a +laissé qu'une seule chose, qu'un seul immeuble, et cet immeuble est +impartageable: c'est sa sucrerie. Alors un des enfants est oblige de la +prendre et de tenir compte de leur part à chacun de ses cohéritiers. +Comme il n'a pas d'argent, il emprunte pour remplir ses engagements, le +plus souvent à gros intérêts, ou du moins à un taux qui n'est jamais +inférieur à 10 p. 100, et qui s'élève quelquefois à 12 p. 100. C'est le +taux de l'intérêt colonial. Or, comme il n'y a pas d'argent aux +colonies, il paie en nature. Toutes ses récoltes, sauf une part +considérée comme nécessaire, et qui est prélevée en sa faveur, sont la +propriété du prêteur, qui les vend ou fait vendre pour son compte, +jusqu'à parfait paiement. On comprend dès lors qu'avec la situation +actuelle des colonies, l'emprunteur soit bien longtemps à se libérer, +qu'il y passe même sa vie entière. Au moment où il devient propriétaire, +il meurt, et les mêmes faits que nous venons de signaler se reproduisent +au préjudice de ses enfants; et encore nous avons choisi ici l'hypothèse +la plus favorable, car souvent le colon décède avant d'avoir remboursé +ses créanciers, et ne peut laisser ainsi à ses descendants qu'une +succession grevée de dettes. Aujourd'hui, au prix où sont les sucres +coloniaux, par suite de la concurrence indigène, avec le droit qu'ils +ont à acquitter, non-seulement il ne reste rien au colon, mais encore il +vend 17 fr., et l'année dernière seulement 15 fr., ce qu'il aurait dû +vendre 23 fr. 50 c, somme égale à son prix de revient.</p> + +<p>(La suite à un prochain numéro.)</p> + +<h3>Théâtres.</h3> + +<p class="mid"><i>Georges et Thérèse</i> (Gymnase).--<i>La Chambre Verte</i>.--<i>Un +Péché</i> (Vaudeville).--<i>Mademoiselle Déjazet au Sérail</i> +(Palais-Royal).--<i>Un Tour de Roulette</i> (Odéon).--<i>Les Marocains</i> +(Cirque-Olympique).--Le paradis des Funambules. <i>La Statue de sainte +Claire</i> (Gaieté).--L'escamoteur Philippe.</p> + +<p>D'où venez-vous, mes chers enfants? Toi, Thérèse, avec ta jeunesse et +ton bonnet blanc à barbes flottantes, ton doux et naïf sourire et ton +cotillon court?--Toi, Georges, avec tes longs cheveux lisses, ton bâton +noueux, ton air à la fois candide et résolu et la veste bretonne?--Ah! +monsieur, nous venons de bien loin, bien loin.... de par delà les +mers!--Quoi! seuls?--Oui, seuls.--Si jeunes:--Ma soeur a seize ans et +moi dix-huit.--Mais d'où, enfin?--De Pondichéry; et, chemin faisant, +nous sommes arrivés en Bretagne.</p> + +<p>Et voilà Georges et Thérèse qui se remettent en route, la soeur +s'appuyant sur le bras du frère, le frère soutenant la soeur et veillant +sur elle, d'un regard tendre et intrépide. Il écarte les ronces et les +cailloux de son chemin: si elle est lasse, il lui prépare un siège de +mousse; si le soleil est trop ardent, il lui fait un abri de feuillage; +la fatigue a-t-elle excité sa soif, il court puiser une eau pure à +quelque source murmurante; et prenez garde! n'approchez pas de Thérèse +d'un air provoquant, attiré par l'attrait de sa beauté, il vous en +arriverait mal. Georges fait sentinelle comme un jeune molosse vigilant, +tout prêt à donner la chasse aux larrons.</p> + +<p>Il est un nom qu'ils prononcent dans tous leurs dangers et dans toutes +leurs prières, comme le nom d'un bon ange: c'est le nom de leur mère. +Elle leur a dit en mourant: «Allez, mes pauvres orphelins, allez +chercher la France;» et ils sont venus en France, après avoir couvert de +baisers et inondé de larmes le linceul et la tombe.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/009a.png"><br><b>(Théâtre du Gymnase.--Une scène de <i>Georges et +Thérèse</i>.--Mademoiselle Julienne.)</b></p> + +<p>Les voici à Paris, perdus dans cette grande ville, mais Thérèse toujours +avec sa candeur, et Georges avec son courage. Ils cherchent à utiliser +honnêtement leur résignation et leur jeunesse: une marquise les +accueille, une bonne et vieille marquise. D'abord tout leur sourit dans +cette maison hospitalière; la marquise les aime. Et qui ne les aimerait +pas, si bons, si sincères, si dévoués? Mais l'amour vient se jeter à +travers ce bonheur. L'amour gâte tout.--La marquise a un neveu et +Thérèse a deux beaux yeux. Le neveu s'éprend des deux beaux yeux, et les +deux beaux yeux, tout chastes qu'ils sont, regardent furtivement le +neveu. «Quoi! dit la marquise, vous aviser d'être aimable et d'être +aimée! allez-vous-en, petite malheureuse!»--Georges est fier, et il va +partir, et Thérèse, le coeur gros, va le suivre. Mon Dieu! faudra-t-il +nous embarquer avec Thérèse et Georges pour retourner à Pondichéry?... +Je soupçonne que quelque lettre, venue je ne sais d'où, nous épargnera +les frais de ce grand voyage.</p> + + + +<p>La lettre arrive en effet, ou tombe de la poche de Georges, peu importe. +Ô merveilleux effet de la lettre! au lieu d'être chassés cruellement, +Georges et Thérèse sont reconnus pour les petits enfants de la marquise. +C'est toute une histoire de fils exilé, maudit et repentant, dont je +n'ai pas le loisir aujourd'hui d'aller chercher les preuves authentiques +dans les Indes.</p> + +<p>Et ainsi la Providence tient toujours en réserve une grand'maman +marquise, et un bon petit cousin pour les orphelines qui viennent de +Pondichéry et qui sont bien sages.--Petit drame mouillé de pleurs.</p> + +<p>Un comte et un duc sont mariés tous deux; rien de plus ordinaire. Le +comte n'aime guère sa femme, et le duc n'aime pas du tout la sienne; +cela s'est vu. C'est la duchesse que le comte désire, c'est la comtesse +que désire le duc; je n'y trouve rien d'invraisemblable.--Cependant la +nuit vient. Ô nuit favorable! Duc et comte se glissent d'un pas +conquérant dans une certaine chambre verte, chacun à son heure, bien +entendu. Le comte croit en sortir emportant pour trophée une couronne de +duchesse, et le duc une branche du laurier, ou plutôt de myrte, cueillie +sur les domaines d'une comtesse. Mais le comte s'était entendu avec le +duché pour se moquer des deux infidèles, et l'un avait pris la place de +l'autre dans l'obscurité et dans la chambre verte. Ainsi le duc et le +comte, croyant braconner sur les terres du voisin, n'ont fait, en +définitive, que chasser légitimement sur les leurs. Qui se moque du +comté? c'est le duché. Oui se moque du duché? c'est le comté. Et la +comtesse n'épargne pas le comte! et la duchesse n'épargne pas le duc! Si +ce vaudeville n'est pas d'un goût très-virginal, il n'encourage pas du +moins l'usurpation.</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/009b.png"><br> + <b>Théâtre du Palais-Royal.--Costume<br> + du rôle principal, dans le vaudeville<br> + <i>Mademoiselle Déjazet au sérail.</i></b></p> + +<p>Comment! mademoiselle Déjazet au sérail! est-il possible? La grisette +insouciante et légère enfermée dans cette cage? Frétillon, la vive et +babillarde Frétillon, en compagnie des muets et des Calpigi? Mais elle +en mourra, la <i>poveretta</i>, ne sachant plus à qui parler. Enfin elle y +est, il faut bien qu'elle y reste. Et puis, Frétillon est philosophe; +elle se contente de ce qu'elle a, quand elle n'a pas autre chose. +Frétillon accepte le médiocre et même le mauvais, faute de mieux; c'est +la bonne philosophie. Et le mieux, d'ailleurs, n'est-ce pas ce qu'on +tient? Qui peut compter sur l'inconnu?</p> + +<p>Ce que fait mademoiselle Déjazet au sérail? vraiment ce n'est pas +difficile à deviner. Elle fait ce qu'elle fait partout: vêtue du costume +albanais, elle chante, elle rit, elle jette au vent mille gaillardes +bouffées d'insouciance et de gaieté. De son côté, Alcide Tousez roucoule +et lance des regards langoureux et triomphants, qui laissent de beaucoup +derrière lui tous les Amurath, tous les Sélim et tous les Mustapha du +monde, et compromettent singulièrement la pruderie de la Sublime +Porte.--Mais comment mademoiselle Déjazet a-t-elle permis qu'on donnât +son nom, son propre nom, à un vaudeville?</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/009c.png"><br> +<b> Cirque olympique.--<br> + Les Sauteurs maroquins)</b></p> + +<p>Je m'aperçois que j'ai oublié <i>Un Péché</i>, du théâtre du Vaudeville, et +compagnon de la <i>Chambre verte</i>. Je m'en confesse. Ce péché se présente +sous la forme d'une petite pensionnaire de dix-sept ans, joli péché! +C'est M. d'Ercilly qui a fait ce péché, et qui l'a mis en pension sans +en rien dire à personne; lui, cependant, a atteint la quarantaine.--Je +passe les mois de nourrice.--D'Ercilly veut se marier; il convoite +madame d'Harville, je crois, une veuve très-piquante; le vaudeville +n'est peuplé que de veuves piquantes. Madame d'Harville est près de +consentir, bien qu'elle trouve notre homme un tant soit peu jaloux et +bourru. Mais voici qu'un jeune galant arrive, pâle, ému, égaré; il vient +se mettre sous la protection de madame d'Harville: «Qu'avez-vous donc? +--Je suis adoré d'une charmante pensionnaire, et la petite veut que je +l'enlève; venez à mon aide.--Et son nom?--Thérèse +d'Ercilly.--Comment?--La fille de M. d'Ercilly.--Oh! oh!» dit la veuve. +Et la pièce continue ainsi de oh! oh! en ah! ah! spirituel quiproquo +dans lequel d'Ercilly est plaisamment ballotté, et madame d'Harville +avec lui: l'un voulant cacher son secret, l'autre voulant le lui +arracher; si bien que d'Ercilly perd dans cette lutte, ingénieusement +comique, le coeur et la main de la veuve.... Je vous le dis, en vérité, +mes frères, en vérité, je vous le dis: il faut toujours, tôt ou tard, +payer ses péchés mignons.</p> + + + +<p>Un tour de roue, et vous êtes à terre, ou porté gaiement au but de votre +route; un tour de roulette, et votre bourse est pleine ou vide; de haut +en bas, la roue de fortune va et vient: elle élève le pauvre diable dans +un moment de caprice, et fait choir le riche: le maître descend pour +faire place au valet. Ainsi de Floricourt et de Bertrand; Bertrand est le +valet, Floricourt est le maître. Floricourt, jeune étourdi, se ruine en +folle paresse; le jeu l'a enrichi, le jeu le met à sec. Bertrand, tout +au contraire, n'avait pas un denier, et le voici cousu d'or; c'est +Floricourt qui le sert. Quant à lui, il prend des airs et se dandine. +Heureusement que Floricourt est adoré: une jeune femme l'aimait riche; +pauvre, elle l'aime davantage et l'épouse. Ô femme amoureuse! je te +reconnais bien là. Floricourt est converti; il ne jouera plus et +travaillera. Et Bertrand? un second tour de roulette le renvoie à +l'antichambre. Pourquoi donc? ce Bertrand était bonhomme, au fond de +l'âme; mais, après tout, laissons faire aux dieux!</p> + +<p>Tomber du salon dans l'antichambre, c'est quelque chose; toutefois, on +ne risque pas de se casser les reins, l'affaire étant de plain-pied, en +définitive; mais tomber du haut de la pyramide humaine, Dieu vous en +garde, et moi aussi! Pour moi, je suis sûr d'être à l'abri de cette +chute; et la raison, c'est que je n'irai jamais me loger à un pareil +étage; pas si Marocain!</p> + +<p>On a fait des pyramides en pierre, en granit, en marbre, en je ne sais +quoi; mais il fallait notre siècle de progrès pour bâtir des pyramides +en chair humaine. Les fondations, comme vous le voyez, sont faites de +pieds en chair et en os; l'entre-sol a des épaules pour assises, ainsi +du second et ainsi du troisième; le Cirque-Olympique s'est arrêté à +cette hauteur du bâtiment. Peut-être l'architecte-voyer a-t-il défendu +de bâtir plus haut, de par M. le préfet de la Seine; mais, il y a deux +ou trois ans, le théâtre de la Porte-Saint-Martin, ayant obtenu une +dispense, avait élevé une maison à six étages de Marocains. Je dois dire +que le cinquième et le sixième se louaient difficilement, et que le +propriétaire, plusieurs fois, fit mander des architectes à +l'amphithéâtre de l'École de Médecine et à l'Hôtel-Dieu pour récrépir +une jambe, un bras, une cuisse de l'édifice, et faire toutes autres +réparations locatives.</p> + +<p>Puisque le Cirque-Olympique nous amène au boulevard du Temple, entrons +sans façon au théâtre de la Gaieté. Dieu!!! <i>la Statue de sainte +Claire!</i> Cette statue serait-elle, par hasard, une des victimes du jury +de peinture et de sculpture, réfugiée là pour s'y faire un petit Louvre +et une petite exposition particulière? Non, pas encore: il ne s'agit +point d'un Phidias méconnu ou d'un Canova incompris; cette statue est de +carton peint, et fabriquée par le mélodrame, seigneur du lieu, et pour +ses besoins personnels; elle n'en a pas l'air, mais elle cache un gros +crime. Le scélérat s'appelle Duhamel. J'avoue que je m'y serais laissé +prendre; le nom de Duhamel est fait pour inspirer de la confiance. J'ai +connu une grande quantité de Duhamel; tous faisaient croître des +berceaux de capucines à leur fenêtre, et sautaient avec candeur à bas du +lit, pour aller voir lever l'aurore, mais enfin, il n'y a pas de Duhamel +qui n'ait son exception: celle-ci est affreuse. Ce Duhamel,--et j'espère +bien que nous n'en verrons plus de pareil,--ce fieffé Duhamel, vole, +pille, assassine, et fait bien d'autres choses encore. A la fin, il +reçoit son prix de vertu: le procureur du roi le flaire, le gendarme le +prend au collet, et je ne sais pas si la statue de sainte Claire ne lui +tombe pas sur le dos; pour moi, je l'espère.--Tous mes honnêtes Duhamel +sont venus me trouver ce matin, pour m'annoncer qu'ils allaient demander +à qui de droit l'autorisation de changer leur nom en celui de Caramel.</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/010a.png"><br><b> + Philippe le prestidigitateur, au bazar du <br> + boulevard Bonne-Nouvelle.</b></p> + +<p>Sortons de cet enfer, et montons au paradis... au paradis des +Funambules. Ah! vraiment, oui, c'est le paradis; demandez plutôt aux +habitants. Est-ce dans l'enfer qu'on se foule et qu'on se presse ainsi? +Non pas, vraiment; les pauvres ombres n'y vont qu'à leurs corps +défendant; il faut qu'elles soient damnées et condamnées, et poursuivies +à outrance par la grande fourche de Belzébuth. Mais là, voyez nos gens; +c'est à qui entrera; ils se poussent, ils se heurtent, ils se disputent +la jouissance de ce séjour des bienheureux. Et comme les places +manquent, on en fait en s'entassant, en s'enlaçant, en se pelotonnant, +en s'asseyant sur son voisin; les têtes sont dans les bras, les bras +sont dans les jambes, les yeux regardent à travers les dos, les nez se +mettent je ne sais où, tout cela vit sans remuer ni respirer. Ô paradis! +les anges y mangent de la galette avec délices, les archanges sucent du +sucre d'orge, les dominations jettent des trognons de pommes à +l'avant-scène.</p> + +<p>Mais où sommes-nous? grand Dieu! je sens autour de moi comme une odeur +de sorcier; et en effet, voici un magicien qui se dresse devant moi. Il +est coiffé à l'égyptienne; il est vêtu d'une longue robe flottante ornée +de mille broderies mystérieuses et de signes hiéroglyphiques. A-t-il +soulevé quelque dalle du temple de Memphis? Sort-il de quelque forêt de +Bohême, ou d'un exemplaire du Cabinet des fées? Peu importe; c'est un +grand et un charmant sorcier. Demandez-le aux petites filles, +demandez-le aux petits garçons, demandez-le même aux grands enfants, +depuis vingt ans jusqu'à soixante, à toute cette multitude ébahie, que +ce grand enchanteur Philippe, digne héritier de Merlin et de +Parapharagaramus, charme et surprend, ravit et étonne, par son officine +diabolique du bazar Bonne-Nouvelle. En ce moment, tel que j'ai l'honneur +de vous le faire voir, Philippe exécute le tour merveilleux des +poissons, accommodés du bout de sa baguette magique. Je ne vous dirai +pas si les poissons sont frais, mais je vous engage à y aller goûter.</p> + +<p>Et moi qui oubliais les noms des auteurs de ces vaudevilles et de ces +comédies. Que dirait la postérité? <i>George et Thérèse</i> ont pour père M. +Auvray; MM. Desnoyers et Danvin ont bâti <i>la Chambre Verte</i>; M. Bavard a +conduit <i>Mademoiselle Déjazet au Sérail</i>: le <i>Péché</i> a été commis par +MM. Samson et Jules de Wailly; M. Armand Durantin a fait tourner la +<i>Roulette</i>, et M. Eugène a taillé <i>la Statue de sainte Claire</i>. Qui dit +Eugène, ou Léon, ou Achille, ou Gustave, en matière dramatique, dit +sifflets.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/010b.png"><br><b>(Le paradis du théâtre des Funambules.)</b></p> +<br> + +<h3>Bulletin bibliographique.</h3> + +<p><i>Économistes financiers du dix-huitième siècle.</i>--Vauran--: Projet d'une +dîme royale.--- <span class="sc">Boisguilbert</span>: Détail de la France; Factum de la France +et Opuscules divers.--<span class="sc">Jean Law</span>: Considérations sur le numéraire et le +commerce; Mémoires et Lettres sur les Banques; Opuscules divers.--<span class="sc">Melox</span>: +Essai politique sur le commerce--<span class="sc">Dutot</span>: Réflexions politiques sur le +commerce et les finances. Précédés de Notices historiques sur chaque +auteur et accompagnés de commentaires et de notes explicatives; par M. +<span class="sc">Eugène Dame</span>.--Paris, 1843. <i>Guillaumin</i>. Un magnifique volume grand +in-8, de 1,008 pages à une seule colonne. 13 fr. 50 c.</p> + +<p>M. Guillaumin a commencé l'année dernière la publication des oeuvres des +principaux économistes français ou étrangers. Cette importante +collection doit former douze à quinze volumes. Cinq de ces volumes sont +déjà en vente; ils contiennent le <i>Traité</i> et le <i>Cours d'Économie +politique</i> de J.-B. Say, et la <i>Richesse des Nations</i> d'Adam Smith. Dans +le courant de l'année 1843, paraîtront successivement: Turgot (1 vol.), +<i>les Physiocrates</i>, Quesnay, Mercier de la Rivière, Dupont de Nemours (1 +vol.); Malthus (1 vol.); Ricardo (1 vol.). Le texte de chaque ouvrage, +revu et corrigé avec le plus grand soin, est accompagné de notes +explicatives et historiques, de commentaires et notices biographiques, +par M. M. Blanqui, Eugène Daire, Hippolyte Dussard, Rossi et Horace Say.</p> + +<p><i>Les Économistes financiers du dix-huitième siècle</i> formeront le premier +volume de la collection des principaux économistes. A ces divers +penseurs, que, un seul excepté, la France a vus naître, appartient, en +elle, la gloire d'avoir marché les premiers à la conquête des vérités +économiques. Avec eux finit l'ère de l'empirisme ou de la routine, et +commence celle du raisonnement en ce qui touche les intérêts matériels +de la société. Ils sont les véritables précurseurs de l'école +physiocratique dont Quesnay fut le chef, et de l'école industrielle qui +eut Adam Smith pour fondateur. Bien qu'ils soient désignés par le titre +d'<i>Economistes financiers</i>, il ne faut pas induire de cette dénomination +qu'ils n'ont accordé leur attention qu'à l'impôt. Loin de la, presque +toutes les questions qu'agitent encore de nos jours la presse et la +tribune des Chambres législatives, ont été soulevées et débattues ans +les écrits de Vauban, de Boisguilbert et de leurs successeurs immédiats. +En résumé, ce furent ces <i>ancêtres de ta science</i>, qu'on nous permette +cette expression, qui détermineront le grand mouvement économique auquel +la France doit sa prospérité actuelle.</p> + +<p><i>Colonisation de l'Algérie</i>; par <span class="sc">Enfantin</span>.--Paris, 1843. <i>Bertrand.</i> 1 +vol in-8 de 542 pages, avec une carte. 7 fr. 50 c.</p> + +<p>Le nouvel ouvrage de M. Enfantin se divise en cinq parties, une +introduction et une conclusion séparées par trois livres.</p> + +<p><span class="sc">L'Introduction</span> a pour titre: <i>Des colonisations en général.</i> M. Enfantin +definit d'abord ce qu'il entend par le mot colonisation. Dans son +opinion, «c'est le transport d'une population civile considérable, d'une +population agricole, commerçante et industrielle, formant familles, +villages et villes, et des arts et des sciences qu'une semblable +population apporte ou attire nécessairement. Mais ce mot comprend aussi +l'organisation par la France, c'est-à-dire par le gouvernement et +l'administration, par des Français, de la population indigène, dans les +villes et dans les campagnes.» Cette définition donnée, M Enfantin +examine plusieurs systèmes coloniaux différents, selon les époques et +selon le degré de civilisation des peuples colonisateurs; il se demande +ensuite ce que peut et ce que doit être une colonisation faite par la +France en Algérie, au dix-neuvième siècle. Selon lui, notre politique +n'est plus absolue, elle transige et concilie, elle veut associer; par +conséquent deux problèmes à résoudre: 1º modifier progressivement les +institutions, les moeurs, les habitudes des indigènes; 2° modifier aussi +celles des Européens colons, de manière à faire vivre les uns et les +autres en société, sur un même sol et sous un même gouvernement. Les +institutions coloniales données par la France à l'Algérie doivent faire +tendre les deux populations (indigène et européenne) vers un ut commun, +sous le triple rapport administratif, judiciaire et religieux. +--application de ce principe à la <i>constitution de la propriété</i> dans +l'Algérie française, telle est la base de l'ouvrage de M. Enfantin.</p> + +<p>Ainsi, M. Enfantin aborde la question générale de la <i>colonisation</i> de +l'Algérie par son côté le plus apparent, le plus <i>matériel</i>, qui lui +permet cependant, sinon d'embrasser, au moins de toucher presque toutes +les parties de ce grand ensemble.</p> + +<p>Le <span class="sc">Livre</span> Ier, intitulé: <i>Constitution de la propriété</i>, se divise en +trois chapitres. M. Enfantin recherche d'abord quel était, en 1830, +l'état de la propriété en Algérie, et quel est actuellement l'état de la +propriété en France; puis il compare ces deux manières de concevoir la +propriété, et il se demande ce qu'elle doit être pour l'Algérie +française.</p> + +<p>Dans le <span class="sc">Livre II</span> <i>(colonisation européenne)</i>, M. Enfantin établit, +d'après des considérations historiques, géographiques et politiques, les +lieux qui sont propres à la colonisation civile ou à la colonisation +militaire, et l'ordre selon lequel ces deux espèces de colonisation +doivent être commencées et progressivement développées; il traite +ensuite du personnel et du matériel des colonies civiles et des colonies +militaires.</p> + +<p>Le <span class="sc">Livre III</span> <i>colonisation indigène</i> est consacré aux mêmes questions +qui font l'objet du livre deuxième, seulement ces questions se +rattachent à la population indigène.</p> + +<p>La <span class="sc">Conclusion</span> renferme l'examen spécial d'une question naturellement +touchée et soulevée dans toutes les autres parties, celle du +<i>gouvernement</i> de l'Algérie. M Enfantin indique ses rapports avec le +gouvernement central, la nature et les limites de ses attributions, et +sa hiérarchie supérieure, politique, militaire et administrative, +relativement aux colonies européennes et aux tribus indigènes; enfin, il +expose l'organisation spéciale des villes d'Algérie, de leur population +indigène et européenne, dans le but de compléter ce qui, dans le cours de +l'ouvrage, a été plus particulièrement présenté comme relatif aux tribus +indigènes et aux colonies agricoles, civiles ou militaires, fondées par +la France.</p> + +<p>Quoi que soit le sort réservé dans l'avenir aux projets de K. Enfantin, +nous devons, dès aujourd'hui, nous empresser de reconnaître que la +<i>Colonisation de l'Algérie</i> est un de ces ouvrages utiles, pleins de +faits et d'idées, qui honorent leur auteur, et qui se recommandent +d'eux-mêmes à l'attention de tous les hommes.</p> + +<p><i>Histoire des Invasions des Sarrasins en Italie, du septième au onzième +siècle</i>; par César <span class="sc">Famin</span>. Tome 1er. in-8 de 27 feuilles 1/4.--Paris, +1843. <i>Didot</i>. 6 fr.</p> + +<p>Cet ouvrage fut commencé en 1833, à Palerme et à Naples, où son auteur +fit un séjour de huit années. Des circonstances extraordinaires avaient +empêché M. César Famin de le continuer et de l'achever. Enfin il a pu +reprendre ses travaux, si longtemps interrompus, et il vient de publier +un premier volume.</p> + +<p><i>L'Histoire des Invasions des Sarrasins en Italie</i> se divisera en trois +parties: dans la première, M. César Famin tracera l'histoire des +différentes incursions faites par les Arabes d'Asie et d'Afrique, tant +sur le continent, de l'Italie que sur les îles qui en dépendent, depuis +l'année 632 jusqu'à l'année 1242. Cette première partie doit indiquer +les dates précises des épisodes les plus importants, appeler sur la +scène les principaux acteurs de ce grand drame, et relever, en passant, +les erreurs plus ou moins graves dans lesquelles sont tombés la plupart +des auteurs arabes ou occidentaux dont les écrits se rattachent au même +sujet. La seconde partie sera consacrée à l'examen de la condition +religieuse des Italiens pendant la domination des Arabes, du droit civil +et criminel des Arabes, du mode d'administration, des impôts, de la +division territoriale, du sort des esclaves, du partage du butin, de la +valeur et de l'espèce des monnaies. Enfin, dans la troisième partie, +l'auteur recherchera les traces de l'influence des Arabes sur l'Italie +et sur ses habitants.</p> + +<p>Le tome 1er, qui vient d'être publié, contient sept chapitres de la +première partie intitulée <i>Histoire</i>.--Le chapitre premier a pour titre: +<i>Esquisse sommaire de l'histoire des Arabes et de celle des Italiens au +moment où commencèrent les invasions.</i>--Les six chapitres suivants +embrassent la période de temps qui s'étend depuis les premières courses +des Sarrasins, en 632, jusqu'à la mort du pape Jean VIII, en 885.</p> + +<p><i>De l'Idiotie chez les Enfants,</i> et des autres particularités +d'intelligence ou de caractère qui nécessitent pour eux une instruction +et une éducation spéciales; de leur responsabilité morale; par <span class="sc">Félix +Voisin</span>, médecin en chef de l'hospice des aliénés de Bicêtre. Une +brochure in-8 de 124 pages.</p> + +<p>--Paris, 1843. <i>Baillière</i>.</p> + +<p>Le Conseil général des hospices vient de prendre en considération +particulière la seule et dernière classe des aliénés, qui, jusqu'à ce +jour, était restée en quelque sorte dans l'oubli, celle des <i>enfants +idiots</i>; il a pensé qu'il y avait des distinctions à faire et à établir +entre les individus compris sous cette fatale dénomination, et qu'il +était possible d'en appeler quelques-uns à une partie de l'existence +intellectuelle et morale propre à l'humanité; en conséquence, il a voulu +que les idiots qui peuvent présenter quelque prise à l'action des +modificateurs externes, reçussent les bienfaits d'une instruction et +d'une éducation spéciales, et il a nommé tout récemment, à Bicêtre, un +instituteur qui, sous la direction et la surveillance des médecins en +chef de l'hospice, pût exclusivement se consacrer à ces fonctions +honorables.</p> + +<p>M. Félix Voisin, qui, depuis treize ans, s'occupe de cette grave +question avec un zèle digne des plus grands éloges, s'est empressé de +réunir tous les matériaux scientifiques qu'il possède sur la matière, et +d'exposer le plan qu'il a suivi et qu'il se propose de suivre encore +dans l'intérêt des enfants idiots. En publiant ces documents, «il +espère, dit-il, pouvoir démontrer que les médecins de l'époque actuelle +ne sont point restés sans action devant les enfants qui, d'une manière +ou d'une autre, sortent de la ligne ordinaire, et qui, par cela même, +tant pour eux que pour la société, ont, en général, besoin,--selon les +expressions de Montaigne,--d'être ployés et appliqués au niveau de la +générale et grande maîtresse, la nature universelle. Dans cette oeuvre +de science et de philanthropie, les médecins ne se sont laissé devancer +par personne; ils ont les premiers fait connaître ce que c'est que +l'idiotie, et expose les principes et indique les méthodes propres à +modifier la constitution instinctive intellectuelle, morale et +perceptive des enfants qui ont le malheur d'en être atteints.»</p> + +<p>La brochure de M. Félix Voisin contient, entre autres documents curieux, +un mémoire sur l'idiotie, donné à l'Académie royale de Médecine, le 24 +janvier 1843, et une analyse psychologique de l'entendement humain chez +les idiots.»</p> + +<p><i>Rapport annuel sur les Progrès de la Chimie</i>, présente le 31 mars 1842, +à l'Académie royale des Sciences de Stockholm; par <span class="sc">J. Berzélius</span>, +secrétaire perpétuel. Traduit du suédois par <span class="sc">Ph. Plantamour</span> (3e année). +1 vol. in-8 de 336 pages.</p> + +<p>--Paris, 1843. <i>Fortin, Masson et comp.</i> 5 fr.</p> + +<p>Il suffit d'annoncer la publication d'un pareil ouvrage pour appeler sur +lui l'attention publique. Son titre indique son but et son utilité; le +nom de l'auteur est une garantie de son importance et de sa valeur M. +Berzélius a divisé son rapport en quatre grandes parties: chimie +inorganique, chimie minera logique, chimie organique et chimie animale. +Il passe successivement en revue, dans la première partie, les +phénomènes physico-chimiques en général, les métalloïdes et leurs +combinaisons binaires, les métaux, les sels, les analyses chimiques et +les appareils;--dans la seconde, la loi de symétrie des cristaux, les +minéraux nouveaux, les minéraux connus non oxydés, les minéraux oxydés, +les minéraux d'origine organique; la troisième partie comprend les +acides organiques, les bases végétales, les matières indifférentes, les +huiles grasses, les huiles essentielles, les résines, les matières +colorantes, les matières cristallisées propres à certains végétaux, les +matières végétales non cristallisées, les produits de la fermentation +alcoolique, la fermentation acide, les produits de la putréfaction et +les produits de la distillation sèche, etc., etc.;--enfin, la +quatrième partie est consacrée à l'examen de tous les phénomènes de la +chimie animale, qui ont fourni quelques observations curieuses durant le +cours de l'année 1842.</p> + +<p><i>Un autre Monde</i>, Transformations, visions, incarnations, excursions, +locomotions, explorations, pérégrinations, stations, folâtreries, +cosmogonies, rêveries, lubies, fantasmagories, apothéoses, zoomorphoses, +lilliomorphoses, métamorphoses, métempsycoses et autres choses; par +<span class="sc">Grandville</span>.--Paris, 1843. <i>Fournier</i>, libraire-éditeur. 1 vol. petit +in-4, paraissant en 56 livraisons d'une feuille, comprenant du texte et +4 ou 5 gravures et un grand sujet tiré à part et colorié. Prix de la +livraison: 50 c. (8 ont paru.)</p> + +<p>Le titre et les nombreux sous-titres de cet ouvrage indiquent d'avance +au lecteur, ou plutôt au spectateur, qu'il va voir des choses étranges +et surnaturelles. <i>Un autre Monde</i>, ce n'est pas le monde que nous +habitons, ce n'est pas non plus l'autre monde, celui que nous devons, +selon certaines religions, habiter après notre mort, c'est un monde tout +autre, dont nul être vivant n'avait pu jusqu'à ce jour soupçonner +l'existence. Grandville l'avait enfanté, il y a longtemps déjà, dans les +profondeurs mystérieuses de son imagination; et il commence, depuis +quelques mois seulement, à nous initier peu à peu aux secrets de cette +création nouvelle. Nous n'en connaissons encore,--il est vrai,--qu'une +très-faible partie; mais notre curiosité est vivement excitée; les +révélations déjà faites par le poète-dessinateur sont tellement +bizarres, que nous attendons avec une impatience enfantine celles qui +doivent suivre bientôt. Grandville est, sans contredit, le dessinateur +le plus extraordinaire et le plus original de <i>notre Monde</i>. Ce qu'il +avait fait pour les animaux, il essaie de le faire pour les objets +inanimés, pour les végétaux; il leur donne une figure humaine. Jetez les +yeux sur les premières livraisons de <i>L'autre Monde</i>, qu'y voyez-vous? +des machines à vapeur qui font de la musique, des maillots qui dansent, +des plantes qui se battent ou qui se réveillent au matin d'un beau jour. +Cette tentative sera-t-elle aussi heureuse que les précédentes? c'est ce +que nous apprendrons aux lecteurs du bulletin bibliographique de +<i>l'Illustration</i>, dès que les trente-six semaines, nécessaires au +créateur de <i>l'autre Monde</i> pour achever son oeuvre, seront écoulées. En +intendant cette époque fatale, applaudissons aux efforts de Grandville, +soutenons son courage, et promettons-lui un succès complet.</p> + +<p><i>Fables</i>: par <span class="sc">M. Viennet</span>, l'un des quarante de l'Académie +française.--Paris, 1843. 1 vol. in-18. 5 fr. 80 c.</p> + +<p>M. Viennet a exercé un grand nombre de professions: d'abord il devait +être l'un des curés de Paris, la Révolution de 1789 le força de devenir +un artilleur de marine; sous la Restauration, il fut nomme député; la +Révolution de Juillet en a fait un pair de France et un académicien. +Mais, dans quelque position que le sort l'ait place, M. Viennet n'a +jamais cessé d'être ce qu'on appelle vulgairement un homme de lettres, +car il est né, comme il l'avoue lui-même, «avec un prodigieux amour pour +la gloire sans alliage du lucre.» Son ambition était attachée à une idée +fixe. Il ne tenait nullement à être un César ou un Richelieu; si Dieu le +lui eût proposé, il ne répond pas qu'il l'eût accepté: c'est à la gloire +des poètes qu'il visait. Une statue de Corneille, de Molière, de +Voltaire, le tenait un extase. Il lui importait fort peu que l'histoire +parlât de lui à la postérité, c'était lui qui voulait parler par ses +ouvrages aux générations futures. L'idée de voir ses livres entre les +mains d'un homme qui devait naître dans trois ou quatre siècles, le +faisaient bondir de joie comme un enfant.</p> + +<p>Entraîné par cette passion fatale, M. Viennet s'est rendu coupable de +bien des péchés littéraires; il a fait des comédies, des tragédies, des +poèmes, des épîtres, des dialogues, des épigrammes, des histoires, des +opéras-comiques, etc.; aussi passa-t-il tour à tour--pour nous servir de +ses propres expressions,--du Capitole à la roche Tarpeienne, du Panthéon +aux Gémonies. Aujourd'hui il publie un recueil de fables, et les rieurs +se rangent de son côté. Oubliant qu'il s'est un peu moqué d'<i>Arbogaste</i> +et de certaines épîtres, le public lit avec un véritable plaisir ces +charmants apologues satiriques, qu'un homme qui naîtra dans trois ou +quatre siècles tiendra peut-être encore un jour entre ses mains. Que M. +Viennet soit donc heureux, si l'histoire ne parle pas de lui à la +postérité, il doit espérer de parler au moins par ses fables aux +générations futures.</p> + +<p><i>Oberon</i>, poème héroïque; par <span class="sc">C.-M. Wieland</span>; traduction entièrement +nouvelle, par <span class="sc">Auguste Jullien</span>, précédée d'une notice et suivie de +notes.--Paris, 1843. 1 vol. in-18. <i>Paul Masgana</i>. 3 fr. 50 c.</p> + +<p>«Aussi longtemps que la poésie sera de la poésie, l'or de l'or, le +cristal du cristal, on aimera, on admirera <i>Oberon</i> comme un +chef-d'oeuvre de l'art.» Que pourrions-nous ajouter à cet éloge de +Goethe?</p> + +<p>Tous les matériaux qui ont servi à Wieland pour la composition de son +poème, et surtout pour la fable proprement dite, sont tirés en grande +partie d'ouvrages connus. C'est la réunion de ces éléments divers qui +constitue l'originalité réelle du poème Dans le fait, <i>Oberon</i> comprend +trois actions principales: l'entreprise tentée par Huon sur l'ordre de +l'empereur; l'histoire de ses amours avec Itezia, et la réconciliation +d'Oberon et de Titania. Mais ces trois actions, ou plutôt ces trois +fables se rattachent si intimement au noeud véritable du récit, +qu'aucune ne peut, sans le concours des autres, ni se développer, ni se +dénouer avec succès. Tout s'enchaîne avec un art admirable. «Mouvements +dramatiques, tableaux variés, exploits héroïques, magiques, +incantations, se trouvent unis, a dit un critique, par une dépendance +mutuelle si bien établie, que l'absence d'un seul des événements ou de +l'un des personnages détruirait l'harmonie de l'ensemble.»</p> + +<p>Ce <i>chef-d'oeuvre de l'art</i>, depuis son apparition en 1780, a trouvé +plus d'un interprète; mais ses traducteurs français ne se contentaient +pas de faire de grossiers contre-sens, de mutiler des strophes, de +sacrifier des images charmantes, ils avaient supprimé un chaut tout +entier. M. Auguste Jullien a corrigé les fautes et a réparé les +injustices de ses prédécesseurs. La traduction qu'il vient de publier +est aussi fidèle et aussi complète qu'elle est élégante. En la lisant, +on peut jusqu'à un certain point se consoler de ne pas savoir +l'allemand.</p> + +<p><i>Séances et travaux de l'Académie des Sciences morales et politiques</i>. +Compte-rendu par <span class="sc">M. M. Ch. Vergé</span> et <span class="sc">Loiseau</span>, sous la direction de <span class="sc">M. +Mignet</span>, secrétaire perpétuel de l'Académie. Douze cahiers de 4 ou 5 +feuilles par mois, formant chaque année 2 forts vol. in-8 avec une table +générale des matières.--Paris, au bureau du Moniteur universel. 20 fr. +par an.</p> + +<p>Réunir dans une collection accessible à tous, les Mémoires et +communications soit des membres de l'Académie, soit des savants +étrangers admis à l'honneur de lui soumettre les résultats de leurs +recherches; tel est le but que s'est propose le Compte-rendu de +l'Académie des Sciences morales et politiques.</p> + +<p>Cette publication, organisée sur des bases analogues à celles du +Compte-rendu périodique de l'Académie des Sciences, paraît sous les +auspices de l'Académie elle-même, et sous la direction de son secrétaire +perpétuel. Les encouragements que l'Administration lui a accordés dès +son début, et l'accueil favorable qu'elle a reçu du public, attestent +assez son importance et son utilité.</p> + +<p>Elle se compose de deux parties distinctes: 1º d'un Bulletin mensuel qui +résume sommairement, dans un ordre chronologique, les actes officiels et +les décisions de l'Académie; 2º des Lectures, communications et travaux +académiques, qui sont reproduits ou dans leur texte primitif et sans +aucune modification, ou par extraits et sous forme d'analyse toujours +très-développée, suivant la nature des divers documents soumis à +l'Académie.</p> + +<p>Le Compte-rendu, publié par M. Charles Vergé et Loiseau, paraît depuis +un an.--Deux volumes sont en vente au prix d'abonnement.</p> + +<br> + + +<h3>Modes.</h3> + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="mode"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;"> +<b>COSTUMES D'HOMMES PAR HEMANN.</b> +<img alt="" src="images/012a.png"><br> +<br><br> +<img alt="" src="images/012c.png"><br> + +<p>Alexandrine prépare pour la grande semaine des pailles de riz qu'elle +terminera selon les exigences de chaque toilette, avec ce goût +d'innovation artistique qu'il nous est permis de signaler et non pas de +révéler.</p> + +<img alt="" src="images/012e.png"><br> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;"> +<b>COIFFURES DE PRINTEMPS.</b> + +<p>Voici paraître des capotes en couleur tendre, coiffure légère qui repose +la tête des lourds chapeaux d'hiver. Alexandrine fait des capotes +entourées de plusieurs biais qui ont beaucoup de légèreté, et donnent au +visage une grande douceur. La forme en est légèrement cambrée, et +s'évase un peu vers le bas, de façon à laisser les cheveux en liberté.</p> + +<img alt="" src="images/012b.png"><br> +<p>Ses petits chapeaux de crêpe, avec une plume-saule, ont toute l'élégance +qu'exige une toilette recherchée. C'est une véritable parure de +printemps, une coiffure destinée à briller en voiture ouverte par une de +ces premières belles journées qui font valoir toutes les coquetteries.</p> + +<img alt="" src="images/012d.png"><br> + +<p>Le châle de cachemire va faire place au mantelet, quelque chose qui +ressemble à la mante et à la pelisse de nos mères, un retour au mantelet +garni, faisant écharpe.</p> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + +<p>Il est question de robes garnies sur le côté; c'est probable, en raison +de la mode de l'hiver, et parce que la direction semble être encore une +grande élégance à laquelle les robes unies ne répondraient pas. Quant +aux manches et aux corsages, rien n'est connu. Le soir en demi-toilette, +les manches courtes se portent familièrement. Quelle que soit l'étoffe +de sa robe, une femme peut, à son gré, mettre des manches courtes avec +un fichu très-simple, et un petit bonnet de tulle à rubans de gaze. En +un mot, les manches courtes n'ont plus aucune prétention à la parure, +c'est une façon comme une autre.</p> + +<p>Pour ces derniers jours de réunion où le velours est encore permis, je +recommande les coiffures turques que fait Alexandrine, avec des fichus +ou des écharpes en tissus d'Orient. Il est difficile de trouver +l'élégance plus riche et plus distinguée que sous cette forme +artistique. On ne saurait appeler cela un turban, cela peut-être n'en a +pas la sévérité; cependant c'est une coiffure de caractère qu'il ne faut +pas confondre avec les caprices colifichets nés d'une fantaisie +parisienne.</p> + +<p>La semaine prochaine, nous comblerons toutes les lacunes laissées +aujourd'hui par scrupule. Ce sera près du jour des révélations, et nous +parlerons à coup sûr.</p> + +<br> + +<h3>Rébus.</h3> + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="mode"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;"> + <br><br><br> +<b>EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS.<br>Je ne suis sensible qu'à l'argent.</b> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;"> +<img alt="" src="images/012f.png"><br> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + + + + + +<br><br> +</div> + + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0006, 8 Avril 1843, by Various + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK +L'ILLUSTRATION, NO. 0006, 8 AVRIL 1843 *** + +***** This file should be named 34516-h.htm or 34516-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/3/4/5/1/34516/ + +Produced by Rénald Lévesque + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. Special rules, +set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to +copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to +protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project +Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you +charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you +do not charge anything for copies of this eBook, complying with the +rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose +such as creation of derivative works, reports, performances and +research. They may be modified and printed and given away--you may do +practically ANYTHING with public domain eBooks. 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Additional terms will be linked +to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the +permission of the copyright holder found at the beginning of this work. + +1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm +License terms from this work, or any files containing a part of this +work or any other work associated with Project Gutenberg-tm. + +1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this +electronic work, or any part of this electronic work, without +prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with +active links or immediate access to the full terms of the Project +Gutenberg-tm License. + +1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary, +compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any +word processing or hypertext form. 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INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the +trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone +providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance +with this agreement, and any volunteers associated with the production, +promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works, +harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, +that arise directly or indirectly from any of the following which you do +or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm +work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any +Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause. + + +Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm + +Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of +electronic works in formats readable by the widest variety of computers +including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact +information can be found at the Foundation's web site and official +page at http://pglaf.org + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. Compliance requirements are not uniform and it takes a +considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up +with these requirements. We do not solicit donations in locations +where we have not received written confirmation of compliance. To +SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any +particular state visit http://pglaf.org + +While we cannot and do not solicit contributions from states where we +have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition +against accepting unsolicited donations from donors in such states who +approach us with offers to donate. + +International donations are gratefully accepted, but we cannot make +any statements concerning tax treatment of donations received from +outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. + +Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation +methods and addresses. Donations are accepted in a number of other +ways including checks, online payments and credit card donations. +To donate, please visit: http://pglaf.org/donate + + +Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic +works. + +Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + http://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. + + +</pre> + +</body> +</html> + diff --git a/34516-h/images/000.png b/34516-h/images/000.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..7ff5fcf --- /dev/null +++ b/34516-h/images/000.png diff --git a/34516-h/images/001a.png b/34516-h/images/001a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..1d00c1d --- /dev/null +++ b/34516-h/images/001a.png diff --git a/34516-h/images/001c.png b/34516-h/images/001c.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..e706833 --- /dev/null +++ b/34516-h/images/001c.png 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