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| author | Roger Frank <rfrank@pglaf.org> | 2025-10-14 20:00:00 -0700 |
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Travers +and the Online Distributed Proofreaders at +http://dp.ratsko.net. + + + + + +[Note au lecteur de ce fichier digital: + +Les lettres supérieures inhabituelles sont encadrées par des +parenthèses. + +Ainsi que dans le livre original, les références de quelques notes de +fin de page sont incomplètes.] + + + + +ANATOLE FRANCE + +DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE + + +VIE + +DE + +JEANNE D'ARC + + +II + + +PARIS CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS 3, RUE AUBER, 3 + + + + +_Published march twenty fifth, nineteen hundred and eight. Privilege +of copyright in the United States reserved under the Act approved +March third nineteen hundred and five by Manzi, Joyant et Cie._ + + +Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous les pays, y +compris la Hollande. + + + + +VIE DE JEANNE D'ARC + + + + +CHAPITRE PREMIER + +L'ARMÉE ROYALE DE SOISSONS À COMPIÈGNE.--POÈME ET PROPHÉTIE. + + +Le 22 juillet, le roi Charles, descendant l'Aisne avec son armée, +reçut en un lieu nommé Vailly les clefs de la ville de Soissons[1]. + +[Note 1: _Chronique de la Pucelle_, pp. 323-324.--Perceval de +Cagny, pp. 160-161.--_Journal du siège_, p. 115.--Jean Chartier, +_Chronique_, t. I, p. 98.--Morosini, t. III, p. 196.] + +Cette ville faisait partie du duché de Valois indivis entre la maison +d'Orléans et la maison de Bar[2]. De ses ducs, l'un était prisonnier +des Anglais; l'autre tenait au parti français par son beau-frère le +roi Charles et au parti bourguignon par son beau-père le duc de +Lorraine. Il y avait là de quoi troubler dans leurs sentiments de +fidélité les habitants qui, foulés par les gens de guerre, pris et +repris à tout moment, chaperons rouges et chaperons blancs, +risquaient tour à tour d'être jetés dans la rivière. Les Bourguignons +mettaient le feu aux maisons, pillaient les églises, justiciaient les +plus gros bourgeois; puis les Armagnacs saccageaient tout, faisaient +grande occision d'hommes, de femmes et d'enfants, violaient nonnes, +prudes femmes et bonnes pucelles, tant que les Sarrazins n'eussent +fait pis[3]. On avait vu les dames de la cité coudre des sacs pour y +mettre les Bourguignons et les noyer dans l'Aisne[4]. + +[Note 2: _Ordonnances des rois de France_, t. IX, p. 71.--H. +Martin et Lacroix, _Histoire de la ville de Soissons_, Soissons, 1837, +in-8º, II, pp. 283 et suiv.] + +[Note 3: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 53 et _passim_.] + +[Note 4: _Ibid._, p. 103.] + +Le roi Charles fit son entrée le samedi 23 au matin[5]. Les chaperons +rouges se cachèrent. Les cloches sonnèrent, le peuple cria «Noël» et +les bourgeois présentèrent au roi deux barbeaux, six moutons et six +setiers de «bon suret», s'excusant du peu: la guerre les avait +ruinés[6]. Comme ceux de Troyes, ils refusèrent leurs portes aux gens +d'armes, en vertu de leurs privilèges et parce qu'ils n'avaient pas de +quoi les nourrir. L'armée campa dans la plaine d'Amblény[7]. + +[Note 5: _Chronique de la Pucelle_, pp. 323-324.--Perceval de +Cagny, p. 160.--Monstrelet, t. IV, p. 339.] + +[Note 6: C. Dormay, _Histoire de la ville de Soissons_, Soissons, +1664, t. II, pp. 382 et suiv.--H. Martin et Lacroix, _Histoire de +Soissons_, t. II, p. 319.--Pécheur, _Annales du diocèse de Soissons_, +t. IV, p. 513.--Félix Brun, _Jeanne d'Arc et le capitaine de Soissons +en 1430_, Soissons, 1904, p. 34.] + +[Note 7: Berry, dans _Procès_, t. IV, pp. 49-50.--Le P. Daniel, +_Histoire de la milice française_, t. I, p. 356.--Félix Brun, _Jeanne +d'Arc et le capitaine de Soissons_, pp. 26, 39.] + +Il semble que les chefs de l'armée royale eussent alors l'intention +de marcher sur Compiègne. Aussi bien importait-il d'enlever au duc +Philippe cette ville qui était pour lui la clef de l'Île-de-France, et +il y avait lieu d'agir avant que le duc eût amené une armée. Mais dans +toute cette campagne le roi de France était résolu à reprendre ses +villes par adresse et persuasion et non point de force. Du 22 au 25 +juillet, il somma par trois fois les habitants de Compiègne de se +rendre. Ceux-ci négocièrent, voulant gagner du temps et se donner +l'apparence d'être contraints[8]. + +[Note 8: De L'Épinois, _Notes extraites des archives communales de +Compiègne_, dans _Bibliothèque de l'École des Chartes_, t. XXIX, p. +483.--Sorel, _Prise de Jeanne d'Arc_, pp. 101-102.] + +Partie de Soissons, l'armée royale fut le 29 devant Château-Thierry. +Elle attendit tout le jour que la ville ouvrît ses portes. Au soir le +roi y fit son entrée[9]. + +[Note 9: Perceval de Cagny, p. 160.--Monstrelet, t. IV, p. 340.] + +Coulommiers, Crécy-en-Brie, Provins se soumirent[10]. + +[Note 10: Monstrelet, t. IV, p. 340.--_Chronique de la Pucelle_, +p. 323.--Félix Bourquelot, _Histoire de Provins_, Provins, t. IV, pp. +79 et suiv.--Th. Robillard, _Histoire pittoresque topographique et +archéologique de Crécy-en-Brie_, 1852, p. 42.--L'abbé C. Poquet, +_Histoire de Château-Thierry_, 1839, t. I, pp. 290 et suiv.] + +Le lundi 1er août, le roi passa la Marne sur le pont de +Château-Thierry et prit ce même jour son gîte à Montmirail. Le +lendemain il atteignit Provins à portée du passage de la Seine et des +routes du centre[11]. L'armée avait grand'faim et ne trouvait rien à +manger dans ces campagnes ravagées, dans ces villes pillées. On +s'apprêtait, faute de vivres, à faire retraite et à regagner le +Poitou. Mais les Anglais contrarièrent ce dessein. Pendant qu'on +réduisait des villes sans garnison, le régent d'Angleterre avait +rassemblé une armée. Elle s'avançait maintenant sur Corbeil et Melun. +Les Français, à son approche, gagnèrent la Motte-Nangis, à cinq lieues +de Provins, où ils s'établirent sur un de ces terrains bien plats et +bien unis qui convenaient aux batailles telles qu'elles se donnaient +en ce temps-là. Ils y demeurèrent rangés tout un jour. Les Anglais ne +vinrent point les attaquer[12]. + +[Note 11: Perceval de Cagny, pp. 160-161.] + +[Note 12: _Chronique de la Pucelle_, pp. 324, 325.--_Journal du siège_, +p. 115.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, pp. 98-99.--Perceval de +Cagny, p. 161.--Rymer, _Foedera_, juin-juillet 1429.--_Proceedings_, t. +III, pp. 322 et suiv.--Morosini, t. IV, annexe XVII.] + +Cependant les habitants de Reims reçurent nouvelles que le roi Charles +quittait Château-Thierry avec son armée et voulait passer la Seine. Se +voyant abandonnés, ils craignirent que les Anglais et les Bourguignons +ne leur fissent payer cher le sacre du roi des Armagnacs; et de fait +ils étaient en grand danger. Ils décidèrent, le 3 août, d'envoyer un +message au roi Charles pour le supplier de ne pas abandonner les cités +mises en son obéissance. Le héraut de la ville partit aussitôt. Le +lendemain, ils avertirent leurs bons amis de Châlons et de Laon, que +le roi Charles, comme ils l'avaient entendu dire, prenait son chemin +vers Orléans et Bourges et qu'ils lui avaient envoyé un message[13]. + +[Note 13: Jean Chartier, _Chronique_, t. 1, p. 98.--Varin, +_Archives législatives de la ville de Reims_, Statuts, t. I (annot. du +doc. nº XXI), p. 741.--H. Jadart, _Jeanne d'Arc à Reims_, pièce +justificative nº 19, p. 118.] + +Le 5 août, tandis que le roi est encore à Provins[14] ou aux +alentours, Jeanne adresse à ceux de Reims une lettre datée du camp, +sur le chemin de Paris. Elle y promet à ses chers et bons amis de ne +pas les abandonner. Elle n'a point l'air de soupçonner que la retraite +sur la Loire est décidée. C'est donc que les magistrats de Reims ne le +lui ont pas écrit et qu'elle est tenue en dehors du conseil royal. +Elle est instruite pourtant que le roi a conclu une trêve de quinze +jours avec le duc de Bourgogne et elle les en avertit. Cette trêve ne +lui plaît pas; elle ne sait encore si elle la gardera. Si elle ne la +rompt pas, ce sera seulement pour garder l'honneur du roi; encore ne +faut-il pas que ce soit une duperie. Aussi tiendra-t-elle l'armée +royale rassemblée et prête à marcher au bout de ces quinze jours. Elle +termine en recommandant aux habitants de Reims de faire bonne garde et +de l'avertir s'ils ont besoin d'elle. + +[Note 14: Perceval de Cagny, p. 160.] + +Voici cette lettre: + + Mes chiers et bons amis les bons et loiaulx Franczois de la cité + de Rains, Jehanne la Pucelle vous fait assavoir de ses nouvelles + et vous prie et vous requiert que vous ne faictes nulle doubte en + la bonne querelle que elle mayne pour le sang roial; et je vous + promect et certiffi que je ne vous abandonneray point tant que je + vivray. Et est vray que le Roy a fait treves au duc de Bourgoigne + quinze jours durant, par ainsi qu'il ly doit rendre la cité de + Paris paisiblement au chieff de quinze jours. Pourtant ne vous + donner nulle merveille si je ne y entre si brieffvement, combien + que des treves qui ainsi sont faictes je ne suy point contente + et ne scey si je les tendray; maiz si je les tiens, ce sera + seulement pour garder l'onneur du Roy; combien aussi que ilz ne + cabuseront[15] point le sang roial, car je tendray et mantendray + ensemble l'armée du Roy pour estre toute preste au chieff desdits + quinze jours, si ilz ne font la paix. Pour ce, mes très chiers et + parfaiz amis, je vous prie que vous ne vous en donner malaise + tant comme je vivray; maiz vous requiers que vous faictes bon + guet et garder la bonne cité du Roy; et me faictes savoir se il y + a nulz triteurs[16] qui vous veullent grever[17] et au plus + brieff que je porray, je les en osteray; et me faictes savoir de + voz nouvelles. À Dieu vous commans[18] qui soit garde de vous. + + Escript ce vendredi, Ve jour d'aoust, enprès Provins[19] un + logeiz sur champs ou chemin de Paris. + + _Sur l'adresse:_ Aux loyaux Francxois de la ville de Rains[20]. + +[Note 15: Jusqu'à présent on a lu _rabuseront_. Notre lecture ne +paraît pas douteuse. _Cabuser_, dans l'ancienne langue, signifie: +tromper par une imposture. Il est plutôt d'un emploi populaire. Cf. +Godefroy, _Lexique_, ad. verb.] + +[Note 16: Traîtres.] + +[Note 17: La minute originale porte en surcharge les mots: _qui +vous veullent grever_.] + +[Note 18: Devant le mot _commans_ on lit _ma_ rayé.] + +[Note 19: Ce nom de lieu manque dans la copie de Rogier.] + +[Note 20: _Procès_, t. V, pp. 139-140 et Varin, _loc. cit._, +Statuts, t. I, p. 603, d'après la copie de Rogier.--H. Jadart, _Jeanne +d'Arc à Reims_, pièce justificative, XIV, p. 104-105, et fac-similé de +la minute originale autrefois aux archives municipales de Reims et +maintenant chez M. le comte de Maleissye.] + +Nul doute que le religieux qui tenait la plume n'ait écrit fidèlement +ce qui lui était dicté, et conservé le langage même de la Pucelle, au +dialecte près, car enfin Jeanne parlait lorrain. Elle était alors +parvenue au plus haut degré de la Sainteté héroïque. Dans cette lettre +elle s'attribue un pouvoir surnaturel auquel doivent se soumettre le +roi, ses conseillers, ses capitaines. Elle se donne le droit de seule +reconnaître ou dénoncer les traités; elle dispose entièrement de +l'armée. Et, parce qu'elle commande au nom du Roi des cieux, ses +commandements sont absolus. Il lui arrive ce qui arrive nécessairement +à toute personne qui se croit chargée d'une mission divine, c'est de +se constituer en puissance spirituelle et temporelle au-dessus des +puissances établies et fatalement contre ces puissances. Dangereuse +illusion qui produit ces chocs où le plus souvent se brisent les +illuminés. Vivant et conversant tous les jours de sa vie avec les +anges et les saintes, dans les splendeurs de l'Église triomphante, +cette jeune paysanne croyait qu'en elle était toute force et toute +prudence, toute sagesse et tout conseil. Ce qui ne veut pas dire +qu'elle manquait d'esprit: elle s'apercevait très justement au +contraire que le duc de Bourgogne amusait le roi avec des ambassades +et que l'on était joué par un prince qui enveloppait beaucoup de ruse +dans beaucoup de magnificence. Non pas que le duc Philippe fût ennemi +de la paix; il la désirait au contraire, mais il ne voulait pas se +brouiller tout à fait avec les Anglais. Sans savoir grand'chose des +affaires de Bourgogne et de France, elle en jugeait bien. Elle avait +des idées très simples assurément, mais très justes sur la situation +du roi de France à l'égard du roi d'Angleterre, entre lesquels il ne +pouvait y avoir d'accommodement puisqu'ils se querellaient pour la +possession du royaume, et sur la situation du roi de France à l'égard +du duc de Bourgogne, son grand vassal, avec lequel une entente était +non seulement possible et désirable, mais nécessaire. Elle s'est +expliquée là-dessus sans ambages: «Il y a la paix avec les +Bourguignons et la paix avec les Anglais. Pour ce qui est du duc de +Bourgogne, je l'ai requis par lettres et par ambassadeurs qu'il y eût +paix entre le roi et lui. Quant aux Anglais, la paix qu'il faut c'est +qu'ils aillent en leur pays, en Angleterre[21].» + +[Note 21: _Procès_, t. I, pp. 233-234.] + +Cette trêve qui lui déplaisait tant, nous ignorons quand elle fut +conclue, et si ce fut à Soissons, à Château-Thierry, le 30 ou le 31 +juillet, à Provins entre le 2 et le 5 août[22]. Il paraît qu'elle +devait durer quinze jours, au bout desquels le duc s'engageait à +rendre Paris au roi de France. La Pucelle avait grandement raison de +se méfier. + +[Note 22: Morosini, t. III, pp. 202-203, note 2.] + +Le roi Charles, devant qui le Régent s'était dérobé, reprit avec +empressement son dessein de rentrer en Poitou. De la Motte-Nangis, il +envoya des fourriers à Bray-sur-Seine, qui venait de faire sa +soumission. Cette ville, située au-dessus de Montereau, à quatre +lieues au sud de Provins, avait un pont sur la rivière, que l'armée +royale devait passer le 5 août ou le 6 au matin; mais les Anglais y +arrivèrent de nuit, détroussèrent les fourriers et gardèrent le pont; +l'armée royale, à qui la retraite était coupée, rebroussa chemin[23]. + +[Note 23: _Chronique de la Pucelle_, p. 325.--Jean Chartier, +_Chronique_, t. I, pp. 99-100.--_Journal du siège_, pp. +119-120.--Gilles de Roye, p. 207.] + +Il existait dans cette armée, qui ne s'était pas battue et qui mourait +de faim, un parti des ardents, conduit par ce que Jeanne nommait avec +amour le sang royal[24]. C'était le duc d'Alençon, le duc de Bourbon, +le comte de Vendôme; c'était aussi le duc de Bar, qui revenait de la +guerre de la hottée de pommes. Ce jeune fils de madame Yolande, avant +de rimer des moralités et de peindre des tableaux, faisait beaucoup la +guerre. Duc de Bar et héritier de Lorraine, il lui avait fallu +s'allier aux Anglais et aux Bourguignons; beau-frère du roi Charles, +il devait se réjouir que celui-ci fût victorieux, car sans cela il +n'aurait jamais pu se mettre du parti de la reine sa soeur, et il en +aurait eu regret[25]. Jeanne le connaissait; elle l'avait demandé +naguère à Nancy au duc de Lorraine, pour l'accompagner en France[26]. +Il fut, dit-on, de ceux qui la suivirent volontiers jusqu'à Paris. De +ceux-là encore étaient les deux fils de madame de Laval, Gui, l'aîné, +à qui elle avait offert le vin à Selles-en-Berry et promis de lui en +faire bientôt boire à Paris, et André, qui fut depuis le maréchal de +Lohéac[27]. C'était l'armée de la Pucelle: de très jeunes hommes, +presque des enfants, qui joignaient leur bannière à la bannière d'une +fille plus jeune qu'eux, mais plus innocente et meilleure. + +[Note 24: _Procès_, t. III, p. 91.] + +[Note 25: _Chronique du doyen de Saint-Thibaut de Metz_, dans D. +Calmet, _Histoire de Lorraine_, t. V, Pièces justificatives, col. +XLI-XLVII.--Villeneuve-Bargemont, _Précis historique de la vie du roi +René_, Aix, 1820, in-8º.--Lecoy de la Marche, _Le roi René_, Paris, +1875, 2 vol., in-8º.--Vallet de Viriville, dans _Nouvelle Biographie +générale_, 1866, XLI, pp. 1009-15.] + +[Note 26: _Procès_, t. II, p. 444.--S. Luce, _Jeanne d'Arc à +Domremy_, p. CXCIX.--Morosini, t. III, p. 156, note 3.] + +[Note 27: _Procès_, t. V, pp. 105, 111.] + +On dit qu'en apprenant que la retraite était coupée, ces petits +princes furent bien contents et joyeux[28]. Vaillance et bon vouloir, +mais étrange et fausse position de cette chevalerie qui voulait +guerroyer quand le conseil du roi voulait traiter et qui se +réjouissait que les ennemis aidassent à la prolongation de la campagne +et que l'armée royale fût rencognée par les Godons. Malheureusement il +n'y avait pas de très habiles hommes dans ce parti de la guerre et +l'heure favorable était passée: on avait laissé au Régent le temps de +rassembler des forces et de faire face aux dangers les plus +pressants[29]. + +[Note 28: _Chronique de la Pucelle_, Jean Chartier, _Journal du +siège_, _loc. cit._] + +[Note 29: _Monstrelet_, t. IV, pp. 340, 344.] + +Sa retraite coupée, l'armée royale se rejeta en Brie. Le dimanche 7, +au matin, elle était à Coulommiers; elle repassa la Marne à +Château-Thierry[30]. Le roi Charles reçut un message des habitants de +Reims qui le suppliaient de se rapprocher encore d'eux[31]. Il était +le 10 à La Ferté, le 11 à Crépy en Valois[32]. + +[Note 30: Perceval de Cagny, p. 161.--Jean Chartier, _Chronique_, +t. I, p. 100.--_Chronique de la Pucelle_, p. 325.] + +[Note 31: Varin, _Archives législatives de la ville de Reims_, +Statuts, t. I, p. 742.] + +[Note 32: Perceval de Cagny, p. 161.] + +Dans une des étapes de cette marche sur La Ferté et sur Crépy, la +Pucelle chevauchait en compagnie du roi, entre l'archevêque de Reims +et monseigneur le Bâtard. Voyant le peuple accourir au-devant du roi +en criant «Noël!» elle se prit à dire: + +--Voici de bonnes gens! je n'ai vu nulle part gens si réjouis de la +venue du gentil roi[33]... + +[Note 33: _Procès_, t. III, pp. 14, 15.--_Chronique de la +Pucelle_, p. 326.] + +Ces paysans du Valois et de France, qui criaient «Noël» à la venue du +roi Charles, en criaient autant sur le passage du Régent ou du duc de +Bourgogne. Ils étaient moins joyeux sans doute qu'il ne semblait à +Jeanne et si la petite sainte avait écouté aux portes de leurs maisons +démeublées, voici, à peu près, ce qu'elle aurait entendu: + +«Que ferons-nous? Mettons tout en la main du diable. Il ne nous chaut +de ce que nous allons devenir, car, par mauvais gouvernement et +trahison, il nous faut renier femmes et enfants, et fuir dans les +bois, comme bêtes sauvages. Et il n'y a pas un an ou deux, mais déjà +quatorze ou quinze ans que cette danse douloureuse commença. Et la +plus grande partie des seigneurs de France sont morts par glaive ou +par poison, par traîtrise, sans confession, enfin de quelque mauvaise +mort contre nature. Mieux nous vaudrait servir les Sarrazins que les +chrétiens. Autant vaut faire du pis qu'on peut comme du mieux. Faisons +du pis que nous pourrons. Aussi bien ne nous peut-il arriver que +d'être pris ou tués[34].» + +[Note 34: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 164.] + +On ne cultivait alors la terre qu'aux alentours des villes ou proche +des lieux forts et des châteaux, dans le rayon que, du haut d'une tour +ou d'un clocher, le guetteur pouvait parcourir du regard. À la venue +des gens d'armes, il sonnait de la cloche ou du cor, pour avertir les +vignerons et les laboureurs de se mettre en sûreté. En maint endroit +la sonnerie d'alarme était si fréquente que les boeufs, les moutons et +les porcs, dès qu'ils l'entendaient, s'en allaient d'eux-mêmes vers le +lieu de refuge[35]. + +[Note 35: Thomas Basin, _Histoire de Charles VII_, ch. VI.--A. +Tuetey, _Les écorcheurs sous Charles VII_, Montbéliard, 1874, 2 vol. +in-8º, _passim_.--H. Lepage, _Épisodes de l'histoire des routiers en +Lorraine_ (1362-1446), dans _Journal d'Archéologie lorraine_, t. XV, +pp. 161 et s.--Le P. Denifle, _La Désolation des églises_, +_passim_.--H. Martin et Lacroix, _Histoire de Soissons_, p. 318 et +_passim_.--G. Lefèvre-Pontalis, _Épisodes de l'invasion anglaise. La +guerre de partisans dans la Haute-Normandie_ (1424-1429), dans +_Bibliothèque de l'École des Chartes_, t. LIV, pp. 475-521; t. LV, pp. +258-305; t. LVI, pp. 432-508.] + +Dans les pays de plaine surtout, d'un accès facile, les Armagnacs et +les Anglais avaient tout détruit. À quelque distance de Beauvais, de +Senlis, de Soissons, de Laon, ils avaient changé les champs en +jachères, et, par endroits, s'étendaient largement la brousse, les +buissons et les arbrisseaux. + +--Noël! Noël. + +Par tout le duché de Valois, les paysans abandonnaient le plat pays et +se cachaient dans les bois, les rochers et les carrières[36]. + +[Note 36: Lettre de rémission du roi d'Angleterre Henri VI à un +habitant de Noyant, dans Stevenson, _Letters and papers_, t. I, pp. +23, 31.--F. Brun, _Jeanne d'Arc et le capitaine de Soissons_, note +III, p. 41.] + +Beaucoup, pour vivre, faisaient comme Jean de Bonval, couturier à +Noyant, près Soissons, qui, bien qu'il eût femme et enfants, se mit +d'une bande bourguignonne qui allait par toute la contrée pillant et +dérobant, et, à l'occasion, enfumant les gens dans les églises. Un +jour, Jean et ses compagnons prennent deux muids de grains, un jour +six ou sept vaches; un jour une chèvre et une vache, un jour une +ceinture d'argent, une paire de gants et une paire de souliers; un +jour un ballot de dix-huit aunes de drap pour faire des huques. Et +Jean de Bonval disait qu'à sa connaissance plusieurs bons prudhommes +en faisaient autant[37]. + +[Note 37: Stevenson, _Letters and papers_, t. I, pp. 23, 31.] + +--Noël! Noël! + +Les Armagnacs et les Bourguignons avaient pris aux pauvres paysans +jusqu'à leur cotte et leur marmite. Il n'y avait pas loin de Crépy à +Meaux. Tout le monde, dans la contrée, connaissait l'arbre de Vauru. + +À une des portes de la ville de Meaux était un grand orme où le bâtard +de Vauru, gentilhomme gascon du parti du dauphin, faisait pendre les +paysans qu'il avait pris et qui ne pouvaient payer leur rançon. Quand +il n'avait point le bourreau sous la main, il les pendait lui-même. +Avec lui vivait un sien parent, le seigneur Denis de Vauru, qu'on +appelait son cousin, non parce qu'il l'était en effet, mais pour faire +entendre que l'un valait l'autre[38]. Au mois de mars de l'année 1420, +le seigneur Denis, en l'une de ses chevauchées, rencontra un jeune +paysan, qui travaillait la terre. Il le prit à rançon, le lia à la +queue de son cheval, le mena battant jusqu'à Meaux et, par menaces et +tortures, lui fit promettre de payer trois fois plus qu'il n'avait. +Tiré de la géhenne à demi mort, le vilain fit demander à sa femme, +qu'il avait épousée dans l'année, d'apporter la somme exigée par le +seigneur. Elle était grosse et près de son terme; pourtant, comme elle +aimait bien son mari, elle vint, espérant adoucir le coeur du seigneur +de Vauru. Elle n'y réussit point et messire Denis lui dit que si, tel +jour, il n'avait pas la rançon, il pendrait l'homme à l'orme. La +pauvre femme s'en alla tout en pleurs, recommandant bien tendrement +son mari à Dieu. Et son mari pleurait de la pitié qu'il avait d'elle. +À grand effort, elle recueillit la rançon exigée, mais ne put si bien +faire qu'elle ne dépassât le jour fixé. Quand elle revint devant le +seigneur, son mari avait été pendu, sans délai ni merci, à l'arbre de +Vauru. Elle le demanda en sanglotant et tomba épuisée du long chemin +qu'elle avait fait à pied, près de son terme. Ayant repris +connaissance, elle le réclama de nouveau; on lui répondit qu'elle ne +le verrait point tant que la rançon ne serait point payée. + +[Note 38: _Journal d'un bourgeois de Paris_, pp. +170-171.--Monstrelet, t. IV p. 96.--_Livre des trahisons_, pp. +167-168.] + +Tandis qu'elle se tenait devant le seigneur, elle vit amener plusieurs +gens de métiers mis à rançon qui, ne pouvant payer, étaient aussitôt +envoyés pendre ou noyer. À leur vue, elle prit grand'peur pour son +mari; néanmoins, l'amour la tenant au coeur, elle paya la rançon. +Sitôt que les gens du duc eurent compté les écus, ils la renvoyèrent +en lui disant que son mari était mort comme les autres vilains. À +cette cruelle parole, émue de douleur et de désespoir, elle éclata en +invectives et en imprécations. Comme elle ne voulait point se taire, +le bâtard de Vauru la fit frapper à coups de bâton et mener à son +orme. + +Elle fut mise nue jusqu'au nombril et attachée à l'arbre où de +quarante à cinquante hommes étaient branchés, les uns haut, les autres +bas, qui lui venaient toucher la tête quand le vent leur donnait le +branle. À la tombée de la nuit, elle poussa de tels cris qu'on les +entendait de la ville. Mais quiconque serait allé la détacher aurait +été un homme mort. La frayeur, la fatigue, ses efforts, hâtèrent sa +délivrance. Attirés par ses hurlements, les loups vinrent lui arracher +le fruit qui sortait de son ventre, et puis ils dépecèrent tout vif +le corps de la malheureuse créature. + +Mais en l'an 1422, la ville de Meaux ayant été prise par les +Bourguignons, le bâtard de Vauru et son cousin furent pendus à l'arbre +où ils avaient fait périr indignement un si grand nombre d'innocentes +gens[39]. + +[Note 39: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 170.--D'après +_Monstrelet_ (t. IV, p. 96), Denis de Vauru, cousin du Bâtard, aurait +été décapité aux Halles de Paris.] + +Pour les pauvres paysans de ces malheureuses contrées, armagnacs ou +bourguignons c'était bonnet blanc et blanc bonnet: ils ne gagnaient +rien à changer de maître. Pourtant il est possible qu'en voyant le +roi, issu de saint Louis et de Charles le Sage, ils reprissent un peu +de confiance et d'espoir, tant cette illustre maison de France avait +renom de justice et de miséricorde. + +Ainsi, chevauchant au côté de l'archevêque de Reims, la Pucelle +regardait amicalement les paysans qui criaient: «Noël!» Après avoir +dit qu'elle n'avait vu nulle part gens si réjouis de la venue du +gentil roi, elle soupira: + +--Plût à Dieu que je fusse assez heureuse, quand je finirai mes jours, +pour être inhumée en cette terre[40]! + +[Note 40: _Procès_, t. III, pp. 14-15.--_Chronique de la Pucelle_, +p. 326.] + +Peut-être le seigneur archevêque était-il curieux de savoir si elle +avait reçu de ses Voix quelque révélation sur sa fin prochaine. Elle +disait souvent qu'elle durerait peu. Sans doute il connaissait une +prophétie fort répandue à cette heure, annonçant que la Pucelle +mourrait en terre sainte après avoir reconquis avec le roi Charles le +tombeau de Notre-Seigneur. Plusieurs attribuaient cette prophétie à la +Pucelle elle-même qui avait dit à son confesseur qu'elle devait mourir +à la bataille contre les Infidèles et qu'après elle viendrait de par +Dieu une pucelle de Rome, qui prendrait sa place[41]. Et l'on comprend +que messire Regnault ait voulu savoir ce qu'il fallait penser de ces +choses. Enfin, pour cette raison, ou pour toute autre, il demanda: + +--Jeanne, en quel lieu avez-vous l'espoir de mourir? + +[Note 41: Eberhard Windecke, pp. 108-109, 188-189.] + +À quoi elle répondit: + +--Où il plaira à Dieu. Car je ne suis sûre ni du temps ni du lieu, et +je n'en sais pas plus que vous. + +On ne pouvait répondre plus dévotement. Monseigneur le Bâtard, présent +à l'entretien, crut se rappeler, bien des années plus tard, que Jeanne +avait aussitôt ajouté: + +--Mais je voudrais bien qu'il plût à Dieu que maintenant je me +retirasse, laissant là les armes, et que j'allasse servir mon père et +ma mère, en gardant les brebis avec mes frères et ma soeur[42]. + +[Note 42: _Procès_, t. III, pp. 14-15. C'est Dunois qui témoigne, +et le texte porte: _In custodiendo oves ipsorum, cum sorore et +fratribus meis, qui multum gauderent videre me._ Mais nous avons lieu +de croire qu'elle n'avait eu qu'une soeur et qu'elle l'avait perdue +avant de venir en France. Quant à ses frères, il y en avait deux près +d'elle.--La déposition de Dunois semble avoir été rédigée par un clerc +étranger aux événements. Le caractère hagiographique de ce passage est +manifeste.] + +Si vraiment elle parla de la sorte, ce fut sans doute parce qu'elle +avait de sombres pressentiments. Depuis quelque temps, elle se croyait +trahie[43]. Peut-être soupçonnait-elle le seigneur archevêque de Reims +de mauvais vouloir à son égard. Qu'il pensât dès lors à la rejeter, +après l'avoir utilement employée, ce n'est pas croyable. Il avait +dessein, au contraire, de se servir encore d'elle, mais il ne l'aimait +pas, et elle le sentait. Il ne la consultait pas, ne l'informait +jamais de ce qui avait été décidé en conseil. Et elle souffrait +cruellement du peu de cas qu'il faisait des révélations dont elle +abondait. Ce souhait, ce soupir, qu'elle fit entendre devant lui, +n'était-ce pas un reproche délicat et voilé? Sans doute, elle avait le +regret de sa mère absente. Toutefois, elle s'abusait étrangement +elle-même en croyant qu'elle pourrait désormais supporter la vie +tranquille d'une fille au village. À Domremy, dans son enfance, elle +n'allait guère aux champs avec les moutons; elle s'occupait plus +volontiers du ménage[44]; mais si, après avoir chevauché avec le roi +et les seigneurs, il lui avait fallu retourner au pays et garder les +troupeaux, elle n'y serait pas restée six mois. Désormais il lui +aurait été bien impossible de vivre autrement qu'en cette chevalerie +où elle croyait que Dieu l'avait appelée. Tout son coeur s'y était +pris et elle en avait bien fini avec ses fuseaux. + +[Note 43: _Procès_, t. II, p. 423.] + +[Note 44: _Ibid._, t. I, pp. 51, 66.] + +Pendant cette marche sur La Ferté et sur Crépy, le roi Charles reçut +du Régent, alors à Montereau avec sa noblesse, un cartel l'assignant à +tel endroit qu'il désignerait[45]. + +[Note 45: Monstrelet, t. IV, pp. 340, 344.] + +«Nous qui désirons de tout coeur, disait le duc de Bedford, +l'achèvement de la guerre, nous vous sommons et requérons, si vous +avez pitié et compassion du pauvre peuple chrétien qui, si longtemps, +pour votre cause, a été inhumainement traité, foulé et opprimé, de +désigner, soit au pays de Brie où nous sommes tous deux, soit en +l'Île-de-France, un lieu convenable. Nous nous y rencontrerons. Et, si +vous avez quelque proposition de paix à nous faire, nous l'écouterons, +et nous aviserons en bon prince catholique[46].» + +[Note 46: _Ibid._, t. IV, p. 342.] + +Cette lettre injurieuse et pleine d'arrogance, le Régent ne l'avait +pas écrite dans le désir et l'espoir de la paix, mais pour rendre, +contre toute raison, le roi Charles seul responsable des misères et +des souffrances que la guerre causait au pauvre peuple. + +Dès le début, s'adressant au roi sacré dans la cathédrale de Reims, il +l'interpelle de cette dédaigneuse sorte: «Vous qui aviez coutume de +vous nommer dauphin de Viennois et qui maintenant, sans cause, vous +dites roi.» Il déclare qu'il veut la paix, et il ajoute aussitôt: +«Non pas une paix feinte, corrompue, dissimulée, violée, parjurée, +comme celle de Montereau, dont, par votre coulpe et consentement, +s'ensuivit le terrible et détestable meurtre, commis contre loi et +honneur de chevalerie, en la personne de feu notre très cher et très +amé père, le duc Jean de Bourgogne[47].» + +[Note 47: Monstrelet, t. IV, pp. 342-343.] + +Monseigneur de Bedford avait épousé une des filles du duc Jean, +traîtreusement assassiné en paiement de la mort du duc d'Orléans. +Mais, en vérité, c'était mal préparer la paix que de reprocher si +impitoyablement la journée de Montereau à Charles de Valois qui y +avait été traîné enfant, en avait gardé un trouble de tout son corps +et l'épouvante de passer sur un pont[48]. + +[Note 48: Georges Chastelain, fragments publiés par J. Quicherat +dans la _Bibliothèque de l'École des Chartes_, 1re série, t. IV, p. +78.] + +Pour le présent, le plus lourd grief que le duc de Bedford fasse peser +sur le roi Charles, c'est d'être accompagné de la Pucelle et du frère +Richard. «Vous faites séduire et abuser le peuple ignorant, lui +dit-il, et vous vous aidez de gens superstitieux et réprouvés, comme +d'une femme désordonnée et diffamée, étant en habit d'homme et de +gouvernement dissolu, et aussi d'un frère mendiant apostat et +séditieux, tous deux, selon la Sainte Écriture, abominables à Dieu.» + +Pour mieux faire honte au parti ennemi de cette fille et de ce +religieux, le duc de Bedford s'y prend à deux fois. Et au plus bel +endroit de sa lettre, quand il cite Charles de Valois à comparoir +devant lui, il s'attend ironiquement à le voir venir sous la conduite +de la femme diffamée et du moine apostat[49]. + +[Note 49: Monstrelet, t. IV, pp. 341-342.] + +Voilà comment écrivait le régent d'Angleterre, qui pourtant était un +esprit fin, mesuré, gracieux, bon catholique au reste et croyant à +toutes les diableries et à toutes les sorcelleries. + +Quand il se montrait scandalisé que l'armée de Charles de Valois +marchât commandée par un moine hérétique et par une sorcière, il était +sincère assurément, et il pensait habile de publier cette honte. Sans +doute il n'y avait que trop de gens disposés à croire, comme il le +croyait lui-même, que la Pucelle des Armagnacs était idolâtre, +hérétique et adonnée aux arts magiques. Pour beaucoup de prudes et +sages hommes bourguignons, un prince perdait l'honneur à se mettre en +pareille compagnie. Et si vraiment Jeanne était sorcière, quel +scandale! Quelle abomination! Les fleurs de Lis restaurées par le +diable! Tout le camp du dauphin en sentait le roussi. Cependant +monseigneur de Bedfort, en répandant ces idées, n'était pas aussi +adroit qu'il s'imaginait. + +Jeanne, nous le savons de reste, avait bon coeur et ne ménageait pas +sa peine: en donnant l'idée aux hommes de son parti qu'elle portait +chance elle affermissait beaucoup leur courage[50]; toutefois les +conseillers du roi Charles savaient à quoi s'en tenir sur elle et ne +la consultaient point; elle-même sentait qu'elle ne durerait pas[51]. +Qui donc en faisait un grand chef de guerre, une puissance +surnaturelle? Son ennemi. + +[Note 50: _Procès_, t. II, p. 324; t. III, p. 130; Monstrelet, t. +IV, p. 388.] + +[Note 51: _Ibid._, t. III, p. 99.] + +On voit par cette lettre comment les Anglais avaient transformé une +enfant innocente en une créature surhumaine, terrible, épouvantable, +en une larve sortie de l'enfer et devant qui les plus braves +pâlissaient. Le Régent crie lamentablement: au diable! à la sorcière! +Et il s'étonne après cela si ses gens d'armes tremblent devant la +Pucelle, désertent de peur de la rencontrer[52]! + +[Note 52: _Ibid._, t. IV, pp. 206, 406, 444, 470, 472.--Rymer, +_Foedera_, t. IV, p. 141.--G. Lefèvre-Pontalis, _La panique +anglaise_.] + +De Montereau, l'armée anglaise s'était repliée sur Paris. Maintenant, +elle allait de nouveau à la rencontre des Français. Le samedi 13 août, +le roi Charles tenait les champs entre Crépy et Paris et la Pucelle +put voir, des hauteurs de Dammartin, la butte Montmartre avec ses +moulins à vent et les brumes légères de la Seine sur cette grande cité +de Paris, que ses Voix, trop écoutées, lui avaient promise[53]. Le +lendemain dimanche, le roi et son armée vinrent loger en un village +nommé Barron, sur la rivière de la Nonnette qui, à deux lieues en +aval, baigne Senlis[54]. + +[Note 53: _Ibid._, t. I, pp. 246, 298; Lettre d'Alain Chartier, +dans _Procès_, t. V, pp. 131 et suiv.] + +[Note 54: Monstrelet, t. IV, pp. 344-345.--Perceval de Cagny, pp. +161-162.] + +Senlis était en l'obéissance des Anglais[55]. On apprit que le Régent +s'en approchait en grande compagnie de gens d'armes, commandés par le +comte de Suffolk, le sire de Talbot, le bâtard de Saint-Pol. Il menait +avec lui les croisés du cardinal de Winchester oncle du feu roi, de +trois mille cinq cents à quatre mille hommes payés par l'argent du +pape pour aller combattre les hussites de Bohême et que le cardinal +jugeait bon d'employer contre le roi de France, très chrétien à la +vérité, mais dont les armées étaient commandées par un apostat et par +une sorcière[56]. Il se trouvait dans le camp des Anglais, à ce que +l'on rapporte, un capitaine avec quinze cents hommes d'armes vêtus de +blanc, qui arboraient un étendard blanc, sur lequel était brodée une +quenouille d'où pendait un fuseau; et dans le champ de l'étendard, +cette légende était brodée en fines lettres d'or: «Ores, vienne la +Belle[57]!» Par là, ces hommes d'armes voulaient faire entendre que, +s'ils rencontraient la Pucelle des Armagnacs, ils lui donneraient du +fil à retordre. + +[Note 55: Flammermont, _Histoire de Senlis pendant la seconde +partie de la guerre de cent ans_ (1405-1441), dans _Mémoires de la +Société de l'Histoire de Paris_.] + +[Note 56: Jean Chartier, _Chronique_, t. I, pp. +101-102.--_Chronique de la Pucelle_, p. 328.--_Journal du siège_, p. +118.--Fauquembergue, dans _Procès_, t. IV, p. 453.--Morosini, t. III, +pp. 188-189, t. IV, annexe XVII.--Rymer, _Foedera_, juillet +1429.--Raynaldi, _Annales ecclesiastici_, pp. 77, 88.--S. Bougenot, +_Notices et extraits de manuscrits intéressant l'histoire de France +conservés à la Bibliothèque impériale de Vienne_, p. 62.] + +[Note 57: _Le Livre des trahisons de France_, éd. Kervyn de +Lettenhove dans la _Collection des Chroniques belges_, 1873, p. 198.] + +Le capitaine Jean de Saintrailles, frère de Poton, observa les Anglais +au moment où, tirant sur Senlis, ils passaient un gué de la Nonnette, +si étroit qu'on y pouvait mettre à peine deux chevaux de front. Mais +l'armée du roi Charles qui descendait la Nonnette n'arriva pas à temps +pour les surprendre[58]; elle passa la nuit en face d'eux, près de +Montepilloy. + +[Note 58: Perceval de Cagny, p. 162.--Jean Chartier, _Chronique_, +t. I, p. 102.--_Chronique de la Pucelle_, p. 329.--_Journal du siège_, +p. 119-120.] + +Le lendemain lundi, 15 août, dès l'aube, les gens d'armes entendirent +la messe dans les champs et mirent leur conscience en aussi bon état +qu'ils purent, car pour grands pillards et paillards qu'ils étaient, +ils ne renonçaient pas à gagner le Paradis au terme de leur vie. +C'était fête chômée; à cette date, l'Église commémore solennellement +le jour où la Vierge Marie, au témoignage de saint Grégoire de Tours, +fut enlevée au ciel en corps et en âme. Les clercs enseignaient qu'il +convient de garder les fêtes de Notre-Seigneur et de la Sainte-Vierge +et que c'est gravement offenser la glorieuse Mère de Dieu que de +livrer bataille aux jours qui leur sont consacrés. Personne dans le +camp du roi Charles ne pouvait soutenir un avis contraire, puisque +tout le monde y était chrétien, de même que dans le camp du Régent. +Cependant aussitôt après le _Deo gratias_ chacun alla prendre son rang +de combat[59]. + +[Note 59: Perceval de Cagny, p. 161.] + +L'armée, selon les règles établies, était divisée en plusieurs corps: +avant-garde, archers, corps de bataille, arrière-garde et trois +ailes[60]. De plus, on avait formé, en application des mêmes règles, +une compagnie destinée à faire des escarmouches, à secourir et à +renforcer au besoin les autres corps; elle était commandée par le +capitaine La Hire, monseigneur le Bâtard et le sire d'Albret, +demi-frère du sire de La Trémouille. La Pucelle prit place dans cette +compagnie. Le jour de Patay, malgré ses prières, il lui avait fallu se +tenir à l'arrière-garde; cette fois, elle chevauchait avec les plus +hardis et les plus habiles, parmi ces escarmoucheurs ou coureurs qui +avaient charge, dit Jean de Bueil[61], de repousser les coureurs +adverses et d'observer le nombre et l'ordonnance des ennemis[62]. On +lui rendait justice; on lui donnait la place qu'elle méritait par son +adresse à monter à cheval et son courage à combattre; pourtant elle +hésitait à suivre ses compagnons. Elle était là, au rapport d'un +chevalier chroniqueur du parti de Bourgogne, «toujours ayant diverses +opinions, une fois voulant combattre, une autre fois non[63]». + +[Note 60: _Le Jouvencel_, _passim_.] + +[Note 61: _Chronique de la Pucelle_, p. 329.--_Journal du siège_, +p. 121.] + +[Note 62: _Le Jouvencel_, t. II, p. 35.] + +[Note 63: Monstrelet, t. IV, p. 346.] + +Son trouble nous est bien concevable. La petite sainte ne pouvait se +résoudre ni à chevaucher le jour d'une fête de Notre-Dame ni à se +croiser les bras à l'heure de guerroyer. Ses Voix entretenaient son +incertitude. Elles ne lui enseignaient ce qu'elle devait faire que +lorsqu'elle le savait elle-même. Enfin, elle accompagna les gens +d'armes, dont aucun, ce semble, ne partageait ses scrupules. Les deux +partis étaient à un jet de couleuvrine l'un de l'autre[64]. Elle +s'avança avec quelques-uns des siens jusqu'aux fossés et aux charrois +derrière lesquels les Anglais étaient retranchés. Plusieurs Godons et +Picards sortirent de leur camp et combattirent, les uns à pied, les +autres à cheval, contre un nombre égal de Français. Il y eut de part +et d'autre morts, blessés et prisonniers. Les corps à corps durèrent +toute la journée; au coucher du soleil eut lieu la plus grosse +escarmouche, autour de laquelle la poussière était si épaisse, qu'on +ne voyait plus rien[65]. Il en fut, ce jour-là, comme il en avait été, +le 17 juin, entre Beaugency et Meung. Avec l'armement et les habitudes +d'alors, il était bien difficile de forcer à sortir un ennemi +retranché dans son camp. Le plus souvent, pour engager la bataille, il +fallait que les deux partis fussent d'accord, et que, après avoir +envoyé et accepté le gage du combat, ils eussent fait aplanir, chacun +de moitié, le terrain où ils voulaient en venir aux mains. + +[Note 64: Perceval de Cagny, p. 162.] + +[Note 65: Jean Chartier, _Chronique de la Pucelle_, _Journal du +siège_, Monstrelet, _loc. cit._] + +À la nuit close les escarmouches cessèrent et les deux armées +dormirent à un trait d'arbalète l'une de l'autre. Puis le roi Charles +s'en fut à Crépy, laissant les Anglais libres d'aller secourir la +ville d'Évreux, qui s'était rendue à terme pour le 27 août. Avec cette +ville, le Régent sauvait toute la Normandie[66]. + +[Note 66: _Chronique de la Pucelle_, p. 332.--Perceval de Cagny, +p. 165.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 106.--Cochon, p. +457.--G. Lefèvre-Pontalis, _La panique anglaise_, Paris, 1894, in-8º, +p. 10, 11.--Morosini, t. III, p. 215, note 3.--Ch. de Beaurepaire, _De +l'administration de la Normandie sous la domination anglaise aux +années 1424, 1425, 1429_, p. 62 [_Mémoires de la Société des +Antiquaires de Normandie_, t. XXIV.]] + +Voilà ce que coûtait aux Français la procession royale du sacre, cette +marche militaire, civile et religieuse de Reims. Si après la victoire +de Patay on avait couru tout de suite sur Rouen, la Normandie était +reconquise et les Anglais jetés dans la mer; si de Patay on avait +poussé jusqu'à Paris, on y serait entré sans résistance. Il ne faut +pas se hâter pourtant de condamner cette solennelle promenade des Lis +en Champagne. Peut-être que le voyage de Reims assura au parti +français, à ces Armagnacs décriés pour leurs cruautés et leurs +félonies, au petit roi de Bourges compromis dans un guet-apens infâme, +des avantages plus grands, plus précieux que la conquête du comté du +Maine et du duché de Normandie, et que l'assaut donné victorieusement +à la première ville du royaume. En reprenant sans effusion de sang ses +villes de Champagne et de France, le roi Charles se fit connaître à +son avantage, se montra bon et pacifique seigneur, prince sage et +débonnaire, ami des bourgeois, vrai roi des villes. Et enfin, en +terminant cette campagne de négociations honnêtes et heureuses par les +cérémonies augustes du sacre, il apparaissait tout à coup légitime et +très saint roi de France. + + * * * * * + +Une dame illustre, issue de nobles bolonais et veuve d'un gentilhomme +de Picardie, versée dans les arts libéraux, qui avait composé nombre +de lais, de virelais et de ballades, qui écrivait en prose et en vers +d'une haute façon et pensait noblement; qui, amie de la France et +champion de son sexe, n'avait rien plus à coeur que de voir les +Français prospères et les dames honorées, Christine de Pisan, en son +vieil âge, cloîtrée dans l'abbaye de Poissy où sa fille était +religieuse, acheva, le 31 juillet 1429, un poème en soixante et un +couplets, comprenant chacun huit vers de huit syllabes, à la louange +de la Pucelle et qui, dans une langue affectée et dans un rythme dur, +exprimait la pensée des âmes les plus religieuses, les plus doctes, +les plus belles sur l'ange de guerre envoyé par le Seigneur au dauphin +Charles[67]. + +[Note 67: Le Roux de Lincy et Tisserand, _Paris et ses +historiens_, pp. 426 et suiv.] + +Elle commence par dire, en cet ouvrage, qu'elle a pleuré onze ans dans +un cloître. Et vraiment, cette dame de grand coeur pleurait les +malheurs du royaume dans lequel elle était venue enfant, où elle +avait grandi, où les rois et les princes lui avaient fait accueil, les +doctes et les poètes l'avaient honorée, et dont elle parlait +précieusement le langage. Après onze années de deuil, les victoires du +dauphin furent sa première joie. + +«Enfin, dit-elle, le soleil recommence à luire et se lèvent les beaux +jours verdoyants. Cet enfant royal, longtemps méprisé et offensé, le +voici venir, portant la couronne et chaussé d'éperons d'or. Crions: +Noël! Charles, septième de ce haut nom, roi des Français, tu as +recouvré ton royaume par le moyen de la Pucelle.» + +Madame Christine rappelle la prophétie concernant un roi Charles, fils +de Charles, surnommé le Cerf-Volant[68], lequel devait être empereur. +De cette prophétie nous ne savons rien, sinon que l'écu du roi Charles +VII était supporté par deux cerfs ailés et que dans une lettre d'un +marchand italien, écrite en 1429, se trouve l'annonce obscure du +couronnement du dauphin à Rome[69]. + +[Note 68: Le Cerf-Volant désigne allégoriquement le roi. Froissart +rapporte ainsi son origine. Avant de partir pour les Flandres, en +1382, Charles VI avait rêvé que son faucon s'était envolé. Un cerf +ailé lui apparut, l'enleva sur son dos et lui permit d'atteindre son +oiseau favori. Froissart, liv. II, chap. CLXIV; liv. IV, chap. +I.--Selon Juvénal des Ursins, Charles VI aurait rencontré, en 1380, +dans la forêt de Senlis, un cerf avec un collier d'or portant cette +inscription: _Hoc me Cæsar donavit_ (Paillot, _Parfaite Science des +Armoiries_, Paris, 1660, in-fº, p. 595).--On rencontre très souvent +chez Eustache Deschamps cette même allégorie pour désigner le roi +(Eustache Deschamps, _oeuvres_, éd. G. Raynaud, t. II, p. 57).] + +[Note 69: Morosini, t. III, pp. 66-67.] + +«Je prie Dieu, poursuit madame Christine, que tu sois celui-là, que +Dieu te donne de vivre pour voir tes enfants grandir, que par toi, par +eux, la France soit en joie et que, servant Dieu, tu n'y fasses point +la guerre à outrance. J'ai espoir que tu seras bon, droit, ami de la +justice, plus grand qu'aucun autre, sans que l'orgueil assombrisse tes +beaux faits, doux et propice à ton peuple et craignant Dieu qui t'a +choisi pour le servir. + +»Et toi, Pucelle bien heureuse, tant honorée de Dieu, tu as délié la +corde qui enserrait la France. Te pourrait-on louer assez, toi qui à +cette terre humiliée par la guerre as donné la paix. + +»Jeanne, née à la bonne heure, béni soit ton créateur! Pucelle envoyée +de Dieu, en qui le Saint-Esprit mit un rayon de sa grâce et qui de lui +reçus et gardes abondance de dons: jamais il ne refusa ta requête. Qui +t'aura jamais assez de reconnaissance?» + +La Pucelle, sauvant le royaume, madame Christine la compare à Moïse, +qui tira Israël de la terre d'Égypte: + +«Qu'une pucelle tende son sein pour que la France y suce douce +nourriture de paix, voilà bien chose qui passe la nature! + +»Josué fut grand conquérant. Quoi d'étrange à cela, puisque c'était un +homme fort? Or, voici qu'une femme, une bergère montre plus de +prud'homie qu'aucun homme. Mais tout est facile à Dieu. + +»Par Esther, Judith et Déborah, précieuses dames, il restaura son +peuple opprimé. Et je sais qu'il fut des preuses. Mais Jeanne est la +nonpareille. Dieu a, par elle, opéré maints miracles. + +»Par miracle elle fut envoyée; l'ange de Dieu la conduisit au roi. + +»Avant qu'on la voulût croire, elle fut menée devant des clercs et des +savants et bien examinée. Elle se disait venue de par Dieu et l'on +trouva dans les histoires que c'était véritable, car Merlin, la +Sibylle et Bède l'avaient vue en esprit. Ils la mirent dans leurs +livres comme remède à la France et l'annoncèrent dans leurs +prophéties, disant: «Elle portera bannière aux guerres françaises.» +Enfin ils disent de son fait toute la manière.» + +Que madame Christine connût les chants sibyllins, ce n'est pas pour +nous surprendre, car on sait qu'elle était versée dans les écrits des +anciens. Mais on voit que la prophétie fraîchement tronquée de Merlin +l'Enchanteur et le chronogramme apocryphe de Bède le Vénérable lui +étaient parvenus. Les carmes et vaticinations des clercs armagnacs +volaient partout avec une merveilleuse rapidité[70]. + +[Note 70: _Procès_, t. III, pp. 133, 338, 340 et suiv.; t. IV, pp. +305, 480; t. V, p. 12.] + +Le sentiment de madame Christine sur la Pucelle s'accorde avec celui +des docteurs du parti français et le poème qu'elle composa dans son +cloître ressemble, en beaucoup d'endroits, au traité de l'archevêque +d'Embrun. + +Il y est dit: + +«La bonne vie qu'elle mène montre que Jeanne est en la grâce de Dieu. + +»Il y a bien paru, quand le siège était à Orléans et que sa force s'y +montra. Jamais miracle ne fut plus clair. Dieu aida tellement les +siens, que les ennemis ne s'aidèrent pas plus que chiens morts. Ils +furent pris ou tués. + +»Honneur du sexe féminin, Dieu l'aime. Une fillette de seize ans à qui +les armes ne pèsent point, encore qu'elle soit nourrie à la dure, +n'est-ce pas chose qui passe la nature? Les ennemis devant elle +fuient. Maints yeux le voient. + +»Elle va recouvrant châteaux et villes. Elle est premier capitaine de +nos gens. Telle force n'eut Hector ni Achille. Mais tout est fait par +Dieu qui la mène. + +»Et vous, gens d'armes qui souffrez dure peine et exposez votre vie +pour le droit, soyez constants: vous aurez au ciel gloire et los, car +qui combat pour droite cause gagne le Paradis. + +»Sachez que par elle les Anglais seront mis bas, car Dieu le veut, qui +entend la voix des bons qu'ils ont voulu accabler. Le sang de ceux +qu'ils ont occis crie contre eux.» + +Dans l'ombre de son cloître, madame Christine partage la commune +espérance des belles âmes; elle attend de la Pucelle l'accomplissement +de tous les biens qu'elle souhaite. Elle croit que Jeanne fera +renaître la concorde dans l'Église chrétienne, et, comme les esprits +les plus doux rêvaient alors d'établir par le fer et le feu l'unité +d'obédience et que la charité chrétienne n'était pas la charité du +genre humain, la poétesse s'attend, sur la foi des prophéties, à ce +que la Pucelle détruise les mécréants et les hérétiques, c'est-à-dire +les Turcs et les Hussites. + +«Elle arrachera les Sarrazins comme mauvaise herbe, en conquérant la +Terre-Sainte. Là, elle mènera Charles, que Dieu garde! Avant qu'il +meure, il fera tel voyage. Il est celui qui la doit conquérir. Là, +elle doit finir sa vie. Là sera la chose accomplie.» + +Il apparaît que la bonne dame Christine avait terminé de la sorte son +poème, quand elle apprit le sacre du roi. Elle y ajouta alors treize +strophes pour célébrer le mystère de Reims et prophétiser la prise de +Paris[71]. + +[Note 71: _Procès_, t. V, pp. 3 et suiv.--R. Thomassy, _Essai sur +les écrits politiques de Christine de Pisan, suivi d'une notice +littéraire et de pièces inédites_, Paris, 1838, in-8º.] + +Ainsi, dans l'ombre et le silence d'un de ces cloîtres où pénétraient +adoucis les bruits du monde, cette vertueuse dame assemblait et +exprimait en rimes tous les rêves que faisaient sur une enfant le +royaume et l'Église. + +Dans une ballade assez belle, composée à l'époque du sacre, pour +l'amour et l'honneur + + Du beau jardin des nobles fleurs de lis + +et l'exaltation de la croix blanche, le roi Charles VII est désigné +d'un nom mystérieux, que nous venons de trouver dans le poème de +madame Catherine, «le noble cerf». L'auteur inconnu de la ballade y +dit que la Sibylle, fille du roi Priam, prophétisa les malheurs de ce +cerf royal, ce dont on sera moins surpris, si l'on songe que, Charles +de Valois étant issu de Priam de Troye, Cassandre, en découvrant la +destinée du cerf-volant ne faisait que suivre à travers les siècles +les vicissitudes de sa propre famille[72]. + +[Note 72: Le texte de cette ballade inédite m'a été gracieusement +communiqué par M. Pierre Champion, qui l'a trouvée dans le Ms. de +Stockholm, français LIII, fol. 238. Voici le titre que lui donna le +copiste du ms., vers 1472: _Ballade faicte quant le Roy Charles VIIme +fut couronne a Rains du temps de Jehanne daiz dicte la pucelle._] + +Les rimeurs du parti français célébraient les victoires inespérées de +Charles et de la Pucelle comme ils savaient, de façon un peu vulgaire, +en quelque poème à forme fixe, vêtement étriqué d'une maigre poésie. + +Toutefois, la ballade[73] d'un poète dauphinois qui commence par ce +vers: + + Arrière, Englois coués[74], arrière! + +est touchante par l'accent religieux qui la traverse. L'auteur, +quelque pauvre clerc, y montre pieusement la bannière anglaise abattue + + Par le vouloir dou roy Jésus + Et Jeanne la douce Pucelle. + +[Note 73: P. Meyer, _Ballade contre les Anglais_ (1429), dans +_Romania_, XXI, (1892), pp. 50, 52.] + +[Note 74: Sur les _Coués_ ou t. I, p. 25, note 2.] + +Les prophéties de Merlin l'Enchanteur et du vénérable Bède avaient +accrédité la Pucelle dans le peuple[75]. À mesure que les actions de +cette jeune fille étaient connues, on découvrait des prophéties qui +les avaient annoncées. On trouva notamment que le sacre de Reims avait +été connu d'avance par Engélide, fille d'un vieux roi de Hongrie[76]. +On attribuait en effet à cette vierge royale une prédiction rédigée en +langue latine et dont voici la traduction littérale: + +[Note 75: Sur la légende Cf. _Merlin, roman en prose du XIIIe +siècle_, éd. G. Paris et J. Ulrich, 1886, 2 vol. in-8º, +introduction.--_Premier volume de Merlin_, Paris, Vérard, 1498, +in-fol.--Hersart de la Villemarqué, _Myrdhin ou l'enchanteur Merlin, +son histoire, ses oeuvres, son influence_, Paris, 1862, in-12.--La +Borderie, _Les véritables prophéties de Merlin; examen des poèmes +bretons attribués à ce barde_ dans _Revue de Bretagne_, t. LIII +(1883).--D'Arbois de Jubainville, _Merlin est-il un personnage réel ou +les origines de la légende de Merlin_ dans _Revue des Questions +Historiques_, t. V (1868), pp. 559, 568.] + +[Note 76: _Procès_, t. III, p. 340.--Lanéry d'Arc, _Mémoires et +consultations_, p. 402.] + +«Ô Lis insigne, arrosé par les princes et que le semeur mit, en pleine +campagne, dans un verger délectable, immortellement ceint de fleurs et +de roses bien odorantes. Mais, ô stupeur du Lis, effroi du verger! Des +bêtes diverses, les unes venues du dehors, les autres nourries dans le +verger, se soudant cornes à cornes, ont presque étouffé le Lis, comme +alangui par sa propre rosée. Elles le foulent longuement, en +détruisent presque toutes les racines et le veulent flétrir sous leurs +souffles empoisonnés. + +»Mais, par la vierge venue des contrées d'où s'est répandu le brutal +venin les bêtes seront honteusement chassées du verger. Elle porte +derrière l'oreille droite un petit signe écarlate, parle avec douceur, +a le cou bref. Elle donnera au Lis des fontaines d'eau vive, chassera +le serpent, dont le venin sera par elle à tous révélé. D'un laurier +non fait d'une main mortelle elle laurera heureusement à Reims le +jardinier du Lis, nommé Charles, fils de Charles. Tout alentour les +voisins turbulents se soumettront, les sources frémiront, le peuple +criera: «Vive le Lis! Loin la bête! Fleurisse le verger!» Il accédera +aux champs de l'île, en ajoutant une flotte aux flottes, et là nombre +de bêtes périront dans la défaite. La paix s'établira pour plusieurs. +Les clés en grand nombre reconnaîtront la main qui les avait forgées. +Les citoyens d'une illustre cité seront punis de leur parjure par la +défaite, se remémorant maints gémissements et à l'entrée [de Charles?] +de hauts murs crouleront. Alors le verger du Lis sera... (?) et il +fleurira longtemps[77].» + +[Note 77: _Procès_, t. III, pp. 344-345.] + +Cette prophétie, attribuée à la fille inconnue d'un roi lointain, nous +apparaît comme l'ouvrage d'un clerc français et armagnac. La royauté +de France y est désignée par ce lis du verger délectable, autour +duquel combattent des bêtes nourries dans le verger et des bêtes +étrangères, c'est-à-dire les Bourguignons et les Anglais. Le roi +Charles de Valois y est nommé par son nom et par le nom de son père et +la ville du sacre désignée en toutes lettres. La reddition de +plusieurs villes à leur légitime seigneur est exprimée de la façon la +plus claire. La prophétie fut faite sans nul doute au moment même du +couronnement; elle mentionne avec lucidité les faits alors accomplis +et elle annonce en termes obscurs les événements qu'on attendait et +qui tardèrent beaucoup à venir, ou ne vinrent point de la manière +attendue, ou ne vinrent jamais, la prise de Paris après un terrible +assaut, une descente des Français en Angleterre, la conclusion de la +paix. + +Il est grandement à croire qu'en disant que la libératrice du verger +serait reconnaissable à la brièveté de son cou, à la douceur de son +parler et à un petit signe écarlate, la fausse Engélide indiquait +soigneusement ce qu'on remarquait en Jeanne elle-même. Nous savons +d'ailleurs que la fille d'Isabelle Romée parlait d'une douce voix de +femme[78]; un cou large et fortement ramassé sur les épaules s'accorde +bien avec ce qu'on sait de son aspect robuste[79]; et la feinte fille +du roi de Hongrie n'a pas, sans doute, imaginé l'envie derrière +l'oreille droite[80]. + +[Note 78: Philippe de Bergame, dans _Procès_, t. IV, p. 523; t. V, +p. 108, 120.] + +[Note 79: _Procès_, t. III, p. 100.--Philippe de Bergame, _De +claris mulieribus_, dans _Procès_, t. IV, p. 323.--_Chronique de la +Pucelle_, p. 271.--Perceval de Boulainvilliers, _Lettre au duc de +Milan_, dans _Procès_, t. V, p. 119-120.] + +[Note 80: J. Bréhal, dans _Procès_, t. III, p. 345.] + + + + +CHAPITRE II + +PREMIER SÉJOUR DE LA PUCELLE À COMPIÈGNE.--LES TROIS +PAPES.--SAINT-DENYS.--LES TRÊVES. + + +De Crépy, après le départ de l'armée anglaise pour la Normandie, le +roi Charles envoya le comte de Vendôme, les maréchaux de Rais et de +Boussac avec leurs gens d'armes à Senlis. Les habitants lui donnèrent +à savoir qu'ils désiraient les fleurs de lis[81]. La soumission de +Compiègne était désormais assurée. Le roi somma les bourgeois de le +recevoir; le mercredi 18, les clés de la ville lui furent apportées; +le lendemain il fit son entrée[82]. Les attournés (c'était le nom des +échevins)[83] lui présentèrent messire Guillaume de Flavy qu'ils +avaient élu capitaine de leur ville comme le plus expérimenté et +fidèle qui fût au pays. Ils demandaient que, suivant leur privilège, +le roi, sur leur présentation, le confirmât et admît, mais le sire de +la Trémouille prit pour soi la capitainerie de Compiègne, déléguant la +lieutenance à messire Guillaume de Flavy, que néanmoins les habitants +tinrent pour leur capitaine[84]. + +[Note 81: _Chronique de la Pucelle_, p. 328.--_Journal du siège_, +p. 18.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 106.--Perceval de Cagny, +pp. 163-164.--Morosini, pp. 212-213.--Flammermont, _Senlis pendant la +seconde période de la guerre cent ans_, dans _Mémoires de la Société +de l'Histoire de Paris_, t. V, 1878, p. 241.] + +[Note 82: Perceval de Cagny, p. 164.--Monstrelet, p. 352.--De +l'Épinois, _Notes extraites des Archives communales de Compiègne_, pp. +483-484.--A. Sorel, _Séjours de Jeanne d'Arc à Compiègne, maisons où +elle a logé en 1429 et 1430_, Paris, 1889, in-8º de 20 pages.] + +[Note 83: La Curne, au mot: _Attournés_.--_Procès_, t. V, p. 174.] + +[Note 84: _Chronique de la Pucelle_, p. 331.--Jean Chartier, +_Chronique_, t. I, p. 106.--A. Sorel, _La prise de Jeanne d'Arc devant +Compiègne_, Paris, 1889, in-8º, pp. 117-118.--Duc de la Trémoïlle, +_Les La Trémoïlle pendant cinq siècles_, Nantes, 1890, in-4º, t. I, +pp. 185 et 212.--P. Champion, _Guillaume de Flavy_, capitaine de +Compiègne, Paris, 1906, in-8º, Pièce justificative, XIII, p. 137.] + +Le roi recouvrait une à une ses bonnes villes. Il enjoignit à ceux de +Beauvais de le reconnaître pour leur seigneur. En voyant les fleurs de +lis, que portaient les hérauts, les habitants crièrent: «Vive Charles +de France!» Le clergé chanta un _Te Deum_ et il se fit de grandes +réjouissances. Ceux qui refusèrent de reconnaître le roi Charles +furent mis hors de la ville avec licence d'emporter leurs biens[85]. +L'évêque et vidame de Beauvais, messire Pierre Cauchon, grand aumônier +de France pour le roi Henri, négociateur d'importantes affaires +ecclésiastiques, voyait à contre-coeur sa ville retourner aux +Français[86]; c'était à son dommage, mais il ne put l'empêcher. Il +n'ignorait pas qu'il devait pour une part cette disgrâce à la Pucelle +des Armagnacs, qui faisait beaucoup pour son parti et avait la +réputation de tout faire. Étant bon théologien, il soupçonna, sans +doute, que le diable la conduisait et il lui en voulut tout le mal +possible. + +[Note 85: _Chronique de la Pucelle_, p. 327.--_Journal du siège_, +p. 118.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 106.--Monstrelet, t. IV, +pp. 353-354.--Morosini, t. III, pp. 214-215.] + +[Note 86: A. Sarrazin, _Pierre Cauchon, juge de Jeanne d'Arc_, +Paris, 1901, in-8º, pp. 49 et suiv.] + +À ce moment l'Artois, la Picardie, cette Bourgogne du Nord se +débourgognisait. Si le roi Charles était allé à Saint-Quentin, à +Corbie, à Amiens, à Abbeville et dans les autres fortes villes et +châteaux de Picardie, il y aurait été reçu par la plupart des +habitants comme leur souverain[87]. Mais pendant ce temps ses ennemis +lui auraient repris ce qu'il venait de gagner dans le Valois et +l'Île-de-France. + +[Note 87: Monstrelet, t. IV, p. 354.] + +Entrée à Compiègne avec le roi, Jeanne logea à l'hôtel du Boeuf chez +le procureur du roi. Elle couchait avec la femme du procureur, Marie +Le Boucher qui était parente de Jacques Boucher, trésorier +d'Orléans[88]. + +[Note 88: A. Sorel, _Séjours de Jeanne d'Arc à Compiègne_, p. 6.] + +Il lui tardait de marcher sur Paris, qu'elle était sûre de prendre, +puisque ses Voix le lui avaient promis. On conte qu'au bout de deux ou +trois jours, n'y pouvant tenir, elle appela le duc d'Alençon et lui +dit: «Mon beau duc, faites appareiller vos gens et ceux des autres +capitaines», et qu'elle s'écria: «Par mon martin! je veux aller voir +Paris de plus près que je ne l'ai vu[89].» Les choses n'ont pu se +passer ainsi; la Pucelle ne donnait pas d'ordres aux gens de guerre. +La vérité c'est que le duc d'Alençon prenait congé du roi avec une +belle compagnie de gens et que Jeanne devait l'accompagner. Elle était +prête à monter à cheval quand le lundi 22 août un messager du comte +d'Armagnac lui apporta une lettre qu'elle se fit lire[90]. Voici ce +que contenait cette missive: + + Ma très chière dame, je me recommande humblement à vous et vous + supplie pour Dieu que, actendu la division qui en présent est en + sainte Église universal, sur le fait des papes (car il i a trois + contendans du papat: l'un demeure à Romme, qui se fait appeler + Martin quint, auquel tous les rois chrestiens obéissent; l'autre + demeure à Paniscole, au royaume de Valence, lequel se fait + appeller pape Climent VIIe; le tiers en ne sect où il demeure, se + non seulement le cardinal de Saint-Estienne et peu de gens avec + lui, lequel se fait nommer pape Benoist XIIIIe; le premier qui se + dit pape Martin, fut esleu à Constance par le consentement de + toutes les nacions des chrestiens; celui qui se fait appeler + Climent fut esleu à Paniscole, après la mort du pape Benoist + XIIIe, par trois de ses cardinaulx; le tiers, qui se nomme pape + Benoist XIIIIe, à Paniscole fut esleu secrètement, mesmes par le + cardinal de Saint-Estienne): Veuillez supplier à Nostre Seigneur + Jhésuscrit que, par sa miséricorde infinite, nous veulle par + vous déclarier, qui est des trois dessusdiz, vray pape, et auquel + plaira que on obéisse de ci en avant, ou à cellui qui se dit + Martin, ou à cellui qui se dit Climent, ou à celui qui se dit + Benoist; et auquel nous devons croire, si secrètement ou par + aucune dissimulation ou publique manifeste; car nous serons tous + pretz de faire le vouloir et plaisir de Nostre Seigneur + Jhésuscrit. + + Le tout vostre conte D'ARMIGNAC[91] + +[Note 89: Perceval de Cagny, pp. 164-165.--_Chronique de Tournai_, +t. III du _Recueil des chroniques de Flandre_, éd. de Smedt, p. 414.] + +[Note 90: _Procès_, t. I, pp. 82-83.] + +[Note 91: _Procès_, t. I, pp. 245-246.] + +C'était un grand vassal de la Couronne qui écrivait de la sorte, +appelait Jeanne sa très chère dame et se recommandait humblement à +elle, non à la vérité en s'abaissant soi-même, mais comme qui dirait +aujourd'hui avec affabilité. + +Elle n'avait jamais vu ce seigneur, et sans doute elle n'avait jamais +entendu parler de lui. Fils du connétable de France, tué en 1418, +l'homme le plus cruel du royaume, Jean IV, alors âgé de trente-trois +ou trente-quatre ans, possédait l'Armagnac noir et l'Armagnac blanc, +le pays des Quatre-Vallées, les comtés de Pardiac, de Fesenzac, +l'Astarac, la Lomagne, l'Île-Jourdain; il était le plus puissant +seigneur de Gascogne après le comte de Foix[92]. + +[Note 92: A. Longnon, _Les limites de la France et l'étendue de la +domination anglaise à l'époque de la mission de Jeanne d'Arc_, Paris, +1875, in-8º.--Vallet de Viriville, dans _Nouvelle Biographie +générale_, III, col. 255-257.] + +Tandis que son nom demeurait aux partisans du roi Charles et qu'on +disait les Armagnacs pour désigner ceux qui étaient contraires aux +Anglais et aux Bourguignons, Jean IV n'était lui-même ni Français ni +Anglais, mais seulement Gascon. Il se disait comte par la grâce de +Dieu, quitte à se reconnaître vassal du roi Charles pour recevoir des +dons de son suzerain, qui pouvait n'avoir pas toujours de quoi payer +ses houseaux, mais à qui ses grands vassaux coûtaient fort cher. +Cependant Jean IV ménageait les Anglais, protégeait un aventurier à la +solde du Régent et donnait des emplois dans sa maison à des gens qui +portaient la croix rouge. Il était aussi féroce et perfide qu'aucun +des siens. S'étant, contre tout droit, emparé du maréchal de Séverac, +il lui extorqua la cession de ses biens et le fit ensuite +étrangler[93]. + +[Note 93: _Chronique de Mathieu d'Escouchy_, t. I, p. 68 et +Preuves, pp. 126, 128, 139-140.--Dom Vaissette, _Histoire générale du +Languedoc_, t. IV, p. 469-470.--De Beaucourt, _Histoire de Charles +VII_, t. II, p. 151.--Vallet de Viriville, dans _Nouvelle Biographie +générale_, 1861, t. III, pp. 255-257.--Le P. Ayroles, _La vierge +guerrière_, p. 66.] + +Ce meurtre était alors tout frais. Voilà le fils docile de la sainte +Église qui montrait tant de zèle à découvrir son vrai père spirituel. +Il semble bien pourtant qu'il eût déjà son opinion faite à ce sujet et +qu'il sût à quoi s'en tenir sur ce qu'il demandait. En réalité, le +long schisme, qui avait déchiré la chrétienté, n'existait plus depuis +douze ans, depuis que le conclave, ouvert le 8 novembre 1417, à +Constance, dans la Maison des Marchands, avait proclamé pape, le 11 du +même mois, jour de la Saint-Martin, le cardinal diacre Otto Colonna, +qui prit le nom de Martin V. Martin V portait dans la Ville Éternelle +la tiare sur laquelle Lorenzo Ghiberti avait ciselé huit figurines +d'or[94], et l'habile Romain s'était fait reconnaître par l'Angleterre +et même par la France, qui renonçait désormais à l'espoir d'avoir un +pape français. Et si le conseil de Charles VII était en désaccord avec +Martin V sur la question du concile, un édit de 1425 restituait au +pape de Rome la jouissance de tous ses droits dans le royaume; Martin +V était vrai pape et seul pape. Cependant, Alphonse d'Aragon, fort +irrité de ce que Martin V soutenait contre lui les droits de Louis +d'Anjou sur le royaume de Naples, imagina d'opposer un pape de sa +façon au pape de Rome. Il avait précisément sous la main un chanoine +qui se disait pape; et voici sur quel fondement: l'antipape Benoît +XIII, réfugié à Peñiscola, avait, en mourant, nommé quatre cardinaux, +dont trois désignèrent à sa place un chanoine de Barcelone, Gilles +Muñoz, qui prit le nom de Clément VII. C'est ce Clément, emprisonné +dans le château de Peñiscola, sur une morne pointe de terre, battue de +trois côtés par la mer, que le roi d'Aragon avait imaginé d'opposer à +Martin V[95]. + +[Note 94: _Annales juris pontificis_ (1872-1875), VII, 385.--E. +Muntz, _La tiare pontificale du VIIIe au XVIe siècle_, dans _Mém. +Acad. Inscript. et Belles-Lettres_, t. XXVI, I, pp. 235-324, fig.; +_les Arts à la cour des papes pendant les XVe et XVIe siècles_, dans +_Bibl. des Écoles françaises d'Athènes et Rome_, t. IV.] + +[Note 95: Baluze, _Vitæ paparum Avenionensium_, 1693, I, pp. 1182 +et suiv.--Fabricius, _Bibliotheca medii ævi_, 1734, I, p. 1109.] + +Le pape Martin excommunia l'Aragonais, puis il ouvrit des +négociations avec lui. Le comte d'Armagnac suivit le parti du roi +d'Aragon. Il faisait venir de Peñiscola, pour baptiser ses enfants, de +l'eau bénite par Benoît XIII. Il fut pareillement frappé +d'excommunication. Ces foudres étaient tombées sur lui en cette même +année 1429, et depuis un certain nombre de mois Jean IV était privé de +la participation aux sacrements et aux prières publiques, ce qui ne +laissait pas de lui causer des difficultés temporelles, sans compter +qu'il avait peut-être peur du diable. + +D'ailleurs la situation devenait intenable pour lui. Son grand allié, +le roi Alphonse, cédait et sommait lui-même Clément VIII de se +démettre. Quand il adressait sa requête à la Pucelle de France, +l'Armagnac ne songeait plus évidemment qu'à quitter l'obéissance d'un +antipape manqué, renonçant lui-même à la tiare, ou bien près d'y +renoncer; car Clément VIII se démit à Peñiscola le 26 juillet. Ce ne +peut être longtemps avant cette date que le comte dicta sa lettre, et +il est possible que ce soit après. Dans tous les cas, en la dictant, +il savait à quoi s'en tenir sur le souverain pontificat de Clément +VIII. + +Quant au troisième pape qu'il mentionnait dans sa missive, c'était un +Benoît XIV, dont il n'avait pas de nouvelles et qui aussi ne faisait +pas de bruit. Son élection au saint-siège avait eu cela de singulier +qu'un seul cardinal y avait procédé. Benoît XIV tenait tous ses droits +d'un cardinal créé par l'antipape Benoît XIII dans sa promotion de +1409, Jean Barrère, Français, bachelier es lois, prêtre, cardinal du +titre de Saint-Étienne _in Coelio monte_. Ce n'est pas à l'obédience +de Benoît XIV que l'Armagnac pensait se ranger; évidemment, il avait +hâte de faire sa soumission à Martin V. + +On ne voit pas bien, dès lors, pourquoi il demandait à Jeanne de lui +désigner le vrai pape. Sans doute, c'était l'usage, en ce temps-là, de +consulter sur toutes choses les saintes filles que Dieu favorisait de +révélations. Telle se montrait la Pucelle et sa renommée de +prophétesse s'était, en peu de jours, partout répandue. Elle +découvrait les choses cachées, elle annonçait l'avenir. On se rappelle +ce capitoul de Toulouse qui, trois semaines environ après la +délivrance d'Orléans, fut d'avis de demander à la Pucelle un remède à +l'altération des monnaies. Bonne de Milan, mariée à un pauvre +gentilhomme de la reine Ysabeau sa cousine, lui présentait une requête +à fin d'être remise dans le duché qu'elle prétendait tenir des +Visconti[96]. Il était tout aussi expédient de l'interroger sur le +pape et l'antipape. La difficulté est, en cette affaire, de découvrir +les raisons qu'avait le comte d'Armagnac de consulter la sainte fille +sur un point dont il paraît bien qu'il était suffisamment éclairci. +Voici ce qui semble le plus probable. + +[Note 96: D'après Le Maire, _Histoire et antiquités de la ville et +duché d'Orléans_, p. 197, la suscription de cette supplique était +ainsi conçue: «À très honorée et très dévote Pucelle Jeanne, envoyée +du Roi des cieux pour la réparation et extirpation des Anglais +tyrannisans la France».--_Procès_, t. V, p. 253.--Vallet de Viriville, +_Histoire de Charles VII_, t. II, p. 131.] + +Disposé à reconnaître le pape Martin V, Jean IV cherchait les moyens +de donner à cette soumission un tour honorable. C'est alors que l'idée +lui vint de se faire dicter sa conduite par Jésus-Christ lui-même +parlant en une sainte Pucelle. Encore fallait-il que la révélation +s'accordât avec ses calculs. Sa lettre y tâche clairement. Il prend +soin dans cette lettre de préparer lui-même à Jeanne et, par +conséquent, à Dieu, la réponse convenable. Il y marque avec force que +Martin V, qui vient de l'excommunier, fut élu à Constance par le +consentement de toutes les nations chrétiennes, qu'il demeure à Rome +et qu'il est obéi de tous les rois chrétiens. Il signale au contraire +les circonstances qui infirment l'élection de Clément VIII, due à +trois cardinaux seulement, et l'élection plus ridicule encore de ce +Benoît, dont un seul cardinal composa tout le conclave[97]. + +[Note 97: Noël Valois, _La France et le Grand Schisme d'Occident_, +t. IV (1902), in-8º, _passim_.] + +Sur ce seul exposé comment hésiter à reconnaître que le pape Martin +est le vrai pape? Cette malice fut perdue; Jeanne n'y vit rien. La +lettre du comte d'Armagnac, qu'elle se fit lire en montant à cheval, +ne dut pas lui paraître claire[98]. Les noms de Benoît, de Clément et +de Martin lui étaient inconnus. Mesdames sainte Catherine et sainte +Marguerite, qui conversaient avec elle à tout moment, ne lui firent +pas de révélations sur le pape. Elles ne lui parlaient guère que du +royaume de France, et Jeanne avait d'ordinaire la prudence de ne +prophétiser que sur le fait de la guerre. C'est ce qu'un clerc +allemand signala comme une chose singulière et notable[99]. Mais cette +fois, bien que pressée par le temps, elle consentit à répondre à Jean +IV pour soutenir sa renommée prophétique ou parce que ce nom +d'Armagnac était une grande recommandation pour elle. Elle lui manda +qu'à cette heure elle ne lui pouvait désigner le vrai pape, mais +qu'elle lui dirait plus tard auquel des trois il faudrait croire, +selon ce qu'elle trouverait d'elle-même, par le conseil de Dieu. +Enfin, elle faisait un peu comme les devineresses qui remettent leur +oracle au lendemain. + +[Note 98: _Procès_, t. I, p. 82.] + +[Note 99: _Procès_, t. III, pp. 466-467.] + + JHESUS + MARIA + + Conte d'Armignac, mon très chier et bon ami, Jehanne la Pucelle + vous fait savoir que vostre message est venu par devers moy, + lequel m'a dit que l'aviès envoié pardeçà pour savoir de moy + auquel des trois papes, que mandez par mémoire, vous devriés + croire. De laquelle chose ne vous puis bonnement faire savoir au + vray pour le présent, jusques à ce que je soye à Paris ou + ailleurs, à requoy; car je suis pour le présent trop empeschiée + au fait de la guerre: mais quand vous sarez que je seray à Paris, + envoiez ung message par devers moy, et je vous feray savoir tout + au vray auquel vous devrez croire, et que en aray sceu par le + conseil de mon droiturier et souverain seigneur, le roy de tout + le monde, et que en aurez à faire, à tout mon pouvoir. À Dieu + vous commans; Dieu soit garde de vous. Escript à Compiengne, le + XXIIe jour d'aoust[100]. + +[Note 100: _Procès_, t. I, pp. 245-246.] + +Certes, avant de faire cette réponse, Jeanne ne consulta ni le bon +frère Pasquerel, ni le bon frère Richard, ni aucun des religieux qui +se tenaient en sa compagnie; ils lui auraient appris que le vrai pape +était le pape de Rome, Martin V. Peut-être aussi lui auraient-ils +représenté qu'elle faisait peu de cas de l'autorité de l'Église, en +s'en rapportant à une révélation de Dieu sur le pape et les antipapes; +Dieu, sans doute, lui auraient-ils dit, confie parfois à de saintes +personnes des secrets sur son Église, mais il est téméraire de +s'attendre à recevoir un si rare privilège. + +Jeanne échangea quelques propos avec le messager qui lui avait apporté +la missive; l'entretien fut court. Ce messager n'était pas en sûreté +dans la ville, non que les soldats voulussent lui faire payer les +crimes et les félonies de son maître, mais le sire de la Trémouille +était à Compiègne; il savait que le comte Jean IV, allié, pour lors, +au connétable de Richemont, méditait quelque entreprise contre lui. La +Trémouille n'était pas aussi méchant que le comte d'Armagnac; +toutefois, il s'en fallut de peu que le pauvre messager ne fût jeté +dans l'Oise[101]. + +[Note 101: _Ibid._, t. I, p. 83.] + +Le lendemain, mardi 23 août, la Pucelle et le duc d'Alençon prirent +congé du roi et partirent de Compiègne avec une belle compagnie de +gens. Avant de marcher sur Saint-Denys en France, ils allèrent à +Senlis rallier partie des hommes d'armes que le roi y avait +envoyés[102]. La Pucelle y chevaucha parmi ses religieux, à sa +coutume. Le bon frère Richard, qui annonçait la fin du monde, s'était +mis de la procession. Il avait, ce semble, pris le pas sur les autres +et même sur frère Pasquerel, le chapelain. C'est à lui que la Pucelle +se confessa sous les murs de Senlis. En ce même lieu, elle communia +deux jours de suite avec les ducs de Clermont et d'Alençon[103]. +Assurément elle était entre les mains de moines qui faisaient un très +fréquent usage de l'Eucharistie. + +[Note 102: Perceval de Cagny, p. 165.--_Chronique de la Pucelle_, +p. 331.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 106.--Morosini, t. III, +pp. 212-213.--Compte de Hémon Raguier, dans _Procès_, t. IV, p. 24.] + +[Note 103: _Procès_, t. II, p. 450.] + +Le seigneur évêque de Senlis se nommait Jean Fouquerel. Il avait été +jusque-là du parti des Anglais et tout à la dévotion du seigneur +évêque de Beauvais. Homme de précaution, Jean Fouquerel, à l'approche +de l'armée royale, s'en était allé à Paris cacher une grosse somme +d'argent. Il tenait à son bien. Quelqu'un de l'ost lui prit sa +haquenée pour la donner à la Pucelle. Elle lui fut payée deux cents +saluts d'or en une assignation sur le receveur de Senlis et sur le +grainetier de la ville. Le seigneur évoque ne l'entendit pas ainsi et +réclama sa bête. La Pucelle, ayant appris qu'il était malcontent, lui +fit écrire qu'il pouvait ravoir sa haquenée, s'il eu avait envie, +qu'elle ne la voulait point, ne la trouvant pas assez endurante pour +des gens d'armes. On envoya le cheval au sire de La Trémouille en +l'avisant de le faire remettre au seigneur évêque, qui ne le reçut +jamais[104]. + +[Note 104: _Procès_, t. I, p. 104.--Extraits du 13e compte de +Hémon Raguier, dans _Procès_, t. V, p. 267.--E. Dupuis, _Jean +Fouquerel, évêque de Senlis_, dans _Mémoires du Comité archéologique +de Senlis_, 1875, t. I, p. 93.--Vatin, _Combat sous Senlis entre +Charles VII et les Anglais_, dans _Comité archéologique de Senlis, +Comptes rendus et Mémoires_, 1866, pp. 41, 54.] + +Quant à l'assignation sur le receveur et sur le grainetier, il se peut +qu'elle ne valût rien, et probablement révérend père en Dieu Jean +Fouquerel n'eut ni la bête ni l'argent. Jeanne n'était point fautive, +et pourtant le seigneur évêque de Beauvais et les clercs de +l'Université devaient bientôt lui montrer quel sacrilège c'est que de +toucher à une haquenée d'Église[105]. + +[Note 105: _Procès_, t. I, p. 264.] + +Saint-Denys s'élevait au nord de Paris, à deux lieues environ des murs +de la grande ville. L'armée du duc d'Alençon y arriva le 26 août, et y +entra sans résistance, bien que la ville fût forte[106]. Ce lieu était +célèbre par son abbaye, très antique, très riche et très illustre. +Voici de quelle manière on en rapportait la fondation: Dagobert, roi +des Français conçut dès son enfance une vive dévotion pour saint +Denys. Et aussitôt qu'il craignait la colère de son père, le roi +Clotaire, il se réfugiait dans l'église du saint martyr. Lorsqu'il fut +mort, un homme pieux eut un songe dans lequel il vit Dagobert cité au +tribunal de Dieu; un grand nombre de saints l'accusaient d'avoir +dépouillé leurs églises; et les démons allaient l'entraîner en enfer +lorsque monseigneur saint Denys survint et, par son intercession, +l'âme du roi fut délivrée et échappa au châtiment. Le fait était tenu +pour véritable, et l'on supposait que l'âme du roi revint animer son +corps et qu'il fit pénitence[107]. + +[Note 106: Perceval de Cagny, p. 165.--Le 25, selon le _Journal +d'un bourgeois de Paris_, p. 243.] + +[Note 107: J. Doublet, _Histoire de l'abbaye de Saint-Denys en +France, contenant les antiquités d'icelle, les fondations, +prérogatives et privilèges_, Paris, 1625, 2 vol. in-4º, t. I, chap. XX +et XXIV.--Des Rues, _Les antiquités, fondations et singularités des +plus célèbres villes_, pp. 84 et 85.] + +Quand la Pucelle occupa Saint-Denys avec l'armée, les trois portails, +les parapets crénelés, la tour de l'église abbatiale, élevés par +l'abbé Suger, dataient déjà de trois siècles. C'est là que les rois de +France avaient leur sépulture; c'est là qu'ils prenaient l'oriflamme. +Quatorze ans en ça, le feu roi Charles l'y était venu prendre, et nul +depuis lors ne l'avait levée[108]. + +[Note 108: J. Doublet, _Histoire de l'abbaye de Saint-Denys_, t. +I, chap. XXXI, XXXIV.] + +On rapportait beaucoup de merveilles touchant cet étendard royal, et +il fallait que La Pucelle en eût entendu quelque chose, si, comme on +l'a dit, elle avait, lors de sa venue en France, donné au dauphin +Charles le surnom d'oriflamme, en gage et promesse de victoire[109]. +On conservait à Saint-Denys le coeur du connétable Bertrand Du +Guesclin[110]. Le bruit d'une si haute renommée était venu aux +oreilles de Jeanne; elle avait offert le vin au fils aîné de madame de +Laval et envoyé à son aïeule, qui avait été la seconde femme de sire +Bertrand, un petit anneau d'or, en s'excusant du peu, et par +révérence, pour la veuve d'un si vaillant homme[111]. + +[Note 109: Thomassin, _Registre Delphinal_, dans _Procès_, t. IV, +p. 304.--Voyez le _Glossaire_ de Du Cange, au mot: _Auriflamme_.] + +[Note 110: J. Doublet, _Histoire de l'abbaye de Saint-Denys_, t. +I, chap. XXII.--D. Michel Félibien, _Histoire de l'abbaye royale de +Saint-Denys en France_, Paris, in-folio, 1706, pp. 229, 320.--Vallet +de Viriville, _Notice du manuscrit de P. Cochon_, à la suite de la +_Chronique de la Pucelle_, p. 360.--_Chronique de Du Guesclin_, éd. +Francisque-Michel, pp. 452 et suiv.] + +[Note 111: _Procès_, t. V, pp. 107, 109.] + +Les religieux de Saint-Denys conservaient de précieuses reliques, +notamment un morceau du bois de la vraie croix, les langes de l'enfant +Jésus, un tesson d'une cruche où l'eau s'était changée en vin aux +noces de Cana, une barre du gril de saint Laurent, le menton de sainte +Madeleine, une tasse de bois de tamaris dont saint Louis s'était servi +pour se préserver du mal de rate. On y montrait aussi le chef de +monseigneur saint Denys. Il est vrai qu'on le montrait en même temps +dans l'église cathédrale de Paris; et le chancelier Jean Gerson +traitant, peu de jours avant sa mort, de Jeanne la Pucelle, disait +qu'il en était d'elle comme du chef de monseigneur saint Denys, +lequel était objet d'édification et non point objet de foi, et +néanmoins devait être vénéré pareillement dans l'un et l'autre lieu +pour que l'édification ne se tournât point en scandale[112]. + +[Note 112: D. M. Félibien, _op. cit._, chap. II, pp. 528 et suiv., +_planches_.--J. Doublet, _op. cit._, t. I, chap. XLIII, +XLVI.--_Procès_, t. III, p. 301.--_Gallia Christiana_, t. VII, col. +142.] + +Tout dans cette abbaye proclamait la dignité, les prérogatives et +l'excellence de la maison de France. Jeanne dut admirer bien +joyeusement les insignes, les symboles, les images de la royauté des +Lis amassés en ce lieu[113], si toutefois ses yeux, remplis de visions +célestes, pouvaient encore apercevoir les choses sensibles, et si les +Voix qui parlaient à ses oreilles lui laissaient un moment de répit. + +[Note 113: _Religieux de Saint-Denis_, pp. 154, 156, 226.] + +Monseigneur saint Denys était un grand saint, puisqu'on ne doutait pas +que ce ne fût saint Denys l'Aréopagite lui-même[114], mais depuis +qu'il avait laissé prendre son abbaye, on ne l'invoquait plus comme le +patron des rois de France; les partisans du dauphin l'avaient remplacé +par le bienheureux archange Michel, dont l'abbaye, près de la cité +d'Avranches, résistait victorieusement aux Anglais. C'était saint +Michel, non saint Denys, qui avait apparu à Jeanne dans le courtil de +Domremy; mais elle savait que saint Denys était le cri de France[115]. + +[Note 114: Estienne Binet, _La vie apostolique de saint Denys +l'Aréopagite, patron et apostre de la France_, Paris, 1624, in-12.--J. +Doublet, _Histoire chronologique pour la vérité de Saint Denys +l'Aréopagite, apôtre de France et premier évêque de Paris_, Paris, +1646, in-4º, et _Histoire de l'abbaye de Saint-Denys en France_, p. +95.--J. Havet, _Les origines de Saint-Denis_, dans les _Questions +mérovingiennes_.] + +[Note 115: _Procès_, t. I, p. 179.] + +Dans cette riche abbaye, ruinée par la guerre, les religieux, +affranchis de toute discipline, menaient une existence misérable et +déréglée[116]. Armagnacs et Bourguignons venaient les uns après les +autres piller et ravager tout alentour villages et cultures et ne +laissaient rien de ce qui se pouvait emporter. La foire du Lendit, une +des plus belles de la chrétienté, se tenait à Saint-Denys. Les +marchands n'y venaient plus. Au Lendit de l'an 1418 on n'avait vu que +trois échoppes de souliers de Brabant dans la grande rue de +Saint-Denys, près des Filles-Dieu; puis il n'y avait plus eu de foire +jusqu'en l'an 1426, où s'était tenue la dernière[117]. + +[Note 116: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 179, note 5.] + +[Note 117: _Ibid._, pp. 101, 209, note 1.] + +À la nouvelle que les Armagnacs s'approchaient de Troyes, les paysans +avaient scié leurs blés avant qu'ils fussent mûrs et les avaient +apportés à Paris. Quand ils entrèrent à Saint-Denys, les gens d'armes +du duc d'Alençon trouvèrent la ville abandonnée. Les gros bourgeois +s'étaient réfugiés à Paris[118]. Il y restait encore quelques pauvres +familles. La Pucelle y tint deux nouveau-nés sur les fonts[119]. + +[Note 118: _Ibid._, pp. 241-242.--Monstrelet, t. IV, p. 354.] + +[Note 119: _Procès_, t. I, p. 103.] + +Instruits des baptêmes de Saint-Denys, ses ennemis l'accusèrent +d'avoir fait allumer des cierges qu'elle penchait sur la tête des +nouveau-nés pour lire leur destinée dans la cire fondue. Ce n'était +pas la première fois, paraît-il, qu'elle se livrait à de telles +pratiques. Quand elle venait dans une ville, de petits enfants, +disait-on, lui offraient à genoux des cierges qu'elle recevait comme +une oblation agréable. Puis elle faisait tomber sur la tête de ces +innocents trois gouttes de cire ardente, annonçant que, par la vertu +d'un tel acte, ils ne pouvaient plus être que bons. Les clercs +bourguignons discernaient en ces oeuvres idolâtrie et sortilège +impliqué d'hérésie[120]. + +[Note 120: _Procès_, t. I, p. 304.--Noël Valois, _Un nouveau +témoignage sur Jeanne d'Arc_, dans _Annuaire-bulletin de la Société de +l'Histoire de France_, Paris, 1907, in-8º, tirage à part, pp. 17-18.] + +À Saint-Denys encore, elle distribua des bannières aux gens d'armes; +les clercs du parti anglais la soupçonnaient véhémentement de mettre +des charmes sur ces bannières, et comme il n'y avait personne alors +qui ne crût aux enchantements, on n'attirait pas sur soi sans danger +un pareil soupçon[121]. + +[Note 121: _Procès_, t. I, p. 236.] + +La Pucelle et le duc d'Alençon ne perdirent pas de temps. Dès leur +arrivée à Saint-Denys ils allèrent escarmoucher aux portes de Paris. +Ils faisaient de ces escarmouches deux et trois fois par jour, +notamment au moulin à vent de la porte Saint-Denys et au village de +la Chapelle. Chose à peine croyable et pourtant certaine, car elle est +attestée par un des seigneurs de l'armée, dans ce pays tant de fois +pillé et ravagé, les gens de guerre trouvaient encore quelque bien à +prendre. «Tous les jours y avait butin», dit messire Jean de +Bueil[122]. + +[Note 122: _Le Jouvencel_, t. II, p. 281.] + +Par révérence pour le septième commandement de Dieu, la Pucelle +défendait aux gens de sa compagnie de faire le moindre vol; si on lui +offrait des vivres qu'elle sût acquis par pillerie, jamais elle n'en +voulait user. En fait, tout comme les autres, elle ne vivait que de +maraude; mais elle l'ignorait. Un jour, un Écossais lui donnant à +entendre qu'elle venait de manger d'un veau dérobé, elle se fâcha +contre cet homme et voulut le battre: les saintes ont de ces +emportements[123]. + +[Note 123: _Procès_, t. III, p. 81.] + +On a dit que Jeanne observait les murs de Paris et cherchait le +meilleur endroit où donner l'assaut[124]. La vérité est que sur ce +point comme sur tous les autres elle s'en rapportait à ses Voix. Au +reste, elle passait de beaucoup tous les hommes de guerre en courage +et bonne volonté. De Saint-Denys, elle envoyait au roi message sur +message, le pressant de venir prendre Paris[125]. Mais le roi et son +conseil négociaient à Compiègne avec les ambassadeurs du duc de +Bourgogne, savoir: Jean de Luxembourg, seigneur de Beaurevoir, Hugues +de Cayeux, évêque d'Arras, David de Brimeu, et le seigneur de +Charny[126]. + +[Note 124: Perceval de Cagny, p. 166.] + +[Note 125: _Ibid._, p. 166.] + +[Note 126: Vallet de Viriville, _Histoire de Charles VII_, t. II, +p. 112.--De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. II, pp. +404-408.--Morosini, t. III, p. 192; t. IV, annexe XVIII.] + +La trêve de quinze jours, que nous ne connaissons que par ce qu'en a +écrit la Pucelle aux habitants de Reims, était expirée. Selon Jeanne, +le duc de Bourgogne s'était engagé à rendre la ville au roi de France, +le quinzième jour[127]. S'il avait pris cet engagement, c'était à des +conditions que nous ne connaissons pas, et dont nous ne saurions dire +si elles ont été remplies ou non. La Pucelle ne se fiait pas à cette +promesse, et elle avait bien raison; mais elle ne savait pas tout, et +le jour même où elle se plaignait de cette trêve aux habitants de +Reims, le duc Philippe recevait des mains du Régent le gouvernement de +Paris et se trouvait dès lors en droit de disposer en quelque manière +de cette ville[128]. Le duc Philippe ne pouvait voir en face Charles +de Valois qui avait été sur le pont de Montereau au moment du meurtre, +mais il détestait les Anglais et les souhaitait au diable ou dans leur +île. Il avait trop de vins à récolter et de laines à tisser pour ne +pas désirer la paix. Il ne voulait pas être roi de France; on pouvait +traiter avec lui, encore qu'il fût avide et dissimulé. Toutefois le +quinzième jour était passé et la ville de Paris demeurait aux Anglais +et aux Bourguignons non amis, mais alliés. + +[Note 127: _Procès_, t. V, p. 140.] + +[Note 128: _Chronique de la Pucelle_, p. 332.--Jean Chartier, +_Chronique_, t. I, p. 106.--P. Cochon, p. 457.--Perceval de Cagny, p. +165.] + +À la date du 28 août, une trêve fut conclue, qui devait courir jusqu'à +la Noël et comprenait tout le pays situé au nord de la Seine, de Nogent +à Harfleur, excepté les villes ayant passage sur le fleuve. En ce qui +concernait la ville de Paris, il était dit expressément: «Notre Cousin +de Bourgogne pourra, durant la trêve, s'employer, lui et ses gens, à la +défense de la ville et à résister à ceux qui voudraient y faire la +guerre ou porter dommage[129].» Le chancelier Regnault de Chartres, le +sire de la Trémouille, Christophe d'Harcourt, le Bâtard d'Orléans, +l'évêque de Séez, et aussi de jeunes seigneurs fort portés pour la +guerre, tels que les comtes de Clermont et de Vendôme et le duc de Bar, +tous les conseillers du roi et tous les princes du sang royal qui +conclurent cette trêve et signèrent cet article, donnaient en apparence +à leur ennemi des verges pour les battre et semblaient s'interdire toute +entreprise sur Paris. Mais ces gens-là n'étaient pas tous des sots; le +Bâtard d'Orléans avait l'esprit fin et le seigneur archevêque de Reims +était tout autre chose qu'un Olibrius. Ils avaient bien sans doute leur +idée, en reconnaissant au duc de Bourgogne des droits sur Paris. Le duc +Philippe, nous le savons, était, depuis le 13 août, gouverneur de la +grand'ville. Le Régent la lui avait cédée, pensant que Bourgogne pour +contenir les Parisiens vaudrait mieux qu'Angleterre qui était parmi eux +faible en nombre et haïe comme étrangère. Quel avantage le roi Charles +trouvait-il à reconnaître les droits de son cousin de Bourgogne sur +Paris? Nous ne le voyons pas bien clairement; mais en fait, cette trêve +n'était ni meilleure ni pire que les autres. Certes elle ne donnait pas +Paris au roi; mais elle n'empêchait pas non plus le roi de le prendre. +Est-ce que les trêves empêchaient jamais les Armagnacs et les +Bourguignons de se battre quand ils en avaient envie? Est-ce que de ces +trêves sempiternelles une seule fut gardée[130]? Le roi, après avoir +signé celle-là, s'avança jusqu'à Senlis. Le duc d'Alençon par deux fois +l'y vint trouver. Charles arriva le mercredi 7 septembre à +Saint-Denys[131]. + +[Note 129: Monstrelet, t. IV, pp. 352, 353.--_Journal d'un +bourgeois de Paris_, pp. 247-248.--D. Félibien, _Histoire de Paris_, +t. II, p. 813 et preuves, t. IV, p. 591.--Morosini, t. III, pp. 208, +209, 224, note 2; t. IV, annexe XVIII, pp. 343-344.] + +[Note 130: De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. II, chap. +VII: _La diplomatie de Charles VII jusqu'au traité d'Arras._] + +[Note 131: Perceval de Cagny, p. 166.] + + + + +CHAPITRE III + +L'ATTAQUE DE PARIS. + + +Au temps où le roi Jean était prisonnier des Anglais, les habitants de +Paris, voyant les ennemis au coeur du royaume, craignirent que leur +ville ne fût assiégée et se hâtèrent de la mettre en état de défense; +ils l'entourèrent de fossés et de contre-fossés. Les fossés, sur la +rive gauche de la Seine, furent creusés au pied des murs de l'ancienne +enceinte. De ce côté, qui était celui de l'université, les faubourgs +restaient ainsi sans défense; ils étaient petits et lointains: on les +brûla. Mais sur la rive droite, les faubourgs, beaucoup plus gros, +touchaient presque la cité. Les fossés qu'on creusa, en renfermèrent +une partie. Quand la paix fut faite, Charles, régent du royaume, +entreprit d'entourer le nord de la ville d'une muraille crénelée, +flanquée de tours carrées, avec terrasses et créneaux, un chemin de +ronde et des degrés pour les courtines. Le fossé était simple ou +double suivant les endroits. L'ouvrage fut conduit par Hugues Aubriot, +prévôt de Paris, qui fit aussi bâtir la Bastille Saint-Antoine, +achevée sous le roi Charles VI[132]. Cette nouvelle enceinte +commençait, au levant, sur la rivière, à la hauteur des Célestins; +elle enfermait dans son cercle le quartier Saint-Paul, la Culture +Sainte-Catherine, le Temple, Saint-Martin, les Filles-Dieu, +Saint-Sauveur, Saint-Honoré, les Quinze-Vingts, qui avaient été +jusque-là dans les faubourgs, et découverts, et elle atteignait la +rivière en aval du Louvre, qui se trouvait de la sorte réuni à la +ville. La clôture était percée de six portes, savoir: en commençant +par l'est, la porte Baudet ou Saint-Antoine, la porte Saint-Avoye ou +du Temple, la porte des Peintres ou de Saint-Denis, la porte +Saint-Martin ou de Montmartre, la porte Saint-Honoré et la porte de +Seine[133]. + +[Note 132: Le Roux de Lincy, _Hugues Aubriot, prévôt de Paris sous +Charles V_, Paris, 1862, in-8º, _passim_.--_Paris et ses historiens au +XIVe et XVe siècle_, par Le Roux de Lincy et Tisserand, Paris, in-fol. +[_Hist. générale de Paris_].] + +[Note 133: Delamare, _Traité de la police_, Paris, 1710, in-fol., +t. I, p. 79.--A. Bonnardot, _Dissertation archéologique sur les +enceintes de Paris, suivie de recherches sur les portes fortifiées qui +dépendaient des enceintes de Paris_, 1851, in-4º, plan; _Études +archéologiques sur les anciens plans de Paris_, 1853, in-4º; +_Appendice aux études archéologiques sur les anciens plans de Paris et +aux dissertations sur les enceintes de Paris_, Paris, 1877, in-4º; +_Étude sur Gilles Corrozet, suivie d'une notice sur un manuscrit de la +Bibliothèque des ducs de Bourgogne, contenant une description de Paris +en 1432, par Guillebert de Metz_, Paris, 1846, in-8º de 56 +p.--Kausler, _Atlas des plus mémorables batailles_, Carlsruhe, 1831, +pl. 34.--H. Legrand, _Paris en 1380_, plan de restitution, Paris, +in-fol., 1868, p. 58.--A. Guilaumot, _Les portes de l'enceinte de +Paris sous Charles V_, Paris, 1879.--Rigaud, _Chronique de la Pucelle, +campagne de Paris, cartes et plans_, Bergerac, 1886, in-8º.] + +Les Parisiens n'aimaient pas les Anglais et ils les enduraient à +grand'peine. Quand, après les funérailles du feu roi Charles VI, le +duc de Bedford fit porter devant lui l'épée du roi de France, le +peuple murmura[134]. Mais il faut souffrir ce qu'on ne peut empêcher. +Si les Parisiens n'aimaient pas les Anglais, ils admiraient le duc +Philippe, seigneur de bonne mine et le plus riche prince de la +chrétienté. Pour ce qui était du petit roi de Bourges, de triste +figure et pauvre, véhémentement soupçonné de félonie à Montereau, il +n'avait rien pour plaire; on le méprisait et ses partisans inspiraient +l'épouvante et l'horreur. Depuis dix ans ils faisaient des courses +autour de la ville, rançonnant et pillant. Sans doute, les Anglais et +les Bourguignons n'en usaient pas d'une autre manière. Lorsqu'au mois +d'août 1423 le duc Philippe vint à Paris, ses hommes d'armes +ravagèrent toutes les cultures aux alentours, et c'étaient des amis et +des alliés. Mais ils ne firent que passer[135]; les Armagnacs +battaient sans cesse les campagnes, ils volaient sempiternellement +tout ce qu'ils trouvaient, incendiaient les granges et les églises, +tuaient femmes et enfants, violaient pucelles et religieuses, +pendaient les hommes par les pouces. En 1420, ils se jetèrent comme +diables déchaînés sur le village de Champigny et brûlèrent à la fois +avoine, blé, brebis, vaches, boeufs, enfants et femmes. Ils firent de +même et pis encore à Croissy[136]. Un clerc disait que par eux plus +de chrétiens avaient été martyrisés que par Maximien et +Dioclétien[137]. + +[Note 134: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 180.] + +[Note 135: _Ibid._, p. 189.] + +[Note 136: _Journal d'un bourgeois de Paris_, pp. 136-137.] + +[Note 137: _Ibid._, p. 107.--_Document inédit relatif à l'état de +Paris en 1430_, dans _Revue des Sociétés savantes_, 1863, p. 203.] + +On aurait pu toutefois, en 1429, découvrir dans la ville des partisans +du dauphin, et même un assez grand nombre. Madame Christine de Pisan, +très attachée à la maison de Valois, disait: «Il y a dans Paris +beaucoup de mauvais. Il y a aussi beaucoup de bons, fidèles à leur +roi. Mais ils n'osent parler[138].» + +[Note 138: Christine de Pisan, dans _Procès_, t. V, strophe 56, p. +20.--Le Roux de Lincy et Tisserand, _Paris et ses historiens_, p. +426.] + +Il se trouvait dans le parlement, au su de tout le monde, et jusque +dans le chapitre de Notre-Dame, des gens qui avaient des intelligences +avec les Armagnacs[139]. + +[Note 139: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 251.--A. Longnon, +_Paris pendant la domination anglaise (1420-1436), documents extraits +des registres de la chancellerie de France_, Paris, 1877, in-8º, +introduction, p. xiij.--Vallet de Viriville, _Histoire de Charles +VII_, t. II, p. 116, note 1.] + +Ces terribles Armagnacs, au lendemain de leur victoire de Patay, +n'avaient qu'à marcher tout de suite sur la ville pour la prendre. On +s'attendait à ce qu'ils y entrassent un jour ou l'autre. Le Régent la +leur abandonnait d'avance. Il alla s'enfermer dans son château de +Vincennes avec le peu d'hommes qui lui restaient[140]. Trois jours +après la déconfiture des Anglais, le mardi devant la Saint-Jean, +grand émoi dans la ville. On disait: «Les Armagnacs entreront cette +nuit.» Pendant ce temps, les Armagnacs attendaient à Orléans l'ordre +de se rassembler à Gien pour gagner ensuite Auxerre. À cette nouvelle +le duc de Bedford dut pousser un grand soupir de soulagement; et tout +aussitôt il s'occupa de pourvoir à la défense de Paris et à la sûreté +de la Normandie[141]. + +[Note 140: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 248.--_Chronique +de la Pucelle_, p. 297.--Morosini, t. III, p. 79, note.] + +[Note 141: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. +257.--Fauquembergue dans _Procès_, t. IV, p. 453.--Morosini, t. III, +p. 198.] + +La première émotion passée, la grand'ville redevenait de coeur, sinon +anglaise (elle ne l'avait jamais été), du moins bourguignonne. Son +prévôt, messire Simon Morhier, qui avait fait une terrible occision de +Français, le jour des Harengs, tenait ferme pour le Léopard[142]. Au +contraire, on soupçonnait l'échevinage de tendre volontiers l'oreille +aux propositions du roi Charles. Le 12 juillet, les Parisiens élurent +un nouveau corps de ville composé des plus zélés Bourguignons qui se +pussent trouver dans le négoce et le change. Ils désignèrent comme +prévôt des marchands l'argentier Guillaume Sanguin, à qui le duc de +Bourgogne devait plus de sept mille livres tournois et qui avait en +garde les joyaux du Régent[143]. Ce changement s'opérait au plus grand +dommage du roi Charles qui, pour reprendre ses bonnes villes, +préférait la douceur à la violence et comptait beaucoup plus sur un +accord avec les bourgeois que sur les pierres de ses canons. + +[Note 142: _Journal du siège_, p. 38.--Jean Chartier, _Chronique_, +t. I, pp. 106-107.--Fauquembergue, dans _Procès_, t. IV, p. 454.] + +[Note 143: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 239, note 2.--Le +Roux de Lincy et Tisserand, _Paris et ses historiens_, pp. 340 et +suiv.] + +Très à point, le Régent céda la ville de Paris au duc Philippe, non +sans regretter assurément de lui avoir refusé naguère la ville +d'Orléans. Il sentait bien que la cité principale du royaume, +redevenue ainsi française, se défendrait de meilleure volonté contre +les dauphinois. Le magnifique duc y vint réchauffer la vieille amitié +que lui gardaient les Parisiens et rallumer la haine qu'ils portaient +au fils déshérité de madame Ysabeau. Il lut au Palais un récit de la +mort de son père, entrecoupé de plaintes sur la paix enfreinte et la +trahison des Armagnacs; il fit crier le sang de Montereau[144]: les +assistants jurèrent d'être bons et loyaux à lui et au Régent. Le même +serment fut prêté, les jours suivants, par le clergé séculier et +régulier[145]. + +[Note 144: 14 juillet 1429. _Journal d'un bourgeois de Paris_, pp. +240-241.--Fauquembergue, dans _Procès_, t. IV, p. 240.--Morosini, t. +III, p. 186.] + +[Note 145: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 241.] + +Mais plus encore que l'amour du beau duc, le souvenir de la cruauté +armagnaque affermissait les bourgeois dans la résistance. Ce bruit +courait parmi eux et trouvait créance, que messire Charles de Valois +avait abandonné à ses soudoyers la ville et les habitants grands et +petits, de tous états, hommes et femmes, et qu'il se promettait de +faire passer la charrue sur l'emplacement de Paris. C'était le +connaître très mal: il se montrait en toute occasion pitoyable et +débonnaire; son Conseil réduisait prudemment la campagne du Sacre à +une promenade armée et pacifique. Mais les Parisiens ne pouvaient +juger sainement des intentions du roi de France et ils ne savaient que +trop que, leur ville une fois prise, rien n'empêcherait les Armagnacs +de la mettre à feu et à sang[146]. + +[Note 146: Fauquembergue, dans _Procès_, t. IV, p. 356.] + +Un fait accrut encore leur aversion et leur effroi. Quand ils surent +que le frère Richard, dont naguère ils avaient entendu si pieusement +les sermons, chevauchait avec les gens du dauphin et leur gagnait par +sa langue bien pendue de bonnes villes comme Troyes en Champagne, ils +appelèrent sur lui la malédiction de Dieu et des saints. Ils +arrachèrent de leur chapeau les médailles d'étain au saint nom de +Jésus, que le bon frère leur avait données et, en haine de lui, ils +reprirent aussitôt dés, boules, dames, et tous les jeux auxquels ils +avaient renoncé sur ses exhortations. La Pucelle ne leur inspirait pas +moins d'horreur. On contait qu'elle faisait la prophétesse et parlait +de cette sorte: «Telle chose adviendra pour vrai.» Ils disaient: «Une +créature en forme de femme est avec les Armagnacs. Ce que c'est, Dieu +le sait!» On l'appelait ribaude[147]. Parmi ces ennemis, pires à leur +sentiment que les païens et les Sarrazins, voilà ce qui leur +paraissait le plus horrible: un moine et une jeune fille. Ils prirent +tous la croix de Saint-André[148]. + +[Note 147: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 242.] + +[Note 148: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 243.] + +Pendant que le dauphin s'en allait à son sacre, une armée venait +d'Angleterre en France. Le Régent la destina à couvrir la Normandie; +il la dirigea en personne sur Rouen, laissant la garde et la défense +de Paris à Louis de Luxembourg, évêque de Thérouanne, chancelier de +France pour les Anglais, au sire de l'Isle-Adam, maréchal de France, +capitaine de Paris, à deux mille hommes d'armes et aux milices +parisiennes qui avaient la garde des remparts et le gouvernement de +l'artillerie et étaient commandées par vingt-quatre bourgeois, dits +quarteniers, pour les vingt-quatre quartiers de la ville. Dès la fin +de juillet la place se trouvait à l'abri d'une surprise[149]. + +[Note 149: Rymer, _Foedera_, mai.--_Chronique de la Pucelle_, p. +332.--Monstrelet, t. IV, p. 355.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, +pp. 106-107.--Wallon, _Jeanne d'Arc_, t. I, p. 290, note 1.--G. +Lefévre-Pontalis, _La panique anglaise_, p. 9.--Morosini, t. III, p. +216, n. 5, t. IV, annexe XVIII.] + +Le 10 août, vigile de Saint-Laurent, tandis que les Armagnacs +campaient à La Ferté-Milon, la porte Saint-Martin, flanquée de quatre +tourelles avec un double pont-levis, fut fermée et défense faite à +quiconque d'aller à Saint-Laurent en procession ou à la foire, comme +les précédentes années[150]. + +[Note 150: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 243.] + +Le 28 du même mois, l'armée royale vint occuper Saint-Denys. À partir +de ce jour personne n'osa plus sortir pour vendanger, ni aller rien +cueillir dans les potagers qui couvraient la plaine, au nord de la +ville. Tout enchérit aussitôt[151]. + +[Note 151: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 243.--Perceval de +Cagny, p. 166.--_Chronique des cordeliers_, fol., 486 vº.] + +Dans les premiers jours de septembre les quarteniers, chacun en son +endroit, firent redresser les fossés et affûter les canons aux +murailles, aux portes et aux tours. Les tailleurs de pierres pour +l'artillerie, mandés par l'échevinage, firent des milliers de +boulets[152]. + +[Note 152: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 243.] + +Les magistrats reçurent de monseigneur le duc d'Alençon des lettres +commençant ainsi: «À vous, prévôt de Paris et prévôt des marchands et +échevins...» Il les nommait par leurs noms et les saluait en beau +langage. Ces lettres furent considérées comme un artifice pour rendre +les échevins suspects au peuple et exciter les habitants les uns +contre les autres. Il fut répondu à ce seigneur de ne plus gâter son +papier à de telles malices[153]. + +[Note 153: _Ibid._, pp. 243-244.] + +Le chapitre de Notre-Dame fit célébrer des messes pour le salut +commun. Le 5 septembre, trois chanoines furent autorisés à prendre des +dispositions pour la garde du cloître. Les fabriciens avisèrent à +mettre les reliques et le trésor à l'abri des soldats armagnacs. Ils +vendirent, pour le prix de deux cents saluts d'or, le corps de +monseigneur saint Denys, mais on garda le pied, qui était d'argent, le +chef et la couronne[154]. + +[Note 154: Registre des délibérations du Chapitre de Notre-Dame +(_Arch. Nat._, LL 716, pp. 173-174) dans le _Journal d'un bourgeois de +Paris_, _loc. cit._--Le P. Ayroles, _La vraie Jeanne d'Arc_, t. III, +pp. 530, 531, pièces justificatives, J. p. 639.--Le P. Denifle et +Châtelain, _Le procès de Jeanne d'Arc et l'Université de Paris_, +Nogent-le-Rotrou, 1898, in-8º.] + +Le mercredi 7 septembre, vigile de la nativité de la Vierge, une +procession fut faite à Sainte-Geneviève-du-Mont pour remédier à la +malice des temps et calmer l'animosité des ennemis. Les chanoines du +Palais y portèrent la Vraie Croix[155]. + +[Note 155: Registre des délibérations du Chapitre de Notre-Dame, +dans Tuetey, notes du _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 241, note +1.--Fauquembergue, dans _Procès_, t. IV, p. 456.--Le P. Ayroles, _La +vraie Jeanne d'Arc_, t. III, pièces justificatives, p. 640.] + +Ce même jour, l'armée du duc d'Alençon et de la Pucelle escarmoucha +sous les murs. Elle se retira le soir, et les habitants s'endormirent +tranquilles, car le lendemain, le peuple chrétien célébrait la +Nativité de la Sainte-Vierge[156]. + +[Note 156: Registre des délibérations du Chapitre de Notre-Dame, +_loc. cit._--_Chronique de la Pucelle_, p. 332.--_Journal d'un +bourgeois de Paris_, p. 244.--Monstrelet, t. IV, p. 354.--Martial +d'Auvergne, _Vigiles_, éd. Coustelier, t. I, p. 113.--Perceval de +Cagny, p. 166.--_Chronique des cordeliers_, fol. 486 vº.--Le P. +Ayroles, _La vraie Jeanne d'Arc_, t. III, p. 531.] + +C'était une grande fête et très ancienne. Voici comment on en +rapportait l'origine. Un jour, un saint homme, qui vivait dans la +contemplation, se remémorant que depuis bien des années, à la date du +8 septembre, il entendait une merveilleuse musique d'anges dans les +airs, pria Dieu de lui révéler l'occasion de ce concert d'instruments +et de voix célestes. Il obtint pour réponse que c'était le jour +anniversaire de la naissance de la glorieuse Vierge Marie, et il reçut +l'ordre d'en instruire les fidèles, afin qu'ils s'unissent dans la +solennité de ce jour aux choeurs des anges. La chose fut rapportée au +Souverain Pontife et aux autres chefs de l'Église, qui, après avoir +prié, jeûné et consulté les témoignages et les traditions de l'Église, +décrétèrent que désormais le jour du 8 septembre serait +universellement consacré à la naissance de la Vierge Marie[157]. + +[Note 157: Voragine, _Legenda aurea_.--Anquetil, _La Nativité, +miracle extrait de la Légende dorée_ dans _Mém. Soc. Agr. de Bayeux_, +1883, t. X, p. 286.--Douhet, _Dictionnaire des Mystères_, 1854, p. +545.] + +En ce jour, on lisait à la messe les paroles du prophète Isaïe: «Il +sortira un rejeton de la tige de Jessé et une fleur naîtra de sa +racine.» + +Les habitants de Paris pensaient que les Armagnacs eux-mêmes ne +feraient oeuvre de leurs dix doigts pendant une si grande fête, et +garderaient le troisième commandement de Dieu. + +Ce jeudi 8 septembre, vers huit heures du matin, la Pucelle, les ducs +d'Alençon et de Bourbon, les maréchaux de Boussac et de Rais, le comte +de Vendôme, les sires de Laval, d'Albret, de Gaucourt, qui s'étaient +logés avec leurs gens au nombre de dix mille et plus, dans le village +de la Chapelle, à mi-chemin sur la route de Saint-Denys à Paris, se +mirent en marche et parvinrent à l'heure de la grand'messe, entre onze +heures et midi, sur la butte des Moulins, au pied de laquelle se +tenait le marché aux Pourceaux[158]. Il y avait là un gibet. +Cinquante-six ans auparavant, une femme, de vie édifiante aux yeux du +peuple, mais reconnue hérétique et turlupine par les saints +inquisiteurs, avait été brûlée vive sur cette place du marché[159]. + +[Note 158: Perceval de Cagny, pp. 166, 168.--_Chronique de la +Pucelle_, pp. 333-334.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, pp. 107, +109.--Fauquembergue, dans _Procès_, t. IV, pp. 456, 458.--_Journal +d'un bourgeois de Paris_, pp. 244-245.--_Chronique des cordeliers_, +fol. 486 vº. P. Cochon, éd. de Beaurepaire, p. 307.--Morosini, t. III, +p. 210.] + +[Note 159: Gaguin, _Hist. Francorum_, Francfort, 1577, liv. VIII, +chap. II, p. 158.--Tanon, _Histoire des tribunaux de l'inquisition en +France_, p. 121.--Lea, _Histoire de l'inquisition au moyen âge_, trad. +S. Reinach, t. II, p. 148.] + +Pourquoi les gens du roi se présentaient-ils devant les murailles du +nord, celles de Charles V, qui étaient les plus fortes? On n'en sait +rien. Quelques jours auparavant, ils avaient jeté un pont sur la +rivière, en amont de Paris[160], ce qui donnerait à croire qu'ils +voulaient assaillir la vieille enceinte et pénétrer par la rive +universitaire. Se proposaient-ils d'opérer simultanément les deux +attaques? C'est probable. Y renoncèrent-ils d'eux-mêmes, ou contre +leur gré? On l'ignore. + +[Note 160: Perceval de Cagny, p. 161.--Vallet de Viriville, +_Histoire de Charles VII_, t. II, p. 120, nº 1.--G. Lefèvre-Pontalis, +_Un détail du siège de Paris, par Jeanne d'Arc_, dans _Bibliothèque de +l'École des Chartes_, t. XLVI, 1885, pp. 5 et suiv.] + +Ils amenaient sous les murs de Charles V une abondante artillerie, +canons, couleuvrines, veuglaires et traînaient dans des charrettes à +bras des bourrées pour combler les fossés, des claies pour les rendre +praticables, et sept cents échelles; matériel de siège fort copieux, +bien qu'on eût, ainsi que nous l'allons voir, oublié le plus +utile[161]. Ils ne venaient donc pas escarmoucher ni faire quelques +vaillantises d'armes; ils venaient tenter l'escalade en plein jour et +donner l'assaut à la plus vaste, à la plus illustre, à la plus +populeuse ville du royaume; opération de très grande importance, +proposée et décidée, sans aucun doute, en conseil et à laquelle, par +conséquent, le roi n'était ni contraire, ni étranger, ni +indifférent[162]. Charles de Valois voulait reprendre Paris. Il reste +à savoir s'il comptait pour cela sur les gens d'armes seulement et les +échelles. + +[Note 161: Délibération du Chapitre de Notre-Dame, _loc. +cit._--_Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 245.--Fauquembergue, dans +_Procès_, t. IV, p. 457.] + +[Note 162: _Procès_, t. I, pp. 240, 246, 298; t. III, pp. 425, +427; t. V, pp. 97, 107, 130, 140.] + +La Pucelle n'était pas, à ce qu'il semble, informée des résolutions +prises[163]; on ne la consultait jamais, et on ne l'avertissait guère +de ce qu'on avait décidé. Mais elle était aussi sûre d'entrer ce +jour-là dans la ville que d'aller en Paradis après sa mort. Depuis +plus de trois mois, ses Voix la tympanisaient avec l'assaut de Paris. +Ce qui pourrait surprendre c'est que, toute sainte qu'elle était, elle +eût consenti à s'armer et à guerroyer le jour de la Nativité, +contrairement à ce qu'elle avait fait le 5 mai, jour de l'Ascension +de Notre-Seigneur, et au mépris de ce qu'elle avait dit le 8 du même +mois: «Pour l'amour et honneur du saint dimanche, ne commencez point +la bataille[164].» Il est vrai qu'ensuite elle avait escarmouché, à +Montepilloy, le jour de l'Assomption, au grand scandale des maîtres de +l'Université. Elle agissait sur le conseil de ses Voix et ses +déterminations dépendaient du moindre bruit qui se faisait dans ses +oreilles. Rien de plus inconstant et de plus contradictoire que les +inspirations de ces visionnaires, jouets de leurs rêves. Ce qui est +certain du moins, c'est que Jeanne, cette fois comme toujours, croyait +bien faire et ne point pécher[165]. Rangés sur la butte des Moulins, +devant Paris et sa ceinture grise, les Français avaient devant eux un +premier fossé, étroit et sec, de seize ou dix-sept pieds environ de +profondeur, qu'un dos d'âne séparait d'un second fossé large presque +de cent pieds, profond et plein d'eau, qui baignait la muraille. Tout +proche, à leur droite, le chemin du Roule finissait à la Porte +Saint-Honoré, qu'on appelait aussi Porte des Aveugles, parce qu'elle +était proche des Quinze-Vingts. Elle s'ouvrait sous un châtelet +flanqué de tourelles et avait pour défenses avancées un boulevard clos +de barrières de bois, semblable à ceux d'Orléans[166]. + +[Note 163: _Ibid._, t. I, pp. 57, 146, 168, 250.] + +[Note 164: _Journal du siège_, p. 89.] + +[Note 165: _Procès_, t. I, pp. 147-148.] + +[Note 166: Le Roux de Lincy et Tisserand, _Paris et ses +historiens_, pp. 205 et 231, note 4.--Adolphe Berty, _Topographie +historique du vieux Paris, région du Louvre et des Tuileries_, p. 180 +et app. VI, p. IX.--E. Eude, _L'attaque de Jeanne d'Arc contre Paris_, +1429, _Cosmos_, nouv. série, XXIX (1894), pp. 241-244.] + +Les Parisiens ne s'attendaient pas à être attaqués en ce saint +jour[167]. Pourtant les remparts n'étaient pas déserts, et l'on voyait +sur les murs s'agiter des étendards et particulièrement une grande +bannière blanche avec une croix de Saint-André vermeille[168]. + +[Note 167: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 246.] + +[Note 168: _Chronique de la Pucelle_, pp. 332, 333.--Jean +Chartier, _Chronique_, t. I, p. 108.] + +Les Français s'établirent un peu en arrière de la butte des Moulins, à +l'abri des plombées et des pierres que commençait à cracher +l'artillerie des remparts. Là ils mirent en place leurs veuglaires, +leurs couleuvrines et leurs canons, pour tirer sur les murs de la +ville. Le gros de l'armée se tint sur cette position, observant la +plus vaste étendue possible de murailles. Conduits par messire de +Saint-Vallier, dauphinois, plusieurs capitaines et gens d'armes +s'approchèrent de la porte Saint-Honoré et mirent le feu aux +barrières. La garnison de cette porte s'étant retirée dans l'enceinte +et nul ennemi ne sortant par quelque autre issue, la compagnie du +maréchal de Rais s'avança avec les claies, les bourrées, les échelles, +jusque sous les remparts. La Pucelle chevauchait à la tête de la +compagnie. Ils mirent pied à terre entre la porte Saint-Denys et la +porte Saint-Honoré, plus près de cette dernière, et descendirent dans +le premier fossé qu'il n'était pas difficile de franchir. Mais ils se +trouvèrent ensuite exposés, sur le dos d'âne, aux flèches et aux +viretons qui pleuvaient dru du haut des murs[169]. Jeanne, comme aux +Tourelles d'Orléans, faisait tenir sa bannière par un vaillant homme. + +[Note 169: Perceval de Cagny, p. 167.] + +Quand elle fut sur le dos d'âne, elle cria à ceux de Paris: + +--Rendez la ville au roi de France[170]. + +[Note 170: _Procès_, t. I, p. 148.] + +Les Bourguignons entendirent qu'elle disait aussi: + +--Rendez-vous de par Jésus à nous tôt. Car si vous ne vous rendez +avant qu'il soit la nuit, nous y entrerons par force, que vous le +veuilliez ou non et tout sera mis à mort sans merci[171]. + +[Note 171: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 245.] + +Elle restait sur le dos d'âne, sondant avec sa lance le grand fossé, +qu'elle ne s'attendait pas à trouver si profond ni si plein. Il y +avait pourtant onze jours qu'elle faisait avec les gens d'armes des +reconnaissances sous les murs et cherchait avec eux l'endroit où +donner l'assaut. Qu'elle ne s'entendît pas à préparer une attaque, +rien de plus naturel. Mais que penser de ces hommes de guerre qui, +pris au dépourvu, se tenaient là, sur le dos d'âne, aussi empêchés +qu'elle, tout ébaubis de voir tant d'eau, si près de la Seine, qui +était haute? Reconnaître les défenses d'une place forte, c'était l'_a +b c_ du métier. Capitaines et routiers ne se risquaient jamais sous +une muraille sans s'être assurés d'avance s'il y avait eau, bourbe ou +ronces; et ils se munissaient d'engins différents selon l'occurrence. +Quand le fossé contenait beaucoup d'eau, ils y lançaient des bateaux +de cuir transportés à dos de cheval[172]. Les gens d'armes du maréchal +de Rais et de monseigneur d'Alençon en savaient moins que les plus +chétifs coureurs d'aventures. Qu'eût pensé d'eux le bon La Hire? Tant +d'ineptie et de négligence parut incroyable et l'on supposa que ces +hommes de guerre connaissaient la profondeur du fossé, mais qu'ils ne +dirent rien à la Pucelle, souhaitant qu'il lui arrivât mal[173]. En ce +cas, pour nuire à cette enfant ils se nuisaient à eux-mêmes et +s'engeignaient croyant l'engeigner, car ils restaient là sans avancer +ni reculer. + +[Note 172: _Le Jouvencel_, t. I, p. 67.] + +[Note 173: _Chronique de la Pucelle_, p. 333.--Jean Chartier, +_Chronique_, t. I, p. 109.--_Journal du siège_, p. 127.--Martial +d'Auvergne, _Vigiles_, éd. Coustelier, 1724, t. I, p. 113.] + +Quelques-uns jetaient inutilement des bourrées dans le fossé. +Cependant les défenseurs, assaillis par une multitude de traits, +disparaissaient les uns après les autres[174]. Mais vers quatre heures +du soir, les bourgeois arrivèrent en foule. Les canons de la porte +Saint-Denys grondaient. On échangeait du haut en bas des flèches et +des invectives. Les heures passaient, le soleil déclinait. La Pucelle +ne cessait de tâter le fossé du bois de sa lance et de crier aux +Parisiens qu'ils se rendissent. + +[Note 174: Perceval de Cagny, p. 167.--Monstrelet, t. IV, pp. +355-356.--Morosini, t. III, note 3.--E. Eude, _L'attaque de Jeanne +d'Arc contre Paris_, dans _Cosmos_, 22 sept. 1894, t. XXIX.--P. Marin, +_Le génie militaire de Jeanne d'Arc_, dans _Grande Revue de Paris et +de Saint-Pétersbourg_, 2e année, t. I, 1889, p. 142.] + +--Voire paillarde! ribaude! lui cria un Bourguignon. + +Et, d'un trait de son arbalète à hausse pied, il lui déchira son +harnais de jambe et lui entailla la cuisse. Un autre Bourguignon tira +sur l'homme d'armes qui portait l'étendard de la Pucelle et lui perça +le pied d'un vireton. Le blessé souleva la visière de son heaume pour +voir d'où venait le coup; aussitôt un trait l'atteignit entre les deux +yeux. La Pucelle et le duc d'Alençon eurent grand regret de cet homme +d'armes[175]. + +[Note 175: _Procès_, t. I, p. 57, 246.--_Journal d'un bourgeois de +Paris_, p. 245.--Délibération du Chapitre de Notre-Dame, _loc. +cit._--Fauquembergue, dans _Procès_, t. IV, p. 457.--Perceval de +Cagny, Jean Chartier, _Journal du siège_, Monstrelet, Morosini, _loc. +cit._] + +Blessée, Jeanne criait plus fort que chacun approchât des murs et que +la place serait prise. On la mit à l'abri des traits contre +l'épaulement du petit fossé. De là, elle pressait les gens d'armes de +jeter des bourrées dans l'eau pour se faire un pont. Vers dix ou onze +heures du soir, le sire de la Trémouille enjoignit aux combattants de +se retirer. La Pucelle ne voulait point quitter la place. Sans doute +elle entendait ses Saintes et voyait autour d'elle des milices +célestes. Le duc d'Alençon l'envoya chercher; le vieux sire de +Gaucourt[176] l'emporta avec l'aide d'un capitaine picard nommé +Guichard Bournel, qui ne lui fit point plaisir ce jour-là et qui +devait, six mois plus tard, lui causer, par sa félonie, un plus grand +déplaisir[177]. Si elle n'avait pas été blessée, elle eût résisté +davantage[178]. Elle céda à regret, disant: + +--En nom Dieu! la place eût été prise[179]. + +[Note 176: _Procès_, t. I, p. 298.] + +[Note 177: _Procès_, t. I, p. 111, 273.--Berry, dans _Procès_, t. +IV, p. 50.--F. Brun, _Jeanne d'Arc et le capitaine de Soissons_, pp. +31 et suiv.] + +[Note 178: _Procès_, t. I, p. 57.] + +[Note 179: Le jurement «Par mon martin» est une invention du clerc +qui rédigea la Chronique dite de Perceval de Cagny, p. 168.] + +Ils la mirent à cheval; elle put ainsi suivre l'armée. Le bruit courut +qu'elle avait une cuisse et même les deux cuisses traversées, mais sa +blessure était légère[180]. + +[Note 180: _Chronique de la Pucelle_, p. 334.--_Journal du siège_, +p. 128.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 109.--Monstrelet, t. IV, +pp. 355-356.] + +Les Français regagnèrent la Chapelle d'où ils étaient partis le matin. +Ils emmenaient leurs blessés sur quelques-unes des charrettes qui leur +avaient servi à transporter les bourrées et les échelles. Ils +laissaient à l'ennemi trois cents charrettes à bras, six cent soixante +échelles, quatre mille claies et les grandes bourrées dont ils +n'avaient employé qu'une petite partie[181]. Leur retraite fut assez +précipitée, car en passant devant la Grange des Mathurins, près des +Porcherons, ils abandonnèrent leur bagage et y mirent le feu. On +rapporta avec horreur qu'ils avaient jeté là dans les flammes, leurs +morts, comme les païens de Rome[182]. Pourtant les Parisiens +n'osèrent les poursuivre. À cette époque, les gens d'armes qui +savaient leur métier ne se retiraient pas sans tendre un piège à +l'adversaire. Ils plaçaient une grosse troupe en embuscade sur le +chemin de leur retraite, prête à surprendre les coureurs lancés à leur +poursuite[183]. Craignant une embûche de ce genre, ceux de Paris +laissèrent les Armagnacs gagner tranquillement leur gîte à la +Chapelle-Saint-Denys[184]. + +[Note 181: Délibération du Chapitre de Notre-Dame, _loc. cit._] + +[Note 182: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 245.] + +[Note 183: _Le Jouvencel_, t. I, p. 142.] + +[Note 184: _Journal d'un bourgeois de Paris_, pp. 245-246.] + +En somme, si l'on ne regarde qu'à l'action militaire, les Français +avaient mal conduit les choses et ne les avaient pas poussées très +énergiquement. Aussi bien n'était-ce pas sur l'action militaire que +l'on comptait le plus. Ceux qui menaient la guerre, le roi et son +Conseil, avaient bien l'idée qu'on entrerait ce jour-là dans Paris. +Mais comment? Comme on était entré à Châlons, comme on était entré à +Reims, comme on était entré dans toutes les villes depuis Troyes +jusqu'à Compiègne. Le roi Charles s'était montré résolu à reprendre +ses bonnes villes par le moyen des habitants: il se comportait envers +Paris comme envers les autres villes. + +Durant le voyage du sacre, il avait des intelligences avec les évêques +et les bourgeois des cités champenoises; il avait de même des +intelligences à Paris[185]. Il était en rapport avec des religieux, +et notamment avec les carmes de Melun, dont le prieur, frère Pierre +d'Allée, s'employait pour lui[186]. Des hommes stipendiés guettaient +depuis quelque temps l'occasion de jeter le trouble par la ville et de +faire entrer l'ennemi en un moment d'épouvante et de confusion. +Pendant l'assaut, ils travaillèrent pour lui dans les rues. On ouït, +l'après-midi, des deux côtés des ponts, les cris de «Sauve qui peut! +les ennemis sont entrés! tout est perdu!» Ceux des bourgeois qui +entendaient le sermon coururent s'enfermer chez eux. Et d'autres qui +étaient dehors, se réfugiaient dans les églises. Mais la commotion +s'arrêta court. Des hommes sensés, comme le greffier au Parlement, +eurent bien l'impression que ce n'était qu'un semblant d'assaut et que +Charles de Valois, pour prendre la ville, comptait, non sur la force +des armes, mais sur un mouvement du peuple[187]. + +[Note 185: Sur la situation des esprits dans Paris, voyez divers +actes de Henri VI, des 18 et 25 sept. 1429. (Ms. Fontanieu, +115.)--Sauval, _Antiquités de Paris_, t. III, p. 586 et _circ._] + +[Note 186: A. Longnon, _Paris pendant la domination anglaise_, p. +302.] + +[Note 187: Fauquembergue, dans _Procès_, t. IV, pp. 456, 458.] + +Quelques-uns des religieux qui servaient à Paris d'espions au roi +Charles l'allèrent trouver à Saint-Denys, et l'avisèrent que le coup +était manqué. Selon eux, il s'en était fallu de peu qu'il ne +réussît[188]. + +[Note 188: _Relation du greffier de La Rochelle_, p. 344.] + +On rapporte que le sire de la Trémouille ordonna la retraite, par +crainte des massacres, les Français étant capables, une fois dedans, +de tout tuer et tout brûler[189]. + +[Note 189: _Chronique de Normandie_, dans _Procès_, t. IV, pp. +342-343.] + +Le lendemain vendredi 9, la Pucelle, debout dès l'aube, malgré sa +blessure, demanda au duc d'Alençon de faire sonner la chevauchée, +voulant à toutes forces retourner devant Paris et jurant de n'en +partir tant qu'elle n'aurait la ville[190]. Cependant les capitaines +français envoyèrent à Paris un héraut chargé de demander un +sauf-conduit pour enlever les morts qu'ils avaient laissés en assez +grand nombre[191]. + +[Note 190: Perceval de Cagny, p. 168.] + +[Note 191: Perceval de Cagny, p. 168.--_Chronique Normande_ dans +la _Chronique de la Pucelle_, p. 465.--Vallet de Viriville, _Histoire +de Charles VII_, t. II, p. 120, note 1.] + +En dépit d'un si cruel dommage, après une retraite tranquille, à la +vérité, mais désastreuse, et la perte de tout le matériel de siège, +plusieurs chefs de guerre étaient d'avis, comme la Pucelle, de tenter un +nouvel assaut. D'autres n'en voulaient pas entendre parler. Tandis +qu'ils en disputaient, ils virent venir à eux un seigneur accompagné de +cinquante gentilshommes; c'était le sire de Montmorency, premier baron +chrétien de France, ce qui voulait dire le premier des anciens vassaux +de la crosse de Paris. Il quittait la croix de Saint-André et s'offrait +aux fleurs de Lis[192]. Sa venue donna aux gens du roi courage et bonne +volonté de retourner devant la ville. L'armée s'y rendait, quand le +comte de Clermont et le duc de Bar vinrent arrêter la marche, par ordre +du roi, et ramener la Pucelle à Saint-Denys[193]. + +[Note 192: Duchesne, _Histoire de la maison de Montmorency_, p. +232.--Perceval de Cagny, p. 168.--Vallet de Viriville, _Histoire de +Charles VII_, t. II, pp. 118, 119.] + +[Note 193: G. Lefèvre-Pontalis, _Un détail du siège de Paris_, +dans _Bibliothèque de l'École des Chartes_, t. XLVI, 1885, p. 12.] + +Le samedi 10, au petit jour, le duc d'Alençon se présenta avec un peu +de chevalerie sur la berge, en amont de la ville, à l'endroit où, +quelques jours auparavant, un pont avait été jeté sur la Seine. La +Pucelle, toujours prompte au danger, accompagnait ces aventureux. +Mais, prudemment, le roi avait, la nuit, fait démonter le pont, et la +petite troupe dut rebrousser chemin[194]. Ce n'est pas que le roi +renonçât à prendre Paris; il songeait plus que jamais à ravoir sa +grand'ville; mais il la pensait ravoir sans assauts, avec la +connivence de plusieurs bourgeois. + +[Note 194: Perceval de Cagny, pp. 168-169.--Morosini, t. III, p. +219, note 4.--Vallet de Viriville, _Histoire de Charles VII_, t. II, +p. 120, note 1.--G. Lefèvre-Pontalis, _Un détail du siège de Paris_, +_loc. cit._] + +Il advint à Jeanne, en ce même lieu de Saint-Denys, une mésaventure +qui, ce semble, fit impression sur ses compagnons et diminua, +peut-être, la confiance qu'ils avaient en son bonheur à la guerre. Des +filles, en grand nombre, comme de coutume, suivaient l'armée; chacun +avait la sienne; on les nommait les amiètes. Jeanne ne pouvait les +souffrir parce qu'elles y causaient des désordres, et surtout parce +qu'elle avait horreur de l'état de péché où elles vivaient. On en +faisait sur le moment même des contes comme celui-ci qui courut jusque +dans les Allemagnes: + +Il était au camp un homme qui avait sa mie près de lui, laquelle +chevauchait en armes, pour n'être point reconnue. Or, la Pucelle dit +aux seigneurs et capitaines: «Il y a une femme parmi nos gens.» Ils +répondirent qu'ils n'en connaissaient point. Alors, la Pucelle fit +assembler l'armée et s'étant approchée de la femme: «La voici,» +dit-elle. + +Et parlant à cette ribaude: + +--Tu es de Gien et tu es grosse d'enfant. Et n'était cela, je te +ferais mettre à mort. Tu as déjà laissé mourir un enfant, et n'en +feras pas de même de celui-ci. + +Quand la Pucelle eut ainsi parlé, les valets prirent la ribaude, la +ramenèrent chez elle et la tinrent en garde jusqu'à sa délivrance +d'enfant. Et elle confessa que la Pucelle avait dit vrai. + +Après quoi, la Pucelle dit encore: «Il y a des femmes dans le camp.» +Et deux ribaudes qui n'appartenaient pas à l'armée et qu'elle en avait +déjà chassées, entendant ces paroles, décampèrent à cheval. Mais la +Pucelle courut après elles en leur criant: «Vous, folles filles, je +vous ai interdit ma compagnie.» Et elle tira son épée et frappa une +des filles par la tête, si bien que celle-ci mourut[195]. + +[Note 195: Eberhard Windecke, pp. 184, 186.] + +Le conte disait vrai, Jeanne ne pouvait souffrir les ribaudes. Chaque +fois qu'elle en rencontrait une, elle lui donnait la chasse. C'est ce +qu'elle fit précisément à Gien, en voyant que de folles femme +retardaient les gens du roi[196]. À Château-Thierry, elle avisa une +amiète, qu'un homme d'armes menait en croupe, et courut après elle, +l'épée à la main, et, l'ayant atteinte, elle l'avertit, sans la +frapper, de ne plus se trouver désormais en la société des hommes +d'armes: + +--Sinon, ajouta-t-elle, je te ferai déplaisir[197]. + +[Note 196: Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 90.] + +[Note 197: _Procès_, t. III, p. 73.] + +À Saint-Denys, étant en compagnie du duc d'Alençon, elle poursuivit +encore une de ces jouvencelles. Cette fois, elle ne se contenta pas de +remontrances ni de menaces. Elle brisa sur elle son épée[198]. +Était-ce l'épée de Sainte-Catherine? On le crut et non, sans doute, à +tort[199]. Dans ce temps-là les esprits étaient pleins de tout ce que +les romans rapportent des Joyeuse et des Durandal. Il parut que +Jeanne, en perdant son épée, perdait sa force. On conta, en changeant +un peu les circonstances, que le roi, lorsqu'il apprit l'aventure de +l'épée rompue, en eut déplaisir et dit à la Pucelle: «Vous deviez +prendre un bâton et frapper avec, sans risquer votre épée venue +divinement[200].» On contait aussi que l'épée avait été remise à +l'armurier pour en rejoindre les morceaux et qu'il n'avait jamais pu y +réussir, et l'on voyait là une preuve qu'elle était fée[201]. + +[Note 198: _Ibid._, t. III, p. 99.] + +[Note 199: _Ibid._, t. I, p. 76.] + +[Note 200: Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 90.] + +[Note 201: _Ibid._, t. I, pp. 122-123.] + +Avant de partir, le roi laissa dans le pays le comte de Clermont comme +chef militaire, avec plusieurs lieutenants: les seigneurs de Culant, +Boussac, Loré, Foucault. Il institua une lieutenance générale +composée, conjointement avec les comtes de Clermont et de Vendôme, des +seigneurs Regnault de Chartres, Christophe d'Harcourt et Jean Tudert. +Regnault de Chartres demeura dans la ville de Senlis, siège de la +lieutenance. Ces dispositions prises, le roi quitta Saint-Denys le 13 +septembre[202]. La Pucelle le suivit à contre-coeur; pourtant elle +avait congé de ses Voix[203]. Elle déposa son harnais de guerre devant +l'image de Notre-Dame et le précieux corps de monseigneur saint +Denys[204]. Ce harnais était blanc, c'est-à-dire sans armoiries[205]. +Elle suivait ainsi la coutume des hommes d'armes, qui, après qu'ils +étaient grevés d'une blessure, s'ils n'en mouraient point, offraient, +en action de grâces, à Notre-Dame ou aux saints leur armure. Aussi +voyait-on, en ces temps de guerres, des chapelles qui, comme celle de +Notre-Dame de Fierbois, ressemblaient à des arsenaux. La Pucelle +joignit à son harnais une épée qu'elle avait gagnée devant Paris[206]. + +[Note 202: Perceval de Cagny, p. 169.--_Chronique de la Pucelle_, +pp. 335 et suiv.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, pp. 112 et +suiv.--Monstrelet, t. IV, p. 356.--_Journal d'un bourgeois de Paris_, +p. 246.--Berry, dans _Procès_, t. IV, p. 48.--Gilles de Roye, p. 208.] + +[Note 203: _Procès_, t. I, p. 260.] + +[Note 204: Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 109.--Perceval de +Cagny, p. 170.--Martial d'Auvergne, _Vigiles_, t. I, p. 114.--Jacques +Doublet, _Histoire de l'abbaye de Saint-Denys_, pp. 13-14.] + +[Note 205: La Curne, au mot: _Blanc_. Le harnais blanc était la +marque des écuyers, le doré des chevaliers.--Bouteiller, dans sa +_Somme Rurale_ donne encore le «harnaz doré» aux chevaliers. Cf. Du +Tillet, _Recueil des Rois de France_, ch. Des chevaliers, p. 431.--Du +Cange, _Observations sur les établissements de la France_, p. 373.] + +[Note 206: _Procès_, t. I, p. 179.] + + + + +CHAPITRE IV + +PRISE DE SAINT-PIERRE-LE-MOUSTIER.--LES FILLES SPIRITUELLES DE FRÈRE +RICHARD.--LE SIÈGE DE LA CHARITÉ. + + +Le roi coucha le 14 septembre à Lagny-sur-Marne, traversa la Seine à +Bray, et l'Yonne à un gué, près de Sens, passa par Courtenay, +Châteaurenard, Montargis; arrivé à Gien le 21 septembre, il licencia +l'armée qu'il ne pouvait payer, et chacun s'en fut chez soi. Le duc +d'Alençon se retira dans sa vicomté de Beaumont-sur-Oise[207]. + +[Note 207: _Journal du siège_, p. 130.--Perceval de Cagny, pp. +170-171.--_Journal d'un bourgeois de Paris_, pp. 246-247.--Berry, dans +_Procès_, t. IV, p. 79.--Morosini, t. III, p. 219.] + +Apprenant que la reine venait à la rencontre du roi, Jeanne prit les +devants et vint la saluer à Selles-en-Berry[208]. Elle fut conduite +ensuite à Bourges, où le seigneur d'Albret, frère utérin du sire de la +Trémouille, l'envoya loger chez messire Régnier de Bouligny, alors +général sur le fait et gouvernement de toutes finances, l'un de ceux +dont l'Université, en 1408, avait demandé la destitution comme +inutiles et coupables de tout le mal. Il s'attacha au service du +dauphin, passa de l'administration du domaine à celle des aides et +atteignit le plus haut rang dans le gouvernement des finances[209]. Sa +femme, ayant accompagné la reine à Selles, y vit la Pucelle et s'en +émerveilla comme d'une créature envoyée de Dieu pour relever le roi et +les Français fidèles au roi. Il lui souvenait du temps encore récent +où elle avait vu le dauphin et son mari tirer le diable par la queue. +Elle se nommait Marguerite La Touroulde, et elle était demoiselle et +non dame, grosse bourgeoise sans plus[210]. + +[Note 208: _Procès_, t. III, p. 86.--De Beaucourt, _Histoire de +Charles VII_, t. II, p. 265.--P. Lanéry d'Arc et L. Jeny, _Jeanne +d'Arc en Berry, avec des documents et des éclaircissements inédits_, +Paris, 1892, in-12, chap. VI.] + +[Note 209: _Procès_, t. III, p. 85, note 1.--De Beaucourt, +_Histoire de Charles VII_, t. I, p. 418, note 7.] + +[Note 210: _Procès_, t. III, p. 85.] + +Durant trois semaines, Jeanne demeura dans l'hôtel du général des +finances. Elle y couchait, buvait et mangeait. Presque toutes les +nuits, demoiselle Marguerite La Touroulde couchait avec elle: la +civilité le voulait ainsi. On ne portait point de linge de nuit; on +couchait nu dans de très grands lits. Il paraît que Jeanne n'aimait +pas à coucher avec de vieilles femmes[211]. Demoiselle La Touroulde, +sans être bien vieille, avait l'âge d'une matrone[212]; elle en avait +aussi l'expérience et même elle prétendait, comme il y paraîtra tout +à l'heure, en savoir plus que les matrones n'en savent. Diverses fois +elle mena Jeanne au bain et aux étuves[213]. Cela encore était dans +les règles du savoir-vivre; on n'eût pas fait grande chère aux +personnes qu'on recevait si on ne les avait fait baigner. Les princes +donnaient l'exemple de cette politesse; quand le roi et la reine +soupaient dans l'hôtel de quelqu'un de leurs serviteurs et officiers, +on leur préparait de beaux bains richement ornés où ils se mettaient +avant de manger[214]. Demoiselle Marguerite La Touroulde n'avait pas +chez elle, sans doute, ce qu'il fallait; elle mena Jeanne dehors au +bain et aux étuves. Ce sont ses propres expressions qui peuvent +s'entendre du bain de vapeur[215] plutôt que du bain d'eau chaude. + +[Note 211: _Ibid._, t. III, pp. 81, 86.] + +[Note 212: Lanéry d'Arc et L. Jeny, _Jeanne d'Arc en Berry_, pp. +72-73.] + +[Note 213: «In balneo et stuphis», _Procès_, t. III, p. 88.] + +[Note 214: _L'amant rendu cordelier à l'observance d'amour_, poème +attribué à Martial d'Auvergne, éd. A. de Montaiglon, Paris, 1881, +in-8º, v. 1761-1776 et note p. 184.--A. Franklin, _La vie privée +d'autrefois_, t. II, Les soins de la toilette, Paris, 1887, in-18º, +pp. 20 et suiv.--A. Lecoy de la Marche, _Le bain au moyen âge_, dans +_Revue du Monde catholique_, t. XIV, pp. 870-881.] + +[Note 215: _Livre des métiers_ d'Étienne Boileau, éd. de +Lespinasse et F. Bonnardot, Paris, 1879, pp. 154-155 et note.--G. +Bayle, _Notes pour servir à l'histoire de la prostitution au moyen +âge_, dans _Mémoires de l'Académie de Vaucluse_, 1887, pp. +241-242.--Dr P. Pansier, _Histoire des prétendus statuts de la reine +Jeanne_, dans le _Janus_, 1902, p. 14.] + +À Bourges, les étuves étaient dans le quartier d'Auron, au bas de la +ville, près de la rivière[216]. Jeanne pratiquait une exacte dévotion, +mais elle n'était pas soumise aux règles de la vie conventuelle; elle +pouvait bien se baigner, comme la chaste Suzanne; et elle devait en +avoir grand besoin après avoir couché à la paillade[217]. Ce qui est +plus singulier, c'est que demoiselle Marguerite La Touroulde jugea, +pour l'avoir vue au bain, que Jeanne, selon toute apparence, était +vierge[218]. + +[Note 216: Lanéry d'Arc et L. Jeny, _Jeanne d'Arc en Berry_, pp. +76-77.] + +[Note 217: _Procès_, t. III, p. 100.] + +[Note 218: _Ibid._, t. III, p. 88.] + +Dans l'hôtel de messire Régnier de Bouligny, ainsi que partout où elle +logeait, elle menait une vie de béguine, sans austérités excessives. +Elle se confessait très souvent. Maintes fois, elle demanda à son +hôtesse de l'accompagner à Matines. Les Matines se chantaient tous les +jours à la cathédrale et dans les collégiales, entre quatre et six +heures du soir, au moment où le soleil descendait à l'horizon. +Demoiselle La Touroulde l'y mena plusieurs fois. Fréquemment elles +causaient toutes deux ensemble; la femme du général des finances la +trouvait bien simple et bien ignorante. Elle s'apercevait avec +surprise que cette jeune fille ne savait absolument rien[219]. + +[Note 219: _Ibid._, t. III, pp. 85, 89.--Lanéry d'Arc et L. Jeny, +_Jeanne d'Arc en Berry_, pp. 73-74.] + +Jeanne lui conta, entre autres choses, sa visite au vieux duc de +Lorraine, et comment elle l'avait repris sur sa mauvaise conduite; +elle parla aussi des examens que lui avaient fait subir les maîtres de +Poitiers[220]. Elle était persuadée que ces clercs l'avaient +interrogée avec une extrême sévérité et croyait de bonne foi qu'elle +avait triomphé de leur mauvais vouloir. Hélas! elle devait connaître +avant peu des clercs moins accommodants. + +[Note 220: _Ibid._, t. III, pp. 86-87.] + +Demoiselle Marguerite lui dit un jour: + +--Si vous ne craignez point d'aller aux assauts, c'est que vous savez +bien que vous ne serez point tuée. + +À quoi Jeanne répondit: + +--Je n'en suis pas plus sûre que les autres gens de guerre. + +Fréquemment des femmes venaient à l'hôtel de Bouligny, apportant des +patenôtres et de menus objets de piété pour les faire toucher par la +Pucelle. + +Et Jeanne disait, en riant, à son hôtesse: + +--Touchez-les vous-même. Ils seront aussi bons par votre toucher que +par le mien[221]. + +[Note 221: _Procès_, t. III, pp. 86-88.] + +En entendant cette répartie, demoiselle Marguerite dut bien +s'apercevoir que Jeanne, pour ignorante qu'elle était, montrait +parfois dans ses propos du bon sens et de la bonne grâce. + +Cette dame, qui trouvait la Pucelle de toute façon une innocente, +l'estimait, au contraire, experte dans les armes. Soit qu'elle jugeât +par elle-même du savoir-faire de la sainte en gendarmerie, soit +qu'elle en parlât par ouï dire, comme il semble, elle déclara plus +tard que cette jeune fille «montait à cheval et maniait la lance comme +l'eût fait le meilleur chevalier et que l'armée en était dans +l'admiration[222]». Les capitaines d'alors n'en savaient pas davantage +pour la plupart. + +[Note 222: _Procès_, t. III, p. 88.] + +Il est croyable qu'il y avait des dés et des cornets dans l'hôtel de +Bouligny, sans quoi Jeanne n'aurait pas eu l'occasion de montrer cette +horreur du jeu de dés que remarqua son hôtesse. À cet égard, elle +pensait de même que frère Richard, son compagnon, et que toute +personne de bonne vie et doctrine[223]. + +[Note 223: _Ibid._, t. III, p. 87.] + +Jeanne distribuait en aumônes l'argent qu'elle avait. Elle disait: +«J'ai été envoyée pour la consolation des pauvres et des +indigents[224].» + +[Note 224: _Ibid._, t. III, pp. 87-88.] + +De tels propos, répandus dans la foule, inspiraient au peuple la +croyance que cette pucelle de Dieu n'avait pas été suscitée seulement +pour la gloire des Lis, et qu'elle venait guérir les maux dont souffrait +le royaume, tels que meurtres, pilleries et grièves offenses à Dieu. Les +âmes mystiques espéraient d'elle la réforme de l'Église et le règne de +Jésus-Christ en ce monde. Elle était invoquée comme une sainte et l'on +voyait, dans les provinces fidèles au dauphin, ses images peintes et +taillées offertes à la vénération des fidèles, en sorte qu'elle +jouissait, vivante, des privilèges de la béatification[225]. + +[Note 225: Noël Valois, _Un nouveau témoignage sur Jeanne d'Arc_, +dans _Annuaire-bulletin de la Société de l'Histoire de France_, Paris, +1907, in-8º, pp. 8 et 18 (tirage à part).] + +Cependant, au nord de la Seine, Anglais et Bourguignons +recommençaient la danse. Le duc de Vendôme se repliait avec sa +compagnie sur Senlis, les Anglais se ruaient sur la ville de +Saint-Denys et la saccageaient à nouveau. Ils trouvèrent dans l'église +abbatiale l'armure de la Pucelle et, sur l'ordre de l'évêque de +Thérouanne, chancelier d'Angleterre, l'enlevèrent, ce qui fut +considéré par le clergé français comme un sacrilège manifeste, pour +cette raison qu'ils ne donnèrent rien en échange aux moines de +l'abbaye. + +Le roi se tenait alors à Mehun-sur-Yèvre, tout proche la ville de +Bourges, en un château, l'un des plus beaux du monde, qui s'élevait +sur un rocher et regardait la ville. Le feu duc Jean de Berry, grand +amateur de bâtiments, l'avait fait construire avec le soin et l'amour +qu'il donnait à toutes choses d'art. Mehun était le séjour préféré du +roi Charles[226]. + +[Note 226: _Procès_, t. III, p. 217.--De Beaucourt, _Histoire de +Charles VII_, t. II, p. 265.--A. Buhot de Kersers, _Histoire et +statistique du département du Cher, canton de Mehun_, Bourges, 1891, +in-4º, pp. 261 et suiv.--A. de Champeaux et P. Gauchery, _Les travaux +d'art exécutes pour Jean de France, duc de Berry_, Paris, 1894, in-4º, +pp. 7, 9 et la miniature des _Grandes Heures_ du duc Jean de Berry, à +Chantilly.] + +Le duc d'Alençon, qui attendait des gens pour entrer en Normandie par +les Marches de Bretagne et du Maine, pensant ravoir son duché, fit +demander au roi qu'il lui plût lui donner la Pucelle. «Beaucoup, +disait le duc, se mettront en sa compagnie, qui ne bougeront de chez +eux si elle ne vient pas.» C'était donc qu'elle n'était pas trop +décriée pour sa déconfiture sous Paris. Le sire de la Trémouille +s'opposa à ce qu'elle fût remise au duc d'Alençon, dont il se défiait, +non sans quelque apparence de motif. Il la remit à son frère utérin, +le sire d'Albret, lieutenant du roi en son pays de Berry[227]. + +[Note 227: Perceval de Cagny, pp. 170-171.--Berry, dans _Procès_, +t. IV, p. 48.--Lettre du sire d'Albret aux habitants de Riom, dans +_Procès_, t. V, pp. 148-149.--Martin Le Franc, _Champion des Dames_, +dans _Procès_, t. V, p. 71.] + +Le Conseil royal estimait nécessaire de recouvrer la ville de La +Charité, qu'on avait laissée aux mains des Anglais quand on était +parti pour le voyage du sacre[228]; mais il décida qu'on se porterait +d'abord sur Saint-Pierre-le-Moustier qui commandait les approches du +Bec-d'Allier[229]. Cette petite ville était occupée par une garnison +d'Anglais et de Bourguignons qui, de là, se répandaient dans le Berry +et le Bourbonnais et pillaient les villages, ravageaient les +campagnes. C'est à Bourges que se rassembla l'armée chargée de cette +expédition. Elle était sous les ordres de monseigneur d'Albret[230]; +le bruit public en attribuait le commandement à Jeanne. Le commun +peuple, les bourgeois des villes, les habitants d'Orléans surtout ne +connaissaient qu'elle. + +[Note 228: _Chronique de la Pucelle_, p. 310.--_Journal du siège_, +p. 107.--Morosini, t. II, p. 229, note 4.--Perceval de Cagny, p. 172.] + +[Note 229: _Procès_, t. III, p. 217.--Jaladon de la Barre, _Jeanne +d'Arc à Saint-Pierre-le-Moustier et deux juges nivernais à Rouen_, +Nevers, 1868, in-8º, chap. IX et suiv.] + +[Note 230: _Procès_, t. V, p. 356.--Lanéry d'Arc et L. Jeny, +_Jeanne d'Arc en Berry_, p. 89.] + +Après quelques jours de siège, les gens du roi donnèrent l'assaut. +Mais ils furent repoussés par ceux du dedans. L'écuyer Jean d'Aulon, +intendant de la Pucelle, qui avait reçu quelque temps auparavant une +blessure au talon, et ne marchait qu'avec des béquilles, s'était +retiré comme les autres[231]. Il se retourna et vit Jeanne demeurée +presque seule au bord du fossé. De crainte qu'il ne lui arrivât mal, +il sauta à cheval, tira vers elle et lui cria: + +--Que faites-vous ainsi seule? Pourquoi ne vous retirez-vous pas comme +les autres? + +[Note 231: _Procès_, t. III, p. 217.] + +Jeanne ôta sa salade de dessus sa tête et lui répondit: + +--Je ne suis pas seule. J'ai en ma compagnie cinquante mille de mes +gens. Et je ne partirai point d'ici jusqu'à ce que j'aie pris la +ville. + +Messire Jean d'Aulon, écarquillant les yeux, ne voyait autour de la +Pucelle que quatre ou cinq hommes. + +Il lui cria de plus belle: + +--En allez-vous d'ici, et retirez-vous comme les autres font. + +En guise de réponse, elle demanda qu'on lui apportât des fagots et des +claies pour combler le fossé. Et aussitôt elle appela à haute voix: + +--Aux fagots et aux claies, tout le monde! afin de faire un pont. + +Les gens d'armes accoururent, le pont fut fait incontinent et la ville +prise d'assaut sans grande difficulté. Du moins c'est ainsi que le bon +écuyer Jean d'Aulon conta l'affaire[232]. Il n'était pas très éloigné +de croire que les cinquante mille fantômes de la Pucelle s'étaient +emparés de Saint-Pierre-le-Moustier. + +[Note 232: _Procès_, t. III, p. 218.] + + * * * * * + +À ce moment, il se trouvait auprès de la petite armée de la Loire +plusieurs saintes femmes qui menaient, ainsi que Jeanne, une vie +singulière et communiquaient avec l'Église triomphante. C'était, pour +ainsi dire, un béguinage volant, qui suivait les gens d'armes. L'une +de ces femmes se nommait Catherine de La Rochelle; deux autres étaient +de la Bretagne bretonnante[233]. + +[Note 233: _Ibid._, t. I, p. 106.--_Journal d'un bourgeois de +Paris_, pp. 259-260, 271-272.--Nider, _Formicarium_, dans _Procès_, t. +IV, pp. 503-504.--J. Quicherat, _Aperçus nouveaux_, pp. 74 et +suiv.--N. Quellien, _Perrinaïc, une compagne de Jeanne d'Arc_, Paris, +1891, in-8º.--Mme Pascal-Estienne, _Perrinaïk_, Paris, 1893, +in-8º.--J. Trévedy, _Histoire du roman de Perrinaïc_, Saint-Brieuc, +1894, in-8º.--_Le roman de Perrinaïc_, Vannes, 1894, in-8º.--A. de la +Borderie, _Pierronne et Perrinaïc_, Paris, 1894, in-8º.] + +Elles avaient toutes des visions merveilleuses; Jeanne voyait +monseigneur saint Michel en armes et mesdames sainte Catherine et +sainte Marguerite portant des couronnes[234]; la Pierronne voyait Dieu +long vêtu d'une robe blanche avec une huque vermeille[235]; Catherine +de La Rochelle voyait une dame blanche, habillée de drap d'or, et, au +moment de la consécration, on ne sait quelles merveilles du haut +secret de Notre-Seigneur lui étaient révélées[236]. + +[Note 234: _Procès_, t. V, à la table analytique aux mots: +_Catherine_, _Michel_, _Marguerite_.] + +[Note 235: _Ibid._, t. I, p. 106.] + +[Note 236: _Journal d'un bourgeois de Paris_, pp. 271-272.] + +Frère Jean Pasquerel demeurait auprès de Jeanne en qualité de +chapelain[237]; il comptait mener sa pénitente à la croisade contre +les hussites, car c'est surtout à ces infidèles que le bon frère en +voulait. Mais le cordelier qui depuis Troyes s'était joint aux +mendiants de la première heure, frère Richard, l'avait entièrement +supplanté; il conduisait à sa volonté la petite troupe des inspirées. +On disait que c'était leur beau père; il les endoctrinait[238]. Ses +desseins sur ces filles n'étaient pas très différents de ceux du bon +frère Pasquerel: il se proposait de les conduire dans ces guerres pour +le triomphe de la Croix qui devaient, selon lui, précéder la fin +prochaine du monde[239]. + +[Note 237: _Procès_, t. III, pp. 104 et suiv.] + +[Note 238: _Ibid._, t. II, p. 450.--_Journal d'un bourgeois de +Paris_, pp. 271-272.] + +[Note 239: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 235.] + +En attendant, il s'efforçait de les faire vivre entre elles en bonne +intelligence; et il y avait grand'peine, ce semble, si habile prêcheur +qu'il fût. Sans cesse naissaient dans la confrérie les soupçons et les +querelles. Jeanne, qui fréquentait avec Catherine de La Rochelle à +Montfaucon en Brie et à Jargeau, flaira une rivale et se mit tout de +suite en défiance[240]. Elle n'avait peut-être pas tort. On pouvait, +d'un moment à l'autre, se servir de ces Bretonnes et de cette +Catherine comme on s'était servi d'elle[241]. Une inspirée alors était +bonne à tout, à l'édification du peuple, à la réforme de l'Église, à +la conduite des gens d'armes, à la circulation des monnaies, à la +guerre, à la paix; dès qu'il en paraissait une, chacun la tirait à +soi. Il semble bien qu'après avoir mis en oeuvre la pucelle Jeanne +pour délivrer Orléans, les conseillers du roi pensaient maintenant +mettre en oeuvre cette dame Catherine pour faire la paix avec le duc +de Bourgogne. On trouvait opportun d'appliquer à cette tâche une +sainte moins chevalière que Jeanne. Catherine était mariée, mère de +famille. Il ne fallait pas s'étonner pour cela qu'elle fût favorisée +de visions: si le don de prophétie est particulièrement réservé aux +vierges, on voit, par l'exemple de Judith, que le Seigneur peut +susciter des femmes fortes pour le salut de son peuple. + +[Note 240: _Procès_, t. I, p. 106.] + +[Note 241: _Procès_, t. I, p. 107.] + +À croire, comme son surnom l'indique, qu'elle venait de La Rochelle, +son origine donnait confiance aux Armagnacs. Les habitants de La +Rochelle, tous plus ou moins corsaires, faisaient trop bonne et +profitable chasse aux navires anglais pour quitter le parti du +dauphin, qui récompensait d'ailleurs leur fidélité par de beaux +privilèges pour le trafic des marchandises[242]. Ils envoyèrent des +dons d'argent à ceux d'Orléans et lorsque, au mois de mai, ils +apprirent que la cité du duc Charles était délivrée, ils instituèrent +une fête publique en mémoire de cet heureux événement. + +[Note 242: Arcère, _Histoire de La Rochelle_, 1756, in-4º, t. I, +p. 271.--_Procès_, t. V, p. 104, note.--Vallet de Viriville, _Histoire +de Charles VII_, t. II, pp. 24, 75 et suiv., 219, 279.] + +Le premier emploi, ce semble, que tenait une sainte dans l'armée, +c'était l'emploi de quêteuse. Jeanne demandait à tous moments, par +lettres missives, de l'argent ou des engins de guerre aux bonnes +villes, les bourgeois lui promettaient toujours et s'acquittaient +quelquefois de leur promesse. Catherine de La Rochelle paraît avoir eu +des révélations spéciales en matière de finances, et s'être donné une +mission trésorière, comme Jeanne s'était donné une mission guerrière. +Elle annonçait qu'elle irait vers le duc de Bourgogne pour conclure la +paix[243]. À en juger par le peu qu'on en sait, les inspirations de +cette sainte dame n'étaient ni très hautes, ni très ordonnées, ni très +profondes. + +[Note 243: _Procès_, t. I, pp. 107-108.] + +À Montfaucon en Berry (ou à Jargeau), rencontrant Jeanne, elle lui +parla de la sorte: + +--Il est venu à moi une dame blanche, vêtue de drap d'or, qui m'a dit: +«Va par les bonnes villes et que le roi te donne des hérauts et +trompettes pour faire crier: «Quiconque a or, argent ou trésor caché, +qu'il l'apporte à l'instant.» + +Dame Catherine ajouta: + +--Ceux qui en auront de caché et ne feront point ainsi, je les +connaîtrai bien et saurai trouver leurs trésors. + +Elle jugeait nécessaire de combattre les Anglais et semblait croire +que Jeanne eût mission de les chasser, puisqu'elle lui offrit +obligeamment le produit de ses recettes miraculeuses: + +--Ce sera, dit-elle, pour payer vos gens d'armes. + +Mais la Pucelle lui répondit avec mépris: + +--Retournez à votre mari faire votre ménage et nourrir vos +enfants[244]. + +[Note 244: _Procès_, t. I, p. 107.] + +Les disputes des saintes sont très âpres d'ordinaire. Jeanne +n'admettait pas qu'il y eût dans le fait de cette rivale autre chose +que folie et néant. Pourtant, elle ne jugeait pas impossible qu'on +reçût la visite d'une dame blanche, elle vers qui se rendaient chaque +jour autant de saints et de saintes, d'anges et d'archanges qu'on n'en +peignit jamais sur les pages des livres et sur les murs des moutiers. +Pour en avoir le coeur net, elle prit le bon moyen. Un docteur peut +raisonner sur l'objet et la substance, l'origine et la forme des +idées, la naissance des images dans l'entendement; une gardeuse de +moutons prendra un parti plus sûr: elle s'en rapportera à ses yeux. + +Jeanne demanda à Catherine si cette dame blanche venait toutes les +nuits et, apprenant qu'oui: + +--Je coucherai avec vous, dit-elle. + +Le soir arrivé, elle se mit dans le lit de Catherine, veilla jusqu'à +minuit, ne vit rien et s'endormit, car elle était jeune et avait grand +besoin de sommeil. + +Le matin, à son réveil, elle demanda: + +--Est-elle venue? + +--Elle est venue, répondit Catherine. Vous dormiez et je n'ai pas +voulu vous éveiller. + +--Ne viendra-t-elle point demain? + +Catherine lui promit qu'elle viendrait sans faute. + +Cette fois, Jeanne, ayant dormi le jour pour pouvoir mieux veiller, +coucha le soir encore dans le lit de Catherine et garda les yeux +ouverts. + +Souvent, elle demandait: + +--Viendra-t-elle point? + +Et Catherine répondait: + +--Oui, tout à l'heure. + +Mais Jeanne ne vit rien[245]. + +[Note 245: _Procès_, t. I, pp. 108-109.] + +Elle tint la preuve pour bonne. Pourtant, la dame blanche, habillée de +drap d'or, lui trottait encore dans la tête. Quand madame sainte +Catherine et madame sainte Marguerite vinrent la voir, ce qui ne tarda +guère, elle leur parla de cette dame blanche et leur demanda ce qu'il +en fallait penser. La réponse fut telle que Jeanne l'attendait. + +--Dans le fait de cette Catherine, il n'y a, dirent-elles, que folie +et néant[246]. + +[Note 246: _Ibid._, t. I, p. 107.] + +Et Jeanne dut s'écrier: + +--C'était bien ce que je pensais! + +La lutte entre les deux prophétesses fut courte, mais acharnée. Jeanne +prenait toujours le contre-pied de ce que disait Catherine. Comme +celle-ci voulait aller voir le duc de Bourgogne pour faire la paix, +Jeanne lui dit: + +--Il me semble qu'on n'y trouvera point de paix si ce n'est par le +bout de la lance[247]. + +[Note 247: _Procès_, t. I, p. 108.] + +Il y eut un sujet tout au moins où la dame blanche fut plus habile +prophétesse que les conseillères de la Pucelle: ce fut le siège de La +Charité. Lorsque Jeanne voulut aller délivrer cette ville, Catherine +lui conseilla de n'en rien faire. + +--Il fait trop froid, dit-elle, je n'irai point[248]. + +[Note 248: _Ibid._, p. 108.] + +La raison que donnait Catherine n'était point haute; pourtant, il est +vrai que Jeanne aurait mieux fait de ne pas aller au siège de La +Charité. + +La Charité, enlevée au duc de Bourgogne par le dauphin en 1422, avait +été reprise en 1424 par Perrinet Gressart[249], fortuné capitaine, +devenu, d'apprenti maçon, panetier du duc de Bourgogne et seigneur de +Laigny, de par le roi d'Angleterre[250]. Le 30 décembre 1425, le sire +de La Trémouille, qui se rendait auprès du duc Philippe pour une de +ces négociations sempiternelles, fut arrêté par les gens de Perrinet, +et renfermé pendant plusieurs mois dans cette place dont son ravisseur +était capitaine. Il lui fallut payer une rançon de quatorze mille écus +d'or, et, bien qu'il eût pris cette somme dans le trésor royal[251], +il devait garder rancune à Perrinet, et l'on peut penser que, s'il +envoyait des gens d'armes à La Charité, c'était pour prendre tout de +bon la ville et non dans quelque noir dessein contre la Pucelle. + +[Note 249: «Perrinet Crasset, machon et capitaine de gens +d'armes», _Chronique des cordeliers_, fol. 446 vº.--Jean Chartier, +_Chronique_, t. I, p. 117.--Monstrelet, t. IV, p. 174.--Vallet de +Viriville, _Histoire de Charles VII_, t. I, p. 328.] + +[Note 250: S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, p. CCLXXVIII.--A. de +Villaret, _Campagne des Anglais_, p. 109.--Le P. Ayroles, _La vraie +Jeanne d'Arc_, t. III, pp. 20, 21, 373 et suiv.--J. de Fréminville, +_Les écorcheurs en Bourgogne_ (1435-1445); _Étude sur les compagnies +franches au XVe siècle_, Dijon, 1888, in-8º--P. Champion, _Guillaume +de Flavy_, pièce justificative XXX.] + +[Note 251: Sainte-Marthe, _Histoire généalogique de la maison de +la Trémoïlle_, 1668, in-12, pp. 149 et suiv.--L. de La Trémoïlle, _Les +La Trémoïlle pendant cinq siècles_, Nantes, 1890, t. I, p. 165.] + +L'armée qui allait contre ce capitaine bourguignon, grand détrousseur +de pèlerins, n'était pas composée de gens de rien. Ses chefs étaient +Louis de Bourbon, comte de Montpensier, et Charles II, sire d'Albret, +frère utérin de La Trémouille et compagnon de Jeanne à l'armée du +sacre. Sans doute elle manquait de matériel et d'argent[252]. +Condition ordinaire des armées d'alors. Quand le roi voulait attaquer +une place tenue par ses ennemis, il fallait qu'il s'adressât à ses +bonnes villes, pour obtenir d'elles les ressources nécessaires. La +Pucelle, qui était une sainte et une guerrière, avait bonne grâce à +mendier des armes; mais peut-être se faisait-elle illusion sur les +ressources des villes qui avaient déjà tant donné. + +[Note 252: _Procès_, t. V, p. 149.--Jean Chartier, _Chronique_, t. +III.--_Journal du siège_, p. 129.--Monstrelet, t. V, chap. LXXII.--A. +de Villaret, _Campagne des Anglais_, p. 108.] + +Le 7 novembre, elle signa avec monseigneur d'Albret une lettre par +laquelle elle demandait à ceux de Clermont en Auvergne, de la poudre, +des traits et de l'artillerie. Les messieurs d'Église, les élus et les +habitants envoyèrent deux quintaux de salpêtre, un quintal de soufre, +deux caisses de traits; ils y joignirent une épée, deux dagues, et une +hache d'armes pour la Pucelle, et ils chargèrent messire Robert +Andrieu de présenter cet envoi à Jeanne et à monseigneur +d'Albret[253]. + +[Note 253: _Procès_, t. V, p. 146.--F. Perot, _Un document inédit +sur Jeanne d'Arc_, dans _Bulletin de la Société archéologique de +l'Orléanais_, t. XII, 1898-1901, p. 231.] + +Le 9 novembre, la Pucelle était à Moulins en Bourbonnais[254]. Qu'y +faisait-elle? On ne sait. Alors se trouvait dans cette ville une très +sainte abbesse et très vénérée, Colette Boilet, qui s'était attiré les +plus hautes louanges et les plus bas outrages en travaillant avec un +zèle merveilleux à la réforme des filles de sainte Claire. Colette +habitait le couvent de clarisses qu'elle venait de fonder en cette +ville. On a supposé que la Pucelle était allée à Moulins afin de s'y +rencontrer avec elle. Il faudrait d'abord savoir si ces deux saintes +avaient de l'inclination l'une pour l'autre; elles faisaient toutes +deux des miracles, et des miracles parfois assez semblables[255]; ce +n'était pas une raison pour qu'elles prissent le moindre plaisir à se +trouver ensemble. L'une était nommée la Pucelle, l'autre la Petite +Ancelle; mais, sous ces noms d'une égale humilité, bien différentes +d'habit et de moeurs, celle-ci cheminait sur les routes enveloppée de +haillons comme une mendiante, celle-là chevauchait en huque d'or entre +les seigneurs. Rien ne donne à croire que Jeanne, qui vivait parmi des +franciscains soustraits à toute règle, éprouvât de la vénération pour +la réformatrice des clarisses; rien ne dit que la pacifique Colette, +très attachée à la maison de Bourgogne[256], ait désiré s'entretenir +avec l'ange exterminateur des Anglais[257]. + +[Note 254: _Procès_, t. V, pp. 147-150.--Lanéry d'Arc et L. Jeny, +_Jeanne d'Arc en Berry_, ch. VIII.] + +[Note 255: _Acta SS._, Mars, I, 554, col. 2, nº 61.--Abbé +Bizouard, _Histoire de sainte Colette_, pp. 35, 37.--S[ilvere], +_Histoire chronologique de la bienheureuse Colette_, Paris, 1628, +in-8º.] + +[Note 256: _Histoire chronologique de la bienheureuse Colette_, +pp. 168-200.] + +[Note 257: S. Luce, _Jeanne d'Arc et les ordres mendiants_ dans +_Revue des Deux Mondes_, 1881, t. XLV, p. 90.--L. de Kerval, _Jeanne +d'Arc et les franciscains_, Vanves, 1893, pp. 49-51.--S. Luce, _Jeanne +d'Arc à Domremy_, pp. CCLXXVIII et s.--F. Perot, _Jeanne d'Arc en +Bourbonnais_, Orléans, in-8º, 26 p., 1889.--F. André, _La vérité sur +Jeanne d'Arc_, in-8º, 1895, pp. 308 et suiv.] + +De cette ville de Moulins, Jeanne dicta une lettre par laquelle elle +avertissait les habitants de Riom que Saint-Pierre-le-Moustier était +pris et leur demandait, comme à ceux de Clermont, du matériel de +guerre[258]. + +[Note 258: _Procès_, t. V, p. 146-148.] + +Voici cette lettre: + + Chers et bons amis, vous savez bien comment la ville de Saint + Pere le Moustier a esté prinse d'assault; et, à l'aide de Dieu, + ay entencion de faire vuider les autres places qui sont + contraires au roy; mais pour ce que grant despense de pouldres, + trait et autres habillemens de guerre a esté faicte devant ladite + ville, et que petitement les seigneurs qui sont en ceste ville et + moy en sommes pourveuz pour aler mectre le siège devant La + Charité, où nous alons prestement; je vous prie, sur tant que + vous aymez le bien et honneur du roy et aussi de tous les autres + de par deçà, que vueillez incontinant envoyer et aider pour ledit + siège de pouldres, salepestre, souffre, trait, arbelestres + fortes, et d'autres habillemens de guerre. Et en ce faictes tant + que par faulte desdictes pouldres et autres habillemens de + guerre, la chose ne soit longue, et que on ne vous puisse dire en + ce estre negligens ou refusans. Chers et bons amis, Nostre Sire + soit garde de vous. Escript à Molins, le neuf{me} jour de + novembre. + + JEHANNE. + + _Sur l'adresse_: À mes chiers et bons amis, les gens d'église, + bourgois et habitans de la ville de Rion[259]. + +[Note 259: _Procès_, t. V, pp. 146, 148.--Fac-similé dans le +_Musée des archives départementales_, p. 124.] + +Les consuls de Riom s'engagèrent, par lettres scellées de leur sceau, +à donner à Jeanne la Pucelle et à monseigneur d'Albret une somme de +soixante écus; mais quand les gouverneurs de l'artillerie pour le +siège vinrent leur réclamer cette somme, les consuls ne donnèrent pas +une maille[260]. + +[Note 260: F. Perot (_Bulletin de la Société archéologique de +l'Orléanais_, t. XII, p. 231).] + +Désireux, au contraire, de voir réduire une place qui interceptait le +cours de la Loire à trente lieues en amont de leur ville, les +habitants d'Orléans, cette fois encore, se montrèrent zélés et +magnifiques. On les doit tenir pour les vrais sauveurs du royaume; +sans eux, au mois de juin, on n'aurait pas pu prendre Jargeau ni +Beaugency. Tout au commencement de juillet, alors qu'ils croyaient à +la continuation de la campagne de la Loire, ils avaient fait conduire +à Gien leur grosse bombarde, la Bougue. Ils y joignirent des +munitions, des vivres, et, dans les premiers jours de décembre, sur la +demande du roi aux procureurs de la ville, ils dirigèrent sur La +Charité toute l'artillerie ramenée de Gien; quatre-vingt-neuf soldats +de la milice urbaine, portant la huque aux couleurs du duc d'Orléans, +la croix blanche sur la poitrine, trompette en tête, commandés par le +capitaine Boiau; des ouvriers de tous états, maçons et manoeuvres, +charpentiers, forgerons; les couleuvriniers Fauveau, Gervaise Lefèvre, +et frère Jacques, religieux du couvent des cordeliers d'Orléans[261]. +Que fit-on de cette grosse artillerie et de ces braves gens? + +[Note 261: A. de Villaret, _Campagne des Anglais_, p. 107, pièce +justificative XVII, pp. 159, 168.--_Procès_, t. V, pp. 268, 270, +d'après les cédules originales de la Bibliothèque d'Orléans.] + +Le 24 novembre, le sire d'Albret et la Pucelle, se trouvant sous les +murs de La Charité en grande détresse, sollicitèrent semblablement la +ville de Bourges. Au reçu de leur lettre, les bourgeois décidèrent +d'envoyer treize cents écus d'or. Pour se procurer cette somme ils +employèrent un moyen usuel, auquel notamment ceux d'Orléans avaient eu +recours quand, en vue de fournir à Jeanne, quelque temps auparavant, +des munitions de guerre, ils achetèrent d'un habitant une certaine +quantité de sel qu'ils firent mettre à l'enchère au grenier de la +ville. Les habitants de Bourges firent vendre à la criée la ferme +annuelle du treizième du vin vendu en détail dans la ville. Mais +l'argent qu'ils se procurèrent ainsi n'arriva pas à destination[262]. + +[Note 262: La Thaumassière, _Histoire du Berry_, p. +161.--_Procès_, t. V, pp. 356-357.--Lanéry d'Arc et L. Jeny, _Jeanne +d'Arc en Berry_, pp. 105 et suiv.--A. de Villaret, _Campagne des +Anglais_, pp. 111, 112.] + +Il y avait sous La Charité une brillante chevalerie; outre Louis de +Bourbon et le sire d'Albret, il s'y trouvait le maréchal de Boussac, +Jean de Bouray, sénéchal de Toulouse, Raymon de Montremur, baron +dauphinois, qui y fut tué[263]. Il faisait un froid cruel et les +assiégeants ne réussissaient à rien. Après un mois, Perrinet Gressart, +qui connaissait plus d'un tour, les fit tomber dans on ne sait quelle +embûche. Ils levèrent le siège, laissant l'artillerie des bonnes +villes, les beaux canons payés des deniers des bourgeois +économes[264]. Et ce qui rendait leur cas peu louable, c'est que la +ville, n'étant pas secourue et ne pouvant l'être, devait capituler un +jour ou l'autre. Ils alléguaient en leur faveur que le roi n'avait +envoyé ni vivres ni argent[265]; mais ce ne parut point une excuse et +leur fait fut jugé honteux. Un chevalier expert en l'honneur des armes +a dit: «On ne doit jamais assiéger une place que premièrement on ne +soit sûr de vivres et de solde. Car trop grande honte est à un ost, +spécialement quand il y a roi ou lieutenant du roi, d'assiéger une +place et puis de s'en lever[266].» + +[Note 263: _Mémoires de la Société des Antiquaires du Centre_, t. +IV, 1870-72, pp. 211, 239.] + +[Note 264: Vallet de Viriville, _Histoire de Charles VII_, t. II, +p. 126.--Lanéry d'Arc et L. Jeny, _Jeanne d'Arc en Berry_, p. 89.] + +[Note 265: Perceval de Cagny, p. 172.] + +[Note 266: _Le Jouvencel_, t. II, pp. 216-217.] + +Le 13 décembre, un moine dominicain, frère Hélie Boudant, pénitencier +du pape Martin pour la ville et diocèse de Limoges, s'étant rendu dans +la ville de Périgueux, y prêcha le peuple; il prit pour texte de son +sermon les grands miracles accomplis en France par l'intervention +d'une Pucelle qui était venue trouver le roi de par Dieu. À cette +occasion le maire et les consuls entendirent une messe chantée et +firent mettre deux cierges. Or, frère Hélie était depuis deux mois +sous le coup d'un mandat d'amener lancé par le parlement de +Poitiers[267]. On ignore l'accusation qui pesait sur lui. Les moines +mendiants se montraient alors, pour la plupart, déréglés dans leurs +moeurs et faillibles dans leur foi. Le frère Richard lui-même ne +laissait pas d'inspirer parfois des soupçons sur la pureté de sa +doctrine. + +[Note 267: Extrait du livre des comptes de la ville de Périgueux, +dans _Bulletin de la Société historique et archéologique du Périgord_, +t. XIV, janvier-février 1887.--S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, +preuve CCXVII, p. 252.--Le P. Chapotin, _La guerre de cent ans et les +dominicains_, pp. 74 et suiv.] + +À la Noël de cette année 1429, le béguinage volant étant réuni à +Jargeau[268], ce bon frère dit la messe et donna la communion trois +fois à Jeanne la Pucelle et deux fois à cette Pierronne, de la +Bretagne bretonnante, avec qui Notre-Seigneur causait comme un ami +avec un ami. Et l'on pouvait voir là, sinon une transgression formelle +des lois de l'Église, du moins un abus condamnable du sacrement[269]. +Un formidable orage théologique s'amassait dès lors, prêt à fondre sur +les filles spirituelles du frère Richard. Peu de jours après l'attaque +de Paris, la très vénérable Université avait fait composer, ou plutôt +transcrire un traité _De bono et maligno spiritu_, en vue, +probablement, d'y trouver des arguments contre le frère Richard et sa +prophétesse Jeanne, venus tous deux de compagnie avec les Armagnacs +devant la grand'ville[270]. + +[Note 268: _Procès_, t. I, p. 106.] + +[Note 269: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 271.] + +[Note 270: Morosini, t. III, pp. 232-233.--Le P. Denifle et +Châtelain, _Cartularium Univ. Paris._, t. IV, p. 515.] + +Vers le même temps, un clerc de la faculté des décrets avait lancé une +réponse sommaire au mémoire du chancelier Gerson sur la Pucelle. «Il +ne suffit pas, y disait-il, que quelqu'un nous affirme bonnement qu'il +est envoyé de Dieu: tout hérétique le prétend; mais il importe qu'il +prouve cette mission invisible par opération miraculeuse ou +témoignage spécial de l'Écriture.» Le clerc de Paris nie que la +Pucelle ait fait cette preuve, et à la juger sur sa conduite, il la +croit plutôt envoyée par le diable. Il lui fait grief de porter un +habit interdit aux femmes, sous peine d'anathème, et rejette les +excuses alléguées sur ce point par Gerson. Il lui reproche d'avoir +excité, entre les princes et le peuple chrétiens, plus grande guerre +que n'était auparavant. Il la tient pour idolâtre, usant de sortilèges +et de fausses prophéties; il l'incrimine d'avoir entraîné les hommes à +se rendre homicides pendant les deux fêtes principales de la très +sainte Vierge, l'Assomption et la Nativité: «offenses que l'Ennemi du +genre humain a infligées au Créateur et à sa très glorieuse Mère, par +le moyen de cette femme. Et bien qu'il en ait résulté quelques +meurtres, grâce à Dieu, ils n'ont pas répondu aux intentions de cette +ennemie. + +»Tout cela manifestement, ajoute ce fils dévoué de l'Université, +contient erreur et hérésie». Il en conclut que cette Pucelle doit être +traduite devant l'évêque et l'inquisiteur et termine en invoquant ce +texte de saint Jérôme: «Il faut tailler les chairs pourries; il faut +chasser la brebis galeuse du bercail[271].» + +[Note 271: Noël Valois, _Un nouveau témoignage sur Jeanne d'Arc_, +Paris, 1907, in-8º de 19 pages.] + +Tel était le sentiment unanime de l'Université de Paris sur celle en +qui les clercs français reconnaissaient un ange du Seigneur. Au mois +de novembre, le bruit courait à Bruges, recueilli par des religieux, +que la fille aînée des rois avait envoyé à Rome, près du pape, des +députés pour dénoncer la Pucelle comme fausse prophétesse, abuseresse, +ainsi que ceux qui croyaient en elle; nous ignorons le véritable objet +de cette ambassade[272]. Sans nul doute les docteurs et maîtres +parisiens étaient dès lors résolus, s'ils tenaient un jour cette +fille, à ne pas la laisser échapper et à ne point l'envoyer juger à +Rome où elle courait chance de s'en tirer avec une pénitence et même +d'être engagée dans les soudoyers du Saint-Père[273]. + +[Note 272: Morosini, t. III, p. 232.] + +[Note 273: _Journal d'un bourgeois de Paris_, pp. 354-355.] + +En pays anglais et bourguignons elle était regardée comme hérétique, +non seulement par les clercs, mais par la multitude des gens de toute +condition. Et ceux qui, peu nombreux dans ces contrées, l'estimaient +bonne, devaient s'en taire soigneusement. Après la retraite de +Saint-Denys il restait peut-être en Picardie et notamment à Abbeville +quelques personnes favorables à la prophétesse des Français; il ne +fallait pas parler en public de ces gens-là. + +Colin Gouye, surnommé le Sourd, et Jehannin Daix, surnommé Petit, +natif d'Abbeville, l'apprirent à leurs dépens. En cette ville, vers la +mi-septembre, le Sourd et Petit, se trouvant contre la forge d'un +maréchal, en compagnie de plusieurs bourgeois et habitants, notamment +d'un héraut, parlèrent des faits de cette Pucelle qui menait si grand +bruit dans la chrétienté. À un propos que tint le héraut sur elle, +Petit répliqua vivement: + +--Bren! bren! Chose que dit et fait cette femme n'est qu'abusion. + +Le Sourd parla dans le même sens: + +--À cette femme, dit-il, l'on ne doit ajouter foi. Ceux qui croient en +elle sont fols et sentent la persinée. + +Il entendait par là qu'ils sentaient la grillade au persil, le roussi, +étant déjà, autant dire, sur le feu du bûcher. + +Et il eut le malheur d'ajouter: + +--Il y a en cette ville plusieurs autres qui sentent la persinée. + +C'était diffamer les habitants d'Abbeville et les rendre suspects. Le +maire et les échevins, ayant eu connaissance de ce propos, firent +mettre le Sourd en prison. Sans doute Petit avait dit quelque chose de +semblable, car il fut envoyé pareillement en prison[274]. + +[Note 274: Du Cange, _Glossaire_, au mot: _Persina_.--Lettre de +rémission pour le Sourd et Jehannin Daix, dans _Procès_, t. V, pp. +142-145.] + +En disant que plusieurs de leurs concitoyens sentaient la persinée, le +Sourd les mettait en grand danger d'être recherchés par l'ordinaire et +l'inquisiteur comme hérétiques et sorciers notoirement diffamés. Quant +à la Pucelle, en quelle odeur de persinée elle était, puisqu'il +suffisait de prendre son parti pour sentir le roussi! + +Pendant que le frère Richard et ses filles spirituelles se voyaient +ainsi menacés de faire une mauvaise fin, s'ils tombaient aux mains des +Anglais et des Bourguignons, de grands troubles agitaient la +confrérie. Jeanne, au sujet de Catherine, entra en lutte ouverte avec +son bon père. Frère Richard voulait qu'on mît en oeuvre la sainte dame +de La Rochelle. Jeanne, craignant que ce conseil ne fût suivi, écrivit +à son roi ce qu'il devait faire de cette femme, c'est-à-dire qu'il la +devait certes renvoyer à son mari et à ses enfants. + +Quand elle alla vers le roi, elle n'eut rien de plus pressé que de lui +dire: + +--C'est tout folie et tout néant du fait de Catherine. + +Frère Richard laissa voir à la Pucelle son profond +mécontentement[275]. Il était fort bien en cour, et c'est sans doute +avec l'agrément du Conseil royal qu'il essayait de mettre en oeuvre +cette dame Catherine. La Pucelle avait réussi; on pensait qu'une autre +voyante réussirait de même. + +[Note 275: _Procès_, t. I, p. 107.] + +Ce qui ne veut pas dire que, dans le Conseil on renonçât aux services +que Jeanne rendait à la cause française. Même après les mauvaises +journées de Paris et de La Charité bien des gens lui attribuaient +comme autrefois une puissance surnaturelle et il y a lieu de croire +que plusieurs, à la Cour, comptaient l'employer encore[276]. + +[Note 276: _Procès_, t. III, p. 84; t. IV, p. 312 et _passim_.--A. +de Villaret, _loc. cit._, Pièces justificatives.] + +Et quand même on eût voulu la rejeter, elle se tenait trop près des +Lis pour qu'on pût désormais négliger ses honneurs sans offenser en +même temps l'honneur des Lis. Le 29 décembre 1429, à Mehun-sur-Yèvre, +le roi lui donna des lettres de noblesse scellées du grand sceau de +cire verte, sur double queue, en lés de soie rouge et verte[277]. + +[Note 277: _Procès_, t. V, pp. 150-153.--J. Hordal, _Heroinæ +nobilissimæ Joannæ Darc, lotharingæ, vulgo aurelianensis puellæ +historia_..., Ponti-Mussi, 1612, petit in-4º.--C. du Lys, _Traité +sommaire tant du nom et des armes que de la naissance et parenté de la +Pucelle, justifié par plusieurs patentes et arrêts, enquêtes et +informations_... Paris, 1633, in-4º.--De la Roque, _Traité de la +noblesse_, Paris, 1678, in-4º, chap. XLIII.--Lanéry d'Arc, _Jeanne +d'Arc en Berry_, chap. X.] + +L'anoblissement concernait Jeanne, ses père, mère, frères, même au cas +où ils ne fussent pas de condition libre, et toute leur postérité mâle +et féminine. Clause singulière, répondant aux services singuliers +rendus par une femme. + +Dans ces lettres, elle est nommée _Johanna d'Ay_, sans doute parce que +le nom de son père fut recueilli à la chancellerie royale sur les +lèvres des Lorrains qui le prononçaient ainsi d'un accent lent et +sourd; mais que ce nom soit Ay ou Arc, on ne le lui donnait guère; on +l'appelait communément Jeanne la Pucelle[278]. + +[Note 278: Voir à la table analytique du _Procès_, t. V, au mot: +_Pucelle_.] + + + + +CHAPITRE V + +LES LETTRES AUX HABITANTS DE REIMS.--LA LETTRE AUX HUSSITES.--LE +DÉPART DE SULLY. + + +Les habitants d'Orléans étaient reconnaissants à la Pucelle de ce +qu'elle avait accompli pour eux. Sans lui faire un grief de la déroute +par laquelle s'était terminé le siège de La Charité, ils la reçurent +dans leur ville avec la même joie et lui firent aussi bonne chère +qu'auparavant. Le 19 janvier 1430, ils offrirent à elle, à maître Jean +de Velly et à maître Jean Rabateau un repas où ne manquaient ni +chapons, ni perdrix, ni lièvres, où même un faisan était dressé[279]. +Ce Jean de Velly, qui fut festoyé avec elle, ne nous est pas connu. +Quant à Jean Rabateau, ce n'était pas moins qu'un conseiller du roi, +avocat général au Parlement de Poitiers, depuis 1427[280]. Il avait +été l'hôte de la Pucelle dans cette ville. Sa femme avait souvent vu +Jeanne agenouillée dans l'oratoire de l'hôtel[281]. Les habitants +d'Orléans présentèrent le vin à l'avocat du roi, à Jean de Velly et à +la Pucelle. Beau festoiement, certes, et cérémonieux. Les bourgeois +aimaient et honoraient Jeanne, mais, dans le repas, ils ne +l'observèrent pas finement; car, lorsqu'une aventurière, dans huit +ans, se donnera pour elle, ils s'y tromperont et lui offriront le vin +de la même manière; et ce sera le même varlet de la ville, Jacques +Leprestre, qui le présentera[282]. + +[Note 279: _Procès_, t. V, p. 270.] + +[Note 280: _Ibid._, t. III, pp. 19, 74, 203.--H. Daniel Lacombe, +_L'hôte de Jeanne d'Arc à Poitiers, Maître Jean Rabateau, président du +Parlement de Paris_, dans _Revue du Bas-Poitou_, 1891, pp. 48, 66.] + +[Note 281: _Procès_, t. III, pp. 88 et suiv.] + +[Note 282: Extrait des comptes de la ville d'Orléans, dans +_Procès_, t. V, p. 331.] + +Un peintre, nommé Hamish Power, avait imagé, à Tours, cet étendard que +la Pucelle aimait plus encore que l'épée de sainte Catherine. Quand +elle apprit que Power mariait sa fille Héliote, Jeanne demanda, par +lettre, aux élus de la ville de Tours une somme de cent écus pour le +trousseau de la mariée. La cérémonie nuptiale était fixée au 9 février +1430. Les élus se réunirent par deux fois pour délibérer sur la +demande de celle qu'ils nommaient avec honneur, mais non sans +prudence: «la Pucelle venue en ce royaume vers le roi, pour le fait de +guerre et se donnant à lui comme envoyée de par le roi du Ciel contre +les Anglais». Ils refusèrent de rien payer, pour cette raison qu'il +convenait d'employer les deniers qu'ils administraient à l'entretien +de la ville et non autrement; mais ils décidèrent que, pour l'amour et +honneur de la Pucelle, les gens d'Église, bourgeois et habitants de la +ville assisteraient à la bénédiction nuptiale et feraient faire des +prières à l'intention de la mariée, et qu'ils lui offriraient le pain +et le vin. Ils en furent quittes pour quatre livres dix sous[283]. + +[Note 283: Vallet de Viriville, _Un épisode de la vie de Jeanne +d'Arc_, dans _Bibliothèque de l'École des Chartes_, t. IV (première +série), p. 488.--_Procès_, t. V, pp. 154-156.] + +À une époque qu'on ne peut déterminer précisément, la Pucelle acheta +une maison à Orléans. Pour parler avec plus d'exactitude, elle +contracta un bail à vente[284]. Le bail à vente était une sorte de +convention par laquelle le propriétaire d'une maison ou d'un héritage +en transférait la propriété au preneur moyennant une pension annuelle +en fruits ou en argent. On contractait ces baux, de coutume, pour une +durée de cinquante-neuf ans. L'hôtel que Jeanne acquit de la sorte +appartenait au Chapitre de la cathédrale; il était situé au milieu de +la ville, sur la paroisse Saint-Malo, proche de la chapelle +Saint-Maclou, contre la boutique d'un marchand d'huile nommé Jean Feu, +dans la rue des Petits-Souliers, où lors du siège, un boulet de pierre +de cent soixante-quatre livres était tombé au milieu de cinq convives +attablés, sans faire de mal à personne[285]. À quel prix la Pucelle +s'en rendit-elle acquéreur? Ce fut vraisemblablement pour la somme de +six écus d'or fin (à soixante écus le marc), versés annuellement aux +termes de la Saint-Jean et de Noël, durant cinquante-neuf années. En +outre, elle dut s'engager, conformément à la coutume, à tenir la +maison en bon état et à payer de ses propres deniers les tailles +d'Église, ainsi que les taxes établies pour le puits et le pavé et +toutes autres impositions. Comme il lui fallait une caution, elle prit +pour répondant un certain Guillot de Guyenne, de qui nous ne savons +pas autre chose[286]. + +[Note 284: Jules Doinel, _Note sur une maison de Jeanne d'Arc_, +dans _Mémoires de la Société archéologique et historique de +l'Orléanais_, t. XV, pp. 491-500.] + +[Note 285: _Journal du siège_, pp. 15 16.] + +[Note 286: Jules Doinel, _Note sur une maison de Jeanne d'Arc_, +_loc. cit._] + +Que la Pucelle se soit elle-même occupée de ce contrat, rien n'empêche +de le croire. Toute sainte qu'elle était, elle n'ignorait pas ce que +c'est que de posséder du bien. À cet égard elle avait de qui tenir: +son père était l'homme de son village le plus entendu aux +affaires[287]; elle-même, bonne ménagère, gardait ses vieilles nippes +et, même en campagne, savait les retrouver pour en faire des présents +à ses amis. Elle prisait son avoir, armes et chevaux, l'évaluait à +douze mille écus, et se faisait, à ce qu'il semble, une idée assez +juste de la valeur des choses[288]. Mais à quelle intention +prenait-elle cette maison? Était-ce pour l'habiter? Pensait-elle +revenir à Orléans, après la guerre, y avoir pignon sur rue, et y +vieillir doucement? N'était-ce pas plutôt pour loger ses parents, +quelque oncle Vouthon, ou ses frères, dont l'un, très besogneux, se +faisait donner alors un pourpoint par les citoyens d'Orléans[289]? + +[Note 287: S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, p. 360.] + +[Note 288: _Procès_, t. I, p. 295.] + +[Note 289: Compte de forteresse, dans _Procès_, t. V, pp. +259-260.] + +Le 3 mars, elle suivit le roi Charles à Sully[290]. Le château où elle +logea près du roi appartenait au sire de la Trémouille, qui le tenait +de sa mère, Marie de Sully, fille de Louis Ier de Bourbon. Il avait +été repris aux Anglais après la délivrance d'Orléans[291]. Lieu fort, +qui commandait la plaine entre Orléans et Briare et le vieux pont de +vingt arches, Sully, au bord de la Loire, sur la route qui va de Paris +à Autun, reliait le centre de la France à ces provinces du Nord dont +Jeanne était revenue à regret et où elle désirait de tout son coeur +retourner pour de nouvelles chevauchées et de nouveaux assauts. + +[Note 290: _Procès_, t. V, p. 159.] + +[Note 291: Perceval de Cagny, p. 173.--_Chronique de la Pucelle_, +p. 258.--_Berry_, dans Godefroy, p. 376.--Morosini, t. III, p 294, +notes 4, 5.--Vallet de Viriville, _Histoire de Charles VII_, t. I, pp. +139, 163.--De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. II, p. 144.] + +En la première quinzaine de mars, elle reçut des habitants de Reims un +message dans lequel ils lui confiaient leurs craintes qui n'étaient +que trop fondées[292]. Le Régent venait de donner (8 mars) les comtés +de Champagne et de Brie au duc de Bourgogne, à charge pour lui de les +aller prendre[293]. Des Armagnacs et des Anglais, c'était à qui +offrirait les plus gros et les meilleurs morceaux à ce duc Gargantua; +les Français ne pouvant, malgré leur promesse, lui livrer Compiègne +qui ne voulait pas être livrée, lui offraient à la place +Pont-Sainte-Maxence[294]. Mais c'est Compiègne qu'il voulait. Les +trêves, fort mal observées d'ailleurs, qui devaient d'abord expirer à +la Noël, prorogées une première fois jusqu'au 15 mars, l'avaient été +ensuite jusqu'à Pâques, qui tombait en 1430 le 16 avril. Le duc +Philippe n'attendait que cette date pour mettre une armée en +campagne[295]. + +[Note 292: Monstrelet, t. IV, p. 378.--D. Plancher, _Histoire de +Bourgogne_, t. IV, p. 137.--Morosini, t. III, p. 268.] + +[Note 293: Du Tillet, _Recueil des rois de France_, t. II, p. 39 +(éd. 1601-1602).--Rymer, _Foedera_, mars, 1430.] + +[Note 294: P. Champion, _Guillaume de Flavy_, pp. 35, 152.] + +[Note 295: De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. II, pp. +351, 389.] + +La Pucelle répondit aux habitants de Reims d'une parole animée et +brève: + + Très chiers et bien amés et bien desiriés à veoir, Jehenne la + Pucelle ey reçue vous letres faisent mancion que vous vous + doptiés d'avoir le sciege. Vulhés savoir que vous n'arés point, + si je les puis rencontrer bien bref; et si ainsi fut que je ne + les rencontrasse, ne eux venissent devant vous, si vous fermés + vous pourtes, car je serey bien brief vers vous; et ci eux y + sont, je leur feray chausier leurs espérons si à aste qu'il ne + saront pas ho les prandre, et lever, c'il y est, si brief que ce + cera bien tost. Autre chouse que ne vous escri pour le présent, + mès que soyez toutjours bons et loyals. Je pri à Dieu que vous + ait en sa guarde. Escrit à Sulli le xvje jour de mars. + + Je vous mandesse anquores auqunes nouvelles de quoy vous sériés + bien joyeux[296]; mais je doubte que les letres ne feussent + prises en chemin et que l'on ne vit les dictes nouvelles. + + _Signé_: JEHANNE. + + _Sur l'adresse_: À mes très chiers et bons amis, gens d'église, + bourgois et autres habitans de la ville de Rains[297]. + +[Note 296: La minute originale, jadis aux archives municipales de +Reims, et maintenant en la possession de M. le comte de Maleissye, +paraît avoir d'abord porté le mot _chyereux_ raturé. Faut-il y voir un +mot populaire, formé sur _chiere_, prononcé par Jeanne et corrigé tout +de suite par le scribe? Avait-il mal entendu ce qu'elle dictait?] + +[Note 297: _Procès_, t. V, p. 160, d'après une copie de +Rogier.--H. Jadart, _Jeanne d'Arc à Reims_, pièce justificative, +XV.--Fac-similé dans Wallon, édit. 1876, p. 200.--On possède +l'original de cette lettre; on possède également l'original de la +lettre adressée le 9 novembre 1429 aux habitants de Riom. Ces deux +lettres, écrites à cent vingt-six jours de distance, ne sont pas d'un +même scribe. Quant à la signature de l'une comme de l'autre, elle ne +saurait être attribuée à la main qui traça le corps de la lettre. Les +sept caractères du nom de _Jehanne_ semblent avoir été tracés +péniblement par une personne dont on tenait les doigts, ce qui ne peut +nous surprendre, puisque la Pucelle ne savait pas écrire. Mais quand +on compare ces deux signatures, on s'aperçoit qu'elles sont +entièrement semblables l'une à l'autre. La hampe du J a même direction +et même longueur; le premier _n_, par suite d'une surcharge, a trois +jambages au lieu de deux; le second jambage du second _n_, visiblement +tracé à deux reprises, descend trop bas; enfin les deux signatures +sont exactement superposables. Il faut croire que, après avoir une +fois obtenu le seing de la Pucelle en lui conduisant la main, on en +prit un calque qui servit de modèle pour toutes les autres lettres. À +juger par les deux missives du 9 novembre 1429 et du 16 mars 1430, ce +calque était reproduit avec la plus scrupuleuse fidélité.--Cf. p. 133, +note 5.] + +Pour cette lettre, nul doute que le scribe n'ait écrit fidèlement sous +la dictée de la Pucelle et pris sa parole au vol. Dans sa hâte, elle a +oublié des mots, des phrases entières; mais on comprend tout de même. +Et quel élan! «Vous n'aurez pas de siège si je rencontre vos ennemis.» +Et son langage cavalier qu'on retrouve! Elle avait demandé la veille +de Patay: «Avez-vous de bons éperons[298]?» Ici elle s'écrie: «Je leur +ferai chausser leurs éperons!» Elle annonce qu'elle sera bientôt en +Champagne, qu'elle va partir. Dès lors, est-il possible de croire +qu'elle était dans le château de la Trémouille comme dans une cage +dorée[299]? En terminant, elle avertit ses amis de Reims qu'elle ne +leur écrit pas tout ce qu'elle voudrait, de peur que sa lettre ne soit +prise en chemin. Elle avait de la prudence; elle mettait quelquefois +sur ses lettres une croix pour avertir ceux de son parti de ne pas +tenir compte de ce qu'elle leur écrivait, dans l'espoir que la missive +fût interceptée et l'ennemi trompé[300]. + +[Note 298: _Procès_, t. III, p. 11.] + +[Note 299: Perceval de Cagny, p. 172.] + +[Note 300: _Procès_, t. I, p. 83.] + +C'est de Sully, le 23 mars, que fut expédiée, par le frère Pasquerel à +l'empereur Sigismond, une lettre destinée aux Hussites de Bohême[301]. + +[Note 301: _Ibid._, t. V, p. 156.] + +À cette époque, les Hussites faisaient l'exécration et l'épouvante de +la chrétienté. Ils réclamaient la libre prédication de la parole de +Dieu, la communion sous les deux espèces, le retour de l'Église à +cette vie évangélique qui ne connut ni le pouvoir temporel des papes, +ni les richesses des prêtres. Ils voulaient que le péché fût puni par +les magistrats civils, ce qui est l'état d'une société excessivement +sainte. Aussi étaient-ils des saints. Hérétiques, d'ailleurs, autant +qu'on peut l'être. Le pape Martin tenait pour salutaire la destruction +de ces méchants, et c'était l'avis de tous les bons catholiques. Mais +comment venir à bout de cette hérésie en armes, qui brisait toutes les +forces de l'Empire et du Saint-Siège? Les Hussites culbutaient, +écrasaient cette antique chevalerie usée de la chrétienté, chevalerie +allemande, chevalerie française, qu'il n'y avait plus qu'à jeter au +rebut comme une vieille ferraille. Et c'est ce que les villes du +royaume de France faisaient en mettant une paysanne au-dessus des +seigneurs[302]. + +[Note 302: Monstrelet, t. IV, pp. 24, 86, 87.--J. Zeller, +_Histoire d'Allemagne_, t. VII, _La réforme_, Paris, 1891, pp. 78 et +suiv.--E. Denis, _Jean Hus et la guerre des Hussites_ (1879); _Les +origines de l'Unité des Frères Bohêmes_, Angers, 1885, in-8º, pp. 5 et +suiv.] + +À Tachov, en 1427, les croisés bénis par le Saint-Père s'étaient +enfuis au seul bruit des chariots de Procope. Le pape Martin ne savait +plus où trouver des défenseurs de l'Église une et sainte. Il avait +payé l'armement de cinq mille croisés anglais, que le cardinal de +Winchester devait conduire chez ces Bohêmes démoniaques; mais le +Saint-Père éprouvait de ce fait une cruelle déconvenue: ces cinq +mille croisés, à peine descendus en France, le Régent d'Angleterre les +avait détournés de leur route et dirigés sur la Brie pour donner du +fil à retordre à la Pucelle des Armagnacs[303]. + +[Note 303: L. Paris, _Cabinet Historique_, t. I, 1855, pp. +74-76.--Rogier, dans _Procès_, t. IV, p. 294.--Morosini, t. III, pp. +132-133, 136-137, 168-169, 188-189; t. IV, Annexe XVII.] + +Depuis sa venue en France, Jeanne parlait de la croisade comme d'une +oeuvre bonne et méritoire. Dans la lettre dictée avant l'expédition +d'Orléans, elle conviait les Anglais à s'unir aux Français pour aller +ensemble combattre les ennemis de l'Église. Et, plus tard, écrivant au +duc de Bourgogne, elle invitait le fils du vaincu de Nicopolis à faire +la guerre aux Turcs[304]. Ces idées de croisade, qui donc les mettait +dans la tête de Jeanne, sinon les mendiants qui la gouvernaient? Tout +de suite après la délivrance d'Orléans, on disait qu'elle conduirait +le roi Charles à la conquête du Saint-Sépulcre et qu'elle mourrait en +Terre-Sainte[305]. Dans le même moment on semait le bruit qu'elle +ferait la guerre aux Hussites. Au mois de juillet 1429, quand le +voyage du sacre était à peine commencé, on publiait en Allemagne, sur +la foi d'une prophétesse de Rome, que, par la prophétesse de France, +serait récupéré le royaume de Bohême[306]. + +[Note 304: _Procès_, t. I, p. 240; t. V, p. 126.] + +[Note 305: Morosini, t. III, pp. 82-85.--Christine de Pisan, dans +_Procès_, t. V, p. 416.--Eberhard Windecke, pp. 60-63.] + +[Note 306: Eberhard Windecke, pp. 108, 115, 188.] + +Déjà portée sur la croisade contre les Turcs, la Pucelle se porta +pareillement sur la croisade contre les Hussites. Turcs et Bohêmes, +c'était tout un pour elle; elle ne connaissait ceux-ci, comme ceux-là, +que par les récits pleins de diableries que lui en faisaient les +mendiants de sa compagnie. On rapportait touchant les Hussites des +choses qui n'étaient pas toutes vraies, mais que Jeanne devait croire +et qui n'étaient certes pas pour lui plaire; on disait qu'ils +adoraient le diable et qu'ils l'appelaient «celui à qui l'on a fait +tort»; on disait qu'ils accomplissaient comme oeuvres pies toutes +sortes de fornications; on disait que dans chaque Bohémien il y avait +cent démons; on disait qu'ils tuaient les clercs par milliers; on +disait encore, et cette fois sans fausseté, qu'ils brûlaient églises +et moutiers. La Pucelle croyait au Dieu qui ordonna à Israël +d'exterminer les Philistins. Il s'était trouvé naguère des Cathares +pour penser que le Dieu de l'_Ancien Testament_ était en réalité +Lucifer ou Luciabel, auteur du mal, menteur et meurtrier. Les Cathares +abhorraient la guerre; ils se refusaient à verser le sang humain; +c'étaient des hérétiques; on les avait massacrés, il n'en restait +plus. La Pucelle croyait de bonne foi que l'extermination des Hussites +était agréable à Dieu. Des hommes plus savants qu'elle, non adonnés +comme elle à la chevalerie, et de moeurs douces, des clercs, comme le +chancelier Jean Gerson, le croyaient aussi[307]. Elle pensait de ces +Bohêmes hérétiques ce que tout le monde en pensait: elle avait l'âme +des foules; ses sentiments étaient faits des sentiments de tous. Aussi +haïssait-elle les Hussites avec simplicité, mais elle ne les craignait +pas, parce qu'elle ne craignait rien, et qu'elle se croyait, Dieu +aidant, capable de pourfendre tous les Anglais, tous les Turcs et tous +les Bohêmes du monde. Au premier coup de trompette elle était prête à +foncer. Le 23 mars 1430, frère Pasquerel envoya à l'empereur Sigismond +une lettre écrite au nom de la Pucelle et destinée aux Hussites de +Bohême. Cette lettre était rédigée en latin. En voici le sens: + +[Note 307: Lea, _Histoire de l'inquisition au moyen âge_, t. II, +p. 578, trad. S. Reinach.] + + JÉSUS + MARIE + + Depuis longtemps le bruit, la renommée m'est parvenue que, de + vrais chrétiens que vous étiez, devenus hérétiques, et pareils + aux Sarrazins, vous avez aboli la vraie religion et le culte, que + vous avez adopté une superstition infecte et funeste, et que, + dans votre zèle à la soutenir et à l'étendre, il n'est honte ni + cruauté que vous n'osiez. Vous souillez les sacrements de + l'Église, vous lacérez les articles de la foi, vous renversez les + temples; ces images qui furent faites pour de saintes + commémorations, vous les brisez et les jetez au feu; enfin, les + chrétiens qui n'embrassent pas votre foi, vous les massacrez. + Quelle fureur ou quelle folie, quelle rage vous agite? Cette foi + que le Dieu tout puissant, que le Fils, que le Saint-Esprit + suscitèrent, instituèrent, exaltèrent, et que de mille manières, + par mille miracles, ils illustrèrent, vous la persécutez, vous + vous efforcez de la renverser et de l'exterminer. + + C'est vous, vous, qui êtes les aveugles et non ceux à qui + manquent la vue et les yeux. Croyez-vous rester impunis? + Ignorez-vous que, si Dieu n'empêche pas vos violences impies, + s'il souffre que vous soyez plongés plus longtemps dans les + ténèbres et l'erreur, c'est qu'il vous prépare une peine et des + supplices plus grands? Quant à moi, pour vous dire la vérité, si + je n'étais occupée aux guerres anglaises, je serais déjà allée + vous trouver. Mais vraiment, si je n'apprends que vous vous êtes + amendés, je quitterai peut-être les Anglais et je vous courrai + sus, afin que j'extermine par le fer, si je ne le puis autrement, + votre vaine et fougueuse superstition et que je vous ôte ou + l'hérésie ou la vie. Toutefois, si vous préférez revenir à la foi + catholique et à la primitive lumière, envoyez-moi vos + ambassadeurs, je leur dirai ce que vous avez à faire. Si, au + contraire, vous vous obstinez et voulez regimber sous l'éperon, + souvenez-vous de tout ce que vous avez perpétré de forfaits et de + crimes et attendez-vous à me voir venir avec toutes les forces + divines et humaines pour vous rendre tout le mal que vous avez + fait à autrui. + + Donné à Sully, le 23 de mars, aux Bohêmes hérétiques.[308] + + _Signé_: PASQUEREL. + +[Note 308: Th. de Sickel, _Lettre de Jeanne d'Arc aux Hussites_ +dans _Bibliothèque de l'École des Chartes_, 3e série, t. II, p. +81.--Une fausse date est donnée dans la traduction allemande utilisée +par Quicherat (_Procès_, t. V, pp. 156-159).] + +Telle est la lettre qui fut expédiée à l'empereur. Qu'avait dit Jeanne +en langage français et champenois? Il n'est pas douteux que le bon +frère ne lui ait terriblement embelli sa lettre. On ne s'attendait +pas à ce que la Pucelle cicéronisât de la sorte; et l'on a beau dire +qu'une sainte alors était propre à tout faire, prophétisait sur tout +sujet et avait le don des langues, une si belle épître contient +beaucoup trop de rhétorique pour une fille que les capitaines +armagnacs eux-mêmes jugeaient simplette. Et pourtant, si l'on va au +fond, on retrouvera dans cette missive, du moins en la seconde moitié, +ces naïvetés un peu rudes, cette assurance enfantine qui se remarquent +dans les vraies missives de Jeanne, et particulièrement dans sa +réponse au comte d'Armagnac[309], et l'on reconnaîtra en plus d'un +endroit le tour habituel de la sibylle villageoise. Ceci, par exemple, +est tout à fait dans la manière de Jeanne: «Si vous rentrez dans le +giron de la croyance catholique, adressez-moi vos envoyés; je vous +dirai ce que vous avez à faire.» Et sa menace coutumière: +«Attendez-moi avec la plus grande puissance humaine et divine[310].» +Quant à cette phrase: «Si je n'apprends bientôt votre amendement, +votre rentrée au sein de l'Église, je laisserai peut-être les Anglais +et me tournerai contre vous», on peut soupçonner le moine mendiant, +que les affaires de Charles VII intéressaient beaucoup moins que +celles de l'Église, d'avoir prêté à la Pucelle plus de hâte à partir +pour la croisade qu'elle n'en avait réellement. Pour bon et salutaire +qu'elle crût de prendre la croix, elle n'y aurait pas consenti, telle +que nous la connaissons, avant d'avoir chassé les Anglais du royaume +de France. C'était sa mission, à ce qu'elle croyait, et elle mit à +l'accomplir un esprit de suite, une constance, une fermeté vraiment +admirables. Il est très probable qu'elle dicta au bon frère une phrase +comme celle-ci: «Quand j'aurai bouté les Anglais hors le royaume, je +me tournerai vers vous.» Ce qui explique l'erreur du frère Pasquerel +et l'excuse, c'est que très probablement Jeanne croyait en finir avec +les Anglais en un tournemain, et elle se voyait déjà distribuant aux +Bohêmes renégats et païens bonnes buffes et bons torchons. L'innocence +de la Pucelle perce à travers ce latin de clerc et l'épître aux +Bohêmes rappelle, hélas! le fagot apporté d'un zèle pieux au bûcher de +Jean Huss par la bonne femme dont Jean Huss lui-même nous enseigne à +louer la sainte simplicité. + +[Note 309: _Procès_, t. I, p. 246.] + +[Note 310: _Ibid._, t. V, p. 95.] + +On ne peut s'empêcher de songer qu'entre Jeanne et ces hommes sur +lesquels elle crache l'invective et la menace, il y avait beaucoup de +traits communs: la foi, la chasteté, une naïve ignorance, les graves +puérilités de la dévotion, l'idée du devoir pieux, la docilité aux +ordres de Dieu. Zizka avait établi dans son camp cette pureté de +moeurs que la Pucelle s'efforçait d'introduire parmi ses Armagnacs. +Des soldats paysans de Procope à cette paysanne portant l'épée au +milieu des moines mendiants, quelles ressemblances profondes! D'une +part et de l'autre, c'est l'esprit religieux substitué à l'esprit +politique, la peur du péché remplaçant l'obéissance aux lois civiles, +le spirituel introduit dans le temporel. On est pris de pitié à ce +triste spectacle: la béate contre les béats, l'innocente contre les +innocents, la simple contre les simples, l'hérétique contre les +hérétiques; et l'on éprouve un sentiment pénible en songeant que +lorsqu'elle menace d'extermination les disciples de ce Jean Huss, +livré par trahison et brûlé comme hérétique, elle est tout près d'être +elle-même vendue à ses ennemis et condamnée au feu comme sorcière. Si +encore cette lettre dont les esprits élégants, les humanistes, dès +cette époque, eussent haussé les épaules, avait obtenu l'agrément des +théologiens! Mais ceux-là aussi y trouvèrent à reprendre: un canoniste +insigne, inquisiteur zélé de la foi, estima présomptueuses ces menaces +d'une fille à une multitude d'hommes[311]. + +[Note 311: J. Nider, _Formicarium_, dans _Procès_, t. IV, pp. +502-504.] + +Nous le disions bien qu'elle n'était pas décidée à laisser tout de +suite les Anglais pour courir sus aux Bohêmes. Cinq jours après cette +sommation aux Hussites elle écrivait à ses amis de Reims, et leur +faisait entendre, à mots couverts, qu'ils la verraient bientôt[312]. + +[Note 312: _Procès_, t. V, pp. 161-162.] + +Les partisans du duc Philippe ourdissaient alors des complots dans les +villes de Champagne, notamment à Troyes et à Reims. Le 22 février +1430, un chanoine et un chapelain furent arrêtés et cités devant le +chapitre comme ayant conspiré pour livrer la ville aux Anglais. Bien +leur fit d'appartenir à l'Église, car, ayant été condamnés à la prison +perpétuelle, ils obtinrent du roi un adoucissement à leur peine, et le +chanoine eut sa grâce entière[313]. Les échevins et ecclésiastiques de +la ville, craignant d'être mal jugés par delà la Loire, écrivirent à +la Pucelle pour la prier de les blanchir dans l'esprit du roi. Voici +la réponse qu'elle fit à leur supplique[314]: + + Très chiers et bons amis, plese vous savoir que je ay rechu vous + lectres, les quelles font mencion comment on ha raporté au roy + que dedens la bonne cité de Rains il avoit moult de mauvais. + Si[315] veulez sovoir que c'est bien vray que on luy a raporté + voirement et qu'il y enuoit[316] beaucop qui estoient d'une + aliance[317] et qui devoient traïr la ville et metre les + Bourguignons dedens. Et depuis, le roy a bien seu le contraire, + par ce que vous luy en avez envoié la certaineté, dont il est + très content de vous. Et croiez que vous estes bien en sa grasce + et se vous aviez à besongnier, il vous secouroit quant au regart + du siège; et cognoist bien que vous avez moult à souffrir pour la + durté que vous font ces traitres Bourguignons adversaires: si + vous en delivrera au plesir Dieu bien brief, c'est asovoir le + plus tost que fere se pourra. Si vous prie et requier, très + chiers amis[318], que vous guardes bien la dicte bonne cité pour + le roy[319] et que vous faciez très bon guet. Vous orrez bien + tost de mes bones nouvelles plus à plain. Autre chose[320] quant + a présent ne vous rescri fors que toute Bretaigne est fransaise + et doibt le duc envoier au roy. iij.[321] mille combatans paiez + pour ij. moys. À Dieu vous commant qui soit guarde de vous. + + Escript à Sully, le xxviije de mars. + + JEHANNE[322]. + + _Sur l'adresse_: À mes très chiers et bons amis les gens + d'église, eschevins, bourgois et habitans et maistres de la bonne + ville de Reyms[323]. + +[Note 313: _Procès_, t. IV, p. 299 et H. Jadart, _Jeanne d'Arc à +Reims_, pp. 69 et suiv.--Mémoires de Pierre Coquault, _ibid._, pp. 109 +et suiv.] + +[Note 314: Cette lettre a été publiée par J. Quicherat, dans +_Procès_, t. V, pp. 161-162 et par M. H. Jadart, _Jeanne d'Arc à +Reims_, pp. 106-107 et document XVI, d'après la copie peu correcte de +Rogier. L'original, qui a disparu des archives municipales de Reims, +était considéré comme perdu. Il se trouve en la possession du comte de +Maleissye. Cf. la reproduction de A. Marty et M. Lepet, _L'histoire de +Jeanne d'Arc... Cent fac-similés de manuscrits, de miniatures_, Paris, +1907, gr. in-4º. On trouvera pour la première fois un texte correct +d'après cette minute originale.] + +[Note 315: Pour _ainsi_.] + +[Note 316: La lecture _enuoit_ n'est pas douteuse. Rogier avait +copié _en avoit_.] + +[Note 317: _Les quex estoient d'une aliance._ Ces mots sont +exponctués dans la minute. Il ne faut donc pas en tenir compte, comme +l'a fait Rogier.] + +[Note 318: Le mot _amis_ a été ajouté en surcharge au-dessus de la +ligne.] + +[Note 319: Le scribe commençait à écrire _et que vous_ [_faciez +très bon guet_]; il s'est repris et écrit: _pour le roy_.] + +[Note 320: Après _autre chose_ le mot _n'escrips_ a été rayé.] + +[Note 321: _Trois_ rayé.] + +[Note 322: La signature paraît être autographe. Elle est +différente des signatures identiques des missives de Riom et de Reims +(voir p. 122, note) et on y retrouve la résistance d'une main +conduite.] + +[Note 323: _Procès_, t. V, pp. 161-162.--Varin, _Archives +législatives de la ville de Reims_, t. I, p. 596.--H. Jadart, _Jeanne +d'Arc à Reims_, pp. 106-107.] + +La Pucelle se faisait illusion sur l'aide qu'on pouvait attendre du +duc de Bretagne. Prophétesse, elle ressemblait à toutes les +prophétesses: elle ignorait ce qui se passait autour d'elle. Malgré +ses malheurs, elle se croyait toujours heureuse; elle ne doutait pas +plus d'elle qu'elle ne doutait de Dieu et avait hâte de poursuivre +l'accomplissement de sa mission. «Vous aurez bientôt de mes +nouvelles», disait-elle aux habitants de Reims. Quelques jours après +elle quittait Sully pour aller combattre en France à l'expiration des +trêves. + +On a dit qu'elle feignit une promenade, un divertissement, et qu'elle +partit sans prendre congé du roi, que ce fut une sorte de ruse +innocente et de fuite généreuse[324]. Les choses se passèrent de tout +autre manière[325]. La Pucelle leva une compagnie de cent cavaliers +environ, soixante-huit archers et arbalétriers et deux trompettes, +sous le commandement du capitaine lombard Barthélémy Baretta[326]. Il +y avait dans cette compagnie des gens d'armes italiens portant la +grande targe, comme ceux qui étaient venus à Orléans, lors du siège; +et peut-être était-ce les mêmes[327]. Elle partit à la tête de cette +compagnie, avec ses frères et son maître d'hôtel, le sire Jean +d'Aulon. Elle était dans les mains de Jean d'Aulon et Jean d'Aulon +était dans les mains du sire de la Trémouille, à qui il devait de +l'argent[328]. Le bon écuyer n'aurait pas suivi la Pucelle malgré le +roi. + +[Note 324: Perceval de Cagny, p. 173.] + +[Note 325: «En l'an 1430 se partit Jeanne la Pucelle du pays de +Berry accompagnée de plusieurs gens de guerre...» (Jean Chartier, +_Chronique_, t. I, p. 120.)] + +[Note 326: Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 120.--Martial +d'Auvergne, _Vigiles_, éd. Coustellier, t. I, p. 117.--Mémoire à +consulter sur _G. de Flavy_, dans _Procès_, t. V, p. 177.--P. +Champion, _Guillaume de Flavy_, p. 36 et note 2.] + +[Note 327: _Journal du siège_, p. 12.] + +[Note 328: De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. II, p. 293, +note 3.] + +Le béguinage volant venait d'être déchiré par un schisme. Frère +Richard, alors en grande faveur auprès de la reine Marie, et qui +prêchait les Orléanais pendant le carême de 1430[329], restait sur la +Loire avec Catherine de La Rochelle. Jeanne emmena Pierronne et +l'autre Bretonne plus jeune[330]. Si elle s'en allait en France, ce +n'était point à l'insu ni contre le gré du roi et de son conseil. Très +probablement le chancelier du royaume l'avait réclamée au sire de la +Trémouille pour la mettre en oeuvre dans la prochaine campagne et +l'employer contre les Bourguignons qui menaçaient son gouvernement de +Beauvais et sa ville de Reims[331]. Il ne lui donnait guère d'amitié; +mais il s'était déjà servi d'elle et pensait s'en servir encore. +Peut-être même songeait-on à faire avec elle une nouvelle tentative +sur Paris. + +[Note 329: _Procès_, t. I, p. 99, note.--_Journal du siège_, pp. +235-238.] + +[Note 330: Cela résulte du _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. +271.] + +[Note 331: _Procès_, t. V, pp. 159-160.--P. Champion, _Guillaume +de Flavy_, pièce justificative, XXX, p. 155.] + +Le roi n'avait pas renoncé à reprendre sa grand'ville par les moyens +qu'il préférait. Ces mêmes religieux, auteurs du tumulte soulevé d'une +rive de la Seine à l'autre, le jour de la Nativité de la Vierge, +pendant l'assaut de la porte Saint-Honoré, les carmes de Melun, +n'avaient cessé durant tout le carême d'aller, déguisés en artisans, +de Paris à Sully et de Sully à Paris, pour négocier avec quelques +notables habitants l'entrée des gens du roi dans la cité rebelle. Le +prieur des carmes de Melun dirigeait le complot[332]. Jeanne, à ce +qu'on peut croire, l'avait vu lui-même, ou quelqu'un de ses religieux. +Il est vrai que depuis le 22 mars ou le 23 au plus tard on n'ignorait +plus à Sully que la conspiration eût été découverte[333]; mais +peut-être gardait-on encore quelque espoir de réussir. C'était à Melun +que Jeanne se rendait avec sa compagnie, et il est bien difficile de +croire qu'aucun lien ne reliait le complot des carmes et l'expédition +de la Pucelle. + +[Note 332: Lettre de rémission pour Jean de Calais, dans A. +Longnon, _Paris sous la domination anglaise_, pp. 301-309.--Stevenson, +_Letters and papers_, t. I, pp. 34-50.] + +[Note 333: C'est ce qui résulte de Morosini, t. III, pp. 274-275.] + +Pourquoi les conseillers de Charles VII eussent-ils renoncé à la +mettre en oeuvre? Il n'est pas vrai qu'elle parût moins céleste aux +Français et moins diabolique aux Anglais. Ses désastres, ignorés ou +mal connus ou recouverts par des bruits de victoires, n'avaient pas +détruit l'idée qu'une puissance invincible résidait en elle. Au moment +où la pauvre fille était si malmenée sous la ville de La Charité, avec +la fleur de la noblesse française, par un ancien apprenti maçon, on +annonçait, en pays bourguignon, qu'elle enlevait d'assaut un château à +cinq lieues de Paris[334]. Elle restait merveilleuse; les bourgeois, +les hommes d'armes de son parti croyaient encore en elle. Et quant aux +Godons, depuis le Régent jusqu'au dernier coustiller de l'armée, ils +en avaient peur comme aux jours d'Orléans et de Patay. En ce moment, +tant de soldats et de capitaines anglais refusaient de passer en +France, qu'il fallut faire contre eux un édit spécial[335], et ils +découvraient plus d'une raison sans doute de ne point aller dans un +pays où désormais il y avait des horions à recevoir et peu de bons +morceaux à prendre; mais plusieurs renaclaient, épouvantés par les +enchantements de la Pucelle[336]. + +[Note 334: Morosini, t. III, pp. 228-231.] + +[Note 335: 3 mai 1430.] + +[Note 336: G. Lefèvre-Pontalis, _La panique anglaise_.--Le P. +Ayroles, _La vraie Jeanne d'Arc_, t. III, pp. 572-574.] + + + + +CHAPITRE VI + +LA PUCELLE AUX FOSSÉS DE MELUN.--LE SEIGNEUR DE L'OURS.--L'ENFANT DE +LAGNY. + + +Devenue chef de soudoyers, Jeanne est sous les murs de Melun dans la +semaine de Pâques[337]. Elle arrive à temps pour se battre: les trêves +viennent d'expirer[338]. La ville, qui s'était depuis peu tournée +française[339], refusa-t-elle de recevoir avec sa compagnie celle qui +lui venait d'un si bon coeur? Il y a apparence. Jeanne put-elle +communiquer avec les carmes de Melun? C'est probable. Quelle disgrâce +lui advint-il aux portes de la ville? Fut-elle malmenée par une troupe +de Bourguignons? Nous n'en savons rien. Mais, étant sur les fossés, +elle entendit madame sainte Catherine et madame sainte Marguerite qui +lui disaient: «Tu seras prise avant qu'il soit la Saint-Jean.» + +[Note 337: _Procès_, t. I, pp. 115, 253.--Perceval de Cagny, p. +173.--_Chronique des cordeliers_, fol. 502 rº.--P. Champion, +_Guillaume de Flavy_, p. 158, note 2.] + +[Note 338: Monstrelet, t. IV, p. 363.] + +[Note 339: Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 125.--Monstrelet, +t. IV, p. 378.--Chastellain, t. II, p. 28.] + +Et elle les suppliait: + +--Quand je serai prise, que je meure tout aussitôt sans longue +épreuve. + +Et les Voix lui répétaient qu'elle serait prise et qu'ainsi fallait-il +qu'il fût fait. + +Et elles ajoutaient doucement: + +--Ne t'ébahis pas et prends tout en gré. Dieu t'aidera[340]. + +[Note 340: _Procès_, t. I, pp. 114-116.--G. Leroy, _Histoire de +Melun_, Melun, 1887, in-8º, chap. XVI.--X..., _Jeanne d'Arc à Melun, +mi-avril, 1430_, Melun, 1896, 32 p.] + +La Saint-Jean venait le 24 juin, dans moins de soixante-dix jours. + +Depuis lors, Jeanne demanda maintes fois à ses saintes l'heure où elle +serait prise, mais elles ne la lui dirent pas, et, dans ce doute, elle +résolut de n'en plus faire à sa tête, et de suivre l'avis des +capitaines[341]. + +[Note 341: _Procès_, t. I, p. 147.] + +Au mois de mai, se rendant de Melun à Lagny-sur-Marne, elle dut passer +par Corbeil. C'est probablement à cette époque et dans sa compagnie +que les deux dévotes femmes de Bretagne bretonnante, Pierronne et sa +jeune soeur spirituelle, furent prises à Corbeil par les Anglais[342]. + +[Note 342: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 259.] + +La ville de Lagny était, depuis huit mois, dans l'obéissance du roi +Charles et sous le gouvernement de messire Ambroise de Loré, qui +faisait bonne guerre aux Anglais de Paris et d'ailleurs[343]. Messire +Ambroise de Loré était pour lors absent; mais son lieutenant, messire +Jean Foucault, commandait la garnison. Peu de temps après la venue de +Jeanne en cette ville, on apprit qu'une compagnie de trois à quatre +cents Picards et Champenois, qui tenaient le parti du duc de +Bourgogne, après avoir battu l'Île-de-France, s'en retournaient en +Picardie avec un butin copieux. Ils avaient pour capitaine un vaillant +homme d'armes, nommé Franquet d'Arras[344]. Les Français avisèrent à +leur couper la retraite; ils sortirent de la ville, sous le +commandement de messire Jean Foucault, de messire Geoffroy de +Saint-Bellin, de sire Hugh de Kennedy, Écossais, et du capitaine +Barretta[345]. + +[Note 343: _Chronique de la Pucelle_, pp. 334-335.--Jean Chartier, +_Chronique_, t. I, pp. 110, 111.--F.-A. Denis, _Le séjour de Jeanne +d'Arc à Lagny_, Lagny, 1894, in-8º, pp. 3 et suiv.] + +[Note 344: Monstrelet, t. IV, p. 384.--Jean Chartier, _Chronique_, +t. I, pp. 120-121.--Perceval de Cagny, p. 173.] + +[Note 345: Jean Chartier, _loc. cit._--Martial d'Auvergne, +_Vigiles_, t. I, p. 117.--P. Champion, _Guillaume de Flavy_, p. 38, +n.] + +La Pucelle les accompagnait. Ils rencontrèrent les Bourguignons proche +Lagny, sans réussir à les surprendre. Les archers de messire Franquet +avaient eu le temps de mettre pied à terre et de se ranger contre une +haie à la manière anglaise. Les gens du roi Charles n'étaient guère +plus nombreux que leurs ennemis. Un clerc d'alors, un Français, dont +rien n'altérait l'ingénuité naturelle, écrivant sur cette affaire, +constate, avec un candide bon sens, que cette faible supériorité du +nombre rendait l'entreprise très dure et très âpre à son parti[346]. +Et véritablement, le combat fut acharné. Les Bourguignons avaient +grand'peur de la Pucelle, parce qu'ils croyaient qu'elle était +sorcière et commandait des armées de diables; pourtant ils +combattirent avec une belle vaillance. Deux fois les Français furent +repoussés, mais ils revinrent à la charge, et finalement les +Bourguignons furent tous tués ou pris[347]. + +[Note 346: Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 121.] + +[Note 347: Monstrelet, t. IV, p. 384.] + +Les vainqueurs s'en retournèrent à Lagny, chargés de butin, et +emmenant les prisonniers, parmi lesquels se trouvait messire Franquet +d'Arras. Gentilhomme et ayant seigneurie, il devait s'attendre à être +mis à rançon, selon l'usage. Il fut réclamé au soldat qui l'avait pris +par Jean de Troissy, bailli de Senlis[348] et par la Pucelle; et c'est +à la Pucelle qu'il échut enfin[349]. L'avait-elle obtenu par finance? +C'est ce qui semblerait le plus probable, car les soldats n'avaient +pas coutume d'offrir en don gracieux leurs prisonniers nobles, dont +ils pouvaient tirer pécune, mais, interrogée à ce sujet, elle répondit +qu'elle n'était pas monnayeur ni trésorier de France pour bailler de +l'argent. Nous devons donc supposer que quelqu'un paya pour elle. Quoi +qu'il en soit, on lui remit le capitaine Franquet d'Arras, et elle +s'occupa de l'échanger contre un prisonnier des Anglais. L'homme +qu'elle voulait délivrer de cette manière était un Parisien, qu'on +appelait le seigneur de l'Ours[350]. + +[Note 348: H. Jadart, _Jeanne d'Arc à Reims_, p. 61.] + +[Note 349: _Procès_, t. I, p. 158.] + +[Note 350: _Procès_, t. I, pp. 158, 159.] + +Il n'était pas gentilhomme et n'avait d'écu que l'enseigne de son +hôtellerie. En ce temps-là, l'usage était de donner de la seigneurie +aux maîtres des grands hôtels de Paris. C'est ainsi qu'on appelait +seigneur du Boisseau, Colin qui tenait un hôtel à la porte du Temple. +L'hôtel de l'Ours était sis en la rue Saint-Antoine, proche la porte +qui se nommait exactement porte Baudoyer, mais que les bonnes gens +appelaient porte Baudet, Baudet ayant sur Baudoyer le double avantage +d'être plus court et de se comprendre mieux[351]. C'était une +hôtellerie ancienne et renommée, fameuse à l'égal des plus fameuses: +le logis de l'_Arbre sec_, dans la rue de ce nom, la _Fleur de Lis_, +près du Pont Neuf, l'_Épée_ de la rue Saint-Denis, et le _Chapeau +fétu_ de la rue Croix-du-Tirouer. Sous le roi Charles V, l'Ours était +déjà très fréquenté; les broches y tournaient dans les vastes +cheminées, et l'on y trouvait pain chaud, harengs frais et vin +d'Auxerre à plein tonneau. Mais depuis lors, les pilleries des gens +de guerre avaient ruiné la contrée, et les voyageurs ne s'y +aventuraient pas, de peur d'être dépouillés et tués; les chevaliers et +les pèlerins ne venaient plus dans la ville. Seuls, les loups y +entraient le soir et dévoraient dans les rues les petits enfants. Il +n'y avait plus nulle part ni pain dans la huche, ni fagots dans la +cheminée. Les Armagnacs et les Bourguignons avaient bu tout le vin, +ravagé toutes les vignes, et il ne restait plus au cellier qu'une +mauvaise piquette de pommes et de prunelles[352]. + +[Note 351: _Journal d'un bourgeois de Paris_, pp. 71-72.--Sauval, +_Antiquités de Paris_, t. I, p. 104.--A. Longnon, _Paris pendant la +domination anglaise_, p. 118.--H. Legrand, _Paris en 1380_, Paris, +1868, in-4º, p. 65.] + +[Note 352: _Journal d'un bourgeois de Paris_, pp. 150, 154, 156, +187.--Francisque-Michel et Édouard Fournier, _Histoire des +hôtelleries, cabarets, hôtels garnis_, Paris, 1851 (2 vol. in-8º), t. +II, p. 5.] + +Le seigneur de l'Ours réclamé par la Pucelle s'appelait Jaquet +Guillaume[353]. Bien que Jeanne, comme tout le monde, lui donnât du +seigneur, il n'est pas certain qu'il gouvernât en personne l'hôtel, ni +même que l'hôtel restât ouvert dans ces années de ruines et de +désolation. Ce qui est sur, c'est qu'il était propriétaire de la +maison où pendait cette enseigne de l'Ours. Il la tenait du chef de sa +femme Jeannette; et voici comment ce bien était venu en sa possession. +Quatorze ans auparavant, alors que le roi Henri V n'était pas encore +débarqué en France avec sa chevalerie, le seigneur de l'Ours était un +sergent d'armes du roi, nommé Jean Roche, homme riche et de bonne +renommée, tout à la dévotion du duc de Bourgogne. C'est ce qui le +perdit. Les Armagnacs occupaient alors Paris. En l'an 1416, Jean Roche +se concerta avec quelques bourgeois pour les chasser hors de la ville. +Le complot devait être mis à exécution le jour de Pâques, qui tombait, +cette année-là, le 29 avril. Mais les Armagnacs le découvrirent; ils +jetèrent les conspirateurs en prison et les firent passer en justice. +Le premier samedi de mai, le seigneur de l'Ours fut mené en charrette +aux halles, avec Durand de Brie, teinturier, maître de la soixantaine +des arbalétriers de Paris, et Jean Perquin, épinglier et marchand de +laiton. Ils eurent tous trois la tête tranchée, et le corps du +seigneur de l'Ours fut pendu à Montfaucon où il resta jusqu'à l'entrée +des Bourguignons. Six semaines après leur venue, au mois de juillet de +l'an 1418, il fut dépendu du gibet, avec plusieurs autres, et mis en +terre sainte[354]. + +[Note 353: A. Longnon, _Paris pendant la domination anglaise_, p. +117.] + +[Note 354: _Journal d'un bourgeois de Paris_, pp. 71, 72.--A. +Longnon, _Paris pendant la domination anglaise_, p. 118, note 1.] + +Il faut savoir que la veuve de Jean Roche avait d'un premier lit une +fille nommée Jeannette, qui épousa un certain Bernard le Breton et en +secondes noces Jaquet Guillaume, qui n'était pas riche. Il devait de +l'argent à maître Jean Fleury, clerc notaire et secrétaire du roi. Sa +femme n'était pas mieux dans ses affaires; les biens de son beau-père +avaient été confisqués et elle avait dû racheter une part de son +héritage maternel. En l'an 1424, les deux époux se trouvant à court +d'argent, il leur arriva de vendre une maison en dissimulant +l'hypothèque dont elle était grevée. Mis en prison sur la plainte de +l'acquéreur, ils aggravèrent leur cas en subornant deux témoins dont +l'un était curé, l'autre chambrière. Ils obtinrent heureusement des +lettres de rémission[355]. + +[Note 355: A. Longnon, _Paris pendant la domination anglaise_, pp. +119-123.] + +Les époux Jaquet Guillaume étaient mal en point; toutefois, il leur +restait, de l'héritage de Jean Roche, l'hôtel situé proche la place +Baudet, à l'enseigne de l'Ours; Jaquet Guillaume en portait le titre. +Ce second seigneur de l'Ours devait se montrer aussi armagnac que +l'autre s'était montré bourguignon et le payer du même prix. + +Il y avait six ans qu'il était sorti de prison quand, au mois de mars +1430, fut ourdi par les carmes de Melun et plusieurs bourgeois de +Paris le complot dont nous parlions à l'occasion du départ de Jeanne +pour l'Île-de-France. Ce n'était pas le premier dans lequel ces carmes +se fussent entremis; ils avaient fomenté ce tumulte qui faillit +éclater le jour de la Nativité, à l'heure où la Pucelle donnait +l'assaut près de la porte Saint-Honoré; mais jamais tant de bourgeois +et de la notables n'étaient entrés dans une conspiration. Un clerc des +Comptes, maître Jean de la Chapelle, et deux procureurs du Châtelet, +maître Renaud Savin et maître Pierre Morant, un très riche homme nommé +Jean de Calais, des bourgeois, des marchands, des artisans, plus de +cent cinquante personnes, tenaient les fils de cette vaste trame, et +dans le nombre, Jaquet Guillaume, seigneur de l'Ours. + +Les carmes de Melun dirigeaient l'entreprise; ils allaient, sous un +habit d'artisan, du roi aux bourgeois et des bourgeois au roi; +établissaient le concert entre ceux du dedans et ceux du dehors, +réglaient tous les détails de l'action. L'un d'eux demanda aux +affiliés l'engagement écrit de faire entrer les gens du roi dans la +ville. Une telle exigence donnerait à croire que la plupart des +conspirateurs étaient aux gages du conseil royal. + +En retour, ces religieux apportaient des lettres d'abolition signées +par le roi. En effet, pour disposer les habitants de Paris à recevoir +celui qu'ils nommaient encore le dauphin, il fallait leur donner avant +tout l'assurance d'une amnistie pleine et entière. Depuis plus de dix +ans que les Anglais et les Bourguignons tenaient la ville, personne ne +se sentait tout à fait sans reproches envers le souverain légitime et +les gens de son parti. Et l'on tenait d'autant plus à ce que Charles +de Valois oubliât le passé, qu'on se rappelait les vengeances cruelles +des Armagnacs après la chute des Bouchers. + +Un des conjurés, nommé Jaquet Perdriel, était d'avis de faire publier +à son de trompe, un dimanche, à la porte Baudet, les lettres +d'abolition. + +--Je ne doute pas, disait-il, que les artisans qui se trouveront en +grand nombre à l'entendre, ne se tournent avec nous. + +Il comptait les entraîner jusqu'à la porte Saint-Antoine pour l'ouvrir +aux gens du roi de France, embusqués près de là. + +Quatre-vingts ou cent Écossais, vêtus comme des Anglais et portant la +croix de Saint-André, devaient entrer alors dans la ville, amenant du +bétail et de la marée. + +--Ils entreront bonnement par la porte Saint-Denys, annonçait +Perdriel, et s'en empareront. C'est alors que les gens du roi feront +leur entrée en force par la porte Saint-Antoine. + +Le plan fut jugé bon; toutefois il parut préférable de faire entrer +les gens du roi par la porte Saint-Denys. + +Le dimanche 12 mars, deuxième dimanche de carême, maître Jean de la +Chapelle réunit au cabaret de la _Pomme de Pin_ le procureur Renaud +Savin à plusieurs autres conspirateurs, afin de s'entendre avec eux +sur ce qu'il y avait de mieux à faire. Ils décidèrent que, au jour +fixé, Jean de Calais, sous prétexte d'aller à la Chapelle-Saint-Denys +voir ses vignes, rejoindrait hors des murs les gens du roi, se ferait +connaître d'eux en déployant un étendard blanc, et les introduirait +dans la ville. On arrêta en outre que maître Morant et beaucoup +d'habitants avec lui se tiendraient dans les tavernes de la rue +Saint-Denys pour soutenir les Français à leur entrée. C'est en quelque +taverne de cette rue que devait se trouver le seigneur de l'Ours, +qui, logeant tout proche, se faisait fort d'amener quantité de gens du +voisinage. + +Les conjurés, parfaitement d'accord, n'attendaient plus que d'être +avisés du jour choisi par le conseil royal et ils croyaient bien que +le coup était pour le prochain dimanche. Mais frère Pierre d'Allée, +prieur des carmes de Melun, fut pris le 21 mars par les Anglais. Mis à +la torture, il avoua le complot et nomma ses complices. Sur les +indications du religieux, plus de cent cinquante personnes furent +arrêtées et jugées. Le 8 avril, vigile de Pâques fleuries, on vit sept +des plus notables menés en charrette aux halles. C'étaient: Jean de la +Chapelle, clerc des Comptes; Renaud Savin et Pierre Morant, procureurs +au Châtelet; Guillaume Perdriau, Jean le François, dit Baudrin; Jean +le Rigueur, boulanger, et Jaquet Guillaume, seigneur de l'Ours. Ils +eurent tous les sept la tête tranchée par la main du bourreau, qui +coupa ensuite par quartiers les corps de Jean de la Chapelle et de +Baudrin. + +Jaquet Perdriel n'y perdit que son avoir. Et Jean de Calais obtint +bientôt des lettres de rémission. Jeannette, femme de Jaquet +Guillaume, fut bannie du royaume, ses biens confisqués[356]. + +[Note 356: _Journal d'un bourgeois de Paris_, pp. 251, +253.--Fauquembergue dans A. Longnon, _Paris pendant la domination +anglaise_, p. 302, note 1.--Sauval, _Antiquités de Paris_, t. III, p. +536.--Vallet de Viriville, _Histoire de Charles VII_, t. II, p. +140.--Morosini, t. III, pp. 274 et suiv.] + +Comment la Pucelle connaissait-elle le seigneur de l'Ours? Les carmes +de Melun le lui avaient peut-être recommandé, et c'était sur leur avis +qu'elle le réclamait. Peut-être aussi l'avait-elle vu, au mois de +septembre 1429, à Saint-Denys ou sous les murs de Paris et s'était-il +dès lors engagé à servir le dauphin et ses gens. Pourquoi +s'efforçait-on, à Lagny, de sauver celui-là seul, entre les cent +cinquante Parisiens arrêtés sur la dénonciation de frère Pierre +d'Allée? Plutôt que Renaud Savin et Pierre Morant, procureurs au +Châtelet, plutôt que Jean de la Chapelle, clerc des Comptes, pourquoi +choisir le plus chétif de la bande? Et comment espérait-on échanger un +homme accusé de trahison contre un prisonnier de guerre? Tout cela est +pour nous obscur et voilé. + +Jeanne, dans les premiers jours de mai, ne savait pas encore ce que +Jaquet Guillaume était devenu. Quand elle apprit qu'il avait été mis à +mort par justice, elle en fut vivement dépitée et peinée. Elle n'en +considérait pas moins Franquet comme un capitaine pris à rançon. Mais +le bailli de Senlis, qui voulait, on ne sait pourquoi, la perte de ce +capitaine, profita du ressentiment qu'inspirait à la Pucelle la male +mort de Jaquet Guillaume, pour obtenir d'elle qu'elle lui livrât son +prisonnier. + +Il lui représenta que cet homme avait commis des meurtres, des larcins +à foison et qu'il était traître, et qu'en conséquence il convenait de +le mettre en jugement. + +--Vous voulez faire grand tort à la justice, lui dit-il, en délivrant +ce Franquet. + +Ces raisons la décidèrent, ou plutôt elle céda aux instances du +bailli. + +--Puisque mon homme est mort, dit-elle, que je voulais avoir, faites +de ce Franquet ce que vous devrez faire par justice[357]. + +[Note 357: _Procès_, t. I, pp. 158-159.] + +C'est ainsi qu'elle livra son prisonnier. Fit-elle bien ou mal? Avant +d'en décider, il faudrait se demander s'il lui était possible de faire +autrement. Elle était la Pucelle du Seigneur, l'ange du Dieu des +armées, c'est entendu. Mais les chefs de guerre, les capitaines ne +tenaient pas grand compte de ce qu'elle disait; quant au bailli, +c'était l'homme du roi, un très noble homme et puissant. + +Il jugea lui-même, assisté des gens de justice de Lagny. L'accusé +confessa qu'il était meurtrier, larron et traître. Il faut l'en +croire; mais on peut douter qu'il le fût plus que la plupart des +hommes d'armes armagnacs ou bourguignons, plus qu'un damoiseau de +Commercy ou un Guillaume de Flavy, par exemple. Il fut condamné à +mort. + +Jeanne consentit qu'on le fît mourir, s'il l'avait mérité, puisqu'il +avait confessé ses crimes[358]. Il eut la tête tranchée. + +[Note 358: _Ibid._, p. 159.] + +À la nouvelle de l'indigne traitement infligé à messire Franquet, les +Bourguignons firent éclater leur douleur et leur indignation[359]. Il +semble que, dans cette affaire, le bailli de Senlis et les gens de +justice de Lagny aient agi contre l'usage. Toutefois, pour en juger, +nous ne connaissons pas assez bien les circonstances de la cause. +Peut-être le roi de France, pour une raison que nous ignorons, +réclama-t-il ce prisonnier. Il en avait le droit, à la condition de +verser à la Pucelle le prix de la rançon. Un homme de guerre de cette +époque, expert en tout ce qui touche l'honneur des armes, l'auteur du +_Jouvencel_, parle sans blâme, en ses fictions chevaleresques, du sage +Amydas, roi d'Amydoine, qui, apprenant que, dans une bataille, un de +ses ennemis, le sire de Morcellet, a été pris à rançon, s'écrie que +c'est le plus traître du monde, le rachète à beaux deniers comptants +et aussitôt l'envoie au prévôt de la ville et aux officiers de son +conseil, pour qu'il soit fait de lui justice[360]. Telle était la +prérogative royale. + +[Note 359: _Procès_, t. I, p. 254.--Monstrelet, t. IV, p. 385.--E. +Richer, _Histoire manuscrite de la Pucelle_, livre I, fº 82.] + +[Note 360: _Le Jouvencel_, t. II, pp. 210-211.] + +Soit que la vie des camps l'eût endurcie, soit plutôt qu'elle fût, +comme toutes les extatiques, sujette à de brusques changements +d'humeur, elle ne montrait plus à Lagny la douceur du soir de Patay. +Cette vierge qui naguère, dans les batailles, n'avait d'arme que son +étendard, maintenant se servait d'une épée trouvée à Lagny même, de +l'épée d'un Bourguignon, parce qu'elle était propre à donner bonnes +buffes et bons torchons. À quoi ceux qui la regardaient comme un ange +du ciel, le bon frère Pasquerel, par exemple, pouvaient répondre que +l'archange saint Michel, qui portait l'étendard des milices célestes, +brandissait aussi l'épée flamboyante. Et dans le fait, Jeanne restait +une sainte. + +Tandis qu'elle se trouvait à Lagny, on vint lui dire qu'un enfant était +mort en naissant et n'avait pas pu recevoir le baptême[361]. Entré dans +le ventre de la mère au moment où elle conçut, le diable tenait l'âme de +cet enfant qui, faute d'eau, était mort ennemi de son Créateur. Aussi le +sort de cette âme inspirait-il les plus vives inquiétudes; quelques-uns +pensaient qu'elle était dans les limbes, à jamais privée de la vue de +Dieu, mais l'opinion la plus suivie et la plus solide était qu'elle +bouillait dans l'enfer; car saint Augustin a démontré que les petites +âmes comme les grandes sont damnées par l'effet du péché originel. Et le +moyen de penser autrement, si, par la faute d'Ève, la ressemblance +divine était complètement effacée en cet enfant? Il était voué à la mort +éternelle. Et dire que par un peu d'eau la mort eût été détruite! Un tel +malheur affligeait non seulement les parents de la pauvre créature, mais +aussi les voisins et tous les bons chrétiens de la ville de Lagny. Le +corps fut porté dans l'église de Saint-Pierre et déposé devant une +image de Notre-Dame qui était l'objet d'une grande vénération depuis la +peste de l'année 1128. Comme elle guérissait le mal des ardents, on la +nomma Notre-Dame-des-Ardents et, quand il n'y eut plus d'ardents, on +l'appela Notre-Dame-des-Aidants; ou plutôt des Aidances, c'est-à-dire +des secours, car elle fut trouvée secourable en de grandes +nécessités[362]. + +[Note 361: _Procès_, t. I, p. 105.] + +[Note 362: A. Denis, _Jeanne d'Arc à Lagny_, Lagny, 1896, in-8º, +pp. 4 et suiv.--J.-A. Lepaire, _Jeanne d'Arc à Lagny_, Lagny, 1880, +in-8º de 38 pages.] + +Les jeunes filles de la ville s'agenouillèrent devant elle autour du +corps et la prièrent d'intercéder auprès de son divin Fils pour que +cet enfant pût participer à la rédemption accomplie par le +Sauveur[363]. Dans des cas semblables la très Sainte Vierge ne +refusait pas toujours sa puissante entremise. Il convient de rapporter +ici le miracle qu'elle avait accompli trente-sept ans auparavant. + +[Note 363: _Procès_, t. I, p. 105.] + +En 1393, à Paris, une créature pécheresse, se trouvant enceinte, cacha +sa grossesse et, venue à son terme, se délivra elle-même. Et, après +avoir enfoncé des linges dans la gorge de la fille dont elle était +accouchée, elle l'alla jeter à la voirie, hors de la porte +Saint-Martin-des-Champs. Mais un chien flaira le corps et, grattant les +immondices avec ses pattes, le découvrit. Une femme dévote, qui passait +d'aventure, prit ce pauvre petit corps sans vie, le porta, suivie de +plus de quatre cents personnes, à l'église Saint-Martin-des-Champs, le +déposa sur l'autel de Notre-Dame, se mit à genoux, et, avec la foule du +peuple et les religieux de l'abbaye, pria de son mieux la Sainte Vierge, +afin que cette innocente ne fût point éternellement damnée. L'enfant +remua un peu, ouvrit les yeux, vomit le linge qui lui bouchait la gorge +et poussa de grands cris. Un prêtre la baptisa sur l'autel de Notre-Dame +et lui imposa le nom de Marie. Elle prit le sein d'une nourrice qu'on +avait amenée, vécut trois heures, puis mourut et fut portée en terre +sainte[364]. + +[Note 364: _Religieux de Saint-Denis_, t. II, p. 82.--Jean Juvénal +des Ursins, dans _Coll. Michaud et Poujoulat_, p. 395, col. 2.] + +Les résurrections d'enfants morts sans baptême étaient fréquentes à +cette époque. Cette sainte abbesse qui, dans le moment que Jeanne se +trouvait à Lagny, vivait à Moulins parmi les clarisses réformées, +Colette de Corbie, avait naguère, dans la ville de Besançon, ramené au +jour deux de ces pauvres créatures: une fille qui, portée sur les +fonts, reçut le nom de Colette et devint ensuite religieuse puis +abbesse à Pont-à-Mousson; un enfant mâle, enterré, disait-on, depuis +deux jours et que la servante des pauvres désigna comme prédestiné. Il +mourut à six mois, vérifiant ainsi la prophétie de la sainte[365]. + +[Note 365: _Acta SS._, 6 mars, pp. 381 et 617.--Abbé Bizouard, +_Histoire de sainte Colette_, pp. 35, 37.--Abbé Douillet, _Sainte +Colette, sa vie, ses oeuvres_, 1884, pp. 150-154.] + +Jeanne connaissait sans doute ce genre de miracle. À une dizaine de +lieues de Domremy, dans le duché de Lorraine, près de Lunéville, +s'élevait un sanctuaire de Notre-Dame-des-Aviots, dont elle avait +probablement entendu parler. Notre-Dame-des-Aviots, c'est-à-dire +Notre-Dame des rendus à la vie, était connue pour ressusciter les +enfants morts sans baptême. Ils renaissaient, par son intervention, le +temps suffisant à être faits chrétiens[366]. + +[Note 366: Le curé de Saint-Sulpice, _Notre-Dame de France_, +Paris, in-8º, t. VI, 1866, p. 57.] + +Dans le duché de Luxembourg, près de Montmédy, sur la colline +d'Avioth[367], de nombreux pèlerins vénéraient une image de +Notre-Dame, apportée là par les anges. On lui avait bâti une église où +la pierre jaillissait en minces colonnes, formait des trèfles, des +rosaces, et poussait des feuillages légers. Cette statue faisait des +miracles de toutes sortes. On déposait à ses pieds les enfants +mort-nés; elle les ressuscitait et on les baptisait aussitôt[368]. + +[Note 367: Sur l'étymologie d'Avioth, cf. C. Bonnabelle, _Petite +étude sur Avioth et son église_, dans _Annuaire de la Meuse_, 1883, +in-18, p. 14.] + +[Note 368: Le curé de Saint-Sulpice, _loc. cit._, t. V, pp. 107 et +suiv.--Bonnabelle, _loc. cit._, pp. 13 et suiv.--Jacquemain, +_Notre-Dame d'Avioth et son église monumentale_, Sedan, 1876, in-8º.] + +Le peuple réuni dans l'église de Saint-Pierre de Lagny, au pied de +Notre-Dame-des-Aidances, espérait une semblable grâce. Les jeunes +filles prièrent autour du corps inanimé de l'enfant. On demanda à la +Pucelle de venir prier avec elles Notre-Seigneur et Notre-Dame. Elle +se rendit à l'église, s'agenouilla parmi les jeunes filles et pria. +L'enfant était noir. «Noir comme ma cotte», disait Jeanne. Quand la +Pucelle et les jeunes filles eurent prié, il bâilla par trois fois et +la couleur lui revint. Baptisé, il mourut aussitôt; on le mit en terre +sainte. Il fut dit par la ville que cette résurrection était l'oeuvre +de la Pucelle. À en croire les contes que l'on en faisait, l'enfant +n'avait pas donné signe de vie depuis trois jours qu'il était né[369]; +mais les commères de Lagny avaient sans doute allongé les heures +pendant lesquelles il était resté inerte, comme ces bonnes femmes qui, +d'un oeuf pondu par le mari de l'une d'elles, en firent cent avant la +fin du jour. + +[Note 369: _Procès_, t. I, pp. 105-106.] + + + + +CHAPITRE VII + +SOISSONS ET COMPIÈGNE.--PRISE DE LA PUCELLE. + + +Au sortir de Lagny, la Pucelle se présenta devant les portes de Senlis +avec sa compagnie et les hommes d'armes des seigneurs français +auxquels elle s'était jointe, en tout mille chevaux, pour lesquels +elle demanda l'entrée. Il n'y avait pas de disgrâce que les bourgeois +craignissent autant que de recevoir des gens d'armes, et il n'y avait +pas de privilège dont ils fussent plus jaloux que de les tenir dehors. +Le roi Charles en avait fait l'expérience durant la bénigne campagne +du sacre. Les habitants de Senlis firent répondre à la Pucelle que, vu +la pauvreté de la ville en fourrages, grains, avoine, vivres et vin, +il lui serait offert d'y entrer avec trente ou quarante hommes des +plus notables, et non davantage[370]. + +[Note 370: Arch. mun. de Senlis dans _Musée des archives +départementales_, pp. 304-305.--J. Flammermont, _Histoire de Senlis +pendant la seconde partie de la guerre de cent ans_, p. 245.--Perceval +de Cagny, p. 173.--Morosini, t. III, p. 294, n. 5.] + +On veut que de Senlis Jeanne soit allée au château de Borenglise, en +la paroisse d'Élincourt, entre Compiègne et Ressons, et, dans +l'ignorance où l'on est des raisons qui l'y firent aller, on croit +qu'elle se rendit en pèlerinage à l'église d'Élincourt, placée sous +l'invocation de sainte Marguerite; et il est possible qu'elle ait tenu +à faire ses dévotions à sainte Marguerite d'Élincourt, comme elle les +avait faites à sainte Catherine de Fierbois, pour l'honneur de l'une +des dames du ciel qui la visitaient tous les jours et à toute +heure[371]. + +[Note 371: Histoire manuscrite de Beauvais, par Hermant, dans _Procès_, +t. V, p. 165.--G. Lecocq, _Étude historique sur le séjour de Jeanne d'Arc à +Élincourt-Sainte-Marguerite_, Amiens, 1879, in-8º de 13 pages.--A. Peyrecave, +_Notes sur le séjour de Jeanne d'Arc à Élincourt-Sainte-Marguerite_, Paris, +1875, in-8º.--_Élincourt-Sainte-Marguerite, notice historique et +archéologique_, Compiègne, 1888, chap. VII, pp. 113, 123.] + +Il y avait alors, dans la ville d'Angers, un licencié ès lois, +chanoine des églises de Tours et d'Angers et doyen de Saint-Jean +d'Angers, qui, moins de dix jours avant la venue de Jeanne à +Sainte-Marguerite d'Élincourt, le 18 avril, environ neuf heures du +soir, ressentit une douleur à la tête qui lui dura jusqu'à quatre +heures du matin, si forte qu'il crut mourir. Il se recommanda à madame +sainte Catherine, envers qui il professait une dévotion particulière, +et aussitôt il fut guéri. En reconnaissance d'une telle grâce, il se +rendit à pied au sanctuaire de Sainte-Catherine de Fierbois; et le +vendredi 5 mai, il y célébra la messe à haute voix pour le roi, «la +Pucelle, digne de Dieu», et la prospérité et la paix du royaume[372]. + +[Note 372: _Procès_, t. V, pp. 164-165.--_Les miracles de madame +sainte Katerine de Fierboys_, pp. 16, 62, 63.] + +Le Conseil du roi Charles avait remis Pont-Sainte-Maxence au duc de +Bourgogne, au lieu de Compiègne qu'il ne pouvait lui livrer, pour la +raison que la ville se refusait de toutes ses forces à être livrée, et +demeurait au roi malgré le roi. Le duc de Bourgogne garda +Pont-Sainte-Maxence qu'on lui donnait et résolut de prendre +Compiègne[373]. + +[Note 373: P. Champion, _Guillaume de Flavy_, pièces +justificatives, pp. 150, 154.--Morosini, t. III, p. 276, n. +3.--Mémoire à consulter sur G. de Flavy, dans _Procès_, t. V, p. 176.] + +Le 17 avril, à l'expiration de la trêve, il se mit en campagne avec +une florissante chevalerie et une puissante armée, quatre mille +Bourguignons, Picards et Flamands et quinze cents Anglais, sous le +commandement de Jean de Luxembourg, comte de Ligny[374]. + +[Note 374: Montrelet, ch. 33.--Mémoire à consulter sur G. de +Flavy, dans _Procès_, t. V, p. 175.--P. Champion, _Guillaume de +Flavy_, pièces justificatives XLIV, XLV.] + +Le duc faisait venir à ce siège de belles pièces d'artillerie, +notamment Remeswalle, Rouge bombarde et Houppembière, qui toutes trois +lançaient des pierres très grosses. On y amenait aussi les bombardes +achetées par le duc à messire Jean de Luxembourg et payées comptant: +Beaurevoir et Bourgogne, un gros «coullard» et un engin volant. Les +villes des vastes États de Bourgogne envoyaient devant Compiègne +leurs archers et leurs arbalétriers. Le duc se fournissait d'arcs de +Prusse et de Constantinople, avec flèches barbées et non barbées. Il +appelait des mineurs et divers ouvriers pour faire des mines de poudre +devant la ville et pour jeter des fusées de feu grégeois; enfin, +monseigneur Philippe, plus riche qu'un roi, le plus magnifique +seigneur de la chrétienté et très expert en chevalerie, voulait faire +un beau siège[375]. + +[Note 375: De La Fons-Mélicoq, _Documents inédits sur le siège de +Compiègne de 1430_, dans _La Picardie_, t. III, 1857, pp. 22-23.--P. +Champion, _Guillaume de Flavy_, pièces justificatives, p. 176.] + +La ville, une des plus grandes de France et des plus fortes, était +défendue par quatre ou cinq cents hommes de garnison[376], sous le +commandement du jeune seigneur Guillaume de Flavy. Issu d'une noble +famille du pays, sans grands biens, toujours en querelle avec les +seigneurs ses voisins et cherchant noise au pauvre peuple, il était +aussi méchant et cruel qu'aucun seigneur armagnac[377]. Les habitants +ne voulaient pas d'autre capitaine que lui; ils le gardèrent envers et +contre le roi Charles et son chambellan. Et ils firent sagement, car +pour les défendre il n'y avait pas meilleur que le seigneur Guillaume; +on n'en aurait pas trouvé un second si entêté à son devoir. Au roi de +France, qui lui avait donné l'ordre de livrer la ville, il avait +refusé net; et lorsque ensuite le duc lui promit une grosse somme +d'argent et une riche héritière en échange de Compiègne, il répondit +que la ville était non pas à lui, mais au roi[378]. + +[Note 376: Lefèvre de Saint-Remy, t. II, p. 178.--H. de Lépinois, +_Notes extraites des archives communales de Compiègne_, dans +_Bibliothèque de l'École des Chartes_, 1863, t. XXIV, p. 486.--A. +Sorel, _La prise de Jeanne d'Arc devant Compiègne et l'histoire des +sièges de la même ville sous Charles VI et Charles VII, d'après des +documents inédits avec vues et plans_, Paris, 1889, in-8º, p. 268.] + +[Note 377: Jacques Duclercq, _Mémoires_, éd. de Reiffenberg, t. I, +p. 419.--_Le Temple de Bocace_ dans les _Oeuvres de Georges +Chastellain_, éd. Kervyn de Lettenhove, t. VII, p. 95.--P. Champion, +_Guillaume de Flavy, capitaine de Compiègne, contribution à l'histoire +de Jeanne d'Arc et à l'étude de la vie militaire et privée au XVe +siècle_, Paris, 1906, in-8º, _passim_.] + +[Note 378: Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 125.--_Chronique +des cordeliers_, fol. 495 recto.--Rogier, dans Varin, _Arch. de la +ville de Reims_, IIe partie, Statuts, t. I, p. 604.--A. Sorel, _loc. +cit._, p. 167.--P. Champion, _loc. cit._, p. 33.] + +Le duc de Bourgogne s'empara sans peine de Gournay-sur-Aronde, et vint +ensuite mettre le siège devant Choisy-sur-Aisne, qu'on appelait aussi +Choisy-au-Bac, au confluent de l'Aisne et de l'Oise[379]. + +[Note 379: Monstrelet, t. IV, pp. 379, 381.--_Chronique des +cordeliers_, fol. 495 recto.--_Livre des trahisons_, p. 202.] + +L'écuyer gascon Poton de Saintrailles et les gens de sa compagnie +passèrent l'Aisne entre Soissons et Choisy, surprirent les +assiégeants, et se retirèrent aussitôt, emmenant quelques +prisonniers[380]. + +[Note 380: Monstrelet, t. IV, pp. 382-383.--Berry, dans _Procès_, +t. IV, p. 49.] + +Le 13 mai, la Pucelle entrée à Compiègne, logea rue de l'Étoile[381]. +Le lendemain, les attornés lui offrirent quatre pots de vin[382]. Ils +entendaient par là lui faire grand honneur, car ils n'en offraient +pas davantage au seigneur archevêque de Reims, chancelier du royaume, +qui se trouvait alors dans la ville avec le comte de Vendôme, +lieutenant du roi, et plusieurs autres chefs de guerre. Ces très hauts +seigneurs résolurent d'envoyer de l'artillerie et des munitions au +château de Choisy qui ne pouvait plus longtemps se défendre[383]; et +la Pucelle fut mise en oeuvre comme autrefois. + +[Note 381: D'après une note de Dom Bertheau, dans A. Sorel, +_Séjours de Jeanne d'Arc à Compiègne, maisons où elle a logé en 1429 +et 1430, avec vue et plans_, Paris, 1888, in-8º, pp. 11-12.] + +[Note 382: _Comptes de la ville de Compiègne_, CC. 13, folio +291.--Dom Gillesson, _Antiquités de Compiègne_, t. V, p. 95.--A. +Sorel, _La prise de Jeanne d'Arc_, p. 145, note 3.] + +[Note 383: Choisy se rendit le 16 mai, _Chronique des cordeliers_, +fol. 497 verso. _Livre des trahisons_, p. 201.--Monstrelet, t. IV, p. +382.--Berry, dans _Procès_, t. IV, p. 49.--A. Sorel, _La prise de +Jeanne d'Arc_, pp. 145-146.--P. Champion, _Guillaume de Flavy_, pp. +40-41, 162-163.] + +L'armée se dirigea vers Soissons pour y passer l'Aisne[384]. Le +capitaine de la ville était un écuyer de Picardie nommé Guichard +Bournel par les Français, et Guichard de Thiembronne par les +Bourguignons: il avait servi les uns et les autres. Jeanne le +connaissait bien: il lui rappelait un pénible souvenir. Ç'avait été +l'un de ceux qui, la prenant blessée dans les fossés de Paris, +l'avaient mise malgré elle sur un cheval. À l'approche des seigneurs +et gens du roi Charles, le capitaine Guichard fit faussement accroire +aux habitants de Soissons que toute cette gendarmerie venait prendre +garnison dans leur ville. Aussi les habitants décidèrent-ils de ne les +point recevoir. Il fut fait là tout comme à Senlis; le capitaine +Bournel reçut le seigneur archevêque de Reims, le comte de Vendôme et +la Pucelle, avec petite compagnie, et l'armée passa la nuit aux +champs[385]. Le lendemain on essaya, faute d'obtenir l'accès du pont, +de traverser la rivière à gué, mais on n'y put réussir. C'était le +printemps, les eaux avaient monté. L'armée rebroussa chemin. Quand +elle fut partie, le capitaine Bournel vendit au duc de Bourgogne la +cité qu'il avait charge de garder au roi de France, et la mit en la +main de messire Jean de Luxembourg pour 4.000 saluts d'or[386]. + +[Note 384: Berry, dans _Procès_, t. IV, pp. 49-50.] + +[Note 385: F. Brun, _Jeanne d'Arc et le capitaine de Soissons en +1430_, Soissons, 1904, p. 5 (Extrait de l'_Argus Soissonnais_).--P. +Champion, _loc. cit._, p. 41.] + +[Note 386: Berry, dans _Procès_, t. IV, p. 50.--P. Champion, _loc. +cit._, p. 168, pièce justificative XXXV, p. 168.--F. Brun, _Nouvelles +recherches sur le fait de Soissons (Jeanne d'Arc et Bournel en 1430), +à propos d'un livre récent_, Meulan, 1907, in-8º.] + +À la nouvelle que le capitaine de Soissons avait de la sorte agi +laidement, contre son honneur, Jeanne s'écria que, si elle le tenait, +elle le ferait trancher en quatre pièces, ce qui n'était pas une +imagination de sa colère. L'usage voulait, pour le châtiment de +certains crimes, que le bourreau coupât en quartiers les condamnés +auxquels il avait d'abord tranché la tête: cela s'appelait écarteler. +C'est comme si Jeanne avait dit que ce traître méritait d'être +écartelé. Le propos parut dur aux oreilles bourguignonnes; certains +crurent même entendre que, dans son indignation, Jeanne reniait Dieu. +Ils entendirent mal. Jamais elle ne reniait Dieu, ni saint ni sainte; +loin de maugréer, quand elle était en colère, elle disait: «Bon gré +Dieu!», ou «Saint Jean!», ou «Notre Dame[387]!» + +[Note 387: _Procès_, t. I, p. 273.] + +Devant Soissons, Jeanne et les chefs de guerre se séparèrent. Ceux-ci +se dirigèrent avec leurs gens d'armes vers Senlis et les bords de la +Marne. Le pays entre Aisne et Oise n'avait plus de quoi faire vivre +tant de monde et de si grands personnages. Jeanne reprit avec sa +compagnie le chemin de Compiègne[388]. À peine entrée dans la ville, +elle en sortit pour battre les environs. + +[Note 388: J'ai rejeté la rencontre contée par Alain Bouchard +(_Les grandes Croniques de Bretaigne_, Paris, Galliot Du Pré, 1514, +in-fol., fol. CCLXXXI) de Jeanne et des petits enfants dans l'église +Saint-Jacques. M. Pierre Champion (_Guillaume de Flavy_, p. 283) a +irréfutablement démontré le caractère fabuleux du récit.] + +Elle fut notamment d'une expédition contre Pont-l'Évêque, place forte, +à quelque distance de Noyon, et qu'occupait une petite garnison +anglaise, sous les ordres du seigneur de Montgomery. + +Les Bourguignons, qui faisaient le siège de Compiègne, se +ravitaillaient par Pont-l'Évêque. À la mi-mai, les Français, au nombre +de peut-être deux mille, commandés par le capitaine Poton, par messire +Jacques de Chabannes et quelques autres, et accompagnés de la Pucelle, +attaquèrent au petit jour les Anglais du seigneur de Montgomery, et +l'affaire fut âprement menée. Mais les Bourguignons de Noyon étant +venus à la rescousse, les Français battirent en retraite. Ils avaient +tué trente hommes à l'ennemi et en avaient perdu autant; aussi le +combat passa-t-il pour très meurtrier[389]. Il ne pouvait plus être +question de traverser l'Aisne et de sauver Choisy. + +[Note 389: Monstrelet, t. IV, p. 382.--Lefèvre de Saint-Remy, t. +II, p. 178.--_Chronique des cordeliers_, fol. 498 verso.] + +Rentrée à Compiègne, Jeanne, qui ne prenait pas un moment de repos, +courut à Crépy-en-Valois où se rassemblaient des troupes destinées à +défendre Compiègne; puis elle se dirigea, avec ces troupes, par la +forêt de Guise, vers la ville assiégée et elle y entra, le 23, à +l'aube, sans avoir rencontré de Bourguignons. Il n'y en avait pas du +côté de la forêt, sur la rive gauche de l'Oise[390]. + +[Note 390: _Procès_, t. I, p. 114.--Perceval de Cagny, p. +174.--Extrait d'un mémoire à consulter pour G. de Flavy, dans +_Procès_, t. V, p. 176.--Morosini, t. III, p. 296, n. 1.] + +Ils étaient tous de l'autre côté de la rivière. Là s'étend une prairie +d'un quart de lieue au bout de laquelle la côte de Picardie s'élève. +Cette prairie étant basse, humide, souvent inondée, on avait établi +une chaussée allant du pont au village de Margny, dressé tout en face +sur la côte abrupte. Le clocher de Clairoix pointait à trois quarts de +lieue en amont, au confluent des deux rivières d'Aronde et d'Oise; le +clocher de Venette, du côté opposé, à une demi-lieue en aval, vers +Pont-Sainte-Maxence[391]. + +[Note 391: Plan manuscrit de Compiègne de 1509 dans Debout, +_Jeanne d'Arc_, t. II, p. 293.--Plan de la ville de Compiègne, gravé +par Aveline au XVIIe siècle, réduction publiée par la _Société +historique de Compiègne_, mai 1877.--Lambert de Ballyhier, _Compiègne +historique et monumental_, 1842, 2 vol. in-8º, planches.--Plan de +restitution de la ville de Compiègne en 1430, dans A. Sorel, _La prise +de Jeanne d'Arc_.--P. Champion, _Guillaume de Flavy_, p. 43.] + +Un petit poste de Bourguignons commandé par un chevalier, messire +Baudot de Noyelles, occupait le village de Margny, sur la hauteur. Le +plus renommé homme de guerre du parti de Bourgogne, messire Jean de +Luxembourg, se tenait avec ses Picards sur les bords de l'Aronde, au +pied du mont Ganelon, à Clairoix. Les cinq cents Anglais du sire de +Montgomery gardaient l'Oise à Venette. Le duc Philippe occupait +Coudun, à une grande lieue de la ville, vers la Picardie[392]. + +[Note 392: Monstrelet, t. IV, pp. 383-384.] + +Ces dispositions répondaient aux préceptes des plus expérimentés +capitaines. Devant une place forte, on évitait de réunir sur une même +position, dans un même logis, comme on disait, une grande quantité de +gens d'armes. En cas d'attaque soudaine une grosse compagnie, +pensait-on, si elle n'a qu'un logis, est surprise et mise en désarroi +comme une moindre, et le mal est grave. C'est pourquoi il vaut mieux +diviser les assiégeants en petites compagnies et placer ces compagnies +assez près les unes des autres pour qu'elles puissent s'entre-aider. +De cette manière, ceux d'un logis ne sont pas plutôt déconfits que les +autres ont le loisir de se mettre en ordonnance pour les secourir. Les +assaillants sont bien ébahis quand ils voient fondre sur eux des +troupes fraîches et aux défenseurs le coeur en grandit de moitié. +Ainsi pensait, notamment, messire Jean de Bueil[393]. + +[Note 393: _Le Jouvencel_, t. II, p. 196.] + +Ce même jour, 23 mai, vers cinq heures du soir[394], montée sur un +très beau cheval gris pommelé, Jeanne sortit par le pont et s'engagea +sur la chaussée qui traversait la prairie, avec son étendard, sa +compagnie lombarde, le capitaine Baretta et les trois ou quatre cents +hommes, cavaliers et fantassins, entrés, la nuit, à Compiègne. Elle +avait ceint l'épée bourguignonne trouvée à Lagny et portait sur son +armure une huque de drap d'or vermeil[395]. Un tel habit eût mieux +convenu pour une parade que pour une sortie; mais, dans la candeur de +son âme villageoise et religieuse, elle aimait tout ce qui avait l'air +cérémonieux et chevaleresque. + +[Note 394: _Procès_, t. I, p. 116.--Lettre de Philippe le Bon aux +habitants de Saint-Quentin, _Procès_, t. V, p. 166.--Lettre de +Philippe le Bon à Amédée duc de Savoie, dans P. Champion, _loc. cit._, +pièce justificative XXXVII.--Fauquembergue, dans _Procès_, t. IV, p. +458.--William Wircester dans _Procès_, t. IV, p. 475, et le _Journal +d'un bourgeois de Paris_, p. 255.] + +[Note 395: _Procès_, t. I, pp. 78, 223, 224.--Chastellain, t. II, +p. 49.--Le Greffier de la Chambre des comptes de Brabant, dans +_Procès_, t. IV, p. 428.] + +L'entreprise était concertée entre le capitaine Baretta, les autres +chefs de partisans et messire Guillaume de Flavy, qui, pour aider la +rentrée des Français, fit placer à la tête du pont des archers, des +arbalétriers, des couleuvriniers, et mit sur la rivière une grande +quantité de petits bateaux couverts destinés à recueillir, au besoin, +le plus de monde possible[396]. Jeanne ne fut pas consultée sur +l'entreprise: on ne lui demandait jamais conseil; on l'emmenait comme +un porte-bonheur, sans lui rien dire, et on la montrait comme un +épouvantail aux ennemis qui, la tenant pour une puissante magicienne, +craignaient de tomber victimes de ses maléfices, surtout au cas où ils +fussent en état de péché mortel. Certains, sans doute, dans les deux +partis, s'apercevaient, au contraire, qu'elle n'était pas une femme +différente des autres[397]; mais c'étaient des gens qui ne croyaient à +rien et ces sortes de gens sont toujours en dehors du sentiment +commun. + +[Note 396: Mémoires à consulter pour G. de Flavy, dans _Procès_, +t. V, p. 177.--_Chronique de Tournai_, dans _Recueil des Chroniques de +Flandre_, 1856, t. III, pp. 415-416.] + +[Note 397: _Chastellain_, t. II, p. 49.] + +Cette fois, elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'on allait faire: +la tête pleine de rêves, elle s'imaginait partir pour quelque grande +et haute action. Elle avait promis, dit-on, à ceux de la ville, de +déconfire les Bourguignons et de ramener prisonnier le duc Philippe. +Or, il n'était nullement question de cela; le capitaine Baretta et les +chefs des partisans se proposaient de surprendre et de piller le petit +poste bourguignon le plus rapproché de la ville et le plus accessible, +celui qu'occupait messire Baudot de Noyelles à Margny, sur une côte +très roide à laquelle on pouvait atteindre en vingt ou vingt-cinq +minutes par la chaussée. Le coup valait d'être tenté. Ces enlèvements +de postes, c'était le casuel des gens d'armes. Et, bien que les +ennemis eussent assez habilement choisi leurs positions, on avait +chance de réussir en s'y prenant avec une extrême célérité. Les +Bourguignons se tenaient à Margny en très petit nombre. Nouvellement +venus, ils n'avaient établi ni bastille ni boulevard, et leurs +défenses se réduisaient aux masures du village. + +Il était cinq heures après midi quand les Français se mirent en +marche. On se trouvait dans les plus longs jours de l'année; ils ne +comptaient donc pas sur l'obscurité pour enlever le poste. Les gens +d'armes, à cette époque, ne se hasardaient pas volontiers dans la +nuit; ils la jugeaient traîtresse, capable de servir aussi bien le fol +que le sage, et avaient un dicton là-dessus; ils disaient: «La nuit +n'a point de honte[398].» + +[Note 398: _Le Jouvencel_, t. I. p. 91.] + +Grimpés à Margny, les assaillants surprirent les Bourguignons épars et +sans armes, et se mirent à frapper à leur plaisir. La Pucelle, pour sa +part, renversait tout ce qui se trouvait devant elle. + +Or, à ce moment, le sire Jean de Luxembourg et le sire de Créquy, +venus à cheval de leur logis de Clairoix[399], gravissaient la côte de +Margny, sans armures, avec huit ou dix gentilshommes. Ils se rendaient +auprès de messire Baudot de Noyelles, et ne se doutant de rien, +pensaient reconnaître, de ce point élevé, les défenses de la ville, +comme naguère le comte de Salisbury aux Tourelles d'Orléans. Tombés en +pleine escarmouche, ils envoyèrent en toute hâte à Clairoix quérir +leurs armes et mander leur compagnie, qui ne pouvait atteindre le lieu +du combat avant une bonne demi-heure. En attendant, tout démunis +qu'ils étaient, ils se joignirent à la petite troupe de messire Baudot +pour tenir tête à l'ennemi[400]. Surprendre ainsi monseigneur de +Luxembourg, ce pouvait être une bonne chance et ce n'en pouvait pas +être une mauvaise; car ceux de Margny eussent de toute façon appelé +incontinent à leur secours ceux de Clairoix, comme en effet ils +appelèrent les Anglais de Venette et les Bourguignons de Coudun. + +[Note 399: Monstrelet, t. IV, p. 387.--Lefèvre de Saint-Remy, t. +II, p. 179.--Chastellain, t. II, p. 48.--Mémoire à consulter sur G. de +Flavy, dans _Procès_, t. V, p. 176.] + +[Note 400: Lettre du duc de Bourgogne aux habitants de +Saint-Quentin, dans _Procès_, t. V, p. 166.--Monstrelet, Lefèvre de +Saint-Remy, Chastellain, Mémoires à consulter sur G. de Flavy, _loc. +cit._] + +Ayant forcé et pillé le logis, les assaillants, qui devaient +prudemment rabattre en toute hâte sur la ville avec leur butin, +s'attardèrent à Margny; on devine pour quelle cause: c'est celle qui +fit tant de fois les détrousseurs détroussés. Ces gens-là, ceux de la +croix blanche comme ceux de la croix rouge, quelque péril qui les +pressât, ne quittaient point la place tant qu'il s'y trouvait encore +quelque chose à emporter. + +Le danger où les soudoyers de Compiègne s'exposaient par convoitise, +la Pucelle devait, pour sa part, largement l'accroître par vaillance +et prouesse: elle ne consentait jamais à quitter le combat; il fallait +qu'elle fût blessée, navrée de flèches et de viretons, pour qu'on +parvînt à la faire démordre. + +Cependant, remis d'une alerte si chaude, les gens de messire Baudot +s'armèrent comme ils purent et s'efforcèrent de reprendre le village. +Tantôt ils en chassaient les Français, tantôt ils s'en retiraient +eux-mêmes après avoir beaucoup souffert. Le seigneur de Créquy, entre +autres, fut cruellement blessé au visage. Mais l'espoir d'être +secourus leur renforçait le coeur. Ceux de Clairoix parurent. Le duc +Philippe en personne s'approchait avec ceux de Coudun. Les Français +débordés, abandonnant Margny, se retiraient lentement. Le butin, +peut-être, alourdissait leur marche. Tout à coup, voyant les Godons de +Venette s'avancer sur la prairie pour leur couper la retraite, la peur +les prend; au cri de «Sauve qui peut!» ils s'élancent d'une course +folle et atteignent en désordre la berge de l'Oise. Les uns se +jetaient dans les bateaux, les autres se pressaient contre le +boulevard du Pont. Ils s'attirèrent ainsi le mal dont ils avaient +peur. Car les Anglais poussèrent le chanfrein de leurs chevaux dans le +dos des fuyards, gagnant à cela que les canons des remparts ne +pouvaient plus tirer sans atteindre les Français[401]. + +[Note 401: Perceval de Cagny, p. 176.--Fauquembergue, dans +_Procès_, t. IV, p. 458.--Monstrelet.--Mémoire à consulter sur G. de +Flavy; Lefèvre de Saint-Remy; Chastellain, _loc. cit._] + +Ceux-ci ayant forcé la barrière du boulevard, les Anglais étaient en +passe d'y pénétrer sur leurs talons, de franchir le pont et d'entrer +dans la place. Le capitaine de Compiègne vit le danger et donna +l'ordre de fermer la porte de la ville. Le pont fut levé et la herse +baissée[402]. + +[Note 402: Mémoire à consulter sur G. de Flavy, _loc. cit._--Du +Fresne de Beaucourt, _Jeanne d'Arc et Guillaume de Flavy_, dans +_Bulletin de la Société de l'Histoire de France_, t. III, 1861, pp. +173 et suiv.--Z. Rendu, _Jeanne d'Arc et G. de Flavy_, Compiègne, +1865, in-8º de 32 p.--A. Sorel, _La prise de Jeanne d'Arc_, p. +209.--P. Champion, _Guillaume de Flavy_, appendice I, pp. 282, 286.] + +Gardant en cette déroute l'illusion héroïque de la victoire, Jeanne, +sur la prairie, entourée seulement de quelques personnes de son +service et de sa parenté, faisait face aux Bourguignons et pensait +encore tout renverser devant elle. + +On lui criait: + +--Mettez-vous en peine de regagner à la ville, ou nous sommes perdus. + +Le regard ébloui par des vols d'anges et d'archanges, elle répondait: + +--Taisez-vous, il ne tiendra qu'à vous qu'ils ne soient déconfits. Ne +pensez que de férir sur eux. + +Et elle disait ce qu'elle disait toujours: + +--Allez en avant! ils sont à nous[403]! + +[Note 403: Perceval de Cagny, p. 175.] + +Ses gens prirent la bride de son cheval et la firent retourner de +force du côté de la ville. Il était trop tard; on ne pouvait plus +entrer dans le boulevard qui commandait le pont: les Anglais +occupaient la tête de la chaussée. La Pucelle, avec sa petite troupe +fidèle fut encognée dans l'angle que formaient le flanc du boulevard +et le remblai de la route, par des gens de Picardie qui, frappant, +écartant ceux qui la protégeaient, l'atteignirent[404]. Un archer la +tira de côté par sa huque de drap d'or et la fit choir à terre. Tous, +ils l'entouraient et lui criaient ensemble: + +--Rendez-vous! + +[Note 404: Perceval de Cagny, p. 175.--Chastellain, t. II, p. +49.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 122; t. III, p. +207.--Quicherat, _Aperçus nouveaux_, p. 87.] + +Pressée de donner sa foi, elle répondit: + +--J'ai juré et baillé ma foi à autre que vous et je lui en tiendrai +mon serment[405]. + +[Note 405: Perceval de Cagny, p. 176.] + +Un de ceux qui la lui demandaient affirma qu'il était noble homme. +Elle se rendit à lui. + +C'était un des archers attachés à la lance du bâtard de Wandomme; il +se nommait Lyonnel. Voyant sa fortune faite, il se montrait plus +joyeux que s'il avait pris un roi[406]. + +[Note 406: Lettre du duc de Bourgogne, dans _Procès_, t. V, p. +166.--Perceval de Cagny, p. 175.--Monstrelet, t. IV, p. 400.--Lefèvre +de Saint-Remy, p. 175.--Chastellain, t. II, p. 49.--Mémoire à +consulter sur G. de Flavy, dans _Procès_, t. V, p. 174.--Martial +d'Auvergne, _Vigiles_, t. I, p. 118.--P. Champion, _loc. cit._, pp. +46-49.--Lanéry d'Arc, _Livre d'or_, pp. 513-518.] + +En même temps que la Pucelle, furent pris Pierre d'Arc, son frère; +Jean d'Aulon, son intendant, et le frère de Jean d'Aulon, Poton, qu'on +surnommait le Bourguignon[407]. À l'estimation des Bourguignons, les +Français perdirent dans cette affaire quatre cents combattants, tués +ou noyés[408]; mais, au dire des Français, la plupart des gens de pied +furent recueillis dans les bateaux amarrés au bord de l'Oise[409]. + +[Note 407: Richer, _Histoire manuscrite de la Pucelle_, livre IV, +fol. 188 et suiv.--P. Champion, _loc. cit._, pièce justificative +XXXIII.--Monstrelet, t. IV, p. 388.--Mémoire à consulter sur G. de +Flavy, _loc. cit._--Lettre du duc de Bourgogne aux habitants de +Saint-Quentin, _loc. cit._--_Journal d'un bourgeois de Paris_, p. +255.--Fauquembergue, dans _Procès_, t. IV, p. 459.] + +[Note 408: Selon le _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 255, 400 +Français tués ou noyés.] + +[Note 409: Mémoire à consulter sur G. de Flavy, dans _Procès_, t. +V, p. 176.--Perceval de Cagny, p. 175.] + +Sans les archers, arbalétriers et couleuvriniers disposés par le sire +de Flavy à la tête du pont, le boulevard était enlevé. Les +Bourguignons n'eurent que vingt blessés et pas de morts[410]. La +Pucelle n'avait pas été beaucoup défendue. + +[Note 410: Lettre du duc de Bourgogne aux habitants de +Saint-Quentin, dans _Procès_, t. V, p. 166.] + +Elle fut conduite désarmée à Margny[411]. À la nouvelle que la +sorcière des Armagnacs était prise, le camp des Bourguignons s'emplit +de cris et de réjouissances. Le duc Philippe voulut la voir. Quand il +s'approcha d'elle, il y eut, dans sa chevalerie et son clergé, des +gens pour le louer de son courage, pour vanter sa piété, pour admirer +que ce très puissant duc n'eût pas peur des larves vomies par +l'enfer[412]. + +[Note 411: Monstrelet, t. IV, p. 388.--Chastellain, t. II, p. +50.--A. Sorel, _La prise de Jeanne d'Arc_, pp. 253 et suiv.] + +[Note 412: Jean Jouffroy, dans d'Achery, _Spicilegium_, III, pp. +823 et suiv.] + +À ce compte, sa chevalerie était aussi brave que lui, car beaucoup de +gentilshommes accouraient pour satisfaire la même curiosité. Parmi +eux, se trouvait messire Enguerrand de Monstrelet, natif du comté de +Boulogne, serviteur de la maison de Luxembourg, auteur de chroniques. +Il entendit les paroles que le duc adressa à la prisonnière, et bien +que, par état, il dût avoir de la mémoire, il les oublia. C'est +peut-être qu'il ne les trouva pas assez chevalereuses pour les mettre +en son livre[413]. + +[Note 413: Monstrelet, t. IV, p. 388.] + +Jeanne resta sous la garde de messire Jean de Luxembourg, à qui elle +appartenait désormais, l'archer qui l'avait prise l'ayant cédée à son +capitaine le bâtard de Wandomme, qui l'avait cédée à son tour à +messire Jean son maître[414]. + +[Note 414: _Ibid._, t. IV, p. 389.--P. Champion, _loc. cit._, p. +168.] + +La tige des Luxembourg s'étendait de l'occident à l'orient chrétien, +jusqu'à la Bohême et la Hongrie, et il en avait fleuri six reines, une +impératrice, quatre rois, quatre empereurs. Issu d'une branche cadette +de cette illustre maison et cadet lui-même mal apanagé, Jean de +Luxembourg avait gagné durement sa chevalerie au service du duc de +Bourgogne. Lorsqu'il prit à rançon la Pucelle, il avait trente-neuf +ans, était couvert de blessures et borgne[415]. + +[Note 415: La _Chronique des cordeliers_ et Monstrelet, +_passim_.--Vallet de Viriville, _Histoire de Charles VII_, t. II, pp. +165-166.] + +Le soir même, de ses quartiers de Coudun, le duc de Bourgogne fit +écrire aux villes de son obéissance la prise de la Pucelle. «De cette +prise seront grandes nouvelles partout, est-il dit dans sa lettre aux +habitants de Saint-Quentin; et sera connue l'erreur et folle créance +de tous ceux qui aux faits de cette femme se sont rendus enclins et +favorables[416].» + +[Note 416: _Procès_, t. V, p. 167.--J. Quicherat, _Aperçus +nouveaux_, p. 95.] + +Le duc manda pareillement cette nouvelle au duc de Bretagne par son +héraut Lorraine; au duc de Savoie, à sa bonne ville de Gand[417]. + +[Note 417: _Procès_, t. V, p. 358.--Le P. Ayroles, _La vraie +Jeanne d'Arc_, t. III, p. 534.--P. Champion, _Guillaume de Flavy_, pp. +169-171.] + +Les survivants de ceux que la Pucelle avait amenés à Compiègne +abandonnèrent le siège et rentrèrent le lendemain dans leurs +garnisons. Le capitaine lombard Barthélemy Baretta, lieutenant de +Jeanne, demeura dans la ville avec trente-deux hommes d'armes, deux +trompettes, deux pages, quarante-huit arbalétriers, vingt archers ou +targiers[418]. + +[Note 418: Mémoire à consulter sur G. de Flavy, dans _Procès_, t. +V, p. 177.--A. Sorel, _La prise de Jeanne d'Arc_, p. 333.] + + + + +CHAPITRE VIII + +LA PUCELLE À BEAULIEU.--LE BERGER DU GÉVAUDAN. + + +La nouvelle parvint à Paris, le matin du 25, que Jeanne était aux +mains des Bourguignons[419]. Dès le lendemain 26, l'Université adressa +au duc Philippe sommation de remettre sa prisonnière au vicaire +général du Grand Inquisiteur de France. En même temps le vicaire +général requérait par lettre le redoutable duc d'amener prisonnière +par devers lui cette fille suspecte de plusieurs crimes sentant +l'hérésie[420]. + +[Note 419: Fauquembergue, dans _Procès_, t. IV, p. 458.--_Journal +d'un bourgeois de Paris_, p. 255.--J. Quicherat, _Aperçus nouveaux_, +p. 96.--Ul. Chevalier, _L'objuration de Jeanne d'Arc au cimetière de +Saint-Ouen et l'authenticité de sa formule_, Paris, 1902, in-8º, p. +18.] + +[Note 420: _Procès_, t. I, pp. 8-10.--E. O'Reilly, _Les deux +procès_, t. II, pp. 13-14.--Le P. Denifle et Châtelain, _Chartularium +Universitatis Parisiensis..._, t. IV, p. 516, nº 2372.] + +«... Nous vous supplions de bonne affection, très puissant prince, +disait-il, et nous prions vos nobles vassaux que par vous et eux +Jeanne nous soit envoyée sûrement et brièvement et avons espérance +qu'ainsi ferez comme vrai protecteur de la foi et défenseur de +l'honneur de Dieu[421]...» + +[Note 421: _Procès_, t. I, p. 12.--E. O'Reilly, _Les deux +procès_.] + +Le vicaire général du Grand Inquisiteur de France, frère Martin +Billoray[422], maître en théologie, appartenait à l'ordre des frères +prêcheurs dont les membres exerçaient les charges principales du saint +office. Au temps d'Innocent III, alors que l'Inquisition exterminait +les Cathares et les Albigeois, les fils de Dominique figuraient dans +les peintures des cloîtres et des chapelles en chiens du Seigneur sous +la forme de grands lévriers blancs tachetés de noir, qui mordaient à +la gorge les loups de l'hérésie[423]. Au XVe siècle, en France, les +dominicains étaient toujours les chiens du Seigneur; ils chassaient +encore l'hérétique, mais couplés à l'évêque. Le Grand Inquisiteur ou +son vicaire ne s'y trouvait point en état d'intenter de son propre +mouvement et de poursuivre à lui seul une action judiciaire; les +évêques maintenaient vis-à-vis de lui leur droit de juger les crimes +contre l'Église. Les procès en matière de foi se faisaient par deux +juges, l'ordinaire, qui pouvait être l'évêque lui-même ou l'official, +et l'Inquisiteur ou son vicaire; et l'on observait les formes +inquisitoriales[424]. + +[Note 422: _Ibid._, t. I, p. 3, 12; t. III, p. 318; t. V, p. 392.] + +[Note 423: _Domini canes._ On les voit ainsi figurés sur les +fresques de la chapelle des Espagnols, à Santa-Maria-Novella, de +Florence.] + +[Note 424: Tanon, _Histoire des tribunaux de l'inquisition en +France_, chap. II.] + +Dans l'affaire de la Pucelle, ce n'était pas seulement un évêque qui +mettait la très sainte Inquisition en mouvement, c'était la fille des +rois, la mère des études, le beau clair soleil de France et de la +chrétienté, l'Université de Paris. Elle s'attribuait le privilège de +connaître dans les causes relatives aux hérésies ou opinions produites +en la ville et aux environs, et ses avis, de toutes parts demandés, +faisaient autorité sur toute la face du monde où la croix est plantée. +Depuis un an, ses docteurs et maîtres en grande multitude et pleins de +lettres, au jugement même de leurs adversaires, réclamaient la remise +de la Pucelle à l'Inquisiteur, comme utile au bien de l'Église et +congruente aux intérêts de la foi; car ils soupçonnaient véhémentement +cette fille de ne point venir de Dieu, mais d'être trompée et abusée +par les artifices du diable; d'agir, non par puissance céleste, mais +par le ministère des démons; d'user de sorcellerie et de pratiquer +l'idolâtrie[425]. + +[Note 425: Le P. Denifle et Châtelain, _Chartularium Universitatis +Parisiensis_, t. IV, p. 510; _Le procès de Jeanne d'Arc et +l'Université de Paris_, Paris, 1897, in-8º, 32 pages.] + +Tout ce qu'ils possédaient de science divine et de raison raisonnante +corroborait cette grave suspicion. Ils étaient Bourguignons et +Anglais, de fait et de consentement, fidèles observateurs du traité +de Troyes qu'ils avaient juré, dévoués au Régent qui leur montrait +beaucoup d'égards; ils abhorraient les Armagnacs qui ruinaient et +désolaient leur ville, la plus belle du monde[426]; ils tenaient le +dauphin Charles pour déchu de ses droits sur le royaume des Lis. Aussi +se trouvaient-ils enclins à croire que la Pucelle des Armagnacs, la +chevaucheuse du dauphin Charles se gouvernait par l'inspiration de +plusieurs démons très horribles. Ils étaient des hommes: on croit ce +qu'on a intérêt à croire; ils étaient des prêtres et voyaient partout +le diable, principalement dans une femme. Sans s'être encore livrés à +un examen approfondi des faits et dits de cette pucelle, ils en +découvraient assez pour demander instamment une enquête. Elle se +disait envoyée de Dieu, fille de Dieu; et se manifestait bavarde, +vaine, rusée, glorieuse en ses habits; elle avait menacé les Anglais, +s'ils ne sortaient de France, de les faire tous occire; elle +commandait les armées; elle était donc homicide, téméraire; elle était +séditieuse, car ceux-là sont séditieux qui tiennent le parti contraire +au nôtre. Naguère, venue en la compagnie de frère Richard, hérétique +et séditieux[427], elle avait menacé les Parisiens de les mettre à +mort sans merci, et commis ce péché mortel de donner l'assaut à la +ville le jour de la Nativité de la très sainte Vierge. Il était urgent +d'examiner si elle avait été mue en tout cela par un bon ou un mauvais +esprit[428]? + +[Note 426: _Journal d'un bourgeois de Paris_, +_passim_.--Fauquembergue, dans _Procès_, t. IV, p. 450.] + +[Note 427: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 237.--T. Basin, +_Histoire de Charles VII et de Louis XI_, t. IV, pp. 103-104.--Monstrelet, +t. IV, chap. LXIII.--Bougenot, _Deux documents inédits relatifs à Jeanne +d'Arc_, dans _Revue Bleue_, 13 fév. 1892, pp. 203-204.] + +[Note 428: Le P. Denifle et Châtelain, _Chartularium Universitatis +Parisiensis..._, t. IV, p. 515, nº 2370; _Le procès de Jeanne d'Arc et +l'Université de Paris_.] + +Le duc de Bourgogne, bien que très attaché aux intérêts de l'Église, +ne déféra pas à l'invitation pressante de l'Université; et messire +Jean de Luxembourg, après avoir gardé la Pucelle trois ou quatre jours +en ses quartiers devant Compiègne, la fit conduire au château de +Beaulieu en Vermandois, à quelques lieues du camp[429]. Il se +montrait, comme son maître, très obéissant fils de notre sainte mère +l'Église; mais la prudence conseillait de laisser venir les Anglais et +les Français et d'attendre leurs offres. + +[Note 429: Monstrelet, t. IV, p. 389.--Perceval de Cagny, p. +176.--Morosini, t. III, pp. 300-302; t. IV, pp. 254-355.--De La +Fons-Mélicocq, _Une cité picarde au moyen âge ou Noyon et les +Noyonnais aux XIVe et XVe siècles_, Noyon, 1841, t. II, pp. +100-105.--En 1441, Lyonnel de Wandomme qui était gouverneur de cette +place en fut chassé par les habitants à la mort de Jean de Luxembourg +(Monstrelet, t. V, p. 456).] + +Jeanne, à Beaulieu, fut traitée avec courtoisie; elle gardait son +état. Messire Jean d'Aulon, son intendant, la servait en sa prison; il +lui dit piteusement un jour: + +--Cette pauvre ville de Compiègne, que vous avez beaucoup aimée, à +cette fois sera remise aux mains et dans la subjection des ennemis de +France. + +Elle lui répondit: + +--Non! ce ne sera point. Car toutes les places que le Roi du ciel a +réduites et remises en la main et obéissance du gentil roi Charles par +mon moyen ne seront point reprises par ses ennemis, tant qu'il fera +diligence pour les garder[430]. + +[Note 430: Perceval de Cagny, p. 177, très suspect.] + +Un jour, elle essaya de s'échapper en se coulant entre deux pièces de +bois. Son intention était d'enfermer les gardes dans la tour et de +prendre les champs, mais le portier la vit et l'arrêta. Elle en +conclut qu'il ne plaisait pas à Dieu qu'elle échappât pour cette +fois[431]. Cependant elle avait le coeur trop bon pour désespérer. Ses +Voix, éprises comme elle de rencontres merveilleuses et de +chevaleresques aventures, lui disaient qu'il fallait qu'elle vît le +roi d'Angleterre[432]. Ainsi, dans son malheur, ses rêves +l'encourageaient et la consolaient. + +[Note 431: _Procès_, t. I, pp. 163-164, 249.] + +[Note 432: _Ibid._, t. I, p. 151.] + +Il y eut grand deuil sur la Loire, quand les habitants des villes +fidèles au roi Charles apprirent le malheur advenu à la Pucelle. Le +peuple qui la vénérait comme une sainte, qui allait jusqu'à dire +qu'elle était la plus grande de toutes les saintes de Dieu après la +bienheureuse Vierge Marie, qui lui élevait des images dans les +chapelles des saints, qui ordonnait pour elle des messes et des +collectes dans les églises, qui portait sur soi des médailles de plomb +où elle était représentée comme si l'Église l'avait déjà +canonisée[433], ne lui retira pas sa foi et continua de croire en +elle[434]; cette fidélité scandalisait les docteurs et maîtres de +l'Université qui en faisaient un grief à la pauvre Pucelle. «Jeanne, +disaient-ils, a tellement séduit le peuple catholique, que beaucoup, +en sa présence, l'ont adorée comme sainte, et en son absence l'adorent +encore[435].» + +[Note 433: Vallet de Viriville, _Note sur deux médailles de plomb +relatives à Jeanne d'Arc_, Paris, 1861, in-8º de 30 pages.--Forgeais, +_Notice sur les plombs historiés trouvés dans la Seine_, Paris, 1860, +in-8º.--J. Quicherat, _Médaille frappée en l'honneur de la Pucelle, +Six dessins sur Jeanne d'Arc tirés d'un manuscrit du XVe siècle_, dans +_l'Autographe_, nº 24, 15 nov. 1864.] + +[Note 434: P. Lanéry d'Arc, _Le culte de Jeanne d'Arc au XVe +siècle_, Paris, 1887, in-8º de 29 pages.] + +[Note 435: _Procès_, t. I, p. 290.] + +C'était vrai de maintes personnes, en maints endroits. Les conseillers +de la ville de Tours ordonnèrent des prières publiques pour demander à +Dieu la délivrance de la Pucelle. On fit une procession générale, à +laquelle assistèrent les chanoines de l'église cathédrale, le clergé +séculier et régulier de la ville, tous marchant nu-pieds[436]. + +[Note 436: Carreau, _Histoire manuscrite de Touraine_, dans +_Procès_, t. V, pp. 253-254.] + +Dans des villes du Dauphiné, on récita à la messe des oraisons pour la +Pucelle: + +«_Collecte._--Dieu puissant et éternel qui, dans votre sainte et +ineffable miséricorde, et dans votre admirable puissance, avez +commandé à la Pucelle de relever et sauver le royaume de France, et +de repousser, confondre et anéantir ses ennemis et qui avez permis +que, pendant qu'elle accomplissait cette oeuvre sainte, ordonnée par +vous, elle tombât aux mains et dans les liens de ses ennemis, nous +vous prions, par l'intercession de la bienheureuse Vierge Marie et de +tous les saints de la délivrer de leurs mains, sans qu'elle ait +éprouvé aucun mal, afin qu'elle achève d'accomplir ce pour quoi vous +l'avez envoyée. + +»Par Notre-Seigneur Jésus-Christ, etc.» + +«_Secrète._--Dieu tout-puissant, père des vertus, que votre +bénédiction sacro-sainte descende sur cette oblation; que votre +puissance admirable se déploie, que par l'intercession de la +bienheureuse Vierge Marie et de tous les saints, Elle délivre la +Pucelle des prisons de ses ennemis afin qu'elle achève d'accomplir ce +pourquoi vous l'avez envoyée. + +»Par Notre-Seigneur Jésus-Christ, etc.» + +«_Post-Communion._--Dieu tout-puissant, daignez écouter les prières de +votre peuple: par la vertu des sacrements que nous venons de recevoir, +par l'intercession de la bienheureuse Vierge Marie et de tous les +saints, brisez les fers de la Pucelle qui, en exécutant les oeuvres +que vous lui avez commandées, a été et est encore enfermée dans les +prisons de nos ennemis; que votre compassion et votre miséricorde +divine lui permettent d'accomplir, exempte de péril, ce pourquoi vous +l'avez envoyée. + +»Par Notre-Seigneur Jésus-Christ, etc[437].» + +[Note 437: _Procès_, t. V, p. 104.--E. Maignien, _Oraisons latines +pour la délivrance de Jeanne d'Arc_, Grenoble, 1867, in-8º (_Revue des +Sociétés savantes_, t. IV, pp. 412-414).--G. de Braux, _Trois oraisons +pour la délivrance de Jeanne d'Arc_, dans _Journal de la Société +d'archéologie lorraine_, juin 1887, pp. 125, 127.] + +Apprenant que cette pucelle, par lui jadis soupçonnée de mauvais +desseins, puis reconnue toute bonne, venait de tomber aux mains des +ennemis du royaume, messire Jacques Gélu, seigneur archevêque +d'Embrun, dépêcha au roi Charles un exprès avec une lettre sur la +conduite à tenir en ces conjonctures malheureuses[438]. + +[Note 438: _Vita Jacobi Gelu ab ipso conscripta_, dans _Bulletin +de la Société archéologique de Touraine_, III, 1867, pp. 266 et +suiv.--Le R. P. Marcellin Fornier, _Histoire des Alpes Maritimes ou +Cottiennes_, t. II, pp. 313 et suiv.] + +S'adressant au prince dont il a jadis guidé l'enfance, messire Jacques +commence par lui rappeler ce que, avec le secours du Ciel, la Pucelle +a fait pour lui, d'un si grand courage. Il le prie d'examiner sa +conscience pour voir s'il n'a en rien offensé la bonté de Dieu. Car +c'est peut-être dans sa colère contre le roi que le Seigneur a permis +que cette vierge fût prise. Il l'invite, sur son honneur, à tout +tenter et à tout dépenser afin de la ravoir. + +«Je vous recommande, dit-il, que, pour le recouvrement de cette fille +et pour le rachat de sa vie, vous n'épargniez ni moyens ni argent, ni +quel prix que ce soit, si vous n'êtes prêt d'encourir le blâme +indélébile d'une très reprochable ingratitude.» + +Il lui conseille, en outre, de faire ordonner partout des prières pour +la délivrance de cette Pucelle afin que si cet accident était arrivé +par quelque manquement ou du roi ou du peuple, il plût à Dieu de le +pardonner[439]. + +[Note 439: Le R. P. Marcellin Fornier, _Histoire générale des +Alpes Maritimes ou Cottiennes_, t. II, pp. 319-320.] + +Ainsi parla, non sans force ni sans charité, ce vieil évêque, moins +évêque qu'ermite, à qui toutefois il souvenait d'avoir été conseiller +delphinal dans des temps mauvais et qui aimait chèrement le roi et le +royaume. + +On a soupçonné le sire de la Trémouille et le seigneur archevêque de +Reims, d'avoir voulu se débarrasser d'elle et de l'avoir poussée à sa +perte; on a cru découvrir les ténébreux moyens par lesquels ils la +firent battre à Paris, à La Charité, à Compiègne[440]. La vérité est +qu'ils n'eurent pas besoin de s'en mêler. À Paris, c'eût été grand +hasard qu'elle pût passer le fossé, puisque ni elle, ni ses compagnons +n'en connaissaient la profondeur; d'ailleurs ce ne fut pas la faute du +roi et de son Conseil si les carmes, sur lesquels on comptait, +n'ouvrirent pas les portes. Le siège de La Charité fut conduit non par +la Pucelle, mais par le sire d'Albret et plusieurs vaillants +capitaines. Lors de la sortie de Compiègne, il était certain que, si +l'on s'attardait à Margny, on serait coupé par les Anglais de Venette +et les Bourguignons de Clairoix et bientôt écrasé par ceux de Coudun. +On s'oublia dans les délices du pillage; il arriva ce qui devait +arriver. + +[Note 440: Thomassin, dans _Procès_, t. IV, p. 312.--_Chronique du +doyen de Saint-Thibaud_, dans _Procès_, t. IV, p. 323.--_Chronique de +Tournai_, dans _Recueil des Chroniques de Flandre_, t. III, p. +415.--_Chronique de Normandie_, éd. A. Hellot, Rouen, 1881, in-8º, pp. +77-78.--_Chronique de Lorraine_, éd. abbé Marchal (_Recueil de +documents sur l'Histoire de Lorraine_, t. V.).] + +Et pourquoi le sire chambellan et le seigneur archevêque auraient-ils +voulu se débarrasser de la Pucelle? Elle ne les gênait pas; tout au +contraire, elle leur était utile; ils l'employaient. En prophétisant +qu'elle ferait sacrer le roi à Reims, elle avait grandement servi +messire Regnault, à qui le voyage de Champagne profitait plus qu'à +tout autre, plus qu'au roi, qui y gagnait d'être sacré, mais y +manquait de reprendre Paris et la Normandie. Le seigneur archevêque +n'en gardait pas beaucoup de reconnaissance à la Pucelle; c'était un +homme égoïste et dur; mais lui voulait-il du mal? et n'avait-il plus +besoin d'elle? Il tenait à Senlis le parti du roi, et sûrement il le +tenait de son mieux, puisqu'il défendait, avec les villes rendues à +leur juste maître, sa cité épiscopale et ducale, ses bénéfices et ses +prébendes. Ne pensait-il pas à se servir d'elle contre les +Bourguignons? Nous avions déjà trouvé des raisons de croire que, à la +fin de mars, il demanda au sire de la Trémouille de la lui envoyer de +Sully avec une belle compagnie, pour guerroyer dans l'Île-de-France. +Et ce qui va nous confirmer dans cette idée, c'est que nous voyons +que, lorsqu'elle vint malheureusement à leur manquer, l'évêque et le +chambellan s'efforcèrent de la remplacer par une personne, comme elle, +favorisée de visions et se disant, comme elle, envoyée de Dieu, et +que, à défaut d'une pucelle, les deux compères essayèrent d'un puceau. +Ils s'y résolurent peu de jours après la prise de Jeanne, et voici +dans quelles circonstances. + +Quelque temps auparavant, un jeune berger du Gévaudan, nommé +Guillaume, qui paissait ses troupeaux au pied des monts Lozère et les +gardait du loup et du lynx, eut des révélations concernant le royaume +de France. Ce berger était vierge comme Jean, le disciple préféré du +Seigneur. Dans une des cavernes de la montagne de Mende, où le saint +apôtre Privat avait prié et jeûné, il eut l'oreille frappée par une +voix du ciel et il connut qu'il était envoyé par Dieu vers le roi de +France. Il alla à Mende, ainsi que Jeanne était allée à Vaucouleurs, +pour se faire conduire au roi. Il trouva des personnes pieuses qui, +touchées de sa sainteté et persuadées qu'une vertu était en lui, +pourvurent à son équipement et à son viatique; ce qui, à vrai dire, +était peu de chose. Il tint au roi les mêmes propos que la Pucelle lui +avait tenus: + +--Sire, dit-il, j'ai commandement d'aller avec vos gens; et sans faute +les Anglais et les Bourguignons seront déconfits[441]. + +[Note 441: Analyse d'une lettre de Regnault de Chartres aux +habitants de Reims, _Procès_, t. V, p. 168.] + +Le roi lui fit un accueil bienveillant. Les clercs, qui avaient +interrogé la Pucelle, auraient craint sans doute, en repoussant ce +jeune berger, de mépriser le secours du Saint-Esprit. Amos fut pasteur +de troupeaux et le Seigneur lui accorda le don de prophétie: «Je te +confesserai, mon père, Dieu du ciel et de la terre, qui as révélé aux +humbles ce que tu as caché aux sages et aux prudents.» (Math., XI.) + +Certes, pour inspirer foi il fallait qu'il donnât un signe, mais les +clercs de Poitiers qui, par le malheur des temps, gémissaient dans une +extrême indigence, n'étaient pas trop exigeants en fait de preuves; +ils avaient conseillé au roi de mettre en oeuvre la Pucelle sur la +seule promesse que, en signe de sa mission, elle délivrerait Orléans. +Le pastour du Gévaudan n'allégua pas seulement des promesses: il +montra de merveilleuses marques sur son corps. De même que saint +François, il avait reçu les stigmates et portait aux pieds, aux mains, +au côté, des plaies sanglantes[442]. + +[Note 442: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 272.--Lefèvre de +Saint-Remy, t. II, p. 263.--Martial d'Auvergne, _Vigiles_, t. I, p. +124.] + +C'était pour les religieux mendiants un grand sujet de joie, que leur +père spirituel eût ainsi partagé la Passion de Notre-Seigneur. +Pareille grâce avait été accordée à la bienheureuse Catherine de +Sienne, de l'ordre de Saint-Dominique. Mais, s'il y avait des +stigmates miraculeux, imprimés par Jésus-Christ lui-même, on voyait +aussi des stigmates magiques, qui étaient l'oeuvre du Diable, et il +importait grandement de faire le discernement des uns et des +autres[443]. On y parvenait à force de science et de piété. Il parut +que les stigmates de Guillaume n'étaient pas diaboliques; car on +résolut de le mettre en oeuvre comme on avait fait pour Jeanne, pour +Catherine de La Rochelle et pour les deux Bretonnes, filles +spirituelles du frère Richard. + +[Note 443: A. Maury, _La stigmatisation et les stigmates_, dans +_Revue des Deux Mondes_, 1854, c. VIII, pp. 454-482.--Dr Subled, _Les +stigmates selon la science_, dans _Science catholique_, 1894, t. VIII, +pp. 1073 et suiv.; t. IX, pp. 2 et suiv.] + +Quand la Pucelle tomba aux mains des Bourguignons, le sire de la +Trémouille se tenait auprès du roi, sur la Loire, où l'on ne faisait +plus la guerre depuis le malheureux siège de La Charité. Il envoya le +petit berger au seigneur archevêque de Reims alors aux prises, sur +l'Oise, avec les Bourguignons que commandait le duc Philippe lui-même. +Messire Regnault avait probablement réclamé l'innocent; en tout cas il +l'accueillit volontiers, le tint sous sa main, à Beauvais, le +surveillant et l'interrogeant, prêt à le lancer au moment favorable. +Un jour, soit pour l'éprouver, soit que la nouvelle eût couru et +trouvé créance, on annonça au jeune Guillaume que les Anglais avaient +fait mourir Jeanne. + +--Tant plus leur en mescherra, répondit-il[444]. + +[Note 444: Lettre de Regnault de Chartres, dans _Procès_, t. V, p. +168.] + +À cette heure, après les rivalités, les jalousies, qui avaient agité +le béguinage royal, il ne restait au frère Richard qu'une seule de +ses pénitentes, la dame Catherine de La Rochelle, qui découvrait les +trésors cachés[445]. Le petit berger se montra aussi peu favorable à +la Pucelle que la dame Catherine. + +[Note 445: _Procès_, t. I, pp. 295 et suiv.] + +--Dieu, dit-il, a souffert que Jeanne fût prise, parce qu'elle s'était +constituée en orgueil et pour les riches habits qu'elle avait pris et +parce qu'elle n'avait pas fait ce que Dieu lui avait commandé, mais +avait fait sa volonté[446]. + +[Note 446: Lettre de Regnault de Chartres, dans _Procès_, t. V, p. +168.] + +Ces propos lui étaient-ils soufflés par les ennemis de la Pucelle? Il +se peut; il est possible aussi qu'il les eût trouvés d'inspiration. +Les saints et les saintes ne sont pas toujours tendres les uns pour +les autres. + +Cependant messire Regnault de Chartres pensait tenir la merveille qui +remplacerait la merveille perdue. Il écrivit une lettre aux habitants +de sa ville de Reims, par laquelle il leur mandait que la Pucelle +avait été prise à Compiègne. + +Ce mal lui advint par sa faute, ajouta-t-il. «Elle ne voulait croire +conseil, mais faisait tout à son plaisir.» En sa place, Dieu a envoyé +un pastourel «qui dit ni plus ni moins qu'avait fait Jeanne. Il a +commandement de déconfire sans faute les Anglais et les Bourguignons». +Et le seigneur archevêque n'oublie pas de rapporter les paroles par +lesquelles l'inspiré du Gévaudan avait représenté Jeanne comme +orgueilleuse, brave en ses habits, rebelle en son coeur[447]. +Révérend père en Dieu monseigneur Regnault n'aurait jamais consenti à +se servir d'une hérétique ou d'un sorcier; il croyait en Guillaume +comme il avait cru en Jeanne; il les tenait l'un et l'autre pour +envoyés du ciel, en ce sens que tout ce qui ne vient pas du diable +vient de Dieu. Il lui suffisait qu'on n'eût rien découvert de mauvais +en cet enfant et il pensait l'essayer, espérant que ce qu'avait fait +Jeanne, Guillaume le ferait bien. Qu'il eût tort ou raison, +l'événement en devait décider, mais il eût pu exalter le pastourel +sans renier la sainte si près de son martyre. Sans doute croyait-il +nécessaire de dégager la fortune du royaume de la fortune de Jeanne. +Et il eut ce courage. + +[Note 447: _Procès_, t. V, p. 168.] + + + + +CHAPITRE IX + +LA PUCELLE À BEAUREVOIR.--CATHERINE DE LA ROCHELLE À PARIS.--SUPPLICE +DE LA PIERRONNE. + + +La Pucelle avait été prise dans l'évêché de Beauvais[448]. L'évêque +comte de Beauvais était alors Pierre Cauchon, natif de Reims, grand et +solennel clerc de l'Université de Paris qui l'avait élu recteur en +l'an 1403. Messire Pierre Cauchon n'était point un homme modéré; il +s'était jeté très ardemment dans les émeutes cabochiennes[449]. En +1414, le duc de Bourgogne l'avait envoyé en ambassade au concile de +Constance pour y défendre les doctrines de Jean Petit[450], puis +nommé maître des requêtes en 1418, et fait asseoir enfin dans le siège +épiscopal de Beauvais[451]. Également favorisé par les Anglais, +messire Pierre était conseiller du roi Henri VI, aumônier de France et +chancelier de la reine d'Angleterre; il résidait assez habituellement +à Rouen depuis l'année 1423. Les habitants de Beauvais, en se donnant +au roi Charles, l'avaient privé de ses revenus épiscopaux[452]. Et +comme les Anglais disaient et croyaient que l'armée du roi de France +était alors commandée par frère Richard et la Pucelle, messire Pierre +Cauchon, évêque destitué de Beauvais, avait contre Jeanne un grief +personnel. Il eût mieux valu pour son honneur qu'il s'abstînt de +venger l'honneur de l'Église sur une fille, peut-être idolâtre, +invocatrice de diables et devineresse, mais qui sûrement avait encouru +son inimitié. Il était aux gages du Régent[453]; or, le Régent +nourrissait pour la Pucelle beaucoup de haine et de rancune[454]. Pour +son honneur encore, le seigneur évêque de Beauvais aurait dû songer +qu'en poursuivant Jeanne en matière de foi, il semblait servir les +haines d'un maître et les intérêts temporels des puissants de ce +monde. Il n'y songea pas; tout au contraire, cette affaire à la fois +temporelle et spirituelle, ambiguë comme son état, excitait ses +appétits. Il se jeta dessus avec l'étourderie des violents. Une fille +à dévorer, hérétique et de plus armagnaque, quel régal pour le prélat, +conseiller du roi Henri! Après s'être concerté avec les docteurs et +maîtres de l'Université de Paris, il se présenta, le 14 juillet, au +camp de Compiègne et réclama la Pucelle comme appartenant à sa +justice[455]. + +[Note 448: Le fait ne fut pas contesté à l'époque; mais ce qui +pouvait être matière à discussion, c'était de savoir si vraiment +l'évêque de Beauvais avait juridiction ordinaire sur la Pucelle. Voir +à ce sujet: Abbé Ph.-H. Dunand, _Histoire complète de Jeanne d'Arc_, +Paris, 1899, t. II, pp. 412-413.] + +[Note 449: Robillard de Beaurepaire, _Notes sur les juges et assesseurs +du procès de Jeanne d'Arc_, Rouen, 1890, p. 12.--Douët-d'Arcq, _Choix de +pièces inédites relatives au règne de Charles VI_, t. I, pp. +356-357.--Chanoine Cerf, _Pierre Cauchon de Sommièvre, chanoine de Reims +et de Beauvais, évêque de Beauvais et de Lisieux; son origine, ses +dignités, sa mort et ses sépultures_, dans _Travaux de l'Académie de +Reims_, CI (1898), pp. 363 et suiv.--A. Sarrazin, _Pierre Cauchon, juge +de Jeanne d'Arc_, Paris, 1901, in-8º, pp. 26 et suiv.] + +[Note 450: Le P. Ayroles, _La vraie Jeanne d'Arc_, t. I, p. +116.--A. Sarrazin, _P. Cauchon_, pp. 36-37.] + +[Note 451: Du Boulay, _Historia Universitatis Parisiensis_, 1670, +t. V, p. 912.--L'abbé Delettre, _Histoire du diocèse de Beauvais_, +Beauvais, 1842, t. II, p. 348.] + +[Note 452: Robillard de Beaurepaire, _Notes sur les juges_, p. +13.] + +[Note 453: A. Sarrazin, _P. Cauchon_, pp. 58 et suiv.] + +[Note 454: Rymer, _Foedera_, t. X, p. 408 et _passim_.] + +[Note 455: _Procès_, t. I, p. 13.--Vallet de Viriville, _Procès de +condamnation_, pp. 10 et suiv.--A. Sarrazin, _P. Cauchon_, pp. 108 et +suiv.] + +Il présentait à l'appui de sa demande les lettres adressées par +l'_alma Mater_ au duc de Bourgogne et au seigneur Jean de Luxembourg. + +À l'illustrissime prince, duc de Bourgogne, l'Université mandait +qu'elle avait une première fois réclamé cette femme, dite la Pucelle, +et n'avait point reçu de réponse. + +«Nous craignons fort, disaient ensuite les docteurs et maîtres, que, +par la fausseté et séduction de l'Ennemi d'enfer et par la malice et +subtilité de mauvaises personnes, vos ennemis et adversaires, qui +mettent tous leurs soins, dit-on, à délivrer cette femme par voies +obliques, elle ne soit mise hors de votre pouvoir en quelque manière. + +»Pourtant, l'Université espère qu'un tel déshonneur sera épargné au +très chrétien nom de la maison de France, et supplie derechef Sa +Hautesse le duc de Bourgogne de remettre cette femme soit à +l'inquisiteur du mal hérétique, soit à monseigneur l'évêque de +Beauvais en la juridiction spirituelle de qui elle a été prise.» + +Voici la lettre que les docteurs et maîtres de l'Université avaient +remise au seigneur évêque de Beauvais pour le Seigneur Jean de +Luxembourg: + + Très noble, honoré et puissant seigneur, nous nous recommandons + très affectueusement à votre haute noblesse. Votre noble prudence + sait bien et connaît que tous bons chevaliers catholiques doivent + leur force et puissance employer premièrement au service de Dieu; + et après au profit de la chose publique. Spécialement, le serment + premier de l'ordre de chevalerie est de garder et défendre + l'honneur de Dieu, la foi catholique et sa sainte Église. De cet + engagement sacré il vous est bien souvenu quand vous avez employé + votre noble puissance et votre personne à appréhender cette femme + qui se dit la Pucelle, au moyen de laquelle l'honneur de Dieu a + été sans mesure offensé, la foi excessivement blessée et l'Église + trop fort déshonorée; car, par son occasion, idolâtries, erreurs, + mauvaises doctrines et autres maux et inconvénients démesurés se + sont produits en ce royaume. Et en vérité, tous les loyaux + chrétiens vous doivent remercier grandement d'avoir rendu si + grand service à notre sainte foi et à tout ce royaume. Quant à + nous, nous en remercions Dieu de tout notre coeur, et nous vous + remercions de votre noble prouesse aussi affectueusement que nous + le pouvons faire. Mais ce serait peu de chose que d'avoir fait + telle prise, s'il n'y était donné suite convenable, en sorte que + cette femme puisse répondre des offenses qu'elle a perpétrées + contre notre doux Créateur, sa foi et sa sainte Église, ainsi que + de ses autres méfaits qu'on dit innombrables. Le mal serait plus + grand que jamais, le peuple en plus grande erreur que devant et + la Majesté divine trop intolérablement offensée, si la chose + demeurait en ce point, ou s'il advenait que cette femme fût + délivrée ou reprise comme quelques-uns de nos ennemis, dit-on, le + veulent, s'y efforcent et s'y appliquent de toute leur + intelligence, par toutes voies secrètes et, qui pis est, par + argent ou rançon. Mais nous espérons que Dieu ne permettra pas + qu'un si grand mal advienne à son peuple, et que votre bonne et + noble prudence ne le souffrira pas, mais qu'elle y saura bien + pourvoir convenablement. + + Car si délivrance était faite ainsi d'elle, sans convenable + réparation, ce serait un déshonneur irréparable sur votre grande + noblesse et sur tous ceux qui se seraient entremis dans cette + affaire. Mais votre bonne et noble prudence saura pourvoir à ce + qu'un tel scandale cesse le plus tôt que faire se pourra, comme + besoin est. Et parce qu'en cette affaire tout délai est très + périlleux et très préjudiciable à ce royaume, nous supplions très + amicalement, avec une cordiale affection, votre puissante et + honorée noblesse de vouloir bien, pour l'honneur divin, la + conservation de la sainte foi catholique, le bien et la gloire du + royaume, envoyer cette femme en justice et la faire ici remettre + à l'inquisiteur de la foi qui l'a réclamée et la réclame + instamment, afin d'examiner les grandes charges qui pèsent sur + elle, en sorte que Dieu en puisse être content, le peuple dûment + édifié en bonne et sainte doctrine. Ou bien, vous plaise faire + remettre et délivrer cette femme à révérend père en Dieu, notre + très honoré seigneur l'évêque de Beauvais, qui l'a pareillement + réclamée et en la juridiction duquel elle a été prise, dit-on. Ce + prélat et cet inquisiteur sont juges de cette femme en matière de + foi; et tout chrétien, de quelque état qu'il soit, est tenu de + leur obéir, dans le cas présent, sous les peines de droit qui + sont grandes. En faisant cela, vous acquerrez la grâce et amour + de la haute Divinité, vous serez moyen de l'exaltation de la + sainte foi, et aussi vous accroîtrez la gloire de votre très haut + et noble nom et en même temps celle de très haut et très puissant + prince, notre très redouté seigneur et le vôtre, monseigneur de + Bourgogne. Chacun sera tenu de prier Dieu, pour la prospérité de + votre très noble personne; laquelle Dieu notre Sauveur, veuille, + par sa grâce, conduire et garder en toutes ses affaires et + finalement lui rétribuer joie sans fin. + + Fait à Paris, le quatorzième jour de juillet 1430[456]. + +[Note 456: _Procès_, t. I, pp. 10-11.--M. Fournier, _La faculté de +décret_, t. I, p. 353, note.] + +En même temps qu'il était porteur de ces lettres, révérend père en +Dieu, l'évêque de Beauvais était chargé d'offres d'argent[457]. Et il +semble vraiment étrange qu'au moment même où il représentait au +seigneur de Luxembourg, par l'organe de l'Université, qu'il ne pouvait +vendre sa prisonnière sans crime, il la lui vînt lui-même acheter. Sur +la foi de ces hommes d'Église, messire Jean encourait des peines +terribles en ce monde et dans l'autre si, conformément aux droits et +coutumes de la guerre, il délivrait contre finance une personne prise +à rançon, et il s'attirait louanges et bénédictions si traîtreusement +il vendait sa captive à ceux qui voulaient la faire mourir. Du moins +le seigneur évêque, lui, vient-il acheter cette femme pour l'Église, +avec l'argent de l'Église? Non! Avec l'argent des Anglais. Donc elle +est livrée non pas à l'Église mais aux Anglais. Et c'est un prêtre, +au nom des intérêts de Dieu et de l'Église, en vertu de sa juridiction +ecclésiastique, qui conclut le marché. Il offre dix mille francs d'or, +somme au prix de laquelle, dit-il, le roi, selon la coutume de France, +a le droit de se faire remettre tout prisonnier, fût-il de sang +royal[458]. + +[Note 457: _Ibid._, t. I, pp. 13-14.] + +[Note 458: _Procès_, t. I, p. 14.] + +Que messire Pierre Cauchon, grand et solennel clerc, soupçonnât Jeanne +de sorcellerie, le doute n'est pas possible sur ce point. La voulant +juger, il agissait en évêque. Mais il la savait ennemie des Anglais et +sa propre ennemie: nul doute non plus sur ce point. La voulant juger, +il agissait en conseiller du roi Henri. Pour dix mille francs d'or, +achetait-il une sorcière ou l'ennemie des Anglais? Et si c'était +seulement une sorcière et une idolâtre que le sacré inquisiteur, que +l'Université, que l'ordinaire réclamaient pour la gloire de Dieu et à +prix d'or, à quoi bon tant d'efforts et de dépense? Ne valait-il pas +mieux agir en cette matière de concert avec les clercs du roi Charles? +Les Armagnacs n'étaient pas des infidèles, des hérétiques; ils +n'étaient pas des Turcs, des Hussites; ils étaient des catholiques; +ils reconnaissaient le pape de Rome comme vrai chef de la chrétienté. +Le dauphin Charles et son clergé n'étaient pas excommuniés; le pape ne +disait anathèmes ni ceux qui tenaient pour nul le traité de Troyes, ni +ceux qui l'avaient juré; ce n'était pas matière de foi. Dans les pays +de l'obéissance du roi Charles la sainte inquisition poursuivait +curieusement le mal hérétique et le bras séculier pourvoyait à ce que +les jugements d'Église ne fussent point de vaines rêveries. Tout aussi +bien que les Français et les Bourguignons, les Armagnacs brûlaient les +sorcières. Sans doute, ils ne pensaient pas, pour l'heure, que la +Pucelle fût possédée de plusieurs diables; la plupart d'entre eux +croyaient préférablement que c'était une sainte. Mais ne pouvait-on +les détromper? N'était-il pas charitable de leur opposer de beaux +arguments canoniques? Si la cause de cette Pucelle était vraiment une +cause ecclésiastique, pourquoi ne pas se concerter entre les clercs +des deux partis en vue de la porter devant le pape et le concile? +Précisément un concile pour la réforme de l'Église et la paix des +royaumes était convoqué dans la ville de Bâle; l'Université désignait +des délégués qui devaient s'y rencontrer avec les clercs du roi +Charles, gallicans comme eux et obstinément attachés comme eux aux +privilèges de l'Église de France[459]. Pourquoi n'y pas faire juger la +prophétesse des Armagnacs par les Pères assemblés? Mais il fallait que +les choses prissent un autre tour dans l'intérêt de Henri de Lancastre +et pour la gloire de la vieille Angleterre. Déjà les conseillers du +Régent accusaient Jeanne de sorcellerie quand elle les sommait, de par +le Roi du ciel, de s'en aller hors la France. Lors du siège d'Orléans, +ils voulaient brûler ses hérauts, et disaient que s'ils la tenaient, +ils la feraient brûler. Telle était certes leur ferme intention et +leur constant propos, ce qui ne veut pas dire qu'ils songèrent, dès +qu'elle fut prise, à la remettre aux clercs. Dans leur royaume, ils +brûlaient autant que possible les sorciers et les sorcières; toutefois +ils n'avaient jamais souffert que la sacrée inquisition s'y établît, +et ils connaissaient fort mal cette sorte de justice. Avisé que Jeanne +était aux mains du sire de Luxembourg, le grand conseil d'Angleterre +fut unanime pour qu'on l'achetât à tout prix. Plusieurs lords +recommandèrent, dès qu'on la tiendrait, de la coudre dans un sac et de +la jeter à la rivière. Mais l'un d'eux (on a dit que c'était le comte +de Warwick) leur représenta qu'il fallait qu'elle fût jugée, +convaincue d'hérésie et de sorcellerie, par un tribunal +ecclésiastique, solennellement déshonorée, afin que son roi fût +déshonoré avec elle[460]. Quelle honte pour Charles de Valois, se +disant roi de France, si l'Université de Paris, si les prélats +français, évêques, abbés, chanoines, si l'Église universelle enfin +déclarait qu'une sorcière avait siégé dans ses conseils, conduit ses +armées, qu'une possédée l'avait mené à son sacre impie, sacrilège et +dérisoire! Le procès de la Pucelle serait le procès de Charles VII, +la condamnation de la Pucelle serait la condamnation de Charles VII. +L'idée parut bonne et l'on s'y tint. + +[Note 459: Du Boulay, _Historia Universitatis Parisiensis_, t. V, +pp. 393-408.--_Monumenta conciliorum generalium seculi decimi quinti_, +t. I, pp. 70 et suiv. Le P. Denifle et Châtelain, _Le procès de Jeanne +d'Arc et l'Université de Paris_.] + +[Note 460: Valeran Varanius, éd. Prarond, Paris, 1889, liv. IV, p. +100.] + +Le seigneur évêque de Beauvais s'empressa de l'exécuter, tout +bouillant de juger, lui, prêtre et conseiller d'État, sous le semblant +d'une malheureuse hérétique, le descendant de Clovis, de saint +Charlemagne et de saint Louis. + +Au commencement d'août, le sire de Luxembourg fit transporter la +Pucelle, de Beaulieu, qui était trop peu sûr, à Beaurevoir, près +Cambrai[461]. Là, vivaient les dames Jeanne de Luxembourg et Jeanne de +Béthune. Jeanne de Luxembourg était tante du seigneur Jean qu'elle +aimait tendrement; elle avait vécu parmi les puissants de ce monde +comme une sainte, et sans contracter d'alliance; jadis demoiselle +d'honneur de la reine Ysabeau, marraine du roi Charles VII, une des +grandes affaires de sa vie avait été de solliciter auprès du pape +Martin la canonisation de son frère, le cardinal de Luxembourg, mort +en Avignon dans sa dix-neuvième année. On l'appelait la demoiselle de +Luxembourg. Elle était âgée de soixante-sept ans, malade et près de sa +fin[462]. + +[Note 461: _Procès_, t. I, pp. 109-110; t. II, p. 298; t. III, p. +121.--Monstrelet, t. IV, p. 389.--E. Gomart, _Jeanne d'Arc au château +de Beaurevoir_, Cambrai, 1865, in-8º, 47 pages (_Mém. de la Soc. +d'émulation de Cambrai_, XXXVIII, 2, pp. 305-348).--L. Sambier, +_Jeanne d'Arc et la région du Nord_, Lille, 1901, in-8º, 63 +pages.--Cf. Morosini, t. III, p. 300, notes 3 et 4; t. IV, annexe +XXI.] + +[Note 462: _Procès_, t. I, pp. 95, 231.--Monstrelet, t. IV, p. +402.--Vallet de Viriville, _Histoire de Charles VII_, t. I, p. 2; t. +II, pp. 72-73.] + +Jeanne de Béthune, veuve du seigneur Robert de Bar, tué à la bataille +d'Azincourt, avait épousé, en 1418, le seigneur Jean. Elle passait +pour pitoyable, ayant demandé à son époux et obtenu, en l'an 1424, la +grâce d'un gentilhomme picard amené prisonnier à Beaurevoir et en +grand danger d'être décapité et puis écartelé[463]. + +[Note 463: A. Duchêne, _Histoire de la maison de Béthune_, chap. +III, et preuves, p. 33.--Vallet de Viriville, _loc. cit._ et Morosini, +t. IV, pp. 352, 354.] + +Ces deux dames traitèrent Jeanne avec douceur. Elles lui offrirent des +vêtements de femme ou du drap pour en faire; et elles la pressèrent de +quitter un habit qui leur paraissait mal séant. Jeanne s'y refusa, +alléguant qu'elle n'en avait pas congé de Notre-Seigneur et qu'il +n'était pas encore temps; mais elle avoua, par la suite, que, si elle +avait pu quitter l'habit d'homme, elle l'aurait fait à la requête de +ces deux dames préférablement à celle de toute autre dame de France, +sa reine exceptée[464]. + +[Note 464: _Procès_, t. I, pp. 95, 231.] + +Un gentilhomme du parti de Bourgogne, qui se nommait Aimond de Macy, +la venait souvent voir et conversait volontiers avec elle. Elle ne lui +tenait que de bons propos, se montrait honnête de fait et dans tous +ses gestes. Toutefois sire Aimond, qui n'avait guère que trente ans, +la trouva fort agréable de sa personne[465]. Si l'on en croit certains +témoignages de son parti, Jeanne, quoique belle, n'inspirait pas de +désirs aux hommes; mais cette grâce singulière ne s'exerçait que sur +les Armagnacs; elle ne s'étendait pas aux Bourguignons et le seigneur +Aimond n'en fut point touché, car il tenta un jour de lui mettre la +main dans le sein. Elle l'en empêcha bien et le repoussa de toutes ses +forces. Le seigneur Aimond en conclut, comme plus d'un aurait fait à +sa place, que cette fille était d'une rare vertu. Il s'en portait +caution[466]. + +[Note 465: _Ibid._, t. II, pp. 438, 457; t. III, pp. 15, 19.] + +[Note 466: _Procès_, t. III, pp. 120-121.] + +Enfermée dans le donjon du château, Jeanne tendait son esprit sur +cette seule idée d'aller revoir ses amis de Compiègne; elle ne +songeait qu'à s'échapper. Il lui vint, on ne sait comment, de +mauvaises nouvelles de France. Elle croyait savoir que tous ceux de +Compiègne, depuis l'âge de sept ans, seraient massacrés. Elle disait: +«seraient mis à feu et à sang»; événement d'ailleurs certain, si la +ville eût été prise. + +Confiant à madame sainte Catherine ses douleurs et son invincible +désir, elle demandait: + +--Comment Dieu laissera-t-il mourir ces bonnes gens de Compiègne, qui +ont été et sont si loyaux à leur seigneur[467]? + +[Note 467: _Ibid._, t. I, p. 150.] + +Et dans son rêve, mêlée aux saintes, comme on voit les donatrices dans +les tableaux d'église, agenouillée et ravie, elle priait avec ses +conseillères du ciel, pour les habitants de Compiègne. + +Ce qu'elle avait ouï de leur sort lui causait une douleur infinie, et +elle aimait mieux mourir que vivre après une telle destruction de +bonnes gens. C'est pourquoi elle fut véhémentement tentée de sauter du +haut du donjon. Et, comme elle savait bien tout ce qu'on pouvait lui +dire à rencontre, elle entendait ses Voix le lui ramentevoir. + +Madame sainte Catherine lui répétait presque tous les jours: + +--Ne sautez point, Dieu vous aidera et pareillement ceux de Compiègne. + +Et Jeanne lui répondait: + +--Puisque Dieu aidera ceux de Compiègne, j'y veux être. + +Et madame sainte Catherine lui recommençait ce conte merveilleux de la +bergère et du roi: + +--Sans faute, il faut que vous preniez tout en gré. Et vous ne serez +point délivrée tant que vous n'aurez point vu le roi des Anglais. + +À quoi Jeanne répliquait: + +--Vraiment je ne le voulusse point voir. J'aimasse mieux mourir que +d'être mise en la main des Anglais[468]. + +[Note 468: _Procès_, t. I, pp. 150-151.] + +Un jour, elle apprit que les Anglais venaient la chercher. La nouvelle +se rapportait peut-être à la venue du seigneur évêque de Beauvais qui +offrit à Beaurevoir le prix du sang[469]. Entendant cela, Jeanne +éperdue, hors d'elle, n'écouta plus ses Voix qui lui défendaient de +tenter le saut mortel. Le donjon était haut de soixante-dix pieds, +pour le moins; elle se recommanda à Dieu et sauta. + +[Note 469: _Ibid._, t. I, p. 13; t. V, p. 194.] + +Chue à terre, elle entendit des gens qui criaient: + +--Elle est morte. + +Les gardes accoururent. La trouvant encore en vie, dans leur +saisissement, ils ne surent que lui demander: + +--Vous avez sauté?... + +Elle se sentait brisée; mais madame sainte Catherine lui parla: + +--Faites bon visage. Vous guérirez. + +Madame sainte Catherine lui donna en même temps de bonnes nouvelles +des amis. + +--Vous guérirez et ceux de Compiègne auront secours. + +Et elle ajouta que ce secours viendrait avant la Saint-Martin +d'hiver[470]. + +[Note 470: _Procès_, t. I, pp. 110, 151, 152.] + +Dès lors, Jeanne pensa que c'était ses saintes qui l'avaient secourue +et gardée de la mort. Elle savait bien qu'elle avait mal fait en +tentant un pareil saut, malgré ses Voix. + +Madame sainte Catherine lui dit: + +--Il faut vous en confesser et demander pardon à Dieu de ce que vous +avez sauté. + +Jeanne s'en confessa et en demanda pardon à Notre-Seigneur. Et après +sa confession, elle fut avertie par madame sainte Catherine que Dieu +l'avait pardonnée. Elle demeura trois ou quatres jours sans manger ni +boire; puis elle prit de la nourriture et fut guérie[471]. + +[Note 471: _Procès_, t. I, p. 166.--_Journal d'un bourgeois de +Paris_, p. 268--J. Quicherat, _Aperçus nouveaux_, pp. 53, 58.] + +On fit un autre récit du saut de Beaurevoir; on conta qu'elle avait +tenté de s'évader par une fenêtre, suspendue à un drap ou à quelque +autre chose qui se rompit; mais il en faut croire la Pucelle: elle dit +qu'elle saillit; si elle s'était suspendue à une corde, elle n'aurait +pas cru commettre un pêché et ne s'en serait pas confessée. Ce saut +fut connu et le bruit courut au loin qu'elle s'était échappée et avait +rejoint ceux de son parti[472]. + +[Note 472: _Chronique des cordeliers_, fol. 507 rº.--Morosini, t. +III, pp. 301-303.--_Chronique de Tournai_, éd. de Smedt, dans _Recueil +des Chroniques de Flandre_, t. III, pp. 416, 417.] + +Cependant le bon prêcheur que Jeanne, mal contente de lui, avait +quitté mal content d'elle, frère Richard, ayant prêché le carême aux +Orléanais, reçut d'eux, en témoignage de satisfaction, un Jésus taillé +en cuivre par un orfèvre nommé Philippe, d'Orléans. Et le libraire +Jean Moreau lui relia un livre d'heures, aux frais de la ville[473]. + +[Note 473: Lottin, _Recherches sur la ville d'Orléans_, t. I, p. +252.--_Procès_, t. I, p. 99, note 1.--_Journal du siège_, pp. +235-238,--S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, p. CCLXIII, note 2.] + +Il ramena la reine Marie à Jargeau et se fit bien venir d'elle. Cette +amertume fut épargnée à Jeanne d'apprendre que, tandis qu'elle +languissait en prison, ses amis d'Orléans, son gentil dauphin, sa +reine Marie, faisaient bonne chère à ce religieux qui s'était détourné +d'elle et lui avait préféré une dame Catherine qu'elle considérait +comme rien[474]. Naguère, Jeanne s'alarmait à l'idée qu'on pût mettre +en oeuvre la dame Catherine, elle en écrivait à son roi et, dès +qu'elle le voyait elle l'adjurait de n'en rien faire. Maintenant le +roi ne tenait nul compte de ce qu'elle lui avait dit; il consentait à +ce que la préférée du bon frère Richard fût mise en état d'accomplir +sa mission, qui était d'obtenir de l'argent des bonnes villes et de +négocier la paix avec le duc de Bourgogne. Mais cette sainte dame ne +possédait peut-être pas toute la prudence nécessaire pour faire oeuvre +d'homme et servir le roi. Tout de suite, elle causa des embarras à ses +amis. + +[Note 474: _Procès_, t. I, pp. 296-297.] + +Se trouvant dans la ville de Tours, elle se prit à dire: «En cette +ville, il y a des charpentiers qui charpentent, mais non pas pour +logis, et, si l'on n'y prend garde, cette ville est en voie de prendre +bientôt le mauvais bout, et il y en a dans la ville qui le savent +bien[475].» + +[Note 475: Registre des Comptes de la ville de Tours, pour l'année +1430, dans _Procès_, t. IV, p. 473, note 1.] + +Sous forme de parabole, c'était une dénonciation. La dame Catherine +accusait les gens d'Église et les bourgeois de Tours de travailler +contre Charles de Valois, leur seigneur. Il fallait que cette dame fût +réputée pour avoir du crédit auprès du roi, de son conseil et de sa +parenté, car les habitants de Tours prirent peur et envoyèrent un +religieux augustin, frère Jean Bourget, vers le roi Charles, la reine +de Sicile, l'évêque de Séez et le seigneur de Trèves, pour s'enquérir +si les paroles de cette sainte femme avaient trouvé créance auprès +d'eux. La reine de Sicile et les conseillers du roi Charles remirent +au religieux des lettres par lesquelles ils mandaient à ceux de Tours +qu'ils n'avaient ouï parler de rien de semblable et le roi Charles +déclara qu'il se fiait bien aux gens d'Église, bourgeois et habitants +de sa ville de Tours[476]. + +[Note 476: _Procès_, t. IV, p. 473.] + +La dame Catherine avait tenu les mêmes méchants propos sur les +habitants d'Angers[477]. + +[Note 477: _Ibid._, t. IV, p. 473.] + +Cette dévote personne, soit qu'elle voulût, comme la bienheureuse +Colette de Corbie, cheminer d'un parti à l'autre, soit qu'il lui +arrivât d'être prise par des hommes d'armes bourguignons, comparut à +Paris devant l'official. Il semble que les gens d'Église se soient, +dans leur interrogatoire, moins occupés d'elle que de la Pucelle +Jeanne, dont le procès s'instruisait alors. + +Au sujet de la Pucelle, Catherine dit ceci: + +--Jeanne a deux conseillers, qu'elle appelle conseillers de la +Fontaine[478]. + +[Note 478: _Ibid._, t. I, p. 295.] + +Par ce propos, elle exprimait un souvenir confus des entretiens +qu'elle avait eus à Jargeau et à Montfaucon. Le mot de conseil était +celui que Jeanne employait le plus souvent en parlant de ses Voix; +mais la dame Catherine mêlait ce que la Pucelle lui avait dit de la +Fontaine-des-Groseilliers à Domremy et de ses visiteurs célestes. + +Si Jeanne nourrissait de la malveillance pour Catherine, Catherine ne +nourrissait pas de bienveillance pour Jeanne. Elle n'affirma pas que +le fait de Jeanne n'était que néant; mais elle donna clairement à +entendre que la pauvre fille, alors prisonnière des Bourguignons, +était invocatrice des mauvais esprits. + +--Jeanne, dit-elle à l'official, sortira de prison par le secours du +diable, si elle n'est pas bien gardée[479]. + +[Note 479: _Procès_, t. I, p. 106, note.--_Journal d'un bourgeois +de Paris_, p. 271.--Vallet de Viriville, _Procès de condamnation de +Jeanne d'Arc_, pp. LXI-LXV.] + +Que Jeanne fût ou non secourue par le diable, c'était affaire à +décider entre elle et les docteurs de l'Église. Mais il était certain +qu'elle ne pensait qu'à s'échapper des mains de ses ennemis et qu'elle +imaginait sans cesse toutes sortes de moyens d'évasion. La dame +Catherine de La Rochelle la connaissait bien et lui voulait beaucoup +de mal. + +Cette dame fut relâchée. Les juges d'Église, sans doute, n'auraient +pas usé envers elle d'une telle indulgence si elle avait porté sur la +Pucelle un témoignage favorable. Elle retourna auprès du roi +Charles[480]. + +[Note 480: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 271.] + +Les deux femmes de religion qui avaient suivi Jeanne à son départ de +Sully et avaient été prises à Corbeil, Pierronne de Bretagne +bretonnante, et sa compagne, étaient gardées, depuis le printemps, +dans les prisons ecclésiastiques, à Paris. Elles se disaient +publiquement envoyées de Dieu pour venir en aide à la Pucelle Jeanne. +Le frère Richard avait été leur beau père et elles s'étaient tenues en +compagnie de la Pucelle. C'est pourquoi elles étaient véhémentement +soupçonnées d'offenses graves envers Dieu et sa foi. Le grand +inquisiteur de France, frère Jean Graverent, prieur des Jacobins de +Paris, instruisit leur procès dans les formes usitées en ce pays. Il +procéda concurremment avec l'ordinaire, représenté par l'official. + +La Pierronne publiait et tenait pour vrai que Jeanne était bonne, que +ce qu'elle faisait était bien fait et selon Dieu. Elle reconnut que, +dans la nuit de Noël de la présente année, à Jargeau, le frère Richard +lui avait donné deux fois le corps de Jésus-Christ et qu'il l'avait +donné trois fois à Jeanne[481]. Le fait se trouvait d'ailleurs établi +par des informations recueillies auprès de témoins oculaires. Les +juges, qui étaient des maîtres insignes, estimèrent que ce religieux +ne devait pas ainsi prodiguer à de telles femmes le pain des anges. +Toutefois, la communion multiple n'étant formellement interdite par +aucune disposition du droit canon, on ne pouvait en faire grief à la +Pierronne. Les informateurs qui instruisaient alors contre Jeanne ne +retinrent point les trois communions de Jargeau[482]. + +[Note 481: _Journal d'un bourgeois de Paris_, pp. 271-272.] + +[Note 482: Voltaire, _Dictionnaire philosophique_, art.: _Arc_.] + +Des charges plus lourdes pesaient sur les deux Bretonnes. Elles +étaient sous le coup d'une accusation de maléfices et de sorcellerie. + +La Pierronne affirma et jura que Dieu lui apparaissait souvent en +humanité et lui parlait comme un ami à un ami, et que, la dernière +fois qu'elle l'avait vu, il était vêtu d'une huque vermeille et d'une +longue robe blanche[483]. + +[Note 483: _Journal d'un bourgeois de Paris_, pp. 259-260.] + +Les insignes maîtres qui la jugeaient lui représentèrent que ces dires +touchant de semblables apparitions étaient blasphèmes. Et ces femmes +furent reconnues en possession du mauvais esprit, qui les faisait +errer dans leurs paroles et leurs actions. + +Le dimanche 3 septembre 1430, elles furent menées au Parvis Notre-Dame +pour y être prêchées. Des échafauds y avaient été dressés selon +l'usage, et l'on avait choisi le dimanche pour que le peuple pût +profiter de ce spectacle édifiant. Un insigne docteur adressa à toutes +deux une exhortation charitable. L'une d'elles, la plus jeune, en +l'écoutant et en voyant le bûcher préparé, vint à résipiscence. Elle +reconnut qu'elle avait été séduite par un ange de Satan et répudia +dûment son erreur. + +La Pierronne au contraire ne voulut pas se rétracter. Elle demeura +obstinée dans cette croyance qu'elle voyait Dieu souvent, vêtu comme +elle avait dit. + +L'Église ne pouvait plus rien pour elle. Remise au bras séculier, elle +fut à l'instant même conduite sur le bûcher qui lui était destiné, et +brûlée vive de la main du bourreau[484]. + +[Note 484: _Journal d'un bourgeois de Paris_, pp. 259-260, +271-272.--Jean Nider, _Formicarium_, dans _Procès_, t. IV, p. 504.--A. +de la Borderie, _Pierronne et Perrinaïc_, pp. 7 et suiv.] + +Ainsi le grand inquisiteur de France et l'évêque de Paris faisaient +cruellement périr d'une mort ignominieuse une des filles qui avaient +suivi le frère Richard, une des saintes du dauphin Charles. De ces +filles, la plus fameuse et la plus abondante en oeuvres était entre +leurs mains. La mort de la Pierronne annonçait le sort réservé à la +Pucelle. + + + + +CHAPITRE X + +BEAUREVOIR.--ARRAS.--ROUEN.--LA CAUSE DE LAPSE. + + +Au mois de septembre, deux habitants de Tournai, le grand doyen +Bietremieu Carlier et le conseiller maître Henri Romain, revenant des +bords de la Loire, où leur ville les avait députés auprès du roi de +France, s'arrêtèrent à Beaurevoir. Bien que ce lieu se trouvât sur +leur route directe et leur offrit un gîte entre deux étapes, on ne +peut s'empêcher de supposer un lien entre leur mission auprès de +Charles de Valois et leur passage dans la seigneurie du sire de +Luxembourg, surtout lorsqu'on songe à l'attachement de leurs +concitoyens aux fleurs de lis et si l'on sait les relations déjà +nouées à cette époque entre ces deux ambassadeurs et la Pucelle[485]. + +[Note 485: H. Vandenbroeck, _Extraits des anciens registres des +consaux de la ville de Tournai..._, t. II (1422-1430) et Morosini, t. +III, pp. 185-186.] + +Fidèle, nous le savons, au roi de France, qui lui avait accordé +franchises et privilèges, la prévôté de Tournai lui envoyait messages +sur messages, ordonnait en sa faveur de belles processions, prête à +tout lui accorder tant qu'il ne lui demandait ni un homme ni un sol. +S'étant rendus précédemment tous deux en ambassadeurs dans la ville de +Reims pour assister au sacre et couronnement du roi Charles, le doyen +Carlier et le conseiller Romain y avaient vu la Pucelle dans sa +gloire, et, sans doute, l'avaient tenue alors pour une très grande +sainte. C'était le temps où leur ville, attentive aux progrès des +armées royales, correspondait assidûment avec la béguine guerrière et +avec son confesseur, frère Richard, ou, plus probablement, frère +Pasquerel. Aujourd'hui ils se rendaient au château où elle était +renfermée, aux mains de ses cruels ennemis. Nous ne savons ce qu'ils +venaient dire au sire de Luxembourg, ni même s'ils furent reçus par +lui; sans doute, il ne refusa pas de les entendre, s'il pensa qu'ils +venaient apporter les offres secrètes du roi Charles pour le rachat de +celle qui avait été à ses batailles. Nous ne savons pas d'avantage +s'ils purent voir la prisonnière. Il est très possible qu'ils +pénétrèrent auprès d'elle, car, le plus souvent alors, l'accès des +captifs était facile et tout loisir donné aux passants d'accomplir, en +les visitant, une des sept oeuvres de la miséricorde. + +Ce qui est certain, c'est qu'en quittant Beaurevoir, ils emportaient +une lettre que Jeanne leur avait confiée, les chargeant de la remettre +aux magistrats de leur ville. Par cette lettre, elle demandait qu'en +la faveur du roi son seigneur et des bons services qu'elle lui avait +faits, les habitants de Tournai voulussent bien lui envoyer de vingt à +trente écus d'or pour employer à ses nécessités[486]. + +[Note 486: H. Vandenbroeck, _Extraits analytiques des anciens +registres des consaux de la ville de Tournai_, t. II, pp. 338, +371-373.--Chanoine H. Debout, _Jeanne d'Arc et les villes d'Arras et +de Tournai_, Paris, s. d. p. 24.] + +C'est ainsi qu'on voyait alors les prisonniers mendier leur +nourriture. + +La demoiselle de Luxembourg, qui venait de faire son testament et +n'avait plus que quelques jours à vivre[487], pria, dit-on, son noble +neveu de ne pas livrer la Pucelle aux Anglais[488]. Mais que pouvait +la bonne dame contre le roi d'Angleterre avec l'or de la Normandie et +la sainte Église avec ses foudres? Car si monseigneur Jean n'avait pas +livré cette fille soupçonnée de sortilèges, idolâtries, invocations de +diables et autres crimes contre la foi, il était excommunié. La +vénérable Université de Paris avait pris soin de l'avertir qu'un refus +l'exposait aux peines de droit, qui étaient grandes[489]. + +[Note 487: Le P. Anselme, _Histoire généalogique de la maison de +France_, t. III, pp. 723-724.--Vallet de Viriville, _Histoire de +Charles VII_, t. II, pp. 175-176.--Morosini, t. IV, annexe XIX.] + +[Note 488: _Procès_, t. I, pp. 95, 231.] + +[Note 489: _Ibid._, t. I, pp. 13-14.] + +Cependant le sire de Luxembourg n'était pas tranquille: il craignait +qu'en ce lieu de Beaurevoir une prisonnière valant dix mille livres +d'or ne fût pas suffisamment à l'abri d'un coup de main des Français +ou des Anglais, ou des Bourguignons, et de toutes gens qui, sans souci +de Bourgogne, d'Angleterre ni de France, eussent idée de l'enlever +pour la mettre en fosse et à rançon, selon l'usage des coitreaux +d'alors[490]. + +[Note 490: _Les miracles de madame Sainte Katerine_, éd. Bourassé, +_passim_.] + +Vers la fin de septembre, il fit demander à son seigneur, le duc de +Bourgogne, qui possédait belles villes et cités très fortes, de +vouloir bien lui garder sa prisonnière. Monseigneur Philippe y +consentit, et, sur son ordre, Jeanne fut conduite à Arras, dont les +murailles étaient hautes et qui avait deux châteaux dont l'un, la +Cour-le-Comte, s'élevait au milieu de la ville. C'est probablement +dans les prisons de la Cour-le-Comte qu'elle fut renfermée, sous la +garde de monseigneur David de Brimeu, seigneur de Ligny, chevalier de +la Toison d'or, gouverneur d'Arras. + +Ce n'était guère l'usage, en ce temps-là, de tenir les prisonniers +cachés[491]. Jeanne, à Arras, reçut des visiteurs et, entre autres, un +Écossais qui lui fit voir un portrait où elle était figurée en armes, +un genou en terre, et présentant une lettre à son roi[492]. Cette +lettre pouvait être du sire de Baudricourt ou de tout autre, qui, +clerc ou capitaine, avait, dans la pensée du peintre, envoyé la jeune +fille au dauphin; ce pouvait être une lettre annonçant au roi la +délivrance d'Orléans ou la victoire de Patay. + +[Note 491: «Se faisoit servir en la prinson comme une dame», +rapporte le _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 271, au sujet de la +prison de Rouen.] + +[Note 492: _Procès_, t. I, p. 100.] + +Ce portrait fut le seul que Jeanne vit jamais fait à sa ressemblance, +et, pour sa part, elle n'en fit faire aucun; mais, au temps si bref de +sa puissance, le peuple des villes françaises mettait ses images +peintes et taillées dans les chapelles des saints, et portait des +médailles de plomb qui la représentaient, observant de la sorte, à son +égard, l'usage établi en l'honneur des saints canonisés par +l'Église[493]. + +[Note 493: _Procès_, t. I, pp. 101, 206, 291; t. III, p. 87; t. V, +pp. 104, 305.--Chastellain, éd. Kervyn de Lettenhove, t. II, p. +46.--P. Lanéry d'Arc, _Le culte de Jeanne d'Arc au XVe siècle_, +Orléans, 1887, in-8º.--Noël Valois, _Un nouveau témoignage sur Jeanne +d'Arc_, pp. 8, 13, 18.] + +Plusieurs seigneurs bourguignons et parmi eux un chevalier nommé Jean +de Pressy, conseiller, chambellan du duc Philippe, gouverneur général +des finances de Bourgogne, lui offrirent un habit de femme, comme +avaient fait les dames de Luxembourg, pour son bien, et afin d'éviter +un grand scandale; mais pour rien au monde Jeanne n'eût quitté l'habit +qu'elle avait pris par révélation. + +Elle reçut aussi dans sa prison d'Arras un clerc de Tournai, du nom de +Jean Naviel, chargé par les magistrats de sa ville de lui remettre la +somme de vingt-deux couronnes d'or. Cet ecclésiastique possédait la +confiance de ses compatriotes qui l'employaient aux affaires les plus +importantes de la ville. Envoyé, au mois de mai de la présente année +1430, vers messire Regnault de Chartres, chancelier du roi Charles, il +avait été pris par les Bourguignons en même temps que Jeanne et mis à +rançon; mais il s'était tiré d'affaire très vite et à bon compte. + +Il s'acquitta exactement de sa mission[494] auprès de la Pucelle et ne +reçut point, à ce qu'il semble, d'argent pour sa peine, sans doute +parce qu'il voulait que le prix de cette oeuvre de miséricorde lui fût +compté dans le ciel[495]. + +[Note 494: _Procès_, t. I, pp. 95, 96, 231.--Chanoine Henri +Debout, _Jeanne d'Arc prisonnière à Arras_, Arras, 1894, in-16; +_Jeanne d'Arc et les villes d'Arras et de Tournai_, Paris, 1904, +in-8º; _Jeanne d'Arc_, t. II, pp. 394 et suiv.] + +[Note 495: Le 7 novembre 1430, un messager de la ville d'Arras +recevait 40 s. pour avoir porté au duc de Bourgogne deux lettres +closes, l'une de Jean de Luxembourg, l'autre de David de Brimeu, +gouverneur du bailliage d'Arras: nous ignorons la teneur de ces +lettres «pour le fait de la Pucelle». P. Champion, _Notes sur Jeanne +d'Arc_, II: _Jeanne d'Arc à Arras_, dans _le Moyen Âge_, juillet-août +1907, pp. 200-201.] + +Ni la prise de la Pucelle, ni la retraite des gens d'armes qu'elle +avait amenés ne brisa la défense de Compiègne. Guillaume de Flavy et +ses deux frères Charles et Louis, le capitaine Baretta avec ses +Italiens et les cinq cents hommes de la garnison[496] se montrèrent +énergiques, habiles, infatigables. Les Bourguignons conduisirent le +siège de la même manière que les Anglais avaient conduit celui +d'Orléans: mines, tranchées, taudis, boulevards, canonnades et ces +mannequins gigantesques et ridicules, bons seulement à flamber, les +bastilles. Guillaume de Flavy fit raser les faubourgs qui gênaient son +tir et couler des bateaux pour barrer la rivière. Il répondit aux +bombardes et gros couillards des Bourguignons avec son artillerie, et +notamment par de petites couleuvrines de cuivre qui furent d'un bon +usage[497]. Si le joyeux canonnier d'Orléans et de Jargeau, Maître +Jean de Montesclère, n'était pas là, on avait un cordelier de +Valenciennes, artilleur, nommé Noirouffle, grand, noir, affreux à +voir, terrible à entendre[498]. Ceux de la ville, à l'exemple des +Orléanais, faisaient des sorties malheureuses. Un jour, Louis de +Flavy, frère du capitaine de la ville, fut tué d'un boulet +bourguignon. Guillaume n'en fit pas moins jouer les ménestrels, ce +jour-là, comme de coutume, pour tenir en joie les gens d'armes[499]. + +[Note 496: H. de Lépinois, _Notes extraites des archives +communales de Compiègne_, dans _Bibliothèque de l'École des Chartes_, +1863, t. XXIV, p. 486.--A. Sorel, _Prise de Jeanne d'Arc_, p. 268.--P. +Champion, _Guillaume de Flavy_, pp. 38, 48 et suiv.] + +[Note 497: _Chronique des cordeliers_, fol. 500 vº.] + +[Note 498: Chastellain, t. II, p. 53.] + +[Note 499: Monstrelet, t. IV, p. 390.] + +Au mois de juin, le boulevard qui défendait le pont sur l'Oise, de +même que les Tourelles d'Orléans défendaient le pont sur la Loire, fut +enlevé par l'ennemi, sans amener la reddition de la place. +Pareillement la prise des Tourelles n'avait pas fait tomber la ville +du duc Charles[500]. + +[Note 500: _Ibid._, t. IV, pp. 390-391.--Lefèvre de Saint-Remy, t. +II, p. 180.--Morosini, t. III, pp. 306-307.--Chastellain, t. II, pp. +51-54.--A. Sorel, _La prise de Jeanne d'Arc_, pp. 233 et suiv.--P. +Champion, _Guillaume de Flavy_, p. 50.] + +Quant aux bastilles, elles valaient sur l'Oise tout juste ce qu'elles +avaient valu sur la Loire: elles laissaient tout passer. Les +Bourguignons ne purent investir Compiègne, vu que le tour en était +trop grand[501]. Ils manquaient d'argent; leurs gens d'armes, faute de +paye et n'ayant rien à manger, désertaient avec cette tranquillité du +bon droit qu'avaient alors, en pareille circonstance, les soudoyers de +la croix rouge et de la croix blanche[502]. Le duc Philippe, pour +comble de disgrâce, se trouva obligé d'envoyer une partie des troupes +du siège contre les Liégeois révoltés[503]. Le 24 octobre, une armée +de secours, commandée par le comte de Vendôme et le maréchal de +Boussac, s'approcha de Compiègne. Les Anglais et les Bourguignons +s'étant portés à sa rencontre, la garnison, les habitants, les femmes +leur tombèrent sur le dos et les mirent en déroute[504]. L'armée entra +dans la ville. Il fit beau voir flamber les bastilles. Le duc de +Bourgogne perdit toute son artillerie[505]. Le sire de Luxembourg, qui +s'en était venu à Beaurevoir où il avait reçu l'évêque comte de +Beauvais, retourna devant Compiègne à propos pour prendre sa part du +désastre[506]. Les mêmes causes qui avaient contraint les Anglais à se +partir, comme on disait, d'Orléans, obligèrent les Bourguignons à +quitter Compiègne. Mais puisque à cette époque il fallait trouver aux +événements les mieux expliquables une cause surnaturelle, on attribua +la délivrance de la ville au voeu du comte de Vendôme qui avait +promis, dans la cathédrale de Senlis, à Notre-Dame-de-la-Pierre, un +service annuel si la place était recouvrée[507]. + +[Note 501: _Le Jouvencel_, t. I, pp. 49 et suiv.] + +[Note 502: _Chronique des cordeliers_, fol. 502 vº.--P. Champion, +_Guillaume de Flavy_, pièces justificatives XLI, XLII, XLIII.] + +[Note 503: _Livre des trahisons_, p. 202.] + +[Note 504: Monstrelet, t. III, pp. 410-415.--Lefèvre de +Saint-Remy, t. II, p. 185.--_Livre des trahisons_, p. 202.--A. Sorel, +_La prise de Jeanne d'Arc_, pièce justif. XIII, p. 341.--P. Champion, +_loc. cit._, p. 176.] + +[Note 505: Monstrelet, t. IV, p. 418.--De La Fons-Mélicocq, +_Documents inédits sur le siège de Compiègne_, dans _La Picardie_, t. +III, 1857, pp. 22-23.--Stevenson, _Letters and papers_, vol. II, part. +I, p. 156.] + +[Note 506: Monstrelet, t. IV, p. 419.--P. Champion, _Guillaume de +Flavy_, p. 57.] + +[Note 507: Sorel, _La prise de Jeanne d'Arc_, pièces +justificatives, p. 343.] + +Le lord trésorier de Normandie levait des aides de quatre-vingt mille +livres tournois, dont dix mille devaient être affectés à l'achat de +Jeanne. L'évêque comte de Beauvais, qui prenait cette affaire à coeur, +pressait le sire de Luxembourg de conclure, mêlait les menaces aux +caresses, lui faisait briller l'or levé sur les États normands. Il +semblait craindre, et cette crainte était partagée par les maîtres et +docteurs, que le roi Charles ne fît aussi des offres, qu'il n'enchérît +sur les dix mille francs d'or du roi Henri, que les Armagnacs enfin ne +finissent par l'emporter à force de présents et ne reprissent leur +porte-bonheur[508]. Le bruit courait que le roi Charles, à la nouvelle +que les Anglais auraient Jeanne pour de l'argent, manda au duc de +Bourgogne, par ambassade, de ne consentir à aucun prix à la conclusion +d'une telle affaire, et qu'autrement les Bourguignons, qui étaient aux +mains du roi de France, répondraient de la Pucelle[509]. Fausse +rumeur, sans doute: toutefois les craintes du seigneur évêque et des +maîtres de Paris n'étaient pas tout à fait vaines et il est certain +que, sur les bords de la Loire, on suivait très attentivement les +négociations, et qu'on cherchait un joint pour intervenir. + +[Note 508: _Procès_, t. I, p. 9.--Vallet de Viriville, _Histoire +de Charles VII_, t. II, p. 175.] + +[Note 509: Morosini, t. III, p. 236.--U. Chevalier, _L'abjuration +de Jeanne d'Arc_, p. 18, note.] + +D'ailleurs on pouvait toujours craindre un coup de main heureux des +Français. Le capitaine La Hire battait la Normandie, le chevalier +Barbazan la Champagne, le maréchal de Boussac faisait des courses +entre la Seine, la Marne et la Somme[510]. + +[Note 510: Morosini, t. III, p. 276, note.] + +Enfin, le sire de Luxembourg consentit le marché vers la mi-novembre; +les Anglais prirent livraison de Jeanne. On décida de l'amener à Rouen +par le Ponthieu, la côte de l'Océan, et le nord de la Normandie, où +l'on risquait le moins de rencontrer les batteurs d'estrade des divers +partis. + +D'Arras elle fut conduite au château de Drugy, où l'on dit que les +religieux de Saint-Riquier la visitèrent en sa prison[511]. Elle fut +amenée ensuite au Crotoy, dont le château était baigné de tous côtés +par la mer. Le duc d'Alençon, qu'elle appelait son beau duc, y avait +été enfermé après la bataille de Verneuil[512]. Quand elle y passa, +maître Nicolas Gueuville, chancelier de l'Église cathédrale de +Notre-Dame d'Amiens, y était prisonnier des Anglais. Il la confessa et +lui donna la communion[513]. Et dans cette baie de Somme, morne et +grise, au ciel bas, traversé du long vol des oiseaux de mer, Jeanne +vit venir à elle le visiteur des premiers jours, monseigneur saint +Michel archange; et elle fut consolée. On a dit que les demoiselles et +les bourgeois d'Abbeville l'allèrent voir dans le château où on la +tenait renfermée[514]. Ces bourgeois, lors du sacre, songeaient à se +tourner français; ils l'eussent fait, si le roi Charles était venu +chez eux; il ne vint pas, et les habitants d'Abbeville visitèrent +peut-être Jeanne par charité chrétienne, mais ceux d'entre eux qui +pensaient du bien d'elle n'en dirent pas, de peur de sentir la +persinée comme elle[515]. + +[Note 511: Chronique de Jean de la Chapelle, dans _Procès_, t. V, +pp. 358-360.--Lefils, _Histoire de la ville du Crotoy et de son +château_, pp. 111-118.--G. Lefèvre-Pontalis, _La panique anglaise_, p. +8, nº 5.--L'abbé Bouthors, _Histoire de Saint-Riquier_, Abbeville, +1902, pp. 185, 215, 220.] + +[Note 512: Perceval de Cagny, pp. 22, 137.] + +[Note 513: _Procès_, t. III, p. 121.--A. Sarrazin, _Jeanne d'Arc +et la Normandie_, pp. 63 et suiv.--Lanéry d'Arc, _Livre d'or_, p. +521.] + +[Note 514: _Procès_, t. I, p. 89; t. III, p. 121.--Le P. Ignace de +Jésus Maria, _Histoire généalogique des comtes de Ponthieu et maïeurs +d'Abbeville_, Paris, 1657, p. 490.--_Procès_, t. V, p. 361.] + +[Note 515: Monstrelet, t. IV, pp. 353-354.--_Procès_, t. V, p. +143.] + +Les docteurs et maîtres de l'Université la poursuivaient avec un +acharnement à peine croyable; avertis au mois de novembre que le +marché était conclu entre Jean de Luxembourg et les Anglais, ils +écrivirent, par l'organe du recteur, au seigneur évêque de Beauvais +pour lui reprocher ses retardements dans l'affaire de cette femme et +l'exhorter à plus de diligence. + +«Il ne vous importe pas médiocrement, disait cette lettre, que, tandis +que vous gérez dans l'Église du Dieu saint un célèbre présulat, les +scandales commis contre la religion chrétienne soient extirpés, +surtout quand il est, par bonheur, advenu que le jugement s'en trouve +départi à votre juridiction[516].» + +[Note 516: _Procès_, t. I, pp. 15-16.--M. Fournier, _La faculté de +décret et l'Université de Paris_, t. I, p. 353.] + +Ces clercs, pleins de foi et de zèle pour venger, comme ils disaient, +l'honneur de Dieu, se tenaient toujours prêts à brûler des sorcières; +ils craignaient le diable; mais, sans peut-être se l'avouer, ils le +craignaient vingt fois plus quand il était Armagnac. + +On fit sortir Jeanne du Crotoy à marée haute et on la conduisit en +barque à Saint-Valéry, puis à Dieppe, à ce qu'on suppose, et enfin à +Rouen[517]. + +[Note 517: _Procès_, t. I, p. 21.--Le P. Ignace de Jésus Maria, +dans _Procès_, t. V, p. 363.--F. Poulaine, _Jeanne d'Arc à Rouen_, +Paris, 1899, in-16.--Ch. Lemire, _Jeanne d'Arc en Picardie et en +Normandie_, Paris, 1903, pp. 10 et _passim_.--Lanéry d'Arc, _Livre +d'or_, pp. 524, 549.] + +Elle fut menée dans le vieux château, construit sous Philippe-Auguste, +au penchant de la colline de Bouvreuil[518]. Le roi Henri VI, +débarqué en France pour son couronnement, y était établi depuis la fin +du mois d'août. C'était un enfant triste et pieux, que le comte de +Warwick, gouverneur du château, traitait durement[519]. Ce château +avait sept tours, y compris le donjon, et il était très fort[520]. +Jeanne fut enfermée dans une tour qui donnait sur les champs[521]. On +la mit en la chambre du milieu, qui se trouvait entre le souterrain et +la chambre haute. On y montait par huit marches[522]; elle occupait +tout un étage de la tour qui avait quarante-trois pieds de diamètre en +comprenant les murs[523]. Un escalier de pierre y grimpait +obliquement. Une partie des ouvertures ayant été bouchée, l'on n'y +voyait plus très clair[524]. Les Anglais avaient commandé à un +serrurier de Rouen, nommé Étienne Castille, une cage de fer où l'on +ne pouvait, disait-on, se tenir que debout. Jeanne, à son arrivée, si +l'on en croit des propos tenus par des greffiers ecclésiastiques, fut +attachée dedans par le cou, les pieds et les mains[525], et on l'y +laissa jusqu'à l'ouverture du procès. Un apprenti maçon vit peser la +cage chez Jean Salvart, _à l'Écu de France_, devant la cour de +l'official[526]. Mais jamais, dans la prison, personne n'y trouva +Jeanne enfermée. Ce traitement, si toutefois il lui fut infligé, ne +fut pas imaginé pour elle: lorsque le capitaine La Hire, au mois de +février de cette même année 1430, prit Château-Gaillard, près Rouen, +il trouva le bon chevalier Barbazan dans une cage de fer dont il ne +voulait pas sortir, alléguant qu'il était prisonnier sur parole[527]. +Jeanne, au contraire, s'était gardée de rien promettre, ou plutôt +avait promis de s'échapper dès qu'elle le pourrait[528]. Aussi les +Anglais, qui la croyaient capable de sortilèges, étaient-ils en grande +méfiance[529]. Poursuivie par des juges d'Église, elle devait être +placée dans les prisons de l'officialité[530], mais les Godons ne +laissaient à personne le soin de la garder. Quelqu'un d'entre eux +disait qu'elle leur était chère, car ils l'avaient chèrement payée. +Ils lui mettaient les fers aux pieds, et lui passaient autour de la +taille une chaîne cadenassée à une poutre de cinq à six pieds. La +nuit, cette chaîne, traversant le pied du lit, s'allait tendre à la +grosse poutre[531]. De même Jean Hus, en 1415, remis à l'évêque de +Constance et transféré à la forteresse de Gottlieben, demeura enchaîné +nuit et jour, jusqu'à ce qu'il fût conduit au bûcher. + +[Note 518: A. Sarrazin, _Jeanne d'Arc et la Normandie au XVe +siècle_, Rouen, 1896, in-4º, chap. V.] + +[Note 519: _Procès_, t. III, pp. 136-137.--Vallet de Viriville, +_Histoire de Charles VII_, t. II, p. 198.] + +[Note 520: L. de Duranville, _Le château de Bouvreuil_, dans la +_Revue de Rouen_, 1852, p. 387.--A. Deville, _La tour de la Pucelle du +château de Rouen_, dans _Précis des travaux de l'Académie de Rouen_, +1865-1866, pp. 236-268.--Bouquet, _Notice sur le donjon du château de +Philippe-Auguste_, Rouen, 1877, pp. 7 et suiv.] + +[Note 521: _Procès_, t. II, pp. 317, 345; t. III, p. 121.] + +[Note 522: _Ibid._, t. III, p. 154.--A. Sarrazin, _Jeanne d'Arc et +la Normandie_, p. 190, note 1.--L. Delisle, dans _Revue des Sociétés +savantes_, 1867, 4e série, t. V, p. 440.--F. Bouquet, _Jeanne d'Arc au +donjon de Rouen_, dans _Revue de Normandie_, 1867, t. VI, pp. +873-83.--L. Delisle, dans _Revue des Sociétés savantes_, t. V +(1867).--Lanéry d'Arc, pp. 528-33.] + +[Note 523: Ballin, _Renseignements sur le Vieux-Château de Rouen_, +dans _Revue de Rouen_, 1842, p. 35.--A. Sarrazin, _Jeanne d'Arc et la +Normandie_, p. 188.] + +[Note 524: _Procès_, t. II, p. 7.] + +[Note 525: _Procès_, t. III, p. 155.] + +[Note 526: _Ibid._, t. II, p. 36.--A. Sarrazin, pp. 191-192.] + +[Note 527: Vallet de Viriville, _Histoire de Charles VII_, t. II, +pp. 240-241.] + +[Note 528: _Procès_, t. I, p. 47.] + +[Note 529: _Ibid._, t. II, p. 322.] + +[Note 530: _Ibid._, t. II, pp. 216, 217.--J. Quicherat, _Aperçus +nouveaux_, p. 112.] + +[Note 531: _Procès_, t. II, p. 18.] + +Cinq hommes d'armes anglais[532], de l'espèce qu'on nommait +houspilleurs, gardaient la prisonnière[533]; ce n'était pas la fleur +de la chevalerie. Ils la tournaient en dérision, et elle le leur +reprochait; ce dont ils devaient être trop contents. La nuit, deux +d'entre eux se tenaient derrière la porte. Il en restait trois près +d'elle, qui la troublaient en lui disant tantôt qu'elle allait mourir +et tantôt qu'elle serait délivrée. Personne ne pouvait lui parler sans +leur agrément[534]. + +[Note 532: Lea, _Histoire de l'inquisition au moyen âge_, traduct. +S. Reinach, t. II, p. 576.] + +[Note 533: _Procès_, t. III, p. 154.] + +[Note 534: _Ibid._, t. II, pp. 318-319; t. III, pp. 131, 140, 148, +161.--A. Sarrazin, _P. Cauchon_, p. 200.] + +Au reste, on entrait dans cette prison comme au moulin; des gens de +tout état y allaient voir Jeanne à leur plaisir. Ainsi firent maître +Laurent Guesdon, lieutenant du bailli de Rouen[535], et maître Pierre +Manuel, avocat du roi d'Angleterre, qui y fut en compagnie de maître +Pierre Daron, procureur de la ville de Rouen. Ils la trouvèrent ferrée +aux pieds et gardée par des soldats[536]. + +[Note 535: _Procès_, t. III, pp. 186-187.] + +[Note 536: _Procès_, t. III, pp. 199-200.] + +Maître Pierre Manuel crut convenable de lui dire qu'à coup sûr elle ne +serait point venue là si on ne l'y eût amenée. Les gens de bon sens +étaient toujours surpris de voir les sorcières et les devineresses +tomber dans quelque piège, comme de simples chrétiennes. Sans doute +que l'avocat du roi était un homme de bon sens, car il fit à Jeanne +des questions qui laissaient voir son ébahissement; il lui demanda: + +--Saviez-vous que vous deviez être prise? + +--Je m'en doutais bien, répondit-elle. + +--Pourquoi alors, demanda derechef maître Pierre, si vous vous en +doutiez, n'avez-vous pas su vous garder le jour où vous fûtes prise? + +Elle répondit: + +--Je ne savais ni le jour ni l'heure où je serais prise, ni quand cela +m'arriverait[537]. + +[Note 537: _Ibid._, t. III, p. 200.] + +Un jeune compagnon, nommé Pierre Cusquel, qui travaillait chez Jean +Salvart, dit Jeanson, maître maçon du château, put, à la faveur de son +patron, s'introduire aussi dans la tour. Il trouva Jeanne attachée par +une longue chaîne fixée à une poutre, et les fers aux pieds. Il +prétendit, beaucoup plus tard, l'avoir avertie de parler avec prudence +et qu'il y allait de sa vie. Il est vrai qu'elle parlait abondamment +à ses gardes et que tout ce qu'elle disait était rapporté aux juges. +Et il se peut que le petit compagnon Pierre, dont le maître était à la +dévotion des Anglais, ait voulu, ait su même la conseiller. On peut le +soupçonner aussi de s'être vanté, comme tant d'autres[538]. + +[Note 538: _Procès_, t. III, p. 179.] + +Le sire Jean de Luxembourg vint à Rouen et se rendit à la tour de la +Pucelle avec son frère, le seigneur évêque de Thérouanne, chancelier +d'Angleterre; sir Humfrey, comte de Stafford, connétable de France +pour le roi Henri; le comte de Warwick, gouverneur du château de Rouen +et le jeune seigneur de Macy, qui tenait Jeanne pour très chaste +depuis qu'elle l'avait empêché de lui prendre les seins. Et voici le +propos que le sire de Luxembourg tint à la prisonnière: + +--Jeanne, je suis venu pour vous racheter, si toutefois vous voulez +promettre que vous ne vous armerez jamais contre nous. + +Ces paroles ne s'expliquent pas suffisamment par ce que nous savons +des négociations relatives à la vente de la Pucelle; elles semblent +indiquer qu'à ce moment même le marché n'était pas entièrement conclu +ou que du moins le vendeur croyait pouvoir le rompre à sa volonté. +Mais ce qu'il y a de plus remarquable dans le propos du sire de +Luxembourg, c'est la condition qu'il met au rachat de la Pucelle. Il +lui demande de s'engager à ne plus combattre l'Angleterre et la +Bourgogne. Il semblerait, à considérer cette clause, qu'il pense +maintenant la vendre au roi de France ou à quelque personne agissant +pour lui[539]. + +[Note 539: Morosini, t. III, p. 236.] + +Cependant l'on ne voit pas que ce langage ait beaucoup inquiété les +Anglais. Jeanne n'y ajouta nulle foi. + +--En nom Dieu, lui répondit-elle, vous vous moquez de moi. Car je sais +bien que vous n'avez ni le pouvoir ni le vouloir. + +On affirme que, comme il persistait dans son dire, elle reprit: + +--Je sais bien que ces Anglais me feront mourir, croyant, après ma +mort, gagner le royaume de France. + +Il semble fort douteux qu'elle ait dit que les Anglais la feraient +mourir, car elle ne le croyait pas. Tant que dura le procès, elle +s'attendit, sur la foi de ses Voix, à être délivrée. Elle ne savait ni +quand ni comment la délivrance s'accomplirait, mais elle en était +aussi assurée que de la présence de Notre-Seigneur dans le +saint-sacrement. Peut-être dit-elle au sire de Luxembourg: «Je sais +bien que ces Anglais voudront me faire mourir.» Puis elle répéta, très +courageusement, ce qu'elle avait déjà dit mille fois: + +--Mais quand ils seraient cent mille Godons de plus qu'ils ne sont de +présent, ils n'auront pas le royaume. + +En entendant ces paroles, sir Humfrey dégaina et c'est le comte de +Warwick qui lui retint le bras[540]. On refuserait de croire que le +connétable d'Angleterre leva son épée sur une femme chargée de fers, +si l'on ne savait d'ailleurs que sir Humfrey, ayant, en ce même temps, +ouï quelqu'un dire du bien de Jeanne, le voulut transpercer[541]. + +[Note 540: _Procès_, t. III, pp. 121, 123.] + +[Note 541: _Ibid._, t. III, p. 140.] + +Pour que l'évêque et vidame de Beauvais pût exercer la juridiction à +Rouen, il fallait qu'il y eût à son profit concession de territoire. Le +siège archiépiscopal de Rouen était vacant[542]. L'évêque de Beauvais +demanda cette concession au chapitre avec lequel il avait eu des +démêlés[543]. Les chanoines de Rouen ne manquaient ni de fermeté ni +d'indépendance; il y avait parmi eux plus d'hommes honnêtes que de +malhonnêtes; il y avait des hommes instruits, pleins de lettres, et même +de bonnes âmes. Ils ne nourrissaient ni les uns ni les autres aucunes +mauvaises intentions contre les Anglais. Le régent Bedford était +chanoine de Rouen, comme le roi Charles VII était chanoine du Puy[544]. +Le 20 octobre de cette même année 1430, il avait revêtu le surplis et +l'aumusse et distribué le pain et le vin capitulaires[545]. Les +chanoines de Rouen n'étaient pas prévenus en faveur de la Pucelle des +Armagnacs; ils accueillirent la demande de l'évêque de Beauvais et lui +firent concession de territoire[546]. + +[Note 542: C. de Beaurepaire, _Recherches sur le procès de +condamnation de Jeanne d'Arc_, dans _Précis des travaux de l'Académie +de Rouen_, 1867-1868, pp. 470-9.--U. Chevalier, _L'abjuration de +Jeanne d'Arc_, p. 29.] + +[Note 543: De Beaurepaire, _Notes sur les juges_, p. 17.] + +[Note 544: _Gallia Christiana_, t. II, p. 732.--Vallet de +Viriville, _Histoire de Charles VII_, t. II, pp. 213-214.--S. Luce, +_Jeanne d'Arc à Domremy_, p. CCXCV.] + +[Note 545: C. de Beaurepaire, _Recherches sur le procès de +condamnation de Jeanne d'Arc_, _loc. cit._--A. Sarrazin, _Jeanne d'Arc +et la Normandie_, pp. 168, 171.] + +[Note 546: 28 décembre 1430.--_Procès_, t. I, pp. 20, 23.--De +Beaurepaire, _Notes sur les juges_, p. 46.] + +Le 3 janvier 1431, le roi Henri ordonna par lettres royales de +remettre la Pucelle à l'évêque et comte de Beauvais, se réservant de +la reprendre par devers lui, au cas où elle serait mise hors de cause +par la justice ecclésiastique[547]. + +[Note 547: _Procès_, t. I, pp. 18, 19.] + +Toutefois, elle ne fut pas placée en chartre d'Église, au fond de +quelqu'une de ces fosses où, contre le portail des Libraires, dans +l'ombre de la prodigieuse cathédrale, pourrissaient les malheureux qui +pensaient mal sur la foi[548]. Elle y aurait retrouvé accrus et +affinés les supplices et les épouvantes de sa tour guerrière. Le Grand +Conseil, en ne la confiant pas à l'officialité de Rouen, faisait moins +de tort à l'accusée que de honte à ses juges. + +[Note 548: A. Sarrazin, _Jeanne d'Arc et la Normandie_, pp. +1771-78.] + +Mis de la sorte en état d'agir, l'évêque de Beauvais procéda avec sa +fougue de vieux cabochien, mais non sans art mondain ni science +canonique[549]. Pour promoteur de la cause, c'est-à-dire comme +magistrat chargé de soutenir l'accusation, il choisit Jean d'Estivet, +dit Bénédicité, chanoine de Bayeux et de Beauvais, promoteur général +du diocèse de Beauvais. Ami du seigneur évêque, chassé en même temps +que lui par les Français, Jean d'Estivet était suspect d'animosité +contre la Pucelle[550]. Le seigneur évêque institua Jean de la +Fontaine, maître ès arts, licencié en droit canon, comme conseiller +commissaire au procès[551]. Il choisit l'un des greffiers de +l'officialité de Rouen, Guillaume Manchon, prêtre, pour faire office +de premier greffier. + +[Note 549: J. Quicherat, _Aperçus nouveaux_, p. 147.--De +Beaurepaire, _Notes sur les juges_, p. 9.] + +[Note 550: _Procès_, t. I, p. 24; t. III, p. 162.--De Beaurepaire, +_Notes sur les juges_, p. 26.--A. Sarrazin, _Jeanne d'Arc et la +Normandie_, p. 220.] + +[Note 551: _Procès_, t. I, p. 25.] + +En l'avisant de ce qu'il attendait de lui, le seigneur évêque dit à +messire Guillaume: + +--Il vous faut bien servir le roi. Nous avons l'intention de faire un +beau procès contre cette Jeanne[552]. + +[Note 552: _Ibid._, t. I, p. 25; t. III, p. 137.--A. Sarrazin, +_loc. cit._, pp. 221-222.] + +Pour ce qui était de servir le roi, le seigneur évêque ne l'entendait +pas aux dépens de la justice; il avait un orgueil de prêtre et n'était +point homme à faire étendard de sa propre infamie. S'il parlait de la +sorte, c'est qu'en France, depuis cent ans au moins, la juridiction +inquisitoriale était considérée comme une juridiction royale[553]. Et +quant à dire qu'on voulait un beau procès, c'était dire qu'il fallait +observer soigneusement les formes et prendre garde à ce que rien de +vicieux ne se glissât dans une cause intéressant les docteurs et +maîtres du royaume de France et de la chrétienté tout entière. Messire +Guillaume Manchon, qui connaissait les termes de pratique, ne pouvait +s'y tromper. Un beau procès, dans la langue du droit, c'était un +procès régulier. On disait, par exemple: «N... et N... ont, par beau +procès juridique, trouvé un tel coupable[554].» + +[Note 553: L. Tanon, _Histoire des tribunaux de l'inquisition en +France_, pp. 550-551.] + +[Note 554: De Beaurepaire, _Recherches sur le procès de +condamnation_, p. 320.] + +Chargé par l'évêque de choisir un autre greffier, pour l'assister, +Guillaume Manchon désigna Guillaume Colles, surnommé Boisguillaume, +comme lui notaire d'Église, qui lui fut adjoint[555]. + +[Note 555: _Procès_, t. I, p. 25; t. III, p. 137.--De Beaurepaire, +_Recherches..._, p. 103.--A. Sarrazin, _loc. cit._, pp. 222-223.] + +Jean Massieu, prêtre, doyen de la chrétienté de Rouen, fut institué +comme huissier exécuteur[556]. + +[Note 556: _Procès_, t. I, p. 26.--De Beaurepaire, +_Recherches..._, p. 115.--A. Sarrazin, _loc. cit._, pp. 223-224.] + +Dans ces sortes de procès, si fréquents alors, il n'y avait proprement +que deux juges, l'ordinaire et l'inquisiteur. Mais il était d'usage que +l'évêque appelât, comme conseillers et comme assesseurs, des personnes +expertes en l'un et l'autre droit. Le nombre et la qualité de ces +conseillers variait beaucoup d'une cause à l'autre. Et il est clair que +l'opiniâtre fauteur d'une hérésie très pestilente devait être examiné +plus curieusement et jugé d'une manière plus solennelle qu'une vieille +âme vendue à quelque petit diable qui ne pouvait grêler que des choux. +Pour le commun des sorciers, pour la foule de ces femelles ou +muliercules, comme disait certain inquisiteur qui se félicitait d'en +avoir fait brûler beaucoup, les juges se contentaient de trois ou quatre +avocats d'Église et d'autant de chanoines[557]. Quand il s'agissait +d'une personne notable, ayant donné un exemple très pernicieux, d'un +avocat du roi, par exemple, comme maître Jean Segueut, qui, cette même +année, dans cette province de Normandie, avait parlé contre l'autorité +temporelle de l'Église, on convoquait une nombreuse assemblée de +docteurs et de prélats tant anglais que français et l'on demandait des +consultations écrites aux docteurs et maîtres de l'Université de +Paris[558]. Or, il convenait de juger la Pucelle des Armagnacs plus +amplement et plus solennellement encore, avec un plus grand concours de +docteurs et de pontifes. C'est ce que fit le seigneur évêque de +Beauvais: il appela comme conseillers et comme assesseurs les chanoines +de Rouen, en aussi grand nombre qu'il lui fut possible, et parmi ceux +qui se rendirent à son appel on remarque Raoul Roussel, trésorier du +chapitre; Gilles Deschamps, qui avait été aumônier du feu roi Charles +VI, en l'an 1415; Pierre Maurice, docteur en théologie, recteur de +l'Université de Paris, en 1428; Jean Alespée, un des seize qui, lors du +siège de 1418, étaient allés, vêtus de noir et en belle contenance, +mettre aux pieds du roi Henri V la vie et l'honneur de la cité; Pasquier +de Vaux, notaire apostolique au concile de Constance, président de la +Chambre des comptes de Normandie; Nicolas de Venderès, qu'un parti +puissant portait alors au siège vacant de Rouen; enfin, Nicolas +Loiseleur. Le seigneur évêque appela au même titre les abbés des grandes +abbayes normandes, le Mont Saint-Michel-au-péril-de-la-mer, Fécamp, +Jumièges, Préaux, Mortemer, Saint-Georges de Boscherville, la +Trinité-du-mont-Sainte-Catherine, Saint-Ouen, le Bec, Cormeilles, les +prieurs de Saint-Lô, de Rouen, de Sigy, de Longueville, et l'abbé de +Saint-Corneille de Compiègne. Il appela douze avocats en cour d'Église; +il appela d'insignes docteurs et maîtres de l'Université de Paris, Jean +Beaupère, recteur en 1412; Thomas Fiefvé, recteur en 1427; Guillaume +Erart, Nicolas Midi[559] et ce jeune docteur, plein de science et de +modestie, le plus clair rayon du soleil de la chrétienté, Thomas de +Courcelles[560]. Le seigneur évêque veut donner au tribunal qui jugera +Jeanne l'autorité d'un synode, et, vraiment, c'est un concile +provincial devant lequel elle est citée. Aussi bien va-t-on juger en +même temps que cette fille, Charles de Valois qui se dit roi de France +et légitime successeur de Charles le sixième. Voilà pourquoi +s'assemblent tant d'abbés crossés et mitrés, tant d'insignes docteurs et +maîtres. + +[Note 557: Eymeric, _Directorium Inquisitorium_, quest. 85.--J. +Quicherat, _Aperçus nouveaux_, p. 109.--De Beaurepaire, _Notes sur les +juges_, p. 9.] + +[Note 558: De Beaurepaire, _Recherches..._, pp. 321 et suiv.] + +[Note 559: De Beaurepaire, _Notes sur les juges_, pp. 27-114.--J. +Quicherat, _Aperçus nouveaux_, pp. 103-104.--Boucher de Molandon, +_Guillaume Erard l'un des juges de la Pucelle_, dans _Bulletin du +Comité hist. et phil._, 1892, pp. 3-10.] + +[Note 560: _Procès_, t. I, p. 39, note.--Du Boulay, _Historia +Universitatis Paris._, t. V, pp. 912, 920.--J. Quicherat, _Aperçus +nouveaux_, p. 105.--De Beaurepaire, _Notes..._, pp. 30, 31.--A. +Sarrazin, _loc. cit._, pp. 226-227.] + +Et pourtant, l'évêque de Beauvais ne s'entoura pas de toutes les +lumières qu'il aurait pu. Il consulta les deux évêques de Coutances et +de Lisieux; il ne consulta pas le doyen des évêques de Normandie, +l'évêque d'Avranches, messire Jean de Saint-Avit, que, durant la +vacance du siège de Rouen, le chapitre de la cathédrale avait chargé +de la célébration des ordres dans le diocèse. Mais messire Jean de +Saint-Avit passait, avec raison, pour favorable au roi Charles[561]. +Par contre, les docteurs et maîtres de l'Angleterre, résidant à Rouen, +qui avaient été consultés dans le procès de Segueut, ne le furent +point dans le procès de Jeanne[562]. Les docteurs et maîtres de +l'Université de Paris, les abbés de Normandie, le chapitre de Rouen, +s'en tenaient très résolument au traité de Troyes; ils étaient aussi +prévenus que les clercs anglais contre la Pucelle du dauphin Charles, +et ils étaient moins suspects; c'était tout avantage[563]. + +[Note 561: _Procès_, t. II, pp. 5, 6.--De Beaurepaire, _Notes..._, +pp. 121-125.--A. Sarrazin, _loc. cit._, pp. 308-310.] + +[Note 562: De Beaurepaire, _Recherches_, pp. 321 et suiv.] + +[Note 563: J. Quicherat, _Aperçus nouveaux_, p. 101.] + +Le mardi 9 de janvier, monseigneur de Beauvais convoqua dans sa maison +huit conseillers, les abbés de Fécamp et de Jumièges, le prieur de +Longueville, les chanoines Roussel, Venderès, Barbier, Coppequesne et +Loiseleur. + +--Avant d'intenter procès à cette femme, leur dit-il, nous avons jugé +bon de mûrement et amplement délibérer avec des hommes doctes et +habiles en droit humain et divin, dont le nombre, grâce à Dieu, est +grand dans cette cité de Rouen. + +L'avis des docteurs et maîtres fut qu'il fallait qu'il y eût des +informations sur les faits et dits publiquement imputés à cette femme. + +Le seigneur évêque leur apprit que déjà quelques informations avaient +été faites par son ordre et qu'il était décidé à en ordonner d'autres, +desquelles il serait ultérieurement rendu compte en présence du +Conseil[564]. + +[Note 564: _Procès_, t. I, pp. 5-8.] + +Il est certain qu'un tabellion d'Andelot, en Champagne, Nicolas +Bailly, requis par messire Jean de Torcenay, bailli de Chaumont pour +le roi Henri, se transporta à Domremy et procéda avec Gérard Petit, +prévôt d'Andelot et quelques moines mendiants, à une enquête sur la +vie et la réputation de Jeanne. Les interrogateurs entendirent douze +ou quinze témoins et entre autres Jean Hannequin[565] de Greux et Jean +Bégot chez qui ils logèrent[566]. Nous tenons de Nicolas Bailly, +lui-même, qu'ils ne recueillirent aucun fait à la charge de Jeanne. +Et, si l'on en croit Jean Moreau, bourgeois de Rouen, maître Nicolas, +ayant apporté à monseigneur de Beauvais le résultat de ses recherches, +fut traité de mauvais homme et de traître et n'obtint point la +récompense de ses dépenses et labeurs[567]. C'est possible, encore +qu'étrange. Mais qu'on n'ait recueilli ni à Vaucouleurs ni à Domremy +ni dans les villages voisins aucun fait à la charge de Jeanne, voilà +qui n'est nullement vrai. Bien au contraire on y ramassa un grand +nombre d'accusations contre les habitants en général qui usaient de +maléfices et contre Jeanne qui hantait les fées[568], portait dans son +sein une mandragore et désobéissait à ses père et mère[569]. + +[Note 565: _Ibid._, t. II, p. 463.] + +[Note 566: _Procès_, t. II, p. 453.] + +[Note 567: _Ibid._, t. III, pp. 192-193.] + +[Note 568: _Ibid._, t. I, pp. 105, 146, 234.] + +[Note 569: _Ibid._, t. I, pp. 208-209, 213.] + +Des informations copieuses furent faites non seulement en Lorraine et +à Paris, mais dans des pays obéissant au roi Charles, à Lagny, à +Beauvais, à Reims et jusque dans la Touraine et le Berry[570], qui +fournirent assez pour brûler dix hérétiques et vingt sorcières. On y +releva notamment des diableries horribles aux yeux des clercs, telles +que tasse et gants perdus et retrouvés, prêtre concubinaire dévoilé, +l'épée de sainte Catherine, l'enfant ressuscité. On en rapporta une +lettre téméraire sur le pape et bien d'autres indices de sorcellerie, +magie, hérésie et erreurs sur la foi[571]. Ces informations ne furent +point insérées au procès[572]. C'était l'usage constant de la sacrée +inquisition de tenir secrets et les témoignages et les noms des +témoins[573]. En l'espèce, l'évêque de Beauvais pouvait alléguer +l'intérêt des déposants qu'il eût trop peu ménagé en publiant les +informations recueillies dans les provinces soumises au dauphin +Charles. Car, à défaut de leurs noms, leurs dépositions seules +pouvaient les faire reconnaître. Au reste, les propos que tenait +Jeanne dans sa prison formaient la source la plus abondante +d'informations: elle parlait beaucoup et sans prudence. + +[Note 570: J. Quicherat, _Aperçus nouveaux_, p. 117.] + +[Note 571: _Procès_, t. I, pp. 245-246.] + +[Note 572: _Ibid._, t. II, p. 200.] + +[Note 573: De Beaurepaire, _Recherches_, _loc. cit._--J. +Quicherat, _Aperçus nouveaux_, pp. 122-124.--L. Tanon, _Histoire des +tribunaux de l'inquisition_, pp. 389-395.] + +Un peintre, dont on ne sait pas le nom, vint la voir en sa tour, et +lui demanda tout haut, devant les gardes, quelles armes elle portait, +comme s'il eût voulu la représenter avec son écu. Dans ce temps-là, on +ne faisait guère de peintures sur le vif, si ce n'était de personnes +de très haut rang, et le plus souvent dans l'attitude de la prière, +agenouillées et les mains jointes. Et si l'on pouvait voir dans les +Flandres et dans la Bourgogne des portraits où ne paraissaient nuls +signes de dévotion, c'était en bien petit nombre. Quand on parlait +d'un portrait, on songeait naturellement à une personne priant Dieu, +la Sainte Vierge ou quelque saint. C'est pourquoi l'intention de faire +le portrait de la Pucelle eût été, sans doute, fort mal vue par les +juges d'Église. D'autant plus qu'ils pouvaient craindre que le peintre +ne figurât cette femme excommuniée sous l'apparence d'une sainte +canonisée par l'Église, ainsi que faisaient les Armagnacs. En y +songeant, on est tenté de croire que cet homme était un faux peintre +et un espion véritable. Jeanne lui dit les armes que le roi avait +données à ses frères, un écu d'azur et une épée entre deux fleurs de +lis d'or. Et ce qui confirme les soupçons, c'est qu'au procès, il lui +fut reproché, comme faste et vanité, d'avoir fait peindre ses +armes[574]. + +[Note 574: _Procès_, t. I, pp. 117, 300.] + +Plusieurs clercs introduits dans sa prison lui faisaient croire qu'ils +étaient des gens d'armes du parti de Charles de Valois[575]. Le +promoteur lui-même, maître Jean d'Estivet, prit, pour la tromper, +l'habit d'un pauvre prisonnier[576]. Un des chanoines de Rouen appelés +au procès, maître Nicolas Loiseleur, fut particulièrement fertile en +ruses, ce semble, pour découvrir les hérésies de Jeanne. Natif de +Chartres, il n'était que maître ès arts, mais il avait un grand renom +d'habileté; en 1427 et 1428, il s'acquitta de négociations difficiles +qui le retinrent de longs mois à Paris; en 1430, il fut de ceux que +le Chapitre députa vers le cardinal de Winchester afin d'obtenir une +audience du roi Henri, à l'effet de lui recommander l'église de Rouen. +Maître Nicolas Loiseleur était donc personne agréable au Grand +Conseil[577]. + +[Note 575: _Ibid._, t. II, p. 362.] + +[Note 576: _Ibid._, t. III, p. 63.] + +[Note 577: De Beaurepaire, _Notes sur les juges_, pp. 72-82.--A. +Sorel, _loc. cit._, pp. 243-247.] + +S'étant concerté avec l'évêque de Beauvais et le comte de Warwick, il +entra dans la prison de Jeanne en habit court, à la mode des laïques; +les gardes avertis se retirèrent et maître Nicolas, resté seul avec la +prisonnière, lui confia qu'il était natif, comme elle, des Marches de +Lorraine, cordonnier de son état, qu'il tenait le parti des Français, +et qu'il avait été pris par les Anglais. Il lui apporta du roi Charles +des nouvelles qu'il imaginait à sa fantaisie. Jeanne n'avait rien de +plus cher que son roi. Se l'étant ainsi gagnée, le feint cordonnier +lui fit diverses questions sur les anges et les saintes qu'elle +voyait. Elle lui répondait avec confiance, comme payse à pays et amie +à ami. Il lui donnait des conseils, il lui recommandait de ne pas +croire tous ces gens d'Église, de ne pas faire ce qu'ils lui +demandaient: + +--Car, lui disait-il, si tu leur donnes créance, tu seras détruite. + +Maintes fois, à ce qu'on assure, maître Nicolas Loiseleur fit le +cordonnier lorrain. Il dictait ensuite aux greffiers tout ce que +Jeanne lui avait dit et c'était là un supplément précieux +d'informations dont on faisait mémoire en vue des interrogatoires. Il +paraît même que durant certaines de ces visites on apostait les +greffiers dans une chambre voisine, près d'un judas[578]. S'il faut en +croire les bruits de la ville, maître Nicolas faisait aussi sainte +Catherine et, par ce moyen, amenait Jeanne à dire tout ce qu'il +voulait. + +[Note 578: _Procès_, t. II, pp. 10, 342; t. III, pp. 140, 141, +156, 160 et suiv.] + +Peut-être ne se vantait-il point de tant d'artifice[579]; assurément +il ne s'en cachait pas. Plusieurs maîtres insignes l'approuvaient; +d'autres le blâmaient[580]. L'ange de l'école, maître Thomas de +Courcelles, qu'il instruisit de ses déguisements, lui conseilla de les +cesser. Les greffiers prétendirent par la suite avoir mis une extrême +répugnance à prendre en cachette des paroles ainsi surprises par ruse. +Il fallait que l'âge d'or de la justice inquisitoriale fût bien passé +pour qu'un docteur aussi rigide que maître Thomas mollît sur les +formes les plus solennelles de cette justice; il fallait que la +procédure inquisitoriale fût profondément corrompue pour que deux +notaires d'Église songeassent à en éluder les prescriptions les plus +constantes. Ces clercs, en contrefaisant les gens d'armes, ce +promoteur en se donnant l'apparence d'un pauvre prisonnier, +accomplissaient les fonctions les plus régulières de la justice +instituée par Innocent III. En faisant le cordonnier et sainte +Catherine, si toutefois il recherchait le salut et non la perte de la +pécheresse, et si, contrairement à la rumeur publique, loin de +l'inciter à la révolte, il l'induisait à l'obéissance, s'il ne la +trompait enfin que pour son bien temporel et spirituel, maître Nicolas +Loiseleur procédait conformément aux règles établies. Il est dit dans +le _Tractatus de hæresi_: «Que nul n'approche l'hérétique, si ce n'est +de temps à autre deux personnes fidèles et adroites qui l'avertissent +avec précaution et comme si elles avaient compassion de lui, de se +garantir de la mort en confessant ses erreurs, et qui lui promettent +que, s'il le fait, il pourra échapper au supplice du feu; car la +crainte de la mort et l'espoir de la vie amollissent quelquefois un +coeur qu'on n'aurait pu attendrir autrement[581].» + +[Note 579: _Ibid._, t. III, p. 181.] + +[Note 580: _Ibid._, t. III, p. 141.] + +[Note 581: _Tractatus de hæresi pauperum de Lugduno_, apud +Martene, _Thésaurus anecd._, t. V, col. 1787.--J. Quicherat, _Aperçus +nouveaux_, pp. 131-132.] + +Le devoir des greffiers était tracé en ces termes: «Les choses seront +ainsi ordonnées, que certaines personnes seront apostées dans un lieu +convenable pour surprendre les confidences des hérétiques et +recueillir leurs paroles[582].» + +[Note 582: Eymeric, _Directorium_, part. III: _Cautelæ +inquisitorum contra hæreticorum cavilationes et fraudes._] + +Et quant à l'évêque de Beauvais, qui avait ordonné ou permis ces +procédures, il découvrait sa justification et sa louange dans cette +parole de l'apôtre saint Paul aux Corinthiens: Je ne vous ai point +fait de tort, mais j'ai usé de finesse pour vous surprendre: _Ego vos +non gravavi; sed cum essem astutus, dolo vos cepi_ (II, _Corinth._, +ch. XII, v. 16)[583]. + +[Note 583: L. Tanon, _Histoire des tribunaux de l'inquisition en +France_, p. 394.] + +Cependant, quand elle vit le promoteur Jean d'Estivet revêtu du +camail, Jeanne ne le reconnut pas. Maître Nicolas Loiseleur se rendait +souvent près d'elle en robe longue. Sous ces dehors il lui inspirait +une grande confiance: elle se confessait à lui dévotement, et n'avait +point d'autre confesseur[584]. Elle le voyait tantôt en cordonnier, +tantôt en chanoine sans s'apercevoir que ce fût la même personne. +C'est donc qu'elle était, à certains égards d'une incroyable +simplicité. Ces grands théologiens devaient s'apercevoir qu'il n'était +pas difficile de la prendre. + +[Note 584: _Procès_, t. II, pp. 10, 342.] + +C'était un fait connu de tous les hommes versés dans les sciences +divines et humaines, que l'Ennemi des hommes ne faisait point de pacte +avec une fille, sans lui prendre d'abord son pucelage[585]. À +Poitiers, déjà les clercs de France y avaient songé et lorsque la +reine Yolande leur eut assuré que Jeanne était vierge, ils ne +craignirent plus qu'elle ne vînt du diable[586]. Le seigneur évêque de +Beauvais attendait un semblable examen dans une contraire espérance. +Madame la duchesse de Bedford elle-même y procéda à la prison, +assistée de lady Anna Bavon et d'une autre matrone. On a dit que, +pendant ce temps, le Régent, caché dans une pièce voisine, regardait +par un trou du plancher[587]. Ce n'est pas sûr, mais ce n'est pas +impossible: il était encore à Rouen quinze jours après que Jeanne y +eut été amenée[588]. Imaginaire ou véritable, cette curiosité lui fut +sévèrement reprochée. Si beaucoup d'autres l'eussent eue à sa place, +chacun en jugera à part soi; mais il ne faut pas oublier que +monseigneur de Bedford croyait que Jeanne était sorcière et que ce +n'était pas l'habitude, en ce temps-là, d'étendre aux sorcières le +respect dû aux dames. On doit songer aussi que ce point intéressait +puissamment la vieille Angleterre que le Régent aimait de tout son +coeur et de toutes ses forces. + +[Note 585: Vallet de Viriville, _Nouvelles recherches sur Agnès +Sorel_, pp. 33 et suiv.--Du Cange, _Glossaire_, au mot: +_Matrimonium_.] + +[Note 586: _Procès_, t. III, pp. 102, 209.] + +[Note 587: _Procès_, t. III, pp. 155, 163.] + +[Note 588: A. Sarrazin, _Jeanne d'Arc et la Normandie_, p. 40.] + +À l'expertise de la duchesse de Bedford comme à celle de la reine de +Sicile, Jeanne fut trouvée vierge. Les matrones connaissaient +plusieurs signes de virginité; mais, pour nous, un signe plus certain +c'est la parole de Jeanne qui, lorsqu'on lui demandait pourquoi on +l'appelait la Pucelle et si elle l'était en effet, répondait: «Je peux +bien dire que je suis telle[589].» Les juges ne firent pas état, qu'on +sache, de ces conclusions favorables. Croyaient-ils, avec le sage roi +Salomon, que toute recherche à cet égard est vaine; repoussèrent-ils +les conclusions des matrones en vertu de l'adage: _Virginitatis +probatio non minus difficilis quam custodia?_ Non, ils croyaient bien +qu'elle était vierge. Ils le laissaient suffisamment entendre, en ne +disant pas le contraire[590]. Et, puisqu'ils persistaient à la +poursuivre comme sorcière, c'était donc qu'ils pensaient qu'elle +pouvait, par exception, s'être donnée à des diables qui l'avaient +laissée comme ils l'avaient prise. Les moeurs des démons étaient +pleines de ces contrariétés qui déconcertaient les plus savants +docteurs; on en découvrait tous les jours. + +[Note 589: _Procès_, t. III, p. 175.] + +[Note 590: _Procès_, t. II, pp. 217-218.] + +Le samedi 13 janvier, le seigneur abbé de Fécamp, les docteurs et +maîtres Nicolas de Venderès, Guillaume Haiton, Nicolas Coppequesne, +Jean de la Fontaine et Nicolas Loiseleur, se réunirent dans la maison +du seigneur évêque et lecture leur fut donnée des informations +recueillies en Lorraine et ailleurs sur la Pucelle. Et il fut décidé +que, d'après ces informations, un certain nombre d'articles seraient +rédigés en bonne forme; ce qui fut fait[591]. + +[Note 591: _Ibid._, t. I, pp. 27-28.] + +Le mardi 23 janvier, les docteurs et maîtres sus-nommés prirent +connaissance des articles et, les tenant pour bons, estimèrent qu'ils +devaient servir de matière aux interrogatoires, puis ils décidèrent +que l'évêque de Beauvais devait ordonner l'enquête préparatoire sur +les faits et dits de Jeanne[592]. + +[Note 592: _Procès_, t. I, pp. 28-29.] + +Le mardi 13 février, Jean d'Estivet, dit Bénédicité, promoteur, Jean +de la Fontaine, commissaire, Boisguillaume et Manchon, greffiers, et +Jean Massieu, huissier, prêtèrent serment d'exécuter fidèlement leur +office. Aussitôt, maître Jean de la Fontaine, assisté de deux +greffiers, procéda à l'enquête préparatoire[593]. + +[Note 593: _Ibid._, t. I, pp. 29-31.] + +Le lundi 19 février, à huit heures du matin, les docteurs et maîtres +réunis, au nombre d'onze, dans la maison de l'évêque de Beauvais, +ayant ouï lecture des articles et de l'information préparatoire, +donnèrent leur avis et l'évêque décida, conformément à cet avis, qu'il +y avait matière suffisante pour que la femme nommée la Pucelle dût +être citée et appelée en cause de foi[594]. + +[Note 594: _Ibid._, t. I, pp. 31-33.] + +Mais une nouvelle difficulté apparaissait. Il fallait, dans une telle +cause, que l'accusée comparût en même temps devant l'ordinaire et +devant l'inquisiteur. Les deux juges étaient également nécessaires à +la bonté du procès. Or, le Grand Inquisiteur pour le royaume de +France, frère Jean Graverent, se trouvait alors retenu à Saint-Lô, où +il poursuivait en matière de foi un bourgeois de la ville, nommé Jean +Le Couvreur[595]. En l'absence du frère Jean Graverent, l'évêque de +Beauvais avait invité le vice-inquisiteur pour le diocèse de Rouen à +procéder conjointement avec lui contre Jeanne. Cependant le +vice-inquisiteur semblait ne rien entendre, ne soufflait mot et +laissait l'évêque dans l'embarras avec son procès. C'était frère Jean +Lemaistre, prieur des frères prêcheurs de Rouen, bachelier en +théologie, religieux plein de prudence et de scrupules[596]. Enfin, +sur sommation par huissier, il se rendit chez l'évêque de Beauvais, ce +19 février, à quatre heures du soir, et se déclara prêt à intervenir, +s'il en avait le droit, ce dont toutefois il doutait[597]. Il donna la +raison de son incertitude: il était l'inquisiteur de Rouen; l'évêque +de Beauvais exerçait la juridiction épiscopale de Beauvais sur un +territoire emprunté: dès lors était-ce à l'inquisiteur de Rouen? +n'était-ce pas plutôt à l'inquisiteur de Beauvais qu'il appartenait de +siéger au côté de l'évêque de Beauvais? Il annonça qu'il demanderait +au Grand Inquisiteur du royaume de France un mandat qui s'étendît sur +le diocèse de Beauvais, et qu'en attendant ces pouvoirs, il consentait +à siéger, pour l'acquit de sa conscience et pour empêcher que toute +la procédure ne devînt caduque, ce qui eût été le cas, au sentiment de +tous, si la cause avait été instruite sans le concours de la Très +Sainte Inquisition[598]. Toutes les difficultés étaient levées. La +Pucelle fut citée à comparaître le mercredi 21 février[599]. + +[Note 595: _Ibid._, t. I, p. 32.--J. Quicherat, _Aperçus +nouveaux_, p. 102.--De Beaurepaire, _Notes sur les juges_, pp. +24-27.--Le P. Chapotin, _La guerre de cent ans, Jeanne d'Arc et les +dominicains_, pp. 141-143.--A. Sarrazin, _P. Cauchon_, p. 124.] + +[Note 596: _Procès_, t. I, p. 33.] + +[Note 597: _Ibid._, t. I, p. 35.--De Beaurepaire, _Notes sur les juges_, +p. 394.--Doinel, dans _Mémoire de la Société archéologique-historique de +l'Orléanais_, 1892, t. XXIV, p. 403.--Le P. Chapotin, _La guerre de cent +ans, Jeanne d'Arc et les dominicains_, p. 141.--U. Chevalier, +_L'abjuration de Jeanne d'Arc_, p. 32.] + +[Note 598: _Procès_, t. I, p. 35.] + +[Note 599: _Ibid._, t. I, pp. 40-42.] + +Ce jour, à huit heures du matin, l'évêque de Beauvais, le vicaire de +l'inquisiteur et quarante et un conseillers et assesseurs dont quinze +docteurs en théologie, cinq docteurs en l'un et l'autre droit, six +bacheliers en théologie, onze bacheliers en droit canon, quatre +licenciés en droit civil, se réunirent dans la chapelle du château. +L'évêque siégea seul comme juge. À ses côtés les conseillers et +assesseurs, revêtus du camail des chanoines ou de la bure des +mendiants, exprimaient ou la douceur évangélique ou la gravité +sacerdotale. Il y avait des regards de flamme et des yeux baissés. +Frère Jean Lemaistre, vice-inquisiteur de la foi, se tenait parmi eux, +silencieux, dans la livrée noire et blanche de l'obéissance et de la +pauvreté[600]. + +[Note 600: _Ibid._, t. I, pp. 38-39.] + +Avant d'introduire l'accusée, l'huissier rendit compte à l'évêque que +Jeanne, touchée par la citation, avait répondu que volontiers elle +comparaîtrait, que toutefois elle demandait que des hommes d'Église du +parti de la France fussent adjoints en nombre égal à ceux du parti de +l'Angleterre. Elle demandait aussi qu'il lui fût permis d'entendre la +messe[601]. L'évêque rejeta ces deux requêtes[602] et Jeanne fut +introduite, en habit d'homme, les fers aux pieds. On la fit asseoir +près de la table où se tenaient les greffiers. + +[Note 601: _Procès_, t. I, pp. 42-43.] + +[Note 602: _Ibid._, t. I, p. 43.] + +Ce qui éclata tout de suite entre ces théologiens et cette jeune +fille, ce fut la haine et l'horreur réciproques. Contrairement aux +usages de son sexe, que les ribaudes elles-mêmes n'osaient enfreindre, +elle montrait ses cheveux, des cheveux bruns taillés sur l'oreille. +C'étaient peut-être les premiers cheveux de femme que voyait tel de +ces jeunes religieux, tel de ces jeunes maîtres assis derrière leurs +anciens. Elle portait des chausses comme un garçon. Ils trouvaient son +habit impudique, abominable[603]. Elle les irritait et les indignait. +Si l'évêque de Beauvais l'avait forcée à comparaître en robe et en +chaperon, ils l'eussent regardée sans doute avec moins de colère. Cet +habit d'homme leur rendait présentes les oeuvres accomplies par la +Pucelle, avec le secours des démons, dans le camp du dauphin Charles, +se disant roi. En ôtant comme avec la main, par magie, toute force aux +gens d'armes anglais, elle avait nui grandement à la plupart de ces +hommes d'Église qui la jugeaient. Les uns songeaient aux bénéfices +dont elle les avait dépouillés; d'autres, docteurs et maîtres de +l'Université, se rappelaient qu'elle avait failli mettre Paris à feu +et à sang[604]; d'autres, abbés et chanoines, lui en voulaient +peut-être plus encore de les avoir fait trembler jusqu'en Normandie. +Et le tort ainsi causé à une notable partie de l'Église de France, +pouvaient-ils le lui pardonner quand ils savaient qu'elle l'avait fait +par sorcellerie, divination, et invocation des diables? «Il faut être +bien ignorant, disait Sprenger, pour nier la réalité de la magie.» +Comme ils étaient très savants, ils voyaient des magiciens et des +sorciers où d'autres n'en auraient pas soupçonné; ils estimaient que +le doute touchant le pouvoir des démons sur les hommes et sur les +choses était non seulement hérésie et impiété, mais encore subversion +de toute société naturelle et politique. Ces docteurs assis là, dans +la chapelle du château, avaient fait brûler chacun dix, vingt, +cinquante sorcières, et toutes avaient confessé leur crime. N'eût-ce +pas été folie que de douter après cela qu'il fût des sorcières? + +[Note 603: _Ibid._, p. 43.] + +[Note 604: Le P. Denifle et Châtelain, _Le procès de Jeanne d'Arc +et l'Université de Paris_.] + +On pouvait s'étonner que des créatures capables de faire tomber la +grêle, et de jeter des sorts sur les animaux et les hommes, se +laissassent prendre, juger, torturer et brûler sans défense, mais +c'était un fait constant; tous les juges ecclésiastiques avaient pu +l'observer. Et les hommes très doctes en rendaient compte: ils +expliquaient que les sorciers et les sorcières perdaient leur pouvoir +dès qu'ils étaient aux mains des gens d'Église. On tenait cette +explication pour satisfaisante. La pauvre Pucelle avait comme les +autres, perdu son pouvoir; ils ne la craignaient plus. + +Jeanne les haïssait pour le moins autant qu'ils la haïssaient. Cette +antipathie que les saintes ignorantes, les belles inspirées, d'esprit +libre, capricieux, ardent, éprouvaient naturellement pour les docteurs +enflés de leur science et tout raidis de scolastique, elle l'avait +ressentie naguère à l'égard des clercs de Poitiers, qui cependant +étaient du parti de France, ne lui voulaient pas de mal et ne +l'avaient pas beaucoup tourmentée. On peut juger par là de la +répulsion que lui inspiraient les clercs de Rouen. Elle savait qu'ils +cherchaient à la faire mourir. Mais elle ne les craignait pas; elle +attendait avec confiance que les anges et les saintes, accomplissant +leur promesse, vinssent la délivrer. Elle ne savait ni quand ni +comment arriverait le salut; elle ne doutait pas qu'il n'arrivât. En +douter eût été douter de saint Michel, de sainte Catherine et de +Notre-Seigneur; c'eût été croire que ses Voix étaient mauvaises. Ses +Voix lui avaient dit de ne rien craindre et elle ne craignait +rien[605]. Intrépide simplicité; d'où lui venait cette confiance en +ses Voix, sinon de son coeur? + +[Note 605: _Procès_, t. I, pp. 88, 94, 151, 155 et _passim_.] + +L'évêque la requit de jurer en la forme prescrite, les deux mains sur +les saints Évangiles, qu'elle répondrait la vérité sur tout ce qui lui +serait demandé. + +Elle ne pouvait. Ses Voix lui défendaient de rien confier à personne +des révélations dont elles la gratifiaient abondamment. + +Elle répondit: + +--Je ne sais sur quoi vous voulez m'interroger. Vous pourriez me +demander telles choses que je ne vous dirai pas. + +Et comme l'évêque insistait pour qu'elle jurât de dire toute la +vérité: + +--De mon père et de ma mère, dit-elle, et de ce que j'ai fait après ma +venue en France, je jurerai volontiers. Mais des révélations de la +part de Dieu, oncques n'en ai dit ni révélé à personne, hors à +Charles, mon roi. Et je n'en révélerai rien, me dût-on couper la tête. + +Et, soit qu'elle voulût gagner du temps, soit qu'elle comptât avoir +bientôt sur ce point un nouvel avis de son Conseil, elle ajouta +qu'avant huit jours elle saurait bien si elle devait révéler ces +choses. + +Enfin elle jura selon les formes, à genoux, les deux mains sur le +missel[606]. Puis elle répondit sur son nom, son pays, ses parents, +son baptême, ses parrains et marraines. Elle dit qu'elle avait à peu +près dix-neuf ans, à ce qu'il lui semblait[607]. + +[Note 606: _Procès_, t. I, p. 45.] + +[Note 607: _Ibid._, t. I, p. 46.] + +Interrogée sur ce qu'elle avait appris: + +--J'ai appris de ma mère _Notre Père_, _Je vous salue, Marie_ et _Je +crois en Dieu_. + +Mais quand on lui demanda de dire _Notre Père_, elle s'y refusa, ne +voulant le dire qu'en confession. C'était pour que l'évêque l'entendît +au tribunal de la pénitence[608]. + +[Note 608: _Procès_, t. I, pp. 46-47] + +La séance était très agitée; chacun parlait à la fois. Jeanne, de sa +voix douce, avait scandalisé les docteurs. + +L'évêque lui fit défense de sortir de prison, sous peine d'être +convaincue du crime d'hérésie. + +Elle n'accepta point cette défense: + +--Si je m'évadais, dit-elle, nul ne pourrait me reprocher d'avoir +rompu ma foi, car oncques ne donnai ma foi à personne. + +Elle se plaignit ensuite d'être aux fers. + +L'évêque lui représenta que c'était parce qu'elle avait tenté de +s'évader. + +Elle en convint: + +--C'est vrai, j'ai voulu m'évader, et je le voudrais encore comme +c'est permis à tout prisonnier[609]. + +[Note 609: _Ibid._, t. I, p. 47.] + +Aveu d'une grande hardiesse, si elle avait bien entendu ces paroles du +juge, qu'en sortant de prison, elle encourait les peines dues aux +hérétiques. C'était, un crime contre l'Église que de s'échapper des +prisons de l'Église, c'était un crime et une folie; car les prisons +de l'Église sont des séjours de pénitence, et il est aussi criminel +qu'insensé, le pécheur qui se refuse à la pénitence salutaire; il est +semblable au malade qui ne veut point être guéri. Mais Jeanne n'était +pas proprement dans une prison ecclésiastique; elle était dans le +château de Rouen, prisonnière de guerre, aux mains des Anglais. +Pouvait-on dire qu'en s'évadant, elle encourait l'excommunication et +les peines spirituelles et temporelles dues aux ennemis de la foi? Il +y avait là une difficulté. Le seigneur évêque la leva incontinent par +une belle fiction juridique. Trois hommes d'armes d'Angleterre, John +Gris, écuyer, John Bervox et William Talbot étaient commis par le roi +à la garde de Jeanne. L'évêque, agissant comme juge ecclésiastique, +les commit lui-même à cette garde et leur fit jurer sur les saints +Évangiles de lier et enfermer cette fille[610]. De ce fait la Pucelle +était prisonnière de notre sainte Mère l'Église et elle ne pouvait +rompre ses fers sans tomber dans l'hérésie. + +[Note 610: _Procès_, t. I, pp. 47-8.] + +La deuxième audience fut fixée au lendemain 22 février[611]. + +[Note 611: _Ibid._, t. I, p. 48.] + + + + +CHAPITRE XI + +LA CAUSE DE LAPSE (_Suite_). + + +Après l'audience, quand il s'agit de rédiger le procès-verbal, un +conflit s'éleva entre les notaires ecclésiastiques et deux ou trois +greffiers royaux qui avaient enregistré, eux aussi, les réponses de +l'accusée. Les deux rédactions, comme on pouvait s'y attendre, +différaient l'une de l'autre en plusieurs endroits. On décida que +Jeanne serait interrogée à nouveau sur les points contestés[612]. Les +notaires d'Église se plaignaient aussi du mal qu'ils avaient à saisir +les paroles de Jeanne à travers les interruptions des assistants qui +les hachaient. + +[Note 612: _Procès_, t. III, pp. 131-136.] + +En un procès d'inquisition il n'y avait pas de lieu déterminé pour les +interrogatoires non plus que pour les autres actes de la procédure; +les juges interrogeaient soit dans une chapelle, soit dans une salle +capitulaire, ou bien encore dans la prison ou dans une chambre de +torture. Pour éviter le tumulte de la première séance, comme le +croyait Messire Guillaume Manchon[613], et parce qu'il n'y avait plus +de raison de procéder aussi solennellement qu'à l'ouverture des +débats, le juge et les conseillers se réunirent dans la chambre de +Parement, petite pièce située au bout de la grande salle du +château[614]; et l'on mit deux gardes anglais à la porte. Selon le +droit inquisitorial, les assesseurs désignés n'étaient pas tenus +d'assister à toutes les délibérations[615]. Cette fois, quarante-deux +étaient présents, trente-six anciens et six nouveaux, et parmi ces +grands clercs, frère Jean Lemaistre, le vice-inquisiteur de la foi, +l'humble frère prêcheur, non plus, comme au temps de saint Dominique, +chien carnassier du Seigneur, mais, par suite des entreprises de +l'Église des Gaules sur la puissance pontificale, chien de l'évêque, +pauvre moine n'osant ni agir ni s'abstenir, muet, craintif, le dernier +et moindre de tous, en attendant de devenir du jour au lendemain juge +souverain et sans appel[616]. + +[Note 613: _Procès_, t. III, p. 135.] + +[Note 614: _Ibid._, t. I, p. 48.--A. Sarrazin, _Jeanne d'Arc et la +Normandie_, pp. 323-324.] + +[Note 615: L. Tanon, _Histoire des tribunaux de l'inquisition_, p. +420.] + +[Note 616: _Procès_, t. I, pp. 48-50.] + +Jeanne fut introduite par messire Jean Massieu, huissier. Elle tenta +encore d'éluder le serment de tout dire; mais il lui fallut jurer sur +l'Évangile[617]. + +[Note 617: _Procès_, t. I, p. 50.] + +Ce fut maître Jean Beaupère qui l'interrogea; il était docteur en +théologie. L'Université de Paris, qui le regardait comme une de ses +plus belles lumières, l'avait nommé deux fois recteur, chargé des +fonctions de chancelier, en l'absence de Gerson, et envoyé en l'an +1419, avec messire Pierre Cauchon, en la ville de Troyes, pour donner +aide et conseil au roi Charles VI, et, trois ans après, vers la reine +d'Angleterre et le duc de Glocester, pour obtenir, par leur appui, la +confirmation de ses privilèges. Il venait d'être nommé chanoine de +Rouen par le roi Henri VI[618]. + +[Note 618: Du Boulay, _Historia Universitatis Paris._, t. V, p. +919.--De Beaurepaire, _Notes sur les juges_, pp. 27-30.] + +Maître Jean Beaupère demanda d'abord à Jeanne à quel âge elle avait +quitté la maison de son père. Elle ne sut pas le dire, bien qu'elle +eût répondu la veille qu'elle avait présentement dix-neuf ans +environ[619]. + +[Note 619: _Procès_, t. I, p. 51.] + +Interrogée sur les occupations de son enfance, elle répondit qu'elle +vaquait aux soins du ménage et n'allait guère aux champs avec les +bêtes. + +--Pour filer et coudre, dit-elle, je ne crains femme de Rouen[620]. + +[Note 620: _Ibid._, t. I, p. 51.] + +Ainsi, portant jusque dans ces choses domestiques son goût de +chevalerie et son ardeur de prouesses, elle défiait au fuseau et à +l'aiguille toutes les femmes d'une ville, sans en connaître une seule. + +Interrogée sur ses confessions et ses communions, elle répondit +qu'elle se confessait à son curé ou à un autre prêtre quand celui-ci +était empêché. Mais elle ne voulut pas dire si elle avait communié à +d'autres fêtes qu'à Pâques[621]. + +[Note 621: _Procès_, t. I, pp. 51-52.] + +Maître Jean Beaupère procédait sans ordre et sautait brusquement d'un +sujet à l'autre, afin de la surprendre. Il lui parla tout à coup de +ses Voix. Elle lui répondit comme il suit: + +--Étant en l'âge de treize ans, j'ai eu une Voix de Dieu pour m'aider +à me bien gouverner. Et la première fois j'ai eu grand'peur. Et la +Voix vint quasiment à l'heure de midi, en été, dans le jardin de mon +père... + +Elle entendit la Voix à droite, vers l'église. Rarement elle l'entend +sans une lumière. Cette lumière est du côté que la Voix est ouïe[622]. + +[Note 622: _Ibid._, t. I, p. 52.] + +En apprenant que Jeanne entendait la Voix à droite, un docteur plus +savant et plus doux que n'était maître Jean eût sans doute interprété +favorablement cette circonstance, puisqu'on lit dans Ezéchiel que les +anges se tenaient à droite de la demeure, puisque nous voyons, au +dernier chapitre de saint-Marc, que les femmes virent l'Ange assis à +droite et puisque enfin saint Luc observe en termes exprès que l'Ange +apparut à Zacharie à droite de l'autel encensé, sur quoi le vénérable +Bède fit cette réflexion: «il apparut à droite, parce qu'il apportait +un signe de la divine miséricorde[623]». Mais l'interrogateur +n'attacha son esprit à rien de semblable; et, croyant embarrasser +Jeanne, il lui demanda comment elle voyait la lumière, puisqu'elle +était de côté[624]. Jeanne ne répondit pas et comme distraite: + +[Note 623: Bréhal, _Mémoires et consultations en faveur de Jeanne +d'Arc_, édit. Lanéry d'Arc, p. 409.] + +[Note 624: Voir Appendice I, la lettre du docteur G. Dumas.] + +--Si j'étais dans un bois, j'entendrais bien les Voix qui viendraient +à moi.... Elle me semble être une digne Voix. Je crois que cette Voix +m'a été envoyée de la part de Dieu. Après avoir entendu trois fois +cette Voix, j'ai connu que c'était la voix d'un ange. + +--Quels enseignements vous donnait cette Voix pour le salut de votre +âme? + +--Elle m'apprit à me bien conduire, à fréquenter l'église, et elle m'a +dit qu'il me fallait aller en France[625]. + +[Note 625: _Procès_, t. I, p. 52.] + +Et Jeanne conta comment, sur l'ordre de la Voix, elle était allée à +Vaucouleurs, vers sire Robert de Baudricourt, qu'elle avait reconnu, +sans l'avoir oncques vu auparavant; comment le duc de Lorraine l'avait +appelée auprès de lui pour qu'elle le guérît et comment elle s'était +rendue en France[626]. + +[Note 626: _Ibid._, t. I, pp. 53-54.] + +Elle fut ensuite amenée à dire qu'elle savait bien que Dieu aimait le +duc d'Orléans et qu'elle avait sur lui plus de révélations que sur +homme vivant, excepté son roi, qu'il lui avait fallu changer son habit +de femme en habit d'homme et que son conseil l'avait bien avisée[627]. + +[Note 627: _Procès_, t. I, p. 54.] + +On lui donna lecture de la lettre aux Anglais. Elle reconnut qu'elle +l'avait dictée dans les mêmes termes, à trois endroits près. Elle +n'avait pas dit: _corps pour corps_, ni _chef de guerre_; et elle +avait dit _rendez au roi_, au lieu de _rendez à la Pucelle_. Les juges +n'avaient pas altéré le texte de la lettre, comme on peut s'en assurer +en le comparant à d'autres textes qui ne passèrent pas par leurs mains +et qui contiennent les expressions niées par Jeanne[628]. + +[Note 628: _Ibid._, t. I, pp. 55-56; t. V, p. 95.] + +Au début de sa vocation, elle croyait que Notre-Seigneur, vrai roi de +France, lui avait ordonné de remettre la lieutenance du royaume à +Charles de Valois. Les propos où elle exprime ces idées sont rapportés +par trop de personnes étrangères les unes aux autres pour qu'on puisse +douter qu'elle les ait prononcés. «Le roi aura le royaume en commande; +le roi de France est lieutenant du roi des cieux.» Ce sont là des +paroles sorties de sa bouche et elle a vraiment dit au dauphin: +«Faites don de votre royaume au roi des cieux[629].» Mais ce qu'on est +bien obligé de reconnaître, c'est qu'à Rouen il ne subsiste plus en +elle aucune trace de ces idées mystiques et qu'elle semble même +incapable de les avoir jamais eues. Dans toutes les réponses qu'elle +fait à ses interrogateurs, elle se montre si étrangère à tout +raisonnement un peu abstrait et aux spéculations même les moins +compliquées, qu'on se figure mal qu'elle ait pu concevoir la royauté +temporelle de Jésus-Christ sur la terre des Lis. Rien dans son langage +ni dans ses pensées ne la montre préparée à de telles méditations et +l'on en arrive à croire que cette théologie politique lui avait été +enseignée, dans son âge tendre et ductile, par des clercs désireux de +remédier aux maux de l'Église et du royaume, mais qu'elle n'en avait +point pénétré profondément l'esprit ni bien possédé le sens, et que +les termes mêmes lui en avaient peu à peu échappé, dans une vie rude +et parmi des gens d'armes dont l'âme simple s'accordait avec la sienne +mieux que l'âme plus ornée de ses initiateurs contemplatifs. + +[Note 629: _Ibid._, t. II, p. 456; t. III, pp. 91-92.--Morosini, +t. III, p. 104.--Eberhard Windecke, pp. 152-153.--J. Quicherat, +_Aperçus nouveaux_, pp. 132-133.--Le P. Ayroles, _La vraie Jeanne +d'Arc_, t. IV, p. 440, chap. I: _La royauté du Jésus-Christ_.] + +Interrogée sur sa venue à Chinon, elle répondit: + +J'allai sans empêchement vers mon roi; quand j'arrivai à la ville de +Sainte-Catherine de Fierbois, j'envoyai premièrement à la ville de +Château-Chinon où était mon roi. J'y arrivai vers l'heure de midi et +me logeai dans une hôtellerie et, après dîner, j'allai à mon roi qui +était dans le château. + +Les greffiers, s'il faut les en croire, s'émerveillaient à l'envi de +sa mémoire. Ils admiraient qu'elle se rappelât avec exactitude ce +qu'elle avait dit huit jours auparavant[630]. Pourtant ses souvenirs +étaient parfois étrangement incertains, et l'on a quelque raison de +penser avec le Bâtard qu'elle attendit deux jours à l'auberge avant +d'être reçue par le roi[631]. + +[Note 630: _Procès_, t. III, pp. 89, 142, 161, 176, 178, 201.] + +[Note 631: _Ibid._, t. III, p.] + +À propos de cette audience au château de Chinon, elle dit à ses juges +qu'elle avait reconnu le roi comme elle avait reconnu le sire de +Baudricourt, par révélation[632]. + +[Note 632: _Ibid._, t. I, p. 56.] + +L'interrogateur lui demanda: + +--Quand la Voix vous montra votre roi, y avait-il là quelque +lumière[633]? + +[Note 633: _Ibid._, p. 56.] + +Cette question se rapportait à des circonstances étranges qui +intéressaient grandement les juges, car ils y soupçonnaient la Pucelle +de s'être rendue coupable de fraude sacrilège ou peut-être de +sorcellerie, avec la complicité du roi de France. Ils avaient appris, +en effet, par leurs informateurs, que Jeanne se vantait d'avoir donné +un signe au roi, en la forme d'une couronne précieuse[634]. Voici la +vérité sur ce point. + +[Note 634: Il ne paraît pas possible d'admettre avec Quicherat +(_Aperçus nouveaux_), que Jeanne imaginait la fable de la couronne à +mesure qu'on la pressait de questions au sujet «du signe». À la façon +dont les juges conduisaient l'interrogatoire, on voit bien qu'ils +connaissaient toute cette histoire extraordinaire.] + +Madame sainte Catherine, ainsi qu'on le rapportait dans son histoire, +reçut un jour, de la main d'un ange, une couronne resplendissante et +la posa sur la tête de l'impératrice des Romains. Cette couronne +signifiait la béatitude éternelle[635]. Jeanne, qui était nourrie de +cette histoire, disait que semblable chose lui était advenue. En +France elle avait fait plusieurs récits merveilleux de couronnes et +dans l'un de ces récits elle se représentait en la grande salle du +château de Chinon, au milieu des seigneurs, recevant de la main d'un +ange une couronne, pour la donner à son roi[636]. C'était vrai, au +sens spirituel, car elle avait mené Charles à son sacre et +couronnement. Jeanne n'était pas très exercée à concevoir deux ordres +de vérités. Il se peut toutefois qu'elle eut des doutes sur la réalité +matérielle de cette vision. Il se peut même qu'elle la tînt pour vraie +seulement au sens spirituel. En tout cas, elle avait promis +d'elle-même spontanément à sainte Catherine et à sainte Marguerite de +n'en point parler à ses juges[637]. + +[Note 635: _Legenda aurea_, éd. 1846, pp. 789 et suiv.] + +[Note 636: _Procès_, t. I, pp. 120-122.] + +[Note 637: _Ibid._, t. I, p. 90.] + +--Vîtes-vous quelque ange au-dessus du roi? demanda l'interrogateur. + +Elle refusa de répondre[638]. + +[Note 638: _Ibid._, t. I, p. 56.] + +Pour cette fois, il ne fut rien dit de la couronne. + +Maître Jean Beaupère demanda à Jeanne si elle entendait souvent la +Voix. + +--Il n'est jour que je ne l'entende. Et elle me fait bien besoin[639]. + +[Note 639: _Procès_, t. III, p. 57.] + +Elle ne parlait jamais de ses Voix sans exprimer qu'elles étaient son +refuge et son réconfort, son allègement et son allégresse. Or, les +théologiens s'accordaient à croire que le bon esprit laisse en se +retirant l'âme comblée de joie, de paix et de consolation, et ils en +donnaient pour preuve cette parole de l'ange à Zacharie et à Marie: +«Ne craignez point[640]». Ce n'était pas toutefois une raison assez +forte pour persuader à des clercs du parti anglais que des Voix +ennemies des Anglais venaient de Dieu. + +[Note 640: Jean Bréhal, dans les _Mémoires et consultations en +faveur de Jeanne d'Arc_, éd. Lanéry d'Arc, p. 409.] + +Et la Pucelle ajouta: + +--Oncques n'ai requis d'elle autre récompense finale que le salut de +mon âme[641]. + +[Note 641: _Procès_, t. III, p. 57.] + +L'interrogatoire se termina sur une charge capitale: l'assaut donné à +Paris un jour de fête. C'est peut-être à ce sujet que frère Jacques de +Touraine, de l'ordre des frères mineurs, qui de temps à autre faisait +aussi des questions, demanda à Jeanne si elle avait jamais été en un +lieu où des Anglais eussent été tués. + +--En nom Dieu, si j'y ai été? répliqua Jeanne vivement. Comme vous +parlez doucement! Que ne partaient-ils de France et n'allaient-ils +dans leur pays! + +Un seigneur d'Angleterre, qui se trouvait dans la salle, entendant ces +paroles, dit à ses voisins: + +--Vraiment, c'est une bonne femme. Que n'est-elle Anglaise[642]! + +[Note 642: _Procès_, t. III, p. 48.] + +La troisième séance publique fut fixée au surlendemain, samedi 24 +février[643]. + +[Note 643: _Ibid._, t. I, p. 57.] + +On était en carême; Jeanne observait le jeûne très +rigoureusement[644]. + +[Note 644: _Ibid._, t. I, pp. 61, 70.] + +Le vendredi 23 au matin, les Voix vinrent d'elles-mêmes l'éveiller. +Elle se souleva sur son lit et s'y tint assise, les mains jointes, +pour leur rendre grâces. Puis elle leur demanda ce qu'elle devait +répondre aux juges, les priant de prendre conseil là-dessus de +Notre-Seigneur. Les Voix prononcèrent d'abord des paroles qu'elle ne +comprit pas. Cela arrivait quelquefois, surtout aux heures difficiles. +Puis elles dirent[645]: + +--Réponds hardiment, Dieu t'aidera. + +[Note 645: _Ibid._, t. I, p. 62.] + +Ce même jour, elle les entendit une deuxième fois à l'heure des vêpres +et une troisième fois quand les cloches sonnèrent l'_Ave Maria_ du +soir. Dans la nuit du vendredi et du samedi, elles revinrent et lui +révélèrent beaucoup de secrets pour le bien du roi de France. Elle en +reçut un grand réconfort[646]. Très probablement elles lui +renouvelèrent l'assurance qu'elle serait tirée des mains de ses +ennemis et que ses juges, au contraire, se trouvaient en grand danger. + +[Note 646: _Procès_, t. I, pp. 61-64.] + +Elle se gouvernait entièrement par ses Voix. Quand elle était +embarrassée sur ce qu'elle devait dire à ses juges, elle faisait une +prière à Notre-Seigneur; elle lui disait dévotement: «Très doux Dieu, +en l'honneur de votre sainte Passion, je vous requiers, si vous +m'aimez, que me révéliez ce que je dois répondre à ces gens d'Église. +Je sais bien, quant à l'habit, le commandement comment je l'ai pris; +mais je ne sais point par quelle manière je dois le laisser. Pour ce, +plaise vous à moi l'enseigner.» + +Et tout aussitôt les Voix venaient[647]. + +[Note 647: _Ibid._, t. I, p. 279.] + +À la troisième séance, tenue le 24 février, dans la chambre de +Parement, siégèrent soixante-deux assesseurs, dont vingt +nouveaux[648]. + +[Note 648: _Ibid._, t. I, pp. 58-60.] + +Jeanne montra plus de répugnance encore que les autres jours à prêter +sur les saints évangiles serment de répondre à tout ce qu'on lui +demanderait. L'évêque l'avertit charitablement que ce refus obstiné la +rendrait suspecte, et il la requit de jurer, sous peine d'être +reconnue coupable sur tous les chefs d'accusation[649]. Ainsi le +voulait en effet, la justice inquisitoriale. En l'an 1310, une béguine +nommée La Porète refusa le serment au sacré inquisiteur de la foi, +frère Guillaume de Paris; elle fut incontinent excommuniée, et, sans +être davantage interrogée, après une longue procédure, livrée au +prévôt de Paris, qui la fit brûler vive. La dévotion qu'elle montra +sur le bûcher tira des larmes à tous les assistants[650]. + +[Note 649: _Procès_, t. I, pp. 60-61.] + +[Note 650: _Grandes Chroniques_, éd. P. Paris, t. V, p. 188.] + +Toutefois l'évêque ne put obtenir que la Pucelle jurât sans +restrictions. Elle jura de dire la vérité sur tout ce qu'elle saurait +touchant le procès, se réservant de taire ce qui, selon elle, ne s'y +rapporterait pas. Elle parla volontiers des Voix qu'elle avait +entendues la veille et dans la matinée, et ne céda point qu'elles lui +avaient fait des révélations concernant le roi. Mais, quand maître +Jean Beaupère se montra curieux de les connaître, elle demanda un +délai de quinze jours pour répondre, sûre que d'ici là elle serait +délivrée; et aussitôt elle se mit à vanter les secrets que ses Voix +lui avaient confiés pour le bien du roi. + +--Je voudrais qu'il les sût dès maintenant, dit-elle, dussé-je ne pas +boire de vin d'ici à Pâques[651]. + +[Note 651: _Procès_, t. I, p. 64.] + +«Ne pas boire de vin d'ici Pâques». Employait-elle de la sorte, sans y +prendre garde, une locution en usage dans le pays de ce joli vin qui +a des teintes de rose desséchée, de ce vin «gris» dont deux doigts +avec un morceau de pain faisaient le repas des femmes de Domremy[652]? +Ou bien avait-elle pris cette façon de dire aux gens d'armes de sa +compagnie, avec les bonnes buffes et les bons torchons? Hélas! quel +hypocras devait-elle boire pendant les cinq semaines qui restaient à +courir avant Pâques? Elle employait là une expression toute faite, +comme il lui arrivait souvent, et n'y attribuait aucun sens précis, à +moins qu'à l'idée de vin ne se mêlât plus ou moins confusément dans +son esprit une pensée cordiale, un espoir de voir, une fois délivrée, +les seigneurs de France emplir leur tasse en l'honneur d'elle. + +[Note 652: E. Hinzelin, _Chez Jeanne d'Arc_, pp. 37, 177.] + +Maître Jean Beaupère lui demanda si, avec les Voix, elle voyait +quelque chose. + +Elle répondit: + +--Je ne vous dirai pas tout. Je n'en ai pas congé... La Voix est bonne +et digne... De cela je ne suis pas tenue de répondre. + +Et elle pria qu'on lui donnât par écrit les points sur lesquels elle +ne répondait pas tout de suite[653]. + +[Note 653: _Procès_, t. I, pp. 64-65.] + +Quel usage pensait-elle faire de cet écrit? Elle ne savait pas lire; +elle n'avait pas d'avocat. Voulait-elle montrer la cédule à quelque +faux ami qui la trompait, comme Loiseleur? Ou pensait-elle la mettre +sous les yeux de ses saintes? + +Maître Beaupère demanda si la Voix avait un visage et des yeux. + +Elle refusa de le dire et cita un dicton en usage chez les enfants: +«Souvent on est pendu pour avoir dit la vérité[654].» + +[Note 654: _Procès_, t. I. p. 65.--«Souvent on est blâmé de trop +parler» proverbe commun au XVe siècle, cf. Le Roux de Lincy, _Les +proverbes français_, t. II, p. 417.] + +Maître Beaupère demanda: + +--Savez-vous si vous êtes en la grâce de Dieu? + +La question était singulièrement captieuse: elle mettait Jeanne entre +l'aveu de son péché et la plus condamnable témérité. Un des +assesseurs, maître Jean Lefèvre, de l'ordre des frères ermites, fit +observer qu'elle n'était pas tenue de répondre. Il y eut des murmures +dans la salle. + +Mais Jeanne: + +--Si je n'y suis, Dieu m'y mette, et si j'y suis, Dieu m'y garde. Je +serais la plus dolente du monde si je savais ne pas être en la grâce +de Dieu[655]. + +[Note 655: _Procès_, t. I, p. 65.] + +Les assesseurs furent surpris qu'elle eût si bien répondu. Pourtant +ils n'étaient point revenus à de meilleurs sentiments pour elle. Ils +reconnaissaient qu'elle parlait bien au sujet de son roi, mais que, +pour le reste, elle avait trop de subtilité et de cette subtilité +propre à la femme[656]. + +[Note 656: _Ibid._, t. II, pp. 21, 358.] + +Maître Jean Beaupère questionna ensuite Jeanne sur son enfance au +village, essayant de la montrer cruelle, encline à l'homicide dès ses +tendres années et adonnée à ces pratiques d'idolâtrie, pour lesquelles +les habitants de Domremy étaient notoirement diffamés[657]. + +[Note 657: _Procès_, t. I, pp. 65-68.] + +Il toucha alors un point d'une singulière importance pour pénétrer les +origines obscures de la mission de Jeanne. + +--Ne vous a-t-on pas regardée comme l'envoyée du bois Chesnu? + +En poussant dans ce sens, on aurait peut-être obtenu des révélations +importantes. Assurément Jeanne avait été accréditée en France par de +fausses prophéties; mais ces clercs n'étaient pas en état de se +débrouiller dans tous ces pseudo-Bède et pseudo-Merlin[658]. + +[Note 658: _Ibid._, t. I, p. 68.] + +Jeanne répondit: + +--Quand je vins trouver le roi, aucuns me demandaient s'il y avait +dans mon pays un bois nommé le bois Chesnu, parce qu'il existait des +prophéties disant que des environs de ce bois devait venir une jeune +fille qui ferait des merveilles. Mais à cela je n'ajoutai pas foi. + +À cela elle n'ajouta pas foi, il faut l'en croire; mais si elle +n'accordait aucune créance à la prophétie de Merlin sur la vierge de +la forêt chesnue, elle donnait au contraire une grande attention à la +prophétie annonçant qu'une Pucelle libératrice viendrait des Marches +de Lorraine, puisqu'elle la récitait, celle-là, aux époux Leroyer et à +son oncle Lassois d'un tel accent qu'ils en demeuraient étonnés. Or, +les deux vaticinations, il faut bien le reconnaître, se ressemblent +comme deux soeurs. Maître Jean Beaupère, laissant Merlin l'Enchanteur, +brusquement demanda: + +--Jeanne, voulez-vous avoir un habit de femme? + +Elle répondit: + +--Donnez-m'en un, je le prendrai et partirai. Autrement non. Je me +contenterai de celui-ci, puisqu'il plaît à Dieu que je le porte. + +Sur cette réponse, qui contenait deux erreurs tendant à l'hérésie, le +seigneur évêque leva la séance[659]. + +[Note 659: _Procès_, t. I, p. 68.] + +Le lendemain 25 février était le premier dimanche du Carême. Ce +jour-là ou un autre, mais plus probablement ce jour-là, monseigneur de +Beauvais envoya une alose à Jeanne, qui, ayant mangé de ce poisson, +eut la fièvre et fut prise de vomissements[660]. Deux maîtres ès arts +de l'Université de Paris, docteurs en médecine, Jean Tiphaine et +Guillaume Delachambre, assesseurs au procès, furent appelés par le +comte de Warwick qui leur dit: + +--Jeanne, d'après ce qu'on m'a rapporté, est souffrante. Je vous ai +mandés pour aviser à la guérir. Le roi ne veut pour rien au monde +qu'elle meure de mort naturelle. Car il l'a chère, l'ayant chèrement +achetée. Il entend qu'elle ne trépasse que par justice et soit brûlée. +Faites donc le nécessaire, visitez-la avec grand soin et tâchez +qu'elle se rétablisse[661]. + +[Note 660: _Ibid._, t. III, pp. 48-49.] + +[Note 661: _Procès_, t. III, p. 51.] + +Conduits par maître Jean d'Estivet auprès de Jeanne, les médecins lui +demandèrent de quel mal elle souffrait. + +Elle répondit qu'elle avait mangé d'une carpe que monseigneur de +Beauvais lui avait envoyée et qu'elle se doutait que là était la cause +de son mal. + +Soupçonnait-elle l'évêque d'avoir voulu l'empoisonner? C'est ce que +maître Jean d'Estivet crut comprendre, car il se mit dans une violente +colère: + +--Putain, paillarde! s'écria-t-il, c'est toi qui as mangé des harengs +et autres choses à toi contraires. + +--Je ne l'ai pas fait, répliqua-t-elle. + +Ils échangèrent tous deux des paroles injurieuses et Jeanne en fut +plus malade[662]. + +[Note 662: _Ibid._, t. III, p. 49.] + +Les médecins la palpèrent aux reins et au côté droit et lui trouvèrent +de la fièvre. D'où ils conclurent à une saignée. + +Ils en avisèrent le comte de Warwick qui s'inquiéta: + +--Une saignée? Prenez garde! Elle est rusée et pourrait bien se tuer. + +Néanmoins on fit la saignée et Jeanne guérit[663]. + +[Note 663: _Ibid._, t. III, pp. 51-52.] + +Il n'y eut pas d'interrogatoire le lundi 26[664]. À l'ouverture de la +quatrième séance, le mardi 27, maître Jean Beaupère lui demanda +comment elle s'était portée; ce dont elle fut peu touchée. Elle lui +répondit sèchement: «Vous le voyez bien. Je me suis portée le mieux +que j'ai pu[665].» + +[Note 664: Ce qui m'induit à placer cette indisposition à la date +du 25 février, c'est la question de Jean Beaupère à la séance du 27: +«Comment vous êtes-vous portée?» et la réponse ironique de Jeanne. Il +ne faut pas, ce me semble, confondre cette indigestion, comme on le +fait généralement, je crois, avec la grave maladie dont Jeanne fut +atteinte après Pâques. L'alose et les harengs viennent mieux en +carême, et maître Delachambre dit formellement qu'après la saignée +Jeanne guérit.] + +[Note 665: _Procès_, t. I, p. 70.] + +Cette séance avait lieu dans la salle de Parement, en présence de +cinquante-quatre assesseurs[666]. Cinq de ceux-là n'avaient pas encore +assisté aux débats, et dans le nombre maître Nicolas Loiseleur, +chanoine de Rouen, qui faisait, dans le procès, le cordonnier lorrain +et madame sainte Catherine d'Alexandrie[667]. + +[Note 666: _Ibid._, t. I, pp. 68-69.] + +[Note 667: _Ibid._, t. II, pp. 332, 362; t. III, pp. 60, 133, 141, +156, 162, 173, 181.] + +Maître Jean Beaupère se montra curieux, comme le samedi précédent, de +savoir si Jeanne avait entendu ses Voix. Elle les entendait tous les +jours[668]. + +[Note 668: _Ibid._, t. I, p. 70.] + +Il demanda: + +--Est-ce une voix d'ange qui vous parle, ou la voix d'un saint ou +d'une sainte? Ou bien est-ce Dieu qui vous parle sans truchement? + +Jeanne: + +--Cette voix est celle de sainte Catherine et de sainte Marguerite. Et +leurs figures sont couronnées de belles couronnes, moult richement et +moult précieusement. De vous le dire j'ai licence de Messire. Si vous +en faites doute, envoyez à Poitiers où je fus interrogée[669]. + +[Note 669: _Procès_, t. I, p. 71.] + +Elle se réclamait à bon droit des clercs de France. Les docteurs +armagnacs n'avaient pas moins d'autorité en matière de foi que les +docteurs anglais et bourguignons. Ne devaient-ils pas se retrouver +tous ensemble au concile? + +L'interrogateur demanda: + +--Comment savez-vous que ce sont ces deux saintes? Les connaissez-vous +bien l'une d'avec l'autre? + +Jeanne: + +--Je sais bien que ce sont elles et je les connais bien l'une d'avec +l'autre. + +--Comment? + +--Par la révérence qu'elles me font[670]. + +[Note 670: _Ibid._, t. I, p. 72.] + +Réponse qu'on ne se hâtera pas de taxer d'erreur ou de fausseté, si +l'on songe que l'ange salua Gédéon (_Jud._ VI) et que Raphaël salua +Tobie(_Tob._ XII)[671]. + +[Note 671: Lanéry d'Arc, _Mémoires et consultations en faveur de +Jeanne d'Arc_, p. 406.] + +Jeanne donna ensuite une autre raison: + +--Je les connais parce qu'elles se nomment à moi[672]. + +[Note 672: _Procès_, t. I, p. 72.] + +Quand on lui demanda si ses saintes étaient vêtues toutes deux de la +même étoffe, si elles étaient du même âge, si elles parlaient toutes +deux à la fois, si l'une d'elles lui était apparue la première, elle +refusa de répondre, alléguant qu'elle n'en avait pas congé[673]. + +[Note 673: _Procès_, t. I, pp. 72-73.] + +Maître Jean Beaupère lui demanda quelle apparition vint à elle la +première quand elle était âgée de treize ans, ou environ. + +Jeanne: + +--Ce fut saint Michel. Je le vis de mes yeux. Et il n'était pas seul, +mais bien accompagné d'anges du ciel. Je ne suis venue en France que +par l'ordre de Messire. + +--Vîtes-vous saint Michel et ces anges corporellement et réellement? + +--Je les vis des yeux de mon corps, aussi bien que je vous vois. Et +quand ils s'éloignaient de moi, je pleurais et j'aurais bien voulu +qu'ils m'eussent emportée avec eux. + +--En quelle figure était saint Michel[674]? + +[Note 674: _Ibid._, t. I, p. 73.] + +Elle n'avait pas congé de le dire. + +On lui demanda si elle avait eu congé de Dieu d'aller en France et si +c'était Dieu qui lui avait prescrit de prendre l'habit d'homme. + +En se taisant, elle se rendait suspecte d'hérésie et, de quelque +manière qu'elle répondît, elle se chargeait gravement: ou bien elle +prenait sur elle l'homicide et l'abomination, ou bien elle en +attribuait la volonté à Dieu, ce qui était manifestement sacrilège. + +Sur sa venue en France, elle dit: + +--J'aimerais mieux être tirée à quatre chevaux que d'être venue en +France sans congé de Messire. + +Sur l'habit: + +--L'habit est peu de chose, moins que rien. Je n'ai pris l'habit +d'homme sur le conseil d'homme du monde. Je n'ai pris cet habit ni +fait chose que par l'ordre de Messire et des anges[675]. + +[Note 675: _Procès_, t. I, pp. 74-75.] + +Maître Jean Beaupère: + +--Quand vous voyez cette Voix venir à vous, y a-t-il de la lumière? + +Elle, alors, moqueuse comme à Poitiers: + +--Toutes les lumières ne viennent pas à vous, mon beau seigneur[676]. + +[Note 676: _Ibid._, t. I, p. 75. J'ai restitué «mon beau Seigneur» +d'après _Procès_, t. III, p. 80.] + +Avec beaucoup de cautèle et de ruse, c'est le procès du roi de France +que faisaient ces docteurs de Paris et de Rouen. Maître Jean Beaupère +lança cette question: + +--Comment votre roi ajouta-t-il foi à vos dires? + +--Parce qu'il avait bons signes, et par ses clercs. + +--Quelles révélations eut votre roi? + +--Vous n'aurez pas cela de moi cette année. + +En entendant cette parole de la jeune fille, monseigneur de Beauvais, +qui était dans les conseils du roi Henri, ne songea-t-il donc point à +cette parole du livre de _Tobie_ (XII, 7): «Il est bon de cacher le +secret du roi»? + +Jeanne dut ensuite répondre longuement sur l'épée de sainte Catherine. +Les clercs la soupçonnaient d'avoir trouvé cette épée par divination +et invocation du démon et d'avoir mis un charme dessus. Tout ce +qu'elle put dire ne dissipa point leurs soupçons[677]. + +[Note 677: _Procès_, t. I, pp. 75-77.] + +On passa à l'épée qu'elle avait gagnée sur un Bourguignon. + +--Je la portais, dit-elle, à Compiègne, parce que c'était bonne épée +de guerre, et bonne à donner de bonnes buffes et bons torchons[678]. + +[Note 678: _Ibid._, t. I, pp. 77-78.] + +Voilà qui est clairement dit. La buffe était un soufflet, un coup de +plat, le torchon un coup de tranchant[679]. Quelques instants après, à +propos de sa bannière, elle déclara qu'elle la portait elle-même, +quand elle chargeait les ennemis, pour éviter de tuer personne. + +[Note 679: La Curne et Godefroy, aux mots: _Buffe_ et _Torchon_.] + +Et elle ajouta: + +--Oncques n'ai tué personne[680]. + +[Note 680: _Procès_, t. I, p. 78.] + +Les docteurs trouvaient qu'elle variait dans ses réponses[681]. Sans +doute, elle variait. Mais si les docteurs avaient vu, comme elle, à +toute heure de jour et de nuit, le ciel leur dégringoler sur la tête; +si toutes leurs pensées, tous leurs instincts bons ou mauvais, tous +leurs désirs à peine formés, s'étaient mués aussitôt, à leur insu, en +des ordres de Dieu, exprimés par des voix d'archanges et de +bienheureuses, ils eussent varié tout autant, et sans doute ils +eussent montré dans leurs paroles et dans leurs actions moins de +douceur mêlée à moins de courage et moins de sens dans autant +d'illusion. + +[Note 681: _Ibid._, t. I, p. 34; t. II, p. 318.] + +Les interrogatoires étaient longs; ils duraient trois et quatre +heures[682]. Avant de clore celui-là, maître Jean Beaupère voulut +savoir si Jeanne avait été blessée à Orléans. C'était un point +intéressant. Il était généralement admis que les sorcières perdaient +leur pouvoir avec leur sang. Enfin on la chicana sur la capitulation +de Jargeau, et la séance fut levée[683]. + +[Note 682: _Procès_, t. II, pp. 350, 365.] + +[Note 683: _Ibid._, t. I, pp. 79-80.] + +Maître Jean Lohier, notable clerc normand, étant venu à Rouen, +l'évêque comte de Beauvais donna ordre de le mettre au courant de la +procédure. Le premier samedi de carême, 24 février, l'évêque le fit +appeler dans sa maison près Saint-Nicolas-le-Painteur et l'invita à +donner son opinion sur le procès. Maître Jean Lohier parla de telle +sorte que l'évêque courut après les docteurs et maîtres Jean Beaupère, +Jacques de Touraine, Nicolas Midi, Pierre Maurice, Thomas de +Courcelles, Nicolas Loiseleur, et leur dit tout ému: + +--Voilà Lohier qui nous veut bailler belles interlocutoires en notre +procès! Il veut tout calomnier et dit que le procès ne vaut rien. Qui +l'en voudrait croire, il faudrait tout recommencer, et tout ce que +nous avons fait ne vaudrait rien! On voit bien de quel pied il cloche. +Par saint Jean, nous n'en ferons rien; mais continuerons notre procès +comme il est commencé. + +Le lendemain, maître Jean Lohier rencontra dans l'église Notre-Dame +messire Guillaume Manchon qui lui demanda: + +--Avez-vous vu le procès? + +--Je l'ai vu, répondit maître Jean. Ce procès ne vaut rien. Impossible +de le soutenir, pour plusieurs raisons. _Primo_, il y manque la forme +d'un procès ordinaire[684]. + +[Note 684: _Procès_, t. II, pp. 11, 341.] + +Il entendait par là qu'on ne devait pas procéder contre Jeanne sans +informations préalables sur les présomptions de culpabilité, soit +qu'il ignorât les informations ordonnées par monseigneur de Beauvais, +soit plutôt qu'il les jugeât insuffisantes[685]. + +[Note 685: Voir la déposition de Thomas de Courcelles, dans +_Procès_, t. III, p. 38.] + +--_Secundo_, poursuivit maître Jean Lohier, ce procès est déduit dans +le château, en lieu clos et fermé, où juges et assesseurs, n'étant +point en sûreté, n'ont pas pleine et entière liberté de dire purement +et simplement ce qu'ils veulent. _Tertio_, le procès touche à +plusieurs personnes qui ne sont pas appelées à comparoir, et on y +engage notamment l'honneur du roi de France, dont Jeanne suivit le +parti, sans citer le roi ni quelqu'un qui le représente. _Quarto_, ni +libellés, ni articles n'ont été donnés, et cette femme, qui est une +fille simple, on la laisse sans conseil pour répondre à tant de +maîtres, à de si grands docteurs et en matières si graves, +spécialement celle qui concerne ses révélations. Pour tous ces motifs, +le procès ne me semble pas valable. + +Il ajouta: + +--Vous voyez comment ils procèdent. Ils la prendront, s'ils peuvent, +par ses paroles. Ils tireront avantage des assertions où elle dit: «Je +sais de certain», au sujet de ses apparitions. Mais si elle disait: +«Il me semble», au lieu de: «Je sais de certain», m'est avis qu'il +n'est homme qui la pût condamner. Je m'aperçois bien qu'ils agissent +plus par haine que par tout autre sentiment. Ils ont l'intention de la +faire mourir. Aussi ne me tiendrai-je plus ici. Je n'y veux plus être. +Ce que je dis déplaît[686]. + +[Note 686: _Procès_, t. II, pp. 12, 341, 300; t. III, p. 138.] + +Ce jour même, maître Jean quitta Rouen[687]. + +[Note 687: _Ibid._, t. II, pp. 12, 203, 252, 300; t. III, pp. 50, +138.] + +L'aventure de maître Nicolas de Houppeville ressemble à celle de +maître Jean Lohier. Maître Nicolas, très notable clerc, conférant avec +des hommes d'Église, exprima cet avis que, faire juger Jeanne par des +gens du parti contraire n'était pas une bonne façon de procéder; et il +fit observer que Jeanne avait été déjà examinée par les clercs de +Poitiers et par l'archevêque de Reims, métropolitain de l'évêque de +Beauvais. Instruit de ces conciliabules, monseigneur de Beauvais se +mit dans une violente colère et fit citer devant lui maître Nicolas. +Celui-ci répondit qu'il relevait de l'official de Rouen et que +l'évêque de Beauvais n'était point son juge. S'il est vrai, comme on +l'a dit, que maître Nicolas fut mis ensuite dans les prisons du roi, +ce fut pour une raison plus juridique, sans doute, que d'avoir fâché +le seigneur évêque de Beauvais. Ce qui paraît plus probable, c'est que +ce très notable clerc ne voulut pas siéger comme assesseur et qu'il +quitta Rouen pour n'être pas appelé au procès[688]. + +[Note 688: _Procès_, t. I, pp. 252, 326, 354, 356; t. III, pp. +171-172.] + +Quelques hommes d'Église, entre autres maître Jean Pigache, maître +Pierre Minier et maître Richard de Grouchet s'aperçurent beaucoup plus +tard qu'ils avaient opiné sous le coup de la crainte et dans un grand +péril. «Nous assistâmes au procès, dirent-ils, mais nous fûmes dans la +pensée de fuir[689].» En fait, il ne fut fait violence à personne et +ceux qui refusèrent d'assister au procès ne furent point inquiétés. +Des menaces! Pourquoi? Était-il donc difficile alors de condamner une +sorcière? Sorcière, Jeanne ne l'était pas. D'autres l'étaient-elles +davantage? Toutefois, entre ces autres et celle-là, on voyait cette +différence, que Jeanne avait exercé ses sortilèges en faveur des +Armagnacs et qu'en la condamnant on servait les Anglais qui étaient +les maîtres, chose à considérer, et que l'on fâchait les Français en +passe de le redevenir, ce qui donnait aussi à réfléchir aux gens +avisés. Il y avait bien de quoi rendre les docteurs perplexes; mais la +seconde considération pesait moins que la première; on ne croyait +guère que les Français fussent si près de reprendre la Normandie. + +[Note 689: _Ibid._, t. II, pp. 356, 359.] + +La cinquième séance publique eut lieu en l'endroit accoutumé, le 1er +mars, en présence de cinquante-huit assesseurs dont neuf n'avaient pas +encore siégé[690]. + +[Note 690: _Procès_, t. I, pp. 80-81.] + +L'interrogateur demanda premièrement à Jeanne: + +--Que dites-vous de notre seigneur le Pape, et qui croyez-vous qui +soit vrai pape? + +Elle répondit habilement par une autre question: + +--Est-ce qu'il y en a deux[691]? + +[Note 691: _Ibid._, t. I, p. 82.] + +Non, il n'y en avait pas deux; le schisme avait cessé par l'abdication +de Clément VIII; la grande déchirure de l'Église était recousue depuis +treize ans et toutes les nations chrétiennes, la française elle-même, +résignée à ne plus revoir ses papes d'Avignon, reconnaissaient le pape +de Rome. Mais, ce que ne savaient ni l'accusée ni les juges, ce 1er +mars 1431, il n'y avait ni deux papes ni un seul, il n'y en avait +point du tout; le saint-siège était vacant depuis la mort de Martin V, +survenue le 20 février; et cette vacance ne devait cesser que le +surlendemain, 3 mars, par l'élection d'Eugène IV[692]. + +[Note 692: _Analecta juris Pontif._, t. XIV, p. 117] + +Ce n'était pas sans motif que l'interrogateur posait à Jeanne une +question relative au Saint-Siège. Ses raisons devinrent manifestes +quand il lui demanda si elle n'avait pas reçu une lettre du comte +d'Armagnac. Elle reconnut avoir reçu cette lettre et y avoir répondu. + +Une copie de ces deux pièces se trouvait au dossier. On les lut à +Jeanne. + +Il apparut que le comte d'Armagnac avait demandé, par missive, à la +Pucelle, lequel des trois papes était le vrai et que Jeanne avait fait +savoir, également par missive, qu'elle n'avait pas le temps de donner +réponse pour l'heure, mais qu'elle le ferait à loisir, quand elle +serait à Paris. + +Ayant entendu la lecture de ces deux lettres, Jeanne déclara que celle +qu'on lui attribuait n'était de son fait qu'en partie. Et, puisqu'elle +dictait et qu'elle ne pouvait lire ensuite ce qu'on avait mis, il +était concevable que des paroles rapides, jetées le pied sur l'étrier, +n'eussent pas été fidèlement transcrites; mais elle ne put, dans une +suite de réponses embarrassées et contradictoires, établir en quoi sa +dictée différait du texte écrit[693]; et en elle-même la lettre au +comte d'Armagnac paraît bien plutôt le fait d'une visionnaire +ignorante que d'un clerc quelque peu avisé des affaires de l'Église. +On y remarque certaines expressions et certaines formules qui se +retrouvent dans d'autres lettres de Jeanne. Le doute n'est guère +possible; cette lettre est d'elle, elle l'avait oubliée; rien de +surprenant à cela: sa mémoire, comme nous l'avons vu, était sujette à +des défaillances plus étranges[694]. + +[Note 693: _Procès_, t. I, pp. 82, 84.] + +[Note 694: La formule: «À Dieu vous recommande; Dieu soit garde de +vous», se rencontre dans les lettres à ceux de Tournai, de Troyes, de +Reims et dans la lettre au duc de Bourgogne. Et, ce qui est plus +significatif, on retrouve dans deux de ces lettres, dans celle aux +gens de Troyes et dans celle au duc de Bourgogne, les termes: «Le Roi +du ciel, mon droiturier et souverain seigneur.».--_Procès_, t. I, p. +246.] + +Les juges tiraient de cet écrit des charges accablantes pour elle; ils +y voyaient la preuve d'une coupable témérité. Quelle jactance, à leurs +yeux, de la part de cette femme, que de prétendre savoir de Dieu même +ce que l'Église a pour mission d'enseigner! Et promettre de désigner +le pape par illumination intérieure, n'était-ce pas pécher gravement +contre l'Épouse de Jésus-Christ, déchirer d'une main sacrilège la +tunique sans coutures de Notre-Seigneur? + +Jeanne vit si bien cette fois l'endroit par où ses juges voulaient la +prendre, qu'elle déclara par deux fois sa créance au seigneur pape de +Rome[695]. Elle aurait souri amèrement, si elle avait su que ces +insignes docteurs, ces lumières de l'Université de Paris, qui lui +faisaient un grief mortel de mal croire au pape, croyaient eux-mêmes +au pape à peu près comme s'ils n'y croyaient pas; qu'en ce moment, +plusieurs d'entre eux, maître Thomas de Courcelles, si grand docteur, +maître Jean Beaupère, l'interrogateur, maître Nicolas Loiseleur, qui +faisait la voix de sainte Catherine, avaient hâte de l'expédier, +l'innocente fille, pour enfourcher leur mule et trotter jusqu'à Bâle, +où ils devaient, dans la Synagogue de Satan, jeter feu et flammes +contre le Saint-Siège apostolique, et décréter diaboliquement de +soumettre le pape au concile, de lui ôter ses annates, qui lui étaient +plus chères que la prunelle de ses yeux, et finalement de le +déposer[696]. C'est alors qu'elle aurait pu, mieux que jadis au clerc +limousin, jeter le cri d'une âme rustique aux prêtres si âpres à +venger sur elle l'honneur de l'Église: + +--Je suis plus catholique que vous! + +[Note 695: _Procès_, t. I, pp. 82-83.] + +[Note 696: De Beaurepaire, _Notes sur les juges_, pp. 27, 32, 75, +82.] + +Non qu'il faille leur reprocher de s'être montrés bons gallicans, à +Bâle, mais d'avoir été, à Rouen, hypocrites et cruels. + +Dans sa prison, la Pucelle prophétisait devant John Gris, son gardien. +Instruits de ces prophéties, les juges voulurent les entendre de la +bouche de Jeanne, qui leur dit: + +--Avant qu'il soit sept années, les Anglais laisseront un plus grand +gage qu'ils n'ont fait devant Orléans. Ils perdront tout en France. +Ils auront plus grande perdition qu'oncques eurent en France, et cela +sera par grande victoire que Dieu enverra aux Français. + +--Comment le savez-vous? + +--Je le sais par révélation à moi faite, et que cela arrivera avant +sept ans. Et je serais bien fâchée que ce fût différé. Je le sais par +révélation aussi bien que je vous sais maintenant devant moi. + +--Quand cela viendra-t-il? + +--Je ne sais le jour ni l'heure. + +--Mais l'année? + +--Vous ne l'aurez pas encore. Mais je voudrais bien que ce fût avant +la Saint-Jean. + +--N'avez-vous pas dit que cela arriverait avant la Saint-Martin +d'hiver? + +--J'ai dit que, avant la Saint-Martin d'hiver, on verrait bien des +choses et qu'il se pourrait que les Anglais soient jetés bas. + +Après quoi, l'interrogateur demanda à Jeanne si, quand saint Michel +vint à elle, saint Gabriel était avec lui. + +Jeanne répondit: + +--Je ne me le rappelle pas[697]. + +[Note 697: _Procès_, t. I, pp. 84-85.] + +Elle ne se rappelait pas si, dans la foule des anges venus à elle, +s'était trouvé l'ange Gabriel qui avait salué Notre-Dame, et annoncé +la rédemption des hommes. Elle en avait tant vu, d'anges et +d'archanges, que celui-là ne l'avait pas particulièrement frappée. +Comment, après une réponse d'une telle simplicité, ces prêtres +eurent-ils encore le courage de l'interroger sur ses visions? +N'étaient-ils pas suffisamment édifiés? Mais non! Ces réponses +innocentes échauffaient le zèle de l'interrogateur. Avec quelle ardeur +et quelle abondance, passant des anges aux saintes, il multiplia les +questions menues et perfides! Avaient-elles des cheveux? des anneaux +aux oreilles? Y avait-il quelque chose entre leurs couronnes et leurs +cheveux? Ces cheveux étaient-ils longs et pendants? Avaient-elles des +bras? Comment parlaient-elles? Quelle espèce de voix était-ce[698]? + +[Note 698: _Procès_, t. I, p. 86.] + +Cette dernière question touchait un point grave en théologie. Les +démons dont le gosier grince comme roues de charrette ou vis de +pressoir, ne peuvent imiter le doux parler des saintes[699]. + +[Note 699: Le Loyer, _IV Livres des spectres_, Angers, 1605, +in-4º.] + +Jeanne répondit que la voix était belle, douce, polie, et parlait +français. + +Sur quoi on lui demanda insidieusement pourquoi sainte Marguerite ne +parlait pas anglais. + +Elle répondit: + +--Comment parlerait-elle anglais, puisqu'elle n'est pas du parti des +Anglais[700]? + +[Note 700: _Procès_, t. I, p. 86.] + +Un poète champenois avait bien dit, deux cents ans auparavant, que le +parler français, que le Seigneur fit bel et léger, était le langage du +paradis. + +Elle fut ensuite interrogée sur ses anneaux. Matière ardue: il y avait +en ce temps-là beaucoup d'anneaux enchantés ou chargés d'amulettes. +Les magiciens faisaient des anneaux sous l'influence des planètes et +leur donnaient des vertus au moyen de pierres et d'herbes +merveilleuses, de caractères et de charmes. Avec des anneaux +constellés, on opérait des merveilles. Hélas! elle n'avait eu que deux +pauvres anneaux, l'un de laiton, avec les noms de Jésus et de Marie, +qu'elle tenait de ses père et mère, l'autre que son frère lui avait +donné. L'évêque lui retenait celui-là; les Bourguignons lui avaient +ôté l'autre[701]. + +[Note 701: _Procès_, t. I, pp. 86-87.--Vallet de Viriville, _Les +anneaux de Jeanne d'Arc_, dans _Mémoires de la Société des Antiquaires +de France_, t. XXX, 1868, pp. 82, 97.] + +On essaya de la prendre sur un pacte conclu avec le diable, près de +l'arbre des Fées. Elle ne donna pas prise, mais elle prophétisa sa +délivrance et la ruine de ses ennemis. + +--Ceux qui voudront m'ôter de ce monde pourront bien s'en aller avant +moi.... Il faudra qu'un jour je sois délivrée.... Je sais que mon roi +gagnera le royaume de France. + +On lui demanda ce qu'elle avait fait de sa mandragore. Mais elle n'en +avait jamais eu[702]. + +[Note 702: _Procès_, t. I, p. 86.] + +Puis l'interrogateur eut des curiosités sur saint Michel: + +--Était-il nu? + +Elle répondit: + +--Pensez-vous que Messire n'a pas de quoi le vêtir? + +--Avait-il des cheveux? + +--Pourquoi lui auraient-ils été coupés? + +--Tenait-il une balance? + +--Je n'en sais rien[703]. + +[Note 703: _Procès_, t. I, p. 89.] + +On voulait savoir si elle voyait saint Michel tel qu'il était figuré +dans les églises, avec une balance pour peser les âmes[704]. + +[Note 704: A. Maury, _Croyances et légendes du moyen âge_, pp. 171 +et suiv.] + +Comme elle dit qu'il lui semblait, à la vue de l'archange, n'être +point en état de péché mortel, l'interrogateur se mit à l'arguer sur +sa conscience. Elle répondit chrétiennement[705]. Alors il revint au +miracle du signe, qu'on avait laissé dormir depuis la première séance, +au mystère de Chinon, à cette couronne merveilleuse, que Jeanne, à +l'imitation de sainte Catherine d'Alexandrie, croyait tenir de la main +d'un ange. Mais elle avait promis à sainte Catherine et à sainte +Marguerite de n'en rien dire. + +[Note 705: _Procès_, t. I, p. 90.] + +--Quand vous montrâtes le signe au roi, y avait-il quelqu'un avec lui? + +--Je ne pense pas qu'il y eût personne autre, bien qu'il se trouvât +beaucoup de monde assez proche. + +--Avez-vous vu une couronne sur la tête du roi quand vous lui avez +montré ce signe? + +--Je ne puis le dire sans parjure. + +--Votre roi avait-il une couronne à Reims? + +--Mon roi, je pense, a pris avec plaisir la couronne qu'il a trouvée à +Reims. Mais une bien riche couronne lui fut apportée par la suite. Il +ne l'a point attendue, pour hâter son fait à la requête de ceux de la +ville de Reims, afin d'éviter la charge des hommes de guerre. S'il eût +attendu, il aurait eu une couronne mille fois plus riche. + +--Avez-vous vu cette couronne plus riche? + +--Je ne puis vous le dire sans encourir parjure. Si je ne l'ai pas +vue, j'ai ouï dire à quel point elle est riche et magnifique[706]. + +[Note 706: _Procès_, t. I, pp. 90-91.] + +Jeanne souffrait beaucoup d'être privée des sacrements. Un jour, comme +messire Jean Massieu la conduisait devant ses juges, ainsi que l'y +obligeait son état d'huissier ecclésiastique, elle lui demanda s'il +n'y avait pas sur le chemin quelque église ou chapelle, dans laquelle +fût le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ[707]. + +[Note 707: _Ibid._, t. II, p. 16.] + +Messire Jean Massieu, doyen de la chrétienté de Rouen, était +extrêmement luxurieux; il s'attirait, par sa paillardise invétérée, de +fâcheuses affaires avec le chapitre et l'officialité[708]. Il n'était +peut-être pas aussi courageux ni aussi franc qu'il voulait le +paraître; mais ce n'était pas un homme dur et sans pitié. + +[Note 708: De Beaurepaire, _Recherches sur le procès de +condamnation_, p. 115.] + +Il répondit à sa prisonnière qu'il y avait une chapelle sur leur +chemin. Et il lui montra la chapelle castrale. + +Alors elle le pria très instamment de la faire passer devant cette +chapelle pour qu'elle pût y faire à Messire révérence et prière. + +Messire Jean Massieu y consentit volontiers et la laissa s'agenouiller +devant le sanctuaire. Inclinée à terre, Jeanne fit dévotement son +oraison. + +Le seigneur évêque, instruit de ce fait, en fut mécontent; il donna +l'ordre à l'huissier de ne plus tolérer à l'avenir de telles oraisons. + +De son côté, le promoteur, maître Jean d'Estivet, adressa à messire +Jean Massieu maintes réprimandes: + +--Truand, lui dit-il, qui te fait si hardi de laisser approcher d'une +église, sans licence, cette putain excommuniée? Je te ferai mettre en +telle tour, que tu ne verras ni lune ni soleil d'ici à un mois, si tu +le fais plus. + +Messire Jean Massieu n'obéit pas à cette menace. Le promoteur, qui +s'en aperçut, se mettait devant la porte de la chapelle, au passage de +Jeanne, pour empêcher la pauvre fille de faire ses dévotions[709]. + +[Note 709: _Procès_, t. II, p. 16.] + +La sixième séance fut tenue dans la même salle que les précédentes en +présence de quarante et un assesseurs, dont six ou sept nouveaux, et +parmi ceux-là maître Guillaume Erart, docteur en théologie[710]. + +[Note 710: _Procès_, t. I, pp. 91-92.] + +Au début, l'interrogateur demanda à Jeanne si elle avait bien vu saint +Michel et les saintes et si elle en avait vu autre chose que la face. +Il insista: + +--Il faut dire ce que vous savez. + +--Plutôt que de dire tout ce que je sais, j'aimerais mieux que vous me +fissiez couper le cou[711]. + +[Note 711: _Ibid._, t. I, p. 93.] + +On l'embarrassa sur la substance des corps glorieux. Elle était +simple; elle avait vu de ses yeux saint Michel; elle le disait et ne +pouvait dire autre chose. + +L'interrogateur, toujours averti de ce qu'elle racontait dans sa +prison, lui demanda si elle avait entendu ses Voix. + +--Oui, vraiment. Elles m'ont dit que je serais délivrée. Mais je ne +sais ni le jour ni l'heure. Et elles m'ont dit de faire bonne chère, +hardiment[712]. + +[Note 712: _Ibid._, t. I, p. 94.] + +Les juges n'en croyaient rien, parce que les démonologues enseignaient +que les sorcières perdent tout leur pouvoir quand un officier de la +sainte Église met la main sur elles. + +L'interrogateur revint sur l'habit d'homme. Puis il tâcha de savoir si +elle n'avait pas mis des sorts sur les bannières de ses compagnons de +guerre. + +Il cherchait par quel secret elle entraînait les gens d'armes. + +Ce secret, elle le révéla: + +--Je leur disais bien à la fois: «Entrez hardiment parmi les Anglais, +et j'y entrais moi-même[713]». + +[Note 713: _Procès_, t. I, pp. 95-97.] + +Dans cet interrogatoire, le plus diffus et le plus fastidieux de tous, +il fut adressé à l'accusée cette question bizarre: + +--Quand vous étiez devant Jargeau, qu'est-ce que c'était que vous +portiez derrière votre heaume? N'y avait-il aucune chose ronde[714]? + +[Note 714: _Ibid._, t. I, p. 99.] + +Elle avait reçu, au siège de Jargeau, une énorme pierre sur la tête, +et n'en avait pas été blessée, ce que, dans son parti, on avait trouvé +miraculeux[715]. Les juges de Rouen s'imaginaient-ils qu'elle portait +un nimbe d'or, comme les saints et les saintes, et que ce nimbe +l'avait protégée? + +[Note 715: _Chronique de la Pucelle_, p. 301.--_Journal du siège_, +pp. 98-99.] + +Elle fut interrogée non moins étrangement, sur un tableau qui était +dans la maison de son hôte à Orléans, et où il y avait trois femmes +peintes avec cette inscription: Justice, Paix, Union. + +Jeanne n'en savait rien[716]; elle n'était pas, comme le duc de Bar et +le duc d'Orléans, curieuse de peintures et de tapisseries. Ses juges +ne l'étaient pas non plus, du moins en ce moment. Et, s'ils +s'inquiétaient d'un tableau pendu dans la maison de maître Jean +Boucher, c'était non pour la peinture, mais pour la doctrine. Sans +doute, ces trois femmes que maître Jacques Boucher, homme riche, +gardait dans sa maison, étaient nues. Les peintres, à cette époque, +traitaient, sur de petits panneaux, des scènes d'étuves et des +allégories, et peignaient des femmes nues. Grands fronts, têtes +rondes, cheveux d'or, petits corps grêles, avec de gros ventres, d'une +nudité minutieusement rendue sous des voiles transparents; il s'en +faisait beaucoup en Flandre et en Italie. Les insignes maîtres, qui +trouvaient ces peintures ordes et vilaines, voulaient faire sans doute +un grief à Jeanne d'en avoir contemplé de telles chez le trésorier du +duc d'Orléans. On devine les soupçons de ces docteurs quand on les +entend demander à Jeanne si saint Michel était nu, par où elle +accolait ses saintes et à quelle partie du corps elle leur faisait +toucher ses bagues[717]. + +[Note 716: _Procès_, t. I, p. 101.] + +[Note 717: _Procès_, t. I, p. 89.] + +Ils auraient bien voulu tenir d'elle qu'elle se faisait honorer comme +une sainte. Elle les déconcerta par cette réponse: + +--Les pauvres gens venaient volontiers à moi, parce que je ne leur +faisais point déplaisir, mais les supportais à mon pouvoir[718]. + +[Note 718: _Ibid._, t. I, p. 102.] + +L'interrogatoire toucha ensuite les sujets les plus divers: frère +Richard; les enfants que Jeanne avait tenus sur les fonts baptismaux; +les bonnes femmes de la ville de Reims qui faisaient toucher leur +anneau à l'anneau que Jeanne portait au doigt; les papillons pris dans +un étendard à Château-Thierry[719]. + +[Note 719: _Procès_, t. I, p. 103.] + +En cette ville, disait-on, certaines gens de la Pucelle prirent des +papillons dans son étendard. Or, les docteurs en théologie savaient de +science certaine que les sorciers sacrifiaient des papillons au +diable. Cent ans en ça, le tribunal de la sacrée inquisition avait +condamné, à Pamiers, le carme Pierre Recordi, coupable d'avoir célébré +un semblable sacrifice. Il avait tué le papillon, et le diable avait +annoncé sa présence par un souffle d'air[720]. Il se peut que les +juges fissent à la Pucelle un grief de ce genre; il se peut qu'on lui +en fît un tout autre. À la guerre un papillon au chapeau était signe +qu'on se rendait à merci ou qu'on avait un sauf-conduit[721]. Les +juges l'accusaient-ils, elle ou les siens, d'avoir feint de se rendre +pour attaquer traîtreusement l'ennemi? Ils en étaient capables. Quoi +qu'il en soit, l'interrogateur passant outre, s'enquit d'un gant perdu +que Jeanne avait retrouvé dans la ville de Reims[722]. Il importait de +savoir si elle ne l'avait pas retrouvé par divination. Puis ce +magistrat curieux revint sur plusieurs points capitaux du procès: la +communion reçue en habit d'homme; la haquenée de l'évêque de Senlis, +que Jeanne avait prise, ce qui était une manière de sacrilège; +l'enfant noir qu'elle avait ressuscité à Lagny; Catherine de La +Rochelle, qui venait de témoigner contre elle à l'officialité de +Paris; le siège de La Charité qu'il lui avait fallu lever; le saut de +Beaurevoir, tenté par désespoir, et enfin quelque parole +blasphématoire qu'on l'accusait faussement d'avoir prononcée à +Soissons, à propos du capitaine Bournel[723]. + +[Note 720: Lea, p. 551.] + +[Note 721: _Le Jouvencel_, t. II, p. 237.] + +[Note 722: _Procès_, t. I, p. 104.] + +[Note 723: _Procès_, t. I, pp. 111.] + +Le seigneur évêque déclara que les interrogatoires étaient terminés, +mais que, si toutefois il paraissait utile d'interroger Jeanne plus +amplement, quelques docteurs et maîtres seraient délégués à cette +fin[724]. + +[Note 724: _Ibid._, t. I, p. 111-112.] + +En conséquence, le samedi 10 mars, maître Jean de la Fontaine, +commissaire instructeur, se rendit dans la prison, en compagnie de +Nicolas Midi, Gérard Feuillet, Jean Fécard et Jean Massieu[725]. +L'interrogatoire roula d'abord sur la sortie de Compiègne. Les prêtres +se donnaient beaucoup de peine pour démontrer à Jeanne que ses Voix +n'étaient pas bonnes ou qu'elle les avait mal entendues, puisqu'en +leur obéissant elle était allée à sa perte. Jacques Gélu[726], Jean +Gerson avaient prévu ce dilemme et y avaient répondu à l'avance par de +beaux arguments théologiques[727]. On l'interrogea sur les peintures +de son étendard, à quoi elle répondit: + +[Note 725: _Ibid._, t. I, p. 113.] + +[Note 726: Gélu, _Questio quinta_, dans _Mémoires et consultations +en faveur de Jeanne d'Arc_, éd. Lanéry d'Arc, pp. 593 et suiv.] + +[Note 727: _Procès_, t. III, pp. 299 et suiv.] + +--Sainte Catherine et sainte Marguerite me dirent de prendre +l'étendard et de le porter hardiment et d'y faire mettre en peinture +le Roi du ciel. Et ce, je le dis à mon roi, très à contre-coeur. Et de +la signifiance ne sais autre chose[728]. + +[Note 728: _Ibid._, t. I, p. 117.] + +Ils auraient bien voulu la faire passer pour avaricieuse, orgueilleuse +et superbe, parce qu'elle avait un écu et des armes, une écurie, +coursiers, demi-coursiers et trottiers, et de l'argent pour payer les +gens de sa maison; de dix à douze mille livres[729]. Mais où ils la +pressèrent le plus vivement ce fut sur le signe dont il avait été +question déjà deux fois dans les interrogatoires publics. À ce sujet, +la curiosité des docteurs était inépuisable. Aussi bien le signe +c'était le sacre à rebours, non plus par onction divine, mais par +charmes magiques, le couronnement du roi de France par une sorcière. +Et maître Jean de la Fontaine avait à ce sujet sur Jeanne l'avantage +de savoir et ce qu'elle allait lui dire et ce qu'elle voulait lui +cacher: + +--Quel est le signe qui vint à votre roi? + +[Note 729: _Ibid._, t. I, pp. 117, 119.] + +--Il est bel et honoré, et bien croyable, et est bon, et le plus riche +qui soit.... + +--Dure-t-il encore? + +--Il est bon à savoir qu'il dure, et durera jusques à mille ans, et +outre. Il est au trésor du roi. + +--Est-ce or, argent ou pierre précieuse, ou couronne? + +--Je ne vous en dirai autre chose; et ne saurait homme deviser d'aussi +riche chose comme est le signe. Et toutefois le signe qu'il vous faut, +à vous, c'est que Dieu me délivre de vos mains, et est le plus certain +qu'il vous sache envoyer.... + +--Quand le signe vint à votre roi, quelle révérence y fîtes-vous? + +--Je remerciai Notre-Seigneur de ce qu'il me délivrait de la peine des +clercs de par delà, qui arguaient contre moi. Et je m'agenouillai +plusieurs fois. Un ange, de par Dieu et non de par autre, bailla le +signe à mon roi. Et j'en remerciai moult de fois Notre-Seigneur. Les +clercs cessèrent de m'arguer, quand ils eurent su ledit signe[730]. + +[Note 730: C'est depuis lors, au contraire qu'on commença à +«l'arguer» ou qu'on l'argua de plus belle. Elle semble oublier que +l'entrevue de Chinon précéda les interrogatoires de Poitiers. Il y a +peut-être intérêt à remarquer que frère Pasquerel, qui sait ces choses +par elle, fait dans sa déposition, la même méprise.] + +--Est-ce que les gens d'Église de par delà virent le signe? + +--Quand mon roi et ceux qui étaient avec lui eurent vu le signe et +même l'ange qui le bailla, je demandai à mon roi s'il était content, +et il répondit qu'oui. Alors je partis et m'en allai à une petite +chapelle assez près, et j'ouïs dire alors qu'après mon départ plus de +trois cents personnes virent le signe. Pour l'amour de moi et pour +qu'on cessât de m'interroger, Dieu voulut permettre de voir le signe à +tous ceux de mon parti qui le virent. + +--Votre roi et vous, fîtes-vous point de révérence à l'ange quand il +apporta le signe? + +--Oui, pour ce qui est de moi. Je m'agenouillai et ôtai mon +chaperon[731]. + +[Note 731: _Procès_, t. I, pp. 120, 122.] + + + + +CHAPITRE XII + +LA CAUSE DE LAPSE (_Suite_). + + +Le lundi 12 mars, frère Jean Lemaistre reçut de frère Jean Graveran, +inquisiteur de France, mandat de procéder contre une certaine femme, +nommée Jeanne, vulgairement la Pucelle, jusqu'à la sentence définitive +inclusivement[732]. Ce même jour, au matin, maître Jean de la +Fontaine, en présence de l'évêque, interrogea pour la deuxième fois +Jeanne dans sa prison[733]. + +[Note 732: _Procès_, t. I, pp. 122-124.] + +[Note 733: _Ibid._, t. I, p. 125.] + +Il en revint d'abord au signe. + +--L'ange qui apporta le signe parla-t-il point? + +--Oui: il dit à mon roi qu'on me mît en besogne, et que le pays serait +bientôt allégé. + +--L'ange qui apporta le signe était-il l'ange qui vous apparut en +premier, ou en était-ce un autre? + +--C'est toujours tout un. Et oncques ne me faillit. + +--De ce que vous avez été prise, l'ange ne vous a-t-il pas failli aux +biens de la fortune? + +--Je crois, puisqu'il plaît à Notre-Seigneur, que c'est le mieux que +je sois prise. + +--L'ange ne vous a-t-il pas failli aux biens de la grâce? + +--Comment me viendrait-il à faillir, quand il me conforte tous les +jours[734]? + +[Note 734: _Procès_, t. I, p. 126.] + +Maître Jean de la Fontaine fit alors une question narquoise et aussi +enjouée qu'il se pouvait en un procès d'Église: + +--Saint Denys ne vous est-il oncques apparu[735]? + +[Note 735: _Ibid._, t. I, p. 126.] + +Saint Denys, patron des rois très chrétiens, saint Denys, cri de +France, saint Denys, avait laissé prendre par les Anglais son abbaye +et cette riche église où les reines venaient recevoir la couronne, où +les rois avaient leur sépulture; il s'était tourné Anglais et +Bourguignon et il n'y avait guère d'apparence qu'il vînt converser +avec la Pucelle des Armagnacs. + +À cette demande: + +--Parliez-vous à Dieu même, quand vous promîtes de garder votre +virginité? + +Elle répondit: + +--Il devait bien suffire de le promettre aux envoyés de la part de +Dieu, à savoir saintes Catherine et Marguerite[736]. + +[Note 736: _Procès_, t. I, p. 126.] + +C'est bien là qu'ils voulaient la prendre, car le voeu se fait à Dieu +seul. À quoi on pouvait répondre qu'il est loisible de promettre une +chose bonne à un ange ou à un homme, et que cette chose bonne, ainsi +promise, peut être l'objet d'un voeu. On voue à Dieu ce que l'on a +promis aux saints. Pierre de Tarentaise (IV, dist. xxviij, a. 1) +enseigne que tout voeu se fait à Dieu: ou immédiatement à lui-même, ou +médiatement dans la personne des saints[737]. + +[Note 737: Lanéry d'Arc, _Mémoires et consultations_, pp. 224, +434, 435.--Le P. Ayroles, _La vraie Jeanne d'Arc_, t. I, pp. 351 et +suiv., 481 et suiv.] + +Comme d'après une allégation produite dans l'enquête, Jeanne avait +fait promesse de mariage à un jeune paysan, l'interrogateur tenta +d'établir que ce voeu de virginité fait en une mauvaise forme, il +n'avait tenu qu'à elle d'y manquer; mais Jeanne soutint qu'elle +n'avait point promis le mariage, et elle ajouta: + +--La première fois que j'ouïs ma Voix, je fis voeu de garder ma +virginité tant qu'il plairait à Dieu. + +Mais cette fois-là, c'était saint Michel, et non les saintes, qui lui +avait apparu[738]. Elle ne pouvait se reconnaître elle-même dans les +images confuses de ses songes et de ses extases. Et sur les rêves +incertains d'une enfant ces docteurs édifiaient laborieusement une +accusation capitale. + +[Note 738: _Procès_, t. I, p. 128.] + +L'interrogateur lui posa une question d'une extrême gravité: + +--De toutes ces visions que vous dites avoir, n'aviez-vous point parlé +à votre curé ou à un autre homme d'Église? + +--Non. J'en parlai seulement à Robert de Baudricourt et à mon +roi[739]. + +[Note 739: _Procès_, t. I, pp. 128, 129.] + +Ce vavasseur de Champagne, homme d'âge mûr et de sens rassis, qui, du +temps du roi Jean, ouït, comme elle, une voix dans son champ et reçut +commandement d'aller vers le roi, l'alla dire tout de suite à son +curé. Celui-ci lui ordonna de jeûner pendant trois jours, de faire +pénitence et de retourner ensuite au champ où la voix lui avait parlé. +Le vavasseur obéit. De nouveau la voix se fit entendre et réitéra +l'ordre précédemment donné. Le paysan en instruisit son curé qui lui +dit: «Mon frère, moi et toi ferons abstinence et jeûnerons encore par +trois jours, et je prierai Notre-Seigneur Jésus-Christ pour toi.» +Ainsi firent-ils, et, le quatrième jour, le bon homme retourna au +champ. Après que la voix eut parlé pour la troisième fois, le curé +enjoignit à son paroissien d'aller tout de suite accomplir sa mission, +puisque telle était la volonté de Dieu[740]. + +[Note 740: _Chronique des quatre premiers Valois_, p. 47.] + +Sans doute, ce vavasseur, selon les apparences, avait agi plus +prudemment que la fille de la Romée. Celle-ci, en cachant ses visions +à son curé méconnaissait l'autorité de l'Église militante. Toutefois, +pour sa défense, on pouvait alléguer avec l'apôtre Paul, que là où est +l'Esprit de Dieu, là est la liberté[741]. Si vous êtes conduit par +l'Esprit, vous n'êtes plus sous la loi[742]. Hérétique ou sainte: +c'était là tout le procès. + +[Note 741: II, _Corinth._, IV.] + +[Note 742: _Galates_, V.--Lanéry d'Arc, _Mémoires et +consultations_, p. 275.] + +Puis vint cette question singulière: + +--Avez-vous eu des lettres de saint Michel ou de vos Voix? + +Elle répondit: + +--Je n'ai point congé de vous le dire; et d'ici huit jours, j'en +répondrai volontiers ce que je saurai[743]. + +[Note 743: _Procès_, t. I, p. 130.] + +Tel était son tour de langage quand elle voulait taire ce qu'elle ne +voulait pas nier. La question était donc embarrassante. Aussi bien les +interrogatoires procédaient d'informations riches en faits vrais ou +faux; et l'on observe le plus souvent, dans les demandes adressées à +l'accusée, une certaine prévision de la réponse. Qu'est-ce que c'était +que ces lettres de saint Michel et des saintes, dont elle ne niait pas +l'existence, mais que les juges ne produisaient pas? Était-ce ceux de +son parti qui les envoyaient à Jeanne pour qu'elle agît selon leurs +intentions, croyant obéir à Dieu? + +L'interrogateur, sans insister davantage, pour cette fois, passa à un +autre grief: + +--Est-ce que vos Voix ne vous ont point appelée _fille de Dieu, fille +de l'Église, la fille au grand coeur_? + +--Avant le siège d'Orléans levé et depuis, tous les jours, quand elles +parlent à moi, elles m'ont plusieurs fois appelée _Jeanne la Pucelle, +fille de Dieu_[744]. + +[Note 744: _Procès_, t. I, pp. 130-131.] + +L'interrogatoire suspendu fut repris dans l'après-midi. + +Maître Jean de la Fontaine questionna Jeanne sur un songe de son père +dont les juges étaient instruits par l'enquête[745]. + +[Note 745: _Ibid._, t. I, pp. 131-132.] + +Et il est triste de penser que lorsqu'on faisait à Jeanne un crime +d'avoir violé le commandement de Dieu: «Tes père et mère honoreras», +ni sa mère ni aucun de ses parents ne demandaient à être entendus +comme témoins. Pourtant, il y avait des personnes d'Église dans sa +famille[746]; mais un procès en matière de foi causait une invincible +épouvante. + +[Note 746: _Procès_, t. V, p. 252.--E. de Bouteiller et G. de +Braux, _Nouvelles recherches sur la famille de Jeanne d'Arc_, pp. 14, +15.--S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, pp. XLVI et suiv.] + +On revint à l'habit d'homme, et non pour la dernière fois[747]. C'est +chose merveilleuse que la profondeur des méditations où se plongeaient +les clercs touchant les chausses et le gippon de cette Pucelle; ils +les considéraient avec une sombre terreur dans leurs rapports avec le +Deutéronome. + +[Note 747: _Procès_, t. I, p. 133.] + +Ils l'interrogèrent ensuite sur le duc d'Orléans, pour rendre +manifeste, par les réponses mêmes qu'elle ferait, que ses Voix +l'avaient trompée en lui promettant la délivrance du prisonnier; ils y +réussirent aisément. Alors elle allégua que le temps lui avait manqué: + +--Si j'eusse duré trois ans sans empêchement, je l'eusse délivré. + +Il y avait (dans ses révélations) plus bref terme que de trois ans et +plus long que d'un an[748]. + +[Note 748: _Procès_, t. I, p. 134.] + +Interrogée de nouveau sur le signe baillé à son roi, elle répondit +qu'elle en aurait conseil de sainte Catherine. + +Le lendemain, mardi 13 mars, l'évêque et le vice-inquisiteur se +rendirent dans la prison. Le vice-inquisiteur ouvrit la bouche pour la +première fois[749]: + +[Note 749: _Ibid._, t. I, pp. 134, 138.] + +--Avez-vous juré et promis à sainte Catherine de ne point dire ce +signe? + +Il parlait du signe donné au roi. Jeanne répondit: + +--J'ai juré et promis de ne pas dire ce signe, de moi-même. Parce +qu'on me pressait trop de le dire. Je promets que je n'en parlerai +plus à homme qui vive[750]. + +[Note 750: _Ibid._, t. I, p. 139.] + +Et tout aussitôt: + +--Le signe ce fut que l'ange certifiait à mon roi, en lui apportant la +couronne, et lui disait qu'il aurait tout le royaume de France +entièrement à l'aide de Dieu, et moyennant mon labeur, et qu'il me mît +en besogne. C'est, à savoir, qu'il me baillât des gens d'armes. +Autrement il ne serait mie sitôt couronné et sacré.... + +--En quelle manière l'ange apporta-t-il la couronne? est-ce qu'il la +mit sur la tête de votre roi? + +--Elle fut baillée à un archevêque, c'est à savoir celui de Reims, +comme il me semble, en la présence du roi. Ledit archevêque la reçut +et la bailla au roi; et j'étais moi-même présente; et elle est mise au +trésor du roi. + +--En quel lieu fut-elle apportée? + +--Ce fut en la chambre du roi, au château de Chinon. + +--Quel jour et à quelle heure? + +--Du jour je ne sais, et de l'heure, il était haute heure. Je n'ai +autrement mémoire de l'heure et du mois, au mois d'avril ou de mars, +comme il me semble, il y aura deux ans au mois d'avril prochain ou en +ce présent mois. C'était après Pâques[751]. + +[Note 751: _Procès_, t. I, pp. 140-141.] + +--Est-ce qu'à la première journée que vous vîtes le signe, votre roi +le vit? + +--Oui. Il l'eut lui-même. + +--De quelle matière était la couronne? + +--C'est bon à savoir qu'elle était de fin or; et elle était si riche +que je ne saurais nombrer sa richesse; et la couronne signifiait qu'il +tiendrait le royaume de France. + +--Y avait-il pierreries? + +--Je vous ai dit que je n'en sais rien. + +--Est-ce que vous la maniâtes ou la baisâtes? + +--Non. + +--Est-ce que l'ange qui l'apporta venait de haut? Ou s'il venait par +terre? + +--Il vint de haut. J'entends qu'il venait par le commandement de +Notre-Seigneur. Et entra par l'huis de la chambre. + +--Est-ce que l'ange venait par terre et marchait depuis l'huis de la +chambre? + +--Quand il vint devant le roi, il fit révérence au roi, en s'inclinant +devant lui, et prononçant les paroles que j'ai dites du signe. Et avec +cela, lui remémorait la belle patience qu'il avait eue au long des +grandes tribulations qui lui étaient survenues; et depuis l'huis, il +marchait et errait sur la terre, en venant au roi. + +--Quel espace y avait-il de l'huis jusques au roi? + +--Il y avait bien espace, comme je pense, de la longueur d'une lance; +et par où il était venu s'en retourna. Quand l'ange vint, je +l'accompagnai et allai avec lui, par les degrés, à la chambre du roi. +Et l'ange entra le premier. Et je dis au roi: «Sire, voilà votre +signe, prenez-le[752]!» + +[Note 752: _Procès_, t. I, pp. 141-142.] + +Et l'on découvre que cette fable est vraie au sens moral. Cette +couronne qui «fleure bon et fleurera bon, pourvu qu'elle soit bien +gardée», c'est la couronne de la victoire; et lorsque la Pucelle voit +l'ange qui l'apporta, c'est sa propre image qui lui apparaît. Un +théologien de son parti n'avait-il pas dit qu'elle pouvait être +appelée un ange? Non qu'elle en eût la nature; mais elle en faisait +l'office[753]. + +[Note 753: Lanéry d'Arc, _Mémoires et consultations_, p. 212.--Le +P. Ayroles, _La vraie Jeanne d'Arc_, t. I, p. 346.] + +Elle se mit à décrire les anges venus avec elle vers le roi: + +--Certains s'entre-ressemblaient volontiers, les autres non, en la +manière que je les voyais. Quelques-uns avaient des ailes. Il y en +avait qui portaient des couronnes, les autres non. Et ils étaient en +la compagnie de sainte Catherine et de sainte Marguerite. Et elles +furent avec l'ange que j'ai dit, et les autres anges aussi, jusque +dans la chambre du roi[754]. + +[Note 754: _Procès_, t. I, p. 144.] + +Et longtemps encore, pressée par l'interrogateur, elle égrenait les +candides merveilles. + +Quand on lui redemanda si l'ange lui avait écrit des lettres, elle +répondit que non[755]. Mais cette fois, il s'agissait de l'ange +porte-couronne, et non de saint Michel. Et, bien qu'elle eût dit que +c'était tout un, elle pouvait y faire quelque différence. Nous ne +saurons donc jamais si elle reçut des lettres de monseigneur saint +Michel archange ou de mesdames Catherine et Marguerite. + +[Note 755: _Ibid._, t. I, p. 145.] + +L'interrogateur s'enquit ensuite d'une tasse perdue que Jeanne avait +retrouvée ainsi que les gants de Reims[756]. Les saints ne +dédaignaient pas toujours de retrouver les objets perdus, comme il se +voit par l'exemple de saint Antoine de Padoue; c'était avec l'aide de +Dieu. Les devins imitaient leur pouvoir en invoquant les démons et par +profanation des choses saintes. + +[Note 756: _Procès_, t. I, p. 146.] + +On lui demanda aussi de répondre sur un prêtre concubinaire. C'était +encore un fait de divination qu'on lui reprochait. Elle avait su, par +mauvaise science, qu'un prêtre avait une concubine. On rapportait +d'elle plusieurs faits semblables; on disait, par exemple, qu'à la vue +d'une ribaude, elle avait su que cette femme avait fait mourir son +enfant[757]. + +[Note 757: Eberhard Windecke, pp. 184, 186.] + +Puis ces questions, posées déjà bien des fois: + +--Quand vous allâtes devant Paris eûtes-vous de vos Voix révélation? +Eûtes-vous révélation d'aller devant la ville de La Charité? +Eûtes-vous quelque révélation d'aller à Pont-l'Évêque? + +Elle niait qu'elle eût alors révélation de ses Voix. + +La dernière interrogation fut: + +--Ne dîtes-vous point devant Paris: «Rendez la ville de par Jésus»? + +Elle répondit que non, qu'elle avait dit: «Rendez la ville au roi de +France[758].» + +[Note 758: _Procès_, t. I, pp. 147-148.] + +Les Parisiens, qui repoussaient l'assaut, l'entendirent qui disait: +«Rendez-vous de par Jésus à nous tôt.» Et ces paroles correspondent à +tout ce que nous savons des idées de Jeanne en ses commencements. Elle +croyait que Messire voulait que les villes du royaume fussent rendues +à celle qu'il avait envoyée pour les reprendre. Nous avons déjà eu +l'occasion de remarquer que Jeanne, lors de son procès, était devenue +tout à fait étrangère à ses premières illuminations et parlait un tout +autre langage. + +Le lendemain, mercredi 14 mars, deux interrogatoires encore dans la +prison. Celui du matin roula d'abord sur le saut de Beaurevoir. Elle +avoua qu'elle avait fait le saut sans congé de ses Voix, aimant mieux +mourir que d'être mise aux mains des Anglais[759]. + +[Note 759: _Ibid._, t. I, pp. 150-152.] + +On l'accusait aussi d'avoir renié Dieu. Mais c'était faux[760]. + +[Note 760: _Ibid._, t. I, p. 157.] + +L'évêque intervint: + +--Vous avez dit que nous, évêque, nous nous mettions en grand danger, +en vous mettant en cause. Qu'était-ce? Et quel danger, tant de nous +que des autres? + +--J'ai dit à monseigneur de Beauvais: «Vous dites que vous êtes mon +juge, je ne sais si vous l'êtes. Mais avisez-vous bien de ne pas juger +mal. Car vous vous mettriez en grand danger; et je vous en avertis, +afin que, si Notre-Seigneur vous en châtie, j'aie fait mon devoir de +vous le dire.» + +--Quel est ce péril ou danger? + +--Sainte Catherine m'a dit que j'aurais secours. Je ne sais si ce sera +à être délivrée de prison; ou, quand je serai au jugement, s'il y +viendra quelque trouble par le moyen duquel je pourrai être délivrée. +Je pense que ce sera l'un ou l'autre. Le plus souvent mes Voix me +disent que je serai délivrée par grande victoire. Et après, elles me +disent: «Prends tout en gré, ne te chaille de ton martyre; tu t'en +viendras enfin au royaume de Paradis.» Cela, mes Voix me le disent +simplement et absolument. Je veux dire: sans faute. Et je dis mon +martyre pour la peine et adversité que je souffre en prison. Et ne +sais si plus fort je souffrirai. Mais je m'en attends à +Notre-Seigneur[761]. + +[Note 761: _Procès_, t. I, pp. 154, 156.] + +Il semble que les Voix annonçaient ainsi à la Pucelle la délivrance +tout ensemble au sens littéral et au sens spirituel, contraires l'un à +l'autre. Dans cette réponse, empreinte à la fois d'illusion et de +crainte, et faite pour inspirer la pitié aux hommes les plus durs, +ces prêtres ne virent que le moyen de la prendre insidieusement. +Feignant de comprendre qu'elle tirait de ses révélations une confiance +hérétique en son salut éternel, l'interrogateur lui fit, sous une +forme nouvelle, la question à laquelle elle avait déjà répondu +saintement. Il lui demanda si ses Voix lui avaient dit qu'elle irait +finalement au royaume de Paradis, si elle se tenait assurée d'être +sauvée et de ne point être damnée en enfer. + +À quoi elle répondit, dans la grande foi que ses Voix lui inspiraient: + +--Je crois fermement ce que mes Voix m'ont dit, que je serai sauvée, +aussi fermement que si j'y fusse déjà. + +C'était errer dans la foi. L'interrogateur, qui n'avait pas coutume +d'apprécier les réponses, ne put se défendre de faire observer que +celle-là était de grand poids[762]. + +[Note 762: _Procès_, t. I, p. 156.] + +Aussi ce même jour, dans l'après-midi, on lui montra une conséquence +de son erreur: à savoir, qu'elle n'avait pas besoin de se confesser si +elle tenait de ses Voix l'assurance de son salut éternel[763]. + +[Note 763: _Ibid._, t. I, p. 157.] + +Jeanne fut interrogée, à cette séance, sur l'affaire de Franquet +d'Arras. En demandant à la Pucelle le seigneur Franquet, son +prisonnier, pour le juger à mort, le bailli de Senlis avait mal agi, +et les juges faisaient retomber la faute sur Jeanne[764]. + +[Note 764: _Procès_, t. I, pp. 158-159.] + +L'interrogateur releva les péchés mortels imputables à l'accusée: +premièrement, avoir attaqué Paris un jour de fête; deuxièmement, avoir +dérobé la haquenée du seigneur évêque de Senlis; troisièmement, avoir +fait le saut de Beaurevoir; quatrièmement, avoir pris l'habit d'homme; +cinquièmement, avoir été consentante de la mort d'un prisonnier de +guerre. Sur tous ces points Jeanne ne se croyait pas en péché mortel; +toutefois, quant au saut de Beaurevoir, elle jugeait avoir mal fait, +mais elle en avait demandé pardon à Dieu[765]. + +[Note 765: _Ibid._, t. I, pp. 159-161.] + +Il était suffisamment établi que l'accusée avait erré sur la foi. Le +tribunal de l'inquisition, grandement miséricordieux, voulait le salut +du pécheur. C'est pourquoi dès le lendemain, jeudi 15 mars au matin, +monseigneur de Beauvais exhorta Jeanne à se soumettre à l'Église, et +s'efforça de lui faire comprendre qu'elle devait obéir à l'Église +militante, car l'Église militante était telle chose et l'Église +triomphante telle autre. Jeanne l'écouta sans confiance[766]. On +l'interrogea encore, ce jour-là, sur sa fuite du château de Beaulieu +et sur son intention de quitter sa tour, sans le congé de monseigneur +de Beauvais. Elle y était bien résolue. + +[Note 766: _Ibid._, t. I, p. 162.] + +--Si je voyais l'huis ouvert, je m'en irais, et ce me serait le congé +de Notre-Seigneur. Je le crois fermement, si je voyais l'huis ouvert +et si mes gardes et les autres Anglais ne savaient résister, +j'entendrais que ce serait le congé, et que Notre-Seigneur +m'envoyerait secours. Mais sans congé, je ne m'en irais pas, si ce +n'était que je fisse une entreprise pour m'en aller, pour savoir si +Notre-Seigneur en serait content. Le proverbe dit: «Aide-toi, Dieu +t'aidera[767].» Je le dis pour que, si je m'en allais, on ne dise pas +je m'en suis allée sans congé[768]. + +[Note 767: «Il fault remettre tout à lui et soubz lui faire» ce +qui est possible aux hommes, car on dit: «Ayde-toy, Dieu te aidera.» +_Le Jouvencel_, t. II, p. 33.] + +[Note 768: _Procès_, t. I, pp. 163-164.] + +On revint sur l'habit d'homme. + +--Lequel aimez-vous le mieux, prendre habit de femme et ouïr la messe, +ou demeurer en habit d'homme et ne pas ouïr la messe? + +--Certifiez-moi d'ouïr la messe si je suis en habit de femme, et sur +ce je vous répondrai. + +--Je vous certifie que vous ouïrez la messe, quand vous serez en habit +de femme. + +--Et que dites-vous, si j'ai juré et promis à notre roi de ne point +mettre bas cet habit? Toutefois, si je vous réponds: «Faites-moi faire +une robe longue jusques à terre, sans queue, et me la baillez pour +aller à la messe; puis au retour je reprendrai l'habit que j'ai...» + +--Prenez l'habit de femme simplement et absolument. + +--Baillez-moi habit comme à une fille de bourgeois, c'est à savoir +houppelande longue, et je la prendrai, et même le chaperon de femme, +pour aller ouïr la messe. Le plus instamment que je puisse, je +requiers qu'on me laisse cet habit que je porte, et qu'on me laisse +ouïr la messe sans le changer[769]. + +[Note 769: _Procès_, t. I, pp. 165-166.] + +Sa résistance à quitter l'habit d'homme ne s'explique pas seulement +parce que cet habit la gardait mieux que tout autre contre les +entreprises des gens d'armes, ce qui d'ailleurs est sujet à objection. +Elle ne voulait pas prendre l'habit de femme pour la raison que ses +Voix ne le lui avaient pas permis; et l'on devine bien pourquoi: elle +était chef de guerre. Quelle humiliation pour un chef de guerre de +porter des jupes comme une bourgeoise! Et dans quel moment la +voulait-on enjuponner? Quand les Français devaient, d'un moment à +l'autre, la venir délivrer par un prodigieux fait d'armes. Ne +fallait-il pas qu'ils trouvassent leur Pucelle en habit d'homme, toute +prête à s'armer et à combattre avec eux? + +L'interrogateur lui demanda ensuite si elle voulait se soumettre à +l'Église, si elle faisait la révérence à ses Voix, si elle croyait à +leur sainteté, si elle ne leur offrait point des chandelles ardentes, +si elle leur obéissait, si, dans la guerre, elle n'avait rien fait +sans leur congé ou contre leur commandement[770]. + +[Note 770: _Ibid._, t. I, pp. 166-169.] + +Puis cette question, qui, de l'avis des docteurs, était la plus +difficile qu'on pût poser: + +--Si le diable se mettait en forme d'ange, comment connaîtriez-vous +que c'est bon ange ou mauvais ange? + +Elle répondit avec une simplicité qui parut présomptueuse: + +--Je connaîtrais bien si c'était saint Michel ou une chose contrefaite +d'après lui[771]. + +[Note 771: _Procès_, t. I, pp. 170-171.] + +Le surlendemain, samedi, 17 mars, Jeanne fut interrogée, le matin et +le soir, dans sa prison[772]. + +[Note 772: _Ibid._, t. I, p. 173.] + +Elle avait, jusque-là, montré une grande répugnance à décrire la +figure et l'habit de l'ange et des saintes qui l'étaient venus visiter +dans son village. Maître Jean de la Fontaine tâcha d'obtenir quelques +clartés à cet endroit: + +--En quelle forme et apparence, grandeur et habit, vous vient saint +Michel? + +--Il est en la forme d'un très vrai prudhomme[773]. + +[Note 773: _Ibid._, t. I, p. 173.] + +Ce serait la mal connaître, que de croire qu'elle voyait l'archange +dans une longue robe de docteur, ou portant chape de drap d'or; +d'ailleurs, ce n'était pas ainsi qu'il figurait dans les églises; il y +était représenté, en peinture ou en sculpture, vêtu d'une armure +étincelante avec un heaume cerclé d'une couronne d'or[774]. Tel il +lui apparaissait, «en la forme d'un très vrai prudhomme», à prendre le +mot comme dans la chanson de Roland, où il est dit d'un grand coup +d'épée que c'est un coup de prudhomme. Il venait à elle en habit de +preux, comme Arthur et Charlemagne, tout armé. + +[Note 774: S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, preuves, pp. 74-75.] + +L'interrogateur posa une fois encore la question dont la réponse était +pour Jeanne de vie ou de mort: + +--Voulez-vous mettre tous vos dits et faits, soit bons ou mauvais, à +la détermination de notre mère, sainte Église? + +--Quant à l'Église, je l'aime et la voudrais soutenir de tout mon +pouvoir pour notre foi chrétienne; et ce n'est pas moi qu'on doit +empêcher d'aller à l'église, ni d'ouïr la messe. Quant à ce qui est +des bonnes oeuvres que j'ai faites et de mon avènement, il faut que je +m'en attende au Roi du ciel qui m'a envoyée à Charles, fils de +Charles, roi de France. Et vous verrez que les Français gagneront +bientôt une grande besogne, que Dieu leur enverra, et en laquelle il +branlera presque tout le royaume de France. Je le dis, afin que, quand +ce sera advenu, on ait mémoire de ce que j'ai dit[775]. + +[Note 775: _Procès_, t. I, p. 174.] + +Mais elle ne put assigner le terme auquel viendrait la grande besogne, +et maître Jean de la Fontaine en revint au point d'où dépendait le +sort de Jeanne. + +--Vous en rapportez-vous à la détermination de l'Église? + +--Je m'en rapporte à Notre-Seigneur qui m'a envoyée, à Notre-Dame et à +tous les benoîts saints et saintes de paradis. M'est avis que c'est +tout un de Notre-Seigneur et de l'Église, et qu'on n'en doit point +faire de difficulté. Pourquoi faites-vous difficulté, que ce ne soit +tout un? + +Il faut rendre cette justice à maître Jean de la Fontaine, qu'il +répondit avec clarté: + +--Il y a l'Église triomphante, où sont Dieu, les saints, les anges et +les âmes sauvées. L'Église militante, c'est notre Saint Père le Pape, +vicaire de Dieu sur terre, les cardinaux, les prélats de l'Église et +le clergé, et tous les bons chrétiens et catholiques, laquelle Église, +bien assemblée, ne peut errer et est gouvernée du Saint-Esprit. +Voulez-vous vous en rapporter à l'Église militante? + +--Je suis venue au roi de France de par Dieu, de par la Vierge Marie +et tous les benoîts saints et saintes du paradis et l'Église +victorieuse de là-haut, et de leur commandement; et à cette Église-là +je soumets tous mes bons faits, et tout ce que j'ai fait ou à faire. +Et de répondre si je me soumettrai à l'Église militante, je n'en +répondrai maintenant autre chose[776]. + +[Note 776: _Procès_, t. I, pp. 174, 176.] + +On lui offrit de nouveau un habit de femme pour entendre la messe; +elle le refusa: + +--Quant à l'habit de femme, je ne le prendrai pas encore, tant qu'il +plaira à Notre-Seigneur. Et si tant est qu'il me faille mener en +jugement, qu'il me faille dévêtir en jugement, je requiers +messeigneurs de l'Église qu'ils me donnent la grâce d'avoir une +chemise de femme et un couvre-chef sur ma tête. J'aime mieux mourir +que de révoquer ce que Notre-Seigneur m'a fait faire. Je crois +fermement que Notre-Seigneur ne laissera pas advenir que je sois mise +si bas, que je n'aie secours bientôt de Dieu, et par miracle. + +Voici encore quelques questions qui lui furent faites: + +--Est-ce que vous ne croyez pas aujourd'hui que les fées soient de +mauvais esprits? + +--Je n'en sais rien. + +--Savez-vous point si sainte Catherine et sainte Marguerite haïssent +les Anglais? + +--Elles aiment ce que Notre-Seigneur aime, et haïssent ce que Dieu +hait. + +--Est-ce que Dieu hait les Anglais? + +--De l'amour ou haine que Dieu a pour les Anglais ou de ce qu'il fera +à leurs âmes, je ne sais rien. Mais je sais bien qu'ils seront boutés +hors de France, excepté ceux qui y mourront, et que Dieu enverra +victoire aux Français, et contre les Anglais. + +--Est-ce que Dieu était pour les Anglais, quand ils étaient en +prospérité en France? + +--Je ne sais si Dieu haïssait les Français. Mais je crois qu'il +voulait permettre de les laisser battre pour leurs péchés, s'ils +étaient en péché[777]. + +[Note 777: _Procès_, t. I, p. 178.] + +On posa quelques questions à Jeanne touchant la bannière sur laquelle +elle avait fait peindre des anges. + +Elle répondit qu'elle avait fait peindre les anges comme ils sont dans +les églises[778]. + +[Note 778: _Procès_, t. I, p. 180.] + +Et la séance fut levée. + +L'après-dînée, eut lieu, dans la prison[779], le dernier +interrogatoire. Elle en avait subi quinze en vingt-cinq jours; elle +répondit d'un même courage. Plus encore qu'à l'ordinaire les sujets +furent divers et mêlés. D'abord, l'interrogateur s'efforça en vain de +surprendre les charmes et les maléfices qui avaient rendu heureux et +victorieux l'étendard peint de figures d'anges. Il voulut savoir +ensuite pourquoi les clercs mettaient sur les lettres de Jeanne les +saints noms de Jésus et de Marie[780]. + +[Note 779: _Ibid._, t. I, p. 181.] + +[Note 780: _Ibid._, t. I, pp. 182-183.] + +Puis cette question insidieuse: + +--Croyez-vous que, si vous étiez mariée, vos Voix vous viendraient? + +Comme elle était d'une chasteté passionnée, comme on pouvait +comprendre, à certains de ses propos, qu'elle tenait sa virginité pour +un porte-bonheur, on était curieux de savoir si, convenablement +sollicitée, elle ne traiterait pas avec mépris l'état de mariage, et +ne condamnerait pas l'oeuvre de chair entre époux, en quoi elle eût +gravement erré et glissé dans l'hérésie des Cathares[781]. + +[Note 781: Martène et Durand, _Thesaurus novus anecdotorum_, t. V, +col. 1760 et seq.] + +Elle répondit: + +--Je ne sais et m'en attends à Notre-Seigneur[782]. + +[Note 782: _Procès_, t. I, p. 183.] + +Autre question bien plus dangereuse pour elle, qui aimait son roi de +tout son coeur: + +--Pensez-vous et croyez-vous fermement que votre roi fit bien de tuer +ou faire tuer monseigneur de Bourgogne? + +--Ce fut grand dommage pour le royaume de France[783]. + +[Note 783: _Ibid._, t. I, p. 184.] + +L'interrogateur lui posa cette question solennelle: + +--Vous semble-t-il que vous soyez tenue de répondre pleinement la +vérité au pape, vicaire de Dieu, de tout ce qu'on vous demanderait +touchant la foi et le fait de votre conscience? + +--Je requiers que je sois menée devant lui. Et puis je répondrai +devant lui tout ce que je devrai répondre[784]. + +Par cette parole, elle en appelait au pape; et cet appel était de +droit. «Aux choses douteuses qui touchent la foi, avait dit saint +Thomas, l'on doit toujours recourir au pape ou au concile général.» Si +Jeanne ne signifia pas son appel dans les formes juridiques, le +pouvait-elle, ignorant ces formes, et sans avocat, sans conseil? +Selon son pouvoir, elle en appelait au père commun des fidèles, comme +l'y autorisaient la justice et l'usage. + +[Note 784: _Ibid._, t. I, pp. 184-185.] + +Les docteurs et maîtres se turent. Ainsi se fermait la seule voie de +salut qui restât à l'accusée; elle était bien perdue. Mais ce qui +surprend, ce n'est pas que des juges du parti de l'Angleterre n'aient +point admis l'appel de Jeanne, c'est que les docteurs et maîtres du +parti français, les clercs des pays tenus dans l'obéissance du roi +Charles n'aient point tous signé cet appel, n'aient pas tous demandé +d'une seule voix que la cause de cette Pucelle, estimée bonne par les +examinateurs de Poitiers, fût portée devant le pape et le concile. + +Au lieu de répondre à la requête de Jeanne, l'interrogateur s'enquit +des anneaux magiques et des apparitions diaboliques dont il avait été +déjà tant question[785]. + +[Note 785: _Procès_, t. I, p. 185.] + +--Est-ce que vous baisâtes ou accolâtes oncques saintes Catherine et +Marguerite? + +--Je les accolai toutes deux. + +--Fleuraient-elles bon? + +--Il est bon à savoir; et sentaient bon. + +--En accolant, sentiez-vous point de chaleur ou autre chose? + +--Je ne les pouvais point accoler sans les sentir et toucher. + +--Par quelle partie les accoliez-vous? Par haut ou par bas? + +--Il affiert mieux à les accoler par le bas que par le haut. + +--Leur avez-vous point donné de chapeaux de fleurs? + +--En l'honneur d'elles, à leurs images ou ressemblances dans les +églises j'en ai plusieurs fois donné. Quant à celles qui +m'apparaissent, je n'en ai point baillé dont j'aie mémoire. + +--Savez-vous rien de ceux qui vont cheminant avec les fées? + +--Je ne le fis oncques, ni n'en sus quelque chose. Mais j'en ai bien +ouï parler, et qu'on y allait le jeudi. Mais je n'y crois point et +crois que c'est sorcerie[786]. + +[Note 786: _Procès_, t. I, pp. 185-186.] + +Enfin, une question sur son étendard, que les juges pensaient +enchanté, amena une de ces réponses, en manière de proverbe, qu'elle +aimait. + +--Pourquoi votre étendard fut-il plus porté en l'église de Reims, au +sacre, que ceux des autres capitaines? + +--Il avait été à la peine, c'était bien raison qu'il fût à +l'honneur[787]. + +[Note 787: _Ibid._, t. I, p. 187.] + +À la suite des enquêtes et des interrogatoires, le procès préparatoire +fut déclaré clos et le procès dit ordinaire s'ouvrit le mardi après +les Rameaux, 27 mars, dans une chambre voisine de la grande salle du +château. + +Avant d'ordonner la lecture de l'acte d'accusation, monseigneur de +Beauvais offrit à Jeanne un avocat. S'il avait tardé jusque-là à lui +en offrir un, c'est, sans doute, parce qu'à son avis, elle n'en avait +pas eu besoin. On sait que l'avocat de l'hérétique était tenu à borner +étroitement ses moyens de défense, s'il ne voulait lui-même tomber +dans l'hérésie. Au cours du procès préparatoire, il lui était permis +seulement de rechercher les noms des témoins à charge et de les faire +connaître à l'accusé. Si l'hérétique avouait, il était superflu de lui +donner un avocat[788]. Or, monseigneur de Beauvais prétendait fonder +l'accusation, non sur les dires des témoins, mais sur les aveux de +l'accusée. C'est pourquoi, sans doute, il attendit pour offrir un +conseil à Jeanne, l'ouverture du procès ordinaire, qui comportait la +discussion sur des points de doctrine. + +[Note 788: J. Quicherat, _Aperçus nouveaux_, pp. 130-131.--E. +Méru, _Directorium Inquisitorium_, Romæ, 1578, p. 295.] + +--Jeanne, lui dit-il alors, toutes les personnes ici présentes sont +des hommes d'Église, de science consommée, qui veulent et entendent +procéder envers vous en toute piété et mansuétude, ne cherchant ni +vengeance ni châtiment corporel, mais votre instruction et votre +séjour dans la voie de la vérité et du salut. Comme vous n'êtes ni +assez docte, ni assez instruite, soit dans les lettres, soit dans les +matières ardues dont il s'agit, pour prendre conseil de vous-même sur +ce que vous devez faire ou répondre, nous vous offrons de choisir, +pour conseil, un ou plusieurs assistants, à votre volonté[789]. + +[Note 789: _Procès_, t. I, pp. 200-201.] + +En une telle juridiction, cette offre était gracieuse; et, si +monseigneur de Beauvais réduisait l'accusée à choisir entre les +conseillers et assesseurs, appelés par lui-même au procès, il lui +faisait encore la part plus large qu'il n'y était obligé. Le choix de +l'avocat n'appartenait pas au prévenu; il appartenait au juge, qui +devait désigner un homme probe et loyal. Bien plus! Il était licite au +juge ecclésiastique de refuser jusqu'au bout tout conseil à l'accusé. +Nicolas Eymeric, en son _Directorium_, décide que l'évêque et +l'inquisiteur, agissant conjointement, forment une autorité suffisante +pour interpréter la loi et peuvent procéder simplement, _de plano_, +sans tumulte d'avocats ni figure de jugement[790]. + +[Note 790: L. Tanon, _Histoire des tribunaux de l'inquisition_, +pp. 400 et suiv.--U. Chevalier, _L'abjuration de Jeanne d'Arc_, p. +34.] + +Il est à remarquer que monseigneur de Beauvais offrit un conseil à +l'accusée, eu égard à son ignorance des choses divines et humaines; +mais sans arguer de son jeune âge. Devant d'autres juridictions, un +procès contre un mineur de vingt-cinq ans non assisté était nul de +plein droit[791]. S'il en était allé de même en droit inquisitorial, +l'évêque aurait évité ce cas de nullité; il le pouvait faire sans +inconvénient, puisqu'il avait le choix de l'avocat. «Notre justice +n'est pas la même que la leur», disait avec raison Bernard Gui, en +comparant la procédure inquisitoriale à celle des autres cours +d'Église, qui fonctionnaient conformément au droit romain. + +[Note 791: Méru, _Directorium Inquisitorium_, Schola, p. 147.] + +Jeanne n'accepta pas l'offre du juge: + +--Premièrement, répondit-elle, de ce que vous m'admonestez pour mon +bien et sur notre foi, je vous remercie, et toute la compagnie aussi. +Quant au conseil que vous m'offrez, aussi je vous remercie, mais je +n'ai point intention de me départir du conseil de Notre-Seigneur[792]. + +[Note 792: _Procès_, t. I, p. 201.] + +Aussitôt, maître Thomas de Courcelles commença de lire, en langue +française, le libellé de l'accusation, tel que le promoteur l'avait +rédigé en soixante-dix articles. Ce libellé reproduisait, dans un +ordre méthodique, les faits déjà reprochés à Jeanne et qu'on tenait +gratuitement comme avoués par elle et dûment prouvés. Soixante-dix +chefs de crimes épouvantables contre la foi et notre sainte mère +l'Église. Interrogée sur chaque article, Jeanne, avec une candeur +héroïque, refit ses réponses précédentes. Cette longue lecture fut +continuée et achevée le mercredi après les Rameaux, 28 mars. Selon sa +coutume, elle demanda délai pour répondre sur certains points[793]. Le +31 mars, veille de Pâques, ce délai étant expiré, monseigneur de +Beauvais se rendit dans la prison et, avec l'assistance des docteurs +et maîtres de l'Université, réclama les réponses différées. Elles se +rapportaient presque toutes à l'accusation qui contenait toutes les +autres, à l'hérésie qui enveloppait toutes les hérésies, au refus +d'obéir à l'Église militante. Jeanne, en résumé, déclara qu'elle était +résolue à s'en rapporter à Notre-Seigneur plutôt qu'à homme du monde, +ce qui était ruiner l'autorité du pape et du concile[794]. + +[Note 793: _Ibid._, t. I, pp. 204, 323.] + +[Note 794: _Procès_, t. I, pp. 324-325.] + +Les docteurs et maîtres de l'Université de Paris furent d'avis de +distiller le copieux libellé du promoteur, d'en tirer la quintessence +et de réduire à un petit nombre d'articles les soixante-dix chefs +d'accusation[795]. Maître Nicolas Midi, docteur en théologie, exécuta +ce travail et le soumit aux juges et aux assesseurs[796]. L'un d'eux +proposa des corrections. Frère Jacques de Touraine, de l'ordre des +frères mineurs, docteur en théologie, chargé de la rédaction +définitive, admit la plupart des corrections demandées[797]. Les +propositions[798] condamnables que les juges prétendaient (bien à +tort) avoir tirées des réponses aux interrogatoires, se trouvèrent de +la sorte résumées en douze articles[799]. + +[Note 795: _Ibid._, t. III. p. 143.] + +[Note 796: _Ibid._, t. III, p. 60.--U. Chevalier, _L'abjuration de +Jeanne d'Arc_, p. 38.] + +[Note 797: _Ibid._, t. III, p. 232.--J. Quicherat, _Aperçus +nouveaux_, pp. 124, 129.] + +[Note 798: _Ibid._, t. II, pp. 22, 212; t. III, p. 306; t. V, p. +461.] + +[Note 799: _Ibid._, t. I, pp. 328, 336.] + +Ces douze articles ne furent pas communiqués à Jeanne. Le jeudi 12 +avril, vingt et un docteurs et maîtres se réunirent dans la chapelle +de l'évêché, et après avoir examiné les articles, donnèrent une +consultation dont le sens était défavorable à l'accusée. + +Selon eux, les apparitions et révélations dont elle se vantait ne +venaient point de Dieu; c'étaient ou des inventions humaines ou des +effets de l'esprit malin; elle n'avait pas pour y croire des signes +suffisants. Ces docteurs et maîtres découvraient dans le cas de cette +femme des mensonges, des invraisemblances, une créance trop légèrement +donnée, des divinations superstitieuses, des faits scandaleux et +irréligieux, des dits téméraires, présomptueux, pleins de jactance, +des blasphèmes contre Dieu et les saints, de l'impiété dans la manière +de se conduire avec père et mère, des contrariétés au précepte sur +l'amour du prochain, de l'idolâtrie, ou tout au moins des fictions +mensongères, des propositions schismatiques, destructives de l'unité, +autorité et puissance de l'Église; mauvaise science et suspicion +véhémente d'hérésie[800]. + +[Note 800: _Procès_, t. I, pp. 337, 340.] + +Si elle n'avait pas été soutenue et réconfortée par les Voix du ciel, +les voix de son coeur, Jeanne ne serait pas allée jusqu'à la fin de +cet horrible procès où torturée à la fois par des princes de l'Église +et des goujats d'armée, elle endura de corps et d'esprit des +souffrances intolérables à la commune nature humaine; elle les endura +sans que sa constance, sa foi, sa divine espérance, on dirait presque +sa gaieté en fussent atteints. Enfin, à bout de forces et non de +courage, elle tomba brisée, en proie à une maladie qu'on croyait +mortelle; elle semblait perdue, ou plutôt, hélas! sauvée[801]. + +[Note 801: _Procès_, t. III, p. 51.] + +Le mercredi 18 avril, monseigneur de Beauvais et le vice-inquisiteur +de la foi, se rendirent avec plusieurs docteurs et maîtres auprès +d'elle afin de l'exhorter charitablement; elle était encore très +malade[802]. Monseigneur de Beauvais lui représenta que, interrogée +devant des personnes de haute sagesse, sur des points ardus, maintes +choses dites par elle avaient été notées comme contraires à la foi. +C'est pourquoi, considérant qu'elle était femme sans lettres, il lui +offrait de la pourvoir d'hommes savants et probes pour l'instruire. Il +priait les docteurs présents de lui donner des conseils salutaires, et +l'invitait elle-même, si elle connaissait d'autres personnes, à les +lui désigner, promettant qu'il les ferait venir sans faute. + +[Note 802: _Ibid._, t. I, pp. 374-375.] + +--L'Église, ajouta-t-il, ne ferme point son sein à qui lui revient. + +Jeanne répondit qu'elle le remerciait de ce qu'il lui disait pour son +salut, et elle ajouta: + +--Il me semble, vu la maladie que j'ai, que je suis en grand péril de +mort. S'il en est ainsi, Dieu veuille faire de moi à son plaisir. Je +vous requiers de me faire avoir confession, et le corps de mon Sauveur +aussi, et de me mettre en terre sainte. + +Monseigneur de Beauvais lui représenta que si elle voulait recevoir +les sacrements, elle devait se soumettre à l'Église. + +--Si mon corps meurt en prison, répondit-elle, je m'attends à vous que +vous le fassiez mettre en terre sainte; si vous ne l'y faites mettre, +je m'en attends à Notre-Seigneur[803]. + +[Note 803: _Procès_, t. I, pp. 376, 378.] + +Elle soutint ensuite énergiquement la vérité des révélations qu'elle +avait eues de par Dieu, saint Michel, saintes Catherine et Marguerite. + +Et comme on lui demandait une fois encore si elle soumettait soi et +ses actes à notre sainte mère l'Église, elle répondit: + +--Quelque chose qui m'en doive advenir, je n'en ferai ou dirai autre +chose que ce que j'ai déjà dit au procès. + +Les docteurs et maîtres l'exhortèrent l'un après l'autre à se +soumettre à notre sainte mère l'Église, alléguant de nombreux passages +de l'Écriture sainte; ils lui promirent le corps de Notre-Seigneur, si +elle voulait obéir; mais elle demeura ferme dans son propos. + +--De cette soumission, dit-elle, je ne répondrai autre chose que ce +que j'ai déjà fait. J'aime Dieu, je le sers et suis bonne chrétienne, +et je voudrais aider et soutenir la sainte Église de tout mon +pouvoir[804]. + +[Note 804: _Procès_, t. I, pp. 380-381.] + +On avait recours aux processions dans les grandes nécessités. + +--Ne voulez-vous point, lui fut-il demandé, qu'on ordonne une belle et +notable procession pour vous mettre en bon état, si vous n'y êtes? + +Elle répondit: + +--Je veux très bien que l'Église et les catholiques prient pour +moi[805]. + +[Note 805: _Ibid._, t. I, p. 381.] + +Parmi les docteurs consultés, plusieurs recommandèrent qu'elle fût de +nouveau instruite et admonestée charitablement. Le mercredi 2 mai, +soixante-trois révérends docteurs et maîtres se réunirent dans la +salle de Parement du château[806]. Elle fut introduite et maître Jean +de Castillon, docteur en théologie, archidiacre d'Évreux[807], lut une +cédule en français dans laquelle les faits et dits reprochés à Jeanne +étaient résumés en six articles. Puis plusieurs docteurs et maîtres +lui adressèrent tour à tour des admonitions et des conseils +charitables. Ils l'exhortèrent à se soumettre à l'Église militante +universelle, à notre Saint-Père le Pape et au saint Concile général. +Ils l'avertirent que, si l'Église l'abandonnait, elle serait en grand +danger d'encourir la peine du feu éternel quant à son âme, sans +préjudice de la peine du feu corporel quant au corps, et par la +sentence d'autres juges. + +[Note 806: _Ibid._, t. I, pp. 381-382.] + +[Note 807: De Beaurepaire, _Notes sur les juges_, pp. 114, 117.] + +Jeanne répondit comme devant[808]. + +[Note 808: _Procès_, t. I, pp. 383, 399.] + +Le lendemain jeudi 3 mai, jour de l'Invention de la Sainte Croix, +l'archange Gabriel lui apparut; elle n'était pas bien sûre de l'avoir +déjà vu; mais cette fois elle ne pouvait douter; ses Voix lui dirent +que c'était bien lui; et elle en eut grand réconfort. + +Ce même jour, elle demanda à ses Voix si elle devait se soumettre à +l'Église, comme tous les clercs l'en pressaient. + +Les Voix lui répondirent: + +--Si tu veux que Notre-Seigneur t'aide, attends-toi à lui de tous tes +faits. + +Jeanne voulut savoir d'elles si elle serait brûlée. + +Les Voix lui dirent de s'en attendre à Notre-Seigneur et qu'il +l'aiderait[809]. Ce secours mystérieux raffermissait le coeur de +Jeanne. + +[Note 809: _Ibid._, t. I, pp. 400-401.] + +L'opiniâtreté dont elle faisait preuve n'était pas sans exemple parmi +les hérétiques et les possédées. Au contraire, les juges d'Église +étaient accoutumés à l'endurcissement des femmes abusées par le +diable. Pour les obliger à dire la vérité, quand les exhortations et +les admonitions ne suffisaient pas on recourait à la torture. Et ce +moyen ne réussissait pas toujours. Beaucoup de ces mauvaises femelles +(_mulierculae_) supportaient les plus cruelles souffrances avec une +constance qui passait les forces ordinaires de la nature humaine. +Aussi les docteurs ne croyaient-ils pas que cette constance fût +naturelle; ils l'attribuaient à un artifice infernal. Le démon était +capable encore de protéger ses servantes tombées aux mains des juges +d'Église; il leur accordait le pouvoir de se taire dans les tortures. +C'est ce qu'on appelait le don de taciturnité[810]. + +[Note 810: Nicolas Eymeric, _Directorium inquisitorium..._, Rome, +1586, in-fol., p. 24, col. 1.--Ludovicus a Paramo, _De origine et +progressu officii sanctæ inquisitionis_, MDXCIIX, in-fol., lib. III, +questio 5, p. 709.] + +Le mercredi 9 mai, Jeanne fut menée à la grosse tour du château et +introduite dans la chambre de torture. Là monseigneur de Beauvais, en +présence du vice-inquisiteur et de neuf docteurs et maîtres, lui donna +lecture des articles auxquels elle avait jusque-là refusé de répondre, +et la menaça, si elle ne confessait point toute la vérité, d'être mise +à la géhenne. + +Les instruments étaient préparés; les deux exécuteurs, Mauger +Leparmentier, clerc marié, et son compagnon, se tenaient près d'elle, +attendant les ordres du seigneur évêque. + +Jeanne, qui six jours auparavant avait reçu de ses Voix grand +réconfort, répondit avec fermeté: + +--Vraiment, si vous me deviez faire arracher les membres et faire +partir l'âme hors du corps, je ne vous dirais autre chose et, si je +vous disais quelque chose, après dirais-je toujours que vous me +l'avez fait dire par force[811]. + +[Note 811: _Procès_, t. I, pp. 399-400.] + +Monseigneur de Beauvais décida de surseoir à la torture, craignant +qu'elle ne fût pas profitable à cette âme endurcie[812]. Le samedi +suivant, il en délibéra dans sa maison, avec le vice-inquisiteur et +treize docteurs et maîtres; les avis furent partagés. Maître Raoul +Roussel conseillait de ne pas donner la torture à Jeanne pour éviter +qu'un procès aussi bien fait que celui-ci pût être attaqué. Il +craignait, à ce qu'il semble, que la Pucelle, ayant reçu du diable le +don de taciturnité, les tourments ne lui donnassent occasion de braver +la sainte inquisition par un silence diabolique. Maître Aubert Morel, +licencié en droit canon, avocat près l'officialité de Rouen, chanoine +de la cathédrale, et maître Thomas de Courcelles jugèrent qu'il serait +bon, au contraire, d'appliquer la question. Maître Nicolas Loiseleur, +maître ès arts, chanoine de Rouen, qui faisait au procès le cordonnier +lorrain et la voix de sainte Catherine, n'avait pas d'opinion bien +arrêtée à cet égard; toutefois, il ne lui semblait pas mauvais que +Jeanne, pour la médecine de son âme, fût torturée. Les docteurs et +maîtres en majorité estimèrent qu'il n'y avait pas lieu de la +soumettre à cette épreuve, quant à présent; les uns ne donnèrent point +des raisons, les autres alléguèrent qu'il convenait de l'avertir +charitablement encore une fois. Maître Guillaume Erard, docteur en +théologie, se fonda sur ce qu'on avait déjà assez ample matière pour +juger[813]. Ainsi, parmi ceux qui épargnèrent les tourments à Jeanne, +se trouvait le moins miséricordieux de tous à son égard. Tel était +l'esprit des tribunaux d'Église que refuser la torture à un accusé, +c'était, en certains cas, lui refuser une grâce. + +[Note 812: _Ibid._, t. I, pp. 401-402.] + +[Note 813: _Procès_, t. I, pp. 402, 404.] + +Lors du procès de Marguerite la Porète, les juges ne convoquèrent +point d'experts[814]. Ils soumirent à l'Université de Paris un rapport +écrit, touchant les charges tenues pour prouvées. L'Université donna +son avis sous réserve de la vérité des charges. Cette réserve était de +pure forme et la décision de l'Université avait l'autorité d'un +jugement. Dans le procès de Jeanne, on invoqua ce précédent. Le 21 +avril, maître Jean Beaupère, maître Jacques de Touraine et maître +Nicolas Midi quittèrent Rouen et, au risque d'être houspillés en +chemin par les gens de guerre, allèrent porter les douze articles à +leurs collègues de Paris. + +[Note 814: _Recueil des historiens de la France_, t. XX, p. 601; +t. XXI, p. 34.--Histoire littéraire de la France, t. XXVII, p. 70.] + +Le 28 avril, l'Université, réunie en assemblée générale à +Saint-Bernard, chargea de l'examen des douze articles la sacrée +Faculté de Théologie et la vénérable Faculté des Décrets[815]. + +[Note 815: _Procès_, t. I, pp. 407, 413, 420.--M. Fournier, _La +faculté de décret de l'Université de Paris_, p. 353.--Le P. Denifle et +Châtelain, _Chartularium Universitatis Parisiensis_, t. IV, pp. 510 et +suiv.] + +Le 14 mai, les délibérations des deux Facultés furent soumises à +toutes les Facultés solennellement réunies, qui les ratifia, les fit +siennes et les envoya au roi Henri, en suppliant Son Excellente +Hautesse de faire prompte justice, afin que le peuple, tant scandalisé +par cette femme, fût ramené à bonne doctrine et sainte croyance[816]. +Et il est remarquable que dans une cause, qui était celle du pape, +représenté par le vice-inquisiteur, et du roi, représenté par +l'évêque, la fille aînée des rois ait communiqué directement avec le +roi de France, gardien de ses privilèges. + +[Note 816: _Procès_, t. II, p. 6.--U. Chevalier, _L'abjuration de +Jeanne d'Arc_, p. 42.] + +Selon la sacrée Faculté de Théologie, les apparitions de Jeanne +étaient fictives, mensongères, séductrices, inspirée par des diables. +Le signe donné au roi était un mensonge présomptueux et pernicieux, +attentatoire à la dignité des anges, la croyance de Jeanne aux visites +de saint Michel, de sainte Catherine et de sainte Marguerite était une +croyance téméraire et injurieuse par la comparaison que Jeanne en +faisait avec les vérités de la foi; les prédictions de Jeanne étaient +superstition, divination et vaine jactance; l'affirmation de porter +l'habit d'homme par commandement de Dieu était blasphème, mépris des +sacrements, violation de la loi divine et des sanctions +ecclésiastiques, suspicion d'idolâtrie. Jeanne, dans les lettres +dictées par elle, se montrait traîtresse, perfide, cruelle, altérée +de sang humain, séditieuse, poussant à la tyrannie, blasphématrice de +Dieu. En partant pour la France, elle avait violé le commandement +d'honorer père et mère, causé scandale, blasphémé, erré dans la foi. +En faisant le saut de Beaurevoir, elle s'était montrée d'une +pusillanimité tournant au désespoir et à l'homicide, et ç'avait été de +plus pour elle l'occasion d'affirmations téméraires touchant la remise +de son péché et d'erreur sur le libre arbitre. En proclamant sa +confiance en son salut, elle ne proférait que mensonges présomptueux +et pernicieux; en disant que sainte Catherine et sainte Marguerite ne +parlaient pas anglais, elle blasphémait ces saintes et violait le +précepte: «Tu aimeras ton prochain»; les honneurs qu'elle rendait à +ses saintes étaient idolâtrie et invocation de démons; son refus de +s'en rapporter de ses faits à l'Église tendait au schisme, au mépris +de l'unité et de l'autorité de l'Église, à l'apostasie[817]. + +[Note 817: _Procès_, t. I, pp. 414, 417.] + +Les docteurs de la Faculté de Théologie étaient très savants; ils +connaissaient les trois esprits malins que Jeanne abusée prenait pour +saint Michel, sainte Catherine et sainte Marguerite. C'étaient Bélial, +Satan et Béhémot. Bélial, adoré des sidoniens, se montre quelquefois +sous la figure d'un ange plein de beauté; c'est le démon de la +désobéissance. Satan est le chef des enfers et Béhémot est un être +lourd et stupide, qui mange du foin comme un boeuf[818]. + +[Note 818: _Procès_, t. I, p. 414.--Migne, _Dictionnaire des +sciences occultes_.] + +La vénérable Faculté des Décrets décidait que cette femme +schismatique, errant en la foi, apostate, menteuse, devineresse, +devait être charitablement exhortée et dûment avertie par les juges +compétents et que, si elle refusait néanmoins d'abjurer son erreur, il +la faudrait abandonner au bras séculier pour en recevoir le châtiment +dû[819]. Voilà les délibérations et décisions que la vénérable +Université de Paris soumettait à l'examen et aux arrêts du Saint-Siège +apostolique et du sacro-saint Concile général[820]. + +[Note 819: _Ibid._, t. I, pp. 417, 420.] + +[Note 820: _Ibid._, t. I, pp. 414, 417.] + +Mais les clercs de France n'avaient-ils donc rien à dire en cette +cause? N'avaient-ils donc aucune décision à soumettre au pape et au +concile? Pourquoi n'opposaient-ils pas leur opinion à celles des +Facultés parisiennes? Pourquoi gardaient-ils le silence? Ces docteurs, +qui avaient recommandé au roi de mettre en oeuvre la jeune fille, afin +de ne pas refuser les dons du Saint-Esprit, pourquoi n'envoyaient-ils +pas à Rouen le livre de Poitiers que réclamait Jeanne[821]? Tous ces +universitaires chassés de Paris, tous ces avocats et conseillers au +Parlement exilé, tous ces magistrats qui n'avaient pas de robe à se +mettre, pas de souliers à donner à leurs enfants, avant que cette +Pucelle eût soutenu leur cause penchante, et qui maintenant, grâce à +elle, reprenaient chaque jour espoir et vigueur, comment +laissaient-ils traiter d'hérétique et de femme dissolue cette grande +servante de leur roi? Ce frère Pasquerel, ce frère Richard, tous ces +religieux qui naguère l'accompagnaient en France et pensaient +l'accompagner à la croisade contre les Bohêmes et les Turcs, pourquoi +ne demandaient-ils pas un sauf-conduit afin d'être entendus au procès? +Pourquoi n'envoyaient-ils pas du moins leur témoignage? Cet archevêque +d'Embrun, qui tantôt encore donnait de si nobles conseils à son roi, +pourquoi n'adressait-il pas aux juges de Rouen son mémoire en faveur +de la Pucelle? Monseigneur de Reims, chancelier du royaume, qui avait +bien dit qu'elle était orgueilleuse mais non pas hérétique, pourquoi, +contrairement à ses intérêts et à son honneur, ne témoignait-il pas en +faveur de celle qui lui avait fait recouvrer sa ville épiscopale? +Pourquoi, comme c'était son droit, comme c'était son devoir de +métropolitain, ne prononçait-il pas la censure et la suspension contre +son suffragant, l'évêque de Beauvais, coupable d'avoir prévariqué dans +l'administration de la justice? Ces grands clercs, députés par le roi +Charles au Concile de Bâle, comment ne s'engageaient-ils pas à porter +au synode la cause de la Pucelle? Comment, enfin, les prêtres, les +religieux du royaume ne demandaient-ils pas, d'un cri unanime, +l'appel au Saint-Père? + +[Note 821: Sans doute le livre de Poitiers devait être d'une +grande pauvreté théologique; mais on avait les conclusions présentées +au roi, le mémoire de Gélu et celui de Gerson.] + +Tous, comme frappés d'étonnement et de stupeur, demeuraient sans +parler ni agir. Ne serait-ce point parce qu'ils craignaient que cette +illustre Université, que de tous les pays chrétiens on venait +consulter en matière de foi, ce soleil de l'Église, n'eût éclairé d'un +jour trop éclatant la cause de Jeanne, et que cette femme, qu'en +France on avait cru sainte, ne fût inspirée par le malin esprit? S'ils +le craignaient, s'ils le soupçonnaient, cette opinion théologique, ces +doutes sur une matière difficile, en une cause ardue, expliqueraient +leur silence; on comprendrait qu'ils se taisaient de honte et de +douleur. Mais ce qu'ils avaient cru naguère, s'ils le croyaient +encore, s'ils étaient persuadés que la Pucelle était venue de Dieu +pour conduire leur roi à son sacre glorieux, que penser de ces +prêtres, que penser de ces clercs de France, qui reniaient la fille de +Dieu, à la veille de sa passion? + + + + +CHAPITRE XIII + +L'ABJURATION.--LA PREMIÈRE SENTENCE. + + +Les docteurs et maîtres réunis, le samedi 19 mai, dans la chapelle +archiépiscopale de Rouen, au nombre de cinquante, s'associèrent +unanimement aux délibérations de l'Université de Paris, et monseigneur +de Beauvais décida qu'une nouvelle admonition charitable serait +adressée à Jeanne[822]. En conséquence, le mercredi 23, l'évêque, le +vicaire inquisiteur et le promoteur se rendirent dans une chambre du +château, voisine de la prison de Jeanne; ils étaient accompagnés de +sept docteurs et maîtres, du seigneur évêque de Noyon et du seigneur +évêque de Thérouanne[823]. Celui-là, frère de messire Jean de +Luxembourg qui avait vendu la Pucelle, comptait parmi les premiers +personnages du Grand Conseil d'Angleterre; il était chancelier de +France pour le roi Henri comme messire Regnault de Chartres l'était +pour le roi Charles[824]. + +[Note 822: _Procès_, t. I, pp. 404, 429.] + +[Note 823: _Ibid._, t. I, pp. 429-430.] + +[Note 824: De Beaurepaire, _Notes sur les juges_, pp. 126-127.] + +L'accusée fut introduite et maître Pierre Maurice, docteur en +théologie, lui donna lecture des douze articles abrégés et commentés +conformément aux délibérations de l'Université, le tout en manière de +discours à elle adressé: + + +ARTICLE PREMIER + +Premièrement, Jeanne tu as dit qu'en l'âge de treize ans, ou environ, +tu as eu révélations et apparitions d'anges et des saintes Catherine +et Marguerite, que tu les as vus fréquemment de tes yeux corporels, et +qu'ils ont parlé à toi et qu'ils te parlent souvent et qu'ils t'ont +dit beaucoup de choses que tu as pleinement déclarées dans ton procès. + +Sur ce point, les clercs de l'Université de Paris et autres ayant +considéré les modes de ces révélations et apparitions, leur fin, la +substance des choses révélées, et la condition de ta personne, et +considéré tout ce qu'il y avait lieu de considérer, disent que ce sont +fictions mensongères, séduisantes et périlleuses, ou que des +révélations et apparitions de cette sorte sont superstitieuses, +procédant d'esprits malins et diaboliques. + + +ARTICLE 2. + +Item, tu as dit que ton roi eut signe par quoi il connut que tu étais +envoyée de Dieu, à savoir que saint Michel, accompagné d'une multitude +d'anges, dont certains avaient des ailes, d'autres des couronnes et +avec lesquels étaient les saintes Catherine et Marguerite, vint à toi +en la ville de Château-Chinon; et que tous ceux-là entrèrent avec toi +par l'escalier du château, dans la chambre de ton roi devant qui +s'inclina un ange qui portait une couronne. Et une fois, tu as dit que +cette couronne que tu appelles signe, fut remise à l'archevêque de +Reims qui la remit à ton roi, en présence d'une multitude de princes +et de seigneurs que tu as nommés. + +Et quant à cela, lesdits clercs disent que ce n'est pas vraisemblable, +mais que c'est mensonge présomptueux, séduisant, pernicieux, une chose +feinte et attentatoire à la dignité des anges. + + +ARTICLE 3. + +Item, tu as dit que tu connaissais les anges et les saintes par bon +conseil, confort et doctrine qu'ils te donnaient et par ce qu'ils se +nommèrent à toi et que les saintes te saluèrent. Tu croyais aussi que +ce fut saint Michel qui t'apparut et que leurs faits et dits sont +bons, aussi fermement que tu crois la foi du Christ. + +Quant à cela, les clercs disent que ce ne sont pas signes suffisants +pour connaître lesdits saints et anges, et que tu as cru légèrement et +témérairement affirmé, et que en outre, pour ce qui est de la +comparaison que tu fais de croire aussi fermement, etc., tu erres dans +la foi. + + +ARTICLE 4. + +Item, tu as dit que tu es assurée de certaines choses à venir, que tu +as su des choses cachées, que tu as pareillement reconnu des hommes +que tu n'avais jamais vus auparavant, et cela par les voix des saintes +Catherine et Marguerite. + +Et quant à cela, les clercs disent que, en ces dits, est superstition, +divination, présomptueuse assertion et vaine jactance. + + +ARTICLE 5. + +Item, tu as dit que du commandement de Dieu et de son bon plaisir tu +as porté et portes encore habit d'homme et, parce que tu as +commandement de Dieu de porter cet habit, tu as pris tunique courte, +gippon, chausses liées à maintes aiguillettes; tu portes même les +cheveux coupés en rond au-dessus des oreilles, sans rien garder sur +toi de ce qui prouve et dénote le sexe féminin, excepté ce que nature +t'a donné; et souvent tu as reçu en cet habit le sacrement de +l'Eucharistie, et bien que tu aies été plusieurs fois admonestée de le +quitter, néanmoins tu n'en as voulu rien faire, disant que tu +aimerais mieux mourir que quitter cet habit, à moins que ce ne fût par +le commandement de Dieu; et que, si tu étais encore en cet habit avec +ceux de ton parti, ce serait grand bien pour la France. Tu dis aussi +que, pour rien, tu ne ferais serment de ne pas porter cet habit et des +armes, et tu dis qu'en tout cela tu fais bien et par l'ordre de Dieu. + +Sur ce point, les clercs disent que tu blasphèmes Dieu et le méprises +en ses sacrements, que tu transgresses la loi divine, la sainte +Écriture et les règles canoniques, que tu penses mal et erres en +matière de foi, que tu es pleine de vaine jactance, que tu es suspecte +d'idolâtrie et d'adoration de toi-même et de tes habits, en imitant +les usages des païens. + + +ARTICLE 6. + +Item, tu as dit que souvent, dans tes lettres, tu as mis ces noms, +JHESUS MARIA, et le signe de la croix pour avertir ceux à qui tu +écrivais de ne pas faire ce qui était marqué dans la lettre. Dans +d'autres lettres tu t'es vantée de faire tuer tous ceux qui ne +t'obéissaient pas et qu'aux coups on verrait qui aurait meilleur droit +de par le Dieu du ciel et tu as dit souvent n'avoir rien fait que par +révélation et commandement du Seigneur. + +Quant à cela, les clercs disent que tu es traîtresse, perfide, +cruelle, désirant cruellement l'effusion du sang humain, séditieuse, +provoquant à tyrannie, blasphémant Dieu en ses commandements et +révélations. + + +ARTICLE 7. + +Item, tu dis que, par révélations que tu as eues en l'âge de dix-sept +ans, tu as quitté la maison de tes parents, contre leur volonté, de +quoi ils furent quasi fous. Et tu es allée vers Robert de Baudricourt, +qui, à ta requête, te donna un habit d'homme et une épée, avec +certaines gens pour te conduire vers ton roi, et quand tu es venue +vers lui, tu lui as dit que tu venais pour chasser ses adversaires et +que tu lui avais promis de le mettre en un grand royaume, et qu'il +aurait victoire sur ses adversaires et que Dieu t'envoyait pour cela. +Tu dis aussi que, de la sorte, tu as bien fait en obéissant à Dieu et +par révélation. + +Quant à cela, les clercs disent que tu as été impie envers tes +parents, transgressant le commandement de Dieu d'honorer père et mère, +scandaleuse, blasphématrice de Dieu, errant en la foi et que tu as +fait une promesse présomptueuse et téméraire. + + +ARTICLE 8. + +Item, tu as dit que, volontairement, tu as sauté de la tour de +Beaurevoir, aimant mieux mourir que d'être livrée aux mains des +Anglais et vivre après la destruction de Compiègne; et, bien que les +saintes Catherine et Marguerite te défendissent de sauter, tu ne pus +te contenir; et, quoi que ce fût un grand péché que d'offenser ces +saintes, pourtant tu as su par tes Voix que Dieu te l'avait remis +après que tu t'en fusses confessée. + +Sur ce point les clercs disent que ce fut là pusillanimité tournant à +désespoir et probablement suicide. En cela encore tu as émis une +assertion téméraire et présomptueuse en prétendant avoir rémission de +ton péché et tu penses mal touchant le libre arbitre. + + +ARTICLE 9. + +Item, tu as dit que les saintes Catherine et Marguerite promirent de +te conduire en paradis pourvu que tu gardasses la virginité que tu +leur avais vouée et promise, et de cela tu es aussi certaine que si tu +étais déjà dans la gloire des Bienheureux. Tu crois n'avoir pas fait +oeuvre de péché mortel. Et il te semble que, si tu étais en état de +péché mortel, les saintes ne te visiteraient pas quotidiennement, +comme elles font. + +Quant à cela, les clercs disent que c'est une assertion présomptueuse +et téméraire, un mensonge pernicieux; qu'il y a là contradiction avec +ce que tu avais dit précédemment, et qu'enfin tu penses mal touchant +la foi chrétienne. + + +ARTICLE 10. + +Item, tu as dit que tu savais bien que Dieu aime plus que toi +certaines personnes vivantes, et que cela tu l'as appris par +révélation des saintes Catherine et Marguerite; aussi, que ces saintes +parlent français, non anglais, puisqu'elles ne sont pas du parti des +Anglais. Et quand tu as su que tes Voix étaient pour ton roi, tu n'as +plus aimé les Bourguignons. + +Quant à cela, les clercs disent que c'est une téméraire et +présomptueuse assertion, une divination superstitieuse, un blasphème +contre les saintes Catherine et Marguerite, et une transgression du +précepte de l'amour du prochain. + + +ARTICLE 11. + +Item, tu as dit que, à ceux que tu appelles saint Michel et les +saintes Catherine et Marguerite, tu as fait plusieurs révérences, +fléchissant le genou, tirant ton chaperon, baisant la terre où ils +marchaient, leur vouant ta virginité; que ces saintes, tu les avais +baisées et embrassées et invoquées, qu'aussi tu as cru à leurs +enseignements du moment qu'elles sont venues à toi, sans demander +conseil à ton curé ou à quelque autre homme d'Église. Et néanmoins tu +crois que ces Voix viennent de Dieu aussi fermement que tu crois en la +foi chrétienne, et que Notre-Seigneur Jésus-Christ a souffert passion. +Tu as dit en outre que si quelque mauvais esprit t'apparaissait sous +la figure de saint Michel, tu saurais bien le connaître et le +discerner. Tu as dit encore que, de ton propre mouvement, tu as juré +de ne point dire le signe que tu avais donné à ton roi. Et finalement +tu as ajouté: «Si ce n'est sur l'ordre de Dieu.» + +Quant à cela, les clercs disent que, à supposer que tu aies eu les +révélations et apparitions dont tu te vantes, de la manière que tu as +dit, tu es idolâtre, invocatrice des démons, errant en matière de foi, +téméraire en tes assertions et que tu as fait un serment illicite. + + +ARTICLE 12. + +Item, tu as dit que, si l'Église voulait que tu fisses le contraire +des ordres que tu dis avoir reçus de Dieu, tu ne le ferais pour quoi +que ce fût; que tu sais bien que tout ce qui est contenu dans ton +procès vient des ordres de Dieu et qu'il t'était impossible de faire +le contraire. Relativement à ces faits, tu ne veux pas te rapporter au +jugement de l'Église qui est sur la terre, ni d'homme vivant, mais à +Dieu seul. Et tu as dit en outre que cette réponse, tu ne la faisais +pas de ta tête, mais sur le commandement de Dieu, bien que cet article +de foi: _Unam sanctam Ecclesiam catholicam_, t'ait été plusieurs fois +déclaré et que tout chrétien doive soumettre tous ses dits et faits à +l'Église militante, principalement dans le fait de révélations et +choses telles. + +Quant à cela, les clercs disent que tu es schismatique, mal pensante +sur l'unité et l'autorité de l'Église, apostate et opiniâtrement +errante en matière de foi[825]. + +[Note 825: _Procès_, t. I, pp. 430, 437.] + +Ayant achevé cette lecture, maître Pierre Maurice, sur l'invitation de +l'évêque, exhorta Jeanne. Il avait été recteur de l'Université de +Paris en 1428[826]. On l'estimait comme orateur; c'était lui qui, le 5 +juin 1430, avait harangué, au nom du chapitre, le roi Henri VI, lors +de son entrée à Rouen. Il se distinguait, ce semble, par quelque +connaissance et quelque goût des lettres antiques, et possédait de +précieux manuscrits, au nombre desquels se trouvaient les comédies de +Térence et l'_Énéide_ de Virgile[827]. + +[Note 826: Du Boulay, _Historia Universitatis Parisiensis_, t. V, +p. 929.] + +[Note 827: De Beaurepaire, _Notes sur les juges_, p. 88.] + +Cet insigne docteur invita Jeanne, en termes d'une simplicité +calculée, à réfléchir aux suites de ses dires et de ses actes et +l'exhorta tendrement à se soumettre à l'Église. Après l'absinthe il +lui offrit le miel; il lui tint des propos doux et familiers. Il entra +avec une singulière adresse dans les goûts et les sentiments qui +emplissaient le coeur de cette jeune fille. La voyant toute pleine de +chevalerie et si loyale à Charles qu'elle avait fait sacrer, c'est par +des comparaisons tirées de la vie militaire et seigneuriale qu'il +essaya de lui faire comprendre qu'elle devait en croire l'Église +militante plutôt que ses Voix et ses apparitions. + +--Si votre roi, lui dit-il, vous avait confié la garde d'une +forteresse, en vous défendant d'y laisser entrer personne, n'est-il +pas vrai que vous refuseriez de recevoir quiconque s'y présenterait de +sa part sans montrer de lettres ou quelque autre signe. De même, +lorsque Notre-Seigneur Jésus-Christ, s'élevant au ciel, commit au +bienheureux apôtre Pierre et à ses successeurs le gouvernement de son +Église, il leur défendit de faire accueil à ceux qui prétendraient +venir en son nom, sans en apporter la preuve. + +Et pour lui rendre sensible quelle faute c'était de désobéir à +l'Église, il lui rappela le temps où elle faisait la guerre et prit +pour exemple un chevalier désobéissant à son roi: + +--Lorsque vous étiez dans le domaine de votre roi, lui dit-il, si un +chevalier ou tout autre, placé sous son obéissance, s'était levé +disant: «Je n'obéirai pas au roi; je ne me soumettrai ni à lui ni à +ses officiers», n'auriez-vous pas dit: «Voilà un homme qui doit être +condamné»? Que dites-vous donc de vous qui, engendrée dans la foi du +Christ, devenue par le baptême la fille de l'Église et l'épouse du +Christ, n'obéissez pas aux officiers du Christ, c'est-à-dire aux +prélats de l'Église[828]? + +[Note 828: _Procès_, t. I, pp. 437, 441.] + +Maître Pierre Maurice s'efforçait ainsi de se faire comprendre de +Jeanne. Il n'y réussit pas; toutes les raisons et toute l'éloquence du +monde se seraient brisées contre le coeur de cette enfant. Après que +maître Pierre eut parlé, Jeanne, interrogée si elle ne se croyait pas +tenue de soumettre ses dits et faits à l'Église, répondit: + +--La manière que j'ai toujours dite et tenue au procès, je la veux +maintenir quant à cela.... Si j'étais en jugement et voyais allumer +les bourrées, et le bourreau prêt de bouter le feu, et moi étant dans +le feu, je n'en dirais autre chose et soutiendrais ce que j'ai dit au +procès jusqu'à la mort. + +Sur ces paroles, l'évêque déclara les débats clos et remit au +lendemain le prononcé de la sentence[829]. + +[Note 829: _Procès_, t. I, pp. 441-442.] + +Le lendemain, jeudi après la Pentecôte, 24 mai, Jeanne fut visitée de +bon matin, en sa prison, par maître Jean Beaupère qui l'avertit +qu'elle serait tantôt conduite à l'échafaud pour être prêchée. + +--Si vous êtes bonne chrétienne, fit-il, vous direz que vous soumettez +tous vos faits et dits à notre sainte mère l'Église et spécialement +aux juges ecclésiastiques. + +Maître Jean Beaupère crut entendre qu'elle répondit: + +--Ainsi ferai-je[830]. + +[Note 830: _Ibid._, t. II, p. 21.] + +Si telle fut sa réponse, c'est qu'elle avait été brisée par une nuit +d'angoisse, et que sa chair se troublait à la pensée de mourir par le +feu. + +Au moment du départ, comme elle était debout près d'une porte, maître +Nicolas Loiseleur lui donna les mêmes avis et, pour la mieux engager à +les suivre, il lui fit une fausse promesse: + +--Jeanne, croyez-moi, dit-il. Il ne tient qu'à vous d'être sauvée. +Prenez l'habit de votre sexe et faites ce qu'on décidera. Autrement +vous êtes en péril de mort. Si vous faites ce que je vous dis, il vous +en arrivera tout bien et aucun mal. Vous serez mise entre les mains de +l'Église[831]. + +[Note 831: _Procès_, t. III, p. 146.--De Beaurepaire, _Notes sur +les juges_, pp. 445 et suiv.] + +On la mena en charrette, sous escorte, dans le quartier de la ville +nommé Bourg-l'Abbé, qui était au pied du château, et l'on s'arrêta à +trois ou quatre cents tours de roue, dans le cimetière Saint-Ouen, dit +aussi les _aîtres Saint-Ouen_, où chaque année, à la fête du patron de +l'abbaye, se tenait une foire très fréquentée[832]. C'est là que +Jeanne devait être prêchée, comme tant d'autres malheureuses l'avaient +été avant elle. On donnait de préférence ces spectacles exemplaires +dans les lieux où le peuple y pût assister en foule. Une église +paroissiale s'élevait depuis cent ans, au bord de ce vaste charnier +que fermait, au midi, la haute nef de l'abbatiale. Deux échafauds +avaient été dressés[833], l'un grand et l'autre petit, contre le beau +vaisseau de l'église, à l'ouest du portail qu'on nommait _portail des +Marmousets_, à cause d'une multitude de petites figures qui y étaient +sculptées[834]. + +[Note 832: _Ibid._, t. II, p. 351.] + +[Note 833: _Ibid._, t. III, p. 54.] + +[Note 834: De Beaurepaire, _Notes sur le cimetière de Saint-Ouen +de Rouen_, dans _Précis analytique des travaux de l'Académie de +Rouen_, 1875-1876, pp. 211, 230, plan.--U. Chevalier, _L'abjuration de +Jeanne d'Arc et l'authenticité de sa formule_, p. 44.--A. Sarrazin, +_Jeanne d'Arc et la Normandie_, p. 351.] + +Sur le grand échafaud les deux juges, le seigneur évêque et le vicaire +inquisiteur, prirent place, assistés du révérendissime cardinal de +Winchester, des seigneurs évêques de Thérouanne, de Noyon et de +Norwich, des seigneurs abbés de Fécamp, de Jumièges, du Bec, de +Cormeilles, du Mont-Saint-Michel-au-péril-de-la-mer, de Mortemart, de +Préaux et de Saint-Ouen de Rouen, où se faisait l'assemblée, des +prieurs de Longueville et de Saint-Lô, ainsi que d'une foule de +docteurs et de bacheliers en théologie, de docteurs et de licenciés en +l'un et l'autre droit[835]; et il se trouvait là encore beaucoup de +personnages considérables du parti des Anglais. L'autre échafaud était +une sorte d'ambon, où monta le docteur qui devait prêcher Jeanne, +selon l'usage de la sainte inquisition. C'était maître Guillaume +Erard, docteur en théologie, chanoine des églises de Langres et de +Beauvais[836]. Très pressé, pour l'heure, d'aller en Flandre où il +était attendu, il confia à frère Jean de Lenisoles, son jeune +serviteur, que cette prédication lui causait grand déplaisir. «Je +voudrais bien être en Flandre, disait-il. Cette affaire m'est fort +désagréable[837].» + +[Note 835: _Procès_, t. I, pp. 442, 444.--O'Reilly, _Les deux +procès_, t. I, pp. 70-93.] + +[Note 836: De Beaurepaire, _Notes sur les juges_, pp. 402, 408.] + +[Note 837: _Procès_, t. III, p. 113.] + +Il y avait pourtant un endroit par lequel elle devait lui agréer, +puisqu'elle lui donnait lieu d'attaquer le roi de France, Charles +VII, et de montrer de la sorte son dévouement aux Anglais; car il leur +était fort attaché. + +On fit paraître à côté de lui, devant le peuple, Jeanne en habit +d'homme[838]. + +[Note 838: _Procès_, t. I, pp. 469-470.] + +Maître Guillaume Erard commença son sermon de cette manière: + +«Je prendrai pour thème cette parole de Dieu en Saint-Jean, chapitre +XV: «La branche ne peut porter de fruits d'elle-même si elle ne +demeure attachée à la vigne[839].» C'est ainsi que tous les +catholiques doivent rester attachés à la vraie vigne de notre sainte +mère l'Église, que la main de Notre-Seigneur Jésus-Christ a plantée. +Or, Jeanne que voici, tombant d'erreur en erreur et de crime en crime, +s'est séparée de l'unité de notre sainte mère l'Église et a scandalisé +en mille manières le peuple chrétien.» + +[Note 839: _Ibid._, t. I, p. 444.--E. Richer, _Histoire manuscrite +de la Pucelle d'Orléans_, liv. I, fol. 8; liv. II, fol. 198 vº.] + +Puis il lui reprocha d'avoir beaucoup failli, d'avoir péché contre la +Majesté royale, et contre Dieu et la foi catholique, toutes choses +dont elle devait désormais se garder sous peine d'être brûlée. + +Il s'éleva véhémentement contre l'orgueil de cette femme; il dit qu'il +n'y avait jamais eu en France de monstre comme celui qui s'était +manifesté en Jeanne; qu'elle était sorcière, hérétique, schismatique, +et que le roi, qui la protégeait, encourait les mêmes reproches, du +moment qu'il voulait recouvrer son trône par le moyen d'une semblable +hérétique[840]. + +[Note 840: _Procès_, t. III, p. 61.] + +Vers le milieu de son sermon, il commença à s'écrier à haute voix: + +--Ah! tu es bien abusée, noble maison de France, toi qui as été la +maison très chrétienne! Charles, qui se dit roi et de toi gouverneur, +a adhéré, comme hérétique et schismatique, aux paroles et actes d'une +femme malfaisante, diffamée et de tout déshonneur pleine. Et non pas +lui seulement, mais tout le clergé de son obéissance et seigneurie par +lequel cette femme, suivant son dire, a été examinée et n'a point été +reprise. C'est grande pitié[841]! + +[Note 841: _Ibid._, t. II, pp. 15, 17.] + +Maître Guillaume répéta deux ou trois fois les mêmes propos sur le roi +Charles. Puis, s'adressant à Jeanne, il dit en levant le doigt: + +--C'est à vous, Jeanne, que je parle; et je vous dis que votre roi est +hérétique et schismatique. + +Ces paroles offensaient cruellement Jeanne en son amour pour les lis +de France et pour le roi Charles. Il se fit en elle un grand émoi, et +elle entendit ses Voix qui lui disaient: + +--Réponds hardiment à ce prêcheur qui te prêche[842]. + +[Note 842: _Ibid._, t. I, pp. 456-457.--U. Chevalier, +_L'abjuration de Jeanne d'Arc_, pp. 46-47.] + +Leur obéissant de bon coeur, elle interrompit maître Guillaume: + +--Par ma foi, messire, lui dit-elle, révérence gardée, je vous ose +bien dire et jurer, sous peine de ma vie, que c'est le plus noble +chrétien de tous les chrétiens, et qui le mieux aime la foi et +l'Église, et n'est point tel que vous dites[843]. + +[Note 843: _Procès_, t. II, pp. 15, 17, 335, 345, 353, 367.] + +Maître Guillaume donna ordre à l'huissier Jean Massieu de la faire +taire[844]. Puis il acheva son sermon, et conclut en ces termes: + +--Jeanne, voici messeigneurs les juges qui plusieurs fois vous ont +sommée et requise que vous voulussiez soumettre tous vos faits et dits +à notre sainte mère l'Église. Et en ces dits et faits étaient +plusieurs choses, lesquelles, comme il semblait aux clercs, n'étaient +bonnes à dire et à soutenir[845]. + +[Note 844: _Ibid._, t. II, p. 14.] + +[Note 845: _Ibid._, t. I, pp. 444-445.] + +--Je vous répondrai, fit Jeanne. + +Sur l'article de la soumission à l'Église, elle rappela qu'elle avait +demandé que toutes les oeuvres qu'elle avait faites et ses dits +fussent envoyés à Rome devers notre Saint-Père le Pape, auquel, Dieu +premier, elle se rapportait. + +Elle ajouta: + +--Et quant aux dits et faits que j'ai faits, je les ai faits de par +Dieu[846]. + +[Note 846: _Ibid._, t. I, p. 445.] + +Et elle déclara qu'elle n'entendait pas qu'on envoyât son procès au +Pape, pour l'en faire juge. + +--Je ne veux pas, dit-elle, que la chose se passe ainsi. Je ne sais +pas ce que vous mettriez dans le procès. Je veux être menée au Pape et +qu'il m'interroge[847]. + +[Note 847: _Procès_, t. II, p. 358.] + +On la poussait à charger son roi. On y perdit sa peine. + +--De mes faits et dits je ne charge personne quelconque, ni mon roi ni +autre. Et, s'il y a quelque faute, c'est à moi et non à autre[848]. + +[Note 848: _Ibid._, t. I, p. 445.] + +--Voulez-vous révoquer tous vos dits et faits? Vos faits et dits que +vous avez faits, qui sont réprouvés par les clercs, voulez-vous les +révoquer? + +--Je m'en rapporte à Dieu et à notre Saint-Père le Pape. + +--Mais cela ne suffit pas. On ne peut aller quérir notre Saint-Père si +loin. Les ordinaires sont juges chacun en son diocèse. Ainsi, il est +besoin que vous vous en rapportiez à notre mère sainte Église, et que +vous teniez pour vrai ce que les clercs et les gens qui s'y +connaissent disent et ont déterminé au sujet de vos dits et +faits[849]. + +[Note 849: _Ibid._, t. I, pp. 445-446.] + +Admonestée jusqu'à la troisième monition, Jeanne refusa +d'abjurer[850]. Elle attendait avec confiance la délivrance promise +par ses Voix, certaine que tout à coup viendraient des hommes d'armes +de France et que, dans un grand tumulte de gens de guerre et d'anges, +elle serait enlevée. C'est pour cela qu'elle avait tant voulu garder +son habit d'homme. + +[Note 850: _Ibid._, t. I, p. 446.] + +Deux sentences avaient été préparées, l'une pour le cas où la coupable +abjurerait son erreur, l'autre pour le cas où elle y persévérerait. La +première relevait Jeanne de l'excommunication; par la seconde, le +tribunal, déclarant qu'il ne pouvait plus rien pour elle, +l'abandonnait au bras séculier. Le seigneur évêque les avait toutes +deux sur lui[851]. + +[Note 851: _Procès_, t. III, p. 146.] + +Il prit la seconde et commença de lire. + +«Au nom du Seigneur, ainsi soit-il. Tous les pasteurs de l'Église qui +ont à coeur de prendre un soin fidèle de leur troupeau...» + +Pendant cette lecture, les clercs qui se tenaient autour de Jeanne la +pressaient d'abjurer tandis qu'il en était temps encore. Maître +Nicolas Loiseleur l'exhortait à faire ce qu'il lui avait recommandé et +à prendre un habit de femme. + +Maître Guillaume Erard lui disait: + +Faites ce qu'on vous conseille et vous serez délivrée de prison[852]. + +[Note 852: _Ibid._, t. II, pp. 17, 331; t. III, pp. 52, 156.] + +Les Voix montaient vers elle, instantes. + +--Jeanne, nous avons si grande pitié de vous! Il faut que vous +révoquiez ce que vous avez dit ou que nous vous abandonnions à la +justice séculière.... Jeanne, faites ce qu'on vous conseille. +Voulez-vous vous faire mourir[853]? + +[Note 853: _Procès_, t. III, p. 123.] + +La sentence était longue; le seigneur évêque la lisait lentement: + +.................................................................... +«Nous, juges, ayant devant les yeux le Christ et l'honneur de la foi +orthodoxe, afin que notre jugement émane de la face du Seigneur, nous +disons et décrétons que tu as été mensongère, inventrice de +révélations et apparitions prétendues divines; séductrice, +pernicieuse, présomptueuse, légère en ta foi, téméraire, +superstitieuse, devineresse, blasphématrice envers Dieu, les saints et +les saintes; contemptrice de Dieu même dans ses sacrements, +prévaricatrice de la loi divine, de la doctrine sacrée et des +sanctions ecclésiastiques, séditieuse, cruelle, apostate, +schismatique, engagée en mille erreurs contre notre foi, et à toutes +ces enseignes, témérairement coupable envers Dieu et la sainte +Église[854].» + +[Note 854: _Ibid._, t. I, pp. 473, 475.] + +.................................................................... +Le temps s'écoulait. Le seigneur évêque avait déjà lu la plus grande +partie de la sentence[855]. Le bourreau était là, tout prêt à emmener +la condamnée dans sa charrette[856]. + +[Note 855: _Ibid._, t. I, p. 473 note.] + +[Note 856: _Ibid._, t. III, pp. 65, 147, 149, 273.--De +Beaurepaire, _Recherches sur le procès_, p. 358.] + +Jeanne cria, les mains jointes, qu'elle voulait bien obéir à +l'Église[857]. + +[Note 857: _Procès_, t. II, p. 323.] + +Le juge interrompit la lecture de la sentence. + +À ce moment, une rumeur courut dans la foule composée en grande partie +d'hommes d'armes anglais et d'officiers du roi Henri. Ignorants des +usages de l'inquisition qui n'avait point été admise dans leur pays, +ces Godons ne comprenaient rien à ce qui se passait, sinon que la +sorcière était sauve; et comme ils estimaient la mort de Jeanne +nécessaire à l'Angleterre, ils s'indignaient des étranges façons +d'agir du seigneur évêque et des docteurs. Ce n'était point ainsi que, +dans leur île, on en usait avec les sorcières; on les brûlait sans +miséricorde, et tôt. Des murmures irrités s'élevèrent; quelques +pierres furent lancées aux clercs du procès[858]; maître Pierre +Maurice, qui mettait un grand zèle à affermir Jeanne dans ses bons +propos, fut menacé, et peu s'en fallut que des coués ne lui fissent un +mauvais parti[859]; maître Jean Beaupère et les délégués de +l'Université de Paris reçurent leur part d'outrages; on les accusait +de favoriser les erreurs de Jeanne[860]. Qui savait mieux qu'eux +l'injustice de ces reproches? + +[Note 858: _Ibid._, t. II, pp. 137, 376.] + +[Note 859: _Ibid._, t. II, p. 356; t. III, pp. 157, 178.] + +[Note 860: _Ibid._, t. II, p. 55.] + +Quelques-uns des hauts personnages assis sur l'estrade à côté des +juges se plaignirent au seigneur évêque de ce qu'il n'allait pas au +bout de la sentence et admettait Jeanne à résipiscence. + +Même il fut injurieusement traité, car on l'entendit qui s'écriait: + +--Vous me le payerez. + +Il menaçait de suspendre le procès. + +--Je viens d'être insulté, disait-il. Je ne procéderai pas plus avant +jusqu'à ce qu'il m'ait été fait amende honorable[861]. + +[Note 861: _Procès_, t. III, pp. 90, 147, 156.] + +Dans le tumulte, maître Guillaume Erard, dépliant une feuille de +papier double, lut à Jeanne la cédule d'abjuration libellée au moment +où l'on avait recueilli l'opinion des maîtres. Elle n'était pas plus +longue qu'un _Pater_, et comprenait six à sept lignes d'écriture. +Rédigée en français, elle commençait par ces mots: «Je, Jeanne...» La +Pucelle s'y soumettait à la détermination, au jugement et aux +commandements de l'Église; reconnaissait avoir commis le crime de +lèse-majesté et séduit le peuple. Elle s'engageait à ne plus porter +les armes ni l'habit d'homme, ni les cheveux taillés en rond[862]. + +[Note 862: _Ibid._, t. III, pp. 52, 65, 132, 156, 197.] + +Quand maître Guillaume eut lu la cédule, Jeanne déclara qu'elle ne +comprenait pas ce qu'il voulait dire et que là-dessus elle avait +besoin d'être avisée[863]. On l'entendit qui demandait conseil à +saint Michel[864]. Elle croyait encore fidèlement à ses Voix, qui +pourtant ne l'avaient point aidée en cette cruelle nécessité, et qui +ne lui épargnaient pas la honte de les renier, car, si simple qu'elle +était, elle savait bien au fond ce que les clercs lui demandaient et +qu'ils ne la laisseraient pas aller sans avoir obtenu d'elle un grand +renoncement. Et ce qu'elle en disait n'était plus que pour gagner du +temps et parce que, ayant peur de la mort, cependant elle ne pouvait +se résoudre à mentir. + +[Note 863: _Ibid._, t. III, pp. 156, 157.] + +[Note 864: _Procès_, t. II, p. 323.] + +Sans perdre un instant, maître Guillaume dit à messire Jean Massieu +l'huissier: + +--Conseillez-la pour cette abjuration. + +Et il lui passa la cédule. + +Messire Jean Massieu s'excusa d'abord; puis il avertit Jeanne du péril +où elle se mettrait par son refus. + +--Comprenez bien, lui dit-il, que, si vous allez à rencontre d'aucuns +de ces articles, vous serez brûlée. Je vous conseille de vous en +rapporter à l'Église universelle si vous devez abjurer ces articles ou +non. + +Maître Guillaume Erard demanda à Jean Massieu: + +--Eh bien, que lui dites-vous? + +Jean Massieu répondit: + +--Je fais connaître à Jeanne le texte de la cédule et je l'invite à +signer. Mais elle déclare qu'elle ne saurait. + +À ce moment Jeanne, qu'on pressait toujours de signer, dit à haute +voix: + +--Je veux que l'Église délibère sur les articles. Je m'en rapporte à +l'Église universelle si je les dois abjurer ou non. Que la cédule soit +lue par l'Église et par les clercs aux mains desquels je dois être +placée. Si leur avis est que je doive la signer et faire ce qui m'est +dit, je le ferai volontiers. + +Maître Guillaume Erard répliqua vivement: + +--Faites-le maintenant, sinon vous serez brûlée aujourd'hui même. + +Et il défendit à Jean Massieu de conférer davantage avec elle. + +Jeanne dit alors qu'elle aimait mieux signer que d'être brûlée[865]. + +[Note 865: _Procès_, t. II, p. 331; t. III, p. 156.] + +Tout de suite, messire Jean Massieu lui donna une seconde lecture de +la cédule. Elle répétait les mots à mesure que l'huissier les +prononçait[866]. Soit qu'il passât sur sa face contractée par des +émotions violentes une sorte de ricanement, soit que sa raison, +sujette de tous temps à des troubles étranges, eût sombré dans les +affres et les tortures d'un procès d'Église et qu'elle ressentît +vraiment, après tant de douleurs, les lugubres joies de la folie; soit +que, au contraire, en son bon sens et d'esprit rassis, elle se moquât +des clercs de Rouen, comme elle en était bien capable après s'être +moquée des clercs de Poitiers, elle avait l'air de plaisanter et l'on +remarquait dans l'assistance qu'elle prononçait en riant les mots de +son abjuration[867]. Parmi ces bourgeois, ces prêtres, ces artisans et +ces hommes d'armes qui voulaient sa mort, sa gaieté apparente ou +réelle excita des colères. Force gens disaient: «C'est une pure +trufferie. Jeanne n'a fait que se moquer[868].» + +[Note 866: _Ibid._, t. III, pp. 156, 197.] + +[Note 867: _Procès_, t. II, p. 338; t. III, p. 147.] + +[Note 868: _Ibid._, t. III, pp. 55, 143.] + +Maître Laurent Calot, secrétaire du roi d'Angleterre, se montrait des +plus agités. On le voyait à la fois près des juges et près de +l'accusée, très violent. Un seigneur de Picardie qui se trouvait là, +celui-là même qui dans le château de Beaurevoir avait essayé des +mignardises avec la prisonnière, crut remarquer que cet Anglais +faisait signer de force un papier à Jeanne[869]. Il se trompait; il y +a toujours dans les foules des gens pour voir les choses de travers: +l'évêque n'eût rien souffert de pareil; il était à la dévotion du +Régent, mais sur les formes il ne cédait point. Cependant, sous une +tempête d'injures, sous une grêle de pierres, dans le cliquetis des +épées, les insignes maîtres, les illustres docteurs pâlissaient. Le +prieur de Longueville guettait le moment de s'excuser auprès de +monseigneur le cardinal de Winchester[870]. + +[Note 869: _Ibid._, t. III, p. 123.] + +[Note 870: _Ibid._, t. II, p. 361.--J. Quicherat, _Aperçus +nouveaux_, p. 135.] + +Un chapelain du cardinal interpella vivement, sur l'estrade, le +seigneur évêque. + +--Vous faites mal d'accepter une abjuration pareille, c'est une +dérision. + +--Vous mentez, répliqua messire Pierre. Juge en cause de foi, je dois +plutôt chercher le salut de cette femme que sa mort. + +Le cardinal fit taire son chapelain[871]. + +[Note 871: _Procès_, t. III, pp. 147, 156.] + +On rapporte que le comte de Warwick, s'avançant vers les juges, se +plaignit à eux de ce qu'ils avaient fait et ajouta: + +--Le roi est mal servi, puisque Jeanne échappe. + +Et l'on assure que l'un d'eux répondit: + +--Messire, n'ayez cure; nous la rattraperons bien[872]. + +[Note 872: _Ibid._, t. II, p. 376.] + +Il est peu croyable qu'il s'en soit trouvé un seul pour le dire; mais, +sans doute, plusieurs, dès ce moment, le pensaient. + +Quel mépris devait éprouver l'évêque de Beauvais pour ces esprits +obtus, incapables de comprendre le service qu'il rendait à la vieille +Angleterre en obligeant cette fille à reconnaître que tout ce qu'elle +avait déclaré et soutenu à l'honneur de son roi n'était que mensonge +et illusion. + +Avec une plume que Massieu lui tendit, Jeanne fit une croix au bas de +la cédule[873]. + +[Note 873: _Ibid._, t. II, p. 17; t. III, p. 164.] + +Monseigneur de Beauvais lut, au milieu des grognements et des +jurements des Anglais, la sentence la plus miséricordieuse. Par cette +sentence, Jeanne était relevée de l'excommunication, réconciliée avec +notre sainte mère l'Église[874]. + +[Note 874: _Procès_, t. I, p. 450.] + +De plus la sentence portait: + +.................................................................... +«... Parce que tu as péché témérairement envers Dieu et envers la +sainte Église, nous, juges, pour que tu fasses une pénitence +salutaire, notre clémence et notre modération étant sauves, nous te +condamnons finalement et définitivement à la prison perpétuelle, avec +le pain de douleur et l'eau d'angoisse, de telle sorte que là tu +pleures tes fautes et n'en commettes plus qui soient à pleurer[875].» + +[Note 875: _Ibid._, t. I, p. 452.] + +.................................................................... +Cette peine, comme toutes les autres peines, excepté la mort et la +mutilation des membres, était dans les pouvoirs des juges d'Église et +ils la prononçaient si fréquemment que, dans les premiers temps de la +sainte inquisition, les pères du concile de Narbonne disaient que les +pierres et le mortier allaient manquer avec l'argent[876]. C'était une +peine, sans doute, mais une peine qui différait par son caractère et +sa signification des peines infligées par la justice laïque; c'était +une pénitence. Selon la justice ecclésiastique, toute miséricordieuse, +la prison était un lieu favorable où le condamné faisait, en mangeant +le pain de douleur et en buvant l'eau de tribulation, une pénitence +perpétuelle. Insensé celui qui, refusant d'y entrer ou s'en échappant, +rejetait cette médecine salutaire! Il s'évadait ainsi du doux tribunal +de la pénitence, et l'Église, avec tristesse, le retranchait de la +communion des fidèles. En prononçant cette peine, qu'un bon catholique +devait nommer plutôt un bien, monseigneur l'évêque et monseigneur le +sacré vicaire de l'inquisition se conformaient à l'usage de notre +sainte mère l'Église dans sa réconciliation avec les hérétiques. Mais +étaient-ils en état de faire exécuter leur sentence? La prison à +laquelle ils avaient condamné Jeanne, la prison expiatoire, +l'emmurement salutaire, c'était la chartre d'église, les cachots de +l'officialité. Pouvaient-ils l'y placer? + +[Note 876: L. Tanon, _Tribunaux de l'inquisition_, p. 454.] + +Jeanne, se tournant vers eux, leur dit: + +--Or ça, entre vous gens d'Église, menez-moi en vos prisons et que je +ne sois plus entre les mains des Anglais[877]. + +[Note 877: _Procès_, t. II, p. 14.] + +Plusieurs de ces clercs le lui avaient promis[878]; ils l'avaient +trompée; ils savaient que ce n'était pas possible, les gens du roi +d'Angleterre ayant stipulé de reprendre Jeanne après le procès[879]. + +[Note 878: _Ibid._, t. III, p. 52, 149.] + +[Note 879: _Ibid._, t. I, p. 19.] + +Le seigneur évêque donna cet ordre: + +--Menez-la où vous l'avez prise[880]. + +[Note 880: _Ibid._, t. II, p. 14.] + +Juge d'Église, il commettait le crime de livrer sa fille réconciliée, +sa fille pénitente, à des laïques parmi lesquels elle ne pourrait +pleurer ses péchés, et qui, en haine de son corps, au mépris de son +âme, la devaient tenter et faire retomber dans sa faute. + +Tandis que Jeanne était ramenée en charrette à la tour sur les champs, +les soldats l'insultaient et leurs chefs les laissaient faire[881]. + +[Note 881: _Procès_, t. II, p. 376.] + +Cependant, le vicaire inquisiteur, assisté de plusieurs docteurs et +maîtres, se rendit dans la prison et exhorta Jeanne charitablement. +Elle promit de mettre des vêtements de femme et se laissa raser la +tête[882]. + +[Note 882: _Ibid._, t. I, pp. 452-453.] + +Madame la duchesse de Bedford, sachant que Jeanne était vierge, +veillait à ce qu'elle fût traitée avec respect[883]. Comme naguère les +dames de Luxembourg, elle s'efforçait de lui faire reprendre les +habits de son sexe. Elle lui avait fait faire, par un tailleur nommé +Jeannotin Simon, une robe que Jeanne avait jusque-là refusé de mettre. +Jeannotin apporta le vêtement féminin à la prisonnière qui, cette +fois, ne le refusa pas. En le lui passant, Jeannotin lui prit +doucement le sein. Elle se fâcha et lui donna un soufflet[884]. + +[Note 883: _Ibid._, t. III, p. 155.] + +[Note 884: _Ibid._, t. III, p. 89.] + +Au surplus, elle consentit à porter la robe donnée par la duchesse. + + + + +CHAPITRE XIV + +LA CAUSE DE RELAPSE.--SECONDE SENTENCE.--MORT DE LA PUCELLE. + + +Le dimanche suivant, dimanche de la Trinité, une rumeur court du +château jusqu'aux ruelles où les clercs avaient leurs maisons pointues +dans l'ombre de la cathédrale: «Jeanne a repris l'habit d'homme.» +Aussitôt notaires et assesseurs se rendent à la tour du côté des +champs. Une centaine d'hommes d'armes, qui se trouvaient dans le +bayle, les accueillent par des vociférations et des menaces. Ces +trognes ne comprennent pas encore que les juges ont conduit le procès +à l'honneur de la vieille Angleterre et à la honte des Français, +puisqu'ils ont amené la Pucelle des Armagnacs, pourtant si opiniâtre +dans ses dires, à confesser ses impostures et qu'on sait maintenant, +par le monde, que Charles de Valois fut mené à son sacre par une +hérétique. Mais non! ces brutes n'auront de cesse qu'ils ne voient +brûler une pauvre fille prisonnière, qui leur a fait peur. Ils +traitent les docteurs et maîtres de faux traîtres, de faux conseillers +et d'Armagnacs[885]. + +[Note 885: _Procès_, t. II, p. 14; t. III, p. 148.] + +Maître André Marguerie, bachelier en décrets, archidiacre de +Petit-Caux, conseiller du roi[886], s'enquiert, dans le bayle, de ce +qui est arrivé. Il s'était montré fort assidu au procès de la Pucelle, +qu'il jugeait une fille très rusée[887]; encore voulait-il apprécier +en connaissance de cause. + +[Note 886: De Beaurepaire, _Notes sur les juges_, pp. 82 et suiv.] + +[Note 887: _Procès_, t. II, p. 354.] + +--Ce n'est pas tout que de voir Jeanne vêtue de l'habit d'homme, +dit-il. Il faut en outre connaître les motifs qui le lui ont fait +reprendre. + +Maître André Marguerie était un orateur habile, une des lumières du +concile de Constance; mais, un homme d'armes ayant levé contre lui sa +hache, en lui criant: «Traître, Armagnac!», il ne demanda plus rien et +s'alla mettre au lit, très malade[888]. + +[Note 888: _Ibid._, t. III, pp. 158, 180.] + +Ces clercs inflexibles, qui tenaient tête aux rois et faisaient la +leçon au pape, craignaient les coups. On ne procéda pas judiciairement +ce jour-là, de peur des horions et par égard pour la solennité du +jour. + +Le lendemain, lundi 28, monseigneur de Beauvais et le vicaire +inquisiteur, accompagnés de plusieurs docteurs et maîtres, se +rendirent au château. Messire Guillaume Manchon, le greffier, y fut +mandé. Sa couardise était telle, qu'il ne se risqua que sous la +conduite d'un homme d'armes du comte de Warwick[889]. Ils trouvèrent +Jeanne vêtue de l'habit d'homme, gippon et robe courte; un chaperon +couvrait sa tête rasée. Elle avait le visage plein de larmes et +défiguré par une horrible douleur[890]. + +[Note 889: _Procès_, t. I, p. 454.] + +[Note 890: _Ibid._, t. II, p. 5.--La déposition d'Isambart +s'applique à ce jour du 28.] + +On lui demanda quand et pourquoi elle avait repris cet habit. + +Elle répondit: + +--J'ai naguère repris l'habit d'homme et laissé l'habit de femme. + +--Pourquoi l'avez-vous pris et qui vous l'a fait prendre? + +--Je l'ai pris de ma volonté, sans nulle contrainte. J'aime mieux +l'habit d'homme que de femme. + +--Vous aviez promis et juré de ne point reprendre l'habit d'homme. + +--Oncques n'entendis que j'eusse fait serment de ne le point prendre. + +--Pour quelle cause l'avez-vous repris? + +--Pour ce qu'il m'est plus licite de le reprendre et avoir habit +d'homme, étant entre les hommes, que d'avoir habit de femme... Je l'ai +repris pour ce qu'on ne m'a point tenu ce qu'on m'avait promis, c'est +à savoir que j'irais à la messe et recevrais mon Sauveur, et qu'on me +mettrait hors de fers. + +--Avez-vous abjuré mêmement de ne pas reprendre cet habit? + +--J'aime mieux à mourir que d'être aux fers. Mais si on me veut +laisser aller à la messe et ôter hors des fers, et mettre en prison +gracieuse, et que j'aie une femme, je serai bonne et ferai ce que +l'Église voudra. + +--Depuis jeudi n'avez-vous point ouï vos Voix? + +--Oui. + +--Que vous ont-elles dit? + +--Elles m'ont dit que Dieu m'a mandé par saintes Catherine et +Marguerite la grande pitié de la trahison que je consentis en faisant +l'abjuration et révocation pour sauver ma vie, et que je me damnais +pour sauver ma vie. Avant jeudi mes Voix m'avaient dit ce que je +ferais, et ce que je fis ce jour. Mes Voix me dirent, en l'échafaud, +que je répondisse à ce prêcheur hardiment. C'est un faux prêcheur. Il +a dit plusieurs choses que je n'ai point faites. Si je disais que Dieu +ne m'a envoyée, je me damnerais. Vrai est que Dieu m'a envoyée. Mes +Voix m'ont dit depuis que j'avais fait grande mauvaiseté de confesser +que je n'eusse point bien fait. De peur du feu, j'ai dit ce que j'ai +dit[891]. + +[Note 891: _Procès_, t. I, pp. 455-456.] + +Ainsi parla Jeanne, douloureusement. Dès lors que deviennent ces +propos de cloître et de sacristie, ces histoires de viols rapportés +plus tard par un greffier et deux religieux[892]? Et comment messire +Massieu nous fera-t-il croire que Jeanne, ne trouvant pas ses jupes, +qu'on lui avait ôtées, passa des chausses pour aller à la selle, ne +voulant pas se montrer nue devant ses gardiens[893]? La vérité est +tout autre, et c'est Jeanne qui la confesse avec courage et +simplicité. Elle se repentait de son abjuration, comme du plus grand +péché qu'elle eût fait en sa vie, elle ne se pardonnait pas d'avoir +menti de peur de mourir. Ses Voix qui, avant le prêche de Saint-Ouen, +lui avaient prédit qu'elle les renierait, vinrent lui dire «la grande +pitié de sa trahison». Pouvaient-elles parler autrement, puisqu'elles +étaient les voix de son coeur? Et Jeanne pouvait-elle ne pas les +entendre comme elle les avait entendues chaque fois qu'elles lui +avaient conseillé le sacrifice et l'offre d'elle-même? Elle avait +repris l'habit d'homme pour rentrer dans l'obéissance de son Conseil +céleste, parce qu'elle ne voulait pas racheter sa vie en reniant +l'ange et les saintes, et parce qu'enfin, de corps et de consentement, +elle abjurait son abjuration. + +[Note 892: _Procès_, t. II, pp. 5, 8, 365; t. III, pp. 148-149.] + +[Note 893: _Ibid._, t. II, p. 18.] + +Cela, toutefois, reste à la charge des Anglais, qu'ils lui avaient +laissé ses habits d'homme. Il y aurait eu plus d'humanité à les lui +prendre, puisqu'elle ne pouvait les remettre sans se faire mourir. On +les lui avait enveloppés dans un sac[894]. Et même ses gardiens +peuvent-ils être soupçonnés de l'avoir tentée en lui plaçant sous les +yeux ces hardes auxquelles elle attachait des idées heureuses. Le peu +de bien qu'elle avait en ce monde et jusqu'à sa pauvre bague de +laiton, on lui avait tout ôté; on ne lui laissait que cet habit, qui +était sa mort. + +[Note 894: _Procès_, t. II, p. 18.] + +Cela encore reste à la charge des juges ecclésiastiques, qu'ils ne +devaient pas la condamner à la prison, s'ils prévoyaient qu'ils ne la +pourraient mettre aux prisons d'Église, ni lui ordonner une pénitence +qu'ils savaient qu'ils ne pourraient lui infliger. Cela reste à la +charge de l'évêque de Beauvais et du vice-inquisiteur qu'après avoir, +pour le bien de cette âme pécheresse, prescrit le pain d'amertume et +l'eau d'angoisse, ils ne lui donnèrent ni cette eau ni ce pain, mais +la livrèrent déshonorée à ses cruels ennemis. + +En prononçant ces paroles: «Dieu m'a mandé par saintes Catherine et +Marguerite la grande pitié de la trahison que je consentis», Jeanne +consomma le sacrifice de sa vie[895]. + +[Note 895: «Responsio mortifera», écrit le notaire Boisguillaume +dans la marge de sa minute. _Procès_, t. I, pp. 456-457.] + +L'évêque et l'inquisiteur n'avaient plus qu'à procéder conformément à +la loi. Pourtant l'interrogatoire dura quelques instants encore. + +--Croyez-vous que vos Voix soient sainte Marguerite et sainte +Catherine? + +--Oui, et de Dieu. + +--Dites-nous la vérité touchant la couronne. + +--De tout je vous ai dit la vérité au procès, le mieux que j'ai su. + +--En l'échafaud, devant nous juges et autres, devant le peuple, quand +vous avez abjuré, vous avez reconnu que vous vous étiez vantée +mensongèrement que ces Voix étaient celles des saintes Catherine et +Marguerite. + +--Je ne l'entendais point ainsi faire ou dire. Je n'ai point dit ou +entendu révoquer mes apparitions, c'est à savoir que ce fussent +saintes Marguerite et Catherine. Et tout ce que j'ai fait, c'est de +peur du feu et n'ai rien révoqué que ce ne soit contre la vérité. +J'aime mieux faire ma pénitence en une fois, c'est à savoir à mourir, +qu'endurer plus longuement peine en chartre. Je ne fis oncques chose +contre Dieu ou la foi, quelque chose qu'on m'ait fait révoquer. Ce qui +était en la cédule de l'abjuration, je ne l'entendais point. Alors, je +n'en entendais point révoquer quelque chose, à moins qu'il ne plût à +Notre-Seigneur. Si les juges veulent, je reprendrai habit de femme. +Pour le reste, je n'en ferai autre chose[896]. + +[Note 896: _Procès_, t. I, pp. 456-458.] + +Sortant de la prison, monseigneur de Beauvais rencontra le comte de +Warwick en nombreuse compagnie; il lui dit, moitié en anglais moitié +en français: «_Farewell_. Faites bonne chère.» On veut qu'il ait +ajouté en riant: «C'est fait! Elle est prise[897].» Tout cela sans +doute était son oeuvre, mais il n'est pas sûr qu'il ait ri. + +[Note 897: _Procès_, t. II, pp. 5, 8, 305.] + +Le lendemain, mardi 29, il réunit le tribunal dans la chapelle de +l'archevêché. Les quarante-deux assesseurs présents furent instruits +de ce qui s'était passé la veille et invités à donner leur avis, qui +ne pouvait être douteux[898]. Tout hérétique qui rétractait sa +confession était tenu pour parjure, non seulement impénitent, mais +relaps. Et les relaps étaient abandonnés au bras séculier[899]. + +[Note 898: _Ibid._, t. I, pp. 459, 467.] + +[Note 899: Bernard Gui, _Pratique_, IIIe part., p. 144.--L. Tanon, +_Tribunaux de l'inquisition_, pp. 464 et suiv.] + +Maître Nicolas de Venderès, chanoine, archidiacre, opina le premier: + +--Jeanne est et doit être censée hérétique. Il faut la laisser à la +justice séculière[900]. + +[Note 900: _Procès_, t. I, pp. 462-463.] + +Le seigneur abbé de Fécamp s'exprima en ces termes: + +--Jeanne est relapse. Toutefois, il est bon que la cédule, qui lui a +été lue, lui soit relue encore une fois et, qu'en même temps, on lui +rappelle la parole de Dieu. La sentence une fois portée par les juges, +il faudra laisser Jeanne à la justice séculière en la priant d'agir +avec douceur[901]. + +[Note 901: _Ibid._, t. I, p. 463.] + +Cette prière d'agir avec douceur était une clause de style; si le +prévôt de Rouen en avait tenu compte, il aurait été aussitôt +excommunié, sans préjudice des peines temporelles[902]. Toutefois, +quelques conseillers spécifièrent qu'il n'y avait pas lieu à +supplication miséricordieuse, écartant ainsi jusqu'à l'ombre et au +simulacre de la pitié. + +[Note 902: L. Tanon, _Tribunaux de l'inquisition_, pp. 472-473.] + +Maître Guillaume Erard et plusieurs autres assesseurs, parmi lesquels +maîtres Marguerie, Loiseleur, Pierre Maurice, frère Martin Ladvenu, +opinèrent comme le seigneur abbé de Fécamp[903]. + +[Note 903: _Procès_, t. I, pp. 463, 467.] + +Maître Thomas de Courcelles ajouta qu'il fallait que cette femme fût +encore charitablement admonestée au sujet du salut de son âme. + +Et ce fut aussi l'opinion de frère Isambart de la Pierre[904]. + +[Note 904: _Ibid._, t. I, p. 466.] + +Le seigneur évêque, ayant recueilli les avis, conclut qu'il devait +être procédé contre Jeanne comme relapse. En conséquence, il l'assigna +à comparaître le lendemain, 30 mai, sur la place du Vieux-Marché[905]. + +[Note 905: _Ibid._, t. I, pp. 467, 469.] + + * * * * * + +Ce mercredi 30 mai, dans la matinée, les deux jeunes frères prêcheurs, +bacheliers en théologie, frère Martin Ladvenu et frère Isambart de la +Pierre, se rendirent auprès d'elle, sur l'ordre de monseigneur de +Béarnais. Frère Martin lui annonça qu'elle devait mourir ce jour-là. + +À l'approche de cette mort cruelle et dans le silence de ses Voix, +elle comprit enfin qu'elle ne serait pas sauvée, et, cruellement +éveillée de son rêve, sentant à la fois la terre et le Ciel lui +manquer, elle tomba dans un profond désespoir. + +--Hélas! s'écria-t-elle, me traitera-t-on aussi horriblement et +cruellement qu'il faille que mon corps net et entier, qui ne fut +jamais corrompu, soit aujourd'hui consumé et réduit en cendres? Ah! +ah! j'aimerais mieux être décapitée sept fois que d'être ainsi brûlée. +Hélas! si j'eusse été en la prison ecclésiastique à laquelle je +m'étais soumise, et que j'eusse été gardée par les gens d'Église, non +par mes ennemis et adversaires, il ne me fût pas si misérablement +arrivé malheur. Oh! j'en appelle devant Dieu, le grand juge, des +grands torts et ingravances qu'on me fait[906]. + +[Note 906: _Procès_, t. II, pp. 3, 4, 8.] + +Comme elle se lamentait, les docteurs et maîtres Nicolas de Venderès, +Pierre Maurice et Nicolas Loiseleur entrèrent dans la prison; ils +venaient sur l'ordre de monseigneur de Beauvais. La veille, +trente-neuf conseillers sur quarante-deux, en déclarant que Jeanne +était relapse, avaient ajouté qu'ils estimaient bon de lui remémorer +les termes de sa rétractation[907]. Et, pour déférer aux voeux de ces +clercs, le seigneur évêque avait envoyé quelques savants docteurs +auprès de la relapse et résolu de s'y rendre lui-même. + +[Note 907: _Ibid._, t. I, pp. 466-467.] + +Elle dut subir un dernier interrogatoire. + +--Croyez-vous que vos Voix et apparitions procèdent de bons ou de +mauvais esprits? + +--Je ne sais; je m'en attends à ma mère l'Église[908]. + +[Note 908: _Procès_, t. I, pp. 478-479.--Ou: «À entre vous qui +estes gens d'Église.» _Procès_, t. I, p. 482.] + +Maître Pierre Maurice, qui lisait Térence et Virgile, se sentait de la +pitié pour cette pauvre Pucelle. La veille, il l'avait déclarée +relapse parce que sa science théologique l'y obligeait; et maintenant, +il prenait souci du salut de cette âme en péril, qui ne pouvait être +sauvée qu'en reconnaissant la fausseté de ses Voix. + +--Sont-elles bien réelles? demanda-t-il. + +Elle répondit: + +--Soit bons, soit mauvais, ils me sont apparus. + +Elle affirma qu'elle avait vu de ses yeux, entendu de ses oreilles les +Voix et les apparitions dont on avait parlé au procès. + +Elle les entendait surtout, disait-elle, à l'heure de complies et de +matines, quand sonnaient les cloches[909]. + +[Note 909: _Ibid._, t. I, p. 480.] + +Maître Pierre Maurice ne pouvait professer la philosophie +pyrrhonienne, comme un secrétaire de pape; mais il était enclin à +interpréter raisonnablement les phénomènes de la nature, si l'on en +juge par cette observation qu'il fit alors, que souvent, en écoutant +les cloches, on croit entendre des paroles. + +Sans rien dire de précis sur la figure de ses apparitions, Jeanne +expliqua qu'elles lui venaient en grande multitude et toutes petites. +Elle n'y croyait plus, voyant bien qu'elles l'avaient déçue. + +Maître Pierre Maurice lui demanda ce qu'il en était de l'ange qui +avait apporté la couronne. + +Elle répondit qu'il n'y avait jamais eu d'autre couronne que la +couronne promise par elle à son roi, et que l'ange, c'était elle[910]. + +[Note 910: _Procès_, t. I, pp. 480-481.] + +À ce moment, le seigneur évêque de Beauvais et le vicaire inquisiteur +entrèrent dans la prison, accompagnés de maître Thomas de Courcelles +et de maître Jacques Lecamus. + +À la vue du juge qui l'avait mise au point où elle en était, elle +cria: + +--Évêque, je meurs par vous! + +Pour réponse, il lui adressa de pieuses remontrances: + +--Ah! Jeanne, prenez tout en patience, vous mourrez parce que vous +n'avez pas tenu ce que vous nous aviez promis et que vous êtes +retournée à votre premier maléfice[911]. Or, ça, Jeanne, lui +demanda-t-il, vous nous avez toujours dit que vos Voix vous +promettaient votre délivrance, et vous voyez maintenant comment elles +vous ont déçue; dites-nous maintenant la vérité. + +[Note 911: _Ibid._, t. II, p. 34.] + +Elle répondit: + +--Vraiment, je vois bien qu'elles m'ont déçue[912]. + +[Note 912: _Procès_, t. I, pp. 481-482.] + +L'évêque et le vicaire inquisiteur se retirèrent. Ils étaient venus à +bout d'une pauvre fille de vingt ans. + +«Si les hérétiques se repentent après leur condamnation et que les +signes de leur repentir soient manifestes, on ne peut leur refuser les +sacrements de pénitence et d'eucharistie, en tant qu'ils les +demanderont avec humilité[913].» Ainsi disposaient les sacrées +décrétales. Mais aucune rétractation, aucune assurance de la +conformité de sa foi avec celle de l'Église ne pouvait sauver le +relaps. On lui accordait la confession, l'absolution et la communion; +c'est-à-dire qu'au _forum_ du sacrement, on croyait à la sincérité de +son repentir et de sa conversion. En même temps on lui déclarait que +juridiquement on ne le croyait pas et que, par conséquent, il lui +fallait mourir[914]. + +[Note 913: _Textus decretalium_, lib. V, ch. IV.] + +[Note 914: Ignace de Doellinger, _La Papauté_, trad. par A. +Giraud-Teulon, _Paris_, 1904, in-8º, p. 105.] + +Frère Martin Ladvenu entendit Jeanne en confession. Puis il envoya +messire Massieu, l'huissier, auprès de monseigneur de Beauvais, pour +lui faire savoir qu'elle demandait qu'on lui donnât le corps de +Jésus-Christ. + +L'évêque réunit à ce sujet quelques docteurs; et, sur leur +délibération, il répondit à l'huissier: + +--Vous direz à frère Martin de lui donner la communion et tout ce +qu'elle demandera. + +Messire Massieu revint au château aviser frère Martin de cette +réponse. Frère Martin entendit une seconde fois Jeanne en confession +et lui administra le sacrement de pénitence[915]. + +[Note 915: _Procès_, t. II, p. 334; t. III, p. 158.] + +Un clerc nommé Pierre apporta le corps de Notre-Seigneur, mais d'une +façon irrévérencieuse, sur une patène enveloppée du linge dont on +couvre le calice, sans lumières, sans cortège, sans surplis et sans +étole[916]. + +[Note 916: _Ibid._, t. II, p. 334.--De Beaurepaire, _Recherches +sur le procès_, pp. 116-117.] + +Frère Martin, mal satisfait, envoya quérir une étole et des cierges. + +Puis, prenant entre ses doigts l'hostie consacrée et la présentant à +Jeanne: + +--Croyez-vous que ce soit le corps du Christ? + +--Oui, et celui-là seul qui me peut délivrer. + +Et elle pria qu'il lui fût administré. + +L'officiant demanda: + +--Croyez-vous encore à vos Voix? + +--Je crois seulement en Dieu et ne veux plus ajouter foi à ces Voix +qui m'ont ainsi déçue[917]. + +[Note 917: _Procès_, t. I, pp. 482-483.] + +Et elle reçut le corps de Notre-Seigneur très dévotement et en +pleurant d'abondantes larmes. + +Puis elle fit à Dieu, à la Vierge Marie et aux saints de belles et +dévotes oraisons et donna de grands signes de pénitence, dont les +personnes présentes furent touchées jusqu'aux larmes[918]. + +[Note 918: _Procès_, t. II, pp. 19, 308, 320; t. III, pp. 114, +158, 183, 197.] + +Elle dit, contrite et dolente, à maître Pierre Maurice[919]: + +[Note 919: Sur la communion de Jeanne, voir aussi De Beaurepaire, +_Recherches sur le procès_, pp. 116-117.] + +--Maître Pierre, où serai-je ce soir? + +--N'avez-vous pas bonne espérance dans le Seigneur? demanda le +chanoine. + +--Oui, Dieu aidant, je serai en paradis[920]. + +[Note 920: _Procès_, t. III, p. 191.] + +Maître Nicolas Loiseleur l'exhorta à extirper l'erreur qu'elle avait +semée dans le peuple. + +--Il faut pour cela que vous déclariez en public que vous avez été +abusée et avez abusé le peuple, et que vous en demandiez humblement +pardon. + +Mais, craignant de ne pas se le rappeler comme il faudrait, quand elle +serait en jugement public, elle demanda à frère Martin de le lui +remettre alors en mémoire, ainsi que les autres choses concernant son +salut[921]. + +[Note 921: _Ibid._, t. I, p. 485.--Maître N. Taquel donne à +entendre que les interrogatoires eurent lieu après la communion de +Jeanne, ce qui est difficile à admettre.] + +Maître Loiseleur s'en alla en donnant les signes d'une douleur +extravagante, et, marchant comme fou dans les rues, se fit huer par +les Godons[922]. + +[Note 922: _Ibid._, t. II, p. 320; t. III, p. 162.] + +Il était environ neuf heures du matin quand Jeanne, tirée avec frère +Martin et messire Massieu hors de la prison où elle était enchaînée +depuis cent soixante-dix-huit jours, fut mise dans une charrette et +menée, entre une escorte de quatre-vingts hommes d'armes, à travers +les rues étroites, à la place du Vieux-Marché, assez près de la +rivière[923]. Cette place était resserrée entre une halle de bois, la +halle de la boucherie, à l'est, et les aîtres Saint-Sauveur à l'ouest, +c'est-à-dire le cimetière qui bordait, du côté de la place, l'église +Saint-Sauveur[924]. On avait élevé trois échafauds en cet endroit, +l'un contre le pignon nord de la halle, et, en les montant, on avait +rompu plusieurs tuiles du toit[925]. C'est sur cet échafaud que Jeanne +devait être exposée et prêchée. Un autre échafaud, plus vaste, se +dressait sur le cimetière. Les juges y devaient siéger, avec les +prélats[926]. Pour prononcer les condamnations en matière de foi, qui +étaient des actes de juridiction ecclésiastique, l'inquisiteur et +l'ordinaire choisissaient de préférence un territoire consacré, un +sol bénit. Il est vrai qu'une bulle du pape Lucius interdisait de +prononcer des sentences de mort dans les églises et les cimetières; +mais les juges éludaient cette prescription, en recommandant au bras +séculier de modérer sa sentence. Le troisième échafaud, situé en face +de celui-là, sur le milieu de la place, au lieu ordinaire des +exécutions, était de plâtre et chargé de bois, le bûcher. À l'estache +qui le surmontait un écriteau était cloué portant ces mots: + +[Note 923: A. Sarrazin, _Jeanne d'Arc et la Normandie_, p. 369.] + +[Note 924: Bouquet, _Rouen aux différentes époques de son +histoire_, pp. 25 et suiv.--A. Sarrazin, _Jeanne d'Arc et la +Normandie_, pp. 374-375.--De Beaurepaire, _Mémoires sur le lieu du +supplice de Jeanne d'Arc_, accompagné d'un plan de la place du +Vieux-Marché de Rouen d'après le _Livre de Fontaine de 1525_, Rouen, +1867, in-8º.] + +[Note 925: De Beaurepaire, _Note sur la prise du château de Rouen, +par Ricarville_, Rouen, 1857, in-8º, p. 5.] + +[Note 926: Bouquet, _Jeanne d'Arc au château de Rouen_, p. 25.--De +Beaurepaire, _Mémoire sur le lieu du supplice de Jeanne d'Arc_, p. +32.--A. Sarrazin, _Jeanne d'Arc et la Normandie_, pp. 376 et suiv.] + +«Jehanne qui s'est faict nommer la Pucelle, menteresse, pernicieuse, +abuseresse du peuple, divineresse, superstitieuse, blasphemeresse de +Dieu, presumptueuse, malcreant de la foy de Jhésucrist, vanteresse, +ydolatre, cruelle, dissolue, invocateresse de diables, apostate, +scismatique et hérétique[927].» + +[Note 927: _Procès_, t. IV, p. 459.] + +La place était gardée par cent soixante hommes d'armes d'Angleterre. +Une foule de curieux se pressait derrière les soldats; les fenêtres +regorgeaient de spectateurs et les toits en étaient couverts. Jeanne +fut hissée sur l'échafaud adossé au pignon de la halle. Elle portait +une robe longue; sa tête était couverte d'un chaperon[928]. Maître +Nicolas Midi, docteur en théologie, monta sur le même ambon et se mit +à la prêcher[929]. Il avait pris pour texte de son sermon la parole de +l'Apôtre dans la première épître aux Corinthiens: «Si un membre +souffre, tous les membres souffrent.» Jeanne ouït patiemment le +sermon[930]. + +[Note 928: _Ibid._, t. II, pp. 14, 303, 328; t. III, pp. 159, +173.] + +[Note 929: _Ibid._, t. I, p. 470; t. II, p. 334; t. III, pp. 53, +114, 159.] + +[Note 930: _Procès_, t. III, p. 194.] + +Puis monseigneur de Beauvais, en son nom et au nom du vicaire +inquisiteur, prononça la sentence. + +Il décréta Jeanne hérétique et relapse. + +... «Nous décidons que toi, Jeanne, membre pourri dont nous voulons +empêcher que l'infection ne se communique aux autres membres, tu dois +être rejetée de l'unité de l'Église, tu dois être arrachée de son +corps, tu dois être livrée à la puissance séculière; et nous te +rejetons, nous t'arrachons, nous t'abandonnons, priant que cette même +puissance séculière, en deçà de la mort et de la mutilation des +membres, modère envers toi sa sentence[931]...» + +[Note 931: _Ibid._, t. III, p. 159.] + +Par cette formule, le juge d'Église s'ôtait par avance toute part dans +la mort violente d'une créature: _Ecclesia abhorret a sanguine_[932]. +Mais chacun savait ce que valait cette prière et que si, par +impossible, le magistrat y eût cédé, il aurait encouru les mêmes +peines que l'hérétique. À ce moment, la ville de Rouen eût appartenu +au roi Charles, que le roi Charles lui-même n'eût pu sauver la Pucelle +du bûcher. + +[Note 932: L. Tanon, _Histoire des tribunaux de l'inquisition_, p. +374.] + +La sentence prononcée, Jeanne poussa des soupirs à fendre les coeurs. +Tout pleurant, elle se mit à genoux, recommanda son âme à Dieu, à +Notre-Dame, aux benoîts saints du paradis, dont elle désigna +nommément plusieurs. Elle demanda merci très humblement à toute +manière de gens, de quelque condition ou état qu'ils fussent, tant de +l'autre parti que du sien, requérant qu'ils voulussent lui pardonner +le mal qu'elle leur avait fait et prier pour elle. Elle demanda pardon +à ses juges, aux Anglais, au roi Henri, aux princes anglais du +royaume. S'adressant à tous les prêtres là présents, elle pria que +chacun d'eux voulût bien dire une messe pour le salut de son âme[933]. + +[Note 933: _Procès_, t. II, p. 19; t. III, p. 177.] + +Ainsi, durant une demi-heure, elle exprima, dans les pleurs et les +gémissements, les sentiments d'humilité et de contrition que les +clercs lui avaient inspirés[934]. + +[Note 934: _Ibid._, t. II, pp. 19, 351.] + +Cependant, elle songeait encore à défendre l'honneur de ce gentil +dauphin qu'elle avait tant aimé. + +On l'entendit qui disait: + +--Je n'ai jamais été induite par mon roi à faire ce que j'ai fait, +soit bien, soit mal[935]. + +[Note 935: _Ibid._, t. III, p. 56.] + +Beaucoup pleuraient. Quelques Anglais riaient. Les capitaines ne +comprenant rien à ces cérémonies édifiantes de la justice d'Église, +plusieurs s'impatientèrent et, voyant messire Massieu qui, sur +l'ambon, exhortait Jeanne à faire une bonne fin, ils lui crièrent: + +--Quoi donc? prêtre, nous feras-tu dîner ici[936]? + +[Note 936: _Ibid._, t. II, pp. 6, 20; t. III, pp. 53, 177, 186.] + +À Rouen, quand un hérétique était abandonné au bras séculier, l'usage +était de le conduire au conseil de la ville, qu'on nommait la cohue, +pour lui signifier sa sentence[937]. On n'observa pas ces formes à +l'égard de Jeanne. Le bailli, messire Le Bouteiller, qui était +présent, fit un signe de la main et dit: «Menez, menez[938]!» Aussitôt +deux sergents du roi la tirèrent en bas de l'échafaud et la placèrent +dans la charrette qui attendait. On coiffa sa tête rasée d'une grande +mitre de papier sur laquelle ces mots étaient écrits: «Hérétique, +relapse, apostate, idolâtre» et on la remit au bourreau[939]. + +[Note 937: _Procès_, t. III, p. 188.--A. Sarrazin, _Jeanne d'Arc +et la Normandie_, p. 386.--Guedon et Ladvenu ont ajouté à leur +déposition que peu de temps après, un nommé Georges Folenfant fut +également abandonné au bras séculier; mais l'archevêque et +l'inquisiteur envoyèrent Ladvenu au bailli «_pour l'avertir qu'il ne +serait pas fait dudit Georges comme de la Pucelle, laquelle, sans +sentence finale et jugement définitif, fut au feu consommée_». +_Procès_, t. II, p. 9.] + +[Note 938: _Procès_, t. II, p. 344.] + +[Note 939: Fauquembergue dans _Procès_, t. IV, p. 459.--Toutefois +Martin Ladvenu: _jusqu'à la dernière heure_, etc., manifestement +faux.] + +Un témoin l'entendit qui disait: + +--Ah! Rouen, j'ai grand'peur que tu n'aies à souffrir de ma mort[940]. + +[Note 940: _Procès_, t. III, p. 53.] + +C'était donc qu'elle se croyait encore l'envoyée du Ciel et l'ange du +royaume de France. Et il est possible que l'illusion cruellement +arrachée soit revenue au dernier instant l'envelopper de ses voiles +bienfaisants. Il semble toutefois qu'elle était brisée et qu'il ne +subsistait plus en elle qu'une infinie horreur de mourir et la piété +d'un enfant. + +Les juges d'Église eurent à peine le temps de descendre pour fuir un +spectacle dont ils n'auraient pu être témoins sans encourir +l'irrégularité. Ils pleuraient tous; le seigneur évêque de Thérouanne, +chancelier d'Angleterre, avait les yeux pleins de larmes; le cardinal +de Winchester, qui n'entrait jamais dans une église, disait-on, que +pour y demander à Dieu la mort d'un ennemi[941], avait pitié de cette +fille si contrite et si désolée; maître Pierre Maurice, ce chanoine +qui lisait l'_Énéide_, ne retenait pas ses pleurs. Tous les prêtres +qui l'avaient livrée au bourreau étaient édifiés de la voir faire une +fin si sainte; c'est ce que voulait dire maître Jean Alespée, quand il +soupirait: «Je voudrais que mon âme fût où je crois qu'est l'âme de +cette femme[942].» + +[Note 941: Shakespeare, _Henry VI_, première partie, scène I.] + +[Note 942: _Procès_, t. II, p. 6; t. III, pp. 53, 191, 375.] + +Il faisait application à cette malheureuse créature et à lui-même de +cette strophe de la prose des morts: + + _Qui Mariam absolvisti, + Mihi quoque spem dedisti_[943]. + +[Note 943: _Missel Romain, Office des morts_; Cf. Le P. C. Clair, +_Le Dies iræ, histoire, traduction et commentaire_, Paris, in-8º, +1881, pp. 38 et 142.] + +Et sans doute il n'en pensait pas moins qu'elle s'était elle-même mise +dans le cas de mourir par ses hérésies et son opiniâtreté. + +Les deux jeunes frères prêcheurs et l'huissier Massieu accompagnèrent +Jeanne au bûcher. + +Elle demanda une croix. Un Anglais lui en fit une petite avec deux +morceaux de bois et la lui donna. Elle la reçut dévotement, la baisa +et la mit sur son sein, entre sa chair et ses vêtements. Puis elle +supplia frère Isambart d'aller à l'église voisine chercher une croix, +de la lui apporter et de la tenir dressée devant elle, afin que la +croix où Dieu pendit fût, elle vivante, continuellement offerte à sa +vue. Massieu la fit demander au clerc de Saint-Sauveur, qui l'apporta. +Jeanne embrassa cette croix bien étroitement et longuement en +pleurant, et ses mains la pressèrent tant qu'elles furent libres[944]. + +[Note 944: _Procès_, t. II, pp. 6, 20.] + +Pendant qu'on la liait à l'estache, elle invoquait spécialement saint +Michel et il n'y avait plus là, du moins, d'interrogateur pour lui +demander si c'était vraiment celui qu'elle voyait dans le jardin de +son père. Elle pria aussi sainte Catherine[945]. + +[Note 945: _Ibid._, t. III, p. 170.] + +Quand elle vit mettre le feu au bûcher, elle cria d'une voix forte +«Jésus!» Elle répéta ce nom plus de six fois[946]. On l'entendit aussi +qui demandait de l'eau bénite[947]. + +[Note 946: _Ibid._, t. III, p. 186.] + +[Note 947: _Ibid._, t. II, p. 8; t. III, pp. 169, 194.] + +D'ordinaire, le bourreau, pour abréger les souffrances du patient, +l'étouffait dans une épaisse fumée avant que les flammes eussent +monté; mais l'exécuteur de Rouen éprouvait un grand trouble à l'idée +des prodiges accomplis par cette pucelle et il pouvait difficilement +atteindre jusqu'à elle, parce que le bailli avait fait construire en +plâtre un échafaud trop élevé. Il jugea lui-même, bien que fort +endurci, qu'elle souffrait une trop cruelle mort[948]. + +[Note 948: _Procès_, t. II, p. 7.] + +Jeanne prononça une fois encore le nom de Jésus, inclina la tête et +rendit l'esprit[949]. + +[Note 949: _Ibid._, t. III, p. 186.] + +Une fois qu'elle fut morte, le bailli ordonna au bourreau d'écarter +les flammes afin qu'on pût voir que la prophétesse des Armagnacs ne +s'était point échappée avec l'aide du diable ou autrement[950]. Puis, +quand ce pauvre corps noirci eut été offert en spectacle au peuple, +l'exécuteur, pour le réduire en cendres, jeta sur le bûcher de +l'huile, du soufre et du charbon. + +[Note 950: _Ibid._, t. III, p. 191.--_Journal d'un bourgeois de +Paris_, p. 269-270.] + +En ces sortes de supplices, la combustion des chairs était rarement +complète[951]. Dans les cendres éteintes, le coeur et les entrailles +se retrouvèrent intacts. De peur qu'on ne vînt à recueillir les restes +de Jeanne pour en faire des sorcelleries ou quelques maléfices[952], +le bailli les fit jeter dans la Seine[953]. + +[Note 951: L. Tanon, _Histoire des tribunaux de l'inquisition_, p. +478.] + +[Note 952: _Chronique des cordeliers_, fol. 507 vº.--_Journal d'un +bourgeois de Paris_, p. 269.] + +[Note 953: _Procès_, t. III, pp. 159, 160, 185; t. IV, p. +518.--Th. Basin, _Histoire de Charles VII et de Louis XI_, t. I, p. +83.--Th. Cochard, _Existe-t-il des reliques de Jeanne d'Arc?_ Orléans, +1891, in-8º.] + + + + +CHAPITRE XV + +APRÈS LA MORT DE LA PUCELLE.--LA FIN DU BERGER.--LA DAME DES ARMOISES. + + +Après l'exécution, le soir, le bourreau, geignant et sans doute ivre, +alla, selon sa coutume, mendier au couvent des frères prêcheurs. Cette +brute se plaignait d'avoir eu grand mal à expédier Jeanne. Selon une +fable imaginée plus tard, il aurait dit aux religieux qu'il craignait +d'être damné pour avoir brûlé une sainte[954]. S'il avait tenu ce +propos dans la maison du vicaire inquisiteur, il aurait été +immédiatement jeté dans un cul de basse-fosse, jugé en matière de foi +et en grand danger d'être traité comme celle qu'il nommait une sainte. +Et comment n'eût-il pas cru que cette femme, condamnée par le bon père +Lemaistre et monseigneur de Beauvais, était une mauvaise femme? La +vérité est qu'il se faisait auprès des religieux un mérite d'avoir +exécuté une sorcière, et d'y avoir peiné, et il venait chercher son +pot-de-vin. Un religieux, et précisément un frère prêcheur, frère +Pierre Bosquier, s'oublia jusqu'à dire qu'on avait mal fait en +condamnant la Pucelle. Bien qu'il eût parlé devant un petit nombre de +personnes, ses propos furent dénoncés à l'inquisiteur général. Mis en +accusation, frère Pierre Bosquier déclara en toute humilité que ses +paroles étaient de tous points déraisonnables et sentant l'hérésie, +qu'elles lui avaient échappé inconsidérément après boire. Il en +demanda pardon à genoux et les mains jointes à notre sainte mère +l'Église ainsi qu'à ses juges et seigneurs très redoutables. Eu égard +à son repentir, en considération de ce qu'il avait parlé en état +d'ivresse, et attendu la qualité de sa personne, monseigneur de +Beauvais et le vicaire inquisiteur, usant d'indulgence à l'égard du +frère Pierre Bosquier, le condamnèrent, par sentence du 8 août 1431, à +tenir prison au pain et à l'eau, dans la maison des frères prêcheurs, +jusqu'à Pâques[955]. + +[Note 954: _Procès_, t. II, pp. 7, 352, 366.] + +[Note 955: _Procès_, t. I, pp. 493, 495.] + +Les juges et conseillers qui avaient siégé au procès de la Pucelle +reçurent, le 12 juin, du Grand Conseil, des lettres de garantie. +Était-ce pour le cas où ils seraient inquiétés par la justice de +France? Mais ces lettres leur eussent alors fait plus de mal que de +bien[956]. + +[Note 956: Le P. Denifle et Châtelain, _Cartularium Universitatis +Parisiensis_, t. IV, p. 527.] + +La grande chancellerie d'Angleterre expédia des lettres en latin à +l'empereur, aux rois et aux princes de la chrétienté, en français aux +prélats, ducs, comtes, seigneurs et à toutes les villes de +France[957], pour faire savoir que le roi Henri et ses conseillers +avaient eu grande pitié de la Pucelle et que, s'ils l'avaient fait +mourir, ç'avait été par zèle pour la foi et sollicitude pour tout le +peuple chrétien[958]. + +[Note 957: _Procès_, t. III, pp. 240, 243.] + +[Note 958: _Ibid._, t. I, pp. 485, 496; t. IV, p. +403.--Monstrelet, t. IV, chap. CV.] + +L'Université de Paris écrivit dans le même sentiment au Saint-Père, à +l'empereur et au collège des cardinaux[959]. + +[Note 959: _Procès_, t. I, pp. 496, 500.] + +Le 4 juillet, jour de Saint-Martin-le-Bouillant, maître Jean +Graverant, prieur des Jacobins, inquisiteur de la foi, fit, à +Saint-Martin-des-Champs, une prédication dans laquelle il rappela tous +les faits de Jeanne la Pucelle et dit comment, pour ses erreurs et +démérites, elle avait été livrée aux juges laïcs et brûlée vive. + +Et il ajouta: + +«Elles étaient quatre, dont trois ont été prises, à savoir: cette +Pucelle, Pierronne et sa compagne. Et il en reste une avec les +Armagnacs, nommée Catherine de La Rochelle.... Frère Richard, le +cordelier, qui menait après lui une si grande foule d'hommes lorsqu'il +prêchait à Paris aux Innocents et ailleurs, gouvernait ces femmes; il +était leur beau père[960].» + +[Note 960: _Journal d'un bourgeois de Paris_, pp. 270, 272.--Il y +a d'étranges faussetés dans ce discours; sont-elles du fait de +l'inquisiteur ou de l'auteur du journal?] + +La Pierronne brûlée à Paris, sa compagne mise au pain d'angoisse et à +l'eau d'amertume dans les prisons d'Église, Jeanne brûlée à Rouen, le +béguinage royal se trouvait presque entièrement anéanti. Il ne restait +auprès du roi que la sainte dame de La Rochelle échappée des mains de +l'official de Paris; mais elle s'était rendue importune par +l'indiscrétion de son langage[961]. Pendant qu'une si cruelle disgrâce +frappait ses pénitentes, le bon frère Richard éprouvait lui-même la +mauvaise fortune. Les vicaires de l'évêché de Poitiers et +l'inquisiteur de la foi lui avaient interdit la prédication; le grand +sermonneur, qui avait opéré tant de conversions dans le peuple +chrétien, ne pouvait plus tonner contre les tablettes et les dés des +joueurs, contre les hennins des dames et contre les mandragores vêtues +d'habillements magnifiques; il ne pouvait plus annoncer la venue de +l'Antéchrist ni préparer les âmes aux effroyables épreuves qui +devaient précéder la fin prochaine du monde; il avait ordre de garder +les arrêts dans le couvent des cordeliers de Poitiers; et sans doute +il ne se soumettait pas très docilement à la sentence de ses +supérieurs, car le vendredi 23 mars 1431, l'ordinaire et l'inquisiteur +demandèrent, à cet effet, aide et confort au parlement de Poitiers, +qui ne les refusa pas. Pourquoi ces rigueurs de la sainte Église à +l'endroit d'un prêcheur capable de remuer si fort les âmes +pécheresses? On en peut tout au moins soupçonner la cause. Il y avait +beau temps que les clercs anglais et bourguignons lui criaient à +l'apostat et au sorcier. Or, telle était l'unité de l'Église et +spécialement la communauté de doctrine qui régnait dans l'Église +gallicane, telle était l'autorité de l'Université de Paris, clair +soleil de la chrétienté, qu'en se rendant suspect d'hérésie et +d'erreur aux yeux des docteurs du parti d'Angleterre et de Bourgogne, +un clerc inspirait une extrême défiance au clergé de l'obéissance du +roi Charles, même s'il apparaissait que l'Université avait opiné +contre lui, touchant la foi catholique, en faveur des Anglais. Très +probablement, la condamnation de la Pierronne et même le procès +d'inquisition intenté à la Pucelle avaient fait quelque tort au frère +Richard dans l'esprit des clercs de Poitiers. Ce bon frère, s'entêtant +à prêcher la fin du monde, fut véhémentement soupçonné de mauvaise +science. Sachant le sort qu'on lui préparait, il s'enfuit, et dès lors +on n'eut plus de ses nouvelles[962]. + +[Note 961: _Procès_, t. IV, p. 473.] + +[Note 962: Th. Basin, _Histoire de Charles VII et de Louis XI_, t. +IV, pp. 103, 104.--Monstrelet, ch. LXIII.--Bougenot, _Deux documents +inédits relatifs à Jeanne d'Arc_, dans _Revue Bleue_, 13 février 1892, +pp. 203-204.] + +Toutefois, les conseillers du roi Charles ne renonçaient point à +employer aux armées de dévotes personnes. Au moment même où +disparaissaient le bon frère Richard et ses pénitentes, ils mettaient +en oeuvre le jeune berger que monseigneur l'archevêque comte de Reims, +chancelier du royaume, avait annoncé comme le successeur miraculeux +de Jeanne. Voici dans quelles circonstances le pâtre fut admis à +montrer son pouvoir: + +La guerre continuait; vingt jours après la mort de Jeanne, les Anglais +vinrent à grande puissance reprendre la ville de Louviers. Ils avaient +tardé jusque-là, non, comme on l'a dit, qu'ils doutassent de réussir à +rien tant que vivrait la Pucelle, mais parce qu'il leur avait fallu du +temps pour trouver de l'argent et pour réunir des engins de +siège[963]. Dans les mois de juillet et d'août de cette même année +1431, monseigneur de Reims, chancelier de France, et le maréchal de +Boussac tenaient, à Senlis et à Beauvais, le parti des Français, et +monseigneur de Reims ne pouvait être soupçonné de le tenir mollement, +puisqu'il défendait du même coup ses bénéfices, qui lui étaient +chers[964]. Les ayant recouvrés par une pucelle, il pensait les garder +par un puceau, et il essaya le petit berger des monts Lozère, +Guillaume qui, comme saint François d'Assise et sainte Catherine de +Sienne, avait reçu les stigmates. Un parti de Français surprit le +régent à Mantes et faillit l'enlever. L'alerte fut donnée à l'armée +qui assiégeait Louviers; deux ou trois compagnies de gens d'armes s'en +détachèrent et coururent à Mantes où elles apprirent que le Régent +avait pu gagner Paris. Alors, renforcés par des troupes venues de +Gournay et de quelques autres garnisons anglaises, fortes de deux +mille hommes environ et commandées par les comtes de Warwick, +d'Arundel, de Salisbury, de Suffolk, lord Talbot et sir Thomas Kiriel, +les Anglais s'enhardirent au point de marcher sur Beauvais. Instruits +de leur venue, les Français sortirent de la ville au point du jour et +allèrent à leur rencontre du côté de Savignies, au nombre de huit +cents à mille combattants, commandés par le maréchal de Boussac, les +capitaines La Hire, Poton, et autres[965]. + +[Note 963: _Procès_, t. II, pp. 3, 344, 348, 373; t. III, p. 189; +t. V, pp. 169, 179, 181.--Dibon, _Essai sur Louviers_, Rouen, 1836, +in-8º, pp. 33 et suiv.--Vallet de Viriville, _Histoire de Charles +VII_, t. II, pp. 216 et suiv.] + +[Note 964: Le P. Denifle, _La désolation des Églises de France +vers le milieu du XVe siècle_, t. I, p. XVI.] + +[Note 965: Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 132.--Monstrelet, +t. IV, p. 433.--Lefèvre de Saint-Remy, t. II, p. 265.] + +Le berger Guillaume, qu'ils croyaient envoyé de Dieu, chevauchait à +leur tête, se tenant de côté et montrant les plaies miraculeuses de +ses mains, de ses pieds, de son flanc gauche[966]. + +[Note 966: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 272.] + +À une lieue environ de la ville, ils furent assaillis de traits au +moment où ils s'y attendaient le moins. Les Anglais, avertis par leurs +espions de la marche des Français, les avaient guettés derrière un pli +de terrain. Maintenant, ils les attaquaient en tête et en queue très +âprement. Les deux partis combattaient avec vaillance; il y eut un +assez grand nombre de morts, ce qui ne se voyait pas alors dans la +plupart des batailles, où l'on ne tuait guère que les fuyards. Mais +les Français, se sentant enveloppés, prirent peur et se détruisirent +eux-mêmes. La plus grande partie, avec le maréchal de Boussac et le +capitaine La Hire, coururent s'enfermer dans la ville de Beauvais; le +capitaine Poton et le berger Guillaume restèrent aux mains des Anglais +qui, à grand honneur et triomphe, s'en retournèrent à Rouen[967]. + +[Note 967: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 272.] + +Poton était bien sûr d'être mis à rançon, selon l'usage. Le petit +berger ne pouvait espérer un semblable traitement; il était suspect +d'hérésie et de sorcellerie; il avait séduit le peuple chrétien et +rendu les gens idolâtres de lui. Les marques de la passion de +Notre-Seigneur qu'il portait sur lui ne lui étaient d'aucun secours; +au contraire, ce que les Français tenaient pour empreintes divines +semblait aux Anglais marques diaboliques. + +Comme la Pucelle, Guillaume avait été pris sur le diocèse de Beauvais. +Le seigneur évêque de cette ville, messire Pierre Cauchon, qui avait +réclamé Jeanne, réclama pareillement Guillaume, pour lui faire son +procès, et le berger, obtenant ce qui avait été refusé à la Pucelle, +fut mis dans les prisons ecclésiastiques[968]. Il semblait moins +difficile à garder et surtout moins précieux. Mais les Anglais +venaient d'apprendre ce que c'était qu'un procès d'inquisition; ils +savaient maintenant que c'était long et solennel. L'avantage ne leur +apparaissait pas de convaincre ce berger d'hérésie. Si les Français +avaient mis en lui comme en Jeanne l'espérance d'être heureux à la +guerre[969], cette espérance avait été courte. Faire honte et vergogne +aux Armagnacs de leur puceau en montrant qu'il venait du diable, le +jeu n'en valait pas la chandelle. Le petit berger fut conduit à Rouen, +puis à Paris[970]. + +[Note 968: Vallet de Viriville, _Histoire de Charles VII_, t. II, +p. 248.--De Beaurepaire, _Recherches sur les juges_, p. 43.] + +[Note 969: Lea, _Histoire de l'inquisition_, trad. S. Reinach, t. +I, p. 455.] + +[Note 970: Lefèvre de Saint-Remy, t. II, pp. 263-264.] + +Il était prisonnier depuis quatre mois, quand le roi Henri VI, âgé de +neuf ans, fit son entrée à Paris, où il devait être couronné, en +l'église Notre-Dame, des deux couronnes de France et d'Angleterre. +Cette entrée fut célébrée le dimanche 16 décembre, à grand'pompe et à +grand'liesse. On avait construit sur le passage du cortège, rue du +Ponceau-Saint-Denys, une fontaine ornée de trois sirènes au milieu +desquelles s'élevait une grande tige de lis qui jetait par les fleurs +et les boutons des ruisseaux de vin et de lait. La foule se +précipitait pour y boire. Autour de la vasque, des hommes déguisés en +sauvages amusaient le peuple par des jeux et des simulacres de +combats. + +Depuis la porte Saint-Denys jusqu'à l'hôtel Saint-Paul au Marais, le +roi enfant chevaucha sous un grand ciel d'azur, semé de fleurs de lis +d'or, porté d'abord par les quatre échevins, en chaperon et vêtus de +vermeil, puis par les corporations, drapiers, épiciers, changeurs, +orfèvres et bonnetiers. + +Il était précédé par vingt-cinq hérauts et vingt-cinq trompettes, par +de très beaux hommes et de très belles dames qui, vêtus d'armures +magnifiques et portant de grands écus, représentaient les neuf preux +et les neuf preuses, et par nombre de chevaliers et d'écuyers. Dans ce +brillant cortège paraissait le petit berger Guillaume, qui n'étendait +plus les bras pour montrer sur ses mains les plaies de la passion: car +il était lié de bonnes cordes[971]. + +[Note 971: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 274.] + +Après la cérémonie, il fut reconduit dans sa prison; puis on l'en tira +pour le coudre dans un sac et le jeter dans la Seine[972]. + +[Note 972: Lefèvre de Saint-Remy, t. II, p. 264.] + +Il fut admis chez les Français, que Guillaume n'avait point mission de +Dieu et qu'il était tout sot[973]. + +[Note 973: Martial d'Auvergne, _Vigiles_, édit. Coustelier, t. I, +p.] + + * * * * * + +En l'an 1433, le connétable, aidé par la reine de Sicile, fit enlever +et assassiner le sire de la Trémouille. C'était l'usage princier de +donner des conseillers au roi Charles et de les tuer ensuite. Le sire +de la Trémouille avait un si gros ventre que la lame s'y perdit dans +la graisse sans autrement l'atteindre; mais il était tué dans son +crédit; le roi Charles souffrit le connétable comme il avait souffert +le sire de la Trémouille[974]. + +[Note 974: Gruel, _Chronique d'Arthur de Richemont_, p. +81.--Vallet de Viriville, dans _Nouvelle Biographie générale_.--De +Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. II, p. 297.--E. Cosneau, _Le +connétable de Richemont_, pp. 200-201.] + +Celui-ci laissait la renommée d'un homme cupide, indiffèrent au bien +du royaume. Son plus grand tort fut peut-être d'avoir gouverné dans un +temps de guerres et de pilleries, quand amis et ennemis dévoraient le +royaume. On l'accusa d'avoir voulu perdre la Pucelle, dont il était +jaloux. Cette idée est sortie de la maison d'Alençon, où l'on n'aimait +guère le sire chambellan[975]. Ce qui est certain, au contraire, c'est +que la Trémouille fut, après le chancelier, le plus hardi à mettre en +oeuvre la Pucelle de Dieu, et si, par la suite, cette jeune fille +contraria ses projets, rien ne prouve qu'il ait formé le dessein de la +faire détruire par les Anglais; elle se détruisit elle-même et se +consuma par sa propre ardeur. À tort ou à raison, le sire chambellan +passait pour un très mauvais homme, et, quoique le duc de Richemont +fût avare, dur, violent, maladroit au delà du possible, bourru, +malfaisant, toujours battu et toujours mécontent, on crut n'avoir pas +perdu au change. Le connétable venait au bon moment, alors que le duc +de Bourgogne faisait la paix avec le roi de France. + +[Note 975: Perceval de Cagny, pp. 170, 173 et _passim_.] + +Les Anglais, entrés dans le royaume, comme disait ce chartreux, par le +trou fait au crâne du duc Jean, sur le pont de Montereau, ne se +tenaient dans le royaume que sous la main du duc Philippe; ils +n'étaient qu'une poignée; la main du géant s'étant retirée, un souffle +suffisait à les emporter. Voyant se réaliser l'horoscope du roi Henri +VI: «Exeter perdra ce que Monmouth a gagné», le Régent mourut de +douleur et de colère[976]. + +[Note 976: Carlier, _Histoire des Valois_, 1764, in-4º, t. II, p. +442.--Vallet de Viriville, _Histoire de Charles VII_, t. I, p. +307.--Le Régent croyait lui aussi à l'astrologie (B-N. ms 1352.)] + +Le 13 avril 1436, le comte de Richemont entra dans Paris. La mère +nourricière des clercs bourguignons et des docteurs cabochiens, +l'Université elle-même, s'était entremise pour la paix[977]. + +[Note 977: Gruel, _Chronique d'Arthur de Richemont_, pp. +120-121.--Dom Félibien, _Histoire de Paris_, t. IV, p. 597.] + +Or, un mois après que Paris se fut rangé dans l'obéissance du roi +Charles, une fille âgée de vingt-cinq ans, environ, qui jusque-là +s'était fait appeler Claude, parut en Lorraine et fit connaître à +plusieurs seigneurs de la ville de Metz qu'elle était Jeanne la +Pucelle[978]. + +[Note 978: _Chronique du doyen de Saint-Thibaud de Metz_, dans +_Procès_, t. V, pp. 321, 324.--Jacomin Husson, _Chronique de Metz_, +éd. Michelant, Metz, 1870, pp. 64-65.--Cf. Lecoy de la Marche, _Une +fausse Jeanne d'Arc_, dans _Revue des Questions historiques_, octobre +1871, pp. 562 et suiv.--Vergniaud-Romagnési, _Des portraits de Jeanne +d'Arc et de la fausse Jeanne d'Arc_ dans _Mémoires de la Société +d'Agriculture d'Orléans_, t. I, (1853), pp. 250, 253.--De Puymaigre, +_La fausse Jeanne d'Arc_ dans _Revue Nouvelle d'Alsace-Lorraine_, t. V +(1885), pp. 533 et suiv.--A. France, _Une fausse Jeanne d'Arc_ dans +_Revue des Familles_, 15 février 1891.] + +À cette époque, le père et l'aîné des frères de Jeanne[979], étaient +morts. Isabelle Romée vivait; ses deux fils cadets étaient au service +du roi de France, qui les avait anoblis et faits Du Lys. Jean, l'aîné, +dit Petit-Jean[980], avait été nommé bailli de Vermandois, puis +capitaine de Chartres. Aux environs de cette année 1436, il était +prévôt et capitaine de Vaucouleurs[981]. + +[Note 979: Varanius est seul à dire que Jacques d'Arc mourut de la +douleur d'avoir perdu sa fille. _Procès_, t. V, p. 85.] + +[Note 980: _Procès_, t. V, p. 280.] + +[Note 981: _Procès_, t. V, pp. 279-280.--G. Lefèvre-Pontalis, _La +fausse Jeanne d'Arc_, p. 6, note 1.] + +Le cadet, Pierre, ou Pierrelot, tombé avec Jeanne aux mains des +Bourguignons devant Compiègne, venait de quitter enfin les prisons du +bâtard de Vergy[982]. Ils croyaient bien tous deux que leur soeur +avait été brûlée à Rouen; mais avertis qu'elle vivait et les voulait +voir, ils prirent rendez-vous à la Grange-aux-Ormes, village situé +dans les prairies du Sablon, entre la Seille et la Moselle, à une +lieue environ au sud de la ville de Metz. Arrivés en cet endroit, le +20 mai, ils la virent et la reconnurent aussitôt pour leur soeur; et +elle les reconnut pour ses frères[983]. + +[Note 982: _Procès_, t. V, p. 210.--Lefèvre de Saint-Remy, t. II, +p. 176.] + +[Note 983: _Procès_, t. V, pp. 321, 324.] + +Elle était accompagnée de seigneurs messins parmi lesquels se trouvait +un très noble homme, messire Nicole Lowe qui fut chambellan de Charles +VII[984]. Ces seigneurs la reconnurent à plusieurs enseignes pour la +Pucelle Jeanne qui avait mené le roi Charles à Reims. On nommait alors +enseignes certains signes sur la peau[985]. Or une prophétie relative +à Jeanne disait qu'elle avait une petite tache rouge sous +l'oreille[986]; cette prophétie fut faite après l'événement; nous +devons donc croire que la Pucelle était marquée de ce signe. Fut-ce à +telle enseigne que les gentilhommes messins la reconnurent? + +[Note 984: Le _Metz ancien_, (Metz, 1856, 2 vol. in-fº) du baron +d'Hannoncelles, où se trouve la généalogie de Nicole Lowe.] + +[Note 985: «Et fut recongneu par plusieurs enseignes.» (_Procès_, +V, p. 322).--M. Lecoy de la Marche (_Une fausse Jeanne d'Arc_, dans +_Revue des questions historiques_, octobre 1871, p. 565), et M. Gaston +Save (_Jehanne des Armoises, Pucelle d'Orléans_, Nancy, 1893, p. 11), +comprennent qu'elle fut reconnue par plusieurs officiers ou +porte-étendards. J'ai entendu _enseignes_ dans le sens de signes +naturels sur la peau. (Cf. La Curne.)] + +[Note 986: _Chronique du doyen de Saint-Thibaud_, dans _Procès_, +t. V, p. 322.] + +[Note 987: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 354.] + +Nous ignorons comment elle prétendait avoir échappé à la mort, mais on +a des raisons de croire[987] qu'elle attribuait son salut à sa +sainteté. Annonçait-elle qu'un ange l'avait retirée des flammes? On +lisait dans les livres que jadis les lions du cirque léchaient les +pieds nus des vierges et que l'huile bouillante rafraîchissait comme +un baume le corps des saintes martyres; et l'on voyait même dans les +histoires que maintes fois le glaive avait pu seul trancher la vie des +pucelles de Notre-Seigneur. Rien de plus sûr; mais de semblables +récits tirés hors du vieux temps et ramenés à l'heure présente +auraient paru moins croyables; et, sans doute, cette jeune fille +n'ornait pas autant son aventure. Très probablement elle donnait à +entendre qu'à sa place on avait brûlé une autre femme. + +Si l'on s'en rapporte à la confession qu'elle fit plus tard, elle +venait de Rome où, vêtue du harnois de guerre, elle s'était +vaillamment comportée au service du pape Eugène. Peut-être fit-elle +connaître aux Lorrains les belles actions qu'elle avait accomplies là. +Or, Jeanne avait prophétisé (du moins le croyait-on) qu'elle mourrait +dans une bataille contre les infidèles et qu'une Pucelle de Rome +hériterait de sa puissance. Mais, loin d'accréditer Jeanne recouvrée, +cet oracle, à le supposer connu des seigneurs messins, leur dénonçait +l'imposture[988]. Quoi qu'il en soit, ils crurent ce que cette femme +leur disait. + +[Note 988: Voyez néanmoins ce qu'en dit M. Germain +Lefèvre-Pontalis, à qui nous devons de connaître cette prophétie +(Eberhard Windecke, pp. 108 à 111).] + +Peut-être que, comme beaucoup de gentilshommes de la république, ils +se sentaient plus d'amitié pour le roi Charles que pour le duc de +Bourgogne. Et sûrement, ayant chevalerie, ils estimaient la chevalerie +en toute personne et ils admiraient la Pucelle pour sa grande +vaillance. Aussi lui firent-ils bonne chère. + +Messire Nicole Lowe lui donna un roussin et une paire de houseaux. Le +roussin valait trente francs; c'était un prix quasi royal, car des +deux chevaux donnés par le roi à la pucelle Jeanne, dans la ville de +Soissons et dans la ville de Senlis, l'un valait trente-huit livres +dix sous et l'autre trente-sept livres dix sous[989]. Le cheval de +Vaucouleurs n'avait été payé que seize francs[990]. + +[Note 989: _Chronique du doyen de Saint-Thibaud_, dans _Procès_, +t. V, p. 322.--Chronique de Philippe de Vigneulles, dans les +_Chroniques Messines_ de Huguenin, p. 198.] + +[Note 990: _Procès_, t. II, p. 457.--L. Champion, _Jeanne d'Arc +écuyère_, ch. II; ch. VI.] + +Nicole Grognot, gouverneur de la ville[991], offrit à la soeur des +deux frères Du Lys une épée, Aubert Boullay un chaperon[992]. + +[Note 991: Variante de la _Chronique du doyen de Saint-Thibaud_, +envoyée de Metz à Pierre du Puy, dans _Procès_, t. V, pp. 322, 324.] + +[Note 992: _Ibid._, pp. 322, 324.] + +Elle sauta à cheval avec cette adresse qui, sept ans auparavant, si +l'on en croit des récits assez fabuleux, avait émerveillé le vieux duc +de Lorraine[993]. Et elle tint certains propos à messire Nicole Lowe +qui affermirent ce seigneur dans la croyance que c'était bien là cette +Pucelle Jeanne qui était allée en France. Elle parlait volontiers +comme une prophétesse, par images et paraboles, et sans rien découvrir +de ses intentions. + +[Note 993: D. Calmet, _Histoire de Lorraine_, t. VII, Preuves, +col. vj.] + +Elle disait qu'elle n'aurait pas de puissance avant la +Saint-Jean-Baptiste. Or, ce terme qu'elle assignait à sa mission était +précisément celui que la pucelle Jeanne, en 1429, après la bataille de +Patay, avait marqué, disait-on, pour l'extermination de la gent +anglaise en France[994]. + +[Note 994: _Procès_, t. V, pp. 322, 324.--Eberhard Windecke, p. +108.--Morosini, t. III, p. 62, note.] + +Cette prophétie ne se réalisa point; aussi n'en fut-il plus parlé. Et +Jeanne, si tant est qu'elle l'eût faite, ce qui est bien possible, dut +être la première à l'oublier. Au reste, le terme de la Saint-Jean +était d'un usage constant pour les baux, foires, règlement de gages, +louage de service, etc., et l'on conçoit que le calendrier des +prophétesses ne différât point du calendrier du laboureur. + +Dès le lendemain de leur arrivée à la Grange-aux-Ormes, le lundi 21 +mai, les frères Du Lys emmenèrent celle qu'ils tenaient pour leur +soeur en cette ville de Vaucouleurs[995] où la fille d'Isabelle Romée +était allée trouver sire Robert de Baudricourt et où vivaient encore, +en 1436, tant de personnes de toute condition qui l'avaient vue au +mois de février 1429, telles que les époux Leroyer et le seigneur +Aubert d'Ourches[996]. + +[Note 995: M. le baron de Braux me fit l'honneur de m'écrire de +Boucq par Foug, Meurthe-et-Moselle, le 28 juin 1896: que Bacquillon +(_Procès_, V, p. 322) n'était qu'une lecture vicieuse d'un des +manuscrits du doyen de Saint-Thibaud. «En comparant, ajouta-t-il, les +diverses lectures (V. Quicherat et les _Chroniques messines_), on peut +s'assurer qu'il s'agit de Vaucouleurs, _Valquelou_, mal lu.»] + +[Note 996: _Procès_, t. II, pp. 406, 408, 445, 449.] + +Après une semaine à Vaucouleurs, elle se rendit à Marville, petite +ville entre Corny et Pont-à-Mousson, à une lieue de la Moselle, où +elle passa les fêtes de la Pentecôte et demeura trois semaines dans la +maison d'un nommé Jean Quenat[997]. Sur son départ, elle reçut la +visite de plusieurs habitants de Metz qui, la reconnaissant pour la +Pucelle de France, lui donnèrent des joyaux[998]. On se rappelle que +plusieurs chevaliers messins, venus auprès du roi Charles à Reims, +lors du sacre, avaient vu Jeanne. À Marville, Geoffroy Desch, à +l'exemple de Nicole Lowe, donna un cheval à la Pucelle retrouvée. +Geoffroy Desch appartenait à une des familles les plus puissantes de +la république de Metz. Il était parent de ce Jean Desch, secrétaire de +la ville en 1429[999]. + +[Note 997: La _Chronique de Tournai_ dit de la vraie Jeanne +qu'elle était de Mareville petite ville entre Metz et Pont-à-Mousson. +«Cette Jeanne avait longtemps demeuré et servi dans une métairie de ce +lieu.»] + +[Note 998: _Chronique du doyen de Saint-Thibaud_, dans _Procès_, +t. V, pp. 322, 324.--Lecoy de la Marche, _Jeanne des Armoises_, p. +566.--G. Save, _Jehanne des Armoises, pucelle d'Orléans_, p. 14.] + +[Note 999: _Procès_, t. V, pp. 352 et suiv.] + +De là, elle s'en fut en pèlerinage à Notre-Dame de Liance, que les +Picards appelaient Lienche, et qui devint un peu plus tard Notre-Dame +de Liesse. On y vénérait une image noire de la Sainte-Vierge, +rapportée, selon la tradition, de Terre-Sainte, par les croisés. Cette +chapelle, située entre Laon et Reims, était, au dire des religieux qui +la desservaient, un des lieux désignés dans l'itinéraire du sacre, et +les rois, avec leur suite, avaient coutume de s'y rendre au retour de +Reims; peut-être n'était-ce pas très vrai. Mais les habitants de Metz +se montraient particulièrement dévots à la bonne dame de Liance, et +l'on concevait que Jeanne, échappée des prisons anglaises, allât +rendre grâces de sa merveilleuse délivrance à la Vierge noire de +Picardie[1000]. + +[Note 1000: _Chronique du doyen de Saint-Thibaud_, dans _Procès_, +t. V, pp. 322, 324.--Dom Lelong, _Histoire du diocèse de Laon_, 1783, +p. 371.--Abbé Ledouble, _Les origines de Liesse et du pèlerinage de +Notre-Dame_, Soissons, 1885, pp. 6 et suiv.] + +Elle se rendit ensuite à Arlon, auprès d'Élisabeth de Gorlitz, +duchesse de Luxembourg, tante par alliance du duc de Bourgogne[1001]. +Veuve pour la seconde fois et vieille, elle excitait par sa rapacité +la colère et la haine de son peuple. Jeanne reçut de cette princesse +un très bon accueil. Rien d'étrange à cela: les personnes qui vivaient +saintement et faisaient des miracles étaient recherchées par les +princes et les seigneurs, désireux de connaître par elles des secrets +ou d'obtenir ce qu'ils souhaitaient, et la duchesse de Luxembourg +pouvait bien croire que cette fille fût la pucelle Jeanne elle-même, +puisque les deux frères Du Lys, les seigneurs messins et les habitants +de Vaucouleurs le croyaient. + +[Note 1001: _Procès_, t. V, p. 322, note 2.--G. Lefèvre-Pontalis, +_La fausse Jeanne d'Arc_, p. 21, note 1.] + +Pour la foule des hommes, la vie et la mort de Jeanne étaient +entourées de mystère et pleines de prodiges. Beaucoup, dès la première +heure, avaient douté qu'elle eût péri de la main du bourreau. +Quelques-uns s'exprimaient à ce sujet avec d'étranges réticences; ils +disaient: «Les Anglais la firent ardre publiquement à Rouen ou une +autre femme en semblance d'elle[1002].» Certains avouaient ne pas +savoir ce qu'elle était devenue[1003]. + +[Note 1002: _Chronique normande_ (Ms. du British Museum), dans +_Procès_, t. IV, p. 344.--Symphorien Champier, _Nef des Dames_, Lyon, +1503, _ibid._] + +[Note 1003: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 272.--_Chronique +Normande_, dans _Bibliothèque de l'École des Chartes_, 2e série, t. +III, p. 116.--D. Calmet, _Histoire de Lorraine_, p. vj., Preuves.--G. +Save, _Jehanne des Armoises_, pp. 6-7.--On sait que Gabriel Naudé +soutint le paradoxe que Jeanne ne fut jamais brûlée qu'en effigie, +_Considérations politiques sur les coups d'État_, Rome, 1639, +in-4º.--G. Lefèvre-Pontalis, _La fausse Jeanne d'Arc_, p. 8.] + +Aussi quand retentit soudain dans les Allemagnes et par toute la +France le bruit que la Pucelle était vivante et qu'on l'avait vue près +de Metz, la nouvelle fut diversement accueillie; les uns y croyaient +et les autres non. On peut juger de l'émotion qu'elle causa par +l'exemple de ces deux bourgeois d'Arles qui en disputèrent entre eux +avec une extrême ardeur. L'un affirmait que la Pucelle vivait encore; +l'autre soutenait qu'elle était bien morte; chacun paria pour ce qu'il +croyait véritable. La gageure était sérieuse; elle fut faite et tenue +devant notaire, le 27 juin 1436, cinq semaines seulement après +l'entrevue de la Grange-aux-Ormes[1004]. + +[Note 1004: Lanéry d'Arc, _Le culte de Jeanne d'Arc_, Orléans, +1887, in-8º.--_Revue du Midi._] + +Cependant le frère aîné de la Pucelle, Jean du Lys, dit Petit-Jean, +s'était rendu, dans les premiers jours du mois d'août à Orléans, pour +y annoncer que sa soeur était vivante. En récompense de cette bonne +nouvelle, il reçut pour lui et sa suite, dix pintes de vin, douze +poules, deux oisons et deux levrauts[1005]. + +[Note 1005: _Procès_, t. V, p. 275.--Lottin, _Recherches_, t., p. +286.] + +Deux magistrats avaient acheté la volaille, Pierre Baratin, dont on +trouve le nom dans les comptes de forteresse, en 1429[1006], lors de +l'expédition de Jargeau, et Aignan de Saint-Mesmin, vieillard de +soixante-six ans, très riche bourgeois[1007]. + +[Note 1006: _Procès_, t. V, p. 202.--Lecoy de la Marche, _Jeanne +des Armoises_, p. 568.] + +[Note 1007: Il mourut à l'âge de cent dix-huit ans. (_Procès_ III, +p. 29.)] + +Entre la ville du duc Charles et la ville de la duchesse de +Luxembourg, les courriers se croisaient. Une lettre d'Arlon parvint à +Orléans, le 9 août. Vers la mi-août, un poursuivant d'armes arriva à +Arlon; il se nommait Coeur-de-Lis, en l'honneur de la ville +d'Orléans, dont l'emblème héraldique est un coeur de lis, c'est-à-dire +une sorte de trèfle. Les magistrats d'Orléans l'avaient envoyé vers +Jeanne avec une missive dont nous ignorons la teneur; Jeanne lui remit +une lettre pour le roi, de qui elle sollicitait probablement une +audience. Il la porta tout de suite à Loches où le roi Charles +s'occupait alors des fiançailles de sa fille Yolande avec le prince +Amédée de Savoie[1008]. + +[Note 1008: _Procès_, t. V, p. 326.--Vallet de Viriville, +_Histoire de Charles VII_, t. II, p. 376, note.--G. Lefèvre-Pontalis, +_La fausse Jeanne d'Arc_, p. 23, n. 5.] + +Le poursuivant d'armes, après quarante et un jours de voyage, revint, +le 2 septembre, vers les procureurs qui l'avaient envoyé. Ceux-ci +firent servir, selon l'usage, dans la chambre de la maison de ville, +du pain, du vin, des poires et des cerneaux et firent boire le +messager, qui disait avoir grand'soif. Il en coûta deux sous quatre +deniers parisis à la ville, sans préjudice de six livres pour frais de +voyage, qui furent payées le mois suivant. Le varlet de la ville, qui +fournit les cerneaux, était Jacquet Leprestre, déjà en fonctions à +l'époque du siège. Les procureurs avaient reçu une autre lettre de +cette Pucelle le 25 août[1009]. + +[Note 1009: _Ibid._, t. V, p. 327.] + +Jean du Lys faisait en vérité tout ce qu'il aurait fait si vraiment il +avait retrouvé sa soeur miraculeuse. Il se rendit auprès du roi et il +lui annonça l'extraordinaire nouvelle. Le roi en crut bien quelque +chose, puisqu'il ordonna qu'on remît à Jean du Lys une gratification +de cent francs. Sur quoi, Jean alla réclamer ces cent francs au +trésorier du roi, qui en bailla vingt. Les coffres du Victorieux +n'étaient pas encore pleins à cette époque. + +Jean, de retour à Orléans, se présenta devant la chambre de la ville; +il fit connaître aux procureurs qu'il ne lui restait plus que huit +francs, et que c'était peu de chose pour s'en retourner en Lorraine +avec les quatre personnes de sa suite. Les magistrats lui firent +donner douze francs[1010]. + +[Note 1010: _Procès_, t. V, p. 326.--Lottin, _Recherches_, t. I, +pp. 284-285.] + +Jusque-là, chaque année, l' «anniversaire» de la feue Pucelle était +célébré la surveille et la veille de la Fête-Dieu en l'église +Saint-Sanxon[1011]. L'an 1435, huit religieux des quatre ordres +mendiants chantèrent chacun une messe pour le repos de l'âme de +Jeanne. En cette année 1436 les magistrats firent brûler quatre +cierges pesant ensemble neuf livres et demie, auxquels était suspendu +l'écu de la Pucelle, à l'épée d'argent soutenant la couronne de +France; mais à la nouvelle que Jeanne était vivante, ils cessèrent +d'ordonner un service funèbre à son intention[1012]. + +[Note 1011: Depuis 1432. Toutefois il ne reste pas trace d'obit +pour les années 1433 et 1434. Il fut célébré de nouveau en 1439.] + +[Note 1012: _Procès_, t. V, pp. 274, 275.--Lottin, _Recherches_, +t. I, p. 286.] + +Tandis que ses affaires étaient ainsi menées en France, Jeanne se +tenait auprès de la duchesse de Luxembourg; elle y rencontra le jeune +comte Ulrich de Wurtemberg qui ne voulut plus la quitter. Il lui fit +faire une belle cuirasse et l'emmena à Cologne. Elle ne cessait pas de +se dire la Pucelle de France envoyée de Dieu[1013]. + +[Note 1013: _Chronique du doyen de Saint-Thibaud_, dans _Procès_, +t. V. p. 323.--Jean Nider, _Formicarium_, dans _Procès_, t. IV, p. +325.--Lecoy de la Marche, _loc. cit._, p. 566.] + +Depuis le 24 juin, jour de la Saint-Jean-Baptiste, ses vertus lui +étaient revenues. Le comte Ulrich, lui reconnaissant un pouvoir +surnaturel, la pria d'en user pour lui et pour les siens. Il était +grand querelleur et fort engagé dans le schisme qui déchirait alors +l'archevêché de Trèves. Deux prélats se disputaient ce siège; l'un +Udalric de Manderscheit, désigné par le Chapitre, l'autre, Raban de +Helmstat, évêque de Spire, nommé par le pape[1014]. Udalric tint la +campagne avec une petite armée, assiégea par deux fois et canonna la +ville dont il se disait le véritable pasteur. Ce traitement jeta de +son côté la plus grande partie du diocèse[1015]; mais Raban, très +vieux et débile, avait aussi des armes; elles étaient puissantes, bien +que spirituelles: il prononça l'interdit contre tous ceux qui tenaient +le parti de son compétiteur. + +[Note 1014: _Art de vérifier les dates_, t. XV, pp. 236 et suiv.; +_Gallia Christiana_, t. XIII, pp. 970 et suiv.; Gams, _Series +Episcoporum_ (1873), pp. 317, 319.] + +[Note 1015: Quicherat dit, par erreur (_Procès_, t. IV, p. 502, +note), que la contestation pour l'archevêché de Trèves eut lieu entre +Raban de Helmstat et Jacques de Syrck. Sur Jacques de Syrck ou de +Sierck, cf. de Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. IV, p. 264.] + +Le comte Ulrich de Wurtemberg, qui comptait parmi les plus ardents +partisans d'Udalric, interrogea à son sujet la Pucelle de Dieu[1016]. +Des cas du même genre avaient été soumis à la première Jeanne, lors de +son séjour en France; on lui avait demandé, par exemple, lequel des +trois papes, Benoît, Martin et Clément, était le vrai père des +fidèles, et, sans s'expliquer sur-le-champ, elle avait promis de +désigner, dans Paris, à tête reposée, le pape auquel on devait +obéissance[1017]. La seconde Jeanne répondit avec plus d'assurance +encore; elle déclara connaître le véritable archevêque et se flatta de +l'introniser. + +[Note 1016: Jean Nider, _Formicarium_, liv. V, chap. VIII.--D. +Calmet, _Histoire de Lorraine_, t. II, p. 906.] + +[Note 1017: _Procès_, t. I, pp. 245-246.] + +Celui-là, selon elle, était Udalric de Manderscheit, que le Chapitre +avait désigné. Mais Udalric cité devant le Concile de Bâle y fut +déclaré intrus; et, ce qui n'était point leur règle constante, les +pères confirmèrent la nomination faite par le pape. + +L'intervention de la Pucelle dans cette querelle ecclésiastique attira +malheureusement sur elle l'attention de l'inquisiteur général de la +ville de Cologne, Henry Kalt Eysen, insigne professeur de théologie: +recueillant les bruits qui couraient par la ville sur la protégée du +jeune prince, il connut qu'elle portait des vêtements dissolus, se +livrait aux danses avec des hommes, buvait et mangeait plus qu'il +n'est permis et pratiquait la magie. Il sut notamment que, dans une +assemblée, cette fille déchira une nappe, puis la rétablit dans son +premier état, et qu'ayant brisé contre la muraille un verre, elle en +réunit ensuite les morceaux par un merveilleux artifice. À ces +oeuvres, Kalt Eysen la soupçonnait véhémentement d'hérésie et de +sorcellerie. Il la cita devant son tribunal; elle refusa de +comparaître; cette désobéissance affligea l'inquisiteur général, qui +fit rechercher la défaillante. Mais le jeune comte de Wurtemberg cacha +sa Pucelle chez lui, et puis il la fit sortir secrètement de la ville. +Elle échappa ainsi au sort de celle qu'elle ne se souciait pas +d'imiter jusqu'à la fin. L'inquisiteur l'excommunia, faute de +mieux[1018]. + +[Note 1018: Jean Nider, _Formicarium_, dans _Procès_, t. IV, p. +502; t. V, p. 324.] + +Réfugiée à Arlon auprès de la duchesse de Luxembourg sa protectrice, +elle y rencontra Robert des Armoises, seigneur de Tichemont, qu'elle +avait peut-être vu déjà, au printemps, à Marville, où il faisait sa +résidence habituelle. Ce gentilhomme était probablement fils d'un +seigneur Richard, gouverneur du duché de Bar en 1416. On ne sait rien +de lui, sinon qu'ayant fait passer une terre en mains étrangères, sans +la participation du duc de Bar, il vit cette terre confisquée et +donnée au sieur d'Apremont, à la charge de la prendre. + +La présence du seigneur Robert à Arlon n'avait rien d'extraordinaire; +le château de Tichemont, dont il était seigneur, s'élevait dans le +voisinage de cette ville. D'une naissance illustre, il était toutefois +besogneux[1019]. + +[Note 1019: H. Vincent, _La maison des Armoises, originaire de +Champagne_, dans _Mémoires de la Société d'Archéologie lorraine_, 3e +série, t. V (1877), p. 324.--G. Lefèvre-Pontalis, _La fausse Jeanne +d'Arc_, p. 2, n. 4.] + +La Pucelle retrouvée l'épousa[1020], apparemment par la volonté de la +duchesse de Luxembourg. D'après le sentiment du sacré inquisiteur de +Cologne, ce mariage ne fut contracté que pour garantir cette femme +contre l'interdit et la soustraire au glaive ecclésiastique[1021]. + +[Note 1020: Don Calmet, dans son _Histoire de Lorraine_ (t. V., +pp. CLXIV et suiv.), dit que le contrat de mariage entre Robert des +Armoises et la Pucelle de France, longtemps conservé dans la famille, +était perdu de son temps. Il ne faut point en avoir de regret. On sait +aujourd'hui que ce contrat avait été fabriqué par le P. Jérôme +Vignier. Le comte de Marsy (_la fausse Jeanne d'Arc, Claude des +Armoises; du degré de confiance à accorder aux découvertes de Jérôme +Vignier_, Compiègne, 1890) et M. Tamizey de Larroque (_Revue Critique_ +du 20 octobre 1890).--Sur d'autres faux de J. Vignier, cf. Julien +Havet, _Questions Mérovingiennes_, II.] + +[Note 1021: Jean Nider, _Formicarium_, liv. V, chap. +VIIIi.--_Procès_, t. IV, pp. 503, 504.] + +Sitôt après son mariage, elle alla vivre à Metz, dans l'hôtel que son +mari habitait devant l'église Sainte-Ségolène, au-dessus de la porte +Sainte-Barbe. Elle était, dès lors, Jeanne du Lys, la Pucelle de +France, dame de Tichemont. Ces noms lui sont donnés dans un contrat en +date du 7 novembre 1436, par lequel Robert des Armoises et sa femme, +autorisée par lui, vendent à Collard de Failly, écuyer, demeurant à +Marville, et à Poinsette, sa femme, le quart de la seigneurie +d'Haraucourt. Jean de Thoneletil, seigneur de Villette, et Saubelet de +Dun, prévôt de Marville, à la demande de leurs très chers et grands +amis, messire Robert et dame Jeanne, mirent sur le contrat leurs +sceaux avec ceux des vendeurs, en témoignage de vérité[1022]. + +[Note 1022: Quant à l'acte antérieur par lequel «Robert des +Harmoises et la Pucelle Jehanne d'Arc, sa femme», font l'acquisition +de la terre de Fléville (D. Calmet, 2e éd., t. V, p. CLXIV, _note_), +il est extrêmement suspect.] + +En son logis, devant l'église Sainte-Ségolène, la dame des Armoises +mit au monde deux enfants[1023]. Il y avait quelque part en +Languedoc[1024] un honnête écuyer qui, s'il apprit ces naissances, +douta fort que Jeanne la Pucelle et la dame des Armoises fussent la +même personne; c'était Jean d'Aulon, l'ancien maître d'hôtel de +Jeanne; car il ne la croyait pas faite pour avoir des enfants, ayant +obtenu à ce sujet la confidence de femmes bien instruites[1025]. + +[Note 1023: _Chronique du doyen de Saint-Thibaud_, dans _Procès_, +t. V, p. 323.--_Journal d'un bourgeois de Paris_, pp. 354-355.] + +[Note 1024: _Procès_, t. III, p. 206, n. 2.] + +[Note 1025: _Ibid._, t. III, p. 219.] + +Au témoignage de frère Jean Nider, docteur en théologie de +l'Université de Vienne, cette union féconde finit mal. Un prêtre, +selon lui, un prêtre, qu'il faudrait plutôt appeler _leno_, séduisit +cette magicienne par des paroles amoureuses et l'enleva. Mais frère +Jean Nider ajoute que le prêtre conduisit furtivement la dame des +Armoises à Metz et y vécut en concubinage avec elle[1026]; or il est +avéré qu'elle avait son établissement dans cette ville même; donc ce +frère prêcheur parle de ce qu'il ignore[1027]. + +[Note 1026: Jean Nider, _Formicarium_, dans _Procès_, t. V, p. +325.] + +[Note 1027: _Chronique du doyen de Saint-Thibaud_, dans _Procès_, +t. V, pp. 323-324.] + +Ce qui est vrai, c'est qu'elle ne resta guère plus de deux ans cachée +dans l'ombre paisible de Sainte-Ségolène. + +Mariée, elle n'entendait pas renoncer aux prophéties et aux +chevauchées. L'interrogateur demanda à Jeanne, en son procès: «Jeanne, +ne vous a-t-il pas été révélé que, si vous perdiez votre virginité, +vous perdriez votre chance et que vos Voix ne vous viendraient plus?» +Elle nia que cela lui eût été révélé. Et, comme il insistait, lui +demandant si elle croyait que, mariée, ses Voix lui viendraient +encore, elle répondit en bonne chrétienne: «Je ne sais et m'en attends +à Dieu[1028].» De même Jeanne des Armoises estimait que, pour s'être +mariée, elle n'avait pas perdu sa chance. Aussi bien se trouvait-il, +en ce temps de prophétisme, des veuves et des femmes mariées qui, à +l'exemple de Judith de Béthulie, agissaient par inspiration divine. +Telle avait été la dame Catherine de La Rochelle, qui, à la vérité, +n'avait pas fait de très grandes choses[1029]. + +[Note 1028: _Procès_, t. I, p. 183.] + +[Note 1029: _Ibid._, t. I, pp. 106, 108, 119, 296.--_Journal d'un +bourgeois de Paris._] + +Dans l'été de l'an 1439, la dame des Armoises se rendit à Orléans. Les +magistrats lui présentèrent, en guise d'hommage et de réjouissance, le +vin et la viande. Le 1er août, ils lui offrirent à dîner et lui +remirent deux cent dix livres parisis pour le bien qu'elle avait fait +à la ville pendant le siège. Ce sont les termes même par lesquels +cette dépense est consignée dans les comptes de la ville[1030]. + +[Note 1030: Extraits des comptes de la ville d'Orléans, dans +_Procès_, t. V, pp. 331-332.--Lecoy de la Marche, _Une fausse Jeanne +d'Arc_, pp. 570-571.] + +Si les habitants la reconnurent pour la vraie Pucelle Jeanne, ce fut +moins par leurs yeux assurément que sur la foi des frères du Lys. Ils +l'avaient si peu vue, quand on y songe! Dans la semaine de mai, elle +ne s'était montrée à eux qu'armée et chevauchant; puis elle n'avait +plus fait que traverser la ville en juin 1429 et en janvier 1430. Il +est vrai qu'on lui avait offert le vin et que les procureurs s'étaient +assis à table auprès d'elle[1031]; mais il y avait de cela neuf ans. +Neuf ans ne passent pas sur le visage d'une femme sans y faire des +changements. Ils l'avaient laissée fille en son très jeune âge, ils la +retrouvaient femme et mère de deux enfants; ils croyaient sage de s'en +rapporter à ses proches. Où l'on commence à s'émerveiller quelque peu, +c'est quand on songe aux propos qui furent tenus dans le banquet et à +tout ce que la dame dut placer de bourdes et d'incongruités. S'ils ne +furent point désabusés, ces bourgeois étaient des hommes simples et de +bonne volonté. + +[Note 1031: Cédules originales d'Orléans, dans _Procès_, t. V, p. +270.] + +Et qui dit qu'ils ne le furent point? Qui dit qu'après avoir ajouté +foi à la nouvelle portée par Jean du Lys, les habitants ne +commençaient pas à découvrir l'imposture? La croyance que Jeanne +survivait n'était pas tout au moins unanime et générale dans la ville +pendant le séjour de la dame des Armoises, si l'on s'en rapporte aux +comptes des obits dont nous parlions tout à l'heure. Supprimé (à ce +qu'il semble) dans les années trente-sept et trente-huit, le service +funèbre de la Pucelle venait d'être célébré en trente-neuf, la +surveille de la Fête-Dieu, trois mois environ avant le banquet du 1er +août[1032]; en sorte que les Orléanais reconnaissants avaient en même +temps pour leur libératrice des messes en commémoration de sa mort et +des banquets où ils la faisaient boire. + +[Note 1032: _Procès_, t. V, p. 274.--Lottin, _Recherches_, t. I, +p. 286.] + +La dame des Armoises ne resta guère que quinze jours parmi eux. Elle +quitta la ville vers la fin de juillet, et il semble que son départ +ait été brusque et précipité, car, priée à un souper où huit pintes de +vin devaient lui être présentées, elle était déjà partie quand le vin +fut servi; le repas eut lieu sans elle[1033]. Jean Luillier et +Thévanon de Bourges y assistèrent. Ce Thévanon était peut-être le même +que Thévenin Villedart, chez qui habitaient les frères de Jeanne, +pendant le siège[1034]. Quant à Jean Luillier, on reconnaît en lui le +jeune marchand drapier qui, en juin 1429, avait fourni de la fine +bruxelles vermeille pour faire une robe à la Pucelle[1035]. + +[Note 1033: Extraits des comptes de la ville d'Orléans, dans +_Procès_, t. V, pp. 331-332.--Lottin, _Recherches_, t. I, p. 287.] + +[Note 1034: _Procès_, t. V, p. 260.] + +[Note 1035: _Ibid._, t. V, pp. 112-113.] + +La dame des Armoises s'était rendue à Tours, où elle se faisait +connaître comme la véritable Jeanne. Elle remit au bailli de Touraine +une lettre pour le roi; le bailli se chargea de la faire tenir au +prince qui se trouvait alors à Orléans, où il était arrivé peu de +temps après le départ de Jeanne. Le bailli de Touraine, en 1439, +n'était autre que Guillaume Bellier qui, lieutenant de Chinon, dix ans +auparavant, avait reçu la Pucelle dans sa maison, sous la garde de sa +dévote femme[1036]. + +[Note 1036: _Procès_, t. III, p. 17; t. V, p. 327.] + +En même temps que cette lettre, Guillaume Bellier adressa, par +messager, au roi, une note «touchant le fait de la dame Jeanne des +Armoises[1037]». On en ignore entièrement la teneur[1038]. + +[Note 1037: _Procès_, t. V, p. 332.--G. Lefèvre-Pontalis, _La +fausse Jeanne d'Arc_, pp. 23-24.] + +[Note 1038: _Procès_, t. V, p. 332.] + +Peu de temps après, cette dame s'en alla en Poitou où elle se mit au +service du seigneur Gille de Rais, maréchal de France[1039], qui, dans +sa prime jeunesse, avait conduit la Pucelle à Orléans, fait comme elle +la campagne du sacre, assailli avec elle les murailles de Paris et, +pendant la captivité de Jeanne, occupé Louviers et poussé une pointe +hardie sur Rouen. Maintenant, il dépeuplait d'enfants ses vastes +seigneuries, et, mêlant la magie à l'orgie, offrait aux démons le sang +et les membres d'innombrables victimes. Ses monstruosités sanglantes +répandaient la terreur autour de ses châteaux de Tiffauges et de +Machecoul, et déjà le bras ecclésiastique était sur lui. + +[Note 1039: Vallet de Viriville, _Notices et extraits de chartes +et de manuscrits appartenant au British Museum_, dans _Bibliothèque de +l'École des Chartes_, t. VIII, 1846, p. 116.] + +La dame des Armoises pratiquait la magie, au dire du sacré inquisiteur +de Cologne, pourtant ce ne fut pas comme invocatrice de démons que +l'employa le maréchal de Rais; il lui confia la charge et le +gouvernement de gens de guerre[1040]; à peu près l'état que Jeanne +tenait à Lagny et à Compiègne. Fit-elle de grandes vaillances d'armes? +On ne sait. Toujours est-il qu'elle ne garda pas longtemps sa charge, +qui fut donnée après elle à un écuyer gascon nommé Jean de +Siquemville[1041]. Dans le printemps de 1440, elle s'approcha de +Paris[1042]. + +[Note 1040: Abbé Bossard, _Gille de Rais_, p. 174.] + +[Note 1041: Lettre de Rémission, dans _Procès_, t. V, pp. +332-334.] + +[Note 1042: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 335.--Lecoy de +la Marche, _Une fausse Jeanne d'Arc_, p. 574.] + +Depuis près de deux ans et demi, la grande ville obéissait au roi +Charles, qui y avait fait son entrée, sans y ramener la prospérité. +Partout des maisons, abandonnées, tombaient en ruines; les loups +venaient dans les faubourgs dévorer les petits enfants[1043]. +Bourguignons naguère, les habitants n'avaient pas tous oublié que la +Pucelle, en compagnie du frère Richard et des Armagnacs, avait attaqué +leur ville le jour de la Nativité de Notre-Dame. Beaucoup, sans doute, +lui en gardaient rancune et la croyaient brûlée pour ses démérites; +mais son nom ne soulevait pas, comme en 1429, une réprobation unanime. +Plusieurs, même parmi ses anciens ennemis, s'avisaient[1044] qu'elle +était martyre pour son légitime seigneur. C'est ce qu'on disait dans +la ville de Rouen; on le devait dire bien davantage dans la ville de +Paris redevenue française. Au bruit que Jeanne n'était pas morte; +qu'elle avait été reconnue par ceux d'Orléans et qu'elle approchait de +la ville, le menu peuple parisien s'émut et l'on put craindre des +troubles. + +[Note 1043: _Journal d'un bourgeois de Paris_, pp. 338 et +suiv.--De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. III, pp. 384 et +suiv.] + +[Note 1044: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 270.] + +En 1440, sous Charles de Valois, l'Université de Paris était animée du +même esprit qu'en 1431, sous Henri de Lancastre; elle respectait, elle +honorait le roi de France, gardien de ses privilèges et défenseur des +libertés de l'Église gallicane. Les insignes maîtres n'éprouvaient +aucun remords d'avoir réclamé et obtenu le châtiment de la Pucelle +hérétique et coupable de sédition. Est hérétique quiconque s'obstine +dans son erreur; est séditieux qui tente de renverser les puissances +et n'y réussit pas. Dieu qui voulait, en 1440, que Charles de Valois +fût maître dans sa ville de Paris, ne l'avait pas voulu en 1429; donc +la Pucelle avait combattu contre Dieu. L'Université eût, en 1440, +poursuivi d'un même zèle le châtiment d'une pucelle anglaise. + +Les magistrats de Poitiers, rentrés après un long et douloureux exil +dans leur vieille demeure parisienne, siégeaient au Parlement avec les +Bourguignons convertis[1045]. Ces fidèles serviteurs du dauphin +Charles qui, dans les mauvais jours, avaient mis en oeuvre la Pucelle, +ne se seraient pas souciés, en 1440, de soutenir publiquement la +vérité de sa mission et la pureté de sa foi. Brûlée par les Anglais, +c'est bientôt dit. Un procès fait par un évêque et le vice-inquisiteur +avec le concours de l'Université n'est pas un procès anglais; c'est un +procès à la fois très gallican et très catholique. La mémoire de +Jeanne est notée d'infamie à la face de la chrétienté. Et nul recours. +Le pape pourrait seul casser ce procès religieux, mais il ne le +voudrait point, de peur de mécontenter le roi de la catholique +Angleterre et parce qu'il ne peut, sans ruiner toute autorité humaine +et divine, admettre qu'un inquisiteur de la foi ait failli dans son +jugement. Les clercs français s'inclinent et se taisent; dans les +assemblées du clergé on n'ose prononcer le nom de Jeanne. + +[Note 1045: De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. III, chap. +XVI.] + +Heureusement pour eux que, à l'égard de la dame des Armoises, ni les +docteurs et maîtres de l'Université, ni les anciens membres du +Parlement de Poitiers ne partagent l'illusion populaire. Ils ne +doutent pas que la Pucelle n'ait été brûlée à Rouen. Craignant que +cette femme, qui se donne pour la libératrice d'Orléans, ne fasse une +entrée tumultueuse dans la ville, le Parlement et l'Université +envoient au devant d'elle des hommes d'armes qui l'appréhendent et la +conduisent au Palais[1046]. + +[Note 1046: _Journal d'un bourgeois de Paris_, pp. 354-355.--Lecoy +de la Marche, _Une fausse Jeanne d'Arc_, p. 574.] + +Elle fut interrogée, jugée et condamnée à l'exposition publique. Il y +avait en haut des degrés de la cour appelée Cour-de-Mai une table de +marbre sur laquelle on exposait les malfaiteurs. La dame des Armoises +et de Tichemont y fut hissée et montrée au peuple qu'elle avait abusé. +Suivant la coutume, on la prêcha et on la contraignit à se confesser +publiquement[1047]. + +[Note 1047: _Journal d'un bourgeois de Paris_, _loc. cit._] + +Elle déclara qu'elle n'était pas pucelle et que, mariée à un +chevalier, elle avait eu deux fils. Elle raconta qu'un jour, en +présence de sa mère, entendant une femme tenir sur elle des propos +outrageants, elle s'élança pour la battre, mais, retenue par sa mère, +ce fut celle-ci qu'elle frappa. Elle eût évité de la toucher, n'eût +été la colère. Toutefois, c'était là un cas réservé. Quiconque avait +porté la main tant sur son père ou sa mère que sur un prêtre ou un +clerc, devait aller en demander pardon au Saint-Père, à qui +appartenait seul de lier ou de délier le pécheur. Ainsi avait-elle +fait. «Je fus à Rome, dit-elle, en habit d'homme. Je fis, comme +soldat, la guerre du Saint-Père Eugène, et, dans cette guerre, je fus +homicide par deux fois.» + +À quelle époque avait-elle fait ce voyage de Rome? Probablement avant +l'exil du pape Eugène à Florence, vers l'an 1433, alors que les +condottieri du duc de Milan s'avancèrent jusqu'aux portes de +Rome[1048]. + +[Note 1048: _Ibid._, pp. 354-355.--Lecoy de la Marche, _Une fausse +Jeanne d'Arc_, p. 574.--G. Lefèvre-Pontalis, _La fausse Jeanne d'Arc_, +p. 27.] + +On ne voit point que l'Université, l'ordinaire ni le Grand +Inquisiteur, aient réclamé cette femme suspecte de sorcellerie, +d'homicide, et qui portait des habits dissolus. Elle ne fut pas +poursuivie comme hérétique, sans doute parce qu'elle ne se montra pas +opiniâtre et que l'opiniâtreté constitue seule l'hérésie. + +Depuis lors, elle ne fit plus parler d'elle. On croit, mais sans +raisons suffisantes, qu'elle finit par retourner à Metz auprès du +chevalier des Armoises, son mari, et qu'elle vécut, paisible et +honorée, jusqu'à un âge avancé, dans la maison où ses armoiries +étaient sculptées sur la porte, ses armoiries, ou plutôt celles de +Jeanne la Pucelle, l'épée, la couronne et les Lis[1049]. + +[Note 1049: Vergnaud-Romagnesi, _Des portraits de Jeanne d'Arc et +de la fausse Jeanne d'Arc_ et _Mémoire sur les fausses Jeanne d'Arc_, +dans les _Mémoires de la Société d'Agriculture d'Orléans_, 1854, +in-8º.] + +Le succès de cette supercherie avait duré quatre ans. Il ne faut pas +en concevoir trop de surprise. De tout temps le peuple se résigne avec +peine à croire à la fin irréparable des existences qui ont émerveillé +son imagination; il n'admet pas que des personnes fameuses viennent à +mourir d'un coup et malencontreusement comme le vulgaire; il répugne +au brusque dénouement des belles aventures humaines. Toujours les +imposteurs, comme la dame des Armoises, trouvent des gens qui les +croient. Et celle-ci parut en un temps singulièrement favorable au +mensonge; les hommes étaient abêtis par une longue misère; partout la +guerre empêchait les communications; on ne savait plus ce qui se +passait un peu loin; tout dans les esprits, dans les choses, était +trouble, ignorance, confusion. + +Encore cette fausse Jeanne n'en imposa si longtemps que grâce à +l'appui que les frères Du Lys lui prêtèrent. Furent-ils dupes ou +complices? Si faibles d'esprit qu'on les suppose, il n'est guère +possible de penser qu'ils se laissèrent tromper par une aventurière. +Ressemblât-elle beaucoup à la fille de la Romée, la femme de la +Grange-aux-Ormes ne pouvait longtemps abuser deux hommes qui, nourris +avec Jeanne et venus avec elle en France, la connaissaient intimement. + +S'ils ne furent pas dupes, quelles raisons donner de leur conduite? +Ils avaient beaucoup perdu en perdant leur soeur. Quand il vint à la +Grange-aux-Ormes, Pierre Du Lys sortait des prisons bourguignonnes; la +dot de sa femme avait payé sa rançon et il se trouvait dans un complet +dénuement[1050]. Jean, bailli de Vermandois, puis capitaine de +Chartres, et, vers 1436, bailli de Vaucouleurs, n'était guère mieux +dans ses affaires[1051]. Cela expliquerait bien des choses. Pourtant +on hésite à penser qu'ils aient, seuls, d'eux-mêmes, sans appui, joué +un jeu difficile, hasardeux et périlleux. Sur le peu que l'on sait de +leur vie, on se figure qu'ils étaient tous deux bien simples, bien +naïfs, bien tranquilles, pour mener une telle intrigue. + +[Note 1050: _Procès_, t. V, pp. 210, 213.] + +[Note 1051: _Ibid._, t. V, p. 279.] + +On serait tenté de croire qu'ils y furent entraînés par de plus +grands et de plus forts qu'eux. Qui sait? Peut-être par des serviteurs +indiscrets du roi de France. Charles VII souffrait cruellement dans +son honneur de la condamnation et du supplice de Jeanne. N'est-il pas +possible qu'autour du roi et de son Conseil il se soit trouvé des +agents trop zélés, qui imaginèrent cette étrange apparition afin de +faire croire que Jeanne la Pucelle n'était pas morte de la mort des +sorcières, mais que, par la vertu de son innocence et de sa sainteté, +elle avait échappé aux flammes? De la sorte, imaginée à une époque où +il paraissait impossible d'obtenir jamais du pape la revision du +procès de 1431, l'imposture de cette fausse Jeanne aurait constitué un +essai subreptice et frauduleux de réhabilitation, tentative +malheureuse, bientôt abandonnée et réprouvée. + +Cette supposition expliquerait comment les frères Du Lys, qui +s'étaient mis dans un mauvais cas, car ils avaient séduit le peuple, +trompé le roi, commis enfin un crime de lèse-majesté, n'en furent +point châtiés, ni même disgraciés. Jean resta prévôt de Vaucouleurs, +durant de longues années, puis, déchargé de sa capitainerie, toucha en +échange une somme d'argent. Pierre, qui, de même que la Romée, sa +mère, habitait Orléans, reçut en 1443 du duc Charles, rentré depuis +trois ans en France, l'Île-aux-Boeufs[1052], sur la Loire, qui donnait +un peu d'herbage. Il n'en resta pas moins besogneux, et il se faisait +aider par le duc et les habitants d'Orléans[1053]. + +[Note 1052: _Procès_, t. V, pp. 212-214.--Lottin, _Recherches_, t. +I, p. 287.--Duleau _Vidimus d'une charte de Charles VII, concédant à +Pierre du Lys la possession de l'Isle-aux-Boeufs_, Orléans, 1860, +in-8º 6.--G. Lefèvre-Pontalis, _La fausse Jeanne d'Arc_, p. 28, note +1.] + +[Note 1053: Je n'ai pas fait usage du témoignage très tardif de +Pierre Sala (_Procès_, t. IV, p. 281), très vague, un peu fabuleux et +qui ne peut en aucune façon s'agencer dans la vie de la dame des +Armoises. Sur la bibliographie très intéressante du sujet, voyez +Lanéry d'Arc, _Le livre d'or de Jeanne d'Arc_, pp. 573, 580 et G. +Lefèvre-Pontalis, _La fausse Jeanne d'Arc_, Paris, 1895, in-8º, à +propos du récit de M. Gaston Save. + +On a supposé, sans en donner aucune preuve, que cette fausse Jeanne +d'Arc était une soeur de la Pucelle (Lebrun de Charmettes, _Histoire +de Jeanne d'Arc_, t. IV, pp. 291 et suiv.).--Francis André, _La vérité +sur Jeanne d'Arc_, Paris 1895, in-18, pp. 75 et suiv.] + + + + +CHAPITRE XVI + +APRÈS LA MORT DE LA PUCELLE (_Suite_).--LES JUGES DE ROUEN AU CONCILE +DE BÂLE ET LA PRAGMATIQUE SANCTION.--LE PROCÈS DE RÉHABILITATION.--LA +PUCELLE DE SARMAIZE.--LA PUCELLE DU MANS. + + +D'année en année, le concile de Bâle déroulait ses sessions comme la +queue d'un dragon apocalyptique. Par la manière dont il réformait +l'Église dans ses membres et dans son chef, il faisait l'épouvante du +Souverain Pontife et du Sacré Collège; Æneas Sylvius s'écriait +douloureusement: «Certes, ce n'est pas l'Église de Dieu qui est +rassemblée à Bâle, mais la synagogue de Satan[1054].» Paroles qui, +dans la bouche d'un cardinal romain, ne sembleront pas trop fortes, +appliquées à l'assemblée qui vota la liberté des élections +épiscopales, la suppression des annates, des droits de pallium, des +taxes de chancellerie, et qui voulait ramener le Saint-Père à la +pauvreté évangélique. Au contraire, le roi de France et l'empereur +regardaient favorablement le synode, lorsqu'il s'efforçait de contenir +l'ambition et la rapacité de l'évêque de Rome. + +[Note 1054: De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. III, p. +335.] + +Or, parmi les Pères les plus zélés à réformer l'Église, brillaient les +maîtres et docteurs de l'Université de Paris, qui avaient siégé au +procès de la Pucelle, et notamment maître Nicolas Loiseleur et maître +Thomas de Courcelles. Charles VII convoqua une assemblée du clergé du +royaume à l'effet d'examiner les canons de Bâle. Cette assemblée se +réunit dans la Sainte-Chapelle de Bourges, le 1er mai 1438. Maître +Thomas de Courcelles, délégué par le Concile, y conféra avec le +seigneur évêque de Castres. Or, en 1438, le seigneur évêque de +Castres, élégant humaniste, zélé conseiller de la Couronne, qui se +plaignait dans ses lettres cicéroniennes que, attaché à la glèbe de la +cour, il ne lui restât pas le temps de visiter son épouse[1055], +n'était autre que maître Gérard Machet, le confesseur du Roi qui, en +1429, avait, parmi les clercs de Poitiers, allégué l'autorité des +prophéties en faveur de la Pucelle, en qui ne se voyaient que candeur +et bonté[1056]. Maître Thomas de Courcelles avait opiné, à Rouen, pour +que la Pucelle fût appliquée à la torture et livrée au bras +séculier[1057]. À l'assemblée d'Orléans, les deux hommes d'Église +s'accordèrent sur la suprématie des Conciles généraux, la liberté des +élections épiscopales, la suppression des annates et les droits de +l'Église gallicane. Sans doute qu'à ce moment il ne souvenait guère ni +à l'un ni à l'autre de la pauvre Pucelle. Des travaux de l'assemblée, +auxquels maître Thomas prit une grande part, sortit l'édit solennel +rendu par le roi le 7 juillet 1438: la pragmatique sanction. Les +canons de Bâle devenaient la constitution de l'Église de France[1058]. + +[Note 1055: Le P. Ayroles, _La Pucelle devant l'église de son +temps_, p. 10.] + +[Note 1056: _Procès_, t. III, p. 565.] + +[Note 1057: _Procès_, t. I, p. 403.] + +[Note 1058: _Ordonnances_, t. XIII, pp. 267, 291.--_Preuves des +libertés de l'Église gallicane_, édit. Lenglet-Dufresnoy, deuxième +partie, p. 6.--De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. III, pp. +353, 361.--N. Arlos, _Histoire de la Pragmatique sanction_, _etc._] + +L'empereur admit pareillement la réforme de Bâle. Les Pères en +conçurent une telle audace qu'ils citèrent le pape Eugène à leur +tribunal et, sur son refus d'y paraître, le déposèrent comme +désobéissant, opiniâtre, rebelle, violateur des canons, perturbateur +de l'unité ecclésiastique, scandaleux, simoniaque, parjure, +incorrigible, schismatique, hérétique endurci, dissipateur des biens +de l'Église, pernicieux et damnable[1059]. Ainsi s'exprimèrent à +l'endroit du Saint-Père, entre autres docteurs, maître Jean Beaupère, +maître Thomas de Courcelles et maître Nicolas Loiseleur, qui avaient +tous trois si durement reproché à Jeanne de ne se point vouloir +soumettre au pape[1060]. Maître Nicolas, qui s'était tant démené au +procès de la Pucelle, faisant tour à tour le prisonnier lorrain et +madame sainte Catherine, et qui, lorsqu'elle fut conduite au bûcher, +courut après elle comme un fou[1061], maître Nicolas s'agita beaucoup +aussi dans le synode et s'y donna une certaine importance. Il y +soutint l'opinion que le Concile général, canoniquement assemblé, +était au-dessus du pape et pouvait le déposer; et, bien que ce +chanoine fût seulement maître ès arts, il parut assez habile aux Pères +de Bâle pour qu'ils l'envoyassent, en 1439, comme jurisconsulte à la +diète de Mayence. Pendant ce temps, son attitude désolait le chapitre +qui l'avait député au synode. Les chanoines de Rouen prenaient le +parti du Souverain Pontife contre les Pères et, sur ce point, se +séparaient de l'Université de Paris. Désavouant leur mandataire, ils +lui signifièrent sa révocation le 28 juillet 1438[1062]. + +[Note 1059: Hefelé, _Histoire de l'Église gallicane_, t. XX, p. +357.--De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. III, p. 363.--De +Beaurepaire, _Les États de Normandie sous la domination anglaise_, pp. +66-67, 185-188.] + +[Note 1060: Du Boulay, _Hist. Universitatis_, t. V, p. 431.--De +Beaurepaire, _Notes sur les juges_, p. 28.] + +[Note 1061: _Procès_, t. II, pp. 10, 12, 332, 362; t. III, pp. 60, +133, 141, 145, 156, 162, 173, 181.] + +[Note 1062: De Beaurepaire, _Notes sur les juges et assesseurs du +procès de condamnation_, p. 78, 82.] + +Maître Thomas de Courcelles, l'un de ceux qui déclarèrent le pape +désobéissant, opiniâtre, rebelle et le reste, fut nommé commissaire +pour l'élection d'un nouveau pape, et, comme Loiseleur, délégué à la +diète de Mayence. Mais il ne fut pas, comme Loiseleur, désavoué par +ses commettants, car il était député de l'Université de Paris qui +reconnaissait le pape du Concile, Félix, pour le vrai père des +fidèles[1063]. Dans l'assemblée du clergé de France, tenue à Bourges, +au mois d'août 1440, maître Thomas prit la parole au nom des Pères de +Bâle; il parla pendant deux heures, à l'entière satisfaction du +roi[1064]. Charles VII, tout en demeurant dans l'obéissance du pape +Eugène, maintenait la pragmatique. Maître Thomas de Courcelles était +désormais une des colonnes de l'Église de France. + +[Note 1063: J. Quicherat, _Aperçus nouveaux_, p. 106.] + +[Note 1064: De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. III, p. +372.] + +Pendant ce temps, le gouvernement anglais se déclarait pour le pape +contre le Concile[1065]. Monseigneur Pierre Cauchon, devenu évêque de +Lisieux, était l'ambassadeur du roi Henri VI au synode; il lui advint +à Bâle une mésaventure assez déplaisante. À raison de sa translation +au siège de Lisieux, il devait à la cour de Rome, à titre d'annates, +une somme de 400 florins d'or. Le trésorier général du pape en +Germanie lui signifia que, pour avoir manqué à payer cette somme à la +Chambre apostolique, bien que de longs délais lui eussent été +accordés, il avait encouru l'excommunication; que, de plus, pour +s'être permis, quoique excommunié, de célébrer l'office divin, il +avait encouru l'irrégularité[1066]. Il en dut éprouver une contrariété +assez vive; mais ces sortes d'affaires, en somme, étaient fréquentes +et sans grande conséquence; de telles foudres tombaient dru sur les +gens d'Église sans leur faire grand mal. + +[Note 1065: De Beaurepaire, _Les États de Normandie sous la +domination anglaise_, pp. 66, 67, 185, 188.--De Beaucourt, _loc. +cit._, p. 362.] + +[Note 1066: De Beaurepaire, _loc. cit._, p. 17.--_Notes sur les +juges et assesseurs du procès de condamnation_, p. 117 et _Recherches +sur le procès_, p. 124.] + +À partir de 1444, le royaume de France, débarrassé de ses ennemis et +de ses défenseurs, laboura, travailla à tous les métiers, fit le +négoce et s'enrichit. Le gouvernement du roi Charles conquit vraiment +la Normandie dans l'intervalle des guerres et durant les trêves, en +faisant avec elle le commerce des marchandises et l'échange des +denrées; il la gagna, peut-on dire, en abolissant les péages et les +droits sur les rivières de Seine, d'Oise et de Loire; il n'eut plus +ensuite qu'à la prendre. Ce fut si facile que, dans cette rapide +campagne de 1449[1067], le connétable lui-même ne fut pas battu, ni le +duc d'Alençon. Charles VII reprit sa ville de Rouen à sa manière +royale et douce, comme vingt ans auparavant il avait pris Troyes et +Reims, par entente avec ceux du dedans, moyennant amnistie et octroi +de franchises et privilèges aux bourgeois. Il y fit son entrée le +lundi 10 novembre 1449. Le gouvernement français se sentit même assez +fort pour reprendre l'Aquitaine, si profondément anglaise. En 1451, +monseigneur le Bâtard, maintenant comte de Dunois, s'empara de la +forteresse de Blaye; Bordeaux et Bayonne se rendirent la même année. +Voici comme le seigneur évêque du Mans célébra ces conquêtes, dignes +de la majesté du roi très chrétien: + +«Le Maine, la Normandie, l'Aquitaine, ces belles provinces, sont +rentrées sous l'obéissance du roi, presque sans effusion de sang +français, sans qu'il ait été nécessaire de renverser les remparts de +tant de villes si bien murées, sans qu'on ait eu à démolir leurs +forts, sans que les habitants aient eu à souffrir ni pillages ni +meurtres[1068].» + +[Note 1067: De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. V, chap. +I.] + +[Note 1068: Lanéry d'Arc, _Mémoires et consultations en faveur de +Jeanne d'Arc_, p. 249.] + +En effet, la Normandie et le Maine se revoyaient françaises avec un +plein contentement. La ville de Bordeaux, seule, regrettait les +Anglais dont le départ la ruinait. Elle se révolta en 1452; on eut +quelque peine à la reprendre, mais ce fut pour la garder toujours. + +Dès lors, riche et victorieux, le roi Charles voulut effacer la tache +imprimée à son honneur royal par la sentence de 1431. Soucieux de +prouver au monde entier qu'il n'avait pas été mené à son sacre par une +sorcière, il s'efforça d'obtenir que le procès de la Pucelle fût +cassé. C'était un procès d'Église et le pape seul pouvait en ordonner +la revision. Le roi pensait l'y amener, bien qu'il sût que ce ne +serait pas facile. Il fit procéder, au mois de mars 1450, à une +information préalable[1069]; et l'affaire en resta là jusqu'à la venue +en France du cardinal d'Estouteville, légat du Saint-Siège. Le pape +Nicolas l'avait envoyé pour négocier, auprès du roi de France, la paix +avec l'Angleterre et la croisade contre les Turcs. Le cardinal +d'Estouteville, issu d'une famille normande, put plus facilement qu'un +autre découvrir le fort et le faible du procès de Jeanne. Pour se +concilier les bonnes grâces du roi Charles, il ouvrit comme légat une +nouvelle information à Rouen, avec l'assistance de Jean Bréhal, de +l'ordre des frères prêcheurs, inquisiteur de la foi au royaume de +France. Mais l'intervention du légat ne fut point approuvée par le +pape[1070]; durant trois ans, la revision demeura suspendue. Nicolas V +ne consentait pas à laisser croire que le sacré tribunal de la très +sainte Inquisition fût faillible et pût avoir, ne fût-ce qu'une fois, +rendu une sentence injuste. On avait à Rome une raison plus forte +encore de ne point toucher au procès de 1431: les Français demandaient +la revision; les Anglais s'y opposaient, et le pape ne voulait pas +fâcher les Anglais qui étaient alors aussi catholiques et plus +catholiques même que les Français[1071]. + +[Note 1069: _Procès_, t. II, pp. 1, 22.] + +[Note 1070: _Gallia Christiana_, t. III, col. 1129 et t. XI, col. +90.--De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. V, p. 219.--Le P. +Ayroles, _La Pucelle devant l'Église de son temps_, chap. VI.] + +[Note 1071: De Beaurepaire, _Les États de Normandie sous la +domination anglaise_, pp. 185, 188.] + +Pour tirer le pape d'embarras et le mettre à l'aise, le gouvernement +de Charles VII trouva un biais. Le roi ne parut plus dans l'affaire; +il céda la place à la famille de la Pucelle. La mère de Jeanne, +Isabelle Romée de Vouthon, qui vivait retirée à Orléans[1072], et ses +deux fils, Pierre et Jean du Lys, demandèrent la revision[1073]. Par +cet artifice de procédure, l'affaire cessait d'être politique et ne +concernait plus que des particuliers. Sur ces entrefaites, Nicolas V +vint à mourir (24 mars 1455). Son successeur, Calixte III Borgia, +vieillard de soixante-dix-huit ans, par un rescrit en date du 11 juin +1455, donna l'autorisation d'instruire la cause. À cet effet, il +désigna Jean Jouvenel des Ursins, archevêque de Reims, Guillaume +Chartier, évêque de Paris, et Richard Olivier, évêque de Coutances, +qui devaient agir concurremment avec le Grand Inquisiteur de +France[1074]. + +[Note 1072: _Procès_, t. V, p. 276.] + +[Note 1073: _Ibid._, t. II, pp. 108, 112.] + +[Note 1074: _Ibid._, t. II, p. 95.--Le P. Ayroles, _La Pucelle +devant l'Église de son temps_, p. 607.--J. Belon et F. Balme, _Jean +Bréhal, grand inquisiteur de France et la réhabilitation de Jeanne +d'Arc_, Paris, 1893, in-4º.] + +Il fut bien convenu, tout d'abord, qu'il ne s'agissait point de mettre +en cause tous ceux qui avaient eu part au procès, «car ils avaient été +trompés». On admit spécialement que la fille des rois, la mère des +études, l'Université de Paris, avait été induite en erreur par la +rédaction frauduleuse des douze articles; on s'accorda pour tout +rejeter sur l'évêque de Beauvais et sur le promoteur Guillaume +d'Estivet, tous deux décédés. La précaution était utile, car, si l'on +n'y avait pris garde, on aurait terriblement embarrassé certains +docteurs puissants auprès du roi et chers à l'Église de France. + +Le 7 novembre 1455, Isabelle Romée et ses deux fils, suivis d'un long +cortège d'honorables hommes ecclésiastiques et séculiers et de prudes +femmes, vinrent en l'église Notre-Dame de Paris demander justice aux +prélats, commissaires du pape[1075]. + +[Note 1075: _Procès_, t. II, pp. 82, 92.] + +Citation fut donnée à Rouen pour le 12 décembre aux dénonciateurs et +accusateurs de la feue Jeanne. Personne ne se présenta[1076]. Les +héritiers de feu messire Pierre Cauchon déclinèrent toute solidarité +avec les actes de leur parent décédé et se couvrirent, quant à la +responsabilité civile, de l'amnistie accordée par le roi lors de la +recouvrance de la Normandie[1077]. On procéda, comme on s'y était bien +attendu, sans contradiction ni débats. + +[Note 1076: _Ibid._, t. II, pp. 92, 112.] + +[Note 1077: _Ibid._, t. II, pp. 193, 196.] + +Des enquêtes furent ouvertes à Domremy, à Orléans, à Paris, à +Rouen[1078]. Les amies d'enfance de Jeannette, Hauviette, Mengette, +mariées et vieillies, Jeannette, femme Thévenin, Jeannette, veuve +Thiesselin, Béatrix, veuve Estellin, Jean Morel de Greux, Gérardin +d'Épinal, le bourguignon, et sa femme Isabellette, commère de la fille +de Jacques d'Arc, Perrin le sonneur, l'oncle Lassois, les époux +Leroyer et une vingtaine de paysans de Domremy comparurent; on +entendit messire Bertrand de Poulengy, alors sur ses soixante-trois +ans, écuyer d'écurie du roi de France, et Jean de Novelompont, dit +Jean de Metz, anobli, résidant à Vaucouleurs, en possession de quelque +office militaire; on entendit des gentilshommes et des ecclésiastiques +lorrains et champenois[1079]; on entendit les bourgeois d'Orléans et +notamment Jean Luillier, ce marchand drapier qui, en juin 1429, avait +fourni de la fine bruxelle vermeille pour faire une robe à Jeanne et +dix ans après assisté au banquet donné par les procureurs d'Orléans à +la Pucelle échappée des flammes[1080]; du moins le croyait-on. Jean +Luillier était le plus avisé des témoins car les autres, dont il se +présenta deux douzaines environ, bourgeois et bourgeoises, entre +cinquante et soixante-dix ans, ne firent guère qu'opiner comme +lui[1081]. Il parla bien; mais la peur des Anglais lui donnait la +berlue, car il en voyait beaucoup plus qu'il n'y en avait. + +[Note 1078: _Ibid._, t. II, pp. 291, 463; t. III, pp. 1, 202.] + +[Note 1079: _Procès_, t. II, pp. 378, 463.] + +[Note 1080: _Ibid._, t. V, pp. 112, 113, 331.] + +[Note 1081: _Ibid._, t. II, pp. 23, 35.] + +On entendit relativement à l'examen de Poitiers un avocat, un écuyer, +un homme de pratique, François Garivel, qui avait tout juste quinze +ans quand Jeanne fut interrogée[1082]; en fait de clercs, frère +Seguin, limousin, pour tout potage[1083]; les clercs de Poitiers ne +se risquaient pas plus que les clercs de Rouen: chat échaudé craint +l'eau froide. La Hire et Poton de Saintrailles étaient morts. On +entendit les survivants d'Orléans et de Patay, le Bâtard Jean, devenu +comte de Dunois et de Longueville, qui déposa comme un clerc[1084]; le +vieux seigneur de Gaucourt qui, dans ses quatre-vingt-cinq ans, fit +quelque effort de mémoire, et pour le surplus déposa comme le comte de +Dunois[1085]; le duc d'Alençon, sur le point de s'allier aux Anglais +et de se procurer de la poudre pour «sécher» le roi[1086], et qui ne +s'en montra pas moins bavard et glorieux[1087]; l'intendant de Jeanne, +messire Jean d'Aulon, devenu chevalier, conseiller du roi et sénéchal +de Beaucaire[1088], et le petit page Louis de Coutes, noble et en âge +de quarante-deux ans[1089]; on entendit le frère Pasquerel qui +restait, en sa vieillesse, d'esprit léger et crédule[1090]; la veuve +de maître René de Bouligny, demoiselle Marguerite la Touroulde, +retirée à Paris, qui rapporta ses souvenirs avec finesse et bonne +grâce[1091]. + +[Note 1082: _Ibid._, t. II, pp. 1, 19.] + +[Note 1083: _Procès_, t. III, p. 202.] + +[Note 1084: _Ibid._, t. III, pp. 2 et suiv.] + +[Note 1085: _Ibid._, t. III, p. 16.] + +[Note 1086: De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. VI, p. +43.--P. Dupuy, _Histoire des Templiers_, 1658, in-4º.--Cimber et +Danjou, _Archives curieuses de l'Histoire de France_, t. I, pp. +137-157.] + +[Note 1087: _Procès_, t. III, p. 90.] + +[Note 1088: _Ibid._, t. III, p. 209.] + +[Note 1089: _Ibid._, t. III, p. 65.] + +[Note 1090: _Ibid._, t. III, p. 100.] + +[Note 1091: _Ibid._, t. III, p. 85.] + +Sur le fait même du procès, on se garda d'appeler le seigneur +archevêque de Rouen, messire Raoul Roussel, qui avait pourtant siégé +au côté de monseigneur de Beauvais. Quant au vice-inquisiteur de la +foi, frère Jean Lemaistre, on fit comme s'il était mort. Cependant un +certain nombre d'assesseurs furent convoqués: Jean Beaupère, chanoine +de Paris, de Besançon et de Rouen, Jean de Mailly, seigneur évêque de +Noyon, Jean Lefèvre, évêque de Démétriade; plusieurs chanoines de +Rouen, quelques religieux, qui comparurent, les uns onctueux, les +autres rechignés[1092]; et le très illustre docteur Thomas de +Courcelles qui, après avoir été le plus laborieux et le plus assidu +collaborateur de l'évêque de Beauvais, devant les commissaires de la +revision, ne se rappela rien[1093]. + +[Note 1092: _Procès_, t. II, pp. 20, 21, 161; t. III, pp. 43, 53 +et _passim_.] + +[Note 1093: _Ibid._, t. III, pp. 44, 56.--J. Quicherat, _Aperçus +nouveaux_, p. 106.] + +On trouva dans les artisans de la condamnation les meilleurs artisans +de la réhabilitation. Les greffiers du seigneur évêque de Beauvais, +les Boisguillaume, les Manchon, les Taquel, tous ces encriers d'Église +qui avaient instrumenté pour la mort firent merveilles quand il s'agit +de démonter l'instrument; autant ils avaient mis de zèle à construire +le procès, autant ils en mirent à le défaire; ils y découvrirent +autant de vices qu'on voulut[1094]. + +[Note 1094: _Ibid._, t. II, p. 161; t. III, pp. 41, 42, 195.] + +Et de quel ton lamentable ces procéduriers bénins, ces chicaneurs +attendris dénonçaient-ils l'iniquité cruelle qu'ils avaient mise +eux-mêmes en bonne et due forme! On vit alors l'huissier Jean Massieu, +prêtre concubinaire, curé scandaleux par son incontinence[1095], bon +homme au reste, bien qu'un peu sournois, inventer mille fables +ridicules pour noircir Cauchon, comme si le vieil évêque n'était pas +déjà assez noir[1096]. Les commissaires de la revision tirèrent du +couvent des frères prêcheurs de Rouen une paire de moines lamentables, +frère Martin Ladvenu et frère Isambart de la Pierre, qui pleurèrent à +coeur fendre en contant la pieuse fin de cette pauvre Pucelle qu'ils +avaient déclarée hérétique, puis relapse et fait brûler vive. Il n'y +eut pas jusqu'au clerc chargé de donner la question à Jeanne qui ne +vînt s'attendrir sur la mémoire d'une si sainte fille[1097]. + +[Note 1095: De Beaurepaire, _Notes sur les juges_.] + +[Note 1096: _Procès_, t. II, pp. 329 et suiv.] + +[Note 1097: _Ibid._, t. II, pp. 363 et suiv., 434 et suiv.] + +Des piles énormes de mémoires composés par des docteurs de science +éprouvée, canonistes théologiens et juristes, tant français +qu'étrangers, furent versés au procès. Ils avaient pour principal +objet d'établir, par raisonnement scolastique, que Jeanne avait soumis +ses faits et dits au jugement de l'Église et de notre seigneur le +pape. Ces docteurs prouvèrent que les juges de 1431 avaient été très +subtils et Jeanne très simple. C'était le meilleur moyen, sans doute, +de faire croire qu'elle s'était soumise à l'Église, mais, en vérité, +ils la firent par trop simple. À les en croire, elle était tout +ignare, ne comprenant rien, s'imaginant que les clercs qui +l'interrogeaient composaient à eux seuls l'Église militante, enfin à +peu près idiote. Ç'avait été déjà l'idée des docteurs du parti +français en 1429. La Pucelle «une puce», disait alors le seigneur +archevêque d'Embrun[1098]. + +[Note 1098: Lanéry d'Arc, _Mémoires et consultations en faveur de +Jeanne d'Arc_, p. 576.] + +Il y avait une autre raison de la faire paraître aussi infirme et +imbécile que possible. On en faisait mieux éclater la puissance de +Dieu qui avait rétabli par elle le roi de France dans son héritage. + +Les commissaires obtinrent de la plupart des témoins des déclarations +en ce sens. Elle était simple, elle était très simple, elle était +toute simple, répétaient-ils les uns après les autres. Et tous, en +termes semblables, ajoutent: «Oui, elle était simple, hors au fait de +guerre où elle était très entendue[1099].» Et les capitaines de dire +qu'elle était experte à placer des canons, quand ils savaient bien le +contraire, mais il fallait qu'elle fût excellente au fait de guerre, +puisque Dieu lui-même la conduisait contre les Anglais; cet art +militaire dans une fille inepte était précisément le miracle. + +[Note 1099: _Procès_, t. III, pp. 32, 87, 100, 116, 119, 120, 126, +128, et _passim_.] + +En sa «recollection» le Grand Inquisiteur de France, frère Jean +Bréhal, énumère les raisons qu'on a de croire que Jeanne venait de +Dieu. Une des preuves qui semble l'avoir le plus frappé est qu'on la +trouve annoncée dans les prophéties de Merlin l'Enchanteur[1100]. + +[Note 1100: Lanéry d'Arc, _Mémoires et consultations_, p. 402.] + +Croyant pouvoir induire d'une des réponses de Jeanne qu'elle eut pour +la première fois ses apparitions dans sa treizième année, frère Jean +Bréhal estime que le fait est d'autant plus croyable que ce nombre 13, +composé de 3, qui signifie la bienheureuse Trinité, et de 10, qui +exprime la parfaite observation du Décalogue, dispose merveilleusement +aux visites divines[1101]. + +[Note 1101: _Procès_, p. 398.] + +Le 16 juin 1456, le jugement de 1431, déclaré injuste, mal fondé, +inique, fut cassé et frappé de nullité. + +C'était l'honneur rendu à la messagère du sacre et sa mémoire mise en +règle avec l'Église. Mais la puissance créatrice, qui avait enfanté +tant de légendes pieuses et de fables héroïques à l'apparition de +cette enfant, était désormais tarie. Le procès de réhabilitation +ajouta peu de chose à la légende populaire; il fournit l'occasion +d'appliquer à la mort de Jeanne les lieux communs relatifs au martyre +des vierges, tels que la colombe envolée du bûcher, le nom de Jésus +tracé en lettres de flamme, le coeur trouvé intact dans les +cendres[1102]. On insista particulièrement sur le trépas misérable des +mauvais juges. Il est vrai que Jean d'Estivet, le promoteur, fut +trouvé mort dans un colombier[1103], que Nicolas Midy fut atteint de +la lèpre, que Pierre Cauchon expira quand on lui faisait la +barbe[1104]. Mais parmi ceux qui aidèrent ou accompagnèrent la +Pucelle, plus d'un fit une mauvaise fin. Sire Robert de Baudricourt, +qui avait envoyé Jeanne au roi, mourut en prison, excommunié pour +avoir ravagé les terres du chapitre de Toul[1105]; le maréchal de Rais +fut étranglé par justice[1106]; le duc d'Alençon, condamné à mort pour +crime de haute trahison, ne fut gracié que pour encourir ensuite une +nouvelle condamnation et mourir en captivité[1107]. + +[Note 1102: _Ibid._, t. III, p. 355.] + +[Note 1103: _Ibid._, t. III, p. 162.] + +[Note 1104: _Gallia Christiana_, t. XI, col. 793.] + +[Note 1105: _Histoire ecclésiastique et politique de la ville et +du diocèse de Toul_, Toul, 1707, p. 529.] + +[Note 1106: Abbé Bossard, _Gilles de Rais_, pp. 333 et suiv.] + +[Note 1107: De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. VI, p. +197.] + +Deux ans après que Charles VII eut ordonné une information préalable +sur le procès de 1431, une femme, à l'exemple de la dame des Armoises, +se fit passer pour la Pucelle Jeanne. + +À cette époque vivaient, dans la petite ville de Sarmaize, entre Marne +et Meuse, deux cousins germains de la Pucelle, Poiresson et Périnet, +fils l'un et l'autre de défunt Jean de Vouthon, frère d'Isabelle +Romée, en son vivant couvreur de son état. Or, un jour de l'année +1452, le curé de Notre-Dame de Sarmaize, Simon Fauchard, se trouvait +dans la halle de la ville lorsqu'une femme, habillée en garçon, vint à +lui et lui demanda s'il voulait jouer à la paume avec elle. + +Il y consentit et, quand ils eurent fait leur partie, la femme lui +dit: + +--Dites hardiment que vous avez joué à la paume contre la Pucelle. + +De quoi maître Simon Fauchard fut joyeux. + +Cette femme se rendit ensuite dans la maison de Périnet, le +charpentier, et dit: + +--Je suis la Pucelle, et je viens faire visite à mon cousin Henri. + +Périnet, Poiresson, Henri de Vouthon lui firent bon visage et la +retinrent chez eux où elle but et mangea à son plaisir[1108]. + +[Note 1108: Enquête de 1476, dans A. de Braux et de Bouteiller, +_Nouvelles recherches_, p. 10.] + +Puis, quand elle eut assez bu et mangé, elle s'en alla. + +D'où venait-elle? On ne sait. Où alla-t-elle? À peu de temps de là on +croit la reconnaître dans une aventurière qui, les cheveux courts, +coiffée d'un chaperon, portant huque et chausses, parcourait l'Anjou +en se disant Jeanne la Pucelle. Tandis que les docteurs et maîtres +désignés pour la revision du procès de Rouen recueillaient par tout le +royaume des témoignages de la vie et de la mort de Jeanne, cette +fausse Jeanne trouvait créance chez maintes gens. Mais s'étant fait +une mauvaise affaire avec une dame de Saumoussay[1109], elle fut mise +dans les prisons de Saumur où elle resta trois mois; après quoi, +bannie des États du bon roi René, elle épousa un nommé Jean Douillet, +et, par lettres datées du troisième jour de février de l'an 1456, il +lui fut permis de rentrer à Saumur, à la condition de vivre +honnêtement et de ne plus porter habit d'homme[1110]. + +[Note 1109: Ou Chaumussay. Lecoy de la Marche, _Une fausse Jeanne +d'Arc_, Paris, 1871, in-8º, p. 19.] + +[Note 1110: Lecoy de la Marche, _Une fausse Jeanne d'Arc_, dans +_Revue des Questions historiques_, octobre 1871, p. 576.--_Le roi +René_, Paris, 1875, t. I, pp. 308-327; t. II, pp. 281-283.] + +Environ ce temps, vint à Laval, au diocèse du Mans une fille de +dix-huit à vingt-deux ans, native d'un lieu voisin, dit +Chassé-les-Usson. Son père se nommait Jean Féron, et elle était +communément appelée Jeanne la Férone. + +Elle recevait inspiration du Ciel et prononçait sans cesse les saints +noms de Jésus et de Marie; cependant le démon la tourmentait +cruellement. La dame de Laval, mère des seigneurs André et Guy, alors +très vieille, admirant la piété et les souffrances de cette sainte +fille, l'envoya au Mans vers l'évêque. + +L'évêque du Mans était, depuis l'an 1449, messire Martin Berruyer, +Tourangeau, en sa jeunesse professeur de philosophie et de rhétorique +à l'Université de Paris, et qui s'était ensuite consacré à la +théologie et avait compté parmi les sociétaires du collège de Navarre. +Bien qu'affaibli par l'âge, consulté pour ses lumières par les +commissaires de la réhabilitation[1111], il composa un mémoire sur la +Pucelle. Ce qui lui donne à croire que cette paysanne fut vraiment +envoyée de Dieu, c'est qu'elle était abjecte et très pauvre et +paraissait presque idiote en tout ce qui ne concernait pas sa mission. +Messire Martin augure que ce fut aux vertus de son roi que le Seigneur +accorda le secours de la Pucelle[1112]. Sentiments en faveur parmi les +théologiens du parti français. + +[Note 1111: _Procès_, t. III, p. 314, note 1.--_Gallia +Christiana_, t. II, fol. 518.--Du Boulay, _Hist. Univ. Paris._, t. V, +p. 905.--Le P. Ayroles, _La Pucelle devant l'Église de son temps_, pp. +403-404.] + +[Note 1112: Lanéry d'Arc, _Mémoires et consultations_, p. 247.] + +Le seigneur évêque Martin Berruyer entendit Jeanne la Férone en +confession, renouvela le baptême de cette jeune fille, la confirma +dans la foi et lui imposa le nom de Marie, en reconnaissance des +grâces abondantes que la très Sainte Vierge, mère de Dieu, avait +accordées à sa servante. + +Cette pucelle subissait les plus rudes assauts de la part des mauvais +esprits. Maintes fois monseigneur du Mans la vit couverte de plaies, +tout en sang, se débattre dans l'étreinte de l'Ennemi, et à plusieurs +reprises il la délivra au moyen d'exorcismes. Il était merveilleusement +édifié par cette sainte fille qui lui confiait des secrets admirables, +abondait en révélations dévotes et en belles sentences chrétiennes. +Aussi écrivit-il à la louange de la Férone plusieurs lettres tant à des +princes qu'à des communautés du royaume[1113]. + +[Note 1113: Du Clercq, _Mémoires_, éd. de Reiffenberg, Bruxelles +1823, t. III, pp. 98 et suiv.--Jean de Roye, _Chronique scandaleuse_, +édit. Bernard de Mandrot, 1894, t. I, pp. 13, 14.--_Chronique de +Bourdigné_, éd. Quatrebarbes, t. II, p. 212.--Dom Piolin, _Histoire de +l'Église du Mans_, t. V, p. 163.] + +La reine de France, alors en son vieil âge et que depuis longtemps son +époux délaissait, ayant ouï parler de la Pucelle du Mans, écrivit à +messire Martin Berruyer pour qu'il voulût bien la lui faire connaître. + +Ainsi que nous l'avons vu plusieurs fois dans cette histoire, quand +une personne dévote et menant vie contemplative prophétisait, ceux qui +tenaient le gouvernement des peuples voulaient la connaître et la +soumettre au jugement des gens d'Église pour savoir si la bonté qui +paraissait en elle était vraie ou feinte. Quelques officiers du roi +vinrent visiter la Férone au Mans. + +Comme elle avait été favorisée de révélations concernant le royaume de +France, elle leur tint ce propos: + +--Recommandez-moi bien humblement au roi et lui dites qu'il +reconnaisse bien la grâce que Dieu lui a faite, qu'il veuille soulager +son peuple. + +Au mois de décembre 1460, elle fut mandée auprès du Conseil royal qui +se tenait alors à Tours, tandis que le roi malade traînait dans le +château des Montils sa jambe qui coulait[1114]. La Pucelle du Mans fut +examinée, de même que l'avait été la Pucelle Jeanne, mais elle ne fut +pas trouvée bonne; il s'en fallut du tout. Traduite en cour d'Église, +elle fut convaincue d'imposture; il apparut qu'elle n'était pas +pucelle, et qu'elle vivait en concubinage avec un clerc, que des +familiers de monseigneur du Mans l'instruisaient de ce qu'il fallait +dire, et que telle était l'origine des révélations qu'elle apportait +sous le sceau du sacrement de la pénitence à révérend père en Dieu, +messire Martin Berruyer. Reconnue hypocrite, idolâtre, invocatrice du +démon, sorcière, magicienne, lubrique, dissolue, enchanteresse, grand +miroir d'abusion, elle fut condamnée à être mitrée et prêchée devant +le peuple, dans les villes du Mans, de Tours et de Laval. Le 2 mai +1461, elle fut exposée à Tours, coiffée d'une mitre de papier, sous un +écriteau où son cas était déduit en vers latins et français. Maître +Guillaume de Châteaufort, grand maître du collège royal de Navarre, la +prêcha; puis on la mit en prison close, pour y pleurer et gémir ses +péchés l'espace de sept ans, au pain de douleur et à l'eau de +tristesse[1115]. Après quoi elle se fit tenancière d'une maison +publique[1116]. + +[Note 1114: Chastellain, éd. Kervyn de Lettenhove, t. III, p. +444.] + +[Note 1115: Jacques du Clercq, _Mémoires_, t. III, pp. 107 et +suiv.] + +[Note 1116: Antoine du Faur, _Livre des femmes célèbres_, dans +_Procès_, t. V, p. 336.] + +Charles VII, rongé d'ulcères à la jambe et à la bouche, se croyant +empoisonné, non sans raison, peut-être, et refusant toute nourriture, +mourut en la cinquante-neuvième année de son âge, le mercredi 22 +juillet 1461, dans son château de Mehun-sur-Yèvre[1117]. + +[Note 1117: De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. VI, pp. +442, 451.--_Cronique Martiniane_, éd. P. Champion, p. 110.] + +Le jeudi 6 août, son corps fut porté à l'église de Saint-Denys en +France et déposé dans une chapelle tendue de velours; la nef était +couverte de satin noir avec une voûte de toile bleue, ornée de fleurs +de Lis[1118]. Pendant la cérémonie qui fut célébrée le lendemain, le +plus renommé professeur de l'Université de Paris, le docteur aimable +et modeste entre tous, au dire des princes de l'Église romaine, le +plus puissant défenseur des libertés de l'Église gallicane, le +religieux qui, ayant refusé le chapeau de cardinal, portait, au seuil +de la vieillesse et très illustre, le seul titre de doyen des +chanoines de Notre-Dame de Paris, maître Thomas de Courcelles, +prononça l'oraison funèbre de Charles VII[1119]. Ainsi l'assesseur de +Rouen, qui avait plus âprement que tout autre poursuivi la cruelle +condamnation de la Pucelle, célébra la mémoire du roi victorieux que +la Pucelle avait mené à son digne sacre. + +[Note 1118: Mathieu d'Escouchy, t. II, p. 422.--Jean Chartier, +_Chronique_, t. III, p. 114-121.] + +[Note 1119: _Gallia Christiana_, t. VII, col. 151 et +214.--Hardouin, _Acta Conciliorum_, t. IX, col. 1423.--De Beaucourt, +_Histoire de Charles VII_, t. VI, p. 444.] + + + + +APPENDICE I + +LETTRE DU DOCTEUR G. DUMAS + + +MON CHER MAÎTRE, + +Vous me demandez mon opinion médicale sur le cas de Jeanne d'Arc. Si +j'avais pu l'examiner à loisir, comme les docteurs Tiphaine et +Delachambre, qui furent appelés par le tribunal de Rouen, peut-être +aurais-je été embarrassé pour me prononcer; à plus forte raison le +suis-je pour vous donner un diagnostic rétrospectif fondé sur des +interrogatoires où les juges recherchaient tout autre chose que des +tares nerveuses. Cependant comme ils appelaient influence du diable ce +que nous appelons aujourd'hui maladie, toutes leurs questions ne sont +pas absolument vaines pour nous et je vais essayer, avec beaucoup de +réserves, de vous répondre. + +De l'hérédité de Jeanne nous ne savons rien, et de ses antécédents +personnels nous ignorons presque tout. Jean d'Aulon raconte +seulement[1120], sur la foi de plusieurs femmes, qu'elle n'aurait +jamais été formée, ce qui indique une insuffisance de développement +physique que l'on rencontre chez beaucoup de névropathes. + +[Note 1120: _Procès_, t. III, p. 219.] + +On n'en pourrait toutefois rien conclure touchant l'état nerveux de +Jeanne, si ses juges, et en particulier maître Jean Beaupère, dans les +nombreux interrogatoires qu'ils lui font subir, ne nous avaient +procuré au sujet de ses hallucinations, quelques renseignements +utiles. + +Maître Beaupère s'enquiert d'abord très judicieusement si Jeanne avait +jeûné la veille du jour où elle entendit ses voix pour la première +fois, ce qui prouve que ce professeur insigne de théologie n'ignorait +pas l'influence que l'inanition exerce sur les hallucinations et +voulait, avant de conclure à la sorcellerie, être bien sûr qu'il +n'allait pas condamner une malade. De même nous verrons plus tard +sainte Thérèse, soupçonnant que le jeûne était la seule cause des +prétendues visions d'une religieuse, l'obliger à manger et la guérir. + +Jeanne répond qu'elle était à jeun depuis le matin seulement, et +maître Beaupère continue: + +D.--De quel côté entendiez-vous la voix? + +R.--J'entendais la voix à droite, vers l'église. + +D.--La voix était-elle accompagnée d'une clarté? + +R.--Rarement je l'entends sans clarté. Cette clarté se manifeste du +même côté par où j'entends la voix[1121]. + +[Note 1121: _Procès_, t. I, p. 52 et _passim_.] + +On pourrait se demander si par l'expression «à droite» (_a latere +dextro_) Jeanne a voulu désigner son côté droit ou bien l'orientation +de l'église par rapport à elle, et, dans ce dernier cas, le +renseignement serait sans intérêt au point de vue clinique, mais le +contexte ne laisse aucun doute sur le sens véritable de ses paroles. + +--Comment pouvez-vous, objecte Jean Beaupère, voir cette clarté que +vous dites se manifester, si cette clarté est à droite? + +S'il s'était agi simplement de la situation de l'église et non du côté +droit de Jeanne, elle n'aurait eu qu'à tourner la tête pour avoir la +clarté en face, et l'objection de Jean Beaupère ne se comprendrait +pas. + +Jeanne paraît donc avoir eu, vers l'âge de treize ans, à l'époque de +la puberté qui ne venait pas pour elle, des hallucinations +unilatérales droites de la vue et de l'ouïe; or Charcot considérait +que les hallucinations unilatérales de la vue étaient fréquentes dans +l'hystérie[1122]. Il pensait même qu'elles s'allient toujours chez les +hystériques à une hémi-anesthésie qui siège du même côté du corps et +qui, dans l'espèce, eût siégé à droite. Peut-être le procès de Jeanne +nous eût-il révélé cette hémi-anesthésie, stigmate très important pour +le diagnostic de l'hystérie, si les juges avaient appliqué la torture +ou simplement recherché sur la peau les plaques d'anesthésie qu'on +appelait alors les marques du diable; mais de l'examen oral auquel ils +se livrèrent on ne peut tirer que des inférences sur l'état physique +de Jeanne. Je dois ajouter, pour infirmer ce que ces inférences +peuvent encore avoir d'excessif, que les neurologistes contemporains +attachent moins d'importance que Charcot aux hallucinations +unilatérales de la vue dans le diagnostic de l'hystérie. + +[Note 1122: _Progrès médical_, 19 janvier 1878.] + +Les autres caractères que les interrogatoires révèlent dans les +hallucinations de Jeanne ne sont pas moins intéressants que les +précédents, bien qu'ils ne prêtent pas non plus à des conclusions +certaines. + +C'est de la pensée obscure et inconsciente que sortent brusquement les +visions et les voix avec ce caractère d'extériorité qui distingue si +particulièrement les hallucinations hystériques. Jeanne est si peu +préparée par sa pensée claire à entendre ses voix, elle les attend si +peu qu'elle déclare avoir eu grand'peur la première fois: «J'avais +treize ans quand j'eus une voix venant de Dieu pour m'aider à me bien +conduire. Et la première fois, j'eus grand'peur. Cette voix me vint +vers l'heure de midi, c'était l'été, dans le jardin de mon +père[1123].» + +[Note 1123: _Procès_, t. I, p. 52.] + +Et tout de suite la voix devient impérative; elle demande une +obéissance qu'on ne lui refuse pas: «Elle me disait: Va en France, et +je ne pouvais plus tenir où j'étais[1124].» + +[Note 1124: _Ibid._, t. I, p. 53.] + +Ses visions se manifestent de la même façon; elles ont la même +extériorité et elles s'imposent avec la même nécessité à la confiance +de la jeune fille. + +Enfin ces hallucinations de l'ouïe et de la vue s'associent de bonne +heure avec des hallucinations de l'odorat et du toucher qui présentent +le même caractère et confirment chez Jeanne la certitude absolue de +leur réalité. + +D.--En quelle partie avez-vous touché sainte Catherine? + +R.--Vous n'en aurez autre chose. + +D.--Avez-vous baisé ou accolé sainte Catherine ou sainte Marguerite? + +R.--Je les ai accolées toutes les deux. + +D.--Fleuraient-elles bon? + +R.--Il est bon à savoir qu'elles fleuraient bon. + +D.--En les accolant, sentiez-vous chaleur ou autre chose? + +R.--Je ne pouvais les accoler sans les sentir et les toucher[1125]. + +[Note 1125: _Ibid._, t. I, p. 186.] + +C'est d'ailleurs à cause de cette extériorité, de cette réalité si +marquée que les hallucinations hystériques laissent dans l'esprit des +traces profondes et ineffaçables; les sujets en parlent comme de faits +réels qui les ont vivement frappés, et quand ils se font accusateurs, +comme tant de femmes qui se prétendent victimes d'attentats +imaginaires, ils soutiennent leurs accusations avec la dernière +énergie. + +Non seulement Jeanne voit, entend, flaire et touche ses saintes, mais +elle se mêle à des cortèges d'anges dont elles font partie, accomplit +en cette compagnie des actes réels, comme si ses hallucinations et sa +vie étaient complètement fondues. + +--J'étais dans mon logis, en la maison d'une bonne femme, près du +château de Chinon, quand l'ange vint. Et alors lui et moi, allâmes +ensemble vers le roi. + +D.--Cet ange était-il seul? + +R.--Cet ange avait bonne compagnie d'autres anges[1126]. Ils étaient +avec lui mais chacun ne les voyait pas.... Quelques-uns +s'entre-ressemblaient bien; d'autres, non, en la manière où je les +voyais. Aucuns avaient des ailes. Il y en avait même de couronnés, et +en la compagnie étaient sainte Catherine et sainte Marguerite. + +[Note 1126: D'après la déposition de maître Pierre Maurice, au +procès de condamnation (t. I, p. 480), Jeanne aurait aperçu les anges +«sous forme de certaines choses minimes» (_sub specie quarumdam rerum +minimarum_), et ç'a été aussi le caractère de quelques hallucinations +de sainte Rose de Lima. (_Vie de sainte Rose de Lima_ par le P. +Léonard Hansen, p. 179.)] + +Elles furent, avec l'ange susdit, et les autres anges aussi, jusque +dedans la chambre du roi. + +D.--Dites-nous comment l'ange vous quitta. + +R.--Il me quitta dans une petite chapelle et je fus bien fâchée de son +départ et même je pleurai. Volontiers je m'en fusse allée avec lui; je +veux dire mon âme[1127]. + +[Note 1127: _Procès_, t. I, p. 144.] + +Il y a dans toutes ces hallucinations la même netteté objective, la +même certitude subjective, que dans les hallucinations toxiques de +l'alcool, et cette netteté, cette certitude peuvent bien, dans le cas +de Jeanne, faire penser encore à l'hystérie. + +Mais si Jeanne se rapproche des hystériques par certains traits, elle +s'en éloigne par d'autres. + +De bonne heure elle paraît être arrivée à disposer, par rapport à ses +voix et à ses visions, d'une indépendance et d'une autorité relatives. + +Sans douter jamais de leur réalité, elle leur résiste et leur désobéit +à l'occasion, lorsque, par exemple, elle saute, malgré sainte +Catherine, de la tour de Beaurevoir où elle est prisonnière: «Sainte +Catherine me disait presque chaque jour de ne pas sauter, et que Dieu +me viendrait en aide et aussi à ceux de Compiègne. Et moi je dis à +sainte Catherine: Puisque Dieu sera en aide à ceux de Compiègne, je +veux être là[1128].» + +[Note 1128: _Procès_, t. I, p. 110.] + +D'autre part, elle finit par prendre sur ses visions assez d'autorité +pour faire venir les deux saintes à son gré lorsqu'elles ne viennent +pas d'elles-mêmes. + +D.--Appelez-vous ces saintes, ou viennent-elles sans appeler? + +R.--Elles viennent souvent sans les appeler, et d'autres fois, si +elles ne venaient pas, je requerrais Dieu promptement pour qu'il les +envoyât[1129]. + +[Note 1129: _Procès_, t. I, p. 279 et _passim_.] + +Tout ceci n'est plus dans la manière classique des hystériques, en +général assez passives par rapport à leur névrose et à leurs +hallucinations; c'est un trait de caractère que j'ai noté chez bien +des mystiques supérieures qui furent en même temps des hystériques +notoires; les sujets de ce genre, après avoir d'abord subi leur +hystérie passivement, s'en servent ensuite plus qu'ils ne la +subissent, et finalement en tirent parti pour réaliser par leurs +extases l'union divine qu'ils cherchent. + +Et ce trait nous permet, si Jeanne fut hystérique, d'indiquer le rôle +que sa névrose a pu jouer dans le développement de son caractère et +dans sa vie. + +Si l'hystérie est intervenue chez elle, ce n'a été que pour permettre +aux sentiments les plus secrets de son coeur de s'objectiver sous +forme de visions et de voix célestes; elle a été la porte ouverte par +laquelle le divin--ou ce que Jeanne jugeait tel--est entré dans sa +vie; elle a fortifié sa foi, consacré sa mission, mais par son +intelligence, par sa volonté Jeanne reste saine et droite, et c'est à +peine si la pathologie nerveuse éclaire faiblement une partie de cette +âme que votre livre fait revivre tout entière. + +Je vous prie d'agréer, mon cher Maître, l'expression de ma +respectueuse admiration. + +Dr G. DUMAS. + + + + +APPENDICE II + +LE MARÉCHAL DE SALON + + +Vers la fin du XVIIe siècle, vivait à Salon-en-Crau, près Aix, un +maréchal ferrant, nommé François Michel, d'honnête famille, qui avait +servi dans le régiment de cavalerie du chevalier de Grignan, et était +tenu pour homme sensé, probe et accomplissant ses devoirs religieux. +Il touchait à ses quarante ans, quand, au mois de février 1697, il eut +une vision. + +Rentrant le soir au logis, il vit un spectre tenant à la main un +flambeau. Ce spectre lui dit: + +--Ne crains rien. Va à Paris pour parler au roi. Si tu n'obéis pas à +cet ordre, tu mourras. Lorsque tu seras à une lieue de Versailles je +te marquerai, sans faute, les choses dont tu devras entretenir Sa +Majesté. Adresse-toi à l'intendant de la province, qui donnera les +ordres nécessaires pour ton voyage. + +La figure qui parlait ainsi était en forme de femme, portant la +couronne royale et le manteau semé de fleurs de lis d'or, comme la +feue reine Marie-Thérèse, morte saintement depuis déjà quatorze ans +révolus. + +Le pauvre maréchal eut grand'peur, et tomba au pied d'un arbre, ne +sachant s'il rêvait ou s'il veillait; puis il regagna sa maison et ne +parla à personne de ce qu'il avait vu. + +À deux jours de là, passant au même endroit, il revit le spectre qui +lui réitéra les ordres et les menaces. Le maréchal ne douta plus de la +vérité de ce qu'il voyait; mais il ne savait encore à quoi se +résoudre. + +Une troisième apparition, plus pressante et plus impérieuse, le +disposa à l'obéissance. Il alla trouver à Aix l'intendant de la +province, le vit et lui conta comment il avait reçu mission d'aller +parler au roi. L'intendant ne lui donna pas d'abord grande attention; +mais, pressé par le doux entêtement de cet illuminé, et songeant, +d'ailleurs, que l'affaire n'était pas tout à fait négligeable, +puisqu'il s'agissait de la personne du roi, il s'informa, auprès des +magistrats de Salon, de la famille et de la conduite du maréchal. Les +renseignements furent très bons. Dans ce cas, il convenait de donner +suite à l'affaire. On n'était pas bien sûr, en ce temps-là, que des +avis utiles au Roi très chrétien ne pussent être envoyés au moyen d'un +simple artisan par quelque membre de l'Église triomphante; on était +bien moins sûr encore qu'il n'y eût pas, sous couleur d'apparition, +quelque complot dont la connaissance intéressât la sûreté de l'État. +Dans les deux cas, dont le second assez probable, le parti le plus +sage était d'envoyer François Michel à Versailles; c'est à quoi se +décida l'intendant. + +Il prit, pour faire voyager François Michel, un moyen sûr et peu +coûteux. Il le remit à un officier qui conduisait des recrues. Après +avoir fait ses dévotions chez les capucins, qu'il édifia par sa bonne +tenue, le maréchal ferrant partit le 25 février avec les jeunes +soldats de Sa Majesté, qu'il ne quitta qu'à la Ferté-sous-Jouarre. +Arrivé à Versailles, il demanda à voir le roi, ou tout au moins un +ministre d'État. On l'envoya à M. de Barbezieux qui, tout jeune, avait +succédé à M. de Louvois son père, et avait montré quelques talents. +Mais le bon homme refusa de lui rien dire, pour cette raison qu'il ne +parlerait qu'à un ministre d'État. + +Et, de fait, Barbezieux, qui était ministre, n'était pas ministre +d'État. On fut surpris qu'un maréchal de Provence en eût fait la +distinction. + +M. de Barbezieux ne méprisa pas, sans doute, ce compatriote de +Nostradamus autant qu'un esprit plus libre l'eût fait à sa place. Il +était, comme son père, adonné aux pratiques de l'astrologie judiciaire +et il consultait, sans cesse, sur son horoscope, un cordelier qui lui +avait prédit l'époque de sa mort. + +On ne sait s'il fit un rapport favorable au roi, ni si le maréchal +ferrant fut reçu ensuite par M. de Pomponne de qui relevaient les +affaires de Provence. Mais, ce qui est certain, c'est que Louis XIV +consentit à voir le pauvre homme. Il le fit monter par les degrés qui +aboutissent à la cour de marbre et l'entretint longuement dans ses +cabinets. + +Le lendemain, descendant par ce même petit escalier pour aller à la +chasse, le roi rencontra le maréchal de Duras qui tenait, ce jour-là, +le bâton de capitaine des gardes du corps, et qui lui parla du ferreur +de chevaux avec sa liberté ordinaire. Usant d'une façon proverbiale de +langage: + +--Ou cet homme-là est fou, dit-il, ou le roi n'est pas noble. + +À ce mot, le roi s'arrêta, contre son habitude, et se tourna vers le +maréchal de Duras: + +--Je ne suis donc pas noble, répondit-il, car je l'ai entretenu +longtemps et il m'a parlé de fort bon sens; je vous assure qu'il est +loin d'être fou. + +Il prononça ces derniers mots avec une gravité appuyée qui surprit +l'assistance. + +C'est l'usage que de tels illuminés apportent un signe de leur +mission. Dans une seconde entrevue, François Michel donna un signe au +roi, conformément à la promesse qu'il lui en avait faite. Il lui +rappela une rencontre extraordinaire que le fils d'Anne d'Autriche se +croyait seul à connaître. On en recueillit, dit-on, l'aveu sur la +bouche de Louis XIV, qui pourtant gardait sur toute cette affaire un +silence profond. + +Saint-Simon, attentif à recueillir tous les bruits des petits +cabinets, crut savoir qu'il s'agissait d'un fantôme qui, plus de vingt +ans auparavant, avait apparu à Louis XIV dans la forêt de +Saint-Germain. + +Le roi reçut une troisième et dernière fois le maréchal de Salon. + +Ce visionnaire inspirait une telle curiosité aux courtisans, qu'il +fallut le tenir enfermé dans le couvent des Récollets, où la petite +princesse de Savoie, qui devait bientôt épouser le duc de Bourgogne, +l'alla voir avec plusieurs dames et seigneurs de la Cour. + +Il se montrait bon homme, simple, ne s'enorgueillissait point et +parlait peu. Le roi lui fit donner un bon cheval, des hardes, quelque +argent et le renvoya en Provence. + +Il y avait dans le public de grandes incertitudes sur l'apparition qui +était venue au maréchal et sur la mission qu'il en avait reçue. +L'opinion la plus répandue était qu'il avait vu l'âme de +Marie-Thérèse; mais quelques-uns prétendaient que c'était celle de +Nostradamus. + +Cet astrologue n'avait pas de crédit qu'à Salon, où il reposait dans +l'église des Cordeliers. Ses centuries, plus de dix fois réimprimées +dans le cours d'un siècle, à Paris et à Lyon, amusaient, par tout le +royaume, la crédulité populaire, et l'on venait de publier en 1693 une +concordance des prophéties de Nostradamus avec l'histoire, depuis +Henri II jusqu'à Louis le Grand. + +On en vint à croire que le maréchal de Salon avait été annoncé par +l'astrologue dans ce quatrain mystérieux: + + Le penultiesme du surnom du Prophète, + Prendra Diane pour son iour et repos: + Loing vaguera par frénétique teste, + En délivrant un grand peuple d'impos. + +On essaya d'expliquer, en faveur du pauvre illuminé de Salon, cette +poésie obscure. On voulut qu'il fût désigné dans le premier vers, l'un +des douze petits prophètes s'appelant Micheas ou Michée, ce qui +s'approche de Michel. À l'endroit du second vers, on fit remarquer que +la mère du maréchal ferrant se nommait Diane, tandis que ce vers, si +tant est qu'il ait un sens, offre plus naturellement l'idée du jour de +la lune, c'est-à-dire du lundi. On prit soin de marquer que, au +troisième vers, frénétique veut dire non point insensé, mais inspiré. +Le quatrième vers, seul intelligible, fit penser que le spectre avait +donné au maréchal mission de réclamer du roi l'allégement des impôts +et des tailles qui pesaient alors d'un poids inique sur les bonnes +gens des villes et des campagnes: + + En délivrant un grand peuple d'impos. + +C'en fut assez pour rendre le bonhomme populaire, et pour que les +malheureux missent sur cette grosse tête, gonflée de vent, l'espérance +d'un meilleur avenir. On grava son portrait en taille-douce, et l'on +inscrivit au-dessous le quatrain de Nostradamus. M. d'Argenson, +lieutenant de police, fit saisir ces images. On les supprima +peut-être, dit la _Gazette d'Amsterdam_, à cause du dernier vers de la +centurie mise au bas du portrait: «En délivrant un grand peuple +d'impôts», ces sortes d'expressions n'étant en aucune manière du goût +de la Cour. + +On ne sut jamais exactement quelle mission le spectre avait donnée au +maréchal. Les gens d'esprit flairaient une intrigue de madame de +Maintenon, qui avait une amie à Marseille, madame Arnoul, laide comme +le péché, disait-on, et qui se faisait aimer de tous les hommes. Ils +pensaient que cette madame Arnoul avait montré Marie-Thérèse au +bonhomme de Salon pour induire le roi à vivre honnêtement avec la +veuve Scarron. Mais en 1697 la veuve Scarron avait épousé Louis, +depuis au moins douze ans, et l'on ne voit point qu'elle eût besoin de +spectres pour s'attacher le vieux roi. + +De retour dans sa ville natale, François Michel y ferra les chevaux +comme devant. + +Il mourut à Lançon, proche Salon, le 10 décembre 1726[1130]. + +[Note 1130: _Gazette d'Amsterdam_, mars-mai 1697.--_Annales de la +cour et de Paris_ (t. II, pp. 204, 219).--_Theatrum Europæum_ (t. XV, +pp. 359-360).--_Mémoires de Sourches_, t. V, pp. 260, 263.--_Lettres +de Madame Dunoyer_ (lettre XXVI).--Saint-Simon, _Mémoires_, éd. +Régnier (_Collection des Grands écrivains de la France_), t. VI, pp. +222, 228, 231; appendice X, p. 545.--_Mémoires du duc de Luynes_, t. +X, pp, 410, 412.--Abbé Proyart, _Vie du duc de Bourgogne_ (éd. 1782), +t. I, pp. 978, 981.] + + + + +APPENDICE III + +MARTIN DE GALLARDON + + +Ignace-Thomas Martin, natif de Gallardon (Eure-et-Loir), y vivait au +commencement de XIXe siècle avec sa femme et ses quatre enfants. Il +était cultivateur de son état. Ceux qui l'ont connu nous le +représentent de taille moyenne, les cheveux bruns et plats, la face +maigre, l'oeil calme, avec un air de quiétude et d'assurance. Un +portrait au crayon, que M. le docteur Martin, son fils, a bien voulu +me communiquer, permet de se figurer le visionnaire avec plus +d'exactitude. Ce portrait, où Thomas Martin est représenté de profil, +fait voir un front étrangement haut et droit, une tête étroite et +longue, un oeil rond, des narines ouvertes, une bouche serrée, un +menton avancé, des joues creuses, un air d'austérité; le col, la +cravate blanche, l'habit d'un bourgeois. + +C'était, au témoignage de son frère, un homme sain de corps et +d'esprit, l'âme la plus douce, qui ne cherchait point à se faire +remarquer, et dont la piété régulière n'avait jamais eu rien d'exalté. +Le maire et le curé de Gallardon confirmèrent ce dire et s'accordèrent +à le représenter bon homme, de moeurs simples, d'esprit rassis, un peu +court. + +Il avait trente-trois ans en 1816. Le 15 janvier de cette année, étant +seul dans son champ, où il étendait du fumier, il entendit à son +oreille une voix qu'aucun bruit de pas n'avait précédée. Alors, il +tourna la tête du côté de la voix et vit une figure qui lui fit peur. +C'était celle d'un être dont la taille, comparée à celle des hommes, +semblait médiocre, mais dont le visage, très mince, éblouissait par sa +blancheur surnaturelle. Coiffé d'un chapeau de haute forme, il portait +une redingote «blonde» et était chaussé de souliers à cordons. + +Il disait avec douceur: + +--Il faut que vous alliez trouver le roi et que vous l'avertissiez que +sa personne est en danger, que des méchants cherchent à renverser le +gouvernement. + +Il ajouta des recommandations à l'adresse de Louis XVIII sur la +nécessité d'instituer une bonne police, de sanctifier le dimanche, +d'ordonner des prières publiques et de réprimer les désordres du +carnaval. Faute de quoi, ajouta-t-il, «la France tombera dans les plus +grands malheurs». Rien, en somme, que M. La Perruque, curé de +Gallardon, n'eût dit cent fois, sans doute, le dimanche, en chaire. + +Martin répondit: + +--Puisque vous en savez si long, pourquoi n'allez-vous pas faire votre +commission vous-même? Pourquoi vous adressez-vous à un pauvre homme +comme moi qui ne sait pas s'expliquer? + +L'inconnu répondit à Martin: + +--Ce n'est pas moi qui irai, ce sera vous, et faites ce que je vous +commande. + +Aussitôt qu'il eut prononcé ces paroles, ses pieds s'élevèrent du sol, +son buste s'abaissa et il disparut en achevant ce double mouvement. + +À compter de ce jour, Martin fut hanté par l'être mystérieux. Une +fois, étant descendu dans sa cave, il l'y trouva. Une autre fois, +pendant les vêpres, il le vit dans l'église, près du bénitier, en une +dévote attitude. Après la cérémonie, l'inconnu accompagna Martin, qui +regagnait sa maison avec des gens de sa famille, et il lui renouvela +l'ordre d'aller trouver le roi. Martin avertit ses parents, mais +ceux-ci ne purent rien voir ni rien entendre. + +Tourmenté par ces apparitions, Martin en instruisit M. La Perruque, +son curé, qui, assuré de la bonne foi de son paroissien et estimant +que le cas devait être soumis à l'autorité diocésaine, envoya le +visionnaire à l'évêque de Versailles. C'était alors un ancien prêtre +assermenté, M. Louis Charrier de la Roche. Il résolut de soumettre +Martin à un examen complet et lui prescrivit tout d'abord de demander +de sa part à l'inconnu comment il se nommait, qui il était et qui +l'envoyait. + +Mais le messager à la redingote blonde, s'étant manifesté de nouveau, +déclara que son nom resterait inconnu. + +--Je viens, ajouta-t-il de la part de celui qui m'a envoyé, et celui +qui m'a envoyé est au-dessus de moi. + +S'il ne voulait pas se nommer, il faisait connaître du moins ses +sentiments, et le chagrin qu'il témoigna de l'évasion de La Valette +prouvait qu'il était, en politique, un _ultra_ de l'espèce la plus +féroce. + +Cependant, le comte de Breteuil, préfet d'Eure-et-Loir, prévenu en +même temps que l'évêque, interrogea de son côté Martin. Il s'attendait +à voir un agité, et quand il trouva devant lui un homme tranquille, +parlant avec simplicité, mettant de la suite et de l'exactitude dans +ses propos, sa surprise fut grande. + +Il jugea, comme M. l'abbé La Perruque, qu'il y avait lieu d'en référer +aux autorités supérieures, et il envoya Martin au ministre de la +police générale, sous la conduite d'un lieutenant de gendarmerie. + +Arrivé à Paris le 8 mars, Martin logea avec le gendarme à l'hôtel de +Calais, dans la rue Montmartre. Ils y occupaient une chambre à deux +lits. Un matin, Martin, étant couché, eut une apparition dont il +prévint le lieutenant André, qui ne put rien voir, bien qu'il fît +grand jour. Au reste, Martin avait des visions si fréquentes qu'il +n'en concevait plus ni surprise ni trouble. Il n'y avait que la +disparition subite de l'inconnu à laquelle il ne pouvait s'habituer. +La voix donnait constamment les mêmes ordres. Un jour elle dit que, si +les commandements qu'elle portait n'étaient point entendus, la France +n'aurait plus de paix jusqu'à l'année 1840. + +Le ministre de la police générale était, en 1816, le comte Decazes +(qui fut fait duc un peu plus tard). Il avait la confiance du roi; +mais il savait que les _ultras_ ourdissaient contre lui des complots. +Il voulut voir le bonhomme de Gallardon, dans le soupçon, sans doute, +que cet innocent était aux mains de royalistes fanatiques. Il le fit +venir, l'interrogea et vit tout de suite que le pauvre homme n'était +pas dangereux. Il lui parla comme on doit parler aux fous, en entrant +dans leur manie: + +--Soyez tranquille, lui dit-il, l'homme qui vous tourmentait est +arrêté et vous n'avez plus rien à craindre. + +Mais ces paroles ne produisirent pas l'effet qu'on en pouvait +attendre. Trois ou quatre heures après cette entrevue, Martin revit +l'inconnu, qui, après avoir parlé comme de coutume, ajouta: + +--C'est à tort qu'on vous a dit qu'on m'avait arrêté: celui qui vous a +parlé n'a aucun pouvoir sur moi. + +Il revint le dimanche 10 mars et fit ce jour-là une des communications +que l'évêque de Versailles avait demandées et qu'il avait d'abord +déclaré ne devoir jamais faire: + +--Je suis, dit-il, l'archange Raphaël, ange très célèbre auprès de +Dieu, et j'ai reçu le pouvoir de frapper la France de toutes sortes de +plaies. + +Trois jours après, Martin était enfermé à Charenton, sur le certificat +du docteur Pinel, qui le reconnut atteint de manie intermittente avec +aliénations des sens. + +Il y fut traité de la manière la plus douce et put même y jouir des +apparences de la liberté. C'est Pinel lui-même qui avait introduit ces +habitudes d'humanité dans le traitement des fous. Le bienheureux +Raphaël n'abandonna pas Martin à l'hôpital; le vendredi 15, comme le +paysan nouait les cordons de ses souliers, l'archange en redingote +blonde lui adressa ces paroles: + +--Place ta confiance en Dieu. Si la France persiste dans son +incrédulité, les malheurs prédits arriveront. Au reste, si l'on doute +de la vérité de tes visions, on n'a qu'à te faire examiner par des +docteurs en théologie. + +Martin rapporta ce discours à M. Legros, surveillant de la maison +royale de Charenton, et lui demanda ce que c'était qu'un docteur en +théologie. Il ignorait la signification de ce terme. Il avait de même, +étant encore à Gallardon, demandé à M. le curé La Perruque le sens de +certaines expressions que la voix employait. Il ne comprenait pas, par +exemple, «le délire de la France» ni les maux auxquels elle serait «en +proie». Mais cette inintelligence, à la croire véritable, n'est pas +pour nous troubler: Martin pouvait fort bien avoir retenu des mots +qu'il n'entendait pas et qu'il prêtait ensuite à son archange sans les +entendre davantage. Les visions se succédaient à courts intervalles. +Le dimanche 31 mars, l'archange lui apparut dans le jardin, lui prit +la main, qu'il serra affectueusement, entr'ouvrit son vêtement et +montra une poitrine d'une blancheur si éclatante qu'on n'en pouvait +soutenir la vue; puis il ôta son chapeau: + +--Vois mon front, dit-il, et fais attention qu'il ne porte pas le +sceau de la réprobation dont les mauvais anges ont été marqués. + +Louis XVIII, pensant comme, son ministre favori, que le laboureur de +Gallardon était un instrument aux mains des partis violents, voulut le +voir et l'interroger. + +Le mardi 2 avril, Martin fut conduit aux Tuileries et introduit dans +le cabinet du roi, où se trouvait M. Decazes. Dès que le roi vit le +laboureur, il lui dit: + +--Martin, je vous salue. + +Puis il fit signe au ministre de se retirer. Martin répéta alors tout +ce que l'archange lui avait révélé, puis, à l'en croire, il découvrit +à Louis XVIII plusieurs circonstances secrètes des années d'exil et +révéla des complots formés contre sa personne. Alors le roi, vivement +ému, leva en pleurant les yeux et les mains vers le ciel et dit à +Martin: + +--Martin, voilà des choses qui ne doivent être connues que de vous et +de moi. + +Le visionnaire lui promit le secret le plus absolu. + +Telle est, sur l'entrevue du 2 avril, la première version de Martin +qui était alors un royaliste exalté par les prônes de M. La Perruque. +Il faudrait mieux connaître ce curé, dont on sent l'inspiration dans +toute cette affaire. Louis XVIII jugea comme M. Decazes que le pauvre +homme était inoffensif et le renvoya à sa charrue. + +Plus tard, les agents d'un de ces faux dauphins qui pullulaient sous +la Restauration s'emparèrent de Martin et le firent divaguer à leur +profit. Après la mort de Louis XVIII, sous l'influence de ces +aventuriers, le pauvre homme, refaisant le récit de son entrevue avec +le feu roi, y introduisit de prétendues révélations qui en changeaient +absolument le caractère et qui transformaient le royaliste exalté de +1816 en un prophète accusateur, venant traiter le prince, dans son +château, d'usurpateur et de régicide, lui défendant, au nom de Dieu, +de se faire sacrer à Reims. + +Je ne rapporterai pas ici de telles divagations. On les trouvera tout +au long dans le livre de M. Paul Marin. J'aurais voulu qu'on y +indiquât que ces inepties étaient soufflées au malheureux insensé par +des partisans de Naundorf qui se faisait passer pour le duc de +Normandie, échappé du Temple. + +Thomas-Ignace Martin mourut à Chartres en 1834. On a prétendu, sans +pouvoir l'établir, qu'il avait été empoisonné[1131]. + +[Note 1131: _Rapport adressé à S. Ex. le Ministre de la Police +Générale sur l'état du nommé Martin, envoyé par son ordre à la maison +royale de Charenton, le 13 mars 1816, par MM. Pinel, médecin en chef +de l'hôpital de la Salpêtrière, et Royer-Collard, médecin en chef de +la maison royale de Charenton, et l'un et l'autre professeurs à la +faculté de médecine de Paris._ À la fin: Paris, 6 mai 1816. 39 +feuillets in-4º. ms. du cabinet de l'auteur.--Le capitaine Paul Marin, +_Thomas Martin de Gallardon. Les médecins et les thaumaturges du XIXe +siècle_, Paris, s. d. in-18. _Mémoires de la comtesse Osmond de +Boignes_, éd. Charles Nicoullaud, Paris, 1907, t. III, pp. 355 et +_passim_.] + + + + +APPENDICE IV + +NOTE ICONOGRAPHIQUE + + +On ne trouve nulle part une image authentique de Jeanne. Nous tenons +d'elle qu'elle vit à Arras, dans la main d'un Écossais, une peinture où +elle était figurée un genou à terre et présentant une lettre à son roi, +et que jamais elle ne fit faire ni ne connut autre image ou peinture à +sa ressemblance. Ce portrait, sans doute fort petit, est malheureusement +perdu et l'on n'en connaît point de réplique[1132]. La figure exiguë +tracée à la plume, sur un registre, le 10 mai 1429, par un greffier au +parlement de Paris, qui n'avait jamais vu la Pucelle, doit être regardée +comme l'innocent griffonnage d'un scribe inhabile à dessiner une +lettrine[1133]. Je me dispenserai de refaire l'iconographie de la +Pucelle[1134]. La statuette équestre, en bronze, du musée de Cluny, +offre un effet si grotesque, qu'on le croirait produit à dessein, si +l'on pouvait prêter une pareille intention à un vieil imagier. Elle date +du règne de Charles VIII; c'est un Saint-Georges ou un Saint-Maurice +que, à une époque sans doute récente, on fit prendre pour ce qu'il +n'était pas, en inscrivant au burin, entre les jambes de la malheureuse +haridelle qui le porte, cette inscription: _La pucelle dorlians_, +désignation inusitée au XVe siècle[1135]. Le musée de Cluny exposait, +vers 1875, une autre statuette, un peu plus grande, de bois peint, qu'on +croyait être aussi du XVe siècle et représenter Jeanne d'Arc. On la +cacha dans les magasins quand on sut que c'était un mauvais +Saint-Maurice du XVIIe siècle, provenant d'une église de +Montargis[1136]. Il arrive souvent qu'on fasse d'un saint en armes une +Jeanne d'Arc. C'est le cas encore pour une petite tête casquée du XVe +siècle, qu'on trouva, dans la terre, à Orléans, détachée d'une statue et +portant encore des traces de peinture, oeuvre d'un bon style et d'une +expression charmante[1137]. Je n'ai pas le courage de signaler toutes +les lettrines d'antiphonaires, toutes les miniatures du XVIe siècle, du +XVIIe, du XVIIIe, altérées et repeintes, qu'on donne pour d'authentiques +et anciennes effigies de Jeanne. J'ai eu l'occasion d'en voir +beaucoup[1138]. J'aurais plaisir au contraire à rappeler, s'ils +n'étaient si connus, quelques manuscrits du XVe siècle, qui, comme _Le +Champion des dames_ et les _Vigiles de Charles VII_, contiennent des +miniatures où la Pucelle est figurée selon la fantaisie de l'enlumineur, +et qui nous intéressent en ce qu'elles expriment la vision de ces hommes +qui vécurent en même temps qu'elle, ou peu de temps après. Ce n'est pas +leur talent qui nous touche; ils n'en ont pas et ne font point songer à +Jean Foucquet[1139]. + +[Note 1132: _Procès_, t. I, pp. 100 et 292.] + +[Note 1133: Gravée sur bois, dans Wallon, _Jeanne d'Arc_, p. 95.] + +[Note 1134: E. de Bouteiller et G. de Braux. _Notes +iconographiques sur Jeanne d'Arc_, Paris et Orléans, 1879, in-18 +jésus.] + +[Note 1135: Gravée dans une grande quantité d'ouvrages et +notamment dans le livre de E. de Bouteiller et G. de Braux, ci-dessus +indiqué, en regard de la page 12.] + +[Note 1136: Gravée sur bois dans le livre ci-dessus indiqué, en +regard de la page 8.] + +[Note 1137: Au musée d'Orléans; elle a été gravée à l'eau-forte, +par M. Georges Lavalley, dans la _Jeanne d'Arc_ de M. Raoul Bergot, +Tours, s. d., grand in-8º.] + +[Note 1138: Je signalerai seulement en ce genre la miniature +reproduite en frontispice, dans le tome IV de _La vraie Jeanne d'Arc_, +du P. Ayroles, Paris, 1898, grand in-8º et la miniature de la +collection Spetz, reproduite dans la _Jeanne d'Arc_ du chanoine Henri +Debout, t. II, p. 103.] + +[Note 1139: _Le Champion des Dames_, ms. du XVe s.; bibl. nat., f. +fr. nº 841.--Martial d'Auvergne, ms. de la fin du XVe s., f. fr, nº +5.054.--Une initiale d'un ms. latin du XVe s., bibl. nat., nº 14.665.] + +Du vivant de la Pucelle, et surtout pendant sa captivité, les Français +suspendaient son image dans les églises[1140]. On voudrait reconnaître +un de ces tableaux votifs dans la petite peinture sur bois, du musée +de Versailles, qui représente la Vierge avec l'enfant Jésus, ayant +Saint-Michel à sa droite et Jeanne d'Arc à sa gauche[1141]. C'est un +ouvrage italien d'une extrême grossièreté. La tête de Jeanne, qui a +disparu sous les coups d'un instrument dur et pointu, était d'un +dessin exécrable à juger par les autres qui subsistent sur ce panneau. +Les personnages portent tous quatre le nimbe orlé et perlé. À quoi +certes les clercs de Paris et de Rouen eussent trouvé à redire; et, +sans trop de sévérité, on pouvait accuser d'idolâtrie le peintre qui +érigeait, à la gauche de la Vierge, en égale du prince des milices +célestes, une créature appartenant à l'Église militante. + +[Note 1140: _Procès_, t. I, p. 100.--N. Valois, _Un nouveau +témoignage sur Jeanne d'Arc_, pp. 8, 13.] + +[Note 1141: Reproduit en chromo dans Wallon, _Jeanne d'Arc_.] + +Debout, le chef, le cou et les épaules couverts d'une sorte de +capeline fourrée à frange noires, gantée et chaussée de fer, ceinte, +par-dessus sa huque rouge d'un ceinturon d'or, Jeanne est +reconnaissable à son nom inscrit sur sa tête et aussi à la bannière +blanche, semée de fleurs de lis, qu'elle élève de sa main droite, et à +sa targe d'argent, découpée à l'allemande, où l'on voit une épée dont +la pointe porte une couronne. Une inscription de trois lignes en +français couvre les marches du trône sur lequel la vierge Marie est +assise. Bien qu'elle soit aux trois quarts effacée et presque +inintelligible, j'ai pu, avec l'aide de mon savant ami, M. Pierre de +Nolhac, conservateur du musée de Versailles, en déchiffrer quelques +mots qui donneraient à croire qu'il s'agit ici de prières et de voeux +pour le salut de Jeanne, tombée aux mains de ses ennemis. Nous aurions +donc sous les yeux un de ces ex-voto qui furent suspendus dans des +églises de France pendant la captivité de la Pucelle. Ce nimbe au +front d'une créature vivante et la place insolite occupée par Jeanne +s'expliqueraient en ce cas assez facilement; on pourrait croire que de +bons Français approprièrent à leur dessein, sans y penser à mal, un +tableau représentant originairement la vierge entre deux personnages +de l'Église triomphante, et, au moyen de quelques retouches, firent de +l'un de ces personnages la Pucelle de Dieu, faute de lui trouver, dans +un si petit panneau, une place plus convenable à sa condition +mortelle, comme, par exemple, celle que tenaient d'ordinaire, aux +pieds de la vierge et des saints, les donateurs agenouillés; cela +expliquerait peut-être encore que Saint-Michel, la Vierge et la +Pucelle portent leurs noms inscrits au-dessus d'eux. Sur la tête de la +Pucelle on lit _ane darc_. Cette forme Darc, en 1430, est +possible[1142]. Dans la légende, au bas du trône, je discerne _Jehane +dArc_, avec un _d_ minuscule et un _A_ majuscule à _dArc_, ce qui est +bien étrange. Cette pièce m'en devient très suspecte. + +[Note 1142: La forme Darc se trouve dans le procès de condamnation +(_Procès_, t. I, p. 191, t. II, p. 82). Mais nous trouvons à côté les +formes Dars (Pièce datée du 31 mars 1427), Day (lettres +d'anoblissement), Daiz (communication que j'ai reçue de M. Pierre +Champion), et Daix (_Chronique de la Pucelle_).] + +La petite tapisserie à bestions du musée d'Orléans[1143], qui +représente la venue de Jeanne à Chinon au-devant du roi, provient d'un +atelier allemand du XV{e} siècle. Grossière de tissu, barbare de +dessin et peu variée de couleurs, elle témoigne d'un certain goût pour +les ornements somptueux et aussi d'une grande indifférence pour la +vérité littérale. + +[Note 1143: Reproduite en chromo dans la _Jeanne d'Arc_ de +Wallon.--Cf. J. Quicherat, _Histoire du costume en France depuis les +temps les plus reculés jusqu'à la fin du XVIIIe siècle_, Paris, 1875, +gr. in-8º, p. 271.] + +C'était aussi une oeuvre allemande que cette peinture qu'on montrait à +Ratisbonne en 1429 et sur laquelle était figurée la Pucelle combattant +en France. Cette peinture est perdue[1144]. + +[Note 1144: _Procès_, t. V, p. 270.] + + +FIN + + + + +TABLE DU TOME SECOND + + + I.--L'ARMÉE ROYALE DE SOISSONS À COMPIÈGNE.--POÈME ET + PROPHÉTIE. 1 + + II.--PREMIER SÉJOUR DE LA PUCELLE À COMPIÈGNE.--LES TROIS + PAPES.--SAINT-DENYS.--LES TRÊVES. 38 + + III.--L'ATTAQUE DE PARIS. 61 + + IV.--PRISE DE SAINT-PIERRE-LE-MOUSTIER.--LES FILLES + SPIRITUELLES DE FRÈRE RICHARD.--LE SIÈGE DE LA CHARITÉ. 87 + + V.--LES LETTRES AUX HABITANTS DE REIMS.--LA LETTRE AUX + HUSSITES.--LE DÉPART DE SULLY. 116 + + VI.--LA PUCELLE AUX FOSSÉS DE MELUN.--LE SEIGNEUR DE + L'OURS.--L'ENFANT DE LAGNY. 138 + + VII.--SOISSONS ET COMPIÈGNE.--PRISE DE LA PUCELLE. 157 + + VIII.--LA PUCELLE À BEAULIEU.--LE BERGER DU GÉVAUDAN. 177 + + IX.--LA PUCELLE À BEAUREVOIR.--CATHERINE DE LA ROCHELLE À + PARIS.--SUPPLICE DE LA PIERRONNE. 193 + + X.--BEAUREVOIR.--ARRAS.--ROUEN--LA CAUSE DE LAPSE. 214 + + XI.--LA CAUSE DE LAPSE (_Suite_). 258 + + XII.--LA CAUSE DE LAPSE (_Suite_). 303 + + XIII.--L'ABJURATION.--LA PREMIÈRE SENTENCE. 345 + + XIV.--LA CAUSE DE RELAPSE.--SECONDE SENTENCE.--MORT DE LA + PUCELLE 374 + + XV.--APRÈS LA MORT DE LA PUCELLE.--LA FIN DU BERGER.--LA DAME + DES ARMOISES 397 + + XVI.--APRÈS LA MORT DE LA PUCELLE (_Suite_).--LES JUGES DE + ROUEN AU CONCILE DE BÂLE ET LA PRAGMATIQUE SANCTION.--LE + PROCÈS DE RÉHABILITATION.--LA PUCELLE DE SARMAIZE.--LA + PUCELLE DU MANS 436 + + + APPENDICES: + + I.--LETTRE DU DOCTEUR G. DUMAS 459 + + II.--LE MARÉCHAL DE SALON 466 + + III.--MARTIN DE GALLARDON 472 + + IV.--NOTE ICONOGRAPHIQUE 479 + + +IMPRIMERIE CHAIX, RUE BERGÈRE, 20, PARIS.--2774-2-08.--(Encre +Lorilleux). + + + + +CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS + + +DU MÊME AUTEUR + +Format grand in-18. + + BALTHASAR. 1 vol. + + CRAINQUEBILLE, PUTOIS, RIQUET. 1-- + + LE CRIME DE SYLVESTRE BONNARD (_Ouvrage + couronné par l'Académie française_). 1-- + + LES DÉSIRS DE JEAN SERVIEN. 1-- + + L'ÉTUI DE NACRE. 1-- + + HISTOIRE COMIQUE. 1-- + + LE JARDIN D'ÉPICURE. 1-- + + JOCASTE ET LE CHAT MAIGRE. 1-- + + LE LIVRE DE MON AMI. 1-- + + LE LYS ROUGE. 1-- + + LES OPINIONS DE M. JÉRÔME COIGNARD. 1-- + + LE PUITS DE SAINTE-CLAIRE. 1-- + + LA RÔTISSERIE DE LA REINE PÉDAUQUE. 1-- + + SUR LA PIERRE BLANCHE. 1-- + + THAÏS. 1-- + + LA VIE LITTÉRAIRE. 4-- + + PAGES CHOISIES. 1-- + + +HISTOIRE CONTEMPORAINE + + I.--L'ORME DU MAIL. 1 vol. + + II.--LE MANNEQUIN D'OSIER. 1-- + + III.--L'ANNEAU D'AMÉTHYSTE. 1-- + + IV.--MONSIEUR BERGERET À PARIS. 1-- + + +ÉDITION ILLUSTRÉE + + CLIO (_Illustrations en couleurs de Mucha_). 1 vol. + + HISTOIRE COMIQUE (_Pointes sèches et eaux-fortes de + Edgar Chahine_). 1-- + + +IMPRIMERIE CHAIX, RUE BERGÈRE, 20, PARIS.--2774-2-08.--(Encre +Lorilleux). + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Vie de Jeanne d'Arc, by Anatole France + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK VIE DE JEANNE D'ARC *** + +***** This file should be named 33693-8.txt or 33693-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/3/3/6/9/33693/ + +Produced by wagner, Mireille Harmelin, Christine P. Travers +and the Online Distributed Proofreaders at +http://dp.ratsko.net. + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. Special rules, +set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to +copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to +protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project +Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you +charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you +do not charge anything for copies of this eBook, complying with the +rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose +such as creation of derivative works, reports, performances and +research. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. 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Donations are accepted in a number of other +ways including checks, online payments and credit card donations. +To donate, please visit: http://pglaf.org/donate + + +Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic +works. + +Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + http://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. diff --git a/33693-8.zip b/33693-8.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..a989926 --- /dev/null +++ b/33693-8.zip diff --git a/33693-h.zip b/33693-h.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..97a604d --- /dev/null +++ b/33693-h.zip diff --git a/33693-h/33693-h.htm b/33693-h/33693-h.htm new file mode 100644 index 0000000..97f9e48 --- /dev/null +++ b/33693-h/33693-h.htm @@ -0,0 +1,15355 @@ +<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.01 Transitional//EN"> +<html lang="fr"> + +<head> +<meta http-equiv="Content-Type" content="text/html; charset=iso-8859-1"> +<title>The Project Gutenberg e-Book of Vie de Jeanne D'arc, Vol. 2; Author: Anatole France.</title> + + +<style type="text/css"> +<!-- + +body {font-size: 1em; text-align: justify; margin-left: 10%; margin-right: 10%;} + +h1 {font-size: 115%; text-align: center; margin-top: 2em; margin-bottom: 2em;} +h2 {font-size: 110%; text-align: center; margin-top: 4em; margin-bottom: 2em; line-height: 2em;} +h3 {font-size: 105%; text-align: center; margin-top: 2em; margin-bottom: 1em;} + +a:focus, a:active { outline:#ffee66 solid 2px; background-color:#ffee66;} +a:focus img, a:active img {outline: #ffee66 solid 2px; } + +sup {line-height: 0em;} +li {margin-top: 1.3em;} + +table {border-collapse: collapse; table-layout: fixed; + width: 90%; margin-left: 5%; margin-top: 1em; margin-bottom: 1em;} + +p {text-indent: 1em;} +p.tn {margin-left: 10%; width: 80%; text-indent: 0em;} + +.pagenum {visibility: hidden; + position: absolute; right:0; text-align: right; + font-size: 10px; + font-weight: normal; font-variant: normal; + font-style: normal; letter-spacing: normal; + color: #C0C0C0; background-color: inherit;} + +.p2 {margin-top: 2em; margin-bottom: 1em;} +.p4 {margin-top: 4em; margin-bottom: 1em;} + +.smcap {font-variant: small-caps; font-size: 95%;} +.smaller {font-size: smaller;} +.small {font-size: 85%;} + +.none {list-style-type: none;} +.roman {list-style-type: upper-roman;} + +.left50 {margin-left: 50%; font-size: 90%;} +.figcenter {margin: auto; text-align: center;} +.noindent {text-indent: 0em;} +.center {text-align: center;} +.lspaced1 {letter-spacing: 1em;} + +.tam {margin-left: 10%; margin-right: 15%;} +.poem10 {text-indent: 0em; margin-left: 10%; font-size: 90%;} +.poem10 p {text-indent: 0em;} +.notes p {text-indent: 0em;} +.quote {margin-left: 5%; font-size: 90%;} +.right {text-align: right;} +.right10 {text-align: right; margin-right: 10%;} +.ralign10 {position: absolute; right: 10%; top: auto;} + +--> +</style> +</head> +<body> + + +<pre> + +The Project Gutenberg EBook of Vie de Jeanne d'Arc, by Anatole France + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Vie de Jeanne d'Arc + Vol. 2 de 2 + +Author: Anatole France + +Release Date: September 10, 2010 [EBook #33693] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK VIE DE JEANNE D'ARC *** + + + + +Produced by wagner, Mireille Harmelin, Christine P. Travers +and the Online Distributed Proofreaders at +http://dp.ratsko.net. + + + + + + +</pre> + + + +<p class="p4 center">ANATOLE FRANCE<br> +<span class="smaller">DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE</span></p> + + +<h1>VIE<br> +DE<br> +JEANNE D'ARC</h1> + + +<p class="center">II</p> + + +<p class="p4 smaller center">PARIS CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS 3, RUE AUBER, 3</p> + +<p class="p4 small center"><i>Published march twenty fifth, nineteen hundred and eight. Privilege +of copyright in the United States reserved under the Act approved +March third nineteen hundred and five by Manzi, Joyant et C<sup>ie</sup>.</i></p> + +<p class="small center">Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous les pays, y +compris la Hollande.</p> + + +<h1><span class="pagenum"><a id="page1" name="page1"></a>(p. 1)</span> VIE DE JEANNE D'ARC</h1> + + +<h2>CHAPITRE PREMIER<br> + +<span class="smaller">L'ARMÉE ROYALE DE SOISSONS À COMPIÈGNE. — POÈME ET PROPHÉTIE.</span></h2> + + +<p>Le 22 juillet, le roi Charles, descendant l'Aisne avec son armée, +reçut en un lieu nommé Vailly les clefs de la ville de Soissons<a id="footnotetag1" name="footnotetag1"></a><a href="#footnote1" title="Lien vers la note 1"><span class="smaller">[1]</span></a>.</p> + +<p>Cette ville faisait partie du duché de Valois indivis entre la maison +d'Orléans et la maison de Bar<a id="footnotetag2" name="footnotetag2"></a><a href="#footnote2" title="Lien vers la note 2"><span class="smaller">[2]</span></a>. De ses ducs, l'un était prisonnier +des Anglais; l'autre tenait au parti français par son beau-frère le +roi Charles et au parti bourguignon par son beau-père le duc de +Lorraine. Il y avait là de quoi troubler dans leurs sentiments de +fidélité les habitants qui, foulés par les gens de guerre, pris et +repris à tout moment, chaperons <span class="pagenum"><a id="page2" name="page2"></a>(p. 2)</span> rouges et chaperons blancs, +risquaient tour à tour d'être jetés dans la rivière. Les Bourguignons +mettaient le feu aux maisons, pillaient les églises, justiciaient les +plus gros bourgeois; puis les Armagnacs saccageaient tout, faisaient +grande occision d'hommes, de femmes et d'enfants, violaient nonnes, +prudes femmes et bonnes pucelles, tant que les Sarrazins n'eussent +fait pis<a id="footnotetag3" name="footnotetag3"></a><a href="#footnote3" title="Lien vers la note 3"><span class="smaller">[3]</span></a>. On avait vu les dames de la cité coudre des sacs pour y +mettre les Bourguignons et les noyer dans l'Aisne<a id="footnotetag4" name="footnotetag4"></a><a href="#footnote4" title="Lien vers la note 4"><span class="smaller">[4]</span></a>.</p> + +<p>Le roi Charles fit son entrée le samedi 23 au matin<a id="footnotetag5" name="footnotetag5"></a><a href="#footnote5" title="Lien vers la note 5"><span class="smaller">[5]</span></a>. Les chaperons +rouges se cachèrent. Les cloches sonnèrent, le peuple cria «Noël» et +les bourgeois présentèrent au roi deux barbeaux, six moutons et six +setiers de «bon suret», s'excusant du peu: la guerre les avait +ruinés<a id="footnotetag6" name="footnotetag6"></a><a href="#footnote6" title="Lien vers la note 6"><span class="smaller">[6]</span></a>. Comme ceux de Troyes, ils refusèrent leurs portes aux gens +d'armes, en vertu de leurs privilèges et parce qu'ils n'avaient pas de +quoi les nourrir. L'armée campa dans la plaine d'Amblény<a id="footnotetag7" name="footnotetag7"></a><a href="#footnote7" title="Lien vers la note 7"><span class="smaller">[7]</span></a>.</p> + +<p>Il semble que les chefs de l'armée royale eussent <span class="pagenum"><a id="page3" name="page3"></a>(p. 3)</span> alors +l'intention de marcher sur Compiègne. Aussi bien importait-il +d'enlever au duc Philippe cette ville qui était pour lui la clef de +l'Île-de-France, et il y avait lieu d'agir avant que le duc eût amené +une armée. Mais dans toute cette campagne le roi de France était +résolu à reprendre ses villes par adresse et persuasion et non point +de force. Du 22 au 25 juillet, il somma par trois fois les habitants +de Compiègne de se rendre. Ceux-ci négocièrent, voulant gagner du +temps et se donner l'apparence d'être contraints<a id="footnotetag8" name="footnotetag8"></a><a href="#footnote8" title="Lien vers la note 8"><span class="smaller">[8]</span></a>.</p> + +<p>Partie de Soissons, l'armée royale fut le 29 devant Château-Thierry. +Elle attendit tout le jour que la ville ouvrît ses portes. Au soir le +roi y fit son entrée<a id="footnotetag9" name="footnotetag9"></a><a href="#footnote9" title="Lien vers la note 9"><span class="smaller">[9]</span></a>.</p> + +<p>Coulommiers, Crécy-en-Brie, Provins se soumirent<a id="footnotetag10" name="footnotetag10"></a><a href="#footnote10" title="Lien vers la note 10"><span class="smaller">[10]</span></a>.</p> + +<p>Le lundi 1<sup>er</sup> août, le roi passa la Marne sur le pont de +Château-Thierry et prit ce même jour son gîte à Montmirail. Le +lendemain il atteignit Provins à portée du passage de la Seine et des +routes du centre<a id="footnotetag11" name="footnotetag11"></a><a href="#footnote11" title="Lien vers la note 11"><span class="smaller">[11]</span></a>. L'armée avait grand'faim et ne trouvait rien à +manger dans ces campagnes ravagées, dans ces villes pillées. On +s'apprêtait, faute de vivres, à faire retraite et à regagner le +<span class="pagenum"><a id="page4" name="page4"></a>(p. 4)</span> Poitou. Mais les Anglais contrarièrent ce dessein. Pendant +qu'on réduisait des villes sans garnison, le régent d'Angleterre avait +rassemblé une armée. Elle s'avançait maintenant sur Corbeil et Melun. +Les Français, à son approche, gagnèrent la Motte-Nangis, à cinq lieues +de Provins, où ils s'établirent sur un de ces terrains bien plats et +bien unis qui convenaient aux batailles telles qu'elles se donnaient +en ce temps-là. Ils y demeurèrent rangés tout un jour. Les Anglais ne +vinrent point les attaquer<a id="footnotetag12" name="footnotetag12"></a><a href="#footnote12" title="Lien vers la note 12"><span class="smaller">[12]</span></a>.</p> + +<p>Cependant les habitants de Reims reçurent nouvelles que le roi Charles +quittait Château-Thierry avec son armée et voulait passer la Seine. Se +voyant abandonnés, ils craignirent que les Anglais et les Bourguignons +ne leur fissent payer cher le sacre du roi des Armagnacs; et de fait +ils étaient en grand danger. Ils décidèrent, le 3 août, d'envoyer un +message au roi Charles pour le supplier de ne pas abandonner les cités +mises en son obéissance. Le héraut de la ville partit aussitôt. Le +lendemain, ils avertirent leurs bons amis de Châlons et de Laon, que +le roi Charles, comme ils l'avaient entendu dire, prenait son chemin +vers Orléans et Bourges et qu'ils lui avaient envoyé un message<a id="footnotetag13" name="footnotetag13"></a><a href="#footnote13" title="Lien vers la note 13"><span class="smaller">[13]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page5" name="page5"></a>(p. 5)</span> Le 5 août, tandis que le roi est encore à Provins<a id="footnotetag14" name="footnotetag14"></a><a href="#footnote14" title="Lien vers la note 14"><span class="smaller">[14]</span></a> ou aux +alentours, Jeanne adresse à ceux de Reims une lettre datée du camp, +sur le chemin de Paris. Elle y promet à ses chers et bons amis de ne +pas les abandonner. Elle n'a point l'air de soupçonner que la retraite +sur la Loire est décidée. C'est donc que les magistrats de Reims ne le +lui ont pas écrit et qu'elle est tenue en dehors du conseil royal. +Elle est instruite pourtant que le roi a conclu une trêve de quinze +jours avec le duc de Bourgogne et elle les en avertit. Cette trêve ne +lui plaît pas; elle ne sait encore si elle la gardera. Si elle ne la +rompt pas, ce sera seulement pour garder l'honneur du roi; encore ne +faut-il pas que ce soit une duperie. Aussi tiendra-t-elle l'armée +royale rassemblée et prête à marcher au bout de ces quinze jours. Elle +termine en recommandant aux habitants de Reims de faire bonne garde et +de l'avertir s'ils ont besoin d'elle.</p> + +<p>Voici cette lettre:</p> + +<div class="quote"> +<p>Mes chiers et bons amis les bons et loiaulx Franczois de la cité + de Rains, Jehanne la Pucelle vous fait assavoir de ses nouvelles + et vous prie et vous requiert que vous ne faictes nulle doubte en + la bonne querelle que elle mayne pour le sang roial; et je vous + promect et certiffi que je ne vous abandonneray point tant que je + vivray. Et est vray que le Roy a fait treves au duc de Bourgoigne + quinze jours durant, par ainsi qu'il ly doit rendre la cité de + Paris paisiblement au chieff de quinze jours. Pourtant ne vous + donner nulle merveille si je ne y entre si brieffvement, combien + que des <span class="pagenum"><a id="page6" name="page6"></a>(p. 6)</span> treves qui ainsi sont faictes je ne suy point + contente et ne scey si je les tendray; maiz si je les tiens, ce + sera seulement pour garder l'onneur du Roy; combien aussi que ilz + ne cabuseront<a id="footnotetag15" name="footnotetag15"></a><a href="#footnote15" title="Lien vers la note 15"><span class="smaller">[15]</span></a> point le sang roial, car je tendray et + mantendray ensemble l'armée du Roy pour estre toute preste au + chieff desdits quinze jours, si ilz ne font la paix. Pour ce, mes + très chiers et parfaiz amis, je vous prie que vous ne vous en + donner malaise tant comme je vivray; maiz vous requiers que vous + faictes bon guet et garder la bonne cité du Roy; et me faictes + savoir se il y a nulz triteurs<a id="footnotetag16" name="footnotetag16"></a><a href="#footnote16" title="Lien vers la note 16"><span class="smaller">[16]</span></a> qui vous veullent grever<a id="footnotetag17" name="footnotetag17"></a><a href="#footnote17" title="Lien vers la note 17"><span class="smaller">[17]</span></a> + et au plus brieff que je porray, je les en osteray; et me faictes + savoir de voz nouvelles. À Dieu vous commans<a id="footnotetag18" name="footnotetag18"></a><a href="#footnote18" title="Lien vers la note 18"><span class="smaller">[18]</span></a> qui soit garde + de vous.</p> + +<p>Escript ce vendredi, V<sup>e</sup> jour d'aoust, enprès Provins<a id="footnotetag19" name="footnotetag19"></a><a href="#footnote19" title="Lien vers la note 19"><span class="smaller">[19]</span></a> un + logeiz sur champs ou chemin de Paris.</p> + +<p><i>Sur l'adresse:</i> Aux loyaux Francxois de la ville de Rains<a id="footnotetag20" name="footnotetag20"></a><a href="#footnote20" title="Lien vers la note 20"><span class="smaller">[20]</span></a>.</p> +</div> + +<p>Nul doute que le religieux qui tenait la plume n'ait écrit fidèlement +ce qui lui était dicté, et conservé le langage même de la Pucelle, au +dialecte près, car enfin Jeanne parlait lorrain. Elle était alors +parvenue au plus haut degré de la Sainteté héroïque. Dans cette lettre +elle s'attribue un pouvoir surnaturel auquel doivent se <span class="pagenum"><a id="page7" name="page7"></a>(p. 7)</span> +soumettre le roi, ses conseillers, ses capitaines. Elle se donne le +droit de seule reconnaître ou dénoncer les traités; elle dispose +entièrement de l'armée. Et, parce qu'elle commande au nom du Roi des +cieux, ses commandements sont absolus. Il lui arrive ce qui arrive +nécessairement à toute personne qui se croit chargée d'une mission +divine, c'est de se constituer en puissance spirituelle et temporelle +au-dessus des puissances établies et fatalement contre ces puissances. +Dangereuse illusion qui produit ces chocs où le plus souvent se +brisent les illuminés. Vivant et conversant tous les jours de sa vie +avec les anges et les saintes, dans les splendeurs de l'Église +triomphante, cette jeune paysanne croyait qu'en elle était toute force +et toute prudence, toute sagesse et tout conseil. Ce qui ne veut pas +dire qu'elle manquait d'esprit: elle s'apercevait très justement au +contraire que le duc de Bourgogne amusait le roi avec des ambassades +et que l'on était joué par un prince qui enveloppait beaucoup de ruse +dans beaucoup de magnificence. Non pas que le duc Philippe fût ennemi +de la paix; il la désirait au contraire, mais il ne voulait pas se +brouiller tout à fait avec les Anglais. Sans savoir grand'chose des +affaires de Bourgogne et de France, elle en jugeait bien. Elle avait +des idées très simples assurément, mais très justes sur la situation +du roi de France à l'égard du roi d'Angleterre, entre lesquels il ne +pouvait y avoir d'accommodement puisqu'ils se querellaient pour la +possession du royaume, <span class="pagenum"><a id="page8" name="page8"></a>(p. 8)</span> et sur la situation du roi de France à +l'égard du duc de Bourgogne, son grand vassal, avec lequel une entente +était non seulement possible et désirable, mais nécessaire. Elle s'est +expliquée là-dessus sans ambages: «Il y a la paix avec les +Bourguignons et la paix avec les Anglais. Pour ce qui est du duc de +Bourgogne, je l'ai requis par lettres et par ambassadeurs qu'il y eût +paix entre le roi et lui. Quant aux Anglais, la paix qu'il faut c'est +qu'ils aillent en leur pays, en Angleterre<a id="footnotetag21" name="footnotetag21"></a><a href="#footnote21" title="Lien vers la note 21"><span class="smaller">[21]</span></a>.»</p> + +<p>Cette trêve qui lui déplaisait tant, nous ignorons quand elle fut +conclue, et si ce fut à Soissons, à Château-Thierry, le 30 ou le 31 +juillet, à Provins entre le 2 et le 5 août<a id="footnotetag22" name="footnotetag22"></a><a href="#footnote22" title="Lien vers la note 22"><span class="smaller">[22]</span></a>. Il paraît qu'elle +devait durer quinze jours, au bout desquels le duc s'engageait à +rendre Paris au roi de France. La Pucelle avait grandement raison de +se méfier.</p> + +<p>Le roi Charles, devant qui le Régent s'était dérobé, reprit avec +empressement son dessein de rentrer en Poitou. De la Motte-Nangis, il +envoya des fourriers à Bray-sur-Seine, qui venait de faire sa +soumission. Cette ville, située au-dessus de Montereau, à quatre +lieues au sud de Provins, avait un pont sur la rivière, que l'armée +royale devait passer le 5 août ou le 6 au matin; mais les Anglais y +arrivèrent de nuit, détroussèrent <span class="pagenum"><a id="page9" name="page9"></a>(p. 9)</span> les fourriers et gardèrent +le pont; l'armée royale, à qui la retraite était coupée, rebroussa +chemin<a id="footnotetag23" name="footnotetag23"></a><a href="#footnote23" title="Lien vers la note 23"><span class="smaller">[23]</span></a>.</p> + +<p>Il existait dans cette armée, qui ne s'était pas battue et qui mourait +de faim, un parti des ardents, conduit par ce que Jeanne nommait avec +amour le sang royal<a id="footnotetag24" name="footnotetag24"></a><a href="#footnote24" title="Lien vers la note 24"><span class="smaller">[24]</span></a>. C'était le duc d'Alençon, le duc de Bourbon, +le comte de Vendôme; c'était aussi le duc de Bar, qui revenait de la +guerre de la hottée de pommes. Ce jeune fils de madame Yolande, avant +de rimer des moralités et de peindre des tableaux, faisait beaucoup la +guerre. Duc de Bar et héritier de Lorraine, il lui avait fallu +s'allier aux Anglais et aux Bourguignons; beau-frère du roi Charles, +il devait se réjouir que celui-ci fût victorieux, car sans cela il +n'aurait jamais pu se mettre du parti de la reine sa sœur, et il en +aurait eu regret<a id="footnotetag25" name="footnotetag25"></a><a href="#footnote25" title="Lien vers la note 25"><span class="smaller">[25]</span></a>. Jeanne le connaissait; elle l'avait demandé +naguère à Nancy au duc de Lorraine, pour l'accompagner en France<a id="footnotetag26" name="footnotetag26"></a><a href="#footnote26" title="Lien vers la note 26"><span class="smaller">[26]</span></a>. +Il fut, dit-on, de ceux qui la suivirent volontiers jusqu'à Paris. De +ceux-là encore étaient les deux fils de madame de Laval, Gui, l'aîné, +à qui elle avait offert le vin à <span class="pagenum"><a id="page10" name="page10"></a>(p. 10)</span> Selles-en-Berry et promis de +lui en faire bientôt boire à Paris, et André, qui fut depuis le +maréchal de Lohéac<a id="footnotetag27" name="footnotetag27"></a><a href="#footnote27" title="Lien vers la note 27"><span class="smaller">[27]</span></a>. C'était l'armée de la Pucelle: de très jeunes +hommes, presque des enfants, qui joignaient leur bannière à la +bannière d'une fille plus jeune qu'eux, mais plus innocente et +meilleure.</p> + +<p>On dit qu'en apprenant que la retraite était coupée, ces petits +princes furent bien contents et joyeux<a id="footnotetag28" name="footnotetag28"></a><a href="#footnote28" title="Lien vers la note 28"><span class="smaller">[28]</span></a>. Vaillance et bon vouloir, +mais étrange et fausse position de cette chevalerie qui voulait +guerroyer quand le conseil du roi voulait traiter et qui se +réjouissait que les ennemis aidassent à la prolongation de la campagne +et que l'armée royale fût rencognée par les Godons. Malheureusement il +n'y avait pas de très habiles hommes dans ce parti de la guerre et +l'heure favorable était passée: on avait laissé au Régent le temps de +rassembler des forces et de faire face aux dangers les plus +pressants<a id="footnotetag29" name="footnotetag29"></a><a href="#footnote29" title="Lien vers la note 29"><span class="smaller">[29]</span></a>.</p> + +<p>Sa retraite coupée, l'armée royale se rejeta en Brie. Le dimanche 7, +au matin, elle était à Coulommiers; elle repassa la Marne à +Château-Thierry<a id="footnotetag30" name="footnotetag30"></a><a href="#footnote30" title="Lien vers la note 30"><span class="smaller">[30]</span></a>. Le roi Charles reçut un message des habitants de +Reims qui le suppliaient <span class="pagenum"><a id="page11" name="page11"></a>(p. 11)</span> de se rapprocher encore d'eux<a id="footnotetag31" name="footnotetag31"></a><a href="#footnote31" title="Lien vers la note 31"><span class="smaller">[31]</span></a>. +Il était le 10 à La Ferté, le 11 à Crépy en Valois<a id="footnotetag32" name="footnotetag32"></a><a href="#footnote32" title="Lien vers la note 32"><span class="smaller">[32]</span></a>.</p> + +<p>Dans une des étapes de cette marche sur La Ferté et sur Crépy, la +Pucelle chevauchait en compagnie du roi, entre l'archevêque de Reims +et monseigneur le Bâtard. Voyant le peuple accourir au-devant du roi +en criant «Noël!» elle se prit à dire:</p> + +<p>—Voici de bonnes gens! je n'ai vu nulle part gens si réjouis de la +venue du gentil roi<a id="footnotetag33" name="footnotetag33"></a><a href="#footnote33" title="Lien vers la note 33"><span class="smaller">[33]</span></a>...</p> + +<p>Ces paysans du Valois et de France, qui criaient «Noël» à la venue du +roi Charles, en criaient autant sur le passage du Régent ou du duc de +Bourgogne. Ils étaient moins joyeux sans doute qu'il ne semblait à +Jeanne et si la petite sainte avait écouté aux portes de leurs maisons +démeublées, voici, à peu près, ce qu'elle aurait entendu:</p> + +<p>«Que ferons-nous? Mettons tout en la main du diable. Il ne nous chaut +de ce que nous allons devenir, car, par mauvais gouvernement et +trahison, il nous faut renier femmes et enfants, et fuir dans les +bois, comme bêtes sauvages. Et il n'y a pas un an ou deux, mais déjà +quatorze ou quinze ans que cette danse douloureuse commença. Et la +plus grande partie des seigneurs de France sont morts par glaive ou +par poison, <span class="pagenum"><a id="page12" name="page12"></a>(p. 12)</span> par traîtrise, sans confession, enfin de quelque +mauvaise mort contre nature. Mieux nous vaudrait servir les Sarrazins +que les chrétiens. Autant vaut faire du pis qu'on peut comme du mieux. +Faisons du pis que nous pourrons. Aussi bien ne nous peut-il arriver +que d'être pris ou tués<a id="footnotetag34" name="footnotetag34"></a><a href="#footnote34" title="Lien vers la note 34"><span class="smaller">[34]</span></a>.»</p> + +<p>On ne cultivait alors la terre qu'aux alentours des villes ou proche +des lieux forts et des châteaux, dans le rayon que, du haut d'une tour +ou d'un clocher, le guetteur pouvait parcourir du regard. À la venue +des gens d'armes, il sonnait de la cloche ou du cor, pour avertir les +vignerons et les laboureurs de se mettre en sûreté. En maint endroit +la sonnerie d'alarme était si fréquente que les bœufs, les moutons +et les porcs, dès qu'ils l'entendaient, s'en allaient d'eux-mêmes vers +le lieu de refuge<a id="footnotetag35" name="footnotetag35"></a><a href="#footnote35" title="Lien vers la note 35"><span class="smaller">[35]</span></a>.</p> + +<p>Dans les pays de plaine surtout, d'un accès facile, les Armagnacs et +les Anglais avaient tout détruit. À quelque distance de Beauvais, de +Senlis, de Soissons, de Laon, ils avaient changé les champs en +jachères, et, <span class="pagenum"><a id="page13" name="page13"></a>(p. 13)</span> par endroits, s'étendaient largement la +brousse, les buissons et les arbrisseaux.</p> + +<p>—Noël! Noël.</p> + +<p>Par tout le duché de Valois, les paysans abandonnaient le plat pays et +se cachaient dans les bois, les rochers et les carrières<a id="footnotetag36" name="footnotetag36"></a><a href="#footnote36" title="Lien vers la note 36"><span class="smaller">[36]</span></a>.</p> + +<p>Beaucoup, pour vivre, faisaient comme Jean de Bonval, couturier à +Noyant, près Soissons, qui, bien qu'il eût femme et enfants, se mit +d'une bande bourguignonne qui allait par toute la contrée pillant et +dérobant, et, à l'occasion, enfumant les gens dans les églises. Un +jour, Jean et ses compagnons prennent deux muids de grains, un jour +six ou sept vaches; un jour une chèvre et une vache, un jour une +ceinture d'argent, une paire de gants et une paire de souliers; un +jour un ballot de dix-huit aunes de drap pour faire des huques. Et +Jean de Bonval disait qu'à sa connaissance plusieurs bons prudhommes +en faisaient autant<a id="footnotetag37" name="footnotetag37"></a><a href="#footnote37" title="Lien vers la note 37"><span class="smaller">[37]</span></a>.</p> + +<p>—Noël! Noël!</p> + +<p>Les Armagnacs et les Bourguignons avaient pris aux pauvres paysans +jusqu'à leur cotte et leur marmite. Il n'y avait pas loin de Crépy à +Meaux. Tout le monde, dans la contrée, connaissait l'arbre de Vauru.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page14" name="page14"></a>(p. 14)</span> À une des portes de la ville de Meaux était un grand orme où +le bâtard de Vauru, gentilhomme gascon du parti du dauphin, faisait +pendre les paysans qu'il avait pris et qui ne pouvaient payer leur +rançon. Quand il n'avait point le bourreau sous la main, il les +pendait lui-même. Avec lui vivait un sien parent, le seigneur Denis de +Vauru, qu'on appelait son cousin, non parce qu'il l'était en effet, +mais pour faire entendre que l'un valait l'autre<a id="footnotetag38" name="footnotetag38"></a><a href="#footnote38" title="Lien vers la note 38"><span class="smaller">[38]</span></a>. Au mois de mars +de l'année 1420, le seigneur Denis, en l'une de ses chevauchées, +rencontra un jeune paysan, qui travaillait la terre. Il le prit à +rançon, le lia à la queue de son cheval, le mena battant jusqu'à Meaux +et, par menaces et tortures, lui fit promettre de payer trois fois +plus qu'il n'avait. Tiré de la géhenne à demi mort, le vilain fit +demander à sa femme, qu'il avait épousée dans l'année, d'apporter la +somme exigée par le seigneur. Elle était grosse et près de son terme; +pourtant, comme elle aimait bien son mari, elle vint, espérant adoucir +le cœur du seigneur de Vauru. Elle n'y réussit point et messire +Denis lui dit que si, tel jour, il n'avait pas la rançon, il pendrait +l'homme à l'orme. La pauvre femme s'en alla tout en pleurs, +recommandant bien tendrement son mari à Dieu. Et son mari pleurait de +la pitié qu'il avait d'elle. À grand effort, elle recueillit la rançon +exigée, mais ne put si bien faire qu'elle ne dépassât le jour fixé. +<span class="pagenum"><a id="page15" name="page15"></a>(p. 15)</span> Quand elle revint devant le seigneur, son mari avait été +pendu, sans délai ni merci, à l'arbre de Vauru. Elle le demanda en +sanglotant et tomba épuisée du long chemin qu'elle avait fait à pied, +près de son terme. Ayant repris connaissance, elle le réclama de +nouveau; on lui répondit qu'elle ne le verrait point tant que la +rançon ne serait point payée.</p> + +<p>Tandis qu'elle se tenait devant le seigneur, elle vit amener plusieurs +gens de métiers mis à rançon qui, ne pouvant payer, étaient aussitôt +envoyés pendre ou noyer. À leur vue, elle prit grand'peur pour son +mari; néanmoins, l'amour la tenant au cœur, elle paya la rançon. +Sitôt que les gens du duc eurent compté les écus, ils la renvoyèrent +en lui disant que son mari était mort comme les autres vilains. À +cette cruelle parole, émue de douleur et de désespoir, elle éclata en +invectives et en imprécations. Comme elle ne voulait point se taire, +le bâtard de Vauru la fit frapper à coups de bâton et mener à son +orme.</p> + +<p>Elle fut mise nue jusqu'au nombril et attachée à l'arbre où de +quarante à cinquante hommes étaient branchés, les uns haut, les autres +bas, qui lui venaient toucher la tête quand le vent leur donnait le +branle. À la tombée de la nuit, elle poussa de tels cris qu'on les +entendait de la ville. Mais quiconque serait allé la détacher aurait +été un homme mort. La frayeur, la fatigue, ses efforts, hâtèrent sa +délivrance. Attirés par ses hurlements, les loups vinrent lui arracher +le fruit <span class="pagenum"><a id="page16" name="page16"></a>(p. 16)</span> qui sortait de son ventre, et puis ils dépecèrent +tout vif le corps de la malheureuse créature.</p> + +<p>Mais en l'an 1422, la ville de Meaux ayant été prise par les +Bourguignons, le bâtard de Vauru et son cousin furent pendus à l'arbre +où ils avaient fait périr indignement un si grand nombre d'innocentes +gens<a id="footnotetag39" name="footnotetag39"></a><a href="#footnote39" title="Lien vers la note 39"><span class="smaller">[39]</span></a>.</p> + +<p>Pour les pauvres paysans de ces malheureuses contrées, armagnacs ou +bourguignons c'était bonnet blanc et blanc bonnet: ils ne gagnaient +rien à changer de maître. Pourtant il est possible qu'en voyant le +roi, issu de saint Louis et de Charles le Sage, ils reprissent un peu +de confiance et d'espoir, tant cette illustre maison de France avait +renom de justice et de miséricorde.</p> + +<p>Ainsi, chevauchant au côté de l'archevêque de Reims, la Pucelle +regardait amicalement les paysans qui criaient: «Noël!» Après avoir +dit qu'elle n'avait vu nulle part gens si réjouis de la venue du +gentil roi, elle soupira:</p> + +<p>—Plût à Dieu que je fusse assez heureuse, quand je finirai mes jours, +pour être inhumée en cette terre<a id="footnotetag40" name="footnotetag40"></a><a href="#footnote40" title="Lien vers la note 40"><span class="smaller">[40]</span></a>!</p> + +<p>Peut-être le seigneur archevêque était-il curieux de savoir si elle +avait reçu de ses Voix quelque révélation sur sa fin prochaine. Elle +disait souvent qu'elle durerait <span class="pagenum"><a id="page17" name="page17"></a>(p. 17)</span> peu. Sans doute il +connaissait une prophétie fort répandue à cette heure, annonçant que +la Pucelle mourrait en terre sainte après avoir reconquis avec le roi +Charles le tombeau de Notre-Seigneur. Plusieurs attribuaient cette +prophétie à la Pucelle elle-même qui avait dit à son confesseur +qu'elle devait mourir à la bataille contre les Infidèles et qu'après +elle viendrait de par Dieu une pucelle de Rome, qui prendrait sa +place<a id="footnotetag41" name="footnotetag41"></a><a href="#footnote41" title="Lien vers la note 41"><span class="smaller">[41]</span></a>. Et l'on comprend que messire Regnault ait voulu savoir ce +qu'il fallait penser de ces choses. Enfin, pour cette raison, ou pour +toute autre, il demanda:</p> + +<p>—Jeanne, en quel lieu avez-vous l'espoir de mourir?</p> + +<p>À quoi elle répondit:</p> + +<p>—Où il plaira à Dieu. Car je ne suis sûre ni du temps ni du lieu, et +je n'en sais pas plus que vous.</p> + +<p>On ne pouvait répondre plus dévotement. Monseigneur le Bâtard, présent +à l'entretien, crut se rappeler, bien des années plus tard, que Jeanne +avait aussitôt ajouté:</p> + +<p>—Mais je voudrais bien qu'il plût à Dieu que maintenant je me +retirasse, laissant là les armes, et que j'allasse servir mon père et +ma mère, en gardant les brebis avec mes frères et ma sœur<a id="footnotetag42" name="footnotetag42"></a><a href="#footnote42" title="Lien vers la note 42"><span class="smaller">[42]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page18" name="page18"></a>(p. 18)</span> Si vraiment elle parla de la sorte, ce fut sans doute parce +qu'elle avait de sombres pressentiments. Depuis quelque temps, elle se +croyait trahie<a id="footnotetag43" name="footnotetag43"></a><a href="#footnote43" title="Lien vers la note 43"><span class="smaller">[43]</span></a>. Peut-être soupçonnait-elle le seigneur archevêque +de Reims de mauvais vouloir à son égard. Qu'il pensât dès lors à la +rejeter, après l'avoir utilement employée, ce n'est pas croyable. Il +avait dessein, au contraire, de se servir encore d'elle, mais il ne +l'aimait pas, et elle le sentait. Il ne la consultait pas, ne +l'informait jamais de ce qui avait été décidé en conseil. Et elle +souffrait cruellement du peu de cas qu'il faisait des révélations dont +elle abondait. Ce souhait, ce soupir, qu'elle fit entendre devant lui, +n'était-ce pas un reproche délicat et voilé? Sans doute, elle avait le +regret de sa mère absente. Toutefois, elle s'abusait étrangement +elle-même en croyant qu'elle pourrait désormais supporter la vie +tranquille d'une fille au village. À Domremy, dans son enfance, elle +n'allait guère aux champs avec les moutons; elle s'occupait plus +volontiers du ménage<a id="footnotetag44" name="footnotetag44"></a><a href="#footnote44" title="Lien vers la note 44"><span class="smaller">[44]</span></a>; mais si, après avoir chevauché avec le roi +et les seigneurs, il lui avait fallu retourner au pays et garder les +troupeaux, elle n'y serait pas restée six mois. Désormais il lui +aurait été bien impossible de vivre autrement qu'en cette chevalerie +où elle croyait que Dieu l'avait appelée. Tout <span class="pagenum"><a id="page19" name="page19"></a>(p. 19)</span> son cœur +s'y était pris et elle en avait bien fini avec ses fuseaux.</p> + +<p>Pendant cette marche sur La Ferté et sur Crépy, le roi Charles reçut +du Régent, alors à Montereau avec sa noblesse, un cartel l'assignant à +tel endroit qu'il désignerait<a id="footnotetag45" name="footnotetag45"></a><a href="#footnote45" title="Lien vers la note 45"><span class="smaller">[45]</span></a>.</p> + +<p>«Nous qui désirons de tout cœur, disait le duc de Bedford, +l'achèvement de la guerre, nous vous sommons et requérons, si vous +avez pitié et compassion du pauvre peuple chrétien qui, si longtemps, +pour votre cause, a été inhumainement traité, foulé et opprimé, de +désigner, soit au pays de Brie où nous sommes tous deux, soit en +l'Île-de-France, un lieu convenable. Nous nous y rencontrerons. Et, si +vous avez quelque proposition de paix à nous faire, nous l'écouterons, +et nous aviserons en bon prince catholique<a id="footnotetag46" name="footnotetag46"></a><a href="#footnote46" title="Lien vers la note 46"><span class="smaller">[46]</span></a>.»</p> + +<p>Cette lettre injurieuse et pleine d'arrogance, le Régent ne l'avait +pas écrite dans le désir et l'espoir de la paix, mais pour rendre, +contre toute raison, le roi Charles seul responsable des misères et +des souffrances que la guerre causait au pauvre peuple.</p> + +<p>Dès le début, s'adressant au roi sacré dans la cathédrale de Reims, il +l'interpelle de cette dédaigneuse sorte: «Vous qui aviez coutume de +vous nommer dauphin de Viennois et qui maintenant, sans cause, vous +dites roi.» Il déclare qu'il veut la paix, et il <span class="pagenum"><a id="page20" name="page20"></a>(p. 20)</span> ajoute +aussitôt: «Non pas une paix feinte, corrompue, dissimulée, violée, +parjurée, comme celle de Montereau, dont, par votre coulpe et +consentement, s'ensuivit le terrible et détestable meurtre, commis +contre loi et honneur de chevalerie, en la personne de feu notre très +cher et très amé père, le duc Jean de Bourgogne<a id="footnotetag47" name="footnotetag47"></a><a href="#footnote47" title="Lien vers la note 47"><span class="smaller">[47]</span></a>.»</p> + +<p>Monseigneur de Bedford avait épousé une des filles du duc Jean, +traîtreusement assassiné en paiement de la mort du duc d'Orléans. +Mais, en vérité, c'était mal préparer la paix que de reprocher si +impitoyablement la journée de Montereau à Charles de Valois qui y +avait été traîné enfant, en avait gardé un trouble de tout son corps +et l'épouvante de passer sur un pont<a id="footnotetag48" name="footnotetag48"></a><a href="#footnote48" title="Lien vers la note 48"><span class="smaller">[48]</span></a>.</p> + +<p>Pour le présent, le plus lourd grief que le duc de Bedford fasse peser +sur le roi Charles, c'est d'être accompagné de la Pucelle et du frère +Richard. «Vous faites séduire et abuser le peuple ignorant, lui +dit-il, et vous vous aidez de gens superstitieux et réprouvés, comme +d'une femme désordonnée et diffamée, étant en habit d'homme et de +gouvernement dissolu, et aussi d'un frère mendiant apostat et +séditieux, tous deux, selon la Sainte Écriture, abominables à Dieu.»</p> + +<p>Pour mieux faire honte au parti ennemi de cette fille et de ce +religieux, le duc de Bedford s'y prend à <span class="pagenum"><a id="page21" name="page21"></a>(p. 21)</span> deux fois. Et au +plus bel endroit de sa lettre, quand il cite Charles de Valois à +comparoir devant lui, il s'attend ironiquement à le voir venir sous la +conduite de la femme diffamée et du moine apostat<a id="footnotetag49" name="footnotetag49"></a><a href="#footnote49" title="Lien vers la note 49"><span class="smaller">[49]</span></a>.</p> + +<p>Voilà comment écrivait le régent d'Angleterre, qui pourtant était un +esprit fin, mesuré, gracieux, bon catholique au reste et croyant à +toutes les diableries et à toutes les sorcelleries.</p> + +<p>Quand il se montrait scandalisé que l'armée de Charles de Valois +marchât commandée par un moine hérétique et par une sorcière, il était +sincère assurément, et il pensait habile de publier cette honte. Sans +doute il n'y avait que trop de gens disposés à croire, comme il le +croyait lui-même, que la Pucelle des Armagnacs était idolâtre, +hérétique et adonnée aux arts magiques. Pour beaucoup de prudes et +sages hommes bourguignons, un prince perdait l'honneur à se mettre en +pareille compagnie. Et si vraiment Jeanne était sorcière, quel +scandale! Quelle abomination! Les fleurs de Lis restaurées par le +diable! Tout le camp du dauphin en sentait le roussi. Cependant +monseigneur de Bedfort, en répandant ces idées, n'était pas aussi +adroit qu'il s'imaginait.</p> + +<p>Jeanne, nous le savons de reste, avait bon cœur et ne ménageait pas +sa peine: en donnant l'idée aux hommes de son parti qu'elle portait +chance elle affermissait <span class="pagenum"><a id="page22" name="page22"></a>(p. 22)</span> beaucoup leur courage<a id="footnotetag50" name="footnotetag50"></a><a href="#footnote50" title="Lien vers la note 50"><span class="smaller">[50]</span></a>; toutefois +les conseillers du roi Charles savaient à quoi s'en tenir sur elle et +ne la consultaient point; elle-même sentait qu'elle ne durerait +pas<a id="footnotetag51" name="footnotetag51"></a><a href="#footnote51" title="Lien vers la note 51"><span class="smaller">[51]</span></a>. Qui donc en faisait un grand chef de guerre, une puissance +surnaturelle? Son ennemi.</p> + +<p>On voit par cette lettre comment les Anglais avaient transformé une +enfant innocente en une créature surhumaine, terrible, épouvantable, +en une larve sortie de l'enfer et devant qui les plus braves +pâlissaient. Le Régent crie lamentablement: au diable! à la sorcière! +Et il s'étonne après cela si ses gens d'armes tremblent devant la +Pucelle, désertent de peur de la rencontrer<a id="footnotetag52" name="footnotetag52"></a><a href="#footnote52" title="Lien vers la note 52"><span class="smaller">[52]</span></a>!</p> + +<p>De Montereau, l'armée anglaise s'était repliée sur Paris. Maintenant, +elle allait de nouveau à la rencontre des Français. Le samedi 13 août, +le roi Charles tenait les champs entre Crépy et Paris et la Pucelle +put voir, des hauteurs de Dammartin, la butte Montmartre avec ses +moulins à vent et les brumes légères de la Seine sur cette grande cité +de Paris, que ses Voix, trop écoutées, lui avaient promise<a id="footnotetag53" name="footnotetag53"></a><a href="#footnote53" title="Lien vers la note 53"><span class="smaller">[53]</span></a>. Le +lendemain dimanche, le roi et son armée vinrent loger en un village +nommé <span class="pagenum"><a id="page23" name="page23"></a>(p. 23)</span> Barron, sur la rivière de la Nonnette qui, à deux +lieues en aval, baigne Senlis<a id="footnotetag54" name="footnotetag54"></a><a href="#footnote54" title="Lien vers la note 54"><span class="smaller">[54]</span></a>.</p> + +<p>Senlis était en l'obéissance des Anglais<a id="footnotetag55" name="footnotetag55"></a><a href="#footnote55" title="Lien vers la note 55"><span class="smaller">[55]</span></a>. On apprit que le Régent +s'en approchait en grande compagnie de gens d'armes, commandés par le +comte de Suffolk, le sire de Talbot, le bâtard de Saint-Pol. Il menait +avec lui les croisés du cardinal de Winchester oncle du feu roi, de +trois mille cinq cents à quatre mille hommes payés par l'argent du +pape pour aller combattre les hussites de Bohême et que le cardinal +jugeait bon d'employer contre le roi de France, très chrétien à la +vérité, mais dont les armées étaient commandées par un apostat et par +une sorcière<a id="footnotetag56" name="footnotetag56"></a><a href="#footnote56" title="Lien vers la note 56"><span class="smaller">[56]</span></a>. Il se trouvait dans le camp des Anglais, à ce que +l'on rapporte, un capitaine avec quinze cents hommes d'armes vêtus de +blanc, qui arboraient un étendard blanc, sur lequel était brodée une +quenouille d'où pendait un fuseau; et dans le champ de l'étendard, +cette légende était brodée en fines lettres d'or: «Ores, vienne la +Belle<a id="footnotetag57" name="footnotetag57"></a><a href="#footnote57" title="Lien vers la note 57"><span class="smaller">[57]</span></a>!» Par là, <span class="pagenum"><a id="page24" name="page24"></a>(p. 24)</span> ces hommes d'armes voulaient faire +entendre que, s'ils rencontraient la Pucelle des Armagnacs, ils lui +donneraient du fil à retordre.</p> + +<p>Le capitaine Jean de Saintrailles, frère de Poton, observa les Anglais +au moment où, tirant sur Senlis, ils passaient un gué de la Nonnette, +si étroit qu'on y pouvait mettre à peine deux chevaux de front. Mais +l'armée du roi Charles qui descendait la Nonnette n'arriva pas à temps +pour les surprendre<a id="footnotetag58" name="footnotetag58"></a><a href="#footnote58" title="Lien vers la note 58"><span class="smaller">[58]</span></a>; elle passa la nuit en face d'eux, près de +Montepilloy.</p> + +<p>Le lendemain lundi, 15 août, dès l'aube, les gens d'armes entendirent +la messe dans les champs et mirent leur conscience en aussi bon état +qu'ils purent, car pour grands pillards et paillards qu'ils étaient, +ils ne renonçaient pas à gagner le Paradis au terme de leur vie. +C'était fête chômée; à cette date, l'Église commémore solennellement +le jour où la Vierge Marie, au témoignage de saint Grégoire de Tours, +fut enlevée au ciel en corps et en âme. Les clercs enseignaient qu'il +convient de garder les fêtes de Notre-Seigneur et de la Sainte-Vierge +et que c'est gravement offenser la glorieuse Mère de Dieu que de +livrer bataille aux jours qui leur sont consacrés. Personne dans le +camp du roi Charles ne pouvait soutenir un avis contraire, puisque +tout le monde y était chrétien, de même que <span class="pagenum"><a id="page25" name="page25"></a>(p. 25)</span> dans le camp du +Régent. Cependant aussitôt après le <i>Deo gratias</i> chacun alla prendre +son rang de combat<a id="footnotetag59" name="footnotetag59"></a><a href="#footnote59" title="Lien vers la note 59"><span class="smaller">[59]</span></a>.</p> + +<p>L'armée, selon les règles établies, était divisée en plusieurs corps: +avant-garde, archers, corps de bataille, arrière-garde et trois +ailes<a id="footnotetag60" name="footnotetag60"></a><a href="#footnote60" title="Lien vers la note 60"><span class="smaller">[60]</span></a>. De plus, on avait formé, en application des mêmes règles, +une compagnie destinée à faire des escarmouches, à secourir et à +renforcer au besoin les autres corps; elle était commandée par le +capitaine La Hire, monseigneur le Bâtard et le sire d'Albret, +demi-frère du sire de La Trémouille. La Pucelle prit place dans cette +compagnie. Le jour de Patay, malgré ses prières, il lui avait fallu se +tenir à l'arrière-garde; cette fois, elle chevauchait avec les plus +hardis et les plus habiles, parmi ces escarmoucheurs ou coureurs qui +avaient charge, dit Jean de Bueil<a id="footnotetag61" name="footnotetag61"></a><a href="#footnote61" title="Lien vers la note 61"><span class="smaller">[61]</span></a>, de repousser les coureurs +adverses et d'observer le nombre et l'ordonnance des ennemis<a id="footnotetag62" name="footnotetag62"></a><a href="#footnote62" title="Lien vers la note 62"><span class="smaller">[62]</span></a>. On +lui rendait justice; on lui donnait la place qu'elle méritait par son +adresse à monter à cheval et son courage à combattre; pourtant elle +hésitait à suivre ses compagnons. Elle était là, au rapport d'un +chevalier chroniqueur du parti de Bourgogne, «toujours ayant diverses +opinions, une fois voulant combattre, une autre fois non<a id="footnotetag63" name="footnotetag63"></a><a href="#footnote63" title="Lien vers la note 63"><span class="smaller">[63]</span></a>».</p> + +<p>Son trouble nous est bien concevable. La petite <span class="pagenum"><a id="page26" name="page26"></a>(p. 26)</span> sainte ne +pouvait se résoudre ni à chevaucher le jour d'une fête de Notre-Dame +ni à se croiser les bras à l'heure de guerroyer. Ses Voix +entretenaient son incertitude. Elles ne lui enseignaient ce qu'elle +devait faire que lorsqu'elle le savait elle-même. Enfin, elle +accompagna les gens d'armes, dont aucun, ce semble, ne partageait ses +scrupules. Les deux partis étaient à un jet de couleuvrine l'un de +l'autre<a id="footnotetag64" name="footnotetag64"></a><a href="#footnote64" title="Lien vers la note 64"><span class="smaller">[64]</span></a>. Elle s'avança avec quelques-uns des siens jusqu'aux +fossés et aux charrois derrière lesquels les Anglais étaient +retranchés. Plusieurs Godons et Picards sortirent de leur camp et +combattirent, les uns à pied, les autres à cheval, contre un nombre +égal de Français. Il y eut de part et d'autre morts, blessés et +prisonniers. Les corps à corps durèrent toute la journée; au coucher +du soleil eut lieu la plus grosse escarmouche, autour de laquelle la +poussière était si épaisse, qu'on ne voyait plus rien<a id="footnotetag65" name="footnotetag65"></a><a href="#footnote65" title="Lien vers la note 65"><span class="smaller">[65]</span></a>. Il en fut, +ce jour-là, comme il en avait été, le 17 juin, entre Beaugency et +Meung. Avec l'armement et les habitudes d'alors, il était bien +difficile de forcer à sortir un ennemi retranché dans son camp. Le +plus souvent, pour engager la bataille, il fallait que les deux partis +fussent d'accord, et que, après avoir envoyé et accepté le gage du +combat, ils eussent fait aplanir, chacun de moitié, le terrain où ils +voulaient en venir aux mains.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page27" name="page27"></a>(p. 27)</span> À la nuit close les escarmouches cessèrent et les deux armées +dormirent à un trait d'arbalète l'une de l'autre. Puis le roi Charles +s'en fut à Crépy, laissant les Anglais libres d'aller secourir la +ville d'Évreux, qui s'était rendue à terme pour le 27 août. Avec cette +ville, le Régent sauvait toute la Normandie<a id="footnotetag66" name="footnotetag66"></a><a href="#footnote66" title="Lien vers la note 66"><span class="smaller">[66]</span></a>.</p> + +<p>Voilà ce que coûtait aux Français la procession royale du sacre, cette +marche militaire, civile et religieuse de Reims. Si après la victoire +de Patay on avait couru tout de suite sur Rouen, la Normandie était +reconquise et les Anglais jetés dans la mer; si de Patay on avait +poussé jusqu'à Paris, on y serait entré sans résistance. Il ne faut +pas se hâter pourtant de condamner cette solennelle promenade des Lis +en Champagne. Peut-être que le voyage de Reims assura au parti +français, à ces Armagnacs décriés pour leurs cruautés et leurs +félonies, au petit roi de Bourges compromis dans un guet-apens infâme, +des avantages plus grands, plus précieux que la conquête du comté du +Maine et du duché de Normandie, et que l'assaut donné victorieusement +à la première ville du royaume. En reprenant sans effusion de sang ses +villes de Champagne et de France, le roi Charles se fit connaître à +son <span class="pagenum"><a id="page28" name="page28"></a>(p. 28)</span> avantage, se montra bon et pacifique seigneur, prince +sage et débonnaire, ami des bourgeois, vrai roi des villes. Et enfin, +en terminant cette campagne de négociations honnêtes et heureuses par +les cérémonies augustes du sacre, il apparaissait tout à coup légitime +et très saint roi de France.</p> + +<p class="p2">Une dame illustre, issue de nobles bolonais et veuve d'un gentilhomme +de Picardie, versée dans les arts libéraux, qui avait composé nombre +de lais, de virelais et de ballades, qui écrivait en prose et en vers +d'une haute façon et pensait noblement; qui, amie de la France et +champion de son sexe, n'avait rien plus à cœur que de voir les +Français prospères et les dames honorées, Christine de Pisan, en son +vieil âge, cloîtrée dans l'abbaye de Poissy où sa fille était +religieuse, acheva, le 31 juillet 1429, un poème en soixante et un +couplets, comprenant chacun huit vers de huit syllabes, à la louange +de la Pucelle et qui, dans une langue affectée et dans un rythme dur, +exprimait la pensée des âmes les plus religieuses, les plus doctes, +les plus belles sur l'ange de guerre envoyé par le Seigneur au dauphin +Charles<a id="footnotetag67" name="footnotetag67"></a><a href="#footnote67" title="Lien vers la note 67"><span class="smaller">[67]</span></a>.</p> + +<p>Elle commence par dire, en cet ouvrage, qu'elle a pleuré onze ans dans +un cloître. Et vraiment, cette dame de grand cœur pleurait les +malheurs du royaume dans <span class="pagenum"><a id="page29" name="page29"></a>(p. 29)</span> lequel elle était venue enfant, où +elle avait grandi, où les rois et les princes lui avaient fait +accueil, les doctes et les poètes l'avaient honorée, et dont elle +parlait précieusement le langage. Après onze années de deuil, les +victoires du dauphin furent sa première joie.</p> + +<p>«Enfin, dit-elle, le soleil recommence à luire et se lèvent les beaux +jours verdoyants. Cet enfant royal, longtemps méprisé et offensé, le +voici venir, portant la couronne et chaussé d'éperons d'or. Crions: +Noël! Charles, septième de ce haut nom, roi des Français, tu as +recouvré ton royaume par le moyen de la Pucelle.»</p> + +<p>Madame Christine rappelle la prophétie concernant un roi Charles, fils +de Charles, surnommé le Cerf-Volant<a id="footnotetag68" name="footnotetag68"></a><a href="#footnote68" title="Lien vers la note 68"><span class="smaller">[68]</span></a>, lequel devait être empereur. +De cette prophétie nous ne savons rien, sinon que l'écu du roi Charles +VII était supporté par deux cerfs ailés et que dans une lettre d'un +marchand italien, écrite en 1429, se trouve l'annonce obscure du +couronnement du dauphin à Rome<a id="footnotetag69" name="footnotetag69"></a><a href="#footnote69" title="Lien vers la note 69"><span class="smaller">[69]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page30" name="page30"></a>(p. 30)</span> «Je prie Dieu, poursuit madame Christine, que tu sois +celui-là, que Dieu te donne de vivre pour voir tes enfants grandir, +que par toi, par eux, la France soit en joie et que, servant Dieu, tu +n'y fasses point la guerre à outrance. J'ai espoir que tu seras bon, +droit, ami de la justice, plus grand qu'aucun autre, sans que +l'orgueil assombrisse tes beaux faits, doux et propice à ton peuple et +craignant Dieu qui t'a choisi pour le servir.</p> + +<p>»Et toi, Pucelle bien heureuse, tant honorée de Dieu, tu as délié la +corde qui enserrait la France. Te pourrait-on louer assez, toi qui à +cette terre humiliée par la guerre as donné la paix.</p> + +<p>»Jeanne, née à la bonne heure, béni soit ton créateur! Pucelle envoyée +de Dieu, en qui le Saint-Esprit mit un rayon de sa grâce et qui de lui +reçus et gardes abondance de dons: jamais il ne refusa ta requête. Qui +t'aura jamais assez de reconnaissance?»</p> + +<p>La Pucelle, sauvant le royaume, madame Christine la compare à Moïse, +qui tira Israël de la terre d'Égypte:</p> + +<p>«Qu'une pucelle tende son sein pour que la France y suce douce +nourriture de paix, voilà bien chose qui passe la nature!</p> + +<p>»Josué fut grand conquérant. Quoi d'étrange à cela, puisque c'était un +homme fort? Or, voici qu'une femme, une bergère montre plus de +prud'homie qu'aucun homme. Mais tout est facile à Dieu.</p> + +<p>»Par Esther, Judith et Déborah, précieuses dames, il restaura son +peuple opprimé. Et je sais qu'il fut des <span class="pagenum"><a id="page31" name="page31"></a>(p. 31)</span> preuses. Mais Jeanne +est la nonpareille. Dieu a, par elle, opéré maints miracles.</p> + +<p>»Par miracle elle fut envoyée; l'ange de Dieu la conduisit au roi.</p> + +<p>»Avant qu'on la voulût croire, elle fut menée devant des clercs et des +savants et bien examinée. Elle se disait venue de par Dieu et l'on +trouva dans les histoires que c'était véritable, car Merlin, la +Sibylle et Bède l'avaient vue en esprit. Ils la mirent dans leurs +livres comme remède à la France et l'annoncèrent dans leurs +prophéties, disant: «Elle portera bannière aux guerres françaises.» +Enfin ils disent de son fait toute la manière.»</p> + +<p>Que madame Christine connût les chants sibyllins, ce n'est pas pour +nous surprendre, car on sait qu'elle était versée dans les écrits des +anciens. Mais on voit que la prophétie fraîchement tronquée de Merlin +l'Enchanteur et le chronogramme apocryphe de Bède le Vénérable lui +étaient parvenus. Les carmes et vaticinations des clercs armagnacs +volaient partout avec une merveilleuse rapidité<a id="footnotetag70" name="footnotetag70"></a><a href="#footnote70" title="Lien vers la note 70"><span class="smaller">[70]</span></a>.</p> + +<p>Le sentiment de madame Christine sur la Pucelle s'accorde avec celui +des docteurs du parti français et le poème qu'elle composa dans son +cloître ressemble, en beaucoup d'endroits, au traité de l'archevêque +d'Embrun.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page32" name="page32"></a>(p. 32)</span> Il y est dit:</p> + +<p>«La bonne vie qu'elle mène montre que Jeanne est en la grâce de Dieu.</p> + +<p>»Il y a bien paru, quand le siège était à Orléans et que sa force s'y +montra. Jamais miracle ne fut plus clair. Dieu aida tellement les +siens, que les ennemis ne s'aidèrent pas plus que chiens morts. Ils +furent pris ou tués.</p> + +<p>»Honneur du sexe féminin, Dieu l'aime. Une fillette de seize ans à qui +les armes ne pèsent point, encore qu'elle soit nourrie à la dure, +n'est-ce pas chose qui passe la nature? Les ennemis devant elle +fuient. Maints yeux le voient.</p> + +<p>»Elle va recouvrant châteaux et villes. Elle est premier capitaine de +nos gens. Telle force n'eut Hector ni Achille. Mais tout est fait par +Dieu qui la mène.</p> + +<p>»Et vous, gens d'armes qui souffrez dure peine et exposez votre vie +pour le droit, soyez constants: vous aurez au ciel gloire et los, car +qui combat pour droite cause gagne le Paradis.</p> + +<p>»Sachez que par elle les Anglais seront mis bas, car Dieu le veut, qui +entend la voix des bons qu'ils ont voulu accabler. Le sang de ceux +qu'ils ont occis crie contre eux.»</p> + +<p>Dans l'ombre de son cloître, madame Christine partage la commune +espérance des belles âmes; elle attend de la Pucelle l'accomplissement +de tous les biens qu'elle souhaite. Elle croit que Jeanne fera +renaître la concorde dans l'Église chrétienne, et, comme les esprits +les plus doux rêvaient alors d'établir par le fer et le feu l'unité +<span class="pagenum"><a id="page33" name="page33"></a>(p. 33)</span> d'obédience et que la charité chrétienne n'était pas la +charité du genre humain, la poétesse s'attend, sur la foi des +prophéties, à ce que la Pucelle détruise les mécréants et les +hérétiques, c'est-à-dire les Turcs et les Hussites.</p> + +<p>«Elle arrachera les Sarrazins comme mauvaise herbe, en conquérant la +Terre-Sainte. Là, elle mènera Charles, que Dieu garde! Avant qu'il +meure, il fera tel voyage. Il est celui qui la doit conquérir. Là, +elle doit finir sa vie. Là sera la chose accomplie.»</p> + +<p>Il apparaît que la bonne dame Christine avait terminé de la sorte son +poème, quand elle apprit le sacre du roi. Elle y ajouta alors treize +strophes pour célébrer le mystère de Reims et prophétiser la prise de +Paris<a id="footnotetag71" name="footnotetag71"></a><a href="#footnote71" title="Lien vers la note 71"><span class="smaller">[71]</span></a>.</p> + +<p>Ainsi, dans l'ombre et le silence d'un de ces cloîtres où pénétraient +adoucis les bruits du monde, cette vertueuse dame assemblait et +exprimait en rimes tous les rêves que faisaient sur une enfant le +royaume et l'Église.</p> + +<p>Dans une ballade assez belle, composée à l'époque du sacre, pour +l'amour et l'honneur</p> + +<p class="poem10">Du beau jardin des nobles fleurs de lis</p> + +<p class="noindent">et l'exaltation de la croix blanche, le roi Charles VII est désigné +d'un nom mystérieux, que nous venons de trouver dans le poème de +madame Catherine, «le <span class="pagenum"><a id="page34" name="page34"></a>(p. 34)</span> noble cerf». L'auteur inconnu de la +ballade y dit que la Sibylle, fille du roi Priam, prophétisa les +malheurs de ce cerf royal, ce dont on sera moins surpris, si l'on +songe que, Charles de Valois étant issu de Priam de Troye, Cassandre, +en découvrant la destinée du cerf-volant ne faisait que suivre à +travers les siècles les vicissitudes de sa propre famille<a id="footnotetag72" name="footnotetag72"></a><a href="#footnote72" title="Lien vers la note 72"><span class="smaller">[72]</span></a>.</p> + +<p>Les rimeurs du parti français célébraient les victoires inespérées de +Charles et de la Pucelle comme ils savaient, de façon un peu vulgaire, +en quelque poème à forme fixe, vêtement étriqué d'une maigre poésie.</p> + +<p>Toutefois, la ballade<a id="footnotetag73" name="footnotetag73"></a><a href="#footnote73" title="Lien vers la note 73"><span class="smaller">[73]</span></a> d'un poète dauphinois qui commence par ce +vers:</p> + +<p class="poem10">Arrière, Englois coués<a id="footnotetag74" name="footnotetag74"></a><a href="#footnote74" title="Lien vers la note 74"><span class="smaller">[74]</span></a>, arrière!</p> + +<p class="noindent">est touchante par l'accent religieux qui la traverse. L'auteur, +quelque pauvre clerc, y montre pieusement la bannière anglaise abattue</p> + +<p class="poem10">Par le vouloir dou roy Jésus<br> + Et Jeanne la douce Pucelle.</p> + +<p>Les prophéties de Merlin l'Enchanteur et du vénérable <span class="pagenum"><a id="page35" name="page35"></a>(p. 35)</span> Bède +avaient accrédité la Pucelle dans le peuple<a id="footnotetag75" name="footnotetag75"></a><a href="#footnote75" title="Lien vers la note 75"><span class="smaller">[75]</span></a>. À mesure que les +actions de cette jeune fille étaient connues, on découvrait des +prophéties qui les avaient annoncées. On trouva notamment que le sacre +de Reims avait été connu d'avance par Engélide, fille d'un vieux roi +de Hongrie<a id="footnotetag76" name="footnotetag76"></a><a href="#footnote76" title="Lien vers la note 76"><span class="smaller">[76]</span></a>. On attribuait en effet à cette vierge royale une +prédiction rédigée en langue latine et dont voici la traduction +littérale:</p> + +<p>«Ô Lis insigne, arrosé par les princes et que le semeur mit, en pleine +campagne, dans un verger délectable, immortellement ceint de fleurs et +de roses bien odorantes. Mais, ô stupeur du Lis, effroi du verger! Des +bêtes diverses, les unes venues du dehors, les autres nourries dans le +verger, se soudant cornes à cornes, ont presque étouffé le Lis, comme +alangui par sa propre rosée. Elles le foulent longuement, en +détruisent presque toutes les racines et le veulent flétrir sous leurs +souffles empoisonnés.</p> + +<p>»Mais, par la vierge venue des contrées d'où s'est répandu le brutal +venin les bêtes seront honteusement <span class="pagenum"><a id="page36" name="page36"></a>(p. 36)</span> chassées du verger. Elle +porte derrière l'oreille droite un petit signe écarlate, parle avec +douceur, a le cou bref. Elle donnera au Lis des fontaines d'eau vive, +chassera le serpent, dont le venin sera par elle à tous révélé. D'un +laurier non fait d'une main mortelle elle laurera heureusement à Reims +le jardinier du Lis, nommé Charles, fils de Charles. Tout alentour les +voisins turbulents se soumettront, les sources frémiront, le peuple +criera: «Vive le Lis! Loin la bête! Fleurisse le verger!» Il accédera +aux champs de l'île, en ajoutant une flotte aux flottes, et là nombre +de bêtes périront dans la défaite. La paix s'établira pour plusieurs. +Les clés en grand nombre reconnaîtront la main qui les avait forgées. +Les citoyens d'une illustre cité seront punis de leur parjure par la +défaite, se remémorant maints gémissements et à l'entrée [de Charles?] +de hauts murs crouleront. Alors le verger du Lis sera... (?) et il +fleurira longtemps<a id="footnotetag77" name="footnotetag77"></a><a href="#footnote77" title="Lien vers la note 77"><span class="smaller">[77]</span></a>.»</p> + +<p>Cette prophétie, attribuée à la fille inconnue d'un roi lointain, nous +apparaît comme l'ouvrage d'un clerc français et armagnac. La royauté +de France y est désignée par ce lis du verger délectable, autour +duquel combattent des bêtes nourries dans le verger et des bêtes +étrangères, c'est-à-dire les Bourguignons et les Anglais. Le roi +Charles de Valois y est nommé par son nom et par le nom de son père et +la ville du sacre <span class="pagenum"><a id="page37" name="page37"></a>(p. 37)</span> désignée en toutes lettres. La reddition de +plusieurs villes à leur légitime seigneur est exprimée de la façon la +plus claire. La prophétie fut faite sans nul doute au moment même du +couronnement; elle mentionne avec lucidité les faits alors accomplis +et elle annonce en termes obscurs les événements qu'on attendait et +qui tardèrent beaucoup à venir, ou ne vinrent point de la manière +attendue, ou ne vinrent jamais, la prise de Paris après un terrible +assaut, une descente des Français en Angleterre, la conclusion de la +paix.</p> + +<p>Il est grandement à croire qu'en disant que la libératrice du verger +serait reconnaissable à la brièveté de son cou, à la douceur de son +parler et à un petit signe écarlate, la fausse Engélide indiquait +soigneusement ce qu'on remarquait en Jeanne elle-même. Nous savons +d'ailleurs que la fille d'Isabelle Romée parlait d'une douce voix de +femme<a id="footnotetag78" name="footnotetag78"></a><a href="#footnote78" title="Lien vers la note 78"><span class="smaller">[78]</span></a>; un cou large et fortement ramassé sur les épaules s'accorde +bien avec ce qu'on sait de son aspect robuste<a id="footnotetag79" name="footnotetag79"></a><a href="#footnote79" title="Lien vers la note 79"><span class="smaller">[79]</span></a>; et la feinte fille +du roi de Hongrie n'a pas, sans doute, imaginé l'envie derrière +l'oreille droite<a id="footnotetag80" name="footnotetag80"></a><a href="#footnote80" title="Lien vers la note 80"><span class="smaller">[80]</span></a>.</p> + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page38" name="page38"></a>(p. 38)</span> CHAPITRE II<br> + +<span class="smaller">PREMIER SÉJOUR DE LA PUCELLE À COMPIÈGNE. — LES TROIS +PAPES. — SAINT-DENYS. — LES TRÊVES.</span></h2> + + +<p>De Crépy, après le départ de l'armée anglaise pour la Normandie, le +roi Charles envoya le comte de Vendôme, les maréchaux de Rais et de +Boussac avec leurs gens d'armes à Senlis. Les habitants lui donnèrent +à savoir qu'ils désiraient les fleurs de lis<a id="footnotetag81" name="footnotetag81"></a><a href="#footnote81" title="Lien vers la note 81"><span class="smaller">[81]</span></a>. La soumission de +Compiègne était désormais assurée. Le roi somma les bourgeois de le +recevoir; le mercredi 18, les clés de la ville lui furent apportées; +le lendemain il fit son entrée<a id="footnotetag82" name="footnotetag82"></a><a href="#footnote82" title="Lien vers la note 82"><span class="smaller">[82]</span></a>. Les attournés (c'était le nom des +échevins)<a id="footnotetag83" name="footnotetag83"></a><a href="#footnote83" title="Lien vers la note 83"><span class="smaller">[83]</span></a> <span class="pagenum"><a id="page39" name="page39"></a>(p. 39)</span> lui présentèrent messire Guillaume de Flavy +qu'ils avaient élu capitaine de leur ville comme le plus expérimenté +et fidèle qui fût au pays. Ils demandaient que, suivant leur +privilège, le roi, sur leur présentation, le confirmât et admît, mais +le sire de la Trémouille prit pour soi la capitainerie de Compiègne, +déléguant la lieutenance à messire Guillaume de Flavy, que néanmoins +les habitants tinrent pour leur capitaine<a id="footnotetag84" name="footnotetag84"></a><a href="#footnote84" title="Lien vers la note 84"><span class="smaller">[84]</span></a>.</p> + +<p>Le roi recouvrait une à une ses bonnes villes. Il enjoignit à ceux de +Beauvais de le reconnaître pour leur seigneur. En voyant les fleurs de +lis, que portaient les hérauts, les habitants crièrent: «Vive Charles +de France!» Le clergé chanta un <i>Te Deum</i> et il se fit de grandes +réjouissances. Ceux qui refusèrent de reconnaître le roi Charles +furent mis hors de la ville avec licence d'emporter leurs biens<a id="footnotetag85" name="footnotetag85"></a><a href="#footnote85" title="Lien vers la note 85"><span class="smaller">[85]</span></a>. +L'évêque et vidame de Beauvais, messire Pierre Cauchon, grand aumônier +de France pour le roi Henri, négociateur d'importantes affaires +ecclésiastiques, voyait à contre-cœur sa ville <span class="pagenum"><a id="page40" name="page40"></a>(p. 40)</span> retourner +aux Français<a id="footnotetag86" name="footnotetag86"></a><a href="#footnote86" title="Lien vers la note 86"><span class="smaller">[86]</span></a>; c'était à son dommage, mais il ne put l'empêcher. Il +n'ignorait pas qu'il devait pour une part cette disgrâce à la Pucelle +des Armagnacs, qui faisait beaucoup pour son parti et avait la +réputation de tout faire. Étant bon théologien, il soupçonna, sans +doute, que le diable la conduisait et il lui en voulut tout le mal +possible.</p> + +<p>À ce moment l'Artois, la Picardie, cette Bourgogne du Nord se +débourgognisait. Si le roi Charles était allé à Saint-Quentin, à +Corbie, à Amiens, à Abbeville et dans les autres fortes villes et +châteaux de Picardie, il y aurait été reçu par la plupart des +habitants comme leur souverain<a id="footnotetag87" name="footnotetag87"></a><a href="#footnote87" title="Lien vers la note 87"><span class="smaller">[87]</span></a>. Mais pendant ce temps ses ennemis +lui auraient repris ce qu'il venait de gagner dans le Valois et +l'Île-de-France.</p> + +<p>Entrée à Compiègne avec le roi, Jeanne logea à l'hôtel du Bœuf chez +le procureur du roi. Elle couchait avec la femme du procureur, Marie +Le Boucher qui était parente de Jacques Boucher, trésorier +d'Orléans<a id="footnotetag88" name="footnotetag88"></a><a href="#footnote88" title="Lien vers la note 88"><span class="smaller">[88]</span></a>.</p> + +<p>Il lui tardait de marcher sur Paris, qu'elle était sûre de prendre, +puisque ses Voix le lui avaient promis. On conte qu'au bout de deux ou +trois jours, n'y pouvant tenir, elle appela le duc d'Alençon et lui +dit: «Mon beau duc, faites appareiller vos gens et ceux des <span class="pagenum"><a id="page41" name="page41"></a>(p. 41)</span> +autres capitaines», et qu'elle s'écria: «Par mon martin! je veux aller +voir Paris de plus près que je ne l'ai vu<a id="footnotetag89" name="footnotetag89"></a><a href="#footnote89" title="Lien vers la note 89"><span class="smaller">[89]</span></a>.» Les choses n'ont pu se +passer ainsi; la Pucelle ne donnait pas d'ordres aux gens de guerre. +La vérité c'est que le duc d'Alençon prenait congé du roi avec une +belle compagnie de gens et que Jeanne devait l'accompagner. Elle était +prête à monter à cheval quand le lundi 22 août un messager du comte +d'Armagnac lui apporta une lettre qu'elle se fit lire<a id="footnotetag90" name="footnotetag90"></a><a href="#footnote90" title="Lien vers la note 90"><span class="smaller">[90]</span></a>. Voici ce +que contenait cette missive:</p> + +<div class="quote"> +<p>Ma très chière dame, je me recommande humblement à vous et vous + supplie pour Dieu que, actendu la division qui en présent est en + sainte Église universal, sur le fait des papes (car il i a trois + contendans du papat: l'un demeure à Romme, qui se fait appeler + Martin quint, auquel tous les rois chrestiens obéissent; l'autre + demeure à Paniscole, au royaume de Valence, lequel se fait + appeller pape Climent VII<sup>e</sup>; le tiers en ne sect où il demeure, + se non seulement le cardinal de Saint-Estienne et peu de gens + avec lui, lequel se fait nommer pape Benoist XIIII<sup>e</sup>; le + premier qui se dit pape Martin, fut esleu à Constance par le + consentement de toutes les nacions des chrestiens; celui qui se + fait appeler Climent fut esleu à Paniscole, après la mort du pape + Benoist XIII<sup>e</sup>, par trois de ses cardinaulx; le tiers, qui se + nomme pape Benoist XIIII<sup>e</sup>, à Paniscole fut esleu secrètement, + mesmes par le cardinal de Saint-Estienne): Veuillez supplier à + Nostre Seigneur Jhésuscrit que, <span class="pagenum"><a id="page42" name="page42"></a>(p. 42)</span> par sa miséricorde + infinite, nous veulle par vous déclarier, qui est des trois + dessusdiz, vray pape, et auquel plaira que on obéisse de ci en + avant, ou à cellui qui se dit Martin, ou à cellui qui se dit + Climent, ou à celui qui se dit Benoist; et auquel nous devons + croire, si secrètement ou par aucune dissimulation ou publique + manifeste; car nous serons tous pretz de faire le vouloir et + plaisir de Nostre Seigneur Jhésuscrit.</p> + +<p class="right10">Le tout vostre conte <span class="smcap">D'ARMIGNAC</span><a id="footnotetag91" name="footnotetag91"></a><a href="#footnote91" title="Lien vers la note 91"><span class="smaller">[91]</span></a></p> +</div> + +<p>C'était un grand vassal de la Couronne qui écrivait de la sorte, +appelait Jeanne sa très chère dame et se recommandait humblement à +elle, non à la vérité en s'abaissant soi-même, mais comme qui dirait +aujourd'hui avec affabilité.</p> + +<p>Elle n'avait jamais vu ce seigneur, et sans doute elle n'avait jamais +entendu parler de lui. Fils du connétable de France, tué en 1418, +l'homme le plus cruel du royaume, Jean IV, alors âgé de trente-trois +ou trente-quatre ans, possédait l'Armagnac noir et l'Armagnac blanc, +le pays des Quatre-Vallées, les comtés de Pardiac, de Fesenzac, +l'Astarac, la Lomagne, l'Île-Jourdain; il était le plus puissant +seigneur de Gascogne après le comte de Foix<a id="footnotetag92" name="footnotetag92"></a><a href="#footnote92" title="Lien vers la note 92"><span class="smaller">[92]</span></a>.</p> + +<p>Tandis que son nom demeurait aux partisans du roi Charles et qu'on +disait les Armagnacs pour désigner <span class="pagenum"><a id="page43" name="page43"></a>(p. 43)</span> ceux qui étaient +contraires aux Anglais et aux Bourguignons, Jean IV n'était lui-même +ni Français ni Anglais, mais seulement Gascon. Il se disait comte par +la grâce de Dieu, quitte à se reconnaître vassal du roi Charles pour +recevoir des dons de son suzerain, qui pouvait n'avoir pas toujours de +quoi payer ses houseaux, mais à qui ses grands vassaux coûtaient fort +cher. Cependant Jean IV ménageait les Anglais, protégeait un +aventurier à la solde du Régent et donnait des emplois dans sa maison +à des gens qui portaient la croix rouge. Il était aussi féroce et +perfide qu'aucun des siens. S'étant, contre tout droit, emparé du +maréchal de Séverac, il lui extorqua la cession de ses biens et le fit +ensuite étrangler<a id="footnotetag93" name="footnotetag93"></a><a href="#footnote93" title="Lien vers la note 93"><span class="smaller">[93]</span></a>.</p> + +<p>Ce meurtre était alors tout frais. Voilà le fils docile de la sainte +Église qui montrait tant de zèle à découvrir son vrai père spirituel. +Il semble bien pourtant qu'il eût déjà son opinion faite à ce sujet et +qu'il sût à quoi s'en tenir sur ce qu'il demandait. En réalité, le +long schisme, qui avait déchiré la chrétienté, n'existait plus depuis +douze ans, depuis que le conclave, ouvert le 8 novembre 1417, à +Constance, dans la Maison des Marchands, avait proclamé pape, le 11 du +même mois, jour de la Saint-Martin, le cardinal diacre Otto Colonna, +<span class="pagenum"><a id="page44" name="page44"></a>(p. 44)</span> qui prit le nom de Martin V. Martin V portait dans la Ville +Éternelle la tiare sur laquelle Lorenzo Ghiberti avait ciselé huit +figurines d'or<a id="footnotetag94" name="footnotetag94"></a><a href="#footnote94" title="Lien vers la note 94"><span class="smaller">[94]</span></a>, et l'habile Romain s'était fait reconnaître par +l'Angleterre et même par la France, qui renonçait désormais à l'espoir +d'avoir un pape français. Et si le conseil de Charles VII était en +désaccord avec Martin V sur la question du concile, un édit de 1425 +restituait au pape de Rome la jouissance de tous ses droits dans le +royaume; Martin V était vrai pape et seul pape. Cependant, Alphonse +d'Aragon, fort irrité de ce que Martin V soutenait contre lui les +droits de Louis d'Anjou sur le royaume de Naples, imagina d'opposer un +pape de sa façon au pape de Rome. Il avait précisément sous la main un +chanoine qui se disait pape; et voici sur quel fondement: l'antipape +Benoît XIII, réfugié à Peñiscola, avait, en mourant, nommé quatre +cardinaux, dont trois désignèrent à sa place un chanoine de Barcelone, +Gilles Muñoz, qui prit le nom de Clément VII. C'est ce Clément, +emprisonné dans le château de Peñiscola, sur une morne pointe de +terre, battue de trois côtés par la mer, que le roi d'Aragon avait +imaginé d'opposer à Martin V<a id="footnotetag95" name="footnotetag95"></a><a href="#footnote95" title="Lien vers la note 95"><span class="smaller">[95]</span></a>.</p> + +<p>Le pape Martin excommunia l'Aragonais, puis il <span class="pagenum"><a id="page45" name="page45"></a>(p. 45)</span> ouvrit des +négociations avec lui. Le comte d'Armagnac suivit le parti du roi +d'Aragon. Il faisait venir de Peñiscola, pour baptiser ses enfants, de +l'eau bénite par Benoît XIII. Il fut pareillement frappé +d'excommunication. Ces foudres étaient tombées sur lui en cette même +année 1429, et depuis un certain nombre de mois Jean IV était privé de +la participation aux sacrements et aux prières publiques, ce qui ne +laissait pas de lui causer des difficultés temporelles, sans compter +qu'il avait peut-être peur du diable.</p> + +<p>D'ailleurs la situation devenait intenable pour lui. Son grand allié, +le roi Alphonse, cédait et sommait lui-même Clément VIII de se +démettre. Quand il adressait sa requête à la Pucelle de France, +l'Armagnac ne songeait plus évidemment qu'à quitter l'obéissance d'un +antipape manqué, renonçant lui-même à la tiare, ou bien près d'y +renoncer; car Clément VIII se démit à Peñiscola le 26 juillet. Ce ne +peut être longtemps avant cette date que le comte dicta sa lettre, et +il est possible que ce soit après. Dans tous les cas, en la dictant, +il savait à quoi s'en tenir sur le souverain pontificat de Clément +VIII.</p> + +<p>Quant au troisième pape qu'il mentionnait dans sa missive, c'était un +Benoît XIV, dont il n'avait pas de nouvelles et qui aussi ne faisait +pas de bruit. Son élection au saint-siège avait eu cela de singulier +qu'un seul cardinal y avait procédé. Benoît XIV tenait tous ses droits +d'un cardinal créé par l'antipape Benoît XIII <span class="pagenum"><a id="page46" name="page46"></a>(p. 46)</span> dans sa +promotion de 1409, Jean Barrère, Français, bachelier es lois, prêtre, +cardinal du titre de Saint-Étienne <i>in Cœlio monte</i>. Ce n'est pas à +l'obédience de Benoît XIV que l'Armagnac pensait se ranger; +évidemment, il avait hâte de faire sa soumission à Martin V.</p> + +<p>On ne voit pas bien, dès lors, pourquoi il demandait à Jeanne de lui +désigner le vrai pape. Sans doute, c'était l'usage, en ce temps-là, de +consulter sur toutes choses les saintes filles que Dieu favorisait de +révélations. Telle se montrait la Pucelle et sa renommée de +prophétesse s'était, en peu de jours, partout répandue. Elle +découvrait les choses cachées, elle annonçait l'avenir. On se rappelle +ce capitoul de Toulouse qui, trois semaines environ après la +délivrance d'Orléans, fut d'avis de demander à la Pucelle un remède à +l'altération des monnaies. Bonne de Milan, mariée à un pauvre +gentilhomme de la reine Ysabeau sa cousine, lui présentait une requête +à fin d'être remise dans le duché qu'elle prétendait tenir des +Visconti<a id="footnotetag96" name="footnotetag96"></a><a href="#footnote96" title="Lien vers la note 96"><span class="smaller">[96]</span></a>. Il était tout aussi expédient de l'interroger sur le +pape et l'antipape. La difficulté est, en cette affaire, de découvrir +les raisons qu'avait le comte d'Armagnac de consulter la sainte fille +sur un point dont il paraît bien qu'il <span class="pagenum"><a id="page47" name="page47"></a>(p. 47)</span> était suffisamment +éclairci. Voici ce qui semble le plus probable.</p> + +<p>Disposé à reconnaître le pape Martin V, Jean IV cherchait les moyens +de donner à cette soumission un tour honorable. C'est alors que l'idée +lui vint de se faire dicter sa conduite par Jésus-Christ lui-même +parlant en une sainte Pucelle. Encore fallait-il que la révélation +s'accordât avec ses calculs. Sa lettre y tâche clairement. Il prend +soin dans cette lettre de préparer lui-même à Jeanne et, par +conséquent, à Dieu, la réponse convenable. Il y marque avec force que +Martin V, qui vient de l'excommunier, fut élu à Constance par le +consentement de toutes les nations chrétiennes, qu'il demeure à Rome +et qu'il est obéi de tous les rois chrétiens. Il signale au contraire +les circonstances qui infirment l'élection de Clément VIII, due à +trois cardinaux seulement, et l'élection plus ridicule encore de ce +Benoît, dont un seul cardinal composa tout le conclave<a id="footnotetag97" name="footnotetag97"></a><a href="#footnote97" title="Lien vers la note 97"><span class="smaller">[97]</span></a>.</p> + +<p>Sur ce seul exposé comment hésiter à reconnaître que le pape Martin +est le vrai pape? Cette malice fut perdue; Jeanne n'y vit rien. La +lettre du comte d'Armagnac, qu'elle se fit lire en montant à cheval, +ne dut pas lui paraître claire<a id="footnotetag98" name="footnotetag98"></a><a href="#footnote98" title="Lien vers la note 98"><span class="smaller">[98]</span></a>. Les noms de Benoît, de Clément et +de Martin lui étaient inconnus. Mesdames sainte <span class="pagenum"><a id="page48" name="page48"></a>(p. 48)</span> Catherine et +sainte Marguerite, qui conversaient avec elle à tout moment, ne lui +firent pas de révélations sur le pape. Elles ne lui parlaient guère +que du royaume de France, et Jeanne avait d'ordinaire la prudence de +ne prophétiser que sur le fait de la guerre. C'est ce qu'un clerc +allemand signala comme une chose singulière et notable<a id="footnotetag99" name="footnotetag99"></a><a href="#footnote99" title="Lien vers la note 99"><span class="smaller">[99]</span></a>. Mais cette +fois, bien que pressée par le temps, elle consentit à répondre à Jean +IV pour soutenir sa renommée prophétique ou parce que ce nom +d'Armagnac était une grande recommandation pour elle. Elle lui manda +qu'à cette heure elle ne lui pouvait désigner le vrai pape, mais +qu'elle lui dirait plus tard auquel des trois il faudrait croire, +selon ce qu'elle trouverait d'elle-même, par le conseil de Dieu. +Enfin, elle faisait un peu comme les devineresses qui remettent leur +oracle au lendemain.</p> + +<div class="quote"> +<p class="center">JHESUS ✝ MARIA</p> + +<p>Conte d'Armignac, mon très chier et bon ami, Jehanne la Pucelle + vous fait savoir que vostre message est venu par devers moy, + lequel m'a dit que l'aviès envoié pardeçà pour savoir de moy + auquel des trois papes, que mandez par mémoire, vous devriés + croire. De laquelle chose ne vous puis bonnement faire savoir au + vray pour le présent, jusques à ce que je soye à Paris ou + ailleurs, à requoy; car je suis pour le présent trop empeschiée + au fait de la guerre: mais quand vous sarez que je seray à Paris, + envoiez ung message par devers moy, et je vous feray savoir tout + au vray auquel vous devrez croire, <span class="pagenum"><a id="page49" name="page49"></a>(p. 49)</span> et que en aray sceu + par le conseil de mon droiturier et souverain seigneur, le roy de + tout le monde, et que en aurez à faire, à tout mon pouvoir. À + Dieu vous commans; Dieu soit garde de vous. Escript à Compiengne, + le XXII<sup>e</sup> jour d'aoust<a id="footnotetag100" name="footnotetag100"></a><a href="#footnote100" title="Lien vers la note 100"><span class="smaller">[100]</span></a>.</p> +</div> + +<p>Certes, avant de faire cette réponse, Jeanne ne consulta ni le bon +frère Pasquerel, ni le bon frère Richard, ni aucun des religieux qui +se tenaient en sa compagnie; ils lui auraient appris que le vrai pape +était le pape de Rome, Martin V. Peut-être aussi lui auraient-ils +représenté qu'elle faisait peu de cas de l'autorité de l'Église, en +s'en rapportant à une révélation de Dieu sur le pape et les antipapes; +Dieu, sans doute, lui auraient-ils dit, confie parfois à de saintes +personnes des secrets sur son Église, mais il est téméraire de +s'attendre à recevoir un si rare privilège.</p> + +<p>Jeanne échangea quelques propos avec le messager qui lui avait apporté +la missive; l'entretien fut court. Ce messager n'était pas en sûreté +dans la ville, non que les soldats voulussent lui faire payer les +crimes et les félonies de son maître, mais le sire de la Trémouille +était à Compiègne; il savait que le comte Jean IV, allié, pour lors, +au connétable de Richemont, méditait quelque entreprise contre lui. La +Trémouille n'était pas aussi méchant que le comte d'Armagnac; +toutefois, il s'en fallut de peu que le pauvre messager ne fût jeté +dans l'Oise<a id="footnotetag101" name="footnotetag101"></a><a href="#footnote101" title="Lien vers la note 101"><span class="smaller">[101]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page50" name="page50"></a>(p. 50)</span> Le lendemain, mardi 23 août, la Pucelle et le duc d'Alençon +prirent congé du roi et partirent de Compiègne avec une belle +compagnie de gens. Avant de marcher sur Saint-Denys en France, ils +allèrent à Senlis rallier partie des hommes d'armes que le roi y avait +envoyés<a id="footnotetag102" name="footnotetag102"></a><a href="#footnote102" title="Lien vers la note 102"><span class="smaller">[102]</span></a>. La Pucelle y chevaucha parmi ses religieux, à sa +coutume. Le bon frère Richard, qui annonçait la fin du monde, s'était +mis de la procession. Il avait, ce semble, pris le pas sur les autres +et même sur frère Pasquerel, le chapelain. C'est à lui que la Pucelle +se confessa sous les murs de Senlis. En ce même lieu, elle communia +deux jours de suite avec les ducs de Clermont et d'Alençon<a id="footnotetag103" name="footnotetag103"></a><a href="#footnote103" title="Lien vers la note 103"><span class="smaller">[103]</span></a>. +Assurément elle était entre les mains de moines qui faisaient un très +fréquent usage de l'Eucharistie.</p> + +<p>Le seigneur évêque de Senlis se nommait Jean Fouquerel. Il avait été +jusque-là du parti des Anglais et tout à la dévotion du seigneur +évêque de Beauvais. Homme de précaution, Jean Fouquerel, à l'approche +de l'armée royale, s'en était allé à Paris cacher une grosse somme +d'argent. Il tenait à son bien. Quelqu'un de l'ost lui prit sa +haquenée pour la donner à la Pucelle. Elle lui fut payée deux cents +saluts d'or en une assignation sur le receveur de Senlis et sur le +<span class="pagenum"><a id="page51" name="page51"></a>(p. 51)</span> grainetier de la ville. Le seigneur évoque ne l'entendit pas +ainsi et réclama sa bête. La Pucelle, ayant appris qu'il était +malcontent, lui fit écrire qu'il pouvait ravoir sa haquenée, s'il eu +avait envie, qu'elle ne la voulait point, ne la trouvant pas assez +endurante pour des gens d'armes. On envoya le cheval au sire de La +Trémouille en l'avisant de le faire remettre au seigneur évêque, qui +ne le reçut jamais<a id="footnotetag104" name="footnotetag104"></a><a href="#footnote104" title="Lien vers la note 104"><span class="smaller">[104]</span></a>.</p> + +<p>Quant à l'assignation sur le receveur et sur le grainetier, il se peut +qu'elle ne valût rien, et probablement révérend père en Dieu Jean +Fouquerel n'eut ni la bête ni l'argent. Jeanne n'était point fautive, +et pourtant le seigneur évêque de Beauvais et les clercs de +l'Université devaient bientôt lui montrer quel sacrilège c'est que de +toucher à une haquenée d'Église<a id="footnotetag105" name="footnotetag105"></a><a href="#footnote105" title="Lien vers la note 105"><span class="smaller">[105]</span></a>.</p> + +<p>Saint-Denys s'élevait au nord de Paris, à deux lieues environ des murs +de la grande ville. L'armée du duc d'Alençon y arriva le 26 août, et y +entra sans résistance, bien que la ville fût forte<a id="footnotetag106" name="footnotetag106"></a><a href="#footnote106" title="Lien vers la note 106"><span class="smaller">[106]</span></a>. Ce lieu était +célèbre par son abbaye, très antique, très riche et très illustre. +Voici de quelle manière on en rapportait la fondation: <span class="pagenum"><a id="page52" name="page52"></a>(p. 52)</span> +Dagobert, roi des Français conçut dès son enfance une vive dévotion +pour saint Denys. Et aussitôt qu'il craignait la colère de son père, +le roi Clotaire, il se réfugiait dans l'église du saint martyr. +Lorsqu'il fut mort, un homme pieux eut un songe dans lequel il vit +Dagobert cité au tribunal de Dieu; un grand nombre de saints +l'accusaient d'avoir dépouillé leurs églises; et les démons allaient +l'entraîner en enfer lorsque monseigneur saint Denys survint et, par +son intercession, l'âme du roi fut délivrée et échappa au châtiment. +Le fait était tenu pour véritable, et l'on supposait que l'âme du roi +revint animer son corps et qu'il fit pénitence<a id="footnotetag107" name="footnotetag107"></a><a href="#footnote107" title="Lien vers la note 107"><span class="smaller">[107]</span></a>.</p> + +<p>Quand la Pucelle occupa Saint-Denys avec l'armée, les trois portails, +les parapets crénelés, la tour de l'église abbatiale, élevés par +l'abbé Suger, dataient déjà de trois siècles. C'est là que les rois de +France avaient leur sépulture; c'est là qu'ils prenaient l'oriflamme. +Quatorze ans en ça, le feu roi Charles l'y était venu prendre, et nul +depuis lors ne l'avait levée<a id="footnotetag108" name="footnotetag108"></a><a href="#footnote108" title="Lien vers la note 108"><span class="smaller">[108]</span></a>.</p> + +<p>On rapportait beaucoup de merveilles touchant cet étendard royal, et +il fallait que La Pucelle en eût entendu quelque chose, si, comme on +l'a dit, elle avait, lors <span class="pagenum"><a id="page53" name="page53"></a>(p. 53)</span> de sa venue en France, donné au +dauphin Charles le surnom d'oriflamme, en gage et promesse de +victoire<a id="footnotetag109" name="footnotetag109"></a><a href="#footnote109" title="Lien vers la note 109"><span class="smaller">[109]</span></a>. On conservait à Saint-Denys le cœur du connétable +Bertrand Du Guesclin<a id="footnotetag110" name="footnotetag110"></a><a href="#footnote110" title="Lien vers la note 110"><span class="smaller">[110]</span></a>. Le bruit d'une si haute renommée était venu +aux oreilles de Jeanne; elle avait offert le vin au fils aîné de +madame de Laval et envoyé à son aïeule, qui avait été la seconde femme +de sire Bertrand, un petit anneau d'or, en s'excusant du peu, et par +révérence, pour la veuve d'un si vaillant homme<a id="footnotetag111" name="footnotetag111"></a><a href="#footnote111" title="Lien vers la note 111"><span class="smaller">[111]</span></a>.</p> + +<p>Les religieux de Saint-Denys conservaient de précieuses reliques, +notamment un morceau du bois de la vraie croix, les langes de l'enfant +Jésus, un tesson d'une cruche où l'eau s'était changée en vin aux +noces de Cana, une barre du gril de saint Laurent, le menton de sainte +Madeleine, une tasse de bois de tamaris dont saint Louis s'était servi +pour se préserver du mal de rate. On y montrait aussi le chef de +monseigneur saint Denys. Il est vrai qu'on le montrait en même temps +dans l'église cathédrale de Paris; et le chancelier Jean Gerson +traitant, peu de jours avant sa mort, de Jeanne la Pucelle, disait +qu'il en était d'elle comme du chef de <span class="pagenum"><a id="page54" name="page54"></a>(p. 54)</span> monseigneur saint +Denys, lequel était objet d'édification et non point objet de foi, et +néanmoins devait être vénéré pareillement dans l'un et l'autre lieu +pour que l'édification ne se tournât point en scandale<a id="footnotetag112" name="footnotetag112"></a><a href="#footnote112" title="Lien vers la note 112"><span class="smaller">[112]</span></a>.</p> + +<p>Tout dans cette abbaye proclamait la dignité, les prérogatives et +l'excellence de la maison de France. Jeanne dut admirer bien +joyeusement les insignes, les symboles, les images de la royauté des +Lis amassés en ce lieu<a id="footnotetag113" name="footnotetag113"></a><a href="#footnote113" title="Lien vers la note 113"><span class="smaller">[113]</span></a>, si toutefois ses yeux, remplis de visions +célestes, pouvaient encore apercevoir les choses sensibles, et si les +Voix qui parlaient à ses oreilles lui laissaient un moment de répit.</p> + +<p>Monseigneur saint Denys était un grand saint, puisqu'on ne doutait pas +que ce ne fût saint Denys l'Aréopagite lui-même<a id="footnotetag114" name="footnotetag114"></a><a href="#footnote114" title="Lien vers la note 114"><span class="smaller">[114]</span></a>, mais depuis +qu'il avait laissé prendre son abbaye, on ne l'invoquait plus comme le +patron des rois de France; les partisans du dauphin l'avaient remplacé +par le bienheureux archange Michel, dont l'abbaye, près de la cité +d'Avranches, résistait victorieusement aux Anglais. C'était saint +Michel, non <span class="pagenum"><a id="page55" name="page55"></a>(p. 55)</span> saint Denys, qui avait apparu à Jeanne dans le +courtil de Domremy; mais elle savait que saint Denys était le cri de +France<a id="footnotetag115" name="footnotetag115"></a><a href="#footnote115" title="Lien vers la note 115"><span class="smaller">[115]</span></a>.</p> + +<p>Dans cette riche abbaye, ruinée par la guerre, les religieux, +affranchis de toute discipline, menaient une existence misérable et +déréglée<a id="footnotetag116" name="footnotetag116"></a><a href="#footnote116" title="Lien vers la note 116"><span class="smaller">[116]</span></a>. Armagnacs et Bourguignons venaient les uns après les +autres piller et ravager tout alentour villages et cultures et ne +laissaient rien de ce qui se pouvait emporter. La foire du Lendit, une +des plus belles de la chrétienté, se tenait à Saint-Denys. Les +marchands n'y venaient plus. Au Lendit de l'an 1418 on n'avait vu que +trois échoppes de souliers de Brabant dans la grande rue de +Saint-Denys, près des Filles-Dieu; puis il n'y avait plus eu de foire +jusqu'en l'an 1426, où s'était tenue la dernière<a id="footnotetag117" name="footnotetag117"></a><a href="#footnote117" title="Lien vers la note 117"><span class="smaller">[117]</span></a>.</p> + +<p>À la nouvelle que les Armagnacs s'approchaient de Troyes, les paysans +avaient scié leurs blés avant qu'ils fussent mûrs et les avaient +apportés à Paris. Quand ils entrèrent à Saint-Denys, les gens d'armes +du duc d'Alençon trouvèrent la ville abandonnée. Les gros bourgeois +s'étaient réfugiés à Paris<a id="footnotetag118" name="footnotetag118"></a><a href="#footnote118" title="Lien vers la note 118"><span class="smaller">[118]</span></a>. Il y restait encore quelques pauvres +familles. La Pucelle y tint deux nouveau-nés sur les fonts<a id="footnotetag119" name="footnotetag119"></a><a href="#footnote119" title="Lien vers la note 119"><span class="smaller">[119]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page56" name="page56"></a>(p. 56)</span> Instruits des baptêmes de Saint-Denys, ses ennemis +l'accusèrent d'avoir fait allumer des cierges qu'elle penchait sur la +tête des nouveau-nés pour lire leur destinée dans la cire fondue. Ce +n'était pas la première fois, paraît-il, qu'elle se livrait à de +telles pratiques. Quand elle venait dans une ville, de petits enfants, +disait-on, lui offraient à genoux des cierges qu'elle recevait comme +une oblation agréable. Puis elle faisait tomber sur la tête de ces +innocents trois gouttes de cire ardente, annonçant que, par la vertu +d'un tel acte, ils ne pouvaient plus être que bons. Les clercs +bourguignons discernaient en ces œuvres idolâtrie et sortilège +impliqué d'hérésie<a id="footnotetag120" name="footnotetag120"></a><a href="#footnote120" title="Lien vers la note 120"><span class="smaller">[120]</span></a>.</p> + +<p>À Saint-Denys encore, elle distribua des bannières aux gens d'armes; +les clercs du parti anglais la soupçonnaient véhémentement de mettre +des charmes sur ces bannières, et comme il n'y avait personne alors +qui ne crût aux enchantements, on n'attirait pas sur soi sans danger +un pareil soupçon<a id="footnotetag121" name="footnotetag121"></a><a href="#footnote121" title="Lien vers la note 121"><span class="smaller">[121]</span></a>.</p> + +<p>La Pucelle et le duc d'Alençon ne perdirent pas de temps. Dès leur +arrivée à Saint-Denys ils allèrent escarmoucher aux portes de Paris. +Ils faisaient de ces escarmouches deux et trois fois par jour, +notamment au moulin à vent de la porte Saint-Denys et au village +<span class="pagenum"><a id="page57" name="page57"></a>(p. 57)</span> de la Chapelle. Chose à peine croyable et pourtant certaine, +car elle est attestée par un des seigneurs de l'armée, dans ce pays +tant de fois pillé et ravagé, les gens de guerre trouvaient encore +quelque bien à prendre. «Tous les jours y avait butin», dit messire +Jean de Bueil<a id="footnotetag122" name="footnotetag122"></a><a href="#footnote122" title="Lien vers la note 122"><span class="smaller">[122]</span></a>.</p> + +<p>Par révérence pour le septième commandement de Dieu, la Pucelle +défendait aux gens de sa compagnie de faire le moindre vol; si on lui +offrait des vivres qu'elle sût acquis par pillerie, jamais elle n'en +voulait user. En fait, tout comme les autres, elle ne vivait que de +maraude; mais elle l'ignorait. Un jour, un Écossais lui donnant à +entendre qu'elle venait de manger d'un veau dérobé, elle se fâcha +contre cet homme et voulut le battre: les saintes ont de ces +emportements<a id="footnotetag123" name="footnotetag123"></a><a href="#footnote123" title="Lien vers la note 123"><span class="smaller">[123]</span></a>.</p> + +<p>On a dit que Jeanne observait les murs de Paris et cherchait le +meilleur endroit où donner l'assaut<a id="footnotetag124" name="footnotetag124"></a><a href="#footnote124" title="Lien vers la note 124"><span class="smaller">[124]</span></a>. La vérité est que sur ce +point comme sur tous les autres elle s'en rapportait à ses Voix. Au +reste, elle passait de beaucoup tous les hommes de guerre en courage +et bonne volonté. De Saint-Denys, elle envoyait au roi message sur +message, le pressant de venir prendre Paris<a id="footnotetag125" name="footnotetag125"></a><a href="#footnote125" title="Lien vers la note 125"><span class="smaller">[125]</span></a>. Mais le roi et son +conseil négociaient à Compiègne avec les ambassadeurs du duc de +Bourgogne, <span class="pagenum"><a id="page58" name="page58"></a>(p. 58)</span> savoir: Jean de Luxembourg, seigneur de +Beaurevoir, Hugues de Cayeux, évêque d'Arras, David de Brimeu, et le +seigneur de Charny<a id="footnotetag126" name="footnotetag126"></a><a href="#footnote126" title="Lien vers la note 126"><span class="smaller">[126]</span></a>.</p> + +<p>La trêve de quinze jours, que nous ne connaissons que par ce qu'en a +écrit la Pucelle aux habitants de Reims, était expirée. Selon Jeanne, +le duc de Bourgogne s'était engagé à rendre la ville au roi de France, +le quinzième jour<a id="footnotetag127" name="footnotetag127"></a><a href="#footnote127" title="Lien vers la note 127"><span class="smaller">[127]</span></a>. S'il avait pris cet engagement, c'était à des +conditions que nous ne connaissons pas, et dont nous ne saurions dire +si elles ont été remplies ou non. La Pucelle ne se fiait pas à cette +promesse, et elle avait bien raison; mais elle ne savait pas tout, et +le jour même où elle se plaignait de cette trêve aux habitants de +Reims, le duc Philippe recevait des mains du Régent le gouvernement de +Paris et se trouvait dès lors en droit de disposer en quelque manière +de cette ville<a id="footnotetag128" name="footnotetag128"></a><a href="#footnote128" title="Lien vers la note 128"><span class="smaller">[128]</span></a>. Le duc Philippe ne pouvait voir en face Charles +de Valois qui avait été sur le pont de Montereau au moment du meurtre, +mais il détestait les Anglais et les souhaitait au diable ou dans leur +île. Il avait trop de vins à récolter et de laines à tisser pour ne +pas désirer la paix. Il ne voulait pas être roi de France; on pouvait +traiter avec lui, encore qu'il fût <span class="pagenum"><a id="page59" name="page59"></a>(p. 59)</span> avide et dissimulé. +Toutefois le quinzième jour était passé et la ville de Paris demeurait +aux Anglais et aux Bourguignons non amis, mais alliés.</p> + +<p>À la date du 28 août, une trêve fut conclue, qui devait courir jusqu'à +la Noël et comprenait tout le pays situé au nord de la Seine, de +Nogent à Harfleur, excepté les villes ayant passage sur le fleuve. En +ce qui concernait la ville de Paris, il était dit expressément: «Notre +Cousin de Bourgogne pourra, durant la trêve, s'employer, lui et ses +gens, à la défense de la ville et à résister à ceux qui voudraient y +faire la guerre ou porter dommage<a id="footnotetag129" name="footnotetag129"></a><a href="#footnote129" title="Lien vers la note 129"><span class="smaller">[129]</span></a>.» Le chancelier Regnault de +Chartres, le sire de la Trémouille, Christophe d'Harcourt, le Bâtard +d'Orléans, l'évêque de Séez, et aussi de jeunes seigneurs fort portés +pour la guerre, tels que les comtes de Clermont et de Vendôme et le +duc de Bar, tous les conseillers du roi et tous les princes du sang +royal qui conclurent cette trêve et signèrent cet article, donnaient +en apparence à leur ennemi des verges pour les battre et semblaient +s'interdire toute entreprise sur Paris. Mais ces gens-là n'étaient pas +tous des sots; le Bâtard d'Orléans avait l'esprit fin et le seigneur +archevêque de Reims était tout autre chose qu'un Olibrius. Ils avaient +bien sans doute leur idée, en reconnaissant <span class="pagenum"><a id="page60" name="page60"></a>(p. 60)</span> au duc de +Bourgogne des droits sur Paris. Le duc Philippe, nous le savons, +était, depuis le 13 août, gouverneur de la grand'ville. Le Régent la +lui avait cédée, pensant que Bourgogne pour contenir les Parisiens +vaudrait mieux qu'Angleterre qui était parmi eux faible en nombre et +haïe comme étrangère. Quel avantage le roi Charles trouvait-il à +reconnaître les droits de son cousin de Bourgogne sur Paris? Nous ne +le voyons pas bien clairement; mais en fait, cette trêve n'était ni +meilleure ni pire que les autres. Certes elle ne donnait pas Paris au +roi; mais elle n'empêchait pas non plus le roi de le prendre. Est-ce +que les trêves empêchaient jamais les Armagnacs et les Bourguignons de +se battre quand ils en avaient envie? Est-ce que de ces trêves +sempiternelles une seule fut gardée<a id="footnotetag130" name="footnotetag130"></a><a href="#footnote130" title="Lien vers la note 130"><span class="smaller">[130]</span></a>? Le roi, après avoir signé +celle-là, s'avança jusqu'à Senlis. Le duc d'Alençon par deux fois l'y +vint trouver. Charles arriva le mercredi 7 septembre à +Saint-Denys<a id="footnotetag131" name="footnotetag131"></a><a href="#footnote131" title="Lien vers la note 131"><span class="smaller">[131]</span></a>.</p> + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page61" name="page61"></a>(p. 61)</span> CHAPITRE III<br> + +<span class="smaller">L'ATTAQUE DE PARIS.</span></h2> + + +<p>Au temps où le roi Jean était prisonnier des Anglais, les habitants de +Paris, voyant les ennemis au cœur du royaume, craignirent que leur +ville ne fût assiégée et se hâtèrent de la mettre en état de défense; +ils l'entourèrent de fossés et de contre-fossés. Les fossés, sur la +rive gauche de la Seine, furent creusés au pied des murs de l'ancienne +enceinte. De ce côté, qui était celui de l'université, les faubourgs +restaient ainsi sans défense; ils étaient petits et lointains: on les +brûla. Mais sur la rive droite, les faubourgs, beaucoup plus gros, +touchaient presque la cité. Les fossés qu'on creusa, en renfermèrent +une partie. Quand la paix fut faite, Charles, régent du royaume, +entreprit d'entourer le nord de la ville d'une muraille crénelée, +flanquée de tours carrées, avec terrasses et créneaux, un chemin de +ronde et des degrés pour les courtines. Le fossé <span class="pagenum"><a id="page62" name="page62"></a>(p. 62)</span> était simple +ou double suivant les endroits. L'ouvrage fut conduit par Hugues +Aubriot, prévôt de Paris, qui fit aussi bâtir la Bastille +Saint-Antoine, achevée sous le roi Charles VI<a id="footnotetag132" name="footnotetag132"></a><a href="#footnote132" title="Lien vers la note 132"><span class="smaller">[132]</span></a>. Cette nouvelle +enceinte commençait, au levant, sur la rivière, à la hauteur des +Célestins; elle enfermait dans son cercle le quartier Saint-Paul, la +Culture Sainte-Catherine, le Temple, Saint-Martin, les Filles-Dieu, +Saint-Sauveur, Saint-Honoré, les Quinze-Vingts, qui avaient été +jusque-là dans les faubourgs, et découverts, et elle atteignait la +rivière en aval du Louvre, qui se trouvait de la sorte réuni à la +ville. La clôture était percée de six portes, savoir: en commençant +par l'est, la porte Baudet ou Saint-Antoine, la porte Saint-Avoye ou +du Temple, la porte des Peintres ou de Saint-Denis, la porte +Saint-Martin ou de Montmartre, la porte Saint-Honoré et la porte de +Seine<a id="footnotetag133" name="footnotetag133"></a><a href="#footnote133" title="Lien vers la note 133"><span class="smaller">[133]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page63" name="page63"></a>(p. 63)</span> Les Parisiens n'aimaient pas les Anglais et ils les enduraient +à grand'peine. Quand, après les funérailles du feu roi Charles VI, le +duc de Bedford fit porter devant lui l'épée du roi de France, le +peuple murmura<a id="footnotetag134" name="footnotetag134"></a><a href="#footnote134" title="Lien vers la note 134"><span class="smaller">[134]</span></a>. Mais il faut souffrir ce qu'on ne peut empêcher. +Si les Parisiens n'aimaient pas les Anglais, ils admiraient le duc +Philippe, seigneur de bonne mine et le plus riche prince de la +chrétienté. Pour ce qui était du petit roi de Bourges, de triste +figure et pauvre, véhémentement soupçonné de félonie à Montereau, il +n'avait rien pour plaire; on le méprisait et ses partisans inspiraient +l'épouvante et l'horreur. Depuis dix ans ils faisaient des courses +autour de la ville, rançonnant et pillant. Sans doute, les Anglais et +les Bourguignons n'en usaient pas d'une autre manière. Lorsqu'au mois +d'août 1423 le duc Philippe vint à Paris, ses hommes d'armes +ravagèrent toutes les cultures aux alentours, et c'étaient des amis et +des alliés. Mais ils ne firent que passer<a id="footnotetag135" name="footnotetag135"></a><a href="#footnote135" title="Lien vers la note 135"><span class="smaller">[135]</span></a>; les Armagnacs +battaient sans cesse les campagnes, ils volaient sempiternellement +tout ce qu'ils trouvaient, incendiaient les granges et les églises, +tuaient femmes et enfants, violaient pucelles et religieuses, +pendaient les hommes par les pouces. En 1420, ils se jetèrent comme +diables déchaînés sur le village de Champigny et brûlèrent à la fois +avoine, blé, brebis, vaches, bœufs, enfants et femmes. Ils firent +de même <span class="pagenum"><a id="page64" name="page64"></a>(p. 64)</span> et pis encore à Croissy<a id="footnotetag136" name="footnotetag136"></a><a href="#footnote136" title="Lien vers la note 136"><span class="smaller">[136]</span></a>. Un clerc disait que par +eux plus de chrétiens avaient été martyrisés que par Maximien et +Dioclétien<a id="footnotetag137" name="footnotetag137"></a><a href="#footnote137" title="Lien vers la note 137"><span class="smaller">[137]</span></a>.</p> + +<p>On aurait pu toutefois, en 1429, découvrir dans la ville des partisans +du dauphin, et même un assez grand nombre. Madame Christine de Pisan, +très attachée à la maison de Valois, disait: «Il y a dans Paris +beaucoup de mauvais. Il y a aussi beaucoup de bons, fidèles à leur +roi. Mais ils n'osent parler<a id="footnotetag138" name="footnotetag138"></a><a href="#footnote138" title="Lien vers la note 138"><span class="smaller">[138]</span></a>.»</p> + +<p>Il se trouvait dans le parlement, au su de tout le monde, et jusque +dans le chapitre de Notre-Dame, des gens qui avaient des intelligences +avec les Armagnacs<a id="footnotetag139" name="footnotetag139"></a><a href="#footnote139" title="Lien vers la note 139"><span class="smaller">[139]</span></a>.</p> + +<p>Ces terribles Armagnacs, au lendemain de leur victoire de Patay, +n'avaient qu'à marcher tout de suite sur la ville pour la prendre. On +s'attendait à ce qu'ils y entrassent un jour ou l'autre. Le Régent la +leur abandonnait d'avance. Il alla s'enfermer dans son château de +Vincennes avec le peu d'hommes qui lui restaient<a id="footnotetag140" name="footnotetag140"></a><a href="#footnote140" title="Lien vers la note 140"><span class="smaller">[140]</span></a>. Trois jours +après la déconfiture des Anglais, le mardi <span class="pagenum"><a id="page65" name="page65"></a>(p. 65)</span> devant la +Saint-Jean, grand émoi dans la ville. On disait: «Les Armagnacs +entreront cette nuit.» Pendant ce temps, les Armagnacs attendaient à +Orléans l'ordre de se rassembler à Gien pour gagner ensuite Auxerre. À +cette nouvelle le duc de Bedford dut pousser un grand soupir de +soulagement; et tout aussitôt il s'occupa de pourvoir à la défense de +Paris et à la sûreté de la Normandie<a id="footnotetag141" name="footnotetag141"></a><a href="#footnote141" title="Lien vers la note 141"><span class="smaller">[141]</span></a>.</p> + +<p>La première émotion passée, la grand'ville redevenait de cœur, +sinon anglaise (elle ne l'avait jamais été), du moins bourguignonne. +Son prévôt, messire Simon Morhier, qui avait fait une terrible +occision de Français, le jour des Harengs, tenait ferme pour le +Léopard<a id="footnotetag142" name="footnotetag142"></a><a href="#footnote142" title="Lien vers la note 142"><span class="smaller">[142]</span></a>. Au contraire, on soupçonnait l'échevinage de tendre +volontiers l'oreille aux propositions du roi Charles. Le 12 juillet, +les Parisiens élurent un nouveau corps de ville composé des plus zélés +Bourguignons qui se pussent trouver dans le négoce et le change. Ils +désignèrent comme prévôt des marchands l'argentier Guillaume Sanguin, +à qui le duc de Bourgogne devait plus de sept mille livres tournois et +qui avait en garde les joyaux du Régent<a id="footnotetag143" name="footnotetag143"></a><a href="#footnote143" title="Lien vers la note 143"><span class="smaller">[143]</span></a>. Ce changement s'opérait +au plus grand dommage du roi Charles qui, pour reprendre ses <span class="pagenum"><a id="page66" name="page66"></a>(p. 66)</span> +bonnes villes, préférait la douceur à la violence et comptait beaucoup +plus sur un accord avec les bourgeois que sur les pierres de ses +canons.</p> + +<p>Très à point, le Régent céda la ville de Paris au duc Philippe, non +sans regretter assurément de lui avoir refusé naguère la ville +d'Orléans. Il sentait bien que la cité principale du royaume, +redevenue ainsi française, se défendrait de meilleure volonté contre +les dauphinois. Le magnifique duc y vint réchauffer la vieille amitié +que lui gardaient les Parisiens et rallumer la haine qu'ils portaient +au fils déshérité de madame Ysabeau. Il lut au Palais un récit de la +mort de son père, entrecoupé de plaintes sur la paix enfreinte et la +trahison des Armagnacs; il fit crier le sang de Montereau<a id="footnotetag144" name="footnotetag144"></a><a href="#footnote144" title="Lien vers la note 144"><span class="smaller">[144]</span></a>: les +assistants jurèrent d'être bons et loyaux à lui et au Régent. Le même +serment fut prêté, les jours suivants, par le clergé séculier et +régulier<a id="footnotetag145" name="footnotetag145"></a><a href="#footnote145" title="Lien vers la note 145"><span class="smaller">[145]</span></a>.</p> + +<p>Mais plus encore que l'amour du beau duc, le souvenir de la cruauté +armagnaque affermissait les bourgeois dans la résistance. Ce bruit +courait parmi eux et trouvait créance, que messire Charles de Valois +avait abandonné à ses soudoyers la ville et les habitants grands et +petits, de tous états, hommes et femmes, et qu'il se promettait de +faire passer la charrue sur l'emplacement de Paris. C'était le +connaître très mal: il se <span class="pagenum"><a id="page67" name="page67"></a>(p. 67)</span> montrait en toute occasion +pitoyable et débonnaire; son Conseil réduisait prudemment la campagne +du Sacre à une promenade armée et pacifique. Mais les Parisiens ne +pouvaient juger sainement des intentions du roi de France et ils ne +savaient que trop que, leur ville une fois prise, rien n'empêcherait +les Armagnacs de la mettre à feu et à sang<a id="footnotetag146" name="footnotetag146"></a><a href="#footnote146" title="Lien vers la note 146"><span class="smaller">[146]</span></a>.</p> + +<p>Un fait accrut encore leur aversion et leur effroi. Quand ils surent +que le frère Richard, dont naguère ils avaient entendu si pieusement +les sermons, chevauchait avec les gens du dauphin et leur gagnait par +sa langue bien pendue de bonnes villes comme Troyes en Champagne, ils +appelèrent sur lui la malédiction de Dieu et des saints. Ils +arrachèrent de leur chapeau les médailles d'étain au saint nom de +Jésus, que le bon frère leur avait données et, en haine de lui, ils +reprirent aussitôt dés, boules, dames, et tous les jeux auxquels ils +avaient renoncé sur ses exhortations. La Pucelle ne leur inspirait pas +moins d'horreur. On contait qu'elle faisait la prophétesse et parlait +de cette sorte: «Telle chose adviendra pour vrai.» Ils disaient: «Une +créature en forme de femme est avec les Armagnacs. Ce que c'est, Dieu +le sait!» On l'appelait ribaude<a id="footnotetag147" name="footnotetag147"></a><a href="#footnote147" title="Lien vers la note 147"><span class="smaller">[147]</span></a>. Parmi ces ennemis, pires à leur +sentiment que les païens et les Sarrazins, voilà ce qui leur +paraissait le <span class="pagenum"><a id="page68" name="page68"></a>(p. 68)</span> plus horrible: un moine et une jeune fille. Ils +prirent tous la croix de Saint-André<a id="footnotetag148" name="footnotetag148"></a><a href="#footnote148" title="Lien vers la note 148"><span class="smaller">[148]</span></a>.</p> + +<p>Pendant que le dauphin s'en allait à son sacre, une armée venait +d'Angleterre en France. Le Régent la destina à couvrir la Normandie; +il la dirigea en personne sur Rouen, laissant la garde et la défense +de Paris à Louis de Luxembourg, évêque de Thérouanne, chancelier de +France pour les Anglais, au sire de l'Isle-Adam, maréchal de France, +capitaine de Paris, à deux mille hommes d'armes et aux milices +parisiennes qui avaient la garde des remparts et le gouvernement de +l'artillerie et étaient commandées par vingt-quatre bourgeois, dits +quarteniers, pour les vingt-quatre quartiers de la ville. Dès la fin +de juillet la place se trouvait à l'abri d'une surprise<a id="footnotetag149" name="footnotetag149"></a><a href="#footnote149" title="Lien vers la note 149"><span class="smaller">[149]</span></a>.</p> + +<p>Le 10 août, vigile de Saint-Laurent, tandis que les Armagnacs +campaient à La Ferté-Milon, la porte Saint-Martin, flanquée de quatre +tourelles avec un double pont-levis, fut fermée et défense faite à +quiconque d'aller à Saint-Laurent en procession ou à la foire, comme +les précédentes années<a id="footnotetag150" name="footnotetag150"></a><a href="#footnote150" title="Lien vers la note 150"><span class="smaller">[150]</span></a>.</p> + +<p>Le 28 du même mois, l'armée royale vint occuper Saint-Denys. À partir +de ce jour personne n'osa plus <span class="pagenum"><a id="page69" name="page69"></a>(p. 69)</span> sortir pour vendanger, ni +aller rien cueillir dans les potagers qui couvraient la plaine, au +nord de la ville. Tout enchérit aussitôt<a id="footnotetag151" name="footnotetag151"></a><a href="#footnote151" title="Lien vers la note 151"><span class="smaller">[151]</span></a>.</p> + +<p>Dans les premiers jours de septembre les quarteniers, chacun en son +endroit, firent redresser les fossés et affûter les canons aux +murailles, aux portes et aux tours. Les tailleurs de pierres pour +l'artillerie, mandés par l'échevinage, firent des milliers de +boulets<a id="footnotetag152" name="footnotetag152"></a><a href="#footnote152" title="Lien vers la note 152"><span class="smaller">[152]</span></a>.</p> + +<p>Les magistrats reçurent de monseigneur le duc d'Alençon des lettres +commençant ainsi: «À vous, prévôt de Paris et prévôt des marchands et +échevins...» Il les nommait par leurs noms et les saluait en beau +langage. Ces lettres furent considérées comme un artifice pour rendre +les échevins suspects au peuple et exciter les habitants les uns +contre les autres. Il fut répondu à ce seigneur de ne plus gâter son +papier à de telles malices<a id="footnotetag153" name="footnotetag153"></a><a href="#footnote153" title="Lien vers la note 153"><span class="smaller">[153]</span></a>.</p> + +<p>Le chapitre de Notre-Dame fit célébrer des messes pour le salut +commun. Le 5 septembre, trois chanoines furent autorisés à prendre des +dispositions pour la garde du cloître. Les fabriciens avisèrent à +mettre les reliques et le trésor à l'abri des soldats armagnacs. Ils +vendirent, pour le prix de deux cents saluts d'or, <span class="pagenum"><a id="page70" name="page70"></a>(p. 70)</span> le corps +de monseigneur saint Denys, mais on garda le pied, qui était d'argent, +le chef et la couronne<a id="footnotetag154" name="footnotetag154"></a><a href="#footnote154" title="Lien vers la note 154"><span class="smaller">[154]</span></a>.</p> + +<p>Le mercredi 7 septembre, vigile de la nativité de la Vierge, une +procession fut faite à Sainte-Geneviève-du-Mont pour remédier à la +malice des temps et calmer l'animosité des ennemis. Les chanoines du +Palais y portèrent la Vraie Croix<a id="footnotetag155" name="footnotetag155"></a><a href="#footnote155" title="Lien vers la note 155"><span class="smaller">[155]</span></a>.</p> + +<p>Ce même jour, l'armée du duc d'Alençon et de la Pucelle escarmoucha +sous les murs. Elle se retira le soir, et les habitants s'endormirent +tranquilles, car le lendemain, le peuple chrétien célébrait la +Nativité de la Sainte-Vierge<a id="footnotetag156" name="footnotetag156"></a><a href="#footnote156" title="Lien vers la note 156"><span class="smaller">[156]</span></a>.</p> + +<p>C'était une grande fête et très ancienne. Voici comment on en +rapportait l'origine. Un jour, un saint homme, qui vivait dans la +contemplation, se remémorant que depuis bien des années, à la date du +8 septembre, il entendait une merveilleuse musique d'anges dans les +airs, pria Dieu de lui révéler l'occasion de ce <span class="pagenum"><a id="page71" name="page71"></a>(p. 71)</span> concert +d'instruments et de voix célestes. Il obtint pour réponse que c'était +le jour anniversaire de la naissance de la glorieuse Vierge Marie, et +il reçut l'ordre d'en instruire les fidèles, afin qu'ils s'unissent +dans la solennité de ce jour aux chœurs des anges. La chose fut +rapportée au Souverain Pontife et aux autres chefs de l'Église, qui, +après avoir prié, jeûné et consulté les témoignages et les traditions +de l'Église, décrétèrent que désormais le jour du 8 septembre serait +universellement consacré à la naissance de la Vierge Marie<a id="footnotetag157" name="footnotetag157"></a><a href="#footnote157" title="Lien vers la note 157"><span class="smaller">[157]</span></a>.</p> + +<p>En ce jour, on lisait à la messe les paroles du prophète Isaïe: «Il +sortira un rejeton de la tige de Jessé et une fleur naîtra de sa +racine.»</p> + +<p>Les habitants de Paris pensaient que les Armagnacs eux-mêmes ne +feraient œuvre de leurs dix doigts pendant une si grande fête, et +garderaient le troisième commandement de Dieu.</p> + +<p>Ce jeudi 8 septembre, vers huit heures du matin, la Pucelle, les ducs +d'Alençon et de Bourbon, les maréchaux de Boussac et de Rais, le comte +de Vendôme, les sires de Laval, d'Albret, de Gaucourt, qui s'étaient +logés avec leurs gens au nombre de dix mille et plus, dans le village +de la Chapelle, à mi-chemin sur la route de Saint-Denys à Paris, se +mirent en marche et parvinrent à l'heure de la grand'messe, entre onze +heures <span class="pagenum"><a id="page72" name="page72"></a>(p. 72)</span> et midi, sur la butte des Moulins, au pied de laquelle +se tenait le marché aux Pourceaux<a id="footnotetag158" name="footnotetag158"></a><a href="#footnote158" title="Lien vers la note 158"><span class="smaller">[158]</span></a>. Il y avait là un gibet. +Cinquante-six ans auparavant, une femme, de vie édifiante aux yeux du +peuple, mais reconnue hérétique et turlupine par les saints +inquisiteurs, avait été brûlée vive sur cette place du marché<a id="footnotetag159" name="footnotetag159"></a><a href="#footnote159" title="Lien vers la note 159"><span class="smaller">[159]</span></a>.</p> + +<p>Pourquoi les gens du roi se présentaient-ils devant les murailles du +nord, celles de Charles V, qui étaient les plus fortes? On n'en sait +rien. Quelques jours auparavant, ils avaient jeté un pont sur la +rivière, en amont de Paris<a id="footnotetag160" name="footnotetag160"></a><a href="#footnote160" title="Lien vers la note 160"><span class="smaller">[160]</span></a>, ce qui donnerait à croire qu'ils +voulaient assaillir la vieille enceinte et pénétrer par la rive +universitaire. Se proposaient-ils d'opérer simultanément les deux +attaques? C'est probable. Y renoncèrent-ils d'eux-mêmes, ou contre +leur gré? On l'ignore.</p> + +<p>Ils amenaient sous les murs de Charles V une abondante artillerie, +canons, couleuvrines, veuglaires et traînaient dans des charrettes à +bras des bourrées pour <span class="pagenum"><a id="page73" name="page73"></a>(p. 73)</span> combler les fossés, des claies pour +les rendre praticables, et sept cents échelles; matériel de siège fort +copieux, bien qu'on eût, ainsi que nous l'allons voir, oublié le plus +utile<a id="footnotetag161" name="footnotetag161"></a><a href="#footnote161" title="Lien vers la note 161"><span class="smaller">[161]</span></a>. Ils ne venaient donc pas escarmoucher ni faire quelques +vaillantises d'armes; ils venaient tenter l'escalade en plein jour et +donner l'assaut à la plus vaste, à la plus illustre, à la plus +populeuse ville du royaume; opération de très grande importance, +proposée et décidée, sans aucun doute, en conseil et à laquelle, par +conséquent, le roi n'était ni contraire, ni étranger, ni +indifférent<a id="footnotetag162" name="footnotetag162"></a><a href="#footnote162" title="Lien vers la note 162"><span class="smaller">[162]</span></a>. Charles de Valois voulait reprendre Paris. Il reste +à savoir s'il comptait pour cela sur les gens d'armes seulement et les +échelles.</p> + +<p>La Pucelle n'était pas, à ce qu'il semble, informée des résolutions +prises<a id="footnotetag163" name="footnotetag163"></a><a href="#footnote163" title="Lien vers la note 163"><span class="smaller">[163]</span></a>; on ne la consultait jamais, et on ne l'avertissait guère +de ce qu'on avait décidé. Mais elle était aussi sûre d'entrer ce +jour-là dans la ville que d'aller en Paradis après sa mort. Depuis +plus de trois mois, ses Voix la tympanisaient avec l'assaut de Paris. +Ce qui pourrait surprendre c'est que, toute sainte qu'elle était, elle +eût consenti à s'armer et à guerroyer le jour de la Nativité, +contrairement à ce qu'elle avait <span class="pagenum"><a id="page74" name="page74"></a>(p. 74)</span> fait le 5 mai, jour de +l'Ascension de Notre-Seigneur, et au mépris de ce qu'elle avait dit le +8 du même mois: «Pour l'amour et honneur du saint dimanche, ne +commencez point la bataille<a id="footnotetag164" name="footnotetag164"></a><a href="#footnote164" title="Lien vers la note 164"><span class="smaller">[164]</span></a>.» Il est vrai qu'ensuite elle avait +escarmouché, à Montepilloy, le jour de l'Assomption, au grand scandale +des maîtres de l'Université. Elle agissait sur le conseil de ses Voix +et ses déterminations dépendaient du moindre bruit qui se faisait dans +ses oreilles. Rien de plus inconstant et de plus contradictoire que +les inspirations de ces visionnaires, jouets de leurs rêves. Ce qui +est certain du moins, c'est que Jeanne, cette fois comme toujours, +croyait bien faire et ne point pécher<a id="footnotetag165" name="footnotetag165"></a><a href="#footnote165" title="Lien vers la note 165"><span class="smaller">[165]</span></a>. Rangés sur la butte des +Moulins, devant Paris et sa ceinture grise, les Français avaient +devant eux un premier fossé, étroit et sec, de seize ou dix-sept pieds +environ de profondeur, qu'un dos d'âne séparait d'un second fossé +large presque de cent pieds, profond et plein d'eau, qui baignait la +muraille. Tout proche, à leur droite, le chemin du Roule finissait à +la Porte Saint-Honoré, qu'on appelait aussi Porte des Aveugles, parce +qu'elle était proche des Quinze-Vingts. Elle s'ouvrait sous un +châtelet flanqué de tourelles et avait pour défenses avancées un +boulevard clos de barrières de bois, semblable à ceux d'Orléans<a id="footnotetag166" name="footnotetag166"></a><a href="#footnote166" title="Lien vers la note 166"><span class="smaller">[166]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page75" name="page75"></a>(p. 75)</span> Les Parisiens ne s'attendaient pas à être attaqués en ce saint +jour<a id="footnotetag167" name="footnotetag167"></a><a href="#footnote167" title="Lien vers la note 167"><span class="smaller">[167]</span></a>. Pourtant les remparts n'étaient pas déserts, et l'on voyait +sur les murs s'agiter des étendards et particulièrement une grande +bannière blanche avec une croix de Saint-André vermeille<a id="footnotetag168" name="footnotetag168"></a><a href="#footnote168" title="Lien vers la note 168"><span class="smaller">[168]</span></a>.</p> + +<p>Les Français s'établirent un peu en arrière de la butte des Moulins, à +l'abri des plombées et des pierres que commençait à cracher +l'artillerie des remparts. Là ils mirent en place leurs veuglaires, +leurs couleuvrines et leurs canons, pour tirer sur les murs de la +ville. Le gros de l'armée se tint sur cette position, observant la +plus vaste étendue possible de murailles. Conduits par messire de +Saint-Vallier, dauphinois, plusieurs capitaines et gens d'armes +s'approchèrent de la porte Saint-Honoré et mirent le feu aux +barrières. La garnison de cette porte s'étant retirée dans l'enceinte +et nul ennemi ne sortant par quelque autre issue, la compagnie du +maréchal de Rais s'avança avec les claies, les bourrées, les échelles, +jusque sous les remparts. La Pucelle chevauchait à la tête de la +compagnie. Ils mirent pied à terre entre la porte Saint-Denys et la +porte Saint-Honoré, plus près de cette dernière, et descendirent dans +le premier <span class="pagenum"><a id="page76" name="page76"></a>(p. 76)</span> fossé qu'il n'était pas difficile de franchir. +Mais ils se trouvèrent ensuite exposés, sur le dos d'âne, aux flèches +et aux viretons qui pleuvaient dru du haut des murs<a id="footnotetag169" name="footnotetag169"></a><a href="#footnote169" title="Lien vers la note 169"><span class="smaller">[169]</span></a>. Jeanne, +comme aux Tourelles d'Orléans, faisait tenir sa bannière par un +vaillant homme.</p> + +<p>Quand elle fut sur le dos d'âne, elle cria à ceux de Paris:</p> + +<p>—Rendez la ville au roi de France<a id="footnotetag170" name="footnotetag170"></a><a href="#footnote170" title="Lien vers la note 170"><span class="smaller">[170]</span></a>.</p> + +<p>Les Bourguignons entendirent qu'elle disait aussi:</p> + +<p>—Rendez-vous de par Jésus à nous tôt. Car si vous ne vous rendez +avant qu'il soit la nuit, nous y entrerons par force, que vous le +veuilliez ou non et tout sera mis à mort sans merci<a id="footnotetag171" name="footnotetag171"></a><a href="#footnote171" title="Lien vers la note 171"><span class="smaller">[171]</span></a>.</p> + +<p>Elle restait sur le dos d'âne, sondant avec sa lance le grand fossé, +qu'elle ne s'attendait pas à trouver si profond ni si plein. Il y +avait pourtant onze jours qu'elle faisait avec les gens d'armes des +reconnaissances sous les murs et cherchait avec eux l'endroit où +donner l'assaut. Qu'elle ne s'entendît pas à préparer une attaque, +rien de plus naturel. Mais que penser de ces hommes de guerre qui, +pris au dépourvu, se tenaient là, sur le dos d'âne, aussi empêchés +qu'elle, tout ébaubis de voir tant d'eau, si près de la Seine, qui +était haute? Reconnaître les défenses d'une place forte, c'était l'<i>a +b c</i> du métier. Capitaines et routiers ne se risquaient <span class="pagenum"><a id="page77" name="page77"></a>(p. 77)</span> +jamais sous une muraille sans s'être assurés d'avance s'il y avait +eau, bourbe ou ronces; et ils se munissaient d'engins différents selon +l'occurrence. Quand le fossé contenait beaucoup d'eau, ils y lançaient +des bateaux de cuir transportés à dos de cheval<a id="footnotetag172" name="footnotetag172"></a><a href="#footnote172" title="Lien vers la note 172"><span class="smaller">[172]</span></a>. Les gens d'armes +du maréchal de Rais et de monseigneur d'Alençon en savaient moins que +les plus chétifs coureurs d'aventures. Qu'eût pensé d'eux le bon La +Hire? Tant d'ineptie et de négligence parut incroyable et l'on supposa +que ces hommes de guerre connaissaient la profondeur du fossé, mais +qu'ils ne dirent rien à la Pucelle, souhaitant qu'il lui arrivât +mal<a id="footnotetag173" name="footnotetag173"></a><a href="#footnote173" title="Lien vers la note 173"><span class="smaller">[173]</span></a>. En ce cas, pour nuire à cette enfant ils se nuisaient à +eux-mêmes et s'engeignaient croyant l'engeigner, car ils restaient là +sans avancer ni reculer.</p> + +<p>Quelques-uns jetaient inutilement des bourrées dans le fossé. +Cependant les défenseurs, assaillis par une multitude de traits, +disparaissaient les uns après les autres<a id="footnotetag174" name="footnotetag174"></a><a href="#footnote174" title="Lien vers la note 174"><span class="smaller">[174]</span></a>. Mais vers quatre heures +du soir, les bourgeois arrivèrent en foule. Les canons de la porte +Saint-Denys grondaient. On échangeait du haut en bas des flèches +<span class="pagenum"><a id="page78" name="page78"></a>(p. 78)</span> et des invectives. Les heures passaient, le soleil déclinait. +La Pucelle ne cessait de tâter le fossé du bois de sa lance et de +crier aux Parisiens qu'ils se rendissent.</p> + +<p>—Voire paillarde! ribaude! lui cria un Bourguignon.</p> + +<p>Et, d'un trait de son arbalète à hausse pied, il lui déchira son +harnais de jambe et lui entailla la cuisse. Un autre Bourguignon tira +sur l'homme d'armes qui portait l'étendard de la Pucelle et lui perça +le pied d'un vireton. Le blessé souleva la visière de son heaume pour +voir d'où venait le coup; aussitôt un trait l'atteignit entre les deux +yeux. La Pucelle et le duc d'Alençon eurent grand regret de cet homme +d'armes<a id="footnotetag175" name="footnotetag175"></a><a href="#footnote175" title="Lien vers la note 175"><span class="smaller">[175]</span></a>.</p> + +<p>Blessée, Jeanne criait plus fort que chacun approchât des murs et que +la place serait prise. On la mit à l'abri des traits contre +l'épaulement du petit fossé. De là, elle pressait les gens d'armes de +jeter des bourrées dans l'eau pour se faire un pont. Vers dix ou onze +heures du soir, le sire de la Trémouille enjoignit aux combattants de +se retirer. La Pucelle ne voulait point quitter la place. Sans doute +elle entendait ses Saintes et voyait autour d'elle des milices +célestes. Le duc d'Alençon l'envoya chercher; le vieux sire de +Gaucourt<a id="footnotetag176" name="footnotetag176"></a><a href="#footnote176" title="Lien vers la note 176"><span class="smaller">[176]</span></a> l'emporta avec l'aide d'un capitaine picard <span class="pagenum"><a id="page79" name="page79"></a>(p. 79)</span> +nommé Guichard Bournel, qui ne lui fit point plaisir ce jour-là et qui +devait, six mois plus tard, lui causer, par sa félonie, un plus grand +déplaisir<a id="footnotetag177" name="footnotetag177"></a><a href="#footnote177" title="Lien vers la note 177"><span class="smaller">[177]</span></a>. Si elle n'avait pas été blessée, elle eût résisté +davantage<a id="footnotetag178" name="footnotetag178"></a><a href="#footnote178" title="Lien vers la note 178"><span class="smaller">[178]</span></a>. Elle céda à regret, disant:</p> + +<p>—En nom Dieu! la place eût été prise<a id="footnotetag179" name="footnotetag179"></a><a href="#footnote179" title="Lien vers la note 179"><span class="smaller">[179]</span></a>.</p> + +<p>Ils la mirent à cheval; elle put ainsi suivre l'armée. Le bruit courut +qu'elle avait une cuisse et même les deux cuisses traversées, mais sa +blessure était légère<a id="footnotetag180" name="footnotetag180"></a><a href="#footnote180" title="Lien vers la note 180"><span class="smaller">[180]</span></a>.</p> + +<p>Les Français regagnèrent la Chapelle d'où ils étaient partis le matin. +Ils emmenaient leurs blessés sur quelques-unes des charrettes qui leur +avaient servi à transporter les bourrées et les échelles. Ils +laissaient à l'ennemi trois cents charrettes à bras, six cent soixante +échelles, quatre mille claies et les grandes bourrées dont ils +n'avaient employé qu'une petite partie<a id="footnotetag181" name="footnotetag181"></a><a href="#footnote181" title="Lien vers la note 181"><span class="smaller">[181]</span></a>. Leur retraite fut assez +précipitée, car en passant devant la Grange des Mathurins, près des +Porcherons, ils abandonnèrent leur bagage et y mirent le feu. On +rapporta avec horreur qu'ils avaient jeté là dans les flammes, leurs +morts, comme les païens de Rome<a id="footnotetag182" name="footnotetag182"></a><a href="#footnote182" title="Lien vers la note 182"><span class="smaller">[182]</span></a>. Pourtant les Parisiens <span class="pagenum"><a id="page80" name="page80"></a>(p. 80)</span> +n'osèrent les poursuivre. À cette époque, les gens d'armes qui +savaient leur métier ne se retiraient pas sans tendre un piège à +l'adversaire. Ils plaçaient une grosse troupe en embuscade sur le +chemin de leur retraite, prête à surprendre les coureurs lancés à leur +poursuite<a id="footnotetag183" name="footnotetag183"></a><a href="#footnote183" title="Lien vers la note 183"><span class="smaller">[183]</span></a>. Craignant une embûche de ce genre, ceux de Paris +laissèrent les Armagnacs gagner tranquillement leur gîte à la +Chapelle-Saint-Denys<a id="footnotetag184" name="footnotetag184"></a><a href="#footnote184" title="Lien vers la note 184"><span class="smaller">[184]</span></a>.</p> + +<p>En somme, si l'on ne regarde qu'à l'action militaire, les Français +avaient mal conduit les choses et ne les avaient pas poussées très +énergiquement. Aussi bien n'était-ce pas sur l'action militaire que +l'on comptait le plus. Ceux qui menaient la guerre, le roi et son +Conseil, avaient bien l'idée qu'on entrerait ce jour-là dans Paris. +Mais comment? Comme on était entré à Châlons, comme on était entré à +Reims, comme on était entré dans toutes les villes depuis Troyes +jusqu'à Compiègne. Le roi Charles s'était montré résolu à reprendre +ses bonnes villes par le moyen des habitants: il se comportait envers +Paris comme envers les autres villes.</p> + +<p>Durant le voyage du sacre, il avait des intelligences avec les évêques +et les bourgeois des cités champenoises; il avait de même des +intelligences à Paris<a id="footnotetag185" name="footnotetag185"></a><a href="#footnote185" title="Lien vers la note 185"><span class="smaller">[185]</span></a>. Il <span class="pagenum"><a id="page81" name="page81"></a>(p. 81)</span> était en rapport avec des +religieux, et notamment avec les carmes de Melun, dont le prieur, +frère Pierre d'Allée, s'employait pour lui<a id="footnotetag186" name="footnotetag186"></a><a href="#footnote186" title="Lien vers la note 186"><span class="smaller">[186]</span></a>. Des hommes stipendiés +guettaient depuis quelque temps l'occasion de jeter le trouble par la +ville et de faire entrer l'ennemi en un moment d'épouvante et de +confusion. Pendant l'assaut, ils travaillèrent pour lui dans les rues. +On ouït, l'après-midi, des deux côtés des ponts, les cris de «Sauve +qui peut! les ennemis sont entrés! tout est perdu!» Ceux des bourgeois +qui entendaient le sermon coururent s'enfermer chez eux. Et d'autres +qui étaient dehors, se réfugiaient dans les églises. Mais la commotion +s'arrêta court. Des hommes sensés, comme le greffier au Parlement, +eurent bien l'impression que ce n'était qu'un semblant d'assaut et que +Charles de Valois, pour prendre la ville, comptait, non sur la force +des armes, mais sur un mouvement du peuple<a id="footnotetag187" name="footnotetag187"></a><a href="#footnote187" title="Lien vers la note 187"><span class="smaller">[187]</span></a>.</p> + +<p>Quelques-uns des religieux qui servaient à Paris d'espions au roi +Charles l'allèrent trouver à Saint-Denys, et l'avisèrent que le coup +était manqué. Selon eux, il s'en était fallu de peu qu'il ne +réussît<a id="footnotetag188" name="footnotetag188"></a><a href="#footnote188" title="Lien vers la note 188"><span class="smaller">[188]</span></a>.</p> + +<p>On rapporte que le sire de la Trémouille ordonna la retraite, par +crainte des massacres, les Français étant capables, une fois dedans, +de tout tuer et tout brûler<a id="footnotetag189" name="footnotetag189"></a><a href="#footnote189" title="Lien vers la note 189"><span class="smaller">[189]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page82" name="page82"></a>(p. 82)</span> Le lendemain vendredi 9, la Pucelle, debout dès l'aube, malgré +sa blessure, demanda au duc d'Alençon de faire sonner la chevauchée, +voulant à toutes forces retourner devant Paris et jurant de n'en +partir tant qu'elle n'aurait la ville<a id="footnotetag190" name="footnotetag190"></a><a href="#footnote190" title="Lien vers la note 190"><span class="smaller">[190]</span></a>. Cependant les capitaines +français envoyèrent à Paris un héraut chargé de demander un +sauf-conduit pour enlever les morts qu'ils avaient laissés en assez +grand nombre<a id="footnotetag191" name="footnotetag191"></a><a href="#footnote191" title="Lien vers la note 191"><span class="smaller">[191]</span></a>.</p> + +<p>En dépit d'un si cruel dommage, après une retraite tranquille, à la +vérité, mais désastreuse, et la perte de tout le matériel de siège, +plusieurs chefs de guerre étaient d'avis, comme la Pucelle, de tenter +un nouvel assaut. D'autres n'en voulaient pas entendre parler. Tandis +qu'ils en disputaient, ils virent venir à eux un seigneur accompagné +de cinquante gentilshommes; c'était le sire de Montmorency, premier +baron chrétien de France, ce qui voulait dire le premier des anciens +vassaux de la crosse de Paris. Il quittait la croix de Saint-André et +s'offrait aux fleurs de Lis<a id="footnotetag192" name="footnotetag192"></a><a href="#footnote192" title="Lien vers la note 192"><span class="smaller">[192]</span></a>. Sa venue donna aux gens du roi +courage et bonne volonté de retourner devant la ville. L'armée s'y +rendait, quand le comte de Clermont et le duc de Bar vinrent arrêter +<span class="pagenum"><a id="page83" name="page83"></a>(p. 83)</span> la marche, par ordre du roi, et ramener la Pucelle à +Saint-Denys<a id="footnotetag193" name="footnotetag193"></a><a href="#footnote193" title="Lien vers la note 193"><span class="smaller">[193]</span></a>.</p> + +<p>Le samedi 10, au petit jour, le duc d'Alençon se présenta avec un peu +de chevalerie sur la berge, en amont de la ville, à l'endroit où, +quelques jours auparavant, un pont avait été jeté sur la Seine. La +Pucelle, toujours prompte au danger, accompagnait ces aventureux. +Mais, prudemment, le roi avait, la nuit, fait démonter le pont, et la +petite troupe dut rebrousser chemin<a id="footnotetag194" name="footnotetag194"></a><a href="#footnote194" title="Lien vers la note 194"><span class="smaller">[194]</span></a>. Ce n'est pas que le roi +renonçât à prendre Paris; il songeait plus que jamais à ravoir sa +grand'ville; mais il la pensait ravoir sans assauts, avec la +connivence de plusieurs bourgeois.</p> + +<p>Il advint à Jeanne, en ce même lieu de Saint-Denys, une mésaventure +qui, ce semble, fit impression sur ses compagnons et diminua, +peut-être, la confiance qu'ils avaient en son bonheur à la guerre. Des +filles, en grand nombre, comme de coutume, suivaient l'armée; chacun +avait la sienne; on les nommait les amiètes. Jeanne ne pouvait les +souffrir parce qu'elles y causaient des désordres, et surtout parce +qu'elle avait horreur de l'état de péché où elles vivaient. On en +faisait sur le moment même des contes comme celui-ci qui courut jusque +dans les Allemagnes:</p> + +<p>Il était au camp un homme qui avait sa mie près <span class="pagenum"><a id="page84" name="page84"></a>(p. 84)</span> de lui, +laquelle chevauchait en armes, pour n'être point reconnue. Or, la +Pucelle dit aux seigneurs et capitaines: «Il y a une femme parmi nos +gens.» Ils répondirent qu'ils n'en connaissaient point. Alors, la +Pucelle fit assembler l'armée et s'étant approchée de la femme: «La +voici,» dit-elle.</p> + +<p>Et parlant à cette ribaude:</p> + +<p>—Tu es de Gien et tu es grosse d'enfant. Et n'était cela, je te +ferais mettre à mort. Tu as déjà laissé mourir un enfant, et n'en +feras pas de même de celui-ci.</p> + +<p>Quand la Pucelle eut ainsi parlé, les valets prirent la ribaude, la +ramenèrent chez elle et la tinrent en garde jusqu'à sa délivrance +d'enfant. Et elle confessa que la Pucelle avait dit vrai.</p> + +<p>Après quoi, la Pucelle dit encore: «Il y a des femmes dans le camp.» +Et deux ribaudes qui n'appartenaient pas à l'armée et qu'elle en avait +déjà chassées, entendant ces paroles, décampèrent à cheval. Mais la +Pucelle courut après elles en leur criant: «Vous, folles filles, je +vous ai interdit ma compagnie.» Et elle tira son épée et frappa une +des filles par la tête, si bien que celle-ci mourut<a id="footnotetag195" name="footnotetag195"></a><a href="#footnote195" title="Lien vers la note 195"><span class="smaller">[195]</span></a>.</p> + +<p>Le conte disait vrai, Jeanne ne pouvait souffrir les ribaudes. Chaque +fois qu'elle en rencontrait une, elle lui donnait la chasse. C'est ce +qu'elle fit précisément à Gien, en voyant que de folles femme +retardaient les gens du roi<a id="footnotetag196" name="footnotetag196"></a><a href="#footnote196" title="Lien vers la note 196"><span class="smaller">[196]</span></a>. À Château-Thierry, elle avisa une +amiète, <span class="pagenum"><a id="page85" name="page85"></a>(p. 85)</span> qu'un homme d'armes menait en croupe, et courut après +elle, l'épée à la main, et, l'ayant atteinte, elle l'avertit, sans la +frapper, de ne plus se trouver désormais en la société des hommes +d'armes:</p> + +<p>—Sinon, ajouta-t-elle, je te ferai déplaisir<a id="footnotetag197" name="footnotetag197"></a><a href="#footnote197" title="Lien vers la note 197"><span class="smaller">[197]</span></a>.</p> + +<p>À Saint-Denys, étant en compagnie du duc d'Alençon, elle poursuivit +encore une de ces jouvencelles. Cette fois, elle ne se contenta pas de +remontrances ni de menaces. Elle brisa sur elle son épée<a id="footnotetag198" name="footnotetag198"></a><a href="#footnote198" title="Lien vers la note 198"><span class="smaller">[198]</span></a>. +Était-ce l'épée de Sainte-Catherine? On le crut et non, sans doute, à +tort<a id="footnotetag199" name="footnotetag199"></a><a href="#footnote199" title="Lien vers la note 199"><span class="smaller">[199]</span></a>. Dans ce temps-là les esprits étaient pleins de tout ce que +les romans rapportent des Joyeuse et des Durandal. Il parut que +Jeanne, en perdant son épée, perdait sa force. On conta, en changeant +un peu les circonstances, que le roi, lorsqu'il apprit l'aventure de +l'épée rompue, en eut déplaisir et dit à la Pucelle: «Vous deviez +prendre un bâton et frapper avec, sans risquer votre épée venue +divinement<a id="footnotetag200" name="footnotetag200"></a><a href="#footnote200" title="Lien vers la note 200"><span class="smaller">[200]</span></a>.» On contait aussi que l'épée avait été remise à +l'armurier pour en rejoindre les morceaux et qu'il n'avait jamais pu y +réussir, et l'on voyait là une preuve qu'elle était fée<a id="footnotetag201" name="footnotetag201"></a><a href="#footnote201" title="Lien vers la note 201"><span class="smaller">[201]</span></a>.</p> + +<p>Avant de partir, le roi laissa dans le pays le comte de Clermont comme +chef militaire, avec plusieurs lieutenants: les seigneurs de Culant, +Boussac, Loré, Foucault. <span class="pagenum"><a id="page86" name="page86"></a>(p. 86)</span> Il institua une lieutenance générale +composée, conjointement avec les comtes de Clermont et de Vendôme, des +seigneurs Regnault de Chartres, Christophe d'Harcourt et Jean Tudert. +Regnault de Chartres demeura dans la ville de Senlis, siège de la +lieutenance. Ces dispositions prises, le roi quitta Saint-Denys le 13 +septembre<a id="footnotetag202" name="footnotetag202"></a><a href="#footnote202" title="Lien vers la note 202"><span class="smaller">[202]</span></a>. La Pucelle le suivit à contre-cœur; pourtant elle +avait congé de ses Voix<a id="footnotetag203" name="footnotetag203"></a><a href="#footnote203" title="Lien vers la note 203"><span class="smaller">[203]</span></a>. Elle déposa son harnais de guerre devant +l'image de Notre-Dame et le précieux corps de monseigneur saint +Denys<a id="footnotetag204" name="footnotetag204"></a><a href="#footnote204" title="Lien vers la note 204"><span class="smaller">[204]</span></a>. Ce harnais était blanc, c'est-à-dire sans armoiries<a id="footnotetag205" name="footnotetag205"></a><a href="#footnote205" title="Lien vers la note 205"><span class="smaller">[205]</span></a>. +Elle suivait ainsi la coutume des hommes d'armes, qui, après qu'ils +étaient grevés d'une blessure, s'ils n'en mouraient point, offraient, +en action de grâces, à Notre-Dame ou aux saints leur armure. Aussi +voyait-on, en ces temps de guerres, des chapelles qui, comme celle de +Notre-Dame de Fierbois, ressemblaient à des arsenaux. La Pucelle +joignit à son harnais une épée qu'elle avait gagnée devant Paris<a id="footnotetag206" name="footnotetag206"></a><a href="#footnote206" title="Lien vers la note 206"><span class="smaller">[206]</span></a>.</p> + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page87" name="page87"></a>(p. 87)</span> CHAPITRE IV<br> + +<span class="smaller">PRISE DE SAINT-PIERRE-LE-MOUSTIER. — LES FILLES SPIRITUELLES DE FRÈRE +RICHARD. — LE SIÈGE DE LA CHARITÉ.</span></h2> + + +<p>Le roi coucha le 14 septembre à Lagny-sur-Marne, traversa la Seine à +Bray, et l'Yonne à un gué, près de Sens, passa par Courtenay, +Châteaurenard, Montargis; arrivé à Gien le 21 septembre, il licencia +l'armée qu'il ne pouvait payer, et chacun s'en fut chez soi. Le duc +d'Alençon se retira dans sa vicomté de Beaumont-sur-Oise<a id="footnotetag207" name="footnotetag207"></a><a href="#footnote207" title="Lien vers la note 207"><span class="smaller">[207]</span></a>.</p> + +<p>Apprenant que la reine venait à la rencontre du roi, Jeanne prit les +devants et vint la saluer à Selles-en-Berry<a id="footnotetag208" name="footnotetag208"></a><a href="#footnote208" title="Lien vers la note 208"><span class="smaller">[208]</span></a>. Elle fut conduite +ensuite à Bourges, où le seigneur d'Albret, frère utérin du sire de la +Trémouille, l'envoya loger chez messire Régnier de Bouligny, alors +<span class="pagenum"><a id="page88" name="page88"></a>(p. 88)</span> général sur le fait et gouvernement de toutes finances, l'un +de ceux dont l'Université, en 1408, avait demandé la destitution comme +inutiles et coupables de tout le mal. Il s'attacha au service du +dauphin, passa de l'administration du domaine à celle des aides et +atteignit le plus haut rang dans le gouvernement des finances<a id="footnotetag209" name="footnotetag209"></a><a href="#footnote209" title="Lien vers la note 209"><span class="smaller">[209]</span></a>. Sa +femme, ayant accompagné la reine à Selles, y vit la Pucelle et s'en +émerveilla comme d'une créature envoyée de Dieu pour relever le roi et +les Français fidèles au roi. Il lui souvenait du temps encore récent +où elle avait vu le dauphin et son mari tirer le diable par la queue. +Elle se nommait Marguerite La Touroulde, et elle était demoiselle et +non dame, grosse bourgeoise sans plus<a id="footnotetag210" name="footnotetag210"></a><a href="#footnote210" title="Lien vers la note 210"><span class="smaller">[210]</span></a>.</p> + +<p>Durant trois semaines, Jeanne demeura dans l'hôtel du général des +finances. Elle y couchait, buvait et mangeait. Presque toutes les +nuits, demoiselle Marguerite La Touroulde couchait avec elle: la +civilité le voulait ainsi. On ne portait point de linge de nuit; on +couchait nu dans de très grands lits. Il paraît que Jeanne n'aimait +pas à coucher avec de vieilles femmes<a id="footnotetag211" name="footnotetag211"></a><a href="#footnote211" title="Lien vers la note 211"><span class="smaller">[211]</span></a>. Demoiselle La Touroulde, +sans être bien vieille, avait l'âge d'une matrone<a id="footnotetag212" name="footnotetag212"></a><a href="#footnote212" title="Lien vers la note 212"><span class="smaller">[212]</span></a>; elle en avait +aussi l'expérience et même <span class="pagenum"><a id="page89" name="page89"></a>(p. 89)</span> elle prétendait, comme il y +paraîtra tout à l'heure, en savoir plus que les matrones n'en savent. +Diverses fois elle mena Jeanne au bain et aux étuves<a id="footnotetag213" name="footnotetag213"></a><a href="#footnote213" title="Lien vers la note 213"><span class="smaller">[213]</span></a>. Cela encore +était dans les règles du savoir-vivre; on n'eût pas fait grande chère +aux personnes qu'on recevait si on ne les avait fait baigner. Les +princes donnaient l'exemple de cette politesse; quand le roi et la +reine soupaient dans l'hôtel de quelqu'un de leurs serviteurs et +officiers, on leur préparait de beaux bains richement ornés où ils se +mettaient avant de manger<a id="footnotetag214" name="footnotetag214"></a><a href="#footnote214" title="Lien vers la note 214"><span class="smaller">[214]</span></a>. Demoiselle Marguerite La Touroulde +n'avait pas chez elle, sans doute, ce qu'il fallait; elle mena Jeanne +dehors au bain et aux étuves. Ce sont ses propres expressions qui +peuvent s'entendre du bain de vapeur<a id="footnotetag215" name="footnotetag215"></a><a href="#footnote215" title="Lien vers la note 215"><span class="smaller">[215]</span></a> plutôt que du bain d'eau +chaude.</p> + +<p>À Bourges, les étuves étaient dans le quartier d'Auron, au bas de la +ville, près de la rivière<a id="footnotetag216" name="footnotetag216"></a><a href="#footnote216" title="Lien vers la note 216"><span class="smaller">[216]</span></a>. Jeanne pratiquait une exacte dévotion, +mais elle n'était pas soumise aux règles de la vie conventuelle; elle +pouvait bien se baigner, comme la chaste Suzanne; et elle devait en +<span class="pagenum"><a id="page90" name="page90"></a>(p. 90)</span> avoir grand besoin après avoir couché à la paillade<a id="footnotetag217" name="footnotetag217"></a><a href="#footnote217" title="Lien vers la note 217"><span class="smaller">[217]</span></a>. Ce +qui est plus singulier, c'est que demoiselle Marguerite La Touroulde +jugea, pour l'avoir vue au bain, que Jeanne, selon toute apparence, +était vierge<a id="footnotetag218" name="footnotetag218"></a><a href="#footnote218" title="Lien vers la note 218"><span class="smaller">[218]</span></a>.</p> + +<p>Dans l'hôtel de messire Régnier de Bouligny, ainsi que partout où elle +logeait, elle menait une vie de béguine, sans austérités excessives. +Elle se confessait très souvent. Maintes fois, elle demanda à son +hôtesse de l'accompagner à Matines. Les Matines se chantaient tous les +jours à la cathédrale et dans les collégiales, entre quatre et six +heures du soir, au moment où le soleil descendait à l'horizon. +Demoiselle La Touroulde l'y mena plusieurs fois. Fréquemment elles +causaient toutes deux ensemble; la femme du général des finances la +trouvait bien simple et bien ignorante. Elle s'apercevait avec +surprise que cette jeune fille ne savait absolument rien<a id="footnotetag219" name="footnotetag219"></a><a href="#footnote219" title="Lien vers la note 219"><span class="smaller">[219]</span></a>.</p> + +<p>Jeanne lui conta, entre autres choses, sa visite au vieux duc de +Lorraine, et comment elle l'avait repris sur sa mauvaise conduite; +elle parla aussi des examens que lui avaient fait subir les maîtres de +Poitiers<a id="footnotetag220" name="footnotetag220"></a><a href="#footnote220" title="Lien vers la note 220"><span class="smaller">[220]</span></a>. Elle était persuadée que ces clercs l'avaient +interrogée avec une extrême sévérité et croyait de bonne foi qu'elle +<span class="pagenum"><a id="page91" name="page91"></a>(p. 91)</span> avait triomphé de leur mauvais vouloir. Hélas! elle devait +connaître avant peu des clercs moins accommodants.</p> + +<p>Demoiselle Marguerite lui dit un jour:</p> + +<p>—Si vous ne craignez point d'aller aux assauts, c'est que vous savez +bien que vous ne serez point tuée.</p> + +<p>À quoi Jeanne répondit:</p> + +<p>—Je n'en suis pas plus sûre que les autres gens de guerre.</p> + +<p>Fréquemment des femmes venaient à l'hôtel de Bouligny, apportant des +patenôtres et de menus objets de piété pour les faire toucher par la +Pucelle.</p> + +<p>Et Jeanne disait, en riant, à son hôtesse:</p> + +<p>—Touchez-les vous-même. Ils seront aussi bons par votre toucher que +par le mien<a id="footnotetag221" name="footnotetag221"></a><a href="#footnote221" title="Lien vers la note 221"><span class="smaller">[221]</span></a>.</p> + +<p>En entendant cette répartie, demoiselle Marguerite dut bien +s'apercevoir que Jeanne, pour ignorante qu'elle était, montrait +parfois dans ses propos du bon sens et de la bonne grâce.</p> + +<p>Cette dame, qui trouvait la Pucelle de toute façon une innocente, +l'estimait, au contraire, experte dans les armes. Soit qu'elle jugeât +par elle-même du savoir-faire de la sainte en gendarmerie, soit +qu'elle en parlât par ouï dire, comme il semble, elle déclara plus +tard que cette jeune fille «montait à cheval et maniait la lance comme +l'eût fait le meilleur chevalier et que l'armée en <span class="pagenum"><a id="page92" name="page92"></a>(p. 92)</span> était dans +l'admiration<a id="footnotetag222" name="footnotetag222"></a><a href="#footnote222" title="Lien vers la note 222"><span class="smaller">[222]</span></a>». Les capitaines d'alors n'en savaient pas davantage +pour la plupart.</p> + +<p>Il est croyable qu'il y avait des dés et des cornets dans l'hôtel de +Bouligny, sans quoi Jeanne n'aurait pas eu l'occasion de montrer cette +horreur du jeu de dés que remarqua son hôtesse. À cet égard, elle +pensait de même que frère Richard, son compagnon, et que toute +personne de bonne vie et doctrine<a id="footnotetag223" name="footnotetag223"></a><a href="#footnote223" title="Lien vers la note 223"><span class="smaller">[223]</span></a>.</p> + +<p>Jeanne distribuait en aumônes l'argent qu'elle avait. Elle disait: +«J'ai été envoyée pour la consolation des pauvres et des +indigents<a id="footnotetag224" name="footnotetag224"></a><a href="#footnote224" title="Lien vers la note 224"><span class="smaller">[224]</span></a>.»</p> + +<p>De tels propos, répandus dans la foule, inspiraient au peuple la +croyance que cette pucelle de Dieu n'avait pas été suscitée seulement +pour la gloire des Lis, et qu'elle venait guérir les maux dont +souffrait le royaume, tels que meurtres, pilleries et grièves offenses +à Dieu. Les âmes mystiques espéraient d'elle la réforme de l'Église et +le règne de Jésus-Christ en ce monde. Elle était invoquée comme une +sainte et l'on voyait, dans les provinces fidèles au dauphin, ses +images peintes et taillées offertes à la vénération des fidèles, en +sorte qu'elle jouissait, vivante, des privilèges de la +béatification<a id="footnotetag225" name="footnotetag225"></a><a href="#footnote225" title="Lien vers la note 225"><span class="smaller">[225]</span></a>.</p> + +<p>Cependant, au nord de la Seine, Anglais et Bourguignons <span class="pagenum"><a id="page93" name="page93"></a>(p. 93)</span> +recommençaient la danse. Le duc de Vendôme se repliait avec sa +compagnie sur Senlis, les Anglais se ruaient sur la ville de +Saint-Denys et la saccageaient à nouveau. Ils trouvèrent dans l'église +abbatiale l'armure de la Pucelle et, sur l'ordre de l'évêque de +Thérouanne, chancelier d'Angleterre, l'enlevèrent, ce qui fut +considéré par le clergé français comme un sacrilège manifeste, pour +cette raison qu'ils ne donnèrent rien en échange aux moines de +l'abbaye.</p> + +<p>Le roi se tenait alors à Mehun-sur-Yèvre, tout proche la ville de +Bourges, en un château, l'un des plus beaux du monde, qui s'élevait +sur un rocher et regardait la ville. Le feu duc Jean de Berry, grand +amateur de bâtiments, l'avait fait construire avec le soin et l'amour +qu'il donnait à toutes choses d'art. Mehun était le séjour préféré du +roi Charles<a id="footnotetag226" name="footnotetag226"></a><a href="#footnote226" title="Lien vers la note 226"><span class="smaller">[226]</span></a>.</p> + +<p>Le duc d'Alençon, qui attendait des gens pour entrer en Normandie par +les Marches de Bretagne et du Maine, pensant ravoir son duché, fit +demander au roi qu'il lui plût lui donner la Pucelle. «Beaucoup, +disait le duc, se mettront en sa compagnie, qui ne bougeront de chez +eux si elle ne vient pas.» C'était donc qu'elle n'était pas trop +décriée pour sa déconfiture sous Paris. <span class="pagenum"><a id="page94" name="page94"></a>(p. 94)</span> Le sire de la +Trémouille s'opposa à ce qu'elle fût remise au duc d'Alençon, dont il +se défiait, non sans quelque apparence de motif. Il la remit à son +frère utérin, le sire d'Albret, lieutenant du roi en son pays de +Berry<a id="footnotetag227" name="footnotetag227"></a><a href="#footnote227" title="Lien vers la note 227"><span class="smaller">[227]</span></a>.</p> + +<p>Le Conseil royal estimait nécessaire de recouvrer la ville de La +Charité, qu'on avait laissée aux mains des Anglais quand on était +parti pour le voyage du sacre<a id="footnotetag228" name="footnotetag228"></a><a href="#footnote228" title="Lien vers la note 228"><span class="smaller">[228]</span></a>; mais il décida qu'on se porterait +d'abord sur Saint-Pierre-le-Moustier qui commandait les approches du +Bec-d'Allier<a id="footnotetag229" name="footnotetag229"></a><a href="#footnote229" title="Lien vers la note 229"><span class="smaller">[229]</span></a>. Cette petite ville était occupée par une garnison +d'Anglais et de Bourguignons qui, de là, se répandaient dans le Berry +et le Bourbonnais et pillaient les villages, ravageaient les +campagnes. C'est à Bourges que se rassembla l'armée chargée de cette +expédition. Elle était sous les ordres de monseigneur d'Albret<a id="footnotetag230" name="footnotetag230"></a><a href="#footnote230" title="Lien vers la note 230"><span class="smaller">[230]</span></a>; +le bruit public en attribuait le commandement à Jeanne. Le commun +peuple, les bourgeois des villes, les habitants d'Orléans surtout ne +connaissaient qu'elle.</p> + +<p>Après quelques jours de siège, les gens du roi donnèrent l'assaut. +Mais ils furent repoussés par ceux du dedans. L'écuyer Jean d'Aulon, +intendant de la Pucelle, <span class="pagenum"><a id="page95" name="page95"></a>(p. 95)</span> qui avait reçu quelque temps +auparavant une blessure au talon, et ne marchait qu'avec des +béquilles, s'était retiré comme les autres<a id="footnotetag231" name="footnotetag231"></a><a href="#footnote231" title="Lien vers la note 231"><span class="smaller">[231]</span></a>. Il se retourna et vit +Jeanne demeurée presque seule au bord du fossé. De crainte qu'il ne +lui arrivât mal, il sauta à cheval, tira vers elle et lui cria:</p> + +<p>—Que faites-vous ainsi seule? Pourquoi ne vous retirez-vous pas comme +les autres?</p> + +<p>Jeanne ôta sa salade de dessus sa tête et lui répondit:</p> + +<p>—Je ne suis pas seule. J'ai en ma compagnie cinquante mille de mes +gens. Et je ne partirai point d'ici jusqu'à ce que j'aie pris la +ville.</p> + +<p>Messire Jean d'Aulon, écarquillant les yeux, ne voyait autour de la +Pucelle que quatre ou cinq hommes.</p> + +<p>Il lui cria de plus belle:</p> + +<p>—En allez-vous d'ici, et retirez-vous comme les autres font.</p> + +<p>En guise de réponse, elle demanda qu'on lui apportât des fagots et des +claies pour combler le fossé. Et aussitôt elle appela à haute voix:</p> + +<p>—Aux fagots et aux claies, tout le monde! afin de faire un pont.</p> + +<p>Les gens d'armes accoururent, le pont fut fait incontinent et la ville +prise d'assaut sans grande difficulté. Du moins c'est ainsi que le bon +écuyer Jean d'Aulon <span class="pagenum"><a id="page96" name="page96"></a>(p. 96)</span> conta l'affaire<a id="footnotetag232" name="footnotetag232"></a><a href="#footnote232" title="Lien vers la note 232"><span class="smaller">[232]</span></a>. Il n'était pas très +éloigné de croire que les cinquante mille fantômes de la Pucelle +s'étaient emparés de Saint-Pierre-le-Moustier.</p> + +<p class="p2">À ce moment, il se trouvait auprès de la petite armée de la Loire +plusieurs saintes femmes qui menaient, ainsi que Jeanne, une vie +singulière et communiquaient avec l'Église triomphante. C'était, pour +ainsi dire, un béguinage volant, qui suivait les gens d'armes. L'une +de ces femmes se nommait Catherine de La Rochelle; deux autres étaient +de la Bretagne bretonnante<a id="footnotetag233" name="footnotetag233"></a><a href="#footnote233" title="Lien vers la note 233"><span class="smaller">[233]</span></a>.</p> + +<p>Elles avaient toutes des visions merveilleuses; Jeanne voyait +monseigneur saint Michel en armes et mesdames sainte Catherine et +sainte Marguerite portant des couronnes<a id="footnotetag234" name="footnotetag234"></a><a href="#footnote234" title="Lien vers la note 234"><span class="smaller">[234]</span></a>; la Pierronne voyait Dieu +long vêtu d'une robe blanche avec une huque vermeille<a id="footnotetag235" name="footnotetag235"></a><a href="#footnote235" title="Lien vers la note 235"><span class="smaller">[235]</span></a>; Catherine +de La Rochelle voyait une dame blanche, habillée de drap d'or, et, au +moment de la consécration, on <span class="pagenum"><a id="page97" name="page97"></a>(p. 97)</span> ne sait quelles merveilles du +haut secret de Notre-Seigneur lui étaient révélées<a id="footnotetag236" name="footnotetag236"></a><a href="#footnote236" title="Lien vers la note 236"><span class="smaller">[236]</span></a>.</p> + +<p>Frère Jean Pasquerel demeurait auprès de Jeanne en qualité de +chapelain<a id="footnotetag237" name="footnotetag237"></a><a href="#footnote237" title="Lien vers la note 237"><span class="smaller">[237]</span></a>; il comptait mener sa pénitente à la croisade contre +les hussites, car c'est surtout à ces infidèles que le bon frère en +voulait. Mais le cordelier qui depuis Troyes s'était joint aux +mendiants de la première heure, frère Richard, l'avait entièrement +supplanté; il conduisait à sa volonté la petite troupe des inspirées. +On disait que c'était leur beau père; il les endoctrinait<a id="footnotetag238" name="footnotetag238"></a><a href="#footnote238" title="Lien vers la note 238"><span class="smaller">[238]</span></a>. Ses +desseins sur ces filles n'étaient pas très différents de ceux du bon +frère Pasquerel: il se proposait de les conduire dans ces guerres pour +le triomphe de la Croix qui devaient, selon lui, précéder la fin +prochaine du monde<a id="footnotetag239" name="footnotetag239"></a><a href="#footnote239" title="Lien vers la note 239"><span class="smaller">[239]</span></a>.</p> + +<p>En attendant, il s'efforçait de les faire vivre entre elles en bonne +intelligence; et il y avait grand'peine, ce semble, si habile prêcheur +qu'il fût. Sans cesse naissaient dans la confrérie les soupçons et les +querelles. Jeanne, qui fréquentait avec Catherine de La Rochelle à +Montfaucon en Brie et à Jargeau, flaira une rivale et se mit tout de +suite en défiance<a id="footnotetag240" name="footnotetag240"></a><a href="#footnote240" title="Lien vers la note 240"><span class="smaller">[240]</span></a>. Elle n'avait peut-être pas tort. On pouvait, +d'un moment à l'autre, se servir <span class="pagenum"><a id="page98" name="page98"></a>(p. 98)</span> de ces Bretonnes et de cette +Catherine comme on s'était servi d'elle<a id="footnotetag241" name="footnotetag241"></a><a href="#footnote241" title="Lien vers la note 241"><span class="smaller">[241]</span></a>. Une inspirée alors était +bonne à tout, à l'édification du peuple, à la réforme de l'Église, à +la conduite des gens d'armes, à la circulation des monnaies, à la +guerre, à la paix; dès qu'il en paraissait une, chacun la tirait à +soi. Il semble bien qu'après avoir mis en œuvre la pucelle Jeanne +pour délivrer Orléans, les conseillers du roi pensaient maintenant +mettre en œuvre cette dame Catherine pour faire la paix avec le duc +de Bourgogne. On trouvait opportun d'appliquer à cette tâche une +sainte moins chevalière que Jeanne. Catherine était mariée, mère de +famille. Il ne fallait pas s'étonner pour cela qu'elle fût favorisée +de visions: si le don de prophétie est particulièrement réservé aux +vierges, on voit, par l'exemple de Judith, que le Seigneur peut +susciter des femmes fortes pour le salut de son peuple.</p> + +<p>À croire, comme son surnom l'indique, qu'elle venait de La Rochelle, +son origine donnait confiance aux Armagnacs. Les habitants de La +Rochelle, tous plus ou moins corsaires, faisaient trop bonne et +profitable chasse aux navires anglais pour quitter le parti du +dauphin, qui récompensait d'ailleurs leur fidélité par de beaux +privilèges pour le trafic des marchandises<a id="footnotetag242" name="footnotetag242"></a><a href="#footnote242" title="Lien vers la note 242"><span class="smaller">[242]</span></a>. Ils envoyèrent +<span class="pagenum"><a id="page99" name="page99"></a>(p. 99)</span> des dons d'argent à ceux d'Orléans et lorsque, au mois de +mai, ils apprirent que la cité du duc Charles était délivrée, ils +instituèrent une fête publique en mémoire de cet heureux événement.</p> + +<p>Le premier emploi, ce semble, que tenait une sainte dans l'armée, +c'était l'emploi de quêteuse. Jeanne demandait à tous moments, par +lettres missives, de l'argent ou des engins de guerre aux bonnes +villes, les bourgeois lui promettaient toujours et s'acquittaient +quelquefois de leur promesse. Catherine de La Rochelle paraît avoir eu +des révélations spéciales en matière de finances, et s'être donné une +mission trésorière, comme Jeanne s'était donné une mission guerrière. +Elle annonçait qu'elle irait vers le duc de Bourgogne pour conclure la +paix<a id="footnotetag243" name="footnotetag243"></a><a href="#footnote243" title="Lien vers la note 243"><span class="smaller">[243]</span></a>. À en juger par le peu qu'on en sait, les inspirations de +cette sainte dame n'étaient ni très hautes, ni très ordonnées, ni très +profondes.</p> + +<p>À Montfaucon en Berry (ou à Jargeau), rencontrant Jeanne, elle lui +parla de la sorte:</p> + +<p>—Il est venu à moi une dame blanche, vêtue de drap d'or, qui m'a dit: +«Va par les bonnes villes et que le roi te donne des hérauts et +trompettes pour faire crier: «Quiconque a or, argent ou trésor caché, +qu'il l'apporte à l'instant.»</p> + +<p>Dame Catherine ajouta:</p> + +<p>—Ceux qui en auront de caché et ne feront point <span class="pagenum"><a id="page100" name="page100"></a>(p. 100)</span> ainsi, je +les connaîtrai bien et saurai trouver leurs trésors.</p> + +<p>Elle jugeait nécessaire de combattre les Anglais et semblait croire +que Jeanne eût mission de les chasser, puisqu'elle lui offrit +obligeamment le produit de ses recettes miraculeuses:</p> + +<p>—Ce sera, dit-elle, pour payer vos gens d'armes.</p> + +<p>Mais la Pucelle lui répondit avec mépris:</p> + +<p>—Retournez à votre mari faire votre ménage et nourrir vos +enfants<a id="footnotetag244" name="footnotetag244"></a><a href="#footnote244" title="Lien vers la note 244"><span class="smaller">[244]</span></a>.</p> + +<p>Les disputes des saintes sont très âpres d'ordinaire. Jeanne +n'admettait pas qu'il y eût dans le fait de cette rivale autre chose +que folie et néant. Pourtant, elle ne jugeait pas impossible qu'on +reçût la visite d'une dame blanche, elle vers qui se rendaient chaque +jour autant de saints et de saintes, d'anges et d'archanges qu'on n'en +peignit jamais sur les pages des livres et sur les murs des moutiers. +Pour en avoir le cœur net, elle prit le bon moyen. Un docteur peut +raisonner sur l'objet et la substance, l'origine et la forme des +idées, la naissance des images dans l'entendement; une gardeuse de +moutons prendra un parti plus sûr: elle s'en rapportera à ses yeux.</p> + +<p>Jeanne demanda à Catherine si cette dame blanche venait toutes les +nuits et, apprenant qu'oui:</p> + +<p>—Je coucherai avec vous, dit-elle.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page101" name="page101"></a>(p. 101)</span> Le soir arrivé, elle se mit dans le lit de Catherine, veilla +jusqu'à minuit, ne vit rien et s'endormit, car elle était jeune et +avait grand besoin de sommeil.</p> + +<p>Le matin, à son réveil, elle demanda:</p> + +<p>—Est-elle venue?</p> + +<p>—Elle est venue, répondit Catherine. Vous dormiez et je n'ai pas +voulu vous éveiller.</p> + +<p>—Ne viendra-t-elle point demain?</p> + +<p>Catherine lui promit qu'elle viendrait sans faute.</p> + +<p>Cette fois, Jeanne, ayant dormi le jour pour pouvoir mieux veiller, +coucha le soir encore dans le lit de Catherine et garda les yeux +ouverts.</p> + +<p>Souvent, elle demandait:</p> + +<p>—Viendra-t-elle point?</p> + +<p>Et Catherine répondait:</p> + +<p>—Oui, tout à l'heure.</p> + +<p>Mais Jeanne ne vit rien<a id="footnotetag245" name="footnotetag245"></a><a href="#footnote245" title="Lien vers la note 245"><span class="smaller">[245]</span></a>.</p> + +<p>Elle tint la preuve pour bonne. Pourtant, la dame blanche, habillée de +drap d'or, lui trottait encore dans la tête. Quand madame sainte +Catherine et madame sainte Marguerite vinrent la voir, ce qui ne tarda +guère, elle leur parla de cette dame blanche et leur demanda ce qu'il +en fallait penser. La réponse fut telle que Jeanne l'attendait.</p> + +<p>—Dans le fait de cette Catherine, il n'y a, dirent-elles, que folie +et néant<a id="footnotetag246" name="footnotetag246"></a><a href="#footnote246" title="Lien vers la note 246"><span class="smaller">[246]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page102" name="page102"></a>(p. 102)</span> Et Jeanne dut s'écrier:</p> + +<p>—C'était bien ce que je pensais!</p> + +<p>La lutte entre les deux prophétesses fut courte, mais acharnée. Jeanne +prenait toujours le contre-pied de ce que disait Catherine. Comme +celle-ci voulait aller voir le duc de Bourgogne pour faire la paix, +Jeanne lui dit:</p> + +<p>—Il me semble qu'on n'y trouvera point de paix si ce n'est par le +bout de la lance<a id="footnotetag247" name="footnotetag247"></a><a href="#footnote247" title="Lien vers la note 247"><span class="smaller">[247]</span></a>.</p> + +<p>Il y eut un sujet tout au moins où la dame blanche fut plus habile +prophétesse que les conseillères de la Pucelle: ce fut le siège de La +Charité. Lorsque Jeanne voulut aller délivrer cette ville, Catherine +lui conseilla de n'en rien faire.</p> + +<p>—Il fait trop froid, dit-elle, je n'irai point<a id="footnotetag248" name="footnotetag248"></a><a href="#footnote248" title="Lien vers la note 248"><span class="smaller">[248]</span></a>.</p> + +<p>La raison que donnait Catherine n'était point haute; pourtant, il est +vrai que Jeanne aurait mieux fait de ne pas aller au siège de La +Charité.</p> + +<p>La Charité, enlevée au duc de Bourgogne par le dauphin en 1422, avait +été reprise en 1424 par Perrinet Gressart<a id="footnotetag249" name="footnotetag249"></a><a href="#footnote249" title="Lien vers la note 249"><span class="smaller">[249]</span></a>, fortuné capitaine, +devenu, d'apprenti maçon, panetier du duc de Bourgogne et seigneur de +Laigny, de par le roi d'Angleterre<a id="footnotetag250" name="footnotetag250"></a><a href="#footnote250" title="Lien vers la note 250"><span class="smaller">[250]</span></a>. Le 30 décembre 1425, le +<span class="pagenum"><a id="page103" name="page103"></a>(p. 103)</span> sire de La Trémouille, qui se rendait auprès du duc Philippe +pour une de ces négociations sempiternelles, fut arrêté par les gens +de Perrinet, et renfermé pendant plusieurs mois dans cette place dont +son ravisseur était capitaine. Il lui fallut payer une rançon de +quatorze mille écus d'or, et, bien qu'il eût pris cette somme dans le +trésor royal<a id="footnotetag251" name="footnotetag251"></a><a href="#footnote251" title="Lien vers la note 251"><span class="smaller">[251]</span></a>, il devait garder rancune à Perrinet, et l'on peut +penser que, s'il envoyait des gens d'armes à La Charité, c'était pour +prendre tout de bon la ville et non dans quelque noir dessein contre +la Pucelle.</p> + +<p>L'armée qui allait contre ce capitaine bourguignon, grand détrousseur +de pèlerins, n'était pas composée de gens de rien. Ses chefs étaient +Louis de Bourbon, comte de Montpensier, et Charles II, sire d'Albret, +frère utérin de La Trémouille et compagnon de Jeanne à l'armée du +sacre. Sans doute elle manquait de matériel et d'argent<a id="footnotetag252" name="footnotetag252"></a><a href="#footnote252" title="Lien vers la note 252"><span class="smaller">[252]</span></a>. +Condition ordinaire des armées d'alors. Quand le roi voulait attaquer +une place tenue par ses ennemis, il fallait qu'il s'adressât à ses +bonnes villes, <span class="pagenum"><a id="page104" name="page104"></a>(p. 104)</span> pour obtenir d'elles les ressources +nécessaires. La Pucelle, qui était une sainte et une guerrière, avait +bonne grâce à mendier des armes; mais peut-être se faisait-elle +illusion sur les ressources des villes qui avaient déjà tant donné.</p> + +<p>Le 7 novembre, elle signa avec monseigneur d'Albret une lettre par +laquelle elle demandait à ceux de Clermont en Auvergne, de la poudre, +des traits et de l'artillerie. Les messieurs d'Église, les élus et les +habitants envoyèrent deux quintaux de salpêtre, un quintal de soufre, +deux caisses de traits; ils y joignirent une épée, deux dagues, et une +hache d'armes pour la Pucelle, et ils chargèrent messire Robert +Andrieu de présenter cet envoi à Jeanne et à monseigneur +d'Albret<a id="footnotetag253" name="footnotetag253"></a><a href="#footnote253" title="Lien vers la note 253"><span class="smaller">[253]</span></a>.</p> + +<p>Le 9 novembre, la Pucelle était à Moulins en Bourbonnais<a id="footnotetag254" name="footnotetag254"></a><a href="#footnote254" title="Lien vers la note 254"><span class="smaller">[254]</span></a>. Qu'y +faisait-elle? On ne sait. Alors se trouvait dans cette ville une très +sainte abbesse et très vénérée, Colette Boilet, qui s'était attiré les +plus hautes louanges et les plus bas outrages en travaillant avec un +zèle merveilleux à la réforme des filles de sainte Claire. Colette +habitait le couvent de clarisses qu'elle venait de fonder en cette +ville. On a supposé que la Pucelle était allée à Moulins afin de s'y +rencontrer avec elle. Il faudrait d'abord savoir si ces deux saintes +avaient <span class="pagenum"><a id="page105" name="page105"></a>(p. 105)</span> de l'inclination l'une pour l'autre; elles faisaient +toutes deux des miracles, et des miracles parfois assez +semblables<a id="footnotetag255" name="footnotetag255"></a><a href="#footnote255" title="Lien vers la note 255"><span class="smaller">[255]</span></a>; ce n'était pas une raison pour qu'elles prissent le +moindre plaisir à se trouver ensemble. L'une était nommée la Pucelle, +l'autre la Petite Ancelle; mais, sous ces noms d'une égale humilité, +bien différentes d'habit et de mœurs, celle-ci cheminait sur les +routes enveloppée de haillons comme une mendiante, celle-là +chevauchait en huque d'or entre les seigneurs. Rien ne donne à croire +que Jeanne, qui vivait parmi des franciscains soustraits à toute +règle, éprouvât de la vénération pour la réformatrice des clarisses; +rien ne dit que la pacifique Colette, très attachée à la maison de +Bourgogne<a id="footnotetag256" name="footnotetag256"></a><a href="#footnote256" title="Lien vers la note 256"><span class="smaller">[256]</span></a>, ait désiré s'entretenir avec l'ange exterminateur des +Anglais<a id="footnotetag257" name="footnotetag257"></a><a href="#footnote257" title="Lien vers la note 257"><span class="smaller">[257]</span></a>.</p> + +<p>De cette ville de Moulins, Jeanne dicta une lettre par laquelle elle +avertissait les habitants de Riom que Saint-Pierre-le-Moustier était +pris et leur demandait, comme à ceux de Clermont, du matériel de +guerre<a id="footnotetag258" name="footnotetag258"></a><a href="#footnote258" title="Lien vers la note 258"><span class="smaller">[258]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page106" name="page106"></a>(p. 106)</span> Voici cette lettre:</p> + +<div class="quote"> +<p>Chers et bons amis, vous savez bien comment la ville de Saint + Pere le Moustier a esté prinse d'assault; et, à l'aide de Dieu, + ay entencion de faire vuider les autres places qui sont + contraires au roy; mais pour ce que grant despense de pouldres, + trait et autres habillemens de guerre a esté faicte devant ladite + ville, et que petitement les seigneurs qui sont en ceste ville et + moy en sommes pourveuz pour aler mectre le siège devant La + Charité, où nous alons prestement; je vous prie, sur tant que + vous aymez le bien et honneur du roy et aussi de tous les autres + de par deçà, que vueillez incontinant envoyer et aider pour ledit + siège de pouldres, salepestre, souffre, trait, arbelestres + fortes, et d'autres habillemens de guerre. Et en ce faictes tant + que par faulte desdictes pouldres et autres habillemens de + guerre, la chose ne soit longue, et que on ne vous puisse dire en + ce estre negligens ou refusans. Chers et bons amis, Nostre Sire + soit garde de vous. Escript à Molins, le neuf<sup>me</sup> jour de + novembre.</p> + +<p class="right10">JEHANNE.</p> + +<p><i>Sur l'adresse</i>: À mes chiers et bons amis, les gens d'église, + bourgois et habitans de la ville de Rion<a id="footnotetag259" name="footnotetag259"></a><a href="#footnote259" title="Lien vers la note 259"><span class="smaller">[259]</span></a>.</p> +</div> + +<p>Les consuls de Riom s'engagèrent, par lettres scellées de leur sceau, +à donner à Jeanne la Pucelle et à monseigneur d'Albret une somme de +soixante écus; mais quand les gouverneurs de l'artillerie pour le +siège vinrent leur réclamer cette somme, les consuls ne donnèrent pas +une maille<a id="footnotetag260" name="footnotetag260"></a><a href="#footnote260" title="Lien vers la note 260"><span class="smaller">[260]</span></a>.</p> + +<p>Désireux, au contraire, de voir réduire une place qui <span class="pagenum"><a id="page107" name="page107"></a>(p. 107)</span> +interceptait le cours de la Loire à trente lieues en amont de leur +ville, les habitants d'Orléans, cette fois encore, se montrèrent zélés +et magnifiques. On les doit tenir pour les vrais sauveurs du royaume; +sans eux, au mois de juin, on n'aurait pas pu prendre Jargeau ni +Beaugency. Tout au commencement de juillet, alors qu'ils croyaient à +la continuation de la campagne de la Loire, ils avaient fait conduire +à Gien leur grosse bombarde, la Bougue. Ils y joignirent des +munitions, des vivres, et, dans les premiers jours de décembre, sur la +demande du roi aux procureurs de la ville, ils dirigèrent sur La +Charité toute l'artillerie ramenée de Gien; quatre-vingt-neuf soldats +de la milice urbaine, portant la huque aux couleurs du duc d'Orléans, +la croix blanche sur la poitrine, trompette en tête, commandés par le +capitaine Boiau; des ouvriers de tous états, maçons et manœuvres, +charpentiers, forgerons; les couleuvriniers Fauveau, Gervaise Lefèvre, +et frère Jacques, religieux du couvent des cordeliers d'Orléans<a id="footnotetag261" name="footnotetag261"></a><a href="#footnote261" title="Lien vers la note 261"><span class="smaller">[261]</span></a>. +Que fit-on de cette grosse artillerie et de ces braves gens?</p> + +<p>Le 24 novembre, le sire d'Albret et la Pucelle, se trouvant sous les +murs de La Charité en grande détresse, sollicitèrent semblablement la +ville de Bourges. Au reçu de leur lettre, les bourgeois décidèrent +d'envoyer <span class="pagenum"><a id="page108" name="page108"></a>(p. 108)</span> treize cents écus d'or. Pour se procurer cette +somme ils employèrent un moyen usuel, auquel notamment ceux d'Orléans +avaient eu recours quand, en vue de fournir à Jeanne, quelque temps +auparavant, des munitions de guerre, ils achetèrent d'un habitant une +certaine quantité de sel qu'ils firent mettre à l'enchère au grenier +de la ville. Les habitants de Bourges firent vendre à la criée la +ferme annuelle du treizième du vin vendu en détail dans la ville. Mais +l'argent qu'ils se procurèrent ainsi n'arriva pas à destination<a id="footnotetag262" name="footnotetag262"></a><a href="#footnote262" title="Lien vers la note 262"><span class="smaller">[262]</span></a>.</p> + +<p>Il y avait sous La Charité une brillante chevalerie; outre Louis de +Bourbon et le sire d'Albret, il s'y trouvait le maréchal de Boussac, +Jean de Bouray, sénéchal de Toulouse, Raymon de Montremur, baron +dauphinois, qui y fut tué<a id="footnotetag263" name="footnotetag263"></a><a href="#footnote263" title="Lien vers la note 263"><span class="smaller">[263]</span></a>. Il faisait un froid cruel et les +assiégeants ne réussissaient à rien. Après un mois, Perrinet Gressart, +qui connaissait plus d'un tour, les fit tomber dans on ne sait quelle +embûche. Ils levèrent le siège, laissant l'artillerie des bonnes +villes, les beaux canons payés des deniers des bourgeois +économes<a id="footnotetag264" name="footnotetag264"></a><a href="#footnote264" title="Lien vers la note 264"><span class="smaller">[264]</span></a>. Et ce qui rendait leur cas peu louable, c'est que la +ville, n'étant pas secourue et ne pouvant l'être, devait capituler +<span class="pagenum"><a id="page109" name="page109"></a>(p. 109)</span> un jour ou l'autre. Ils alléguaient en leur faveur que le +roi n'avait envoyé ni vivres ni argent<a id="footnotetag265" name="footnotetag265"></a><a href="#footnote265" title="Lien vers la note 265"><span class="smaller">[265]</span></a>; mais ce ne parut point +une excuse et leur fait fut jugé honteux. Un chevalier expert en +l'honneur des armes a dit: «On ne doit jamais assiéger une place que +premièrement on ne soit sûr de vivres et de solde. Car trop grande +honte est à un ost, spécialement quand il y a roi ou lieutenant du +roi, d'assiéger une place et puis de s'en lever<a id="footnotetag266" name="footnotetag266"></a><a href="#footnote266" title="Lien vers la note 266"><span class="smaller">[266]</span></a>.»</p> + +<p>Le 13 décembre, un moine dominicain, frère Hélie Boudant, pénitencier +du pape Martin pour la ville et diocèse de Limoges, s'étant rendu dans +la ville de Périgueux, y prêcha le peuple; il prit pour texte de son +sermon les grands miracles accomplis en France par l'intervention +d'une Pucelle qui était venue trouver le roi de par Dieu. À cette +occasion le maire et les consuls entendirent une messe chantée et +firent mettre deux cierges. Or, frère Hélie était depuis deux mois +sous le coup d'un mandat d'amener lancé par le parlement de +Poitiers<a id="footnotetag267" name="footnotetag267"></a><a href="#footnote267" title="Lien vers la note 267"><span class="smaller">[267]</span></a>. On ignore l'accusation qui pesait sur lui. Les moines +mendiants se montraient alors, pour la plupart, déréglés dans leurs +mœurs et faillibles dans leur foi. Le frère Richard lui-même ne +laissait <span class="pagenum"><a id="page110" name="page110"></a>(p. 110)</span> pas d'inspirer parfois des soupçons sur la pureté +de sa doctrine.</p> + +<p>À la Noël de cette année 1429, le béguinage volant étant réuni à +Jargeau<a id="footnotetag268" name="footnotetag268"></a><a href="#footnote268" title="Lien vers la note 268"><span class="smaller">[268]</span></a>, ce bon frère dit la messe et donna la communion trois +fois à Jeanne la Pucelle et deux fois à cette Pierronne, de la +Bretagne bretonnante, avec qui Notre-Seigneur causait comme un ami +avec un ami. Et l'on pouvait voir là, sinon une transgression formelle +des lois de l'Église, du moins un abus condamnable du sacrement<a id="footnotetag269" name="footnotetag269"></a><a href="#footnote269" title="Lien vers la note 269"><span class="smaller">[269]</span></a>. +Un formidable orage théologique s'amassait dès lors, prêt à fondre sur +les filles spirituelles du frère Richard. Peu de jours après l'attaque +de Paris, la très vénérable Université avait fait composer, ou plutôt +transcrire un traité <i>De bono et maligno spiritu</i>, en vue, +probablement, d'y trouver des arguments contre le frère Richard et sa +prophétesse Jeanne, venus tous deux de compagnie avec les Armagnacs +devant la grand'ville<a id="footnotetag270" name="footnotetag270"></a><a href="#footnote270" title="Lien vers la note 270"><span class="smaller">[270]</span></a>.</p> + +<p>Vers le même temps, un clerc de la faculté des décrets avait lancé une +réponse sommaire au mémoire du chancelier Gerson sur la Pucelle. «Il +ne suffit pas, y disait-il, que quelqu'un nous affirme bonnement qu'il +est envoyé de Dieu: tout hérétique le prétend; mais il importe qu'il +prouve cette mission invisible <span class="pagenum"><a id="page111" name="page111"></a>(p. 111)</span> par opération miraculeuse ou +témoignage spécial de l'Écriture.» Le clerc de Paris nie que la +Pucelle ait fait cette preuve, et à la juger sur sa conduite, il la +croit plutôt envoyée par le diable. Il lui fait grief de porter un +habit interdit aux femmes, sous peine d'anathème, et rejette les +excuses alléguées sur ce point par Gerson. Il lui reproche d'avoir +excité, entre les princes et le peuple chrétiens, plus grande guerre +que n'était auparavant. Il la tient pour idolâtre, usant de sortilèges +et de fausses prophéties; il l'incrimine d'avoir entraîné les hommes à +se rendre homicides pendant les deux fêtes principales de la très +sainte Vierge, l'Assomption et la Nativité: «offenses que l'Ennemi du +genre humain a infligées au Créateur et à sa très glorieuse Mère, par +le moyen de cette femme. Et bien qu'il en ait résulté quelques +meurtres, grâce à Dieu, ils n'ont pas répondu aux intentions de cette +ennemie.</p> + +<p>»Tout cela manifestement, ajoute ce fils dévoué de l'Université, +contient erreur et hérésie». Il en conclut que cette Pucelle doit être +traduite devant l'évêque et l'inquisiteur et termine en invoquant ce +texte de saint Jérôme: «Il faut tailler les chairs pourries; il faut +chasser la brebis galeuse du bercail<a id="footnotetag271" name="footnotetag271"></a><a href="#footnote271" title="Lien vers la note 271"><span class="smaller">[271]</span></a>.»</p> + +<p>Tel était le sentiment unanime de l'Université de Paris sur celle en +qui les clercs français reconnaissaient <span class="pagenum"><a id="page112" name="page112"></a>(p. 112)</span> un ange du Seigneur. +Au mois de novembre, le bruit courait à Bruges, recueilli par des +religieux, que la fille aînée des rois avait envoyé à Rome, près du +pape, des députés pour dénoncer la Pucelle comme fausse prophétesse, +abuseresse, ainsi que ceux qui croyaient en elle; nous ignorons le +véritable objet de cette ambassade<a id="footnotetag272" name="footnotetag272"></a><a href="#footnote272" title="Lien vers la note 272"><span class="smaller">[272]</span></a>. Sans nul doute les docteurs +et maîtres parisiens étaient dès lors résolus, s'ils tenaient un jour +cette fille, à ne pas la laisser échapper et à ne point l'envoyer +juger à Rome où elle courait chance de s'en tirer avec une pénitence +et même d'être engagée dans les soudoyers du Saint-Père<a id="footnotetag273" name="footnotetag273"></a><a href="#footnote273" title="Lien vers la note 273"><span class="smaller">[273]</span></a>.</p> + +<p>En pays anglais et bourguignons elle était regardée comme hérétique, +non seulement par les clercs, mais par la multitude des gens de toute +condition. Et ceux qui, peu nombreux dans ces contrées, l'estimaient +bonne, devaient s'en taire soigneusement. Après la retraite de +Saint-Denys il restait peut-être en Picardie et notamment à Abbeville +quelques personnes favorables à la prophétesse des Français; il ne +fallait pas parler en public de ces gens-là.</p> + +<p>Colin Gouye, surnommé le Sourd, et Jehannin Daix, surnommé Petit, +natif d'Abbeville, l'apprirent à leurs dépens. En cette ville, vers la +mi-septembre, le Sourd et Petit, se trouvant contre la forge d'un +maréchal, en compagnie de plusieurs bourgeois et habitants, notamment +<span class="pagenum"><a id="page113" name="page113"></a>(p. 113)</span> d'un héraut, parlèrent des faits de cette Pucelle qui menait +si grand bruit dans la chrétienté. À un propos que tint le héraut sur +elle, Petit répliqua vivement:</p> + +<p>—Bren! bren! Chose que dit et fait cette femme n'est qu'abusion.</p> + +<p>Le Sourd parla dans le même sens:</p> + +<p>—À cette femme, dit-il, l'on ne doit ajouter foi. Ceux qui croient en +elle sont fols et sentent la persinée.</p> + +<p>Il entendait par là qu'ils sentaient la grillade au persil, le roussi, +étant déjà, autant dire, sur le feu du bûcher.</p> + +<p>Et il eut le malheur d'ajouter:</p> + +<p>—Il y a en cette ville plusieurs autres qui sentent la persinée.</p> + +<p>C'était diffamer les habitants d'Abbeville et les rendre suspects. Le +maire et les échevins, ayant eu connaissance de ce propos, firent +mettre le Sourd en prison. Sans doute Petit avait dit quelque chose de +semblable, car il fut envoyé pareillement en prison<a id="footnotetag274" name="footnotetag274"></a><a href="#footnote274" title="Lien vers la note 274"><span class="smaller">[274]</span></a>.</p> + +<p>En disant que plusieurs de leurs concitoyens sentaient la persinée, le +Sourd les mettait en grand danger d'être recherchés par l'ordinaire et +l'inquisiteur comme hérétiques et sorciers notoirement diffamés. Quant +à la Pucelle, en quelle odeur de persinée elle <span class="pagenum"><a id="page114" name="page114"></a>(p. 114)</span> était, +puisqu'il suffisait de prendre son parti pour sentir le roussi!</p> + +<p>Pendant que le frère Richard et ses filles spirituelles se voyaient +ainsi menacés de faire une mauvaise fin, s'ils tombaient aux mains des +Anglais et des Bourguignons, de grands troubles agitaient la +confrérie. Jeanne, au sujet de Catherine, entra en lutte ouverte avec +son bon père. Frère Richard voulait qu'on mît en œuvre la sainte +dame de La Rochelle. Jeanne, craignant que ce conseil ne fût suivi, +écrivit à son roi ce qu'il devait faire de cette femme, c'est-à-dire +qu'il la devait certes renvoyer à son mari et à ses enfants.</p> + +<p>Quand elle alla vers le roi, elle n'eut rien de plus pressé que de lui +dire:</p> + +<p>—C'est tout folie et tout néant du fait de Catherine.</p> + +<p>Frère Richard laissa voir à la Pucelle son profond +mécontentement<a id="footnotetag275" name="footnotetag275"></a><a href="#footnote275" title="Lien vers la note 275"><span class="smaller">[275]</span></a>. Il était fort bien en cour, et c'est sans doute +avec l'agrément du Conseil royal qu'il essayait de mettre en œuvre +cette dame Catherine. La Pucelle avait réussi; on pensait qu'une autre +voyante réussirait de même.</p> + +<p>Ce qui ne veut pas dire que, dans le Conseil on renonçât aux services +que Jeanne rendait à la cause française. Même après les mauvaises +journées de Paris et de La Charité bien des gens lui attribuaient +comme <span class="pagenum"><a id="page115" name="page115"></a>(p. 115)</span> autrefois une puissance surnaturelle et il y a lieu de +croire que plusieurs, à la Cour, comptaient l'employer encore<a id="footnotetag276" name="footnotetag276"></a><a href="#footnote276" title="Lien vers la note 276"><span class="smaller">[276]</span></a>.</p> + +<p>Et quand même on eût voulu la rejeter, elle se tenait trop près des +Lis pour qu'on pût désormais négliger ses honneurs sans offenser en +même temps l'honneur des Lis. Le 29 décembre 1429, à Mehun-sur-Yèvre, +le roi lui donna des lettres de noblesse scellées du grand sceau de +cire verte, sur double queue, en lés de soie rouge et verte<a id="footnotetag277" name="footnotetag277"></a><a href="#footnote277" title="Lien vers la note 277"><span class="smaller">[277]</span></a>.</p> + +<p>L'anoblissement concernait Jeanne, ses père, mère, frères, même au cas +où ils ne fussent pas de condition libre, et toute leur postérité mâle +et féminine. Clause singulière, répondant aux services singuliers +rendus par une femme.</p> + +<p>Dans ces lettres, elle est nommée <i>Johanna d'Ay</i>, sans doute parce que +le nom de son père fut recueilli à la chancellerie royale sur les +lèvres des Lorrains qui le prononçaient ainsi d'un accent lent et +sourd; mais que ce nom soit Ay ou Arc, on ne le lui donnait guère; on +l'appelait communément Jeanne la Pucelle<a id="footnotetag278" name="footnotetag278"></a><a href="#footnote278" title="Lien vers la note 278"><span class="smaller">[278]</span></a>.</p> + + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page116" name="page116"></a>(p. 116)</span> CHAPITRE V<br> + +<span class="smaller">LES LETTRES AUX HABITANTS DE REIMS. — LA LETTRE AUX HUSSITES. — LE +DÉPART DE SULLY.</span></h2> + + +<p>Les habitants d'Orléans étaient reconnaissants à la Pucelle de ce +qu'elle avait accompli pour eux. Sans lui faire un grief de la déroute +par laquelle s'était terminé le siège de La Charité, ils la reçurent +dans leur ville avec la même joie et lui firent aussi bonne chère +qu'auparavant. Le 19 janvier 1430, ils offrirent à elle, à maître Jean +de Velly et à maître Jean Rabateau un repas où ne manquaient ni +chapons, ni perdrix, ni lièvres, où même un faisan était dressé<a id="footnotetag279" name="footnotetag279"></a><a href="#footnote279" title="Lien vers la note 279"><span class="smaller">[279]</span></a>. +Ce Jean de Velly, qui fut festoyé avec elle, ne nous est pas connu. +Quant à Jean Rabateau, ce n'était pas moins qu'un conseiller du roi, +avocat général au Parlement de Poitiers, depuis 1427<a id="footnotetag280" name="footnotetag280"></a><a href="#footnote280" title="Lien vers la note 280"><span class="smaller">[280]</span></a>. Il avait +été l'hôte de la Pucelle dans <span class="pagenum"><a id="page117" name="page117"></a>(p. 117)</span> cette ville. Sa femme avait +souvent vu Jeanne agenouillée dans l'oratoire de l'hôtel<a id="footnotetag281" name="footnotetag281"></a><a href="#footnote281" title="Lien vers la note 281"><span class="smaller">[281]</span></a>. Les +habitants d'Orléans présentèrent le vin à l'avocat du roi, à Jean de +Velly et à la Pucelle. Beau festoiement, certes, et cérémonieux. Les +bourgeois aimaient et honoraient Jeanne, mais, dans le repas, ils ne +l'observèrent pas finement; car, lorsqu'une aventurière, dans huit +ans, se donnera pour elle, ils s'y tromperont et lui offriront le vin +de la même manière; et ce sera le même varlet de la ville, Jacques +Leprestre, qui le présentera<a id="footnotetag282" name="footnotetag282"></a><a href="#footnote282" title="Lien vers la note 282"><span class="smaller">[282]</span></a>.</p> + +<p>Un peintre, nommé Hamish Power, avait imagé, à Tours, cet étendard que +la Pucelle aimait plus encore que l'épée de sainte Catherine. Quand +elle apprit que Power mariait sa fille Héliote, Jeanne demanda, par +lettre, aux élus de la ville de Tours une somme de cent écus pour le +trousseau de la mariée. La cérémonie nuptiale était fixée au 9 février +1430. Les élus se réunirent par deux fois pour délibérer sur la +demande de celle qu'ils nommaient avec honneur, mais non sans +prudence: «la Pucelle venue en ce royaume vers le roi, pour le fait de +guerre et se donnant à lui comme envoyée de par le roi du Ciel contre +les Anglais». Ils refusèrent de rien payer, pour cette raison qu'il +convenait d'employer les deniers qu'ils administraient <span class="pagenum"><a id="page118" name="page118"></a>(p. 118)</span> à +l'entretien de la ville et non autrement; mais ils décidèrent que, +pour l'amour et honneur de la Pucelle, les gens d'Église, bourgeois et +habitants de la ville assisteraient à la bénédiction nuptiale et +feraient faire des prières à l'intention de la mariée, et qu'ils lui +offriraient le pain et le vin. Ils en furent quittes pour quatre +livres dix sous<a id="footnotetag283" name="footnotetag283"></a><a href="#footnote283" title="Lien vers la note 283"><span class="smaller">[283]</span></a>.</p> + +<p>À une époque qu'on ne peut déterminer précisément, la Pucelle acheta +une maison à Orléans. Pour parler avec plus d'exactitude, elle +contracta un bail à vente<a id="footnotetag284" name="footnotetag284"></a><a href="#footnote284" title="Lien vers la note 284"><span class="smaller">[284]</span></a>. Le bail à vente était une sorte de +convention par laquelle le propriétaire d'une maison ou d'un héritage +en transférait la propriété au preneur moyennant une pension annuelle +en fruits ou en argent. On contractait ces baux, de coutume, pour une +durée de cinquante-neuf ans. L'hôtel que Jeanne acquit de la sorte +appartenait au Chapitre de la cathédrale; il était situé au milieu de +la ville, sur la paroisse Saint-Malo, proche de la chapelle +Saint-Maclou, contre la boutique d'un marchand d'huile nommé Jean Feu, +dans la rue des Petits-Souliers, où lors du siège, un boulet de pierre +de cent soixante-quatre livres était tombé au milieu de cinq convives +attablés, sans faire de mal <span class="pagenum"><a id="page119" name="page119"></a>(p. 119)</span> à personne<a id="footnotetag285" name="footnotetag285"></a><a href="#footnote285" title="Lien vers la note 285"><span class="smaller">[285]</span></a>. À quel prix la +Pucelle s'en rendit-elle acquéreur? Ce fut vraisemblablement pour la +somme de six écus d'or fin (à soixante écus le marc), versés +annuellement aux termes de la Saint-Jean et de Noël, durant +cinquante-neuf années. En outre, elle dut s'engager, conformément à la +coutume, à tenir la maison en bon état et à payer de ses propres +deniers les tailles d'Église, ainsi que les taxes établies pour le +puits et le pavé et toutes autres impositions. Comme il lui fallait +une caution, elle prit pour répondant un certain Guillot de Guyenne, +de qui nous ne savons pas autre chose<a id="footnotetag286" name="footnotetag286"></a><a href="#footnote286" title="Lien vers la note 286"><span class="smaller">[286]</span></a>.</p> + +<p>Que la Pucelle se soit elle-même occupée de ce contrat, rien n'empêche +de le croire. Toute sainte qu'elle était, elle n'ignorait pas ce que +c'est que de posséder du bien. À cet égard elle avait de qui tenir: +son père était l'homme de son village le plus entendu aux +affaires<a id="footnotetag287" name="footnotetag287"></a><a href="#footnote287" title="Lien vers la note 287"><span class="smaller">[287]</span></a>; elle-même, bonne ménagère, gardait ses vieilles nippes +et, même en campagne, savait les retrouver pour en faire des présents +à ses amis. Elle prisait son avoir, armes et chevaux, l'évaluait à +douze mille écus, et se faisait, à ce qu'il semble, une idée assez +juste de la valeur des choses<a id="footnotetag288" name="footnotetag288"></a><a href="#footnote288" title="Lien vers la note 288"><span class="smaller">[288]</span></a>. Mais à quelle intention +prenait-elle cette maison? Était-ce pour l'habiter? <span class="pagenum"><a id="page120" name="page120"></a>(p. 120)</span> +Pensait-elle revenir à Orléans, après la guerre, y avoir pignon sur +rue, et y vieillir doucement? N'était-ce pas plutôt pour loger ses +parents, quelque oncle Vouthon, ou ses frères, dont l'un, très +besogneux, se faisait donner alors un pourpoint par les citoyens +d'Orléans<a id="footnotetag289" name="footnotetag289"></a><a href="#footnote289" title="Lien vers la note 289"><span class="smaller">[289]</span></a>?</p> + +<p>Le 3 mars, elle suivit le roi Charles à Sully<a id="footnotetag290" name="footnotetag290"></a><a href="#footnote290" title="Lien vers la note 290"><span class="smaller">[290]</span></a>. Le château où elle +logea près du roi appartenait au sire de la Trémouille, qui le tenait +de sa mère, Marie de Sully, fille de Louis I<sup>er</sup> de Bourbon. Il avait +été repris aux Anglais après la délivrance d'Orléans<a id="footnotetag291" name="footnotetag291"></a><a href="#footnote291" title="Lien vers la note 291"><span class="smaller">[291]</span></a>. Lieu fort, +qui commandait la plaine entre Orléans et Briare et le vieux pont de +vingt arches, Sully, au bord de la Loire, sur la route qui va de Paris +à Autun, reliait le centre de la France à ces provinces du Nord dont +Jeanne était revenue à regret et où elle désirait de tout son cœur +retourner pour de nouvelles chevauchées et de nouveaux assauts.</p> + +<p>En la première quinzaine de mars, elle reçut des habitants de Reims un +message dans lequel ils lui confiaient leurs craintes qui n'étaient +que trop fondées<a id="footnotetag292" name="footnotetag292"></a><a href="#footnote292" title="Lien vers la note 292"><span class="smaller">[292]</span></a>. Le <span class="pagenum"><a id="page121" name="page121"></a>(p. 121)</span> Régent venait de donner (8 mars) +les comtés de Champagne et de Brie au duc de Bourgogne, à charge pour +lui de les aller prendre<a id="footnotetag293" name="footnotetag293"></a><a href="#footnote293" title="Lien vers la note 293"><span class="smaller">[293]</span></a>. Des Armagnacs et des Anglais, c'était à +qui offrirait les plus gros et les meilleurs morceaux à ce duc +Gargantua; les Français ne pouvant, malgré leur promesse, lui livrer +Compiègne qui ne voulait pas être livrée, lui offraient à la place +Pont-Sainte-Maxence<a id="footnotetag294" name="footnotetag294"></a><a href="#footnote294" title="Lien vers la note 294"><span class="smaller">[294]</span></a>. Mais c'est Compiègne qu'il voulait. Les +trêves, fort mal observées d'ailleurs, qui devaient d'abord expirer à +la Noël, prorogées une première fois jusqu'au 15 mars, l'avaient été +ensuite jusqu'à Pâques, qui tombait en 1430 le 16 avril. Le duc +Philippe n'attendait que cette date pour mettre une armée en +campagne<a id="footnotetag295" name="footnotetag295"></a><a href="#footnote295" title="Lien vers la note 295"><span class="smaller">[295]</span></a>.</p> + +<p>La Pucelle répondit aux habitants de Reims d'une parole animée et +brève:</p> + +<div class="quote"> +<p>Très chiers et bien amés et bien desiriés à veoir, Jehenne la + Pucelle ey reçue vous letres faisent mancion que vous vous + doptiés d'avoir le sciege. Vulhés savoir que vous n'arés point, + si je les puis rencontrer bien bref; et si ainsi fut que je ne + les rencontrasse, ne eux venissent devant vous, si vous fermés + vous pourtes, car je serey bien brief vers vous; et ci eux y + sont, je leur feray chausier leurs espérons si à aste qu'il ne + saront pas ho les prandre, et lever, c'il y est, si <span class="pagenum"><a id="page122" name="page122"></a>(p. 122)</span> + brief que ce cera bien tost. Autre chouse que ne vous escri pour + le présent, mès que soyez toutjours bons et loyals. Je pri à Dieu + que vous ait en sa guarde. Escrit à Sulli le xvj<sup>e</sup> jour de + mars.</p> + +<p>Je vous mandesse anquores auqunes nouvelles de quoy vous sériés + bien joyeux<a id="footnotetag296" name="footnotetag296"></a><a href="#footnote296" title="Lien vers la note 296"><span class="smaller">[296]</span></a>; mais je doubte que les letres ne feussent + prises en chemin et que l'on ne vit les dictes nouvelles.</p> + +<p class="right10"><i>Signé</i>: <span class="smcap">JEHANNE</span>.</p> + +<p><i>Sur l'adresse</i>: À mes très chiers et bons amis, gens d'église, + bourgois et autres habitans de la ville de Rains<a id="footnotetag297" name="footnotetag297"></a><a href="#footnote297" title="Lien vers la note 297"><span class="smaller">[297]</span></a>.</p> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a id="page123" name="page123"></a>(p. 123)</span> Pour cette lettre, nul doute que le scribe n'ait écrit +fidèlement sous la dictée de la Pucelle et pris sa parole au vol. Dans +sa hâte, elle a oublié des mots, des phrases entières; mais on +comprend tout de même. Et quel élan! «Vous n'aurez pas de siège si je +rencontre vos ennemis.» Et son langage cavalier qu'on retrouve! Elle +avait demandé la veille de Patay: «Avez-vous de bons éperons<a id="footnotetag298" name="footnotetag298"></a><a href="#footnote298" title="Lien vers la note 298"><span class="smaller">[298]</span></a>?» +Ici elle s'écrie: «Je leur ferai chausser leurs éperons!» Elle annonce +qu'elle sera bientôt en Champagne, qu'elle va partir. Dès lors, est-il +possible de croire qu'elle était dans le château de la Trémouille +comme dans une cage dorée<a id="footnotetag299" name="footnotetag299"></a><a href="#footnote299" title="Lien vers la note 299"><span class="smaller">[299]</span></a>? En terminant, elle avertit ses amis de +Reims qu'elle ne leur écrit pas tout ce qu'elle voudrait, de peur que +sa lettre ne soit prise en chemin. Elle avait de la prudence; elle +mettait quelquefois sur ses lettres une croix pour avertir ceux de son +parti de ne pas tenir compte de ce qu'elle leur écrivait, dans +l'espoir que la missive fût interceptée et l'ennemi trompé<a id="footnotetag300" name="footnotetag300"></a><a href="#footnote300" title="Lien vers la note 300"><span class="smaller">[300]</span></a>.</p> + +<p>C'est de Sully, le 23 mars, que fut expédiée, par le frère Pasquerel à +l'empereur Sigismond, une lettre destinée aux Hussites de Bohême<a id="footnotetag301" name="footnotetag301"></a><a href="#footnote301" title="Lien vers la note 301"><span class="smaller">[301]</span></a>.</p> + +<p>À cette époque, les Hussites faisaient l'exécration et l'épouvante de +la chrétienté. Ils réclamaient la libre <span class="pagenum"><a id="page124" name="page124"></a>(p. 124)</span> prédication de la +parole de Dieu, la communion sous les deux espèces, le retour de +l'Église à cette vie évangélique qui ne connut ni le pouvoir temporel +des papes, ni les richesses des prêtres. Ils voulaient que le péché +fût puni par les magistrats civils, ce qui est l'état d'une société +excessivement sainte. Aussi étaient-ils des saints. Hérétiques, +d'ailleurs, autant qu'on peut l'être. Le pape Martin tenait pour +salutaire la destruction de ces méchants, et c'était l'avis de tous +les bons catholiques. Mais comment venir à bout de cette hérésie en +armes, qui brisait toutes les forces de l'Empire et du Saint-Siège? +Les Hussites culbutaient, écrasaient cette antique chevalerie usée de +la chrétienté, chevalerie allemande, chevalerie française, qu'il n'y +avait plus qu'à jeter au rebut comme une vieille ferraille. Et c'est +ce que les villes du royaume de France faisaient en mettant une +paysanne au-dessus des seigneurs<a id="footnotetag302" name="footnotetag302"></a><a href="#footnote302" title="Lien vers la note 302"><span class="smaller">[302]</span></a>.</p> + +<p>À Tachov, en 1427, les croisés bénis par le Saint-Père s'étaient +enfuis au seul bruit des chariots de Procope. Le pape Martin ne savait +plus où trouver des défenseurs de l'Église une et sainte. Il avait +payé l'armement de cinq mille croisés anglais, que le cardinal de +Winchester devait conduire chez ces Bohêmes démoniaques; mais le +Saint-Père éprouvait de ce fait une <span class="pagenum"><a id="page125" name="page125"></a>(p. 125)</span> cruelle déconvenue: ces +cinq mille croisés, à peine descendus en France, le Régent +d'Angleterre les avait détournés de leur route et dirigés sur la Brie +pour donner du fil à retordre à la Pucelle des Armagnacs<a id="footnotetag303" name="footnotetag303"></a><a href="#footnote303" title="Lien vers la note 303"><span class="smaller">[303]</span></a>.</p> + +<p>Depuis sa venue en France, Jeanne parlait de la croisade comme d'une +œuvre bonne et méritoire. Dans la lettre dictée avant l'expédition +d'Orléans, elle conviait les Anglais à s'unir aux Français pour aller +ensemble combattre les ennemis de l'Église. Et, plus tard, écrivant au +duc de Bourgogne, elle invitait le fils du vaincu de Nicopolis à faire +la guerre aux Turcs<a id="footnotetag304" name="footnotetag304"></a><a href="#footnote304" title="Lien vers la note 304"><span class="smaller">[304]</span></a>. Ces idées de croisade, qui donc les mettait +dans la tête de Jeanne, sinon les mendiants qui la gouvernaient? Tout +de suite après la délivrance d'Orléans, on disait qu'elle conduirait +le roi Charles à la conquête du Saint-Sépulcre et qu'elle mourrait en +Terre-Sainte<a id="footnotetag305" name="footnotetag305"></a><a href="#footnote305" title="Lien vers la note 305"><span class="smaller">[305]</span></a>. Dans le même moment on semait le bruit qu'elle +ferait la guerre aux Hussites. Au mois de juillet 1429, quand le +voyage du sacre était à peine commencé, on publiait en Allemagne, sur +la foi d'une prophétesse de Rome, que, par la prophétesse de France, +serait récupéré le royaume de Bohême<a id="footnotetag306" name="footnotetag306"></a><a href="#footnote306" title="Lien vers la note 306"><span class="smaller">[306]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page126" name="page126"></a>(p. 126)</span> Déjà portée sur la croisade contre les Turcs, la Pucelle se +porta pareillement sur la croisade contre les Hussites. Turcs et +Bohêmes, c'était tout un pour elle; elle ne connaissait ceux-ci, comme +ceux-là, que par les récits pleins de diableries que lui en faisaient +les mendiants de sa compagnie. On rapportait touchant les Hussites des +choses qui n'étaient pas toutes vraies, mais que Jeanne devait croire +et qui n'étaient certes pas pour lui plaire; on disait qu'ils +adoraient le diable et qu'ils l'appelaient «celui à qui l'on a fait +tort»; on disait qu'ils accomplissaient comme œuvres pies toutes +sortes de fornications; on disait que dans chaque Bohémien il y avait +cent démons; on disait qu'ils tuaient les clercs par milliers; on +disait encore, et cette fois sans fausseté, qu'ils brûlaient églises +et moutiers. La Pucelle croyait au Dieu qui ordonna à Israël +d'exterminer les Philistins. Il s'était trouvé naguère des Cathares +pour penser que le Dieu de l'<i>Ancien Testament</i> était en réalité +Lucifer ou Luciabel, auteur du mal, menteur et meurtrier. Les Cathares +abhorraient la guerre; ils se refusaient à verser le sang humain; +c'étaient des hérétiques; on les avait massacrés, il n'en restait +plus. La Pucelle croyait de bonne foi que l'extermination des Hussites +était agréable à Dieu. Des hommes plus savants qu'elle, non adonnés +comme elle à la chevalerie, et de mœurs douces, des clercs, comme +le chancelier Jean Gerson, le croyaient <span class="pagenum"><a id="page127" name="page127"></a>(p. 127)</span> aussi<a id="footnotetag307" name="footnotetag307"></a><a href="#footnote307" title="Lien vers la note 307"><span class="smaller">[307]</span></a>. Elle +pensait de ces Bohêmes hérétiques ce que tout le monde en pensait: +elle avait l'âme des foules; ses sentiments étaient faits des +sentiments de tous. Aussi haïssait-elle les Hussites avec simplicité, +mais elle ne les craignait pas, parce qu'elle ne craignait rien, et +qu'elle se croyait, Dieu aidant, capable de pourfendre tous les +Anglais, tous les Turcs et tous les Bohêmes du monde. Au premier coup +de trompette elle était prête à foncer. Le 23 mars 1430, frère +Pasquerel envoya à l'empereur Sigismond une lettre écrite au nom de la +Pucelle et destinée aux Hussites de Bohême. Cette lettre était rédigée +en latin. En voici le sens:</p> + +<div class="quote"> +<p class="center">JÉSUS ✝ MARIE</p> + +<p>Depuis longtemps le bruit, la renommée m'est parvenue que, de + vrais chrétiens que vous étiez, devenus hérétiques, et pareils + aux Sarrazins, vous avez aboli la vraie religion et le culte, que + vous avez adopté une superstition infecte et funeste, et que, + dans votre zèle à la soutenir et à l'étendre, il n'est honte ni + cruauté que vous n'osiez. Vous souillez les sacrements de + l'Église, vous lacérez les articles de la foi, vous renversez les + temples; ces images qui furent faites pour de saintes + commémorations, vous les brisez et les jetez au feu; enfin, les + chrétiens qui n'embrassent pas votre foi, vous les massacrez. + Quelle fureur ou quelle folie, quelle rage vous agite? Cette foi + que le Dieu tout puissant, que le Fils, que le Saint-Esprit + suscitèrent, instituèrent, exaltèrent, et que de <span class="pagenum"><a id="page128" name="page128"></a>(p. 128)</span> mille + manières, par mille miracles, ils illustrèrent, vous la + persécutez, vous vous efforcez de la renverser et de + l'exterminer.</p> + +<p>C'est vous, vous, qui êtes les aveugles et non ceux à qui + manquent la vue et les yeux. Croyez-vous rester impunis? + Ignorez-vous que, si Dieu n'empêche pas vos violences impies, + s'il souffre que vous soyez plongés plus longtemps dans les + ténèbres et l'erreur, c'est qu'il vous prépare une peine et des + supplices plus grands? Quant à moi, pour vous dire la vérité, si + je n'étais occupée aux guerres anglaises, je serais déjà allée + vous trouver. Mais vraiment, si je n'apprends que vous vous êtes + amendés, je quitterai peut-être les Anglais et je vous courrai + sus, afin que j'extermine par le fer, si je ne le puis autrement, + votre vaine et fougueuse superstition et que je vous ôte ou + l'hérésie ou la vie. Toutefois, si vous préférez revenir à la foi + catholique et à la primitive lumière, envoyez-moi vos + ambassadeurs, je leur dirai ce que vous avez à faire. Si, au + contraire, vous vous obstinez et voulez regimber sous l'éperon, + souvenez-vous de tout ce que vous avez perpétré de forfaits et de + crimes et attendez-vous à me voir venir avec toutes les forces + divines et humaines pour vous rendre tout le mal que vous avez + fait à autrui.</p> + +<p>Donné à Sully, le 23 de mars, aux Bohêmes hérétiques.<a id="footnotetag308" name="footnotetag308"></a><a href="#footnote308" title="Lien vers la note 308"><span class="smaller">[308]</span></a></p> + +<p class="right10"><i>Signé</i>: <span class="smcap">PASQUEREL</span>.</p> +</div> + +<p>Telle est la lettre qui fut expédiée à l'empereur. Qu'avait dit Jeanne +en langage français et champenois? Il n'est pas douteux que le bon +frère ne lui ait terriblement <span class="pagenum"><a id="page129" name="page129"></a>(p. 129)</span> embelli sa lettre. On ne +s'attendait pas à ce que la Pucelle cicéronisât de la sorte; et l'on a +beau dire qu'une sainte alors était propre à tout faire, prophétisait +sur tout sujet et avait le don des langues, une si belle épître +contient beaucoup trop de rhétorique pour une fille que les capitaines +armagnacs eux-mêmes jugeaient simplette. Et pourtant, si l'on va au +fond, on retrouvera dans cette missive, du moins en la seconde moitié, +ces naïvetés un peu rudes, cette assurance enfantine qui se remarquent +dans les vraies missives de Jeanne, et particulièrement dans sa +réponse au comte d'Armagnac<a id="footnotetag309" name="footnotetag309"></a><a href="#footnote309" title="Lien vers la note 309"><span class="smaller">[309]</span></a>, et l'on reconnaîtra en plus d'un +endroit le tour habituel de la sibylle villageoise. Ceci, par exemple, +est tout à fait dans la manière de Jeanne: «Si vous rentrez dans le +giron de la croyance catholique, adressez-moi vos envoyés; je vous +dirai ce que vous avez à faire.» Et sa menace coutumière: +«Attendez-moi avec la plus grande puissance humaine et divine<a id="footnotetag310" name="footnotetag310"></a><a href="#footnote310" title="Lien vers la note 310"><span class="smaller">[310]</span></a>.» +Quant à cette phrase: «Si je n'apprends bientôt votre amendement, +votre rentrée au sein de l'Église, je laisserai peut-être les Anglais +et me tournerai contre vous», on peut soupçonner le moine mendiant, +que les affaires de Charles VII intéressaient beaucoup moins que +celles de l'Église, d'avoir prêté à la Pucelle plus de hâte à partir +pour la croisade qu'elle n'en avait réellement. Pour bon et salutaire +qu'elle crût <span class="pagenum"><a id="page130" name="page130"></a>(p. 130)</span> de prendre la croix, elle n'y aurait pas +consenti, telle que nous la connaissons, avant d'avoir chassé les +Anglais du royaume de France. C'était sa mission, à ce qu'elle +croyait, et elle mit à l'accomplir un esprit de suite, une constance, +une fermeté vraiment admirables. Il est très probable qu'elle dicta au +bon frère une phrase comme celle-ci: «Quand j'aurai bouté les Anglais +hors le royaume, je me tournerai vers vous.» Ce qui explique l'erreur +du frère Pasquerel et l'excuse, c'est que très probablement Jeanne +croyait en finir avec les Anglais en un tournemain, et elle se voyait +déjà distribuant aux Bohêmes renégats et païens bonnes buffes et bons +torchons. L'innocence de la Pucelle perce à travers ce latin de clerc +et l'épître aux Bohêmes rappelle, hélas! le fagot apporté d'un zèle +pieux au bûcher de Jean Huss par la bonne femme dont Jean Huss +lui-même nous enseigne à louer la sainte simplicité.</p> + +<p>On ne peut s'empêcher de songer qu'entre Jeanne et ces hommes sur +lesquels elle crache l'invective et la menace, il y avait beaucoup de +traits communs: la foi, la chasteté, une naïve ignorance, les graves +puérilités de la dévotion, l'idée du devoir pieux, la docilité aux +ordres de Dieu. Zizka avait établi dans son camp cette pureté de +mœurs que la Pucelle s'efforçait d'introduire parmi ses Armagnacs. +Des soldats paysans de Procope à cette paysanne portant l'épée au +milieu des moines mendiants, quelles ressemblances profondes! +<span class="pagenum"><a id="page131" name="page131"></a>(p. 131)</span> D'une part et de l'autre, c'est l'esprit religieux substitué +à l'esprit politique, la peur du péché remplaçant l'obéissance aux +lois civiles, le spirituel introduit dans le temporel. On est pris de +pitié à ce triste spectacle: la béate contre les béats, l'innocente +contre les innocents, la simple contre les simples, l'hérétique contre +les hérétiques; et l'on éprouve un sentiment pénible en songeant que +lorsqu'elle menace d'extermination les disciples de ce Jean Huss, +livré par trahison et brûlé comme hérétique, elle est tout près d'être +elle-même vendue à ses ennemis et condamnée au feu comme sorcière. Si +encore cette lettre dont les esprits élégants, les humanistes, dès +cette époque, eussent haussé les épaules, avait obtenu l'agrément des +théologiens! Mais ceux-là aussi y trouvèrent à reprendre: un canoniste +insigne, inquisiteur zélé de la foi, estima présomptueuses ces menaces +d'une fille à une multitude d'hommes<a id="footnotetag311" name="footnotetag311"></a><a href="#footnote311" title="Lien vers la note 311"><span class="smaller">[311]</span></a>.</p> + +<p>Nous le disions bien qu'elle n'était pas décidée à laisser tout de +suite les Anglais pour courir sus aux Bohêmes. Cinq jours après cette +sommation aux Hussites elle écrivait à ses amis de Reims, et leur +faisait entendre, à mots couverts, qu'ils la verraient bientôt<a id="footnotetag312" name="footnotetag312"></a><a href="#footnote312" title="Lien vers la note 312"><span class="smaller">[312]</span></a>.</p> + +<p>Les partisans du duc Philippe ourdissaient alors des complots dans les +villes de Champagne, notamment à <span class="pagenum"><a id="page132" name="page132"></a>(p. 132)</span> Troyes et à Reims. Le 22 +février 1430, un chanoine et un chapelain furent arrêtés et cités +devant le chapitre comme ayant conspiré pour livrer la ville aux +Anglais. Bien leur fit d'appartenir à l'Église, car, ayant été +condamnés à la prison perpétuelle, ils obtinrent du roi un +adoucissement à leur peine, et le chanoine eut sa grâce entière<a id="footnotetag313" name="footnotetag313"></a><a href="#footnote313" title="Lien vers la note 313"><span class="smaller">[313]</span></a>. +Les échevins et ecclésiastiques de la ville, craignant d'être mal +jugés par delà la Loire, écrivirent à la Pucelle pour la prier de les +blanchir dans l'esprit du roi. Voici la réponse qu'elle fit à leur +supplique<a id="footnotetag314" name="footnotetag314"></a><a href="#footnote314" title="Lien vers la note 314"><span class="smaller">[314]</span></a>:</p> + +<div class="quote"> +<p>Très chiers et bons amis, plese vous savoir que je ay rechu vous + lectres, les quelles font mencion comment on ha raporté au roy + que dedens la bonne cité de Rains il avoit moult de mauvais. + Si<a id="footnotetag315" name="footnotetag315"></a><a href="#footnote315" title="Lien vers la note 315"><span class="smaller">[315]</span></a> veulez sovoir que c'est bien vray que on luy a raporté + voirement et qu'il y enuoit<a id="footnotetag316" name="footnotetag316"></a><a href="#footnote316" title="Lien vers la note 316"><span class="smaller">[316]</span></a> beaucop qui estoient d'une + aliance<a id="footnotetag317" name="footnotetag317"></a><a href="#footnote317" title="Lien vers la note 317"><span class="smaller">[317]</span></a> <span class="pagenum"><a id="page133" name="page133"></a>(p. 133)</span> et qui devoient traïr la ville et metre + les Bourguignons dedens. Et depuis, le roy a bien seu le + contraire, par ce que vous luy en avez envoié la certaineté, dont + il est très content de vous. Et croiez que vous estes bien en sa + grasce et se vous aviez à besongnier, il vous secouroit quant au + regart du siège; et cognoist bien que vous avez moult à souffrir + pour la durté que vous font ces traitres Bourguignons + adversaires: si vous en delivrera au plesir Dieu bien brief, + c'est asovoir le plus tost que fere se pourra. Si vous prie et + requier, très chiers amis<a id="footnotetag318" name="footnotetag318"></a><a href="#footnote318" title="Lien vers la note 318"><span class="smaller">[318]</span></a>, que vous guardes bien la dicte + bonne cité pour le roy<a id="footnotetag319" name="footnotetag319"></a><a href="#footnote319" title="Lien vers la note 319"><span class="smaller">[319]</span></a> et que vous faciez très bon guet. + Vous orrez bien tost de mes bones nouvelles plus à plain. Autre + chose<a id="footnotetag320" name="footnotetag320"></a><a href="#footnote320" title="Lien vers la note 320"><span class="smaller">[320]</span></a> quant a présent ne vous rescri fors que toute + Bretaigne est fransaise et doibt le duc envoier au roy. iij.<a id="footnotetag321" name="footnotetag321"></a><a href="#footnote321" title="Lien vers la note 321"><span class="smaller">[321]</span></a> + mille combatans paiez pour ij. moys. À Dieu vous commant qui soit + guarde de vous.</p> + +<p>Escript à Sully, le xxviij<sup>e</sup> de mars.</p> + +<p class="right10"><span class="smcap">JEHANNE</span><a id="footnotetag322" name="footnotetag322"></a><a href="#footnote322" title="Lien vers la note 322"><span class="smaller">[322]</span></a>.</p> + +<p><i>Sur l'adresse</i>: À mes très chiers et bons amis les gens + d'église, eschevins, bourgois et habitans et maistres de la bonne + ville de Reyms<a id="footnotetag323" name="footnotetag323"></a><a href="#footnote323" title="Lien vers la note 323"><span class="smaller">[323]</span></a>.</p> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a id="page134" name="page134"></a>(p. 134)</span> La Pucelle se faisait illusion sur l'aide qu'on pouvait +attendre du duc de Bretagne. Prophétesse, elle ressemblait à toutes +les prophétesses: elle ignorait ce qui se passait autour d'elle. +Malgré ses malheurs, elle se croyait toujours heureuse; elle ne +doutait pas plus d'elle qu'elle ne doutait de Dieu et avait hâte de +poursuivre l'accomplissement de sa mission. «Vous aurez bientôt de mes +nouvelles», disait-elle aux habitants de Reims. Quelques jours après +elle quittait Sully pour aller combattre en France à l'expiration des +trêves.</p> + +<p>On a dit qu'elle feignit une promenade, un divertissement, et qu'elle +partit sans prendre congé du roi, que ce fut une sorte de ruse +innocente et de fuite généreuse<a id="footnotetag324" name="footnotetag324"></a><a href="#footnote324" title="Lien vers la note 324"><span class="smaller">[324]</span></a>. Les choses se passèrent de tout +autre manière<a id="footnotetag325" name="footnotetag325"></a><a href="#footnote325" title="Lien vers la note 325"><span class="smaller">[325]</span></a>. La Pucelle leva une compagnie de cent cavaliers +environ, soixante-huit archers et arbalétriers et deux trompettes, +sous le commandement du capitaine lombard Barthélémy Baretta<a id="footnotetag326" name="footnotetag326"></a><a href="#footnote326" title="Lien vers la note 326"><span class="smaller">[326]</span></a>. Il +y avait dans cette compagnie des gens d'armes italiens portant la +grande targe, comme ceux qui étaient venus à Orléans, lors du siège; +et <span class="pagenum"><a id="page135" name="page135"></a>(p. 135)</span> peut-être était-ce les mêmes<a id="footnotetag327" name="footnotetag327"></a><a href="#footnote327" title="Lien vers la note 327"><span class="smaller">[327]</span></a>. Elle partit à la tête +de cette compagnie, avec ses frères et son maître d'hôtel, le sire +Jean d'Aulon. Elle était dans les mains de Jean d'Aulon et Jean +d'Aulon était dans les mains du sire de la Trémouille, à qui il devait +de l'argent<a id="footnotetag328" name="footnotetag328"></a><a href="#footnote328" title="Lien vers la note 328"><span class="smaller">[328]</span></a>. Le bon écuyer n'aurait pas suivi la Pucelle malgré +le roi.</p> + +<p>Le béguinage volant venait d'être déchiré par un schisme. Frère +Richard, alors en grande faveur auprès de la reine Marie, et qui +prêchait les Orléanais pendant le carême de 1430<a id="footnotetag329" name="footnotetag329"></a><a href="#footnote329" title="Lien vers la note 329"><span class="smaller">[329]</span></a>, restait sur la +Loire avec Catherine de La Rochelle. Jeanne emmena Pierronne et +l'autre Bretonne plus jeune<a id="footnotetag330" name="footnotetag330"></a><a href="#footnote330" title="Lien vers la note 330"><span class="smaller">[330]</span></a>. Si elle s'en allait en France, ce +n'était point à l'insu ni contre le gré du roi et de son conseil. Très +probablement le chancelier du royaume l'avait réclamée au sire de la +Trémouille pour la mettre en œuvre dans la prochaine campagne et +l'employer contre les Bourguignons qui menaçaient son gouvernement de +Beauvais et sa ville de Reims<a id="footnotetag331" name="footnotetag331"></a><a href="#footnote331" title="Lien vers la note 331"><span class="smaller">[331]</span></a>. Il ne lui donnait guère d'amitié; +mais il s'était déjà servi d'elle et pensait s'en servir encore. +Peut-être même <span class="pagenum"><a id="page136" name="page136"></a>(p. 136)</span> songeait-on à faire avec elle une nouvelle +tentative sur Paris.</p> + +<p>Le roi n'avait pas renoncé à reprendre sa grand'ville par les moyens +qu'il préférait. Ces mêmes religieux, auteurs du tumulte soulevé d'une +rive de la Seine à l'autre, le jour de la Nativité de la Vierge, +pendant l'assaut de la porte Saint-Honoré, les carmes de Melun, +n'avaient cessé durant tout le carême d'aller, déguisés en artisans, +de Paris à Sully et de Sully à Paris, pour négocier avec quelques +notables habitants l'entrée des gens du roi dans la cité rebelle. Le +prieur des carmes de Melun dirigeait le complot<a id="footnotetag332" name="footnotetag332"></a><a href="#footnote332" title="Lien vers la note 332"><span class="smaller">[332]</span></a>. Jeanne, à ce +qu'on peut croire, l'avait vu lui-même, ou quelqu'un de ses religieux. +Il est vrai que depuis le 22 mars ou le 23 au plus tard on n'ignorait +plus à Sully que la conspiration eût été découverte<a id="footnotetag333" name="footnotetag333"></a><a href="#footnote333" title="Lien vers la note 333"><span class="smaller">[333]</span></a>; mais +peut-être gardait-on encore quelque espoir de réussir. C'était à Melun +que Jeanne se rendait avec sa compagnie, et il est bien difficile de +croire qu'aucun lien ne reliait le complot des carmes et l'expédition +de la Pucelle.</p> + +<p>Pourquoi les conseillers de Charles VII eussent-ils renoncé à la +mettre en œuvre? Il n'est pas vrai qu'elle parût moins céleste aux +Français et moins diabolique aux Anglais. Ses désastres, ignorés ou +mal connus ou <span class="pagenum"><a id="page137" name="page137"></a>(p. 137)</span> recouverts par des bruits de victoires, +n'avaient pas détruit l'idée qu'une puissance invincible résidait en +elle. Au moment où la pauvre fille était si malmenée sous la ville de +La Charité, avec la fleur de la noblesse française, par un ancien +apprenti maçon, on annonçait, en pays bourguignon, qu'elle enlevait +d'assaut un château à cinq lieues de Paris<a id="footnotetag334" name="footnotetag334"></a><a href="#footnote334" title="Lien vers la note 334"><span class="smaller">[334]</span></a>. Elle restait +merveilleuse; les bourgeois, les hommes d'armes de son parti croyaient +encore en elle. Et quant aux Godons, depuis le Régent jusqu'au dernier +coustiller de l'armée, ils en avaient peur comme aux jours d'Orléans +et de Patay. En ce moment, tant de soldats et de capitaines anglais +refusaient de passer en France, qu'il fallut faire contre eux un édit +spécial<a id="footnotetag335" name="footnotetag335"></a><a href="#footnote335" title="Lien vers la note 335"><span class="smaller">[335]</span></a>, et ils découvraient plus d'une raison sans doute de ne +point aller dans un pays où désormais il y avait des horions à +recevoir et peu de bons morceaux à prendre; mais plusieurs +renaclaient, épouvantés par les enchantements de la Pucelle<a id="footnotetag336" name="footnotetag336"></a><a href="#footnote336" title="Lien vers la note 336"><span class="smaller">[336]</span></a>.</p> + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page138" name="page138"></a>(p. 138)</span> CHAPITRE VI<br> + +<span class="smaller">LA PUCELLE AUX FOSSÉS DE MELUN. — LE SEIGNEUR DE L'OURS. — L'ENFANT DE +LAGNY.</span></h2> + + +<p>Devenue chef de soudoyers, Jeanne est sous les murs de Melun dans la +semaine de Pâques<a id="footnotetag337" name="footnotetag337"></a><a href="#footnote337" title="Lien vers la note 337"><span class="smaller">[337]</span></a>. Elle arrive à temps pour se battre: les trêves +viennent d'expirer<a id="footnotetag338" name="footnotetag338"></a><a href="#footnote338" title="Lien vers la note 338"><span class="smaller">[338]</span></a>. La ville, qui s'était depuis peu tournée +française<a id="footnotetag339" name="footnotetag339"></a><a href="#footnote339" title="Lien vers la note 339"><span class="smaller">[339]</span></a>, refusa-t-elle de recevoir avec sa compagnie celle qui +lui venait d'un si bon cœur? Il y a apparence. Jeanne put-elle +communiquer avec les carmes de Melun? C'est probable. Quelle disgrâce +lui advint-il aux portes de la ville? Fut-elle malmenée par une troupe +de Bourguignons? Nous n'en savons rien. Mais, étant sur les <span class="pagenum"><a id="page139" name="page139"></a>(p. 139)</span> +fossés, elle entendit madame sainte Catherine et madame sainte +Marguerite qui lui disaient: «Tu seras prise avant qu'il soit la +Saint-Jean.»</p> + +<p>Et elle les suppliait:</p> + +<p>—Quand je serai prise, que je meure tout aussitôt sans longue +épreuve.</p> + +<p>Et les Voix lui répétaient qu'elle serait prise et qu'ainsi fallait-il +qu'il fût fait.</p> + +<p>Et elles ajoutaient doucement:</p> + +<p>—Ne t'ébahis pas et prends tout en gré. Dieu t'aidera<a id="footnotetag340" name="footnotetag340"></a><a href="#footnote340" title="Lien vers la note 340"><span class="smaller">[340]</span></a>.</p> + +<p>La Saint-Jean venait le 24 juin, dans moins de soixante-dix jours.</p> + +<p>Depuis lors, Jeanne demanda maintes fois à ses saintes l'heure où elle +serait prise, mais elles ne la lui dirent pas, et, dans ce doute, elle +résolut de n'en plus faire à sa tête, et de suivre l'avis des +capitaines<a id="footnotetag341" name="footnotetag341"></a><a href="#footnote341" title="Lien vers la note 341"><span class="smaller">[341]</span></a>.</p> + +<p>Au mois de mai, se rendant de Melun à Lagny-sur-Marne, elle dut passer +par Corbeil. C'est probablement à cette époque et dans sa compagnie +que les deux dévotes femmes de Bretagne bretonnante, Pierronne et sa +jeune sœur spirituelle, furent prises à Corbeil par les +Anglais<a id="footnotetag342" name="footnotetag342"></a><a href="#footnote342" title="Lien vers la note 342"><span class="smaller">[342]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page140" name="page140"></a>(p. 140)</span> La ville de Lagny était, depuis huit mois, dans l'obéissance +du roi Charles et sous le gouvernement de messire Ambroise de Loré, +qui faisait bonne guerre aux Anglais de Paris et d'ailleurs<a id="footnotetag343" name="footnotetag343"></a><a href="#footnote343" title="Lien vers la note 343"><span class="smaller">[343]</span></a>. +Messire Ambroise de Loré était pour lors absent; mais son lieutenant, +messire Jean Foucault, commandait la garnison. Peu de temps après la +venue de Jeanne en cette ville, on apprit qu'une compagnie de trois à +quatre cents Picards et Champenois, qui tenaient le parti du duc de +Bourgogne, après avoir battu l'Île-de-France, s'en retournaient en +Picardie avec un butin copieux. Ils avaient pour capitaine un vaillant +homme d'armes, nommé Franquet d'Arras<a id="footnotetag344" name="footnotetag344"></a><a href="#footnote344" title="Lien vers la note 344"><span class="smaller">[344]</span></a>. Les Français avisèrent à +leur couper la retraite; ils sortirent de la ville, sous le +commandement de messire Jean Foucault, de messire Geoffroy de +Saint-Bellin, de sire Hugh de Kennedy, Écossais, et du capitaine +Barretta<a id="footnotetag345" name="footnotetag345"></a><a href="#footnote345" title="Lien vers la note 345"><span class="smaller">[345]</span></a>.</p> + +<p>La Pucelle les accompagnait. Ils rencontrèrent les Bourguignons proche +Lagny, sans réussir à les surprendre. Les archers de messire Franquet +avaient eu le temps de mettre pied à terre et de se ranger contre une +haie à la manière anglaise. Les gens du roi Charles <span class="pagenum"><a id="page141" name="page141"></a>(p. 141)</span> +n'étaient guère plus nombreux que leurs ennemis. Un clerc d'alors, un +Français, dont rien n'altérait l'ingénuité naturelle, écrivant sur +cette affaire, constate, avec un candide bon sens, que cette faible +supériorité du nombre rendait l'entreprise très dure et très âpre à +son parti<a id="footnotetag346" name="footnotetag346"></a><a href="#footnote346" title="Lien vers la note 346"><span class="smaller">[346]</span></a>. Et véritablement, le combat fut acharné. Les +Bourguignons avaient grand'peur de la Pucelle, parce qu'ils croyaient +qu'elle était sorcière et commandait des armées de diables; pourtant +ils combattirent avec une belle vaillance. Deux fois les Français +furent repoussés, mais ils revinrent à la charge, et finalement les +Bourguignons furent tous tués ou pris<a id="footnotetag347" name="footnotetag347"></a><a href="#footnote347" title="Lien vers la note 347"><span class="smaller">[347]</span></a>.</p> + +<p>Les vainqueurs s'en retournèrent à Lagny, chargés de butin, et +emmenant les prisonniers, parmi lesquels se trouvait messire Franquet +d'Arras. Gentilhomme et ayant seigneurie, il devait s'attendre à être +mis à rançon, selon l'usage. Il fut réclamé au soldat qui l'avait pris +par Jean de Troissy, bailli de Senlis<a id="footnotetag348" name="footnotetag348"></a><a href="#footnote348" title="Lien vers la note 348"><span class="smaller">[348]</span></a> et par la Pucelle; et c'est +à la Pucelle qu'il échut enfin<a id="footnotetag349" name="footnotetag349"></a><a href="#footnote349" title="Lien vers la note 349"><span class="smaller">[349]</span></a>. L'avait-elle obtenu par finance? +C'est ce qui semblerait le plus probable, car les soldats n'avaient +pas coutume d'offrir en don gracieux leurs prisonniers nobles, dont +ils pouvaient tirer pécune, mais, interrogée à ce sujet, elle répondit +qu'elle n'était pas monnayeur ni trésorier de France <span class="pagenum"><a id="page142" name="page142"></a>(p. 142)</span> pour +bailler de l'argent. Nous devons donc supposer que quelqu'un paya pour +elle. Quoi qu'il en soit, on lui remit le capitaine Franquet d'Arras, +et elle s'occupa de l'échanger contre un prisonnier des Anglais. +L'homme qu'elle voulait délivrer de cette manière était un Parisien, +qu'on appelait le seigneur de l'Ours<a id="footnotetag350" name="footnotetag350"></a><a href="#footnote350" title="Lien vers la note 350"><span class="smaller">[350]</span></a>.</p> + +<p>Il n'était pas gentilhomme et n'avait d'écu que l'enseigne de son +hôtellerie. En ce temps-là, l'usage était de donner de la seigneurie +aux maîtres des grands hôtels de Paris. C'est ainsi qu'on appelait +seigneur du Boisseau, Colin qui tenait un hôtel à la porte du Temple. +L'hôtel de l'Ours était sis en la rue Saint-Antoine, proche la porte +qui se nommait exactement porte Baudoyer, mais que les bonnes gens +appelaient porte Baudet, Baudet ayant sur Baudoyer le double avantage +d'être plus court et de se comprendre mieux<a id="footnotetag351" name="footnotetag351"></a><a href="#footnote351" title="Lien vers la note 351"><span class="smaller">[351]</span></a>. C'était une +hôtellerie ancienne et renommée, fameuse à l'égal des plus fameuses: +le logis de l'<i>Arbre sec</i>, dans la rue de ce nom, la <i>Fleur de Lis</i>, +près du Pont Neuf, l'<i>Épée</i> de la rue Saint-Denis, et le <i>Chapeau +fétu</i> de la rue Croix-du-Tirouer. Sous le roi Charles V, l'Ours était +déjà très fréquenté; les broches y tournaient dans les vastes +cheminées, et l'on y trouvait pain chaud, harengs frais et vin +d'Auxerre à plein tonneau. Mais <span class="pagenum"><a id="page143" name="page143"></a>(p. 143)</span> depuis lors, les pilleries +des gens de guerre avaient ruiné la contrée, et les voyageurs ne s'y +aventuraient pas, de peur d'être dépouillés et tués; les chevaliers et +les pèlerins ne venaient plus dans la ville. Seuls, les loups y +entraient le soir et dévoraient dans les rues les petits enfants. Il +n'y avait plus nulle part ni pain dans la huche, ni fagots dans la +cheminée. Les Armagnacs et les Bourguignons avaient bu tout le vin, +ravagé toutes les vignes, et il ne restait plus au cellier qu'une +mauvaise piquette de pommes et de prunelles<a id="footnotetag352" name="footnotetag352"></a><a href="#footnote352" title="Lien vers la note 352"><span class="smaller">[352]</span></a>.</p> + +<p>Le seigneur de l'Ours réclamé par la Pucelle s'appelait Jaquet +Guillaume<a id="footnotetag353" name="footnotetag353"></a><a href="#footnote353" title="Lien vers la note 353"><span class="smaller">[353]</span></a>. Bien que Jeanne, comme tout le monde, lui donnât du +seigneur, il n'est pas certain qu'il gouvernât en personne l'hôtel, ni +même que l'hôtel restât ouvert dans ces années de ruines et de +désolation. Ce qui est sur, c'est qu'il était propriétaire de la +maison où pendait cette enseigne de l'Ours. Il la tenait du chef de sa +femme Jeannette; et voici comment ce bien était venu en sa possession. +Quatorze ans auparavant, alors que le roi Henri V n'était pas encore +débarqué en France avec sa chevalerie, le seigneur de l'Ours était un +sergent d'armes du roi, nommé Jean Roche, homme riche et de bonne +renommée, tout à la dévotion du duc de Bourgogne. C'est ce <span class="pagenum"><a id="page144" name="page144"></a>(p. 144)</span> +qui le perdit. Les Armagnacs occupaient alors Paris. En l'an 1416, +Jean Roche se concerta avec quelques bourgeois pour les chasser hors +de la ville. Le complot devait être mis à exécution le jour de Pâques, +qui tombait, cette année-là, le 29 avril. Mais les Armagnacs le +découvrirent; ils jetèrent les conspirateurs en prison et les firent +passer en justice. Le premier samedi de mai, le seigneur de l'Ours fut +mené en charrette aux halles, avec Durand de Brie, teinturier, maître +de la soixantaine des arbalétriers de Paris, et Jean Perquin, +épinglier et marchand de laiton. Ils eurent tous trois la tête +tranchée, et le corps du seigneur de l'Ours fut pendu à Montfaucon où +il resta jusqu'à l'entrée des Bourguignons. Six semaines après leur +venue, au mois de juillet de l'an 1418, il fut dépendu du gibet, avec +plusieurs autres, et mis en terre sainte<a id="footnotetag354" name="footnotetag354"></a><a href="#footnote354" title="Lien vers la note 354"><span class="smaller">[354]</span></a>.</p> + +<p>Il faut savoir que la veuve de Jean Roche avait d'un premier lit une +fille nommée Jeannette, qui épousa un certain Bernard le Breton et en +secondes noces Jaquet Guillaume, qui n'était pas riche. Il devait de +l'argent à maître Jean Fleury, clerc notaire et secrétaire du roi. Sa +femme n'était pas mieux dans ses affaires; les biens de son beau-père +avaient été confisqués et elle avait dû racheter une part de son +héritage maternel. En l'an 1424, les deux époux se trouvant à court +d'argent, <span class="pagenum"><a id="page145" name="page145"></a>(p. 145)</span> il leur arriva de vendre une maison en dissimulant +l'hypothèque dont elle était grevée. Mis en prison sur la plainte de +l'acquéreur, ils aggravèrent leur cas en subornant deux témoins dont +l'un était curé, l'autre chambrière. Ils obtinrent heureusement des +lettres de rémission<a id="footnotetag355" name="footnotetag355"></a><a href="#footnote355" title="Lien vers la note 355"><span class="smaller">[355]</span></a>.</p> + +<p>Les époux Jaquet Guillaume étaient mal en point; toutefois, il leur +restait, de l'héritage de Jean Roche, l'hôtel situé proche la place +Baudet, à l'enseigne de l'Ours; Jaquet Guillaume en portait le titre. +Ce second seigneur de l'Ours devait se montrer aussi armagnac que +l'autre s'était montré bourguignon et le payer du même prix.</p> + +<p>Il y avait six ans qu'il était sorti de prison quand, au mois de mars +1430, fut ourdi par les carmes de Melun et plusieurs bourgeois de +Paris le complot dont nous parlions à l'occasion du départ de Jeanne +pour l'Île-de-France. Ce n'était pas le premier dans lequel ces carmes +se fussent entremis; ils avaient fomenté ce tumulte qui faillit +éclater le jour de la Nativité, à l'heure où la Pucelle donnait +l'assaut près de la porte Saint-Honoré; mais jamais tant de bourgeois +et de la notables n'étaient entrés dans une conspiration. Un clerc des +Comptes, maître Jean de la Chapelle, et deux procureurs du Châtelet, +maître Renaud Savin et maître Pierre Morant, un très riche homme nommé +Jean de <span class="pagenum"><a id="page146" name="page146"></a>(p. 146)</span> Calais, des bourgeois, des marchands, des artisans, +plus de cent cinquante personnes, tenaient les fils de cette vaste +trame, et dans le nombre, Jaquet Guillaume, seigneur de l'Ours.</p> + +<p>Les carmes de Melun dirigeaient l'entreprise; ils allaient, sous un +habit d'artisan, du roi aux bourgeois et des bourgeois au roi; +établissaient le concert entre ceux du dedans et ceux du dehors, +réglaient tous les détails de l'action. L'un d'eux demanda aux +affiliés l'engagement écrit de faire entrer les gens du roi dans la +ville. Une telle exigence donnerait à croire que la plupart des +conspirateurs étaient aux gages du conseil royal.</p> + +<p>En retour, ces religieux apportaient des lettres d'abolition signées +par le roi. En effet, pour disposer les habitants de Paris à recevoir +celui qu'ils nommaient encore le dauphin, il fallait leur donner avant +tout l'assurance d'une amnistie pleine et entière. Depuis plus de dix +ans que les Anglais et les Bourguignons tenaient la ville, personne ne +se sentait tout à fait sans reproches envers le souverain légitime et +les gens de son parti. Et l'on tenait d'autant plus à ce que Charles +de Valois oubliât le passé, qu'on se rappelait les vengeances cruelles +des Armagnacs après la chute des Bouchers.</p> + +<p>Un des conjurés, nommé Jaquet Perdriel, était d'avis de faire publier +à son de trompe, un dimanche, à la porte Baudet, les lettres +d'abolition.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page147" name="page147"></a>(p. 147)</span> —Je ne doute pas, disait-il, que les artisans qui se +trouveront en grand nombre à l'entendre, ne se tournent avec nous.</p> + +<p>Il comptait les entraîner jusqu'à la porte Saint-Antoine pour l'ouvrir +aux gens du roi de France, embusqués près de là.</p> + +<p>Quatre-vingts ou cent Écossais, vêtus comme des Anglais et portant la +croix de Saint-André, devaient entrer alors dans la ville, amenant du +bétail et de la marée.</p> + +<p>—Ils entreront bonnement par la porte Saint-Denys, annonçait +Perdriel, et s'en empareront. C'est alors que les gens du roi feront +leur entrée en force par la porte Saint-Antoine.</p> + +<p>Le plan fut jugé bon; toutefois il parut préférable de faire entrer +les gens du roi par la porte Saint-Denys.</p> + +<p>Le dimanche 12 mars, deuxième dimanche de carême, maître Jean de la +Chapelle réunit au cabaret de la <i>Pomme de Pin</i> le procureur Renaud +Savin à plusieurs autres conspirateurs, afin de s'entendre avec eux +sur ce qu'il y avait de mieux à faire. Ils décidèrent que, au jour +fixé, Jean de Calais, sous prétexte d'aller à la Chapelle-Saint-Denys +voir ses vignes, rejoindrait hors des murs les gens du roi, se ferait +connaître d'eux en déployant un étendard blanc, et les introduirait +dans la ville. On arrêta en outre que maître Morant et beaucoup +d'habitants avec lui se tiendraient dans les tavernes de la rue +Saint-Denys pour soutenir les Français à leur entrée. C'est en quelque +taverne de cette <span class="pagenum"><a id="page148" name="page148"></a>(p. 148)</span> rue que devait se trouver le seigneur de +l'Ours, qui, logeant tout proche, se faisait fort d'amener quantité de +gens du voisinage.</p> + +<p>Les conjurés, parfaitement d'accord, n'attendaient plus que d'être +avisés du jour choisi par le conseil royal et ils croyaient bien que +le coup était pour le prochain dimanche. Mais frère Pierre d'Allée, +prieur des carmes de Melun, fut pris le 21 mars par les Anglais. Mis à +la torture, il avoua le complot et nomma ses complices. Sur les +indications du religieux, plus de cent cinquante personnes furent +arrêtées et jugées. Le 8 avril, vigile de Pâques fleuries, on vit sept +des plus notables menés en charrette aux halles. C'étaient: Jean de la +Chapelle, clerc des Comptes; Renaud Savin et Pierre Morant, procureurs +au Châtelet; Guillaume Perdriau, Jean le François, dit Baudrin; Jean +le Rigueur, boulanger, et Jaquet Guillaume, seigneur de l'Ours. Ils +eurent tous les sept la tête tranchée par la main du bourreau, qui +coupa ensuite par quartiers les corps de Jean de la Chapelle et de +Baudrin.</p> + +<p>Jaquet Perdriel n'y perdit que son avoir. Et Jean de Calais obtint +bientôt des lettres de rémission. Jeannette, femme de Jaquet +Guillaume, fut bannie du royaume, ses biens confisqués<a id="footnotetag356" name="footnotetag356"></a><a href="#footnote356" title="Lien vers la note 356"><span class="smaller">[356]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page149" name="page149"></a>(p. 149)</span> Comment la Pucelle connaissait-elle le seigneur de l'Ours? +Les carmes de Melun le lui avaient peut-être recommandé, et c'était +sur leur avis qu'elle le réclamait. Peut-être aussi l'avait-elle vu, +au mois de septembre 1429, à Saint-Denys ou sous les murs de Paris et +s'était-il dès lors engagé à servir le dauphin et ses gens. Pourquoi +s'efforçait-on, à Lagny, de sauver celui-là seul, entre les cent +cinquante Parisiens arrêtés sur la dénonciation de frère Pierre +d'Allée? Plutôt que Renaud Savin et Pierre Morant, procureurs au +Châtelet, plutôt que Jean de la Chapelle, clerc des Comptes, pourquoi +choisir le plus chétif de la bande? Et comment espérait-on échanger un +homme accusé de trahison contre un prisonnier de guerre? Tout cela est +pour nous obscur et voilé.</p> + +<p>Jeanne, dans les premiers jours de mai, ne savait pas encore ce que +Jaquet Guillaume était devenu. Quand elle apprit qu'il avait été mis à +mort par justice, elle en fut vivement dépitée et peinée. Elle n'en +considérait pas moins Franquet comme un capitaine pris à rançon. Mais +le bailli de Senlis, qui voulait, on ne sait pourquoi, la perte de ce +capitaine, profita du ressentiment qu'inspirait à la Pucelle la male +mort de Jaquet Guillaume, pour obtenir d'elle qu'elle lui livrât son +prisonnier.</p> + +<p>Il lui représenta que cet homme avait commis des meurtres, des larcins +à foison et qu'il était traître, et qu'en conséquence il convenait de +le mettre en jugement.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page150" name="page150"></a>(p. 150)</span> —Vous voulez faire grand tort à la justice, lui dit-il, en +délivrant ce Franquet.</p> + +<p>Ces raisons la décidèrent, ou plutôt elle céda aux instances du +bailli.</p> + +<p>—Puisque mon homme est mort, dit-elle, que je voulais avoir, faites +de ce Franquet ce que vous devrez faire par justice<a id="footnotetag357" name="footnotetag357"></a><a href="#footnote357" title="Lien vers la note 357"><span class="smaller">[357]</span></a>.</p> + +<p>C'est ainsi qu'elle livra son prisonnier. Fit-elle bien ou mal? Avant +d'en décider, il faudrait se demander s'il lui était possible de faire +autrement. Elle était la Pucelle du Seigneur, l'ange du Dieu des +armées, c'est entendu. Mais les chefs de guerre, les capitaines ne +tenaient pas grand compte de ce qu'elle disait; quant au bailli, +c'était l'homme du roi, un très noble homme et puissant.</p> + +<p>Il jugea lui-même, assisté des gens de justice de Lagny. L'accusé +confessa qu'il était meurtrier, larron et traître. Il faut l'en +croire; mais on peut douter qu'il le fût plus que la plupart des +hommes d'armes armagnacs ou bourguignons, plus qu'un damoiseau de +Commercy ou un Guillaume de Flavy, par exemple. Il fut condamné à +mort.</p> + +<p>Jeanne consentit qu'on le fît mourir, s'il l'avait mérité, puisqu'il +avait confessé ses crimes<a id="footnotetag358" name="footnotetag358"></a><a href="#footnote358" title="Lien vers la note 358"><span class="smaller">[358]</span></a>. Il eut la tête tranchée.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page151" name="page151"></a>(p. 151)</span> À la nouvelle de l'indigne traitement infligé à messire +Franquet, les Bourguignons firent éclater leur douleur et leur +indignation<a id="footnotetag359" name="footnotetag359"></a><a href="#footnote359" title="Lien vers la note 359"><span class="smaller">[359]</span></a>. Il semble que, dans cette affaire, le bailli de +Senlis et les gens de justice de Lagny aient agi contre l'usage. +Toutefois, pour en juger, nous ne connaissons pas assez bien les +circonstances de la cause. Peut-être le roi de France, pour une raison +que nous ignorons, réclama-t-il ce prisonnier. Il en avait le droit, à +la condition de verser à la Pucelle le prix de la rançon. Un homme de +guerre de cette époque, expert en tout ce qui touche l'honneur des +armes, l'auteur du <i>Jouvencel</i>, parle sans blâme, en ses fictions +chevaleresques, du sage Amydas, roi d'Amydoine, qui, apprenant que, +dans une bataille, un de ses ennemis, le sire de Morcellet, a été pris +à rançon, s'écrie que c'est le plus traître du monde, le rachète à +beaux deniers comptants et aussitôt l'envoie au prévôt de la ville et +aux officiers de son conseil, pour qu'il soit fait de lui +justice<a id="footnotetag360" name="footnotetag360"></a><a href="#footnote360" title="Lien vers la note 360"><span class="smaller">[360]</span></a>. Telle était la prérogative royale.</p> + +<p>Soit que la vie des camps l'eût endurcie, soit plutôt qu'elle fût, +comme toutes les extatiques, sujette à de brusques changements +d'humeur, elle ne montrait plus à Lagny la douceur du soir de Patay. +Cette vierge qui naguère, dans les batailles, n'avait d'arme que son +étendard, maintenant se servait d'une épée trouvée à <span class="pagenum"><a id="page152" name="page152"></a>(p. 152)</span> Lagny +même, de l'épée d'un Bourguignon, parce qu'elle était propre à donner +bonnes buffes et bons torchons. À quoi ceux qui la regardaient comme +un ange du ciel, le bon frère Pasquerel, par exemple, pouvaient +répondre que l'archange saint Michel, qui portait l'étendard des +milices célestes, brandissait aussi l'épée flamboyante. Et dans le +fait, Jeanne restait une sainte.</p> + +<p>Tandis qu'elle se trouvait à Lagny, on vint lui dire qu'un enfant +était mort en naissant et n'avait pas pu recevoir le baptême<a id="footnotetag361" name="footnotetag361"></a><a href="#footnote361" title="Lien vers la note 361"><span class="smaller">[361]</span></a>. +Entré dans le ventre de la mère au moment où elle conçut, le diable +tenait l'âme de cet enfant qui, faute d'eau, était mort ennemi de son +Créateur. Aussi le sort de cette âme inspirait-il les plus vives +inquiétudes; quelques-uns pensaient qu'elle était dans les limbes, à +jamais privée de la vue de Dieu, mais l'opinion la plus suivie et la +plus solide était qu'elle bouillait dans l'enfer; car saint Augustin a +démontré que les petites âmes comme les grandes sont damnées par +l'effet du péché originel. Et le moyen de penser autrement, si, par la +faute d'Ève, la ressemblance divine était complètement effacée en cet +enfant? Il était voué à la mort éternelle. Et dire que par un peu +d'eau la mort eût été détruite! Un tel malheur affligeait non +seulement les parents de la pauvre créature, mais aussi les voisins et +tous les bons chrétiens de la ville de Lagny. Le corps fut porté dans +l'église de Saint-Pierre et déposé <span class="pagenum"><a id="page153" name="page153"></a>(p. 153)</span> devant une image de +Notre-Dame qui était l'objet d'une grande vénération depuis la peste +de l'année 1128. Comme elle guérissait le mal des ardents, on la nomma +Notre-Dame-des-Ardents et, quand il n'y eut plus d'ardents, on +l'appela Notre-Dame-des-Aidants; ou plutôt des Aidances, c'est-à-dire +des secours, car elle fut trouvée secourable en de grandes +nécessités<a id="footnotetag362" name="footnotetag362"></a><a href="#footnote362" title="Lien vers la note 362"><span class="smaller">[362]</span></a>.</p> + +<p>Les jeunes filles de la ville s'agenouillèrent devant elle autour du +corps et la prièrent d'intercéder auprès de son divin Fils pour que +cet enfant pût participer à la rédemption accomplie par le +Sauveur<a id="footnotetag363" name="footnotetag363"></a><a href="#footnote363" title="Lien vers la note 363"><span class="smaller">[363]</span></a>. Dans des cas semblables la très Sainte Vierge ne +refusait pas toujours sa puissante entremise. Il convient de rapporter +ici le miracle qu'elle avait accompli trente-sept ans auparavant.</p> + +<p>En 1393, à Paris, une créature pécheresse, se trouvant enceinte, cacha +sa grossesse et, venue à son terme, se délivra elle-même. Et, après +avoir enfoncé des linges dans la gorge de la fille dont elle était +accouchée, elle l'alla jeter à la voirie, hors de la porte +Saint-Martin-des-Champs. Mais un chien flaira le corps et, grattant +les immondices avec ses pattes, le découvrit. Une femme dévote, qui +passait d'aventure, prit ce pauvre petit corps sans vie, le porta, +suivie de plus de quatre cents personnes, à l'église +Saint-Martin-des-Champs, le <span class="pagenum"><a id="page154" name="page154"></a>(p. 154)</span> déposa sur l'autel de +Notre-Dame, se mit à genoux, et, avec la foule du peuple et les +religieux de l'abbaye, pria de son mieux la Sainte Vierge, afin que +cette innocente ne fût point éternellement damnée. L'enfant remua un +peu, ouvrit les yeux, vomit le linge qui lui bouchait la gorge et +poussa de grands cris. Un prêtre la baptisa sur l'autel de Notre-Dame +et lui imposa le nom de Marie. Elle prit le sein d'une nourrice qu'on +avait amenée, vécut trois heures, puis mourut et fut portée en terre +sainte<a id="footnotetag364" name="footnotetag364"></a><a href="#footnote364" title="Lien vers la note 364"><span class="smaller">[364]</span></a>.</p> + +<p>Les résurrections d'enfants morts sans baptême étaient fréquentes à +cette époque. Cette sainte abbesse qui, dans le moment que Jeanne se +trouvait à Lagny, vivait à Moulins parmi les clarisses réformées, +Colette de Corbie, avait naguère, dans la ville de Besançon, ramené au +jour deux de ces pauvres créatures: une fille qui, portée sur les +fonts, reçut le nom de Colette et devint ensuite religieuse puis +abbesse à Pont-à-Mousson; un enfant mâle, enterré, disait-on, depuis +deux jours et que la servante des pauvres désigna comme prédestiné. Il +mourut à six mois, vérifiant ainsi la prophétie de la sainte<a id="footnotetag365" name="footnotetag365"></a><a href="#footnote365" title="Lien vers la note 365"><span class="smaller">[365]</span></a>.</p> + +<p>Jeanne connaissait sans doute ce genre de miracle. À une dizaine de +lieues de Domremy, dans le duché de <span class="pagenum"><a id="page155" name="page155"></a>(p. 155)</span> Lorraine, près de +Lunéville, s'élevait un sanctuaire de Notre-Dame-des-Aviots, dont elle +avait probablement entendu parler. Notre-Dame-des-Aviots, c'est-à-dire +Notre-Dame des rendus à la vie, était connue pour ressusciter les +enfants morts sans baptême. Ils renaissaient, par son intervention, le +temps suffisant à être faits chrétiens<a id="footnotetag366" name="footnotetag366"></a><a href="#footnote366" title="Lien vers la note 366"><span class="smaller">[366]</span></a>.</p> + +<p>Dans le duché de Luxembourg, près de Montmédy, sur la colline +d'Avioth<a id="footnotetag367" name="footnotetag367"></a><a href="#footnote367" title="Lien vers la note 367"><span class="smaller">[367]</span></a>, de nombreux pèlerins vénéraient une image de +Notre-Dame, apportée là par les anges. On lui avait bâti une église où +la pierre jaillissait en minces colonnes, formait des trèfles, des +rosaces, et poussait des feuillages légers. Cette statue faisait des +miracles de toutes sortes. On déposait à ses pieds les enfants +mort-nés; elle les ressuscitait et on les baptisait aussitôt<a id="footnotetag368" name="footnotetag368"></a><a href="#footnote368" title="Lien vers la note 368"><span class="smaller">[368]</span></a>.</p> + +<p>Le peuple réuni dans l'église de Saint-Pierre de Lagny, au pied de +Notre-Dame-des-Aidances, espérait une semblable grâce. Les jeunes +filles prièrent autour du corps inanimé de l'enfant. On demanda à la +Pucelle de venir prier avec elles Notre-Seigneur et Notre-Dame. Elle +se rendit à l'église, s'agenouilla <span class="pagenum"><a id="page156" name="page156"></a>(p. 156)</span> parmi les jeunes filles +et pria. L'enfant était noir. «Noir comme ma cotte», disait Jeanne. +Quand la Pucelle et les jeunes filles eurent prié, il bâilla par trois +fois et la couleur lui revint. Baptisé, il mourut aussitôt; on le mit +en terre sainte. Il fut dit par la ville que cette résurrection était +l'œuvre de la Pucelle. À en croire les contes que l'on en faisait, +l'enfant n'avait pas donné signe de vie depuis trois jours qu'il était +né<a id="footnotetag369" name="footnotetag369"></a><a href="#footnote369" title="Lien vers la note 369"><span class="smaller">[369]</span></a>; mais les commères de Lagny avaient sans doute allongé les +heures pendant lesquelles il était resté inerte, comme ces bonnes +femmes qui, d'un œuf pondu par le mari de l'une d'elles, en firent +cent avant la fin du jour.</p> + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page157" name="page157"></a>(p. 157)</span> CHAPITRE VII<br> + +<span class="smaller">SOISSONS ET COMPIÈGNE. — PRISE DE LA PUCELLE.</span></h2> + + +<p>Au sortir de Lagny, la Pucelle se présenta devant les portes de Senlis +avec sa compagnie et les hommes d'armes des seigneurs français +auxquels elle s'était jointe, en tout mille chevaux, pour lesquels +elle demanda l'entrée. Il n'y avait pas de disgrâce que les bourgeois +craignissent autant que de recevoir des gens d'armes, et il n'y avait +pas de privilège dont ils fussent plus jaloux que de les tenir dehors. +Le roi Charles en avait fait l'expérience durant la bénigne campagne +du sacre. Les habitants de Senlis firent répondre à la Pucelle que, vu +la pauvreté de la ville en fourrages, grains, avoine, vivres et vin, +il lui serait offert d'y entrer avec trente ou quarante hommes des +plus notables, et non davantage<a id="footnotetag370" name="footnotetag370"></a><a href="#footnote370" title="Lien vers la note 370"><span class="smaller">[370]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page158" name="page158"></a>(p. 158)</span> On veut que de Senlis Jeanne soit allée au château de +Borenglise, en la paroisse d'Élincourt, entre Compiègne et Ressons, +et, dans l'ignorance où l'on est des raisons qui l'y firent aller, on +croit qu'elle se rendit en pèlerinage à l'église d'Élincourt, placée +sous l'invocation de sainte Marguerite; et il est possible qu'elle ait +tenu à faire ses dévotions à sainte Marguerite d'Élincourt, comme elle +les avait faites à sainte Catherine de Fierbois, pour l'honneur de +l'une des dames du ciel qui la visitaient tous les jours et à toute +heure<a id="footnotetag371" name="footnotetag371"></a><a href="#footnote371" title="Lien vers la note 371"><span class="smaller">[371]</span></a>.</p> + +<p>Il y avait alors, dans la ville d'Angers, un licencié ès lois, +chanoine des églises de Tours et d'Angers et doyen de Saint-Jean +d'Angers, qui, moins de dix jours avant la venue de Jeanne à +Sainte-Marguerite d'Élincourt, le 18 avril, environ neuf heures du +soir, ressentit une douleur à la tête qui lui dura jusqu'à quatre +heures du matin, si forte qu'il crut mourir. Il se recommanda à madame +sainte Catherine, envers qui il professait une dévotion particulière, +et aussitôt il fut guéri. En reconnaissance d'une telle grâce, il se +rendit à pied au sanctuaire de Sainte-Catherine de Fierbois; <span class="pagenum"><a id="page159" name="page159"></a>(p. 159)</span> +et le vendredi 5 mai, il y célébra la messe à haute voix pour le roi, +«la Pucelle, digne de Dieu», et la prospérité et la paix du +royaume<a id="footnotetag372" name="footnotetag372"></a><a href="#footnote372" title="Lien vers la note 372"><span class="smaller">[372]</span></a>.</p> + +<p>Le Conseil du roi Charles avait remis Pont-Sainte-Maxence au duc de +Bourgogne, au lieu de Compiègne qu'il ne pouvait lui livrer, pour la +raison que la ville se refusait de toutes ses forces à être livrée, et +demeurait au roi malgré le roi. Le duc de Bourgogne garda +Pont-Sainte-Maxence qu'on lui donnait et résolut de prendre +Compiègne<a id="footnotetag373" name="footnotetag373"></a><a href="#footnote373" title="Lien vers la note 373"><span class="smaller">[373]</span></a>.</p> + +<p>Le 17 avril, à l'expiration de la trêve, il se mit en campagne avec +une florissante chevalerie et une puissante armée, quatre mille +Bourguignons, Picards et Flamands et quinze cents Anglais, sous le +commandement de Jean de Luxembourg, comte de Ligny<a id="footnotetag374" name="footnotetag374"></a><a href="#footnote374" title="Lien vers la note 374"><span class="smaller">[374]</span></a>.</p> + +<p>Le duc faisait venir à ce siège de belles pièces d'artillerie, +notamment Remeswalle, Rouge bombarde et Houppembière, qui toutes trois +lançaient des pierres très grosses. On y amenait aussi les bombardes +achetées par le duc à messire Jean de Luxembourg et payées comptant: +Beaurevoir et Bourgogne, un gros «coullard» et un engin volant. Les +villes des vastes <span class="pagenum"><a id="page160" name="page160"></a>(p. 160)</span> États de Bourgogne envoyaient devant +Compiègne leurs archers et leurs arbalétriers. Le duc se fournissait +d'arcs de Prusse et de Constantinople, avec flèches barbées et non +barbées. Il appelait des mineurs et divers ouvriers pour faire des +mines de poudre devant la ville et pour jeter des fusées de feu +grégeois; enfin, monseigneur Philippe, plus riche qu'un roi, le plus +magnifique seigneur de la chrétienté et très expert en chevalerie, +voulait faire un beau siège<a id="footnotetag375" name="footnotetag375"></a><a href="#footnote375" title="Lien vers la note 375"><span class="smaller">[375]</span></a>.</p> + +<p>La ville, une des plus grandes de France et des plus fortes, était +défendue par quatre ou cinq cents hommes de garnison<a id="footnotetag376" name="footnotetag376"></a><a href="#footnote376" title="Lien vers la note 376"><span class="smaller">[376]</span></a>, sous le +commandement du jeune seigneur Guillaume de Flavy. Issu d'une noble +famille du pays, sans grands biens, toujours en querelle avec les +seigneurs ses voisins et cherchant noise au pauvre peuple, il était +aussi méchant et cruel qu'aucun seigneur armagnac<a id="footnotetag377" name="footnotetag377"></a><a href="#footnote377" title="Lien vers la note 377"><span class="smaller">[377]</span></a>. Les habitants +ne voulaient pas d'autre capitaine que lui; ils le gardèrent envers et +<span class="pagenum"><a id="page161" name="page161"></a>(p. 161)</span> contre le roi Charles et son chambellan. Et ils firent +sagement, car pour les défendre il n'y avait pas meilleur que le +seigneur Guillaume; on n'en aurait pas trouvé un second si entêté à +son devoir. Au roi de France, qui lui avait donné l'ordre de livrer la +ville, il avait refusé net; et lorsque ensuite le duc lui promit une +grosse somme d'argent et une riche héritière en échange de Compiègne, +il répondit que la ville était non pas à lui, mais au roi<a id="footnotetag378" name="footnotetag378"></a><a href="#footnote378" title="Lien vers la note 378"><span class="smaller">[378]</span></a>.</p> + +<p>Le duc de Bourgogne s'empara sans peine de Gournay-sur-Aronde, et vint +ensuite mettre le siège devant Choisy-sur-Aisne, qu'on appelait aussi +Choisy-au-Bac, au confluent de l'Aisne et de l'Oise<a id="footnotetag379" name="footnotetag379"></a><a href="#footnote379" title="Lien vers la note 379"><span class="smaller">[379]</span></a>.</p> + +<p>L'écuyer gascon Poton de Saintrailles et les gens de sa compagnie +passèrent l'Aisne entre Soissons et Choisy, surprirent les +assiégeants, et se retirèrent aussitôt, emmenant quelques +prisonniers<a id="footnotetag380" name="footnotetag380"></a><a href="#footnote380" title="Lien vers la note 380"><span class="smaller">[380]</span></a>.</p> + +<p>Le 13 mai, la Pucelle entrée à Compiègne, logea rue de l'Étoile<a id="footnotetag381" name="footnotetag381"></a><a href="#footnote381" title="Lien vers la note 381"><span class="smaller">[381]</span></a>. +Le lendemain, les attornés lui offrirent quatre pots de vin<a id="footnotetag382" name="footnotetag382"></a><a href="#footnote382" title="Lien vers la note 382"><span class="smaller">[382]</span></a>. Ils +entendaient par là lui <span class="pagenum"><a id="page162" name="page162"></a>(p. 162)</span> faire grand honneur, car ils n'en +offraient pas davantage au seigneur archevêque de Reims, chancelier du +royaume, qui se trouvait alors dans la ville avec le comte de Vendôme, +lieutenant du roi, et plusieurs autres chefs de guerre. Ces très hauts +seigneurs résolurent d'envoyer de l'artillerie et des munitions au +château de Choisy qui ne pouvait plus longtemps se défendre<a id="footnotetag383" name="footnotetag383"></a><a href="#footnote383" title="Lien vers la note 383"><span class="smaller">[383]</span></a>; et +la Pucelle fut mise en œuvre comme autrefois.</p> + +<p>L'armée se dirigea vers Soissons pour y passer l'Aisne<a id="footnotetag384" name="footnotetag384"></a><a href="#footnote384" title="Lien vers la note 384"><span class="smaller">[384]</span></a>. Le +capitaine de la ville était un écuyer de Picardie nommé Guichard +Bournel par les Français, et Guichard de Thiembronne par les +Bourguignons: il avait servi les uns et les autres. Jeanne le +connaissait bien: il lui rappelait un pénible souvenir. Ç'avait été +l'un de ceux qui, la prenant blessée dans les fossés de Paris, +l'avaient mise malgré elle sur un cheval. À l'approche des seigneurs +et gens du roi Charles, le capitaine Guichard fit faussement accroire +aux habitants de Soissons que toute cette gendarmerie venait prendre +garnison dans leur ville. Aussi les habitants décidèrent-ils de ne les +point recevoir. Il fut fait là tout comme à Senlis; le capitaine +Bournel reçut le seigneur <span class="pagenum"><a id="page163" name="page163"></a>(p. 163)</span> archevêque de Reims, le comte de +Vendôme et la Pucelle, avec petite compagnie, et l'armée passa la nuit +aux champs<a id="footnotetag385" name="footnotetag385"></a><a href="#footnote385" title="Lien vers la note 385"><span class="smaller">[385]</span></a>. Le lendemain on essaya, faute d'obtenir l'accès du +pont, de traverser la rivière à gué, mais on n'y put réussir. C'était +le printemps, les eaux avaient monté. L'armée rebroussa chemin. Quand +elle fut partie, le capitaine Bournel vendit au duc de Bourgogne la +cité qu'il avait charge de garder au roi de France, et la mit en la +main de messire Jean de Luxembourg pour 4.000 saluts d'or<a id="footnotetag386" name="footnotetag386"></a><a href="#footnote386" title="Lien vers la note 386"><span class="smaller">[386]</span></a>.</p> + +<p>À la nouvelle que le capitaine de Soissons avait de la sorte agi +laidement, contre son honneur, Jeanne s'écria que, si elle le tenait, +elle le ferait trancher en quatre pièces, ce qui n'était pas une +imagination de sa colère. L'usage voulait, pour le châtiment de +certains crimes, que le bourreau coupât en quartiers les condamnés +auxquels il avait d'abord tranché la tête: cela s'appelait écarteler. +C'est comme si Jeanne avait dit que ce traître méritait d'être +écartelé. Le propos parut dur aux oreilles bourguignonnes; certains +crurent même entendre que, dans son indignation, Jeanne reniait Dieu. +Ils entendirent mal. Jamais elle ne reniait Dieu, ni saint ni sainte; +loin de maugréer, quand elle <span class="pagenum"><a id="page164" name="page164"></a>(p. 164)</span> était en colère, elle disait: +«Bon gré Dieu!», ou «Saint Jean!», ou «Notre Dame<a id="footnotetag387" name="footnotetag387"></a><a href="#footnote387" title="Lien vers la note 387"><span class="smaller">[387]</span></a>!»</p> + +<p>Devant Soissons, Jeanne et les chefs de guerre se séparèrent. Ceux-ci +se dirigèrent avec leurs gens d'armes vers Senlis et les bords de la +Marne. Le pays entre Aisne et Oise n'avait plus de quoi faire vivre +tant de monde et de si grands personnages. Jeanne reprit avec sa +compagnie le chemin de Compiègne<a id="footnotetag388" name="footnotetag388"></a><a href="#footnote388" title="Lien vers la note 388"><span class="smaller">[388]</span></a>. À peine entrée dans la ville, +elle en sortit pour battre les environs.</p> + +<p>Elle fut notamment d'une expédition contre Pont-l'Évêque, place forte, +à quelque distance de Noyon, et qu'occupait une petite garnison +anglaise, sous les ordres du seigneur de Montgomery.</p> + +<p>Les Bourguignons, qui faisaient le siège de Compiègne, se +ravitaillaient par Pont-l'Évêque. À la mi-mai, les Français, au nombre +de peut-être deux mille, commandés par le capitaine Poton, par messire +Jacques de Chabannes et quelques autres, et accompagnés de la Pucelle, +attaquèrent au petit jour les Anglais du seigneur de Montgomery, et +l'affaire fut âprement menée. Mais les Bourguignons de Noyon étant +venus à la rescousse, les Français battirent en retraite. Ils +<span class="pagenum"><a id="page165" name="page165"></a>(p. 165)</span> avaient tué trente hommes à l'ennemi et en avaient perdu +autant; aussi le combat passa-t-il pour très meurtrier<a id="footnotetag389" name="footnotetag389"></a><a href="#footnote389" title="Lien vers la note 389"><span class="smaller">[389]</span></a>. Il ne +pouvait plus être question de traverser l'Aisne et de sauver Choisy.</p> + +<p>Rentrée à Compiègne, Jeanne, qui ne prenait pas un moment de repos, +courut à Crépy-en-Valois où se rassemblaient des troupes destinées à +défendre Compiègne; puis elle se dirigea, avec ces troupes, par la +forêt de Guise, vers la ville assiégée et elle y entra, le 23, à +l'aube, sans avoir rencontré de Bourguignons. Il n'y en avait pas du +côté de la forêt, sur la rive gauche de l'Oise<a id="footnotetag390" name="footnotetag390"></a><a href="#footnote390" title="Lien vers la note 390"><span class="smaller">[390]</span></a>.</p> + +<p>Ils étaient tous de l'autre côté de la rivière. Là s'étend une prairie +d'un quart de lieue au bout de laquelle la côte de Picardie s'élève. +Cette prairie étant basse, humide, souvent inondée, on avait établi +une chaussée allant du pont au village de Margny, dressé tout en face +sur la côte abrupte. Le clocher de Clairoix pointait à trois quarts de +lieue en amont, au confluent des deux rivières d'Aronde et d'Oise; le +clocher de Venette, du côté opposé, à une demi-lieue en aval, vers +Pont-Sainte-Maxence<a id="footnotetag391" name="footnotetag391"></a><a href="#footnote391" title="Lien vers la note 391"><span class="smaller">[391]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page166" name="page166"></a>(p. 166)</span> Un petit poste de Bourguignons commandé par un chevalier, +messire Baudot de Noyelles, occupait le village de Margny, sur la +hauteur. Le plus renommé homme de guerre du parti de Bourgogne, +messire Jean de Luxembourg, se tenait avec ses Picards sur les bords +de l'Aronde, au pied du mont Ganelon, à Clairoix. Les cinq cents +Anglais du sire de Montgomery gardaient l'Oise à Venette. Le duc +Philippe occupait Coudun, à une grande lieue de la ville, vers la +Picardie<a id="footnotetag392" name="footnotetag392"></a><a href="#footnote392" title="Lien vers la note 392"><span class="smaller">[392]</span></a>.</p> + +<p>Ces dispositions répondaient aux préceptes des plus expérimentés +capitaines. Devant une place forte, on évitait de réunir sur une même +position, dans un même logis, comme on disait, une grande quantité de +gens d'armes. En cas d'attaque soudaine une grosse compagnie, +pensait-on, si elle n'a qu'un logis, est surprise et mise en désarroi +comme une moindre, et le mal est grave. C'est pourquoi il vaut mieux +diviser les assiégeants en petites compagnies et placer ces compagnies +assez près les unes des autres pour qu'elles puissent s'entre-aider. +De cette manière, ceux d'un logis ne sont pas plutôt déconfits que les +autres ont le loisir de se mettre en ordonnance pour les secourir. Les +assaillants sont bien ébahis quand ils voient fondre sur eux des +troupes fraîches et aux défenseurs le cœur en grandit <span class="pagenum"><a id="page167" name="page167"></a>(p. 167)</span> de +moitié. Ainsi pensait, notamment, messire Jean de Bueil<a id="footnotetag393" name="footnotetag393"></a><a href="#footnote393" title="Lien vers la note 393"><span class="smaller">[393]</span></a>.</p> + +<p>Ce même jour, 23 mai, vers cinq heures du soir<a id="footnotetag394" name="footnotetag394"></a><a href="#footnote394" title="Lien vers la note 394"><span class="smaller">[394]</span></a>, montée sur un +très beau cheval gris pommelé, Jeanne sortit par le pont et s'engagea +sur la chaussée qui traversait la prairie, avec son étendard, sa +compagnie lombarde, le capitaine Baretta et les trois ou quatre cents +hommes, cavaliers et fantassins, entrés, la nuit, à Compiègne. Elle +avait ceint l'épée bourguignonne trouvée à Lagny et portait sur son +armure une huque de drap d'or vermeil<a id="footnotetag395" name="footnotetag395"></a><a href="#footnote395" title="Lien vers la note 395"><span class="smaller">[395]</span></a>. Un tel habit eût mieux +convenu pour une parade que pour une sortie; mais, dans la candeur de +son âme villageoise et religieuse, elle aimait tout ce qui avait l'air +cérémonieux et chevaleresque.</p> + +<p>L'entreprise était concertée entre le capitaine Baretta, les autres +chefs de partisans et messire Guillaume de Flavy, qui, pour aider la +rentrée des Français, fit placer à la tête du pont des archers, des +arbalétriers, des couleuvriniers, et mit sur la rivière une grande +quantité de petits bateaux couverts destinés à recueillir, au besoin, +le plus de monde possible<a id="footnotetag396" name="footnotetag396"></a><a href="#footnote396" title="Lien vers la note 396"><span class="smaller">[396]</span></a>. Jeanne ne fut pas consultée <span class="pagenum"><a id="page168" name="page168"></a>(p. 168)</span> +sur l'entreprise: on ne lui demandait jamais conseil; on l'emmenait +comme un porte-bonheur, sans lui rien dire, et on la montrait comme un +épouvantail aux ennemis qui, la tenant pour une puissante magicienne, +craignaient de tomber victimes de ses maléfices, surtout au cas où ils +fussent en état de péché mortel. Certains, sans doute, dans les deux +partis, s'apercevaient, au contraire, qu'elle n'était pas une femme +différente des autres<a id="footnotetag397" name="footnotetag397"></a><a href="#footnote397" title="Lien vers la note 397"><span class="smaller">[397]</span></a>; mais c'étaient des gens qui ne croyaient à +rien et ces sortes de gens sont toujours en dehors du sentiment +commun.</p> + +<p>Cette fois, elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'on allait faire: +la tête pleine de rêves, elle s'imaginait partir pour quelque grande +et haute action. Elle avait promis, dit-on, à ceux de la ville, de +déconfire les Bourguignons et de ramener prisonnier le duc Philippe. +Or, il n'était nullement question de cela; le capitaine Baretta et les +chefs des partisans se proposaient de surprendre et de piller le petit +poste bourguignon le plus rapproché de la ville et le plus accessible, +celui qu'occupait messire Baudot de Noyelles à Margny, sur une côte +très roide à laquelle on pouvait atteindre en vingt ou vingt-cinq +minutes par la chaussée. Le coup valait d'être tenté. Ces enlèvements +de postes, c'était le casuel des gens d'armes. Et, bien que les +ennemis <span class="pagenum"><a id="page169" name="page169"></a>(p. 169)</span> eussent assez habilement choisi leurs positions, on +avait chance de réussir en s'y prenant avec une extrême célérité. Les +Bourguignons se tenaient à Margny en très petit nombre. Nouvellement +venus, ils n'avaient établi ni bastille ni boulevard, et leurs +défenses se réduisaient aux masures du village.</p> + +<p>Il était cinq heures après midi quand les Français se mirent en +marche. On se trouvait dans les plus longs jours de l'année; ils ne +comptaient donc pas sur l'obscurité pour enlever le poste. Les gens +d'armes, à cette époque, ne se hasardaient pas volontiers dans la +nuit; ils la jugeaient traîtresse, capable de servir aussi bien le fol +que le sage, et avaient un dicton là-dessus; ils disaient: «La nuit +n'a point de honte<a id="footnotetag398" name="footnotetag398"></a><a href="#footnote398" title="Lien vers la note 398"><span class="smaller">[398]</span></a>.»</p> + +<p>Grimpés à Margny, les assaillants surprirent les Bourguignons épars et +sans armes, et se mirent à frapper à leur plaisir. La Pucelle, pour sa +part, renversait tout ce qui se trouvait devant elle.</p> + +<p>Or, à ce moment, le sire Jean de Luxembourg et le sire de Créquy, +venus à cheval de leur logis de Clairoix<a id="footnotetag399" name="footnotetag399"></a><a href="#footnote399" title="Lien vers la note 399"><span class="smaller">[399]</span></a>, gravissaient la côte de +Margny, sans armures, avec huit ou dix gentilshommes. Ils se rendaient +auprès de messire Baudot de Noyelles, et ne se doutant de rien, +pensaient reconnaître, de ce point élevé, les défenses de <span class="pagenum"><a id="page170" name="page170"></a>(p. 170)</span> la +ville, comme naguère le comte de Salisbury aux Tourelles d'Orléans. +Tombés en pleine escarmouche, ils envoyèrent en toute hâte à Clairoix +quérir leurs armes et mander leur compagnie, qui ne pouvait atteindre +le lieu du combat avant une bonne demi-heure. En attendant, tout +démunis qu'ils étaient, ils se joignirent à la petite troupe de +messire Baudot pour tenir tête à l'ennemi<a id="footnotetag400" name="footnotetag400"></a><a href="#footnote400" title="Lien vers la note 400"><span class="smaller">[400]</span></a>. Surprendre ainsi +monseigneur de Luxembourg, ce pouvait être une bonne chance et ce n'en +pouvait pas être une mauvaise; car ceux de Margny eussent de toute +façon appelé incontinent à leur secours ceux de Clairoix, comme en +effet ils appelèrent les Anglais de Venette et les Bourguignons de +Coudun.</p> + +<p>Ayant forcé et pillé le logis, les assaillants, qui devaient +prudemment rabattre en toute hâte sur la ville avec leur butin, +s'attardèrent à Margny; on devine pour quelle cause: c'est celle qui +fit tant de fois les détrousseurs détroussés. Ces gens-là, ceux de la +croix blanche comme ceux de la croix rouge, quelque péril qui les +pressât, ne quittaient point la place tant qu'il s'y trouvait encore +quelque chose à emporter.</p> + +<p>Le danger où les soudoyers de Compiègne s'exposaient par convoitise, +la Pucelle devait, pour sa part, largement l'accroître par vaillance +et prouesse: elle ne consentait jamais à quitter le combat; il fallait +qu'elle <span class="pagenum"><a id="page171" name="page171"></a>(p. 171)</span> fût blessée, navrée de flèches et de viretons, pour +qu'on parvînt à la faire démordre.</p> + +<p>Cependant, remis d'une alerte si chaude, les gens de messire Baudot +s'armèrent comme ils purent et s'efforcèrent de reprendre le village. +Tantôt ils en chassaient les Français, tantôt ils s'en retiraient +eux-mêmes après avoir beaucoup souffert. Le seigneur de Créquy, entre +autres, fut cruellement blessé au visage. Mais l'espoir d'être +secourus leur renforçait le cœur. Ceux de Clairoix parurent. Le duc +Philippe en personne s'approchait avec ceux de Coudun. Les Français +débordés, abandonnant Margny, se retiraient lentement. Le butin, +peut-être, alourdissait leur marche. Tout à coup, voyant les Godons de +Venette s'avancer sur la prairie pour leur couper la retraite, la peur +les prend; au cri de «Sauve qui peut!» ils s'élancent d'une course +folle et atteignent en désordre la berge de l'Oise. Les uns se +jetaient dans les bateaux, les autres se pressaient contre le +boulevard du Pont. Ils s'attirèrent ainsi le mal dont ils avaient +peur. Car les Anglais poussèrent le chanfrein de leurs chevaux dans le +dos des fuyards, gagnant à cela que les canons des remparts ne +pouvaient plus tirer sans atteindre les Français<a id="footnotetag401" name="footnotetag401"></a><a href="#footnote401" title="Lien vers la note 401"><span class="smaller">[401]</span></a>.</p> + +<p>Ceux-ci ayant forcé la barrière du boulevard, les Anglais étaient en +passe d'y pénétrer sur leurs talons, <span class="pagenum"><a id="page172" name="page172"></a>(p. 172)</span> de franchir le pont et +d'entrer dans la place. Le capitaine de Compiègne vit le danger et +donna l'ordre de fermer la porte de la ville. Le pont fut levé et la +herse baissée<a id="footnotetag402" name="footnotetag402"></a><a href="#footnote402" title="Lien vers la note 402"><span class="smaller">[402]</span></a>.</p> + +<p>Gardant en cette déroute l'illusion héroïque de la victoire, Jeanne, +sur la prairie, entourée seulement de quelques personnes de son +service et de sa parenté, faisait face aux Bourguignons et pensait +encore tout renverser devant elle.</p> + +<p>On lui criait:</p> + +<p>—Mettez-vous en peine de regagner à la ville, ou nous sommes perdus.</p> + +<p>Le regard ébloui par des vols d'anges et d'archanges, elle répondait:</p> + +<p>—Taisez-vous, il ne tiendra qu'à vous qu'ils ne soient déconfits. Ne +pensez que de férir sur eux.</p> + +<p>Et elle disait ce qu'elle disait toujours:</p> + +<p>—Allez en avant! ils sont à nous<a id="footnotetag403" name="footnotetag403"></a><a href="#footnote403" title="Lien vers la note 403"><span class="smaller">[403]</span></a>!</p> + +<p>Ses gens prirent la bride de son cheval et la firent retourner de +force du côté de la ville. Il était trop tard; on ne pouvait plus +entrer dans le boulevard qui commandait le pont: les Anglais +occupaient la tête de la chaussée. La Pucelle, avec sa petite troupe +<span class="pagenum"><a id="page173" name="page173"></a>(p. 173)</span> fidèle fut encognée dans l'angle que formaient le flanc du +boulevard et le remblai de la route, par des gens de Picardie qui, +frappant, écartant ceux qui la protégeaient, l'atteignirent<a id="footnotetag404" name="footnotetag404"></a><a href="#footnote404" title="Lien vers la note 404"><span class="smaller">[404]</span></a>. Un +archer la tira de côté par sa huque de drap d'or et la fit choir à +terre. Tous, ils l'entouraient et lui criaient ensemble:</p> + +<p>—Rendez-vous!</p> + +<p>Pressée de donner sa foi, elle répondit:</p> + +<p>—J'ai juré et baillé ma foi à autre que vous et je lui en tiendrai +mon serment<a id="footnotetag405" name="footnotetag405"></a><a href="#footnote405" title="Lien vers la note 405"><span class="smaller">[405]</span></a>.</p> + +<p>Un de ceux qui la lui demandaient affirma qu'il était noble homme. +Elle se rendit à lui.</p> + +<p>C'était un des archers attachés à la lance du bâtard de Wandomme; il +se nommait Lyonnel. Voyant sa fortune faite, il se montrait plus +joyeux que s'il avait pris un roi<a id="footnotetag406" name="footnotetag406"></a><a href="#footnote406" title="Lien vers la note 406"><span class="smaller">[406]</span></a>.</p> + +<p>En même temps que la Pucelle, furent pris Pierre d'Arc, son frère; +Jean d'Aulon, son intendant, et le frère de Jean d'Aulon, Poton, qu'on +surnommait le Bourguignon<a id="footnotetag407" name="footnotetag407"></a><a href="#footnote407" title="Lien vers la note 407"><span class="smaller">[407]</span></a>. À l'estimation des Bourguignons, les +<span class="pagenum"><a id="page174" name="page174"></a>(p. 174)</span> Français perdirent dans cette affaire quatre cents +combattants, tués ou noyés<a id="footnotetag408" name="footnotetag408"></a><a href="#footnote408" title="Lien vers la note 408"><span class="smaller">[408]</span></a>; mais, au dire des Français, la +plupart des gens de pied furent recueillis dans les bateaux amarrés au +bord de l'Oise<a id="footnotetag409" name="footnotetag409"></a><a href="#footnote409" title="Lien vers la note 409"><span class="smaller">[409]</span></a>.</p> + +<p>Sans les archers, arbalétriers et couleuvriniers disposés par le sire +de Flavy à la tête du pont, le boulevard était enlevé. Les +Bourguignons n'eurent que vingt blessés et pas de morts<a id="footnotetag410" name="footnotetag410"></a><a href="#footnote410" title="Lien vers la note 410"><span class="smaller">[410]</span></a>. La +Pucelle n'avait pas été beaucoup défendue.</p> + +<p>Elle fut conduite désarmée à Margny<a id="footnotetag411" name="footnotetag411"></a><a href="#footnote411" title="Lien vers la note 411"><span class="smaller">[411]</span></a>. À la nouvelle que la +sorcière des Armagnacs était prise, le camp des Bourguignons s'emplit +de cris et de réjouissances. Le duc Philippe voulut la voir. Quand il +s'approcha d'elle, il y eut, dans sa chevalerie et son clergé, des +gens pour le louer de son courage, pour vanter sa piété, pour admirer +que ce très puissant duc n'eût pas peur des larves vomies par +l'enfer<a id="footnotetag412" name="footnotetag412"></a><a href="#footnote412" title="Lien vers la note 412"><span class="smaller">[412]</span></a>.</p> + +<p>À ce compte, sa chevalerie était aussi brave que lui, <span class="pagenum"><a id="page175" name="page175"></a>(p. 175)</span> car +beaucoup de gentilshommes accouraient pour satisfaire la même +curiosité. Parmi eux, se trouvait messire Enguerrand de Monstrelet, +natif du comté de Boulogne, serviteur de la maison de Luxembourg, +auteur de chroniques. Il entendit les paroles que le duc adressa à la +prisonnière, et bien que, par état, il dût avoir de la mémoire, il les +oublia. C'est peut-être qu'il ne les trouva pas assez chevalereuses +pour les mettre en son livre<a id="footnotetag413" name="footnotetag413"></a><a href="#footnote413" title="Lien vers la note 413"><span class="smaller">[413]</span></a>.</p> + +<p>Jeanne resta sous la garde de messire Jean de Luxembourg, à qui elle +appartenait désormais, l'archer qui l'avait prise l'ayant cédée à son +capitaine le bâtard de Wandomme, qui l'avait cédée à son tour à +messire Jean son maître<a id="footnotetag414" name="footnotetag414"></a><a href="#footnote414" title="Lien vers la note 414"><span class="smaller">[414]</span></a>.</p> + +<p>La tige des Luxembourg s'étendait de l'occident à l'orient chrétien, +jusqu'à la Bohême et la Hongrie, et il en avait fleuri six reines, une +impératrice, quatre rois, quatre empereurs. Issu d'une branche cadette +de cette illustre maison et cadet lui-même mal apanagé, Jean de +Luxembourg avait gagné durement sa chevalerie au service du duc de +Bourgogne. Lorsqu'il prit à rançon la Pucelle, il avait trente-neuf +ans, était couvert de blessures et borgne<a id="footnotetag415" name="footnotetag415"></a><a href="#footnote415" title="Lien vers la note 415"><span class="smaller">[415]</span></a>.</p> + +<p>Le soir même, de ses quartiers de Coudun, le duc <span class="pagenum"><a id="page176" name="page176"></a>(p. 176)</span> de +Bourgogne fit écrire aux villes de son obéissance la prise de la +Pucelle. «De cette prise seront grandes nouvelles partout, est-il dit +dans sa lettre aux habitants de Saint-Quentin; et sera connue l'erreur +et folle créance de tous ceux qui aux faits de cette femme se sont +rendus enclins et favorables<a id="footnotetag416" name="footnotetag416"></a><a href="#footnote416" title="Lien vers la note 416"><span class="smaller">[416]</span></a>.»</p> + +<p>Le duc manda pareillement cette nouvelle au duc de Bretagne par son +héraut Lorraine; au duc de Savoie, à sa bonne ville de Gand<a id="footnotetag417" name="footnotetag417"></a><a href="#footnote417" title="Lien vers la note 417"><span class="smaller">[417]</span></a>.</p> + +<p>Les survivants de ceux que la Pucelle avait amenés à Compiègne +abandonnèrent le siège et rentrèrent le lendemain dans leurs +garnisons. Le capitaine lombard Barthélemy Baretta, lieutenant de +Jeanne, demeura dans la ville avec trente-deux hommes d'armes, deux +trompettes, deux pages, quarante-huit arbalétriers, vingt archers ou +targiers<a id="footnotetag418" name="footnotetag418"></a><a href="#footnote418" title="Lien vers la note 418"><span class="smaller">[418]</span></a>.</p> + + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page177" name="page177"></a>(p. 177)</span> CHAPITRE VIII<br> + +<span class="smaller">LA PUCELLE À BEAULIEU. — LE BERGER DU GÉVAUDAN.</span></h2> + + +<p>La nouvelle parvint à Paris, le matin du 25, que Jeanne était aux +mains des Bourguignons<a id="footnotetag419" name="footnotetag419"></a><a href="#footnote419" title="Lien vers la note 419"><span class="smaller">[419]</span></a>. Dès le lendemain 26, l'Université adressa +au duc Philippe sommation de remettre sa prisonnière au vicaire +général du Grand Inquisiteur de France. En même temps le vicaire +général requérait par lettre le redoutable duc d'amener prisonnière +par devers lui cette fille suspecte de plusieurs crimes sentant +l'hérésie<a id="footnotetag420" name="footnotetag420"></a><a href="#footnote420" title="Lien vers la note 420"><span class="smaller">[420]</span></a>.</p> + +<p>«... Nous vous supplions de bonne affection, très <span class="pagenum"><a id="page178" name="page178"></a>(p. 178)</span> puissant +prince, disait-il, et nous prions vos nobles vassaux que par vous et +eux Jeanne nous soit envoyée sûrement et brièvement et avons espérance +qu'ainsi ferez comme vrai protecteur de la foi et défenseur de +l'honneur de Dieu<a id="footnotetag421" name="footnotetag421"></a><a href="#footnote421" title="Lien vers la note 421"><span class="smaller">[421]</span></a>...»</p> + +<p>Le vicaire général du Grand Inquisiteur de France, frère Martin +Billoray<a id="footnotetag422" name="footnotetag422"></a><a href="#footnote422" title="Lien vers la note 422"><span class="smaller">[422]</span></a>, maître en théologie, appartenait à l'ordre des frères +prêcheurs dont les membres exerçaient les charges principales du saint +office. Au temps d'Innocent III, alors que l'Inquisition exterminait +les Cathares et les Albigeois, les fils de Dominique figuraient dans +les peintures des cloîtres et des chapelles en chiens du Seigneur sous +la forme de grands lévriers blancs tachetés de noir, qui mordaient à +la gorge les loups de l'hérésie<a id="footnotetag423" name="footnotetag423"></a><a href="#footnote423" title="Lien vers la note 423"><span class="smaller">[423]</span></a>. Au <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> siècle, en France, les +dominicains étaient toujours les chiens du Seigneur; ils chassaient +encore l'hérétique, mais couplés à l'évêque. Le Grand Inquisiteur ou +son vicaire ne s'y trouvait point en état d'intenter de son propre +mouvement et de poursuivre à lui seul une action judiciaire; les +évêques maintenaient vis-à-vis de lui leur droit de juger les crimes +contre l'Église. Les procès en matière de foi se faisaient par deux +juges, l'ordinaire, qui pouvait être l'évêque lui-même ou l'official, +et l'Inquisiteur ou <span class="pagenum"><a id="page179" name="page179"></a>(p. 179)</span> son vicaire; et l'on observait les +formes inquisitoriales<a id="footnotetag424" name="footnotetag424"></a><a href="#footnote424" title="Lien vers la note 424"><span class="smaller">[424]</span></a>.</p> + +<p>Dans l'affaire de la Pucelle, ce n'était pas seulement un évêque qui +mettait la très sainte Inquisition en mouvement, c'était la fille des +rois, la mère des études, le beau clair soleil de France et de la +chrétienté, l'Université de Paris. Elle s'attribuait le privilège de +connaître dans les causes relatives aux hérésies ou opinions produites +en la ville et aux environs, et ses avis, de toutes parts demandés, +faisaient autorité sur toute la face du monde où la croix est plantée. +Depuis un an, ses docteurs et maîtres en grande multitude et pleins de +lettres, au jugement même de leurs adversaires, réclamaient la remise +de la Pucelle à l'Inquisiteur, comme utile au bien de l'Église et +congruente aux intérêts de la foi; car ils soupçonnaient véhémentement +cette fille de ne point venir de Dieu, mais d'être trompée et abusée +par les artifices du diable; d'agir, non par puissance céleste, mais +par le ministère des démons; d'user de sorcellerie et de pratiquer +l'idolâtrie<a id="footnotetag425" name="footnotetag425"></a><a href="#footnote425" title="Lien vers la note 425"><span class="smaller">[425]</span></a>.</p> + +<p>Tout ce qu'ils possédaient de science divine et de raison raisonnante +corroborait cette grave suspicion. Ils étaient Bourguignons et +Anglais, de fait et de <span class="pagenum"><a id="page180" name="page180"></a>(p. 180)</span> consentement, fidèles observateurs du +traité de Troyes qu'ils avaient juré, dévoués au Régent qui leur +montrait beaucoup d'égards; ils abhorraient les Armagnacs qui +ruinaient et désolaient leur ville, la plus belle du monde<a id="footnotetag426" name="footnotetag426"></a><a href="#footnote426" title="Lien vers la note 426"><span class="smaller">[426]</span></a>; ils +tenaient le dauphin Charles pour déchu de ses droits sur le royaume +des Lis. Aussi se trouvaient-ils enclins à croire que la Pucelle des +Armagnacs, la chevaucheuse du dauphin Charles se gouvernait par +l'inspiration de plusieurs démons très horribles. Ils étaient des +hommes: on croit ce qu'on a intérêt à croire; ils étaient des prêtres +et voyaient partout le diable, principalement dans une femme. Sans +s'être encore livrés à un examen approfondi des faits et dits de cette +pucelle, ils en découvraient assez pour demander instamment une +enquête. Elle se disait envoyée de Dieu, fille de Dieu; et se +manifestait bavarde, vaine, rusée, glorieuse en ses habits; elle avait +menacé les Anglais, s'ils ne sortaient de France, de les faire tous +occire; elle commandait les armées; elle était donc homicide, +téméraire; elle était séditieuse, car ceux-là sont séditieux qui +tiennent le parti contraire au nôtre. Naguère, venue en la compagnie +de frère Richard, hérétique et séditieux<a id="footnotetag427" name="footnotetag427"></a><a href="#footnote427" title="Lien vers la note 427"><span class="smaller">[427]</span></a>, elle avait menacé +<span class="pagenum"><a id="page181" name="page181"></a>(p. 181)</span> les Parisiens de les mettre à mort sans merci, et commis ce +péché mortel de donner l'assaut à la ville le jour de la Nativité de +la très sainte Vierge. Il était urgent d'examiner si elle avait été +mue en tout cela par un bon ou un mauvais esprit<a id="footnotetag428" name="footnotetag428"></a><a href="#footnote428" title="Lien vers la note 428"><span class="smaller">[428]</span></a>?</p> + +<p>Le duc de Bourgogne, bien que très attaché aux intérêts de l'Église, +ne déféra pas à l'invitation pressante de l'Université; et messire +Jean de Luxembourg, après avoir gardé la Pucelle trois ou quatre jours +en ses quartiers devant Compiègne, la fit conduire au château de +Beaulieu en Vermandois, à quelques lieues du camp<a id="footnotetag429" name="footnotetag429"></a><a href="#footnote429" title="Lien vers la note 429"><span class="smaller">[429]</span></a>. Il se +montrait, comme son maître, très obéissant fils de notre sainte mère +l'Église; mais la prudence conseillait de laisser venir les Anglais et +les Français et d'attendre leurs offres.</p> + +<p>Jeanne, à Beaulieu, fut traitée avec courtoisie; elle gardait son +état. Messire Jean d'Aulon, son intendant, la servait en sa prison; il +lui dit piteusement un jour:</p> + +<p>—Cette pauvre ville de Compiègne, que vous avez beaucoup aimée, à +cette fois sera remise aux mains et dans la subjection des ennemis de +France.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page182" name="page182"></a>(p. 182)</span> Elle lui répondit:</p> + +<p>—Non! ce ne sera point. Car toutes les places que le Roi du ciel a +réduites et remises en la main et obéissance du gentil roi Charles par +mon moyen ne seront point reprises par ses ennemis, tant qu'il fera +diligence pour les garder<a id="footnotetag430" name="footnotetag430"></a><a href="#footnote430" title="Lien vers la note 430"><span class="smaller">[430]</span></a>.</p> + +<p>Un jour, elle essaya de s'échapper en se coulant entre deux pièces de +bois. Son intention était d'enfermer les gardes dans la tour et de +prendre les champs, mais le portier la vit et l'arrêta. Elle en +conclut qu'il ne plaisait pas à Dieu qu'elle échappât pour cette +fois<a id="footnotetag431" name="footnotetag431"></a><a href="#footnote431" title="Lien vers la note 431"><span class="smaller">[431]</span></a>. Cependant elle avait le cœur trop bon pour désespérer. +Ses Voix, éprises comme elle de rencontres merveilleuses et de +chevaleresques aventures, lui disaient qu'il fallait qu'elle vît le +roi d'Angleterre<a id="footnotetag432" name="footnotetag432"></a><a href="#footnote432" title="Lien vers la note 432"><span class="smaller">[432]</span></a>. Ainsi, dans son malheur, ses rêves +l'encourageaient et la consolaient.</p> + +<p>Il y eut grand deuil sur la Loire, quand les habitants des villes +fidèles au roi Charles apprirent le malheur advenu à la Pucelle. Le +peuple qui la vénérait comme une sainte, qui allait jusqu'à dire +qu'elle était la plus grande de toutes les saintes de Dieu après la +bienheureuse Vierge Marie, qui lui élevait des images dans les +chapelles des saints, qui ordonnait pour elle <span class="pagenum"><a id="page183" name="page183"></a>(p. 183)</span> des messes et +des collectes dans les églises, qui portait sur soi des médailles de +plomb où elle était représentée comme si l'Église l'avait déjà +canonisée<a id="footnotetag433" name="footnotetag433"></a><a href="#footnote433" title="Lien vers la note 433"><span class="smaller">[433]</span></a>, ne lui retira pas sa foi et continua de croire en +elle<a id="footnotetag434" name="footnotetag434"></a><a href="#footnote434" title="Lien vers la note 434"><span class="smaller">[434]</span></a>; cette fidélité scandalisait les docteurs et maîtres de +l'Université qui en faisaient un grief à la pauvre Pucelle. «Jeanne, +disaient-ils, a tellement séduit le peuple catholique, que beaucoup, +en sa présence, l'ont adorée comme sainte, et en son absence l'adorent +encore<a id="footnotetag435" name="footnotetag435"></a><a href="#footnote435" title="Lien vers la note 435"><span class="smaller">[435]</span></a>.»</p> + +<p>C'était vrai de maintes personnes, en maints endroits. Les conseillers +de la ville de Tours ordonnèrent des prières publiques pour demander à +Dieu la délivrance de la Pucelle. On fit une procession générale, à +laquelle assistèrent les chanoines de l'église cathédrale, le clergé +séculier et régulier de la ville, tous marchant nu-pieds<a id="footnotetag436" name="footnotetag436"></a><a href="#footnote436" title="Lien vers la note 436"><span class="smaller">[436]</span></a>.</p> + +<p>Dans des villes du Dauphiné, on récita à la messe des oraisons pour la +Pucelle:</p> + +<p>«<i>Collecte.</i>—Dieu puissant et éternel qui, dans votre sainte et +ineffable miséricorde, et dans votre admirable puissance, avez +commandé à la Pucelle de <span class="pagenum"><a id="page184" name="page184"></a>(p. 184)</span> relever et sauver le royaume de +France, et de repousser, confondre et anéantir ses ennemis et qui avez +permis que, pendant qu'elle accomplissait cette œuvre sainte, +ordonnée par vous, elle tombât aux mains et dans les liens de ses +ennemis, nous vous prions, par l'intercession de la bienheureuse +Vierge Marie et de tous les saints de la délivrer de leurs mains, sans +qu'elle ait éprouvé aucun mal, afin qu'elle achève d'accomplir ce pour +quoi vous l'avez envoyée.</p> + +<p>»Par Notre-Seigneur Jésus-Christ, etc.»</p> + +<p>«<i>Secrète.</i>—Dieu tout-puissant, père des vertus, que votre +bénédiction sacro-sainte descende sur cette oblation; que votre +puissance admirable se déploie, que par l'intercession de la +bienheureuse Vierge Marie et de tous les saints, Elle délivre la +Pucelle des prisons de ses ennemis afin qu'elle achève d'accomplir ce +pourquoi vous l'avez envoyée.</p> + +<p>»Par Notre-Seigneur Jésus-Christ, etc.»</p> + +<p>«<i>Post-Communion.</i>—Dieu tout-puissant, daignez écouter les prières de +votre peuple: par la vertu des sacrements que nous venons de recevoir, +par l'intercession de la bienheureuse Vierge Marie et de tous les +saints, brisez les fers de la Pucelle qui, en exécutant les œuvres +que vous lui avez commandées, a été et est encore enfermée dans les +prisons de nos ennemis; que votre compassion et votre miséricorde +divine lui permettent <span class="pagenum"><a id="page185" name="page185"></a>(p. 185)</span> d'accomplir, exempte de péril, ce +pourquoi vous l'avez envoyée.</p> + +<p>»Par Notre-Seigneur Jésus-Christ, etc<a id="footnotetag437" name="footnotetag437"></a><a href="#footnote437" title="Lien vers la note 437"><span class="smaller">[437]</span></a>.»</p> + +<p>Apprenant que cette pucelle, par lui jadis soupçonnée de mauvais +desseins, puis reconnue toute bonne, venait de tomber aux mains des +ennemis du royaume, messire Jacques Gélu, seigneur archevêque +d'Embrun, dépêcha au roi Charles un exprès avec une lettre sur la +conduite à tenir en ces conjonctures malheureuses<a id="footnotetag438" name="footnotetag438"></a><a href="#footnote438" title="Lien vers la note 438"><span class="smaller">[438]</span></a>.</p> + +<p>S'adressant au prince dont il a jadis guidé l'enfance, messire Jacques +commence par lui rappeler ce que, avec le secours du Ciel, la Pucelle +a fait pour lui, d'un si grand courage. Il le prie d'examiner sa +conscience pour voir s'il n'a en rien offensé la bonté de Dieu. Car +c'est peut-être dans sa colère contre le roi que le Seigneur a permis +que cette vierge fût prise. Il l'invite, sur son honneur, à tout +tenter et à tout dépenser afin de la ravoir.</p> + +<p>«Je vous recommande, dit-il, que, pour le recouvrement de cette fille +et pour le rachat de sa vie, vous n'épargniez ni moyens ni argent, ni +quel prix <span class="pagenum"><a id="page186" name="page186"></a>(p. 186)</span> que ce soit, si vous n'êtes prêt d'encourir le +blâme indélébile d'une très reprochable ingratitude.»</p> + +<p>Il lui conseille, en outre, de faire ordonner partout des prières pour +la délivrance de cette Pucelle afin que si cet accident était arrivé +par quelque manquement ou du roi ou du peuple, il plût à Dieu de le +pardonner<a id="footnotetag439" name="footnotetag439"></a><a href="#footnote439" title="Lien vers la note 439"><span class="smaller">[439]</span></a>.</p> + +<p>Ainsi parla, non sans force ni sans charité, ce vieil évêque, moins +évêque qu'ermite, à qui toutefois il souvenait d'avoir été conseiller +delphinal dans des temps mauvais et qui aimait chèrement le roi et le +royaume.</p> + +<p>On a soupçonné le sire de la Trémouille et le seigneur archevêque de +Reims, d'avoir voulu se débarrasser d'elle et de l'avoir poussée à sa +perte; on a cru découvrir les ténébreux moyens par lesquels ils la +firent battre à Paris, à La Charité, à Compiègne<a id="footnotetag440" name="footnotetag440"></a><a href="#footnote440" title="Lien vers la note 440"><span class="smaller">[440]</span></a>. La vérité est +qu'ils n'eurent pas besoin de s'en mêler. À Paris, c'eût été grand +hasard qu'elle pût passer le fossé, puisque ni elle, ni ses compagnons +n'en connaissaient la profondeur; d'ailleurs ce ne fut pas la faute du +roi et de son Conseil si les carmes, sur lesquels on comptait, +n'ouvrirent pas les portes. Le siège de La Charité fut conduit non par +la Pucelle, mais par le <span class="pagenum"><a id="page187" name="page187"></a>(p. 187)</span> sire d'Albret et plusieurs vaillants +capitaines. Lors de la sortie de Compiègne, il était certain que, si +l'on s'attardait à Margny, on serait coupé par les Anglais de Venette +et les Bourguignons de Clairoix et bientôt écrasé par ceux de Coudun. +On s'oublia dans les délices du pillage; il arriva ce qui devait +arriver.</p> + +<p>Et pourquoi le sire chambellan et le seigneur archevêque auraient-ils +voulu se débarrasser de la Pucelle? Elle ne les gênait pas; tout au +contraire, elle leur était utile; ils l'employaient. En prophétisant +qu'elle ferait sacrer le roi à Reims, elle avait grandement servi +messire Regnault, à qui le voyage de Champagne profitait plus qu'à +tout autre, plus qu'au roi, qui y gagnait d'être sacré, mais y +manquait de reprendre Paris et la Normandie. Le seigneur archevêque +n'en gardait pas beaucoup de reconnaissance à la Pucelle; c'était un +homme égoïste et dur; mais lui voulait-il du mal? et n'avait-il plus +besoin d'elle? Il tenait à Senlis le parti du roi, et sûrement il le +tenait de son mieux, puisqu'il défendait, avec les villes rendues à +leur juste maître, sa cité épiscopale et ducale, ses bénéfices et ses +prébendes. Ne pensait-il pas à se servir d'elle contre les +Bourguignons? Nous avions déjà trouvé des raisons de croire que, à la +fin de mars, il demanda au sire de la Trémouille de la lui envoyer de +Sully avec une belle compagnie, pour guerroyer dans l'Île-de-France. +Et ce qui va nous confirmer dans cette idée, c'est que nous voyons +que, lorsqu'elle vint malheureusement à leur <span class="pagenum"><a id="page188" name="page188"></a>(p. 188)</span> manquer, +l'évêque et le chambellan s'efforcèrent de la remplacer par une +personne, comme elle, favorisée de visions et se disant, comme elle, +envoyée de Dieu, et que, à défaut d'une pucelle, les deux compères +essayèrent d'un puceau. Ils s'y résolurent peu de jours après la prise +de Jeanne, et voici dans quelles circonstances.</p> + +<p>Quelque temps auparavant, un jeune berger du Gévaudan, nommé +Guillaume, qui paissait ses troupeaux au pied des monts Lozère et les +gardait du loup et du lynx, eut des révélations concernant le royaume +de France. Ce berger était vierge comme Jean, le disciple préféré du +Seigneur. Dans une des cavernes de la montagne de Mende, où le saint +apôtre Privat avait prié et jeûné, il eut l'oreille frappée par une +voix du ciel et il connut qu'il était envoyé par Dieu vers le roi de +France. Il alla à Mende, ainsi que Jeanne était allée à Vaucouleurs, +pour se faire conduire au roi. Il trouva des personnes pieuses qui, +touchées de sa sainteté et persuadées qu'une vertu était en lui, +pourvurent à son équipement et à son viatique; ce qui, à vrai dire, +était peu de chose. Il tint au roi les mêmes propos que la Pucelle lui +avait tenus:</p> + +<p>—Sire, dit-il, j'ai commandement d'aller avec vos gens; et sans faute +les Anglais et les Bourguignons seront déconfits<a id="footnotetag441" name="footnotetag441"></a><a href="#footnote441" title="Lien vers la note 441"><span class="smaller">[441]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page189" name="page189"></a>(p. 189)</span> Le roi lui fit un accueil bienveillant. Les clercs, qui +avaient interrogé la Pucelle, auraient craint sans doute, en +repoussant ce jeune berger, de mépriser le secours du Saint-Esprit. +Amos fut pasteur de troupeaux et le Seigneur lui accorda le don de +prophétie: «Je te confesserai, mon père, Dieu du ciel et de la terre, +qui as révélé aux humbles ce que tu as caché aux sages et aux +prudents.» (Math., <span class="smcap">XI</span>.)</p> + +<p>Certes, pour inspirer foi il fallait qu'il donnât un signe, mais les +clercs de Poitiers qui, par le malheur des temps, gémissaient dans une +extrême indigence, n'étaient pas trop exigeants en fait de preuves; +ils avaient conseillé au roi de mettre en œuvre la Pucelle sur la +seule promesse que, en signe de sa mission, elle délivrerait Orléans. +Le pastour du Gévaudan n'allégua pas seulement des promesses: il +montra de merveilleuses marques sur son corps. De même que saint +François, il avait reçu les stigmates et portait aux pieds, aux mains, +au côté, des plaies sanglantes<a id="footnotetag442" name="footnotetag442"></a><a href="#footnote442" title="Lien vers la note 442"><span class="smaller">[442]</span></a>.</p> + +<p>C'était pour les religieux mendiants un grand sujet de joie, que leur +père spirituel eût ainsi partagé la Passion de Notre-Seigneur. +Pareille grâce avait été accordée à la bienheureuse Catherine de +Sienne, de l'ordre de Saint-Dominique. Mais, s'il y avait des +stigmates miraculeux, imprimés par Jésus-Christ lui-même, on voyait +aussi des stigmates magiques, qui étaient l'œuvre du <span class="pagenum"><a id="page190" name="page190"></a>(p. 190)</span> +Diable, et il importait grandement de faire le discernement des uns et +des autres<a id="footnotetag443" name="footnotetag443"></a><a href="#footnote443" title="Lien vers la note 443"><span class="smaller">[443]</span></a>. On y parvenait à force de science et de piété. Il +parut que les stigmates de Guillaume n'étaient pas diaboliques; car on +résolut de le mettre en œuvre comme on avait fait pour Jeanne, pour +Catherine de La Rochelle et pour les deux Bretonnes, filles +spirituelles du frère Richard.</p> + +<p>Quand la Pucelle tomba aux mains des Bourguignons, le sire de la +Trémouille se tenait auprès du roi, sur la Loire, où l'on ne faisait +plus la guerre depuis le malheureux siège de La Charité. Il envoya le +petit berger au seigneur archevêque de Reims alors aux prises, sur +l'Oise, avec les Bourguignons que commandait le duc Philippe lui-même. +Messire Regnault avait probablement réclamé l'innocent; en tout cas il +l'accueillit volontiers, le tint sous sa main, à Beauvais, le +surveillant et l'interrogeant, prêt à le lancer au moment favorable. +Un jour, soit pour l'éprouver, soit que la nouvelle eût couru et +trouvé créance, on annonça au jeune Guillaume que les Anglais avaient +fait mourir Jeanne.</p> + +<p>—Tant plus leur en mescherra, répondit-il<a id="footnotetag444" name="footnotetag444"></a><a href="#footnote444" title="Lien vers la note 444"><span class="smaller">[444]</span></a>.</p> + +<p>À cette heure, après les rivalités, les jalousies, qui avaient agité +le béguinage royal, il ne restait au frère <span class="pagenum"><a id="page191" name="page191"></a>(p. 191)</span> Richard qu'une +seule de ses pénitentes, la dame Catherine de La Rochelle, qui +découvrait les trésors cachés<a id="footnotetag445" name="footnotetag445"></a><a href="#footnote445" title="Lien vers la note 445"><span class="smaller">[445]</span></a>. Le petit berger se montra aussi +peu favorable à la Pucelle que la dame Catherine.</p> + +<p>—Dieu, dit-il, a souffert que Jeanne fût prise, parce qu'elle s'était +constituée en orgueil et pour les riches habits qu'elle avait pris et +parce qu'elle n'avait pas fait ce que Dieu lui avait commandé, mais +avait fait sa volonté<a id="footnotetag446" name="footnotetag446"></a><a href="#footnote446" title="Lien vers la note 446"><span class="smaller">[446]</span></a>.</p> + +<p>Ces propos lui étaient-ils soufflés par les ennemis de la Pucelle? Il +se peut; il est possible aussi qu'il les eût trouvés d'inspiration. +Les saints et les saintes ne sont pas toujours tendres les uns pour +les autres.</p> + +<p>Cependant messire Regnault de Chartres pensait tenir la merveille qui +remplacerait la merveille perdue. Il écrivit une lettre aux habitants +de sa ville de Reims, par laquelle il leur mandait que la Pucelle +avait été prise à Compiègne.</p> + +<p>Ce mal lui advint par sa faute, ajouta-t-il. «Elle ne voulait croire +conseil, mais faisait tout à son plaisir.» En sa place, Dieu a envoyé +un pastourel «qui dit ni plus ni moins qu'avait fait Jeanne. Il a +commandement de déconfire sans faute les Anglais et les Bourguignons». +Et le seigneur archevêque n'oublie pas de rapporter les paroles par +lesquelles l'inspiré du Gévaudan avait représenté Jeanne comme +orgueilleuse, <span class="pagenum"><a id="page192" name="page192"></a>(p. 192)</span> brave en ses habits, rebelle en son +cœur<a id="footnotetag447" name="footnotetag447"></a><a href="#footnote447" title="Lien vers la note 447"><span class="smaller">[447]</span></a>. Révérend père en Dieu monseigneur Regnault n'aurait +jamais consenti à se servir d'une hérétique ou d'un sorcier; il +croyait en Guillaume comme il avait cru en Jeanne; il les tenait l'un +et l'autre pour envoyés du ciel, en ce sens que tout ce qui ne vient +pas du diable vient de Dieu. Il lui suffisait qu'on n'eût rien +découvert de mauvais en cet enfant et il pensait l'essayer, espérant +que ce qu'avait fait Jeanne, Guillaume le ferait bien. Qu'il eût tort +ou raison, l'événement en devait décider, mais il eût pu exalter le +pastourel sans renier la sainte si près de son martyre. Sans doute +croyait-il nécessaire de dégager la fortune du royaume de la fortune +de Jeanne. Et il eut ce courage.</p> + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page193" name="page193"></a>(p. 193)</span> CHAPITRE IX<br> + +<span class="smaller">LA PUCELLE À BEAUREVOIR. — CATHERINE DE LA ROCHELLE À PARIS. — SUPPLICE +DE LA PIERRONNE.</span></h2> + + +<p>La Pucelle avait été prise dans l'évêché de Beauvais<a id="footnotetag448" name="footnotetag448"></a><a href="#footnote448" title="Lien vers la note 448"><span class="smaller">[448]</span></a>. L'évêque +comte de Beauvais était alors Pierre Cauchon, natif de Reims, grand et +solennel clerc de l'Université de Paris qui l'avait élu recteur en +l'an 1403. Messire Pierre Cauchon n'était point un homme modéré; il +s'était jeté très ardemment dans les émeutes cabochiennes<a id="footnotetag449" name="footnotetag449"></a><a href="#footnote449" title="Lien vers la note 449"><span class="smaller">[449]</span></a>. En +1414, le duc de Bourgogne l'avait envoyé en ambassade au concile de +Constance pour y <span class="pagenum"><a id="page194" name="page194"></a>(p. 194)</span> défendre les doctrines de Jean Petit<a id="footnotetag450" name="footnotetag450"></a><a href="#footnote450" title="Lien vers la note 450"><span class="smaller">[450]</span></a>, +puis nommé maître des requêtes en 1418, et fait asseoir enfin dans le +siège épiscopal de Beauvais<a id="footnotetag451" name="footnotetag451"></a><a href="#footnote451" title="Lien vers la note 451"><span class="smaller">[451]</span></a>. Également favorisé par les Anglais, +messire Pierre était conseiller du roi Henri VI, aumônier de France et +chancelier de la reine d'Angleterre; il résidait assez habituellement +à Rouen depuis l'année 1423. Les habitants de Beauvais, en se donnant +au roi Charles, l'avaient privé de ses revenus épiscopaux<a id="footnotetag452" name="footnotetag452"></a><a href="#footnote452" title="Lien vers la note 452"><span class="smaller">[452]</span></a>. Et +comme les Anglais disaient et croyaient que l'armée du roi de France +était alors commandée par frère Richard et la Pucelle, messire Pierre +Cauchon, évêque destitué de Beauvais, avait contre Jeanne un grief +personnel. Il eût mieux valu pour son honneur qu'il s'abstînt de +venger l'honneur de l'Église sur une fille, peut-être idolâtre, +invocatrice de diables et devineresse, mais qui sûrement avait encouru +son inimitié. Il était aux gages du Régent<a id="footnotetag453" name="footnotetag453"></a><a href="#footnote453" title="Lien vers la note 453"><span class="smaller">[453]</span></a>; or, le Régent +nourrissait pour la Pucelle beaucoup de haine et de rancune<a id="footnotetag454" name="footnotetag454"></a><a href="#footnote454" title="Lien vers la note 454"><span class="smaller">[454]</span></a>. Pour +son honneur encore, le seigneur évêque de Beauvais aurait dû songer +qu'en poursuivant Jeanne en matière de foi, il semblait servir les +haines d'un maître et les intérêts temporels des puissants de ce +<span class="pagenum"><a id="page195" name="page195"></a>(p. 195)</span> monde. Il n'y songea pas; tout au contraire, cette affaire à +la fois temporelle et spirituelle, ambiguë comme son état, excitait +ses appétits. Il se jeta dessus avec l'étourderie des violents. Une +fille à dévorer, hérétique et de plus armagnaque, quel régal pour le +prélat, conseiller du roi Henri! Après s'être concerté avec les +docteurs et maîtres de l'Université de Paris, il se présenta, le 14 +juillet, au camp de Compiègne et réclama la Pucelle comme appartenant +à sa justice<a id="footnotetag455" name="footnotetag455"></a><a href="#footnote455" title="Lien vers la note 455"><span class="smaller">[455]</span></a>.</p> + +<p>Il présentait à l'appui de sa demande les lettres adressées par +l'<i>alma Mater</i> au duc de Bourgogne et au seigneur Jean de Luxembourg.</p> + +<p>À l'illustrissime prince, duc de Bourgogne, l'Université mandait +qu'elle avait une première fois réclamé cette femme, dite la Pucelle, +et n'avait point reçu de réponse.</p> + +<p>«Nous craignons fort, disaient ensuite les docteurs et maîtres, que, +par la fausseté et séduction de l'Ennemi d'enfer et par la malice et +subtilité de mauvaises personnes, vos ennemis et adversaires, qui +mettent tous leurs soins, dit-on, à délivrer cette femme par voies +obliques, elle ne soit mise hors de votre pouvoir en quelque manière.</p> + +<p>»Pourtant, l'Université espère qu'un tel déshonneur sera épargné au +très chrétien nom de la maison de France, et supplie derechef Sa +Hautesse le duc de Bourgogne <span class="pagenum"><a id="page196" name="page196"></a>(p. 196)</span> de remettre cette femme soit à +l'inquisiteur du mal hérétique, soit à monseigneur l'évêque de +Beauvais en la juridiction spirituelle de qui elle a été prise.»</p> + +<p>Voici la lettre que les docteurs et maîtres de l'Université avaient +remise au seigneur évêque de Beauvais pour le Seigneur Jean de +Luxembourg:</p> + +<div class="quote"> +<p>Très noble, honoré et puissant seigneur, nous nous recommandons + très affectueusement à votre haute noblesse. Votre noble prudence + sait bien et connaît que tous bons chevaliers catholiques doivent + leur force et puissance employer premièrement au service de Dieu; + et après au profit de la chose publique. Spécialement, le serment + premier de l'ordre de chevalerie est de garder et défendre + l'honneur de Dieu, la foi catholique et sa sainte Église. De cet + engagement sacré il vous est bien souvenu quand vous avez employé + votre noble puissance et votre personne à appréhender cette femme + qui se dit la Pucelle, au moyen de laquelle l'honneur de Dieu a + été sans mesure offensé, la foi excessivement blessée et l'Église + trop fort déshonorée; car, par son occasion, idolâtries, erreurs, + mauvaises doctrines et autres maux et inconvénients démesurés se + sont produits en ce royaume. Et en vérité, tous les loyaux + chrétiens vous doivent remercier grandement d'avoir rendu si + grand service à notre sainte foi et à tout ce royaume. Quant à + nous, nous en remercions Dieu de tout notre cœur, et nous vous + remercions de votre noble prouesse aussi affectueusement que nous + le pouvons faire. Mais ce serait peu de chose que d'avoir fait + telle prise, s'il n'y était donné suite convenable, en sorte que + cette femme puisse répondre des offenses qu'elle a perpétrées + contre notre doux Créateur, sa foi et sa sainte Église, ainsi que + de ses autres méfaits qu'on dit innombrables. Le mal serait plus + grand que <span class="pagenum"><a id="page197" name="page197"></a>(p. 197)</span> jamais, le peuple en plus grande erreur que + devant et la Majesté divine trop intolérablement offensée, si la + chose demeurait en ce point, ou s'il advenait que cette femme fût + délivrée ou reprise comme quelques-uns de nos ennemis, dit-on, le + veulent, s'y efforcent et s'y appliquent de toute leur + intelligence, par toutes voies secrètes et, qui pis est, par + argent ou rançon. Mais nous espérons que Dieu ne permettra pas + qu'un si grand mal advienne à son peuple, et que votre bonne et + noble prudence ne le souffrira pas, mais qu'elle y saura bien + pourvoir convenablement.</p> + +<p>Car si délivrance était faite ainsi d'elle, sans convenable + réparation, ce serait un déshonneur irréparable sur votre grande + noblesse et sur tous ceux qui se seraient entremis dans cette + affaire. Mais votre bonne et noble prudence saura pourvoir à ce + qu'un tel scandale cesse le plus tôt que faire se pourra, comme + besoin est. Et parce qu'en cette affaire tout délai est très + périlleux et très préjudiciable à ce royaume, nous supplions très + amicalement, avec une cordiale affection, votre puissante et + honorée noblesse de vouloir bien, pour l'honneur divin, la + conservation de la sainte foi catholique, le bien et la gloire du + royaume, envoyer cette femme en justice et la faire ici remettre + à l'inquisiteur de la foi qui l'a réclamée et la réclame + instamment, afin d'examiner les grandes charges qui pèsent sur + elle, en sorte que Dieu en puisse être content, le peuple dûment + édifié en bonne et sainte doctrine. Ou bien, vous plaise faire + remettre et délivrer cette femme à révérend père en Dieu, notre + très honoré seigneur l'évêque de Beauvais, qui l'a pareillement + réclamée et en la juridiction duquel elle a été prise, dit-on. Ce + prélat et cet inquisiteur sont juges de cette femme en matière de + foi; et tout chrétien, de quelque état qu'il soit, est tenu de + leur obéir, dans le cas présent, sous les peines de droit qui + sont <span class="pagenum"><a id="page198" name="page198"></a>(p. 198)</span> grandes. En faisant cela, vous acquerrez la grâce + et amour de la haute Divinité, vous serez moyen de l'exaltation + de la sainte foi, et aussi vous accroîtrez la gloire de votre + très haut et noble nom et en même temps celle de très haut et + très puissant prince, notre très redouté seigneur et le vôtre, + monseigneur de Bourgogne. Chacun sera tenu de prier Dieu, pour la + prospérité de votre très noble personne; laquelle Dieu notre + Sauveur, veuille, par sa grâce, conduire et garder en toutes ses + affaires et finalement lui rétribuer joie sans fin.</p> + +<p>Fait à Paris, le quatorzième jour de juillet 1430<a id="footnotetag456" name="footnotetag456"></a><a href="#footnote456" title="Lien vers la note 456"><span class="smaller">[456]</span></a>.</p> +</div> + +<p>En même temps qu'il était porteur de ces lettres, révérend père en +Dieu, l'évêque de Beauvais était chargé d'offres d'argent<a id="footnotetag457" name="footnotetag457"></a><a href="#footnote457" title="Lien vers la note 457"><span class="smaller">[457]</span></a>. Et il +semble vraiment étrange qu'au moment même où il représentait au +seigneur de Luxembourg, par l'organe de l'Université, qu'il ne pouvait +vendre sa prisonnière sans crime, il la lui vînt lui-même acheter. Sur +la foi de ces hommes d'Église, messire Jean encourait des peines +terribles en ce monde et dans l'autre si, conformément aux droits et +coutumes de la guerre, il délivrait contre finance une personne prise +à rançon, et il s'attirait louanges et bénédictions si traîtreusement +il vendait sa captive à ceux qui voulaient la faire mourir. Du moins +le seigneur évêque, lui, vient-il acheter cette femme pour l'Église, +avec l'argent de l'Église? Non! Avec l'argent des Anglais. Donc elle +est livrée non pas à l'Église mais <span class="pagenum"><a id="page199" name="page199"></a>(p. 199)</span> aux Anglais. Et c'est un +prêtre, au nom des intérêts de Dieu et de l'Église, en vertu de sa +juridiction ecclésiastique, qui conclut le marché. Il offre dix mille +francs d'or, somme au prix de laquelle, dit-il, le roi, selon la +coutume de France, a le droit de se faire remettre tout prisonnier, +fût-il de sang royal<a id="footnotetag458" name="footnotetag458"></a><a href="#footnote458" title="Lien vers la note 458"><span class="smaller">[458]</span></a>.</p> + +<p>Que messire Pierre Cauchon, grand et solennel clerc, soupçonnât Jeanne +de sorcellerie, le doute n'est pas possible sur ce point. La voulant +juger, il agissait en évêque. Mais il la savait ennemie des Anglais et +sa propre ennemie: nul doute non plus sur ce point. La voulant juger, +il agissait en conseiller du roi Henri. Pour dix mille francs d'or, +achetait-il une sorcière ou l'ennemie des Anglais? Et si c'était +seulement une sorcière et une idolâtre que le sacré inquisiteur, que +l'Université, que l'ordinaire réclamaient pour la gloire de Dieu et à +prix d'or, à quoi bon tant d'efforts et de dépense? Ne valait-il pas +mieux agir en cette matière de concert avec les clercs du roi Charles? +Les Armagnacs n'étaient pas des infidèles, des hérétiques; ils +n'étaient pas des Turcs, des Hussites; ils étaient des catholiques; +ils reconnaissaient le pape de Rome comme vrai chef de la chrétienté. +Le dauphin Charles et son clergé n'étaient pas excommuniés; le pape ne +disait anathèmes ni ceux qui tenaient pour nul le traité de Troyes, ni +ceux qui l'avaient juré; <span class="pagenum"><a id="page200" name="page200"></a>(p. 200)</span> ce n'était pas matière de foi. Dans +les pays de l'obéissance du roi Charles la sainte inquisition +poursuivait curieusement le mal hérétique et le bras séculier +pourvoyait à ce que les jugements d'Église ne fussent point de vaines +rêveries. Tout aussi bien que les Français et les Bourguignons, les +Armagnacs brûlaient les sorcières. Sans doute, ils ne pensaient pas, +pour l'heure, que la Pucelle fût possédée de plusieurs diables; la +plupart d'entre eux croyaient préférablement que c'était une sainte. +Mais ne pouvait-on les détromper? N'était-il pas charitable de leur +opposer de beaux arguments canoniques? Si la cause de cette Pucelle +était vraiment une cause ecclésiastique, pourquoi ne pas se concerter +entre les clercs des deux partis en vue de la porter devant le pape et +le concile? Précisément un concile pour la réforme de l'Église et la +paix des royaumes était convoqué dans la ville de Bâle; l'Université +désignait des délégués qui devaient s'y rencontrer avec les clercs du +roi Charles, gallicans comme eux et obstinément attachés comme eux aux +privilèges de l'Église de France<a id="footnotetag459" name="footnotetag459"></a><a href="#footnote459" title="Lien vers la note 459"><span class="smaller">[459]</span></a>. Pourquoi n'y pas faire juger la +prophétesse des Armagnacs par les Pères assemblés? Mais il fallait que +les choses prissent un autre tour dans l'intérêt de Henri de Lancastre +et pour la gloire <span class="pagenum"><a id="page201" name="page201"></a>(p. 201)</span> de la vieille Angleterre. Déjà les +conseillers du Régent accusaient Jeanne de sorcellerie quand elle les +sommait, de par le Roi du ciel, de s'en aller hors la France. Lors du +siège d'Orléans, ils voulaient brûler ses hérauts, et disaient que +s'ils la tenaient, ils la feraient brûler. Telle était certes leur +ferme intention et leur constant propos, ce qui ne veut pas dire +qu'ils songèrent, dès qu'elle fut prise, à la remettre aux clercs. +Dans leur royaume, ils brûlaient autant que possible les sorciers et +les sorcières; toutefois ils n'avaient jamais souffert que la sacrée +inquisition s'y établît, et ils connaissaient fort mal cette sorte de +justice. Avisé que Jeanne était aux mains du sire de Luxembourg, le +grand conseil d'Angleterre fut unanime pour qu'on l'achetât à tout +prix. Plusieurs lords recommandèrent, dès qu'on la tiendrait, de la +coudre dans un sac et de la jeter à la rivière. Mais l'un d'eux (on a +dit que c'était le comte de Warwick) leur représenta qu'il fallait +qu'elle fût jugée, convaincue d'hérésie et de sorcellerie, par un +tribunal ecclésiastique, solennellement déshonorée, afin que son roi +fût déshonoré avec elle<a id="footnotetag460" name="footnotetag460"></a><a href="#footnote460" title="Lien vers la note 460"><span class="smaller">[460]</span></a>. Quelle honte pour Charles de Valois, se +disant roi de France, si l'Université de Paris, si les prélats +français, évêques, abbés, chanoines, si l'Église universelle enfin +déclarait qu'une sorcière avait siégé dans ses conseils, conduit ses +armées, qu'une possédée l'avait mené à son sacre impie, sacrilège et +dérisoire! <span class="pagenum"><a id="page202" name="page202"></a>(p. 202)</span> Le procès de la Pucelle serait le procès de +Charles VII, la condamnation de la Pucelle serait la condamnation de +Charles VII. L'idée parut bonne et l'on s'y tint.</p> + +<p>Le seigneur évêque de Beauvais s'empressa de l'exécuter, tout +bouillant de juger, lui, prêtre et conseiller d'État, sous le semblant +d'une malheureuse hérétique, le descendant de Clovis, de saint +Charlemagne et de saint Louis.</p> + +<p>Au commencement d'août, le sire de Luxembourg fit transporter la +Pucelle, de Beaulieu, qui était trop peu sûr, à Beaurevoir, près +Cambrai<a id="footnotetag461" name="footnotetag461"></a><a href="#footnote461" title="Lien vers la note 461"><span class="smaller">[461]</span></a>. Là, vivaient les dames Jeanne de Luxembourg et Jeanne de +Béthune. Jeanne de Luxembourg était tante du seigneur Jean qu'elle +aimait tendrement; elle avait vécu parmi les puissants de ce monde +comme une sainte, et sans contracter d'alliance; jadis demoiselle +d'honneur de la reine Ysabeau, marraine du roi Charles VII, une des +grandes affaires de sa vie avait été de solliciter auprès du pape +Martin la canonisation de son frère, le cardinal de Luxembourg, mort +en Avignon dans sa dix-neuvième année. On l'appelait la demoiselle de +Luxembourg. Elle était âgée de soixante-sept ans, malade et près de sa +fin<a id="footnotetag462" name="footnotetag462"></a><a href="#footnote462" title="Lien vers la note 462"><span class="smaller">[462]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page203" name="page203"></a>(p. 203)</span> Jeanne de Béthune, veuve du seigneur Robert de Bar, tué à la +bataille d'Azincourt, avait épousé, en 1418, le seigneur Jean. Elle +passait pour pitoyable, ayant demandé à son époux et obtenu, en l'an +1424, la grâce d'un gentilhomme picard amené prisonnier à Beaurevoir +et en grand danger d'être décapité et puis écartelé<a id="footnotetag463" name="footnotetag463"></a><a href="#footnote463" title="Lien vers la note 463"><span class="smaller">[463]</span></a>.</p> + +<p>Ces deux dames traitèrent Jeanne avec douceur. Elles lui offrirent des +vêtements de femme ou du drap pour en faire; et elles la pressèrent de +quitter un habit qui leur paraissait mal séant. Jeanne s'y refusa, +alléguant qu'elle n'en avait pas congé de Notre-Seigneur et qu'il +n'était pas encore temps; mais elle avoua, par la suite, que, si elle +avait pu quitter l'habit d'homme, elle l'aurait fait à la requête de +ces deux dames préférablement à celle de toute autre dame de France, +sa reine exceptée<a id="footnotetag464" name="footnotetag464"></a><a href="#footnote464" title="Lien vers la note 464"><span class="smaller">[464]</span></a>.</p> + +<p>Un gentilhomme du parti de Bourgogne, qui se nommait Aimond de Macy, +la venait souvent voir et conversait volontiers avec elle. Elle ne lui +tenait que de bons propos, se montrait honnête de fait et dans tous +ses gestes. Toutefois sire Aimond, qui n'avait guère que trente ans, +la trouva fort agréable de sa personne<a id="footnotetag465" name="footnotetag465"></a><a href="#footnote465" title="Lien vers la note 465"><span class="smaller">[465]</span></a>. Si l'on en croit certains +témoignages de son parti, Jeanne, <span class="pagenum"><a id="page204" name="page204"></a>(p. 204)</span> quoique belle, n'inspirait +pas de désirs aux hommes; mais cette grâce singulière ne s'exerçait +que sur les Armagnacs; elle ne s'étendait pas aux Bourguignons et le +seigneur Aimond n'en fut point touché, car il tenta un jour de lui +mettre la main dans le sein. Elle l'en empêcha bien et le repoussa de +toutes ses forces. Le seigneur Aimond en conclut, comme plus d'un +aurait fait à sa place, que cette fille était d'une rare vertu. Il +s'en portait caution<a id="footnotetag466" name="footnotetag466"></a><a href="#footnote466" title="Lien vers la note 466"><span class="smaller">[466]</span></a>.</p> + +<p>Enfermée dans le donjon du château, Jeanne tendait son esprit sur +cette seule idée d'aller revoir ses amis de Compiègne; elle ne +songeait qu'à s'échapper. Il lui vint, on ne sait comment, de +mauvaises nouvelles de France. Elle croyait savoir que tous ceux de +Compiègne, depuis l'âge de sept ans, seraient massacrés. Elle disait: +«seraient mis à feu et à sang»; événement d'ailleurs certain, si la +ville eût été prise.</p> + +<p>Confiant à madame sainte Catherine ses douleurs et son invincible +désir, elle demandait:</p> + +<p>—Comment Dieu laissera-t-il mourir ces bonnes gens de Compiègne, qui +ont été et sont si loyaux à leur seigneur<a id="footnotetag467" name="footnotetag467"></a><a href="#footnote467" title="Lien vers la note 467"><span class="smaller">[467]</span></a>?</p> + +<p>Et dans son rêve, mêlée aux saintes, comme on voit les donatrices dans +les tableaux d'église, agenouillée et ravie, elle priait avec ses +conseillères du ciel, pour les habitants de Compiègne.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page205" name="page205"></a>(p. 205)</span> Ce qu'elle avait ouï de leur sort lui causait une douleur +infinie, et elle aimait mieux mourir que vivre après une telle +destruction de bonnes gens. C'est pourquoi elle fut véhémentement +tentée de sauter du haut du donjon. Et, comme elle savait bien tout ce +qu'on pouvait lui dire à rencontre, elle entendait ses Voix le lui +ramentevoir.</p> + +<p>Madame sainte Catherine lui répétait presque tous les jours:</p> + +<p>—Ne sautez point, Dieu vous aidera et pareillement ceux de Compiègne.</p> + +<p>Et Jeanne lui répondait:</p> + +<p>—Puisque Dieu aidera ceux de Compiègne, j'y veux être.</p> + +<p>Et madame sainte Catherine lui recommençait ce conte merveilleux de la +bergère et du roi:</p> + +<p>—Sans faute, il faut que vous preniez tout en gré. Et vous ne serez +point délivrée tant que vous n'aurez point vu le roi des Anglais.</p> + +<p>À quoi Jeanne répliquait:</p> + +<p>—Vraiment je ne le voulusse point voir. J'aimasse mieux mourir que +d'être mise en la main des Anglais<a id="footnotetag468" name="footnotetag468"></a><a href="#footnote468" title="Lien vers la note 468"><span class="smaller">[468]</span></a>.</p> + +<p>Un jour, elle apprit que les Anglais venaient la chercher. La nouvelle +se rapportait peut-être à la venue du seigneur évêque de Beauvais qui +offrit à Beaurevoir le prix du sang<a id="footnotetag469" name="footnotetag469"></a><a href="#footnote469" title="Lien vers la note 469"><span class="smaller">[469]</span></a>. Entendant cela, Jeanne +éperdue, hors <span class="pagenum"><a id="page206" name="page206"></a>(p. 206)</span> d'elle, n'écouta plus ses Voix qui lui +défendaient de tenter le saut mortel. Le donjon était haut de +soixante-dix pieds, pour le moins; elle se recommanda à Dieu et sauta.</p> + +<p>Chue à terre, elle entendit des gens qui criaient:</p> + +<p>—Elle est morte.</p> + +<p>Les gardes accoururent. La trouvant encore en vie, dans leur +saisissement, ils ne surent que lui demander:</p> + +<p>—Vous avez sauté?...</p> + +<p>Elle se sentait brisée; mais madame sainte Catherine lui parla:</p> + +<p>—Faites bon visage. Vous guérirez.</p> + +<p>Madame sainte Catherine lui donna en même temps de bonnes nouvelles +des amis.</p> + +<p>—Vous guérirez et ceux de Compiègne auront secours.</p> + +<p>Et elle ajouta que ce secours viendrait avant la Saint-Martin +d'hiver<a id="footnotetag470" name="footnotetag470"></a><a href="#footnote470" title="Lien vers la note 470"><span class="smaller">[470]</span></a>.</p> + +<p>Dès lors, Jeanne pensa que c'était ses saintes qui l'avaient secourue +et gardée de la mort. Elle savait bien qu'elle avait mal fait en +tentant un pareil saut, malgré ses Voix.</p> + +<p>Madame sainte Catherine lui dit:</p> + +<p>—Il faut vous en confesser et demander pardon à Dieu de ce que vous +avez sauté.</p> + +<p>Jeanne s'en confessa et en demanda pardon à Notre-Seigneur. <span class="pagenum"><a id="page207" name="page207"></a>(p. 207)</span> +Et après sa confession, elle fut avertie par madame sainte Catherine +que Dieu l'avait pardonnée. Elle demeura trois ou quatres jours sans +manger ni boire; puis elle prit de la nourriture et fut guérie<a id="footnotetag471" name="footnotetag471"></a><a href="#footnote471" title="Lien vers la note 471"><span class="smaller">[471]</span></a>.</p> + +<p>On fit un autre récit du saut de Beaurevoir; on conta qu'elle avait +tenté de s'évader par une fenêtre, suspendue à un drap ou à quelque +autre chose qui se rompit; mais il en faut croire la Pucelle: elle dit +qu'elle saillit; si elle s'était suspendue à une corde, elle n'aurait +pas cru commettre un pêché et ne s'en serait pas confessée. Ce saut +fut connu et le bruit courut au loin qu'elle s'était échappée et avait +rejoint ceux de son parti<a id="footnotetag472" name="footnotetag472"></a><a href="#footnote472" title="Lien vers la note 472"><span class="smaller">[472]</span></a>.</p> + +<p>Cependant le bon prêcheur que Jeanne, mal contente de lui, avait +quitté mal content d'elle, frère Richard, ayant prêché le carême aux +Orléanais, reçut d'eux, en témoignage de satisfaction, un Jésus taillé +en cuivre par un orfèvre nommé Philippe, d'Orléans. Et le libraire +Jean Moreau lui relia un livre d'heures, aux frais de la ville<a id="footnotetag473" name="footnotetag473"></a><a href="#footnote473" title="Lien vers la note 473"><span class="smaller">[473]</span></a>.</p> + +<p>Il ramena la reine Marie à Jargeau et se fit bien venir d'elle. Cette +amertume fut épargnée à Jeanne <span class="pagenum"><a id="page208" name="page208"></a>(p. 208)</span> d'apprendre que, tandis +qu'elle languissait en prison, ses amis d'Orléans, son gentil dauphin, +sa reine Marie, faisaient bonne chère à ce religieux qui s'était +détourné d'elle et lui avait préféré une dame Catherine qu'elle +considérait comme rien<a id="footnotetag474" name="footnotetag474"></a><a href="#footnote474" title="Lien vers la note 474"><span class="smaller">[474]</span></a>. Naguère, Jeanne s'alarmait à l'idée qu'on +pût mettre en œuvre la dame Catherine, elle en écrivait à son roi +et, dès qu'elle le voyait elle l'adjurait de n'en rien faire. +Maintenant le roi ne tenait nul compte de ce qu'elle lui avait dit; il +consentait à ce que la préférée du bon frère Richard fût mise en état +d'accomplir sa mission, qui était d'obtenir de l'argent des bonnes +villes et de négocier la paix avec le duc de Bourgogne. Mais cette +sainte dame ne possédait peut-être pas toute la prudence nécessaire +pour faire œuvre d'homme et servir le roi. Tout de suite, elle +causa des embarras à ses amis.</p> + +<p>Se trouvant dans la ville de Tours, elle se prit à dire: «En cette +ville, il y a des charpentiers qui charpentent, mais non pas pour +logis, et, si l'on n'y prend garde, cette ville est en voie de prendre +bientôt le mauvais bout, et il y en a dans la ville qui le savent +bien<a id="footnotetag475" name="footnotetag475"></a><a href="#footnote475" title="Lien vers la note 475"><span class="smaller">[475]</span></a>.»</p> + +<p>Sous forme de parabole, c'était une dénonciation. La dame Catherine +accusait les gens d'Église et les bourgeois de Tours de travailler +contre Charles de Valois, leur seigneur. Il fallait que cette dame fût +réputée pour <span class="pagenum"><a id="page209" name="page209"></a>(p. 209)</span> avoir du crédit auprès du roi, de son conseil +et de sa parenté, car les habitants de Tours prirent peur et +envoyèrent un religieux augustin, frère Jean Bourget, vers le roi +Charles, la reine de Sicile, l'évêque de Séez et le seigneur de +Trèves, pour s'enquérir si les paroles de cette sainte femme avaient +trouvé créance auprès d'eux. La reine de Sicile et les conseillers du +roi Charles remirent au religieux des lettres par lesquelles ils +mandaient à ceux de Tours qu'ils n'avaient ouï parler de rien de +semblable et le roi Charles déclara qu'il se fiait bien aux gens +d'Église, bourgeois et habitants de sa ville de Tours<a id="footnotetag476" name="footnotetag476"></a><a href="#footnote476" title="Lien vers la note 476"><span class="smaller">[476]</span></a>.</p> + +<p>La dame Catherine avait tenu les mêmes méchants propos sur les +habitants d'Angers<a id="footnotetag477" name="footnotetag477"></a><a href="#footnote477" title="Lien vers la note 477"><span class="smaller">[477]</span></a>.</p> + +<p>Cette dévote personne, soit qu'elle voulût, comme la bienheureuse +Colette de Corbie, cheminer d'un parti à l'autre, soit qu'il lui +arrivât d'être prise par des hommes d'armes bourguignons, comparut à +Paris devant l'official. Il semble que les gens d'Église se soient, +dans leur interrogatoire, moins occupés d'elle que de la Pucelle +Jeanne, dont le procès s'instruisait alors.</p> + +<p>Au sujet de la Pucelle, Catherine dit ceci:</p> + +<p>—Jeanne a deux conseillers, qu'elle appelle conseillers de la +Fontaine<a id="footnotetag478" name="footnotetag478"></a><a href="#footnote478" title="Lien vers la note 478"><span class="smaller">[478]</span></a>.</p> + +<p>Par ce propos, elle exprimait un souvenir confus <span class="pagenum"><a id="page210" name="page210"></a>(p. 210)</span> des +entretiens qu'elle avait eus à Jargeau et à Montfaucon. Le mot de +conseil était celui que Jeanne employait le plus souvent en parlant de +ses Voix; mais la dame Catherine mêlait ce que la Pucelle lui avait +dit de la Fontaine-des-Groseilliers à Domremy et de ses visiteurs +célestes.</p> + +<p>Si Jeanne nourrissait de la malveillance pour Catherine, Catherine ne +nourrissait pas de bienveillance pour Jeanne. Elle n'affirma pas que +le fait de Jeanne n'était que néant; mais elle donna clairement à +entendre que la pauvre fille, alors prisonnière des Bourguignons, +était invocatrice des mauvais esprits.</p> + +<p>—Jeanne, dit-elle à l'official, sortira de prison par le secours du +diable, si elle n'est pas bien gardée<a id="footnotetag479" name="footnotetag479"></a><a href="#footnote479" title="Lien vers la note 479"><span class="smaller">[479]</span></a>.</p> + +<p>Que Jeanne fût ou non secourue par le diable, c'était affaire à +décider entre elle et les docteurs de l'Église. Mais il était certain +qu'elle ne pensait qu'à s'échapper des mains de ses ennemis et qu'elle +imaginait sans cesse toutes sortes de moyens d'évasion. La dame +Catherine de La Rochelle la connaissait bien et lui voulait beaucoup +de mal.</p> + +<p>Cette dame fut relâchée. Les juges d'Église, sans doute, n'auraient +pas usé envers elle d'une telle indulgence si elle avait porté sur la +Pucelle un témoignage favorable. Elle retourna auprès du roi +Charles<a id="footnotetag480" name="footnotetag480"></a><a href="#footnote480" title="Lien vers la note 480"><span class="smaller">[480]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page211" name="page211"></a>(p. 211)</span> Les deux femmes de religion qui avaient suivi Jeanne à son +départ de Sully et avaient été prises à Corbeil, Pierronne de Bretagne +bretonnante, et sa compagne, étaient gardées, depuis le printemps, +dans les prisons ecclésiastiques, à Paris. Elles se disaient +publiquement envoyées de Dieu pour venir en aide à la Pucelle Jeanne. +Le frère Richard avait été leur beau père et elles s'étaient tenues en +compagnie de la Pucelle. C'est pourquoi elles étaient véhémentement +soupçonnées d'offenses graves envers Dieu et sa foi. Le grand +inquisiteur de France, frère Jean Graverent, prieur des Jacobins de +Paris, instruisit leur procès dans les formes usitées en ce pays. Il +procéda concurremment avec l'ordinaire, représenté par l'official.</p> + +<p>La Pierronne publiait et tenait pour vrai que Jeanne était bonne, que +ce qu'elle faisait était bien fait et selon Dieu. Elle reconnut que, +dans la nuit de Noël de la présente année, à Jargeau, le frère Richard +lui avait donné deux fois le corps de Jésus-Christ et qu'il l'avait +donné trois fois à Jeanne<a id="footnotetag481" name="footnotetag481"></a><a href="#footnote481" title="Lien vers la note 481"><span class="smaller">[481]</span></a>. Le fait se trouvait d'ailleurs établi +par des informations recueillies auprès de témoins oculaires. Les +juges, qui étaient des maîtres insignes, estimèrent que ce religieux +ne devait pas ainsi prodiguer à de telles femmes le pain des anges. +Toutefois, la communion multiple n'étant formellement interdite par +aucune disposition du droit canon, on ne pouvait <span class="pagenum"><a id="page212" name="page212"></a>(p. 212)</span> en faire +grief à la Pierronne. Les informateurs qui instruisaient alors contre +Jeanne ne retinrent point les trois communions de Jargeau<a id="footnotetag482" name="footnotetag482"></a><a href="#footnote482" title="Lien vers la note 482"><span class="smaller">[482]</span></a>.</p> + +<p>Des charges plus lourdes pesaient sur les deux Bretonnes. Elles +étaient sous le coup d'une accusation de maléfices et de sorcellerie.</p> + +<p>La Pierronne affirma et jura que Dieu lui apparaissait souvent en +humanité et lui parlait comme un ami à un ami, et que, la dernière +fois qu'elle l'avait vu, il était vêtu d'une huque vermeille et d'une +longue robe blanche<a id="footnotetag483" name="footnotetag483"></a><a href="#footnote483" title="Lien vers la note 483"><span class="smaller">[483]</span></a>.</p> + +<p>Les insignes maîtres qui la jugeaient lui représentèrent que ces dires +touchant de semblables apparitions étaient blasphèmes. Et ces femmes +furent reconnues en possession du mauvais esprit, qui les faisait +errer dans leurs paroles et leurs actions.</p> + +<p>Le dimanche 3 septembre 1430, elles furent menées au Parvis Notre-Dame +pour y être prêchées. Des échafauds y avaient été dressés selon +l'usage, et l'on avait choisi le dimanche pour que le peuple pût +profiter de ce spectacle édifiant. Un insigne docteur adressa à toutes +deux une exhortation charitable. L'une d'elles, la plus jeune, en +l'écoutant et en voyant le bûcher préparé, vint à résipiscence. Elle +reconnut qu'elle avait été séduite par un ange de Satan et répudia +dûment son erreur.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page213" name="page213"></a>(p. 213)</span> La Pierronne au contraire ne voulut pas se rétracter. Elle +demeura obstinée dans cette croyance qu'elle voyait Dieu souvent, vêtu +comme elle avait dit.</p> + +<p>L'Église ne pouvait plus rien pour elle. Remise au bras séculier, elle +fut à l'instant même conduite sur le bûcher qui lui était destiné, et +brûlée vive de la main du bourreau<a id="footnotetag484" name="footnotetag484"></a><a href="#footnote484" title="Lien vers la note 484"><span class="smaller">[484]</span></a>.</p> + +<p>Ainsi le grand inquisiteur de France et l'évêque de Paris faisaient +cruellement périr d'une mort ignominieuse une des filles qui avaient +suivi le frère Richard, une des saintes du dauphin Charles. De ces +filles, la plus fameuse et la plus abondante en œuvres était entre +leurs mains. La mort de la Pierronne annonçait le sort réservé à la +Pucelle.</p> + + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page214" name="page214"></a>(p. 214)</span> CHAPITRE X<br> + +<span class="smaller">BEAUREVOIR. — ARRAS. — ROUEN. — LA CAUSE DE LAPSE.</span></h2> + + +<p>Au mois de septembre, deux habitants de Tournai, le grand doyen +Bietremieu Carlier et le conseiller maître Henri Romain, revenant des +bords de la Loire, où leur ville les avait députés auprès du roi de +France, s'arrêtèrent à Beaurevoir. Bien que ce lieu se trouvât sur +leur route directe et leur offrit un gîte entre deux étapes, on ne +peut s'empêcher de supposer un lien entre leur mission auprès de +Charles de Valois et leur passage dans la seigneurie du sire de +Luxembourg, surtout lorsqu'on songe à l'attachement de leurs +concitoyens aux fleurs de lis et si l'on sait les relations déjà +nouées à cette époque entre ces deux ambassadeurs et la Pucelle<a id="footnotetag485" name="footnotetag485"></a><a href="#footnote485" title="Lien vers la note 485"><span class="smaller">[485]</span></a>.</p> + +<p>Fidèle, nous le savons, au roi de France, qui lui avait accordé +franchises et privilèges, la prévôté de Tournai <span class="pagenum"><a id="page215" name="page215"></a>(p. 215)</span> lui envoyait +messages sur messages, ordonnait en sa faveur de belles processions, +prête à tout lui accorder tant qu'il ne lui demandait ni un homme ni +un sol. S'étant rendus précédemment tous deux en ambassadeurs dans la +ville de Reims pour assister au sacre et couronnement du roi Charles, +le doyen Carlier et le conseiller Romain y avaient vu la Pucelle dans +sa gloire, et, sans doute, l'avaient tenue alors pour une très grande +sainte. C'était le temps où leur ville, attentive aux progrès des +armées royales, correspondait assidûment avec la béguine guerrière et +avec son confesseur, frère Richard, ou, plus probablement, frère +Pasquerel. Aujourd'hui ils se rendaient au château où elle était +renfermée, aux mains de ses cruels ennemis. Nous ne savons ce qu'ils +venaient dire au sire de Luxembourg, ni même s'ils furent reçus par +lui; sans doute, il ne refusa pas de les entendre, s'il pensa qu'ils +venaient apporter les offres secrètes du roi Charles pour le rachat de +celle qui avait été à ses batailles. Nous ne savons pas d'avantage +s'ils purent voir la prisonnière. Il est très possible qu'ils +pénétrèrent auprès d'elle, car, le plus souvent alors, l'accès des +captifs était facile et tout loisir donné aux passants d'accomplir, en +les visitant, une des sept œuvres de la miséricorde.</p> + +<p>Ce qui est certain, c'est qu'en quittant Beaurevoir, ils emportaient +une lettre que Jeanne leur avait confiée, les chargeant de la remettre +aux magistrats de leur <span class="pagenum"><a id="page216" name="page216"></a>(p. 216)</span> ville. Par cette lettre, elle +demandait qu'en la faveur du roi son seigneur et des bons services +qu'elle lui avait faits, les habitants de Tournai voulussent bien lui +envoyer de vingt à trente écus d'or pour employer à ses +nécessités<a id="footnotetag486" name="footnotetag486"></a><a href="#footnote486" title="Lien vers la note 486"><span class="smaller">[486]</span></a>.</p> + +<p>C'est ainsi qu'on voyait alors les prisonniers mendier leur +nourriture.</p> + +<p>La demoiselle de Luxembourg, qui venait de faire son testament et +n'avait plus que quelques jours à vivre<a id="footnotetag487" name="footnotetag487"></a><a href="#footnote487" title="Lien vers la note 487"><span class="smaller">[487]</span></a>, pria, dit-on, son noble +neveu de ne pas livrer la Pucelle aux Anglais<a id="footnotetag488" name="footnotetag488"></a><a href="#footnote488" title="Lien vers la note 488"><span class="smaller">[488]</span></a>. Mais que pouvait +la bonne dame contre le roi d'Angleterre avec l'or de la Normandie et +la sainte Église avec ses foudres? Car si monseigneur Jean n'avait pas +livré cette fille soupçonnée de sortilèges, idolâtries, invocations de +diables et autres crimes contre la foi, il était excommunié. La +vénérable Université de Paris avait pris soin de l'avertir qu'un refus +l'exposait aux peines de droit, qui étaient grandes<a id="footnotetag489" name="footnotetag489"></a><a href="#footnote489" title="Lien vers la note 489"><span class="smaller">[489]</span></a>.</p> + +<p>Cependant le sire de Luxembourg n'était pas tranquille: il craignait +qu'en ce lieu de Beaurevoir une <span class="pagenum"><a id="page217" name="page217"></a>(p. 217)</span> prisonnière valant dix mille +livres d'or ne fût pas suffisamment à l'abri d'un coup de main des +Français ou des Anglais, ou des Bourguignons, et de toutes gens qui, +sans souci de Bourgogne, d'Angleterre ni de France, eussent idée de +l'enlever pour la mettre en fosse et à rançon, selon l'usage des +coitreaux d'alors<a id="footnotetag490" name="footnotetag490"></a><a href="#footnote490" title="Lien vers la note 490"><span class="smaller">[490]</span></a>.</p> + +<p>Vers la fin de septembre, il fit demander à son seigneur, le duc de +Bourgogne, qui possédait belles villes et cités très fortes, de +vouloir bien lui garder sa prisonnière. Monseigneur Philippe y +consentit, et, sur son ordre, Jeanne fut conduite à Arras, dont les +murailles étaient hautes et qui avait deux châteaux dont l'un, la +Cour-le-Comte, s'élevait au milieu de la ville. C'est probablement +dans les prisons de la Cour-le-Comte qu'elle fut renfermée, sous la +garde de monseigneur David de Brimeu, seigneur de Ligny, chevalier de +la Toison d'or, gouverneur d'Arras.</p> + +<p>Ce n'était guère l'usage, en ce temps-là, de tenir les prisonniers +cachés<a id="footnotetag491" name="footnotetag491"></a><a href="#footnote491" title="Lien vers la note 491"><span class="smaller">[491]</span></a>. Jeanne, à Arras, reçut des visiteurs et, entre autres, un +Écossais qui lui fit voir un portrait où elle était figurée en armes, +un genou en terre, et présentant une lettre à son roi<a id="footnotetag492" name="footnotetag492"></a><a href="#footnote492" title="Lien vers la note 492"><span class="smaller">[492]</span></a>. Cette +lettre pouvait être du sire de Baudricourt ou de tout autre, qui, +clerc ou capitaine, avait, dans la pensée du peintre, envoyé <span class="pagenum"><a id="page218" name="page218"></a>(p. 218)</span> +la jeune fille au dauphin; ce pouvait être une lettre annonçant au roi +la délivrance d'Orléans ou la victoire de Patay.</p> + +<p>Ce portrait fut le seul que Jeanne vit jamais fait à sa ressemblance, +et, pour sa part, elle n'en fit faire aucun; mais, au temps si bref de +sa puissance, le peuple des villes françaises mettait ses images +peintes et taillées dans les chapelles des saints, et portait des +médailles de plomb qui la représentaient, observant de la sorte, à son +égard, l'usage établi en l'honneur des saints canonisés par +l'Église<a id="footnotetag493" name="footnotetag493"></a><a href="#footnote493" title="Lien vers la note 493"><span class="smaller">[493]</span></a>.</p> + +<p>Plusieurs seigneurs bourguignons et parmi eux un chevalier nommé Jean +de Pressy, conseiller, chambellan du duc Philippe, gouverneur général +des finances de Bourgogne, lui offrirent un habit de femme, comme +avaient fait les dames de Luxembourg, pour son bien, et afin d'éviter +un grand scandale; mais pour rien au monde Jeanne n'eût quitté l'habit +qu'elle avait pris par révélation.</p> + +<p>Elle reçut aussi dans sa prison d'Arras un clerc de Tournai, du nom de +Jean Naviel, chargé par les magistrats de sa ville de lui remettre la +somme de vingt-deux couronnes d'or. Cet ecclésiastique possédait la +confiance de ses compatriotes qui l'employaient aux <span class="pagenum"><a id="page219" name="page219"></a>(p. 219)</span> affaires +les plus importantes de la ville. Envoyé, au mois de mai de la +présente année 1430, vers messire Regnault de Chartres, chancelier du +roi Charles, il avait été pris par les Bourguignons en même temps que +Jeanne et mis à rançon; mais il s'était tiré d'affaire très vite et à +bon compte.</p> + +<p>Il s'acquitta exactement de sa mission<a id="footnotetag494" name="footnotetag494"></a><a href="#footnote494" title="Lien vers la note 494"><span class="smaller">[494]</span></a> auprès de la Pucelle et ne +reçut point, à ce qu'il semble, d'argent pour sa peine, sans doute +parce qu'il voulait que le prix de cette œuvre de miséricorde lui +fût compté dans le ciel<a id="footnotetag495" name="footnotetag495"></a><a href="#footnote495" title="Lien vers la note 495"><span class="smaller">[495]</span></a>.</p> + +<p>Ni la prise de la Pucelle, ni la retraite des gens d'armes qu'elle +avait amenés ne brisa la défense de Compiègne. Guillaume de Flavy et +ses deux frères Charles et Louis, le capitaine Baretta avec ses +Italiens et les cinq cents hommes de la garnison<a id="footnotetag496" name="footnotetag496"></a><a href="#footnote496" title="Lien vers la note 496"><span class="smaller">[496]</span></a> se montrèrent +énergiques, habiles, infatigables. Les Bourguignons conduisirent le +siège de la même manière que les Anglais avaient conduit celui +d'Orléans: mines, tranchées, <span class="pagenum"><a id="page220" name="page220"></a>(p. 220)</span> taudis, boulevards, canonnades +et ces mannequins gigantesques et ridicules, bons seulement à flamber, +les bastilles. Guillaume de Flavy fit raser les faubourgs qui gênaient +son tir et couler des bateaux pour barrer la rivière. Il répondit aux +bombardes et gros couillards des Bourguignons avec son artillerie, et +notamment par de petites couleuvrines de cuivre qui furent d'un bon +usage<a id="footnotetag497" name="footnotetag497"></a><a href="#footnote497" title="Lien vers la note 497"><span class="smaller">[497]</span></a>. Si le joyeux canonnier d'Orléans et de Jargeau, Maître +Jean de Montesclère, n'était pas là, on avait un cordelier de +Valenciennes, artilleur, nommé Noirouffle, grand, noir, affreux à +voir, terrible à entendre<a id="footnotetag498" name="footnotetag498"></a><a href="#footnote498" title="Lien vers la note 498"><span class="smaller">[498]</span></a>. Ceux de la ville, à l'exemple des +Orléanais, faisaient des sorties malheureuses. Un jour, Louis de +Flavy, frère du capitaine de la ville, fut tué d'un boulet +bourguignon. Guillaume n'en fit pas moins jouer les ménestrels, ce +jour-là, comme de coutume, pour tenir en joie les gens d'armes<a id="footnotetag499" name="footnotetag499"></a><a href="#footnote499" title="Lien vers la note 499"><span class="smaller">[499]</span></a>.</p> + +<p>Au mois de juin, le boulevard qui défendait le pont sur l'Oise, de +même que les Tourelles d'Orléans défendaient le pont sur la Loire, fut +enlevé par l'ennemi, sans amener la reddition de la place. +Pareillement la prise des Tourelles n'avait pas fait tomber la ville +du duc Charles<a id="footnotetag500" name="footnotetag500"></a><a href="#footnote500" title="Lien vers la note 500"><span class="smaller">[500]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page221" name="page221"></a>(p. 221)</span> Quant aux bastilles, elles valaient sur l'Oise tout juste ce +qu'elles avaient valu sur la Loire: elles laissaient tout passer. Les +Bourguignons ne purent investir Compiègne, vu que le tour en était +trop grand<a id="footnotetag501" name="footnotetag501"></a><a href="#footnote501" title="Lien vers la note 501"><span class="smaller">[501]</span></a>. Ils manquaient d'argent; leurs gens d'armes, faute de +paye et n'ayant rien à manger, désertaient avec cette tranquillité du +bon droit qu'avaient alors, en pareille circonstance, les soudoyers de +la croix rouge et de la croix blanche<a id="footnotetag502" name="footnotetag502"></a><a href="#footnote502" title="Lien vers la note 502"><span class="smaller">[502]</span></a>. Le duc Philippe, pour +comble de disgrâce, se trouva obligé d'envoyer une partie des troupes +du siège contre les Liégeois révoltés<a id="footnotetag503" name="footnotetag503"></a><a href="#footnote503" title="Lien vers la note 503"><span class="smaller">[503]</span></a>. Le 24 octobre, une armée +de secours, commandée par le comte de Vendôme et le maréchal de +Boussac, s'approcha de Compiègne. Les Anglais et les Bourguignons +s'étant portés à sa rencontre, la garnison, les habitants, les femmes +leur tombèrent sur le dos et les mirent en déroute<a id="footnotetag504" name="footnotetag504"></a><a href="#footnote504" title="Lien vers la note 504"><span class="smaller">[504]</span></a>. L'armée entra +dans la ville. Il fit beau voir flamber les bastilles. Le duc de +Bourgogne perdit toute son artillerie<a id="footnotetag505" name="footnotetag505"></a><a href="#footnote505" title="Lien vers la note 505"><span class="smaller">[505]</span></a>. Le sire de Luxembourg, qui +s'en était venu à Beaurevoir où il avait reçu l'évêque comte de +Beauvais, <span class="pagenum"><a id="page222" name="page222"></a>(p. 222)</span> retourna devant Compiègne à propos pour prendre sa +part du désastre<a id="footnotetag506" name="footnotetag506"></a><a href="#footnote506" title="Lien vers la note 506"><span class="smaller">[506]</span></a>. Les mêmes causes qui avaient contraint les +Anglais à se partir, comme on disait, d'Orléans, obligèrent les +Bourguignons à quitter Compiègne. Mais puisque à cette époque il +fallait trouver aux événements les mieux expliquables une cause +surnaturelle, on attribua la délivrance de la ville au vœu du comte +de Vendôme qui avait promis, dans la cathédrale de Senlis, à +Notre-Dame-de-la-Pierre, un service annuel si la place était +recouvrée<a id="footnotetag507" name="footnotetag507"></a><a href="#footnote507" title="Lien vers la note 507"><span class="smaller">[507]</span></a>.</p> + +<p>Le lord trésorier de Normandie levait des aides de quatre-vingt mille +livres tournois, dont dix mille devaient être affectés à l'achat de +Jeanne. L'évêque comte de Beauvais, qui prenait cette affaire à +cœur, pressait le sire de Luxembourg de conclure, mêlait les +menaces aux caresses, lui faisait briller l'or levé sur les États +normands. Il semblait craindre, et cette crainte était partagée par +les maîtres et docteurs, que le roi Charles ne fît aussi des offres, +qu'il n'enchérît sur les dix mille francs d'or du roi Henri, que les +Armagnacs enfin ne finissent par l'emporter à force de présents et ne +reprissent leur porte-bonheur<a id="footnotetag508" name="footnotetag508"></a><a href="#footnote508" title="Lien vers la note 508"><span class="smaller">[508]</span></a>. Le bruit courait que le roi +Charles, à la nouvelle que les Anglais auraient Jeanne pour de +l'argent, manda <span class="pagenum"><a id="page223" name="page223"></a>(p. 223)</span> au duc de Bourgogne, par ambassade, de ne +consentir à aucun prix à la conclusion d'une telle affaire, et +qu'autrement les Bourguignons, qui étaient aux mains du roi de France, +répondraient de la Pucelle<a id="footnotetag509" name="footnotetag509"></a><a href="#footnote509" title="Lien vers la note 509"><span class="smaller">[509]</span></a>. Fausse rumeur, sans doute: toutefois +les craintes du seigneur évêque et des maîtres de Paris n'étaient pas +tout à fait vaines et il est certain que, sur les bords de la Loire, +on suivait très attentivement les négociations, et qu'on cherchait un +joint pour intervenir.</p> + +<p>D'ailleurs on pouvait toujours craindre un coup de main heureux des +Français. Le capitaine La Hire battait la Normandie, le chevalier +Barbazan la Champagne, le maréchal de Boussac faisait des courses +entre la Seine, la Marne et la Somme<a id="footnotetag510" name="footnotetag510"></a><a href="#footnote510" title="Lien vers la note 510"><span class="smaller">[510]</span></a>.</p> + +<p>Enfin, le sire de Luxembourg consentit le marché vers la mi-novembre; +les Anglais prirent livraison de Jeanne. On décida de l'amener à Rouen +par le Ponthieu, la côte de l'Océan, et le nord de la Normandie, où +l'on risquait le moins de rencontrer les batteurs d'estrade des divers +partis.</p> + +<p>D'Arras elle fut conduite au château de Drugy, où l'on dit que les +religieux de Saint-Riquier la visitèrent en sa prison<a id="footnotetag511" name="footnotetag511"></a><a href="#footnote511" title="Lien vers la note 511"><span class="smaller">[511]</span></a>. Elle fut +amenée ensuite au Crotoy, dont le château <span class="pagenum"><a id="page224" name="page224"></a>(p. 224)</span> était baigné de +tous côtés par la mer. Le duc d'Alençon, qu'elle appelait son beau +duc, y avait été enfermé après la bataille de Verneuil<a id="footnotetag512" name="footnotetag512"></a><a href="#footnote512" title="Lien vers la note 512"><span class="smaller">[512]</span></a>. Quand +elle y passa, maître Nicolas Gueuville, chancelier de l'Église +cathédrale de Notre-Dame d'Amiens, y était prisonnier des Anglais. Il +la confessa et lui donna la communion<a id="footnotetag513" name="footnotetag513"></a><a href="#footnote513" title="Lien vers la note 513"><span class="smaller">[513]</span></a>. Et dans cette baie de +Somme, morne et grise, au ciel bas, traversé du long vol des oiseaux +de mer, Jeanne vit venir à elle le visiteur des premiers jours, +monseigneur saint Michel archange; et elle fut consolée. On a dit que +les demoiselles et les bourgeois d'Abbeville l'allèrent voir dans le +château où on la tenait renfermée<a id="footnotetag514" name="footnotetag514"></a><a href="#footnote514" title="Lien vers la note 514"><span class="smaller">[514]</span></a>. Ces bourgeois, lors du sacre, +songeaient à se tourner français; ils l'eussent fait, si le roi +Charles était venu chez eux; il ne vint pas, et les habitants +d'Abbeville visitèrent peut-être Jeanne par charité chrétienne, mais +ceux d'entre eux qui pensaient du bien d'elle n'en dirent pas, de peur +de sentir la persinée comme elle<a id="footnotetag515" name="footnotetag515"></a><a href="#footnote515" title="Lien vers la note 515"><span class="smaller">[515]</span></a>.</p> + +<p>Les docteurs et maîtres de l'Université la poursuivaient <span class="pagenum"><a id="page225" name="page225"></a>(p. 225)</span> +avec un acharnement à peine croyable; avertis au mois de novembre que +le marché était conclu entre Jean de Luxembourg et les Anglais, ils +écrivirent, par l'organe du recteur, au seigneur évêque de Beauvais +pour lui reprocher ses retardements dans l'affaire de cette femme et +l'exhorter à plus de diligence.</p> + +<p>«Il ne vous importe pas médiocrement, disait cette lettre, que, tandis +que vous gérez dans l'Église du Dieu saint un célèbre présulat, les +scandales commis contre la religion chrétienne soient extirpés, +surtout quand il est, par bonheur, advenu que le jugement s'en trouve +départi à votre juridiction<a id="footnotetag516" name="footnotetag516"></a><a href="#footnote516" title="Lien vers la note 516"><span class="smaller">[516]</span></a>.»</p> + +<p>Ces clercs, pleins de foi et de zèle pour venger, comme ils disaient, +l'honneur de Dieu, se tenaient toujours prêts à brûler des sorcières; +ils craignaient le diable; mais, sans peut-être se l'avouer, ils le +craignaient vingt fois plus quand il était Armagnac.</p> + +<p>On fit sortir Jeanne du Crotoy à marée haute et on la conduisit en +barque à Saint-Valéry, puis à Dieppe, à ce qu'on suppose, et enfin à +Rouen<a id="footnotetag517" name="footnotetag517"></a><a href="#footnote517" title="Lien vers la note 517"><span class="smaller">[517]</span></a>.</p> + +<p>Elle fut menée dans le vieux château, construit sous Philippe-Auguste, +au penchant de la colline de Bouvreuil<a id="footnotetag518" name="footnotetag518"></a><a href="#footnote518" title="Lien vers la note 518"><span class="smaller">[518]</span></a>. <span class="pagenum"><a id="page226" name="page226"></a>(p. 226)</span> Le roi Henri +VI, débarqué en France pour son couronnement, y était établi depuis la +fin du mois d'août. C'était un enfant triste et pieux, que le comte de +Warwick, gouverneur du château, traitait durement<a id="footnotetag519" name="footnotetag519"></a><a href="#footnote519" title="Lien vers la note 519"><span class="smaller">[519]</span></a>. Ce château +avait sept tours, y compris le donjon, et il était très fort<a id="footnotetag520" name="footnotetag520"></a><a href="#footnote520" title="Lien vers la note 520"><span class="smaller">[520]</span></a>. +Jeanne fut enfermée dans une tour qui donnait sur les champs<a id="footnotetag521" name="footnotetag521"></a><a href="#footnote521" title="Lien vers la note 521"><span class="smaller">[521]</span></a>. On +la mit en la chambre du milieu, qui se trouvait entre le souterrain et +la chambre haute. On y montait par huit marches<a id="footnotetag522" name="footnotetag522"></a><a href="#footnote522" title="Lien vers la note 522"><span class="smaller">[522]</span></a>; elle occupait +tout un étage de la tour qui avait quarante-trois pieds de diamètre en +comprenant les murs<a id="footnotetag523" name="footnotetag523"></a><a href="#footnote523" title="Lien vers la note 523"><span class="smaller">[523]</span></a>. Un escalier de pierre y grimpait +obliquement. Une partie des ouvertures ayant été bouchée, l'on n'y +voyait plus très clair<a id="footnotetag524" name="footnotetag524"></a><a href="#footnote524" title="Lien vers la note 524"><span class="smaller">[524]</span></a>. Les Anglais avaient commandé à un +serrurier de Rouen, nommé Étienne Castille, une <span class="pagenum"><a id="page227" name="page227"></a>(p. 227)</span> cage de fer +où l'on ne pouvait, disait-on, se tenir que debout. Jeanne, à son +arrivée, si l'on en croit des propos tenus par des greffiers +ecclésiastiques, fut attachée dedans par le cou, les pieds et les +mains<a id="footnotetag525" name="footnotetag525"></a><a href="#footnote525" title="Lien vers la note 525"><span class="smaller">[525]</span></a>, et on l'y laissa jusqu'à l'ouverture du procès. Un +apprenti maçon vit peser la cage chez Jean Salvart, <i>à l'Écu de +France</i>, devant la cour de l'official<a id="footnotetag526" name="footnotetag526"></a><a href="#footnote526" title="Lien vers la note 526"><span class="smaller">[526]</span></a>. Mais jamais, dans la +prison, personne n'y trouva Jeanne enfermée. Ce traitement, si +toutefois il lui fut infligé, ne fut pas imaginé pour elle: lorsque le +capitaine La Hire, au mois de février de cette même année 1430, prit +Château-Gaillard, près Rouen, il trouva le bon chevalier Barbazan dans +une cage de fer dont il ne voulait pas sortir, alléguant qu'il était +prisonnier sur parole<a id="footnotetag527" name="footnotetag527"></a><a href="#footnote527" title="Lien vers la note 527"><span class="smaller">[527]</span></a>. Jeanne, au contraire, s'était gardée de +rien promettre, ou plutôt avait promis de s'échapper dès qu'elle le +pourrait<a id="footnotetag528" name="footnotetag528"></a><a href="#footnote528" title="Lien vers la note 528"><span class="smaller">[528]</span></a>. Aussi les Anglais, qui la croyaient capable de +sortilèges, étaient-ils en grande méfiance<a id="footnotetag529" name="footnotetag529"></a><a href="#footnote529" title="Lien vers la note 529"><span class="smaller">[529]</span></a>. Poursuivie par des +juges d'Église, elle devait être placée dans les prisons de +l'officialité<a id="footnotetag530" name="footnotetag530"></a><a href="#footnote530" title="Lien vers la note 530"><span class="smaller">[530]</span></a>, mais les Godons ne laissaient à personne le soin +de la garder. Quelqu'un d'entre eux disait qu'elle leur était chère, +car ils <span class="pagenum"><a id="page228" name="page228"></a>(p. 228)</span> l'avaient chèrement payée. Ils lui mettaient les +fers aux pieds, et lui passaient autour de la taille une chaîne +cadenassée à une poutre de cinq à six pieds. La nuit, cette chaîne, +traversant le pied du lit, s'allait tendre à la grosse poutre<a id="footnotetag531" name="footnotetag531"></a><a href="#footnote531" title="Lien vers la note 531"><span class="smaller">[531]</span></a>. De +même Jean Hus, en 1415, remis à l'évêque de Constance et transféré à +la forteresse de Gottlieben, demeura enchaîné nuit et jour, jusqu'à ce +qu'il fût conduit au bûcher.</p> + +<p>Cinq hommes d'armes anglais<a id="footnotetag532" name="footnotetag532"></a><a href="#footnote532" title="Lien vers la note 532"><span class="smaller">[532]</span></a>, de l'espèce qu'on nommait +houspilleurs, gardaient la prisonnière<a id="footnotetag533" name="footnotetag533"></a><a href="#footnote533" title="Lien vers la note 533"><span class="smaller">[533]</span></a>; ce n'était pas la fleur +de la chevalerie. Ils la tournaient en dérision, et elle le leur +reprochait; ce dont ils devaient être trop contents. La nuit, deux +d'entre eux se tenaient derrière la porte. Il en restait trois près +d'elle, qui la troublaient en lui disant tantôt qu'elle allait mourir +et tantôt qu'elle serait délivrée. Personne ne pouvait lui parler sans +leur agrément<a id="footnotetag534" name="footnotetag534"></a><a href="#footnote534" title="Lien vers la note 534"><span class="smaller">[534]</span></a>.</p> + +<p>Au reste, on entrait dans cette prison comme au moulin; des gens de +tout état y allaient voir Jeanne à leur plaisir. Ainsi firent maître +Laurent Guesdon, lieutenant du bailli de Rouen<a id="footnotetag535" name="footnotetag535"></a><a href="#footnote535" title="Lien vers la note 535"><span class="smaller">[535]</span></a>, et maître Pierre +Manuel, avocat du roi d'Angleterre, qui y fut en <span class="pagenum"><a id="page229" name="page229"></a>(p. 229)</span> compagnie +de maître Pierre Daron, procureur de la ville de Rouen. Ils la +trouvèrent ferrée aux pieds et gardée par des soldats<a id="footnotetag536" name="footnotetag536"></a><a href="#footnote536" title="Lien vers la note 536"><span class="smaller">[536]</span></a>.</p> + +<p>Maître Pierre Manuel crut convenable de lui dire qu'à coup sûr elle ne +serait point venue là si on ne l'y eût amenée. Les gens de bon sens +étaient toujours surpris de voir les sorcières et les devineresses +tomber dans quelque piège, comme de simples chrétiennes. Sans doute +que l'avocat du roi était un homme de bon sens, car il fit à Jeanne +des questions qui laissaient voir son ébahissement; il lui demanda:</p> + +<p>—Saviez-vous que vous deviez être prise?</p> + +<p>—Je m'en doutais bien, répondit-elle.</p> + +<p>—Pourquoi alors, demanda derechef maître Pierre, si vous vous en +doutiez, n'avez-vous pas su vous garder le jour où vous fûtes prise?</p> + +<p>Elle répondit:</p> + +<p>—Je ne savais ni le jour ni l'heure où je serais prise, ni quand cela +m'arriverait<a id="footnotetag537" name="footnotetag537"></a><a href="#footnote537" title="Lien vers la note 537"><span class="smaller">[537]</span></a>.</p> + +<p>Un jeune compagnon, nommé Pierre Cusquel, qui travaillait chez Jean +Salvart, dit Jeanson, maître maçon du château, put, à la faveur de son +patron, s'introduire aussi dans la tour. Il trouva Jeanne attachée par +une longue chaîne fixée à une poutre, et les fers aux pieds. Il +prétendit, beaucoup plus tard, l'avoir avertie de parler avec prudence +et qu'il y allait de sa <span class="pagenum"><a id="page230" name="page230"></a>(p. 230)</span> vie. Il est vrai qu'elle parlait +abondamment à ses gardes et que tout ce qu'elle disait était rapporté +aux juges. Et il se peut que le petit compagnon Pierre, dont le maître +était à la dévotion des Anglais, ait voulu, ait su même la conseiller. +On peut le soupçonner aussi de s'être vanté, comme tant d'autres<a id="footnotetag538" name="footnotetag538"></a><a href="#footnote538" title="Lien vers la note 538"><span class="smaller">[538]</span></a>.</p> + +<p>Le sire Jean de Luxembourg vint à Rouen et se rendit à la tour de la +Pucelle avec son frère, le seigneur évêque de Thérouanne, chancelier +d'Angleterre; sir Humfrey, comte de Stafford, connétable de France +pour le roi Henri; le comte de Warwick, gouverneur du château de Rouen +et le jeune seigneur de Macy, qui tenait Jeanne pour très chaste +depuis qu'elle l'avait empêché de lui prendre les seins. Et voici le +propos que le sire de Luxembourg tint à la prisonnière:</p> + +<p>—Jeanne, je suis venu pour vous racheter, si toutefois vous voulez +promettre que vous ne vous armerez jamais contre nous.</p> + +<p>Ces paroles ne s'expliquent pas suffisamment par ce que nous savons +des négociations relatives à la vente de la Pucelle; elles semblent +indiquer qu'à ce moment même le marché n'était pas entièrement conclu +ou que du moins le vendeur croyait pouvoir le rompre à sa volonté. +Mais ce qu'il y a de plus remarquable dans le propos du sire de +Luxembourg, c'est la condition qu'il met au rachat de la Pucelle. Il +lui demande de s'engager <span class="pagenum"><a id="page231" name="page231"></a>(p. 231)</span> à ne plus combattre l'Angleterre et +la Bourgogne. Il semblerait, à considérer cette clause, qu'il pense +maintenant la vendre au roi de France ou à quelque personne agissant +pour lui<a id="footnotetag539" name="footnotetag539"></a><a href="#footnote539" title="Lien vers la note 539"><span class="smaller">[539]</span></a>.</p> + +<p>Cependant l'on ne voit pas que ce langage ait beaucoup inquiété les +Anglais. Jeanne n'y ajouta nulle foi.</p> + +<p>—En nom Dieu, lui répondit-elle, vous vous moquez de moi. Car je sais +bien que vous n'avez ni le pouvoir ni le vouloir.</p> + +<p>On affirme que, comme il persistait dans son dire, elle reprit:</p> + +<p>—Je sais bien que ces Anglais me feront mourir, croyant, après ma +mort, gagner le royaume de France.</p> + +<p>Il semble fort douteux qu'elle ait dit que les Anglais la feraient +mourir, car elle ne le croyait pas. Tant que dura le procès, elle +s'attendit, sur la foi de ses Voix, à être délivrée. Elle ne savait ni +quand ni comment la délivrance s'accomplirait, mais elle en était +aussi assurée que de la présence de Notre-Seigneur dans le +saint-sacrement. Peut-être dit-elle au sire de Luxembourg: «Je sais +bien que ces Anglais voudront me faire mourir.» Puis elle répéta, très +courageusement, ce qu'elle avait déjà dit mille fois:</p> + +<p>—Mais quand ils seraient cent mille Godons de plus qu'ils ne sont de +présent, ils n'auront pas le royaume.</p> + +<p>En entendant ces paroles, sir Humfrey dégaina et <span class="pagenum"><a id="page232" name="page232"></a>(p. 232)</span> c'est le +comte de Warwick qui lui retint le bras<a id="footnotetag540" name="footnotetag540"></a><a href="#footnote540" title="Lien vers la note 540"><span class="smaller">[540]</span></a>. On refuserait de croire +que le connétable d'Angleterre leva son épée sur une femme chargée de +fers, si l'on ne savait d'ailleurs que sir Humfrey, ayant, en ce même +temps, ouï quelqu'un dire du bien de Jeanne, le voulut +transpercer<a id="footnotetag541" name="footnotetag541"></a><a href="#footnote541" title="Lien vers la note 541"><span class="smaller">[541]</span></a>.</p> + +<p>Pour que l'évêque et vidame de Beauvais pût exercer la juridiction à +Rouen, il fallait qu'il y eût à son profit concession de territoire. +Le siège archiépiscopal de Rouen était vacant<a id="footnotetag542" name="footnotetag542"></a><a href="#footnote542" title="Lien vers la note 542"><span class="smaller">[542]</span></a>. L'évêque de +Beauvais demanda cette concession au chapitre avec lequel il avait eu +des démêlés<a id="footnotetag543" name="footnotetag543"></a><a href="#footnote543" title="Lien vers la note 543"><span class="smaller">[543]</span></a>. Les chanoines de Rouen ne manquaient ni de fermeté +ni d'indépendance; il y avait parmi eux plus d'hommes honnêtes que de +malhonnêtes; il y avait des hommes instruits, pleins de lettres, et +même de bonnes âmes. Ils ne nourrissaient ni les uns ni les autres +aucunes mauvaises intentions contre les Anglais. Le régent Bedford +était chanoine de Rouen, comme le roi Charles VII était chanoine du +Puy<a id="footnotetag544" name="footnotetag544"></a><a href="#footnote544" title="Lien vers la note 544"><span class="smaller">[544]</span></a>. Le 20 octobre de cette même année 1430, il avait revêtu le +surplis et l'aumusse et distribué le pain et le <span class="pagenum"><a id="page233" name="page233"></a>(p. 233)</span> vin +capitulaires<a id="footnotetag545" name="footnotetag545"></a><a href="#footnote545" title="Lien vers la note 545"><span class="smaller">[545]</span></a>. Les chanoines de Rouen n'étaient pas prévenus en +faveur de la Pucelle des Armagnacs; ils accueillirent la demande de +l'évêque de Beauvais et lui firent concession de territoire<a id="footnotetag546" name="footnotetag546"></a><a href="#footnote546" title="Lien vers la note 546"><span class="smaller">[546]</span></a>.</p> + +<p>Le 3 janvier 1431, le roi Henri ordonna par lettres royales de +remettre la Pucelle à l'évêque et comte de Beauvais, se réservant de +la reprendre par devers lui, au cas où elle serait mise hors de cause +par la justice ecclésiastique<a id="footnotetag547" name="footnotetag547"></a><a href="#footnote547" title="Lien vers la note 547"><span class="smaller">[547]</span></a>.</p> + +<p>Toutefois, elle ne fut pas placée en chartre d'Église, au fond de +quelqu'une de ces fosses où, contre le portail des Libraires, dans +l'ombre de la prodigieuse cathédrale, pourrissaient les malheureux qui +pensaient mal sur la foi<a id="footnotetag548" name="footnotetag548"></a><a href="#footnote548" title="Lien vers la note 548"><span class="smaller">[548]</span></a>. Elle y aurait retrouvé accrus et +affinés les supplices et les épouvantes de sa tour guerrière. Le Grand +Conseil, en ne la confiant pas à l'officialité de Rouen, faisait moins +de tort à l'accusée que de honte à ses juges.</p> + +<p>Mis de la sorte en état d'agir, l'évêque de Beauvais procéda avec sa +fougue de vieux cabochien, mais non sans art mondain ni science +canonique<a id="footnotetag549" name="footnotetag549"></a><a href="#footnote549" title="Lien vers la note 549"><span class="smaller">[549]</span></a>. Pour promoteur <span class="pagenum"><a id="page234" name="page234"></a>(p. 234)</span> de la cause, c'est-à-dire +comme magistrat chargé de soutenir l'accusation, il choisit Jean +d'Estivet, dit Bénédicité, chanoine de Bayeux et de Beauvais, +promoteur général du diocèse de Beauvais. Ami du seigneur évêque, +chassé en même temps que lui par les Français, Jean d'Estivet était +suspect d'animosité contre la Pucelle<a id="footnotetag550" name="footnotetag550"></a><a href="#footnote550" title="Lien vers la note 550"><span class="smaller">[550]</span></a>. Le seigneur évêque +institua Jean de la Fontaine, maître ès arts, licencié en droit canon, +comme conseiller commissaire au procès<a id="footnotetag551" name="footnotetag551"></a><a href="#footnote551" title="Lien vers la note 551"><span class="smaller">[551]</span></a>. Il choisit l'un des +greffiers de l'officialité de Rouen, Guillaume Manchon, prêtre, pour +faire office de premier greffier.</p> + +<p>En l'avisant de ce qu'il attendait de lui, le seigneur évêque dit à +messire Guillaume:</p> + +<p>—Il vous faut bien servir le roi. Nous avons l'intention de faire un +beau procès contre cette Jeanne<a id="footnotetag552" name="footnotetag552"></a><a href="#footnote552" title="Lien vers la note 552"><span class="smaller">[552]</span></a>.</p> + +<p>Pour ce qui était de servir le roi, le seigneur évêque ne l'entendait +pas aux dépens de la justice; il avait un orgueil de prêtre et n'était +point homme à faire étendard de sa propre infamie. S'il parlait de la +sorte, c'est qu'en France, depuis cent ans au moins, la juridiction +inquisitoriale était considérée comme une juridiction royale<a id="footnotetag553" name="footnotetag553"></a><a href="#footnote553" title="Lien vers la note 553"><span class="smaller">[553]</span></a>. Et +quant à dire qu'on voulait un beau procès, c'était dire qu'il fallait +observer soigneusement <span class="pagenum"><a id="page235" name="page235"></a>(p. 235)</span> les formes et prendre garde à ce que +rien de vicieux ne se glissât dans une cause intéressant les docteurs +et maîtres du royaume de France et de la chrétienté tout entière. +Messire Guillaume Manchon, qui connaissait les termes de pratique, ne +pouvait s'y tromper. Un beau procès, dans la langue du droit, c'était +un procès régulier. On disait, par exemple: «N... et N... ont, par +beau procès juridique, trouvé un tel coupable<a id="footnotetag554" name="footnotetag554"></a><a href="#footnote554" title="Lien vers la note 554"><span class="smaller">[554]</span></a>.»</p> + +<p>Chargé par l'évêque de choisir un autre greffier, pour l'assister, +Guillaume Manchon désigna Guillaume Colles, surnommé Boisguillaume, +comme lui notaire d'Église, qui lui fut adjoint<a id="footnotetag555" name="footnotetag555"></a><a href="#footnote555" title="Lien vers la note 555"><span class="smaller">[555]</span></a>.</p> + +<p>Jean Massieu, prêtre, doyen de la chrétienté de Rouen, fut institué +comme huissier exécuteur<a id="footnotetag556" name="footnotetag556"></a><a href="#footnote556" title="Lien vers la note 556"><span class="smaller">[556]</span></a>.</p> + +<p>Dans ces sortes de procès, si fréquents alors, il n'y avait proprement +que deux juges, l'ordinaire et l'inquisiteur. Mais il était d'usage +que l'évêque appelât, comme conseillers et comme assesseurs, des +personnes expertes en l'un et l'autre droit. Le nombre et la qualité +de ces conseillers variait beaucoup d'une cause à l'autre. Et il est +clair que l'opiniâtre fauteur d'une hérésie très pestilente devait +être examiné plus curieusement et jugé d'une manière plus solennelle +qu'une <span class="pagenum"><a id="page236" name="page236"></a>(p. 236)</span> vieille âme vendue à quelque petit diable qui ne +pouvait grêler que des choux. Pour le commun des sorciers, pour la +foule de ces femelles ou muliercules, comme disait certain inquisiteur +qui se félicitait d'en avoir fait brûler beaucoup, les juges se +contentaient de trois ou quatre avocats d'Église et d'autant de +chanoines<a id="footnotetag557" name="footnotetag557"></a><a href="#footnote557" title="Lien vers la note 557"><span class="smaller">[557]</span></a>. Quand il s'agissait d'une personne notable, ayant +donné un exemple très pernicieux, d'un avocat du roi, par exemple, +comme maître Jean Segueut, qui, cette même année, dans cette province +de Normandie, avait parlé contre l'autorité temporelle de l'Église, on +convoquait une nombreuse assemblée de docteurs et de prélats tant +anglais que français et l'on demandait des consultations écrites aux +docteurs et maîtres de l'Université de Paris<a id="footnotetag558" name="footnotetag558"></a><a href="#footnote558" title="Lien vers la note 558"><span class="smaller">[558]</span></a>. Or, il convenait de +juger la Pucelle des Armagnacs plus amplement et plus solennellement +encore, avec un plus grand concours de docteurs et de pontifes. C'est +ce que fit le seigneur évêque de Beauvais: il appela comme conseillers +et comme assesseurs les chanoines de Rouen, en aussi grand nombre +qu'il lui fut possible, et parmi ceux qui se rendirent à son appel on +remarque Raoul Roussel, trésorier du chapitre; Gilles Deschamps, qui +avait été aumônier du feu roi Charles VI, en l'an 1415; Pierre +Maurice, docteur en théologie, recteur de l'Université <span class="pagenum"><a id="page237" name="page237"></a>(p. 237)</span> de +Paris, en 1428; Jean Alespée, un des seize qui, lors du siège de 1418, +étaient allés, vêtus de noir et en belle contenance, mettre aux pieds +du roi Henri V la vie et l'honneur de la cité; Pasquier de Vaux, +notaire apostolique au concile de Constance, président de la Chambre +des comptes de Normandie; Nicolas de Venderès, qu'un parti puissant +portait alors au siège vacant de Rouen; enfin, Nicolas Loiseleur. Le +seigneur évêque appela au même titre les abbés des grandes abbayes +normandes, le Mont Saint-Michel-au-péril-de-la-mer, Fécamp, Jumièges, +Préaux, Mortemer, Saint-Georges de Boscherville, la +Trinité-du-mont-Sainte-Catherine, Saint-Ouen, le Bec, Cormeilles, les +prieurs de Saint-Lô, de Rouen, de Sigy, de Longueville, et l'abbé de +Saint-Corneille de Compiègne. Il appela douze avocats en cour +d'Église; il appela d'insignes docteurs et maîtres de l'Université de +Paris, Jean Beaupère, recteur en 1412; Thomas Fiefvé, recteur en 1427; +Guillaume Erart, Nicolas Midi<a id="footnotetag559" name="footnotetag559"></a><a href="#footnote559" title="Lien vers la note 559"><span class="smaller">[559]</span></a> et ce jeune docteur, plein de +science et de modestie, le plus clair rayon du soleil de la +chrétienté, Thomas de Courcelles<a id="footnotetag560" name="footnotetag560"></a><a href="#footnote560" title="Lien vers la note 560"><span class="smaller">[560]</span></a>. Le seigneur évêque veut donner +au tribunal qui jugera <span class="pagenum"><a id="page238" name="page238"></a>(p. 238)</span> Jeanne l'autorité d'un synode, et, +vraiment, c'est un concile provincial devant lequel elle est citée. +Aussi bien va-t-on juger en même temps que cette fille, Charles de +Valois qui se dit roi de France et légitime successeur de Charles le +sixième. Voilà pourquoi s'assemblent tant d'abbés crossés et mitrés, +tant d'insignes docteurs et maîtres.</p> + +<p>Et pourtant, l'évêque de Beauvais ne s'entoura pas de toutes les +lumières qu'il aurait pu. Il consulta les deux évêques de Coutances et +de Lisieux; il ne consulta pas le doyen des évêques de Normandie, +l'évêque d'Avranches, messire Jean de Saint-Avit, que, durant la +vacance du siège de Rouen, le chapitre de la cathédrale avait chargé +de la célébration des ordres dans le diocèse. Mais messire Jean de +Saint-Avit passait, avec raison, pour favorable au roi Charles<a id="footnotetag561" name="footnotetag561"></a><a href="#footnote561" title="Lien vers la note 561"><span class="smaller">[561]</span></a>. +Par contre, les docteurs et maîtres de l'Angleterre, résidant à Rouen, +qui avaient été consultés dans le procès de Segueut, ne le furent +point dans le procès de Jeanne<a id="footnotetag562" name="footnotetag562"></a><a href="#footnote562" title="Lien vers la note 562"><span class="smaller">[562]</span></a>. Les docteurs et maîtres de +l'Université de Paris, les abbés de Normandie, le chapitre de Rouen, +s'en tenaient très résolument au traité de Troyes; ils étaient aussi +prévenus que les clercs anglais contre la Pucelle du dauphin Charles, +et ils étaient moins suspects; c'était tout avantage<a id="footnotetag563" name="footnotetag563"></a><a href="#footnote563" title="Lien vers la note 563"><span class="smaller">[563]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page239" name="page239"></a>(p. 239)</span> Le mardi 9 de janvier, monseigneur de Beauvais convoqua dans +sa maison huit conseillers, les abbés de Fécamp et de Jumièges, le +prieur de Longueville, les chanoines Roussel, Venderès, Barbier, +Coppequesne et Loiseleur.</p> + +<p>—Avant d'intenter procès à cette femme, leur dit-il, nous avons jugé +bon de mûrement et amplement délibérer avec des hommes doctes et +habiles en droit humain et divin, dont le nombre, grâce à Dieu, est +grand dans cette cité de Rouen.</p> + +<p>L'avis des docteurs et maîtres fut qu'il fallait qu'il y eût des +informations sur les faits et dits publiquement imputés à cette femme.</p> + +<p>Le seigneur évêque leur apprit que déjà quelques informations avaient +été faites par son ordre et qu'il était décidé à en ordonner d'autres, +desquelles il serait ultérieurement rendu compte en présence du +Conseil<a id="footnotetag564" name="footnotetag564"></a><a href="#footnote564" title="Lien vers la note 564"><span class="smaller">[564]</span></a>.</p> + +<p>Il est certain qu'un tabellion d'Andelot, en Champagne, Nicolas +Bailly, requis par messire Jean de Torcenay, bailli de Chaumont pour +le roi Henri, se transporta à Domremy et procéda avec Gérard Petit, +prévôt d'Andelot et quelques moines mendiants, à une enquête sur la +vie et la réputation de Jeanne. Les interrogateurs entendirent douze +ou quinze témoins et entre autres Jean Hannequin<a id="footnotetag565" name="footnotetag565"></a><a href="#footnote565" title="Lien vers la note 565"><span class="smaller">[565]</span></a> de Greux et Jean +Bégot chez <span class="pagenum"><a id="page240" name="page240"></a>(p. 240)</span> qui ils logèrent<a id="footnotetag566" name="footnotetag566"></a><a href="#footnote566" title="Lien vers la note 566"><span class="smaller">[566]</span></a>. Nous tenons de Nicolas +Bailly, lui-même, qu'ils ne recueillirent aucun fait à la charge de +Jeanne. Et, si l'on en croit Jean Moreau, bourgeois de Rouen, maître +Nicolas, ayant apporté à monseigneur de Beauvais le résultat de ses +recherches, fut traité de mauvais homme et de traître et n'obtint +point la récompense de ses dépenses et labeurs<a id="footnotetag567" name="footnotetag567"></a><a href="#footnote567" title="Lien vers la note 567"><span class="smaller">[567]</span></a>. C'est possible, +encore qu'étrange. Mais qu'on n'ait recueilli ni à Vaucouleurs ni à +Domremy ni dans les villages voisins aucun fait à la charge de Jeanne, +voilà qui n'est nullement vrai. Bien au contraire on y ramassa un +grand nombre d'accusations contre les habitants en général qui usaient +de maléfices et contre Jeanne qui hantait les fées<a id="footnotetag568" name="footnotetag568"></a><a href="#footnote568" title="Lien vers la note 568"><span class="smaller">[568]</span></a>, portait dans +son sein une mandragore et désobéissait à ses père et mère<a id="footnotetag569" name="footnotetag569"></a><a href="#footnote569" title="Lien vers la note 569"><span class="smaller">[569]</span></a>.</p> + +<p>Des informations copieuses furent faites non seulement en Lorraine et +à Paris, mais dans des pays obéissant au roi Charles, à Lagny, à +Beauvais, à Reims et jusque dans la Touraine et le Berry<a id="footnotetag570" name="footnotetag570"></a><a href="#footnote570" title="Lien vers la note 570"><span class="smaller">[570]</span></a>, qui +fournirent assez pour brûler dix hérétiques et vingt sorcières. On y +releva notamment des diableries horribles aux yeux des clercs, telles +que tasse et gants perdus et retrouvés, prêtre concubinaire dévoilé, +l'épée de sainte Catherine, <span class="pagenum"><a id="page241" name="page241"></a>(p. 241)</span> l'enfant ressuscité. On en +rapporta une lettre téméraire sur le pape et bien d'autres indices de +sorcellerie, magie, hérésie et erreurs sur la foi<a id="footnotetag571" name="footnotetag571"></a><a href="#footnote571" title="Lien vers la note 571"><span class="smaller">[571]</span></a>. Ces +informations ne furent point insérées au procès<a id="footnotetag572" name="footnotetag572"></a><a href="#footnote572" title="Lien vers la note 572"><span class="smaller">[572]</span></a>. C'était l'usage +constant de la sacrée inquisition de tenir secrets et les témoignages +et les noms des témoins<a id="footnotetag573" name="footnotetag573"></a><a href="#footnote573" title="Lien vers la note 573"><span class="smaller">[573]</span></a>. En l'espèce, l'évêque de Beauvais +pouvait alléguer l'intérêt des déposants qu'il eût trop peu ménagé en +publiant les informations recueillies dans les provinces soumises au +dauphin Charles. Car, à défaut de leurs noms, leurs dépositions seules +pouvaient les faire reconnaître. Au reste, les propos que tenait +Jeanne dans sa prison formaient la source la plus abondante +d'informations: elle parlait beaucoup et sans prudence.</p> + +<p>Un peintre, dont on ne sait pas le nom, vint la voir en sa tour, et +lui demanda tout haut, devant les gardes, quelles armes elle portait, +comme s'il eût voulu la représenter avec son écu. Dans ce temps-là, on +ne faisait guère de peintures sur le vif, si ce n'était de personnes +de très haut rang, et le plus souvent dans l'attitude de la prière, +agenouillées et les mains jointes. Et si l'on pouvait voir dans les +Flandres et dans la Bourgogne des portraits où ne paraissaient nuls +signes <span class="pagenum"><a id="page242" name="page242"></a>(p. 242)</span> de dévotion, c'était en bien petit nombre. Quand on +parlait d'un portrait, on songeait naturellement à une personne priant +Dieu, la Sainte Vierge ou quelque saint. C'est pourquoi l'intention de +faire le portrait de la Pucelle eût été, sans doute, fort mal vue par +les juges d'Église. D'autant plus qu'ils pouvaient craindre que le +peintre ne figurât cette femme excommuniée sous l'apparence d'une +sainte canonisée par l'Église, ainsi que faisaient les Armagnacs. En y +songeant, on est tenté de croire que cet homme était un faux peintre +et un espion véritable. Jeanne lui dit les armes que le roi avait +données à ses frères, un écu d'azur et une épée entre deux fleurs de +lis d'or. Et ce qui confirme les soupçons, c'est qu'au procès, il lui +fut reproché, comme faste et vanité, d'avoir fait peindre ses +armes<a id="footnotetag574" name="footnotetag574"></a><a href="#footnote574" title="Lien vers la note 574"><span class="smaller">[574]</span></a>.</p> + +<p>Plusieurs clercs introduits dans sa prison lui faisaient croire qu'ils +étaient des gens d'armes du parti de Charles de Valois<a id="footnotetag575" name="footnotetag575"></a><a href="#footnote575" title="Lien vers la note 575"><span class="smaller">[575]</span></a>. Le +promoteur lui-même, maître Jean d'Estivet, prit, pour la tromper, +l'habit d'un pauvre prisonnier<a id="footnotetag576" name="footnotetag576"></a><a href="#footnote576" title="Lien vers la note 576"><span class="smaller">[576]</span></a>. Un des chanoines de Rouen appelés +au procès, maître Nicolas Loiseleur, fut particulièrement fertile en +ruses, ce semble, pour découvrir les hérésies de Jeanne. Natif de +Chartres, il n'était que maître ès arts, mais il avait un grand renom +d'habileté; en 1427 et 1428, il s'acquitta de négociations difficiles +qui le <span class="pagenum"><a id="page243" name="page243"></a>(p. 243)</span> retinrent de longs mois à Paris; en 1430, il fut de +ceux que le Chapitre députa vers le cardinal de Winchester afin +d'obtenir une audience du roi Henri, à l'effet de lui recommander +l'église de Rouen. Maître Nicolas Loiseleur était donc personne +agréable au Grand Conseil<a id="footnotetag577" name="footnotetag577"></a><a href="#footnote577" title="Lien vers la note 577"><span class="smaller">[577]</span></a>.</p> + +<p>S'étant concerté avec l'évêque de Beauvais et le comte de Warwick, il +entra dans la prison de Jeanne en habit court, à la mode des laïques; +les gardes avertis se retirèrent et maître Nicolas, resté seul avec la +prisonnière, lui confia qu'il était natif, comme elle, des Marches de +Lorraine, cordonnier de son état, qu'il tenait le parti des Français, +et qu'il avait été pris par les Anglais. Il lui apporta du roi Charles +des nouvelles qu'il imaginait à sa fantaisie. Jeanne n'avait rien de +plus cher que son roi. Se l'étant ainsi gagnée, le feint cordonnier +lui fit diverses questions sur les anges et les saintes qu'elle +voyait. Elle lui répondait avec confiance, comme payse à pays et amie +à ami. Il lui donnait des conseils, il lui recommandait de ne pas +croire tous ces gens d'Église, de ne pas faire ce qu'ils lui +demandaient:</p> + +<p>—Car, lui disait-il, si tu leur donnes créance, tu seras détruite.</p> + +<p>Maintes fois, à ce qu'on assure, maître Nicolas Loiseleur fit le +cordonnier lorrain. Il dictait ensuite aux greffiers tout ce que +Jeanne lui avait dit et c'était là un <span class="pagenum"><a id="page244" name="page244"></a>(p. 244)</span> supplément précieux +d'informations dont on faisait mémoire en vue des interrogatoires. Il +paraît même que durant certaines de ces visites on apostait les +greffiers dans une chambre voisine, près d'un judas<a id="footnotetag578" name="footnotetag578"></a><a href="#footnote578" title="Lien vers la note 578"><span class="smaller">[578]</span></a>. S'il faut en +croire les bruits de la ville, maître Nicolas faisait aussi sainte +Catherine et, par ce moyen, amenait Jeanne à dire tout ce qu'il +voulait.</p> + +<p>Peut-être ne se vantait-il point de tant d'artifice<a id="footnotetag579" name="footnotetag579"></a><a href="#footnote579" title="Lien vers la note 579"><span class="smaller">[579]</span></a>; assurément +il ne s'en cachait pas. Plusieurs maîtres insignes l'approuvaient; +d'autres le blâmaient<a id="footnotetag580" name="footnotetag580"></a><a href="#footnote580" title="Lien vers la note 580"><span class="smaller">[580]</span></a>. L'ange de l'école, maître Thomas de +Courcelles, qu'il instruisit de ses déguisements, lui conseilla de les +cesser. Les greffiers prétendirent par la suite avoir mis une extrême +répugnance à prendre en cachette des paroles ainsi surprises par ruse. +Il fallait que l'âge d'or de la justice inquisitoriale fût bien passé +pour qu'un docteur aussi rigide que maître Thomas mollît sur les +formes les plus solennelles de cette justice; il fallait que la +procédure inquisitoriale fût profondément corrompue pour que deux +notaires d'Église songeassent à en éluder les prescriptions les plus +constantes. Ces clercs, en contrefaisant les gens d'armes, ce +promoteur en se donnant l'apparence d'un pauvre prisonnier, +accomplissaient les fonctions les plus régulières de la justice +instituée par Innocent III. En faisant le cordonnier et sainte +<span class="pagenum"><a id="page245" name="page245"></a>(p. 245)</span> Catherine, si toutefois il recherchait le salut et non la +perte de la pécheresse, et si, contrairement à la rumeur publique, +loin de l'inciter à la révolte, il l'induisait à l'obéissance, s'il ne +la trompait enfin que pour son bien temporel et spirituel, maître +Nicolas Loiseleur procédait conformément aux règles établies. Il est +dit dans le <i>Tractatus de hæresi</i>: «Que nul n'approche l'hérétique, si +ce n'est de temps à autre deux personnes fidèles et adroites qui +l'avertissent avec précaution et comme si elles avaient compassion de +lui, de se garantir de la mort en confessant ses erreurs, et qui lui +promettent que, s'il le fait, il pourra échapper au supplice du feu; +car la crainte de la mort et l'espoir de la vie amollissent +quelquefois un cœur qu'on n'aurait pu attendrir autrement<a id="footnotetag581" name="footnotetag581"></a><a href="#footnote581" title="Lien vers la note 581"><span class="smaller">[581]</span></a>.»</p> + +<p>Le devoir des greffiers était tracé en ces termes: «Les choses seront +ainsi ordonnées, que certaines personnes seront apostées dans un lieu +convenable pour surprendre les confidences des hérétiques et +recueillir leurs paroles<a id="footnotetag582" name="footnotetag582"></a><a href="#footnote582" title="Lien vers la note 582"><span class="smaller">[582]</span></a>.»</p> + +<p>Et quant à l'évêque de Beauvais, qui avait ordonné ou permis ces +procédures, il découvrait sa justification et sa louange dans cette +parole de l'apôtre saint Paul aux Corinthiens: Je ne vous ai point +fait de tort, mais j'ai <span class="pagenum"><a id="page246" name="page246"></a>(p. 246)</span> usé de finesse pour vous surprendre: +<i>Ego vos non gravavi; sed cum essem astutus, dolo vos cepi</i> (II, +<i>Corinth.</i>, ch. <span class="smcap">XII</span>, v. 16)<a id="footnotetag583" name="footnotetag583"></a><a href="#footnote583" title="Lien vers la note 583"><span class="smaller">[583]</span></a>.</p> + +<p>Cependant, quand elle vit le promoteur Jean d'Estivet revêtu du +camail, Jeanne ne le reconnut pas. Maître Nicolas Loiseleur se rendait +souvent près d'elle en robe longue. Sous ces dehors il lui inspirait +une grande confiance: elle se confessait à lui dévotement, et n'avait +point d'autre confesseur<a id="footnotetag584" name="footnotetag584"></a><a href="#footnote584" title="Lien vers la note 584"><span class="smaller">[584]</span></a>. Elle le voyait tantôt en cordonnier, +tantôt en chanoine sans s'apercevoir que ce fût la même personne. +C'est donc qu'elle était, à certains égards d'une incroyable +simplicité. Ces grands théologiens devaient s'apercevoir qu'il n'était +pas difficile de la prendre.</p> + +<p>C'était un fait connu de tous les hommes versés dans les sciences +divines et humaines, que l'Ennemi des hommes ne faisait point de pacte +avec une fille, sans lui prendre d'abord son pucelage<a id="footnotetag585" name="footnotetag585"></a><a href="#footnote585" title="Lien vers la note 585"><span class="smaller">[585]</span></a>. À +Poitiers, déjà les clercs de France y avaient songé et lorsque la +reine Yolande leur eut assuré que Jeanne était vierge, ils ne +craignirent plus qu'elle ne vînt du diable<a id="footnotetag586" name="footnotetag586"></a><a href="#footnote586" title="Lien vers la note 586"><span class="smaller">[586]</span></a>. Le seigneur évêque de +Beauvais attendait un semblable examen dans une contraire espérance. +Madame la <span class="pagenum"><a id="page247" name="page247"></a>(p. 247)</span> duchesse de Bedford elle-même y procéda à la +prison, assistée de lady Anna Bavon et d'une autre matrone. On a dit +que, pendant ce temps, le Régent, caché dans une pièce voisine, +regardait par un trou du plancher<a id="footnotetag587" name="footnotetag587"></a><a href="#footnote587" title="Lien vers la note 587"><span class="smaller">[587]</span></a>. Ce n'est pas sûr, mais ce +n'est pas impossible: il était encore à Rouen quinze jours après que +Jeanne y eut été amenée<a id="footnotetag588" name="footnotetag588"></a><a href="#footnote588" title="Lien vers la note 588"><span class="smaller">[588]</span></a>. Imaginaire ou véritable, cette curiosité +lui fut sévèrement reprochée. Si beaucoup d'autres l'eussent eue à sa +place, chacun en jugera à part soi; mais il ne faut pas oublier que +monseigneur de Bedford croyait que Jeanne était sorcière et que ce +n'était pas l'habitude, en ce temps-là, d'étendre aux sorcières le +respect dû aux dames. On doit songer aussi que ce point intéressait +puissamment la vieille Angleterre que le Régent aimait de tout son +cœur et de toutes ses forces.</p> + +<p>À l'expertise de la duchesse de Bedford comme à celle de la reine de +Sicile, Jeanne fut trouvée vierge. Les matrones connaissaient +plusieurs signes de virginité; mais, pour nous, un signe plus certain +c'est la parole de Jeanne qui, lorsqu'on lui demandait pourquoi on +l'appelait la Pucelle et si elle l'était en effet, répondait: «Je peux +bien dire que je suis telle<a id="footnotetag589" name="footnotetag589"></a><a href="#footnote589" title="Lien vers la note 589"><span class="smaller">[589]</span></a>.» Les juges ne firent pas état, qu'on +sache, de ces conclusions favorables. Croyaient-ils, avec le sage roi +<span class="pagenum"><a id="page248" name="page248"></a>(p. 248)</span> Salomon, que toute recherche à cet égard est vaine; +repoussèrent-ils les conclusions des matrones en vertu de l'adage: +<i>Virginitatis probatio non minus difficilis quam custodia?</i> Non, ils +croyaient bien qu'elle était vierge. Ils le laissaient suffisamment +entendre, en ne disant pas le contraire<a id="footnotetag590" name="footnotetag590"></a><a href="#footnote590" title="Lien vers la note 590"><span class="smaller">[590]</span></a>. Et, puisqu'ils +persistaient à la poursuivre comme sorcière, c'était donc qu'ils +pensaient qu'elle pouvait, par exception, s'être donnée à des diables +qui l'avaient laissée comme ils l'avaient prise. Les mœurs des +démons étaient pleines de ces contrariétés qui déconcertaient les plus +savants docteurs; on en découvrait tous les jours.</p> + +<p>Le samedi 13 janvier, le seigneur abbé de Fécamp, les docteurs et +maîtres Nicolas de Venderès, Guillaume Haiton, Nicolas Coppequesne, +Jean de la Fontaine et Nicolas Loiseleur, se réunirent dans la maison +du seigneur évêque et lecture leur fut donnée des informations +recueillies en Lorraine et ailleurs sur la Pucelle. Et il fut décidé +que, d'après ces informations, un certain nombre d'articles seraient +rédigés en bonne forme; ce qui fut fait<a id="footnotetag591" name="footnotetag591"></a><a href="#footnote591" title="Lien vers la note 591"><span class="smaller">[591]</span></a>.</p> + +<p>Le mardi 23 janvier, les docteurs et maîtres sus-nommés prirent +connaissance des articles et, les tenant pour bons, estimèrent qu'ils +devaient servir de matière aux interrogatoires, puis ils décidèrent +que l'évêque de <span class="pagenum"><a id="page249" name="page249"></a>(p. 249)</span> Beauvais devait ordonner l'enquête +préparatoire sur les faits et dits de Jeanne<a id="footnotetag592" name="footnotetag592"></a><a href="#footnote592" title="Lien vers la note 592"><span class="smaller">[592]</span></a>.</p> + +<p>Le mardi 13 février, Jean d'Estivet, dit Bénédicité, promoteur, Jean +de la Fontaine, commissaire, Boisguillaume et Manchon, greffiers, et +Jean Massieu, huissier, prêtèrent serment d'exécuter fidèlement leur +office. Aussitôt, maître Jean de la Fontaine, assisté de deux +greffiers, procéda à l'enquête préparatoire<a id="footnotetag593" name="footnotetag593"></a><a href="#footnote593" title="Lien vers la note 593"><span class="smaller">[593]</span></a>.</p> + +<p>Le lundi 19 février, à huit heures du matin, les docteurs et maîtres +réunis, au nombre d'onze, dans la maison de l'évêque de Beauvais, +ayant ouï lecture des articles et de l'information préparatoire, +donnèrent leur avis et l'évêque décida, conformément à cet avis, qu'il +y avait matière suffisante pour que la femme nommée la Pucelle dût +être citée et appelée en cause de foi<a id="footnotetag594" name="footnotetag594"></a><a href="#footnote594" title="Lien vers la note 594"><span class="smaller">[594]</span></a>.</p> + +<p>Mais une nouvelle difficulté apparaissait. Il fallait, dans une telle +cause, que l'accusée comparût en même temps devant l'ordinaire et +devant l'inquisiteur. Les deux juges étaient également nécessaires à +la bonté du procès. Or, le Grand Inquisiteur pour le royaume de +France, frère Jean Graverent, se trouvait alors retenu à Saint-Lô, où +il poursuivait en matière de foi un bourgeois de la ville, nommé Jean +Le Couvreur<a id="footnotetag595" name="footnotetag595"></a><a href="#footnote595" title="Lien vers la note 595"><span class="smaller">[595]</span></a>. En l'absence <span class="pagenum"><a id="page250" name="page250"></a>(p. 250)</span> du frère Jean Graverent, +l'évêque de Beauvais avait invité le vice-inquisiteur pour le diocèse +de Rouen à procéder conjointement avec lui contre Jeanne. Cependant le +vice-inquisiteur semblait ne rien entendre, ne soufflait mot et +laissait l'évêque dans l'embarras avec son procès. C'était frère Jean +Lemaistre, prieur des frères prêcheurs de Rouen, bachelier en +théologie, religieux plein de prudence et de scrupules<a id="footnotetag596" name="footnotetag596"></a><a href="#footnote596" title="Lien vers la note 596"><span class="smaller">[596]</span></a>. Enfin, +sur sommation par huissier, il se rendit chez l'évêque de Beauvais, ce +19 février, à quatre heures du soir, et se déclara prêt à intervenir, +s'il en avait le droit, ce dont toutefois il doutait<a id="footnotetag597" name="footnotetag597"></a><a href="#footnote597" title="Lien vers la note 597"><span class="smaller">[597]</span></a>. Il donna la +raison de son incertitude: il était l'inquisiteur de Rouen; l'évêque +de Beauvais exerçait la juridiction épiscopale de Beauvais sur un +territoire emprunté: dès lors était-ce à l'inquisiteur de Rouen? +n'était-ce pas plutôt à l'inquisiteur de Beauvais qu'il appartenait de +siéger au côté de l'évêque de Beauvais? Il annonça qu'il demanderait +au Grand Inquisiteur du royaume de France un mandat qui s'étendît sur +le diocèse de Beauvais, et qu'en attendant ces pouvoirs, il consentait +à siéger, pour l'acquit <span class="pagenum"><a id="page251" name="page251"></a>(p. 251)</span> de sa conscience et pour empêcher +que toute la procédure ne devînt caduque, ce qui eût été le cas, au +sentiment de tous, si la cause avait été instruite sans le concours de +la Très Sainte Inquisition<a id="footnotetag598" name="footnotetag598"></a><a href="#footnote598" title="Lien vers la note 598"><span class="smaller">[598]</span></a>. Toutes les difficultés étaient +levées. La Pucelle fut citée à comparaître le mercredi 21 +février<a id="footnotetag599" name="footnotetag599"></a><a href="#footnote599" title="Lien vers la note 599"><span class="smaller">[599]</span></a>.</p> + +<p>Ce jour, à huit heures du matin, l'évêque de Beauvais, le vicaire de +l'inquisiteur et quarante et un conseillers et assesseurs dont quinze +docteurs en théologie, cinq docteurs en l'un et l'autre droit, six +bacheliers en théologie, onze bacheliers en droit canon, quatre +licenciés en droit civil, se réunirent dans la chapelle du château. +L'évêque siégea seul comme juge. À ses côtés les conseillers et +assesseurs, revêtus du camail des chanoines ou de la bure des +mendiants, exprimaient ou la douceur évangélique ou la gravité +sacerdotale. Il y avait des regards de flamme et des yeux baissés. +Frère Jean Lemaistre, vice-inquisiteur de la foi, se tenait parmi eux, +silencieux, dans la livrée noire et blanche de l'obéissance et de la +pauvreté<a id="footnotetag600" name="footnotetag600"></a><a href="#footnote600" title="Lien vers la note 600"><span class="smaller">[600]</span></a>.</p> + +<p>Avant d'introduire l'accusée, l'huissier rendit compte à l'évêque que +Jeanne, touchée par la citation, avait répondu que volontiers elle +comparaîtrait, que toutefois elle demandait que des hommes d'Église du +parti de la France fussent adjoints en nombre égal à ceux du <span class="pagenum"><a id="page252" name="page252"></a>(p. 252)</span> +parti de l'Angleterre. Elle demandait aussi qu'il lui fût permis +d'entendre la messe<a id="footnotetag601" name="footnotetag601"></a><a href="#footnote601" title="Lien vers la note 601"><span class="smaller">[601]</span></a>. L'évêque rejeta ces deux requêtes<a id="footnotetag602" name="footnotetag602"></a><a href="#footnote602" title="Lien vers la note 602"><span class="smaller">[602]</span></a> et +Jeanne fut introduite, en habit d'homme, les fers aux pieds. On la fit +asseoir près de la table où se tenaient les greffiers.</p> + +<p>Ce qui éclata tout de suite entre ces théologiens et cette jeune +fille, ce fut la haine et l'horreur réciproques. Contrairement aux +usages de son sexe, que les ribaudes elles-mêmes n'osaient enfreindre, +elle montrait ses cheveux, des cheveux bruns taillés sur l'oreille. +C'étaient peut-être les premiers cheveux de femme que voyait tel de +ces jeunes religieux, tel de ces jeunes maîtres assis derrière leurs +anciens. Elle portait des chausses comme un garçon. Ils trouvaient son +habit impudique, abominable<a id="footnotetag603" name="footnotetag603"></a><a href="#footnote603" title="Lien vers la note 603"><span class="smaller">[603]</span></a>. Elle les irritait et les indignait. +Si l'évêque de Beauvais l'avait forcée à comparaître en robe et en +chaperon, ils l'eussent regardée sans doute avec moins de colère. Cet +habit d'homme leur rendait présentes les œuvres accomplies par la +Pucelle, avec le secours des démons, dans le camp du dauphin Charles, +se disant roi. En ôtant comme avec la main, par magie, toute force aux +gens d'armes anglais, elle avait nui grandement à la plupart de ces +hommes d'Église qui la jugeaient. Les uns songeaient aux bénéfices +dont elle les avait dépouillés; d'autres, <span class="pagenum"><a id="page253" name="page253"></a>(p. 253)</span> docteurs et +maîtres de l'Université, se rappelaient qu'elle avait failli mettre +Paris à feu et à sang<a id="footnotetag604" name="footnotetag604"></a><a href="#footnote604" title="Lien vers la note 604"><span class="smaller">[604]</span></a>; d'autres, abbés et chanoines, lui en +voulaient peut-être plus encore de les avoir fait trembler jusqu'en +Normandie. Et le tort ainsi causé à une notable partie de l'Église de +France, pouvaient-ils le lui pardonner quand ils savaient qu'elle +l'avait fait par sorcellerie, divination, et invocation des diables? +«Il faut être bien ignorant, disait Sprenger, pour nier la réalité de +la magie.» Comme ils étaient très savants, ils voyaient des magiciens +et des sorciers où d'autres n'en auraient pas soupçonné; ils +estimaient que le doute touchant le pouvoir des démons sur les hommes +et sur les choses était non seulement hérésie et impiété, mais encore +subversion de toute société naturelle et politique. Ces docteurs assis +là, dans la chapelle du château, avaient fait brûler chacun dix, +vingt, cinquante sorcières, et toutes avaient confessé leur crime. +N'eût-ce pas été folie que de douter après cela qu'il fût des +sorcières?</p> + +<p>On pouvait s'étonner que des créatures capables de faire tomber la +grêle, et de jeter des sorts sur les animaux et les hommes, se +laissassent prendre, juger, torturer et brûler sans défense, mais +c'était un fait constant; tous les juges ecclésiastiques avaient pu +l'observer. Et les hommes très doctes en rendaient compte: ils +expliquaient que les sorciers et les sorcières <span class="pagenum"><a id="page254" name="page254"></a>(p. 254)</span> perdaient +leur pouvoir dès qu'ils étaient aux mains des gens d'Église. On tenait +cette explication pour satisfaisante. La pauvre Pucelle avait comme +les autres, perdu son pouvoir; ils ne la craignaient plus.</p> + +<p>Jeanne les haïssait pour le moins autant qu'ils la haïssaient. Cette +antipathie que les saintes ignorantes, les belles inspirées, d'esprit +libre, capricieux, ardent, éprouvaient naturellement pour les docteurs +enflés de leur science et tout raidis de scolastique, elle l'avait +ressentie naguère à l'égard des clercs de Poitiers, qui cependant +étaient du parti de France, ne lui voulaient pas de mal et ne +l'avaient pas beaucoup tourmentée. On peut juger par là de la +répulsion que lui inspiraient les clercs de Rouen. Elle savait qu'ils +cherchaient à la faire mourir. Mais elle ne les craignait pas; elle +attendait avec confiance que les anges et les saintes, accomplissant +leur promesse, vinssent la délivrer. Elle ne savait ni quand ni +comment arriverait le salut; elle ne doutait pas qu'il n'arrivât. En +douter eût été douter de saint Michel, de sainte Catherine et de +Notre-Seigneur; c'eût été croire que ses Voix étaient mauvaises. Ses +Voix lui avaient dit de ne rien craindre et elle ne craignait +rien<a id="footnotetag605" name="footnotetag605"></a><a href="#footnote605" title="Lien vers la note 605"><span class="smaller">[605]</span></a>. Intrépide simplicité; d'où lui venait cette confiance en +ses Voix, sinon de son cœur?</p> + +<p>L'évêque la requit de jurer en la forme prescrite, les <span class="pagenum"><a id="page255" name="page255"></a>(p. 255)</span> deux +mains sur les saints Évangiles, qu'elle répondrait la vérité sur tout +ce qui lui serait demandé.</p> + +<p>Elle ne pouvait. Ses Voix lui défendaient de rien confier à personne +des révélations dont elles la gratifiaient abondamment.</p> + +<p>Elle répondit:</p> + +<p>—Je ne sais sur quoi vous voulez m'interroger. Vous pourriez me +demander telles choses que je ne vous dirai pas.</p> + +<p>Et comme l'évêque insistait pour qu'elle jurât de dire toute la +vérité:</p> + +<p>—De mon père et de ma mère, dit-elle, et de ce que j'ai fait après ma +venue en France, je jurerai volontiers. Mais des révélations de la +part de Dieu, oncques n'en ai dit ni révélé à personne, hors à +Charles, mon roi. Et je n'en révélerai rien, me dût-on couper la tête.</p> + +<p>Et, soit qu'elle voulût gagner du temps, soit qu'elle comptât avoir +bientôt sur ce point un nouvel avis de son Conseil, elle ajouta +qu'avant huit jours elle saurait bien si elle devait révéler ces +choses.</p> + +<p>Enfin elle jura selon les formes, à genoux, les deux mains sur le +missel<a id="footnotetag606" name="footnotetag606"></a><a href="#footnote606" title="Lien vers la note 606"><span class="smaller">[606]</span></a>. Puis elle répondit sur son nom, son pays, ses parents, +son baptême, ses parrains et marraines. Elle dit qu'elle avait à peu +près dix-neuf ans, à ce qu'il lui semblait<a id="footnotetag607" name="footnotetag607"></a><a href="#footnote607" title="Lien vers la note 607"><span class="smaller">[607]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page256" name="page256"></a>(p. 256)</span> Interrogée sur ce qu'elle avait appris:</p> + +<p>—J'ai appris de ma mère <i>Notre Père</i>, <i>Je vous salue, Marie</i> et <i>Je +crois en Dieu</i>.</p> + +<p>Mais quand on lui demanda de dire <i>Notre Père</i>, elle s'y refusa, ne +voulant le dire qu'en confession. C'était pour que l'évêque l'entendît +au tribunal de la pénitence<a id="footnotetag608" name="footnotetag608"></a><a href="#footnote608" title="Lien vers la note 608"><span class="smaller">[608]</span></a>.</p> + +<p>La séance était très agitée; chacun parlait à la fois. Jeanne, de sa +voix douce, avait scandalisé les docteurs.</p> + +<p>L'évêque lui fit défense de sortir de prison, sous peine d'être +convaincue du crime d'hérésie.</p> + +<p>Elle n'accepta point cette défense:</p> + +<p>—Si je m'évadais, dit-elle, nul ne pourrait me reprocher d'avoir +rompu ma foi, car oncques ne donnai ma foi à personne.</p> + +<p>Elle se plaignit ensuite d'être aux fers.</p> + +<p>L'évêque lui représenta que c'était parce qu'elle avait tenté de +s'évader.</p> + +<p>Elle en convint:</p> + +<p>—C'est vrai, j'ai voulu m'évader, et je le voudrais encore comme +c'est permis à tout prisonnier<a id="footnotetag609" name="footnotetag609"></a><a href="#footnote609" title="Lien vers la note 609"><span class="smaller">[609]</span></a>.</p> + +<p>Aveu d'une grande hardiesse, si elle avait bien entendu ces paroles du +juge, qu'en sortant de prison, elle encourait les peines dues aux +hérétiques. C'était, un crime contre l'Église que de s'échapper des +prisons de l'Église, c'était un crime et une folie; car les prisons +<span class="pagenum"><a id="page257" name="page257"></a>(p. 257)</span> de l'Église sont des séjours de pénitence, et il est aussi +criminel qu'insensé, le pécheur qui se refuse à la pénitence +salutaire; il est semblable au malade qui ne veut point être guéri. +Mais Jeanne n'était pas proprement dans une prison ecclésiastique; +elle était dans le château de Rouen, prisonnière de guerre, aux mains +des Anglais. Pouvait-on dire qu'en s'évadant, elle encourait +l'excommunication et les peines spirituelles et temporelles dues aux +ennemis de la foi? Il y avait là une difficulté. Le seigneur évêque la +leva incontinent par une belle fiction juridique. Trois hommes d'armes +d'Angleterre, John Gris, écuyer, John Bervox et William Talbot étaient +commis par le roi à la garde de Jeanne. L'évêque, agissant comme juge +ecclésiastique, les commit lui-même à cette garde et leur fit jurer +sur les saints Évangiles de lier et enfermer cette fille<a id="footnotetag610" name="footnotetag610"></a><a href="#footnote610" title="Lien vers la note 610"><span class="smaller">[610]</span></a>. De ce +fait la Pucelle était prisonnière de notre sainte Mère l'Église et +elle ne pouvait rompre ses fers sans tomber dans l'hérésie.</p> + +<p>La deuxième audience fut fixée au lendemain 22 février<a id="footnotetag611" name="footnotetag611"></a><a href="#footnote611" title="Lien vers la note 611"><span class="smaller">[611]</span></a>.</p> + + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page258" name="page258"></a>(p. 258)</span> CHAPITRE XI<br> + +<span class="smaller">LA CAUSE DE LAPSE (<i>Suite</i>).</span></h2> + + +<p>Après l'audience, quand il s'agit de rédiger le procès-verbal, un +conflit s'éleva entre les notaires ecclésiastiques et deux ou trois +greffiers royaux qui avaient enregistré, eux aussi, les réponses de +l'accusée. Les deux rédactions, comme on pouvait s'y attendre, +différaient l'une de l'autre en plusieurs endroits. On décida que +Jeanne serait interrogée à nouveau sur les points contestés<a id="footnotetag612" name="footnotetag612"></a><a href="#footnote612" title="Lien vers la note 612"><span class="smaller">[612]</span></a>. Les +notaires d'Église se plaignaient aussi du mal qu'ils avaient à saisir +les paroles de Jeanne à travers les interruptions des assistants qui +les hachaient.</p> + +<p>En un procès d'inquisition il n'y avait pas de lieu déterminé pour les +interrogatoires non plus que pour les <span class="pagenum"><a id="page259" name="page259"></a>(p. 259)</span> autres actes de la +procédure; les juges interrogeaient soit dans une chapelle, soit dans +une salle capitulaire, ou bien encore dans la prison ou dans une +chambre de torture. Pour éviter le tumulte de la première séance, +comme le croyait Messire Guillaume Manchon<a id="footnotetag613" name="footnotetag613"></a><a href="#footnote613" title="Lien vers la note 613"><span class="smaller">[613]</span></a>, et parce qu'il n'y +avait plus de raison de procéder aussi solennellement qu'à l'ouverture +des débats, le juge et les conseillers se réunirent dans la chambre de +Parement, petite pièce située au bout de la grande salle du +château<a id="footnotetag614" name="footnotetag614"></a><a href="#footnote614" title="Lien vers la note 614"><span class="smaller">[614]</span></a>; et l'on mit deux gardes anglais à la porte. Selon le +droit inquisitorial, les assesseurs désignés n'étaient pas tenus +d'assister à toutes les délibérations<a id="footnotetag615" name="footnotetag615"></a><a href="#footnote615" title="Lien vers la note 615"><span class="smaller">[615]</span></a>. Cette fois, quarante-deux +étaient présents, trente-six anciens et six nouveaux, et parmi ces +grands clercs, frère Jean Lemaistre, le vice-inquisiteur de la foi, +l'humble frère prêcheur, non plus, comme au temps de saint Dominique, +chien carnassier du Seigneur, mais, par suite des entreprises de +l'Église des Gaules sur la puissance pontificale, chien de l'évêque, +pauvre moine n'osant ni agir ni s'abstenir, muet, craintif, le dernier +et moindre de tous, en attendant de devenir du jour au lendemain juge +souverain et sans appel<a id="footnotetag616" name="footnotetag616"></a><a href="#footnote616" title="Lien vers la note 616"><span class="smaller">[616]</span></a>.</p> + +<p>Jeanne fut introduite par messire Jean Massieu, huissier. <span class="pagenum"><a id="page260" name="page260"></a>(p. 260)</span> +Elle tenta encore d'éluder le serment de tout dire; mais il lui fallut +jurer sur l'Évangile<a id="footnotetag617" name="footnotetag617"></a><a href="#footnote617" title="Lien vers la note 617"><span class="smaller">[617]</span></a>.</p> + +<p>Ce fut maître Jean Beaupère qui l'interrogea; il était docteur en +théologie. L'Université de Paris, qui le regardait comme une de ses +plus belles lumières, l'avait nommé deux fois recteur, chargé des +fonctions de chancelier, en l'absence de Gerson, et envoyé en l'an +1419, avec messire Pierre Cauchon, en la ville de Troyes, pour donner +aide et conseil au roi Charles VI, et, trois ans après, vers la reine +d'Angleterre et le duc de Glocester, pour obtenir, par leur appui, la +confirmation de ses privilèges. Il venait d'être nommé chanoine de +Rouen par le roi Henri VI<a id="footnotetag618" name="footnotetag618"></a><a href="#footnote618" title="Lien vers la note 618"><span class="smaller">[618]</span></a>.</p> + +<p>Maître Jean Beaupère demanda d'abord à Jeanne à quel âge elle avait +quitté la maison de son père. Elle ne sut pas le dire, bien qu'elle +eût répondu la veille qu'elle avait présentement dix-neuf ans +environ<a id="footnotetag619" name="footnotetag619"></a><a href="#footnote619" title="Lien vers la note 619"><span class="smaller">[619]</span></a>.</p> + +<p>Interrogée sur les occupations de son enfance, elle répondit qu'elle +vaquait aux soins du ménage et n'allait guère aux champs avec les +bêtes.</p> + +<p>—Pour filer et coudre, dit-elle, je ne crains femme de Rouen<a id="footnotetag620" name="footnotetag620"></a><a href="#footnote620" title="Lien vers la note 620"><span class="smaller">[620]</span></a>.</p> + +<p>Ainsi, portant jusque dans ces choses domestiques <span class="pagenum"><a id="page261" name="page261"></a>(p. 261)</span> son goût +de chevalerie et son ardeur de prouesses, elle défiait au fuseau et à +l'aiguille toutes les femmes d'une ville, sans en connaître une seule.</p> + +<p>Interrogée sur ses confessions et ses communions, elle répondit +qu'elle se confessait à son curé ou à un autre prêtre quand celui-ci +était empêché. Mais elle ne voulut pas dire si elle avait communié à +d'autres fêtes qu'à Pâques<a id="footnotetag621" name="footnotetag621"></a><a href="#footnote621" title="Lien vers la note 621"><span class="smaller">[621]</span></a>.</p> + +<p>Maître Jean Beaupère procédait sans ordre et sautait brusquement d'un +sujet à l'autre, afin de la surprendre. Il lui parla tout à coup de +ses Voix. Elle lui répondit comme il suit:</p> + +<p>—Étant en l'âge de treize ans, j'ai eu une Voix de Dieu pour m'aider +à me bien gouverner. Et la première fois j'ai eu grand'peur. Et la +Voix vint quasiment à l'heure de midi, en été, dans le jardin de mon +père...</p> + +<p>Elle entendit la Voix à droite, vers l'église. Rarement elle l'entend +sans une lumière. Cette lumière est du côté que la Voix est ouïe<a id="footnotetag622" name="footnotetag622"></a><a href="#footnote622" title="Lien vers la note 622"><span class="smaller">[622]</span></a>.</p> + +<p>En apprenant que Jeanne entendait la Voix à droite, un docteur plus +savant et plus doux que n'était maître Jean eût sans doute interprété +favorablement cette circonstance, puisqu'on lit dans Ezéchiel que les +anges se tenaient à droite de la demeure, puisque nous voyons, au +dernier chapitre de saint-Marc, que les femmes virent l'Ange assis à +droite et puisque enfin saint Luc <span class="pagenum"><a id="page262" name="page262"></a>(p. 262)</span> observe en termes exprès +que l'Ange apparut à Zacharie à droite de l'autel encensé, sur quoi le +vénérable Bède fit cette réflexion: «il apparut à droite, parce qu'il +apportait un signe de la divine miséricorde<a id="footnotetag623" name="footnotetag623"></a><a href="#footnote623" title="Lien vers la note 623"><span class="smaller">[623]</span></a>». Mais +l'interrogateur n'attacha son esprit à rien de semblable; et, croyant +embarrasser Jeanne, il lui demanda comment elle voyait la lumière, +puisqu'elle était de côté<a id="footnotetag624" name="footnotetag624"></a><a href="#footnote624" title="Lien vers la note 624"><span class="smaller">[624]</span></a>. Jeanne ne répondit pas et comme +distraite:</p> + +<p>—Si j'étais dans un bois, j'entendrais bien les Voix qui viendraient +à moi.... Elle me semble être une digne Voix. Je crois que cette Voix +m'a été envoyée de la part de Dieu. Après avoir entendu trois fois +cette Voix, j'ai connu que c'était la voix d'un ange.</p> + +<p>—Quels enseignements vous donnait cette Voix pour le salut de votre +âme?</p> + +<p>—Elle m'apprit à me bien conduire, à fréquenter l'église, et elle m'a +dit qu'il me fallait aller en France<a id="footnotetag625" name="footnotetag625"></a><a href="#footnote625" title="Lien vers la note 625"><span class="smaller">[625]</span></a>.</p> + +<p>Et Jeanne conta comment, sur l'ordre de la Voix, elle était allée à +Vaucouleurs, vers sire Robert de Baudricourt, qu'elle avait reconnu, +sans l'avoir oncques vu auparavant; comment le duc de Lorraine l'avait +appelée auprès de lui pour qu'elle le guérît et comment elle s'était +rendue en France<a id="footnotetag626" name="footnotetag626"></a><a href="#footnote626" title="Lien vers la note 626"><span class="smaller">[626]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page263" name="page263"></a>(p. 263)</span> Elle fut ensuite amenée à dire qu'elle savait bien que Dieu +aimait le duc d'Orléans et qu'elle avait sur lui plus de révélations +que sur homme vivant, excepté son roi, qu'il lui avait fallu changer +son habit de femme en habit d'homme et que son conseil l'avait bien +avisée<a id="footnotetag627" name="footnotetag627"></a><a href="#footnote627" title="Lien vers la note 627"><span class="smaller">[627]</span></a>.</p> + +<p>On lui donna lecture de la lettre aux Anglais. Elle reconnut qu'elle +l'avait dictée dans les mêmes termes, à trois endroits près. Elle +n'avait pas dit: <i>corps pour corps</i>, ni <i>chef de guerre</i>; et elle +avait dit <i>rendez au roi</i>, au lieu de <i>rendez à la Pucelle</i>. Les juges +n'avaient pas altéré le texte de la lettre, comme on peut s'en assurer +en le comparant à d'autres textes qui ne passèrent pas par leurs mains +et qui contiennent les expressions niées par Jeanne<a id="footnotetag628" name="footnotetag628"></a><a href="#footnote628" title="Lien vers la note 628"><span class="smaller">[628]</span></a>.</p> + +<p>Au début de sa vocation, elle croyait que Notre-Seigneur, vrai roi de +France, lui avait ordonné de remettre la lieutenance du royaume à +Charles de Valois. Les propos où elle exprime ces idées sont rapportés +par trop de personnes étrangères les unes aux autres pour qu'on puisse +douter qu'elle les ait prononcés. «Le roi aura le royaume en commande; +le roi de France est lieutenant du roi des cieux.» Ce sont là des +paroles sorties de sa bouche et elle a vraiment dit au dauphin: +«Faites don de votre royaume au roi des cieux<a id="footnotetag629" name="footnotetag629"></a><a href="#footnote629" title="Lien vers la note 629"><span class="smaller">[629]</span></a>.» Mais ce qu'on est +bien obligé de reconnaître, <span class="pagenum"><a id="page264" name="page264"></a>(p. 264)</span> c'est qu'à Rouen il ne subsiste +plus en elle aucune trace de ces idées mystiques et qu'elle semble +même incapable de les avoir jamais eues. Dans toutes les réponses +qu'elle fait à ses interrogateurs, elle se montre si étrangère à tout +raisonnement un peu abstrait et aux spéculations même les moins +compliquées, qu'on se figure mal qu'elle ait pu concevoir la royauté +temporelle de Jésus-Christ sur la terre des Lis. Rien dans son langage +ni dans ses pensées ne la montre préparée à de telles méditations et +l'on en arrive à croire que cette théologie politique lui avait été +enseignée, dans son âge tendre et ductile, par des clercs désireux de +remédier aux maux de l'Église et du royaume, mais qu'elle n'en avait +point pénétré profondément l'esprit ni bien possédé le sens, et que +les termes mêmes lui en avaient peu à peu échappé, dans une vie rude +et parmi des gens d'armes dont l'âme simple s'accordait avec la sienne +mieux que l'âme plus ornée de ses initiateurs contemplatifs.</p> + +<p>Interrogée sur sa venue à Chinon, elle répondit:</p> + +<p>J'allai sans empêchement vers mon roi; quand j'arrivai à la ville de +Sainte-Catherine de Fierbois, j'envoyai premièrement à la ville de +Château-Chinon où était mon roi. J'y arrivai vers l'heure de midi et +me logeai dans une hôtellerie et, après dîner, j'allai à mon roi qui +était dans le château.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page265" name="page265"></a>(p. 265)</span> Les greffiers, s'il faut les en croire, s'émerveillaient à +l'envi de sa mémoire. Ils admiraient qu'elle se rappelât avec +exactitude ce qu'elle avait dit huit jours auparavant<a id="footnotetag630" name="footnotetag630"></a><a href="#footnote630" title="Lien vers la note 630"><span class="smaller">[630]</span></a>. Pourtant +ses souvenirs étaient parfois étrangement incertains, et l'on a +quelque raison de penser avec le Bâtard qu'elle attendit deux jours à +l'auberge avant d'être reçue par le roi<a id="footnotetag631" name="footnotetag631"></a><a href="#footnote631" title="Lien vers la note 631"><span class="smaller">[631]</span></a>.</p> + +<p>À propos de cette audience au château de Chinon, elle dit à ses juges +qu'elle avait reconnu le roi comme elle avait reconnu le sire de +Baudricourt, par révélation<a id="footnotetag632" name="footnotetag632"></a><a href="#footnote632" title="Lien vers la note 632"><span class="smaller">[632]</span></a>.</p> + +<p>L'interrogateur lui demanda:</p> + +<p>—Quand la Voix vous montra votre roi, y avait-il là quelque +lumière<a id="footnotetag633" name="footnotetag633"></a><a href="#footnote633" title="Lien vers la note 633"><span class="smaller">[633]</span></a>?</p> + +<p>Cette question se rapportait à des circonstances étranges qui +intéressaient grandement les juges, car ils y soupçonnaient la Pucelle +de s'être rendue coupable de fraude sacrilège ou peut-être de +sorcellerie, avec la complicité du roi de France. Ils avaient appris, +en effet, par leurs informateurs, que Jeanne se vantait d'avoir donné +un signe au roi, en la forme d'une couronne précieuse<a id="footnotetag634" name="footnotetag634"></a><a href="#footnote634" title="Lien vers la note 634"><span class="smaller">[634]</span></a>. Voici la +vérité sur ce point.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page266" name="page266"></a>(p. 266)</span> Madame sainte Catherine, ainsi qu'on le rapportait dans son +histoire, reçut un jour, de la main d'un ange, une couronne +resplendissante et la posa sur la tête de l'impératrice des Romains. +Cette couronne signifiait la béatitude éternelle<a id="footnotetag635" name="footnotetag635"></a><a href="#footnote635" title="Lien vers la note 635"><span class="smaller">[635]</span></a>. Jeanne, qui +était nourrie de cette histoire, disait que semblable chose lui était +advenue. En France elle avait fait plusieurs récits merveilleux de +couronnes et dans l'un de ces récits elle se représentait en la grande +salle du château de Chinon, au milieu des seigneurs, recevant de la +main d'un ange une couronne, pour la donner à son roi<a id="footnotetag636" name="footnotetag636"></a><a href="#footnote636" title="Lien vers la note 636"><span class="smaller">[636]</span></a>. C'était +vrai, au sens spirituel, car elle avait mené Charles à son sacre et +couronnement. Jeanne n'était pas très exercée à concevoir deux ordres +de vérités. Il se peut toutefois qu'elle eut des doutes sur la réalité +matérielle de cette vision. Il se peut même qu'elle la tînt pour vraie +seulement au sens spirituel. En tout cas, elle avait promis +d'elle-même spontanément à sainte Catherine et à sainte Marguerite de +n'en point parler à ses juges<a id="footnotetag637" name="footnotetag637"></a><a href="#footnote637" title="Lien vers la note 637"><span class="smaller">[637]</span></a>.</p> + +<p>—Vîtes-vous quelque ange au-dessus du roi? demanda l'interrogateur.</p> + +<p>Elle refusa de répondre<a id="footnotetag638" name="footnotetag638"></a><a href="#footnote638" title="Lien vers la note 638"><span class="smaller">[638]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page267" name="page267"></a>(p. 267)</span> Pour cette fois, il ne fut rien dit de la couronne.</p> + +<p>Maître Jean Beaupère demanda à Jeanne si elle entendait souvent la +Voix.</p> + +<p>—Il n'est jour que je ne l'entende. Et elle me fait bien besoin<a id="footnotetag639" name="footnotetag639"></a><a href="#footnote639" title="Lien vers la note 639"><span class="smaller">[639]</span></a>.</p> + +<p>Elle ne parlait jamais de ses Voix sans exprimer qu'elles étaient son +refuge et son réconfort, son allègement et son allégresse. Or, les +théologiens s'accordaient à croire que le bon esprit laisse en se +retirant l'âme comblée de joie, de paix et de consolation, et ils en +donnaient pour preuve cette parole de l'ange à Zacharie et à Marie: +«Ne craignez point<a id="footnotetag640" name="footnotetag640"></a><a href="#footnote640" title="Lien vers la note 640"><span class="smaller">[640]</span></a>». Ce n'était pas toutefois une raison assez +forte pour persuader à des clercs du parti anglais que des Voix +ennemies des Anglais venaient de Dieu.</p> + +<p>Et la Pucelle ajouta:</p> + +<p>—Oncques n'ai requis d'elle autre récompense finale que le salut de +mon âme<a id="footnotetag641" name="footnotetag641"></a><a href="#footnote641" title="Lien vers la note 641"><span class="smaller">[641]</span></a>.</p> + +<p>L'interrogatoire se termina sur une charge capitale: l'assaut donné à +Paris un jour de fête. C'est peut-être à ce sujet que frère Jacques de +Touraine, de l'ordre des frères mineurs, qui de temps à autre faisait +aussi des questions, demanda à Jeanne si elle avait jamais été en un +lieu où des Anglais eussent été tués.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page268" name="page268"></a>(p. 268)</span> —En nom Dieu, si j'y ai été? répliqua Jeanne vivement. Comme +vous parlez doucement! Que ne partaient-ils de France et +n'allaient-ils dans leur pays!</p> + +<p>Un seigneur d'Angleterre, qui se trouvait dans la salle, entendant ces +paroles, dit à ses voisins:</p> + +<p>—Vraiment, c'est une bonne femme. Que n'est-elle Anglaise<a id="footnotetag642" name="footnotetag642"></a><a href="#footnote642" title="Lien vers la note 642"><span class="smaller">[642]</span></a>!</p> + +<p>La troisième séance publique fut fixée au surlendemain, samedi 24 +février<a id="footnotetag643" name="footnotetag643"></a><a href="#footnote643" title="Lien vers la note 643"><span class="smaller">[643]</span></a>.</p> + +<p>On était en carême; Jeanne observait le jeûne très +rigoureusement<a id="footnotetag644" name="footnotetag644"></a><a href="#footnote644" title="Lien vers la note 644"><span class="smaller">[644]</span></a>.</p> + +<p>Le vendredi 23 au matin, les Voix vinrent d'elles-mêmes l'éveiller. +Elle se souleva sur son lit et s'y tint assise, les mains jointes, +pour leur rendre grâces. Puis elle leur demanda ce qu'elle devait +répondre aux juges, les priant de prendre conseil là-dessus de +Notre-Seigneur. Les Voix prononcèrent d'abord des paroles qu'elle ne +comprit pas. Cela arrivait quelquefois, surtout aux heures difficiles. +Puis elles dirent<a id="footnotetag645" name="footnotetag645"></a><a href="#footnote645" title="Lien vers la note 645"><span class="smaller">[645]</span></a>:</p> + +<p>—Réponds hardiment, Dieu t'aidera.</p> + +<p>Ce même jour, elle les entendit une deuxième fois à l'heure des vêpres +et une troisième fois quand les cloches sonnèrent l'<i>Ave Maria</i> du +soir. Dans la nuit du vendredi et du samedi, elles revinrent et lui +révélèrent <span class="pagenum"><a id="page269" name="page269"></a>(p. 269)</span> beaucoup de secrets pour le bien du roi de +France. Elle en reçut un grand réconfort<a id="footnotetag646" name="footnotetag646"></a><a href="#footnote646" title="Lien vers la note 646"><span class="smaller">[646]</span></a>. Très probablement elles +lui renouvelèrent l'assurance qu'elle serait tirée des mains de ses +ennemis et que ses juges, au contraire, se trouvaient en grand danger.</p> + +<p>Elle se gouvernait entièrement par ses Voix. Quand elle était +embarrassée sur ce qu'elle devait dire à ses juges, elle faisait une +prière à Notre-Seigneur; elle lui disait dévotement: «Très doux Dieu, +en l'honneur de votre sainte Passion, je vous requiers, si vous +m'aimez, que me révéliez ce que je dois répondre à ces gens d'Église. +Je sais bien, quant à l'habit, le commandement comment je l'ai pris; +mais je ne sais point par quelle manière je dois le laisser. Pour ce, +plaise vous à moi l'enseigner.»</p> + +<p>Et tout aussitôt les Voix venaient<a id="footnotetag647" name="footnotetag647"></a><a href="#footnote647" title="Lien vers la note 647"><span class="smaller">[647]</span></a>.</p> + +<p>À la troisième séance, tenue le 24 février, dans la chambre de +Parement, siégèrent soixante-deux assesseurs, dont vingt +nouveaux<a id="footnotetag648" name="footnotetag648"></a><a href="#footnote648" title="Lien vers la note 648"><span class="smaller">[648]</span></a>.</p> + +<p>Jeanne montra plus de répugnance encore que les autres jours à prêter +sur les saints évangiles serment de répondre à tout ce qu'on lui +demanderait. L'évêque l'avertit charitablement que ce refus obstiné la +rendrait suspecte, et il la requit de jurer, sous peine <span class="pagenum"><a id="page270" name="page270"></a>(p. 270)</span> +d'être reconnue coupable sur tous les chefs d'accusation<a id="footnotetag649" name="footnotetag649"></a><a href="#footnote649" title="Lien vers la note 649"><span class="smaller">[649]</span></a>. Ainsi +le voulait en effet, la justice inquisitoriale. En l'an 1310, une +béguine nommée La Porète refusa le serment au sacré inquisiteur de la +foi, frère Guillaume de Paris; elle fut incontinent excommuniée, et, +sans être davantage interrogée, après une longue procédure, livrée au +prévôt de Paris, qui la fit brûler vive. La dévotion qu'elle montra +sur le bûcher tira des larmes à tous les assistants<a id="footnotetag650" name="footnotetag650"></a><a href="#footnote650" title="Lien vers la note 650"><span class="smaller">[650]</span></a>.</p> + +<p>Toutefois l'évêque ne put obtenir que la Pucelle jurât sans +restrictions. Elle jura de dire la vérité sur tout ce qu'elle saurait +touchant le procès, se réservant de taire ce qui, selon elle, ne s'y +rapporterait pas. Elle parla volontiers des Voix qu'elle avait +entendues la veille et dans la matinée, et ne céda point qu'elles lui +avaient fait des révélations concernant le roi. Mais, quand maître +Jean Beaupère se montra curieux de les connaître, elle demanda un +délai de quinze jours pour répondre, sûre que d'ici là elle serait +délivrée; et aussitôt elle se mit à vanter les secrets que ses Voix +lui avaient confiés pour le bien du roi.</p> + +<p>—Je voudrais qu'il les sût dès maintenant, dit-elle, dussé-je ne pas +boire de vin d'ici à Pâques<a id="footnotetag651" name="footnotetag651"></a><a href="#footnote651" title="Lien vers la note 651"><span class="smaller">[651]</span></a>.</p> + +<p>«Ne pas boire de vin d'ici Pâques». Employait-elle de la sorte, sans y +prendre garde, une locution en <span class="pagenum"><a id="page271" name="page271"></a>(p. 271)</span> usage dans le pays de ce joli +vin qui a des teintes de rose desséchée, de ce vin «gris» dont deux +doigts avec un morceau de pain faisaient le repas des femmes de +Domremy<a id="footnotetag652" name="footnotetag652"></a><a href="#footnote652" title="Lien vers la note 652"><span class="smaller">[652]</span></a>? Ou bien avait-elle pris cette façon de dire aux gens +d'armes de sa compagnie, avec les bonnes buffes et les bons torchons? +Hélas! quel hypocras devait-elle boire pendant les cinq semaines qui +restaient à courir avant Pâques? Elle employait là une expression +toute faite, comme il lui arrivait souvent, et n'y attribuait aucun +sens précis, à moins qu'à l'idée de vin ne se mêlât plus ou moins +confusément dans son esprit une pensée cordiale, un espoir de voir, +une fois délivrée, les seigneurs de France emplir leur tasse en +l'honneur d'elle.</p> + +<p>Maître Jean Beaupère lui demanda si, avec les Voix, elle voyait +quelque chose.</p> + +<p>Elle répondit:</p> + +<p>—Je ne vous dirai pas tout. Je n'en ai pas congé... La Voix est bonne +et digne... De cela je ne suis pas tenue de répondre.</p> + +<p>Et elle pria qu'on lui donnât par écrit les points sur lesquels elle +ne répondait pas tout de suite<a id="footnotetag653" name="footnotetag653"></a><a href="#footnote653" title="Lien vers la note 653"><span class="smaller">[653]</span></a>.</p> + +<p>Quel usage pensait-elle faire de cet écrit? Elle ne savait pas lire; +elle n'avait pas d'avocat. Voulait-elle montrer la cédule à quelque +faux ami qui la trompait, comme Loiseleur? Ou pensait-elle la mettre +sous les yeux de ses saintes?</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page272" name="page272"></a>(p. 272)</span> Maître Beaupère demanda si la Voix avait un visage et des +yeux.</p> + +<p>Elle refusa de le dire et cita un dicton en usage chez les enfants: +«Souvent on est pendu pour avoir dit la vérité<a id="footnotetag654" name="footnotetag654"></a><a href="#footnote654" title="Lien vers la note 654"><span class="smaller">[654]</span></a>.»</p> + +<p>Maître Beaupère demanda:</p> + +<p>—Savez-vous si vous êtes en la grâce de Dieu?</p> + +<p>La question était singulièrement captieuse: elle mettait Jeanne entre +l'aveu de son péché et la plus condamnable témérité. Un des +assesseurs, maître Jean Lefèvre, de l'ordre des frères ermites, fit +observer qu'elle n'était pas tenue de répondre. Il y eut des murmures +dans la salle.</p> + +<p>Mais Jeanne:</p> + +<p>—Si je n'y suis, Dieu m'y mette, et si j'y suis, Dieu m'y garde. Je +serais la plus dolente du monde si je savais ne pas être en la grâce +de Dieu<a id="footnotetag655" name="footnotetag655"></a><a href="#footnote655" title="Lien vers la note 655"><span class="smaller">[655]</span></a>.</p> + +<p>Les assesseurs furent surpris qu'elle eût si bien répondu. Pourtant +ils n'étaient point revenus à de meilleurs sentiments pour elle. Ils +reconnaissaient qu'elle parlait bien au sujet de son roi, mais que, +pour le reste, elle avait trop de subtilité et de cette subtilité +propre à la femme<a id="footnotetag656" name="footnotetag656"></a><a href="#footnote656" title="Lien vers la note 656"><span class="smaller">[656]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page273" name="page273"></a>(p. 273)</span> Maître Jean Beaupère questionna ensuite Jeanne sur son +enfance au village, essayant de la montrer cruelle, encline à +l'homicide dès ses tendres années et adonnée à ces pratiques +d'idolâtrie, pour lesquelles les habitants de Domremy étaient +notoirement diffamés<a id="footnotetag657" name="footnotetag657"></a><a href="#footnote657" title="Lien vers la note 657"><span class="smaller">[657]</span></a>.</p> + +<p>Il toucha alors un point d'une singulière importance pour pénétrer les +origines obscures de la mission de Jeanne.</p> + +<p>—Ne vous a-t-on pas regardée comme l'envoyée du bois Chesnu?</p> + +<p>En poussant dans ce sens, on aurait peut-être obtenu des révélations +importantes. Assurément Jeanne avait été accréditée en France par de +fausses prophéties; mais ces clercs n'étaient pas en état de se +débrouiller dans tous ces pseudo-Bède et pseudo-Merlin<a id="footnotetag658" name="footnotetag658"></a><a href="#footnote658" title="Lien vers la note 658"><span class="smaller">[658]</span></a>.</p> + +<p>Jeanne répondit:</p> + +<p>—Quand je vins trouver le roi, aucuns me demandaient s'il y avait +dans mon pays un bois nommé le bois Chesnu, parce qu'il existait des +prophéties disant que des environs de ce bois devait venir une jeune +fille qui ferait des merveilles. Mais à cela je n'ajoutai pas foi.</p> + +<p>À cela elle n'ajouta pas foi, il faut l'en croire; mais si elle +n'accordait aucune créance à la prophétie de Merlin sur la vierge de +la forêt chesnue, elle donnait au contraire une grande attention à la +prophétie annonçant <span class="pagenum"><a id="page274" name="page274"></a>(p. 274)</span> qu'une Pucelle libératrice viendrait des +Marches de Lorraine, puisqu'elle la récitait, celle-là, aux époux +Leroyer et à son oncle Lassois d'un tel accent qu'ils en demeuraient +étonnés. Or, les deux vaticinations, il faut bien le reconnaître, se +ressemblent comme deux sœurs. Maître Jean Beaupère, laissant Merlin +l'Enchanteur, brusquement demanda:</p> + +<p>—Jeanne, voulez-vous avoir un habit de femme?</p> + +<p>Elle répondit:</p> + +<p>—Donnez-m'en un, je le prendrai et partirai. Autrement non. Je me +contenterai de celui-ci, puisqu'il plaît à Dieu que je le porte.</p> + +<p>Sur cette réponse, qui contenait deux erreurs tendant à l'hérésie, le +seigneur évêque leva la séance<a id="footnotetag659" name="footnotetag659"></a><a href="#footnote659" title="Lien vers la note 659"><span class="smaller">[659]</span></a>.</p> + +<p>Le lendemain 25 février était le premier dimanche du Carême. Ce +jour-là ou un autre, mais plus probablement ce jour-là, monseigneur de +Beauvais envoya une alose à Jeanne, qui, ayant mangé de ce poisson, +eut la fièvre et fut prise de vomissements<a id="footnotetag660" name="footnotetag660"></a><a href="#footnote660" title="Lien vers la note 660"><span class="smaller">[660]</span></a>. Deux maîtres ès arts +de l'Université de Paris, docteurs en médecine, Jean Tiphaine et +Guillaume Delachambre, assesseurs au procès, furent appelés par le +comte de Warwick qui leur dit:</p> + +<p>—Jeanne, d'après ce qu'on m'a rapporté, est souffrante. Je vous ai +mandés pour aviser à la guérir. Le roi ne veut pour rien au monde +qu'elle meure de mort <span class="pagenum"><a id="page275" name="page275"></a>(p. 275)</span> naturelle. Car il l'a chère, l'ayant +chèrement achetée. Il entend qu'elle ne trépasse que par justice et +soit brûlée. Faites donc le nécessaire, visitez-la avec grand soin et +tâchez qu'elle se rétablisse<a id="footnotetag661" name="footnotetag661"></a><a href="#footnote661" title="Lien vers la note 661"><span class="smaller">[661]</span></a>.</p> + +<p>Conduits par maître Jean d'Estivet auprès de Jeanne, les médecins lui +demandèrent de quel mal elle souffrait.</p> + +<p>Elle répondit qu'elle avait mangé d'une carpe que monseigneur de +Beauvais lui avait envoyée et qu'elle se doutait que là était la cause +de son mal.</p> + +<p>Soupçonnait-elle l'évêque d'avoir voulu l'empoisonner? C'est ce que +maître Jean d'Estivet crut comprendre, car il se mit dans une violente +colère:</p> + +<p>—Putain, paillarde! s'écria-t-il, c'est toi qui as mangé des harengs +et autres choses à toi contraires.</p> + +<p>—Je ne l'ai pas fait, répliqua-t-elle.</p> + +<p>Ils échangèrent tous deux des paroles injurieuses et Jeanne en fut +plus malade<a id="footnotetag662" name="footnotetag662"></a><a href="#footnote662" title="Lien vers la note 662"><span class="smaller">[662]</span></a>.</p> + +<p>Les médecins la palpèrent aux reins et au côté droit et lui trouvèrent +de la fièvre. D'où ils conclurent à une saignée.</p> + +<p>Ils en avisèrent le comte de Warwick qui s'inquiéta:</p> + +<p>—Une saignée? Prenez garde! Elle est rusée et pourrait bien se tuer.</p> + +<p>Néanmoins on fit la saignée et Jeanne guérit<a id="footnotetag663" name="footnotetag663"></a><a href="#footnote663" title="Lien vers la note 663"><span class="smaller">[663]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page276" name="page276"></a>(p. 276)</span> Il n'y eut pas d'interrogatoire le lundi 26<a id="footnotetag664" name="footnotetag664"></a><a href="#footnote664" title="Lien vers la note 664"><span class="smaller">[664]</span></a>. À +l'ouverture de la quatrième séance, le mardi 27, maître Jean Beaupère +lui demanda comment elle s'était portée; ce dont elle fut peu touchée. +Elle lui répondit sèchement: «Vous le voyez bien. Je me suis portée le +mieux que j'ai pu<a id="footnotetag665" name="footnotetag665"></a><a href="#footnote665" title="Lien vers la note 665"><span class="smaller">[665]</span></a>.»</p> + +<p>Cette séance avait lieu dans la salle de Parement, en présence de +cinquante-quatre assesseurs<a id="footnotetag666" name="footnotetag666"></a><a href="#footnote666" title="Lien vers la note 666"><span class="smaller">[666]</span></a>. Cinq de ceux-là n'avaient pas encore +assisté aux débats, et dans le nombre maître Nicolas Loiseleur, +chanoine de Rouen, qui faisait, dans le procès, le cordonnier lorrain +et madame sainte Catherine d'Alexandrie<a id="footnotetag667" name="footnotetag667"></a><a href="#footnote667" title="Lien vers la note 667"><span class="smaller">[667]</span></a>.</p> + +<p>Maître Jean Beaupère se montra curieux, comme le samedi précédent, de +savoir si Jeanne avait entendu ses Voix. Elle les entendait tous les +jours<a id="footnotetag668" name="footnotetag668"></a><a href="#footnote668" title="Lien vers la note 668"><span class="smaller">[668]</span></a>.</p> + +<p>Il demanda:</p> + +<p>—Est-ce une voix d'ange qui vous parle, ou la voix d'un saint ou +d'une sainte? Ou bien est-ce Dieu qui vous parle sans truchement?</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page277" name="page277"></a>(p. 277)</span> Jeanne:</p> + +<p>—Cette voix est celle de sainte Catherine et de sainte Marguerite. Et +leurs figures sont couronnées de belles couronnes, moult richement et +moult précieusement. De vous le dire j'ai licence de Messire. Si vous +en faites doute, envoyez à Poitiers où je fus interrogée<a id="footnotetag669" name="footnotetag669"></a><a href="#footnote669" title="Lien vers la note 669"><span class="smaller">[669]</span></a>.</p> + +<p>Elle se réclamait à bon droit des clercs de France. Les docteurs +armagnacs n'avaient pas moins d'autorité en matière de foi que les +docteurs anglais et bourguignons. Ne devaient-ils pas se retrouver +tous ensemble au concile?</p> + +<p>L'interrogateur demanda:</p> + +<p>—Comment savez-vous que ce sont ces deux saintes? Les connaissez-vous +bien l'une d'avec l'autre?</p> + +<p>Jeanne:</p> + +<p>—Je sais bien que ce sont elles et je les connais bien l'une d'avec +l'autre.</p> + +<p>—Comment?</p> + +<p>—Par la révérence qu'elles me font<a id="footnotetag670" name="footnotetag670"></a><a href="#footnote670" title="Lien vers la note 670"><span class="smaller">[670]</span></a>.</p> + +<p>Réponse qu'on ne se hâtera pas de taxer d'erreur ou de fausseté, si +l'on songe que l'ange salua Gédéon (<i>Jud.</i> VI) et que Raphaël salua +Tobie(<i>Tob.</i> XII)<a id="footnotetag671" name="footnotetag671"></a><a href="#footnote671" title="Lien vers la note 671"><span class="smaller">[671]</span></a>.</p> + +<p>Jeanne donna ensuite une autre raison:</p> + +<p>—Je les connais parce qu'elles se nomment à moi<a id="footnotetag672" name="footnotetag672"></a><a href="#footnote672" title="Lien vers la note 672"><span class="smaller">[672]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page278" name="page278"></a>(p. 278)</span> Quand on lui demanda si ses saintes étaient vêtues toutes +deux de la même étoffe, si elles étaient du même âge, si elles +parlaient toutes deux à la fois, si l'une d'elles lui était apparue la +première, elle refusa de répondre, alléguant qu'elle n'en avait pas +congé<a id="footnotetag673" name="footnotetag673"></a><a href="#footnote673" title="Lien vers la note 673"><span class="smaller">[673]</span></a>.</p> + +<p>Maître Jean Beaupère lui demanda quelle apparition vint à elle la +première quand elle était âgée de treize ans, ou environ.</p> + +<p>Jeanne:</p> + +<p>—Ce fut saint Michel. Je le vis de mes yeux. Et il n'était pas seul, +mais bien accompagné d'anges du ciel. Je ne suis venue en France que +par l'ordre de Messire.</p> + +<p>—Vîtes-vous saint Michel et ces anges corporellement et réellement?</p> + +<p>—Je les vis des yeux de mon corps, aussi bien que je vous vois. Et +quand ils s'éloignaient de moi, je pleurais et j'aurais bien voulu +qu'ils m'eussent emportée avec eux.</p> + +<p>—En quelle figure était saint Michel<a id="footnotetag674" name="footnotetag674"></a><a href="#footnote674" title="Lien vers la note 674"><span class="smaller">[674]</span></a>?</p> + +<p>Elle n'avait pas congé de le dire.</p> + +<p>On lui demanda si elle avait eu congé de Dieu d'aller en France et si +c'était Dieu qui lui avait prescrit de prendre l'habit d'homme.</p> + +<p>En se taisant, elle se rendait suspecte d'hérésie et, de quelque +manière qu'elle répondît, elle se chargeait gravement: ou bien elle +prenait sur elle l'homicide et <span class="pagenum"><a id="page279" name="page279"></a>(p. 279)</span> l'abomination, ou bien elle +en attribuait la volonté à Dieu, ce qui était manifestement sacrilège.</p> + +<p>Sur sa venue en France, elle dit:</p> + +<p>—J'aimerais mieux être tirée à quatre chevaux que d'être venue en +France sans congé de Messire.</p> + +<p>Sur l'habit:</p> + +<p>—L'habit est peu de chose, moins que rien. Je n'ai pris l'habit +d'homme sur le conseil d'homme du monde. Je n'ai pris cet habit ni +fait chose que par l'ordre de Messire et des anges<a id="footnotetag675" name="footnotetag675"></a><a href="#footnote675" title="Lien vers la note 675"><span class="smaller">[675]</span></a>.</p> + +<p>Maître Jean Beaupère:</p> + +<p>—Quand vous voyez cette Voix venir à vous, y a-t-il de la lumière?</p> + +<p>Elle, alors, moqueuse comme à Poitiers:</p> + +<p>—Toutes les lumières ne viennent pas à vous, mon beau seigneur<a id="footnotetag676" name="footnotetag676"></a><a href="#footnote676" title="Lien vers la note 676"><span class="smaller">[676]</span></a>.</p> + +<p>Avec beaucoup de cautèle et de ruse, c'est le procès du roi de France +que faisaient ces docteurs de Paris et de Rouen. Maître Jean Beaupère +lança cette question:</p> + +<p>—Comment votre roi ajouta-t-il foi à vos dires?</p> + +<p>—Parce qu'il avait bons signes, et par ses clercs.</p> + +<p>—Quelles révélations eut votre roi?</p> + +<p>—Vous n'aurez pas cela de moi cette année.</p> + +<p>En entendant cette parole de la jeune fille, monseigneur de Beauvais, +qui était dans les conseils du roi <span class="pagenum"><a id="page280" name="page280"></a>(p. 280)</span> Henri, ne songea-t-il +donc point à cette parole du livre de <i>Tobie</i> (XII, 7): «Il est bon de +cacher le secret du roi»?</p> + +<p>Jeanne dut ensuite répondre longuement sur l'épée de sainte Catherine. +Les clercs la soupçonnaient d'avoir trouvé cette épée par divination +et invocation du démon et d'avoir mis un charme dessus. Tout ce +qu'elle put dire ne dissipa point leurs soupçons<a id="footnotetag677" name="footnotetag677"></a><a href="#footnote677" title="Lien vers la note 677"><span class="smaller">[677]</span></a>.</p> + +<p>On passa à l'épée qu'elle avait gagnée sur un Bourguignon.</p> + +<p>—Je la portais, dit-elle, à Compiègne, parce que c'était bonne épée +de guerre, et bonne à donner de bonnes buffes et bons torchons<a id="footnotetag678" name="footnotetag678"></a><a href="#footnote678" title="Lien vers la note 678"><span class="smaller">[678]</span></a>.</p> + +<p>Voilà qui est clairement dit. La buffe était un soufflet, un coup de +plat, le torchon un coup de tranchant<a id="footnotetag679" name="footnotetag679"></a><a href="#footnote679" title="Lien vers la note 679"><span class="smaller">[679]</span></a>. Quelques instants après, à +propos de sa bannière, elle déclara qu'elle la portait elle-même, +quand elle chargeait les ennemis, pour éviter de tuer personne.</p> + +<p>Et elle ajouta:</p> + +<p>—Oncques n'ai tué personne<a id="footnotetag680" name="footnotetag680"></a><a href="#footnote680" title="Lien vers la note 680"><span class="smaller">[680]</span></a>.</p> + +<p>Les docteurs trouvaient qu'elle variait dans ses réponses<a id="footnotetag681" name="footnotetag681"></a><a href="#footnote681" title="Lien vers la note 681"><span class="smaller">[681]</span></a>. Sans +doute, elle variait. Mais si les docteurs avaient vu, comme elle, à +toute heure de jour et de nuit, le ciel leur dégringoler sur la tête; +si toutes leurs <span class="pagenum"><a id="page281" name="page281"></a>(p. 281)</span> pensées, tous leurs instincts bons ou +mauvais, tous leurs désirs à peine formés, s'étaient mués aussitôt, à +leur insu, en des ordres de Dieu, exprimés par des voix d'archanges et +de bienheureuses, ils eussent varié tout autant, et sans doute ils +eussent montré dans leurs paroles et dans leurs actions moins de +douceur mêlée à moins de courage et moins de sens dans autant +d'illusion.</p> + +<p>Les interrogatoires étaient longs; ils duraient trois et quatre +heures<a id="footnotetag682" name="footnotetag682"></a><a href="#footnote682" title="Lien vers la note 682"><span class="smaller">[682]</span></a>. Avant de clore celui-là, maître Jean Beaupère voulut +savoir si Jeanne avait été blessée à Orléans. C'était un point +intéressant. Il était généralement admis que les sorcières perdaient +leur pouvoir avec leur sang. Enfin on la chicana sur la capitulation +de Jargeau, et la séance fut levée<a id="footnotetag683" name="footnotetag683"></a><a href="#footnote683" title="Lien vers la note 683"><span class="smaller">[683]</span></a>.</p> + +<p>Maître Jean Lohier, notable clerc normand, étant venu à Rouen, +l'évêque comte de Beauvais donna ordre de le mettre au courant de la +procédure. Le premier samedi de carême, 24 février, l'évêque le fit +appeler dans sa maison près Saint-Nicolas-le-Painteur et l'invita à +donner son opinion sur le procès. Maître Jean Lohier parla de telle +sorte que l'évêque courut après les docteurs et maîtres Jean Beaupère, +Jacques de Touraine, Nicolas Midi, Pierre Maurice, Thomas de +Courcelles, Nicolas Loiseleur, et leur dit tout ému:</p> + +<p>—Voilà Lohier qui nous veut bailler belles interlocutoires <span class="pagenum"><a id="page282" name="page282"></a>(p. 282)</span> +en notre procès! Il veut tout calomnier et dit que le procès ne vaut +rien. Qui l'en voudrait croire, il faudrait tout recommencer, et tout +ce que nous avons fait ne vaudrait rien! On voit bien de quel pied il +cloche. Par saint Jean, nous n'en ferons rien; mais continuerons notre +procès comme il est commencé.</p> + +<p>Le lendemain, maître Jean Lohier rencontra dans l'église Notre-Dame +messire Guillaume Manchon qui lui demanda:</p> + +<p>—Avez-vous vu le procès?</p> + +<p>—Je l'ai vu, répondit maître Jean. Ce procès ne vaut rien. Impossible +de le soutenir, pour plusieurs raisons. <i>Primo</i>, il y manque la forme +d'un procès ordinaire<a id="footnotetag684" name="footnotetag684"></a><a href="#footnote684" title="Lien vers la note 684"><span class="smaller">[684]</span></a>.</p> + +<p>Il entendait par là qu'on ne devait pas procéder contre Jeanne sans +informations préalables sur les présomptions de culpabilité, soit +qu'il ignorât les informations ordonnées par monseigneur de Beauvais, +soit plutôt qu'il les jugeât insuffisantes<a id="footnotetag685" name="footnotetag685"></a><a href="#footnote685" title="Lien vers la note 685"><span class="smaller">[685]</span></a>.</p> + +<p>—<i>Secundo</i>, poursuivit maître Jean Lohier, ce procès est déduit dans +le château, en lieu clos et fermé, où juges et assesseurs, n'étant +point en sûreté, n'ont pas pleine et entière liberté de dire purement +et simplement ce qu'ils veulent. <i>Tertio</i>, le procès touche à +plusieurs personnes qui ne sont pas appelées à comparoir, et on y +engage notamment l'honneur du roi de <span class="pagenum"><a id="page283" name="page283"></a>(p. 283)</span> France, dont Jeanne +suivit le parti, sans citer le roi ni quelqu'un qui le représente. +<i>Quarto</i>, ni libellés, ni articles n'ont été donnés, et cette femme, +qui est une fille simple, on la laisse sans conseil pour répondre à +tant de maîtres, à de si grands docteurs et en matières si graves, +spécialement celle qui concerne ses révélations. Pour tous ces motifs, +le procès ne me semble pas valable.</p> + +<p>Il ajouta:</p> + +<p>—Vous voyez comment ils procèdent. Ils la prendront, s'ils peuvent, +par ses paroles. Ils tireront avantage des assertions où elle dit: «Je +sais de certain», au sujet de ses apparitions. Mais si elle disait: +«Il me semble», au lieu de: «Je sais de certain», m'est avis qu'il +n'est homme qui la pût condamner. Je m'aperçois bien qu'ils agissent +plus par haine que par tout autre sentiment. Ils ont l'intention de la +faire mourir. Aussi ne me tiendrai-je plus ici. Je n'y veux plus être. +Ce que je dis déplaît<a id="footnotetag686" name="footnotetag686"></a><a href="#footnote686" title="Lien vers la note 686"><span class="smaller">[686]</span></a>.</p> + +<p>Ce jour même, maître Jean quitta Rouen<a id="footnotetag687" name="footnotetag687"></a><a href="#footnote687" title="Lien vers la note 687"><span class="smaller">[687]</span></a>.</p> + +<p>L'aventure de maître Nicolas de Houppeville ressemble à celle de +maître Jean Lohier. Maître Nicolas, très notable clerc, conférant avec +des hommes d'Église, exprima cet avis que, faire juger Jeanne par des +gens du parti contraire n'était pas une bonne façon de procéder; et il +fit observer que Jeanne avait été déjà examinée <span class="pagenum"><a id="page284" name="page284"></a>(p. 284)</span> par les +clercs de Poitiers et par l'archevêque de Reims, métropolitain de +l'évêque de Beauvais. Instruit de ces conciliabules, monseigneur de +Beauvais se mit dans une violente colère et fit citer devant lui +maître Nicolas. Celui-ci répondit qu'il relevait de l'official de +Rouen et que l'évêque de Beauvais n'était point son juge. S'il est +vrai, comme on l'a dit, que maître Nicolas fut mis ensuite dans les +prisons du roi, ce fut pour une raison plus juridique, sans doute, que +d'avoir fâché le seigneur évêque de Beauvais. Ce qui paraît plus +probable, c'est que ce très notable clerc ne voulut pas siéger comme +assesseur et qu'il quitta Rouen pour n'être pas appelé au procès<a id="footnotetag688" name="footnotetag688"></a><a href="#footnote688" title="Lien vers la note 688"><span class="smaller">[688]</span></a>.</p> + +<p>Quelques hommes d'Église, entre autres maître Jean Pigache, maître +Pierre Minier et maître Richard de Grouchet s'aperçurent beaucoup plus +tard qu'ils avaient opiné sous le coup de la crainte et dans un grand +péril. «Nous assistâmes au procès, dirent-ils, mais nous fûmes dans la +pensée de fuir<a id="footnotetag689" name="footnotetag689"></a><a href="#footnote689" title="Lien vers la note 689"><span class="smaller">[689]</span></a>.» En fait, il ne fut fait violence à personne et +ceux qui refusèrent d'assister au procès ne furent point inquiétés. +Des menaces! Pourquoi? Était-il donc difficile alors de condamner une +sorcière? Sorcière, Jeanne ne l'était pas. D'autres l'étaient-elles +davantage? Toutefois, entre ces autres et celle-là, on voyait cette +différence, que Jeanne avait exercé ses sortilèges en faveur des +Armagnacs et <span class="pagenum"><a id="page285" name="page285"></a>(p. 285)</span> qu'en la condamnant on servait les Anglais qui +étaient les maîtres, chose à considérer, et que l'on fâchait les +Français en passe de le redevenir, ce qui donnait aussi à réfléchir +aux gens avisés. Il y avait bien de quoi rendre les docteurs +perplexes; mais la seconde considération pesait moins que la première; +on ne croyait guère que les Français fussent si près de reprendre la +Normandie.</p> + +<p>La cinquième séance publique eut lieu en l'endroit accoutumé, le +1<sup>er</sup> mars, en présence de cinquante-huit assesseurs dont neuf +n'avaient pas encore siégé<a id="footnotetag690" name="footnotetag690"></a><a href="#footnote690" title="Lien vers la note 690"><span class="smaller">[690]</span></a>.</p> + +<p>L'interrogateur demanda premièrement à Jeanne:</p> + +<p>—Que dites-vous de notre seigneur le Pape, et qui croyez-vous qui +soit vrai pape?</p> + +<p>Elle répondit habilement par une autre question:</p> + +<p>—Est-ce qu'il y en a deux<a id="footnotetag691" name="footnotetag691"></a><a href="#footnote691" title="Lien vers la note 691"><span class="smaller">[691]</span></a>?</p> + +<p>Non, il n'y en avait pas deux; le schisme avait cessé par l'abdication +de Clément VIII; la grande déchirure de l'Église était recousue depuis +treize ans et toutes les nations chrétiennes, la française elle-même, +résignée à ne plus revoir ses papes d'Avignon, reconnaissaient le pape +de Rome. Mais, ce que ne savaient ni l'accusée ni les juges, ce 1<sup>er</sup> +mars 1431, il n'y avait ni deux papes ni un seul, il n'y en avait +point du tout; le saint-siège était vacant depuis la mort de Martin V, +survenue <span class="pagenum"><a id="page286" name="page286"></a>(p. 286)</span> le 20 février; et cette vacance ne devait cesser +que le surlendemain, 3 mars, par l'élection d'Eugène IV<a id="footnotetag692" name="footnotetag692"></a><a href="#footnote692" title="Lien vers la note 692"><span class="smaller">[692]</span></a>.</p> + +<p>Ce n'était pas sans motif que l'interrogateur posait à Jeanne une +question relative au Saint-Siège. Ses raisons devinrent manifestes +quand il lui demanda si elle n'avait pas reçu une lettre du comte +d'Armagnac. Elle reconnut avoir reçu cette lettre et y avoir répondu.</p> + +<p>Une copie de ces deux pièces se trouvait au dossier. On les lut à +Jeanne.</p> + +<p>Il apparut que le comte d'Armagnac avait demandé, par missive, à la +Pucelle, lequel des trois papes était le vrai et que Jeanne avait fait +savoir, également par missive, qu'elle n'avait pas le temps de donner +réponse pour l'heure, mais qu'elle le ferait à loisir, quand elle +serait à Paris.</p> + +<p>Ayant entendu la lecture de ces deux lettres, Jeanne déclara que celle +qu'on lui attribuait n'était de son fait qu'en partie. Et, puisqu'elle +dictait et qu'elle ne pouvait lire ensuite ce qu'on avait mis, il +était concevable que des paroles rapides, jetées le pied sur l'étrier, +n'eussent pas été fidèlement transcrites; mais elle ne put, dans une +suite de réponses embarrassées et contradictoires, établir en quoi sa +dictée différait du texte écrit<a id="footnotetag693" name="footnotetag693"></a><a href="#footnote693" title="Lien vers la note 693"><span class="smaller">[693]</span></a>; et en elle-même la lettre au +comte d'Armagnac paraît bien plutôt le fait d'une visionnaire +ignorante que d'un clerc quelque peu avisé des affaires de l'Église. +<span class="pagenum"><a id="page287" name="page287"></a>(p. 287)</span> On y remarque certaines expressions et certaines formules +qui se retrouvent dans d'autres lettres de Jeanne. Le doute n'est +guère possible; cette lettre est d'elle, elle l'avait oubliée; rien de +surprenant à cela: sa mémoire, comme nous l'avons vu, était sujette à +des défaillances plus étranges<a id="footnotetag694" name="footnotetag694"></a><a href="#footnote694" title="Lien vers la note 694"><span class="smaller">[694]</span></a>.</p> + +<p>Les juges tiraient de cet écrit des charges accablantes pour elle; ils +y voyaient la preuve d'une coupable témérité. Quelle jactance, à leurs +yeux, de la part de cette femme, que de prétendre savoir de Dieu même +ce que l'Église a pour mission d'enseigner! Et promettre de désigner +le pape par illumination intérieure, n'était-ce pas pécher gravement +contre l'Épouse de Jésus-Christ, déchirer d'une main sacrilège la +tunique sans coutures de Notre-Seigneur?</p> + +<p>Jeanne vit si bien cette fois l'endroit par où ses juges voulaient la +prendre, qu'elle déclara par deux fois sa créance au seigneur pape de +Rome<a id="footnotetag695" name="footnotetag695"></a><a href="#footnote695" title="Lien vers la note 695"><span class="smaller">[695]</span></a>. Elle aurait souri amèrement, si elle avait su que ces +insignes docteurs, ces lumières de l'Université de Paris, qui lui +faisaient un grief mortel de mal croire au pape, croyaient eux-mêmes +au pape à peu près comme s'ils n'y croyaient <span class="pagenum"><a id="page288" name="page288"></a>(p. 288)</span> pas; qu'en ce +moment, plusieurs d'entre eux, maître Thomas de Courcelles, si grand +docteur, maître Jean Beaupère, l'interrogateur, maître Nicolas +Loiseleur, qui faisait la voix de sainte Catherine, avaient hâte de +l'expédier, l'innocente fille, pour enfourcher leur mule et trotter +jusqu'à Bâle, où ils devaient, dans la Synagogue de Satan, jeter feu +et flammes contre le Saint-Siège apostolique, et décréter +diaboliquement de soumettre le pape au concile, de lui ôter ses +annates, qui lui étaient plus chères que la prunelle de ses yeux, et +finalement de le déposer<a id="footnotetag696" name="footnotetag696"></a><a href="#footnote696" title="Lien vers la note 696"><span class="smaller">[696]</span></a>. C'est alors qu'elle aurait pu, mieux +que jadis au clerc limousin, jeter le cri d'une âme rustique aux +prêtres si âpres à venger sur elle l'honneur de l'Église:</p> + +<p>—Je suis plus catholique que vous!</p> + +<p>Non qu'il faille leur reprocher de s'être montrés bons gallicans, à +Bâle, mais d'avoir été, à Rouen, hypocrites et cruels.</p> + +<p>Dans sa prison, la Pucelle prophétisait devant John Gris, son gardien. +Instruits de ces prophéties, les juges voulurent les entendre de la +bouche de Jeanne, qui leur dit:</p> + +<p>—Avant qu'il soit sept années, les Anglais laisseront un plus grand +gage qu'ils n'ont fait devant Orléans. Ils perdront tout en France. +Ils auront plus grande perdition qu'oncques eurent en France, et cela +sera par grande victoire que Dieu enverra aux Français.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page289" name="page289"></a>(p. 289)</span> —Comment le savez-vous?</p> + +<p>—Je le sais par révélation à moi faite, et que cela arrivera avant +sept ans. Et je serais bien fâchée que ce fût différé. Je le sais par +révélation aussi bien que je vous sais maintenant devant moi.</p> + +<p>—Quand cela viendra-t-il?</p> + +<p>—Je ne sais le jour ni l'heure.</p> + +<p>—Mais l'année?</p> + +<p>—Vous ne l'aurez pas encore. Mais je voudrais bien que ce fût avant +la Saint-Jean.</p> + +<p>—N'avez-vous pas dit que cela arriverait avant la Saint-Martin +d'hiver?</p> + +<p>—J'ai dit que, avant la Saint-Martin d'hiver, on verrait bien des +choses et qu'il se pourrait que les Anglais soient jetés bas.</p> + +<p>Après quoi, l'interrogateur demanda à Jeanne si, quand saint Michel +vint à elle, saint Gabriel était avec lui.</p> + +<p>Jeanne répondit:</p> + +<p>—Je ne me le rappelle pas<a id="footnotetag697" name="footnotetag697"></a><a href="#footnote697" title="Lien vers la note 697"><span class="smaller">[697]</span></a>.</p> + +<p>Elle ne se rappelait pas si, dans la foule des anges venus à elle, +s'était trouvé l'ange Gabriel qui avait salué Notre-Dame, et annoncé +la rédemption des hommes. Elle en avait tant vu, d'anges et +d'archanges, que celui-là ne l'avait pas particulièrement frappée. +Comment, après une réponse d'une telle simplicité, ces <span class="pagenum"><a id="page290" name="page290"></a>(p. 290)</span> +prêtres eurent-ils encore le courage de l'interroger sur ses visions? +N'étaient-ils pas suffisamment édifiés? Mais non! Ces réponses +innocentes échauffaient le zèle de l'interrogateur. Avec quelle ardeur +et quelle abondance, passant des anges aux saintes, il multiplia les +questions menues et perfides! Avaient-elles des cheveux? des anneaux +aux oreilles? Y avait-il quelque chose entre leurs couronnes et leurs +cheveux? Ces cheveux étaient-ils longs et pendants? Avaient-elles des +bras? Comment parlaient-elles? Quelle espèce de voix était-ce<a id="footnotetag698" name="footnotetag698"></a><a href="#footnote698" title="Lien vers la note 698"><span class="smaller">[698]</span></a>?</p> + +<p>Cette dernière question touchait un point grave en théologie. Les +démons dont le gosier grince comme roues de charrette ou vis de +pressoir, ne peuvent imiter le doux parler des saintes<a id="footnotetag699" name="footnotetag699"></a><a href="#footnote699" title="Lien vers la note 699"><span class="smaller">[699]</span></a>.</p> + +<p>Jeanne répondit que la voix était belle, douce, polie, et parlait +français.</p> + +<p>Sur quoi on lui demanda insidieusement pourquoi sainte Marguerite ne +parlait pas anglais.</p> + +<p>Elle répondit:</p> + +<p>—Comment parlerait-elle anglais, puisqu'elle n'est pas du parti des +Anglais<a id="footnotetag700" name="footnotetag700"></a><a href="#footnote700" title="Lien vers la note 700"><span class="smaller">[700]</span></a>?</p> + +<p>Un poète champenois avait bien dit, deux cents ans auparavant, que le +parler français, que le Seigneur fit bel et léger, était le langage du +paradis.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page291" name="page291"></a>(p. 291)</span> Elle fut ensuite interrogée sur ses anneaux. Matière ardue: +il y avait en ce temps-là beaucoup d'anneaux enchantés ou chargés +d'amulettes. Les magiciens faisaient des anneaux sous l'influence des +planètes et leur donnaient des vertus au moyen de pierres et d'herbes +merveilleuses, de caractères et de charmes. Avec des anneaux +constellés, on opérait des merveilles. Hélas! elle n'avait eu que deux +pauvres anneaux, l'un de laiton, avec les noms de Jésus et de Marie, +qu'elle tenait de ses père et mère, l'autre que son frère lui avait +donné. L'évêque lui retenait celui-là; les Bourguignons lui avaient +ôté l'autre<a id="footnotetag701" name="footnotetag701"></a><a href="#footnote701" title="Lien vers la note 701"><span class="smaller">[701]</span></a>.</p> + +<p>On essaya de la prendre sur un pacte conclu avec le diable, près de +l'arbre des Fées. Elle ne donna pas prise, mais elle prophétisa sa +délivrance et la ruine de ses ennemis.</p> + +<p>—Ceux qui voudront m'ôter de ce monde pourront bien s'en aller avant +moi.... Il faudra qu'un jour je sois délivrée.... Je sais que mon roi +gagnera le royaume de France.</p> + +<p>On lui demanda ce qu'elle avait fait de sa mandragore. Mais elle n'en +avait jamais eu<a id="footnotetag702" name="footnotetag702"></a><a href="#footnote702" title="Lien vers la note 702"><span class="smaller">[702]</span></a>.</p> + +<p>Puis l'interrogateur eut des curiosités sur saint Michel:</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page292" name="page292"></a>(p. 292)</span> —Était-il nu?</p> + +<p>Elle répondit:</p> + +<p>—Pensez-vous que Messire n'a pas de quoi le vêtir?</p> + +<p>—Avait-il des cheveux?</p> + +<p>—Pourquoi lui auraient-ils été coupés?</p> + +<p>—Tenait-il une balance?</p> + +<p>—Je n'en sais rien<a id="footnotetag703" name="footnotetag703"></a><a href="#footnote703" title="Lien vers la note 703"><span class="smaller">[703]</span></a>.</p> + +<p>On voulait savoir si elle voyait saint Michel tel qu'il était figuré +dans les églises, avec une balance pour peser les âmes<a id="footnotetag704" name="footnotetag704"></a><a href="#footnote704" title="Lien vers la note 704"><span class="smaller">[704]</span></a>.</p> + +<p>Comme elle dit qu'il lui semblait, à la vue de l'archange, n'être +point en état de péché mortel, l'interrogateur se mit à l'arguer sur +sa conscience. Elle répondit chrétiennement<a id="footnotetag705" name="footnotetag705"></a><a href="#footnote705" title="Lien vers la note 705"><span class="smaller">[705]</span></a>. Alors il revint au +miracle du signe, qu'on avait laissé dormir depuis la première séance, +au mystère de Chinon, à cette couronne merveilleuse, que Jeanne, à +l'imitation de sainte Catherine d'Alexandrie, croyait tenir de la main +d'un ange. Mais elle avait promis à sainte Catherine et à sainte +Marguerite de n'en rien dire.</p> + +<p>—Quand vous montrâtes le signe au roi, y avait-il quelqu'un avec lui?</p> + +<p>—Je ne pense pas qu'il y eût personne autre, bien qu'il se trouvât +beaucoup de monde assez proche.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page293" name="page293"></a>(p. 293)</span> —Avez-vous vu une couronne sur la tête du roi quand vous lui +avez montré ce signe?</p> + +<p>—Je ne puis le dire sans parjure.</p> + +<p>—Votre roi avait-il une couronne à Reims?</p> + +<p>—Mon roi, je pense, a pris avec plaisir la couronne qu'il a trouvée à +Reims. Mais une bien riche couronne lui fut apportée par la suite. Il +ne l'a point attendue, pour hâter son fait à la requête de ceux de la +ville de Reims, afin d'éviter la charge des hommes de guerre. S'il eût +attendu, il aurait eu une couronne mille fois plus riche.</p> + +<p>—Avez-vous vu cette couronne plus riche?</p> + +<p>—Je ne puis vous le dire sans encourir parjure. Si je ne l'ai pas +vue, j'ai ouï dire à quel point elle est riche et magnifique<a id="footnotetag706" name="footnotetag706"></a><a href="#footnote706" title="Lien vers la note 706"><span class="smaller">[706]</span></a>.</p> + +<p>Jeanne souffrait beaucoup d'être privée des sacrements. Un jour, comme +messire Jean Massieu la conduisait devant ses juges, ainsi que l'y +obligeait son état d'huissier ecclésiastique, elle lui demanda s'il +n'y avait pas sur le chemin quelque église ou chapelle, dans laquelle +fût le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ<a id="footnotetag707" name="footnotetag707"></a><a href="#footnote707" title="Lien vers la note 707"><span class="smaller">[707]</span></a>.</p> + +<p>Messire Jean Massieu, doyen de la chrétienté de Rouen, était +extrêmement luxurieux; il s'attirait, par sa paillardise invétérée, de +fâcheuses affaires avec le <span class="pagenum"><a id="page294" name="page294"></a>(p. 294)</span> chapitre et l'officialité<a id="footnotetag708" name="footnotetag708"></a><a href="#footnote708" title="Lien vers la note 708"><span class="smaller">[708]</span></a>. +Il n'était peut-être pas aussi courageux ni aussi franc qu'il voulait +le paraître; mais ce n'était pas un homme dur et sans pitié.</p> + +<p>Il répondit à sa prisonnière qu'il y avait une chapelle sur leur +chemin. Et il lui montra la chapelle castrale.</p> + +<p>Alors elle le pria très instamment de la faire passer devant cette +chapelle pour qu'elle pût y faire à Messire révérence et prière.</p> + +<p>Messire Jean Massieu y consentit volontiers et la laissa s'agenouiller +devant le sanctuaire. Inclinée à terre, Jeanne fit dévotement son +oraison.</p> + +<p>Le seigneur évêque, instruit de ce fait, en fut mécontent; il donna +l'ordre à l'huissier de ne plus tolérer à l'avenir de telles oraisons.</p> + +<p>De son côté, le promoteur, maître Jean d'Estivet, adressa à messire +Jean Massieu maintes réprimandes:</p> + +<p>—Truand, lui dit-il, qui te fait si hardi de laisser approcher d'une +église, sans licence, cette putain excommuniée? Je te ferai mettre en +telle tour, que tu ne verras ni lune ni soleil d'ici à un mois, si tu +le fais plus.</p> + +<p>Messire Jean Massieu n'obéit pas à cette menace. Le promoteur, qui +s'en aperçut, se mettait devant la porte de la chapelle, au passage de +Jeanne, pour empêcher la pauvre fille de faire ses dévotions<a id="footnotetag709" name="footnotetag709"></a><a href="#footnote709" title="Lien vers la note 709"><span class="smaller">[709]</span></a>.</p> + +<p>La sixième séance fut tenue dans la même salle que <span class="pagenum"><a id="page295" name="page295"></a>(p. 295)</span> les +précédentes en présence de quarante et un assesseurs, dont six ou sept +nouveaux, et parmi ceux-là maître Guillaume Erart, docteur en +théologie<a id="footnotetag710" name="footnotetag710"></a><a href="#footnote710" title="Lien vers la note 710"><span class="smaller">[710]</span></a>.</p> + +<p>Au début, l'interrogateur demanda à Jeanne si elle avait bien vu saint +Michel et les saintes et si elle en avait vu autre chose que la face. +Il insista:</p> + +<p>—Il faut dire ce que vous savez.</p> + +<p>—Plutôt que de dire tout ce que je sais, j'aimerais mieux que vous me +fissiez couper le cou<a id="footnotetag711" name="footnotetag711"></a><a href="#footnote711" title="Lien vers la note 711"><span class="smaller">[711]</span></a>.</p> + +<p>On l'embarrassa sur la substance des corps glorieux. Elle était +simple; elle avait vu de ses yeux saint Michel; elle le disait et ne +pouvait dire autre chose.</p> + +<p>L'interrogateur, toujours averti de ce qu'elle racontait dans sa +prison, lui demanda si elle avait entendu ses Voix.</p> + +<p>—Oui, vraiment. Elles m'ont dit que je serais délivrée. Mais je ne +sais ni le jour ni l'heure. Et elles m'ont dit de faire bonne chère, +hardiment<a id="footnotetag712" name="footnotetag712"></a><a href="#footnote712" title="Lien vers la note 712"><span class="smaller">[712]</span></a>.</p> + +<p>Les juges n'en croyaient rien, parce que les démonologues enseignaient +que les sorcières perdent tout leur pouvoir quand un officier de la +sainte Église met la main sur elles.</p> + +<p>L'interrogateur revint sur l'habit d'homme. Puis il tâcha de savoir si +elle n'avait pas mis des sorts sur les bannières de ses compagnons de +guerre.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page296" name="page296"></a>(p. 296)</span> Il cherchait par quel secret elle entraînait les gens +d'armes.</p> + +<p>Ce secret, elle le révéla:</p> + +<p>—Je leur disais bien à la fois: «Entrez hardiment parmi les Anglais, +et j'y entrais moi-même<a id="footnotetag713" name="footnotetag713"></a><a href="#footnote713" title="Lien vers la note 713"><span class="smaller">[713]</span></a>».</p> + +<p>Dans cet interrogatoire, le plus diffus et le plus fastidieux de tous, +il fut adressé à l'accusée cette question bizarre:</p> + +<p>—Quand vous étiez devant Jargeau, qu'est-ce que c'était que vous +portiez derrière votre heaume? N'y avait-il aucune chose ronde<a id="footnotetag714" name="footnotetag714"></a><a href="#footnote714" title="Lien vers la note 714"><span class="smaller">[714]</span></a>?</p> + +<p>Elle avait reçu, au siège de Jargeau, une énorme pierre sur la tête, +et n'en avait pas été blessée, ce que, dans son parti, on avait trouvé +miraculeux<a id="footnotetag715" name="footnotetag715"></a><a href="#footnote715" title="Lien vers la note 715"><span class="smaller">[715]</span></a>. Les juges de Rouen s'imaginaient-ils qu'elle portait +un nimbe d'or, comme les saints et les saintes, et que ce nimbe +l'avait protégée?</p> + +<p>Elle fut interrogée non moins étrangement, sur un tableau qui était +dans la maison de son hôte à Orléans, et où il y avait trois femmes +peintes avec cette inscription: Justice, Paix, Union.</p> + +<p>Jeanne n'en savait rien<a id="footnotetag716" name="footnotetag716"></a><a href="#footnote716" title="Lien vers la note 716"><span class="smaller">[716]</span></a>; elle n'était pas, comme le duc de Bar et +le duc d'Orléans, curieuse de peintures et de tapisseries. Ses juges +ne l'étaient pas non plus, <span class="pagenum"><a id="page297" name="page297"></a>(p. 297)</span> du moins en ce moment. Et, s'ils +s'inquiétaient d'un tableau pendu dans la maison de maître Jean +Boucher, c'était non pour la peinture, mais pour la doctrine. Sans +doute, ces trois femmes que maître Jacques Boucher, homme riche, +gardait dans sa maison, étaient nues. Les peintres, à cette époque, +traitaient, sur de petits panneaux, des scènes d'étuves et des +allégories, et peignaient des femmes nues. Grands fronts, têtes +rondes, cheveux d'or, petits corps grêles, avec de gros ventres, d'une +nudité minutieusement rendue sous des voiles transparents; il s'en +faisait beaucoup en Flandre et en Italie. Les insignes maîtres, qui +trouvaient ces peintures ordes et vilaines, voulaient faire sans doute +un grief à Jeanne d'en avoir contemplé de telles chez le trésorier du +duc d'Orléans. On devine les soupçons de ces docteurs quand on les +entend demander à Jeanne si saint Michel était nu, par où elle +accolait ses saintes et à quelle partie du corps elle leur faisait +toucher ses bagues<a id="footnotetag717" name="footnotetag717"></a><a href="#footnote717" title="Lien vers la note 717"><span class="smaller">[717]</span></a>.</p> + +<p>Ils auraient bien voulu tenir d'elle qu'elle se faisait honorer comme +une sainte. Elle les déconcerta par cette réponse:</p> + +<p>—Les pauvres gens venaient volontiers à moi, parce que je ne leur +faisais point déplaisir, mais les supportais à mon pouvoir<a id="footnotetag718" name="footnotetag718"></a><a href="#footnote718" title="Lien vers la note 718"><span class="smaller">[718]</span></a>.</p> + +<p>L'interrogatoire toucha ensuite les sujets les plus <span class="pagenum"><a id="page298" name="page298"></a>(p. 298)</span> divers: +frère Richard; les enfants que Jeanne avait tenus sur les fonts +baptismaux; les bonnes femmes de la ville de Reims qui faisaient +toucher leur anneau à l'anneau que Jeanne portait au doigt; les +papillons pris dans un étendard à Château-Thierry<a id="footnotetag719" name="footnotetag719"></a><a href="#footnote719" title="Lien vers la note 719"><span class="smaller">[719]</span></a>.</p> + +<p>En cette ville, disait-on, certaines gens de la Pucelle prirent des +papillons dans son étendard. Or, les docteurs en théologie savaient de +science certaine que les sorciers sacrifiaient des papillons au +diable. Cent ans en ça, le tribunal de la sacrée inquisition avait +condamné, à Pamiers, le carme Pierre Recordi, coupable d'avoir célébré +un semblable sacrifice. Il avait tué le papillon, et le diable avait +annoncé sa présence par un souffle d'air<a id="footnotetag720" name="footnotetag720"></a><a href="#footnote720" title="Lien vers la note 720"><span class="smaller">[720]</span></a>. Il se peut que les +juges fissent à la Pucelle un grief de ce genre; il se peut qu'on lui +en fît un tout autre. À la guerre un papillon au chapeau était signe +qu'on se rendait à merci ou qu'on avait un sauf-conduit<a id="footnotetag721" name="footnotetag721"></a><a href="#footnote721" title="Lien vers la note 721"><span class="smaller">[721]</span></a>. Les +juges l'accusaient-ils, elle ou les siens, d'avoir feint de se rendre +pour attaquer traîtreusement l'ennemi? Ils en étaient capables. Quoi +qu'il en soit, l'interrogateur passant outre, s'enquit d'un gant perdu +que Jeanne avait retrouvé dans la ville de Reims<a id="footnotetag722" name="footnotetag722"></a><a href="#footnote722" title="Lien vers la note 722"><span class="smaller">[722]</span></a>. Il importait de +savoir si elle ne l'avait pas retrouvé par divination. Puis ce +magistrat curieux revint sur plusieurs points capitaux du <span class="pagenum"><a id="page299" name="page299"></a>(p. 299)</span> +procès: la communion reçue en habit d'homme; la haquenée de l'évêque +de Senlis, que Jeanne avait prise, ce qui était une manière de +sacrilège; l'enfant noir qu'elle avait ressuscité à Lagny; Catherine +de La Rochelle, qui venait de témoigner contre elle à l'officialité de +Paris; le siège de La Charité qu'il lui avait fallu lever; le saut de +Beaurevoir, tenté par désespoir, et enfin quelque parole +blasphématoire qu'on l'accusait faussement d'avoir prononcée à +Soissons, à propos du capitaine Bournel<a id="footnotetag723" name="footnotetag723"></a><a href="#footnote723" title="Lien vers la note 723"><span class="smaller">[723]</span></a>.</p> + +<p>Le seigneur évêque déclara que les interrogatoires étaient terminés, +mais que, si toutefois il paraissait utile d'interroger Jeanne plus +amplement, quelques docteurs et maîtres seraient délégués à cette +fin<a id="footnotetag724" name="footnotetag724"></a><a href="#footnote724" title="Lien vers la note 724"><span class="smaller">[724]</span></a>.</p> + +<p>En conséquence, le samedi 10 mars, maître Jean de la Fontaine, +commissaire instructeur, se rendit dans la prison, en compagnie de +Nicolas Midi, Gérard Feuillet, Jean Fécard et Jean Massieu<a id="footnotetag725" name="footnotetag725"></a><a href="#footnote725" title="Lien vers la note 725"><span class="smaller">[725]</span></a>. +L'interrogatoire roula d'abord sur la sortie de Compiègne. Les prêtres +se donnaient beaucoup de peine pour démontrer à Jeanne que ses Voix +n'étaient pas bonnes ou qu'elle les avait mal entendues, puisqu'en +leur obéissant elle était allée à sa perte. Jacques Gélu<a id="footnotetag726" name="footnotetag726"></a><a href="#footnote726" title="Lien vers la note 726"><span class="smaller">[726]</span></a>, Jean +Gerson avaient prévu ce dilemme et y avaient répondu à l'avance par de +beaux <span class="pagenum"><a id="page300" name="page300"></a>(p. 300)</span> arguments théologiques<a id="footnotetag727" name="footnotetag727"></a><a href="#footnote727" title="Lien vers la note 727"><span class="smaller">[727]</span></a>. On l'interrogea sur les +peintures de son étendard, à quoi elle répondit:</p> + +<p>—Sainte Catherine et sainte Marguerite me dirent de prendre +l'étendard et de le porter hardiment et d'y faire mettre en peinture +le Roi du ciel. Et ce, je le dis à mon roi, très à contre-cœur. Et +de la signifiance ne sais autre chose<a id="footnotetag728" name="footnotetag728"></a><a href="#footnote728" title="Lien vers la note 728"><span class="smaller">[728]</span></a>.</p> + +<p>Ils auraient bien voulu la faire passer pour avaricieuse, orgueilleuse +et superbe, parce qu'elle avait un écu et des armes, une écurie, +coursiers, demi-coursiers et trottiers, et de l'argent pour payer les +gens de sa maison; de dix à douze mille livres<a id="footnotetag729" name="footnotetag729"></a><a href="#footnote729" title="Lien vers la note 729"><span class="smaller">[729]</span></a>. Mais où ils la +pressèrent le plus vivement ce fut sur le signe dont il avait été +question déjà deux fois dans les interrogatoires publics. À ce sujet, +la curiosité des docteurs était inépuisable. Aussi bien le signe +c'était le sacre à rebours, non plus par onction divine, mais par +charmes magiques, le couronnement du roi de France par une sorcière. +Et maître Jean de la Fontaine avait à ce sujet sur Jeanne l'avantage +de savoir et ce qu'elle allait lui dire et ce qu'elle voulait lui +cacher:</p> + +<p>—Quel est le signe qui vint à votre roi?</p> + +<p>—Il est bel et honoré, et bien croyable, et est bon, et le plus riche +qui soit....</p> + +<p>—Dure-t-il encore?</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page301" name="page301"></a>(p. 301)</span> —Il est bon à savoir qu'il dure, et durera jusques à mille +ans, et outre. Il est au trésor du roi.</p> + +<p>—Est-ce or, argent ou pierre précieuse, ou couronne?</p> + +<p>—Je ne vous en dirai autre chose; et ne saurait homme deviser d'aussi +riche chose comme est le signe. Et toutefois le signe qu'il vous faut, +à vous, c'est que Dieu me délivre de vos mains, et est le plus certain +qu'il vous sache envoyer....</p> + +<p>—Quand le signe vint à votre roi, quelle révérence y fîtes-vous?</p> + +<p>—Je remerciai Notre-Seigneur de ce qu'il me délivrait de la peine des +clercs de par delà, qui arguaient contre moi. Et je m'agenouillai +plusieurs fois. Un ange, de par Dieu et non de par autre, bailla le +signe à mon roi. Et j'en remerciai moult de fois Notre-Seigneur. Les +clercs cessèrent de m'arguer, quand ils eurent su ledit signe<a id="footnotetag730" name="footnotetag730"></a><a href="#footnote730" title="Lien vers la note 730"><span class="smaller">[730]</span></a>.</p> + +<p>—Est-ce que les gens d'Église de par delà virent le signe?</p> + +<p>—Quand mon roi et ceux qui étaient avec lui eurent vu le signe et +même l'ange qui le bailla, je demandai à mon roi s'il était content, +et il répondit qu'oui. Alors je partis et m'en allai à une petite +chapelle assez près, <span class="pagenum"><a id="page302" name="page302"></a>(p. 302)</span> et j'ouïs dire alors qu'après mon +départ plus de trois cents personnes virent le signe. Pour l'amour de +moi et pour qu'on cessât de m'interroger, Dieu voulut permettre de +voir le signe à tous ceux de mon parti qui le virent.</p> + +<p>—Votre roi et vous, fîtes-vous point de révérence à l'ange quand il +apporta le signe?</p> + +<p>—Oui, pour ce qui est de moi. Je m'agenouillai et ôtai mon +chaperon<a id="footnotetag731" name="footnotetag731"></a><a href="#footnote731" title="Lien vers la note 731"><span class="smaller">[731]</span></a>.</p> + + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page303" name="page303"></a>(p. 303)</span> CHAPITRE XII<br> + +<span class="smaller">LA CAUSE DE LAPSE (<i>Suite</i>).</span></h2> + + +<p>Le lundi 12 mars, frère Jean Lemaistre reçut de frère Jean Graveran, +inquisiteur de France, mandat de procéder contre une certaine femme, +nommée Jeanne, vulgairement la Pucelle, jusqu'à la sentence définitive +inclusivement<a id="footnotetag732" name="footnotetag732"></a><a href="#footnote732" title="Lien vers la note 732"><span class="smaller">[732]</span></a>. Ce même jour, au matin, maître Jean de la +Fontaine, en présence de l'évêque, interrogea pour la deuxième fois +Jeanne dans sa prison<a id="footnotetag733" name="footnotetag733"></a><a href="#footnote733" title="Lien vers la note 733"><span class="smaller">[733]</span></a>.</p> + +<p>Il en revint d'abord au signe.</p> + +<p>—L'ange qui apporta le signe parla-t-il point?</p> + +<p>—Oui: il dit à mon roi qu'on me mît en besogne, et que le pays serait +bientôt allégé.</p> + +<p>—L'ange qui apporta le signe était-il l'ange qui vous apparut en +premier, ou en était-ce un autre?</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page304" name="page304"></a>(p. 304)</span> —C'est toujours tout un. Et oncques ne me faillit.</p> + +<p>—De ce que vous avez été prise, l'ange ne vous a-t-il pas failli aux +biens de la fortune?</p> + +<p>—Je crois, puisqu'il plaît à Notre-Seigneur, que c'est le mieux que +je sois prise.</p> + +<p>—L'ange ne vous a-t-il pas failli aux biens de la grâce?</p> + +<p>—Comment me viendrait-il à faillir, quand il me conforte tous les +jours<a id="footnotetag734" name="footnotetag734"></a><a href="#footnote734" title="Lien vers la note 734"><span class="smaller">[734]</span></a>?</p> + +<p>Maître Jean de la Fontaine fit alors une question narquoise et aussi +enjouée qu'il se pouvait en un procès d'Église:</p> + +<p>—Saint Denys ne vous est-il oncques apparu<a id="footnotetag735" name="footnotetag735"></a><a href="#footnote735" title="Lien vers la note 735"><span class="smaller">[735]</span></a>?</p> + +<p>Saint Denys, patron des rois très chrétiens, saint Denys, cri de +France, saint Denys, avait laissé prendre par les Anglais son abbaye +et cette riche église où les reines venaient recevoir la couronne, où +les rois avaient leur sépulture; il s'était tourné Anglais et +Bourguignon et il n'y avait guère d'apparence qu'il vînt converser +avec la Pucelle des Armagnacs.</p> + +<p>À cette demande:</p> + +<p>—Parliez-vous à Dieu même, quand vous promîtes de garder votre +virginité?</p> + +<p>Elle répondit:</p> + +<p>—Il devait bien suffire de le promettre aux envoyés <span class="pagenum"><a id="page305" name="page305"></a>(p. 305)</span> de la +part de Dieu, à savoir saintes Catherine et Marguerite<a id="footnotetag736" name="footnotetag736"></a><a href="#footnote736" title="Lien vers la note 736"><span class="smaller">[736]</span></a>.</p> + +<p>C'est bien là qu'ils voulaient la prendre, car le vœu se fait à +Dieu seul. À quoi on pouvait répondre qu'il est loisible de promettre +une chose bonne à un ange ou à un homme, et que cette chose bonne, +ainsi promise, peut être l'objet d'un vœu. On voue à Dieu ce que +l'on a promis aux saints. Pierre de Tarentaise (IV, dist. xxviij, a. +1) enseigne que tout vœu se fait à Dieu: ou immédiatement à +lui-même, ou médiatement dans la personne des saints<a id="footnotetag737" name="footnotetag737"></a><a href="#footnote737" title="Lien vers la note 737"><span class="smaller">[737]</span></a>.</p> + +<p>Comme d'après une allégation produite dans l'enquête, Jeanne avait +fait promesse de mariage à un jeune paysan, l'interrogateur tenta +d'établir que ce vœu de virginité fait en une mauvaise forme, il +n'avait tenu qu'à elle d'y manquer; mais Jeanne soutint qu'elle +n'avait point promis le mariage, et elle ajouta:</p> + +<p>—La première fois que j'ouïs ma Voix, je fis vœu de garder ma +virginité tant qu'il plairait à Dieu.</p> + +<p>Mais cette fois-là, c'était saint Michel, et non les saintes, qui lui +avait apparu<a id="footnotetag738" name="footnotetag738"></a><a href="#footnote738" title="Lien vers la note 738"><span class="smaller">[738]</span></a>. Elle ne pouvait se reconnaître elle-même dans les +images confuses de ses songes et de ses extases. Et sur les rêves +incertains <span class="pagenum"><a id="page306" name="page306"></a>(p. 306)</span> d'une enfant ces docteurs édifiaient +laborieusement une accusation capitale.</p> + +<p>L'interrogateur lui posa une question d'une extrême gravité:</p> + +<p>—De toutes ces visions que vous dites avoir, n'aviez-vous point parlé +à votre curé ou à un autre homme d'Église?</p> + +<p>—Non. J'en parlai seulement à Robert de Baudricourt et à mon +roi<a id="footnotetag739" name="footnotetag739"></a><a href="#footnote739" title="Lien vers la note 739"><span class="smaller">[739]</span></a>.</p> + +<p>Ce vavasseur de Champagne, homme d'âge mûr et de sens rassis, qui, du +temps du roi Jean, ouït, comme elle, une voix dans son champ et reçut +commandement d'aller vers le roi, l'alla dire tout de suite à son +curé. Celui-ci lui ordonna de jeûner pendant trois jours, de faire +pénitence et de retourner ensuite au champ où la voix lui avait parlé. +Le vavasseur obéit. De nouveau la voix se fit entendre et réitéra +l'ordre précédemment donné. Le paysan en instruisit son curé qui lui +dit: «Mon frère, moi et toi ferons abstinence et jeûnerons encore par +trois jours, et je prierai Notre-Seigneur Jésus-Christ pour toi.» +Ainsi firent-ils, et, le quatrième jour, le bon homme retourna au +champ. Après que la voix eut parlé pour la troisième fois, le curé +enjoignit à son paroissien d'aller tout de suite accomplir sa mission, +puisque telle était la volonté de Dieu<a id="footnotetag740" name="footnotetag740"></a><a href="#footnote740" title="Lien vers la note 740"><span class="smaller">[740]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page307" name="page307"></a>(p. 307)</span> Sans doute, ce vavasseur, selon les apparences, avait agi +plus prudemment que la fille de la Romée. Celle-ci, en cachant ses +visions à son curé méconnaissait l'autorité de l'Église militante. +Toutefois, pour sa défense, on pouvait alléguer avec l'apôtre Paul, +que là où est l'Esprit de Dieu, là est la liberté<a id="footnotetag741" name="footnotetag741"></a><a href="#footnote741" title="Lien vers la note 741"><span class="smaller">[741]</span></a>. Si vous êtes +conduit par l'Esprit, vous n'êtes plus sous la loi<a id="footnotetag742" name="footnotetag742"></a><a href="#footnote742" title="Lien vers la note 742"><span class="smaller">[742]</span></a>. Hérétique ou +sainte: c'était là tout le procès.</p> + +<p>Puis vint cette question singulière:</p> + +<p>—Avez-vous eu des lettres de saint Michel ou de vos Voix?</p> + +<p>Elle répondit:</p> + +<p>—Je n'ai point congé de vous le dire; et d'ici huit jours, j'en +répondrai volontiers ce que je saurai<a id="footnotetag743" name="footnotetag743"></a><a href="#footnote743" title="Lien vers la note 743"><span class="smaller">[743]</span></a>.</p> + +<p>Tel était son tour de langage quand elle voulait taire ce qu'elle ne +voulait pas nier. La question était donc embarrassante. Aussi bien les +interrogatoires procédaient d'informations riches en faits vrais ou +faux; et l'on observe le plus souvent, dans les demandes adressées à +l'accusée, une certaine prévision de la réponse. Qu'est-ce que c'était +que ces lettres de saint Michel et des saintes, dont elle ne niait pas +l'existence, mais que les juges ne produisaient pas? Était-ce ceux de +son parti qui les envoyaient à Jeanne pour qu'elle agît selon leurs +intentions, croyant obéir à Dieu?</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page308" name="page308"></a>(p. 308)</span> L'interrogateur, sans insister davantage, pour cette fois, +passa à un autre grief:</p> + +<p>—Est-ce que vos Voix ne vous ont point appelée <i>fille de Dieu, fille +de l'Église, la fille au grand cœur</i>?</p> + +<p>—Avant le siège d'Orléans levé et depuis, tous les jours, quand elles +parlent à moi, elles m'ont plusieurs fois appelée <i>Jeanne la Pucelle, +fille de Dieu</i><a id="footnotetag744" name="footnotetag744"></a><a href="#footnote744" title="Lien vers la note 744"><span class="smaller">[744]</span></a>.</p> + +<p>L'interrogatoire suspendu fut repris dans l'après-midi.</p> + +<p>Maître Jean de la Fontaine questionna Jeanne sur un songe de son père +dont les juges étaient instruits par l'enquête<a id="footnotetag745" name="footnotetag745"></a><a href="#footnote745" title="Lien vers la note 745"><span class="smaller">[745]</span></a>.</p> + +<p>Et il est triste de penser que lorsqu'on faisait à Jeanne un crime +d'avoir violé le commandement de Dieu: «Tes père et mère honoreras», +ni sa mère ni aucun de ses parents ne demandaient à être entendus +comme témoins. Pourtant, il y avait des personnes d'Église dans sa +famille<a id="footnotetag746" name="footnotetag746"></a><a href="#footnote746" title="Lien vers la note 746"><span class="smaller">[746]</span></a>; mais un procès en matière de foi causait une invincible +épouvante.</p> + +<p>On revint à l'habit d'homme, et non pour la dernière fois<a id="footnotetag747" name="footnotetag747"></a><a href="#footnote747" title="Lien vers la note 747"><span class="smaller">[747]</span></a>. C'est +chose merveilleuse que la profondeur des méditations où se plongeaient +les clercs touchant les chausses et le gippon de cette Pucelle; ils +les considéraient <span class="pagenum"><a id="page309" name="page309"></a>(p. 309)</span> avec une sombre terreur dans leurs +rapports avec le Deutéronome.</p> + +<p>Ils l'interrogèrent ensuite sur le duc d'Orléans, pour rendre +manifeste, par les réponses mêmes qu'elle ferait, que ses Voix +l'avaient trompée en lui promettant la délivrance du prisonnier; ils y +réussirent aisément. Alors elle allégua que le temps lui avait manqué:</p> + +<p>—Si j'eusse duré trois ans sans empêchement, je l'eusse délivré.</p> + +<p>Il y avait (dans ses révélations) plus bref terme que de trois ans et +plus long que d'un an<a id="footnotetag748" name="footnotetag748"></a><a href="#footnote748" title="Lien vers la note 748"><span class="smaller">[748]</span></a>.</p> + +<p>Interrogée de nouveau sur le signe baillé à son roi, elle répondit +qu'elle en aurait conseil de sainte Catherine.</p> + +<p>Le lendemain, mardi 13 mars, l'évêque et le vice-inquisiteur se +rendirent dans la prison. Le vice-inquisiteur ouvrit la bouche pour la +première fois<a id="footnotetag749" name="footnotetag749"></a><a href="#footnote749" title="Lien vers la note 749"><span class="smaller">[749]</span></a>:</p> + +<p>—Avez-vous juré et promis à sainte Catherine de ne point dire ce +signe?</p> + +<p>Il parlait du signe donné au roi. Jeanne répondit:</p> + +<p>—J'ai juré et promis de ne pas dire ce signe, de moi-même. Parce +qu'on me pressait trop de le dire. Je promets que je n'en parlerai +plus à homme qui vive<a id="footnotetag750" name="footnotetag750"></a><a href="#footnote750" title="Lien vers la note 750"><span class="smaller">[750]</span></a>.</p> + +<p>Et tout aussitôt:</p> + +<p>—Le signe ce fut que l'ange certifiait à mon roi, en lui apportant la +couronne, et lui disait qu'il aurait <span class="pagenum"><a id="page310" name="page310"></a>(p. 310)</span> tout le royaume de +France entièrement à l'aide de Dieu, et moyennant mon labeur, et qu'il +me mît en besogne. C'est, à savoir, qu'il me baillât des gens d'armes. +Autrement il ne serait mie sitôt couronné et sacré....</p> + +<p>—En quelle manière l'ange apporta-t-il la couronne? est-ce qu'il la +mit sur la tête de votre roi?</p> + +<p>—Elle fut baillée à un archevêque, c'est à savoir celui de Reims, +comme il me semble, en la présence du roi. Ledit archevêque la reçut +et la bailla au roi; et j'étais moi-même présente; et elle est mise au +trésor du roi.</p> + +<p>—En quel lieu fut-elle apportée?</p> + +<p>—Ce fut en la chambre du roi, au château de Chinon.</p> + +<p>—Quel jour et à quelle heure?</p> + +<p>—Du jour je ne sais, et de l'heure, il était haute heure. Je n'ai +autrement mémoire de l'heure et du mois, au mois d'avril ou de mars, +comme il me semble, il y aura deux ans au mois d'avril prochain ou en +ce présent mois. C'était après Pâques<a id="footnotetag751" name="footnotetag751"></a><a href="#footnote751" title="Lien vers la note 751"><span class="smaller">[751]</span></a>.</p> + +<p>—Est-ce qu'à la première journée que vous vîtes le signe, votre roi +le vit?</p> + +<p>—Oui. Il l'eut lui-même.</p> + +<p>—De quelle matière était la couronne?</p> + +<p>—C'est bon à savoir qu'elle était de fin or; et elle <span class="pagenum"><a id="page311" name="page311"></a>(p. 311)</span> était +si riche que je ne saurais nombrer sa richesse; et la couronne +signifiait qu'il tiendrait le royaume de France.</p> + +<p>—Y avait-il pierreries?</p> + +<p>—Je vous ai dit que je n'en sais rien.</p> + +<p>—Est-ce que vous la maniâtes ou la baisâtes?</p> + +<p>—Non.</p> + +<p>—Est-ce que l'ange qui l'apporta venait de haut? Ou s'il venait par +terre?</p> + +<p>—Il vint de haut. J'entends qu'il venait par le commandement de +Notre-Seigneur. Et entra par l'huis de la chambre.</p> + +<p>—Est-ce que l'ange venait par terre et marchait depuis l'huis de la +chambre?</p> + +<p>—Quand il vint devant le roi, il fit révérence au roi, en s'inclinant +devant lui, et prononçant les paroles que j'ai dites du signe. Et avec +cela, lui remémorait la belle patience qu'il avait eue au long des +grandes tribulations qui lui étaient survenues; et depuis l'huis, il +marchait et errait sur la terre, en venant au roi.</p> + +<p>—Quel espace y avait-il de l'huis jusques au roi?</p> + +<p>—Il y avait bien espace, comme je pense, de la longueur d'une lance; +et par où il était venu s'en retourna. Quand l'ange vint, je +l'accompagnai et allai avec lui, par les degrés, à la chambre du roi. +Et l'ange entra le premier. Et je dis au roi: «Sire, voilà votre +signe, prenez-le<a id="footnotetag752" name="footnotetag752"></a><a href="#footnote752" title="Lien vers la note 752"><span class="smaller">[752]</span></a>!»</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page312" name="page312"></a>(p. 312)</span> Et l'on découvre que cette fable est vraie au sens moral. +Cette couronne qui «fleure bon et fleurera bon, pourvu qu'elle soit +bien gardée», c'est la couronne de la victoire; et lorsque la Pucelle +voit l'ange qui l'apporta, c'est sa propre image qui lui apparaît. Un +théologien de son parti n'avait-il pas dit qu'elle pouvait être +appelée un ange? Non qu'elle en eût la nature; mais elle en faisait +l'office<a id="footnotetag753" name="footnotetag753"></a><a href="#footnote753" title="Lien vers la note 753"><span class="smaller">[753]</span></a>.</p> + +<p>Elle se mit à décrire les anges venus avec elle vers le roi:</p> + +<p>—Certains s'entre-ressemblaient volontiers, les autres non, en la +manière que je les voyais. Quelques-uns avaient des ailes. Il y en +avait qui portaient des couronnes, les autres non. Et ils étaient en +la compagnie de sainte Catherine et de sainte Marguerite. Et elles +furent avec l'ange que j'ai dit, et les autres anges aussi, jusque +dans la chambre du roi<a id="footnotetag754" name="footnotetag754"></a><a href="#footnote754" title="Lien vers la note 754"><span class="smaller">[754]</span></a>.</p> + +<p>Et longtemps encore, pressée par l'interrogateur, elle égrenait les +candides merveilles.</p> + +<p>Quand on lui redemanda si l'ange lui avait écrit des lettres, elle +répondit que non<a id="footnotetag755" name="footnotetag755"></a><a href="#footnote755" title="Lien vers la note 755"><span class="smaller">[755]</span></a>. Mais cette fois, il s'agissait de l'ange +porte-couronne, et non de saint Michel. Et, bien qu'elle eût dit que +c'était tout un, elle pouvait y faire quelque différence. Nous ne +saurons <span class="pagenum"><a id="page313" name="page313"></a>(p. 313)</span> donc jamais si elle reçut des lettres de monseigneur +saint Michel archange ou de mesdames Catherine et Marguerite.</p> + +<p>L'interrogateur s'enquit ensuite d'une tasse perdue que Jeanne avait +retrouvée ainsi que les gants de Reims<a id="footnotetag756" name="footnotetag756"></a><a href="#footnote756" title="Lien vers la note 756"><span class="smaller">[756]</span></a>. Les saints ne +dédaignaient pas toujours de retrouver les objets perdus, comme il se +voit par l'exemple de saint Antoine de Padoue; c'était avec l'aide de +Dieu. Les devins imitaient leur pouvoir en invoquant les démons et par +profanation des choses saintes.</p> + +<p>On lui demanda aussi de répondre sur un prêtre concubinaire. C'était +encore un fait de divination qu'on lui reprochait. Elle avait su, par +mauvaise science, qu'un prêtre avait une concubine. On rapportait +d'elle plusieurs faits semblables; on disait, par exemple, qu'à la vue +d'une ribaude, elle avait su que cette femme avait fait mourir son +enfant<a id="footnotetag757" name="footnotetag757"></a><a href="#footnote757" title="Lien vers la note 757"><span class="smaller">[757]</span></a>.</p> + +<p>Puis ces questions, posées déjà bien des fois:</p> + +<p>—Quand vous allâtes devant Paris eûtes-vous de vos Voix révélation? +Eûtes-vous révélation d'aller devant la ville de La Charité? +Eûtes-vous quelque révélation d'aller à Pont-l'Évêque?</p> + +<p>Elle niait qu'elle eût alors révélation de ses Voix.</p> + +<p>La dernière interrogation fut:</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page314" name="page314"></a>(p. 314)</span> —Ne dîtes-vous point devant Paris: «Rendez la ville de par +Jésus»?</p> + +<p>Elle répondit que non, qu'elle avait dit: «Rendez la ville au roi de +France<a id="footnotetag758" name="footnotetag758"></a><a href="#footnote758" title="Lien vers la note 758"><span class="smaller">[758]</span></a>.»</p> + +<p>Les Parisiens, qui repoussaient l'assaut, l'entendirent qui disait: +«Rendez-vous de par Jésus à nous tôt.» Et ces paroles correspondent à +tout ce que nous savons des idées de Jeanne en ses commencements. Elle +croyait que Messire voulait que les villes du royaume fussent rendues +à celle qu'il avait envoyée pour les reprendre. Nous avons déjà eu +l'occasion de remarquer que Jeanne, lors de son procès, était devenue +tout à fait étrangère à ses premières illuminations et parlait un tout +autre langage.</p> + +<p>Le lendemain, mercredi 14 mars, deux interrogatoires encore dans la +prison. Celui du matin roula d'abord sur le saut de Beaurevoir. Elle +avoua qu'elle avait fait le saut sans congé de ses Voix, aimant mieux +mourir que d'être mise aux mains des Anglais<a id="footnotetag759" name="footnotetag759"></a><a href="#footnote759" title="Lien vers la note 759"><span class="smaller">[759]</span></a>.</p> + +<p>On l'accusait aussi d'avoir renié Dieu. Mais c'était faux<a id="footnotetag760" name="footnotetag760"></a><a href="#footnote760" title="Lien vers la note 760"><span class="smaller">[760]</span></a>.</p> + +<p>L'évêque intervint:</p> + +<p>—Vous avez dit que nous, évêque, nous nous mettions en grand danger, +en vous mettant en cause. <span class="pagenum"><a id="page315" name="page315"></a>(p. 315)</span> Qu'était-ce? Et quel danger, tant +de nous que des autres?</p> + +<p>—J'ai dit à monseigneur de Beauvais: «Vous dites que vous êtes mon +juge, je ne sais si vous l'êtes. Mais avisez-vous bien de ne pas juger +mal. Car vous vous mettriez en grand danger; et je vous en avertis, +afin que, si Notre-Seigneur vous en châtie, j'aie fait mon devoir de +vous le dire.»</p> + +<p>—Quel est ce péril ou danger?</p> + +<p>—Sainte Catherine m'a dit que j'aurais secours. Je ne sais si ce sera +à être délivrée de prison; ou, quand je serai au jugement, s'il y +viendra quelque trouble par le moyen duquel je pourrai être délivrée. +Je pense que ce sera l'un ou l'autre. Le plus souvent mes Voix me +disent que je serai délivrée par grande victoire. Et après, elles me +disent: «Prends tout en gré, ne te chaille de ton martyre; tu t'en +viendras enfin au royaume de Paradis.» Cela, mes Voix me le disent +simplement et absolument. Je veux dire: sans faute. Et je dis mon +martyre pour la peine et adversité que je souffre en prison. Et ne +sais si plus fort je souffrirai. Mais je m'en attends à +Notre-Seigneur<a id="footnotetag761" name="footnotetag761"></a><a href="#footnote761" title="Lien vers la note 761"><span class="smaller">[761]</span></a>.</p> + +<p>Il semble que les Voix annonçaient ainsi à la Pucelle la délivrance +tout ensemble au sens littéral et au sens spirituel, contraires l'un à +l'autre. Dans cette réponse, empreinte à la fois d'illusion et de +crainte, <span class="pagenum"><a id="page316" name="page316"></a>(p. 316)</span> et faite pour inspirer la pitié aux hommes les plus +durs, ces prêtres ne virent que le moyen de la prendre insidieusement. +Feignant de comprendre qu'elle tirait de ses révélations une confiance +hérétique en son salut éternel, l'interrogateur lui fit, sous une +forme nouvelle, la question à laquelle elle avait déjà répondu +saintement. Il lui demanda si ses Voix lui avaient dit qu'elle irait +finalement au royaume de Paradis, si elle se tenait assurée d'être +sauvée et de ne point être damnée en enfer.</p> + +<p>À quoi elle répondit, dans la grande foi que ses Voix lui inspiraient:</p> + +<p>—Je crois fermement ce que mes Voix m'ont dit, que je serai sauvée, +aussi fermement que si j'y fusse déjà.</p> + +<p>C'était errer dans la foi. L'interrogateur, qui n'avait pas coutume +d'apprécier les réponses, ne put se défendre de faire observer que +celle-là était de grand poids<a id="footnotetag762" name="footnotetag762"></a><a href="#footnote762" title="Lien vers la note 762"><span class="smaller">[762]</span></a>.</p> + +<p>Aussi ce même jour, dans l'après-midi, on lui montra une conséquence +de son erreur: à savoir, qu'elle n'avait pas besoin de se confesser si +elle tenait de ses Voix l'assurance de son salut éternel<a id="footnotetag763" name="footnotetag763"></a><a href="#footnote763" title="Lien vers la note 763"><span class="smaller">[763]</span></a>.</p> + +<p>Jeanne fut interrogée, à cette séance, sur l'affaire de Franquet +d'Arras. En demandant à la Pucelle le seigneur Franquet, son +prisonnier, pour le juger à mort, <span class="pagenum"><a id="page317" name="page317"></a>(p. 317)</span> le bailli de Senlis avait +mal agi, et les juges faisaient retomber la faute sur Jeanne<a id="footnotetag764" name="footnotetag764"></a><a href="#footnote764" title="Lien vers la note 764"><span class="smaller">[764]</span></a>.</p> + +<p>L'interrogateur releva les péchés mortels imputables à l'accusée: +premièrement, avoir attaqué Paris un jour de fête; deuxièmement, avoir +dérobé la haquenée du seigneur évêque de Senlis; troisièmement, avoir +fait le saut de Beaurevoir; quatrièmement, avoir pris l'habit d'homme; +cinquièmement, avoir été consentante de la mort d'un prisonnier de +guerre. Sur tous ces points Jeanne ne se croyait pas en péché mortel; +toutefois, quant au saut de Beaurevoir, elle jugeait avoir mal fait, +mais elle en avait demandé pardon à Dieu<a id="footnotetag765" name="footnotetag765"></a><a href="#footnote765" title="Lien vers la note 765"><span class="smaller">[765]</span></a>.</p> + +<p>Il était suffisamment établi que l'accusée avait erré sur la foi. Le +tribunal de l'inquisition, grandement miséricordieux, voulait le salut +du pécheur. C'est pourquoi dès le lendemain, jeudi 15 mars au matin, +monseigneur de Beauvais exhorta Jeanne à se soumettre à l'Église, et +s'efforça de lui faire comprendre qu'elle devait obéir à l'Église +militante, car l'Église militante était telle chose et l'Église +triomphante telle autre. Jeanne l'écouta sans confiance<a id="footnotetag766" name="footnotetag766"></a><a href="#footnote766" title="Lien vers la note 766"><span class="smaller">[766]</span></a>. On +l'interrogea encore, ce jour-là, sur sa fuite du château de Beaulieu +et sur son intention de quitter sa tour, sans le congé de monseigneur +de Beauvais. Elle y était bien résolue.</p> + +<p>—Si je voyais l'huis ouvert, je m'en irais, et ce me <span class="pagenum"><a id="page318" name="page318"></a>(p. 318)</span> serait +le congé de Notre-Seigneur. Je le crois fermement, si je voyais l'huis +ouvert et si mes gardes et les autres Anglais ne savaient résister, +j'entendrais que ce serait le congé, et que Notre-Seigneur +m'envoyerait secours. Mais sans congé, je ne m'en irais pas, si ce +n'était que je fisse une entreprise pour m'en aller, pour savoir si +Notre-Seigneur en serait content. Le proverbe dit: «Aide-toi, Dieu +t'aidera<a id="footnotetag767" name="footnotetag767"></a><a href="#footnote767" title="Lien vers la note 767"><span class="smaller">[767]</span></a>.» Je le dis pour que, si je m'en allais, on ne dise pas +je m'en suis allée sans congé<a id="footnotetag768" name="footnotetag768"></a><a href="#footnote768" title="Lien vers la note 768"><span class="smaller">[768]</span></a>.</p> + +<p>On revint sur l'habit d'homme.</p> + +<p>—Lequel aimez-vous le mieux, prendre habit de femme et ouïr la messe, +ou demeurer en habit d'homme et ne pas ouïr la messe?</p> + +<p>—Certifiez-moi d'ouïr la messe si je suis en habit de femme, et sur +ce je vous répondrai.</p> + +<p>—Je vous certifie que vous ouïrez la messe, quand vous serez en habit +de femme.</p> + +<p>—Et que dites-vous, si j'ai juré et promis à notre roi de ne point +mettre bas cet habit? Toutefois, si je vous réponds: «Faites-moi faire +une robe longue jusques à terre, sans queue, et me la baillez pour +aller à la messe; puis au retour je reprendrai l'habit que j'ai...»</p> + +<p>—Prenez l'habit de femme simplement et absolument.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page319" name="page319"></a>(p. 319)</span> —Baillez-moi habit comme à une fille de bourgeois, c'est à +savoir houppelande longue, et je la prendrai, et même le chaperon de +femme, pour aller ouïr la messe. Le plus instamment que je puisse, je +requiers qu'on me laisse cet habit que je porte, et qu'on me laisse +ouïr la messe sans le changer<a id="footnotetag769" name="footnotetag769"></a><a href="#footnote769" title="Lien vers la note 769"><span class="smaller">[769]</span></a>.</p> + +<p>Sa résistance à quitter l'habit d'homme ne s'explique pas seulement +parce que cet habit la gardait mieux que tout autre contre les +entreprises des gens d'armes, ce qui d'ailleurs est sujet à objection. +Elle ne voulait pas prendre l'habit de femme pour la raison que ses +Voix ne le lui avaient pas permis; et l'on devine bien pourquoi: elle +était chef de guerre. Quelle humiliation pour un chef de guerre de +porter des jupes comme une bourgeoise! Et dans quel moment la +voulait-on enjuponner? Quand les Français devaient, d'un moment à +l'autre, la venir délivrer par un prodigieux fait d'armes. Ne +fallait-il pas qu'ils trouvassent leur Pucelle en habit d'homme, toute +prête à s'armer et à combattre avec eux?</p> + +<p>L'interrogateur lui demanda ensuite si elle voulait se soumettre à +l'Église, si elle faisait la révérence à ses Voix, si elle croyait à +leur sainteté, si elle ne leur offrait point des chandelles ardentes, +si elle leur obéissait, si, dans la guerre, elle n'avait rien fait +sans leur congé ou contre leur commandement<a id="footnotetag770" name="footnotetag770"></a><a href="#footnote770" title="Lien vers la note 770"><span class="smaller">[770]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page320" name="page320"></a>(p. 320)</span> Puis cette question, qui, de l'avis des docteurs, était la +plus difficile qu'on pût poser:</p> + +<p>—Si le diable se mettait en forme d'ange, comment connaîtriez-vous +que c'est bon ange ou mauvais ange?</p> + +<p>Elle répondit avec une simplicité qui parut présomptueuse:</p> + +<p>—Je connaîtrais bien si c'était saint Michel ou une chose contrefaite +d'après lui<a id="footnotetag771" name="footnotetag771"></a><a href="#footnote771" title="Lien vers la note 771"><span class="smaller">[771]</span></a>.</p> + +<p>Le surlendemain, samedi, 17 mars, Jeanne fut interrogée, le matin et +le soir, dans sa prison<a id="footnotetag772" name="footnotetag772"></a><a href="#footnote772" title="Lien vers la note 772"><span class="smaller">[772]</span></a>.</p> + +<p>Elle avait, jusque-là, montré une grande répugnance à décrire la +figure et l'habit de l'ange et des saintes qui l'étaient venus visiter +dans son village. Maître Jean de la Fontaine tâcha d'obtenir quelques +clartés à cet endroit:</p> + +<p>—En quelle forme et apparence, grandeur et habit, vous vient saint +Michel?</p> + +<p>—Il est en la forme d'un très vrai prudhomme<a id="footnotetag773" name="footnotetag773"></a><a href="#footnote773" title="Lien vers la note 773"><span class="smaller">[773]</span></a>.</p> + +<p>Ce serait la mal connaître, que de croire qu'elle voyait l'archange +dans une longue robe de docteur, ou portant chape de drap d'or; +d'ailleurs, ce n'était pas ainsi qu'il figurait dans les églises; il y +était représenté, en peinture ou en sculpture, vêtu d'une armure +étincelante avec un heaume cerclé d'une couronne d'or<a id="footnotetag774" name="footnotetag774"></a><a href="#footnote774" title="Lien vers la note 774"><span class="smaller">[774]</span></a>. <span class="pagenum"><a id="page321" name="page321"></a>(p. 321)</span> +Tel il lui apparaissait, «en la forme d'un très vrai prudhomme», à +prendre le mot comme dans la chanson de Roland, où il est dit d'un +grand coup d'épée que c'est un coup de prudhomme. Il venait à elle en +habit de preux, comme Arthur et Charlemagne, tout armé.</p> + +<p>L'interrogateur posa une fois encore la question dont la réponse était +pour Jeanne de vie ou de mort:</p> + +<p>—Voulez-vous mettre tous vos dits et faits, soit bons ou mauvais, à +la détermination de notre mère, sainte Église?</p> + +<p>—Quant à l'Église, je l'aime et la voudrais soutenir de tout mon +pouvoir pour notre foi chrétienne; et ce n'est pas moi qu'on doit +empêcher d'aller à l'église, ni d'ouïr la messe. Quant à ce qui est +des bonnes œuvres que j'ai faites et de mon avènement, il faut que +je m'en attende au Roi du ciel qui m'a envoyée à Charles, fils de +Charles, roi de France. Et vous verrez que les Français gagneront +bientôt une grande besogne, que Dieu leur enverra, et en laquelle il +branlera presque tout le royaume de France. Je le dis, afin que, quand +ce sera advenu, on ait mémoire de ce que j'ai dit<a id="footnotetag775" name="footnotetag775"></a><a href="#footnote775" title="Lien vers la note 775"><span class="smaller">[775]</span></a>.</p> + +<p>Mais elle ne put assigner le terme auquel viendrait la grande besogne, +et maître Jean de la Fontaine en revint au point d'où dépendait le +sort de Jeanne.</p> + +<p>—Vous en rapportez-vous à la détermination de l'Église?</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page322" name="page322"></a>(p. 322)</span> —Je m'en rapporte à Notre-Seigneur qui m'a envoyée, à +Notre-Dame et à tous les benoîts saints et saintes de paradis. M'est +avis que c'est tout un de Notre-Seigneur et de l'Église, et qu'on n'en +doit point faire de difficulté. Pourquoi faites-vous difficulté, que +ce ne soit tout un?</p> + +<p>Il faut rendre cette justice à maître Jean de la Fontaine, qu'il +répondit avec clarté:</p> + +<p>—Il y a l'Église triomphante, où sont Dieu, les saints, les anges et +les âmes sauvées. L'Église militante, c'est notre Saint Père le Pape, +vicaire de Dieu sur terre, les cardinaux, les prélats de l'Église et +le clergé, et tous les bons chrétiens et catholiques, laquelle Église, +bien assemblée, ne peut errer et est gouvernée du Saint-Esprit. +Voulez-vous vous en rapporter à l'Église militante?</p> + +<p>—Je suis venue au roi de France de par Dieu, de par la Vierge Marie +et tous les benoîts saints et saintes du paradis et l'Église +victorieuse de là-haut, et de leur commandement; et à cette Église-là +je soumets tous mes bons faits, et tout ce que j'ai fait ou à faire. +Et de répondre si je me soumettrai à l'Église militante, je n'en +répondrai maintenant autre chose<a id="footnotetag776" name="footnotetag776"></a><a href="#footnote776" title="Lien vers la note 776"><span class="smaller">[776]</span></a>.</p> + +<p>On lui offrit de nouveau un habit de femme pour entendre la messe; +elle le refusa:</p> + +<p>—Quant à l'habit de femme, je ne le prendrai pas encore, tant qu'il +plaira à Notre-Seigneur. Et si tant <span class="pagenum"><a id="page323" name="page323"></a>(p. 323)</span> est qu'il me faille +mener en jugement, qu'il me faille dévêtir en jugement, je requiers +messeigneurs de l'Église qu'ils me donnent la grâce d'avoir une +chemise de femme et un couvre-chef sur ma tête. J'aime mieux mourir +que de révoquer ce que Notre-Seigneur m'a fait faire. Je crois +fermement que Notre-Seigneur ne laissera pas advenir que je sois mise +si bas, que je n'aie secours bientôt de Dieu, et par miracle.</p> + +<p>Voici encore quelques questions qui lui furent faites:</p> + +<p>—Est-ce que vous ne croyez pas aujourd'hui que les fées soient de +mauvais esprits?</p> + +<p>—Je n'en sais rien.</p> + +<p>—Savez-vous point si sainte Catherine et sainte Marguerite haïssent +les Anglais?</p> + +<p>—Elles aiment ce que Notre-Seigneur aime, et haïssent ce que Dieu +hait.</p> + +<p>—Est-ce que Dieu hait les Anglais?</p> + +<p>—De l'amour ou haine que Dieu a pour les Anglais ou de ce qu'il fera +à leurs âmes, je ne sais rien. Mais je sais bien qu'ils seront boutés +hors de France, excepté ceux qui y mourront, et que Dieu enverra +victoire aux Français, et contre les Anglais.</p> + +<p>—Est-ce que Dieu était pour les Anglais, quand ils étaient en +prospérité en France?</p> + +<p>—Je ne sais si Dieu haïssait les Français. Mais je crois qu'il +voulait permettre de les laisser battre pour leurs péchés, s'ils +étaient en péché<a id="footnotetag777" name="footnotetag777"></a><a href="#footnote777" title="Lien vers la note 777"><span class="smaller">[777]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page324" name="page324"></a>(p. 324)</span> On posa quelques questions à Jeanne touchant la bannière sur +laquelle elle avait fait peindre des anges.</p> + +<p>Elle répondit qu'elle avait fait peindre les anges comme ils sont dans +les églises<a id="footnotetag778" name="footnotetag778"></a><a href="#footnote778" title="Lien vers la note 778"><span class="smaller">[778]</span></a>.</p> + +<p>Et la séance fut levée.</p> + +<p>L'après-dînée, eut lieu, dans la prison<a id="footnotetag779" name="footnotetag779"></a><a href="#footnote779" title="Lien vers la note 779"><span class="smaller">[779]</span></a>, le dernier +interrogatoire. Elle en avait subi quinze en vingt-cinq jours; elle +répondit d'un même courage. Plus encore qu'à l'ordinaire les sujets +furent divers et mêlés. D'abord, l'interrogateur s'efforça en vain de +surprendre les charmes et les maléfices qui avaient rendu heureux et +victorieux l'étendard peint de figures d'anges. Il voulut savoir +ensuite pourquoi les clercs mettaient sur les lettres de Jeanne les +saints noms de Jésus et de Marie<a id="footnotetag780" name="footnotetag780"></a><a href="#footnote780" title="Lien vers la note 780"><span class="smaller">[780]</span></a>.</p> + +<p>Puis cette question insidieuse:</p> + +<p>—Croyez-vous que, si vous étiez mariée, vos Voix vous viendraient?</p> + +<p>Comme elle était d'une chasteté passionnée, comme on pouvait +comprendre, à certains de ses propos, qu'elle tenait sa virginité pour +un porte-bonheur, on était curieux de savoir si, convenablement +sollicitée, elle ne traiterait pas avec mépris l'état de mariage, et +ne condamnerait pas l'œuvre de chair entre époux, en quoi <span class="pagenum"><a id="page325" name="page325"></a>(p. 325)</span> +elle eût gravement erré et glissé dans l'hérésie des Cathares<a id="footnotetag781" name="footnotetag781"></a><a href="#footnote781" title="Lien vers la note 781"><span class="smaller">[781]</span></a>.</p> + +<p>Elle répondit:</p> + +<p>—Je ne sais et m'en attends à Notre-Seigneur<a id="footnotetag782" name="footnotetag782"></a><a href="#footnote782" title="Lien vers la note 782"><span class="smaller">[782]</span></a>.</p> + +<p>Autre question bien plus dangereuse pour elle, qui aimait son roi de +tout son cœur:</p> + +<p>—Pensez-vous et croyez-vous fermement que votre roi fit bien de tuer +ou faire tuer monseigneur de Bourgogne?</p> + +<p>—Ce fut grand dommage pour le royaume de France<a id="footnotetag783" name="footnotetag783"></a><a href="#footnote783" title="Lien vers la note 783"><span class="smaller">[783]</span></a>.</p> + +<p>L'interrogateur lui posa cette question solennelle:</p> + +<p>—Vous semble-t-il que vous soyez tenue de répondre pleinement la +vérité au pape, vicaire de Dieu, de tout ce qu'on vous demanderait +touchant la foi et le fait de votre conscience?</p> + +<p>—Je requiers que je sois menée devant lui. Et puis je répondrai +devant lui tout ce que je devrai répondre<a id="footnotetag784" name="footnotetag784"></a><a href="#footnote784" title="Lien vers la note 784"><span class="smaller">[784]</span></a>.</p> + +<p>Par cette parole, elle en appelait au pape; et cet appel était de +droit. «Aux choses douteuses qui touchent la foi, avait dit saint +Thomas, l'on doit toujours recourir au pape ou au concile général.» Si +Jeanne ne signifia pas son appel dans les formes juridiques, le +<span class="pagenum"><a id="page326" name="page326"></a>(p. 326)</span> pouvait-elle, ignorant ces formes, et sans avocat, sans +conseil? Selon son pouvoir, elle en appelait au père commun des +fidèles, comme l'y autorisaient la justice et l'usage.</p> + +<p>Les docteurs et maîtres se turent. Ainsi se fermait la seule voie de +salut qui restât à l'accusée; elle était bien perdue. Mais ce qui +surprend, ce n'est pas que des juges du parti de l'Angleterre n'aient +point admis l'appel de Jeanne, c'est que les docteurs et maîtres du +parti français, les clercs des pays tenus dans l'obéissance du roi +Charles n'aient point tous signé cet appel, n'aient pas tous demandé +d'une seule voix que la cause de cette Pucelle, estimée bonne par les +examinateurs de Poitiers, fût portée devant le pape et le concile.</p> + +<p>Au lieu de répondre à la requête de Jeanne, l'interrogateur s'enquit +des anneaux magiques et des apparitions diaboliques dont il avait été +déjà tant question<a id="footnotetag785" name="footnotetag785"></a><a href="#footnote785" title="Lien vers la note 785"><span class="smaller">[785]</span></a>.</p> + +<p>—Est-ce que vous baisâtes ou accolâtes oncques saintes Catherine et +Marguerite?</p> + +<p>—Je les accolai toutes deux.</p> + +<p>—Fleuraient-elles bon?</p> + +<p>—Il est bon à savoir; et sentaient bon.</p> + +<p>—En accolant, sentiez-vous point de chaleur ou autre chose?</p> + +<p>—Je ne les pouvais point accoler sans les sentir et toucher.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page327" name="page327"></a>(p. 327)</span> —Par quelle partie les accoliez-vous? Par haut ou par bas?</p> + +<p>—Il affiert mieux à les accoler par le bas que par le haut.</p> + +<p>—Leur avez-vous point donné de chapeaux de fleurs?</p> + +<p>—En l'honneur d'elles, à leurs images ou ressemblances dans les +églises j'en ai plusieurs fois donné. Quant à celles qui +m'apparaissent, je n'en ai point baillé dont j'aie mémoire.</p> + +<p>—Savez-vous rien de ceux qui vont cheminant avec les fées?</p> + +<p>—Je ne le fis oncques, ni n'en sus quelque chose. Mais j'en ai bien +ouï parler, et qu'on y allait le jeudi. Mais je n'y crois point et +crois que c'est sorcerie<a id="footnotetag786" name="footnotetag786"></a><a href="#footnote786" title="Lien vers la note 786"><span class="smaller">[786]</span></a>.</p> + +<p>Enfin, une question sur son étendard, que les juges pensaient +enchanté, amena une de ces réponses, en manière de proverbe, qu'elle +aimait.</p> + +<p>—Pourquoi votre étendard fut-il plus porté en l'église de Reims, au +sacre, que ceux des autres capitaines?</p> + +<p>—Il avait été à la peine, c'était bien raison qu'il fût à +l'honneur<a id="footnotetag787" name="footnotetag787"></a><a href="#footnote787" title="Lien vers la note 787"><span class="smaller">[787]</span></a>.</p> + +<p>À la suite des enquêtes et des interrogatoires, le procès préparatoire +fut déclaré clos et le procès dit ordinaire s'ouvrit le mardi après +les Rameaux, 27 mars, <span class="pagenum"><a id="page328" name="page328"></a>(p. 328)</span> dans une chambre voisine de la grande +salle du château.</p> + +<p>Avant d'ordonner la lecture de l'acte d'accusation, monseigneur de +Beauvais offrit à Jeanne un avocat. S'il avait tardé jusque-là à lui +en offrir un, c'est, sans doute, parce qu'à son avis, elle n'en avait +pas eu besoin. On sait que l'avocat de l'hérétique était tenu à borner +étroitement ses moyens de défense, s'il ne voulait lui-même tomber +dans l'hérésie. Au cours du procès préparatoire, il lui était permis +seulement de rechercher les noms des témoins à charge et de les faire +connaître à l'accusé. Si l'hérétique avouait, il était superflu de lui +donner un avocat<a id="footnotetag788" name="footnotetag788"></a><a href="#footnote788" title="Lien vers la note 788"><span class="smaller">[788]</span></a>. Or, monseigneur de Beauvais prétendait fonder +l'accusation, non sur les dires des témoins, mais sur les aveux de +l'accusée. C'est pourquoi, sans doute, il attendit pour offrir un +conseil à Jeanne, l'ouverture du procès ordinaire, qui comportait la +discussion sur des points de doctrine.</p> + +<p>—Jeanne, lui dit-il alors, toutes les personnes ici présentes sont +des hommes d'Église, de science consommée, qui veulent et entendent +procéder envers vous en toute piété et mansuétude, ne cherchant ni +vengeance ni châtiment corporel, mais votre instruction et votre +séjour dans la voie de la vérité et du salut. Comme vous n'êtes ni +assez docte, ni assez instruite, soit dans les lettres, soit dans les +matières ardues dont <span class="pagenum"><a id="page329" name="page329"></a>(p. 329)</span> il s'agit, pour prendre conseil de +vous-même sur ce que vous devez faire ou répondre, nous vous offrons +de choisir, pour conseil, un ou plusieurs assistants, à votre +volonté<a id="footnotetag789" name="footnotetag789"></a><a href="#footnote789" title="Lien vers la note 789"><span class="smaller">[789]</span></a>.</p> + +<p>En une telle juridiction, cette offre était gracieuse; et, si +monseigneur de Beauvais réduisait l'accusée à choisir entre les +conseillers et assesseurs, appelés par lui-même au procès, il lui +faisait encore la part plus large qu'il n'y était obligé. Le choix de +l'avocat n'appartenait pas au prévenu; il appartenait au juge, qui +devait désigner un homme probe et loyal. Bien plus! Il était licite au +juge ecclésiastique de refuser jusqu'au bout tout conseil à l'accusé. +Nicolas Eymeric, en son <i>Directorium</i>, décide que l'évêque et +l'inquisiteur, agissant conjointement, forment une autorité suffisante +pour interpréter la loi et peuvent procéder simplement, <i>de plano</i>, +sans tumulte d'avocats ni figure de jugement<a id="footnotetag790" name="footnotetag790"></a><a href="#footnote790" title="Lien vers la note 790"><span class="smaller">[790]</span></a>.</p> + +<p>Il est à remarquer que monseigneur de Beauvais offrit un conseil à +l'accusée, eu égard à son ignorance des choses divines et humaines; +mais sans arguer de son jeune âge. Devant d'autres juridictions, un +procès contre un mineur de vingt-cinq ans non assisté était nul de +plein droit<a id="footnotetag791" name="footnotetag791"></a><a href="#footnote791" title="Lien vers la note 791"><span class="smaller">[791]</span></a>. S'il en était allé de même en droit inquisitorial, +l'évêque aurait évité ce cas de nullité; il <span class="pagenum"><a id="page330" name="page330"></a>(p. 330)</span> le pouvait faire +sans inconvénient, puisqu'il avait le choix de l'avocat. «Notre +justice n'est pas la même que la leur», disait avec raison Bernard +Gui, en comparant la procédure inquisitoriale à celle des autres cours +d'Église, qui fonctionnaient conformément au droit romain.</p> + +<p>Jeanne n'accepta pas l'offre du juge:</p> + +<p>—Premièrement, répondit-elle, de ce que vous m'admonestez pour mon +bien et sur notre foi, je vous remercie, et toute la compagnie aussi. +Quant au conseil que vous m'offrez, aussi je vous remercie, mais je +n'ai point intention de me départir du conseil de Notre-Seigneur<a id="footnotetag792" name="footnotetag792"></a><a href="#footnote792" title="Lien vers la note 792"><span class="smaller">[792]</span></a>.</p> + +<p>Aussitôt, maître Thomas de Courcelles commença de lire, en langue +française, le libellé de l'accusation, tel que le promoteur l'avait +rédigé en soixante-dix articles. Ce libellé reproduisait, dans un +ordre méthodique, les faits déjà reprochés à Jeanne et qu'on tenait +gratuitement comme avoués par elle et dûment prouvés. Soixante-dix +chefs de crimes épouvantables contre la foi et notre sainte mère +l'Église. Interrogée sur chaque article, Jeanne, avec une candeur +héroïque, refit ses réponses précédentes. Cette longue lecture fut +continuée et achevée le mercredi après les Rameaux, 28 mars. Selon sa +coutume, elle demanda délai pour répondre sur certains points<a id="footnotetag793" name="footnotetag793"></a><a href="#footnote793" title="Lien vers la note 793"><span class="smaller">[793]</span></a>. Le +31 mars, veille de Pâques, ce délai étant expiré, monseigneur de +Beauvais <span class="pagenum"><a id="page331" name="page331"></a>(p. 331)</span> se rendit dans la prison et, avec l'assistance des +docteurs et maîtres de l'Université, réclama les réponses différées. +Elles se rapportaient presque toutes à l'accusation qui contenait +toutes les autres, à l'hérésie qui enveloppait toutes les hérésies, au +refus d'obéir à l'Église militante. Jeanne, en résumé, déclara qu'elle +était résolue à s'en rapporter à Notre-Seigneur plutôt qu'à homme du +monde, ce qui était ruiner l'autorité du pape et du concile<a id="footnotetag794" name="footnotetag794"></a><a href="#footnote794" title="Lien vers la note 794"><span class="smaller">[794]</span></a>.</p> + +<p>Les docteurs et maîtres de l'Université de Paris furent d'avis de +distiller le copieux libellé du promoteur, d'en tirer la quintessence +et de réduire à un petit nombre d'articles les soixante-dix chefs +d'accusation<a id="footnotetag795" name="footnotetag795"></a><a href="#footnote795" title="Lien vers la note 795"><span class="smaller">[795]</span></a>. Maître Nicolas Midi, docteur en théologie, exécuta +ce travail et le soumit aux juges et aux assesseurs<a id="footnotetag796" name="footnotetag796"></a><a href="#footnote796" title="Lien vers la note 796"><span class="smaller">[796]</span></a>. L'un d'eux +proposa des corrections. Frère Jacques de Touraine, de l'ordre des +frères mineurs, docteur en théologie, chargé de la rédaction +définitive, admit la plupart des corrections demandées<a id="footnotetag797" name="footnotetag797"></a><a href="#footnote797" title="Lien vers la note 797"><span class="smaller">[797]</span></a>. Les +propositions<a id="footnotetag798" name="footnotetag798"></a><a href="#footnote798" title="Lien vers la note 798"><span class="smaller">[798]</span></a> condamnables que les juges prétendaient (bien à +tort) avoir tirées des réponses aux interrogatoires, se trouvèrent de +la sorte résumées en douze articles<a id="footnotetag799" name="footnotetag799"></a><a href="#footnote799" title="Lien vers la note 799"><span class="smaller">[799]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page332" name="page332"></a>(p. 332)</span> Ces douze articles ne furent pas communiqués à Jeanne. Le +jeudi 12 avril, vingt et un docteurs et maîtres se réunirent dans la +chapelle de l'évêché, et après avoir examiné les articles, donnèrent +une consultation dont le sens était défavorable à l'accusée.</p> + +<p>Selon eux, les apparitions et révélations dont elle se vantait ne +venaient point de Dieu; c'étaient ou des inventions humaines ou des +effets de l'esprit malin; elle n'avait pas pour y croire des signes +suffisants. Ces docteurs et maîtres découvraient dans le cas de cette +femme des mensonges, des invraisemblances, une créance trop légèrement +donnée, des divinations superstitieuses, des faits scandaleux et +irréligieux, des dits téméraires, présomptueux, pleins de jactance, +des blasphèmes contre Dieu et les saints, de l'impiété dans la manière +de se conduire avec père et mère, des contrariétés au précepte sur +l'amour du prochain, de l'idolâtrie, ou tout au moins des fictions +mensongères, des propositions schismatiques, destructives de l'unité, +autorité et puissance de l'Église; mauvaise science et suspicion +véhémente d'hérésie<a id="footnotetag800" name="footnotetag800"></a><a href="#footnote800" title="Lien vers la note 800"><span class="smaller">[800]</span></a>.</p> + +<p>Si elle n'avait pas été soutenue et réconfortée par les Voix du ciel, +les voix de son cœur, Jeanne ne serait pas allée jusqu'à la fin de +cet horrible procès où torturée à la fois par des princes de l'Église +et des goujats d'armée, elle endura de corps et d'esprit des <span class="pagenum"><a id="page333" name="page333"></a>(p. 333)</span> +souffrances intolérables à la commune nature humaine; elle les endura +sans que sa constance, sa foi, sa divine espérance, on dirait presque +sa gaieté en fussent atteints. Enfin, à bout de forces et non de +courage, elle tomba brisée, en proie à une maladie qu'on croyait +mortelle; elle semblait perdue, ou plutôt, hélas! sauvée<a id="footnotetag801" name="footnotetag801"></a><a href="#footnote801" title="Lien vers la note 801"><span class="smaller">[801]</span></a>.</p> + +<p>Le mercredi 18 avril, monseigneur de Beauvais et le vice-inquisiteur +de la foi, se rendirent avec plusieurs docteurs et maîtres auprès +d'elle afin de l'exhorter charitablement; elle était encore très +malade<a id="footnotetag802" name="footnotetag802"></a><a href="#footnote802" title="Lien vers la note 802"><span class="smaller">[802]</span></a>. Monseigneur de Beauvais lui représenta que, interrogée +devant des personnes de haute sagesse, sur des points ardus, maintes +choses dites par elle avaient été notées comme contraires à la foi. +C'est pourquoi, considérant qu'elle était femme sans lettres, il lui +offrait de la pourvoir d'hommes savants et probes pour l'instruire. Il +priait les docteurs présents de lui donner des conseils salutaires, et +l'invitait elle-même, si elle connaissait d'autres personnes, à les +lui désigner, promettant qu'il les ferait venir sans faute.</p> + +<p>—L'Église, ajouta-t-il, ne ferme point son sein à qui lui revient.</p> + +<p>Jeanne répondit qu'elle le remerciait de ce qu'il lui disait pour son +salut, et elle ajouta:</p> + +<p>—Il me semble, vu la maladie que j'ai, que je suis en grand péril de +mort. S'il en est ainsi, Dieu veuille <span class="pagenum"><a id="page334" name="page334"></a>(p. 334)</span> faire de moi à son +plaisir. Je vous requiers de me faire avoir confession, et le corps de +mon Sauveur aussi, et de me mettre en terre sainte.</p> + +<p>Monseigneur de Beauvais lui représenta que si elle voulait recevoir +les sacrements, elle devait se soumettre à l'Église.</p> + +<p>—Si mon corps meurt en prison, répondit-elle, je m'attends à vous que +vous le fassiez mettre en terre sainte; si vous ne l'y faites mettre, +je m'en attends à Notre-Seigneur<a id="footnotetag803" name="footnotetag803"></a><a href="#footnote803" title="Lien vers la note 803"><span class="smaller">[803]</span></a>.</p> + +<p>Elle soutint ensuite énergiquement la vérité des révélations qu'elle +avait eues de par Dieu, saint Michel, saintes Catherine et Marguerite.</p> + +<p>Et comme on lui demandait une fois encore si elle soumettait soi et +ses actes à notre sainte mère l'Église, elle répondit:</p> + +<p>—Quelque chose qui m'en doive advenir, je n'en ferai ou dirai autre +chose que ce que j'ai déjà dit au procès.</p> + +<p>Les docteurs et maîtres l'exhortèrent l'un après l'autre à se +soumettre à notre sainte mère l'Église, alléguant de nombreux passages +de l'Écriture sainte; ils lui promirent le corps de Notre-Seigneur, si +elle voulait obéir; mais elle demeura ferme dans son propos.</p> + +<p>—De cette soumission, dit-elle, je ne répondrai autre chose que ce +que j'ai déjà fait. J'aime Dieu, je <span class="pagenum"><a id="page335" name="page335"></a>(p. 335)</span> le sers et suis bonne +chrétienne, et je voudrais aider et soutenir la sainte Église de tout +mon pouvoir<a id="footnotetag804" name="footnotetag804"></a><a href="#footnote804" title="Lien vers la note 804"><span class="smaller">[804]</span></a>.</p> + +<p>On avait recours aux processions dans les grandes nécessités.</p> + +<p>—Ne voulez-vous point, lui fut-il demandé, qu'on ordonne une belle et +notable procession pour vous mettre en bon état, si vous n'y êtes?</p> + +<p>Elle répondit:</p> + +<p>—Je veux très bien que l'Église et les catholiques prient pour +moi<a id="footnotetag805" name="footnotetag805"></a><a href="#footnote805" title="Lien vers la note 805"><span class="smaller">[805]</span></a>.</p> + +<p>Parmi les docteurs consultés, plusieurs recommandèrent qu'elle fût de +nouveau instruite et admonestée charitablement. Le mercredi 2 mai, +soixante-trois révérends docteurs et maîtres se réunirent dans la +salle de Parement du château<a id="footnotetag806" name="footnotetag806"></a><a href="#footnote806" title="Lien vers la note 806"><span class="smaller">[806]</span></a>. Elle fut introduite et maître Jean +de Castillon, docteur en théologie, archidiacre d'Évreux<a id="footnotetag807" name="footnotetag807"></a><a href="#footnote807" title="Lien vers la note 807"><span class="smaller">[807]</span></a>, lut une +cédule en français dans laquelle les faits et dits reprochés à Jeanne +étaient résumés en six articles. Puis plusieurs docteurs et maîtres +lui adressèrent tour à tour des admonitions et des conseils +charitables. Ils l'exhortèrent à se soumettre à l'Église militante +universelle, à notre Saint-Père le Pape et au saint Concile général. +Ils l'avertirent que, si l'Église l'abandonnait, elle serait en grand +danger d'encourir la <span class="pagenum"><a id="page336" name="page336"></a>(p. 336)</span> peine du feu éternel quant à son âme, +sans préjudice de la peine du feu corporel quant au corps, et par la +sentence d'autres juges.</p> + +<p>Jeanne répondit comme devant<a id="footnotetag808" name="footnotetag808"></a><a href="#footnote808" title="Lien vers la note 808"><span class="smaller">[808]</span></a>.</p> + +<p>Le lendemain jeudi 3 mai, jour de l'Invention de la Sainte Croix, +l'archange Gabriel lui apparut; elle n'était pas bien sûre de l'avoir +déjà vu; mais cette fois elle ne pouvait douter; ses Voix lui dirent +que c'était bien lui; et elle en eut grand réconfort.</p> + +<p>Ce même jour, elle demanda à ses Voix si elle devait se soumettre à +l'Église, comme tous les clercs l'en pressaient.</p> + +<p>Les Voix lui répondirent:</p> + +<p>—Si tu veux que Notre-Seigneur t'aide, attends-toi à lui de tous tes +faits.</p> + +<p>Jeanne voulut savoir d'elles si elle serait brûlée.</p> + +<p>Les Voix lui dirent de s'en attendre à Notre-Seigneur et qu'il +l'aiderait<a id="footnotetag809" name="footnotetag809"></a><a href="#footnote809" title="Lien vers la note 809"><span class="smaller">[809]</span></a>. Ce secours mystérieux raffermissait le cœur de +Jeanne.</p> + +<p>L'opiniâtreté dont elle faisait preuve n'était pas sans exemple parmi +les hérétiques et les possédées. Au contraire, les juges d'Église +étaient accoutumés à l'endurcissement des femmes abusées par le +diable. Pour les obliger à dire la vérité, quand les exhortations et +les admonitions ne suffisaient pas on recourait à la torture. Et ce +moyen ne réussissait pas toujours. Beaucoup <span class="pagenum"><a id="page337" name="page337"></a>(p. 337)</span> de ces mauvaises +femelles (<i>mulierculae</i>) supportaient les plus cruelles souffrances +avec une constance qui passait les forces ordinaires de la nature +humaine. Aussi les docteurs ne croyaient-ils pas que cette constance +fût naturelle; ils l'attribuaient à un artifice infernal. Le démon +était capable encore de protéger ses servantes tombées aux mains des +juges d'Église; il leur accordait le pouvoir de se taire dans les +tortures. C'est ce qu'on appelait le don de taciturnité<a id="footnotetag810" name="footnotetag810"></a><a href="#footnote810" title="Lien vers la note 810"><span class="smaller">[810]</span></a>.</p> + +<p>Le mercredi 9 mai, Jeanne fut menée à la grosse tour du château et +introduite dans la chambre de torture. Là monseigneur de Beauvais, en +présence du vice-inquisiteur et de neuf docteurs et maîtres, lui donna +lecture des articles auxquels elle avait jusque-là refusé de répondre, +et la menaça, si elle ne confessait point toute la vérité, d'être mise +à la géhenne.</p> + +<p>Les instruments étaient préparés; les deux exécuteurs, Mauger +Leparmentier, clerc marié, et son compagnon, se tenaient près d'elle, +attendant les ordres du seigneur évêque.</p> + +<p>Jeanne, qui six jours auparavant avait reçu de ses Voix grand +réconfort, répondit avec fermeté:</p> + +<p>—Vraiment, si vous me deviez faire arracher les membres et faire +partir l'âme hors du corps, je ne vous dirais autre chose et, si je +vous disais quelque chose, <span class="pagenum"><a id="page338" name="page338"></a>(p. 338)</span> après dirais-je toujours que vous +me l'avez fait dire par force<a id="footnotetag811" name="footnotetag811"></a><a href="#footnote811" title="Lien vers la note 811"><span class="smaller">[811]</span></a>.</p> + +<p>Monseigneur de Beauvais décida de surseoir à la torture, craignant +qu'elle ne fût pas profitable à cette âme endurcie<a id="footnotetag812" name="footnotetag812"></a><a href="#footnote812" title="Lien vers la note 812"><span class="smaller">[812]</span></a>. Le samedi +suivant, il en délibéra dans sa maison, avec le vice-inquisiteur et +treize docteurs et maîtres; les avis furent partagés. Maître Raoul +Roussel conseillait de ne pas donner la torture à Jeanne pour éviter +qu'un procès aussi bien fait que celui-ci pût être attaqué. Il +craignait, à ce qu'il semble, que la Pucelle, ayant reçu du diable le +don de taciturnité, les tourments ne lui donnassent occasion de braver +la sainte inquisition par un silence diabolique. Maître Aubert Morel, +licencié en droit canon, avocat près l'officialité de Rouen, chanoine +de la cathédrale, et maître Thomas de Courcelles jugèrent qu'il serait +bon, au contraire, d'appliquer la question. Maître Nicolas Loiseleur, +maître ès arts, chanoine de Rouen, qui faisait au procès le cordonnier +lorrain et la voix de sainte Catherine, n'avait pas d'opinion bien +arrêtée à cet égard; toutefois, il ne lui semblait pas mauvais que +Jeanne, pour la médecine de son âme, fût torturée. Les docteurs et +maîtres en majorité estimèrent qu'il n'y avait pas lieu de la +soumettre à cette épreuve, quant à présent; les uns ne donnèrent point +des raisons, les autres alléguèrent qu'il convenait de l'avertir +charitablement <span class="pagenum"><a id="page339" name="page339"></a>(p. 339)</span> encore une fois. Maître Guillaume Erard, +docteur en théologie, se fonda sur ce qu'on avait déjà assez ample +matière pour juger<a id="footnotetag813" name="footnotetag813"></a><a href="#footnote813" title="Lien vers la note 813"><span class="smaller">[813]</span></a>. Ainsi, parmi ceux qui épargnèrent les +tourments à Jeanne, se trouvait le moins miséricordieux de tous à son +égard. Tel était l'esprit des tribunaux d'Église que refuser la +torture à un accusé, c'était, en certains cas, lui refuser une grâce.</p> + +<p>Lors du procès de Marguerite la Porète, les juges ne convoquèrent +point d'experts<a id="footnotetag814" name="footnotetag814"></a><a href="#footnote814" title="Lien vers la note 814"><span class="smaller">[814]</span></a>. Ils soumirent à l'Université de Paris un rapport +écrit, touchant les charges tenues pour prouvées. L'Université donna +son avis sous réserve de la vérité des charges. Cette réserve était de +pure forme et la décision de l'Université avait l'autorité d'un +jugement. Dans le procès de Jeanne, on invoqua ce précédent. Le 21 +avril, maître Jean Beaupère, maître Jacques de Touraine et maître +Nicolas Midi quittèrent Rouen et, au risque d'être houspillés en +chemin par les gens de guerre, allèrent porter les douze articles à +leurs collègues de Paris.</p> + +<p>Le 28 avril, l'Université, réunie en assemblée générale à +Saint-Bernard, chargea de l'examen des douze articles la sacrée +Faculté de Théologie et la vénérable Faculté des Décrets<a id="footnotetag815" name="footnotetag815"></a><a href="#footnote815" title="Lien vers la note 815"><span class="smaller">[815]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page340" name="page340"></a>(p. 340)</span> Le 14 mai, les délibérations des deux Facultés furent +soumises à toutes les Facultés solennellement réunies, qui les +ratifia, les fit siennes et les envoya au roi Henri, en suppliant Son +Excellente Hautesse de faire prompte justice, afin que le peuple, tant +scandalisé par cette femme, fût ramené à bonne doctrine et sainte +croyance<a id="footnotetag816" name="footnotetag816"></a><a href="#footnote816" title="Lien vers la note 816"><span class="smaller">[816]</span></a>. Et il est remarquable que dans une cause, qui était +celle du pape, représenté par le vice-inquisiteur, et du roi, +représenté par l'évêque, la fille aînée des rois ait communiqué +directement avec le roi de France, gardien de ses privilèges.</p> + +<p>Selon la sacrée Faculté de Théologie, les apparitions de Jeanne +étaient fictives, mensongères, séductrices, inspirée par des diables. +Le signe donné au roi était un mensonge présomptueux et pernicieux, +attentatoire à la dignité des anges, la croyance de Jeanne aux visites +de saint Michel, de sainte Catherine et de sainte Marguerite était une +croyance téméraire et injurieuse par la comparaison que Jeanne en +faisait avec les vérités de la foi; les prédictions de Jeanne étaient +superstition, divination et vaine jactance; l'affirmation de porter +l'habit d'homme par commandement de Dieu était blasphème, mépris des +sacrements, violation de la loi divine et des sanctions +ecclésiastiques, suspicion d'idolâtrie. Jeanne, dans les lettres +dictées par elle, se <span class="pagenum"><a id="page341" name="page341"></a>(p. 341)</span> montrait traîtresse, perfide, cruelle, +altérée de sang humain, séditieuse, poussant à la tyrannie, +blasphématrice de Dieu. En partant pour la France, elle avait violé le +commandement d'honorer père et mère, causé scandale, blasphémé, erré +dans la foi. En faisant le saut de Beaurevoir, elle s'était montrée +d'une pusillanimité tournant au désespoir et à l'homicide, et ç'avait +été de plus pour elle l'occasion d'affirmations téméraires touchant la +remise de son péché et d'erreur sur le libre arbitre. En proclamant sa +confiance en son salut, elle ne proférait que mensonges présomptueux +et pernicieux; en disant que sainte Catherine et sainte Marguerite ne +parlaient pas anglais, elle blasphémait ces saintes et violait le +précepte: «Tu aimeras ton prochain»; les honneurs qu'elle rendait à +ses saintes étaient idolâtrie et invocation de démons; son refus de +s'en rapporter de ses faits à l'Église tendait au schisme, au mépris +de l'unité et de l'autorité de l'Église, à l'apostasie<a id="footnotetag817" name="footnotetag817"></a><a href="#footnote817" title="Lien vers la note 817"><span class="smaller">[817]</span></a>.</p> + +<p>Les docteurs de la Faculté de Théologie étaient très savants; ils +connaissaient les trois esprits malins que Jeanne abusée prenait pour +saint Michel, sainte Catherine et sainte Marguerite. C'étaient Bélial, +Satan et Béhémot. Bélial, adoré des sidoniens, se montre quelquefois +sous la figure d'un ange plein de beauté; c'est le démon de la +désobéissance. Satan est le chef des enfers et <span class="pagenum"><a id="page342" name="page342"></a>(p. 342)</span> Béhémot est +un être lourd et stupide, qui mange du foin comme un bœuf<a id="footnotetag818" name="footnotetag818"></a><a href="#footnote818" title="Lien vers la note 818"><span class="smaller">[818]</span></a>.</p> + +<p>La vénérable Faculté des Décrets décidait que cette femme +schismatique, errant en la foi, apostate, menteuse, devineresse, +devait être charitablement exhortée et dûment avertie par les juges +compétents et que, si elle refusait néanmoins d'abjurer son erreur, il +la faudrait abandonner au bras séculier pour en recevoir le châtiment +dû<a id="footnotetag819" name="footnotetag819"></a><a href="#footnote819" title="Lien vers la note 819"><span class="smaller">[819]</span></a>. Voilà les délibérations et décisions que la vénérable +Université de Paris soumettait à l'examen et aux arrêts du Saint-Siège +apostolique et du sacro-saint Concile général<a id="footnotetag820" name="footnotetag820"></a><a href="#footnote820" title="Lien vers la note 820"><span class="smaller">[820]</span></a>.</p> + +<p>Mais les clercs de France n'avaient-ils donc rien à dire en cette +cause? N'avaient-ils donc aucune décision à soumettre au pape et au +concile? Pourquoi n'opposaient-ils pas leur opinion à celles des +Facultés parisiennes? Pourquoi gardaient-ils le silence? Ces docteurs, +qui avaient recommandé au roi de mettre en œuvre la jeune fille, +afin de ne pas refuser les dons du Saint-Esprit, pourquoi +n'envoyaient-ils pas à Rouen le livre de Poitiers que réclamait +Jeanne<a id="footnotetag821" name="footnotetag821"></a><a href="#footnote821" title="Lien vers la note 821"><span class="smaller">[821]</span></a>? Tous ces universitaires chassés de Paris, tous ces +avocats et conseillers au <span class="pagenum"><a id="page343" name="page343"></a>(p. 343)</span> Parlement exilé, tous ces +magistrats qui n'avaient pas de robe à se mettre, pas de souliers à +donner à leurs enfants, avant que cette Pucelle eût soutenu leur cause +penchante, et qui maintenant, grâce à elle, reprenaient chaque jour +espoir et vigueur, comment laissaient-ils traiter d'hérétique et de +femme dissolue cette grande servante de leur roi? Ce frère Pasquerel, +ce frère Richard, tous ces religieux qui naguère l'accompagnaient en +France et pensaient l'accompagner à la croisade contre les Bohêmes et +les Turcs, pourquoi ne demandaient-ils pas un sauf-conduit afin d'être +entendus au procès? Pourquoi n'envoyaient-ils pas du moins leur +témoignage? Cet archevêque d'Embrun, qui tantôt encore donnait de si +nobles conseils à son roi, pourquoi n'adressait-il pas aux juges de +Rouen son mémoire en faveur de la Pucelle? Monseigneur de Reims, +chancelier du royaume, qui avait bien dit qu'elle était orgueilleuse +mais non pas hérétique, pourquoi, contrairement à ses intérêts et à +son honneur, ne témoignait-il pas en faveur de celle qui lui avait +fait recouvrer sa ville épiscopale? Pourquoi, comme c'était son droit, +comme c'était son devoir de métropolitain, ne prononçait-il pas la +censure et la suspension contre son suffragant, l'évêque de Beauvais, +coupable d'avoir prévariqué dans l'administration de la justice? Ces +grands clercs, députés par le roi Charles au Concile de Bâle, comment +ne s'engageaient-ils pas à porter au synode la cause de la Pucelle? +Comment, enfin, les prêtres, les religieux du <span class="pagenum"><a id="page344" name="page344"></a>(p. 344)</span> royaume ne +demandaient-ils pas, d'un cri unanime, l'appel au Saint-Père?</p> + +<p>Tous, comme frappés d'étonnement et de stupeur, demeuraient sans +parler ni agir. Ne serait-ce point parce qu'ils craignaient que cette +illustre Université, que de tous les pays chrétiens on venait +consulter en matière de foi, ce soleil de l'Église, n'eût éclairé d'un +jour trop éclatant la cause de Jeanne, et que cette femme, qu'en +France on avait cru sainte, ne fût inspirée par le malin esprit? S'ils +le craignaient, s'ils le soupçonnaient, cette opinion théologique, ces +doutes sur une matière difficile, en une cause ardue, expliqueraient +leur silence; on comprendrait qu'ils se taisaient de honte et de +douleur. Mais ce qu'ils avaient cru naguère, s'ils le croyaient +encore, s'ils étaient persuadés que la Pucelle était venue de Dieu +pour conduire leur roi à son sacre glorieux, que penser de ces +prêtres, que penser de ces clercs de France, qui reniaient la fille de +Dieu, à la veille de sa passion?</p> + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page345" name="page345"></a>(p. 345)</span> CHAPITRE XIII<br> + +<span class="smaller">L'ABJURATION. — LA PREMIÈRE SENTENCE.</span></h2> + + +<p>Les docteurs et maîtres réunis, le samedi 19 mai, dans la chapelle +archiépiscopale de Rouen, au nombre de cinquante, s'associèrent +unanimement aux délibérations de l'Université de Paris, et monseigneur +de Beauvais décida qu'une nouvelle admonition charitable serait +adressée à Jeanne<a id="footnotetag822" name="footnotetag822"></a><a href="#footnote822" title="Lien vers la note 822"><span class="smaller">[822]</span></a>. En conséquence, le mercredi 23, l'évêque, le +vicaire inquisiteur et le promoteur se rendirent dans une chambre du +château, voisine de la prison de Jeanne; ils étaient accompagnés de +sept docteurs et maîtres, du seigneur évêque de Noyon et du seigneur +évêque de Thérouanne<a id="footnotetag823" name="footnotetag823"></a><a href="#footnote823" title="Lien vers la note 823"><span class="smaller">[823]</span></a>. Celui-là, frère de messire Jean de +Luxembourg qui avait vendu la Pucelle, comptait parmi les premiers +personnages du Grand <span class="pagenum"><a id="page346" name="page346"></a>(p. 346)</span> Conseil d'Angleterre; il était +chancelier de France pour le roi Henri comme messire Regnault de +Chartres l'était pour le roi Charles<a id="footnotetag824" name="footnotetag824"></a><a href="#footnote824" title="Lien vers la note 824"><span class="smaller">[824]</span></a>.</p> + +<p>L'accusée fut introduite et maître Pierre Maurice, docteur en +théologie, lui donna lecture des douze articles abrégés et commentés +conformément aux délibérations de l'Université, le tout en manière de +discours à elle adressé:</p> + + +<h3>ARTICLE PREMIER</h3> + +<p>Premièrement, Jeanne tu as dit qu'en l'âge de treize ans, ou environ, +tu as eu révélations et apparitions d'anges et des saintes Catherine +et Marguerite, que tu les as vus fréquemment de tes yeux corporels, et +qu'ils ont parlé à toi et qu'ils te parlent souvent et qu'ils t'ont +dit beaucoup de choses que tu as pleinement déclarées dans ton procès.</p> + +<p>Sur ce point, les clercs de l'Université de Paris et autres ayant +considéré les modes de ces révélations et apparitions, leur fin, la +substance des choses révélées, et la condition de ta personne, et +considéré tout ce qu'il y avait lieu de considérer, disent que ce sont +fictions mensongères, séduisantes et périlleuses, ou que des +révélations et apparitions de cette sorte sont superstitieuses, +procédant d'esprits malins et diaboliques.</p> + + +<h3><span class="pagenum"><a id="page347" name="page347"></a>(p. 347)</span> ARTICLE 2.</h3> + +<p>Item, tu as dit que ton roi eut signe par quoi il connut que tu étais +envoyée de Dieu, à savoir que saint Michel, accompagné d'une multitude +d'anges, dont certains avaient des ailes, d'autres des couronnes et +avec lesquels étaient les saintes Catherine et Marguerite, vint à toi +en la ville de Château-Chinon; et que tous ceux-là entrèrent avec toi +par l'escalier du château, dans la chambre de ton roi devant qui +s'inclina un ange qui portait une couronne. Et une fois, tu as dit que +cette couronne que tu appelles signe, fut remise à l'archevêque de +Reims qui la remit à ton roi, en présence d'une multitude de princes +et de seigneurs que tu as nommés.</p> + +<p>Et quant à cela, lesdits clercs disent que ce n'est pas vraisemblable, +mais que c'est mensonge présomptueux, séduisant, pernicieux, une chose +feinte et attentatoire à la dignité des anges.</p> + + +<h3>ARTICLE 3.</h3> + +<p>Item, tu as dit que tu connaissais les anges et les saintes par bon +conseil, confort et doctrine qu'ils te donnaient et par ce qu'ils se +nommèrent à toi et que les saintes te saluèrent. Tu croyais aussi que +ce fut saint Michel qui t'apparut et que leurs faits et dits sont +bons, aussi fermement que tu crois la foi du Christ.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page348" name="page348"></a>(p. 348)</span> Quant à cela, les clercs disent que ce ne sont pas signes +suffisants pour connaître lesdits saints et anges, et que tu as cru +légèrement et témérairement affirmé, et que en outre, pour ce qui est +de la comparaison que tu fais de croire aussi fermement, etc., tu +erres dans la foi.</p> + + +<h3>ARTICLE 4.</h3> + +<p>Item, tu as dit que tu es assurée de certaines choses à venir, que tu +as su des choses cachées, que tu as pareillement reconnu des hommes +que tu n'avais jamais vus auparavant, et cela par les voix des saintes +Catherine et Marguerite.</p> + +<p>Et quant à cela, les clercs disent que, en ces dits, est superstition, +divination, présomptueuse assertion et vaine jactance.</p> + + +<h3>ARTICLE 5.</h3> + +<p>Item, tu as dit que du commandement de Dieu et de son bon plaisir tu +as porté et portes encore habit d'homme et, parce que tu as +commandement de Dieu de porter cet habit, tu as pris tunique courte, +gippon, chausses liées à maintes aiguillettes; tu portes même les +cheveux coupés en rond au-dessus des oreilles, sans rien garder sur +toi de ce qui prouve et dénote le sexe féminin, excepté ce que nature +t'a donné; et souvent tu as reçu en cet habit le sacrement de +l'Eucharistie, et bien que tu aies été plusieurs fois admonestée de le +quitter, néanmoins tu n'en as voulu rien <span class="pagenum"><a id="page349" name="page349"></a>(p. 349)</span> faire, disant que +tu aimerais mieux mourir que quitter cet habit, à moins que ce ne fût +par le commandement de Dieu; et que, si tu étais encore en cet habit +avec ceux de ton parti, ce serait grand bien pour la France. Tu dis +aussi que, pour rien, tu ne ferais serment de ne pas porter cet habit +et des armes, et tu dis qu'en tout cela tu fais bien et par l'ordre de +Dieu.</p> + +<p>Sur ce point, les clercs disent que tu blasphèmes Dieu et le méprises +en ses sacrements, que tu transgresses la loi divine, la sainte +Écriture et les règles canoniques, que tu penses mal et erres en +matière de foi, que tu es pleine de vaine jactance, que tu es suspecte +d'idolâtrie et d'adoration de toi-même et de tes habits, en imitant +les usages des païens.</p> + + +<h3>ARTICLE 6.</h3> + +<p>Item, tu as dit que souvent, dans tes lettres, tu as mis ces noms, +<span class="smcap">JHESUS MARIA</span>, et le signe de la croix pour avertir ceux à qui tu +écrivais de ne pas faire ce qui était marqué dans la lettre. Dans +d'autres lettres tu t'es vantée de faire tuer tous ceux qui ne +t'obéissaient pas et qu'aux coups on verrait qui aurait meilleur droit +de par le Dieu du ciel et tu as dit souvent n'avoir rien fait que par +révélation et commandement du Seigneur.</p> + +<p>Quant à cela, les clercs disent que tu es traîtresse, perfide, +cruelle, désirant cruellement l'effusion du sang <span class="pagenum"><a id="page350" name="page350"></a>(p. 350)</span> humain, +séditieuse, provoquant à tyrannie, blasphémant Dieu en ses +commandements et révélations.</p> + + +<h3>ARTICLE 7.</h3> + +<p>Item, tu dis que, par révélations que tu as eues en l'âge de dix-sept +ans, tu as quitté la maison de tes parents, contre leur volonté, de +quoi ils furent quasi fous. Et tu es allée vers Robert de Baudricourt, +qui, à ta requête, te donna un habit d'homme et une épée, avec +certaines gens pour te conduire vers ton roi, et quand tu es venue +vers lui, tu lui as dit que tu venais pour chasser ses adversaires et +que tu lui avais promis de le mettre en un grand royaume, et qu'il +aurait victoire sur ses adversaires et que Dieu t'envoyait pour cela. +Tu dis aussi que, de la sorte, tu as bien fait en obéissant à Dieu et +par révélation.</p> + +<p>Quant à cela, les clercs disent que tu as été impie envers tes +parents, transgressant le commandement de Dieu d'honorer père et mère, +scandaleuse, blasphématrice de Dieu, errant en la foi et que tu as +fait une promesse présomptueuse et téméraire.</p> + + +<h3>ARTICLE 8.</h3> + +<p>Item, tu as dit que, volontairement, tu as sauté de la tour de +Beaurevoir, aimant mieux mourir que d'être livrée aux mains des +Anglais et vivre après la destruction de Compiègne; et, bien que les +saintes Catherine et Marguerite te défendissent de sauter, tu ne pus +te <span class="pagenum"><a id="page351" name="page351"></a>(p. 351)</span> contenir; et, quoi que ce fût un grand péché que +d'offenser ces saintes, pourtant tu as su par tes Voix que Dieu te +l'avait remis après que tu t'en fusses confessée.</p> + +<p>Sur ce point les clercs disent que ce fut là pusillanimité tournant à +désespoir et probablement suicide. En cela encore tu as émis une +assertion téméraire et présomptueuse en prétendant avoir rémission de +ton péché et tu penses mal touchant le libre arbitre.</p> + + +<h3>ARTICLE 9.</h3> + +<p>Item, tu as dit que les saintes Catherine et Marguerite promirent de +te conduire en paradis pourvu que tu gardasses la virginité que tu +leur avais vouée et promise, et de cela tu es aussi certaine que si tu +étais déjà dans la gloire des Bienheureux. Tu crois n'avoir pas fait +œuvre de péché mortel. Et il te semble que, si tu étais en état de +péché mortel, les saintes ne te visiteraient pas quotidiennement, +comme elles font.</p> + +<p>Quant à cela, les clercs disent que c'est une assertion présomptueuse +et téméraire, un mensonge pernicieux; qu'il y a là contradiction avec +ce que tu avais dit précédemment, et qu'enfin tu penses mal touchant +la foi chrétienne.</p> + + +<h3>ARTICLE 10.</h3> + +<p>Item, tu as dit que tu savais bien que Dieu aime plus que toi +certaines personnes vivantes, et que cela <span class="pagenum"><a id="page352" name="page352"></a>(p. 352)</span> tu l'as appris par +révélation des saintes Catherine et Marguerite; aussi, que ces saintes +parlent français, non anglais, puisqu'elles ne sont pas du parti des +Anglais. Et quand tu as su que tes Voix étaient pour ton roi, tu n'as +plus aimé les Bourguignons.</p> + +<p>Quant à cela, les clercs disent que c'est une téméraire et +présomptueuse assertion, une divination superstitieuse, un blasphème +contre les saintes Catherine et Marguerite, et une transgression du +précepte de l'amour du prochain.</p> + + +<h3>ARTICLE 11.</h3> + +<p>Item, tu as dit que, à ceux que tu appelles saint Michel et les +saintes Catherine et Marguerite, tu as fait plusieurs révérences, +fléchissant le genou, tirant ton chaperon, baisant la terre où ils +marchaient, leur vouant ta virginité; que ces saintes, tu les avais +baisées et embrassées et invoquées, qu'aussi tu as cru à leurs +enseignements du moment qu'elles sont venues à toi, sans demander +conseil à ton curé ou à quelque autre homme d'Église. Et néanmoins tu +crois que ces Voix viennent de Dieu aussi fermement que tu crois en la +foi chrétienne, et que Notre-Seigneur Jésus-Christ a souffert passion. +Tu as dit en outre que si quelque mauvais esprit t'apparaissait sous +la figure de saint Michel, tu saurais bien le connaître et le +discerner. Tu as dit encore que, de ton propre mouvement, tu as juré +de ne point dire le signe que tu avais donné à <span class="pagenum"><a id="page353" name="page353"></a>(p. 353)</span> ton roi. Et +finalement tu as ajouté: «Si ce n'est sur l'ordre de Dieu.»</p> + +<p>Quant à cela, les clercs disent que, à supposer que tu aies eu les +révélations et apparitions dont tu te vantes, de la manière que tu as +dit, tu es idolâtre, invocatrice des démons, errant en matière de foi, +téméraire en tes assertions et que tu as fait un serment illicite.</p> + + +<h3>ARTICLE 12.</h3> + +<p>Item, tu as dit que, si l'Église voulait que tu fisses le contraire +des ordres que tu dis avoir reçus de Dieu, tu ne le ferais pour quoi +que ce fût; que tu sais bien que tout ce qui est contenu dans ton +procès vient des ordres de Dieu et qu'il t'était impossible de faire +le contraire. Relativement à ces faits, tu ne veux pas te rapporter au +jugement de l'Église qui est sur la terre, ni d'homme vivant, mais à +Dieu seul. Et tu as dit en outre que cette réponse, tu ne la faisais +pas de ta tête, mais sur le commandement de Dieu, bien que cet article +de foi: <i>Unam sanctam Ecclesiam catholicam</i>, t'ait été plusieurs fois +déclaré et que tout chrétien doive soumettre tous ses dits et faits à +l'Église militante, principalement dans le fait de révélations et +choses telles.</p> + +<p>Quant à cela, les clercs disent que tu es schismatique, mal pensante +sur l'unité et l'autorité de l'Église, apostate et opiniâtrement +errante en matière de foi<a id="footnotetag825" name="footnotetag825"></a><a href="#footnote825" title="Lien vers la note 825"><span class="smaller">[825]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page354" name="page354"></a>(p. 354)</span> Ayant achevé cette lecture, maître Pierre Maurice, sur +l'invitation de l'évêque, exhorta Jeanne. Il avait été recteur de +l'Université de Paris en 1428<a id="footnotetag826" name="footnotetag826"></a><a href="#footnote826" title="Lien vers la note 826"><span class="smaller">[826]</span></a>. On l'estimait comme orateur; +c'était lui qui, le 5 juin 1430, avait harangué, au nom du chapitre, +le roi Henri VI, lors de son entrée à Rouen. Il se distinguait, ce +semble, par quelque connaissance et quelque goût des lettres antiques, +et possédait de précieux manuscrits, au nombre desquels se trouvaient +les comédies de Térence et l'<i>Énéide</i> de Virgile<a id="footnotetag827" name="footnotetag827"></a><a href="#footnote827" title="Lien vers la note 827"><span class="smaller">[827]</span></a>.</p> + +<p>Cet insigne docteur invita Jeanne, en termes d'une simplicité +calculée, à réfléchir aux suites de ses dires et de ses actes et +l'exhorta tendrement à se soumettre à l'Église. Après l'absinthe il +lui offrit le miel; il lui tint des propos doux et familiers. Il entra +avec une singulière adresse dans les goûts et les sentiments qui +emplissaient le cœur de cette jeune fille. La voyant toute pleine +de chevalerie et si loyale à Charles qu'elle avait fait sacrer, c'est +par des comparaisons tirées de la vie militaire et seigneuriale qu'il +essaya de lui faire comprendre qu'elle devait en croire l'Église +militante plutôt que ses Voix et ses apparitions.</p> + +<p>—Si votre roi, lui dit-il, vous avait confié la garde d'une +forteresse, en vous défendant d'y laisser entrer personne, n'est-il +pas vrai que vous refuseriez de recevoir quiconque s'y présenterait de +sa part sans montrer <span class="pagenum"><a id="page355" name="page355"></a>(p. 355)</span> de lettres ou quelque autre signe. De +même, lorsque Notre-Seigneur Jésus-Christ, s'élevant au ciel, commit +au bienheureux apôtre Pierre et à ses successeurs le gouvernement de +son Église, il leur défendit de faire accueil à ceux qui prétendraient +venir en son nom, sans en apporter la preuve.</p> + +<p>Et pour lui rendre sensible quelle faute c'était de désobéir à +l'Église, il lui rappela le temps où elle faisait la guerre et prit +pour exemple un chevalier désobéissant à son roi:</p> + +<p>—Lorsque vous étiez dans le domaine de votre roi, lui dit-il, si un +chevalier ou tout autre, placé sous son obéissance, s'était levé +disant: «Je n'obéirai pas au roi; je ne me soumettrai ni à lui ni à +ses officiers», n'auriez-vous pas dit: «Voilà un homme qui doit être +condamné»? Que dites-vous donc de vous qui, engendrée dans la foi du +Christ, devenue par le baptême la fille de l'Église et l'épouse du +Christ, n'obéissez pas aux officiers du Christ, c'est-à-dire aux +prélats de l'Église<a id="footnotetag828" name="footnotetag828"></a><a href="#footnote828" title="Lien vers la note 828"><span class="smaller">[828]</span></a>?</p> + +<p>Maître Pierre Maurice s'efforçait ainsi de se faire comprendre de +Jeanne. Il n'y réussit pas; toutes les raisons et toute l'éloquence du +monde se seraient brisées contre le cœur de cette enfant. Après que +maître Pierre eut parlé, Jeanne, interrogée si elle ne se croyait pas +tenue de soumettre ses dits et faits à l'Église, répondit:</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page356" name="page356"></a>(p. 356)</span> —La manière que j'ai toujours dite et tenue au procès, je la +veux maintenir quant à cela.... Si j'étais en jugement et voyais +allumer les bourrées, et le bourreau prêt de bouter le feu, et moi +étant dans le feu, je n'en dirais autre chose et soutiendrais ce que +j'ai dit au procès jusqu'à la mort.</p> + +<p>Sur ces paroles, l'évêque déclara les débats clos et remit au +lendemain le prononcé de la sentence<a id="footnotetag829" name="footnotetag829"></a><a href="#footnote829" title="Lien vers la note 829"><span class="smaller">[829]</span></a>.</p> + +<p>Le lendemain, jeudi après la Pentecôte, 24 mai, Jeanne fut visitée de +bon matin, en sa prison, par maître Jean Beaupère qui l'avertit +qu'elle serait tantôt conduite à l'échafaud pour être prêchée.</p> + +<p>—Si vous êtes bonne chrétienne, fit-il, vous direz que vous soumettez +tous vos faits et dits à notre sainte mère l'Église et spécialement +aux juges ecclésiastiques.</p> + +<p>Maître Jean Beaupère crut entendre qu'elle répondit:</p> + +<p>—Ainsi ferai-je<a id="footnotetag830" name="footnotetag830"></a><a href="#footnote830" title="Lien vers la note 830"><span class="smaller">[830]</span></a>.</p> + +<p>Si telle fut sa réponse, c'est qu'elle avait été brisée par une nuit +d'angoisse, et que sa chair se troublait à la pensée de mourir par le +feu.</p> + +<p>Au moment du départ, comme elle était debout près d'une porte, maître +Nicolas Loiseleur lui donna les mêmes avis et, pour la mieux engager à +les suivre, il lui fit une fausse promesse:</p> + +<p>—Jeanne, croyez-moi, dit-il. Il ne tient qu'à vous <span class="pagenum"><a id="page357" name="page357"></a>(p. 357)</span> d'être +sauvée. Prenez l'habit de votre sexe et faites ce qu'on décidera. +Autrement vous êtes en péril de mort. Si vous faites ce que je vous +dis, il vous en arrivera tout bien et aucun mal. Vous serez mise entre +les mains de l'Église<a id="footnotetag831" name="footnotetag831"></a><a href="#footnote831" title="Lien vers la note 831"><span class="smaller">[831]</span></a>.</p> + +<p>On la mena en charrette, sous escorte, dans le quartier de la ville +nommé Bourg-l'Abbé, qui était au pied du château, et l'on s'arrêta à +trois ou quatre cents tours de roue, dans le cimetière Saint-Ouen, dit +aussi les <i>aîtres Saint-Ouen</i>, où chaque année, à la fête du patron de +l'abbaye, se tenait une foire très fréquentée<a id="footnotetag832" name="footnotetag832"></a><a href="#footnote832" title="Lien vers la note 832"><span class="smaller">[832]</span></a>. C'est là que +Jeanne devait être prêchée, comme tant d'autres malheureuses l'avaient +été avant elle. On donnait de préférence ces spectacles exemplaires +dans les lieux où le peuple y pût assister en foule. Une église +paroissiale s'élevait depuis cent ans, au bord de ce vaste charnier +que fermait, au midi, la haute nef de l'abbatiale. Deux échafauds +avaient été dressés<a id="footnotetag833" name="footnotetag833"></a><a href="#footnote833" title="Lien vers la note 833"><span class="smaller">[833]</span></a>, l'un grand et l'autre petit, contre le beau +vaisseau de l'église, à l'ouest du portail qu'on nommait <i>portail des +Marmousets</i>, à cause d'une multitude de petites figures qui y étaient +sculptées<a id="footnotetag834" name="footnotetag834"></a><a href="#footnote834" title="Lien vers la note 834"><span class="smaller">[834]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page358" name="page358"></a>(p. 358)</span> Sur le grand échafaud les deux juges, le seigneur évêque et +le vicaire inquisiteur, prirent place, assistés du révérendissime +cardinal de Winchester, des seigneurs évêques de Thérouanne, de Noyon +et de Norwich, des seigneurs abbés de Fécamp, de Jumièges, du Bec, de +Cormeilles, du Mont-Saint-Michel-au-péril-de-la-mer, de Mortemart, de +Préaux et de Saint-Ouen de Rouen, où se faisait l'assemblée, des +prieurs de Longueville et de Saint-Lô, ainsi que d'une foule de +docteurs et de bacheliers en théologie, de docteurs et de licenciés en +l'un et l'autre droit<a id="footnotetag835" name="footnotetag835"></a><a href="#footnote835" title="Lien vers la note 835"><span class="smaller">[835]</span></a>; et il se trouvait là encore beaucoup de +personnages considérables du parti des Anglais. L'autre échafaud était +une sorte d'ambon, où monta le docteur qui devait prêcher Jeanne, +selon l'usage de la sainte inquisition. C'était maître Guillaume +Erard, docteur en théologie, chanoine des églises de Langres et de +Beauvais<a id="footnotetag836" name="footnotetag836"></a><a href="#footnote836" title="Lien vers la note 836"><span class="smaller">[836]</span></a>. Très pressé, pour l'heure, d'aller en Flandre où il +était attendu, il confia à frère Jean de Lenisoles, son jeune +serviteur, que cette prédication lui causait grand déplaisir. «Je +voudrais bien être en Flandre, disait-il. Cette affaire m'est fort +désagréable<a id="footnotetag837" name="footnotetag837"></a><a href="#footnote837" title="Lien vers la note 837"><span class="smaller">[837]</span></a>.»</p> + +<p>Il y avait pourtant un endroit par lequel elle devait lui agréer, +puisqu'elle lui donnait lieu d'attaquer le roi <span class="pagenum"><a id="page359" name="page359"></a>(p. 359)</span> de France, +Charles VII, et de montrer de la sorte son dévouement aux Anglais; car +il leur était fort attaché.</p> + +<p>On fit paraître à côté de lui, devant le peuple, Jeanne en habit +d'homme<a id="footnotetag838" name="footnotetag838"></a><a href="#footnote838" title="Lien vers la note 838"><span class="smaller">[838]</span></a>.</p> + +<p>Maître Guillaume Erard commença son sermon de cette manière:</p> + +<p>«Je prendrai pour thème cette parole de Dieu en Saint-Jean, chapitre +<span class="smcap">XV</span>: «La branche ne peut porter de fruits d'elle-même si elle ne +demeure attachée à la vigne<a id="footnotetag839" name="footnotetag839"></a><a href="#footnote839" title="Lien vers la note 839"><span class="smaller">[839]</span></a>.» C'est ainsi que tous les +catholiques doivent rester attachés à la vraie vigne de notre sainte +mère l'Église, que la main de Notre-Seigneur Jésus-Christ a plantée. +Or, Jeanne que voici, tombant d'erreur en erreur et de crime en crime, +s'est séparée de l'unité de notre sainte mère l'Église et a scandalisé +en mille manières le peuple chrétien.»</p> + +<p>Puis il lui reprocha d'avoir beaucoup failli, d'avoir péché contre la +Majesté royale, et contre Dieu et la foi catholique, toutes choses +dont elle devait désormais se garder sous peine d'être brûlée.</p> + +<p>Il s'éleva véhémentement contre l'orgueil de cette femme; il dit qu'il +n'y avait jamais eu en France de monstre comme celui qui s'était +manifesté en Jeanne; qu'elle était sorcière, hérétique, schismatique, +et que le roi, qui la protégeait, encourait les mêmes reproches, du +<span class="pagenum"><a id="page360" name="page360"></a>(p. 360)</span> moment qu'il voulait recouvrer son trône par le moyen d'une +semblable hérétique<a id="footnotetag840" name="footnotetag840"></a><a href="#footnote840" title="Lien vers la note 840"><span class="smaller">[840]</span></a>.</p> + +<p>Vers le milieu de son sermon, il commença à s'écrier à haute voix:</p> + +<p>—Ah! tu es bien abusée, noble maison de France, toi qui as été la +maison très chrétienne! Charles, qui se dit roi et de toi gouverneur, +a adhéré, comme hérétique et schismatique, aux paroles et actes d'une +femme malfaisante, diffamée et de tout déshonneur pleine. Et non pas +lui seulement, mais tout le clergé de son obéissance et seigneurie par +lequel cette femme, suivant son dire, a été examinée et n'a point été +reprise. C'est grande pitié<a id="footnotetag841" name="footnotetag841"></a><a href="#footnote841" title="Lien vers la note 841"><span class="smaller">[841]</span></a>!</p> + +<p>Maître Guillaume répéta deux ou trois fois les mêmes propos sur le roi +Charles. Puis, s'adressant à Jeanne, il dit en levant le doigt:</p> + +<p>—C'est à vous, Jeanne, que je parle; et je vous dis que votre roi est +hérétique et schismatique.</p> + +<p>Ces paroles offensaient cruellement Jeanne en son amour pour les lis +de France et pour le roi Charles. Il se fit en elle un grand émoi, et +elle entendit ses Voix qui lui disaient:</p> + +<p>—Réponds hardiment à ce prêcheur qui te prêche<a id="footnotetag842" name="footnotetag842"></a><a href="#footnote842" title="Lien vers la note 842"><span class="smaller">[842]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page361" name="page361"></a>(p. 361)</span> Leur obéissant de bon cœur, elle interrompit maître +Guillaume:</p> + +<p>—Par ma foi, messire, lui dit-elle, révérence gardée, je vous ose +bien dire et jurer, sous peine de ma vie, que c'est le plus noble +chrétien de tous les chrétiens, et qui le mieux aime la foi et +l'Église, et n'est point tel que vous dites<a id="footnotetag843" name="footnotetag843"></a><a href="#footnote843" title="Lien vers la note 843"><span class="smaller">[843]</span></a>.</p> + +<p>Maître Guillaume donna ordre à l'huissier Jean Massieu de la faire +taire<a id="footnotetag844" name="footnotetag844"></a><a href="#footnote844" title="Lien vers la note 844"><span class="smaller">[844]</span></a>. Puis il acheva son sermon, et conclut en ces termes:</p> + +<p>—Jeanne, voici messeigneurs les juges qui plusieurs fois vous ont +sommée et requise que vous voulussiez soumettre tous vos faits et dits +à notre sainte mère l'Église. Et en ces dits et faits étaient +plusieurs choses, lesquelles, comme il semblait aux clercs, n'étaient +bonnes à dire et à soutenir<a id="footnotetag845" name="footnotetag845"></a><a href="#footnote845" title="Lien vers la note 845"><span class="smaller">[845]</span></a>.</p> + +<p>—Je vous répondrai, fit Jeanne.</p> + +<p>Sur l'article de la soumission à l'Église, elle rappela qu'elle avait +demandé que toutes les œuvres qu'elle avait faites et ses dits +fussent envoyés à Rome devers notre Saint-Père le Pape, auquel, Dieu +premier, elle se rapportait.</p> + +<p>Elle ajouta:</p> + +<p>—Et quant aux dits et faits que j'ai faits, je les ai faits de par +Dieu<a id="footnotetag846" name="footnotetag846"></a><a href="#footnote846" title="Lien vers la note 846"><span class="smaller">[846]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page362" name="page362"></a>(p. 362)</span> Et elle déclara qu'elle n'entendait pas qu'on envoyât son +procès au Pape, pour l'en faire juge.</p> + +<p>—Je ne veux pas, dit-elle, que la chose se passe ainsi. Je ne sais +pas ce que vous mettriez dans le procès. Je veux être menée au Pape et +qu'il m'interroge<a id="footnotetag847" name="footnotetag847"></a><a href="#footnote847" title="Lien vers la note 847"><span class="smaller">[847]</span></a>.</p> + +<p>On la poussait à charger son roi. On y perdit sa peine.</p> + +<p>—De mes faits et dits je ne charge personne quelconque, ni mon roi ni +autre. Et, s'il y a quelque faute, c'est à moi et non à autre<a id="footnotetag848" name="footnotetag848"></a><a href="#footnote848" title="Lien vers la note 848"><span class="smaller">[848]</span></a>.</p> + +<p>—Voulez-vous révoquer tous vos dits et faits? Vos faits et dits que +vous avez faits, qui sont réprouvés par les clercs, voulez-vous les +révoquer?</p> + +<p>—Je m'en rapporte à Dieu et à notre Saint-Père le Pape.</p> + +<p>—Mais cela ne suffit pas. On ne peut aller quérir notre Saint-Père si +loin. Les ordinaires sont juges chacun en son diocèse. Ainsi, il est +besoin que vous vous en rapportiez à notre mère sainte Église, et que +vous teniez pour vrai ce que les clercs et les gens qui s'y +connaissent disent et ont déterminé au sujet de vos dits et +faits<a id="footnotetag849" name="footnotetag849"></a><a href="#footnote849" title="Lien vers la note 849"><span class="smaller">[849]</span></a>.</p> + +<p>Admonestée jusqu'à la troisième monition, Jeanne refusa +d'abjurer<a id="footnotetag850" name="footnotetag850"></a><a href="#footnote850" title="Lien vers la note 850"><span class="smaller">[850]</span></a>. Elle attendait avec confiance la délivrance <span class="pagenum"><a id="page363" name="page363"></a>(p. 363)</span> +promise par ses Voix, certaine que tout à coup viendraient des hommes +d'armes de France et que, dans un grand tumulte de gens de guerre et +d'anges, elle serait enlevée. C'est pour cela qu'elle avait tant voulu +garder son habit d'homme.</p> + +<p>Deux sentences avaient été préparées, l'une pour le cas où la coupable +abjurerait son erreur, l'autre pour le cas où elle y persévérerait. La +première relevait Jeanne de l'excommunication; par la seconde, le +tribunal, déclarant qu'il ne pouvait plus rien pour elle, +l'abandonnait au bras séculier. Le seigneur évêque les avait toutes +deux sur lui<a id="footnotetag851" name="footnotetag851"></a><a href="#footnote851" title="Lien vers la note 851"><span class="smaller">[851]</span></a>.</p> + +<p>Il prit la seconde et commença de lire.</p> + +<p>«Au nom du Seigneur, ainsi soit-il. Tous les pasteurs de l'Église qui +ont à cœur de prendre un soin fidèle de leur troupeau...»</p> + +<p>Pendant cette lecture, les clercs qui se tenaient autour de Jeanne la +pressaient d'abjurer tandis qu'il en était temps encore. Maître +Nicolas Loiseleur l'exhortait à faire ce qu'il lui avait recommandé et +à prendre un habit de femme.</p> + +<p>Maître Guillaume Erard lui disait:</p> + +<p>Faites ce qu'on vous conseille et vous serez délivrée de prison<a id="footnotetag852" name="footnotetag852"></a><a href="#footnote852" title="Lien vers la note 852"><span class="smaller">[852]</span></a>.</p> + +<p>Les Voix montaient vers elle, instantes.</p> + +<p>—Jeanne, nous avons si grande pitié de vous! Il <span class="pagenum"><a id="page364" name="page364"></a>(p. 364)</span> faut que +vous révoquiez ce que vous avez dit ou que nous vous abandonnions à la +justice séculière.... Jeanne, faites ce qu'on vous conseille. +Voulez-vous vous faire mourir<a id="footnotetag853" name="footnotetag853"></a><a href="#footnote853" title="Lien vers la note 853"><span class="smaller">[853]</span></a>?</p> + +<p>La sentence était longue; le seigneur évêque la lisait lentement:</p> + +<p class="lspaced1">..........................</p> + +<p>«Nous, juges, ayant devant les yeux le Christ et l'honneur de la foi +orthodoxe, afin que notre jugement émane de la face du Seigneur, nous +disons et décrétons que tu as été mensongère, inventrice de +révélations et apparitions prétendues divines; séductrice, +pernicieuse, présomptueuse, légère en ta foi, téméraire, +superstitieuse, devineresse, blasphématrice envers Dieu, les saints et +les saintes; contemptrice de Dieu même dans ses sacrements, +prévaricatrice de la loi divine, de la doctrine sacrée et des +sanctions ecclésiastiques, séditieuse, cruelle, apostate, +schismatique, engagée en mille erreurs contre notre foi, et à toutes +ces enseignes, témérairement coupable envers Dieu et la sainte +Église<a id="footnotetag854" name="footnotetag854"></a><a href="#footnote854" title="Lien vers la note 854"><span class="smaller">[854]</span></a>.»</p> + +<p class="lspaced1">..........................</p> + +<p>Le temps s'écoulait. Le seigneur évêque avait déjà lu la plus grande +partie de la sentence<a id="footnotetag855" name="footnotetag855"></a><a href="#footnote855" title="Lien vers la note 855"><span class="smaller">[855]</span></a>. Le bourreau était là, tout prêt à emmener +la condamnée dans sa charrette<a id="footnotetag856" name="footnotetag856"></a><a href="#footnote856" title="Lien vers la note 856"><span class="smaller">[856]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page365" name="page365"></a>(p. 365)</span> Jeanne cria, les mains jointes, qu'elle voulait bien obéir à +l'Église<a id="footnotetag857" name="footnotetag857"></a><a href="#footnote857" title="Lien vers la note 857"><span class="smaller">[857]</span></a>.</p> + +<p>Le juge interrompit la lecture de la sentence.</p> + +<p>À ce moment, une rumeur courut dans la foule composée en grande partie +d'hommes d'armes anglais et d'officiers du roi Henri. Ignorants des +usages de l'inquisition qui n'avait point été admise dans leur pays, +ces Godons ne comprenaient rien à ce qui se passait, sinon que la +sorcière était sauve; et comme ils estimaient la mort de Jeanne +nécessaire à l'Angleterre, ils s'indignaient des étranges façons +d'agir du seigneur évêque et des docteurs. Ce n'était point ainsi que, +dans leur île, on en usait avec les sorcières; on les brûlait sans +miséricorde, et tôt. Des murmures irrités s'élevèrent; quelques +pierres furent lancées aux clercs du procès<a id="footnotetag858" name="footnotetag858"></a><a href="#footnote858" title="Lien vers la note 858"><span class="smaller">[858]</span></a>; maître Pierre +Maurice, qui mettait un grand zèle à affermir Jeanne dans ses bons +propos, fut menacé, et peu s'en fallut que des coués ne lui fissent un +mauvais parti<a id="footnotetag859" name="footnotetag859"></a><a href="#footnote859" title="Lien vers la note 859"><span class="smaller">[859]</span></a>; maître Jean Beaupère et les délégués de +l'Université de Paris reçurent leur part d'outrages; on les accusait +de favoriser les erreurs de Jeanne<a id="footnotetag860" name="footnotetag860"></a><a href="#footnote860" title="Lien vers la note 860"><span class="smaller">[860]</span></a>. Qui savait mieux qu'eux +l'injustice de ces reproches?</p> + +<p>Quelques-uns des hauts personnages assis sur l'estrade à côté des +juges se plaignirent au seigneur <span class="pagenum"><a id="page366" name="page366"></a>(p. 366)</span> évêque de ce qu'il n'allait +pas au bout de la sentence et admettait Jeanne à résipiscence.</p> + +<p>Même il fut injurieusement traité, car on l'entendit qui s'écriait:</p> + +<p>—Vous me le payerez.</p> + +<p>Il menaçait de suspendre le procès.</p> + +<p>—Je viens d'être insulté, disait-il. Je ne procéderai pas plus avant +jusqu'à ce qu'il m'ait été fait amende honorable<a id="footnotetag861" name="footnotetag861"></a><a href="#footnote861" title="Lien vers la note 861"><span class="smaller">[861]</span></a>.</p> + +<p>Dans le tumulte, maître Guillaume Erard, dépliant une feuille de +papier double, lut à Jeanne la cédule d'abjuration libellée au moment +où l'on avait recueilli l'opinion des maîtres. Elle n'était pas plus +longue qu'un <i>Pater</i>, et comprenait six à sept lignes d'écriture. +Rédigée en français, elle commençait par ces mots: «Je, Jeanne...» La +Pucelle s'y soumettait à la détermination, au jugement et aux +commandements de l'Église; reconnaissait avoir commis le crime de +lèse-majesté et séduit le peuple. Elle s'engageait à ne plus porter +les armes ni l'habit d'homme, ni les cheveux taillés en rond<a id="footnotetag862" name="footnotetag862"></a><a href="#footnote862" title="Lien vers la note 862"><span class="smaller">[862]</span></a>.</p> + +<p>Quand maître Guillaume eut lu la cédule, Jeanne déclara qu'elle ne +comprenait pas ce qu'il voulait dire et que là-dessus elle avait +besoin d'être avisée<a id="footnotetag863" name="footnotetag863"></a><a href="#footnote863" title="Lien vers la note 863"><span class="smaller">[863]</span></a>. On l'entendit <span class="pagenum"><a id="page367" name="page367"></a>(p. 367)</span> qui demandait +conseil à saint Michel<a id="footnotetag864" name="footnotetag864"></a><a href="#footnote864" title="Lien vers la note 864"><span class="smaller">[864]</span></a>. Elle croyait encore fidèlement à ses +Voix, qui pourtant ne l'avaient point aidée en cette cruelle +nécessité, et qui ne lui épargnaient pas la honte de les renier, car, +si simple qu'elle était, elle savait bien au fond ce que les clercs +lui demandaient et qu'ils ne la laisseraient pas aller sans avoir +obtenu d'elle un grand renoncement. Et ce qu'elle en disait n'était +plus que pour gagner du temps et parce que, ayant peur de la mort, +cependant elle ne pouvait se résoudre à mentir.</p> + +<p>Sans perdre un instant, maître Guillaume dit à messire Jean Massieu +l'huissier:</p> + +<p>—Conseillez-la pour cette abjuration.</p> + +<p>Et il lui passa la cédule.</p> + +<p>Messire Jean Massieu s'excusa d'abord; puis il avertit Jeanne du péril +où elle se mettrait par son refus.</p> + +<p>—Comprenez bien, lui dit-il, que, si vous allez à rencontre d'aucuns +de ces articles, vous serez brûlée. Je vous conseille de vous en +rapporter à l'Église universelle si vous devez abjurer ces articles ou +non.</p> + +<p>Maître Guillaume Erard demanda à Jean Massieu:</p> + +<p>—Eh bien, que lui dites-vous?</p> + +<p>Jean Massieu répondit:</p> + +<p>—Je fais connaître à Jeanne le texte de la cédule et je l'invite à +signer. Mais elle déclare qu'elle ne saurait.</p> + +<p>À ce moment Jeanne, qu'on pressait toujours de signer, dit à haute +voix:</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page368" name="page368"></a>(p. 368)</span> —Je veux que l'Église délibère sur les articles. Je m'en +rapporte à l'Église universelle si je les dois abjurer ou non. Que la +cédule soit lue par l'Église et par les clercs aux mains desquels je +dois être placée. Si leur avis est que je doive la signer et faire ce +qui m'est dit, je le ferai volontiers.</p> + +<p>Maître Guillaume Erard répliqua vivement:</p> + +<p>—Faites-le maintenant, sinon vous serez brûlée aujourd'hui même.</p> + +<p>Et il défendit à Jean Massieu de conférer davantage avec elle.</p> + +<p>Jeanne dit alors qu'elle aimait mieux signer que d'être brûlée<a id="footnotetag865" name="footnotetag865"></a><a href="#footnote865" title="Lien vers la note 865"><span class="smaller">[865]</span></a>.</p> + +<p>Tout de suite, messire Jean Massieu lui donna une seconde lecture de +la cédule. Elle répétait les mots à mesure que l'huissier les +prononçait<a id="footnotetag866" name="footnotetag866"></a><a href="#footnote866" title="Lien vers la note 866"><span class="smaller">[866]</span></a>. Soit qu'il passât sur sa face contractée par des +émotions violentes une sorte de ricanement, soit que sa raison, +sujette de tous temps à des troubles étranges, eût sombré dans les +affres et les tortures d'un procès d'Église et qu'elle ressentît +vraiment, après tant de douleurs, les lugubres joies de la folie; soit +que, au contraire, en son bon sens et d'esprit rassis, elle se moquât +des clercs de Rouen, comme elle en était bien capable après s'être +moquée des clercs de Poitiers, elle avait l'air de plaisanter et l'on +remarquait dans l'assistance <span class="pagenum"><a id="page369" name="page369"></a>(p. 369)</span> qu'elle prononçait en riant les +mots de son abjuration<a id="footnotetag867" name="footnotetag867"></a><a href="#footnote867" title="Lien vers la note 867"><span class="smaller">[867]</span></a>. Parmi ces bourgeois, ces prêtres, ces +artisans et ces hommes d'armes qui voulaient sa mort, sa gaieté +apparente ou réelle excita des colères. Force gens disaient: «C'est +une pure trufferie. Jeanne n'a fait que se moquer<a id="footnotetag868" name="footnotetag868"></a><a href="#footnote868" title="Lien vers la note 868"><span class="smaller">[868]</span></a>.»</p> + +<p>Maître Laurent Calot, secrétaire du roi d'Angleterre, se montrait des +plus agités. On le voyait à la fois près des juges et près de +l'accusée, très violent. Un seigneur de Picardie qui se trouvait là, +celui-là même qui dans le château de Beaurevoir avait essayé des +mignardises avec la prisonnière, crut remarquer que cet Anglais +faisait signer de force un papier à Jeanne<a id="footnotetag869" name="footnotetag869"></a><a href="#footnote869" title="Lien vers la note 869"><span class="smaller">[869]</span></a>. Il se trompait; il y +a toujours dans les foules des gens pour voir les choses de travers: +l'évêque n'eût rien souffert de pareil; il était à la dévotion du +Régent, mais sur les formes il ne cédait point. Cependant, sous une +tempête d'injures, sous une grêle de pierres, dans le cliquetis des +épées, les insignes maîtres, les illustres docteurs pâlissaient. Le +prieur de Longueville guettait le moment de s'excuser auprès de +monseigneur le cardinal de Winchester<a id="footnotetag870" name="footnotetag870"></a><a href="#footnote870" title="Lien vers la note 870"><span class="smaller">[870]</span></a>.</p> + +<p>Un chapelain du cardinal interpella vivement, sur l'estrade, le +seigneur évêque.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page370" name="page370"></a>(p. 370)</span> —Vous faites mal d'accepter une abjuration pareille, c'est +une dérision.</p> + +<p>—Vous mentez, répliqua messire Pierre. Juge en cause de foi, je dois +plutôt chercher le salut de cette femme que sa mort.</p> + +<p>Le cardinal fit taire son chapelain<a id="footnotetag871" name="footnotetag871"></a><a href="#footnote871" title="Lien vers la note 871"><span class="smaller">[871]</span></a>.</p> + +<p>On rapporte que le comte de Warwick, s'avançant vers les juges, se +plaignit à eux de ce qu'ils avaient fait et ajouta:</p> + +<p>—Le roi est mal servi, puisque Jeanne échappe.</p> + +<p>Et l'on assure que l'un d'eux répondit:</p> + +<p>—Messire, n'ayez cure; nous la rattraperons bien<a id="footnotetag872" name="footnotetag872"></a><a href="#footnote872" title="Lien vers la note 872"><span class="smaller">[872]</span></a>.</p> + +<p>Il est peu croyable qu'il s'en soit trouvé un seul pour le dire; mais, +sans doute, plusieurs, dès ce moment, le pensaient.</p> + +<p>Quel mépris devait éprouver l'évêque de Beauvais pour ces esprits +obtus, incapables de comprendre le service qu'il rendait à la vieille +Angleterre en obligeant cette fille à reconnaître que tout ce qu'elle +avait déclaré et soutenu à l'honneur de son roi n'était que mensonge +et illusion.</p> + +<p>Avec une plume que Massieu lui tendit, Jeanne fit une croix au bas de +la cédule<a id="footnotetag873" name="footnotetag873"></a><a href="#footnote873" title="Lien vers la note 873"><span class="smaller">[873]</span></a>.</p> + +<p>Monseigneur de Beauvais lut, au milieu des grognements et des +jurements des Anglais, la sentence la <span class="pagenum"><a id="page371" name="page371"></a>(p. 371)</span> plus miséricordieuse. +Par cette sentence, Jeanne était relevée de l'excommunication, +réconciliée avec notre sainte mère l'Église<a id="footnotetag874" name="footnotetag874"></a><a href="#footnote874" title="Lien vers la note 874"><span class="smaller">[874]</span></a>.</p> + +<p>De plus la sentence portait:</p> + +<p class="lspaced1">..........................</p> + +<p>«... Parce que tu as péché témérairement envers Dieu et envers la +sainte Église, nous, juges, pour que tu fasses une pénitence +salutaire, notre clémence et notre modération étant sauves, nous te +condamnons finalement et définitivement à la prison perpétuelle, avec +le pain de douleur et l'eau d'angoisse, de telle sorte que là tu +pleures tes fautes et n'en commettes plus qui soient à pleurer<a id="footnotetag875" name="footnotetag875"></a><a href="#footnote875" title="Lien vers la note 875"><span class="smaller">[875]</span></a>.»</p> + +<p class="lspaced1">..........................</p> + +<p>Cette peine, comme toutes les autres peines, excepté la mort et la +mutilation des membres, était dans les pouvoirs des juges d'Église et +ils la prononçaient si fréquemment que, dans les premiers temps de la +sainte inquisition, les pères du concile de Narbonne disaient que les +pierres et le mortier allaient manquer avec l'argent<a id="footnotetag876" name="footnotetag876"></a><a href="#footnote876" title="Lien vers la note 876"><span class="smaller">[876]</span></a>. C'était une +peine, sans doute, mais une peine qui différait par son caractère et +sa signification des peines infligées par la justice laïque; c'était +une pénitence. Selon la justice ecclésiastique, toute miséricordieuse, +la prison était un lieu favorable où le condamné <span class="pagenum"><a id="page372" name="page372"></a>(p. 372)</span> faisait, en +mangeant le pain de douleur et en buvant l'eau de tribulation, une +pénitence perpétuelle. Insensé celui qui, refusant d'y entrer ou s'en +échappant, rejetait cette médecine salutaire! Il s'évadait ainsi du +doux tribunal de la pénitence, et l'Église, avec tristesse, le +retranchait de la communion des fidèles. En prononçant cette peine, +qu'un bon catholique devait nommer plutôt un bien, monseigneur +l'évêque et monseigneur le sacré vicaire de l'inquisition se +conformaient à l'usage de notre sainte mère l'Église dans sa +réconciliation avec les hérétiques. Mais étaient-ils en état de faire +exécuter leur sentence? La prison à laquelle ils avaient condamné +Jeanne, la prison expiatoire, l'emmurement salutaire, c'était la +chartre d'église, les cachots de l'officialité. Pouvaient-ils l'y +placer?</p> + +<p>Jeanne, se tournant vers eux, leur dit:</p> + +<p>—Or ça, entre vous gens d'Église, menez-moi en vos prisons et que je +ne sois plus entre les mains des Anglais<a id="footnotetag877" name="footnotetag877"></a><a href="#footnote877" title="Lien vers la note 877"><span class="smaller">[877]</span></a>.</p> + +<p>Plusieurs de ces clercs le lui avaient promis<a id="footnotetag878" name="footnotetag878"></a><a href="#footnote878" title="Lien vers la note 878"><span class="smaller">[878]</span></a>; ils l'avaient +trompée; ils savaient que ce n'était pas possible, les gens du roi +d'Angleterre ayant stipulé de reprendre Jeanne après le procès<a id="footnotetag879" name="footnotetag879"></a><a href="#footnote879" title="Lien vers la note 879"><span class="smaller">[879]</span></a>.</p> + +<p>Le seigneur évêque donna cet ordre:</p> + +<p>—Menez-la où vous l'avez prise<a id="footnotetag880" name="footnotetag880"></a><a href="#footnote880" title="Lien vers la note 880"><span class="smaller">[880]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page373" name="page373"></a>(p. 373)</span> Juge d'Église, il commettait le crime de livrer sa fille +réconciliée, sa fille pénitente, à des laïques parmi lesquels elle ne +pourrait pleurer ses péchés, et qui, en haine de son corps, au mépris +de son âme, la devaient tenter et faire retomber dans sa faute.</p> + +<p>Tandis que Jeanne était ramenée en charrette à la tour sur les champs, +les soldats l'insultaient et leurs chefs les laissaient faire<a id="footnotetag881" name="footnotetag881"></a><a href="#footnote881" title="Lien vers la note 881"><span class="smaller">[881]</span></a>.</p> + +<p>Cependant, le vicaire inquisiteur, assisté de plusieurs docteurs et +maîtres, se rendit dans la prison et exhorta Jeanne charitablement. +Elle promit de mettre des vêtements de femme et se laissa raser la +tête<a id="footnotetag882" name="footnotetag882"></a><a href="#footnote882" title="Lien vers la note 882"><span class="smaller">[882]</span></a>.</p> + +<p>Madame la duchesse de Bedford, sachant que Jeanne était vierge, +veillait à ce qu'elle fût traitée avec respect<a id="footnotetag883" name="footnotetag883"></a><a href="#footnote883" title="Lien vers la note 883"><span class="smaller">[883]</span></a>. Comme naguère les +dames de Luxembourg, elle s'efforçait de lui faire reprendre les +habits de son sexe. Elle lui avait fait faire, par un tailleur nommé +Jeannotin Simon, une robe que Jeanne avait jusque-là refusé de mettre. +Jeannotin apporta le vêtement féminin à la prisonnière qui, cette +fois, ne le refusa pas. En le lui passant, Jeannotin lui prit +doucement le sein. Elle se fâcha et lui donna un soufflet<a id="footnotetag884" name="footnotetag884"></a><a href="#footnote884" title="Lien vers la note 884"><span class="smaller">[884]</span></a>.</p> + +<p>Au surplus, elle consentit à porter la robe donnée par la duchesse.</p> + + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page374" name="page374"></a>(p. 374)</span> CHAPITRE XIV<br> + +<span class="smaller">LA CAUSE DE RELAPSE. — SECONDE SENTENCE. — MORT DE LA PUCELLE.</span></h2> + + +<p>Le dimanche suivant, dimanche de la Trinité, une rumeur court du +château jusqu'aux ruelles où les clercs avaient leurs maisons pointues +dans l'ombre de la cathédrale: «Jeanne a repris l'habit d'homme.» +Aussitôt notaires et assesseurs se rendent à la tour du côté des +champs. Une centaine d'hommes d'armes, qui se trouvaient dans le +bayle, les accueillent par des vociférations et des menaces. Ces +trognes ne comprennent pas encore que les juges ont conduit le procès +à l'honneur de la vieille Angleterre et à la honte des Français, +puisqu'ils ont amené la Pucelle des Armagnacs, pourtant si opiniâtre +dans ses dires, à confesser ses impostures et qu'on sait maintenant, +par le monde, que Charles de Valois fut mené à son sacre par une +hérétique. Mais non! ces brutes n'auront de cesse qu'ils <span class="pagenum"><a id="page375" name="page375"></a>(p. 375)</span> ne +voient brûler une pauvre fille prisonnière, qui leur a fait peur. Ils +traitent les docteurs et maîtres de faux traîtres, de faux conseillers +et d'Armagnacs<a id="footnotetag885" name="footnotetag885"></a><a href="#footnote885" title="Lien vers la note 885"><span class="smaller">[885]</span></a>.</p> + +<p>Maître André Marguerie, bachelier en décrets, archidiacre de +Petit-Caux, conseiller du roi<a id="footnotetag886" name="footnotetag886"></a><a href="#footnote886" title="Lien vers la note 886"><span class="smaller">[886]</span></a>, s'enquiert, dans le bayle, de ce +qui est arrivé. Il s'était montré fort assidu au procès de la Pucelle, +qu'il jugeait une fille très rusée<a id="footnotetag887" name="footnotetag887"></a><a href="#footnote887" title="Lien vers la note 887"><span class="smaller">[887]</span></a>; encore voulait-il apprécier +en connaissance de cause.</p> + +<p>—Ce n'est pas tout que de voir Jeanne vêtue de l'habit d'homme, +dit-il. Il faut en outre connaître les motifs qui le lui ont fait +reprendre.</p> + +<p>Maître André Marguerie était un orateur habile, une des lumières du +concile de Constance; mais, un homme d'armes ayant levé contre lui sa +hache, en lui criant: «Traître, Armagnac!», il ne demanda plus rien et +s'alla mettre au lit, très malade<a id="footnotetag888" name="footnotetag888"></a><a href="#footnote888" title="Lien vers la note 888"><span class="smaller">[888]</span></a>.</p> + +<p>Ces clercs inflexibles, qui tenaient tête aux rois et faisaient la +leçon au pape, craignaient les coups. On ne procéda pas judiciairement +ce jour-là, de peur des horions et par égard pour la solennité du +jour.</p> + +<p>Le lendemain, lundi 28, monseigneur de Beauvais et le vicaire +inquisiteur, accompagnés de plusieurs docteurs et maîtres, se +rendirent au château. Messire <span class="pagenum"><a id="page376" name="page376"></a>(p. 376)</span> Guillaume Manchon, le +greffier, y fut mandé. Sa couardise était telle, qu'il ne se risqua +que sous la conduite d'un homme d'armes du comte de Warwick<a id="footnotetag889" name="footnotetag889"></a><a href="#footnote889" title="Lien vers la note 889"><span class="smaller">[889]</span></a>. Ils +trouvèrent Jeanne vêtue de l'habit d'homme, gippon et robe courte; un +chaperon couvrait sa tête rasée. Elle avait le visage plein de larmes +et défiguré par une horrible douleur<a id="footnotetag890" name="footnotetag890"></a><a href="#footnote890" title="Lien vers la note 890"><span class="smaller">[890]</span></a>.</p> + +<p>On lui demanda quand et pourquoi elle avait repris cet habit.</p> + +<p>Elle répondit:</p> + +<p>—J'ai naguère repris l'habit d'homme et laissé l'habit de femme.</p> + +<p>—Pourquoi l'avez-vous pris et qui vous l'a fait prendre?</p> + +<p>—Je l'ai pris de ma volonté, sans nulle contrainte. J'aime mieux +l'habit d'homme que de femme.</p> + +<p>—Vous aviez promis et juré de ne point reprendre l'habit d'homme.</p> + +<p>—Oncques n'entendis que j'eusse fait serment de ne le point prendre.</p> + +<p>—Pour quelle cause l'avez-vous repris?</p> + +<p>—Pour ce qu'il m'est plus licite de le reprendre et avoir habit +d'homme, étant entre les hommes, que d'avoir habit de femme... Je l'ai +repris pour ce qu'on ne m'a point tenu ce qu'on m'avait promis, c'est +à <span class="pagenum"><a id="page377" name="page377"></a>(p. 377)</span> savoir que j'irais à la messe et recevrais mon Sauveur, et +qu'on me mettrait hors de fers.</p> + +<p>—Avez-vous abjuré mêmement de ne pas reprendre cet habit?</p> + +<p>—J'aime mieux à mourir que d'être aux fers. Mais si on me veut +laisser aller à la messe et ôter hors des fers, et mettre en prison +gracieuse, et que j'aie une femme, je serai bonne et ferai ce que +l'Église voudra.</p> + +<p>—Depuis jeudi n'avez-vous point ouï vos Voix?</p> + +<p>—Oui.</p> + +<p>—Que vous ont-elles dit?</p> + +<p>—Elles m'ont dit que Dieu m'a mandé par saintes Catherine et +Marguerite la grande pitié de la trahison que je consentis en faisant +l'abjuration et révocation pour sauver ma vie, et que je me damnais +pour sauver ma vie. Avant jeudi mes Voix m'avaient dit ce que je +ferais, et ce que je fis ce jour. Mes Voix me dirent, en l'échafaud, +que je répondisse à ce prêcheur hardiment. C'est un faux prêcheur. Il +a dit plusieurs choses que je n'ai point faites. Si je disais que Dieu +ne m'a envoyée, je me damnerais. Vrai est que Dieu m'a envoyée. Mes +Voix m'ont dit depuis que j'avais fait grande mauvaiseté de confesser +que je n'eusse point bien fait. De peur du feu, j'ai dit ce que j'ai +dit<a id="footnotetag891" name="footnotetag891"></a><a href="#footnote891" title="Lien vers la note 891"><span class="smaller">[891]</span></a>.</p> + +<p>Ainsi parla Jeanne, douloureusement. Dès lors que deviennent ces +propos de cloître et de sacristie, ces <span class="pagenum"><a id="page378" name="page378"></a>(p. 378)</span> histoires de viols +rapportés plus tard par un greffier et deux religieux<a id="footnotetag892" name="footnotetag892"></a><a href="#footnote892" title="Lien vers la note 892"><span class="smaller">[892]</span></a>? Et comment +messire Massieu nous fera-t-il croire que Jeanne, ne trouvant pas ses +jupes, qu'on lui avait ôtées, passa des chausses pour aller à la +selle, ne voulant pas se montrer nue devant ses gardiens<a id="footnotetag893" name="footnotetag893"></a><a href="#footnote893" title="Lien vers la note 893"><span class="smaller">[893]</span></a>? La +vérité est tout autre, et c'est Jeanne qui la confesse avec courage et +simplicité. Elle se repentait de son abjuration, comme du plus grand +péché qu'elle eût fait en sa vie, elle ne se pardonnait pas d'avoir +menti de peur de mourir. Ses Voix qui, avant le prêche de Saint-Ouen, +lui avaient prédit qu'elle les renierait, vinrent lui dire «la grande +pitié de sa trahison». Pouvaient-elles parler autrement, puisqu'elles +étaient les voix de son cœur? Et Jeanne pouvait-elle ne pas les +entendre comme elle les avait entendues chaque fois qu'elles lui +avaient conseillé le sacrifice et l'offre d'elle-même? Elle avait +repris l'habit d'homme pour rentrer dans l'obéissance de son Conseil +céleste, parce qu'elle ne voulait pas racheter sa vie en reniant +l'ange et les saintes, et parce qu'enfin, de corps et de consentement, +elle abjurait son abjuration.</p> + +<p>Cela, toutefois, reste à la charge des Anglais, qu'ils lui avaient +laissé ses habits d'homme. Il y aurait eu plus d'humanité à les lui +prendre, puisqu'elle ne pouvait les remettre sans se faire mourir. On +les lui avait enveloppés <span class="pagenum"><a id="page379" name="page379"></a>(p. 379)</span> dans un sac<a id="footnotetag894" name="footnotetag894"></a><a href="#footnote894" title="Lien vers la note 894"><span class="smaller">[894]</span></a>. Et même ses +gardiens peuvent-ils être soupçonnés de l'avoir tentée en lui plaçant +sous les yeux ces hardes auxquelles elle attachait des idées +heureuses. Le peu de bien qu'elle avait en ce monde et jusqu'à sa +pauvre bague de laiton, on lui avait tout ôté; on ne lui laissait que +cet habit, qui était sa mort.</p> + +<p>Cela encore reste à la charge des juges ecclésiastiques, qu'ils ne +devaient pas la condamner à la prison, s'ils prévoyaient qu'ils ne la +pourraient mettre aux prisons d'Église, ni lui ordonner une pénitence +qu'ils savaient qu'ils ne pourraient lui infliger. Cela reste à la +charge de l'évêque de Beauvais et du vice-inquisiteur qu'après avoir, +pour le bien de cette âme pécheresse, prescrit le pain d'amertume et +l'eau d'angoisse, ils ne lui donnèrent ni cette eau ni ce pain, mais +la livrèrent déshonorée à ses cruels ennemis.</p> + +<p>En prononçant ces paroles: «Dieu m'a mandé par saintes Catherine et +Marguerite la grande pitié de la trahison que je consentis», Jeanne +consomma le sacrifice de sa vie<a id="footnotetag895" name="footnotetag895"></a><a href="#footnote895" title="Lien vers la note 895"><span class="smaller">[895]</span></a>.</p> + +<p>L'évêque et l'inquisiteur n'avaient plus qu'à procéder conformément à +la loi. Pourtant l'interrogatoire dura quelques instants encore.</p> + +<p>—Croyez-vous que vos Voix soient sainte Marguerite et sainte +Catherine?</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page380" name="page380"></a>(p. 380)</span> —Oui, et de Dieu.</p> + +<p>—Dites-nous la vérité touchant la couronne.</p> + +<p>—De tout je vous ai dit la vérité au procès, le mieux que j'ai su.</p> + +<p>—En l'échafaud, devant nous juges et autres, devant le peuple, quand +vous avez abjuré, vous avez reconnu que vous vous étiez vantée +mensongèrement que ces Voix étaient celles des saintes Catherine et +Marguerite.</p> + +<p>—Je ne l'entendais point ainsi faire ou dire. Je n'ai point dit ou +entendu révoquer mes apparitions, c'est à savoir que ce fussent +saintes Marguerite et Catherine. Et tout ce que j'ai fait, c'est de +peur du feu et n'ai rien révoqué que ce ne soit contre la vérité. +J'aime mieux faire ma pénitence en une fois, c'est à savoir à mourir, +qu'endurer plus longuement peine en chartre. Je ne fis oncques chose +contre Dieu ou la foi, quelque chose qu'on m'ait fait révoquer. Ce qui +était en la cédule de l'abjuration, je ne l'entendais point. Alors, je +n'en entendais point révoquer quelque chose, à moins qu'il ne plût à +Notre-Seigneur. Si les juges veulent, je reprendrai habit de femme. +Pour le reste, je n'en ferai autre chose<a id="footnotetag896" name="footnotetag896"></a><a href="#footnote896" title="Lien vers la note 896"><span class="smaller">[896]</span></a>.</p> + +<p>Sortant de la prison, monseigneur de Beauvais rencontra le comte de +Warwick en nombreuse compagnie; il lui dit, moitié en anglais moitié +en français: «<i>Farewell</i>. Faites bonne chère.» On veut qu'il ait +<span class="pagenum"><a id="page381" name="page381"></a>(p. 381)</span> ajouté en riant: «C'est fait! Elle est prise<a id="footnotetag897" name="footnotetag897"></a><a href="#footnote897" title="Lien vers la note 897"><span class="smaller">[897]</span></a>.» Tout +cela sans doute était son œuvre, mais il n'est pas sûr qu'il ait +ri.</p> + +<p>Le lendemain, mardi 29, il réunit le tribunal dans la chapelle de +l'archevêché. Les quarante-deux assesseurs présents furent instruits +de ce qui s'était passé la veille et invités à donner leur avis, qui +ne pouvait être douteux<a id="footnotetag898" name="footnotetag898"></a><a href="#footnote898" title="Lien vers la note 898"><span class="smaller">[898]</span></a>. Tout hérétique qui rétractait sa +confession était tenu pour parjure, non seulement impénitent, mais +relaps. Et les relaps étaient abandonnés au bras séculier<a id="footnotetag899" name="footnotetag899"></a><a href="#footnote899" title="Lien vers la note 899"><span class="smaller">[899]</span></a>.</p> + +<p>Maître Nicolas de Venderès, chanoine, archidiacre, opina le premier:</p> + +<p>—Jeanne est et doit être censée hérétique. Il faut la laisser à la +justice séculière<a id="footnotetag900" name="footnotetag900"></a><a href="#footnote900" title="Lien vers la note 900"><span class="smaller">[900]</span></a>.</p> + +<p>Le seigneur abbé de Fécamp s'exprima en ces termes:</p> + +<p>—Jeanne est relapse. Toutefois, il est bon que la cédule, qui lui a +été lue, lui soit relue encore une fois et, qu'en même temps, on lui +rappelle la parole de Dieu. La sentence une fois portée par les juges, +il faudra laisser Jeanne à la justice séculière en la priant d'agir +avec douceur<a id="footnotetag901" name="footnotetag901"></a><a href="#footnote901" title="Lien vers la note 901"><span class="smaller">[901]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page382" name="page382"></a>(p. 382)</span> Cette prière d'agir avec douceur était une clause de style; +si le prévôt de Rouen en avait tenu compte, il aurait été aussitôt +excommunié, sans préjudice des peines temporelles<a id="footnotetag902" name="footnotetag902"></a><a href="#footnote902" title="Lien vers la note 902"><span class="smaller">[902]</span></a>. Toutefois, +quelques conseillers spécifièrent qu'il n'y avait pas lieu à +supplication miséricordieuse, écartant ainsi jusqu'à l'ombre et au +simulacre de la pitié.</p> + +<p>Maître Guillaume Erard et plusieurs autres assesseurs, parmi lesquels +maîtres Marguerie, Loiseleur, Pierre Maurice, frère Martin Ladvenu, +opinèrent comme le seigneur abbé de Fécamp<a id="footnotetag903" name="footnotetag903"></a><a href="#footnote903" title="Lien vers la note 903"><span class="smaller">[903]</span></a>.</p> + +<p>Maître Thomas de Courcelles ajouta qu'il fallait que cette femme fût +encore charitablement admonestée au sujet du salut de son âme.</p> + +<p>Et ce fut aussi l'opinion de frère Isambart de la Pierre<a id="footnotetag904" name="footnotetag904"></a><a href="#footnote904" title="Lien vers la note 904"><span class="smaller">[904]</span></a>.</p> + +<p>Le seigneur évêque, ayant recueilli les avis, conclut qu'il devait +être procédé contre Jeanne comme relapse. En conséquence, il l'assigna +à comparaître le lendemain, 30 mai, sur la place du Vieux-Marché<a id="footnotetag905" name="footnotetag905"></a><a href="#footnote905" title="Lien vers la note 905"><span class="smaller">[905]</span></a>.</p> + +<p class="p2">Ce mercredi 30 mai, dans la matinée, les deux jeunes frères prêcheurs, +bacheliers en théologie, frère Martin Ladvenu et frère Isambart de la +Pierre, se <span class="pagenum"><a id="page383" name="page383"></a>(p. 383)</span> rendirent auprès d'elle, sur l'ordre de +monseigneur de Béarnais. Frère Martin lui annonça qu'elle devait +mourir ce jour-là.</p> + +<p>À l'approche de cette mort cruelle et dans le silence de ses Voix, +elle comprit enfin qu'elle ne serait pas sauvée, et, cruellement +éveillée de son rêve, sentant à la fois la terre et le Ciel lui +manquer, elle tomba dans un profond désespoir.</p> + +<p>—Hélas! s'écria-t-elle, me traitera-t-on aussi horriblement et +cruellement qu'il faille que mon corps net et entier, qui ne fut +jamais corrompu, soit aujourd'hui consumé et réduit en cendres? Ah! +ah! j'aimerais mieux être décapitée sept fois que d'être ainsi brûlée. +Hélas! si j'eusse été en la prison ecclésiastique à laquelle je +m'étais soumise, et que j'eusse été gardée par les gens d'Église, non +par mes ennemis et adversaires, il ne me fût pas si misérablement +arrivé malheur. Oh! j'en appelle devant Dieu, le grand juge, des +grands torts et ingravances qu'on me fait<a id="footnotetag906" name="footnotetag906"></a><a href="#footnote906" title="Lien vers la note 906"><span class="smaller">[906]</span></a>.</p> + +<p>Comme elle se lamentait, les docteurs et maîtres Nicolas de Venderès, +Pierre Maurice et Nicolas Loiseleur entrèrent dans la prison; ils +venaient sur l'ordre de monseigneur de Beauvais. La veille, +trente-neuf conseillers sur quarante-deux, en déclarant que Jeanne +était relapse, avaient ajouté qu'ils estimaient bon de lui remémorer +les termes de sa rétractation<a id="footnotetag907" name="footnotetag907"></a><a href="#footnote907" title="Lien vers la note 907"><span class="smaller">[907]</span></a>. Et, pour déférer <span class="pagenum"><a id="page384" name="page384"></a>(p. 384)</span> aux +vœux de ces clercs, le seigneur évêque avait envoyé quelques +savants docteurs auprès de la relapse et résolu de s'y rendre +lui-même.</p> + +<p>Elle dut subir un dernier interrogatoire.</p> + +<p>—Croyez-vous que vos Voix et apparitions procèdent de bons ou de +mauvais esprits?</p> + +<p>—Je ne sais; je m'en attends à ma mère l'Église<a id="footnotetag908" name="footnotetag908"></a><a href="#footnote908" title="Lien vers la note 908"><span class="smaller">[908]</span></a>.</p> + +<p>Maître Pierre Maurice, qui lisait Térence et Virgile, se sentait de la +pitié pour cette pauvre Pucelle. La veille, il l'avait déclarée +relapse parce que sa science théologique l'y obligeait; et maintenant, +il prenait souci du salut de cette âme en péril, qui ne pouvait être +sauvée qu'en reconnaissant la fausseté de ses Voix.</p> + +<p>—Sont-elles bien réelles? demanda-t-il.</p> + +<p>Elle répondit:</p> + +<p>—Soit bons, soit mauvais, ils me sont apparus.</p> + +<p>Elle affirma qu'elle avait vu de ses yeux, entendu de ses oreilles les +Voix et les apparitions dont on avait parlé au procès.</p> + +<p>Elle les entendait surtout, disait-elle, à l'heure de complies et de +matines, quand sonnaient les cloches<a id="footnotetag909" name="footnotetag909"></a><a href="#footnote909" title="Lien vers la note 909"><span class="smaller">[909]</span></a>.</p> + +<p>Maître Pierre Maurice ne pouvait professer la philosophie +pyrrhonienne, comme un secrétaire de pape; mais il était enclin à +interpréter raisonnablement les <span class="pagenum"><a id="page385" name="page385"></a>(p. 385)</span> phénomènes de la nature, si +l'on en juge par cette observation qu'il fit alors, que souvent, en +écoutant les cloches, on croit entendre des paroles.</p> + +<p>Sans rien dire de précis sur la figure de ses apparitions, Jeanne +expliqua qu'elles lui venaient en grande multitude et toutes petites. +Elle n'y croyait plus, voyant bien qu'elles l'avaient déçue.</p> + +<p>Maître Pierre Maurice lui demanda ce qu'il en était de l'ange qui +avait apporté la couronne.</p> + +<p>Elle répondit qu'il n'y avait jamais eu d'autre couronne que la +couronne promise par elle à son roi, et que l'ange, c'était elle<a id="footnotetag910" name="footnotetag910"></a><a href="#footnote910" title="Lien vers la note 910"><span class="smaller">[910]</span></a>.</p> + +<p>À ce moment, le seigneur évêque de Beauvais et le vicaire inquisiteur +entrèrent dans la prison, accompagnés de maître Thomas de Courcelles +et de maître Jacques Lecamus.</p> + +<p>À la vue du juge qui l'avait mise au point où elle en était, elle +cria:</p> + +<p>—Évêque, je meurs par vous!</p> + +<p>Pour réponse, il lui adressa de pieuses remontrances:</p> + +<p>—Ah! Jeanne, prenez tout en patience, vous mourrez parce que vous +n'avez pas tenu ce que vous nous aviez promis et que vous êtes +retournée à votre premier maléfice<a id="footnotetag911" name="footnotetag911"></a><a href="#footnote911" title="Lien vers la note 911"><span class="smaller">[911]</span></a>. Or, ça, Jeanne, lui +demanda-t-il, vous nous avez toujours dit que vos Voix vous +promettaient votre délivrance, et vous voyez maintenant comment +<span class="pagenum"><a id="page386" name="page386"></a>(p. 386)</span> elles vous ont déçue; dites-nous maintenant la vérité.</p> + +<p>Elle répondit:</p> + +<p>—Vraiment, je vois bien qu'elles m'ont déçue<a id="footnotetag912" name="footnotetag912"></a><a href="#footnote912" title="Lien vers la note 912"><span class="smaller">[912]</span></a>.</p> + +<p>L'évêque et le vicaire inquisiteur se retirèrent. Ils étaient venus à +bout d'une pauvre fille de vingt ans.</p> + +<p>«Si les hérétiques se repentent après leur condamnation et que les +signes de leur repentir soient manifestes, on ne peut leur refuser les +sacrements de pénitence et d'eucharistie, en tant qu'ils les +demanderont avec humilité<a id="footnotetag913" name="footnotetag913"></a><a href="#footnote913" title="Lien vers la note 913"><span class="smaller">[913]</span></a>.» Ainsi disposaient les sacrées +décrétales. Mais aucune rétractation, aucune assurance de la +conformité de sa foi avec celle de l'Église ne pouvait sauver le +relaps. On lui accordait la confession, l'absolution et la communion; +c'est-à-dire qu'au <i>forum</i> du sacrement, on croyait à la sincérité de +son repentir et de sa conversion. En même temps on lui déclarait que +juridiquement on ne le croyait pas et que, par conséquent, il lui +fallait mourir<a id="footnotetag914" name="footnotetag914"></a><a href="#footnote914" title="Lien vers la note 914"><span class="smaller">[914]</span></a>.</p> + +<p>Frère Martin Ladvenu entendit Jeanne en confession. Puis il envoya +messire Massieu, l'huissier, auprès de monseigneur de Beauvais, pour +lui faire savoir qu'elle demandait qu'on lui donnât le corps de +Jésus-Christ.</p> + +<p>L'évêque réunit à ce sujet quelques docteurs; et, sur leur +délibération, il répondit à l'huissier:</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page387" name="page387"></a>(p. 387)</span> —Vous direz à frère Martin de lui donner la communion et +tout ce qu'elle demandera.</p> + +<p>Messire Massieu revint au château aviser frère Martin de cette +réponse. Frère Martin entendit une seconde fois Jeanne en confession +et lui administra le sacrement de pénitence<a id="footnotetag915" name="footnotetag915"></a><a href="#footnote915" title="Lien vers la note 915"><span class="smaller">[915]</span></a>.</p> + +<p>Un clerc nommé Pierre apporta le corps de Notre-Seigneur, mais d'une +façon irrévérencieuse, sur une patène enveloppée du linge dont on +couvre le calice, sans lumières, sans cortège, sans surplis et sans +étole<a id="footnotetag916" name="footnotetag916"></a><a href="#footnote916" title="Lien vers la note 916"><span class="smaller">[916]</span></a>.</p> + +<p>Frère Martin, mal satisfait, envoya quérir une étole et des cierges.</p> + +<p>Puis, prenant entre ses doigts l'hostie consacrée et la présentant à +Jeanne:</p> + +<p>—Croyez-vous que ce soit le corps du Christ?</p> + +<p>—Oui, et celui-là seul qui me peut délivrer.</p> + +<p>Et elle pria qu'il lui fût administré.</p> + +<p>L'officiant demanda:</p> + +<p>—Croyez-vous encore à vos Voix?</p> + +<p>—Je crois seulement en Dieu et ne veux plus ajouter foi à ces Voix +qui m'ont ainsi déçue<a id="footnotetag917" name="footnotetag917"></a><a href="#footnote917" title="Lien vers la note 917"><span class="smaller">[917]</span></a>.</p> + +<p>Et elle reçut le corps de Notre-Seigneur très dévotement et en +pleurant d'abondantes larmes.</p> + +<p>Puis elle fit à Dieu, à la Vierge Marie et aux saints de belles et +dévotes oraisons et donna de grands signes <span class="pagenum"><a id="page388" name="page388"></a>(p. 388)</span> de pénitence, +dont les personnes présentes furent touchées jusqu'aux larmes<a id="footnotetag918" name="footnotetag918"></a><a href="#footnote918" title="Lien vers la note 918"><span class="smaller">[918]</span></a>.</p> + +<p>Elle dit, contrite et dolente, à maître Pierre Maurice<a id="footnotetag919" name="footnotetag919"></a><a href="#footnote919" title="Lien vers la note 919"><span class="smaller">[919]</span></a>:</p> + +<p>—Maître Pierre, où serai-je ce soir?</p> + +<p>—N'avez-vous pas bonne espérance dans le Seigneur? demanda le +chanoine.</p> + +<p>—Oui, Dieu aidant, je serai en paradis<a id="footnotetag920" name="footnotetag920"></a><a href="#footnote920" title="Lien vers la note 920"><span class="smaller">[920]</span></a>.</p> + +<p>Maître Nicolas Loiseleur l'exhorta à extirper l'erreur qu'elle avait +semée dans le peuple.</p> + +<p>—Il faut pour cela que vous déclariez en public que vous avez été +abusée et avez abusé le peuple, et que vous en demandiez humblement +pardon.</p> + +<p>Mais, craignant de ne pas se le rappeler comme il faudrait, quand elle +serait en jugement public, elle demanda à frère Martin de le lui +remettre alors en mémoire, ainsi que les autres choses concernant son +salut<a id="footnotetag921" name="footnotetag921"></a><a href="#footnote921" title="Lien vers la note 921"><span class="smaller">[921]</span></a>.</p> + +<p>Maître Loiseleur s'en alla en donnant les signes d'une douleur +extravagante, et, marchant comme fou dans les rues, se fit huer par +les Godons<a id="footnotetag922" name="footnotetag922"></a><a href="#footnote922" title="Lien vers la note 922"><span class="smaller">[922]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page389" name="page389"></a>(p. 389)</span> Il était environ neuf heures du matin quand Jeanne, tirée +avec frère Martin et messire Massieu hors de la prison où elle était +enchaînée depuis cent soixante-dix-huit jours, fut mise dans une +charrette et menée, entre une escorte de quatre-vingts hommes d'armes, +à travers les rues étroites, à la place du Vieux-Marché, assez près de +la rivière<a id="footnotetag923" name="footnotetag923"></a><a href="#footnote923" title="Lien vers la note 923"><span class="smaller">[923]</span></a>. Cette place était resserrée entre une halle de bois, +la halle de la boucherie, à l'est, et les aîtres Saint-Sauveur à +l'ouest, c'est-à-dire le cimetière qui bordait, du côté de la place, +l'église Saint-Sauveur<a id="footnotetag924" name="footnotetag924"></a><a href="#footnote924" title="Lien vers la note 924"><span class="smaller">[924]</span></a>. On avait élevé trois échafauds en cet +endroit, l'un contre le pignon nord de la halle, et, en les montant, +on avait rompu plusieurs tuiles du toit<a id="footnotetag925" name="footnotetag925"></a><a href="#footnote925" title="Lien vers la note 925"><span class="smaller">[925]</span></a>. C'est sur cet échafaud +que Jeanne devait être exposée et prêchée. Un autre échafaud, plus +vaste, se dressait sur le cimetière. Les juges y devaient siéger, avec +les prélats<a id="footnotetag926" name="footnotetag926"></a><a href="#footnote926" title="Lien vers la note 926"><span class="smaller">[926]</span></a>. Pour prononcer les condamnations en matière de foi, +qui étaient des actes de juridiction ecclésiastique, l'inquisiteur et +l'ordinaire choisissaient de préférence <span class="pagenum"><a id="page390" name="page390"></a>(p. 390)</span> un territoire +consacré, un sol bénit. Il est vrai qu'une bulle du pape Lucius +interdisait de prononcer des sentences de mort dans les églises et les +cimetières; mais les juges éludaient cette prescription, en +recommandant au bras séculier de modérer sa sentence. Le troisième +échafaud, situé en face de celui-là, sur le milieu de la place, au +lieu ordinaire des exécutions, était de plâtre et chargé de bois, le +bûcher. À l'estache qui le surmontait un écriteau était cloué portant +ces mots:</p> + +<p>«Jehanne qui s'est faict nommer la Pucelle, menteresse, pernicieuse, +abuseresse du peuple, divineresse, superstitieuse, blasphemeresse de +Dieu, presumptueuse, malcreant de la foy de Jhésucrist, vanteresse, +ydolatre, cruelle, dissolue, invocateresse de diables, apostate, +scismatique et hérétique<a id="footnotetag927" name="footnotetag927"></a><a href="#footnote927" title="Lien vers la note 927"><span class="smaller">[927]</span></a>.»</p> + +<p>La place était gardée par cent soixante hommes d'armes d'Angleterre. +Une foule de curieux se pressait derrière les soldats; les fenêtres +regorgeaient de spectateurs et les toits en étaient couverts. Jeanne +fut hissée sur l'échafaud adossé au pignon de la halle. Elle portait +une robe longue; sa tête était couverte d'un chaperon<a id="footnotetag928" name="footnotetag928"></a><a href="#footnote928" title="Lien vers la note 928"><span class="smaller">[928]</span></a>. Maître +Nicolas Midi, docteur en théologie, monta sur le même ambon et se mit +à la prêcher<a id="footnotetag929" name="footnotetag929"></a><a href="#footnote929" title="Lien vers la note 929"><span class="smaller">[929]</span></a>. Il avait pris pour texte de son sermon la parole de +l'Apôtre dans la première épître aux Corinthiens: «Si <span class="pagenum"><a id="page391" name="page391"></a>(p. 391)</span> un +membre souffre, tous les membres souffrent.» Jeanne ouït patiemment le +sermon<a id="footnotetag930" name="footnotetag930"></a><a href="#footnote930" title="Lien vers la note 930"><span class="smaller">[930]</span></a>.</p> + +<p>Puis monseigneur de Beauvais, en son nom et au nom du vicaire +inquisiteur, prononça la sentence.</p> + +<p>Il décréta Jeanne hérétique et relapse.</p> + +<p>... «Nous décidons que toi, Jeanne, membre pourri dont nous voulons +empêcher que l'infection ne se communique aux autres membres, tu dois +être rejetée de l'unité de l'Église, tu dois être arrachée de son +corps, tu dois être livrée à la puissance séculière; et nous te +rejetons, nous t'arrachons, nous t'abandonnons, priant que cette même +puissance séculière, en deçà de la mort et de la mutilation des +membres, modère envers toi sa sentence<a id="footnotetag931" name="footnotetag931"></a><a href="#footnote931" title="Lien vers la note 931"><span class="smaller">[931]</span></a>...»</p> + +<p>Par cette formule, le juge d'Église s'ôtait par avance toute part dans +la mort violente d'une créature: <i>Ecclesia abhorret a sanguine</i><a id="footnotetag932" name="footnotetag932"></a><a href="#footnote932" title="Lien vers la note 932"><span class="smaller">[932]</span></a>. +Mais chacun savait ce que valait cette prière et que si, par +impossible, le magistrat y eût cédé, il aurait encouru les mêmes +peines que l'hérétique. À ce moment, la ville de Rouen eût appartenu +au roi Charles, que le roi Charles lui-même n'eût pu sauver la Pucelle +du bûcher.</p> + +<p>La sentence prononcée, Jeanne poussa des soupirs à fendre les +cœurs. Tout pleurant, elle se mit à genoux, recommanda son âme à +Dieu, à Notre-Dame, aux benoîts <span class="pagenum"><a id="page392" name="page392"></a>(p. 392)</span> saints du paradis, dont elle +désigna nommément plusieurs. Elle demanda merci très humblement à +toute manière de gens, de quelque condition ou état qu'ils fussent, +tant de l'autre parti que du sien, requérant qu'ils voulussent lui +pardonner le mal qu'elle leur avait fait et prier pour elle. Elle +demanda pardon à ses juges, aux Anglais, au roi Henri, aux princes +anglais du royaume. S'adressant à tous les prêtres là présents, elle +pria que chacun d'eux voulût bien dire une messe pour le salut de son +âme<a id="footnotetag933" name="footnotetag933"></a><a href="#footnote933" title="Lien vers la note 933"><span class="smaller">[933]</span></a>.</p> + +<p>Ainsi, durant une demi-heure, elle exprima, dans les pleurs et les +gémissements, les sentiments d'humilité et de contrition que les +clercs lui avaient inspirés<a id="footnotetag934" name="footnotetag934"></a><a href="#footnote934" title="Lien vers la note 934"><span class="smaller">[934]</span></a>.</p> + +<p>Cependant, elle songeait encore à défendre l'honneur de ce gentil +dauphin qu'elle avait tant aimé.</p> + +<p>On l'entendit qui disait:</p> + +<p>—Je n'ai jamais été induite par mon roi à faire ce que j'ai fait, +soit bien, soit mal<a id="footnotetag935" name="footnotetag935"></a><a href="#footnote935" title="Lien vers la note 935"><span class="smaller">[935]</span></a>.</p> + +<p>Beaucoup pleuraient. Quelques Anglais riaient. Les capitaines ne +comprenant rien à ces cérémonies édifiantes de la justice d'Église, +plusieurs s'impatientèrent et, voyant messire Massieu qui, sur +l'ambon, exhortait Jeanne à faire une bonne fin, ils lui crièrent:</p> + +<p>—Quoi donc? prêtre, nous feras-tu dîner ici<a id="footnotetag936" name="footnotetag936"></a><a href="#footnote936" title="Lien vers la note 936"><span class="smaller">[936]</span></a>?</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page393" name="page393"></a>(p. 393)</span> À Rouen, quand un hérétique était abandonné au bras séculier, +l'usage était de le conduire au conseil de la ville, qu'on nommait la +cohue, pour lui signifier sa sentence<a id="footnotetag937" name="footnotetag937"></a><a href="#footnote937" title="Lien vers la note 937"><span class="smaller">[937]</span></a>. On n'observa pas ces +formes à l'égard de Jeanne. Le bailli, messire Le Bouteiller, qui +était présent, fit un signe de la main et dit: «Menez, menez<a id="footnotetag938" name="footnotetag938"></a><a href="#footnote938" title="Lien vers la note 938"><span class="smaller">[938]</span></a>!» +Aussitôt deux sergents du roi la tirèrent en bas de l'échafaud et la +placèrent dans la charrette qui attendait. On coiffa sa tête rasée +d'une grande mitre de papier sur laquelle ces mots étaient écrits: +«Hérétique, relapse, apostate, idolâtre» et on la remit au +bourreau<a id="footnotetag939" name="footnotetag939"></a><a href="#footnote939" title="Lien vers la note 939"><span class="smaller">[939]</span></a>.</p> + +<p>Un témoin l'entendit qui disait:</p> + +<p>—Ah! Rouen, j'ai grand'peur que tu n'aies à souffrir de ma mort<a id="footnotetag940" name="footnotetag940"></a><a href="#footnote940" title="Lien vers la note 940"><span class="smaller">[940]</span></a>.</p> + +<p>C'était donc qu'elle se croyait encore l'envoyée du Ciel et l'ange du +royaume de France. Et il est possible que l'illusion cruellement +arrachée soit revenue au dernier instant l'envelopper de ses voiles +bienfaisants. Il semble toutefois qu'elle était brisée et qu'il ne +<span class="pagenum"><a id="page394" name="page394"></a>(p. 394)</span> subsistait plus en elle qu'une infinie horreur de mourir et +la piété d'un enfant.</p> + +<p>Les juges d'Église eurent à peine le temps de descendre pour fuir un +spectacle dont ils n'auraient pu être témoins sans encourir +l'irrégularité. Ils pleuraient tous; le seigneur évêque de Thérouanne, +chancelier d'Angleterre, avait les yeux pleins de larmes; le cardinal +de Winchester, qui n'entrait jamais dans une église, disait-on, que +pour y demander à Dieu la mort d'un ennemi<a id="footnotetag941" name="footnotetag941"></a><a href="#footnote941" title="Lien vers la note 941"><span class="smaller">[941]</span></a>, avait pitié de cette +fille si contrite et si désolée; maître Pierre Maurice, ce chanoine +qui lisait l'<i>Énéide</i>, ne retenait pas ses pleurs. Tous les prêtres +qui l'avaient livrée au bourreau étaient édifiés de la voir faire une +fin si sainte; c'est ce que voulait dire maître Jean Alespée, quand il +soupirait: «Je voudrais que mon âme fût où je crois qu'est l'âme de +cette femme<a id="footnotetag942" name="footnotetag942"></a><a href="#footnote942" title="Lien vers la note 942"><span class="smaller">[942]</span></a>.»</p> + +<p>Il faisait application à cette malheureuse créature et à lui-même de +cette strophe de la prose des morts:</p> + +<p class="poem10"><i>Qui Mariam absolvisti,<br> + Mihi quoque spem dedisti</i><a id="footnotetag943" name="footnotetag943"></a><a href="#footnote943" title="Lien vers la note 943"><span class="smaller">[943]</span></a>.</p> + +<p>Et sans doute il n'en pensait pas moins qu'elle s'était elle-même mise +dans le cas de mourir par ses hérésies et son opiniâtreté.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page395" name="page395"></a>(p. 395)</span> Les deux jeunes frères prêcheurs et l'huissier Massieu +accompagnèrent Jeanne au bûcher.</p> + +<p>Elle demanda une croix. Un Anglais lui en fit une petite avec deux +morceaux de bois et la lui donna. Elle la reçut dévotement, la baisa +et la mit sur son sein, entre sa chair et ses vêtements. Puis elle +supplia frère Isambart d'aller à l'église voisine chercher une croix, +de la lui apporter et de la tenir dressée devant elle, afin que la +croix où Dieu pendit fût, elle vivante, continuellement offerte à sa +vue. Massieu la fit demander au clerc de Saint-Sauveur, qui l'apporta. +Jeanne embrassa cette croix bien étroitement et longuement en +pleurant, et ses mains la pressèrent tant qu'elles furent libres<a id="footnotetag944" name="footnotetag944"></a><a href="#footnote944" title="Lien vers la note 944"><span class="smaller">[944]</span></a>.</p> + +<p>Pendant qu'on la liait à l'estache, elle invoquait spécialement saint +Michel et il n'y avait plus là, du moins, d'interrogateur pour lui +demander si c'était vraiment celui qu'elle voyait dans le jardin de +son père. Elle pria aussi sainte Catherine<a id="footnotetag945" name="footnotetag945"></a><a href="#footnote945" title="Lien vers la note 945"><span class="smaller">[945]</span></a>.</p> + +<p>Quand elle vit mettre le feu au bûcher, elle cria d'une voix forte +«Jésus!» Elle répéta ce nom plus de six fois<a id="footnotetag946" name="footnotetag946"></a><a href="#footnote946" title="Lien vers la note 946"><span class="smaller">[946]</span></a>. On l'entendit aussi +qui demandait de l'eau bénite<a id="footnotetag947" name="footnotetag947"></a><a href="#footnote947" title="Lien vers la note 947"><span class="smaller">[947]</span></a>.</p> + +<p>D'ordinaire, le bourreau, pour abréger les souffrances du patient, +l'étouffait dans une épaisse fumée avant que les flammes eussent +monté; mais l'exécuteur de <span class="pagenum"><a id="page396" name="page396"></a>(p. 396)</span> Rouen éprouvait un grand trouble +à l'idée des prodiges accomplis par cette pucelle et il pouvait +difficilement atteindre jusqu'à elle, parce que le bailli avait fait +construire en plâtre un échafaud trop élevé. Il jugea lui-même, bien +que fort endurci, qu'elle souffrait une trop cruelle mort<a id="footnotetag948" name="footnotetag948"></a><a href="#footnote948" title="Lien vers la note 948"><span class="smaller">[948]</span></a>.</p> + +<p>Jeanne prononça une fois encore le nom de Jésus, inclina la tête et +rendit l'esprit<a id="footnotetag949" name="footnotetag949"></a><a href="#footnote949" title="Lien vers la note 949"><span class="smaller">[949]</span></a>.</p> + +<p>Une fois qu'elle fut morte, le bailli ordonna au bourreau d'écarter +les flammes afin qu'on pût voir que la prophétesse des Armagnacs ne +s'était point échappée avec l'aide du diable ou autrement<a id="footnotetag950" name="footnotetag950"></a><a href="#footnote950" title="Lien vers la note 950"><span class="smaller">[950]</span></a>. Puis, +quand ce pauvre corps noirci eut été offert en spectacle au peuple, +l'exécuteur, pour le réduire en cendres, jeta sur le bûcher de +l'huile, du soufre et du charbon.</p> + +<p>En ces sortes de supplices, la combustion des chairs était rarement +complète<a id="footnotetag951" name="footnotetag951"></a><a href="#footnote951" title="Lien vers la note 951"><span class="smaller">[951]</span></a>. Dans les cendres éteintes, le cœur et les entrailles +se retrouvèrent intacts. De peur qu'on ne vînt à recueillir les restes +de Jeanne pour en faire des sorcelleries ou quelques maléfices<a id="footnotetag952" name="footnotetag952"></a><a href="#footnote952" title="Lien vers la note 952"><span class="smaller">[952]</span></a>, +le bailli les fit jeter dans la Seine<a id="footnotetag953" name="footnotetag953"></a><a href="#footnote953" title="Lien vers la note 953"><span class="smaller">[953]</span></a>.</p> + + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page397" name="page397"></a>(p. 397)</span> CHAPITRE XV<br> + +<span class="smaller">APRÈS LA MORT DE LA PUCELLE. — LA FIN DU BERGER. — LA DAME DES ARMOISES.</span></h2> + + +<p>Après l'exécution, le soir, le bourreau, geignant et sans doute ivre, +alla, selon sa coutume, mendier au couvent des frères prêcheurs. Cette +brute se plaignait d'avoir eu grand mal à expédier Jeanne. Selon une +fable imaginée plus tard, il aurait dit aux religieux qu'il craignait +d'être damné pour avoir brûlé une sainte<a id="footnotetag954" name="footnotetag954"></a><a href="#footnote954" title="Lien vers la note 954"><span class="smaller">[954]</span></a>. S'il avait tenu ce +propos dans la maison du vicaire inquisiteur, il aurait été +immédiatement jeté dans un cul de basse-fosse, jugé en matière de foi +et en grand danger d'être traité comme celle qu'il nommait une sainte. +Et comment n'eût-il pas cru que cette femme, condamnée par le bon père +Lemaistre et monseigneur de Beauvais, était une mauvaise femme? La +vérité est qu'il se faisait auprès des religieux un mérite d'avoir +exécuté une sorcière, et d'y avoir peiné, <span class="pagenum"><a id="page398" name="page398"></a>(p. 398)</span> et il venait +chercher son pot-de-vin. Un religieux, et précisément un frère +prêcheur, frère Pierre Bosquier, s'oublia jusqu'à dire qu'on avait mal +fait en condamnant la Pucelle. Bien qu'il eût parlé devant un petit +nombre de personnes, ses propos furent dénoncés à l'inquisiteur +général. Mis en accusation, frère Pierre Bosquier déclara en toute +humilité que ses paroles étaient de tous points déraisonnables et +sentant l'hérésie, qu'elles lui avaient échappé inconsidérément après +boire. Il en demanda pardon à genoux et les mains jointes à notre +sainte mère l'Église ainsi qu'à ses juges et seigneurs très +redoutables. Eu égard à son repentir, en considération de ce qu'il +avait parlé en état d'ivresse, et attendu la qualité de sa personne, +monseigneur de Beauvais et le vicaire inquisiteur, usant d'indulgence +à l'égard du frère Pierre Bosquier, le condamnèrent, par sentence du 8 +août 1431, à tenir prison au pain et à l'eau, dans la maison des +frères prêcheurs, jusqu'à Pâques<a id="footnotetag955" name="footnotetag955"></a><a href="#footnote955" title="Lien vers la note 955"><span class="smaller">[955]</span></a>.</p> + +<p>Les juges et conseillers qui avaient siégé au procès de la Pucelle +reçurent, le 12 juin, du Grand Conseil, des lettres de garantie. +Était-ce pour le cas où ils seraient inquiétés par la justice de +France? Mais ces lettres leur eussent alors fait plus de mal que de +bien<a id="footnotetag956" name="footnotetag956"></a><a href="#footnote956" title="Lien vers la note 956"><span class="smaller">[956]</span></a>.</p> + +<p>La grande chancellerie d'Angleterre expédia des lettres en latin à +l'empereur, aux rois et aux princes de <span class="pagenum"><a id="page399" name="page399"></a>(p. 399)</span> la chrétienté, en +français aux prélats, ducs, comtes, seigneurs et à toutes les villes +de France<a id="footnotetag957" name="footnotetag957"></a><a href="#footnote957" title="Lien vers la note 957"><span class="smaller">[957]</span></a>, pour faire savoir que le roi Henri et ses conseillers +avaient eu grande pitié de la Pucelle et que, s'ils l'avaient fait +mourir, ç'avait été par zèle pour la foi et sollicitude pour tout le +peuple chrétien<a id="footnotetag958" name="footnotetag958"></a><a href="#footnote958" title="Lien vers la note 958"><span class="smaller">[958]</span></a>.</p> + +<p>L'Université de Paris écrivit dans le même sentiment au Saint-Père, à +l'empereur et au collège des cardinaux<a id="footnotetag959" name="footnotetag959"></a><a href="#footnote959" title="Lien vers la note 959"><span class="smaller">[959]</span></a>.</p> + +<p>Le 4 juillet, jour de Saint-Martin-le-Bouillant, maître Jean +Graverant, prieur des Jacobins, inquisiteur de la foi, fit, à +Saint-Martin-des-Champs, une prédication dans laquelle il rappela tous +les faits de Jeanne la Pucelle et dit comment, pour ses erreurs et +démérites, elle avait été livrée aux juges laïcs et brûlée vive.</p> + +<p>Et il ajouta:</p> + +<p>«Elles étaient quatre, dont trois ont été prises, à savoir: cette +Pucelle, Pierronne et sa compagne. Et il en reste une avec les +Armagnacs, nommée Catherine de La Rochelle.... Frère Richard, le +cordelier, qui menait après lui une si grande foule d'hommes lorsqu'il +prêchait à Paris aux Innocents et ailleurs, gouvernait ces femmes; il +était leur beau père<a id="footnotetag960" name="footnotetag960"></a><a href="#footnote960" title="Lien vers la note 960"><span class="smaller">[960]</span></a>.»</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page400" name="page400"></a>(p. 400)</span> La Pierronne brûlée à Paris, sa compagne mise au pain +d'angoisse et à l'eau d'amertume dans les prisons d'Église, Jeanne +brûlée à Rouen, le béguinage royal se trouvait presque entièrement +anéanti. Il ne restait auprès du roi que la sainte dame de La Rochelle +échappée des mains de l'official de Paris; mais elle s'était rendue +importune par l'indiscrétion de son langage<a id="footnotetag961" name="footnotetag961"></a><a href="#footnote961" title="Lien vers la note 961"><span class="smaller">[961]</span></a>. Pendant qu'une si +cruelle disgrâce frappait ses pénitentes, le bon frère Richard +éprouvait lui-même la mauvaise fortune. Les vicaires de l'évêché de +Poitiers et l'inquisiteur de la foi lui avaient interdit la +prédication; le grand sermonneur, qui avait opéré tant de conversions +dans le peuple chrétien, ne pouvait plus tonner contre les tablettes +et les dés des joueurs, contre les hennins des dames et contre les +mandragores vêtues d'habillements magnifiques; il ne pouvait plus +annoncer la venue de l'Antéchrist ni préparer les âmes aux effroyables +épreuves qui devaient précéder la fin prochaine du monde; il avait +ordre de garder les arrêts dans le couvent des cordeliers de Poitiers; +et sans doute il ne se soumettait pas très docilement à la sentence de +ses supérieurs, car le vendredi 23 mars 1431, l'ordinaire et +l'inquisiteur demandèrent, à cet effet, aide et confort au parlement +de Poitiers, qui ne les refusa pas. Pourquoi ces rigueurs de la sainte +Église à l'endroit d'un prêcheur capable de remuer si fort les âmes +<span class="pagenum"><a id="page401" name="page401"></a>(p. 401)</span> pécheresses? On en peut tout au moins soupçonner la cause. +Il y avait beau temps que les clercs anglais et bourguignons lui +criaient à l'apostat et au sorcier. Or, telle était l'unité de +l'Église et spécialement la communauté de doctrine qui régnait dans +l'Église gallicane, telle était l'autorité de l'Université de Paris, +clair soleil de la chrétienté, qu'en se rendant suspect d'hérésie et +d'erreur aux yeux des docteurs du parti d'Angleterre et de Bourgogne, +un clerc inspirait une extrême défiance au clergé de l'obéissance du +roi Charles, même s'il apparaissait que l'Université avait opiné +contre lui, touchant la foi catholique, en faveur des Anglais. Très +probablement, la condamnation de la Pierronne et même le procès +d'inquisition intenté à la Pucelle avaient fait quelque tort au frère +Richard dans l'esprit des clercs de Poitiers. Ce bon frère, s'entêtant +à prêcher la fin du monde, fut véhémentement soupçonné de mauvaise +science. Sachant le sort qu'on lui préparait, il s'enfuit, et dès lors +on n'eut plus de ses nouvelles<a id="footnotetag962" name="footnotetag962"></a><a href="#footnote962" title="Lien vers la note 962"><span class="smaller">[962]</span></a>.</p> + +<p>Toutefois, les conseillers du roi Charles ne renonçaient point à +employer aux armées de dévotes personnes. Au moment même où +disparaissaient le bon frère Richard et ses pénitentes, ils mettaient +en œuvre le jeune berger que monseigneur l'archevêque comte de +Reims, chancelier du royaume, avait annoncé comme <span class="pagenum"><a id="page402" name="page402"></a>(p. 402)</span> le +successeur miraculeux de Jeanne. Voici dans quelles circonstances le +pâtre fut admis à montrer son pouvoir:</p> + +<p>La guerre continuait; vingt jours après la mort de Jeanne, les Anglais +vinrent à grande puissance reprendre la ville de Louviers. Ils avaient +tardé jusque-là, non, comme on l'a dit, qu'ils doutassent de réussir à +rien tant que vivrait la Pucelle, mais parce qu'il leur avait fallu du +temps pour trouver de l'argent et pour réunir des engins de +siège<a id="footnotetag963" name="footnotetag963"></a><a href="#footnote963" title="Lien vers la note 963"><span class="smaller">[963]</span></a>. Dans les mois de juillet et d'août de cette même année +1431, monseigneur de Reims, chancelier de France, et le maréchal de +Boussac tenaient, à Senlis et à Beauvais, le parti des Français, et +monseigneur de Reims ne pouvait être soupçonné de le tenir mollement, +puisqu'il défendait du même coup ses bénéfices, qui lui étaient +chers<a id="footnotetag964" name="footnotetag964"></a><a href="#footnote964" title="Lien vers la note 964"><span class="smaller">[964]</span></a>. Les ayant recouvrés par une pucelle, il pensait les garder +par un puceau, et il essaya le petit berger des monts Lozère, +Guillaume qui, comme saint François d'Assise et sainte Catherine de +Sienne, avait reçu les stigmates. Un parti de Français surprit le +régent à Mantes et faillit l'enlever. L'alerte fut donnée à l'armée +qui assiégeait Louviers; deux ou trois compagnies de gens d'armes s'en +détachèrent et coururent à Mantes où elles apprirent <span class="pagenum"><a id="page403" name="page403"></a>(p. 403)</span> que le +Régent avait pu gagner Paris. Alors, renforcés par des troupes venues +de Gournay et de quelques autres garnisons anglaises, fortes de deux +mille hommes environ et commandées par les comtes de Warwick, +d'Arundel, de Salisbury, de Suffolk, lord Talbot et sir Thomas Kiriel, +les Anglais s'enhardirent au point de marcher sur Beauvais. Instruits +de leur venue, les Français sortirent de la ville au point du jour et +allèrent à leur rencontre du côté de Savignies, au nombre de huit +cents à mille combattants, commandés par le maréchal de Boussac, les +capitaines La Hire, Poton, et autres<a id="footnotetag965" name="footnotetag965"></a><a href="#footnote965" title="Lien vers la note 965"><span class="smaller">[965]</span></a>.</p> + +<p>Le berger Guillaume, qu'ils croyaient envoyé de Dieu, chevauchait à +leur tête, se tenant de côté et montrant les plaies miraculeuses de +ses mains, de ses pieds, de son flanc gauche<a id="footnotetag966" name="footnotetag966"></a><a href="#footnote966" title="Lien vers la note 966"><span class="smaller">[966]</span></a>.</p> + +<p>À une lieue environ de la ville, ils furent assaillis de traits au +moment où ils s'y attendaient le moins. Les Anglais, avertis par leurs +espions de la marche des Français, les avaient guettés derrière un pli +de terrain. Maintenant, ils les attaquaient en tête et en queue très +âprement. Les deux partis combattaient avec vaillance; il y eut un +assez grand nombre de morts, ce qui ne se voyait pas alors dans la +plupart des batailles, où l'on ne tuait guère que les fuyards. Mais +les Français, se sentant enveloppés, prirent peur <span class="pagenum"><a id="page404" name="page404"></a>(p. 404)</span> et se +détruisirent eux-mêmes. La plus grande partie, avec le maréchal de +Boussac et le capitaine La Hire, coururent s'enfermer dans la ville de +Beauvais; le capitaine Poton et le berger Guillaume restèrent aux +mains des Anglais qui, à grand honneur et triomphe, s'en retournèrent +à Rouen<a id="footnotetag967" name="footnotetag967"></a><a href="#footnote967" title="Lien vers la note 967"><span class="smaller">[967]</span></a>.</p> + +<p>Poton était bien sûr d'être mis à rançon, selon l'usage. Le petit +berger ne pouvait espérer un semblable traitement; il était suspect +d'hérésie et de sorcellerie; il avait séduit le peuple chrétien et +rendu les gens idolâtres de lui. Les marques de la passion de +Notre-Seigneur qu'il portait sur lui ne lui étaient d'aucun secours; +au contraire, ce que les Français tenaient pour empreintes divines +semblait aux Anglais marques diaboliques.</p> + +<p>Comme la Pucelle, Guillaume avait été pris sur le diocèse de Beauvais. +Le seigneur évêque de cette ville, messire Pierre Cauchon, qui avait +réclamé Jeanne, réclama pareillement Guillaume, pour lui faire son +procès, et le berger, obtenant ce qui avait été refusé à la Pucelle, +fut mis dans les prisons ecclésiastiques<a id="footnotetag968" name="footnotetag968"></a><a href="#footnote968" title="Lien vers la note 968"><span class="smaller">[968]</span></a>. Il semblait moins +difficile à garder et surtout moins précieux. Mais les Anglais +venaient d'apprendre ce que c'était qu'un procès d'inquisition; ils +savaient maintenant que c'était long et solennel. L'avantage ne leur +<span class="pagenum"><a id="page405" name="page405"></a>(p. 405)</span> apparaissait pas de convaincre ce berger d'hérésie. Si les +Français avaient mis en lui comme en Jeanne l'espérance d'être heureux +à la guerre<a id="footnotetag969" name="footnotetag969"></a><a href="#footnote969" title="Lien vers la note 969"><span class="smaller">[969]</span></a>, cette espérance avait été courte. Faire honte et +vergogne aux Armagnacs de leur puceau en montrant qu'il venait du +diable, le jeu n'en valait pas la chandelle. Le petit berger fut +conduit à Rouen, puis à Paris<a id="footnotetag970" name="footnotetag970"></a><a href="#footnote970" title="Lien vers la note 970"><span class="smaller">[970]</span></a>.</p> + +<p>Il était prisonnier depuis quatre mois, quand le roi Henri VI, âgé de +neuf ans, fit son entrée à Paris, où il devait être couronné, en +l'église Notre-Dame, des deux couronnes de France et d'Angleterre. +Cette entrée fut célébrée le dimanche 16 décembre, à grand'pompe et à +grand'liesse. On avait construit sur le passage du cortège, rue du +Ponceau-Saint-Denys, une fontaine ornée de trois sirènes au milieu +desquelles s'élevait une grande tige de lis qui jetait par les fleurs +et les boutons des ruisseaux de vin et de lait. La foule se +précipitait pour y boire. Autour de la vasque, des hommes déguisés en +sauvages amusaient le peuple par des jeux et des simulacres de +combats.</p> + +<p>Depuis la porte Saint-Denys jusqu'à l'hôtel Saint-Paul au Marais, le +roi enfant chevaucha sous un grand ciel d'azur, semé de fleurs de lis +d'or, porté d'abord par les quatre échevins, en chaperon et vêtus de +vermeil, puis par les corporations, drapiers, épiciers, changeurs, +orfèvres et bonnetiers.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page406" name="page406"></a>(p. 406)</span> Il était précédé par vingt-cinq hérauts et vingt-cinq +trompettes, par de très beaux hommes et de très belles dames qui, +vêtus d'armures magnifiques et portant de grands écus, représentaient +les neuf preux et les neuf preuses, et par nombre de chevaliers et +d'écuyers. Dans ce brillant cortège paraissait le petit berger +Guillaume, qui n'étendait plus les bras pour montrer sur ses mains les +plaies de la passion: car il était lié de bonnes cordes<a id="footnotetag971" name="footnotetag971"></a><a href="#footnote971" title="Lien vers la note 971"><span class="smaller">[971]</span></a>.</p> + +<p>Après la cérémonie, il fut reconduit dans sa prison; puis on l'en tira +pour le coudre dans un sac et le jeter dans la Seine<a id="footnotetag972" name="footnotetag972"></a><a href="#footnote972" title="Lien vers la note 972"><span class="smaller">[972]</span></a>.</p> + +<p>Il fut admis chez les Français, que Guillaume n'avait point mission de +Dieu et qu'il était tout sot<a id="footnotetag973" name="footnotetag973"></a><a href="#footnote973" title="Lien vers la note 973"><span class="smaller">[973]</span></a>.</p> + +<p class="p2">En l'an 1433, le connétable, aidé par la reine de Sicile, fit enlever +et assassiner le sire de la Trémouille. C'était l'usage princier de +donner des conseillers au roi Charles et de les tuer ensuite. Le sire +de la Trémouille avait un si gros ventre que la lame s'y perdit dans +la graisse sans autrement l'atteindre; mais il était tué dans son +crédit; le roi Charles souffrit le connétable comme il avait souffert +le sire de la Trémouille<a id="footnotetag974" name="footnotetag974"></a><a href="#footnote974" title="Lien vers la note 974"><span class="smaller">[974]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page407" name="page407"></a>(p. 407)</span> Celui-ci laissait la renommée d'un homme cupide, indiffèrent +au bien du royaume. Son plus grand tort fut peut-être d'avoir gouverné +dans un temps de guerres et de pilleries, quand amis et ennemis +dévoraient le royaume. On l'accusa d'avoir voulu perdre la Pucelle, +dont il était jaloux. Cette idée est sortie de la maison d'Alençon, où +l'on n'aimait guère le sire chambellan<a id="footnotetag975" name="footnotetag975"></a><a href="#footnote975" title="Lien vers la note 975"><span class="smaller">[975]</span></a>. Ce qui est certain, au +contraire, c'est que la Trémouille fut, après le chancelier, le plus +hardi à mettre en œuvre la Pucelle de Dieu, et si, par la suite, +cette jeune fille contraria ses projets, rien ne prouve qu'il ait +formé le dessein de la faire détruire par les Anglais; elle se +détruisit elle-même et se consuma par sa propre ardeur. À tort ou à +raison, le sire chambellan passait pour un très mauvais homme, et, +quoique le duc de Richemont fût avare, dur, violent, maladroit au delà +du possible, bourru, malfaisant, toujours battu et toujours mécontent, +on crut n'avoir pas perdu au change. Le connétable venait au bon +moment, alors que le duc de Bourgogne faisait la paix avec le roi de +France.</p> + +<p>Les Anglais, entrés dans le royaume, comme disait ce chartreux, par le +trou fait au crâne du duc Jean, sur le pont de Montereau, ne se +tenaient dans le royaume que sous la main du duc Philippe; ils +n'étaient qu'une poignée; la main du géant s'étant retirée, un souffle +suffisait à les emporter. Voyant se réaliser l'horoscope <span class="pagenum"><a id="page408" name="page408"></a>(p. 408)</span> du +roi Henri VI: «Exeter perdra ce que Monmouth a gagné», le Régent +mourut de douleur et de colère<a id="footnotetag976" name="footnotetag976"></a><a href="#footnote976" title="Lien vers la note 976"><span class="smaller">[976]</span></a>.</p> + +<p>Le 13 avril 1436, le comte de Richemont entra dans Paris. La mère +nourricière des clercs bourguignons et des docteurs cabochiens, +l'Université elle-même, s'était entremise pour la paix<a id="footnotetag977" name="footnotetag977"></a><a href="#footnote977" title="Lien vers la note 977"><span class="smaller">[977]</span></a>.</p> + +<p>Or, un mois après que Paris se fut rangé dans l'obéissance du roi +Charles, une fille âgée de vingt-cinq ans, environ, qui jusque-là +s'était fait appeler Claude, parut en Lorraine et fit connaître à +plusieurs seigneurs de la ville de Metz qu'elle était Jeanne la +Pucelle<a id="footnotetag978" name="footnotetag978"></a><a href="#footnote978" title="Lien vers la note 978"><span class="smaller">[978]</span></a>.</p> + +<p>À cette époque, le père et l'aîné des frères de Jeanne<a id="footnotetag979" name="footnotetag979"></a><a href="#footnote979" title="Lien vers la note 979"><span class="smaller">[979]</span></a>, étaient +morts. Isabelle Romée vivait; ses deux fils cadets étaient au service +du roi de France, qui les avait anoblis et faits Du Lys. Jean, l'aîné, +dit Petit-Jean<a id="footnotetag980" name="footnotetag980"></a><a href="#footnote980" title="Lien vers la note 980"><span class="smaller">[980]</span></a>, <span class="pagenum"><a id="page409" name="page409"></a>(p. 409)</span> avait été nommé bailli de Vermandois, +puis capitaine de Chartres. Aux environs de cette année 1436, il était +prévôt et capitaine de Vaucouleurs<a id="footnotetag981" name="footnotetag981"></a><a href="#footnote981" title="Lien vers la note 981"><span class="smaller">[981]</span></a>.</p> + +<p>Le cadet, Pierre, ou Pierrelot, tombé avec Jeanne aux mains des +Bourguignons devant Compiègne, venait de quitter enfin les prisons du +bâtard de Vergy<a id="footnotetag982" name="footnotetag982"></a><a href="#footnote982" title="Lien vers la note 982"><span class="smaller">[982]</span></a>. Ils croyaient bien tous deux que leur sœur +avait été brûlée à Rouen; mais avertis qu'elle vivait et les voulait +voir, ils prirent rendez-vous à la Grange-aux-Ormes, village situé +dans les prairies du Sablon, entre la Seille et la Moselle, à une +lieue environ au sud de la ville de Metz. Arrivés en cet endroit, le +20 mai, ils la virent et la reconnurent aussitôt pour leur sœur; et +elle les reconnut pour ses frères<a id="footnotetag983" name="footnotetag983"></a><a href="#footnote983" title="Lien vers la note 983"><span class="smaller">[983]</span></a>.</p> + +<p>Elle était accompagnée de seigneurs messins parmi lesquels se trouvait +un très noble homme, messire Nicole Lowe qui fut chambellan de Charles +VII<a id="footnotetag984" name="footnotetag984"></a><a href="#footnote984" title="Lien vers la note 984"><span class="smaller">[984]</span></a>. Ces seigneurs la reconnurent à plusieurs enseignes pour la +Pucelle Jeanne qui avait mené le roi Charles à Reims. On nommait alors +enseignes certains signes sur la peau<a id="footnotetag985" name="footnotetag985"></a><a href="#footnote985" title="Lien vers la note 985"><span class="smaller">[985]</span></a>. Or une prophétie relative +à Jeanne disait qu'elle <span class="pagenum"><a id="page410" name="page410"></a>(p. 410)</span> avait une petite tache rouge sous +l'oreille<a id="footnotetag986" name="footnotetag986"></a><a href="#footnote986" title="Lien vers la note 986"><span class="smaller">[986]</span></a>; cette prophétie fut faite après l'événement; nous +devons donc croire que la Pucelle était marquée de ce signe. Fut-ce à +telle enseigne que les gentilhommes messins la reconnurent?</p> + +<p>Nous ignorons comment elle prétendait avoir échappé à la mort, mais on +a des raisons de croire<a id="footnotetag987" name="footnotetag987"></a><a href="#footnote987" title="Lien vers la note 987"><span class="smaller">[987]</span></a> qu'elle attribuait son salut à sa +sainteté. Annonçait-elle qu'un ange l'avait retirée des flammes? On +lisait dans les livres que jadis les lions du cirque léchaient les +pieds nus des vierges et que l'huile bouillante rafraîchissait comme +un baume le corps des saintes martyres; et l'on voyait même dans les +histoires que maintes fois le glaive avait pu seul trancher la vie des +pucelles de Notre-Seigneur. Rien de plus sûr; mais de semblables +récits tirés hors du vieux temps et ramenés à l'heure présente +auraient paru moins croyables; et, sans doute, cette jeune fille +n'ornait pas autant son aventure. Très probablement elle donnait à +entendre qu'à sa place on avait brûlé une autre femme.</p> + +<p>Si l'on s'en rapporte à la confession qu'elle fit plus tard, elle +venait de Rome où, vêtue du harnois de guerre, elle s'était +vaillamment comportée au service du <span class="pagenum"><a id="page411" name="page411"></a>(p. 411)</span> pape Eugène. Peut-être +fit-elle connaître aux Lorrains les belles actions qu'elle avait +accomplies là. Or, Jeanne avait prophétisé (du moins le croyait-on) +qu'elle mourrait dans une bataille contre les infidèles et qu'une +Pucelle de Rome hériterait de sa puissance. Mais, loin d'accréditer +Jeanne recouvrée, cet oracle, à le supposer connu des seigneurs +messins, leur dénonçait l'imposture<a id="footnotetag988" name="footnotetag988"></a><a href="#footnote988" title="Lien vers la note 988"><span class="smaller">[988]</span></a>. Quoi qu'il en soit, ils +crurent ce que cette femme leur disait.</p> + +<p>Peut-être que, comme beaucoup de gentilshommes de la république, ils +se sentaient plus d'amitié pour le roi Charles que pour le duc de +Bourgogne. Et sûrement, ayant chevalerie, ils estimaient la chevalerie +en toute personne et ils admiraient la Pucelle pour sa grande +vaillance. Aussi lui firent-ils bonne chère.</p> + +<p>Messire Nicole Lowe lui donna un roussin et une paire de houseaux. Le +roussin valait trente francs; c'était un prix quasi royal, car des +deux chevaux donnés par le roi à la pucelle Jeanne, dans la ville de +Soissons et dans la ville de Senlis, l'un valait trente-huit livres +dix sous et l'autre trente-sept livres dix sous<a id="footnotetag989" name="footnotetag989"></a><a href="#footnote989" title="Lien vers la note 989"><span class="smaller">[989]</span></a>. Le cheval de +Vaucouleurs n'avait été payé que seize francs<a id="footnotetag990" name="footnotetag990"></a><a href="#footnote990" title="Lien vers la note 990"><span class="smaller">[990]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page412" name="page412"></a>(p. 412)</span> Nicole Grognot, gouverneur de la ville<a id="footnotetag991" name="footnotetag991"></a><a href="#footnote991" title="Lien vers la note 991"><span class="smaller">[991]</span></a>, offrit à la +sœur des deux frères Du Lys une épée, Aubert Boullay un +chaperon<a id="footnotetag992" name="footnotetag992"></a><a href="#footnote992" title="Lien vers la note 992"><span class="smaller">[992]</span></a>.</p> + +<p>Elle sauta à cheval avec cette adresse qui, sept ans auparavant, si +l'on en croit des récits assez fabuleux, avait émerveillé le vieux duc +de Lorraine<a id="footnotetag993" name="footnotetag993"></a><a href="#footnote993" title="Lien vers la note 993"><span class="smaller">[993]</span></a>. Et elle tint certains propos à messire Nicole Lowe +qui affermirent ce seigneur dans la croyance que c'était bien là cette +Pucelle Jeanne qui était allée en France. Elle parlait volontiers +comme une prophétesse, par images et paraboles, et sans rien découvrir +de ses intentions.</p> + +<p>Elle disait qu'elle n'aurait pas de puissance avant la +Saint-Jean-Baptiste. Or, ce terme qu'elle assignait à sa mission était +précisément celui que la pucelle Jeanne, en 1429, après la bataille de +Patay, avait marqué, disait-on, pour l'extermination de la gent +anglaise en France<a id="footnotetag994" name="footnotetag994"></a><a href="#footnote994" title="Lien vers la note 994"><span class="smaller">[994]</span></a>.</p> + +<p>Cette prophétie ne se réalisa point; aussi n'en fut-il plus parlé. Et +Jeanne, si tant est qu'elle l'eût faite, ce qui est bien possible, dut +être la première à l'oublier. Au reste, le terme de la Saint-Jean +était d'un usage constant pour les baux, foires, règlement de gages, +louage de service, etc., et l'on conçoit que le calendrier <span class="pagenum"><a id="page413" name="page413"></a>(p. 413)</span> +des prophétesses ne différât point du calendrier du laboureur.</p> + +<p>Dès le lendemain de leur arrivée à la Grange-aux-Ormes, le lundi 21 +mai, les frères Du Lys emmenèrent celle qu'ils tenaient pour leur +sœur en cette ville de Vaucouleurs<a id="footnotetag995" name="footnotetag995"></a><a href="#footnote995" title="Lien vers la note 995"><span class="smaller">[995]</span></a> où la fille d'Isabelle +Romée était allée trouver sire Robert de Baudricourt et où vivaient +encore, en 1436, tant de personnes de toute condition qui l'avaient +vue au mois de février 1429, telles que les époux Leroyer et le +seigneur Aubert d'Ourches<a id="footnotetag996" name="footnotetag996"></a><a href="#footnote996" title="Lien vers la note 996"><span class="smaller">[996]</span></a>.</p> + +<p>Après une semaine à Vaucouleurs, elle se rendit à Marville, petite +ville entre Corny et Pont-à-Mousson, à une lieue de la Moselle, où +elle passa les fêtes de la Pentecôte et demeura trois semaines dans la +maison d'un nommé Jean Quenat<a id="footnotetag997" name="footnotetag997"></a><a href="#footnote997" title="Lien vers la note 997"><span class="smaller">[997]</span></a>. Sur son départ, elle reçut la +visite de plusieurs habitants de Metz qui, la reconnaissant pour la +Pucelle de France, lui donnèrent des joyaux<a id="footnotetag998" name="footnotetag998"></a><a href="#footnote998" title="Lien vers la note 998"><span class="smaller">[998]</span></a>. On se rappelle que +plusieurs chevaliers messins, venus auprès <span class="pagenum"><a id="page414" name="page414"></a>(p. 414)</span> du roi Charles à +Reims, lors du sacre, avaient vu Jeanne. À Marville, Geoffroy Desch, à +l'exemple de Nicole Lowe, donna un cheval à la Pucelle retrouvée. +Geoffroy Desch appartenait à une des familles les plus puissantes de +la république de Metz. Il était parent de ce Jean Desch, secrétaire de +la ville en 1429<a id="footnotetag999" name="footnotetag999"></a><a href="#footnote999" title="Lien vers la note 999"><span class="smaller">[999]</span></a>.</p> + +<p>De là, elle s'en fut en pèlerinage à Notre-Dame de Liance, que les +Picards appelaient Lienche, et qui devint un peu plus tard Notre-Dame +de Liesse. On y vénérait une image noire de la Sainte-Vierge, +rapportée, selon la tradition, de Terre-Sainte, par les croisés. Cette +chapelle, située entre Laon et Reims, était, au dire des religieux qui +la desservaient, un des lieux désignés dans l'itinéraire du sacre, et +les rois, avec leur suite, avaient coutume de s'y rendre au retour de +Reims; peut-être n'était-ce pas très vrai. Mais les habitants de Metz +se montraient particulièrement dévots à la bonne dame de Liance, et +l'on concevait que Jeanne, échappée des prisons anglaises, allât +rendre grâces de sa merveilleuse délivrance à la Vierge noire de +Picardie<a id="footnotetag1000" name="footnotetag1000"></a><a href="#footnote1000" title="Lien vers la note 1000"><span class="smaller">[1000]</span></a>.</p> + +<p>Elle se rendit ensuite à Arlon, auprès d'Élisabeth de Gorlitz, +duchesse de Luxembourg, tante par alliance du duc de Bourgogne<a id="footnotetag1001" name="footnotetag1001"></a><a href="#footnote1001" title="Lien vers la note 1001"><span class="smaller">[1001]</span></a>. +Veuve pour la seconde fois et <span class="pagenum"><a id="page415" name="page415"></a>(p. 415)</span> vieille, elle excitait par sa +rapacité la colère et la haine de son peuple. Jeanne reçut de cette +princesse un très bon accueil. Rien d'étrange à cela: les personnes +qui vivaient saintement et faisaient des miracles étaient recherchées +par les princes et les seigneurs, désireux de connaître par elles des +secrets ou d'obtenir ce qu'ils souhaitaient, et la duchesse de +Luxembourg pouvait bien croire que cette fille fût la pucelle Jeanne +elle-même, puisque les deux frères Du Lys, les seigneurs messins et +les habitants de Vaucouleurs le croyaient.</p> + +<p>Pour la foule des hommes, la vie et la mort de Jeanne étaient +entourées de mystère et pleines de prodiges. Beaucoup, dès la première +heure, avaient douté qu'elle eût péri de la main du bourreau. +Quelques-uns s'exprimaient à ce sujet avec d'étranges réticences; ils +disaient: «Les Anglais la firent ardre publiquement à Rouen ou une +autre femme en semblance d'elle<a id="footnotetag1002" name="footnotetag1002"></a><a href="#footnote1002" title="Lien vers la note 1002"><span class="smaller">[1002]</span></a>.» Certains avouaient ne pas +savoir ce qu'elle était devenue<a id="footnotetag1003" name="footnotetag1003"></a><a href="#footnote1003" title="Lien vers la note 1003"><span class="smaller">[1003]</span></a>.</p> + +<p>Aussi quand retentit soudain dans les Allemagnes et par toute la +France le bruit que la Pucelle était vivante et qu'on l'avait vue près +de Metz, la nouvelle fut diversement accueillie; les uns y croyaient +et les <span class="pagenum"><a id="page416" name="page416"></a>(p. 416)</span> autres non. On peut juger de l'émotion qu'elle causa +par l'exemple de ces deux bourgeois d'Arles qui en disputèrent entre +eux avec une extrême ardeur. L'un affirmait que la Pucelle vivait +encore; l'autre soutenait qu'elle était bien morte; chacun paria pour +ce qu'il croyait véritable. La gageure était sérieuse; elle fut faite +et tenue devant notaire, le 27 juin 1436, cinq semaines seulement +après l'entrevue de la Grange-aux-Ormes<a id="footnotetag1004" name="footnotetag1004"></a><a href="#footnote1004" title="Lien vers la note 1004"><span class="smaller">[1004]</span></a>.</p> + +<p>Cependant le frère aîné de la Pucelle, Jean du Lys, dit Petit-Jean, +s'était rendu, dans les premiers jours du mois d'août à Orléans, pour +y annoncer que sa sœur était vivante. En récompense de cette bonne +nouvelle, il reçut pour lui et sa suite, dix pintes de vin, douze +poules, deux oisons et deux levrauts<a id="footnotetag1005" name="footnotetag1005"></a><a href="#footnote1005" title="Lien vers la note 1005"><span class="smaller">[1005]</span></a>.</p> + +<p>Deux magistrats avaient acheté la volaille, Pierre Baratin, dont on +trouve le nom dans les comptes de forteresse, en 1429<a id="footnotetag1006" name="footnotetag1006"></a><a href="#footnote1006" title="Lien vers la note 1006"><span class="smaller">[1006]</span></a>, lors de +l'expédition de Jargeau, et Aignan de Saint-Mesmin, vieillard de +soixante-six ans, très riche bourgeois<a id="footnotetag1007" name="footnotetag1007"></a><a href="#footnote1007" title="Lien vers la note 1007"><span class="smaller">[1007]</span></a>.</p> + +<p>Entre la ville du duc Charles et la ville de la duchesse de +Luxembourg, les courriers se croisaient. Une lettre d'Arlon parvint à +Orléans, le 9 août. Vers la mi-août, un poursuivant d'armes arriva à +Arlon; il se <span class="pagenum"><a id="page417" name="page417"></a>(p. 417)</span> nommait Cœur-de-Lis, en l'honneur de la +ville d'Orléans, dont l'emblème héraldique est un cœur de lis, +c'est-à-dire une sorte de trèfle. Les magistrats d'Orléans l'avaient +envoyé vers Jeanne avec une missive dont nous ignorons la teneur; +Jeanne lui remit une lettre pour le roi, de qui elle sollicitait +probablement une audience. Il la porta tout de suite à Loches où le +roi Charles s'occupait alors des fiançailles de sa fille Yolande avec +le prince Amédée de Savoie<a id="footnotetag1008" name="footnotetag1008"></a><a href="#footnote1008" title="Lien vers la note 1008"><span class="smaller">[1008]</span></a>.</p> + +<p>Le poursuivant d'armes, après quarante et un jours de voyage, revint, +le 2 septembre, vers les procureurs qui l'avaient envoyé. Ceux-ci +firent servir, selon l'usage, dans la chambre de la maison de ville, +du pain, du vin, des poires et des cerneaux et firent boire le +messager, qui disait avoir grand'soif. Il en coûta deux sous quatre +deniers parisis à la ville, sans préjudice de six livres pour frais de +voyage, qui furent payées le mois suivant. Le varlet de la ville, qui +fournit les cerneaux, était Jacquet Leprestre, déjà en fonctions à +l'époque du siège. Les procureurs avaient reçu une autre lettre de +cette Pucelle le 25 août<a id="footnotetag1009" name="footnotetag1009"></a><a href="#footnote1009" title="Lien vers la note 1009"><span class="smaller">[1009]</span></a>.</p> + +<p>Jean du Lys faisait en vérité tout ce qu'il aurait fait si vraiment il +avait retrouvé sa sœur miraculeuse. Il se rendit auprès du roi et +il lui annonça l'extraordinaire nouvelle. Le roi en crut bien quelque +chose, puisqu'il <span class="pagenum"><a id="page418" name="page418"></a>(p. 418)</span> ordonna qu'on remît à Jean du Lys une +gratification de cent francs. Sur quoi, Jean alla réclamer ces cent +francs au trésorier du roi, qui en bailla vingt. Les coffres du +Victorieux n'étaient pas encore pleins à cette époque.</p> + +<p>Jean, de retour à Orléans, se présenta devant la chambre de la ville; +il fit connaître aux procureurs qu'il ne lui restait plus que huit +francs, et que c'était peu de chose pour s'en retourner en Lorraine +avec les quatre personnes de sa suite. Les magistrats lui firent +donner douze francs<a id="footnotetag1010" name="footnotetag1010"></a><a href="#footnote1010" title="Lien vers la note 1010"><span class="smaller">[1010]</span></a>.</p> + +<p>Jusque-là, chaque année, l' «anniversaire» de la feue Pucelle était +célébré la surveille et la veille de la Fête-Dieu en l'église +Saint-Sanxon<a id="footnotetag1011" name="footnotetag1011"></a><a href="#footnote1011" title="Lien vers la note 1011"><span class="smaller">[1011]</span></a>. L'an 1435, huit religieux des quatre ordres +mendiants chantèrent chacun une messe pour le repos de l'âme de +Jeanne. En cette année 1436 les magistrats firent brûler quatre +cierges pesant ensemble neuf livres et demie, auxquels était suspendu +l'écu de la Pucelle, à l'épée d'argent soutenant la couronne de +France; mais à la nouvelle que Jeanne était vivante, ils cessèrent +d'ordonner un service funèbre à son intention<a id="footnotetag1012" name="footnotetag1012"></a><a href="#footnote1012" title="Lien vers la note 1012"><span class="smaller">[1012]</span></a>.</p> + +<p>Tandis que ses affaires étaient ainsi menées en France, Jeanne se +tenait auprès de la duchesse de Luxembourg; elle y rencontra le jeune +comte Ulrich <span class="pagenum"><a id="page419" name="page419"></a>(p. 419)</span> de Wurtemberg qui ne voulut plus la quitter. Il +lui fit faire une belle cuirasse et l'emmena à Cologne. Elle ne +cessait pas de se dire la Pucelle de France envoyée de Dieu<a id="footnotetag1013" name="footnotetag1013"></a><a href="#footnote1013" title="Lien vers la note 1013"><span class="smaller">[1013]</span></a>.</p> + +<p>Depuis le 24 juin, jour de la Saint-Jean-Baptiste, ses vertus lui +étaient revenues. Le comte Ulrich, lui reconnaissant un pouvoir +surnaturel, la pria d'en user pour lui et pour les siens. Il était +grand querelleur et fort engagé dans le schisme qui déchirait alors +l'archevêché de Trèves. Deux prélats se disputaient ce siège; l'un +Udalric de Manderscheit, désigné par le Chapitre, l'autre, Raban de +Helmstat, évêque de Spire, nommé par le pape<a id="footnotetag1014" name="footnotetag1014"></a><a href="#footnote1014" title="Lien vers la note 1014"><span class="smaller">[1014]</span></a>. Udalric tint la +campagne avec une petite armée, assiégea par deux fois et canonna la +ville dont il se disait le véritable pasteur. Ce traitement jeta de +son côté la plus grande partie du diocèse<a id="footnotetag1015" name="footnotetag1015"></a><a href="#footnote1015" title="Lien vers la note 1015"><span class="smaller">[1015]</span></a>; mais Raban, très +vieux et débile, avait aussi des armes; elles étaient puissantes, bien +que spirituelles: il prononça l'interdit contre tous ceux qui tenaient +le parti de son compétiteur.</p> + +<p>Le comte Ulrich de Wurtemberg, qui comptait parmi les plus ardents +partisans d'Udalric, interrogea <span class="pagenum"><a id="page420" name="page420"></a>(p. 420)</span> à son sujet la Pucelle de +Dieu<a id="footnotetag1016" name="footnotetag1016"></a><a href="#footnote1016" title="Lien vers la note 1016"><span class="smaller">[1016]</span></a>. Des cas du même genre avaient été soumis à la première +Jeanne, lors de son séjour en France; on lui avait demandé, par +exemple, lequel des trois papes, Benoît, Martin et Clément, était le +vrai père des fidèles, et, sans s'expliquer sur-le-champ, elle avait +promis de désigner, dans Paris, à tête reposée, le pape auquel on +devait obéissance<a id="footnotetag1017" name="footnotetag1017"></a><a href="#footnote1017" title="Lien vers la note 1017"><span class="smaller">[1017]</span></a>. La seconde Jeanne répondit avec plus +d'assurance encore; elle déclara connaître le véritable archevêque et +se flatta de l'introniser.</p> + +<p>Celui-là, selon elle, était Udalric de Manderscheit, que le Chapitre +avait désigné. Mais Udalric cité devant le Concile de Bâle y fut +déclaré intrus; et, ce qui n'était point leur règle constante, les +pères confirmèrent la nomination faite par le pape.</p> + +<p>L'intervention de la Pucelle dans cette querelle ecclésiastique attira +malheureusement sur elle l'attention de l'inquisiteur général de la +ville de Cologne, Henry Kalt Eysen, insigne professeur de théologie: +recueillant les bruits qui couraient par la ville sur la protégée du +jeune prince, il connut qu'elle portait des vêtements dissolus, se +livrait aux danses avec des hommes, buvait et mangeait plus qu'il +n'est permis et pratiquait la magie. Il sut notamment que, dans une +assemblée, cette fille déchira une nappe, puis la rétablit dans son +<span class="pagenum"><a id="page421" name="page421"></a>(p. 421)</span> premier état, et qu'ayant brisé contre la muraille un verre, +elle en réunit ensuite les morceaux par un merveilleux artifice. À ces +œuvres, Kalt Eysen la soupçonnait véhémentement d'hérésie et de +sorcellerie. Il la cita devant son tribunal; elle refusa de +comparaître; cette désobéissance affligea l'inquisiteur général, qui +fit rechercher la défaillante. Mais le jeune comte de Wurtemberg cacha +sa Pucelle chez lui, et puis il la fit sortir secrètement de la ville. +Elle échappa ainsi au sort de celle qu'elle ne se souciait pas +d'imiter jusqu'à la fin. L'inquisiteur l'excommunia, faute de +mieux<a id="footnotetag1018" name="footnotetag1018"></a><a href="#footnote1018" title="Lien vers la note 1018"><span class="smaller">[1018]</span></a>.</p> + +<p>Réfugiée à Arlon auprès de la duchesse de Luxembourg sa protectrice, +elle y rencontra Robert des Armoises, seigneur de Tichemont, qu'elle +avait peut-être vu déjà, au printemps, à Marville, où il faisait sa +résidence habituelle. Ce gentilhomme était probablement fils d'un +seigneur Richard, gouverneur du duché de Bar en 1416. On ne sait rien +de lui, sinon qu'ayant fait passer une terre en mains étrangères, sans +la participation du duc de Bar, il vit cette terre confisquée et +donnée au sieur d'Apremont, à la charge de la prendre.</p> + +<p>La présence du seigneur Robert à Arlon n'avait rien d'extraordinaire; +le château de Tichemont, dont il était seigneur, s'élevait dans le +voisinage de cette ville. D'une naissance illustre, il était toutefois +besogneux<a id="footnotetag1019" name="footnotetag1019"></a><a href="#footnote1019" title="Lien vers la note 1019"><span class="smaller">[1019]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page422" name="page422"></a>(p. 422)</span> La Pucelle retrouvée l'épousa<a id="footnotetag1020" name="footnotetag1020"></a><a href="#footnote1020" title="Lien vers la note 1020"><span class="smaller">[1020]</span></a>, apparemment par la +volonté de la duchesse de Luxembourg. D'après le sentiment du sacré +inquisiteur de Cologne, ce mariage ne fut contracté que pour garantir +cette femme contre l'interdit et la soustraire au glaive +ecclésiastique<a id="footnotetag1021" name="footnotetag1021"></a><a href="#footnote1021" title="Lien vers la note 1021"><span class="smaller">[1021]</span></a>.</p> + +<p>Sitôt après son mariage, elle alla vivre à Metz, dans l'hôtel que son +mari habitait devant l'église Sainte-Ségolène, au-dessus de la porte +Sainte-Barbe. Elle était, dès lors, Jeanne du Lys, la Pucelle de +France, dame de Tichemont. Ces noms lui sont donnés dans un contrat en +date du 7 novembre 1436, par lequel Robert des Armoises et sa femme, +autorisée par lui, vendent à Collard de Failly, écuyer, demeurant à +Marville, et à Poinsette, sa femme, le quart de la seigneurie +d'Haraucourt. Jean de Thoneletil, seigneur de Villette, et Saubelet de +Dun, prévôt de Marville, à la demande de leurs très chers et grands +amis, messire Robert et dame Jeanne, mirent sur le contrat leurs +sceaux avec ceux des vendeurs, en témoignage de vérité<a id="footnotetag1022" name="footnotetag1022"></a><a href="#footnote1022" title="Lien vers la note 1022"><span class="smaller">[1022]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page423" name="page423"></a>(p. 423)</span> En son logis, devant l'église Sainte-Ségolène, la dame des +Armoises mit au monde deux enfants<a id="footnotetag1023" name="footnotetag1023"></a><a href="#footnote1023" title="Lien vers la note 1023"><span class="smaller">[1023]</span></a>. Il y avait quelque part en +Languedoc<a id="footnotetag1024" name="footnotetag1024"></a><a href="#footnote1024" title="Lien vers la note 1024"><span class="smaller">[1024]</span></a> un honnête écuyer qui, s'il apprit ces naissances, +douta fort que Jeanne la Pucelle et la dame des Armoises fussent la +même personne; c'était Jean d'Aulon, l'ancien maître d'hôtel de +Jeanne; car il ne la croyait pas faite pour avoir des enfants, ayant +obtenu à ce sujet la confidence de femmes bien instruites<a id="footnotetag1025" name="footnotetag1025"></a><a href="#footnote1025" title="Lien vers la note 1025"><span class="smaller">[1025]</span></a>.</p> + +<p>Au témoignage de frère Jean Nider, docteur en théologie de +l'Université de Vienne, cette union féconde finit mal. Un prêtre, +selon lui, un prêtre, qu'il faudrait plutôt appeler <i>leno</i>, séduisit +cette magicienne par des paroles amoureuses et l'enleva. Mais frère +Jean Nider ajoute que le prêtre conduisit furtivement la dame des +Armoises à Metz et y vécut en concubinage avec elle<a id="footnotetag1026" name="footnotetag1026"></a><a href="#footnote1026" title="Lien vers la note 1026"><span class="smaller">[1026]</span></a>; or il est +avéré qu'elle avait son établissement dans cette ville même; donc ce +frère prêcheur parle de ce qu'il ignore<a id="footnotetag1027" name="footnotetag1027"></a><a href="#footnote1027" title="Lien vers la note 1027"><span class="smaller">[1027]</span></a>.</p> + +<p>Ce qui est vrai, c'est qu'elle ne resta guère plus de deux ans cachée +dans l'ombre paisible de Sainte-Ségolène.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page424" name="page424"></a>(p. 424)</span> Mariée, elle n'entendait pas renoncer aux prophéties et aux +chevauchées. L'interrogateur demanda à Jeanne, en son procès: «Jeanne, +ne vous a-t-il pas été révélé que, si vous perdiez votre virginité, +vous perdriez votre chance et que vos Voix ne vous viendraient plus?» +Elle nia que cela lui eût été révélé. Et, comme il insistait, lui +demandant si elle croyait que, mariée, ses Voix lui viendraient +encore, elle répondit en bonne chrétienne: «Je ne sais et m'en attends +à Dieu<a id="footnotetag1028" name="footnotetag1028"></a><a href="#footnote1028" title="Lien vers la note 1028"><span class="smaller">[1028]</span></a>.» De même Jeanne des Armoises estimait que, pour s'être +mariée, elle n'avait pas perdu sa chance. Aussi bien se trouvait-il, +en ce temps de prophétisme, des veuves et des femmes mariées qui, à +l'exemple de Judith de Béthulie, agissaient par inspiration divine. +Telle avait été la dame Catherine de La Rochelle, qui, à la vérité, +n'avait pas fait de très grandes choses<a id="footnotetag1029" name="footnotetag1029"></a><a href="#footnote1029" title="Lien vers la note 1029"><span class="smaller">[1029]</span></a>.</p> + +<p>Dans l'été de l'an 1439, la dame des Armoises se rendit à Orléans. Les +magistrats lui présentèrent, en guise d'hommage et de réjouissance, le +vin et la viande. Le 1<sup>er</sup> août, ils lui offrirent à dîner et lui +remirent deux cent dix livres parisis pour le bien qu'elle avait fait +à la ville pendant le siège. Ce sont les termes même par lesquels +cette dépense est consignée dans les comptes de la ville<a id="footnotetag1030" name="footnotetag1030"></a><a href="#footnote1030" title="Lien vers la note 1030"><span class="smaller">[1030]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page425" name="page425"></a>(p. 425)</span> Si les habitants la reconnurent pour la vraie Pucelle Jeanne, +ce fut moins par leurs yeux assurément que sur la foi des frères du +Lys. Ils l'avaient si peu vue, quand on y songe! Dans la semaine de +mai, elle ne s'était montrée à eux qu'armée et chevauchant; puis elle +n'avait plus fait que traverser la ville en juin 1429 et en janvier +1430. Il est vrai qu'on lui avait offert le vin et que les procureurs +s'étaient assis à table auprès d'elle<a id="footnotetag1031" name="footnotetag1031"></a><a href="#footnote1031" title="Lien vers la note 1031"><span class="smaller">[1031]</span></a>; mais il y avait de cela +neuf ans. Neuf ans ne passent pas sur le visage d'une femme sans y +faire des changements. Ils l'avaient laissée fille en son très jeune +âge, ils la retrouvaient femme et mère de deux enfants; ils croyaient +sage de s'en rapporter à ses proches. Où l'on commence à s'émerveiller +quelque peu, c'est quand on songe aux propos qui furent tenus dans le +banquet et à tout ce que la dame dut placer de bourdes et +d'incongruités. S'ils ne furent point désabusés, ces bourgeois étaient +des hommes simples et de bonne volonté.</p> + +<p>Et qui dit qu'ils ne le furent point? Qui dit qu'après avoir ajouté +foi à la nouvelle portée par Jean du Lys, les habitants ne +commençaient pas à découvrir l'imposture? La croyance que Jeanne +survivait n'était pas tout au moins unanime et générale dans la ville +pendant le séjour de la dame des Armoises, si l'on s'en rapporte aux +comptes des obits dont nous parlions tout à <span class="pagenum"><a id="page426" name="page426"></a>(p. 426)</span> l'heure. +Supprimé (à ce qu'il semble) dans les années trente-sept et +trente-huit, le service funèbre de la Pucelle venait d'être célébré en +trente-neuf, la surveille de la Fête-Dieu, trois mois environ avant le +banquet du 1<sup>er</sup> août<a id="footnotetag1032" name="footnotetag1032"></a><a href="#footnote1032" title="Lien vers la note 1032"><span class="smaller">[1032]</span></a>; en sorte que les Orléanais +reconnaissants avaient en même temps pour leur libératrice des messes +en commémoration de sa mort et des banquets où ils la faisaient boire.</p> + +<p>La dame des Armoises ne resta guère que quinze jours parmi eux. Elle +quitta la ville vers la fin de juillet, et il semble que son départ +ait été brusque et précipité, car, priée à un souper où huit pintes de +vin devaient lui être présentées, elle était déjà partie quand le vin +fut servi; le repas eut lieu sans elle<a id="footnotetag1033" name="footnotetag1033"></a><a href="#footnote1033" title="Lien vers la note 1033"><span class="smaller">[1033]</span></a>. Jean Luillier et +Thévanon de Bourges y assistèrent. Ce Thévanon était peut-être le même +que Thévenin Villedart, chez qui habitaient les frères de Jeanne, +pendant le siège<a id="footnotetag1034" name="footnotetag1034"></a><a href="#footnote1034" title="Lien vers la note 1034"><span class="smaller">[1034]</span></a>. Quant à Jean Luillier, on reconnaît en lui le +jeune marchand drapier qui, en juin 1429, avait fourni de la fine +bruxelles vermeille pour faire une robe à la Pucelle<a id="footnotetag1035" name="footnotetag1035"></a><a href="#footnote1035" title="Lien vers la note 1035"><span class="smaller">[1035]</span></a>.</p> + +<p>La dame des Armoises s'était rendue à Tours, où elle se faisait +connaître comme la véritable Jeanne. Elle remit au bailli de Touraine +une lettre pour le roi; le <span class="pagenum"><a id="page427" name="page427"></a>(p. 427)</span> bailli se chargea de la faire +tenir au prince qui se trouvait alors à Orléans, où il était arrivé +peu de temps après le départ de Jeanne. Le bailli de Touraine, en +1439, n'était autre que Guillaume Bellier qui, lieutenant de Chinon, +dix ans auparavant, avait reçu la Pucelle dans sa maison, sous la +garde de sa dévote femme<a id="footnotetag1036" name="footnotetag1036"></a><a href="#footnote1036" title="Lien vers la note 1036"><span class="smaller">[1036]</span></a>.</p> + +<p>En même temps que cette lettre, Guillaume Bellier adressa, par +messager, au roi, une note «touchant le fait de la dame Jeanne des +Armoises<a id="footnotetag1037" name="footnotetag1037"></a><a href="#footnote1037" title="Lien vers la note 1037"><span class="smaller">[1037]</span></a>». On en ignore entièrement la teneur<a id="footnotetag1038" name="footnotetag1038"></a><a href="#footnote1038" title="Lien vers la note 1038"><span class="smaller">[1038]</span></a>.</p> + +<p>Peu de temps après, cette dame s'en alla en Poitou où elle se mit au +service du seigneur Gille de Rais, maréchal de France<a id="footnotetag1039" name="footnotetag1039"></a><a href="#footnote1039" title="Lien vers la note 1039"><span class="smaller">[1039]</span></a>, qui, dans +sa prime jeunesse, avait conduit la Pucelle à Orléans, fait comme elle +la campagne du sacre, assailli avec elle les murailles de Paris et, +pendant la captivité de Jeanne, occupé Louviers et poussé une pointe +hardie sur Rouen. Maintenant, il dépeuplait d'enfants ses vastes +seigneuries, et, mêlant la magie à l'orgie, offrait aux démons le sang +et les membres d'innombrables victimes. Ses monstruosités sanglantes +répandaient la terreur autour de ses châteaux de Tiffauges et de +Machecoul, et déjà le bras ecclésiastique était sur lui.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page428" name="page428"></a>(p. 428)</span> La dame des Armoises pratiquait la magie, au dire du sacré +inquisiteur de Cologne, pourtant ce ne fut pas comme invocatrice de +démons que l'employa le maréchal de Rais; il lui confia la charge et +le gouvernement de gens de guerre<a id="footnotetag1040" name="footnotetag1040"></a><a href="#footnote1040" title="Lien vers la note 1040"><span class="smaller">[1040]</span></a>; à peu près l'état que Jeanne +tenait à Lagny et à Compiègne. Fit-elle de grandes vaillances d'armes? +On ne sait. Toujours est-il qu'elle ne garda pas longtemps sa charge, +qui fut donnée après elle à un écuyer gascon nommé Jean de +Siquemville<a id="footnotetag1041" name="footnotetag1041"></a><a href="#footnote1041" title="Lien vers la note 1041"><span class="smaller">[1041]</span></a>. Dans le printemps de 1440, elle s'approcha de +Paris<a id="footnotetag1042" name="footnotetag1042"></a><a href="#footnote1042" title="Lien vers la note 1042"><span class="smaller">[1042]</span></a>.</p> + +<p>Depuis près de deux ans et demi, la grande ville obéissait au roi +Charles, qui y avait fait son entrée, sans y ramener la prospérité. +Partout des maisons, abandonnées, tombaient en ruines; les loups +venaient dans les faubourgs dévorer les petits enfants<a id="footnotetag1043" name="footnotetag1043"></a><a href="#footnote1043" title="Lien vers la note 1043"><span class="smaller">[1043]</span></a>. +Bourguignons naguère, les habitants n'avaient pas tous oublié que la +Pucelle, en compagnie du frère Richard et des Armagnacs, avait attaqué +leur ville le jour de la Nativité de Notre-Dame. Beaucoup, sans doute, +lui en gardaient rancune et la croyaient brûlée pour ses démérites; +mais son nom ne soulevait pas, comme en 1429, une réprobation unanime. +Plusieurs, même parmi ses anciens <span class="pagenum"><a id="page429" name="page429"></a>(p. 429)</span> ennemis, s'avisaient<a id="footnotetag1044" name="footnotetag1044"></a><a href="#footnote1044" title="Lien vers la note 1044"><span class="smaller">[1044]</span></a> +qu'elle était martyre pour son légitime seigneur. C'est ce qu'on +disait dans la ville de Rouen; on le devait dire bien davantage dans +la ville de Paris redevenue française. Au bruit que Jeanne n'était pas +morte; qu'elle avait été reconnue par ceux d'Orléans et qu'elle +approchait de la ville, le menu peuple parisien s'émut et l'on put +craindre des troubles.</p> + +<p>En 1440, sous Charles de Valois, l'Université de Paris était animée du +même esprit qu'en 1431, sous Henri de Lancastre; elle respectait, elle +honorait le roi de France, gardien de ses privilèges et défenseur des +libertés de l'Église gallicane. Les insignes maîtres n'éprouvaient +aucun remords d'avoir réclamé et obtenu le châtiment de la Pucelle +hérétique et coupable de sédition. Est hérétique quiconque s'obstine +dans son erreur; est séditieux qui tente de renverser les puissances +et n'y réussit pas. Dieu qui voulait, en 1440, que Charles de Valois +fût maître dans sa ville de Paris, ne l'avait pas voulu en 1429; donc +la Pucelle avait combattu contre Dieu. L'Université eût, en 1440, +poursuivi d'un même zèle le châtiment d'une pucelle anglaise.</p> + +<p>Les magistrats de Poitiers, rentrés après un long et douloureux exil +dans leur vieille demeure parisienne, siégeaient au Parlement avec les +Bourguignons convertis<a id="footnotetag1045" name="footnotetag1045"></a><a href="#footnote1045" title="Lien vers la note 1045"><span class="smaller">[1045]</span></a>. Ces fidèles serviteurs du dauphin +Charles qui, dans les mauvais jours, avaient mis en œuvre la +Pucelle, <span class="pagenum"><a id="page430" name="page430"></a>(p. 430)</span> ne se seraient pas souciés, en 1440, de soutenir +publiquement la vérité de sa mission et la pureté de sa foi. Brûlée +par les Anglais, c'est bientôt dit. Un procès fait par un évêque et le +vice-inquisiteur avec le concours de l'Université n'est pas un procès +anglais; c'est un procès à la fois très gallican et très catholique. +La mémoire de Jeanne est notée d'infamie à la face de la chrétienté. +Et nul recours. Le pape pourrait seul casser ce procès religieux, mais +il ne le voudrait point, de peur de mécontenter le roi de la +catholique Angleterre et parce qu'il ne peut, sans ruiner toute +autorité humaine et divine, admettre qu'un inquisiteur de la foi ait +failli dans son jugement. Les clercs français s'inclinent et se +taisent; dans les assemblées du clergé on n'ose prononcer le nom de +Jeanne.</p> + +<p>Heureusement pour eux que, à l'égard de la dame des Armoises, ni les +docteurs et maîtres de l'Université, ni les anciens membres du +Parlement de Poitiers ne partagent l'illusion populaire. Ils ne +doutent pas que la Pucelle n'ait été brûlée à Rouen. Craignant que +cette femme, qui se donne pour la libératrice d'Orléans, ne fasse une +entrée tumultueuse dans la ville, le Parlement et l'Université +envoient au devant d'elle des hommes d'armes qui l'appréhendent et la +conduisent au Palais<a id="footnotetag1046" name="footnotetag1046"></a><a href="#footnote1046" title="Lien vers la note 1046"><span class="smaller">[1046]</span></a>.</p> + +<p>Elle fut interrogée, jugée et condamnée à l'exposition publique. Il y +avait en haut des degrés de la cour appelée <span class="pagenum"><a id="page431" name="page431"></a>(p. 431)</span> Cour-de-Mai une +table de marbre sur laquelle on exposait les malfaiteurs. La dame des +Armoises et de Tichemont y fut hissée et montrée au peuple qu'elle +avait abusé. Suivant la coutume, on la prêcha et on la contraignit à +se confesser publiquement<a id="footnotetag1047" name="footnotetag1047"></a><a href="#footnote1047" title="Lien vers la note 1047"><span class="smaller">[1047]</span></a>.</p> + +<p>Elle déclara qu'elle n'était pas pucelle et que, mariée à un +chevalier, elle avait eu deux fils. Elle raconta qu'un jour, en +présence de sa mère, entendant une femme tenir sur elle des propos +outrageants, elle s'élança pour la battre, mais, retenue par sa mère, +ce fut celle-ci qu'elle frappa. Elle eût évité de la toucher, n'eût +été la colère. Toutefois, c'était là un cas réservé. Quiconque avait +porté la main tant sur son père ou sa mère que sur un prêtre ou un +clerc, devait aller en demander pardon au Saint-Père, à qui +appartenait seul de lier ou de délier le pécheur. Ainsi avait-elle +fait. «Je fus à Rome, dit-elle, en habit d'homme. Je fis, comme +soldat, la guerre du Saint-Père Eugène, et, dans cette guerre, je fus +homicide par deux fois.»</p> + +<p>À quelle époque avait-elle fait ce voyage de Rome? Probablement avant +l'exil du pape Eugène à Florence, vers l'an 1433, alors que les +condottieri du duc de Milan s'avancèrent jusqu'aux portes de +Rome<a id="footnotetag1048" name="footnotetag1048"></a><a href="#footnote1048" title="Lien vers la note 1048"><span class="smaller">[1048]</span></a>.</p> + +<p>On ne voit point que l'Université, l'ordinaire ni le <span class="pagenum"><a id="page432" name="page432"></a>(p. 432)</span> Grand +Inquisiteur, aient réclamé cette femme suspecte de sorcellerie, +d'homicide, et qui portait des habits dissolus. Elle ne fut pas +poursuivie comme hérétique, sans doute parce qu'elle ne se montra pas +opiniâtre et que l'opiniâtreté constitue seule l'hérésie.</p> + +<p>Depuis lors, elle ne fit plus parler d'elle. On croit, mais sans +raisons suffisantes, qu'elle finit par retourner à Metz auprès du +chevalier des Armoises, son mari, et qu'elle vécut, paisible et +honorée, jusqu'à un âge avancé, dans la maison où ses armoiries +étaient sculptées sur la porte, ses armoiries, ou plutôt celles de +Jeanne la Pucelle, l'épée, la couronne et les Lis<a id="footnotetag1049" name="footnotetag1049"></a><a href="#footnote1049" title="Lien vers la note 1049"><span class="smaller">[1049]</span></a>.</p> + +<p>Le succès de cette supercherie avait duré quatre ans. Il ne faut pas +en concevoir trop de surprise. De tout temps le peuple se résigne avec +peine à croire à la fin irréparable des existences qui ont émerveillé +son imagination; il n'admet pas que des personnes fameuses viennent à +mourir d'un coup et malencontreusement comme le vulgaire; il répugne +au brusque dénouement des belles aventures humaines. Toujours les +imposteurs, comme la dame des Armoises, trouvent des gens qui les +croient. Et celle-ci parut en un temps singulièrement favorable au +mensonge; les hommes étaient abêtis par une longue misère; partout la +guerre empêchait les communications; on ne savait <span class="pagenum"><a id="page433" name="page433"></a>(p. 433)</span> plus ce +qui se passait un peu loin; tout dans les esprits, dans les choses, +était trouble, ignorance, confusion.</p> + +<p>Encore cette fausse Jeanne n'en imposa si longtemps que grâce à +l'appui que les frères Du Lys lui prêtèrent. Furent-ils dupes ou +complices? Si faibles d'esprit qu'on les suppose, il n'est guère +possible de penser qu'ils se laissèrent tromper par une aventurière. +Ressemblât-elle beaucoup à la fille de la Romée, la femme de la +Grange-aux-Ormes ne pouvait longtemps abuser deux hommes qui, nourris +avec Jeanne et venus avec elle en France, la connaissaient intimement.</p> + +<p>S'ils ne furent pas dupes, quelles raisons donner de leur conduite? +Ils avaient beaucoup perdu en perdant leur sœur. Quand il vint à la +Grange-aux-Ormes, Pierre Du Lys sortait des prisons bourguignonnes; la +dot de sa femme avait payé sa rançon et il se trouvait dans un complet +dénuement<a id="footnotetag1050" name="footnotetag1050"></a><a href="#footnote1050" title="Lien vers la note 1050"><span class="smaller">[1050]</span></a>. Jean, bailli de Vermandois, puis capitaine de +Chartres, et, vers 1436, bailli de Vaucouleurs, n'était guère mieux +dans ses affaires<a id="footnotetag1051" name="footnotetag1051"></a><a href="#footnote1051" title="Lien vers la note 1051"><span class="smaller">[1051]</span></a>. Cela expliquerait bien des choses. Pourtant +on hésite à penser qu'ils aient, seuls, d'eux-mêmes, sans appui, joué +un jeu difficile, hasardeux et périlleux. Sur le peu que l'on sait de +leur vie, on se figure qu'ils étaient tous deux bien simples, bien +naïfs, bien tranquilles, pour mener une telle intrigue.</p> + +<p>On serait tenté de croire qu'ils y furent entraînés par <span class="pagenum"><a id="page434" name="page434"></a>(p. 434)</span> de +plus grands et de plus forts qu'eux. Qui sait? Peut-être par des +serviteurs indiscrets du roi de France. Charles VII souffrait +cruellement dans son honneur de la condamnation et du supplice de +Jeanne. N'est-il pas possible qu'autour du roi et de son Conseil il se +soit trouvé des agents trop zélés, qui imaginèrent cette étrange +apparition afin de faire croire que Jeanne la Pucelle n'était pas +morte de la mort des sorcières, mais que, par la vertu de son +innocence et de sa sainteté, elle avait échappé aux flammes? De la +sorte, imaginée à une époque où il paraissait impossible d'obtenir +jamais du pape la revision du procès de 1431, l'imposture de cette +fausse Jeanne aurait constitué un essai subreptice et frauduleux de +réhabilitation, tentative malheureuse, bientôt abandonnée et +réprouvée.</p> + +<p>Cette supposition expliquerait comment les frères Du Lys, qui +s'étaient mis dans un mauvais cas, car ils avaient séduit le peuple, +trompé le roi, commis enfin un crime de lèse-majesté, n'en furent +point châtiés, ni même disgraciés. Jean resta prévôt de Vaucouleurs, +durant de longues années, puis, déchargé de sa capitainerie, toucha en +échange une somme d'argent. Pierre, qui, de même que la Romée, sa +mère, habitait Orléans, reçut en 1443 du duc Charles, rentré depuis +trois ans en France, l'Île-aux-Bœufs<a id="footnotetag1052" name="footnotetag1052"></a><a href="#footnote1052" title="Lien vers la note 1052"><span class="smaller">[1052]</span></a>, sur la Loire, qui +donnait <span class="pagenum"><a id="page435" name="page435"></a>(p. 435)</span> un peu d'herbage. Il n'en resta pas moins besogneux, +et il se faisait aider par le duc et les habitants d'Orléans<a id="footnotetag1053" name="footnotetag1053"></a><a href="#footnote1053" title="Lien vers la note 1053"><span class="smaller">[1053]</span></a>.</p> + + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page436" name="page436"></a>(p. 436)</span> CHAPITRE XVI<br> + +<span class="smaller">APRÈS LA MORT DE LA PUCELLE (<i>Suite</i>). — LES JUGES DE ROUEN AU CONCILE +DE BÂLE ET LA PRAGMATIQUE SANCTION. — LE PROCÈS DE RÉHABILITATION. — LA +PUCELLE DE SARMAIZE. — LA PUCELLE DU MANS.</span></h2> + + +<p>D'année en année, le concile de Bâle déroulait ses sessions comme la +queue d'un dragon apocalyptique. Par la manière dont il réformait +l'Église dans ses membres et dans son chef, il faisait l'épouvante du +Souverain Pontife et du Sacré Collège; Æneas Sylvius s'écriait +douloureusement: «Certes, ce n'est pas l'Église de Dieu qui est +rassemblée à Bâle, mais la synagogue de Satan<a id="footnotetag1054" name="footnotetag1054"></a><a href="#footnote1054" title="Lien vers la note 1054"><span class="smaller">[1054]</span></a>.» Paroles qui, +dans la bouche d'un cardinal romain, ne sembleront pas trop fortes, +appliquées à l'assemblée qui vota la liberté des élections +épiscopales, <span class="pagenum"><a id="page437" name="page437"></a>(p. 437)</span> la suppression des annates, des droits de +pallium, des taxes de chancellerie, et qui voulait ramener le +Saint-Père à la pauvreté évangélique. Au contraire, le roi de France +et l'empereur regardaient favorablement le synode, lorsqu'il +s'efforçait de contenir l'ambition et la rapacité de l'évêque de Rome.</p> + +<p>Or, parmi les Pères les plus zélés à réformer l'Église, brillaient les +maîtres et docteurs de l'Université de Paris, qui avaient siégé au +procès de la Pucelle, et notamment maître Nicolas Loiseleur et maître +Thomas de Courcelles. Charles VII convoqua une assemblée du clergé du +royaume à l'effet d'examiner les canons de Bâle. Cette assemblée se +réunit dans la Sainte-Chapelle de Bourges, le 1<sup>er</sup> mai 1438. Maître +Thomas de Courcelles, délégué par le Concile, y conféra avec le +seigneur évêque de Castres. Or, en 1438, le seigneur évêque de +Castres, élégant humaniste, zélé conseiller de la Couronne, qui se +plaignait dans ses lettres cicéroniennes que, attaché à la glèbe de la +cour, il ne lui restât pas le temps de visiter son épouse<a id="footnotetag1055" name="footnotetag1055"></a><a href="#footnote1055" title="Lien vers la note 1055"><span class="smaller">[1055]</span></a>, +n'était autre que maître Gérard Machet, le confesseur du Roi qui, en +1429, avait, parmi les clercs de Poitiers, allégué l'autorité des +prophéties en faveur de la Pucelle, en qui ne se voyaient que candeur +et bonté<a id="footnotetag1056" name="footnotetag1056"></a><a href="#footnote1056" title="Lien vers la note 1056"><span class="smaller">[1056]</span></a>. Maître Thomas de Courcelles avait opiné, à Rouen, pour +que la Pucelle fût appliquée à la torture et livrée au bras <span class="pagenum"><a id="page438" name="page438"></a>(p. 438)</span> +séculier<a id="footnotetag1057" name="footnotetag1057"></a><a href="#footnote1057" title="Lien vers la note 1057"><span class="smaller">[1057]</span></a>. À l'assemblée d'Orléans, les deux hommes d'Église +s'accordèrent sur la suprématie des Conciles généraux, la liberté des +élections épiscopales, la suppression des annates et les droits de +l'Église gallicane. Sans doute qu'à ce moment il ne souvenait guère ni +à l'un ni à l'autre de la pauvre Pucelle. Des travaux de l'assemblée, +auxquels maître Thomas prit une grande part, sortit l'édit solennel +rendu par le roi le 7 juillet 1438: la pragmatique sanction. Les +canons de Bâle devenaient la constitution de l'Église de France<a id="footnotetag1058" name="footnotetag1058"></a><a href="#footnote1058" title="Lien vers la note 1058"><span class="smaller">[1058]</span></a>.</p> + +<p>L'empereur admit pareillement la réforme de Bâle. Les Pères en +conçurent une telle audace qu'ils citèrent le pape Eugène à leur +tribunal et, sur son refus d'y paraître, le déposèrent comme +désobéissant, opiniâtre, rebelle, violateur des canons, perturbateur +de l'unité ecclésiastique, scandaleux, simoniaque, parjure, +incorrigible, schismatique, hérétique endurci, dissipateur des biens +de l'Église, pernicieux et damnable<a id="footnotetag1059" name="footnotetag1059"></a><a href="#footnote1059" title="Lien vers la note 1059"><span class="smaller">[1059]</span></a>. Ainsi s'exprimèrent à +l'endroit du Saint-Père, entre autres docteurs, maître Jean Beaupère, +maître Thomas <span class="pagenum"><a id="page439" name="page439"></a>(p. 439)</span> de Courcelles et maître Nicolas Loiseleur, qui +avaient tous trois si durement reproché à Jeanne de ne se point +vouloir soumettre au pape<a id="footnotetag1060" name="footnotetag1060"></a><a href="#footnote1060" title="Lien vers la note 1060"><span class="smaller">[1060]</span></a>. Maître Nicolas, qui s'était tant +démené au procès de la Pucelle, faisant tour à tour le prisonnier +lorrain et madame sainte Catherine, et qui, lorsqu'elle fut conduite +au bûcher, courut après elle comme un fou<a id="footnotetag1061" name="footnotetag1061"></a><a href="#footnote1061" title="Lien vers la note 1061"><span class="smaller">[1061]</span></a>, maître Nicolas +s'agita beaucoup aussi dans le synode et s'y donna une certaine +importance. Il y soutint l'opinion que le Concile général, +canoniquement assemblé, était au-dessus du pape et pouvait le déposer; +et, bien que ce chanoine fût seulement maître ès arts, il parut assez +habile aux Pères de Bâle pour qu'ils l'envoyassent, en 1439, comme +jurisconsulte à la diète de Mayence. Pendant ce temps, son attitude +désolait le chapitre qui l'avait député au synode. Les chanoines de +Rouen prenaient le parti du Souverain Pontife contre les Pères et, sur +ce point, se séparaient de l'Université de Paris. Désavouant leur +mandataire, ils lui signifièrent sa révocation le 28 juillet +1438<a id="footnotetag1062" name="footnotetag1062"></a><a href="#footnote1062" title="Lien vers la note 1062"><span class="smaller">[1062]</span></a>.</p> + +<p>Maître Thomas de Courcelles, l'un de ceux qui déclarèrent le pape +désobéissant, opiniâtre, rebelle et le reste, fut nommé commissaire +pour l'élection d'un nouveau <span class="pagenum"><a id="page440" name="page440"></a>(p. 440)</span> pape, et, comme Loiseleur, +délégué à la diète de Mayence. Mais il ne fut pas, comme Loiseleur, +désavoué par ses commettants, car il était député de l'Université de +Paris qui reconnaissait le pape du Concile, Félix, pour le vrai père +des fidèles<a id="footnotetag1063" name="footnotetag1063"></a><a href="#footnote1063" title="Lien vers la note 1063"><span class="smaller">[1063]</span></a>. Dans l'assemblée du clergé de France, tenue à +Bourges, au mois d'août 1440, maître Thomas prit la parole au nom des +Pères de Bâle; il parla pendant deux heures, à l'entière satisfaction +du roi<a id="footnotetag1064" name="footnotetag1064"></a><a href="#footnote1064" title="Lien vers la note 1064"><span class="smaller">[1064]</span></a>. Charles VII, tout en demeurant dans l'obéissance du pape +Eugène, maintenait la pragmatique. Maître Thomas de Courcelles était +désormais une des colonnes de l'Église de France.</p> + +<p>Pendant ce temps, le gouvernement anglais se déclarait pour le pape +contre le Concile<a id="footnotetag1065" name="footnotetag1065"></a><a href="#footnote1065" title="Lien vers la note 1065"><span class="smaller">[1065]</span></a>. Monseigneur Pierre Cauchon, devenu évêque de +Lisieux, était l'ambassadeur du roi Henri VI au synode; il lui advint +à Bâle une mésaventure assez déplaisante. À raison de sa translation +au siège de Lisieux, il devait à la cour de Rome, à titre d'annates, +une somme de 400 florins d'or. Le trésorier général du pape en +Germanie lui signifia que, pour avoir manqué à payer cette somme à la +Chambre apostolique, bien que de longs délais lui eussent été +accordés, il avait encouru l'excommunication; que, de plus, pour +s'être permis, quoique excommunié, <span class="pagenum"><a id="page441" name="page441"></a>(p. 441)</span> de célébrer l'office +divin, il avait encouru l'irrégularité<a id="footnotetag1066" name="footnotetag1066"></a><a href="#footnote1066" title="Lien vers la note 1066"><span class="smaller">[1066]</span></a>. Il en dut éprouver une +contrariété assez vive; mais ces sortes d'affaires, en somme, étaient +fréquentes et sans grande conséquence; de telles foudres tombaient dru +sur les gens d'Église sans leur faire grand mal.</p> + +<p>À partir de 1444, le royaume de France, débarrassé de ses ennemis et +de ses défenseurs, laboura, travailla à tous les métiers, fit le +négoce et s'enrichit. Le gouvernement du roi Charles conquit vraiment +la Normandie dans l'intervalle des guerres et durant les trêves, en +faisant avec elle le commerce des marchandises et l'échange des +denrées; il la gagna, peut-on dire, en abolissant les péages et les +droits sur les rivières de Seine, d'Oise et de Loire; il n'eut plus +ensuite qu'à la prendre. Ce fut si facile que, dans cette rapide +campagne de 1449<a id="footnotetag1067" name="footnotetag1067"></a><a href="#footnote1067" title="Lien vers la note 1067"><span class="smaller">[1067]</span></a>, le connétable lui-même ne fut pas battu, ni le +duc d'Alençon. Charles VII reprit sa ville de Rouen à sa manière +royale et douce, comme vingt ans auparavant il avait pris Troyes et +Reims, par entente avec ceux du dedans, moyennant amnistie et octroi +de franchises et privilèges aux bourgeois. Il y fit son entrée le +lundi 10 novembre 1449. Le gouvernement français se sentit même assez +fort pour reprendre l'Aquitaine, si profondément anglaise. En 1451, +monseigneur <span class="pagenum"><a id="page442" name="page442"></a>(p. 442)</span> le Bâtard, maintenant comte de Dunois, s'empara +de la forteresse de Blaye; Bordeaux et Bayonne se rendirent la même +année. Voici comme le seigneur évêque du Mans célébra ces conquêtes, +dignes de la majesté du roi très chrétien:</p> + +<p>«Le Maine, la Normandie, l'Aquitaine, ces belles provinces, sont +rentrées sous l'obéissance du roi, presque sans effusion de sang +français, sans qu'il ait été nécessaire de renverser les remparts de +tant de villes si bien murées, sans qu'on ait eu à démolir leurs +forts, sans que les habitants aient eu à souffrir ni pillages ni +meurtres<a id="footnotetag1068" name="footnotetag1068"></a><a href="#footnote1068" title="Lien vers la note 1068"><span class="smaller">[1068]</span></a>.»</p> + +<p>En effet, la Normandie et le Maine se revoyaient françaises avec un +plein contentement. La ville de Bordeaux, seule, regrettait les +Anglais dont le départ la ruinait. Elle se révolta en 1452; on eut +quelque peine à la reprendre, mais ce fut pour la garder toujours.</p> + +<p>Dès lors, riche et victorieux, le roi Charles voulut effacer la tache +imprimée à son honneur royal par la sentence de 1431. Soucieux de +prouver au monde entier qu'il n'avait pas été mené à son sacre par une +sorcière, il s'efforça d'obtenir que le procès de la Pucelle fût +cassé. C'était un procès d'Église et le pape seul pouvait en ordonner +la revision. Le roi pensait l'y amener, bien qu'il sût que ce ne +serait pas facile. Il fit procéder, au mois <span class="pagenum"><a id="page443" name="page443"></a>(p. 443)</span> de mars 1450, à +une information préalable<a id="footnotetag1069" name="footnotetag1069"></a><a href="#footnote1069" title="Lien vers la note 1069"><span class="smaller">[1069]</span></a>; et l'affaire en resta là jusqu'à la +venue en France du cardinal d'Estouteville, légat du Saint-Siège. Le +pape Nicolas l'avait envoyé pour négocier, auprès du roi de France, la +paix avec l'Angleterre et la croisade contre les Turcs. Le cardinal +d'Estouteville, issu d'une famille normande, put plus facilement qu'un +autre découvrir le fort et le faible du procès de Jeanne. Pour se +concilier les bonnes grâces du roi Charles, il ouvrit comme légat une +nouvelle information à Rouen, avec l'assistance de Jean Bréhal, de +l'ordre des frères prêcheurs, inquisiteur de la foi au royaume de +France. Mais l'intervention du légat ne fut point approuvée par le +pape<a id="footnotetag1070" name="footnotetag1070"></a><a href="#footnote1070" title="Lien vers la note 1070"><span class="smaller">[1070]</span></a>; durant trois ans, la revision demeura suspendue. Nicolas V +ne consentait pas à laisser croire que le sacré tribunal de la très +sainte Inquisition fût faillible et pût avoir, ne fût-ce qu'une fois, +rendu une sentence injuste. On avait à Rome une raison plus forte +encore de ne point toucher au procès de 1431: les Français demandaient +la revision; les Anglais s'y opposaient, et le pape ne voulait pas +fâcher les Anglais qui étaient alors aussi catholiques et plus +catholiques même que les Français<a id="footnotetag1071" name="footnotetag1071"></a><a href="#footnote1071" title="Lien vers la note 1071"><span class="smaller">[1071]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page444" name="page444"></a>(p. 444)</span> Pour tirer le pape d'embarras et le mettre à l'aise, le +gouvernement de Charles VII trouva un biais. Le roi ne parut plus dans +l'affaire; il céda la place à la famille de la Pucelle. La mère de +Jeanne, Isabelle Romée de Vouthon, qui vivait retirée à Orléans<a id="footnotetag1072" name="footnotetag1072"></a><a href="#footnote1072" title="Lien vers la note 1072"><span class="smaller">[1072]</span></a>, +et ses deux fils, Pierre et Jean du Lys, demandèrent la +revision<a id="footnotetag1073" name="footnotetag1073"></a><a href="#footnote1073" title="Lien vers la note 1073"><span class="smaller">[1073]</span></a>. Par cet artifice de procédure, l'affaire cessait +d'être politique et ne concernait plus que des particuliers. Sur ces +entrefaites, Nicolas V vint à mourir (24 mars 1455). Son successeur, +Calixte III Borgia, vieillard de soixante-dix-huit ans, par un rescrit +en date du 11 juin 1455, donna l'autorisation d'instruire la cause. À +cet effet, il désigna Jean Jouvenel des Ursins, archevêque de Reims, +Guillaume Chartier, évêque de Paris, et Richard Olivier, évêque de +Coutances, qui devaient agir concurremment avec le Grand Inquisiteur +de France<a id="footnotetag1074" name="footnotetag1074"></a><a href="#footnote1074" title="Lien vers la note 1074"><span class="smaller">[1074]</span></a>.</p> + +<p>Il fut bien convenu, tout d'abord, qu'il ne s'agissait point de mettre +en cause tous ceux qui avaient eu part au procès, «car ils avaient été +trompés». On admit spécialement que la fille des rois, la mère des +études, l'Université de Paris, avait été induite en erreur par la +rédaction frauduleuse des douze articles; on s'accorda pour tout +rejeter sur l'évêque de Beauvais et sur le <span class="pagenum"><a id="page445" name="page445"></a>(p. 445)</span> promoteur +Guillaume d'Estivet, tous deux décédés. La précaution était utile, +car, si l'on n'y avait pris garde, on aurait terriblement embarrassé +certains docteurs puissants auprès du roi et chers à l'Église de +France.</p> + +<p>Le 7 novembre 1455, Isabelle Romée et ses deux fils, suivis d'un long +cortège d'honorables hommes ecclésiastiques et séculiers et de prudes +femmes, vinrent en l'église Notre-Dame de Paris demander justice aux +prélats, commissaires du pape<a id="footnotetag1075" name="footnotetag1075"></a><a href="#footnote1075" title="Lien vers la note 1075"><span class="smaller">[1075]</span></a>.</p> + +<p>Citation fut donnée à Rouen pour le 12 décembre aux dénonciateurs et +accusateurs de la feue Jeanne. Personne ne se présenta<a id="footnotetag1076" name="footnotetag1076"></a><a href="#footnote1076" title="Lien vers la note 1076"><span class="smaller">[1076]</span></a>. Les +héritiers de feu messire Pierre Cauchon déclinèrent toute solidarité +avec les actes de leur parent décédé et se couvrirent, quant à la +responsabilité civile, de l'amnistie accordée par le roi lors de la +recouvrance de la Normandie<a id="footnotetag1077" name="footnotetag1077"></a><a href="#footnote1077" title="Lien vers la note 1077"><span class="smaller">[1077]</span></a>. On procéda, comme on s'y était bien +attendu, sans contradiction ni débats.</p> + +<p>Des enquêtes furent ouvertes à Domremy, à Orléans, à Paris, à +Rouen<a id="footnotetag1078" name="footnotetag1078"></a><a href="#footnote1078" title="Lien vers la note 1078"><span class="smaller">[1078]</span></a>. Les amies d'enfance de Jeannette, Hauviette, Mengette, +mariées et vieillies, Jeannette, femme Thévenin, Jeannette, veuve +Thiesselin, Béatrix, veuve Estellin, Jean Morel de Greux, Gérardin +d'Épinal, le bourguignon, et sa femme Isabellette, commère de la fille +<span class="pagenum"><a id="page446" name="page446"></a>(p. 446)</span> de Jacques d'Arc, Perrin le sonneur, l'oncle Lassois, les +époux Leroyer et une vingtaine de paysans de Domremy comparurent; on +entendit messire Bertrand de Poulengy, alors sur ses soixante-trois +ans, écuyer d'écurie du roi de France, et Jean de Novelompont, dit +Jean de Metz, anobli, résidant à Vaucouleurs, en possession de quelque +office militaire; on entendit des gentilshommes et des ecclésiastiques +lorrains et champenois<a id="footnotetag1079" name="footnotetag1079"></a><a href="#footnote1079" title="Lien vers la note 1079"><span class="smaller">[1079]</span></a>; on entendit les bourgeois d'Orléans et +notamment Jean Luillier, ce marchand drapier qui, en juin 1429, avait +fourni de la fine bruxelle vermeille pour faire une robe à Jeanne et +dix ans après assisté au banquet donné par les procureurs d'Orléans à +la Pucelle échappée des flammes<a id="footnotetag1080" name="footnotetag1080"></a><a href="#footnote1080" title="Lien vers la note 1080"><span class="smaller">[1080]</span></a>; du moins le croyait-on. Jean +Luillier était le plus avisé des témoins car les autres, dont il se +présenta deux douzaines environ, bourgeois et bourgeoises, entre +cinquante et soixante-dix ans, ne firent guère qu'opiner comme +lui<a id="footnotetag1081" name="footnotetag1081"></a><a href="#footnote1081" title="Lien vers la note 1081"><span class="smaller">[1081]</span></a>. Il parla bien; mais la peur des Anglais lui donnait la +berlue, car il en voyait beaucoup plus qu'il n'y en avait.</p> + +<p>On entendit relativement à l'examen de Poitiers un avocat, un écuyer, +un homme de pratique, François Garivel, qui avait tout juste quinze +ans quand Jeanne fut interrogée<a id="footnotetag1082" name="footnotetag1082"></a><a href="#footnote1082" title="Lien vers la note 1082"><span class="smaller">[1082]</span></a>; en fait de clercs, frère +Seguin, limousin, pour <span class="pagenum"><a id="page447" name="page447"></a>(p. 447)</span> tout potage<a id="footnotetag1083" name="footnotetag1083"></a><a href="#footnote1083" title="Lien vers la note 1083"><span class="smaller">[1083]</span></a>; les clercs de +Poitiers ne se risquaient pas plus que les clercs de Rouen: chat +échaudé craint l'eau froide. La Hire et Poton de Saintrailles étaient +morts. On entendit les survivants d'Orléans et de Patay, le Bâtard +Jean, devenu comte de Dunois et de Longueville, qui déposa comme un +clerc<a id="footnotetag1084" name="footnotetag1084"></a><a href="#footnote1084" title="Lien vers la note 1084"><span class="smaller">[1084]</span></a>; le vieux seigneur de Gaucourt qui, dans ses +quatre-vingt-cinq ans, fit quelque effort de mémoire, et pour le +surplus déposa comme le comte de Dunois<a id="footnotetag1085" name="footnotetag1085"></a><a href="#footnote1085" title="Lien vers la note 1085"><span class="smaller">[1085]</span></a>; le duc d'Alençon, sur +le point de s'allier aux Anglais et de se procurer de la poudre pour +«sécher» le roi<a id="footnotetag1086" name="footnotetag1086"></a><a href="#footnote1086" title="Lien vers la note 1086"><span class="smaller">[1086]</span></a>, et qui ne s'en montra pas moins bavard et +glorieux<a id="footnotetag1087" name="footnotetag1087"></a><a href="#footnote1087" title="Lien vers la note 1087"><span class="smaller">[1087]</span></a>; l'intendant de Jeanne, messire Jean d'Aulon, devenu +chevalier, conseiller du roi et sénéchal de Beaucaire<a id="footnotetag1088" name="footnotetag1088"></a><a href="#footnote1088" title="Lien vers la note 1088"><span class="smaller">[1088]</span></a>, et le +petit page Louis de Coutes, noble et en âge de quarante-deux +ans<a id="footnotetag1089" name="footnotetag1089"></a><a href="#footnote1089" title="Lien vers la note 1089"><span class="smaller">[1089]</span></a>; on entendit le frère Pasquerel qui restait, en sa +vieillesse, d'esprit léger et crédule<a id="footnotetag1090" name="footnotetag1090"></a><a href="#footnote1090" title="Lien vers la note 1090"><span class="smaller">[1090]</span></a>; la veuve de maître René +de Bouligny, demoiselle Marguerite la Touroulde, retirée à Paris, qui +rapporta ses souvenirs avec finesse et bonne grâce<a id="footnotetag1091" name="footnotetag1091"></a><a href="#footnote1091" title="Lien vers la note 1091"><span class="smaller">[1091]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page448" name="page448"></a>(p. 448)</span> Sur le fait même du procès, on se garda d'appeler le seigneur +archevêque de Rouen, messire Raoul Roussel, qui avait pourtant siégé +au côté de monseigneur de Beauvais. Quant au vice-inquisiteur de la +foi, frère Jean Lemaistre, on fit comme s'il était mort. Cependant un +certain nombre d'assesseurs furent convoqués: Jean Beaupère, chanoine +de Paris, de Besançon et de Rouen, Jean de Mailly, seigneur évêque de +Noyon, Jean Lefèvre, évêque de Démétriade; plusieurs chanoines de +Rouen, quelques religieux, qui comparurent, les uns onctueux, les +autres rechignés<a id="footnotetag1092" name="footnotetag1092"></a><a href="#footnote1092" title="Lien vers la note 1092"><span class="smaller">[1092]</span></a>; et le très illustre docteur Thomas de +Courcelles qui, après avoir été le plus laborieux et le plus assidu +collaborateur de l'évêque de Beauvais, devant les commissaires de la +revision, ne se rappela rien<a id="footnotetag1093" name="footnotetag1093"></a><a href="#footnote1093" title="Lien vers la note 1093"><span class="smaller">[1093]</span></a>.</p> + +<p>On trouva dans les artisans de la condamnation les meilleurs artisans +de la réhabilitation. Les greffiers du seigneur évêque de Beauvais, +les Boisguillaume, les Manchon, les Taquel, tous ces encriers d'Église +qui avaient instrumenté pour la mort firent merveilles quand il s'agit +de démonter l'instrument; autant ils avaient mis de zèle à construire +le procès, autant ils en mirent à le défaire; ils y découvrirent +autant de vices qu'on voulut<a id="footnotetag1094" name="footnotetag1094"></a><a href="#footnote1094" title="Lien vers la note 1094"><span class="smaller">[1094]</span></a>.</p> + +<p>Et de quel ton lamentable ces procéduriers bénins, ces chicaneurs +attendris dénonçaient-ils l'iniquité cruelle <span class="pagenum"><a id="page449" name="page449"></a>(p. 449)</span> qu'ils avaient +mise eux-mêmes en bonne et due forme! On vit alors l'huissier Jean +Massieu, prêtre concubinaire, curé scandaleux par son +incontinence<a id="footnotetag1095" name="footnotetag1095"></a><a href="#footnote1095" title="Lien vers la note 1095"><span class="smaller">[1095]</span></a>, bon homme au reste, bien qu'un peu sournois, +inventer mille fables ridicules pour noircir Cauchon, comme si le +vieil évêque n'était pas déjà assez noir<a id="footnotetag1096" name="footnotetag1096"></a><a href="#footnote1096" title="Lien vers la note 1096"><span class="smaller">[1096]</span></a>. Les commissaires de la +revision tirèrent du couvent des frères prêcheurs de Rouen une paire +de moines lamentables, frère Martin Ladvenu et frère Isambart de la +Pierre, qui pleurèrent à cœur fendre en contant la pieuse fin de +cette pauvre Pucelle qu'ils avaient déclarée hérétique, puis relapse +et fait brûler vive. Il n'y eut pas jusqu'au clerc chargé de donner la +question à Jeanne qui ne vînt s'attendrir sur la mémoire d'une si +sainte fille<a id="footnotetag1097" name="footnotetag1097"></a><a href="#footnote1097" title="Lien vers la note 1097"><span class="smaller">[1097]</span></a>.</p> + +<p>Des piles énormes de mémoires composés par des docteurs de science +éprouvée, canonistes théologiens et juristes, tant français +qu'étrangers, furent versés au procès. Ils avaient pour principal +objet d'établir, par raisonnement scolastique, que Jeanne avait soumis +ses faits et dits au jugement de l'Église et de notre seigneur le +pape. Ces docteurs prouvèrent que les juges de 1431 avaient été très +subtils et Jeanne très simple. C'était le meilleur moyen, sans doute, +de faire croire qu'elle s'était soumise à l'Église, mais, en vérité, +ils la firent par trop simple. À les en croire, elle était tout +ignare, <span class="pagenum"><a id="page450" name="page450"></a>(p. 450)</span> ne comprenant rien, s'imaginant que les clercs qui +l'interrogeaient composaient à eux seuls l'Église militante, enfin à +peu près idiote. Ç'avait été déjà l'idée des docteurs du parti +français en 1429. La Pucelle «une puce», disait alors le seigneur +archevêque d'Embrun<a id="footnotetag1098" name="footnotetag1098"></a><a href="#footnote1098" title="Lien vers la note 1098"><span class="smaller">[1098]</span></a>.</p> + +<p>Il y avait une autre raison de la faire paraître aussi infirme et +imbécile que possible. On en faisait mieux éclater la puissance de +Dieu qui avait rétabli par elle le roi de France dans son héritage.</p> + +<p>Les commissaires obtinrent de la plupart des témoins des déclarations +en ce sens. Elle était simple, elle était très simple, elle était +toute simple, répétaient-ils les uns après les autres. Et tous, en +termes semblables, ajoutent: «Oui, elle était simple, hors au fait de +guerre où elle était très entendue<a id="footnotetag1099" name="footnotetag1099"></a><a href="#footnote1099" title="Lien vers la note 1099"><span class="smaller">[1099]</span></a>.» Et les capitaines de dire +qu'elle était experte à placer des canons, quand ils savaient bien le +contraire, mais il fallait qu'elle fût excellente au fait de guerre, +puisque Dieu lui-même la conduisait contre les Anglais; cet art +militaire dans une fille inepte était précisément le miracle.</p> + +<p>En sa «recollection» le Grand Inquisiteur de France, frère Jean +Bréhal, énumère les raisons qu'on a de croire que Jeanne venait de +Dieu. Une des preuves qui semble l'avoir le plus frappé est qu'on la +trouve annoncée dans les prophéties de Merlin l'Enchanteur<a id="footnotetag1100" name="footnotetag1100"></a><a href="#footnote1100" title="Lien vers la note 1100"><span class="smaller">[1100]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page451" name="page451"></a>(p. 451)</span> Croyant pouvoir induire d'une des réponses de Jeanne qu'elle +eut pour la première fois ses apparitions dans sa treizième année, +frère Jean Bréhal estime que le fait est d'autant plus croyable que ce +nombre 13, composé de 3, qui signifie la bienheureuse Trinité, et de +10, qui exprime la parfaite observation du Décalogue, dispose +merveilleusement aux visites divines<a id="footnotetag1101" name="footnotetag1101"></a><a href="#footnote1101" title="Lien vers la note 1101"><span class="smaller">[1101]</span></a>.</p> + +<p>Le 16 juin 1456, le jugement de 1431, déclaré injuste, mal fondé, +inique, fut cassé et frappé de nullité.</p> + +<p>C'était l'honneur rendu à la messagère du sacre et sa mémoire mise en +règle avec l'Église. Mais la puissance créatrice, qui avait enfanté +tant de légendes pieuses et de fables héroïques à l'apparition de +cette enfant, était désormais tarie. Le procès de réhabilitation +ajouta peu de chose à la légende populaire; il fournit l'occasion +d'appliquer à la mort de Jeanne les lieux communs relatifs au martyre +des vierges, tels que la colombe envolée du bûcher, le nom de Jésus +tracé en lettres de flamme, le cœur trouvé intact dans les +cendres<a id="footnotetag1102" name="footnotetag1102"></a><a href="#footnote1102" title="Lien vers la note 1102"><span class="smaller">[1102]</span></a>. On insista particulièrement sur le trépas misérable des +mauvais juges. Il est vrai que Jean d'Estivet, le promoteur, fut +trouvé mort dans un colombier<a id="footnotetag1103" name="footnotetag1103"></a><a href="#footnote1103" title="Lien vers la note 1103"><span class="smaller">[1103]</span></a>, que Nicolas Midy fut atteint de +la lèpre, que Pierre Cauchon expira quand on lui faisait la <span class="pagenum"><a id="page452" name="page452"></a>(p. 452)</span> +barbe<a id="footnotetag1104" name="footnotetag1104"></a><a href="#footnote1104" title="Lien vers la note 1104"><span class="smaller">[1104]</span></a>. Mais parmi ceux qui aidèrent ou accompagnèrent la +Pucelle, plus d'un fit une mauvaise fin. Sire Robert de Baudricourt, +qui avait envoyé Jeanne au roi, mourut en prison, excommunié pour +avoir ravagé les terres du chapitre de Toul<a id="footnotetag1105" name="footnotetag1105"></a><a href="#footnote1105" title="Lien vers la note 1105"><span class="smaller">[1105]</span></a>; le maréchal de Rais +fut étranglé par justice<a id="footnotetag1106" name="footnotetag1106"></a><a href="#footnote1106" title="Lien vers la note 1106"><span class="smaller">[1106]</span></a>; le duc d'Alençon, condamné à mort pour +crime de haute trahison, ne fut gracié que pour encourir ensuite une +nouvelle condamnation et mourir en captivité<a id="footnotetag1107" name="footnotetag1107"></a><a href="#footnote1107" title="Lien vers la note 1107"><span class="smaller">[1107]</span></a>.</p> + +<p>Deux ans après que Charles VII eut ordonné une information préalable +sur le procès de 1431, une femme, à l'exemple de la dame des Armoises, +se fit passer pour la Pucelle Jeanne.</p> + +<p>À cette époque vivaient, dans la petite ville de Sarmaize, entre Marne +et Meuse, deux cousins germains de la Pucelle, Poiresson et Périnet, +fils l'un et l'autre de défunt Jean de Vouthon, frère d'Isabelle +Romée, en son vivant couvreur de son état. Or, un jour de l'année +1452, le curé de Notre-Dame de Sarmaize, Simon Fauchard, se trouvait +dans la halle de la ville lorsqu'une femme, habillée en garçon, vint à +lui et lui demanda s'il voulait jouer à la paume avec elle.</p> + +<p>Il y consentit et, quand ils eurent fait leur partie, la femme lui +dit:</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page453" name="page453"></a>(p. 453)</span> —Dites hardiment que vous avez joué à la paume contre la +Pucelle.</p> + +<p>De quoi maître Simon Fauchard fut joyeux.</p> + +<p>Cette femme se rendit ensuite dans la maison de Périnet, le +charpentier, et dit:</p> + +<p>—Je suis la Pucelle, et je viens faire visite à mon cousin Henri.</p> + +<p>Périnet, Poiresson, Henri de Vouthon lui firent bon visage et la +retinrent chez eux où elle but et mangea à son plaisir<a id="footnotetag1108" name="footnotetag1108"></a><a href="#footnote1108" title="Lien vers la note 1108"><span class="smaller">[1108]</span></a>.</p> + +<p>Puis, quand elle eut assez bu et mangé, elle s'en alla.</p> + +<p>D'où venait-elle? On ne sait. Où alla-t-elle? À peu de temps de là on +croit la reconnaître dans une aventurière qui, les cheveux courts, +coiffée d'un chaperon, portant huque et chausses, parcourait l'Anjou +en se disant Jeanne la Pucelle. Tandis que les docteurs et maîtres +désignés pour la revision du procès de Rouen recueillaient par tout le +royaume des témoignages de la vie et de la mort de Jeanne, cette +fausse Jeanne trouvait créance chez maintes gens. Mais s'étant fait +une mauvaise affaire avec une dame de Saumoussay<a id="footnotetag1109" name="footnotetag1109"></a><a href="#footnote1109" title="Lien vers la note 1109"><span class="smaller">[1109]</span></a>, elle fut mise +dans les prisons de Saumur où elle resta trois mois; après quoi, +bannie des États du bon roi René, elle épousa un nommé Jean Douillet, +et, par lettres <span class="pagenum"><a id="page454" name="page454"></a>(p. 454)</span> datées du troisième jour de février de l'an +1456, il lui fut permis de rentrer à Saumur, à la condition de vivre +honnêtement et de ne plus porter habit d'homme<a id="footnotetag1110" name="footnotetag1110"></a><a href="#footnote1110" title="Lien vers la note 1110"><span class="smaller">[1110]</span></a>.</p> + +<p>Environ ce temps, vint à Laval, au diocèse du Mans une fille de +dix-huit à vingt-deux ans, native d'un lieu voisin, dit +Chassé-les-Usson. Son père se nommait Jean Féron, et elle était +communément appelée Jeanne la Férone.</p> + +<p>Elle recevait inspiration du Ciel et prononçait sans cesse les saints +noms de Jésus et de Marie; cependant le démon la tourmentait +cruellement. La dame de Laval, mère des seigneurs André et Guy, alors +très vieille, admirant la piété et les souffrances de cette sainte +fille, l'envoya au Mans vers l'évêque.</p> + +<p>L'évêque du Mans était, depuis l'an 1449, messire Martin Berruyer, +Tourangeau, en sa jeunesse professeur de philosophie et de rhétorique +à l'Université de Paris, et qui s'était ensuite consacré à la +théologie et avait compté parmi les sociétaires du collège de Navarre. +Bien qu'affaibli par l'âge, consulté pour ses lumières par les +commissaires de la réhabilitation<a id="footnotetag1111" name="footnotetag1111"></a><a href="#footnote1111" title="Lien vers la note 1111"><span class="smaller">[1111]</span></a>, il composa un mémoire sur la +Pucelle. Ce qui lui donne à croire que cette paysanne fut vraiment +envoyée de Dieu, c'est <span class="pagenum"><a id="page455" name="page455"></a>(p. 455)</span> qu'elle était abjecte et très pauvre +et paraissait presque idiote en tout ce qui ne concernait pas sa +mission. Messire Martin augure que ce fut aux vertus de son roi que le +Seigneur accorda le secours de la Pucelle<a id="footnotetag1112" name="footnotetag1112"></a><a href="#footnote1112" title="Lien vers la note 1112"><span class="smaller">[1112]</span></a>. Sentiments en faveur +parmi les théologiens du parti français.</p> + +<p>Le seigneur évêque Martin Berruyer entendit Jeanne la Férone en +confession, renouvela le baptême de cette jeune fille, la confirma +dans la foi et lui imposa le nom de Marie, en reconnaissance des +grâces abondantes que la très Sainte Vierge, mère de Dieu, avait +accordées à sa servante.</p> + +<p>Cette pucelle subissait les plus rudes assauts de la part des mauvais +esprits. Maintes fois monseigneur du Mans la vit couverte de plaies, +tout en sang, se débattre dans l'étreinte de l'Ennemi, et à plusieurs +reprises il la délivra au moyen d'exorcismes. Il était +merveilleusement édifié par cette sainte fille qui lui confiait des +secrets admirables, abondait en révélations dévotes et en belles +sentences chrétiennes. Aussi écrivit-il à la louange de la Férone +plusieurs lettres tant à des princes qu'à des communautés du +royaume<a id="footnotetag1113" name="footnotetag1113"></a><a href="#footnote1113" title="Lien vers la note 1113"><span class="smaller">[1113]</span></a>.</p> + +<p>La reine de France, alors en son vieil âge et que depuis longtemps son +époux délaissait, ayant ouï parler <span class="pagenum"><a id="page456" name="page456"></a>(p. 456)</span> de la Pucelle du Mans, +écrivit à messire Martin Berruyer pour qu'il voulût bien la lui faire +connaître.</p> + +<p>Ainsi que nous l'avons vu plusieurs fois dans cette histoire, quand +une personne dévote et menant vie contemplative prophétisait, ceux qui +tenaient le gouvernement des peuples voulaient la connaître et la +soumettre au jugement des gens d'Église pour savoir si la bonté qui +paraissait en elle était vraie ou feinte. Quelques officiers du roi +vinrent visiter la Férone au Mans.</p> + +<p>Comme elle avait été favorisée de révélations concernant le royaume de +France, elle leur tint ce propos:</p> + +<p>—Recommandez-moi bien humblement au roi et lui dites qu'il +reconnaisse bien la grâce que Dieu lui a faite, qu'il veuille soulager +son peuple.</p> + +<p>Au mois de décembre 1460, elle fut mandée auprès du Conseil royal qui +se tenait alors à Tours, tandis que le roi malade traînait dans le +château des Montils sa jambe qui coulait<a id="footnotetag1114" name="footnotetag1114"></a><a href="#footnote1114" title="Lien vers la note 1114"><span class="smaller">[1114]</span></a>. La Pucelle du Mans fut +examinée, de même que l'avait été la Pucelle Jeanne, mais elle ne fut +pas trouvée bonne; il s'en fallut du tout. Traduite en cour d'Église, +elle fut convaincue d'imposture; il apparut qu'elle n'était pas +pucelle, et qu'elle vivait en concubinage avec un clerc, que des +familiers de monseigneur du Mans l'instruisaient de ce qu'il fallait +dire, et que telle était l'origine des révélations qu'elle apportait +sous le sceau du sacrement de la pénitence <span class="pagenum"><a id="page457" name="page457"></a>(p. 457)</span> à révérend père +en Dieu, messire Martin Berruyer. Reconnue hypocrite, idolâtre, +invocatrice du démon, sorcière, magicienne, lubrique, dissolue, +enchanteresse, grand miroir d'abusion, elle fut condamnée à être +mitrée et prêchée devant le peuple, dans les villes du Mans, de Tours +et de Laval. Le 2 mai 1461, elle fut exposée à Tours, coiffée d'une +mitre de papier, sous un écriteau où son cas était déduit en vers +latins et français. Maître Guillaume de Châteaufort, grand maître du +collège royal de Navarre, la prêcha; puis on la mit en prison close, +pour y pleurer et gémir ses péchés l'espace de sept ans, au pain de +douleur et à l'eau de tristesse<a id="footnotetag1115" name="footnotetag1115"></a><a href="#footnote1115" title="Lien vers la note 1115"><span class="smaller">[1115]</span></a>. Après quoi elle se fit +tenancière d'une maison publique<a id="footnotetag1116" name="footnotetag1116"></a><a href="#footnote1116" title="Lien vers la note 1116"><span class="smaller">[1116]</span></a>.</p> + +<p>Charles VII, rongé d'ulcères à la jambe et à la bouche, se croyant +empoisonné, non sans raison, peut-être, et refusant toute nourriture, +mourut en la cinquante-neuvième année de son âge, le mercredi 22 +juillet 1461, dans son château de Mehun-sur-Yèvre<a id="footnotetag1117" name="footnotetag1117"></a><a href="#footnote1117" title="Lien vers la note 1117"><span class="smaller">[1117]</span></a>.</p> + +<p>Le jeudi 6 août, son corps fut porté à l'église de Saint-Denys en +France et déposé dans une chapelle tendue de velours; la nef était +couverte de satin noir avec une voûte de toile bleue, ornée de fleurs +de Lis<a id="footnotetag1118" name="footnotetag1118"></a><a href="#footnote1118" title="Lien vers la note 1118"><span class="smaller">[1118]</span></a>. Pendant la cérémonie qui fut célébrée le lendemain, le +<span class="pagenum"><a id="page458" name="page458"></a>(p. 458)</span> plus renommé professeur de l'Université de Paris, le docteur +aimable et modeste entre tous, au dire des princes de l'Église +romaine, le plus puissant défenseur des libertés de l'Église +gallicane, le religieux qui, ayant refusé le chapeau de cardinal, +portait, au seuil de la vieillesse et très illustre, le seul titre de +doyen des chanoines de Notre-Dame de Paris, maître Thomas de +Courcelles, prononça l'oraison funèbre de Charles VII<a id="footnotetag1119" name="footnotetag1119"></a><a href="#footnote1119" title="Lien vers la note 1119"><span class="smaller">[1119]</span></a>. Ainsi +l'assesseur de Rouen, qui avait plus âprement que tout autre poursuivi +la cruelle condamnation de la Pucelle, célébra la mémoire du roi +victorieux que la Pucelle avait mené à son digne sacre.</p> + + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page459" name="page459"></a>(p. 459)</span> APPENDICE I<br> + +<span class="smaller">LETTRE DU DOCTEUR G. DUMAS</span></h2> + + +<p>MON CHER MAÎTRE,</p> + +<p>Vous me demandez mon opinion médicale sur le cas de Jeanne d'Arc. Si +j'avais pu l'examiner à loisir, comme les docteurs Tiphaine et +Delachambre, qui furent appelés par le tribunal de Rouen, peut-être +aurais-je été embarrassé pour me prononcer; à plus forte raison le +suis-je pour vous donner un diagnostic rétrospectif fondé sur des +interrogatoires où les juges recherchaient tout autre chose que des +tares nerveuses. Cependant comme ils appelaient influence du diable ce +que nous appelons aujourd'hui maladie, toutes leurs questions ne sont +pas absolument vaines pour nous et je vais essayer, avec beaucoup de +réserves, de vous répondre.</p> + +<p>De l'hérédité de Jeanne nous ne savons rien, et de ses antécédents +personnels nous ignorons presque tout. Jean d'Aulon raconte +seulement<a id="footnotetag1120" name="footnotetag1120"></a><a href="#footnote1120" title="Lien vers la note 1120"><span class="smaller">[1120]</span></a>, sur la foi de plusieurs femmes, qu'elle <span class="pagenum"><a id="page460" name="page460"></a>(p. 460)</span> +n'aurait jamais été formée, ce qui indique une insuffisance de +développement physique que l'on rencontre chez beaucoup de +névropathes.</p> + +<p>On n'en pourrait toutefois rien conclure touchant l'état nerveux de +Jeanne, si ses juges, et en particulier maître Jean Beaupère, dans les +nombreux interrogatoires qu'ils lui font subir, ne nous avaient +procuré au sujet de ses hallucinations, quelques renseignements +utiles.</p> + +<p>Maître Beaupère s'enquiert d'abord très judicieusement si Jeanne avait +jeûné la veille du jour où elle entendit ses voix pour la première +fois, ce qui prouve que ce professeur insigne de théologie n'ignorait +pas l'influence que l'inanition exerce sur les hallucinations et +voulait, avant de conclure à la sorcellerie, être bien sûr qu'il +n'allait pas condamner une malade. De même nous verrons plus tard +sainte Thérèse, soupçonnant que le jeûne était la seule cause des +prétendues visions d'une religieuse, l'obliger à manger et la guérir.</p> + +<p>Jeanne répond qu'elle était à jeun depuis le matin seulement, et +maître Beaupère continue:</p> + +<p>D.—De quel côté entendiez-vous la voix?</p> + +<p>R.—J'entendais la voix à droite, vers l'église.</p> + +<p>D.—La voix était-elle accompagnée d'une clarté?</p> + +<p>R.—Rarement je l'entends sans clarté. Cette clarté se manifeste du +même côté par où j'entends la voix<a id="footnotetag1121" name="footnotetag1121"></a><a href="#footnote1121" title="Lien vers la note 1121"><span class="smaller">[1121]</span></a>.</p> + +<p>On pourrait se demander si par l'expression «à droite» (<i>a latere +dextro</i>) Jeanne a voulu désigner son côté droit ou bien l'orientation +de l'église par rapport à elle, et, dans ce dernier cas, le +renseignement serait sans intérêt au point de vue clinique, mais le +contexte ne laisse aucun doute sur le sens véritable de ses paroles.</p> + +<p>—Comment pouvez-vous, objecte Jean Beaupère, voir <span class="pagenum"><a id="page461" name="page461"></a>(p. 461)</span> cette +clarté que vous dites se manifester, si cette clarté est à droite?</p> + +<p>S'il s'était agi simplement de la situation de l'église et non du côté +droit de Jeanne, elle n'aurait eu qu'à tourner la tête pour avoir la +clarté en face, et l'objection de Jean Beaupère ne se comprendrait +pas.</p> + +<p>Jeanne paraît donc avoir eu, vers l'âge de treize ans, à l'époque de +la puberté qui ne venait pas pour elle, des hallucinations +unilatérales droites de la vue et de l'ouïe; or Charcot considérait +que les hallucinations unilatérales de la vue étaient fréquentes dans +l'hystérie<a id="footnotetag1122" name="footnotetag1122"></a><a href="#footnote1122" title="Lien vers la note 1122"><span class="smaller">[1122]</span></a>. Il pensait même qu'elles s'allient toujours chez les +hystériques à une hémi-anesthésie qui siège du même côté du corps et +qui, dans l'espèce, eût siégé à droite. Peut-être le procès de Jeanne +nous eût-il révélé cette hémi-anesthésie, stigmate très important pour +le diagnostic de l'hystérie, si les juges avaient appliqué la torture +ou simplement recherché sur la peau les plaques d'anesthésie qu'on +appelait alors les marques du diable; mais de l'examen oral auquel ils +se livrèrent on ne peut tirer que des inférences sur l'état physique +de Jeanne. Je dois ajouter, pour infirmer ce que ces inférences +peuvent encore avoir d'excessif, que les neurologistes contemporains +attachent moins d'importance que Charcot aux hallucinations +unilatérales de la vue dans le diagnostic de l'hystérie.</p> + +<p>Les autres caractères que les interrogatoires révèlent dans les +hallucinations de Jeanne ne sont pas moins intéressants que les +précédents, bien qu'ils ne prêtent pas non plus à des conclusions +certaines.</p> + +<p>C'est de la pensée obscure et inconsciente que sortent brusquement les +visions et les voix avec ce caractère d'extériorité qui distingue si +particulièrement les hallucinations hystériques. <span class="pagenum"><a id="page462" name="page462"></a>(p. 462)</span> Jeanne est +si peu préparée par sa pensée claire à entendre ses voix, elle les +attend si peu qu'elle déclare avoir eu grand'peur la première fois: +«J'avais treize ans quand j'eus une voix venant de Dieu pour m'aider à +me bien conduire. Et la première fois, j'eus grand'peur. Cette voix me +vint vers l'heure de midi, c'était l'été, dans le jardin de mon +père<a id="footnotetag1123" name="footnotetag1123"></a><a href="#footnote1123" title="Lien vers la note 1123"><span class="smaller">[1123]</span></a>.»</p> + +<p>Et tout de suite la voix devient impérative; elle demande une +obéissance qu'on ne lui refuse pas: «Elle me disait: Va en France, et +je ne pouvais plus tenir où j'étais<a id="footnotetag1124" name="footnotetag1124"></a><a href="#footnote1124" title="Lien vers la note 1124"><span class="smaller">[1124]</span></a>.»</p> + +<p>Ses visions se manifestent de la même façon; elles ont la même +extériorité et elles s'imposent avec la même nécessité à la confiance +de la jeune fille.</p> + +<p>Enfin ces hallucinations de l'ouïe et de la vue s'associent de bonne +heure avec des hallucinations de l'odorat et du toucher qui présentent +le même caractère et confirment chez Jeanne la certitude absolue de +leur réalité.</p> + +<p>D.—En quelle partie avez-vous touché sainte Catherine?</p> + +<p>R.—Vous n'en aurez autre chose.</p> + +<p>D.—Avez-vous baisé ou accolé sainte Catherine ou sainte Marguerite?</p> + +<p>R.—Je les ai accolées toutes les deux.</p> + +<p>D.—Fleuraient-elles bon?</p> + +<p>R.—Il est bon à savoir qu'elles fleuraient bon.</p> + +<p>D.—En les accolant, sentiez-vous chaleur ou autre chose?</p> + +<p>R.—Je ne pouvais les accoler sans les sentir et les toucher<a id="footnotetag1125" name="footnotetag1125"></a><a href="#footnote1125" title="Lien vers la note 1125"><span class="smaller">[1125]</span></a>.</p> + +<p>C'est d'ailleurs à cause de cette extériorité, de cette réalité si +marquée que les hallucinations hystériques laissent dans l'esprit des +traces profondes et ineffaçables; les sujets en parlent comme de faits +réels qui les ont vivement frappés, et quand <span class="pagenum"><a id="page463" name="page463"></a>(p. 463)</span> ils se font +accusateurs, comme tant de femmes qui se prétendent victimes +d'attentats imaginaires, ils soutiennent leurs accusations avec la +dernière énergie.</p> + +<p>Non seulement Jeanne voit, entend, flaire et touche ses saintes, mais +elle se mêle à des cortèges d'anges dont elles font partie, accomplit +en cette compagnie des actes réels, comme si ses hallucinations et sa +vie étaient complètement fondues.</p> + +<p>—J'étais dans mon logis, en la maison d'une bonne femme, près du +château de Chinon, quand l'ange vint. Et alors lui et moi, allâmes +ensemble vers le roi.</p> + +<p>D.—Cet ange était-il seul?</p> + +<p>R.—Cet ange avait bonne compagnie d'autres anges<a id="footnotetag1126" name="footnotetag1126"></a><a href="#footnote1126" title="Lien vers la note 1126"><span class="smaller">[1126]</span></a>. Ils étaient +avec lui mais chacun ne les voyait pas.... Quelques-uns +s'entre-ressemblaient bien; d'autres, non, en la manière où je les +voyais. Aucuns avaient des ailes. Il y en avait même de couronnés, et +en la compagnie étaient sainte Catherine et sainte Marguerite.</p> + +<p>Elles furent, avec l'ange susdit, et les autres anges aussi, jusque +dedans la chambre du roi.</p> + +<p>D.—Dites-nous comment l'ange vous quitta.</p> + +<p>R.—Il me quitta dans une petite chapelle et je fus bien fâchée de son +départ et même je pleurai. Volontiers je m'en fusse allée avec lui; je +veux dire mon âme<a id="footnotetag1127" name="footnotetag1127"></a><a href="#footnote1127" title="Lien vers la note 1127"><span class="smaller">[1127]</span></a>.</p> + +<p>Il y a dans toutes ces hallucinations la même netteté objective, la +même certitude subjective, que dans les hallucinations toxiques de +l'alcool, et cette netteté, cette certitude peuvent <span class="pagenum"><a id="page464" name="page464"></a>(p. 464)</span> bien, +dans le cas de Jeanne, faire penser encore à l'hystérie.</p> + +<p>Mais si Jeanne se rapproche des hystériques par certains traits, elle +s'en éloigne par d'autres.</p> + +<p>De bonne heure elle paraît être arrivée à disposer, par rapport à ses +voix et à ses visions, d'une indépendance et d'une autorité relatives.</p> + +<p>Sans douter jamais de leur réalité, elle leur résiste et leur désobéit +à l'occasion, lorsque, par exemple, elle saute, malgré sainte +Catherine, de la tour de Beaurevoir où elle est prisonnière: «Sainte +Catherine me disait presque chaque jour de ne pas sauter, et que Dieu +me viendrait en aide et aussi à ceux de Compiègne. Et moi je dis à +sainte Catherine: Puisque Dieu sera en aide à ceux de Compiègne, je +veux être là<a id="footnotetag1128" name="footnotetag1128"></a><a href="#footnote1128" title="Lien vers la note 1128"><span class="smaller">[1128]</span></a>.»</p> + +<p>D'autre part, elle finit par prendre sur ses visions assez d'autorité +pour faire venir les deux saintes à son gré lorsqu'elles ne viennent +pas d'elles-mêmes.</p> + +<p>D.—Appelez-vous ces saintes, ou viennent-elles sans appeler?</p> + +<p>R.—Elles viennent souvent sans les appeler, et d'autres fois, si +elles ne venaient pas, je requerrais Dieu promptement pour qu'il les +envoyât<a id="footnotetag1129" name="footnotetag1129"></a><a href="#footnote1129" title="Lien vers la note 1129"><span class="smaller">[1129]</span></a>.</p> + +<p>Tout ceci n'est plus dans la manière classique des hystériques, en +général assez passives par rapport à leur névrose et à leurs +hallucinations; c'est un trait de caractère que j'ai noté chez bien +des mystiques supérieures qui furent en même temps des hystériques +notoires; les sujets de ce genre, après avoir d'abord subi leur +hystérie passivement, s'en servent ensuite plus qu'ils ne la +subissent, et finalement en tirent parti pour réaliser par leurs +extases l'union divine qu'ils cherchent.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page465" name="page465"></a>(p. 465)</span> Et ce trait nous permet, si Jeanne fut hystérique, d'indiquer +le rôle que sa névrose a pu jouer dans le développement de son +caractère et dans sa vie.</p> + +<p>Si l'hystérie est intervenue chez elle, ce n'a été que pour permettre +aux sentiments les plus secrets de son cœur de s'objectiver sous +forme de visions et de voix célestes; elle a été la porte ouverte par +laquelle le divin—ou ce que Jeanne jugeait tel—est entré dans sa +vie; elle a fortifié sa foi, consacré sa mission, mais par son +intelligence, par sa volonté Jeanne reste saine et droite, et c'est à +peine si la pathologie nerveuse éclaire faiblement une partie de cette +âme que votre livre fait revivre tout entière.</p> + +<p>Je vous prie d'agréer, mon cher Maître, l'expression de ma +respectueuse admiration.</p> + +<p class="right10">D<sup>r</sup> G. DUMAS.</p> + + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page466" name="page466"></a>(p. 466)</span> APPENDICE II<br> + +<span class="smaller">LE MARÉCHAL DE SALON</span></h2> + + +<p>Vers la fin du <span class="smcap">XVII</span><sup>e</sup> siècle, vivait à Salon-en-Crau, près Aix, un +maréchal ferrant, nommé François Michel, d'honnête famille, qui avait +servi dans le régiment de cavalerie du chevalier de Grignan, et était +tenu pour homme sensé, probe et accomplissant ses devoirs religieux. +Il touchait à ses quarante ans, quand, au mois de février 1697, il eut +une vision.</p> + +<p>Rentrant le soir au logis, il vit un spectre tenant à la main un +flambeau. Ce spectre lui dit:</p> + +<p>—Ne crains rien. Va à Paris pour parler au roi. Si tu n'obéis pas à +cet ordre, tu mourras. Lorsque tu seras à une lieue de Versailles je +te marquerai, sans faute, les choses dont tu devras entretenir Sa +Majesté. Adresse-toi à l'intendant de la province, qui donnera les +ordres nécessaires pour ton voyage.</p> + +<p>La figure qui parlait ainsi était en forme de femme, portant la +couronne royale et le manteau semé de fleurs de lis d'or, comme la +feue reine Marie-Thérèse, morte saintement depuis déjà quatorze ans +révolus.</p> + +<p>Le pauvre maréchal eut grand'peur, et tomba au pied d'un <span class="pagenum"><a id="page467" name="page467"></a>(p. 467)</span> +arbre, ne sachant s'il rêvait ou s'il veillait; puis il regagna sa +maison et ne parla à personne de ce qu'il avait vu.</p> + +<p>À deux jours de là, passant au même endroit, il revit le spectre qui +lui réitéra les ordres et les menaces. Le maréchal ne douta plus de la +vérité de ce qu'il voyait; mais il ne savait encore à quoi se +résoudre.</p> + +<p>Une troisième apparition, plus pressante et plus impérieuse, le +disposa à l'obéissance. Il alla trouver à Aix l'intendant de la +province, le vit et lui conta comment il avait reçu mission d'aller +parler au roi. L'intendant ne lui donna pas d'abord grande attention; +mais, pressé par le doux entêtement de cet illuminé, et songeant, +d'ailleurs, que l'affaire n'était pas tout à fait négligeable, +puisqu'il s'agissait de la personne du roi, il s'informa, auprès des +magistrats de Salon, de la famille et de la conduite du maréchal. Les +renseignements furent très bons. Dans ce cas, il convenait de donner +suite à l'affaire. On n'était pas bien sûr, en ce temps-là, que des +avis utiles au Roi très chrétien ne pussent être envoyés au moyen d'un +simple artisan par quelque membre de l'Église triomphante; on était +bien moins sûr encore qu'il n'y eût pas, sous couleur d'apparition, +quelque complot dont la connaissance intéressât la sûreté de l'État. +Dans les deux cas, dont le second assez probable, le parti le plus +sage était d'envoyer François Michel à Versailles; c'est à quoi se +décida l'intendant.</p> + +<p>Il prit, pour faire voyager François Michel, un moyen sûr et peu +coûteux. Il le remit à un officier qui conduisait des recrues. Après +avoir fait ses dévotions chez les capucins, qu'il édifia par sa bonne +tenue, le maréchal ferrant partit le 25 février avec les jeunes +soldats de Sa Majesté, qu'il ne quitta qu'à la Ferté-sous-Jouarre. +Arrivé à Versailles, il demanda à voir le roi, ou tout au moins un +ministre d'État. On l'envoya à M. de Barbezieux qui, tout jeune, avait +succédé à M. de Louvois son père, et avait montré quelques talents. +Mais le bon <span class="pagenum"><a id="page468" name="page468"></a>(p. 468)</span> homme refusa de lui rien dire, pour cette raison +qu'il ne parlerait qu'à un ministre d'État.</p> + +<p>Et, de fait, Barbezieux, qui était ministre, n'était pas ministre +d'État. On fut surpris qu'un maréchal de Provence en eût fait la +distinction.</p> + +<p>M. de Barbezieux ne méprisa pas, sans doute, ce compatriote de +Nostradamus autant qu'un esprit plus libre l'eût fait à sa place. Il +était, comme son père, adonné aux pratiques de l'astrologie judiciaire +et il consultait, sans cesse, sur son horoscope, un cordelier qui lui +avait prédit l'époque de sa mort.</p> + +<p>On ne sait s'il fit un rapport favorable au roi, ni si le maréchal +ferrant fut reçu ensuite par M. de Pomponne de qui relevaient les +affaires de Provence. Mais, ce qui est certain, c'est que Louis XIV +consentit à voir le pauvre homme. Il le fit monter par les degrés qui +aboutissent à la cour de marbre et l'entretint longuement dans ses +cabinets.</p> + +<p>Le lendemain, descendant par ce même petit escalier pour aller à la +chasse, le roi rencontra le maréchal de Duras qui tenait, ce jour-là, +le bâton de capitaine des gardes du corps, et qui lui parla du ferreur +de chevaux avec sa liberté ordinaire. Usant d'une façon proverbiale de +langage:</p> + +<p>—Ou cet homme-là est fou, dit-il, ou le roi n'est pas noble.</p> + +<p>À ce mot, le roi s'arrêta, contre son habitude, et se tourna vers le +maréchal de Duras:</p> + +<p>—Je ne suis donc pas noble, répondit-il, car je l'ai entretenu +longtemps et il m'a parlé de fort bon sens; je vous assure qu'il est +loin d'être fou.</p> + +<p>Il prononça ces derniers mots avec une gravité appuyée qui surprit +l'assistance.</p> + +<p>C'est l'usage que de tels illuminés apportent un signe de leur +mission. Dans une seconde entrevue, François Michel donna un signe au +roi, conformément à la promesse qu'il lui en <span class="pagenum"><a id="page469" name="page469"></a>(p. 469)</span> avait faite. Il +lui rappela une rencontre extraordinaire que le fils d'Anne d'Autriche +se croyait seul à connaître. On en recueillit, dit-on, l'aveu sur la +bouche de Louis XIV, qui pourtant gardait sur toute cette affaire un +silence profond.</p> + +<p>Saint-Simon, attentif à recueillir tous les bruits des petits +cabinets, crut savoir qu'il s'agissait d'un fantôme qui, plus de vingt +ans auparavant, avait apparu à Louis XIV dans la forêt de +Saint-Germain.</p> + +<p>Le roi reçut une troisième et dernière fois le maréchal de Salon.</p> + +<p>Ce visionnaire inspirait une telle curiosité aux courtisans, qu'il +fallut le tenir enfermé dans le couvent des Récollets, où la petite +princesse de Savoie, qui devait bientôt épouser le duc de Bourgogne, +l'alla voir avec plusieurs dames et seigneurs de la Cour.</p> + +<p>Il se montrait bon homme, simple, ne s'enorgueillissait point et +parlait peu. Le roi lui fit donner un bon cheval, des hardes, quelque +argent et le renvoya en Provence.</p> + +<p>Il y avait dans le public de grandes incertitudes sur l'apparition qui +était venue au maréchal et sur la mission qu'il en avait reçue. +L'opinion la plus répandue était qu'il avait vu l'âme de +Marie-Thérèse; mais quelques-uns prétendaient que c'était celle de +Nostradamus.</p> + +<p>Cet astrologue n'avait pas de crédit qu'à Salon, où il reposait dans +l'église des Cordeliers. Ses centuries, plus de dix fois réimprimées +dans le cours d'un siècle, à Paris et à Lyon, amusaient, par tout le +royaume, la crédulité populaire, et l'on venait de publier en 1693 une +concordance des prophéties de Nostradamus avec l'histoire, depuis +Henri II jusqu'à Louis le Grand.</p> + +<p>On en vint à croire que le maréchal de Salon avait été annoncé par +l'astrologue dans ce quatrain mystérieux:</p> + +<p class="poem10"><span class="pagenum"><a id="page470" name="page470"></a>(p. 470)</span> Le penultiesme du surnom du Prophète,<br> + Prendra Diane pour son iour et repos:<br> + Loing vaguera par frénétique teste,<br> + En délivrant un grand peuple d'impos.</p> + +<p>On essaya d'expliquer, en faveur du pauvre illuminé de Salon, cette +poésie obscure. On voulut qu'il fût désigné dans le premier vers, l'un +des douze petits prophètes s'appelant Micheas ou Michée, ce qui +s'approche de Michel. À l'endroit du second vers, on fit remarquer que +la mère du maréchal ferrant se nommait Diane, tandis que ce vers, si +tant est qu'il ait un sens, offre plus naturellement l'idée du jour de +la lune, c'est-à-dire du lundi. On prit soin de marquer que, au +troisième vers, frénétique veut dire non point insensé, mais inspiré. +Le quatrième vers, seul intelligible, fit penser que le spectre avait +donné au maréchal mission de réclamer du roi l'allégement des impôts +et des tailles qui pesaient alors d'un poids inique sur les bonnes +gens des villes et des campagnes:</p> + +<p class="poem10">En délivrant un grand peuple d'impos.</p> + +<p>C'en fut assez pour rendre le bonhomme populaire, et pour que les +malheureux missent sur cette grosse tête, gonflée de vent, l'espérance +d'un meilleur avenir. On grava son portrait en taille-douce, et l'on +inscrivit au-dessous le quatrain de Nostradamus. M. d'Argenson, +lieutenant de police, fit saisir ces images. On les supprima +peut-être, dit la <i>Gazette d'Amsterdam</i>, à cause du dernier vers de la +centurie mise au bas du portrait: «En délivrant un grand peuple +d'impôts», ces sortes d'expressions n'étant en aucune manière du goût +de la Cour.</p> + +<p>On ne sut jamais exactement quelle mission le spectre avait donnée au +maréchal. Les gens d'esprit flairaient une intrigue de madame de +Maintenon, qui avait une amie à Marseille, madame Arnoul, laide comme +le péché, disait-on, et qui se faisait aimer de tous les hommes. Ils +pensaient que cette madame <span class="pagenum"><a id="page471" name="page471"></a>(p. 471)</span> Arnoul avait montré Marie-Thérèse +au bonhomme de Salon pour induire le roi à vivre honnêtement avec la +veuve Scarron. Mais en 1697 la veuve Scarron avait épousé Louis, +depuis au moins douze ans, et l'on ne voit point qu'elle eût besoin de +spectres pour s'attacher le vieux roi.</p> + +<p>De retour dans sa ville natale, François Michel y ferra les chevaux +comme devant.</p> + +<p>Il mourut à Lançon, proche Salon, le 10 décembre 1726<a id="footnotetag1130" name="footnotetag1130"></a><a href="#footnote1130" title="Lien vers la note 1130"><span class="smaller">[1130]</span></a>.</p> + + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page472" name="page472"></a>(p. 472)</span> APPENDICE III<br> + +<span class="smaller">MARTIN DE GALLARDON</span></h2> + + +<p>Ignace-Thomas Martin, natif de Gallardon (Eure-et-Loir), y vivait au +commencement de <span class="smcap">XIX</span><sup>e</sup> siècle avec sa femme et ses quatre enfants. Il +était cultivateur de son état. Ceux qui l'ont connu nous le +représentent de taille moyenne, les cheveux bruns et plats, la face +maigre, l'œil calme, avec un air de quiétude et d'assurance. Un +portrait au crayon, que M. le docteur Martin, son fils, a bien voulu +me communiquer, permet de se figurer le visionnaire avec plus +d'exactitude. Ce portrait, où Thomas Martin est représenté de profil, +fait voir un front étrangement haut et droit, une tête étroite et +longue, un œil rond, des narines ouvertes, une bouche serrée, un +menton avancé, des joues creuses, un air d'austérité; le col, la +cravate blanche, l'habit d'un bourgeois.</p> + +<p>C'était, au témoignage de son frère, un homme sain de corps et +d'esprit, l'âme la plus douce, qui ne cherchait point à se faire +remarquer, et dont la piété régulière n'avait jamais eu rien d'exalté. +Le maire et le curé de Gallardon confirmèrent ce dire et s'accordèrent +à le représenter bon homme, de mœurs simples, d'esprit rassis, un +peu court.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page473" name="page473"></a>(p. 473)</span> Il avait trente-trois ans en 1816. Le 15 janvier de cette +année, étant seul dans son champ, où il étendait du fumier, il +entendit à son oreille une voix qu'aucun bruit de pas n'avait +précédée. Alors, il tourna la tête du côté de la voix et vit une +figure qui lui fit peur. C'était celle d'un être dont la taille, +comparée à celle des hommes, semblait médiocre, mais dont le visage, +très mince, éblouissait par sa blancheur surnaturelle. Coiffé d'un +chapeau de haute forme, il portait une redingote «blonde» et était +chaussé de souliers à cordons.</p> + +<p>Il disait avec douceur:</p> + +<p>—Il faut que vous alliez trouver le roi et que vous l'avertissiez que +sa personne est en danger, que des méchants cherchent à renverser le +gouvernement.</p> + +<p>Il ajouta des recommandations à l'adresse de Louis XVIII sur la +nécessité d'instituer une bonne police, de sanctifier le dimanche, +d'ordonner des prières publiques et de réprimer les désordres du +carnaval. Faute de quoi, ajouta-t-il, «la France tombera dans les plus +grands malheurs». Rien, en somme, que M. La Perruque, curé de +Gallardon, n'eût dit cent fois, sans doute, le dimanche, en chaire.</p> + +<p>Martin répondit:</p> + +<p>—Puisque vous en savez si long, pourquoi n'allez-vous pas faire votre +commission vous-même? Pourquoi vous adressez-vous à un pauvre homme +comme moi qui ne sait pas s'expliquer?</p> + +<p>L'inconnu répondit à Martin:</p> + +<p>—Ce n'est pas moi qui irai, ce sera vous, et faites ce que je vous +commande.</p> + +<p>Aussitôt qu'il eut prononcé ces paroles, ses pieds s'élevèrent du sol, +son buste s'abaissa et il disparut en achevant ce double mouvement.</p> + +<p>À compter de ce jour, Martin fut hanté par l'être mystérieux. Une +fois, étant descendu dans sa cave, il l'y trouva. <span class="pagenum"><a id="page474" name="page474"></a>(p. 474)</span> Une autre +fois, pendant les vêpres, il le vit dans l'église, près du bénitier, +en une dévote attitude. Après la cérémonie, l'inconnu accompagna +Martin, qui regagnait sa maison avec des gens de sa famille, et il lui +renouvela l'ordre d'aller trouver le roi. Martin avertit ses parents, +mais ceux-ci ne purent rien voir ni rien entendre.</p> + +<p>Tourmenté par ces apparitions, Martin en instruisit M. La Perruque, +son curé, qui, assuré de la bonne foi de son paroissien et estimant +que le cas devait être soumis à l'autorité diocésaine, envoya le +visionnaire à l'évêque de Versailles. C'était alors un ancien prêtre +assermenté, M. Louis Charrier de la Roche. Il résolut de soumettre +Martin à un examen complet et lui prescrivit tout d'abord de demander +de sa part à l'inconnu comment il se nommait, qui il était et qui +l'envoyait.</p> + +<p>Mais le messager à la redingote blonde, s'étant manifesté de nouveau, +déclara que son nom resterait inconnu.</p> + +<p>—Je viens, ajouta-t-il de la part de celui qui m'a envoyé, et celui +qui m'a envoyé est au-dessus de moi.</p> + +<p>S'il ne voulait pas se nommer, il faisait connaître du moins ses +sentiments, et le chagrin qu'il témoigna de l'évasion de La Valette +prouvait qu'il était, en politique, un <i>ultra</i> de l'espèce la plus +féroce.</p> + +<p>Cependant, le comte de Breteuil, préfet d'Eure-et-Loir, prévenu en +même temps que l'évêque, interrogea de son côté Martin. Il s'attendait +à voir un agité, et quand il trouva devant lui un homme tranquille, +parlant avec simplicité, mettant de la suite et de l'exactitude dans +ses propos, sa surprise fut grande.</p> + +<p>Il jugea, comme M. l'abbé La Perruque, qu'il y avait lieu d'en référer +aux autorités supérieures, et il envoya Martin au ministre de la +police générale, sous la conduite d'un lieutenant de gendarmerie.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page475" name="page475"></a>(p. 475)</span> Arrivé à Paris le 8 mars, Martin logea avec le gendarme à +l'hôtel de Calais, dans la rue Montmartre. Ils y occupaient une +chambre à deux lits. Un matin, Martin, étant couché, eut une +apparition dont il prévint le lieutenant André, qui ne put rien voir, +bien qu'il fît grand jour. Au reste, Martin avait des visions si +fréquentes qu'il n'en concevait plus ni surprise ni trouble. Il n'y +avait que la disparition subite de l'inconnu à laquelle il ne pouvait +s'habituer. La voix donnait constamment les mêmes ordres. Un jour elle +dit que, si les commandements qu'elle portait n'étaient point +entendus, la France n'aurait plus de paix jusqu'à l'année 1840.</p> + +<p>Le ministre de la police générale était, en 1816, le comte Decazes +(qui fut fait duc un peu plus tard). Il avait la confiance du roi; +mais il savait que les <i>ultras</i> ourdissaient contre lui des complots. +Il voulut voir le bonhomme de Gallardon, dans le soupçon, sans doute, +que cet innocent était aux mains de royalistes fanatiques. Il le fit +venir, l'interrogea et vit tout de suite que le pauvre homme n'était +pas dangereux. Il lui parla comme on doit parler aux fous, en entrant +dans leur manie:</p> + +<p>—Soyez tranquille, lui dit-il, l'homme qui vous tourmentait est +arrêté et vous n'avez plus rien à craindre.</p> + +<p>Mais ces paroles ne produisirent pas l'effet qu'on en pouvait +attendre. Trois ou quatre heures après cette entrevue, Martin revit +l'inconnu, qui, après avoir parlé comme de coutume, ajouta:</p> + +<p>—C'est à tort qu'on vous a dit qu'on m'avait arrêté: celui qui vous a +parlé n'a aucun pouvoir sur moi.</p> + +<p>Il revint le dimanche 10 mars et fit ce jour-là une des communications +que l'évêque de Versailles avait demandées et qu'il avait d'abord +déclaré ne devoir jamais faire:</p> + +<p>—Je suis, dit-il, l'archange Raphaël, ange très célèbre auprès de +Dieu, et j'ai reçu le pouvoir de frapper la France de toutes sortes de +plaies.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page476" name="page476"></a>(p. 476)</span> Trois jours après, Martin était enfermé à Charenton, sur le +certificat du docteur Pinel, qui le reconnut atteint de manie +intermittente avec aliénations des sens.</p> + +<p>Il y fut traité de la manière la plus douce et put même y jouir des +apparences de la liberté. C'est Pinel lui-même qui avait introduit ces +habitudes d'humanité dans le traitement des fous. Le bienheureux +Raphaël n'abandonna pas Martin à l'hôpital; le vendredi 15, comme le +paysan nouait les cordons de ses souliers, l'archange en redingote +blonde lui adressa ces paroles:</p> + +<p>—Place ta confiance en Dieu. Si la France persiste dans son +incrédulité, les malheurs prédits arriveront. Au reste, si l'on doute +de la vérité de tes visions, on n'a qu'à te faire examiner par des +docteurs en théologie.</p> + +<p>Martin rapporta ce discours à M. Legros, surveillant de la maison +royale de Charenton, et lui demanda ce que c'était qu'un docteur en +théologie. Il ignorait la signification de ce terme. Il avait de même, +étant encore à Gallardon, demandé à M. le curé La Perruque le sens de +certaines expressions que la voix employait. Il ne comprenait pas, par +exemple, «le délire de la France» ni les maux auxquels elle serait «en +proie». Mais cette inintelligence, à la croire véritable, n'est pas +pour nous troubler: Martin pouvait fort bien avoir retenu des mots +qu'il n'entendait pas et qu'il prêtait ensuite à son archange sans les +entendre davantage. Les visions se succédaient à courts intervalles. +Le dimanche 31 mars, l'archange lui apparut dans le jardin, lui prit +la main, qu'il serra affectueusement, entr'ouvrit son vêtement et +montra une poitrine d'une blancheur si éclatante qu'on n'en pouvait +soutenir la vue; puis il ôta son chapeau:</p> + +<p>—Vois mon front, dit-il, et fais attention qu'il ne porte pas le +sceau de la réprobation dont les mauvais anges ont été marqués.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page477" name="page477"></a>(p. 477)</span> Louis XVIII, pensant comme, son ministre favori, que le +laboureur de Gallardon était un instrument aux mains des partis +violents, voulut le voir et l'interroger.</p> + +<p>Le mardi 2 avril, Martin fut conduit aux Tuileries et introduit dans +le cabinet du roi, où se trouvait M. Decazes. Dès que le roi vit le +laboureur, il lui dit:</p> + +<p>—Martin, je vous salue.</p> + +<p>Puis il fit signe au ministre de se retirer. Martin répéta alors tout +ce que l'archange lui avait révélé, puis, à l'en croire, il découvrit +à Louis XVIII plusieurs circonstances secrètes des années d'exil et +révéla des complots formés contre sa personne. Alors le roi, vivement +ému, leva en pleurant les yeux et les mains vers le ciel et dit à +Martin:</p> + +<p>—Martin, voilà des choses qui ne doivent être connues que de vous et +de moi.</p> + +<p>Le visionnaire lui promit le secret le plus absolu.</p> + +<p>Telle est, sur l'entrevue du 2 avril, la première version de Martin +qui était alors un royaliste exalté par les prônes de M. La Perruque. +Il faudrait mieux connaître ce curé, dont on sent l'inspiration dans +toute cette affaire. Louis XVIII jugea comme M. Decazes que le pauvre +homme était inoffensif et le renvoya à sa charrue.</p> + +<p>Plus tard, les agents d'un de ces faux dauphins qui pullulaient sous +la Restauration s'emparèrent de Martin et le firent divaguer à leur +profit. Après la mort de Louis XVIII, sous l'influence de ces +aventuriers, le pauvre homme, refaisant le récit de son entrevue avec +le feu roi, y introduisit de prétendues révélations qui en changeaient +absolument le caractère et qui transformaient le royaliste exalté de +1816 en un prophète accusateur, venant traiter le prince, dans son +château, d'usurpateur et de régicide, lui défendant, au nom de Dieu, +de se faire sacrer à Reims.</p> + +<p>Je ne rapporterai pas ici de telles divagations. On les trouvera +<span class="pagenum"><a id="page478" name="page478"></a>(p. 478)</span> tout au long dans le livre de M. Paul Marin. J'aurais voulu +qu'on y indiquât que ces inepties étaient soufflées au malheureux +insensé par des partisans de Naundorf qui se faisait passer pour le +duc de Normandie, échappé du Temple.</p> + +<p>Thomas-Ignace Martin mourut à Chartres en 1834. On a prétendu, sans +pouvoir l'établir, qu'il avait été empoisonné<a id="footnotetag1131" name="footnotetag1131"></a><a href="#footnote1131" title="Lien vers la note 1131"><span class="smaller">[1131]</span></a>.</p> + + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page479" name="page479"></a>(p. 479)</span> APPENDICE IV<br> + +<span class="smaller">NOTE ICONOGRAPHIQUE</span></h2> + + +<p>On ne trouve nulle part une image authentique de Jeanne. Nous tenons +d'elle qu'elle vit à Arras, dans la main d'un Écossais, une peinture +où elle était figurée un genou à terre et présentant une lettre à son +roi, et que jamais elle ne fit faire ni ne connut autre image ou +peinture à sa ressemblance. Ce portrait, sans doute fort petit, est +malheureusement perdu et l'on n'en connaît point de réplique<a id="footnotetag1132" name="footnotetag1132"></a><a href="#footnote1132" title="Lien vers la note 1132"><span class="smaller">[1132]</span></a>. La +figure exiguë tracée à la plume, sur un registre, le 10 mai 1429, par +un greffier au parlement de Paris, qui n'avait jamais vu la Pucelle, +doit être regardée comme l'innocent griffonnage d'un scribe inhabile à +dessiner une lettrine<a id="footnotetag1133" name="footnotetag1133"></a><a href="#footnote1133" title="Lien vers la note 1133"><span class="smaller">[1133]</span></a>. Je me dispenserai de refaire +l'iconographie de la Pucelle<a id="footnotetag1134" name="footnotetag1134"></a><a href="#footnote1134" title="Lien vers la note 1134"><span class="smaller">[1134]</span></a>. La statuette équestre, en bronze, +du musée de Cluny, offre un effet si grotesque, qu'on le croirait +<span class="pagenum"><a id="page480" name="page480"></a>(p. 480)</span> produit à dessein, si l'on pouvait prêter une pareille +intention à un vieil imagier. Elle date du règne de Charles VIII; +c'est un Saint-Georges ou un Saint-Maurice que, à une époque sans +doute récente, on fit prendre pour ce qu'il n'était pas, en inscrivant +au burin, entre les jambes de la malheureuse haridelle qui le porte, +cette inscription: <i>La pucelle dorlians</i>, désignation inusitée au +<span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> siècle<a id="footnotetag1135" name="footnotetag1135"></a><a href="#footnote1135" title="Lien vers la note 1135"><span class="smaller">[1135]</span></a>. Le musée de Cluny exposait, vers 1875, une autre +statuette, un peu plus grande, de bois peint, qu'on croyait être aussi +du <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> siècle et représenter Jeanne d'Arc. On la cacha dans les +magasins quand on sut que c'était un mauvais Saint-Maurice du <span class="smcap">XVII</span><sup>e</sup> +siècle, provenant d'une église de Montargis<a id="footnotetag1136" name="footnotetag1136"></a><a href="#footnote1136" title="Lien vers la note 1136"><span class="smaller">[1136]</span></a>. Il arrive souvent +qu'on fasse d'un saint en armes une Jeanne d'Arc. C'est le cas encore +pour une petite tête casquée du <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> siècle, qu'on trouva, dans la +terre, à Orléans, détachée d'une statue et portant encore des traces +de peinture, œuvre d'un bon style et d'une expression +charmante<a id="footnotetag1137" name="footnotetag1137"></a><a href="#footnote1137" title="Lien vers la note 1137"><span class="smaller">[1137]</span></a>. Je n'ai pas le courage de signaler toutes les +lettrines d'antiphonaires, toutes les miniatures du <span class="smcap">XVI</span><sup>e</sup> siècle, +du <span class="smcap">XVII</span><sup>e</sup>, du <span class="smcap">XVIII</span><sup>e</sup>, altérées et repeintes, qu'on donne pour +d'authentiques et anciennes effigies de Jeanne. J'ai eu l'occasion +d'en voir beaucoup<a id="footnotetag1138" name="footnotetag1138"></a><a href="#footnote1138" title="Lien vers la note 1138"><span class="smaller">[1138]</span></a>. J'aurais plaisir au contraire à rappeler, +s'ils n'étaient si connus, quelques manuscrits du <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> siècle, qui, +comme <i>Le Champion des dames</i> et les <i>Vigiles de <span class="pagenum"><a id="page481" name="page481"></a>(p. 481)</span> Charles +VII</i>, contiennent des miniatures où la Pucelle est figurée selon la +fantaisie de l'enlumineur, et qui nous intéressent en ce qu'elles +expriment la vision de ces hommes qui vécurent en même temps qu'elle, +ou peu de temps après. Ce n'est pas leur talent qui nous touche; ils +n'en ont pas et ne font point songer à Jean Foucquet<a id="footnotetag1139" name="footnotetag1139"></a><a href="#footnote1139" title="Lien vers la note 1139"><span class="smaller">[1139]</span></a>.</p> + +<p>Du vivant de la Pucelle, et surtout pendant sa captivité, les Français +suspendaient son image dans les églises<a id="footnotetag1140" name="footnotetag1140"></a><a href="#footnote1140" title="Lien vers la note 1140"><span class="smaller">[1140]</span></a>. On voudrait reconnaître +un de ces tableaux votifs dans la petite peinture sur bois, du musée +de Versailles, qui représente la Vierge avec l'enfant Jésus, ayant +Saint-Michel à sa droite et Jeanne d'Arc à sa gauche<a id="footnotetag1141" name="footnotetag1141"></a><a href="#footnote1141" title="Lien vers la note 1141"><span class="smaller">[1141]</span></a>. C'est un +ouvrage italien d'une extrême grossièreté. La tête de Jeanne, qui a +disparu sous les coups d'un instrument dur et pointu, était d'un +dessin exécrable à juger par les autres qui subsistent sur ce panneau. +Les personnages portent tous quatre le nimbe orlé et perlé. À quoi +certes les clercs de Paris et de Rouen eussent trouvé à redire; et, +sans trop de sévérité, on pouvait accuser d'idolâtrie le peintre qui +érigeait, à la gauche de la Vierge, en égale du prince des milices +célestes, une créature appartenant à l'Église militante.</p> + +<p>Debout, le chef, le cou et les épaules couverts d'une sorte de +capeline fourrée à frange noires, gantée et chaussée de fer, ceinte, +par-dessus sa huque rouge d'un ceinturon d'or, Jeanne est +reconnaissable à son nom inscrit sur sa tête et aussi à la bannière +blanche, semée de fleurs de lis, qu'elle élève de sa main droite, et à +sa targe d'argent, découpée à l'allemande, <span class="pagenum"><a id="page482" name="page482"></a>(p. 482)</span> où l'on voit une +épée dont la pointe porte une couronne. Une inscription de trois +lignes en français couvre les marches du trône sur lequel la vierge +Marie est assise. Bien qu'elle soit aux trois quarts effacée et +presque inintelligible, j'ai pu, avec l'aide de mon savant ami, M. +Pierre de Nolhac, conservateur du musée de Versailles, en déchiffrer +quelques mots qui donneraient à croire qu'il s'agit ici de prières et +de vœux pour le salut de Jeanne, tombée aux mains de ses ennemis. +Nous aurions donc sous les yeux un de ces ex-voto qui furent suspendus +dans des églises de France pendant la captivité de la Pucelle. Ce +nimbe au front d'une créature vivante et la place insolite occupée par +Jeanne s'expliqueraient en ce cas assez facilement; on pourrait croire +que de bons Français approprièrent à leur dessein, sans y penser à +mal, un tableau représentant originairement la vierge entre deux +personnages de l'Église triomphante, et, au moyen de quelques +retouches, firent de l'un de ces personnages la Pucelle de Dieu, faute +de lui trouver, dans un si petit panneau, une place plus convenable à +sa condition mortelle, comme, par exemple, celle que tenaient +d'ordinaire, aux pieds de la vierge et des saints, les donateurs +agenouillés; cela expliquerait peut-être encore que Saint-Michel, la +Vierge et la Pucelle portent leurs noms inscrits au-dessus d'eux. Sur +la tête de la Pucelle on lit <i>ane darc</i>. Cette forme Darc, en 1430, +est possible<a id="footnotetag1142" name="footnotetag1142"></a><a href="#footnote1142" title="Lien vers la note 1142"><span class="smaller">[1142]</span></a>. Dans la légende, au bas du trône, je discerne +<i>Jehane dArc</i>, avec un <i>d</i> minuscule et un <i>A</i> majuscule à <i>dArc</i>, ce +qui est bien étrange. Cette pièce m'en devient très suspecte.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page483" name="page483"></a>(p. 483)</span> La petite tapisserie à bestions du musée d'Orléans<a id="footnotetag1143" name="footnotetag1143"></a><a href="#footnote1143" title="Lien vers la note 1143"><span class="smaller">[1143]</span></a>, qui +représente la venue de Jeanne à Chinon au-devant du roi, provient d'un +atelier allemand du <span class="smcap">XV</span>{e} siècle. Grossière de tissu, barbare de +dessin et peu variée de couleurs, elle témoigne d'un certain goût pour +les ornements somptueux et aussi d'une grande indifférence pour la +vérité littérale.</p> + +<p>C'était aussi une œuvre allemande que cette peinture qu'on montrait +à Ratisbonne en 1429 et sur laquelle était figurée la Pucelle +combattant en France. Cette peinture est perdue<a id="footnotetag1144" name="footnotetag1144"></a><a href="#footnote1144" title="Lien vers la note 1144"><span class="smaller">[1144]</span></a>.</p> + + +<p class="p2 center smcap">FIN</p> + + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page485" name="page485"></a>(p. 485)</span> TABLE DU TOME SECOND</h2> + +<div class="tam"> +<ul class="roman"> +<li>—L'ARMÉE ROYALE DE SOISSONS À COMPIÈGNE. — POÈME + ET PROPHÉTIE. <span class="ralign10"><a href="#page1">1</a></span></li> + +<li>—PREMIER SÉJOUR DE LA PUCELLE À COMPIÈGNE. — LES + TROIS PAPES. — SAINT-DENYS. — LES + TRÊVES. <span class="ralign10"><a href="#page38">38</a></span></li> + +<li>—L'ATTAQUE DE PARIS. <span class="ralign10"><a href="#page61">61</a></span></li> + +<li>—PRISE DE SAINT-PIERRE-LE-MOUSTIER. — LES + FILLES SPIRITUELLES DE FRÈRE RICHARD. — LE + SIÈGE DE LA CHARITÉ. <span class="ralign10"><a href="#page87">87</a></span></li> + +<li>—LES LETTRES AUX HABITANTS DE REIMS. — LA LETTRE + AUX HUSSITES. — LE DÉPART DE SULLY. <span class="ralign10"><a href="#page116">116</a></span></li> + +<li>—LA PUCELLE AUX FOSSÉS DE MELUN. — LE SEIGNEUR + DE L'OURS. — L'ENFANT DE LAGNY. <span class="ralign10"><a href="#page138">138</a></span></li> + +<li>—SOISSONS ET COMPIÈGNE. — PRISE DE LA PUCELLE. <span class="ralign10"><a href="#page157">157</a></span></li> + +<li>—LA PUCELLE À BEAULIEU. — LE BERGER DU GÉVAUDAN. <span class="ralign10"><a href="#page177">177</a></span></li> + +<li>—LA PUCELLE À BEAUREVOIR. — CATHERINE DE LA + ROCHELLE À PARIS. — SUPPLICE DE LA PIERRONNE. <span class="ralign10"><a href="#page193">193</a></span></li> + +<li>—BEAUREVOIR. — ARRAS. — ROUEN — LA CAUSE DE LAPSE. <span class="ralign10"><a href="#page214">214</a></span></li> + +<li>—LA CAUSE DE LAPSE (<i>Suite</i>). <span class="ralign10"><a href="#page258">258</a></span></li> + +<li>—LA CAUSE DE LAPSE (<i>Suite</i>). <span class="ralign10"><a href="#page303">303</a></span></li> + +<li>—L'ABJURATION. — LA PREMIÈRE SENTENCE. <span class="ralign10"><a href="#page345">345</a></span></li> + +<li>—LA CAUSE DE RELAPSE. — SECONDE SENTENCE. — MORT + DE LA PUCELLE. <span class="ralign10"><a href="#page374">374</a></span></li> + +<li>—APRÈS LA MORT DE LA PUCELLE. — LA FIN DU + BERGER. — LA DAME DES ARMOISES. <span class="ralign10"><a href="#page397">397</a></span></li> + +<li>—APRÈS LA MORT DE LA PUCELLE (<i>Suite</i>). — LES + JUGES DE ROUEN AU CONCILE DE BÂLE ET LA + PRAGMATIQUE SANCTION. — LE PROCÈS DE RÉHABILITATION. — LA + PUCELLE DE SARMAIZE. — LA + PUCELLE DU MANS. <span class="ralign10"><a href="#page346">436</a></span></li> +</ul> +<ul class="none"> +<li>APPENDICES:</li> +<li><ol class="roman"> +<li>—LETTRE DU DOCTEUR G. DUMAS. <span class="ralign10"><a href="#page459">459</a></span></li> +<li>—LE MARÉCHAL DE SALON. <span class="ralign10"><a href="#page466">466</a></span></li> +<li>—MARTIN DE GALLARDON. <span class="ralign10"><a href="#page472">472</a></span></li> +<li>—NOTE ICONOGRAPHIQUE. <span class="ralign10"><a href="#page479">479</a></span></li> +</ol></li> +</ul> +</div> + +<p class="p2 center"><span class="smcap">Imprimerie Chaix, rue Bergère, 20, Paris.</span>—2774-2-08.—(Encre +Lorilleux).</p> + + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page487" name="page487"></a>(p. 487)</span> CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS<br> + +<span class="smaller">DU MÊME AUTEUR<br> +Format grand in-18.</span></h2> + +<ul class="none tam"> +<li>BALTHASAR. <span class="ralign10">1 vol.</span></li> + +<li>CRAINQUEBILLE, PUTOIS, RIQUET. <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>LE CRIME DE SYLVESTRE BONNARD (<i>Ouvrage + couronné par l'Académie française</i>). <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>LES DÉSIRS DE JEAN SERVIEN. <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>L'ÉTUI DE NACRE. <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>HISTOIRE COMIQUE. <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>LE JARDIN D'ÉPICURE. <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>JOCASTE ET LE CHAT MAIGRE. <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>LE LIVRE DE MON AMI. <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>LE LYS ROUGE. <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>LES OPINIONS DE M. JÉRÔME COIGNARD. <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>LE PUITS DE SAINTE-CLAIRE. <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>LA RÔTISSERIE DE LA REINE PÉDAUQUE. <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>SUR LA PIERRE BLANCHE. <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>THAÏS. <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>LA VIE LITTÉRAIRE. <span class="ralign10">4 —</span></li> + +<li>PAGES CHOISIES. <span class="ralign10">1 —</span></li> +<li> </li> + +<li>HISTOIRE CONTEMPORAINE</li> +<li><ol class="roman"> + +<li>—L'ORME DU MAIL. <span class="ralign10">1 vol.</span></li> + +<li>—LE MANNEQUIN D'OSIER. <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>—L'ANNEAU D'AMÉTHYSTE. <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>—MONSIEUR BERGERET À PARIS. <span class="ralign10">1 —</span></li> +</ol></li> + +<li> </li> + +<li>ÉDITION ILLUSTRÉE</li> +<li><ol class="none"> + +<li>CLIO (<i>Illustrations en couleurs de Mucha</i>) <span class="ralign10">1 vol.</span></li> + +<li>HISTOIRE COMIQUE (<i>Pointes sèches et eaux-fortes de + Edgar Chahine</i>) <span class="ralign10">1 —</span></li> +</ol></li> +</ul> + + + +<p class="p2 center"><span class="smcap">Imprimerie Chaix, rue Bergère, 20, Paris</span>.—2774-2-08.—(Encre +Lorilleux).</p> + +<h2>Notes</h2> + +<div class="notes"> +<p><a id="footnote1" name="footnote1"></a><a href="#footnotetag1">[1]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, pp. 323-324.—Perceval de +Cagny, pp. 160-161.—<i>Journal du siège</i>, p. 115.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, t. I, p. 98.—Morosini, t. III, p. 196.</p> + +<p><a id="footnote2" name="footnote2"></a><a href="#footnotetag2">[2]</a> <i>Ordonnances des rois de France</i>, t. IX, p. 71.—H. +Martin et Lacroix, <i>Histoire de la ville de Soissons</i>, Soissons, 1837, +in-8<sup>o</sup>, II, pp. 283 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote3" name="footnote3"></a><a href="#footnotetag3">[3]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 53 et <i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote4" name="footnote4"></a><a href="#footnotetag4">[4]</a> <i>Ibid.</i>, p. 103.</p> + +<p><a id="footnote5" name="footnote5"></a><a href="#footnotetag5">[5]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, pp. 323-324.—Perceval de +Cagny, p. 160.—Monstrelet, t. IV, p. 339.</p> + +<p><a id="footnote6" name="footnote6"></a><a href="#footnotetag6">[6]</a> C. Dormay, <i>Histoire de la ville de Soissons</i>, Soissons, +1664, t. II, pp. 382 et suiv.—H. Martin et Lacroix, <i>Histoire de +Soissons</i>, t. II, p. 319.—Pécheur, <i>Annales du diocèse de Soissons</i>, +t. IV, p. 513.—Félix Brun, <i>Jeanne d'Arc et le capitaine de Soissons +en 1430</i>, Soissons, 1904, p. 34.</p> + +<p><a id="footnote7" name="footnote7"></a><a href="#footnotetag7">[7]</a> Berry, dans <i>Procès</i>, t. IV, pp. 49-50.—Le P. Daniel, +<i>Histoire de la milice française</i>, t. I, p. 356.—Félix Brun, <i>Jeanne +d'Arc et le capitaine de Soissons</i>, pp. 26, 39.</p> + +<p><a id="footnote8" name="footnote8"></a><a href="#footnotetag8">[8]</a> De L'Épinois, <i>Notes extraites des archives communales de +Compiègne</i>, dans <i>Bibliothèque de l'École des Chartes</i>, t. XXIX, p. +483.—Sorel, <i>Prise de Jeanne d'Arc</i>, pp. 101-102.</p> + +<p><a id="footnote9" name="footnote9"></a><a href="#footnotetag9">[9]</a> Perceval de Cagny, p. 160.—Monstrelet, t. IV, p. 340.</p> + +<p><a id="footnote10" name="footnote10"></a><a href="#footnotetag10">[10]</a> Monstrelet, t. IV, p. 340.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, +p. 323.—Félix Bourquelot, <i>Histoire de Provins</i>, Provins, t. IV, pp. +79 et suiv.—Th. Robillard, <i>Histoire pittoresque topographique et +archéologique de Crécy-en-Brie</i>, 1852, p. 42.—L'abbé C. Poquet, +<i>Histoire de Château-Thierry</i>, 1839, t. I, pp. 290 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote11" name="footnote11"></a><a href="#footnotetag11">[11]</a> Perceval de Cagny, pp. 160-161.</p> + +<p><a id="footnote12" name="footnote12"></a><a href="#footnotetag12">[12]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, pp. 324, 325.—<i>Journal du +siège</i>, p. 115.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, pp. +98-99.—Perceval de Cagny, p. 161.—Rymer, <i>Fœdera</i>, juin-juillet +1429.—<i>Proceedings</i>, t. III, pp. 322 et suiv.—Morosini, t. IV, +annexe XVII.</p> + +<p><a id="footnote13" name="footnote13"></a><a href="#footnotetag13">[13]</a> Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. 1, p. 98.—Varin, +<i>Archives législatives de la ville de Reims</i>, Statuts, t. I (annot. du +doc. n<sup>o</sup> <span class="smcap">XXI</span>), p. 741.—H. Jadart, <i>Jeanne d'Arc à Reims</i>, pièce +justificative n<sup>o</sup> 19, p. 118.</p> + +<p><a id="footnote14" name="footnote14"></a><a href="#footnotetag14">[14]</a> Perceval de Cagny, p. 160.</p> + +<p><a id="footnote15" name="footnote15"></a><a href="#footnotetag15">[15]</a> Jusqu'à présent on a lu <i>rabuseront</i>. Notre lecture ne +paraît pas douteuse. <i>Cabuser</i>, dans l'ancienne langue, signifie: +tromper par une imposture. Il est plutôt d'un emploi populaire. Cf. +Godefroy, <i>Lexique</i>, ad. verb.</p> + +<p><a id="footnote16" name="footnote16"></a><a href="#footnotetag16">[16]</a> Traîtres.</p> + +<p><a id="footnote17" name="footnote17"></a><a href="#footnotetag17">[17]</a> La minute originale porte en surcharge les mots: <i>qui +vous veullent grever</i>.</p> + +<p><a id="footnote18" name="footnote18"></a><a href="#footnotetag18">[18]</a> Devant le mot <i>commans</i> on lit <i>ma</i> rayé.</p> + +<p><a id="footnote19" name="footnote19"></a><a href="#footnotetag19">[19]</a> Ce nom de lieu manque dans la copie de Rogier.</p> + +<p><a id="footnote20" name="footnote20"></a><a href="#footnotetag20">[20]</a> <i>Procès</i>, t. V, pp. 139-140 et Varin, <i>loc. cit.</i>, +Statuts, t. I, p. 603, d'après la copie de Rogier.—H. Jadart, <i>Jeanne +d'Arc à Reims</i>, pièce justificative, XIV, p. 104-105, et fac-similé de +la minute originale autrefois aux archives municipales de Reims et +maintenant chez M. le comte de Maleissye.</p> + +<p><a id="footnote21" name="footnote21"></a><a href="#footnotetag21">[21]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 233-234.</p> + +<p><a id="footnote22" name="footnote22"></a><a href="#footnotetag22">[22]</a> Morosini, t. III, pp. 202-203, note 2.</p> + +<p><a id="footnote23" name="footnote23"></a><a href="#footnotetag23">[23]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 325.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, t. I, pp. 99-100.—<i>Journal du siège</i>, pp. +119-120.—Gilles de Roye, p. 207.</p> + +<p><a id="footnote24" name="footnote24"></a><a href="#footnotetag24">[24]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 91.</p> + +<p><a id="footnote25" name="footnote25"></a><a href="#footnotetag25">[25]</a> <i>Chronique du doyen de Saint-Thibaut de Metz</i>, dans D. +Calmet, <i>Histoire de Lorraine</i>, t. V, Pièces justificatives, col. +<span class="smcap">XLI-XLVII</span>.—Villeneuve-Bargemont, <i>Précis historique de la vie du roi +René</i>, Aix, 1820, in-8<sup>o</sup>.—Lecoy de la Marche, <i>Le roi René</i>, Paris, +1875, 2 vol., in-8<sup>o</sup>.—Vallet de Viriville, dans <i>Nouvelle Biographie +générale</i>, 1866, <span class="smcap">XLI</span>, pp. 1009-15.</p> + +<p><a id="footnote26" name="footnote26"></a><a href="#footnotetag26">[26]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 444.—S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à +Domremy</i>, p. <span class="smcap">CXCIX</span>.—Morosini, t. III, p. 156, note 3.</p> + +<p><a id="footnote27" name="footnote27"></a><a href="#footnotetag27">[27]</a> <i>Procès</i>, t. V, pp. 105, 111.</p> + +<p><a id="footnote28" name="footnote28"></a><a href="#footnotetag28">[28]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, Jean Chartier, <i>Journal du +siège</i>, <i>loc. cit.</i></p> + +<p><a id="footnote29" name="footnote29"></a><a href="#footnotetag29">[29]</a> <i>Monstrelet</i>, t. IV, pp. 340, 344.</p> + +<p><a id="footnote30" name="footnote30"></a><a href="#footnotetag30">[30]</a> Perceval de Cagny, p. 161.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, +t. I, p. 100.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 325.</p> + +<p><a id="footnote31" name="footnote31"></a><a href="#footnotetag31">[31]</a> Varin, <i>Archives législatives de la ville de Reims</i>, +Statuts, t. I, p. 742.</p> + +<p><a id="footnote32" name="footnote32"></a><a href="#footnotetag32">[32]</a> Perceval de Cagny, p. 161.</p> + +<p><a id="footnote33" name="footnote33"></a><a href="#footnotetag33">[33]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 14, 15.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, p. 326.</p> + +<p><a id="footnote34" name="footnote34"></a><a href="#footnotetag34">[34]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 164.</p> + +<p><a id="footnote35" name="footnote35"></a><a href="#footnotetag35">[35]</a> Thomas Basin, <i>Histoire de Charles VII</i>, ch. <span class="smcap">VI</span>.—A. +Tuetey, <i>Les écorcheurs sous Charles VII</i>, Montbéliard, 1874, 2 vol. +in-8<sup>o</sup>, <i>passim</i>.—H. Lepage, <i>Épisodes de l'histoire des routiers en +Lorraine</i> (1362-1446), dans <i>Journal d'Archéologie lorraine</i>, t. XV, +pp. 161 et s.—Le P. Denifle, <i>La Désolation des églises</i>, +<i>passim</i>.—H. Martin et Lacroix, <i>Histoire de Soissons</i>, p. 318 et +<i>passim</i>.—G. Lefèvre-Pontalis, <i>Épisodes de l'invasion anglaise. La +guerre de partisans dans la Haute-Normandie</i> (1424-1429), dans +<i>Bibliothèque de l'École des Chartes</i>, t. LIV, pp. 475-521; t. LV, pp. +258-305; t. LVI, pp. 432-508.</p> + +<p><a id="footnote36" name="footnote36"></a><a href="#footnotetag36">[36]</a> Lettre de rémission du roi d'Angleterre Henri VI à un +habitant de Noyant, dans Stevenson, <i>Letters and papers</i>, t. I, pp. +23, 31.—F. Brun, <i>Jeanne d'Arc et le capitaine de Soissons</i>, note +III, p. 41.</p> + +<p><a id="footnote37" name="footnote37"></a><a href="#footnotetag37">[37]</a> Stevenson, <i>Letters and papers</i>, t. I, pp. 23, 31.</p> + +<p><a id="footnote38" name="footnote38"></a><a href="#footnotetag38">[38]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, pp. +170-171.—Monstrelet, t. IV p. 96.—<i>Livre des trahisons</i>, pp. +167-168.</p> + +<p><a id="footnote39" name="footnote39"></a><a href="#footnotetag39">[39]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 170.—D'après +<i>Monstrelet</i> (t. IV, p. 96), Denis de Vauru, cousin du Bâtard, aurait +été décapité aux Halles de Paris.</p> + +<p><a id="footnote40" name="footnote40"></a><a href="#footnotetag40">[40]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 14-15.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, +p. 326.</p> + +<p><a id="footnote41" name="footnote41"></a><a href="#footnotetag41">[41]</a> Eberhard Windecke, pp. 108-109, 188-189.</p> + +<p><a id="footnote42" name="footnote42"></a><a href="#footnotetag42">[42]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 14-15. C'est Dunois qui témoigne, +et le texte porte: <i>In custodiendo oves ipsorum, cum sorore et +fratribus meis, qui multum gauderent videre me.</i> Mais nous avons lieu +de croire qu'elle n'avait eu qu'une sœur et qu'elle l'avait perdue +avant de venir en France. Quant à ses frères, il y en avait deux près +d'elle.—La déposition de Dunois semble avoir été rédigée par un clerc +étranger aux événements. Le caractère hagiographique de ce passage est +manifeste.</p> + +<p><a id="footnote43" name="footnote43"></a><a href="#footnotetag43">[43]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 423.</p> + +<p><a id="footnote44" name="footnote44"></a><a href="#footnotetag44">[44]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 51, 66.</p> + +<p><a id="footnote45" name="footnote45"></a><a href="#footnotetag45">[45]</a> Monstrelet, t. IV, pp. 340, 344.</p> + +<p><a id="footnote46" name="footnote46"></a><a href="#footnotetag46">[46]</a> <i>Ibid.</i>, t. IV, p. 342.</p> + +<p><a id="footnote47" name="footnote47"></a><a href="#footnotetag47">[47]</a> Monstrelet, t. IV, pp. 342-343.</p> + +<p><a id="footnote48" name="footnote48"></a><a href="#footnotetag48">[48]</a> Georges Chastelain, fragments publiés par J. Quicherat +dans la <i>Bibliothèque de l'École des Chartes</i>, 1<sup>re</sup> série, t. IV, p. +78.</p> + +<p><a id="footnote49" name="footnote49"></a><a href="#footnotetag49">[49]</a> Monstrelet, t. IV, pp. 341-342.</p> + +<p><a id="footnote50" name="footnote50"></a><a href="#footnotetag50">[50]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 324; t. III, p. 130; Monstrelet, t. +IV, p. 388.</p> + +<p><a id="footnote51" name="footnote51"></a><a href="#footnotetag51">[51]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 99.</p> + +<p><a id="footnote52" name="footnote52"></a><a href="#footnotetag52">[52]</a> <i>Ibid.</i>, t. IV, pp. 206, 406, 444, 470, 472.—Rymer, +<i>Fœdera</i>, t. IV, p. 141.—G. Lefèvre-Pontalis, <i>La panique +anglaise</i>.</p> + +<p><a id="footnote53" name="footnote53"></a><a href="#footnotetag53">[53]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 246, 298; Lettre d'Alain Chartier, +dans <i>Procès</i>, t. V, pp. 131 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote54" name="footnote54"></a><a href="#footnotetag54">[54]</a> Monstrelet, t. IV, pp. 344-345.—Perceval de Cagny, pp. +161-162.</p> + +<p><a id="footnote55" name="footnote55"></a><a href="#footnotetag55">[55]</a> Flammermont, <i>Histoire de Senlis pendant la seconde +partie de la guerre de cent ans</i> (1405-1441), dans <i>Mémoires de la +Société de l'Histoire de Paris</i>.</p> + +<p><a id="footnote56" name="footnote56"></a><a href="#footnotetag56">[56]</a> Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, pp. +101-102.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 328.—<i>Journal du siège</i>, p. +118.—Fauquembergue, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 453.—Morosini, t. III, +pp. 188-189, t. IV, annexe XVII.—Rymer, <i>Fœdera</i>, juillet +1429.—Raynaldi, <i>Annales ecclesiastici</i>, pp. 77, 88.—S. Bougenot, +<i>Notices et extraits de manuscrits intéressant l'histoire de France +conservés à la Bibliothèque impériale de Vienne</i>, p. 62.</p> + +<p><a id="footnote57" name="footnote57"></a><a href="#footnotetag57">[57]</a> <i>Le Livre des trahisons de France</i>, éd. Kervyn de +Lettenhove dans la <i>Collection des Chroniques belges</i>, 1873, p. 198.</p> + +<p><a id="footnote58" name="footnote58"></a><a href="#footnotetag58">[58]</a> Perceval de Cagny, p. 162.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, +t. I, p. 102.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 329.—<i>Journal du siège</i>, +p. 119-120.</p> + +<p><a id="footnote59" name="footnote59"></a><a href="#footnotetag59">[59]</a> Perceval de Cagny, p. 161.</p> + +<p><a id="footnote60" name="footnote60"></a><a href="#footnotetag60">[60]</a> <i>Le Jouvencel</i>, <i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote61" name="footnote61"></a><a href="#footnotetag61">[61]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 329.—<i>Journal du siège</i>, +p. 121.</p> + +<p><a id="footnote62" name="footnote62"></a><a href="#footnotetag62">[62]</a> <i>Le Jouvencel</i>, t. II, p. 35.</p> + +<p><a id="footnote63" name="footnote63"></a><a href="#footnotetag63">[63]</a> Monstrelet, t. IV, p. 346.</p> + +<p><a id="footnote64" name="footnote64"></a><a href="#footnotetag64">[64]</a> Perceval de Cagny, p. 162.</p> + +<p><a id="footnote65" name="footnote65"></a><a href="#footnotetag65">[65]</a> Jean Chartier, <i>Chronique de la Pucelle</i>, <i>Journal du +siège</i>, Monstrelet, <i>loc. cit.</i></p> + +<p><a id="footnote66" name="footnote66"></a><a href="#footnotetag66">[66]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 332.—Perceval de Cagny, +p. 165.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 106.—Cochon, p. +457.—G. Lefèvre-Pontalis, <i>La panique anglaise</i>, Paris, 1894, in-8<sup>o</sup>, +p. 10, 11.—Morosini, t. III, p. 215, note 3.—Ch. de Beaurepaire, <i>De +l'administration de la Normandie sous la domination anglaise aux +années 1424, 1425, 1429</i>, p. 62 [<i>Mémoires de la Société des +Antiquaires de Normandie</i>, t. XXIV.]</p> + +<p><a id="footnote67" name="footnote67"></a><a href="#footnotetag67">[67]</a> Le Roux de Lincy et Tisserand, <i>Paris et ses +historiens</i>, pp. 426 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote68" name="footnote68"></a><a href="#footnotetag68">[68]</a> Le Cerf-Volant désigne allégoriquement le roi. Froissart +rapporte ainsi son origine. Avant de partir pour les Flandres, en +1382, Charles VI avait rêvé que son faucon s'était envolé. Un cerf +ailé lui apparut, l'enleva sur son dos et lui permit d'atteindre son +oiseau favori. Froissart, liv. II, chap. <span class="smcap">CLXIV</span>; liv. IV, chap. +<span class="smcap">I</span>.—Selon Juvénal des Ursins, Charles VI aurait rencontré, en 1380, +dans la forêt de Senlis, un cerf avec un collier d'or portant cette +inscription: <i>Hoc me Cæsar donavit</i> (Paillot, <i>Parfaite Science des +Armoiries</i>, Paris, 1660, in-f<sup>o</sup>, p. 595).—On rencontre très souvent +chez Eustache Deschamps cette même allégorie pour désigner le roi +(Eustache Deschamps, <i>œuvres</i>, éd. G. Raynaud, t. II, p. 57).</p> + +<p><a id="footnote69" name="footnote69"></a><a href="#footnotetag69">[69]</a> Morosini, t. III, pp. 66-67.</p> + +<p><a id="footnote70" name="footnote70"></a><a href="#footnotetag70">[70]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 133, 338, 340 et suiv.; t. IV, pp. +305, 480; t. V, p. 12.</p> + +<p><a id="footnote71" name="footnote71"></a><a href="#footnotetag71">[71]</a> <i>Procès</i>, t. V, pp. 3 et suiv.—R. Thomassy, <i>Essai sur +les écrits politiques de Christine de Pisan, suivi d'une notice +littéraire et de pièces inédites</i>, Paris, 1838, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote72" name="footnote72"></a><a href="#footnotetag72">[72]</a> Le texte de cette ballade inédite m'a été gracieusement +communiqué par M. Pierre Champion, qui l'a trouvée dans le Ms. de +Stockholm, français LIII, fol. 238. Voici le titre que lui donna le +copiste du ms., vers 1472: <i>Ballade faicte quant le Roy Charles +VII<sup>me</sup> fut couronne a Rains du temps de Jehanne daiz dicte la +pucelle.</i></p> + +<p><a id="footnote73" name="footnote73"></a><a href="#footnotetag73">[73]</a> P. Meyer, <i>Ballade contre les Anglais</i> (1429), dans +<i>Romania</i>, XXI, (1892), pp. 50, 52.</p> + +<p><a id="footnote74" name="footnote74"></a><a href="#footnotetag74">[74]</a> Sur les <i>Coués</i> ou t. I, p. 25, note 2.</p> + +<p><a id="footnote75" name="footnote75"></a><a href="#footnotetag75">[75]</a> Sur la légende Cf. <i>Merlin, roman en prose du XIII<sup>e</sup> +siècle</i>, éd. G. Paris et J. Ulrich, 1886, 2 vol. in-8<sup>o</sup>, +introduction.—<i>Premier volume de Merlin</i>, Paris, Vérard, 1498, +in-fol.—Hersart de la Villemarqué, <i>Myrdhin ou l'enchanteur Merlin, +son histoire, ses œuvres, son influence</i>, Paris, 1862, in-12.—La +Borderie, <i>Les véritables prophéties de Merlin; examen des poèmes +bretons attribués à ce barde</i> dans <i>Revue de Bretagne</i>, t. LIII +(1883).—D'Arbois de Jubainville, <i>Merlin est-il un personnage réel ou +les origines de la légende de Merlin</i> dans <i>Revue des Questions +Historiques</i>, t. V (1868), pp. 559, 568.</p> + +<p><a id="footnote76" name="footnote76"></a><a href="#footnotetag76">[76]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 340.—Lanéry d'Arc, <i>Mémoires et +consultations</i>, p. 402.</p> + +<p><a id="footnote77" name="footnote77"></a><a href="#footnotetag77">[77]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 344-345.</p> + +<p><a id="footnote78" name="footnote78"></a><a href="#footnotetag78">[78]</a> Philippe de Bergame, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 523; t. V, +p. 108, 120.</p> + +<p><a id="footnote79" name="footnote79"></a><a href="#footnotetag79">[79]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 100.—Philippe de Bergame, <i>De +claris mulieribus</i>, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 323.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, p. 271.—Perceval de Boulainvilliers, <i>Lettre au duc de +Milan</i>, dans <i>Procès</i>, t. V, p. 119-120.</p> + +<p><a id="footnote80" name="footnote80"></a><a href="#footnotetag80">[80]</a> J. Bréhal, dans <i>Procès</i>, t. III, p. 345.</p> + +<p><a id="footnote81" name="footnote81"></a><a href="#footnotetag81">[81]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 328.—<i>Journal du siège</i>, +p. 18.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 106.—Perceval de Cagny, +pp. 163-164.—Morosini, pp. 212-213.—Flammermont, <i>Senlis pendant la +seconde période de la guerre cent ans</i>, dans <i>Mémoires de la Société +de l'Histoire de Paris</i>, t. V, 1878, p. 241.</p> + +<p><a id="footnote82" name="footnote82"></a><a href="#footnotetag82">[82]</a> Perceval de Cagny, p. 164.—Monstrelet, p. 352.—De +l'Épinois, <i>Notes extraites des Archives communales de Compiègne</i>, pp. +483-484.—A. Sorel, <i>Séjours de Jeanne d'Arc à Compiègne, maisons où +elle a logé en 1429 et 1430</i>, Paris, 1889, in-8<sup>o</sup> de 20 pages.</p> + +<p><a id="footnote83" name="footnote83"></a><a href="#footnotetag83">[83]</a> La Curne, au mot: <i>Attournés</i>.—<i>Procès</i>, t. V, p. 174.</p> + +<p><a id="footnote84" name="footnote84"></a><a href="#footnotetag84">[84]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 331.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, t. I, p. 106.—A. Sorel, <i>La prise de Jeanne d'Arc devant +Compiègne</i>, Paris, 1889, in-8<sup>o</sup>, pp. 117-118.—Duc de la Trémoïlle, +<i>Les La Trémoïlle pendant cinq siècles</i>, Nantes, 1890, in-4<sup>o</sup>, t. I, +pp. 185 et 212.—P. Champion, <i>Guillaume de Flavy</i>, capitaine de +Compiègne, Paris, 1906, in-8<sup>o</sup>, Pièce justificative, <span class="smcap">XIII</span>, p. 137.</p> + +<p><a id="footnote85" name="footnote85"></a><a href="#footnotetag85">[85]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 327.—<i>Journal du siège</i>, +p. 118.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 106.—Monstrelet, t. IV, +pp. 353-354.—Morosini, t. III, pp. 214-215.</p> + +<p><a id="footnote86" name="footnote86"></a><a href="#footnotetag86">[86]</a> A. Sarrazin, <i>Pierre Cauchon, juge de Jeanne d'Arc</i>, +Paris, 1901, in-8<sup>o</sup>, pp. 49 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote87" name="footnote87"></a><a href="#footnotetag87">[87]</a> Monstrelet, t. IV, p. 354.</p> + +<p><a id="footnote88" name="footnote88"></a><a href="#footnotetag88">[88]</a> A. Sorel, <i>Séjours de Jeanne d'Arc à Compiègne</i>, p. 6.</p> + +<p><a id="footnote89" name="footnote89"></a><a href="#footnotetag89">[89]</a> Perceval de Cagny, pp. 164-165.—<i>Chronique de Tournai</i>, +t. III du <i>Recueil des chroniques de Flandre</i>, éd. de Smedt, p. 414.</p> + +<p><a id="footnote90" name="footnote90"></a><a href="#footnotetag90">[90]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 82-83.</p> + +<p><a id="footnote91" name="footnote91"></a><a href="#footnotetag91">[91]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 245-246.</p> + +<p><a id="footnote92" name="footnote92"></a><a href="#footnotetag92">[92]</a> A. Longnon, <i>Les limites de la France et l'étendue de la +domination anglaise à l'époque de la mission de Jeanne d'Arc</i>, Paris, +1875, in-8<sup>o</sup>.—Vallet de Viriville, dans <i>Nouvelle Biographie +générale</i>, III, col. 255-257.</p> + +<p><a id="footnote93" name="footnote93"></a><a href="#footnotetag93">[93]</a> <i>Chronique de Mathieu d'Escouchy</i>, t. I, p. 68 et +Preuves, pp. 126, 128, 139-140.—Dom Vaissette, <i>Histoire générale du +Languedoc</i>, t. IV, p. 469-470.—De Beaucourt, <i>Histoire de Charles +VII</i>, t. II, p. 151.—Vallet de Viriville, dans <i>Nouvelle Biographie +générale</i>, 1861, t. III, pp. 255-257.—Le P. Ayroles, <i>La vierge +guerrière</i>, p. 66.</p> + +<p><a id="footnote94" name="footnote94"></a><a href="#footnotetag94">[94]</a> <i>Annales juris pontificis</i> (1872-1875), VII, 385.—E. +Muntz, <i>La tiare pontificale du VIII<sup>e</sup> au XVI<sup>e</sup> siècle</i>, dans +<i>Mém. Acad. Inscript. et Belles-Lettres</i>, t. XXVI, I, pp. 235-324, +fig.; <i>les Arts à la cour des papes pendant les XV<sup>e</sup> et XVI<sup>e</sup> +siècles</i>, dans <i>Bibl. des Écoles françaises d'Athènes et Rome</i>, t. +IV.</p> + +<p><a id="footnote95" name="footnote95"></a><a href="#footnotetag95">[95]</a> Baluze, <i>Vitæ paparum Avenionensium</i>, 1693, I, pp. 1182 +et suiv.—Fabricius, <i>Bibliotheca medii ævi</i>, 1734, I, p. 1109.</p> + +<p><a id="footnote96" name="footnote96"></a><a href="#footnotetag96">[96]</a> D'après Le Maire, <i>Histoire et antiquités de la ville et +duché d'Orléans</i>, p. 197, la suscription de cette supplique était +ainsi conçue: «À très honorée et très dévote Pucelle Jeanne, envoyée +du Roi des cieux pour la réparation et extirpation des Anglais +tyrannisans la France».—<i>Procès</i>, t. V, p. 253.—Vallet de Viriville, +<i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, p. 131.</p> + +<p><a id="footnote97" name="footnote97"></a><a href="#footnotetag97">[97]</a> Noël Valois, <i>La France et le Grand Schisme d'Occident</i>, +t. IV (1902), in-8<sup>o</sup>, <i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote98" name="footnote98"></a><a href="#footnotetag98">[98]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 82.</p> + +<p><a id="footnote99" name="footnote99"></a><a href="#footnotetag99">[99]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 466-467.</p> + +<p><a id="footnote100" name="footnote100"></a><a href="#footnotetag100">[100]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 245-246.</p> + +<p><a id="footnote101" name="footnote101"></a><a href="#footnotetag101">[101]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 83.</p> + +<p><a id="footnote102" name="footnote102"></a><a href="#footnotetag102">[102]</a> Perceval de Cagny, p. 165.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, +p. 331.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 106.—Morosini, t. III, +pp. 212-213.—Compte de Hémon Raguier, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 24.</p> + +<p><a id="footnote103" name="footnote103"></a><a href="#footnotetag103">[103]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 450.</p> + +<p><a id="footnote104" name="footnote104"></a><a href="#footnotetag104">[104]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 104.—Extraits du 13<sup>e</sup> compte de +Hémon Raguier, dans <i>Procès</i>, t. V, p. 267.—E. Dupuis, <i>Jean +Fouquerel, évêque de Senlis</i>, dans <i>Mémoires du Comité archéologique +de Senlis</i>, 1875, t. I, p. 93.—Vatin, <i>Combat sous Senlis entre +Charles VII et les Anglais</i>, dans <i>Comité archéologique de Senlis, +Comptes rendus et Mémoires</i>, 1866, pp. 41, 54.</p> + +<p><a id="footnote105" name="footnote105"></a><a href="#footnotetag105">[105]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 264.</p> + +<p><a id="footnote106" name="footnote106"></a><a href="#footnotetag106">[106]</a> Perceval de Cagny, p. 165.—Le 25, selon le <i>Journal +d'un bourgeois de Paris</i>, p. 243.</p> + +<p><a id="footnote107" name="footnote107"></a><a href="#footnotetag107">[107]</a> J. Doublet, <i>Histoire de l'abbaye de Saint-Denys en +France, contenant les antiquités d'icelle, les fondations, +prérogatives et privilèges</i>, Paris, 1625, 2 vol. in-4<sup>o</sup>, t. I, chap. +<span class="smcap">XX</span> et <span class="smcap">XXIV</span>.—Des Rues, <i>Les antiquités, fondations et singularités des +plus célèbres villes</i>, pp. 84 et 85.</p> + +<p><a id="footnote108" name="footnote108"></a><a href="#footnotetag108">[108]</a> J. Doublet, <i>Histoire de l'abbaye de Saint-Denys</i>, t. +I, chap. <span class="smcap">XXXI</span>, <span class="smcap">XXXIV</span>.</p> + +<p><a id="footnote109" name="footnote109"></a><a href="#footnotetag109">[109]</a> Thomassin, <i>Registre Delphinal</i>, dans <i>Procès</i>, t. IV, +p. 304.—Voyez le <i>Glossaire</i> de Du Cange, au mot: <i>Auriflamme</i>.</p> + +<p><a id="footnote110" name="footnote110"></a><a href="#footnotetag110">[110]</a> J. Doublet, <i>Histoire de l'abbaye de Saint-Denys</i>, t. +I, chap. <span class="smcap">XXII</span>.—D. Michel Félibien, <i>Histoire de l'abbaye royale de +Saint-Denys en France</i>, Paris, in-folio, 1706, pp. 229, 320.—Vallet +de Viriville, <i>Notice du manuscrit de P. Cochon</i>, à la suite de la +<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 360.—<i>Chronique de Du Guesclin</i>, éd. +Francisque-Michel, pp. 452 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote111" name="footnote111"></a><a href="#footnotetag111">[111]</a> <i>Procès</i>, t. V, pp. 107, 109.</p> + +<p><a id="footnote112" name="footnote112"></a><a href="#footnotetag112">[112]</a> D. M. Félibien, <i>op. cit.</i>, chap. <span class="smcap">II</span>, pp. 528 et suiv., +<i>planches</i>.—J. Doublet, <i>op. cit.</i>, t. I, chap. <span class="smcap">XLIII</span>, +<span class="smcap">XLVI</span>.—<i>Procès</i>, t. III, p. 301.—<i>Gallia Christiana</i>, t. VII, col. +142.</p> + +<p><a id="footnote113" name="footnote113"></a><a href="#footnotetag113">[113]</a> <i>Religieux de Saint-Denis</i>, pp. 154, 156, 226.</p> + +<p><a id="footnote114" name="footnote114"></a><a href="#footnotetag114">[114]</a> Estienne Binet, <i>La vie apostolique de saint Denys +l'Aréopagite, patron et apostre de la France</i>, Paris, 1624, in-12.—J. +Doublet, <i>Histoire chronologique pour la vérité de Saint Denys +l'Aréopagite, apôtre de France et premier évêque de Paris</i>, Paris, +1646, in-4<sup>o</sup>, et <i>Histoire de l'abbaye de Saint-Denys en France</i>, p. +95.—J. Havet, <i>Les origines de Saint-Denis</i>, dans les <i>Questions +mérovingiennes</i>.</p> + +<p><a id="footnote115" name="footnote115"></a><a href="#footnotetag115">[115]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 179.</p> + +<p><a id="footnote116" name="footnote116"></a><a href="#footnotetag116">[116]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 179, note 5.</p> + +<p><a id="footnote117" name="footnote117"></a><a href="#footnotetag117">[117]</a> <i>Ibid.</i>, pp. 101, 209, note 1.</p> + +<p><a id="footnote118" name="footnote118"></a><a href="#footnotetag118">[118]</a> <i>Ibid.</i>, pp. 241-242.—Monstrelet, t. IV, p. 354.</p> + +<p><a id="footnote119" name="footnote119"></a><a href="#footnotetag119">[119]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 103.</p> + +<p><a id="footnote120" name="footnote120"></a><a href="#footnotetag120">[120]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 304.—Noël Valois, <i>Un nouveau +témoignage sur Jeanne d'Arc</i>, dans <i>Annuaire-bulletin de la Société de +l'Histoire de France</i>, Paris, 1907, in-8<sup>o</sup>, tirage à part, pp. 17-18.</p> + +<p><a id="footnote121" name="footnote121"></a><a href="#footnotetag121">[121]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 236.</p> + +<p><a id="footnote122" name="footnote122"></a><a href="#footnotetag122">[122]</a> <i>Le Jouvencel</i>, t. II, p. 281.</p> + +<p><a id="footnote123" name="footnote123"></a><a href="#footnotetag123">[123]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 81.</p> + +<p><a id="footnote124" name="footnote124"></a><a href="#footnotetag124">[124]</a> Perceval de Cagny, p. 166.</p> + +<p><a id="footnote125" name="footnote125"></a><a href="#footnotetag125">[125]</a> <i>Ibid.</i>, p. 166.</p> + +<p><a id="footnote126" name="footnote126"></a><a href="#footnotetag126">[126]</a> Vallet de Viriville, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, +p. 112.—De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, pp. +404-408.—Morosini, t. III, p. 192; t. IV, annexe XVIII.</p> + +<p><a id="footnote127" name="footnote127"></a><a href="#footnotetag127">[127]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 140.</p> + +<p><a id="footnote128" name="footnote128"></a><a href="#footnotetag128">[128]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 332.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, t. I, p. 106.—P. Cochon, p. 457.—Perceval de Cagny, p. +165.</p> + +<p><a id="footnote129" name="footnote129"></a><a href="#footnotetag129">[129]</a> Monstrelet, t. IV, pp. 352, 353.—<i>Journal d'un +bourgeois de Paris</i>, pp. 247-248.—D. Félibien, <i>Histoire de Paris</i>, +t. II, p. 813 et preuves, t. IV, p. 591.—Morosini, t. III, pp. 208, +209, 224, note 2; t. IV, annexe XVIII, pp. 343-344.</p> + +<p><a id="footnote130" name="footnote130"></a><a href="#footnotetag130">[130]</a> De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, chap. +<span class="smcap">VII</span>: <i>La diplomatie de Charles VII jusqu'au traité d'Arras.</i></p> + +<p><a id="footnote131" name="footnote131"></a><a href="#footnotetag131">[131]</a> Perceval de Cagny, p. 166.</p> + +<p><a id="footnote132" name="footnote132"></a><a href="#footnotetag132">[132]</a> Le Roux de Lincy, <i>Hugues Aubriot, prévôt de Paris sous +Charles V</i>, Paris, 1862, in-8<sup>o</sup>, <i>passim</i>.—<i>Paris et ses historiens +au XIV<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup> siècle</i>, par Le Roux de Lincy et Tisserand, +Paris, in-fol. [<i>Hist. générale de Paris</i>].</p> + +<p><a id="footnote133" name="footnote133"></a><a href="#footnotetag133">[133]</a> Delamare, <i>Traité de la police</i>, Paris, 1710, in-fol., +t. I, p. 79.—A. Bonnardot, <i>Dissertation archéologique sur les +enceintes de Paris, suivie de recherches sur les portes fortifiées qui +dépendaient des enceintes de Paris</i>, 1851, in-4<sup>o</sup>, plan; <i>Études +archéologiques sur les anciens plans de Paris</i>, 1853, in-4<sup>o</sup>; +<i>Appendice aux études archéologiques sur les anciens plans de Paris et +aux dissertations sur les enceintes de Paris</i>, Paris, 1877, in-4<sup>o</sup>; +<i>Étude sur Gilles Corrozet, suivie d'une notice sur un manuscrit de la +Bibliothèque des ducs de Bourgogne, contenant une description de Paris +en 1432, par Guillebert de Metz</i>, Paris, 1846, in-8<sup>o</sup> de 56 +p.—Kausler, <i>Atlas des plus mémorables batailles</i>, Carlsruhe, 1831, +pl. 34.—H. Legrand, <i>Paris en 1380</i>, plan de restitution, Paris, +in-fol., 1868, p. 58.—A. Guilaumot, <i>Les portes de l'enceinte de +Paris sous Charles V</i>, Paris, 1879.—Rigaud, <i>Chronique de la Pucelle, +campagne de Paris, cartes et plans</i>, Bergerac, 1886, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote134" name="footnote134"></a><a href="#footnotetag134">[134]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 180.</p> + +<p><a id="footnote135" name="footnote135"></a><a href="#footnotetag135">[135]</a> <i>Ibid.</i>, p. 189.</p> + +<p><a id="footnote136" name="footnote136"></a><a href="#footnotetag136">[136]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, pp. 136-137.</p> + +<p><a id="footnote137" name="footnote137"></a><a href="#footnotetag137">[137]</a> <i>Ibid.</i>, p. 107.—<i>Document inédit relatif à l'état de +Paris en 1430</i>, dans <i>Revue des Sociétés savantes</i>, 1863, p. 203.</p> + +<p><a id="footnote138" name="footnote138"></a><a href="#footnotetag138">[138]</a> Christine de Pisan, dans <i>Procès</i>, t. V, strophe 56, p. +20.—Le Roux de Lincy et Tisserand, <i>Paris et ses historiens</i>, p. +426.</p> + +<p><a id="footnote139" name="footnote139"></a><a href="#footnotetag139">[139]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 251.—A. Longnon, +<i>Paris pendant la domination anglaise (1420-1436), documents extraits +des registres de la chancellerie de France</i>, Paris, 1877, in-8<sup>o</sup>, +introduction, p. xiij.—Vallet de Viriville, <i>Histoire de Charles +VII</i>, t. II, p. 116, note 1.</p> + +<p><a id="footnote140" name="footnote140"></a><a href="#footnotetag140">[140]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 248.—<i>Chronique +de la Pucelle</i>, p. 297.—Morosini, t. III, p. 79, note.</p> + +<p><a id="footnote141" name="footnote141"></a><a href="#footnotetag141">[141]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. +257.—Fauquembergue dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 453.—Morosini, t. III, +p. 198.</p> + +<p><a id="footnote142" name="footnote142"></a><a href="#footnotetag142">[142]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 38.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, +t. I, pp. 106-107.—Fauquembergue, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 454.</p> + +<p><a id="footnote143" name="footnote143"></a><a href="#footnotetag143">[143]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 239, note 2.—Le +Roux de Lincy et Tisserand, <i>Paris et ses historiens</i>, pp. 340 et +suiv.</p> + +<p><a id="footnote144" name="footnote144"></a><a href="#footnotetag144">[144]</a> 14 juillet 1429. <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, pp. +240-241.—Fauquembergue, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 240.—Morosini, t. +III, p. 186.</p> + +<p><a id="footnote145" name="footnote145"></a><a href="#footnotetag145">[145]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 241.</p> + +<p><a id="footnote146" name="footnote146"></a><a href="#footnotetag146">[146]</a> Fauquembergue, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 356.</p> + +<p><a id="footnote147" name="footnote147"></a><a href="#footnotetag147">[147]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 242.</p> + +<p><a id="footnote148" name="footnote148"></a><a href="#footnotetag148">[148]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 243.</p> + +<p><a id="footnote149" name="footnote149"></a><a href="#footnotetag149">[149]</a> Rymer, <i>Fœdera</i>, mai.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. +332.—Monstrelet, t. IV, p. 355.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, +pp. 106-107.—Wallon, <i>Jeanne d'Arc</i>, t. I, p. 290, note 1.—G. +Lefévre-Pontalis, <i>La panique anglaise</i>, p. 9.—Morosini, t. III, p. +216, n. 5, t. IV, annexe XVIII.</p> + +<p><a id="footnote150" name="footnote150"></a><a href="#footnotetag150">[150]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 243.</p> + +<p><a id="footnote151" name="footnote151"></a><a href="#footnotetag151">[151]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 243.—Perceval de +Cagny, p. 166.—<i>Chronique des cordeliers</i>, fol., 486 v<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote152" name="footnote152"></a><a href="#footnotetag152">[152]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 243.</p> + +<p><a id="footnote153" name="footnote153"></a><a href="#footnotetag153">[153]</a> <i>Ibid.</i>, pp. 243-244.</p> + +<p><a id="footnote154" name="footnote154"></a><a href="#footnotetag154">[154]</a> Registre des délibérations du Chapitre de Notre-Dame +(<i>Arch. Nat.</i>, LL 716, pp. 173-174) dans le <i>Journal d'un bourgeois de +Paris</i>, <i>loc. cit.</i>—Le P. Ayroles, <i>La vraie Jeanne d'Arc</i>, t. III, +pp. 530, 531, pièces justificatives, J. p. 639.—Le P. Denifle et +Châtelain, <i>Le procès de Jeanne d'Arc et l'Université de Paris</i>, +Nogent-le-Rotrou, 1898, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote155" name="footnote155"></a><a href="#footnotetag155">[155]</a> Registre des délibérations du Chapitre de Notre-Dame, +dans Tuetey, notes du <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 241, note +1.—Fauquembergue, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 456.—Le P. Ayroles, <i>La +vraie Jeanne d'Arc</i>, t. III, pièces justificatives, p. 640.</p> + +<p><a id="footnote156" name="footnote156"></a><a href="#footnotetag156">[156]</a> Registre des délibérations du Chapitre de Notre-Dame, +<i>loc. cit.</i>—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 332.—<i>Journal d'un +bourgeois de Paris</i>, p. 244.—Monstrelet, t. IV, p. 354.—Martial +d'Auvergne, <i>Vigiles</i>, éd. Coustelier, t. I, p. 113.—Perceval de +Cagny, p. 166.—<i>Chronique des cordeliers</i>, fol. 486 v<sup>o</sup>.—Le P. +Ayroles, <i>La vraie Jeanne d'Arc</i>, t. III, p. 531.</p> + +<p><a id="footnote157" name="footnote157"></a><a href="#footnotetag157">[157]</a> Voragine, <i>Legenda aurea</i>.—Anquetil, <i>La Nativité, +miracle extrait de la Légende dorée</i> dans <i>Mém. Soc. Agr. de Bayeux</i>, +1883, t. X, p. 286.—Douhet, <i>Dictionnaire des Mystères</i>, 1854, p. +545.</p> + +<p><a id="footnote158" name="footnote158"></a><a href="#footnotetag158">[158]</a> Perceval de Cagny, pp. 166, 168.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, pp. 333-334.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, pp. 107, +109.—Fauquembergue, dans <i>Procès</i>, t. IV, pp. 456, 458.—<i>Journal +d'un bourgeois de Paris</i>, pp. 244-245.—<i>Chronique des cordeliers</i>, +fol. 486 v<sup>o</sup>. P. Cochon, éd. de Beaurepaire, p. 307.—Morosini, t. +III, p. 210.</p> + +<p><a id="footnote159" name="footnote159"></a><a href="#footnotetag159">[159]</a> Gaguin, <i>Hist. Francorum</i>, Francfort, 1577, liv. VIII, +chap. <span class="smcap">II</span>, p. 158.—Tanon, <i>Histoire des tribunaux de l'inquisition en +France</i>, p. 121.—Lea, <i>Histoire de l'inquisition au moyen âge</i>, trad. +S. Reinach, t. II, p. 148.</p> + +<p><a id="footnote160" name="footnote160"></a><a href="#footnotetag160">[160]</a> Perceval de Cagny, p. 161.—Vallet de Viriville, +<i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, p. 120, n<sup>o</sup> 1.—G. Lefèvre-Pontalis, +<i>Un détail du siège de Paris, par Jeanne d'Arc</i>, dans <i>Bibliothèque de +l'École des Chartes</i>, t. XLVI, 1885, pp. 5 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote161" name="footnote161"></a><a href="#footnotetag161">[161]</a> Délibération du Chapitre de Notre-Dame, <i>loc. +cit.</i>—<i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 245.—Fauquembergue, dans +<i>Procès</i>, t. IV, p. 457.</p> + +<p><a id="footnote162" name="footnote162"></a><a href="#footnotetag162">[162]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 240, 246, 298; t. III, pp. 425, +427; t. V, pp. 97, 107, 130, 140.</p> + +<p><a id="footnote163" name="footnote163"></a><a href="#footnotetag163">[163]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 57, 146, 168, 250.</p> + +<p><a id="footnote164" name="footnote164"></a><a href="#footnotetag164">[164]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 89.</p> + +<p><a id="footnote165" name="footnote165"></a><a href="#footnotetag165">[165]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 147-148.</p> + +<p><a id="footnote166" name="footnote166"></a><a href="#footnotetag166">[166]</a> Le Roux de Lincy et Tisserand, <i>Paris et ses +historiens</i>, pp. 205 et 231, note 4.—Adolphe Berty, <i>Topographie +historique du vieux Paris, région du Louvre et des Tuileries</i>, p. 180 +et app. VI, p. <span class="smcap">IX</span>.—E. Eude, <i>L'attaque de Jeanne d'Arc contre Paris</i>, +1429, <i>Cosmos</i>, nouv. série, <span class="smcap">XXIX</span> (1894), pp. 241-244.</p> + +<p><a id="footnote167" name="footnote167"></a><a href="#footnotetag167">[167]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 246.</p> + +<p><a id="footnote168" name="footnote168"></a><a href="#footnotetag168">[168]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, pp. 332, 333.—Jean +Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 108.</p> + +<p><a id="footnote169" name="footnote169"></a><a href="#footnotetag169">[169]</a> Perceval de Cagny, p. 167.</p> + +<p><a id="footnote170" name="footnote170"></a><a href="#footnotetag170">[170]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 148.</p> + +<p><a id="footnote171" name="footnote171"></a><a href="#footnotetag171">[171]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 245.</p> + +<p><a id="footnote172" name="footnote172"></a><a href="#footnotetag172">[172]</a> <i>Le Jouvencel</i>, t. I, p. 67.</p> + +<p><a id="footnote173" name="footnote173"></a><a href="#footnotetag173">[173]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 333.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, t. I, p. 109.—<i>Journal du siège</i>, p. 127.—Martial +d'Auvergne, <i>Vigiles</i>, éd. Coustelier, 1724, t. I, p. 113.</p> + +<p><a id="footnote174" name="footnote174"></a><a href="#footnotetag174">[174]</a> Perceval de Cagny, p. 167.—Monstrelet, t. IV, pp. +355-356.—Morosini, t. III, note 3.—E. Eude, <i>L'attaque de Jeanne +d'Arc contre Paris</i>, dans <i>Cosmos</i>, 22 sept. 1894, t. <span class="smcap">XXIX</span>.—P. Marin, +<i>Le génie militaire de Jeanne d'Arc</i>, dans <i>Grande Revue de Paris et +de Saint-Pétersbourg</i>, 2<sup>e</sup> année, t. I, 1889, p. 142.</p> + +<p><a id="footnote175" name="footnote175"></a><a href="#footnotetag175">[175]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 57, 246.—<i>Journal d'un bourgeois de +Paris</i>, p. 245.—Délibération du Chapitre de Notre-Dame, <i>loc. +cit.</i>—Fauquembergue, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 457.—Perceval de +Cagny, Jean Chartier, <i>Journal du siège</i>, Monstrelet, Morosini, <i>loc. +cit.</i></p> + +<p><a id="footnote176" name="footnote176"></a><a href="#footnotetag176">[176]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 298.</p> + +<p><a id="footnote177" name="footnote177"></a><a href="#footnotetag177">[177]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 111, 273.—Berry, dans <i>Procès</i>, t. +IV, p. 50.—F. Brun, <i>Jeanne d'Arc et le capitaine de Soissons</i>, pp. +31 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote178" name="footnote178"></a><a href="#footnotetag178">[178]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 57.</p> + +<p><a id="footnote179" name="footnote179"></a><a href="#footnotetag179">[179]</a> Le jurement «Par mon martin» est une invention du clerc +qui rédigea la Chronique dite de Perceval de Cagny, p. 168.</p> + +<p><a id="footnote180" name="footnote180"></a><a href="#footnotetag180">[180]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 334.—<i>Journal du siège</i>, +p. 128.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 109.—Monstrelet, t. IV, +pp. 355-356.</p> + +<p><a id="footnote181" name="footnote181"></a><a href="#footnotetag181">[181]</a> Délibération du Chapitre de Notre-Dame, <i>loc. cit.</i></p> + +<p><a id="footnote182" name="footnote182"></a><a href="#footnotetag182">[182]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 245.</p> + +<p><a id="footnote183" name="footnote183"></a><a href="#footnotetag183">[183]</a> <i>Le Jouvencel</i>, t. I, p. 142.</p> + +<p><a id="footnote184" name="footnote184"></a><a href="#footnotetag184">[184]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, pp. 245-246.</p> + +<p><a id="footnote185" name="footnote185"></a><a href="#footnotetag185">[185]</a> Sur la situation des esprits dans Paris, voyez divers +actes de Henri VI, des 18 et 25 sept. 1429. (Ms. Fontanieu, +115.)—Sauval, <i>Antiquités de Paris</i>, t. III, p. 586 et <i>circ.</i></p> + +<p><a id="footnote186" name="footnote186"></a><a href="#footnotetag186">[186]</a> A. Longnon, <i>Paris pendant la domination anglaise</i>, p. +302.</p> + +<p><a id="footnote187" name="footnote187"></a><a href="#footnotetag187">[187]</a> Fauquembergue, dans <i>Procès</i>, t. IV, pp. 456, 458.</p> + +<p><a id="footnote188" name="footnote188"></a><a href="#footnotetag188">[188]</a> <i>Relation du greffier de La Rochelle</i>, p. 344.</p> + +<p><a id="footnote189" name="footnote189"></a><a href="#footnotetag189">[189]</a> <i>Chronique de Normandie</i>, dans <i>Procès</i>, t. IV, pp. +342-343.</p> + +<p><a id="footnote190" name="footnote190"></a><a href="#footnotetag190">[190]</a> Perceval de Cagny, p. 168.</p> + +<p><a id="footnote191" name="footnote191"></a><a href="#footnotetag191">[191]</a> Perceval de Cagny, p. 168.—<i>Chronique Normande</i> dans +la <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 465.—Vallet de Viriville, <i>Histoire +de Charles VII</i>, t. II, p. 120, note 1.</p> + +<p><a id="footnote192" name="footnote192"></a><a href="#footnotetag192">[192]</a> Duchesne, <i>Histoire de la maison de Montmorency</i>, p. +232.—Perceval de Cagny, p. 168.—Vallet de Viriville, <i>Histoire de +Charles VII</i>, t. II, pp. 118, 119.</p> + +<p><a id="footnote193" name="footnote193"></a><a href="#footnotetag193">[193]</a> G. Lefèvre-Pontalis, <i>Un détail du siège de Paris</i>, +dans <i>Bibliothèque de l'École des Chartes</i>, t. XLVI, 1885, p. 12.</p> + +<p><a id="footnote194" name="footnote194"></a><a href="#footnotetag194">[194]</a> Perceval de Cagny, pp. 168-169.—Morosini, t. III, p. +219, note 4.—Vallet de Viriville, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, +p. 120, note 1.—G. Lefèvre-Pontalis, <i>Un détail du siège de Paris</i>, +<i>loc. cit.</i></p> + +<p><a id="footnote195" name="footnote195"></a><a href="#footnotetag195">[195]</a> Eberhard Windecke, pp. 184, 186.</p> + +<p><a id="footnote196" name="footnote196"></a><a href="#footnotetag196">[196]</a> Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 90.</p> + +<p><a id="footnote197" name="footnote197"></a><a href="#footnotetag197">[197]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 73.</p> + +<p><a id="footnote198" name="footnote198"></a><a href="#footnotetag198">[198]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 99.</p> + +<p><a id="footnote199" name="footnote199"></a><a href="#footnotetag199">[199]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 76.</p> + +<p><a id="footnote200" name="footnote200"></a><a href="#footnotetag200">[200]</a> Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 90.</p> + +<p><a id="footnote201" name="footnote201"></a><a href="#footnotetag201">[201]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 122-123.</p> + +<p><a id="footnote202" name="footnote202"></a><a href="#footnotetag202">[202]</a> Perceval de Cagny, p. 169.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, +pp. 335 et suiv.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, pp. 112 et +suiv.—Monstrelet, t. IV, p. 356.—<i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, +p. 246.—Berry, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 48.—Gilles de Roye, p. 208.</p> + +<p><a id="footnote203" name="footnote203"></a><a href="#footnotetag203">[203]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 260.</p> + +<p><a id="footnote204" name="footnote204"></a><a href="#footnotetag204">[204]</a> Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 109.—Perceval de +Cagny, p. 170.—Martial d'Auvergne, <i>Vigiles</i>, t. I, p. 114.—Jacques +Doublet, <i>Histoire de l'abbaye de Saint-Denys</i>, pp. 13-14.</p> + +<p><a id="footnote205" name="footnote205"></a><a href="#footnotetag205">[205]</a> La Curne, au mot: <i>Blanc</i>. Le harnais blanc était la +marque des écuyers, le doré des chevaliers.—Bouteiller, dans sa +<i>Somme Rurale</i> donne encore le «harnaz doré» aux chevaliers. Cf. Du +Tillet, <i>Recueil des Rois de France</i>, ch. Des chevaliers, p. 431.—Du +Cange, <i>Observations sur les établissements de la France</i>, p. 373.</p> + +<p><a id="footnote206" name="footnote206"></a><a href="#footnotetag206">[206]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 179.</p> + +<p><a id="footnote207" name="footnote207"></a><a href="#footnotetag207">[207]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 130.—Perceval de Cagny, pp. +170-171.—<i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, pp. 246-247.—Berry, dans +<i>Procès</i>, t. IV, p. 79.—Morosini, t. III, p. 219.</p> + +<p><a id="footnote208" name="footnote208"></a><a href="#footnotetag208">[208]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 86.—De Beaucourt, <i>Histoire de +Charles VII</i>, t. II, p. 265.—P. Lanéry d'Arc et L. Jeny, <i>Jeanne +d'Arc en Berry, avec des documents et des éclaircissements inédits</i>, +Paris, 1892, in-12, chap. VI.</p> + +<p><a id="footnote209" name="footnote209"></a><a href="#footnotetag209">[209]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 85, note 1.—De Beaucourt, +<i>Histoire de Charles VII</i>, t. I, p. 418, note 7.</p> + +<p><a id="footnote210" name="footnote210"></a><a href="#footnotetag210">[210]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 85.</p> + +<p><a id="footnote211" name="footnote211"></a><a href="#footnotetag211">[211]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 81, 86.</p> + +<p><a id="footnote212" name="footnote212"></a><a href="#footnotetag212">[212]</a> Lanéry d'Arc et L. Jeny, <i>Jeanne d'Arc en Berry</i>, pp. +72-73.</p> + +<p><a id="footnote213" name="footnote213"></a><a href="#footnotetag213">[213]</a> «In balneo et stuphis», <i>Procès</i>, t. III, p. 88.</p> + +<p><a id="footnote214" name="footnote214"></a><a href="#footnotetag214">[214]</a> <i>L'amant rendu cordelier à l'observance d'amour</i>, poème +attribué à Martial d'Auvergne, éd. A. de Montaiglon, Paris, 1881, +in-8<sup>o</sup>, v. 1761-1776 et note p. 184.—A. Franklin, <i>La vie privée +d'autrefois</i>, t. II, Les soins de la toilette, Paris, 1887, in-18<sup>o</sup>, +pp. 20 et suiv.—A. Lecoy de la Marche, <i>Le bain au moyen âge</i>, dans +<i>Revue du Monde catholique</i>, t. XIV, pp. 870-881.</p> + +<p><a id="footnote215" name="footnote215"></a><a href="#footnotetag215">[215]</a> <i>Livre des métiers</i> d'Étienne Boileau, éd. de +Lespinasse et F. Bonnardot, Paris, 1879, pp. 154-155 et note.—G. +Bayle, <i>Notes pour servir à l'histoire de la prostitution au moyen +âge</i>, dans <i>Mémoires de l'Académie de Vaucluse</i>, 1887, pp. +241-242.—D<sup>r</sup> P. Pansier, <i>Histoire des prétendus statuts de la +reine Jeanne</i>, dans le <i>Janus</i>, 1902, p. 14.</p> + +<p><a id="footnote216" name="footnote216"></a><a href="#footnotetag216">[216]</a> Lanéry d'Arc et L. Jeny, <i>Jeanne d'Arc en Berry</i>, pp. +76-77.</p> + +<p><a id="footnote217" name="footnote217"></a><a href="#footnotetag217">[217]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 100.</p> + +<p><a id="footnote218" name="footnote218"></a><a href="#footnotetag218">[218]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 88.</p> + +<p><a id="footnote219" name="footnote219"></a><a href="#footnotetag219">[219]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 85, 89.—Lanéry d'Arc et L. Jeny, +<i>Jeanne d'Arc en Berry</i>, pp. 73-74.</p> + +<p><a id="footnote220" name="footnote220"></a><a href="#footnotetag220">[220]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 86-87.</p> + +<p><a id="footnote221" name="footnote221"></a><a href="#footnotetag221">[221]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 86-88.</p> + +<p><a id="footnote222" name="footnote222"></a><a href="#footnotetag222">[222]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 88.</p> + +<p><a id="footnote223" name="footnote223"></a><a href="#footnotetag223">[223]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 87.</p> + +<p><a id="footnote224" name="footnote224"></a><a href="#footnotetag224">[224]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 87-88.</p> + +<p><a id="footnote225" name="footnote225"></a><a href="#footnotetag225">[225]</a> Noël Valois, <i>Un nouveau témoignage sur Jeanne d'Arc</i>, +dans <i>Annuaire-bulletin de la Société de l'Histoire de France</i>, Paris, +1907, in-8<sup>o</sup>, pp. 8 et 18 (tirage à part).</p> + +<p><a id="footnote226" name="footnote226"></a><a href="#footnotetag226">[226]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 217.—De Beaucourt, <i>Histoire de +Charles VII</i>, t. II, p. 265.—A. Buhot de Kersers, <i>Histoire et +statistique du département du Cher, canton de Mehun</i>, Bourges, 1891, +in-4<sup>o</sup>, pp. 261 et suiv.—A. de Champeaux et P. Gauchery, <i>Les travaux +d'art exécutes pour Jean de France, duc de Berry</i>, Paris, 1894, +in-4<sup>o</sup>, pp. 7, 9 et la miniature des <i>Grandes Heures</i> du duc Jean de +Berry, à Chantilly.</p> + +<p><a id="footnote227" name="footnote227"></a><a href="#footnotetag227">[227]</a> Perceval de Cagny, pp. 170-171.—Berry, dans <i>Procès</i>, +t. IV, p. 48.—Lettre du sire d'Albret aux habitants de Riom, dans +<i>Procès</i>, t. V, pp. 148-149.—Martin Le Franc, <i>Champion des Dames</i>, +dans <i>Procès</i>, t. V, p. 71.</p> + +<p><a id="footnote228" name="footnote228"></a><a href="#footnotetag228">[228]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 310.—<i>Journal du siège</i>, +p. 107.—Morosini, t. II, p. 229, note 4.—Perceval de Cagny, p. 172.</p> + +<p><a id="footnote229" name="footnote229"></a><a href="#footnotetag229">[229]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 217.—Jaladon de la Barre, <i>Jeanne +d'Arc à Saint-Pierre-le-Moustier et deux juges nivernais à Rouen</i>, +Nevers, 1868, in-8<sup>o</sup>, chap. <span class="smcap">IX</span> et suiv.</p> + +<p><a id="footnote230" name="footnote230"></a><a href="#footnotetag230">[230]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 356.—Lanéry d'Arc et L. Jeny, +<i>Jeanne d'Arc en Berry</i>, p. 89.</p> + +<p><a id="footnote231" name="footnote231"></a><a href="#footnotetag231">[231]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 217.</p> + +<p><a id="footnote232" name="footnote232"></a><a href="#footnotetag232">[232]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 218.</p> + +<p><a id="footnote233" name="footnote233"></a><a href="#footnotetag233">[233]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 106.—<i>Journal d'un bourgeois de +Paris</i>, pp. 259-260, 271-272.—Nider, <i>Formicarium</i>, dans <i>Procès</i>, t. +IV, pp. 503-504.—J. Quicherat, <i>Aperçus nouveaux</i>, pp. 74 et +suiv.—N. Quellien, <i>Perrinaïc, une compagne de Jeanne d'Arc</i>, Paris, +1891, in-8<sup>o</sup>.—M<sup>me</sup> Pascal-Estienne, <i>Perrinaïk</i>, Paris, 1893, +in-8<sup>o</sup>.—J. Trévedy, <i>Histoire du roman de Perrinaïc</i>, Saint-Brieuc, +1894, in-8<sup>o</sup>.—<i>Le roman de Perrinaïc</i>, Vannes, 1894, in-8<sup>o</sup>.—A. de +la Borderie, <i>Pierronne et Perrinaïc</i>, Paris, 1894, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote234" name="footnote234"></a><a href="#footnotetag234">[234]</a> <i>Procès</i>, t. V, à la table analytique aux mots: +<i>Catherine</i>, <i>Michel</i>, <i>Marguerite</i>.</p> + +<p><a id="footnote235" name="footnote235"></a><a href="#footnotetag235">[235]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 106.</p> + +<p><a id="footnote236" name="footnote236"></a><a href="#footnotetag236">[236]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, pp. 271-272.</p> + +<p><a id="footnote237" name="footnote237"></a><a href="#footnotetag237">[237]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 104 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote238" name="footnote238"></a><a href="#footnotetag238">[238]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 450.—<i>Journal d'un bourgeois de +Paris</i>, pp. 271-272.</p> + +<p><a id="footnote239" name="footnote239"></a><a href="#footnotetag239">[239]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 235.</p> + +<p><a id="footnote240" name="footnote240"></a><a href="#footnotetag240">[240]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 106.</p> + +<p><a id="footnote241" name="footnote241"></a><a href="#footnotetag241">[241]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 107.</p> + +<p><a id="footnote242" name="footnote242"></a><a href="#footnotetag242">[242]</a> Arcère, <i>Histoire de La Rochelle</i>, 1756, in-4<sup>o</sup>, t. I, +p. 271.—<i>Procès</i>, t. V, p. 104, note.—Vallet de Viriville, <i>Histoire +de Charles VII</i>, t. II, pp. 24, 75 et suiv., 219, 279.</p> + +<p><a id="footnote243" name="footnote243"></a><a href="#footnotetag243">[243]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 107-108.</p> + +<p><a id="footnote244" name="footnote244"></a><a href="#footnotetag244">[244]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 107.</p> + +<p><a id="footnote245" name="footnote245"></a><a href="#footnotetag245">[245]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 108-109.</p> + +<p><a id="footnote246" name="footnote246"></a><a href="#footnotetag246">[246]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 107.</p> + +<p><a id="footnote247" name="footnote247"></a><a href="#footnotetag247">[247]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 108.</p> + +<p><a id="footnote248" name="footnote248"></a><a href="#footnotetag248">[248]</a> <i>Ibid.</i>, p. 108.</p> + +<p><a id="footnote249" name="footnote249"></a><a href="#footnotetag249">[249]</a> «Perrinet Crasset, machon et capitaine de gens +d'armes», <i>Chronique des cordeliers</i>, fol. 446 v<sup>o</sup>.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, t. I, p. 117.—Monstrelet, t. IV, p. 174.—Vallet de +Viriville, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. I, p. 328.</p> + +<p><a id="footnote250" name="footnote250"></a><a href="#footnotetag250">[250]</a> S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, p. <span class="smcap">CCLXXVIII</span>.—A. de +Villaret, <i>Campagne des Anglais</i>, p. 109.—Le P. Ayroles, <i>La vraie +Jeanne d'Arc</i>, t. III, pp. 20, 21, 373 et suiv.—J. de Fréminville, +<i>Les écorcheurs en Bourgogne</i> (1435-1445); <i>Étude sur les compagnies +franches au <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> siècle</i>, Dijon, 1888, in-8<sup>o</sup>—P. Champion, +<i>Guillaume de Flavy</i>, pièce justificative <span class="smcap">XXX</span>.</p> + +<p><a id="footnote251" name="footnote251"></a><a href="#footnotetag251">[251]</a> Sainte-Marthe, <i>Histoire généalogique de la maison de +la Trémoïlle</i>, 1668, in-12, pp. 149 et suiv.—L. de La Trémoïlle, <i>Les +La Trémoïlle pendant cinq siècles</i>, Nantes, 1890, t. I, p. 165.</p> + +<p><a id="footnote252" name="footnote252"></a><a href="#footnotetag252">[252]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 149.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. +III.—<i>Journal du siège</i>, p. 129.—Monstrelet, t. V, chap. <span class="smcap">LXXII</span>.—A. +de Villaret, <i>Campagne des Anglais</i>, p. 108.</p> + +<p><a id="footnote253" name="footnote253"></a><a href="#footnotetag253">[253]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 146.—F. Perot, <i>Un document inédit +sur Jeanne d'Arc</i>, dans <i>Bulletin de la Société archéologique de +l'Orléanais</i>, t. XII, 1898-1901, p. 231.</p> + +<p><a id="footnote254" name="footnote254"></a><a href="#footnotetag254">[254]</a> <i>Procès</i>, t. V, pp. 147-150.—Lanéry d'Arc et L. Jeny, +<i>Jeanne d'Arc en Berry</i>, ch. <span class="smcap">VIII</span>.</p> + +<p><a id="footnote255" name="footnote255"></a><a href="#footnotetag255">[255]</a> <i>Acta SS.</i>, Mars, I, 554, col. 2, n<sup>o</sup> 61.—Abbé +Bizouard, <i>Histoire de sainte Colette</i>, pp. 35, 37.—S[ilvere], +<i>Histoire chronologique de la bienheureuse Colette</i>, Paris, 1628, +in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote256" name="footnote256"></a><a href="#footnotetag256">[256]</a> <i>Histoire chronologique de la bienheureuse Colette</i>, +pp. 168-200.</p> + +<p><a id="footnote257" name="footnote257"></a><a href="#footnotetag257">[257]</a> S. Luce, <i>Jeanne d'Arc et les ordres mendiants</i> dans +<i>Revue des Deux Mondes</i>, 1881, t. XLV, p. 90.—L. de Kerval, <i>Jeanne +d'Arc et les franciscains</i>, Vanves, 1893, pp. 49-51.—S. Luce, <i>Jeanne +d'Arc à Domremy</i>, pp. <span class="smcap">CCLXXVIII</span> et s.—F. Perot, <i>Jeanne d'Arc en +Bourbonnais</i>, Orléans, in-8<sup>o</sup>, 26 p., 1889.—F. André, <i>La vérité sur +Jeanne d'Arc</i>, in-8<sup>o</sup>, 1895, pp. 308 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote258" name="footnote258"></a><a href="#footnotetag258">[258]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 146-148.</p> + +<p><a id="footnote259" name="footnote259"></a><a href="#footnotetag259">[259]</a> <i>Procès</i>, t. V, pp. 146, 148.—Fac-similé dans le +<i>Musée des archives départementales</i>, p. 124.</p> + +<p><a id="footnote260" name="footnote260"></a><a href="#footnotetag260">[260]</a> F. Perot (<i>Bulletin de la Société archéologique de +l'Orléanais</i>, t. XII, p. 231).</p> + +<p><a id="footnote261" name="footnote261"></a><a href="#footnotetag261">[261]</a> A. de Villaret, <i>Campagne des Anglais</i>, p. 107, pièce +justificative <span class="smcap">XVII</span>, pp. 159, 168.—<i>Procès</i>, t. V, pp. 268, 270, +d'après les cédules originales de la Bibliothèque d'Orléans.</p> + +<p><a id="footnote262" name="footnote262"></a><a href="#footnotetag262">[262]</a> La Thaumassière, <i>Histoire du Berry</i>, p. +161.—<i>Procès</i>, t. V, pp. 356-357.—Lanéry d'Arc et L. Jeny, <i>Jeanne +d'Arc en Berry</i>, pp. 105 et suiv.—A. de Villaret, <i>Campagne des +Anglais</i>, pp. 111, 112.</p> + +<p><a id="footnote263" name="footnote263"></a><a href="#footnotetag263">[263]</a> <i>Mémoires de la Société des Antiquaires du Centre</i>, t. +IV, 1870-72, pp. 211, 239.</p> + +<p><a id="footnote264" name="footnote264"></a><a href="#footnotetag264">[264]</a> Vallet de Viriville, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, +p. 126.—Lanéry d'Arc et L. Jeny, <i>Jeanne d'Arc en Berry</i>, p. 89.</p> + +<p><a id="footnote265" name="footnote265"></a><a href="#footnotetag265">[265]</a> Perceval de Cagny, p. 172.</p> + +<p><a id="footnote266" name="footnote266"></a><a href="#footnotetag266">[266]</a> <i>Le Jouvencel</i>, t. II, pp. 216-217.</p> + +<p><a id="footnote267" name="footnote267"></a><a href="#footnotetag267">[267]</a> Extrait du livre des comptes de la ville de Périgueux, +dans <i>Bulletin de la Société historique et archéologique du Périgord</i>, +t. XIV, janvier-février 1887.—S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, +preuve CCXVII, p. 252.—Le P. Chapotin, <i>La guerre de cent ans et les +dominicains</i>, pp. 74 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote268" name="footnote268"></a><a href="#footnotetag268">[268]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 106.</p> + +<p><a id="footnote269" name="footnote269"></a><a href="#footnotetag269">[269]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 271.</p> + +<p><a id="footnote270" name="footnote270"></a><a href="#footnotetag270">[270]</a> Morosini, t. III, pp. 232-233.—Le P. Denifle et +Châtelain, <i>Cartularium Univ. Paris.</i>, t. IV, p. 515.</p> + +<p><a id="footnote271" name="footnote271"></a><a href="#footnotetag271">[271]</a> Noël Valois, <i>Un nouveau témoignage sur Jeanne d'Arc</i>, +Paris, 1907, in-8<sup>o</sup> de 19 pages.</p> + +<p><a id="footnote272" name="footnote272"></a><a href="#footnotetag272">[272]</a> Morosini, t. III, p. 232.</p> + +<p><a id="footnote273" name="footnote273"></a><a href="#footnotetag273">[273]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, pp. 354-355.</p> + +<p><a id="footnote274" name="footnote274"></a><a href="#footnotetag274">[274]</a> Du Cange, <i>Glossaire</i>, au mot: <i>Persina</i>.—Lettre de +rémission pour le Sourd et Jehannin Daix, dans <i>Procès</i>, t. V, pp. +142-145.</p> + +<p><a id="footnote275" name="footnote275"></a><a href="#footnotetag275">[275]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 107.</p> + +<p><a id="footnote276" name="footnote276"></a><a href="#footnotetag276">[276]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 84; t. IV, p. 312 et <i>passim</i>.—A. +de Villaret, <i>loc. cit.</i>, Pièces justificatives.</p> + +<p><a id="footnote277" name="footnote277"></a><a href="#footnotetag277">[277]</a> <i>Procès</i>, t. V, pp. 150-153.—J. Hordal, <i>Heroinæ +nobilissimæ Joannæ Darc, lotharingæ, vulgo aurelianensis puellæ +historia</i>..., Ponti-Mussi, 1612, petit in-4<sup>o</sup>.—C. du Lys, <i>Traité +sommaire tant du nom et des armes que de la naissance et parenté de la +Pucelle, justifié par plusieurs patentes et arrêts, enquêtes et +informations</i>... Paris, 1633, in-4<sup>o</sup>.—De la Roque, <i>Traité de la +noblesse</i>, Paris, 1678, in-4<sup>o</sup>, chap. <span class="smcap">XLIII</span>.—Lanéry d'Arc, <i>Jeanne +d'Arc en Berry</i>, chap. <span class="smcap">X</span>.</p> + +<p><a id="footnote278" name="footnote278"></a><a href="#footnotetag278">[278]</a> Voir à la table analytique du <i>Procès</i>, t. V, au mot: +<i>Pucelle</i>.</p> + +<p><a id="footnote279" name="footnote279"></a><a href="#footnotetag279">[279]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 270.</p> + +<p><a id="footnote280" name="footnote280"></a><a href="#footnotetag280">[280]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 19, 74, 203.—H. Daniel Lacombe, +<i>L'hôte de Jeanne d'Arc à Poitiers, Maître Jean Rabateau, président du +Parlement de Paris</i>, dans <i>Revue du Bas-Poitou</i>, 1891, pp. 48, 66.</p> + +<p><a id="footnote281" name="footnote281"></a><a href="#footnotetag281">[281]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 88 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote282" name="footnote282"></a><a href="#footnotetag282">[282]</a> Extrait des comptes de la ville d'Orléans, dans +<i>Procès</i>, t. V, p. 331.</p> + +<p><a id="footnote283" name="footnote283"></a><a href="#footnotetag283">[283]</a> Vallet de Viriville, <i>Un épisode de la vie de Jeanne +d'Arc</i>, dans <i>Bibliothèque de l'École des Chartes</i>, t. IV (première +série), p. 488.—<i>Procès</i>, t. V, pp. 154-156.</p> + +<p><a id="footnote284" name="footnote284"></a><a href="#footnotetag284">[284]</a> Jules Doinel, <i>Note sur une maison de Jeanne d'Arc</i>, +dans <i>Mémoires de la Société archéologique et historique de +l'Orléanais</i>, t. XV, pp. 491-500.</p> + +<p><a id="footnote285" name="footnote285"></a><a href="#footnotetag285">[285]</a> <i>Journal du siège</i>, pp. 15 16.</p> + +<p><a id="footnote286" name="footnote286"></a><a href="#footnotetag286">[286]</a> Jules Doinel, <i>Note sur une maison de Jeanne d'Arc</i>, +<i>loc. cit.</i></p> + +<p><a id="footnote287" name="footnote287"></a><a href="#footnotetag287">[287]</a> S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, p. 360.</p> + +<p><a id="footnote288" name="footnote288"></a><a href="#footnotetag288">[288]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 295.</p> + +<p><a id="footnote289" name="footnote289"></a><a href="#footnotetag289">[289]</a> Compte de forteresse, dans <i>Procès</i>, t. V, pp. +259-260.</p> + +<p><a id="footnote290" name="footnote290"></a><a href="#footnotetag290">[290]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 159.</p> + +<p><a id="footnote291" name="footnote291"></a><a href="#footnotetag291">[291]</a> Perceval de Cagny, p. 173.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, +p. 258.—<i>Berry</i>, dans Godefroy, p. 376.—Morosini, t. III, p 294, +notes 4, 5.—Vallet de Viriville, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. I, pp. +139, 163.—De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, p. 144.</p> + +<p><a id="footnote292" name="footnote292"></a><a href="#footnotetag292">[292]</a> Monstrelet, t. IV, p. 378.—D. Plancher, <i>Histoire de +Bourgogne</i>, t. IV, p. 137.—Morosini, t. III, p. 268.</p> + +<p><a id="footnote293" name="footnote293"></a><a href="#footnotetag293">[293]</a> Du Tillet, <i>Recueil des rois de France</i>, t. II, p. 39 +(éd. 1601-1602).—Rymer, <i>Fœdera</i>, mars, 1430.</p> + +<p><a id="footnote294" name="footnote294"></a><a href="#footnotetag294">[294]</a> P. Champion, <i>Guillaume de Flavy</i>, pp. 35, 152.</p> + +<p><a id="footnote295" name="footnote295"></a><a href="#footnotetag295">[295]</a> De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, pp. +351, 389.</p> + +<p><a id="footnote296" name="footnote296"></a><a href="#footnotetag296">[296]</a> La minute originale, jadis aux archives municipales de +Reims, et maintenant en la possession de M. le comte de Maleissye, +paraît avoir d'abord porté le mot <i>chyereux</i> raturé. Faut-il y voir un +mot populaire, formé sur <i>chiere</i>, prononcé par Jeanne et corrigé tout +de suite par le scribe? Avait-il mal entendu ce qu'elle dictait?</p> + +<p><a id="footnote297" name="footnote297"></a><a href="#footnotetag297">[297]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 160, d'après une copie de +Rogier.—H. Jadart, <i>Jeanne d'Arc à Reims</i>, pièce justificative, +<span class="smcap">XV</span>.—Fac-similé dans Wallon, édit. 1876, p. 200.—On possède +l'original de cette lettre; on possède également l'original de la +lettre adressée le 9 novembre 1429 aux habitants de Riom. Ces deux +lettres, écrites à cent vingt-six jours de distance, ne sont pas d'un +même scribe. Quant à la signature de l'une comme de l'autre, elle ne +saurait être attribuée à la main qui traça le corps de la lettre. Les +sept caractères du nom de <i>Jehanne</i> semblent avoir été tracés +péniblement par une personne dont on tenait les doigts, ce qui ne peut +nous surprendre, puisque la Pucelle ne savait pas écrire. Mais quand +on compare ces deux signatures, on s'aperçoit qu'elles sont +entièrement semblables l'une à l'autre. La hampe du J a même direction +et même longueur; le premier <i>n</i>, par suite d'une surcharge, a trois +jambages au lieu de deux; le second jambage du second <i>n</i>, visiblement +tracé à deux reprises, descend trop bas; enfin les deux signatures +sont exactement superposables. Il faut croire que, après avoir une +fois obtenu le seing de la Pucelle en lui conduisant la main, on en +prit un calque qui servit de modèle pour toutes les autres lettres. À +juger par les deux missives du 9 novembre 1429 et du 16 mars 1430, ce +calque était reproduit avec la plus scrupuleuse fidélité.—Cf. p. 133, note 5.</p> + +<p><a id="footnote298" name="footnote298"></a><a href="#footnotetag298">[298]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 11.</p> + +<p><a id="footnote299" name="footnote299"></a><a href="#footnotetag299">[299]</a> Perceval de Cagny, p. 172.</p> + +<p><a id="footnote300" name="footnote300"></a><a href="#footnotetag300">[300]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 83.</p> + +<p><a id="footnote301" name="footnote301"></a><a href="#footnotetag301">[301]</a> <i>Ibid.</i>, t. V, p. 156.</p> + +<p><a id="footnote302" name="footnote302"></a><a href="#footnotetag302">[302]</a> Monstrelet, t. IV, pp. 24, 86, 87.—J. Zeller, +<i>Histoire d'Allemagne</i>, t. VII, <i>La réforme</i>, Paris, 1891, pp. 78 et +suiv.—E. Denis, <i>Jean Hus et la guerre des Hussites</i> (1879); <i>Les +origines de l'Unité des Frères Bohêmes</i>, Angers, 1885, in-8<sup>o</sup>, pp. 5 +et suiv.</p> + +<p><a id="footnote303" name="footnote303"></a><a href="#footnotetag303">[303]</a> L. Paris, <i>Cabinet Historique</i>, t. I, 1855, pp. +74-76.—Rogier, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 294.—Morosini, t. III, pp. +132-133, 136-137, 168-169, 188-189; t. IV, Annexe XVII.</p> + +<p><a id="footnote304" name="footnote304"></a><a href="#footnotetag304">[304]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 240; t. V, p. 126.</p> + +<p><a id="footnote305" name="footnote305"></a><a href="#footnotetag305">[305]</a> Morosini, t. III, pp. 82-85.—Christine de Pisan, dans +<i>Procès</i>, t. V, p. 416.—Eberhard Windecke, pp. 60-63.</p> + +<p><a id="footnote306" name="footnote306"></a><a href="#footnotetag306">[306]</a> Eberhard Windecke, pp. 108, 115, 188.</p> + +<p><a id="footnote307" name="footnote307"></a><a href="#footnotetag307">[307]</a> Lea, <i>Histoire de l'inquisition au moyen âge</i>, t. II, +p. 578, trad. S. Reinach.</p> + +<p><a id="footnote308" name="footnote308"></a><a href="#footnotetag308">[308]</a> Th. de Sickel, <i>Lettre de Jeanne d'Arc aux Hussites</i> +dans <i>Bibliothèque de l'École des Chartes</i>, 3<sup>e</sup> série, t. II, p. +81.—Une fausse date est donnée dans la traduction allemande utilisée +par Quicherat (<i>Procès</i>, t. V, pp. 156-159).</p> + +<p><a id="footnote309" name="footnote309"></a><a href="#footnotetag309">[309]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 246.</p> + +<p><a id="footnote310" name="footnote310"></a><a href="#footnotetag310">[310]</a> <i>Ibid.</i>, t. V, p. 95.</p> + +<p><a id="footnote311" name="footnote311"></a><a href="#footnotetag311">[311]</a> J. Nider, <i>Formicarium</i>, dans <i>Procès</i>, t. IV, pp. +502-504.</p> + +<p><a id="footnote312" name="footnote312"></a><a href="#footnotetag312">[312]</a> <i>Procès</i>, t. V, pp. 161-162.</p> + +<p><a id="footnote313" name="footnote313"></a><a href="#footnotetag313">[313]</a> <i>Procès</i>, t. IV, p. 299 et H. Jadart, <i>Jeanne d'Arc à +Reims</i>, pp. 69 et suiv.—Mémoires de Pierre Coquault, <i>ibid.</i>, pp. 109 +et suiv.</p> + +<p><a id="footnote314" name="footnote314"></a><a href="#footnotetag314">[314]</a> Cette lettre a été publiée par J. Quicherat, dans +<i>Procès</i>, t. V, pp. 161-162 et par M. H. Jadart, <i>Jeanne d'Arc à +Reims</i>, pp. 106-107 et document <span class="smcap">XVI</span>, d'après la copie peu correcte de +Rogier. L'original, qui a disparu des archives municipales de Reims, +était considéré comme perdu. Il se trouve en la possession du comte de +Maleissye. Cf. la reproduction de A. Marty et M. Lepet, <i>L'histoire de +Jeanne d'Arc... Cent fac-similés de manuscrits, de miniatures</i>, Paris, +1907, gr. in-4<sup>o</sup>. On trouvera pour la première fois un texte correct +d'après cette minute originale.</p> + +<p><a id="footnote315" name="footnote315"></a><a href="#footnotetag315">[315]</a> Pour <i>ainsi</i>.</p> + +<p><a id="footnote316" name="footnote316"></a><a href="#footnotetag316">[316]</a> La lecture <i>enuoit</i> n'est pas douteuse. Rogier avait +copié <i>en avoit</i>.</p> + +<p><a id="footnote317" name="footnote317"></a><a href="#footnotetag317">[317]</a> <i>Les quex estoient d'une aliance.</i> Ces mots sont +exponctués dans la minute. Il ne faut donc pas en tenir compte, comme +l'a fait Rogier.</p> + +<p><a id="footnote318" name="footnote318"></a><a href="#footnotetag318">[318]</a> Le mot <i>amis</i> a été ajouté en surcharge au-dessus de la +ligne.</p> + +<p><a id="footnote319" name="footnote319"></a><a href="#footnotetag319">[319]</a> Le scribe commençait à écrire <i>et que vous</i> [<i>faciez +très bon guet</i>]; il s'est repris et écrit: <i>pour le roy</i>.</p> + +<p><a id="footnote320" name="footnote320"></a><a href="#footnotetag320">[320]</a> Après <i>autre chose</i> le mot <i>n'escrips</i> a été rayé.</p> + +<p><a id="footnote321" name="footnote321"></a><a href="#footnotetag321">[321]</a> <i>Trois</i> rayé.</p> + +<p><a id="footnote322" name="footnote322"></a><a href="#footnotetag322">[322]</a> La signature paraît être autographe. Elle est +différente des signatures identiques des missives de Riom et de Reims +(voir p. 122, note) et on y retrouve la résistance d'une main +conduite.</p> + +<p><a id="footnote323" name="footnote323"></a><a href="#footnotetag323">[323]</a> <i>Procès</i>, t. V, pp. 161-162.—Varin, <i>Archives +législatives de la ville de Reims</i>, t. I, p. 596.—H. Jadart, <i>Jeanne +d'Arc à Reims</i>, pp. 106-107.</p> + +<p><a id="footnote324" name="footnote324"></a><a href="#footnotetag324">[324]</a> Perceval de Cagny, p. 173.</p> + +<p><a id="footnote325" name="footnote325"></a><a href="#footnotetag325">[325]</a> «En l'an 1430 se partit Jeanne la Pucelle du pays de +Berry accompagnée de plusieurs gens de guerre...» (Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, t. I, p. 120.)</p> + +<p><a id="footnote326" name="footnote326"></a><a href="#footnotetag326">[326]</a> Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 120.—Martial +d'Auvergne, <i>Vigiles</i>, éd. Coustellier, t. I, p. 117.—Mémoire à +consulter sur <i>G. de Flavy</i>, dans <i>Procès</i>, t. V, p. 177.—P. +Champion, <i>Guillaume de Flavy</i>, p. 36 et note 2.</p> + +<p><a id="footnote327" name="footnote327"></a><a href="#footnotetag327">[327]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 12.</p> + +<p><a id="footnote328" name="footnote328"></a><a href="#footnotetag328">[328]</a> De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, p. 293, +note 3.</p> + +<p><a id="footnote329" name="footnote329"></a><a href="#footnotetag329">[329]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 99, note.—<i>Journal du siège</i>, pp. +235-238.</p> + +<p><a id="footnote330" name="footnote330"></a><a href="#footnotetag330">[330]</a> Cela résulte du <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. +271.</p> + +<p><a id="footnote331" name="footnote331"></a><a href="#footnotetag331">[331]</a> <i>Procès</i>, t. V, pp. 159-160.—P. Champion, <i>Guillaume +de Flavy</i>, pièce justificative, <span class="smcap">XXX</span>, p. 155.</p> + +<p><a id="footnote332" name="footnote332"></a><a href="#footnotetag332">[332]</a> Lettre de rémission pour Jean de Calais, dans A. +Longnon, <i>Paris sous la domination anglaise</i>, pp. 301-309.—Stevenson, +<i>Letters and papers</i>, t. I, pp. 34-50.</p> + +<p><a id="footnote333" name="footnote333"></a><a href="#footnotetag333">[333]</a> C'est ce qui résulte de Morosini, t. III, pp. 274-275.</p> + +<p><a id="footnote334" name="footnote334"></a><a href="#footnotetag334">[334]</a> Morosini, t. III, pp. 228-231.</p> + +<p><a id="footnote335" name="footnote335"></a><a href="#footnotetag335">[335]</a> 3 mai 1430.</p> + +<p><a id="footnote336" name="footnote336"></a><a href="#footnotetag336">[336]</a> G. Lefèvre-Pontalis, <i>La panique anglaise</i>.—Le P. +Ayroles, <i>La vraie Jeanne d'Arc</i>, t. III, pp. 572-574.</p> + +<p><a id="footnote337" name="footnote337"></a><a href="#footnotetag337">[337]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 115, 253.—Perceval de Cagny, p. +173.—<i>Chronique des cordeliers</i>, fol. 502 r<sup>o</sup>.—P. Champion, +<i>Guillaume de Flavy</i>, p. 158, note 2.</p> + +<p><a id="footnote338" name="footnote338"></a><a href="#footnotetag338">[338]</a> Monstrelet, t. IV, p. 363.</p> + +<p><a id="footnote339" name="footnote339"></a><a href="#footnotetag339">[339]</a> Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 125.—Monstrelet, +t. IV, p. 378.—Chastellain, t. II, p. 28.</p> + +<p><a id="footnote340" name="footnote340"></a><a href="#footnotetag340">[340]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 114-116.—G. Leroy, <i>Histoire de +Melun</i>, Melun, 1887, in-8<sup>o</sup>, chap. <span class="smcap">XVI</span>.—X..., <i>Jeanne d'Arc à Melun, +mi-avril, 1430</i>, Melun, 1896, 32 p.</p> + +<p><a id="footnote341" name="footnote341"></a><a href="#footnotetag341">[341]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 147.</p> + +<p><a id="footnote342" name="footnote342"></a><a href="#footnotetag342">[342]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 259.</p> + +<p><a id="footnote343" name="footnote343"></a><a href="#footnotetag343">[343]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, pp. 334-335.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, t. I, pp. 110, 111.—F.-A. Denis, <i>Le séjour de Jeanne +d'Arc à Lagny</i>, Lagny, 1894, in-8<sup>o</sup>, pp. 3 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote344" name="footnote344"></a><a href="#footnotetag344">[344]</a> Monstrelet, t. IV, p. 384.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, +t. I, pp. 120-121.—Perceval de Cagny, p. 173.</p> + +<p><a id="footnote345" name="footnote345"></a><a href="#footnotetag345">[345]</a> Jean Chartier, <i>loc. cit.</i>—Martial d'Auvergne, +<i>Vigiles</i>, t. I, p. 117.—P. Champion, <i>Guillaume de Flavy</i>, p. 38, +n.</p> + +<p><a id="footnote346" name="footnote346"></a><a href="#footnotetag346">[346]</a> Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 121.</p> + +<p><a id="footnote347" name="footnote347"></a><a href="#footnotetag347">[347]</a> Monstrelet, t. IV, p. 384.</p> + +<p><a id="footnote348" name="footnote348"></a><a href="#footnotetag348">[348]</a> H. Jadart, <i>Jeanne d'Arc à Reims</i>, p. 61.</p> + +<p><a id="footnote349" name="footnote349"></a><a href="#footnotetag349">[349]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 158.</p> + +<p><a id="footnote350" name="footnote350"></a><a href="#footnotetag350">[350]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 158, 159.</p> + +<p><a id="footnote351" name="footnote351"></a><a href="#footnotetag351">[351]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, pp. 71-72.—Sauval, +<i>Antiquités de Paris</i>, t. I, p. 104.—A. Longnon, <i>Paris pendant la +domination anglaise</i>, p. 118.—H. Legrand, <i>Paris en 1380</i>, Paris, +1868, in-4<sup>o</sup>, p. 65.</p> + +<p><a id="footnote352" name="footnote352"></a><a href="#footnotetag352">[352]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, pp. 150, 154, 156, +187.—Francisque-Michel et Édouard Fournier, <i>Histoire des +hôtelleries, cabarets, hôtels garnis</i>, Paris, 1851 (2 vol. in-8<sup>o</sup>), t. +II, p. 5.</p> + +<p><a id="footnote353" name="footnote353"></a><a href="#footnotetag353">[353]</a> A. Longnon, <i>Paris pendant la domination anglaise</i>, p. +117.</p> + +<p><a id="footnote354" name="footnote354"></a><a href="#footnotetag354">[354]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, pp. 71, 72.—A. +Longnon, <i>Paris pendant la domination anglaise</i>, p. 118, note 1.</p> + +<p><a id="footnote355" name="footnote355"></a><a href="#footnotetag355">[355]</a> A. Longnon, <i>Paris pendant la domination anglaise</i>, pp. +119-123.</p> + +<p><a id="footnote356" name="footnote356"></a><a href="#footnotetag356">[356]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, pp. 251, +253.—Fauquembergue dans A. Longnon, <i>Paris pendant la domination +anglaise</i>, p. 302, note 1.—Sauval, <i>Antiquités de Paris</i>, t. III, p. +536.—Vallet de Viriville, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, p. +140.—Morosini, t. III, pp. 274 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote357" name="footnote357"></a><a href="#footnotetag357">[357]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 158-159.</p> + +<p><a id="footnote358" name="footnote358"></a><a href="#footnotetag358">[358]</a> <i>Ibid.</i>, p. 159.</p> + +<p><a id="footnote359" name="footnote359"></a><a href="#footnotetag359">[359]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 254.—Monstrelet, t. IV, p. 385.—E. +Richer, <i>Histoire manuscrite de la Pucelle</i>, livre I, f<sup>o</sup> 82.</p> + +<p><a id="footnote360" name="footnote360"></a><a href="#footnotetag360">[360]</a> <i>Le Jouvencel</i>, t. II, pp. 210-211.</p> + +<p><a id="footnote361" name="footnote361"></a><a href="#footnotetag361">[361]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 105.</p> + +<p><a id="footnote362" name="footnote362"></a><a href="#footnotetag362">[362]</a> A. Denis, <i>Jeanne d'Arc à Lagny</i>, Lagny, 1896, in-8<sup>o</sup>, +pp. 4 et suiv.—J.-A. Lepaire, <i>Jeanne d'Arc à Lagny</i>, Lagny, 1880, +in-8<sup>o</sup> de 38 pages.</p> + +<p><a id="footnote363" name="footnote363"></a><a href="#footnotetag363">[363]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 105.</p> + +<p><a id="footnote364" name="footnote364"></a><a href="#footnotetag364">[364]</a> <i>Religieux de Saint-Denis</i>, t. II, p. 82.—Jean Juvénal +des Ursins, dans <i>Coll. Michaud et Poujoulat</i>, p. 395, col. 2.</p> + +<p><a id="footnote365" name="footnote365"></a><a href="#footnotetag365">[365]</a> <i>Acta SS.</i>, 6 mars, pp. 381 et 617.—Abbé Bizouard, +<i>Histoire de sainte Colette</i>, pp. 35, 37.—Abbé Douillet, <i>Sainte +Colette, sa vie, ses œuvres</i>, 1884, pp. 150-154.</p> + +<p><a id="footnote366" name="footnote366"></a><a href="#footnotetag366">[366]</a> Le curé de Saint-Sulpice, <i>Notre-Dame de France</i>, +Paris, in-8<sup>o</sup>, t. VI, 1866, p. 57.</p> + +<p><a id="footnote367" name="footnote367"></a><a href="#footnotetag367">[367]</a> Sur l'étymologie d'Avioth, cf. C. Bonnabelle, <i>Petite +étude sur Avioth et son église</i>, dans <i>Annuaire de la Meuse</i>, 1883, +in-18, p. 14.</p> + +<p><a id="footnote368" name="footnote368"></a><a href="#footnotetag368">[368]</a> Le curé de Saint-Sulpice, <i>loc. cit.</i>, t. V, pp. 107 et +suiv.—Bonnabelle, <i>loc. cit.</i>, pp. 13 et suiv.—Jacquemain, +<i>Notre-Dame d'Avioth et son église monumentale</i>, Sedan, 1876, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote369" name="footnote369"></a><a href="#footnotetag369">[369]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 105-106.</p> + +<p><a id="footnote370" name="footnote370"></a><a href="#footnotetag370">[370]</a> Arch. mun. de Senlis dans <i>Musée des archives +départementales</i>, pp. 304-305.—J. Flammermont, <i>Histoire de Senlis +pendant la seconde partie de la guerre de cent ans</i>, p. 245.—Perceval +de Cagny, p. 173.—Morosini, t. III, p. 294, n. 5.</p> + +<p><a id="footnote371" name="footnote371"></a><a href="#footnotetag371">[371]</a> Histoire manuscrite de Beauvais, par Hermant, dans +<i>Procès</i>, t. V, p. 165.—G. Lecocq, <i>Étude historique sur le séjour de +Jeanne d'Arc à Élincourt-Sainte-Marguerite</i>, Amiens, 1879, in-8<sup>o</sup> de +13 pages.—A. Peyrecave, <i>Notes sur le séjour de Jeanne d'Arc à +Élincourt-Sainte-Marguerite</i>, Paris, 1875, +in-8<sup>o</sup>.—<i>Élincourt-Sainte-Marguerite, notice historique et +archéologique</i>, Compiègne, 1888, chap. <span class="smcap">VII</span>, pp. 113, 123.</p> + +<p><a id="footnote372" name="footnote372"></a><a href="#footnotetag372">[372]</a> <i>Procès</i>, t. V, pp. 164-165.—<i>Les miracles de madame +sainte Katerine de Fierboys</i>, pp. 16, 62, 63.</p> + +<p><a id="footnote373" name="footnote373"></a><a href="#footnotetag373">[373]</a> P. Champion, <i>Guillaume de Flavy</i>, pièces +justificatives, pp. 150, 154.—Morosini, t. III, p. 276, n. +3.—Mémoire à consulter sur G. de Flavy, dans <i>Procès</i>, t. V, p. 176.</p> + +<p><a id="footnote374" name="footnote374"></a><a href="#footnotetag374">[374]</a> Montrelet, ch. 33.—Mémoire à consulter sur G. de +Flavy, dans <i>Procès</i>, t. V, p. 175.—P. Champion, <i>Guillaume de +Flavy</i>, pièces justificatives <span class="smcap">XLIV</span>, <span class="smcap">XLV</span>.</p> + +<p><a id="footnote375" name="footnote375"></a><a href="#footnotetag375">[375]</a> De La Fons-Mélicoq, <i>Documents inédits sur le siège de +Compiègne de 1430</i>, dans <i>La Picardie</i>, t. III, 1857, pp. 22-23.—P. +Champion, <i>Guillaume de Flavy</i>, pièces justificatives, p. 176.</p> + +<p><a id="footnote376" name="footnote376"></a><a href="#footnotetag376">[376]</a> Lefèvre de Saint-Remy, t. II, p. 178.—H. de Lépinois, +<i>Notes extraites des archives communales de Compiègne</i>, dans +<i>Bibliothèque de l'École des Chartes</i>, 1863, t. XXIV, p. 486.—A. +Sorel, <i>La prise de Jeanne d'Arc devant Compiègne et l'histoire des +sièges de la même ville sous Charles VI et Charles VII, d'après des +documents inédits avec vues et plans</i>, Paris, 1889, in-8<sup>o</sup>, p. 268.</p> + +<p><a id="footnote377" name="footnote377"></a><a href="#footnotetag377">[377]</a> Jacques Duclercq, <i>Mémoires</i>, éd. de Reiffenberg, t. I, +p. 419.—<i>Le Temple de Bocace</i> dans les <i>Œuvres de Georges +Chastellain</i>, éd. Kervyn de Lettenhove, t. VII, p. 95.—P. Champion, +<i>Guillaume de Flavy, capitaine de Compiègne, contribution à l'histoire +de Jeanne d'Arc et à l'étude de la vie militaire et privée au XV<sup>e</sup> +siècle</i>, Paris, 1906, in-8<sup>o</sup>, <i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote378" name="footnote378"></a><a href="#footnotetag378">[378]</a> Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 125.—<i>Chronique +des cordeliers</i>, fol. 495 recto.—Rogier, dans Varin, <i>Arch. de la +ville de Reims</i>, II<sup>e</sup> partie, Statuts, t. I, p. 604.—A. Sorel, +<i>loc. cit.</i>, p. 167.—P. Champion, <i>loc. cit.</i>, p. 33.</p> + +<p><a id="footnote379" name="footnote379"></a><a href="#footnotetag379">[379]</a> Monstrelet, t. IV, pp. 379, 381.—<i>Chronique des +cordeliers</i>, fol. 495 recto.—<i>Livre des trahisons</i>, p. 202.</p> + +<p><a id="footnote380" name="footnote380"></a><a href="#footnotetag380">[380]</a> Monstrelet, t. IV, pp. 382-383.—Berry, dans <i>Procès</i>, +t. IV, p. 49.</p> + +<p><a id="footnote381" name="footnote381"></a><a href="#footnotetag381">[381]</a> D'après une note de Dom Bertheau, dans A. Sorel, +<i>Séjours de Jeanne d'Arc à Compiègne, maisons où elle a logé en 1429 +et 1430, avec vue et plans</i>, Paris, 1888, in-8<sup>o</sup>, pp. 11-12.</p> + +<p><a id="footnote382" name="footnote382"></a><a href="#footnotetag382">[382]</a> <i>Comptes de la ville de Compiègne</i>, CC. 13, folio +291.—Dom Gillesson, <i>Antiquités de Compiègne</i>, t. V, p. 95.—A. +Sorel, <i>La prise de Jeanne d'Arc</i>, p. 145, note 3.</p> + +<p><a id="footnote383" name="footnote383"></a><a href="#footnotetag383">[383]</a> Choisy se rendit le 16 mai, <i>Chronique des cordeliers</i>, +fol. 497 verso. <i>Livre des trahisons</i>, p. 201.—Monstrelet, t. IV, p. +382.—Berry, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 49.—A. Sorel, <i>La prise de +Jeanne d'Arc</i>, pp. 145-146.—P. Champion, <i>Guillaume de Flavy</i>, pp. +40-41, 162-163.</p> + +<p><a id="footnote384" name="footnote384"></a><a href="#footnotetag384">[384]</a> Berry, dans <i>Procès</i>, t. IV, pp. 49-50.</p> + +<p><a id="footnote385" name="footnote385"></a><a href="#footnotetag385">[385]</a> F. Brun, <i>Jeanne d'Arc et le capitaine de Soissons en +1430</i>, Soissons, 1904, p. 5 (Extrait de l'<i>Argus Soissonnais</i>).—P. +Champion, <i>loc. cit.</i>, p. 41.</p> + +<p><a id="footnote386" name="footnote386"></a><a href="#footnotetag386">[386]</a> Berry, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 50.—P. Champion, <i>loc. +cit.</i>, p. 168, pièce justificative <span class="smcap">XXXV</span>, p. 168.—F. Brun, <i>Nouvelles +recherches sur le fait de Soissons (Jeanne d'Arc et Bournel en 1430), +à propos d'un livre récent</i>, Meulan, 1907, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote387" name="footnote387"></a><a href="#footnotetag387">[387]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 273.</p> + +<p><a id="footnote388" name="footnote388"></a><a href="#footnotetag388">[388]</a> J'ai rejeté la rencontre contée par Alain Bouchard +(<i>Les grandes Croniques de Bretaigne</i>, Paris, Galliot Du Pré, 1514, +in-fol., fol. <span class="smcap">CCLXXXI</span>) de Jeanne et des petits enfants dans l'église +Saint-Jacques. M. Pierre Champion (<i>Guillaume de Flavy</i>, p. 283) a +irréfutablement démontré le caractère fabuleux du récit.</p> + +<p><a id="footnote389" name="footnote389"></a><a href="#footnotetag389">[389]</a> Monstrelet, t. IV, p. 382.—Lefèvre de Saint-Remy, t. +II, p. 178.—<i>Chronique des cordeliers</i>, fol. 498 verso.</p> + +<p><a id="footnote390" name="footnote390"></a><a href="#footnotetag390">[390]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 114.—Perceval de Cagny, p. +174.—Extrait d'un mémoire à consulter pour G. de Flavy, dans +<i>Procès</i>, t. V, p. 176.—Morosini, t. III, p. 296, n. 1.</p> + +<p><a id="footnote391" name="footnote391"></a><a href="#footnotetag391">[391]</a> Plan manuscrit de Compiègne de 1509 dans Debout, +<i>Jeanne d'Arc</i>, t. II, p. 293.—Plan de la ville de Compiègne, gravé +par Aveline au <span class="smcap">XVII</span><sup>e</sup> siècle, réduction publiée par la <i>Société +historique de Compiègne</i>, mai 1877.—Lambert de Ballyhier, <i>Compiègne +historique et monumental</i>, 1842, 2 vol. in-8<sup>o</sup>, planches.—Plan de +restitution de la ville de Compiègne en 1430, dans A. Sorel, <i>La prise +de Jeanne d'Arc</i>.—P. Champion, <i>Guillaume de Flavy</i>, p. 43.</p> + +<p><a id="footnote392" name="footnote392"></a><a href="#footnotetag392">[392]</a> Monstrelet, t. IV, pp. 383-384.</p> + +<p><a id="footnote393" name="footnote393"></a><a href="#footnotetag393">[393]</a> <i>Le Jouvencel</i>, t. II, p. 196.</p> + +<p><a id="footnote394" name="footnote394"></a><a href="#footnotetag394">[394]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 116.—Lettre de Philippe le Bon aux +habitants de Saint-Quentin, <i>Procès</i>, t. V, p. 166.—Lettre de +Philippe le Bon à Amédée duc de Savoie, dans P. Champion, <i>loc. cit.</i>, +pièce justificative <span class="smcap">XXXVII</span>.—Fauquembergue, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. +458.—William Wircester dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 475, et le <i>Journal +d'un bourgeois de Paris</i>, p. 255.</p> + +<p><a id="footnote395" name="footnote395"></a><a href="#footnotetag395">[395]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 78, 223, 224.—Chastellain, t. II, +p. 49.—Le Greffier de la Chambre des comptes de Brabant, dans +<i>Procès</i>, t. IV, p. 428.</p> + +<p><a id="footnote396" name="footnote396"></a><a href="#footnotetag396">[396]</a> Mémoires à consulter pour G. de Flavy, dans <i>Procès</i>, +t. V, p. 177.—<i>Chronique de Tournai</i>, dans <i>Recueil des Chroniques de +Flandre</i>, 1856, t. III, pp. 415-416.</p> + +<p><a id="footnote397" name="footnote397"></a><a href="#footnotetag397">[397]</a> <i>Chastellain</i>, t. II, p. 49.</p> + +<p><a id="footnote398" name="footnote398"></a><a href="#footnotetag398">[398]</a> <i>Le Jouvencel</i>, t. I. p. 91.</p> + +<p><a id="footnote399" name="footnote399"></a><a href="#footnotetag399">[399]</a> Monstrelet, t. IV, p. 387.—Lefèvre de Saint-Remy, t. +II, p. 179.—Chastellain, t. II, p. 48.—Mémoire à consulter sur G. de +Flavy, dans <i>Procès</i>, t. V, p. 176.</p> + +<p><a id="footnote400" name="footnote400"></a><a href="#footnotetag400">[400]</a> Lettre du duc de Bourgogne aux habitants de +Saint-Quentin, dans <i>Procès</i>, t. V, p. 166.—Monstrelet, Lefèvre de +Saint-Remy, Chastellain, Mémoires à consulter sur G. de Flavy, <i>loc. +cit.</i></p> + +<p><a id="footnote401" name="footnote401"></a><a href="#footnotetag401">[401]</a> Perceval de Cagny, p. 176.—Fauquembergue, dans +<i>Procès</i>, t. IV, p. 458.—Monstrelet.—Mémoire à consulter sur G. de +Flavy; Lefèvre de Saint-Remy; Chastellain, <i>loc. cit.</i></p> + +<p><a id="footnote402" name="footnote402"></a><a href="#footnotetag402">[402]</a> Mémoire à consulter sur G. de Flavy, <i>loc. cit.</i>—Du +Fresne de Beaucourt, <i>Jeanne d'Arc et Guillaume de Flavy</i>, dans +<i>Bulletin de la Société de l'Histoire de France</i>, t. III, 1861, pp. +173 et suiv.—Z. Rendu, <i>Jeanne d'Arc et G. de Flavy</i>, Compiègne, +1865, in-8<sup>o</sup> de 32 p.—A. Sorel, <i>La prise de Jeanne d'Arc</i>, p. +209.—P. Champion, <i>Guillaume de Flavy</i>, appendice I, pp. 282, 286.</p> + +<p><a id="footnote403" name="footnote403"></a><a href="#footnotetag403">[403]</a> Perceval de Cagny, p. 175.</p> + +<p><a id="footnote404" name="footnote404"></a><a href="#footnotetag404">[404]</a> Perceval de Cagny, p. 175.—Chastellain, t. II, p. +49.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 122; t. III, p. +207.—Quicherat, <i>Aperçus nouveaux</i>, p. 87.</p> + +<p><a id="footnote405" name="footnote405"></a><a href="#footnotetag405">[405]</a> Perceval de Cagny, p. 176.</p> + +<p><a id="footnote406" name="footnote406"></a><a href="#footnotetag406">[406]</a> Lettre du duc de Bourgogne, dans <i>Procès</i>, t. V, p. +166.—Perceval de Cagny, p. 175.—Monstrelet, t. IV, p. 400.—Lefèvre +de Saint-Remy, p. 175.—Chastellain, t. II, p. 49.—Mémoire à +consulter sur G. de Flavy, dans <i>Procès</i>, t. V, p. 174.—Martial +d'Auvergne, <i>Vigiles</i>, t. I, p. 118.—P. Champion, <i>loc. cit.</i>, pp. +46-49.—Lanéry d'Arc, <i>Livre d'or</i>, pp. 513-518.</p> + +<p><a id="footnote407" name="footnote407"></a><a href="#footnotetag407">[407]</a> Richer, <i>Histoire manuscrite de la Pucelle</i>, livre IV, +fol. 188 et suiv.—P. Champion, <i>loc. cit.</i>, pièce justificative +<span class="smcap">XXXIII</span>.—Monstrelet, t. IV, p. 388.—Mémoire à consulter sur G. de +Flavy, <i>loc. cit.</i>—Lettre du duc de Bourgogne aux habitants de +Saint-Quentin, <i>loc. cit.</i>—<i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. +255.—Fauquembergue, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 459.</p> + +<p><a id="footnote408" name="footnote408"></a><a href="#footnotetag408">[408]</a> Selon le <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 255, 400 +Français tués ou noyés.</p> + +<p><a id="footnote409" name="footnote409"></a><a href="#footnotetag409">[409]</a> Mémoire à consulter sur G. de Flavy, dans <i>Procès</i>, t. +V, p. 176.—Perceval de Cagny, p. 175.</p> + +<p><a id="footnote410" name="footnote410"></a><a href="#footnotetag410">[410]</a> Lettre du duc de Bourgogne aux habitants de +Saint-Quentin, dans <i>Procès</i>, t. V, p. 166.</p> + +<p><a id="footnote411" name="footnote411"></a><a href="#footnotetag411">[411]</a> Monstrelet, t. IV, p. 388.—Chastellain, t. II, p. +50.—A. Sorel, <i>La prise de Jeanne d'Arc</i>, pp. 253 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote412" name="footnote412"></a><a href="#footnotetag412">[412]</a> Jean Jouffroy, dans d'Achery, <i>Spicilegium</i>, III, pp. +823 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote413" name="footnote413"></a><a href="#footnotetag413">[413]</a> Monstrelet, t. IV, p. 388.</p> + +<p><a id="footnote414" name="footnote414"></a><a href="#footnotetag414">[414]</a> <i>Ibid.</i>, t. IV, p. 389.—P. Champion, <i>loc. cit.</i>, p. +168.</p> + +<p><a id="footnote415" name="footnote415"></a><a href="#footnotetag415">[415]</a> La <i>Chronique des cordeliers</i> et Monstrelet, +<i>passim</i>.—Vallet de Viriville, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, pp. +165-166.</p> + +<p><a id="footnote416" name="footnote416"></a><a href="#footnotetag416">[416]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 167.—J. Quicherat, <i>Aperçus +nouveaux</i>, p. 95.</p> + +<p><a id="footnote417" name="footnote417"></a><a href="#footnotetag417">[417]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 358.—Le P. Ayroles, <i>La vraie +Jeanne d'Arc</i>, t. III, p. 534.—P. Champion, <i>Guillaume de Flavy</i>, pp. +169-171.</p> + +<p><a id="footnote418" name="footnote418"></a><a href="#footnotetag418">[418]</a> Mémoire à consulter sur G. de Flavy, dans <i>Procès</i>, t. +V, p. 177.—A. Sorel, <i>La prise de Jeanne d'Arc</i>, p. 333.</p> + +<p><a id="footnote419" name="footnote419"></a><a href="#footnotetag419">[419]</a> Fauquembergue, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 458.—<i>Journal +d'un bourgeois de Paris</i>, p. 255.—J. Quicherat, <i>Aperçus nouveaux</i>, +p. 96.—Ul. Chevalier, <i>L'objuration de Jeanne d'Arc au cimetière de +Saint-Ouen et l'authenticité de sa formule</i>, Paris, 1902, in-8<sup>o</sup>, p. +18.</p> + +<p><a id="footnote420" name="footnote420"></a><a href="#footnotetag420">[420]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 8-10.—E. O'Reilly, <i>Les deux +procès</i>, t. II, pp. 13-14.—Le P. Denifle et Châtelain, <i>Chartularium +Universitatis Parisiensis...</i>, t. IV, p. 516, n<sup>o</sup> 2372.</p> + +<p><a id="footnote421" name="footnote421"></a><a href="#footnotetag421">[421]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 12.—E. O'Reilly, <i>Les deux +procès</i>.</p> + +<p><a id="footnote422" name="footnote422"></a><a href="#footnotetag422">[422]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 3, 12; t. III, p. 318; t. V, p. 392.</p> + +<p><a id="footnote423" name="footnote423"></a><a href="#footnotetag423">[423]</a> <i>Domini canes.</i> On les voit ainsi figurés sur les +fresques de la chapelle des Espagnols, à Santa-Maria-Novella, de +Florence.</p> + +<p><a id="footnote424" name="footnote424"></a><a href="#footnotetag424">[424]</a> Tanon, <i>Histoire des tribunaux de l'inquisition en +France</i>, chap. <span class="smcap">II</span>.</p> + +<p><a id="footnote425" name="footnote425"></a><a href="#footnotetag425">[425]</a> Le P. Denifle et Châtelain, <i>Chartularium Universitatis +Parisiensis</i>, t. IV, p. 510; <i>Le procès de Jeanne d'Arc et +l'Université de Paris</i>, Paris, 1897, in-8<sup>o</sup>, 32 pages.</p> + +<p><a id="footnote426" name="footnote426"></a><a href="#footnotetag426">[426]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, +<i>passim</i>.—Fauquembergue, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 450.</p> + +<p><a id="footnote427" name="footnote427"></a><a href="#footnotetag427">[427]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 237.—T. Basin, +<i>Histoire de Charles VII et de Louis XI</i>, t. IV, pp. +103-104.—Monstrelet, t. IV, chap. <span class="smcap">LXIII</span>.—Bougenot, <i>Deux documents +inédits relatifs à Jeanne d'Arc</i>, dans <i>Revue Bleue</i>, 13 fév. 1892, +pp. 203-204.</p> + +<p><a id="footnote428" name="footnote428"></a><a href="#footnotetag428">[428]</a> Le P. Denifle et Châtelain, <i>Chartularium Universitatis +Parisiensis...</i>, t. IV, p. 515, n<sup>o</sup> 2370; <i>Le procès de Jeanne d'Arc +et l'Université de Paris</i>.</p> + +<p><a id="footnote429" name="footnote429"></a><a href="#footnotetag429">[429]</a> Monstrelet, t. IV, p. 389.—Perceval de Cagny, p. +176.—Morosini, t. III, pp. 300-302; t. IV, pp. 254-355.—De La +Fons-Mélicocq, <i>Une cité picarde au moyen âge ou Noyon et les +Noyonnais aux XIV<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup> siècles</i>, Noyon, 1841, t. II, pp. +100-105.—En 1441, Lyonnel de Wandomme qui était gouverneur de cette +place en fut chassé par les habitants à la mort de Jean de Luxembourg +(Monstrelet, t. V, p. 456).</p> + +<p><a id="footnote430" name="footnote430"></a><a href="#footnotetag430">[430]</a> Perceval de Cagny, p. 177, très suspect.</p> + +<p><a id="footnote431" name="footnote431"></a><a href="#footnotetag431">[431]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 163-164, 249.</p> + +<p><a id="footnote432" name="footnote432"></a><a href="#footnotetag432">[432]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 151.</p> + +<p><a id="footnote433" name="footnote433"></a><a href="#footnotetag433">[433]</a> Vallet de Viriville, <i>Note sur deux médailles de plomb +relatives à Jeanne d'Arc</i>, Paris, 1861, in-8<sup>o</sup> de 30 pages.—Forgeais, +<i>Notice sur les plombs historiés trouvés dans la Seine</i>, Paris, 1860, +in-8<sup>o</sup>.—J. Quicherat, <i>Médaille frappée en l'honneur de la Pucelle, +Six dessins sur Jeanne d'Arc tirés d'un manuscrit du <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> siècle</i>, +dans <i>l'Autographe</i>, n<sup>o</sup> 24, 15 nov. 1864.</p> + +<p><a id="footnote434" name="footnote434"></a><a href="#footnotetag434">[434]</a> P. Lanéry d'Arc, <i>Le culte de Jeanne d'Arc au <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> +siècle</i>, Paris, 1887, in-8<sup>o</sup> de 29 pages.</p> + +<p><a id="footnote435" name="footnote435"></a><a href="#footnotetag435">[435]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 290.</p> + +<p><a id="footnote436" name="footnote436"></a><a href="#footnotetag436">[436]</a> Carreau, <i>Histoire manuscrite de Touraine</i>, dans +<i>Procès</i>, t. V, pp. 253-254.</p> + +<p><a id="footnote437" name="footnote437"></a><a href="#footnotetag437">[437]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 104.—E. Maignien, <i>Oraisons latines +pour la délivrance de Jeanne d'Arc</i>, Grenoble, 1867, in-8<sup>o</sup> (<i>Revue +des Sociétés savantes</i>, t. IV, pp. 412-414).—G. de Braux, <i>Trois +oraisons pour la délivrance de Jeanne d'Arc</i>, dans <i>Journal de la +Société d'archéologie lorraine</i>, juin 1887, pp. 125, 127.</p> + +<p><a id="footnote438" name="footnote438"></a><a href="#footnotetag438">[438]</a> <i>Vita Jacobi Gelu ab ipso conscripta</i>, dans <i>Bulletin +de la Société archéologique de Touraine</i>, III, 1867, pp. 266 et +suiv.—Le R. P. Marcellin Fornier, <i>Histoire des Alpes Maritimes ou +Cottiennes</i>, t. II, pp. 313 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote439" name="footnote439"></a><a href="#footnotetag439">[439]</a> Le R. P. Marcellin Fornier, <i>Histoire générale des +Alpes Maritimes ou Cottiennes</i>, t. II, pp. 319-320.</p> + +<p><a id="footnote440" name="footnote440"></a><a href="#footnotetag440">[440]</a> Thomassin, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 312.—<i>Chronique du +doyen de Saint-Thibaud</i>, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 323.—<i>Chronique de +Tournai</i>, dans <i>Recueil des Chroniques de Flandre</i>, t. III, p. +415.—<i>Chronique de Normandie</i>, éd. A. Hellot, Rouen, 1881, in-8<sup>o</sup>, +pp. 77-78.—<i>Chronique de Lorraine</i>, éd. abbé Marchal (<i>Recueil de +documents sur l'Histoire de Lorraine</i>, t. V.).</p> + +<p><a id="footnote441" name="footnote441"></a><a href="#footnotetag441">[441]</a> Analyse d'une lettre de Regnault de Chartres aux +habitants de Reims, <i>Procès</i>, t. V, p. 168.</p> + +<p><a id="footnote442" name="footnote442"></a><a href="#footnotetag442">[442]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 272.—Lefèvre de +Saint-Remy, t. II, p. 263.—Martial d'Auvergne, <i>Vigiles</i>, t. I, p. +124.</p> + +<p><a id="footnote443" name="footnote443"></a><a href="#footnotetag443">[443]</a> A. Maury, <i>La stigmatisation et les stigmates</i>, dans +<i>Revue des Deux Mondes</i>, 1854, c. <span class="smcap">VIII</span>, pp. 454-482.—D<sup>r</sup> Subled, +<i>Les stigmates selon la science</i>, dans <i>Science catholique</i>, 1894, t. +VIII, pp. 1073 et suiv.; t. IX, pp. 2 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote444" name="footnote444"></a><a href="#footnotetag444">[444]</a> Lettre de Regnault de Chartres, dans <i>Procès</i>, t. V, p. +168.</p> + +<p><a id="footnote445" name="footnote445"></a><a href="#footnotetag445">[445]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 295 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote446" name="footnote446"></a><a href="#footnotetag446">[446]</a> Lettre de Regnault de Chartres, dans <i>Procès</i>, t. V, p. +168.</p> + +<p><a id="footnote447" name="footnote447"></a><a href="#footnotetag447">[447]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 168.</p> + +<p><a id="footnote448" name="footnote448"></a><a href="#footnotetag448">[448]</a> Le fait ne fut pas contesté à l'époque; mais ce qui +pouvait être matière à discussion, c'était de savoir si vraiment +l'évêque de Beauvais avait juridiction ordinaire sur la Pucelle. Voir +à ce sujet: Abbé Ph.-H. Dunand, <i>Histoire complète de Jeanne d'Arc</i>, +Paris, 1899, t. II, pp. 412-413.</p> + +<p><a id="footnote449" name="footnote449"></a><a href="#footnotetag449">[449]</a> Robillard de Beaurepaire, <i>Notes sur les juges et +assesseurs du procès de Jeanne d'Arc</i>, Rouen, 1890, p. +12.—Douët-d'Arcq, <i>Choix de pièces inédites relatives au règne de +Charles VI</i>, t. I, pp. 356-357.—Chanoine Cerf, <i>Pierre Cauchon de +Sommièvre, chanoine de Reims et de Beauvais, évêque de Beauvais et de +Lisieux; son origine, ses dignités, sa mort et ses sépultures</i>, dans +<i>Travaux de l'Académie de Reims</i>, CI (1898), pp. 363 et suiv.—A. +Sarrazin, <i>Pierre Cauchon, juge de Jeanne d'Arc</i>, Paris, 1901, in-8<sup>o</sup>, +pp. 26 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote450" name="footnote450"></a><a href="#footnotetag450">[450]</a> Le P. Ayroles, <i>La vraie Jeanne d'Arc</i>, t. I, p. +116.—A. Sarrazin, <i>P. Cauchon</i>, pp. 36-37.</p> + +<p><a id="footnote451" name="footnote451"></a><a href="#footnotetag451">[451]</a> Du Boulay, <i>Historia Universitatis Parisiensis</i>, 1670, +t. V, p. 912.—L'abbé Delettre, <i>Histoire du diocèse de Beauvais</i>, +Beauvais, 1842, t. II, p. 348.</p> + +<p><a id="footnote452" name="footnote452"></a><a href="#footnotetag452">[452]</a> Robillard de Beaurepaire, <i>Notes sur les juges</i>, p. +13.</p> + +<p><a id="footnote453" name="footnote453"></a><a href="#footnotetag453">[453]</a> A. Sarrazin, <i>P. Cauchon</i>, pp. 58 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote454" name="footnote454"></a><a href="#footnotetag454">[454]</a> Rymer, <i>Fœdera</i>, t. X, p. 408 et <i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote455" name="footnote455"></a><a href="#footnotetag455">[455]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 13.—Vallet de Viriville, <i>Procès de +condamnation</i>, pp. 10 et suiv.—A. Sarrazin, <i>P. Cauchon</i>, pp. 108 et +suiv.</p> + +<p><a id="footnote456" name="footnote456"></a><a href="#footnotetag456">[456]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 10-11.—M. Fournier, <i>La faculté de +décret</i>, t. I, p. 353, note.</p> + +<p><a id="footnote457" name="footnote457"></a><a href="#footnotetag457">[457]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 13-14.</p> + +<p><a id="footnote458" name="footnote458"></a><a href="#footnotetag458">[458]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 14.</p> + +<p><a id="footnote459" name="footnote459"></a><a href="#footnotetag459">[459]</a> Du Boulay, <i>Historia Universitatis Parisiensis</i>, t. V, +pp. 393-408.—<i>Monumenta conciliorum generalium seculi decimi quinti</i>, +t. I, pp. 70 et suiv. Le P. Denifle et Châtelain, <i>Le procès de Jeanne +d'Arc et l'Université de Paris</i>.</p> + +<p><a id="footnote460" name="footnote460"></a><a href="#footnotetag460">[460]</a> Valeran Varanius, éd. Prarond, Paris, 1889, liv. IV, p. +100.</p> + +<p><a id="footnote461" name="footnote461"></a><a href="#footnotetag461">[461]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 109-110; t. II, p. 298; t. III, p. +121.—Monstrelet, t. IV, p. 389.—E. Gomart, <i>Jeanne d'Arc au château +de Beaurevoir</i>, Cambrai, 1865, in-8<sup>o</sup>, 47 pages (<i>Mém. de la Soc. +d'émulation de Cambrai</i>, XXXVIII, 2, pp. 305-348).—L. Sambier, +<i>Jeanne d'Arc et la région du Nord</i>, Lille, 1901, in-8<sup>o</sup>, 63 +pages.—Cf. Morosini, t. III, p. 300, notes 3 et 4; t. IV, annexe +<span class="smcap">XXI</span>.</p> + +<p><a id="footnote462" name="footnote462"></a><a href="#footnotetag462">[462]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 95, 231.—Monstrelet, t. IV, p. +402.—Vallet de Viriville, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. I, p. 2; t. +II, pp. 72-73.</p> + +<p><a id="footnote463" name="footnote463"></a><a href="#footnotetag463">[463]</a> A. Duchêne, <i>Histoire de la maison de Béthune</i>, chap. +<span class="smcap">III</span>, et preuves, p. 33.—Vallet de Viriville, <i>loc. cit.</i> et Morosini, +t. IV, pp. 352, 354.</p> + +<p><a id="footnote464" name="footnote464"></a><a href="#footnotetag464">[464]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 95, 231.</p> + +<p><a id="footnote465" name="footnote465"></a><a href="#footnotetag465">[465]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, pp. 438, 457; t. III, pp. 15, 19.</p> + +<p><a id="footnote466" name="footnote466"></a><a href="#footnotetag466">[466]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 120-121.</p> + +<p><a id="footnote467" name="footnote467"></a><a href="#footnotetag467">[467]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 150.</p> + +<p><a id="footnote468" name="footnote468"></a><a href="#footnotetag468">[468]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 150-151.</p> + +<p><a id="footnote469" name="footnote469"></a><a href="#footnotetag469">[469]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 13; t. V, p. 194.</p> + +<p><a id="footnote470" name="footnote470"></a><a href="#footnotetag470">[470]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 110, 151, 152.</p> + +<p><a id="footnote471" name="footnote471"></a><a href="#footnotetag471">[471]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 166.—<i>Journal d'un bourgeois de +Paris</i>, p. 268—J. Quicherat, <i>Aperçus nouveaux</i>, pp. 53, 58.</p> + +<p><a id="footnote472" name="footnote472"></a><a href="#footnotetag472">[472]</a> <i>Chronique des cordeliers</i>, fol. 507 r<sup>o</sup>.—Morosini, t. +III, pp. 301-303.—<i>Chronique de Tournai</i>, éd. de Smedt, dans <i>Recueil +des Chroniques de Flandre</i>, t. III, pp. 416, 417.</p> + +<p><a id="footnote473" name="footnote473"></a><a href="#footnotetag473">[473]</a> Lottin, <i>Recherches sur la ville d'Orléans</i>, t. I, p. +252.—<i>Procès</i>, t. I, p. 99, note 1.—<i>Journal du siège</i>, pp. +235-238,—S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, p. <span class="smcap">CCLXIII</span>, note 2.</p> + +<p><a id="footnote474" name="footnote474"></a><a href="#footnotetag474">[474]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 296-297.</p> + +<p><a id="footnote475" name="footnote475"></a><a href="#footnotetag475">[475]</a> Registre des Comptes de la ville de Tours, pour l'année +1430, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 473, note 1.</p> + +<p><a id="footnote476" name="footnote476"></a><a href="#footnotetag476">[476]</a> <i>Procès</i>, t. IV, p. 473.</p> + +<p><a id="footnote477" name="footnote477"></a><a href="#footnotetag477">[477]</a> <i>Ibid.</i>, t. IV, p. 473.</p> + +<p><a id="footnote478" name="footnote478"></a><a href="#footnotetag478">[478]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 295.</p> + +<p><a id="footnote479" name="footnote479"></a><a href="#footnotetag479">[479]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 106, note.—<i>Journal d'un bourgeois +de Paris</i>, p. 271.—Vallet de Viriville, <i>Procès de condamnation de +Jeanne d'Arc</i>, pp. <span class="smcap">LXI</span>-<span class="smcap">LXV</span>.</p> + +<p><a id="footnote480" name="footnote480"></a><a href="#footnotetag480">[480]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 271.</p> + +<p><a id="footnote481" name="footnote481"></a><a href="#footnotetag481">[481]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, pp. 271-272.</p> + +<p><a id="footnote482" name="footnote482"></a><a href="#footnotetag482">[482]</a> Voltaire, <i>Dictionnaire philosophique</i>, art.: <i>Arc</i>.</p> + +<p><a id="footnote483" name="footnote483"></a><a href="#footnotetag483">[483]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, pp. 259-260.</p> + +<p><a id="footnote484" name="footnote484"></a><a href="#footnotetag484">[484]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, pp. 259-260, +271-272.—Jean Nider, <i>Formicarium</i>, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 504.—A. +de la Borderie, <i>Pierronne et Perrinaïc</i>, pp. 7 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote485" name="footnote485"></a><a href="#footnotetag485">[485]</a> H. Vandenbroeck, <i>Extraits des anciens registres des +consaux de la ville de Tournai...</i>, t. II (1422-1430) et Morosini, t. +III, pp. 185-186.</p> + +<p><a id="footnote486" name="footnote486"></a><a href="#footnotetag486">[486]</a> H. Vandenbroeck, <i>Extraits analytiques des anciens +registres des consaux de la ville de Tournai</i>, t. II, pp. 338, +371-373.—Chanoine H. Debout, <i>Jeanne d'Arc et les villes d'Arras et +de Tournai</i>, Paris, s. d. p. 24.</p> + +<p><a id="footnote487" name="footnote487"></a><a href="#footnotetag487">[487]</a> Le P. Anselme, <i>Histoire généalogique de la maison de +France</i>, t. III, pp. 723-724.—Vallet de Viriville, <i>Histoire de +Charles VII</i>, t. II, pp. 175-176.—Morosini, t. IV, annexe <span class="smcap">XIX</span>.</p> + +<p><a id="footnote488" name="footnote488"></a><a href="#footnotetag488">[488]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 95, 231.</p> + +<p><a id="footnote489" name="footnote489"></a><a href="#footnotetag489">[489]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 13-14.</p> + +<p><a id="footnote490" name="footnote490"></a><a href="#footnotetag490">[490]</a> <i>Les miracles de madame Sainte Katerine</i>, éd. Bourassé, +<i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote491" name="footnote491"></a><a href="#footnotetag491">[491]</a> «Se faisoit servir en la prinson comme une dame», +rapporte le <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 271, au sujet de la +prison de Rouen.</p> + +<p><a id="footnote492" name="footnote492"></a><a href="#footnotetag492">[492]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 100.</p> + +<p><a id="footnote493" name="footnote493"></a><a href="#footnotetag493">[493]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 101, 206, 291; t. III, p. 87; t. V, +pp. 104, 305.—Chastellain, éd. Kervyn de Lettenhove, t. II, p. +46.—P. Lanéry d'Arc, <i>Le culte de Jeanne d'Arc au XV<sup>e</sup> siècle</i>, +Orléans, 1887, in-8<sup>o</sup>.—Noël Valois, <i>Un nouveau témoignage sur Jeanne +d'Arc</i>, pp. 8, 13, 18.</p> + +<p><a id="footnote494" name="footnote494"></a><a href="#footnotetag494">[494]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 95, 96, 231.—Chanoine Henri +Debout, <i>Jeanne d'Arc prisonnière à Arras</i>, Arras, 1894, in-16; +<i>Jeanne d'Arc et les villes d'Arras et de Tournai</i>, Paris, 1904, +in-8<sup>o</sup>; <i>Jeanne d'Arc</i>, t. II, pp. 394 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote495" name="footnote495"></a><a href="#footnotetag495">[495]</a> Le 7 novembre 1430, un messager de la ville d'Arras +recevait 40 s. pour avoir porté au duc de Bourgogne deux lettres +closes, l'une de Jean de Luxembourg, l'autre de David de Brimeu, +gouverneur du bailliage d'Arras: nous ignorons la teneur de ces +lettres «pour le fait de la Pucelle». P. Champion, <i>Notes sur Jeanne +d'Arc</i>, II: <i>Jeanne d'Arc à Arras</i>, dans <i>le Moyen Âge</i>, juillet-août +1907, pp. 200-201.</p> + +<p><a id="footnote496" name="footnote496"></a><a href="#footnotetag496">[496]</a> H. de Lépinois, <i>Notes extraites des archives +communales de Compiègne</i>, dans <i>Bibliothèque de l'École des Chartes</i>, +1863, t. XXIV, p. 486.—A. Sorel, <i>Prise de Jeanne d'Arc</i>, p. 268.—P. +Champion, <i>Guillaume de Flavy</i>, pp. 38, 48 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote497" name="footnote497"></a><a href="#footnotetag497">[497]</a> <i>Chronique des cordeliers</i>, fol. 500 v<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote498" name="footnote498"></a><a href="#footnotetag498">[498]</a> Chastellain, t. II, p. 53.</p> + +<p><a id="footnote499" name="footnote499"></a><a href="#footnotetag499">[499]</a> Monstrelet, t. IV, p. 390.</p> + +<p><a id="footnote500" name="footnote500"></a><a href="#footnotetag500">[500]</a> <i>Ibid.</i>, t. IV, pp. 390-391.—Lefèvre de Saint-Remy, t. +II, p. 180.—Morosini, t. III, pp. 306-307.—Chastellain, t. II, pp. +51-54.—A. Sorel, <i>La prise de Jeanne d'Arc</i>, pp. 233 et suiv.—P. +Champion, <i>Guillaume de Flavy</i>, p. 50.</p> + +<p><a id="footnote501" name="footnote501"></a><a href="#footnotetag501">[501]</a> <i>Le Jouvencel</i>, t. I, pp. 49 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote502" name="footnote502"></a><a href="#footnotetag502">[502]</a> <i>Chronique des cordeliers</i>, fol. 502 v<sup>o</sup>.—P. Champion, +<i>Guillaume de Flavy</i>, pièces justificatives <span class="smcap">XLI</span>, <span class="smcap">XLII</span>, <span class="smcap">XLIII</span>.</p> + +<p><a id="footnote503" name="footnote503"></a><a href="#footnotetag503">[503]</a> <i>Livre des trahisons</i>, p. 202.</p> + +<p><a id="footnote504" name="footnote504"></a><a href="#footnotetag504">[504]</a> Monstrelet, t. III, pp. 410-415.—Lefèvre de +Saint-Remy, t. II, p. 185.—<i>Livre des trahisons</i>, p. 202.—A. Sorel, +<i>La prise de Jeanne d'Arc</i>, pièce justif. <span class="smcap">XIII</span>, p. 341.—P. Champion, +<i>loc. cit.</i>, p. 176.</p> + +<p><a id="footnote505" name="footnote505"></a><a href="#footnotetag505">[505]</a> Monstrelet, t. IV, p. 418.—De La Fons-Mélicocq, +<i>Documents inédits sur le siège de Compiègne</i>, dans <i>La Picardie</i>, t. +III, 1857, pp. 22-23.—Stevenson, <i>Letters and papers</i>, vol. II, part. +<span class="smcap">I</span>, p. 156.</p> + +<p><a id="footnote506" name="footnote506"></a><a href="#footnotetag506">[506]</a> Monstrelet, t. IV, p. 419.—P. Champion, <i>Guillaume de +Flavy</i>, p. 57.</p> + +<p><a id="footnote507" name="footnote507"></a><a href="#footnotetag507">[507]</a> Sorel, <i>La prise de Jeanne d'Arc</i>, pièces +justificatives, p. 343.</p> + +<p><a id="footnote508" name="footnote508"></a><a href="#footnotetag508">[508]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 9.—Vallet de Viriville, <i>Histoire +de Charles VII</i>, t. II, p. 175.</p> + +<p><a id="footnote509" name="footnote509"></a><a href="#footnotetag509">[509]</a> Morosini, t. III, p. 236.—U. Chevalier, <i>L'abjuration +de Jeanne d'Arc</i>, p. 18, note.</p> + +<p><a id="footnote510" name="footnote510"></a><a href="#footnotetag510">[510]</a> Morosini, t. III, p. 276, note.</p> + +<p><a id="footnote511" name="footnote511"></a><a href="#footnotetag511">[511]</a> Chronique de Jean de la Chapelle, dans <i>Procès</i>, t. V, +pp. 358-360.—Lefils, <i>Histoire de la ville du Crotoy et de son +château</i>, pp. 111-118.—G. Lefèvre-Pontalis, <i>La panique anglaise</i>, p. +8, n<sup>o</sup> 5.—L'abbé Bouthors, <i>Histoire de Saint-Riquier</i>, Abbeville, +1902, pp. 185, 215, 220.</p> + +<p><a id="footnote512" name="footnote512"></a><a href="#footnotetag512">[512]</a> Perceval de Cagny, pp. 22, 137.</p> + +<p><a id="footnote513" name="footnote513"></a><a href="#footnotetag513">[513]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 121.—A. Sarrazin, <i>Jeanne d'Arc +et la Normandie</i>, pp. 63 et suiv.—Lanéry d'Arc, <i>Livre d'or</i>, p. +521.</p> + +<p><a id="footnote514" name="footnote514"></a><a href="#footnotetag514">[514]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 89; t. III, p. 121.—Le P. Ignace de +Jésus Maria, <i>Histoire généalogique des comtes de Ponthieu et maïeurs +d'Abbeville</i>, Paris, 1657, p. 490.—<i>Procès</i>, t. V, p. 361.</p> + +<p><a id="footnote515" name="footnote515"></a><a href="#footnotetag515">[515]</a> Monstrelet, t. IV, pp. 353-354.—<i>Procès</i>, t. V, p. +143.</p> + +<p><a id="footnote516" name="footnote516"></a><a href="#footnotetag516">[516]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 15-16.—M. Fournier, <i>La faculté de +décret et l'Université de Paris</i>, t. I, p. 353.</p> + +<p><a id="footnote517" name="footnote517"></a><a href="#footnotetag517">[517]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 21.—Le P. Ignace de Jésus Maria, +dans <i>Procès</i>, t. V, p. 363.—F. Poulaine, <i>Jeanne d'Arc à Rouen</i>, +Paris, 1899, in-16.—Ch. Lemire, <i>Jeanne d'Arc en Picardie et en +Normandie</i>, Paris, 1903, pp. 10 et <i>passim</i>.—Lanéry d'Arc, <i>Livre +d'or</i>, pp. 524, 549.</p> + +<p><a id="footnote518" name="footnote518"></a><a href="#footnotetag518">[518]</a> A. Sarrazin, <i>Jeanne d'Arc et la Normandie au XV<sup>e</sup> +siècle</i>, Rouen, 1896, in-4<sup>o</sup>, chap. <span class="smcap">V</span>.</p> + +<p><a id="footnote519" name="footnote519"></a><a href="#footnotetag519">[519]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 136-137.—Vallet de Viriville, +<i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, p. 198.</p> + +<p><a id="footnote520" name="footnote520"></a><a href="#footnotetag520">[520]</a> L. de Duranville, <i>Le château de Bouvreuil</i>, dans la +<i>Revue de Rouen</i>, 1852, p. 387.—A. Deville, <i>La tour de la Pucelle du +château de Rouen</i>, dans <i>Précis des travaux de l'Académie de Rouen</i>, +1865-1866, pp. 236-268.—Bouquet, <i>Notice sur le donjon du château de +Philippe-Auguste</i>, Rouen, 1877, pp. 7 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote521" name="footnote521"></a><a href="#footnotetag521">[521]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 317, 345; t. III, p. 121.</p> + +<p><a id="footnote522" name="footnote522"></a><a href="#footnotetag522">[522]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 154.—A. Sarrazin, <i>Jeanne d'Arc et +la Normandie</i>, p. 190, note 1.—L. Delisle, dans <i>Revue des Sociétés +savantes</i>, 1867, 4<sup>e</sup> série, t. V, p. 440.—F. Bouquet, <i>Jeanne d'Arc +au donjon de Rouen</i>, dans <i>Revue de Normandie</i>, 1867, t. VI, pp. +873-83.—L. Delisle, dans <i>Revue des Sociétés savantes</i>, t. V +(1867).—Lanéry d'Arc, pp. 528-33.</p> + +<p><a id="footnote523" name="footnote523"></a><a href="#footnotetag523">[523]</a> Ballin, <i>Renseignements sur le Vieux-Château de Rouen</i>, +dans <i>Revue de Rouen</i>, 1842, p. 35.—A. Sarrazin, <i>Jeanne d'Arc et la +Normandie</i>, p. 188.</p> + +<p><a id="footnote524" name="footnote524"></a><a href="#footnotetag524">[524]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 7.</p> + +<p><a id="footnote525" name="footnote525"></a><a href="#footnotetag525">[525]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 155.</p> + +<p><a id="footnote526" name="footnote526"></a><a href="#footnotetag526">[526]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 36.—A. Sarrazin, pp. 191-192.</p> + +<p><a id="footnote527" name="footnote527"></a><a href="#footnotetag527">[527]</a> Vallet de Viriville, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, +pp. 240-241.</p> + +<p><a id="footnote528" name="footnote528"></a><a href="#footnotetag528">[528]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 47.</p> + +<p><a id="footnote529" name="footnote529"></a><a href="#footnotetag529">[529]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 322.</p> + +<p><a id="footnote530" name="footnote530"></a><a href="#footnotetag530">[530]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, pp. 216, 217.—J. Quicherat, <i>Aperçus +nouveaux</i>, p. 112.</p> + +<p><a id="footnote531" name="footnote531"></a><a href="#footnotetag531">[531]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 18.</p> + +<p><a id="footnote532" name="footnote532"></a><a href="#footnotetag532">[532]</a> Lea, <i>Histoire de l'inquisition au moyen âge</i>, traduct. +S. Reinach, t. II, p. 576.</p> + +<p><a id="footnote533" name="footnote533"></a><a href="#footnotetag533">[533]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 154.</p> + +<p><a id="footnote534" name="footnote534"></a><a href="#footnotetag534">[534]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, pp. 318-319; t. III, pp. 131, 140, 148, +161.—A. Sarrazin, <i>P. Cauchon</i>, p. 200.</p> + +<p><a id="footnote535" name="footnote535"></a><a href="#footnotetag535">[535]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 186-187.</p> + +<p><a id="footnote536" name="footnote536"></a><a href="#footnotetag536">[536]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 199-200.</p> + +<p><a id="footnote537" name="footnote537"></a><a href="#footnotetag537">[537]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 200.</p> + +<p><a id="footnote538" name="footnote538"></a><a href="#footnotetag538">[538]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 179.</p> + +<p><a id="footnote539" name="footnote539"></a><a href="#footnotetag539">[539]</a> Morosini, t. III, p. 236.</p> + +<p><a id="footnote540" name="footnote540"></a><a href="#footnotetag540">[540]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 121, 123.</p> + +<p><a id="footnote541" name="footnote541"></a><a href="#footnotetag541">[541]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 140.</p> + +<p><a id="footnote542" name="footnote542"></a><a href="#footnotetag542">[542]</a> C. de Beaurepaire, <i>Recherches sur le procès de +condamnation de Jeanne d'Arc</i>, dans <i>Précis des travaux de l'Académie +de Rouen</i>, 1867-1868, pp. 470-9.—U. Chevalier, <i>L'abjuration de +Jeanne d'Arc</i>, p. 29.</p> + +<p><a id="footnote543" name="footnote543"></a><a href="#footnotetag543">[543]</a> De Beaurepaire, <i>Notes sur les juges</i>, p. 17.</p> + +<p><a id="footnote544" name="footnote544"></a><a href="#footnotetag544">[544]</a> <i>Gallia Christiana</i>, t. II, p. 732.—Vallet de +Viriville, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, pp. 213-214.—S. Luce, +<i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, p. <span class="smcap">CCXCV</span>.</p> + +<p><a id="footnote545" name="footnote545"></a><a href="#footnotetag545">[545]</a> C. de Beaurepaire, <i>Recherches sur le procès de +condamnation de Jeanne d'Arc</i>, <i>loc. cit.</i>—A. Sarrazin, <i>Jeanne d'Arc +et la Normandie</i>, pp. 168, 171.</p> + +<p><a id="footnote546" name="footnote546"></a><a href="#footnotetag546">[546]</a> 28 décembre 1430.—<i>Procès</i>, t. I, pp. 20, 23.—De +Beaurepaire, <i>Notes sur les juges</i>, p. 46.</p> + +<p><a id="footnote547" name="footnote547"></a><a href="#footnotetag547">[547]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 18, 19.</p> + +<p><a id="footnote548" name="footnote548"></a><a href="#footnotetag548">[548]</a> A. Sarrazin, <i>Jeanne d'Arc et la Normandie</i>, pp. +1771-78.</p> + +<p><a id="footnote549" name="footnote549"></a><a href="#footnotetag549">[549]</a> J. Quicherat, <i>Aperçus nouveaux</i>, p. 147.—De +Beaurepaire, <i>Notes sur les juges</i>, p. 9.</p> + +<p><a id="footnote550" name="footnote550"></a><a href="#footnotetag550">[550]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 24; t. III, p. 162.—De Beaurepaire, +<i>Notes sur les juges</i>, p. 26.—A. Sarrazin, <i>Jeanne d'Arc et la +Normandie</i>, p. 220.</p> + +<p><a id="footnote551" name="footnote551"></a><a href="#footnotetag551">[551]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 25.</p> + +<p><a id="footnote552" name="footnote552"></a><a href="#footnotetag552">[552]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 25; t. III, p. 137.—A. Sarrazin, +<i>loc. cit.</i>, pp. 221-222.</p> + +<p><a id="footnote553" name="footnote553"></a><a href="#footnotetag553">[553]</a> L. Tanon, <i>Histoire des tribunaux de l'inquisition en +France</i>, pp. 550-551.</p> + +<p><a id="footnote554" name="footnote554"></a><a href="#footnotetag554">[554]</a> De Beaurepaire, <i>Recherches sur le procès de +condamnation</i>, p. 320.</p> + +<p><a id="footnote555" name="footnote555"></a><a href="#footnotetag555">[555]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 25; t. III, p. 137.—De Beaurepaire, +<i>Recherches...</i>, p. 103.—A. Sarrazin, <i>loc. cit.</i>, pp. 222-223.</p> + +<p><a id="footnote556" name="footnote556"></a><a href="#footnotetag556">[556]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 26.—De Beaurepaire, +<i>Recherches...</i>, p. 115.—A. Sarrazin, <i>loc. cit.</i>, pp. 223-224.</p> + +<p><a id="footnote557" name="footnote557"></a><a href="#footnotetag557">[557]</a> Eymeric, <i>Directorium Inquisitorium</i>, quest. 85.—J. +Quicherat, <i>Aperçus nouveaux</i>, p. 109.—De Beaurepaire, <i>Notes sur les +juges</i>, p. 9.</p> + +<p><a id="footnote558" name="footnote558"></a><a href="#footnotetag558">[558]</a> De Beaurepaire, <i>Recherches...</i>, pp. 321 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote559" name="footnote559"></a><a href="#footnotetag559">[559]</a> De Beaurepaire, <i>Notes sur les juges</i>, pp. 27-114.—J. +Quicherat, <i>Aperçus nouveaux</i>, pp. 103-104.—Boucher de Molandon, +<i>Guillaume Erard l'un des juges de la Pucelle</i>, dans <i>Bulletin du +Comité hist. et phil.</i>, 1892, pp. 3-10.</p> + +<p><a id="footnote560" name="footnote560"></a><a href="#footnotetag560">[560]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 39, note.—Du Boulay, <i>Historia +Universitatis Paris.</i>, t. V, pp. 912, 920.—J. Quicherat, <i>Aperçus +nouveaux</i>, p. 105.—De Beaurepaire, <i>Notes...</i>, pp. 30, 31.—A. +Sarrazin, <i>loc. cit.</i>, pp. 226-227.</p> + +<p><a id="footnote561" name="footnote561"></a><a href="#footnotetag561">[561]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 5, 6.—De Beaurepaire, <i>Notes...</i>, +pp. 121-125.—A. Sarrazin, <i>loc. cit.</i>, pp. 308-310.</p> + +<p><a id="footnote562" name="footnote562"></a><a href="#footnotetag562">[562]</a> De Beaurepaire, <i>Recherches</i>, pp. 321 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote563" name="footnote563"></a><a href="#footnotetag563">[563]</a> J. Quicherat, <i>Aperçus nouveaux</i>, p. 101.</p> + +<p><a id="footnote564" name="footnote564"></a><a href="#footnotetag564">[564]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 5-8.</p> + +<p><a id="footnote565" name="footnote565"></a><a href="#footnotetag565">[565]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 463.</p> + +<p><a id="footnote566" name="footnote566"></a><a href="#footnotetag566">[566]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 453.</p> + +<p><a id="footnote567" name="footnote567"></a><a href="#footnotetag567">[567]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 192-193.</p> + +<p><a id="footnote568" name="footnote568"></a><a href="#footnotetag568">[568]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 105, 146, 234.</p> + +<p><a id="footnote569" name="footnote569"></a><a href="#footnotetag569">[569]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 208-209, 213.</p> + +<p><a id="footnote570" name="footnote570"></a><a href="#footnotetag570">[570]</a> J. Quicherat, <i>Aperçus nouveaux</i>, p. 117.</p> + +<p><a id="footnote571" name="footnote571"></a><a href="#footnotetag571">[571]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 245-246.</p> + +<p><a id="footnote572" name="footnote572"></a><a href="#footnotetag572">[572]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 200.</p> + +<p><a id="footnote573" name="footnote573"></a><a href="#footnotetag573">[573]</a> De Beaurepaire, <i>Recherches</i>, <i>loc. cit.</i>—J. +Quicherat, <i>Aperçus nouveaux</i>, pp. 122-124.—L. Tanon, <i>Histoire des +tribunaux de l'inquisition</i>, pp. 389-395.</p> + +<p><a id="footnote574" name="footnote574"></a><a href="#footnotetag574">[574]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 117, 300.</p> + +<p><a id="footnote575" name="footnote575"></a><a href="#footnotetag575">[575]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 362.</p> + +<p><a id="footnote576" name="footnote576"></a><a href="#footnotetag576">[576]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 63.</p> + +<p><a id="footnote577" name="footnote577"></a><a href="#footnotetag577">[577]</a> De Beaurepaire, <i>Notes sur les juges</i>, pp. 72-82.—A. +Sorel, <i>loc. cit.</i>, pp. 243-247.</p> + +<p><a id="footnote578" name="footnote578"></a><a href="#footnotetag578">[578]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 10, 342; t. III, pp. 140, 141, +156, 160 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote579" name="footnote579"></a><a href="#footnotetag579">[579]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 181.</p> + +<p><a id="footnote580" name="footnote580"></a><a href="#footnotetag580">[580]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 141.</p> + +<p><a id="footnote581" name="footnote581"></a><a href="#footnotetag581">[581]</a> <i>Tractatus de hæresi pauperum de Lugduno</i>, apud +Martene, <i>Thésaurus anecd.</i>, t. V, col. 1787.—J. Quicherat, <i>Aperçus +nouveaux</i>, pp. 131-132.</p> + +<p><a id="footnote582" name="footnote582"></a><a href="#footnotetag582">[582]</a> Eymeric, <i>Directorium</i>, part. III: <i>Cautelæ +inquisitorum contra hæreticorum cavilationes et fraudes.</i></p> + +<p><a id="footnote583" name="footnote583"></a><a href="#footnotetag583">[583]</a> L. Tanon, <i>Histoire des tribunaux de l'inquisition en +France</i>, p. 394.</p> + +<p><a id="footnote584" name="footnote584"></a><a href="#footnotetag584">[584]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 10, 342.</p> + +<p><a id="footnote585" name="footnote585"></a><a href="#footnotetag585">[585]</a> Vallet de Viriville, <i>Nouvelles recherches sur Agnès +Sorel</i>, pp. 33 et suiv.—Du Cange, <i>Glossaire</i>, au mot: +<i>Matrimonium</i>.</p> + +<p><a id="footnote586" name="footnote586"></a><a href="#footnotetag586">[586]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 102, 209.</p> + +<p><a id="footnote587" name="footnote587"></a><a href="#footnotetag587">[587]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 155, 163.</p> + +<p><a id="footnote588" name="footnote588"></a><a href="#footnotetag588">[588]</a> A. Sarrazin, <i>Jeanne d'Arc et la Normandie</i>, p. 40.</p> + +<p><a id="footnote589" name="footnote589"></a><a href="#footnotetag589">[589]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 175.</p> + +<p><a id="footnote590" name="footnote590"></a><a href="#footnotetag590">[590]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 217-218.</p> + +<p><a id="footnote591" name="footnote591"></a><a href="#footnotetag591">[591]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 27-28.</p> + +<p><a id="footnote592" name="footnote592"></a><a href="#footnotetag592">[592]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 28-29.</p> + +<p><a id="footnote593" name="footnote593"></a><a href="#footnotetag593">[593]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 29-31.</p> + +<p><a id="footnote594" name="footnote594"></a><a href="#footnotetag594">[594]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 31-33.</p> + +<p><a id="footnote595" name="footnote595"></a><a href="#footnotetag595">[595]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 32.—J. Quicherat, <i>Aperçus +nouveaux</i>, p. 102.—De Beaurepaire, <i>Notes sur les juges</i>, pp. +24-27.—Le P. Chapotin, <i>La guerre de cent ans, Jeanne d'Arc et les +dominicains</i>, pp. 141-143.—A. Sarrazin, <i>P. Cauchon</i>, p. 124.</p> + +<p><a id="footnote596" name="footnote596"></a><a href="#footnotetag596">[596]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 33.</p> + +<p><a id="footnote597" name="footnote597"></a><a href="#footnotetag597">[597]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 35.—De Beaurepaire, <i>Notes sur les +juges</i>, p. 394.—Doinel, dans <i>Mémoire de la Société +archéologique-historique de l'Orléanais</i>, 1892, t. XXIV, p. 403.—Le +P. Chapotin, <i>La guerre de cent ans, Jeanne d'Arc et les dominicains</i>, +p. 141.—U. Chevalier, <i>L'abjuration de Jeanne d'Arc</i>, p. 32.</p> + +<p><a id="footnote598" name="footnote598"></a><a href="#footnotetag598">[598]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 35.</p> + +<p><a id="footnote599" name="footnote599"></a><a href="#footnotetag599">[599]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 40-42.</p> + +<p><a id="footnote600" name="footnote600"></a><a href="#footnotetag600">[600]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 38-39.</p> + +<p><a id="footnote601" name="footnote601"></a><a href="#footnotetag601">[601]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 42-43.</p> + +<p><a id="footnote602" name="footnote602"></a><a href="#footnotetag602">[602]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 43.</p> + +<p><a id="footnote603" name="footnote603"></a><a href="#footnotetag603">[603]</a> <i>Ibid.</i>, p. 43.</p> + +<p><a id="footnote604" name="footnote604"></a><a href="#footnotetag604">[604]</a> Le P. Denifle et Châtelain, <i>Le procès de Jeanne d'Arc +et l'Université de Paris</i>.</p> + +<p><a id="footnote605" name="footnote605"></a><a href="#footnotetag605">[605]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 88, 94, 151, 155 et <i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote606" name="footnote606"></a><a href="#footnotetag606">[606]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 45.</p> + +<p><a id="footnote607" name="footnote607"></a><a href="#footnotetag607">[607]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 46.</p> + +<p><a id="footnote608" name="footnote608"></a><a href="#footnotetag608">[608]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 46-47</p> + +<p><a id="footnote609" name="footnote609"></a><a href="#footnotetag609">[609]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 47.</p> + +<p><a id="footnote610" name="footnote610"></a><a href="#footnotetag610">[610]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 47-8.</p> + +<p><a id="footnote611" name="footnote611"></a><a href="#footnotetag611">[611]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 48.</p> + +<p><a id="footnote612" name="footnote612"></a><a href="#footnotetag612">[612]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 131-136.</p> + +<p><a id="footnote613" name="footnote613"></a><a href="#footnotetag613">[613]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 135.</p> + +<p><a id="footnote614" name="footnote614"></a><a href="#footnotetag614">[614]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 48.—A. Sarrazin, <i>Jeanne d'Arc et la +Normandie</i>, pp. 323-324.</p> + +<p><a id="footnote615" name="footnote615"></a><a href="#footnotetag615">[615]</a> L. Tanon, <i>Histoire des tribunaux de l'inquisition</i>, p. +420.</p> + +<p><a id="footnote616" name="footnote616"></a><a href="#footnotetag616">[616]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 48-50.</p> + +<p><a id="footnote617" name="footnote617"></a><a href="#footnotetag617">[617]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 50.</p> + +<p><a id="footnote618" name="footnote618"></a><a href="#footnotetag618">[618]</a> Du Boulay, <i>Historia Universitatis Paris.</i>, t. V, p. +919.—De Beaurepaire, <i>Notes sur les juges</i>, pp. 27-30.</p> + +<p><a id="footnote619" name="footnote619"></a><a href="#footnotetag619">[619]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 51.</p> + +<p><a id="footnote620" name="footnote620"></a><a href="#footnotetag620">[620]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 51.</p> + +<p><a id="footnote621" name="footnote621"></a><a href="#footnotetag621">[621]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 51-52.</p> + +<p><a id="footnote622" name="footnote622"></a><a href="#footnotetag622">[622]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 52.</p> + +<p><a id="footnote623" name="footnote623"></a><a href="#footnotetag623">[623]</a> Bréhal, <i>Mémoires et consultations en faveur de Jeanne +d'Arc</i>, édit. Lanéry d'Arc, p. 409.</p> + +<p><a id="footnote624" name="footnote624"></a><a href="#footnotetag624">[624]</a> Voir Appendice I, la lettre du docteur G. Dumas.</p> + +<p><a id="footnote625" name="footnote625"></a><a href="#footnotetag625">[625]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 52.</p> + +<p><a id="footnote626" name="footnote626"></a><a href="#footnotetag626">[626]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 53-54.</p> + +<p><a id="footnote627" name="footnote627"></a><a href="#footnotetag627">[627]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 54.</p> + +<p><a id="footnote628" name="footnote628"></a><a href="#footnotetag628">[628]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 55-56; t. V, p. 95.</p> + +<p><a id="footnote629" name="footnote629"></a><a href="#footnotetag629">[629]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 456; t. III, pp. 91-92.—Morosini, +t. III, p. 104.—Eberhard Windecke, pp. 152-153.—J. Quicherat, +<i>Aperçus nouveaux</i>, pp. 132-133.—Le P. Ayroles, <i>La vraie Jeanne +d'Arc</i>, t. IV, p. 440, chap. <span class="smcap">I</span>: <i>La royauté du Jésus-Christ</i>.</p> + +<p><a id="footnote630" name="footnote630"></a><a href="#footnotetag630">[630]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 89, 142, 161, 176, 178, 201.</p> + +<p><a id="footnote631" name="footnote631"></a><a href="#footnotetag631">[631]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p.</p> + +<p><a id="footnote632" name="footnote632"></a><a href="#footnotetag632">[632]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 56.</p> + +<p><a id="footnote633" name="footnote633"></a><a href="#footnotetag633">[633]</a> <i>Ibid.</i>, p. 56.</p> + +<p><a id="footnote634" name="footnote634"></a><a href="#footnotetag634">[634]</a> Il ne paraît pas possible d'admettre avec Quicherat +(<i>Aperçus nouveaux</i>), que Jeanne imaginait la fable de la couronne à +mesure qu'on la pressait de questions au sujet «du signe». À la façon +dont les juges conduisaient l'interrogatoire, on voit bien qu'ils +connaissaient toute cette histoire extraordinaire.</p> + +<p><a id="footnote635" name="footnote635"></a><a href="#footnotetag635">[635]</a> <i>Legenda aurea</i>, éd. 1846, pp. 789 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote636" name="footnote636"></a><a href="#footnotetag636">[636]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 120-122.</p> + +<p><a id="footnote637" name="footnote637"></a><a href="#footnotetag637">[637]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 90.</p> + +<p><a id="footnote638" name="footnote638"></a><a href="#footnotetag638">[638]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 56.</p> + +<p><a id="footnote639" name="footnote639"></a><a href="#footnotetag639">[639]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 57.</p> + +<p><a id="footnote640" name="footnote640"></a><a href="#footnotetag640">[640]</a> Jean Bréhal, dans les <i>Mémoires et consultations en +faveur de Jeanne d'Arc</i>, éd. Lanéry d'Arc, p. 409.</p> + +<p><a id="footnote641" name="footnote641"></a><a href="#footnotetag641">[641]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 57.</p> + +<p><a id="footnote642" name="footnote642"></a><a href="#footnotetag642">[642]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 48.</p> + +<p><a id="footnote643" name="footnote643"></a><a href="#footnotetag643">[643]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 57.</p> + +<p><a id="footnote644" name="footnote644"></a><a href="#footnotetag644">[644]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 61, 70.</p> + +<p><a id="footnote645" name="footnote645"></a><a href="#footnotetag645">[645]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 62.</p> + +<p><a id="footnote646" name="footnote646"></a><a href="#footnotetag646">[646]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 61-64.</p> + +<p><a id="footnote647" name="footnote647"></a><a href="#footnotetag647">[647]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 279.</p> + +<p><a id="footnote648" name="footnote648"></a><a href="#footnotetag648">[648]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 58-60.</p> + +<p><a id="footnote649" name="footnote649"></a><a href="#footnotetag649">[649]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 60-61.</p> + +<p><a id="footnote650" name="footnote650"></a><a href="#footnotetag650">[650]</a> <i>Grandes Chroniques</i>, éd. P. Paris, t. V, p. 188.</p> + +<p><a id="footnote651" name="footnote651"></a><a href="#footnotetag651">[651]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 64.</p> + +<p><a id="footnote652" name="footnote652"></a><a href="#footnotetag652">[652]</a> E. Hinzelin, <i>Chez Jeanne d'Arc</i>, pp. 37, 177.</p> + +<p><a id="footnote653" name="footnote653"></a><a href="#footnotetag653">[653]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 64-65.</p> + +<p><a id="footnote654" name="footnote654"></a><a href="#footnotetag654">[654]</a> <i>Procès</i>, t. I. p. 65.—«Souvent on est blâmé de trop +parler» proverbe commun au <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> siècle, cf. Le Roux de Lincy, <i>Les +proverbes français</i>, t. II, p. 417.</p> + +<p><a id="footnote655" name="footnote655"></a><a href="#footnotetag655">[655]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 65.</p> + +<p><a id="footnote656" name="footnote656"></a><a href="#footnotetag656">[656]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, pp. 21, 358.</p> + +<p><a id="footnote657" name="footnote657"></a><a href="#footnotetag657">[657]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 65-68.</p> + +<p><a id="footnote658" name="footnote658"></a><a href="#footnotetag658">[658]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 68.</p> + +<p><a id="footnote659" name="footnote659"></a><a href="#footnotetag659">[659]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 68.</p> + +<p><a id="footnote660" name="footnote660"></a><a href="#footnotetag660">[660]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 48-49.</p> + +<p><a id="footnote661" name="footnote661"></a><a href="#footnotetag661">[661]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 51.</p> + +<p><a id="footnote662" name="footnote662"></a><a href="#footnotetag662">[662]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 49.</p> + +<p><a id="footnote663" name="footnote663"></a><a href="#footnotetag663">[663]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 51-52.</p> + +<p><a id="footnote664" name="footnote664"></a><a href="#footnotetag664">[664]</a> Ce qui m'induit à placer cette indisposition à la date +du 25 février, c'est la question de Jean Beaupère à la séance du 27: +«Comment vous êtes-vous portée?» et la réponse ironique de Jeanne. Il +ne faut pas, ce me semble, confondre cette indigestion, comme on le +fait généralement, je crois, avec la grave maladie dont Jeanne fut +atteinte après Pâques. L'alose et les harengs viennent mieux en +carême, et maître Delachambre dit formellement qu'après la saignée +Jeanne guérit.</p> + +<p><a id="footnote665" name="footnote665"></a><a href="#footnotetag665">[665]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 70.</p> + +<p><a id="footnote666" name="footnote666"></a><a href="#footnotetag666">[666]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 68-69.</p> + +<p><a id="footnote667" name="footnote667"></a><a href="#footnotetag667">[667]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, pp. 332, 362; t. III, pp. 60, 133, 141, +156, 162, 173, 181.</p> + +<p><a id="footnote668" name="footnote668"></a><a href="#footnotetag668">[668]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 70.</p> + +<p><a id="footnote669" name="footnote669"></a><a href="#footnotetag669">[669]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 71.</p> + +<p><a id="footnote670" name="footnote670"></a><a href="#footnotetag670">[670]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 72.</p> + +<p><a id="footnote671" name="footnote671"></a><a href="#footnotetag671">[671]</a> Lanéry d'Arc, <i>Mémoires et consultations en faveur de +Jeanne d'Arc</i>, p. 406.</p> + +<p><a id="footnote672" name="footnote672"></a><a href="#footnotetag672">[672]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 72.</p> + +<p><a id="footnote673" name="footnote673"></a><a href="#footnotetag673">[673]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 72-73.</p> + +<p><a id="footnote674" name="footnote674"></a><a href="#footnotetag674">[674]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 73.</p> + +<p><a id="footnote675" name="footnote675"></a><a href="#footnotetag675">[675]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 74-75.</p> + +<p><a id="footnote676" name="footnote676"></a><a href="#footnotetag676">[676]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 75. J'ai restitué «mon beau Seigneur» +d'après <i>Procès</i>, t. III, p. 80.</p> + +<p><a id="footnote677" name="footnote677"></a><a href="#footnotetag677">[677]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 75-77.</p> + +<p><a id="footnote678" name="footnote678"></a><a href="#footnotetag678">[678]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 77-78.</p> + +<p><a id="footnote679" name="footnote679"></a><a href="#footnotetag679">[679]</a> La Curne et Godefroy, aux mots: <i>Buffe</i> et <i>Torchon</i>.</p> + +<p><a id="footnote680" name="footnote680"></a><a href="#footnotetag680">[680]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 78.</p> + +<p><a id="footnote681" name="footnote681"></a><a href="#footnotetag681">[681]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 34; t. II, p. 318.</p> + +<p><a id="footnote682" name="footnote682"></a><a href="#footnotetag682">[682]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 350, 365.</p> + +<p><a id="footnote683" name="footnote683"></a><a href="#footnotetag683">[683]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 79-80.</p> + +<p><a id="footnote684" name="footnote684"></a><a href="#footnotetag684">[684]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 11, 341.</p> + +<p><a id="footnote685" name="footnote685"></a><a href="#footnotetag685">[685]</a> Voir la déposition de Thomas de Courcelles, dans +<i>Procès</i>, t. III, p. 38.</p> + +<p><a id="footnote686" name="footnote686"></a><a href="#footnotetag686">[686]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 12, 341, 300; t. III, p. 138.</p> + +<p><a id="footnote687" name="footnote687"></a><a href="#footnotetag687">[687]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, pp. 12, 203, 252, 300; t. III, pp. 50, +138.</p> + +<p><a id="footnote688" name="footnote688"></a><a href="#footnotetag688">[688]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 252, 326, 354, 356; t. III, pp. +171-172.</p> + +<p><a id="footnote689" name="footnote689"></a><a href="#footnotetag689">[689]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, pp. 356, 359.</p> + +<p><a id="footnote690" name="footnote690"></a><a href="#footnotetag690">[690]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 80-81.</p> + +<p><a id="footnote691" name="footnote691"></a><a href="#footnotetag691">[691]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 82.</p> + +<p><a id="footnote692" name="footnote692"></a><a href="#footnotetag692">[692]</a> <i>Analecta juris Pontif.</i>, t. XIV, p. 117</p> + +<p><a id="footnote693" name="footnote693"></a><a href="#footnotetag693">[693]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 82, 84.</p> + +<p><a id="footnote694" name="footnote694"></a><a href="#footnotetag694">[694]</a> La formule: «À Dieu vous recommande; Dieu soit garde de +vous», se rencontre dans les lettres à ceux de Tournai, de Troyes, de +Reims et dans la lettre au duc de Bourgogne. Et, ce qui est plus +significatif, on retrouve dans deux de ces lettres, dans celle aux +gens de Troyes et dans celle au duc de Bourgogne, les termes: «Le Roi +du ciel, mon droiturier et souverain seigneur.».—<i>Procès</i>, t. I, p. +246.</p> + +<p><a id="footnote695" name="footnote695"></a><a href="#footnotetag695">[695]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 82-83.</p> + +<p><a id="footnote696" name="footnote696"></a><a href="#footnotetag696">[696]</a> De Beaurepaire, <i>Notes sur les juges</i>, pp. 27, 32, 75, +82.</p> + +<p><a id="footnote697" name="footnote697"></a><a href="#footnotetag697">[697]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 84-85.</p> + +<p><a id="footnote698" name="footnote698"></a><a href="#footnotetag698">[698]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 86.</p> + +<p><a id="footnote699" name="footnote699"></a><a href="#footnotetag699">[699]</a> Le Loyer, <i>IV Livres des spectres</i>, Angers, 1605, +in-4<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote700" name="footnote700"></a><a href="#footnotetag700">[700]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 86.</p> + +<p><a id="footnote701" name="footnote701"></a><a href="#footnotetag701">[701]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 86-87.—Vallet de Viriville, <i>Les +anneaux de Jeanne d'Arc</i>, dans <i>Mémoires de la Société des Antiquaires +de France</i>, t. XXX, 1868, pp. 82, 97.</p> + +<p><a id="footnote702" name="footnote702"></a><a href="#footnotetag702">[702]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 86.</p> + +<p><a id="footnote703" name="footnote703"></a><a href="#footnotetag703">[703]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 89.</p> + +<p><a id="footnote704" name="footnote704"></a><a href="#footnotetag704">[704]</a> A. Maury, <i>Croyances et légendes du moyen âge</i>, pp. 171 +et suiv.</p> + +<p><a id="footnote705" name="footnote705"></a><a href="#footnotetag705">[705]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 90.</p> + +<p><a id="footnote706" name="footnote706"></a><a href="#footnotetag706">[706]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 90-91.</p> + +<p><a id="footnote707" name="footnote707"></a><a href="#footnotetag707">[707]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 16.</p> + +<p><a id="footnote708" name="footnote708"></a><a href="#footnotetag708">[708]</a> De Beaurepaire, <i>Recherches sur le procès de +condamnation</i>, p. 115.</p> + +<p><a id="footnote709" name="footnote709"></a><a href="#footnotetag709">[709]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 16.</p> + +<p><a id="footnote710" name="footnote710"></a><a href="#footnotetag710">[710]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 91-92.</p> + +<p><a id="footnote711" name="footnote711"></a><a href="#footnotetag711">[711]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 93.</p> + +<p><a id="footnote712" name="footnote712"></a><a href="#footnotetag712">[712]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 94.</p> + +<p><a id="footnote713" name="footnote713"></a><a href="#footnotetag713">[713]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 95-97.</p> + +<p><a id="footnote714" name="footnote714"></a><a href="#footnotetag714">[714]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 99.</p> + +<p><a id="footnote715" name="footnote715"></a><a href="#footnotetag715">[715]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 301.—<i>Journal du siège</i>, +pp. 98-99.</p> + +<p><a id="footnote716" name="footnote716"></a><a href="#footnotetag716">[716]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 101.</p> + +<p><a id="footnote717" name="footnote717"></a><a href="#footnotetag717">[717]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 89.</p> + +<p><a id="footnote718" name="footnote718"></a><a href="#footnotetag718">[718]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 102.</p> + +<p><a id="footnote719" name="footnote719"></a><a href="#footnotetag719">[719]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 103.</p> + +<p><a id="footnote720" name="footnote720"></a><a href="#footnotetag720">[720]</a> Lea, p. 551.</p> + +<p><a id="footnote721" name="footnote721"></a><a href="#footnotetag721">[721]</a> <i>Le Jouvencel</i>, t. II, p. 237.</p> + +<p><a id="footnote722" name="footnote722"></a><a href="#footnotetag722">[722]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 104.</p> + +<p><a id="footnote723" name="footnote723"></a><a href="#footnotetag723">[723]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 111.</p> + +<p><a id="footnote724" name="footnote724"></a><a href="#footnotetag724">[724]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 111-112.</p> + +<p><a id="footnote725" name="footnote725"></a><a href="#footnotetag725">[725]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 113.</p> + +<p><a id="footnote726" name="footnote726"></a><a href="#footnotetag726">[726]</a> Gélu, <i>Questio quinta</i>, dans <i>Mémoires et consultations +en faveur de Jeanne d'Arc</i>, éd. Lanéry d'Arc, pp. 593 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote727" name="footnote727"></a><a href="#footnotetag727">[727]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 299 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote728" name="footnote728"></a><a href="#footnotetag728">[728]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 117.</p> + +<p><a id="footnote729" name="footnote729"></a><a href="#footnotetag729">[729]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 117, 119.</p> + +<p><a id="footnote730" name="footnote730"></a><a href="#footnotetag730">[730]</a> C'est depuis lors, au contraire qu'on commença à +«l'arguer» ou qu'on l'argua de plus belle. Elle semble oublier que +l'entrevue de Chinon précéda les interrogatoires de Poitiers. Il y a +peut-être intérêt à remarquer que frère Pasquerel, qui sait ces choses +par elle, fait dans sa déposition, la même méprise.</p> + +<p><a id="footnote731" name="footnote731"></a><a href="#footnotetag731">[731]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 120, 122.</p> + +<p><a id="footnote732" name="footnote732"></a><a href="#footnotetag732">[732]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 122-124.</p> + +<p><a id="footnote733" name="footnote733"></a><a href="#footnotetag733">[733]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 125.</p> + +<p><a id="footnote734" name="footnote734"></a><a href="#footnotetag734">[734]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 126.</p> + +<p><a id="footnote735" name="footnote735"></a><a href="#footnotetag735">[735]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 126.</p> + +<p><a id="footnote736" name="footnote736"></a><a href="#footnotetag736">[736]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 126.</p> + +<p><a id="footnote737" name="footnote737"></a><a href="#footnotetag737">[737]</a> Lanéry d'Arc, <i>Mémoires et consultations</i>, pp. 224, +434, 435.—Le P. Ayroles, <i>La vraie Jeanne d'Arc</i>, t. I, pp. 351 et +suiv., 481 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote738" name="footnote738"></a><a href="#footnotetag738">[738]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 128.</p> + +<p><a id="footnote739" name="footnote739"></a><a href="#footnotetag739">[739]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 128, 129.</p> + +<p><a id="footnote740" name="footnote740"></a><a href="#footnotetag740">[740]</a> <i>Chronique des quatre premiers Valois</i>, p. 47.</p> + +<p><a id="footnote741" name="footnote741"></a><a href="#footnotetag741">[741]</a> II, <i>Corinth.</i>, IV.</p> + +<p><a id="footnote742" name="footnote742"></a><a href="#footnotetag742">[742]</a> <i>Galates</i>, V.—Lanéry d'Arc, <i>Mémoires et +consultations</i>, p. 275.</p> + +<p><a id="footnote743" name="footnote743"></a><a href="#footnotetag743">[743]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 130.</p> + +<p><a id="footnote744" name="footnote744"></a><a href="#footnotetag744">[744]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 130-131.</p> + +<p><a id="footnote745" name="footnote745"></a><a href="#footnotetag745">[745]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 131-132.</p> + +<p><a id="footnote746" name="footnote746"></a><a href="#footnotetag746">[746]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 252.—E. de Bouteiller et G. de +Braux, <i>Nouvelles recherches sur la famille de Jeanne d'Arc</i>, pp. 14, +15.—S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, pp. <span class="smcap">XLVI</span> et suiv.</p> + +<p><a id="footnote747" name="footnote747"></a><a href="#footnotetag747">[747]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 133.</p> + +<p><a id="footnote748" name="footnote748"></a><a href="#footnotetag748">[748]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 134.</p> + +<p><a id="footnote749" name="footnote749"></a><a href="#footnotetag749">[749]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 134, 138.</p> + +<p><a id="footnote750" name="footnote750"></a><a href="#footnotetag750">[750]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 139.</p> + +<p><a id="footnote751" name="footnote751"></a><a href="#footnotetag751">[751]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 140-141.</p> + +<p><a id="footnote752" name="footnote752"></a><a href="#footnotetag752">[752]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 141-142.</p> + +<p><a id="footnote753" name="footnote753"></a><a href="#footnotetag753">[753]</a> Lanéry d'Arc, <i>Mémoires et consultations</i>, p. 212.—Le +P. Ayroles, <i>La vraie Jeanne d'Arc</i>, t. I, p. 346.</p> + +<p><a id="footnote754" name="footnote754"></a><a href="#footnotetag754">[754]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 144.</p> + +<p><a id="footnote755" name="footnote755"></a><a href="#footnotetag755">[755]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 145.</p> + +<p><a id="footnote756" name="footnote756"></a><a href="#footnotetag756">[756]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 146.</p> + +<p><a id="footnote757" name="footnote757"></a><a href="#footnotetag757">[757]</a> Eberhard Windecke, pp. 184, 186.</p> + +<p><a id="footnote758" name="footnote758"></a><a href="#footnotetag758">[758]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 147-148.</p> + +<p><a id="footnote759" name="footnote759"></a><a href="#footnotetag759">[759]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 150-152.</p> + +<p><a id="footnote760" name="footnote760"></a><a href="#footnotetag760">[760]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 157.</p> + +<p><a id="footnote761" name="footnote761"></a><a href="#footnotetag761">[761]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 154, 156.</p> + +<p><a id="footnote762" name="footnote762"></a><a href="#footnotetag762">[762]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 156.</p> + +<p><a id="footnote763" name="footnote763"></a><a href="#footnotetag763">[763]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 157.</p> + +<p><a id="footnote764" name="footnote764"></a><a href="#footnotetag764">[764]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 158-159.</p> + +<p><a id="footnote765" name="footnote765"></a><a href="#footnotetag765">[765]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 159-161.</p> + +<p><a id="footnote766" name="footnote766"></a><a href="#footnotetag766">[766]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 162.</p> + +<p><a id="footnote767" name="footnote767"></a><a href="#footnotetag767">[767]</a> «Il fault remettre tout à lui et soubz lui faire» ce +qui est possible aux hommes, car on dit: «Ayde-toy, Dieu te aidera.» +<i>Le Jouvencel</i>, t. II, p. 33.</p> + +<p><a id="footnote768" name="footnote768"></a><a href="#footnotetag768">[768]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 163-164.</p> + +<p><a id="footnote769" name="footnote769"></a><a href="#footnotetag769">[769]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 165-166.</p> + +<p><a id="footnote770" name="footnote770"></a><a href="#footnotetag770">[770]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 166-169.</p> + +<p><a id="footnote771" name="footnote771"></a><a href="#footnotetag771">[771]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 170-171.</p> + +<p><a id="footnote772" name="footnote772"></a><a href="#footnotetag772">[772]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 173.</p> + +<p><a id="footnote773" name="footnote773"></a><a href="#footnotetag773">[773]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 173.</p> + +<p><a id="footnote774" name="footnote774"></a><a href="#footnotetag774">[774]</a> S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, preuves, pp. 74-75.</p> + +<p><a id="footnote775" name="footnote775"></a><a href="#footnotetag775">[775]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 174.</p> + +<p><a id="footnote776" name="footnote776"></a><a href="#footnotetag776">[776]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 174, 176.</p> + +<p><a id="footnote777" name="footnote777"></a><a href="#footnotetag777">[777]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 178.</p> + +<p><a id="footnote778" name="footnote778"></a><a href="#footnotetag778">[778]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 180.</p> + +<p><a id="footnote779" name="footnote779"></a><a href="#footnotetag779">[779]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 181.</p> + +<p><a id="footnote780" name="footnote780"></a><a href="#footnotetag780">[780]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 182-183.</p> + +<p><a id="footnote781" name="footnote781"></a><a href="#footnotetag781">[781]</a> Martène et Durand, <i>Thesaurus novus anecdotorum</i>, t. V, +col. 1760 et seq.</p> + +<p><a id="footnote782" name="footnote782"></a><a href="#footnotetag782">[782]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 183.</p> + +<p><a id="footnote783" name="footnote783"></a><a href="#footnotetag783">[783]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 184.</p> + +<p><a id="footnote784" name="footnote784"></a><a href="#footnotetag784">[784]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 184-185.</p> + +<p><a id="footnote785" name="footnote785"></a><a href="#footnotetag785">[785]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 185.</p> + +<p><a id="footnote786" name="footnote786"></a><a href="#footnotetag786">[786]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 185-186.</p> + +<p><a id="footnote787" name="footnote787"></a><a href="#footnotetag787">[787]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 187.</p> + +<p><a id="footnote788" name="footnote788"></a><a href="#footnotetag788">[788]</a> J. Quicherat, <i>Aperçus nouveaux</i>, pp. 130-131.—E. +Méru, <i>Directorium Inquisitorium</i>, Romæ, 1578, p. 295.</p> + +<p><a id="footnote789" name="footnote789"></a><a href="#footnotetag789">[789]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 200-201.</p> + +<p><a id="footnote790" name="footnote790"></a><a href="#footnotetag790">[790]</a> L. Tanon, <i>Histoire des tribunaux de l'inquisition</i>, +pp. 400 et suiv.—U. Chevalier, <i>L'abjuration de Jeanne d'Arc</i>, p. +34.</p> + +<p><a id="footnote791" name="footnote791"></a><a href="#footnotetag791">[791]</a> Méru, <i>Directorium Inquisitorium</i>, Schola, p. 147.</p> + +<p><a id="footnote792" name="footnote792"></a><a href="#footnotetag792">[792]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 201.</p> + +<p><a id="footnote793" name="footnote793"></a><a href="#footnotetag793">[793]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 204, 323.</p> + +<p><a id="footnote794" name="footnote794"></a><a href="#footnotetag794">[794]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 324-325.</p> + +<p><a id="footnote795" name="footnote795"></a><a href="#footnotetag795">[795]</a> <i>Ibid.</i>, t. III. p. 143.</p> + +<p><a id="footnote796" name="footnote796"></a><a href="#footnotetag796">[796]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 60.—U. Chevalier, <i>L'abjuration de +Jeanne d'Arc</i>, p. 38.</p> + +<p><a id="footnote797" name="footnote797"></a><a href="#footnotetag797">[797]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 232.—J. Quicherat, <i>Aperçus +nouveaux</i>, pp. 124, 129.</p> + +<p><a id="footnote798" name="footnote798"></a><a href="#footnotetag798">[798]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, pp. 22, 212; t. III, p. 306; t. V, p. +461.</p> + +<p><a id="footnote799" name="footnote799"></a><a href="#footnotetag799">[799]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 328, 336.</p> + +<p><a id="footnote800" name="footnote800"></a><a href="#footnotetag800">[800]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 337, 340.</p> + +<p><a id="footnote801" name="footnote801"></a><a href="#footnotetag801">[801]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 51.</p> + +<p><a id="footnote802" name="footnote802"></a><a href="#footnotetag802">[802]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 374-375.</p> + +<p><a id="footnote803" name="footnote803"></a><a href="#footnotetag803">[803]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 376, 378.</p> + +<p><a id="footnote804" name="footnote804"></a><a href="#footnotetag804">[804]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 380-381.</p> + +<p><a id="footnote805" name="footnote805"></a><a href="#footnotetag805">[805]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 381.</p> + +<p><a id="footnote806" name="footnote806"></a><a href="#footnotetag806">[806]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 381-382.</p> + +<p><a id="footnote807" name="footnote807"></a><a href="#footnotetag807">[807]</a> De Beaurepaire, <i>Notes sur les juges</i>, pp. 114, 117.</p> + +<p><a id="footnote808" name="footnote808"></a><a href="#footnotetag808">[808]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 383, 399.</p> + +<p><a id="footnote809" name="footnote809"></a><a href="#footnotetag809">[809]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 400-401.</p> + +<p><a id="footnote810" name="footnote810"></a><a href="#footnotetag810">[810]</a> Nicolas Eymeric, <i>Directorium inquisitorium...</i>, Rome, +1586, in-fol., p. 24, col. 1.—Ludovicus a Paramo, <i>De origine et +progressu officii sanctæ inquisitionis</i>, MDXCIIX, in-fol., lib. III, +questio 5, p. 709.</p> + +<p><a id="footnote811" name="footnote811"></a><a href="#footnotetag811">[811]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 399-400.</p> + +<p><a id="footnote812" name="footnote812"></a><a href="#footnotetag812">[812]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 401-402.</p> + +<p><a id="footnote813" name="footnote813"></a><a href="#footnotetag813">[813]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 402, 404.</p> + +<p><a id="footnote814" name="footnote814"></a><a href="#footnotetag814">[814]</a> <i>Recueil des historiens de la France</i>, t. XX, p. 601; +t. XXI, p. 34.—Histoire littéraire de la France, t. XXVII, p. 70.</p> + +<p><a id="footnote815" name="footnote815"></a><a href="#footnotetag815">[815]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 407, 413, 420.—M. Fournier, <i>La +faculté de décret de l'Université de Paris</i>, p. 353.—Le P. Denifle et +Châtelain, <i>Chartularium Universitatis Parisiensis</i>, t. IV, pp. 510 et +suiv.</p> + +<p><a id="footnote816" name="footnote816"></a><a href="#footnotetag816">[816]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 6.—U. Chevalier, <i>L'abjuration de +Jeanne d'Arc</i>, p. 42.</p> + +<p><a id="footnote817" name="footnote817"></a><a href="#footnotetag817">[817]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 414, 417.</p> + +<p><a id="footnote818" name="footnote818"></a><a href="#footnotetag818">[818]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 414.—Migne, <i>Dictionnaire des +sciences occultes</i>.</p> + +<p><a id="footnote819" name="footnote819"></a><a href="#footnotetag819">[819]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 417, 420.</p> + +<p><a id="footnote820" name="footnote820"></a><a href="#footnotetag820">[820]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 414, 417.</p> + +<p><a id="footnote821" name="footnote821"></a><a href="#footnotetag821">[821]</a> Sans doute le livre de Poitiers devait être d'une +grande pauvreté théologique; mais on avait les conclusions présentées +au roi, le mémoire de Gélu et celui de Gerson.</p> + +<p><a id="footnote822" name="footnote822"></a><a href="#footnotetag822">[822]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 404, 429.</p> + +<p><a id="footnote823" name="footnote823"></a><a href="#footnotetag823">[823]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 429-430.</p> + +<p><a id="footnote824" name="footnote824"></a><a href="#footnotetag824">[824]</a> De Beaurepaire, <i>Notes sur les juges</i>, pp. 126-127.</p> + +<p><a id="footnote825" name="footnote825"></a><a href="#footnotetag825">[825]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 430, 437.</p> + +<p><a id="footnote826" name="footnote826"></a><a href="#footnotetag826">[826]</a> Du Boulay, <i>Historia Universitatis Parisiensis</i>, t. V, +p. 929.</p> + +<p><a id="footnote827" name="footnote827"></a><a href="#footnotetag827">[827]</a> De Beaurepaire, <i>Notes sur les juges</i>, p. 88.</p> + +<p><a id="footnote828" name="footnote828"></a><a href="#footnotetag828">[828]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 437, 441.</p> + +<p><a id="footnote829" name="footnote829"></a><a href="#footnotetag829">[829]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 441-442.</p> + +<p><a id="footnote830" name="footnote830"></a><a href="#footnotetag830">[830]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 21.</p> + +<p><a id="footnote831" name="footnote831"></a><a href="#footnotetag831">[831]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 146.—De Beaurepaire, <i>Notes sur +les juges</i>, pp. 445 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote832" name="footnote832"></a><a href="#footnotetag832">[832]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 351.</p> + +<p><a id="footnote833" name="footnote833"></a><a href="#footnotetag833">[833]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 54.</p> + +<p><a id="footnote834" name="footnote834"></a><a href="#footnotetag834">[834]</a> De Beaurepaire, <i>Notes sur le cimetière de Saint-Ouen +de Rouen</i>, dans <i>Précis analytique des travaux de l'Académie de +Rouen</i>, 1875-1876, pp. 211, 230, plan.—U. Chevalier, <i>L'abjuration de +Jeanne d'Arc et l'authenticité de sa formule</i>, p. 44.—A. Sarrazin, +<i>Jeanne d'Arc et la Normandie</i>, p. 351.</p> + +<p><a id="footnote835" name="footnote835"></a><a href="#footnotetag835">[835]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 442, 444.—O'Reilly, <i>Les deux +procès</i>, t. I, pp. 70-93.</p> + +<p><a id="footnote836" name="footnote836"></a><a href="#footnotetag836">[836]</a> De Beaurepaire, <i>Notes sur les juges</i>, pp. 402, 408.</p> + +<p><a id="footnote837" name="footnote837"></a><a href="#footnotetag837">[837]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 113.</p> + +<p><a id="footnote838" name="footnote838"></a><a href="#footnotetag838">[838]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 469-470.</p> + +<p><a id="footnote839" name="footnote839"></a><a href="#footnotetag839">[839]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 444.—E. Richer, <i>Histoire manuscrite +de la Pucelle d'Orléans</i>, liv. I, fol. 8; liv. II, fol. 198 v<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote840" name="footnote840"></a><a href="#footnotetag840">[840]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 61.</p> + +<p><a id="footnote841" name="footnote841"></a><a href="#footnotetag841">[841]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, pp. 15, 17.</p> + +<p><a id="footnote842" name="footnote842"></a><a href="#footnotetag842">[842]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 456-457.—U. Chevalier, +<i>L'abjuration de Jeanne d'Arc</i>, pp. 46-47.</p> + +<p><a id="footnote843" name="footnote843"></a><a href="#footnotetag843">[843]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 15, 17, 335, 345, 353, 367.</p> + +<p><a id="footnote844" name="footnote844"></a><a href="#footnotetag844">[844]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 14.</p> + +<p><a id="footnote845" name="footnote845"></a><a href="#footnotetag845">[845]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 444-445.</p> + +<p><a id="footnote846" name="footnote846"></a><a href="#footnotetag846">[846]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 445.</p> + +<p><a id="footnote847" name="footnote847"></a><a href="#footnotetag847">[847]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 358.</p> + +<p><a id="footnote848" name="footnote848"></a><a href="#footnotetag848">[848]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 445.</p> + +<p><a id="footnote849" name="footnote849"></a><a href="#footnotetag849">[849]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 445-446.</p> + +<p><a id="footnote850" name="footnote850"></a><a href="#footnotetag850">[850]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 446.</p> + +<p><a id="footnote851" name="footnote851"></a><a href="#footnotetag851">[851]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 146.</p> + +<p><a id="footnote852" name="footnote852"></a><a href="#footnotetag852">[852]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, pp. 17, 331; t. III, pp. 52, 156.</p> + +<p><a id="footnote853" name="footnote853"></a><a href="#footnotetag853">[853]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 123.</p> + +<p><a id="footnote854" name="footnote854"></a><a href="#footnotetag854">[854]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 473, 475.</p> + +<p><a id="footnote855" name="footnote855"></a><a href="#footnotetag855">[855]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 473 note.</p> + +<p><a id="footnote856" name="footnote856"></a><a href="#footnotetag856">[856]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 65, 147, 149, 273.—De +Beaurepaire, <i>Recherches sur le procès</i>, p. 358.</p> + +<p><a id="footnote857" name="footnote857"></a><a href="#footnotetag857">[857]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 323.</p> + +<p><a id="footnote858" name="footnote858"></a><a href="#footnotetag858">[858]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, pp. 137, 376.</p> + +<p><a id="footnote859" name="footnote859"></a><a href="#footnotetag859">[859]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 356; t. III, pp. 157, 178.</p> + +<p><a id="footnote860" name="footnote860"></a><a href="#footnotetag860">[860]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 55.</p> + +<p><a id="footnote861" name="footnote861"></a><a href="#footnotetag861">[861]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 90, 147, 156.</p> + +<p><a id="footnote862" name="footnote862"></a><a href="#footnotetag862">[862]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 52, 65, 132, 156, 197.</p> + +<p><a id="footnote863" name="footnote863"></a><a href="#footnotetag863">[863]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 156, 157.</p> + +<p><a id="footnote864" name="footnote864"></a><a href="#footnotetag864">[864]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 323.</p> + +<p><a id="footnote865" name="footnote865"></a><a href="#footnotetag865">[865]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 331; t. III, p. 156.</p> + +<p><a id="footnote866" name="footnote866"></a><a href="#footnotetag866">[866]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 156, 197.</p> + +<p><a id="footnote867" name="footnote867"></a><a href="#footnotetag867">[867]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 338; t. III, p. 147.</p> + +<p><a id="footnote868" name="footnote868"></a><a href="#footnotetag868">[868]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 55, 143.</p> + +<p><a id="footnote869" name="footnote869"></a><a href="#footnotetag869">[869]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 123.</p> + +<p><a id="footnote870" name="footnote870"></a><a href="#footnotetag870">[870]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 361.—J. Quicherat, <i>Aperçus +nouveaux</i>, p. 135.</p> + +<p><a id="footnote871" name="footnote871"></a><a href="#footnotetag871">[871]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 147, 156.</p> + +<p><a id="footnote872" name="footnote872"></a><a href="#footnotetag872">[872]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 376.</p> + +<p><a id="footnote873" name="footnote873"></a><a href="#footnotetag873">[873]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 17; t. III, p. 164.</p> + +<p><a id="footnote874" name="footnote874"></a><a href="#footnotetag874">[874]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 450.</p> + +<p><a id="footnote875" name="footnote875"></a><a href="#footnotetag875">[875]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 452.</p> + +<p><a id="footnote876" name="footnote876"></a><a href="#footnotetag876">[876]</a> L. Tanon, <i>Tribunaux de l'inquisition</i>, p. 454.</p> + +<p><a id="footnote877" name="footnote877"></a><a href="#footnotetag877">[877]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 14.</p> + +<p><a id="footnote878" name="footnote878"></a><a href="#footnotetag878">[878]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 52, 149.</p> + +<p><a id="footnote879" name="footnote879"></a><a href="#footnotetag879">[879]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 19.</p> + +<p><a id="footnote880" name="footnote880"></a><a href="#footnotetag880">[880]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 14.</p> + +<p><a id="footnote881" name="footnote881"></a><a href="#footnotetag881">[881]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 376.</p> + +<p><a id="footnote882" name="footnote882"></a><a href="#footnotetag882">[882]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 452-453.</p> + +<p><a id="footnote883" name="footnote883"></a><a href="#footnotetag883">[883]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 155.</p> + +<p><a id="footnote884" name="footnote884"></a><a href="#footnotetag884">[884]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 89.</p> + +<p><a id="footnote885" name="footnote885"></a><a href="#footnotetag885">[885]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 14; t. III, p. 148.</p> + +<p><a id="footnote886" name="footnote886"></a><a href="#footnotetag886">[886]</a> De Beaurepaire, <i>Notes sur les juges</i>, pp. 82 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote887" name="footnote887"></a><a href="#footnotetag887">[887]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 354.</p> + +<p><a id="footnote888" name="footnote888"></a><a href="#footnotetag888">[888]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 158, 180.</p> + +<p><a id="footnote889" name="footnote889"></a><a href="#footnotetag889">[889]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 454.</p> + +<p><a id="footnote890" name="footnote890"></a><a href="#footnotetag890">[890]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 5.—La déposition d'Isambart +s'applique à ce jour du 28.</p> + +<p><a id="footnote891" name="footnote891"></a><a href="#footnotetag891">[891]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 455-456.</p> + +<p><a id="footnote892" name="footnote892"></a><a href="#footnotetag892">[892]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 5, 8, 365; t. III, pp. 148-149.</p> + +<p><a id="footnote893" name="footnote893"></a><a href="#footnotetag893">[893]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 18.</p> + +<p><a id="footnote894" name="footnote894"></a><a href="#footnotetag894">[894]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 18.</p> + +<p><a id="footnote895" name="footnote895"></a><a href="#footnotetag895">[895]</a> «Responsio mortifera», écrit le notaire Boisguillaume +dans la marge de sa minute. <i>Procès</i>, t. I, pp. 456-457.</p> + +<p><a id="footnote896" name="footnote896"></a><a href="#footnotetag896">[896]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 456-458.</p> + +<p><a id="footnote897" name="footnote897"></a><a href="#footnotetag897">[897]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 5, 8, 305.</p> + +<p><a id="footnote898" name="footnote898"></a><a href="#footnotetag898">[898]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 459, 467.</p> + +<p><a id="footnote899" name="footnote899"></a><a href="#footnotetag899">[899]</a> Bernard Gui, <i>Pratique</i>, III<sup>e</sup> part., p. 144.—L. +Tanon, <i>Tribunaux de l'inquisition</i>, pp. 464 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote900" name="footnote900"></a><a href="#footnotetag900">[900]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 462-463.</p> + +<p><a id="footnote901" name="footnote901"></a><a href="#footnotetag901">[901]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 463.</p> + +<p><a id="footnote902" name="footnote902"></a><a href="#footnotetag902">[902]</a> L. Tanon, <i>Tribunaux de l'inquisition</i>, pp. 472-473.</p> + +<p><a id="footnote903" name="footnote903"></a><a href="#footnotetag903">[903]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 463, 467.</p> + +<p><a id="footnote904" name="footnote904"></a><a href="#footnotetag904">[904]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 466.</p> + +<p><a id="footnote905" name="footnote905"></a><a href="#footnotetag905">[905]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 467, 469.</p> + +<p><a id="footnote906" name="footnote906"></a><a href="#footnotetag906">[906]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 3, 4, 8.</p> + +<p><a id="footnote907" name="footnote907"></a><a href="#footnotetag907">[907]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 466-467.</p> + +<p><a id="footnote908" name="footnote908"></a><a href="#footnotetag908">[908]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 478-479.—Ou: «À entre vous qui +estes gens d'Église.» <i>Procès</i>, t. I, p. 482.</p> + +<p><a id="footnote909" name="footnote909"></a><a href="#footnotetag909">[909]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 480.</p> + +<p><a id="footnote910" name="footnote910"></a><a href="#footnotetag910">[910]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 480-481.</p> + +<p><a id="footnote911" name="footnote911"></a><a href="#footnotetag911">[911]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 34.</p> + +<p><a id="footnote912" name="footnote912"></a><a href="#footnotetag912">[912]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 481-482.</p> + +<p><a id="footnote913" name="footnote913"></a><a href="#footnotetag913">[913]</a> <i>Textus decretalium</i>, lib. V, ch. <span class="smcap">IV</span>.</p> + +<p><a id="footnote914" name="footnote914"></a><a href="#footnotetag914">[914]</a> Ignace de Doellinger, <i>La Papauté</i>, trad. par A. +Giraud-Teulon, <i>Paris</i>, 1904, in-8<sup>o</sup>, p. 105.</p> + +<p><a id="footnote915" name="footnote915"></a><a href="#footnotetag915">[915]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 334; t. III, p. 158.</p> + +<p><a id="footnote916" name="footnote916"></a><a href="#footnotetag916">[916]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 334.—De Beaurepaire, <i>Recherches +sur le procès</i>, pp. 116-117.</p> + +<p><a id="footnote917" name="footnote917"></a><a href="#footnotetag917">[917]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 482-483.</p> + +<p><a id="footnote918" name="footnote918"></a><a href="#footnotetag918">[918]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 19, 308, 320; t. III, pp. 114, +158, 183, 197.</p> + +<p><a id="footnote919" name="footnote919"></a><a href="#footnotetag919">[919]</a> Sur la communion de Jeanne, voir aussi De Beaurepaire, +<i>Recherches sur le procès</i>, pp. 116-117.</p> + +<p><a id="footnote920" name="footnote920"></a><a href="#footnotetag920">[920]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 191.</p> + +<p><a id="footnote921" name="footnote921"></a><a href="#footnotetag921">[921]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 485.—Maître N. Taquel donne à +entendre que les interrogatoires eurent lieu après la communion de +Jeanne, ce qui est difficile à admettre.</p> + +<p><a id="footnote922" name="footnote922"></a><a href="#footnotetag922">[922]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 320; t. III, p. 162.</p> + +<p><a id="footnote923" name="footnote923"></a><a href="#footnotetag923">[923]</a> A. Sarrazin, <i>Jeanne d'Arc et la Normandie</i>, p. 369.</p> + +<p><a id="footnote924" name="footnote924"></a><a href="#footnotetag924">[924]</a> Bouquet, <i>Rouen aux différentes époques de son +histoire</i>, pp. 25 et suiv.—A. Sarrazin, <i>Jeanne d'Arc et la +Normandie</i>, pp. 374-375.—De Beaurepaire, <i>Mémoires sur le lieu du +supplice de Jeanne d'Arc</i>, accompagné d'un plan de la place du +Vieux-Marché de Rouen d'après le <i>Livre de Fontaine de 1525</i>, Rouen, +1867, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote925" name="footnote925"></a><a href="#footnotetag925">[925]</a> De Beaurepaire, <i>Note sur la prise du château de Rouen, +par Ricarville</i>, Rouen, 1857, in-8<sup>o</sup>, p. 5.</p> + +<p><a id="footnote926" name="footnote926"></a><a href="#footnotetag926">[926]</a> Bouquet, <i>Jeanne d'Arc au château de Rouen</i>, p. 25.—De +Beaurepaire, <i>Mémoire sur le lieu du supplice de Jeanne d'Arc</i>, p. +32.—A. Sarrazin, <i>Jeanne d'Arc et la Normandie</i>, pp. 376 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote927" name="footnote927"></a><a href="#footnotetag927">[927]</a> <i>Procès</i>, t. IV, p. 459.</p> + +<p><a id="footnote928" name="footnote928"></a><a href="#footnotetag928">[928]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, pp. 14, 303, 328; t. III, pp. 159, +173.</p> + +<p><a id="footnote929" name="footnote929"></a><a href="#footnotetag929">[929]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 470; t. II, p. 334; t. III, pp. 53, +114, 159.</p> + +<p><a id="footnote930" name="footnote930"></a><a href="#footnotetag930">[930]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 194.</p> + +<p><a id="footnote931" name="footnote931"></a><a href="#footnotetag931">[931]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 159.</p> + +<p><a id="footnote932" name="footnote932"></a><a href="#footnotetag932">[932]</a> L. Tanon, <i>Histoire des tribunaux de l'inquisition</i>, p. +374.</p> + +<p><a id="footnote933" name="footnote933"></a><a href="#footnotetag933">[933]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 19; t. III, p. 177.</p> + +<p><a id="footnote934" name="footnote934"></a><a href="#footnotetag934">[934]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, pp. 19, 351.</p> + +<p><a id="footnote935" name="footnote935"></a><a href="#footnotetag935">[935]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 56.</p> + +<p><a id="footnote936" name="footnote936"></a><a href="#footnotetag936">[936]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, pp. 6, 20; t. III, pp. 53, 177, 186.</p> + +<p><a id="footnote937" name="footnote937"></a><a href="#footnotetag937">[937]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 188.—A. Sarrazin, <i>Jeanne d'Arc +et la Normandie</i>, p. 386.—Guedon et Ladvenu ont ajouté à leur +déposition que peu de temps après, un nommé Georges Folenfant fut +également abandonné au bras séculier; mais l'archevêque et +l'inquisiteur envoyèrent Ladvenu au bailli «<i>pour l'avertir qu'il ne +serait pas fait dudit Georges comme de la Pucelle, laquelle, sans +sentence finale et jugement définitif, fut au feu consommée</i>». +<i>Procès</i>, t. II, p. 9.</p> + +<p><a id="footnote938" name="footnote938"></a><a href="#footnotetag938">[938]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 344.</p> + +<p><a id="footnote939" name="footnote939"></a><a href="#footnotetag939">[939]</a> Fauquembergue dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 459.—Toutefois +Martin Ladvenu: <i>jusqu'à la dernière heure</i>, etc., manifestement +faux.</p> + +<p><a id="footnote940" name="footnote940"></a><a href="#footnotetag940">[940]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 53.</p> + +<p><a id="footnote941" name="footnote941"></a><a href="#footnotetag941">[941]</a> Shakespeare, <i>Henry VI</i>, première partie, scène I.</p> + +<p><a id="footnote942" name="footnote942"></a><a href="#footnotetag942">[942]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 6; t. III, pp. 53, 191, 375.</p> + +<p><a id="footnote943" name="footnote943"></a><a href="#footnotetag943">[943]</a> <i>Missel Romain, Office des morts</i>; Cf. Le P. C. Clair, +<i>Le Dies iræ, histoire, traduction et commentaire</i>, Paris, in-8<sup>o</sup>, +1881, pp. 38 et 142.</p> + +<p><a id="footnote944" name="footnote944"></a><a href="#footnotetag944">[944]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 6, 20.</p> + +<p><a id="footnote945" name="footnote945"></a><a href="#footnotetag945">[945]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 170.</p> + +<p><a id="footnote946" name="footnote946"></a><a href="#footnotetag946">[946]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 186.</p> + +<p><a id="footnote947" name="footnote947"></a><a href="#footnotetag947">[947]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 8; t. III, pp. 169, 194.</p> + +<p><a id="footnote948" name="footnote948"></a><a href="#footnotetag948">[948]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 7.</p> + +<p><a id="footnote949" name="footnote949"></a><a href="#footnotetag949">[949]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 186.</p> + +<p><a id="footnote950" name="footnote950"></a><a href="#footnotetag950">[950]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 191.—<i>Journal d'un bourgeois de +Paris</i>, p. 269-270.</p> + +<p><a id="footnote951" name="footnote951"></a><a href="#footnotetag951">[951]</a> L. Tanon, <i>Histoire des tribunaux de l'inquisition</i>, p. +478.</p> + +<p><a id="footnote952" name="footnote952"></a><a href="#footnotetag952">[952]</a> <i>Chronique des cordeliers</i>, fol. 507 v<sup>o</sup>.—<i>Journal +d'un bourgeois de Paris</i>, p. 269.</p> + +<p><a id="footnote953" name="footnote953"></a><a href="#footnotetag953">[953]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 159, 160, 185; t. IV, p. +518.—Th. Basin, <i>Histoire de Charles VII et de Louis XI</i>, t. I, p. +83.—Th. Cochard, <i>Existe-t-il des reliques de Jeanne d'Arc?</i> Orléans, +1891, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote954" name="footnote954"></a><a href="#footnotetag954">[954]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 7, 352, 366.</p> + +<p><a id="footnote955" name="footnote955"></a><a href="#footnotetag955">[955]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 493, 495.</p> + +<p><a id="footnote956" name="footnote956"></a><a href="#footnotetag956">[956]</a> Le P. Denifle et Châtelain, <i>Cartularium Universitatis +Parisiensis</i>, t. IV, p. 527.</p> + +<p><a id="footnote957" name="footnote957"></a><a href="#footnotetag957">[957]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 240, 243.</p> + +<p><a id="footnote958" name="footnote958"></a><a href="#footnotetag958">[958]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 485, 496; t. IV, p. +403.—Monstrelet, t. IV, chap. <span class="smcap">CV</span>.</p> + +<p><a id="footnote959" name="footnote959"></a><a href="#footnotetag959">[959]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 496, 500.</p> + +<p><a id="footnote960" name="footnote960"></a><a href="#footnotetag960">[960]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, pp. 270, 272.—Il y +a d'étranges faussetés dans ce discours; sont-elles du fait de +l'inquisiteur ou de l'auteur du journal?</p> + +<p><a id="footnote961" name="footnote961"></a><a href="#footnotetag961">[961]</a> <i>Procès</i>, t. IV, p. 473.</p> + +<p><a id="footnote962" name="footnote962"></a><a href="#footnotetag962">[962]</a> Th. Basin, <i>Histoire de Charles VII et de Louis XI</i>, t. +IV, pp. 103, 104.—Monstrelet, ch. <span class="smcap">LXIII</span>.—Bougenot, <i>Deux documents +inédits relatifs à Jeanne d'Arc</i>, dans <i>Revue Bleue</i>, 13 février 1892, +pp. 203-204.</p> + +<p><a id="footnote963" name="footnote963"></a><a href="#footnotetag963">[963]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 3, 344, 348, 373; t. III, p. 189; +t. V, pp. 169, 179, 181.—Dibon, <i>Essai sur Louviers</i>, Rouen, 1836, +in-8<sup>o</sup>, pp. 33 et suiv.—Vallet de Viriville, <i>Histoire de Charles +VII</i>, t. II, pp. 216 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote964" name="footnote964"></a><a href="#footnotetag964">[964]</a> Le P. Denifle, <i>La désolation des Églises de France +vers le milieu du XV<sup>e</sup> siècle</i>, t. I, p. <span class="smcap">XVI</span>.</p> + +<p><a id="footnote965" name="footnote965"></a><a href="#footnotetag965">[965]</a> Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 132.—Monstrelet, +t. IV, p. 433.—Lefèvre de Saint-Remy, t. II, p. 265.</p> + +<p><a id="footnote966" name="footnote966"></a><a href="#footnotetag966">[966]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 272.</p> + +<p><a id="footnote967" name="footnote967"></a><a href="#footnotetag967">[967]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 272.</p> + +<p><a id="footnote968" name="footnote968"></a><a href="#footnotetag968">[968]</a> Vallet de Viriville, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, +p. 248.—De Beaurepaire, <i>Recherches sur les juges</i>, p. 43.</p> + +<p><a id="footnote969" name="footnote969"></a><a href="#footnotetag969">[969]</a> Lea, <i>Histoire de l'inquisition</i>, trad. S. Reinach, t. +I, p. 455.</p> + +<p><a id="footnote970" name="footnote970"></a><a href="#footnotetag970">[970]</a> Lefèvre de Saint-Remy, t. II, pp. 263-264.</p> + +<p><a id="footnote971" name="footnote971"></a><a href="#footnotetag971">[971]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 274.</p> + +<p><a id="footnote972" name="footnote972"></a><a href="#footnotetag972">[972]</a> Lefèvre de Saint-Remy, t. II, p. 264.</p> + +<p><a id="footnote973" name="footnote973"></a><a href="#footnotetag973">[973]</a> Martial d'Auvergne, <i>Vigiles</i>, édit. Coustelier, t. I, +p.</p> + +<p><a id="footnote974" name="footnote974"></a><a href="#footnotetag974">[974]</a> Gruel, <i>Chronique d'Arthur de Richemont</i>, p. +81.—Vallet de Viriville, dans <i>Nouvelle Biographie générale</i>.—De +Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, p. 297.—E. Cosneau, <i>Le +connétable de Richemont</i>, pp. 200-201.</p> + +<p><a id="footnote975" name="footnote975"></a><a href="#footnotetag975">[975]</a> Perceval de Cagny, pp. 170, 173 et <i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote976" name="footnote976"></a><a href="#footnotetag976">[976]</a> Carlier, <i>Histoire des Valois</i>, 1764, in-4<sup>o</sup>, t. II, p. +442.—Vallet de Viriville, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. I, p. +307.—Le Régent croyait lui aussi à l'astrologie (B-N. ms 1352.)</p> + +<p><a id="footnote977" name="footnote977"></a><a href="#footnotetag977">[977]</a> Gruel, <i>Chronique d'Arthur de Richemont</i>, pp. +120-121.—Dom Félibien, <i>Histoire de Paris</i>, t. IV, p. 597.</p> + +<p><a id="footnote978" name="footnote978"></a><a href="#footnotetag978">[978]</a> <i>Chronique du doyen de Saint-Thibaud de Metz</i>, dans +<i>Procès</i>, t. V, pp. 321, 324.—Jacomin Husson, <i>Chronique de Metz</i>, +éd. Michelant, Metz, 1870, pp. 64-65.—Cf. Lecoy de la Marche, <i>Une +fausse Jeanne d'Arc</i>, dans <i>Revue des Questions historiques</i>, octobre +1871, pp. 562 et suiv.—Vergniaud-Romagnési, <i>Des portraits de Jeanne +d'Arc et de la fausse Jeanne d'Arc</i> dans <i>Mémoires de la Société +d'Agriculture d'Orléans</i>, t. I, (1853), pp. 250, 253.—De Puymaigre, +<i>La fausse Jeanne d'Arc</i> dans <i>Revue Nouvelle d'Alsace-Lorraine</i>, t. V +(1885), pp. 533 et suiv.—A. France, <i>Une fausse Jeanne d'Arc</i> dans +<i>Revue des Familles</i>, 15 février 1891.</p> + +<p><a id="footnote979" name="footnote979"></a><a href="#footnotetag979">[979]</a> Varanius est seul à dire que Jacques d'Arc mourut de la +douleur d'avoir perdu sa fille. <i>Procès</i>, t. V, p. 85.</p> + +<p><a id="footnote980" name="footnote980"></a><a href="#footnotetag980">[980]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 280.</p> + +<p><a id="footnote981" name="footnote981"></a><a href="#footnotetag981">[981]</a> <i>Procès</i>, t. V, pp. 279-280.—G. Lefèvre-Pontalis, <i>La +fausse Jeanne d'Arc</i>, p. 6, note 1.</p> + +<p><a id="footnote982" name="footnote982"></a><a href="#footnotetag982">[982]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 210.—Lefèvre de Saint-Remy, t. II, +p. 176.</p> + +<p><a id="footnote983" name="footnote983"></a><a href="#footnotetag983">[983]</a> <i>Procès</i>, t. V, pp. 321, 324.</p> + +<p><a id="footnote984" name="footnote984"></a><a href="#footnotetag984">[984]</a> Le <i>Metz ancien</i>, (Metz, 1856, 2 vol. in-f<sup>o</sup>) du baron +d'Hannoncelles, où se trouve la généalogie de Nicole Lowe.</p> + +<p><a id="footnote985" name="footnote985"></a><a href="#footnotetag985">[985]</a> «Et fut recongneu par plusieurs enseignes.» (<i>Procès</i>, +V, p. 322).—M. Lecoy de la Marche (<i>Une fausse Jeanne d'Arc</i>, dans +<i>Revue des questions historiques</i>, octobre 1871, p. 565), et M. Gaston +Save (<i>Jehanne des Armoises, Pucelle d'Orléans</i>, Nancy, 1893, p. 11), +comprennent qu'elle fut reconnue par plusieurs officiers ou +porte-étendards. J'ai entendu <i>enseignes</i> dans le sens de signes +naturels sur la peau. (Cf. La Curne.)</p> + +<p><a id="footnote986" name="footnote986"></a><a href="#footnotetag986">[986]</a> <i>Chronique du doyen de Saint-Thibaud</i>, dans <i>Procès</i>, +t. V, p. 322.</p> + +<p><a id="footnote987" name="footnote987"></a><a href="#footnotetag987">[987]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 354.</p> + +<p><a id="footnote988" name="footnote988"></a><a href="#footnotetag988">[988]</a> Voyez néanmoins ce qu'en dit M. Germain +Lefèvre-Pontalis, à qui nous devons de connaître cette prophétie +(Eberhard Windecke, pp. 108 à 111).</p> + +<p><a id="footnote989" name="footnote989"></a><a href="#footnotetag989">[989]</a> <i>Chronique du doyen de Saint-Thibaud</i>, dans <i>Procès</i>, +t. V, p. 322.—Chronique de Philippe de Vigneulles, dans les +<i>Chroniques Messines</i> de Huguenin, p. 198.</p> + +<p><a id="footnote990" name="footnote990"></a><a href="#footnotetag990">[990]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 457.—L. Champion, <i>Jeanne d'Arc +écuyère</i>, ch. <span class="smcap">II</span>; ch. <span class="smcap">VI</span>.</p> + +<p><a id="footnote991" name="footnote991"></a><a href="#footnotetag991">[991]</a> Variante de la <i>Chronique du doyen de Saint-Thibaud</i>, +envoyée de Metz à Pierre du Puy, dans <i>Procès</i>, t. V, pp. 322, 324.</p> + +<p><a id="footnote992" name="footnote992"></a><a href="#footnotetag992">[992]</a> <i>Ibid.</i>, pp. 322, 324.</p> + +<p><a id="footnote993" name="footnote993"></a><a href="#footnotetag993">[993]</a> D. Calmet, <i>Histoire de Lorraine</i>, t. VII, Preuves, +col. vj.</p> + +<p><a id="footnote994" name="footnote994"></a><a href="#footnotetag994">[994]</a> <i>Procès</i>, t. V, pp. 322, 324.—Eberhard Windecke, p. +108.—Morosini, t. III, p. 62, note.</p> + +<p><a id="footnote995" name="footnote995"></a><a href="#footnotetag995">[995]</a> M. le baron de Braux me fit l'honneur de m'écrire de +Boucq par Foug, Meurthe-et-Moselle, le 28 juin 1896: que Bacquillon +(<i>Procès</i>, V, p. 322) n'était qu'une lecture vicieuse d'un des +manuscrits du doyen de Saint-Thibaud. «En comparant, ajouta-t-il, les +diverses lectures (V. Quicherat et les <i>Chroniques messines</i>), on peut +s'assurer qu'il s'agit de Vaucouleurs, <i>Valquelou</i>, mal lu.»</p> + +<p><a id="footnote996" name="footnote996"></a><a href="#footnotetag996">[996]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 406, 408, 445, 449.</p> + +<p><a id="footnote997" name="footnote997"></a><a href="#footnotetag997">[997]</a> La <i>Chronique de Tournai</i> dit de la vraie Jeanne +qu'elle était de Mareville petite ville entre Metz et Pont-à-Mousson. +«Cette Jeanne avait longtemps demeuré et servi dans une métairie de ce +lieu.»</p> + +<p><a id="footnote998" name="footnote998"></a><a href="#footnotetag998">[998]</a> <i>Chronique du doyen de Saint-Thibaud</i>, dans <i>Procès</i>, +t. V, pp. 322, 324.—Lecoy de la Marche, <i>Jeanne des Armoises</i>, p. +566.—G. Save, <i>Jehanne des Armoises, pucelle d'Orléans</i>, p. 14.</p> + +<p><a id="footnote999" name="footnote999"></a><a href="#footnotetag999">[999]</a> <i>Procès</i>, t. V, pp. 352 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1000" name="footnote1000"></a><a href="#footnotetag1000">[1000]</a> <i>Chronique du doyen de Saint-Thibaud</i>, dans <i>Procès</i>, +t. V, pp. 322, 324.—Dom Lelong, <i>Histoire du diocèse de Laon</i>, 1783, +p. 371.—Abbé Ledouble, <i>Les origines de Liesse et du pèlerinage de +Notre-Dame</i>, Soissons, 1885, pp. 6 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1001" name="footnote1001"></a><a href="#footnotetag1001">[1001]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 322, note 2.—G. Lefèvre-Pontalis, +<i>La fausse Jeanne d'Arc</i>, p. 21, note 1.</p> + +<p><a id="footnote1002" name="footnote1002"></a><a href="#footnotetag1002">[1002]</a> <i>Chronique normande</i> (Ms. du British Museum), dans +<i>Procès</i>, t. IV, p. 344.—Symphorien Champier, <i>Nef des Dames</i>, Lyon, +1503, <i>ibid.</i></p> + +<p><a id="footnote1003" name="footnote1003"></a><a href="#footnotetag1003">[1003]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 272.—<i>Chronique +Normande</i>, dans <i>Bibliothèque de l'École des Chartes</i>, 2<sup>e</sup> série, t. +III, p. 116.—D. Calmet, <i>Histoire de Lorraine</i>, p. vj., Preuves.—G. +Save, <i>Jehanne des Armoises</i>, pp. 6-7.—On sait que Gabriel Naudé +soutint le paradoxe que Jeanne ne fut jamais brûlée qu'en effigie, +<i>Considérations politiques sur les coups d'État</i>, Rome, 1639, +in-4<sup>o</sup>.—G. Lefèvre-Pontalis, <i>La fausse Jeanne d'Arc</i>, p. 8.</p> + +<p><a id="footnote1004" name="footnote1004"></a><a href="#footnotetag1004">[1004]</a> Lanéry d'Arc, <i>Le culte de Jeanne d'Arc</i>, Orléans, +1887, in-8<sup>o</sup>.—<i>Revue du Midi.</i></p> + +<p><a id="footnote1005" name="footnote1005"></a><a href="#footnotetag1005">[1005]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 275.—Lottin, <i>Recherches</i>, t., p. +286.</p> + +<p><a id="footnote1006" name="footnote1006"></a><a href="#footnotetag1006">[1006]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 202.—Lecoy de la Marche, <i>Jeanne +des Armoises</i>, p. 568.</p> + +<p><a id="footnote1007" name="footnote1007"></a><a href="#footnotetag1007">[1007]</a> Il mourut à l'âge de cent dix-huit ans. (<i>Procès</i> III, +p. 29.)</p> + +<p><a id="footnote1008" name="footnote1008"></a><a href="#footnotetag1008">[1008]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 326.—Vallet de Viriville, +<i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, p. 376, note.—G. Lefèvre-Pontalis, +<i>La fausse Jeanne d'Arc</i>, p. 23, n. 5.</p> + +<p><a id="footnote1009" name="footnote1009"></a><a href="#footnotetag1009">[1009]</a> <i>Ibid.</i>, t. V, p. 327.</p> + +<p><a id="footnote1010" name="footnote1010"></a><a href="#footnotetag1010">[1010]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 326.—Lottin, <i>Recherches</i>, t. I, +pp. 284-285.</p> + +<p><a id="footnote1011" name="footnote1011"></a><a href="#footnotetag1011">[1011]</a> Depuis 1432. Toutefois il ne reste pas trace d'obit +pour les années 1433 et 1434. Il fut célébré de nouveau en 1439.</p> + +<p><a id="footnote1012" name="footnote1012"></a><a href="#footnotetag1012">[1012]</a> <i>Procès</i>, t. V, pp. 274, 275.—Lottin, <i>Recherches</i>, +t. I, p. 286.</p> + +<p><a id="footnote1013" name="footnote1013"></a><a href="#footnotetag1013">[1013]</a> <i>Chronique du doyen de Saint-Thibaud</i>, dans <i>Procès</i>, +t. V. p. 323.—Jean Nider, <i>Formicarium</i>, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. +325.—Lecoy de la Marche, <i>loc. cit.</i>, p. 566.</p> + +<p><a id="footnote1014" name="footnote1014"></a><a href="#footnotetag1014">[1014]</a> <i>Art de vérifier les dates</i>, t. XV, pp. 236 et suiv.; +<i>Gallia Christiana</i>, t. XIII, pp. 970 et suiv.; Gams, <i>Series +Episcoporum</i> (1873), pp. 317, 319.</p> + +<p><a id="footnote1015" name="footnote1015"></a><a href="#footnotetag1015">[1015]</a> Quicherat dit, par erreur (<i>Procès</i>, t. IV, p. 502, +note), que la contestation pour l'archevêché de Trèves eut lieu entre +Raban de Helmstat et Jacques de Syrck. Sur Jacques de Syrck ou de +Sierck, cf. de Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. IV, p. 264.</p> + +<p><a id="footnote1016" name="footnote1016"></a><a href="#footnotetag1016">[1016]</a> Jean Nider, <i>Formicarium</i>, liv. V, chap. <span class="smcap">VIII</span>.—D. +Calmet, <i>Histoire de Lorraine</i>, t. II, p. 906.</p> + +<p><a id="footnote1017" name="footnote1017"></a><a href="#footnotetag1017">[1017]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 245-246.</p> + +<p><a id="footnote1018" name="footnote1018"></a><a href="#footnotetag1018">[1018]</a> Jean Nider, <i>Formicarium</i>, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. +502; t. V, p. 324.</p> + +<p><a id="footnote1019" name="footnote1019"></a><a href="#footnotetag1019">[1019]</a> H. Vincent, <i>La maison des Armoises, originaire de +Champagne</i>, dans <i>Mémoires de la Société d'Archéologie lorraine</i>, +3<sup>e</sup> série, t. V (1877), p. 324.—G. Lefèvre-Pontalis, <i>La fausse +Jeanne d'Arc</i>, p. 2, n. 4.</p> + +<p><a id="footnote1020" name="footnote1020"></a><a href="#footnotetag1020">[1020]</a> Don Calmet, dans son <i>Histoire de Lorraine</i> (t. V., +pp. <span class="smcap">CLXIV</span> et suiv.), dit que le contrat de mariage entre Robert des +Armoises et la Pucelle de France, longtemps conservé dans la famille, +était perdu de son temps. Il ne faut point en avoir de regret. On sait +aujourd'hui que ce contrat avait été fabriqué par le P. Jérôme +Vignier. Le comte de Marsy (<i>la fausse Jeanne d'Arc, Claude des +Armoises; du degré de confiance à accorder aux découvertes de Jérôme +Vignier</i>, Compiègne, 1890) et M. Tamizey de Larroque (<i>Revue Critique</i> +du 20 octobre 1890).—Sur d'autres faux de J. Vignier, cf. Julien +Havet, <i>Questions Mérovingiennes</i>, II.</p> + +<p><a id="footnote1021" name="footnote1021"></a><a href="#footnotetag1021">[1021]</a> Jean Nider, <i>Formicarium</i>, liv. V, chap. +<span class="smcap">VIII</span>i.—<i>Procès</i>, t. IV, pp. 503, 504.</p> + +<p><a id="footnote1022" name="footnote1022"></a><a href="#footnotetag1022">[1022]</a> Quant à l'acte antérieur par lequel «Robert des +Harmoises et la Pucelle Jehanne d'Arc, sa femme», font l'acquisition +de la terre de Fléville (D. Calmet, 2<sup>e</sup> éd., t. V, p. <span class="smcap">CLXIV</span>, +<i>note</i>), il est extrêmement suspect.</p> + +<p><a id="footnote1023" name="footnote1023"></a><a href="#footnotetag1023">[1023]</a> <i>Chronique du doyen de Saint-Thibaud</i>, dans <i>Procès</i>, +t. V, p. 323.—<i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, pp. 354-355.</p> + +<p><a id="footnote1024" name="footnote1024"></a><a href="#footnotetag1024">[1024]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 206, n. 2.</p> + +<p><a id="footnote1025" name="footnote1025"></a><a href="#footnotetag1025">[1025]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 219.</p> + +<p><a id="footnote1026" name="footnote1026"></a><a href="#footnotetag1026">[1026]</a> Jean Nider, <i>Formicarium</i>, dans <i>Procès</i>, t. V, p. +325.</p> + +<p><a id="footnote1027" name="footnote1027"></a><a href="#footnotetag1027">[1027]</a> <i>Chronique du doyen de Saint-Thibaud</i>, dans <i>Procès</i>, +t. V, pp. 323-324.</p> + +<p><a id="footnote1028" name="footnote1028"></a><a href="#footnotetag1028">[1028]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 183.</p> + +<p><a id="footnote1029" name="footnote1029"></a><a href="#footnotetag1029">[1029]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 106, 108, 119, 296.—<i>Journal d'un +bourgeois de Paris.</i></p> + +<p><a id="footnote1030" name="footnote1030"></a><a href="#footnotetag1030">[1030]</a> Extraits des comptes de la ville d'Orléans, dans +<i>Procès</i>, t. V, pp. 331-332.—Lecoy de la Marche, <i>Une fausse Jeanne +d'Arc</i>, pp. 570-571.</p> + +<p><a id="footnote1031" name="footnote1031"></a><a href="#footnotetag1031">[1031]</a> Cédules originales d'Orléans, dans <i>Procès</i>, t. V, p. +270.</p> + +<p><a id="footnote1032" name="footnote1032"></a><a href="#footnotetag1032">[1032]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 274.—Lottin, <i>Recherches</i>, t. I, +p. 286.</p> + +<p><a id="footnote1033" name="footnote1033"></a><a href="#footnotetag1033">[1033]</a> Extraits des comptes de la ville d'Orléans, dans +<i>Procès</i>, t. V, pp. 331-332.—Lottin, <i>Recherches</i>, t. I, p. 287.</p> + +<p><a id="footnote1034" name="footnote1034"></a><a href="#footnotetag1034">[1034]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 260.</p> + +<p><a id="footnote1035" name="footnote1035"></a><a href="#footnotetag1035">[1035]</a> <i>Ibid.</i>, t. V, pp. 112-113.</p> + +<p><a id="footnote1036" name="footnote1036"></a><a href="#footnotetag1036">[1036]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 17; t. V, p. 327.</p> + +<p><a id="footnote1037" name="footnote1037"></a><a href="#footnotetag1037">[1037]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 332.—G. Lefèvre-Pontalis, <i>La +fausse Jeanne d'Arc</i>, pp. 23-24.</p> + +<p><a id="footnote1038" name="footnote1038"></a><a href="#footnotetag1038">[1038]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 332.</p> + +<p><a id="footnote1039" name="footnote1039"></a><a href="#footnotetag1039">[1039]</a> Vallet de Viriville, <i>Notices et extraits de chartes +et de manuscrits appartenant au British Museum</i>, dans <i>Bibliothèque de +l'École des Chartes</i>, t. VIII, 1846, p. 116.</p> + +<p><a id="footnote1040" name="footnote1040"></a><a href="#footnotetag1040">[1040]</a> Abbé Bossard, <i>Gille de Rais</i>, p. 174.</p> + +<p><a id="footnote1041" name="footnote1041"></a><a href="#footnotetag1041">[1041]</a> Lettre de Rémission, dans <i>Procès</i>, t. V, pp. +332-334.</p> + +<p><a id="footnote1042" name="footnote1042"></a><a href="#footnotetag1042">[1042]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 335.—Lecoy de +la Marche, <i>Une fausse Jeanne d'Arc</i>, p. 574.</p> + +<p><a id="footnote1043" name="footnote1043"></a><a href="#footnotetag1043">[1043]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, pp. 338 et +suiv.—De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. III, pp. 384 et +suiv.</p> + +<p><a id="footnote1044" name="footnote1044"></a><a href="#footnotetag1044">[1044]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 270.</p> + +<p><a id="footnote1045" name="footnote1045"></a><a href="#footnotetag1045">[1045]</a> De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. III, chap. +<span class="smcap">XVI</span>.</p> + +<p><a id="footnote1046" name="footnote1046"></a><a href="#footnotetag1046">[1046]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, pp. 354-355.—Lecoy +de la Marche, <i>Une fausse Jeanne d'Arc</i>, p. 574.</p> + +<p><a id="footnote1047" name="footnote1047"></a><a href="#footnotetag1047">[1047]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, <i>loc. cit.</i></p> + +<p><a id="footnote1048" name="footnote1048"></a><a href="#footnotetag1048">[1048]</a> <i>Ibid.</i>, pp. 354-355.—Lecoy de la Marche, <i>Une fausse +Jeanne d'Arc</i>, p. 574.—G. Lefèvre-Pontalis, <i>La fausse Jeanne d'Arc</i>, +p. 27.</p> + +<p><a id="footnote1049" name="footnote1049"></a><a href="#footnotetag1049">[1049]</a> Vergnaud-Romagnesi, <i>Des portraits de Jeanne d'Arc et +de la fausse Jeanne d'Arc</i> et <i>Mémoire sur les fausses Jeanne d'Arc</i>, +dans les <i>Mémoires de la Société d'Agriculture d'Orléans</i>, 1854, +in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote1050" name="footnote1050"></a><a href="#footnotetag1050">[1050]</a> <i>Procès</i>, t. V, pp. 210, 213.</p> + +<p><a id="footnote1051" name="footnote1051"></a><a href="#footnotetag1051">[1051]</a> <i>Ibid.</i>, t. V, p. 279.</p> + +<p><a id="footnote1052" name="footnote1052"></a><a href="#footnotetag1052">[1052]</a> <i>Procès</i>, t. V, pp. 212-214.—Lottin, <i>Recherches</i>, t. +I, p. 287.—Duleau <i>Vidimus d'une charte de Charles VII, concédant à +Pierre du Lys la possession de l'Isle-aux-Bœufs</i>, Orléans, 1860, +in-8<sup>o</sup> 6.—G. Lefèvre-Pontalis, <i>La fausse Jeanne d'Arc</i>, p. 28, note +1.</p> + +<p><a id="footnote1053" name="footnote1053"></a><a href="#footnotetag1053">[1053]</a> Je n'ai pas fait usage du témoignage très tardif de +Pierre Sala (<i>Procès</i>, t. IV, p. 281), très vague, un peu fabuleux et +qui ne peut en aucune façon s'agencer dans la vie de la dame des +Armoises. Sur la bibliographie très intéressante du sujet, voyez +Lanéry d'Arc, <i>Le livre d'or de Jeanne d'Arc</i>, pp. 573, 580 et G. +Lefèvre-Pontalis, <i>La fausse Jeanne d'Arc</i>, Paris, 1895, in-8<sup>o</sup>, à +propos du récit de M. Gaston Save.</p> + +<p>On a supposé, sans en donner aucune preuve, que cette fausse Jeanne +d'Arc était une sœur de la Pucelle (Lebrun de Charmettes, <i>Histoire +de Jeanne d'Arc</i>, t. IV, pp. 291 et suiv.).—Francis André, <i>La vérité +sur Jeanne d'Arc</i>, Paris 1895, in-18, pp. 75 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1054" name="footnote1054"></a><a href="#footnotetag1054">[1054]</a> De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. III, p. +335.</p> + +<p><a id="footnote1055" name="footnote1055"></a><a href="#footnotetag1055">[1055]</a> Le P. Ayroles, <i>La Pucelle devant l'église de son +temps</i>, p. 10.</p> + +<p><a id="footnote1056" name="footnote1056"></a><a href="#footnotetag1056">[1056]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 565.</p> + +<p><a id="footnote1057" name="footnote1057"></a><a href="#footnotetag1057">[1057]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 403.</p> + +<p><a id="footnote1058" name="footnote1058"></a><a href="#footnotetag1058">[1058]</a> <i>Ordonnances</i>, t. XIII, pp. 267, 291.—<i>Preuves des +libertés de l'Église gallicane</i>, édit. Lenglet-Dufresnoy, deuxième +partie, p. 6.—De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. III, pp. +353, 361.—N. Arlos, <i>Histoire de la Pragmatique sanction</i>, <i>etc.</i></p> + +<p><a id="footnote1059" name="footnote1059"></a><a href="#footnotetag1059">[1059]</a> Hefelé, <i>Histoire de l'Église gallicane</i>, t. XX, p. +357.—De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. III, p. 363.—De +Beaurepaire, <i>Les États de Normandie sous la domination anglaise</i>, pp. +66-67, 185-188.</p> + +<p><a id="footnote1060" name="footnote1060"></a><a href="#footnotetag1060">[1060]</a> Du Boulay, <i>Hist. Universitatis</i>, t. V, p. 431.—De +Beaurepaire, <i>Notes sur les juges</i>, p. 28.</p> + +<p><a id="footnote1061" name="footnote1061"></a><a href="#footnotetag1061">[1061]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 10, 12, 332, 362; t. III, pp. 60, +133, 141, 145, 156, 162, 173, 181.</p> + +<p><a id="footnote1062" name="footnote1062"></a><a href="#footnotetag1062">[1062]</a> De Beaurepaire, <i>Notes sur les juges et assesseurs du +procès de condamnation</i>, p. 78, 82.</p> + +<p><a id="footnote1063" name="footnote1063"></a><a href="#footnotetag1063">[1063]</a> J. Quicherat, <i>Aperçus nouveaux</i>, p. 106.</p> + +<p><a id="footnote1064" name="footnote1064"></a><a href="#footnotetag1064">[1064]</a> De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. III, p. +372.</p> + +<p><a id="footnote1065" name="footnote1065"></a><a href="#footnotetag1065">[1065]</a> De Beaurepaire, <i>Les États de Normandie sous la +domination anglaise</i>, pp. 66, 67, 185, 188.—De Beaucourt, <i>loc. +cit.</i>, p. 362.</p> + +<p><a id="footnote1066" name="footnote1066"></a><a href="#footnotetag1066">[1066]</a> De Beaurepaire, <i>loc. cit.</i>, p. 17.—<i>Notes sur les +juges et assesseurs du procès de condamnation</i>, p. 117 et <i>Recherches +sur le procès</i>, p. 124.</p> + +<p><a id="footnote1067" name="footnote1067"></a><a href="#footnotetag1067">[1067]</a> De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. V, chap. +<span class="smcap">I</span>.</p> + +<p><a id="footnote1068" name="footnote1068"></a><a href="#footnotetag1068">[1068]</a> Lanéry d'Arc, <i>Mémoires et consultations en faveur de +Jeanne d'Arc</i>, p. 249.</p> + +<p><a id="footnote1069" name="footnote1069"></a><a href="#footnotetag1069">[1069]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 1, 22.</p> + +<p><a id="footnote1070" name="footnote1070"></a><a href="#footnotetag1070">[1070]</a> <i>Gallia Christiana</i>, t. III, col. 1129 et t. XI, col. +90.—De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. V, p. 219.—Le P. +Ayroles, <i>La Pucelle devant l'Église de son temps</i>, chap. <span class="smcap">VI</span>.</p> + +<p><a id="footnote1071" name="footnote1071"></a><a href="#footnotetag1071">[1071]</a> De Beaurepaire, <i>Les États de Normandie sous la +domination anglaise</i>, pp. 185, 188.</p> + +<p><a id="footnote1072" name="footnote1072"></a><a href="#footnotetag1072">[1072]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 276.</p> + +<p><a id="footnote1073" name="footnote1073"></a><a href="#footnotetag1073">[1073]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, pp. 108, 112.</p> + +<p><a id="footnote1074" name="footnote1074"></a><a href="#footnotetag1074">[1074]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 95.—Le P. Ayroles, <i>La Pucelle +devant l'Église de son temps</i>, p. 607.—J. Belon et F. Balme, <i>Jean +Bréhal, grand inquisiteur de France et la réhabilitation de Jeanne +d'Arc</i>, Paris, 1893, in-4<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote1075" name="footnote1075"></a><a href="#footnotetag1075">[1075]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 82, 92.</p> + +<p><a id="footnote1076" name="footnote1076"></a><a href="#footnotetag1076">[1076]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, pp. 92, 112.</p> + +<p><a id="footnote1077" name="footnote1077"></a><a href="#footnotetag1077">[1077]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, pp. 193, 196.</p> + +<p><a id="footnote1078" name="footnote1078"></a><a href="#footnotetag1078">[1078]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, pp. 291, 463; t. III, pp. 1, 202.</p> + +<p><a id="footnote1079" name="footnote1079"></a><a href="#footnotetag1079">[1079]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 378, 463.</p> + +<p><a id="footnote1080" name="footnote1080"></a><a href="#footnotetag1080">[1080]</a> <i>Ibid.</i>, t. V, pp. 112, 113, 331.</p> + +<p><a id="footnote1081" name="footnote1081"></a><a href="#footnotetag1081">[1081]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, pp. 23, 35.</p> + +<p><a id="footnote1082" name="footnote1082"></a><a href="#footnotetag1082">[1082]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, pp. 1, 19.</p> + +<p><a id="footnote1083" name="footnote1083"></a><a href="#footnotetag1083">[1083]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 202.</p> + +<p><a id="footnote1084" name="footnote1084"></a><a href="#footnotetag1084">[1084]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 2 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1085" name="footnote1085"></a><a href="#footnotetag1085">[1085]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 16.</p> + +<p><a id="footnote1086" name="footnote1086"></a><a href="#footnotetag1086">[1086]</a> De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. VI, p. +43.—P. Dupuy, <i>Histoire des Templiers</i>, 1658, in-4<sup>o</sup>.—Cimber et +Danjou, <i>Archives curieuses de l'Histoire de France</i>, t. I, pp. +137-157.</p> + +<p><a id="footnote1087" name="footnote1087"></a><a href="#footnotetag1087">[1087]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 90.</p> + +<p><a id="footnote1088" name="footnote1088"></a><a href="#footnotetag1088">[1088]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 209.</p> + +<p><a id="footnote1089" name="footnote1089"></a><a href="#footnotetag1089">[1089]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 65.</p> + +<p><a id="footnote1090" name="footnote1090"></a><a href="#footnotetag1090">[1090]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 100.</p> + +<p><a id="footnote1091" name="footnote1091"></a><a href="#footnotetag1091">[1091]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 85.</p> + +<p><a id="footnote1092" name="footnote1092"></a><a href="#footnotetag1092">[1092]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 20, 21, 161; t. III, pp. 43, 53 +et <i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote1093" name="footnote1093"></a><a href="#footnotetag1093">[1093]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 44, 56.—J. Quicherat, <i>Aperçus +nouveaux</i>, p. 106.</p> + +<p><a id="footnote1094" name="footnote1094"></a><a href="#footnotetag1094">[1094]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 161; t. III, pp. 41, 42, 195.</p> + +<p><a id="footnote1095" name="footnote1095"></a><a href="#footnotetag1095">[1095]</a> De Beaurepaire, <i>Notes sur les juges</i>.</p> + +<p><a id="footnote1096" name="footnote1096"></a><a href="#footnotetag1096">[1096]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 329 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1097" name="footnote1097"></a><a href="#footnotetag1097">[1097]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, pp. 363 et suiv., 434 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1098" name="footnote1098"></a><a href="#footnotetag1098">[1098]</a> Lanéry d'Arc, <i>Mémoires et consultations en faveur de +Jeanne d'Arc</i>, p. 576.</p> + +<p><a id="footnote1099" name="footnote1099"></a><a href="#footnotetag1099">[1099]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 32, 87, 100, 116, 119, 120, 126, +128, et <i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote1100" name="footnote1100"></a><a href="#footnotetag1100">[1100]</a> Lanéry d'Arc, <i>Mémoires et consultations</i>, p. 402.</p> + +<p><a id="footnote1101" name="footnote1101"></a><a href="#footnotetag1101">[1101]</a> <i>Procès</i>, p. 398.</p> + +<p><a id="footnote1102" name="footnote1102"></a><a href="#footnotetag1102">[1102]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 355.</p> + +<p><a id="footnote1103" name="footnote1103"></a><a href="#footnotetag1103">[1103]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 162.</p> + +<p><a id="footnote1104" name="footnote1104"></a><a href="#footnotetag1104">[1104]</a> <i>Gallia Christiana</i>, t. XI, col. 793.</p> + +<p><a id="footnote1105" name="footnote1105"></a><a href="#footnotetag1105">[1105]</a> <i>Histoire ecclésiastique et politique de la ville et +du diocèse de Toul</i>, Toul, 1707, p. 529.</p> + +<p><a id="footnote1106" name="footnote1106"></a><a href="#footnotetag1106">[1106]</a> Abbé Bossard, <i>Gilles de Rais</i>, pp. 333 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1107" name="footnote1107"></a><a href="#footnotetag1107">[1107]</a> De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. VI, p. +197.</p> + +<p><a id="footnote1108" name="footnote1108"></a><a href="#footnotetag1108">[1108]</a> Enquête de 1476, dans A. de Braux et de Bouteiller, +<i>Nouvelles recherches</i>, p. 10.</p> + +<p><a id="footnote1109" name="footnote1109"></a><a href="#footnotetag1109">[1109]</a> Ou Chaumussay. Lecoy de la Marche, <i>Une fausse Jeanne +d'Arc</i>, Paris, 1871, in-8<sup>o</sup>, p. 19.</p> + +<p><a id="footnote1110" name="footnote1110"></a><a href="#footnotetag1110">[1110]</a> Lecoy de la Marche, <i>Une fausse Jeanne d'Arc</i>, dans +<i>Revue des Questions historiques</i>, octobre 1871, p. 576.—<i>Le roi +René</i>, Paris, 1875, t. I, pp. 308-327; t. II, pp. 281-283.</p> + +<p><a id="footnote1111" name="footnote1111"></a><a href="#footnotetag1111">[1111]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 314, note 1.—<i>Gallia +Christiana</i>, t. II, fol. 518.—Du Boulay, <i>Hist. Univ. Paris.</i>, t. V, +p. 905.—Le P. Ayroles, <i>La Pucelle devant l'Église de son temps</i>, pp. +403-404.</p> + +<p><a id="footnote1112" name="footnote1112"></a><a href="#footnotetag1112">[1112]</a> Lanéry d'Arc, <i>Mémoires et consultations</i>, p. 247.</p> + +<p><a id="footnote1113" name="footnote1113"></a><a href="#footnotetag1113">[1113]</a> Du Clercq, <i>Mémoires</i>, éd. de Reiffenberg, Bruxelles +1823, t. III, pp. 98 et suiv.—Jean de Roye, <i>Chronique scandaleuse</i>, +édit. Bernard de Mandrot, 1894, t. I, pp. 13, 14.—<i>Chronique de +Bourdigné</i>, éd. Quatrebarbes, t. II, p. 212.—Dom Piolin, <i>Histoire de +l'Église du Mans</i>, t. V, p. 163.</p> + +<p><a id="footnote1114" name="footnote1114"></a><a href="#footnotetag1114">[1114]</a> Chastellain, éd. Kervyn de Lettenhove, t. III, p. +444.</p> + +<p><a id="footnote1115" name="footnote1115"></a><a href="#footnotetag1115">[1115]</a> Jacques du Clercq, <i>Mémoires</i>, t. III, pp. 107 et +suiv.</p> + +<p><a id="footnote1116" name="footnote1116"></a><a href="#footnotetag1116">[1116]</a> Antoine du Faur, <i>Livre des femmes célèbres</i>, dans +<i>Procès</i>, t. V, p. 336.</p> + +<p><a id="footnote1117" name="footnote1117"></a><a href="#footnotetag1117">[1117]</a> De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. VI, pp. +442, 451.—<i>Cronique Martiniane</i>, éd. P. Champion, p. 110.</p> + +<p><a id="footnote1118" name="footnote1118"></a><a href="#footnotetag1118">[1118]</a> Mathieu d'Escouchy, t. II, p. 422.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, t. III, p. 114-121.</p> + +<p><a id="footnote1119" name="footnote1119"></a><a href="#footnotetag1119">[1119]</a> <i>Gallia Christiana</i>, t. VII, col. 151 et +214.—Hardouin, <i>Acta Conciliorum</i>, t. IX, col. 1423.—De Beaucourt, +<i>Histoire de Charles VII</i>, t. VI, p. 444.</p> + +<p><a id="footnote1120" name="footnote1120"></a><a href="#footnotetag1120">[1120]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 219.</p> + +<p><a id="footnote1121" name="footnote1121"></a><a href="#footnotetag1121">[1121]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 52 et <i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote1122" name="footnote1122"></a><a href="#footnotetag1122">[1122]</a> <i>Progrès médical</i>, 19 janvier 1878.</p> + +<p><a id="footnote1123" name="footnote1123"></a><a href="#footnotetag1123">[1123]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 52.</p> + +<p><a id="footnote1124" name="footnote1124"></a><a href="#footnotetag1124">[1124]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 53.</p> + +<p><a id="footnote1125" name="footnote1125"></a><a href="#footnotetag1125">[1125]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 186.</p> + +<p><a id="footnote1126" name="footnote1126"></a><a href="#footnotetag1126">[1126]</a> D'après la déposition de maître Pierre Maurice, au +procès de condamnation (t. I, p. 480), Jeanne aurait aperçu les anges +«sous forme de certaines choses minimes» (<i>sub specie quarumdam rerum +minimarum</i>), et ç'a été aussi le caractère de quelques hallucinations +de sainte Rose de Lima. (<i>Vie de sainte Rose de Lima</i> par le P. +Léonard Hansen, p. 179.)</p> + +<p><a id="footnote1127" name="footnote1127"></a><a href="#footnotetag1127">[1127]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 144.</p> + +<p><a id="footnote1128" name="footnote1128"></a><a href="#footnotetag1128">[1128]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 110.</p> + +<p><a id="footnote1129" name="footnote1129"></a><a href="#footnotetag1129">[1129]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 279 et <i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote1130" name="footnote1130"></a><a href="#footnotetag1130">[1130]</a> <i>Gazette d'Amsterdam</i>, mars-mai 1697.—<i>Annales de la +cour et de Paris</i> (t. II, pp. 204, 219).—<i>Theatrum Europæum</i> (t. XV, +pp. 359-360).—<i>Mémoires de Sourches</i>, t. V, pp. 260, 263.—<i>Lettres +de Madame Dunoyer</i> (lettre XXVI).—Saint-Simon, <i>Mémoires</i>, éd. +Régnier (<i>Collection des Grands écrivains de la France</i>), t. VI, pp. +222, 228, 231; appendice X, p. 545.—<i>Mémoires du duc de Luynes</i>, t. +X, pp, 410, 412.—Abbé Proyart, <i>Vie du duc de Bourgogne</i> (éd. 1782), +t. I, pp. 978, 981.</p> + +<p><a id="footnote1131" name="footnote1131"></a><a href="#footnotetag1131">[1131]</a> <i>Rapport adressé à S. Ex. le Ministre de la Police +Générale sur l'état du nommé Martin, envoyé par son ordre à la maison +royale de Charenton, le 13 mars 1816, par MM. Pinel, médecin en chef +de l'hôpital de la Salpêtrière, et Royer-Collard, médecin en chef de +la maison royale de Charenton, et l'un et l'autre professeurs à la +faculté de médecine de Paris.</i> À la fin: Paris, 6 mai 1816. 39 +feuillets in-4<sup>o</sup>. ms. du cabinet de l'auteur.—Le capitaine Paul +Marin, <i>Thomas Martin de Gallardon. Les médecins et les thaumaturges +du XIX<sup>e</sup> siècle</i>, Paris, s. d. in-18. <i>Mémoires de la comtesse +Osmond de Boignes</i>, éd. Charles Nicoullaud, Paris, 1907, t. III, pp. +355 et <i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote1132" name="footnote1132"></a><a href="#footnotetag1132">[1132]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 100 et 292.</p> + +<p><a id="footnote1133" name="footnote1133"></a><a href="#footnotetag1133">[1133]</a> Gravée sur bois, dans Wallon, <i>Jeanne d'Arc</i>, p. 95.</p> + +<p><a id="footnote1134" name="footnote1134"></a><a href="#footnotetag1134">[1134]</a> E. de Bouteiller et G. de Braux. <i>Notes +iconographiques sur Jeanne d'Arc</i>, Paris et Orléans, 1879, in-18 +jésus.</p> + +<p><a id="footnote1135" name="footnote1135"></a><a href="#footnotetag1135">[1135]</a> Gravée dans une grande quantité d'ouvrages et +notamment dans le livre de E. de Bouteiller et G. de Braux, ci-dessus +indiqué, en regard de la page 12.</p> + +<p><a id="footnote1136" name="footnote1136"></a><a href="#footnotetag1136">[1136]</a> Gravée sur bois dans le livre ci-dessus indiqué, en +regard de la page 8.</p> + +<p><a id="footnote1137" name="footnote1137"></a><a href="#footnotetag1137">[1137]</a> Au musée d'Orléans; elle a été gravée à l'eau-forte, +par M. Georges Lavalley, dans la <i>Jeanne d'Arc</i> de M. Raoul Bergot, +Tours, s. d., grand in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote1138" name="footnote1138"></a><a href="#footnotetag1138">[1138]</a> Je signalerai seulement en ce genre la miniature +reproduite en frontispice, dans le tome IV de <i>La vraie Jeanne d'Arc</i>, +du P. Ayroles, Paris, 1898, grand in-8<sup>o</sup> et la miniature de la +collection Spetz, reproduite dans la <i>Jeanne d'Arc</i> du chanoine Henri +Debout, t. II, p. 103.</p> + +<p><a id="footnote1139" name="footnote1139"></a><a href="#footnotetag1139">[1139]</a> <i>Le Champion des Dames</i>, ms. du <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> s.; bibl. nat., +f. fr. n<sup>o</sup> 841.—Martial d'Auvergne, ms. de la fin du <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> s., f. +fr, n<sup>o</sup> 5.054.—Une initiale d'un ms. latin du <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> s., bibl. nat., +n<sup>o</sup> 14.665.</p> + +<p><a id="footnote1140" name="footnote1140"></a><a href="#footnotetag1140">[1140]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 100.—N. Valois, <i>Un nouveau +témoignage sur Jeanne d'Arc</i>, pp. 8, 13.</p> + +<p><a id="footnote1141" name="footnote1141"></a><a href="#footnotetag1141">[1141]</a> Reproduit en chromo dans Wallon, <i>Jeanne d'Arc</i>.</p> + +<p><a id="footnote1142" name="footnote1142"></a><a href="#footnotetag1142">[1142]</a> La forme Darc se trouve dans le procès de condamnation +(<i>Procès</i>, t. I, p. 191, t. II, p. 82). Mais nous trouvons à côté les +formes Dars (Pièce datée du 31 mars 1427), Day (lettres +d'anoblissement), Daiz (communication que j'ai reçue de M. Pierre +Champion), et Daix (<i>Chronique de la Pucelle</i>).</p> + +<p><a id="footnote1143" name="footnote1143"></a><a href="#footnotetag1143">[1143]</a> Reproduite en chromo dans la <i>Jeanne d'Arc</i> de +Wallon.—Cf. J. Quicherat, <i>Histoire du costume en France depuis les +temps les plus reculés jusqu'à la fin du <span class="smcap">XVIII</span><sup>e</sup> siècle</i>, Paris, +1875, gr. in-8<sup>o</sup>, p. 271.</p> + +<p><a id="footnote1144" name="footnote1144"></a><a href="#footnotetag1144">[1144]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 270.</p> +</div> + + +<div class="p4 tn"> +<p>Note au lecteur de ce fichier digital:</p> + +<p>Ainsi que dans le livre original, les références de quelques notes de +fin de page sont incomplètes.</p> +</div> + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Vie de Jeanne d'Arc, by Anatole France + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK VIE DE JEANNE D'ARC *** + +***** This file should be named 33693-h.htm or 33693-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/3/3/6/9/33693/ + +Produced by wagner, Mireille Harmelin, Christine P. Travers +and the Online Distributed Proofreaders at +http://dp.ratsko.net. + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. Special rules, +set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to +copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to +protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project +Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you +charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you +do not charge anything for copies of this eBook, complying with the +rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose +such as creation of derivative works, reports, performances and +research. 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