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| author | Roger Frank <rfrank@pglaf.org> | 2025-10-14 20:00:00 -0700 |
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Travers +and the Online Distributed Proofreaders at +http://dp.ratsko.net + + + + + +[Note au lecteur de ce fichier digital: + +Les lettres supérieures inhabituelles sont encadrées par des +parenthèses. + +Ainsi que dans le livre original, les références de quelques notes de +fin de page sont incomplètes. + +Certaines pages étaient manquantes lors de la création de ce fichier, +et n'ont été rajoutées que plus tard. De ce fait, la numérotation de +certaines notes de fin de pages n'est pas séquentielle (ex: 54, 54a, +etc.).] + + + + +ANATOLE FRANCE + +DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE + + +VIE + +DE + +JEANNE D'ARC + + +I + + +PARIS CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS 3, RUE AUBER, 3 + + + + +_Published february fifth, copyright nineteen hundred and eight. +Privilege of copyright in the United States reserved under the Act +approved March third nineteen hundred and five by Manzi, Joyant et +Cie._ + + +Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous les pays, y +compris la Hollande. + + + + +PRÉFACE + + +Mon premier devoir serait de faire connaître les sources de cette +histoire; mais L'Averdy, Buchon, J. Quicherat, Vallet de Viriville, +Siméon Luce, Boucher de Molandon, MM. Robillard de Beaurepaire, Lanéry +d'Arc, Henri Jadart, Alexandre Sorel, Germain Lefèvre-Pontalis, L. +Jarry et plusieurs autres savants, ont publié et illustré les +documents de toute sorte d'après lesquels on peut écrire la vie de +Jeanne d'Arc. Je m'en réfère à leurs travaux qui forment une opulente +bibliothèque[1] et, sans entreprendre une nouvelle étude littéraire de +ces documents, j'indiquerai seulement, d'une façon rapide et +générale, les raisons qui m'ont dirigé dans l'usage que j'ai cru +devoir en faire. Ces documents sont: 1º le procès de condamnation; 2º +les chroniques; 3º le procès de réhabilitation; 4º les lettres, actes +et autres pièces détachées. + +[Note 1: Le P. Lelong, _Bibliothèque historique de la France_, +Paris, 1768 (5 vol. in fol.), II, n. 17172-17242.--Potthast, +_Bibliotheca medii oevi_, Berlin, 1895, in-8º, t. 1, pp. 643 et +suiv.--U. Chevalier, _Répertoire des sources historiques du Moyen +Âge_, Paris, in-8º, 1877, pp. 1247-1255; _Jeanne d'Arc, +biobibliographie_, Montbéliard, 1878 [Extrait]; _Supplément au +Répertoire_, Paris, 1883, pp. 2684-2686, in-8º.--Lanéry d'Arc, _Le +livre d'Or de Jeanne d'Arc, bibliographie raisonnée et analytique des +ouvrages relatifs à Jeanne d'Arc_, Paris, 1894, gr. in-8º et +supplément.--A. Molinier, _Les sources de l'histoire de France des +origines aux guerres d'Italie_, IV: _Les Valois_, 1328-1461, Paris, +1904, pp. 310-348.] + +1º Le procès de condamnation[2] est un trésor pour l'historien. Les +questions des interrogateurs ne sauraient être étudiées avec trop de +soin: elles procèdent d'informations faites à Domremy et en divers +pays de France où Jeanne avait passé, et qui n'ont point été +conservées. Les juges de 1431, est-il besoin de le dire? ne +recherchaient en Jeanne que l'idolâtrie, l'hérésie, la sorcellerie et +les autres crimes contre l'Église; ils n'en examinèrent pas moins tout +ce qu'ils purent connaître de la vie de cette jeune fille, enclins, +comme ils l'étaient, à découvrir du mal dans chacun des actes et dans +chacune des paroles de celle qu'ils voulaient perdre pour déshonorer +son roi. Tout le monde sait le prix des réponses de la Pucelle; elles +sont d'une héroïque sincérité et, le plus souvent, d'une clarté +limpide. Cependant, il n'y faut pas tout prendre à la lettre. Jeanne, +qui ne regarda jamais l'évêque ni le promoteur comme ses juges, +n'était pas assez simple pour leur dire l'entière vérité. C'était +déjà, de sa part, beaucoup de candeur que de les avertir qu'ils ne +sauraient pas tout[3]. Il faut reconnaître aussi qu'elle manquait +étrangement de mémoire. Je sais bien qu'un greffier admirait qu'elle +se rappelât très exactement, au bout de quinze jours, ce qu'elle avait +répondu à l'interrogateur[4]. C'est possible, bien qu'elle variât +quelquefois dans ses dires. Il n'en est pas moins certain qu'il ne lui +restait, après un an, qu'un souvenir confus de certains faits +considérables de sa vie. Enfin, ses hallucinations perpétuelles la +mettaient le plus souvent hors d'état de distinguer le vrai du faux. + +[Note 2: Jules Quicherat, _Procès de condamnation et de +réhabilitation de Jeanne d'Arc_, Paris, in-8º, 1841, t. I.] + +[Note 3: _Procès_, t. I. p. 93 et _passim_.] + +[Note 4: _Ibid._, t. III, pp. 89, 142, 161, 176, 178, 201.] + +L'instrument du procès est suivi d'une information sur plusieurs +paroles dites par Jeanne _in articulo mortis_[5]. Cette information ne +porte pas la signature des greffiers. De ce fait la pièce est +irrégulière au point de vue de la procédure; elle n'en constitue pas +moins un document historique d'une authenticité certaine. Je crois que +les choses se sont passées à peu près comme ce procès-verbal +extra-judiciaire les rapporte. On y trouve exposée la seconde +rétractation de Jeanne et cette rétractation ne fait point de doute, +puisque Jeanne est morte administrée. Ceux mêmes qui ont, au procès de +réhabilitation, signalé l'irrégularité de cette pièce, n'en ont +nullement taxé le contenu de fausseté. + +[Note 5: _Ibid._, t. I, pp. 478 et suiv.] + +2º Les chroniqueurs d'alors, tant français que bourguignons, étaient +des chroniqueurs à gages. Tout grand seigneur avait le sien. Tringant +dit que son maître «ne donnoit point d'argent pour soy faire mettre ès +croniques»[6], et qu'il n'y fut pas mis à cause de cela. La plus +vieille chronique où il soit parlé de la Pucelle est celle de Perceval +de Cagny, serviteur de la maison d'Alençon, écuyer d'écurie du duc +Jean[7]. Elle fut rédigée en l'an 1436, c'est-à-dire six ans seulement +après la mort de Jeanne. Mais elle ne le fut pas par lui; il n'avait, +de son propre aveu, «le sens, mémoire, ne l'abillité de savoir faire +metre par escript ce, ne autre chose mendre de plus de la moitié[8]». +C'est l'ouvrage d'un clerc qui rédige avec soin. On n'est pas surpris +qu'un chroniqueur aux gages de la maison d'Alençon expose de la façon +la moins favorable au roi et à son conseil les différends qui +s'élevèrent entre le sire de la Trémouille et le duc d'Alençon au +sujet de la Pucelle. Mais on aurait attendu d'un scribe, qui est +censé écrire sous la dictée d'un domestique du duc Jean, un récit +moins inexact et moins vague des faits d'armes accomplis par la +Pucelle en compagnie de celui qu'elle appelait son beau duc. Bien que +cette chronique fût écrite à une époque où l'on n'imaginait pas que le +procès de 1431 pût être un jour révisé, la Pucelle y est considérée +comme opérant par des moyens surnaturels et ses actes y révèlent un +caractère hagiographique qui leur ôte toute vraisemblance. Au reste, +la portion de la chronique dite de Perceval de Cagny, qui traite de la +Pucelle, est brève: vingt-sept chapitres de quelques lignes chacun. +Quicherat croit que c'est la meilleure chronique qu'on ait sur Jeanne +d'Arc[9], et peut-être, en effet, que les autres valent moins encore. + +[Note 6: Jean de Bueil, _le Jouvencel_, éd. C. Fabre et L. +Lecestre, Paris, 1887, in-8º, t. II, p. 283.] + +[Note 7: Perceval de Cagny, _Chroniques_, publiées par H. +Moranvillé, Paris, 1902, in-8º.] + +[Note 8: _Ibid._, p. 31.] + +[Note 9: _Procès_, t. IV, p. 1.] + +Gilles le Bouvier, roi d'armes du pays de Berry[10], qui avait +quarante-trois ans en 1429, est un peu plus judicieux que Perceval de +Cagny, et, bien qu'il brouille souvent les dates, mieux au fait des +opérations militaires. Mais il est trop sommaire pour nous apprendre +grand'chose. + +[Note 10: _Ibid._, t. IV, pp. 40 à 50.--D. Godefroy, _Histoire de +Charles VII_, Paris, 1661, in-fol., pp. 369-474.] + +Jean Chartier, chantre de Saint-Denys[11], exerçait l'office de +chroniqueur de France en 1449. C'est donc, comme on eût dit deux +siècles plus tard, un historiographe du roi. Il y paraît à la manière +dont il rapporte la fin de Jeanne d'Arc. Après avoir dit qu'elle fut +longtemps gardée en prison par les ordres de Jean de Luxembourg, il +ajoute: «Lequel Luxembourg la vendit aux Angloiz, qui la menèrent à +Rouen, où elle fut durement traictée; et tellement que, après grant +dillacion de temps, sans procez, maiz de leur voulenté indeue, la +firent ardoir en icelle ville de Rouen publiquement... qui fut bien +inhumainement fait, veu la vie et gouvernement dont elle vivoit, car +elle se confessoit et recepvoit par chacune sepmaine le corps de +Nostre Seigneur, comme bonne catholique[12].» Quand Jean Chartier dit +que les Anglais la brûlèrent sans procès, il entend apparemment que le +bailli de Rouen ne prononça pas de sentence. Pour ce qui est du procès +d'Église, pour ce qui est des deux causes de lapse et de relapse, il +n'en souffle mot, et c'est aux Anglais qu'il reproche d'avoir brûlé +sans jugement une bonne catholique. On voit, par cet exemple, dans +quel embarras la sentence de 1431 mettait le gouvernement du roi +Charles. Mais que penser d'un historien qui, gêné par le procès de +Jeanne, le supprime? Jean Chartier est un esprit extrêmement faible +et futile; il semble croire que l'épée de sainte Catherine était fée +et qu'en la rompant Jeanne perdit tout son pouvoir[13]; il recueille +les fables les plus puériles. Cependant le fait n'est pas sans intérêt +que le chroniqueur en titre des rois de France, écrivant vers 1450, +attribue à la Pucelle une grande part dans la délivrance d'Orléans, la +conquête des places sur la Loire et la victoire de Patay, rapporte que +le roi forma l'armée de Gien «par l'admonestement de ladite +Pucelle[14]», et dise expressément que Jeanne fut «cause» du +couronnement et du sacre[15]. C'était là sûrement l'opinion professée +à la cour de Charles VII, et il ne reste plus qu'à savoir si elle +était sincère et fondée en raison, ou si le roi de France ne jugeait +pas avantageux de devoir son royaume à la Pucelle, hérétique au regard +des chefs de l'Église universelle, mais de bonne mémoire pour le menu +peuple de France, plutôt qu'aux princes du sang et aux chefs de +guerre, dont il ne se souciait pas de vanter les services après la +révolte de 1440, cette praguerie, où l'on avait vu le duc de Bourbon, +le comte de Vendôme, le duc d'Alençon, que la Pucelle appelait son +beau duc, et jusqu'au prudent comte de Dunois, s'unir aux routiers +pour faire la guerre à leur souverain avec plus d'ardeur qu'ils ne +l'avaient jamais faite aux Anglais. + +[Note 11: Jean Chartier, _Chronique de Charles VII, roi de +France_, publ. par Vallet de Viriville, Paris, 1858, 3 vol. in-18 +(Bibliothèque Elzévirienne).] + +[Note 12: Jean Chartier, _Chronique de Charles VII, roi de +France_, t. I, p. 122.] + +[Note 13: Jean Chartier, _Chronique de Charles VII, roi de +France_, t. I, p. 121.] + +[Note 14: _Ibid._, t. 1, p. 87.] + +[Note 15: _Ibid._, t. I, p. 97.] + +Le _Journal du siège_[16] fut sans doute tenu en 1428 et 1429, mais la +rédaction qui nous est parvenue date de 1467. Ce qui s'y rapporte à +Jeanne, antérieurement à sa venue à Orléans, est interpolé; et +l'interpolateur fut assez maladroit pour placer au mois de février +l'arrivée de Jeanne à Chinon, qui eut lieu le 6 mars, et pour assigner +la date du jeudi 10 mars au départ de Blois, qui ne s'effectua qu'à la +fin d'avril. Le journal, du 28 avril au 7 mai, est moins incertain +dans sa chronologie et les erreurs de calendrier qui s'y trouvent +encore peuvent être attribuées au copiste. Mais les faits rapportés à +ces dates, parfois en désaccord avec les pièces de comptabilité et +souvent empreints de merveilleux, témoignent d'un état avancé de la +légende. Il est impossible, par exemple, d'attribuer à un témoin du +siège l'erreur commise par le rédacteur relativement à la chute du +pont des Tourelles[17]. Ce qui est dit, à la page 97 de l'édition P. +Charpentier et C. Cuissart, des relations entretenues par les +habitants avec les hommes d'armes ne semble pas à sa place et pourrait +bien avoir été mis là pour effacer le souvenir des dissentiments +graves qui s'étaient produits dans la dernière semaine. À partir du 8 +mai, le journal n'est plus du tout un journal; c'est une suite de +morceaux empruntés à Chartier, à Berry et au procès de réhabilitation. +L'épisode du grand et gros Anglais que maître Jean de Montesclère tue +au siège de Jargeau est visiblement tiré de la déposition que Jean +d'Aulon fit en 1456, et cet emprunt est fait au mépris de la vérité, +puisque Jean d'Aulon dit expressément que le grand et gros Anglais fut +tué aux Augustins[18]. + +[Note 16: _Journal du siège d'Orléans_ (1428-1429), publié par P. +Charpentier et C. Cuissart, Orléans, 1896, in-8º.] + +[Note 17: _Ibid._, p. 81.--_Procès_, t. IV, p. 162, note.] + +[Note 18: _Journal du siège_, p. 97.--_Procès_, t. III, p. 215.] + +La chronique appelée _Chronique de la Pucelle_[19], comme si elle +était la chronique par excellence de l'héroïne, est extraite d'une +histoire intitulée _Geste des nobles François_, et qui remonte jusqu'à +Priam de Troye. Mais elle n'en fut pas tirée sans changements ni +additions. Ce travail fut opéré après 1467. Quand on aura démontré que +la _Chronique de la Pucelle_ est d'un Cousinot, enfermé dans Orléans +pendant le siège, ou même de deux Cousinot, oncle et neveu, selon les +uns, père et fils, selon les autres, il n'en restera pas moins vrai +qu'elle est en grande partie copiée du _Journal du siège_, de Jean +Chartier et du procès de réhabilitation. Cet ouvrage ne fait pas grand +honneur à son auteur, quel qu'il soit, car on ne peut pas beaucoup +vanter un faiseur d'histoires qui raconte deux fois les mêmes +événements avec des circonstances différentes et inconciliables, sans +paraître le moins du monde s'en apercevoir. La _Chronique de la +Pucelle_ s'arrête brusquement au retour du roi en Berry après l'échec +devant Paris. + +[Note 19: _Chronique de la Pucelle_ ou _Chronique de Cousinot_, +publiée par Vallet de Viriville, Paris, 1859, in-16 (Bibliothèque +Gauloise).] + +Il faut placer le _Mistère du siège_[20] parmi les chroniques. C'est, +en effet, une chronique dialoguée et rimée, qui présenterait un grand +intérêt, du moins pour son ancienneté, si l'on pouvait, comme on l'a +voulu, en faire remonter la composition à l'année 1435. Dans ce poème +de 20529 vers, les éditeurs et, à leur suite, plusieurs érudits ont +cru reconnaître «certain mistaire[21]» joué à Orléans lors du sixième +anniversaire de la délivrance. Mais de ce que le maréchal de Rais, qui +se plaisait à faire représenter magnifiquement des farces et des +mystères, soit demeuré du mois de septembre 1434 jusqu'au mois d'août +1435 dans la cité du duc Charles, faisant grande dépense[22], et que +la ville ait acheté de ses deniers, en 1439, «un estandart et bannière +qui furent à Monseigneur de Reys pour faire la manière de l'assault +comment les Tourelles furent prinses sur les Anglois[23]», on ne peut +tirer la preuve que, en 1435 ou en 1439, le 8 mai, une pièce de +théâtre fut représentée, ayant le Siège pour sujet et pour héroïne la +Pucelle. Si pourtant on veut faire de «la manière de l'assault comment +les Tourelles furent prises» un mystère, plutôt qu'une cavalcade ou +tout autre divertissement, et voir dans le «certain mistaire» de 1435 +une représentation du Siège mis et levé par les Anglais, on obtiendra +de cette façon un mystère du siège. Encore faudra-t-il voir si c'est +celui dont nous possédons le texte. + +[Note 20: _Mistère du siège d'Orléans_, publ. pour la première +fois d'après le manuscrit unique conservé à la bibliothèque du +Vatican, par MM. F. Guessard et E. de Certain, Paris, 1862, +in-4º.--Cf. _Étude sur le mystère du siège d'Orléans_, par H. Tivier, +Paris, 1868, in-8º.] + +[Note 21: _Procès_, t. V, p. 309.] + +[Note 22: L'abbé E. Bossard et de Maulde, _Gilles de Rais, +maréchal de France dit Barbe-Bleue_ (1404-1440), 2e édit., Paris, +1886, in-8º, pp. 94 à 113.] + +[Note 23: _Mistère du siège_, p. viij.] + +Comme parmi les cent quarante personnages parlants, de l'oeuvre qui +nous est parvenue, se trouve le maréchal de Rais, on a supposé que +l'ouvrage fut écrit et représenté antérieurement au procès qui se +termina par la sentence exécutée au-dessus des ponts de Nantes, le 20 +octobre 1440. En effet, nous a-t-on dit, comment, après sa mort +ignominieuse, montrer aux Orléanais le vampire de Machecoul combattant +pour leur délivrance? Comment associer dans une action héroïque la +Pucelle et Barbe-Bleue? Il est embarrassant de répondre à une +semblable question, parce que nous ne savons pas ce que pouvait +supporter, en ce genre de choses, la rudesse des vieux âges. Notre +texte, convenablement interrogé, nous dira peut-être lui-même s'il est +antérieur ou postérieur à 1440. + +Le bâtard d'Orléans fut fait comte de Dunois le 14 juillet 1439[24]. +Les vers du _Mistère_, où on lui donne ce titre, ne peuvent donc être +plus anciens que cette date. Ils abondent et, par une singularité +qu'on n'explique pas, se trouvent tous dans le premier tiers de +l'ouvrage. Quand Dunois paraît ensuite, il redevient le Bâtard. De ce +fait, voilà cinq mille vers que les éditeurs de 1862 considèrent comme +ajoutés postérieurement au texte primitif, bien qu'ils ne se +distinguent des autres ni par la langue, ni par le style, ni par la +prosodie, ni par aucune qualité. Mais le reste du poème remonte-t-il à +1435 ou 39? + +[Note 24: _Mistère du siège_, préface, p. X.] + +Je n'en crois rien. Aux vers 12093 et 12094, la Pucelle annonce à +Talbot qu'il mourra par la main «des gens du roi». Cette prophétie n'a +pu être faite qu'après l'événement: elle constitue une manifeste +allusion à la fin de l'illustre capitaine, et ces vers sont sûrement +postérieurs à l'année 1453. + +Un clerc Orléanais, six ans après le siège, n'aurait pas travesti +Jeanne en dame de haute naissance. + +Aux vers 10199 et suivants du _Mistère du siège_ la Pucelle répond au +premier président du Parlement de Poitiers qui l'interroge sur sa +maison: + + Quant est de l'ostel de mon père, + Il est en pays de Barois; + Gentilhomme et de noble afaire + Honneste et loyal François[25]. + +[Note 25: _Mistère du siège_, pp. 397-398.] + +Pour qu'un clerc en arrivât à écrire de telles choses, il fallait que +la famille de Jeanne fût depuis très longtemps anoblie et la première +génération noble éteinte, ce qui advint en 1469; il fallait qu'il +pullulât des du Lys, dont on ménageait les prétentions ridicules. Ces +du Lys ne se contentaient point de remonter à leur tante; ils +rattachaient le bonhomme Jacquot d'Arc à la vieille noblesse barroise. + +Bien que ces paroles de Jeanne sur «l'hôtel de son père» s'accordent +assez mal avec d'autres scènes du même mystère, ce long ouvrage paraît +être tout d'une venue. + +Il fut vraisemblablement compilé sous le règne de Louis XI par un +orléanais qui possédait assez bien son sujet. Il y aurait intérêt à +étudier ses sources plus attentivement qu'on ne l'a fait jusqu'ici. Ce +poète semble avoir connu un _Journal du siège_ très différent de celui +que nous possédons. + +Son mystère fut-il représenté dans les trente dernières années du +siècle, aux fêtes instituées en commémoration de la prise des +Tourelles? Le sujet, le ton, l'esprit, tout y est parfaitement +approprié. Il semble toutefois étrange qu'un poème fait pour célébrer +à la date du 8 mai la délivrance d'Orléans, place expressément cette +délivrance à la date du 9. C'est ce que fait l'auteur du _Mistère du +siège_, quand il met ces vers dans la bouche de la Pucelle: + + ..... Ayez en souvenance... + Comment Orléans eult délivrance... + L'an mil iiijc xxix; + Faites en mémoire tous dis; + Des jours de may ce fut le neuf[26]. + +[Note 26: _Mistère du siège_, vers 14375-14381, p. 559.] + +Voilà les principaux chroniqueurs du parti français qui ont écrit sur +la Pucelle. Je puis me dispenser de citer les autres qui sont plus +tardifs ou qui, traitant seulement de quelques épisodes de la vie de +Jeanne, ne peuvent être examinés avec utilité qu'au moment où l'on +entre dans le détail des faits. Dès à présent, sans nous inquiéter de +ce qu'il peut y avoir à prendre dans la _Chronique de l'établissement +de la fête_[27], dans la _Relation_ du greffier de La Rochelle[28], et +dans quelques autres textes contemporains, nous sommes à même de nous +apercevoir que, si nous ne savions de Jeanne d'Arc que ce qu'ont dit +d'elle les chroniqueurs français, nous la connaîtrions à peu près +comme nous connaissons Çakia Mouni. + +[Note 27: _Procès_, t. V, pp. 285 et suiv.] + +[Note 28: _Relation inédite sur Jeanne d'Arc, extraite du livre +noir de l'hôtel de ville de La Rochelle_, publ. par J. Quicherat, +Orléans, 1879, in-8º, et _Revue Historique_, t. IV, 1877, pp. +329-344.] + +Ce ne sont pas les chroniqueurs bourguignons qui nous la peuvent +expliquer. Mais on trouve chez eux quelques renseignements utiles. De +ces chroniqueurs du parti de Bourgogne, le premier en date est le +clerc picard auteur d'une Chronique anonyme dite _des Cordeliers_[29], +parce que l'unique manuscrit qui la renferme provient d'un couvent de +ces religieux, à Paris. C'est une cosmographie qui va de la création +du monde à l'année 1431. M. Pierre Champion[30] a établi que +Monstrelet s'en est servi. Ce clerc picard a connu diverses choses et +vu certaines pièces diplomatiques. Mais il brouille étrangement les +faits et les dates. Ses informations sur la vie militaire de la +Pucelle sont de source française et populaire. On lui a accordé +quelque crédit pour son récit du saut de Beaurevoir qui, s'il était +exact, écarterait toute idée que Jeanne s'est jetée du haut du donjon +dans un accès de désespoir ou de folie[31]. Toutefois, ce récit ne +peut se concilier avec les déclarations de Jeanne. + +[Note 29: Bibl. nat. fr., 23.018.--J. Quicherat, _Supplément aux +témoignages contemporains sur Jeanne d'Arc_, dans _Revue Historique_, +t. XIX, mai-juin 1882, pp. 72-83.] + +[Note 30: Pierre Champion, _Guillaume de Flavy_, Paris, 1906, +in-8º, pp. xj et xij.] + +[Note 31: _Chronique d'Antonio Morosini_, introd. et comm., par +Germain Lefèvre-Pontalis, texte établi par Léon Dorez, t. III, 1901, +p. 302 et t. IV, annexe xxj.] + +Monstrelet[32], «plus baveux que ung pot de moutarde[33]» est une +fontaine de sapience au regard de Jean Chartier. S'il se sert de la +_Chronique des Cordeliers_, il la redresse, et présente les faits avec +ordre. Ce qu'il savait de Jeanne se réduisait à peu de chose. Il +croyait de bonne foi qu'elle avait été servante d'auberge. Il n'a +qu'un mot sur les indécisions de la guerrière à Montépilloy, mais ce +mot, qui ne se trouve nulle part ailleurs, nous a été extrêmement +précieux. Il l'a vue au camp de Compiègne, malheureusement il n'a pas +su ou il n'a pas voulu dire quelle impression elle avait produite sur +lui. + +[Note 32: Enguerran de Monstrelet, _Chronique_, publ. par +Doüet-d'Arcq, Paris, 1857-1861, 6 vol. in-8º.] + +[Note 33: Rabelais, _Pantagruel_, t. III, ch. XXIV.] + +Wavrin du Forestel[34], qui rédigea des additions à Froissart, à +Monstrelet et à Mathieu d'Escouchy, était à Patay; il n'y vit point +Jeanne. Il ne la connaît que par ouï-dire et très mal. Nous n'avons +donc pas à tenir grand compte de ce qu'il rapporte de messire Robert +de Baudricourt, lequel, à l'en croire, endoctrina la Pucelle et lui +enseigna la manière de paraître «inspirée de la Providence +divine[35]». Par contre, il donne des renseignements précieux sur les +faits militaires qui suivirent la délivrance d'Orléans. + +[Note 34: Jehan de Wavrin, _Anchiennes croniques d'Engleterre_, +éd. de mademoiselle Dupont, Paris, 1858-1863, 3 vol. in-8º.] + +[Note 35: Additions de Wavrin à Monstrelet, dans _Procès_, t. IV, +p. 407.] + +Le Fèvre de Saint-Remy, conseiller du duc de Bourgogne et roi d'armes +de la Toison-d'Or[36], était peut-être à Compiègne quand Jeanne fut +prise et il a parlé d'elle comme d'une vaillante fille. + +[Note 36: _Chronique de Jean Le Fèvre, seigneur de Saint-Remy_, +publ. par François Morand, Taris, 1876-81, 2 vol. in-8º.] + +Georges Chastellain copie Le Fèvre de Saint-Remy[37]. + +[Note 37: _Chronique des ducs de Bourgogne_, Paris, 1827, 2 vol. +in-8º, t. XLII et XLIII de la _Collection des Chroniques françaises_ +de Buchon.--_Oeuvres de Georges Chastellain_, publiées par Kervyn de +Lettenhove, Bruxelles, 1863, 8 vol. in-8º.] + +L'auteur du _Journal_ dit _d'un bourgeois de Paris_[38], en qui l'on +reconnaît un clerc cabochien, n'avait entendu parler de Jeanne que par +les docteurs et maîtres de l'Université de Paris. Aussi était-il fort +mal renseigné. C'est regrettable. Cet homme est unique dans son temps +pour l'énergie des passions et du langage, pour la vigueur de la +colère et de la pitié, pour son sens profondément populaire. + +[Note 38: _Journal d'un bourgeois de Paris_ (1405-1449), publié +par A. Tuetey, Paris, 1881, in-8º.] + +Je dois signaler un écrit qui n'est ni français ni bourguignon, mais +italien. Je veux parler de la _Chronique d'Antonio Morosini_, publié +par M. Germain Lefèvre-Pontalis avec des notes d'une admirable +érudition. Cette chronique ou pour mieux dire les courriers qu'elle +renferme, sont singulièrement précieux pour l'historien, non parce que +les actions attribuées à la Pucelle y sont vraies, mais au contraire +parce qu'elles y sont fausses, parce qu'elles sont toutes imaginaires +et fabuleuses. On ne trouve pas dans la _Chronique de Morosini_[39] un +fait, un seul fait, concernant Jeanne, qui soit présenté dans son +véritable caractère et sous un jour naturel. Et cependant les +correspondants de Morosini sont des hommes d'affaires, des Vénitiens +subtils et avisés. Il apparaît à les lire que, sur la «demoiselle», +comme ils la nomment, à la fois fameuse et inconnue, courent par tout +le monde chrétien d'innombrables fictions imitées tantôt des romans de +chevalerie, tantôt de la _Légende dorée_. + +[Note 39: _Chronique d'Antonio Morosini_, publ. par Léon Dorez et +Germain Lefèvre-Pontalis, Paris, 1900-1902, 4 vol. in-8º.] + +Un autre texte, publié aussi par M. Germain Lefèvre-Pontalis avec +autant de conscience que de talent, le _Journal_ d'un négociant +allemand, nommé Eberhard de Windecke[40], présente le même phénomène. +Rien de ce qui y est rapporté de la Pucelle n'est probable ni +vraisemblable. Dès qu'elle paraît, un cycle de contes populaires se +forme sur son nom; Eberhard se plaît visiblement à les conter. Nous +devons ainsi à d'honnêtes marchands étrangers de savoir que, à aucun +moment de son existence, Jeanne ne fut connue autrement que par des +fables et que, si elle remua les foules, ce fut par le bruit des +innombrables légendes qui naissaient sur ses pas et volaient devant +elle. Et il y a lieu de réfléchir sur cette éclatante obscurité qui +dès le début enveloppa la Pucelle, ces nuages radieux du mythe qui, en +la cachant, la faisaient apparaître. + +[Note 40: G. Lefèvre-Pontalis, _Les sources allemandes de +l'histoire de Jeanne d'Arc_, Eberhard Windecke, Paris, 1903, in-8º.] + +3º Avec ses mémoires, ses consultations et ses cent quarante +témoignages, fournis par cent vingt-trois témoins, le procès de +réhabilitation[41] offre un riche recueil de documents. M. Lanéry +d'Arc a fort bien fait de publier intégralement les mémoires des +docteurs ainsi que le traité de l'archevêque d'Embrun, les +propositions de maître Henri de Gorcum et la _Sibylla Francica_[42]. +Le procès de 1431 nous apprend de reste ce que les théologiens du +parti de l'Angleterre pensaient de la Pucelle; sans les consultations +de Théodore de Leliis et de Paul Pontanus et les opinions insérées au +procès posthume on ignorerait l'idée que se faisaient d'elle les +docteurs d'Italie et de France; et il importe de connaître les +sentiments de l'Église tout entière sur une fille qu'elle a condamnée +vivante, durant la puissance anglaise, et réhabilitée morte, après les +victoires des Français. + +[Note 41: _Procès_, t. II à III, 1844-45. (Les tomes V et VI, +1846-47, contiennent les témoignages.)] + +[Note 42: Lanéry d'Arc, _Mémoires et consultations en faveur de +Jeanne d'Arc_, Paris, 1889, in-8º.] + +Quant aux cent vingt-trois témoins qui furent entendus à Domremy, à +Vaucouleurs, à Toul, à Orléans, à Paris, à Rouen, à Lyon, gens +d'Église, princes, capitaines, bourgeois, paysans, artisans, ils +apportent sans doute des clartés sur une multitude de points. Mais, +nous sommes obligés de le reconnaître, ils ne satisfont pas, tant s'en +faut, toutes nos curiosités, et cela pour plusieurs raisons. D'abord +ils répondaient à un questionnaire dressé en vue d'établir un certain +nombre de faits dans l'ordre de la justice ecclésiastique. Le sacré +inquisiteur qui conduisait le procès était curieux; il ne l'était pas +de la même manière que nous. C'est une première raison de +l'insuffisance des témoignages à notre sens[43]. + +[Note 43: _Procès_, t. II, pp. 378-463.] + +Il y en a d'autres. Les témoins se montrent, pour la plupart, simples +à l'excès et sans discernement. Dans cette foule de gens de tout âge +et de toute condition on est attristé de trouver si peu d'esprits +judicieux et lucides. Il semble que les âmes fussent alors baignées +dans un demi-jour où rien ne paraissait distinct. La pensée comme la +langue avait d'étranges puérilités. On ne peut pénétrer un peu avant +dans cet âge obscur sans se croire parmi des enfants. Au long +d'interminables guerres, la misère et l'ignorance avaient appauvri les +esprits et réduit l'homme à une extrême maigreur morale. Le costume +des nobles et des riches, étriqué, déchiqueté, ridicule, trahit la +gracilité absurde du goût et la faiblesse de la raison[44]. Un des +caractères les plus saisissants de ces petites intelligences, c'est la +légèreté: elles sont incapables d'attention; elles ne retiennent rien. +Il faudrait n'avoir pas lu les écrits du temps pour n'être pas frappé +de cette infirmité presque générale. + +[Note 44: J. Quicherat, _Histoire du costume_, Paris, 1875, gr. +in-8º, _passim_.--G. Demay, _Le costume au moyen âge d'après les +sceaux_, Paris, 1880, p. 121, fig. 76 et 77.] + +Aussi tout n'est-il pas bien sérieux dans ces cent quarante +témoignages. La fille de Jacques Boucher, argentier du duc d'Orléans, +dépose en ces termes: «La nuit je couchais seule avec Jeanne. Je n'ai +jamais remarqué en elle rien de mal ni dans ses paroles ni dans ses +actes. Tout y était simplicité, humilité, chasteté[45].» Cette +demoiselle avait neuf ans lorsqu'elle s'aperçut, avec un discernement +précoce, que sa compagne de lit était simple, humble et chaste. + +[Note 45: _Procès_, t. III, p. 34.] + +Cela est sans conséquence. Mais pour montrer combien on est déçu +quelquefois par les témoins sur lesquels on devait compter le plus, je +citerai frère Pasquerel[46]. Frère Pasquerel est le chapelain de +Jeanne. Vous vous attendez à ce qu'il parle en homme qui a vu et qui +sait. Frère Pasquerel met l'examen de Poitiers avant l'audience que +donna le roi à la Pucelle dans le château de Chinon[47]. Oubliant que +l'armée de secours se trouvait tout entière dans Orléans depuis le 4 +mai, il suppose que, dans la soirée du vendredi 6, on l'attendait +encore[48]. On peut juger par là de l'ordre qui règne dans la tête de +ce religieux. Le pis est qu'il invente des miracles; il veut faire +croire au monde que, lors de l'arrivée du convoi de vivres sous +Orléans, survint, par l'intervention de la Pucelle, pour renflouer les +chalands, une crue soudaine de la Loire, que personne n'a remarquée, +excepté lui[49]. + +[Note 46: _Procès_, t. III, p. 100.] + +[Note 47: Il convient toutefois de remarquer que frère Pasquerel, +qui n'était ni à Chinon, ni à Poitiers, prend soin de dire qu'il ne +sait du séjour de Jeanne dans ces deux villes que ce qu'elle-même lui +a appris. Or, nous voyons, non sans surprise, qu'elle mettait aussi +l'examen de Poitiers avant l'audience de Chinon, puisqu'elle a dit +dans son procès, que, à Chinon, ayant montré un signe à son roi, les +clercs cessèrent de «l'arguer» (_Procès_, t. I, p. 146).] + +[Note 48: _Expectando succursum regis_ (_Procès_, t. III, p. +109).] + +[Note 49: _Procès_, t. III, p. 105.] + +La déposition de Dunois[50] cause aussi quelque déception. On sait que +Dunois était un des hommes les plus intelligents et les plus avisés +de son temps et qu'il passait pour beau parleur. Il avait défendu, non +sans habileté, la ville d'Orléans et fait toute la campagne du sacre. +Il faut que sa déposition ait été bien maltraitée par le traducteur et +par les scribes. Sans cela on serait obligé de croire que le prudent +seigneur la fit faire par son chapelain. Il y parle du «grand nombre +des ennemis» en des termes plus convenables à un chanoine de la +cathédrale ou à un marchand drapier, qu'au capitaine chargé d'assurer +la défense et tenu de connaître les forces réelles des assiégeants. +Tout ce qui, dans cette pièce, a trait au transport des vivres, le 28 +avril, est à peu près inintelligible. Et Dunois n'a pas pu dire que la +première étape de l'armée de Gien avait été Troyes. Rapportant un +propos que lui tint la Pucelle après le sacre, il la fait parler comme +si ses frères l'attendaient à Domremy, tandis qu'ils chevauchaient +près d'elle en France. Par une étrange maladresse, pour prouver que +Jeanne avait des visions, il conte une historiette qui, tout au +contraire, laisserait croire que cette jeune paysanne était une +simulatrice habile et donnait, à la demande des seigneurs, le +spectacle de l'extase, comme l'Esther du regretté docteur Luys[51]. + +[Note 50: _Ibid._, t. III, pp. 2 et suiv.] + +[Note 51: _Procès_, t. III, p. 12.] + +J'ai dit, dans cet ouvrage, à propos du procès de réhabilitation, ce +qu'il faut penser des dépositions des greffiers, de l'huissier +Massieu, du frère Isambard de la Pierre, du frère Martin Ladvenu[52] +et de tous ces brûleurs de sorcières et vengeurs de Dieu, qui +travaillèrent à la réhabilitation d'aussi bon coeur qu'ils avaient +travaillé à la condamnation. + +[Note 52: _Procès_, t. II, pp. 15, 161, 329; t. III, pp. 41 et +_passim_.] + +Dans bien des cas, au sujet d'événements considérables, les témoins +parlent tout à fait à l'encontre de la réalité. Un marchand drapier +d'Orléans, nommé Jean Luillier, vient devant les commissaires, hardi +comme l'archer de Bagnolet, et déclare que les habitants ni la +garnison ne pouvaient résister contre les ennemis assemblés en si +grand nombre[53]. Or, sur ce point important il est démenti par les +documents les plus sûrs, qui établissent que les Anglais étaient au +contraire bien faibles et bien dénués autour d'Orléans[54]. + +[Note 53: _Ibid._, t. III, p. 23.] + +[Note 54: L. Jarry, _Le compte de l'armée anglaise au siège +d'Orléans_ (1428-1429). Orléans, 1892, in-8º.] + +Si les témoignages du second procès sentent souvent l'artifice et +l'apprêt, s'ils sont parfois hors de toute vérité, ce n'est pas +seulement le tort de ceux qui les portèrent; c'est aussi le tort de +ceux qui les reçurent. Ceux-ci les avaient sollicités avec trop d'art. +Ces témoignages valent ce que valent les témoignages dans un procès +d'inquisition. Ils représentent en certains endroits la pensée des +juges autant, peut-être, que celle des témoins. + +Ce que, en l'espèce, les juges s'efforçaient surtout d'établir, +c'était que Jeanne n'avait rien compris quand on lui avait parlé de +l'Église et du pape, et qu'elle avait refusé d'obéir à l'Église +militante parce qu'elle croyait que l'Église militante c'était messire +Cauchon et ses assesseurs. Enfin il fallait la montrer à peu près +idiote. C'était là un très utile expédient de procédure +ecclésiastique. Et il y avait encore une autre raison, une raison très +forte, de la faire passer pour une fille dénuée d'intelligence, une +innocente. Ce second procès, comme le premier, répondait à des +intentions politiques; il avait pour objet de faire connaître que +Jeanne était venue au secours du roi de France, non par suggestion +diabolique, mais par inspiration céleste. En conséquence, on s'efforça +de montrer qu'elle n'avait pas d'esprit, pour que l'Esprit Saint fût +plus manifeste en elle. Les interrogateurs s'y appliquèrent +constamment. Ils surent amener les témoins à dire à tout propos +qu'elle était simple, très simple. _Una simplex bergereta_[55], dit +l'un. _Erat multum simplex et ignorans_[56], dit l'autre. + +Et puisque cette innocente était envoyée de Dieu pour délivrer ou +prendre des villes, pour conduire des gens d'armes, il fallait +qu'ignorante du reste, elle eût la science infuse de la guerre et +montrât dans les batailles la force et le conseil qu'elle tenait d'En +Haut. On dut donc obtenir des dépositions établissant qu'elle était +plus habile à guerroyer qu'aucun homme au monde. + +Demoiselle Marguerite la Touroulde l'affirme[54a]. Le duc d'Alençon +déclare que la Pucelle était très experte tant à manier la lance qu'à +former une armée, à ordonner une bataille et à préparer l'artillerie, +et qu'elle étonnait les vieux capitaines par son art à mettre les +canons en place[54b]. Ce seigneur entend bien que c'était par miracle +et qu'il en faut rendre grâce à Dieu seul. Car, s'il eût fallu +rapporter le mérite des victoires à Jeanne elle-même, il n'en eût pas +tant dit. + +[Note 54a: _Procès_, t. III, p. 85.] + +[Note 54b: _Ibid._, t. III, p. 100.--Voir, par contre, la +déposition de Dunois (t. III, p. 16) «_licet dicta Johanna +aliquotiens jocose loqueretur de facto armorum, pro animante +armatos... tamen quando loquebatur seriose de guerra... nunquam +affirmative asserebat nisi quod erat missa ad levandum obsidionem +Aurelianensem._] + +Et, puisque le Seigneur avait choisi la Pucelle pour accomplir un si +grand ouvrage, c'était donc qu'il avait reconnu en elle la vertu qu'il +préfère en ses vierges. Dès lors il ne suffisait pas qu'elle eût été +chaste; il était nécessaire qu'elle l'eût été miraculeusement; il +était nécessaire qu'elle eût poussé la chasteté et la sobriété dans le +boire et le manger jusqu'à la sainteté. Aussi les témoins viennent-ils +publier à l'envi: _Erat casta, erat castissima. Ille loquens non +credit aliquam mulierem plus esse castam quam ista Puella erat. Erat +sobria in potu et cibo. Erat sobria in cibo et potu_[54c]. + +[Note 54c: _Procès_, t. II, pp. 438, 457; t. III, pp. 100, 219.] + +Il fallait enfin qu'une telle pureté manifestât par des privilèges +singuliers sa céleste origine. À cette nécessité répondent de nombreux +témoignages. De rudes hommes d'armes, Jean de Novelompont, Bertrand de +Poulengy, Jean d'Aulon, de hauts seigneurs, le comte de Dunois et le +duc d'Alençon, viennent affirmer, sur la foi du serment, que Jeanne ne +leur inspirait pas de désirs charnels. Ces vieux capitaines s'en +étonnent; ils vantent leur vigueur passée et s'émerveillent que leurs +jeunes ardeurs aient été une fois endormies par une pucelle. Cela ne +leur semble pas naturel, cela ne leur paraît pas humainement possible. +À les entendre décrire les effets que Jeanne produisait sur eux, on +croit voir sainte Marthe enchaînant la Tarasque. Dunois, très occupé +dans sa déposition de noter les miracles, ne manque pas de signaler +celui-là comme un des plus propres à confondre la raison. S'il n'a ni +convoité ni sollicité cette jeune fille, il ne voit qu'une explication +à ce fait unique, c'est que Jeanne était sacrée, _res divina_. Pour +exprimer leur soudaine continence, Jean de Novelompont et Bertrand de +Poulengy emploient l'un et l'autre identiquement les mêmes formes de +langage, affectées et contournées. Et voici qu'un écuyer de l'écurie +du roi, Gobert Thibaut, vient déclarer qu'on parlait beaucoup dans +l'armée de cette grâce divine spécialement dévolue aux Armagnacs[57] +et refusée aux Anglais et aux Bourguignons, si l'on en juge par les +entreprises amoureuses d'un gentilhomme de Picardie et de Jeannotin, +tailleur à Rouen[58]. + +[Note 55: _Procès_, t. III, p. 20.] + +[Note 56: _Ibid._, t. III, p. 87.] + +[Note 57: _Procès_, t. II, p. 438; t. III, pp. 15, 76, 100, 219 et +457.] + +[Note 58: _Ibid._, t. III, pp. 89 et 121.] + +Tout cela, comme on voit, répond à la pensée des juges, et ce sont, si +je puis dire, des vérités théologiques, plutôt que des vérités +naturelles. + +Les dépositions, qui, comme celles de Jean de Novelompont et de +Bertrand de Poulengy, contiennent des passages rédigés en termes +identiques, abondent d'ordinaire dans les enquêtes inquisitoriales. +Elles sont rares, je dois le dire, dans le procès de réhabilitation, +peut-être parce que les témoins ont été entendus à de longs +intervalles de temps, dans diverses contrées, et sans doute aussi +parce que la cause de la Pucelle n'exigeait pas de grands efforts de +procédure, la partie adverse ayant fait défaut. + +Il est fâcheux que toutes les dépositions recueillies dans cette +enquête, hors celle de Jean d'Aulon, aient été traduites en latin; +elles y ont perdu l'accent original et les nuances fines de la pensée. + +Parfois le greffier se contente de dire que le témoin dépose comme le +précédent. C'est ainsi que tous les bourgeois déposent sur la +délivrance de la ville d'Orléans, comme le marchand drapier qui, +précisément, n'était pas très au fait des circonstances dans +lesquelles sa ville avait été délivrée. C'est ainsi encore que le sire +de Gaucourt, après une brève déclaration, dépose comme Dunois, qui +pourtant avait dit des choses bien particulières pour être ainsi +communes à deux témoins[59]. + +[Note 59: _Procès_, t. III, pp. 2 et 35.] + +Certains témoignages, à ce qu'il semble, ont été tronqués. Celui de +frère Pasquerel s'arrête court à Paris, et l'on croirait que le bon +frère a quitté la Pucelle immédiatement après l'attaque de la Porte +Saint-Honoré, si l'on n'avait pas sa signature au bas de la lettre +latine aux Hussites. Ce n'est pas par hasard assurément, que, dans une +si longue suite de questions et de réponses, il n'est pas dit un mot +du départ de Sully ni de la campagne qui commença à Lagny et finit à +Compiègne[60]. + +[Note 60: _Ibid._, t. III, pp. 100 et suiv.] + +On voit que cette abondante enquête doit être consultée avec prudence, +et qu'il ne faut pas s'attendre à y trouver des éclaircissements sur +toutes les circonstances de la vie de Jeanne. + +4º Les livres de comptes, lettres, actes et autres pièces authentiques +de l'époque donnent seuls sur bien des points quelque précision à +l'histoire de la Pucelle. C'est par les pièces d'archives que publia +Siméon Luce et par le bail du château de l'Île que nous savons dans +quelles circonstances Jeanne a grandi[61]. Ni les deux procès, ni les +chroniques ne nous avaient révélé la situation horrible où se trouvait +le village de Domremy de 1412 à 1425. + +[Note 61: Siméon Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy, recherches +critiques sur les origines de la mission de la Pucelle_, Paris, 1886, +in-8º; _La France pendant la guerre de cent ans: épisodes historiques +et vie privée aux XIVe et XVe siècles_, Paris, 1890, in-12.] + +C'est par les comptes de forteresse tenus à Orléans[62] et par les +endentures de l'administration anglaise[63] que nous pouvons estimer +approximativement les forces respectives des défenseurs et des +assiégeants et rectifier à cet égard les assertions des chroniqueurs +et des témoins de la réhabilitation. + +[Note 62: D. Lottin, _Recherches sur la ville d'Orléans_, Orléans, +7 vol. in-8º.--Boucher de Molandon, _Les comptes de ville d'Orléans +des XIVe et XVe siècles_, Orléans, 1880, in-8º.--Jules Loiseleur, +_Compte des dépenses faites par Charles VII pour secourir Orléans +pendant le siège de 1428_, Orléans, 1808, in-8º.--Louis Jarry, _Le +compte de l'armée anglaise au siège d'Orléans_, Orléans, 1892, +in-8º.--Couret, _Un fragment inédit des anciens registres de la +prévôté d'Orléans, relatif au règlement des frais du siège de +1428-1429_, Orléans, 1897, in-8º (extrait des _Mémoires de l'Académie +de Sainte Croix_).] + +[Note 63: Rymer, _Foedera, conventiones..._ éd. tercia, Hagæ +Comitis, 1739-1745, 10 vol. in-fol.--Delpit, _Collection de documents +français qui se trouvent en Angleterre_, Paris, 1847, in-4º.--J. +Stevenson, _Letters and papers illustrative of the wars of the English +in France during the reign of Henry VI_, 1861-1864, 3 part., en 2 vol. +in-8º.--Charles Gross, _The sources and literature of English +history_, 1900, in-8º.] + +C'est par les lettres qu'au XVIIe siècle copia Rogier dans les +archives de Reims que nous pouvons savoir comment Troyes, Châlons et +Reims se rendirent au roi et nous apercevoir que Jean Chartier ne +rapporte pas exactement, tant s'en faut, la capitulation de Troyes et +que Dunois est, à cet égard, pour un témoin tel que lui, d'une +insuffisance étrange[64]. + +[Note 64: Varin, _Archives législatives de la ville de Reims_, 2e +partie, _Statuts_, t. I, p. 596.--_Procès_, t. IV, pp. 284 et suiv.] + +C'est à la faveur de quatre ou cinq documents d'archives que nous +discernons, çà et là, quelques vagues lueurs dans l'obscurité profonde +qui recouvre la malheureuse campagne de l'Aisne et de l'Oise. + +C'est par les registres capitulaires de Rouen, les testaments des +chanoines et diverses autres pièces, que M. Robillard de Beaurepaire +sut trouver dans les archives de la Seine-Inférieure, qu'on peut +rectifier plusieurs erreurs des deux procès[65]. + +[Note 65: E. Robillard de Beaurepaire, _Recherches sur le procès +de condamnation de Jeanne d'Arc_, Rouen, 1869, in-8º; [_Précis des +travaux de l'Académie de Rouen_, 1867-1868, pp. 321-448]; _Notes sur +les juges et les assesseurs du procès de condamnation de Jeanne +d'Arc_, Rouen, 1890, in-8º; [_Précis des travaux de l'Académie de +Rouen_, 1888-89, pp. 375-504].] + +Que d'autres pièces volantes je pourrais encore noter comme +précieuses à l'historien! Raison de plus pour se défier des pièces +fausses ou falsifiées, comme, par exemple, les lettres d'anoblissement +de Guy de Cailly[66]. + +[Note 66: _Procès_, t. V, pp. 342 et suiv.] + +Si rapide qu'ait été cet examen des sources, je crois avoir dit +l'essentiel. En résumé, la Pucelle, de son vivant même, ne fut guère +connue que par des fables. Ses plus anciens chroniqueurs, bien +incapables de faire oeuvre de critiques, rapportèrent comme des +réalités les légendes de la première heure. + +C'est dans le procès de Rouen et dans quelques pièces de comptabilité, +quelques lettres missives, quelques actes privés ou publics, que nous +trouverons le plus de vérité. Le procès de réhabilitation sera aussi +d'un grand secours pour l'histoire, à la condition qu'on n'oublie +jamais comment et pourquoi ce procès fut fait. + +Au moyen de ces documents on peut se représenter, en somme, assez +précisément Jeanne d'Arc dans son caractère et dans sa vie. + +Ce qui ressort surtout des textes, c'est qu'elle fut une sainte. Elle +fut une sainte avec tous les attributs de la sainteté au XVe siècle. +Elle eut des visions, et ces visions ne furent ni feintes ni +contrefaites; elle crut réellement entendre des voix qui lui parlaient +et qui ne sortaient pas d'une bouche humaine. Ces voix l'entretenaient +le plus souvent d'une façon distincte et intelligible pour elle. C'était +dans les bois qu'elle les entendait le mieux, ou quand sonnaient les +cloches. Elle voyait des figures en manière, a-t-elle dit, de choses +multiples et minimes, comme des étincelles perçues dans un +éblouissement. Sans nul doute, elle avait aussi des visions d'une autre +nature, puisque nous tenons d'elle qu'elle voyait saint Michel sous les +apparences d'un prud'homme, c'est-à-dire d'un bon chevalier, sainte +Catherine et sainte Marguerite, le front ceint d'une couronne. Elle les +voyait qui lui faisaient la révérence; elle les embrassait par les +jambes et sentait leur bonne odeur. + +Qu'est-ce à dire sinon qu'elle avait des hallucinations de l'ouïe, de +la vue, du toucher et de l'odorat? Chez elle, de tous les sens, le +plus affecté c'est l'ouïe: elle dit que ses voix lui apparaissent; +elle les nomme parfois aussi son conseil; elle les entend très bien à +moins qu'on ne fasse du bruit autour d'elle. Le plus souvent elle leur +obéit; quelquefois elle leur résiste. Il est douteux que ses visions +fussent aussi distinctes. Soit qu'elle ne le voulût pas, soit qu'elle +ne le pût pas, elle n'en donna jamais aux juges de Rouen une +description bien nette ni bien précise. Ce qu'elle sut peindre le +mieux ce furent encore les anges porte-couronne qu'elle avoua ensuite +n'avoir jamais vus que dans son imagination. + +À quel âge ces troubles lui vinrent-ils? On ne peut pas le dire avec +précision. Mais ce fut très probablement au sortir de l'enfance, et +nous sommes avertis par le témoignage de Jean d'Aulon, que Jeanne ne +sortit jamais tout à fait de l'enfance[67]. + +[Note 67: _Procès_, t. III, p. 219.] + +Bien que, le plus souvent, il soit hasardeux de tirer d'une donnée +historique les éléments d'une étude clinique, plusieurs savants ont +tenté de définir l'état pathologique qui rendait cette jeune fille +apte à subir de fausses perceptions de l'ouïe et de la vue[68]. Comme +la psychiatrie a fait en ces dernières années de rapides progrès, je +me suis adressé à un savant éminent qui connaît l'état actuel de cette +science, à laquelle il a apporté lui-même d'importantes contributions. +J'ai demandé au docteur Georges Dumas, professeur à la Sorbonne, si la +science dispose d'éléments suffisants pour établir rétrospectivement +le diagnostic de Jeanne. Il m'a envoyé en réponse une lettre qu'on +lira dans l'appendice I de cet ouvrage[69]. + +[Note 68: Brière de Boismont, _De l'hallucination historique, ou +étude médico-psychique sur les voix et les révélations de Jeanne +d'Arc_, 1861, in-8º.--Le vicomte de Mouchy, _Jeanne d'Arc, étude +historique et psychologique_, Montpellier, 1868, in-8º, 67 p.] + +[Note 69: T. II.] + +Je n'ai pas qualité pour aborder ce sujet. Du moins puis-je, sans +sortir de ma compétence, présenter, relativement aux hallucinations de +Jeanne d'Arc, une observation qui m'a été suggérée par l'étude des +textes. Cette observation est d'une conséquence infinie; je la +contiendrai rigoureusement dans les limites que me tracent la nature +et l'objet de cet ouvrage. + +Les visionnaires qui se croient investis d'une mission divine se +distinguent des autres illuminés par des caractères singuliers. Si +l'on étudie les mystiques de ce genre, si on les rapproche les uns des +autres, on s'apercevra qu'ils présentent entre eux des traits de +ressemblance qu'on peut suivre jusque dans des détails très menus, +qu'ils se répètent tous dans certaines de leurs paroles et dans +certains de leurs actes, et peut-être, en reconnaissant le +déterminisme étroit auquel sont soumis les mouvements de ces +hallucinés, éprouve-t-on quelque surprise à voir la machine humaine +fonctionner, sous l'action d'un même agent mystérieux, avec cette +uniformité fatale. Jeanne appartient à ce groupe religieux, et il est +intéressant de la comparer à cet égard à sainte Catherine de +Sienne[70], à sainte Colette de Corbie[71], à Yves Nicolazic, le +paysan de Kernanna[72], à Suzette Labrousse, l'inspirée de l'Église +constitutionnelle[73] et à tant d'autres voyants et voyantes de cet +ordre qui ont entre eux un air de famille. Trois visionnaires surtout +sont étroitement apparentés avec Jeanne. Le premier en date est un +vavasseur de Champagne, qui avait mission de parler au roi Jean. J'ai +suffisamment fait connaître ce saint homme dans le présent ouvrage. Le +second est un maréchal ferrant de Salon, qui avait mission de parler à +Louis XIV; le troisième, un paysan de Gallardon, nommé Martin, qui +avait mission de parler à Louis XVIII. On trouvera en appendice, des +notices sur ce maréchal et sur ce laboureur, qui tous deux eurent des +apparitions et montrèrent un signe au roi[74]. Les ressemblances que +ces trois hommes, malgré la contrariété des sexes, présentent avec +Jeanne d'Arc sont intimes et profondes, elles tiennent à leur nature +même; et les différences, qui semblent au premier aspect séparer si +largement Jeanne de ces visionnaires, sont d'ordre esthétique, +social, historique, par conséquent extérieures et contingentes. Sans +doute il y a d'eux à elle contraste d'apparence et de fortune; ils +présentent autant de disgrâce qu'elle exerce de charme et c'est un +fait qu'ils échouèrent misérablement tandis qu'elle grandit en force +et fleurit en légende. Mais c'est le propre de l'esprit scientifique +de reconnaître dans le plus bel individu et dans le plus misérable +avorton d'une même espèce des caractères communs, attestant l'identité +d'origine. + +[Note 70: _Acta Sanctorum_, 1675, Avril, III, 851.] + +[Note 71: _Ibid._, Mars, I, 532.] + +[Note 72: Le Père Hugues de Saint-François, _Les grandeurs de sainte +Anne_, Rennes, 1657, in-8º.--L'abbé Max Nicol, _Sainte-Anne-d'Auray_, +Paris, Bruxelles, s. d. in-8º, pp. 37 et suiv.--M. le docteur G. de +Closmadeuc a bien voulu me communiquer son précieux travail inédit sur +Yves Nicolazic, dans lequel on retrouve la sûreté d'information et de +critique qui caractérise ses études d'histoire locale.] + +[Note 73: _Recueil des ouvrages de la célèbre mademoiselle +Labrousse, du Bourg de Vauxains, en Périgord, canton de Ribeirac, +département de la Dordogne, actuellement prisonnière au château +Saint-Ange, à Rome_, Bordeaux, 1797, in-8º.--E. Lairtullier, _Les +femmes célèbres de 1789 à 1795_, Paris, 1842, in-8º, t. I, pp. 212 et +suiv.--Abbé Chr. Moreau, _Une mystique révolutionnaire, Suzette +Labrousse_, Paris, 1886, in-8º.--A. France, _Suzette Labrousse_, +Paris, 1907, in-12.] + +[Note 74: T. II, appendices II et III.] + +De notre temps, les libres penseurs, empreints pour la plupart de +spiritualisme, se refusent à reconnaître en Jeanne non seulement cet +automatisme qui détermine les actes d'une voyante comme elle, non +seulement les influences d'une hallucination perpétuelle, mais +jusqu'aux suggestions de l'esprit religieux. Ce qu'elle faisait par +sainteté et dévotion, ils veulent qu'elle l'ait fait par enthousiasme +raisonné. De telles dispositions se remarquent chez l'honnête et +savant Quicherat qui met, à son insu, beaucoup de philosophie +éclectique dans la piété de la Pucelle. Cette façon de voir ne fut pas +sans inconvénients. Elle amena les historiens de libre pensée à +exagérer jusqu'à l'absurde les facultés intellectuelles de cette +enfant, à lui attribuer ridiculement des talents militaires et à +substituer à la naïve merveille du XVe siècle un phénomène +polytechnique. Les historiens catholiques de notre temps sont plus +dans la nature et dans la vérité quand ils font de la Pucelle une +sainte. Par malheur, l'idée de la sainteté s'est beaucoup affadie dans +l'Église depuis le concile de Trente, et les historiens orthodoxes +sont peu disposés à rechercher les variations de l'Église catholique à +travers les âges. Aussi nous la rendent-ils béate et moderne. Si bien +que, pour trouver la plus étrangement travestie de toutes les Jeanne +d'Arc, on hésiterait entre leur miraculeuse protectrice de la France +chrétienne, patronne des officiers et des sous-officiers, modèle +inimitable des élèves de Saint-Cyr, et la druidesse romantique, la +garde nationale inspirée, la canonnière patriote des républicains, +s'il ne s'était trouvé un Père jésuite pour faire une Jeanne d'Arc +ultramontaine[75]. + +[Note 75: Le P. Ayroles, _La vraie Jeanne d'Arc_, 5 vol. grand +in-8º, Paris, 1894-1902. En parlant de ce livre dans une étude sur +l'_Abjuration de Jeanne d'Arc_ (Paris, 1902, pp. 7 et 8, note), le +chanoine Ulysse Chevalier, auteur d'un précieux _Répertoire des +sources du moyen âge_, s'exprime avec beaucoup de sens et de fermeté. +«Par les dimensions de ses cinq volumes, dit-il, cet ouvrage pourrait +faire l'illusion d'être la plus ample histoire de Jeanne d'Arc; il +n'en est rien. C'est un chaos de mémoires traduits ou mis en français +de notre temps, de réflexions et de controverses contre la libre +pensée, représentée par Michelet, H. Martin, Quicherat, Vallet de +Viriville, Sim. Luce et Jos. Fabre. Deux titres suffiront pour donner +une idée du ton. «Les pseudo-théologiens bourreaux de Jeanne d'Arc, +bourreaux de la Papauté» (t. I, p. 87). «L'Université de Paris et le +brigandage de Rouen» (p. 149). L'auteur juge trop souvent le XVe +siècle d'après les préoccupations du XIXe. Est-il sûr que, membre de +l'Université de Paris, en 1431, il eût pensé et jugé en faveur de +Jeanne d'Arc, à l'encontre de ses collègues?».] + +Je n'ai pas soulevé de doutes sur la sincérité de Jeanne. On ne peut +la soupçonner de mensonge: elle crut fermement recevoir sa mission de +ses voix. Il est plus difficile de savoir si elle ne fut pas dirigée à +son insu. Ce que nous connaissons d'elle avant son arrivée à Chinon se +réduit à très peu de chose. On est porté à croire qu'elle avait subi +certaines influences; c'est le cas de toutes les visionnaires: un +directeur, qu'on ne voit pas, les mène. Il en dut être ainsi de +Jeanne. On l'entendit qui disait, à Vaucouleurs, que le dauphin avait +le royaume en _commende_[76]. Ce n'était pas les gens de son village +qui lui avaient appris ce terme. Elle récitait une prophétie qu'elle +n'avait pas inventée et qui, visiblement, avait été fabriquée pour +elle. + +[Note 76: _Procès_, t. II, p. 456.] + +Elle dut fréquenter des prêtres fidèles à la cause du dauphin Charles +et qui surtout souhaitaient la fin de la guerre. Les abbayes étaient +incendiées, les églises pillées, le service divin aboli[77]. Ces +pieuses gens qui soupiraient après la paix, voyant que le traité de +Troyes ne l'avait pu donner, l'attendaient seulement de l'expulsion +des Anglais. Et ce qu'il y eut de rare, d'extraordinaire et comme +d'ecclésiastique et de religieux en cette jeune paysanne, ce n'est pas +qu'elle se crût appelée à chevaucher et à guerroyer, c'est que dans +«sa grande pitié», elle annonçât la fin prochaine de la guerre, par la +victoire et le sacre du roi, alors que les seigneurs des deux pays et +les gens d'armes des deux partis n'avaient ni soupçon ni désir que la +guerre finît jamais. + +[Note 77: Le P. Denifle, _La désolation des églises, monastères, +hôpitaux en France vers le milieu du XVe siècle_, Mâcon, 1897, in-8º.] + +La mission dont elle se croyait chargée par l'ange et à laquelle elle +consacrait sa vie, était extraordinaire, sans doute, étonnante, +inouïe; mais non toutefois au-dessus de ce que des saints et des +saintes avaient déjà tenté dans l'ordre des affaires humaines. Jeanne +d'Arc fleurit au déclin des grands âges catholiques, alors que la +sainteté, qui s'accompagnait volontiers de toutes sortes de +bizarreries, d'illusions et de folies, était encore souverainement +puissante sur les âmes. Et de quels miracles n était-elle pas capable +quand elle agissait par la force du coeur et par les grâces de +l'esprit? Du XIIIe au XVe siècle, les serviteurs de Dieu accomplissent +des travaux merveilleux. Saint Dominique, pris d'une fureur sacrée, +extermine l'hérésie par le fer et le feu; saint François d'Assise +institue, pour un jour, la pauvreté sur le monde; saint Antoine de +Padoue défend les artisans et les marchands contre l'avarice et la +cruauté des seigneurs et des évêques; sainte Catherine ramène le Pape +à Rome. Était-il donc impossible à une sainte fille, avec l'aide de +Dieu, de rétablir dans le malheureux royaume de France le pouvoir +royal institué par Notre-Seigneur lui-même et de faire sacrer le +nouveau Joas échappé à la mort pour le salut du peuple saint? + +C'est ainsi que les Français pieux, en 1428, concevaient la mission de +la Pucelle. Elle se donnait pour une dévote fille, inspirée de Dieu. +Il n'y avait rien d'incroyable à cela. En annonçant qu'elle avait +révélations de monseigneur saint Michel sur le fait de la guerre, elle +inspirait aux gens d'armes armagnacs et aux bourgeois d'Orléans autant +de confiance que pouvait en communiquer aux mobiles de la Loire, dans +l'hiver de 1871, un ingénieur républicain, inventeur d'une poudre sans +fumée ou d'un canon perfectionné. Ce qu'on attendait de la science en +1871 on l'attendait de la religion en 1428, de sorte que le Bâtard +d'Orléans put songer à employer Jeanne aussi naturellement que +Gambetta pensa à recourir aux connaissances techniques de M. de +Freycinet. + +Ce qu'on ne remarque pas assez, c'est que le parti français la mit en +oeuvre très adroitement. Les clercs de Poitiers, tout en l'examinant +avec lenteur sur ses moeurs et sa foi, la faisaient valoir. Ces clercs +de Poitiers n'étaient pas des religieux étrangers au monde, c'était le +Parlement du roi légitime, c'étaient les exilés de l'Université, des +hommes très engagés dans les affaires du royaume, très compromis dans +les révolutions, dépouillés et ruinés, et fort impatients de rentrer +dans leurs biens; et le plus habile homme du Conseil, l'archevêque duc +de Reims, chancelier du royaume, les dirigeait. Par la durée et la +solennité de leurs interrogatoires, ils attiraient sur Jeanne la +curiosité, l'intérêt, l'espoir des âmes émerveillées[78]. + +[Note 78: O. Raguenet, _Les juges de Jeanne d'Arc à Poitiers, +membres du Parlement ou gens d'Église?_ dans _Lettres et mémoires de +l'Académie de Sainte-Croix d'Orléans_, VII, 1894, pp. 399-442.--D. +Lacombe, _L'hôte de Jeanne d'Arc à Poitiers, maître Jean Rabateau, +président au Parlement de Poitiers_, dans _Revue du Bas-Poitou_, 1891, +pp. 46-66.] + +La ville d'Orléans avait, pour se défendre, des murs, des fossés, des +canons, des gens d'armes et de l'argent. Les Anglais n'avaient pu ni +l'enlever d'assaut ni l'investir. Entre leurs bastilles passaient des +convois, des compagnies. On fit entrer Jeanne dans la ville avec une +belle armée de secours. Elle amenait des troupeaux de boeufs, de +moutons et de porcs. Les habitants crurent recevoir un ange du +Seigneur. Cependant les assiégeants étaient épuisés d'hommes et +d'argent. Ils avaient perdu tous leurs chevaux. Loin de pouvoir tenter +désormais une nouvelle attaque, ils n'avaient pas la force de tenir +longtemps dans leurs bastilles. À la fin d'avril, il y avait quatre +mille Anglais devant Orléans, et peut-être moins, car il s'en partait, +comme on disait, tous les jours; et les déserteurs allaient par +troupes piller les villages. Dans le même temps, la ville était +défendue par six mille gens d'armes et gens de trait et plus de trois +mille hommes des milices bourgeoises. À Saint-Loup, il y eut quinze +cents Français contre quatre cents Anglais; aux Tourelles, cinq mille +Français contre quatre ou cinq cents Anglais. En se retirant, les +Godons abandonnaient à leur sort les petites garnisons de Jargeau, de +Meung et de Beaugency. On peut juger de l'état de l'armée anglaise par +la bataille de Patay, qui ne fut point une bataille, mais un massacre, +et où Jeanne n'arriva que pour gémir sur la cruauté des vainqueurs. +Néanmoins, les lettres du roi aux bonnes villes lui attribuèrent une +part de la victoire. C'était donc que le Conseil royal faisait +étendard de sa sainte Pucelle. + +Au fond, que pensaient d'elle ceux qui l'employaient, les Regnault de +Chartres, les Robert Le Maçon, les Gérard Machet? Sans doute, ils +n'étaient pas en état de discerner l'origine des illusions dont elle +était enveloppée. Et, bien qu'il se trouvât alors des athées parmi les +gens d'Église, l'apparition de saint Michel archange n'était pas pour +étonner la plupart d'entre eux. Rien alors ne paraissait plus naturel +qu'un miracle. Mais de près les miracles ne se voient pas. Ils avaient +cette jeune fille sous les yeux; ils s'apercevaient que, pour sainte +et bonne qu'elle fût, elle n'exerçait point un pouvoir surhumain. + +Tandis que les gens d'armes et tout le commun peuple l'accueillaient +comme la Pucelle de Dieu et l'ange envoyé du ciel pour le salut du +royaume, ces bons seigneurs ne songeaient qu'à profiter des sentiments +de confiance qu'elle inspirait et qu'ils ne partageaient guère. La +voyant ignorante au possible et la jugeant, sans doute, moins +intelligente qu'elle n'était, ils entendaient la conduire à leur idée. +Ils durent bientôt s'apercevoir que ce n'était pas toujours facile. +Elle était une sainte; les saintes sont intraitables. Quels furent au +vrai les rapports du Conseil royal avec la Pucelle? Nous l'ignorons et +c'est un secret qui ne sera jamais pénétré. Les juges de Rouen +croyaient savoir qu'elle recevait des lettres de saint Michel[79]. Il +est possible qu'on ait abusé quelquefois de sa simplicité. Nous avons +des raisons de croire que la marche sur Reims ne lui fut pas suggérée +en France; mais il est certain que le chancelier du royaume, messire +Regnault de Chartres, archevêque de Reims, avait grande envie d'être +rétabli sur le siège du bienheureux Remi et de jouir de ses bénéfices. + +[Note 79: _Procès_, t. I, p. 146.] + +Dans le fait, cette campagne du sacre ne fut qu'une suite de +négociations appuyées par des lances. On voulut montrer aux bonnes +villes un roi saint et pacifique. Si l'on avait eu envie de se +battre, on serait allé sur Paris ou en Normandie. + +Cinq ou six témoins, capitaines, magistrats, ecclésiastiques et une +honnête veuve déposèrent à l'enquête de 1456 que Jeanne était entendue +au fait de guerre. Ils s'accordèrent à dire qu'elle montait à cheval +et maniait la lance mieux que personne. Un maître des requêtes révéla +qu'elle émerveillait l'armée par la longueur du temps qu'elle pouvait +rester en selle. Ce sont là des mérites qu'on ne saurait lui refuser +et l'on ne contestera pas non plus cette diligence, cette ardeur, que +Dunois vante en elle à l'occasion d'une démonstration faite, la nuit, +devant Troyes. Quant à l'opinion, que cette jeune fille était très +habile à rassembler et à conduire une armée et s'entendait surtout à +diriger l'artillerie, elle est plus difficile à partager et il en +faudrait un autre garant que ce pauvre duc d'Alençon qui ne passa +jamais pour un homme raisonnable[80]. Ce que nous venons de dire du +procès de réhabilitation fait suffisamment comprendre ces étranges +appréciations. Il était entendu que Jeanne recevait de Dieu ses +inspirations militaires. On ne craignait plus dès lors de les admirer +trop et on les vantait un peu à tort et à travers. + +[Note 80: _Procès_, t. III, pp. 2 et suiv., p. 96.] + +Le duc d'Alençon fut après tout bien modéré en faisant de la Pucelle un +artilleur distingué. Dès l'année 1429 un humaniste du parti de Charles +VII disait dans la langue de Cicéron qu'elle égalait et surpassait, pour +la gloire des armes, Hector, Alexandre, Hannibal et César. «_Non Hectore +reminiscat et gaudeat Troja, exultet Graecia Alexandro, Annibale Africa, +Italia Caesare et Romanis ducibus omnibus glorietur, Gallia etsi ex +pristinis multos habeat, hac tamen una Puella contenta, audebit se +gloriari et laude bellica caeteris nationibus se comparare, verum +quoque, si expediet, se anteponere_[81].» + +[Note 81: Lettre d'Alain Chartier dans _Procès_, t. V, pp. 135, +136.--Capitaine P. Marin, _Jeanne d'Arc tacticien et stratégiste_, +Paris, 1889, 4 vol. in-12.--Le général Canonge, _Jeanne d'Arc +guerrière_, Paris, 1907, in-8º.] + +Jeanne, toujours en prières et en extase, n'observait pas l'ennemi, +elle ne connaissait pas les chemins, elle ne tenait aucun compte des +effectifs engagés, ne se souciait ni de la hauteur des murs ni de la +largeur des fossés. On entend aujourd'hui des officiers discuter le +génie tactique de la Pucelle[82]. Elle n'avait qu'une tactique, +c'était d'empêcher les hommes de blasphémer le Seigneur et de mener +avec eux des ribaudes; elle croyait qu'ils seraient détruits pour +leurs péchés mais que, s'ils combattaient en état de grâce, ils +auraient la victoire. C'était là toute sa science militaire, hors +toutefois qu'elle ne craignait pas le danger. Elle montrait le plus +doux et le plus fier courage; elle était plus vaillante, plus +constante, plus généreuse que les hommes et digne en cela de les +conduire. Et n'est-ce pas une chose admirable et rare que de voir tant +d'héroïsme uni à tant d'innocence? + +[Note 82: _Rossel et la légende de Jeanne d'Arc_, dans la _Petite +République_ du 15 juillet 1896.--_Jeanne d'Arc soldat_, par Art Roë, +dans le _Temps_ du 8 mai 1907.--Voyez aussi les ouvrages du capitaine +Marin, si recommandables d'ailleurs par le soin et la bonne foi.] + +À vrai dire, certains chefs et notamment les princes du sang royal +n'en savaient pas beaucoup plus qu'elle. Pour faire la guerre, en ce +temps-là, il suffisait de monter à cheval. Il n'existait point de +cartes. On n'avait nulle idée de marches sur plusieurs lignes, +d'opérations d'ensemble, d'une campagne méthodiquement combinée, d'un +effort prolongé en vue de grands résultats. L'art militaire se +réduisait à quelques ruses de paysans et à certaines règles de +chevalerie. Les routiers, partisans et capitaines d'aventure, savaient +tous les tours du métier; mais ils ne connaissaient ni amis ni ennemis +et n'avaient de coeur qu'à piller. Les nobles montraient grand vouloir +d'acquérir honneur et louange; en fait, ils songeaient au gain. Alain +Chartier disait d'eux: «Ils crient aux armes, mais ils courent à +l'argent[83].» + +[Note 83: Alain Chartier, _Oeuvres_, éd. André du Chesne, p. 412.] + +La guerre devant durer autant que la vie, on la menait doucement. Les +gens d'armes, cavaliers et piétons, archers, arbalétriers, tant +Armagnacs qu'Anglais et Bourguignons se battaient sans beaucoup +d'ardeur. Ils étaient braves assurément; ils étaient prudents aussi et +l'avouaient sans nulle honte. Jean Chartier, chantre de Saint-Denys, +chroniqueur des rois de France, conte comment les Français +rencontrèrent une fois les Anglais près de Lagny et il ajoute: «Et y +ot très dure et aspre besongne, car les François n'estoient guères +plus que les Englois[84].» Ces gens simples avouaient qu'il est +chanceux de se battre un contre un, attendu qu'un homme en vaut un +autre. Ce n'étaient pas des esprits nourris de Plutarque comme les +hommes de la Révolution et de l'Empire. Et ils n'avaient pour leur +hausser le coeur ni les carmagnoles de Barrère, ni les hymnes de +Marie-Joseph Chénier, ni les bulletins de la grande armée. On se +demande bonnement pourquoi ces capitaines, ces gens d'armes allaient +se battre ici plutôt que là? Pour trouver à manger. + +[Note 84: Jean Chartier, _Chronique de Charles VII_, t. I, p. +121.] + +Ces guerres perpétuelles étaient peu meurtrières. Durant ce qu'on +appela la mission de Jeanne d'Arc, d'Orléans à Compiègne, les Français +perdirent à peine quelques centaines d'hommes. Les Anglais furent +beaucoup plus abîmés, parce qu'ils fuyaient et que c'était l'habitude +des vainqueurs de tuer dans les déroutes tout ce qui ne valait pas la +peine d'être pris à rançon. Mais les batailles étaient rares, partant +les défaites, et le nombre des combattants petit. Il n'y avait en +France qu'une poignée d'Anglais. On ne se battait, autant dire, que +pour piller. Ceux qui souffraient de la guerre, c'étaient ceux qui ne +la faisaient pas, les bourgeois, les religieux, les paysans. Les +paysans enduraient les maux les plus cruels, et il est concevable +qu'une paysanne ait tenu la campagne avec une fermeté, une +obstination, une ardeur inconnues à toute la chevalerie. + +Ce n'est pas Jeanne qui a chassé les Anglais de France; si elle a +contribué à sauver Orléans, elle a plutôt retardé la délivrance en +faisant manquer, par la marche du Sacre, l'occasion de recouvrer la +Normandie. La mauvaise fortune des Anglais à partir de 1428 s'explique +très naturellement: tandis que dans la paisible Guyenne, où ils +faisaient la culture, le négoce, la navigation et administraient +habilement les finances, le pays, qu'ils rendaient prospère, leur +était très attaché; au contraire, sur les bords de la Seine et de la +Loire, ils ne prenaient pas pied; ils n'avaient jamais pu s'y +implanter, y mettre du monde en suffisance, y faire de solides +établissements. Enfermés dans les forteresses et les châteaux, ils ne +cultivaient pas assez le sol pour le conquérir: car on ne s'empare +vraiment de la terre que par le labour; ils la laissaient en friche et +l'abandonnaient aux partisans qui les harcelaient et les épuisaient. +Leurs garnisons ridiculement petites se trouvaient prisonnières dans +le pays de conquête. Ils avaient les dents longues; mais un brochet +n'avale pas un boeuf. On avait bien vu après Crécy, après Poitiers, +qu'ils étaient trop petits et la France trop grande. Pouvaient-ils +mieux réussir après Verneuil, sous le règne troublé d'un enfant, au +milieu des discordes civiles, manquant d'hommes et d'argent et quand +il leur fallait encore contenir le pays de Galles, l'Irlande et +l'Écosse? En 1428, ils n'étaient qu'une poignée en France et ne s'y +maintenaient que par le duc de Bourgogne qui dès lors les exécrait et +leur voulait tout le mal possible. + +Les moyens leur manquaient également et de prendre de nouvelles +provinces et de pacifier celles qu'ils avaient prises. Le caractère +même de la souveraineté que revendiquaient leurs princes, la nature +des droits qu'ils faisaient valoir et qui reposaient entièrement sur +les institutions communes aux deux pays leur rendaient difficile +l'organisation de leur conquête sans le consentement et même, on peut +le dire, sans le concours loyal et l'amitié des vaincus. Le traité de +Troyes ne soumettait pas la France à l'Angleterre; il les réunissait +l'une à l'autre. Cette réunion inspirait bien des inquiétudes à +Londres; les gens des communes laissaient voir la crainte que la +vieille Angleterre ne devînt qu'une province écartée du nouveau +royaume[85]. De son côté la France ne se sentait pas réunie. Il était +trop tard. Depuis le temps qu'on guerroyait contre ces Coués +l'habitude était prise de les haïr. Et peut-être y avait-il déjà un +caractère anglais et un caractère français qui ne s'accordaient pas. +Même à Paris, où les Armagnacs faisaient autant de peur que les +Sarrasins, on supportait les Godons avec grand déplaisir. Ce dont on +peut être surpris, ce n'est pas que les Anglais aient été chassés de +France, c'est qu'ils l'aient été si lentement. Est-ce à dire que la +jeune sainte n'eut point de part dans l'oeuvre de la délivrance? Non, +certes! Elle eut la part la plus belle: celle du sacrifice; elle donna +l'exemple du plus haut courage et montra l'héroïsme sous une forme +imprévue et charmante. La cause du roi, qui était en vérité la cause +nationale, elle la servit de deux manières: en donnant confiance aux +gens d'armes de son parti, qui la croyaient chanceuse, et en faisant +peur aux Anglais qui s'imaginaient qu'elle était le diable. + +[Note 85: Voir la délibération des communes du 2 décembre 1421, +dans Bréquigny, _Lettres des rois, reines et autres personnages des +cours de France et d'Angleterre_, Paris, 1847 (2 vol. in-4º), t. II, +pp. 393 et suiv.] + +Nos meilleurs archivistes ne pardonnent pas aux ministres et aux +capitaines de 1428 de n'avoir pas aveuglément obéi à la Pucelle. Ce +n'est point tout à fait le conseil que l'archevêque d'Embrun donnait, +sur le moment, au roi Charles; il lui recommandait au contraire de ne +point se départir des moyens inspirés par la prudence humaine[86]. + +[Note 86: Le R. P. M. Fornier, _Histoire des Alpes-Maritimes_, +Paris, 1890, in-8º, t. II. p. 324.--Lanéry d'Arc, _Mémoires et +consultations_, pp. 565 et suiv.] + +On a beaucoup répété que les seigneurs et capitaines, particulièrement +le vieux Gaucourt[87], étaient jaloux d'elle. Il faut, pour le croire, +ignorer profondément la nature humaine. Ils étaient envieux les uns +des autres, et c'est cette envie, au contraire, qui, mieux que tout +autre sentiment, leur fit souffrir que la Pucelle se dît chef de +guerre. + +[Note 87: Marquis de Gaucourt, _Le sire de Gaucourt_, Orléans, +1855, in-8º.] + +J'avoue qu'il m'a été impossible de découvrir les sourdes intrigues +des conseillers du roi et des capitaines conjurés pour perdre la +sainte. Elles éclatent aux yeux de plusieurs historiens; pour moi, +j'ai beau faire: je ne les discerne pas. Le chambellan, sire de la +Trémouille, n'était pas une belle âme et le chancelier Regnault de +Chartres avait le coeur très sec; mais ce qui m'apparaît, c'est que le +sire de la Trémouille refusa de céder cette précieuse fille au duc +d'Alençon qui la lui demandait et que le chancelier la garda pour s'en +servir. Je ne crois pas du tout que Jeanne fut prisonnière à Sully; +je crois qu'elle en sortit avec bannière et trompettes quand elle alla +rejoindre le chancelier qui l'employa jusqu'au moment où elle fut +prise par les Bourguignons. Après la petite sainte, il mit en oeuvre +un petit saint, un berger, qui avait reçu les stigmates. C'est donc +qu'il ne regrettait pas de s'être servi d'une personne de dévotion +pour combattre les ennemis du roi et recouvrer son archevêché. + +L'honnête Quicherat et le généreux Henri Martin sont très durs pour le +gouvernement de 1428. À leur sens, c'est un gouvernement de trahison. +En fait, ce qu'ils reprochent à Charles VII et à ses conseillers c'est +de n'avoir pas compris la Pucelle comme ils la comprennent eux-mêmes. +Mais il a fallu quatre cents ans pour cela. Pour avoir sur Jeanne +d'Arc les illuminations d'un Quicherat et d'un Henri Martin, il a +fallu trois siècles de monarchie absolue, la Réforme, la Révolution, +les guerres de la République et de l'Empire, et le néo-catholicisme +sentimental des hommes de 48. C'est à travers tant de prismes +brillants, sous tant de teintes superposées que les historiens +romantiques et les paléographes généreux ont découvert la figure de +Jeanne d'Arc, et c'est trop demander à ce pauvre dauphin Charles, à La +Trémouille, à Regnault de Chartres, au seigneur de Trêves, au vieux +Gaucourt, que de vouloir qu'ils aient vu Jeanne telle que les siècles +l'ont faite et achevée[88]. + +[Note 88: H. Martin, _Jeanne d'Arc_, Paris, 1856, in-12.--J. +Quicherat, _Nouvelles preuves des trahisons essuyées par la Pucelle_ +dans _Revue de Normandie_, t. VI (1866), pp. 396-401.] + +Il reste toutefois ceci, que le Conseil royal, après avoir tant usé +d'elle, ne fit rien pour la sauver. + +La honte de cette abstention doit-elle retomber sur le Conseil tout +entier et sur le Conseil seul? Qui donc, au juste, devait intervenir? +Et comment? Que devait faire le roi Charles? Offrir de racheter la +Pucelle? On ne la lui aurait cédée à aucun prix. Quant à la ravoir par +la force, c'était un rêve d'enfant. Seraient-ils entrés à Rouen, les +Français ne l'y auraient point trouvée: Warwick aurait toujours eu le +temps de la mettre en sûreté ou de la noyer dans la rivière. Pour la +reprendre, ni l'argent ni les armes ne valaient rien. Ce n'est point à +dire qu'on dût se croiser les bras. On pouvait agir sur ceux qui +faisaient le procès. Sans doute ils étaient tous, ceux-là, du parti +des Godons; ce vieux cabochien de Pierre Cauchon s'y trouvait surtout +très engagé; il exécrait les Français; les clercs de l'obéissance de +Henri VI étaient naturellement enclins à plaire au grand conseil +d'Angleterre d'où coulaient les bénéfices; les docteurs et maîtres de +l'Université de Paris avaient grand'peur et grande haine des +Armagnacs; pourtant les juges du procès n'étaient pas tous des +prévaricateurs infâmes; le chapitre de Rouen ne manquait ni de courage +ni d'indépendance[89]; il y avait parmi les universitaires, si +violents contre Jeanne, des hommes estimés pour la doctrine et le +caractère; ils pensaient, la plupart, procéder vraiment en matière de +foi; à force de rechercher les sorcières, ils en voyaient partout; ils +faisaient brûler de ces femelles, comme ils disaient, tous les jours, +et n'en recevaient que des compliments; autant que Jeanne, ils +croyaient à la possibilité des apparitions dont elle se disait +favorisée, seulement ils étaient persuadés ou qu'elle mentait ou +qu'elle voyait des diables; l'évêque, le vice-inquisiteur et les +assesseurs, au nombre de plus de quarante, furent unanimes à la +déclarer hérétique et diabolique. Plusieurs sans doute s'imaginaient, +par leur sentence, maintenir, contre les fauteurs du schisme et de +l'hérésie, l'orthodoxie catholique et l'unité d'obédience; ils +voulaient bien juger. Et même les plus scélérats et les plus +audacieux, l'évêque et le promoteur, n'auraient pas osé, pour +contenter les Anglais, enfreindre trop ouvertement les règles de la +justice ecclésiastique. C'étaient des prêtres; ils en avaient +l'orgueil et le respect des formes. Par les formes on pouvait les +atteindre; on pouvait, au moyen d'une vigoureuse procédure, +contrarier, arrêter, peut-être, la leur et prévenir la sentence +funeste. Si l'archevêque de Reims, métropolitain de l'évêque de +Beauvais, était intervenu dans le procès, s'il avait suspendu son +suffragant pour abus ou pour toute autre cause, Pierre Cauchon aurait +été fort embarrassé; si, comme il se décida à le faire plus tard, le +roi Charles VII avait fait intervenir la mère et les frères de la +Pucelle; si Jacques d'Arc et la Romée avaient protesté dans les formes +contre une action judiciaire d'une partialité manifeste; si le +registre de Poitiers[90] avait été versé au dossier; si les plus hauts +prélats de l'obéissance de Charles VII avaient demandé un sauf-conduit +pour venir témoigner à Rouen, en faveur de Jeanne; si enfin le roi, +son conseil et toute l'Église de France avaient réclamé l'appel au +pape et au Concile, qui était de droit, le procès pouvait prendre une +autre issue. + +[Note 89: Même à considérer seulement ceux des chanoines qui +siégèrent au procès. Cf. Ch. de Beaurepaire, _Recherches sur le procès +de condamnation de Jeanne d'Arc_, Rouen, 1869, in-8º.] + +[Note 90: Ou du moins les conclusions des docteurs qui nous sont +parvenues. Quant au registre, il ne devait pas contenir grand'chose. +On voit, par les témoignages du procès de réhabilitation, que les +clercs de Poitiers ne tenaient pas beaucoup à ce qu'on parlât de leur +enquête.] + +Mais on eut peur de l'Université de Paris. On craignit que vraiment +Jeanne, comme tant de savants docteurs le soutenaient, ne fût +hérétique, mal croyante, séduite par le prince des ténèbres. Satan se +transforme en ange de lumière et il est difficile de discerner les +faux prophètes des vrais. La malheureuse Pucelle fut abandonnée par le +clergé dont les croix naguère marchaient devant elle; entre tous les +maîtres de Poitiers il ne s'en trouva pas un seul pour s'offrir à +témoigner dans le château de Rouen de cette innocence qu'ils avaient +reconnue doctoralement dix-huit mois auparavant. + +Il y aurait grand intérêt à suivre la mémoire de la Pucelle à travers +les âges. Mais ce serait tout un livre. J'indiquerai seulement les +révolutions les plus étonnantes du sentiment public à son sujet. Les +humanistes de la Renaissance ne s'intéressèrent pas beaucoup à elle: +elle était trop gothique pour eux. Les réformés, qui trouvaient +qu'elle sentait l'idolâtrie, ne pouvaient la voir en peinture[91]. +Chose qui semble étrange aujourd'hui, mais qui n'en est pas moins +certaine et conforme à tout ce que nous savons des sentiments des +Français pour leurs rois, ce fut la mémoire de Charles VII qui, sous +la monarchie, soutint et sauva la mémoire de Jeanne d'Arc[92]. Le +respect dû au prince empêcha le plus souvent ses sujets fidèles de +soumettre à une critique trop sévère les légendes de Jeanne ainsi que +celles de la Sainte Ampoule, de la guérison des écrouelles, de +l'oriflamme et toutes autres traditions populaires relatives aux +antiquités et illustrations de la maison de France. Quand, en 1609, +dans un collège de Paris, la Pucelle fut le sujet d'exercices +littéraires où elle était traitée sans faveur[93], un homme de robe, +Jean Hordal, qui se glorifiait d'être du sang de l'héroïne, se +plaignit de ces disputes d'école comme d'une offense à la majesté +royale. «Je m'estonne grandement, dit-il, qu'en France... on tolère +que publiquement déclamations se fassent contre l'honneur de la +France, du roi Charles VII et de son Conseil[94].» Si Jeanne n'avait +pas appartenu si étroitement à la royauté, son souvenir eût été fort +négligé par les beaux esprits du XVIIe siècle. Ses apparitions lui +faisaient du tort auprès des savants qui, protestants et catholiques, +traitaient la vie de sainte Marguerite de cafarderie[95]. Alors les +Sorbonagres eux-mêmes retranchaient beaucoup sur le martyrologe et +les légendes des saints. Un de ceux-là, Edmond Richer, champenois +comme Jeanne, censeur de l'Université en 1600, et zélé gallican, +composa un livre apologétique sur celle qui avait soutenu de son épée +la couronne de Charles VII[96]. Bien qu'attaché aux libertés de +l'église de France, Edmond Richer était bon catholique. Il avait de la +doctrine et de la piété; il croyait fermement aux anges, mais il ne +croyait ni à sainte Catherine ni à sainte Marguerite, et leur +apparition à la Pucelle l'embarrassait beaucoup. Il se tira de cette +difficulté en supposant que des anges s'étaient donnés à la jeune +fille pour les deux saintes à qui, dans son ignorance, elle avait une +grande dévotion. L'hypothèse lui parut satisfaisante, «d'autant, +disait-il, que l'Esprit de Dieu, qui gouverne l'Église, s'accommode à +notre infirmité». Trente ou quarante ans plus tard, un autre docteur +en Sorbonne, Jean de Launoy, le dénicheur de saints, acheva de ruiner +la légende de sainte Catherine[97]. Les voix de Domremy devenaient +terriblement suspectes. + +[Note 91: Aug. Vallet, _Observation sur l'ancien monument érigé à +Orléans_, Paris, 1858, in-8º.] + +[Note 92: Voir un curieux projet de décoration du terre-plein du +Pont-Neuf adressé à Louis XIV (B. N., V p{zz} 338, in-fol.). Un sieur +Dupuis, aide des Cérémonies, y propose l'érection de statues «à ces +grands et illustres capitaines qui de règne en règne ont vaillamment +soutenu la dignité de la couronne... Artus de Bretagne, connestable, +Jean, comte de Dunois, Jeanne Dark, pucelle d'Orléans, Roger de +Gramont, comte de Guiche, Guillaume, comte de Chaumont, Amaury de +Severac, Vignoles dit La Hire...». (Communications de M. Paul Lacombe, +_Bulletin de la Société de l'Histoire de Paris_, 1894, p. 115; 11 juin +1907, _Ibid._).] + +[Note 93: _Puellæ Aureliensis causa adversariis orationibus +disceptata auctore Jacobo Jolio_, Parisiis, apud Julianum Bertaut, +1609.] + +[Note 94: Jean Hordal, _Heroinæ nobilissimæ Ioannæ Darc Lotharingæ +vulgo aurelianensis puellæ historia..._ Ponti-Mussi, 1612, in-8º.] + +[Note 95: Rabelais, _Gargantua_, chap. VI.--Abbé Thiers, _Traité +des superstitions selon l'Écriture sainte_, Paris, 1697, t. I, p. +109.] + +[Note 96: Edmond Richer, _Histoire de la Pucelle d'Orléans en 4 +livres_, ms., Biblioth. Nat, f. fr., 10448, fol. 12{20}.] + +[Note 97: «La vie de sainte Catherine, vierge et martyre, est +toute fabuleuse depuis le commencement jusqu'à la fin.» _Valesiana_, +p. 48.--«M. de Launoy, docteur en théologie, avait rayé de son +calendrier sainte Catherine, vierge et martyre. Il disait que sa vie +était une fable, et, pour montrer qu'il n'y ajoutait aucune foi, tous +les ans, au jour de la fête de cette sainte, il disait une messe de +_Requiem_. C'est de lui-même que je tiens cette particularité.» +_Ibidem_, p. 36.] + +Regardez Chapelain, dont le poème fut publié pour la première fois en +1656. Chapelain est burlesque avec gravité; c'est un Scarron sans le +savoir. Nous n'en avons pas moins profit à apprendre de lui qu'il n'a +vu dans son sujet qu'une occasion de célébrer le Bâtard d'Orléans. Il +dit expressivement en sa préface: «Je ne l'ai pas tant regardée [la +Pucelle] comme le principal héros du poème, qui à proprement parler +est le comte de Dunois.» Chapelain était aux gages du duc de +Longueville, descendant de Dunois[98]; c'est Dunois qu'il chante; +«l'illustre bergère» vient lui fournir à propos le merveilleux, et +selon l'expression du bonhomme, les machines nécessaires à l'épopée. +Les saintes Catherine et Marguerite, trop vulgaires, sont exclues de +ces machines. Chapelain nous avertit qu'il prit un soin particulier de +conduire son poème «de telle sorte que tout ce qu'il y fait faire par +la puissance divine s'y puisse croire fait par la seule force humaine +élevée au plus haut point où la nature est capable de monter». On voit +poindre ici l'esprit moderne. + +[Note 98: Jean Chapelain, _La Pucelle ou la France délivrée_, +Paris, 1656, in-fº.] + +Bossuet aussi se garde bien de parler de sainte Catherine et de sainte +Marguerite. Les quatre ou cinq pages in-4º qu'il consacre à Jeanne +d'Arc dans son _Abrégé de l'Histoire de France pour l'instruction du +Dauphin_[99] sont bien curieuses, non pour l'exposé des faits qui y +est inexact et confus[100], mais par le soin que prend l'auteur de ne +présenter que d'une manière incidente et dubitative les faits +miraculeux attribués à la Pucelle. Au sentiment de Bossuet, comme à +celui de Jean Gerson, ces choses sont d'édification, non de foi. +Bossuet qui écrit pour l'instruction d'un prince est tenu à beaucoup +abréger; mais il abrège trop quand, présentant la condamnation de +Jeanne comme l'oeuvre de l'évêque de Beauvais, il oublie de dire que +l'évêque de Beauvais rendit cette sentence sur l'avis unanime de +l'Université de Paris et conjointement avec le vice-inquisiteur[101]. + +[Note 99: _Oeuvres de messire Jacques-Bénigne Bossuet_, Paris, +in-4º, tome XI, 1749, feuillets chiffrés; tome XII, pp. 234 et +suiv.--Cf. Ce qu'il nous dit des inspirées dans l'_Instruction sur les +états d'oraison_, Paris, 1697, in-8º.] + +[Note 100: «Cette fille nommée Jeanne d'Arq... avoit été servante +dans une hôtellerie.» _Loc. cit._, p. 233.] + +[Note 101: Il ne faut pas juger trop sévèrement les cahiers d'un +précepteur; mais Bossuet, qui place la réhabilitation sous la rubrique +de 1431, ne nous avertit pas qu'elle ne fut prononcée que vingt-cinq +ans plus tard. Bien au contraire, il ne tient qu'à lui qu'on la croie +antérieure à la délivrance de Compiègne. Voici son texte: «En +exécution de cette sentence, elle fut brûlée toute vive à Rouen en +1431. Les Anglois firent courir le bruit qu'elle avoit enfin reconnu +que les révélations dont elle s'étoit vantée étaient fausses. Mais le +Pape, quelque temps après, nomma des commissaires. Son procès fut revu +solemnellement, et sa conduite approuvée par un dernier jugement que +le Pape lui-même confirma. Les Bourguignons furent contraints de lever +le siège de Compiègne» (_Loc. cit._, p. 236). + +Mézeray est plus crédule que Bossuet; il nomme «les saintes Catherine +et Marguerite, qui purifioient son âme par des conversations célestes, +à cause qu'elle les vénéroit d'une particulière dévotion». Comme +Bossuet, en exposant le procès, il passe sous silence le +vice-inquisiteur (_Histoire de France_, t. II, 1746, in-folio, pp. 11 +et suiv.).] + +Les philosophes ne sont pas tombés en France, au XVIIIe siècle, comme +une pluie de sauterelles: ils sortaient de deux siècles d'esprit +critique. S'ils trouvaient dans l'histoire de Jeanne d'Arc plus de +capucinades que leur goût n'en souffrait, c'est qu'ils avaient été +instruits dans l'histoire ecclésiastique par les Baillet et les +Tillemont, hommes pieux, sans doute, mais grands destructeurs de +légendes. Voltaire railla sur Jeanne les moines fripons et leurs +dupes. Si l'on rappelle les petits vers de _la Pucelle_, pourquoi ne +pas rappeler aussi l'article[102] du _Dictionnaire Philosophique_, qui +renferme en trois pages plus de vérités solides et de pensées +généreuses que certains gros ouvrages modernes où Voltaire est insulté +en jargon de sacristie? + +[Note 102: Voltaire, éd. Beuchot, t. XXVI.--Cf. aussi: _Essai sur +les moeurs_, chap. LXXX. «Enfin, accusée d'avoir repris une fois +l'habit d'homme qu'on lui avait laissé exprès pour la tenter, ses +juges... la déclarèrent hérétique relapse, et firent mourir par le feu +celle qui, ayant sauvé son roi, aurait eu des autels dans les temps +héroïques, où les hommes en élevaient à leurs libérateurs. Charles VII +rétablit depuis sa mémoire, assez honorée par son supplice même.»] + +C'est précisément à la fin du XVIIIe siècle que Jeanne commença à être +mieux connue et plus justement estimée, d'abord par le petit livre que +l'abbé Lenglet du Fresnoy tira presque en entier de l'histoire inédite +du vieux Richer[103], puis par les savantes recherches de L'Averdy +sur les deux procès[104]. + +[Note 103: L'abbé Lenglet du Fresnoy, _Histoire de Jeanne d'Arc, +vierge, héroïne et martyre d'État suscitée par la Providence pour +rétablir la monarchie française, tirée des procès et pièces originales +du temps_. Paris, 1753-54, 3 vol. in-12.] + +[Note 104: F. de L'Averdy, _Mémorial lu au comité des manuscrits +concernant la recherche à faire des minutes originales des différentes +affaires qui ont eu lieu par rapport à Jeanne d'Arc, appelée +communément la Pucelle d'Orléans_. Paris, Imprimerie Royale, 1787, +in-4º.--_Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque du roi, +lus au comité établi par sa Majesté dans l'Académie royale des +Inscriptions et Belles Lettres._ Paris, Imp. Royale, 1790, t. III.] + +Toutefois l'humanisme et après l'humanisme la réforme, après la +réforme le cartésianisme, après le cartésianisme la philosophie +expérimentale, avaient détruit dans l'élite des esprits les vieilles +crédulités; le rosier des légendes gothiques, quand vint la +révolution, était depuis longtemps défleuri. Il semblait que la gloire +de Jeanne d'Arc, liée si étroitement aux traditions de la maison de +France, ne pût survivre à la monarchie et que la tempête qui dissipa +les cendres royales de Saint-Denys et le trésor de Reims dût emporter +aussi les frêles reliques et les images pieuses de la Sainte des +Valois. Le nouveau régime en effet refusa d'honorer une mémoire +inséparable de la royauté et de la religion; la fête orléanaise de +Jeanne d'Arc, dépouillée en 1791 des pompes de l'Église, fut cessée en +93. Alors l'histoire de la Pucelle paraissait un peu trop gothique +aux émigrés eux-mêmes: Chateaubriand, n'osa pas l'introduire dans son +_Génie du Christianisme_[105]. + +[Note 105: «Il n'y avait dans les temps modernes que deux beaux +sujets de poëme épique les _Croisades_ et la _Découverte du Nouveau +Monde_» (éd. de 1802, Paris, t. II, p. 7.)] + +Mais le premier Consul, qui venait de conclure le Concordat et +songeait à restaurer les ornements du sacre, fit rétablir, en l'an XI, +les fêtes de la Pucelle et y rappela l'encens et les croix. Célébrée +jadis dans les lettres de Charles VII à ses bonnes villes, Jeanne fut +exaltée dans le _Moniteur_ par Bonaparte[106]. + +[Note 106: «L'illustre Jeanne d'Arc a prouvé qu'il n'est pas de +miracle que le génie français ne puisse produire dans les +circonstances où l'indépendance nationale est menacée» (_Moniteur_ du +10 pluviôse, an XI--30 janvier 1803).--Pour l'approbation du premier +Consul: Fac-similé dans A. Sarrazin, _Jeanne d'Arc et la Normandie_, +p. 600 [Original tiré de la collection de Reiset].] + +Les figures de la poésie et de l'histoire ne vivent dans la pensée des +peuples qu'à la condition de se transformer sans cesse. La foule +humaine ne saurait s'intéresser à un personnage des vieux âges si elle +ne lui prêtait pas ses propres sentiments et ses propres passions. +Après avoir été associée à la monarchie de droit divin, la mémoire de +Jeanne d'Arc fut rattachée à l'unité nationale que cette monarchie +avait préparée; elle devint, dans la France impériale et républicaine, +le symbole de la patrie. Certes, la fille d'Isabelle Romée n'avait pas +plus l'idée de la patrie telle qu'on la conçoit aujourd'hui, qu'elle +n'avait l'idée de la propriété foncière qui en est la base; elle ne se +figurait rien de semblable à ce que nous appelons la nation; c'est une +chose toute moderne; mais elle se figurait l'héritage des rois et le +domaine de la Maison de France. Et c'est bien là tout de même, dans ce +domaine et dans cet héritage, que les Français se réunirent avant de +se réunir dans la patrie. + +Sous des influences qu'il nous est impossible d'indiquer précisément, +la pensée lui vint de rétablir le dauphin dans son héritage, et cette +pensée lui parut si grande et si belle, que, dans la simplicité de son +naïf et candide orgueil, elle crut que c'était des anges et des +saintes du Paradis qui la lui avaient apportée. Pour cette pensée elle +donna sa vie. C'est par là qu'elle survit à sa cause. Les plus hautes +entreprises périssent dans leur défaite et, plus sûrement encore, dans +leur victoire. Le dévouement qui les inspira demeure en immortel +exemple. Et, si l'illusion qui enveloppait ses sens la soutint, l'aida +à s'offrir tout entière, cette illusion ne fut-elle pas à son insu +l'ouvrage de son coeur? Sa folie fut plus sage que la sagesse, car ce +fut la folie du martyre, sans laquelle les hommes n'ont encore rien +fondé de grand et d'utile dans le monde. Cités, empires, républiques, +reposent sur le sacrifice. Ce n'est donc ni sans raison ni sans +justice que, transformée par les imaginations enthousiastes, elle +devint le symbole de la patrie armée. + +Le Brun de Charmettes[107], royaliste jaloux des gloires impériales, +composa en 1817, avec talent, la première histoire patriotique de +Jeanne d'Arc, qui devait être suivie de tant d'autres, conçues dans le +même esprit, tracées sur le même plan, écrites dans le même style. De +1841 à 1849, Jules Quicherat, en publiant les deux procès et les +témoignages, ouvrit dignement une époque incomparable de recherches et +de découvertes. Au même moment, Michelet écrivit dans le cinquième +tome de son _Histoire de France_ des pages rapides et colorées, qui +resteront sans doute comme la plus belle expression de l'art +romantique appliqué à la Pucelle[108]. + +[Note 107: Le Brun de Charmettes, _Histoire de Jeanne d'Arc +surnommée la Pucelle d'Orléans_, Paris, 1817, 4 vol. in-8º.] + +[Note 108: Michelet, _Histoire de France_, t. V.] + +Mais, de toutes les histoires écrites de 1817 à 1870, ou du moins de +toutes celles que j'ai pu connaître, car je ne me suis pas attaché à +les lire toutes, la plus sagace, à mon avis, est celle qui forme le +livre IV de l'_Histoire de Charles VII_, par Vallet de Viriville, dans +laquelle se montre le souci de rattacher la Pucelle au groupe de +visionnaires auquel elle appartient réellement[109]. + +[Note 109: Vallet de Viriville, _Histoire de Charles VII_, t. II, +Paris, 1863, in-8º.] + +Le livre de Wallon a été très répandu, sinon très lu; il doit sa +fortune à son exactitude confessionnelle[110]. C'est une oeuvre +consciencieuse, morne et d'un fanatisme modéré. Puisqu'il fallait une +_Jeanne d'Arc_ orthodoxe à l'usage des gens du monde, celle de M. +Marius Sepet avait, pour remplir cet office, autant d'exactitude et +plus de grâce[111]. + +[Note 110: H. Wallon, _Jeanne d'Arc_, Paris, 1860, 2 vol. in-8º.] + +[Note 111: M. Sepet, _Jeanne d'Arc_, avec une introduction par +Léon Gauthier, Tours, 1869, in-8º.] + +Après la guerre de 1871, sous la double influence de l'esprit +patriotique, exalté par la défaite, et du sentiment catholique +renaissant dans la bourgeoisie, le culte de la Pucelle redoubla de +ferveur. Les lettres et les arts achevèrent la transfiguration de +Jeanne. + +Les catholiques, comme le docte chanoine Dunand[112], rivalisent de +zèle et d'enthousiasme avec les spiritualistes indépendants comme M. +Joseph Fabre[113]. Celui-ci, en donnant sous une forme très artiste +les deux procès en français et en discours direct, a vulgarisé l'image +la plus ancienne et la plus touchante de la Pucelle[114]. + +[Note 112: Chanoine Dunand, _Histoire de Jeanne d'Arc_, Toulouse, +1898-1899, 3 vol. in-8º.] + +[Note 113: Joseph Fabre, _Jeanne d'Arc, libératrice de la France_, +n. éd., Paris, 1894, in-12.] + +[Note 114: _Procès de condamnation de Jeanne d'Arc..._ traduction +avec éclaircissements, par J. Fabre, n. éd., Paris, 1895, in-18.] + +De cette période datent des travaux d'érudition presque innombrables +parmi lesquels il faut signaler ceux de Siméon Luce de qui désormais +quiconque traite des commencements de Jeanne doit se reconnaître +tributaire[115]. + +[Note 115: _Jeanne d'Arc à Domremy_, _op. cit._--_La France +pendant la guerre de Cent Ans_, _op. cit._] + +Nous sommes tenus à une égale reconnaissance envers M. Germain +Lefèvre-Pontalis pour ses belles éditions et ses pénétrantes études, +d'une érudition élégante et sûre. + +Dans cette période d'exaltation romantique et néo-catholique, la +peinture et la sculpture multiplièrent les images de Jeanne, si rares +jusque-là; on vit en merveilleuse abondance Jeanne priant, Jeanne +armée et chevauchant, Jeanne captive, Jeanne martyre; de toutes ces +images exprimant de diverses manières et avec des mérites inégaux le +goût et le sentiment d'une époque, une seule oeuvre apparaît grande et +vraie, d'une beauté puissante: la Jeanne d'Arc hallucinée de +Rude[116]. + +[Note 116: Lanéry d'Arc, _Le Livre d'Or de Jeanne d'Arc_, n{os} +2080 à 2112.] + +Le mot de patrie n'existait pas au temps de la Pucelle. On disait le +royaume de France[117]. Personne, pas même les légistes, n'en savaient +au juste les limites, qui changeaient sans cesse. La diversité des +lois et des coutumes y était infinie et les querelles entre seigneurs +s'élevaient à tout moment. Les hommes se sentaient pourtant au coeur +l'amour du pays natal et la haine de l'étranger. Si la guerre de Cent +Ans ne créa pas en France le sentiment national, elle le nourrit. Dans +son _Quadrilogue invectif_, Alain Chartier montre la France qui, +reconnaissable à sa robe somptueusement ornée des emblèmes de la +noblesse, du clergé et du tiers-état, mais lamentablement souillée et +déchirée, adjure les trois ordres de ne pas la laisser périr: «Après +le lien de foi catholique, leur dit-elle, Nature vous a devant toute +autre chose obligez au commun salut du pays de votre nativité et à la +défense de cette seigneurie sous laquelle Dieu vous a fait naître et +avoir vie[118].» Et ce ne sont pas là seulement les maximes d'un +humaniste instruit dans les vertus antiques. D'humbles Français +avaient cher de servir le pays de leur naissance. «Faut-il que le roi +soit chassé de son royaume et que nous soyons Anglais!» s'écriait en +1428 cet homme d'armes de Lorraine[119]. Les sujets des Fleurs de Lis +comme ceux du Léopard s'estimaient tenus à la loyauté envers leur +légitime seigneur. Mais si quelque changement advenait pour son +dommage à la seigneurie dont ils faisaient partie, ils s'en +accommodaient en somme aisément, parce qu'une seigneurie s'accroît ou +se rétrécit selon la puissance ou la fortune, selon le bon droit ou le +bon plaisir du possesseur et qu'elle peut être démembrée par mariages, +dons ou héritages, aliénée par divers contrats. En signe de +réjouissance, les habitants de Paris jonchèrent d'herbes et de fleurs +les rues de la ville, à l'occasion du traité de Brétigny, qui +diminuait beaucoup la seigneurie du roi Jean[120]. En fait, les +seigneurs changeaient d'obéissance tant qu'il était nécessaire. +Juvénal des Ursins rapporte dans son journal[121] que, lors de la +conquête de la Normandie par les Anglais, on vit une jeune veuve +quitter sa terre avec ses trois enfants pour ne pas rendre hommage au +roi d'outre-mer. Mais combien de seigneurs normands refusèrent comme +elle de se mettre aux mains des anciens ennemis du royaume? L'exemple +de la fidélité au roi ne venait pas toujours de sa famille. Le duc de +Bourbon, au nom de tous les princes du sang royal avec lui prisonniers +des Anglais, offrit à Henri V d'aller traiter en France la cession de +Harfleur, s'engageant, si le Conseil royal lui opposait un refus, à +reconnaître Henri V pour roi de France[122]. + +[Note 117: A. Thomas, _Le mot «Patrie» et Jeanne d'Arc_, dans +_Revue des Idées_, 15 juillet 1906.] + +[Note 118: _Les oeuvres de Maistre Alain Chartier_, publ. par +André Duchesne, Paris, 1642, in-4º, p. 410.] + +[Note 119: _Procès_, t. II, p. 436.] + +[Note 120: Froissart, _Chroniques_, livre I, chap. 128.] + +[Note 121: Jean Juvénal des Ursins dans Buchon, _Choix de +chroniques_, IV.] + +[Note 122: Rymer, _Foedera_, t. IX, p. 427.] + +Chacun songeait d'abord à soi. Quiconque avait terre se devait à sa +terre; son ennemi, c'était son voisin. Le bourgeois ne connaissait que +sa ville. Le paysan changeait de maître sans le savoir. Les trois +états du royaume n'étaient pas assez unis pour former, au sens moderne +du mot, un État. + +Peu à peu, le pouvoir royal réunit les Français; cette réunion se fit +plus étroite à mesure que la royauté se faisait plus puissante. Au +XVIe et au XVIIe siècle, cette envie de penser et d'agir en commun qui +fait les grands peuples devint chez nous très ardente, tout au moins +dans les familles qui donnaient des officiers à la Couronne, et elle +se communiqua même aux gens d'un moindre état. Rabelais fait figurer +François Villon et le roi d'Angleterre dans une historiette si enflée +de gloriole militaire qu'un grenadier de Napoléon aurait pu la conter +devant un feu de bivouac, au style près[123]. Dans la préface du poème +que nous citions tout à l'heure, Chapelain parle des moments où «la +patrie, qui est une mère commune, a besoin de tous ses enfants». Le +vieux poète s'exprime déjà comme l'auteur de la _Marseillaise_[124]. + +[Note 123: _Pantagruel_, l. IV, ch. LXVII.] + +[Note 124: _La Pucelle_, préface.] + +On ne peut nier que le sentiment de la patrie existât sous l'ancien +régime. Ce que la Révolution y ajouta n'en fut pas moins immense. +Elle y ajouta l'idée de l'unité nationale et de l'intégrité du +territoire. Elle étendit à tous le droit de propriété réservé +jusque-là à un petit nombre, et de la sorte partagea, pour ainsi dire, +la patrie entre les citoyens. En donnant aux paysans la faculté de +posséder, le nouveau régime leur imposa du même coup l'obligation de +défendre leur bien effectif ou éventuel. Prendre les armes est une +nécessité commune à quiconque acquiert ou veut acquérir des terres. À +peine le Français jouissait-il des droits de l'homme et du citoyen, +avait-il ou pensait-il avoir pignon sur rue et champs au soleil, que +les armées de l'Europe coalisée vinrent pour le «rendre à l'antique +esclavage». Le patriote alors se fit soldat. Vingt-trois ans de +guerres, avec l'alternative fatale des victoires et des défaites, +affermirent nos pères dans l'amour de la patrie et la haine de +l'étranger. + +Depuis lors, les progrès industriels ont suscité d'un pays à l'autre +des rivalités qui s'exercent chaque jour plus âprement. Les modes +actuels de la production, en multipliant entre les peuples les +antagonismes, ont créé l'impérialisme, l'expansion coloniale et la +paix armée. + +Mais que de forces contraires s'exercent dans cette création +formidable d'un nouvel ordre de choses! La grande industrie a donné +naissance, dans tous les pays, à une classe nouvelle, qui, ne +possédant rien, n'ayant nul espoir de rien posséder, ne jouissant +d'aucun des biens de la vie, pas même de la lumière du jour, ne craint +point, comme le paysan et le bourgeois issu de la Révolution, que +l'ennemi du dehors ne la vienne dépouiller, et, faute de richesses à +défendre, regarde les peuples étrangers sans effroi ni haine. En même +temps, se sont élevées sur tous les marchés du monde des puissances +financières qui, bien qu'elles affectent souvent le respect des +vieilles traditions, sont, par leur fonction même, essentiellement +destructives de l'esprit patriotique et national. Le régime universel +du capital a créé en France, comme partout ailleurs, l'internationale +des travailleurs et le cosmopolitisme des financiers. + +Aujourd'hui, comme il y a deux mille ans, pour discerner l'avenir, il +faut regarder non pas aux entreprises des puissants de la terre, mais +aux mouvements confus des masses laborieuses. Cette paix armée, si +lourde pour elles, les nations ne la supporteront pas indéfiniment. +Nous voyons s'organiser chaque jour la communauté du travail +universel. + +Je crois à l'union future des peuples et je l'appelle avec cette +ardente charité du genre humain qui, formée dans la conscience latine +au temps d'Epictète et de Sénèque, et pour tant de siècles éteinte par +la barbarie européenne, s'est rallumée dans les coeurs les plus hauts +des âges modernes. Et l'on m'opposerait en vain que ce sont là les +illusions du rêve et du désir: c'est le désir qui crée la vie et +l'avenir prend soin de réaliser les rêves des philosophes. Mais que +nous soyons assurés dès à présent d'une paix que rien ne troublera, il +faudrait être insensé pour le prétendre. Les terribles rivalités +industrielles et commerciales qui grandissent autour de nous font +pressentir au contraire, de futurs conflits et rien ne nous assure que +la France ne se verra pas un jour enveloppée dans une conflagration +européenne ou mondiale. Et l'obligation où elle se trouve de pourvoir +à sa défense n'accroît pas peu les difficultés que lui cause un ordre +social profondément troublé par la concurrence de la production et +l'antagonisme des classes. + +Un empire absolu se fait des défenseurs par la crainte; une démocratie +ne s'en assure qu'à force de bienfaits. On trouve la peur ou l'intérêt +à la racine de tous les dévouements. Pour que, au jour du péril, le +prolétaire français défende héroïquement la République, il faut qu'il +s'y trouve heureux ou espère le devenir. Et que sert de se flatter? +Aujourd'hui le sort de l'ouvrier n'est pas meilleur en France qu'en +Allemagne, et il est moins bon qu'en Angleterre et en Amérique. + +Je n'ai pu me défendre d'exprimer sur ces importants sujets la vérité +telle qu'elle m'apparaît; c'est une grande satisfaction que de dire +ce qu'on croit utile et juste. + +Il ne me reste plus qu'à soumettre au public quelques réflexions sur +l'art malaisé d'écrire l'histoire, et à m'expliquer sur certaines +particularités de forme et de langage qu'on trouvera dans cet ouvrage. + +Pour sentir l'esprit d'un temps qui n'est plus, pour se faire +contemporain des hommes d'autrefois, une lente étude et des soins +affectueux sont nécessaires. Mais la difficulté n'est pas tant dans ce +qu'il faut savoir que dans ce qu'il faut ne plus savoir. Si vraiment +nous voulons vivre au XVe siècle, que de choses nous devons oublier: +sciences, méthodes, toutes les acquisitions qui font de nous des +modernes! Nous devons oublier que la terre est ronde et que les +étoiles sont des soleils, et non des lampes suspendues à une voûte de +cristal, oublier le système du monde de Laplace pour ne croire qu'à la +science de saint Thomas, de Dante et de ces cosmographes du moyen âge +qui nous enseignent la création en sept jours et la fondation des +royaumes par les fils de Priam, après la destruction de Troye la +Grande. Tel historien, tel paléographe est impuissant à nous faire +comprendre les contemporains de la Pucelle. Ce n'est pas le savoir qui +lui manque, c'est l'ignorance, l'ignorance de la guerre moderne, de la +politique moderne, de la religion moderne. + +Mais lorsque nous aurons oublié, autant que possible, tout ce qui +s'est passé depuis la jeunesse de Charles VII, afin de penser comme un +clerc en exil à Poitiers ou un bourgeois d'Orléans de service sur les +remparts de sa ville, il nous faudra bientôt retrouver toutes nos +ressources intellectuelles pour embrasser l'ensemble des événements et +découvrir l'enchaînement des effets et des causes qui échappaient à ce +bourgeois et à ce clerc. «J'ai raccourci ma vue», dit le Chatterton +d'Alfred de Vigny quand il explique comment il ne voit rien de ce qui +s'est passé après les vieux Saxons. Mais Chatterton composait des +poèmes, de pseudo-chroniques, et non pas une histoire. L'historien +doit tour à tour allonger et raccourcir sa vue. S'il se mêle de conter +une vieille histoire, il lui faudra successivement et parfois à la +même minute la naïveté des foules humaines qu'il fait revivre et la +critique la mieux avertie. Il faut que, par un phénomène étrange de +dédoublement, il soit en même temps l'homme ancien et l'homme moderne +et vive sur deux plans différents, semblable à ce personnage étrange +d'un conte de J.-H. Wells, qui se meut et se sent dans une petite +ville d'Angleterre et qui cependant se voit au fond de l'Océan. J'ai +visité studieusement les villes, les champs, où se sont accomplis les +événements que je me proposais de raconter; j'ai vu la vallée de la +Meuse alors que le printemps la fleurissait et la parfumait, et je +l'ai revue sous un amoncellement de brumes et de nuées; j'ai parcouru +les bords illustres et riants de la Loire, la Beauce aux vastes +horizons que les nuages bordent de montagnes neigeuses, +l'Île-de-France où le ciel est si doux, la Champagne dont les coteaux +pierreux nourrissent encore les vignes basses qui, foulées par l'armée +du Sacre, se refirent feuilles et fruits, dit la légende, et +donnèrent, à la Saint-Martin, une tardive et riche vendange[125]; j'ai +hanté l'âpre Picardie, la baie de Somme si triste et nue sous le vol +des oiseaux de passage, la grasse Normandie, Rouen, ses clochers et +ses tours, ses vieux charniers, ses ruelles humides, ses dernières +maisons de bois aux pignons aigus. Je me suis figuré ces fleuves, ces +terres, ces châteaux et ces villes tels qu'ils étaient il y a cinq +cents ans. + +[Note 125: Germain Lefèvre-Pontalis, _Les sources allemandes de +l'histoire de Jeanne d'Arc_, p. 93.] + +J'ai accoutumé mes yeux aux formes qu'affectaient alors les êtres et +les choses. J'ai interrogé ce qui reste de pierre, de fer ou de bois +travaillé par la main de ces vieux artisans, plus libres et par cela +même plus ingénieux que les nôtres, et qui témoignent du besoin de +tout animer et de tout orner. J'ai étudié le mieux que j'ai pu les +images peintes et taillées, non précisément en France, car on n'y +ouvrait guère en ces jours de misère et de mort, mais en Flandre, en +Bourgogne, en Provence, oeuvres d'un style à la fois affecté et naïf, +souvent exquis. Les miniatures se sont animées sous mes yeux et j'y ai +vu revivre les seigneurs, dans la magnificence absurde des «étoffes à +tripes», les dames et les demoiselles un peu diablesses avec leurs +bonnets cornus et leurs pieds pointus; les clercs assis à leur +pupitre, les gens d'armes chevauchant leur coursier et les marchands +leur mule, les laboureurs accomplissant d'avril à mars les travaux du +calendrier rustique, les paysannes dont la grande coiffe est conservée +aujourd'hui par les religieuses. Je me suis rapproché de ces gens qui +furent nos semblables et qui pourtant différaient de nous par mille +nuances du sentiment et de la pensée; j'ai vécu de leur vie; j'ai lu +dans leurs âmes. + +On ne trouve nulle part, ai-je besoin de le dire, une image +authentique de Jeanne. Ce qui, dans l'art du XVe siècle, avait trait à +elle, se réduisait à peu de chose: il ne nous en reste presque rien, +une petite tapisserie à bestions, une figurine tracée à la plume sur +un registre, quelques enluminures peintes dans des manuscrits sous les +règnes de Charles VII, de Louis XI, de Charles VIII, et c'est tout. Il +m'a fallu contribuer à l'iconographie si pauvre de Jeanne d'Arc, non +que j'eusse quelque chose à y ajouter, mais au contraire pour en +retrancher ce que les faussaires y ont introduit de ce temps. On +trouvera dans l'appendice IV, à la fin de cet ouvrage[126] la courte +notice où je signale des fraudes déjà anciennes, pour la plupart, et +qui n'avaient pas encore été dénoncées. J'ai limité mes recherches au +XVe siècle, laissant à d'autres le soin d'étudier ces peintures de la +Renaissance dans lesquelles la Pucelle apparaît équipée à l'allemande, +avec le chapeau à plumes et le pourpoint à crevées des reîtres saxons +et des suisses mercenaires[127]? Je ne saurais dire quel est le +prototype de ces portraits, mais ils ressemblent beaucoup à la femme +qui accompagne les soudoyers dans la _Danse des morts_ que Nicolas +Manuel peignit de 1515 à 1521 à Berne, sur le mur du couvent des +dominicains[128]. Au grand siècle, Jeanne d'Arc devient Clorinde, +Minerve, Bellone en costume de ballet[129]. + +[Note 126: T. II.] + +[Note 127: Voir le tableau daté de 1581, conservé au musée +d'Orléans et reproduit dans la _Jeanne d'Arc_ de Wallon, p. 466.] + +[Note 128: _La Danse des Morts_, peinte à Berne, dans les années +1515 à 1520, par Nicolas Manuel, lithographiée par Guillaume Stettler, +s. d. in-fº oblong, pl. XX.] + +[Note 129: Lanéry d'Arc, _Le livre d'or de Jeanne d'Arc_, +Iconographie, n{os} 2080-2112.] + +J'ai cru qu'un récit continu vaudrait mieux que toutes les +controverses et que toutes les discussions pour faire sentir la vie et +connaître la vérité. Il est certain que les textes relatifs à la +Pucelle ne se prêtent pas très bien à ce genre d'histoire: comme je +viens de le montrer, ils sont presque tous suspects à divers égards +et soulèvent à chaque instant des objections; mais je pense qu'en +faisant de ces textes un usage prudent et judicieux, on en peut tirer +encore des données suffisantes pour constituer une histoire positive +de quelque étendue. D'ailleurs, j'ai toujours indiqué mes sources; +chacun sera juge de l'autorité des garants que j'invoque. + +Dans mon récit, j'ai rapporté un assez grand nombre de circonstances +qui, sans avoir directement trait à Jeanne, révèlent l'esprit, les +moeurs et les croyances du temps; ces circonstances sont pour la +plupart d'ordre religieux. C'est que l'histoire de Jeanne, je ne puis +assez le dire, est une histoire religieuse, une histoire de sainte, +tout comme celle de Colette de Corbie ou de Catherine de Sienne. + +J'ai beaucoup accordé, j'ai peut-être trop accordé au désir de faire +vivre le lecteur au milieu des choses et parmi les hommes du XVe +siècle. Pour ne pas le distraire trop brusquement, j'ai évité de lui +présenter tout rapprochement avec d'autres époques, bien qu'il m'en +vînt un grand nombre à l'esprit. + +J'ai nourri mon texte de la forme et de la substance des textes +anciens, mais je n'y ai, autant dire, jamais introduit de citations +littérales: je crois que, sans une certaine unité de langage, un livre +est illisible, et j'ai voulu être lu. + +Ce n'est pas par affectation de style ni par goût artiste que j'ai +gardé le plus que j'ai pu le ton de l'époque et préféré les formes +archaïques de la langue toutes les fois que j'ai cru qu'elles seraient +intelligibles; c'est parce qu'on change les idées en changeant les +mots et qu'on ne peut substituer aux termes anciens des termes +modernes sans altérer les sentiments ou les caractères. + +J'ai tâché de garder un ton simple et familier. On écrit trop souvent +l'histoire d'un ton noble qui la rend ennuyeuse et fausse. +S'imagine-t-on que les faits historiques sortent du train ordinaire +des choses et de la mesure commune de l'humanité? + +Une tentation terrible pour l'historien d'une telle histoire, c'est de +se jeter dans la bataille. Il n'y a guère de moderne récit de ces +vieux assauts où l'on ne voie l'auteur, ecclésiastique ou professeur, +s'élancer, la plume à l'oreille, sous les flèches anglaises, au côté +de la Pucelle. Je crois qu'au risque de ne point montrer toute la +beauté de son coeur, il vaut mieux ne pas paraître dans les affaires +qu'on raconte. + +J'ai écrit cette histoire avec un zèle ardent et tranquille; j'ai +cherché la vérité sans mollesse, je l'ai rencontrée sans peur. Alors +même qu'elle prenait un visage étrange, je ne me suis pas détourné +d'elle. On me reprochera mon audace jusqu'à ce qu'on me reproche ma +timidité. + +Je suis heureux d'exprimer ma gratitude à mes illustres confrères, MM. +Paul Meyer et Ernest Lavisse, dont les conseils m'ont été précieux. Je +dois beaucoup à M. Petit-Dutaillis, qui a bien voulu me présenter des +observations dont j'ai tenu compte. J'ai grandement à me louer de +l'aide que m'ont prêté M. Henri Jadart, secrétaire de l'Académie de +Reims, M. E. Langlois, professeur à la Faculté des lettres de Lille, +M. Camille Bloch, l'ancien archiviste du Loiret, M. Noël Charavay, +expert en autographes, et M. Raoul Bonnet. + +M. Pierre Champion, qui, très jeune encore, s'est fait connaître par +de beaux travaux historiques, a mis à ma disposition le résultat de +ses recherches avec un désintéressement que je ne saurais assez +reconnaître et il a bien voulu relire attentivement tout mon travail. +M. Jean Brousson m'a fait profiter des ressources de sa perspicacité +qui passent de beaucoup ce qu'on est en droit d'attendre d'un +secrétaire. + +Au siècle que j'ai essayé de faire revivre en cet ouvrage, un démon +nommé Titivillus mettait chaque soir dans son sac toutes les lettres +omises ou changées par les copistes durant la journée et les portait +en enfer, pour que Saint-Michel, alors qu'il pèserait les âmes de ces +scribes négligents, mît la part de chacun dans le plateau des +iniquités. Je crois que ce diable, justement vétilleux, s'il a survécu +à la découverte de l'imprimerie, assume aujourd'hui la lourde tâche +de relever les coquilles semées dans les livres qui prétendent à +l'exactitude; car il serait bien naïf de s'occuper des autres. Je +pense qu'il met ces coquilles, selon le cas, à la charge du prote ou +de l'auteur. J'ai une infinie reconnaissance à mes éditeurs et amis +MM. Calmann-Lévy et à leurs excellents collaborateurs d'avoir, par +leurs soins et leur expérience, allégé de beaucoup le sac dont +Titivillus me chargera au jour du jugement. + + + + +VIE DE JEANNE D'ARC + + + + +CHAPITRE PREMIER + +L'ENFANCE. + + +De Neufchâteau à Vaucouleurs la Meuse coule libre et pure entre les +trochées de saules et d'aulnes et les peupliers qu'elle arrose, se +joue tantôt en brusques détours, tantôt en longs circuits, et divise +et réunit sans cesse les glauques filets de ses eaux, qui parfois se +perdent tout à coup sous terre. L'été, ce n'est qu'un ruisseau +paresseux qui courbe en passant les roseaux du lit qu'il n'a presque +pas creusé; et, si l'on approche du bord, on voit la rivière, ralentie +par des îlots de joncs, couvrir à peine de ses moires un peu de sable +et de mousse. Mais dans la saison des pluies, grossie de torrents +soudains, plus lourde et plus rapide, elle laisse, en fuyant, une +rosée souterraine qui remonte çà et là, en flaques claires, à fleur +d'herbe, dans la vallée. + +Cette vallée s'étend, toute unie, large d'une lieue à une lieue et +demie, entre des collines arrondies et basses, couronnées de chênes, +d'érables et de bouleaux. Bien que fleurie au printemps, elle est d'un +aspect austère et grave et prend parfois un caractère de tristesse. +L'herbe la revêt avec une monotonie égale à celle des eaux dormantes. +On y sent, même dans les beaux jours, la menace d'un climat rude et +froid. Le ciel y semble plus doux que la terre. Il l'enveloppe de son +sourire humide; il est le mouvement, la grâce et la volupté de ce +paysage tranquille et chaste. Puis, quand vient l'hiver, il se mêle à +la terre dans une apparence de chaos. Les brouillards y deviennent +épais et tenaces. Aux vapeurs blanches et légères qui flottaient, par +les matins tièdes, sur le fond de la vallée, succèdent des nuages +opaques et de sombres montagnes mouvantes, qu'un soleil rouge et froid +dissipe lentement. Et, le long des sentiers du haut pays, le passant +matinal a cru, comme les mystiques dans leurs ravissements, marcher +sur les nuées. + +C'est ainsi qu'après avoir laissé à sa gauche le plateau boisé du haut +duquel le château de Bourlémont domine le val de la Saônelle et à sa +droite Coussey avec sa vieille église, la rivière flexible passe entre +le Bois Chesnu au couchant et la côte de Julien au levant, rencontre, +sur sa rive occidentale, les villages de Domremy et de Greux, qui se +touchent, sépare Greux de Maxey-sur-Meuse, atteint, entre autres +hameaux blottis au creux des collines ou dressés sur les hautes +terres, Burey-la-Côte, Maxey-sur-Vaise et Burey-en-Vaux, et va baigner +les belles prairies de Vaucouleurs[130]. + +[Note 130: J. Ch. Chapellier, _Étude historique et géographique +sur Domremy, pays de Jeanne d'Arc_, Saint-Dié, 1890, in-8º.--E. +Hinzelin, _Chez Jeanne d'Arc_, Paris, 1894, in-18.] + +Dans ce petit village de Domremy, situé à moins de trois lieues en aval +de Neufchâteau et à cinq lieues en amont de Vaucouleurs, une fille +naquit vers l'an 1410 ou 1412[131], destinée à l'existence la plus +singulière. Elle naissait pauvre. Jacques ou Jacquot d'Arc, son +père[132], originaire du village de Ceffonds en Champagne[133], vivait +d'un gagnage ou petite ferme, et menait les chevaux au labour. Ses +voisins et voisines le tenaient pour bon chrétien et vaillant à +l'ouvrage[134]. Sa femme était originaire de Vouthon, village situé à +une lieue et demie au nord-ouest de Domremy, par delà les bois de +Greux. Ayant nom Isabelle ou Zabillet, elle reçut, à une époque qu'on ne +saurait indiquer, le surnom de Romée[135]. On appelait ainsi ceux qui +étaient allés à Rome ou avaient fait quelque grand pèlerinage[136], et +l'on peut croire qu'Isabelle gagna son nom de Romée en prenant les +coquilles et le bourdon[137]. Un de ses frères était curé, un autre, +couvreur; un de ses neveux charpentier[138]. Elle avait déjà donné à son +mari trois enfants: Jacques ou Jacquemin, Catherine et Jean[139]. + +[Note 131: C'est ce qu'on peut induire de _Procès_, t. I, p. 46. +Mais Jeanne ne savait pas à quel âge elle avait quitté la maison de +son père (_Procès_, t. I, p. 51). Je n'ai pas fait usage de _Procès_, +t. V, p. 116, qui est tout à fait fabuleux.] + +[Note 132: Darc (_Procès_, t. I, p. 191, t. II, p. 82); Dars +(Siméon Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, p. 360); Day (_Procès_, t. V, +p. 150); Daiz (communication de M. Pierre Champion), et cette graphie +paraît attester la prononciation de Jeanne d'Arc.--Sur l'orthographe +du nom de d'Arc, cf. Lanéry d'Arc, _Livre d'Or de Jeanne d'Arc_, +notices 647-657.] + +[Note 133: _Procès_, t. I, pp. 46, 208.--E. de Bouteiller et G. de +Braux, _La famille de Jeanne d'Arc_, Paris, in-8º, 1878, p. 185; +_Nouvelles recherches sur la famille de Jeanne d'Arc_, Paris-Orléans, +1879, in-12, p. x et _passim_.--Boucher de Molandon, _Jacques d'Arc, +père de la Pucelle_, Orléans, 1885, in-8º.] + +[Note 134: _Procès_, t. II, pp. 378 et suiv.] + +[Note 135: _Procès_, t. I, pp. 191 et 208; t. II, p. 74, n. +1.--Armand Boucher de Crèvecoeur, _Les Romée et les de Perthes, +famille maternelle de Jeanne d'Arc_, Abbeville, 1891, in-8º.--Lanéry +d'Arc, _Livre d'Or_, notices 1278 à 1308.] + +[Note 136: Du Cange, _Glossaire_, au mot: _Romeus_.--G. de Braux, +_Jeanne d'Arc à Saint-Nicolas_, Nancy, 1889, p. 8.--_Revue catholique +des Institutions et du Droit_, août 1886.--E. de Bouteiller, +_Nouvelles recherches_, p. XII.--Vallet de Viriville, _Histoire de +Charles VII_, t. II, p. 43.] + +[Note 137: Très probablement avant la naissance de Jeanne: «J'ai +pour surnom d'Arc ou Romée» dit Jeanne (_Procès_, t. I, p. 191). On +voit qu'elle se donne indifféremment le surnom de son père ou celui de +sa mère, bien qu'elle dise (_Procès_, t. I, p. 191) que les filles, +dans son pays, portaient le surnom de leur mère.] + +[Note 138: _Procès_, t. V, p. 252.--E. de Bouteiller et G. de +Braux, _Nouvelles recherches sur la famille de Jeanne d'Arc_, Paris, +1879, pp. 3 à 20.--Ch. du Lys, _Traité sommaire tant du nom et des +armes que de la naissance et parenté de la Pucelle d'Orléans et de ses +frères_, édit. Vallet de Viriville, Paris, 1857, p. 28.--E. Georges, +_Jeanne d'Arc considérée au point de vue Franco-Champenois_, Troyes, +1893, in-8º, p. 101.] + +[Note 139: Rien de moins certain que l'ordre de naissance des +enfants de Jacques d'Arc (_Procès_, à la table, au mot: _Arc_).] + +La maison de Jacques d'Arc touchait au pourpris de l'église +paroissiale, dédiée à saint Remi, apôtre des Gaules[140]. On n'eut que +le cimetière à traverser pour porter l'enfant sur les fonts. Les +formules d'exorcismes, que le prêtre récite à la cérémonie du baptême, +étaient, à cette époque, dans ces contrées, beaucoup plus longues, +dit-on, pour les filles que pour les garçons[141]. Sans savoir si +messire Jean Minet[142], curé de la paroisse, les prononça dans leur +teneur exacte sur la tête de l'enfant, nous rappelons cet usage comme +un des nombreux indices de l'invincible défiance qu'inspira toujours à +l'Église la nature féminine. + +[Note 140: _Procès_, t. II, p. 393 et _passim_.--S. Luce, _Jeanne +d'Arc à Domremy_, XVI, p. 357.] + +[Note 141: A. Monteil, _Histoire des Français_, 1853, in-18, t. +II, p. 194.] + +[Note 142: _Procès_, t. I, p. 46, Jean Minet était originaire de +Neufchâteau.] + +Selon la coutume d'alors, cette enfant eut plusieurs parrains et +marraines[143]. Les compères furent Jean Morel, de Greux, laboureur; +Jean Barrey, de Neufchâteau; Jean Le Langart ou Lingui et Jean +Rainguesson; les commères, Jeannette, femme de Thevenin le Royer, dit +Roze, de Domremy; Béatrix, femme d'Estellin, laboureur au même lieu; +Edite, femme de Jean Barrey, Jeanne, femme d'Aubrit, dit Jannet, qu'on +appela le maire Aubrit, quand il fut nommé officier de plume au +service des seigneurs de Bourlémont[144]; Jeannette, femme de +Thiesselin de Vittel, clerc à Neufchâteau, de toutes la plus savante, +car elle avait entendu lire des histoires dans des livres. On désigne +encore, parmi les commères, la femme de Nicolas d'Arc frère de +Jacques, ainsi que deux obscures chrétiennes nommées l'une Agnès, +l'autre Sibylle[145]. Il se rencontrait là nombre de Jean, de Jeanne +et de Jeannette, comme en toute assemblée de bons catholiques. Saint +Jean-Baptiste jouissait d'une très haute renommée; sa fête, célébrée +le 24 juin, était une grande date de l'année religieuse et civile; +elle servait de terme usuel pour baux, locations et contrats de toutes +sortes. Saint Jean l'Évangéliste, qui avait reposé la tête contre la +poitrine du Seigneur et qui devait revenir sur la terre à la +consommation des siècles, passait aux yeux de certains religieux, aux +yeux surtout des mendiants, pour le plus grand des saints du +Paradis[146]. C'est pourquoi, en l'honneur du Précurseur ou de +l'apôtre bien-aimé, on imposait très souvent, de préférence à tout +autre nom, les noms de Jean et de Jeanne aux nouveau-nés. Et, pour +mieux approprier ces saints noms à la petitesse de l'enfance et à +l'infimité promise à la plupart des destinées humaines, on les +diminuait en Jeannot et Jeannette. Les paysans des bords de la Meuse +avaient un goût particulier pour ces petits noms à la fois humbles et +caressants, Jacquot, Pierrollot, Zabillet, Mengette, Guillemette[147]. +L'enfant reçut, de la femme du clerc Thiesselin, le nom de Jeannette. +Au village, elle ne porta que celui-là. Plus tard, en France, on +l'appela Jeanne[148]. + +[Note 143: J. Corblet, _Parrains et marraines_, dans _Revue de +l'Art chrétien_, 1881, t. XIV, pp. 336 et suiv.] + +[Note 144: Siméon Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, LI, p. 98.] + +[Note 145: Cf. _Procès_, à la table, aux articles: _parrains_ et +_marraines_.--Il n'est pas toujours possible du donner aux personnes +les noms et l'état qu'elles avaient précisément à la date où nous les +voyons intervenir.] + +[Note 146: _Relation du greffier de La Rochelle_, dans _Revue +Historique_, t. IV, p. 342. Cf. Eustache Deschamps, ballade 354, t. +III, p. 83, éd. Queux de Saint-Hilaire.] + +[Note 147: _Procès_, t. II, pp. 74-388; t. V, pp. 151, 220 et +_passim_.] + +[Note 148: _Procès_, t. I, p. 46.--Henri Lepage, _Jeanne d'Arc +est-elle Lorraine?_ Nancy, 1852, pp. 57 à 79.] + +Elle fut nourrie dans la maison paternelle. Pauvre demeure de +Jacques[149]! La façade était percée d'une ou deux fenêtres chiches de +lumière. Le toit de pierres plates, incliné sur un demi-pignon, +descendait presque à terre du côté du jardin. Sur le seuil, à la +coutume du pays, s'amassaient le fumier, les souches et les +instruments de labour, recouverts de rouille et de boue. Mais l'humble +jardin, à la fois verger et potager, était, au printemps, tout fleuri +de blanc et de rose[150]. + +[Note 149: _Procès_, t. V, pp. 244 et suiv.--La maison de Jacques +d'Arc était sans doute sur la route; les Du Lys, ou plutôt les +Thiesselin, la démolirent et bâtirent à la place une maison qui +n'existe plus. Les écus qui en ornaient la façade ont été appliqués +sur la porte de celle qu'on montre aujourd'hui comme la maison de +Jeanne. Ce qu'on donne pour la chambre de Jeanne est le fournil (É. +Hinzelin, _Chez Jeanne d'Arc_, p. 74. Voir un article de Henri Arsac, +dans l'_Écho de l'Est_, du 26 juillet 1890). Il y a sur ce sujet toute +une littérature (Lanéry d'Arc, _Livre d'Or_, pp. 330 et suiv.).] + +[Note 150: Émile Hinzelin, _Chez Jeanne d'Arc_, _passim_.] + +Ces bons chrétiens eurent encore un enfant, le dernier, Pierre qu'on +nommait Pierrelot[151]. + +[Note 151: _Procès_, t. V, pp. 151, 220.] + +Jeanne grandit sur une terre avare, parmi des gens rudes et sobres, +nourris de vin rose et de pain bis, endurcis par une dure vie. Elle +grandit libre. Les enfants, chez les paysans laborieux, vivent le plus +souvent entre eux, hors du regard des parents. La fille d'Isabelle +semble s'être très bien accordée avec les enfants du village. Une +petite voisine, Hauviette, de trois ou quatre ans plus jeune qu'elle, +était sa compagne de tous les jours. Elles avaient plaisir à coucher +dans le même lit[152]. Mengette, dont les parents habitaient tout +contre, venait filer dans la maison de Jacques d'Arc. Elle s'y +acquittait avec Jeanne des soins du ménage[153]. Souvent aussi Jeanne, +emportant sa quenouille, allait faire la veillée chez un laboureur, +Jacquier, de Saint-Amance, qui avait une fille toute jeune[154]. Les +garçons, comme de raison, croissaient avec les filles. Jeanne et le +fils de Simonin Musnier, étant voisine et voisin, furent élevés +ensemble. En son enfance, le fils Musnier tomba malade; Jeanne l'alla +soigner[155]. + +[Note 152: _Procès_, t. II, p. 417.] + +[Note 153: _Ibid._, t. II, p. 429.] + +[Note 154: _Ibid._, t. II, p. 408.] + +[Note 155: _Ibid._, t. II, p. 423.] + +Il n'était pas sans exemple en ce temps-là que des villageoises +connussent leurs lettres. Maître Jean Gerson, peu d'années auparavant, +conseillait à ses soeurs, paysannes champenoises, d'apprendre à lire, +promettant, si elles y réussissaient, de leur donner des livres +d'édification[156]. Bien que nièce de curé, Jeanne n'étudia pas sa +Croix-de-Dieu, semblable en cela à plusieurs enfants de son village, +non pourtant à tous, car il y avait à Maxey une école où allaient les +garçons de Domremy[157]. + +[Note 156: E. Georges, _Jeanne d'Arc considérée au point de vue +Franco-Champenois_, p. 115.--De La Fons-Mélicocq, _Documents inédits +pour servir à l'histoire de l'instruction publique en France et à +l'histoire des moeurs au XVe siècle_, dans _Bulletin de la Société des +Antiquaires de la Morinie_, t. III, pp. 460 et suiv.] + +[Note 157: _Procès_, t. I, pp. 65-66.--(_Item._, je donne à +Oudinot, à Richard et à Gérard, clercz enfantz du maistre de l'escole +de Marcey dessoubz Brixey, doubz escus pour priier pour mi et pour +dire les sept psaulmes.) Testament de Jean de Bourlémont, 23 octobre +1399, dans S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, preuve XIII.] + +Elle apprit de sa mère _Notre Père_, _Je vous salue, Marie_, et _Je +crois en Dieu_[158]. Elle entendit conter quelques belles histoires de +saints et de saintes. Ce fut tout l'enseignement qu'elle reçut. Aux +jours fériés, dans la nef de l'église, elle se tenait sous la chaire, +assise sur les talons, à la manière des paysannes, tandis que les +hommes demeuraient debout contre le mur, et elle entendait le sermon +du curé[159]. + +[Note 158: _Procès_, t. I, pp. 46, 47.] + +[Note 159: Voyez dans Montfaucon, _Monuments de la Monarchie +française_, t. III, la gravure de la seconde miniature des «Douze +périls d'enfer».] + +Dès qu'elle en eut l'âge, elle travailla aux champs, sarclant, bêchant +et, comme font encore aujourd'hui les filles du pays lorrain, +accomplissant des tâches d'homme. + +Les prairies, don du fleuve, étaient la principale richesse des +riverains de la Meuse. Quand la récolte des foins était faite, tous +les habitants de Domremy avaient droit de pâture dans les prairies du +village, et ils y pouvaient mettre des têtes de bétail en nombre +proportionnel à celui des fauchées de pré qu'ils possédaient en +propre. Chaque famille prenait à son tour la garde des troupeaux ainsi +rassemblés. Jacques d'Arc, qui avait un peu d'herbage, mettait ses +boeufs et ses chevaux avec les autres. Lorsque venait son tour de +garde, il s'en déchargeait sur sa fille Jeanne, qui allait au pré, sa +quenouille à la main[160]. + +[Note 160: _Procès_, t. I, pp. 51, 66.--S. Luce, _Jeanne d'Arc à +Domremy_, p. lij.] + +Mais elle aimait mieux vaquer aux soins du ménage, coudre et filer. +Elle était pieuse. Elle ne jurait ni Dieu ni les saints et, pour +affirmer qu'une chose était vraie, elle se contentait de dire: «Sans +faute»[161]. Quand les cloches sonnaient l'_Angelus_, elle se signait +et s'agenouillait[162]. Le samedi, jour de la Sainte Vierge, +gravissant le coteau d'herbes, de vignes et de vergers au pied duquel +s'appuie le village de Greux, elle gagnait le plateau boisé d'où l'on +découvre, à l'est, la verte vallée et les collines bleuissantes. Sur +la hauteur, à une petite lieue du village, dans un ravin plein d'ombre +et de murmures, la fontaine de Saint-Thiébault, dont l'eau très pure +guérit de la fièvre et cicatrise les plaies, jaillit sous les hêtres, +les frênes et les chênes. Au-dessus de la fontaine, s'élève la +chapelle de Notre-Dame de Bermont. Dans la belle saison, elle est +toute parfumée de l'odeur des prés et des bois. Et l'hiver enveloppe +ce haut lieu de tristesse et de silence. En ce temps-là, vêtue du +manteau royal et la couronne au front, dans ses bras son divin enfant, +Notre-Dame de Bermont recevait les prières et les offrandes des jeunes +garçons et des jeunes filles. Elle faisait des miracles. Jeanne +l'allait visiter en compagnie de sa soeur Catherine, de quelques +filles ou garçons du pays ou toute seule. Et le plus souvent qu'elle +pouvait, elle brûlait un cierge en l'honneur de cette céleste +dame[163]. + +[Note 161: _Ibid._, t. II, p. 404.] + +[Note 162: _Ibid._, t. I, p. 423.] + +[Note 163: _Procès_, table, au mot: _Bermont_.--Du Haldat, _Notice +sur la chapelle de Belmont_, dans les _Mémoires de l'Académie +Stanislas de Nancy_, 1833-1834, p. 96.--E. Hinzelin, _Chez Jeanne +d'Arc_, p. 95.--Lanéry d'Arc, _Livre d'Or_, p. 330.] + +À une demi-lieue à l'est de Domremy, s'élevait une colline couverte +d'un bois épais où l'on ne s'aventurait guère de peur des sangliers et +des loups. Les loups étaient la terreur du pays. Les maires des +villages payaient des primes pour chaque tête de loup ou de louveteau +qu'on leur apportait[164]. Ce bois, que Jeanne voyait du seuil de sa +porte, c'était le Bois Chesnu, le bois de chênes, ce qu'on pouvait +entendre au sens de bois chenu, vieille forêt[165]. Nous verrons plus +tard comment à ce Bois Chesnu fut appliquée, en France, une prophétie +de Merlin l'Enchanteur. + +[Note 164: Alexis Monteil, _Histoire des Français_, t. I, p. 91.] + +[Note 165: _Procès_, table, au mot: _Bois Chesnu_.] + +Au pied de la colline, du côté du village, était une fontaine[166] que +les groseilliers épineux, en recourbant leurs branches, bordaient de +leurs buissons grisâtres. On la nommait la Fontaine-aux-Groseilliers, +la Fontaine-aux-Nerpruns[167]. Si, comme le croyait un maître de +l'Université de Paris[168], Jeanne appelait cette fontaine la +Fontaine-aux-Bonnes-Fées-Notre-Seigneur, c'était assurément parce que +les gens du village la désignaient de même manière. Et il semblerait +que ces âmes rustiques eussent voulu, par ce nom, rendre chrétiennes +ces dames des bois et des eaux qui ne l'étaient guère, et en qui +certains docteurs reconnaissaient des démons autrefois adorés des +païens comme déesses[169]. + +[Note 166: _Ibid._, table, au mot: _Fontaine des Groseilliers_.] + +[Note 167: _Procès_, t. I, pp. 67-210; t. II, pp. 391 et suiv.] + +[Note 168: _Journal d'un bourgeois de Paris_, éd. Tuetey, p. 267.] + +[Note 169: _Procès_, t. I, p. 209.] + +Et c'était la vérité. Déesses vénérées et redoutées à l'égal des +Parques, elles s'étaient nommées les Fatales[170] et on leur avait +attribué un pouvoir sur les destinées des hommes. Mais, depuis +longtemps déchues de leur puissance et de leurs honneurs, ces fées de +village se faisaient aussi simples que les gens près desquels elles +vivaient. On les invitait aux baptêmes et l'on mettait leur couvert +dans la chambre attenante à celle de l'accouchée. À ces festins, elles +mangeaient seules, entraient, sortaient sans qu'on le sût; il ne +fallait pas trop les épier, de peur de leur déplaire. C'est l'usage +des personnes divines d'aller et de venir mystérieusement. Elles +faisaient des dons aux nouveau-nés. Il y en avait de très bonnes; +mais, pour la plupart, sans être méchantes, elles se montraient +irritables, capricieuses, jalouses, et, si on les offensait, même par +mégarde, elles jetaient des sorts. Elles laissaient voir parfois, à +d'inexplicables préférences, qu'elles étaient femmes. Plus d'une +prenait pour ami un chevalier ou un rustre; le plus souvent ces belles +amours finissaient mal. Enfin, terribles ou douces, elles étaient +encore les _Fatales_, elles étaient toujours les destinées[171]. + +[Note 170: _Ibid._, t. I, pp. 67, 187, 209; t. II, pp. 390, 404, +450.] + +[Note 171: Wolf, _Mythologie des fées et des elfes_, 1828, +in-8º.--A. Maury, _Les fées au moyen âge_, 1843, in-18 et _Croyances +et légendes du moyen âge_, Paris, 1896, in-8º.] + +Tout proche, à l'orée du bois, au-dessus du grand chemin de +Neufchâteau, s'élevait un hêtre très vieux qui répandait une belle et +grande ombre[172]. Il était vénéré presque à l'égal de ces arbres +tenus pour sacrés avant que les hommes apostoliques eussent évangélisé +les Gaules[173]. Ses branches, qu'aucune main n'osait toucher, +descendaient jusqu'à terre. «Les lis, disait un laboureur, ne sont pas +plus beaux[174].» Comme la fontaine, l'arbre avait plusieurs noms. On +l'appelait l'Arbre-des-Dames, l'Arbre-aux-Loges-les-Dames, +l'Arbre-des-Fées, l'Arbre-Charmine-Fée-de-Bourlémont, le +Beau-Mai[175]. + +[Note 172: Richer, _Histoire manuscrite de Jeanne d'Arc_, ms. fr. +10448, fol. 14-15.] + +[Note 173: Sur le culte des arbres, voir l'étude de M. Henry +Carnoy dans _la Tradition_, du 15 mars 1889.] + +[Note 174: _Procès_, t. II, p. 422.] + +[Note 175: _Ibid._, à la table, au mot: _Arbre des Fées_.] + +Qu'il fût des fées et qu'on en eût vu sous +l'Arbre-aux-Loges-les-Dames, tout le monde à Domremy le savait. Dans +les anciens jours, au temps où Berthe filait, un seigneur de +Bourlémont, nommé Pierre Granier[176], devenu le bel ami d'une fée, +l'allait trouver le soir sous le hêtre. Un roman traitait de leurs +amours. Et l'une des marraines de Jeanne, dont le mari était clerc à +Neufchâteau, avait entendu lire cette histoire qui ressemblait sans +doute à celle de Mélusine, tant connue en Lorraine[177]. Seulement on +doutait si les fées venaient encore sous le hêtre. Les uns croyaient +que non, les autres croyaient qu'oui. Béatrix, marraine aussi de +Jeanne, disait: «J'ai ouï conter que les fées venaient sous l'arbre +dans l'ancien temps. Mais, pour leurs péchés, elles n'y viennent +plus[178].» + +[Note 176: _Procès_, t. II, p. 404.] + +[Note 177: _Ibid._, t. II, p. 404 et _passim_.--_Simple crayon de +la noblesse des ducs de Lorraine et de Bar_ dans Le Brun des +Charmettes, _Histoire de Jeanne d'Arc_, t. I, p. 266.--Jules Baudot, +_Les princesses Yolande et les ducs de Bar de la famille des Valois_, +1re partie: _Mélusine_, Paris, 1901, in-8º, p. 121.] + +[Note 178: _Propter eorum peccata_, dans _Procès_, t. II, p. 396. +Le sens n'est pas douteux.] + +La simple créature entendait par là que ces dames fées étaient les +ennemies de Dieu, et que le curé les avait mises en fuite. Jean Morel, +parrain de Jeanne, pensait de même[179]. + +[Note 179: _Ibid._, t. II, p. 390.] + +En effet, la veille de l'Ascension, aux Rogations ou Petites Litanies, +les croix étaient portées par les champs et le curé allait sous +l'Arbre-des-Fées chanter l'évangile de saint Jean. Il le chantait +encore à la Fontaine-aux-Groseilliers et aux autres fontaines de la +paroisse[180]. Et pour chasser les mauvais esprits, on ne connaissait +rien qui valût l'évangile de saint Jean[181]. + +[Note 180: _Procès_, t. II, p. 397.] + +[Note 181: Bergier, _Dictionnaire de Théologie_, au mot: +_Conjuration_.] + +Le seigneur Aubert d'Ourches estimait que les fées avaient disparu de +Domremy depuis vingt ou trente ans. Au rebours, plusieurs dans le +village croyaient savoir que les chrétiens allaient encore se promener +avec elles, et que le jeudi était le jour des rendez-vous[182]. + +[Note 182: _Procès_, t. II, p. 450.] + +Une troisième marraine de Jeanne, la femme d'Aubery, le maire, avait +vu de ses yeux les fées autour de l'arbre. Elle l'avait dit à sa +filleule. Et la femme d'Aubery était réputée bonne et prude femme, non +devineresse ni sorcière[183]. + +[Note 183: _Ibid._, t. I, pp. 67, 209.] + +Jeanne soupçonnait en tout cela quelque sortilège. Pour elle, elle +n'avait jamais rencontré les dames sous l'arbre. Mais qu'elle eût vu +des fées ailleurs, c'est ce qu'elle n'aurait pas su dire[184]. Les +fées ne sont pas comme les anges; elles ne se font pas toujours +connaître pour ce qu'elles sont[185]. + +[Note 184: _Ibid._, t. I, pp. 178, 209 et suiv.] + +[Note 185: Sur les traditions relatives aux fées à Domremy et sur +ce qu'en pensait Jeanne: _Procès_, table, au mot: _Fées_.] + +Chaque année, le quatrième dimanche de Carême, que l'Église nomme le +dimanche de _Lætare_, parce qu'on chante à la messe de ce jour +l'introït qui commence par ces mots: _Lætare Jerusalem_, les paysans +du Barrois célébraient une fête rustique et faisaient ce qu'ils +appelaient leurs Fontaines, c'est-à-dire qu'ils allaient en troupe +boire à quelque source et danser sur l'herbe. Ceux de Greux faisaient +leurs Fontaines à la chapelle de Notre-Dame de Bermont; ceux de +Domremy les faisaient à la Fontaine-des-Groseilliers et à +l'Arbre-des-Fées[186]. On se rappelait le temps où le seigneur et la +dame de Bourlémont y conduisaient eux-mêmes la jeunesse du village. +Mais Jeanne était encore dans les langes, quand Pierre de Bourlémont, +seigneur de Domremy et de Greux, mourut sans enfants, laissant ses +terres à sa nièce Jeanne de Joinville qui, mariée à un chambellan du +duc de Lorraine, vivait à Nancy[187]. + +[Note 186: Sur le dimanche et la fête des Fontaines à Domremy: +_Procès_, table, au mot: _Fontaine_.] + +[Note 187: _Procès_, t. I, pp. 67, 212, 404 et suiv.--S. Luce, +_Jeanne d'Arc à Domremy_, pp. xx à xxij.] + +Le jour des Fontaines, les filles et les garçons de Domremy se +rendaient ensemble au vieux hêtre. Après y avoir suspendu des +guirlandes de fleurs, ils soupaient, sur une nappe étendue à terre, de +noix, d'oeufs durs et de petits pains d'une forme étrange, que les +ménagères avaient pétris tout exprès. Puis ils allaient boire à la +Fontaine-des-Groseilliers, dansaient des rondes et s'en retournaient +chacun chez soi à la tombée de la nuit. + +Jeanne faisait ses Fontaines comme toutes les jouvencelles de la +contrée. Bien qu'elle fût de la partie de Domremy rattachée à Greux, +elle les faisait non pas à Notre-Dame de Bermont, mais à la +Fontaine-des-Groseilliers et à l'Arbre-des-Fées[188]. + +[Note 188: _Procès_, t. II, pp. 391-462.] + +En son premier âge, elle dansait avec ses compagnes au pied de +l'arbre. Elle y tressait des guirlandes pour l'image de Notre-Dame de +Domremy, dont la chapelle s'élevait sur un coteau voisin. Les jeunes +filles avaient coutume de suspendre des guirlandes aux branches de +l'Arbre-des-Fées. Jeanne en suspendait, comme les autres, et, comme +les autres, tantôt elle les emportait, tantôt elle les laissait. On ne +savait ce qu'elles devenaient, et il paraît que la disparition de ces +fleurs était de nature à inquiéter les personnes scientifiques et +d'entendement. Ce qui est certain c'est que les malades, s'ils +buvaient à la fontaine et se promenaient ensuite sous l'arbre, +guérissaient de la fièvre[189]. + +[Note 189: _Ibid._, t. I, pp. 67, 209, 210.] + +Pour fêter le printemps on faisait un homme de mai, un mannequin de +feuilles et de fleurs[190]. + +[Note 190: _Ibid._, t. II, p. 434.] + +Près de l'Arbre-des-Dames, sous un coudrier, une mandragore promettait +les richesses à qui, n'ayant peur ni de l'entendre crier, ni de voir +le sang dégoutter de son petit corps humain et de ses pieds fourchus, +oserait, durant la nuit, selon les rites, l'arracher de terre[191]. + +[Note 191: _Atropa Mandragor_, mandragore femelle, main-de-gloire, +herbe-aux-magiciens: _Procès_, t. I, pp. 89 et 213.--_Journal d'un +bourgeois de Paris_, p. 236.] + +L'arbre, la fontaine, la mandragore, rendaient les habitants de +Domremy suspects de commercer avec les mauvais esprits. Un savant +docteur a dit en propres termes que le pays était connu pour le grand +nombre de ses habitants qui usaient de maléfices[192]. + +[Note 192: _Procès_, t. I, p. 209.] + +Jeanne, encore en sa prime jeunesse, fit plusieurs fois le voyage de +Sermaize en Champagne, où elle avait des parents. Le curé de la +paroisse, messire Henri de Vouthon, était son oncle maternel. Elle y +avait un cousin, Perrinet de Vouthon, qui y exerçait l'état de +couvreur avec son fils Henri[193]. + +[Note 193: Cela est probable, non certain.--_Procès_, t. II, pp. +74, 388; t. V, p. 252.--E. de Bouteiller et G. de Braux, _Nouvelles +recherches sur la famille de Jeanne d'Arc_, pp. XVIII et suiv.; 7, 8, +10 et _passim_.--C. Gilardoni, _Sermaize et son église_, +Vitry-le-François, 1893, in-8º.] + +Domremy est séparé de Sermaize par quinze grandes lieues de forêts et +de landes. Jeanne, à ce qu'on peut croire, faisait le voyage en croupe +avec son frère sur la petite jument, la bâtière du gagnage[194]. À +chaque fois que l'enfant s'y rendait, elle passait plusieurs jours +dans la maison de Perrinet, son cousin[195]. + +[Note 194: Capitaine Champion, _Jeanne d'Arc écuyère_, Paris, +1901, in-12, p. 28.] + +[Note 195: Boucher de Molandon, _La famille de Jeanne d'Arc_, p. +627.--E. de Bouteiller et G. de Braux, _Nouvelles recherches_, pp. 9 +et 10.--S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, pp. XLV et suiv.] + +Le village de Domremy se divisait, selon le droit féodal, en deux +parties distinctes. Celle du midi, avec le château sur la Meuse et une +trentaine de feux, appartenait aux seigneurs de Bourlémont et +dépendait de la châtellenie de Gondrecourt, mouvant de la couronne de +France. C'était Lorraine et Barrois. La partie du nord, sur laquelle +s'élevait le moustier, relevait de la prévoté de Montéclaire et +Andelot au bailliage de Chaumont en Champagne[196]. On l'appelait +quelquefois Domremy de Greux, parce qu'elle ne faisait qu'un, pour +ainsi dire, avec le village de Greux tout proche sur la route, vers +Vaucouleurs[197]. Un ruisseau jailli à peu de distance, au couchant, +d'une triple source et qu'on nommait, dit-on, pour cela le ruisseau +des Trois-Fontaines, séparait les serfs de Bourlémont des hommes du +roi. Il passait humblement sous une pierre plate devant l'église, puis +se jetait par une pente rapide dans la Meuse, vis-à-vis de la maison +de Jacques d'Arc, qu'il avait laissée à gauche, en terre de Champagne +et de France[198]. Voilà ce qui paraîtrait le plus solidement établi; +mais craignons de savoir ces choses mieux qu'on ne les savait à +l'époque. En 1429, on ignorait dans le conseil du roi Charles, si +Jacques d'Arc était de condition libre ou serve[199]. Et sans doute, +Jacques d'Arc lui-même n'en savait rien. Lorrains ou Champenois, des +deux côtés du ruisseau c'était pareillement des paysans menant une +même vie de labeur et de peine. Pour ne point dépendre du même maître, +les uns et les autres n'en formaient pas moins une communauté +étroitement unie, une seule famille rustique. Intérêts, besoins et +sentiments, ils partageaient tout. Menacés des mêmes dangers, ils +avaient tous les mêmes inquiétudes. + +[Note 196: E. Misset, _Jeanne d'Arc champenoise_, Paris, s. d. +(1894), in-8º.--Sur la nationalité de Jeanne d'Arc il y a toute une +littérature d'une richesse extrême dont il m'est impossible de donner +ici la bibliographie. Cf. Lanéry d'Arc, _Livre d'Or_, pp. 295 et +suiv.] + +[Note 197: _Procès_, t. I, p. 208.] + +[Note 198: P. Jollois, _Histoire abrégée de la vie et des exploits +de Jeanne d'Arc_, Paris, 1821, pl. I, p. 190.--A. Renard, _La patrie +de Jeanne d'Arc_, Langres, 1880, in-18, p. 6.--S. Luce, _Jeanne d'Arc +à Domremy_, Supplément aux preuves, pp. 281, 282.] + +[Note 199: _Procès_, t. V, p. 152.] + +Situé à la pointe sud de la châtellenie de Vaucouleurs, le village de +Domremy se trouvait pris entre le Barrois et la Champagne au levant, +la Lorraine au couchant[200]. Terribles voisins que ces ducs de +Lorraine et de Bar, ce comte de Vaudemont, ce damoiseau de Commercy, +ces seigneurs évêques de Metz, de Toul et de Verdun, toujours en +guerre entre eux. Querelles de princes. Le villageois les observait +comme la grenouille de la vieille fable regarde les taureaux combattre +dans la prairie. Pâle, tremblant, le pauvre Jacques se voyait déjà +piétiné par les féroces combattants. En un temps où la chrétienté tout +entière était au pillage, les hommes d'armes des Marches de Lorraine +avaient renommée des plus grands pillards du monde. Malheureusement +pour les laboureurs de la châtellenie de Vaucouleurs, tout contre ce +domaine, au nord, vivait de rapines Robert de Saarbruck, damoiseau de +Commercy, particulièrement prompt à dérober selon la coutume lorraine. +Il était de l'avis de ce roi d'Angleterre qui disait que guerre sans +incendie ne valait rien, non plus qu'andouilles sans moutarde[201]. Un +jour, assiégeant une petite place où les paysans s'étaient enfermés, +le damoiseau fit brûler pendant toute une nuit les moissons +d'alentour, pour y voir plus clair à prendre ses positions[202]. + +[Note 200: Colonel de Boureulle, _Le pays de Jeanne d'Arc_, +Saint-Dié, 1890, in-8º, 28 p. pl.--J.-Ch. Chappellier, _Étude +historique sur Domremy, pays de Jeanne d'Arc_, 2 plans.--C. Niobé, _Le +pays de Jeanne d'Arc_, dans _Mémoires de la Société académique de +l'Aube_, 1894, 3e série, t. XXXI, pp. 307 et suiv.] + +[Note 201: Juvénal des Ursins, dans la _Collection Michaud et +Poujoulat_, col. 561.] + +[Note 202: A. Tuetey, _Les écorcheurs sous Charles VII_, +Montbéliard, 1874, t. I, p. 87.] + +En 1419, ce seigneur faisait la guerre aux frères Didier et Durand de +Saint-Dié. Il n'importe pour quelle raison. De cette guerre, ainsi que +des autres, les villageois faisaient les frais. Et comme les gens +d'armes se battaient sur toute la châtellenie de Vaucouleurs, les +habitants de Domremy avisèrent à leur sûreté. Voici de quelle manière. +Il y avait à Domremy un château qui s'élevait dans la prairie à la +pointe d'une île formée par deux bras de la rivière, dont l'un, le +bras oriental, est depuis longtemps comblé[203]. De ce château +dépendaient une chapelle de Notre-Dame, une cour munie d'ouvrages de +défense et un grand jardin entouré de fossés larges et profonds. +C'est ce qu'on nommait communément la forteresse de l'Île, ancienne +habitation des sires de Bourlémont. Le dernier de ces seigneurs étant +mort sans enfants, Jeanne de Joinville, sa nièce, hérita de ses biens. +Mais ayant épousé, peu de temps après la naissance de Jeanne, un +seigneur lorrain nommé Henri d'Ogiviller, elle le suivit dans le +château d'Ogiviller et à la cour ducale de Nancy. Depuis son départ, +la forteresse de l'Île restait inhabitée. Ceux du village la prirent à +loyer, pour y mettre à l'abri des pillards leurs outils et leurs +bêtes. La location fut adjugée sur enchères. Un nommé Jean Biget, de +Domremy, et Jacques d'Arc, le père de Jeanne, s'étant trouvés les plus +forts enchérisseurs et ayant fourni les garanties suffisantes, un bail +fut passé entre eux et les représentants de la dame d'Ogiviller. Pour +neuf années, à compter de la Saint-Jean-Baptiste de l'an 1419, et +moyennant un loyer annuel de quatorze livres tournois et de trois +imaux de blé[204], Jacques d'Arc et Jean Biget eurent la jouissance de +la forteresse, du jardin, de la cour, ainsi que des prés qui +dépendaient de ce domaine. Outre les deux locataires principaux, il y +eut cinq locataires subsidiaires, dont le premier en nom fut +Jacquemin, l'aîné des fils de Jacques d'Arc[205]. + +[Note 203: _Procès_, t. I, pp. 66, 215.] + +[Note 204: «Imal, dit Le Trévoux, mesure de grains dont on se sert +à Nancy. La quarte fait deux imaux, et quatre quartes le réal qui +contient quinze boisseaux, mesure de Paris.»] + +[Note 205: Archives départementales de la Meurthe-et-Moselle, +layette Ruppes, II, nº 28.--Le bail à ferme du 2 avril 1420 a été +publié pour la première fois par M. J.-Ch. Chappellier dans le +_Journal de la Société d'Archéologie lorraine_, janvier-février 1889, +et _Deux actes inédits du XVe siècle sur Domremy_, Nancy 1889, in-8º, +16 p.--S. Luce, _La France pendant la guerre de cent ans_, 1890, +in-18, pp. 274 et suiv.--Lefèvre-Pontalis, _Étude historique et +géographique sur Domremy, pays de Jeanne d'Arc_, dans _Bibliothèque de +l'École des Chartes_, t. LVI, pp. 154-168.] + +La précaution n'était pas inutile. En cette même année 1419, Robert de +Saarbruck et sa compagnie se rencontrèrent avec les hommes des frères +Didier et Durand, au village de Maxey, qui étendait en face de Greux, +sur l'autre côté de la Meuse, au pied des collines boisées, ses toits +de chaume. Les deux partis se livrèrent en ce lieu un combat dans +lequel le damoiseau victorieux fit trente-cinq prisonniers, qu'ensuite +il rançonna très âprement, selon l'usage. Dans le nombre se trouvait +ce Thiesselin de Vittel, écuyer, dont la femme avait tenu sur les +fonts du baptême la seconde fille de Jacques d'Arc. Jeanne, qui avait +alors sept ans, et peut-être un peu plus, put voir, d'une des collines +de son village, le combat où fut pris le mari de sa marraine[206]. + +[Note 206: _Procès_, t. II, pp. 420-426.--S. Luce, _Jeanne d'Arc à +Domremy_, p. lxiv.] + +Cependant les affaires du royaume de France allaient au plus mal. On +le savait à Domremy, car le village était sur la route et les passants +apportaient les nouvelles[207]. C'est ainsi qu'on y avait appris le +meurtre du duc Jean de Bourgogne à qui les conseillers du dauphin +firent payer sur le pont de Montereau le sang versé rue Barbette et +qui en furent les mauvais marchands, cette mort ayant mis très bas +leur jeune prince. La guerre s'en était suivie entre Armagnacs et +Bourguignons. Et cette guerre n'avait que trop profité aux Anglais, +obstinés ennemis du royaume, qui depuis deux cents ans possédaient la +Guyenne et y faisaient un grand négoce[208]. Mais la Guyenne était +loin et peut-être ne savait-on pas à Domremy qu'elle avait été jadis +dans les appartenances des rois de France. Ce qu'on y savait très +bien, au contraire, c'est que durant les derniers troubles du royaume +les Anglais avaient repassé la mer et que monseigneur Philippe, fils +du feu duc Jean, leur avait tendu la main. Ils occupaient la +Normandie, le Maine, la Picardie, l'Île-de-France, Paris la grande +ville[209]. Or les Anglais étaient très haïs et très craints, en +France, pour leur grande réputation de cruauté. Non qu'ils fussent en +réalité beaucoup plus méchants que les autres peuples[210]. En +Normandie, leur roi Henri avait fait respecter les femmes et les biens +dans tous les lieux de son obéissance. Mais la guerre est cruelle en +soi et qui la porte chez un peuple devient justement odieux à ce +peuple. On les disait perfides et non toujours à tort, car la bonne +foi est rare parmi les hommes. On les tournait en dérision de +diverses manières. En jouant sur leur nom en latin et en français on +les nommait anges. Or, s'ils étaient des anges, c'étaient assurément +de mauvais anges. Ils reniaient Dieu et avaient sans cesse à la gorge +leur _Goddam_[211], tant qu'on les appelait les Godons. C'étaient des +diables. On disait qu'ils étaient coués, c'est-à-dire qu'ils avaient +une queue au derrière[212]. On eut deuil dans beaucoup de maisons +françaises, quand la reine Ysabeau, faisant des nobles fleurs de Lis +litière au léopard, livra le royaume de France aux coués[213]. Depuis +lors, le roi Henri V de Lancastre et le roi Charles VI de Valois, le +roi victorieux et le roi fol s'étaient suivis, à quelques jours de +distance, devant Dieu qui juge le bon et le mauvais, le juste et +l'injurieux, le faible et le puissant. La châtellenie de Vaucouleurs +était française[214]. Il s'y trouvait des clercs et des nobles pour +plaindre cet autre Joas arraché tout enfant à ses ennemis, orphelin +dépouillé de son héritage, en qui tout l'espoir du royaume était +renfermé. Mais croira-t-on que les pauvres laboureurs avaient loisir +de considérer ces choses? Croira-t-on que vraiment les paysans de +Domremy tenaient pour le dauphin Charles, leur droiturier seigneur, +tandis que les Lorrains de Maxey, suivant le parti de leur duc, +tenaient pour les Bourguignons? + +[Note 207: Liénard, _Dictionnaire topographique de la Meuse_, +introduction, p. x.] + +[Note 208: Dom Devienne, _Histoire de Bordeaux_, pp. 98 et +103.--L. Bachelier, _Histoire du commerce de Bordeaux_, Bordeaux, +1862, in-8º, p. 45.--D. Brissaud, _Les Anglais en Guyenne_, Paris, +1875, in-8º.] + +[Note 209: Ch. de Beaurepaire, _De l'administration de la +Normandie sous la domination anglaise_, Caen, 1859, in-4º, et _États +de Normandie sous la domination anglaise_, Évreux, 1859, in-8º.--De +Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. V, pp. 40-56, pp. 261-286.] + +[Note 210: Thomas Basin, _Histoire de Charles VII et de Louis XI_, +éd. Quicherat, t. I, p. 27.] + +[Note 211: La Curne, aux mots: _Anglais_ et _Goddons_.] + +[Note 212: Voragine, _La légende de Saint-Grégoire_.--Du Cange, +_Glossaire_, au mot: _Caudatus_.--Le Roux de Lincy, _Recueil de chants +historiques français_, Paris, 1851, t. I, pp. 300-301.--Cette injure +se trouve déjà couramment chez Eustache Deschamps; elle est encore +vivace au XVIIe siècle (_Sommaire tant du nom et des armes que de la +naissance et parenté de la Pucelle_, éd. Vallet de Viriville).] + +[Note 213: Carlier, _Histoire du Valois_, t. II, pp. 441 et +suiv.--S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, ch. III.] + +[Note 214: Dom Calmet, _Histoire de Lorraine_, t. II, col. +631.--Bonnabelle, _Notice sur la ville de Vaucouleurs_, Bar-le-Duc, +1879, in-8º de 75 pages.] + +Maxey, sur la rive droite de la Meuse, n'était séparé de Domremy que +par la rivière. Les enfants de Domremy et de Greux y allaient à +l'école; des querelles s'élevaient entre eux; les petits Bourguignons +de Maxey et les petits Armagnacs de Domremy se livraient des +batailles. Plus d'une fois, le soir, à la tête du pont, Jeanne vit +revenir tout en sang les gars de son village[215]. Qu'une fillette +ardente comme elle ait épousé gravement ces querelles et en ait conçu +une haine profonde des Bourguignons, cela se conçoit. On aurait tort +pourtant de chercher dans ces jeux de vilains en bas âge un indice de +l'état des esprits. Les jeunes garnements de ces deux paroisses en +avaient pour des siècles à s'insulter et à se battre[216]. Partout et +toujours, quand les enfants vont en troupe et que ceux d'un village +rencontrent ceux du village voisin, les injures et les pierres volent. +Les paysans de Domremy, de Greux et de Maxey, se souciaient peu, sans +doute, des affaires des ducs et des rois. Ils avaient appris à +craindre les capitaines de leur alliance à l'égal des capitaines de +l'alliance contraire, et à ne point faire de différence entre les gens +de guerre amis et les gens de guerre ennemis. + +[Note 215: _Procès_, t. I, pp. 65-66.--S. Luce, _Jeanne d'Arc à +Domremy_, pp. 18 et suiv.] + +[Note 216: N. Villiaumé, _Histoire de Jeanne d'Arc_, 1864, in-8º, +p. 52, note I.] + +En l'an 1420, les Anglais occupèrent le bailliage de Chaumont et mirent +des garnisons dans plusieurs forteresses du Bassigny. Messire Robert, +seigneur de Baudricourt et de Blaise, fils de feu messire Liébault de +Baudricourt, était alors capitaine de Vaucouleurs et bailli de Chaumont +pour le dauphin Charles. Il pouvait être estimé grand pillard, même en +Lorraine. Au printemps de cette année 1420, le duc de Bourgogne ayant +envoyé des ambassadeurs au seigneur évêque de Verdun, sire Robert, +d'accord avec le damoiseau de Commercy, les fit prisonniers à leur +retour. Pour venger cette offense, le duc de Bourgogne déclara la guerre +au capitaine de Vaucouleurs et la châtellenie fut ravagée par des bandes +d'Anglais et de Bourguignons[217]. + +[Note 217: S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, ch. III.] + +En 1423, le duc de Lorraine était aux prises avec un terrible homme, +cet Étienne de Vignolles, routier gascon, déjà fameux sous le rude +sobriquet de La Hire[218], qu'il devait laisser après sa mort au valet +de coeur des jeux de cartes graissés par les doigts des soudards. La +Hire tenait le parti du dauphin Charles, mais, de fait, ne guerroyait +que pour son propre gain. À cette heure, il battait le Barrois au +couchant et au midi, brûlant les églises et détruisant les villages. + +[Note 218: Pierre d'Alheim, _Le jargon jobelin_, Paris, 1892, +in-18, glossaire, au mot: HIRENALLE, p. 61, et communication verbale +de M. Marcel Schwob.--_Cronique Martiniane_, éd. P. Champion, p. 8, +note 3.--_Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 270.--De Montlezun, +_Histoire de Gascogne_, 1847, in-8º, p. 143.--A. Castaing, _La patrie +du valet de coeur_, dans _Revue de Gascogne_, 1869, X, 29-33.] + +Comme il occupait Sermaize, dont l'église était fortifiée, Jean comte +de Salm, gouverneur du duché de Bar pour le duc de Lorraine, l'y vint +assiéger avec deux cents chevaux. Un coup de bombarde, tiré par les +canonniers lorrains, tua Collot Turlaut, marié depuis deux ans à +Mengette, fille de Jean de Vouthon et cousine germaine de Jeanne[219]. + +[Note 219: S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, pp. lxxiij et 87, +note 1.--E. de Bouteiller et G. de Braux, _Nouvelles recherches_, pp. +4-15.] + +Jacques d'Arc était alors doyen de la communauté. Le doyen avait +beaucoup à faire, surtout dans les temps troublés. Il convoquait le +maire et les échevins à leurs réunions, faisait les cris des +ordonnances, commandait le guet de jour et de nuit, gardait les +prisonniers. Il était aussi chargé de la collecte des tailles, rentes +et redevances, office des plus pénibles à remplir dans un pays +ruiné[220]. + +[Note 220: Bonvalot, _Le tiers état d'après la charte de Beaumont +et ses filiales_, Paris, 1886, p. 412.] + +Robert de Saarbruck, damoiseau de Commercy, qui, pour le moment, était +armagnac, pillait et rançonnait, sous couleur de protection et de +sauvegarde, les villages barrisiens de la rive gauche de la +Meuse[221]. Le 7 octobre 1423, Jacques d'Arc signa, comme doyen, +au-dessous du maire et de l'échevin, l'acte par lequel le damoiseau +extorquait à ces pauvres gens le paiement annuel de deux gros par feu +entier et d'un gros par feu de veuve, imposition qui ne montait pas à +moins de deux cent vingt écus d'or, que le doyen était chargé de +colliger pour la Saint-Martin d'hiver[222]. + +[Note 221: S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, pp. lxxi et suiv.] + +[Note 222: S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, preuve LI.] + +L'année suivante fut très mauvaise au dauphin Charles, car les +chevaliers français et écossais de son parti furent aussi maltraités +que possible à Verneuil. Cette année-là, le damoiseau de Commercy se +tourna bourguignon et n'en valut ni plus ni moins pour cela[223]. Le +capitaine La Hire se battait encore dans le Barrois, mais cette fois +c'était contre le jeune fils de madame Yolande, le beau-frère du +dauphin Charles, René d'Anjou, nouvellement sorti de tutelle et +désormais investi du duché de Bar. Le capitaine La Hire réclamait, à +la pointe de la lance, certaines sommes d'argent que le cardinal duc +de Bar lui devait[224]. + +[Note 223: De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. II, pp. +16-17.] + +[Note 224: S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, preuve LXII.] + +En même temps Robert, sire de Baudricourt, était aux prises avec Jean +de Vergy, seigneur de Saint-Dizier, sénéchal de Bourgogne[225]. Ce fut +une belle guerre. Des deux parts on prenait pain, vin, argent, +vaisselle, habits, gros et menu bétail, et l'on brûlait ce que l'on ne +pouvait emporter. On mettait à rançon hommes, femmes, enfants. Dans +la plupart des villages du Bassigny, le labour fut abandonné, presque +tous les moulins furent détruits[226]. + +[Note 225: Du Chesne, _Généalogie de la maison de Vergy_, Paris, +1625, in-folio.--Nouvelle Biographie Générale, t. XLV, p. 1125.] + +[Note 226: S. Luce, Domremy et Vaucouleurs, de 1412 à 1425, dans +_Jeanne d'Arc à Domremy_, ch. III.] + +Dix, vingt, trente bandes de Bourguignons parcouraient la châtellenie +de Vaucouleurs et y mettaient tout à feu et à sang. Les paysans +cachaient leurs chevaux pendant le jour et se relevaient la nuit pour +les mener paître[227]. À Domremy on vivait dans une alarme +perpétuelle. Un veilleur à toute heure se tenait sur la tour carrée du +moustier. Chaque habitant, et, si l'on s'en rapporte à la coutume, le +curé lui-même, y faisant le guet à son tour, épiait, dans la +poussière, au soleil, sur le ruban pâle des routes, la lueur des +lances, scrutait du regard la profondeur effrayante des bois, et la +nuit, voyait avec terreur s'allumer à l'horizon les villages. À +l'approche des gens d'armes il lançait à toute volée ces cloches qui, +tour à tour, célébraient les naissances, pleuraient les morts, +appelaient le peuple à la prière, conjuraient la foudre et annonçaient +les périls. Les villageois réveillés sautaient demi-nus aux étables et +poussaient pêle-mêle les troupeaux vers le château qu'entouraient les +deux bras de la Meuse[228]. + +[Note 227: _Procès_, t. I, p. 66.] + +[Note 228: _Ibid._, t. I, p. 66.--S. Luce, _Jeanne d'Arc à +Domremy_, p. LXXXVI et preuve XIV, p. 20.] + +En l'été de 1425, certain chef de bandes, qui faisait meurtres et +larcins sans nombre dans tout le pays, Henri d'Orly, dit de Savoie, +tomba un jour avec ses larrons sur les villages de Greux et de +Domremy. Cette fois le château de l'Île ne fut d'aucun secours aux +habitants. Le seigneur Henri de Savoie prit tout le bétail des deux +villages et le fit conduire à quinze ou vingt lieues de là, dans son +château de Doulevant. Il avait aussi dérobé beaucoup de meubles et de +biens, en sorte que, ne pouvant tout loger en un seul endroit, il en +fit porter une partie à Dommartin-le-Franc, village assez proche où il +y avait un château précédé d'une si grande cour, que ce lieu en prit +le nom de Dommartin-la-Cour. Les paysans, cruellement dépouillés, +étaient en voie de mourir de faim. Heureusement pour eux, à la +nouvelle de cette volerie, la dame d'Ogiviller envoya au comte de +Vaudemont, en son château de Joinville, un message pour se plaindre à +lui, comme à son bon parent, d'un tort fait à elle-même, puisqu'elle +était dame de Greux et de Domremy. Le comte de Vaudemont avait dans sa +mouvance immédiate le château de Doulevant. Dès qu'il eut reçu le +message de sa parente, il envoya un homme d'armes, avec sept ou huit +combattants, reprendre le bétail. Cet homme d'armes, nommé Barthélemy +de Clefmont, âgé de vingt ans à peine, était habile au fait de guerre. +Il trouva dans le château de Dommartin-le-Franc les animaux volés, les +prit et les conduisit à Joinville. En route il fut poursuivi et +attaqué par les gens du seigneur d'Orly, et mis en grand péril de +mort. Mais il se défendit si bien qu'il arriva sauf à Joinville, +ramenant le bétail, que le comte de Vaudemont fit reconduire dans les +prairies de Greux et de Domremy[229]. + +[Note 229: S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, pp. 275 et suiv.] + +Bonheur inespéré! Le laboureur embrassa ses boeufs en pleurant. Mais +n'était-il pas exposé à les perdre sans retour le lendemain? + +Jeanne avait alors treize ou quatorze ans. La guerre partout autour +d'elle, même dans les jeux des enfants; le mari d'une de ses marraines +pris et rançonné par les gens d'armes; le mari de sa cousine germaine +Mengette tué d'un coup de bombarde[230], le pays natal foulé par les +routiers, incendié, pillé, dévasté, tout le bétail emporté; des nuits +d'épouvante, des rêves affreux, voilà ce qu'elle connut dans son +enfance. + +[Note 230: E. de Bouteiller et G. de Braux, _Nouvelles +recherches_, pp. 4-15.] + + + + +CHAPITRE II + +LES VOIX. + + +Or, âgée d'environ treize ans, un jour d'été, à l'heure de midi, dans +le jardin de son père, elle entendit une voix qui lui fit grand'peur. +Cette voix parlait à la droite de l'enfant, vers l'église, et était +accompagnée d'une lumière qui se montrait du même côté; elle lui +disait: + +--Je viens de Dieu pour t'aider à te bien conduire[231]. Jeannette, +sois bonne et Dieu t'aidera. + +[Note 231: _Procès_, t. I, pp. 52, 72-73, 89, 170.] + +Jeanne était à jeun, mais non pas épuisée d'inanition; elle avait +mangé la veille[232]. + +[Note 232: _Ibid._, t. I, p. 52.--Le manuscrit porte _non +jejunaverat die præcedenti_.] + +Un autre jour, la voix se fit encore entendre et répéta: + +--Jeannette, sois bonne! + +L'enfant ignorait encore de qui venait la voix. Mais la troisième +fois, en l'écoutant, elle sut que c'était la voix d'un ange et même +elle reconnut que cet ange était saint Michel. Elle ne pouvait s'y +tromper, le connaissant bien: c'était le patron du duché de Bar[233]. +Elle le voyait parfois contre quelque pilier d'église ou de chapelle, +sous l'aspect d'un beau chevalier, portant le heaume couronné, la +cotte d'armes et l'écu, et transperçant le démon de sa lance[234]. On +le représentait aussi tenant les balances dans lesquelles il pesait +les âmes, car il était prévôt du ciel et gardien du paradis[235], à la +fois le chef des milices célestes et l'ange du Jugement[236]. Il se +plaisait sur les hauts lieux[237]. C'est pourquoi on lui avait +consacré une chapelle en Lorraine sur le mont Sombar, au nord de la +ville de Toul. Apparu très anciennement à l'évêque d'Avranches, il lui +avait ordonné de construire une église, sur le mont Tombe, à l'endroit +où l'on trouverait un taureau que des voleurs y avaient caché, et +d'asseoir l'édifice sur toute l'aire foulée par les pieds du taureau. +Ce fut en observation de ce commandement que s'éleva l'abbaye du +Mont-Saint-Michel-au-Péril-de-la-Mer[238]. + +[Note 233: V. Servais, _Annales historiques du Barrois_, +Bar-le-Duc, 1865, t. I, planche 2.] + +[Note 234: P.-Ch. Cahier, _Caractéristique des Saints dans l'art +populaire_, t. I, p. 363.--Quicherat, _Aperçus nouveaux_, p. 50.--S. +Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, pp. XCV, XCVI et preuve XXIV, p. 74.] + +[Note 235: _Mystère de Saint Remi_, Biblioth. de l'Arsenal, ms. +3.364, f{os} 4 et 108.] + +[Note 236: «_Sed signifer Sanctus Michael representet eas [animas] +in lucem sanctam_». Offertoire de la messe des morts.] + +[Note 237: A. Maury, _Croyances et légendes du moyen âge_, pp. 171 +et suiv.--Barbier de Montault, _Traité d'Iconographie chrétienne_, t. +I, p. 191.] + +[Note 238: AA. SS, 1672; t. III, I. pp. 85 et suiv.--Dom J. +Huynes, _Histoire générale de l'abbaye du Mont-Saint-Michel_, éd. R. +de Beaurepaire, Rouen, 1872, pp. 61 et suiv.--A. Forgeais. _Collection +de plombs historiés trouvés dans la Seine_, Paris, 1864, t. III, p. +197.--S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, ch. IV.--_Chronique du +Mont-Saint-Michel_ (1343-1468), éd. S. Luce, Paris, 1880-1886 (2 vol. +in-8º), t. I, pp. 26, 146, 163 et suiv.] + +Vers le temps où l'enfant avait ces apparitions, les défenseurs du +Mont-Saint-Michel déconfirent les Anglais qui attaquaient la +forteresse par terre et par mer. Les Français attribuèrent cette +victoire à la toute-puissante intercession de l'archange[239]. Et +pourquoi n'eût-il pas favorisé les Français qui lui vouaient une +dévotion spéciale? Depuis que monseigneur saint Denys avait laissé +prendre son abbaye par les Anglais, monseigneur saint Michel, qui +gardait si bien la sienne, était en passe de devenir le véritable +patron du royaume[240]. Le dauphin Charles, en l'an 1419, avait fait +peindre des panonceaux à la ressemblance de saint Michel tout armé, +tenant une épée nue et faisant manière de tuer un serpent[241]. Mais +des miracles de monseigneur saint Michel en Normandie la fille de +Domremy ne savait pas grand'chose. + +[Note 239: Lanéry d'Arc, _Mémoires et consultations en faveur de +Jeanne d'Arc_, p. 272 [Opinion de Jean Bochard, dit de Vaucelle, +évêque d'Avranches].--Dom. J. Huynes, _loc cit._, ch. VIII, p. 105.] + +[Note 240: Dom Félibien, _Histoire de l'abbaye royale de +Saint-Denis..._, Paris, 1706, in-fol. p. 341.] + +[Note 241: Richer, _Histoire manuscrite de la Pucelle_, ms. fr. +10448, fol. 13.--S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, preuve XXIV.] + +Elle reconnut l'ange à ses armes, à sa courtoisie et aux belles +maximes qui sortaient de sa bouche[242]. + +[Note 242: _Procès_, t. I, pp. 72-73.] + +Il lui dit un jour: + +--Sainte Catherine et sainte Marguerite viendront à toi. Agis par +leurs conseils, car elles sont ordonnées pour te conduire et te +conseiller en ce que tu auras à faire, et tu les croiras en ce +qu'elles te diront. Et ces choses s'accomplissent par le commandement +de Notre-Seigneur[243]. + +[Note 243: _Procès_, t. I, p. 170.] + +Cette promesse lui causa une grande joie, car elle les aimait bien +l'une et l'autre. Madame sainte Marguerite était grandement honorée +dans le royaume de France et elle y faisait beaucoup de grâces. Elle +assistait les femmes en couches[244] et protégeait les paysans au +labour. Elle était la patronne des liniers, des recommanderesses, des +mégissiers et des blanchisseurs de laine. On lui était dévot en +Champagne et en Lorraine autant qu'en aucun pays chrétien. Des +religieux y promenaient à dos de mulet, par les villes et les +villages, une châsse contenant ses précieuses reliques. Ils les +faisaient toucher et recevaient pour cela d'abondantes aumônes[245]. +Jeanne avait vu maintes fois à l'église madame sainte Marguerite +peinte au naturel, un goupillon à la main, le pied sur la tête du +dragon[246]. Elle en savait l'histoire telle qu'on la contait alors et +à peu près de la manière que voici. + +[Note 244: _La vierge Marguerite substituée à la Lucine antique_, +analyse d'un poème inédit du XVe siècle, Paris, 1885, in-8º, p. +2.--Rabelais, _Gargantua_, l. I, ch. VI.--L'abbé J.-B. Thiers, _Traité +des superstitions selon l'Écriture sainte_, Paris, 1697 (4 vol. +in-12), t. I, p. 109.] + +[Note 245: S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, preuve CCXXXIV, p. +272.] + +[Note 246: Abbé Bourgaut, _Guide du pèlerin à Domremy_, Nancy, +1878, in-12, p. 60.--E. Hinzelin, _Chez Jeanne d'Arc_, pp. 65 et 72.] + +La bienheureuse Marguerite naquit à Antioche. Son père, Théodose, +était prêtre des gentils. Elle fut mise en nourrice et baptisée +secrètement. Un jour de sa quinzième année, comme elle gardait les +brebis de sa nourrice, le gouverneur Olibrius la vit, et, frappé de sa +beauté, conçut pour elle une grande passion. C'est pourquoi il dit à +ses serviteurs: «Allez et amenez-moi cette fille, afin que je l'épouse +si elle est de condition libre, ou que je la prenne pour servante si +elle est esclave.» + +Et lorsqu'elle lui fut amenée, il lui demanda son pays, son nom et sa +religion. Elle répondit qu'elle se nommait Marguerite et qu'elle était +chrétienne. + +Et Olibrius lui dit: + +--Comment une fille noble et belle comme toi peut-elle adorer Jésus le +crucifié? + +Et parce qu'elle répondit que Jésus-Christ vivait éternellement, le +gouverneur irrité la fit mettre en prison. + +Le lendemain il la manda à son tribunal et lui dit: + +--Malheureuse fille, aie pitié de ta propre beauté, et adore nos dieux +afin d'en retirer avantage. Mais si tu persistes dans ton aveuglement, +je ferai déchirer ton corps. + +Et Marguerite répondit: + +--Jésus s'est livré à la mort pour moi, et moi, je désire mourir pour +lui. + +Alors le gouverneur donna l'ordre de la suspendre sur le chevalet, de +la fouetter de verges et de lui déchirer les chairs avec des ongles +de fer. Et le sang coula du corps de la vierge comme d'une source très +pure. + +Les assistants pleuraient et le gouverneur se couvrit le visage de son +manteau pour ne pas voir le sang. Et il ordonna de la détacher et de +la reconduire dans sa prison. + +Elle y fut tentée par l'Esprit, et elle pria le Seigneur de lui faire +voir l'ennemi qu'elle avait à combattre. Et voici qu'un énorme dragon, +se montrant devant elle, s'élança pour la dévorer. Mais elle fit le +signe de la croix et il disparut. Alors le diable emprunta, pour la +séduire, l'aspect d'un homme. Il vint doucement à elle, lui prit les +mains et dit: «Marguerite, c'est assez de ce que tu as fait.» Mais +elle le saisit par les cheveux, le jeta à terre, lui mit le pied droit +sur la tête et s'écria: «Tremble, ennemi superbe, tu gis sous le pied +d'une femme!» Le lendemain, en présence du peuple, elle fut amenée +devant le juge, qui lui ordonna de sacrifier aux idoles. Et, comme +elle s'y refusa, il lui fit brûler le corps avec des torches ardentes, +mais elle semblait n'éprouver aucun mal. Et de peur que, frappé de ce +miracle, le peuple ne se convertît en foule, Olibrius ordonna de +décapiter la bienheureuse Marguerite. Elle dit au bourreau: «Frère, +prends ton glaive et frappe-moi.» Il lui abattit la tête d'un seul +coup. L'âme s'envola au ciel sous la forme d'une colombe[247]. + +[Note 247: _Legenda Sanctorum_, Bâle, Nicolas Kesler, in-fol., +1486, lég. LXXXVIII.--Douhet, _Dictionnaire des légendes_, pp. +824-836.] + +Cette histoire avait été mise en chansons et en mystères[248]. Elle +était si connue, que le nom du gouverneur, avili par la raillerie, +devenu tout à fait ridicule, se donnait communément aux fanfarons et +aux glorieux et qu'on disait d'un sot qui fait le méchant garçon: +«C'est un olibrius[249].» + +[Note 248: Gaston Paris, _La littérature française au moyen âge_, +1890, in-16, p. 212.] + +[Note 249: La Curne, _Dictionnaire de l'ancien langage français_, +au mot: _Olibrius_. Olibrius se trouve aussi dans la légende de sainte +Reine où il est gouverneur des Gaules. La légende de sainte Reine +n'est qu'une variante assez ancienne de la légende de sainte +Marguerite.] + +Madame sainte Catherine, que l'ange avait annoncée à Jeanne en même +temps que madame sainte Marguerite, gardait sous sa protection +spéciale les jeunes filles, et particulièrement les servantes et les +fileuses. Les orateurs et les philosophes avaient pris aussi pour +patronne la vierge qui avait confondu les cinquante docteurs et +triomphé des mages de l'Orient. On lui faisait dans la vallée de la +Meuse des oraisons en rimes, comme celle-ci: + + _Ave_, très sainte Catherine, + Vierge pucelle nette et fine[250]. + +[Note 250: Bibliothèque Mazarine, manuscrit 515. _Recueil, de +prières_, fº 55. Ce manuscrit est précisément originaire des bords de +la Meuse.] + +Elle n'était pas non plus pour Jeanne une étrangère cette belle dame +qui avait son église à Maxey, sur l'autre bord de la rivière et dont +le nom était porté par la fille aînée d'Isabelle Romée[251]. + +[Note 251: S. Luce, _loc. cit._, preuve XIII, p. 19, note 2.--E. +de Bouteiller et G. de Braux, _Nouvelles recherches sur la famille de +Jeanne d'Arc_, pp. XVI et 62.--_Guide et souvenir du pèlerin à +Domremy_, Nancy, 1878, in-18, p. 60.] + +Jeanne assurément ne connaissait pas l'histoire de madame sainte +Catherine telle que la savaient les grands clercs, telle, par exemple, +que la mettait en écrit, vers ce temps-là, messire Jean Miélot, +secrétaire du duc de Bourgogne. Jean Miélot disait comment la vierge +d'Alexandrie réprouva les subtils arguments d'Homère, les syllogismes +d'Aristote, les très sages raisons d'Esculape et de Gallien, médecins +renommés, pratiqua les sept arts libéraux et disputa selon les règles +de la dialectique[252]. La fille de Jacques d'Arc n'entendait rien à +cela; elle connaissait madame sainte Catherine par des récits tirés de +quelque histoire en langue vulgaire comme il en courait tant à cette +époque, en prose ou en rimes[253]. + +[Note 252: J. Miélot, _Vie de sainte Catherine_, texte revu par +Marius Sepet, 1881, gr. in-8º.] + +[Note 253: Gaston Paris, _La littérature française au moyen âge_, +pp. 82, 213.] + +Fille du roi Costus et de la reine Sabinelle, Catherine, au sortir de +l'enfance, était versée dans l'étude des arts, et habile à broder la +soie. La beauté de son corps resplendissait, mais son âme demeurait +plongée dans les ténèbres de l'idolâtrie. Plusieurs barons de l'empire +la recherchaient en mariage; elle les dédaignait et disait: +«Trouvez-moi un époux qui soit sage, beau, noble et riche.» Or, +pendant son sommeil, elle eut une vision. La Vierge Marie lui apparut +tenant l'Enfant Jésus dans ses bras et dit: + +--Catherine, veux-tu prendre celui-ci pour ton époux? Et vous, mon +très doux fils, voulez-vous avoir cette vierge pour épouse? + +L'Enfant Jésus répondit: + +--Ma mère, je ne la veux point; éloignez-la plutôt de vous, parce +qu'elle est idolâtre. Mais si elle consent à se faire baptiser, je lui +promets de mettre à son doigt l'anneau nuptial. + +Désireuse d'épouser le Roi des cieux, Catherine alla demander le saint +baptême à l'ermite Ananias, qui vivait en Arménie, dans la montagne +Nègre. Peu de jours après, comme elle priait dans sa chambre, elle vit +venir Jésus-Christ au milieu d'un choeur nombreux d'anges, de saints +et de saintes. Il s'approcha d'elle et lui mit au doigt son anneau. Et +Catherine connut seulement alors que ces noces étaient des noces +spirituelles. + +En ce temps-là, Maxence était empereur des Romains. Il ordonna aux +habitants d'Alexandrie d'offrir aux idoles de grands sacrifices. +Catherine, qui priait dans son oratoire, entendit les chants des +prêtres et les mugissements des victimes. Aussitôt elle se rendit sur +la place publique et, ayant vu Maxence à la porte du temple, elle lui +dit: + +--Comment es-tu assez insensé pour ordonner à cette foule de rendre +hommage à des idoles? Tu admires ce temple que tu as élevé par la +main des ouvriers. Tu admires ces ornements précieux qui ne sont que +de la poussière qu'emporte le vent. Tu devrais plutôt admirer le ciel +et la terre, et la mer, et tout ce qui y est contenu. Tu devrais +admirer les ornements des cieux, le soleil, la lune et les étoiles; tu +devrais admirer les cercles de ces astres qui, depuis le commencement +du monde, courent vers l'Occident et reviennent à l'Orient, et ne se +fatiguent jamais. Et quand tu auras remarqué toutes ces choses, +interroge et apprends quel en est l'auteur. C'est notre Dieu, le +Seigneur des Dominations et le Dieu des dieux. + +--Femme, répondit l'empereur, laisse-nous achever le sacrifice; +ensuite nous te ferons réponse. + +Et il ordonna que Catherine fût conduite au palais et gardée avec +soin; et comme il admirait la grande sagesse et la merveilleuse beauté +de cette vierge, il manda cinquante docteurs versés dans la science +des Égyptiens et dans les arts libéraux, et, les ayant assemblés, il +leur dit: + +--Une fille d'un esprit subtil affirme que nos dieux ne sont que des +démons. J'aurais pu la contraindre à sacrifier ou la faire punir; mais +j'ai jugé plus convenable qu'elle fût confondue par la force de vos +arguments. Si vous triomphez d'elle, vous retournerez chez vous +chargés d'honneurs. + +Et les sages répondirent: + +-Qu'on l'amène, afin que sa témérité se manifeste et qu'elle avoue +n'avoir jamais jusqu'ici rencontré de sages! + +Et quand elle apprit qu'elle devait disputer avec les sages, Catherine +craignit de ne pouvoir défendre dignement contre eux la vérité de +Jésus-Christ. Mais un ange lui apparut et lui dit: + +--Je suis l'archange saint Michel, envoyé par Dieu pour t'annoncer que +tu sortiras de ce combat victorieuse, et digne d'obtenir notre +Seigneur Jésus-Christ, espoir et couronne de ceux qui combattent pour +lui. + +Et la vierge disputa avec les docteurs. Ceux-ci ayant soutenu qu'il +était impossible qu'un Dieu se fît homme et connût la douleur, +Catherine montra que la naissance et la passion de Jésus-Christ +avaient été annoncées par les gentils eux-mêmes et proclamées par +Platon et la Sibylle. + +Les docteurs ne purent rien opposer à des arguments si solides. C'est +pourquoi le principal d'entre eux dit à l'empereur: + +--Tu sais que personne jusqu'ici n'a pu disputer avec nous sans être +aussitôt confondu. Mais cette jeune fille, dans laquelle parle +l'esprit de Dieu, nous remplit d'admiration, et nous ne savons ni +n'osons dire quelque chose contre le Christ. Et nous avouons hardiment +que, si tu n'as pas de meilleures raisons à donner en faveur des dieux +que nous avons adorés jusqu'à présent, nous nous convertissons tous à +la foi chrétienne. + +En entendant ces paroles, le tyran fut transporté d'une telle rage, +qu'il fit brûler les cinquante docteurs au milieu de la ville. Mais en +signe de ce qu'ils mouraient pour la vérité, ni leurs vêtements, ni +leurs cheveux ne furent atteints par le feu. + +Maxence dit ensuite à Catherine: + +--Ô vierge issue de noble lignée, et digne de la pourpre impériale, +prends conseil de ta jeunesse et sacrifie à nos dieux. Si tu le veux +faire, tu tiendras dans mon palais le premier rang après +l'impératrice, et ton image, placée au milieu de la ville, sera adorée +de tout le peuple comme celle d'une déesse. + +Mais Catherine répondit: + +--Cesse de parler de telles choses. C'est un crime d'y penser +seulement. Jésus-Christ m'a prise pour épouse. Il est tout mon amour, +toute ma gloire et toutes mes délices. + +Voyant qu'il ne pouvait la flatter par des caresses, le tyran espéra +la réduire par la peur; c'est pourquoi il la menaça de mort. + +Le courage de Catherine n'en fut point ébranlé: + +--Jésus-Christ, dit-elle, s'est offert pour moi en sacrifice à son +Père; ce m'est une grande joie que je puisse être offerte à la gloire +de son nom comme une hostie agréable. + +Alors Maxence ordonna qu'elle fût fouettée de verges et que, traînée +ensuite dans un cachot ténébreux, on l'y laissât sans nourriture. Et, +appelé par diverses affaires pressantes, il partit pour une province +éloignée. + +Or, l'impératrice, qui était païenne, eut une vision, et sainte +Catherine lui apparut environnée d'une clarté inestimable. Des anges +vêtus de blanc se tenaient auprès d'elle et l'on ne pouvait voir leurs +visages pour la très grande lumière qui en sortait. Et Catherine dit à +l'impératrice d'approcher. Et prenant une couronne de la main d'un des +anges qui étaient là, elle la mit sur la tête de l'impératrice en +disant: + +--Voici une couronne qui t'est envoyée du ciel, au nom de +Jésus-Christ, mon Dieu et mon Seigneur. + +L'impératrice fut troublée en son coeur par ce songe admirable. C'est +pourquoi, accompagnée de Porphyre, lequel était chevalier et chef de +l'armée, elle se rendit à la première heure de la nuit dans la prison +où Catherine était enfermée. Dans cette prison une colombe lui +apportait une nourriture céleste, et des anges pansaient les plaies de +la vierge. L'impératrice et Porphyre trouvèrent le cachot baigné d'une +clarté dont ils furent si épouvantés qu'ils tombèrent prosternés sur +la pierre. Mais une odeur merveilleusement suave se répandit aussitôt, +qui les réconforta et leur donna meilleur espoir. + +--Levez-vous, leur dit Catherine, et ne soyez pas épouvantés, car +Jésus-Christ vous appelle. + +Ils se levèrent et virent Catherine au milieu d'un choeur d'anges. La +sainte prit des mains de l'un de ceux qui étaient là une couronne très +belle, brillant comme l'or, et elle la mit sur la tête de +l'impératrice. Et cette couronne était le signe du martyre. Et en +effet cette reine et le chevalier Porphyre étaient déjà inscrits au +livre des récompenses éternelles. + +Quand il fut de retour, Maxence donna l'ordre qu'on lui amenât +Catherine, et lui dit: + +--Choisis de ces deux choses: ou de sacrifier et vivre, ou de périr +dans les tourments. + +Et Catherine répondit: + +--Je désire offrir ma chair et mon sang à Jésus-Christ. Il est mon +amant, mon pasteur et mon époux. + +Alors le prévôt de la cité d'Alexandrie, qui avait nom Chursates, fit +faire quatre roues garnies de dents de fer très aiguës, afin que sur +ces roues la bienheureuse Catherine pérît d'une misérable et très +cruelle mort. Mais un ange brisa cette machine et la fit éclater avec +tant de force, que les débris tuèrent un grand nombre de gentils. Et +l'impératrice, qui, du haut de sa tour, voyait ces choses, descendit +et reprocha à l'empereur sa cruauté. Maxence, plein de rage, ordonna à +l'impératrice de sacrifier, et, comme elle s'y refusait, il commanda +de lui arracher les mamelles et de lui couper la tête. Et tandis qu'on +la menait au supplice, Catherine l'exhortait, disant: + +--Va, réjouis-toi, reine aimée de Dieu, car aujourd'hui tu échangeras +ton royaume périssable en un éternel empire et un époux mortel en un +immortel amant. + +Et l'impératrice fut conduite hors des murs pour y souffrir la mort. +Porphyre enleva le corps et le fit ensevelir honorablement, comme +celui d'une servante de Jésus-Christ. C'est pourquoi Maxence fit +mettre Porphyre à mort et jeter son cadavre aux chiens. Puis, faisant +venir Catherine, il lui dit: + +--Puisque, par tes arts magiques, tu as fait périr l'impératrice, si +tu te repens, tu seras maintenant la première dans mon palais. +Aujourd'hui donc, sacrifie aux dieux, ou tu auras la tête coupée. + +Elle répondit: + +--Fais ce que tu as résolu, afin que je prenne place dans la troupe +virginale qui accompagne l'Agneau de Dieu. + +L'empereur la condamna à être décapitée. Et lorsqu'on l'eut menée hors +de la cité d'Alexandrie, au lieu du supplice, elle leva les yeux au +ciel et dit: + +--Jésus, espoir et salut des fidèles, gloire et beauté des vierges, je +te prie d'accorder que quiconque m'invoquera en souvenir de mon +martyre sera exaucé, soit au moment de sa mort, soit dans les périls +où il pourra se trouver. + +Et une voix du ciel lui répondit: + +--Viens, mon épouse chérie; la porte du ciel t'est ouverte. Je promets +les secours d'en haut à ceux qui m'invoqueront par ton intercession. + +Du col tranché de la vierge il coula du lait au lieu de sang. + +Ainsi madame sainte Catherine trépassa de ce monde au bonheur +céleste, le vingt-cinquième jour du mois de novembre, qui était un +vendredi[254]. + +[Note 254: Voragine, _La légende dorée_, 1846, pp. +789-797.--Douhet, _Dictionnaire des légendes_, 1855, p. 282.] + +Monseigneur saint Michel, archange, n'avait pas fait une fausse +promesse: mesdames sainte Catherine et sainte Marguerite vinrent comme +il avait dit. Dès leur première visite, la jeune paysanne fit voeu +entre leurs mains de garder sa virginité tant qu'il plairait à +Dieu[255]. Si cette promesse avait un sens, il fallait que Jeanne, +quelque âge qu'elle eût alors, ne fût plus tout à fait une enfant. Et +il semble bien aussi qu'elle vit l'ange et les saintes au moment de +devenir femme, si tant est qu'elle le devint jamais[256]. Les saintes +nouèrent bientôt avec elle des relations familières[257]. Elles +venaient tous les jours au village et souvent plusieurs fois le jour. +En les voyant paraître dans cette clarté qu'elles apportaient du ciel, +charmantes, en habit de reines, le front ceint d'une couronne d'or et +de pierreries bien riche et bien précieuse, la villageoise se signait +dévotement et leur faisait une profonde révérence[258]. Et comme elles +étaient des dames bien nées, elles lui rendaient son salut. Chacune +avait sa façon particulière de saluer, et sans doute parce que leur +visage trop éblouissant ne pouvait être regardé en face, c'était +surtout à leur manière de faire la révérence que Jeanne les +distinguait l'une de l'autre. Elles se laissaient toucher volontiers +par leur amie terrestre, qui embrassait leurs genoux, baisait le bas +de leur robe et s'enivrait de la bonne odeur qu'elles exhalaient[259]. +Elles parlaient d'une voix humble[260], à ce qu'il semblait à Jeanne. +Elles appelaient la pauvre fille: fille de Dieu. Elles lui +enseignaient à se bien conduire et à fréquenter l'église. Sans avoir +toujours des choses très nouvelles à lui dire, puisqu'elles venaient à +tout moment, elles lui tenaient des propos qui la remplissaient de +joie et, après qu'elles avaient disparu, Jeanne pressait ardemment de +ses lèvres la terre où leurs pieds s'étaient posés[261]. + +[Note 255: _Procès_, t. I, p. 128.--Hinzelin, _Chez Jeanne d'Arc_, +p. 29.--Nous examinerons, au moment du procès, s'il est possible de +concilier les assertions de Jeanne relativement à ce voeu.] + +[Note 256: _Procès_, t. I, p. 128; t. III, p. 219.] + +[Note 257: _Ibid._, table, aux mots: _Voix_, _Catherine_ et +_Marguerite_.] + +[Note 258: _Ibid._, t. I, pp. 71-85; 167 et suiv.; 186 et suiv.] + +[Note 259: _Procès_, t. I, pp. 185-186.] + +[Note 260: Humblement n'exprime dans la langue ancienne qu'un +sentiment affable. On trouve dans Froissart (cité par La Curne): «Li +contes de Hainaut rechut ces seigneurs d'Engleterre, l'un après +l'autre, moult humblement.»] + +[Note 261: _Procès_, t. I, p. 130.] + +Elle recevait souvent les Dames du ciel dans son petit jardin, contigu +au pourpris de l'église. Elle les rencontrait près de la fontaine; +souvent même elles se montraient à leur petite bien-aimée au milieu +des compagnies. «Car, disait la fille d'Isabelle, les anges viennent +bien des fois entre les chrétiens, et on ne les voit pas. Mais moi, je +les vois[262].» C'était dans les bois, au bruit léger du feuillage et +surtout pendant que les cloches sonnaient matines ou complies qu'elle +entendait le plus distinctement les douces paroles. Aussi aimait-elle +cette voix des cloches dans laquelle se mêlaient ses Voix. Et quand, à +neuf heures du soir, Perrin le Drapier, marguillier de la paroisse, +manquait à sonner les complies, elle le reprenait de sa négligence et +le grondait, disant que ce n'était pas bien fait. Elle lui promettait +des gâteaux si, à l'avenir, il sonnait exactement[263]. + +[Note 262: _Ibid._, t. I, p. 130.] + +[Note 263: _Procès_, t. II, p. 413 et note 2.] + +Elle ne révéla rien de ces choses à son curé, en quoi elle fut +grandement répréhensible selon de bons docteurs et tout à fait +irréprochable de l'avis de certains autres docteurs excellents. Car, +si d'une part nous devons, en matière de foi, consulter nos supérieurs +ecclésiastiques, d'autre part là où souffle l'Esprit, là règne la +liberté[264]. + +[Note 264: _Ibid._, t. I, p. 52, glose marginale du ms. d'Urfé: +_Celavit visiones curato, patri et matri et cuicumque_, dans _Procès_, +t. I, p. 128, note.--Lanéry d'Arc, _Mémoires et consultations en +faveur de Jeanne d'Arc_, p. 471.] + +Depuis que les deux saintes fréquentaient Jeanne, monseigneur saint +Michel se montrait moins assidu auprès d'elle; mais il ne l'avait +point abandonnée. Une heure vint où il lui conta la pitié qui était au +royaume de France, la pitié qu'elle avait au coeur[265]. + +[Note 265: _Ibid._, t. I, p. 171: «Et luy racontet l'angle la +pitié qui estoit ou royaume de France». _Pitié_ sujet de tendresse et +d'amour: L'ange pense spécialement au Dauphin. Pour le sens et +l'emploi de ce mot, comparez _Monstrelet_, t. III. p. 74: «... et le +peuple plorant de pitié et de joie qu'ils avoient à regarder leur +seigneur». Gérard de Nevers dans La Curne: «Pitié estoit de voir +festoyer leur seigneur; on ne pourrait retenir ses larmes en voyant la +joie qu'ils marquoient de recevoir leur seigneur.»] + +Et les saintes visiteuses, dont la voix se faisait plus ardente et +plus ferme, à mesure que la jeune fille prenait une âme plus héroïque +et plus sainte, lui révélèrent sa mission: + +--Fille de Dieu, lui dirent-elles, il faut que tu quittes ton village +et que tu ailles en France[266]. + +[Note 266: _Procès_, t. I, p. 53.] + +Cette idée d'une mission sainte et guerrière, dont Jeanne prit +conscience par ses Voix, s'était-elle formée en son esprit +spontanément, sans l'intervention d'aucune volonté étrangère, ou lui +fut-elle suggérée par quelque personne dont elle subissait +l'influence? C'est ce qu'il serait impossible de discerner, si un +faible indice ne nous mettait sur la voie. Jeanne eut connaissance, à +Domremy, d'une prophétie qui disait que la France serait désolée par +une femme et puis rétablie par une pucelle[267]. Elle en fut +étrangement frappée et il lui arriva, par la suite, d'en parler d'une +manière qui prouve que non seulement elle y ajoutait foi, mais encore +qu'elle croyait être la pucelle annoncée[268]. Qui la lui apprit? +Quelque paysan? On a lieu de croire que les paysans l'ignoraient[269] +et qu'elle courait parmi les personnes de dévotion[270]. D'ailleurs, +pour être édifié à cet égard, il suffit de remarquer que Jeanne connut +de cette prophétie une version spéciale, visiblement arrangée pour +elle, puisqu'il y était spécifié que la pucelle réparatrice sortirait +des Marches de Lorraine. Cette addition topique ne peut être le fait +d'un conducteur de boeufs et décèle un esprit habile à gouverner les +âmes, à susciter les actes. Le doute n'est plus possible, la prophétie +ainsi complétée et dirigée part d'un clerc dont les intentions se +laissent facilement voir. Dès lors on surprend une pensée qui agit et +pèse sur la jeune visionnaire. Cet homme d'Église des bords de la +Meuse qui, dans l'humilité des champs, songeait au sort du pauvre +peuple et, pour tourner les visions de Jeanne au bien du royaume et à +la conclusion de la paix, poussait l'ardeur de son zèle pieux jusqu'à +recueillir des prophéties sur le salut du Lis de France et à les +compléter avec une précision utile à ses desseins, il faut le chercher +parmi ces prêtres, ces religieux lorrains ou champenois qui +souffraient cruellement des malheurs publics[271]. Les marchands et +les artisans, écrasés d'impôts et de tailles, ruinés par les +changements des monnaies[272], les paysans, dont les maisons, les +granges, les moulins étaient détruits, les champs ravagés, cessaient +de contribuer aux frais du culte[273]. Chanoines et religieux, qui ne +recevaient plus ni les redevances de leurs feudataires, ni les +contributions des fidèles, quittaient le monastère et s'en allaient à +travers le siècle mendier leur pain, laissant au cloître deux ou trois +vieux moines et quelques enfants. Les abbayes fortifiées attiraient +les capitaines et les soldats des deux partis, qui s'y retranchaient, +les pillaient et les brûlaient, et si quelqu'une de ces saintes +maisons échappait aux flammes, les villageois errants s'y réfugiaient +et l'on ne pouvait empêcher les femmes d'envahir les réfectoires et +les dortoirs[274]. C'est dans la multitude obscure des âmes troublées +par l'affliction et les scandales de l'Église que se devine le +prophète et l'initiateur de la Pucelle. + +[Note 267: _Ibid._, t. II, p. 444.] + +[Note 268: «Nonne alios dictum fuit quod Francia per mulierem +desolaretur, et postea per Virginem restaurari debebat» Déposition de +Durand Lassois dans _Procès_, t. II, p. 444.] + +[Note 269: _Procès_, t. II, p. 447.] + +[Note 270: _Ibid._, t. III, p 83.--Morosini, t. IV, annexe XVI.] + +[Note 271: Monstrelet, t. III, p. 180.--Jean Chartier, _Chronique +latine_, éd. Vallet de Viriville, t. I, p. 13.--Th. Basin, _Histoire +de Charles VII et de Louis XI_, t. I, p. 44 et suiv.] + +[Note 272: Alain Chartier, _Quadriloge invectif_, éd. André +Duchesne, Paris, 1617, pp. 440 et suiv.--_Ordonnances_, t. XI, pp. 101 +et suiv.--Vuitry, _Les monnaies sous les trois premiers Valois_, +Paris, 1881, in-8º, _passim_.--De Beaucourt, _Histoire de Charles +VII_, t. I, ch. XI.] + +[Note 273: Juvénal des Ursins et _Journal d'un bourgeois de +Paris_, _passim_.--Lettre de Nicolas de Clemangis à Gerson, dans +_Clemangis opera omnia_, 1613, in-4º, II, pp. 159 et suiv.] + +[Note 274: Le P. Denifle, _La désolation des églises, +monastères..._, Mâcon, 1897, in-8º, introduction.] + +On ne sera pas tenté de le reconnaître en messire Guillaume Frontey, +curé de Domremy: le successeur de messire Jean Minet, à le juger par +ses propos, qui nous ont été conservés, était aussi simple que ses +ouailles[275]. Jeanne fréquentait beaucoup de prêtres et de moines. +Elle visitait son oncle le curé de Sermaize, et voyait son cousin, +jeune religieux profès en l'abbaye de Cheminon[276], qui devait +bientôt la suivre en France. Elle se trouvait en relation avec nombre +de personnes ecclésiastiques très aptes à reconnaître sa piété +singulière et le don qu'elle avait reçu de voir des choses invisibles +au commun des chrétiens. Ils lui tenaient des propos qui, s'ils nous +étaient conservés, nous ouvriraient sans doute une des sources de +cette extraordinaire vocation. L'un d'eux, dont le nom ne sera jamais +connu, prépara au roi et au royaume de France un angélique défenseur. + +[Note 275: _Procès_, t. II, pp 402, 434.] + +[Note 276: Toutefois ces deux personnages ne nous sont connus que +par des documents généalogiques très suspects. _Procès_, t. V, p. +252--Boucher de Molandon, _La famille de Jeanne d'Arc_, p. 127.--G. de +Braux et E. de Bouteiller, _Nouvelles recherches_, pp. 7 et suiv.] + +Cependant Jeanne vivait en pleine illusion. Entièrement ignorante des +influences qu'elle subissait, incapable de reconnaître en ses Voix +l'écho d'une voix humaine ou la propre voix de son coeur, elle +répondit avec crainte aux saintes qui lui ordonnaient d'aller en +France: + +--Je suis une pauvre fille ne sachant ni chevaucher ni guerroyer[277]. + +[Note 277: _Procès_, t. I, pp. 52, 53.] + +Dès qu'elle eut ces révélations, elle renonça aux jeux et aux +promenades. Elle ne dansa plus guère au pied de l'arbre des fées et +seulement pour faire sauter les petits enfants[278]; elle prit aussi en +dégoût, à ce qu'il semble, les travaux des champs, et surtout le soin +des troupeaux. Dès l'enfance, elle avait donné des signes de piété. Elle +se livrait maintenant aux pratiques d'une dévotion singulière; elle se +confessait souvent et communiait avec une extraordinaire ferveur; elle +entendait chaque jour la messe de son curé. On la trouvait à toute heure +dans l'église, tantôt prosternée de son long sur la pierre, tantôt les +mains jointes, le visage et les yeux levés vers Notre-Seigneur ou +Notre-Dame. Elle n'attendait pas toujours le samedi pour aller à la +chapelle de Bermont. Parfois, tandis que ses parents la croyaient à +garder les bêtes, elle était aux pieds de la Vierge miraculeuse. Le curé +du village, messire Guillaume Frontey, ne pouvait que louer la plus +innocente de ses paroissiennes[279]. Il appréciait les sentiments de +cette bonne fille. Un jour, il lui échappa de dire avec un soupir de +regret: + +[Note 278: _Procès_, t. II, pp. 404, 407, 409, 411, 414, 416 et +_passim_.] + +[Note 279: _Ibid._, t. II, pp. 402, 434.] + +--Si Jeannette avait de l'argent, elle me donnerait pour dire des +messes[280]. + +[Note 280: _Ibid._, t. II, p. 402.--Sur les pratiques religieuses +de Jeanne, _Procès_, à la table, aux mots: _Messe_, _Vierge_, +_Cloche_.] + +Quant au bonhomme Jacques d'Arc, il est croyable qu'il se plaignait +parfois de ces pèlerinages, contemplations et autres pratiques +contraires à l'économie rurale. Jeanne paraissait à tout le monde +étrange et bizarre. La voyant si pieuse, Mengette et ses compagnes +disaient qu'elle l'était trop[281]. Elles la grondaient de ne point +danser avec elles. Isabellette, entre autres, la jeune femme de +Gérardin d'Épinal, la mère de ce petit Nicolas, filleul de Jeanne, +blasonnait rustiquement une fille si peu dansante[282]. Colin, fils de +Jean Colin, avec tous les gars du village, se moquaient d'elle à cause +de sa dévotion. Ses extases faisaient sourire; elle passait pour un +peu folle. Poursuivie de railleries, elle en souffrait[283]. Mais elle +voyait des yeux de son corps les habitants du Paradis. Et, quand ils +s'éloignaient d'elle, elle pleurait et elle aurait bien voulu qu'ils +l'eussent emportée avec eux. + +[Note 281: _Procès_, t. II, p. 429.] + +[Note 282: _Ibid._, t. II, p. 426.] + +[Note 283: _Ibid._, t. II, p. 432.] + +--Fille de Dieu, il faut que tu quittes ton village et que tu ailles +en France[284]. + +[Note 284: _Ibid._, t. I, pp. 52-53.] + +Et mesdames sainte Catherine et sainte Marguerite disaient encore: + +--Prends l'étendard de par le Roi du ciel, prends-le hardiment et Dieu +t'aidera. + +En écoutant les dames aux belles couronnes parler ainsi, Jeanne +brûlait du désir des longues chevauchées et de ces batailles où les +anges passent sur le front des guerriers. Mais comment aller en +France? Comment aller parmi les gens d'armes? Les Voix, qu'elle +entendait, ignorantes et généreuses comme elle, ne lui révélaient que +son âme et la laissaient dans un trouble douloureux: + +--Je suis une pauvre fille, ne sachant ni chevaucher ni guerroyer. + +Le village natal de Jeanne portait le nom du bienheureux Remi[285]; +l'église paroissiale était sous le vocable du grand apôtre des Gaules +qui, en baptisant le roi Clovis, avait oint de l'huile sainte le +premier prince chrétien de la noble Maison de France, issue du noble +roi Priam de Troie. + +[Note 285: _Procès_, t. II, pp. 393, 400 et _passim_.] + +Voici de quelle manière les clercs rapportaient la légende de +Saint-Remi: + +En ce temps-là, le pieux ermite Montan, qui vivait au pays de Laon, +vit le choeur des anges et l'assemblée des saints et il entendit une +voix grande et douce qui disait: «Le Seigneur a regardé la terre. Il a +entendu les gémissements de ceux qui sont enchaînés; il a vu les fils +de ceux qui ont péri, et il brisera leurs fers, afin que son nom soit +annoncé parmi les nations et que les peuples et les rois se réunissent +ensemble pour le servir. Et Cilinie enfantera un fils pour le salut du +peuple.» + +Or Cilinie était vieille et son mari Émilius était aveugle. Mais +Cilinie, ayant conçu, mit au monde un fils et du lait dont elle +nourrissait l'enfant elle frotta les yeux du père aveugle, qui revit +aussitôt la lumière. + +Cet enfant, annoncé par les anges, fut nommé Remi, qui veut dire rame, +car il devait, par sa doctrine, comme avec une rame bien taillée, +diriger l'Église de Dieu et spécialement l'Église de Reims sur la mer +agitée de cette vie, et, par ses mérites et ses prières, la conduire +vers le port du salut éternel. + +Le fils de Cilinie passa sa pieuse jeunesse à Laon, dans la retraite +et les exercices d'une sainte et chrétienne conversation. Il entrait à +peine dans sa vingt-deuxième année, quand le siège épiscopal de Reims +vint à vaquer par la mort du bienheureux évêque Bennade. Un immense +concours de peuple désigna Remi à la garde des fidèles. Il refusait +une charge trop pesante, disait-il, pour la faiblesse de son âge; mais +un rayon d'une céleste lumière descendit tout à coup sur son front, et +une liqueur divine se répandit sur sa chevelure qu'elle embauma d'un +parfum inconnu. C'est pourquoi, sans plus tarder, les évêques de la +province de Reims, d'un consentement unanime, lui donnèrent la +consécration épiscopale. Assis dans le siège de saint Sixte, le +bienheureux Remi s'y montra libéral en aumônes, assidu dans sa +vigilance, fervent en ses oraisons, parfait en charité, merveilleux en +doctrine et saint en tous ses propos. Il attirait sur lui l'admiration +des hommes, comme la cité bâtie sur le sommet d'une montagne. + +En ce temps-là, Clovis, roi de France, était païen avec toute sa +chevalerie. Mais ayant remporté, par l'invocation du nom de +Jésus-Christ, une grande victoire sur les Allemands, il résolut, à la +prière de la sainte reine Clotilde, sa femme, de demander le baptême +au bienheureux évêque de Reims. Instruit de ce pieux désir, saint Remi +enseigna au roi et au peuple comment, en renonçant à Satan, à ses +oeuvres et à ses pompes, on doit croire en Dieu et en Jésus-Christ son +fils. Et, la solennité de Pâques approchant, il leur ordonna le jeûne +selon la coutume des fidèles. + +Le jour de la Passion de Notre-Seigneur, veille du jour où Clovis +devait être baptisé avec ses barons, l'évêque alla trouver le roi et +la reine dès le matin et les conduisit dans un oratoire consacré au +bienheureux Pierre, prince des apôtres. La chapelle fut tout à coup +remplie d'une lumière si brillante qu'elle effaçait l'éclat du soleil, +et du milieu de cette lumière sortit une voix qui disait: «La paix +soit avec vous; c'est moi, ne craignez point, et demeurez en mon +amour.» Après ces paroles la lumière disparut, mais il resta dans la +chapelle une odeur d'une suavité ineffable. Alors, resplendissant +comme Moïse par l'éclat du visage et illuminé au dedans d'une clarté +divine, le saint évêque prophétisa et dit: «Clovis et Clotilde, vos +descendants reculeront les limites du royaume. Ils élèveront l'Église +de Jésus-Christ et triompheront des nations étrangères, pourvu que, ne +dégénérant pas de la vertu, ils ne s'écartent jamais des voies du +salut, ne s'engageant pas dans la route du péché, et ne se laissant +pas tomber dans les pièges de ces vices mortels qui renversent les +empires et transportent la domination d'une nation à l'autre.» + +Cependant on prépare le chemin depuis le palais du roi jusqu'au +baptistère; on suspend des voiles, des tapis précieux; on tend les +maisons de chaque côté des rues; on pare l'église, on couvre le +baptistère de baume et de toutes sortes de parfums. Comblé des grâces +du Seigneur, le peuple croit déjà respirer les délices du paradis. Le +cortège part du palais; le clergé ouvre la marche avec les saints +évangiles, les croix et les bannières, chantant des hymnes et des +cantiques spirituels; vient ensuite l'évêque, conduisant le roi par la +main; enfin la reine suit avec le peuple. Chemin faisant, le roi +demanda à l'évêque si c'était là le royaume de Dieu qu'il lui avait +promis: «Non, répondit le bienheureux Remi, mais c'est l'entrée de la +route qui y conduit.» Quand ils furent parvenus au baptistère, le +prêtre qui portait le saint chrême, arrêté par la foule, ne put +atteindre jusqu'aux saints fonts; en sorte qu'à la bénédiction des +fonts, le chrême manqua par un exprès dessein du Seigneur. Alors le +pontife lève les yeux vers le ciel, et prie en silence et avec des +larmes. Aussitôt descend une colombe, blanche comme la neige, portant +dans son bec une ampoule pleine d'un chrême envoyé du ciel. Une odeur +délicieuse s'en exhale, qui enivre les assistants d'un plaisir bien +au-dessus de tout ce qu'ils avaient senti jusque-là. Le saint évêque +prend l'ampoule, asperge de chrême l'eau baptismale et incontinent la +colombe disparaît. + +Transporté de joie à la vue d'un si grand miracle de la grâce, le roi +renonce à Satan, à ses pompes et à ses oeuvres, demande avec instance +le baptême et s'incline sur la fontaine de vie[286]. + +[Note 286: Grégoire de Tours, _Le livre des miracles_, éd. +Bordier, 1864, in-8º, t. II, pp. 27, 31.--Hincmar, _Vita sancti +Remigii_, dans la _Patrologie de Migne_, t. CXXV, pp. 1130 et +suiv.--H. Jadart, _Bibliographie des ouvrages concernant la vie et le +culte de saint Remi, évêque de Reims_, Reims, 1891, in-8º.] + +Et depuis lors les rois de France sont sacrés de l'onction divine +apportée du ciel par la colombe. La sainte ampoule qui la contient est +gardée dans l'église Saint-Remi de Reims. Et avec la permission de +Dieu, cette ampoule, au jour du sacre, se trouve toujours pleine[287]. + +[Note 287: Froissart, l. II, ch. LXXIV.--Le doyen de +Saint-Thibaud, p. 328.--Vertot, _Dissertation au sujet de la sainte +ampoule conservée à Reims_, dans _Mémoires de l'Acad. des Inscr. et +Belles-Lettres_, 1736, t. II, pp. 619-33; t. IV, pp. 1350-65.--Leber, +_Des cérémonies du sacre ou recherches historiques et critiques sur +les moeurs, les coutumes dans l'ancienne monarchie_, Paris, Reims, +1825, in-8º, pp. 255 et suiv.] + +Voilà ce que disaient les clercs; et sans doute les paysans de +Domremy, sur un ton plus humble, en eussent pu dire autant et même +davantage. Comme on peut croire, ils chantaient la complainte de saint +Remi. Tous les ans, quand le premier jour d'octobre ramenait la fête +patronale, le curé devait faire, selon l'usage, le panégyrique du +saint[288]. + +[Note 288: A. Monteil, _Histoire des Français_, 1853, t. II, p. +194.] + +Vers cette époque, un mystère se jouait à Reims, où les miracles de +l'apôtre des Gaules étaient amplement représentés[289]. Et il y en +avait de bien propres à toucher des âmes villageoises. En sa vie +mortelle, monseigneur saint Remi guérit un aveugle démoniaque. Un +homme ayant donné, pour le salut de son âme, ses biens au chapitre de +Reims, mourut; dix ans après sa mort, monseigneur saint Remi le +ressuscita et lui fit déclarer sa donation. Hébergé par des gens qui +n'avaient pas de quoi boire, le saint remplit leur tonneau d'un vin +miraculeux. Ayant reçu du roi Clovis un moulin en présent, comme le +meunier refusait de le lui abandonner, monseigneur saint Remi, avec +l'aide de Dieu, abîma le moulin dans les entrailles de la terre. Une +nuit que le Saint se trouvait seul dans sa chapelle, tandis que tous +ses clercs dormaient, les glorieux apôtres Pierre et Paul descendirent +du paradis pour chanter avec lui les matines. + +[Note 289: _Mystère de saint Remi_, bibliothèque de l'Arsenal, +3.364. Ce mystère date du XVe siècle, du temps des guerres en +Champagne. + +Voici des vers qui s'y rapportent aux malheurs du royaume: + +SAINT-ESTIENNE. + + Ô Jhesucrist, qui les sains cieulx + As de lumière environnez, + Soleil et lune enluminés, + Et ordonnez à ta plaisance; + Pour le très doulz païs de France + Les martirs, non pas un mais tous, + À jointes mains et à genoux + Te requièrent que tu effaces + La grant doleur de France; et faces + Par ta sainte digne vertu + Qu'ilz aient paix; adfin que tu, + Ta doulce mère et tous les sains, + Et ceulx qui sont de pechiez sains, + Devotement servis y soient!... + +SAINT-NICOLAS... + + Dieu tout puissant fay tant qu'il ysse + Hors du doulz païs sans amer + Que toutes gens doivent amer + C'est France, où sont les bons Chrestiens + S'on les confort; si les soustiens + Car l'engin de leur adversaire + Et son faulx art les tire à faire + Contre ta sainte voulenté. + Ayez pitié de Crestienté + Beau sire Dieux + Tant en France qu'en autres lieux! + Ce seroit Pitié à oultrance + Que si noble roiaume, comme France, + Fust par male temptacion + Mis du tout à perdicion... + +Fol. 3, verso.] + +Qui mieux que les gens de Domremy pouvait connaître le baptême du roi +Clovis de France et savoir qu'au chant du _Veni Creator Spiritus_ le +Saint-Esprit était descendu tenant en son bec la sainte Ampoule, +pleine du chrême bénit par Notre-Seigneur[290]? Qui mieux qu'eux +entendait les paroles adressées au roi très chrétien, par monseigneur +saint Remi, non sans doute en latin d'église, mais en bonne langue +vulgaire, et revenant à ceci: + +«Or, Sire, ayez connaissance de servir Dieu dévotement et de garder la +justice, pour que florisse votre royaume. Car lorsque justice y +périra, ce royaume courra grand péril[291].» + +[Note 290: _Mystère de saint Remi_, Bibliothèque de l'Arsenal, +ms., nº 3.364, fol. 69, verso.] + +[Note 291: _Mystère de saint Remi_, fol. 71, verso.] + +Enfin, d'une manière ou d'une autre, soit par les clercs qui la +gouvernaient, soit par les paysans au milieu desquels elle vivait, +Jeanne avait connaissance du bon archevêque Remi, qui aimait tant le +sang royal de la sainte Ampoule de Reims et du sacre des rois très +chrétiens[292]. + +[Note 292: + + Le bon archevesque Remy + Qui tant aime le sang royal, + Qui tant a son conseil loyal, + Qui tant aime Dieu et l'Église. + +_Mystère de saint Remi_, fol. 77.] + +Et l'ange lui apparut et lui dit: + +--Fille de Dieu, tu conduiras le dauphin à Reims, afin qu'il y reçoive +son digne sacre[293]. + +[Note 293: _Procès_, t. I, p. 130.] + +La jeune fille entendait. Les voiles tombaient; une lumière éclatante +se faisait dans son esprit. Voilà donc pourquoi Dieu l'avait choisie. +C'était par elle que le dauphin Charles devait être sacré à Reims. La +colombe blanche, autrefois envoyée au bienheureux Remi, devait +redescendre à l'appel d'une vierge. Dieu, qui aime les Français, +marque leur roi d'un signe, et, quand ce signe manque, la puissance +royale n'est point. C'est le sacre qui fait seul le roi, et messire +Charles de Valois n'est pas sacré. Bien que le père soit couché, la +couronne au front, le sceptre à la main, dans la basilique de +Saint-Denys en France, le fils n'est que dauphin, et il ne +recueillera son saint héritage que le jour où l'huile de l'ampoule +inépuisable coulera sur son front. Et c'est elle, la jeune paysanne, +ignorante que Dieu a choisie pour le conduire, à travers ses ennemis, +jusqu'à Reims où il recevra l'onction que reçut saint Louis. Desseins +impénétrables de Dieu! L'humble fille qui ne sait ni chevaucher ni +guerroyer est élue pour donner à Notre-Seigneur son vicaire temporel +dans la France chrétienne. + +Désormais Jeanne connaissait les grandes choses qu'elle avait à faire. +Mais elle ne découvrait pas encore les voies par lesquelles elle +devait les accomplir. + +--Il faut que tu ailles en France, lui disaient madame sainte +Catherine et madame sainte Marguerite. + +--Fille de Dieu, tu conduiras le dauphin à Reims[294], afin qu'il y +reçoive son digne sacre, lui disait monseigneur saint Michel, +archange. + +[Note 294: _Procès_, t. I, p. 130; t. II, p. 456; t. III, p. 3 et +_passim_.] + +Il était nécessaire de leur obéir. Mais comment? S'il ne se trouva +pas, à ce moment, quelque personne de dévotion pour la diriger, un +fait très particulier et de peu d'importance, qui se passait alors +dans la maison paternelle, peut suffire à mettre la jeune sainte sur +la voie. + +Principal locataire du château de l'Île en 1419 et doyen de la +communauté en 1423, Jacques d'Arc était un des notables de Domremy. +Les gens du village, qui l'estimaient, le chargeaient volontiers de +besognes difficiles. Ils l'envoyèrent, à la fin de mars 1427, à +Vaucouleurs, comme leur procureur fondé dans un procès qu'ils avaient +à soutenir par-devant Robert de Baudricourt. Il s'agissait d'une +réparation de dommages que réclamait un certain Guyot Poignant, de +Montigny-le-Roi, et pour lesquels il avait assigné concurremment le +seigneur et les habitants de Greux et de Domremy. Ces dommages +remontaient à quatre années en çà, quand le damoiseau de Commercy +avait frappé Greux et Domremy d'un droit de sauvegarde qui s'élevait à +deux cent vingt écus d'or. + +Guyot Poignant se porta garant de cette somme qui ne fut point payée +au terme fixé. Le damoiseau saisit chez Poignant bois, foin et +chevaux, pour cent vingt écus d'or, dont ledit Poignant réclama le +paiement aux seigneurs et aux vilains de Greux et de Domremy. +L'affaire était pendante encore en 1427, quand la communauté désigna, +pour son procureur fondé, Jacques d'Arc, et l'envoya à Vaucouleurs. On +ignore comment le différend se termina; mais il suffit de savoir que +le père de Jeanne vit sire Robert, l'approcha, lui parla[295]. + +[Note 295: S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, pp. CLIV, CLV, CLVI, +97, 359 et suiv.; _La France pendant la guerre de cent ans_, p. 287.] + +De retour dans sa maison, il dut plus d'une fois conter ces entrevues, +rapporter d'un si grand personnage diverses façons et paroles. Et sans +doute Jeanne en entendit maintes choses. Assurément ses oreilles +étaient rebattues du nom de Baudricourt. C'est alors que l'archange +chevalier, l'éblouissant ami, vint une fois encore lui révéler la +pensée obscure qui naissait en elle: + +--Fille de Dieu, lui dit-il, tu iras vers le capitaine Robert de +Baudricourt, en la ville de Vaucouleurs, afin qu'il te donne des gens +pour te conduire auprès du gentil dauphin[296]. + +[Note 296: _Procès_, t. I, 53.] + +Résolue à fidèlement accomplir le vouloir de son archange, qui était +son propre vouloir, Jeanne prévoyait bien que sa mère, quoique pieuse, +ne l'aiderait point dans ses projets et que son père s'y opposerait +énergiquement. Aussi se garda-t-elle de leur en rien confier[297]. + +[Note 297: _Ibid._, t. I, p. 128.] + +Elle pensa que Durand Lassois était homme à lui assurer l'aide dont +elle avait besoin. Elle l'appelait son oncle, en considération de son +âge: il avait seize ans de plus qu'elle. Leur parenté résultait de ce +que Lassois avait épousé une Jeanne, fille d'un Le Vauseul, laboureur, +et d'Aveline, soeur d'Isabelle de Vouthon, et par conséquent cousine +germaine de la fille d'Isabelle[298]. + +[Note 298: _Ibid._, t. II, p. 443.--Boucher de Molandon, _La +famille de Jeanne d'Arc_, p. 146.--E. de Bouteiller et G. de Braux, +_Nouvelles recherches sur la famille de Jeanne d'Arc_, introduction, +pp. XXI, XXII.] + +Lassois habitait, avec sa femme, son beau-père et sa belle-mère, un +hameau de quelques feux, Burey-en-Vaulx, sur la rive gauche de la +Meuse, dans la verte vallée, à deux lieues de Domremy et à moins d'une +lieue de Vaucouleurs[299]. + +[Note 299: _Procès_, t. II, pp. 411, 431, 439.--S. Luce, _Jeanne +d'Arc à Domremy_, p. CLXI.--Hinzelin, _Chez Jeanne d'Arc_, p. 92.] + +Jeanne l'alla trouver, lui fit part de ses projets et lui représenta +qu'elle avait besoin de voir sire Robert de Baudricourt. Pour que son +bon parent lui donnât plus de créance elle lui cita une bien étrange +prophétie, dont nous avons déjà parlé: + +--N'a-t-il pas été su autrefois, fit-elle, qu'une femme ruinerait le +royaume de France et qu'une femme le rétablirait[300]? + +[Note 300: _Procès_, t. II, pp. 443, 444.] + +Cette pronostication, paraît-il, rendit Durand Lassois pensif. Des +deux choses qui s'y trouvaient annoncées, la première, qui était +mauvaise, s'était accomplie dans la ville de Troyes, quand madame +Ysabeau avait donné le royaume des Lis et madame Catherine de France +au roi d'Angleterre. Il ne restait donc plus qu'à souhaiter que la +seconde chose, qui était bonne, s'accomplît aussi. Tel était le désir +de Durand Lassois, si toutefois il se sentait porté d'amour pour le +dauphin Charles, ce que l'histoire ne dit pas. + +Jeanne en ce séjour chez sa cousine ne voyait pas seulement ses +parents les Vouthon et leurs enfants. Elle fréquentait aussi chez un +jeune gentilhomme nommé Geoffroy de Foug, qui habitait sur la paroisse +de Maxey-sur-Vayse dont le hameau de Burey faisait partie. Elle lui +confia qu'elle voulait aller en France. Le seigneur Geoffroy ne +connaissait pas beaucoup les parents de Jeanne; il ne savait pas leurs +noms. Mais la jeune fille lui parut bonne, simple, pieuse, et il +l'encouragea dans sa merveilleuse entreprise[301]. Une huitaine de +jours après son arrivée à Burey, elle en vint à ses fins: Durand +Lassois consentit à la mener à Vaucouleurs[302]. + +[Note 301: _Procès_, t. II, p. 442.] + +[Note 302: _Ibid._, t. I, p, 33, 221; t. II, pp. 443.] + +Avant de partir, elle fit une requête à sa tante Aveline, qui était +grosse; elle lui dit: + +--Si l'enfant que vous attendez est une fille, nommez-la Catherine en +mémoire de ma soeur défunte. + +Catherine, qui avait épousé Colin de Greux, venait de mourir[303]. + +[Note 303: Enquête généalogique du bailli de Chaumont sur Jehan +Royer (8 octobre 1555) dans E. de Bouteiller et G. de Braux, +_Nouvelles recherches sur la famille de Jeanne d'Arc_, p. 62. +(Document assez suspect.)] + + + + +CHAPITRE III + +PREMIER SÉJOUR À VAUCOULEURS.--FUITE À NEUFCHÂTEAU.--VOYAGE À +TOUL.--SECOND SÉJOUR À VAUCOULEURS. + + +Robert de Baudricourt, alors capitaine de la ville de Vaucouleurs pour +le dauphin Charles, était fils de Liébault de Baudricourt, en son +vivant chambellan de Robert duc de Bar, gouverneur de Pont-à-Mousson, +et de Marguerite d'Aunoy, dame de Blaise en Bassigny. Quatorze ou +quinze ans auparavant, il avait succédé à ses deux oncles, Guillaume +Bâtard de Poitiers et Jean d'Aunoy, comme bailli de Chaumont et +capitaine de Vaucouleurs. Il s'était marié une première fois à une +riche veuve; devenu veuf il avait épousé, en 1425, une veuve aussi +riche que la première, madame Alarde de Chambley. Et c'est un fait que +les bergers d'Urusse et de Gibeaumex volèrent la charrette qui portait +les gâteaux commandés pour le festin de noces. Sire Robert ressemblait +à tous les hommes de guerre de son temps et de son pays: il était +avide et madré; il avait beaucoup d'amis parmi ses ennemis et beaucoup +d'ennemis parmi ses amis, se battait parfois pour son parti, parfois +contre et toujours à son profit. Au reste, pas plus malfaisant qu'un +autre, et des moins sots[304]. + +[Note 304: _Chronique de la Pucelle_, p. 271.--Jean Chartier, +_Chronique_, t. I, p. 67.--Le R. P. Benoît, _Histoire ecclésiastique +et politique de la ville et du diocèse de Toul_, Toul, 1707, p. +529.--S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, pp. CLXII-CLXIII.--Léon +Mougenot, _Jeanne d'Arc, le Duc de Lorraine et le Sire de +Baudricourt_, 1895, in-8º.--G. de Braux et E. de Bouteiller, +_Nouvelles recherches_, p. XVIII.--C. Nioré, _Le pays de Jeanne +d'Arc_, dans _Mémoires de la Société académique de l'Aube_, 1894, t. +XXXI, pp. 307-320.--De Pange, _Le pays de Jeanne d'Arc. Le fief et +l'arrière-fief. Les Baudricourt_, Paris, 1903, in-8º.] + +Vêtue d'une pauvre robe rouge toute rapiécée[305], mais le coeur +illuminé d'un mystique amour, Jeanne gravit la colline qui domine la +ville et la vallée, pénétra dans le château sans difficulté, car on y +entrait comme au moulin, et fut introduite dans une salle où sire +Robert se tenait parmi les gens d'armes. Elle entendit la Voix qui lui +disait: «Le voilà[306]!» et aussitôt elle alla droit à lui, et lui +parla sans crainte, commençant par ce qu'elle croyait, sans doute, le +plus pressé: + +--Je suis venue à vous, lui dit-elle, de la part de Messire, pour que +vous mandiez au dauphin de se bien tenir et de ne pas assigner +bataille à ses ennemis[307]. + +[Note 305: _Procès_, t. II, p. 436.] + +[Note 306: _Ibid._, t. II, p. 456.] + +[Note 307: _Ibid._, t. II, p. 456.] + +Assurément elle parlait de la sorte sur un nouveau mandement de ses +Voix. Et, chose digne de remarque, elle répétait mot pour mot ce +qu'avait dit soixante-quinze ans en çà, non loin de Vaucouleurs, un +paysan champenois qui était vavasseur, c'est-à-dire homme franc. +L'aventure de ce paysan avait commencé comme celle de Jeanne, pour +finir, il est vrai, beaucoup plus court. La fille de Jacques d'Arc +n'était pas la première à dire qu'elle avait des révélations sur le +fait de la guerre. Les personnes inspirées se montrent surtout dans +les époques de grandes misères. C'est ainsi qu'au temps de la peste et +du Prince Noir, le vavasseur de Champagne avait, lui aussi, entendu +une voix dans une lumière. + +Tandis qu'il travaillait aux champs, la voix lui avait dit: «Va +avertir le roi de France Jean de ne combattre contre nul de ses +ennemis.» C'était quelques jours avant la bataille de Poitiers[308]. + +[Note 308: _Chronique des quatre premiers Valois_, éd. S. Luce, +Paris, 1861, in-8º, pp. 46-48.] + +Alors le conseil était bon; au mois de mai de l'an 1428, il semblait +moins utile et même il ne répondait pas très bien à la réalité des +choses. Depuis la malheureuse journée de Verneuil, les Français ne se +sentaient pas en état d'assigner bataille à leurs ennemis; ils n'y +songeaient point. On prenait, on perdait des villes, on faisait des +escarmouches et des rescousses; on n'assignait point de bataille aux +ennemis. Il n'était nul besoin de contenir le dauphin Charles qui, de +nature et de fortune, était pour lors très contenu[309]. Environ le +temps où Jeanne tenait ce propos à sire Robert, les Anglais +préparaient une expédition en France et hésitaient encore, ne sachant +s'ils marcheraient sur Angers ou sur Orléans[310]. + +[Note 309: P. de Fénin, _Mémoires_, éd. de mademoiselle Dupont, +Paris, 1837, pp. 195, 222, 223.] + +[Note 310: L. Jarry, _Le compte de l'armée anglaise au siège +d'Orléans_, Orléans, 1892, in-8º, pp. 75-76.] + +Jeanne parlait sur l'avis de son archange et de ses saintes qui, +touchant le fait de la guerre et l'état du royaume, n'en savaient ni +plus ni moins qu'elle. Mais il n'est pas surprenant que ceux qui se +croient envoyés de Dieu demandent qu'on les attende. Et puis il y +avait tout le gros bon sens du peuple dans cette crainte de la jeune +fille, que la chevalerie française ne livrât encore une bataille à sa +façon. On savait trop bien comment ces gens-là s'y prenaient. + +Sans se troubler, Jeanne poursuivit et fit une prophétie concernant le +dauphin: + +--Avant la mi-carême, Messire lui donnera secours. + +Et elle ajouta aussitôt: + +--De fait le royaume n'appartient pas au dauphin. Mais Messire veut +que le dauphin soit fait roi et qu'il ait le royaume en commande. +Malgré ses ennemis, le dauphin sera fait roi; et c'est moi qui le +conduirai à son sacre. + +Sans doute que le nom de Messire, dans le sens où elle l'employait, +avait quelque chose d'étrange et d'obscur, puisque sire Robert, ne le +comprenant pas, demanda: + +--Qui est Messire? + +--Le Roi du ciel, répondit la jeune fille. + +Elle venait d'employer un autre terme sur lequel sire Robert ne fit +pas de réflexion, qu'on sache, et qui pourtant donne à penser[311]. + +[Note 311: _Procès_, t. II, p. 456.] + +Ce mot de commande, usité en matières bénéficiales, signifiait +dépôt[312]. Quand le roi recevrait le royaume en commande il n'en +serait que le dépositaire. Ce que la jeune fille disait là +correspondait aux idées des hommes les plus pieux sur le gouvernement +des royaumes par Notre-Seigneur. Elle n'avait pu trouver elle-même ni +le mot ni la chose; elle était visiblement endoctrinée par quelqu'un +de ces hommes d'Église dont nous avons déjà senti l'influence à +l'occasion d'une prophétie lorraine et dont toute trace est à jamais +perdue. + +[Note 312: Voir La Curne et Godefroy au mot: _commande_.] + +Jeanne était en conversations spirituelles avec plusieurs prêtres; +entre autres avec Messire Arnolin, de Gondrecourt-le-Château, et +Messire Dominique Jacob, curé de Moutier-sur-Saulx, qui l'entendaient +en confession[313]. Il est dommage qu'on ne sache pas ce qu'ils +pensaient de l'insatiable cruauté de la gent anglaise, de l'orgueil de +Monseigneur le duc de Bourgogne, des malheurs du dauphin, et s'ils +n'espéraient pas que Notre-Seigneur Jésus-Christ daignerait un jour, +à la prière du commun peuple, donner le royaume en commande à Charles, +fils de Charles. C'est peut-être de quelqu'un de ceux-là que Jeanne +tenait sa politique sacrée[314]. + +[Note 313: _Procès_, t. II, p. 392, 393, 458, 459.] + +[Note 314: Quant à Nicolas de Vouthon, religieux de l'abbaye de +Cheminon, ce qui est dit de lui dans l'information des 2 et 3 novembre +1476 semble peu vraisemblable. _Procès_, t. V, p. 252.--E. de +Bouteiller et G. de Braux, _Nouvelles recherches sur la famille de +Jeanne d'Arc_, pp. XVIII et suiv., p. 9.] + +Au moment où elle parlait à sire Robert, se trouvait auprès du +capitaine, et non pas, sans doute, par pur hasard, un gentilhomme +lorrain nommé Bertrand de Poulengy, qui avait une terre près de +Gondrecourt et remplissait un office dans la prévôté de +Vaucouleurs[315]. Il était alors âgé d'environ trente-six ans. C'était +un homme qui fréquentait les clercs; du moins entendait-il fort bien +le langage des personnes de dévotion[316]. Peut-être voyait-il Jeanne +pour la première fois, mais assurément il avait beaucoup entendu +parler d'elle, la savait pieuse et de sage conduite; il avait +fréquenté à Domremy une douzaine d'années avant cette époque, +connaissait les aîtres, s'était assis sous l'arbre des Dames, était +allé plusieurs fois chez Jacques d'Arc et la Romée, qu'il tenait pour +d'honnêtes cultivateurs[317]. + +[Note 315: _Procès_, t. II, p. 475.--Servais, dans _Mémoires de la +Société des Lettres, Sciences et Arts de Bar-le-Duc_, t. VI, p. +139.--E. de Bouteiller et G. de Braux, _Nouvelles recherches_, p. +XXVIII.--S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, preuve XCV, p. 143, et +note 3.--De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. II, p. 204.] + +[Note 316: Cela apparaît à la manière dont il rapporte les paroles +de Jeanne.] + +[Note 317: _Procès_, t. II, pp. 451, 458.] + +Il se peut que Bertrand de Poulengy fut touché du maintien et du +langage de la jeune fille; il est plus croyable encore que ce +gentilhomme était en relation avec les personnes d'Église, inconnues +de nous, qui instruisaient la paysanne visionnaire afin de la rendre +plus capable de servir le royaume de France et l'Église. De toute +manière elle avait en Bertrand un ami qui devait lui apporter plus +tard l'appui le plus utile. + +Pour cette fois, si nous sommes bien informés, il ne tenta rien ni ne +souffla mot. Peut-être jugeait-il qu'il fallait attendre que le +capitaine de la ville fût mieux préparé à accueillir la demande de la +sainte. Sire Robert ne comprenait rien à toute cette affaire et ce +point seul lui paraissait clair, que Jeanne ferait une belle ribaude +et que ce serait un friand morceau pour les gens d'armes[318]. + +[Note 318: _Procès_, t. III, p. 85.--_Chronique de la Pucelle_, p. +72.--_Journal du siège_, p. 35.] + +En renvoyant le vilain qui la lui avait amenée, il lui fit une +recommandation tout à fait conforme à la sagesse du temps sur le +castoiement des filles: + +--Reconduis-la à son père avec de bons soufflets. + +Et sire Robert estimait la méthode excellente, car il invita plusieurs +fois l'oncle Lassois à ramener au logis Jeannette bien souffletée[319]. + +[Note 319: _Procès_, t. II, p. 444.--L. Mougenot, _Jeanne d'Arc, +le Duc de Lorraine et le Sire de Baudricourt_, Nancy, 1895, in-8º.] + +Après huit jours d'absence, elle revint au village. Le mépris du +capitaine et les outrages de la garnison ne l'avaient ni humiliée, ni +découragée; elle les tenait au contraire comme des preuves de la +vérité de sa mission, s'imaginant que ses Voix les lui avaient +annoncées[320]. Comme ceux qui marchent en dormant, elle était douce à +l'obstacle et d'une obstination paisible. À la maison, au courtil, aux +prés, elle continuait ce sommeil merveilleux, plein des images du +dauphin, de sa chevalerie, et des batailles sur lesquelles flottaient +des anges. + +[Note 320: _Procès_, t. II, p. 53.] + +Elle ne pouvait se taire; son secret lui échappait de toutes parts. +Sans cesse elle prophétisait, mais on ne la croyait pas. La veille de +la Saint-Jean-Baptiste, environ un mois après son retour, elle dit +sentencieusement à Michel Lebuin, laboureur à Burey, qui était un tout +jeune garçon: + +--Il y a entre Coussey et Vaucouleurs une fille qui, avant un an +d'ici, fera sacrer le roi de France[321]. + +[Note 321: _Ibid._, t. II, p. 440.] + +Un jour même, avisant Gérardin d'Épinal, qui seul à Domremy n'était +pas du parti du dauphin, et à qui, de son aveu, elle eût volontiers +coupé la tête, encore qu'elle fût la marraine de son fils, elle ne put +se tenir de lui faire à mots couverts l'annonce du mystère qu'il y +avait entre elle et Dieu: + +--Compère, si vous n'étiez Bourguignon, je vous dirais quelque +chose[322]. + +[Note 322: _Ibid._, t. II, p. 423.] + +Le bonhomme crut qu'il s'agissait de fiançailles prochaines, et que la +fille de Jacques d'Arc épouserait bientôt quelqu'un des garçons avec +qui elle avait mangé des petits pains sous l'arbre des Fées et bu +l'eau de la fontaine des Groseilliers. + +Hélas! Jacques d'Arc eût bien voulu que le secret de sa fille fût de +cette sorte. Cet homme de sens droit, très ferme et soucieux de la +bonne conduite de ses enfants, s'inquiétait des allures que prenait +Jeanne. Il ne savait pas qu'elle entendait des Voix; il ne se doutait +pas que c'était, dans son jardin, toute la journée une descente du +Paradis, que du Ciel à sa maison allaient et venaient sans cesse plus +d'anges que n'en avait porté l'échelle de Jacob et qu'enfin, pour +Jeannette seule, sans qu'on n'en vît rien, un mystère se jouait, plus +riche et plus beau mille fois que ceux qu'on représentait sur un +échafaud, aux jours de fête, dans des villes comme Toul ou Nancy. Il +était à cent lieues de soupçonner ces incroyables merveilles. Mais il +voyait bien que sa fille était hors de sens, qu'elle avait l'esprit +égaré, qu'elle disait des folies. Il s'apercevait bien qu'elle n'avait +en tête que chevauchées et batailles; il ne pouvait ignorer tout à +fait l'équipée de Vaucouleurs. Il craignait vivement qu'un jour cette +malheureuse enfant ne partît pour tout de bon et n'allât courir le +monde. Cette pénible inquiétude le poursuivait jusque dans son +sommeil. Il rêva, une nuit, qu'il la voyait s'enfuyant avec des hommes +d'armes; et l'impression de ce rêve fut si forte qu'elle lui resta +encore à son réveil. Durant plusieurs jours il dit et répéta à ses +fils Jean et Pierre: + +--Si je croyais vraiment qu'advînt cette chose que j'ai songée de ma +fille, je voudrais qu'elle fût noyée par vous; et si vous ne le +faisiez, je la noierais moi-même[323]. + +[Note 323: _Procès_, t. I, pp. 131-132 et 219.] + +Isabelle répéta le propos à sa fille, pour l'effrayer et la corriger. +Tout dévote qu'elle était, elle partageait les craintes du père. +C'était une chose cruelle à penser pour ces braves gens, que leur +enfant pût devenir une ribaude. En ces temps de guerre, il y avait +foison de ces folles femmes que les gens d'armes menaient en croupe; +chacun avait la sienne. + +Par l'étrangeté de leurs actions, fréquemment les saintes, en leur +jeunesse, prêtent à de pareils soupçons. Et Jeanne donnait des signes +de sainteté. Elle était la fable du village. On la montrait au doigt +en disant par moquerie: «Voilà celle qui relèvera la France et le sang +royal[324].» + +[Note 324: _Ibid._, t. II, p. 421.] + +Voyant le mal qui tenait cette fille, les gens du pays n'étaient pas +embarrassés pour en trouver la cause. Ils l'attribuaient à quelque +sortilège. Elle avait été vue sous le beau Mai, elle y avait suspendu +des guirlandes. On savait que le vieux hêtre était hanté, de même que +la fontaine voisine. Et c'était une chose bien connue que les fées +jetaient des sorts. Certains découvrirent que Jeanne avait rencontré +une dame méchante. Ils disaient: «Jeannette a pris son fait près de +l'arbre des Fées[325].» Encore s'il n'y avait jamais eu que des +paysans pour le croire! + +[Note 325: _Procès_, t. I, p. 68.] + +Antoine de Vergy, gouverneur de Champagne, reçut, le 22 juin, du duc +de Bedford, régent de France au nom de Henri VI, commission d'équiper +mille hommes d'armes destinés à placer en l'obéissance des Anglais la +châtellenie de Vaucouleurs. Trois semaines après, la petite armée se +mettait en route sous les ordres des deux Vergy, Antoine et Jean. +Quatre chevaliers bannerets, quatorze chevaliers bacheliers, trois +cent soixante-trois hommes d'armes la composaient. Pierre de Trie, +capitaine de Beauvais, Jean, comte de Neufchâtel et Fribourg, reçurent +l'ordre de rejoindre le corps principal[326]. + +[Note 326: Compte d'André d'Épernon dans S. Luce, _Jeanne d'Arc à +Domremy_, p. CLXVII et preuves, pp. 217-218 et 220.] + +Dans sa marche sur Vaucouleurs, Antoine de Vergy mettait, selon la +coutume, à feu et à sang tous les villages situés sur le territoire de +la châtellenie. Les gens de Domremy et de Greux, menacés à nouveau +d'un mal qu'ils ne connaissent que trop, voyaient déjà leurs bestiaux +enlevés, leurs granges incendiées, leurs femmes, leurs filles violées. +Ayant éprouvé déjà que le château de l'Île ne suffisait point à leur +sûreté, ils se résolurent à fuir et à chercher asile dans la ville de +Neufchâteau, distante de deux lieues seulement de Domremy et qui était +le marché où ils fréquentaient. Donc, vers la mi-juillet, abandonnant +leurs maisons et leurs champs, ils partirent et, poussant devant eux +leurs bestiaux, suivirent la route à travers les champs de froment et +de seigle et les coteaux de vignes jusqu'à la ville, où ils se +logèrent comme ils purent[327]. + +[Note 327: _Procès_, t. I, pp. 51, 214; t. II, pp. 392-454.--S. +Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, p. CLXXVI.] + +La famille d'Arc fut reçue par la femme de Jean Waldaires, qu'on +nommait la Rousse et qui tenait une auberge où logeaient soldats, +moines, marchands et pèlerins. Certains la soupçonnaient de donner +asile à des femmes de mauvaise vie[328]. Et il y a apparence qu'elle +n'hébergeait pas que d'honnêtes dames. Cependant elle était elle-même +une bonne femme, c'est-à-dire une femme riche. Elle avait assez +d'argent pour en prêter parfois à des concitoyens[329]. Bien que +Neufchâteau appartînt au duc de Lorraine, qui était du parti des +Bourguignons, on a cru savoir que cette hôtelière inclinait vers les +Armagnacs; mais il est peut-être un peu vain de rechercher les +sentiments de la Rousse sur les troubles du royaume de France[330]. + +[Note 328: _Procès_, t. I, p. 214.] + +[Note 329: S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, p. CLXXVII.] + +[Note 330: _Procès_, t. I, pp. 51, 214; t. II, p. 402.] + +À Neufchâteau comme à Domremy, Jeanne menait aux champs les bêtes de +son père et gardait les troupeaux[331]. Adroite et robuste, elle +aidait aussi la Rousse dans les soins du ménage[332]; c'est ce qui a +fait dire méchamment aux Bourguignons qu'elle avait été meschine dans +une auberge de soudards et de ribaudes[333]. Au vrai, Jeanne passait +aux églises tout le temps qu'elle n'employait pas à soigner les +animaux et à donner aide à son hôtesse[334]. + +[Note 331: _Procès_, t. I, pp. 409, 423, 428, 463.] + +[Note 332: _Ibid._, t. I, p. 417.] + +[Note 333: _Monstrelet_, t. III, p. 314.] + +[Note 334: _Procès_, t. I, p. 51.] + +Il y avait dans la ville deux beaux couvents, l'un de Cordeliers, +l'autre de Clarisses, fils et filles du bon saint François[335]. La +maison des Cordeliers avait été bâtie, deux cents ans en çà, par +Mathieu II de Lorraine. Le duc régnant venait encore de la richement +doter. De nobles dames, de hauts seigneurs et entre autres un +Bourlémont, seigneur de Domremy et Greux, y gisaient sous lame[336]. + +[Note 335: S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, p. CLXXVII.] + +[Note 336: Expilly, _Dictionnaire géographique de la France_, au +mot: _Neufchâteau_.] + +Ces moines mendiants qui, jadis en leur bel âge, affiliaient à leur +tiers-ordre bourgeois et paysans en foule et une multitude de princes +et de rois[337], maintenant languissaient corrompus et déchus. Les +querelles et les schismes abondaient parmi les frères de France. +Malgré les efforts de Colette de Corbie pour rétablir la règle, les +vieilles disciplines étaient partout abolies[338]. Ces mendiants +distribuaient des médailles de plomb, enseignaient de courtes prières, +en manière de recettes, et vouaient une affection spéciale au saint +nom de Jésus[339]. + +[Note 337: S.-M. de Vernon, _Histoire générale et particulière du +tiers-ordre de Saint-François_, Paris, 1667, 3 vol. in-8º.--Hilarion +de Nolay, _Histoire du tiers-ordre_, Lyon, 1694, in-4º.] + +[Note 338: AA. SS., Mars, t. I. p. 549.] + +[Note 339: Wadding, _Annales Minorum_, V, p. 183.] + +Pendant les deux semaines que Jeanne passa dans la ville de +Neufchâteau[340], elle fit ses dévotions dans le couvent des +Cordeliers et se confessa deux ou trois fois aux mendiants[341]. On a +dit qu'elle était du tiers-ordre de Saint-François, et l'on a supposé +que son affiliation datait de son séjour à Neufchâteau[342]. + +[Note 340: Jean Morel déclare qu'elle fut quatre jours à +Neufchâteau, et il ajoute: «Ce que je vous dis, je le sais, car je fus +avec les autres à Neufchâteau» (_Procès_, t. II, p. 392); Gérard +Guillemette parle de quatre ou cinq jours (_Procès_, t. II, p. 414); +Nicolas Bailly de trois ou quatre (_Procès_, t. II, p. 451). Mais +Jeanne dit aux juges de Rouen qu'elle était restée quinze jours à +Neufchâteau (_Procès_, t. I, p. 51); elle avait un souvenir moins +lointain et sans doute plus fidèle.] + +[Note 341: _Procès_, t. I, p. 51.] + +[Note 342: S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, ch. IX, X, XI.--Abbé +V. Mourot, _Jeanne d'Arc et le tiers-ordre de Saint-François_, +Saint-Dié, 1886, in-8º.--L. de Kerval, _Jeanne d'Arc et les +Franciscains_, Vanves, 1893, in-18.--_E iera begina_, dit une +correspondance de Morosini, éd. Lefévre-Pontalis, t. III, p. 92 et +note 2.] + +C'est fort douteux; et, dans tous les cas, l'affiliation ne dut pas +être très solennelle. On ne voit pas qu'en si peu de temps les +mendiants aient pu la former aux pratiques de la piété franciscaine. +Pour se pénétrer de leur esprit, elle était déjà trop imbue de +doctrines ecclésiastiques sur le spirituel et le temporel, trop pleine +de mystères et d'apocalypses. D'ailleurs, son séjour à Neufchâteau fut +troublé de soucis et coupé d'absences. + +Elle reçut dans cette ville une citation à comparaître devant l'official +de Toul dont elle relevait comme native de Domremy-de-Greux. Un jeune +garçon de Domremy prétendait qu'il y avait promesse de mariage entre la +fille de Jacques d'Arc et lui. Jeanne le niait. Il s'obstina dans son +dire et l'assigna devant l'official[343]. Ce tribunal ecclésiastique +retenait les causes comme celle-ci et l'on portait les demandes soit en +nullité de mariage, soit en validité de fiançailles. + +[Note 343: _Procès_, t. II, p. 476.--E. Misset, _Jeanne d'Arc +Champenoise_, 1895, in-8º, p. 28.] + +Ce qui est étrange dans le cas de Jeanne, c'est que ses parents lui +donnèrent tort et prirent le parti du jeune homme. Ce fut malgré leur +défense qu'elle soutint son procès et comparut devant l'official. Elle +déclara plus tard que, dans cette affaire, elle leur avait désobéi et +que c'était son seul manquement à la soumission qu'elle leur +devait[344]. + +[Note 344: _Ibid._, t. I, p. 128.] + +Pour aller de Neufchâteau à Toul et revenir, il lui fallait faire plus +de vingt lieues à pied sur des chemins infestés par des gens d'armes, +dans ce pays mis à feu et à sang et que les paysans de Domremy +venaient de fuir épouvantés. C'est pourtant à quoi elle se résolut, +contre le gré de ses parents. + +Peut-être se rendit-elle à l'official de Toul non pas une fois, mais +deux et trois fois. Et si elle ne chemina pas jour et nuit avec son +faux fiancé, ce fut par grand hasard, car il suivait la même route en +même temps. Ses Voix lui disaient de ne rien craindre. Devant le juge +elle jura de dire la vérité et nia qu'elle eût fait promesse de +mariage. + +Elle n'avait point de torts. Mais sa conduite, qui procédait d'une +innocence héroïque et singulière, fut mal jugée. On prétendit à +Neufchâteau que ces voyages lui avaient mangé tout ce qu'elle avait. +Mais qu'avait-elle? hélas! Elle était partie sans rien. Peut-être lui +avait-il fallu mendier son pain aux portes. Les saintes reçoivent +l'aumône comme elles la donnent: pour l'amour de Dieu. On conta que, +pendant l'instance, son fiancé, la voyant vivre en compagnie de +mauvaises femmes, s'était désisté de sa demande en justice, renonçant +à une promise si mal famée[345]. Propos calomnieux, qui ne trouvèrent +que trop de créance. + +[Note 345: _Procès_, t. I, p. 215.--L'article 9 de l'acte +d'accusation est constitué d'après une enquête faite à Neufchâteau.] + +Après deux semaines de séjour à Neufchâteau, Jacques d'Arc avec les +siens retourna à Domremy. Le verger, la maison, le moustier, le +village, les champs, dans quel état de désolation les revirent-ils! +Tout avait été pillé, ravagé, brûlé par les gens de guerre. Les +soldats, faute de pouvoir rançonner les vilains disparus, avaient +détruit leurs biens. Le moustier, naguère encore fier comme une +forteresse, avec sa tour où veillait le guetteur, n'était plus qu'un +amas de pierres noircies. Et les habitants de Domremy durent aller, +aux jours fériés, entendre la messe à l'église de Greux[346]. + +[Note 346: _Procès_, t. II, p. 396 et _passim_.] + +Telle était la misère du temps, qu'ordre fut donné aux villageois de +se tenir renfermés dans les maisons fortes et les châteaux[347]. + +[Note 347: S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, pp. CLXXX et 230.] + +Cependant les Anglais assiégeaient la ville d'Orléans, qui appartenait +au duc Charles, leur prisonnier. Ce qui n'était point bien fait à eux, +car, ayant son corps, ils devaient respecter ses biens[348]. Ils +élevaient des bastilles autour de cette ville d'Orléans, coeur de +France, et l'on disait qu'ils s'y tenaient à grande puissance[349]. + +[Note 348: _Mistère du siège_, V. 497.] + +[Note 349: _Chronique de la Pucelle_, ch. XXXIV et XXXV.--Jean +Chartier, _Chronique_, ch. XXXII, XXXV.--_Journal du siège_, pp. 2 et +suiv.] + +Et madame sainte Catherine et madame sainte Marguerite, qui étaient +des personnes très attachées à la terre des Lis, les féales du dauphin +Charles et ses belles cousines, s'entretenaient avec la bergère des +malheurs du royaume et lui disaient sans cesse: + +--Il faut que tu quittes ton village et que tu ailles en France[350]. + +[Note 350: _Procès_, t. I, p. 52, 216.] + +Jeanne était d'autant plus impatiente de partir qu'elle avait annoncé +elle-même le temps de son arrivée en France et que ce temps +approchait. Elle avait dit au capitaine de Vaucouleurs que le dauphin +aurait secours avant la mi-carême. Elle ne voulait pas faire mentir +ses Voix[351]. + +[Note 351: _Procès_, t. II, p. 456.] + +L'occasion, qu'elle épiait, de retourner à Burey, se présenta vers la +mi-janvier. À cette époque, la femme de Durand Lassois, Jeanne le +Vauseul, faisait ses couches[352]. À la campagne, l'usage voulait que +les jeunes parentes et les amies de l'accouchée se rendissent auprès +d'elle pour soigner la mère et l'enfant. Coutume honnête et cordiale +qu'on suivait d'autant mieux qu'on y trouvait une occasion de bonnes +rencontres et de joyeux caquets[353]. Jeanne pressa son oncle de la +demander à son père pour soigner l'accouchée et Lassois consentit: il +faisait tout ce que voulait sa nièce, et, peut-être, était-il +encouragé dans sa complaisance par des personnes pieuses et de +considération[354]. Mais que ce père, qui tantôt ne parlait de rien +moins que de noyer sa fille pour l'empêcher de partir avec les gens +d'armes, la laissât aller aux portes de la ville, sous la garde d'un +parent dont il connaissait la faiblesse, c'est ce qu'on a peine à +comprendre. Il le fit pourtant[355]. + +[Note 352: _Ibid._, t. II, pp. 428, 434.--S. Luce, _Jeanne d'Arc à +Domremy_, p. CLXXX.--G. de Braux et E. de Bouteiller, _Nouvelles +recherches_, p. XXIII.] + +[Note 353: _Les caquets de l'accouchée_, nouv. éd. par E. Fournier +et Le Roux de Lincy, Paris, 1855, in-16, introduction.] + +[Note 354: _Procès_, t. I, p. 53; t. II, p. 443 et _passim_.] + +[Note 355: _Procès_, t. II, pp. 428, 430, 431.] + +Ayant quitté la maison de son enfance, qu'elle ne devait plus revoir, +Jeanne, en compagnie de Durand Lassois, descendit la vallée natale, +dépouillée par l'hiver. En passant devant la maison du laboureur +Gérard Guillemette de Greux, dont les enfants étaient en grande amitié +avec ceux de Jacques d'Arc, elle cria: + +--Adieu! Je vais à Vaucouleurs[356]. + +[Note 356: _Ibid._, t. II, p. 416.] + +Quelques pas plus loin, elle aperçut sa compagne Mengette: + +--Adieu, Mengette, dit-elle; je te recommande à Dieu[357]. + +[Note 357: _Ibid._, t. II, p. 431.] + +Et sur le chemin, au seuil des maisons, rencontrant des visages +connus, à tous elle disait adieu[358]. Mais elle évita de voir +Hauviette, avec qui elle avait joué et dormi, aux jours d'enfance, et +qu'elle aimait chèrement. Elle craignit, si elle lui disait adieu, de +sentir son coeur défaillir. Hauviette ne sut que plus tard le départ +de son amie et elle en pleura très fort[359]. + +[Note 358: _Ibid._, t. II, p. 416.] + +[Note 359: _Ibid._, t. II, p. 419.] + +Venue pour la seconde fois à Vaucouleurs, Jeanne croyait bien mettre +le pied dans une ville appartenant au dauphin, et entrer, comme on +disait alors, en chambre royale[360]. Elle se trompait. Depuis les +premiers jours du mois d'août 1428, le capitaine de Vaucouleurs avait +rendu la place au seigneur Antoine de Vergy, mais il ne l'avait pas +encore livrée. C'était une de ces capitulations à terme comme on en +signait beaucoup à cette époque et qui, le plus souvent, cessaient +d'être exécutoires au cas où la place recevait secours avant le jour +fixé pour la reddition[361]. + +[Note 360: _Procès_, t. II, p. 436.] + +[Note 361: S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, pp. CLXVIII et 222, +234.] + +Comme elle avait fait neuf mois auparavant, Jeanne alla trouver sire +Robert au château, et voici la révélation qu'elle lui fit: + +--Capitaine Messire, dit-elle, sachez que Dieu m'a plusieurs fois fait +à savoir encore et commandé que j'allasse vers le gentil dauphin, qui +doit être et est vrai roi de France, et qu'il me baillât des gens +d'armes et que je lèverais le siège d'Orléans et le mènerais sacrer à +Reims[362]. + +[Note 362: _Chronique de la Pucelle_, p. 273.--La _Chronique de +Lorraine_, dans Dom Calmet, _Histoire de Lorraine_, t. III, col. vj., +donne une version amplifiée et suspecte de ces paroles.] + +Cette fois, elle annonce qu'elle a mission de délivrer Orléans. Et +c'est seulement après avoir accompli cette première tâche qu'elle fera +le voyage du sacre. Il faut reconnaître la souplesse et l'à-propos +avec lesquels ses Voix changeaient, selon les nécessités du moment, +les ordres précédemment donnés. + +Les manières de sire Robert à l'égard de Jeanne étaient tout à fait +changées. Il ne parlait plus de lui donner de bons soufflets et de la +renvoyer à ses parents. Maintenant, il la traitait sans rudesse et, +s'il n'avait pas foi en ce qu'elle annonçait, du moins l'écoutait-il +volontiers. + +Dans une des conversations qu'elle eut avec lui, elle lui tint un +propos étrange: + +--Une fois accomplies, lui dit-elle, les grandes choses que j'ai à +faire de la part de Messire, je me marierai et j'aurai trois fils, +dont le premier sera pape, le second empereur, le troisième roi. + +Sire Robert répondit gaiement: + +--Puisqu'ils seront si grands personnages, je voudrais bien t'en faire +un. J'en vaudrais mieux ensuite. + +Jeanne répondit: + +--Nenni, gentil Robert, nenni. Il n'est pas temps. Le Saint-Esprit y +ouvrera[363]. + +[Note 363: _Procès_, t. I, pp. 219, 220.--La source est suspecte. +Pourtant l'accusation s'appuie ici sur les données de l'enquête. Si +Jeanne nia avoir tenu ce propos, c'est qu'elle l'avait oublié, ou +qu'on le lui avait assez changé, pour qu'elle pût le désavouer sous la +forme où on le lui présentait.] + +À en juger sur le peu de paroles d'elle qui nous ont été transmises, +la jeune inspirée, dans les premiers temps de sa mission, parlait +alternativement deux langages différents. Ses paroles semblaient +couler de deux sources opposées. Les unes, ingénues, candides, naïves, +courtes, d'une simplicité rustique, d'une malice innocente, +quelquefois rudes, empreintes d'autant de chevalerie que de sainteté, +avaient trait, le plus souvent, à l'héritage et au sacre du dauphin, +et à la débellation des Anglais. C'était le langage de ses Voix, son +vrai langage, son langage intérieur. Les autres, plus subtiles et +teintées d'allégories, fleuries, quintessenciés, d'une grâce savante, +concernant l'Église, sentaient le clerc et trahissaient quelque +influence du dehors. Le propos tenu par elle à sire Robert sur les +trois enfants qu'elle mettrait au monde est de la seconde sorte. C'est +une allégorie. Son triple enfantement signifie que de ses oeuvres +naîtra la paix de la chrétienté, et que, après qu'elle aura accompli +sa mission divine, le pape, l'empereur et le roi, tous trois fils de +Dieu, feront régner la concorde et l'amour dans l'Église de +Jésus-Christ. L'apologue est d'une clarté limpide; encore faut-il un +peu d'esprit pour le comprendre. Le capitaine n'y entendit rien; il +prit la chose en sens littéral et répondit en conséquence, car c'était +un homme simple et jovial[364]. + +[Note 364: _Procès_, t. III, p. 86.--_Chronique de la Pucelle_, p. +272.--_Journal du siège_, p. 35.] + +Jeanne logeait en ville chez des amis de son cousin Lassois, gens +d'humble condition, Henri Leroyer et sa femme Catherine. Elle y +filait, étant bonne filandière; elle donnait aux pauvres le peu +qu'elle avait. Elle fréquentait l'église paroissiale en compagnie de +Catherine[365]. Souvent, dans la matinée, elle montait la colline qui +voit se pressera ses pieds les toits de la ville, et se rendait en +grande dévotion dans la chapelle de Sainte-Marie-de-Vaucouleurs. Cette +collégiale, construite sous le roi Philippe VI, était attenante au +château qu'habitait le capitaine de Vaucouleurs. La vénérable nef de +pierre s'élevait hardiment à l'orient, sur la vaste étendue des +coteaux et des prairies, et dominait la vallée où Jeanne avait été +nourrie. Elle y entendait la messe et y demeurait longtemps en +oraison. + +[Note 365: _Ibid._, t. I, pp. 51, 214; t. II, pp. 392, 395 et +suiv.] + +Sous la chapelle, dans la crypte, on gardait une image ancienne et +vénérée de la vierge qu'on appelait Notre-Dame-de-la-Voûte[366], et +qui faisait des miracles spécialement en faveur des pauvres et des +nécessiteux. Jeanne se plaisait dans cette crypte obscure et solitaire +où les saintes la visitaient de préférence. + +[Note 366: S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, p. CXCXIV.] + +Un petit clerc, presque encore un enfant, qui desservait la chapelle, +y vit un jour la jeune fille immobile, les mains jointes, la tête +renversée, les yeux levés et noyés de larmes, et il devait garder +toute sa vie l'image de ce ravissement[367]. + +[Note 367: _Procès_, t. II, pp. 460, 461.] + +Elle allait souvent à confesse et disait ses péchés notamment à +messire Jean Fournier, curé de Vaucouleurs[368]. + +[Note 368: _Ibid._, t. II, p. 446.] + +Elle touchait son hôtesse par la manière sage et douce dont elle +vivait, et elle la troubla un jour extrêmement. Ce fut quand elle lui +dit: + +--Ne savez-vous pas qu'il a été prédit que la France, perdue par une +femme, serait sauvée par une pucelle des Marches de Lorraine[369]? + +[Note 369: _Procès_, t. II, p. 447.] + +La femme Leroyer savait aussi bien que Durand Lassois, que madame +Ysabeau, comme une Hérodiade gonflée d'impuretés, avait livré madame +Catherine de France et le royaume des Lis au roi d'Angleterre[370]. Et +dès lors elle n'était plus éloignée de croire que Jeanne fût la +pucelle annoncée par la prophétie. + +[Note 370: _Ibid._, t. II, p. 447.] + +Cette pieuse fille fréquentait les personnes de dévotion et aussi les +nobles hommes. À tous elle disait: + +--Il faut que j'aille vers le gentil dauphin. C'est la volonté de +Messire, le Roi du ciel, que j'aille vers le gentil dauphin. C'est de +la part du Roi du ciel que je suis venue. Quand je devrais aller sur +mes genoux, j'irai[371]. + +[Note 371: _Ibid._, t. II, p. 448.] + +Elle apporta notamment des révélations de cette nature à messire +Aubert, seigneur d'Ourches, qui était bon français et du parti des +Armagnacs, puisqu'il avait fait la guerre, quatre ans auparavant, +contre les Anglais et les Bourguignons; elle lui dit qu'elle devait +aller vers le dauphin, qu'elle demandait qu'on la menât à lui et que +ce serait pour lui profit et honneur non pareils[372]. + +[Note 372: _Procès_, t. II, p. 450.--S. Luce, _Jeanne d'Arc à +Domremy_, p. 103.] + +Enfin elle se faisait connaître dans la ville pour ses illuminations +et ses prophéties, et l'on trouvait qu'elle parlait bien. + +Il y avait alors dans la garnison un homme d'armes, âgé de vingt-huit +ans environ, Jean de Novelompont ou Nouillompont, qu'on appelait +communément Jean de Metz. De condition libre, mais non point noble, il +avait acquis ou hérité la seigneurie de Nouillompont et Hovecourt, +dans le Barrois non mouvant, et il en portait le titre[373]. +Précédemment soudoyer au service de Jean de Wals, capitaine et prévôt +de Stenay, il était en 1428 au service du capitaine de Vaucouleurs. + +[Note 373: _Ibid._, t. V, p. 363.--_Journal du siège_, p. 45.--S. +Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, xcv, cxi, cxxvj.--De Beaucourt, +_Histoire de Charles VII_, t. II, p. 204, note.--G. de Braux et E. de +Bouteiller, _Nouvelles recherches_, pp. XXV et suiv.] + +De ses moeurs et comportements nous ne savons rien, sinon que, trois +ans en çà, habitant dans la châtellenie de Foug, il avait juré un +«vilain serment» et, de ce fait, encouru une amende de deux sols. +Apparemment il était, lorsqu'il jura, très en colère[374]. Il se +tenait en relations plus ou moins étroites avec Bertrand de Poulengy, +qui certainement lui avait parlé de Jeanne. + +[Note 374: S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, pp. CXC, 160-161.] + +Un jour, il aborda la jeune fille et lui dit: + +--Eh bien, ma mie, que faites-vous ici? Faut-il que le roi soit chassé +du royaume et que nous soyons Anglais[375]? + +[Note 375: _Procès_, t. II, p. 435-457.--E. de Bouteiller et G. de +Braux, _Nouvelles recherches_, pp. XXVI-XXVII.] + +Ce propos d'un homme d'armes de Lorraine mérite attention. Le traité +de Troyes ne soumettait pas la France à l'Angleterre; il réunissait +les deux royaumes. Si l'on se battait après comme avant, c'était +uniquement pour décider entre les deux prétendants Charles de Valois +et Henri de Lancastre. Que l'un ou l'autre l'emportât, rien n'était +changé dans les lois et coutumes de France. Toutefois, ce pauvre +routier des Marches d'Allemagne n'en pensait pas moins que, sous un +roi anglais, il serait lui-même anglais. Beaucoup de français de toute +condition pensaient de même et ne pouvaient souffrir l'idée de se voir +anglaisés; ils attachaient leur sort et celui du royaume au sort du +dauphin Charles. + +Jeanne répondit à Jean de Metz: + +--Je suis venue ici, à chambre du roi, afin de parler à sire Robert, +pour qu'il me veuille conduire ou faire conduire au dauphin. Mais il +n'a souci ni de moi ni de mes paroles. + +Puis, pressée en son coeur par l'idée fixe que sa mission devait +commencer au milieu de la Sainte Quarantaine: + +--Pourtant, avant qu'arrive la mi-carême, il faut que je sois devers +le dauphin, dussé-je, pour y aller, user mes jambes jusqu'aux +genoux[376]. + +[Note 376: _Procès_, t. II, p. 436.--De Beaucourt, _Histoire de +Charles VII_, t. II, pp. 396 et suiv.] + +Une nouvelle courait alors les villes et les villages. On annonçait +que le fils du roi de France, le dauphin Louis, entré dans sa +cinquième année, venait d'être fiancé à la fille du roi d'Écosse, +madame Marguerite, âgée de trois ans, et le commun peuple célébrait +cette union royale par autant de réjouissances qu'il s'en pouvait +faire dans ce pays désolé[377]. Jeanne, qui en avait entendu parler, +dit à l'homme d'armes: + +[Note 377: _Procès_, _ibid._--S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, +p. CXCI.] + +--Il faut que je sois vers le dauphin, car nul au monde, ni roi, ni +duc, ni fille du roi d'Écosse ne peuvent recouvrer le royaume de +France. + +Et elle ajouta aussitôt: + +--Il n'y a secours que de moi, quoique, pour ma part, j'aurais bien +plus cher filer près de ma pauvre mère, vu que ce n'est pas là mon +état. Mais il faut que j'aille. Et je ferai cela parce que Messire +veut que je le fasse. + +Elle le disait comme elle le pensait. Mais elle ne se connaissait pas; +elle ne savait pas que ses Voix c'était le cri de son coeur et qu'elle +brûlait de quitter la quenouille pour l'épée. + +Jean de Metz demanda, comme avait fait sire Robert: + +--Qui est Messire? + +--C'est Dieu, répondit-elle. + +Aussitôt, comme s'il croyait en elle, il lui dit d'un grand élan: + +--Je vous promets et vous donne ma foi que, Dieu aidant, je vous +conduirai vers le roi. + +Il lui toucha la main, en signe qu'il lui donnait sa foi, et il +demanda: + +--Quand voulez-vous partir? + +--À cette heure, répondit-elle, mieux que demain; demain mieux +qu'après. + +C'est Jean de Metz lui-même qui, vingt-sept ans plus tard, rapporta +cette conversation[378]. À l'en croire, il demanda en dernier lieu à +la jeune fille si elle voulait faire chemin avec ses vêtements de +femme. On conçoit qu'il découvrît de très grands inconvénients à +traverser avec une paysanne en robe rouge les chemins de France, alors +battus par des coitreaux paillards, et qu'il jugeât plus prudent de +l'emmener déguisée en garçon. Elle entra tout de suite dans la pensée +de Jean, et lui répondit: + +--Je prendrai volontiers habit d'homme. + +Rien n'empêche de croire que les choses se sont passées ainsi. Mais +alors un routier de Lorraine aurait suggéré à la sainte, touchant +l'habit, une idée qu'elle s'imaginera ensuite avoir reçue de +Dieu[379]. + +[Note 378: _Procès_, t. II, p. 436.] + +[Note 379: _Ibid._, t. I, pp. 161, 176, 332.--_Journal du siège_, +p. 45.--_Chronique de la Pucelle_, p. 372.] + +De son propre mouvement, ou plutôt sur l'avis de quelque prudente +personne, sire Robert s'inquiéta de savoir si Jeanne n'était pas sous +l'inspiration d'un mauvais esprit. Car le diable est rusé et prend +parfois la figure de l'innocence. Et, comme, à cet égard, il n'était +pas grand clerc, il résolut de s'en rapporter à son curé. + +Or, un jour que Catherine et Jeanne filaient dans la maison, elles +virent entrer le capitaine de Vaucouleurs, en compagnie du curé, +messire Jean Fournier. Ils invitèrent l'hôtesse à se retirer, et, +lorsqu'ils furent seuls avec la jeune fille, messire Jean Fournier +revêtit son étole et récita des paroles latines qui revenaient à dire: + +--Si tu es chose mauvaise, éloigne-toi; si tu es chose bonne, +approche. + +C'était la formule ordinaire de l'exorcisme, ou, pour parler plus +exactement, de la conjuration. Dans la pensée de messire Jean +Fournier, ces paroles, mêlées de quelques gouttes d'eau bénite, +devaient faire fuir les diables, si par malheur il s'en trouvait dans +le corps de cette villageoise[380]. + +[Note 380: _Procès_, t. II, p. 446.] + +Messire Jean Fournier ne doutait pas que les démons ne fussent poussés +par un désir immodéré de s'introduire dans le corps des hommes et +spécialement chez les filles, qui parfois les avalaient avec leur +pain. Ils se logeaient dans la bouche, sous la langue, dans les +narines, coulaient dans l'estomac et dans le ventre et s'agitaient +furieusement en ces divers logis, où l'on reconnaissait leur présence +aux contorsions et hurlements des malheureux hantés. + +Saint Grégoire, pape, rapporte en ses _Dialogues_ un exemple frappant +de la facilité avec laquelle les diables s'insinuent dans une femme. +Une religieuse, dit-il, étant au jardin, vit une laitue qui lui parut +tendre. Elle la cueillit et, négligeant de la bénir en faisant dessus +le signe de la croix, elle y mordit, et aussitôt elle tomba possédée. +Un homme de Dieu s'étant alors approché d'elle, le démon se mit à +crier: «C'est moi qui l'ai fait! C'est moi qui l'ai fait! J'étais +assis sur cette laitue. Cette femme est venue et elle m'a avalé.» Mais +les prières de l'homme de Dieu le forcèrent bientôt à se retirer[381]. + +[Note 381: Voragine, _La légende dorée_, en la fête de +l'Exaltation de la Sainte-Croix.] + +Messire Jean Fournier n'exagérait donc pas la prudence nécessaire. +Pénétré de cette idée que le diable est subtil et la femme corrompue, +il prenait soin d'éclaircir, selon les règles, un cas difficile. +C'était le plus souvent chose malaisée que de discerner des possédés +et de reconnaître une démoniaque d'avec une bonne chrétienne. +L'épreuve à laquelle Jeanne allait être soumise n'avait pas été +épargnée à de très grandes saintes. + +Ayant récité les formules et fait les aspersions, messire Jean +Fournier s'attendait, au cas où cette fille eût été possédée, à la +voir s'agiter, se tordre et chercher à fuir. Il eût fallu, en cette +occurrence, employer des formules plus puissantes, user à nouveau +d'eau bénite et du signe de la croix, et, par ces moyens, déloger les +diables jusqu'à ce qu'on les vît partir avec un bruit effrayant et une +grande puanteur, sous forme de dragons, de chameaux ou de +poissons[382]. + +[Note 382: Migne, _Dictionnaire des sciences occultes_, Paris, 2 +vol. gr. in-8º, au mot: _Exorcisme_.] + +L'attitude de Jeanne n'offrit rien de suspect. Point d'agitation +maniaque, nulle fureur. Inquiète seulement et suppliante, elle se +traîna à genoux vers le prêtre. Elle ne fuyait pas devant le saint nom +de Dieu. Messire Jean Fournier en conclut qu'il n'y avait pas de +diable en elle. + +Restée seule avec Catherine dans la maison, Jeanne, qui comprenait +enfin le sens de cette cérémonie, en témoigna un vif ressentiment à +l'endroit de messire Jean Fournier. Elle se plaignit de ce qu'il l'eût +soupçonnée: «C'était mal fait à lui, dit-elle à son hôtesse; car, +m'ayant entendue en confession, il me pouvait connaître[383].» + +[Note 383: _Procès_, t. II, p. 446.] + +Elle aurait rendu grâce au curé de Vaucouleurs si elle avait su +combien, en l'éprouvant, il avançait ses affaires. Averti que cette +pucelle n'était pas inspirée par le démon, sire Robert dut en conclure +qu'elle pouvait bien l'être par Dieu, car, selon toute apparence, il +raisonnait simplement. Il écrivit au dauphin Charles, au sujet de la +jeune sainte, et sans doute il témoigna de l'innocence et de la bonté +qui se voyaient en elle[384]. + +[Note 384: _Procès_, t. III, p. 115.--_Journal du siège_, p. +48.--_Mirouer des femmes vertueuses_, dans _Procès_, t. IV, p. 267.] + +Bien que la capitainerie fût grandement menacée de passer au seigneur +de Vergy, sire Robert ne songeait pas à quitter son pays où il était +en accommodements avec tous les partis. Il se souciait en somme assez +peu du dauphin Charles et l'on ne voit pas qu'il eût un intérêt +personnel à lui recommander une prophétesse. Sans prétendre démêler ce +qui se passait dans sa tête, on peut croire qu'il écrivit au dauphin +en faveur de Jeanne à la demande de quelques-unes de ces personnes qui +l'estimaient bonne et probablement à la requête de Bertrand de +Poulengy et de Jean de Metz. Ces deux hommes d'armes, voyant la cause +du dauphin perdue sur les Marches de Lorraine, avaient toutes raisons +de passer jusqu'aux bords de la Loire, où l'on pouvait encore se +battre, partant gagner. + +Prêts à partir, ils se montraient disposés à emmener l'inspirée avec +eux et même à la défrayer de toutes ses dépenses, comptant se faire +rembourser à Chinon sur la cassette royale et tirer honneur et profit +d'une si rare merveille. Encore attendaient-ils d'être assurés de +l'agrément du dauphin[385]. + +[Note 385: Extrait du 8e compte de Guillaume Charrier, dans +_Procès_, t. V, pp. 257 et suiv.] + +Cependant Jeanne ne tenait plus en place. Elle allait et venait de +Vaucouleurs à Burey et de Burey à Vaucouleurs. Elle comptait les +jours; le temps lui pesait comme à une femme grosse[386]. + +[Note 386: _Procès_, t. II, p. 447.] + +À la fin de janvier, n'y pouvant tenir, elle résolut d'aller seule +vers le dauphin Charles. Elle vêtit les habits de Durand Lassois et +prit avec ce bon cousin la route de France[387]. Un habitant de +Vaucouleurs, nommé Jacques Alain, les accompagnait[388]. Probablement, +ces deux hommes comptaient que la jeune fille reconnaîtrait +d'elle-même l'impossibilité d'un tel voyage et qu'on n'irait pas bien +loin. C'est ce qui arriva. À peine les trois voyageurs furent-ils à +une lieue de Vaucouleurs, vers la chapelle de Saint-Nicolas, qui +s'élève dans la vallée de Septfonds au milieu du grand bois de Saulcy, +que Jeanne, se ravisant, dit à ses compagnons qu'il n'était point +honnête à elle de partir ainsi: et tous trois retournèrent à la +ville[389]. + +[Note 387: _Ibid._, t. I, p. 53; t. II, pp. 443 et suiv.] + +[Note 388: _Ibid._, t. II, pp. 445-447.] + +[Note 389: _Ibid._, t. II, pp. 447-457.] + +Enfin un messager royal vint apporter au capitaine de Vaucouleurs la +réponse du roi Charles. Il se nommait Colet de Vienne[390]. Son nom le +désigne comme originaire de la province gouvernée par le dauphin avant +la mort du feu roi, et qui gardait au pauvre prince une constante +fidélité. La réponse portait que sire Robert envoyât la jeune sainte à +Chinon[391]. + +[Note 390: _Ibid._, t. II, p. 406.--S. Luce, _Jeanne d'Arc à +Domremy_, p. 160, note 6.] + +[Note 391: Monstrelet, t. IV, pp. 314-315.--Poème anonyme sur +l'arrivée de la Pucelle, dans _Procès_, t. V, p. 30.] + +Ce que Jeanne avait demandé et qui paraissait impossible à obtenir, +lui était accordé. Elle allait être menée au roi comme elle l'avait +voulu et dans les délais fixés par elle-même. Mais ce départ après +lequel elle avait tant soupiré fut retardé de quelques jours, par une +circonstance remarquable, qui montre que la renommée de la jeune +prophétesse s'était répandue en Lorraine et atteste qu'alors les +grands de la terre, en leurs nécessités, recherchaient les saintes. + +Jeanne était mandée à Nancy par monseigneur le duc de Lorraine. Munie +d'un sauf-conduit que le duc lui avait envoyé, elle partit en veste et +houseaux rustiques, sur un bidet que Durand Lassois et Jacques Alain +lui donnèrent. Il leur avait coûté douze francs que sire Robert leur +remboursa plus tard sur les deniers du roi[392]. Il y a vingt-quatre +lieues de Vaucouleurs à Nancy. Jean de Metz l'accompagna jusqu'à Toul; +Durand Lassois fit tout le voyage avec elle[393]. + +[Note 392: Durand Lassois dit qu'il coûte douze francs; Jean de +Metz seize. «Ce serait aujourd'hui un cheval de cent écus» (L. +Champion, _Jeanne d'Arc écuyère_, 1901, p. 55).] + +[Note 393: _Procès_, t. I, pp. 54, 222; t. II, pp. 391, 406, 432, +437, 442-450, 456-457; t. III, pp. 87, 115; Extrait du 8e compte de +Guillaume Charrier et du 13e compte de Hémon Raguier, dans _Procès_, +t. V, pp. 257 et suiv.] + +Avant de se rendre à l'hôtel du duc de Lorraine, Jeanne monta la +vallée de la Meurthe et alla faire ses dévotions au grand saint +Nicolas, dont on gardait les reliques dans la chapelle de +Saint-Nicolas-du-Port[394], desservie par des religieux bénédictins. +C'était bien fait à elle, saint Nicolas étant le patron des voyageurs. + +[Note 394: _Procès_, t. II, p. 457.--A. Renard, _Jeanne d'Arc. +Examen d'une question de lieu_, Orléans, 1861, in-8º, 16 pages.--G. de +Braux, _Jeanne d'Arc à Saint-Nicolas_, Nancy, 1889, in-8º.--De +Pimodan, _La première étape de Jeanne d'Arc_, 1890, in-8º, cartes.] + + + + +CHAPITRE IV + +VOYAGE À NANCY.--ITINÉRAIRE DE VAUCOULEURS À +SAINTE-CATHERINE-DE-FIERBOIS. + + +Le duc Charles II de Lorraine, allié aux Anglais, venait de jouer un +bien mauvais tour à son cousin et ami le duc de Bourgogne, en donnant +en mariage Isabelle sa fille aînée, l'héritière de Lorraine, à René, +second fils de madame Yolande, reine de Sicile et de Jérusalem, +duchesse d'Anjou[395]. René d'Anjou, dans ses vingt ans, était un +gentil esprit, amoureux de bon savoir autant que de chevalerie, +bienveillant, affable et gracieux. Quand il ne faisait point de +chevauchées et ne maniait pas la lance, il se plaisait à peindre des +images dans des livres; il avait du goût pour les jardins fleuris et +les histoires en tapisserie, et, comme son beau cousin le duc +d'Orléans, il composait des poèmes en français[396]. Investi du duché +de Bar par le cardinal duc de Bar, son grand-oncle, il devait hériter +le duché de Lorraine après la mort du duc Charles, qui ne pouvait +beaucoup tarder. Ce mariage était justement regardé comme un beau coup +de madame Yolande. Mais qui terre a guerre a. Le duc de Bourgogne, +fort mal content de voir un prince de la maison d'Anjou, le beau-frère +de Charles de Valois, s'établir entre la Bourgogne et les Flandres, +excitait contre René le comte de Vaudemont, prétendant à l'héritage de +Lorraine, et la politique angevine rendait difficile la réconciliation +du duc de Bourgogne avec le roi de France. René d'Anjou était engagé +dans les querelles de son beau-père de Lorraine. Et précisément, en +1429, il faisait aux habitants de Metz la guerre de la Hottée de +pommes. On la nommait ainsi parce que la cause en était une hottée de +pommes entrée dans la ville de Metz, sans qu'on eût payé de droits aux +officiers du duc de Lorraine[397]. + +[Note 395: Le P. Anselme, _Histoire généalogique de la Maison de +France_, II, p. 218.--Ludovic Drapeyron, _Jeanne d'Arc et Philippe le +Bon_, dans _Revue de Géographie_, novembre 1886, p. 236.--S. Luce, +_Jeanne d'Arc à Domremy_, pp. LXVI, CXCIX.] + +[Note 396: _Oeuvres du roi René_, par le comte de de Quatrebarbes, +Angers, 1845, t. I, notice, pp. LXXVI et suiv.--Leroy de la Marche, +_Le roi René, sa vie, son administration, ses travaux artistiques et +littéraires_, Paris, 1875, 2 vol. in 8º, et Giry, compte rendu dans +_Revue Critique_.] + +[Note 397: Dom Calmet, _Histoire de Lorraine_, t. II. col. 695, +703.] + +Cependant, madame sa mère faisait envoyer de Blois des convois de +vivres aux habitants d'Orléans, assiégés par les Anglais. Bien qu'elle +fût pour lors en mauvaise intelligence avec les conseillers du roi +Charles, son gendre, elle se montrait vigilante à combattre les +ennemis du royaume, qui menaçaient son duché d'Anjou. René, duc de +Bar, avait donc des parentés, des amitiés, des intérêts tout à la fois +dans le parti d'Angleterre et Bourgogne et dans le parti de France. +Tel était le cas où se trouvaient la plupart des seigneurs français. +Ses rapports avec le capitaine de Vaucouleurs restaient amicaux et +fréquents[398]. Il est possible que sire Robert l'ait informé qu'il +tenait à Vaucouleurs une jeune fille prophétisant sur le royaume de +France. Il est possible que le duc de Bar, curieux de la voir, l'ait +fait envoyer à Nancy où il devait se rendre lui-même vers le 20 +février; mais, bien plus probablement, René d'Anjou se souciait moins +de la Pucelle de Vaucouleurs, qu'il n'avait jamais vue, que du petit +More et du fou dont s'égayait son hôtel ducal[399]. En ce mois de +février 1429, il n'avait ni l'envie ni les moyens de beaucoup +s'appliquer aux affaires de France; et, tout beau-frère qu'il était du +roi Charles, il se préparait, non pas à secourir la ville d'Orléans, +mais à mettre le siège devant la ville de Metz[400]. + +[Note 398: S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, pp. CXCVII, +CLXXXVII, CLXXXVIII et 236.--Le registre des Archives de la Meuse, B +1051, conserve la trace d'une correspondance active du duc de Bar avec +Baudricourt.] + +[Note 399: _Chronique du doyen de Saint-Thibaud_, dans Dom Calmet, +_Histoire de Lorraine_, preuves, t. II, col. CXCIX.--S. Luce, _Jeanne +d'Arc à Domremy_, pp. CXCVII et suiv.] + +[Note 400: Lettre de Jean Desch, secrétaire de la ville de Metz, +dans _Procès_, t. V, p. 355.--Dom Calmet, _Histoire de Lorraine_, t. +II, preuves, col. CXCIX.] + +Le duc de Lorraine, vieux et malade, vivait en son hôtel avec sa +belle amie Alison du Mai, bâtarde, fille de prêtre, qui en avait +chassé l'épouse légitime, madame Marguerite de Bavière. Madame +Marguerite était de haute naissance et pieuse, mais vieille et laide; +et madame Alison était jolie; le duc Charles lui avait fait plusieurs +enfants[401]. + +[Note 401: S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, p. CC, note.] + +Voici ce qui paraît le plus vrai. Il y avait à Nancy des personnes de +bien qui désiraient que le duc Charles reprît sa bonne femme et +comptaient, pour l'y amener, sur les exhortations d'une dévote, ayant +révélations du Ciel et se disant fille de Dieu. Ces personnes +annoncèrent au vieux duc égrotant la fille de Domremy comme une sainte +guérisseuse. Par leurs conseils il la fit appeler, dans l'espoir +qu'elle aurait des secrets pour le soulager de ses maux et l'empêcher +de mourir. + +Dès qu'il la vit, il lui demanda si elle ne pouvait pas le rétablir en +bonne forme et santé. + +Elle répondit que «de cette matière» elle ne savait rien. Cependant +elle l'avertit qu'il se gouvernait mal, et lui annonça qu'il ne +guérirait oncques s'il ne s'amendait. Et elle lui enjoignit d'avoir à +renvoyer Alison sa concubine et à reprendre sa bonne femme[402]. + +[Note 402: _Procès_, t. III, p. 7.--Dom Calmet, _Histoire de +Lorraine_, t. III, preuves, col. vj.] + +Sur ce chapitre, on lui avait un peu fait la leçon, sans doute, mais +elle ne disait que ce qu'elle pensait, car elle avait les mauvaises +femmes en aversion. + +Elle était venue vers le duc parce que son état le voulait, parce +qu'une petite sainte ne se refuse pas aux consultations d'un haut +seigneur et parce qu'enfin on l'y avait amenée. Mais sa pensée était +ailleurs; elle ne songeait qu'à délivrer le royaume de France. + +Considérant que le fils de madame Yolande, le duc de Bar, avec une +belle compagnie d'hommes d'armes, apporterait grand'aide au Dauphin, +elle demanda au duc de Lorraine, en prenant congé, d'envoyer ce jeune +seigneur avec elle en France. + +--Donnez-moi votre fils, lui dit-elle, avec des gens pour me conduire. +En récompense, je prierai Dieu pour le rétablissement de votre santé. + +Le duc ne lui donna pas d'hommes d'armes; il ne lui donna pas le duc +de Bar, héritier de Lorraine, allié des Anglais, qui devait toutefois +la rejoindre bientôt sous les étendards du roi Charles. Mais il lui +donna quatre francs et un cheval noir[403]. + +[Note 403: _Procès_, t. II, pp. 391 et 444.] + +C'est peut-être à son retour de Nancy qu'elle écrivit à ses parents +pour leur demander pardon de les avoir quittés. On sait seulement +qu'ils reçurent une lettre d'elle et pardonnèrent[404]. Il y aurait +lieu, sans doute, d'être surpris que Jacques d'Arc qui, pour avoir vu +seulement en rêve sa fille avec des gens d'armes, jurait de la noyer +de ses mains si ses fils ne la noyaient, demeurât coi tout un long +mois pendant qu'elle se tenait à Vaucouleurs. Car il devait bien +savoir qu'elle y vivait parmi les hommes d'armes. Ç'avait été déjà de +sa part beaucoup de simplicité de l'avoir laissée partir, sachant +l'humeur dont elle était. On ne peut se défendre de supposer que des +personnes pieuses, qui croyaient en la bonté de Jeanne et avaient hâte +qu'elle fût conduite en France pour le salut du royaume, prirent soin +de rassurer le père et la mère sur les façons et comportements de leur +fille et peut-être même firent entendre à ces bonnes gens que, si +Jeanne allait vers le roi, toute sa famille en tirerait honneur et +profit. + +[Note 404: _Ibid._, t. I, p. 129.] + +Avant ou après le voyage de Nancy (on ne sait) quelques habitants de +Vaucouleurs ayant foi en la jeune inspirée, firent faire ou achetèrent +pour elle des vêtements d'homme, un justaucorps, un gippon de drap, +des chausses attachées au justaucorps par des aiguillettes, des +houseaux, des souliers, des éperons, tout un harnais de guerre. Sire +Robert lui donna une épée[405]. + +[Note 405: _Procès_, t. I, p. 54; t. II, pp. 438, 445, 447, +457.--_Relation du greffier de La Rochelle_, dans _Revue Historique_, +t. IV, p. 336.] + +Elle fit tailler ses cheveux en rond, à la manière des jeunes +garçons[406]. Jean de Metz et Bertrand de Poulengy, avec Jean de +Honecourt et Julien, leurs servants, devaient l'accompagner, ainsi que +Colet de Vienne, messager du roi, et Richard, l'archer[407]. Il y eut +encore quelques hésitations, et l'on tint des conseils. Car les gens +d'armes d'Antoine de Lorraine, seigneur de Joinville, infestaient la +contrée. On ne voyait dans la campagne que gens faisant pilleries, +larcins, meurtres et tyrannies cruelles, prenant les femmes de force, +incendiant les églises et les abbayes et y commettant des péchés +abominables. C'était le temps le plus dur à passer qu'homme eût jamais +vu[408]. Mais la jeune fille ne craignait rien et disait: + +[Note 406: _Relation du greffier de La Rochelle_, dans _Revue +Historique_, _ibid._] + +[Note 407: _Procès_, t. II, pp. 406, 432, 442, 457; t. III, p. +209.--S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, pp. XCV, 143 note 3.--G. de +Braux et E. de Bouteiller, _Nouvelles recherches_, pp. XXIX et suiv.] + +[Note 408: _Les routiers en Lorraine_, dans _Journal de la Société +archéologique de Lorraine_, 1866, p. 161.--Dr A. Lapierre, _La guerre +de cent ans dans l'Argonne et le Rethélois_, Sedan, 1900, in-8º.] + +--En nom Dieu! menez-moi vers le gentil dauphin et ne faites doute que +vous ni moi n'aurons nul mal et nul empêchement[409]. + +[Note 409: _Chronique de la Pucelle_, p. 272 (texte assez suspect +à cause de sa tendance hagiographique).] + +Enfin, le mercredi 23 février, la petite troupe sortit de Vaucouleurs +par la porte de France[410]. + +[Note 410: _Procès_, t. I, p. 54; t. II, p. 437.--_Chronique du +Mont-Saint-Michel_, t. I, p. 30.--De Boismarmin, _Mémoire sur la date +de l'arrivée de Jeanne d'Arc à Chinon_, dans _Bulletin du Comité des +travaux historiques et scientifiques_, 1892, pp. 350-359.--Ulysse +Chevalier, _L'abjuration de Jeanne d'Arc_, p. 10, note 1.] + +Quelques amis l'avaient suivie jusque-là et la regardaient partir. Il +se trouvait parmi eux Henri Leroyer et Catherine, ses hôtes, et +messire Jean Colin, chanoine de Saint-Nicolas, près de Vaucouleurs, à +qui Jeanne s'était plusieurs fois confessée[411]. Songeant à la +longueur du chemin, aux périls du voyage, ils s'effrayaient pour leur +sainte. + +[Note 411: _Procès_, t. II, pp. 431, 446.] + +--Comment, lui disait-on, comment pourrez-vous faire un tel voyage, +quand il y a de tous côtés des gens de guerre? + +Mais elle répondait, dans la paix souriante de son coeur: + +--Je ne crains point les gens de guerre: j'ai mon chemin tout aplani. +S'il se trouve des hommes d'armes, messire Dieu saura bien me frayer +la route pour aller à messire le dauphin. Je suis venue pour +cela[412]. + +[Note 412: _Procès_, t. II, p. 449.] + +Sire Robert assistait au départ. Il fit jurer, selon la formule +usuelle, à tous les hommes d'armes de bien et sûrement conduire celle +qu'il leur confiait. Puis, comme il était homme de peu de foi, il dit +à Jeanne en manière d'adieu: + +--Va! et advienne que pourra[413]! + +[Note 413: _Ibid._, t. I, p. 55.] + +Et la petite troupe s'en fut dans la brume qui recouvre en cette +saison les prairies de la Meuse. + +Il fallait éviter les voies fréquentées, se garder surtout de passer +par Joinville, par Montiers-en-Saulx, par Sailly où se tenaient les +gens d'armes du parti contraire. Sire Bertrand et Jean de Metz, +accoutumés à ces sourdes chevauchées, connaissaient les chemins de +traverse et savaient prendre les précautions utiles, comme +d'envelopper de linges les pieds des chevaux pour amortir le bruit des +sabots sur le sol[414]. + +[Note 414: De Pimodan, _La première étape de Jeanne d'Arc_, Paris, +1891, in-8º, cartes.] + +À la nuit tombante la compagnie, ayant échappé à tous les dangers, +s'approcha de la rive droite de la Marne et atteignit l'abbaye de +Saint-Urbain[415]. C'était de temps immémorial un lieu d'asile, et, à +l'époque où nous sommes, elle avait pour abbé Arnoult d'Aulnoy, parent +de Robert de Baudricourt[416]. + +[Note 415: _Procès_, t. I, p. 54.] + +[Note 416: Jolibois, _Dictionnaire historique de la Haute-Marne_, +p. 492.] + +La porte du sévère édifice s'ouvrit aux voyageurs qui passèrent sous +la voûte en tiers-point[417]. L'abbaye renfermait un corps de logis +pour les étrangers. C'est là qu'ils trouvèrent le gîte de leur +première étape. + +[Note 417: De Pimodan, _La première étape de Jeanne d'Arc_, _loc. +cit._] + +L'église abbatiale s'élevait à droite de la porte extérieure; on y +gardait les reliques de saint Urbain, pape. Le 24 février, au matin, +Jeanne y entendit la messe conventuelle[418]. Puis elle se remit en +selle avec ses compagnons. Ils franchirent le pont sur la Marne +vis-à-vis de Saint-Urbain et poussèrent vers la France. + +[Note 418: _Procès_, t. I, pp. 54-55.] + +Ils avaient encore cent vingt-cinq lieues de pays à parcourir et trois +rivières à traverser dans une contrée infestée de brigands. Onze +jours, ils chevauchèrent; par crainte de l'ennemi, ils voyageaient la +nuit[419]. Pendant les couchées sur la paille, la jeune paysanne, +gardant ses chausses liées à son justaucorps, dormait tout habillée, +sous une couverture, entre Jean de Metz et Bertrand de Poulengy qui +lui inspiraient de la confiance. Ils ont dit depuis qu'ils n'eurent +point désir de cette fille à cause de la sainteté qu'ils voyaient en +elle[420]; on peut le croire ou ne le pas croire. Jean de Metz n'était +point échauffé d'une si grande foi dans cette inspirée, puisqu'il lui +demandait avec inquiétude: + +[Note 419: _Ibid._, t. II, pp. 437, 457.] + +[Note 420: _Procès_, t. II, p. 457.] + +--Ferez-vous bien ce que vous dites? + +À quoi elle répondait: + +--N'ayez crainte. Ce que je fais, je le fais par commandement. Mes +frères du Paradis me disent ce que j'ai à faire. Il y a déjà quatre ou +cinq ans que mes frères du Paradis et Messire m'ont dit qu'il fallait +que j'allasse en guerre pour recouvrer le royaume de France[421]. + +[Note 421: _Ibid._, t. II, p. 449.] + +Ces rudes compagnons n'éprouvaient pas tous en sa présence un respect +religieux; certains la moquaient et, par amusement, parlaient devant +elle comme s'ils étaient du parti des Anglais. Quelquefois, en manière +de plaisanterie, feignant une alerte, ils faisaient mine de tourner +bride. C'était de la malice perdue. Elle les croyait, mais elle +n'avait pas peur et disait gravement à ces gens qui pensaient +l'effrayer avec des Anglais: + +--Gardez-vous de fuir. En nom Dieu, ils ne vous feront pas de +mal[422]. + +[Note 422: _Ibid._, t. III, p. 199.] + +Et à l'approche de tout danger feint ou réel, il lui venait aux lèvres +des paroles de réconfort: + +--Ne craignez rien. Vous verrez comme à Chinon le gentil dauphin nous +fera bon visage[423]. + +[Note 423: _Procès_, t. II, pp. 437, 458.] + +Son plus grand chagrin était de ne pas faire aussi souvent qu'elle le +voulait ses dévotions aux églises. Elle répétait chaque jour: + +--Si nous pouvions, nous ferions bien d'entendre la messe[424]. + +[Note 424: _Ibid._, t. II, pp. 437, 457.] + +Évitant les grandes routes, ils ne se trouvaient guère à portée des +ponts et ils durent souvent passer à gué les rivières grossies par les +pluies. Ils traversèrent l'Aube près de Bar-sur-Aube, la Seine près de +Bar-sur-Seine, l'Yonne devant Auxerre, où Jeanne entendit la messe +dans l'église Saint-Étienne: puis ils atteignirent la ville de Gien, +assise sur la rive droite de la Loire[425]. + +[Note 425: _Ibid._, t. II, p. 54; t. III pp. 3-21.] + +Ces Lorrains voyaient enfin une ville française obéissant au roi de +France. Ils avaient fait soixante-quinze lieues en pays ennemi sans +être attaqués ni molestés, ce qui, par la suite, fut tenu pour +merveilleux. Mais était-il impossible à sept ou huit cavaliers +armagnacs de traverser sans malencontre les pays anglais ou +bourguignons? Le capitaine de Vaucouleurs faisait parvenir fréquemment +des lettres au dauphin, le dauphin lui envoyait des courriers; Colet +de Vienne[426] venait de porter son message. + +[Note 426: _Ibid._, t. II, pp. 406, 432, 445, 448, 457.] + +En fait, le péril n'était guère moindre pour les gens du dauphin dans +les provinces de son obéissance que dans les territoires soumis à +d'autres maîtres[427]. Les routiers à la solde du roi Charles ne +s'inquiétaient pas, pour piller et rançonner les voyageurs, de savoir +s'ils étaient Armagnacs ou Bourguignons, et c'est précisément après +avoir traversé la Loire que les compagnons de Bertrand de Poulengy se +trouvèrent exposés aux plus grands dangers. + +[Note 427: Monstrelet, t. V, p. 269.--Th. Basin, t. I, p. +44.--Bueil, _Le Jouvencel_, introduction.--Lettres de rémission, dans +E. Boularic, _Institutions militaires de la France avant les armées +permanentes..._, 1863, in-8º, p. 266.--_Récit du prieur de Droillet_, +éd. Quicherat, dans _Bibliothèque de l'École des Chartes_, IVe série, +t. III, p. 359.--Mantellier, _Histoire de la communauté des marchands +fréquentant la rivière de Loire_ t. I, p. 195.--Le P. H. Denifle, _La +désolation des églises, monastères hôpitaux en France, vers le milieu +du XVe siècle_, Mâcon, in-8º.] + +Avertis de leur venue, quelques hommes d'armes du parti français +allèrent au devant d'eux et se mirent en embuscade pour les +surprendre. Ils voulaient s'emparer de la jeune fille, la jeter dans +une fosse et l'y laisser sous une grosse pierre, comptant que le roi, +qui la faisait venir, donnerait beaucoup d'argent pour la ravoir[428]. +Les routiers et les soudoyers avaient coutume d'enfouir ainsi dans un +trou les voyageurs qu'ils délivraient ensuite, moyennant rançon. +Dix-huit ans auparavant, à Corbeil, cinq hommes avaient été mis dans +une fosse au pain et à l'eau, par des Bourguignons. Trois d'entre eux +moururent faute de pouvoir payer[429]. Il s'en manqua de peu que +Jeanne ne subît un traitement de ce genre. Mais les mauvais garnements +qui la guettaient, au moment de faire le coup restèrent tranquilles, +on ne sait pour quelle cause et peut-être par crainte de n'être pas +les plus forts[430]. + +[Note 428: _Procès_, t. III, p. 293.] + +[Note 429: Abbé J.-J. Bourassé, _Les miracles de madame Sainte +Katerine de Fierboys en Touraine, d'après un manuscrit de la +Bibliothèque Impériale_, Paris, in-12, 1858, p. 28.] + +[Note 430: Je joins ici ce que dit Seguin, _Procès_, t. III, p. +203, et ce que dit la Touroulde, _Procès_, t. III, pp. 86, 87. Il me +semble bien qu'il s'agit du même fait, rapporté sommairement par le +premier, inexactement par la seconde.] + +De Gien, la petite troupe longea la lisière nord du duché de Berry, +passa dans le Blaisois, traversa peut-être Selles-sur-Cher et +Saint-Aignan, puis, entrée en Touraine, atteignit les pentes vertes de +Fierbois[431]. C'était là que l'une des deux dames du Ciel qui +visitaient familièrement chaque jour la jeune paysanne avait son +sanctuaire le plus renommé; c'était là que sainte Catherine recevait +une foule de pèlerins et faisait de beaux miracles. La créance +populaire donnait à son culte, en ce lieu, une origine nationale et +guerrière qui remontait aux plus profondes antiquités françaises. On +contait que, vainqueur des Sarrasins à Poitiers, Charles-Martel avait +déposé son épée dans l'oratoire de la bienheureuse Catherine[432]. +Mais depuis lors ce sanctuaire, il fallait bien l'avouer, avait subi +l'injure d'un long abandon. Un peu plus de quarante ans avant la venue +de la fille de Domremy, ses murs, au fond d'un bois, disparaissaient +sous les ronces et les épines. + +[Note 431: _Procès_, t. I, pp. 56, 75; t. III, pp. 3, 21; t. V, p. +378.] + +[Note 432: Que sainte Catherine ait été connue en Occident un peu +avant les croisades, cela est possible, mais que son culte remonte à +Charles-Martel, non pas; il était du moins très vivace au temps de +Jeanne d'Arc. Cf. H. Moranvillé, _Un pèlerinage en Terre sainte et au +Sinaï au XVe siècle_, dans _Bibliothèque de l'École des Chartes_, t. +LXVI (1905), pp. 70 et suiv.] + +Il n'était pas rare alors que les saints et les saintes laissés dans +un injuste oubli vinssent eux-mêmes se plaindre à quelque pieuse +personne du tort qu'on leur faisait sur la terre. Ils apparaissaient +soit à un moine, soit à un paysan ou à un bourgeois, lui dénonçaient +en termes pressants, parfois assez vifs, l'impiété des fidèles et lui +donnaient l'ordre de rétablir leur culte et de relever leur +sanctuaire. C'est ce que fit madame sainte Catherine. En l'an 1375, +elle donna mission à un prud'homme du pays de Fierbois, nommé Jean +Godefroy, qui était aveugle et paralytique, de rétablir son oratoire +dans son éclat et sa célébrité, lui promettant guérison s'il faisait +neuvaine au lieu où Charles-Martel avait déposé son épée. Jean +Godefroy se fit porter à la chapelle abandonnée, mais il fallut +d'abord que ses valets ouvrissent, à force de coignée, un chemin à +travers les halliers. Madame sainte Catherine rendit à Jean Godefroy +l'usage de ses yeux et de ses membres, et ce fut par un bienfait +qu'elle rappela au peuple tourangeau sa gloire délaissée. L'oratoire +fut réparé; les fidèles en reprirent le chemin, et les miracles y +abondèrent. La sainte s'occupa d'abord de guérir les malades; puis, +quand le pays endura les guerres, elle s'employa spécialement à tirer +des mains des Anglais les prisonniers qui avaient recours à elle. +Parfois elle rendait les captifs invisibles à leurs gardiens, parfois +elle rompait liens, chaînes, serrures; témoin un gentilhomme du nom de +Cazin du Boys, qui fut pris, en 1418, avec la garnison de +Beaumont-sur-Oise. Mis dans une huche fermée à clef, liée d'une grosse +corde et sur laquelle dormait un Bourguignon, il s'y remémora madame +sainte Catherine et se voua à cette glorieuse vierge; aussitôt la +huche s'ouvrit. Parfois encore elle obligeait les Anglais à déferrer +eux-mêmes leurs prisonniers et à les renvoyer sans rançon. C'était un +grand miracle. Elle en opéra un non moins grand en faveur de Perrot +Chapon, de Saint-Sauveur, près Luzarches. Étant aux fers en chartre +anglaise, depuis un mois, Perrot Chapon se voua à madame Sainte +Catherine et s'endormit. Il se réveilla, tout enchaîné encore, dans sa +maison. + +Le plus souvent, elle aidait ceux qui s'aidaient eux-mêmes. Ainsi fit, +en 1424, Jean Ducoudray, natif de Saumur, qui, prisonnier au château +de Bellême, se recommanda dévotement à madame sainte Catherine, puis +sauta dehors, étrangla l'homme du guet, escalada le mur d'enceinte, se +laissa tomber d'une hauteur de deux lances et s'en alla librement par +les champs[433]. + +[Note 433: _Les miracles de madame sainte Katerine_, _passim_.--G. +Launay, _Notice..._, dans _Bull. Soc. archéol. du Vendômois, 1880_, t. +XIX, p. 23-25.] + +Peut-être ces miracles eussent-ils été moins fréquents si les Anglais +avaient entretenu plus de monde en France; mais ils manquaient +d'hommes: en Normandie, ils s'enfermaient dans les villes, abandonnant +les campagnes aux partisans qui battaient le pays, enlevaient les +convois et favorisaient de la sorte grandement l'intervention de +madame sainte Catherine[434]. + +[Note 434: G. Lefèvre-Pontalis, _La guerre des partisans dans la +Haute Normandie_ (1424-1429) dans _Bibliothèque de l'École des +Chartes_ (1893-1896).] + +Les captifs qui s'étaient voués à elle et qu'elle avait délivrés +faisaient, pour acquitter leur voeu, le glorieux pèlerinage de +Fierbois et venaient suspendre dans la chapelle leurs cordes, leurs +chaînes, leur harnois, ou par cas spécial, le harnois d'un ennemi. + +C'est ce qu'avait fait, neuf mois avant la venue de Jeanne à Fierbois, +un gentilhomme nommé Jean du Chastel. Il s'était échappé des mains +d'un capitaine qui l'accusait, en cela, de félonie, affirmant que du +Chastel lui avait donné sa foi. Du Chastel soutenait, au contraire, +qu'il n'avait rien juré; et il appela le capitaine en combat +singulier. L'issue du combat prouva le bon droit du gentilhomme +français; car, avec l'aide de madame sainte Catherine, il eut la +victoire. En reconnaissance, il vint offrir à sa sainte protectrice le +harnois de l'Anglais vaincu, en présence de monseigneur le bâtard +d'Orléans, du capitaine La Hire et de plusieurs autres seigneurs[435]. + +[Note 435: _Les miracles de madame sainte Katerine_, _passim_.] + +Jeanne dut se plaire à entendre de telles ou semblables merveilles +qu'on lui récita, et à voir tant d'armes suspendues aux murs de la +chapelle. Elle dut être bien aise que la sainte, qui la visitait à +toute heure et lui donnait conseil, se montrât si manifestement l'amie +des pauvres soldats et des paysans, la libératrice des prisonniers mis +en huche, en fosse, aux fers ou aux ceps par les Godons. + +Elle fit ses dévotions et entendit deux messes dans la chapelle[436]. + +[Note 436: _Procès_, t. I, p. 75.] + + + + +CHAPITRE V + +LE SIÈGE D'ORLÉANS, DU 12 OCTOBRE 1428 AU 6 MARS 1429. + + +Depuis la victoire de Verneuil et la conquête du Maine, les Anglais ne +gagnaient guère en France, et ce qu'ils y tenaient leur était moins +assuré que jamais[437]. S'ils épargnaient les terres du duc d'Orléans, +leur prisonnier, ce n'était point par vergogne. On disait bien, sur +les bords de la Loire, que ceux-là manquaient à l'honneur qui +prenaient les domaines d'un seigneur dont ils tenaient le corps[438], +mais en guerre où est le profit n'est point la honte. Le Régent ne +s'était pas fait scrupule de s'emparer du duché d'Alençon, alors que +le possesseur était prisonnier[439]. Ce qui est vrai c'est que le bon +duc Charles, par prières et finances, dissuada les Anglais d'attaquer +son duché. De 1424 à 1426, les habitants d'Orléans payèrent pour +obtenir abstinence de guerre[440]. Les Godons acceptaient d'autant +plus volontiers ces accommodements qu'ils se sentaient moins en état +d'entrer en campagne. Pendant la minorité de leur roi mi-anglais, +mi-français, le duc de Glocester, frère et lieutenant du Régent, et +son oncle, l'évêque de Winchester, chancelier du royaume, se prenaient +aux cheveux et leurs discordes ensanglantaient les rues de +Londres[441]. À la fin de l'année 1425, le Régent se rendit en +Angleterre où il passa dix-sept mois à calmer l'oncle et le neveu et à +rétablir la tranquillité publique. À force de finesse et d'énergie, il +y réussit assez pour rendre à ses compatriotes le désir et l'espoir +d'achever la conquête de la France. En 1428, le Parlement d'Angleterre +vota des subsides à cet effet[442]. + +[Note 437: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 190.--Alain +Chartier, _L'espérance ou consolation des trois vertus_, dans +_Oeuvres_, p. 271.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 14.] + +[Note 438: _Mistère du siège_, vers 497.] + +[Note 439: Perceval de Cagny, pp. 21-22.] + +[Note 440: _Chronique de la Pucelle_, p. 255.--_Chronique de +l'établissement de la fête_, dans _Procès_, t. V, p. 286.--Le Maire, +_Histoire et antiquités de la ville et duché d'Orléans_, Orléans, +1645, in-4º, pp. 129 et suiv.--Lottin, _Recherches historiques sur la +ville d'Orléans_, Orléans, 1836-1845 (7 vol. in-8º), t. I, p. 197.] + +[Note 441: Stevenson, _Letters and papers_, introduction, t. I, p. +XLVII.--De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. II, p. 17.] + +[Note 442: Rymer, _Foedera_, t. IV. part. IV, p. +135.--Mademoiselle A. de Villaret, _Campagne des Anglais dans +l'Orléanais, la Beauce chartraine et le Gâtinais_ (1421-1428), +Orléans, 1893, in-8º, pièces justif., p. 134.--Stevenson, _Letters and +papers_, t. I, pp. 403 et suiv.] + +Le plus subtil, le plus expert, le plus heureux en armes de tous les +princes et capitaines d'Angleterre, Thomas Montaigu, comte de +Salisbury et du Perche[443], qui avait beaucoup fait la guerre dans la +Normandie, dans la Champagne et dans le Maine, recruta en Angleterre +une armée en vue d'une expédition sur la Loire. Il trouva des archers +à sa suffisance; quant aux chevaliers et aux hommes d'armes, il eut du +mécompte. Seuls les gens de petit état voulaient aller se battre dans +un pays de famine[444]. Enfin, le noble lord, le beau cousin du roi +Henri passa la mer avec quatre cent quarante-neuf hommes d'armes et +deux mille deux cent cinquante archers[445]. Il trouva en France des +troupes recrutées par le Régent, quatre cents lances dont deux cents +normandes, à trois archers par lance suivant la coutume +d'Angleterre[446]. Il conduisit ces troupes à Paris où des résolutions +irrévocables furent prises[447]. Jusque-là on se disposait à prendre +la ville d'Angers; on décida en dernier lieu d'assiéger Orléans[448]. + +[Note 443: Monstrelet, t. IV, p. 300.] + +[Note 444: L. Jarry, _Le compte de l'armée anglaise au siège +d'Orléans_, 1428-1429, Orléans, 1892, in-8º, pp. 59 et suiv.] + +[Note 445: Monstrelet, t. IV, p. 293.--Rymer, _Foedera_, t. IV, +partie IV, pp. 132, 135, 138.] + +[Note 446: L. Jarry, _Le compte de l'armée anglaise_, pp. 26-27.] + +[Note 447: Monstrelet, t. IV, p. 294.--Stevenson, _Letters and +papers_, p. LXII.] + +[Note 448: Boucher de Molandon et A. de Beaucorps, _L'armée +anglaise vaincue par Jeanne d'Arc sous les murs d'Orléans_, Orléans, +1892, in-8º, p. 61.--L. Jarry, _loc. cit._] + +Entre la Beauce et la Sologne, en avant des provinces fidèles, +Touraine, Blaisois, Berry, la cité ducale se présentait à l'ennemi, +sur la Loire recourbée, comme sur l'arc tendu la pointe de la +flèche[449]. Évêché, université, marché du haut et bas pays, fière de +ses clochers, de ses flèches et de ses tours, qui levaient vers le +ciel la croix de Notre-Seigneur, les trois coeurs de lis de la ville +et les trois fleurs de lis de ses ducs, Orléans abritait, sous les +hauts toits d'ardoise de ses maisons de pierre ou de bois plantées sur +des rues tortueuses et sur de sombres venelles, quinze mille +habitants, officiers de justice et de finance, orfèvres, droguistes, +épiciers, tanneurs, bouchers, poissonniers, riches bourgeois fins +comme l'ambre, qui aimaient les beaux habits, les beaux logis, la +musique et la danse; curés, chanoines, régents et suppôts de +l'université, libraires, écrivains, imagiers, peintres, écoliers qui +n'étaient pas tous des fontaines de sapience, mais qui jouaient +joliment de la flûte; moines de toute robe, jacobins, cordeliers, +mathurins, carmes, augustins; et les artisans et les gens de métier, +forgerons, tonneliers, charpentiers, bateliers, pêcheurs[450]. + +[Note 449: Le Maire, _Antiquités_, p. 29.] + +[Note 450: Astesan dans _Paris et ses historiens_, par Le Roux de +Lincy et Tisserand, pp. 528 et suiv.--Le Maire, _Antiquités_, ch. XIX, +pp. 75 et suiv.--P. Mantellier, _Histoire du siège d'Orléans_, in-18, +pp. 22, 24.--E. Fournier, _Le Conteur Orléanais_, p. 111.--C. +Cuissard, _Étude sur la musique dans l'Orléanais_, Orléans, 1886, p. +50.--Jodocius Sincere, _Itinerarium Galliæ_, Amstelodami, 1655, pp. +24, 25.--Paul Charpentier et Cuissard, _Histoire du siège d'Orléans, +mémoire inédit de M. l'abbé Dubois_, Orléans, 1894, in-8º, p. 129.--De +Buzonnière, _Histoire architecturale de la ville d'Orléans_, 1849 (2 +vol. in-8º), t. I, p. 76.] + +D'origine romaine, la ville gardait la carrure qui lui avait été +donnée au temps de l'empereur Aurélien. Le côté du midi, qui longeait +la Loire, et le côté du nord, s'étendaient sur une ligne de trois +mille pieds. Les petits côtés du levant et du couchant n'avaient que +treize cent cinquante pieds de long. Elle était ceinte de murs épais +de six pieds et élevés de dix-huit à trente-trois pieds au-dessus du +fossé qui en noyait la base. Ces murs étaient flanqués de +trente-quatre tours, percés de cinq portes et de deux poternes[451]. +Voici l'emplacement de ces portes, poternes et tours, avec les noms de +celles qui firent parler d'elles durant le siège. + +[Note 451: Jollois, _Histoire du siège d'Orléans_, Paris, 1833, +in-4º, fig.--Lottin, _Recherches_, t. I, pp. 183 et suiv.] + +C'était, en allant de l'angle sud-est des murs à l'angle sud-ouest: la +tour Neuve, énorme et ronde, baignant dans la Loire: trois autres +tours portant sur les grèves; la poterne Chesneau qui seule, s'ouvrait +sur l'eau et qu'on fermait par une herse de fer: la tour de la +Croiche-Meuffroy, ainsi nommée de la croiche ou éperon qui, de son +pied, s'avançait dans la rivière; deux autres tours baignant dans la +Loire; la porte du Pont, avec pont-levis et flanquée de deux tours: la +tour de l'Abreuvoir; la tour Notre-Dame, qui tirait son nom d'une +chapelle adossée aux murs de la ville; la tour de la Barre-Flambert, +la dernière de ce côté, à l'angle sud-ouest de l'enceinte, et qui +barrait la rivière. Tout le long de la Loire, les murs étaient garnis +d'un parapet de pierre et munis de mâchicoulis crénelés, d'où l'on +pouvait lancer des carreaux et en cas d'escalade, renverser les +échelles. Les tours se dressaient à un jet d'arc les unes des autres. + +Sur le côté ouest, on comptait d'abord trois tours, puis les deux +tours de la porte qu'on appelait Regnard ou Renard, du nom des +bourgeois, possesseurs autrefois d'un hôtel y attenant, habité en 1428 +par Jacques Boucher, trésorier du duc d'Orléans; puis une autre tour, +et, enfin, la porte Bernier ou Bannier, à l'angle nord-ouest de +l'enceinte. Les remparts, de ce côté, avaient été construits à une +époque où déjà on faisait usage de l'arbalète qui portait plus loin +que l'arc: les tours étaient à un jet d'arbalète les unes des autres, +et les murs moins hauts qu'ailleurs. + +Du côté nord, qui regardait la forêt: dix tours distantes entre elles +d'une portée d'arc; la deuxième, celle de Saint-Samson, servait +d'arsenal; la sixième et la septième flanquaient la porte Parisis. + +Du côté de l'Est, dix tours également et à la même distance les unes +des autres que celles du Nord; la cinquième et la sixième étaient +celles de la porte de Bourgogne, dite aussi de Saint-Aignan, parce +qu'elle était proche de l'église de Saint-Aignan hors les murs; la +dernière était la grosse tour d'angle, dite tour Neuve, qui se trouve +ainsi comptée deux fois. + +Le pont de pierre, bordé de maisons, qui reliait la ville à la rive +gauche de la Loire, était renommé dans le monde entier. Il avait +dix-neuf arches d'ouvertures inégales. La première, sur laquelle on +passât en sortant de la ville par la porte du Pont, se nommait +l'Allouée ou pont Jacquemin-Rousselet; un pont-levis était pratiqué +dans sa voûte. La cinquième arche appuyait sa culée sur une île +étroite et longue, en forme de bateau, comme toutes ces îles des +fleuves. Elle s'appelait en amont Motte-Saint-Antoine, d'une chapelle +dédiée à ce saint, qui y était élevée; en aval Motte-des-Poissonniers, +parce qu'on y amarrait des bateaux dont le fond était percé, pour +conserver le poisson. En 1417, les Orléanais, prévoyant le cas où +l'ennemi ferait une descente dans cette île, avaient construit au delà +de la sixième arche une bastille, la bastille ou forteresse +Saint-Antoine, qui occupait toute la largeur du pont. Le pilier commun +à l'onzième et à la douzième arche portait, sur un socle de pierre +historiée, une croix de bronze doré. C'était, comme on disait, la +Belle-Croix. Sur la dix-huitième arche et ses deux piliers, formant +culée, s'élevait un châtelet composé de deux tours réunies par un +porche voûté. Ce châtelet avait nom les Tourelles. La dix-neuvième et +dernière arche portait, comme la première, un pont-levis. Après +l'avoir franchie on se trouvait sur le Portereau; et l'on avait devant +soi la route de Toulouse qui rejoignait, au delà du Loiret, sur les +hauteurs d'Olivet, la route de Blois[452]. + +[Note 452: Jollois, _Lettre à Messieurs les Membres de la Société +des Antiquaires de France, sur l'emplacement du fort des Tourelles de +l'ancien pont d'Orléans_, Paris, 1834, in-fº, fig.--Abbé Dubois, +_Histoire du siège_, dissertation, v. Lottin, _Recherches_, t. I, pp. +15-18.--Vergniaud Romagnési, _Des différentes enceintes de la ville +d'Orléans_, pp. 17-19.--A. Collin, _Le pont des Tourelles à Orléans_, +Orléans, 1895, in-8º.--Morosini, t. III, p. 13, note 2.] + +La Loire traînait alors ses eaux paresseuses entre des îles +recouvertes d'oseraies et de bouleaux, qui ont été enlevées depuis +pour rendre le passage plus aisé aux bateaux. Une lieue à l'est +d'Orléans, à la hauteur de Chécy, l'île aux Bourdons était séparée par +un mince bras de la rive de Sologne et par un étroit chenal, de +l'Île-aux-Boeufs, qui étalait, vers la rive de Beauce, devant +Combleux, ses herbages et ses buissons. Un bateau, s'il descendait le +cours du fleuve, côtoyait ensuite les deux îles Saint-Loup, et, +doublant la tour Neuve, glissait entre les deux petites îles des +Martinets, à droite, et l'Île-aux-Toiles à gauche. Puis il passait +sous le Pont qui traversait, comme nous l'avons vu, une île dite en +haut Motte-Saint-Antoine et en bas Motte-des-Poissonniers. Enfin, en +aval des remparts, vis-à-vis de Saint-Laurent-des-Orgerils, il +rencontrait les deux petites îles Biche-d'Orge et Charlemagne[453]. + +[Note 453: Jollois, _Histoire du siège_, planche 1.--Abbé Dubois, +_Histoire du siège_, pp. 193, 199.--Boucher de Molandon, _Première +expédition de Jeanne d'Arc_, p. 16.] + +Les faubourgs d'Orléans étaient les plus beaux du royaume. Au midi, le +faubourg batelier du Portereau, avec l'église et le couvent des +Augustins, s'étendait le long du fleuve, au pied des vignobles de +Saint-Jean-le-Blanc qui mûrissaient le meilleur vin du pays[454]. Plus +haut, sur les pentes douces conduisant au maigre plateau de Sologne, +le Loiret, ses sources agitées, ses eaux limpides, ses rives +ombreuses, les jardins et les fontaines d'Olivet, riaient aux regards +d'un ciel pluvieux et doux. + +[Note 454: Symphorien Guyon, _Histoire de l'église et diocèse +d'Orléans_, Orléans, 1647, t. I, préface.--Le Maire, _Antiquités_, p. +36.] + +Au levant, le faubourg de la porte Bourgogne était de tous le plus +peuplé et le mieux bâti. C'est là qu'on admirait l'église Saint-Michel +et l'église Saint-Aignan, dont le cloître passait pour une +merveille[455]. Au sortir de ce faubourg, en suivant, au bord des +vignes, le bras de sable ou d'eau que la Loire allongeait entre sa +berge et l'Île-aux-Boeufs, on atteignait, après un quart de lieue, la +côte roide de Saint-Loup, et, si l'on s'avançait encore à l'est, entre +la rivière et la route romaine d'Autun à Paris, on découvrait, l'un +après l'autre, les clochers de Saint-Jean-de-Bray, de Combleux et de +Chécy. + +[Note 455: _Journal du siège_, pp. 13, 15.--_Chronique de la +Pucelle_, p. 270.--Hubert, _Antiquités historiques de l'église royale +d'Orléans_, Orléans, 1661, in-8º.--Le Maire, _Antiquités_, p. +284.--Abbé Dubois, _Histoire du siège_, pp. 133, 205, 277 et +_passim_.--Jollois, _Histoire du siège_, p. 21.--H. Baraude, _Le siège +d'Orléans et Jeanne d'Arc_, Paris, 1906, pp. 10 et suiv.] + +Au nord de la ville, s'élevaient de beaux moustiers et de riches +églises, la chapelle Saint-Ladre, dans le cimetière; les Jacobins, les +Cordeliers, l'église de Saint-Pierre-Ensentelée. En plein nord, le +faubourg de la porte Bernier bordait la route de Paris et, tout +proche, s'étendait la sombre cité des loups, la profonde forêt de +chênes, de charmes, de hêtres et de bouleaux, où s'enfonçaient, comme +des bûcherons et des charbonniers, les villages de Fleury et de +Samoy[456]. + +[Note 456: Le Maire, _Antiquités_, p. 43.] + +[Illustration: Plan d'Orléans.] + +Au couchant, parmi les cultures, le faubourg de la porte Renard +longeait la route de Châteaudun, et le hameau de Saint-Laurent, la +route de Blois[457]. + +[Note 457: Abbé Dubois, _Histoire du siège_, p. 296.--Boucher de +Molandon, _Première expédition de Jeanne d'Arc, le ravitaillement +d'Orléans, nouveaux documents_, Orléans, 1874, gr. in-8º, plan +topographique: _Orléans, la Loire et ses îles en 1429._] + +Lorsque les gens des faubourgs se renfermèrent dans la cité à +l'approche des Anglais, le nombre des habitants fut plus que doublé, +tant ces faubourgs étaient amples et populeux[458]. + +[Note 458: Abbé Dubois, _Histoire du siège_, pp. 391, +399.--Jollois, _Histoire du siège_, pp. 41, 44.--P. Mantellier, +_Histoire du siège_, Orléans, 1867, in-8º, p. 24.--Lottin, _Recherches +sur Orléans_, t. I, p. 141.] + +Les habitants d'Orléans étaient résolus à combattre, non certes pour +l'honneur: un bourgeois, en ce temps-là, ne s'attirait aucun honneur à +défendre sa ville; par contre il y courait un terrible danger. La +ville prise, les hauts et riches seigneurs, qui se trouvaient pris +avec, en étaient quittes pour payer rançon, et le vainqueur leur +faisait bonne chère; les menus et pauvres seigneurs risquaient +davantage. En cette année 1428, les gentilshommes qui défendirent +Melun et se rendirent après avoir mangé leurs chevaux et leurs chiens, +furent noyés dans la Seine. «Rien n'y valut hautesse», dit une chanson +bourguignonne[459]. Ordinairement hautesse valait la vie sauve. Quant +aux bourgeois assez courageux pour s'être défendus, ils avaient chance +d'être mis à mort. Il n'existait pas de règles fixes à leur égard; +tantôt on en pendait plusieurs, tantôt un seul, tantôt on les pendait +tous; il était loisible aussi de leur couper la tête ou de les jeter à +l'eau, cousus dans un sac. En cette même année 1428, les capitaines La +Hire et Poton ayant manqué leur coup de main sur Le Mans et décampé à +propos, les bourgeois qui les avaient aidés furent décapités place du +Cloître-Saint-Julien, sur la pierre Olet, par ordre de ce même William +Pole, comte de Suffolk, qui débridait déjà à Olivet, et de ce même +John Talbot, le plus courtois des chevaliers anglais, qui allait +bientôt venir[460]. Exemple suffisant pour instruire les citoyens +d'Orléans. + +[Note 459: Le Roux de Lincy, _Chants historiques et populaires du +temps de Charles VII_, Paris, 1862, in-18, p. 28.] + +[Note 460: _Journal d'un bourgeois de Paris_, pp. 225-226.--_Geste +des Nobles_, p. 202.--_Chronique de la Pucelle_, p. 251.--Jean +Chartier, _Chronique_, t. I, p. 59.--Jarry, _Le compte de l'armée +anglaise_, pp. 107-112.] + +La ville, sous l'autorité d'un gouverneur, s'administrait elle-même au +moyen de douze procureurs élus par le suffrage des bourgeois pour deux +ans, moyennant l'approbation du gouverneur[461]. Ces procureurs +risquaient plus que les autres citoyens, et l'un d'eux, quand il +passait par le cloître Saint-Sulpice, où l'on mettait à mort les +condamnés, songeait sans doute qu'avant un an il pourrait bien être +justicié là pour avoir défendu l'héritage de son seigneur. Les douze +étaient résolus à défendre cet héritage et ils agissaient avec +promptitude et sagesse pour le salut commun. + +[Note 461: Lottin, _Recherches_, t. I, pp. 164, 171.--P. +Mantellier, _Histoire du siège_, p. 25.] + +Les Orléanais n'étaient pas pris au dépourvu. Leurs pères avaient vu +de près les Anglais et mis la ville en état de défense. Eux-mêmes, en +l'an 1425, s'étaient si bien attendus à subir un siège, qu'ils avaient +amassé des armes dans la tour Saint-Samson et que tous, riches ou +pauvres, avaient été requis pour creuser des fossés et construire des +boulevards[462]. La guerre a toujours coûté cher. Ils consacraient, +chaque année, les trois quarts du revenu de la ville à l'entretien des +remparts et de l'armement. Avertis que le comte de Salisbury +approchait, ils se préparèrent avec une merveilleuse ardeur à le +recevoir. Les murs, hors ceux qui regardaient la rivière, étaient sans +parapets, mais il y avait dans les magasins des pieux et des traverses +destinés à faire des garde-fous. On les monta et l'on établit des +mantelets dans lesquels étaient pratiquées des barbacanes en +charpente, afin que, du haut des murs habillés de la sorte, les +défenseurs pussent tirer à couvert[463]. On établit, à l'entrée de +chaque faubourg, des barrières de bois, avec un corps de garde et une +loge pour le portier chargé de les ouvrir et de les fermer. Les +remparts, bastilles et boulevards furent munis de soixante et onze +bouches à feu, tant canons que bombardes, sans compter les +couleuvrines. On tira de la carrière de Montmaillard, située à trois +lieues de la ville, des pierres que les artisans façonnaient en +boulets de canon; on fit venir à grands frais du plomb, de la poudre +et du soufre, que les femmes finaient pour le service des canons et +des couleuvrines. On fabriquait chaque jour par milliers des flèches, +des traits, des fûts de viretons aboutés de pointes de fer et empennés +de parchemin, et nombre de pavas, grands boucliers faits de douves +assemblées à tenons et mortaises et recouvertes de cuir. On acheta du +blé, du vin, du bétail à force pour la nourriture des habitants et des +hommes d'armes qu'on attendait, gens du roi et routiers[464]. + +[Note 462: Le religieux de Dunfermling, dans _Procès_, t. V, p. +341.--Le Maire, _Antiquités_, pp. 283 et suiv.--Lottin, _Recherches_, +t. I, pp. 160-161.] + +[Note 463: Jollois, _Histoire du siège_, p. 6.--Lottin, +_Recherches_, t. I, pp. 202-205.] + +[Note 464: Comptes de forteresses, dans _Journal du siège_, pp. +301 et suiv.--Jollois, _Histoire du siège_, p. 12.--P. Mantellier, +_Histoire du siège_, pp. 15-17.--Loiseleur, _Comptes des dépenses +faites par Charles VII pour secourir Orléans pendant le siège de +1428_, Orléans, 1868, in-8º, p. 113.--Boucher de Molandon et de +Beaucorps, _L'armée anglaise vaincue par Jeanne d'Arc_, p. 81.] + +Par un privilège dont ils se montraient fort jaloux, les habitants +avaient la garde de leurs remparts. Ils étaient répartis par corps de +métiers en autant de compagnies qu'il y avait de tours. Se gardant +eux-mêmes, ils jouissaient du droit de ne pas recevoir garnison dans +leurs murs. Ce droit leur était précieux parce qu'il leur évitait +d'être pillés et dérobés, incendiés et molestés à tout moment par les +gens du roi. Ils y renoncèrent avec empressement, sentant bien que +seuls, avec leur milice civique et les milices des communes, +c'est-à-dire les paysans, ils ne pourraient soutenir l'effort d'un +siège et qu'il leur fallait, pour bien faire, des hommes de cheval +tenant roidement la lance et des gens de pied habiles à manoeuvrer +l'arbalète. Tandis que le sire de Gaucourt, leur gouverneur, et +monseigneur le Bâtard d'Orléans, lieutenant général du roi, se +rendaient à Chinon et à Poitiers pour obtenir des conseillers du roi +assez d'hommes et d'argent[465], des bourgeois partaient en mission, +deux par deux, et allaient jusqu'en Bourbonnais et en Languedoc +demander des secours aux villes[466]. Les procureurs faisaient appel +aux routiers qui tenaient la campagne pour les fleurs de lis et leur +annonçaient, par les deux hérauts de la ville, Orléans et +Coeur-de-Lis, qu'il y avait chez eux de l'or et de l'argent en +abondance, des vivres et des armes pour nourrir et armer deux mille +combattants pendant deux ans, et que tout gentil et honnête capitaine +qui voudrait défendre leur ville avec eux le pourrait faire, et qu'on +se battrait à mort[467]. + +[Note 465: Compte de Hémon Raguier, Bibl. Nat., Fr. 7858, fol. +41--Loiseleur, _Comptes des dépenses_, p. 65.--Pallet, _Nouvelle +Histoire du Berry_, t. III, pp. 78-80.--Vallet de Viriville, dans +_Bulletin de la Société d'Histoire de France_.--_Cabinet Historique_, +V, 2e partie, 107.--P. Mantellier, _Histoire du siège_, p. 15.] + +[Note 466: A. Thomas, _Le siège d'Orléans, Jeanne d'Arc et les +capitouls de Toulouse_, dans _Annales du Midi_, avril 1889, p. +232.--M. Boudet, _Villandrando et les écorcheurs à Saint-Flour_, pp. +18 et 19.--A. de Villaret, _Campagne des Anglais_, p. 61.] + +[Note 467: Le religieux de Dunfermling, dans _Procès_, t. V, p. +341.] + +Les habitants d'Orléans craignaient Dieu. En ce temps-là Dieu se +faisait beaucoup craindre; il était presque aussi terrible qu'au temps +des Philistins. Les pauvres pécheurs avaient peur d'être mal reçus +s'ils s'adressaient à lui dans leurs afflictions; mieux valait, +croyaient-ils, prendre un biais et recourir à l'intercession de +Notre-Dame et des saints. Dieu respectait sa mère et s'efforçait de +lui complaire en toute occurrence. Il montrait pareillement de la +déférence aux bienheureux assis à ses côtés dans le paradis et +écoulait volontiers les requêtes qu'ils lui présentaient. Aussi +était-ce la coutume, en cas de grande nécessité, de faire des prières +et des présents aux saints pour les rendre favorables. Les bourgeois +d'Orléans se rappelèrent à propos Monsieur saint Euverte et Monsieur +saint Aignan, patrons de leur ville. Saint Euverte s'était assis très +anciennement dans le siège épiscopal occupé en 1428 par messire Jean +de Saint-Michel, écossais, et il y avait resplendi de toutes les +vertus apostoliques[468]. Saint-Aignan, son successeur, avait obtenu +de Dieu qu'il regardât sa ville dans un péril semblable à celui +qu'elle courait présentement. Voici son histoire telle que les +Orléanais la savaient: + +[Note 468: _Journal du siège_, p. 51.--_Chronique de la fête_ dans +_Procès_, t. V, p. 296.--Lottin, _Recherches_, t. I, pp. 27-31.] + +Le bienheureux Aignan s'était retiré dès sa jeunesse dans une solitude près +d'Orléans. Saint Euverte, alors évêque de cette ville, l'y découvrit, +l'ordonna prêtre, l'institua abbé de Saint-Laurent-des-Orgerils et le +désigna pour son successeur dans le gouvernement des fidèles. Et quand +saint Euverte eut trépassé de cette vie à l'autre, le bienheureux Aignan +fut proclamé évêque, du consentement du peuple orléanais, par la voix +d'un petit enfant. Car Dieu, qui tire sa louange de la bouche des +enfants, permit que l'un d'eux, porté dans ses langes sur l'autel, +parlât et dit: «Aignan, Aignan, Aignan est élu de Dieu pour être évêque +de cette ville.» Or, dans la soixantième année de son pontificat, les +Huns envahirent la Gaule, conduits par Attila, leur roi, qui publiait +que devant lui les étoiles tombaient, la terre tremblait, et qu'il était +le marteau du monde, _stellas pre se cadere, terram tremere, se malleum +esse universi orbis_. Toutes les villes qu'il avait rencontrées sur son +chemin, il les avait détruites, et il marchait sur Orléans. Alors le +bienheureux Aignan alla trouver dans la cité d'Arles le patrice Aetius, +qui commandait l'armée romaine, et lui demanda son aide en un si grand +péril. Ayant obtenu du patrice promesse de secours, Aignan revint dans +sa ville épiscopale qu'il trouva entourée de guerriers barbares. Les +Huns avaient fait des brèches dans les murs, et ils se préparaient à +donner l'assaut. Le bienheureux monta sur le rempart, se mit à genoux, +pria, et, ayant prié, cracha sur les ennemis. Cette goutte d'eau fut +suivie, par la volonté de Dieu, de toutes les gouttes d'eau suspendues +dans le ciel; un orage éclata, une pluie si abondante tomba sur les +barbares, que leur camp en fut noyé; leurs tentes s'abattirent sous la +force des vents, et plusieurs d'entre eux périrent frappés de la foudre. +La pluie dura trois jours, après lesquels Attila fit battre par de +puissantes machines les remparts de la cité. Les habitants voyaient avec +épouvante tomber leurs murailles. Quand tout espoir de résister fut +perdu, le saint évêque alla, revêtu de ses habits sacerdotaux, vers le +roi des Huns et l'adjura d'avoir pitié du peuple orléanais, le menaçant +de l'ire céleste s'il était dur aux vaincus. Ces prières et ces menaces +ne changèrent pas le coeur d'Attila. L'évêque, revenu parmi ses fidèles, +les avertit qu'ils ne devaient s'assurer qu'en la puissance de Dieu, +mais que ce secours ne leur manquerait pas. Et bientôt, selon la +promesse qu'il leur avait donnée, Dieu délivra la ville par le moyen des +Romains et des Français, qui défirent les Huns dans une grande bataille. +Peu de temps après cette merveilleuse délivrance de sa ville bien-aimée, +saint Aignan s'endormit dans le Seigneur[469]. + +[Note 469: Hubert, _Antiquitez historiques de l'église royale de +Saint-Aignan d'Orléans_, Orléans, 1661, in-8º, pp. 1-15.] + +C'est pourquoi, en ce grand péril où les mettaient les Anglais, les +citoyens d'Orléans attendaient de Monsieur saint Euverte et de +Monsieur saint Aignan aide et réconfort. Aux merveilles que saint +Aignan avait accomplies dans sa vie mortelle, ils mesuraient les +miracles qu'il pouvait opérer maintenant qu'il était au Paradis. Ces +deux confesseurs avaient, dans le faubourg de Bourgogne, chacun son +église où l'on gardait précieusement leur corps[470]. Les os des +martyrs et des confesseurs inspiraient alors une vénération profonde. +Ils répandaient parfois, disait-on, une odeur balsamique, ce qui +signifiait les grâces qui en émanaient. On les enfermait dans des +châsses dorées et semées de pierres précieuses et il n'est point de +miracle qu'on ne pensât obtenir par le moyen de ces saintes reliques. +Le 6 août 1428, le clergé de la ville alla prendre dans l'église où +elle était conservée la châsse de Monsieur saint Euverte et la porta +autour des murs, afin qu'ils en fussent affermis, et la châsse vénérée +fit le tour de la cité, suivie du peuple entier. Le 8 septembre, un +tortis de cent dix livres fut offert à Monsieur saint Aignan. Pour les +gagner, on faisait aux saints, quand on avait besoin d'eux, des +présents de toute nature, robes, joyaux, argent monnayé, maisons, +terres, bois, étangs; mais on pensait que la cire vierge leur était +particulièrement agréable. Un tortis était une rouelle de cire sur +laquelle on plantait des cierges et deux petits panonceaux aux armes +de la ville[471]. + +[Note 470: _Procès_, t. III, p. 32.--_Journal du siège_, p. +14.--Hubert, _loc. cit._, chap. III-IV.--Lottin, _Recherches_, t. I, +pp. 82-83.] + +[Note 471: Le Maire, _Antiquités_, p. 285.--P. Mantellier, +_Histoire du siège_, p. 16.] + +Ainsi les Orléanais travaillaient à se munir et protéger. + +Des aventuriers de tout pays répondaient à l'appel des procureurs. +Messire Archambaud de Villars, capitaine de Montargis; Guillaume de +Chaumont, seigneur de Guitry; messire Pierre de la Chapelle, +gentilhomme beauceron; Raimond Arnaud de Corraze, chevalier béarnais; +don Mathias d'Aragon, Jean de Saintrailles et Poton de Saintrailles +accoururent les premiers. L'abbé de Cerquenceaux, naguère étudiant à +l'Université d'Orléans, arriva à la tête d'une bande de +partisans[472]. Il entra ainsi dans la ville à peu près autant d'amis +qu'on attendait d'ennemis. On les solda, on leur fournit pain, chair, +poisson, fourrage en abondance, et l'on défonça pour eux des tonneaux +de vin. Dans les premiers jours les habitants les traitèrent comme +leurs propres enfants. Ils se les partagèrent entre eux et les +nourrirent de ce qu'ils avaient. Mais cette concorde ne régna pas +longtemps, et, quoi qu'en dise une tradition conciliante[473], les +choses ne se passèrent pas à Orléans différemment que dans les autres +villes assiégées: les bourgeois ne tardèrent pas à se plaindre de la +garnison. + +[Note 472: _Chronique de la Pucelle_, pp. 257-258.--_Journal du +siège_, pp. 6-7.--Lottin, _Recherches_, t. I, p. 204.--J. Devaux, _Le +Gâtinais au temps de Jeanne d'Arc_, dans _Ann. Soc. hist. et arch. du +Gâtinais_, V, 1887, p. 220.] + +[Note 473: _Journal du siège_, p. 92.] + +Le 5 septembre, le comte de Salisbury parvint à Janville après s'être +emparé sans peine de quarante villes, églises fortes ou châteaux. Et +ce n'était pas le meilleur de son affaire; car si peu de monde qu'il +eût laissé dans chaque place, il avait semé en route une partie de son +armée, déjà trop encline à s'égrener[474]. + +[Note 474: _Geste des Nobles_, p. 204.--_Chronique de la Pucelle_, +p. 256.--Lettre de Salisbury à la Commune de Londres, dans Delpit, +_Collection de documents français qui se trouvent en Angleterre_, pp. +236-237.--Jarry, _Le compte de l'armée anglaise_, pp. 79-89.] + +Il envoya de Janville deux hérauts à Orléans pour sommer les habitants +de se rendre. Les procureurs logèrent ces hérauts honorablement dans +le faubourg Bannier, à l'hôtel de la Pomme, et leur remirent un +présent de vin pour le comte de Salisbury, car ils savaient à quoi le +devoir les obligeait envers un si haut prince; mais ils refusèrent +d'ouvrir leurs portes à une garnison anglaise, alléguant sans doute, +selon la coutume des bourgeois d'alors, qu'ils ne le pouvaient pas, +ayant plus forts qu'eux dans leurs murs[475]. + +[Note 475: Abbé Dubois, _Histoire du siège_, p. 11.--Jarry, _Le +compte de l'armée anglaise_, p. 82.--Boucher de Molandon, _Les comptes +de ville d'Orléans des quatorzième et quinzième siècles_, Orléans, +1880, in-8º, pp. 91 et suiv.] + +Le 6 octobre, le péril approchant, prêtres, bourgeois, notables +marchands, artisans, les femmes, les enfants, firent une belle +procession avec croix et bannières, chantant des psaumes et invoquant +les gardiens célestes de la cité[476]. + +[Note 476: Lottin, _Recherches_, t. I, p. 205.--P. Mantellier, +_Histoire du siège_, p. 17.] + +Le mardi 12 du même mois, à la nouvelle que l'ennemi venait par la +Sologne, les procureurs envoyèrent des gens de guerre abattre les +maisons du Portereau, faubourg de la rive gauche, l'église et le +couvent des Augustins, qui s'élevaient dans ce faubourg, ainsi que +tous les bâtiments où l'ennemi pouvait se loger et se retrancher. Les +gens de guerre furent pris de court. Ce jour même les Anglais +occupèrent Olivet et se montrèrent au Portereau[477]. + +[Note 477: _Journal du siège_, p. 4.] + +Là se rassemblaient les vainqueurs de Verneuil, la fleur de la +chevalerie anglaise: Thomas, seigneur de Scales et de Nucelles, +capitaine de Pontorson, que le roi d'Angleterre appelait son cousin; +William Neville, lord Falcombridge; Richard Guethin, chevalier +gallois, bailli d'Évreux; lord Richard Gray, neveu du comte de +Salisbury; Gilbert Halsall, Richard Panyngel, Thomas Guérard, +chevaliers, et d'autres encore de haute renommée. + +Sur les deux cents lances de Normandie flottaient les étendards de +William Pole, comte de Suffolk, et de John Pole, deux frères issus +d'un compagnon du duc Guillaume; de Thomas Rampston, chevalier +banneret, chambellan du Régent; de Richard Walter, écuyer, capitaine +de Conches, bailli et capitaine d'Évreux; de William Molins, +chevalier; de William Glasdall, que les Français nommaient Glacidas, +écuyer, bailli d'Alençon, homme de petite naissance[478]. + +[Note 478: _Journal du siège_, pp. 2-4.--Boucher de Molandon et de +Beaucorps, _L'armée anglaise vaincue par Jeanne d'Arc_, p. 129.] + +Les archers étaient tous à cheval. Il n'y avait, autant dire, point de +fantassins. Des chariots attelés de boeufs traînaient les barils de +poudre, les arbalètes, les traits, les canons de toutes sortes, canons +à main, «fowlers» et grosses pièces, et les pierres à canons. Les +deux maîtres de l'artillerie anglaise, Philibert de Moslant et +Guillaume Appilby, accompagnaient les troupes. Il s'y trouvait aussi +deux maîtres mineurs avec trente-huit ouvriers. Les femmes ne +manquaient pas, dont plusieurs servaient d'espions[479]. + +[Note 479: L. Jarry, _Le compte de l'année anglaise_, pp. 26, 28, +29.--Boucher de Molandon et de Beaucorps, _L'armée anglaise vaincue +par Jeanne d'Arc_, pp. 50 et suiv.--Mademoiselle A. de Villaret, +_Campagne des Anglais_, ch. IV, pp. 39, 53; comptes du siège, n{os} +30, 31, p. 214.--Lottin, _Recherches_, t. I, p. 205.] + +Cette armée arrivait, à vrai dire, très diminuée par les délections, +ayant de victoire en victoire semé des fuyards. Les uns s'en +retournaient en Angleterre, les autres allaient par le royaume de +France pillant et dérobant. Ce même jour du 12 octobre, ordre était +envoyé de Rouen aux baillis et capitaines de Normandie d'arrêter les +Anglais qui s'étaient départis de la compagnie de monseigneur le comte +de Salisbury[480]. + +[Note 480: L. Jarry, _Le compte de l'armée anglaise_, p. 61.] + +Le fort des Tourelles et son boulevard fermaient l'entrée du pont. Les +Anglais s'établirent au Portereau, placèrent leurs canons et leurs +bombardes sur la levée de Saint-Jean-le-Blanc[481], et, le dimanche +qui suivit, ils lancèrent sur la ville force boulets de pierre, qui +firent grand dommage aux maisons, mais ne tuèrent personne, sinon une +Orléanaise, nommée Belles, demeurant près de la poterne Chesneau, au +bord de la rivière. Ainsi commença par la mort d'une femme ce siège +qui devait finir par la victoire d'une femme. + +[Note 481: _Chronique de la Pucelle_, p. 258.--Jean Chartier, +_Chronique_, p. 66.--Jean Raoulet dans Chartier, _Chronique_, t. III, +p. 198.--_Journal du siège_, pp. 1, 2.--Abbé Dubois, _Histoire du +siège_, p. 246.--P. Mantellier, _Histoire du siège_, p. 27.--H. +Baraude, _Le siège d'Orléans et Jeanne d'Arc_, p. 31.] + +Cette même semaine les canons anglais détruisirent douze moulins à eau +établis près de la tour Neuve. Sur quoi les Orléanais, pour ne pas +manquer de farine, construisirent dans la ville onze moulins à +chevaux[482]. Il y eut quelques escarmouches en avant du pont, et le +jeudi 21 octobre les Anglais donnèrent l'assaut au boulevard des +Tourelles. La petite troupe de routiers au service de la ville et les +milices bourgeoises firent une belle défense. Les femmes les aidèrent. +Pendant les quatre heures que dura l'assaut, les commères en longues +files couraient sur le pont, portant au boulevard leurs marmites et +leurs écuelles pleines de charbons allumés, d'huile et de graisse +bouillantes, avec une joie furieuse d'échauder les Godons[483]. +L'assaut fut repoussé, mais, deux jours après, les Français +s'aperçurent que le boulevard était miné; c'est-à-dire que les Anglais +avaient creusé en dessous des galeries dont ils avaient ensuite +incendié les étais. Ce boulevard, devenu intenable, au dire des gens +de guerre, fut détruit et abandonné. On ne crut pas pouvoir défendre +les Tourelles ainsi démunies. Ces châtelets qui, jadis, arrêtaient +pendant des mois toute une armée, ne valaient plus rien contre les +pierres de canon. On construisit en avant de la Belle-Croix un +boulevard de terre et de bois, on coupa deux arches du pont en arrière +du boulevard, on mit à la place un tablier mobile. Et quand ce fut +fait, on laissa, non sans regret, le fort des Tourelles aux Anglais, +qui firent un boulevard de terre et de fagots sur le pont, et +rompirent deux arches, l'une en avant, l'autre en arrière de leur +boulevard[484]. + +[Note 482: _Journal du siège_, p. 4.] + +[Note 483: _Ibid._, p. 7-8.--Lottin, _Recherches_, t. I, pp. 208, +210.] + +[Note 484: _Journal du siège_, pp. 5 à 8.] + +Le dimanche, vers le soir, quelques heures après que l'étendard de +saint Georges eut été planté sur le fort, le comte de Salisbury monta +dans une des tours avec William Glasdale et quelques capitaines, pour +observer l'assiette de la ville. S'approchant d'une fenêtre, il vit +les murs armés de canons, les tours coiffées en pointe ou terminées en +terrasse, l'enceinte sèche et grise, les faubourgs ornés, pour +quelques jours encore, de la pierre dentelée de leurs églises et de +leurs moustiers, les vignes et les bois jaunis par l'automne, la Loire +et ses îles ovales endormies dans la paix du soir. Il cherchait le +point faible des remparts, l'endroit où il pourrait faire brèche et +appuyer les échelles. Car son projet était de prendre Orléans +d'assaut. William Glasdale lui dit: + +--Monseigneur, regardez bien votre ville. Vous la voyez d'ici bien à +plain. + +À ce moment, un boulet de canon écorne l'embrasure de la fenêtre, une +pierre de la muraille va frapper Salisbury et lui emporte un oeil +avec la moitié du visage. Le coup était parti de la tour Notre-Dame. +C'est du moins ce qu'on s'accorda à croire. On ne sut jamais qui +l'avait tiré. Un homme de la ville, accouru au bruit, vit un enfant +qui s'échappait de la tour et le canon déserté. On pensa que cette +pierre avait été lancée par la main d'un innocent, avec la permission +de la Mère de Dieu, irritée de ce que le comte de Salisbury avait +dépouillé les moines et pillé l'église Notre-Dame-de-Cléry. On disait +encore qu'il était puni pour avoir manqué à son serment, ayant promis +au duc d'Orléans de respecter ses terres et ses villes. Porté +secrètement à Meung-sur-Loire, il y trépassa le mercredi 27 d'octobre; +de quoi les Anglais furent dolents[485]. La plupart d'entre eux +estimaient qu'ils perdaient gros à la mort de ce chef qui menait le +siège avec vigueur et avait, en moins de douze jours, enlevé le joyau +de guerre des Orléanais, les Tourelles; mais d'autres jugeaient qu'il +avait été bien simple de croire que ses boulets de pierre, après avoir +traversé les eaux et les sables d'un large fleuve, renverseraient le +mur épais contre lequel ils arrivaient essoufflés et mourants, et +qu'il avait été bien fou de vouloir emporter de force une ville qu'on +ne pouvait réduire que par la famine. Et ils songeaient: «Il est mort. +Dieu ait son âme! Mais il nous a mis dans de vilains draps.» + +[Note 485: _Journal du siège_, pp. 10, 12.--_Chronique de la +Pucelle_, p. 264.--Monstrelet, t. IV, p. 298.--Jean Chartier, +_Chronique_, t. I, p. 63.--_Mistère d'Orléans_, vers 3104 et +suiv.--_Chronique de la fête_, dans _Procès_, t. V, p. 288.--Morosini, +t. III, p. 131.--Lorenzo Buonincontro, dans Muratori, _Rerum +Italicarum Scriptores_, t. XXI, col. 136.--Jarry, _Le compte de +l'armée anglaise_, pp. 85-86.] + +On conta que maître Jean des Builhons, astrologue fameux, avait prédit +cette mort[486], et que le comte de Salisbury, la nuit d'avant le jour +funeste, avait rêvé qu'un loup l'égratignait. Un clerc normand fit de +cette male mort deux chansons, l'une contre et l'autre pour les +Anglais. La première, qui est la meilleure, se termine par un couplet +digne, en sa profonde sagesse, du roi Salomon lui-même[487]: + + Certes le duc de Bedefort, + Se sage est, il se tendra + Avec sa femme en ung fort, + Chaudement le mieulx[488] que il porra, + De bon ypocras finera. + Garde son corps, lesse la guerre: + Povre et riche porrist en terre. + +[Note 486: _Procès_, t. IV, p. 345.--_Chronique de la Pucelle_, p. +263.--_Journal du siège_, p. 10.--Vallet de Viriville, _Histoire de +Charles VII_, t. II, p. 32.] + +[Note 487: L. Jarry, _Deux chansons normandes_, Orléans, 1894, +in-8º, p. 11.] + +[Note 488: Le texte publié par M. Jarry porte «mielux».] + +Le lendemain de la perte des Tourelles et quand on y avait déjà +remédié autant que possible, le lieutenant général du roi entra dans +la ville. C'était le seigneur Jean, bâtard d'Orléans, comte de Porcien +et de Mortaing, grand chambellan de France, fils du duc Louis, +assassiné en 1407 par l'ordre de Jean-Sans-Peur et dont la mort avait +armé les Armagnacs contre les Bourguignons. La dame de Cany, sa mère, +l'avait «robé» à la duchesse d'Orléans. Non seulement, il ne nuisait +en rien aux enfants d'être conçus en adultère et autrement qu'en +légitime mariage, mais encore c'était grand honneur que de se pouvoir +dire bâtard de prince. Jamais on n'avait vu tant de bâtards qu'en ces +temps de guerre et l'on faisait courir ce dicton: Les enfants sont +comme le froment: semez du blé volé, il poussera aussi bien que +d'autre[489]. Le Bâtard d'Orléans avait alors tout au plus vingt-six +ans. L'année précédente, en petite compagnie, il avait couru porter +des vivres aux habitants de Montargis, assiégés par le comte de +Warwick. La ville qu'il venait seulement ravitailler, il l'avait +délivrée, avec l'aide du capitaine La Hire, ce qui était de bon augure +pour Orléans[490]. Le Bâtard était déjà le plus adroit seigneur de son +temps. Il savait la grammaire et l'astrologie et parlait mieux que +personne[491]. Il tenait de son père par son esprit aimable et clair, +mais il était plus prudent et plus tempéré. En le voyant si aimable, +courtois et avisé, on disait qu'il était en la grâce de toutes les +dames et même de la reine[492]. Il était apte à tout, à la guerre +comme aux négociations, merveilleusement adroit, et d'une +dissimulation consommée. + +[Note 489: Vallet de Viriville, _Histoire de Charles VII_, t. I, +p. 25; t. II, p. 389.] + +[Note 490: Monstrelet, t. IV, pp. 273, 274.--_Chronique du la +Pucelle_, pp. 243, 247.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. +54.--_Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 221.--_Cronique +Martiniane_, p. 7.] + +[Note 491: Jean Chartier, _Chronique_, t. II, p. 105.] + +[Note 492: Mathieu d'Escouchy, _Chronique_, édit. de Beaucourt, +Paris, 1863, t. I, p. 186.--De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, +t. II, p. 236.] + +Monseigneur le Bâtard amenait quelques chevaliers, capitaines et +écuyers de renom, c'est-à-dire de haute maison ou grande vaillance, le +maréchal de Boussac, messire Jacques de Chabannes, sénéchal de +Bourbonnais, le seigneur de Chaumont, messire Théaulde de Valpergue, +chevalier lombard, le capitaine La Hire, qui guerroyait et pillait +merveilleusement, et venait de si bien faire à la rescousse de +Montargis; et Jean, sire de Bueil, un de ces jouvenceaux venus au roi +sur un cheval boiteux et qui avaient reçu les leçons de deux dames +expertes: Souffrance et Pauvreté. Ils arrivaient suivis de huit cents +hommes, archers, arbalétriers et fantassins d'Italie, portant de +grandes targes, comme les Saint Georges des églises de Venise et de +Florence. C'était tout ce qu'on avait pu ramasser pour le moment de +seigneurs et de routiers[493]. + +[Note 493: _Journal du siège_, pp. 10 et 12.--_Cronique +Martiniane_, p. 8.--_Le Jouvencel_, p. 277.--Loiseleur, _Comptes des +dépenses_, pp. 90, 91.] + +L'armée de Salisbury, ayant perdu son chef, se dissipait en troubles +et en désertions. L'hiver venait; les capitaines voyant que, pour +l'heure, il n'y avait rien à tenter, quittèrent la place avec ce qui +leur restait d'hommes et s'allèrent abriter sous les murs de Meung et +de Jargeau[494]. Le 8 novembre au soir, il ne demeurait devant la +ville que la garnison des Tourelles, composée de cinq cents hommes des +lances de Normandie, sous le commandement de William Molyns et de +William Glasdall. Les Français pouvaient les assiéger et les réduire: +ils ne bougèrent pas. Le gouverneur, le vieux sire de Gaucourt, venait +de se casser le bras en tombant sur le pavé de la rue des Hôtelleries; +il ne pouvait se remuer[495]. Mais les autres? + +[Note 494: _Journal du siège_, pp. 12, 13.--Abbé Dubois, _Histoire +du siège_, p. 245.--Boucher de Molandon et de Beaucorps, _L'armée +anglaise vaincue par Jeanne d'Arc_, pp. 92, 111.--Jean de Bueil, _Le +Jouvencel_, _passim_.] + +[Note 495: _Journal du siège_, p. 7.] + +La vérité est que personne ne savait que faire. Sans doute ces gens de +guerre connaissaient plusieurs moyens de secourir une ville assiégée, +mais qui tous revenaient à un coup de main[496]. Ils ne s'entendaient +qu'aux rescousses, aux escarmouches, aux embuscades, aux vaillantises +d'armes. S'ils ne réussissaient pas à faire lever un siège tout de +suite, par surprise, ils restaient cois, à bout de ressources et +d'invention. Leurs plus expérimentés capitaines n'étaient pas capables +d'un effort commun, d'une action concertée, de toute entreprise enfin +exigeant quelque esprit de suite et la subordination de tous à un +seul. Chacun n'en faisait qu'à sa tête et ne songeait qu'au butin. La +défense d'Orléans passait de beaucoup leur entendement. + +[Note 496: _Le Jouvencel_, t. I, p. 142.] + +Durant vingt et un jours, le capitaine Glasdall resta retranché, avec +ses cinq cents Anglais, sous ses Tourelles écornées, entre son +boulevard du Portereau, qui n'avait pu être tout de suite bien +redoutable, et son boulevard du Pont, qui n'était qu'une barrière de +bois qu'un tison pouvait faire flamber. + +Cependant les bourgeois travaillaient. Ils accomplirent, après le +départ des Anglais, un labeur énorme et douloureux. Pensant avec +raison que l'ennemi reviendrait, non plus par la Sologne, mais par la +Beauce, ils détruisirent tous leurs faubourgs du couchant, du nord et +du levant, comme ils avaient déjà détruit ou commencé de détruire le +Portereau. Ils incendièrent et abattirent vingt-deux églises et +moutiers, entre autres l'église Saint-Aignan et son cloître si beau +que c'était pitié de le voir abîmé, l'église Saint-Euverte, l'église +Saint-Laurent-des-Orgerils, non sans promettre aux benoîts patrons de +la ville de leur en rebâtir de plus belles quand ils seraient délivrés +des Anglais[497]. + +[Note 497: _Journal du siège_, p. 19.--_Chronique de la Pucelle_, +p. 270.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 61.--Le P. Denifle, _La +désolation des églises de France_, supplique C.] + +Le 30 novembre, le capitaine Glasdall vit venir aux Tourelles sir John +Talbot, qui lui amenait trois cents combattants munis de canons, +bombardes et autres engins de guerre, et, dès lors, le bombardement +reprit plus violent que la première fois, crevant des toits, écornant +des murs et faisant plus de bruit que de besogne. Dans la rue +Aux-Petits-Souliers, une pierre de bombarde tomba sur la table autour +de laquelle cinq personnes dînaient et qui n'eurent point de mal. On +estima que c'était un miracle accompli par Notre-Seigneur à la requête +de saint Aignan, patron de la ville[498]. Ceux d'Orléans avaient de +quoi répondre. Douze canonniers de métier desservaient, avec des +servants à eux, les soixante-dix canons et bombardes qui composaient +l'artillerie de la ville. Un très subtil ouvrier nommé Guillaume Duisy +avait fondu pour eux une bombarde qui fut placée à la croiche ou +éperon de la poterne Chesneau et qui jetait sur les Tourelles des +pierres de cent vingt livres. Près de cette bombarde on mit deux +canons, l'un s'appelait _Montargis_, parce que c'était les habitants +de Montargis qui l'avaient prêté, l'autre portait le nom d'un diable +très populaire _Rifflart_[499]. Un couleuvrinier, natif de Lorraine et +demeurant à Angers, avait été envoyé par le roi à Orléans où il +recevait douze livres de solde par mois. Il avait nom Jean de +Montesclère; tenu pour le meilleur maître qui fût alors de son métier, +il gouvernait une grosse couleuvrine qui causait grand dommage aux +Anglais[500]. Maître Jean était de plus un homme jovial. Parfois, +quand tombait une pierre de canon dans son voisinage, il se laissait +choir à terre et se faisait porter en ville, à la grande joie des +Anglais qui le croyaient mort. Mais leur joie était courte, car maître +Jean revenait bientôt à son poste et les bombardait comme devant[501]. +Ces couleuvrines se chargeaient avec des balles de plomb, au moyen +d'une baguette de fer. C'était de très petits canons ou, si l'on veut, +de grands fusils posés sur un chariot. On les maniait aisément[502]. +Aussi, maître Jean portait-il la sienne partout où il en était besoin. + +[Note 498: _Journal du siège_, pp. 16 et 17.] + +[Note 499: _Ibid._, p. 17.--J.-L. Micqueau, _Histoire du siège +d'Orléans par les Anglais_, traduite par Du Breton, Paris, 1631, p. +27.--Abbé Dubois, _Histoire du siège_, p. 287.--Lottin, _Recherches_, +t. I, pp. 209, 210.] + +[Note 500: _Journal du siège_, p. 18.--S. Luce, _Jeanne d'Arc à +Domremy_, p. CLXXXV.--Loiseleur, _Compte des dépenses faites par +Charles VII pour secourir Orléans_, dans _Mém. Soc. Arch. de +l'Orléanais_, t. XI, pp. 114 et 186.] + +[Note 501: _Journal du siège_, p. 28.--Lottin, _Recherches_, t. I, +p. 214.] + +[Note 502: Loiseleur, _Comptes_, p. 114.--P. Mantellier, _Histoire +du siège_, p. 33.] + +Le 25 décembre, pour célébrer la Nativité de Notre-Seigneur, on fit +trêve. Comme les deux peuples avaient même foi et même religion, ils +cessaient d'être ennemis aux jours de fête et la courtoisie renaissait +entre chevaliers des deux camps chaque fois que le calendrier leur +rappelait qu'ils étaient chrétiens. La Noël est une féerie joyeuse. Le +capitaine Glasdall désira la chômer avec des chansons, selon la +coutume d'Angleterre. Il demanda à Monseigneur Jean, bâtard d'Orléans, +et au maréchal de Boussac, de vouloir bien lui envoyer une troupe de +ménétriers, ce qu'ils firent gracieusement. Les ménétriers d'Orléans +se rendirent aux Tourelles avec leurs trompettes et leurs clairons et +jouèrent aux Anglais des Noëls qui leur réjouirent le coeur. Les +Orléanais, qui vinrent sur le pont écouter la musique, trouvèrent que +c'était grande mélodie. Mais, sitôt la trêve expirée, chacun prit +garde à soi. Car, d'une rive à l'autre, les canons reposés lancèrent +avec une nouvelle vigueur les boulets de pierre et de cuivre[503]. + +[Note 503: _Journal du siège_, pp. 15, 18.] + +Ce que les Orléanais avaient prévu se réalisa le 30 décembre. Ce jour-là, +les Anglais vinrent en force par la Beauce à Saint-Laurent-des-Orgerils. +Toute la chevalerie française alla au-devant d'eux et fit des prouesses; +mais les Anglais occupèrent Saint-Laurent: le véritable siège +commençait[504]. Ils construisirent un boulevard sur la rive gauche de +la Loire, à l'ouest de Portereau, en un lieu nommé le champ de +Saint-Privé. Ils en construisirent un autre dans l'île Charlemagne. Sur +la rive droite, ils établirent à Saint-Laurent-des-Orgerils un camp +retranché; puis, à une portée d'arbalète sur la route de Blois, en un +lieu dit la Croix-Boissée, ils construisirent un autre boulevard. À deux +portées d'arbalète, au nord, sur la route du Mans, au lieu dit des +Douze-Pierres, ils élevèrent une bastille qu'ils nommèrent Londres[505]. + +[Note 504: _Ibid._, p. 20.--_Chronique de la Pucelle_, p. +265.--Abbé Dubois, _Histoire du siège_, p. 252.--Jollois, _Histoire du +siège_, pp. 26, 27.] + +[Note 505: Relation de G. Girault, dans _Procès_, t. IV, p. +283.--Morosini, t. III, p. 16, note 5; t. IV, annexe XIII.] + +Ces travaux achevés, Orléans n'était cerné qu'à moitié. Autant dire +qu'il ne l'était pas du tout: on y entrait et on en sortait à peu près +comme on voulait. De petites compagnies de secours, envoyées par le +roi, arrivaient sans encombre. Le 5 janvier, l'amiral de Culant +traverse la Loire devant Saint-Loup avec cinq cents combattants et +pénètre dans la ville par la porte de Bourgogne. Le 8 février, William +Stuart, frère du connétable d'Écosse, et plusieurs chevaliers et +écuyers font leur entrée avec mille combattants très bien équipés. Ils +sont suivis le lendemain par trois cent vingt soldats. Les vivres et +les munitions ne cessent d'arriver. En janvier, le 3, neuf cent +cinquante-quatre pourceaux et quatre cents moutons; le 10, poudres et +victuailles; le 12, six cents pourceaux; le 24, six cents têtes de +gros bétail et deux cents pourceaux; le 31, huit chevaux chargés +d'huiles et de graisses[506]. + +[Note 506: _Journal du siège_, pp. 22, 23, 24, 25, 27, 34.] + +Lord Scales, William Pole et sir John Talbot, qui conduisaient le +siège depuis la mort du comte de Salisbury[507], s'apercevaient que +des mois s'écouleraient et des mois encore avant que l'investissement +fût complet et la place enfermée dans un cercle de bastilles reliées +entre elles par un fossé continu. En attendant, les malheureux Godons +enfonçaient dans la boue et la neige et gelaient dans leurs mauvais +abris de terre et de bois qu'on nommait des taudis. Ils risquaient, +leurs affaires allant de ce train, d'y être plus dépourvus et plus +affamés que les assiégés. Aussi, de même que le défunt comte de +Salisbury, s'efforçaient-ils parfois encore de brusquer les choses. De +temps en temps, ils essayaient, sans grand espoir, de prendre la ville +d'assaut. + +[Note 507: Boucher de Molandon et A. de Beaucorps, _L'armée +anglaise vaincue par Jeanne d'Arc_, pp. 3 et suiv.--Jarry, _Le compte +de l'armée anglaise_, pièce justificative V, p. 233.] + +Du côté de la porte Renart, le mur était moins haut qu'ailleurs et, +comme ils se trouvaient en force et puissance de ce côté, ils +attaquaient ce mur de préférence. Il faut dire qu'ils n'y mettaient +guère de malice. Ils se ruaient sur la porte Renart en criant +furieusement: «Saint Georges!» se heurtaient aux barrières et se +faisaient reconduire à leurs boulevards par les gens du roi et les +gens de la commune[508]. Ces assauts, mal préparés, leur faisaient +perdre chaque fois quelques gens d'armes bien inutilement. Et déjà ils +manquaient d'hommes et de chevaux. + +[Note 508: _Journal du siège_, pp. 21, 22, 30.] + +Ils n'avaient pas réussi à effrayer les Orléanais en les bombardant +sur deux côtés à la fois, au midi et au couchant. On fut longtemps à +rire, dans la ville, d'une grosse pierre de canon tombée à la porte +Bannier, au milieu de plus de cent personnes, sans en toucher aucune, +si ce n'est un compagnon à qui elle ôta son soulier et qui en fut +quitte pour se rechausser[509]. + +[Note 509: _Ibid._, p. 26.] + +Cependant les seigneurs français faisaient à leur plaisir des +vaillantises d'armes. Ils couraient aux champs, selon leur fantaisie, +sous le moindre prétexte, mais toujours pour ramasser quelque butin, car +ils ne songeaient guère qu'à cela. Un jour, entre autres, vers la fin de +janvier, comme il faisait grand froid, quelques maraudeurs anglais +vinrent dans les vignes de Saint-Ladre et de Saint-Jean-de-la-Ruelle +enlever des échalas pour se chauffer. Le guetteur les signale: aussitôt +voilà toutes les bannières au vent. Le maréchal de Boussac, messire +Jacques de Chabannes, sénéchal du Bourbonnais, messire Denis de Chailly, +maint autre seigneur et avec eux routiers et capitaines, courent aux +champs. Chacun d'eux n'avait certainement pas vingt hommes à +commander[510]. + +[Note 510: _Journal du siège_, p. 32.] + +Le Conseil royal travaillait avec ardeur à secourir Orléans. Le roi +appela sa noblesse d'Auvergne, demeurée fidèle aux fleurs de Lis +depuis le jour où, dauphin et chanoine de Notre-Dame-d'Ancis, presque +enfant encore, il était allé avec quelques chevaliers ramener à +l'obéissance deux ou trois seigneurs révoltés sur leurs puys +sauvages[511]. À l'appel du roi, la noblesse auvergnate sortit de ses +montagnes et, sous l'étendard du comte de Clermont, arriva, dans les +premiers jours de février, à Blois, où elle se réunit aux Écossais de +John Stuart de Darnley, connétable d'Écosse, et aux gens du +Bourbonnais, venus sous les bannières des seigneurs de la +Tour-d'Auvergne et de Thouars[512]. + +[Note 511: _Gallia Christiana_, t. II, p. 732.--Vallet de +Viriville, _Histoire de Charles VII_, t. I, p. 213; t. II, p. 6, note +2.--S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, p. CCXCV.] + +[Note 512: _Journal du siège_, pp. 21, 36-38.--Compte de Hémon +Raguier, Bibl. Nat., fr. 7858, fol. 41.--Loiseleur, _Comptes et +dépenses de Charles VII pour secourir Orléans_, _loc. cit._] + +On apprit à ce moment que sir John Falstolf amenait de Paris aux +Anglais d'Orléans un convoi de vivres et de munitions. Monseigneur le +Bâtard quitta Orléans, accompagné de deux cents hommes d'armes, et +alla s'entendre avec le comte de Clermont sur ce qu'il y avait à +faire. Il fut décidé qu'on attaquerait d'abord le convoi. Toute +l'armée de Blois, sous le commandement du comte de Clermont et la +conduite de monseigneur le Bâtard, marcha sur Étampes à la rencontre +de sir John Falstolf[513]. + +[Note 513: _Journal du siège_, p. 37.] + +Le 11 février, quinze cents combattants commandés par messire +Guillaume d'Albret, sir William Stuart, frère du connétable d'Écosse, +le maréchal de Boussac, le seigneur de Gravelle, les deux capitaines +Saintrailles, le capitaine La Hire, le seigneur de Verduzan et autres +chevaliers et écuyers, sortirent d'Orléans, mandés par le Bâtard, avec +ordre de rejoindre l'armée du comte de Clermont sur la route +d'Étampes, au village de Rouvray-Saint-Denis, proche Angerville[514]. + +[Note 514: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 231.--_Chronique +de la Pucelle_, pp. 266, 267.--_Journal du siège_, pp. 37, 38.] + +Ils arrivèrent à Rouvray le lendemain samedi 12 février, veille des +Brandons, quand l'armée du comte de Clermont était encore assez loin; +là, de bon matin, les Gascons de Poton et de La Hire aperçurent la +tête du convoi qui, par la route d'Étampes, s'avançait dans la plaine. +Trois cents charrettes et chariots de vivres et d'armes roulaient à la +file conduits par des soldats anglais, par des marchands et des +paysans normands, picards et parisiens, quinze cents hommes au plus, +tranquilles et sans méfiance. Il vint aux Gascons l'idée naturelle de +tomber sur ces gens et de les culbuter au moment où ils s'y +attendaient le moins[515]. En toute hâte, ils envoyèrent demander au +comte de Clermont la permission d'attaquer. Beau comme Absalon et +comme Pâris de Troye, plein de faconde et de jactance, le comte de +Clermont, jouvenceau non des plus sages, armé chevalier le jour même, +en était à sa première affaire[516]. Il fit dire sottement aux Gascons +de ne point attaquer avant sa venue. Les Gascons obéirent à grand +déplaisir, voyant ce qu'on perdait à attendre. Car, s'apercevant enfin +qu'ils sont dans la gueule du loup, les chefs anglais, sir John +Falstolf, sir Richard Guethin, bailli d'Évreux, sir Simon Morhier, +prévôt de Paris, se mettent en belle ordonnance de bataille. Ils font, +dans la plaine, avec leurs charrettes, un parc long et étroit où ils +retranchent les gens de cheval, et au devant duquel ils placent les +archers derrière des pieux fichés en terre, la pointe inclinée vers +l'ennemi[517]. Ce que voyant, le connétable d'Écosse perd patience et +mène ses quatre cents cavaliers contre les pieux où ils se +rompent[518]. Les Anglais, découvrant qu'ils n'ont affaire qu'à une +petite troupe, font sortir leur cavalerie et chargent si roidement +qu'ils culbutent les Français et en tuent trois cents. Cependant les +Auvergnats avaient atteint Rouvray et, répandus dans le village, ils +en mettaient les celliers à sec. Monseigneur le Bâtard s'en détacha et +vint en aide aux Écossais avec quatre cents combattants. Mais il fut +blessé au pied et en grand danger d'être pris[519]. + +[Note 515: _Journal du siège_, pp. 38, 39.--_Chronique de la +Pucelle_, pp. 267, 268.--_Mistère du siège_, vers 8867.--Dom Plancher, +_Histoire de Bourgogne_, t. IV, p. 127.] + +[Note 516: Monstrelet, t. IV, p. 312.--_Journal du siège_, p. +43.--Chastellain, éd. Kervyn de Lettenhove, t. II, p. 164.] + +[Note 517: Monstrelet, t. IV, p. 311.--_Journal du siège_, p. +39.--_Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 231.--_Chronique de la +Pucelle_, pp. 267 et 268.--Perceval de Cagny, pp. 137 et 139.] + +[Note 518: _Journal du siège_, pp. 40, 41.] + +[Note 519: _Ibid._, p. 43.--_Journal d'un bourgeois de Paris_, p. +232.] + +Là tombèrent messire William Stuart et son frère, les seigneurs de +Verduzan, de Châteaubrun, de Rochechouart, Jean Chabot, avec plusieurs +autres de grande noblesse et renommée vaillance[520]. Les Anglais, non +encore saouls de tuerie, s'éparpillèrent à la poursuite des fuyards. +La Hire et Poton, voyant alors les étendards ennemis dispersés dans la +plaine, réunirent ce qu'ils purent, soixante à quatre-vingts +combattants, et se jetèrent sur un petit parti d'Anglais qu'ils +écrasèrent. À ce moment, si les autres Français avaient rallié, +l'honneur et le profit de la journée leur serait peut-être +revenu[521]. Mais le comte de Clermont, qui n'avait pas fait mine de +secourir les hommes du connétable d'Écosse et du Bâtard, déploya +jusqu'au bout son inébranlable lâcheté. Les ayant vu tous tuer, il +s'en retourna avec son armée à Orléans, où il arriva fort avant dans +la nuit (12 février)[522]. Le seigneur de La Tour-d'Auvergne, le +vicomte de Thouars, le maréchal de Boussac, le Bâtard se tenant à +grand'peine sur sa monture, suivaient avec leurs troupes en désarroi. +Jamet du Tillay, La Hire et Poton venaient les derniers, veillant à ce +que les Anglais des bastilles ne leur tombassent dessus, ce qui eût +achevé la déconfiture[523]. + +[Note 520: _Ibid._, p. 43--_Chronique de la Pucelle_, p. +269.--Monstrelet, t. IV, p. 313.] + +[Note 521: _Journal du siège_, p. 42.--Jean Chartier, _Chronique_, +t. I, p. 63.] + +[Note 522: _Ibid._, p. 44.] + +[Note 523: _Ibid._, pp. 43, 44.] + +Comme on entrait dans le saint temps du carême, les vivres, amenés de +Paris aux Anglais d'Orléans par sir John Falstolf, se composaient +surtout de harengs saurs qui, durant la bataille, avaient beaucoup +pâti dans leurs caques défoncées. Pour faire honneur aux Français +d'avoir déconfit tant de Dieppois, les joyeux Anglais nommèrent cette +journée la journée des Harengs[524]. + +[Note 524: _Journal d'un bourgeois de Paris_, pp. +230-233.--Monstrelet, t. IV, p. 313.--Jean Chartier, _Chronique_, t. +II, p. 62.--Symphorien Guyon, _Histoire de la ville d'Orléans_, t. II, +p. 195.--Vallet de Viriville, _Histoire de Charles VII_, t. II, p. +37.] + +Le comte de Clermont, bien qu'il fût beau cousin du roi, reçut mauvais +accueil des Orléanais. On jugeait sa conduite honteuse et malhonnête +et quelques-uns le lui firent entendre. Le lendemain, il s'esquiva +avec ses Auvergnats et ses Bourbonnais, aux applaudissements du peuple +qui ne voulait pas nourrir ceux qui ne se battaient pas[525]. En même +temps, messire Louis de Culant, amiral de France, et le capitaine La +Hire, quittaient la ville avec deux mille hommes d'armes et, quand on +sut leur départ, ce furent de telles huées, qu'il leur fallut, pour +apaiser les bourgeois, leur promettre qu'ils les allaient secourir de +gens et de vivres, ce qui était la pure vérité. Messire Regnault de +Chartres, qui était venu dans la ville à un moment qu'on ne saurait +dire, partit avec eux, ce dont on ne pouvait lui faire grief, puisque, +chancelier de France, sa place était au Conseil du Roi. Mais ce qui +devait paraître assez étrange, c'est que le successeur de Monsieur +saint Euverte et de Monsieur saint Aignan, messire de Saint-Michel, +quitta alors son siège épiscopal et délaissa son épouse affligée[526]. +Quand les rats s'en vont, c'est que le navire va couler. Il ne restait +plus dans la ville que monseigneur le Bâtard et le maréchal de +Boussac. Encore le maréchal ne devait-il pas demeurer très longtemps. +Il partit au bout d'un mois, disant qu'il lui fallait aller près du +roi et aussi prendre possession de plusieurs terres qui lui étaient +échues du chef de sa femme, par la mort du seigneur de Châteaubrun son +beau-frère, qui avait été tué à la journée des Harengs[527]. Ceux de +la ville tinrent cette raison pour bonne et suffisante; il leur promit +de revenir bientôt, et ils furent contents. Or, le maréchal de Boussac +était un des seigneurs les plus attachés au bien du royaume[528]. Mais +quiconque avait terre se devait à sa terre. + +[Note 525: _Journal du siège_, pp. 50, 52.] + +[Note 526: _Ibid._, p. 51.] + +[Note 527: _Journal du siège_, p. 59.] + +[Note 528: Thaumas de la Thaumassière, _Histoire du Berry_, +Bourges, 1689, in-fol., pp. 648-656.] + +Les bourgeois, se croyant trahis et délaissés, avisèrent à leur +sûreté. Et puisque le roi ne les savait garder, ils résolurent, pour +échapper aux Anglais, de se donner à plus puissant que lui. Ils +envoyèrent à monseigneur Philippe, duc de Bourgogne, le capitaine +Poton de Saintrailles, qui lui était connu pour avoir été son +prisonnier, et deux procureurs de la ville, Jean de Saint-Avy et Guion +du Fossé, avec mission de le prier et requérir qu'il voulût bien les +regarder favorablement et que, pour l'amour de son bon parent, leur +seigneur Charles, due d'Orléans, prisonnier en Angleterre et empêché +de garder lui-même ses terres, il lui plût amener les Anglais à lever +le siège, jusqu'à ce que le trouble du royaume fût éclairci. C'était +leur ville qu'ils offraient de remettre en dépôt aux mains du duc de +Bourgogne, selon les voeux secrets de Monseigneur Philippe, qui, +ayant envoyé quelques centaines de lances bourguignonnes sous Orléans, +aidait les Anglais à prendre la ville et n'entendait pas les y aider +gratuitement[529]. + +[Note 529: Monstrelet, t. IV, p. 317.--_Journal du siège_, p. +52.--_Chronique de la Pucelle_, p. 269.--Jean Chartier, _Chronique_, +t. I, p. 65.--Morosini, pp. 16, 17; t. IV, annexe XIV.--Du Tillet, +_Recueil des traités_, p. 221.] + +Les Orléanais, en attendant le jour incertain et lointain où ils +seraient ainsi gardés, continuèrent à se garder eux-mêmes de leur +mieux. Mais ils étaient soucieux et non sans raison. Car s'ils +veillaient à ce que l'ennemi ne pût entrer, ils ne découvraient aucun +moyen de le chasser bientôt. Dans les premiers jours de mars, ils +observèrent avec inquiétude que les Anglais creusaient un fossé pour +aller à couvert d'une bastille à l'autre depuis la Croix-Boissée +jusqu'à Saint-Ladre. Ils essayèrent de détruire cet ouvrage. Ils +attaquèrent les Godons avec vigueur et firent quelques prisonniers. +Maître Jean tua de sa couleuvrine, en deux coups, cinq personnes, +parmi lesquelles lord Gray, neveu du feu comte de Salisbury[530]; mais +ils n'empêchèrent pas les Anglais d'accomplir leur travail. Ils +voyaient le siège se poursuivre avec une terrible rigueur. Agités de +doutes et de craintes, brûlés d'inquiétude, sans sommeil, sans repos +et n'avançant à rien, ils commençaient à désespérer. Tout à coup naît, +s'étend, grandit une rumeur étrange. + +[Note 530: _Journal du siège_, p. 54.] + +On apprend que par la ville de Gien a passé nouvellement une pucelle +annonçant qu'elle se rendait à Chinon auprès du gentil dauphin et se +disant envoyée de Dieu pour faire lever le siège d'Orléans et sacrer +le roi à Reims[531]. + +[Note 531: _Procès_, t. III, pp. 21-23.--_Journal du siège_, pp. +46 et suiv.--_Chronique de la Pucelle_, p. 278.] + +Dans le langage familier, une pucelle était une fille d'humble +condition, gagnant sa vie à travailler de ses mains, et +particulièrement une servante. Aussi nommait-on pucelles les fontaines +de plomb dont on se servait dans les cuisines. Le terme était vulgaire +sans doute; mais il ne se prenait pas en mauvaise part. En dépit du +méchant dire de Clopinel: «Je lègue ma pucelle à mon curé», il +s'appliquait à une fille sage, de bonnes vie et moeurs[532]. + +[Note 532: La Curne et Godefroy, au mot: _Pucelle_.] + +Cette nouvelle qu'une petite sainte d'humble condition, une pauvresse +de Notre-Seigneur, apportait secours divin aux Orléanais, frappa +vivement les esprits que la peur tournait à la dévotion et qu'exaltait +la fièvre du siège. La Pucelle annoncée leur inspira une curiosité +ardente que Monseigneur le Bâtard, en homme avisé, jugea bon +d'entretenir. Il envoya à Chinon deux gentilshommes chargés de +s'enquérir de la jeune fille. L'un, messire Archambaud de Villars, +capitaine de Montargis, qu'il avait déjà, durant le siège, expédié au +roi, était un très vieux chevalier, familier autrefois du duc Louis +d'Orléans, un des sept Français qui combattirent contre les sept +Anglais en l'an 1402, à Montendre[533]; un Orléanais de la première +heure qui, malgré son grand âge, avait vigoureusement défendu les +Tourelles, le 21 octobre. L'autre, messire Jamet du Tillay, écuyer +breton, venait de se faire honneur en couvrant avec ses hommes la +retraite de Rouvray. Ils partirent et la ville entière attendit +anxieusement leur retour[534]. + +[Note 533: _Relation contemporaine du combat de Montendre_, dans +_Bulletin de la Société de l'Histoire de France_, 1834, pp. 109-113.] + +[Note 534: _Procès_, t. III, pp. 3, 125, 215.--_Journal du siège_, +pp. 5, 6, 31, 44.--_Nouvelle Biographie Générale_, articles de Vallet +de Viriville.] + + + + +CHAPITRE VI + +LA PUCELLE À CHINON.--PROPHÉTIES. + + +Du village de Sainte-Catherine-de-Fierbois, Jeanne dicta une lettre +pour le roi, ne sachant point écrire. Par cette lettre, elle lui +demandait congé de l'aller trouver à Chinon et l'avisait que, pour lui +venir en aide, elle avait traversé cent cinquante lieues de pays et +qu'elle savait beaucoup de choses bonnes pour lui. On a dit qu'elle +lui annonçait aussi que, même fût-il caché parmi beaucoup d'autres, +elle saurait bien le reconnaître; mais, interrogée plus tard à ce +sujet, elle répondit qu'il ne lui en souvenait plus[535]. + +[Note 535: _Procès_, t. I, pp. 56, 75.] + +Vers midi, quand la lettre fut scellée, Jeanne partit avec son escorte +pour Chinon[536]. Elle allait vers le roi, comme y allaient à cette +heure, sur un cheval boiteux trouvé dans un pré, tous ces fils +pauvres des veuves d'Azincourt et de Verneuil, ces jouvenceaux sortis +à quinze ans de leur tour en ruines et qui venaient se refaire et +refaire le royaume; comme y allaient Loyauté, Bon désir et +Famine[537]. Charles VII, c'était la France, l'image et le symbole de +la France. À cela près, un pauvre homme. Né l'onzième des malheureux +enfants qu'un malade faisait, entre deux accès de manie furieuse, à +une Bavaroise poulinière[538], il avait grandi dans les désastres et +survécu à ses quatre frères aînés, bien que lui-même assez mal venu, +cagneux, les jambes faibles[539]; vrai fils de roi, si l'on s'en +rapporte à sa mine, encore n'en faudrait-il pas jurer[540]. D'avoir +été sur le pont de Montereau ce jour où, disait un juste, mieux eût +valu être mort que d'y avoir été[541], il demeurait pâle et tremblant, +et regardait d'un oeil morne tout aller autour de lui à la male heure. +Après leur victoire de Verneuil et la conquête inachevée du Maine, les +Anglais, appauvris et fatigués, lui avaient laissé quatre ans de +répit. Mais ses amis, ses défenseurs, ses sauveurs avaient été +terribles. Pieux et modeste, se contentant pour lors de sa femme qui +n'était pas belle, il menait dans ses châteaux de la Loire une vie +inquiète et triste; il était peureux. On l'eût été à moins: dès qu'il +donnait un peu d'amitié ou de confiance à un seigneur, on le lui +tuait. Le connétable de Richemont et le sire de la Trémouille lui +avaient noyé le sire de Giac après une manière de procès[542]; le +maréchal de Boussac, sur l'ordre du connétable, lui avait tué Lecamus +de Beaulieu avec moins de façons. Lecamus se promenait sur sa mule, +dans un pré au bord du Clain, quand des hommes se jetèrent sur lui, +l'abattirent, la tête fendue et la main coupée; on ramena au roi la +mule du favori[543]. Le connétable de Richemont lui avait donné La +Trémouille, un tonneau, une outre, une espèce de Gargantua qui +dévorait le pays. La Trémouille ayant chassé Richemont, le roi gardait +La Trémouille, en attendant le retour de Richemont dont il avait +grand'peur. Et, de vrai, un prince paisible et timide comme il était, +devait craindre ce Breton toujours battu, toujours furieux, âpre, +féroce, à qui sa maladresse et sa violence donnaient un air de rude +franchise[544]. + +[Note 536: _Ibid._, t. I, p. 56.] + +[Note 537: Bueil, _Le Jouvencel_, t. I, p. 32 et Tringant, +XV.--Jean Chartier, _Chronique_, ch. CXXXVIII.] + +[Note 538: Vallet de Viriville, _Isabeau de Bavière_, 1859, in-8º, +et _Notes sur l'état civil des princes et princesses nés d'Isabeau de +Bavière_ dans la _Bibliothèque de l'École des Chartes_, t. XIX, pp. +473-482.] + +[Note 539: Th. Basin, _Histoire de Charles VII et de Louis XI_, t. +I, p. 312.--Chastellain, édit. Kervyn de Lettenhove, t. 11, p. 178.] + +[Note 540: _Chronique du Religieux de Saint-Denis_, t. I, pp. 28 +et 43.--Docteur A. Chevreau, _De la maladie de Charles VI, roi de +France, et des médecins qui ont soigné ce prince_, dans l'_Union +Médicale_, février-mars 1862.--De Beaucourt, _Histoire de Charles +VII_, t. I, p. 4, note.] + +[Note 541: Monstrelet, t. III, p. 347.] + +[Note 542: Gruel, éd. Le Vavasseur, pp. 46 et suiv.--_Chronique de +la Pucelle_, p. 239.--Berry, p. 374.--Pierre de Fénin, _Mémoires_, +édit. de mademoiselle Dupont, pp. 222, 223.--Vallet de Viriville, +_Histoire de Charles VII_, t. I, p. 453.--De Beaucourt, _Histoire de +Charles VII_, t. II, p. 432.] + +[Note 543: Gruel, pp. 53, 193.--_Geste des Nobles_, p. 200.--Jean +Chartier, _Chronique_, t. I, pp. 23, 24, 54.--De Beaucourt, _Histoire +de Charles VII_, t. II, p. 132.--E. Cosneau, _Le connétable de +Richemont_, Paris, 1886, in-8º, p. 131.] + +[Note 544: Gruel, p. 231.--_Chronique de la Pucelle_, pp. 200, +248.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 54; t. III, p. 189.--De +Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. II, p. 142.--E. Cosneau, _Le +connétable de Richemont_, p. 140.] + +En 1428, Richemont voulut reprendre de force sa place auprès du roi. +Les comtes de Clermont et de Pardiac se joignirent au connétable. La +belle-mère du roi, Yolande d'Aragon, reine, sans royaume, de Sicile et +de Jérusalem et duchesse d'Anjou, entra dans le parti des +mécontents[545]. Le comte de Clermont prit et mit à rançon le +chancelier de France, le premier ministre de la couronne. Il fallut +que le roi payât pour ravoir son chancelier[546]. Le connétable +guerroyait en Poitou contre les gens du roi, tandis que les routiers, +à la solde du roi, ravageaient les pays restés dans son obéissance et +que les Anglais s'avançaient sur la Loire. + +[Note 545: De Beaucourt, _op. cit._, t. II, pp. 143, 144 et +suiv.--E. Cosneau, _op. cit._, pp. 142 et suiv.] + +[Note 546: Dom Morice, _Preuves de l'histoire de Bretagne_, t. II, +col. 1199.--De Beaucourt, _op. cit._, t. II, p. 150.--E. Cosneau, _op. +cit._, p. 144.] + +Dans cette condition misérable, le roi Charles, tout mince, étriqué de +corps et d'esprit, fuyant, craintif, défiant, faisait triste figure: +pourtant, il en valait bien un autre, et c'était peut-être le roi +qu'il fallait à cette heure. Un Philippe de Valois, un Jean le Bon +s'étaient donné l'amusement de perdre des provinces à l'épée. Le +pauvre roi Charles n'avait ni le goût ni les moyens de faire comme eux +des vaillantises d'armes, et de chevaucher sur le dos de la piétaille. +Il avait ceci d'excellent qu'il n'aimait pas du tout les prouesses et +qu'il n'était ni ne pouvait être de ces chevalereux qui faisaient la +guerre en beauté. Déjà son grand-père, dépourvu aussi de toute +chevalerie, avait beaucoup nui aux Anglais. Le petit-fils n'était pas +sans doute d'aussi grande sapience que Charles V, mais il ne manquait +point de cautèle et était enclin à penser que souvent on gagne plus +par traités qu'à la pointe de la lance[547]. + +[Note 547: P. de Fénin, _Mémoires_, p. 222.--De Beaucourt, +_Histoire de Charles VII_, Introduction.--E. Charles, _Le caractère de +Charles VII_, dans _Revue Contemporaine_, t. XXII, pp. 300-328.] + +On faisait sur son dénuement des contes ridicules. Un cordonnier, +disait-on, qu'il ne pouvait payer comptant, lui avait tiré du pied le +houseau qu'il venait de lui mettre et était parti, le laissant avec +ses vieux houseaux[548]. On disait encore qu'un jour, La Hire et +Saintrailles l'étant venu voir, l'avaient trouvé dînant avec la reine +et n'ayant que deux poulets et une queue de mouton pour tout +festoiement[549]. C'étaient là des propos à faire rire les bonnes +gens. Le roi possédait encore de grandes et belles provinces: +Auvergne, Lyonnais, Dauphiné, Touraine, Anjou, tous les pays au sud +de la Loire, hors la Guyenne et la Gascogne[550]. + +[Note 548: Le doyen de Saint-Thibaud, _Tableau des rois de +France_, dans _Procès_, t. IV, p. 325.] + +[Note 549: Martial d'Auvergne, _Les vigiles de Charles VII_, éd. +Coustelier, 1724, (2 vol. in-12), t. I, p. 56.] + +[Note 550: L. Drapeyron, _Jeanne d'Arc et Philippe le Bon_, dans +_Revue de Géographie_, novembre 1886, p. 331.] + +Sa grande ressource était de convoquer les États. La noblesse ne +donnait rien, alléguant qu'il était ignoble de payer. Si le clergé +contribuait malgré son dénuement, le tiers portait plus que son faix +des charges pécuniaires. La taille, impôt extraordinaire, devenait +annuelle. Le roi assemblait les États tous les ans, souvent deux fois +l'an, mais non sans peine[551]. Les routes étaient mal sûres. Les +voyageurs risquaient, à tout bout de champ, d'être détroussés et +assassinés. Les officiers, qui allaient de ville en ville recouvrer +les deniers, marchaient sous escorte, de crainte des Écossais et des +autres gens d'armes au service du roi[552]. En 1427, un routier nommé +Sabbat, qui tenait garnison à Langeais, faisait trembler la Touraine +et l'Anjou. Aussi les députés des villes n'étaient-ils pas pressés de +se rendre aux États. Encore s'ils avaient cru que leur argent fût +employé pour le bien du royaume! Mais ils savaient que le roi en +ferait d'abord des présents à ses seigneurs. On les invitait à venir +aviser sur le moyen de réprimer les pilleries et roberies dont ils +souffraient[553]; et quand, au risque de leur vie, ils étaient venus +en chambre royale, il leur fallait consentir la taille en silence. Les +officiers du roi menaçaient de les faire noyer, s'ils ouvraient la +bouche. Aux États tenus à Mehun-sur-Yèvre, en 1425, les gens des +bonnes villes dirent qu'ils étaient contents d'aider le roi, mais +qu'ils voudraient bien qu'il fût mis fin aux pilleries, et messire +Hugues de Comberel, évêque de Poitiers, parla comme eux. En +l'entendant, le sire de Giac dit au roi: «Si l'on m'en croyait, on +jetterait Comberel dans la rivière avec les autres qui ont été de son +opinion.» Sur quoi les gens des bonnes villes votèrent deux cent +soixante mille livres[554]. En septembre 1427, réunis à Chinon, ils +accordèrent cinq cent mille livres pour la guerre[555]. Par lettres du +8 janvier 1428, le roi manda aux États généraux de se réunir dans un +délai de six mois, le 18 juillet suivant, à Tours[556]. Le 18 juillet, +personne ne vint. Le 22 juillet, nouveau mandement du roi, assignant +les États à Tours le 10 septembre[557]. L'assemblée n'eut lieu qu'en +octobre 1428 à Chinon, au moment où le comte de Salisbury marchait sur +la Loire. Les États accordèrent cinq cent mille livres[558]. Mais on +s'attendait à ce que bientôt le bon peuple ne pût plus payer. Par ce +temps de guerre et de roberies, bien des terres étaient en friche, +bien des boutiques closes, et l'on ne voyait plus beaucoup de +marchands allant, sur leur bidet, de ville en ville[559]. + +[Note 551: _Recueil des Ordonnances_, t. XIII, p. XCIX, et la +table de ce volume au mot: _Impôts_.--Loiseleur, _Compte des +dépenses_, pp. 51 et suiv.--A. Thomas, _Les États Généraux sous +Charles VII_ dans le _Cabinet Historique_, t. XXIV, 1878; _Les États +provinciaux de la France centrale sous Charles VII_, Paris, 1879, 2 +vol. in-8º, _passim_.] + +[Note 552: Jean Chartier, _Chronique_, t. III, p. 318.--Vallet de +Viriville, _Histoire de Charles VII_, t. I, p. 390.--De Beaucourt, +_Histoire de Charles VII_, t. I, p. 428; t. II, pp. 646 et suiv.] + +[Note 553: _Le Jouvencel_, t. I, Introduction, pp. XIX, XX.] + +[Note 554: _Chronique de la Pucelle_, p. 237.--Loiseleur, _Compte +des dépenses_, p. 61.--Vallet de Viriville, _Mémoire sur les +institutions de Charles VII_, dans _Bibliothèque de l'École des +Chartes_, t. XXXIII, p. 37.] + +[Note 555: Dom Vaissette, _Histoire du Languedoc_, t. IV, p. 471.] + +[Note 556: De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. II, p. +167.] + +[Note 557: Dom Vaissette, _Histoire du Languedoc_, IV, p. 471.--A. +Thomas, _Les États Généraux sous Charles VII_, pp. 49-50.] + +[Note 558: Dom Vaissette, _Histoire du Languedoc_, t. IV, p. +472.--Raynal, _Histoire du Berry_, t. III, p. 20.--Loiseleur, _Compte +des dépenses_, pp. 63 et suiv.--De Beaucourt, _Histoire de Charles +VII_, t. II, pp. 170 et suiv.] + +[Note 559: Th. Basin, _Histoire de Charles VII_, liv. II, ch. +VI.--Antoine Loysel, _Mémoires des pays, villes, comtés et comtes de +Beauvais et Beauvoisis_, Paris, 1618, p. 229.--P. Mantellier, +_Histoire de la communauté des marchands fréquentant la rivière de +Loire_, t. I, p. 195.] + +L'impôt ne rentrait pas bien et réellement le roi souffrait par défaut +d'argent. Pour guérir ce grand mal, il employait trois remèdes, dont +le meilleur ne valait rien. Premièrement, comme il devait à tout le +monde, à la reine de Sicile[560], à La Trémouille[561], à son +chancelier[562], à son boucher[563], au chapitre de Bourges qui lui +fournissait du poisson d'étang[564], à ses cuisiniers[565], à ses +galopins[566], il engageait l'impôt entre les mains de ses +créanciers[567]; deuxièmement, il aliénait son domaine: ses villes, +ses terres étaient à tout le monde, hors à lui[568]; troisièmement, il +faisait de la fausse monnaie. Ce n'était point par malice, mais par +nécessité et conformément à l'usage[569]. + +[Note 560: Dom Morice, _Preuves de l'Histoire de Bretagne_, t. II, +col. 1145, 1194.--_Ordonnances_, t. XV, p. 147.] + +[Note 561: Vallet de Viriville, _Histoire de Charles VII_, t. I, +p. 373.--De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. II, p. 175.--Duc +de La Trémoïlle, _Chartrier de Thouars, documents historiques et +généalogiques_, p. 17; _Les La Trémoïlle pendant cinq siècles_, t. I, +p. 175.] + +[Note 562: De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_. t. II, p. +632.] + +[Note 563: Jean Chartier, _Chronique_, t. III, Comptes, p. +316.--_Cabinet Historique_, juin 1858, p. 176.] + +[Note 564: _Cabinet Historique_, sept. et oct. 1858, p. 263.] + +[Note 565: Vallet de Viriville, _Histoire de Charles VII_, t. I, +p. 374.] + +[Note 566: De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. II, p. +634.] + +[Note 567: Loiseleur, _Compte des dépenses_, p. 57.] + +[Note 568: De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. II, p. +634.] + +[Note 569: Vuitry, _Les monnaies sous les trois premiers Valois_, +Paris, 1881, in-8º, pp. 29 et suiv.--Loiseleur, _Compte des dépenses_, +p. 47.--Vallet de Viriville, _Histoire de Charles VII_, t. I, p. +243.--De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. II, pp. 620 et +suiv.] + +Le sire de La Trémouille portait le seul titre de +conseiller-chambellan, mais il était aussi le grand usurier du +royaume. Il avait pour débiteurs le roi et une multitude de seigneurs +grands ou petits[570]. C'était donc un homme puissant. En ces temps +difficiles, il rendit à la couronne des services sans doute intéressés +mais précieux. Du mois de janvier au mois d'août 1428, il avança des +sommes s'élevant à vingt-sept mille livres environ pour lesquelles des +châteaux et des terres lui furent données en gages[571]. Par bonheur, +le Conseil du roi était composé d'un assez grand nombre de légistes +et de gens d'Église fort capables d'expédier les affaires. L'un d'eux, +Robert Le Maçon, seigneur de Trèves, Angevin, né dans la roture, entré +au Conseil sous la Régence, fut le premier de ces hommes sans +naissance qui servirent Charles VII de manière à lui valoir le surnom +de Bien-Servi[572]. Un autre, le sire de Gaucourt, avait aidé son roi +à la guerre[573]. + +[Note 570: Clairambault, _Titres, scellés_, vol. 205, pp. 8769, +8771, 8773 et _passim_.--De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. +II, p. 293.] + +[Note 571: Arch. nat. J. 183, nº 142.--Duc de La Trémoïlle, _Les +La Trémoïlle pendant cinq siècles_, t. 1, p. 177.--De Beaucourt, +_Histoire de Charles VII_, t. II, p. 198.] + +[Note 572: Le P. Anselme, _Histoire générale et chronologique de +la maison de France_, t. VI, p. 399.--Vallet de Viriville, dans +_Nouvelle Biographie générale_.--De Beaucourt, _Histoire de Charles +VII_, t. I, p. 63.] + +[Note 573: Marquis de Gaucourt, _Le Sire de Gaucourt_, Orléans, +1855, in-8º.] + +Il en est un troisième qu'il faut connaître le mieux possible. Sa part +dans cette histoire est grande; elle apparaîtrait plus grande encore +si on la découvrait tout entière. C'est Regnault de Chartres, que nous +avons déjà vu enlevé et mis à finance[574]. Fils d'Hector de Chartres, +maître des Eaux et Forêts en Normandie, il entra dans les ordres, +devint archidiacre de Beauvais, puis camérier du pape Jean XXIII et +fut élevé en 1414, à l'âge de trente-quatre ans environ, au siège +archiépiscopal de Reims[575]. L'année suivante, trois de ses frères +restèrent dans les boues sanglantes d'Azincourt. Hector de Chartres +périt à Paris en 1418 massacré par les bouchers[576]. Regnault +lui-même, jeté dans les prisons des Cabochiens, s'attendait à être mis +à mort. Il fit voeu, s'il échappait à ce péril, d'observer le maigre +tous les mercredis et de déjeuner à l'eau tous les vendredis et les +samedis, sa vie durant[577]. On ne saurait juger de l'esprit d'un +homme sur un acte inspiré par l'épouvante; pourtant l'auteur de ce +voeu ne saurait être mis facilement au rang des Épicuriens qui ne +croyaient pas en Dieu, comme il s'en trouvait, dit-on, beaucoup parmi +les clercs; on supposera plutôt que son intelligence se soumettait aux +croyances communes. + +[Note 574: Le P. Anselme, _Histoire généalogique et chronologique +de la maison de France_, t. VI, p. 339.--_Gallia Christiana_, t. IX, +col. 135.--Hermant, _Histoire ecclésiastique de Beauvais_ (Bibl. nat., +fr. 8581), fol. 15 et suiv.--Article de Vallet de Viriville dans +_Nouvelle Biographie générale_ et _Histoire de Charles VII_, t. II, pp. +160 et suiv.] + +[Note 575: Le P. Denifle, _Cartularium Universitatis Parisiensis_, +t. IV, p. 275.] + +[Note 576: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 109.] + +[Note 577: Le P. Denifle, _La désolation des églises_, t. I, pp. +594, 595.--Garnier, _Documents relatifs à la surprise de Paris par les +Bourguignons en mai 1418_, dans _Bulletin de la Société de l'Histoire +de Paris_, 1877, p. 51.] + +Une fidélité tragique, héréditairement gardée aux Armagnacs, +recommandait Monseigneur Regnault au dauphin Charles qui lui confia +des missions importantes dans diverses parties de la Chrétienté, +Languedoc, Écosse, Bretagne, Bourgogne[578]. L'archevêque de Reims +s'en acquitta avec un zèle infatigable et une rare habileté. Au mois +de décembre 1421, alléguant sa santé débile et le service du dauphin, +qui l'obligeait à de fréquents voyages et à de laborieuses ambassades, +il supplia le Saint-Père de le relever du voeu fait auparavant dans +les prisons des Bouchers[579]. + +[Note 578: De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. I, pp. 268, +276, 339.--P. Champion, _Guillaume de Flavy_, p. 4 et pièce +justificative LXXJ.] + +[Note 579: Le P. Denifle, _La désolation des églises_, _loc. +cit._--Par une fiction «légitimiste» il allègue le service du roi +Charles VI et de son fils le Dauphin «... _tam propter sue persone +debilitatem, quam etiam propter assidua viagia et ambassiatas, que +ipse serviendo Carolo Francorum regi et Carolo, ejusdem régis +unigenito filio, dalphino Viennensi_...».] + +En 1425, alors qu'un homme de robe très habile, qui pouvait bien être +un fripon, le président Louvet[580] gouvernait le royaume et le roi, +messire Regnault fut nommé chancelier de France à la place de messire +Martin Gouges de Charpaigne, évêque de Clermont[581]. Mais peu de +temps après, Arthur de Bretagne, connétable de France, ayant chassé +Louvet, Regnault vendit sa charge à Martin Gouges, moyennant une +pension de deux mille cinq cents livres tournois[582]. + +[Note 580: Vallet de Viriville, _Nouvelle Biographie +générale_.--De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. I, pp. 64 et +suiv.] + +[Note 581: F. Duchesne, _Histoire des chanceliers et gardes des +sceaux de France_, Paris, 1680, in-fol., p. 483.] + +[Note 582: Arch. Nat., p. 2298.] + +Révérend Père en Dieu, Monseigneur l'Archevêque de Reims n'était pas +aussi riche, tant s'en fallait, que Monseigneur de la Trémouille; mais +on fait ce qu'on peut. Tout comme le sire de la Trémouille il prêtait +de l'argent au roi[583]. Après cela, qui, dans ce temps, ne prêtait +pas d'argent au roi? Charles VII lui donna la ville et le château de +Vierzon en paiement de seize mille livres tournois qu'il lui +devait[584]. Quand le sire de la Trémouille eut traité le connétable, +comme le connétable avait traité Louvet, Regnault de Chartres redevint +chancelier. Il entra en charge le 8 novembre 1428. À cette date, le +Conseil avait déjà envoyé à Orléans des gens d'armes et des canons. +Monseigneur de Reims, aussitôt en fonction, se jeta dans la ville +assiégée et n'épargna pas sa peine[585]. Il était très attaché aux +biens de ce monde et pouvait passer pour avare[586]. Mais on ne peut +douter ni de son dévouement à la cause royale, ni de la haine qu'il +nourrissait pour ceux du Léopard et de la Croix Rouge[587]. + +[Note 583: De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. II, p. +632.] + +[Note 584: Le P. Anselme, _Histoire généalogique de la maison de +France_, t. I, p. 407.] + +[Note 585: _Journal du siège_, p. 51.] + +[Note 586: Le P. Denifle, _La désolation des églises_, +introduction.--Cf. La série des quittances à la Bibl. Nat., fr. 20887, +Pièces originales 693, Clairambault, _titres, scellés_, vol. 29.] + +[Note 587: F. Duchesne, _Histoire des chanceliers et garde des +sceaux de France_, p. 487.] + +Jeanne, après onze jours de voyage, arriva à Chinon, le 6 mars[588], +qui était le quatrième dimanche du carême, celui-là même où les +garçons et les filles de Domremy allaient en troupe, dans la campagne +encore grise et nue, manger des noix et des oeufs durs avec des petits +pains, pétris par leurs mères. C'est ce qu'ils appelaient faire leurs +fontaines; mais Jeanne ne dut pas se rappeler ses fontaines passées, +ni sa maison quittée sans une parole d'adieu[589]. Ignorant ces fêtes +rustiques et presque païennes par lesquelles les pauvres chrétiens +rompaient la pénitence de la sainte quarantaine, l'Église avait donné +à ce jour le nom de dimanche de _Laetare_, du premier mot de +l'introït _Laetare, Jerusalem_. Ce dimanche, le prêtre en montant à +l'autel, récite à la messe basse, et le choeur chante à la grand'messe +ces paroles tirées de l'Écriture: «_Laetare, Jerusalem; et conventum +facite, omnes qui diligitis eam..._ Réjouis-toi, Jérusalem; et formez +une assemblée, vous tous qui l'aimez. Délectez-vous dans la joie, vous +qui avez été dans la tristesse, afin d'exulter et d'être rassasiés par +l'abondance de votre consolation.» Les prêtres, les religieux, les +clercs versés dans les saintes Écritures, qui savaient la venue de la +Pucelle, ceux-là quand ils chantèrent dans les églises avec tout le +peuple _Laetare, Jerusalem_, eurent présente à la pensée la vierge +annoncée par les prophéties, suscitée pour le salut commun, marquée +d'un signe, qui en ce jour faisait son entrée humblement dans la +ville. Plus d'un, peut-être, appliqua au royaume de France ce qui est +dit de la nation sainte en cet endroit de l'Écriture et trouva dans la +coïncidence de ce texte liturgique et de cette bienvenue un sujet +d'espérance. _Laetare, Jerusalem!_ Réjouis-toi, peuple fidèle à ton +vrai roi et droiturier souverain. _Et conventum facite_. Réunissez +toutes vos forces contre vos ennemis, _Gaudete cum laetitia, qui in +tristitia fuistis_. Après votre longue misère, réjouissez-vous. Le +Seigneur vous envoie secours et consolation. + +[Note 588: _Procès_, t. I, p. 56.] + +[Note 589: _Ibid._, t. II, pp. 394, 462.] + +Par l'intercession de saint Julien, et probablement avec l'aide de +Collet de Vienne, messager du roi, Jeanne trouva logis en ville, près +du château, dans une hôtellerie tenue par une femme de bonne +renommée[590]. Les broches n'y tournaient point. Et les hôtes, +enfoncés dans le manteau de la cheminée, y voyaient griller saint +Hareng, qui souffrit pis que saint Laurent[591]. En ces âges, les +prescriptions de l'Église relativement au jeûne et à l'abstinence +durant le saint temps du carême n'étaient transgressées par personne +en pays chrétien. À l'imitation de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui +jeûna quarante jours dans le désert, les fidèles observaient le jeûne +depuis le quatrième jour avant le dimanche de Quadragésime jusqu'à +Pâques, ce qui donne quarante jours en retranchant les dimanches, où +l'on rompait le jeûne, mais non pas l'abstinence. Ainsi jeûnant, l'âme +allégée, Jeanne entendait le tintement de ses Voix[592]. Durant les +deux jours qu'elle passa à l'hôtellerie, elle vécut recluse, +agenouillée[593]. Les bords de la Vienne et les larges prairies, +encore vêtues de la noire verdure de l'hiver, les coteaux où +traînaient les brumes légères, ne la tentèrent pas. Mais si, pour +aller à l'église, passant par quelque rue montueuse, ou seulement +soignant son cheval dans la cour de l'auberge, elle levait la tête du +côté du nord, elle voyait debout, sur la montagne toute proche, à un +jet de ces boulets de pierre en usage depuis cinquante ou soixante +ans, les tours du plus beau château de tout le royaume, les fières +murailles derrière lesquelles respirait ce roi à qui elle venait, +conduite par un merveilleux amour. + +[Note 590: _Procès_, t. I, p. 143.] + +[Note 591: _La vie de saint Harenc glorieux martir et comment il +fut pesché en la mer et porté à Dieppe_, dans _Recueil des poésies +françaises des XVe et XVIe siècles_, par A. de Montaiglon, t. II, pp. +325-332.] + +[Note 592: Pourtant si Jeanne avait alors l'âge qu'on lui donne, +environ dix-huit ans, elle n'était pas obligée de jeûner; seule +l'abstinence lui était d'obligation.] + +[Note 593: _Procès_, t. III, p. 103.] + +C'étaient trois châteaux qui se confondaient à ses yeux dans une +longue masse grise de murs crénelés, de donjons, de tours, de +tourelles, de courtines, de barbacanes, d'échauguettes et de +bretèches; trois châteaux séparés l'un de l'autre par des douves, des +barrières, des poternes, des herses. À sa gauche, vers le couchant, +fuyaient et se cachaient les unes derrière les autres les huit tours +du Coudray, dont l'une avait été bâtie par un roi d'Angleterre et dont +les moins anciennes dataient de plus de deux cents ans. À droite, bien +visible, le château du milieu dressait ses vieux murs et ses tours +couronnées de mâchicoulis. Là était la chambre de saint Louis, la +chambre du roi, appartement de celui que Jeanne appelait le gentil +dauphin. Et c'est là aussi, tout contre la chambre nattée, que +s'étendait la grande salle où elle allait être reçue. Du côté de la +ville, la place de cette salle était marquée par une tour contiguë, +une tour carrée, très vieille. À droite régnait un vaste bayle, ou +place d'armes, destiné au logement de la garnison et à la défense du +château du milieu. De ce côté, une grande chapelle élevait au-dessus +des remparts sa toiture en forme de carène renversée. Cette chapelle, +bâtie par Henri II d'Angleterre, était sous l'invocation de saint +Georges; le bayle tenait d'elle son nom de fort Saint-Georges[594]. +Tout le monde alors savait l'histoire de saint Georges, vaillant +chevalier qui transperça de sa lance un dragon et délivra la fille +d'un roi, puis souffrit en confessant sa foi; attaché, comme sainte +Catherine, à une roue garnie de lames tranchantes, la roue se rompit +par miracle, tout de même que se brisa celle où les bourreaux avaient +mis la vierge d'Alexandrie. Et, comme elle, saint Georges souffrit la +mort par le glaive. Ce qui prouve qu'il était un grand saint[595], +mais maintenant il avait un tort: il était du parti des Godons qui, +depuis plus de trois cents ans, chômaient sa fête comme celle de toute +l'englischerie, le tenaient pour leur céleste patron et l'invoquaient +de préférence à tout autre bienheureux, en sorte que son nom était +sans cesse dans la bouche du plus vilain archer gallois comme dans +celle d'un chevalier de la Jarretière. À vrai dire, on ne savait ce +qu'il pensait ni s'il ne donnait pas tort à ces pillards qui +combattaient pour une mauvaise cause, mais on pouvait raisonnablement +craindre qu'il ne se montrât sensible à tant d'honneurs. Les saints +du Paradis se mettent volontiers du côté de ceux qui les invoquent le +plus dévotement. Saint Georges, enfin, était Anglais comme saint +Michel était Français. Celui-là, le glorieux archange, se montrait le +plus vigilant protecteur des fleurs de lis, depuis que Monsieur saint +Denys, patron du royaume, avait laissé prendre son abbaye. Et Jeanne +le savait. + +[Note 594: G. de Cougny, _Notice archéologique et historique sur +le château de Chinon_, Chinon, 1860, in-8º.] + +[Note 595: _La Légende dorée_, trad. Gustave Brunet, 1846, pp. +259, 264.--Douhet, _Dictionnaire des légendes_, pp. 426, 436.] + +Cependant les dépêches du capitaine de Vaucouleurs, apportées par +Colet de Vienne, furent remises au Roi[596]. Ces dépêches +l'instruisaient des faits et dits de la jeune fille. C'était une des +innombrables affaires qui devaient être examinées en Conseil, et l'une +de celles que le Roi, ce semble, devait examiner lui-même comme +inhérentes à sa fonction royale et comme l'intéressant spécialement, +puisqu'il s'agissait peut-être d'une fille de piété singulière, et +qu'il était lui-même la première personne ecclésiastique du +royaume[597]. Son grand-père, si sage prince, aurait eu garde de +mépriser les avis des femmes dévotes, en qui Dieu parlait. Environ +l'an 1380, il avait fait appeler à Paris Guillemette de la Rochelle +qui menait une vie solitaire et contemplative, et y avait acquis, +disait-on, une si grande vertu, que, dans ses ravissements, elle se +soulevait de terre de plus de deux pieds. Le roi Charles V lui fit +faire, dans mainte église, de beaux oratoires où elle pût prier pour +lui[598]. Le petit-fils ne devait pas moins faire, ayant plus grand +besoin d'aide. Il trouvait encore dans sa famille des exemples plus +récents du commerce des rois et des saintes. Son père, le pauvre roi +Charles VI, de passage à Tours, se fit présenter par le duc Louis +d'Orléans la dame Marie de Maillé, qui avait fait voeu de virginité et +changé en un agneau timide l'époux venu comme un lion dévorant. Elle +dit au roi des secrets et il fut content d'elle, car il voulut la +revoir trois ans après à Paris. Cette fois ils conversèrent longtemps +seuls ensemble, et elle lui dit encore des secrets, si bien qu'il la +renvoya avec des présents[599]. Ce même prince avait fait accueil à un +pauvre chevalier cauchois nommé Robert le Mennot qui, favorisé d'une +vision durant qu'il était près des côtes de Syrie, au péril de la mer, +se disait envoyé de Dieu pour le rétablissement de la paix[600]. Il +avait reçu plus favorablement encore une femme nommée Marie Robine et +qu'on appelait d'ordinaire la Gasque d'Avignon[601]. En 1429, tout le +monde, autour du Roi, n'avait pas oublié cette inspirée venue à +Charles VI pour le retenir dans l'obéissance du pape Benoît XIII. Ce +pape se trouva être un antipape; mais la Gasque fut tenue cependant +pour prophétesse. Elle avait eu, comme Jeanne, beaucoup de visions +touchant la désolation du royaume de France, et elle avait vu des +armes dans le ciel[602]. Les rois d'Angleterre n'étaient pas moins +attentifs que les rois de France à recueillir la parole de ces saints +et de ces saintes qui alors prophétisaient en foule. Henri V +interrogea l'ermite de Sainte-Claude, Jean de Gand, qui lui annonça sa +fin prochaine; et, mourant, il fit encore appeler le prophète +inexorable[603]. C'était l'usage des saints de parler aux rois et +l'usage des rois de les entendre. Comment un prince pieux eût-il +dédaigné cette source merveilleuse de conseils? Il eût encouru par là +le blâme des plus sages. + +[Note 596: _Chronique de la Pucelle_, p. 273.--_Journal du siège_, +p. 46-47.] + +[Note 597: Épître de Jouvenel des Ursins, dans De Beaucourt, +_Histoire de Charles VII_, t. V, p. 206, note 1.] + +[Note 598: Vallet de Viriville, _Histoire de Charles VII_, t. II, +p. X.] + +[Note 599: _Acta sanctorum_, t. III, Mars, p. 742.--Abbé Pétin, +_Dictionnaire hagiographique_, 1850, t. II, p. 1516.] + +[Note 600: Froissart, _Chroniques_, liv. IV, ch. XLIII et suiv.] + +[Note 601: _Procès_, t. III, p. 83, note 2.--Vallet de Viriville, +_Procès de condamnation de Jeanne d'Arc_, Paris, 1867, in-8º, pp. XXXI +et suiv.] + +[Note 602: _Le songe du vieil Pèlerin_, par Philippe de Maizières +(Bibl. Nat., fonds français, nº 22542).] + +[Note 603: Chastellain, éd. Buchon, pp. 114 et 116.--_Acta +Sanctorum Junii_, t. I, p. 648.--Le P. De Buck, _Le bienheureux Jean +de Gand_, Bruxelles, 1862, in-8º, 40. p.--Le P. Chapotin, _La guerre +de cent ans; Jeanne d'Arc et les Dominicains_, Évreux, 1888, in-8º, p. +89.] + +Le roi Charles lut les lettres du capitaine de Vaucouleurs et fit +interroger devant lui les conducteurs de la jeune fille. De mission, +de miracles, ils ne purent rien dire. Mais ils parlèrent du bien +qu'ils avaient vu en elle durant le voyage, et affirmèrent qu'elle +était toute bonne[604]. + +[Note 604: _Chronique de la Pucelle_, p. 273.--_Journal du siège_, +p. 46.] + +Assurément, Dieu parle par ses vierges. Mais, en de telles rencontres, +il est nécessaire d'agir avec une extrême prudence, de distinguer +soigneusement les vraies prophétesses d'avec les fausses et de ne +point prendre pour des messagères du ciel les fourrières du diable. +Celles-ci font parfois illusion. À l'exemple de Simon le Magicien, qui +opposait des prodiges aux miracles de saint Pierre, ces créatures +recourent aux arts diaboliques pour séduire les hommes. Douze ans +auparavant, une femme venue aussi des Marches de Lorraine, Catherine +Sauve, native de Thons proche Neufchâteau, qui vivait recluse au Port +de Lates, avait prophétisé. Toutefois, l'évêque de Maguelonne sut de +science certaine qu'elle était menteresse et sorcière; c'est pourquoi +elle fut brûlée vive à Montpellier en 1417[605]. Des nuées de femmes, +ou plutôt de femelles, _mulierculae_[606], vivaient comme cette +Catherine et finissaient comme elle. + +[Note 605: _Parvus Thalamus_, éd. de la Société archéologique de +Montpellier, p. 464.--Th. de Bèze, _Histoire ecclésiastique_, 1580, t. +I, p. 217.--A. Germain, _Catherine Sauve_, Montpellier, 1853, in-4º, +16 pages.--H.-C. Lea, _Histoire de l'inquisition au moyen âge_, trad. +S. Reinach, t. II, p. 185.--Vallet de Viriville, _Histoire de Charles +VII_, t. II. p. X.] + +[Note 606: Jean Nider, _Formicarium_ dans _Procès_, t. IV, p. +502.] + +Jeanne fut interrogée sommairement par des hommes d'Église, qui lui +demandèrent pourquoi elle était venue. Elle répondit d'abord qu'elle +ne dirait rien que parlant au roi. Les clercs lui ayant représenté que +c'était au nom même du roi qu'ils l'invitaient à s'expliquer, elle fit +connaître qu'elle avait deux choses en mandat de la part du Roi des +cieux: que l'une était de lever le siège d'Orléans, l'autre de +conduire le roi à Reims pour son sacre et son couronnement[607]. +Devant ces gens d'Église, de même qu'à Vaucouleurs devant sire Robert, +elle répétait, mot pour mot, ce qu'autrefois avait dit le vavasseur de +Champagne envoyé au roi Jean le Bon, tout comme elle était envoyée au +dauphin Charles. + +[Note 607: _Procès_, t. III, p. 115.] + +Ayant cheminé jusqu'à la plaine de Beauce, où le roi Jean, impatient +de combattre, campait avec son armée, le vavasseur champenois entra +dans le camp et demanda à voir le plus prud'homme qui se tînt auprès +du roi. Les seigneurs, à qui cette requête fut portée, se mirent à +rire. Mais l'un d'eux, ayant vu de ses yeux le vavasseur, reconnut +tout de suite que c'était un homme bon, simple et sans malice. Il lui +dit: «Si tu as quelque avis à donner, va vers l'aumônier du roi.» Le +vavasseur alla donc vers l'aumônier du roi Jean et lui dit: «Faites +que je parle au roi; j'ai telle chose à dire que je ne dirai à +personne fors à lui.--Qu'est-ce? demanda l'aumônier. Dites ce que vous +savez.» Mais le bonhomme ne voulut pas révéler son secret. L'aumônier +alla trouver le roi Jean et lui dit: «Sire, il y a céans un +prud'homme, qui me semble sage à sa façon et qui vous veut dire une +chose qu'il ne dira qu'à vous.» Le roi Jean refusa de voir ce +prud'homme. Il appela son confesseur et l'envoya recueillir, en +compagnie de son aumônier, le secret du vavasseur. Les deux prêtres +allèrent à l'homme et lui annoncèrent qu'ils étaient commis par le +roi pour l'entendre. À cette nouvelle, désespérant de voir le roi Jean +et se fiant au confesseur et à l'aumônier pour ne révéler son secret +qu'au roi, il leur parla comme voici: «Tandis que j'étais seul aux +champs, une voix me dit par trois fois: «Va vers le roi Jean de +France, et l'avertis de ne combattre contre nuls de ses ennemis. +Obéissant à cette voix, je suis venu en porter nouvelles au roi Jean.» +Ayant reçu le secret du vavasseur, le confesseur et l'aumônier le +portèrent au roi qui s'en moqua. Il s'avança avec ses compagnons +jusqu'à Poitiers, où il rencontra le prince Noir. Il perdit toute son +armée dans la bataille et, atteint au visage de deux blessures, fut +pris par les Anglais[608]. + +[Note 608: S. Luce, _Chronique des quatre premiers Valois_, Paris, +1861, in-8º, pp. 46, 48.] + +Les clercs qui avaient interrogé Jeanne différaient d'opinions sur +elle. Les uns déclaraient que son affaire n'était qu'une trufferie et +que le roi eût à se défier de cette fille[609]. Les autres pensaient +au contraire que puisqu'elle se disait envoyée de Dieu et avait à +parler au roi, le roi devait au moins l'entendre. + +[Note 609: _Procès_, t. III, p. 115.--Thomassin, _Registre +Delphinal_, dans _Procès_, t. IV, p. 304.--_Chronique de la Pucelle_, +p. 273.--_Journal du siège_, p. 47.] + +Deux hommes d'Église, qui se trouvaient alors auprès du roi, Jean +Girard, président du Parlement de Grenoble, et Pierre l'Hermite, qui +fut depuis sous-doyen de Saint-Martin-de-Tours, jugèrent le cas assez +intéressant et assez difficile pour le soumettre à messire Jacques +Gélu, ce prélat armagnac, qui avait longtemps servi, dans les +conseils et les ambassades, la maison d'Orléans et le dauphin de +France. Gélu aux approches de la soixantaine s'était retiré du Conseil +et avait quitté le siège archiépiscopal de Tours pour le siège +d'Embrun, plus humble et plus caché. Il était illustre et +vénérable[610]. Jean Girard et Pierre l'Hermite lui annoncèrent, en +une lettre missive, la venue de cette jeune fille et ils lui firent +connaître qu'interrogée singulièrement par trois professeurs de +théologie, elle avait été reconnue dévote, sobre, tempérante et +coutumière, une fois la semaine, des sacrements de confession et de +communion. Jean Girard pensait qu'elle pouvait avoir été envoyée par +le Dieu qui suscita Judith et Déborah et se fit annoncer par les +Sibylles[611]. + +[Note 610: _Gallia Christiana_, t. III, col. 1089.] + +[Note 611: Le R. P. Marcellin Fornier, _Histoire générale des +Alpes-Maritimes ou Cottiennes_, publ. par l'abbé Paul Guillaume, +Paris, 1890-1892 (3 vol. in-8º), t. II, pp. 313 et suiv.] + +Charles était pieux et entendait à genoux et dévotement trois messes +par jour; il récitait exactement ses heures canonicales et y joignait +des prières pour les morts et d'autres oraisons; il se confessait +quotidiennement et communiait aux jours de fêtes[612], mais il croyait +à la divination par les astres, en quoi, il ne se distinguait pas des +autres princes de son temps: chacun d'eux avait un astrologue à son +service[613]. Le feu duc de Bourgogne était constamment accompagné +d'un devin juif nommé maître Mousque. Le jour dont il ne devait pas +voir la fin, comme il se rendait au pont de Montereau, maître Mousque +lui conseilla de ne point aller plus avant, pronostiquant qu'il n'en +reviendrait pas. Le duc passa outre et fut tué[614]. Le dauphin +Charles se fiait aux Jean des Builhons, aux Germain de Thibouville et +à tous autres bonnets pointus[615] et gardait toujours deux ou trois +astrologues auprès de lui. Ces faiseurs d'almanachs dressaient des +thèmes de nativité, tiraient des horoscopes et lisaient dans le ciel +l'annonce des guerres et des révolutions. L'un d'eux, maître Rolland +l'Écrivain, suppôt de l'Université de Paris, qui la nuit, dans sa +gouttière, observait le ciel, vit, un certain jour, à une certaine +heure, l'Épi de la Vierge en l'ascendant, Vénus, Mercure et le Soleil +au mi-ciel[616]; par quoi son compère Guillaume Barbin de Genève +découvrit sûrement que les Anglais seraient chassés de France et le +roi rétabli par le moyen d'une simple pucelle[617]. Si l'on en croit +l'inquisiteur Bréhal, quelque temps avant la venue de Jeanne, en +France, un habile astronome de Sienne, du nom de Jean de Montalcin, +avait, entre autres choses, écrit au roi Charles les paroles +suivantes: «Votre victoire sera dans le conseil d'une vierge; +poursuivez votre triomphe sans cesse jusqu'à la ville de Paris[618].» + +[Note 612: Le Religieux de Dunfermling, dans _Procès_, t. V, p. +340.--Vallet de Viriville, _Histoire de Charles VII_, t. I, pp. 265 et +suiv.--De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. I, p. 243.] + +[Note 613: Simon de Phares, _Recueil des plus célèbres +astrologues_, ms. fr. 1357.--Vallet de Viriville, _Histoire de Charles +VII_, t. I, p. 306; t. II, p. 345, note.--De Beaucourt, _Histoire de +Charles VII_, t. VI, p. 399.] + +[Note 614: Chastellain, t. III, p. 446.] + +[Note 615: Vallet de Viriville, _Histoire de Charles VII_, t. I, +p. 173.] + +[Note 616: Je corrige à cet endroit le texte de Simon de Phares +(_Procès_, IV, p. 536) d'après une communication écrite de M. Camille +Flammarion.] + +[Note 617: _Procès_, t. IV, p. 536.] + +[Note 618: _Procès_, t. III, p. 341.] + +En ce moment même, le dauphin Charles gardait près de lui, à Chinon, +un vieux astrologue normand, nommé Pierre, qui pourrait bien être +Pierre de Saint-Valerien, chanoine de Paris, lequel revenait d'Écosse, +où il était allé chercher, avec nombre de gentilshommes, madame +Marguerite, fiancée au dauphin Louis. Ce maître Pierre passa, très peu +de temps après, à tort ou à raison, pour avoir lu dans le ciel que la +bergère de la Meuse était destinée à chasser les Anglais[619]. + +[Note 619: Recueil de Simon de Phares, dans _Procès_, t. V, p. 32, +note.] + +Jeanne n'attendit pas longtemps dans son hôtellerie. Deux jours après +sa venue, ce qu'elle avait voulu d'un si grand coeur s'accomplit; elle +fut menée au roi[620]. On montrait encore au siècle dernier près du +Grand-Carroy, devant une maison en colombage, un puits sur la marge +duquel, selon la tradition, elle mit le pied pour descendre de cheval, +avant de gravir la pente roide qui, par la vieille Porte, conduisait +au château[621]. Elle avait déjà franchi le fossé, et le roi n'était +pas encore décidé à la recevoir. Plusieurs de ses familiers, et non +des moindres, lui conseillaient de se défier d'une femme inconnue qui +formait peut-être de mauvais desseins. D'autres lui représentèrent, au +contraire, que cette pastoure lui était annoncée par lettres, envoyée +de la part de Robert de Baudricourt, amenée à travers des provinces +ennemies; qu'elle avait, de façon quasi miraculeuse, traversé à gué +beaucoup de rivières pour arriver jusqu'à lui. Le roi, sur ces +représentations, consentit à l'accueillir[622]. + +[Note 620: _Procès_, t. I, p. 143; t. III. p. 143.] + +[Note 621: La margelle a été enlevée sous le second Empire. On +sait d'ailleurs qu'il ne faut accorder aucune confiance aux traditions +de ce genre.--G. de Cougny, _Charles VII et Jeanne d'Arc à Chinon_, +Tours, 1877, in-8º.] + +[Note 622: _Procès_, t. I, p. 75; t. III, p. 115.--_Chronique de +la Pucelle_, p. 273.--_Journal du siège_, pp. 46, 47.--Th. Basin, +_Histoire de Charles VII et de Louis XI_, t. I, p. 68.] + +La grande salle regorgeait de monde; les haleines la chauffaient, ni +plus ni moins qu'à toute audience que donnait le roi; elle présentait +cet aspect de halle, de cohue, familier aux courtisans. C'était le +soir; cinquante torches brûlaient sous les solives peintes[623]; +hommes mûrs enjuponnés et fourrés, jeunes gentilshommes glabres, +engoncés des épaules, étriqués du reste, la taille fine, les jambes +grêles dans les chausses collantes, les pieds pointus dans les +poulaines; seigneurs tout armés, au nombre de trois cents, se +pressaient, selon la coutume aulique, poussaient, arrondissaient les +coudes, et l'huissier donnait de la verge sur les têtes[624]. + +[Note 623: _Procès_, t. I, pp. 79, 141.] + +[Note 624: Le Curial, dans _Les oeuvres de maistre Alain +Chartier_, éd. Du Chesne, Paris, 1642, in-4º, p. 398.] + +Là se trouvaient les deux envoyés d'Orléans, messire Jamet du Tillay +et le vieux seigneur Archambaud de Villars, capitaine de Montargis, +Simon Charles, maître des requêtes, ainsi que de très hauts seigneurs, +le comte de Clermont, le sire de Gaucourt et probablement le sire de +La Trémouille et Monseigneur l'archevêque de Reims, chancelier du +royaume[625]. Averti que la Pucelle venait, soit qu'il lui restât +quelque défiance et qu'il hésitât encore, soit qu'il eût certaines +personnes à entretenir d'abord, ou pour toute autre raison, le roi +Charles s'enfonça dans la foule des seigneurs[626]. Jeanne fut +introduite par le comte de Vendôme[627]. Robuste, le cou puissant et +court, la poitrine ample, autant qu'il y pouvait paraître sous le +jacque, elle portait petits draps, c'est-à-dire braies comme les +hommes[628]. Ce qui devait surprendre plus encore que ses chausses, +c'était sa coiffure. Un chaperon de laine sur la tête, elle montrait +ses cheveux noirs coupés en sébile à la manière des varlets[629]. Les +femmes de tout âge et de toute condition prenaient grand soin de tirer +leurs cheveux sous le hennin, la coiffe, le voile, de manière qu'il +n'en passât pas un fil. Et cette crinière libre sur une tête féminine +était pour le temps une chose étrange[630]. + +[Note 625: Jeanne cite comme présent La Trémoïlle et l'archevêque +de Reims, mais elle cite aussi le duc d'Alençon qui certainement ne +s'y trouvait pas.] + +[Note 626: _Procès_, t. III, p. 115.] + +[Note 627: _Ibid._, t. I, pp. 79 et 141.] + +[Note 628: Mathieu Thomassin, dans _Procès_, t. IV, pp. 304; +_Chronique de Lorraine_, _ibid._, p. 330; Philippe de Bergame, +_ibid._, p. 523.] + +[Note 629: _Relation du Greffier de la Rochelle_, dans _Revue +Historique_, t. IV, p. 336.] + +[Note 630: Saint Paul, Épître aux Corynthiens, 11.--Labbe, +_Collection des Conciles_, t. VII, p. 978.--Saumaise, _Epistola ad +Andream Colvium super cap. XI, I ad Corynth. de cæsarie virorum et +mulierum coma_, Lugd. Batavor, ex off. Elz. 1644, in-12.--_Quelques +notes d'archéologie sur la chevelure féminine_ dans _Comptes rendus de +l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres_, 1888, XVI, pp. 419, +425.] + +Elle alla droit au roi, ôta son chaperon, fit la révérence à la +paysanne, et dit: + +--Dieu vous donne bonne vie, gentil dauphin[631]. + +[Note 631: _Procès_, t. I, p. 75; III, pp. 17, 92, 115.--Jean +Chartier, _Chronique_, t. I, p. 67.--_Chronique de la Pucelle_, p. +273.--_Journal du siège_, p. 46.] + +On admira plus tard qu'elle l'eût reconnu au milieu des seigneurs +vêtus plus richement que lui. Il est possible qu'il fût ce jour-là +assez mal habillé. Nous savons qu'il faisait remettre des manches à +ses vieux pourpoints[632]. En tout cas, il ne payait pas de mine. Fort +laid, les yeux petits, vairons et troubles, le nez gros et bulbeux, ce +prince de vingt-six ans tenait mal sur ses jambes décharnées et +cagneuses, jointes à des cuisses creuses par deux genoux énormes qui +ne voulaient point se séparer l'un de l'autre[633]. Qu'elle l'eût +reconnu pour l'avoir déjà vu en peinture, c'est peu croyable. Les +images des princes étaient rares en ce temps. Jeanne n'avait jamais +feuilleté un de ces livres précieux où le roi Charles pouvait être +peint à la miniature dans l'attitude d'un Mage offrant des présents à +l'enfant Jésus[634]. Elle n'avait jamais vu très probablement aucun +tableau peint sur bois à la ressemblance de son roi, les mains +jointes, sous les courtines de son oratoire[635]. Et, par grand +hasard, lui eût-on montré quelqu'un de ces portraits, ses yeux, faute +d'habitude, n'y eussent pas distingué grand'chose. Il n'y a pas non +plus à rechercher si les Chinonais lui décrivirent le costume +ordinaire du roi et la façon du chapeau qu'il avait coutume de porter: +car il gardait, comme tout le monde, son chapeau sur la tête dans les +chambres, même pour dîner. Ce qui est le plus probable, c'est que des +gens bien disposés pour elle la dirigèrent. De toute manière, le roi +n'était pas si difficile à trouver, puisque ceux qui la virent, quand +elle le trouva, n'en furent nullement ébahis. + +[Note 632: De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. II, p. +195.] + +[Note 633: Th. Basin, t. I, p. 312.--Chastellain, t. II, p. +178.--_Portrait historique du roi Charles VII_, par Henri Baude, +publié par Vallet de Viriville dans _Nouvelles Recherches sur Henri +Baude_, p. 6.--De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, p. 83.] + +[Note 634: Comme dans la miniature de Jean Fouquet, de plus de dix +ans postérieure. Gruyer, _Les Quarante Fouquet de Chantilly_, Paris, +1897, in-4º.] + +[Note 635: _Note sur un ancien portrait de Charles VII conservé au +Louvre_, dans _Bulletin de la Société des Antiquaires de France_, +1862, pp. 67 et suiv.] + +Lorsqu'elle eut fait son salut villageois, le roi lui demanda son nom +et ce qu'elle voulait. Elle répondit: + +--Gentil dauphin, j'ai nom Jeanne la Pucelle et vous mande le Roi des +cieux par moi que vous serez sacré et couronné à Reims et serez le +lieutenant du Roi des cieux, qui est le Roi de France. + +Elle demanda qu'on la mît en oeuvre, promettant que par elle serait +levé le siège d'Orléans[636]. + +[Note 636: _Procès_, t. II, p. 103.--_Relation du Greffier de La +Rochelle_, p. 337.--_Chronique de la Pucelle_, p. 273.--Jean Chartier, +_Chronique_, t. I, pp. 67, 68.] + +Le roi la tira à part et l'interrogea assez longtemps. Il était +naturellement doux, affable envers les humbles et les pauvres, mais +non sans défiances ni soupçons. + +Durant cet entretien particulier, elle lui fit, dit-on, en le tutoyant +avec une familiarité angélique, cette étrange révélation: + +--Je te dis, de la part de Messire, que tu es vrai héritier de France +et fils de roi[637]. + +[Note 637: _Procès_, t. III, p. 103.] + +Plus tard, l'aumônier de la Pucelle rapporta ce propos, disant le +tenir de la Pucelle elle-même. Ce qui est certain, c'est que les +Armagnacs en tirèrent bientôt un miracle en faveur de la maison des +Lis. On prétendit que ces paroles, que Dieu lui-même prononçait par la +bouche d'une innocente, correspondaient à une secrète et cruelle +inquiétude du roi, que le fils de madame Ysabeau était troublé et +contristé à l'idée que, peut-être, un sang royal ne coulait pas dans +ses veines et que, à moins de sortir, par illumination céleste, des +doutes que lui inspirait sa naissance, il était prêt à renoncer à son +royaume comme à un bien usurpé[638]. On assura qu'à la révélation +qu'il était vrai héritier de France, son visage avait resplendi de +joie. + +[Note 638: L'abréviateur du Procès, dans _Procès_, t. IV, pp. +258-259.--Basin, _Histoire de Charles VII et de Louis XI_, t. I, p. +67.--_Journal du siège_, p. 48.] + +Sans doute, la reine Ysabeau était communément traitée par les +prêcheurs armagnacs de «grande gorre» et d'Hérodiade gonflée +d'impuretés; encore voudrait-on savoir d'où venait tout à coup à son +fils cette curiosité bizarre? Il n'en avait pas demandé tant pour +recevoir son héritage. Et, au besoin, tous les légistes de son parti +l'eussent rassuré[639]: ils lui auraient démontré, par raisons tirées +des lois et coutumes, qu'il était, de naissance, vrai héritier et +droit successeur du feu roi, la filiation se prouvant par ce qui est +manifeste, et non par ce qui est caché, sans quoi, il ne serait pas +possible de régler les successions ni de discerner sûrement le +légitime héritier d'un royaume ou d'un arpent de terre. Cependant on +doit tenir compte que, à cette heure, il était très malheureux, et que +le malheur agite les consciences et soulève les scrupules, et qu'enfin +il pouvait douter de la justice de sa cause, puisque Dieu +l'abandonnait. Mais si vraiment des doutes pénibles le tourmentaient, +comment croire qu'il s'en délivra sur le dire d'une jeune fille dont +il ne savait encore si elle était sage on folle, ni si même elle ne +lui était pas envoyée par ses ennemis? Cette crédulité ne s'accorde +guère avec ce que nous savons de son naturel soupçonneux. La première +pensée qui devait venir à son esprit, c'est que des clercs avaient +endoctriné la jeune fille. + +[Note 639: _Procès_, t. III, p. 116.--S. Luce, _Jeanne d'Arc à +Domremy_, p. LXI.] + +Peu d'instants après l'avoir congédiée, il appela le sire de Gaucourt +et quelques autres de son Conseil et leur répéta ce qu'il venait +d'entendre: + +--Elle m'a dit qu'elle m'était envoyée de par Dieu pour m'aider à +recouvrer mon royaume[640]. + +[Note 640: _Procès_, t. III, p. 209.] + +Il n'ajouta point qu'elle lui avait révélé un secret connu de lui +seul. + +Les conseillers du roi, encore mal édifiés sur cette jeune fille, +décidèrent qu'il fallait l'avoir sous la main, pour l'examiner dans +ses moeurs et croyances[641]. + +[Note 641: _Ibid._, t. III, p. 209.] + +Le sire de Gaucourt la retira de chez son hôtesse pour la loger dans +une tour de ce Coudray que, depuis trois jours, elle voyait au-dessus +de la ville[642]. Le Coudray, l'un des trois châteaux, n'était séparé +du château du milieu, où logeait le roi, que par un fossé et des +travaux de défense[643]. Gaucourt la confia à son lieutenant pour la +ville de Chinon, Guillaume Bellier, majordome du roi[644]. Il lui +donna pour la servir un de ses pages, un enfant de quinze ans, +Immerguet, qu'on appelait aussi Minguet, d'un sobriquet de famille. On +l'appelait encore Mugot, peut-être par corruption de _mango_, qui +voulait dire «page» en bas-latin[645]. Il était, de son vrai nom, +Louis de Coutes et sortait d'une vieille famille d'épée, attachée dès +le siècle précédent à la maison d'Orléans. Son père, Jean, dit +Minguet, seigneur de Fresnay-le-Gelmert, de la Gadelière et de Mitry, +chambellan du duc d'Orléans, était mort depuis deux ans, très pauvre. +Il avait laissé après lui une veuve et cinq enfants, trois garçons et +deux filles, dont l'une, nommée Jeanne, était depuis 1421, la femme de +messire Florentin d'Illiers, capitaine de Châteaudun. Ainsi donc Louis +de Coutes, le petit page, et Catherine le Mercier, dame de Noviant, sa +mère, qui sortait d'une noble famille d'Écosse, se trouvaient l'un et +l'autre dans un pénible dénuement, bien que le duc d'Orléans en +mémoire des loyaux services de son chambellan eût octroyé à la dame de +Noviant un secours sur ses finances[646]. Jeanne gardait Minguet près +d'elle tout le jour, mais, la nuit, elle couchait avec des femmes. La +femme de Guillaume Bellier, qui était de bonne vie et pieuse, du moins +le disait-on, veillait sur elle[647]. Au Coudray, le page la vit +maintes fois à genoux. Elle priait et souvent elle pleurait +abondamment[648]. Des personnages de grand état vinrent pendant +plusieurs jours s'entretenir avec elle. Ils la trouvèrent habillée en +garçon[649]. + +[Note 642: _Ibid._, t. III, p. 66.] + +[Note 643: G. de Cougny, _Charles VII et Jeanne d'Arc à Chinon_, +Tours, 1877, p. 40.] + +[Note 644: _Procès_, t. III, p. 17.] + +[Note 645: Du Cange, _Glossarium, ad verb_.] + +[Note 646: _Procès_, t. III, pp. 65, 73.--Mademoiselle A. de +Villaret, _Louis de Coutes, page de Jeanne d'Arc_, Orléans, 1890, +in-8º.] + +[Note 647: _Procès_, t. III, p. 17.] + +[Note 648: _Ibid._, t. III, p. 66.] + +[Note 649: _Chronique de la Pucelle_, pp. 274 et suiv.--Jean +Chartier, _Chronique_, p. 68.] + +Depuis qu'elle était auprès du roi, certains lui demandaient s'il n'y +avait point dans le pays d'où elle venait un bois nommé le +Bois-Chenu[650]. + +[Note 650: _Procès_, t. I, p. 68.] + +On lui faisait cette question parce qu'il courait alors une prophétie +de Merlin concernant une pucelle qui devait venir du bois Chenu. Et +les gens en étaient émus, car tout le monde alors prêtait attention +aux prophéties et celles de Merlin l'Enchanteur étaient +particulièrement estimées[651]. + +[Note 651: _Ibid._, t. III, pp. 133, 340.--Thomassin, dans +_Procès_, t. IV, p. 395.--Walter Bower, dans _Procès_, t. IV, p. +489.--Christine de Pisan, dans _Procès_, t. V, p. 12.--La Borderie, +_Les véritables prophéties de Merlin, examen des poèmes bretons +attribues à ce barde_, dans _Revue de Bretagne_, 1883, t. LIII.] + +Merlin, né d'une femme par les oeuvres du diable, tirait de cette +origine sa science profonde; à la pratique des nombres, qui donnent la +clef de l'avenir, il joignait la connaissance de la physique par +laquelle s'opèrent les enchantements; aussi lui était-il facile de +changer les rochers en géants. Pourtant une dame le vainquit; la fée +Viviane enchanta l'enchanteur et le retint charmé dans un buisson +d'aubépine. C'est là un exemple, après tant d'autres, du pouvoir des +femmes. + +Les insignes docteurs et les illustres maîtres estimaient que Merlin +avait dévoilé bien des choses futures et prédit bien des événements +dont quelques-uns n'étaient pas encore accomplis; et à ceux qui +s'étonnaient qu'un fils du diable eût reçu le don de prophétie, ils +répondaient que le Saint-Esprit est bien le maître de révéler ses +secrets à qui il lui plaît, comme il l'a montré en faisant parler les +Sibylles et en ouvrant la bouche à l'ânesse de Balaam. + +Merlin avait désigné notamment sire Bertrand Du Guesclin sous la +figure d'un guerrier portant un aigle sur son écu, ce dont on s'avisa +après les hauts faits du Connétable[652]. + +[Note 652: Cuvelier, _Le poème de Du Guesclin_, v. +3285.--Francisque-Michel et Th. Wright, _Vie de Merlin attribuée à +Geoffroy de Monmouth, suivie des prophéties de ce barde, tirées de +l'histoire des Bretons_, Paris, 1837, in-8º, pp. 67 et suiv.--La +Villemarqué, _Myrdhin ou Merlin l'Enchanteur, son histoire, ses +oeuvres, son influence_, n. éd., Paris, 1862, in-12.--D'Arbois de +Jubainville, _Merlin est-il un personnage réel?_ dans _Revue des +Questions Historiques_, 1868, pp. 559-568.--Lefèvre-Pontalis, +_Morosini_, t. IV, annexe XVI.--«[Geoffroy de Monmouth] fit prédire +par lui (Merlin) tous les événements de l'histoire de Bretagne jusqu'à +l'année même où il écrivait (1135)... Le succès de l'_Historia regum_ +fut très grand dans le monde des clercs; on accepta ses fables pour +vérité, et, s'émerveillant de l'exactitude des prophéties de Merlin +jusqu'en 1135, on s'efforça de démêler ce qu'elles annonçaient pour +les temps subséquents.» Gaston Paris, _La Littérature française au +moyen âge_, 1890, pp. 86-104.] + +Les Anglais n'accordaient pas moins de créance que les Français aux +prophéties de ce sage. Quand Arthur de Bretagne, comte de Richemont, +fut pris à rançon et mené au roi Henri, celui-ci, voyant un sanglier +sur les armes du duc, laissa éclater sa joie. Il avait présente à +l'esprit la vaticination de Merlin, qui disait: «Un prince nommé +Arthur, né de la Bretagne armoricaine, portant un sanglier sur son +enseigne, doit conquérir Angleterre, et, après qu'il en aura débouté +la génération des Anglais, la repeuplera du lignage breton[653].» + +[Note 653: Le Baud, _Histoire de Bretagne_, Paris, 1638. in-fol. +p. 451.] + +Or, durant le carême de l'an 1429, courait parmi les Armagnacs cette +prédiction extraite d'un livre de Merlin: + +«De la ville du Bois-Chenu sortira une pucelle pour donner ses soins à +la guérison; laquelle, après avoir forcé toutes les citadelles, +desséchera de son souffle toutes les fontaines. Elle se répandra en +pleurs misérables et remplira l'île d'une clameur horrible. La tuera +le cerf à dix cors, de qui quatre ramures porteront des diadèmes d'or, +mais dont les six autres seront changées en cornes de buffles et +troubleront d'un son funeste les îles de Bretagne. Se dressera la +forêt danoise, qui parlera d'une voix humaine, disant: «Viens, +Cambrie, joins à ton flanc Cornouailles[654].» + +[Note 654: _Procès_, t. III, pp. 340-342.] + +Dans cet obscur langage, Merlin annonce confusément qu'une vierge +accomplira des actions grandes et extraordinaires avant de périr d'une +main ennemie. Sur un seul point il est clair, ou le semble. C'est +quand il dit que cette vierge sortira de la ville du Bois-Chenu. + +Si quelqu'un avait pu prendre cette prophétie à sa source et la lire +dans le quatrième livre de l'_Historia Britonum_, où elle se trouvait +effectivement sous le titre de _Guyntonia vaticinium_, il aurait vu +qu'elle concernait la ville anglaise de Winchester et se serait +aperçu que, dans les copies qu'on faisait courir en France, elle était +dénaturée, tronquée et tout à fait détournée de son véritable sens. +Mais personne ne s'avisa de vérifier le texte. Les livres étaient +rares et les esprits dépourvus de critique. La leçon fautive à dessein +fut acceptée pour la pure parole de Merlin et il en courut de +nombreuses copies. + +Ces copies, d'où venaient-elles? Leur origine demeurera sans doute à +jamais inconnue; mais un point est hors de doute: c'est qu'elles +désignaient la fille de la Romée, qui du seuil de la maison paternelle +voyait l'orée du Bois-Chenu. Elles ne venaient donc pas de très loin +et ne couraient pas depuis longtemps[655]. Si cette prophétie de +Merlin corrigée n'est pas celle que Jeanne entendit au village, +annonçant qu'une Pucelle viendrait des Marches de Lorraine pour le +salut du royaume, c'est sa cousine germaine; elles ont toutes deux un +air de famille[656]; elles furent lancées l'une et l'autre dans un +même esprit et dans une même intention et il faut bien y reconnaître +l'indice d'un concert entre des clercs de la Meuse et des clercs de la +Loire pour mettre en lumière la miraculée de Domremy. + +[Note 655: Morosini, t. IV, p. 324.] + +[Note 656: Pierre Migiet fond les deux prophéties en une seule +qu'il dit avoir lue dans un livre, _Procès_, t. III, p. 133.] + +La chevauchée de Jeanne étant prédite par Merlin, il fallait qu'elle +le fût aussi par Bède, car Bède et Merlin, en matière prophétique, +marchaient toujours ensemble. + +Le moine de Yearmouth, Bède le Vénérable, vieux alors de six siècles, +avait été de son vivant un puits de science. Il avait écrit sur la +théologie et sur la chronologie, il avait parlé du jour et de la nuit, +de la semaine et des mois, des signes du zodiaque, des épactes, du +cycle lunaire et des fêtes mobiles. Dans son livre _De temporum +ratione_, il avait traité des septième et huitième âges du monde, +lesquels devaient suivre l'âge où il vivait. Il avait prophétisé. +Durant le siège d'Orléans, des clercs répandirent sous son nom ces +vers difficiles dans lesquels la venue de la Pucelle était annoncée: + + _Bis sex cuculli, bis septem se sociabunt[657], + Gallorum pulli Tauro nova bella parabunt, + Ecce beant bella, tunc fert vexilla Puella._ + +[Note 657: En adoptant la correction de M. Germain +Lefèvre-Pontalis, _Chronique d'Antonio Morosini_, t. III, pp. 126, +127; t. IV, pp. 316 et suiv.] + +Le premier de ces vers est un chronogramme, c'est-à-dire qu'il +contient en lui-même une date. Pour la dégager, on prend les lettres +numérales qui s'y trouvent, et l'on en fait la somme. Cette somme +donnera la date. + + _bIs seX CVCVLLI, bIs septeM se soClabVnt_ + + 1 + 10 + 100 + 5 + 100 + 5 + 50 + 50 + 1 + 1 + 1000 + 100 + 1 + 5 = 1429. + +Si l'on avait cherché ces vers dans les livres du vénérable Bède, on +ne les y aurait pas trouvés; ils n'y sont pas; mais on ne songea pas +plus à les y chercher qu'à chercher dans Merlin la Forêt Chenue[658]. +Et il fut entendu que Bède et Merlin annonçaient la Pucelle. Des bords +de la Loire, en cette saison, vaticinations, carmes sibyllins, +chronogrammes s'envolaient comme des pigeons et se répandaient dans +tout le royaume. Le faux Bède parviendra en Bourgogne dès mai ou juin +de cette même année. On le connaîtra plus tôt encore à Paris. +Christine de Pisan, vieille et recluse en une abbaye de France, +écrira, avant le dernier jour de juillet 1429, que Bède et Merlin +avaient vu la Pucelle en esprit[659]. + +[Note 658: _The complete works of Venerable Bede_, éd. Giles, +Londres, 1843-44, 12 vol. in-8º, ap. _Patres Ecclesiæ anglicanæ_.] + +[Note 659: Christine de Pisan, dans _Procès_, t. V, p. +12.--Morosini, t. III, p. 126.--Le Doyen de Saint Thibaud, dans +_Procès_, t. IV, p. 423.--Herman Korner, dans le P. Ayroles, _La vraie +Jeanne d'Arc_, pp. 279 et suiv.--Walter Bower, dans _Procès_, t. IV, +p. 481.] + +Les clercs qui forgeaient alors des prophéties pour la Pucelle ne s'en +tinrent pas au faux Bède et au Merlin contrefait. Ils étaient vraiment +infatigables et nous possédons encore une pièce de leur métier, que +par grand hasard, le temps n'a pas détruite. C'est un petit poème +latin écrit dans le style obscur des devins, dont voici une vieille +traduction française: + + Une vierge vestue de vestemens d'homme et qui a les membres + appartenans à pucelle, par la monicion de Dieu, s'appareille de + relever le roy portant les fleurs-de-lis, qui est couché, et de + chasser ses ennemys maudis; et mesmement ceux qui maintenant + sont devant la cité d'Orléans, laquelle ils espavantent par + siège. Et se les hommes ont grand courage d'eux joindre à la + bataille, les faux Anglois seront succombés par mort, par le Dieu + de la bataille de la Pucelle, et les François les tresbucheront, + et adonc sera la fin de la guerre; et retourneront les anciennes + alliances et amour; pitié et autres droits retourneront; et + traiteront de la paix; et tous les hommes s'outroyeront + [s'octroyeront?] au roy de leur bon gré, lequel roy leur pèsera + et leur administrera justice à tous, et les nourrira de belle + paix. Et dorénavant nul Anglois ennemy portant le liépart ne + sera, qui présumera soy dire roy de France [Le translateur + ajoute:] et d'ensuir les armes; lesquelles armes la sainte + Pucelle appareille[660]. + +[Note 660: Buchon, _Math. d'Escouchy, etc._, p. 537.--G. +Lefèvre-Pontalis, _Eberhard Windecke_, pp. 21 à 31.--On trouve sur un +feuillet de garde du Cartulaire de Thérouanne un texte latin de cette +prophétie.] + +Ces fausses prophéties nous donnent un aperçu des moyens par lesquels +on mit en oeuvre la jeune inspirée. On s'y prit sans doute un peu trop +artificieusement à notre gré. Ces clercs ne regardaient qu'au but, qui +était la paix du royaume et de l'Église. Il était nécessaire de +préparer le miracle du salut commun. Ne soyons pas trop émus de +découvrir ces fraudes pieuses sans lesquelles les merveilles de la +Pucelle ne se seraient pas produites. Il faut toujours beaucoup d'art +et même un peu de ruse pour accréditer l'innocence. + +Cependant, sur un rocher escarpé, au bord de la Durance, dans la +chaire écartée de Saint-Marcellin, Jacques Gélu restait attaché au roi +qu'il avait servi et soucieux des intérêts des maisons d'Orléans et +de France. Il répondit aux deux hommes d'église, Jean Girard et Pierre +l'Hermite, qu'il ne doutait pas que Dieu ne se manifestât en faveur de +l'orphelin et de l'affligé et ne punît l'injurieuse entreprise de +l'Anglais, que néanmoins on ne devait pas aisément ni à la légère +croire aux discours d'une paysanne nourrie dans la solitude, que le +sexe féminin était fragile et prompt à s'abuser, qu'il fallait ne pas +se rendre ridicule aux yeux des étrangers. «Les Français, ajouta-t-il, +sont déjà trop connus pour leur facilité naturelle à se laisser +duper.» Il avisa enfin Pierre l'Hermite qu'il serait opportun que le +roi jeûnât et fît pénitence pour être éclairé du Ciel et préservé +d'erreur[661]. + +[Note 661: _Procès_, t. III, p. 393-407, t. V, pp. 473.--Marcellin +Fornier, _Histoire des Alpes-Maritimes ou Cottiennes_, t. II, pp. 313, +314.] + +L'ancien conseiller delphinal n'était pas tranquille. Il écrivit +directement au roi Charles et à la reine Marie pour les avertir du +danger. Cette fille ne lui disait rien de bon; il se méfiait d'elle et +pour trois raisons: premièrement, elle venait d'un pays que tenaient +les ennemis du roi, Bourguignons et Lorrains; deuxièmement, c'était +une bergère aisée à séduire; troisièmement, elle était fille. Il +bailla comme exemple Alexandre de Macédoine, qu'une reine voulut +empoisonner; elle avait été nourrie de venins par les ennemis du roi +et puis envoyée à lui dans l'espoir qu'il se laisserait prendre aux +amours de cette garce, vraie boîte à poisons[662]. Mais Aristote +écarta l'abuseresse et ainsi délivra de mort son prince. Aussi sage +qu'Aristote, l'archevêque d'Embrun recommanda au roi de ne pas +converser seul à seule avec la fille. Il prescrivit qu'on ne la +laissât pas approcher de trop près, qu'on l'examinât; que cependant +elle ne fût pas rebutée. + +[Note 662: L'imprimé donne «grace» qui n'est pas possible. J'ai +conjecturé garce, qui est extrêmement probable.] + +À ses lettres Gélu reçut une réponse prudente qui le rassura. Dans une +nouvelle missive, il témoigna au roi qu'il était bien aise qu'on tînt +la fille dans la suspicion et qu'on la laissât dans l'incertitude de +lui croire ou de ne lui pas croire. Puis sentant renaître ses +premières incertitudes: «Il n'est pas à propos, disait-il encore, +qu'elle ait beaucoup d'accès au roi, jusqu'à ce qu'on soit bien +acertainé de sa vie et de ses moeurs[663].» + +[Note 663: M. Fornier, _Histoire des Alpes-Maritimes ou +Cottiennes_, _ibid._] + +Assurément le roi Charles tenait Jeanne dans l'incertitude de ce qu'on +croyait d'elle. Mais il ne la soupçonnait d'aucune malice et il la +recevait volontiers. Elle l'entretenait avec une angélique +familiarité. Elle l'appelait gentil dauphin et, par cette gentillesse +dont elle lui donnait, il faut entendre noblesse et splendeur +royale[664]. Elle l'appelait aussi l'oriflamme, parce qu'il était pour +elle l'oriflamme, ou, comme elle eût dit aujourd'hui, le +drapeau[665]. L'oriflamme était la bannière royale. De tous ces gens +qui étaient alors à Chinon, personne ne l'avait jamais vue, mais on en +contait des merveilles. L'oriflamme était en forme de gonfalon à deux +queues, faite d'une étoffe fine, précieuse et légère, qu'on nommait +sandal, et toute bordée de houppes de soie verte. Elle était descendue +du ciel; c'était la bannière de Clovis et de saint Charlemagne. Quand +le roi allait en guerre, on la portait devant lui. Elle avait telle +vertu, que les ennemis, à son approche, perdaient leur force et +fuyaient épouvantés. On se rappelait qu'en l'an 1304, alors que le roi +Philippe le Bel eut victoire des Flamands, le chevalier qui la portait +fut tué. On le trouva le lendemain qui, mort, la pressait encore entre +ses bras[666]. Elle avait flotté devant le roi Charles VI, avant ses +malheurs, et depuis lors jamais plus elle n'avait été déployée. + +[Note 664: Greffier de l'Hôtel de Ville d'Albi, dans _Procès_, t. +IV, p. 300.] + +[Note 665: Thomassin, dans _Procès_, t. IV, p. 304.] + +[Note 666: Du Cange, _Glossaire_, au mot: _auriflamma_.--Le Roux +de Lincy et Tisserand, _Paris et ses historiens_, pp. 150, 251, 257, +259. [_Histoire générale de Paris_.]] + +Un jour que la Pucelle et le roi conversaient ensemble, le duc +d'Alençon entra dans la salle. Encore enfant, il avait été pris à +Verneuil par les Anglais, qui l'avaient gardé cinq ans dans la tour du +Crotoy[667]. Délivré depuis peu de temps, il chassait aux cailles près +de Saint-Florent-lès-Saumur, quand un courrier vint lui apprendre +qu'une jeune fille était envoyée au Roi, de par Dieu, pour mettre les +Anglais hors de France[668]. Cette nouvelle l'intéressait autant que +personne, car il avait épousé la fille du duc d'Orléans. Aussitôt il +s'était rendu à Chinon pour voir ce qu'il en était. Le duc d'Alençon +se montrait à son avantage dans les années légères de sa jeunesse; +mais il ne fut jamais réputé bien sage. C'était un esprit faible et +violent, vain, envieux, d'une extrême crédulité. Il était persuadé que +l'herbe martagon met en la grâce des dames; et, plus tard, il se crut +ensorcelé. Il avait une vilaine voix rauque[669]; il le savait et il +en souffrait. Dès qu'elle le vit approcher, Jeanne demanda qui était +ce seigneur. Le roi ayant répondu que c'était son cousin d'Alençon, +elle salua le duc et lui dit: + +[Note 667: Perceval de Cagny, p. 136.--_Chronique de la Pucelle_, +pp. 224, 249.] + +[Note 668: _Procès_, t. III, p. 91.] + +[Note 669: Vallet de Viriville, _Histoire de Charles VII_, t. III, +pp. 408, 409.--De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. VI, pp. 43, +44.] + +--Vous, soyez le très bien venu. Plus on sera ensemble du sang du roi +de France, mieux cela sera[670]. + +[Note 670: _Procès_, t. III, p. 91.] + +En quoi elle se trompait du tout au tout. À cette parole de la Pucelle +le dauphin dut sourire amèrement. Le sang de France, il savait ce +qu'en valait la pinte! + +Le lendemain Jeanne vint à la messe du roi. Quand elle approcha de son +dauphin, elle lui fit la révérence. Le roi la conduisit dans une +chambre, dont il fit retirer tout le monde, hors le sire de la +Trémouille et le duc d'Alençon. + +Alors Jeanne lui adressa plusieurs requêtes. Elle lui demanda +particulièrement de faire don de son royaume au Roi des cieux. + +--Après quoi, ajouta-t-elle, le Roi des cieux fera pour vous ce qu'il +a fait pour vos prédécesseurs et vous remettra en l'État de vos +pères[671]. + +[Note 671: _Procès_, t. III, pp. 91 et 92.--Eberhard Windecke, pp. +152 et suiv.] + +En tenant ces propos spirituels, en exprimant ces préceptes de réforme +et de vie nouvelle, elle répétait ce que des clercs lui avaient +appris. Mais elle n'était pas profondément pénétrée de cette doctrine +qui, trop subtile pour elle, devait bientôt s'effacer de son esprit et +faire place à une ardeur moins monastique et plus chevaleresque. + +Ce même jour, elle accompagna le roi à la promenade et, dans la +prairie, courut une lance avec tant de bonne grâce, que le duc +d'Alençon, émerveillé, lui fit don d'un cheval[672]. + +[Note 672: _Procès_, t. III, p. 92.] + +Peu de jours après, ce jeune seigneur la mena à l'abbaye de +Saint-Florent-lès-Saumur[673], dont l'église était si admirée qu'un +l'appelait la Belle-d'Anjou. C'est dans cette abbaye qu'habitaient +alors sa mère et sa femme. Elles furent, dit-on, joyeuses de voir +Jeanne. Mais elles n'avaient pas grande confiance dans l'issue de la +guerre. La jeune dame d'Alençon lui dit: + +[Note 673: Perceval de Cagny, p. 148.] + +--Jeannette, je crains beaucoup pour mon mari. Il sort à peine de +prison et il a fallu dépenser tant d'argent pour sa rançon, que je le +prierais bien volontiers de rester au logis. + +À quoi Jeanne répondit: + +--Madame, soyez sans crainte. Je vous le rendrai sain et en tel ou +meilleur état qu'il n'est[674]. + +[Note 674: _Procès_, t. III, p. 96.] + +Elle appelait le duc d'Alençon son beau duc[675] et elle l'aimait pour +l'amour du duc d'Orléans dont il avait épousé la fille. Elle l'aimait +parce qu'il croyait en elle quand tous doutaient ou niaient; elle +l'aimait parce que les Anglais lui avaient fait tort; elle l'aimait +parce qu'elle lui voyait bonne envie de combattre. On contait que, +pris à Verneuil par les Anglais, quand ils lui avaient offert de lui +rendre sa liberté et ses biens s'il voulait se tourner de leur parti, +il avait rejeté leurs offres[676]. Il était jeune comme elle; elle le +jugeait comme elle sincère et généreux. Et peut-être l'était-il alors; +sans doute il ne cherchait pas déjà des poudres pour sécher le +roi[677]. + +[Note 675: Perceval de Cagny, p. 151 et _passim_.] + +[Note 676: Monstrelet, t. IV, p. 240.] + +[Note 677: P. Dupuy, _Procès de Jean II duc d'Alençon_ 1458-1474, +1658, in-4º.--Michelet, _Histoire de France_, t. V, p. 382.--Docteur +Chereau, _Médecins du quinzième siècle_, dans l'_Union Médicale_, t. +XIV, août 1862.--Joseph Guibert, _Jean II duc d'Alençon_, dans les +_Positions de l'École des Chartes_, année 1893.] + +On décida que Jeanne serait conduite à Poitiers afin d'y être examinée +par les docteurs[678]. Dans cette ville se tenait le Parlement et +étaient réunis beaucoup de notables clercs en théologie, tant +séculiers que réguliers[679]. De solennels docteurs et maîtres y +furent convoqués par surcroît. Jeanne partit sous escorte. Elle crut +d'abord qu'on la menait à Orléans. Elle rappelait l'ignorance et la +foi de ces pauvres gens qui, ayant pris la croix, allaient et, à +chaque ville qu'ils voyaient devant eux, pensaient que ce fût +Jérusalem. À mi-chemin, elle demanda à ses guides où ils la +conduisaient. Quand elle apprit que c'était à Poitiers: + +--En nom Dieu! dit-elle, je sais que j'y aurai bien affaire. Mais +Messire m'aidera. Or, allons, de par Dieu[680]! + +[Note 678: _Procès_, t. III, p. 116 et 209.] + +[Note 679: Bélisaire Ledain, _Jeanne d'Arc à Poitiers_, +Saint-Maixent, 1891, in-8º de 15 p.--Neuville, _Le Parlement royal à +Poitiers_, dans _Revue Historique_, t. VI, p. 284.] + +[Note 680: _Chronique de la Pucelle_, p. 275.--_Journal du siège_, +p. 48.--Monstrelet, t. IV, p. 316.] + + + + +CHAPITRE VII + +LA PUCELLE À POITIERS. + + +Depuis quatorze ans, la ville de Poitiers était la capitale de la +France française. Le dauphin Charles y avait transféré le Parlement +ou, du moins, y avait réuni quelques membres échappés du Parlement de +Paris. Le Parlement de Poitiers n'était composé que de deux Chambres. +Il aurait jugé comme le roi Salomon, si les plaideurs étaient venus +lui soumettre leurs causes, mais ils ne venaient pas, de peur d'être +pris en chemin par les routiers et les capitaines à la solde du roi, +et parce que, dans le trouble du royaume, les différends ne se +réglaient guère par justice. Les conseillers, qui pour la plupart +avaient leurs terres près de Paris, ne savaient comment se vêtir et se +nourrir. Rarement ils recevaient leurs gages et le casuel faisait +défaut. Ils avaient beau inscrire sur leurs registres la formule: +_Non deliberetur donec solvantur species_, les parties n'apportaient +point d'espèces[681]. L'avocat général, messire Jean Jouvenel des +Ursins, qui possédait belles terres et maisons en Île-de-France, Brie +et Champagne, était tout piteux de voir la dame de bien et d'honneur +sa femme, ses onze enfants et ses trois gendres, aller par les rues de +la ville nu-pieds et dans de pauvres habits[682]. Quant aux docteurs +et maîtres, qui avaient suivi la fortune du roi, c'est en vain qu'ils +étaient des puits de science et des fontaines de clergie, puisque, +faute d'une université où ils pussent enseigner, ils ne tiraient nul +profit de leur éloquence et de leur savoir. La ville de Poitiers, +devenue la première ville du royaume, avait un Parlement et n'avait +pas d'Université, semblable à une dame de haute noblesse, mais borgne, +le Parlement et l'Université étant les deux yeux d'une grande ville. +Aussi nourrissaient-ils en leurs tristes loisirs un désir ardent de +rétablir les affaires du roi avec les leurs, s'il plaisait au +Seigneur. En attendant, exténués de froid et de faim, ils gémissaient +et se lamentaient. Comme Israël dans le désert, ils soupiraient après +le jour où Dieu, entendant leurs plaintes, dirait: «Ce soir vous +mangerez de la chair et demain matin vous vous rassasierez de pain; +et vous connaîtrez que je suis le Seigneur votre Dieu.» _Vespere +comedetis carnes et mane saturabimini panibus: scietisque quod ego sum +Dominus deus vester._ (_Exod._ XVI, 12.) C'est parmi ces fidèles et +pauvres serviteurs d'un roi pauvre, que furent choisis pour la plupart +les docteurs et clercs chargés d'examiner la Pucelle. Voici quels ils +étaient: le seigneur évêque de Poitiers[683]; le seigneur évêque de +Maguelonne[684]; maître Jean Lombard, docteur en théologie, autrefois +professeur de théologie à l'Université de Paris[685]; maître Guillaume +Le Marié, bachelier en théologie, chanoine de Poitiers[686]; maître +Gérard Machet, confesseur du roi[687]; maître Jourdain Morin[688]; +maître Jean Érault, professeur de théologie[689]; maître Mathieu +Mesnage, bachelier en théologie[690]; maître Jacques Meledon[691]; +maître Jean Maçon, docteur en droit civil et en droit canon, de grande +renommée[692]; frère Pierre de Versailles, religieux de Saint-Denys en +France, de l'ordre de Saint-Benoît, professeur de théologie, prieur +du prieuré de Saint-Pierre de Chaumont, abbé de Talmont au diocèse de +Laon, ambassadeur du très chrétien roi de France[693]; frère Pierre +Turelure, de l'ordre de Saint-Dominique, inquisiteur de Toulouse[694]; +maître Simon Bonnet[695]; frère Guillaume Aimery, de l'ordre de +Saint-Dominique, docteur en théologie, professeur de théologie[696]; +frère Seguin de Seguin, de l'ordre de Saint-Dominique, docteur en +théologie, professeur de théologie[697]; frère Pierre Seguin, +carme[698]; plusieurs conseillers du roi, licenciés en droit civil +ainsi qu'en droit canon. + +[Note 681: Neuville, _Le Parlement royal à Poitiers_, dans _Revue +Historique_, t. VI, p. 18.--De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, +t. II, pp. 571 et suiv.] + +[Note 682: Louis Batiffol, _Jean Jouvenel, prévôt des marchands de +la ville de Paris_, Paris, 1894, in-8º.--Juvénal des Ursins, _Histoire +de Charles VI_, pp. 359, 360.] + +[Note 683: _Procès_, t. III, p. 92.--_Gallia Christiana_, t. II, +col. 1198.] + +[Note 684: _Ibid._, t. III, p. 92.--Le P. Ayroles, _La Pucelle +devant l'Église de son temps_, p. 6.] + +[Note 685: _Ibid._, t. III, pp. 203, 204.] + +[Note 686: Le Maire, _Procès_, t. III, pp. 19 et 203.] + +[Note 687: _Procès_, t. III, pp. 74, 75.--Launoy, _Historia +Collegii Navarrici_, lib. II, _passim_.] + +[Note 688: _Procès_, t. III, pp. 92, 102.] + +[Note 689: _Ibid._, t. III, pp. 74, 75.] + +[Note 690: _Ibid._, t. III, pp. 74, 92, 102.] + +[Note 691: _Ibid._, t. II, p. 203.] + +[Note 692: _Ibid._, t. III, pp. 27, 28.] + +[Note 693: _Procès_, t. III, pp. 19, 74, 92, 203.--_Gallia +Christiana_, t. III, col. 1128.] + +[Note 694: _Ibid._, t. III, p. 203.--_Gallia Christiana_, t. III, +col. 1129.] + +[Note 695: _Ibid._, t. III, p. 92.] + +[Note 696: _Ibid._, t. III, pp. 19, 83, 203.] + +[Note 697: _Ibid._, t. III, pp. 19, 203.--Le P. Chapotin, _La +guerre de cent ans; Jeanne d'Arc et les Dominicains_, p. 132.] + +[Note 698: Le Chanoine Dunand, _La légende anglaise de Jeanne_, +Paris, 1903, in-8º, p. 118.] + +C'était beaucoup de docteurs pour interroger une bergère. Cependant on +doit songer qu'en ce temps où la théologie, inflexible et subtile, +dominait toute connaissance humaine et obtenait du bras séculier qu'il +fît suivre d'effets les opinions émises par elle, dès qu'une pauvre +fille ignorante donnait à croire qu'elle voyait Dieu, la Vierge, les +anges et les saints, il fallait qu'elle allât, dans un grand concours de +docteurs, de miracles en miracles, à une mort bien odorante et à la +béatification, ou, d'hérésies en hérésies, aux prisons ecclésiastiques +et au bûcher des sorcières. Et comme les sacrés inquisiteurs étaient +persuadés que le diable entre facilement dans les femmes, la malheureuse +créature avait plus de chance d'être brûlée vive que de mourir en odeur +de sainteté. Par exception singulière, Jeanne, devant les docteurs de +Poitiers, ne courait pas grand risque d'être suspectée dans sa foi. +Frère Pierre Turelure lui-même ne désirait pas trouver en ce moment +devant lui une de ces hérétiques qu'il recherchait curieusement à +Toulouse. Les illustres maîtres, en s'approchant d'elle, rentraient +leurs griffes théologales. Ils étaient d'Église; mais ils étaient +Armagnacs. C'était, pour la plupart, des hommes d'affaires, des +négociateurs, de vieux conseillers du dauphin[699]. Qu'ils eussent, +comme prêtres, une doctrine et des moeurs, qu'ils connussent des règles +pour juger en matière de foi, ce n'est pas douteux. Mais à cette heure +il ne s'agissait pas de guérir le mal hérétique, il s'agissait de +chasser les Anglais. Jeanne était dans la grâce de monseigneur le duc +d'Alençon et de monseigneur le Bâtard; les habitants d'Orléans +l'attendaient comme le salut. Elle promettait de mener le roi à Reims, +et il se trouvait que l'homme le plus puissant et le plus habile de +France, le chancelier du royaume, messire Regnault de Chartres était +archevêque, comte de Reims. Cela pesait d'un grand poids[700]. + +[Note 699: O. Raguenet de Saint-Albin, _Les juges de Jeanne d'Arc +à Poitiers, membres du Parlement ou gens d'Église?_, Orléans, 1894, +in-8º, 46 p.] + +[Note 700: Voir plus haut, pp. 176-179.] + +Et qu'il en fût comme elle disait, que Dieu l'eût vraiment envoyée à +l'aide des fleurs de Lis, au jugement de quiconque avait sens et +clergie et tenait le parti français, ce n'était pas impossible, encore +qu'extraordinaire. Personne ne niait que Dieu pût intervenir +directement dans la conduite des royaumes, ayant dit lui-même: _Per me +reges regnant._ En l'Église une et sainte, les docteurs de Poitiers +pensaient judicieusement que le Seigneur protégeait les gens du +dauphin, tandis que l'Université de Paris tout aussi judicieusement le +croyait avec les Bourguignons et les Anglais. Il n'était pas +nécessaire que son messager fût un ange. Ce pouvait être une créature +humaine ou une bête, comme le corbeau qui nourrit Élie. Et qu'une +fille eût charge de guerre, c'est ce qui s'accordait avec ce qu'on +trouvait dans les livres touchant Camille, les Amazones et la reine +Penthésilée, et avec ce qui est dit dans la Bible des femmes fortes +suscitées par le Seigneur pour le salut d'Israël, Déborah, Jahel, +Judith de Béthulie. Car il est écrit: «Ce ne sont point les jeunes +hommes qui ont renversé celui dont la puissance était sur eux, ni les +fils des géants qui l'ont frappé, ni les colosses qui se sont opposés +à lui. Mais Judith, fille de Mérari, l'a détruit par la beauté de son +visage.» + +Jeanne fut conduite à l'hôtel qu'habitait maître Jean Rabateau, non +loin du Palais, au coeur de la ville[701]. Maître Jean Rabateau était +avocat général lai; les causes criminelles lui appartenaient tandis +que les causes civiles allaient à l'avocat général clerc, Jean +Jouvenel. Avocats du roi, hommes du roi, ils le représentaient l'un et +l'autre, lorsqu'il était en cause. Le roi était un mauvais client. +Maître Jean Rabateau plaidait pour lui au criminel moyennant quatre +cents livres par an. Il ne pouvait plaider que pour les fleurs de Lis +et nul ne le soupçonnait de manger trop d'épices. S'il remplissait en +outre les fonctions de conseiller du duc d'Orléans, il y gagnait peu. +Comme la plupart des officiers du Parlement, il se trouvait pour +l'heure fort dénué de biens. Étranger à Poitiers, il n'y possédait +point de maison, et logeait dans un hôtel qui, appartenant à une +famille Rosier, en avait pris le nom d'hôtel de la Rose. Au reste, la +demeure était vaste. On y hébergeait les témoins qu'on voulait garder +honorablement et sûrement. Jeanne y fut amenée, bien que le Parlement +n'eût point à examiner l'affaire de cette jeune fille[702]. Cette fois +encore, elle était remise aux mains d'un homme qui appartenait au duc +d'Orléans autant qu'au roi de France. La femme de maître Jean +Rabateau, comme toutes les femmes des hommes de robe, était de bonne +renommée[703]. À _la Rose_, chaque jour après le dîner, Jeanne restait +longtemps agenouillée. Elle se relevait, la nuit, pour prier, et elle +passait de longues heures dans le petit oratoire de l'hôtel. C'est +dans cette maison que les docteurs vinrent l'interroger. Quand on lui +annonça leur venue, elle fut agitée d'une cruelle inquiétude. Madame +sainte Catherine prit soin de la rassurer[704]; elle aussi avait +disputé avec les docteurs, et les avait confondus. Il est vrai que +ceux-là étaient des païens, mais très savants et d'un esprit bien +subtil: car il est dit dans la vie de la sainte: + +[Note 701: _Procès_, t. III, pp. 19, 74, 82, 203.--_Chronique de +la Pucelle_, p. 275.--B. Ledain, _Jeanne d'Arc à Poitiers_, +Saint-Maixent, 1891, in-8º.] + +[Note 702: Voyez toutefois le _Mistère du siège_, pp. 397-406.] + +[Note 703: On peut d'autant moins soupçonner cette dame de ne +point mériter sa bonne renommée qu'on ne sait rien d'elle et qu'on +ignore même si c'est la première ou la seconde femme de maître Jean +Rabateau: car il en eut deux. La première était fille de Benoît +Pidelet.--Cf. B. Ledain, _La maison de Jeanne d'Arc à Poitiers_, +Saint-Maixent, 1892, in-8º.--Henri Daniel-Lacombe, _L'hôte de Jeanne +d'Arc à Poitiers, maître Jean Rabateau_ (_Revue du Bas-Poitou_, avril +1891, pp. 48, 66).--A. Barbier, _Jeanne d'Arc et l'hôtellerie de la +Rose_, Poitiers, 1892, in-8º.] + +[Note 704: _Procès_, t. III, p. 82.] + +«L'empereur manda cinquante docteurs versés dans la science des +Égyptiens et dans les arts libéraux. Et, quand elle apprit qu'elle +devait disputer avec les sages, Catherine craignit de ne pouvoir +défendre dignement contre eux la vérité de Jésus-Christ. Mais un ange +lui apparut et lui dit: + +«Je suis l'archange saint Michel, envoyé par Dieu pour t'annoncer que +tu sortiras de ce combat victorieuse et digne d'obtenir Notre-Seigneur +Jésus-Christ, espoir et couronne de ceux qui combattent pour lui.» Et +la vierge disputa avec les docteurs[705].» + +[Note 705: Voragine, _La légende dorée_ (Vie de sainte +Catherine).] + +Les solennels docteurs et maîtres et les notables clercs du Parlement +de Poitiers se rendaient par petits groupes dans la maison de Jean +Rabateau, et chacun d'eux interrogeait Jeanne à son tour. Les premiers +qui vinrent furent Jean Lombard, Guillaume le Maire, Guillaume Aimery, +Pierre Turelure, Jacques Meledon. Frère Jean Lombard demanda: + +--Pourquoi êtes-vous venue? Le roi veut savoir ce qui vous a poussée à +l'aller trouver. + +Jeanne répondit d'une manière qui parut grande à tous ces clercs: + +--Comme je gardais les animaux, une _Voix m'apparut_. La Voix me dit: +«Dieu a grande pitié du peuple de France. Jeanne, il faut que tu +ailles en France». Ayant ouï ces paroles, je me mis à pleurer. Alors +la Voix me dit: «Vas à Vaucouleurs. Tu trouveras là un capitaine qui +te conduira sûrement en France, près du roi. Sois sans crainte». J'ai +fait ce qui m'était dit et suis arrivée au roi sans nul +empêchement[706]. + +[Note 706: _Procès_, t. III, p. 204.] + +Frère Guillaume Aimery prit ensuite la parole: + +--D'après vos dires, la Voix vous apprit que Dieu veut tirer le peuple +de France de la calamité où il est. Mais si Dieu veut délivrer le +peuple de France, il n'est pas nécessaire d'avoir des gens d'armes. + +--En nom Dieu! répliqua la Pucelle, les gens d'armes batailleront, et +Dieu donnera victoire. + +Maître Guillaume se déclara satisfait[707]. + +[Note 707: _Procès_, t. III, pp. 203-204.] + +Le 22 mars, maître Pierre de Versailles et maître Jean Érault se +rendirent ensemble au logis de Jean Rabateau. L'écuyer Gobert +Thibault, que Jeanne avait déjà vu à Chinon, y vint avec eux. C'était +un homme jeune, très simple, et qui pour croire ne demandait point de +signes. À leur venue, Jeanne alla un peu au-devant d'eux, et, frappant +amicalement sur l'épaule du soldat: + +--Je voudrais bien, lui dit-elle, avoir plusieurs hommes d'aussi bonne +volonté[708]. + +[Note 708: _Ibid._, t. III, pp. 73-74.] + +Elle se sentait à l'aise avec les gens d'armes. Quant aux docteurs, +elle ne pouvait les souffrir, et c'était pour elle un supplice +lorsqu'ils venaient arguer. Bien que ces théologiens usassent de +grands ménagements à son endroit, leurs éternelles interrogations +lassaient sa patience; leur lenteur, leur pesanteur l'exaspérait. Elle +leur savait très mauvais gré de ne pas croire en elle tout de suite, +sans preuves, et de lui demander un signe qu'elle ne pouvait leur +donner, puisque ni monseigneur saint Michel, ni madame sainte +Catherine, ni madame sainte Marguerite, pendant les examens, +n'apparaissait. Dans le retrait, dans l'oratoire et dans la campagne +déserte, les hôtes du Paradis la visitaient en foule; anges et +saintes, descendus du ciel, se pressaient autour d'elle. Mais, à la +venue des docteurs, l'échelle de Jacob se retirait soudain. Et puis +ils étaient des théologiens, et elle était une sainte. Les rapports +sont toujours difficiles entre les chefs de l'Église militante et les +dévotes femmes qui communiquent directement avec l'Église triomphante. +Elle sentait que les révélations dont elle était favorisée abondamment +donnaient des doutes, des soupçons, des défiances même à ses +examinateurs les plus favorables. Elle n'osait pas trop leur conter +les secrets de ses Voix, et elle confiait, derrière leur dos, à son +beau duc d'Alençon, qu'elle savait et qu'elle pouvait beaucoup plus +qu'elle n'avait dit à tous ces clercs[709]. Ce n'était pas à ceux-là +qu'elle avait été envoyée; ce n'était pas pour ceux-là qu'elle était +venue. Elle se trouvait gênée avec eux, et leurs façons d'être lui +inspiraient cette mauvaise humeur empreinte dans plus d'une de ses +réponses. Parfois, quand ils l'interrogeaient, elle se rencognait avec +mutinerie au bout du banc et faisait la moue[710]. + +[Note 709: _Procès_, t. III, p. 92.] + +[Note 710: _Chronique de la Pucelle_, p. 275.] + +--Nous sommes envoyés vers vous de la part du roi, dit maître Pierre +de Versailles. + +Elle répondit de très mauvaise grâce: + +--Je crois bien voir que vous êtes encore envoyés pour m'interroger. +Je ne sais ni A ni B[711]. + +[Note 711: _Procès_, t. III, p. 74.] + +Mais à cette demande: + +--Pourquoi donc venez-vous + +Elle répliqua vivement: + +--Je viens de la part du Roi des cieux pour faire lever le siège +d'Orléans et conduire le roi à Reims, pour son couronnement et son +sacre. Maître Jean Érault, avez-vous du papier et de l'encre? Écrivez +ce que je vais vous dire. + +Et elle dicta une brève apostrophe aux capitaines anglais: «Vous, +Suffort, Clasdas et la Poule, je vous somme de par le Roi des cieux +que vous en alliez en Angleterre[712].» + +[Note 712: _Procès_, t. III, p. 74.--Boucher de Molandon et A. de +Beaucorps, _L'armée anglaise_, p. 111.--La Poule, comme il est ici +nommé à la française, n'est autre que Suffort, c'est-à-dire William +Pole, comte de Suffolk; à moins qu'on ne veuille désigner le frère de +William, John Pole, qui n'était pas un des trois chefs du siège. Quant +à Clasdas ou Glasdale, pour le nommer comme les Français, il servait +sous les ordres du commandant des Tourelles. Ces erreurs peuvent être +du fait de Jeanne; elles peuvent être aussi du témoin. On ne les +retrouve pas dans la lettre aux Anglais.] + +Maître Jean Érault, qui écrivit sous sa dictée, était, comme la +plupart d'entre eux, très bien disposé pour elle. De plus il avait des +lumières. Il se rappelait cette Marie d'Avignon, surnommée la Gasque, +qui avait fait au feu roi Charles VI des prophéties bien bonnes et +mémorables. Or, la Gasque était allée dire au roi que le royaume +éprouverait encore maintes calamités, et qu'elle avait vu des armes +dans le ciel. Et elle avait conclu son apocalypse en ces termes: +«Tandis que j'étais effrayée, croyant qu'il me fallait prendre ces +armes, une voix me rassura, en disant: «Elles ne sont pas pour toi, +mais pour une vierge qui viendra, et, par ces armes, délivrera le +royaume de France.» Maître Jean Érault médita ces révélations +merveilleuses et il en vint à croire que Jeanne était la vierge +annoncée par Marie d'Avignon[713]. + +[Note 713: _Procès_, t. III, p. 83.] + +Maître Gérard Machet, confesseur du roi, avait trouvé dans des écrits +qu'une pucelle devait venir pour donner aide au roi de France. Il en +fit la remarque à l'écuyer Gobert Thibault qui n'était pas un très +gros personnage[714]; il la fit assurément à bien d'autres. Gérard +Machet, docteur en théologie, autrefois vice-chancelier de +l'Université, dont il était maintenant exclu, passait pour une des +lumières de l'Église. Il aimait la cour[715], bien qu'il s'en +défendît, et jouissait de la faveur du roi qui, pour récompenser ses +bons services, venait de lui donner de quoi acheter une mule[716]. On +est suffisamment édifié sur les dispositions des docteurs, quand on +surprend le confesseur du roi répandant lui-même les prophéties +fabriquées tout exprès pour accréditer la Pucelle du Bois-Chenu. + +[Note 714: _Ibid._, t. III, p. 75.] + +[Note 715: Lettres de Gérard Machet, Bibl. nat., fonds latin nº +8577.--Launoy, _Regii Navarræ Gymnasii Parisiensis historia..._, +Paris, 1682 (2 vol. in-4º), t. II, pp. 533, 557.--Du Boulay, _Hist. +Univ. Parisiensis_, t. V, p. 875.--Vallet de Viriville, dans _Nouvelle +Biographie générale_.] + +[Note 716: De Beaucourt, _Extrait du catalogue des actes de +Charles VII_, p. 18.] + +On interrogea la jeune fille touchant ses Voix qu'elle appelait aussi +son Conseil, et ses saintes, qu'elle se représentait à la ressemblance +des figures taillées et peintes qui peuplaient les églises[717]. Les +docteurs firent objection sur ce qu'elle avait rejeté tout vêtement de +femme et fait tailler ses cheveux en rond, à la façon des jouvenceaux. +Or il est écrit: «Une femme ne prendra point un habit d'homme, et un +homme ne prendra point un habit de femme; car celui qui le fait est +abominable devant Dieu.» (_Deuter._ XXII, 5.) Le concile de Gangres, +tenu sous le règne de Valens, avait frappé d'anathème les femmes qui +s'habillaient en hommes et se coupaient les cheveux[718]. Mais il +importait de considérer que ce qui était abominable à Dieu ce n'était +point le dehors, c'était le dedans; ce n'était point l'habit, c'était +le mauvais dessein qui le faisait prendre. Les Pères de Gangres +n'avaient condamné que les femmes qui s'habillaient en hommes et se +coupaient les cheveux sous prétexte de vie ascétique. L'Église +approuvait depuis lors que les religieuses coupassent leurs cheveux. +Plusieurs saintes, inspirées par un mouvement extraordinaire du +Saint-Esprit, avaient caché leur sexe sous des vêtements virils. On +gardait à Saint-Jean-des-Bois, près Compiègne, la châsse de sainte +Euphrosine d'Alexandrie, qui avait vécu trente-huit ans sous l'habit +d'homme dans le couvent de l'abbé Théodose[719]. Pour ces raisons et +sur ces exemples, les docteurs pensèrent: Puisque Jeanne prit cet +habit non point pour offenser la pudeur d'autrui, mais pour garder la +sienne, ne tournons pas à mal ce qui a été fait pour le bien, et ne +condamnons point un acte que la pureté des intentions justifie. + +[Note 717: _Procès_, t. I, pp. 71, 72, 73, 171.] + +[Note 718: Labbe, _Sacro-Sancta Consilia_ (1671), II, 413-34.] + +[Note 719: Surius, _Vitæ S.S._ (1618), t. I, pp. 21-24.--Gabriel +Brosse, _Histoire abrégée de la vie et de la translation de sainte +Euphrosine, vierge d'Alexandrie, patronne de l'abbaye de +Beaulieu-lès-Compiègne_, Paris, 1649, in-8º.] + +Certains examinateurs lui demandèrent pourquoi elle nommait Charles, +dauphin, au lieu de lui donner son titre de roi. Ce titre, il le +portait légitimement depuis le 30 octobre 1422, ayant ce jour, le +neuvième depuis la mort du roi son père, à Mehun-sur-Yèvre, dans la +chapelle royale, quitté sa robe noire pour une robe vermeille, pendant +que les hérauts, levant la bannière de France, criaient: «Vive le +roi!» + +Elle répondit: + +--Je ne l'appellerai pas roi, tant qu'il n'aura pas été sacré et +couronné à Reims. C'est dans cette cité que j'entends le mener[720]. + +[Note 720: _Procès_, t. III, p. 20.] + +Pour elle, il n'y avait point de roi de France sans ce sacre, dont +elle avait ouï les miracles de la bouche de son curé qui, chaque +année, récitait le panégyrique du bienheureux saint Remi, patron de la +paroisse. Cette réponse était de sorte à contenter les examinateurs, +car il importait, pour le spirituel et pour le temporel, que le roi +fût sacré à Reims[721]. Et messire Regnault de Chartres devait le +souhaiter ardemment. + +[Note 721: Il est à remarquer que la consultation des docteurs, +telle que Thomassin l'a insérée dans le _Registre delphinal_, désigne +Charles de Valois tour à tour et indifféremment par le titre de roi et +par celui de dauphin (_Procès_, t. IV, p. 303).] + +Quand les clercs la contredisaient, elle opposait ses propres lumières +à la doctrine de l'Église et elle leur disait: + +--Il y a aux livres de Notre-Seigneur plus qu'aux vôtres[722]. + +[Note 722: _Procès_, t. III, p. 86.] + +Réponse hardie et brûlante, qu'il eût été dangereux de faire à des +théologiens moins favorables que ceux-là; car peut-être y eussent-ils +vu une offense aux droits de l'Église qui, gardienne des livres +saints, en demeure l'interprète jalouse et ne souffre pas qu'on oppose +l'autorité des Écritures aux décisions des Conciles[723]. Quels +étaient les livres qu'elle jugeait, sans les avoir lus, contraires à +ceux de Notre-Seigneur, dans lesquels elle paraissait lire à pleines +pages par les yeux de l'esprit? Les sacrés canons, semblait-il, et les +saintes décrétales. Cette parole d'une enfant contenait de quoi ruiner +l'Église tout entière. Les docteurs de Poitiers, s'ils avaient été +moins Armagnacs, auraient dès lors flairé Jeanne avec méfiance et +trouvé qu'elle sentait la persinée. Mais ils servaient fidèlement les +maisons d'Orléans et de France; leurs robes étaient percées, leurs +marmites vides[724], ils n'espéraient plus qu'en Dieu, et craignaient, +en rejetant cette jeune fille, de rebuter le Saint-Esprit. D'ailleurs, +rien ne les empêchait de croire que Jeanne eût ainsi parlé par +ignorance et simplicité, sans malice aucune. C'est pourquoi sans doute +ils ne se scandalisèrent point. + +[Note 723: Le Père Didon, _Vie de Jésus_, t. 1er, préface.] + +[Note 724: Juvénal des Ursins, _Histoire de Charles VI_, p. 359.] + +À son tour, frère Seguin de Seguin interrogea la jeune fille. Il était +Limousin, et son origine paraissait à son langage. Il parlait avec une +lenteur pesante et employait des termes ignorés en Lorraine et en +Champagne. Peut-être avait-il cet air épais et lourd qui rendait les +gens de son pays un peu ridicules aux Français de la Loire, de la +Seine et de la Meuse. À cette question: + +--Quelle langue parlent vos Voix? + +Jeanne répondit: + +--Une meilleure que la vôtre[725]. + +[Note 725: _Procès_, t. III, p. 204.] + +Les saintes ont leurs moments d'impatience. Si le frère Seguin ne le +savait pas encore, il l'apprit en ce jour. Aussi pourquoi doutait-il +que madame sainte Catherine et madame sainte Marguerite, qui étaient +du parti des Français, parlassent français? Un tel doute était +insupportable à Jeanne, et elle fit entendre à l'interrogateur que, +lorsqu'on est Limousin, on ne s'enquiert point du parler des dames du +ciel. Cependant il poursuivit son interrogatoire. + +--Croyez-vous en Dieu? + +--Oui, et mieux que vous, fit la Pucelle, qui, ne connaissant point le +bon frère, semblait peut-être un peu prompte à s'estimer mieux +croyante que lui. Mais elle était outrée qu'on pût douter de sa +créance au Dieu qui l'avait envoyée. Sa réponse, à la bien entendre, +attestait l'ardeur de sa foi. Frère Seguin l'entendit-il ainsi? Des +contemporains disent qu'il se montra fort aigre personne. On a des +raisons de croire, au contraire, qu'il était bon homme[726]. + +[Note 726: C'était donc la destinée des Limousins d'être raillés +par les Français de Champagne et de France! Après Frère Seguin, ce +sera l'étudiant limousin à qui Pantagruel dit: «Tu es Limousin pour +tous potaige, et tu veux icy contrefaire le Parisian.» Et ce sera M. +de Pourceaugnac. La Fontaine écrit de Limoges, à sa femme, en 1663, +que les Limousins ne sont ni malheureux ni disgraciés du Ciel, «comme +on se le figure dans nos provinces». Mais il ajoute que leurs +habitudes ne lui plaisent pas. Il semble que le Frère Seguin ait été +d'abord piqué des moqueries et des vivacités de la jeune fille. Mais +il ne lui garda pas rancune. «Le bon naturel du Limousin, dit Abel +Hugo, ne sait pas nourrir longtemps un sentiment haineux.» _La France +pittoresque: Haute-Vienne._--Cf. A. Précicou, _Rabelais et les +Limousins_, Limoges, 1906, in-8º.] + +--Mais enfin, dit-il, Dieu ne veut pas qu'on vous croie, s'il ne +paraît quelque signe montrant qu'il vous faut croire. Nous ne saurions +conseiller au roi de vous confier, sur votre seule parole, des gens +d'armes et de les mettre ainsi en péril. + +--En nom Dieu, répondit-elle, je ne suis pas venue à Poitiers pour +faire signes. Mais menez-moi à Orléans, et je vous montrerai signes +pour quoi je suis envoyée. Qu'on me donne des hommes en si grand +nombre qu'on le jugera bon, et j'irai à Orléans. + +Et elle dit encore ce qu'elle disait sans cesse: + +--Les Anglais seront tous chassés et détruits. Le siège d'Orléans sera +levé et la ville affranchie de ses ennemis, après que j'en aurai fait +sommation de par le Roi du ciel. Le roi sera sacré à Reims, la ville +de Paris remise en l'obéissance du roi, et le duc d'Orléans reviendra +d'Angleterre[727]. + +[Note 727: _Procès_, t. III, p. 205.] + +Longtemps, à l'exemple de frère Seguin de Seguin, plusieurs docteurs +et maîtres la pressèrent de montrer un signe de sa mission. Ils +estimaient en effet que, si Dieu l'avait choisie pour délivrer le +peuple de France, il ne manquerait pas de rendre ce choix manifeste +par un signe de sa main, ainsi qu'il avait fait pour Gédéon, fils de +Josias. Quand Israël était humilié sous Madian, et lorsque, pour +échapper à ses ennemis, le peuple de Dieu se cachait dans les cavernes +des montagnes, l'Ange apparut à Gédéon sous un chêne et, parlant au +nom du Seigneur lui dit: «Je serai avec toi et tu détruiras les +madianites.» À quoi Gédéon répondit: «Si j'ai trouvé grâce devant toi, +fais-moi connaître par un signe que c'est toi qui me parles.» Il fit +cuire un chevreau, pétrit des pains sans levain, mit la chair dans une +corbeille et le jus dans un vase, et déposa sous le chêne le vase et +la corbeille. Alors l'Ange du Seigneur lui dit: «Prends la chair et +les pains sans levain, pose-les sur cette pierre et verse dessus le +jus de la chair.» Ce que Gédéon ayant fait, l'Ange toucha de son bâton +la chair et les pains sans levain, et aussitôt il sortit un feu de la +pierre qui consuma la chair et les pains. Et Gédéon connaissant qu'il +avait vu l'Ange du Seigneur, s'écria: «Hélas! mon Dieu! car j'ai vu +l'Ange du Seigneur face à face!» Et avec trois cents hommes, il +détruisit le peuple madianite. Les docteurs avaient cet exemple +présent à l'esprit[728]. + +[Note 728: _Procès_, t. III, p. 20.] + +Mais pour la Pucelle, le signe de victoire, c'était la victoire même. +Elle ne cessa de dire: + +--Le signe que je vous montrerai, ce sera Orléans secouru et le siège +levé[729]. + +[Note 729: _Ibid._, t. III, p. 20 et 205.--_Chronique de la +Pucelle_, p. 278.--_Journal du siège_, p. 49.] + +La constance avec laquelle elle persévérait dans ce propos frappa la +plupart des interrogateurs qui estimèrent qu'elle devait être pour +eux, non pas une occasion de tiédeur et de doute, mais un exemple de +ferveur et un sujet d'édification, et que, puisqu'elle promettait de +montrer signe, il leur convenait de demander humblement à Dieu qu'il +le lui envoyât, d'espérer comme elle, et, unis au roi et à tout le +peuple de France, de demander les enseignes de victoire au Dieu qui +délivra Israël. Ainsi tombaient les raisons du bon frère Seguin et de +ceux qui, séduits par les conseils de la sagesse humaine, voulaient +des preuves pour croire. + +Après un examen qui dura six semaines, les docteurs se déclarèrent +édifiés[730]. + +[Note 730: _Procès_, t. III, pp. 19-20.] + +Il y avait un point dont il convenait de s'assurer: il fallait savoir +si, comme elle le disait, Jeanne était vierge. À la vérité, des +matrones l'avaient déjà examinée lors de sa venue à Chinon, quand on +ne savait pas seulement si elle était fille ou garçon, et quand on +pouvait craindre même qu'elle ne fût une illusion en semblance de +femme, produite par l'art des démons, ce que les savants ne pensaient +pas impossible[731]. Il n'était pas mort depuis longtemps, ce chanoine +qui croyait que parfois des chevaliers se transforment en ours et que +des esprits parcourent cent lieues en une nuit, puis, tout à coup, se +changent en truies et en fétus de paille[732]. On avait donc fait tout +de suite le nécessaire. Mais il convenait de procéder à une visite +exacte, prudente et sage, tant la chose était de conséquence. + +[Note 731: _Ibid._, t. I, p. 95; t. III, p. 209.] + +[Note 732: Mary Darmesteter, _Froissart_, Paris, 1894, in-12, p. +96.] + + + + +CHAPITRE VIII + +LA PUCELLE À POITIERS (_Suite_). + + +Une croyance commune aux doctes et aux ignorants attachait des vertus +singulières à l'état de virginité. Ces idées remontaient jusqu'à une +antiquité vaste et profonde: l'origine s'en perdait dans un passé qui +n'était point chrétien; c'était un legs immémorial, dont une part +venait des Gaulois et des Germains, une autre part des Romains et des +Grecs. Sur cette terre des Gaules, les blanches prêtresses des forêts +avaient laissé quelque souvenir de leur beauté sacrée; et l'on voyait +parfois encore flotter dans l'île de Sein, le long des bords brumeux +de l'Océan, l'ombre pâle des neuf soeurs qui, aux jours passés, +endormaient à leur volonté ou éveillaient la tempête. + +Selon ces croyances, écloses dans la jeunesse des peuples, le don de +prophétie est réservé aux vierges. C'est le partage d'une Cassandre +et d'une Velléda. Les Sibylles passaient pour avoir prophétisé la +venue de Jésus-Christ; on les tenait, dans l'Église, pour les +gardiennes de la révélation première au milieu des Gentils, et on les +vénérait comme les soeurs augustes des prophètes d'Israël. La prose +des Morts atteste l'une d'elles en même temps que le roi David. +Quelles fraudes pieuses établirent leur gloire prophétique, c'est ce +que nous devons ignorer ici autant que l'ignorait un Jean Gerson ou un +Gérard Machet. Il nous faut voir, au contraire, avec les docteurs du +XVe siècle, ces vierges annonçant la vérité aux nations qui les +vénéraient sans les comprendre. Telle était l'antique tradition de +l'Église chrétienne. Les Pères les plus anciens, Justin, Origène, +Clément d'Alexandrie faisaient grand usage des oracles sibyllins, et +les païens ne savaient trop que répondre quand Lactance leur opposait +le témoignage de ces prophétesses des nations. Saint Jérôme, sur la +foi de Varron, croyait fermement à leur existence. Saint Augustin met +dans la _Cité de Dieu_ la Sibylle Érythrée qui, dit-il, annonça sans +mélange d'erreurs la vie du Sauveur. Dès le XIIIe siècle, ces vierges +antiques avaient pris place dans les cathédrales au côté des +patriarches et des prophètes. Mais c'est au XVe que leurs images se +montrent en foule, sculptées au portail des églises, taillées dans les +stalles du choeur, peintes sur les murs des chapelles ou sur les +verrières lumineuses. Chacune a son attribut distinctif. La Persique +tient cette lanterne et la Libyque cette torche, qui percèrent les +ténèbres de la gentilité. L'Agrippe, l'Européenne et l'Érythrée sont +armées du glaive; la Phrygienne porte la croix pascale; +l'Hellespontine présente un rosier fleuri; les autres montrent les +signes visibles du mystère qu'elles ont annoncé: la Cumane, une +crèche; la Delphique, la Samienne, la Tiburtine, la Cimmérienne, une +couronne d'épines, un sceptre de roseau, des verges, une croix[733]. + +[Note 733: Jean-Philippe de Lignan, Rome, 1481 (non paginé), +feuillets 10 et suiv.--Sur l'assimilation de Jeanne d'Arc à la Sibylle +antique, voir le clerc de Spire.--_Sibylla Francica_, dans _Procès_, +t. III, p. 422.--Christine de Pisan, dans _Procès_, t. V, p, +12.--Lanéry d'Arc, _Mémoires et consultations en faveur de Jeanne +d'Arc_, pp. 8-10.--Barbier de Montault, _Iconographie des Sibylles_, +dans _Revue de l'Art Chrétien_, XIII-XIV (1869-1870).--Barraud, +_Notice sur les attributs avec lesquels on représente les Sibylles aux +XVe et XVIe siècles_ dans _Bulletin archéologique de la commission +hist. des Arts Mon._, t. IV (1848).--Cf. Morosini, t. IV, annexe XIV, +p. 319.] + +L'économie même de la religion chrétienne, l'ordre de ses mystères où +l'on voit l'humanité perdue par une femme et sauvée par une vierge, et +toute chair enveloppée, dans la malédiction d'Ève, conduisait au +triomphe de la virginité et à l'exaltation d'un état qui, pour parler +comme un Père de l'Église, est dans la chair sans être charnel. + +«C'est la virginité, dit saint Grégoire de Nysse, qui fait que Dieu ne +refuse pas de vivre avec les hommes. C'est elle qui donne aux hommes +des ailes pour prendre leur vol vers le ciel.» La virginité élève +l'apôtre Jean au-dessus même du prince des apôtres. Lors des +funérailles de Marie, Pierre remit à Jean la branche de palmier et +dit: «Il convient à celui qui est vierge de porter la palme de la +Vierge[734].» + +[Note 734: Voragine, _La légende dorée_ (Assomption de la +Vierge).] + +La vierge Marie, la Vierge par excellence, était, dans l'occident +chrétien, depuis le XIIe siècle, l'objet d'un culte ardent et +tendre[735]. Les grandes cathédrales du nord de la France, placées +sous le vocable de Notre-Dame, célébraient leur fête patronale le jour +de l'Assomption. Contre le pilier symbolique du grand portail +s'élevait l'image de la Vierge avec son divin Enfant et le lis +virginal. Parfois Ève figurait au-dessous, afin qu'on vît en même +temps la faute et la rédemption, la seconde Ève rachetant la première, +la vierge exaltée et la femme humiliée. Au tympan des portails se +déroulent des scènes merveilleuses. La Vierge est agenouillée: près +d'elle un lis fleurit dans un vase. L'ange, un lis à la main, lui dit +_AVE_, retournant ainsi le nom d'_EVA_, _mutans Evae nomen_. Ou bien +encore, les pieds posés sur le croissant de la lune, elle s'élève au +plus haut des cieux: _Exaltata est super choros angelorum._ Plus loin, +elle reçoit de Jésus-Christ la couronne précieuse: _Posuit in capite +ejus coronam de lapide pretioso._ Les vitraux représentaient en joyaux +de lumière les figures de la virginité de Marie: la pierre vue par +Daniel, détachée de la montagne sans la main d'aucun homme, la toison +de Gédéon, le buisson ardent de Moïse et la verge fleurie d'Aaron. + +[Note 735: Le curé de Saint-Sulpice, _Notre-Dame de France ou +hist. du culte de la Sainte Vierge en France_, Paris, 1862, 7 vol. +in-8º.--Abbé Mignard, _La Sainte Vierge_, Paris, 1877, in-8º, pp. 382 +et suiv.] + +Célébrée en des hymnes, des séquences et des litanies, avec une +inépuisable abondance d'images, elle était la Rose mystique, la Tour +d'ivoire, l'Arche d'alliance, la Porte du ciel, l'Étoile du matin. +Elle était le Puits des eaux vives, la Fontaine du jardin, le Verger +clos, la Gemme lumineuse, la Fleur des vertus, la Palme de douceur, le +Myrte de tempérance, le Nard odorant. + +L'idée qu'en la virginité résidaient la grâce et la puissance prenait, +dans la légende dorée, les formes les plus riches et les plus +charmantes. Les hagiographies comblent des plus douces louanges les +épouses de Jésus-Christ, celles-là surtout qui mirent sur la robe +blanche de la virginité les roses rouges du martyre. C'était pendant +la passion des vierges que s'accomplissaient les miracles de la grâce +la plus abondante. Les anges apportent à Dorothée les roses célestes +qu'elle répand sur ses bourreaux. Les vierges martyres commandent aux +animaux. Les lions de l'amphithéâtre lèchent les pieds de sainte +Thècle; les bêtes fauves du cirque se réunissent et nouent leurs +queues ensemble pour préparer un trône à sainte Euphémie; des aspics, +dans une fosse profonde, forment autour du col de sainte Christine +d'agréables colliers. Le divin Époux pour lequel elles souffrent ne +permet pas du moins qu'elles souffrent dans leur pudeur. Quand le +bourreau arrache les vêtements d'Agnès, les cheveux de la sainte +s'épaississent et lui font une robe miraculeuse; avant qu'on promène +sainte Barbe nue par les rues, un ange lui apporte une tunique +blanche. Ces Agnès et ces Dorothée, ces Catherine et ces Marguerite, +cette légion d'innocentes victorieuses disposaient les âmes à croire +au miracle d'une vierge plus forte que les archers. Sainte Geneviève +n'avait-elle pas détourné de Paris Attila et ses guerriers barbares? + +Cette croyance en une vertu attachée à l'état de virginité se trouve +vivement exprimée dans la fable, si répandue alors, de la Licorne et +de la Pucelle. + +La licorne était un cheval-chèvre d'une blancheur immaculée; elle +portait au front une merveilleuse épée. Les veneurs qui la voyaient +passer dans les clairières n'avaient jamais pu l'atteindre, tant elle +était rapide. Mais si une vierge, assise dans la forêt, appelait la +licorne, la bête obéissait, inclinait sa tête sur le giron de +l'enfant, se laissait prendre, enchaîner par d'aussi faibles mains. Au +contraire, il ne fallait pas qu'une fille corrompue et non pucelle +l'approchât: la licorne la tuait aussitôt[736]. + +[Note 736: _De l'Unicorne qu'une jeune fille séduit_, dans le +_Bestiaire_ de R. de Fournival (Paulin Paris, _Manuscrits français_, +t. IV, p. 25.)--Berger de Xivrey, _Traditions tératologiques_, p. +559.--J. Doublet, _Histoire de l'abbaye de Saint-Denys_, t. I, p. +320.--Vallet de Viriville, _Nouvelles recherches sur Agnès Sorel_, +dans _Bulletin de la Société des Antiquaires de Picardie_, t. VI, p. +621.--A. Maury, _Croyances et légendes du moyen âge_, pp. 262 et +suiv.] + +On disait même qu'une vierge avait le pouvoir de guérir les +écrouelles en récitant à jeun et nue certaine formule magique, mais ce +n'était pas parole d'Évangile[737]. + +[Note 737: Leber, _Des cérémonies du sacre_, Paris, 1825, in-8º, +p. 459.] + +Si les mystiques et les visionnaires exaltaient la virginité, +l'Église, jalouse de gouverner les corps avec les âmes, condamnait les +opinions contraires à la légitimité du mariage, dont elle avait fait +un sacrement. Elle tenait pour des impies très détestables ceux qui +réprouvaient absolument l'oeuvre de chair. Une fille était louable de +garder sa virginité; encore fallait-il que ce ne fût pas pour des +raisons pernicieuses et condamnables. Deux cents ans avant que régnât +le roi Charles VII, une jeune fille de Reims éprouva qu'on peut pécher +gravement contre l'Église de Dieu en refusant de forniquer avec un +clerc dans une vigne. Voici l'histoire de cette jeune fille, telle +qu'elle fut rapportée par le chanoine Gervais. + +Guillaume aux Blanches Mains, archevêque de Reims, oncle du roi +Philippe de France, chevauchait un jour hors de sa ville pour se +divertir. Un clerc de sa suite, nommé Gervais, qui était dans l'ardeur +de la jeunesse, aperçut une belle jeune fille qui passait seule dans +une vigne. Il alla vers elle, la salua, et lui demanda: «Qu'avez-vous +donc à faire seule en si grande hâte?» Et, par propos congruents, il +la sollicita courtoisement à l'amour. + +Sans même le regarder, elle lui répondit d'un maintien tranquille et +d'une voix grave: + +--À Dieu ne plaise, ô bon jouvenceau, que je sois jamais l'amie de toi +ou d'aucun autre homme, car si je perdais ma virginité et si ma chair +était une fois corrompue, je serais vouée infailliblement et sans +remède à la damnation éternelle. + +En entendant un tel langage il soupçonna la jeune fille d'appartenir à +la secte impie des cathares que l'Église recherchait alors avec soin +et punissait sévèrement. En effet, une des erreurs de ces hérétiques +était de condamner tout commerce charnel. Impatient d'éclaircir ses +doutes, Gervais provoqua aussitôt la jouvencelle à un débat sur +l'enseignement de l'Église relativement à l'oeuvre de chair. Cependant +l'archevêque Guillaume aux Blanches Mains fit retourner sa monture et +poussa, suivi de ses religieux, jusqu'à la vigne où la jeune fille et +le clerc disputaient ensemble. Lorsqu'il eut appris le sujet de leur +dispute, il ordonna qu'on saisît cette jeune fille et qu'on l'amenât +dans la ville. Là, il l'exhorta et s'efforça charitablement de la +convertir à la foi catholique. + +Pourtant elle ne se soumit point. + +--Je ne suis pas, lui dit-elle, assez instruite dans la doctrine pour +me défendre. Mais j'ai en ville une maîtresse qui réfutera très +facilement, par de bonnes raisons, tous vos arguments. C'est une telle +qui loge en telle maison. + +L'archevêque Guillaume envoya aussitôt quérir cette femme et, l'ayant +interrogée, il reconnut que la jeune fille avait parlé d'elle +exactement. Dès le lendemain il convoqua une assemblée de clercs et de +nobles pour juger les deux femmes. Elles furent l'une et l'autre +condamnées au feu. La maîtresse parvint à s'échapper, mais la jeune +fille, n'ayant pu être, par persuasion ni promesses, tirée de sa +pernicieuse erreur, fut livrée au bourreau. Elle mourut sans verser +une larme, sans murmurer une plainte[738]. + +[Note 738: L. Tanon, _Histoire des tribunaux de l'inquisition en +France_, Paris, 1893, in-8º, p. 293.] + +On croyait communément alors que le diable prenait la virginité des +filles qui se donnaient à lui et que c'était le premier acte par +lequel il exerçait sa puissance sur ces malheureuses créatures[739]. +Cette façon d'agir était conforme à ce qu'on savait de son tempérament +libidineux. Il y goûtait un plaisir accommodé à sa condition +souffrante; il y obtenait de plus un avantage considérable, celui de +désarmer sa victime, car la virginité est une cuirasse contre laquelle +les traits de l'enfer se brisent comme paille. De la sorte on était +presque assuré de ne point trouver dans un corps intact et pur une âme +vouée au démon[740]. Il y avait donc un moyen, autant dire +infaillible, de constater que la paysanne de Vaucouleurs n'était pas +adonnée à la magie ni à la sorcellerie, qu'elle n'avait point fait de +pacte avec le Malin. On y eut recours. + +[Note 739: Du Cange, _Glossaire_, au mot: _Matrimonium_.] + +[Note 740: Pierre Le Loyer, _Livre des spectres_, 1586, in-4º, pp. +527, 551.] + +Jeanne fut vue, visitée, secrètement regardée, amplement examinée par +de sages femmes, _mulieres doctas_, des vierges expertes, _peritas +virgines_, des veuves et des épouses, _viduas et conjugatas_. Au +premier rang de ces matrones se trouvaient la reine de Sicile et de +Jérusalem, duchesse d'Anjou; la dame Jeanne de Preuilly, femme du sire +de Gaucourt, gouverneur d'Orléans, laquelle était âgée de +cinquante-sept ans environ, et la dame Jeanne de Mortemer, femme de +messire Robert Le Maçon, seigneur de Trêves, homme d'un grand +âge[741]. Celle-ci n'avait pas plus de dix-huit ans, et l'on eût cru +qu'elle connaissait mieux le calendrier des vieillards que le +formulaire des matrones. Ce qui semble étrange, c'est l'assurance avec +laquelle les prudes femmes d'alors se livraient à une recherche que le +roi Salomon, dans sa sagesse, estimait difficile. + +[Note 741: _Procès_, t. III, p. 102.--Vallet de Viriville, article +_Le Maçon_, dans _Nouvelle Biographie générale_.] + +Jeanne de Domremy fut trouvée vraie et entière pucelle, sans apparence +de corruption ni trace de violence[742]. + +[Note 742: _Procès_, t. III, p. 210.--Eberhard Windecke, p. +157.--Morosini, p. 99.] + +En même temps qu'elle subissait les interrogatoires des docteurs et +l'examen des matrones, plusieurs religieux, envoyés dans son pays +natal, y poursuivaient une enquête sur sa naissance, sa vie et ses +moeurs[743]. Ils avaient été choisis parmi ces moines mendiants qui, +sans cesse par voies et par chemins, pouvaient se mouvoir en pays +ennemi sans éveiller la défiance des Anglais et des Bourguignons. En +effet, ils ne furent point inquiétés et ils rapportèrent de Domremy et +de Vaucouleurs des témoignages certains qui attestaient l'humilité, la +dévotion, l'honnêteté et la simplicité de Jeanne. Ils en rapportèrent +surtout des contes pieux qu'ils n'avaient pas eu grand'peine à +trouver, car c'était ceux dont on ornait communément l'enfance des +saints. Il est juste de faire à ces moines une très grande part dans +les légendes de la première heure qui devinrent si vite populaires. +Ils contèrent, dès lors, selon toute apparence, que, lorsque Jeanne +était dans sa septième année, les loups n'approchaient point de ses +moutons et que les oiseaux des bois, quand elle les appelait, venaient +manger son pain dans son giron[744]. Ces fleurettes semblent bien +d'origine franciscaine: on y retrouve le loup de Gubbio et les oiseaux +prêchés par saint François. Peut-être ces mendiants fournirent-ils +aussi quelques exemples du don de prophétie qui était en la Pucelle, +et publièrent-ils que, se trouvant à Vaucouleurs, le jour des Harengs, +elle avait su le grand dommage souffert par les Français à +Rouvray[745]. La fortune de ces petits récits fut immense et +soudaine. + +[Note 743: _Procès_, t. III, p. 82.] + +[Note 744: Lettre de Perceval de Boulainvilliers au duc de Milan, +dans _Procès_, t. V, pp. 115, 121.--_Journal d'un bourgeois de Paris_, +p. 237.] + +[Note 745: _Journal du siège_, p. 48.--_Chronique de la Pucelle_, +p. 275.] + +Après cet examen et ces enquêtes, les docteurs conclurent: + +«Le roi, attendu la nécessité de lui et de son royaume, et considéré +les continues prières de son pauvre peuple envers Dieu et tous autres +aimant paix et justice, ne doit point débouter ni rejeter la Pucelle, +qui se dit être envoyée de par Dieu pour lui donner secours, non +obstant que ces promesses soient seules[746] oeuvres humaines; ni +aussi ne doit croire en elle tant tôt et légèrement. Mais en suivant +la sainte Écriture, il la doit éprouver par deux manières: c'est +assavoir par prudence humaine, en enquérant de sa vie, de ses moeurs +et de son intention, comme dit saint Paul l'Apôtre: _Probate spiritus, +si ex Deo sunt_; et, par dévote oraison, requérir signe d'aucune +oeuvre et espérance divine, par quoi on puisse juger qu'elle est venue +de la volonté de Dieu. Aussi commanda Dieu à Achaz, qu'il demandât +signe, quand Dieu lui faisait promesse de victoire, en lui disant: +_Pete signum a Domino_; et semblablement fit Gédéon, qui demanda +signe, et plusieurs autres, etc. + +[Note 746: _Seules_ est douteux dans le texte.] + +»Le roi, depuis la venue de ladite Pucelle, a observé et tenu les deux +manières susdites: c'est assavoir probation par prudence humaine et +par oraison, en demandant signe de Dieu. Quant à la première qui est +par prudence humaine, il a fait éprouver ladite Pucelle de sa vie, de +sa naissance, de ses moeurs, de son intention et l'a fait garder avec +lui bien par l'espace de six semaines pour la montrer à toutes gens +soit clercs, gens d'Église, gens de dévotion, gens d'armes, femmes, +veuves et autres. Et publiquement et secrètement elle a conversé avec +toutes gens. Mais en elle on ne trouve point de mal, et rien que bien, +humilité, virginité, dévotion, honnêteté, simplesse; et de sa +naissance et de sa vie plusieurs choses merveilleuses sont dites comme +vraies. + +»Quant à la seconde manière de probation, le roi lui demanda signe, à +quoi elle répond que, devant la ville d'Orléans, elle le montrera, et +non pas avant ni en autre lieu: car ainsi lui est ordonné de par Dieu. + +»Le roi, attendu la probation faite, de ladite Pucelle, autant qu'il +lui était possible, et nul mal ne trouvant en elle, et considéré sa +réponse qui est de montrer signe divin devant Orléans; vu sa constance +et sa persévérance en son propos, et ses requêtes instantes d'aller à +Orléans, pour y montrer le signe de divin secours, ne la doit point +empêcher d'aller à Orléans avec ses gens d'armes; mais la doit faire +conduire honnêtement, en espérant en Dieu. Car avoir crainte d'elle ou +la rejeter sans apparence de mal serait répugner au Saint-Esprit, et +se rendre indigne de l'aide de Dieu, comme dit Gamaliel en un conseil +des Juifs au regard des Apôtres[747].» + +[Note 747: _Procès_, t. III, pp. 391, 392; t. IV, pp. 306, 487, +488.] + +En résumé, la conclusion des docteurs était que rien de divin ne +paraissait encore dans les promesses de la Pucelle, mais qu'elle avait +été examinée et trouvée humble, vierge, dévote, honnête, simple et +toute bonne et que, puisqu'elle avait promis de montrer un signe de +Dieu devant Orléans, il fallait l'y conduire, de peur de repousser +avec elle les grâces de l'Esprit-Saint. + +Ces conclusions furent copiées à un grand nombre d'exemplaires et +envoyées aux villes du royaume ainsi qu'aux princes de la chrétienté. +L'empereur Sigismond, notamment, en reçut une copie[748]. Si, par une +enquête de six semaines, suivie d'une conclusion favorable et +solennelle, les docteurs de Poitiers voulurent mettre en lumière et en +honneur la Pucelle, préparer, annoncer la merveille qu'ils avaient +sous la main, la montrer de manière à réconforter les Français, ils +réussirent parfaitement dans leur entreprise[749]. Cette longue +information, ces minutieux examens rassurèrent en France les esprits +défiants qui craignaient qu'une fille habillée en homme ne fût une +diablesse, éblouirent les imaginations par l'espoir du miracle, +touchèrent les coeurs en faveur de cette jeune fille qui sortait du +creuset radieuse et comme environnée d'une lumière céleste. La +victoire remportée par elle dans cette dispute avec les docteurs la +faisait paraître une autre sainte Catherine[750]. Et comme ce n'était +pas assez pour la foule avide de prodiges qu'elle eût répondu sagement +aux questions difficiles, on imagina qu'elle avait été soumise à des +épreuves étranges et telles qu'elle n'avait pu les surmonter que par +miracle. C'est ainsi qu'on raconta quelques semaines après l'enquête, +en Bretagne et en Flandres, l'histoire merveilleuse que voici: À +Poitiers, comme elle se préparait à recevoir la communion, le prêtre +avait une hostie consacrée et une autre qui ne l'était pas; il voulut +lui donner celle qui n'était pas consacrée; elle la prit dans sa main +et dit au prêtre que cette hostie n'était pas le corps du Christ son +Rédempteur, mais que ce corps était dans l'hostie que le prêtre avait +mise sous le corporal[751]. Comment douter après cela que Jeanne ne +fût une grande sainte? + +[Note 748: Eberhard Windecke, pp. 32, 41.] + +[Note 749: Les conclusions de la commission de Poitiers se +répandirent partout. Les traces de cette diffusion se retrouvent: en +Bretagne (Buchon et _Chronique de Morosini_); en Flandre (_Chronique +de Tournai_ et _Chronique de Morosini_); en Allemagne (Eb. Windecke); +en Dauphiné (Buchon).] + +[Note 750: «_Altra santa Catarina_.» (Morosini, t. III, p. +52.)--Sans aucun doute, c'est à sainte Catherine d'Alexandrie qu'elle +est comparée en cet endroit, et non pas à sainte Catherine de Sienne.] + +[Note 751: Morosini, t. III, pp. 101.] + +À la clôture des enquêtes, une occasion favorable survint, dans les +premiers jours d'avril, de jeter la Pucelle dans Orléans. On l'envoya +d'abord à Tours, pour qu'elle s'y fît équiper et armer[752]. + +[Note 752: _Procès_, t. III, pp. 66 et 210.] + +Soixante-six ans plus tard, un habitant de Poitiers, presque +centenaire, contait à un jeune concitoyen qu'il avait vu la Pucelle +monter à cheval tout armée de blanc pour aller à Orléans[753]. Il +montrait au coin de la rue Saint-Étienne la pierre de laquelle elle +s'était aidée pour se mettre en selle. Jeanne, à Poitiers, n'était +point armée. Mais la pierre avait reçu du peuple poitevin le nom de +«montoir de la Pucelle[754]». De quel pied alerte et joyeux la Sainte +dut sauter de cette pierre sur le cheval qui l'emportait, loin des +chats fourrés, vers les vaincus et les affligés qu'elle avait hâte de +secourir! + +[Note 753: Jean Bouchet, _Annales d'Aquitaine_, dans _Procès_, t. +IV, pp. 536-537.] + +[Note 754: M. de la Fontenelle de Vaudoré écrivait en 1845: «Or, +sous la Restauration, à une époque où l'on pavait cette rue (la rue +Saint-Estienne), nous étant aperçu que cette pierre (celle dont parle +Bouchet) appelée par le peuple le montoir de la Pucelle, et formant un +beau fragment de granit vert, étranger au pays, venait d'être brisée +par les paveurs, nous en recueillîmes religieusement les fragments, +afin d'en déposer une partie au musée de la ville et de réserver +l'autre pour nous et les autres amateurs de reliques historiques.» +(Guilbert, _Histoire des villes de France_, t. IV, Poitiers.) + +La pierre dont parle ici M. de la Fontenelle de Vaudoré et qui a été +transportée à la Bibliothèque publique en 1823 était placée au coin de +la rue du Petit-Maure. Si c'est vraiment celle que Jean Bouchet vit au +coin de la rue Saint-Étienne, il faut qu'elle ait été déplacée, ce qui +ne s'explique pas. Il y avait des bornes semblables devant tous les +hôtels. Cf. B. Ledain, _La maison de Jeanne d'Arc à Poitiers_, +Saint-Maixent, 1892, in-8º.--L'hôtel de la Rose s'élevait, selon M. +Ledain, sur l'emplacement occupé aujourd'hui par la maison nº 13 de la +rue Notre-Dame-la-Petite.] + + + + +CHAPITRE IX + +LA PUCELLE À TOURS. + + +À Tours, la Pucelle logea en l'hôtel d'une dame qu'on nommait +communément Lapau[755]. C'était Éléonore de Paul, une Angevine qui +avait été demoiselle de la reine Marie d'Anjou. Ayant épousé Jean du +Puy, seigneur de la Roche-Saint-Quentin, conseiller de la reine de +Sicile, elle restait encore auprès de la reine de France[756]. + +[Note 755: _Procès_, t. III, p. 66.] + +[Note 756: Vallet de Viriville, _Notices et extraits de chartes et +de manuscrits appartenant au British Museum de Londres_, dans +_Bibliothèque de l'École des Chartes_, t. VIII, pp. 139, 140.] + +La ville de Tours appartenait alors à la reine de Sicile qui +s'enrichissait à mesure que son gendre se ruinait. Elle l'aidait en +argent et il lui donnait des terres. C'est ainsi qu'en 1424 elle reçut +le duché de Touraine avec toutes ses dépendances, sauf la châtellenie +de Chinon[757]. Les bourgeois et manants de Tours avaient bon désir +de la paix. En attendant qu'elle vînt, ils tâchaient à grand'peine +d'échapper aux pilleries des gens d'armes. Ni le roi Charles ni la +reine Yolande n'étaient capables de les défendre et il leur fallait se +défendre eux-mêmes[758]. Quand un de ces chefs de bandes, qui +ravageaient la Touraine et l'Anjou, était signalé par les guetteurs de +la ville, les bourgeois fermaient leurs portes et veillaient à ce que +les couleuvrines fussent en place. On parlementait; le capitaine, au +bord du fossé, exposait qu'il était au service du roi, qu'il allait +combattre les Anglais, qu'il demandait à coucher dans la ville avec +ses hommes; on l'invitait poliment, du haut de la muraille, à passer +outre et, pour qu'il ne fût pas tenté de forcer l'entrée, on lui +offrait une somme d'argent[759]. De peur d'être écorchés, les +bourgeois se faisaient tondre. C'est ainsi que, peu de jours avant la +venue de Jeanne, ils donnèrent à l'Écossais Kennedy, qui ravageait les +environs, deux cents livres pour qu'il allât un peu plus loin. Quand +ils s'étaient débarrassés de leurs défenseurs, leur plus grand souci +était de se garder des Anglais. Le 29 février de cette même année +1429, ces bourgeois prêtèrent cent écus au capitaine La Hire qui, pour +lors, faisait de son mieux dans Orléans. Et même à l'approche des +Anglais, ils consentirent à recevoir quarante hommes de trait, de la +compagnie du sire de Bueil, à la condition que Bueil logeât au Château +avec vingt hommes et que les autres allassent dans les hôtelleries et +ne prissent rien sans payer. Il en fut ainsi ou autrement, et le sire +de Bueil s'en alla défendre Orléans[760]. + +[Note 757: De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. II, p. 77.] + +[Note 758: Vallet de Viriville, _Analyse et fragments tirés des +Archives municipales de Tours_ dans _Cabinet Historique_, V, pp. +102-121.] + +[Note 759: Quicherat, _Rodrigue de Villandrando_, Paris, 1879 +in-8º, pp. 14 et suiv.] + +[Note 760: _Le Jouvencel_, t. I, Introduction, p. xxij., note 1.] + +Dans l'hôtel de Jean du Puy, Jeanne reçut la visite d'un moine +augustin, nommé Jean Pasquerel, qui revenait de la ville du +Puy-en-Velay où il s'était rencontré avec Isabelle Romée et +quelques-uns de ceux qui avaient mené Jeanne au roi[761]. + +[Note 761: _Procès_, t. III, pp. 100 et suiv.] + +En cette ville, dans le sanctuaire d'Anis, on gardait une image de la +mère de Dieu, rapportée d'Égypte par saint Louis et qui était ancienne +et vénérable, car le prophète Jérémie l'avait taillée de ses mains +dans du bois de sycomore, à la ressemblance de la vierge à naître +qu'il avait vue en esprit[762]. Durant la semaine sainte, les pèlerins +y affluaient de toutes les parties de la France et de l'Europe, +seigneurs, clercs, gens d'armes, bourgeois et paysans, et beaucoup, +par pénitence ou pauvreté, cheminaient à pied, le bourdon à la main et +mendiaient leur pain aux portes. Des marchands de toutes sortes s'y +rendaient et c'était tout ensemble un des plus fréquentés pèlerinages +et une des plus riches foires du monde. Aux environs de la ville, les +chemins ne suffisaient pas aux voyageurs qui envahissaient vignes, +prés et jardins. En l'an 1407, le jour du pardon, deux cents personnes +périrent étouffées[763]. + +[Note 762: Francisque Mandet, _Histoire du Velay_, Le Puy, +1860-1862 (7 vol. in-12), t. I, pp. 570 et suiv.--S. Luce, _Jeanne +d'Arc à Domremy_, ch. XII.] + +[Note 763: Jean Juvénal des Ursins, année 1407.] + +En certaines années, la conception de Notre-Seigneur se trouvant +commémorée en même temps que sa mort, la promesse du plus grand des +mystères coïncidait avec sa consommation. Alors le vendredi saint +devenait plus saint encore; on l'appelait le grand vendredi, et ceux +qui le passaient dans le sanctuaire d'Anis gagnaient une indulgence +plénière. Ce jour-là, les pèlerins s'y pressaient encore plus nombreux +que de coutume. Or, en l'an 1429, le vendredi saint tombait le 25 +mars, jour de l'Annonciation[764]. + +[Note 764: Nicole de Savigni, _Notes sur les exploits de Jeanne +d'Arc et sur divers événements de son temps_, dans _Bulletin de la +Société de l'Histoire de Paris_, I, 1874, p. 43.--Chanoine Lucot, +_Jeanne d'Arc en Champagne_, Châlons, 1880, pp. 12 et 13.] + +Les rencontres que frère Pasquerel fit au Puy, pendant la semaine +sainte, ne doivent donc pas nous sembler trop extraordinaires. Qu'une +femme des champs accomplît un voyage de plus de cent lieues, à pied, +par un pays infesté de gens d'armes et autres larrons, sur de +mauvaises routes, dans la saison des neiges et des brumes, pour gagner +son pardon, c'est ce qui se voyait tous les jours; et la Romée n'en +était pas à son premier pèlerinage, si l'on s'en rapporte au surnom +qu'elle portait déjà depuis longtemps[765]. Ne sachant point quels +étaient ceux des compagnons de la Pucelle que rencontra le bon Frère, +nous sommes libres de croire que Bertrand de Poulengy se trouvait du +nombre. Nous ne le connaissons guère, mais son langage révèle une +personne dévote[766]. + +[Note 765: _Procès_, t. I, p. 191; t. II, p. 74, note.--La Romée +peut avoir reçu son surnom pour une toute autre raison. Nous ne +connaissons guère la mère de Jeanne que par des documents +généalogiques extrêmement suspects.] + +[Note 766: Francis C. Lowell regarde l'idée du pèlerinage de la +Romée au Puy comme «a characteristic exemple of the madness» de Siméon +Luce (_Joan of Arc_, Boston, 1896, in-8º, p. 72, note.)--Toutefois, +après une assez longue hésitation, j'ai, comme Luce, repoussé les +corrections proposées par Lebrun de Charmettes et Quicherat, et admis +sans changement le texte du procès.] + +Ces compagnons, s'étant mis sur un pied de familiarité avec Pasquerel, +lui dirent: «Il vous faut nous accompagner auprès de Jeanne. Nous ne +vous lâcherons pas que nous ne vous ayons conduit près d'elle.» Ils +cheminèrent ensemble. Frère Pasquerel passa avec eux à Chinon, quand +Jeanne n'y était plus; puis il alla à Tours où se trouvait son +couvent. + +Les augustins, qui prétendaient avoir reçu leur règle de saint +Augustin lui-même, portaient alors l'habit gris des franciscains. +C'est dans leur ordre, que l'année précédente, le roi avait choisi le +chapelain de son jeune fils, le dauphin Louis. Frère Pasquerel tenait +en son couvent l'emploi de lecteur[767]. Il était prêtre. Fort jeune, +sans doute, et d'humeur errante, comme alors beaucoup de moines +mendiants, il avait le goût des choses merveilleuses et une extrême +crédulité. + +[Note 767: _Procès_, t. III, p. 101.--Sur la signification du mot +_Lector_, professeur de théologie, cf. Du Cange.] + +Les compagnons dirent à Jeanne: + +--Jeanne, nous vous avons amené ce bon père. Quand vous le connaîtrez +bien vous l'aimerez bien. + +Elle répondit: + +--Le bon père me rend bien contente, j'ai déjà entendu parler de lui, +et dès demain je veux me confesser à lui. + +Le lendemain, le bon père l'ouït en confession et chanta la messe +devant elle. Il devint son aumônier et ne la quitta plus[768]. + +[Note 768: _Procès_, t. III, pp. 101 et suiv.] + +Au XVe siècle, Tours était une des villes les plus industrieuses du +royaume. Les habitants excellaient en toutes sortes de métiers. Ils +tissaient des draps de soie d'or et d'argent. Ils fabriquaient aussi +des harnais de guerre; et, sans égaler les armuriers de Milan, de +Nuremberg et d'Augsbourg, ils étaient habiles à forger et à écrouir +l'acier[769]. Là, un maître-armurier, par ordre du roi, fit sur mesure +une armure à la Pucelle[770]. L'habillement de fer battu qu'il fournit +se composait, selon l'usage du temps, d'un heaume et d'une cuirasse en +quatre pièces, avec épaulières, bras, coudières, avant-bras, +gantelets, cuissots, genouillères, grèves et solerets[771]. L'ouvrier, +sans doute, ne songea pas à accuser la forme féminine. Mais les +armures d'alors, bombées à la poitrine, minces de taille avec les +tassettes évasées sur les hanches, ont toutes l'air, dans leur grâce +mièvre et leur sveltesse étrange, d'armures de femmes et semblent +faites pour la reine Penthésilée ou pour Camille romaine. L'armure de +la Pucelle était une armure blanche, toute simple, ainsi qu'on en peut +juger par le prix médiocre de cent livres tournois qu'elle coûta. Les +deux harnais de Jean de Metz et de son compagnon, fournis en même +temps par le même armurier, valaient ensemble cent vingt-cinq livres +tournois[772]. Peut-être un de ces habiles et renommés drapiers de +Tours prit-il mesure sur la jeune fille d'une huque ou houppelande, +sorte de casaque de drap de soie, d'or et d'argent, que les capitaines +passaient par-dessus la cuirasse. Ouverte par devant, la huque, pour +avoir bon air, devait être déchiquetée en lambrequins qui flottaient +follement autour du cavalier. Jeanne aimait les belles huques et plus +encore les beaux chevaux[773]. + +[Note 769: E. Giraudet, _Histoire de la ville de Tours_, Tours, +1874, 2 vol., in-8º, _passim_.] + +[Note 770: _Procès_, t. III, pp. 67, 94, 210; t. IV, pp. 3, 301, +363.] + +[Note 771: J. Quicherat, _Histoire du costume en France_, Paris, +1875, gr. in-8º, pp. 270-271.] + +[Note 772: _Procès_, t. III, pp. 67, 94, 210.--_Relation du +greffier de La Rochelle_, p. 60.--«Le harnais blanc des hommes d'armes +du XVe siècle, si simple qu'il fût, coûtait fort cher, dix mille +francs environ du pouvoir d'argent actuel. Mais dans cette somme +comptait aussi le harnais complet de cheval.» (Maurice Maindron, _Pour +l'histoire de l'armure_, dans le _Monde moderne_, 1896).] + +[Note 773: _Procès_, t. I, p. 76.--Lettre de Perceval de +Boulainvilliers, _ibid._, t. V, p. 120.--Greffier de la Chambre des +comptes de Brabant, _ibid._, t. IV, p. 428.--Le Fèvre de Saint-Remy, +_ibid._, t. IV, p. 439.] + +Le roi l'invita à prendre un cheval dans ses écuries. Si certain poète +latin dit vrai, elle choisit une bête illustre assurément par son +origine, mais très vieille. C'était un destrier que Pierre de Beauvau, +gouverneur d'Anjou et du Maine, avait donné à l'un des deux frères du +roi, morts tous deux, l'un depuis déjà treize ans, l'autre depuis +douze[774]. Ce cheval, ou un autre, fut mené dans la maison Lapau, et +le duc d'Alençon l'y alla voir. Le cheval dut recevoir aussi son +habillement, un chanfrein pour protéger la tête et une de ces selles +de bois à pommeau évasé dans lesquelles le cavalier se trouvait +parfaitement emboîté[775]. De l'écu, il n'en put être question. Cette +pièce ne se portait plus qu'aux fêtes depuis que les armures de +mailles, qui se rompaient sous les coups, étaient remplacées par les +armures de plates, que rien n'entamait. Quant à l'épée, la plus noble +pièce du harnais et la plus claire image de la force unie à la +loyauté, Jeanne ne consentit pas à la tenir de l'armurier royal; elle +voulut la recevoir de sainte Catherine elle-même. + +[Note 774: _Poème anonyme_ dans _Procès_, t. V, p. 38, et note.] + +[Note 775: Capitaine Champion, _Jeanne d'Arc écuyère_, pp. 146 et +suiv.] + +On sait qu'à sa venue en France, elle s'était arrêtée à Fierbois et +qu'elle avait entendu trois messes dans la chapelle de sainte +Catherine[776]. La vierge d'Alexandrie possédait en ce lieu de +Fierbois beaucoup d'épées, sans compter celle que Charles Martel lui +avait donnée, disait-on, et qu'il n'aurait pas été facile de +retrouver. Bonne Tourangelle en Touraine, elle était du parti des +Armagnacs et se montrait en toutes rencontres favorable aux hommes +d'armes qui tenaient pour le dauphin Charles. Les capitaines et les +routiers du parti français, sachant qu'elle leur voulait du bien, +l'invoquaient préférablement à toute autre, quand ils se trouvaient en +danger de mort ou prisonniers de leurs ennemis. Elle ne les sauvait +pas tous, mais elle en secourait plusieurs qui venaient lui rendre +grâces, et, en signe de reconnaissance, lui offrir leurs harnais de +guerre; de sorte que la chapelle de madame sainte Catherine +ressemblait à une salle d'armes[777]. Les murs en étaient tout +hérissés de fer, et, comme les dons affluaient depuis plus de +cinquante années, depuis le temps du roi Charles V, il est probable +que les sacristains décrochaient les anciennes armes pour faire place +aux nouvelles et entassaient dans quelque magasin la vieille ferraille +en attendant une occasion favorable de la vendre[778]. Sainte +Catherine ne pouvait refuser une épée à la jeune fille qu'elle aimait +jusqu'à descendre du paradis tous les jours et à toute heure pour la +voir et l'entretenir sur terre et qui, à son tour, lui avait fait une +bonne et dévote visite en ce lieu de Fierbois. Car il faut savoir que +sainte Catherine, accompagnée de sainte Marguerite, n'avait pas cessé +de fréquenter près de Jeanne à Chinon et à Tours. Elle faisait partie +de toutes ces assemblées secrètes que la Pucelle appelait parfois son +Conseil et plus souvent ses Voix, sans doute parce que ses oreilles et +son esprit en étaient encore plus frappés que ses yeux, malgré l'éclat +des lumières dont elle était parfois éblouie et bien qu'elle +distinguât des couronnes au front des saintes. Les Voix désignèrent +une épée entre toutes celles qui se trouvaient dans la chapelle de +Fierbois. Messire Richard Kyrthrizian et frère Gille Lecourt, tous +deux prêtres, étaient alors gouverneurs de la chapelle. Tel est le +titre qu'ils se donnaient en signant les relations des miracles de +leur sainte. Jeanne, par lettre missive, leur fit demander l'épée dont +elle avait eu révélation. On la trouvera, disait-elle en sa lettre, +sous terre, pas fort avant et derrière l'autel. Ce fut du moins là +toutes les indications qu'elle put donner plus tard; encore ne lui +souvenait-il plus bien si c'était derrière l'autel ou devant. Sut-elle +montrer aux gouverneurs de la chapelle quelques signes auxquels ils +reconnussent l'épée? Elle ne s'expliqua jamais sur ce point et sa +lettre est perdue[779]. + +[Note 776: _Procès_, t. I, pp. 56, 75-76-77.] + +[Note 777: Abbé Bourassé, _Les miracles de madame Sainte Katerine +de Fierboys en Touraine_ (1375-1446), Tours, 1858, in-8º, _passim_.] + +[Note 778: _Chronique de la Pucelle_, p. 277.--Jean Chartier, +_Chronique_, t. I, p. 69.] + +[Note 779: _Procès_, t. I, p. 77.--_Les miracles de madame sainte +Katerine_, _passim_.] + +Ce qui est certain, c'est qu'elle croyait avoir vu cette épée par +révélation, et non pas autrement. Un armurier tourangeau, qu'elle ne +connaissait point (elle affirma depuis ne l'avoir jamais vu), fut +chargé de porter la lettre à Fierbois. Les gouverneurs de la chapelle +lui remirent une épée marquée de cinq croix, ou de cinq petites épées +sur la lame, assez près de la garde. En quel endroit de la chapelle +l'avaient-ils trouvée? On ne sait. Un contemporain dit que ce fut dans +un coffre, avec de vieilles ferrailles. Si elle avait été cachée et +enfouie, ce n'était pas très anciennement; car il suffit de la frotter +un peu pour en ôter la rouille. Les prêtres eurent à coeur de l'offrir +très honorablement à la Pucelle[780]. Ils l'enfermèrent dans un +fourreau de velours vermeil, semé de fleurs de lis, avant de la +remettre à l'armurier, qui la venait prendre. Jeanne, en la recevant, +la reconnut pour celle qu'elle avait vue par révélation divine et que +les Voix lui avaient promise. Et elle le dit très haut à tout ce petit +monde de moines et de soldats qui vivaient près d'elle. Cela sembla +bien admirable et signe de victoire[781]. Des prêtres de la ville +donnèrent, pour protéger l'épée de sainte Catherine, un second +fourreau, celui-là de drap noir. Jeanne en fit faire un troisième de +cuir très fort[782]. + +[Note 780: _Procès_, t. I, pp. 76, 234, 236.--_Chronique de la +Pucelle_, p. 277.--_Journal du siège_, p. 49.--Jean Chartier, +_Chronique_, t. I, pp. 69-70.--Guerneri Berni, dans _Procès_, t. IV, +p. 519.--_Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 267.--Morosini, t. III, +p. 109.--_Relation du greffier de La Rochelle_, pp. 337, +338.--_Chronique Messine_, éd. de Bouteiller, 1878, Orléans, in-8º, 26 +pages.] + +[Note 781: _Procès_, t. I, pp. 75, 235.] + +[Note 782: _Ibid._, t. I, p. 76.] + +L'histoire de cette épée se répandit au loin, grossie de fables +étranges. C'était, disait-on, l'épée, longtemps endormie sous terre, +du grand Charles Martel. Plusieurs pensaient que ce fût l'épée +d'Alexandre et des preux du temps jadis. Tous la tenaient bonne et +fortunée. Bientôt les Anglais et les Bourguignons, instruits de la +chose, eurent idée que cette Pucelle avait consulté les démons pour +voir ce qui était caché dans la terre, ou soupçonnèrent qu'elle avait +elle-même malicieusement enfoui l'épée à l'endroit par elle désigné, +afin de séduire les princes, le clergé et le peuple. Ils se +demandaient avec inquiétude si ces cinq croix n'étaient pas des signes +diaboliques[783]. Ainsi commençaient à se former les illusions +contraires selon lesquelles Jeanne parut sainte ou sorcière. + +[Note 783: Morosini, t. III, pp. 108, 109.--_Chronique de +Lorraine_, dans _Procès_, t. IV, p. 332.--Eberhard Windecke, p. 101.] + +Le roi ne lui avait confié aucun commandement. Se conformant à l'avis +des docteurs, il ne l'empêchait pas d'aller à Orléans avec ses gens +d'armes, et même il l'y faisait mener honorablement, afin qu'elle y +montrât le signe qu'elle avait promis. Il lui donnait des gens pour la +conduire, et non pour qu'elle les conduisît. Comment les eût-elle +conduits, puisqu'elle ne savait point le chemin? Cependant elle fit +faire un étendard selon le mandement de mesdames sainte Catherine et +sainte Marguerite qui lui avaient dit: «Prends l'étendard de par le +Roi du ciel!» Il était d'une grosse toile blanche, dite boucassin ou +bougran, et bordé de franges de soie. Ayant reçu avis de ses Voix, +Jeanne y fit mettre, par un peintre de la ville, ce qu'elle appelait +«le Monde»[784], c'est-à-dire Notre-Seigneur, assis sur son trône, +bénissant de sa dextre levée et tenant dans sa main senestre la boule +du monde. À sa droite était un ange, et un ange à sa gauche, peints +tous deux en la manière qu'on les voyait dans les églises, et +présentant au Seigneur des fleurs de lis. Les noms Jhesus-Maria +étaient écrits dessus ou à côté, et le champ était semé de fleurs de +lis d'or[785]. Elle se fit peindre aussi des armoiries. C'était, dans +un écu d'azur, une colombe d'argent, tenant en son bec une banderole +où on lisait: «De par le Roi du ciel[786].» Elle mit cet écu sur +l'avers de l'étendard dont Notre-Seigneur occupait la face. Un +serviteur du duc d'Alençon, Perceval de Cagny, dit qu'elle fit faire +aussi un étendard plus petit que l'autre, un pennon, sur lequel était +l'image de Notre-Dame recevant le salut de l'Ange. Le Peintre de +Tours, que Jeanne avait employé, venait d'Écosse et se nommait Hamish +Power. Il fournit l'étoffe et fit les peintures des deux panonceaux, +du grand et du petit; il reçut pour cela du trésorier des guerres +vingt-cinq livres tournois[787]. Hamish Power avait une fille nommée +Héliote, qui était près de se marier et dont Jeanne se souvint plus +tard avec bonté[788]. + +[Note 784: _Procès_, t. I, pp. 77, 179, 236; t. III, p. 103.] + +[Note 785: _Ibid._, t. I, pp. 78, 117.] + +[Note 786: _Ibid._, t. I, pp. 78, 117, 181, 300.--_Relation du +greffier de La Rochelle_, p. 338.--Morosini, t. III, p. 110; t. IV, +annexe XV, pp. 313, 315.] + +[Note 787: Perceval de Cagny, p. 150.--_Journal du siège_, p. +70.--_Relation du Greffier d'Albi_, dans _Procès_, t. IV, p. +301.--_Relation du greffier de La Rochelle_, p. 338.--_Chronique du +doyen de Saint-Thibaud de Metz_, dans _Procès_, t. IV, p. +322.--Extrait du 13e compte d'Hémon Raguier, dans _Procès_, t. V, p. +258.] + +[Note 788: Vallet de Viriville, _Histoire de Charles VII_, t. II, +p. 65; _Un épisode de la vie de Jeanne d'Arc_, dans _Bibliothèque de +l'École des Chartes_, t. IV 1re série, p. 488.] + +L'étendard était signe de ralliement. Longtemps les rois, les +empereurs, les chefs de guerre seuls l'avaient pu lever. Le suzerain +le faisait porter devant lui; les vassaux venaient sous les bannières +de leurs seigneurs. Mais, en 1429, les bannières n'étaient plus en +usage que dans les confréries, les corporations ou les paroisses, et +ne marchaient que devant des troupes pacifiques. À la guerre, il n'en +était plus question. Le moindre capitaine, le plus pauvre chevalier, +avait son étendard. Devant Orléans, quand cinquante gens d'armes +français couraient sus à une poignée de pillards anglais, des +étendards volaient sur eux par les champs comme un essaim de +papillons. On disait encore, en manière de proverbe, faire étendard +pour dire s'enorgueillir[789]. En fait, un routier levait l'étendard +sans blâme en menant seulement à la guerre une vingtaine de gens +d'armes et de gens de trait à moitié nus. Jeanne en pouvait bien faire +autant. Et si même elle tenait, comme il est croyable, son étendard +pour signe de commandement souverain et si, l'ayant reçu du Roi du +ciel, elle entendait le lever au-dessus de tous les autres, en +restait-il un seul dans le royaume pour lui disputer ce rang? +Qu'étaient-elles devenues, ces bannières féodales portées pendant +quatre-vingts ans au premier rang des désastres, semées dans les +champs de Crécy, ramassées sous les haies et les buissons par les +coustillers de Galles et de Cornouailles, perdues dans les vignes de +Maupertuis, foulées aux pieds des archers anglais dans la terre molle +où s'enfonçaient les morts d'Azincourt, ramassées à pleines mains, +sous les murs de Verneuil, par les maraudeurs de Bedford? C'est parce +que toutes ces bannières étaient misérablement tombées, c'est parce +qu'à Rouvray un prince du sang royal venait de traîner honteusement +dans sa fuite les étendards des seigneurs, que se levait maintenant +l'étendard de la paysanne. + +[Note 789: La Curne, au mot: _Étendard_.] + + + + +CHAPITRE X + +LE SIÈGE D'ORLÉANS DU 7 MARS AU 28 AVRIL 1429. + + +Depuis la déconfiture terrible et ridicule des gens du Roi dans la +journée des Harengs, les bourgeois avaient perdu toute confiance en +leurs défenseurs. Leur esprit agité, soupçonneux et crédule était +hanté de tous les fantômes de la peur et de la colère. Brusquement, +sans raison, ils se croyaient trahis. Un jour, on apprend qu'un trou, +assez grand pour qu'un homme y pût passer, a été percé dans le mur de +la ville à l'endroit où ce mur longe les dépendances de l'Aumône[790]. +Le peuple en foule y court, voit le trou et un pan de rempart refait à +neuf, avec deux «canonnières», ne comprend pas, se croit vendu, livré, +s'effraie, s'exaspère, hurle et cherche le religieux de l'infirmerie +pour le mettre en pièces[791]. Peu de jours après, le jeudi saint, un +bruit sinistre se répand: des traîtres vont remettre la ville aux +mains des Anglais. Tout le monde court aux armes; soldats, bourgeois, +manants, font la garde sur les boulevards, sur les murs, dans les +rues. Le lendemain, le surlendemain le soupçon, l'effroi règnent +encore[792]. + +[Note 790: L'Hotel-Dieu d'Orléans, à côté de la Cathédrale.] + +[Note 791: _Journal du siège_, pp. 56, 57.] + +[Note 792: _Journal du siège_, p. 64.] + +Au commencement de mars, les assiégeants virent venir les vassaux de +Normandie, que le Régent avait convoqués; mais ils ne fournissaient +que six cent vingt-neuf lances et ne devaient le service que pour +vingt-six jours. Sous la conduite de Scales, Pole et Talbot, les +Anglais poursuivaient de leur mieux et selon leurs moyens les travaux +d'investissement[793]. Le 10 mars, ils occupèrent, à une lieue à l'est +de la ville, la côte escarpée de Saint-Loup qui ne leur fut pas +disputée et commencèrent d'y élever une bastille qui dominait le +fleuve en amont et les deux routes de Gien et de Pithiviers à leur +rencontre, vers la porte de Bourgogne[794]. Le 20 mars, leur bastille +de Londres, sur la route du Mans, était achevée. Du 9 au 15 avril, +deux nouvelles bastilles s'élevèrent du côté du couchant, Rouen à neuf +cents pieds à l'est de Londres, Paris à neuf cents pieds de Rouen. +Vers le 20, ils fortifièrent Saint-Jean-le-Blanc au val de Loire et +firent un guet pour garder le passage[795]. C'était peu au regard de +ce qu'il leur restait à faire et ils manquaient de bras. Ils n'avaient +pas trois mille hommes autour de la ville. Ils surprenaient les +paysans qui, voyant venir le temps de labourer la vigne, allaient aux +champs sans autre souci que la terre, et quand ils les avaient pris, +ils les faisaient travailler[796]. De l'avis des hommes de guerre les +plus avisés, ces bastilles ne valaient rien. Il n'y avait pas moyen +d'y garder des chevaux; on ne pouvait les construire assez rapprochées +pour se secourir les unes les autres; l'assiégeant risquant d'y être +assiégé. Enfin les Anglais qui employaient ces fâcheuses machines n'y +éprouvaient à l'usage que mécomptes et disgrâces. C'est ce dont +s'aperçut un des défenseurs de la ville, le sire de Bueil quand il eut +pris de l'expérience[797]. Et dans le fait, il y avait si peu de +difficultés à traverser les lignes ennemies, que des marchands en +risquaient la chance et conduisaient du bétail aux assiégés. Il entre +dans la ville: le 7 mars, six chevaux chargés de harengs; le 15, six +chevaux chargés de poudre; le 29, du bétail et des vivres; le 2 avril, +neuf boeufs gras et des chevaux; le 5, cent un pourceaux et six boeufs +gras; le 9, dix-sept pourceaux, des chevaux, des cochons de lait et du +blé; le 13, des espèces pour solder la garnison; le 16, des bestiaux +et des vivres; le 23, de la poudre et des vivres. Et plus d'une fois +on prit à la barbe des Anglais les victuailles et munitions qui leur +étaient destinées, tonneaux de vin, gibier, chevaux, arcs, trousses, +voire vingt-six têtes de gros bétail[798]. + +[Note 793: Boucher de Molandan, _L'armée anglaise vaincue par +Jeanne d'Arc_, ch. II.--Jarry, _Le compte de l'armée anglaise_, pp. +60, 107, 110, 112.] + +[Note 794: _Journal du siège_, pp. 57, 58.--Abbé Dubois, _Histoire +du siège_, dissertation VI.] + +[Note 795: _Chronique de la Pucelle_, pp. 265, 267.--Morosini, t. +IV, annexe XIII.] + +[Note 796: _Journal du siège_, p. 58.] + +[Note 797: _Le Jouvencel_, t. I, xxij; t. II, p. 44.] + +[Note 798: _Journal du siège_, pp. 56, 62.] + +Le siège coûtait très cher aux Anglais, quarante mille livres tournois +par mois[799]. L'argent manquait; il fallut recourir aux plus fâcheux +expédients. Le roi Henri venait d'ordonner, par lettres du 3 mars, que +tous les officiers de Normandie lui fissent prêt d'un quartier de +leurs gages[800]. Les gens d'armes, dans leurs taudis de planches et +de terre, après avoir souffert du froid, commençaient à souffrir de la +faim. La Beauce, l'Île-de-France, la Normandie, ruinées et ravagées, +ne leur envoyaient pas beaucoup de boeufs et de moutons. Ils +mangeaient mal et buvaient plus mal. Le vin de 1427 était rare; le vin +nouveau si petit et si faible, qu'il sentait plus le verjus que le +vin[801]. Or, un vieil Anglais a dit des soldats de sa nation: «Ils +soupirent après leur soupe et leurs grasses tranches de boeuf: il faut +qu'ils soient nourris comme des mulets et qu'ils portent leur provende +pendue à leur cou, sinon ils vous ont un air piteux comme des souris +noyées[802].» + +[Note 799: Jarry, _Le compte de l'armée anglaise_, pp. 50, 58.] + +[Note 800: Compte de Pierre Sureau, dans Jarry, _Le compte de +l'armée anglaise_, pièce justificative nº VI et pp. 45-46.] + +[Note 801: _Journal d'un bourgeois de Paris_, pp. 221, 222 et +suiv.] + +[Note 802: Shakespeare, _Henry VI_, première partie, scène II.] + +Une disgrâce subite les affaiblit encore. Le capitaine Poton de +Saintrailles et les deux procureurs Guyon du Fossé et Jean de +Saint-Avy, qui étaient allés en ambassade auprès du duc de Bourgogne, +furent de retour à Orléans le 17 avril. Le duc avait bien accueilli +leur requête et consenti à prendre la ville sous sa garde. Mais le +Régent, à qui l'offre avait été faite, n'entendait pas de cette +oreille. Il répondit qu'il serait bien marri d'avoir battu les +buissons et que d'autres eussent les oisillons[803]. L'offre était +donc repoussée. Toutefois l'ambassade n'avait point été inutile et ce +n'était pas rien que d'avoir amené un nouveau désaccord entre le duc +et le Régent. Les ambassadeurs revenaient accompagnés d'un héraut de +Bourgogne qui sonna de sa trompette dans le camp anglais et commanda, +de par son maître, à tout combattant sujet du duc, de lever le siège. +Bourguignons, Picards, Champenois, quelques centaines d'hommes d'armes +et d'archers partirent incontinent[804]. + +[Note 803: Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 65.] + +[Note 804: _Journal du siège_, pp. 69, 70.--_Chronique de la +Pucelle_, p. 270.--Monstrelet, t. IV, pp. 317 et suiv.--Morosini, t. +III, pp. 19, 20 et 21; t. IV, annexe XIV, p. 311.--Jarry, _Le compte +de l'armée anglaise_, pp. 68 et suiv.--Boucher de Molandon, _L'armée +anglaise vaincue par Jeanne d'Arc_, p. 145.] + +Le lendemain, à quatre heures du matin, les bourgeois, enhardis et croyant +l'occasion bonne, attaquèrent le camp de Saint-Laurent-des-Orgerils. +Ils tuèrent une partie du guet et pénétrèrent dans l'enceinte où ils +trouvèrent des tasses d'argent, des robes de martre et beaucoup d'armes. +Trop occupés à piller, ils ne se gardèrent pas et furent surpris par +les ennemis accourus en grand nombre. Ils s'enfuirent poursuivis par les +Anglais qui en tuèrent beaucoup. La ville fut pleine, ce jour-là, des +lamentations des femmes qui pleuraient un père, un mari, un frère, des +parents[805]. + +[Note 805: _Journal du siège_, p. 70.] + +Il y avait là quarante mille hommes emmurés[806], entassés dans une +enceinte qui n'en devait contenir qu'une quinzaine de mille, tout un +peuple agité par la souffrance, assombri par des deuils domestiques, +rongé d'inquiétude, et que d'incessants dangers, des alarmes +perpétuelles rendaient fou. Bien que les guerres ne fussent pas alors +aussi meurtrières qu'elles le devinrent par la suite, les Orléanais +faisaient dans les sorties des pertes fréquentes et cruelles. Les +boulets anglais qui, depuis la mi-mars, pénétraient plus avant dans la +ville, n'étaient pas toujours inoffensifs. La veille de Pâques +fleuries, une pierre de bombarde tua ou blessa cinq personnes, une +autre sept[807]. Beaucoup d'habitants, comme le prévôt Alain Du Bey, +mouraient de fatigue et du mauvais air[808]. + +[Note 806: Jollois, _Histoire du siège_, part. VI, chap. I.--Abbé +Dubois, _Histoire du siège_, diss. IX.--Loiseleur, _Compte des +dépenses de Charles VII_, chap. V.--Lottin, _Recherches historiques sur +la ville d'Orléans_, t. II, p. 205.--Morosini, t. III, p. 25, note 2.] + +[Note 807: _Journal du siège_, p. 64.] + +[Note 808: _Ibid._, p. 59.] + +Chacun dans la chrétienté était alors instruit que les crimes des +hommes amènent sur le monde les tremblements de terre, les guerres, +la famine et la peste. Le beau duc Charles jugeait, comme tout bon +chrétien, que la France avait été frappée de grands maux en punition +de ses péchés, qui étaient: grand orgueil, gloutonnerie, paresse, +convoitise, mépris de la justice et luxure, dont le royaume abondait; +et il raisonna, dans une ballade, du mal et du remède[809]. Les +Orléanais croyaient fermement que cette guerre leur était envoyée de +Dieu pour punir les pécheurs, qui avaient abusé de sa patience. Ils +connaissaient la cause de leur mal et le moyen d'en guérir. Ainsi que +l'enseignaient les bons frères prêcheurs et comme le duc Charles le +coucha par écrit dans sa ballade, le remède était: bien vivre, +s'amender, faire chanter et dire des messes pour les âmes de ceux qui +avaient souffert dure mort au service du royaume, oublier la vie +pécheresse, requérir pardon de Notre-Dame et des saints[810]. Ce +remède, les habitants d'Orléans l'avaient employé. Ils avaient fait +dire des messes en l'église Sainte-Croix pour l'âme des seigneurs, +capitaines et gens d'armes tués à leur service et notamment pour ceux +qui avaient péri d'une mort pitoyable à la bataille des Harengs. Ils +avaient offert des cierges à Notre-Dame et aux saints patrons de la +ville et promené autour des murs la châsse de monsieur Saint +Aignan[811]. + +[Note 809: Charles d'Orléans, _Poésies_, publiées par A. +Champollion-Figeac, Paris, 1842, in-8º, p. 176.] + +[Note 810: Miniature du ms. des poésies de Charles d'Orléans, du +British Museum, Royal 16 F ij, fol. 73 vº.] + +[Note 811: _Journal du siège_, pp. 43.--Symphorien Guyon, +_Histoire de la ville d'Orléans_, t. II, p. 43.] + +Chaque fois qu'ils se sentaient en grand péril, ils l'allaient quérir +dans l'église Sainte-Croix, la portaient en belle procession par la +ville et les remparts[812]; puis, l'ayant ramenée dans la cathédrale, +ils écoutaient sous le parvis le sermon d'un bon religieux choisi par +les procureurs[813]. Ils faisaient des prières publiques et tenaient +le ferme propos de s'amender. C'est pourquoi ils pensaient qu'au +paradis, monsieur saint Euverte et monsieur saint Aignan, touchés de +leur piété, intercédaient pour eux auprès de Notre-Seigneur; et ils +croyaient entendre la voix des deux pontifes. Saint Euverte disait: + +[Note 812: _Chronique de la fête_, dans _Procès_, t. V, p. 297.] + +[Note 813: Comptes de Commune, _passim_, dans _Journal du siège_, +pp. 210 et suiv.] + +--Père tout puissant, je vous prie et requiers de sauver la ville +d'Orléans. Elle est mienne; j'en fus évêque, j'en suis patron. Ne la +livrez point à ses ennemis. + +Saint Aignan disait ensuite: + +--Donnez la paix à ceux d'Orléans. Père, ô vous qui, par la bouche +d'un enfant, m'avez nommé leur pasteur, faites qu'ils ne tombent pas +aux mains des méchants. + +Les Orléanais s'attendaient bien à ce que le Seigneur ne cédât pas +tout de suite aux prières des deux confesseurs. Connaissant la +sévérité de ses jugements, ils craignaient qu'il ne répondît: + +--Le peuple de France est puni justement de ses péchés. Sa +désobéissance à la sainte Église l'a perdu. Du petit au grand, c'est à +qui, dans le royaume, se conduira le plus mal. Laboureurs, bourgeois, +gens de pratique et prêtres s'y montrent avaricieux et durs; les +princes, ducs et hauts seigneurs y sont orgueilleux, vains, +maugréeurs, jureurs et félons. L'ordure de leur vie empuantit l'air. +S'ils sont châtiés, c'est justice. + +Il fallait s'attendre à ce que le Seigneur parlât ainsi, parce qu'il +était en colère et parce qu'en effet les Orléanais avaient beaucoup +péché. Mais voici que Notre-Dame, qui aime le roi des fleurs de Lis, +prie pour lui et pour le duc d'Orléans le Fils qui cherche en toutes +choses à lui complaire: + +--Mon fils, je vous requiers tant que je puis de chasser les Anglais +de la terre de France; ils n'y ont nul droit. S'ils prennent Orléans, +ils prendront le reste à leur plaisance. Ô mon fils, doucement je vous +prie de ne le point souffrir. + +Et Notre-Seigneur, à la requête de sa sainte mère, pardonne aux +Français et consent à les sauver[814]. + +[Note 814: _Mistère du siège_, vers 6964 et suiv.] + +Ainsi les clartés qu'on avait alors sur le monde spirituel pénétraient +les conseils tenus dans le paradis. Plusieurs, et non des moins +savants, pensaient qu'après un de ces conseils, Notre-Seigneur avait +envoyé son archange à la bergère. Et qu'il voulût sauver le royaume +par le bras d'une femme, on le pouvait croire. N'est-ce pas dans la +faiblesse qu'il faisait éclater sa puissance? N'avait-il pas permis à +David enfant d'abattre le géant Goliath et livré à Judith la tête +d'Holopherne? Dans Orléans même, n'avait-il pas mis sur les lèvres +d'un nouveau-né le nom du pasteur qui devait délivrer la ville +assiégée par Attila[815]? + +[Note 815: Aug. Theiner, _Saint Aignan ou le siège d'Orléans par +Attila, notice historique suivie de la vie de ce saint, tirées des +mms. de la Bibliothèque du roi_, Paris, 1832, in-8º.] + +Le seigneur de Villars et messire Jamet du Tillay, revenus de Chinon, +rapportèrent qu'ils avaient vu de leurs yeux la Pucelle et contèrent +les merveilles de sa venue. Ils dirent comment elle avait fait si +grand chemin, traversé à gué de grosses rivières, passé par beaucoup +de villes et de villages du parti des Anglais, puis cheminé sans +dommage dans ces pays français où se faisaient d'innombrables maux et +pilleries; comment, menée au Roi, elle lui avait dit, par bien belles +paroles, en faisant la révérence: «Gentil dauphin, Dieu m'envoie pour +vous aider et secourir. Donnez-moi gens, car, par grâce divine et +force d'armes, je lèverai le siège d'Orléans et puis vous mènerai +sacrer à Reims, ainsi que me l'a commandé Dieu, qui veut que les +Anglais s'en retournent en leur pays et vous laissent votre royaume +en paix, lequel vous doit demeurer. Ou s'ils ne le laissent, il leur +en mécherra»; et comment enfin interrogée par plusieurs prélats, +chevaliers, écuyers, docteurs en lois et en décrets, elle avait été +trouvée d'honnête contenance et sage en ses paroles. Ils vantèrent sa +piété, sa candeur, cette simplicité qui laissait voir Dieu en elle, et +cette adresse à conduire un cheval et à manier les armes dont chacun +s'émerveillait[816]. + +[Note 816: _Journal du siège_, p. 46.--_Chronique de la Pucelle_, +p. 278.--Jean Chartier, _Chronique_, p. 66.] + +Nouvelles vinrent à la fin de mars que, menée à Poitiers, elle avait +été interrogée par les docteurs et insignes maîtres, et leur avait +répondu aussi affirmativement que sainte Catherine aux docteurs +d'Alexandrie, et que, vu la bonté de ses paroles et la fermeté de ses +promesses, le roi, mettant en elle sa confiance, l'avait fait armer +pour qu'elle allât à Orléans où on la verrait bientôt montée sur un +cheval blanc, portant au côté l'épée de sainte Catherine et tenant en +sa main l'étendard qu'elle avait reçu du Roi des cieux[817]. + +[Note 817: _Journal du siège_, pp. 47 et 48.--P. Mantellier, +_Histoire du siège_, pp. 61 et suiv.] + +Ce qu'on rapportait de Jeanne paraissait aux gens d'Église merveilleux +et non pas incroyable, puisqu'ils en trouvaient des exemples dans +l'histoire sainte qui était pour eux toute l'histoire; ceux qui +avaient des lettres puisaient dans leur savoir moins de raisons de +nier que de douter ou de croire. Les simples concevaient de ces +choses une admiration candide. + +Quelques-uns parmi les capitaines et même dans le peuple disaient que +c'était dérision. Mais ils risquaient de se faire maltraiter. Les +habitants croyaient en la Pucelle comme en Notre-Seigneur; ils +attendaient d'elle secours et délivrance; ils l'appelaient dans une +sorte de folie mystique et de délire religieux. La fièvre du siège +était devenue la fièvre de la Pucelle[818]. + +[Note 818: _Journal du siège_, p. 77.] + +Cependant la façon dont les gens du roi la mettaient en oeuvre +prouvait que, se conformant à l'avis des théologiens, ils entendaient +ne se pas départir des moyens conseillés par la prudence humaine. Elle +devait entrer dans la ville avec un convoi de vivres et de munitions +préparé alors à Blois, par l'ordre du roi et par les soins de la reine +de Sicile[819]. Un nouvel effort se faisait dans toutes les provinces +fidèles pour secourir et délivrer la cité courageuse. Gien, Bourges, +Blois, Châteaudun, Tours, envoyaient des hommes et des vivres; Angers, +Poitiers, La Rochelle, Albi, Moulins, Montpellier, Clermont, du +soufre, du salpêtre, de l'acier, des armes[820]. Et, si les +Toulousains ne donnèrent rien, c'est que la ville, comme le +déclarèrent ingénument les notables consultés par les capitouls, +n'avait pas de quoi, _non habebat de quibus_[821]. Les conseillers du +roi et notamment monseigneur Regnault de Chartres, chancelier du +royaume, formaient une nouvelle armée. Ce qu'on n'avait pu faire avec +les Auvergnats, on le tenterait avec les Angevins et les Manceaux. La +reine de Sicile, duchesse de Touraine et d'Anjou, s'y prêtait bien +volontiers. Orléans pris, elle risquait fort de perdre ses terres +auxquelles elle était très attachée. Aussi ne marchandait-elle ni +l'argent, ni les hommes, ni les vivres. Passé la mi-avril, un +bourgeois d'Angers, nommé Jean Langlois, vint apporter des lettres +avisant les procureurs que le blé donné par elle allait venir. Jean +Langlois reçut de la ville un cadeau et les procureurs lui offrirent à +dîner à l'Écu Saint-Georges. Ce blé faisait partie du grand convoi que +devait accompagner la Pucelle[822]. + +[Note 819: _Procès_, t. III, p. 93.--_Geste des nobles_, dans la +_Chronique de la Pucelle_, p. 250.--Comptes de forteresses, +(1428-1430) dans Boucher de Molandon, _Première expédition de Jeanne +d'Arc_, pp. 30 et suiv.] + +[Note 820: _Chronique de la Pucelle_, p. 287.--_Journal du siège_, +p. 81.--Boucher de Molandon, _Première expédition de Jeanne d'Arc_, +pp. 28-29.--P. Mantellier, _Histoire du siège_, p. 230.] + +[Note 821: _Le siège d'Orléans, Jeanne d'Arc et les capitouls de +Toulouse_, par A. Thomas, dans _Annales du Midi_, 1889, p. 232.--Il ne +paraît pas que Saint-Flour, sollicitée, ait contribué: elle avait +assez à faire de se garder des routiers qui rôdaient autour d'elle. +Cf. _Villandrando et les écorcheurs à Saint-Flour_, par M. Boudet, +Clermond-Ferrand, 1895, in-8º, pp. 18 et suiv.] + +[Note 822: Quittances de la ville d'Orléans en 1429, dans Boucher +de Molandon, _Première expédition de Jeanne d'Arc_, p. 36.] + +Vers la fin du mois, sur l'ordre de Monseigneur le Bâtard, les +capitaines des garnisons françaises de la Beauce et du Gâtinais se +rendirent dans la ville pour appuyer l'armée de Blois, dont la venue +était annoncée. Le 28, messire Florent d'Illiers[823], capitaine de +Châteaudun, fit son entrée avec quatre cents combattants[824]. + +[Note 823: Florent d'Illiers, issu d'une ancienne famille du pays +chartrain, avait épousé Jeanne, fille de Jean de Coutes et soeur de ce +petit page que le sire de Gaucourt avait donné à la Pucelle (A. de +Villaret).] + +[Note 824: _Journal du siège_, p. 73.--_Chronique de la Pucelle_, +p. 278.] + +Qu'allait-il advenir d'Orléans? Le siège, mal conduit, causait aux +Anglais les plus cruels mécomptes. Leurs capitaines s'apercevaient de +reste qu'ils ne réduiraient pas la ville au moyen de ces bastilles +entre lesquelles tout passait, hommes, vivres, munitions, et avec une +armée qui fondait dans la boue des taudis et que les maladies, les +désertions réduisaient à trois mille, trois mille deux cents hommes au +plus. Ils avaient perdu presque tous leurs chevaux. Loin de pouvoir +continuer l'attaque, ils n'étaient plus en état de se défendre dans +leurs malheureuses tours de bois, plus profitables, comme disait Le +Jouvencel, aux assiégés qu'aux assiégeants[825]. + +[Note 825: _Le Jouvencel_, t. II, p. 44.] + +Tout leur espoir, incertain et lointain, était dans l'armée de renfort +que le Régent formait péniblement à Paris[826]. Cependant on trouvait +le temps long dans la ville assiégée. Les gens de guerre qui la +défendaient étaient braves, mais à bout d'inventions et ne sachant +plus que tenter; les bourgeois faisaient bonne garde, mais ils +tenaient mal à découvert; ils ne se doutaient pas de l'état +désastreux où les assiégeants étaient réduits; la fièvre que leur +donnaient l'inquiétude, les privations et le mauvais air les abattait. +Ils voyaient déjà les Coués prenant la ville d'assaut, tuant, pillant, +violant. À tout moment ils se croyaient trahis. Le calme et le +sang-froid leur manquaient pour reconnaître les avantages de leur +situation, qui étaient énormes: la ville gardait ses communications +avec le dehors et pouvait se ravitailler et se renforcer indéfiniment. +Au surplus, une armée de secours, en bonne avance sur celle des +Anglais, allait bientôt venir, amenant force têtes de bétail, assez +puissante en hommes et abondante en munitions pour enlever en quelques +jours les forteresses anglaises. + +[Note 826: Jarry, _Le compte de l'armée anglaise_, pp. 75 et +suiv.] + +Avec cette armée, le roi envoyait la Pucelle annoncée. + + + + +CHAPITRE XI + +LA PUCELLE À BLOIS.--LA LETTRE AUX ANGLAIS.--LE DÉPART POUR ORLÉANS. + + +La Pucelle, avec son escorte de routiers et de mendiants, arriva à +Blois en même temps que Messire Regnault de Chartres, chancelier de +France, et le sire de Gaucourt, gouverneur d'Orléans[827]. Elle était +sur les terres du prince qu'elle avait grand souci de délivrer: le +Blésois appartenait au duc Charles, prisonnier des Anglais. Les +marchands amenaient dans la ville boeufs, vaches, moutons, brebis, +pourceaux à foison, du grain, de la poudre et des armes[828]. L'amiral +de Culant et le seigneur Ambroise de Loré étaient venus d'Orléans +surveiller l'approvisionnement. La Reine de Sicile s'était rendue à +Blois. Le Roi qui, à cette époque, ne la consultait guère, lui +dépêcha pourtant le duc d'Alençon, avec mission de se concerter avec +elle pour l'envoi des secours[829]. Le sire de Rais, de la maison de +Laval et de la lignée des ducs de Bretagne, seigneur de vingt-quatre +ans à peine, vint, libéral et magnifique, amenant, avec une belle +compagnie d'Anjou et du Maine, les orgues de sa chapelle, les enfants +de la maîtrise, les petits chanteurs de la psallette[830]. Le maréchal +de Boussac, les capitaines La Hire et Poton arrivèrent d'Orléans[831]. +Une armée de sept mille hommes fut réunie sous les murs de la +ville[832]. Pour partir on n'attendait plus que l'argent nécessaire au +paiement des vivres et à la solde des troupes. Les capitaines et gens +d'armes ne servaient pas à crédit; quant aux marchands, s'ils +risquaient de perdre leurs victuailles et la vie avec, c'était pour +argent comptant[833]. Point de pécune point de bétail, et les chariots +ne roulaient pas. + +[Note 827: _Procès_, t. III, p. 4.] + +[Note 828: _Journal du siège_, _passim_.--_Chronique de Tournai_, +éd. de Smedt (t. III, du _Recueil des chroniques de Flandre_), p. 409.] + +[Note 829: _Procès_, t. III, p. 93.] + +[Note 830: Wavrin dans _Procès_, t. IV, p. 407.--Monstrelet, t. +IV, p. 316.--_Chronique de la Pucelle_, p. 278.--Jean Chartier, +_Chronique_, p. 68.--_Mistère du siège_, v. 11431 et suiv.--Abbé +Bossard, _Gilles de Rais, maréchal de France, dit Barbe-Bleue_ +(1404-1440), Paris, 1886, in-8º, pp. 31, 106.] + +[Note 831: _Procès_, t. III, p. 74.] + +[Note 832: + + Jeanne dit (dans son _Procès_) de 10 à 12 000 hommes. + Monstrelet 7 000 hommes. + Eberhard Windecke 3 000 hommes. + Morosini 12 000 hommes.] + +[Note 833: «Car vous ne trouverez nulz marchans qu'ils se mettent +en ceste peine ne en ce danger, s'ilz n'ont l'argent contant.» _Le +Jouvencel_, t. I, p. 184.] + +Au mois de mars, Jeanne avait dicté à l'un des maîtres de Poitiers +une brève sommation à l'adresse des capitaines anglais[834]. Elle la +développa en une lettre qu'elle montra à quelques-uns de son parti, et +qu'elle envoya ensuite de Blois, par un héraut, au camp de +Saint-Laurent-des-Orgerils. Cette lettre était adressée au roi Henri, +au Régent et aux trois chefs qui depuis la mort de Salisbury +conduisaient le siège, Scales, Suffolk et Talbot. En voici le +texte[835]: + + + JHESUS MARIA + + + Roy d'Angleterre, et vous, duc de Bedford, qui vous dictes régent + le royaume de France; vous Guillaume de la Poule, conte de + Sulford; Jehan, sire de Talebot; et vous, Thomas, sire d'Escales, + qui vous dictes lieutenans dudit duc de Bedfort, faictes raison + au Roy du ciel[836]; rendez à la Pucelle qui est cy envoiée de + par Dieu, le Roy du ciel, les clefs de toutes les bonnes + villes[837] que vous avez prises et violées[838] en France. Elle + est ci venue de par Dieu, pour réclamer le sanc royal[839]. Elle + est toute preste de faire paix, se vous lui voulez faire raison, + par ainsi que France vous mectrés jus, et paierez ce que vous + l'avez tenu[840]. Et entre vous, archiers, compaignons de guerre, + gentilz et autres[841] qui estes devant la ville d'Orléans, alez + vous ent en vostre païs, de par Dieu; et se ainsi ne le faictes, + attendez les nouvelles[842] de la Pucelle qui vous ira voir + briefment à voz bien grans dommaiges. Roy d'Angleterre, se ainsi + ne le faictes, je sui chief de guerre, et en quelque lieu que je + actaindray voz gens en France, je les en ferai aler, vuellent ou + non vuellent; et si ne vuellent obéir je les feray tous occire. + Je sui cy envoiée de par Dieu, le Roy du ciel, corps pour corps, + pour vous bouter hors de toute France. Et s'i vuellent obéir, je + les prandray à mercy. Et n'aiez point en vostre oppinion, que + vous ne tendrez[843] point le royaume de France [de] Dieu, le Roy + du ciel, filz sainte Marie[844]; ainz le tendra le roy Charles, + vray héritier[845]; car Dieu, le Roy du ciel, le veult, et lui + est révélé par la Pucelle; lequel[846] entrera à Paris à bonne + compagnie. Se vous ne voulez croire les nouvelles de par Dieu et + la Pucelle, en quelque lieu que vous trouverons, nous + ferrons[847] dedens et y ferons ung si grant hahay[848], que + encore a-il mil ans[849] que en France ne fu si grant, se vous + ne faictes raison. Et croyez fermement que le Roy du ciel + envoiera plus de force à la Pucelle, que vous ne lui sariez mener + de tous assaulx, à elle et à ses bonnes gens d'armes; et aux + horions[850] verra-on qui ara[851] meilleur droit de Dieu du + ciel[852]. Vous, duc de Bedfort, la Pucelle vous prie et vous + requiert que vous ne vous faictes mie destruire. Se vous lui + faictes raison, encore pourrez venir en sa compaignie, l'où que + les Franchois[853] feront le plus bel fait que oncques fu fait + pour la chrestienté. Et faictes response se vous voulez faire + paix en la cité d'Orléans; et se ainsi ne le faictes, de vos bien + grans dommages vous souviengne briefment. Escript ce mardi + sepmaine saincte. + +[Note 834: _Procès_, t. III, p. 74.] + +[Note 835: On a de cette lettre huit textes anciens: + +1º Le texte introduit dans les pièces du procès de Rouen (_P._ I, p. +240); + +2º Un texte probablement de la main d'un chevalier de Saint-Jean de +Jérusalem; ce texte n'existe plus, mais on en a deux copies du XVIIIe +siècle (_P._ V, p. 95); + +3º Le texte inséré dans le _Journal du siège_ (_P._ IV, p. 139); + +4º Le texte qui se trouve dans la _Chronique de la Pucelle_ (_P._ IV, +p. 215); + +5º Le texte qui fut inscrit dans le _Registre Delphinal_ de Thomassin +(_P._ IV, p. 306); + +6º Le texte du Greffier de La Rochelle (_Revue Historique_, t. IV); + +7º Le texte de la Chronique de Tournai (_Recueil des Chroniques de +Flandre_, t. III, p. 407); + +8º Le texte inséré dans le _Mistère du Siège_. + +Mentionnons aussi une traduction en allemand, contemporaine (Eberhard +Windecke). + +Je donne ici le texte du Procès, lequel représente l'original. Les +autres textes diffèrent trop de celui-ci et sont trop différents les +uns des autres pour qu'il soit possible d'indiquer les variantes +autrement qu'en donnant les huit textes en entier. Au reste, ces +différences pour la plupart n'ont pas grande importance.] + +[Note 836: Comparez: + + Dangier, je vous gecte mon gant, + Vous appelant de traïson, + Devant le Dieu d'amours puissant + _Qui me fera de vous raison_. + + (Poésies de Charles d'Orléans, publ. par A. Champollion-Figeac, + 1842, in-8º, p. 17.)] + +[Note 837: C'est le roi de France qui nommait «bonnes» celles de +ses villes qu'il voulait honorer.] + +[Note 838: Comparez: «Et ardirent la ville et _violèrent +l'abbaye_» (Froissart, cité par Littré). + +On trouve déjà dans la Chanson de Roland: + + Les castels pris, les cités violées.] + +[Note 839: La délivrance du duc d'Orléans.] + +[Note 840: _France_ est régime.--_Jus_, opposé à _sus_. _Mettre +jus_, laisser de côté.--_Tenu_, dû. Que vous laisserez la France +tranquille et payerez ce que vous devez.--Le _Journal du siège_ omet +le mot France et rend ainsi la phrase inintelligible. Cette omission +est le fait d'un texte sans doute fort ancien dont procèdent notamment +_La Chronique de la Pucelle_ et le Greffier de La Rochelle que cette +phrase tronquée a visiblement embarrassé.] + +[Note 841: _Gentil_ opposé à vilain. _Gentils et autres_, nobles +et vilains.--Sans aucun doute, il faut ici prendre les termes de +_compagnons_ et de _gentils_ dans leur vrai sens et ne pas croire +qu'ils aient été mis par antiphrase, comme dans cet endroit de +Froissart: «Il (le duc de Lancastre) entendit comme il pourroit estre +saisy de quatre _gentils compaignons_ qui estranglé avoyent son oncle, +le duc de Clocestre, au chasteau de Calais» (Froissart, dans La +Curne).] + +[Note 842: _Attendez les nouvelles de la Pucelle..._, et plus bas: +_Si vous ne voulés croire lez nouvelles de par Dieu de la Pucelle..._ +Ce mot de «_Nouvelles_» s'entendait alors comme aujourd'hui, mais il +avait aussi le sens de «prodiges», ainsi qu'on voit dans cette phrase: +«En celle année apparurent maintes _nouvelles_ à Rosay en Brie: le vin +fut mué en sang et le pain en chair sensiblement ou (au) sacrement de +l'autel» (_Chroniques de Saint Denys_, dans La Curne).] + +[Note 843: _Tendrez_..., _tendra_: tiendrez, tiendra.] + +[Note 844: _Fils sainte Marie_, comme _Hôtel Dieu_, _les fils +Aymon_, etc.] + +[Note 845: Comprenez: Et n'ayez point en votre opinion, ne croyez +pas que vous tiendrez de Dieu le royaume de France, car c'est le roi +Charles qui le tiendra de Dieu.] + +[Note 846: Lequel roi Charles.] + +[Note 847: _Ferrons_, frapperons.] + +[Note 848: Un grand cri de guerre. Il faut corriger _hahut_ dans +_Procès_, t. III, p. 107.--Comparez «Ceux qui avoient fait le guet +devers l'ost ouïrent le cri à le _hahay_» (Froissart, liv. I, dans La +Curne). + + Princes à ce mot me convint eveillier + Pour un _hahay_ que j'oy escrier + Par nuit, en l'ost, assez près de Coulogne. + + (Eustache Deschamps, dans La Curne.) + + La dame d'Orlyens s'aparut sans delay + Tout droit en parlement, et fist un grand _hahay_. + + (_Geste des ducs de Bourgogne_, dans Godefroy.)] + +[Note 849: Grande et indéterminée longueur de temps. Il est bien +inutile de chercher ce qui se passa en France mille ans auparavant. Ni +Jeanne ni les moines n'y songeaient.] + +[Note 850: Comparez: «Se mirent en grands et rudes _orions_, +tellement qu'il sembloit la bataille estre mortelle» (_Histoire du +chevalier Bayard_, dans La Curne).] + +[Note 851: Le futur _ara_ pour _aura_ est picard, mais se trouve +ailleurs qu'en Picardie (Communication de M. E. Langlois, professeur à +la Faculté des Lettres de Lille).] + +[Note 852: Comprenez: De la part de Dieu, et il n'y aura pas lieu +de suppléer _ou de vous_. Pourtant la copie du Chevalier de +Saint-Jean, le _Journal du siège_, la _Chronique de la Pucelle_ +ajoutent ces trois mots. Avec cette addition, le sens me semble moins +bon.] + +[Note 853: _Franchois_ est de Picardie et de la partie orientale +de la Normandie.] + +Telle est cette lettre d'un accent nouveau, qui proclame la royauté de +Jésus-Christ et déclare la guerre sainte. Il est difficile de savoir +si Jeanne la dicta de sa propre inspiration ou sur le conseil des +clercs. On serait d'abord tenté d'attribuer à des religieux l'idée +première d'une sommation qui est une application littérale des +préceptes inscrits dans le Deutéronome: + +«Quand vous vous approcherez d'une ville pour l'assiéger, d'abord vous +lui offrirez la paix. + +»Si elle l'accepte et qu'elle vous ouvre ses portes, tout le peuple +qui s'y trouvera sera sauvé et vous sera assujetti moyennant le +tribut. + +»Si elle ne veut point recevoir les conditions de la paix et qu'elle +commence à vous déclarer la guerre, vous l'assiégerez. + +»Et lorsque le Seigneur, votre Dieu, vous l'aura livrée entre les +mains, vous ferez passer tous les mâles au fil de l'épée, + +»En réservant les femmes, les enfants, les bêtes et tout le reste de +ce qui se trouvera dans la ville.» + + (_Deuter._, XX, 10-14.) + +Il est certain du moins que, à cet égard, la Pucelle exprime ses +propres sentiments. Elle dira plus tard: «Je demandais la paix et, si +on me la refusait, j'étais prête à combattre[854].» Mais comme elle +dicta cette lettre et ne put la lire, il y a lieu de rechercher si +les clercs qui tinrent la plume n'y mirent pas du leur. + +[Note 854: _Procès_, t. I, pp. 55, 84, 240.] + +On peut soupçonner une main ecclésiastique en deux ou trois passages. +Plus tard la Pucelle ne se rappelait pas avoir dicté «corps pour +corps», ce qui n'a pas grande importance. Mais elle déclara qu'elle +n'avait pas dit: «Je suis chef de guerre», et qu'elle avait dicté: +«Rendez au Roi», et non pas: «Rendez à la Pucelle[855]». Sa mémoire, +qui n'était pas toujours bonne, la trompait peut-être. Pourtant, elle +paraissait bien sûre de ce qu'elle disait, et elle répéta par deux +fois que «chef de guerre» et «rendez à la Pucelle» n'étaient pas dans +sa lettre, et il est possible que ces termes fussent du fait des +moines qui se tenaient près d'elle. Ces religieux errants se +souciaient médiocrement d'une querelle de fiefs, et leur plus grand +souci n'était pas que le roi Charles rentrât en possession de son +héritage. Ils voulaient sans doute le bien du royaume de France; mais, +assurément, ils voulaient d'un meilleur coeur le bien de la +chrétienté, et nous verrons que si ces moines mendiants, frère +Pasquerel et plus tard frère Richard, s'attachèrent à la Pucelle, ce +fut dans l'espoir de l'employer au profit de l'Église. Aussi ne +serait-il pas surprenant qu'ils eussent tout d'abord pris soin de la +déclarer chef de guerre et même de l'investir d'un pouvoir spirituel +supérieur au pouvoir temporel du roi, ce qui est impliqué dans cette +phrase: «Rendez à la Pucelle... les clefs des bonnes villes.» + +[Note 855: _Procès_, t. I, pp. 55, 56, 84.] + +Cette lettre même indique une des espérances, entre autres, qu'ils +fondaient sur elle. Ils comptaient qu'après avoir accompli sa mission +en France, elle prendrait la croix et irait à la conquête de +Jérusalem, entraînant à sa suite toutes les armées de l'Europe +chrétienne[856]. En ce moment même, un disciple de Bernardin de +Sienne, un franciscain, nouvellement venu de Syrie[857], frère +Richard, qui devait bientôt se rencontrer avec la Pucelle, prêchait à +Paris, annonçant la fin prochaine du monde et exhortant les fidèles à +combattre l'Antéchrist[858]. Il faut se rappeler que les Turcs, qui +avaient vaincu les chevaliers chrétiens à Nicopolis et à Sémendria, +menaçaient Constantinople et terrifiaient l'Europe entière. Papes, +empereurs, rois, sentaient la nécessité de tenter contre eux un grand +effort. + +[Note 856: Morosini, t. III, pp. 64, 82 et suiv.--Christine de +Pisan, dans _Procès_, t. V, p. 16.--Sur l'idée de Croisade, Cf. N. +Jorga, _Philippe de Mézières_, 1896, in-8º; _Notes et extraits pour +servir à l'histoire des Croisades au XVe siècle_, Paris, 1899-1902, 3 +vol. in-8º (Extrait de la _Revue de l'Orient Latin_).] + +[Note 857: _Pii Secundi commentarii_, éd. 1614, p. 440.--Wadding, +_Annales Minorum_, t. V, pp. 130 et suiv.] + +[Note 858: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 233.--S. Luce, +_Jeanne d'Arc à Domremy_, pp. XV, CCXXXVII.--Voir les planches des +nombreux livrets populaires sur l'Antéchrist au XVe siècle (Brunet, +_Manuel du Libraire_, t. I, col. 316).] + +On disait en Angleterre que le roi Henri V avait fait à madame +Catherine de France, entre Saint-Denys et Saint-Georges, un garçon +demi-anglais demi-français, qui irait jusqu'en Égypte tirer le Grand +Turc par la barbe[859]. Ce victorieux Henri V, sur son lit de mort, +entendait les clercs réciter les psaumes de la pénitence. Quand il +ouït ce verset: _Benigne fac Domine in bona voluntate tua ut +aedificentur muri Jerusalem_, il murmura d'une voix expirante: «J'ai +toujours eu dessein d'aller en Syrie et de reprendre la ville sainte +aux infidèles[860].» Ce fut sa dernière parole. Les hommes sages +conseillaient l'union des princes chrétiens contre le Croissant. En +France, l'archevêque d'Embrun, qui avait siégé aux conseils du +dauphin, maudissait l'insatiable cruauté de la nation anglaise et ces +guerres entre chrétiens, dont se réjouissaient les ennemis de la croix +de Jésus-Christ[861]. + +[Note 859: Félix Rabbe, _Jeanne d'Arc en Angleterre_, Paris, 1891, +p. 12.] + +[Note 860: Monstrelet, t. IV, p. 112.--Vallet de Viriville, +_Histoire de Charles VII_, t. I, p. 340.] + +[Note 861: Le P. Marcellin Fornier, _Histoire des Alpes-Maritimes +ou Cottiennes_, t. II, pp. 315 et suiv.] + +Appeler les Anglais et les Français à prendre ensemble la croix, +c'était proclamer qu'après quatre-vingt-onze ans de violences et de +crimes le cycle des guerres profanes était fermé et que la chrétienté +se retrouvait telle qu'aux jours où Philippe de Valois et Édouard +Plantagenet promettaient au pape de s'unir contre les infidèles. + +Mais quand la Pucelle conviait les Anglais à se joindre aux Français +dans une entreprise sainte et guerrière, on pouvait prévoir l'accueil +que recevrait des Godons cette convocation angélique. Et, lors du +siège d'Orléans, les Français de leur côté, pour de bonnes raisons, ne +songeaient pas à prendre la croix avec les Coués[862]. + +[Note 862: Dans toutes les copies de la lettre aux Anglais qui +nous sont parvenues, hors dans celle du Procès, à cet endroit: «Encore +que pourrez venir, etc.» le texte est complètement défiguré.] + +Le style de cette lettre ne fut pas très goûté des connaisseurs. Le +Bâtard d'Orléans en trouvait toutes les paroles bien simples et +quelques années plus tard un bon légiste français la jugea écrite en +gros et lourd langage et mal ordonné[863]. Nous ne pouvons prétendre +en mieux juger que le légiste et que le Bâtard, qui avait des lettres; +pourtant nous nous demandons si ce qui leur semblait mauvais dans ces +façons de dire ce n'était pas qu'elles s'éloignaient du ton ordinaire +des chancelleries. La lettre de Blois se ressent, il est vrai, de +l'humilité où se tenait encore la prose française, quand elle n'était +pas soulevée par un Alain Chartier, mais on n'y trouve pas de terme ni +de tournure qui ne se rencontre dans les bons auteurs du temps. Le +langage peut n'en pas être très bien ordonné, mais l'allure en est +vive. Au reste rien n'y sent les bords de la Meuse; il n'y subsiste +aucune trace du parler lorrain et champenois[864]. C'est français de +clerc. + +[Note 863: _Procès_, t. IV, p. 7.--Mathieu Thomassin, _Registre +Delphinal_, dans _Procès_, t. IV, p. 304.] + +[Note 864: Elle contient au contraire des formes qu'on ne +rencontrerait pas sous la plume d'un Picard, d'un Bourguignon, d'un +Lorrain ou d'un Champenois, tel le participe _envoyée_. Les formes et +la graphie sont bien d'un clerc français (Communication de M. E. +Langlois).] + +Tandis qu'Isabelle de Vouthon s'en était allée en pèlerinage au Puy, +ses deux plus jeunes enfants, Jean et Pierre, avaient pris aussi le +chemin de la France, pour rejoindre leur soeur, dans l'idée de faire +fortune auprès d'elle et du roi. De même frère Nicolas de Vouthon, +cousin germain de Jeanne, religieux profès en l'abbaye de Cheminon, se +rendit auprès de la jeune dévote[865]. Pour attirer ainsi toute cette +parenté, avant même d'avoir donné signe de son pouvoir, il fallait que +Jeanne eût des cautions aux bords de la Meuse et que de vénérables +personnes ecclésiastiques et de bons seigneurs lorrains répondissent +de son crédit en France. Ces garants de sa mission, elle les trouvait +sans aucun doute dans ceux qui l'avaient endoctrinée et accréditée par +prophétie; et peut-être frère Nicolas de Vouthon lui-même était-il du +nombre. + +[Note 865: _Procès_, t. V, p. 252.--E. de Bouteiller et G. de +Braux, _Nouvelles recherches sur la famille de Jeanne d'Arc_, pp. XX, +9 et 10. Source très suspecte.] + +Tenant dans l'armée état de sainte fille, elle avait en sa compagnie +un chapelain, frère Jean Pasquerel[866]; deux pages, Louis de Coutes +et Raymond[867]; ses deux frères, Pierre et Jean; deux hérauts, +Ambleville et Guyenne[868]; deux écuyers, Jean de Metz et Bertrand de +Poulengy. Jean de Metz pourvoyait à la dépense aux frais de la +couronne[869]. Elle avait aussi quelques valets à son service. Un +écuyer, nommé Jean d'Aulon, que le roi lui donna pour intendant, vint +la rejoindre à Blois[870]. C'était le plus pauvre écuyer du +royaume[871]. Il appartenait entièrement au sire de La Trémouille qui +le secourait d'argent, mais avait bon renom d'honneur et de +sagesse[872]. Jeanne attribuait les défaites des Français à ce qu'ils +chevauchaient avec des femmes de mauvaise vie et blasphémaient le +saint nom de Dieu. Et loin de lui être particulière, cette opinion +régnait parmi les personnes de savoir et de dévotion, qui rapportaient +notamment le désastre de Nicopolis à ce que, en chemin, les chrétiens +avaient fait des cruautés, mené des ribaudes et joué à des jeux +dissolus[873]. + +[Note 866: _Procès_, t. III, p. 101.] + +[Note 867: _Ibid._, t. III, pp. 65, 67, 124.--_Chronique de la +Pucelle_, p. 277.--A. de Villaret, _Louis de Coutes, page de Jeanne +d'Arc_, Orléans, 1890, in-8º.] + +[Note 868: _Procès_, t. III, pp. 26-27.] + +[Note 869: Extraits des comptes de Hémon Raguier, _Procès_, t. V, +pp. 257, 258.] + +[Note 870: _Procès_, t. III, p. 211.] + +[Note 871: _Ibid._, t. III, p. 15.] + +[Note 872: Duc de la Trémoïlle, _Les La Trémouille pendant cinq +siècles, Guy VI et Georges_ (1343-1446), Nantes, 1890, pp. 196, 201.] + +[Note 873: Juvénal des Ursins, année 1396.] + +À plusieurs reprises, de 1420 à 1425, le dauphin avait défendu de +maugréer, de renier, de blasphémer le nom de Dieu, de la Vierge Marie, +des saints et des saintes, sous peine d'une amende à laquelle +s'ajoutaient, en certains cas, des châtiments corporels. Les lettres +qui portaient cette défense alléguaient que les blasphèmes attiraient +des guerres, des pestes et des famines, et que les blasphémateurs +étaient responsables en partie des maux qui affligeaient le +royaume[874]. Aussi la Pucelle allait-elle parmi les gens d'armes, les +exhortant à chasser les femmes qui suivaient l'armée et à ne plus +prononcer en vain le nom du Seigneur. Elle leur recommandait de +confesser leurs péchés et de mettre leur âme en état de grâce, +affirmant que Dieu les aiderait et que si leur âme était en bon état, +ils obtiendraient la victoire[875]. + +[Note 874: _Ordonnances des rois de France_, t. XI, p. 105; t. +XIII, p. 247.--S. de Bouillerie, _La répression du blasphème dans +l'ancienne législation_ dans _Revue historique et archéologique du +Maine_, 1884, pp. 369 et suiv.--De Beaucourt, _Histoire de Charles +VII_, t. I, p. 370; t. II, p. 189.--A. Longnon, _Paris pendant la +domination anglaise_, Paris, 1878, in-8º, pp. 11 et 56.] + +[Note 875: _Procès_, t. III, pp. 78, 104, 105.--_Chronique de la +Pucelle_, p. 283.--On l'associa de très bonne heure à La Hire, comme +au plus vaillant homme de France, et l'on imagina qu'elle le fit +confesser et l'habitua à ne plus jurer le nom de Dieu. Ce sont là de +petits contes édifiants (_Procès_, t. III, p. 32; t. IV, p. 327).] + +Jeanne porta son étendard à l'église Saint-Sauveur et le donna à bénir +aux prêtres[876]. La petite confrérie, formée à Tours, se grossit à +Blois des gens d'Église et des religieux qui, échappés en foule des +abbayes voisines à l'approche des Anglais, souffraient le froid et la +faim. Il en était d'ordinaire ainsi. Constamment des nuées de moines +s'abattaient sur les armées. Beaucoup d'églises et la plupart des +abbayes gisaient détruites. Celles des mendiants, situées hors des +villes, avaient toutes péri, dépouillées et incendiées par les Anglais +ou renversées par les habitants des villes, avec tous les faubourgs +sous la menace d'un siège. Les religieux sans asile ne trouvaient +point d'accueil dans les cités avares de leur bien; il leur fallait +tenir la campagne avec les gens d'armes et suivre l'armée. La règle en +souffrait et la piété n'y gagnait rien. Ces clercs affamés et +vagabonds ne menaient pas toujours, parmi les soudoyers, les ribaudes +et les convoyeurs, une vie édifiante. Ceux qui accompagnèrent la +Pucelle ne valaient sans doute ni mieux ni pis que les autres, et +comme ils avaient grand'faim ils songeaient premièrement à +manger[877]. À l'égard de la sainte fille mêlée à cette troupe +vagabonde, les gens d'armes pouvaient éprouver tous les sentiments, +hors celui de la surprise, tant ils étaient habitués à voir +religieuses et religieux cheminer en leur compagnie. Il est vrai que +de celle-ci on annonçait des merveilles. Plusieurs y ajoutaient foi, +d'autres se moquaient et disaient tout haut: «Voilà un vaillant +champion pour récupérer le royaume de France[878].» + +[Note 876: _Procès_, t. III, p. 103.--Boucher de Molandon, +_Première expédition de Jeanne d'Arc_, p. 47.--L.-A. Bosseboeuf, +_Jeanne d'Arc en Touraine_, Tours, 1899, pp. 34 et suiv.] + +[Note 877: Le P. Denifle, _La désolation des églises, monastères, +hôpitaux, en France, vers le milieu du XVe siècle_, Mâcon, 1897, +in-8º, Introduction.] + +[Note 878: _Procès_, t. IV, p. 327.--Tringant, _Le Jouvencel_, t. +II, p. 277, dit seulement que peu de gens d'armes allaient volontiers +secourir Orléans, ce qui n'est pas bien exact.] + +La Pucelle fit faire une bannière sous laquelle les religieux pussent +se rassembler et appeler les gens d'armes à la prière. Cette bannière +était blanche; il y avait dessus Jésus en croix entre Notre-Dame et +saint Jean[879]. + +[Note 879: _Procès_, t. I, pp. 78, 117, 181.--_Chronique de la +Pucelle_, p. 281.--Morosini, t. III, pp. 110, 111; t. IV, pp. +313-315.--G. Martin, _L'étendard de Jeanne d'Arc_, dans _Notes d'art +et d'arch._, 1834, pp. 65-71, 81-88, pl.] + +Le duc d'Alençon retourna vers le roi pour lui faire savoir l'embarras +où l'on était. Le roi envoya les sommes nécessaires; on pouvait enfin +partir[880]. Deux routes, toutes deux libres au départ, l'une sur la +rive droite, l'autre sur la rive gauche de la Loire, conduisaient à +Orléans. En prenant la rive droite, on se trouvait, au bout de cinq à +six lieues, au bord de la plaine de Beauce, occupée par les Anglais, +qui avaient garnisons à Marchenoir, Beaugency, Meung, Montpipeau, +Saint-Sigismond, Janville, et l'on risquait d'y rencontrer l'armée qui +venait au secours des Anglais d'Orléans. Une telle rencontre faisait +peur depuis le jour des Harengs. En prenant la rive gauche, on +s'avançait par la Sologne, restée au pouvoir du roi Charles, et, +pourvu qu'on s'écartât un peu du fleuve, on passait hors de vue des +petites garnisons anglaises de Beaugency et de Meung. Il est vrai +qu'il fallait ensuite traverser la Loire, mais, en remontant le fleuve +à deux lieues au levant de la ville assiégée, on pouvait tenter sans +trop d'inconvénient le passage entre Orléans et Jargeau. Après +délibération, il fut décidé qu'on prendrait la rive gauche et qu'on +irait par la Sologne. On arrêta aussi qu'on emporterait les vivres en +deux fois, de peur d'un trop lent débarquement si près des bastilles +ennemies[881]. Le mercredi 27 avril[882], on partit. Les prêtres, +bannière en tête, ouvrirent la marche en chantant le _Veni creator +Spiritus_[883]. La Pucelle chevauchait avec eux, armée de blanc, et +portant son étendard. Les hommes d'armes et les hommes de trait +venaient ensuite, escortant six cents voitures de vivres et de +munitions et quatre cents têtes de bétail[884]. La longue file des +lances, des chariots et des troupeaux passa le pont de Blois, et se +déroula dans la plaine infinie. Après avoir fait huit lieues sur une +route ravinée, à l'heure du couvre-feu, quand, au soleil couchant, la +Loire fut de cuivre entre ses joncs noirs, les prêtres chantèrent +_Gabriel angelus_ et l'armée fit halte[885]. + +[Note 880: _Procès_, t. III, p. 93.--_Chronique du doyen de +Saint-Thibaud_, dans _Procès_, t. IV, p. 327.] + +[Note 881: _Procès_, t. III, pp. 5, 67, 78, 105, 212; Martial +d'Auvergne, _ibid._, t. V, p. 53.--_Chronique de la fête_, _ibid._, p. +290.--_Chronique de la Pucelle_, p. 281.--Jean Chartier, _Chronique_, +t. I, p. 71.--Boucher de Molandon, _Première expédition de Jeanne +d'Arc_, pp. 38 et suiv.] + +[Note 882: Le 28 avril, selon Eberhard Windecke, p. 165. Le 27, +si, comme le dit Pasquerel, l'armée coucha deux nuits aux champs.] + +[Note 883: _Procès_, t. III, p. 105.] + +[Note 884: Eberhard Windecke, p. 167.] + +[Note 885: _Procès_, t. III, p. 104.] + +Cette nuit-là, on coucha dans les champs. Jeanne, qui n'avait pas +voulu quitter son armure, se réveilla tout endolorie. Elle entendit +la messe et reçut la communion des mains de son aumônier, avec +plusieurs gens d'armes. Puis l'armée se remit en marche vers +Orléans[886]. + +[Note 886: _Procès_, t. III, p. 67.] + + + + +CHAPITRE XII + +LA PUCELLE À ORLÉANS. + + +Le jeudi 28 avril au soir, Jeanne put voir des hauteurs d'Olivet les +clochers de la ville, les tours de Saint-Paul et de Saint-Pierre-Empont, +où les guetteurs signalaient sa venue. L'armée suivit les pentes qui +descendent vers la Loire et s'arrêta au port du Bouchet, tandis que les +chariots et le bétail continuaient leur chemin sur la berge jusque vers +l'Île-aux-Bourdons, devant Chécy, à une lieue en amont[887]. C'est là +que devait se faire le débarquement. Au signal des guetteurs, +monseigneur le Bâtard, accompagné de Thibaut de Termes et de quelques +autres capitaines, sortit de la ville par la porte de Bourgogne, sauta +dans une barque à Saint-Jean-de-Braye et alla tenir conseil avec les +sires de Rais et de Loré, qui commandaient le convoi[888]. + +[Note 887: _Procès_, t. III, pp. 4 et 5.--Boucher de Molandon, +_Bulletin de la Société archéologique de l'Orléanais_, t. IV, p. 427, +et IX, p. 73.--Le même, _Première expédition de Jeanne d'Arc_, pp. 41 +et suiv.--_Mistère du siège_, vers. 11480 et suiv.] + +[Note 888: _Journal du siège_, p. 75.--_Chronique de la Pucelle_, +p. 283.--_Chronique de l'établissement de la fête_, dans _Procès_, t. +V, p. 289.] + +Cependant la Pucelle venait de s'apercevoir qu'elle était sur la rive +de Sologne et qu'on l'avait trompée en chemin. Elle en ressentait de +la douleur et de la colère. On l'avait trompée, cela était sûr. Mais +l'avait-on fait exprès? Avait-on voulu vraiment la tromper? On +rapporte qu'elle avait exprimé la volonté de passer par la Beauce, et +non par la Sologne, et qu'il lui avait été répondu: «Jeanne, +rassurez-vous; nous vous menons par la Beauce[889].» Est-ce possible? +Pourquoi les seigneurs se seraient-ils joués de la sorte d'une sainte +fille que le roi avait mise sous leur garde et qui inspirait déjà du +respect à la plupart d'entre eux? Certains, il est vrai, croyant +qu'elle se moquait, l'eussent volontiers moquée. Mais, si l'un de +ceux-là lui avait fait cette trufferie, de lui mettre la Sologne en +Beauce, comment ne se serait-il trouvé personne pour la désabuser? +Comment frère Pasquerel, son aumônier; comment son intendant, +l'honnête écuyer d'Aulon, se seraient-ils rendus complices de cette +grossière plaisanterie? Tout cela ne se comprend guère, et quand on y +songe, ce qui se comprend le moins, c'est que Jeanne eût expressément +demandé qu'on allât à Orléans par la Beauce. Puisqu'elle ignorait sa +route à ce point qu'en passant le pont de Blois elle ne se douta pas +qu'elle allait en Sologne, il y a peu d'apparence qu'elle se +représentât assez précisément l'assiette d'Orléans pour préférer y +entrer par le couchant ou par le midi. Une jeune fille qui seule +connaît la porte par laquelle on entrera dans la ville assiégée et à +qui de méchants capitaines font prendre un chemin pour un autre, cela +ressemble trop à un conte de ma mère l'oie. Jeanne ne se faisait pas +d'Orléans une idée plus claire que de Babylone. Il est vraisemblable +de supposer un malentendu. Elle n'avait parlé ni de Sologne ni de +Beauce. Ses Voix lui avaient dit que les Anglais ne bougeraient point. +Elles ne lui avaient point montré le portrait de la ville; elles ne +lui avaient donné ni plans ni cartes: les gens de guerre n'en usaient +point. Jeanne, sans doute, avait dit aux capitaines et aux prêtres ce +qu'elle devait bientôt répéter au Bâtard: «Je veux aller là où sont +Talbot et les Anglais.» Et les prêtres, les gens d'armes, avaient +répondu très sincèrement: «Jeanne, nous allons où sont Talbot et les +Anglais[890].» Ils avaient cru bien dire, puisque Talbot conduisait le +siège, et qu'on l'aurait, pour ainsi dire, devant soi, de quelque côté +qu'on approchât de la ville. Mais apparemment ils n'avaient pas bien +compris ce qu'avait dit la Pucelle, et la Pucelle n'avait pas bien +compris ce qu'ils avaient répondu. Car maintenant, de se voir séparée +de la ville par les eaux et les sables du fleuve, elle se montrait +irritée et dolente. Que pouvait-elle trouver de si fâcheux à cela? +Ceux qui l'approchèrent en ce moment ne le découvrirent pas, et +peut-être ses raisons ont-elles été méconnues parce qu'elles étaient +spirituelles et mystiques. Certes, elle n'estimait pas qu'on eût +commis une faute militaire en amenant par la Sologne les troupes et +les vivres. Elle ne connaissait point les chemins; elle ne pouvait +donc savoir quel était le meilleur. Des positions de l'ennemi, des +travaux d'attaque et des travaux de défense elle ignorait tout; elle +venait d'apprendre à l'instant sur quelle rive du fleuve la ville +était assise. Il fallait pourtant qu'elle crût avoir une grave raison +de se plaindre, car elle s'approcha du seigneur Bâtard et lui demanda +vivement: + +[Note 889: _Chronique de la Pucelle_, p. 281.--_Procès_, t. III, +p. 78.] + +[Note 890: _Procès_, t. III, pp. 5-6.] + +--Est-ce vous qui êtes le Bâtard d'Orléans? + +--C'est moi, réjoui de votre venue. + +--Est-ce vous qui avez donné conseil que je vinsse ici, par ce côté de +la rivière, et que je ne vinsse pas droit là où sont Talbot et les +Anglais? + +--Moi et de plus sages ont donné ce conseil, croyant faire pour le +mieux et le plus sûrement. + +Mais Jeanne: + +--En nom Dieu! le conseil de Messire est plus sûr et plus sage que le +vôtre. Vous avez cru me tromper et vous vous êtes trompés vous-mêmes. +Car je vous apporte un meilleur secours qu'il n'en vint oncques à +chevalier ou à cité, c'est le secours du Roi des cieux, lequel +secours procède de Dieu lui-même, qui, non vraiment pour l'amour de +moi, mais à la requête de saint Louis et de saint Charlemagne, a eu +pitié de la ville d'Orléans et n'a pas voulu souffrir que les ennemis +eussent à la fois le corps du duc et sa ville[891]. + +[Note 891: _Procès_, t. III, p. 5.--_Chronique de la Pucelle_, p. +284.--Boucher de Molandon, _Première expédition de Jeanne d'Arc_, p. +49.] + +On entend: ce qui la fâchait, c'était de n'avoir point été menée droit +devant Talbot et les Anglais. Elle venait d'apprendre que Talbot était +sur la rive droite avec son camp. Et, en parlant de Talbot et des +Anglais, elle entendait désigner seulement les Anglais qui étaient +avec Talbot, puisqu'en descendant au Val de Loire, près du guet de +Saint-Jean-le-Blanc, elle avait aperçu la bastille des Augustins et +les Tourelles du bout du pont et qu'elle ne pouvait pas douter qu'il +n'y eût aussi des Anglais sur la rive gauche. Il reste à savoir +pourquoi elle avait tant désiré se montrer tout d'abord à Talbot et à +ses Anglais et pourquoi maintenant elle était si marrie d'être séparée +de lui par la Loire. Jugeait-elle que le camp retranché de +Saint-Laurent-des-Orgerils, où commandaient Scales, Suffolk et Talbot, +devait être tout de suite attaqué? Elle n'avait pu se faire +d'elle-même cette idée, puisqu'elle ne connaissait pas les lieux, et +aucun homme d'armes n'avait pu lui mettre cette folie en tête, +d'attaquer un camp retranché en menant des boeufs et des chariots. +Elle n'avait pas songé non plus, comme on l'a dit tant de fois, à +forcer le passage entre la bastille Saint-Pouair à l'orée des bois, +puisqu'elle ignorait les bastilles et les forêts comme le reste. Et si +tel avait été son dessein, elle l'aurait dit clairement au Bâtard, car +elle savait se faire entendre, et même les bonnes gens trouvaient +qu'elle parlait bien. Quelle était donc sa pensée? Il n'est pas +impossible de la pénétrer, si l'on songe à ce que pouvait être en ce +moment la pensée d'une sainte, ou si seulement on se rappelle les +paroles et les actes par lesquels Jeanne avait annoncé et préparé sa +mission. Elle avait dit aux docteurs de Poitiers: «Le siège d'Orléans +sera levé et la ville affranchie de ses ennemis après que j'en aurai +fait sommation de par le Roi du ciel[892].» Elle avait mandé, de par +le Roi du ciel, à Scales, à Suffolk et à Talbot de lever le siège; +elle leur avait écrit qu'elle était toute prête à faire la paix et les +avait sommés de retourner en Angleterre. Maintenant elle demandait +réponse à Talbot, à Suffolk et à Scales. Puisque les Anglais ne lui +avaient point renvoyé son héraut, elle venait à eux, à leurs chefs, +comme un héraut de Messire; elle venait requérir qu'ils fissent paix. +Et s'ils ne voulaient faire paix, elle était prête à combattre. C'est +seulement après leur refus qu'elle serait assurée de vaincre, non par +raisons humaines, mais parce que son Conseil le lui avait promis. +Peut-être même, peut-être espérait-elle qu'en se montrant aux +capitaines anglais, son étendard à la main, accompagnée de madame +sainte Catherine, de madame sainte Marguerite et de monseigneur saint +Michel archange, elle les persuaderait de quitter la France; que, +tombant à genoux, Talbot obéirait, non certes à elle, mais à Celui qui +l'envoyait, et qu'ainsi elle ferait ce pourquoi elle était venue sans +que coulât une goutte de ce sang français qui lui était cher et sans +que les Anglais, dont elle avait pitié, perdissent ni leurs corps ni +leurs âmes. En tout cas, il fallait obéir à Dieu et pratiquer la +charité: la victoire était à ce prix. Et cette pieuse victoire qu'elle +apportait, cette victoire angélique, les chefs de son parti, par une +fausse prudence, la lui arrachaient des mains. Ils l'empêchaient +d'accomplir sa mission, de donner, peut-être, le signe promis et +l'entraînaient avec eux dans des entreprises moins sûres et moins +belles. De là sa douleur et sa colère. + +[Note 892: Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 68.--_Journal du +siège_, p. 48.] + +Même après la déconvenue de son entrée, elle ne se croyait pas dispensée +d'offrir la paix aux ennemis, afin d'être agréable à Dieu[893]. Et +puisqu'elle ne pouvait aller tout de suite au camp de Talbot, elle +voulut se montrer devant le guet de Saint-Jean-le-Blanc[894]. + +[Note 893: Opinion de Martin Berruyer, dans Lanéry d'Arc, +_Mémoires et consultations_, chap. VII.] + +[Note 894: _Procès_, t. III, pp. 78 et 214.] + +Il n'y avait plus personne derrière les palissades. Mais, si elle y +était allée et si elle y avait trouvé des ennemis, elle leur aurait +d'abord offert la paix. La conduite qu'elle tint ensuite dans la ville +en est la preuve certaine. Elle ne venait pas mettre au service des +Orléanais des plans de campagne ou des ruses de guerre; sa part dans +l'oeuvre de la délivrance était plus haute et plus pure. Elle +apportait à des hommes faibles, malheureux, égoïstes et souffrants, +les invincibles forces de l'amour et de la foi, la vertu du sacrifice. + +Monseigneur le Bâtard, qui regardait la mission de Jeanne comme +purement religieuse et qu'on aurait bien étonné en lui disant qu'il +devait consulter cette paysanne sur le fait de la guerre, fit mine de +ne point entendre les reproches qu'elle lui adressait et alla pourvoir +à ce que les opérations fussent exécutées conformément aux +dispositions prises. + +Tout avait été soigneusement concerté et préparé, mais voici que +survenait une anicroche. Les chalands que les Orléanais devaient +envoyer à Chécy pour embarquer les vivres n'avaient pas encore +démarré[895]. Ils n'allaient qu'à la voile et, comme le vent soufflait +d'amont, ils ne pouvaient pas naviguer. On ne savait pas s'ils le +pourraient bientôt, et le temps était cher. Jeanne dit avec confiance +à ceux qui s'inquiétaient: + +--Attendez un peu. Car, en nom Dieu, tout entrera dans la ville[896]. + +[Note 895: _Procès_, t. III, p. 78.--_Journal du siège_, pp. +74-75.--_Chronique de la fête_, dans _Procès_, t. V, p. 290.] + +[Note 896: _Procès_, t. III, p. 105.--_Chronique de la Pucelle_, +p. 284.] + +Elle avait raison. Le vent tourna; on déploya la toile, et les +chalands remontèrent le fleuve sous une brise d'arrière qui les +poussait assez fort pour qu'un bateau en pût traîner deux ou trois à +sa remorque[897]. Ils passèrent sans encombre devant la bastille +Saint-Loup. Monseigneur le Bâtard monta dans un de ces bateaux avec +Nicole de Giresme, grand prieur de France en l'ordre de Rhodes, et la +flottille aborda au port de Chécy, où elle resta mouillée toute la +nuit[898]. Il fut décidé que l'armée de secours camperait cette nuit +au port du Bouchet afin de garder le convoi en aval, tandis qu'un +détachement se tiendrait vers les îles de Chécy pour veiller en amont, +et regarder du côté de Jargeau. La Pucelle, en compagnie de quelques +capitaines, avec un détachement de gens d'armes et de trait, suivit la +berge et arriva devant l'Île-aux-Bourdons[899]. + +[Note 897: Boucher de Molandon, _La délivrance d'Orléans et +l'institution de la fête du 8 mai, Chronique anonyme du XVe siècle_, +Orléans, 1883, in-8º, pp. 28, 29.] + +[Note 898: _Procès_, t. III, p. 6.] + +[Note 899: _Chronique de la fête_, dans _Procès_, t. V, p. +290.--Morosini, t. III, p. 23, note 5.--Boucher de Molandon, _Première +expédition de Jeanne d'Arc_, pp. 52-56.] + +Les seigneurs qui avaient amené le convoi décidèrent qu'on partirait +tout de suite après le débarquement. L'armée, ayant fait sa besogne, +retournerait à Blois pour y prendre ce qui restait de vivres et de +munitions; car on n'avait pas tout emporté en une fois. Apprenant que +ces soldats, en compagnie desquels elle était venue, s'en allaient, +elle voulut partir avec eux, et après avoir tant demandé qu'on la +menât à Orléans, arrivée aux portes de la ville, elle ne pensait plus +qu'à s'en aller. Ainsi l'âme des mystiques tourne aux souffles de +l'Esprit; cette fois, comme toujours, Jeanne obéissait à des raisons +purement spirituelles. Elle ne voulait pas se séparer de ces gens +d'armes, parce qu'elle les croyait réconciliés avec Dieu, et qu'elle +n'était pas sûre d'en retrouver d'autres aussi contrits. Or, pour +elle, la victoire ou la défaite dépendaient uniquement de l'état de +grâce ou de péché où se trouvaient les combattants; les mener à +confesse, c'était tout son art militaire; elle n'avait point d'autre +science pour combattre derrière des murs ou en rase campagne. + +--Quant à ce qui est d'entrer dans la ville, dit-elle, il me ferait +mal de laisser mes gens et ne le dois faire. Ils sont tous confessés +et, en leur compagnie, je ne craindrais pas toute la puissance des +Anglais[900]. + +[Note 900: _Procès_, t. III, p. 6.] + +En fait, comme on le pense bien, confessés ou non, près d'elle ou loin +d'elle, ces soudards commettaient tous les péchés compatibles avec la +simplicité d'esprit; mais l'innocente n'en voyait rien; ouverts aux +choses invisibles, ses yeux étaient fermés aux choses sensibles. + +Elle était soutenue dans sa résolution de retourner à Blois par les +capitaines qui l'avaient amenée et qui la voulaient emmener, alléguant +les ordres du roi. Comme elle portait chance, ils tenaient à la +garder. Monseigneur le Bâtard voyait au contraire de graves +inconvénients et même des dangers à ce qu'elle s'éloignât. Dans l'état +où il avait laissé les habitants d'Orléans, si on tardait à leur +montrer leur Pucelle, cris, menaces, émeutes, violences, mouvements de +fureur et de désespoir, tout était à craindre, même des massacres. Il +demanda en grâce aux capitaines de trouver bon, dans l'intérêt du roi, +que Jeanne entrât à Orléans, et il obtint, sans trop de peine, qu'ils +retournassent à Blois sans elle. Mais Jeanne ne se rendit pas si vite. +Il la supplia de se décider à passer la Loire. Elle refusa et fit une +telle résistance qu'il dut s'apercevoir qu'il n'est pas facile de +manier une sainte. Il fallut que l'un des chefs qui l'avaient amenée, +le sire de Rais ou le sire de Loré, joignît ses prières à celle du +Bâtard et lui dît: + +--Allez-y sûrement, car nous vous promettons de retourner bientôt vers +vous[901]. + +[Note 901: _Procès_, t. III, p. 78.--_Chronique de la Pucelle_, p. +280.--_Chronique de la fête_, dans _Procès_, t. V, p. 285.--Boucher de +Molandon, _Première expédition de Jeanne d'Arc_, pp. 61-62.] + +Enfin, quand elle sut que le frère Pasquerel partirait avec eux, +pensant que ses gens seraient bien confessés, elle consentit à +rester[902]. Elle passa la Loire avec ses frères, sa petite +compagnie, le Bâtard, le maréchal de Boussac, le capitaine La Hire, et +débarqua à Chécy qui était alors un très gros bourg, ayant deux +églises, un Hôtel-Dieu, une léproserie[903]. Elle fut reçue par un +riche bourgeois nommé Guy de Cailly, dans le manoir de Reuilly où elle +passa la nuit[904]. + +[Note 902: _Procès_, t. III, p. 105.--_Mistère du siège_, v. +11616.] + +[Note 903: Boucher de Molandon, _Première expédition de Jeanne +d'Arc_, pp. 62 et 99, note XIV, et dans _Bulletin de la Société +archéologique de l'Orléanais_, t. IV, p. 429; t. IX, p. 73.] + +[Note 904: _Journal du siège_, p. 75.--Ch. du Lys, _Traité +sommaire tant du nom et des armes que de la naissance et parenté de la +Pucelle d'Orléans et de ses frères_, Paris, 1628, in-4º, p. 50.--Abbé +Dubois, _Histoire du siège_, p. 344.--P. Mantellier, _Histoire du +siège_, p. 86.--Boucher de Molandon, _Première expédition de Jeanne +d'Arc_, p. 65, pièces justificatives, note XV.] + +Le 29 au matin, les chalands qui avaient mouillé à Chécy traversèrent +la Loire, et les convoyeurs les chargèrent de vivres, de munitions et +de bétail[905]. La Loire était haute[906]. Les chalands purent dériver +à charge par le chenal navigable qui longeait la rive gauche. Les +oseraies et les bouleaux de l'Île-aux-Boeufs les cachaient aux Anglais +de la bastille Saint-Loup qui, d'ailleurs, avaient en ce moment +beaucoup à faire. La garnison de la ville, pour les distraire, +escarmouchait contre eux. On s'y battait assez rudement; il y avait +morts, blessés et prisonniers des deux partis et les Anglais perdaient +un étendard[907]. Les chalands passèrent à découvert sous le guet de +Saint-Jean-le-Blanc, qui était abandonné[908], tournèrent à tribord +entre l'Île-aux-Boeufs et l'îlette des Martinets, pour redescendre, en +côtoyant la rive droite, sous l'Île-aux-Toiles jusqu'à la Tour-Neuve, +dont le pied baignait dans la Loire, à l'angle sud-est de la ville. +Puis ils se mirent à l'abri dans les fossés de la porte de +Bourgogne[909]. + +[Note 905: _Journal du siège_, pp. 75-76.] + +[Note 906: Boucher de Molandon, _Première expédition de Jeanne +d'Arc_, p. 68.] + +[Note 907: _Chronique de la fête_, dans _Procès_, t. V, p. 290.] + +[Note 908: _Journal du siège_, pp. 74, 75.--Jean Chartier, +_Chronique_, t. I, p. 69.--_Chronique de la Pucelle_, pp. 284-285.] + +[Note 909: Boucher de Molandon, _Première expédition de Jeanne +d'Arc_, pp. 51 et suiv.] + +Toute la journée, le manoir de Reuilly fut assiégé par une foule de +bourgeois orléanais qui, n'y pouvant tenir, étaient venus, au péril de +leur vie, voir la Pucelle promise. Elle quitta Chécy seulement à six +heures du soir. Les capitaines voulaient ne la faire entrer dans la +ville que la nuit tombée, de peur qu'on ne s'écrasât devant elle et +qu'il n'y eût de grands désordres[910]. Ils passèrent sans doute par +les larges vallées qui descendent au midi de Semoy, sur les confins +des paroisses de Saint-Marc et de Saint-Jean-de-Braye. Chemin faisant, +elle disait à ceux qui chevauchaient avec elle: + +--Ne craignez rien. Il ne vous arrivera aucun mal[911]. + +[Note 910: _Journal du siège_, p. 75.] + +[Note 911: _Ibid._, p. 76.] + +En fait, le passage n'était dangereux qu'aux piétons. Les gens de +cheval ne risquaient guère d'être poursuivis par les Anglais, qui, +dans leurs bastilles, manquaient de chevaux. + +Ce vendredi 29 avril, elle entra de nuit dans Orléans par la porte de +Bourgogne; elle était armée de toutes pièces, et montée sur un cheval +blanc[912]. Un cheval blanc était la monture des hérauts d'armes et +des archanges[913]. Le Bâtard l'avait placée à sa droite. Elle faisait +porter devant elle son étendard, sur lequel on voyait deux anges +tenant chacun à la main une fleur de lis, et son pennon avec l'image +de la Salutation angélique. Puis venaient le maréchal de Boussac, Guy +de Cailly, Pierre et Jean d'Arc, Jean de Metz et Bertrand de Poulengy, +le sire d'Aulon, les seigneurs, capitaines, écuyers, gens de guerre et +citoyens qui étaient allés au-devant d'elle à Reuilly[914]. À sa +rencontre, se pressaient les bourgeois et les bourgeoises d'Orléans, +portant des torches et montrant autant de joie que s'ils eussent vu +Dieu lui-même descendre dans leur ville[915]. Ils avaient souffert de +grands maux et craint de n'être point secourus, mais déjà ils se +sentaient réconfortés et comme désassiégés par la vertu divine qu'on +leur avait dit être en cette pucelle. Ils la regardaient avec un pieux +amour. Hommes, femmes, enfants se précipitaient, s'étouffaient pour +la toucher, elle et son cheval blanc, comme on touche les reliques des +saints. Dans cette presse une torche mit le feu au pennon. Ce que +voyant, la Pucelle donna de l'éperon et allongea le pas jusqu'à la +flamme qu'elle éteignit avec une adresse qui parut merveilleuse; car +tout en elle émerveillait[916]. Gens d'armes et bourgeois ravis +l'accompagnèrent en foule, par la ville, à l'église Sainte-Croix, où +premièrement elle alla rendre grâces à Dieu, puis à l'hôtel de Jacques +Boucher, où son logis était préparé[917]. + +[Note 912: _Journal du siège_, pp. 76-77.] + +[Note 913: Et maintenant encore les trompettes montent des chevaux +blancs (_Histoire de Jeanne d'Arc_, par Lebrun de Charmettes, 1817, +in-8º, t. II, p. 21).] + +[Note 914: _Procès_, t. III, p. 7.--_Journal du siège_, p. +76.--_Chronique de la Pucelle_, p. 287.--Jean Chartier, _Chronique_, +t. I, p. 72.--Morosini, t. III, pp. 28-30.] + +[Note 915: _Procès_, t. III, p. 24.] + +[Note 916: _Journal du siège_, p. 77.] + +[Note 917: _Chronique de l'établissement de la fête_, p. 28.] + +Jacques, ou comme on disait, Jacquet Boucher, depuis plusieurs années +trésorier du duc d'Orléans, était très riche homme et avait épousé la +fille d'un des plus notables bourgeois de la cité[918]. Demeuré dans +sa ville durant tout le siège, il contribuait à la dépense, faisait +des dons de blé, d'avoine et de vin, avançait des deniers pour achats +de poudre et d'armes. La garde des remparts appartenant aux bourgeois, +Jacques Boucher avait charge de tenir en état de défense la porte +Renart où il demeurait et qui se trouvait la plus exposée aux attaques +des Anglais. Son hôtel, un des plus beaux et des plus grands de la +ville, autrefois habité par une famille Regnart ou Renart qui avait +donné son nom à la porte, était situé dans la rue des Talmeliers, tout +proche l'enceinte. Les capitaines y tenaient conseil, quand ils ne se +réunissaient pas dans l'hôtel du chancelier Guillaume Cousinot, rue de +la Rose[919]. Le logis de Jacques Boucher était sans doute bien garni +de vaisselle d'argent et de tapisseries historiées. Dans une des +salles, il y avait, paraît-il, une peinture représentant trois femmes +et portant cette inscription: _Justice, Paix, Union_[920]. + +[Note 918: _Procès_, t. I, p. 101; t. III, pp. 34, 68, 124 et +suiv.; p. 211.--_Chronique de la Pucelle_, p. 285.--Boucher de +Molandon, _Jacques Boucher, sieur de Guilleville, trésorier général du +district d'Orléans..._, dans _Mémoires de la Société archéologique de +l'Orléanais_, t. XXII, 1889, p. 373.--Boucher de Molandon, _Première +expédition de Jeanne d'Arc_, p. 101, note XVI; pièces justificatives, +p. 108.] + +[Note 919: Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 73.--_Chronique de +la Pucelle_, éd. Vallet de Viriville, p. 20 [Notice sur G. Cousinot le +Chancelier]; Cf. _Nouvelle Biographie générale_.--Vallet de Viriville, +_Essais critiques sur les historiens originaux du règne de Charles +VII_, dans _Bibliothèque de l'École des Chartes_, 1857, 4e série, t. +III, pp. 11-14; 105-111.] + +[Note 920: _Procès_, t. I, p. 101; t. III, pp. 68, 124 et suiv.; +t. IV, pp. 153, 219, 227.--_Journal du siège_, pp. 77, 78.--Boucher de +Molandon, _Première expédition de Jeanne d'Arc_, pp. 69, 101, note +XVI.] + +La Pucelle fut reçue en cette maison avec ses deux frères, les deux +compagnons qui l'avaient amenée au roi et leurs valets. Elle s'y fit +désarmer[921]. La femme et la fille de Jacques Boucher passèrent la +nuit avec elle. Jeanne partagea le lit de l'enfant, qui avait neuf ans +et se nommait Charlotte, du nom du duc Charles, que servait son +père[922]. C'était l'usage alors que l'hôte partageât son lit avec +son hôte, l'hôtesse avec son hôtesse. La civilité le voulait; les rois +n'y manquaient pas plus que les bourgeois. On enseignait aux enfants +comment il fallait se comporter avec son compagnon de lit, tenir sa +juste place, ne pas bouger et dormir la bouche fermée[923]. + +[Note 921: G. Lefèvre-Pontalis (_Chronique d'Antonio Morosini_, t. +III, p. 101, note) reconnaît dans la _Chronique de la Pucelle_ (XLIV, +p. 285) un mauvais emploi d'un trait cité par Dunois dans sa +déposition et qu'il faut laisser à la date du 7 mai où Dunois l'a +placé (_Procès_, t. III, p. 9).] + +[Note 922: _Procès_, t. III, pp. 34, 68.] + +[Note 923: Franklin, _La vie privée d'autrefois_, t. II et XIX, +_passim_.--H. Havard, _Dictionnaire de l'ameublement_, au mot: _lit_.] + +Ainsi l'argentier ducal accueillit la Pucelle en son hôtel et +l'hébergea aux frais de la ville. Les chevaux de Jeanne furent mis +dans l'écurie d'un bourgeois nommé Jean Pillas. Quant aux frères +d'Arc, ils ne demeurèrent point avec leur soeur, mais logèrent en +l'hôtel de Thévenin Villedart. La ville les défraya de tout, leur +fournit notamment les souliers et les houseaux dont ils avaient besoin +et leur fit don de quelques écus d'or. Trois compagnons de la Pucelle, +fort dénués, qui la vinrent trouver à Orléans, reçurent de quoi +manger[924]. + +[Note 924: Comptes de forteresse, dans _Procès_, t. V, pp. 259, +260.] + +Le lendemain, 30 avril, les milices orléanaises furent debout au petit +jour. Depuis la veille au soir tout était renversé dans la ville; la +révolte, longtemps contenue, éclatait. Les bourgeois, qui, dès le mois +de février, avaient pris la chevalerie en défiance et en haine, la +secouaient enfin et la brisaient[925]. Il n'y avait plus ni lieutenant +du roi, ni gouverneur, ni seigneurs, ni chefs de guerre; il n'y avait +plus qu'un pouvoir et qu'une force: la Pucelle. La Pucelle était +capitaine de la commune. Cette fillette, cette pastoure, cette +béguine que les nobles amenaient pour qu'elle leur portât bonheur, +leur causait le plus grand dommage qu'ils pussent éprouver; elle les +réduisait à rien. Dès la matinée du 30, ils eurent tout lieu de +s'apercevoir que la révolution bourgeoise était accomplie. Les milices +attendaient la Pucelle pour la mettre à leur tête et marcher tout de +suite avec elle contre les Godons. Les capitaines essayèrent de leur +faire comprendre qu'il fallait attendre l'armée de Blois et les gens +du maréchal de Boussac qui étaient partis, la nuit, à la rencontre de +cette armée. Les bourgeois en armes ne voulaient rien entendre et +réclamaient à grands cris la Pucelle. Elle ne parut point. Monseigneur +le Bâtard, qui avait la langue dorée, lui avait conseillé de ne se pas +montrer[926]. Ce fut le dernier avantage que les chefs prirent sur +elle. Encore, en paraissant leur céder, n'avait-elle, cette fois, +comme les autres, agi qu'à sa volonté. Quant aux bourgeois, avec ou +sans la Pucelle, ils voulaient se battre. Le Bâtard ne put les en +empêcher. Ils sortirent, accompagnés par les Gascons du capitaine La +Hire et les gens de messire Florent d'Illiers; ils attaquèrent +courageusement la bastille Saint-Pouair, que les Anglais nommaient +Paris et qui se dressait à quatre cents toises des murs; ils +culbutèrent le poste avancé et approchèrent la bastille de si près +qu'on leur apportait déjà de la ville des fagots et de la paille pour +incendier les barrières. Mais les Anglais, au cri de Saint-Georges, +sortirent en bon ordre et, après un rude et sanglant combat, +repoussèrent l'attaque des bourgeois et des routiers[927]. + +[Note 925: _Journal du siège_, pp. 43-44.] + +[Note 926: _Procès_, t. III, pp. 7 et 211.--_Chronique de la +Pucelle_, p. 287.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, pp. 74-75.] + +[Note 927: _Journal du siège_, p. 78.--_Chronique de la fête_, +dans _Procès_, t. V, pp. 291-292.--Lettre écrite d'Allemagne dans +_Procès_, t. V, p. 347.] + +La Pucelle n'en avait rien su. Venue de Dieu sur son cheval blanc, en +messagère armée et pacifique, elle n'estimait ni juste ni pieux de +combattre les Anglais avant qu'ils eussent refusé ses offres de paix. +Ce jour, comme la veille, tout son désir était d'aller saintement vers +Talbot. Elle demanda nouvelle de sa lettre et apprit que les +capitaines anglais n'en avaient tenu nul compte et qu'ils avaient +gardé son héraut Guyenne[928]. Voici ce qui était arrivé. + +[Note 928: _Procès_, t. III, pp. 27, 108.--_Journal du siège_, p. +79.] + +Cette lettre, que le Bâtard trouvait faite de paroles bien simples, +produisit sur les Anglais un effet prodigieux. Elle les remplit de +fureur et d'épouvante. Ils retinrent le héraut qui l'avait portée, et, +bien que la coutume et l'usage fussent de respecter la personne de ces +officiers, alléguant que le messager de la sorcière ne pouvait être +qu'un hérétique, ils le firent mettre aux fers et, après une manière +de procès, le condamnèrent au feu comme complice de l'abuseresse[929]. +Même, ils dressèrent le poteau où il devait être lié. Toutefois, +avant d'exécuter la sentence, ils jugèrent bon de consulter +l'Université de Paris, comme l'évêque de Beauvais devait la consulter, +en pareille matière, dix-huit mois plus tard[930]. La peur les rendait +méchants. Ces malheureux, que l'on traitait de diables, craignaient +les diables. Ils soupçonnaient les Français à l'esprit subtil d'être +nécromanciens et sorciers, et disaient que les Armagnacs avaient fait +mourir le grand roi Henri V par des vers magiques. Redoutant que leurs +ennemis n'usassent contre eux de sortilèges et d'enchantements, ils +portaient sur eux, pour se préserver de tout mal des bandes de +parchemin couvertes de formules conjuratoires qu'on nommait des +«periapts»[931]. Le plus efficace, de ces amulettes, était le premier +chapitre de l'évangile de saint Jean. À cette époque, les étoiles les +menaçaient et les mathématiciens lisaient dans le ciel leur ruine +prochaine. Leur défunt roi Henri V avait, du temps qu'il étudiait à +Oxford, appris les règles de la divination par les astres. Il gardait +dans ses coffres pour son usage particulier deux astrolabes, l'un +d'argent et l'autre d'or. Quand sa femme, Catherine de France, fut +près d'accoucher, il opéra lui-même «l'élection à la fois sidérale et +topique», relative à la venue de l'enfant dans le monde. Et, comme +d'ailleurs une prophétie courait l'Angleterre[932], disant que Windsor +perdrait ce que Monmouth avait gagné, il défendit à la reine de faire +ses couches à Windsor. Mais on ne peut détourner la destinée. L'enfant +royal naquit à Windsor. Son père était en France quand il en apprit la +nouvelle; il en conçut de funestes présages et fit venir Jean Halbourd +de Troyes, ministre général des trinitaires ou mathurins, «excellent +en astrologie», qui, ayant dressé le thème de nativité, ne put que +confirmer le roi dans ses noirs pressentiments[933]. Et voici que les +temps étaient venus. Windsor régnait; il fallait s'attendre à tout +perdre. Merlin l'avait prédit, qu'une vierge les devait bouter hors de +France et de tout point les défaire. Quand vint la Pucelle, ils +pâlirent d'effroi; capitaines et soldats perdirent tout courage[934]. +Tels qui n'avaient peur d'homme au monde tremblaient devant cette +fille, la tenant pour sorcière. C'eût été trop leur demander que de la +tenir pour sainte et envoyée du Ciel. Il suffisait qu'ils la prissent +pour une magicienne très savante[935]. À ceux qu'elle venait secourir, +elle semblait une fille de Dieu; à ceux qu'elle venait détruire, elle +apparaissait comme un monstre horrible en forme de femme. Ce double +aspect fit toute sa force: angélique pour les Français et diabolique +pour les Anglais, elle se montrait aux uns et aux autres invincible et +surnaturelle. + +[Note 929: _Chronique de la Pucelle_, p. 284.--_Procès_, t. III, +p. 26.] + +[Note 930: Martial de Paris, dit d'Auvergne, _Vigiles de Charles +VII_, éd. Coustelier, 1724, t. I, p. 98.] + +[Note 931: La Curne, au mot: _Periapt_.--Shakespeare, _Henry VI_, +première partie, scène XXIV.] + +[Note 932: Shakespeare, _Henry VI_, première partie, scène XI.] + +[Note 933: Vallet de Viriville, _Histoire de Charles VII_, t. I, +p. 306.--Carlier, _Histoire du Valois_, t. II, p. 442.] + +[Note 934: Jarry, _Le compte de l'armée anglaise_, p. 61.] + +[Note 935: Shakespeare, _Henry VI_, première partie, scène I.] + +Dans la soirée du 30, elle envoya au camp de +Saint-Laurent-des-Orgerils son héraut Ambleville pour réclamer +Guyenne, qui avait porté la lettre de Blois et qui n'était pas revenu. +Ambleville avait aussi mission de dire à sir John Talbot, au comte de +Suffolk et au seigneur de Scales, que de la part de Dieu, la Pucelle +les sommait de partir et d'aller en Angleterre; autrement que mal leur +adviendrait. Les Anglais renvoyèrent Ambleville avec un mauvais +message. + +--Les Anglais, dit-il à la Pucelle, gardent mon compagnon pour le +brûler. + +Elle répondit: + +--En nom Dieu, ils ne lui feront nul mal. + +Et elle ordonna à Ambleville de retourner[936]. + +[Note 936: _Procès_, t. III, p. 26.--_Journal du siège_, p. +79.--_Chronique de la Pucelle_, pp. 285-286.] + +Elle était indignée, et sans doute grandement déçue. Certes elle +n'avait point prévu que Talbot et les chefs du siège feraient un tel +accueil à une lettre inspirée par mesdames sainte Catherine et sainte +Marguerite et par monseigneur saint Michel; mais elle avait tant de +charité au coeur, qu'elle voulut offrir encore la paix aux Anglais. +Dans son innocence, elle ne pouvait croire que les avertissements +qu'elle donnait de par Dieu ne fussent point enfin entendus. +D'ailleurs, quoi qu'il en dût advenir, elle voulait faire son devoir +jusqu'au bout. Elle sortit à la nuit par la porte du Pont et alla +jusqu'au boulevard de la Belle-Croix. Il n'était pas rare qu'on +s'interpellât d'un parti à l'autre. La Belle-Croix était à portée de +voix des Tourelles. La Pucelle monta sur la barrière et cria aux +Anglais: + +--Rendez-vous, de par Dieu, vos vies sauves seulement. + +Mais ceux de la garnison et le capitaine William Glasdall lui-même lui +crachèrent de basses injures et d'horribles menaces. + +--Vachère! Si nous te tenons jamais, nous te ferons brûler. + +Elle leur répondit qu'ils mentaient. Mais ils étaient sérieux et +sincères; ils croyaient fermement que cette fille armait contre eux +des légions de diables[937]. + +[Note 937: _Procès_, t. III, p. 108.--_Journal d'un bourgeois de +Paris_, p. 237.--_Journal du siège_, p. 79.--_Chronique de la +Pucelle_, p. 290.] + +Le dimanche 1er mai, monseigneur le Bâtard alla au-devant de l'armée +de Blois[938]. Il connaissait le pays; actif et prudent, il tenait à +surveiller l'entrée de ce convoi comme il avait surveillé l'entrée de +l'autre. Il partit avec une petite escorte. Adroitement, pour flatter +les Orléanais dans leur amour et leur piété, pour se mettre, autant +dire, sous la sauvegarde de leur sainte, ne se risquant point à +l'emmener elle-même, il emmena du moins quelqu'un à elle, son +intendant, le sire Jean d'Aulon[939]. Il saisissait la première +occasion de montrer son bon vouloir à l'endroit de la Pucelle, sentant +que désormais on ne pouvait rien faire qu'avec elle et sous son ombre. + +[Note 938: _Procès_, t. III, p. 7.--_Journal du siège_, p. 79.] + +[Note 939: _Procès_, t. III, p. 211.] + +La ferveur des citoyens ne tiédissait point. Ce jour encore, dans le +grand désir de voir la sainte, ils se pressèrent en foule devant +l'hôtel de Jacques Boucher avec autant de violence que les pèlerins du +Puy dans le sanctuaire de la Vierge noire. On craignit que les portes +ne fussent enfoncées. Le cri d'un peuple montait vers elle. C'est +alors qu'elle se montra bonne, sage, égale à sa mission et vraiment +née pour le salut de tous. Ce peuple fou, en l'absence des capitaines +et des hommes d'armes, n'attendait qu'un signe d'elle pour courir +tumultueusement aux bastilles, s'y briser, s'y meurtrir. Ce signe, +malgré les visions guerrières qui l'obsédaient, elle ne le fit pas. +Tout enfant qu'elle était et ignorante des choses de la guerre et de +toute chose humaine, elle trouva en elle le sentiment et la force +d'éviter le désastre. Elle mena cette foule d'hommes, non point aux +bastilles anglaises, mais aux lieux saints de la cité. Elle +chevauchait par les rues, accompagnée de plusieurs chevaliers et +écuyers; la foule des hommes et des femmes se jetait sur son passage +et ne pouvait se rassasier de la voir. On s'émerveillait de ce qu'elle +pût se tenir à cheval de si noble façon, comme elle faisait, et se +comporter en toutes ses manières ainsi qu'un homme d'armes, et l'on se +serait écrié que c'était un vrai saint Georges, si l'on n'eût eu +soupçon que monsieur saint Georges s'était tourné Anglais[940]. + +[Note 940: _Journal du siège_, p. 80--P. Mantellier, _Histoire du +siège_, pp. 92-95.] + +Ce dimanche, elle alla, pour la deuxième fois, offrir la paix aux +ennemis du royaume. Elle sortit par la porte Renart et s'avança sur la +route de Blois, dans le faubourg incendié, vers la bastille anglaise +qui, ceinte d'un double fossé, s'élevait sur un coteau, au carrefour +nommé la croix Boissée ou Buissée, parce que les Orléanais y avaient +dressé une croix que, chaque année, ils ornaient de buis bénit, le jour +de Pâques fleuries. Elle voulait sans doute atteindre cette bastille et, +peut-être, se rendre au camp de Saint-Laurent-des-Orgerils qui +s'étendait entre la croix Boissée et la Loire et où étaient, comme elle +avait dit, Talbot et les Anglais. Car elle ne désespérait pas encore de +se faire entendre des chefs du siège. Mais au pied du coteau, en un lieu +dit la Croix-Morin, elle rencontra des Godons qui gardaient le passage. +Là, gravement, religieusement, saintement, elle les somma de se retirer +devant les armées du Seigneur. + +--Rendez-vous, la vie sauve tant seulement. Retournez de par Dieu en +Angleterre. Si non, je ferai que vous serez affligés[941]. + +[Note 941: _Ibid._, p. 80.] + +Ces gens d'armes lui répondirent, ainsi qu'avaient fait ceux des +Tourelles, par des paroles injurieuses. L'un d'eux, le bâtard de +Granville, lui cria: + +--Veux-tu donc que nous nous rendions à une femme? + +Ils appelèrent les Français qui étaient avec elle maquereaux et +mécréants, pour leur faire honte d'accompagner une ribaude et une +sorcière. Mais soit qu'ils crussent que ses charmes la rendaient +invulnérable, soit qu'ils tinssent pour honteux de férir quiconque +portait un message, pas plus cette fois que les autres ils ne tirèrent +sur elle[942]. + +[Note 942: _Procès_, t. III, p. 68.--_Journal du siège_, p. 79.] + +Ce dimanche, Jacquet le Prestre, varlet de la ville, offrit le vin à +la Pucelle[943]. Les procureurs et les citoyens ne savaient mieux +faire pour honorer celle qu'ils regardaient comme leur capitaine. +Ainsi en usaient-ils avec les seigneurs, les rois et les reines qu'ils +recevaient dans leurs murailles. Le vin était alors grandement estimé +pour sa noblesse et sa bienfaisance. Jeanne, en formant un souhait, +disait volontiers: «Dussé-je ne pas boire de vin d'ici à +Pâques[944]!...» Mais de fait, elle ne buvait point de vin pur et +mangeait peu[945]. + +[Note 943: Extraits des comptes de forteresse, dans _Procès_, t. +V, p. 259.] + +[Note 944: _Procès_, t. I, p. 64.] + +[Note 945: _Procès_, t. III, pp. 9, 15, 18, 22, 60; t. V, p. +120.--_Chronique de la Pucelle_, p. 285.--Morosini, p. 101.--_Relation +du greffier de La Rochelle_, p. 337.] + +Durant ces jours d'attente, la Pucelle ne se reposa pas un moment. Le +lundi 2 mai, elle monta à cheval et alla aux champs pour voir les +bastilles anglaises. Le peuple la suivit en masse, sans crainte, +joyeux d'être près d'elle. Et quand elle eut regardé tout à son aise, +elle rentra dans la ville et se rendit à l'église cathédrale où elle +entendit les vêpres[946]. + +[Note 946: _Journal du siège_, p. 80.--P. Mantellier, _Histoire du +siège_, p. 95.] + +Le lendemain, 3 mai, jour de l'invention de la sainte Croix, qui était +la fête de la cathédrale, elle suivit la procession avec les +procureurs et les habitants. Là, maître Jean de Macon, chantre de la +cathédrale[947], l'aborda en ces termes: + +--Ma fille, êtes-vous venue pour lever le siège? + +[Note 947: Charles Cuissard, _Notes chronologiques sur Jean de +Macon_, dans _Mémoires de la Société archéologique de l'Orléanais_, t. +XI, 1897, pp. 529, 545.] + +Elle répondit: + +--En nom Dieu, oui[948]! + +[Note 948: _Chronique de la fête_, dans _Procès_, t. V, p. +291.--Lottin, _Recherches_, t. I, p. 30.] + +Les Orléanais croyaient tous que les Anglais étaient innombrables +autour de la ville comme les étoiles dans le ciel; le notaire +Guillaume Girault n'attendait plus qu'un miracle[949]; Jean Luillier, +marchand drapier[950] de son état, estimait impossible que les +concitoyens pussent tenir longtemps contre des ennemis à ce point +plus forts qu'eux[951]. Messire Jean de Macon s'effrayait +pareillement de la puissance et de la multitude des Godons. + +[Note 949: Note de Guill. Girault, notaire, dans _Procès_, t. IV, +p. 282.--_Journal du siège_, p. 135.] + +[Note 950: _Procès_, t. V, pp. 112-113.] + +[Note 951: _Procès_, t. III, p. 23.] + +--Ma fille, dit-il à la Pucelle, ils sont forts et bien fortifiés, et +ce sera une grande affaire que de les mettre dehors[952]. + +[Note 952: _Chronique de la fête_, dans _Procès_, t. V, p. 291.] + +Si le notaire Guillaume Girault, si le drapier Jean Luillier, si +messire Jean de Macon, au lieu de nourrir des imaginations tristes, +avaient fait le compte des assiégés et des assiégeants, ils auraient +reconnu que ceux-ci étaient moins nombreux que ceux-là, et que l'armée +de Scales, de Suffolk, de Talbot, semblait maigre et chétive au regard +des armées que le roi Henri V avait jadis menées aux grands sièges; +ils se seraient aperçus, en y regardant un peu, que les bastilles +horrifiquement nommées Londres et Paris n'étaient capables d'arrêter +au passage ni blé, ni boeufs, ni pourceaux, ni gens d'armes, que des +marchands avec leurs bestiaux insultaient chaque jour ces gigantesques +mannequins; et qu'enfin les affaires des Orléanais étaient pour +l'heure en meilleur état que celles des Anglais. Mais ils n'avaient +rien observé par eux-mêmes et ils s'en tenaient au sens commun, qui +est rarement le sens du juste et du vrai. La Pucelle n'entra pas dans +les fausses raisons de messire Jean de Macon. Des Anglais, elle n'en +savait pas plus que lui; cependant, comme elle était une sainte, elle +répondit avec tranquillité: + +--Il n'est rien d'impossible à la puissance de Dieu[953]. + +[Note 953: _Procès_, t. III, p. 23.] + +Et maître Jean de Macon l'approuva de penser ainsi. + + * * * * * + +Ce qui rendait la situation trouble, dangereuse, effrayante, c'est que +les bourgeois se croyaient trahis. Ils se rappelaient le comte de +Clermont, l'homme des Harengs, et ils soupçonnaient les gens du roi de +les abandonner encore; ils se voyaient, après avoir tant fait et tant +payé, livrés aux Anglais. Cette idée les rendait fous[954]. Le bruit +courait que le maréchal de Boussac, parti avec monseigneur le Bâtard +au-devant du second convoi de vivres, et qui devait revenir le mardi +3, ne reviendrait pas. On disait que le chancelier de France voulait +licencier l'armée. C'était absurde: le Conseil du roi et celui de la +reine de Sicile faisaient au contraire de vigoureux efforts pour +délivrer la cité; mais de longues souffrances et un horrible danger +troublaient les esprits. On craignait aussi plus raisonnablement qu'il +n'arrivât malheur en chemin à ceux de Blois, comme il était arrivé aux +autres, à Rouvray. Les inquiétudes des bourgeois envahirent les +compagnons de la Pucelle. Un des meilleurs d'entre eux, le sire +d'Aulon, son intendant, lui laissa voir ses craintes: elle n'en fut +point effleurée. Elle répondit avec la tranquillité radieuse des +illuminées: + +--Le maréchal viendra. Et je sais bien qu'il ne lui arrivera aucun +mal[955]. + +[Note 954: _Journal du siège_, pp. 51-52.] + +[Note 955: _Procès_, t. III, p. 79.--_Chronique de la Pucelle_, p. +286.--P. Mantellier, _Histoire du siège_, p. 85.] + +Ce jour-là, on vit entrer les petites garnisons de Gien, de +Château-Regnard et de Montargis[956]. Mais l'armée de Blois ne vint +point. Le lendemain au petit jour, elle fut signalée dans la plaine de +Beauce. Et, en effet, le sire de Rais, ramené par le maréchal de +Boussac et monseigneur le Bâtard, longeait avec ses hommes d'armes la +forêt d'Orléans[957]. Les bourgeois, à cette nouvelle, durent tous +s'écrier que la Pucelle avait eu raison de vouloir passer au nez de +Talbot, puisque maintenant les capitaines suivaient le chemin qu'elle +avait indiqué. En fait il en était un peu autrement qu'on ne croyait. +Une partie seulement de l'armée de Blois s'était risquée à forcer le +passage entre les bastilles de l'ouest: le convoi avec son escorte +venait, comme l'autre, par la Sologne et devait entrer par eau dans la +ville, et l'on avait raisonnablement maintenu, pour débarquer les +vivres, les dispositions qui s'étaient à l'usage trouvées excellentes +une première fois[958]. + +[Note 956: _Journal du siège_, p. 81.] + +[Note 957: _Chronique de la Pucelle_, p. 287.--_Journal du siège_, +p. 81.--Abbé Dubois, _Histoire du siège_, dissertation IX.--Lottin, +_Recherches_, t. I, p. 205.--Loiseleur, _Comptes des dépenses_, ch. +VII.] + +[Note 958: Le 4 mai, comme le 29 avril, les blés descendirent par +la Loire. En effet, on trouve dans un mandement de paiement mention +des «nottoniers qui amenèrent les blés qui furent amenés de Blois le +iiije jour de may» (Boucher de Molandon, _Première expédition de +Jeanne d'Arc_, pp. 58-59).] + +Le capitaine La Hire et plusieurs chefs demeurés dans la ville +allèrent avec cinq cents combattants au-devant du sire de Rais, du +maréchal de Boussac et du Bâtard. La Pucelle monta à cheval et partit +avec eux. Ils traversèrent les lignes anglaises vers Saint-Ladre et, +ayant rencontré l'armée un peu au delà, ils retournèrent à la ville de +compagnie. Les prêtres, et parmi eux le frère Pasquerel, portant la +bannière, passèrent les premiers sous la bastille de Paris, en +chantant des psaumes[959]. + +[Note 959: _Procès_, t. III, pp. 105, 211.] + +Jeanne dîna dans l'hôtel de Jacques Boucher avec son intendant Jean +d'Aulon. Quand on eut retiré la nappe, le Bâtard étant venu chez le +trésorier, causa un moment avec elle, gracieux et courtois, mais ne +disant que ce qu'il voulait dire. + +--J'ai su de vrai, fit-il, par gens dignes de foi, que Falstolf doit +venir bientôt vers les Anglais qui font le siège, pour les renforcer +et les ravitailler, et qu'il est déjà à Janville. + +Jeanne, à cette nouvelle, montra une grande joie et dit en riant: + +--Bâtard, Bâtard, en nom Dieu, je te commande que sitôt que tu sauras +la venue de Falstolf, tu me le fasses savoir. Car, s'il passe sans que +je le sache, je te promets que je te ferai ôter la tête. + +Sans paraître fâché de ce badinage un peu rude, il lui répondit +qu'elle n'eût crainte, qu'il le lui ferait bien savoir[960]. + +[Note 960: _Procès_, t. III, p. 212.] + +Sir John Falstolf était déjà signalé le 26 avril. C'est surtout pour +ne pas le rencontrer qu'on avait passé par la Sologne. Il se peut +qu'on l'eût encore signalé le 4 mai, sans plus de raison. Mais le +Bâtard savait autre chose. Le blé du second convoi était, comme celui +du premier, descendu par le fleuve; on avait décidé en conseil que les +capitaines attaqueraient dans l'après-dînée la bastille Saint-Loup, +pour opérer une diversion, ainsi qu'on avait fait le 29 avril[961]. +L'attaque était déjà commencée. De cela le Bâtard ne souffla mot à la +Pucelle. Il lui apparaissait qu'elle était la seule puissance debout +dans la ville, mais il croyait que dans la guerre, elle ne dût vaquer +qu'au spirituel[962]. + +[Note 961: _Ibid._, t. III, p. 212.--_Journal du siège_, p. 78.] + +[Note 962: _Chronique de la Pucelle_, p. 288.] + +Après qu'il se fut retiré, Jeanne, fatiguée de sa chevauchée matinale, +se mit sur son lit avec son hôtesse pour dormir un peu. Le sire Jean +d'Aulon, qui était fort las, s'étendit sur une couchette, dans la même +chambre, pensant prendre le repos dont il avait besoin. Mais à peine +s'était-il endormi que la Pucelle sauta du lit et l'éveilla à grand +bruit. Il lui demanda ce qu'elle voulait. + +--En nom Dieu! répondit-elle tout agitée, mon Conseil m'a dit que +j'allasse contre les Anglais, mais je ne sais si je dois aller à +leurs bastilles ou contre Falstolf, qui les doit ravitailler[963]. + +[Note 963: _Procès_, t. III, pp. 212-213.] + +Elle avait rêvé et assisté en songe à ce qu'elle appelait son Conseil, +c'est-à-dire à la venue des saintes. Elle avait entendu, dans son +rêve, madame sainte Catherine et madame sainte Marguerite. Il était +arrivé cette fois ce qui arrivait toujours. Les saintes ne lui avaient +dit que ce qu'elle savait elle-même; elles ne lui avaient rien révélé +de ce qu'elle avait besoin d'apprendre, elles ne l'avaient pas avertie +qu'en ce moment même les Français attaquaient la bastille Saint-Loup +et souffraient grand dommage. Et elles s'en étaient allées, les +bienheureuses, la laissant dans l'erreur et l'ignorance de ce qui +était, dans l'incertitude de ce qu'il fallait faire. Ce n'était pas le +bon sire d'Aulon qui pouvait la tirer d'embarras. On ne l'appelait +pas, lui non plus, aux conseils des capitaines. Il ne lui répondit +rien, et se mit à l'armer le plus vite qu'il put. Il avait déjà +commencé, quand ils entendirent une grande rumeur et des cris qui +montaient de la rue. Ils apprirent des passants qu'on se battait du +côté de Saint-Loup et que les ennemis faisaient beaucoup de mal aux +Français. Jean d'Aulon, sans en demander davantage, alla tout de suite +se faire armer par son écuyer. Presque en même temps Jeanne descendit +et demanda: + +--Où sont ceux qui me doivent armer? Le sang de nos gens coule[964]. + +[Note 964: _Procès_, t. III, p. 106.] + +Elle trouva dans la rue frère Pasquerel, son chapelain, avec quelques +prêtres, et son page Mugot, à qui elle cria: + +--Ha! sanglant garçon, vous ne me disiez pas que le sang de France fût +répandu!... En nom Dieu, nos gens ont fort affaire[965]. + +[Note 965: _Ibid._, t. III, p. 68.] + +Elle lui commanda d'amener son cheval et acheva de se faire armer par +la femme et la fille de son hôte. Le page, à son retour, la trouva +tout équipée. Elle l'envoya chercher son étendard, qui était resté +dans sa chambre. Il le lui passa par la fenêtre. Elle le prit et lança +son cheval sur la grand'rue, vers la porte de Bourgogne, d'un tel pas, +que le feu jaillissait du pavé[966]. + +[Note 966: _Chronique de la Pucelle_, p. 288.] + +--Courez après elle! cria la femme de l'argentier[967]. + +[Note 967: _Procès_, t. III, p. 69.] + +Le sire d'Aulon ne l'avait pas vue partir. Il s'imagina, on ne sait +pourquoi, qu'elle était sortie à pied et qu'ayant rencontré dans la +rue un page monté sur un cheval, elle l'en avait fait descendre et +avait pris le cheval[968]. Pour aller de la porte Renart à la porte de +Bourgogne, il fallait traverser la ville dans toute sa largeur. Jeanne +qui, depuis trois jours, parcourait les rues d'Orléans, tira son +chemin tout droit. Jean d'Aulon et le page, qui la poursuivaient à +grande hâte, ne la rejoignirent qu'à la porte. Comme ils y arrivaient, +ils rencontrèrent un blessé qu'on emmenait. La Pucelle demanda aux +porteurs qui était cet homme. Ils répondirent que c'était un Français. +Elle dit alors: + +--Je n'ai jamais vu sang de Français que les cheveux ne me levassent +sur la tête[969]. + +[Note 968: _Ibid._, t. III, p. 212.] + +[Note 969: _Procès_, t. III, pp. 212-213.] + +La Pucelle et le sire d'Aulon poussèrent, avec quelques gens d'armes +de leur compagnie, par les champs, sur Saint-Loup. Chemin faisant ils +virent des hommes de leur parti. Le bon écuyer, peu accoutumé aux +grandes batailles, ne se rappelait pas en avoir jamais vu autant à la +fois[970]. + +[Note 970: _Ibid._, t. III, p. 213.] + +Depuis une heure, les Bretons et les Manceaux du sire de Rais +escarmouchaient devant la bastille. Les derniers arrivés, selon +l'usage, faisaient le guet[971]. Mais, si ces combattants, venus le +matin dans la ville, avaient attaqué sans prendre le temps de +souffler, c'est apparemment qu'ils étaient pressés. Ils faisaient ce +qu'on avait fait le 29 avril et pour la même raison[972], c'est-à-dire +qu'ils occupaient les Anglais pendant le passage des chalands chargés +de blé qui, en ce moment même, descendaient la rivière jusqu'au fossé +de l'enceinte. Du haut de leur colline escarpée, dans leur forte +bastille, les Anglais s'étaient défendus facilement malgré leur petit +nombre, et les gens du roi n'avaient guère tenu, puisque la Pucelle et +le sire d'Aulon les trouvaient répandus par les champs. Elle les +rassembla et les ramena. C'étaient ses amis: ils avaient voyagé +ensemble, chanté ensemble des hymnes et des psaumes, entendu ensemble +la messe dans les champs. Ils savaient qu'elle portait chance: ils la +suivirent. En marchant à leur tête, elle eut d'abord une pensée +religieuse. La bastille était construite sur l'église et le monastère +des Dames de Saint-Loup. Elle fit publier à son de trompe qu'on ne +prît rien dans l'église[973]. Il lui souvenait que, pour avoir pillé +l'église de Notre-Dame de Cléry, Salisbury avait fait une mauvaise +fin; et elle avait à coeur de préserver de male mort ses hommes +d'armes[974]. C'était la première fois qu'elle voyait des gens +combattre et, sitôt entrée dans la bataille, elle en devint le chef +parce qu'elle était la meilleure. Elle fit mieux que les autres, non +qu'elle en sût davantage; elle en savait moins. Mais elle avait plus +grand coeur. Quand chacun songeait à soi, seule elle songeait à tous; +quand chacun se gardait, elle ne se gardait de rien, s'étant offerte +tout entière par avance. Et cette enfant, qui, comme toute créature +humaine, craignait la souffrance et la mort, à qui ses Voix, ses +pressentiments avaient annoncé qu'elle serait blessée, alla droit en +avant et demeura, sous les traits d'arbalète et les plombées de +couleuvrines, debout au bord du fossé, son étendard à la main, pour +rallier les combattants[975]. Par elle ce qui n'était qu'une diversion +devenait une attaque à fond. On donna l'assaut. + +[Note 971: Gruel, _Chronique d'Arthur de Richemont_, p. 72.] + +[Note 972: _Journal du siège_, p. 75.] + +[Note 973: _Procès_, t. III, p. 124, 126.--Abbé Dubois, _Histoire +du siège_, dissertation VI.--Morosini, t. IV, annexe XIII.--_Journal +du siège_, pp. 83-84.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 72.] + +[Note 974: Robert Blondel, _De reductione Normanniæ_, dans +_Procès_, t. IV, p. 347.--_Journal du siège_, p. 13.--_Chronique de la +fête_, dans _Procès_, t. V, pp. 286 et suiv.] + +[Note 975: _Procès_, t. III, pp. 109, 127.--_Chronique de la +Pucelle_, p. 295.--Greffier de la Chambre des comptes de Brabant, dans +_Procès_, t. IV, p. 426.--Eberhard Windecke, p. 172.] + +Lorsqu'il sut que la bastille Saint-Loup était attaquée, sir John Talbot +sortit du camp de Saint-Laurent-des-Orgerils. Il avait beaucoup de +chemin à faire sur ses lignes et le long de la forêt avant d'atteindre +la bastille en péril. Il se mit en marche et ramassa sur son passage les +garnisons des bastilles de l'ouest. Les guetteurs de la ville virent ces +mouvements et sonnèrent l'alarme; le maréchal de Boussac sortit par la +porte Parisis, au nord, et alla vers Fleury s'opposer à la marche de +Talbot. Le capitaine anglais se disposait à forcer le passage quand il +vit une épaisse fumée s'élever au-dessus de la bastille Saint-Loup. Il +comprit que les Français l'avaient prise et brûlée, et il retourna +tristement au camp de Saint-Laurent-des-Orgerils[976]. + +[Note 976: Perceval de Cagny dit: «Tentost après [l'arrivée de la +Pucelle au bord des fosses] ceulx de la place se vouldrent rendre à +elle: elle ne les voult recevoir à rançon et dist qu'elle les +prendroit maulgré eulx, et fist renforcier son assault. Et incontinent +fut la place prinse et presque touz mis à mort.» Cela est peu +croyable. Les Anglais se seraient rendus au dernier goujat de l'ost +des Armagnacs, plutôt que de se rendre à la Pucelle, et celle-ci +n'aurait pas refusé vraisemblablement de les prendre à rançon. +D'ailleurs, Perceval de Cagny n'a pas la moindre idée de ce qui se +passa le 4 mai. Il croit, par exemple, que la Pucelle commença +l'attaque.--_Perceval de Cagny_, pp. 144 et suiv.--_Journal du siège_, +p. 82.--_Chronique de la Pucelle_, p. 289.--_Chronique de la fête_, +dans _Procès_, t. V, p. 294.] + +L'assaut avait duré trois heures. Après l'incendie de la bastille, les +Anglais grimpèrent dans le clocher de l'église. Les Français les y +dénichèrent à grand'peine, mais sans péril aucun. Ils firent une +quarantaine de prisonniers et tuèrent tout le reste. De voir tant +d'ennemis morts, la Pucelle était toute dolente. Elle plaignait ces +pauvres gens qui étaient morts sans confession[977]. Quelques Godons, +revêtus d'habits et d'ornements ecclésiastiques, allèrent au-devant +d'elle. Elle s'aperçut bien que c'étaient des soldats affublés des +aumusses et des étoles qu'ils avaient trouvées dans la sacristie de +l'abbaye aux Dames. Mais elle feignit de les prendre pour ce qu'ils se +donnaient. Elle les reçut et les fit conduire en son hôtel, sans +permettre qu'on leur fît aucun mal. Par une moquerie charitable: + +[Note 977: _Procès_, t. III, p. 106.] + +--On ne doit rien demander, dit-elle, aux gens d'Église[978]. + +[Note 978: _Chronique de la Pucelle_, p. 289.] + +Avant de quitter la place, elle se confessa au frère Pasquerel, son +chapelain. Et elle le chargea de faire ce mandement à tous les hommes +d'armes: «Confessez vos péchés et rendez grâces à Dieu de la victoire +obtenue. Sinon la Pucelle ne vous aidera plus et ne demeurera pas en +votre compagnie[979].» + +[Note 979: _Procès_, t. III, p. 106.] + +La bastille de Saint-Loup, attaquée par plus de quinze cents Français, +avait été défendue par trois cents Anglais seulement. Ce qui donne à +croire qu'ils la défendirent mal, c'est qu'il n'y eut, dit-on, du +parti des Français, que deux ou trois hommes tués[980]. Cet avantage, +les gens du roi de France ne l'avaient point obtenu par profond +calcul, ni à grand effort d'intelligence; et ils ne l'avaient pas payé +cher. Pourtant il était énorme. C'étaient les communications des +assiégeants avec Jargeau coupées, c'était le cours supérieur de la +Loire ouvert et le commencement de la délivrance. Mieux encore, +c'était la preuve faite que ces diables dont on avait eu si grande +peur étaient des hommes misérables, qu'on pouvait prendre comme des +souris, enfumer comme des guêpes dans leur nid. Cet inespéré bonheur +était dû à la Pucelle. Elle avait tout fait, puisque sans elle on +n'aurait rien fait. C'est elle qui, dans son ignorance plus savante +que la science des routiers et des capitaines, avait changé la vaine +escarmouche en attaque profonde et donné victoire en donnant +confiance. + +[Note 980: À la prise de la bastille Saint-Loup: + + Nombre des Nombre des + Français combattants. morts français. + + Journal du Siège. 1500 sans compter + les nobles. + Lettre de Charles VII. 2 + Le correspondant de Morosini. 3500. + Eberhard Windecke. 2 + + Nombre des Nombre des + Anglais combattants. pertes anglaises. + + Frère Pasquerel. 100 hommes d'élite. 100 tués ou pris. + Jean d'Aulon. Tous tués ou pris. + G. Girault. 120 tués ou pris. + Lettre de Charles VII. Tous tués ou pris. + Journal du Siège. 114 tués, 40 pris. + Relation de la fête du 8 mai. De 120 à 140. Tous tués ou pris. + Perceval de Cagny. 3000. Tous tués ou pris. + Chronique de la Pucelle. 160 tués. + Monstrelet. De 300 à 400. Tous tués ou pris. + Eberhard Windecke. 170 morts, 1300 pris. + Les Vigiles de Charles VII. 60 tués, 22 pris.] + +Le soir même, les procureurs envoyèrent des ouvriers à Saint-Loup, +pour détruire les fortifications conquises[981]. + +[Note 981: Comptes de forteresse, dans _Journal du siège_, p. +284.] + +Rentrée de nuit en son logis, Jeanne avertit son aumônier que, le +lendemain, jour de l'Ascension de Notre-Seigneur, elle s'abstiendrait +de s'armer et de guerroyer, par révérence de cette fête. Elle ordonna +que nul ne pensât à sortir de la ville, à attaquer ou faire assaut, +qu'il ne se fût d'abord confessé. Elle ajouta qu'il fallait que les +gens d'armes prissent garde que des femmes dissolues n'allassent point +à leur suite, de peur qu'à cause de leurs péchés Dieu ne leur fît +perdre la bataille[982]. + +[Note 982: _Procès_, t. III, p. 107.--_Chronique de la Pucelle_, +pp. 289, 290.] + +Au besoin, la Pucelle veillait elle-même à ce que ses prescriptions au +sujet des ribaudes et des blasphémateurs fussent exactement +observées. Plusieurs fois elle chassa des femmes venues à la suite de +l'armée. Elle semonçait les gens d'armes qui juraient et +blasphémaient. Un gentilhomme se mit un jour, en pleine rue, à jurer +et à renier Dieu. Jeanne, qui l'entendit, lui sauta à la gorge: + +--Ah! maître, osez-vous bien renier notre Sire et notre Maître? En nom +Dieu, vous vous en dédirez avant que je parte d'ici. + +Une bourgeoise, qui passait en ce moment dans la rue, vit cet homme, +qui lui parut un très grand seigneur, recevoir humblement les +reproches de la sainte et témoigner de son repentir[983]. + +[Note 983: _Procès_, t. III, p. 34.] + +Le lendemain, jour de l'Ascension, les capitaines tinrent conseil en +l'hôtel du chancelier Cousinot, rue de la Rose[984]. Là se trouvaient, +avec le chancelier, monseigneur le Bâtard, le sire de Gaucourt, le +sire de Rais, le sire de Graville, le capitaine La Hire, messire +Ambroise de Loré et plusieurs autres. On décida d'attaquer le +lendemain les Tourelles du bout du pont, la clé du siège. Il parut +nécessaire de tenir en respect, pendant l'attaque, les Anglais du camp +de Saint-Laurent-des-Orgerils. La veille, Talbot, parti de +Saint-Laurent, n'avait pu venir à temps à Saint-Loup, parce qu'il lui +avait fallu suivre une longue courbe, en contournant la ville du +couchant à l'orient. Mais la rivière, qu'ils avaient perdue la veille +en amont, les ennemis la tenaient encore en aval. De Saint-Laurent, +ils pouvaient la passer, par l'Île-Charlemagne, aussi rapidement que +les Français la passeraient par l'Île-aux-Toiles, et se trouver en +grande puissance au Portereau. C'est ce qu'il fallait empêcher, et +l'on devait, s'il était possible, attirer à Saint-Laurent-des-Orgerils +les garnisons des Augustins et des Tourelles. À cet effet, on résolut +de simuler l'attaque du camp de Saint-Laurent et d'y porter la commune +orléanaise et les gens des communes, c'est-à-dire des villages, avec +manteaux, fagots, échelles. Cependant, la noblesse traverserait la +Loire, par l'Île-aux-Toiles, aborderait au Portereau, sous le guet de +Saint-Jean-le-Blanc, que les Anglais avaient évacué, se porterait sur +la bastille des Augustins, et, si elle la pouvait prendre, attaquerait +les Tourelles[985]. Il y aurait ainsi la bataille des bourgeois et la +bataille des nobles; celle-ci vraie, l'autre feinte, toutes deux +utiles, une seule belle et digne de la chevalerie. Le plan ainsi +tracé, quelques capitaines furent d'avis qu'il serait bon d'envoyer +quérir la Pucelle pour lui dire ce qu'on avait décidé[986]. Et +vraiment elle s'était assez bien montrée la veille pour qu'on ne la +tînt plus à l'écart. D'autres jugeaient qu'il n'était pas prudent de +l'instruire de ce qui devait être fait contre les Tourelles. Car il +importait que l'entreprise restât secrète, et l'on devait craindre que +la sainte fille n'en parlât à ses amis de la commune. Finalement, on +fut d'accord pour lui faire connaître les décisions qui concernaient +la milice orléanaise, puisqu'en effet elle en était le chef, et pour +lui taire ce que les bourgeois ne pouvaient savoir sans inconvénient. + +[Note 984: C'est par erreur que Quicherat dit (_Procès_, t. IV, p. +57 note) que ce conseil fut tenu chez Jacques Boucher. Cf. _Journal du +siège_, p. 83.--Jean Chartier, _Chronique_, p. 73.--Boucher de +Molandon, dans _Mémoires de la Société archéologique de l'Orléanais_, +t. XXII, p. 373.] + +[Note 985: Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 74.] + +[Note 986: _Ibid._, t. I, pp. 74-75, assertions très douteuses.] + +Jeanne se tenait dans une chambre de l'hôtel, avec la femme du +chancelier. Messire Ambroise de Loré l'alla chercher, et, quand elle +fut venue, le chancelier lui annonça qu'on attaquerait le lendemain le +camp de Saint-Laurent-des-Orgerils. Elle devina qu'on ne lui disait +pas tout. Elle avait sa finesse; d'ailleurs, puisqu'ils lui avaient +jusqu'alors tout caché, il était assez naturel qu'elle soupçonnât +qu'ils lui cachaient encore quelque chose. Cette défiance la fâcha. +Pensait-on qu'elle n'était pas capable de garder un secret? Elle parla +d'un ton âpre: + +--Dites ce que vous avez conclu et appointé. Je cèlerais bien plus +grande chose[987]. + +[Note 987: Jean Chartier, _Chronique_, t. I. pp. 74-75, très +douteux.] + +Et, sans s'asseoir, elle allait et venait dans la salle. + +Monseigneur le Bâtard voyait plus d'inconvénient à la fâcher qu'à lui +dire la vérité. Il lui donna raison sans donner tort à personne: + +--Jeanne, ne vous courroucez pas. On ne peut pas tout dire en une +fois. Ce que le chancelier vous a dit a été conclu et appointé. Mais +si ceux de l'autre côté [de l'eau, ceux de la Sologne] se départent +pour venir aider la grande bastille de Saint-Laurent et ceux de par +ici, nous avons appointé de passer la rivière, pour besogner ce que +nous pourrons sur ceux de par delà [sur ceux des Augustins et des +Tourelles]. Et nous semble que cette conclusion est bonne et +profitable. + +La Pucelle répondit qu'elle était contente, qu'il lui semblait que +cette conclusion était bonne et qu'elle dût être ainsi exécutée[988]. + +[Note 988: Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 75.] + +On verra que le secret de la délibération ne fut pas gardé, et que les +nobles ne purent faire ce qu'ils avaient conclu, ou du moins qu'ils ne +le purent faire comme ils l'avaient conclu. + +Ce jour de l'Ascension, la Pucelle envoya pour la dernière fois aux +Anglais un message de paix, qu'elle dicta au frère Pasquerel en cette +manière: + + Vous, hommes d'Angleterre, qui n'avez nul droit en le royaume de + France, le Roi des cieux vous prescrit et vous mande par moi, + Jeanne la Pucelle, que vous quittiez vos bastilles et retourniez + en vos pays, sans quoi, je ferai un tel hahai, qu'il y en aura + perpétuelle mémoire. C'est ce que pour la troisième et dernière + fois je vous écris, et ne vous écrirai plus. + +Ainsi signé: Jhesus-Maria. Jeanne la Pucelle. + +Et plus bas: + + Je vous aurais envoyé ma lettre plus honnêtement. Mais vous + retenez mes hérauts. Vous avez retenu mon héraut Guyenne. + Veuillez me l'envoyer et je vous enverrai quelques-uns de vos + gens pris à la bastille Saint-Loup: ils ne sont pas tous + morts[989]. + +[Note 989: _Procès_, t. III, p. 107.] + +Jeanne alla à la Belle-Croix, prit une flèche, y attacha sa lettre par +un fil et ordonna à un archer de la lancer aux Anglais, en criant: + +--Lisez! Ce sont nouvelles! + +Les Anglais reçurent la flèche, ils détachèrent la lettre, et, l'ayant +lue, ils se mirent à crier: + +--Ce sont nouvelles de la putain des Armagnacs. + +En les entendant, les larmes lui vinrent aux yeux et elle pleura. Mais +bientôt elle vit ses saintes, qui lui parlèrent de Notre-Seigneur, et +elle fut consolée. + +--J'ai eu des nouvelles de Messire, dit-elle avec joie[990]. +Monseigneur le Bâtard réclama lui-même le héraut de la Pucelle, +menaçant, si on ne le renvoyait, de garder les hérauts que les Anglais +lui avaient dépêchés pour traiter de l'échange des prisonniers. On +prétend même qu'il menaça de mettre à mort ces prisonniers. Mais +Ambleville ne revint point[991]. + +[Note 990: _Ibid._, t. III, p. 108.] + +[Note 991: _Chronique de la Pucelle_, p. 286.--_Journal du siège_, +p. 79.] + + + + +CHAPITRE XIII + +LA PRISE DES TOURELLES ET LA DÉLIVRANCE D'ORLÉANS. + + +Le lendemain, vendredi 6 mai, levée à la pointe du jour, la Pucelle se +confessa à son aumônier et entendit la messe qu'il chanta devant les +religieux et les gens d'armes de sa compagnie[992]. Déjà la commune +ardente était debout, en armes. Qu'elle les eût ou non avertis, les +bourgeois, violemment décidés à passer la Loire pour attaquer +eux-mêmes les Tourelles, couraient en foule à la porte de Bourgogne. +Ils la trouvèrent fermée. Le sire de Gaucourt la gardait avec des gens +d'armes. La noblesse, dans le doute que les bourgeois éventeraient son +entreprise et voudraient s'y joindre, avait pris ses mesures pour les +en empêcher. La porte était close et bien défendue. Les citoyens, +obstinés à se battre, à reprendre de leurs mains ces Tourelles, leur +joyau, recoururent à celle devant qui s'ouvraient les portes et +tombaient les murailles; ils envoyèrent chercher la Sainte. Elle vint, +candide et terrible, marcha droit sur le vieux sire de Gaucourt, et, +sans vouloir l'écouter: + +--Vous êtes, lui dit-elle, un méchant homme, d'empêcher ces gens de +sortir. Mais veuillez-le ou ne le veuillez pas: ils sortiront et +feront aussi bien qu'on a fait l'autre jour[993]. + +[Note 992: _Procès_, t. III, p. 108.] + +[Note 993: _Procès_, t. III, pp. 70, 117.--_Chronique de la fête_, +dans _Procès_, t. V, p. 294.--_Journal du siège_; p. 83.--_Chronique +de la Pucelle_, p. 288.--P. Mantellier, _Histoire du siège_, p. 105.] + +Animés par la voix de Jeanne et fortifiés par sa présence, les +bourgeois se jetèrent sur Gaucourt et ses gens d'armes en poussant des +cris de mort. Le vieux seigneur vit qu'il n'aurait pas raison d'eux; +ne pouvant mettre ces gens-là de son sentiment, il se mit du leur. +Faisant ouvrir les portes toutes grandes, il cria aux bourgeois: + +--Venez, je serai votre capitaine. + +Et il sortit avec le sire de Villars et le sire d'Aulon à la tête des +gens d'armes qui avaient gardé la porte et de toute la milice communale. +Des bateaux étaient amarrés au pied de la Tour-Neuve, à l'angle oriental +des remparts. On aborda dans l'Île-aux-Toiles et de là, on franchit, sur +un pont formé par deux bateaux, le bras étroit de la rivière qui +séparait l'Île-aux-Toiles de la rive de Sologne[994]. Les premiers +arrivés entrèrent dans la forteresse abandonnée de Saint-Jean-le-Blanc, +et se donnèrent, en attendant les autres, l'amusement de la +détruire[995]. Puis, quand tout le monde eut passé la Loire, la commune +marcha de bon coeur contre la bastille des Augustins, assise en avant +des Tourelles, sur les ruines du couvent, et qu'il fallait enlever +d'abord, si l'on voulait attaquer les ouvrages du bout du pont. Mais les +Anglais sortirent de leurs retranchements, s'avancèrent de deux traits +d'arc et lancèrent flèches et carreaux si dru que les Orléanais ne +purent tenir sous cette effroyable volée. Ils lâchèrent pied, +s'enfuirent jusqu'au pont de bateaux, et, de peur d'être jetés à l'eau, +regagnèrent l'Île-aux-Toiles[996]. Plus aguerris, les hommes d'armes du +sire de Gaucourt, et avec eux le sire de Villars, le sire d'Aulon et un +vaillant homme d'Espagne, le seigneur Alonzo de Partada, se rangèrent +sur la levée de Saint-Jean-le-Blanc et tinrent ferme contre l'ennemi. +Ils tenaient encore, bien qu'ils fussent en très petit nombre, quand, +vers trois heures de l'après-dînée, le capitaine La Hire et la Pucelle +passèrent l'eau avec les routiers, et, voyant les Français ainsi +travaillés et les Anglais en bataille, montèrent sur leurs chevaux, +qu'ils avaient passés avec eux, couchèrent leurs lances et poussèrent +droit a l'ennemi. Les bourgeois rassurés suivirent tous et firent +reculer les Anglais. Mais arrivés devant la bastille ils furent encore +repoussés. La Pucelle inquiète galopait de la bastille à la berge et de +la berge à la bastille, et appelait la chevalerie. Les seigneurs +n'arrivaient pas. Il est vrai qu'on avait renversé leurs projets, +culbuté leur ordre de bataille et qu'il leur fallait bien un moment pour +se reconnaître. Enfin, elle vit flotter dans l'île les bannières de +monseigneur le Bâtard, du maréchal de Boussac et du sire de Rais. +L'artillerie vint aussi, et maître Jean de Montesclère avec sa +couleuvrine et les ouvriers apportant tous les engins nécessaires pour +donner l'assaut. Quatre mille hommes furent réunis autour des Augustins. +Toutefois on avait perdu beaucoup de temps; on n'en était qu'aux +approches et le soleil baissait à l'horizon[997]. + +[Note 994: _Journal du siège_, p. 83-84.--Abbé Dubois, _Histoire +du siège_, p. 535.--Jollois, _Histoire du siège_, p. 39.] + +[Note 995: _Chronique de la Pucelle_, pp. 288, 289.] + +[Note 996: Jean Chartier, _Chronique_, t I, p. 76.--_Journal du +siège_, pp. 84-85.] + +[Note 997: _Procès_, t. III, p. 214.] + +Les gens du sire de Gaucourt se tenaient en arrière pour couvrir les +assiégeants, au cas où les Anglais du bout du pont viendraient au +secours de ceux des Augustins. Mais une querelle s'éleva parmi eux. +Les uns, comme le sire d'Aulon et le seigneur Alonzo, jugeaient bon de +rester à leur poste. Les autres avaient honte de se croiser les bras. +De là des paroles arrogantes et des bravades. Finalement, le seigneur +Alonzo et un homme d'armes s'étant défiés à qui ferait mieux, +coururent, la main dans la main, vers la bastille. La couleuvrine de +maître Jean, d'une seule plombée, dégagea la palissade. Aussitôt, les +deux champions forcèrent le passage[998]. + +[Note 998: _Procès_, t. III, pp. 78, 215.] + +--Entrez hardiment! criait la Pucelle[999]. + +[Note 999: _Ibid._, t. III, p. 78.--Berry, dans _Procès_, t. IV, +p. 43.] + +Et elle planta son étendard sur la douve. Le sire de Rais la suivit de +près. Le nombre des Français allait croissant. Ils attaquèrent +vivement la bastille et bientôt la prirent d'assaut. Il leur fallut +ensuite assaillir l'un après l'autre les bâtiments du monastère où les +Godons s'étaient retranchés. Enfin, ils tuèrent ou firent prisonniers +tous les ennemis, hors un petit nombre, qui se réfugia dans les +Tourelles. Ils trouvèrent, dans les taudis, beaucoup des leurs +enfermés. Après les avoir fait sortir, ils mirent le feu à la +bastille, annonçant ainsi à tous les Anglais un nouveau désastre. Ce +fut, dit-on, la Pucelle qui donna l'ordre d'incendier la bastille pour +arrêter le pillage auquel les hommes se ruaient furieusement[1000]. + +[Note 1000: _Chronique de la Pucelle_, p. 291.--Jean Chartier, +_Chronique_, t. I, p. 72.--_Journal du siège_, pp. 84, 85. Très +douteux.] + +On faisait un grand gain. Mais la confiance tardait à renaître. En +regardant, sous le ciel noir, aux lueurs de l'incendie, le boulevard +des Tourelles qu'ils voyaient de près pour la première fois, les +hommes d'armes furent effrayés. Certains disaient: + +--Un mois ne suffira pas pour le prendre[1001]! + +[Note 1001: _Perceval de Cagny_, p. 146.] + +Les seigneurs, capitaines et gens d'armes, rentrèrent dans la ville +pour passer une nuit tranquille. Les gens de trait et le gros de la +commune restaient au Portereau. La Pucelle aurait bien voulu rester +aussi, pour être plus sûre de recommencer le lendemain[1002]. Mais, +voyant que les capitaines laissaient aux champs leurs chevaux et leurs +pages, elle les suivit à Orléans[1003]. Piquée au pied par une +chausse-trape[1004], accablée de fatigue, se sentant faible, elle ne +jeûna pas ce jour-là, contrairement à l'habitude qu'elle avait de +jeûner le vendredi[1005]. Si l'on en croit frère Pasquerel, peu +croyable sur ce point, tandis qu'elle achevait de souper dans son +hôtel, elle vit venir à elle un seigneur dont on ne dit pas le nom, +qui lui parla en ces termes: + +[Note 1002: _Procès_, t. III, p. 79.] + +[Note 1003: _Ibid._, t. III, p. 70.--_Chronique de la fête_, p. +33.] + +[Note 1004: _Chronique de la Pucelle_, p. 291.] + +[Note 1005: _Procès_, t. III, p. 108.] + +--Les capitaines se sont rassemblés en conseil. Ils ont reconnu qu'on +était en bien petit nombre au regard des Anglais et que c'était par +grande grâce de Dieu qu'on avait obtenu quelque avantage. La ville +étant pleine de vivres, nous pouvons fort bien tenir en attendant le +secours du roi. Dès lors, le conseil ne trouve pas expédient que les +gens d'armes fassent demain une sortie. + +Jeanne répondit: + +--Vous avez été à votre conseil, et j'ai été au mien, et croyez que le +conseil de Messire sera accompli et tiendra et que votre conseil +périra. + +Et se tournant vers le frère Pasquerel, qui était près d'elle: + +--Levez-vous demain de plus grand matin encore que vous n'avez fait +aujourd'hui, et faites du mieux que vous pourrez. Tenez-vous toujours +près de moi, car demain j'aurai beaucoup à faire et plus ample chose +que j'aie jamais eue, et demain il sortira du sang de mon corps[1006]. + +[Note 1006: _Procès_, t. III, pp. 108, 109. + +Le frère Pasquerel, que je suis ici, rapporte en ces termes, les +paroles de Jeanne: _Exibit crastina die sanguis a corpore meo supra +mammam._ Je le soupçonne véhémentement d'avoir ajouté à la prédiction. +Il aimait trop les miracles et les prophéties. Le 28 avril, la Pucelle +dit que le vent tournerait, et le vent tourna. Frère Pasquerel ne se +contente pas de ce médiocre prodige. Il raconte que Jeanne souleva la +Loire. Nous savons par ailleurs, que la Loire était haute. Que Jeanne +ait longtemps d'avance annoncé qu'elle serait blessée, on ne peut le +nier. Le fait, énoncé dans une lettre de Lyon, à la date du 22 avril +1429, fut consigné dans un registre de la Cour des comptes du Brabant. +Mais elle n'indiqua pas le jour. _Dixit... quod ipsa ante Aureliam in +conflictu telo vulnerabitur_ (_Procès_, t. IV, p. 426).] + +Il n'était pas vrai que les Anglais fussent en plus grand nombre que +les Français; ils étaient bien moins nombreux au contraire. Autour +d'Orléans, il n'y avait guère plus de trois mille hommes. Le secours +du roi étant arrivé, les capitaines n'avaient pas pu dire qu'on +l'attendait. Il est vrai qu'ils hésitaient à attaquer dès le lendemain +les Tourelles, mais c'était de crainte que, pendant l'attaque, les +Anglais de Talbot n'entrassent dans la ville déserte, puisque la +commune, refusant de marcher sur Saint-Laurent, s'était toute jetée au +Portereau. Le Conseil de la Pucelle ne s'embarrassait point de ces +difficultés. Madame sainte Catherine et madame sainte Marguerite ne +craignaient rien. Douter, c'est craindre: elles ne doutaient de rien. +Quoi qu'on ait dit, elles ignoraient la tactique et la stratégie. +Elles n'avaient pas lu Végèce, _De re militari_. Si elles avaient lu +Végèce, la ville était perdue. Son Végèce c'était sainte Catherine. + +Durant la nuit, il fut crié par les rues qu'on portât à ceux qui +étaient restés au Portereau pain, vin, munitions, fourrages et toutes +choses dont ils eussent besoin. Des bateaux passaient sans cesse d'une +rive à l'autre. Hommes, femmes, enfants allaient ravitailler les +postes[1007]. + +[Note 1007: _Journal du siège_, p. 84.] + +Le lendemain, samedi 7 mai, au soleil levant, Jeanne entendit la messe +du frère Pasquerel et communia dévotement[1008]. L'hôtel de Jacques +Boucher était assailli par les procureurs et par de notables +bourgeois. Après une nuit de fatigue et d'inquiétude, ils venaient +d'apprendre une nouvelle qui les exaspérait. Ils avaient entendu dire +que les capitaines voulaient différer l'assaut des Tourelles, et ils +appelaient la Pucelle à grands cris pour secourir le peuple +abandonné, trahi, vendu[1009]. Ce qui était vrai, c'est que +Monseigneur le Bâtard et les capitaines, ayant observé durant la nuit +un grand mouvement d'Anglais en aval de la Loire, se confirmaient dans +la crainte que Talbot ne donnât l'assaut aux murailles, du côté de la +porte Renart, pendant que les Français occuperaient en forces la rive +gauche de la Loire. Ils s'étaient aperçus, au lever du soleil, que les +Anglais avaient détruit, la nuit, leur boulevard de Saint-Privé, au +sud de l'Île-Charlemagne[1010]. Cela encore leur donnait véhémentement +à croire que l'ennemi se concentrait au couchant dans le camp de +Saint-Laurent et dans sa grande bastille de Londres. Depuis longtemps +les bourgeois s'irritaient des lenteurs que les gens du roi mettaient +à les délivrer. Et sans doute, les capitaines étaient moins pressés +qu'eux d'en finir. Les capitaines vivaient de la guerre et les +bourgeois en mouraient; cela faisait une grande différence. Les +procureurs demandèrent à la Pucelle d'achever sans retard leur +délivrance qu'elle avait commencée. Ils lui dirent: + +--Nous avons tenu conseil et nous vous requérons de vouloir accomplir +la charge que vous avez de par Dieu et aussi du roi. + +[Note 1008: _Procès_, t. III, p. 109.--_Chronique de la Pucelle_, +p. 295.] + +[Note 1009: _Chronique de la Pucelle_, p. 292.--_Procès_, t. III, +p. 215.--_Journal du siège_, pp. 84-85.] + +[Note 1010: _Chronique de la Pucelle_, p. 291.] + +--En nom Dieu, je le ferai, dit-elle. + +Et, aussitôt, elle monta à cheval et, employant une très vieille façon +de dire, elle s'écria: + +--Qui m'aime me suive[1011]! + +[Note 1011: _Chronique de l'établissement de la fête_, p. 34.--Le +Roux de Lincy, _Proverbes_, t. II, p. 395.] + +Comme elle sortait de l'hôtel du trésorier, on lui apporta une alose. +Elle dit, en souriant, à son hôte: + +--En nom Dieu! on la mangera à souper. Je vous ramènerai un Godon qui +en mangera sa part. + +Elle ajouta: + +--Nous repasserons ce soir par le pont[1012]. + +[Note 1012: _Procès_, t. III, p. 124.] + +Il y avait cent quatre-vingt-dix-neuf jours qu'on ne le pouvait faire. +Cette parole fut trouvée bonne et heureuse. + +La bourgeoisie s'était alarmée trop vite. Malgré l'inquiétude que leur +donnaient Talbot et ceux de Saint-Laurent, les seigneurs traversèrent +la Loire de bon matin, et allèrent retrouver au Portereau leurs +chevaux et leurs pages qui y avaient passé la nuit avec les gens de +trait et les gens de la commune. Ils y furent tous, le Bâtard, le sire +de Gaucourt et les sires de Rais, de Graville, de Guitry, de Coarraze, +de Villars, d'Illiers, de Chailly, l'amiral de Culant, les capitaines +La Hire et Poton[1013]. La Pucelle se tenait en leur compagnie. Les +procureurs leur firent parvenir une quantité énorme d'engins: +fascines, flèches, traits, martinets, cognées, plomb, poudre, +couleuvrines, canons, échelles[1014]. L'attaque commença de bonne +heure. Ce qui la rendait difficile, ce n'était pas le nombre des +Anglais retranchés dans leur boulevard et logés dans les tourelles; il +n'y avait là guère que cinq cents hommes[1015], commandés, il est +vrai, par lord Moleyns, et, sous lui, par lord Poynings et par le +capitaine Glasdall, qu'en France on nommait Glassidas, de petite +naissance et le premier des Anglais pour le courage[1016]. Les +assaillants, bourgeois, gens d'armes, gens de trait, étaient dix fois +plus nombreux. C'était fort à l'honneur du peuple de France, qu'on eût +réuni tant de combattants; mais une telle masse d'hommes ne pouvait +être employée à la fois. Les chevaliers ne valaient pas grand'chose +contre des murailles de terre; et les bourgeois, très ardents, +n'étaient pas très solides. Enfin, le Bâtard, prudent et réfléchi, +craignait Talbot. En effet, si Talbot avait su, si Talbot avait voulu, +il aurait pris la ville pendant que les Français essayaient de prendre +les Tourelles. La guerre n'est qu'une suite de hasards, mais dans +cette journée, on avait eu vraiment trop peu de souci d'agir de +concert. La masse énorme des combattants n'était pas une force +irrésistible, puisque personne, pas même le Bâtard, ne savait la +faire mouvoir, ni l'employer. À cette époque, le succès d'une bataille +dépendait d'un très petit nombre de combattants. La veille, deux ou +trois hommes d'armes avaient décidé de tout. + +[Note 1013: Berry, dans _Procès_, t. IV, pp. 43, 44.] + +[Note 1014: _Chronique de la Pucelle_, p. 292.--_Journal du +siège_, p. 284 et _passim_.] + +[Note 1015: _Journal du siège_, p. 87.--Lettre de Charles VII aux +Narbonnais (10 mai 1429) dans _Procès_, t. V, pp. 101 et +suiv.--_Chronique de la fête_ dans _Procès_, t. V. p. 294.--Jean +Chartier, _Chronique_, t. I, p. 77.--Morosini, t. III, p. 32, note 1.] + +[Note 1016: Jarry, _Le compte de l'armée anglaise_, pp. 94, 95, +136, 206.--Boucher de Molandon, _L'armée anglaise..._, pp. 94 et +suiv.] + +En fait, devant ces fossés, l'armée des Français semblait une foule +énorme de curieux, regardant quelques gens d'armes essayer l'escalade. +Malgré le nombre des troupes, l'assaut se réduisit longtemps à une +suite de combats singuliers. Vingt fois des hommes de bonne volonté +s'approchèrent de la douve et vingt fois ils furent obligés de +reculer[1017]. Il y eut des blessés et des morts, mais non point en +grand nombre. Les seigneurs, qui faisaient la guerre toute leur vie, +la faisaient prudemment, les routiers ménageaient leurs hommes. Les +bourgeois n'étaient pas très aguerris[1018]. Seule la Pucelle se +donnait tout entière. Elle disait sans cesse: + +--Ayez bon coeur. Ne vous retirez pas. Vous aurez la bastille de +bref[1019]. + +[Note 1017: _Journal du siège_, p. 85.--_Chronique de la Pucelle_, +p. 293.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 77.--Morosini, t. III, +pp. 31 et suiv.] + +[Note 1018: Comptes de forteresse, dans _Journal du siège_, pp. +296, 300.--Vergniaud-Romagnési, _Notice historique sur le fort des +Tourelles_, Paris, in-8º, 1832, p. 50.] + +[Note 1019: _Chronique de la Pucelle_, p. 293.--Jean Chartier, +_Chronique_, t. I, pp. 76, 77.] + +À midi tout le monde s'en fut dîner. Puis, vers une heure, on se remit +à la besogne. La Pucelle porta la première échelle, et, comme elle la +posait contre la douve, elle fut atteinte, à l'épaule, au-dessus du +sein droit, d'un vireton tiré si roide, qu'un demi-pied de bois lui +traversa la chair. Elle savait qu'elle devait être blessée; elle +l'avait prédit à son roi, ajoutant qu'il l'employât tout de même. Elle +l'avait annoncé aux gens d'Orléans[1020], elle l'avait dit la veille à +son aumônier et certes, depuis cinq jours, elle faisait bien tout ce +qu'il fallait pour que la prophétie s'accomplît. Les Anglais, voyant +que le vireton avait pénétré dans la chair, en furent grandement +rassurés: ils croyaient qu'une sorcière, si on pouvait lui tirer du +sang, tout son pouvoir s'évanouissait. Les Français en avaient grande +tristesse. On la porta un peu à l'écart. Le frère Pasquerel et le page +Mugot se tenaient près d'elle. Sentant la douleur, elle craignit et +pleura[1021]. Des soldats, comme d'ordinaire il s'en trouve beaucoup +dans les combats auprès des blessés, l'entouraient; quelques-uns +voulurent la charmer. C'était une pratique habituelle aux gens de +guerre de marmotter des patenôtres sur les blessures pour les fermer. +On charmait par incantations et conjurations. Les paters de sang +avaient la vertu d'arrêter les hémorragies. On employait aussi des +billets couverts de caractères magiques. Mais c'était recourir à la +puissance des diables et commettre un péché mortel; Jeanne ne voulut +point être charmée. + +[Note 1020: _Procès_, t. I, p. 79, t. III, p. 109;--Le Greffier de +la Chambre des comptes de Brabant, dans _Procès_, t. V, pp. +425-426.--Eberhard Windecke, 172.] + +[Note 1021: _Procès_, t. III, p. 109.--_Chronique de la Pucelle_, +p. 292.] + +--J'aimerais mieux mourir, dit-elle, que de faire chose que je saurais +péché ou contraire à la volonté de Dieu. + +Elle dit encore: + +--Je sais bien que je dois mourir. Mais je ne sais ni quand ni +comment; je ne sais l'heure. Si l'on peut donner, sans péché, remède à +ma blessure, je veux bien être guérie[1022]. + +[Note 1022: _Procès_, t. III, pp. 109-110.] + +On lui ôta son armure. On appliqua sur la plaie de l'huile d'olive +avec du lard, et, le pansement fait, elle se confessa au frère +Pasquerel en pleurant et en gémissant. Bientôt elle vit venir à elle +ses conseillères du ciel, qui portaient des couronnes et répandaient +une bonne odeur, madame sainte Catherine et madame sainte Marguerite; +et elle fut réconfortée. Elle se fit armer et retourna à l'assaut. + +Le soleil baissait et, depuis le matin, les Français se fatiguaient en +vain contre les palissades du boulevard. Monseigneur le Bâtard, voyant +ses hommes las et la nuit proche, et craignant sans doute les Anglais +du camp de Saint-Laurent-des-Orgerils, résolut de ramener l'armée à +Orléans. Il fit sonner la retraite. Déjà la trompette appelait les +combattants au Portereau. La Pucelle vint à lui et le pria d'attendre +encore un peu. + +--En nom Dieu! dit-elle, vous entrerez bien bref dedans. N'ayez +crainte, et n'auront les Anglais plus de force sur vous. + +D'après certains, elle ajouta: «C'est pourquoi, reposez vous un peu; +buvez et mangez[1023].» + +[Note 1023: _Procès_, t. III, p. 25.--_Journal du siège_, pp. 85, +86.--Eberbard Windecke, p. 173.] + +Tandis qu'ils se rafraîchissaient, elle demanda son cheval, monta +dessus et, laissant son étendard à un homme de sa compagnie, elle alla +seule, par le coteau, dans les vignes qui n'avaient pu être labourées +à la coutume en avril et où les petites feuilles de mai commençaient à +s'ouvrir. Là, dans le calme du soir, parmi les échalas formés en +faisceaux et les pieds bas des vignes alignées, qui buvaient la +première chaleur de la terre, elle se mit en oraison et tendit +l'oreille aux voix du ciel[1024]. D'ordinaire le tumulte et les cris +l'empêchaient de comprendre ce que lui disaient son ange et ses +saintes. Elle ne les entendait bien que dans la solitude au tintement +des cloches lointaines et dans les sons légers et rythmés qui montent, +le soir, des champs et des prairies[1025]. + +[Note 1024: _Procès_, t. III, p. 8.--Je rejette absolument les +faits allégués par Charles du Lys, relativement à Guy de Cailly, qui +aurait accompagné Jeanne dans les vignes et vu les anges descendre +vers elle. Les lettres d'anoblissement de Guy de Cailly sont +apocryphes.--Charles du Lys, _Traité sommaire_, pp. 50, 52.] + +[Note 1025: _Procès_, t. I, pp. 52, 62, 153, 480; t. II, pp. 420, +424.] + +Pendant son absence, le sire d'Aulon, qui ne pouvait pas renoncer +encore à gagner la journée, imagina un dernier expédient. C'était un +des moindres seigneurs de l'armée; mais alors, à la bataille, chacun +faisait à sa tête et selon son coeur. L'étendard de la Pucelle +flottait encore devant le boulevard. L'homme qui le portait, tombant +de fatigue, l'avait passé à un homme d'armes, surnommé le Basque, de +la compagnie du sire de Villars[1026]. Le sire d'Aulon, regardant cet +étendard béni par les prêtres et qu'on tenait pour heureux, songea +que, s'il était porté en avant, les gens de guerre le suivraient, tant +ils y avaient d'amour, et, pour ne pas le perdre, escaladeraient le +boulevard. À cette idée, il s'approcha du Basque et lui dit: + +--Si j'entrais là, et allais au pied du boulevard, me suivrais-tu? + +[Note 1026: _Procès_, t. III, p. 216.--Le comte Couret, _Un +fragment inédit des anciens registres de la Prévôté d'Orléans_, +Orléans, 1897, pp. 12, 20, 21 et _passim_.] + +Le Basque promit de le faire. Le sire d'Aulon descendit aussitôt dans +le fossé et, se couvrant de sa targette, qui le garantissait des +pierres, s'avança vers la douve[1027]. + +[Note 1027: _Procès_, t. III, p. 216.] + +La Pucelle, ayant fait une courte prière, revint, après un demi-quart +d'heure, parmi les gens d'armes et leur dit: + +--Les Anglais n'ont plus de force. Approchez les échelles[1028]. + +[Note 1028: _Journal du siège_, p. 86.] + +C'était vrai. Il leur restait si peu de poudre que leurs derniers +boulets, chassés par une charge trop faible, tombaient court comme des +pierres jetées à la main[1029]. Ils n'avaient plus que des tronçons +d'armes. Elle alla au boulevard. Mais, arrivée au bord du fossé, +voyant tout à coup aux mains d'un inconnu son étendard qui lui était +cher, mille fois plus cher que son épée, et le croyant en péril, elle +courut le reprendre, s'approcha du Basque au moment où il descendait +dans le fossé, saisit l'étendard par ce qu'on appelait la queue, +c'est-à-dire le bout de la toile, et tira de toutes ses forces, en +criant: + +--Ha! mon étendard, mon étendard! + +[Note 1029: _Chronique de la Pucelle_, p. 293.] + +Le Basque tenait ferme, ne sachant pas qui tirait ainsi d'en haut. Et +la Pucelle ne lâchait point. Les seigneurs et capitaines, voyant +l'étendard secoué, crurent que c'était un signal et se rallièrent. +Cependant le sire d'Aulon était arrivé à la douve. Il pensait que le +Basque l'avait suivi pas à pas. Mais, s'étant retourné, il le vit +arrêté de l'autre côté du fossé et lui cria: + +--Hé! Basque, est-ce là ce que tu m'avais promis? + +À cet appel le Basque tira si fort qu'il fit lâcher prise à la Pucelle +et porta l'étendard jusqu'à la douve[1030]. Jeanne comprit et fut +rassurée. Elle dit à ceux qui étaient près d'elle: + +--Donnez-vous garde quand la queue de mon étendard touchera contre le +boulevard. + +[Note 1030: _Procès_, t. III, pp. 216, 217.] + +Un gentilhomme lui répondit: + +--Jeanne, la queue y touche. + +Alors elle s'écria: + +--Tout est vôtre et y entrez[1031]! + +[Note 1031: _Chronique de la Pucelle_, p. 293.--_Journal du +siège_, p. 86.] + +Aussitôt, seigneurs et bourgeois, gens d'armes, gens de trait, gens +des communes se jetèrent éperdument dans le fossé et grimpèrent en tel +nombre et si vivement aux palissades, qu'ils semblaient une compagnie +d'oisillons s'abattant sur une haie[1032]. Et les Français entrés dans +l'enceinte virent s'éloignant, mais tournés encore fièrement vers eux, +les lords Moleyns et Poynings, sir Thomas Giffart, bailli de Mantes, +et le capitaine Glasdall, qui couvraient la retraite des leurs vers +les Tourelles[1033]. Glasdall tenait à la main le vieil étendard de +Chandos, qui, après avoir flotté sur quatre-vingts ans de victoires, +reculait devant l'étendard d'une enfant[1034]. Car elle était là, +debout sur le rempart, la Pucelle. Et les Anglais se demandaient +épouvantés quelle était cette sorcière qui ne perdait pas son pouvoir +avec son sang et guérissait par des charmes ses profondes blessures. +Cependant elle les regardait avec douceur et tristesse et criait d'une +voix pleine de sanglots: + +[Note 1032: _Chronique de la fête_, dans _Procès_, t. V, p. 294.] + +[Note 1033: _Journal du siège_, p. 87.] + +[Note 1034: Lettre de Charles VII aux habitants de Narbonne, 10 +mai 1429, dans _Procès_, t. III, p. 25; t. V, pp. 101, 103.] + +--Glassidas! Glassidas! rends-t'y, rends-t'y au Roi des cieux. Tu +m'as appelée putain. J'ai grande pitié de ton âme et de celle des +tiens[1035]. + +[Note 1035: _Procès_, t. III, p. 110.] + +En même temps, des murs de la ville et du boulevard de la Belle-Croix, +les boulets pleuvaient sur les Tourelles[1036]. Montargis et Rifflart +leur crachaient des pierres; le nouveau canon de maître Guillaume +Duisy leur jetait, de la poterne Chesneau, des boulets de cent vingt +livres[1037]. Les Tourelles étaient assaillies du côté du pont. Une +gouttière fut jetée sur l'arche rompue par les Anglais, et messire +Nicole de Giresme, le moine chevalier, y passa le premier[1038]. Ceux +qui le suivirent mirent le feu à la palissade qui, de ce côté, barrait +l'accès du fort. Ainsi, les six cents Anglais, épuisés d'armes et de +forces, se voyaient attaqués en avant et en arrière. Ils l'étaient +aussi par-dessous, de façon sournoise et terrible. Des gens d'Orléans +avaient chargé un grand chaland de poix, d'étoupes, de fagots, d'os de +cheval, de savates, de résine, de soufre, de quatre-vingt-dix-huit +livres d'huile d'olive et de telles autres choses pouvant faire feu et +fumée; ils l'avaient conduit sous le pont de bois jeté par l'ennemi +entre les Tourelles et le boulevard: ils l'y avaient amarré et y +avaient mis le feu. Au moment de la retraite des Anglais, ce brûlot +incendia le pont. À travers la fumée et la flamme, les six cents +passèrent sur le tablier brûlant. Et quand enfin William Glasdall, +lord Poynings et lord Moleyns, avec trente ou quarante capitaines, +quittant les derniers le boulevard perdu, mirent à leur tour le pied +sur le pont, les planches charbonnées croulèrent sous eux et tous, +avec l'étendard de Chandos, s'abîmèrent dans la Loire[1039]. + +[Note 1036: _Chronique de la Pucelle_, pp. 293, 294; Morosini, t. +III, p. 31.] + +[Note 1037: _Journal du siège_, p. 17.--Jollois, _Histoire du +siège_, p. 12.] + +[Note 1038: _Ibid._, p. 87.--_Chronique de la Pucelle_, p. 294.] + +[Note 1039: _Procès_, t. III, p. 25.--_Chronique de +l'établissement de la fête_ dans _Procès_, t. V, p. 294.--_Chronique +de la Pucelle_, p. 294.--_Journal du siège_, pp. 87, 88.--Jean +Chartier, _Chronique_, t. I, p. 78.--Perceval de Cagny, p. +145.--Eberhart Windecke, p. 173.--Monstrelet, t. IV, p. +321.--Morosini, t. III, pp. 31 et suiv.] + +Jeanne, émue de pitié, pleura sur l'âme de Glassidas et sur celle des +Anglais noyés avec lui[1040]. Près d'elle, les capitaines +s'affligeaient aussi de la mort de ces braves, songeant qu'ils leur +avaient fait grand tort en se noyant, car leur rançon eût rapporté +grande finance[1041]. + +[Note 1040: _Procès_, t. III, p. 110.] + +[Note 1041: _Journal du siège_, p. 87.] + +Échappés sur des charbons ardents aux Français du boulevard, les six +cents tombèrent sur les Français du pont. Quatre cents furent tués, +les autres pris. La journée avait coûté aux Orléanais une centaine +d'hommes[1042]. + +[Note 1042: Le nombre des Anglais qui défendirent les Tourelles +est porté, dans le _Journal du siège_, à 4 ou 500; dans la Lettre de +Charles VII, à 600; dans la _Relation de la fête du 8 mai_, à 800; +dans la _Chronique de la Pucelle_, à 500.--Le nombre des Français, +qu'il est impossible d'évaluer exactement, était plus de dix fois +supérieur. + +Les pertes des Anglais sont portées: + +Par Guillaume Girault, à 300 morts et pris; + +Par Berry, à 400 ou 500 morts et pris; + +Par Jean Chartier, à 400 environ tués et les autres pris; + +Par la _Chronique de la Pucelle_, à 300 tués, 200 prisonniers; + +Par le _Journal du siège_, à 400 ou 500 tués, hors un petit nombre +prisonniers; + +Par Monstrelet, à 600 ou 800 morts ou pris, dans les mss.; à 1.000 +dans les éditions imprimées; + +Par Bower, à 600 et plus tués. + +Les pertes des Français sont portées: + +Par Perceval de Cagny, de 16 à 20 morts; + +Par Eberhard Windecke, à 5 tués et quelques blessés; + +Par Monstrelet, à 100 environ. + +À l'estimation de la Pucelle, dans les diverses affaires où elle prit +part à Orléans, des Français «cent et même plus» furent blessés.] + +Quand les derniers cris des vaincus se furent éteints, dans la nuit +sombre, au bord de la Loire rougie de flammes, les capitaines +français, étonnés de leur victoire, regardaient du côté de +Saint-Laurent-des-Orgerils et craignaient encore que sir John Talbot +ne saillît de son camp et ne vînt venger ceux qu'il n'avait pas +secourus. Durant cette longue attaque, sur laquelle s'était levé et +couché le soleil, Talbot, le comte de Suffolk et les Anglais de +Saint-Laurent n'étaient pas sortis de leurs retranchements. Les +Tourelles prises, les vainqueurs se tenaient sur leurs gardes, +attendant encore Talbot[1043]. Mais ce Talbot, dont le nom servait aux +mères françaises pour effrayer leurs enfants, ne bougea pas. On +l'avait beaucoup craint en cette journée, et il avait lui-même craint +que les Français ne lui prissent son camp et ses bastilles du couchant +s'il en retirait du monde pour secourir les Tourelles[1044]. + +[Note 1043: _Journal du siège_, p. 88.] + +[Note 1044: Perceval de Cagny, p. 147.--_Chronique de la Pucelle_, +p. 295.] + +L'armée se disposa à rentrer dans la ville. Le pont, dont trois arches +étaient rompues, fut rendu praticable en trois heures. Bien avant dans +la nuit, la Pucelle, ainsi qu'elle l'avait prédit, entra par le pont +dans la ville[1045]. Pareillement se trouvaient véritables toutes ses +prophéties, quand l'accomplissement dépendait de son courage et de sa +bonne volonté. Les capitaines l'accompagnaient, suivis de tous les +hommes d'armes et de trait, de tous les bourgeois et des prisonniers +qu'on amenait deux à deux. Les cloches de la cité sonnèrent; le clergé +et le peuple chantèrent le _Te Deum_[1046]. Après Dieu et sa benoîte +mère, ils remercièrent très humblement Monsieur saint Aignan et +Monsieur saint Euverte, évêques, en leur vie mortelle, et patrons +célestes de la ville. Les citoyens estimaient que, devant et durant le +siège, ils leur avaient donné assez de cire et assez promené leur +châsse pour mériter leur puissante entremise et obtenir par eux +victoire et délivrance. Ce qui rendait manifeste l'intervention de ces +deux confesseurs, c'est qu'on avait vu, dans le ciel, planer sur les +Tourelles, au moment de l'assaut, deux évêques resplendissant de +lumière[1047]. + +[Note 1045: _Journal du siège_, p. 88.--_Chronique de la Pucelle_, +p. 295.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 78.] + +[Note 1046: _Chronique de l'établissement de la fête_, dans +_Procès_, t. V, pp. 294 et suiv.] + +[Note 1047: _Chronique de la Pucelle_, p. 295.--_Journal du +siège_, p. 88.] + +Jeanne fut ramenée à l'hôtel de Jacques Boucher, où un chirurgien +pansa à nouveau la blessure qu'elle avait reçue au-dessus du sein. +Elle prit quatre ou cinq tranches de pain trempées dans du vin mêlé +d'eau, et ne but ni ne mangea autre chose[1048]. + +[Note 1048: _Chronique de la Pucelle_, _Ibid._] + +Le lendemain, dimanche 8 mai, fête de l'apparition de Saint-Michel, on +apprit, au matin, dans Orléans, que les Anglais, sortis des bastilles +du couchant qui leur restaient encore, se rangeaient en belle +ordonnance, étendards déployés, devant les fossés de la ville. Ceux +d'Orléans, hommes d'armes et gens de la commune, avaient grande envie +de tomber dessus. À la pointe du jour, le maréchal de Boussac et +nombre de capitaines sortirent et se rangèrent devant eux[1049]. + +[Note 1049: _Journal du siège_, p. 89.--_Chronique de la Pucelle_, +p. 296.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, pp. 78, 79.--_Le +Jouvencel_, I, p. 208. Il faut tenir pour historique le passage qui +commence par ces mots: «Le sire de Rocquencourt dit:».] + +La Pucelle alla aux champs avec les prêtres. N'ayant pu mettre sa +cuirasse sur son épaule blessée, elle était seulement armée d'une de +ces légères cottes de mailles, qu'on appelait jaserans[1050]. + +[Note 1050: _Procès_, t. III, p. 9.] + +Des gens d'armes lui demandèrent: + +--Est-ce mal de combattre aujourd'hui dimanche? + +Elle répondit: + +--Il faut entendre la messe[1051]. + +[Note 1051: _Ibid._, t. III, p. 29.] + +Elle n'était pas d'avis qu'on les attaquât. + +--Pour l'amour et honneur du saint dimanche, ne commencez point la +bataille. N'attaquez pas les Anglais, mais, si les Anglais vous +attaquent, défendez-vous fort et hardiment, et n'ayez nulle peur, et +vous serez les maîtres[1052]. + +[Note 1052: _Journal du siège_, p. 89.] + +Une de ces pierres consacrées, de forme plate et carrée, bordée de +métal, que les clercs portaient en voyage, fut posée sur une table, en +un carrefour, dans les champs, au pied d'une croix[1053]. Les +officiants chantèrent, en grande solennité, hymnes, répons et +oraisons, et la Pucelle, avec tous les religieux et tous les hommes +d'armes, ouït deux messes dites à cet autel[1054]. + +[Note 1053: _Le Jouvencel._] + +[Note 1054: _Chronique de la Pucelle_, p. 296.] + +Après le _Deo gratias_, elle recommanda d'observer les Anglais. + +--Or, regardez, s'ils ont le visage devers nous, ou le dos. + +On lui répondit qu'ils avaient le dos tourné et qu'ils s'en allaient. + +Elle leur avait dit trois fois: «Allez-vous-en d'Orléans vos vies +sauves.» Maintenant elle voulait qu'on les laissât aller sans leur en +demander davantage. + +--Il ne plaît pas à Messire qu'on les combatte aujourd'hui, dit-elle. +Vous les aurez une autre fois. Allons rendre grâces à Dieu[1055]. + +[Note 1055: _Ibid._, p. 296.] + +Les Godons s'en allaient. Ils avaient tenu conseil la nuit et résolu +de partir[1056]. Après avoir fait front une heure durant aux Orléanais +pour donner un air menaçant à leur retraite et la faire respecter, ils +s'en allaient, gardant un bel ordre de marche. Le capitaine La Hire et +le sire de Loré, curieux de savoir quelle route ils prenaient et de +voir s'ils ne laissaient rien traîner derrière eux, chevauchèrent à +leur poursuite avec cent ou cent vingt lances durant deux ou trois +lieues. Les Anglais se retiraient sur Meung[1057]. + +[Note 1056: _Chronique de l'établissement de la fête_, dans +_Procès_, t. V, pp. 294, 295.--_Chronique de la Pucelle_, p. 296.] + +[Note 1057: _Procès_, t. III, pp. 71, 97, 110.--_Journal du +siège_, p. 89.--_Chronique de la Pucelle_, p. 297.--Morosini, t. III, +p. 34.--Walter Bower, _Scotichronicon_ dans _Procès_, t. IV, pp. +478-479.--Eberhard Windecke, p. 177.] + +Les bourgeois, manants, gens des communes, se précipitèrent en foule +dans les bastilles abandonnées. Les Godons y avaient laissé leurs +malades et leurs prisonniers. Les Orléanais y trouvèrent aussi des +munitions et même des vivres, qui n'étaient pas sans doute en grande +abondance ni excellents. Mais, dit un Bourguignon, «si en firent bonne +chère, car il ne leur avait guère coûté[1058]». Les armes, les canons, +les bombardes furent portés dans la ville, les bastilles démolies, +pour qu'aucun ennemi désormais ne pût s'y loger[1059]. + +[Note 1058: Lettre de Charles VII aux Narbonnais, dans _Procès_, +t. V, p. 101.--Monstrelet, t. IV, p. 323.] + +[Note 1059: _Journal du siège_, pp. 209 et suiv.] + +Ce jour, furent faites très belles et solennelles processions et fut +ouï le sermon d'un bon frère[1060]. Les clercs, seigneurs, capitaines, +procureurs, gens d'armes et bourgeois visitèrent les églises avec +grande dévotion, et le peuple cria: «Noël[1061]!» + +[Note 1060: _Journal du siège_, p. 216.--_Chronique de la fête_ +dans _Procès_, t. V, p. 295.] + +[Note 1061: _Procès_, t. III, p. 110.--_Journal du siège_, p. 92.] + +Ainsi la ville d'Orléans fut délivrée ce 8 mai, au matin, deux cent +neuf jours après que le siège y eut été mis et neuf jours après la +venue de la Pucelle. + + + + +CHAPITRE XIV + +LA PUCELLE À TOURS ET À SELLES-EN-BERRY.--LES TRAITÉS DE JACQUES GÉLU +ET DE JEAN GERSON. + + +Le dimanche 8 mai, au matin, les Anglais s'en étaient allés, tirant +sur Meung et Beaugency. Dans l'après-midi du même jour, messire +Florent d'Illiers avec ses gens d'armes quitta la ville délivrée et +gagna tout de suite sa capitainerie de Châteaudun, pour la défendre +contre les Godons qui tenaient garnison à Marchenoir et allaient +s'abattre sur le Dunois. Le lendemain, les autres capitaines de la +Beauce et du Gâtinais retournèrent dans leurs villes et +forteresses[1062]. + +[Note 1062: _Journal du siège_, p. 91.--G. Met-Gaubert, _Notice +sur Florent d'Illiers_, Chartres, 1864, in-8º.] + +Le lundi neuf du même mois, les combattants amenés par le sire de +Rais, n'étant plus nourris ni payés, s'en allèrent chacun de son côté; +et la Pucelle ne demeura pas davantage[1063]. Après avoir assisté à la +procession faite par les habitants pour remercier Dieu, elle prit +congé de ceux vers qui elle était venue à l'heure de l'épreuve et de +l'affliction et qu'elle laissait délivrés et pleins d'allégresse. Ils +pleuraient de joie, lui rendaient grâce et s'offraient à elle pour +qu'elle fît d'eux et de leurs biens à sa volonté. Et elle les +remerciait avec douceur[1064]. + +[Note 1063: _Chronique de la Pucelle_, p. 298.] + +[Note 1064: _Journal du siège_, pp. 91, 92.--Jean Chartier, +_Chronique_, t. I, p. 71.] + +De Chinon le roi fit envoyer aux habitants des villes demeurées en son +obéissance, et notamment à ceux de La Rochelle et à ceux de Narbonne, +une lettre écrite à trois reprises, entre le soir du 9 mai et la +matinée du 10, à mesure que les nouvelles lui arrivaient. Par cette +lettre, il annonçait la prise des bastilles de Saint-Loup, des +Augustins et des Tourelles et invitait les bourgeois des villes à +louer Dieu et à honorer les vertueux faits accomplis là, notamment +ceux de la Pucelle qui «avait toujours été en personne à l'exécution +de toutes ces choses[1065]». Ainsi la chancellerie royale marquait la +part de Jeanne dans la victoire. Ce n'était nullement celle d'un +capitaine; elle n'exerçait de commandement d'aucune sorte. Mais, venue +de Dieu, du moins le pouvait-on croire, sa présence apportait aide et +réconfort. + +[Note 1065: Lettre de Charles VII aux habitants de Narbonne, dans +_Procès_, t. V, pp. 101, 104.--Arcère, _Histoire de la Rochelle_, t., +p. 271.--Moynès, _Inventaire des archives de l'Aude_, annexes, p. +390.--_Procession d'actions de grâces à Brignoles (Var) en l'honneur +de la délivrance d'Orléans par Jeanne d'Arc_ (1429). Communication +faite au Congrès des Sociétés savantes à la Sorbonne (avril 1893), par +F. Mireur, Draguignan, 1894, in-8º, p. 175.] + +En compagnie de quelques seigneurs, elle se rendit à Blois, y passa +deux jours[1066], puis s'en fut à Tours, où le roi était +attendu[1067]. Lorsqu'elle y entra, le vendredi avant la Pentecôte, +Charles, parti de Chinon, n'était pas encore arrivé. Elle chevaucha +vers lui, sa bannière à la main, et, quand elle le rencontra, elle ôta +son bonnet et inclina le plus qu'elle put la tête sur son cheval. Le +roi souleva son chaperon, la fit relever et l'embrassa. On dit qu'il +eut grande joie à la voir, mais en réalité on ne sait ce qu'il pensait +d'elle[1068]. + +[Note 1066: _Procès_, t. III, p. 80.--_Journal du siège_, p. 91.] + +[Note 1067: _Ibid._, t. III, pp. 72, 76, 80.] + +[Note 1068: Eberhard Windecke, p. 177 et _Chronique de Tournai_, +éd. de Smedt, pp. 407 et suiv. (t. III des _Chroniques de Flandre_).] + +En ce mois de mai 1429, il reçut de messire Jacques Gélu un traité de +la Pucelle que probablement il ne lut pas, mais que son confesseur lut +pour lui. Messire Jacques Gélu, autrefois conseiller delphinal et +présentement seigneur archevêque d'Embrun[1069], commença par craindre +que cette bergère ne fût envoyée au roi par ses ennemis pour +l'empoisonner ou qu'elle ne fût une sorcière pleine de diables. Il +conseilla d'abord de l'examiner avec prudence, sans la repousser +précipitamment, car les apparences sont trompeuses et la grâce divine +suit souvent des voies extraordinaires. Maintenant, après avoir connu +les conclusions des docteurs de Poitiers, appris la délivrance +d'Orléans et ouï le cri du commun peuple, messire Jacques Gélu ne +gardait plus de doutes sur l'innocence et la bonté de cette jeune +fille et, voyant que les docteurs différaient de sentiment sur elle, +il rédigea un bref traité, qu'il envoya au roi, avec une très ample, +très humble et très insigne épître dédicatoire. + +[Note 1069: _Procès_, t. III, pp. 394, 407; t. V, p. 413.--Le P. +Marcellin Fornier, _Histoire des Alpes-Maritimes ou Cottiennes_, t. +II, p. 320.--Le P. Ayroles, _La Pucelle devant l'Église de son temps_, +pp. 39, 52.] + +Il y avait, environ ce temps-là, un labyrinthe tracé à l'équerre et au +compas dans le pavé de la cathédrale de Reims[1070]. Les pèlerins, +s'ils étaient attentifs et patients, en parcouraient tous les chemins. +Le traité de l'archevêque d'Embrun est de même un labyrinthe +scolastique très régulier, dans lequel on avance pour reculer et l'on +recule pour avancer, sans trop s'égarer, pourvu qu'on y marche avec +assez de patience et d'attention. Gélu, comme tous les scolastiques, +donne d'abord les raisons contraires aux siennes et c'est seulement +quand il a longuement suivi son adversaire qu'il s'achemine dans son +propre sens. Ce serait trop faire que de s'engager à sa suite dans les +détours de son labyrinthe. Mais puisque les familiers du roi le +consultaient, puisqu'il s'adressait au roi et que le roi et son +conseil réglèrent, peut-être, leur créance à Jeanne et leur conduite +envers elle d'après ce traité théologique, on veut savoir ce qu'ils y +trouvèrent professé et recommandé à cette occasion singulière. + +[Note 1070: L. Paris, _Notice sur le dédale ou labyrinthe de +l'église de Reims_, dans _Ann. des Inst. provinc._, 1857, t. IX, p. +233.] + +Considérant d'abord le bien de l'Église, Jacques Gélu estime que Dieu +a suscité la Pucelle pour confondre les mal croyants, dont le nombre, +selon lui, n'était pas petit. «À la confusion de ceux, dit-il, qui +croient en Dieu comme s'ils n'y croyaient pas, le Très-Haut, qui porte +écrit sur sa cuisse: _Je suis le Roi des rois et le Seigneur des +Dominations_, se plut à secourir le roi de France par une enfant +nourrie dans le fumier.» L'archevêque d'Embrun découvre cinq raisons +pour lesquelles le roi a obtenu le secours divin; ce sont: la justice +de sa cause, les mérites éclatants de ses prédécesseurs, les prières +des âmes dévotes et les soupirs des opprimés, l'injustice des ennemis +du royaume, l'insatiable cruauté de la nation anglaise. + +Que Dieu ait choisi une pucelle pour détruire des armées, ce dessein +ne surprend point en lui. «Il a créé des insectes tels que les mouches +et les puces, par lesquels il abat la superbe des hommes.» Ces petites +créatures nous importunent et nous fatiguent au point de nous empêcher +d'étudier ou d'agir. Un homme, quelle que soit sa constance, ne peut +reposer dans une chambre infestée de puces. Par le moyen d'une jeune +paysanne, sortie d'humbles et infimes parents, soumise à un vil +labeur, ignorante, simple au delà de ce qu'on peut dire, il a voulu +abaisser les superbes, les ramener à l'humilité et leur rendre sa +Majesté présente, en sauvant ceux qui périssaient. + +Que le Très-Haut ait révélé à une vierge ses desseins sur le royaume +des Lis, n'en soyons pas surpris: il accorde volontiers aux vierges le +don de prophétie. Il lui plut de découvrir aux sibylles les mystères +cachés à la gentilité tout entière. Sur l'autorité de Nicanor, +d'Euripide, de Chrysippe, de Nenius, d'Apollodore, d'Eratosthène, +d'Héraclide Pontique, de Marcus Varron et de Lactance, messire Jacques +Gélu enseigne que les sibylles furent au nombre de dix: la Persique, +la Libyque, la Delphique, la Cinicienne, l'Érythrée, la Samienne, la +Cumane, l'Hellespontique, la Phrygienne et la Tiburtine, qui +prophétisèrent, au milieu des gentils, la glorieuse incarnation de +Notre-Seigneur, la résurrection des morts et la consommation des +siècles. Cet exemple lui paraît très digne d'être médité. + +Quant à Jeanne, elle est en elle-même inconnaissable. Aristote +l'enseigne: rien n'est dans l'intellect qui n'ait été d'abord dans la +sensation, et la sensation ne pénètre pas au delà des apparences. +Mais, où l'esprit ne peut entrer directement, il atteint par détour. +Autant que l'humaine fragilité permet de le savoir, à regarder ses +oeuvres, la Pucelle est de Dieu. Bien qu'appliquée aux armes, elle ne +conseille jamais la cruauté; elle est miséricordieuse aux ennemis qui +se rendent à merci, et elle offre la paix. Enfin, l'archevêque +d'Embrun croit que cette Pucelle est un ange envoyé par le Seigneur +Dieu des armées pour le salut du peuple; non qu'elle en ait la nature; +mais elle en fait l'office. + +Sur la conduite à tenir en cette merveilleuse occasion, le docteur est +d'avis que le roi observe dans la guerre les règles de la prudence +humaine. Il est écrit: «Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu.» Un +esprit industrieux aurait été donné en vain à l'homme, s'il ne s'en +servait point dans ses entreprises. Il faut délibérer longtemps ce qui +doit être exécuté soudain. Ce n'est ni par des voeux ni par des +supplications de femme que s'obtient le secours de Dieu. Par action et +conseil on accède à l'issue prospère. + +Mais il ne faut pas repousser l'inspiration de Dieu. C'est pourquoi il +doit être fait selon le vouloir de la Pucelle, alors même que ce +vouloir paraîtrait douteux et sans grande apparence de vérité. Si la +Pucelle est trouvée stable dans ses paroles, que le roi la suive et se +confie à elle comme à Dieu pour la conduite du fait auquel elle a été +commise. S'il survient au roi quelque doute, qu'il incline vers la +sagesse divine plutôt qu'à l'humaine prudence, car il n'y a pas de +mesure de l'une à l'autre, comme il n'y a pas de proportion du fini à +l'infini. Aussi faut-il croire que Celui qui envoya cette enfant saura +lui inspirer des conseils meilleurs que les conseils des hommes. Et +l'archevêque d'Embrun tire de ses raisonnements aristotéliques cette +conclusion bicéphale: + +«D'une part, pour ce qui est de préparer les batailles, d'employer +machines, échelles et tous autres engins de guerre, de jeter des +ponts, d'envoyer aux combattants des vivres en quantité suffisante, +d'avoir bonnes finances, toutes choses sans lesquelles les entreprises +ne sauraient réussir que par miracle, nous faisons suffisamment +entendre qu'il y faut pourvoir par prudence humaine. + +»Mais lorsqu'on voit, d'autre part, la sagesse divine s'apprêter à +agir spécialement, la prudence humaine doit s'humilier et renoncer. +C'est alors, disons-nous, que le conseil de la Pucelle doit être +demandé, recherché, requis préférablement à tout autre. Celui qui +donne la vie donne la nourriture. À ses ouvriers il fournit les +outils. C'est pourquoi nous devons espérer dans le Seigneur. Il fit +sienne la cause du roi. Il inspirera à ceux qui la tiennent tout ce +qu'il faudra faire pour la gagner. Dieu ne laisse point ses oeuvres +imparfaites.» + +Et l'archevêque termine son traité en recommandant spécialement au roi +la Pucelle comme inspiratrice de saintes pensées et révélatrice +d'oeuvres pies. «Nous donnons ce conseil au roi, que chaque jour il +accomplisse une oeuvre agréable à Dieu, et que de cela il confère avec +la Pucelle; que les avis qu'il en recevra, il les mette en usage +pieusement et dévotement, pour que Dieu ne lui retire pas sa main, +mais lui continue sa grâce[1071].» + +[Note 1071: Bibl. Nat., fonds latin, nº 6199, folio 36.--_Procès_, +t. III, pp. 395-410.--Lanéry d'Arc, _Mémoires et consultations_, pp. +365 et suiv.--Le P. Ayroles, _La Pucelle devant l'Église de son +temps_, pp. 31-52.] + +Le grand docteur Gerson, ancien chancelier de l'université, achevait +alors à Lyon, dans le couvent des Célestins, dont son frère était +prieur, sa vie pleine de travaux et de fatigues[1072]. L'an 1408, curé +de Saint-Jean-en-Grève, à Paris, en prononçant dans son église +paroissiale l'oraison funèbre du duc d'Orléans, assassiné par l'ordre +du duc de Bourgogne, il souleva la fureur du peuple et courut grand +risque d'être massacré. Au concile de Constance, impatient d'envoyer +l'hérétique au feu «par une cruauté miséricordieuse[1073]», il pressa +la condamnation de Jean Huss, sans égard au sauf-conduit que celui-ci +avait reçu de l'Empereur, estimant avec tous les pères assemblés, que +selon le droit naturel divin et humain nulle promesse ne doit être +tenue au préjudice de la foi catholique. Il poursuivit au synode, avec +une même ardeur, la condamnation des propositions de Jean Petit sur la +légitimité du tyrannicide. Au temporel comme au spirituel, il +professait l'unité d'obédience et le respect des autorités établies. +Comparant, dans un de ses sermons, le royaume de France à la statue de +Nabuchodonosor, il fait des marchands et des artisans les jambes du +colosse, «qui sont partie de fer, partie de terre, pour leur labeur et +humilité à servir et à obéir...» Fer signifie labeur et terre +humilité. Tout le mal est venu de ce que le roi et les notables +citoyens ont été tenus en servitude par l'outrageuse entreprise des +gens de petit état[1074]. + +[Note 1072: I. Launoy, _Historia Navarrici Gymnasii_, lib. IV, ch. +V.--J.-B. Lecuy, _Essai sur la vie de Jean Gerson, chancelier de +l'église et de l'université de Paris, sur sa doctrine, sur ses +écrits..._, Paris, 1832, 2 vol. in-8º.--Vallet de Viriville, _Histoire +de Charles VII_, t. II, p. 94.--A.-L. Masson, _Jean Gerson, sa vie, +son temps, ses oeuvres_, Lyon, 1894, in-8º.] + +[Note 1073: Du Boulay, _Historia Universitatis Parisiensis_, t. +IV, p. 270.] + +[Note 1074: Gerson, _Opera_, t. IV, pp. 668-678.] + +Maintenant, accablé de misères et de tristesses, il instruisait les +jeunes enfants. «C'est par eux, disait-il, qu'il faut commencer la +réforme[1075].» + +[Note 1075: Gerson, _Adversus corruptionem Juventutis_.--A. +Lafontaine, _De Johanne Gersonio puerorum adulescentiumque +institutore..._ La Chapelle-Montligeon, 1902, in-8º.] + +La délivrance de la cité ducale dut réjouir le vieux défenseur du +parti d'Orléans. Les conseillers du dauphin, désireux de mettre en +oeuvre la Pucelle, lui communiquèrent les délibérations de Poitiers et +lui demandèrent son avis comme à un bon serviteur de la maison de +France. En réponse, il composa un traité succinct de la Pucelle. + +Dans cet écrit, il prend soin tout d'abord de distinguer entre ce qui +est de foi et ce qui est de dévotion. En matière de foi, le doute +n'est pas permis. Quant à ce qui est de dévotion, comme on dit +vulgairement: «Qui ne le croit n'est pas damné.» Pour qu'une chose +soit de dévotion, trois conditions sont requises: il faut 1º qu'elle +soit édifiante; 2º qu'elle soit probable et attestée par la rumeur +publique ou le témoignage des fidèles; 3º qu'il ne s'y mêle rien de +contraire à la foi. À ces conditions, il convient de n'en porter ni +réprobation ni approbation opiniâtres, mais plutôt de s'en rapporter à +l'Église. + +Par exemple, sont matières de dévotion et non de foi, la conception de +la très sainte Vierge, les indulgences, les reliques. Une relique est +vénérée en un lieu ou dans un autre ou dans plusieurs lieux à la fois. +Le Parlement de Paris a naguère disputé sur le chef de monseigneur +saint Denys, vénéré à Saint-Denys en France et dans la cathédrale de +Paris. C'est matière de dévotion[1076]. + +[Note 1076: _Gallia Christiana_, t. VII, col. 142.--Jean Juvénal +des Ursins, année 1406.] + +D'où il faut conclure que l'on peut pieusement et salutairement, en +matière de dévotion, admettre le fait de cette Pucelle, surtout en +regardant aux fins, qui sont la restitution du royaume à son roi et la +très juste expulsion ou débellation de ses très obstinés ennemis. + +D'autant plus qu'on n'a pas trouvé qu'elle usât de sortilèges prohibés +par l'Église ni de superstitions publiquement réprouvées, ni qu'elle +agît avec cautèle, par fourberie, pour son gain propre, lorsqu'en gage +de sa foi, elle expose son corps aux plus grands dangers. + +Et, si plusieurs apportent divers témoignages sur son caquet, sa +légèreté, son astuce, c'est le lieu d'alléguer cet adage de Caton: +«Nos arbitres, ce n'est pas ce que chacun dit.» Selon la parole de +l'Apôtre, on ne doit pas mettre en cause le serviteur de Dieu. Bien +plutôt il convient ou de s'abstenir ou de soumettre aux supérieurs +ecclésiastiques, comme il est permis, les points douteux. Ainsi fut +fait, dans le principe, pour la canonisation des saints. Le canon des +saints n'est pas de nécessité de foi, à strictement parler, mais de +pieuse dévotion. Toutefois il ne doit pas être réprouvé par homme +quelconque, à tort et à travers. + +Pour en venir au cas présent, il faut remarquer les circonstances +suivantes: + +Premièrement. Le conseil royal et les gens de guerre furent induits à +croire et à obéir, et ils affrontèrent le risque d'être défaits sous +la conduite d'une fillette, ce qui eût été grande vergogne. + +Deuxièmement. Le peuple exulte, et sa pieuse créance semble conspirer +à la louange de Dieu et à la confusion des ennemis. + +Troisièmement. Les ennemis se cachent, même leurs princes, et sont +agités de diverses terreurs. Ils tombent en faiblesse comme des femmes +grosses, conformément aux imprécations contenues dans le cantique que +chanta sur le tympanon Marie, soeur de Moïse, dans un choeur de +danseurs et de chanteurs: «Chantons au Seigneur, car il a été +glorieusement magnifié. Que tombent sur ses ennemis la crainte et la +terreur!» Et nous aussi, chantons le cantique de Marie, avec une +dévotion consonante à notre fait. + +Quatrièmement enfin. Et cela est à peser: Cette Pucelle et les soldats +attachés à elle ne quittent point les voies de la prudence humaine, et +ils ne tentent pas Dieu. D'où il est visible que cette Pucelle ne +s'obstine pas au delà de ce qu'elle répute être monition ou +inspirations reçues de Dieu. + +On pourrait exposer encore plusieurs circonstances de sa vie, depuis +l'enfance, qui ont été recueillies abondamment. Il n'en sera rien +rapporté ici. + +Il est à propos de tirer exemple de Déborah et de sainte Catherine, +qui convertit miraculeusement cinquante docteurs ou rhéteurs, de +Judith et de Judas Macchabée. Dans leur fait, selon l'ordre constant, +se trouvèrent beaucoup de circonstances d'ordre purement naturel. + +À un premier miracle ne succèdent pas toujours d'autres miracles +attendus des hommes. Alors même que la Pucelle serait déçue dans son +attente et la nôtre (puisse-t-il n'en pas advenir ainsi!), il n'en +faudrait pas conclure que les premiers effets furent produits par le +malin esprit et non par influence céleste, mais préférablement croire +que nos espérances aient péri à cause de notre ingratitude et de nos +blasphèmes, ou par quelque juste et impénétrable jugement de Dieu! +Nous le supplions de détourner de nous sa colère et de nous regarder +favorablement. + +Tirons des enseignements premièrement pour le roi et les princes du +sang royal; deuxièmement, pour la milice du roi et du royaume; +troisièmement, pour le clergé et le peuple; quatrièmement, pour la +Pucelle. De ces enseignements, unique est la fin: mener bonne vie, +dévote à Dieu, juste au prochain, sobre, vertueuse et tempérante à +soi-même. Et quant à l'enseignement spécial à la Pucelle, il faut que +la grâce, que Dieu a manifestée en elle, soit employée non en vanités +soucieuses, non en profits mondains, non en haines de partis, non en +séditions cruelles, non en vengeance des actes accomplis, non en +glorifications ineptes, mais en mansuétude et oraisons, avec actions +de grâce, et que chacun contribue, par libérale subvention de biens +temporels, à l'instauration de la paix en son lit de justice, afin +que, délivrés des mains de nos ennemis, Dieu nous étant plus propice, +nous le servions dans la sainteté et la justice. + +En terminant son traité, Gerson examine brièvement un point de droit +canon qui avait déjà été touché par les docteurs de Poitiers. Il +établit qu'il n'est pas défendu à la Pucelle de porter un habit +d'homme. + +Premièrement. L'ancienne loi interdisait à la femme de porter un habit +d'homme et à l'homme un habit de femme. Cette loi, en tant que +judicielle, cesse d'être en vigueur dans la nouvelle loi. + +Deuxièmement. En tant que morale, cette loi demeure obligatoire. Mais +elle ne concerne, en ce cas, que l'indécence de l'habit. + +Troisièmement. En tant que judicielle et morale, cette loi n'interdit +pas de porter l'habit viril et militaire à cette Pucelle que le Roi du +ciel élut porte-étendard pour fouler à ses pieds les ennemis de la +justice. Où la divine vertu opère, les moyens sont conformes aux +fins. + +Quatrièmement. On peut alléguer des exemples tirés des histoires +sainte et profane, rappeler Camille et les Amazones. + +Jean Gerson termina ce traité le dimanche de la Pentecôte, huit jours +après la délivrance d'Orléans. Ce fut son dernier écrit. Il mourut au +mois de juillet de cette même année 1429, la soixante-cinquième de sa +vie[1077]. + +[Note 1077: _Oeuvres de Gerson_, éd. Ellies Dupin, Paris, 1706, +in-folio, t. IV, p. 864.--_Procès_, t. III, p. 298; t. V, p. 412.--Le +P. Ayroles, _La Pucelle devant l'Église de son temps_, p. 24.] + +C'est le testament politique du grand universitaire en exil. La +victoire de la Pucelle réjouit les derniers jours de sa vie. Il chante +de sa voix presque éteinte le cantique de Marie. Mais à la joie que +lui cause le bon événement, se mêlent les tristes pressentiments de sa +vieille sagesse. En même temps qu'il voit en la Pucelle bien venue un +sujet d'allégresse et d'édification pour le peuple, il craint que les +espérances qu'elle inspire ne soient bientôt déçues. Et il avertit +ceux qui maintenant l'exaltent dans le triomphe de ne point se +détourner d'elle aux mauvaises heures. + +Son argumentation maigre et sèche n'est pas différente au fond de la +grasse et molle argumentation de Jacques Gélu. On trouve dans l'une et +dans l'autre les mêmes raisonnements et les mêmes preuves et les deux +docteurs s'accordent dans leurs conclusions qui sont celles des +maîtres de Poitiers. + +Pour les docteurs de Poitiers, pour l'archevêque d'Embrun, pour +l'ancien chancelier de l'Université, pour tous les théologiens +armagnacs, le fait de la Pucelle n'est pas matière de foi. Comment le +pourrait-il être avant que le pape et le concile en eussent décidé? On +est libre d'y croire comme de n'y pas croire. Mais c'est un sujet +d'édification, et il convient de le méditer non dans un esprit aride, +et qui doute obstinément, mais avec bonne volonté et selon la foi +chrétienne. Sur le conseil de Gerson, les âmes bénévoles croiront que +la Pucelle vient de Dieu, comme elles croient que le chef de +Monseigneur saint Denys est offert en même temps à la vénération des +fidèles dans l'église cathédrale de Paris et dans l'église abbatiale +de Saint-Denys en France. Elles ne s'attacheront pas tant à la vérité +littérale qu'à la vérité spirituelle et elles ne pécheront pas par +trop de curiosité. + +En somme, ni le traité de Jacques Gélu, ni celui de Jean Gerson ne +donnent de grandes clartés au roi et à son conseil. Les exhortations +n'y manquent point: mais elles reviennent toutes à dire: «Soyez sages +et pieux, pensez avec humilité, force et prudence.» Sur le point qui +importait le plus, l'emploi à faire de la Pucelle dans la conduite de +la guerre, l'archevêque d'Embrun enseigne doctement: «Accomplissez ce +que la Pucelle ordonne et ce que la prudence commande et pour le +surplus faites oeuvres pies et belles oraisons.» Il y avait là de quoi +embarrasser un capitaine comme le sire de Gaucourt et même un bon +prud'homme tel que le seigneur de Trèves. Il apparaît que ces clercs +laissaient au roi toute liberté de jugement et d'action et qu'ils lui +conseillaient finalement non de croire à la Pucelle, mais d'y laisser +croire le peuple et les gens d'armes. + +Le roi garda Jeanne près de lui durant les dix jours qu'il demeura +dans sa ville de Tours. Cependant le conseil délibérait sur la +conduite à tenir[1078]. On n'avait point d'argent. Charles en trouvait +encore assez facilement pour faire des présents aux gentilshommes de +son hôtel, mais il avait grand'peine à s'en procurer pour payer les +dépenses de la guerre[1079]. Il devait des gages à ses gens d'Orléans. +Ceux-là avaient peu reçu et beaucoup dépensé. Ils en étaient du leur, +et réclamaient leur paiement. Aux mois de mai et de juin, par quatre +fois, le roi répartit aux capitaines qui avaient défendu la ville des +sommes montant à quarante et un mille six cent trente et une +livres[1080]. Il était victorieux à bon marché. La défense d'Orléans +lui coûta cent dix mille livres en tout. Les bourgeois de la ville +firent le reste; ils donnèrent jusqu'à leurs petites cuillers +d'argent[1081]. + +[Note 1078: _Procès_, t. III, pp. 12, 72, 76, 80.--_Chronique de +la Pucelle_, p. 298.--_Journal du siège_, p. 93.--_Chronique de la +fête_, dans _Procès_, t. V, p. 299.--Lettre écrite par les agents +d'une ville allemande, dans _Procès_, t. V, p. 349.--_Chronique de +Tournai_ (_Recueil des Chroniques de Flandre_, t. III, p. +412).--Eberhard Windecke, p. 177.--De Beaucourt, _Histoire de Charles +VII_, t. II, p. 215.] + +[Note 1079: _De Beaucourt_, _Histoire de Charles VII_, pp. 634 et +suiv.] + +[Note 1080: Loiseleur, _Compte des dépenses_, pp. 147 et suiv.] + +[Note 1081: _Procès_, t. V, pp. 256 et suiv., et Relevé des +comptes de commune et de forteresse, dans _Journal du siège_.--A. de +Villaret, _loc. cit._, p. 61.--Couret, _Un fragment inédit des anciens +registres de la Prévôté d'Orléans_.] + +Il eût été expédient sans doute de chercher à détruire cette terrible +armée de sir John Falstolf qui avait causé naguère tant de peur à ceux +d'Orléans. Mais on ne savait pas où elle se trouvait. Elle était +disparue entre Orléans et Paris. Il eût fallu la chercher; ce n'était +pas possible; on n'y songea pas. L'art de la guerre ne comportait pas +alors des opérations si savantes. Il fut question d'aller en +Normandie, idée si naturelle que dans le peuple on croyait déjà le +dauphin à Rouen[1082]. Finalement on décida de reprendre les châteaux +que les Anglais tenaient sur la Loire en amont et en aval d'Orléans, +Jargeau, Meung, Beaugency[1083]. Entreprise utile et qui ne présentait +pas grandes difficultés, à moins qu'on eût sur les bras l'armée de sir +John Falstolf, ce que personne ne pouvait dire. + +[Note 1082: Morosini, t. III, p. 61.] + +[Note 1083: _Procès_, t. III, pp. 9, 10.] + +Sans plus attendre, monseigneur le Bâtard alla sur Jargeau avec un peu +de chevalerie et les routiers de Poton; mais la Loire était haute et +remplissait les fossés. N'ayant pas d'engins de siège, ils se +retirèrent après avoir fait quelque mal aux Anglais et tué le +capitaine de la ville[1084]. + +[Note 1084: _Journal du siège_, p. 93.--_Chronique de la Pucelle_, +p. 300.] + +La Pucelle n'entrait pas volontiers dans les raisons des capitaines. +Elle n'écoutait que ses Voix, qui lui disaient des paroles infiniment +simples. Elle ne pensait qu'à accomplir sa mission. Ce n'était pas +pour supputer les ressources du trésor royal, ordonner les aides et +les tailles, traiter avec les gens d'armes, les marchands et les +convoyeurs, faire des plans de campagne, négocier des trêves, que +madame sainte Catherine, madame sainte Marguerite et monseigneur saint +Michel archange l'avaient envoyée en France: c'était pour qu'elle +conduisît le dauphin à son sacre. Aussi était-ce à Reims qu'elle le +voulait mener; non qu'elle sût comment on y pouvait aller, mais elle +pensait que Dieu la guiderait. Tout retard, toute lenteur, toute +délibération même la désolait et l'irritait. Fréquentant chez le roi, +elle le pressait avec douceur. Maintes fois elle lui dit: + +--Je durerai un an, guère plus. Qu'on pense à bien besoigner pendant +cette année[1085]! + +[Note 1085: _Procès_, t. III, p. 99.] + +Et elle dénombrait les quatre charges dont elle avait à s'acquitter en +cet espace de temps. C'était, après avoir délivré Orléans, chasser les +Godons hors de France, faire couronner et sacrer le roi à Reims et +tirer le duc d'Orléans des mains des Anglais[1086]. Un jour, n'y +pouvant tenir, elle alla trouver le roi tandis qu'il était dans un de +ces retraits clos par des boiseries sculptées, qu'on pratiquait dans +les grandes salles des châteaux, et qui servaient aux réunions +familières. Elle heurta l'huis, entra presque aussitôt et trouva le +roi qui conversait avec maître Gérard Machet, son confesseur, +monseigneur le Bâtard, le sire de Trèves et un seigneur de ses plus +familiers, nommé messire Christophe d'Harcourt. Elle s'agenouilla et, +tenant le roi embrassé par les jambes (car elle savait à quoi la +politesse l'obligeait), elle lui dit: + +--Gentil dauphin, n'assemblez plus tant et de si longs conseils. Mais +venez tout de suite à Reims recevoir votre digne sacre[1087]. + +[Note 1086: _Ibid._, p. 99.] + +[Note 1087: _Procès_, t. III, p. 12.--_Journal du siège_, p. +93.--_Chronique de la Pucelle_, p. 299.] + +Le roi lui fit bon visage, mais ne répondit rien. Le seigneur +d'Harcourt, averti que la Pucelle conversait avec des anges et des +saintes, fut curieux de savoir si vraiment la pensée de mener le roi à +Reims lui venait de ses visiteurs célestes. Employant pour les +désigner le mot dont elle se servait elle-même: + +--Est-ce votre Conseil, lui demanda-t-il, qui vous parle de telles +choses? + +Elle répondit: + +--Oui, et je suis beaucoup aiguillonnée à cet endroit. + +Le seigneur d'Harcourt reprit aussitôt: + +--Ne voudriez-vous pas dire ici, en présence du roi, la manière de +votre Conseil, quand il vous parle? + +Jeanne rougit à cette demande. + +Voulant lui épargner tout embarras et toute contrainte, le roi lui dit +doucement: + +--Jeanne, vous plaît-il bien de déclarer ce qu'on vous demande, en +présence des personnes ici présentes? + +Mais Jeanne s'adressant au seigneur d'Harcourt: + +--Je vois bien ce que vous voulez savoir, lui dit-elle, et je vous le +dirai volontiers. + +Et tout de suite elle fit sentir au roi le tourment qu'elle éprouvait +de n'être pas crue et elle révéla sa consolation intérieure: + +--Quand je suis contristée en quelque manière de ce qu'on ne croit pas +facilement ce que je dis par mandement de Messire, je me retire à +part, et me plains à Messire de n'être facilement crue de ceux à qui +je parle. Et mon oraison faite, aussitôt j'entends une voix qui me +dit: «Fille de Dieu, va!» Et à l'entendre, j'ai grand'joie. Et même je +voudrais toujours rester en cet état[1088]. + +[Note 1088: _Procès_, t. III, p. 12.] + +Tandis qu'elle répétait les paroles de la Voix, Jeanne levait les yeux +au ciel. Les seigneurs présents furent frappés de l'expression céleste +que prenait alors le regard de la jeune fille. Pourtant ces yeux +noyés, cet air de ravissement dont s'émerveillait monseigneur le +Bâtard, ce n'était pas une extase, c'était l'imitation d'une extase. +Scène à la fois pleine d'artifice et de naïveté, qui montre et la +douceur du roi, bien incapable de faire la moindre peine à cette +enfant, et la légèreté avec laquelle les seigneurs de la cour +croyaient ou feignaient de croire aux plus étranges merveilles et qui +surtout fait apparaître que, dès ce moment, on ne regardait pas comme +un mal, dans le conseil du roi, que la petite sainte donnât au projet +du sacre l'autorité d'une révélation divine. + +La Pucelle accompagna le roi à Loches, et elle resta auprès de lui +jusqu'après le vingt-troisième jour de mai[1089]. + +[Note 1089: _Procès_, t. III, pp. 9, 11, 80.] + +Le peuple croyait en elle. Quand elle sortait dans les rues de Loches, +les habitants se jetaient dans les jambes de son cheval; ils baisaient +les mains et les pieds de la sainte. Maître Pierre de Versailles, +religieux de Saint-Denys en France, un des interrogateurs de Poitiers, +la voyant qui recevait ces marques de vénération, la blâma +théologalement: + +--Vous faites mal, lui dit-il, de souffrir telles choses, qui ne vous +sont pas dues. Prenez-y garde: vous induisez les hommes en idolâtrie. + +Jeanne, pensant à l'orgueil qui pourrait s'insinuer dans son coeur, +répondit: + +--En vérité je ne saurais m'en garder, si Messire ne m'en +gardait[1090]. + +[Note 1090: _Procès_, t. III, p. 84.] + +Elle voyait avec humeur que certaines bonnes femmes vinssent à elle +pour la saluer; cela lui semblait une espèce d'adoration dont elle +s'effrayait. Mais elle ne repoussait pas les pauvres gens qui venaient +à elle; elle ne leur faisait pas de déplaisir et plutôt les supportait +à son pouvoir[1091]. + +[Note 1091: _Ibid._, t. I, p. 102.] + +Le renom de sa sainteté s'était répandu par toute la France avec une +promptitude merveilleuse. Beaucoup de personnes pieuses portaient sur +elles des médailles de plomb ou d'autre métal à sa ressemblance, selon +l'usage établi pour honorer la mémoire des saints[1092]. On plaçait +dans les chapelles ses images peintes ou taillées. À la collecte de la +messe, le prêtre récitait «l'oraison de la Pucelle pour le royaume de +France»: + +«Dieu, auteur de la paix, qui détruis, sans arc ni flèche, les ennemis +qui mettent leur espoir en eux-mêmes[1093], nous te demandons, +seigneur, de nous protéger dans notre adversité, et, de même que tu as +délivré ton peuple par la main d'une femme, tends à Charles notre roi +ton bras victorieux, afin que nos ennemis, qui s'assurent en leur +multitude et se glorifient de leurs flèches et leurs lances, soient +par lui surmontés à l'heure présente et qu'il lui soit donné, à la fin +de ses jours de parvenir glorieusement avec son peuple jusqu'à toi, +qui es la voie, la vérité et la vie. Par Notre-Seigneur Jésus-Christ, +etc[1094].» + +[Note 1092: _Ibid._, t. I, p. 191.--A. Forgeais, _Collection de +plombs historiés trouvés dans la Seine_, Paris, 1869 (5 vol. in-8º), +t. II, IV et _passim_.--Vallet de Viriville, _Notes sur deux médailles +de plomb relatives à Jeanne d'Arc_, Paris, 1861, in-8º, 30 p. [Extrait +de la _Revue Archéologique_.]] + +[Note 1093: _Procès_, t. V, p. 104. Je lis _in se sperantes_.] + +[Note 1094: _Procès_, t. V, p. 104.--Lanéry d'Arc, _Le culte de +Jeanne d'Arc au XVe siècle_, 1886, in-8º.] + + * * * * * + +On consultait alors les saints et les saintes dans toutes les +difficultés de la vie. Plus on les jugeait innocents et simples, plus +on leur demandait conseil. Car on était mieux assuré, s'ils ne +savaient rien dire, que c'était Dieu qui parlait par leur bouche. On +pensait que la Pucelle n'avait pas d'esprit; c'est pourquoi on la +croyait capable de résoudre les questions les plus difficiles avec une +infaillible sagesse. On voyait que, sans savoir faire la guerre, elle +la faisait mieux que les capitaines, et l'on en concluait que tout ce +qu'elle accomplirait dans sa sainte ignorance, elle l'accomplirait +excellemment. C'est ainsi qu'à Toulouse un capitoul s'avisa de la +consulter en matière financière. Les gardes de la monnaie de cette +ville ayant reçu ordre de frapper de nouvelles espèces inférieures de +beaucoup à celles qui avaient cours jusque-là, les bourgeois s'en +émurent; d'avril à juin les capitouls s'employèrent à faire rapporter +cette mesure. Et le 2 juin, le capitoul Pierre Flamenc demanda en +conseil qu'on écrivît à la Pucelle pour lui exposer les inconvénients +survenus du fait de la mutation des monnaies et pour lui demander d'y +apporter remède. En faisant cette proposition au Capitole, Pierre +Flamenc pensait qu'une sainte était de bon conseil sur toute matière +et particulièrement en matière d'espèces monnayées, surtout si elle se +trouvait l'amie du roi, comme c'était le cas de la Pucelle[1095]. + +[Note 1095: A. Thomas, _Le siège d'Orléans, Jeanne d'Arc et les +capitouls de Toulouse_, dans _Annales du Midi_, 1889, pp. 235, 236.] + +Jeanne envoya de Loches, un petit anneau d'or a la dame de Laval qui +sans doute lui avait demandé un objet qu'elle eût touché[1096]. +Jeanne, dame de Laval, avait épousé, cinquante-quatre ans en çà, sire +Bertrand Du Guesclin dont la mémoire était précieuse aux Français et +qu'on nommait, dans la maison d'Orléans, le dixième preux. Madame +Jeanne n'égalait point en renommée Tiphaine Raguenel, astrologienne et +fée[1097], première femme de sire Bertrand. C'était une dame avare et +colérique. Chassée par les Anglais de sa terre de Laval, elle vivait +retirée à Vitré avec sa fille Anne, qui s'était mise dans le cas de +lui déplaire quand, treize ans auparavant, jeune veuve, elle avait +épousé secrètement un petit cadet sans terres. Ce qu'ayant découvert, +madame Jeanne enferma sa fille dans un cachot et reçut le cadet à +coups d'arbalète. Après quoi les deux dames vécurent paisiblement +ensemble[1098]. + +[Note 1096: Lettre des Laval, dans _Procès_, t. V, p. +109.--Bertrand de Broussillon, _La maison de Laval, les +Montfort-Laval_, Paris, 1900, in-8º, t. III, p. 75.--C'est par erreur +que Quicherat (_Procès_, t. V, p. 105) donne à la veuve de Du Guesclin +le nom de Anne, et à la mère de Guy et d'André le nom de Jeanne.] + +[Note 1097: Cuvelier, _Poème de Duguesclin_, vers 2325 et seq.] + +[Note 1098: Bertrand de Broussillon, _La maison de Laval_, in-8º, +1900, t. III, _loc. cit._] + +De Loches la Pucelle se rendit à Selles en Berry, assez grosse ville +sur la rive gauche du Cher, où les trois états du royaume s'étaient +assemblés peu de temps auparavant[1099] et où se faisait le +rassemblement des troupes. + +[Note 1099: Lettre de Gui de Laval, dans _Procès_, t. V, p. +105.--Lucien Jeny et P. Lanéry d'Arc, _Jeanne d'Arc en Berry_, Paris, +s. d., in-8º, p. 53.] + +Le samedi 4 juin, elle reçut un héraut que les habitants d'Orléans lui +envoyaient pour lui donner nouvelles des Anglais[1100]. Comme chef de +guerre, ils ne connaissaient qu'elle. + +[Note 1100: Comptes de forteresse, dans _Procès_, t. V, p. 262.] + +Cependant, entourée de moines, elle menait, au milieu des gens +d'armes, une vie bonne, singulière et monastique. Elle mangeait et +buvait peu[1101]. Elle communiait une fois la semaine et se confessait +fréquemment[1102]. En entendant la messe, au moment de l'élévation, à +confesse et quand elle recevait le corps de Notre-Seigneur, elle +pleurait à grande abondance de larmes. Chaque soir, à l'heure de +vêpres, elle se retirait dans une église et faisait sonner les cloches +pendant une demi-heure environ pour appeler les religieux mendiants +qui suivaient l'armée. Puis elle se mettait en oraison, tandis que les +bons frères chantaient une antienne en l'honneur de la Vierge +Marie[1103]. + +[Note 1101: _Procès_, t. III, pp. 3, 9, 15, 18, 22, 69, 219 et +_passim_.] + +[Note 1102: _Ibid._, t. V, aux mots: _Confession_ et _Communion_.] + +[Note 1103: _Procès_, t. III, p. 14; t. II, pp. 420, 424.] + +Bien qu'elle pratiquât, à son pouvoir, les austérités que commande une +dévotion spéciale, elle se montrait magnifiquement vêtue, comme un +seigneur, ayant en effet seigneurie de par Dieu. Elle portait habit de +gentilhomme, c'est-à-dire petit chapeau, pourpoint et chausses +ajustées, très nobles huques de drap d'or et de soie bien fourrées et +souliers lacés en dehors du pied[1104]. En la voyant ainsi vêtue, les +personnes les plus austères du parti dauphinois ne se scandalisaient +point. Elles lisaient dans l'Écriture qu'Esther et Judith, inspirées +du Seigneur, se chargèrent de parures, il est vrai dans l'ordre de +leur sexe et afin d'induire Assuérus et Holopherne en concupiscence +pour le salut d'Israël. Et elles estimaient que si Jeanne se couvrait +d'ornements virils afin de paraître aux gens d'armes un ange venant +donner la victoire au roi très chrétien, loin de céder aux vanités du +monde, elle considérait uniquement, comme Esther et Judith, l'intérêt +du peuple saint et la gloire de Dieu. Mais les clercs anglais et +bourguignons, tournant l'édification en scandale, disaient que +c'était une femme dissolue en ses habits et ses moeurs. + +[Note 1104: _Ibid._, t. I, pp. 220, 253; t. II, pp. 294, +438.--_Relation du greffier de La Rochelle_, p. 60.--Analyse d'une +lettre de Regnault de Chartres, dans Rogier (_Procès_, t. V, +168-169).--Martin le Franc, _Le champion des dames_, dans _Procès_, t. +V, p. 48.] + +Depuis sept ans déjà, saint Michel archange et les saintes Catherine +et Marguerite, portant des couronnes riches et précieuses, venaient à +elle et lui parlaient. C'était dans le son des cloches, à l'heure de +complies et de matines, quelle entendait le mieux leurs paroles[1105]. +Les cloches alors, grandes ou petites, métropolitaines, paroissiales +ou conventuelles, bourdons, campanes, campanelles et moineaux, sonnées +à la volée ou carillonnées en cadence, de leurs voix graves ou +claires, parlaient à tout le monde et de toutes choses. Elles étaient +le chant aérien du calendrier ecclésiastique et civil. Elles +convoquaient les clercs et les fidèles aux offices, lamentaient les +morts et louaient Dieu: elles annonçaient les foires et les travaux +des champs; elles faisaient voler par le ciel les grandes nouvelles, +et, dans ces temps de guerre, elles appelaient aux armes, sonnaient +l'alarme. Amies du laboureur, elles dissipaient l'orage, écartaient la +grêle; elles chassaient la peste. Les démons qui volent sans cesse +dans l'air et guettent les hommes, elles les mettaient en fuite, et +l'on attribuait à leur son béni la vertu d'apaiser les violents[1106]. +Madame sainte Catherine, qui chaque jour visitait Jeanne, était la +patronne des cloches et des sonneurs. Aussi beaucoup de cloches +portaient son nom. Jeanne, dans le son de ses cloches, comme dans le +bruit des feuilles, entendait ses Voix. Rarement elle les entendait +sans voir une lumière du côté d'où elles venaient[1107]. Ces voix +l'appelaient «Jeanne, fille de Dieu[1108]!» Souvent l'archange et les +saintes lui apparaissaient. Pour leur bienvenue elle leur faisait la +révérence en fléchissant le jarret et en s'inclinant; elle les +accolait par les genoux, sachant qu'il y a plus de respect à accoler +par le bas que par le haut. Elle sentait la bonne odeur et la douce +chaleur de leurs corps glorieux[1109]. + +[Note 1105: _Procès_, t. I, pp. 61, 62, 481.] + +[Note 1106: P. Blavignac, _La cloche_, Genève, 1877, in-8º.--L. +Morillot, _Étude sur l'emploi des clochettes_, dans _Bulletin hist. +archéolog. du diocèse de Dijon_, 1887. in-8º.] + +[Note 1107: _Procès_, t. I, pp. 52, 64, 153 et _passim_.] + +[Note 1108: _Ibid._, t. I, p 130.] + +[Note 1109: _Ibid._, t. I, p. 186.] + +Saint Michel archange ne venait pas seul. Des anges l'accompagnaient +en grande multitude et si petits qu'ils dansaient comme des étincelles +aux yeux éblouis de la jeune fille. Quand les saintes et l'archange +s'éloignaient, elle pleurait du regret qu'ils ne l'eussent pas +emportée avec eux[1110]. Ainsi Judith fut visitée par l'ange dans le +camp d'Holopherne. + +[Note 1110: _Ibid._, t. I, pp. 72, 75.] + +Tout comme le seigneur d'Harcourt, l'écuyer Jean d'Aulon demanda un +jour, à Jeanne, ce qu'était son Conseil. Elle lui répondit qu'elle +avait trois conseillers, dont l'un demeurait toujours avec elle. Un +autre allait et venait souventes fois; le troisième était celui avec +lequel les deux autres délibéraient. + +Le sire d'Aulon, plus curieux que le roi, la pria et requit de lui +vouloir une fois montrer ce Conseil. + +Elle lui répondit: + +--Vous n'êtes pas assez digne et vertueux pour le voir[1111]. + +[Note 1111: _Procès_, t. III, pp. 219, 220.] + +Le bon écuyer n'en demanda pas davantage. S'il avait lu la Bible, il +aurait su que le serviteur d'Élisée ne voyait pas les anges que voyait +le prophète (_Rois_, 1. IV). + +Jeanne s'imaginait que son Conseil s'était, au contraire, manifesté au +roi et à la Cour. + +--Mon roi, dit-elle plus tard, mon roi et bien d'autres ont vu et +entendu les Voix qui venaient à moi. Le comte de Clermont était alors +près de lui avec deux ou trois autres[1112]. + +[Note 1112: _Ibid._, t. I, p. 57.] + +Elle le croyait. Mais, en réalité, elle ne fit voir ses Voix à +personne, pas même, quoi qu'on en ait dit, à ce Guy de Cailly qui la +suivait depuis Chécy[1113]. + +[Note 1113: _Ibid._, t. V, p. 342. Les lettres d'anoblissement de +Guy de Cailly sont très suspectes.--Vallet de Viriville, _Petit +traité..._, p. 92.] + +Jeanne s'entretenait dévotement avec le frère Pasquerel. Elle lui +témoignait souvent le désir que l'Église après sa mort priât pour elle +et pour tous les Français tués à la guerre. + +--Si je venais à quitter ce monde, lui disait-elle, je voudrais bien +que le roi fît faire des chapelles où l'on prierait Messire pour le +salut des âmes de ceux qui sont morts à la guerre ou pour la défense +du royaume[1114]. + +[Note 1114: _Procès_, t. III, p. 112.] + +Cela était dans les voeux de toute âme pieuse. Quel chrétien au monde +n'aurait pas tenu pour bonne et salutaire la pratique des obits? +Aussi, sur ce point de dévotion, la Pucelle se rencontrait avec le duc +Charles d'Orléans, qui, dans une de ses complaintes, recommande de +faire chanter et dire des messes pour les âmes de ceux qui souffrirent +dure mort au service du royaume[1115]. + +[Note 1115: _Ibid._, t. III, p. 112.--_Poésies de Charles +d'Orléans_, éd. A. Champollion-Figeac, p. 174.] + +Elle dit un jour au bon frère: + +--Il est dans mon fait de porter certain secours. + +Et Pasquerel, qui pourtant avait étudié la Bible, s'écria tout +surpris: + +--On ne vit jamais rien de semblable à ce qui se voit en votre fait. +On ne lit rien de tel en aucun livre. + +Jeanne lui répondit plus hardiment encore qu'aux clercs de Poitiers: + +--Messire a un livre dans lequel jamais n'a lu aucun clerc, tant +soit-il parfait en cléricature[1116]. + +[Note 1116: _Ibid._, t. III, pp. 108, 109.] + +Elle tenait sa mission de Dieu seul et lisait dans un livre fermé à +tous les docteurs de l'Église. Sur l'avers de son étendard, que ses +mendiants aspergeaient d'eau bénite, elle avait fait peindre une +colombe portant dans son bec une banderole où se lisaient ces mots: +«par le Roi du ciel[1117].» C'étaient là des armoiries qu'elle tenait +de son Conseil et dont l'emblème et la devise semblaient lui convenir, +puisqu'elle se disait envoyée de Dieu et qu'elle avait donné à Orléans +le signe promis à Poitiers. Pourtant le roi lui changea cet écu contre +des armes représentant une couronne soutenue par une épée entre deux +fleurs de Lis et disant clairement le secours que la pucelle de Dieu +apportait au royaume de France. Elle quitta, dit-on, à regret ses +armes reçues par révélation[1118]. + +[Note 1117: _Procès_, t. I, pp. 78, 117, 182.] + +[Note 1118: _Ibid._, t. I, p. 117, 300; t. V, p. 227.] + +Elle prophétisait et comme il arrive à tous les prophètes, elle +n'annonçait pas toujours ce qui devait arriver. Ce fut le sort du +prophète Jonas lui-même. Et les docteurs expliquent comment les +prophéties des véritables prophètes peuvent ne pas toutes être vraies. + +Elle disait: + +--Avant que le jour de la Saint-Jean-Baptiste de l'an 29 arrive, il ne +doit pas y avoir un Anglais si fort et si vaillant soit-il, qui se +laisse voir par la France, soit en campagne, soit en bataille[1119]. + +[Note 1119: Greffier de la Chambre des comptes de Brabant, dans +_Procès_, t. IV, p. 426.--Morosini, t. III, pp. 33, 46, 62.] + +La nativité de saint Jean-Baptiste se célèbre le 24 juin. + + + + +CHAPITRE XV + +LA PRISE DE JARGEAU.--LE PONT DE MEUNG.--BEAUGENCY. + + +Le lundi 6 juin, le roi logea à Saint-Aignan, près +Selles-en-Berry[1120]. Parmi les gentilshommes de sa compagnie se +trouvaient les deux fils de cette dame Anne de Laval qui, dans son +veuvage, avait eu le tort d'aimer un cadet sans terres. André, le plus +jeune, venait d'essuyer, à vingt ans, une disgrâce commune à presque +tous les seigneurs d'alors, et que le second mari de sa grand'mère, +sire Bertrand Du Guesclin, avait lui-même plusieurs fois éprouvée. +Fait prisonnier, dans le château de Laval, par sire John Talbot, il +s'était beaucoup endetté pour fournir les seize mille écus d'or de sa +rançon[1121]. + +[Note 1120: Lettre de Gui et André de Laval aux dames de Laval, +dans _Procès_, t. V, p. 106.--L. Jeny et Lanéry d'Arc, _Jeanne d'Arc +en Berry_, Paris, 1892, in-8º, p. 54.] + +[Note 1121: Bertrand de Broussillon, _La maison de Laval_, t. III, +p. 21.] + +Ayant grand besoin de gagner, les deux jeunes seigneurs offraient +leurs services au roi qui les reçut fort bien, ne leur donna pas un +écu, mais leur dit qu'il leur ferait voir la Pucelle; et comme il se +rendait de Saint-Aignan à Selles avec eux, il manda la sainte[1122], +qui aussitôt, armée de toutes pièces sauf la tête, la lance à la main, +chevaucha à la rencontre du roi. Elle fit bonne chère aux deux jeunes +seigneurs et retourna avec eux à Selles. Elle reçut l'aîné, le +seigneur Guy, dans la maison qu'elle habitait, devant l'église, et fit +venir le vin. Ainsi en usaient les princes entre eux. On servait des +tasses de vin et les convives y trempaient des tranches de pain, qu'on +appelait des soupes[1123]. En offrant le vin, la Pucelle dit au +seigneur Guy: + +--Je vous en ferai bientôt boire à Paris. + +[Note 1122: Lettre de Gui et André de Laval, dans _Procès_, t. V, +pp. 106 et suiv.] + +[Note 1123: N. Villiaumé, _Histoire de Jeanne d'Arc_, p. 88.] + +Elle lui apprit que trois jours auparavant, elle avait envoyé à la +dame Jeanne de Laval un anneau d'or: + +--C'est bien petite chose, ajouta-t-elle avec grâce. Je lui aurais +volontiers envoyé mieux, considéré sa recommandation[1124]. + +[Note 1124: C'est-à-dire, considéré la réputation, l'estime où on la +tenait. Comparez Froissart, cité dans La Curne, _Glossaire, ad. v._ «Six +bourgeois de la ville de Calais et de plus grande recommandation.»] + +Ce même jour, à l'heure de vêpres, elle partit de Selles pour +Romorantin, avec une compagnie nombreuse de gens d'armes et de gens +des communes, commandée par le maréchal de Boussac. Elle était +entourée de moines mendiants et un de ses frères l'accompagnait. Armée +de blanc, et coiffée d'un chaperon, on lui amena son cheval à la porte +de sa maison. C'était un grand coursier noir qui ne voulait pas se +laisser monter et se défendait très fort. Elle le fit mener à la croix +qui s'élevait devant l'église au bord du chemin, et là, se mit en +selle. De quoi le seigneur Guy fut assez émerveillé, voyant que le +coursier ne se mouvait pas plus que s'il eût été lié. Elle tourna la +tête de son cheval vers le porche et cria d'une voix qui sonnait clair +comme une voix de femme: + +--Vous, les prêtres et gens d'église, faites processions et prières à +Dieu. + +Puis, gagnant la route: + +--Tirez avant, dit-elle, tirez avant! + +Elle tenait à la main une petite hache. Son page portait son étendard +roulé[1125]. + +[Note 1125: Lettre de Gui et d'André de Laval, dans _Procès_, t. +V, pp. 106, 107.] + +On se réunit à Orléans. Le jeudi 9 au soir, Jeanne passa le pont +qu'elle avait passé le 8 mai. Le samedi 11, l'armée partit pour +Jargeau. Elle se composait des lances amenées par le duc d'Alençon, le +comte de Vendôme, le Bâtard, le maréchal de Boussac, le capitaine La +Hire, messire Florent d'Illiers, messire Jamet du Tillay, messire +Thudal de Kermoisan de Bretagne, ainsi que des contingents fournis +par les communes, en tout peut-être huit mille combattants, dont +plusieurs portant guisarmes, haches, arbalètes et maillets de +plomb[1126]. Le commandement en fut donné au jeune duc d'Alençon qui +n'était pas bien sensé[1127]. Mais il se tenait à cheval, et c'était +alors la seule science indispensable à un chef de guerre. Les +habitants d'Orléans faisaient encore les frais de l'expédition. Ils +donnèrent trois mille livres pour payer les gens d'armes, sept muids +de blé pour les nourrir. Et, sur leur demande, le roi leur imposa une +nouvelle taille de trois mille livres[1128]. Ils envoyèrent des +ouvriers de tous corps de métiers, maçons, charpentiers, maréchaux, à +leurs gages. Ils prêtèrent leur artillerie. Des couleuvrines, des +canons, la Bergère et la grosse bombarde traînée à quatre chevaux, +partirent sous la conduite des canonniers Megret et Jean +Boillève[1129]. Ils fournirent des munitions et des engins, traits, +échelles, pioches, pelles, pics, le tout poinçonné, car ils étaient +gens d'ordre. Et c'est à la Pucelle qu'ils envoyèrent tout le matériel +de siège. Ils ne connaissaient en cette affaire ni le duc d'Alençon, +ni même le frère de leur seigneur, le noble Bâtard. Ils ne +connaissaient que Jeanne, et c'est à Jeanne qu'ils dépêchèrent, sous +la ville assiégée, deux des leurs, Jean Leclerc et François +Joachim[1130]. Après les citoyens d'Orléans, ce fut le sire de Rais +qui contribua le plus aux dépenses du siège de Jargeau[1131]. Ce +malheureux seigneur dépensait sans compter, et de riches bourgeois +gagnaient gros à lui prêter sur gages. Il devait bientôt se vouer au +diable pour rétablir ses affaires. + +[Note 1126: _Mistère du siège_, vers 15761.--_Journal du siège_, +p. 95.--_Chronique de la Pucelle_, p. 299.--Jean Chartier, +_Chronique_, t. I, p. 81.--Monstrelet, t. III, p. 338.] + +[Note 1127: A. Duveau, _Le jugement du duc d'Alençon_, dans _Bull. +soc. archéol. du Vendômois_ (1874), XIII, pp. 132 et suiv.] + +[Note 1128: Loiseleur, _Compte des dépenses faites par Charles VII +pour secourir Orléans_, p. 158.] + +[Note 1129: _Journal du siège_, p. 97.] + +[Note 1130: Extraits des livres de comptes, dans _Procès_, t. V, +pp. 262, 263.--A. de Villaret, _Campagnes de Jeanne d'Arc sur la +Loire_, pp. 77-80.--Loiseleur, _Compte des dépenses_, p. 149.] + +[Note 1131: Abbé Bossard, _Gille de Rais_, Paris, 1886, p. +32.--Lea, _Histoire de l'Inquisition_, trad. Reinach, t. III, pp. 566 +et suiv.] + +La ville de Jargeau, qu'on allait reprendre à grandes forces, s'était +rendue aux Anglais sans nulle résistance, le 5 octobre de la +précédente année[1132]. Le pont conduisant de la ville sur la rive de +Beauce était muni de deux châtelets[1133]. La ville elle-même, +entourée de murs et de tours, n'était pas très forte, mais les Anglais +l'avaient mise en état de défense. Avertis que les gens du roi de +France la venaient assiéger, le comte de Suffolk et ses deux frères +s'y jetèrent avec cinq cents chevaliers, écuyers et autres gens +d'armes, et deux cents archers d'élite[1134]. Le duc d'Alençon prit +les devants et chevaucha à la tête de six cents lances. La Pucelle se +tenait en sa compagnie. La première nuit ils couchèrent dans les +bois[1135]. Le lendemain, à la pointe du jour, monseigneur le Bâtard, +messire Florent d'Illiers et plusieurs autres capitaines les +rejoignirent. Ils avaient grande hâte d'atteindre Jargeau. Soudain on +apprend que sir John Falstolf, venant de Paris avec deux mille +combattants, amène des vivres et de l'artillerie à Jargeau, et qu'il +approche[1136]. + +[Note 1132: _Chronique de la Pucelle_, p. 258.] + +[Note 1133: Berry, dans _Procès_, t. IV, p. 45.] + +[Note 1134: _Journal du siège_, p. 96.--_Chronique de la Pucelle_, +p. 299.--_Chronique de la fête_, dans _Procès_, t. V, p. 295.--Jean +Chartier, _Chronique_, t. I, p. 82.--Berry, dans _Procès_, t. IV, p. +44.--Monstrelet, t. IV, p. 325.] + +[Note 1135: _Procès_, t. III, p. 94.--Perceval de Cagny, pp. 150, +151.] + +[Note 1136: _Journal du siège_, _Chronique de la Pucelle_, Berry, +Jean Chartier, _loc. cit._--Wavrin du Forestel, _Anchiennes +croniques_, t. I, p. 284.--Fauquembergue, dans _Procès_, t. IV, p. +452.] + +C'était cette même armée qui avait tant inquiété Jeanne, le 4 mai, +parce que ses saintes ne lui avaient pas dit où était Falstolf. Les +capitaines tinrent conseil. Plusieurs jugeaient qu'il fallait renoncer +au siège et aller à la rencontre de Falstolf. Quelques-uns décampèrent +sans attendre davantage. Jeanne exhorta les gens d'armes à continuer +leur marche sur Jargeau. Elle ne savait pas mieux que les autres où +était pour lors cette armée de sir John Falstolf; ses raisons +n'étaient point de ce monde. + +--Ne craignez quelque multitude que ce soit, dit-elle, et ne faites +point difficulté de donner l'assaut aux Anglais, car Messire conduit +cet ouvrage. + +Et elle dit encore: + +--Si je n'étais certaine que Messire conduit cet ouvrage, j'aimerais +mieux garder les brebis que de m'exposer à de si grands dangers. + +Elle se faisait écouter du duc d'Alençon mieux qu'elle n'avait fait +d'aucun des chefs de l'armée d'Orléans[1137]. On rappela ceux qui +étaient partis et l'on poursuivit la marche sur Jargeau[1138]. + +[Note 1137: Perceval de Cagny, p. 148 et _passim_.--_Chronique de +la Pucelle_, p. 300.] + +[Note 1138: _Procès_, t. III, p. 95.] + +Les faubourgs de la ville étaient ouverts. Mais les gens du roi de +France, quand ils s'en approchèrent, trouvèrent les Anglais qui, +rangés en avant des masures, les contraignirent à reculer. Ce que +voyant, la Pucelle prit son étendard et se jeta sur les ennemis en +recommandant aux hommes d'armes d'avoir bon courage. Les gens du roi +de France purent loger cette nuit-là dans les faubourg[1139]. Ils ne +firent pour ainsi dire aucune garde et, de l'aveu du duc d'Alençon, +ils étaient en grand danger, si les Anglais étaient sortis[1140]. La +Pucelle avait raison plus qu'elle ne croyait. Tout dans son armée +allait à la grâce de Dieu. + +[Note 1139: La nuit du vendredi 10 au samedi 11.] + +[Note 1140: _Procès_, t. III, p. 95.] + +Dès le lendemain matin les assiégeants firent avancer les machines et +les bombardes. Les canons d'Orléans tirèrent sur la ville qui fut très +endommagée. En trois coups la Bergère fit choir la plus grosse tour de +l'enceinte[1141]. + +[Note 1141: _Procès_, _ibid._--_Journal du siège_, p. 97.] + +Les gens des communes arrivèrent devant Jargeau le samedi 11. Aussitôt +sans demander conseil, ils coururent aux fossés et donnèrent l'assaut. +Ils y allèrent de trop bon coeur, s'y prirent mal, ne furent pas aidés +par les gens d'armes et revinrent en mauvais état[1142]. + +[Note 1142: Perceval de Cagny, p. 150.] + +Dans la nuit du samedi, la Pucelle, qui avait coutume de sommer +l'ennemi avant de le combattre, s'approcha du fossé et cria aux +Anglais: + +--Rendez la place au Roi du ciel et au roi Charles, et vous en allez. +Autrement il vous mescherra[1143]. + +[Note 1143: _Ibid._, p. 150.] + +Les Anglais ne tinrent nul compte de cette sommation. Pourtant ils +avaient grande envie d'entrer en accommodement. Le comte de Suffolk alla +trouver monseigneur le Bâtard et lui dit de ne point donner l'assaut, et +que la ville lui serait rendue. Les Anglais demandaient un délai de +quinze jours, après quoi ils s'engageaient à se retirer sur l'heure, eux +et leurs chevaux, à la condition, sans doute, de n'être pas secourus à +cette date[1144]. Ces capitulations conditionnelles étaient fréquentes +dans les deux partis. Le sire de Baudricourt en avait signé une +semblable à Vaucouleurs quand Jeanne y vint[1145]. Dans ce cas, c'eût +été une duperie de consentir à la demande du noble comte au moment où +sir John Falstolf arrivait avec des vivres et des canons[1146]. Que le +Bâtard donnât dans le panneau, on l'a dit; mais ce n'est pas croyable. +Il était bien trop avisé pour cela. Toutefois, le lendemain dimanche, +douzième du mois, le duc d'Alençon et les seigneurs, tenant conseil sur +ce qu'il y avait à faire pour prendre la ville, apprirent que le +capitaine La Hire conférait avec le comte de Suffolk. Ils en furent très +mécontents[1147]. Le capitaine La Hire, qui ne pouvait traiter en son +propre nom, puisqu'il n'était pas chef de l'armée, avait sans doute les +pouvoirs de monseigneur le Bâtard. Celui-ci commandait pour le duc, +prisonnier des Anglais, tandis que le duc d'Alençon commandait pour le +roi, et l'on conçoit qu'il y eût conflit. + +[Note 1144: _Procès_, t. I, pp. 79, 95.] + +[Note 1145: S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, p. CLXVIII.] + +[Note 1146: _Journal du siège_, _Chronique de la Pucelle_, J. +Chartier. Monstrelet, _loc. cit._] + +[Note 1147: _Procès_, t. III, p. 95.] + +La Pucelle, toujours disposée à recevoir les ennemis à merci et +toujours prête à combattre, disait: + +--Qu'ils s'en aillent de Jargeau en leurs petites cottes, la vie +sauve, s'ils veulent! Sinon ils seront pris d'assaut[1148]. + +[Note 1148: _Ibid._, t. I, pp. 79-80, 234.] + +Le duc d'Alençon, sans seulement s'enquérir des clauses de la +capitulation, fit rappeler le capitaine La Hire. + +Il vint et aussitôt on apporta les échelles. Les hérauts sonnèrent la +trompette et crièrent: «À l'assaut!» + +La Pucelle déploya son étendard et, toute armée, la tête recouverte +d'un de ces casques légers qu'on nommait chapelines[1149], elle +descendit dans le fossé avec les gens du roi et les gens des communes, +sous les traits des arbalètes et les pierres des canons; elle se +tenait au coté du duc d'Alençon, lui disant: + +[Note 1149: _Procès_, t. III, p. 97.--Perceval de Cagny, pp. +150-151.] + +--En avant! gentil duc, à l'assaut! + +Le duc, qui n'avait pas le coeur aussi ferme qu'elle, trouvait qu'elle +allait peut-être un peu vite en besogne. Il le lui laissa entendre. + +Alors elle l'encouragea: + +--Ne craignez point. L'heure est favorable quand il plaît à Dieu, et +il est à propos d'ouvrer quand Dieu le veut. Ouvrez et Dieu ouvrera. + +Et le voyant mal assuré en cet assaut, elle lui rappela la promesse +qu'elle avait faite naguère à son sujet dans l'abbaye de +Saint-Florent-lès-Saumur. + +--Oh! gentil duc, avez-vous peur? Ne savez-vous pas que j'ai promis à +votre femme de vous ramener sain et sauf[1150]? + +[Note 1150: _Ibid._, t. III, pp. 95-96.] + +Au vif de l'attaque, elle observa sur la muraille une de ces bombardes +très longues et minces, qui se chargeaient par la culasse et qu'on +appelait veuglaires. Voyant que ce veuglaire crachait des pierres à +l'endroit même où elle se trouvait avec le beau cousin du roi, elle +sentit le danger, mais ne le sentit point pour elle. + +--Éloignez-vous, dit-elle vivement. Cette machine va vous tuer. + +Le duc ne s'était pas écarté de trois toises, qu'un gentilhomme +d'Anjou, le sire Du Lude, ayant pris la place quittée, fut tué par une +pierre du veuglaire[1151]. Le duc d'Alençon admira cette prophétie. +Sans doute la Pucelle était venue pour le sauver, et elle n'était pas +venue pour sauver le sire Du Lude. Les anges du Seigneur viennent pour +le salut des uns et la perte des autres. Comme les gens du roi de +France touchaient au mur, le comte de Suffolk fit crier qu'il voulait +parler au duc d'Alençon. Il ne fut pas écouté et l'assaut +continua[1152]. + +[Note 1151: _Procès_, t. III, pp. 96, 97.--_Chronique de la +Pucelle_, p. 301.--_Journal du siège_, p. 97.] + +[Note 1152: _Procès_, t. III, p. 97.] + +Il y avait quatre heures qu'on s'efforçait[1153], quand Jeanne, son +étendard à la main, monta sur une échelle appuyée à la douve. Une +pierre lancée sur sa chapeline l'abattit avec ses panonceaux. On la +croyait écrasée, mais elle se releva vivement et cria aux hommes +d'armes: + +--Amis, amis, sus, sus! Messire a condamné les Anglais. À cette heure, +ils sont nôtres. Ayez bon coeur[1154]. + +[Note 1153: _Journal du siège_, p. 100.] + +[Note 1154: _Procès_, t. III, p. 97.--_Journal du siège_, p. +98.--_Chronique de la Pucelle_, pp. 301-302.--Perceval de Cagny, pp. +150-151.] + +Le mur fut escaladé et les gens du roi de France se répandirent dans +la ville. Les Anglais s'enfuirent vers la Beauce, et les Français se +lancèrent à leur poursuite. Guillaume Regnault, écuyer d'Auvergne, +atteignit sur le pont le comte de Suffolk et le prit. + +--Êtes-vous gentilhomme? demanda Suffolk. + +--Oui. + +--Êtes-vous chevalier? + +--Non. + +Le comte de Suffolk le fit chevalier et se rendit à lui[1155]. + +[Note 1155: _Journal du siège_, p. 99.--_Chronique de la Pucelle_, +p. 302.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 82.--Berry, dans +_Procès_, t. IV, p. 65.] + +Bientôt le bruit courut que le comte de Suffolk s'était rendu à la +Pucelle à genoux[1156]. On publia même qu'il avait demandé à se rendre +à elle comme à la plus vaillante dame qui fût au monde[1157]. Mais il +est croyable qu'il se serait rendu au dernier valet de l'armée plutôt +qu'à une femme qu'il tenait pour endiablée sorcière. + +[Note 1156: Fragment d'une lettre sur des prodiges advenus en +Poitou, dans _Procès_, t. V, p. 122.] + +[Note 1157: _Relation du greffier de La Rochelle_, p. +340.--Morosini, t. III, p. 70.--_Procès_, t. V, pp. 121-122.] + +John Pole, frère de Suffolk, fut pris aussi sur le pont. Un troisième +frère du duc, Alexander Pole, fut tué au même endroit ou se noya dans +la Loire[1158]. La garnison se rendit à merci. Il en fut cette fois +comme d'ordinaire. On ne se faisait pas grand mal pendant la +bataille; ensuite, les vainqueurs se rattrapaient. Cinq cents Anglais +furent massacrés; seuls leurs gentilshommes furent reçus à rançon. Et +les Français se prirent de querelle à leur sujet. Les seigneurs les +gardaient tous pour eux; les gens des communes en réclamaient leur +part, et, ne l'obtenant point, se mirent à tout assommer. Ce que les +nobles purent sauver fut conduit par eau, de nuit, à Orléans. La ville +fut entièrement saccagée; la vieille église, qui avait servi de +magasin aux Godons, toute pillée[1159]. + +[Note 1158: _Procès_, t. III, p. 72.--Perceval de Cagny, p. +151.--_Journal du siège_, p. 99.--Monstrelet, t. IV, p. +328.--Morosini, t. III, pp. 128, 129.] + +[Note 1159: _Journal du siège_, p. 99.] + +Tant tués que blessés, les Français n'avaient pas perdu vingt +hommes[1160]. + +[Note 1160: Perceval de Cagny, p. 151.--_Chronique de la Pucelle_, +p. 302.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I. pp. 82, 83.--Berry, dans +_Procès_, t. IV, p. 65.] + +Sans désemparer la Pucelle, avec la chevalerie, retourna à Orléans. À +l'occasion de la prise de Jargeau, les procureurs ordonnèrent une +procession publique. Un beau sermon fut fait par frère Robert +Baignart, Jacobin[1161]. + +[Note 1161: Comptes de la ville d'Orléans, à la suite du _Journal +du siège_, édit. Charpentier et Cuissard, p. 229.--Le R. P. Chapotin, +_La guerre de cent ans_, _Jeanne d'Arc et les Dominicains_, Paris, +1889, in-8º, p. 82.] + +Les habitants d'Orléans firent présent au duc d'Alençon de six +tonneaux de vin; à la Pucelle de quatre; au comte de Vendôme de +deux[1162]. + +[Note 1162: A. de Villaret, _Campagne des Anglais..._, pièces +justificatives, p. 51.] + +En considération des bons et agréables services que la sainte fille +avait rendus, les conseillers du duc Charles, prisonnier des Anglais, +lui donnèrent une huque verte et une robe de drap cramoisi de Flandre +ou fine Bruxelles vermeille. Jean Luillier, qui fournit l'étoffe, +demanda: pour deux aunes de fine Bruxelles, à quatre écus l'aune, huit +écus; pour la doublure de la robe, deux écus; pour une aune de vert +perdu deux écus, ce qui faisait douze écus d'or[1163]. Jean Luillier +était un jeune marchand drapier qui aimait grandement la Pucelle et la +regardait comme un ange de Dieu. Il avait bon coeur: mais la peur des +Anglais lui donnait la berlue et il en voyait plus qu'il n'y en +avait[1164]. Un de ses parents faisait partie du conseil élu en 1429. +Il devait lui-même être nommé procureur un peu plus tard[1165]. + +[Note 1163: _Procès_, t. V, pp. 112-113.] + +[Note 1164: _Ibid._, t. III, p. 23.] + +[Note 1165: _Ibid._, t. V, p. 306.] + +Jean Bourgeois, tailleur, demanda, tant pour la façon de la robe et de +la huque que pour fourniture de satin blanc, sandal et autres étoffes, +un écu d'or[1166]. + +[Note 1166: _Ibid._, t. V, pp. 112, 114.] + +Précédemment la ville avait donné à la Pucelle pour faire les «orties» +de ses robes une demi-aune de deux verts, valant trente-cinq sols +parisis[1167]. Les orties étaient la devise du duc d'Orléans; le vert +et le vermeil ou cramoisi, ses couleurs[1168]. Ce vert ne gardait pas +sa claire nuance première; il allait s'assombrissant avec la fortune +de la maison. On avait vu le vert gai, puis le vert brun, et enfin le +vert perdu, qui tirait sur le noir et signifiait deuil et +douleur[1169]. On donna à la Pucelle le vert perdu. Elle portait la +livrée d'Orléans, ainsi que les officiers du duché et les miliciens de +la ville, et de la sorte, on faisait d'elle un merveilleux héraut +d'armes et comme un ange héraldique. + +[Note 1167: Comptes de forteresse, dans _Procès_, t. V, p. 259.] + +[Note 1168: _Procès_, t. V, pp. 106, 259.--_Catalogue des Arch. +de Joursanvault_, t. I, p. 129, n{os} 603, 607, 619, 645, +772.--Dambreville, _Abrégé de l'histoire des ordres de chevalerie_, p. +167.--P. Mantelier, _Histoire du siège_, p. 92.] + +[Note 1169: Vert perdu, feuille morte, dans La Curne.] + +La huque de vert perdu et la robe brodée d'orties, elle dut les porter +volontiers et de bon coeur pour l'amour du duc Charles à qui les +Anglais avaient fait si grand déplaisir. Venue pour défendre +l'héritage du prince prisonnier, elle disait que, de par Jésus, le bon +duc d'Orléans était à sa charge, et comptait bien le délivrer. Son +dessein était de sommer tout d'abord les Anglais de le rendre et, +s'ils n'y consentaient point, de passer la mer et de l'aller chercher +avec une armée en Angleterre. Au cas où ce moyen lui manquerait, elle +en avait imaginé un autre, avec le congé de ses saintes. Elle aurait +demandé à son roi qu'il la laissât faire des prisonniers, comptant en +faire assez pour les échanger contre le duc Charles. Mesdames sainte +Catherine et sainte Marguerite lui avaient promis que, de cette +manière, elle le délivrerait dans un terme plus bref que celui de +trois ans et plus long que le terme d'une année[1170]. Rêves pieux +d'une enfant endormie au son des cloches villageoises! Trouvant juste +de travailler et de souffrir pour ôter les princes de peine et +d'ennui, elle disait, en bonne servante: + +--Je sais bien que Dieu aime mieux mon roi et le duc d'Orléans que +moi, en ce qui regarde l'aise du corps, et je le sais par révélation. + +[Note 1170: _Procès_, t. I, pp. 133, 254.] + +Et parlant du duc prisonnier, elle disait aussi: + +--Mes Voix m'ont fait beaucoup de révélations sur lui; elles m'en ont +fait sur le duc Charles plus que sur homme vivant, excepté mon +roi[1171]. + +[Note 1171: _Ibid._, t. I, p. 55.] + +Dans le fait, madame sainte Catherine et madame sainte Marguerite lui +avaient seulement conté les malheurs tant connus du prince. Le fils de +Valentine de Milan et la fille d'Isabelle Romée étaient séparés par un +abîme plus large et plus profond que l'océan qui s'étendait entre eux. +Ils vivaient aux deux bouts du monde des âmes; et toutes les saintes +du paradis n'eussent pas réussi à les expliquer l'un à l'autre. + +C'était pourtant un bon prince que le duc Charles, un prince +débonnaire, bienveillant et pitoyable. Plus qu'aucun autre il +possédait le don de plaire: il charmait par sa grâce, encore que de +pauvre mine et de faible complexion. Sa nature s'accordait si mal +avec sa destinée, qu'on peut dire qu'il endurait sa vie et ne la +vivait pas. Son père assassiné la nuit, rue Barbette, à Paris, par +l'ordre du duc Jean; sa mère morte de douleur et de colère, parmi les +cordelières, la chantepleure, les deux S de Soupirs et Souci, emblèmes +et devises de son deuil, qui révélaient l'élégance d'un esprit +ingénieux jusque dans le désespoir; les Armagnacs, les Bourguignons, +les Cabochiens s'entre-égorgeant autour de lui, voilà ce qu'il avait +vu presque enfant encore. Puis il avait été blessé et pris à la +bataille d'Azincourt. + +Et depuis quatorze ans, mené de châteaux en châteaux, d'un bout à +l'autre de l'île brumeuse, enfermé dans des murs épais, étroitement +gardé, recevant deux ou trois Français à longs intervalles et n'en +pouvant entretenir aucun sans témoins, il se sentait vieux avant +l'âge, flétri par le malheur. Il disait: «Fruit abattu vert encore, je +fus mis à mûrir sur la paille de la prison. Je suis un fruit d'hiver». +Captif, il souffrait sans espoir, sachant que le roi Henri V, en +mourant, avait recommandé à son frère de ne le rendre à aucun +prix[1172]. + +[Note 1172: A. Champollion-Figeac, _Louis et Charles, ducs +d'Orléans, leur influence sur les arts, la littérature et l'esprit de +leur siècle_, Paris, 1844, 1 vol. in-8º et atlas, pp. 300-337.] + +Doux à autrui, doux à lui-même, il se réfugiait dans sa propre pensée, +qui était aussi riante et claire que sa vie était triste et sombre. Au +fond des durs châteaux de Windsor et de Bolingbroke, à la tour de +Londres, aux côtés de ses geôliers, il vivait et respirait dans le +monde ingénieux du Roman de la Rose. Vénus, Cupidon, Espoir, +Bon-Accueil, Plaisance, Pitié, Danger, Tristesse, Soin, Mélancolie, +Doux-Regard entouraient le pupitre, sur lequel, dans l'embrasure +profonde d'une fenêtre, sans un rayon de soleil, il écrivait ses +ballades fraîches et fines comme des enluminures. Ce qui vraiment +existait pour lui c'était l'allégorie. Il errait dans la forêt de +Longue-Attente; il s'embarquait dans la nef de Bonne-Nouvelle. Il +était poète et chantait sa dame Beauté avec courtoisie. À lire ses +vers, on eût dit qu'il n'était captif que du seigneur Amour[1173]. + +[Note 1173: _Les poésies de Chartes d'Orléans_, éd. A. +Champollion-Figeac, Paris, 1842, in-8º.--Pierre Champion, _Le +manuscrit autographe des poésies de Charles d'Orléans_, Paris, 1907, +in-8º.] + +Dans l'ignorance où on le laissait des affaires de son duché, si +quelque soin l'occupait encore, c'était de recueillir les livres du +roi Charles V, volés par le duc de Bedfort et vendus aux marchands de +Londres, ou d'ordonner qu'on enlevât de Blois, à l'approche des +Anglais, ses belles tapisseries, avec la librairie de son père, et de +les faire porter à Saumur. Ce qu'il aimait le plus au monde, après +Beauté, c'était les riches tentures et les manuscrits ornés de +miniatures délicates[1174]. Ce qu'il regrettait, c'était le beau +soleil de France, le beau mois de mai, les danses et les dames. Il +était guéri de prouesse et de chevalerie. + +[Note 1174: Le Roux de Lincy, _La bibliothèque de Charles +d'Orléans à son château de Blois, en 1427_, Paris, 1843, in-8º.--Comte +de Laborde, _Les ducs de Bourgogne, études sur les lettres, les arts +et l'industrie pendant le XVe siècle_, Paris, 1852, t. III, pp. 235 et +suiv.--_Inventaires et documents relatifs aux joyaux et tapisseries +des princes d'Orléans-Valois_, Paris, in-8º.] + +On a voulu croire que, lorsque vint la Pucelle, il reçut des nouvelles +de son duché; on a même supposé qu'un fidèle domestique lui fit tenir +la chronique des événements heureux de mai et de juin 1428[1175]. Mais +rien n'est moins certain. Il est probable au contraire, que les +Anglais ne laissèrent parvenir à lui aucun message et qu'il ignorait +tout ce qui se passait dans les deux royaumes[1176]. + +[Note 1175: _Chronique de la Pucelle_, Introduction, par Vallet de +Viriville, pp. 8, 19 et suiv.] + +[Note 1176: Cela est certain pour l'année 1433 (_Poésies complètes +de Charles d'Orléans_, éd. Charles d'Héricault, Paris, 1874, 2 vol. +in-8º, introduction).] + +Et il n'était peut-être pas aussi curieux qu'on pourrait le croire des +nouvelles de la guerre. Il n'espérait rien des gens d'armes, et ne +comptait point sur ses beaux cousins de France pour le délivrer par +faits d'armes et batailles. Il savait trop bien comment ils s'y +prenaient. C'était de la paix qu'il attendait, pour son peuple et pour +lui, la délivrance. Il pensait que, puisque les pères étaient morts, +les fils pouvaient oublier et pardonner. Il gardait bon espoir en son +cousin de Bourgogne et il n'avait pas tort, car enfin la fortune des +Anglais en France dépendait du duc Philippe. Il était résigné, ou, du +moins, il devait un peu plus tard se résigner à reconnaître la +suzeraineté du roi d'Angleterre. Il faut moins considérer la faiblesse +des hommes que la force des choses. Et le prisonnier ne croyait jamais +trop faire pour obtenir la paix, «vrai trésor de joie»[1177]. + +[Note 1177: _Poésies de Charles d'Orléans_, éd. A. +Champollion-Figeac, pp. 175-176.] + +Non, en dépit de ses révélations, Jeanne ne se faisait pas un portrait +au vrai de son beau duc. Ils ne devaient jamais se voir; mais s'ils +avaient pu se rencontrer, ils se seraient bien mal entendus et +seraient demeurés impénétrables l'un à l'autre. La pensée rustique et +franche de Jeanne ne pouvait s'accorder avec la pensée d'un si haut +seigneur et d'un poète si courtois. Ils ne pouvaient s'entendre parce +qu'elle était simple et qu'il était subtil, parce qu'elle était +prophétesse et qu'il était nourri de gai savoir et de bonnes lettres, +parce qu'elle croyait et qu'il était comme ne croyant pas, parce +qu'elle était une fille des communes, et une sainte rapportant toute +souveraineté à Dieu, et qu'il concevait le droit selon les coutumes +féodales, usages, alliances et traités[1178]; parce qu'ils ne se +faisaient pas tous deux la même idée du monde et de la vie. Le bon duc +n'aurait vu goutte au fait de la Pucelle envoyée par Messire pour +recouvrer son duché, et Jeanne n'aurait jamais pu s'expliquer les +façons du duc Charles envers ses cousins d'Angleterre et de +Bourgogne. Il valait mieux qu'ils ne se vissent jamais. + +[Note 1178: Toute paix était pour lui une bonne paix; même celle +de 1420, celle du traité de Troyes (Pierre Champion, _Le manuscrit +autographe des poésies de Charles d'Orléans_, Paris, 1907, in-8º, p. +32).] + +Depuis la prise de Jargeau, la Loire était libre en amont. Pour que la +ville d'Orléans fût en sûreté, il fallait aussi dégager le fleuve en +aval, où les Anglais tenaient encore Meung, Beaugency et La Charité. +Le mardi quatorzième de juin, à l'heure des vêpres, l'armée prit les +champs[1179]. + +[Note 1179: Perceval de Cagny, p. 152: «Je veux demain, après +dîner, aller voir ceux de Meung.» Le tour de langage qui est attribué +à Jeanne, dans cette chronique, appartient en propre au clerc qui la +rédigea.] + +On passa par la Sologne et l'on fut, le soir même, devant le pont de +Meung, établi en amont de la ville et séparé des murs par une large +prairie. Comme la plupart des ponts, il était défendu à chaque bout +par un châtelet, et les Anglais l'avaient muni d'un boulevard de +terre, ainsi qu'ils avaient fait aux Tourelles d'Orléans[1180]. +Pourtant ils le gardèrent mal et les gens du roi de France en +forcèrent aisément le passage avant la nuit. Ils y laissèrent garnison +et allèrent gîter en Beauce, presque sous la ville. Le jeune duc +d'Alençon se logea dans une église avec quelques hommes d'armes, sans +se garder, selon sa coutume. Il y fut surpris et en grand péril[1181]. + +[Note 1180: _Procès_, t. III, pp. 71, 97, 110.--_Chronique de la +Pucelle_, p. 305.--_Journal du siège_, p. 101.--Berry, dans _Procès_, +t. IV, p. 44.--Walter Bower, _Scotichronicon_, dans _Procès_, t. IV, +p. 479.--Eberhard Windecke, p. 176.] + +[Note 1181: _Procès_, t. III, p. 97.] + +La garnison, peu nombreuse, était commandée par lord Scales et par le +jeune fils de Warwick. Le lendemain, de bonne heure, les gens du roi, +passant à une portée de canon de la ville de Meung, s'en furent droit +à Beaugency où ils arrivèrent dans la matinée[1182]. + +[Note 1182: _Procès_, t. III, pp. 97, 98.] + +La vieille petite ville, assise sur le penchant d'une colline et +ceinte de vignes, de jardins, de champs de blé, penchait devant eux +vers la verte vallée du Ru, et dressait à leur vue sa tour carrée, de +mine assez fière, bien qu'accoutumée à se laisser prendre. Les +faubourgs n'étaient pas fortifiés; mais les Français, quand ils y +pénétrèrent, furent criblés de carreaux, de flèches et de viretons par +les archers embusqués dans les maisons et les masures. Il y eut, d'un +parti et de l'autre, morts et blessés. Finalement les Anglais se +retirèrent dans le château et dans les bastilles du pont[1183]. + +[Note 1183: _Journal du siège_, p. 101.--_Chronique de la +Pucelle_, p. 304.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 83.] + +Le duc d'Alençon mit des gardes devant le château, pour surveiller les +Anglais. À ce moment, il vit venir à lui deux seigneurs bretons, les +sires de Rostrenen et de Kermoisan, qui lui dirent: + +--Le connétable demande logis à ceux du siège[1184]. + +[Note 1184: _Procès_, t. III, pp. 97, 98.--Gruel, _Chronique de +Richemont_, p. 70.] + +Arthur de Bretagne, sire de Richemont, connétable de France, ayant +guerroyé tout l'hiver en Poitou contre les gens du sire de La +Trémouille, venait, malgré la défense du roi, se joindre aux gens du +roi[1185]. Il avait passé la Loire à Amboise et arrivait devant +Beaugency avec six cents gens d'armes et quatre cents hommes de +trait[1186]. Sa venue mit les capitaines dans l'embarras. Il y en +avait qui le tenaient pour homme de grand vouloir et courage. Mais +beaucoup vivaient du sire de La Trémouille, entre autres le pauvre +écuyer Jean d'Aulon. Le duc d'Alençon voulait se retirer, alléguant +l'ordre du roi de ne pas recevoir en sa société le connétable. + +[Note 1185: E. Cosneau, _Le connétable de Richemont_, pp. 93 et +suiv.] + +[Note 1186: _Procès_, t. III, pp. 315, 316.--Jean Chartier, +_Chronique_, t. I, p. 84.--_Journal du siège_, pp. 101, 102.--Perceval +de Cagny, p. 153.] + +--Si le connétable vient, je m'en irai, dit-il à Jeanne. + +Et il fit réponse aux deux gentilshommes bretons, qu'au cas où le +connétable viendrait prendre logis, la Pucelle et ceux du siège le +combattraient[1187]. + +[Note 1187: _Procès_, t. III, p. 98.--E. Cosneau, _Le connétable +de Richemont_, p. 168.] + +Il y était si décidé qu'il monta à cheval, pour courir sus aux +Bretons. La Pucelle s'apprêtait à le suivre, par révérence pour lui et +le roi. Mais plusieurs capitaines, jugeant que ce n'était pas l'heure +de coucher la lance contre le connétable de France, retinrent le duc +d'Alençon[1188]. + +[Note 1188: Gruel, _Chronique de Richemont_, pp. 70 et suiv.] + +Le lendemain, une vive alerte agita le camp. Les hérauts criaient: «À +l'arme!» On apprit que les Anglais venaient en grand nombre. Le jeune +duc voulait encore se retirer plutôt que d'accueillir le connétable. +Jeanne, cette fois, l'en dissuada: + +--Il faut s'entr'aider, lui dit-elle[1189]. + +[Note 1189: _Procès_, t. III, p. 98.] + +Il écouta ce conseil et alla, suivi d'elle, de monseigneur le Bâtard, +et des sires de Laval, au devant du connétable. Près de la maladrerie +de Beaugency, ils rencontrèrent une belle chevauchée. À leur approche, +un petit homme noir, renfrogné, lippu, descendit de cheval. C'était +Arthur de Bretagne. La Pucelle le vint embrasser par les jambes, comme +elle avait coutume de faire aux grands de la terre et du ciel, qu'elle +fréquentait[1190]. Ainsi en usait tout seigneur quand il rencontrait +plus noble que lui[1191]. + +[Note 1190: Gruel, _Chronique de Richemont_, p. 71.--E. Cosneau, +_Le connétable de Richemont_, p. 169.] + +[Note 1191: «Lors le saluèrent et le vindrent accoller par les +jambes». J. de Bueil, _Le Jouvencel_, t. I, p. 191.] + +Le connétable lui parla en bon catholique, dévot à Dieu et à l'Église: + +--Jeanne, on m'a dit que vous me vouliez combattre. Je ne sais si vous +êtes de par Dieu, ou non. Si vous êtes de par Dieu, je ne vous crains +de rien. Car Dieu fait mon bon vouloir. Si vous êtes de par le diable, +je vous crains encore moins[1192]. + +[Note 1192: Gruel, _Chronique de Richemont_, pp. 71-72.--J'ai +suivi Gruel, peu sûr d'ordinaire, mais très vraisemblable en cet +endroit et qui, du moins, ne nous jette pas en pleine hagiographie.] + +Il avait le droit de parler de la sorte, s'efforçant de ne jamais +donner au diable puissance sur lui. Il montrait à Dieu son bon vouloir +en recherchant les sorciers et les sorcières plus curieusement que ne +faisaient les évêques et les inquisiteurs du mal hérétique. Il en fit +brûler en France, en Poitou et en Bretagne, plus qu'homme +vivant[1193]. + +[Note 1193: Gruel, _Chronique de Richemont_, p. 228.] + +Le duc d'Alençon n'osa ni le renvoyer ni lui accorder le logis pour la +nuit. Les nouveaux venus, selon la coutume, devaient le guet. Le +connétable, avec sa compagnie, fit le guet cette nuit devant le +château[1194]. + +[Note 1194: _Ibid._, p. 72.--E. Cosneau, _Le connétable de +Richemont_, p. 170.] + +Le jeune duc d'Alençon chevauchait, sans plus. Ici encore les vrais +faiseurs de la guerre et pourvoyeurs du siège étaient les bourgeois +d'Orléans. Les procureurs de la ville avaient fait conduire par eau, à +Meung et à Beaugency, les engins nécessaires, échelles, pics, pioches, +et ces grands pavas dont les assiégeants se couvraient comme la tortue +de son écaille. Ils avaient envoyé leurs canons et leurs bombardes. Le +joyeux canonnier maître Jean de Montesclère était là[1195]. Ils +faisaient parvenir aux gens du roi des vivres qu'ils adressaient +expressément à la Pucelle. Le procureur Jean Boillève vint apporter +dans un chaland des pains et du vin[1196]. Toute la journée du +vendredi 17, les bombardes et les canons jetèrent des pierres sur les +assiégés. L'attaque se poursuivait en même temps du côté de la vallée +et, par le moyen des chalands, du côté de la rivière. Ce 17 juin, à +minuit, sir Richard Guethin, bailli d'Évreux, qui commandait la +garnison, offrit de capituler. Il fut accordé que les Anglais +rendraient le château et le pont et qu'ils s'en iraient le lendemain, +emmenant chevaux et harnais avec chacun son bien valant au plus un +marc d'argent. Ils étaient requis en outre de jurer ne point reprendre +les armes avant dix jours. À ces conditions, le lendemain, au soleil +levant, ils passèrent, au nombre de cinq cents, sur le pont levis et +se retirèrent à Meung dont le château, mais non le pont, était resté +aux Anglais[1197]. Prudemment, le connétable envoya quelques hommes +renforcer la garnison du pont de Meung[1198]. Sir Richard Guethin et +le capitaine Math Gouth furent retenus comme otages[1199]. + +[Note 1195: _Journal du siège_, p. 97.--_Chronique de la Pucelle_, +p. 301.] + +[Note 1196: A. de Villaret, _Campagne des Anglais_, pp. 87-88 et +pièces justificatives, pp. 153, 158.] + +[Note 1197: _Chronique de la Pucelle_, p. 305.--_Journal du +siège_, p. 102.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 84.--Wavrin du +Forestel, _Anchiennes croniques_, t. I, pp. 279, 282.--Monstrelet, t. +III, pp. 325 et suiv.] + +[Note 1198: Gruel, _Chronique de Richemont_, p. 72.] + +[Note 1199: Wavrin du Forestel, _Anchiennes croniques_, t. I, p. +279.] + +La garnison de Beaugency s'était trop pressée de se rendre. À peine +était-elle partie, qu'un homme d'armes de la compagnie du capitaine +La Hire vint dire au duc d'Alençon: + +--Les Anglais marchent sur nous. Nous allons les avoir en face. Ils +sont bien là-bas mille hommes d'armes. + +Jeanne, l'entendant parler sans saisir ses paroles, demanda: + +--Que dit cet homme d'armes? + +Et quand elle le sut, se tournant vers Arthur de Bretagne, qui était +près d'elle: + +--Ah! beau connétable, vous n'êtes pas venu de par moi; mais puisque +vous êtes venu, vous serez le bien venu[1200]. + +[Note 1200: _Procès_, t. III, p. 98.] + +Ce que les Français avaient devant eux, c'était sir John Talbot et sir +John Falstolf avec toute l'armée anglaise. + + + + +CHAPITRE XVI + +LA BATAILLE DE PATAY.--L'OPINION DES CLERCS D'ITALIE ET +D'ALLEMAGNE.--L'ARMÉE DE GIEN. + + +Sir John Falstolf, ayant quitté Paris le 9 juin, s'achemina par la +Beauce, avec cinq mille combattants. Il amenait abondance de vivres et +de traits aux Anglais de Jargeau. Apprenant en route que la ville +s'était rendue, il laissa ses bagages à Étampes et se porta sur +Janville où sir John Talbot vint le rejoindre avec quarante lances et +deux cents archers[1201]. + +[Note 1201: Wavrin du Forestel, _Anchiennes croniques_, éd. +Dupont, t. I, p. 281.--Berry, dans _Procès_, t. IV, p. 44.--Jean +Chartier, _Chronique_; t. I, p. 85.--_Journal du siège_, pp. +102-103.--_Chronique de la Pucelle_, p. 306.--Gruel, _Chronique de +Richemont_, p. 72.--Fauquembergue, dans _Procès_, t. IV, p. +452.--Morosini, t. III, pp. 71-73.] + +Là, ils furent instruits que les Français avaient pris le pont de +Meung et mis le siège devant Beaugency. Sir John Talbot voulait +marcher au secours de ceux de Beaugency et les délivrer, avec l'aide +de Dieu et de monseigneur saint Georges. Sir John Falstolf était +d'avis d'abandonner sir Richard Guethin et la garnison à leur sort, +et de ne point combattre pour l'heure. Voyant les siens craintifs et +les Français envigourés, il estimait que les Anglais n'avaient rien de +mieux à faire que d'attendre dans les villes, châteaux et forteresses +qui leur restaient, les renforts promis par le Régent. + +--Nous ne sommes qu'une poignée de gens au regard des Français, +disait-il. Si la fortune nous devient mauvaise, tout ce que le feu roi +Henri a conquis en France à grand labeur et long terme sera en voie de +perdition[1202]. + +[Note 1202: Monstrelet, t. IV, p. 331.--Wavrin du Forestel, +_Anchiennes croniques_, t. I, p. 283 et suiv.] + +Il ne fut pas écouté et l'armée marcha sur Beaugency. Elle se trouvait +non loin de la ville, le dimanche dix-neuvième d'août, au moment où la +garnison en sortait avec seulement chevaux, harnais et bagages d'un +marc d'argent pour chaque homme[1203]. + +[Note 1203: _Chronique de la Pucelle_, J. Chartier, Gruel, +Morosini, Berry, Monstrelet, Wavrin, _loc. cit._--_Lettre de Jacques +de Bourbon, comte de la Marche à Guill. de Champeaux, évêque de Laon_, +d'après un manuscrit de Vienne par Bougenot, dans _Bull. du Com. des +travaux hist. et scientif. Hist. et phil. 1892_, pp. 56-65 (traduction +française par S. Luce, dans la _Revue Bleue_, 13 février 1892, pp. +201-204).] + +Les gens du roi de France, avertis que cette armée approchait, se +portèrent à sa rencontre. Après une courte chevauchée les éclaireurs +signalèrent, à une lieue environ de Patay, les étendards et les +pennons d'Angleterre qui flottaient sur la plaine. Alors les Français +gravirent une colline d'où ils purent observer l'ennemi. Le capitaine +La Hire et le jeune sire de Termes dirent à la Pucelle: + +--Les Anglais viennent. Ils sont en ordre de bataille et prêts à se +battre. + +Elle répondit, à sa coutume: + +--Frappez hardiment; ils prendront la fuite. + +Et elle ajouta que ce ne serait pas long[1204]. + +[Note 1204: _Procès_, t. III, p. 120.--Monstrelet, t. IV, p. +328.--Le clerc qui rédigea la déposition de Thibault de Termes, +ignorant cette affaire, mit ces propos à la rencontre de Patay. À +Patay, Jeanne et La Hire n'étaient pas près l'un de l'autre.] + +Les Anglais, croyant que les Français leur offraient la bataille, +mirent pied à terre. Les archers plantèrent leurs pieux dans le sol, +la pointe inclinée vers l'ennemi. C'est ainsi que, d'ordinaire, ils se +préparaient à combattre, et ils n'avaient pas fait autrement à la +journée des Harengs. Le soleil baissait déjà[1205]. + +[Note 1205: Wavrin du Forestel, _Anchiennes croniques_, t. I, p. +286.] + +Le duc d'Alençon n'était nullement décidé à descendre dans la plaine. +En présence du Connétable, de monseigneur le Bâtard et des capitaines, +il consulta la sainte fille, qui tourna sa réponse en énigme: + +--Ayez tous de bons éperons. + +Pensant qu'elle parlait des éperons du comte de Clermont, des éperons +de Rouvray, le duc d'Alençon lui demanda: + +--Que dites-vous? Nous tournerons donc le dos? + +--Nenni, répondit-elle. + +Ses Voix, en toute occasion, lui conseillaient une invariable +confiance. + +--Nenni. En nom Dieu, allez sur eux, car ils s'enfuiront et +n'arrêteront pas et seront déconfits, sans guère de perte pour vos +gens; et pour ce, faut-il vos éperons pour les suivre[1206]. + +[Note 1206: _Procès_, t. III, p. 11.--_Chronique de la Pucelle_, +p. 243.--Il est clair que cet endroit de la déposition de Dunois et de +la _Chronique de la Pucelle_ ne s'applique pas à la journée du 18, +comme on l'a cru. «Tous les corps anglais, dit Dunois, se réunirent en +une seule armée. Nous crûmes qu'ils voulaient nous offrir la +bataille.» Il parle évidemment de ce qui s'est passé le 17 août. La +déposition du duc d'Alençon brouille tout. On ne comprend pas que la +Pucelle ait dit des Anglais, le 18: «Dieu nous les envoie», quand ils +fuyaient.] + +Selon l'avis des maîtres et docteurs, il convenait d'écouter la +Pucelle sans quitter les voies de la prudence humaine. Les chefs de +l'armée, soit qu'ils jugeassent l'occasion mauvaise, soit qu'ils +craignissent encore, après tant de défaites, de livrer une bataille +rangée, ne descendirent point de leur colline. À deux hérauts +d'Angleterre venus de la part de trois chevaliers qui offraient de +combattre en combat singulier, il fut répondu: + +--Allez vous coucher pour aujourd'hui, car il est assez tard. Mais +demain, au plaisir de Dieu et de Notre-Dame, nous nous verrons de plus +près[1207]. + +[Note 1207: Ceux qui attribuent ce mot à la Pucelle ont mal lu +Wavrin, _Anchiennes croniques_, t. I, p. 287.] + +Les Anglais, certains qu'ils ne seraient pas attaqués, quittèrent la +place et s'en allèrent loger, pour la nuit, à Meung[1208]. + +[Note 1208: Wavrin du Forestel, _Anchiennes croniques_, t. I, p. +287.--Monstrelet, t. IV, pp. 326 et suiv.] + +Les Français les y allèrent chercher le lendemain samedi 18, jour de +saint Hubert; ils ne les y trouvèrent pas. Les Godons avaient déguerpi +de bon matin et s'en étaient allés avec canons, munitions et vivres, +vers Janville où ils comptaient se retrancher[1209]. + +[Note 1209: _Chronique de la Pucelle_, _Journal du siège_, Gruel, +J. Chartier, Berry, _loc. cit._] + +L'armée du roi Charles forte de douze mille hommes[1210] se mit +aussitôt à leur poursuite, sur la route de Paris par la plaine de +Beauce, inculte, buissonneuse, et giboyeuse, couverte de broussailles +et de taillis, belle pourtant au gré des chevaucheurs anglais et +français qui la vantaient à l'envi[1211]. + +[Note 1210: Wavrin du Forestel, _Anchiennes croniques_, t. I, p. +289.--Fauché-Prunelle, _Lettres tirées des archives de l'évêché de +Grenoble_, dans _Bull. acad. Delph._, t. II, 1847, pp. 458 et +suiv.--Lettre de Charles VII à la ville de Tours, dans _Procès_, t. V, +pp. 262, 263.] + +[Note 1211: Wavrin du Forestel, _Anchiennes croniques_, t. I, p. +289.] + +Sur la plaine infinie où la terre glisse au regard et fuit, voyant le +ciel devant elle, le ciel nuageux des plaines qui fait rêver de +chevauchées merveilleuses par les montagnes de l'air, la Pucelle +s'écria: + +--En nom Dieu, s'ils étaient pendus aux nuées, nous les aurions[1212]. + +[Note 1212: _Procès_, t. III, pp. 10, 98, 99.--_Chronique de la +Pucelle_, p. 306.--_Chronique Normande_, ch. XLVIII, éd. Vallet de +Viriville.--Monstrelet, t. III, pp. 325 et suiv.--Morosini, t. III, +pp. 72, 73.--Wavrin du Forestel, _Anchiennes croniques_, t. I, pp. +289-290.--On met cette parole au moment où les Anglais furent +rejoints, sans s'apercevoir qu'alors elle n'a plus aucun sens.] + +Comme la veille elle prophétisa. + +--Le gentil roi aura aujourd'hui plus grande victoire qu'il eût de +longtemps. Et m'a dit mon Conseil qu'ils sont tous nôtres. + +Elle prédit que des Français il y aurait peu ou point de tués. + +Le capitaine Poton et le sire Arnault de Gugem allèrent en éclaireurs. +Les plus experts hommes de guerre et parmi eux monseigneur le Bâtard +et le maréchal de Boussac, montés sur fleur de coursiers, formèrent +l'avant-garde. Puis, sous la conduite du capitaine La Hire, qui +connaissait le pays, s'avançait le principal corps d'armée, composé +des lances du duc d'Alençon, du comte de Vendôme, du Connétable de +France, avec les archers et les arbalétriers. Enfin venait +l'arrière-garde commandée par les seigneurs de Graville, de Laval, de +Rais et de Saint-Gilles[1213]. + +[Note 1213: Lettre de Jacques de Bourbon dans la _Revue Bleue_, 13 +février 1892, pp. 201-204.--Monstrelet, t. IV, p. 327.--Wavrin du +Forestel, _Anchiennes croniques_, p. 289.] + +La Pucelle, qui avait bon coeur, voulut aller en avant; on l'en +empêcha. Elle ne conduisait pas les gens d'armes; les gens d'armes la +conduisaient, la tenant non pour chef de guerre, mais pour +porte-bonheur. Elle dut, grandement contristée, prendre place à +l'arrière-garde, sans doute dans la compagnie du sire de Rais, où +d'abord on l'avait mise[1214]. Tout le monde se hâtait fort, craignant +que l'ennemi n'échappât. + +[Note 1214: _Procès_, t. III, p. 71.--_Journal du siège_, p. +140.--_Chronique de la Pucelle_, p. 307.--_Deux documents sur Jeanne +d'Arc_, dans _Revue Bleue_, 13 février 1892.] + +Après avoir chevauché près de cinq lieues, par une chaleur accablante, +laissé à gauche Saint-Sigismond et dépassé Saint-Péravy, les soixante +ou quatre-vingts coureurs du capitaine Poton, atteignirent l'endroit +où le terrain, entièrement plat jusque-là, s'abaisse et la route +dévale dans un bas-fond dit de la Retrève. Ils ne pouvaient voir le +creux de la Retrève; mais au delà le sol se relève doucement et ils +voyaient poindre à moins d'une demi-lieue le clocher de Lignerolles, +sur la plaine boisée dite Climat-du-Camp. À une lieue, droit devant +eux, se devinait la petite ville de Patay[1215]. + +[Note 1215: _Procès_, t. III, pp. 11, 71, 98.--_Chronique de la +Pucelle_, pp. 306 et suiv.--_Journal du siège_, pp. 103 et suiv.--Jean +Chartier, _Chronique_, t. I, p. 85.--Le comte de Vassal, _La bataille +de Patay_, Orléans, 1890.] + +Il était deux heures après midi. Par aventure, les cavaliers de Poton +et de Gugem lancent un cerf qui, débuchant d'un taillis, va fondre +dans le creux de la Retrève. Alors de ce creux s'élève une clameur. Ce +sont les soldats anglais qui se disputent à grands cris le gibier +lancé sur eux. Avertis ainsi de la présence de l'ennemi, les coureurs +français s'arrêtent et détachent aussitôt quelques-uns des leurs pour +annoncer à l'armée qu'ils ont surpris les Godons et que c'est l'heure +de besogner[1216]. + +[Note 1216: Monstrelet, t. IV, p. 328.] + +Voici ce qui s'était passé du côté des Anglais. Ils se retiraient en +bon ordre sur Janville, l'avant-garde conduite par un chevalier à +l'étendard blanc[1217]. Puis venaient l'artillerie et les vivres +voiturés par les marchands, puis le corps de bataille, commandé par +sir John Talbot et sir John Falstolf. L'arrière-garde, exposée à subir +un rude choc, n'était formée que d'Anglais d'Angleterre[1218]. Elle +suivait à une assez longue distance. Ses coureurs, ayant vu les +Français sans être vus, avertirent sir John Talbot, qui se trouvait +alors entre le hameau de Saint-Péravy et la ville de Patay. Sur cet +avis, arrêtant la marche de l'armée, il donna l'ordre à l'avant-garde +de se ranger, avec les chariots et les canons, à l'orée des bois de +Lignerolles. Position excellente: adossés à la futaie, les combattants +ne craignaient point d'être pris à revers[1219]; et ils se +retranchaient derrière les charrois. Le corps de bataille n'alla pas +si avant. Il fit halte à un demi-quart de lieue de Lignerolles, dans +le creux de la Retrève. Il y avait, à cet endroit, au bord de la +route, des haies vives. Sir John Talbot s'y porta avec cinq cents +archers d'élite et mit pied à terre pour attendre les Français qui +devaient forcément passer là. Il comptait défendre la voie jusqu'à ce +que l'arrière-garde eût rejoint le corps de bataille et pensait se +rabattre ensuite sur l'armée en côtoyant les haies. + +[Note 1217: Wavrin du Forestel, _Anchiennes croniques_, t. I, p. +291.] + +[Note 1218: _Ibid._, pp. 291-292.] + +[Note 1219: Monstrelet, t. IV, p. 329.] + +Les archers s'apprêtaient à planter en terre, selon leur habitude, ces +pieux aiguisés, dont ils tournaient la pointe contre le poitrail des +chevaux ennemis, quand les Français, avertis par les éclaireurs de +Poton, fondirent sur eux comme une trombe, les culbutèrent et les +mirent en pièces[1220]. + +[Note 1220: Wavrin du Forestel, _Anchiennes croniques_, t. I, p. +292.--Monstrelet, t. III, pp. 329, 350.] + +En ce moment, sir John Falstolf, à la tête du corps de bataille, se +disposait à rejoindre l'avant-garde: sentant déjà sur lui la cavalerie +française, il donna de l'éperon et lança à fond de train sa troupe sur +Lignerolles. Quand ils la virent venir ainsi débridée, ceux de +l'étendard blanc crurent qu'elle était en déroute. Ils prirent peur +et, quittant la lisière du bois, se jetèrent dans les halliers de +Climat-du-Camp pour gagner en grand désordre la route de Paris. Sir +John Falstolf poussa dans la même direction avec le principal corps +d'armée. Il n'y eut pas de bataille. Ayant passé sur les cadavres des +archers de Talbot, les Français entrèrent dans l'Angleterre éperdue +comme dans un troupeau de moutons et tuèrent à plaisir. Ils tuèrent +deux mille de ces gens de petit état que les Godons avaient coutume +d'amener ainsi de leur pays mourir en France. Quand ceux du principal +corps d'armée, que conduisait La Hire, arrivèrent à Lignerolles, ils +ne trouvèrent devant eux que huit cents fantassins, qu'ils +culbutèrent. Des douze à treize mille Français cheminant sur la route, +quinze cents à peine prirent part au combat, ou plutôt au massacre. +Sir John Talbot, qui avait sauté sur son cheval sans chausser ses +éperons, fut fait prisonnier par les capitaines La Hire et +Poton[1221]. Les seigneurs de Scales et de Hungerford, lord +Falcombridge, sir Thomas Guérard, Richard Spencer et Fitz Walter +furent également pris à rançon. On fit de douze à quinze cents +prisonniers[1222]. + +[Note 1221: «Aux alentours de Lignerolles, on a trouvé des fers de +chevaux, un dard de javelot, des ferrements de chariots, des boulets.» +P. Mantellier, _Histoire du siège_, Orléans, 1867, in-12, p. 139.] + +[Note 1222: _Procès_, t. III, p. 11.--Gruel, _Chronique de Richemont_, +pp. 73-74.--Perceval de Cagny, pp. 154 et suiv.--_Chronique Normande_, +dans _Procès_, t. IV, p. 340.--Eberhard Windecke, p. 180.--Lefèvre de +Saint-Remy, t. II, pp. 144, 145.--Fauquembergue, dans _Procès_, t. IV, +p. 452.--_Commentaires de Pie II_, dans _Procès_, t. IV, p. +512.--Morosini, t. III, pp. 72-75.--_Chronique de la Pucelle_, p. +306.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 86.--Monstrelet, t. IV, pp. +330-333.--Wavrin du Forestel, _Anchiennes croniques_, t. I, p. +293.--Lettre de J. de Bourbon, dans la _Revue Bleue_, 13 février 1892. +Lettre de Charles VII à Tours et aux Dauphinois, dans _Procès_, t. V, +pp. 345, 346.] + +Deux cents hommes d'armes tout au plus donnèrent la chasse aux fuyards +jusqu'aux portes de Janville. Hors l'avant-garde, qui s'était enfuie +la première, l'armée anglaise était entièrement détruite. Du parti des +Français, le sire de Termes, présent à l'affaire, assure qu'il n'y eut +qu'un mort, un homme de sa compagnie. Perceval de Boulainvilliers, +conseiller chambellan du roi, dit qu'il y en eut trois[1223]. + +[Note 1223: _Procès_, t. III, p. 118; t. V, p. 120.] + +Quand la Pucelle arriva, on tuait encore. Elle vit un Français qui +conduisait des prisonniers, frapper l'un d'eux à la tête si rudement, +que l'homme tomba comme mort. Elle descendit de cheval et fit +confesser l'Anglais. Elle lui soutenait la tête et le consolait selon +son pouvoir. Voilà la part qu'elle prit à la bataille de Patay[1224]. +Ce fut celle d'une sainte fille. + +[Note 1224: _Ibid._, t. III, p. 71.] + +Les Français passèrent la nuit dans la ville. Sir John Talbot amené au +duc d'Alençon et au Connétable, le jeune duc lui dit: + +--Vous ne croyiez pas, ce matin, qu'ainsi vous adviendrait. + +Talbot répondit: + +--C'est la fortune de la guerre[1225]. + +[Note 1225: _Ibid._, t. III, p. 99.] + +Quelques Godons arrivèrent hors d'haleine à Janville[1226]. Mais les +habitants, à qui ils avaient laissé en partant leur argent et leurs +biens, leur formèrent la porte au nez et firent serment de fidélité au +dauphin Charles. + +[Note 1226: Boucher de Molandon, _Janville, son donjon, son +château, ses souvenirs du XVe siècle_, Orléans, 1886, in-8º.] + +Les capitaines anglais de deux petites places de la Beauce, Montpipeau +et Saint-Sigismond, mirent le feu à leur ville et s'enfuirent[1227]. + +[Note 1227: _Journal du siège_, p. 105.--_Chronique de la +Pucelle_, pp. 307, 308.] + +De Patay, l'armée victorieuse se rendit à Orléans. Les habitants +attendaient le roi. Ils avaient accroché des tapisseries pour son +entrée[1228]. Mais le roi et le sire chambellan, craignant, non sans +motif, une agression du Connétable, restèrent enfermés dans le château +de Sully[1229], d'où ils sortirent le 22 juin pour se rendre à +Châteauneuf. La Pucelle rejoignit, ce jour même, le roi à +Saint-Benoît-sur-Loire[1230]. Il la reçut avec sa douceur coutumière +et lui dit: + +[Note 1228: _Chronique de la Pucelle_, pp. 307-308.--_Journal du +siège_, p. 105.] + +[Note 1229: De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. II, pp. +222 et suiv.--E. Cosneau, _Le connétable de Richemont_, p. 172.] + +[Note 1230: _Procès_, t. III, p. 116.] + +--J'ai pitié de vous et de la peine que vous endurez. + +Et il la pressa de se reposer. + +En l'entendant parler, elle pleura. Elle pleura, dit-on, de sentir ce +que l'affabilité du roi contenait pour elle d'indifférence et +d'incroyance. + +Mais gardons-nous d'attribuer aux larmes des extatiques et des +miraculées une cause intelligible à la commune raison humaine. Charles +lui apparaissait revêtu d'une ineffable splendeur, tel que le plus +saint des rois. Comment eût-elle supposé un instant qu'il manquait de +foi puisqu'elle lui avait montré ses anges cachés au vulgaire. + +--N'en doutez point, lui dit-elle avec assurance, vous aurez tout +votre royaume et serez de bref couronné[1231]. + +[Note 1231: _Ibid._, t. III, pp. 76, 116.] + +Assurément le roi Charles n'était pas pressé de recouvrer son royaume +par chevalerie. Mais son conseil en ce moment n'avait nulle intention +de se débarrasser de la Pucelle; il s'en servait au contraire +adroitement pour donner du coeur aux Français, épouvanter les Anglais +et montrer à tous que Dieu, monseigneur saint Michel et madame sainte +Catherine, étaient Armagnacs. En mandant aux bonnes villes la victoire +de Patay, la chancellerie royale ne souffla mot du Connétable, et ne +nomma pas davantage monseigneur le Bâtard[1232]. Elle désigna la +Pucelle comme chef de la bataille avec les deux princes du sang royal, +le duc d'Alençon et duc de Vendôme. C'est donc qu'on en faisait +étendard. Et certes elle valait aussi cher et plus cher qu'un grand +capitaine, puisque le connétable tenta de s'emparer d'elle. Il chargea +de l'entreprise un homme à lui, Andrieu de Beaumont, précédemment +employé à enlever le sire de La Trémouille. Mais Andrieu de Beaumont, +comme il avait manqué le chambellan, manqua la Pucelle[1233]. + +[Note 1232: Lettre de Charles VII aux Dauphinois, publiée par +Fauché-Prunelle, dans _Bull. de l'Acad. Delphinale_, t. II, p. 459; +aux habitants de Tours (Archives de Tours, _Registre des comptes_, +XXIV), dans _Cabinet Historique_, I, C, p. 109; à ceux de Poitiers, +Redet, dans les _Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest_, +t. III, p. 406.--_Relation du greffier de La Rochelle_, dans _Revue +Historique_, t. IV, p. 459.] + +[Note 1233: _Journal du siège_, pp. 106, 108.--Jean Chartier, +_Chronique_, t. I, p. 89.--Gruel, _Chronique de Richemont_, p. +74.--Monstrelet, t. IV, pp. 344, 347.--E. Cosneau, _Le connétable de +Richemont_, pp. 181, 182.] + +Probablement elle ne sut rien elle-même de ce guet-apens. Elle demanda +au roi qu'il reçût en grâce le Connétable, requête qui témoigne d'une +grande innocence. Richemont regagna par ordre sa seigneurie de +Parthenay[1234]. + +[Note 1234: 1431, 8 mai. Arrêt condamnant André de Beaumont à la +peine capitale comme criminel de lèse-majesté (Arch. nat. J. 366). La +copie intégrale de cette pièce m'a été communiquée par M. P. +Champion.] + +Le duc Jean de Bretagne, marié à une soeur de Charles de Valois, +n'avait pas toujours eu à se louer des conseillers de son beau-frère +qui, en l'an 1420, le trouvant un peu trop bourguignon, lui +cherchèrent près de Nantes, un pont de Montereau[1235]. Il n'était en +réalité, ni armagnac, ni bourguignon, ni français, ni anglais, mais +breton. En 1423, il reconnut le traité de Troyes, mais deux ans plus +tard, le duc de Richemont, son frère, ayant passé au roi français et +reçu de lui l'épée de connétable, le duc Jean se rendit auprès de +Charles de Valois à Saumur, et lui fit hommage de son duché[1236]. En +somme, il se tira fort adroitement des pas les plus difficiles et sut +rester étranger à la querelle des deux rois qui prétendaient l'un et +l'autre l'y engager. Tandis que la France et l'Angleterre +s'entredétruisaient, tranquille, il relevait la Bretagne de ses +ruines[1237]. + +[Note 1235: Monstrelet, t. IV, p. 30.--De Beaucourt, _Histoire de +Charles VII_, t. I, pp. 202 et suiv.] + +[Note 1236: Dom Morice, _Histoire de Bretagne_, t. II, col. +1135-6.--De Beaucourt, _loc. cit._, t. II, chap. VII.] + +[Note 1237: Bellier-Dumaine, _L'administration du duché de +Bretagne sous le règne de Jean V_ (1399-1442), dans les _Annales de +Bretagne_, t. XIV-XVI (1898-99), _passim_ et 3e partie: Le commerce, +l'industrie, l'agriculture, l'instruction publique et Jean V (t. XVI, +p. 246) et 4e partie, ch. III: Les villes, les paroisses rurales et +Jean V (t. XVI, p. 495).] + +La Pucelle lui inspira beaucoup de curiosité et d'admiration. Peu de +temps après la bataille de Patay, il envoya vers elle Hermine, son +héraut d'armes, et frère Yves Milbeau, son confesseur, pour lui faire +compliment de sa victoire. Le bon frère avait mission d'interroger la +jeune fille. + +Il lui demanda si c'était de par Dieu qu'elle était venue secourir le +roi. + +Jeanne répondit qu'oui. + +--S'il en est ainsi, répliqua frère Yves Milbeau, monseigneur le duc +de Bretagne notre droit seigneur est disposé à aider le roi de son +service. Il ne peut venir de son propre corps, car il est dans un +grand état d'infirmité. Mais il doit envoyer son fils aîné avec une +grande armée. + +Le bon frère parlait légèrement et faisait là pour son duc une fausse +promesse. Il était vrai seulement que beaucoup de nobles bretons +venaient se mettre au service du roi Charles. + +En entendant ces paroles, la petite sainte commit une étrange méprise. +Elle crut que frère Yves avait voulu dire que le duc de Bretagne était +son droit seigneur à elle comme à lui, ce qui eût été vraiment hors de +sens. Sa loyauté s'en révolta: + +--Le duc de Bretagne n'est pas mon droit seigneur, répliqua-t-elle +vivement. C'est le roi qui est mon droit seigneur. + +Ainsi qu'on peut croire, la conduite prudente du duc de Bretagne +n'était pas jugée favorablement en France. On disait que c'était mal +fait à lui de n'avoir pas obéi au ban de guerre du roi et d'avoir +traité avec les Anglais. Jeanne le pensait et elle le dit sans détours +à frère Yves: + +--Le duc ne devait pas raisonnablement attendre si longtemps pour +envoyer ses gens aider le roi de leur service[1238]. + +[Note 1238: Eberhard Windecke, pp. 178, 179.] + +À quelques jours de là, le sire de Rostrenen, qui avait accompagné le +Connétable à Beaugency et à Patay et Comment-Qu'il-Soit, héraut de +Richard de Bretagne, comte d'Étampes, vinrent de la part du duc Jean +stipuler relativement au mariage projeté entre François, son fils +aîné, et Bonne de Savoie, fille du duc Amédée. Comment-Qu'il-Soit +était chargé de présenter à la Pucelle une dague et des chevaux[1239]. + +[Note 1239: _Procès_, t. V, p. 264.--Eberhard Windecke, pp. 68-70, +179.--Morosini, t. III, p. 90.--Dom Lobineau, _Histoire de Bretagne_, +t. I, p. 587.--Dom Morice, _Histoire de Bretagne_, t. I, pp. 508, +580.] + +Il y avait en 1428, à Rome, un clerc français compilateur d'une de ces +cosmographies qui abondaient alors et se ressemblaient toutes. La +sienne, qui commençait, selon l'usage, à la création, allait jusqu'au +pontificat du pape Martin V alors vivant. «Sous ce pontificat, y +disait l'auteur, la fleur et le lis du monde, le royaume de France, +opulent entre les plus opulents et devant qui l'univers s'inclinait, a +été jeté bas par le tyran Henri qui l'a envahi, n'étant pas seigneur +légitime même du royaume d'Angleterre». Puis, cet homme d'église voue +les Bourguignons à une éternelle infamie et lance contre eux les plus +terribles malédictions. «Que leurs yeux soient crevés, qu'ils meurent +de male mort!» À ce langage, on reconnaît un bon Armagnac et peut-être +un clerc dépouillé et chassé par les ennemis du royaume. En apprenant +la venue de la Pucelle et la délivrance d'Orléans, transporté de joie +et d'admiration, il rouvre sa cosmographie et y consigne ses arguments +en faveur de cette prodigieuse Pucelle dont les actions lui paraissent +plus divines qu'humaines, mais sur laquelle il sait peu de choses. Il +la met en comparaison avec Déborah, Judith, Esther et Penthésilée. «On +trouve, dit-il, dans les livres des Gentils que Penthésilée, et mille +vierges avec elle, vinrent au secours du roi Priam et combattirent si +courageusement qu'elles mirent en pièces les Myrmidons et tuèrent plus +de deux mille Grecs.» Selon lui la Pucelle passe de beaucoup +Penthésilée en courage et hauts faits. Elle réfute brièvement ceux qui +soutiennent qu'elle a été envoyée par le Diable[1240]. + +[Note 1240: L. Delisle, _Un nouveau témoignage relatif à la +mission de Jeanne d'Arc_, dans _Bibliothèque de l'École des Chartes_, +t. XLVI, p. 649.--Le P. Ayroles, _La Pucelle devant l'Église de son +temps_, pp. 53, 60.] + +La prophétesse de Charles, en un moment, remplit de sa renommée la +chrétienté tout entière. Tandis qu'au temporel les peuples +s'entredéchiraient, l'unité d'obédience faisait de l'Europe une +république spirituelle n'ayant qu'une doctrine et qu'une langue, et +qui se gouvernait par les Conciles. Le souffle de l'Église passait +partout. En Italie, en Allemagne, il n'était bruit que de la Sibylle +de France et les clercs, à l'envi, dissertaient sur sa nature et ses +actes, qui intéressaient si grandement la foi chrétienne. En ces +temps-là, les peintres représentaient parfois sur les murs des +cloîtres les Arts Libéraux en figure de très nobles Dames. Ils +peignaient, au milieu de ses soeurs, Logique assise dans une haute +chaire, coiffée de l'antique turban, vêtue d'une robe éclatante, et +tenant d'une main le scorpion, de l'autre le lézard en signe que sa +science est d'atteindre l'adversaire au vif et de ne pas se laisser +prendre. À ses pieds, Aristote, les yeux levés sur elle, disputait en +nombrant ses arguments sur ses doigts[1241]. Cette dame austère +rendait tous ses disciples semblables les uns aux autres. Rien n'était +alors plus méprisable et plus odieux qu'une idée singulière. +L'originalité n'existait à aucun degré dans les esprits. Les clercs +qui traitèrent de la Pucelle le firent tous suivant la même méthode, +avec les mêmes arguments, sous l'autorité des mêmes textes sacrés et +profanes. La conformité ne saurait aller plus loin. Ils avaient tous +le même esprit, non le même coeur; l'esprit argumente et c'est le +coeur qui décide. Ces scolastiques, plus secs que leurs parchemins, +étaient pourtant des hommes; ils se déterminaient par sentiment, par +passions, par des intérêts spirituels ou temporels. Tandis que les +docteurs armagnacs démontraient que dans le cas de la Pucelle, les +raisons de croire l'emportaient sur celles de ne pas croire, les +maîtres allemands ou italiens, étrangers à la querelle du Dauphin de +Viennois, demeuraient dans le doute, n'étant mus ni par haine ni par +amour. + +[Note 1241: Cathédrale du Puy.--E.-F. Corpet, _Portraits des Arts +libéraux d'après les écrivains du moyen âge_, dans _Annales +archéologiques_, 1857, t. XVII, pp. 89-103.--Em. Male, _Les Arts +libéraux dans la statuaire du moyen âge_, dans _Revue archéologique_, +1891.] + +Un docteur en théologie, nommé Henri de Gorcum, qui enseignait à +Cologne, rédigea, dès le mois de juin 1429, un mémoire sur la Pucelle. +Les esprits étaient divisés en Allemagne, sur la question de savoir si +cette jeune fille appartenait à l'humanité nature ou si elle n'était +pas plutôt un être céleste en forme de femme; si ses faits +s'expliquaient humainement ou par l'action d'une puissance supérieure +à l'homme, et, dans ce cas, si la puissance était bonne ou si elle +était mauvaise. Maître Henri de Gorcum composa son traité pour fournir +dans les deux sens des arguments tirés de l'Écriture Sainte, et il +s'abstint de conclure[1242]. + +[Note 1242: _Procès_, t. III, pp. 411-421.--Le P. Ayroles, _La +Pucelle devant l'église de son temps_, t. I, pp. 61-68.] + +En Italie, mêmes doutes, même incertitude sur les faits de la Pucelle. +Certains disaient que ce n'étaient que faussetés et pures inventions. +On disputait à Milan s'il fallait croire les nouvelles qui venaient de +France. Les notables de la ville résolurent d'envoyer, pour s'en +informer, un moine franciscain, frère Antonio de Rho, bon humaniste +et prédicateur zélé pour la pureté des moeurs. + +Le seigneur Jean Corsini, sénateur du duché d'Arezzo, poussé par une +semblable curiosité, consulta un savant clerc milanais, nommé +Cosme-Raymond de Crémone. Ce clerc cicéronien lui répondit en +substance: + +«Clarissime seigneur, ce serait chose nouvelle, dit-on, que Dieu +choisisse une bergère pour rendre à un prince son royaume. Pourtant +nous voyons que le berger David fut sacré roi. On rapporte que la +Pucelle, conduisant une petite troupe, défit une nombreuse armée. On +peut expliquer la victoire par l'avantage de la position, la +soudaineté de l'attaque. Mais ne disons pas que les ennemis ont été +surpris, que le coeur leur a manqué, choses toutefois possibles; +admettons qu'il y ait miracle: quoi d'étonnant? N'est-il pas plus +admirable encore qu'avec une mâchoire d'âne, Samson ait tué tant de +Philistins? + +»La Pucelle a, dit-on, le pouvoir de révéler les choses futures. Qu'il +vous souvienne des Sibylles, notamment de celles d'Érythrée et de +Cumes. Elles étaient païennes. Pourquoi serait-il moins accordé à une +chrétienne? Cette femme est une bergère. Jacob, alors qu'il gardait +les troupeaux de Laban, s'entretenait familièrement avec Dieu. + +»À ces exemples et à ces raisons, qui m'inclinent à donner fiance aux +nouvelles qui courent, se joint une raison tirée de la physique. J'ai +lu souvent dans les livres qui traitent d'astrologie, que, par bénigne +influence des astres, certains hommes de naissance intime sont devenus +les égaux des plus hauts princes et furent considérés comme des hommes +divins, chargés d'une mission céleste. Guido de Forli, habile +astronome, en cite un très grand nombre. C'est pourquoi j'estimerais +n'encourir nul reproche en croyant que c'est l'influence des astres +qui a fait entreprendre à la Pucelle ce qu'on rapporte d'elle.» + +Et, concluant sur le fait de Jeanne, le clerc de Crémone dit qu'il ne +le tient pas pour avéré sans le tenir comme entièrement à +rejeter[1243]. + +[Note 1243: Le P. Ayrolles, t. IV, _La vierge guerrière_, pp. 240 +et suiv.] + + * * * * * + +Jeanne demeurait ferme dans son propos d'aller à Reims pour y faire +sacrer le roi. Elle ne jugeait pas qu'il valût mieux faire la guerre +en Champagne qu'en Normandie. Elle ne se représentait pas assez +clairement la figure du royaume pour en décider. Et l'on ne pensera +pas que ses anges et ses saintes eussent plus de géographie qu'elle. +Elle avait hâte de mener le roi à Reims pour être sacré, parce qu'elle +ne croyait pas qu'il fût roi avant d'avoir reçu son sacre[1244]. La +pensée de le faire oindre du saint chrême lui était venue lorsqu'elle +était encore dans son village et bien avant qu'Orléans fût assiégé. +Cette inspiration était de source purement spirituelle et ne +répondait en aucune manière à l'état de choses créé par la délivrance +d'Orléans et la victoire de Patay. + +[Note 1244: _Procès_, t. III, p. 20.--_Journal du siège_, pp. 93, +94.] + +Pour bien faire, il aurait fallu, le 18 juin, sans reprendre haleine, +marcher sur Paris. On était à trente lieues seulement de la grande +ville qui, à ce moment, n'eût pas même songé à se défendre. Le régent, +la tenant pour déjà prise, s'enfermait dans la bastille de +Vincennes[1245]. On avait manqué l'occasion. Les conseillers du roi, +les princes du sang de France, surpris par la victoire, encore +incertains de ce qu'il fallait faire, délibéraient. Assurément, aucun +d'eux ne songeait à reconquérir par les armes, à bref délai, +l'héritage entier du roi Charles. Les forces dont ils disposaient et +les conditions mêmes de la société où ils vivaient ne leur +permettaient pas de concevoir une semblable entreprise. Les seigneurs +du grand conseil ne ressemblaient pas à ces pauvres moines qui, dans +leur cloître en ruines, rêvaient un âge de concorde et de paix[1246]. +Ils n'étaient point des songeurs; ils ne croyaient ni ne désiraient +que la guerre prît fin. Mais ils entendaient la faire avec le moins +possible de risques et de dépenses. Ils se disaient qu'il y aurait +toujours des gens pour endosser le haubergeon et aller à la picorée; +qu'on prendrait et reprendrait toujours des villes dans le royaume, +qu'à chaque jour suffit sa peine, qu'il faut se battre doucement pour +se battre longtemps, que, neuf fois sur dix, on gagne plus par +négociations et traités que par vaillantises d'armes, qu'il faut +conclure habilement des trêves et les rompre à propos, s'attendre à +perdre quelquefois et laisser de la besogne aux jeunes. Ainsi +pensaient les bons serviteurs du roi Charles. + +[Note 1245: Fauquembergue, dans _Procès_, t. IV, p. 451.--_Journal +d'un bourgeois de Paris_, p. 239.--_Chronique de la Pucelle_, p. +291.--De Barante, _Histoire des ducs de Bourgogne_, t. III, p. 323.] + +[Note 1246: Le P. Denifle, _La désolation des églises_, +introduction.] + +Certains d'entre eux voulaient qu'on portât la guerre en +Normandie[1247]; ils y avaient songé dès le mois de mai, avant la +campagne de la Loire, et certes ils ne manquaient pas d'arguments. En +Normandie on tranchait l'arbre anglais à sa racine. Il était très +possible de recouvrer tout de suite une partie de cette contrée où les +Godons avaient très peu de monde. En 1424, les garnisons normandes se +montaient en tout à quatre cents lances et douze cents archers[1248]. +Depuis lors, elles n'avaient pas dû être beaucoup renforcées. Le +Régent ramassait des hommes partout et déployait une activité +merveilleuse. Mais il manquait d'argent et ses soldats désertaient à +l'envi[1249]. Dans le pays de conquête, les Coués, aussitôt sortis de +leurs places fortes, se trouvaient en territoire ennemi. Depuis les +frontières de la Bretagne, du Maine et du Perche, jusqu'au Ponthieu +et à la Picardie, sur les rives de la Mayenne, de l'Orne, de la Dive, +de la Touque, de l'Eure et de la Seine, des partisans tenaient la +campagne, guetteurs de chemins, larrons, pillards, meurtriers, +brigands[1250]. Les Français eussent trouvé partout l'aide de ces +hardis compagnons, ainsi que le bon vouloir des paysans et des curés +de campagne. Mais il fallait s'attendre à demeurer longtemps devant +des villes très fortes, qu'une petite garnison suffisait à défendre. +Or, les gens d'armes redoutaient la lenteur des sièges, et le trésor +royal n'était pas en état de soutenir ces opérations coûteuses. La +Normandie était ruinée; plus de bétail, plus de moissons. Les +capitaines et leurs gens voudraient-ils aller dans ce pays de famine? +Et quel besoin le roi avait-il de reprendre une province misérable? + +[Note 1247: _Procès_, t. III, pp. 12, 13.--_Chronique de la +Pucelle_, p. 300.--Jean Chartier, _Chronique_, p. 87.--Morosini, t. +III, p. 63, note 2.] + +[Note 1248: _Procès_, t. III, pp. 12, 13.--Wallon, _Jeanne d'Arc_, +1875, t. I, p. 213.] + +[Note 1249: Rymer, _Foedera_, 18 juin 1429.--Morosini, t. III, pp. +132-133; t. IV, annexe XVII.--G. Lefèvre-Pontalis, _La panique +anglaise en mai 1429_, Paris, 1894, in-8º.] + +[Note 1250: G. Lefèvre-Pontalis, _La guerre des partisans dans la +Haute Normandie_ (1424-1429) dans _Bibliothèque de l'École des +Chartes_, depuis 1893.] + +Ces partisans enfin, prêts à tendre la main aux Français, n'étaient +guère engageants. On savait que brigands ils étaient, brigands ils +resteraient et que, la Normandie reconquise, il faudrait les +exterminer jusqu'au dernier, sans honneur ni profit. En ce cas, ne +valait-il pas mieux laisser les Godons aux prises avec eux? + +D'autres seigneurs demandaient qu'on allât en Champagne[1251]. Et, +quoi qu'on ait dit, les apocalypses de la Pucelle n'étaient pour rien +dans leur détermination. Les conseillers du roi conduisaient Jeanne, +loin de se laisser conduire par elle. Ils l'avaient une première fois +détournée de la route de Reims en lui donnant du travail sur la Loire. +Ils pouvaient la dériver encore sur la Normandie sans seulement +qu'elle s'en aperçût, tant elle ignorait les chemins et les pays. Si +plusieurs recommandaient la campagne champenoise, c'était non sur la +foi des anges et des saintes, mais pour des raisons humaines. Peut-on +les nommer? Sans doute il y avait des seigneurs et des capitaines qui +consultaient l'intérêt du roi et du royaume, mais il était si +difficile à chacun de ne pas le confondre avec son propre intérêt, que +l'on sera bien près de connaître ceux qui décidèrent la marche sur +Reims quand on saura ceux à qui cette marche devait profiter. Certes, +ce n'était pas au duc d'Alençon, qui aurait beaucoup mieux aimé +reprendre son duché avec le secours de la Pucelle[1252]. Ce n'était +pas non plus à monseigneur le Bâtard ni au sire de Gaucourt, ni au roi +lui-même, qui devaient surtout désirer, pour la sûreté du Berry et de +l'Orléanais, qu'on enlevât La Charité au terrible Perrinet +Gressart[1253]. On peut supposer, au contraire, que la reine de Sicile +ne voyait pas d'un mauvais oeil le roi son gendre pousser vers le +nord-est. Cette dame espagnole était prise de la folie angevine. +Rassurée, pour l'instant, sur le sort de son duché d'Anjou, elle +poursuivait avec âpreté, et au grand dommage du royaume de France, +l'établissement de son fils René dans le duché de Bar et dans +l'héritage de Lorraine, et il ne devait pas lui déplaire que le roi +Charles lui tînt la route libre de Gien à Troyes et à Châlons. Mais +elle avait perdu tout pouvoir sur son gendre depuis l'exil du +Connétable, et l'on ne voit pas qui l'aurait servie dans le conseil, +au mois de mai 1429[1254]. Au reste, sans chercher davantage, nous +trouvons le personnage qui, plus que tout autre, devait être d'avis +que le roi fût sacré, et qui, plus que tout autre, se trouvait en état +de faire prévaloir son avis. C'était celui-là même à qui il +appartenait de tenir la Sainte Ampoule entre ses mains sacrées, +messire Regnault de Chartres, archevêque duc de Reims, chancelier du +royaume. + +[Note 1251: Perceval de Cagny, pp. 149, 157.] + +[Note 1252: Perceval de Cagny, p. 170.] + +[Note 1253: _Chronique de la Pucelle_, p. 310.] + +[Note 1254: E. Cosneau, _Le connétable de Richemont_, pp. 179 et +suiv.] + +C'était un homme d'une intelligence rare, appliqué aux affaires, très +habile négociateur, avide de biens, moins soucieux de vains honneurs +que d'avantages solides; avare, peu scrupuleux, qui, aux environs de +la cinquantaine, n'avait rien perdu de son activité dévorante: il +venait de le montrer en se dépensant avec une belle ardeur pour la +défense d'Orléans. Doué de la sorte, comment n'eût-il pas exercé dans +le Gouvernement une action puissante? + +Archevêque duc de Reims depuis quinze ans, il attendait encore le +premier sou de ses énormes revenus. Il criait misère, bien qu'il fût +riche; il adressait au pape des suppliques à fendre l'âme[1255]. Si la +Pucelle avait été jugée favorablement par les maîtres de Poitiers, +monseigneur Regnault y était bien pour quelque chose. Les clercs +n'eussent pas, sans lui, proposé au roi de l'essayer. Et ce n'est pas +faire une supposition trop hasardeuse que de croire que, si l'on +décida la marche sur Reims dans les conseils du roi, ce fut que le +chancelier du royaume approuva par sagesse humaine ce que la Pucelle +proposait par inspiration divine. + +[Note 1255: Le P. Denifle, _La désolation des églises_, +introduction.] + +Et, dans le fait, la campagne du sacre, qui n'allait point sans grands +dommages et fâcheux inconvénients offrait aussi de précieux avantages +et surtout des facilités secrètes. Par malheur, elle laissait libre +tout le pays de France occupé par les Anglais et elle donnait à +ceux-ci le temps de se refaire et de recevoir des secours d'outre-mer. +Et l'on verra bientôt qu'ils mirent ce temps à profit[1256]. Quant aux +avantages, il s'en présentait plusieurs et de diverses sortes. Et +d'abord Jeanne exprimait en vérité le sentiment des pauvres clercs et +du commun peuple en disant que par son sacre le dauphin gagnerait +beaucoup[1257]. L'huile de la Sainte Ampoule devait communiquer au roi +une splendeur, une majesté dont le rayonnement s'étendrait sur la +France et sur la chrétienté tout entière. La royauté, dans ce temps, +était d'ordre spirituel autant que d'ordre temporel, et la foule des +hommes pensait, ainsi que Jeanne, que les rois ne sont rois que par +l'onction sainte. Aussi pouvait-on dire que Charles de Valois +recevrait plus de force d'une goutte d'huile que de dix mille lances. +De cela les conseillers du roi devaient tenir grand compte; encore +fallait-il considérer le temps et le lieu. Ne pouvait-on pas faire la +cérémonie ailleurs qu'à Reims? Ne pouvait-on pas accomplir ce qu'on +appelait le «mystère», dans cette ville sauvée par l'intercession de +ses bienheureux patrons, Saint-Aignan et Saint-Euverte? Deux rois +issus de Hugues Capet, Robert le Sage et Louis le Gros, avaient été +couronnés à Orléans[1258]. Mais le souvenir de leur consécration +royale se perdait dans la nuit des âges, tandis que le peuple gardait +la mémoire d'une longue suite de rois très chrétiens sacrés dans la +ville où la colombe divine avait apporté l'huile sainte à +Clovis[1259]. D'ailleurs le seigneur archevêque et duc de Reims +n'aurait jamais souffert que le roi reçût les onctions autrement que +de sa main et dans sa cathédrale. + +[Note 1256: Morosini, t. IV, Annexe XVII.] + +[Note 1257: _Procès_, t. III, pp. 20, 300.--_Chronique de la +Pucelle_, pp. 322, 323.--_Journal du siège_, pp. 93, 114.] + +[Note 1258: Le Maire, _Antiquités d'Orléans_, chap. XXV, p. 100.] + +[Note 1259: Pie II, _Commentarii_, dans _Procès_, t. IV, pp. +513-514.--Pierre des Gros, _Jardin des nobles_, dans P. Paris, +_Manuscrits français de la bibliothèque du roi_, t. II, p. 149, et +_Procès_, t. IV, pp. 533-534.] + +Il fallait donc aller à Reims; il fallait devancer les Anglais qui +avaient résolu d'y amener leur roi enfant, pour qu'il y fût sacré +selon le cérémonial[1260]. Mais les Français, en pénétrant dans la +Normandie, auraient fermé au jeune roi Henri le chemin, déjà mal sûr +pour lui, de Paris et de Reims, et vraiment il eût été puéril de dire +que le sacre ne pouvait être retardé de quelques semaines. Si l'on +renonçait à gagner des terres et des villes en Normandie, ce n'était +donc pas seulement pour aller à la conquête de la Sainte Ampoule. Le +seigneur archevêque de Reims avait d'autres considérations à +présenter, celle-ci par exemple: En se plaçant hardiment entre le duc +de Bourgogne et les Anglais ses alliés, on pouvait se flatter de +produire quelque impression sur l'esprit du prince et de lui fournir, +comme sujet de méditations salutaires, la vue de Charles, fils de +Charles, roi de France, chevauchant à la tête d'une puissante armée. + +[Note 1260: William Wyrcester, dans _Procès_, t. IV, p. 475.--Pie +II, _Commentarii_, dans _Procès_, t. IV, p. 513.] + +Pour atteindre la cité du bienheureux Remi, il fallait parcourir plus +de cent lieues en pays rebelle, mais sans aucun risque d'y rencontrer +de longtemps des gens d'armes ennemis. Anglais et Bourguignons +levaient des troupes à force, engageaient, «endentaient». Pour le +présent, ils n'avaient personne à opposer aux français. La Champagne, +beau pays, peu boisé, avait beaucoup de blé, beaucoup de cultures, +beaucoup de vin, beaucoup de gros bétail[1261]; elle n'était pas +ruinée comme la Normandie; les hommes d'armes avaient chance de s'y +nourrir, surtout si, comme on y comptait, les bonnes villes se +laissaient tirer des vivres. Elles possédaient de grands biens; leurs +greniers regorgeaient de blé. Quoiqu'elles reconnussent le roi Henri +pour leur seigneur, elles ne se sentaient aucun attachement aux +Anglais et aux Bourguignons; elles se gouvernaient elles-mêmes. +C'étaient de riches marchandes qui ne voulaient que la paix et se +donnaient au plus fort. À cette époque, elles soupçonnaient que la +force passait aux Armagnacs. Elles avaient un clergé et des bourgeois +à qui l'on pouvait parler. Il ne s'agissait pas de les assiéger avec +de l'artillerie, des mines et des fossés, mais de les circonvenir avec +de belles lettres d'amnistie, beaux traités de commerce et beaux +engagements de respecter les privilèges du clergé. Avec elles on ne +risquait pas de pourrir dans des taudis et de flamber dans des +bastilles. On s'attendait à ce qu'elles ouvrissent leurs portes et, +moitié amour, moitié peur, donnassent de l'argent au roi leur +seigneur. + +[Note 1261: Voyages du héraut Berry, Bibl. nat. ms. fr. 5873, fol. +7.] + +La campagne était déjà préparée; elle l'était très habilement. On +avait noué des intelligences, à Troyes, à Châlons; le roi Charles +reçut de quelques notables de Reims avis, par lettres et messages, que +s'il venait, ils lui feraient ouvrir les portes de leur ville. Il +accueillit même trois ou quatre bourgeois qui lui dirent: + +--Allez sûrement vers notre ville de Reims. Nous nous faisons fort de +vous mettre en dedans[1262]. + +[Note 1262: Jean Rogier dans _Procès_, t. IV, pp. 284-285.] + +Ces assurances enhardirent le Conseil royal; et la marche en Champagne +fut résolue. + +L'armée se rassembla à Gien; elle y croissait tous les jours. Les +seigneurs de Bretagne et de Poitou arrivaient abondamment, la plupart +en petite compagnie, sur un mauvais bidet[1263]. Les plus pauvres, +équipés en archers, venaient faire, faute de mieux, le service des +gens de trait. Les vilains et les gens de métier s'offraient. De la +Loire à la Seine et de la Seine à la Somme, la terre n'était plus +cultivée qu'autour des châteaux et des forteresses; la plupart des +champs restaient en jachères; en beaucoup d'endroits on ne tenait plus +ni foires ni marchés; les ouvriers chômaient partout. La guerre, ayant +détruit tous les métiers, devenait l'unique métier. «Chacun dit +Eustache Deschamps, veut devenir écuyer. Il n'y a presque plus +d'artisans[1264].» Il vint au lieu du rassemblement trente mille +hommes, dont beaucoup de piétons, beaucoup de gens des communes, qui +servaient pour la nourriture. Encore faut-il compter les moines, les +valets, les femmes, la séquelle. Et tout ce monde avait grand'faim. +Le roi se rendit à Gien, et il y manda la reine qui était à +Bourges[1265]. + +[Note 1263: _Chronique de la Pucelle_, p. 312.--Jean Chartier, +_Chronique_, pp. 93-94.--_Journal du siège_, p. 108.--Cagny, p. +157.--Morosini, pp. 84-85.--Loiseleur, _Compte des dépenses_, pp. 90, +91.] + +[Note 1264: Eustache Deschamps, éd. Queux de Saint-Hilaire et G. +Raynaud, t. I, pp. 159, 217 et _passim_.--Th. Basin, _Histoire de +Charles VII et de Louis XI_, t. I, p. 44.--Lettre de Nicolas de +Clamanges à Gerson, LIV.] + +[Note 1265: _Chronique de la Pucelle_, p. 308.--_Perceval de +Cagny_, p. 155.--_Journal du siège_, p. 180--Morosini, t. III, p. 85.] + +Il pensait l'emmener à Reims pour qu'elle y fût sacrée avec lui, à +l'exemple de la reine Blanche de Castille, de Jeanne de Valois et de +la reine Jeanne, femme du roi Jean. Toutefois, les reines pour la +plupart n'avaient pas été couronnées à Reims; la reine Ysabeau, mère +du roi vivant, avait reçu la couronne des mains de l'archevêque de +Rouen, dans la Sainte-Chapelle de Paris[1266]. Avant elle, les épouses +des rois, à l'exemple de Berthe, femme de Pépin le Bref, venaient de +préférence à Saint-Denys recevoir la couronne d'or, de saphir et de +perles donnée par Jeanne d'Évreux aux religieux de l'abbaye[1267]. +Tantôt les reines étaient couronnées avec leur époux, tantôt elles +l'étaient seules et à part; plusieurs ne l'avaient jamais été. + +[Note 1266: S.-J. Morand, _Histoire de la Sainte-Chapelle royale +du Palais_, Paris, 1790, in-4º, pp. 77 et _passim_.] + +[Note 1267: Le P. J. Doublet, _Histoire de l'abbaye de Saint-Denys +en France_, Paris, 1625, in-fol., ch. L, pp. 373 et suiv.--Dom +Félibien, _Histoire de l'abbaye royale de Saint-Denis_, 1706, in-fol., +pp. 203, 275, 543.] + +Pour que le roi Charles pensât emmener la reine Marie dans cette +chevauchée, il fallait qu'il ne craignît ni fatigues trop rudes ni +trop grands périls. Pourtant, au dernier moment, on changea d'avis. La +reine, étant venue à Gien, fut renvoyée à Bourges; le roi se mit en +chemin sans elle[1268]. + +[Note 1268: _Journal du siège_, p. 107.--_Chronique de la +Pucelle_, p. 310.] + + Quand le roy s'en vint en France, + Il feit oindre ses houssiaulx, + Et la royne lui demande: + Où veult aller cest damoiseaulx[1269]? + +[Note 1269: Cité d'après la _Chronique Messine_, par Vallet de +Viriville, _Histoire de Charles VII_, t. I, p. 424, note 1.] + +La reine ne demandait rien. Elle était laide et de faible vouloir. +Mais la chanson dit qu'en partant le roi fit graisser ses vieux +houssiaux, faute d'en pouvoir mettre de neufs. Ces plaisanteries sur +la pauvreté du roi de Bourges, tout anciennes qu'elles étaient, +pouvaient paraître bonnes encore[1270]. Le roi n'était pas devenu +riche. C'était l'usage de payer d'avance aux gens d'armes une partie +des sommes convenues pour leurs gages. À Gien il fut fait un paiement +de trois francs par homme d'armes. La somme parut maigre, mais on +comptait gagner en route[1271]. + +[Note 1270: Voir plus bas, pp. 170-171.] + +[Note 1271: _Chronique de la Pucelle_, p. 313.--Perceval de Cagny, +p. 157.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 87.] + +Le vendredi 24 juin, la Pucelle partit d'Orléans pour Gien. Le +lendemain, elle dicta de Gien une lettre aux habitants de Tournai pour +les instruire que les Anglais avaient été chassés de leurs places sur +la Loire et déconfits en bataille, pour les inviter à venir au sacre +du roi Charles à Reims et pour leur recommander de se maintenir loyaux +Français. + +Voici cette lettre: + + + JHESUS + MARIA. + + Gentilz loiaux Franchois de la ville du Tournay, la Pucelle vous + faict savoir des nouvelles de par dechà, que en viij jours elle a + cachié les Anglois hors de toutez les places qu'ilz tenoient sur + la rivire de Loire par assaut ou aultrement; où il en a eu mains + mors et prinz, et lez a desconfis en bataille. Et croiés que le + conte de Suffort, Lapoulle son frère, le sire de Tallebord, le + sire de Scallez et messires Jean Falscof et plusieurs chevaliers + et capitainez ont esté prinz, et le frère du conte de Suffort et + Glasdas mors. Maintenés vous bien loiaux Franchois, je vous en + pry, et vous pry et vous requiers que vous soiés tous prestz de + venir au sacre du gentil roy Charles à Rains où nous serons + briefment, et venés au devant de nous quand vous saurés que nous + aprocherons. À Dieu vous commans, Dieu soit garde de vous et vous + doinst grace que vous puissiés maintenir la bonne querelle du + royaume de France. Escript à Gien le XXVe jour de juing. + + _Sur l'adresse_: Aux loiaux Franchois de la ville de + Tournay[1272]. + +[Note 1272: _Procès_, t. V, p. 125.--_Registre des Consaux, +extraits analytiques des anciens Consaux de la ville de Tournay_, éd. +H. Vandenbroeck, t. II, p. 329.--F. Hennebert, _Une lettre de Jeanne +d'Arc aux Tournaisiens_, dans _Arch. hist. et littéraires du Nord de +la France_, 1837, t. I, p. 525.--De Beaucourt, _Histoire de Charles +VII_, t. III, p. 516] + +Une lettre de la même teneur dut être envoyée par la chancellerie +monacale de la Pucelle à toutes les villes restées favorables au roi +Charles, et les religieux durent faire eux-mêmes la liste de ces +villes[1273]. Certes ils ne pouvaient oublier la ville du domaine +royal, qui, dans les Flandres, en pleine domination bourguignonne, +demeurait fidèle à son légitime seigneur. La ville de Tournai, cédée à +Philippe le Bon par le Gouvernement anglais, en 1423, n'avait pas +reconnu son nouveau maître. Jean de Thoisy, son évêque, résidait +auprès du duc Philippe[1274]; mais elle restait «chambre du Roi» et +l'attachement de ses habitants à la fortune du dauphin était connu de +tous, exemplaire et fameux[1275]. Les consuls d'Albi, dans une note +très brève, qu'ils rédigèrent sur les merveilles de l'année 1429, +prirent soin de marquer que cette ville du nord, si lointaine, qu'ils +ne savaient pas bien où elle était située, tenait pour la France, au +milieu des ennemis de la France. «Le fait est, écrivirent-ils, que les +Anglais occupaient tout le pays de Normandie et de Picardie, fors +Tournay[1276].» + +[Note 1273: Lettre de Charles VII aux Dauphinois, publiée par +Fauché-Prunelle, dans _Bulletin de l'Acad. Delphinale_, t. II, p. 459; +aux habitants de Tours, dans le _Cabinet Historique_, t. I, C, p. 109; +à ceux de Poitiers, par Redet, dans les _Mémoires de la Société des +Antiquaires de l'Ouest_, t. III, p. 106.--_Relation du greffier de La +Rochelle_, dans _Revue Historique_, t. IV, p. 459.] + +[Note 1274: Monstrelet, t. IV, p. 352.] + +[Note 1275: Morosini, t. III, pp. 184-185.--_Chronique de Tournai_, +éd. de Smedt (_Recueil des Chroniques de Flandre_, t. III, +_passim_).--_Troubles à Tournai_ (1422-1430), dans _Mémoires de la +Société historique et littéraire de Tournai_, t. XVII (1882).--_Extraits +des anciens registres des Consaux_, éd. Vandenbroeck, t. II, +_passim_.--Monstrelet, chap. LXVII et LXIX.--A. Longnon, _Paris sous la +domination anglaise_, pp. 143, 144.] + +[Note 1276: Le greffier de l'hôtel de ville d'Albi, dans _Procès_, +t. IV, p. 301.] + +Ceux du bailliage de Tournai, jaloux en effet de jouir des franchises +et des privilèges que le roi de France leur avait accordés, n'eussent +voulu pour rien au monde se disjoindre de la Couronne. Ils +protestaient de leur fidélité et faisaient de belles processions pour +le bien du roi et le recouvrement de son royaume; mais là s'arrêtait +leur dévouement, et quand leur seigneur Charles leur réclamait +instamment les arrérages de leurs contributions, dont il disait avoir +très grand besoin, leurs magistrats en délibéraient et décidaient de +demander de nouveaux délais, les plus longs possibles[1277]. + +[Note 1277: H. Vandenbroeck, _Extraits analytiques des anciens +registres des Consaux de la ville de Tournai_, t. II, pp. 328-330.] + +Il n'est pas douteux que la Pucelle n'ait dicté elle-même cette +missive. On voit qu'elle y attribue à elle seule la victoire, toute la +victoire. Sa candeur l'y obligeait. À son sens, Dieu avait tout fait, +et il avait tout fait par elle. «La Pucelle a chassé les Anglais de +toutes les places qu'ils tenaient.» Elle seule pouvait montrer une foi +si naïve en elle-même. Frère Pasquerel n'aurait pas écrit avec cette +sainte simplicité. + +Il est remarquable que, dans cette lettre, sir John Falstolf est +compté parmi les prisonniers. Cette erreur n'est pas particulière à +Jeanne. Le roi mande à ses bonnes villes que trois capitaines anglais +furent pris, Talbot, le sire de Scalles et Falstolf. Perceval de +Boulainvilliers, dans son épître latine au duc de Milan, met Falstolf, +qu'il nomme Fastechat, au nombre des mille prisonniers faits par les +Dauphinois. Enfin, une missive, envoyée vers le 25 juin d'une des +villes du diocèse de Luçon, témoigne d'une grande incertitude sur le +sort de Talbot, Falstolf et Scalles, «qu'on dit être pris ou +morts[1278]». Les Français avaient mis la main, peut-être, sur un +seigneur qui ressemblait à John Falstolf de visage ou de nom; ou bien +quelque homme d'armes, pour être reçu à rançon, avait dit être +Falstolf. La lettre de la Pucelle parvint le 7 juillet à Tournai. Le +lendemain, les consaux[1279] de la ville décidèrent d'envoyer une +ambassade au roi Charles de France[1280]. + +[Note 1278: Lettre de Perceval de Boulainvilliers, dans _Procès_, +t. V, p. 120.--Fragment d'une lettre sur des prodiges advenus en +Poitou, _ibid._, p. 122.--Morosini, t. III, pp. 74-76.] + +[Note 1279: _Consau_ pour Conseil, Assemblée. _Consaux_ a signifié +également conseillers (La Curne).] + +[Note 1280: Hennebert, _Archives historiques et littéraires du +Nord de la France_, 1837, t. I, p. 520.--_Extraits des anciens +registre des consaux_, éd. Vandenbroeck, t. II, _loc. cit._] + +Le 27 juin ou environ, la Pucelle fit porter au duc de Bourgogne des +lettres pour qu'il fût au sacre du roi. Elle ne reçut point de +réponse[1281]. Le duc Philippe était l'homme du monde le plus +incapable de correspondre avec la Pucelle. Qu'elle lui écrivît +obligeamment, c'était une marque de son bon esprit. Enfant, dans son +village, elle avait été l'ennemie des Bourguignons avant d'être +l'ennemie des Anglais, cependant elle voulait le bien du royaume et la +réconciliation des Français. + +[Note 1281: _Procès_, t. V, p. 126.] + +Le duc de Bourgogne ne pouvait facilement pardonner le guet-apens de +Montereau, mais à aucun moment de sa vie il n'avait voué une haine +irréconciliable au parti français. L'entente était devenue très +possible depuis l'année 1425, alors que son beau-frère, le Connétable +de France, avait chassé du Conseil royal les assassins du duc Jean. +Quant au dauphin Charles, il se défendait d'avoir eu part au crime +et, parmi les Bourguignons, il passait pour idiot[1282]. Dans le fond +de son coeur, le duc Philippe n'aimait pas les Anglais. Il leur avait +refusé, après la mort du roi Henri V, de prendre la régence de France. +On sait l'aventure de la comtesse Jacqueline qui faillit le brouiller +tout à fait avec eux[1283]. La maison de Bourgogne cherchait depuis de +longues années à mettre la main sur les Pays-Bas. Le duc Philippe y +parvint enfin en mariant son cousin germain Jean, duc de Brabant, avec +Jacqueline de Bavière, comtesse de Hainaut, Hollande et Zélande, et +dame de Frise. Jacqueline, qui ne pouvait souffrir son mari, s'enfuit +en Angleterre, et, ayant fait casser son mariage par l'antipape Benoit +XIII, épousa le duc de Glocester, frère du Régent. + +[Note 1282: Dom Plancher, _Histoire de Bourgogne_, IV, p. +lvi-lvij.--E. Cosneau, _Le connétable de Richemont_, pp. 114 et suiv.] + +[Note 1283: Dom Plancher, _Histoire de Bourgogne_, t. IV, preuves, +p. LV.] + +Bedford, aussi sage que Glocester était fol, s'efforçait au contraire +de retenir le magnifique duc dans l'alliance anglaise; mais la haine +secrète qu'il ressentait pour le Bourguignon éclatait par soudains +accès. Qu'il ait voulu le faire assassiner et que le duc de Bourgogne +l'ait su, ce n'est pas prouvé. On assure, tout au moins, qu'à ce +prudent duc de Bedford il échappa, un jour, de dire que le duc +Philippe pourrait bien s'en aller en Angleterre boire de la bière plus +que son saoul[1284]. Il venait de le mécontenter très maladroitement +en ne lui laissant pas prendre la ville d'Orléans[1285]. Il s'en +mordait les doigts et, tout repentant d'avoir refusé au duc le nombril +de la Loire et le coeur de la France, il s'empressa de lui offrir la +Champagne, que les Français s'en allaient prendre: c'était, en effet, +le moment d'en faire un présent au grand ami[1286]. + +[Note 1284: De Barante, _Histoire des ducs de Bourgogne_, t. V, p. +270.--Desplanques, _Projet d'assassinat de Philippe le Bon par les +Anglais (1424-1426)_, dans les _Mémoires couronnés par l'Académie de +Bruxelles_, XXXIII (1867).] + +[Note 1285: _Journal du siège_, p. 70.--_Chronique de la Pucelle_, +p. 270.--Morosini, t. III, pp. 20 et suiv.] + +[Note 1286: Monstrelet, t. IV. pp. 332, 333.--De Beaucourt, +_Histoire de Charles VII_, t. II. p. 36, note 7.] + +Cependant le magnifique duc ne pensait qu'à ses Flandres. Le pape +Martin avait déclaré nul le mariage de la comtesse Jacqueline avec +Glocester, et Glocester épousait une autre femme. Le Gargantua de +Dijon remettait la main sur les terres de cette belle Jacqueline. Il +restait l'allié des Anglais, comptant se servir d'eux et ne pas les +servir, et se réservait, s'il y trouvait avantage, de combattre les +Français avant de se réconcilier avec eux; il n'y voyait aucun mal. +Après les Flandres c'étaient les dames et les belles peintures comme +celles des frères Van Eyck qu'il avait le plus à gré. On imagine ce +qu'une lettre de la Pucelle des Armagnacs devait peser sur son +esprit[1287]. + +[Note 1287: Monstrelet, t. IV, pp. 308-309.--Quenson, _Notice sur +Philippe le Bon, la Flandre et ses fêtes_, Douai, 1840, in-8º.--De +Reiffenberg, _Les enfants naturels du duc Philippe le Bon_ dans +_Bulletin de l'Académie de Bruxelles_, t. XIII (1846).] + + + + +CHAPITRE XVII + +LA CONVENTION D'AUXERRE.--FRÈRE RICHARD.--LA CAPITULATION DE TROYES. + + +Le 27 juin, l'avant-garde, commandée par le maréchal de Boussac, le +sire de Rais, les capitaines La Hire et Poton, partit de Gien et se +dirigea sur Montargis, dans le dessein d'occuper Sens. On se ravisa +presque aussitôt et l'on se tourna vers Auxerre. Le roi se mit en +marche le surlendemain, avec les princes du sang royal, une nombreuse +chevalerie, la grosse bataille, comme on disait, et le sire de la +Trémouille, qui conduisait toute l'entreprise[1288]. L'armée arriva le +1er juillet devant Auxerre[1289]. La Pucelle, qui avait accompagné +l'avant-garde, voyait la ville entourée de coteaux de vignes et de +champs de blé, dresser ses murailles, ses tours, ses toits et ses +clochers au penchant d'une colline. Cette cité devant laquelle elle +chevauchait au soleil d'été, tout armée, comme un beau saint Maurice, +au milieu d'une ample chevalerie, elle l'avait vue, sous un ciel +sombre et pluvieux quand, trois mois auparavant, habillée en galopin +d'écurie, elle allait, sur un mauvais cheval, en compagnie de quelques +pauvres routiers, vers le dauphin Charles[1290]. + +[Note 1288: Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 90.--Perceval de +Cagny, pp. 158-159.--Morosini, t. III, pp. 142, 143.] + +[Note 1289: _Chronique de la Pucelle_, p. 314.--_Journal du +siège_, pp. 108-109.--Monstrelet, t. IV, p. 330.--Jean Chartier, +_Chronique_, t. I, p. 92.--Morosini, t. III, p. 142 et note 3.] + +[Note 1290: _Procès_, t. I, pp. 54, 222.] + +Le comté d'Auxerre appartenait, depuis l'an 1424, au duc de Bourgogne, +qui l'avait reçu en don du Régent et y exerçait son autorité au moyen +d'un bailli et d'un capitaine[1291]. + +[Note 1291: Abbé Lebeuf, _Histoire ecclésiastique et civile +d'Auxerre_, t. II, p. 251; t. III, pp. 302, 506.] + +Le seigneur évêque, messire Jean de Corbie, précédemment évêque de +Mende, passait pour favorable au dauphin[1292]. Le Chapitre de la +cathédrale professait au contraire des sentiments bourguignons[1293]. +Douze jurés, élus par la communauté des bourgeois et des habitants, +administraient la ville. On conçoit sans peine le sentiment qu'ils +éprouvèrent à la venue de l'armée royale: ce fut l'épouvante. Les +hommes d'armes, qu'ils portassent la croix blanche ou la croix rouge, +inspiraient une juste terreur aux gens des villes qui, pour détourner +de leurs murs ces larrons sacrilèges et homicides, étaient capables +des plus rudes efforts, même de mettre la main à l'escarcelle. + +[Note 1292: Chardon, _Histoire de la ville d'Auxerre_, Auxerre, +1834 (2 vol. in-8º), t. II, p. 258.] + +[Note 1293: Dom Plancher, _Histoire de Bourgogne_, t. IV, p. +76.--Chardon, _Histoire de la ville d'Auxerre_, t. II, pp. 257 et +suiv.--Vallet de Viriville, _Histoire de Charles VII_, t. I, p. 383.] + +À ceux d'Auxerre le roi manda par ses hérauts de le recevoir comme +leur naturel et droiturier seigneur. Un tel mandement, appuyé sur des +lances, les embarrassait fort. À refuser comme à consentir, ces bonnes +gens couraient de grands risques. Changer d'obéissance n'était pas une +chose à faire légèrement; il y allait de leurs biens et de leur vie. +Prévoyant le danger et sentant leur faiblesse, ils étaient entrés dans +la ligue communale formée par les cités champenoises contre la +disgrâce de recevoir des gens d'armes et les périls d'avoir deux +maîtres ennemis. Ils se présentèrent devant le roi Charles et +promirent de lui faire telle et pareille obéissance que ceux des +villes de Troyes, Châlons et Reims[1294]. + +[Note 1294: _Journal du siège_, p. 108.--_Chronique de la +Pucelle_, p. 313.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. +90.--Monstrelet, t. IV, p. 436.--Abbé Lebeuf, _Histoire ecclésiastique +d'Auxerre_, t. II, p. 51.--Chardon, _Histoire de la ville d'Auxerre_, +t. II, p. 259.] + +Ce n'était pas obéir; ce n'était pas non plus se mettre en état de +rébellion. On négocia; les ambassadeurs allaient de la ville au camp +et du camp à la ville; finalement, les jurés, qui ne manquaient pas +d'esprit, proposèrent un arrangement acceptable et que les princes +concluaient entre eux à tout moment, la trêve. + +Ils dirent au Roi: + +--Nous vous prions et requérons de vouloir bien passer outre, et nous +vous demandons de conclure abstinence de guerre. + +Et, pour rendre leur prière plus agréable, ils donnèrent deux mille +écus au sire de la Trémouille qui les garda, dit-on, sans vergogne. De +plus, les habitants consentaient à fournir des vivres à l'armée, +contre espèces sonnantes; et c'était à considérer, car la famine +régnait dans le camp[1295]. Cette trêve ne faisait pas l'affaire des +gens d'armes qui y perdaient une belle occasion de dérober et piller. +Des murmures s'élevèrent; plusieurs seigneurs et capitaines disaient +qu'il ne serait pas difficile de prendre la ville et qu'il fallait +essayer. La Pucelle, à qui ses Voix annonçaient perpétuellement la +victoire, ne cessait d'appeler les soldats aux armes[1296]. Sans +aucunement s'émouvoir, le Roi conclut la trêve proposée, ne se +souciant pas d'obtenir par force plus qu'il n'avait gagné par douceur. +S'il avait attaqué la ville, peut-être l'aurait-il prise et tenue à sa +merci; mais c'était le pillage, l'incendie, le meurtre et le viol +certains. Et les Bourguignons seraient venus la reprendre sur ses +talons, y piller, brûler, violer, massacrer de nouveau. Que +d'exemples on avait de ces malheureuses villes enlevées et perdues +tout aussitôt, ruinées par les Français, ruinées par les Anglais et +les Bourguignons, où chaque bourgeois gardait dans son coffre, pour +s'en coiffer tour à tour, béret rouge et béret blanc! Fallait-il donc +sans cesse renouveler ces massacres et ces abominations dont le +ressentiment faisait exécrer les Armagnacs dans toute l'Île de France +et rendait si difficile au roi légitime la recouvrance de sa ville de +Paris? Le Conseil royal ne le crut pas; il pensa au contraire que +Charles de Valois réussirait mieux à reprendre son bien en montrant en +même temps sa mansuétude et sa force et en poursuivant avec une royale +clémence jusqu'à la ville de Reims sa marche armée et pacifique. + +[Note 1295: Morosini, t. III, p. 149.--Jean Chartier, _Chronique_, +t. I, p. 90.--_Chronique de la Pucelle_, p. 313.--Monstrelet, t. IV, +p. 336.--Gilles de Roye, dans _Collection des chroniques belges_, pp. +206, 207.--Chardon, _Histoire de la ville d'Auxerre_, t. II, p. 260.] + +[Note 1296: Jean Chartier, _Journal du siège_, _Chronique de la +Pucelle_, _loc. cit._] + +Après être demeurés trois jours sous les murs de la ville, les soldats +rassasiés passèrent l'Yonne et s'en furent sous la ville de +Saint-Florentin qui se mit aussitôt dans l'obéissance du roi. Le 4 +juillet, ils atteignirent le village de Saint-Phal, à quatre heures de +Troyes[1297]. + +[Note 1297: J. Rogier, dans _Procès_, t. IV, pp. +290-292.--Monstrelet, t. IV. p. 336.--_Journal du siège_, p. +109.--_Chronique de la Pucelle_, p. 314.--Jean Chartier, _Chronique_, +t. I, p. 91.--_Procès_, t. V, pp. 264-265.] + +En cette ville forte, quatre cents hommes au plus tenaient garnison, +tous natifs du royaume de France: il n'y avait pas, il n'y avait +jamais eu d'Anglais en Champagne; un bailli, messire Jean de +Dinteville; deux capitaines, les sires de Rochefort et de Plancy, +commandaient, dans la ville, pour le roi Henri et pour le duc de +Bourgogne[1298]. Troyes était marchande: la draperie faisait sa +richesse. Sans doute cette industrie déclinait depuis longtemps, +atteinte par la concurrence et le déplacement des marchés; la misère +publique et l'insécurité des routes précipitaient sa ruine. Pourtant +la corporation des drapiers demeurait puissante et donnait au Conseil +un grand nombre de magistrats[1299]. + +[Note 1298: Th. Boutiot, _Histoire de la ville de Troyes et de la +Champagne méridionale_, Paris, 1872 (5 vol. in-8º), t. II. p. 182.] + +[Note 1299: F. Bourquelot, _Les foires de Champagne_, Paris, 1865, +t. Ier, p. 65.--Louis Batiffol, _Jean Jouvenel, prévôt des marchands_, +Paris, 1894, in-8º.] + +Ces marchands avaient juré, en 1420, le traité qui assurait à la +maison de Lancastre la couronne de France; ils se trouvaient à la +merci des Bourguignons et des Anglais. Pour tenir ces grandes foires +où ils portaient leurs draps, il leur fallait vivre en paix avec leurs +voisins de Bourgogne, et, si les Godons avaient fermé les ports de +Seine à leurs ballots, ils fussent morts de faim. Aussi les notables +de la ville étaient-ils devenus Anglais. Ce n'était pas à dire qu'ils +dussent le rester toujours. De grands changements s'étaient accomplis +dans le royaume depuis quelques semaines, et les Gilles Laiguisé, les +Hennequin, les Jouvenel, ne se piquaient pas de demeurer immuables +dans leurs sentiments parmi les mutations de la fortune qui ôtaient la +force aux uns pour la communiquer aux autres. Les victoires des +Français leur donnaient à réfléchir. Le menu peuple, les ouvriers +tisseurs, teinturiers, corroyeurs, nombreux le long des ruisseaux qui +traversaient la cité, avaient le coeur bourguignon. Quant aux hommes +d'Église, s'ils ne se sentaient émus d'aucun amour pour les Armagnacs, +ils n'en étaient pas moins enclins à croire que le roi Charles venait +à eux par un décret spécial de la providence divine. + +Le seigneur évêque de Troyes était messire Jean Laiguisé, fils de +maître Huet Laiguisé, un des premiers jureurs du traité de 1420[1300]. +Le Chapitre l'avait élu sans attendre la licence du régent, qui +s'éleva contre l'élection et menaça de confisquer les biens des +chanoines, non que le nouveau pontife lui déplût; messire Jean +Laiguisé avait sucé sur le sein de l'alme Université de Paris la haine +des Armagnacs et le respect de la rose de Lancastre. Mais monseigneur +de Bedford ne tolérait pas ce mépris des droits du souverain. + +[Note 1300: _Gallia Christiana_, t. XIII, col. +514-516.--Courtalon-Delaistre, _Topographie historique du diocèse de +Troyes_ (Troyes, 1783, 3 vol. in-8º), t. I, p. 384.--Th. Boutiot, +Histoire de la ville de Troyes, t. II, pp. 477-478.--De Pange, _Le +pays de Jeanne d'Arc, le fief et l'arrière-fief_, Paris, 1902, in-8º, +p. 33.] + +Peu de temps après, il souleva la réprobation de l'Église de France +tout entière et fut jugé par les évêques pire que les plus cruels +tyrans dont il est parlé dans l'Écriture, Pharaon, Nabuchodonosor, +Artaxercès qui, châtiant Israël, avaient toutefois épargné les +lévites. Plus méchant qu'eux et plus impie, monseigneur de Bedford +attentait aux privilèges de l'Église gallicane, c'est-à-dire que, au +profit du Saint-Siège, il dépouillait les ordinaires de la collation +des bénéfices, levait un double décime sur le clergé de France, et +demandait aux gens d'Église de lui faire abandon des biens reçus par +eux depuis quarante ans. Qu'il agît de la sorte avec l'agrément du +pape, sa conduite n'en était pas moins exécrable au sentiment des +seigneurs évêques de France, décidés à en appeler du pape mal informé +au pape mieux informé, et qui tenaient l'autorité de l'évêque de Rome, +petite auprès de l'autorité du Concile. Ils gémissaient: l'abomination +de la désolation était dans la Gaule chrétienne. Monseigneur de +Bedford, pour pacifier l'Église de France, soulevée contre lui, +convoqua à Paris les évêques de la province ecclésiastique de Sens, +qui comprenait les diocèses de Paris, de Troyes, d'Auxerre, de Nevers, +de Meaux, de Chartres et d'Orléans[1301]. + +[Note 1301: S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, p. CCXX et preuves, +_ccix_, pp. 238-239.--Robillard de Beaurepaire, _Les États de +Normandie sous la domination anglaise_, Évreux, 1859, in-8º.] + +Messire Jean Laiguisé se rendit à cette convocation. Le synode se tint +à Paris, dans le prieuré de Saint-Éloi, sous la présidence du +métropolitain, du 1er mars au 23 avril 1429[1302]. Les évêques +rassemblés représentèrent à monseigneur le Régent le malheureux état +des seigneurs ecclésiastiques, à qui les paysans, pillés par les gens +de guerre, ne payaient plus leurs redevances, les terres d'Église +abandonnées, le service divin cessé dans les campagnes, faute +d'argent pour la célébration du culte. Ils furent unanimes à refuser +le double décime au régent et au pape, menaçant d'en appeler du pape +au concile. Quant à dépouiller les clercs de tous les biens qu'ils +avaient reçus depuis quarante ans, ils déclarèrent que ce serait une +impiété et ils avertirent charitablement monseigneur de Bedford du +sort réservé dès ce monde aux impies par le juste jugement de Dieu. +«Le Prince, lui dirent-ils, doit détourner de lui les misères et +calamités advenues aux princes de plusieurs royaumes qui affligèrent +de telles réquisitions l'Église que Dieu a délivrée par son précieux +sang de la servitude du Démon, desquels les uns périrent par le +glaive, plusieurs furent traînés en captivité, les autres dépouillés +de leurs très illustres souverainetés. C'est pourquoi ils ne doivent +pas croire qu'ils méritent la grâce de la divine Majesté, ceux-là qui +s'efforcent de réduire en servitude l'Église son épouse[1303].» + +[Note 1302: Labbe et Cossart, _Sacro-Sancta-Consilia_, t. XII, +col. 392.] + +[Note 1303: Labbe et Cossart, _Sacro-Sancta-Consilia_, t. XII, +col. 390, 399.] + +Les sentiments de Jean Laiguisé à l'égard du régent d'Angleterre +étaient ceux du synode. Il n'en faut pas conclure que l'évêque de +Troyes voulût la mort du pécheur, ni même qu'il fût l'ennemi des +Anglais[1304]. L'Église use communément de prudence à l'endroit des +puissances temporelles. Sa mansuétude est grande et sa patience +inlassable. Elle menace longtemps avant que de frapper et admet +l'impie à résipiscence dès qu'il donne signe de repentir. Mais on +pouvait croire que, si Charles de Valois prenait pouvoir et volonté de +protéger l'Église de France, le seigneur évêque et le chapitre de +Troyes craindraient, en lui résistant, de résister à Dieu lui-même, +car toute puissance vient de Dieu qui _deposuit potentes_. + +[Note 1304: De Pange, _Le pays de Jeanne d'Arc, le fief et +l'arrière-fief_, p. 33.] + +Le roi Charles ne s'était point aventuré en Champagne sans prendre ses +sûretés; il savait sur qui compter en cette ville de Troyes. Il avait +reçu des avis, des promesses; il entretenait des relations secrètes +avec plusieurs bourgeois de la cité, et non des moindres[1305]. Dans +la première quinzaine de mai, un notaire royal et dix clercs et +notables marchands, qui se rendaient vers lui, avaient été arrêtés au +sortir de leurs murailles, sur la route de Paris, par un capitaine au +service des Anglais, le sire de Chateauvillain[1306]. Probablement que +d'autres, plus heureux, purent accomplir leur mission. Il n'est pas +difficile de deviner les questions agitées dans ces conciliabules. Les +marchands demandaient que, au cas où le roi Charles deviendrait leur +maître, il leur garantît l'entière liberté de leur trafic; les clercs +voulaient être assurés qu'il respecterait les biens de l'Église. Et le +roi, sans doute, ne ménageait point les promesses. + +[Note 1305: J. Rogier, dans _Procès_, t. IV, p. 285.] + +[Note 1306: Th. Boutiot, _Histoire de la ville de Troyes_, t. II, +pp. 316 et suiv.] + +La Pucelle s'arrêta avec une partie de l'armée devant le château fort +de Saint-Phal, appartenant à Philibert de Vaudrey, capitaine de la +ville de Tonnerre, au service du duc de Bourgogne[1307]. En ce lieu de +Saint-Phal, elle vit venir à elle un cordelier qui, craignant qu'elle +ne fût le diable, faisait des signes de croix, jetait de l'eau bénite +et n'osait approcher sans l'avoir exorcisée. C'était frère Richard qui +venait de Troyes[1308]. Il y a intérêt à dire ce qu'était ce +religieux, autant qu'on peut le savoir. + +[Note 1307: J. Rogier, dans _Procès_, t. IV, pp. 287, 288.--Th. +Boutiot, _Histoire de la ville de Troyes_, t. II, p. 490.--A. Assier, +_Une cité champenoise au XVe siècle_, Troyes, 1875, in-12.] + +[Note 1308: _Procès_, t. I, pp. 99, 100.--_Relation du greffier de +La Rochelle_, p. 338.--_Chronique de la Pucelle_, p. 315.--_Journal du +siège_, pp. 109-110.] + +On ignore le lieu de sa naissance[1309]. Disciple du frère Vincent +Ferrier et du frère Bernardin de Sienne, comme eux il enseignait +l'avènement prochain de l'Antéchrist et le salut des fidèles par +l'adoration du saint nom de Jésus[1310]. Après avoir fait le +pèlerinage de Jérusalem, il vint en France et prêcha dans la ville de +Troyes l'avent de 1428. L'avent, qu'on nomme parfois aussi le carême +de la Saint-Martin, commence le dimanche qui tombe entre le 27 +novembre et le 3 décembre, et dure quatre semaines pendant lesquelles +les chrétiens se préparent à célébrer le mystère de la Nativité. + +[Note 1309: Ed. Richer dit qu'il se nommait Roch Richard, licencié +en théologie; _Histoire manuscrite de la Pucelle_ (Bibl. Nat., fr. +10448), livre I, folios 50 et suiv.--Abbé Dunand, _Histoire de Jeanne +d'Arc_, t. II, p. 214.--Th. Boutiot, _Histoire de la ville de Troyes_, +t. II, p. 499.] + +[Note 1310: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 235.--Th. Basin, +_Histoire de Charles VII et de Louis XI_, t. I, p. 104.--Vallet de +Viriville, _Procès de condamnation de Jeanne d'Arc_, 1867, +Introduction; _Notes sur deux médailles de plomb relatives à Jeanne +d'Arc_, Paris, 1861, p. 22.--S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, p. +CCXXXIX.] + +--Semez, disait-il, semez, bonnes gens; semez foison de fèves, car +Celui qui doit venir viendra bien bref[1311]. + +[Note 1311: _Journal du siège_, p. 110.] + +Par les fèves qu'il fallait semer, il entendait les bonnes oeuvres +qu'il convenait d'accomplir avant que Notre-Seigneur vînt, sur les +nuées, juger les vivants et les morts. Or, il importait de semer les +oeuvres sans tarder, car bientôt serait la moisson. La venue de +l'Antéchrist devait précéder de peu de temps la fin du monde et la +consommation des siècles. Au mois d'avril 1429, frère Richard se +rendit à Paris; le synode de la province de Sens tenait alors ses +dernières séances. Que le bon frère ait été appelé dans la grande +ville par l'évêque de Troyes présent au synode, c'est possible, mais +il ne paraît pas que ce moine errant y fût venu pour défendre les +droits de l'Église gallicane[1312]. + +[Note 1312: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 233.--Labbe, +Boutiot, _loc. cit._] + +Le 16 avril, il fit son premier sermon à Sainte-Geneviève; le +lendemain et jours suivants, jusqu'au dimanche 24, il prêcha tous les +matins, de cinq heures à dix et onze heures, en plein air, sur un +échafaud adossé au charnier des Innocents, à l'endroit de la danse +macabre. Autour de l'estrade, haute d'une toise et demie, se +pressaient cinq ou six mille personnes auxquelles il annonçait la +venue prochaine de l'Antéchrist et la fin du monde[1313]. «En Syrie, +disait-il, j'ai rencontré des Juifs qui cheminaient par troupe; je +leur demandai où ils allaient et ils me répondirent: «Nous nous +rendons en foule à Babylone, parce qu'en vérité, le Messie est né +parmi les hommes, et il nous restituera notre héritage, et il nous +rétablira dans la terre de promission.» Ainsi parlaient ces Juifs de +Syrie. Or, l'Écriture nous enseigne que celui qu'ils appellent le +Messie est en effet l'Antéchrist de qui il est dit qu'il naîtra à +Babylone, capitale du royaume de Perse, qu'il sera nourri à Bethsaïde +et s'établira dans sa jeunesse à Coronaïm. C'est pourquoi +Notre-Seigneur a dit: «_Vhe! vhe! tibi Bethsaïda. Vhe! Coronaïm_». +L'an 1430, ajoutait frère Richard, apportera les plus grandes +merveilles qu'on ait jamais vues[1314]. Les temps étaient proches. Il +était né, l'homme de péché, le fils de perdition, le méchant, la bête +vomie par l'abîme, l'abomination de la désolation; il sortait de la +tribu de Dan, dont il est écrit: «Que Dan devienne semblable à la +couleuvre du chemin et au serpent du sentier!» Bientôt reviendraient +sur la terre les prophètes Élie et Énoch, Moïse, Jérémie et saint Jean +l'Évangéliste; et bientôt se lèverait ce jour de colère, qui +réduirait le siècle en poudre, selon le témoignage de David et de la +Sibylle[1315]. Et le bon frère concluait qu'il fallait se repentir, +faire pénitence, renoncer aux faux biens. Enfin, c'était, au sentiment +des clercs, un prud'homme, savant en oraisons; et ses sermons +tournaient le peuple à la dévotion plus, croyait-on, que ceux de tous +les sermonneurs qui, depuis cent ans, avaient prêché dans la ville. Il +était à propos qu'il vînt, car, en ce temps-là, le peuple de Paris +s'adonnait avec fureur aux jeux de hasard; les clercs eux-mêmes s'y +livraient sans honte, et l'on avait vu, sept ans auparavant, un +chanoine de Saint-Merry, grand amateur de dés, tenir un jeu dans sa +propre maison[1316]. Et malgré la guerre et la famine, les femmes de +Paris se chargeaient de parures; le soin de leur beauté les occupait +bien plus que le salut de leur âme. + +[Note 1313: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 234.] + +[Note 1314: _Ibid._, p. 235.] + +[Note 1315: Th. Basin, _Histoire des règnes de Charles VII et de +Louis XI_, t. IV, pp. 103, 104.] + +[Note 1316: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 236.] + +Frère Richard tonnait surtout contre les damiers des hommes et les atours +des dames. Un jour, notamment, qu'il prêchait à Boulogne-la-Petite, il +cria sus aux dés et aux hennins et parla si bien que le coeur de ceux +qui l'écoutaient en fut changé. De retour au logis, les bourgeois +jetèrent dans la rue leurs tables à jeu, leurs damiers, leurs cartes, +leurs billards et leurs billes, leurs dés et leurs cornets, et ils en +firent un grand feu devant leur porte. Plus de cent de ces feux +restèrent allumés dans les rues pendant trois ou quatre heures. Les +femmes suivirent le bon exemple: ce jour-là et le lendemain, elles +brûlèrent publiquement leurs atours de tête, bourreaux, truffaux, pièces +de cuir ou de baleine dont elles dressaient le devant de leurs +chaperons; les demoiselles quittèrent leurs cornes et leurs queues, +ayant enfin honte de s'attifer en diablesses[1317]. + +[Note 1317: _Journal d'un bourgeois de Paris_, pp. 234-235.] + +Le bon frère fit brûler pareillement les racines de mandragores que +beaucoup de gens gardaient alors chez eux. Ces racines présentent +parfois l'aspect d'un petit homme très laid, d'une difformité bizarre +et diabolique. C'est là, peut-être, ce qui fit qu'on leur attribua des +vertus singulières. On les habillait magnifiquement, de fin lin et de +soie, et l'on conservait ces poupées, dans la croyance qu'elles +portaient bonheur et procuraient des richesses. Les sorcières en +faisaient grand commerce et ceux qui croyaient que la Pucelle était +sorcière l'accusaient très faussement de porter sur elle une +mandragore. Frère Richard haïssait ces racines magiques d'autant plus +véhémentement qu'il leur reconnaissait le pouvoir de procurer des +richesses, sources de tous les maux de ce monde. Cette fois encore sa +parole fut entendue; et beaucoup de Parisiens rejetèrent avec +épouvante les mandragores qu'ils avaient payées fort cher à ces +vieilles femmes qui veulent trop savoir[1318]. + +[Note 1318: _Procès_, t. I, pp. 89, 213.--_Journal d'un bourgeois +de Paris_, p. 236.] + +Pour mieux édifier les Parisiens, il leur faisait prendre des +médailles d'étain, sur lesquelles était frappé le nom de Jésus, objet +de sa dévotion particulière[1319]. + +[Note 1319: _Journal d'un bourgeois de Paris_, pp. 242, +243.--Vallet de Viriville, _Notes sur deux médailles de plomb +relatives à Jeanne d'Arc_, dans _Revue Archéologique_, 1861, pp. 429, +433.--S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, chap. X.] + +Ayant prêché dix fois en ville et une fois dans le village de +Boulogne, le bon frère annonça qu'il s'en retournait en Bourgogne et +prit congé des Parisiens. + +--Je prierai pour vous, dit-il, priez pour moi. _Amen_. + +Alors toutes gens, les grands et les petits, pleuraient amèrement et +abondamment comme si chacun d'eux eût porté en terre son plus doux +ami. Il pleura avec eux et consentit à retarder un peu son +départ[1320]. + +[Note 1320: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 236.] + +Le dimanche 1er mai, il devait parler pour la dernière fois au dévot +peuple de Paris. Il avait donné rendez-vous à ses fidèles à +Montmartre, au lieu même où monseigneur saint Denys avait souffert le +martyre. La montagne était, par le malheur des temps, presque +inhabitée. Dès la veille au soir, plus de six mille personnes s'y +rendirent pour s'assurer d'une bonne place et passèrent la nuit, les +uns dans des masures abandonnées, le plus grand nombre dans les +champs à la belle étoile. Le matin étant venu, ils ne virent point +paraître frère Richard et l'attendirent en vain. Déçus et contristés, +ils apprirent enfin que défense de prêcher avait été faite au bon +frère[1321]. Il n'avait rien dit dans ses sermons qui pût déplaire aux +Anglais. Les habitants de Paris qui l'avaient entendu, le croyaient +bon ami du régent et du duc de Bourgogne. Peut-être qu'il prit la +fuite, ayant appris que la faculté de théologie voulait procéder +contre lui. En effet, il professait des opinions singulières et +dangereuses sur la fin du monde[1322]. + +[Note 1321: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 237.] + +[Note 1322: Il reste à savoir comment l'auteur du journal dit +d'_Un bourgeois de Paris_ n'en fut pas scandalisé, tout bon +universitaire qu'il était, mais, au contraire, s'édifia des propos de +ce bon père.--Th. Basin, _Histoire des règnes de Charles VII et de +Louis XI_, t. IV, p. 104.] + +Frère Richard s'en fut à Auxerre. Et il alla prêchant par la Bourgogne +et la Champagne. S'il était du parti du roi Charles il ne le laissa +point paraître. Car, au mois de juin, les Champenois et spécialement +les habitants de Châlons le considéraient comme un prud'homme attaché +au duc de Bourgogne. Et nous avons vu que le 4 juillet il soupçonna la +Pucelle d'être un diable ou une possédée[1323]. + +[Note 1323: J. Rogier dans _Procès_, t. IV, p. 290.] + +Elle ne s'y trompa pas. En voyant le bon frère se signer et jeter de +l'eau bénite, elle comprit qu'il la prenait pour une chose horrible en +manière de femme, pour un fantôme formé par l'esprit du mal et à tout +le moins pour une sorcière. Pourtant elle n'en fut pas offensée comme +elle l'avait été des soupçons de messire Jean Fournier. À ce prêtre, +qui l'avait entendue en confession, elle ne pardonnait pas de douter +qu'elle fût bonne chrétienne[1324]. Mais frère Richard ne la +connaissait pas; il ne l'avait jamais vue. D'ailleurs elle s'habituait +à ces façons. Le Connétable, frère Yves Milbeau, tant, d'autres qui +venaient à elle lui demandaient si elle était de Dieu ou du +diable[1325]. Elle dit au bon prêcheur, sans colère, avec un peu de +moquerie: + +[Note 1324: _Procès_, t. II, p. 446.] + +[Note 1325: Gruel, _Chronique de Richemont_, p. 71.--Eberhard +Windecke, pp. 178, 179.] + +--Approchez hardiment, je ne m'envolerai pas[1326]. + +[Note 1326: _Procès_, t. I, p. 100.] + +En même temps, frère Richard reconnaissait à l'épreuve de l'eau bénite +et du signe de la croix que cette jeune fille n'était point un diable +et qu'il n'y avait point de diable en elle. Et, comme elle se disait +venue de Dieu, il la crut pleinement et la tint pour un ange du +Seigneur[1327]. + +[Note 1327: _Ibid._, t. I, p. 100.] + +Il lui confia la raison de sa venue[1328]: Ceux de Troyes doutaient +qu'elle fût chose de Dieu; il s'était rendu à Saint-Phal pour s'en +éclaircir. Maintenant il savait qu'elle était chose de Dieu, et ce +n'était pas pour l'étonner; il tenait comme certain que l'année 1430 +amènerait les plus grandes merveilles qu'on eût jamais vues, et il +s'attendait à rencontrer un jour ou l'autre le prophète Élie marchant +et conversant parmi les vivants[1329]. Dès ce moment, il s'attacha +résolument au parti de la Pucelle et du dauphin. Il croyait le monde +trop près de son terme pour s'intéresser au rétablissement du fils de +l'Insensé dans son héritage; ce n'étaient pas les vaticinations de la +Pucelle touchant le royaume de France qui l'attiraient vers cette +sainte fille, mais il comptait que, après avoir établi la royauté de +Jésus-Christ sur la terre des Lis, la prophétesse Jeanne et Charles, +vicaire temporel de Jésus-Christ, conduiraient le peuple chrétien à la +délivrance du Saint-Sépulcre, oeuvre méritoire, qu'il convenait +d'accomplir avant la consommation des siècles. + +[Note 1328: _Ibid._, t. I, pp. 99, 100.--_Relation du greffier de +la Rochelle_, p. 342.] + +[Note 1329: _Journal d'un bourgeois de Paris_, p. 235.] + +Jeanne dicta une lettre par laquelle, se disant au service du Roi du +ciel et parlant au nom de Dieu lui-même, elle mandait aux bourgeois et +habitants de la ville de Troyes, en termes doux et pressants, de faire +obéissance au roi Charles de France, et les avertissait que, bon gré +mal gré, elle entrerait avec le roi dans toutes les villes du saint +royaume et ferait bonne paix. + +Voici cette lettre[1330]: + + JHESUS + MARIA + + Très chiers et bons amis, s'il ne tient à vous, seigneurs, + bourgeois et habitans de la ville de Troies, Jehanne la Pucelle + vous mande et fait sçavoir de par le roy du Ciel, son droitturier + et souverain seigneur, duquel elle est chascun jour en son + service roial, que vous fassiés vraye obéissance et + recongnoissance au gentil roy de France quy sera bien brief à + Reins et à Paris, quy que vienne contre, et en ses bonnes villes + du sainct royaume, à l'ayde du roy Jhesus. Loiaulx François, + venés au devant du roy Charles et qu'il n'y ait point de faulte; + et ne vous doubtés de voz corps ne de voz biens, se ainsi le + faictes. Et se ainsi ne le faictes, je vous promectz et certiffie + sur voz vies que nous entrerons à l'ayde de Dieu en toultes les + villes quy doibvent estre du sainct royaulme, et y ferons bonne + paix fermes, quy que vienne contre. À Dieu vous commant, Dieu + soit garde de vous, s'il luy plaist. Responce brief. Devant la + cité de Troyes, escrit à Saint-Fale, le mardi quatriesme jour de + juillet[1331]. + +[Note 1330: J. Rogier, dans _Procès_, t. IV, p. 287.] + +[Note 1331: Il faut lire le lundi 4 juillet.] + +Au dos: + + Aux seigneurs, bourgeois de la cité de Troyes. + +La Pucelle remit cette lettre au frère Richard, qui se chargea de la +porter aux habitants[1332]. + +[Note 1332: J. Rogier, dans _Procès_, t. IV, pp. 287, 288, 290.] + +De Saint-Phal, suivant la voie romaine, l'armée s'avança vers +Troyes[1333]. À cette nouvelle, le Conseil de la ville s'assembla le +mardi 5, de bon matin, et envoya aux habitants de Reims une missive +dont voici le sens: + +«Nous attendons aujourd'hui les ennemis du roi Henri et du duc de +Bourgogne pour être assiégés par eux. À l'entreprise de ces ennemis, +quelque puissance qu'ils aient, vu et considéré la juste querelle que +nous tenons et les secours de nos princes qui nous ont été promis, +nous sommes délibérés de nous garder de bien en mieux en l'obéissance +du roi Henri et du duc de Bourgogne, jusques à la mort, comme nous +avons juré sur le précieux corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ, +priant les habitants de Reims d'avoir souci de nous, comme frères et +loyaux amis, et d'envoyer par devers monseigneur le Régent et le duc +de Bourgogne, pour les requérir et supplier de prendre pitié de leurs +pauvres sujets et de les venir secourir[1334].» + +[Note 1333: Th. Boutiot, _Histoire de la ville de Troyes_, t. II, +p. 493.] + +[Note 1334: J. Rogier, dans _Procès_, t. IV, pp. 288-289.] + +Ce même jour, de Brinion-l'Archevêque où il avait pris logis, le roi +Charles fit porter dès le matin, par ses hérauts, aux membres du +Conseil de la ville de Troyes, des lettres closes, signées de sa main +et scellées de son sceau, par lesquelles il leur faisait savoir que, +sur l'avis de son Conseil, il avait entrepris d'aller à Reims pour y +recevoir son sacre, que son intention était d'entrer le lendemain dans +la cité de Troyes et qu'à cette fin il leur mandait et commandait de +lui rendre l'obéissance qu'ils lui devaient et de se disposer à le +recevoir. Il s'efforçait prudemment de les rassurer sur ses +intentions, qui n'étaient point de tirer vengeance des choses passées. +Il n'en avait point la volonté, disait-il; mais qu'ils se +gouvernassent envers leur souverain comme ils devaient, il mettrait +tout en oubli et les tiendrait en sa bonne grâce[1335]. + +[Note 1335: J. Rogier, dans _Procès_, t. IV, p. 292.--Th. Boutiot, +_Histoire de la ville de Troyes_, t. II, p. 494.] + +Le Conseil refusa aux hérauts du roi Charles l'entrée de la ville, +mais il reçut les lettres, les lut, en délibéra et fit connaître aux +hérauts la délibération prise, dont voici la substance: + +«Les seigneurs chevaliers et écuyers qui sont en la ville, de par le +roi Henri et le duc de Bourgogne, ont avec nous, habitants de Troyes, +juré de ne faire entrer dans notre ville plus fort que nous, sans +l'exprès commandement du duc de Bourgogne. Eu égard à leur serment, +ceux qui sont dans la ville n'oseraient y mettre le roi Charles.» + +Et les conseillers ajoutèrent pour leur excuse: + +«Quelque vouloir que nous ayons, nous, habitants, il nous faut +regarder aux hommes de guerre qui sont dans la ville, plus forts que +nous.» + +Les conseillers firent afficher la lettre du roi Charles et, +au-dessous, leur réponse[1336]. + +[Note 1336: _Ibid._, t. IV, p. 289.] + +Ils lurent en Conseil la lettre que la Pucelle avait dictée de +Saint-Phal et remise au frère Richard. Le religieux n'avait pas +préparé ces bourgeois à la recevoir favorablement, car ils en rirent +beaucoup. + +--Il n'y a, dirent-ils, à cette lettre ni rime ni raison. Ce n'est que +moquerie[1337]. + +[Note 1337: _Ibid._, p. 290.] + +Ils la jetèrent au feu sans y faire de réponse. Ils disaient de Jeanne +qu'elle était cocarde[1338], c'est-à-dire toute niaise. Et ils +ajoutaient: + +--Nous la certifions être une folle pleine du diable[1339]. + +[Note 1338: Dans le _Mistère du siège d'Orléans_ l'anglais +Fauquembergue traite aussi Jeanne de «coquarde»: + + Y nous fault prandre la coquarde, + Qui veult les François gouverner. Vers 12689-90.] + +[Note 1339: J. Rogier, dans _Procès_, t. IV, p. 290.] + +Ce même jour, à neuf heures du matin, l'armée commença de passer le +long des murs et à prendre logis autour de la ville[1340]. + +[Note 1340: _Ibid._--Th. Boutiot, _Histoire de la ville de +Troyes_, t. II, p. 492.] + +Ceux qui campèrent au sud-ouest, vers les Hauts-Clos, purent admirer +la cité qui dressait au milieu d'une vaste plaine ses longues +murailles, ses portes guerrières, ses hautes tours et son beffroi. Ils +voyaient à leur droite l'église de Saint-Pierre dont l'ample vaisseau, +sans flèches ni tours, s'élevait au-dessus des toits[1341]. C'est là +que huit ans auparavant avaient été célébrées les fiançailles du roi +Henri V d'Angleterre avec madame Catherine de France. Car, en cette +ville de Troyes, la reine Ysabeau et le duc Jean avaient fait signer +au roi Charles VI, privé de sens et de mémoire, l'abandon du royaume +des Lis au roi d'Angleterre et la déchéance de Charles de Valois. +Madame Ysabeau avait assisté aux fiançailles de sa fille, vêtue d'une +robe de damas de soie bleue et d'une houppelande de velours noir +fourrée de quinze cents ventres de menu vair, après quoi elle avait +fait venir, pour se distraire, ses oiseaux chanteurs, chardonnerets, +pinsons, tarins et linots[1342]. + +[Note 1341: L. Pigeotte, _Étude sur les travaux d'achèvement de la +cathédrale de Troyes_, p. 9.--A. Babeau, _Les vues d'ensemble de +Troyes_, Troyes, 1892, in-8º, p. 13.--A. Assier, _Une cité champenoise +au XVe siècle_, Paris, 1875, in-8º.] + +[Note 1342: _Comptes de l'argenterie de la reine_, dans Jean +Chartier, _Chronique_, t. III, pp. 236, 237.--De Barante, _Histoire +des ducs de Bourgogne_, t. III, pp. 122, 125.--Vallet de Viriville, +_Histoire de Charles VII_, t. I, p. 216.--Th. Boutiot, _Histoire de la +ville de Troyes_, t. II, pp. 418, 419.] + +À l'arrivée des Français, la plupart des habitants étaient sur les +murs, regardant, moins en ennemis qu'en curieux, et semblaient ne rien +craindre; ils cherchaient surtout à voir le roi[1343]. + +[Note 1343: J. Rogier, dans _Procès_, t. IV, p. 289.] + +La ville était forte; le duc de Bourgogne pourvoyait depuis longtemps +à ce qu'elle fût en état de défense. En 1417 et 1419 ceux de Troyes, +comme en 1428 ceux d'Orléans, avaient rasé leurs faubourgs et démoli +toutes les maisons situées hors de la ville à deux ou trois cents pas +des remparts. L'arsenal était pourvu; les magasins regorgeaient de +vivres, mais la garnison anglo-bourguignonne ne se composait que de +trois cent cinquante à quatre cents hommes[1344]. + +[Note 1344: Th. Boutiot, _Histoire de la ville de Troyes_, t. II, +pp. 391, 418, 419.--A. Assier, _Une cité champenoise au XVe siècle_, +p. 8.] + +Ce même jour encore, à cinq heures de l'après-midi, les conseillers de +la ville de Troyes mandèrent aux habitants de Reims l'arrivée des +Armagnacs, leur envoyèrent copie de la lettre de Charles de Valois, de +la réponse qu'ils y avaient faite et de la lettre de la Pucelle, +qu'ils n'avaient donc pas brûlée tout de suite; et leur firent part de +la résolution où ils étaient de résister jusqu'à la mort, au cas où +ils fussent secourus. + +Ils écrivirent semblablement aux habitants de Châlons pour les aviser +de la venue du dauphin, et ils leur firent connaître que la lettre de +Jeanne la Pucelle avait été portée à Troyes par frère Richard le +prêcheur[1345]. + +[Note 1345: J. Rogier, dans _Procès_, t. IV, pp. 289, 290.] + +Ces écritures revenaient à dire: Comme tout bourgeois en pareille +occurrence, nous risquons d'être pendus par les Bourguignons et par +les Armagnacs, de quoi nous aurions grand regret. Pour conjurer autant +que possible cette disgrâce, nous donnons à entendre au roi Charles de +Valois, que nous ne lui ouvrons pas nos portes, parce que la garnison +nous en empêche, et que nous sommes les plus faibles, ce qui est vrai. +Et nous faisons connaître à nos seigneurs le Régent et le duc de +Bourgogne que, la garnison étant trop faible pour nous garder, ce qui +est vrai, nous demandons à être secourus, ce qui est loyal, et nous +comptons bien ne pas l'être, car alors il nous faudrait subir un siège +et risquer d'être pris d'assaut, ce qui est une cruelle extrémité pour +des marchands. Mais ayant demandé à être secourus et ne l'étant pas, +nous nous rendrons sans encourir de reproche. Le point important est +de faire déguerpir la garnison, heureusement petite. Quatre cents +hommes, c'est peu pour nous défendre, c'est trop pour nous rendre. +Quant à charger les habitants de la ville de Reims de demander secours +pour eux et pour nous, c'est montrer à notre seigneur de Bourgogne +notre bonne volonté et nous n'y risquons rien, car nous savons de +reste que nos compères les Rémois s'arrangent comme nous pour demander +aide et n'en point recevoir, et qu'ils guettent le moment d'ouvrir +leurs portes au roi Charles, qui a une forte armée. Et pour tout dire, +nous résisterons jusqu'à la mort si nous sommes secourus, ce qu'à Dieu +ne plaise! + +Ainsi pensaient finement ces âmes champenoises. + +Les bourgeois tirèrent quelques boulets de pierre sur les Français; la +garnison escarmoucha quelque peu et rentra dans la ville[1346]. + +[Note 1346: _Journal du siège_, p. 109.--_Chronique de la +Pucelle_, pp. 314-315.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 91.--Th. +Boutiot, _Histoire de la ville de Troyes_, t. II, p. 497.] + +Cependant l'armée du roi Charles criait famine[1347]. Le conseil qu'on +avait reçu du seigneur archevêque d'Embrun de pourvoir aux vivres par +les moyens de la prudence humaine était plus facile à donner qu'à +suivre. Il y rivait dans le camp bien six à sept mille hommes qui de +huit jours n'avaient mangé de pain. Les gens d'armes se nourrissaient, +vaille que vaille, d'épis de blé pilés encore verts et de fèves +nouvelles qu'ils trouvaient en abondance. On se rappela alors que, +durant le carême de la Saint-Martin, frère Richard avait dit aux gens +de Troyes: «Semez des fèves largement: Celui qui doit venir viendra +bientôt.» Ce que le bon frère avait dit des semailles au sens +spirituel fut pris au sens littéral; par un beau coq-à-l'âne, ce qui +s'entendait de la venue du Messie fut appliqué à la venue du roi +Charles. Frère Richard passa pour le prophète des Armagnacs et les +gens d'armes crurent de bonne foi que ce prêcheur évangélique avait +fait pousser les fèves qu'ils cueillaient et pourvu à leur nourriture +par sa prud'homie, sagesse et pénétration dans les conseils du Dieu +qui donna dans le désert la manne au peuple d'Israël[1348]. + +[Note 1347: Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 91.] + +[Note 1348: _Journal du siège_, pp. 109, 110.--_Chronique de la +Pucelle_, p. 315.--Jean Chartier, _Chronique_, pp. 91, 92.] + +Le roi, qui logeait à Brinion depuis le 4 juillet, arriva devant +Troyes, après dîner, le vendredi 8[1349]. Ce jour même il tint conseil +avec les chefs de guerre et les princes du sang royal pour aviser si +l'on resterait devant la ville jusqu'à ce qu'on obtînt, soit par +promesses, soit par menaces, qu'elle se soumît, ou si l'on passerait +outre, la laissant de côté comme Auxerre[1350]. + +[Note 1349: Perceval de Cagny, p. 157.--Voyez toutefois Morosini, +t. III, p. 143, note.] + +[Note 1350: _Procès_, t. III, pp. 13, 117.--Jean Chartier, +_Chronique_, t. I, p. 92.--_Chronique de la Pucelle_, p. +315.--Chartier et la _Chronique de la Pucelle_, font parler Regnault +de Chartres et Robert Le Maçon avec une extrême invraisemblance. Le +chancelier n'a pas pu dire qu'on n'avait pas «gens en nombre +suffisant» et, dans ce Conseil de guerre il n'a pu être question de +retourner à Gien. Il s'agissait de savoir, comme le dit Dunois, si +l'on irait tout de suite sur Reims et non si l'on retournerait à Gien, +selon l'opinion de Chartier.] + +La discussion avait beaucoup duré quand la Pucelle survint et +prophétisa: + +--Gentil dauphin, dit-elle, ordonnez à vos gens d'assaillir la ville +de Troyes et ne durez pas davantage en de trop longs conseils, car, en +nom de Dieu, avant trois jours, je vous ferai entrer dans la ville, +qui sera vôtre par amour ou par puissance et courage. Et en sera la +fausse Bourgogne bien sotte[1351]. + +[Note 1351: _Procès_, t. III, pp. 13, 117.--_Chronique de la +Pucelle_, p. 317.--_Journal du siège_, p. 110.--Jean Chartier, +_Chronique_, t. I, p. 94.] + +Pourquoi, contre l'habitude, l'avait-on appelée au Conseil? Il +s'agissait de tirer quelques coups de canon et de faire mine +d'escalader les murs, de donner enfin un semblant d'assaut. On le +devait bien aux habitants de Troyes, à ces bourgeois, à ces gens +d'Église, qui ne pouvaient décemment céder qu'à la force; et il +fallait effrayer le menu peuple qui restait Bourguignon de coeur. +Probablement le seigneur de Trèves ou quelque autre jugeait que la +petite sainte, en se montrant sous les remparts, inspirerait aux +ouvriers tisseurs de Troyes une terreur religieuse. + +On n'eut qu'à la laisser faire. Au sortir du Conseil, elle monta à +cheval et, sa lance à la main, courut aux fossés, suivie d'une foule +de chevaliers, d'écuyers et d'artisans[1352]. L'attaque fut préparée +contre le mur du nord-ouest, entre la porte de la Madeleine et celle +de Comporté[1353]. Jeanne, qui croyait fermement que par elle la ville +serait prise, excita toute la nuit les gens à apporter des fagots et à +mettre l'artillerie en place. Elle criait: «À l'assaut!» et faisait le +geste de jeter des fascines dans les fossés[1354]. + +[Note 1352: _Procès_, t. III, pp. 13, 14, 117.--Jean Chartier, +_Chronique_; t. I, p. 96. _Journal du siège_, p. 111.--_Chronique de +la Pucelle_, p. 78.--De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. II, +p. 225.] + +[Note 1353: Th. Boutiot, _Histoire de la ville de Troyes_, t. II, +p. 497, note.--A. Assier, _Une cité champenoise au XVe siècle_, Paris, +1875, in-8º, p. 26.] + +[Note 1354: _Procès_, t. III, p. 117.] + +Cette menace produisit l'effet attendu. Les gens de petit état, voyant +déjà la ville prise et s'attendant à ce que les Français vinssent +piller, massacrer, violer, selon l'usage, se réfugièrent dans les +églises. Quant aux clercs et aux notables, ils n'en demandèrent pas +davantage[1355]. + +[Note 1355: _Ibid._, t. III, p. 117.--Jean Chartier, _Chronique_, +t. I, p. 96.--J. Rogier, dans _Procès_, t. IV, p. 296.] + +Charles de Valois ayant fait savoir qu'on pouvait aller à lui en toute +sûreté, le seigneur évêque Jean Laiguisé, messire Guillaume +Andouillette, maître de l'Hôtel-Dieu, le doyen du chapitre, les +membres du clergé, les notables, se rendirent auprès du roi[1356]. + +[Note 1356: J. Rogier, dans _Procès_, t. IV, p. 295.--_Procès_, +pp. 13, 14, 17.--Chartier, _Journal du siège_, _Chronique de la +Pucelle_.--Camusat, _Mél. hist._ part. II, fol. 214.] + +Jean Laiguisé prit la parole. Il venait faire la révérence au roi et +avait à coeur d'excuser ceux de la ville. + +--Il ne tient pas à eux, dit-il, que le roi n'y entre à son bon +plaisir. Le bailli et les gens de la garnison, qui sont bien de trois +à quatre cents, gardent les portes et s'opposent à ce qu'on les +ouvre. Qu'il plaise au roi d'avoir patience jusqu'à ce que j'aie parlé +à ceux de la ville. J'espère qu'aussitôt que je leur aurai parlé, ils +donneront l'entrée et feront obéissance en sorte que le roi sera +content d'eux[1357]. + +[Note 1357: _Relation du greffier de La Rochelle_, dans _Revue +Historique_, t. IV, p. 342.--_Chronique de la Pucelle_, _Journal du +siège_, Chartier, Gilles de Roye dans Chartier, t. III, p. 205.] + +Le roi, répondant à l'évêque, lui exposa les raisons de son voyage et +les droits qu'il avait sur la ville de Troyes. + +--Je pardonnerai sans réserve, ajouta-t-il, tout ce qui fut fait au +temps passé. Je tiendrai les habitants de Troyes en paix et franchise, +à l'exemple du roi saint Louis[1358]. + +[Note 1358: J. Rogier, dans _Procès_, t. IV, p. 296.] + +Jean Laiguisé demanda que les gens d'église qui avaient régales ou +collations du feu roi Charles VI les gardassent et que ceux qui les +avaient du roi Henri d'Angleterre prissent lettres du roi Charles et +qu'ils gardassent leurs bénéfices, au cas même où le roi en eût fait +collation à d'autres. + +Le roi y consentit, et le seigneur évêque crut voir un nouveau Cyrus. + +Il rapporta ce colloque au Conseil de la ville qui délibéra et conclut +de rendre obéissance au roi, attendu son bon droit et moyennant qu'il +ferait absolution générale de tous les cas, ne laisserait point de +garnison et abolirait les aides, excepté la gabelle[1359]. + +[Note 1359: _Ordonnances des rois de France_, t. XIII, p. +142.--Th. Boutiot. _Histoire de la ville de Troyes_, t. II, p. +500.--A. Roserot, _Le plus ancien registre des délibérations du +Conseil de la ville de Troyes_, dans _Coll. de Doc. inédits sur la +ville de Troyes_, t. III, p. 175.] + +Sur quoi, le Conseil fit connaître, par lettres, cette résolution aux +habitants de Reims en les exhortant à en prendre une semblable. + +«Ainsi, dirent-ils, nous aurons même seigneur; vous préserverez vos +corps et vos biens, comme nous avons fait. Car autrement nous étions +perdus. Nous ne regrettons point notre soumission. Il nous déplaît +seulement d'avoir tant tardé. Vous serez joyeux de faire de même, +d'autant que le roi Charles est le prince de la plus grande +discrétion, entendement et vaillance qui de longtemps soit sorti de la +noble maison de France[1360].» + +[Note 1360: J. Rogier, dans _Procès_, t. IV, pp. 295, 296.] + +Frère Richard s'en fut trouver la Pucelle. Sitôt qu'il l'aperçut, et +de fort loin, il s'agenouilla devant elle. Quand elle le vit, elle +s'agenouilla pareillement devant lui, et ils se firent grande +révérence. Rentré dans la ville, le bon frère prêcha abondamment le +peuple et l'exhorta à se mettre en l'obéissance du roi Charles. + +--Dieu, dit-il, avise à son succès. Il lui a donné pour l'accompagner +et conduire à son sacre une sainte Pucelle qui, comme je le crois +fermement, a autant de puissance à pénétrer les secrets de Dieu, +qu'aucun saint du Paradis, excepté saint Jean l'Évangéliste[1361]. + +[Note 1361: _Relation du greffier de La Rochelle_, dans _Revue +Historique_, t. IV, p. 342.] + +C'était le moins que le bon frère laissât au-dessus de la Pucelle le +premier des saints, l'apôtre qui avait reposé sa tête sur la poitrine +de Jésus, le prophète qui devait revenir sur la terre, à la +consommation des siècles, avant peu. + +--Si elle voulait, disait encore frère Richard, elle pourrait faire +entrer tous les gens d'armes du roi par-dessus les murs, et comme il +lui plairait. Elle peut beaucoup d'autres choses encore. + +Ceux de la ville avaient grande foi et confiance en ce bon père qui +parlait bien. Ce qu'il disait de la Pucelle leur parut admirable et +les tourna à l'obéissance d'un roi si bien accompagné. Ils crièrent +tous d'une voix[1362]: + +--Vive le roi Charles de France! + +[Note 1362: _Relation du greffier de La Rochelle_, dans _Revue +Historique_, t. IV, p. 342.] + +Il fallait maintenant traiter avec le bailli, qui n'était pas +intraitable, puisqu'il avait souffert cette allée et venue de la ville +au camp et du camp à la ville, et trouver un moyen honnête de se +débarrasser de la garnison. À cet effet, précédée du seigneur évêque, +la commune alla très nombreuse vers le bailli et les capitaines et les +somma de mettre la ville en sûreté[1363]. Ce dont ils étaient bien +incapables, car de délivrer une ville qui ne voulait pas être délivrée +et de chasser trente mille Français, ils ne le pouvaient vraiment +faire. + +[Note 1363: J. Rogier, dans _Procès_, t. IV, pp. 296-297.] + +Comme les habitants l'avaient prévu, le bailli se trouvait dans un +grand embarras. Ce que voyant, les conseillers de la ville lui dirent: + +--Si vous ne voulez tenir le traité que vous avez fait pour le bien +public, nous mettrons les gens du roi dans la ville, que vous le +veuillez ou non. + +Le bailli et les capitaines se refusèrent à trahir les Anglais et les +Bourguignons qu'ils servaient, mais ils consentirent à s'en aller. +C'est tout ce qu'on leur demandait[1364]. + +[Note 1364: _Procès_, t. III, pp. 13 et 117; t. IV, pp. 296, +297.--Jean Chartier, _Chronique_, t. III, p. 205.--Th. Boutiot, +_Histoire de la ville de Troyes_, t. II, pp. 499, 500.--M. Poinsignon, +_Histoire générale de la Champagne et de la Brie_, Châlons, 1885, t. +I, pp. 352 et suiv.--A. Assier, _Une cité champenoise au XVe siècle_, +Paris, 1875, in-12, pp. 16, 17.] + +La ville ouvrit ses portes au roi Charles. Le dimanche 10 juillet de +très bon matin, la Pucelle entra la première dans Troyes, avec les +communes dont elle était aimée si chèrement. Frère Richard +l'accompagnait. Elle mit les gens de trait le long des rues que devait +suivre le cortège, afin que le roi de France traversât la ville entre +une double haie de ces piétons qui l'avaient suivi et grandement +aidé[1365]. + +[Note 1365: _Procès_, t. I, p. 102.--_Chronique de la Pucelle_, p. +319.] + +Tandis que Charles de Valois entrait par une porte la garnison +bourguignonne sortait par une autre[1366]. Comme il avait été convenu, +les gens du roi Henri et du duc Philippe emportaient leurs armes et +leurs biens. Or, dans leurs biens, ils comprenaient les prisonniers du +parti français, qu'ils avaient reçus à rançon. Ils n'avaient pas tout +à fait tort, semble-t-il, selon les usages et coutumes de la guerre, +mais c'était pitié de voir ces gens du roi Charles emmenés ainsi +captifs à la venue de leur seigneur. La Pucelle en fut avertie et son +bon coeur s'émut. Elle courut à la porte de la ville où déjà les gens +de guerre étaient réunis avec armes et bagages. Elle y trouva les +seigneurs de Rochefort et Philibert de Moslant, les interpella, leur +cria de laisser les gens du dauphin. Les capitaines n'entendaient pas +de cette oreille-là. + +[Note 1366: Chartier, _Journal du siège_, _Chronique de la +Pucelle_, _loc. cit._] + +--C'est fraude et malice, lui dirent-ils, de venir ainsi contre le +traité. + +Cependant les prisonniers priaient à genoux la sainte de les garder. + +--En nom Dieu, s'écria-t-elle, ils ne partiront pas[1367]. + +[Note 1367: Jean Chartier, _Chronique_, t. I, pp. 95, +96.--_Journal du siège_, p. 112.--_Chronique de la Pucelle_, p. 319.] + +Durant cette altercation, un écuyer bourguignon faisait à part lui sur +la Pucelle des Armagnacs des réflexions qu'il révéla par la suite. +«C'est par ma foi, songeait-il, la plus simple chose que je vis +oncques. En son fait il n'y a ni rime ni raison, non plus qu'en le +plus sot que je vis oncques. Je ne la compare pas à si vaillante femme +comme madame d'Or, et les Bourguignons ne font que se moquer de ceux +qui ont peur d'elle[1368].» + +[Note 1368: J. Rogier, dans _Procès_, t. IV, pp. 296-297.] + +Pour entendre la finesse de cette plaisanterie il faut savoir que +madame d'Or, haute comme une botte, tenait l'emploi de sotte auprès de +monseigneur Philippe[1369]. + +[Note 1369: Lefèvre de Saint-Remy, t. II, p. 168.--S. Luce, +_Jeanne d'Arc à Domremy_, pp. CLXXIII, CLXXIV.--P. Champion, _Notes +sur Jeanne d'Arc_, 1. _Madame d'Or et Jeanne d'Arc_, dans _le Moyen +Âge_, juillet-août, 1907, pp. 193-199.] + +La Pucelle ne put s'entendre, au sujet des prisonniers, avec les +seigneurs de Rochefort et de Moslant. Ils avaient pour eux le droit de +la guerre. Elle n'avait pour elle que les raisons de son bon coeur. Ce +débat parut fort plaisant aux gens d'armes des deux obéissances. Quand +il en fut instruit, le roi Charles sourit et dit que, pour appointer +les parties, il payerait la rançon des prisonniers, qui fut fixée à un +marc d'argent par tête. Les Bourguignons, en recevant cette somme, +louèrent fort le roi de France de ses grandes manières[1370]. + +[Note 1370: _Chronique de la Pucelle_, p. 319.--Jean Chartier, +_Chronique_, t. I, p. 96.--_Journal du siège_, p. 112.--«Un prince de +façon», Martial d'Auvergne, _Vigiles_, t. I, pp. 106, 107.] + +Ce même jour de dimanche, environ neuf heures du matin, le roi Charles +fit son entrée. Il avait revêtu ses habits de fête, éclatants de +velours, d'or et de pierreries; le duc d'Alençon et la Pucelle, tenant +sa bannière à la main, chevauchaient à ses côtés; il était suivi de +toute sa chevalerie. Les habitants allumèrent des feux de joie et +dansèrent des rondes; les petits enfants crièrent: «Noël!» frère +Richard prêcha[1371]. + +[Note 1371: _Procès_, t. I, p. 102.--Lettre de trois gentilshommes +angevins, dans _Procès_ t. V, p. 130.--_Relation du greffier de La +Rochelle_, p. 342.--_Chronique de la Pucelle_, p. 319.--Morosini, t. +III, p. 176.--Th. Boutiot, _Histoire de la ville de Troyes_, t. II, +pp. 504 et suiv.] + +La Pucelle fit ses dévotions dans les églises. En une de ces églises +elle tint un enfant sur les fonts du baptême. On lui demandait +souvent, comme à une princesse ou à une sainte femme, d'être marraine +d'enfants qu'elle ne connaissait pas et qu'elle ne devait jamais +revoir. Elle donnait de préférence aux garçons le nom de Charles, pour +l'honneur de son roi, et aux filles son nom de Jeanne. Elle nommait +parfois aussi ses filleuls comme les mères voulaient[1372]. + +[Note 1372: _Procès_, t. I, p. 103.] + +Le lendemain, 11 juillet, l'armée, qui était restée aux champs sous le +commandement de messire Ambroise de Loré, traversa la ville. L'entrée +des gens d'armes était un fléau aussi redouté des bourgeois que la +peste noire[1373]. Le roi Charles, qui traitait les habitants de +Troyes avec d'extrêmes ménagements, prit soin de contenir le fléau. +Par son commandement, les hérauts crièrent que nul ne fût si hardi, +sous peine de la hart, d'entrer dans les maisons et de rien prendre +contre le gré et la volonté de ceux de la ville[1374]. + +[Note 1373: T. Babeau, _Le guet et la milice bourgeoise à Troyes_, +pp. 4 et suiv.] + +[Note 1374: _Relation du greffier de La Rochelle_, p. +342.--_Chronique de la Pucelle_; p. 319.--_Journal du siège_, p. +112.--Th. Boutiot, _Histoire de la ville de Troyes_, t. II, p. +505.--A. Roserot, _Le plus ancien registre des délibérations du +Conseil de Troyes_, dans _Coll. de Documents inédits de la ville de +Troyes_, t. III, pp. 175 et suiv.] + + + + +CHAPITRE XVIII + +LA CAPITULATION DE CHÂLONS ET DE REIMS.--LE SACRE. + + +Au sortir de Troyes, l'armée royale s'engagea dans la Champagne +pouilleuse, traversa l'Aube vers Arcis et prit son logis dans Lettrée, +à cinq lieues de Châlons. De Lettrée, le roi envoya son héraut +Montjoie à ceux de Châlons pour leur demander de le recevoir et de lui +rendre pleine obéissance[1375]. + +[Note 1375: J. Rogier, dans _Procès_, t. IV, p. 298.--Morosini, t. +III, p. 179.--Éd. de Barthélémy, _Histoire de la ville de +Châlons-sur-Marne_, pièces just. nº 25, pp. 334-335.] + +Les villes de Champagne se tenaient comme les doigts de la main. Quand +le dauphin était encore à Brinion-l'Archevêque, les habitants de +Châlons en avaient été instruits par leurs amis de Troyes. Ceux-ci les +avaient même avertis que frère Richard, le prêcheur, leur avait porté +une lettre de Jeanne la Pucelle. Sur quoi ceux de Châlons écrivirent +aux habitants de Reims: + +«Nous avons été fort ébahis du frère Richard. Nous pensions que ce fût +un très bon prud'homme. Mais il est devenu sorcier. Nous vous mandons +que les habitants de Troyes font forte guerre aux gens du dauphin. +Nous avons intention de résister de toute notre puissance à ces +ennemis[1376].» + +[Note 1376: J. Rogier, dans _Procès_, t. IV, pp. 290, 291.--Varin, +_Archives législatives de la ville de Reims, Statuts_, t. I, pp. 596 +et suiv. [_Coll. des documents inédits sur l'Histoire de France_, +1845].] + +Ils ne pensaient pas un mot de ce qu'ils écrivaient et ils savaient +que ceux de Reims n'en croyaient rien. Mais il importait de montrer +une grande loyauté au duc de Bourgogne avant de recevoir un autre +maître. + +L'évêque comte de Châlons vint à Lettrée au-devant du roi, et lui +remit les clés de la ville. C'était Jean de Montbéliard-Sarrebrück, +des sires de Commercy[1377]. + +[Note 1377: _Gallia Christiana_, t. V, col. 891-895.--_Chronique +de la Pucelle_, pp. 319-320.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. +96.--L. Barbat, _Histoire de la ville de Châlons_, 1855 (2 vol. +in-4º), t. I, p. 350.--S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, pièces just. +nº 33.--Morosini, t. III, p. 182, n. 2.] + +Le 14 juillet, le roi entra avec son armée dans la ville de +Châlons[1378]. La Pucelle y trouva quatre ou cinq paysans de son +village, qui venaient la voir, entre autres Jean Morel, un de ses +parrains. Laboureur de son état, âgé de quarante-trois ans environ, il +s'était enfui avec la famille d'Arc à Neufchâteau, au passage des +gens de guerre. Jeanne lui donna une robe rouge, qu'elle avait +portée[1379]. Elle vit aussi à Châlons un autre laboureur plus jeune +que Morel d'une dizaine d'années, Gérardin d'Épinal, qu'elle appelait +son compère, comme elle appelait Isabellette, femme de Gérardin, sa +commère, pour la raison qu'elle avait tenu sur les fonts leur fils +Nicolas et qu'une marraine est une mère en esprit. Au village, Jeanne +se défiait de Gérardin, qui était Bourguignon; à Châlons, elle lui +montra plus de confiance et, l'entretenant des progrès de l'armée, lui +dit qu'elle ne craignait rien hors la trahison[1380]. Elle avait déjà +de sombres pressentiments; sans doute elle sentait que désormais la +candeur de son âme et la simplicité de sa pensée étaient trop rudement +combattues par la malice des hommes et les forces confuses des choses; +déjà monseigneur saint Michel, madame sainte Catherine et madame +sainte Marguerite ne lui parlaient plus avec autant de clarté que +devant, faute de pénétrer dans les chancelleries de France et de +Bourgogne, qui n'étaient pas choses du ciel. + +[Note 1378: J. Rogier, dans _Procès_, t. IV, p. 298.--Lettre de +trois gentilshommes angevins, dans _Procès_, t. V, p. 130.--Perceval +de Cagny, p. 158.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, pp. +96-97.--_Chronique des Cordeliers_, fol. 85 vº.--E. de Barthélémy, +_Châlons pendant l'invasion anglaise_, Châlons, 1851, p. 16.] + +[Note 1379: _Procès_, t. II, pp. 391-392.] + +[Note 1380: _Ibid._, t. II, pp. 421-423.] + +Ceux de Châlons, à l'exemple de leurs amis de Troyes, écrivirent aux +habitants de Reims qu'ils avaient reçu le roi de France et qu'ils leur +conseillaient de faire de même. En cette lettre, ils disaient qu'ils +avaient trouvé le roi Charles doux, gracieux, pitoyable et +miséricordieux; et, dans le fait, ce roi prenait en douceur ses +villes de Champagne. Ceux de Châlons ajoutaient qu'il était de haut +entendement, beau de sa personne et de beau maintien[1381]. C'était +beaucoup dire. + +[Note 1381: J. Rogier, dans _Procès_, t. IV, pp. 295, 296.--Varin, +_Archives de Reims, Statuts_, t. I, p. 601.--H. Jadart, _Jeanne d'Arc +à Reims_, pp. 13 et suiv.] + +Les habitants de Reims se comportaient avec prudence. À la venue du +roi de France, en même temps qu'ils lui envoyaient des messagers pour +l'avertir que les portes de la ville lui seraient ouvertes, ils +donnaient avis à leur seigneur le duc Philippe, ainsi qu'aux chefs +anglais et bourguignons, des progrès de l'armée royale, selon ce +qu'ils en pouvaient savoir, et ils leur mandaient de fermer le passage +aux ennemis[1382]. Mais ils n'étaient pas pressés d'obtenir des +secours pour la défense de leur ville, comptant que, s'ils n'en +recevaient pas, ils se rendraient au roi Charles sans encourir aucun +blâme des Bourguignons, et qu'ainsi ils n'auraient rien à craindre de +l'un et l'autre parti. Pour l'heure, ils gardaient deux loyautés, ce +qui n'était pas trop d'une en ces conjonctures difficiles et +périlleuses. Quand on voit comme ces villes de Champagne pratiquaient +ingénieusement l'art de changer de maître, il est bon de savoir que de +cet art dépendait le salut de leurs corps et de leurs biens. + +[Note 1382: J. Rogier, _loc. cit._--Varin, p. 599.] + +Dès le 1er juillet, le capitaine Philibert de Moslant leur écrivit de +Nogent-sur-Seine, où il se trouvait avec sa compagnie bourguignonne, +que, s'ils avaient besoin de lui, il les viendrait secourir en bon +chrétien[1383]. Ils firent mine de ne pas entendre. Après tout, le +seigneur Philibert n'était pas leur capitaine. Ce qu'il en pensait +faire n'était, comme il le disait, que par charité chrétienne. Les +notables de Reims, qui ne voulaient pas être sauvés, avaient à se +garder surtout de leur naturel sauveur, le sire de Chastillon, grand +queux de France, capitaine de la ville[1384]. Et il fallait qu'ils lui +demandassent secours de façon qu'ils n'obtinssent pas ce qu'ils +demandaient, de peur d'être comme les Israélites de qui il est écrit: +_Et tribuit eis petitionem eorum_. + +[Note 1383: J. Rogier, dans _Procès_, t. IV, pp. 286 et +suiv.--Varin, pp. 600 et s.] + +[Note 1384: H. Jadart, _Jeanne d'Arc à Reims_, p. 18.--Dom Marlot, +_Hist. Metrop. Remensis_, t. II, pp. 709 et suiv.] + +Alors que l'armée royale était encore sous Troyes, un héraut se +présenta devant la ville de Reims, portant une lettre donnée par le +roi, à Brinion-l'Archevêque, le lundi 4 juillet. Cette lettre fut +remise au Conseil. «Vous pouvez bien avoir reçu nouvelle, disait le +roi Charles aux habitants de Reims, de la bonne fortune et victoire +qu'il a plu à Dieu nous donner sur les Anglais, nos anciens ennemis, +devant la ville d'Orléans et, depuis lors, à Jargeau, Beaugency et +Meung-sur-Loire, en chacun desquels lieux nos ennemis ont reçu très +grand dommage; tous leurs chefs et des autres jusqu'au nombre de +quatre mille y sont morts ou demeurés prisonniers. Ces choses étant +advenues plus par grâce divine que par oeuvre humaine, selon l'avis +des princes de notre sang et lignage et des conseillers de notre +Grand-Conseil, nous nous sommes acheminés pour aller en la ville de +Reims recevoir notre sacre et couronnement. C'est pourquoi nous vous +mandons que, sur la loyauté et obéissance que vous nous devez, vous +vous disposiez à nous recevoir dans la manière accoutumée, et comme +vous avez fait à l'égard de nos prédécesseurs[1385].» + +[Note 1385: J. Rogier, dans _Procès_, t. IV. p. 291.--L. Paris, +dans _Cabinet Historique_, 1855, t. I, p. 68.] + +Et le roi Charles, usant envers le peuple de Reims de la même +bénignité prudente qu'il avait montrée à ceux de Troyes, faisait +pleine promesse de pardon et d'oubli. + +«Que les choses passées, disait-il, et la crainte que j'en eusse +encore mémoire ne vous arrêtent pas. Soyez assurés que, si vous vous +conduisez envers moi comme vous devez, je vous traiterai en bons et +loyaux sujets.» + +Même il leur demandait d'envoyer des notables traiter avec lui: «Si, +pour être mieux informés de nos intentions, quelques-uns de la ville +de Reims voulaient venir vers nous avec le héraut que nous vous +envoyons, nous en serions très content. Ils y pourront aller sûrement +en tel nombre qu'il leur plaira[1386].» + +[Note 1386: J. Rogier dans _Procès_, t. IV, p. 291.] + +Au reçu de cette lettre, le Conseil fut convoqué, mais il se trouva +que les échevins ne furent point en nombre pour délibérer; ce qui les +tira d'un grand embarras. Ensuite de quoi ils firent assembler la +commune par quartiers, et ils obtinrent des bourgeois ainsi consultés +cette déclaration cauteleuse: «Nous entendons vivre et mourir avec le +Conseil et les notables. Nous nous comporterons selon leur avis, en +bonne union et paix, sans murmurer ni faire de réponse, si ce n'est +par l'avis et ordonnance du capitaine de Reims et de son +lieutenant[1387].» + +[Note 1387: J. Rogier, dans _Procès_, t. IV, pp. 292, 293.--H. +Jadart, _Jeanne d'Arc à Reims_, pp. 17 et suiv.] + +Le sire de Chastillon, capitaine de la ville, était alors à +Château-Thierry avec ses lieutenants, Jean Cauchon et Thomas de +Bazoches, tous deux écuyers. Les habitants de Reims jugèrent utile de +mettre sous ses yeux la lettre du roi Charles; leur bailli, Guillaume +Hodierne, se rendit auprès du soigneur capitaine et la lui montra. Le +bailli répondit parfaitement au sentiment des habitants de Reims: il +demanda au sire de Chastillon de venir, mais il le lui demanda de +manière que le sire de Chastillon ne vînt pas. C'était le point +essentiel; car, à ne le pas appeler, on se mettait en trahison +ouverte, et, s'il venait, on risquait de subir un siège plein de +calamités et de dangers. + +À ces fins, le bailli déclara que les habitants de Reims, désireux de +communiquer avec leur capitaine, le recevraient accompagné de +cinquante chevaux seulement; en quoi ils montraient leur bon vouloir; +ayant le droit de ne point recevoir garnison dans leur ville, ils +consentaient à y laisser entrer cinquante lances, ce qui allait bien à +deux cents combattants. Le sire de Chastillon, comme les habitants +l'avaient prévu, jugea qu'en l'occurrence ce n'était pas assez pour sa +sûreté et il mit, comme conditions à sa venue, que la ville fût +emparée et munie, qu'il y entrât avec trois ou quatre cents +combattants, qu'il en eût la garde ainsi que du château, avec cinq ou +six notables pris, autant dire, comme otages. À ces conditions il +était, disait-il, prêt à vivre et à mourir pour eux[1388]. + +[Note 1388: J. Rogier, dans _Procès_, t. IV, pp. 292-293.--Varin, +_Archives de Reims_, pp. 910, 912.--H. Jadart, _Jeanne d'Arc à Reims_, +p. 18.] + +Il s'achemina avec sa compagnie jusque auprès de la ville et là fit +savoir aux habitants qu'il était venu les aider. Il leur manda que +dans cinq ou six semaines sans faute, une belle et grande armée +anglaise, débarquée à Boulogne, marcherait à leur secours[1389]. + +[Note 1389: J. Rogier, dans _Procès_, t. IV, pp. 292, 294.--H. +Jadart, _Jeanne d'Arc à Reims_, pp. 18-19.] + +À la vérité les Anglais levaient des troupes autant qu'ils pouvaient +et faisaient flèche de tout bois. Ils armaient, disait-on, jusqu'aux +prêtres. Le Régent employait à sa guerre les croisés débarqués en +France, que le cardinal de Winchester conduisait contre les +Hussites[1390]. Et, comme bien on pense, le conseil du roi Henri ne +négligeait pas d'avertir les habitants de Reims des armements qu'il +ordonnait. Le 3 juillet, il les avisait que des troupes étaient en +passage de mer, et le 10, Colard de Mailly, bailli de Vermandois, leur +faisait savoir que ces troupes étaient déjà passées. Mais ces +nouvelles ne donnaient pas grande confiance aux Champenois dans la +force des Anglais et lorsque le sire de Chastillon leur promit, à +quarante jours, une grande et belle armée d'outre-mer, le roi Charles +chevauchait à quelques lieues de leur ville avec trente mille +combattants. Le sire de Chastillon s'aperçut qu'il était joué, ce dont +il avait eu déjà quelque soupçon. Les habitants de Reims refusèrent de +le recevoir. Il ne lui restait plus qu'à tourner bride et à rejoindre +les Anglais[1391]. + +[Note 1390: Fauquembergue, dans _Procès_, t. IV, p. 451.--Jean +Chartier, _Chronique_, t. I, pp. 101-102.--_Journal du siège_, p. +118.--Rymer, _Foedera_, t. X, p. 424.--S. Bougenot, _Notices et +Extraits des manuscrits intéressant l'Histoire de France conservés à +la bibliothèque impériale de Vienne_, p. 62.--Raynaldi, _Annales +ecclesiatici_, t. IX, pp. 77, 78.--Morosini, t. IV, annexe XVII.] + +[Note 1391: J. Rogier, dans _Procès_, t. IV, pp. 294, 298.] + +Le 12 juillet, ils reçurent de monseigneur Regnault de Chartres, +archevêque duc de Reims, une lettre les priant de se disposer à la +venue du roi[1392]. + +[Note 1392: _Ibid._--L. Paris, _Cabinet Historique_, 1865, p. 77.] + +Ce même jour, le Conseil de ville s'étant assemblé le greffier +commença d'inscrire sur le registre des délibérations le procès-verbal +de la séance: + +«..... Après ce qu'on a exposé à Monseigneur de Chastillon, comment il +estoit capitaine, et les seigneurs et autre multitude de peuple +qui[1393].....» + +[Note 1393: H. Jadart, _Jeanne d'Arc à Reims_, p. 19.] + +Il n'en écrivit pas davantage. Trouvant difficile de témoigner leur +loyauté aux Anglais en préparant le sacre du roi Charles et contraire +à la prudence de reconnaître un nouveau prince sans y être forcés, les +citoyens renonçaient tout à coup à la parole qui est d'argent et se +réfugiaient dans un silence d'or. + +Le samedi 16, le roi Charles prit gîte à quatre lieues de la ville du +sacre, au château de Sept-Saulx, construit plus de deux cents ans +auparavant par les prédécesseurs guerriers de messire Regnault et dont +le fier donjon commandait le passage de la Vesle[1394]. Il y reçut les +bourgeois de Reims qui vinrent en grand nombre lui offrir pleine et +entière obéissance[1395]. Puis il se remit en marche avec la Pucelle +et toute son armée, et ayant franchi sa dernière étape sur la chaussée +qui côtoyait la Vesle, il entra dans la grande cité champenoise au +tomber du jour, par la porte méridionale nommée Dieulimire, qui, +devant lui, abaissa ses ponts et leva ses deux herses[1396]. + +[Note 1394: Perceval de Cagny, p. 159.--Jean Chartier, +_Chronique_, p. 97.--_Chronique de la Pucelle_, p. 320.--_Chronique +des Cordeliers_, fol. 85 vº.--_Journal du siège_, p. 112.--Bergier, +_Poème sur la tapisserie de Jeanne d'Arc_, p. 112.--H. Jadart, _Jeanne +d'Arc à Reims_, pp. 20, 21.--F. Pinon, _Notice sur Sept-Saulx_, dans +_Travaux de l'Académie de Reims_, t. VI, p. 328.] + +[Note 1395: J. Rogier, dans _Procès_, pp. 298 et suiv.--Dom +Marlot, _Histoire de la Ville de Reims_, t. IV, Reims, 1846 (4 vol. +in-4º), t. III, p. 174.] + +[Note 1396: H. Jadart, _Jeanne d'Arc à Reims_, p. 23.] + +La tradition voulait que le sacre fut célébré, de préférence, un +dimanche, et cette règle se trouvait mentionnée dans un cérémonial qui +avait servi, croyait-on, pour le sacre de Louis VIII et qui faisait +autorité[1397]. Les habitants de Reims travaillèrent pendant la nuit, +afin que tout fût prêt pour le lendemain[1398]. Leur amour subit du +roi de France les aiguillonnait et surtout la peur qu'il demeurât +quelques jours dans la ville avec son armée. Ils ressentaient à +recevoir et à garder des gens d'armes dans leurs murs une crainte +commune aux bourgeois de toutes les villes, qui, dans leur épouvante, +ne distinguaient point les hommes de guerre armagnacs des hommes de +guerre anglais et bourguignons[1399]. Aussi furent-ils diligents à +préparer toutes choses, avec la ferme intention d'en payer le moins +possible. Attendu que le sacre ne leur rapportait «ni profit ni +honneur[1400]», les échevins, d'habitude, en rejetaient la charge sur +l'archevêque, qui en tenait, disaient-ils, les émoluments comme pair +de France[1401]. + +[Note 1397: _Chronique de la Pucelle_, pp. 322-323, note.--«Ce +rituel date bien du XIIIe siècle. Il nous a été conservé dans un +manuscrit de la bibliothèque de Reims qui paraît avoir été écrit vers +1274.» Communication de M. H. Jadart.--Varin, _Archives de Reims_, t. +I, p. 522.--Dom Marlot, _Histoire de la ville de Reims_, t. III, p. +566, et t. IV, Pièces just., nº 142.--H. Jadart, _Jeanne d'Arc à +Reims_, p. 7.] + +[Note 1398: _Chronique de la Pucelle_, p. 321.--Perceval de Cagny, +p. 159.--Lettre de trois gentilhommes angevins, dans _Procès_, t. V, +p. 128.] + +[Note 1399: _Procès_, t. I, p. 91.] + +[Note 1400: Thirion, _Les frais du sacre_, dans _Travaux de +l'Académie de Reims_, 1894.--Voir dans Varin, _Archives de Reims_, la +table des matières au mot: _Sacre_.--Dom Marlot, _Histoire de la ville +de Reims_, t. III, pp. 461, 566, 640, 651, 819; t. IV, pp. 25, 31, +45.] + +[Note 1401: _Chronique de la Pucelle_, p. 321, note 2.] + +Les ornements royaux déposés, après le sacre du feu roi, dans le +trésor de Saint-Denys, étaient aux mains des Anglais. La couronne de +Charlemagne, brillante de rubis, de saphirs et d'émeraudes, fleuronnée +de quatre fleurs de Lis, que recevaient les rois de France à leur +couronnement, les Anglais voulaient la mettre sur la tête de leur roi +Henri; ils se préparaient à ceindre le roi enfant de l'épée de +Charlemagne, l'illustre Joyeuse, qui dormait dans son fourreau de +velours violet, sous la garde de l'abbé bourguignon de Saint-Denys. +Aux Anglais aussi le sceptre que surmontait un Charlemagne d'or en +habit d'empereur, la verge de justice terminée par une main en corne +de licorne, l'agrafe dorée du manteau de saint Louis et les éperons +d'or, et le _Pontifical_ contenant, dans sa reliure de vermeil +émaillée, les cérémonies du sacre[1402]. On dut se contenter d'une +couronne conservée dans le trésor de la cathédrale[1403]. Quant aux +autres insignes de la royauté de Clovis, de saint Charlemagne et de +saint Louis, on les représenterait comme on pourrait et il n'était pas +mauvais après tout que ce sacre gagné dans une chevauchée se sentît +des travaux et des misères qu'il avait coûtés et que la cérémonie +participât en quelque chose de la pauvreté héroïque des hommes d'armes +et des gens des communes, qui y avaient conduit le dauphin. + +[Note 1402: C. Leber, _Des cérémonies du sacre ou Recherches +historiques et antiques sur les moeurs, les coutumes, les institutions +et le droit public des Français, dans l'ancienne monarchie_, +Paris-Reims, 1825, in-8º.--A. Lenoble, _Histoire du sacre et du +couronnement des rois et des reines de France_, Paris, 1825, in-8º.] + +[Note 1403: _Procès_, t. I, p. 91.--Varin, _Archives de Reims_, t. +III. pp. 559 et suiv.] + +Les rois étaient sacrés par l'huile, car l'huile signifie renommée, +gloire et sapience. Le matin, les seigneurs de Rais, de Boussac, de +Graville et de Culant furent députés par le roi pour aller quérir la +Sainte Ampoule[1404]. + +[Note 1404: _Chronique de la Pucelle_, p. 321.--_Journal du +siège_, p. 113.--Varin, _Archives de Reims_, t. II, p. 509; t. III, p. +555.] + +C'était une fiole de cristal que le grand prieur de Saint-Remi tenait +enfermée dans le tombeau de l'apôtre derrière le maître-autel de +l'église abbatiale. Cette fiole contenait le saint chrême, dont le +bienheureux Remi avait oint le roi Clovis, et elle était enchâssée +dans un reliquaire en forme de colombe, parce qu'on avait vu la +colombe du Paraclet apporter l'huile destinée au sacrement du premier +roi chrétien. Il est vrai qu'on trouvait en de vieux livres qu'un ange +était descendu du ciel avec l'ampoule miraculeuse[1405]; mais ces +incertitudes ne troublaient point les esprits, et l'on ne doutait pas, +dans le peuple chrétien, que le saint chrême n'eût des vertus +merveilleuses. On savait, par exemple, qu'il ne diminuait point à +l'usage, et que la fiole restait toujours pleine, en présage et gage +de la pérennité du royaume de France. Selon les observations des +témoins, lors du sacre du feu roi Charles, l'huile n'avait pas diminué +après les onctions[1406]. + +[Note 1405: Flodoard, _Hist. ecclesiæ Remensis_, dans _coll. +Guizot_, t. V, pp. 41 et suiv.--Eustache Deschamps, Ballade 172, t. I, +p. 305, t. II, p. 104.--Dom Marlot, _Histoire de la ville de Reims_, +t. II, p. 48, nº 1.--Vertot, dans _Académie des Inscriptions_, t. II.] + +[Note 1406: Froissart, l. II, ch. LXXIV.] + +À neuf heures du matin, Charles de Valois entra dans l'église avec une +suite nombreuse. Le roi d'armes de France appela par leurs noms, +devant le maître-autel, les douze pairs du royaume. Des six pairs +laïques, aucun ne répondit. À leur place se présentèrent le duc +d'Alençon, les comtes de Clermont et de Vendôme, les sires de Laval, +de la Trémouille et de Maillé. + +Des six pairs ecclésiastiques, trois répondirent à l'appel du roi +d'armes: l'archevêque duc de Reims, l'évêque comte de Châlons, +l'évêque duc de Laon. Les évêques détaillants de Langres, de Chaumont +et de Noyon furent suppléés. En l'absence d'Arthur de Bretagne, +connétable de France, l'épée fut tenue par Charles, sire +d'Albret[1407]. + +[Note 1407: Lettres de trois gentilshommes angevins, dans +_Procès_, t. V, pp. 127, 129.--Monstrelet, t. IV, ch. LXIV.--Perceval +de Cagny, p. 159.--_Relation du greffier de La Rochelle_, p. +343.--_Chronique de Tournai_ (t. III du _Recueil des Chroniques de +Flandre_), p. 414.--_Gallia Christiana_, t. IX, col. 551; t. XI, col. +698.] + +Devant l'autel se tenait Charles de Valois, revêtu d'habits fendus sur +la poitrine et les épaules. Il jura, premièrement, de conserver à +l'Église paix et privilèges; deuxièmement, de préserver le peuple des +exactions et de ne le pas trop charger; troisièmement, de gouverner +avec justice et miséricorde[1408]. + +[Note 1408: _Chronique de la Pucelle_, p. 322, note +1.--_Collection de Champagne_, vol. 125, Sacre des rois, fol. 86.] + +Il fut armé chevalier par son cousin d'Alençon[1409]. + +[Note 1409: Perceval de Cagny, p. 159.--_Chronique de la pucelle_, +p. 322--_Journal du siège_, p. 114.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, +p. 97.] + +Puis l'archevêque lui fit les onctions avec l'huile mystique, dont le +Saint-Esprit fortifie les prêtres, les rois, les prophètes et les +martyrs et, nouveau Samuel, consacra le nouveau Saül, manifestant que +toute puissance est de Dieu et que, à l'exemple de David, les rois +sont les pontifes, les annonciateurs et les témoins du Seigneur. Cette +effusion d'huile, dont étaient consacrés les rois, dans Israël, +rendait brillants et forts les rois de la France très chrétienne +depuis Charlemagne, depuis Clovis, car, s'il reçut de saint Remi non +proprement le sacre, mais le baptême et la confirmation, Clovis fut +consacré en même temps chrétien et roi par le bienheureux évêque, au +moyen de l'huile sainte, envoyée par Dieu lui-même à ce prince et à +ses successeurs[1410]. + +[Note 1410: Chifletius, _De ampula Remensi nova et acurata +disquisitio_, Anvers, 1651, in-4º.] + +Et Charles reçut les onctions présage de force et de victoire, car il +est écrit au livre des Rois: «Samuel prit la fiole d'huile, la versa +sur la tête de Saül et dit: Voici que le Seigneur t'a sacré prince sur +son héritage, et tu délivreras son peuple des mains des ennemis qui +l'environnent. _Ecce unxit te Dominus super hereditatem suam in +principem, et liberabis populum suum de manibus inimicorum ejus, qui +in circuitu ejus sunt._» (_Reg._ I, X, 1, 6.) + +Durant le mystère, comme on disait en ancien langage[1411], la Pucelle +demeurait au côté du roi. Elle tint un moment déployé son étendard +blanc devant lequel le vieil étendard de Chandos avait reculé. Puis +d'autres tinrent l'étendard à leur tour, son page Louis de Coutes, qui +ne la quittait jamais, frère Richard le prêcheur, qui l'avait suivie à +Châlons et à Reims[1412]. Dans un de ses rêves, elle avait donné +naguère une couronne éblouissante à son roi; elle s'attendait à ce que +cette couronne fût apportée dans l'église par des messagers +célestes[1413]. Les saintes ne recevaient-elles pas communément des +couronnes de la main des anges? Un ange offrit à sainte Cécile une +couronne tressée de roses et de lis. Un ange donna à la vierge +Catherine la couronne impérissable, que la sainte posa sur la tête de +l'Impératrice de Rome. Mais la couronne étrangement riche et +magnifique que Jeanne attendait ne vint point. + +[Note 1411: Lettre de trois gentilshommes angevins, dans _Procès_, +t. V, p. 129.--F. Boyer, _Variante inédite d'un document sur le Sacre +de Charles VII_, Clermont et Orléans, 1881, in-8º.] + +[Note 1412: _Procès_, t. I, p. 104, 300.--_Chronique de la +Pucelle_, p. 322.--Lettre de trois gentilshommes angevins, dans +_Procès_, t. V, p. 129.--Varin, D. Marlot, H. Jadart, _loc. cit._] + +[Note 1413: _Procès_, t. I, p. 108.] + +L'archevêque prit sur l'autel la couronne de prix modique fournie par +le chapitre, et l'éleva à deux mains sur la tête du roi. Les douze +pairs en cercle autour du prince y portèrent le bras pour la soutenir. +Les trompettes éclatèrent, et le peuple cria: «Noël[1414]!» + +[Note 1414: Lettre de trois gentilshommes angevins, dans _Procès_, +t. V, p. 129.] + +Ainsi fut oint et couronné Charles de France, issu de la royale lignée +du noble roi Priam de Troie la Grande. + +Le mystère fut terminé à deux heures après midi[1415]. On rapporte +qu'alors la Pucelle s'agenouilla et, embrassant le roi par les jambes, +lui dit avec des larmes: + +--Gentil roi, maintenant est fait le plaisir de Dieu, qui voulait que +je levasse le siège d'Orléans et vous amenasse en cette cité de Reims +recevoir votre saint sacre, en montrant que vous êtes vrai roi et +celui auquel le royaume de France doit appartenir[1416]. + +[Note 1415: Morosini, t. III, p. 181.--Lettre de trois +gentilshommes, _loc. cit._] + +[Note 1416: _Chronique de la Pucelle_, pp. 322, 323.--_Journal du +siège_, p. 114.] + +Le roi fit les présents d'usage. Il offrit au Chapitre un tapis de +satin vert, ainsi que des ornements de velours rouge et de damas +blanc. De plus, il posa sur l'autel un vase d'argent du prix de treize +écus d'or. Le seigneur archevêque s'en empara malgré les réclamations +des chanoines, mais il ne lui servit de rien de l'avoir pris, car il +lui fallut le rendre[1417]. + +[Note 1417: Dom Marlot, _Histoire de la ville de Reims_, t. IV, p. +175.--H. Jadart, _Jeanne d'Arc à Reims_, p. 107.] + +Après la cérémonie, Charles ceignit la couronne, revêtit le manteau +royal, bleu comme le ciel, fleuri de lis d'or, et traversa sur son +coursier les rues de la ville de Reims. Le peuple en liesse criait: +«Noël!» comme il avait crié à l'entrée de monseigneur le duc de +Bourgogne. + +Ce jour-là, le sire de Rais fut fait maréchal de France et le sire de +la Trémouille comte; l'aîné des deux fils de madame de Laval, à qui la +Pucelle avait offert le vin à Selles-en-Berri, fut fait comte aussi. +Le capitaine La Hire reçut le comté de Longueville avec tout ce qu'il +prendrait en Normandie[1418]. + +[Note 1418: _Chronique de la Pucelle_, p. 322.--_Journal du +siège_, p. 114.--Perceval de Cagny, p. 159.--Lettre de trois +gentilshommes angevins, dans _Procès_, t. V, p. 129.--Jean Chartier, +_Chronique_, t. I, p. 97.--Vallet de Viriville, _Histoire de Charles +VII_, t. II, p. 99, note 2.] + +Le roi Charles fut servi à dîner en l'hôtel épiscopal, dans l'ancienne +salle du Tau, par le duc d'Alençon et le comte de Clermont[1419]. La +table royale, selon la coutume, se prolongeait dans la rue et le +festin débordait sur toute la ville. C'était un jour de franche lippée +et de commune frairie. Dans les maisons, sous les portes, sur les +bornes, on faisait ripaille, on se ruait en cuisine; il se dévorait +boeufs par douzaines, moutons par centaines, poules et lapins par +milliers. On se bourrait d'épices, et comme on avait grand'soif, on +humait à plein pot les vins de Bourgogne et notamment le parfumé vin +de Beaune. Le très vieux cerf de la cour archiépiscopale, qui était de +bronze et creux, on le transportait, à chaque couronnement, dans la +rue du Parvis; on le remplissait de vin, et le peuple y venait boire +comme à la fontaine. Finalement les bourgeois et habitants de la cité +du bienheureux Remi, riches et pauvres, empiffrés, saouls de viandes +et de vin, ayant hurlé «Noël!» à plein gosier, tombaient endormis sur +les fûts et les victuailles dont, le lendemain, les échevins moroses +allaient disputer aigrement les restes aux gens du roi[1420]. + +[Note 1419: Monstrelet, t. IV, p. 339.--H. Jadart, _Jeanne d'Arc à +Reims_, p. 32.] + +[Note 1420: Thirion, _Les frais du sacre_ dans _Travaux de +l'Académie de Reims_, 1894.--Dom Marlot, _Histoire de la ville de +Reims_, t. IV, p. 45, n. 1.--Varin, _Arch. adm. de la ville de Reims_, +t. III, p. 39.] + +Jacques d'Arc était venu voir ce couronnement auquel sa fille avait +tant ouvré. Il logeait à l'enseigne de l'_Âne rayé_, rue du Parvis, +dans une hôtellerie tenue par Alix, veuve de Raulin Morieau. En même +temps que sa fille, il revit son fils Pierre[1421]. Ce cousin que +Jeanne appelait son oncle et qui l'avait accompagnée auprès de sire +Robert à Vaucouleurs, Durand Lassois, était pareillement venu aux +fêtes du sacre. Il parla au roi et lui conta tout ce qu'il savait de +sa cousine[1422]. Jeanne trouva aussi à Reims un jeune compatriote, +Husson Le Maistre, chaudronnier dans le village de Varville, à trois +lieues de Domremy. Elle ne le connaissait pas, mais il avait bien +entendu parler d'elle, et il était très familier avec Jacques et +Pierre d'Arc[1423]. + +[Note 1421: _Procès_, t. III, p. 198; t. V, pp. 141, 266.--H. +Jadart, _Jeanne d'Arc à Reims_, pp. 47, 48.--L'abbé Cerf, _Le vieux +Reims_, 1875, pp. 35 et 110.] + +[Note 1422: _Procès_, t. II, p. 445.] + +[Note 1423: _Ibid._, t. III, p. 198.] + +Jacques d'Arc était un des notables de son village et peut-être le plus +entendu aux affaires[1424]. Il ne s'était pas rendu à Reims à seule fin +de voir sa fille chevaucher par les rues de la cité en habit d'homme; il +venait demander au roi pour lui, pour ceux de son village, dépouillés +par les gens de guerre, une exemption d'impôts. Cette demande, que la +Pucelle transmit au roi, fut agréée. Le 31 du même mois, le roi +ordonnait que les habitants de Greux et de Domremy fussent francs de +toutes tailles, aides, subsides et subventions[1425]. Les Élus de la +ville payèrent sur les deniers publics les dépenses de Jacques d'Arc, +et, quand il fut sur son départ, ils lui donnèrent un cheval pour +retourner chez lui[1426]. + +[Note 1424: S. Luce, _Jeanne d'Arc à Domremy_, pp. L et suiv.; +preuve, LI, pp. 97, 106; supplément aux preuves, pp. 359, +362.--Boucher de Molandon, _Jacques d'Arc, père de la Pucelle, sa +notabilité personnelle_, Orléans, 1885, in-8º.] + +[Note 1425: _Procès_, t. V, pp. 137, 139.] + +[Note 1426: _Ibid._, t. I, pp. 141, 266, 267.] + +Durant les cinq ou six jours qu'elle demeura à Reims, la Pucelle se +montra au peuple. Les humbles, les simples venaient à elle; les bonnes +femmes lui prenaient les mains et faisaient toucher leurs anneaux au +sien[1427]. Elle portait au doigt un petit anneau que sa mère lui +avait donné; il était de laiton, autrement appelé aurichalque[1428]. +L'aurichalque était, comme on disait, l'or des pauvres. Cet anneau +n'avait pas de pierre et portait au chaton les noms de _Jhesus Maria_, +avec trois croix. Elle y tenait souventes fois les regards pieusement +fixés parce qu'un jour elle l'avait fait toucher par madame sainte +Catherine[1429]. Et que la sainte l'eût vraiment touché, ce n'était +pas incroyable, puisqu'il était manifeste que peu de temps auparavant, +en l'an 1413, soeur Colette, qui professait la chasteté virginale, +avait reçu de l'apôtre vierge un riche anneau d'or, en signe +d'alliance spirituelle avec le Roi des rois. Soeur Colette faisait +toucher cet anneau aux religieux et aux religieuses de son ordre, et +elle le confiait aux messagers qu'elle envoyait au loin, afin de les +préserver des périls de la route[1430]. La Pucelle attribuait aussi à +son anneau de grandes vertus; toutefois elle ne s'en servait point +pour opérer des guérisons[1431]. + +[Note 1427: _Ibid._, t. I, p. 103.] + +[Note 1428: Du Cange, _Glossarium_, aux mots: _Auriacum_, +_electrum_ et _leto_.--Vallet de Viriville, _Les anneaux de Jeanne +d'Arc_, dans _Mémoires de la Société des Antiquaires de France_, t. +XXX, janvier 1867.] + +[Note 1429: _Procès_, t. I, pp. 185, 238; Walter Bower, _ibid._, +t. IV, p. 480.] + +[Note 1430: _Sanctissimæ virginis Coletæ vita_, Paris, in-8º, +gothique sans date, feuillet 8, verso.--_Bollandistes_, AA. SS., mars, +t. I, p. 611.] + +[Note 1431: _Procès_, t. I, p. 104.] + +On attendait d'elle les menus services qu'il était d'usage de demander +aux saintes gens et parfois aux sorciers. Avant la cérémonie du sacre, +les nobles et les chevaliers avaient reçu des gants, selon la coutume. +L'un d'eux perdit les siens; il demanda, ou d'autres demandèrent pour +lui, qu'elle les lui fît retrouver. Elle ne dit point qu'elle le +ferait; cependant la chose fut sue et diversement jugée[1432]. + +[Note 1432: _Ibid._, t. I, p. 104.--H. Jadart, _Jeanne d'Arc à +Reims_, p. 37.] + +Après le sacre du roi, si, mêlé au peuple dans la rue du Parvis, +quelque clerc méditatif leva les yeux sur la haute face historiée de +la cathédrale, déjà très vieille alors pour des hommes qui, +connaissant mal les chroniques, mesuraient le temps sur la durée de +la vie humaine, il vit sûrement, à gauche de l'arc aigu qui surmonte +la rose, l'image colossale de Goliath dressé fièrement dans son armure +à écailles, et cette même figure répétée à droite de l'arc, dans +l'attitude d'un homme chancelant et qui tombe[1433]. Alors ce clerc +dut se rappeler ce qui est écrit au premier livre des Rois: + +[Note 1433: «Ces sculptures (Goliath et David) ont été +certainement exécutées à la fin du XIIIe siècle» (L. Demaison, _Notice +historique sur la cathédrale de Reims_, Reims, _s. d._, in-4º, p. 44). +La rose est de 1280 (H. Jadart, _Jeanne d'Arc à Reims_, p. 41).] + +«Les Philistins assemblèrent toutes leurs troupes pour combattre +Israël. Or, il arriva qu'un homme, qui était bâtard, sortit du camp +des Philistins. Il s'appelait Goliath; il était de Geth, et il avait +six coudées et une palme de haut. Il était revêtu d'une cuirasse à +écailles qui pesait cinq mille sicles d'airain. Et il vint disant: +«J'ai jeté l'opprobre aux armées d'Israël. Donnez-moi un homme qui +vienne combattre contre moi en un combat singulier.» + +»Or, David enfant s'en était allé à Bethléem pour paître les troupeaux +de son père. Mais David, s'étant levé dès la pointe du jour, laissa à +un serviteur le soin de son troupeau. Il vint au lieu appelé Magala, +où l'armée s'était avancée pour donner la bataille. Et voyant Goliath, +il demanda: «Qui est ce Philistin incirconcis qui jette l'opprobre aux +armées du Dieu vivant?» + +»Ces paroles de David ayant été entendues, elles furent rapportées à +Saül. Et Saül l'ayant fait venir devant lui, David lui parla de cette +manière: «Que personne ne s'épouvante de ce Philistin, car moi, ton +serviteur, je suis prêt à aller le combattre.» Saül lui dit: «Tu ne +saurais résister à ce Philistin ni combattre contre lui, parce que tu +es un enfant, et que celui-ci est un homme nourri à la guerre depuis +sa jeunesse.» David répondit: «J'irai contre lui et je ferai cesser +l'opprobre d'Israël.» Saül dit donc à David: «Va! et que le Seigneur +soit avec toi!» + +»David prit son bâton, choisit dans le torrent cinq pierres très +polies et, tenant à la main sa fronde, il marcha contre les +Philistins. + +»Et Goliath, lorsqu'il eut aperçu David, voyant que c'était un bel +enfant aux cheveux roux, lui dit: «Suis-je un chien, pour que tu +viennes à moi avec un bâton?» Mais David répondit au Philistin: «Tu +viens à moi avec l'épée, la lance et le bouclier. Mais moi, je viens à +toi au nom du Seigneur des armées, du Dieu des batailles d'Israël, +auquel tu as insulté aujourd'hui. Le Seigneur te livrera entre mes +mains. Et que toute cette assemblée d'hommes reconnaisse que ce n'est +point par l'épée, ni par la lance que Dieu sauve! Cette guerre est sa +guerre et il vous livrera dans nos mains.» + +»Le Philistin s'avança donc et marcha contre David. Et David lança une +pierre avec sa fronde et en frappa le Philistin au front. Et Goliath +tomba le visage contre terre.» + +Alors le clerc qui méditait ces paroles du Livre songeait que, +toujours semblable à lui-même, le Seigneur qui sauva Israël et abattit +Goliath par la fronde d'un berger enfant avait suscité la fille d'un +laboureur pour la délivrance du très chrétien royaume et l'opprobre du +Léopard[1434]. + +[Note 1434: Voir le sacre de David et celui de Louis XII, par un +peintre inconnu, vers 1498, au Musée de Cluny.--H. Bouchot, +_L'Exposition des Primitifs français. La peinture en France sous les +Valois_, liv. II, planche C.] + +La Pucelle avait fait écrire de Gien, vers le 27 juin, au duc de +Bourgogne, pour l'inviter à se rendre au sacre du roi. N'ayant pas +reçu de réponse, elle dicta, le jour même du sacre, une deuxième +lettre au duc. Voici cette lettre: + + + JHESUS MARIA. + + Haultet reboubté prince, duc de Bourgoingne, Jehanne la Pucelle + vous requiert de par le Roy du ciel, mon droicturier et souverain + seigneur, que le roy de France et vous, faciez bonne paix ferme, + qui dure longuement. Pardonnez l'un à l'autre de bon cuer, + entièrement, ainsi que doivent faire loyaulx chrestians; et s'il + vous plaist à guerroier, si alez sur les Sarrazins. Prince de + Bourgoingne, je vous prie, supplie et requiers tant humblement + que requérir vous puis, que ne guerroiez plus ou saint royaume de + France, et faictes retraire incontinent et briefment voz gens qui + sont en aucunes places et forteresses dudit saint royaume; et de + la part du gentil roy de France, il est prest de faire paix à + vous, sauve son honneur, s'il ne tient en vous. Et vous faiz à + savoir de par le Roy du ciel, mon droicturier et souverain + seigneur, pour vostre bien et pour vostre honneur et sur voz vie, + que vous n'y gaignerez point bataille à l'encontre des loyaulx + François, et que tous ceulx qui guerroient oudit saint royaume de + France, guerroient contre le roy Jhesus, roy du ciel et de tout + le monde, mon droicturier et souverain seigneur. Et vous prie et + requiers à jointes mains, que ne faictes nulle bataille ne ne + guerroiez contre nous, vous, vos gens ou subgiez; et croiez + seurement que, quelque nombre de gens que amenez contre nous, + qu'ilz n'y gagneront mie, et sera grant pitié de la grant + bataille et du sang qui y sera respendu de ceulx qui y vendront + contre nous. Et a trois semaines que je vous avoye escript et + envoié bonnes lettres par ung hérault, que feussiez au sacre du + roy qui, aujourd'hui dimenche, xvije jour de ce présent mois de + juillet, ce fait en la cité de Reims: dont je n'ay eu point de + response, ne n'ouy oncques puis nouvelles dudit hérault. À Dieu + vous commens et soit garde de vous, s'il lui plaist; et prie Dieu + qu'il y mecte bonne pais. Escript audit lieu de Reims, ledit + xvije jour de juillet.» + + _Sur l'adresse:_ «Au duc de Bourgoigne[1435].» + +[Note 1435: _Procès_, t. V, pp. 126-127.--Hennebert, _Une lettre +de Jeanne d'Arc aux Tournaisiens_, dans _Arch. hist. et litt. du Nord +de la France et du Midi de la Belgique_, nouv. série, t. I, 1837, p. +525.--Fac-similé dans l'_Album des Archives départementales_, nº 123.] + +Sainte Catherine de Sienne, à Reims, n'aurait pas écrit autrement. La +Pucelle, bien qu'elle n'aimât pas les Bourguignons, sentait à sa +manière et fortement combien la paix avec le duc de Bourgogne était +désirable. C'est à mains jointes qu'elle le prie de ne plus faire la +guerre en France. «S'il vous plaît de guerroyer, lui dit-elle, allez +sur les Sarrasins.» Elle avait déjà conseillé aux Anglais de s'unir +aux Français pour faire la croisade. La destruction des infidèles +était alors le rêve des âmes douces et pacifiques, et beaucoup de +bonnes personnes comptaient que le fils riche et puissant du vaincu de +Nicopolis ferait payer cher aux Turcs leur antique victoire[1436]. + +[Note 1436: Morosini, t. III, pp. 82, 83.--Eberhard Windecke, p. +61, note 9, et p. 108.--Christine de Pisan, dans _Procès_, t. V, p. +416.--Jorga, _Notes et extraits pour servir à l'histoire des croisades +au XVe siècle_, Paris, 1899-1902, 3 vol. in-8º.] + +Par sa lettre, la Pucelle annonce, de la part du roi du ciel, au duc +Philippe que, s'il combat contre le roi, il perdra la bataille. Ses +voix lui avaient prédit la victoire de la France sur la Bourgogne; +elles ne lui avaient pas révélé qu'au moment même où elle dictait sa +lettre, les ambassadeurs du duc Philippe se trouvaient à Reims; +c'était pourtant la vérité[1437]. + +[Note 1437: _Mémoires du Pape Pie II_, dans _Procès_, t. IV, pp. +514, 515.--Morosini, t. III, p. 190.] + +Le duc Philippe, estimant que le roi Charles, maître de la Champagne, +était un prince à ménager, lui envoya, à Reims, David de Brimeu, +bailli d'Artois, à la tête d'une ambassade, pour le saluer et lui +faire des ouvertures de paix[1438]. Les Bourguignons reçurent du +chancelier et du Conseil un accueil empressé. On espérait que la paix +serait conclue avant leur départ. Les seigneurs angevins le mandèrent +aux reines Yolande et Marie[1439]. Ce n'était pas connaître le +magnifique renard de Dijon. Les Français n'étaient pas encore assez +forts, les Anglais assez faibles. Il fut convenu qu'une ambassade +serait envoyée en août au duc de Bourgogne dans la ville d'Arras. +Après quatre jours de conférences, une trêve de quinze jours fut +signée et l'ambassade quitta Reims[1440]. Dans le même moment, le duc +renouvelait solennellement à Paris sa plainte contre Charles de +Valois, assassin de son père, et s'engageait à amener une armée au +secours des Anglais[1441]. + +[Note 1438: _Procès_, t. IV, pp. 514, 515.--Monstrelet, t. IV, p. +340.--_Relation du greffier de La Rochelle_, p. 37.--Lettre de trois +gentilshommes angevins, dans _Procès_, t. V, p. 130.--Troisième compte +de Jean Abonnel, dans De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. II, +p. 404, nº 3.] + +[Note 1439: Lettre de trois gentilshommes angevins, dans _Procès_, +t. V, p. 130.] + +[Note 1440: Le 20 ou le 21.--Monstrelet, t. IV, pp. 348 et +suiv.--De Beaucourt, _Histoire de Charles VII_, t. II, pp. 404 et +suiv.] + +[Note 1441: Fauquembergue, dans _Procès_, t. IV, p. 455.--_Journal +d'un bourgeois de Paris_, pp. 240, 241.--Stevenson, _Letters and +Papers_, t. II, pp. 101 et suiv.--Rymer, _Foedera_, t. IV, part. IV, +p. 150.] + +Laissant à Reims, comme capitaine, Antoine de Hellande, neveu de +l'archevêque duc[1442], le roi de France sortit de la ville le 20 +juillet et se rendit à Saint-Marcoul-de-Corbeny où les rois avaient +coutume de toucher les écrouelles au lendemain de leur sacre[1443]. + +[Note 1442: Archives de Reims, Compte des deniers patrimoniaux, t. +I, années 1428-29.--_Procès_, t. V, p. 141.--Monstrelet, t. IV, p. +339.--H. Jadart, _Jeanne d Arc à Reims_, p. 51.] + +[Note 1443: _Procès_, t. III, p. 199.--_Chronique de la Pucelle_, +p. 323.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 97.--_Journal du siège_, +p. 114.--Martial d'Auvergne, _Vigiles_, t. I, p. 111.] + +Monseigneur saint Marcoul guérissait les scrofules[1444]. Il était de +race royale, mais sa puissance, révélée longtemps après mort, lui +venait surtout de son nom, et l'on pensait que saint Marcoul était +désigné pour guérir les affligés qui portaient des marques au cou, +ainsi que saint Clair pour rendre la vue aux aveugles et saint Fort +pour donner la vigueur aux enfants. Le roi de France partageait avec +lui le pouvoir de guérir les scrofules et comme il le tenait de +l'huile apportée du ciel par une colombe, on estimait que cette vertu +agissait davantage au moment du sacre, d'autant plus qu'il risquait de +la perdre par paillardise, désobéissance à l'église chrétienne ou +autres dérèglements: c'est ce qui était arrivé au roi Philippe +Ier[1445]. Les rois d'Angleterre touchaient aussi les écrouelles; le +roi Édouard III notamment opéra sur des scrofuleux couverts de plaies +des cures admirables. Pour ces raisons, le mal des scrofules était dit +mal Saint-Marcoul ou mal royal. Les vierges, ainsi que les rois, +avaient le pouvoir de guérir le mal royal. Mais il fallait que la +vierge, ayant jeûné, se mît nue et prononçât ces mots: _Negat Apollo +pestem passe recrudescere, quam nuda virgo restringat_[1446]. Il était +à craindre qu'il n'y eût là quelque sorcellerie, comme à charmer les +blessures, tandis que le pouvoir de saint Marcoul et du roi de France +venait de Dieu. On sent la différence[1447]. + +[Note 1444: _Gallia Christ._ IX, pp. 239, 51.--Le Poulle, _Notice +sur Corbeny, son prieuré, et le pèlerinage de Saint-Marcoul_, +Soissons, 1883, in-8º.--E. de Barthélemy, _Notice historique sur le +pèlerinage de Saint-Marcoul et Corbeny_, dans _Ann. Soc. Acad. de +Saint-Quentin_, 1878.] + +[Note 1445: A. Du Laurent, _De mirabili strumas sanandi vi solis +regibus Galliarum christianissimis divinitus concessa liber_, Paris, +1607, in-8º.--Cerf, _Du toucher des écrouelles par le roi de France_, +dans _Trav. Acad. de Reims_, 1865-1867.--Dom Marlot, _Histoire de la +ville de Reims_, t. III, pp. 196 et suiv.] + +[Note 1446: G. Leber, _Des cérémonies du sacre_, p. 459.] + +[Note 1447: L'abbé J.-B. Thiers, _Traité des superstitions selon +l'Écriture sainte_, Paris, 1697, t. I, pp. 518-519.] + +Le roi Charles fit ses dévotions, ses oraisons et ses offrandes à +monseigneur saint Marcoul et toucha les écrouelles. Il reçut à Corbeny +la soumission de la ville de Laon. Puis il s'en fut, le lendemain 22, +à une petite ville forte de la vallée de l'Aisne, nommée Vailly, qui +appartenait à l'archevêque duc de Reims. Il reçut à Vailly la +soumission de la ville de Soissons[1448]. Comme le disait alors un +prophète armagnac, «les clés des portes guerrières reconnaissaient les +mains qui les avaient forgées[1449]». + +[Note 1448: Perceval de Cagny, p. 160.--_Chronique de la Pucelle_, +pp. 323-324.--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, p. 98.--_Journal du +siège_, p. 115.--_Chronique des Cordeliers_, fol. 486 rº.--Morosini, +t. III, p. 182, note 3.] + +[Note 1449: Bréhal, dans _Procès_, t. III, p. 345.] + + + + +CHAPITRE XIX + +LA LÉGENDE DE LA PREMIÈRE HEURE. + + +Il est toujours difficile de savoir comment à la guerre les choses se +sont passées; dans ce temps-là c'était tout à fait impossible de se +faire une idée un peu raisonnable des actions accomplies. Il y avait à +Orléans, sans doute, quelques personnes assez avisées pour +s'apercevoir que les engins abondants et subtils, rassemblés par les +procureurs, avaient été d'un grand secours; mais les habitants +admirent généralement que la délivrance s'était opérée par miracle, et +ils en rapportèrent le mérite premièrement à leurs benoîts patrons, +Monsieur saint Aignan et Monsieur saint Euverte, et après eux, à +Jeanne la Pucelle de Dieu, ne concevant pas aux faits accomplis sous +leurs yeux d'explication plus simple, plus facile, plus +naturelle[1450]. + +[Note 1450: _Journal du siège_, pp. 16, 88.--_Chronique de +l'établissement de la fête_, dans _Procès_, t. V, p. 296.--Lottin, +_Récits historiques sur Orléans_, t. I, p. 279.] + +Guillaume Girault, ancien procureur de la ville et notaire au +Châtelet, écrivit et signa de son nom une relation très brève de la +délivrance, y consignant que, le mercredi, veille de l'Ascension, la +bastille Saint-Loup fut prise comme par miracle à force d'armes, +«présente et aidant Jeanne la Pucelle, envoyée de Dieu» et que, le +samedi suivant, le siège que les Anglais avaient mis aux Tourelles du +bout du pont fut levé «par le plus évident miracle qui ait apparu +depuis la Passion». Et Guillaume Girault atteste que la Pucelle +conduisait la besogne[1451]. Quand les témoins, les acteurs eux-mêmes +ne se rendaient point un compte exact des événements, quelle idée +pouvait-on s'en faire au loin? + +[Note 1451: _Procès_, t. IV, pp. 282, 283.] + +Les nouvelles des victoires françaises volaient avec une étonnante +rapidité[1452]. À la brièveté des relations authentiques l'éloquence +des clercs facondeux et l'imagination populaire amplement suppléaient. +La campagne de la Loire et le voyage du sacre ne furent guère connus +d'abord que par des fables, et le peuple ne put les concevoir que +comme des événements surnaturels. + +[Note 1452: La délivrance d'Orléans annoncée de Bruges à Venise le +10 mai (Morosini, t. III, pp. 23-24).] + +Dans les lettres envoyées par la chancellerie royale aux villes du +royaume et aux princes de la chrétienté, le nom de Jeanne la Pucelle +était associé à tous les faits d'armes. Jeanne elle-même, par sa +chancellerie monastique, faisait savoir à tous les grandes choses +qu'elle croyait fermement avoir accomplies[1453]. + +[Note 1453: _Procès_, t. V, pp. 123, 139, 145, 147, 156, 159, +161.] + +On pensait que tout s'était fait par elle, que le roi l'avait +consultée en toutes choses quand, en réalité, les conseillers du roi +et les capitaines ne lui demandaient guère son avis, l'écoutaient peu +et la montraient à propos. On rapportait tout à elle seule. Sa +personne, présente à des actions avérées et qui semblaient inouïes, +fut emportée en un vaste cycle de fables surprenantes et disparut dans +une forêt de contes héroïques[1454]. + +[Note 1454: Morosini, t. III, pp. 60, 61.] + +Il y avait alors des âmes contrites qui, attribuant aux péchés du +peuple tous les maux du royaume, cherchaient la salut commun dans +l'humilité, le repentir et la pénitence[1455]. Elles attendaient la +fin de l'iniquité et le règne de Dieu sur la terre. Jeanne procéda, du +moins à ses débuts, de ces bonnes personnes. S'exprimant parfois en +réformatrice mystique, elle disait que Jésus est roi du saint royaume +de France, que le roi Charles est son lieutenant et n'a le royaume +qu'en «commande». Elle prononçait des paroles qui donnaient à croire +que sa mission était toute de charité, de paix et d'amour; celles-ci, +par exemple: «J'ai été envoyée pour la consolation des pauvres et des +indigents[1456]. «Ces doux pénitents, qui rêvaient un monde pur, +fidèle et bénin, faisaient de Jeanne leur prophétesse et leur sainte. +Ils lui prêtaient des propos édifiants qu'elle n'avait jamais tenus. + +[Note 1455: Saint-Vincent Ferrier; Saint-Bernardin de Sienne.] + +[Note 1456: _Procès_, t. III, p. 88.] + +«Quand la Pucelle vint auprès du roi, disaient-ils, elle lui fit faire +trois promesses: la première, de se démettre de son royaume, d'y +renoncer et de le rendre à Dieu, de qui il le tenait; la deuxième, de +pardonner à tous ceux des siens qui s'étaient tournés contre lui et +l'avaient affligé; la troisième, qu'il s'humiliât assez, pour que tous +ceux, pauvres et riches, amis et ennemis, qui viendraient à lui, il +les reçût en grâce[1457].» + +[Note 1457: Eberbard Windecke, pp. 52-53.--Cf. La déposition du +duc d'Alençon, _Procès_, t. III, p. 91.] + +Ou bien encore, ils la mettaient en action dans des apologues naïfs et +charmants, comme celui-ci: + +«Un jour, la Pucelle demanda au roi de lui faire un présent, et le roi +y ayant consenti, elle réclama comme don le royaume de France. Le roi, +surpris, ne révoqua point sa promesse. La Pucelle voulut qu'ayant reçu +ce don, l'acte en fût solennellement dressé par les quatre notaires du +roi et que lecture fût faite de cet acte. Tandis que le roi entendait +cette lecture, elle le montra aux assistants et dit: «Voilà le plus +pauvre chevalier du royaume.» Et, après un peu de temps, en présence +des notaires, disposant du royaume de France, elle le remit à Dieu. +Puis, agissant au nom de Dieu, elle en investit le roi Charles et +ordonna que de cette transmission acte solennel fût dressé par +écrit[1458].» + +[Note 1458: L. Delisle, _Un nouveau témoignage relatif à la +mission de Jeanne d'Arc_, dans _Bibliothèque de l'École des Chartes_, +t. XLVI, p. 649.--Le P. Ayrolles, _La Pucelle devant l'Église de son +temps_, pp. 57-58.] + +Jeanne, avait annoncé, croyait-on, qu'à la Saint-Jean-Baptiste de l'an +1429, il ne demeurerait pas un Anglais en France[1459]. Ces hommes de +bonne volonté s'attendaient à ce que les promesses de leur sainte +fussent réalisées au jour fixé par elle. Ils annoncèrent qu'elle +avait, le 23 juin, fait son entrée dans la ville de Rouen et que, le +lendemain, jour de la Saint-Jean-Baptiste, les habitants de Paris +avaient de bon coeur ouvert leurs portes au roi de France. Au mois de +juillet on en faisait des récits dans Avignon[1460]. Les réformateurs, +assez nombreux, ce semble, en France et dans la chrétienté, croyaient +savoir que la Pucelle donnerait une constitution monastique aux +Anglais et aux Français, dont elle ferait un seul peuple de béguins et +de béguines, une même confrérie de pénitents et de pénitentes. Voici +quelles étaient, selon eux, les intentions des deux partis et les +principales clauses du traité: + +[Note 1459: Grellier de la Chambre des comptes de Brabant, dans +_Procès_, t. IV, p. 426.] + +[Note 1460: Morosini, t. III, pp. 38, 46, 61.] + +«Le roi Charles de Valois pardonne à tous, et il ne lui souvient plus +des injures reçues. Les Anglais et les Français, tournés à contrition +et pénitence, s'appliquent à conclure une bonne et droite paix. La +Pucelle leur en a imposé elle-même les conditions. Conformément à sa +volonté, Anglais et Français, durant une ou deux années, porteront un +habit gris, avec une petite croix cousue dessus; le vendredi de +chaque semaine, ils ne prendront que du pain et de l'eau; ils vivront +en bonne union avec leurs femmes et ne dormiront point avec d'autres. +Ils promettent à Dieu de ne faire nulle guerre, si ce n'est pour la +défense de leur patrimoine[1461].» + +[Note 1461: Morosini, t. III, pp. 64-65.] + +Pendant la campagne du sacre, l'accord survenu entre les gens du roi +et les habitants d'Auxerre demeurant ignoré, on rapportait, vers la +fin de juillet, que, la ville prise d'assaut, quatre mille cinq cents +bourgeois avaient été occis et mêmement quinze cents hommes d'armes +tant chevaliers qu'écuyers des partis de Bourgogne et de Savoie. On +nommait parmi les gentilshommes morts messire Humbert Maréchal, le +seigneur de Varambon et un très fameux homme de guerre, le Viau de +Bar. On racontait des histoires de trahisons et de massacres, des +aventures horrifiques dans lesquelles la Pucelle était associée au +valet de coeur déjà fameux. On disait qu'elle avait fait couper la +tête à douze traîtres[1462]. C'était de vrais romans de chevalerie, +dont voici un exemple: + +Environ deux mille Anglais entouraient le camp du roi, guettant s'ils +n'y pourraient causer quelque dommage. Alors, la Pucelle fit appeler +le capitaine La Hire et lui dit: + +--Tu as fait, en ton temps, de très nobles choses, mais au jour +d'aujourd'hui, Dieu t'en a préparé à faire une plus notable que +celles que jamais tu fis. Prends tes gens d'armes et va à tel bois, à +deux lieues d'ici, tu y trouveras deux mille Anglais, tous la lance en +main; tu les prendras tous et tu les tueras. + +[Note 1462: _Ibid._, t. III, pp. 144 et suiv.] + +La Hire alla vers les Anglais et tous furent pris et tués, ainsi +qu'avait dit la Pucelle[1463]. + +Voilà les contes de Mélusine qu'on faisait d'elle, pour la joie des +hommes simples et violents qui se complaisaient à l'idée d'une Pucelle +coupe-têtes et tranche-montagne! + +[Note 1463: Morosini, t. III, pp. 150, 153.] + +Le bruit courait qu'après le sac d'Auxerre, le duc de Bourgogne avait +été vaincu et pris dans une grande bataille, que le Régent était mort, +que les Armagnacs étaient entrés dans Paris[1464]. La capitulation de +Troyes fut enveloppée de prodiges. À la venue des Français, les +habitants virent, disait-on, du haut de leurs remparts une grande +compagnie d'hommes d'armes, bien cinq à six mille, tenant chacun à la +main un pennon blanc. Au départ des Français ils les revirent rangés à +un trait d'arc derrière le roi Charles. Aussi merveilleux que les +chevaliers à l'écharpe blanche que les Bretons avaient vus peu de +temps auparavant chevaucher dans le ciel, ces chevaliers aux blancs +pennons, quand le roi partit, s'évanouirent[1465]. + +[Note 1464: _Ibid._, t. III, pp. 166, 167.] + +[Note 1465: Fragment d'une lettre sur des prodiges advenus en +Poitou, dans _Procès_, t. V, pp. 121-122.--_Relation du greffier de La +Rochelle_, _op. cit._, p. 343.] + +Tout ce qu'avaient cru, dans leur simplicité, les Orléanais subitement +désassiégés, tout ce qu'avaient conté les mendiants des Armagnacs et +les clercs du dauphin, fut avidement recueilli, accru, amplifié. Trois +mois après sa venue à Chinon, Jeanne eut sa légende qui, vivace, +fleurie et touffue, se répandit au dehors, en Italie, en Flandre, en +Allemagne[1466]. Dans l'été de 1429, cette légende était entièrement +trouvée. Toutes les parties éparses de ce qu'on peut appeler +l'évangile de l'enfance existaient déjà. + +[Note 1466: Morosini, t. III, p. 78, note I.--Eberhard Windecke, +_passim_.--Fauché-Prunelle, _Lettres tirées des Archives de Grenoble_, +dans _Bull. Acad. delph._, t. II, 1847, 1849, pp. 459, 460.--Lettre +écrite par les agents d'une ville allemande, dans _Procès_, t. V, p. +347.--Lettre de Jean Desch, secrétaire de la ville de Metz, _ibid._, +pp. 352, 355.] + +Âgée de sept ans, Jeanne menait paître les troupeaux; les loups +n'approchaient point de ses moutons; les oiseaux des bois, quand elle +les appelait, venaient manger son pain dans son giron. Le pouvoir +était en elle d'écarter les méchants. Personne sous le toit où elle +reposait n'avait à craindre la fraude et la malice des hommes[1467]. + +[Note 1467: Lettres de Perceval de Boulainvilliers au duc de +Milan, dans _Procès_, t. V, pp. 114, 116.] + +Les miracles qui accompagnent la naissance de Jeanne, quand c'est un +poète latin qui les célèbre, revêtent la majesté romaine et prennent +le caractère de prodiges antiques; et c'est un spectacle assez étrange +que de voir, en 1429, un humaniste appeler les Muses ausoniennes sur +le berceau de la fille de Zabillet Romée. + +«Le tonnerre gronda, la mer frémit, la terre trembla, le ciel +s'enflamma, le monde donna des signes de joie; une ardeur inconnue +mêlée d'épouvante agita les peuples ravis. Ils chantent de doux poèmes +et forment des danses rythmées en signe du salut destiné à la race +française par cette naissance céleste[1468].» + +[Note 1468: Poème anonyme sur l'arrivée de la Pucelle et la +délivrance d'Orléans, _Procès_, t. V, p. 27, vers 70 et suiv.] + +On fit plus. Dès la première heure on voulut que les merveilles qui +avaient signalé la nativité de Jésus se fussent renouvelées lors de la +venue de Jeanne au monde. On imagina qu'elle était née dans la nuit de +Noël; les bergers du village, émus d'une joie indicible dont ils +ignoraient la cause, couraient dans l'ombre pour découvrir la +merveille inconnue. Les coqs, hérauts de cette allégresse nouvelle, +font éclater à l'heure inaccoutumée des chants inouïs, et, battant des +ailes, durant deux heures semblent vaticiner. Ainsi l'enfant eut dans +sa crèche son adoration des bergers[1469]. + +[Note 1469: Lettre de Perceval de Boulainvilliers, dans _Procès_, +t. V, p. 116.] + +De sa venue en France on avait beaucoup à conter. On croyait savoir +que, dans le château de Chinon, elle avait reconnu le roi qu'elle +n'avait jamais vu auparavant, et qu'elle était allée droit à lui, bien +qu'il se cachât sous des habits sans richesse, dans la foule des +seigneurs[1470]. On disait qu'elle avait donné un signe au roi, +qu'elle lui avait révélé un secret et qu'à la révélation de ce secret, +connu de lui seul, il avait été inondé d'une joie céleste; et sur +cette entrevue de Chinon, tandis que les assistants n'avaient guère à +dire, plusieurs, qui ne s'y étaient pas trouvés, étaient +inépuisables[1471]. + +[Note 1470: _Procès_, t. III, pp. 116, 192.--_Chronique de la +Pucelle_, p. 273.--_Journal du siège_, p. 47.--Jean Chartier, +_Chronique_, t. I, p. 67.--_Relation du greffier de La Rochelle_, pp. +336, 337.--Martial d'Auvergne, _Vigiles_, t. I, p. 96.] + +[Note 1471: _Procès_, t. III, pp. 103, 116, 209 et +_passim_.--_Journal du siège_, p. 48.--Th. Basin, _Histoire de Charles +VII_, t. I, p. 68.--_Mirouer des femmes vertueuses_, dans _Procès_, t. +IV, p. 271.--Pierre Sala, _ibid._, p. 280.--Morosini, t. III, p. +104.--Eberhard Windecke, p. 153.] + +Le 7 mai, à quatre heures après midi, une colombe blanche se posa sur +l'étendard de la Pucelle; et l'on vit, le même jour, pendant l'assaut, +deux oiseaux blancs voltiger sur ses épaules[1472]. Les saintes +étaient fréquentées des colombes. Un jour que sainte Catherine de +Sienne se tenait agenouillée dans la maison du foulon, une colombe +blanche comme la neige se posa sur la tête de l'enfant[1473]. + +[Note 1472: _Journal du siège_, p. 294.--_Chronique de +l'établissement de la fête_ dans _Procès_, t. V, p. 294.] + +[Note 1473: _AA. SS._, 3 avril.--Didron, _Iconographie +chrétienne_, pp. 438-439.--Alba Mignati, _Sainte Catherine de Sienne_, +p. 16.] + +Un petit conte qui courait alors est intéressant en ce qu'on y voit +l'idée qu'on se faisait des relations du roi et de la Pucelle et aussi +comme exemple des déformations que peut subir, en passant de bouche en +bouche, le récit d'un fait véritable. Voici l'historiette, telle +qu'elle a été recueillie par un marchand allemand: + +Un jour, en une certaine ville, la Pucelle, avisée que les Anglais +étaient proches, prit les champs, et aussitôt, tous les gens d'armes +qui se trouvaient dans la ville sautèrent à cheval pour la suivre. +Pendant ce temps le roi, qui dînait à table, apprenant que chacun +allait en compagnie de la Pucelle, fit fermer les portes de la cité. + +On en avertit la Pucelle qui répondit sans se troubler: + +--Avant qu'il soit heure de none, il sera au roi tel besoin de venir à +moi, qu'il me suivra tout de suite, son manteau à peine jeté sur lui, +et sans éperons. + +Ainsi en advint-il. Car les gens d'armes enfermés dans la ville +mandèrent au roi qu'il fît immédiatement ouvrir les portes, sinon +qu'ils le détruiraient. Les portes furent ouvertes et tous les gens +d'armes coururent vers la Pucelle, sans se soucier du roi, qui jeta +son manteau sur lui et les suivit. + +Ce jour-là un grand nombre d'Anglais furent détruits[1474]. + +[Note 1474: Eberhard Windecke, p. 103.] + +On reconnaît dans ce conte le souvenir très altéré des faits qui se +passèrent le 6 mai, à Orléans. Les bourgeois couraient en foule à la +porte Bourgogne, décidés à passer la Loire pour attaquer les +Tourelles. Trouvant la porte fermée, ils se jetèrent furieux sur le +sire de Gaucourt qui la gardait. Le vieux seigneur fit ouvrir la porte +toute grande et leur dit: «Venez, je serai votre capitaine[1475].» +Dans le conte, les bourgeois sont devenus des gens d'armes, et ce +n'est plus le sire de Gaucourt qui fait méchamment fermer la porte, +c'est le roi; il n'a pas à s'en féliciter, et l'on est surpris de +trouver dès la première heure cette idée toute formée dans l'esprit du +peuple, que bien loin d'aider la Pucelle à chasser les Anglais, le roi +lui suscitait des obstacles et était toujours le dernier à la suivre. + +[Note 1475: _Procès_, t. III, pp. 116-117.] + +Entrevue dans ce chaos de récits plus confus que les nuées d'un ciel +orageux, Jeanne apparaissait comme une merveille inouïe. Elle +prophétisait et plusieurs de ses prophéties étaient déjà accomplies. +Elle avait annoncé la délivrance d'Orléans, et Orléans était délivré. +Elle avait annoncé qu'elle serait blessée, et elle avait reçu une +flèche au-dessus de la mamelle gauche. Elle avait annoncé qu'elle +mènerait le roi à Reims, et le roi avait été sacré dans cette ville. +Elle avait fait d'autres prophéties encore touchant le royaume de +France, comme de délivrer le duc d'Orléans, d'entrer dans Paris, de +chasser tous les Anglais hors du saint royaume, et l'on en attendait +l'accomplissement[1476]. + +[Note 1476: _Procès_, t. I, pp. 55, 84 et suiv., 133, 174, 232, 251, +252, 254, 331; t. III, pp. 99, 205, 254, 257 et _passim_.--_Journal du +siège_, pp. 34, 44, 45, 48.--_Chronique de la Pucelle_, pp. 212, +295.--Perceval de Cagny, p. 141.--Monstrelet, t. IV, p. 320.--Lefèvre de +Saint-Remy, t. II, p. 143.--Le Greffier de la Chambre des comptes de +Brabant, dans _Procès_, t. IV, p. 426.--_Chronique de Tournai_ (t. III +du _Recueil des Chroniques de Flandre_), p. 411.--Morosini, t. III, p. +121.] + +Elle prophétisait tous les jours, notamment au sujet de plusieurs +hommes qui lui avaient manqué de respect et qui étaient morts de male +mort[1477]. + +[Note 1477: Morosini, t. III, p. 57.] + +À Chinon, tandis qu'elle était menée au roi, un homme d'armes qui +chevauchait devant le château, pensant la reconnaître, demanda: + +--N'est-ce point là la Pucelle? Jarnidieu, si je la tenais une nuit, +je ne la laisserais pas pucelle. + +Alors Jeanne prophétisa et dit: + +--Ha! en nom Dieu, tu le renies, et tu es si près de ta mort! + +Moins d'une heure après, cet homme tomba à l'eau et se noya[1478]. + +[Note 1478: Déposition du frère Pasquerel, dans _Procès_, t. III, +p. 102.] + +Ce miracle fut mis tout de suite en vers latins. Dans le poème, où se +déroule l'histoire merveilleuse de Jeanne jusqu'à la délivrance +d'Orléans, le paillard qui renia Dieu et fit, comme tous les +blasphémateurs, une mauvaise fin, est noble et se nomme +Furtivolus[1479]. + +[Note 1479: Poème anonyme sur la Pucelle, dans _Procès_, t. V, p. +39, vers 105 et suiv.] + + _...generoso sanguine natus, Nomine Furtivolus, veneris moderator + iniquus._ + +Le capitaine Glasdall appela Jeanne putain et renia son Créateur. +Jeanne lui annonça qu'il mourrait sans saigner, et Glasdall se noya +dans la Loire[1480]. + +[Note 1480: Dépositions de J. Luillier et de frère Pasquerel, dans +_Procès_, t. III, pp. 25, 108.] + +Imitations manifestes des historiettes contées dans les vies des +saints qu'on lisait alors. Une femme hérétique ayant tiré saint +Ambroise par son vêlement, le bienheureux évêque lui dit: «Crains que, +par un jugement de Dieu, il ne te survienne quelque châtiment.» Le +lendemain cette femme mourut et le bienheureux Ambroise la conduisit +au tombeau[1481]. + +[Note 1481: _La légende dorée_, vie de Saint Ambroise.] + +Une religieuse encore vivante et qui devait mourir en odeur de +sainteté, soeur Colette de Corbie, avait rencontré son Furtivolus et +l'avait puni, mais avec douceur. Un jour qu'elle priait dans une +église de Corbie, un étranger s'approcha d'elle et lui tint des propos +contraires à la chasteté. «Plaise à Dieu, lui répondit-elle, de vous +faire connaître la laideur du langage que vous venez de tenir.» +L'étranger, pris de honte, gagna la porte. Mais une main invisible +l'arrêta sur le seuil. Comprenant alors la grandeur de son péché, il +demanda pardon à la sainte et put sortir librement de l'église[1482]. + +[Note 1482: Abbé J.-Th. Bizouard, _Histoire de sainte Colette et +des clarisses en Franche-Comté, d'après des documents inédits et des +traditions locales_, Paris, 1888, in-8º.] + +Après que l'armée royale eut quitté Gien, la Pucelle avait annoncé, +disait-on, qu'une grande bataille serait livrée entre Auxerre et +Reims[1483]. Quand des prédictions, comme celle-ci, ne se vérifiaient +pas, on les oubliait. D'ailleurs il était admis alors que les vrais +prophètes pouvaient prophétiser parfois à faux. Le théologien subtil +distinguait entre les prophéties de prédestination qui se réalisent +toujours et celles de commination qui, étant conditionnelles, peuvent +ne pas se réaliser, sans qu'on doive accuser de mensonge la bouche qui +les fit[1484]. On admirait qu'une enfant des champs découvrît les +choses futures et l'on s'écriait avec l'apôtre: « Je vous loue, ô +Père, de ce que vous avez dérobé vos secrets aux sages et aux +prudents, et de ce que vous les avez révélés aux petits.» + +[Note 1483: Morosini, t. III, pp. 148, 156.--Eberhard Windecke, +pp. 103, 105, 187.--Noël Valois, _Un nouveau témoignage sur Jeanne +d'Arc_, p. 17.] + +[Note 1484: Lanéry d'Arc, _Mémoires et consultations_, pp. 220, +222.--Théodore de Leliis, dans _Procès_, t. II, pp. 39, 42.--Le P. +Ayrolles, _La Pucelle devant l'Église de son temps_, p. 342.--Abbé +Hyacinthe Chassagnon, _Les voix de Jeanne d'Arc_, Lyon, 1896, in-8º, +pp. 312, 313.] + +Les prophéties de la Pucelle se répandirent en un moment dans toute la +chrétienté[1485]. Un clerc de Spire composa sur elle un traité +intitulé _Sibylla Francica_, et divisé en deux rôles. Le premier rôle +fut rédigé, au plus tard, dans le mois de juillet de l'année 1429. Le +second est daté du 17 septembre de la même année. Ce clerc croit que +la Pucelle exerçait la divination par l'astrologie. Il avait ouï dire +à un religieux français, de l'ordre des Prémontrés, que Jeanne se +plaisait, la nuit, à observer le ciel. Il remarque qu'elle ne +prophétisa jamais que sur le royaume de France et il donne comme +sortie de la bouche de la Pucelle la vaticination que voici: «Après +avoir accompli vingt années de royauté, le dauphin dormira avec ses +pères. Après lui, son fils aîné, maintenant enfant de six ans, régnera +avec plus grande gloire, honneur et puissance royale qu'aucun des rois +de France depuis Charlemagne[1486].» + +[Note 1485: Eberhard Windecke, pp. 138 et suiv.--Morosini, t. III. +pp. 62-63.] + +[Note 1486: _Procès_, t. III, pp. 422 et suiv., pp. 433, 434, 465; +t. V, pp. 475, 476.] + +La Pucelle avait le don de voir certaines choses qui s'accomplissaient +loin d'elle. + +Elle sut, à Vaucouleurs, le jour même de la bataille des Harengs, +qu'un grand meschef advenait au dauphin[1487]. + +[Note 1487: _Journal du siège_, p. 44.--_Chronique de la Pucelle_, +p. 272.] + +Un jour qu'elle mangeait assise auprès du roi, elle se mit à rire à la +dérobée. Le roi, s'en avisant, lui demanda: + +--Bien-aimée, pourquoi riez-vous de si grand coeur? + +Elle répondit qu'elle le lui dirait après le repas. + +Et quand on apporta l'aiguière: + +--Sire, fit-elle, en ce jour, cinq cents Anglais sont noyés en la mer, +qui voulaient passer par delà, en votre terre, pour vous porter +dommage. Voilà pourquoi j'ai ri. Dans trois jours, il vous viendra +nouvelles certaines que c'est vérité. + +Et il en fut ainsi[1488]. + +[Note 1488: Eberhard Windecke, p. 117.] + +Une autre fois, comme elle était dans une ville éloignée de plusieurs +lieues du château où se tenait le roi, faisant sa prière avant de +s'endormir, elle apprit par révélation que des ennemis du roi le +voulaient empoisonner à son dîner. Aussitôt elle appela ses frères et +les dépêcha au roi pour l'aviser de ne prendre aucune nourriture avant +sa venue. + +Quand elle parut devant lui, il était à table avec onze personnes +autour de lui. + +--Sire, dit-elle, faites emporter les mets. + +Elle les donna à des chiens qui les mangèrent et moururent aussitôt. + +Alors désignant un chevalier qui se tenait près du roi et deux autres +convives: + +--Ceux-là, dit-elle, voulaient vous empoisonner. + +Le chevalier avoua sur l'heure que c'était la vérité, et il fut traité +selon ses mérites[1489]. + +[Note 1489: Eberhard Windecke, p. 97.] + +Elle avait reconnu qu'un prêtre était concubinaire[1490]; et, +rencontrant un jour, au camp, une fille habillée en homme, elle avait +su par illumination que cette fille était grosse et qu'ayant déjà +accouché d'un enfant, elle l'avait fait périr[1491]. + +[Note 1490: _Procès_, t. I, p. 146.] + +[Note 1491: Eberhard Windecke, p. 97.] + +On attribuait aussi à la Pucelle la faculté de découvrir les objets +cachés. Elle-même se l'était attribuée lors de son passage à Tours. +Elle avait, disait-elle, connu par révélation une épée enfouie sous +terre dans la chapelle de Sainte-Catherine-de-Fierbois, et s'était +armée de cette épée. On pensait que c'était l'épée dont Charles Martel +avait frappé les Sarrasins. D'autres soupçonnaient que ce fût celle +d'Alexandre le Grand[1492]. + +[Note 1492: _Procès_, t. I, pp. 76, 234.--_Chronique de la +Pucelle_, p. 277--Jean Chartier, _Chronique_, t. I, pp. 69, +70.--_Journal du siège_, pp. 49, 50.--_Relation du greffier de La +Rochelle_, pp. 337-338.--Morosini, t. III, pp. 108-109.--Abbé +Bourassé, _Les miracles de madame Sainte Katerine_, Introduction.] + +Jeanne avait connu pareillement avant le sacre, disait-on, une +couronne précieuse, célée à tous les yeux. Et voici le conte que l'on +faisait à ce sujet: + +Un évêque gardait la couronne de saint Louis. On ne savait pas bien +quel évêque c'était, mais on savait que la Pucelle lui avait envoyé un +messager avec une lettre pour le prier de rendre la couronne. L'évêque +répondit au messager que la Pucelle avait rêvé. Elle réclama une +deuxième fois le saint joyau et l'évêque fit même réponse. Alors elle +écrivit aux bourgeois de la ville épiscopale que, si la couronne +n'était pas rendue au roi, le Seigneur leur enverrait un châtiment, et +aussitôt il tomba dans le pays une grêle si abondante, que ce fut +grande merveille. Communément c'étaient les sorciers qui faisaient +grêler. Cette fois la grêle était une plaie envoyée par le Dieu qui +affligea dix plaies à l'Égypte. Après quoi la Pucelle fit tenir aux +bourgeois de la ville une troisième lettre dans laquelle elle leur +décrivait la forme et la façon de la couronne que l'évêque tenait +cachée, et les avertissait que, si elle n'était pas rendue au roi, il +leur adviendrait pis qu'il n'était advenu. L'évêque, qui croyait que +le merveilleux chapeau d'or n'était connu que de lui, admira que la +forme et la façon en fussent décrites dans cette lettre. Il se +repentit de sa méchanceté, pleura abondamment et ordonna que la +couronne fût envoyée au Roi et à la Pucelle[1493]. + +[Note 1493: Morosini, t. III, pp. 160, 163.] + +Nous discernons sans trop de peine de quels éléments ce conte a pu se +former. La couronne de Charlemagne, que les rois de France ceignaient +dans la cérémonie du sacre, était à Saint-Denys en France, aux mains +des Anglais. Jeanne se vantait d'avoir donné au dauphin à Chinon une +couronne précieuse, apportée par des anges. Elle disait que cette +couronne avait été envoyée à Reims pour le couronnement, mais qu'on +n'avait pas pu l'attendre[1494]. Quant au cel de la couronne par un +évêque, cela ne fut-il pas inspiré par ce qu'on savait de l'avidité de +messire Regnault de Chartres, archevêque de Reims, qui avait pris un +vase d'argent déposé par le roi sur l'autel, après la cérémonie, et +destiné au chapitre de la cathédrale[1495]? + +[Note 1494: _Procès_, t. I, p. 91.] + +[Note 1495: Dom Marlot, _Histoire de l'église de Reims_, t. IV, p. +175.--H. Jadart, _Jeanne d'Arc à Reims_, appendice XVII.] + +On parlait aussi de gants perdus à Reims et d'une tasse que Jeanne +avait retrouvés[1496]. + +[Note 1496: _Procès_, t. I, p. 104.] + +Pucelle guerrière et pacifique, béguine, prophétesse, magicienne, ange +du Seigneur, ogresse, chacun dans le peuple la voit à sa façon, la +rêve à son image. Les âmes pieuses lui prêtent une invincible douceur +et les trésors divins de la charité, les simples la font simple comme +eux; les hommes violents et grossiers se la représentent ainsi qu'une +géante burlesque et terrible. Pourra-t-on désormais apercevoir +quelques traits de son véritable visage? La voilà dès la première +heure et pour toujours, peut-être, enfermée dans le buisson fleuri des +légendes! + + +FIN DU TOME PREMIER + + + + +TABLE DU TOME PREMIER + + + PRÉFACE. i + + I.--L'ENFANCE. 1 + + II.--LES VOIX. 33 + + III.--PREMIER SÉJOUR À VAUCOULEURS.--FUITE À + NEUFCHÂTEAU.--VOYAGE À TOUL.--SECOND SÉJOUR À + VAUCOULEURS. 70 + + IV.--VOYAGE À NANCY.--ITINÉRAIRE DE VAUCOULEURS À + SAINTE-CATHERINE-DE-FIERBOIS. 105 + + V.--LE SIÈGE D'ORLÉANS, DU 12 OCTOBRE 1428 AU 6 MARS 1429. 122 + + VI.--LA PUCELLE À CHINON.--PROPHÉTIES. 167 + + VII.--LA PUCELLE À POITIERS. 215 + + VIII.--LA PUCELLE À POITIERS (_Suite_). 236 + + IX.--LA PUCELLE À TOURS. 252 + + X.--LE SIÈGE D'ORLÉANS, DU 7 MARS AU 28 AVRIL 1429. 267 + + XI.--LA PUCELLE À BLOIS.--LA LETTRE AUX ANGLAIS.--LE DÉPART + POUR ORLÉANS. 282 + + XII.--LA PUCELLE À ORLÉANS. 300 + + XIII.--LA PRISE DES TOURELLES ET LA DÉLIVRANCE D'ORLÉANS. 345 + + XIV.--LA PUCELLE À TOURS ET À SELLES-EN-BERRY.--LES TRAITÉS + DE JACQUES GÉLU ET DE JEAN GERSON. 371 + + XV.--LA PRISE DE JARGEAU.--LE PONT DE MEUNG.--BEAUGENCY. 403 + + XVI.--LA BATAILLE DE PATAY.--L'OPINION DES CLERCS D'ITALIE + ET D'ALLEMAGNE.--L'ARMÉE DE GIEN. 430 + + XVII.--LA CONVENTION D'AUXERRE.--FRÈRE RICHARD.--LA + CAPITULATION DE TROYES. 469 + + XVIII.--LA CAPITULATION DE CHÂLONS ET DE REIMS.--LE SACRE. 505 + + XIX.--LA LÉGENDE DE LA PREMIÈRE HEURE. 534 + + +IMPRIMERIE CHAIX, RUE BERGÈRE, 20, PARIS.--2854-2-08.--(Encre +Lorilleux). + + + + +CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS + + +DU MÊME AUTEUR + +Format grand in-18. + + BALTHASAR. 1 vol. + + CRAINQUEBILLE, PUTOIS, RIQUET. 1 -- + + LE CRIME DE SYLVESTRE BONNARD (_Ouvrage + couronné par l'Académie française_). 1 -- + + LES DÉSIRS DE JEAN SERVIEN. 1 -- + + L'ÉTUI DE NACRE. 1 -- + + HISTOIRE COMIQUE. 1 -- + + LE JARDIN D'ÉPICURE. 1 -- + + JOCASTE ET LE CHAT MAIGRE. 1 -- + + LE LIVRE DE MON AMI. 1 -- + + LE LYS ROUGE. 1 -- + + LES OPINIONS DE M. JÉRÔME COIGNARD. 1 -- + + LE PUITS DE SAINTE-CLAIRE. 1 -- + + LA RÔTISSERIE DE LA REINE PÉDAUQUE. 1 -- + + SUR LA PIERRE BLANCHE. 1 -- + + THAÏS. 1 -- + + LA VIE LITTÉRAIRE. 4 -- + + PAGES CHOISIES. 1 -- + + +HISTOIRE CONTEMPORAINE + + I.--L'ORME DU MAIL. 1 vol. + + II.--LE MANNEQUIN D'OSIER. 1 -- + + III.--L'ANNEAU D'AMÉTHYSTE. 1 -- + + IV.--MONSIEUR BERGERET À PARIS. 1 -- + + +ÉDITION ILLUSTRÉE + + CLIO (_Illustrations en couleurs de Mucha_) 1 vol. + + HISTOIRE COMIQUE (_Pointes sèches et eaux-fortes de + Edgar Chahine_) 1 -- + + +IMPRIMERIE CHAIX, RUE BERGÈRE, 20, PARIS.--2716-2-08.--(Encre +Lorilleux). + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Vie de Jeanne d'Arc, by Anatole France + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK VIE DE JEANNE D'ARC *** + +***** This file should be named 33692-8.txt or 33692-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/3/3/6/9/33692/ + +Produced by wagner, Mireille Harmelin, Christine P. Travers +and the Online Distributed Proofreaders at +http://dp.ratsko.net + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. Special rules, +set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to +copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to +protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project +Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you +charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you +do not charge anything for copies of this eBook, complying with the +rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose +such as creation of derivative works, reports, performances and +research. They may be modified and printed and given away--you may do +practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is +subject to the trademark license, especially commercial +redistribution. + + + +*** START: FULL LICENSE *** + +THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE +PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK + +To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free +distribution of electronic works, by using or distributing this work +(or any other work associated in any way with the phrase "Project +Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project +Gutenberg-tm License (available with this file or online at +http://gutenberg.org/license). + + +Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm +electronic works + +1.A. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact +information can be found at the Foundation's web site and official +page at http://pglaf.org + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. Compliance requirements are not uniform and it takes a +considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up +with these requirements. We do not solicit donations in locations +where we have not received written confirmation of compliance. To +SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any +particular state visit http://pglaf.org + +While we cannot and do not solicit contributions from states where we +have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition +against accepting unsolicited donations from donors in such states who +approach us with offers to donate. + +International donations are gratefully accepted, but we cannot make +any statements concerning tax treatment of donations received from +outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. + +Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation +methods and addresses. Donations are accepted in a number of other +ways including checks, online payments and credit card donations. +To donate, please visit: http://pglaf.org/donate + + +Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic +works. + +Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + http://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. diff --git a/33692-8.zip b/33692-8.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..03c6a76 --- /dev/null +++ b/33692-8.zip diff --git a/33692-h.zip b/33692-h.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..198b144 --- /dev/null +++ b/33692-h.zip diff --git a/33692-h/33692-h.htm b/33692-h/33692-h.htm new file mode 100644 index 0000000..d2f28f9 --- /dev/null +++ b/33692-h/33692-h.htm @@ -0,0 +1,19497 @@ +<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.01 Transitional//EN"> +<html lang="fr"> + +<head> +<meta http-equiv="Content-Type" content="text/html; charset=iso-8859-1"> +<title>The Project Gutenberg e-Book of Vie de Jeanne D'arc, Vol. 1; Author: Anatole France.</title> + + +<style type="text/css"> +<!-- + +body {font-size: 1em; text-align: justify; margin-left: 10%; margin-right: 10%;} + +h1 {font-size: 115%; text-align: center; margin-top: 2em; margin-bottom: 2em;} +h2 {font-size: 110%; text-align: center; margin-top: 4em; margin-bottom: 2em; line-height: 2em;} +h3 {font-size: 105%; text-align: center; margin-top: 2em; margin-bottom: 1em;} + +a:focus, a:active { outline:#ffee66 solid 2px; background-color:#ffee66;} +a:focus img, a:active img {outline: #ffee66 solid 2px; } + +sup {line-height: 0em;} +li {margin-top: 1.3em;} + +table {border-collapse: collapse; table-layout: fixed; + width: 90%; margin-left: 5%; margin-top: 1em; margin-bottom: 1em;} + +p {text-indent: 1em;} +p.tn {margin-left: 10%; width: 80%; text-indent: 0em;} + +.pagenum {visibility: hidden; + position: absolute; right:0; text-align: right; + font-size: 10px; + font-weight: normal; font-variant: normal; + font-style: normal; letter-spacing: normal; + color: #C0C0C0; background-color: inherit;} + +.p2 {margin-top: 2em; margin-bottom: 1em;} +.p4 {margin-top: 4em; margin-bottom: 1em;} + +.smcap {font-variant: small-caps; font-size: 95%;} +.smaller {font-size: smaller;} +.small {font-size: 85%;} + +.none {list-style-type: none;} +.roman {list-style-type: upper-roman;} + +.left50 {margin-left: 50%; font-size: 90%;} +.figcenter {margin: auto; text-align: center;} +.noindent {text-indent: 0em;} +.center {text-align: center;} + +.tam {margin-left: 10%; margin-right: 15%;} +.poem10 {text-indent: 0em; margin-left: 10%; font-size: 90%;} +.poem10 p {text-indent: 0em;} +.notes p {text-indent: 0em;} +.quote {margin-left: 5%; font-size: 90%;} +.right {text-align: right;} +.right10 {text-align: right; margin-right: 10%;} +.ralign10 {position: absolute; right: 10%; top: auto;} + +--> +</style> +</head> +<body> + + +<pre> + +The Project Gutenberg EBook of Vie de Jeanne d'Arc, by Anatole France + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Vie de Jeanne d'Arc + Vol. 1 de 2 + +Author: Anatole France + +Release Date: September 10, 2010 [EBook #33692] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK VIE DE JEANNE D'ARC *** + + + + +Produced by wagner, Mireille Harmelin, Christine P. Travers +and the Online Distributed Proofreaders at +http://dp.ratsko.net + + + + + + +</pre> + + + +<p class="p4 center">ANATOLE FRANCE<br> +<span class="smaller">DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE</span></p> + + +<h1>VIE<br> +DE<br> +JEANNE D'ARC</h1> + + +<p class="center">I</p> + + +<p class="p4 smaller center">PARIS CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS 3, RUE AUBER, 3</p> + +<p class="p4 small center"><i>Published february fifth, copyright nineteen hundred and eight. +Privilege of copyright in the United States reserved under the Act +approved March third nineteen hundred and five by Manzi, Joyant et +C<sup>ie</sup>.</i></p> + +<p class="small center">Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous les pays, y +compris la Hollande.</p> + +<h2><span class="pagenum"><a id="pageI" name="pageI"></a>(p. I)</span> PRÉFACE</h2> + +<p>Mon premier devoir serait de faire connaître les sources de cette +histoire; mais L'Averdy, Buchon, J. Quicherat, Vallet de Viriville, +Siméon Luce, Boucher de Molandon, MM. Robillard de Beaurepaire, Lanéry +d'Arc, Henri Jadart, Alexandre Sorel, Germain Lefèvre-Pontalis, L. +Jarry et plusieurs autres savants, ont publié et illustré les +documents de toute sorte d'après lesquels on peut écrire la vie de +Jeanne d'Arc. Je m'en réfère à leurs travaux qui forment une opulente +bibliothèque<a id="footnotetag1" name="footnotetag1"></a><a href="#footnote1" title="Lien vers la note 1"><span class="smaller">[1]</span></a> et, sans entreprendre une nouvelle étude littéraire de +ces documents, j'indiquerai <span class="pagenum"><a id="pageII" name="pageII"></a>(p. II)</span> seulement, d'une façon rapide et +générale, les raisons qui m'ont dirigé dans l'usage que j'ai cru +devoir en faire. Ces documents sont: 1<sup>o</sup> le procès de condamnation; +2<sup>o</sup> les chroniques; 3<sup>o</sup> le procès de réhabilitation; 4<sup>o</sup> les lettres, +actes et autres pièces détachées.</p> + +<p>1<sup>o</sup> Le procès de condamnation<a id="footnotetag2" name="footnotetag2"></a><a href="#footnote2" title="Lien vers la note 2"><span class="smaller">[2]</span></a> est un trésor pour l'historien. Les +questions des interrogateurs ne sauraient être étudiées avec trop de +soin: elles procèdent d'informations faites à Domremy et en divers +pays de France où Jeanne avait passé, et qui n'ont point été +conservées. Les juges de 1431, est-il besoin de le dire? ne +recherchaient en Jeanne que l'idolâtrie, l'hérésie, la sorcellerie et +les autres crimes contre l'Église; ils n'en examinèrent pas moins tout +ce qu'ils purent connaître de la vie de cette jeune fille, enclins, +comme ils l'étaient, à découvrir du mal dans chacun des actes et dans +chacune des paroles de celle qu'ils voulaient perdre pour déshonorer +son roi. Tout le monde sait le prix des réponses de la Pucelle; elles +sont d'une héroïque sincérité et, le plus souvent, d'une clarté +limpide. Cependant, il n'y faut pas tout prendre à la <span class="pagenum"><a id="pageIII" name="pageIII"></a>(p. III)</span> +lettre. Jeanne, qui ne regarda jamais l'évêque ni le promoteur comme +ses juges, n'était pas assez simple pour leur dire l'entière vérité. +C'était déjà, de sa part, beaucoup de candeur que de les avertir +qu'ils ne sauraient pas tout<a id="footnotetag3" name="footnotetag3"></a><a href="#footnote3" title="Lien vers la note 3"><span class="smaller">[3]</span></a>. Il faut reconnaître aussi qu'elle +manquait étrangement de mémoire. Je sais bien qu'un greffier admirait +qu'elle se rappelât très exactement, au bout de quinze jours, ce +qu'elle avait répondu à l'interrogateur<a id="footnotetag4" name="footnotetag4"></a><a href="#footnote4" title="Lien vers la note 4"><span class="smaller">[4]</span></a>. C'est possible, bien +qu'elle variât quelquefois dans ses dires. Il n'en est pas moins +certain qu'il ne lui restait, après un an, qu'un souvenir confus de +certains faits considérables de sa vie. Enfin, ses hallucinations +perpétuelles la mettaient le plus souvent hors d'état de distinguer le +vrai du faux.</p> + +<p>L'instrument du procès est suivi d'une information sur plusieurs +paroles dites par Jeanne <i>in articulo mortis</i><a id="footnotetag5" name="footnotetag5"></a><a href="#footnote5" title="Lien vers la note 5"><span class="smaller">[5]</span></a>. Cette information ne +porte pas la signature des greffiers. De ce fait la pièce est +irrégulière au point de vue de la procédure; elle n'en constitue pas +moins un document historique d'une authenticité certaine. Je crois que +les choses se sont passées à peu près comme ce procès-verbal +extra-judiciaire les rapporte. On y trouve exposée la seconde +rétractation de Jeanne et <span class="pagenum"><a id="pageIV" name="pageIV"></a>(p. IV)</span> cette rétractation ne fait point de +doute, puisque Jeanne est morte administrée. Ceux mêmes qui ont, au +procès de réhabilitation, signalé l'irrégularité de cette pièce, n'en +ont nullement taxé le contenu de fausseté.</p> + +<p>2<sup>o</sup> Les chroniqueurs d'alors, tant français que bourguignons, étaient +des chroniqueurs à gages. Tout grand seigneur avait le sien. Tringant +dit que son maître «ne donnoit point d'argent pour soy faire mettre ès +croniques»<a id="footnotetag6" name="footnotetag6"></a><a href="#footnote6" title="Lien vers la note 6"><span class="smaller">[6]</span></a>, et qu'il n'y fut pas mis à cause de cela. La plus +vieille chronique où il soit parlé de la Pucelle est celle de Perceval +de Cagny, serviteur de la maison d'Alençon, écuyer d'écurie du duc +Jean<a id="footnotetag7" name="footnotetag7"></a><a href="#footnote7" title="Lien vers la note 7"><span class="smaller">[7]</span></a>. Elle fut rédigée en l'an 1436, c'est-à-dire six ans seulement +après la mort de Jeanne. Mais elle ne le fut pas par lui; il n'avait, +de son propre aveu, «le sens, mémoire, ne l'abillité de savoir faire +metre par escript ce, ne autre chose mendre de plus de la moitié<a id="footnotetag8" name="footnotetag8"></a><a href="#footnote8" title="Lien vers la note 8"><span class="smaller">[8]</span></a>». +C'est l'ouvrage d'un clerc qui rédige avec soin. On n'est pas surpris +qu'un chroniqueur aux gages de la maison d'Alençon expose de la façon +la moins favorable au roi et à son conseil les différends qui +s'élevèrent entre le sire de la Trémouille et le duc d'Alençon au +sujet de la Pucelle. <span class="pagenum"><a id="pageV" name="pageV"></a>(p. V)</span> Mais on aurait attendu d'un scribe, qui +est censé écrire sous la dictée d'un domestique du duc Jean, un récit +moins inexact et moins vague des faits d'armes accomplis par la +Pucelle en compagnie de celui qu'elle appelait son beau duc. Bien que +cette chronique fût écrite à une époque où l'on n'imaginait pas que le +procès de 1431 pût être un jour révisé, la Pucelle y est considérée +comme opérant par des moyens surnaturels et ses actes y révèlent un +caractère hagiographique qui leur ôte toute vraisemblance. Au reste, +la portion de la chronique dite de Perceval de Cagny, qui traite de la +Pucelle, est brève: vingt-sept chapitres de quelques lignes chacun. +Quicherat croit que c'est la meilleure chronique qu'on ait sur Jeanne +d'Arc<a id="footnotetag9" name="footnotetag9"></a><a href="#footnote9" title="Lien vers la note 9"><span class="smaller">[9]</span></a>, et peut-être, en effet, que les autres valent moins encore.</p> + +<p>Gilles le Bouvier, roi d'armes du pays de Berry<a id="footnotetag10" name="footnotetag10"></a><a href="#footnote10" title="Lien vers la note 10"><span class="smaller">[10]</span></a>, qui avait +quarante-trois ans en 1429, est un peu plus judicieux que Perceval de +Cagny, et, bien qu'il brouille souvent les dates, mieux au fait des +opérations militaires. Mais il est trop sommaire pour nous apprendre +grand'chose.</p> + +<p>Jean Chartier, chantre de Saint-Denys<a id="footnotetag11" name="footnotetag11"></a><a href="#footnote11" title="Lien vers la note 11"><span class="smaller">[11]</span></a>, exerçait l'office <span class="pagenum"><a id="pageVI" name="pageVI"></a>(p. VI)</span> +de chroniqueur de France en 1449. C'est donc, comme on eût dit deux +siècles plus tard, un historiographe du roi. Il y paraît à la manière +dont il rapporte la fin de Jeanne d'Arc. Après avoir dit qu'elle fut +longtemps gardée en prison par les ordres de Jean de Luxembourg, il +ajoute: «Lequel Luxembourg la vendit aux Angloiz, qui la menèrent à +Rouen, où elle fut durement traictée; et tellement que, après grant +dillacion de temps, sans procez, maiz de leur voulenté indeue, la +firent ardoir en icelle ville de Rouen publiquement... qui fut bien +inhumainement fait, veu la vie et gouvernement dont elle vivoit, car +elle se confessoit et recepvoit par chacune sepmaine le corps de +Nostre Seigneur, comme bonne catholique<a id="footnotetag12" name="footnotetag12"></a><a href="#footnote12" title="Lien vers la note 12"><span class="smaller">[12]</span></a>.» Quand Jean Chartier dit +que les Anglais la brûlèrent sans procès, il entend apparemment que le +bailli de Rouen ne prononça pas de sentence. Pour ce qui est du procès +d'Église, pour ce qui est des deux causes de lapse et de relapse, il +n'en souffle mot, et c'est aux Anglais qu'il reproche d'avoir brûlé +sans jugement une bonne catholique. On voit, par cet exemple, dans +quel embarras la sentence de 1431 mettait le gouvernement du roi +Charles. Mais que penser d'un historien qui, gêné par le procès de +Jeanne, le supprime? Jean Chartier est <span class="pagenum"><a id="pageVII" name="pageVII"></a>(p. VII)</span> un esprit extrêmement +faible et futile; il semble croire que l'épée de sainte Catherine +était fée et qu'en la rompant Jeanne perdit tout son pouvoir<a id="footnotetag13" name="footnotetag13"></a><a href="#footnote13" title="Lien vers la note 13"><span class="smaller">[13]</span></a>; il +recueille les fables les plus puériles. Cependant le fait n'est pas +sans intérêt que le chroniqueur en titre des rois de France, écrivant +vers 1450, attribue à la Pucelle une grande part dans la délivrance +d'Orléans, la conquête des places sur la Loire et la victoire de +Patay, rapporte que le roi forma l'armée de Gien «par l'admonestement +de ladite Pucelle<a id="footnotetag14" name="footnotetag14"></a><a href="#footnote14" title="Lien vers la note 14"><span class="smaller">[14]</span></a>», et dise expressément que Jeanne fut «cause» du +couronnement et du sacre<a id="footnotetag15" name="footnotetag15"></a><a href="#footnote15" title="Lien vers la note 15"><span class="smaller">[15]</span></a>. C'était là sûrement l'opinion professée +à la cour de Charles VII, et il ne reste plus qu'à savoir si elle +était sincère et fondée en raison, ou si le roi de France ne jugeait +pas avantageux de devoir son royaume à la Pucelle, hérétique au regard +des chefs de l'Église universelle, mais de bonne mémoire pour le menu +peuple de France, plutôt qu'aux princes du sang et aux chefs de +guerre, dont il ne se souciait pas de vanter les services après la +révolte de 1440, cette praguerie, où l'on avait vu le duc de Bourbon, +le comte de Vendôme, le duc d'Alençon, que la Pucelle appelait son +beau duc, et jusqu'au prudent comte de Dunois, s'unir aux routiers +pour faire la <span class="pagenum"><a id="pageVIII" name="pageVIII"></a>(p. VIII)</span> guerre à leur souverain avec plus d'ardeur +qu'ils ne l'avaient jamais faite aux Anglais.</p> + +<p>Le <i>Journal du siège</i><a id="footnotetag16" name="footnotetag16"></a><a href="#footnote16" title="Lien vers la note 16"><span class="smaller">[16]</span></a> fut sans doute tenu en 1428 et 1429, mais la +rédaction qui nous est parvenue date de 1467. Ce qui s'y rapporte à +Jeanne, antérieurement à sa venue à Orléans, est interpolé; et +l'interpolateur fut assez maladroit pour placer au mois de février +l'arrivée de Jeanne à Chinon, qui eut lieu le 6 mars, et pour assigner +la date du jeudi 10 mars au départ de Blois, qui ne s'effectua qu'à la +fin d'avril. Le journal, du 28 avril au 7 mai, est moins incertain +dans sa chronologie et les erreurs de calendrier qui s'y trouvent +encore peuvent être attribuées au copiste. Mais les faits rapportés à +ces dates, parfois en désaccord avec les pièces de comptabilité et +souvent empreints de merveilleux, témoignent d'un état avancé de la +légende. Il est impossible, par exemple, d'attribuer à un témoin du +siège l'erreur commise par le rédacteur relativement à la chute du +pont des Tourelles<a id="footnotetag17" name="footnotetag17"></a><a href="#footnote17" title="Lien vers la note 17"><span class="smaller">[17]</span></a>. Ce qui est dit, à la page 97 de l'édition P. +Charpentier et C. Cuissart, des relations entretenues par les +habitants avec les hommes d'armes ne semble pas à sa place et pourrait +bien avoir été mis là pour effacer le souvenir des dissentiments +<span class="pagenum"><a id="pageIX" name="pageIX"></a>(p. IX)</span> graves qui s'étaient produits dans la dernière semaine. À +partir du 8 mai, le journal n'est plus du tout un journal; c'est une +suite de morceaux empruntés à Chartier, à Berry et au procès de +réhabilitation. L'épisode du grand et gros Anglais que maître Jean de +Montesclère tue au siège de Jargeau est visiblement tiré de la +déposition que Jean d'Aulon fit en 1456, et cet emprunt est fait au +mépris de la vérité, puisque Jean d'Aulon dit expressément que le +grand et gros Anglais fut tué aux Augustins<a id="footnotetag18" name="footnotetag18"></a><a href="#footnote18" title="Lien vers la note 18"><span class="smaller">[18]</span></a>.</p> + +<p>La chronique appelée <i>Chronique de la Pucelle</i><a id="footnotetag19" name="footnotetag19"></a><a href="#footnote19" title="Lien vers la note 19"><span class="smaller">[19]</span></a>, comme si elle +était la chronique par excellence de l'héroïne, est extraite d'une +histoire intitulée <i>Geste des nobles François</i>, et qui remonte jusqu'à +Priam de Troye. Mais elle n'en fut pas tirée sans changements ni +additions. Ce travail fut opéré après 1467. Quand on aura démontré que +la <i>Chronique de la Pucelle</i> est d'un Cousinot, enfermé dans Orléans +pendant le siège, ou même de deux Cousinot, oncle et neveu, selon les +uns, père et fils, selon les autres, il n'en restera pas moins vrai +qu'elle est en grande partie copiée du <i>Journal du siège</i>, de Jean +Chartier et du procès de réhabilitation. Cet ouvrage ne fait pas grand +honneur à son auteur, quel qu'il soit, car on <span class="pagenum"><a id="pageX" name="pageX"></a>(p. X)</span> ne peut pas +beaucoup vanter un faiseur d'histoires qui raconte deux fois les mêmes +événements avec des circonstances différentes et inconciliables, sans +paraître le moins du monde s'en apercevoir. La <i>Chronique de la +Pucelle</i> s'arrête brusquement au retour du roi en Berry après l'échec +devant Paris.</p> + +<p>Il faut placer le <i>Mistère du siège</i><a id="footnotetag20" name="footnotetag20"></a><a href="#footnote20" title="Lien vers la note 20"><span class="smaller">[20]</span></a> parmi les chroniques. C'est, +en effet, une chronique dialoguée et rimée, qui présenterait un grand +intérêt, du moins pour son ancienneté, si l'on pouvait, comme on l'a +voulu, en faire remonter la composition à l'année 1435. Dans ce poème +de 20529 vers, les éditeurs et, à leur suite, plusieurs érudits ont +cru reconnaître «certain mistaire<a id="footnotetag21" name="footnotetag21"></a><a href="#footnote21" title="Lien vers la note 21"><span class="smaller">[21]</span></a>» joué à Orléans lors du sixième +anniversaire de la délivrance. Mais de ce que le maréchal de Rais, qui +se plaisait à faire représenter magnifiquement des farces et des +mystères, soit demeuré du mois de septembre 1434 jusqu'au mois d'août +1435 dans la cité du duc Charles, faisant grande dépense<a id="footnotetag22" name="footnotetag22"></a><a href="#footnote22" title="Lien vers la note 22"><span class="smaller">[22]</span></a>, et que +la ville ait acheté de ses deniers, en 1439, «un estandart et bannière +qui furent à Monseigneur de Reys pour faire <span class="pagenum"><a id="pageXI" name="pageXI"></a>(p. XI)</span> la manière de +l'assault comment les Tourelles furent prinses sur les Anglois<a id="footnotetag23" name="footnotetag23"></a><a href="#footnote23" title="Lien vers la note 23"><span class="smaller">[23]</span></a>», +on ne peut tirer la preuve que, en 1435 ou en 1439, le 8 mai, une +pièce de théâtre fut représentée, ayant le Siège pour sujet et pour +héroïne la Pucelle. Si pourtant on veut faire de «la manière de +l'assault comment les Tourelles furent prises» un mystère, plutôt +qu'une cavalcade ou tout autre divertissement, et voir dans le +«certain mistaire» de 1435 une représentation du Siège mis et levé par +les Anglais, on obtiendra de cette façon un mystère du siège. Encore +faudra-t-il voir si c'est celui dont nous possédons le texte.</p> + +<p>Comme parmi les cent quarante personnages parlants, de l'œuvre qui +nous est parvenue, se trouve le maréchal de Rais, on a supposé que +l'ouvrage fut écrit et représenté antérieurement au procès qui se +termina par la sentence exécutée au-dessus des ponts de Nantes, le 20 +octobre 1440. En effet, nous a-t-on dit, comment, après sa mort +ignominieuse, montrer aux Orléanais le vampire de Machecoul combattant +pour leur délivrance? Comment associer dans une action héroïque la +Pucelle et Barbe-Bleue? Il est embarrassant de répondre à une +semblable question, parce que nous ne savons pas ce que pouvait +supporter, en ce genre de choses, la rudesse <span class="pagenum"><a id="pageXII" name="pageXII"></a>(p. XII)</span> des vieux âges. +Notre texte, convenablement interrogé, nous dira peut-être lui-même +s'il est antérieur ou postérieur à 1440.</p> + +<p>Le bâtard d'Orléans fut fait comte de Dunois le 14 juillet 1439<a id="footnotetag24" name="footnotetag24"></a><a href="#footnote24" title="Lien vers la note 24"><span class="smaller">[24]</span></a>. +Les vers du <i>Mistère</i>, où on lui donne ce titre, ne peuvent donc être +plus anciens que cette date. Ils abondent et, par une singularité +qu'on n'explique pas, se trouvent tous dans le premier tiers de +l'ouvrage. Quand Dunois paraît ensuite, il redevient le Bâtard. De ce +fait, voilà cinq mille vers que les éditeurs de 1862 considèrent comme +ajoutés postérieurement au texte primitif, bien qu'ils ne se +distinguent des autres ni par la langue, ni par le style, ni par la +prosodie, ni par aucune qualité. Mais le reste du poème remonte-t-il à +1435 ou 39?</p> + +<p>Je n'en crois rien. Aux vers 12093 et 12094, la Pucelle annonce à +Talbot qu'il mourra par la main «des gens du roi». Cette prophétie n'a +pu être faite qu'après l'événement: elle constitue une manifeste +allusion à la fin de l'illustre capitaine, et ces vers sont sûrement +postérieurs à l'année 1453.</p> + +<p>Un clerc Orléanais, six ans après le siège, n'aurait pas travesti +Jeanne en dame de haute naissance.</p> + +<p>Aux vers 10199 et suivants du <i>Mistère du siège</i> la <span class="pagenum"><a id="pageXIII" name="pageXIII"></a>(p. XIII)</span> Pucelle +répond au premier président du Parlement de Poitiers qui l'interroge +sur sa maison:</p> + +<p class="poem10"> + Quant est de l'ostel de mon père,<br> + Il est en pays de Barois;<br> + Gentilhomme et de noble afaire<br> + Honneste et loyal François<a id="footnotetag25" name="footnotetag25"></a><a href="#footnote25" title="Lien vers la note 25"><span class="smaller">[25]</span></a>.</p> + +<p>Pour qu'un clerc en arrivât à écrire de telles choses, il fallait que +la famille de Jeanne fût depuis très longtemps anoblie et la première +génération noble éteinte, ce qui advint en 1469; il fallait qu'il +pullulât des du Lys, dont on ménageait les prétentions ridicules. Ces +du Lys ne se contentaient point de remonter à leur tante; ils +rattachaient le bonhomme Jacquot d'Arc à la vieille noblesse barroise.</p> + +<p>Bien que ces paroles de Jeanne sur «l'hôtel de son père» s'accordent +assez mal avec d'autres scènes du même mystère, ce long ouvrage paraît +être tout d'une venue.</p> + +<p>Il fut vraisemblablement compilé sous le règne de Louis XI par un +orléanais qui possédait assez bien son sujet. Il y aurait intérêt à +étudier ses sources plus attentivement qu'on ne l'a fait jusqu'ici. Ce +poète semble avoir connu un <i>Journal du siège</i> très différent de celui +que nous possédons.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="pageXIV" name="pageXIV"></a>(p. XIV)</span> Son mystère fut-il représenté dans les trente dernières +années du siècle, aux fêtes instituées en commémoration de la prise +des Tourelles? Le sujet, le ton, l'esprit, tout y est parfaitement +approprié. Il semble toutefois étrange qu'un poème fait pour célébrer +à la date du 8 mai la délivrance d'Orléans, place expressément cette +délivrance à la date du 9. C'est ce que fait l'auteur du <i>Mistère du +siège</i>, quand il met ces vers dans la bouche de la Pucelle:</p> + +<p class="poem10"> + ..... Ayez en souvenance...<br> + Comment Orléans eult délivrance...<br> + L'an mil iiijc xxix;<br> + Faites en mémoire tous dis;<br> + Des jours de may ce fut le neuf<a id="footnotetag26" name="footnotetag26"></a><a href="#footnote26" title="Lien vers la note 26"><span class="smaller">[26]</span></a>.</p> + +<p>Voilà les principaux chroniqueurs du parti français qui ont écrit sur +la Pucelle. Je puis me dispenser de citer les autres qui sont plus +tardifs ou qui, traitant seulement de quelques épisodes de la vie de +Jeanne, ne peuvent être examinés avec utilité qu'au moment où l'on +entre dans le détail des faits. Dès à présent, sans nous inquiéter de +ce qu'il peut y avoir à prendre dans la <i>Chronique de l'établissement +de la fête</i><a id="footnotetag27" name="footnotetag27"></a><a href="#footnote27" title="Lien vers la note 27"><span class="smaller">[27]</span></a>, dans la <i>Relation</i> du greffier de La Rochelle<a id="footnotetag28" name="footnotetag28"></a><a href="#footnote28" title="Lien vers la note 28"><span class="smaller">[28]</span></a>, et +dans quelques autres <span class="pagenum"><a id="pageXV" name="pageXV"></a>(p. XV)</span> textes contemporains, nous sommes à même +de nous apercevoir que, si nous ne savions de Jeanne d'Arc que ce +qu'ont dit d'elle les chroniqueurs français, nous la connaîtrions à +peu près comme nous connaissons Çakia Mouni.</p> + +<p>Ce ne sont pas les chroniqueurs bourguignons qui nous la peuvent +expliquer. Mais on trouve chez eux quelques renseignements utiles. De +ces chroniqueurs du parti de Bourgogne, le premier en date est le +clerc picard auteur d'une Chronique anonyme dite <i>des Cordeliers</i><a id="footnotetag29" name="footnotetag29"></a><a href="#footnote29" title="Lien vers la note 29"><span class="smaller">[29]</span></a>, +parce que l'unique manuscrit qui la renferme provient d'un couvent de +ces religieux, à Paris. C'est une cosmographie qui va de la création +du monde à l'année 1431. M. Pierre Champion<a id="footnotetag30" name="footnotetag30"></a><a href="#footnote30" title="Lien vers la note 30"><span class="smaller">[30]</span></a> a établi que +Monstrelet s'en est servi. Ce clerc picard a connu diverses choses et +vu certaines pièces diplomatiques. Mais il brouille étrangement les +faits et les dates. Ses informations sur la vie militaire de la +Pucelle sont de source française et populaire. On lui a accordé +quelque crédit pour son récit du saut de Beaurevoir qui, s'il était +exact, écarterait toute idée que Jeanne s'est jetée du haut du donjon +dans un accès de désespoir ou de <span class="pagenum"><a id="pageXVI" name="pageXVI"></a>(p. XVI)</span> folie<a id="footnotetag31" name="footnotetag31"></a><a href="#footnote31" title="Lien vers la note 31"><span class="smaller">[31]</span></a>. Toutefois, ce +récit ne peut se concilier avec les déclarations de Jeanne.</p> + +<p>Monstrelet<a id="footnotetag32" name="footnotetag32"></a><a href="#footnote32" title="Lien vers la note 32"><span class="smaller">[32]</span></a>, «plus baveux que ung pot de moutarde<a id="footnotetag33" name="footnotetag33"></a><a href="#footnote33" title="Lien vers la note 33"><span class="smaller">[33]</span></a>» est une +fontaine de sapience au regard de Jean Chartier. S'il se sert de la +<i>Chronique des Cordeliers</i>, il la redresse, et présente les faits avec +ordre. Ce qu'il savait de Jeanne se réduisait à peu de chose. Il +croyait de bonne foi qu'elle avait été servante d'auberge. Il n'a +qu'un mot sur les indécisions de la guerrière à Montépilloy, mais ce +mot, qui ne se trouve nulle part ailleurs, nous a été extrêmement +précieux. Il l'a vue au camp de Compiègne, malheureusement il n'a pas +su ou il n'a pas voulu dire quelle impression elle avait produite sur +lui.</p> + +<p>Wavrin du Forestel<a id="footnotetag34" name="footnotetag34"></a><a href="#footnote34" title="Lien vers la note 34"><span class="smaller">[34]</span></a>, qui rédigea des additions à Froissart, à +Monstrelet et à Mathieu d'Escouchy, était à Patay; il n'y vit point +Jeanne. Il ne la connaît que par ouï-dire et très mal. Nous n'avons +donc pas à tenir grand compte de ce qu'il rapporte de messire Robert +de Baudricourt, lequel, à l'en croire, endoctrina la Pucelle et lui +enseigna la manière de paraître «inspirée <span class="pagenum"><a id="pageXVII" name="pageXVII"></a>(p. XVII)</span> de la Providence +divine<a id="footnotetag35" name="footnotetag35"></a><a href="#footnote35" title="Lien vers la note 35"><span class="smaller">[35]</span></a>». Par contre, il donne des renseignements précieux sur les +faits militaires qui suivirent la délivrance d'Orléans.</p> + +<p>Le Fèvre de Saint-Remy, conseiller du duc de Bourgogne et roi d'armes +de la Toison-d'Or<a id="footnotetag36" name="footnotetag36"></a><a href="#footnote36" title="Lien vers la note 36"><span class="smaller">[36]</span></a>, était peut-être à Compiègne quand Jeanne fut +prise et il a parlé d'elle comme d'une vaillante fille.</p> + +<p>Georges Chastellain copie Le Fèvre de Saint-Remy<a id="footnotetag37" name="footnotetag37"></a><a href="#footnote37" title="Lien vers la note 37"><span class="smaller">[37]</span></a>.</p> + +<p>L'auteur du <i>Journal</i> dit <i>d'un bourgeois de Paris</i><a id="footnotetag38" name="footnotetag38"></a><a href="#footnote38" title="Lien vers la note 38"><span class="smaller">[38]</span></a>, en qui l'on +reconnaît un clerc cabochien, n'avait entendu parler de Jeanne que par +les docteurs et maîtres de l'Université de Paris. Aussi était-il fort +mal renseigné. C'est regrettable. Cet homme est unique dans son temps +pour l'énergie des passions et du langage, pour la vigueur de la +colère et de la pitié, pour son sens profondément populaire.</p> + +<p>Je dois signaler un écrit qui n'est ni français ni bourguignon, mais +italien. Je veux parler de la <i>Chronique d'Antonio Morosini</i>, publié +par M. Germain Lefèvre-Pontalis <span class="pagenum"><a id="pageXVIII" name="pageXVIII"></a>(p. XVIII)</span> avec des notes d'une +admirable érudition. Cette chronique ou pour mieux dire les courriers +qu'elle renferme, sont singulièrement précieux pour l'historien, non +parce que les actions attribuées à la Pucelle y sont vraies, mais au +contraire parce qu'elles y sont fausses, parce qu'elles sont toutes +imaginaires et fabuleuses. On ne trouve pas dans la <i>Chronique de +Morosini</i><a id="footnotetag39" name="footnotetag39"></a><a href="#footnote39" title="Lien vers la note 39"><span class="smaller">[39]</span></a> un fait, un seul fait, concernant Jeanne, qui soit +présenté dans son véritable caractère et sous un jour naturel. Et +cependant les correspondants de Morosini sont des hommes d'affaires, +des Vénitiens subtils et avisés. Il apparaît à les lire que, sur la +«demoiselle», comme ils la nomment, à la fois fameuse et inconnue, +courent par tout le monde chrétien d'innombrables fictions imitées +tantôt des romans de chevalerie, tantôt de la <i>Légende dorée</i>.</p> + +<p>Un autre texte, publié aussi par M. Germain Lefèvre-Pontalis avec +autant de conscience que de talent, le <i>Journal</i> d'un négociant +allemand, nommé Eberhard de Windecke<a id="footnotetag40" name="footnotetag40"></a><a href="#footnote40" title="Lien vers la note 40"><span class="smaller">[40]</span></a>, présente le même phénomène. +Rien de ce qui y est rapporté de la Pucelle n'est probable ni +vraisemblable. Dès qu'elle paraît, un cycle de contes populaires +<span class="pagenum"><a id="pageXIX" name="pageXIX"></a>(p. XIX)</span> se forme sur son nom; Eberhard se plaît visiblement à les +conter. Nous devons ainsi à d'honnêtes marchands étrangers de savoir +que, à aucun moment de son existence, Jeanne ne fut connue autrement +que par des fables et que, si elle remua les foules, ce fut par le +bruit des innombrables légendes qui naissaient sur ses pas et volaient +devant elle. Et il y a lieu de réfléchir sur cette éclatante obscurité +qui dès le début enveloppa la Pucelle, ces nuages radieux du mythe +qui, en la cachant, la faisaient apparaître.</p> + +<p>3<sup>o</sup> Avec ses mémoires, ses consultations et ses cent quarante +témoignages, fournis par cent vingt-trois témoins, le procès de +réhabilitation<a id="footnotetag41" name="footnotetag41"></a><a href="#footnote41" title="Lien vers la note 41"><span class="smaller">[41]</span></a> offre un riche recueil de documents. M. Lanéry +d'Arc a fort bien fait de publier intégralement les mémoires des +docteurs ainsi que le traité de l'archevêque d'Embrun, les +propositions de maître Henri de Gorcum et la <i>Sibylla Francica</i><a id="footnotetag42" name="footnotetag42"></a><a href="#footnote42" title="Lien vers la note 42"><span class="smaller">[42]</span></a>. +Le procès de 1431 nous apprend de reste ce que les théologiens du +parti de l'Angleterre pensaient de la Pucelle; sans les consultations +de Théodore de Leliis et de Paul Pontanus et les opinions insérées au +procès posthume on ignorerait l'idée que se faisaient d'elle les +docteurs d'Italie et de France; et il importe de connaître <span class="pagenum"><a id="pageXX" name="pageXX"></a>(p. XX)</span> +les sentiments de l'Église tout entière sur une fille qu'elle a +condamnée vivante, durant la puissance anglaise, et réhabilitée morte, +après les victoires des Français.</p> + +<p>Quant aux cent vingt-trois témoins qui furent entendus à Domremy, à +Vaucouleurs, à Toul, à Orléans, à Paris, à Rouen, à Lyon, gens +d'Église, princes, capitaines, bourgeois, paysans, artisans, ils +apportent sans doute des clartés sur une multitude de points. Mais, +nous sommes obligés de le reconnaître, ils ne satisfont pas, tant s'en +faut, toutes nos curiosités, et cela pour plusieurs raisons. D'abord +ils répondaient à un questionnaire dressé en vue d'établir un certain +nombre de faits dans l'ordre de la justice ecclésiastique. Le sacré +inquisiteur qui conduisait le procès était curieux; il ne l'était pas +de la même manière que nous. C'est une première raison de +l'insuffisance des témoignages à notre sens<a id="footnotetag43" name="footnotetag43"></a><a href="#footnote43" title="Lien vers la note 43"><span class="smaller">[43]</span></a>.</p> + +<p>Il y en a d'autres. Les témoins se montrent, pour la plupart, simples +à l'excès et sans discernement. Dans cette foule de gens de tout âge +et de toute condition on est attristé de trouver si peu d'esprits +judicieux et lucides. Il semble que les âmes fussent alors baignées +dans un demi-jour où rien ne paraissait distinct. La <span class="pagenum"><a id="pageXXI" name="pageXXI"></a>(p. XXI)</span> pensée +comme la langue avait d'étranges puérilités. On ne peut pénétrer un +peu avant dans cet âge obscur sans se croire parmi des enfants. Au +long d'interminables guerres, la misère et l'ignorance avaient +appauvri les esprits et réduit l'homme à une extrême maigreur morale. +Le costume des nobles et des riches, étriqué, déchiqueté, ridicule, +trahit la gracilité absurde du goût et la faiblesse de la raison<a id="footnotetag44" name="footnotetag44"></a><a href="#footnote44" title="Lien vers la note 44"><span class="smaller">[44]</span></a>. +Un des caractères les plus saisissants de ces petites intelligences, +c'est la légèreté: elles sont incapables d'attention; elles ne +retiennent rien. Il faudrait n'avoir pas lu les écrits du temps pour +n'être pas frappé de cette infirmité presque générale.</p> + +<p>Aussi tout n'est-il pas bien sérieux dans ces cent quarante +témoignages. La fille de Jacques Boucher, argentier du duc d'Orléans, +dépose en ces termes: «La nuit je couchais seule avec Jeanne. Je n'ai +jamais remarqué en elle rien de mal ni dans ses paroles ni dans ses +actes. Tout y était simplicité, humilité, chasteté<a id="footnotetag45" name="footnotetag45"></a><a href="#footnote45" title="Lien vers la note 45"><span class="smaller">[45]</span></a>.» Cette +demoiselle avait neuf ans lorsqu'elle s'aperçut, avec un discernement +précoce, que sa compagne de lit était simple, humble et chaste.</p> + +<p>Cela est sans conséquence. Mais pour montrer combien <span class="pagenum"><a id="pageXXII" name="pageXXII"></a>(p. XXII)</span> on est +déçu quelquefois par les témoins sur lesquels on devait compter le +plus, je citerai frère Pasquerel<a id="footnotetag46" name="footnotetag46"></a><a href="#footnote46" title="Lien vers la note 46"><span class="smaller">[46]</span></a>. Frère Pasquerel est le chapelain +de Jeanne. Vous vous attendez à ce qu'il parle en homme qui a vu et +qui sait. Frère Pasquerel met l'examen de Poitiers avant l'audience +que donna le roi à la Pucelle dans le château de Chinon<a id="footnotetag47" name="footnotetag47"></a><a href="#footnote47" title="Lien vers la note 47"><span class="smaller">[47]</span></a>. Oubliant +que l'armée de secours se trouvait tout entière dans Orléans depuis le +4 mai, il suppose que, dans la soirée du vendredi 6, on l'attendait +encore<a id="footnotetag48" name="footnotetag48"></a><a href="#footnote48" title="Lien vers la note 48"><span class="smaller">[48]</span></a>. On peut juger par là de l'ordre qui règne dans la tête de +ce religieux. Le pis est qu'il invente des miracles; il veut faire +croire au monde que, lors de l'arrivée du convoi de vivres sous +Orléans, survint, par l'intervention de la Pucelle, pour renflouer les +chalands, une crue soudaine de la Loire, que personne n'a remarquée, +excepté lui<a id="footnotetag49" name="footnotetag49"></a><a href="#footnote49" title="Lien vers la note 49"><span class="smaller">[49]</span></a>.</p> + +<p>La déposition de Dunois<a id="footnotetag50" name="footnotetag50"></a><a href="#footnote50" title="Lien vers la note 50"><span class="smaller">[50]</span></a> cause aussi quelque déception. On sait que +Dunois était un des hommes les plus <span class="pagenum"><a id="pageXXIII" name="pageXXIII"></a>(p. XXIII)</span> intelligents et les +plus avisés de son temps et qu'il passait pour beau parleur. Il avait +défendu, non sans habileté, la ville d'Orléans et fait toute la +campagne du sacre. Il faut que sa déposition ait été bien maltraitée +par le traducteur et par les scribes. Sans cela on serait obligé de +croire que le prudent seigneur la fit faire par son chapelain. Il y +parle du «grand nombre des ennemis» en des termes plus convenables à +un chanoine de la cathédrale ou à un marchand drapier, qu'au capitaine +chargé d'assurer la défense et tenu de connaître les forces réelles +des assiégeants. Tout ce qui, dans cette pièce, a trait au transport +des vivres, le 28 avril, est à peu près inintelligible. Et Dunois n'a +pas pu dire que la première étape de l'armée de Gien avait été Troyes. +Rapportant un propos que lui tint la Pucelle après le sacre, il la +fait parler comme si ses frères l'attendaient à Domremy, tandis qu'ils +chevauchaient près d'elle en France. Par une étrange maladresse, pour +prouver que Jeanne avait des visions, il conte une historiette qui, +tout au contraire, laisserait croire que cette jeune paysanne était +une simulatrice habile et donnait, à la demande des seigneurs, le +spectacle de l'extase, comme l'Esther du regretté docteur Luys<a id="footnotetag51" name="footnotetag51"></a><a href="#footnote51" title="Lien vers la note 51"><span class="smaller">[51]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="pageXXIV" name="pageXXIV"></a>(p. XXIV)</span> J'ai dit, dans cet ouvrage, à propos du procès de +réhabilitation, ce qu'il faut penser des dépositions des greffiers, de +l'huissier Massieu, du frère Isambard de la Pierre, du frère Martin +Ladvenu<a id="footnotetag52" name="footnotetag52"></a><a href="#footnote52" title="Lien vers la note 52"><span class="smaller">[52]</span></a> et de tous ces brûleurs de sorcières et vengeurs de Dieu, +qui travaillèrent à la réhabilitation d'aussi bon cœur qu'ils +avaient travaillé à la condamnation.</p> + +<p>Dans bien des cas, au sujet d'événements considérables, les témoins +parlent tout à fait à l'encontre de la réalité. Un marchand drapier +d'Orléans, nommé Jean Luillier, vient devant les commissaires, hardi +comme l'archer de Bagnolet, et déclare que les habitants ni la +garnison ne pouvaient résister contre les ennemis assemblés en si +grand nombre<a id="footnotetag53" name="footnotetag53"></a><a href="#footnote53" title="Lien vers la note 53"><span class="smaller">[53]</span></a>. Or, sur ce point important il est démenti par les +documents les plus sûrs, qui établissent que les Anglais étaient au +contraire bien faibles et bien dénués autour d'Orléans<a id="footnotetag54" name="footnotetag54"></a><a href="#footnote54" title="Lien vers la note 54"><span class="smaller">[54]</span></a>.</p> + +<p>Si les témoignages du second procès sentent souvent l'artifice et +l'apprêt, s'ils sont parfois hors de toute vérité, ce n'est pas +seulement le tort de ceux qui les portèrent; c'est aussi le tort de +ceux qui les reçurent. Ceux-ci les avaient sollicités avec trop d'art. +Ces témoignages <span class="pagenum"><a id="pageXXV" name="pageXXV"></a>(p. XXV)</span> valent ce que valent les témoignages dans un +procès d'inquisition. Ils représentent en certains endroits la pensée +des juges autant, peut-être, que celle des témoins.</p> + +<p>Ce que, en l'espèce, les juges s'efforçaient surtout d'établir, +c'était que Jeanne n'avait rien compris quand on lui avait parlé de +l'Église et du pape, et qu'elle avait refusé d'obéir à l'Église +militante parce qu'elle croyait que l'Église militante c'était messire +Cauchon et ses assesseurs. Enfin il fallait la montrer à peu près +idiote. C'était là un très utile expédient de procédure +ecclésiastique. Et il y avait encore une autre raison, une raison très +forte, de la faire passer pour une fille dénuée d'intelligence, une +innocente. Ce second procès, comme le premier, répondait à des +intentions politiques; il avait pour objet de faire connaître que +Jeanne était venue au secours du roi de France, non par suggestion +diabolique, mais par inspiration céleste. En conséquence, on s'efforça +de montrer qu'elle n'avait pas d'esprit, pour que l'Esprit Saint fût +plus manifeste en elle. Les interrogateurs s'y appliquèrent +constamment. Ils surent amener les témoins à dire à tout propos +qu'elle était simple, très simple. <i>Una simplex bergereta</i><a id="footnotetag55" name="footnotetag55"></a><a href="#footnote55" title="Lien vers la note 55"><span class="smaller">[55]</span></a>, dit +l'un. <i>Erat multum simplex et ignorans</i><a id="footnotetag56" name="footnotetag56"></a><a href="#footnote56" title="Lien vers la note 56"><span class="smaller">[56]</span></a>, dit l'autre.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="pageXXVI" name="pageXXVI"></a>(p. XXVI)</span> Et puisque cette innocente était envoyée de Dieu pour +délivrer ou prendre des villes, pour conduire des gens d'armes, il +fallait qu'ignorante du reste, elle eût la science infuse de la guerre +et montrât dans les batailles la force et le conseil qu'elle tenait +d'En Haut. On dut donc obtenir des dépositions établissant qu'elle +était plus habile à guerroyer qu'aucun homme au monde.</p> + +<p>Demoiselle Marguerite la Touroulde l'affirme<a id="footnotetag54a" name="footnotetag54a"></a><a href="#footnote54a" title="Lien vers la note 54a"><span class="smaller">[54a]</span></a>. Le duc d'Alençon +déclare que la Pucelle était très experte tant à manier la lance qu'à +former une armée, à ordonner une bataille et à préparer l'artillerie, +et qu'elle étonnait les vieux capitaines par son art à mettre les +canons en place<a id="footnotetag54b" name="footnotetag54b"></a><a href="#footnote54b" title="Lien vers la note 54b"><span class="smaller">[54b]</span></a>. Ce seigneur entend bien que c'était par miracle +et qu'il en faut rendre grâce à Dieu seul. Car, s'il eût fallu +rapporter le mérite des victoires à Jeanne elle-même, il n'en eût pas +tant dit.</p> + +<p>Et, puisque le Seigneur avait choisi la Pucelle pour accomplir un si +grand ouvrage, c'était donc qu'il avait reconnu en elle la vertu qu'il +préfère en ses vierges. Dès lors il ne suffisait pas qu'elle eût été +chaste; il était nécessaire qu'elle l'eût été miraculeusement; il +était nécessaire qu'elle eût poussé la chasteté et la <span class="pagenum"><a id="pageXXVII" name="pageXXVII"></a>(p. XXVII)</span> +sobriété dans le boire et le manger jusqu'à la sainteté. Aussi les +témoins viennent-ils publier à l'envi: <i>Erat casta, erat castissima. +Ille loquens non credit aliquam mulierem plus esse castam quam ista +Puella erat. Erat sobria in potu et cibo. Erat sobria in cibo et +potu</i><a id="footnotetag54c" name="footnotetag54c"></a><a href="#footnote54c" title="Lien vers la note 54c"><span class="smaller">[54c]</span></a>.</p> + +<p>Il fallait enfin qu'une telle pureté manifestât par des privilèges +singuliers sa céleste origine. À cette nécessité répondent de nombreux +témoignages. De rudes hommes d'armes, Jean de Novelompont, Bertrand de +Poulengy, Jean d'Aulon, de hauts seigneurs, le comte de Dunois et le +duc d'Alençon, viennent affirmer, sur la foi du serment, que Jeanne ne +leur inspirait pas de désirs charnels. Ces vieux capitaines s'en +étonnent; ils vantent leur vigueur passée et s'émerveillent que leurs +jeunes ardeurs aient été une fois endormies par une pucelle. Cela ne +leur semble pas naturel, cela ne leur paraît pas humainement possible. +À les entendre décrire les effets que Jeanne produisait sur eux, on +croit voir sainte Marthe enchaînant la Tarasque. Dunois, très occupé +dans sa déposition de noter les miracles, ne manque pas de signaler +celui-là comme un des plus propres à confondre la raison. S'il n'a ni +convoité ni sollicité cette jeune fille, il ne voit qu'une explication +à ce fait unique, c'est que Jeanne était sacrée, <i>res <span class="pagenum"><a id="pageXXVIII" name="pageXXVIII"></a>(p. XXVIII)</span> +divina</i>. Pour exprimer leur soudaine continence, Jean de Novelompont +et Bertrand de Poulengy emploient l'un et l'autre identiquement les +mêmes formes de langage, affectées et contournées. Et voici qu'un +écuyer de l'écurie du roi, Gobert Thibaut, vient déclarer qu'on +parlait beaucoup dans l'armée de cette grâce divine spécialement +dévolue aux Armagnacs<a id="footnotetag57" name="footnotetag57"></a><a href="#footnote57" title="Lien vers la note 57"><span class="smaller">[57]</span></a> et refusée aux Anglais et aux Bourguignons, +si l'on en juge par les entreprises amoureuses d'un gentilhomme de +Picardie et de Jeannotin, tailleur à Rouen<a id="footnotetag58" name="footnotetag58"></a><a href="#footnote58" title="Lien vers la note 58"><span class="smaller">[58]</span></a>.</p> + +<p>Tout cela, comme on voit, répond à la pensée des juges, et ce sont, si +je puis dire, des vérités théologiques, plutôt que des vérités +naturelles.</p> + +<p>Les dépositions, qui, comme celles de Jean de Novelompont et de +Bertrand de Poulengy, contiennent des passages rédigés en termes +identiques, abondent d'ordinaire dans les enquêtes inquisitoriales. +Elles sont rares, je dois le dire, dans le procès de réhabilitation, +peut-être parce que les témoins ont été entendus à de longs +intervalles de temps, dans diverses contrées, et sans doute aussi +parce que la cause de la Pucelle n'exigeait pas de grands efforts de +procédure, la partie adverse ayant fait défaut.</p> + +<p>Il est fâcheux que toutes les dépositions recueillies dans cette +enquête, hors celle de Jean d'Aulon, aient <span class="pagenum"><a id="pageXXIX" name="pageXXIX"></a>(p. XXIX)</span> été traduites en +latin; elles y ont perdu l'accent original et les nuances fines de la +pensée.</p> + +<p>Parfois le greffier se contente de dire que le témoin dépose comme le +précédent. C'est ainsi que tous les bourgeois déposent sur la +délivrance de la ville d'Orléans, comme le marchand drapier qui, +précisément, n'était pas très au fait des circonstances dans +lesquelles sa ville avait été délivrée. C'est ainsi encore que le sire +de Gaucourt, après une brève déclaration, dépose comme Dunois, qui +pourtant avait dit des choses bien particulières pour être ainsi +communes à deux témoins<a id="footnotetag59" name="footnotetag59"></a><a href="#footnote59" title="Lien vers la note 59"><span class="smaller">[59]</span></a>.</p> + +<p>Certains témoignages, à ce qu'il semble, ont été tronqués. Celui de +frère Pasquerel s'arrête court à Paris, et l'on croirait que le bon +frère a quitté la Pucelle immédiatement après l'attaque de la Porte +Saint-Honoré, si l'on n'avait pas sa signature au bas de la lettre +latine aux Hussites. Ce n'est pas par hasard assurément, que, dans une +si longue suite de questions et de réponses, il n'est pas dit un mot +du départ de Sully ni de la campagne qui commença à Lagny et finit à +Compiègne<a id="footnotetag60" name="footnotetag60"></a><a href="#footnote60" title="Lien vers la note 60"><span class="smaller">[60]</span></a>.</p> + +<p>On voit que cette abondante enquête doit être consultée avec prudence, +et qu'il ne faut pas s'attendre à <span class="pagenum"><a id="pageXXX" name="pageXXX"></a>(p. XXX)</span> y trouver des +éclaircissements sur toutes les circonstances de la vie de Jeanne.</p> + +<p>4<sup>o</sup> Les livres de comptes, lettres, actes et autres pièces +authentiques de l'époque donnent seuls sur bien des points quelque +précision à l'histoire de la Pucelle. C'est par les pièces d'archives +que publia Siméon Luce et par le bail du château de l'Île que nous +savons dans quelles circonstances Jeanne a grandi<a id="footnotetag61" name="footnotetag61"></a><a href="#footnote61" title="Lien vers la note 61"><span class="smaller">[61]</span></a>. Ni les deux +procès, ni les chroniques ne nous avaient révélé la situation horrible +où se trouvait le village de Domremy de 1412 à 1425.</p> + +<p>C'est par les comptes de forteresse tenus à Orléans<a id="footnotetag62" name="footnotetag62"></a><a href="#footnote62" title="Lien vers la note 62"><span class="smaller">[62]</span></a> et par les +endentures de l'administration anglaise<a id="footnotetag63" name="footnotetag63"></a><a href="#footnote63" title="Lien vers la note 63"><span class="smaller">[63]</span></a> que <span class="pagenum"><a id="pageXXXI" name="pageXXXI"></a>(p. XXXI)</span> nous +pouvons estimer approximativement les forces respectives des +défenseurs et des assiégeants et rectifier à cet égard les assertions +des chroniqueurs et des témoins de la réhabilitation.</p> + +<p>C'est par les lettres qu'au <span class="smcap">XVII</span><sup>e</sup> siècle copia Rogier dans les +archives de Reims que nous pouvons savoir comment Troyes, Châlons et +Reims se rendirent au roi et nous apercevoir que Jean Chartier ne +rapporte pas exactement, tant s'en faut, la capitulation de Troyes et +que Dunois est, à cet égard, pour un témoin tel que lui, d'une +insuffisance étrange<a id="footnotetag64" name="footnotetag64"></a><a href="#footnote64" title="Lien vers la note 64"><span class="smaller">[64]</span></a>.</p> + +<p>C'est à la faveur de quatre ou cinq documents d'archives que nous +discernons, çà et là, quelques vagues lueurs dans l'obscurité profonde +qui recouvre la malheureuse campagne de l'Aisne et de l'Oise.</p> + +<p>C'est par les registres capitulaires de Rouen, les testaments des +chanoines et diverses autres pièces, que M. Robillard de Beaurepaire +sut trouver dans les archives de la Seine-Inférieure, qu'on peut +rectifier plusieurs erreurs des deux procès<a id="footnotetag65" name="footnotetag65"></a><a href="#footnote65" title="Lien vers la note 65"><span class="smaller">[65]</span></a>.</p> + +<p>Que d'autres pièces volantes je pourrais encore noter <span class="pagenum"><a id="pageXXXII" name="pageXXXII"></a>(p. XXXII)</span> +comme précieuses à l'historien! Raison de plus pour se défier des +pièces fausses ou falsifiées, comme, par exemple, les lettres +d'anoblissement de Guy de Cailly<a id="footnotetag66" name="footnotetag66"></a><a href="#footnote66" title="Lien vers la note 66"><span class="smaller">[66]</span></a>.</p> + +<p>Si rapide qu'ait été cet examen des sources, je crois avoir dit +l'essentiel. En résumé, la Pucelle, de son vivant même, ne fut guère +connue que par des fables. Ses plus anciens chroniqueurs, bien +incapables de faire œuvre de critiques, rapportèrent comme des +réalités les légendes de la première heure.</p> + +<p>C'est dans le procès de Rouen et dans quelques pièces de comptabilité, +quelques lettres missives, quelques actes privés ou publics, que nous +trouverons le plus de vérité. Le procès de réhabilitation sera aussi +d'un grand secours pour l'histoire, à la condition qu'on n'oublie +jamais comment et pourquoi ce procès fut fait.</p> + +<p>Au moyen de ces documents on peut se représenter, en somme, assez +précisément Jeanne d'Arc dans son caractère et dans sa vie.</p> + +<p>Ce qui ressort surtout des textes, c'est qu'elle fut une sainte. Elle +fut une sainte avec tous les attributs de la sainteté au <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> +siècle. Elle eut des visions, et ces visions ne furent ni feintes ni +contrefaites; elle crut réellement entendre des voix qui lui parlaient +et qui <span class="pagenum"><a id="pageXXXIII" name="pageXXXIII"></a>(p. XXXIII)</span> ne sortaient pas d'une bouche humaine. Ces voix +l'entretenaient le plus souvent d'une façon distincte et intelligible +pour elle. C'était dans les bois qu'elle les entendait le mieux, ou +quand sonnaient les cloches. Elle voyait des figures en manière, +a-t-elle dit, de choses multiples et minimes, comme des étincelles +perçues dans un éblouissement. Sans nul doute, elle avait aussi des +visions d'une autre nature, puisque nous tenons d'elle qu'elle voyait +saint Michel sous les apparences d'un prud'homme, c'est-à-dire d'un +bon chevalier, sainte Catherine et sainte Marguerite, le front ceint +d'une couronne. Elle les voyait qui lui faisaient la révérence; elle +les embrassait par les jambes et sentait leur bonne odeur.</p> + +<p>Qu'est-ce à dire sinon qu'elle avait des hallucinations de l'ouïe, de +la vue, du toucher et de l'odorat? Chez elle, de tous les sens, le +plus affecté c'est l'ouïe: elle dit que ses voix lui apparaissent; +elle les nomme parfois aussi son conseil; elle les entend très bien à +moins qu'on ne fasse du bruit autour d'elle. Le plus souvent elle leur +obéit; quelquefois elle leur résiste. Il est douteux que ses visions +fussent aussi distinctes. Soit qu'elle ne le voulût pas, soit qu'elle +ne le pût pas, elle n'en donna jamais aux juges de Rouen une +description bien nette ni bien précise. Ce qu'elle sut peindre le +mieux ce furent encore les anges porte-couronne <span class="pagenum"><a id="pageXXXIV" name="pageXXXIV"></a>(p. XXXIV)</span> qu'elle +avoua ensuite n'avoir jamais vus que dans son imagination.</p> + +<p>À quel âge ces troubles lui vinrent-ils? On ne peut pas le dire avec +précision. Mais ce fut très probablement au sortir de l'enfance, et +nous sommes avertis par le témoignage de Jean d'Aulon, que Jeanne ne +sortit jamais tout à fait de l'enfance<a id="footnotetag67" name="footnotetag67"></a><a href="#footnote67" title="Lien vers la note 67"><span class="smaller">[67]</span></a>.</p> + +<p>Bien que, le plus souvent, il soit hasardeux de tirer d'une donnée +historique les éléments d'une étude clinique, plusieurs savants ont +tenté de définir l'état pathologique qui rendait cette jeune fille +apte à subir de fausses perceptions de l'ouïe et de la vue<a id="footnotetag68" name="footnotetag68"></a><a href="#footnote68" title="Lien vers la note 68"><span class="smaller">[68]</span></a>. Comme +la psychiatrie a fait en ces dernières années de rapides progrès, je +me suis adressé à un savant éminent qui connaît l'état actuel de cette +science, à laquelle il a apporté lui-même d'importantes contributions. +J'ai demandé au docteur Georges Dumas, professeur à la Sorbonne, si la +science dispose d'éléments suffisants pour établir rétrospectivement +le diagnostic de Jeanne. Il m'a envoyé en réponse une lettre qu'on +lira dans l'appendice I de cet ouvrage<a id="footnotetag69" name="footnotetag69"></a><a href="#footnote69" title="Lien vers la note 69"><span class="smaller">[69]</span></a>.</p> + +<p>Je n'ai pas qualité pour aborder ce sujet. Du moins <span class="pagenum"><a id="pageXXXV" name="pageXXXV"></a>(p. XXXV)</span> +puis-je, sans sortir de ma compétence, présenter, relativement aux +hallucinations de Jeanne d'Arc, une observation qui m'a été suggérée +par l'étude des textes. Cette observation est d'une conséquence +infinie; je la contiendrai rigoureusement dans les limites que me +tracent la nature et l'objet de cet ouvrage.</p> + +<p>Les visionnaires qui se croient investis d'une mission divine se +distinguent des autres illuminés par des caractères singuliers. Si +l'on étudie les mystiques de ce genre, si on les rapproche les uns des +autres, on s'apercevra qu'ils présentent entre eux des traits de +ressemblance qu'on peut suivre jusque dans des détails très menus, +qu'ils se répètent tous dans certaines de leurs paroles et dans +certains de leurs actes, et peut-être, en reconnaissant le +déterminisme étroit auquel sont soumis les mouvements de ces +hallucinés, éprouve-t-on quelque surprise à voir la machine humaine +fonctionner, sous l'action d'un même agent mystérieux, avec cette +uniformité fatale. Jeanne appartient à ce groupe religieux, et il est +intéressant de la comparer à cet égard à sainte Catherine de +Sienne<a id="footnotetag70" name="footnotetag70"></a><a href="#footnote70" title="Lien vers la note 70"><span class="smaller">[70]</span></a>, à sainte Colette de Corbie<a id="footnotetag71" name="footnotetag71"></a><a href="#footnote71" title="Lien vers la note 71"><span class="smaller">[71]</span></a>, à Yves Nicolazic, le +paysan de Kernanna<a id="footnotetag72" name="footnotetag72"></a><a href="#footnote72" title="Lien vers la note 72"><span class="smaller">[72]</span></a>, à Suzette Labrousse, l'inspirée de l'Église +<span class="pagenum"><a id="pageXXXVI" name="pageXXXVI"></a>(p. XXXVI)</span> constitutionnelle<a id="footnotetag73" name="footnotetag73"></a><a href="#footnote73" title="Lien vers la note 73"><span class="smaller">[73]</span></a> et à tant d'autres voyants et +voyantes de cet ordre qui ont entre eux un air de famille. Trois +visionnaires surtout sont étroitement apparentés avec Jeanne. Le +premier en date est un vavasseur de Champagne, qui avait mission de +parler au roi Jean. J'ai suffisamment fait connaître ce saint homme +dans le présent ouvrage. Le second est un maréchal ferrant de Salon, +qui avait mission de parler à Louis XIV; le troisième, un paysan de +Gallardon, nommé Martin, qui avait mission de parler à Louis XVIII. On +trouvera en appendice, des notices sur ce maréchal et sur ce +laboureur, qui tous deux eurent des apparitions et montrèrent un signe +au roi<a id="footnotetag74" name="footnotetag74"></a><a href="#footnote74" title="Lien vers la note 74"><span class="smaller">[74]</span></a>. Les ressemblances que ces trois hommes, malgré la +contrariété des sexes, présentent avec Jeanne d'Arc sont intimes et +profondes, elles tiennent à leur nature même; et les différences, qui +semblent au premier aspect séparer si largement Jeanne de ces +visionnaires, sont d'ordre esthétique, <span class="pagenum"><a id="pageXXXVII" name="pageXXXVII"></a>(p. XXXVII)</span> social, +historique, par conséquent extérieures et contingentes. Sans doute il +y a d'eux à elle contraste d'apparence et de fortune; ils présentent +autant de disgrâce qu'elle exerce de charme et c'est un fait qu'ils +échouèrent misérablement tandis qu'elle grandit en force et fleurit en +légende. Mais c'est le propre de l'esprit scientifique de reconnaître +dans le plus bel individu et dans le plus misérable avorton d'une même +espèce des caractères communs, attestant l'identité d'origine.</p> + +<p>De notre temps, les libres penseurs, empreints pour la plupart de +spiritualisme, se refusent à reconnaître en Jeanne non seulement cet +automatisme qui détermine les actes d'une voyante comme elle, non +seulement les influences d'une hallucination perpétuelle, mais +jusqu'aux suggestions de l'esprit religieux. Ce qu'elle faisait par +sainteté et dévotion, ils veulent qu'elle l'ait fait par enthousiasme +raisonné. De telles dispositions se remarquent chez l'honnête et +savant Quicherat qui met, à son insu, beaucoup de philosophie +éclectique dans la piété de la Pucelle. Cette façon de voir ne fut pas +sans inconvénients. Elle amena les historiens de libre pensée à +exagérer jusqu'à l'absurde les facultés intellectuelles de cette +enfant, à lui attribuer ridiculement des talents militaires et à +substituer à la naïve merveille du <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> siècle un phénomène +polytechnique. Les historiens catholiques de notre temps sont plus +dans la nature et <span class="pagenum"><a id="pageXXXVIII" name="pageXXXVIII"></a>(p. XXXVIII)</span> dans la vérité quand ils font de la +Pucelle une sainte. Par malheur, l'idée de la sainteté s'est beaucoup +affadie dans l'Église depuis le concile de Trente, et les historiens +orthodoxes sont peu disposés à rechercher les variations de l'Église +catholique à travers les âges. Aussi nous la rendent-ils béate et +moderne. Si bien que, pour trouver la plus étrangement travestie de +toutes les Jeanne d'Arc, on hésiterait entre leur miraculeuse +protectrice de la France chrétienne, patronne des officiers et des +sous-officiers, modèle inimitable des élèves de Saint-Cyr, et la +druidesse romantique, la garde nationale inspirée, la canonnière +patriote des républicains, s'il ne s'était trouvé un Père jésuite pour +faire une Jeanne d'Arc ultramontaine<a id="footnotetag75" name="footnotetag75"></a><a href="#footnote75" title="Lien vers la note 75"><span class="smaller">[75]</span></a>.</p> + +<p>Je n'ai pas soulevé de doutes sur la sincérité de <span class="pagenum"><a id="pageXXXIX" name="pageXXXIX"></a>(p. XXXIX)</span> Jeanne. +On ne peut la soupçonner de mensonge: elle crut fermement recevoir sa +mission de ses voix. Il est plus difficile de savoir si elle ne fut +pas dirigée à son insu. Ce que nous connaissons d'elle avant son +arrivée à Chinon se réduit à très peu de chose. On est porté à croire +qu'elle avait subi certaines influences; c'est le cas de toutes les +visionnaires: un directeur, qu'on ne voit pas, les mène. Il en dut +être ainsi de Jeanne. On l'entendit qui disait, à Vaucouleurs, que le +dauphin avait le royaume en <i>commende</i><a id="footnotetag76" name="footnotetag76"></a><a href="#footnote76" title="Lien vers la note 76"><span class="smaller">[76]</span></a>. Ce n'était pas les gens de +son village qui lui avaient appris ce terme. Elle récitait une +prophétie qu'elle n'avait pas inventée et qui, visiblement, avait été +fabriquée pour elle.</p> + +<p>Elle dut fréquenter des prêtres fidèles à la cause du dauphin Charles +et qui surtout souhaitaient la fin de la guerre. Les abbayes étaient +incendiées, les églises pillées, le service divin aboli<a id="footnotetag77" name="footnotetag77"></a><a href="#footnote77" title="Lien vers la note 77"><span class="smaller">[77]</span></a>. Ces +pieuses gens qui soupiraient après la paix, voyant que le traité de +Troyes ne l'avait pu donner, l'attendaient seulement de l'expulsion +des Anglais. Et ce qu'il y eut de rare, d'extraordinaire et comme +d'ecclésiastique et de religieux en cette jeune paysanne, ce n'est pas +qu'elle se <span class="pagenum"><a id="pageXL" name="pageXL"></a>(p. XL)</span> crût appelée à chevaucher et à guerroyer, c'est +que dans «sa grande pitié», elle annonçât la fin prochaine de la +guerre, par la victoire et le sacre du roi, alors que les seigneurs +des deux pays et les gens d'armes des deux partis n'avaient ni soupçon +ni désir que la guerre finît jamais.</p> + +<p>La mission dont elle se croyait chargée par l'ange et à laquelle elle +consacrait sa vie, était extraordinaire, sans doute, étonnante, +inouïe; mais non toutefois au-dessus de ce que des saints et des +saintes avaient déjà tenté dans l'ordre des affaires humaines. Jeanne +d'Arc fleurit au déclin des grands âges catholiques, alors que la +sainteté, qui s'accompagnait volontiers de toutes sortes de +bizarreries, d'illusions et de folies, était encore souverainement +puissante sur les âmes. Et de quels miracles n était-elle pas capable +quand elle agissait par la force du cœur et par les grâces de +l'esprit? Du <span class="smcap">XIII</span><sup>e</sup> au <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> siècle, les serviteurs de Dieu +accomplissent des travaux merveilleux. Saint Dominique, pris d'une +fureur sacrée, extermine l'hérésie par le fer et le feu; saint +François d'Assise institue, pour un jour, la pauvreté sur le monde; +saint Antoine de Padoue défend les artisans et les marchands contre +l'avarice et la cruauté des seigneurs et des évêques; sainte Catherine +ramène le Pape à Rome. Était-il donc impossible à une sainte fille, +avec l'aide de Dieu, de <span class="pagenum"><a id="pageXLI" name="pageXLI"></a>(p. XLI)</span> rétablir dans le malheureux royaume +de France le pouvoir royal institué par Notre-Seigneur lui-même et de +faire sacrer le nouveau Joas échappé à la mort pour le salut du peuple +saint?</p> + +<p>C'est ainsi que les Français pieux, en 1428, concevaient la mission de +la Pucelle. Elle se donnait pour une dévote fille, inspirée de Dieu. +Il n'y avait rien d'incroyable à cela. En annonçant qu'elle avait +révélations de monseigneur saint Michel sur le fait de la guerre, elle +inspirait aux gens d'armes armagnacs et aux bourgeois d'Orléans autant +de confiance que pouvait en communiquer aux mobiles de la Loire, dans +l'hiver de 1871, un ingénieur républicain, inventeur d'une poudre sans +fumée ou d'un canon perfectionné. Ce qu'on attendait de la science en +1871 on l'attendait de la religion en 1428, de sorte que le Bâtard +d'Orléans put songer à employer Jeanne aussi naturellement que +Gambetta pensa à recourir aux connaissances techniques de M. de +Freycinet.</p> + +<p>Ce qu'on ne remarque pas assez, c'est que le parti français la mit en +œuvre très adroitement. Les clercs de Poitiers, tout en l'examinant +avec lenteur sur ses mœurs et sa foi, la faisaient valoir. Ces +clercs de Poitiers n'étaient pas des religieux étrangers au monde, +c'était le Parlement du roi légitime, c'étaient les exilés de +l'Université, des hommes très engagés dans les <span class="pagenum"><a id="pageXLII" name="pageXLII"></a>(p. XLII)</span> affaires du +royaume, très compromis dans les révolutions, dépouillés et ruinés, et +fort impatients de rentrer dans leurs biens; et le plus habile homme +du Conseil, l'archevêque duc de Reims, chancelier du royaume, les +dirigeait. Par la durée et la solennité de leurs interrogatoires, ils +attiraient sur Jeanne la curiosité, l'intérêt, l'espoir des âmes +émerveillées<a id="footnotetag78" name="footnotetag78"></a><a href="#footnote78" title="Lien vers la note 78"><span class="smaller">[78]</span></a>.</p> + +<p>La ville d'Orléans avait, pour se défendre, des murs, des fossés, des +canons, des gens d'armes et de l'argent. Les Anglais n'avaient pu ni +l'enlever d'assaut ni l'investir. Entre leurs bastilles passaient des +convois, des compagnies. On fit entrer Jeanne dans la ville avec une +belle armée de secours. Elle amenait des troupeaux de bœufs, de +moutons et de porcs. Les habitants crurent recevoir un ange du +Seigneur. Cependant les assiégeants étaient épuisés d'hommes et +d'argent. Ils avaient perdu tous leurs chevaux. Loin de pouvoir tenter +désormais une nouvelle attaque, ils n'avaient pas la force de tenir +longtemps dans leurs bastilles. À la fin d'avril, il y avait quatre +mille Anglais devant Orléans, et peut-être moins, car il s'en partait, +comme on disait, tous les jours; et les déserteurs allaient par +troupes <span class="pagenum"><a id="pageXLIII" name="pageXLIII"></a>(p. XLIII)</span> piller les villages. Dans le même temps, la ville +était défendue par six mille gens d'armes et gens de trait et plus de +trois mille hommes des milices bourgeoises. À Saint-Loup, il y eut +quinze cents Français contre quatre cents Anglais; aux Tourelles, cinq +mille Français contre quatre ou cinq cents Anglais. En se retirant, +les Godons abandonnaient à leur sort les petites garnisons de Jargeau, +de Meung et de Beaugency. On peut juger de l'état de l'armée anglaise +par la bataille de Patay, qui ne fut point une bataille, mais un +massacre, et où Jeanne n'arriva que pour gémir sur la cruauté des +vainqueurs. Néanmoins, les lettres du roi aux bonnes villes lui +attribuèrent une part de la victoire. C'était donc que le Conseil +royal faisait étendard de sa sainte Pucelle.</p> + +<p>Au fond, que pensaient d'elle ceux qui l'employaient, les Regnault de +Chartres, les Robert Le Maçon, les Gérard Machet? Sans doute, ils +n'étaient pas en état de discerner l'origine des illusions dont elle +était enveloppée. Et, bien qu'il se trouvât alors des athées parmi les +gens d'Église, l'apparition de saint Michel archange n'était pas pour +étonner la plupart d'entre eux. Rien alors ne paraissait plus naturel +qu'un miracle. Mais de près les miracles ne se voient pas. Ils avaient +cette jeune fille sous les yeux; ils s'apercevaient que, pour sainte +et bonne qu'elle fût, elle n'exerçait point un pouvoir surhumain.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="pageXLIV" name="pageXLIV"></a>(p. XLIV)</span> Tandis que les gens d'armes et tout le commun peuple +l'accueillaient comme la Pucelle de Dieu et l'ange envoyé du ciel pour +le salut du royaume, ces bons seigneurs ne songeaient qu'à profiter +des sentiments de confiance qu'elle inspirait et qu'ils ne +partageaient guère. La voyant ignorante au possible et la jugeant, +sans doute, moins intelligente qu'elle n'était, ils entendaient la +conduire à leur idée. Ils durent bientôt s'apercevoir que ce n'était +pas toujours facile. Elle était une sainte; les saintes sont +intraitables. Quels furent au vrai les rapports du Conseil royal avec +la Pucelle? Nous l'ignorons et c'est un secret qui ne sera jamais +pénétré. Les juges de Rouen croyaient savoir qu'elle recevait des +lettres de saint Michel<a id="footnotetag79" name="footnotetag79"></a><a href="#footnote79" title="Lien vers la note 79"><span class="smaller">[79]</span></a>. Il est possible qu'on ait abusé +quelquefois de sa simplicité. Nous avons des raisons de croire que la +marche sur Reims ne lui fut pas suggérée en France; mais il est +certain que le chancelier du royaume, messire Regnault de Chartres, +archevêque de Reims, avait grande envie d'être rétabli sur le siège du +bienheureux Remi et de jouir de ses bénéfices.</p> + +<p>Dans le fait, cette campagne du sacre ne fut qu'une suite de +négociations appuyées par des lances. On voulut montrer aux bonnes +villes un roi saint et pacifique. <span class="pagenum"><a id="pageXLV" name="pageXLV"></a>(p. XLV)</span> Si l'on avait eu envie de +se battre, on serait allé sur Paris ou en Normandie.</p> + +<p>Cinq ou six témoins, capitaines, magistrats, ecclésiastiques et une +honnête veuve déposèrent à l'enquête de 1456 que Jeanne était entendue +au fait de guerre. Ils s'accordèrent à dire qu'elle montait à cheval +et maniait la lance mieux que personne. Un maître des requêtes révéla +qu'elle émerveillait l'armée par la longueur du temps qu'elle pouvait +rester en selle. Ce sont là des mérites qu'on ne saurait lui refuser +et l'on ne contestera pas non plus cette diligence, cette ardeur, que +Dunois vante en elle à l'occasion d'une démonstration faite, la nuit, +devant Troyes. Quant à l'opinion, que cette jeune fille était très +habile à rassembler et à conduire une armée et s'entendait surtout à +diriger l'artillerie, elle est plus difficile à partager et il en +faudrait un autre garant que ce pauvre duc d'Alençon qui ne passa +jamais pour un homme raisonnable<a id="footnotetag80" name="footnotetag80"></a><a href="#footnote80" title="Lien vers la note 80"><span class="smaller">[80]</span></a>. Ce que nous venons de dire du +procès de réhabilitation fait suffisamment comprendre ces étranges +appréciations. Il était entendu que Jeanne recevait de Dieu ses +inspirations militaires. On ne craignait plus dès lors de les admirer +trop et on les vantait un peu à tort et à travers.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="pageXLVI" name="pageXLVI"></a>(p. XLVI)</span> Le duc d'Alençon fut après tout bien modéré en faisant de la +Pucelle un artilleur distingué. Dès l'année 1429 un humaniste du parti +de Charles VII disait dans la langue de Cicéron qu'elle égalait et +surpassait, pour la gloire des armes, Hector, Alexandre, Hannibal et +César. «<i>Non Hectore reminiscat et gaudeat Troja, exultet Graecia +Alexandro, Annibale Africa, Italia Caesare et Romanis ducibus omnibus +glorietur, Gallia etsi ex pristinis multos habeat, hac tamen una +Puella contenta, audebit se gloriari et laude bellica caeteris +nationibus se comparare, verum quoque, si expediet, se +anteponere</i><a id="footnotetag81" name="footnotetag81"></a><a href="#footnote81" title="Lien vers la note 81"><span class="smaller">[81]</span></a>.»</p> + +<p>Jeanne, toujours en prières et en extase, n'observait pas l'ennemi, +elle ne connaissait pas les chemins, elle ne tenait aucun compte des +effectifs engagés, ne se souciait ni de la hauteur des murs ni de la +largeur des fossés. On entend aujourd'hui des officiers discuter le +génie tactique de la Pucelle<a id="footnotetag82" name="footnotetag82"></a><a href="#footnote82" title="Lien vers la note 82"><span class="smaller">[82]</span></a>. Elle n'avait qu'une tactique, +c'était d'empêcher les hommes de blasphémer le Seigneur et de mener +avec eux des ribaudes; elle croyait qu'ils seraient détruits pour +leurs péchés mais que, s'ils combattaient en état de grâce, ils +auraient <span class="pagenum"><a id="pageXLVII" name="pageXLVII"></a>(p. XLVII)</span> la victoire. C'était là toute sa science +militaire, hors toutefois qu'elle ne craignait pas le danger. Elle +montrait le plus doux et le plus fier courage; elle était plus +vaillante, plus constante, plus généreuse que les hommes et digne en +cela de les conduire. Et n'est-ce pas une chose admirable et rare que +de voir tant d'héroïsme uni à tant d'innocence?</p> + +<p>À vrai dire, certains chefs et notamment les princes du sang royal +n'en savaient pas beaucoup plus qu'elle. Pour faire la guerre, en ce +temps-là, il suffisait de monter à cheval. Il n'existait point de +cartes. On n'avait nulle idée de marches sur plusieurs lignes, +d'opérations d'ensemble, d'une campagne méthodiquement combinée, d'un +effort prolongé en vue de grands résultats. L'art militaire se +réduisait à quelques ruses de paysans et à certaines règles de +chevalerie. Les routiers, partisans et capitaines d'aventure, savaient +tous les tours du métier; mais ils ne connaissaient ni amis ni ennemis +et n'avaient de cœur qu'à piller. Les nobles montraient grand +vouloir d'acquérir honneur et louange; en fait, ils songeaient au +gain. Alain Chartier disait d'eux: «Ils crient aux armes, mais ils +courent à l'argent<a id="footnotetag83" name="footnotetag83"></a><a href="#footnote83" title="Lien vers la note 83"><span class="smaller">[83]</span></a>.»</p> + +<p>La guerre devant durer autant que la vie, on la menait doucement. Les +gens d'armes, cavaliers et piétons, <span class="pagenum"><a id="pageXLVIII" name="pageXLVIII"></a>(p. XLVIII)</span> archers, +arbalétriers, tant Armagnacs qu'Anglais et Bourguignons se battaient +sans beaucoup d'ardeur. Ils étaient braves assurément; ils étaient +prudents aussi et l'avouaient sans nulle honte. Jean Chartier, chantre +de Saint-Denys, chroniqueur des rois de France, conte comment les +Français rencontrèrent une fois les Anglais près de Lagny et il +ajoute: «Et y ot très dure et aspre besongne, car les François +n'estoient guères plus que les Englois<a id="footnotetag84" name="footnotetag84"></a><a href="#footnote84" title="Lien vers la note 84"><span class="smaller">[84]</span></a>.» Ces gens simples +avouaient qu'il est chanceux de se battre un contre un, attendu qu'un +homme en vaut un autre. Ce n'étaient pas des esprits nourris de +Plutarque comme les hommes de la Révolution et de l'Empire. Et ils +n'avaient pour leur hausser le cœur ni les carmagnoles de Barrère, +ni les hymnes de Marie-Joseph Chénier, ni les bulletins de la grande +armée. On se demande bonnement pourquoi ces capitaines, ces gens +d'armes allaient se battre ici plutôt que là? Pour trouver à manger.</p> + +<p>Ces guerres perpétuelles étaient peu meurtrières. Durant ce qu'on +appela la mission de Jeanne d'Arc, d'Orléans à Compiègne, les Français +perdirent à peine quelques centaines d'hommes. Les Anglais furent +beaucoup plus abîmés, parce qu'ils fuyaient et que c'était l'habitude +des vainqueurs de tuer dans les déroutes <span class="pagenum"><a id="pageXLIX" name="pageXLIX"></a>(p. XLIX)</span> tout ce qui ne +valait pas la peine d'être pris à rançon. Mais les batailles étaient +rares, partant les défaites, et le nombre des combattants petit. Il +n'y avait en France qu'une poignée d'Anglais. On ne se battait, autant +dire, que pour piller. Ceux qui souffraient de la guerre, c'étaient +ceux qui ne la faisaient pas, les bourgeois, les religieux, les +paysans. Les paysans enduraient les maux les plus cruels, et il est +concevable qu'une paysanne ait tenu la campagne avec une fermeté, une +obstination, une ardeur inconnues à toute la chevalerie.</p> + +<p>Ce n'est pas Jeanne qui a chassé les Anglais de France; si elle a +contribué à sauver Orléans, elle a plutôt retardé la délivrance en +faisant manquer, par la marche du Sacre, l'occasion de recouvrer la +Normandie. La mauvaise fortune des Anglais à partir de 1428 s'explique +très naturellement: tandis que dans la paisible Guyenne, où ils +faisaient la culture, le négoce, la navigation et administraient +habilement les finances, le pays, qu'ils rendaient prospère, leur +était très attaché; au contraire, sur les bords de la Seine et de la +Loire, ils ne prenaient pas pied; ils n'avaient jamais pu s'y +implanter, y mettre du monde en suffisance, y faire de solides +établissements. Enfermés dans les forteresses et les châteaux, ils ne +cultivaient pas assez le sol pour le conquérir: car on ne s'empare +vraiment de la terre que par le labour; ils la laissaient <span class="pagenum"><a id="pageL" name="pageL"></a>(p. L)</span> en +friche et l'abandonnaient aux partisans qui les harcelaient et les +épuisaient. Leurs garnisons ridiculement petites se trouvaient +prisonnières dans le pays de conquête. Ils avaient les dents longues; +mais un brochet n'avale pas un bœuf. On avait bien vu après Crécy, +après Poitiers, qu'ils étaient trop petits et la France trop grande. +Pouvaient-ils mieux réussir après Verneuil, sous le règne troublé d'un +enfant, au milieu des discordes civiles, manquant d'hommes et d'argent +et quand il leur fallait encore contenir le pays de Galles, l'Irlande +et l'Écosse? En 1428, ils n'étaient qu'une poignée en France et ne s'y +maintenaient que par le duc de Bourgogne qui dès lors les exécrait et +leur voulait tout le mal possible.</p> + +<p>Les moyens leur manquaient également et de prendre de nouvelles +provinces et de pacifier celles qu'ils avaient prises. Le caractère +même de la souveraineté que revendiquaient leurs princes, la nature +des droits qu'ils faisaient valoir et qui reposaient entièrement sur +les institutions communes aux deux pays leur rendaient difficile +l'organisation de leur conquête sans le consentement et même, on peut +le dire, sans le concours loyal et l'amitié des vaincus. Le traité de +Troyes ne soumettait pas la France à l'Angleterre; il les réunissait +l'une à l'autre. Cette réunion inspirait bien des inquiétudes à +Londres; les gens des communes laissaient voir la crainte que la +vieille Angleterre ne <span class="pagenum"><a id="pageLI" name="pageLI"></a>(p. LI)</span> devînt qu'une province écartée du +nouveau royaume<a id="footnotetag85" name="footnotetag85"></a><a href="#footnote85" title="Lien vers la note 85"><span class="smaller">[85]</span></a>. De son côté la France ne se sentait pas réunie. +Il était trop tard. Depuis le temps qu'on guerroyait contre ces Coués +l'habitude était prise de les haïr. Et peut-être y avait-il déjà un +caractère anglais et un caractère français qui ne s'accordaient pas. +Même à Paris, où les Armagnacs faisaient autant de peur que les +Sarrasins, on supportait les Godons avec grand déplaisir. Ce dont on +peut être surpris, ce n'est pas que les Anglais aient été chassés de +France, c'est qu'ils l'aient été si lentement. Est-ce à dire que la +jeune sainte n'eut point de part dans l'œuvre de la délivrance? +Non, certes! Elle eut la part la plus belle: celle du sacrifice; elle +donna l'exemple du plus haut courage et montra l'héroïsme sous une +forme imprévue et charmante. La cause du roi, qui était en vérité la +cause nationale, elle la servit de deux manières: en donnant confiance +aux gens d'armes de son parti, qui la croyaient chanceuse, et en +faisant peur aux Anglais qui s'imaginaient qu'elle était le diable.</p> + +<p>Nos meilleurs archivistes ne pardonnent pas aux ministres et aux +capitaines de 1428 de n'avoir pas <span class="pagenum"><a id="pageLII" name="pageLII"></a>(p. LII)</span> aveuglément obéi à la +Pucelle. Ce n'est point tout à fait le conseil que l'archevêque +d'Embrun donnait, sur le moment, au roi Charles; il lui recommandait +au contraire de ne point se départir des moyens inspirés par la +prudence humaine<a id="footnotetag86" name="footnotetag86"></a><a href="#footnote86" title="Lien vers la note 86"><span class="smaller">[86]</span></a>.</p> + +<p>On a beaucoup répété que les seigneurs et capitaines, particulièrement +le vieux Gaucourt<a id="footnotetag87" name="footnotetag87"></a><a href="#footnote87" title="Lien vers la note 87"><span class="smaller">[87]</span></a>, étaient jaloux d'elle. Il faut, pour le croire, +ignorer profondément la nature humaine. Ils étaient envieux les uns +des autres, et c'est cette envie, au contraire, qui, mieux que tout +autre sentiment, leur fit souffrir que la Pucelle se dît chef de +guerre.</p> + +<p>J'avoue qu'il m'a été impossible de découvrir les sourdes intrigues +des conseillers du roi et des capitaines conjurés pour perdre la +sainte. Elles éclatent aux yeux de plusieurs historiens; pour moi, +j'ai beau faire: je ne les discerne pas. Le chambellan, sire de la +Trémouille, n'était pas une belle âme et le chancelier Regnault de +Chartres avait le cœur très sec; mais ce qui m'apparaît, c'est que +le sire de la Trémouille refusa de céder cette précieuse fille au duc +d'Alençon qui la lui demandait et que le chancelier la garda pour s'en +servir. Je ne crois pas du tout que <span class="pagenum"><a id="pageLIII" name="pageLIII"></a>(p. LIII)</span> Jeanne fut prisonnière +à Sully; je crois qu'elle en sortit avec bannière et trompettes quand +elle alla rejoindre le chancelier qui l'employa jusqu'au moment où +elle fut prise par les Bourguignons. Après la petite sainte, il mit en +œuvre un petit saint, un berger, qui avait reçu les stigmates. +C'est donc qu'il ne regrettait pas de s'être servi d'une personne de +dévotion pour combattre les ennemis du roi et recouvrer son +archevêché.</p> + +<p>L'honnête Quicherat et le généreux Henri Martin sont très durs pour le +gouvernement de 1428. À leur sens, c'est un gouvernement de trahison. +En fait, ce qu'ils reprochent à Charles VII et à ses conseillers c'est +de n'avoir pas compris la Pucelle comme ils la comprennent eux-mêmes. +Mais il a fallu quatre cents ans pour cela. Pour avoir sur Jeanne +d'Arc les illuminations d'un Quicherat et d'un Henri Martin, il a +fallu trois siècles de monarchie absolue, la Réforme, la Révolution, +les guerres de la République et de l'Empire, et le néo-catholicisme +sentimental des hommes de 48. C'est à travers tant de prismes +brillants, sous tant de teintes superposées que les historiens +romantiques et les paléographes généreux ont découvert la figure de +Jeanne d'Arc, et c'est trop demander à ce pauvre dauphin Charles, à La +Trémouille, à Regnault de Chartres, au seigneur de Trêves, au vieux +Gaucourt, que de <span class="pagenum"><a id="pageLIV" name="pageLIV"></a>(p. LIV)</span> vouloir qu'ils aient vu Jeanne telle que +les siècles l'ont faite et achevée<a id="footnotetag88" name="footnotetag88"></a><a href="#footnote88" title="Lien vers la note 88"><span class="smaller">[88]</span></a>.</p> + +<p>Il reste toutefois ceci, que le Conseil royal, après avoir tant usé +d'elle, ne fit rien pour la sauver.</p> + +<p>La honte de cette abstention doit-elle retomber sur le Conseil tout +entier et sur le Conseil seul? Qui donc, au juste, devait intervenir? +Et comment? Que devait faire le roi Charles? Offrir de racheter la +Pucelle? On ne la lui aurait cédée à aucun prix. Quant à la ravoir par +la force, c'était un rêve d'enfant. Seraient-ils entrés à Rouen, les +Français ne l'y auraient point trouvée: Warwick aurait toujours eu le +temps de la mettre en sûreté ou de la noyer dans la rivière. Pour la +reprendre, ni l'argent ni les armes ne valaient rien. Ce n'est point à +dire qu'on dût se croiser les bras. On pouvait agir sur ceux qui +faisaient le procès. Sans doute ils étaient tous, ceux-là, du parti +des Godons; ce vieux cabochien de Pierre Cauchon s'y trouvait surtout +très engagé; il exécrait les Français; les clercs de l'obéissance de +Henri VI étaient naturellement enclins à plaire au grand conseil +d'Angleterre d'où coulaient les bénéfices; les docteurs et maîtres de +l'Université de Paris avaient grand'peur et grande haine des +Armagnacs; <span class="pagenum"><a id="pageLV" name="pageLV"></a>(p. LV)</span> pourtant les juges du procès n'étaient pas tous +des prévaricateurs infâmes; le chapitre de Rouen ne manquait ni de +courage ni d'indépendance<a id="footnotetag89" name="footnotetag89"></a><a href="#footnote89" title="Lien vers la note 89"><span class="smaller">[89]</span></a>; il y avait parmi les universitaires, si +violents contre Jeanne, des hommes estimés pour la doctrine et le +caractère; ils pensaient, la plupart, procéder vraiment en matière de +foi; à force de rechercher les sorcières, ils en voyaient partout; ils +faisaient brûler de ces femelles, comme ils disaient, tous les jours, +et n'en recevaient que des compliments; autant que Jeanne, ils +croyaient à la possibilité des apparitions dont elle se disait +favorisée, seulement ils étaient persuadés ou qu'elle mentait ou +qu'elle voyait des diables; l'évêque, le vice-inquisiteur et les +assesseurs, au nombre de plus de quarante, furent unanimes à la +déclarer hérétique et diabolique. Plusieurs sans doute s'imaginaient, +par leur sentence, maintenir, contre les fauteurs du schisme et de +l'hérésie, l'orthodoxie catholique et l'unité d'obédience; ils +voulaient bien juger. Et même les plus scélérats et les plus +audacieux, l'évêque et le promoteur, n'auraient pas osé, pour +contenter les Anglais, enfreindre trop ouvertement les règles de la +justice ecclésiastique. C'étaient des prêtres; ils en avaient +<span class="pagenum"><a id="pageLVI" name="pageLVI"></a>(p. LVI)</span> l'orgueil et le respect des formes. Par les formes on +pouvait les atteindre; on pouvait, au moyen d'une vigoureuse +procédure, contrarier, arrêter, peut-être, la leur et prévenir la +sentence funeste. Si l'archevêque de Reims, métropolitain de l'évêque +de Beauvais, était intervenu dans le procès, s'il avait suspendu son +suffragant pour abus ou pour toute autre cause, Pierre Cauchon aurait +été fort embarrassé; si, comme il se décida à le faire plus tard, le +roi Charles VII avait fait intervenir la mère et les frères de la +Pucelle; si Jacques d'Arc et la Romée avaient protesté dans les formes +contre une action judiciaire d'une partialité manifeste; si le +registre de Poitiers<a id="footnotetag90" name="footnotetag90"></a><a href="#footnote90" title="Lien vers la note 90"><span class="smaller">[90]</span></a> avait été versé au dossier; si les plus hauts +prélats de l'obéissance de Charles VII avaient demandé un sauf-conduit +pour venir témoigner à Rouen, en faveur de Jeanne; si enfin le roi, +son conseil et toute l'Église de France avaient réclamé l'appel au +pape et au Concile, qui était de droit, le procès pouvait prendre une +autre issue.</p> + +<p>Mais on eut peur de l'Université de Paris. On craignit que vraiment +Jeanne, comme tant de savants docteurs le soutenaient, ne fût +hérétique, mal croyante, séduite par le prince des ténèbres. Satan se +transforme en <span class="pagenum"><a id="pageLVII" name="pageLVII"></a>(p. LVII)</span> ange de lumière et il est difficile de +discerner les faux prophètes des vrais. La malheureuse Pucelle fut +abandonnée par le clergé dont les croix naguère marchaient devant +elle; entre tous les maîtres de Poitiers il ne s'en trouva pas un seul +pour s'offrir à témoigner dans le château de Rouen de cette innocence +qu'ils avaient reconnue doctoralement dix-huit mois auparavant.</p> + +<p>Il y aurait grand intérêt à suivre la mémoire de la Pucelle à travers +les âges. Mais ce serait tout un livre. J'indiquerai seulement les +révolutions les plus étonnantes du sentiment public à son sujet. Les +humanistes de la Renaissance ne s'intéressèrent pas beaucoup à elle: +elle était trop gothique pour eux. Les réformés, qui trouvaient +qu'elle sentait l'idolâtrie, ne pouvaient la voir en peinture<a id="footnotetag91" name="footnotetag91"></a><a href="#footnote91" title="Lien vers la note 91"><span class="smaller">[91]</span></a>. +Chose qui semble étrange aujourd'hui, mais qui n'en est pas moins +certaine et conforme à tout ce que nous savons des sentiments des +Français pour leurs rois, ce fut la mémoire de Charles VII qui, sous +la monarchie, soutint et sauva la mémoire de Jeanne d'Arc<a id="footnotetag92" name="footnotetag92"></a><a href="#footnote92" title="Lien vers la note 92"><span class="smaller">[92]</span></a>. Le +respect dû au prince empêcha le plus <span class="pagenum"><a id="pageLVIII" name="pageLVIII"></a>(p. LVIII)</span> souvent ses sujets +fidèles de soumettre à une critique trop sévère les légendes de Jeanne +ainsi que celles de la Sainte Ampoule, de la guérison des écrouelles, +de l'oriflamme et toutes autres traditions populaires relatives aux +antiquités et illustrations de la maison de France. Quand, en 1609, +dans un collège de Paris, la Pucelle fut le sujet d'exercices +littéraires où elle était traitée sans faveur<a id="footnotetag93" name="footnotetag93"></a><a href="#footnote93" title="Lien vers la note 93"><span class="smaller">[93]</span></a>, un homme de robe, +Jean Hordal, qui se glorifiait d'être du sang de l'héroïne, se +plaignit de ces disputes d'école comme d'une offense à la majesté +royale. «Je m'estonne grandement, dit-il, qu'en France... on tolère +que publiquement déclamations se fassent contre l'honneur de la +France, du roi Charles VII et de son Conseil<a id="footnotetag94" name="footnotetag94"></a><a href="#footnote94" title="Lien vers la note 94"><span class="smaller">[94]</span></a>.» Si Jeanne n'avait +pas appartenu si étroitement à la royauté, son souvenir eût été fort +négligé par les beaux esprits du <span class="smcap">XVII</span><sup>e</sup> siècle. Ses apparitions lui +faisaient du tort auprès des savants qui, protestants et catholiques, +traitaient la vie de sainte Marguerite de cafarderie<a id="footnotetag95" name="footnotetag95"></a><a href="#footnote95" title="Lien vers la note 95"><span class="smaller">[95]</span></a>. Alors les +Sorbonagres <span class="pagenum"><a id="pageLIX" name="pageLIX"></a>(p. LIX)</span> eux-mêmes retranchaient beaucoup sur le +martyrologe et les légendes des saints. Un de ceux-là, Edmond Richer, +champenois comme Jeanne, censeur de l'Université en 1600, et zélé +gallican, composa un livre apologétique sur celle qui avait soutenu de +son épée la couronne de Charles VII<a id="footnotetag96" name="footnotetag96"></a><a href="#footnote96" title="Lien vers la note 96"><span class="smaller">[96]</span></a>. Bien qu'attaché aux libertés +de l'église de France, Edmond Richer était bon catholique. Il avait de +la doctrine et de la piété; il croyait fermement aux anges, mais il ne +croyait ni à sainte Catherine ni à sainte Marguerite, et leur +apparition à la Pucelle l'embarrassait beaucoup. Il se tira de cette +difficulté en supposant que des anges s'étaient donnés à la jeune +fille pour les deux saintes à qui, dans son ignorance, elle avait une +grande dévotion. L'hypothèse lui parut satisfaisante, «d'autant, +disait-il, que l'Esprit de Dieu, qui gouverne l'Église, s'accommode à +notre infirmité». Trente ou quarante ans plus tard, un autre docteur +en Sorbonne, Jean de Launoy, le dénicheur de saints, acheva de ruiner +la légende de sainte Catherine<a id="footnotetag97" name="footnotetag97"></a><a href="#footnote97" title="Lien vers la note 97"><span class="smaller">[97]</span></a>. Les voix de Domremy devenaient +terriblement suspectes.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="pageLX" name="pageLX"></a>(p. LX)</span> Regardez Chapelain, dont le poème fut publié pour la première +fois en 1656. Chapelain est burlesque avec gravité; c'est un Scarron +sans le savoir. Nous n'en avons pas moins profit à apprendre de lui +qu'il n'a vu dans son sujet qu'une occasion de célébrer le Bâtard +d'Orléans. Il dit expressivement en sa préface: «Je ne l'ai pas tant +regardée [la Pucelle] comme le principal héros du poème, qui à +proprement parler est le comte de Dunois.» Chapelain était aux gages +du duc de Longueville, descendant de Dunois<a id="footnotetag98" name="footnotetag98"></a><a href="#footnote98" title="Lien vers la note 98"><span class="smaller">[98]</span></a>; c'est Dunois qu'il +chante; «l'illustre bergère» vient lui fournir à propos le +merveilleux, et selon l'expression du bonhomme, les machines +nécessaires à l'épopée. Les saintes Catherine et Marguerite, trop +vulgaires, sont exclues de ces machines. Chapelain nous avertit qu'il +prit un soin particulier de conduire son poème «de telle sorte que +tout ce qu'il y fait faire par la puissance divine s'y puisse croire +fait par la seule force humaine élevée au plus haut point où la nature +est capable de monter». On voit poindre ici l'esprit moderne.</p> + +<p>Bossuet aussi se garde bien de parler de sainte Catherine et de sainte +Marguerite. Les quatre ou cinq pages in-4<sup>o</sup> qu'il consacre à Jeanne +d'Arc dans son <i>Abrégé de <span class="pagenum"><a id="pageLXI" name="pageLXI"></a>(p. LXI)</span> l'Histoire de France pour +l'instruction du Dauphin</i><a id="footnotetag99" name="footnotetag99"></a><a href="#footnote99" title="Lien vers la note 99"><span class="smaller">[99]</span></a> sont bien curieuses, non pour l'exposé +des faits qui y est inexact et confus<a id="footnotetag100" name="footnotetag100"></a><a href="#footnote100" title="Lien vers la note 100"><span class="smaller">[100]</span></a>, mais par le soin que prend +l'auteur de ne présenter que d'une manière incidente et dubitative les +faits miraculeux attribués à la Pucelle. Au sentiment de Bossuet, +comme à celui de Jean Gerson, ces choses sont d'édification, non de +foi. Bossuet qui écrit pour l'instruction d'un prince est tenu à +beaucoup abréger; mais il abrège trop quand, présentant la +condamnation de Jeanne comme l'œuvre de l'évêque de Beauvais, il +oublie de dire que l'évêque de Beauvais rendit cette sentence sur +l'avis unanime de l'Université de Paris et conjointement avec le +vice-inquisiteur<a id="footnotetag101" name="footnotetag101"></a><a href="#footnote101" title="Lien vers la note 101"><span class="smaller">[101]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="pageLXII" name="pageLXII"></a>(p. LXII)</span> Les philosophes ne sont pas tombés en France, au <span class="smcap">XVIII</span><sup>e</sup> +siècle, comme une pluie de sauterelles: ils sortaient de deux siècles +d'esprit critique. S'ils trouvaient dans l'histoire de Jeanne d'Arc +plus de capucinades que leur goût n'en souffrait, c'est qu'ils avaient +été instruits dans l'histoire ecclésiastique par les Baillet et les +Tillemont, hommes pieux, sans doute, mais grands destructeurs de +légendes. Voltaire railla sur Jeanne les moines fripons et leurs +dupes. Si l'on rappelle les petits vers de <i>la Pucelle</i>, pourquoi ne +pas rappeler aussi l'article<a id="footnotetag102" name="footnotetag102"></a><a href="#footnote102" title="Lien vers la note 102"><span class="smaller">[102]</span></a> du <i>Dictionnaire Philosophique</i>, qui +renferme en trois pages plus de vérités solides et de pensées +généreuses que certains gros ouvrages modernes où Voltaire est insulté +en jargon de sacristie?</p> + +<p>C'est précisément à la fin du <span class="smcap">XVIII</span><sup>e</sup> siècle que Jeanne commença à +être mieux connue et plus justement estimée, d'abord par le petit +livre que l'abbé Lenglet du Fresnoy tira presque en entier de +l'histoire inédite <span class="pagenum"><a id="pageLXIII" name="pageLXIII"></a>(p. LXIII)</span> du vieux Richer<a id="footnotetag103" name="footnotetag103"></a><a href="#footnote103" title="Lien vers la note 103"><span class="smaller">[103]</span></a>, puis par les +savantes recherches de L'Averdy sur les deux procès<a id="footnotetag104" name="footnotetag104"></a><a href="#footnote104" title="Lien vers la note 104"><span class="smaller">[104]</span></a>.</p> + +<p>Toutefois l'humanisme et après l'humanisme la réforme, après la +réforme le cartésianisme, après le cartésianisme la philosophie +expérimentale, avaient détruit dans l'élite des esprits les vieilles +crédulités; le rosier des légendes gothiques, quand vint la +révolution, était depuis longtemps défleuri. Il semblait que la gloire +de Jeanne d'Arc, liée si étroitement aux traditions de la maison de +France, ne pût survivre à la monarchie et que la tempête qui dissipa +les cendres royales de Saint-Denys et le trésor de Reims dût emporter +aussi les frêles reliques et les images pieuses de la Sainte des +Valois. Le nouveau régime en effet refusa d'honorer une mémoire +inséparable de la royauté et de la religion; la fête orléanaise de +Jeanne d'Arc, dépouillée en 1791 des pompes de l'Église, fut cessée en +93. Alors l'histoire de la Pucelle paraissait un peu <span class="pagenum"><a id="pageLXIV" name="pageLXIV"></a>(p. LXIV)</span> trop +gothique aux émigrés eux-mêmes: Chateaubriand, n'osa pas l'introduire +dans son <i>Génie du Christianisme</i><a id="footnotetag105" name="footnotetag105"></a><a href="#footnote105" title="Lien vers la note 105"><span class="smaller">[105]</span></a>.</p> + +<p>Mais le premier Consul, qui venait de conclure le Concordat et +songeait à restaurer les ornements du sacre, fit rétablir, en l'an XI, +les fêtes de la Pucelle et y rappela l'encens et les croix. Célébrée +jadis dans les lettres de Charles VII à ses bonnes villes, Jeanne fut +exaltée dans le <i>Moniteur</i> par Bonaparte<a id="footnotetag106" name="footnotetag106"></a><a href="#footnote106" title="Lien vers la note 106"><span class="smaller">[106]</span></a>.</p> + +<p>Les figures de la poésie et de l'histoire ne vivent dans la pensée des +peuples qu'à la condition de se transformer sans cesse. La foule +humaine ne saurait s'intéresser à un personnage des vieux âges si elle +ne lui prêtait pas ses propres sentiments et ses propres passions. +Après avoir été associée à la monarchie de droit divin, la mémoire de +Jeanne d'Arc fut rattachée à l'unité nationale que cette monarchie +avait préparée; elle devint, dans la France impériale et républicaine, +le symbole de la patrie. Certes, la fille d'Isabelle Romée n'avait pas +plus l'idée de la patrie telle qu'on la conçoit <span class="pagenum"><a id="pageLXV" name="pageLXV"></a>(p. LXV)</span> aujourd'hui, +qu'elle n'avait l'idée de la propriété foncière qui en est la base; +elle ne se figurait rien de semblable à ce que nous appelons la +nation; c'est une chose toute moderne; mais elle se figurait +l'héritage des rois et le domaine de la Maison de France. Et c'est +bien là tout de même, dans ce domaine et dans cet héritage, que les +Français se réunirent avant de se réunir dans la patrie.</p> + +<p>Sous des influences qu'il nous est impossible d'indiquer précisément, +la pensée lui vint de rétablir le dauphin dans son héritage, et cette +pensée lui parut si grande et si belle, que, dans la simplicité de son +naïf et candide orgueil, elle crut que c'était des anges et des +saintes du Paradis qui la lui avaient apportée. Pour cette pensée elle +donna sa vie. C'est par là qu'elle survit à sa cause. Les plus hautes +entreprises périssent dans leur défaite et, plus sûrement encore, dans +leur victoire. Le dévouement qui les inspira demeure en immortel +exemple. Et, si l'illusion qui enveloppait ses sens la soutint, l'aida +à s'offrir tout entière, cette illusion ne fut-elle pas à son insu +l'ouvrage de son cœur? Sa folie fut plus sage que la sagesse, car +ce fut la folie du martyre, sans laquelle les hommes n'ont encore rien +fondé de grand et d'utile dans le monde. Cités, empires, républiques, +reposent sur le sacrifice. Ce n'est donc ni sans raison ni sans +justice <span class="pagenum"><a id="pageLXVI" name="pageLXVI"></a>(p. LXVI)</span> que, transformée par les imaginations +enthousiastes, elle devint le symbole de la patrie armée.</p> + +<p>Le Brun de Charmettes<a id="footnotetag107" name="footnotetag107"></a><a href="#footnote107" title="Lien vers la note 107"><span class="smaller">[107]</span></a>, royaliste jaloux des gloires impériales, +composa en 1817, avec talent, la première histoire patriotique de +Jeanne d'Arc, qui devait être suivie de tant d'autres, conçues dans le +même esprit, tracées sur le même plan, écrites dans le même style. De +1841 à 1849, Jules Quicherat, en publiant les deux procès et les +témoignages, ouvrit dignement une époque incomparable de recherches et +de découvertes. Au même moment, Michelet écrivit dans le cinquième +tome de son <i>Histoire de France</i> des pages rapides et colorées, qui +resteront sans doute comme la plus belle expression de l'art +romantique appliqué à la Pucelle<a id="footnotetag108" name="footnotetag108"></a><a href="#footnote108" title="Lien vers la note 108"><span class="smaller">[108]</span></a>.</p> + +<p>Mais, de toutes les histoires écrites de 1817 à 1870, ou du moins de +toutes celles que j'ai pu connaître, car je ne me suis pas attaché à +les lire toutes, la plus sagace, à mon avis, est celle qui forme le +livre IV de l'<i>Histoire de Charles VII</i>, par Vallet de Viriville, dans +laquelle se montre le souci de rattacher la Pucelle au groupe de +visionnaires auquel elle appartient réellement<a id="footnotetag109" name="footnotetag109"></a><a href="#footnote109" title="Lien vers la note 109"><span class="smaller">[109]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="pageLXVII" name="pageLXVII"></a>(p. LXVII)</span> Le livre de Wallon a été très répandu, sinon très lu; il +doit sa fortune à son exactitude confessionnelle<a id="footnotetag110" name="footnotetag110"></a><a href="#footnote110" title="Lien vers la note 110"><span class="smaller">[110]</span></a>. C'est une +œuvre consciencieuse, morne et d'un fanatisme modéré. Puisqu'il +fallait une <i>Jeanne d'Arc</i> orthodoxe à l'usage des gens du monde, +celle de M. Marius Sepet avait, pour remplir cet office, autant +d'exactitude et plus de grâce<a id="footnotetag111" name="footnotetag111"></a><a href="#footnote111" title="Lien vers la note 111"><span class="smaller">[111]</span></a>.</p> + +<p>Après la guerre de 1871, sous la double influence de l'esprit +patriotique, exalté par la défaite, et du sentiment catholique +renaissant dans la bourgeoisie, le culte de la Pucelle redoubla de +ferveur. Les lettres et les arts achevèrent la transfiguration de +Jeanne.</p> + +<p>Les catholiques, comme le docte chanoine Dunand<a id="footnotetag112" name="footnotetag112"></a><a href="#footnote112" title="Lien vers la note 112"><span class="smaller">[112]</span></a>, rivalisent de +zèle et d'enthousiasme avec les spiritualistes indépendants comme M. +Joseph Fabre<a id="footnotetag113" name="footnotetag113"></a><a href="#footnote113" title="Lien vers la note 113"><span class="smaller">[113]</span></a>. Celui-ci, en donnant sous une forme très artiste +les deux procès en français et en discours direct, a vulgarisé l'image +la plus ancienne et la plus touchante de la Pucelle<a id="footnotetag114" name="footnotetag114"></a><a href="#footnote114" title="Lien vers la note 114"><span class="smaller">[114]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="pageLXVIII" name="pageLXVIII"></a>(p. LXVIII)</span> De cette période datent des travaux d'érudition presque +innombrables parmi lesquels il faut signaler ceux de Siméon Luce de +qui désormais quiconque traite des commencements de Jeanne doit se +reconnaître tributaire<a id="footnotetag115" name="footnotetag115"></a><a href="#footnote115" title="Lien vers la note 115"><span class="smaller">[115]</span></a>.</p> + +<p>Nous sommes tenus à une égale reconnaissance envers M. Germain +Lefèvre-Pontalis pour ses belles éditions et ses pénétrantes études, +d'une érudition élégante et sûre.</p> + +<p>Dans cette période d'exaltation romantique et néo-catholique, la +peinture et la sculpture multiplièrent les images de Jeanne, si rares +jusque-là; on vit en merveilleuse abondance Jeanne priant, Jeanne +armée et chevauchant, Jeanne captive, Jeanne martyre; de toutes ces +images exprimant de diverses manières et avec des mérites inégaux le +goût et le sentiment d'une époque, une seule œuvre apparaît grande +et vraie, d'une beauté puissante: la Jeanne d'Arc hallucinée de +Rude<a id="footnotetag116" name="footnotetag116"></a><a href="#footnote116" title="Lien vers la note 116"><span class="smaller">[116]</span></a>.</p> + +<p>Le mot de patrie n'existait pas au temps de la Pucelle. On disait le +royaume de France<a id="footnotetag117" name="footnotetag117"></a><a href="#footnote117" title="Lien vers la note 117"><span class="smaller">[117]</span></a>. Personne, pas même les légistes, n'en savaient +au juste les limites, qui changeaient sans cesse. La diversité des +lois et des <span class="pagenum"><a id="pageLXIX" name="pageLXIX"></a>(p. LXIX)</span> coutumes y était infinie et les querelles entre +seigneurs s'élevaient à tout moment. Les hommes se sentaient pourtant +au cœur l'amour du pays natal et la haine de l'étranger. Si la +guerre de Cent Ans ne créa pas en France le sentiment national, elle +le nourrit. Dans son <i>Quadrilogue invectif</i>, Alain Chartier montre la +France qui, reconnaissable à sa robe somptueusement ornée des emblèmes +de la noblesse, du clergé et du tiers-état, mais lamentablement +souillée et déchirée, adjure les trois ordres de ne pas la laisser +périr: «Après le lien de foi catholique, leur dit-elle, Nature vous a +devant toute autre chose obligez au commun salut du pays de votre +nativité et à la défense de cette seigneurie sous laquelle Dieu vous a +fait naître et avoir vie<a id="footnotetag118" name="footnotetag118"></a><a href="#footnote118" title="Lien vers la note 118"><span class="smaller">[118]</span></a>.» Et ce ne sont pas là seulement les +maximes d'un humaniste instruit dans les vertus antiques. D'humbles +Français avaient cher de servir le pays de leur naissance. «Faut-il +que le roi soit chassé de son royaume et que nous soyons Anglais!» +s'écriait en 1428 cet homme d'armes de Lorraine<a id="footnotetag119" name="footnotetag119"></a><a href="#footnote119" title="Lien vers la note 119"><span class="smaller">[119]</span></a>. Les sujets des +Fleurs de Lis comme ceux du Léopard s'estimaient tenus à la loyauté +envers leur légitime seigneur. Mais si quelque changement advenait +pour son dommage à la seigneurie dont <span class="pagenum"><a id="pageLXX" name="pageLXX"></a>(p. LXX)</span> ils faisaient partie, +ils s'en accommodaient en somme aisément, parce qu'une seigneurie +s'accroît ou se rétrécit selon la puissance ou la fortune, selon le +bon droit ou le bon plaisir du possesseur et qu'elle peut être +démembrée par mariages, dons ou héritages, aliénée par divers +contrats. En signe de réjouissance, les habitants de Paris jonchèrent +d'herbes et de fleurs les rues de la ville, à l'occasion du traité de +Brétigny, qui diminuait beaucoup la seigneurie du roi Jean<a id="footnotetag120" name="footnotetag120"></a><a href="#footnote120" title="Lien vers la note 120"><span class="smaller">[120]</span></a>. En +fait, les seigneurs changeaient d'obéissance tant qu'il était +nécessaire. Juvénal des Ursins rapporte dans son journal<a id="footnotetag121" name="footnotetag121"></a><a href="#footnote121" title="Lien vers la note 121"><span class="smaller">[121]</span></a> que, +lors de la conquête de la Normandie par les Anglais, on vit une jeune +veuve quitter sa terre avec ses trois enfants pour ne pas rendre +hommage au roi d'outre-mer. Mais combien de seigneurs normands +refusèrent comme elle de se mettre aux mains des anciens ennemis du +royaume? L'exemple de la fidélité au roi ne venait pas toujours de sa +famille. Le duc de Bourbon, au nom de tous les princes du sang royal +avec lui prisonniers des Anglais, offrit à Henri V d'aller traiter en +France la cession de Harfleur, s'engageant, si le Conseil royal lui +opposait un refus, à reconnaître Henri V pour roi de France<a id="footnotetag122" name="footnotetag122"></a><a href="#footnote122" title="Lien vers la note 122"><span class="smaller">[122]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="pageLXXI" name="pageLXXI"></a>(p. LXXI)</span> Chacun songeait d'abord à soi. Quiconque avait terre se +devait à sa terre; son ennemi, c'était son voisin. Le bourgeois ne +connaissait que sa ville. Le paysan changeait de maître sans le +savoir. Les trois états du royaume n'étaient pas assez unis pour +former, au sens moderne du mot, un État.</p> + +<p>Peu à peu, le pouvoir royal réunit les Français; cette réunion se fit +plus étroite à mesure que la royauté se faisait plus puissante. Au +<span class="smcap">XVI</span><sup>e</sup> et au <span class="smcap">XVII</span><sup>e</sup> siècle, cette envie de penser et d'agir en commun +qui fait les grands peuples devint chez nous très ardente, tout au +moins dans les familles qui donnaient des officiers à la Couronne, et +elle se communiqua même aux gens d'un moindre état. Rabelais fait +figurer François Villon et le roi d'Angleterre dans une historiette si +enflée de gloriole militaire qu'un grenadier de Napoléon aurait pu la +conter devant un feu de bivouac, au style près<a id="footnotetag123" name="footnotetag123"></a><a href="#footnote123" title="Lien vers la note 123"><span class="smaller">[123]</span></a>. Dans la préface +du poème que nous citions tout à l'heure, Chapelain parle des moments +où «la patrie, qui est une mère commune, a besoin de tous ses +enfants». Le vieux poète s'exprime déjà comme l'auteur de la +<i>Marseillaise</i><a id="footnotetag124" name="footnotetag124"></a><a href="#footnote124" title="Lien vers la note 124"><span class="smaller">[124]</span></a>.</p> + +<p>On ne peut nier que le sentiment de la patrie existât sous l'ancien +régime. Ce que la Révolution y ajouta <span class="pagenum"><a id="pageLXXII" name="pageLXXII"></a>(p. LXXII)</span> n'en fut pas moins +immense. Elle y ajouta l'idée de l'unité nationale et de l'intégrité +du territoire. Elle étendit à tous le droit de propriété réservé +jusque-là à un petit nombre, et de la sorte partagea, pour ainsi dire, +la patrie entre les citoyens. En donnant aux paysans la faculté de +posséder, le nouveau régime leur imposa du même coup l'obligation de +défendre leur bien effectif ou éventuel. Prendre les armes est une +nécessité commune à quiconque acquiert ou veut acquérir des terres. À +peine le Français jouissait-il des droits de l'homme et du citoyen, +avait-il ou pensait-il avoir pignon sur rue et champs au soleil, que +les armées de l'Europe coalisée vinrent pour le «rendre à l'antique +esclavage». Le patriote alors se fit soldat. Vingt-trois ans de +guerres, avec l'alternative fatale des victoires et des défaites, +affermirent nos pères dans l'amour de la patrie et la haine de +l'étranger.</p> + +<p>Depuis lors, les progrès industriels ont suscité d'un pays à l'autre +des rivalités qui s'exercent chaque jour plus âprement. Les modes +actuels de la production, en multipliant entre les peuples les +antagonismes, ont créé l'impérialisme, l'expansion coloniale et la +paix armée.</p> + +<p>Mais que de forces contraires s'exercent dans cette création +formidable d'un nouvel ordre de choses! La grande industrie a donné +naissance, dans tous les pays, à une classe nouvelle, qui, ne +possédant rien, n'ayant <span class="pagenum"><a id="pageLXXIII" name="pageLXXIII"></a>(p. LXXIII)</span> nul espoir de rien posséder, ne +jouissant d'aucun des biens de la vie, pas même de la lumière du jour, +ne craint point, comme le paysan et le bourgeois issu de la +Révolution, que l'ennemi du dehors ne la vienne dépouiller, et, faute +de richesses à défendre, regarde les peuples étrangers sans effroi ni +haine. En même temps, se sont élevées sur tous les marchés du monde +des puissances financières qui, bien qu'elles affectent souvent le +respect des vieilles traditions, sont, par leur fonction même, +essentiellement destructives de l'esprit patriotique et national. Le +régime universel du capital a créé en France, comme partout ailleurs, +l'internationale des travailleurs et le cosmopolitisme des financiers.</p> + +<p>Aujourd'hui, comme il y a deux mille ans, pour discerner l'avenir, il +faut regarder non pas aux entreprises des puissants de la terre, mais +aux mouvements confus des masses laborieuses. Cette paix armée, si +lourde pour elles, les nations ne la supporteront pas indéfiniment. +Nous voyons s'organiser chaque jour la communauté du travail +universel.</p> + +<p>Je crois à l'union future des peuples et je l'appelle avec cette +ardente charité du genre humain qui, formée dans la conscience latine +au temps d'Epictète et de Sénèque, et pour tant de siècles éteinte par +la barbarie européenne, s'est rallumée dans les cœurs les plus +hauts <span class="pagenum"><a id="pageLXXIV" name="pageLXXIV"></a>(p. LXXIV)</span> des âges modernes. Et l'on m'opposerait en vain que +ce sont là les illusions du rêve et du désir: c'est le désir qui crée +la vie et l'avenir prend soin de réaliser les rêves des philosophes. +Mais que nous soyons assurés dès à présent d'une paix que rien ne +troublera, il faudrait être insensé pour le prétendre. Les terribles +rivalités industrielles et commerciales qui grandissent autour de nous +font pressentir au contraire, de futurs conflits et rien ne nous +assure que la France ne se verra pas un jour enveloppée dans une +conflagration européenne ou mondiale. Et l'obligation où elle se +trouve de pourvoir à sa défense n'accroît pas peu les difficultés que +lui cause un ordre social profondément troublé par la concurrence de +la production et l'antagonisme des classes.</p> + +<p>Un empire absolu se fait des défenseurs par la crainte; une démocratie +ne s'en assure qu'à force de bienfaits. On trouve la peur ou l'intérêt +à la racine de tous les dévouements. Pour que, au jour du péril, le +prolétaire français défende héroïquement la République, il faut qu'il +s'y trouve heureux ou espère le devenir. Et que sert de se flatter? +Aujourd'hui le sort de l'ouvrier n'est pas meilleur en France qu'en +Allemagne, et il est moins bon qu'en Angleterre et en Amérique.</p> + +<p>Je n'ai pu me défendre d'exprimer sur ces importants sujets la vérité +telle qu'elle m'apparaît; c'est une <span class="pagenum"><a id="pageLXXV" name="pageLXXV"></a>(p. LXXV)</span> grande satisfaction que +de dire ce qu'on croit utile et juste.</p> + +<p>Il ne me reste plus qu'à soumettre au public quelques réflexions sur +l'art malaisé d'écrire l'histoire, et à m'expliquer sur certaines +particularités de forme et de langage qu'on trouvera dans cet ouvrage.</p> + +<p>Pour sentir l'esprit d'un temps qui n'est plus, pour se faire +contemporain des hommes d'autrefois, une lente étude et des soins +affectueux sont nécessaires. Mais la difficulté n'est pas tant dans ce +qu'il faut savoir que dans ce qu'il faut ne plus savoir. Si vraiment +nous voulons vivre au <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> siècle, que de choses nous devons +oublier: sciences, méthodes, toutes les acquisitions qui font de nous +des modernes! Nous devons oublier que la terre est ronde et que les +étoiles sont des soleils, et non des lampes suspendues à une voûte de +cristal, oublier le système du monde de Laplace pour ne croire qu'à la +science de saint Thomas, de Dante et de ces cosmographes du moyen âge +qui nous enseignent la création en sept jours et la fondation des +royaumes par les fils de Priam, après la destruction de Troye la +Grande. Tel historien, tel paléographe est impuissant à nous faire +comprendre les contemporains de la Pucelle. Ce n'est pas le savoir qui +lui manque, c'est l'ignorance, l'ignorance de la guerre moderne, de la +politique moderne, de la religion moderne.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="pageLXXVI" name="pageLXXVI"></a>(p. LXXVI)</span> Mais lorsque nous aurons oublié, autant que possible, tout +ce qui s'est passé depuis la jeunesse de Charles VII, afin de penser +comme un clerc en exil à Poitiers ou un bourgeois d'Orléans de service +sur les remparts de sa ville, il nous faudra bientôt retrouver toutes +nos ressources intellectuelles pour embrasser l'ensemble des +événements et découvrir l'enchaînement des effets et des causes qui +échappaient à ce bourgeois et à ce clerc. «J'ai raccourci ma vue», dit +le Chatterton d'Alfred de Vigny quand il explique comment il ne voit +rien de ce qui s'est passé après les vieux Saxons. Mais Chatterton +composait des poèmes, de pseudo-chroniques, et non pas une histoire. +L'historien doit tour à tour allonger et raccourcir sa vue. S'il se +mêle de conter une vieille histoire, il lui faudra successivement et +parfois à la même minute la naïveté des foules humaines qu'il fait +revivre et la critique la mieux avertie. Il faut que, par un phénomène +étrange de dédoublement, il soit en même temps l'homme ancien et +l'homme moderne et vive sur deux plans différents, semblable à ce +personnage étrange d'un conte de J.-H. Wells, qui se meut et se sent +dans une petite ville d'Angleterre et qui cependant se voit au fond de +l'Océan. J'ai visité studieusement les villes, les champs, où se sont +accomplis les événements que je me proposais de raconter; j'ai vu la +vallée de la Meuse alors <span class="pagenum"><a id="pageLXXVII" name="pageLXXVII"></a>(p. LXXVII)</span> que le printemps la fleurissait +et la parfumait, et je l'ai revue sous un amoncellement de brumes et +de nuées; j'ai parcouru les bords illustres et riants de la Loire, la +Beauce aux vastes horizons que les nuages bordent de montagnes +neigeuses, l'Île-de-France où le ciel est si doux, la Champagne dont +les coteaux pierreux nourrissent encore les vignes basses qui, foulées +par l'armée du Sacre, se refirent feuilles et fruits, dit la légende, +et donnèrent, à la Saint-Martin, une tardive et riche vendange<a id="footnotetag125" name="footnotetag125"></a><a href="#footnote125" title="Lien vers la note 125"><span class="smaller">[125]</span></a>; +j'ai hanté l'âpre Picardie, la baie de Somme si triste et nue sous le +vol des oiseaux de passage, la grasse Normandie, Rouen, ses clochers +et ses tours, ses vieux charniers, ses ruelles humides, ses dernières +maisons de bois aux pignons aigus. Je me suis figuré ces fleuves, ces +terres, ces châteaux et ces villes tels qu'ils étaient il y a cinq +cents ans.</p> + +<p>J'ai accoutumé mes yeux aux formes qu'affectaient alors les êtres et +les choses. J'ai interrogé ce qui reste de pierre, de fer ou de bois +travaillé par la main de ces vieux artisans, plus libres et par cela +même plus ingénieux que les nôtres, et qui témoignent du besoin de +tout animer et de tout orner. J'ai étudié le mieux que j'ai pu les +images peintes et taillées, non précisément en France, car on n'y +ouvrait guère en ces jours <span class="pagenum"><a id="pageLXXVIII" name="pageLXXVIII"></a>(p. LXXVIII)</span> de misère et de mort, mais en +Flandre, en Bourgogne, en Provence, œuvres d'un style à la fois +affecté et naïf, souvent exquis. Les miniatures se sont animées sous +mes yeux et j'y ai vu revivre les seigneurs, dans la magnificence +absurde des «étoffes à tripes», les dames et les demoiselles un peu +diablesses avec leurs bonnets cornus et leurs pieds pointus; les +clercs assis à leur pupitre, les gens d'armes chevauchant leur +coursier et les marchands leur mule, les laboureurs accomplissant +d'avril à mars les travaux du calendrier rustique, les paysannes dont +la grande coiffe est conservée aujourd'hui par les religieuses. Je me +suis rapproché de ces gens qui furent nos semblables et qui pourtant +différaient de nous par mille nuances du sentiment et de la pensée; +j'ai vécu de leur vie; j'ai lu dans leurs âmes.</p> + +<p>On ne trouve nulle part, ai-je besoin de le dire, une image +authentique de Jeanne. Ce qui, dans l'art du <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> siècle, avait +trait à elle, se réduisait à peu de chose: il ne nous en reste presque +rien, une petite tapisserie à bestions, une figurine tracée à la plume +sur un registre, quelques enluminures peintes dans des manuscrits sous +les règnes de Charles VII, de Louis XI, de Charles VIII, et c'est +tout. Il m'a fallu contribuer à l'iconographie si pauvre de Jeanne +d'Arc, non que j'eusse quelque chose à y ajouter, mais au contraire +pour en retrancher ce que les faussaires y <span class="pagenum"><a id="pageLXXIX" name="pageLXXIX"></a>(p. LXXIX)</span> ont introduit +de ce temps. On trouvera dans l'appendice IV, à la fin de cet +ouvrage<a id="footnotetag126" name="footnotetag126"></a><a href="#footnote126" title="Lien vers la note 126"><span class="smaller">[126]</span></a> la courte notice où je signale des fraudes déjà +anciennes, pour la plupart, et qui n'avaient pas encore été dénoncées. +J'ai limité mes recherches au <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> siècle, laissant à d'autres le +soin d'étudier ces peintures de la Renaissance dans lesquelles la +Pucelle apparaît équipée à l'allemande, avec le chapeau à plumes et le +pourpoint à crevées des reîtres saxons et des suisses +mercenaires<a id="footnotetag127" name="footnotetag127"></a><a href="#footnote127" title="Lien vers la note 127"><span class="smaller">[127]</span></a>? Je ne saurais dire quel est le prototype de ces +portraits, mais ils ressemblent beaucoup à la femme qui accompagne les +soudoyers dans la <i>Danse des morts</i> que Nicolas Manuel peignit de 1515 +à 1521 à Berne, sur le mur du couvent des dominicains<a id="footnotetag128" name="footnotetag128"></a><a href="#footnote128" title="Lien vers la note 128"><span class="smaller">[128]</span></a>. Au grand +siècle, Jeanne d'Arc devient Clorinde, Minerve, Bellone en costume de +ballet<a id="footnotetag129" name="footnotetag129"></a><a href="#footnote129" title="Lien vers la note 129"><span class="smaller">[129]</span></a>.</p> + +<p>J'ai cru qu'un récit continu vaudrait mieux que toutes les +controverses et que toutes les discussions pour faire sentir la vie et +connaître la vérité. Il est certain que les textes relatifs à la +Pucelle ne se prêtent pas très bien à ce genre d'histoire: comme je +viens de le montrer, ils <span class="pagenum"><a id="pageLXXX" name="pageLXXX"></a>(p. LXXX)</span> sont presque tous suspects à +divers égards et soulèvent à chaque instant des objections; mais je +pense qu'en faisant de ces textes un usage prudent et judicieux, on en +peut tirer encore des données suffisantes pour constituer une histoire +positive de quelque étendue. D'ailleurs, j'ai toujours indiqué mes +sources; chacun sera juge de l'autorité des garants que j'invoque.</p> + +<p>Dans mon récit, j'ai rapporté un assez grand nombre de circonstances +qui, sans avoir directement trait à Jeanne, révèlent l'esprit, les +mœurs et les croyances du temps; ces circonstances sont pour la +plupart d'ordre religieux. C'est que l'histoire de Jeanne, je ne puis +assez le dire, est une histoire religieuse, une histoire de sainte, +tout comme celle de Colette de Corbie ou de Catherine de Sienne.</p> + +<p>J'ai beaucoup accordé, j'ai peut-être trop accordé au désir de faire +vivre le lecteur au milieu des choses et parmi les hommes du <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> +siècle. Pour ne pas le distraire trop brusquement, j'ai évité de lui +présenter tout rapprochement avec d'autres époques, bien qu'il m'en +vînt un grand nombre à l'esprit.</p> + +<p>J'ai nourri mon texte de la forme et de la substance des textes +anciens, mais je n'y ai, autant dire, jamais introduit de citations +littérales: je crois que, sans une certaine unité de langage, un livre +est illisible, et j'ai voulu être lu.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="pageLXXXI" name="pageLXXXI"></a>(p. LXXXI)</span> Ce n'est pas par affectation de style ni par goût artiste +que j'ai gardé le plus que j'ai pu le ton de l'époque et préféré les +formes archaïques de la langue toutes les fois que j'ai cru qu'elles +seraient intelligibles; c'est parce qu'on change les idées en +changeant les mots et qu'on ne peut substituer aux termes anciens des +termes modernes sans altérer les sentiments ou les caractères.</p> + +<p>J'ai tâché de garder un ton simple et familier. On écrit trop souvent +l'histoire d'un ton noble qui la rend ennuyeuse et fausse. +S'imagine-t-on que les faits historiques sortent du train ordinaire +des choses et de la mesure commune de l'humanité?</p> + +<p>Une tentation terrible pour l'historien d'une telle histoire, c'est de +se jeter dans la bataille. Il n'y a guère de moderne récit de ces +vieux assauts où l'on ne voie l'auteur, ecclésiastique ou professeur, +s'élancer, la plume à l'oreille, sous les flèches anglaises, au côté +de la Pucelle. Je crois qu'au risque de ne point montrer toute la +beauté de son cœur, il vaut mieux ne pas paraître dans les affaires +qu'on raconte.</p> + +<p>J'ai écrit cette histoire avec un zèle ardent et tranquille; j'ai +cherché la vérité sans mollesse, je l'ai rencontrée sans peur. Alors +même qu'elle prenait un visage étrange, je ne me suis pas détourné +d'elle. On me reprochera mon audace jusqu'à ce qu'on me reproche ma +timidité.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="pageLXXXII" name="pageLXXXII"></a>(p. LXXXII)</span> Je suis heureux d'exprimer ma gratitude à mes illustres +confrères, MM. Paul Meyer et Ernest Lavisse, dont les conseils m'ont +été précieux. Je dois beaucoup à M. Petit-Dutaillis, qui a bien voulu +me présenter des observations dont j'ai tenu compte. J'ai grandement à +me louer de l'aide que m'ont prêté M. Henri Jadart, secrétaire de +l'Académie de Reims, M. E. Langlois, professeur à la Faculté des +lettres de Lille, M. Camille Bloch, l'ancien archiviste du Loiret, M. +Noël Charavay, expert en autographes, et M. Raoul Bonnet.</p> + +<p>M. Pierre Champion, qui, très jeune encore, s'est fait connaître par +de beaux travaux historiques, a mis à ma disposition le résultat de +ses recherches avec un désintéressement que je ne saurais assez +reconnaître et il a bien voulu relire attentivement tout mon travail. +M. Jean Brousson m'a fait profiter des ressources de sa perspicacité +qui passent de beaucoup ce qu'on est en droit d'attendre d'un +secrétaire.</p> + +<p>Au siècle que j'ai essayé de faire revivre en cet ouvrage, un démon +nommé Titivillus mettait chaque soir dans son sac toutes les lettres +omises ou changées par les copistes durant la journée et les portait +en enfer, pour que Saint-Michel, alors qu'il pèserait les âmes de ces +scribes négligents, mît la part de chacun dans le plateau des +iniquités. Je crois que ce diable, justement vétilleux, s'il a survécu +à la découverte de <span class="pagenum"><a id="pageLXXXIII" name="pageLXXXIII"></a>(p. LXXXIII)</span> l'imprimerie, assume aujourd'hui la +lourde tâche de relever les coquilles semées dans les livres qui +prétendent à l'exactitude; car il serait bien naïf de s'occuper des +autres. Je pense qu'il met ces coquilles, selon le cas, à la charge du +prote ou de l'auteur. J'ai une infinie reconnaissance à mes éditeurs +et amis MM. Calmann-Lévy et à leurs excellents collaborateurs d'avoir, +par leurs soins et leur expérience, allégé de beaucoup le sac dont +Titivillus me chargera au jour du jugement.</p> + + + + +<h1><span class="pagenum"><a id="page1" name="page1"></a>(p. 1)</span> VIE DE JEANNE D'ARC</h1> + + + +<h2>CHAPITRE PREMIER<br> + +<span class="smaller">L'ENFANCE.</span></h2> + + +<p>De Neufchâteau à Vaucouleurs la Meuse coule libre et pure entre les +trochées de saules et d'aulnes et les peupliers qu'elle arrose, se +joue tantôt en brusques détours, tantôt en longs circuits, et divise +et réunit sans cesse les glauques filets de ses eaux, qui parfois se +perdent tout à coup sous terre. L'été, ce n'est qu'un ruisseau +paresseux qui courbe en passant les roseaux du lit qu'il n'a presque +pas creusé; et, si l'on approche du bord, on voit la rivière, ralentie +par des îlots de joncs, couvrir à peine de ses moires un peu de sable +et de mousse. Mais dans la saison des pluies, grossie de torrents +soudains, plus lourde et plus rapide, elle laisse, en fuyant, une +rosée souterraine qui remonte çà et là, en flaques claires, à fleur +d'herbe, dans la vallée.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page2" name="page2"></a>(p. 2)</span> Cette vallée s'étend, toute unie, large d'une lieue à une lieue +et demie, entre des collines arrondies et basses, couronnées de +chênes, d'érables et de bouleaux. Bien que fleurie au printemps, elle +est d'un aspect austère et grave et prend parfois un caractère de +tristesse. L'herbe la revêt avec une monotonie égale à celle des eaux +dormantes. On y sent, même dans les beaux jours, la menace d'un climat +rude et froid. Le ciel y semble plus doux que la terre. Il l'enveloppe +de son sourire humide; il est le mouvement, la grâce et la volupté de +ce paysage tranquille et chaste. Puis, quand vient l'hiver, il se mêle +à la terre dans une apparence de chaos. Les brouillards y deviennent +épais et tenaces. Aux vapeurs blanches et légères qui flottaient, par +les matins tièdes, sur le fond de la vallée, succèdent des nuages +opaques et de sombres montagnes mouvantes, qu'un soleil rouge et froid +dissipe lentement. Et, le long des sentiers du haut pays, le passant +matinal a cru, comme les mystiques dans leurs ravissements, marcher +sur les nuées.</p> + +<p>C'est ainsi qu'après avoir laissé à sa gauche le plateau boisé du haut +duquel le château de Bourlémont domine le val de la Saônelle et à sa +droite Coussey avec sa vieille église, la rivière flexible passe entre +le Bois Chesnu au couchant et la côte de Julien au levant, rencontre, +sur sa rive occidentale, les villages de Domremy et de Greux, qui se +touchent, sépare Greux de Maxey-sur-Meuse, atteint, entre autres +<span class="pagenum"><a id="page3" name="page3"></a>(p. 3)</span> hameaux blottis au creux des collines ou dressés sur les +hautes terres, Burey-la-Côte, Maxey-sur-Vaise et Burey-en-Vaux, et va +baigner les belles prairies de Vaucouleurs<a id="footnotetag130" name="footnotetag130"></a><a href="#footnote130" title="Lien vers la note 130"><span class="smaller">[130]</span></a>.</p> + +<p>Dans ce petit village de Domremy, situé à moins de trois lieues en +aval de Neufchâteau et à cinq lieues en amont de Vaucouleurs, une +fille naquit vers l'an 1410 ou 1412<a id="footnotetag131" name="footnotetag131"></a><a href="#footnote131" title="Lien vers la note 131"><span class="smaller">[131]</span></a>, destinée à l'existence la +plus singulière. Elle naissait pauvre. Jacques ou Jacquot d'Arc, son +père<a id="footnotetag132" name="footnotetag132"></a><a href="#footnote132" title="Lien vers la note 132"><span class="smaller">[132]</span></a>, originaire du village de Ceffonds en Champagne<a id="footnotetag133" name="footnotetag133"></a><a href="#footnote133" title="Lien vers la note 133"><span class="smaller">[133]</span></a>, vivait +d'un gagnage ou petite ferme, et menait les chevaux au labour. Ses +voisins et voisines le tenaient pour bon chrétien et vaillant à +l'ouvrage<a id="footnotetag134" name="footnotetag134"></a><a href="#footnote134" title="Lien vers la note 134"><span class="smaller">[134]</span></a>. Sa femme était originaire de Vouthon, village situé à +une lieue et demie au nord-ouest de Domremy, par delà les <span class="pagenum"><a id="page4" name="page4"></a>(p. 4)</span> bois +de Greux. Ayant nom Isabelle ou Zabillet, elle reçut, à une époque +qu'on ne saurait indiquer, le surnom de Romée<a id="footnotetag135" name="footnotetag135"></a><a href="#footnote135" title="Lien vers la note 135"><span class="smaller">[135]</span></a>. On appelait ainsi +ceux qui étaient allés à Rome ou avaient fait quelque grand +pèlerinage<a id="footnotetag136" name="footnotetag136"></a><a href="#footnote136" title="Lien vers la note 136"><span class="smaller">[136]</span></a>, et l'on peut croire qu'Isabelle gagna son nom de +Romée en prenant les coquilles et le bourdon<a id="footnotetag137" name="footnotetag137"></a><a href="#footnote137" title="Lien vers la note 137"><span class="smaller">[137]</span></a>. Un de ses frères +était curé, un autre, couvreur; un de ses neveux charpentier<a id="footnotetag138" name="footnotetag138"></a><a href="#footnote138" title="Lien vers la note 138"><span class="smaller">[138]</span></a>. +Elle avait déjà donné à son mari trois enfants: Jacques ou Jacquemin, +Catherine et Jean<a id="footnotetag139" name="footnotetag139"></a><a href="#footnote139" title="Lien vers la note 139"><span class="smaller">[139]</span></a>.</p> + +<p>La maison de Jacques d'Arc touchait au pourpris de l'église +paroissiale, dédiée à saint Remi, apôtre des Gaules<a id="footnotetag140" name="footnotetag140"></a><a href="#footnote140" title="Lien vers la note 140"><span class="smaller">[140]</span></a>. On n'eut que +le cimetière à traverser pour <span class="pagenum"><a id="page5" name="page5"></a>(p. 5)</span> porter l'enfant sur les fonts. +Les formules d'exorcismes, que le prêtre récite à la cérémonie du +baptême, étaient, à cette époque, dans ces contrées, beaucoup plus +longues, dit-on, pour les filles que pour les garçons<a id="footnotetag141" name="footnotetag141"></a><a href="#footnote141" title="Lien vers la note 141"><span class="smaller">[141]</span></a>. Sans +savoir si messire Jean Minet<a id="footnotetag142" name="footnotetag142"></a><a href="#footnote142" title="Lien vers la note 142"><span class="smaller">[142]</span></a>, curé de la paroisse, les prononça +dans leur teneur exacte sur la tête de l'enfant, nous rappelons cet +usage comme un des nombreux indices de l'invincible défiance +qu'inspira toujours à l'Église la nature féminine.</p> + +<p>Selon la coutume d'alors, cette enfant eut plusieurs parrains et +marraines<a id="footnotetag143" name="footnotetag143"></a><a href="#footnote143" title="Lien vers la note 143"><span class="smaller">[143]</span></a>. Les compères furent Jean Morel, de Greux, laboureur; +Jean Barrey, de Neufchâteau; Jean Le Langart ou Lingui et Jean +Rainguesson; les commères, Jeannette, femme de Thevenin le Royer, dit +Roze, de Domremy; Béatrix, femme d'Estellin, laboureur au même lieu; +Edite, femme de Jean Barrey, Jeanne, femme d'Aubrit, dit Jannet, qu'on +appela le maire Aubrit, quand il fut nommé officier de plume au +service des seigneurs de Bourlémont<a id="footnotetag144" name="footnotetag144"></a><a href="#footnote144" title="Lien vers la note 144"><span class="smaller">[144]</span></a>; Jeannette, femme de +Thiesselin de Vittel, clerc à Neufchâteau, de toutes la plus savante, +car elle avait entendu lire des histoires dans des livres. On désigne +encore, parmi les commères, la femme de Nicolas d'Arc frère de <span class="pagenum"><a id="page6" name="page6"></a>(p. 6)</span> +Jacques, ainsi que deux obscures chrétiennes nommées l'une Agnès, +l'autre Sibylle<a id="footnotetag145" name="footnotetag145"></a><a href="#footnote145" title="Lien vers la note 145"><span class="smaller">[145]</span></a>. Il se rencontrait là nombre de Jean, de Jeanne +et de Jeannette, comme en toute assemblée de bons catholiques. Saint +Jean-Baptiste jouissait d'une très haute renommée; sa fête, célébrée +le 24 juin, était une grande date de l'année religieuse et civile; +elle servait de terme usuel pour baux, locations et contrats de toutes +sortes. Saint Jean l'Évangéliste, qui avait reposé la tête contre la +poitrine du Seigneur et qui devait revenir sur la terre à la +consommation des siècles, passait aux yeux de certains religieux, aux +yeux surtout des mendiants, pour le plus grand des saints du +Paradis<a id="footnotetag146" name="footnotetag146"></a><a href="#footnote146" title="Lien vers la note 146"><span class="smaller">[146]</span></a>. C'est pourquoi, en l'honneur du Précurseur ou de +l'apôtre bien-aimé, on imposait très souvent, de préférence à tout +autre nom, les noms de Jean et de Jeanne aux nouveau-nés. Et, pour +mieux approprier ces saints noms à la petitesse de l'enfance et à +l'infimité promise à la plupart des destinées humaines, on les +diminuait en Jeannot et Jeannette. Les paysans des bords de la Meuse +avaient un goût particulier pour ces petits noms à la fois humbles et +caressants, Jacquot, Pierrollot, Zabillet, Mengette, Guillemette<a id="footnotetag147" name="footnotetag147"></a><a href="#footnote147" title="Lien vers la note 147"><span class="smaller">[147]</span></a>. +L'enfant reçut, de la femme <span class="pagenum"><a id="page7" name="page7"></a>(p. 7)</span> du clerc Thiesselin, le nom de +Jeannette. Au village, elle ne porta que celui-là. Plus tard, en +France, on l'appela Jeanne<a id="footnotetag148" name="footnotetag148"></a><a href="#footnote148" title="Lien vers la note 148"><span class="smaller">[148]</span></a>.</p> + +<p>Elle fut nourrie dans la maison paternelle. Pauvre demeure de +Jacques<a id="footnotetag149" name="footnotetag149"></a><a href="#footnote149" title="Lien vers la note 149"><span class="smaller">[149]</span></a>! La façade était percée d'une ou deux fenêtres chiches de +lumière. Le toit de pierres plates, incliné sur un demi-pignon, +descendait presque à terre du côté du jardin. Sur le seuil, à la +coutume du pays, s'amassaient le fumier, les souches et les +instruments de labour, recouverts de rouille et de boue. Mais l'humble +jardin, à la fois verger et potager, était, au printemps, tout fleuri +de blanc et de rose<a id="footnotetag150" name="footnotetag150"></a><a href="#footnote150" title="Lien vers la note 150"><span class="smaller">[150]</span></a>.</p> + +<p>Ces bons chrétiens eurent encore un enfant, le dernier, Pierre qu'on +nommait Pierrelot<a id="footnotetag151" name="footnotetag151"></a><a href="#footnote151" title="Lien vers la note 151"><span class="smaller">[151]</span></a>.</p> + +<p>Jeanne grandit sur une terre avare, parmi des gens rudes et sobres, +nourris de vin rose et de pain bis, endurcis par une dure vie. Elle +grandit libre. Les enfants, chez les paysans laborieux, vivent le plus +souvent entre eux, hors du regard des parents. La fille <span class="pagenum"><a id="page8" name="page8"></a>(p. 8)</span> +d'Isabelle semble s'être très bien accordée avec les enfants du +village. Une petite voisine, Hauviette, de trois ou quatre ans plus +jeune qu'elle, était sa compagne de tous les jours. Elles avaient +plaisir à coucher dans le même lit<a id="footnotetag152" name="footnotetag152"></a><a href="#footnote152" title="Lien vers la note 152"><span class="smaller">[152]</span></a>. Mengette, dont les parents +habitaient tout contre, venait filer dans la maison de Jacques d'Arc. +Elle s'y acquittait avec Jeanne des soins du ménage<a id="footnotetag153" name="footnotetag153"></a><a href="#footnote153" title="Lien vers la note 153"><span class="smaller">[153]</span></a>. Souvent +aussi Jeanne, emportant sa quenouille, allait faire la veillée chez un +laboureur, Jacquier, de Saint-Amance, qui avait une fille toute +jeune<a id="footnotetag154" name="footnotetag154"></a><a href="#footnote154" title="Lien vers la note 154"><span class="smaller">[154]</span></a>. Les garçons, comme de raison, croissaient avec les filles. +Jeanne et le fils de Simonin Musnier, étant voisine et voisin, furent +élevés ensemble. En son enfance, le fils Musnier tomba malade; Jeanne +l'alla soigner<a id="footnotetag155" name="footnotetag155"></a><a href="#footnote155" title="Lien vers la note 155"><span class="smaller">[155]</span></a>.</p> + +<p>Il n'était pas sans exemple en ce temps-là que des villageoises +connussent leurs lettres. Maître Jean Gerson, peu d'années auparavant, +conseillait à ses sœurs, paysannes champenoises, d'apprendre à +lire, promettant, si elles y réussissaient, de leur donner des livres +d'édification<a id="footnotetag156" name="footnotetag156"></a><a href="#footnote156" title="Lien vers la note 156"><span class="smaller">[156]</span></a>. Bien que nièce de curé, Jeanne n'étudia <span class="pagenum"><a id="page9" name="page9"></a>(p. 9)</span> +pas sa Croix-de-Dieu, semblable en cela à plusieurs enfants de son +village, non pourtant à tous, car il y avait à Maxey une école où +allaient les garçons de Domremy<a id="footnotetag157" name="footnotetag157"></a><a href="#footnote157" title="Lien vers la note 157"><span class="smaller">[157]</span></a>.</p> + +<p>Elle apprit de sa mère <i>Notre Père</i>, <i>Je vous salue, Marie</i>, et <i>Je +crois en Dieu</i><a id="footnotetag158" name="footnotetag158"></a><a href="#footnote158" title="Lien vers la note 158"><span class="smaller">[158]</span></a>. Elle entendit conter quelques belles histoires de +saints et de saintes. Ce fut tout l'enseignement qu'elle reçut. Aux +jours fériés, dans la nef de l'église, elle se tenait sous la chaire, +assise sur les talons, à la manière des paysannes, tandis que les +hommes demeuraient debout contre le mur, et elle entendait le sermon +du curé<a id="footnotetag159" name="footnotetag159"></a><a href="#footnote159" title="Lien vers la note 159"><span class="smaller">[159]</span></a>.</p> + +<p>Dès qu'elle en eut l'âge, elle travailla aux champs, sarclant, bêchant +et, comme font encore aujourd'hui les filles du pays lorrain, +accomplissant des tâches d'homme.</p> + +<p>Les prairies, don du fleuve, étaient la principale richesse des +riverains de la Meuse. Quand la récolte des foins était faite, tous +les habitants de Domremy avaient droit de pâture dans les prairies du +village, et ils y pouvaient mettre des têtes de bétail en nombre +<span class="pagenum"><a id="page10" name="page10"></a>(p. 10)</span> proportionnel à celui des fauchées de pré qu'ils possédaient +en propre. Chaque famille prenait à son tour la garde des troupeaux +ainsi rassemblés. Jacques d'Arc, qui avait un peu d'herbage, mettait +ses bœufs et ses chevaux avec les autres. Lorsque venait son tour +de garde, il s'en déchargeait sur sa fille Jeanne, qui allait au pré, +sa quenouille à la main<a id="footnotetag160" name="footnotetag160"></a><a href="#footnote160" title="Lien vers la note 160"><span class="smaller">[160]</span></a>.</p> + +<p>Mais elle aimait mieux vaquer aux soins du ménage, coudre et filer. +Elle était pieuse. Elle ne jurait ni Dieu ni les saints et, pour +affirmer qu'une chose était vraie, elle se contentait de dire: «Sans +faute»<a id="footnotetag161" name="footnotetag161"></a><a href="#footnote161" title="Lien vers la note 161"><span class="smaller">[161]</span></a>. Quand les cloches sonnaient l'<i>Angelus</i>, elle se signait +et s'agenouillait<a id="footnotetag162" name="footnotetag162"></a><a href="#footnote162" title="Lien vers la note 162"><span class="smaller">[162]</span></a>. Le samedi, jour de la Sainte Vierge, +gravissant le coteau d'herbes, de vignes et de vergers au pied duquel +s'appuie le village de Greux, elle gagnait le plateau boisé d'où l'on +découvre, à l'est, la verte vallée et les collines bleuissantes. Sur +la hauteur, à une petite lieue du village, dans un ravin plein d'ombre +et de murmures, la fontaine de Saint-Thiébault, dont l'eau très pure +guérit de la fièvre et cicatrise les plaies, jaillit sous les hêtres, +les frênes et les chênes. Au-dessus de la fontaine, s'élève la +chapelle de Notre-Dame de Bermont. Dans la belle saison, elle est +toute parfumée de l'odeur des prés et des bois. Et l'hiver enveloppe +ce haut lieu de tristesse et de silence. <span class="pagenum"><a id="page11" name="page11"></a>(p. 11)</span> En ce temps-là, +vêtue du manteau royal et la couronne au front, dans ses bras son +divin enfant, Notre-Dame de Bermont recevait les prières et les +offrandes des jeunes garçons et des jeunes filles. Elle faisait des +miracles. Jeanne l'allait visiter en compagnie de sa sœur +Catherine, de quelques filles ou garçons du pays ou toute seule. Et le +plus souvent qu'elle pouvait, elle brûlait un cierge en l'honneur de +cette céleste dame<a id="footnotetag163" name="footnotetag163"></a><a href="#footnote163" title="Lien vers la note 163"><span class="smaller">[163]</span></a>.</p> + +<p>À une demi-lieue à l'est de Domremy, s'élevait une colline couverte +d'un bois épais où l'on ne s'aventurait guère de peur des sangliers et +des loups. Les loups étaient la terreur du pays. Les maires des +villages payaient des primes pour chaque tête de loup ou de louveteau +qu'on leur apportait<a id="footnotetag164" name="footnotetag164"></a><a href="#footnote164" title="Lien vers la note 164"><span class="smaller">[164]</span></a>. Ce bois, que Jeanne voyait du seuil de sa +porte, c'était le Bois Chesnu, le bois de chênes, ce qu'on pouvait +entendre au sens de bois chenu, vieille forêt<a id="footnotetag165" name="footnotetag165"></a><a href="#footnote165" title="Lien vers la note 165"><span class="smaller">[165]</span></a>. Nous verrons plus +tard comment à ce Bois Chesnu fut appliquée, en France, une prophétie +de Merlin l'Enchanteur.</p> + +<p>Au pied de la colline, du côté du village, était une fontaine<a id="footnotetag166" name="footnotetag166"></a><a href="#footnote166" title="Lien vers la note 166"><span class="smaller">[166]</span></a> que +les groseilliers épineux, en recourbant <span class="pagenum"><a id="page12" name="page12"></a>(p. 12)</span> leurs branches, +bordaient de leurs buissons grisâtres. On la nommait la +Fontaine-aux-Groseilliers, la Fontaine-aux-Nerpruns<a id="footnotetag167" name="footnotetag167"></a><a href="#footnote167" title="Lien vers la note 167"><span class="smaller">[167]</span></a>. Si, comme le +croyait un maître de l'Université de Paris<a id="footnotetag168" name="footnotetag168"></a><a href="#footnote168" title="Lien vers la note 168"><span class="smaller">[168]</span></a>, Jeanne appelait cette +fontaine la Fontaine-aux-Bonnes-Fées-Notre-Seigneur, c'était +assurément parce que les gens du village la désignaient de même +manière. Et il semblerait que ces âmes rustiques eussent voulu, par ce +nom, rendre chrétiennes ces dames des bois et des eaux qui ne +l'étaient guère, et en qui certains docteurs reconnaissaient des +démons autrefois adorés des païens comme déesses<a id="footnotetag169" name="footnotetag169"></a><a href="#footnote169" title="Lien vers la note 169"><span class="smaller">[169]</span></a>.</p> + +<p>Et c'était la vérité. Déesses vénérées et redoutées à l'égal des +Parques, elles s'étaient nommées les Fatales<a id="footnotetag170" name="footnotetag170"></a><a href="#footnote170" title="Lien vers la note 170"><span class="smaller">[170]</span></a> et on leur avait +attribué un pouvoir sur les destinées des hommes. Mais, depuis +longtemps déchues de leur puissance et de leurs honneurs, ces fées de +village se faisaient aussi simples que les gens près desquels elles +vivaient. On les invitait aux baptêmes et l'on mettait leur couvert +dans la chambre attenante à celle de l'accouchée. À ces festins, elles +mangeaient seules, entraient, sortaient sans qu'on le sût; il ne +fallait pas trop les épier, de peur de leur déplaire. C'est l'usage +des personnes divines d'aller et de venir mystérieusement. Elles +faisaient des dons aux nouveau-nés. Il y en <span class="pagenum"><a id="page13" name="page13"></a>(p. 13)</span> avait de très +bonnes; mais, pour la plupart, sans être méchantes, elles se +montraient irritables, capricieuses, jalouses, et, si on les +offensait, même par mégarde, elles jetaient des sorts. Elles +laissaient voir parfois, à d'inexplicables préférences, qu'elles +étaient femmes. Plus d'une prenait pour ami un chevalier ou un rustre; +le plus souvent ces belles amours finissaient mal. Enfin, terribles ou +douces, elles étaient encore les <i>Fatales</i>, elles étaient toujours les +destinées<a id="footnotetag171" name="footnotetag171"></a><a href="#footnote171" title="Lien vers la note 171"><span class="smaller">[171]</span></a>.</p> + +<p>Tout proche, à l'orée du bois, au-dessus du grand chemin de +Neufchâteau, s'élevait un hêtre très vieux qui répandait une belle et +grande ombre<a id="footnotetag172" name="footnotetag172"></a><a href="#footnote172" title="Lien vers la note 172"><span class="smaller">[172]</span></a>. Il était vénéré presque à l'égal de ces arbres +tenus pour sacrés avant que les hommes apostoliques eussent évangélisé +les Gaules<a id="footnotetag173" name="footnotetag173"></a><a href="#footnote173" title="Lien vers la note 173"><span class="smaller">[173]</span></a>. Ses branches, qu'aucune main n'osait toucher, +descendaient jusqu'à terre. «Les lis, disait un laboureur, ne sont pas +plus beaux<a id="footnotetag174" name="footnotetag174"></a><a href="#footnote174" title="Lien vers la note 174"><span class="smaller">[174]</span></a>.» Comme la fontaine, l'arbre avait plusieurs noms. On +l'appelait l'Arbre-des-Dames, l'Arbre-aux-Loges-les-Dames, +l'Arbre-des-Fées, l'Arbre-Charmine-Fée-de-Bourlémont, le +Beau-Mai<a id="footnotetag175" name="footnotetag175"></a><a href="#footnote175" title="Lien vers la note 175"><span class="smaller">[175]</span></a>.</p> + +<p>Qu'il fût des fées et qu'on en eût vu sous +l'Arbre-aux-Loges-les-Dames, <span class="pagenum"><a id="page14" name="page14"></a>(p. 14)</span> tout le monde à Domremy le +savait. Dans les anciens jours, au temps où Berthe filait, un seigneur +de Bourlémont, nommé Pierre Granier<a id="footnotetag176" name="footnotetag176"></a><a href="#footnote176" title="Lien vers la note 176"><span class="smaller">[176]</span></a>, devenu le bel ami d'une fée, +l'allait trouver le soir sous le hêtre. Un roman traitait de leurs +amours. Et l'une des marraines de Jeanne, dont le mari était clerc à +Neufchâteau, avait entendu lire cette histoire qui ressemblait sans +doute à celle de Mélusine, tant connue en Lorraine<a id="footnotetag177" name="footnotetag177"></a><a href="#footnote177" title="Lien vers la note 177"><span class="smaller">[177]</span></a>. Seulement on +doutait si les fées venaient encore sous le hêtre. Les uns croyaient +que non, les autres croyaient qu'oui. Béatrix, marraine aussi de +Jeanne, disait: «J'ai ouï conter que les fées venaient sous l'arbre +dans l'ancien temps. Mais, pour leurs péchés, elles n'y viennent +plus<a id="footnotetag178" name="footnotetag178"></a><a href="#footnote178" title="Lien vers la note 178"><span class="smaller">[178]</span></a>.»</p> + +<p>La simple créature entendait par là que ces dames fées étaient les +ennemies de Dieu, et que le curé les avait mises en fuite. Jean Morel, +parrain de Jeanne, pensait de même<a id="footnotetag179" name="footnotetag179"></a><a href="#footnote179" title="Lien vers la note 179"><span class="smaller">[179]</span></a>.</p> + +<p>En effet, la veille de l'Ascension, aux Rogations ou Petites Litanies, +les croix étaient portées par les champs et le curé allait sous +l'Arbre-des-Fées chanter l'évangile <span class="pagenum"><a id="page15" name="page15"></a>(p. 15)</span> de saint Jean. Il le +chantait encore à la Fontaine-aux-Groseilliers et aux autres fontaines +de la paroisse<a id="footnotetag180" name="footnotetag180"></a><a href="#footnote180" title="Lien vers la note 180"><span class="smaller">[180]</span></a>. Et pour chasser les mauvais esprits, on ne +connaissait rien qui valût l'évangile de saint Jean<a id="footnotetag181" name="footnotetag181"></a><a href="#footnote181" title="Lien vers la note 181"><span class="smaller">[181]</span></a>.</p> + +<p>Le seigneur Aubert d'Ourches estimait que les fées avaient disparu de +Domremy depuis vingt ou trente ans. Au rebours, plusieurs dans le +village croyaient savoir que les chrétiens allaient encore se promener +avec elles, et que le jeudi était le jour des rendez-vous<a id="footnotetag182" name="footnotetag182"></a><a href="#footnote182" title="Lien vers la note 182"><span class="smaller">[182]</span></a>.</p> + +<p>Une troisième marraine de Jeanne, la femme d'Aubery, le maire, avait +vu de ses yeux les fées autour de l'arbre. Elle l'avait dit à sa +filleule. Et la femme d'Aubery était réputée bonne et prude femme, non +devineresse ni sorcière<a id="footnotetag183" name="footnotetag183"></a><a href="#footnote183" title="Lien vers la note 183"><span class="smaller">[183]</span></a>.</p> + +<p>Jeanne soupçonnait en tout cela quelque sortilège. Pour elle, elle +n'avait jamais rencontré les dames sous l'arbre. Mais qu'elle eût vu +des fées ailleurs, c'est ce qu'elle n'aurait pas su dire<a id="footnotetag184" name="footnotetag184"></a><a href="#footnote184" title="Lien vers la note 184"><span class="smaller">[184]</span></a>. Les +fées ne sont pas comme les anges; elles ne se font pas toujours +connaître pour ce qu'elles sont<a id="footnotetag185" name="footnotetag185"></a><a href="#footnote185" title="Lien vers la note 185"><span class="smaller">[185]</span></a>.</p> + +<p>Chaque année, le quatrième dimanche de Carême, <span class="pagenum"><a id="page16" name="page16"></a>(p. 16)</span> que l'Église +nomme le dimanche de <i>Lætare</i>, parce qu'on chante à la messe de ce +jour l'introït qui commence par ces mots: <i>Lætare Jerusalem</i>, les +paysans du Barrois célébraient une fête rustique et faisaient ce +qu'ils appelaient leurs Fontaines, c'est-à-dire qu'ils allaient en +troupe boire à quelque source et danser sur l'herbe. Ceux de Greux +faisaient leurs Fontaines à la chapelle de Notre-Dame de Bermont; ceux +de Domremy les faisaient à la Fontaine-des-Groseilliers et à +l'Arbre-des-Fées<a id="footnotetag186" name="footnotetag186"></a><a href="#footnote186" title="Lien vers la note 186"><span class="smaller">[186]</span></a>. On se rappelait le temps où le seigneur et la +dame de Bourlémont y conduisaient eux-mêmes la jeunesse du village. +Mais Jeanne était encore dans les langes, quand Pierre de Bourlémont, +seigneur de Domremy et de Greux, mourut sans enfants, laissant ses +terres à sa nièce Jeanne de Joinville qui, mariée à un chambellan du +duc de Lorraine, vivait à Nancy<a id="footnotetag187" name="footnotetag187"></a><a href="#footnote187" title="Lien vers la note 187"><span class="smaller">[187]</span></a>.</p> + +<p>Le jour des Fontaines, les filles et les garçons de Domremy se +rendaient ensemble au vieux hêtre. Après y avoir suspendu des +guirlandes de fleurs, ils soupaient, sur une nappe étendue à terre, de +noix, d'œufs durs et de petits pains d'une forme étrange, que les +ménagères avaient pétris tout exprès. Puis ils allaient boire à la +Fontaine-des-Groseilliers, dansaient des rondes et s'en retournaient +chacun chez soi à la tombée de la nuit.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page17" name="page17"></a>(p. 17)</span> Jeanne faisait ses Fontaines comme toutes les jouvencelles de +la contrée. Bien qu'elle fût de la partie de Domremy rattachée à +Greux, elle les faisait non pas à Notre-Dame de Bermont, mais à la +Fontaine-des-Groseilliers et à l'Arbre-des-Fées<a id="footnotetag188" name="footnotetag188"></a><a href="#footnote188" title="Lien vers la note 188"><span class="smaller">[188]</span></a>.</p> + +<p>En son premier âge, elle dansait avec ses compagnes au pied de +l'arbre. Elle y tressait des guirlandes pour l'image de Notre-Dame de +Domremy, dont la chapelle s'élevait sur un coteau voisin. Les jeunes +filles avaient coutume de suspendre des guirlandes aux branches de +l'Arbre-des-Fées. Jeanne en suspendait, comme les autres, et, comme +les autres, tantôt elle les emportait, tantôt elle les laissait. On ne +savait ce qu'elles devenaient, et il paraît que la disparition de ces +fleurs était de nature à inquiéter les personnes scientifiques et +d'entendement. Ce qui est certain c'est que les malades, s'ils +buvaient à la fontaine et se promenaient ensuite sous l'arbre, +guérissaient de la fièvre<a id="footnotetag189" name="footnotetag189"></a><a href="#footnote189" title="Lien vers la note 189"><span class="smaller">[189]</span></a>.</p> + +<p>Pour fêter le printemps on faisait un homme de mai, un mannequin de +feuilles et de fleurs<a id="footnotetag190" name="footnotetag190"></a><a href="#footnote190" title="Lien vers la note 190"><span class="smaller">[190]</span></a>.</p> + +<p>Près de l'Arbre-des-Dames, sous un coudrier, une mandragore promettait +les richesses à qui, n'ayant peur ni de l'entendre crier, ni de voir +le sang dégoutter de son petit corps humain et de ses pieds fourchus, +<span class="pagenum"><a id="page18" name="page18"></a>(p. 18)</span> oserait, durant la nuit, selon les rites, l'arracher de +terre<a id="footnotetag191" name="footnotetag191"></a><a href="#footnote191" title="Lien vers la note 191"><span class="smaller">[191]</span></a>.</p> + +<p>L'arbre, la fontaine, la mandragore, rendaient les habitants de +Domremy suspects de commercer avec les mauvais esprits. Un savant +docteur a dit en propres termes que le pays était connu pour le grand +nombre de ses habitants qui usaient de maléfices<a id="footnotetag192" name="footnotetag192"></a><a href="#footnote192" title="Lien vers la note 192"><span class="smaller">[192]</span></a>.</p> + +<p>Jeanne, encore en sa prime jeunesse, fit plusieurs fois le voyage de +Sermaize en Champagne, où elle avait des parents. Le curé de la +paroisse, messire Henri de Vouthon, était son oncle maternel. Elle y +avait un cousin, Perrinet de Vouthon, qui y exerçait l'état de +couvreur avec son fils Henri<a id="footnotetag193" name="footnotetag193"></a><a href="#footnote193" title="Lien vers la note 193"><span class="smaller">[193]</span></a>.</p> + +<p>Domremy est séparé de Sermaize par quinze grandes lieues de forêts et +de landes. Jeanne, à ce qu'on peut croire, faisait le voyage en croupe +avec son frère sur la petite jument, la bâtière du gagnage<a id="footnotetag194" name="footnotetag194"></a><a href="#footnote194" title="Lien vers la note 194"><span class="smaller">[194]</span></a>. À +chaque fois que l'enfant s'y rendait, elle passait plusieurs jours +dans la maison de Perrinet, son cousin<a id="footnotetag195" name="footnotetag195"></a><a href="#footnote195" title="Lien vers la note 195"><span class="smaller">[195]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page19" name="page19"></a>(p. 19)</span> Le village de Domremy se divisait, selon le droit féodal, en +deux parties distinctes. Celle du midi, avec le château sur la Meuse +et une trentaine de feux, appartenait aux seigneurs de Bourlémont et +dépendait de la châtellenie de Gondrecourt, mouvant de la couronne de +France. C'était Lorraine et Barrois. La partie du nord, sur laquelle +s'élevait le moustier, relevait de la prévoté de Montéclaire et +Andelot au bailliage de Chaumont en Champagne<a id="footnotetag196" name="footnotetag196"></a><a href="#footnote196" title="Lien vers la note 196"><span class="smaller">[196]</span></a>. On l'appelait +quelquefois Domremy de Greux, parce qu'elle ne faisait qu'un, pour +ainsi dire, avec le village de Greux tout proche sur la route, vers +Vaucouleurs<a id="footnotetag197" name="footnotetag197"></a><a href="#footnote197" title="Lien vers la note 197"><span class="smaller">[197]</span></a>. Un ruisseau jailli à peu de distance, au couchant, +d'une triple source et qu'on nommait, dit-on, pour cela le ruisseau +des Trois-Fontaines, séparait les serfs de Bourlémont des hommes du +roi. Il passait humblement sous une pierre plate devant l'église, puis +se jetait par une pente rapide dans la Meuse, vis-à-vis de la maison +de Jacques d'Arc, qu'il avait laissée à gauche, en terre de Champagne +et de France<a id="footnotetag198" name="footnotetag198"></a><a href="#footnote198" title="Lien vers la note 198"><span class="smaller">[198]</span></a>. Voilà ce qui paraîtrait le plus solidement établi; +mais craignons de savoir ces choses mieux qu'on <span class="pagenum"><a id="page20" name="page20"></a>(p. 20)</span> ne les savait +à l'époque. En 1429, on ignorait dans le conseil du roi Charles, si +Jacques d'Arc était de condition libre ou serve<a id="footnotetag199" name="footnotetag199"></a><a href="#footnote199" title="Lien vers la note 199"><span class="smaller">[199]</span></a>. Et sans doute, +Jacques d'Arc lui-même n'en savait rien. Lorrains ou Champenois, des +deux côtés du ruisseau c'était pareillement des paysans menant une +même vie de labeur et de peine. Pour ne point dépendre du même maître, +les uns et les autres n'en formaient pas moins une communauté +étroitement unie, une seule famille rustique. Intérêts, besoins et +sentiments, ils partageaient tout. Menacés des mêmes dangers, ils +avaient tous les mêmes inquiétudes.</p> + +<p>Situé à la pointe sud de la châtellenie de Vaucouleurs, le village de +Domremy se trouvait pris entre le Barrois et la Champagne au levant, +la Lorraine au couchant<a id="footnotetag200" name="footnotetag200"></a><a href="#footnote200" title="Lien vers la note 200"><span class="smaller">[200]</span></a>. Terribles voisins que ces ducs de +Lorraine et de Bar, ce comte de Vaudemont, ce damoiseau de Commercy, +ces seigneurs évêques de Metz, de Toul et de Verdun, toujours en +guerre entre eux. Querelles de princes. Le villageois les observait +comme la grenouille de la vieille fable regarde les taureaux combattre +dans la prairie. Pâle, tremblant, le pauvre Jacques se voyait déjà +piétiné par les féroces combattants. En un temps où la chrétienté tout +entière était <span class="pagenum"><a id="page21" name="page21"></a>(p. 21)</span> au pillage, les hommes d'armes des Marches de +Lorraine avaient renommée des plus grands pillards du monde. +Malheureusement pour les laboureurs de la châtellenie de Vaucouleurs, +tout contre ce domaine, au nord, vivait de rapines Robert de +Saarbruck, damoiseau de Commercy, particulièrement prompt à dérober +selon la coutume lorraine. Il était de l'avis de ce roi d'Angleterre +qui disait que guerre sans incendie ne valait rien, non plus +qu'andouilles sans moutarde<a id="footnotetag201" name="footnotetag201"></a><a href="#footnote201" title="Lien vers la note 201"><span class="smaller">[201]</span></a>. Un jour, assiégeant une petite place +où les paysans s'étaient enfermés, le damoiseau fit brûler pendant +toute une nuit les moissons d'alentour, pour y voir plus clair à +prendre ses positions<a id="footnotetag202" name="footnotetag202"></a><a href="#footnote202" title="Lien vers la note 202"><span class="smaller">[202]</span></a>.</p> + +<p>En 1419, ce seigneur faisait la guerre aux frères Didier et Durand de +Saint-Dié. Il n'importe pour quelle raison. De cette guerre, ainsi que +des autres, les villageois faisaient les frais. Et comme les gens +d'armes se battaient sur toute la châtellenie de Vaucouleurs, les +habitants de Domremy avisèrent à leur sûreté. Voici de quelle manière. +Il y avait à Domremy un château qui s'élevait dans la prairie à la +pointe d'une île formée par deux bras de la rivière, dont l'un, le +bras oriental, est depuis longtemps comblé<a id="footnotetag203" name="footnotetag203"></a><a href="#footnote203" title="Lien vers la note 203"><span class="smaller">[203]</span></a>. De ce château +dépendaient une chapelle de Notre-Dame, une cour munie d'ouvrages de +défense et un grand jardin <span class="pagenum"><a id="page22" name="page22"></a>(p. 22)</span> entouré de fossés larges et +profonds. C'est ce qu'on nommait communément la forteresse de l'Île, +ancienne habitation des sires de Bourlémont. Le dernier de ces +seigneurs étant mort sans enfants, Jeanne de Joinville, sa nièce, +hérita de ses biens. Mais ayant épousé, peu de temps après la +naissance de Jeanne, un seigneur lorrain nommé Henri d'Ogiviller, elle +le suivit dans le château d'Ogiviller et à la cour ducale de Nancy. +Depuis son départ, la forteresse de l'Île restait inhabitée. Ceux du +village la prirent à loyer, pour y mettre à l'abri des pillards leurs +outils et leurs bêtes. La location fut adjugée sur enchères. Un nommé +Jean Biget, de Domremy, et Jacques d'Arc, le père de Jeanne, s'étant +trouvés les plus forts enchérisseurs et ayant fourni les garanties +suffisantes, un bail fut passé entre eux et les représentants de la +dame d'Ogiviller. Pour neuf années, à compter de la +Saint-Jean-Baptiste de l'an 1419, et moyennant un loyer annuel de +quatorze livres tournois et de trois imaux de blé<a id="footnotetag204" name="footnotetag204"></a><a href="#footnote204" title="Lien vers la note 204"><span class="smaller">[204]</span></a>, Jacques d'Arc +et Jean Biget eurent la jouissance de la forteresse, du jardin, de la +cour, ainsi que des prés qui dépendaient de ce domaine. Outre les deux +locataires principaux, il y eut cinq locataires subsidiaires, dont le +premier en nom fut Jacquemin, l'aîné des fils de Jacques d'Arc<a id="footnotetag205" name="footnotetag205"></a><a href="#footnote205" title="Lien vers la note 205"><span class="smaller">[205]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page23" name="page23"></a>(p. 23)</span> La précaution n'était pas inutile. En cette même année 1419, +Robert de Saarbruck et sa compagnie se rencontrèrent avec les hommes +des frères Didier et Durand, au village de Maxey, qui étendait en face +de Greux, sur l'autre côté de la Meuse, au pied des collines boisées, +ses toits de chaume. Les deux partis se livrèrent en ce lieu un combat +dans lequel le damoiseau victorieux fit trente-cinq prisonniers, +qu'ensuite il rançonna très âprement, selon l'usage. Dans le nombre se +trouvait ce Thiesselin de Vittel, écuyer, dont la femme avait tenu sur +les fonts du baptême la seconde fille de Jacques d'Arc. Jeanne, qui +avait alors sept ans, et peut-être un peu plus, put voir, d'une des +collines de son village, le combat où fut pris le mari de sa +marraine<a id="footnotetag206" name="footnotetag206"></a><a href="#footnote206" title="Lien vers la note 206"><span class="smaller">[206]</span></a>.</p> + +<p>Cependant les affaires du royaume de France allaient au plus mal. On +le savait à Domremy, car le village était sur la route et les passants +apportaient les nouvelles<a id="footnotetag207" name="footnotetag207"></a><a href="#footnote207" title="Lien vers la note 207"><span class="smaller">[207]</span></a>. C'est ainsi qu'on y avait appris le +meurtre du duc Jean de Bourgogne à qui les conseillers du dauphin +firent payer sur le pont de Montereau le sang versé rue Barbette et +qui en furent les mauvais marchands, cette mort ayant mis très bas +leur jeune <span class="pagenum"><a id="page24" name="page24"></a>(p. 24)</span> prince. La guerre s'en était suivie entre +Armagnacs et Bourguignons. Et cette guerre n'avait que trop profité +aux Anglais, obstinés ennemis du royaume, qui depuis deux cents ans +possédaient la Guyenne et y faisaient un grand négoce<a id="footnotetag208" name="footnotetag208"></a><a href="#footnote208" title="Lien vers la note 208"><span class="smaller">[208]</span></a>. Mais la +Guyenne était loin et peut-être ne savait-on pas à Domremy qu'elle +avait été jadis dans les appartenances des rois de France. Ce qu'on y +savait très bien, au contraire, c'est que durant les derniers troubles +du royaume les Anglais avaient repassé la mer et que monseigneur +Philippe, fils du feu duc Jean, leur avait tendu la main. Ils +occupaient la Normandie, le Maine, la Picardie, l'Île-de-France, Paris +la grande ville<a id="footnotetag209" name="footnotetag209"></a><a href="#footnote209" title="Lien vers la note 209"><span class="smaller">[209]</span></a>. Or les Anglais étaient très haïs et très +craints, en France, pour leur grande réputation de cruauté. Non qu'ils +fussent en réalité beaucoup plus méchants que les autres peuples<a id="footnotetag210" name="footnotetag210"></a><a href="#footnote210" title="Lien vers la note 210"><span class="smaller">[210]</span></a>. +En Normandie, leur roi Henri avait fait respecter les femmes et les +biens dans tous les lieux de son obéissance. Mais la guerre est +cruelle en soi et qui la porte chez un peuple devient justement odieux +à ce peuple. On les disait perfides et non toujours à tort, car la +bonne foi est rare parmi les <span class="pagenum"><a id="page25" name="page25"></a>(p. 25)</span> hommes. On les tournait en +dérision de diverses manières. En jouant sur leur nom en latin et en +français on les nommait anges. Or, s'ils étaient des anges, c'étaient +assurément de mauvais anges. Ils reniaient Dieu et avaient sans cesse +à la gorge leur <i>Goddam</i><a id="footnotetag211" name="footnotetag211"></a><a href="#footnote211" title="Lien vers la note 211"><span class="smaller">[211]</span></a>, tant qu'on les appelait les Godons. +C'étaient des diables. On disait qu'ils étaient coués, c'est-à-dire +qu'ils avaient une queue au derrière<a id="footnotetag212" name="footnotetag212"></a><a href="#footnote212" title="Lien vers la note 212"><span class="smaller">[212]</span></a>. On eut deuil dans beaucoup +de maisons françaises, quand la reine Ysabeau, faisant des nobles +fleurs de Lis litière au léopard, livra le royaume de France aux +coués<a id="footnotetag213" name="footnotetag213"></a><a href="#footnote213" title="Lien vers la note 213"><span class="smaller">[213]</span></a>. Depuis lors, le roi Henri V de Lancastre et le roi Charles +VI de Valois, le roi victorieux et le roi fol s'étaient suivis, à +quelques jours de distance, devant Dieu qui juge le bon et le mauvais, +le juste et l'injurieux, le faible et le puissant. La châtellenie de +Vaucouleurs était française<a id="footnotetag214" name="footnotetag214"></a><a href="#footnote214" title="Lien vers la note 214"><span class="smaller">[214]</span></a>. Il s'y trouvait des clercs et des +nobles pour plaindre cet autre Joas arraché tout enfant à ses ennemis, +orphelin dépouillé de son héritage, en qui tout l'espoir du <span class="pagenum"><a id="page26" name="page26"></a>(p. 26)</span> +royaume était renfermé. Mais croira-t-on que les pauvres laboureurs +avaient loisir de considérer ces choses? Croira-t-on que vraiment les +paysans de Domremy tenaient pour le dauphin Charles, leur droiturier +seigneur, tandis que les Lorrains de Maxey, suivant le parti de leur +duc, tenaient pour les Bourguignons?</p> + +<p>Maxey, sur la rive droite de la Meuse, n'était séparé de Domremy que +par la rivière. Les enfants de Domremy et de Greux y allaient à +l'école; des querelles s'élevaient entre eux; les petits Bourguignons +de Maxey et les petits Armagnacs de Domremy se livraient des +batailles. Plus d'une fois, le soir, à la tête du pont, Jeanne vit +revenir tout en sang les gars de son village<a id="footnotetag215" name="footnotetag215"></a><a href="#footnote215" title="Lien vers la note 215"><span class="smaller">[215]</span></a>. Qu'une fillette +ardente comme elle ait épousé gravement ces querelles et en ait conçu +une haine profonde des Bourguignons, cela se conçoit. On aurait tort +pourtant de chercher dans ces jeux de vilains en bas âge un indice de +l'état des esprits. Les jeunes garnements de ces deux paroisses en +avaient pour des siècles à s'insulter et à se battre<a id="footnotetag216" name="footnotetag216"></a><a href="#footnote216" title="Lien vers la note 216"><span class="smaller">[216]</span></a>. Partout et +toujours, quand les enfants vont en troupe et que ceux d'un village +rencontrent ceux du village voisin, les injures et les pierres volent. +Les paysans de Domremy, de Greux et de Maxey, se souciaient peu, sans +doute, des affaires des ducs et des rois. Ils avaient appris à +craindre les capitaines de leur <span class="pagenum"><a id="page27" name="page27"></a>(p. 27)</span> alliance à l'égal des +capitaines de l'alliance contraire, et à ne point faire de différence +entre les gens de guerre amis et les gens de guerre ennemis.</p> + +<p>En l'an 1420, les Anglais occupèrent le bailliage de Chaumont et +mirent des garnisons dans plusieurs forteresses du Bassigny. Messire +Robert, seigneur de Baudricourt et de Blaise, fils de feu messire +Liébault de Baudricourt, était alors capitaine de Vaucouleurs et +bailli de Chaumont pour le dauphin Charles. Il pouvait être estimé +grand pillard, même en Lorraine. Au printemps de cette année 1420, le +duc de Bourgogne ayant envoyé des ambassadeurs au seigneur évêque de +Verdun, sire Robert, d'accord avec le damoiseau de Commercy, les fit +prisonniers à leur retour. Pour venger cette offense, le duc de +Bourgogne déclara la guerre au capitaine de Vaucouleurs et la +châtellenie fut ravagée par des bandes d'Anglais et de +Bourguignons<a id="footnotetag217" name="footnotetag217"></a><a href="#footnote217" title="Lien vers la note 217"><span class="smaller">[217]</span></a>.</p> + +<p>En 1423, le duc de Lorraine était aux prises avec un terrible homme, +cet Étienne de Vignolles, routier gascon, déjà fameux sous le rude +sobriquet de La Hire<a id="footnotetag218" name="footnotetag218"></a><a href="#footnote218" title="Lien vers la note 218"><span class="smaller">[218]</span></a>, qu'il devait laisser après sa mort au valet +de cœur des jeux de cartes graissés par les doigts des <span class="pagenum"><a id="page28" name="page28"></a>(p. 28)</span> +soudards. La Hire tenait le parti du dauphin Charles, mais, de fait, +ne guerroyait que pour son propre gain. À cette heure, il battait le +Barrois au couchant et au midi, brûlant les églises et détruisant les +villages.</p> + +<p>Comme il occupait Sermaize, dont l'église était fortifiée, Jean comte +de Salm, gouverneur du duché de Bar pour le duc de Lorraine, l'y vint +assiéger avec deux cents chevaux. Un coup de bombarde, tiré par les +canonniers lorrains, tua Collot Turlaut, marié depuis deux ans à +Mengette, fille de Jean de Vouthon et cousine germaine de Jeanne<a id="footnotetag219" name="footnotetag219"></a><a href="#footnote219" title="Lien vers la note 219"><span class="smaller">[219]</span></a>.</p> + +<p>Jacques d'Arc était alors doyen de la communauté. Le doyen avait +beaucoup à faire, surtout dans les temps troublés. Il convoquait le +maire et les échevins à leurs réunions, faisait les cris des +ordonnances, commandait le guet de jour et de nuit, gardait les +prisonniers. Il était aussi chargé de la collecte des tailles, rentes +et redevances, office des plus pénibles à remplir dans un pays +ruiné<a id="footnotetag220" name="footnotetag220"></a><a href="#footnote220" title="Lien vers la note 220"><span class="smaller">[220]</span></a>.</p> + +<p>Robert de Saarbruck, damoiseau de Commercy, qui, pour le moment, était +armagnac, pillait et rançonnait, sous couleur de protection et de +sauvegarde, les villages barrisiens de la rive gauche de la +Meuse<a id="footnotetag221" name="footnotetag221"></a><a href="#footnote221" title="Lien vers la note 221"><span class="smaller">[221]</span></a>. <span class="pagenum"><a id="page29" name="page29"></a>(p. 29)</span> Le 7 octobre 1423, Jacques d'Arc signa, comme +doyen, au-dessous du maire et de l'échevin, l'acte par lequel le +damoiseau extorquait à ces pauvres gens le paiement annuel de deux +gros par feu entier et d'un gros par feu de veuve, imposition qui ne +montait pas à moins de deux cent vingt écus d'or, que le doyen était +chargé de colliger pour la Saint-Martin d'hiver<a id="footnotetag222" name="footnotetag222"></a><a href="#footnote222" title="Lien vers la note 222"><span class="smaller">[222]</span></a>.</p> + +<p>L'année suivante fut très mauvaise au dauphin Charles, car les +chevaliers français et écossais de son parti furent aussi maltraités +que possible à Verneuil. Cette année-là, le damoiseau de Commercy se +tourna bourguignon et n'en valut ni plus ni moins pour cela<a id="footnotetag223" name="footnotetag223"></a><a href="#footnote223" title="Lien vers la note 223"><span class="smaller">[223]</span></a>. Le +capitaine La Hire se battait encore dans le Barrois, mais cette fois +c'était contre le jeune fils de madame Yolande, le beau-frère du +dauphin Charles, René d'Anjou, nouvellement sorti de tutelle et +désormais investi du duché de Bar. Le capitaine La Hire réclamait, à +la pointe de la lance, certaines sommes d'argent que le cardinal duc +de Bar lui devait<a id="footnotetag224" name="footnotetag224"></a><a href="#footnote224" title="Lien vers la note 224"><span class="smaller">[224]</span></a>.</p> + +<p>En même temps Robert, sire de Baudricourt, était aux prises avec Jean +de Vergy, seigneur de Saint-Dizier, sénéchal de Bourgogne<a id="footnotetag225" name="footnotetag225"></a><a href="#footnote225" title="Lien vers la note 225"><span class="smaller">[225]</span></a>. Ce fut +une belle guerre. Des deux parts on prenait pain, vin, argent, +vaisselle, habits, gros et menu bétail, et l'on brûlait ce que l'on ne +<span class="pagenum"><a id="page30" name="page30"></a>(p. 30)</span> pouvait emporter. On mettait à rançon hommes, femmes, +enfants. Dans la plupart des villages du Bassigny, le labour fut +abandonné, presque tous les moulins furent détruits<a id="footnotetag226" name="footnotetag226"></a><a href="#footnote226" title="Lien vers la note 226"><span class="smaller">[226]</span></a>.</p> + +<p>Dix, vingt, trente bandes de Bourguignons parcouraient la châtellenie +de Vaucouleurs et y mettaient tout à feu et à sang. Les paysans +cachaient leurs chevaux pendant le jour et se relevaient la nuit pour +les mener paître<a id="footnotetag227" name="footnotetag227"></a><a href="#footnote227" title="Lien vers la note 227"><span class="smaller">[227]</span></a>. À Domremy on vivait dans une alarme +perpétuelle. Un veilleur à toute heure se tenait sur la tour carrée du +moustier. Chaque habitant, et, si l'on s'en rapporte à la coutume, le +curé lui-même, y faisant le guet à son tour, épiait, dans la +poussière, au soleil, sur le ruban pâle des routes, la lueur des +lances, scrutait du regard la profondeur effrayante des bois, et la +nuit, voyait avec terreur s'allumer à l'horizon les villages. À +l'approche des gens d'armes il lançait à toute volée ces cloches qui, +tour à tour, célébraient les naissances, pleuraient les morts, +appelaient le peuple à la prière, conjuraient la foudre et annonçaient +les périls. Les villageois réveillés sautaient demi-nus aux étables et +poussaient pêle-mêle les troupeaux vers le château qu'entouraient les +deux bras de la Meuse<a id="footnotetag228" name="footnotetag228"></a><a href="#footnote228" title="Lien vers la note 228"><span class="smaller">[228]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page31" name="page31"></a>(p. 31)</span> En l'été de 1425, certain chef de bandes, qui faisait meurtres +et larcins sans nombre dans tout le pays, Henri d'Orly, dit de Savoie, +tomba un jour avec ses larrons sur les villages de Greux et de +Domremy. Cette fois le château de l'Île ne fut d'aucun secours aux +habitants. Le seigneur Henri de Savoie prit tout le bétail des deux +villages et le fit conduire à quinze ou vingt lieues de là, dans son +château de Doulevant. Il avait aussi dérobé beaucoup de meubles et de +biens, en sorte que, ne pouvant tout loger en un seul endroit, il en +fit porter une partie à Dommartin-le-Franc, village assez proche où il +y avait un château précédé d'une si grande cour, que ce lieu en prit +le nom de Dommartin-la-Cour. Les paysans, cruellement dépouillés, +étaient en voie de mourir de faim. Heureusement pour eux, à la +nouvelle de cette volerie, la dame d'Ogiviller envoya au comte de +Vaudemont, en son château de Joinville, un message pour se plaindre à +lui, comme à son bon parent, d'un tort fait à elle-même, puisqu'elle +était dame de Greux et de Domremy. Le comte de Vaudemont avait dans sa +mouvance immédiate le château de Doulevant. Dès qu'il eut reçu le +message de sa parente, il envoya un homme d'armes, avec sept ou huit +combattants, reprendre le bétail. Cet homme d'armes, nommé Barthélemy +de Clefmont, âgé de vingt ans à peine, était habile au fait de guerre. +Il trouva dans le château de Dommartin-le-Franc les animaux volés, les +prit et les conduisit à Joinville. En route il <span class="pagenum"><a id="page32" name="page32"></a>(p. 32)</span> fut poursuivi +et attaqué par les gens du seigneur d'Orly, et mis en grand péril de +mort. Mais il se défendit si bien qu'il arriva sauf à Joinville, +ramenant le bétail, que le comte de Vaudemont fit reconduire dans les +prairies de Greux et de Domremy<a id="footnotetag229" name="footnotetag229"></a><a href="#footnote229" title="Lien vers la note 229"><span class="smaller">[229]</span></a>.</p> + +<p>Bonheur inespéré! Le laboureur embrassa ses bœufs en pleurant. Mais +n'était-il pas exposé à les perdre sans retour le lendemain?</p> + +<p>Jeanne avait alors treize ou quatorze ans. La guerre partout autour +d'elle, même dans les jeux des enfants; le mari d'une de ses marraines +pris et rançonné par les gens d'armes; le mari de sa cousine germaine +Mengette tué d'un coup de bombarde<a id="footnotetag230" name="footnotetag230"></a><a href="#footnote230" title="Lien vers la note 230"><span class="smaller">[230]</span></a>, le pays natal foulé par les +routiers, incendié, pillé, dévasté, tout le bétail emporté; des nuits +d'épouvante, des rêves affreux, voilà ce qu'elle connut dans son +enfance.</p> + + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page33" name="page33"></a>(p. 33)</span> CHAPITRE II<br> + +<span class="smaller">LES VOIX.</span></h2> + + +<p>Or, âgée d'environ treize ans, un jour d'été, à l'heure de midi, dans +le jardin de son père, elle entendit une voix qui lui fit grand'peur. +Cette voix parlait à la droite de l'enfant, vers l'église, et était +accompagnée d'une lumière qui se montrait du même côté; elle lui +disait:</p> + +<p>—Je viens de Dieu pour t'aider à te bien conduire<a id="footnotetag231" name="footnotetag231"></a><a href="#footnote231" title="Lien vers la note 231"><span class="smaller">[231]</span></a>. Jeannette, +sois bonne et Dieu t'aidera.</p> + +<p>Jeanne était à jeun, mais non pas épuisée d'inanition; elle avait +mangé la veille<a id="footnotetag232" name="footnotetag232"></a><a href="#footnote232" title="Lien vers la note 232"><span class="smaller">[232]</span></a>.</p> + +<p>Un autre jour, la voix se fit encore entendre et répéta:</p> + +<p>—Jeannette, sois bonne!</p> + +<p>L'enfant ignorait encore de qui venait la voix. Mais la troisième +fois, en l'écoutant, elle sut que c'était la voix d'un ange et même +elle reconnut que cet ange <span class="pagenum"><a id="page34" name="page34"></a>(p. 34)</span> était saint Michel. Elle ne +pouvait s'y tromper, le connaissant bien: c'était le patron du duché +de Bar<a id="footnotetag233" name="footnotetag233"></a><a href="#footnote233" title="Lien vers la note 233"><span class="smaller">[233]</span></a>. Elle le voyait parfois contre quelque pilier d'église ou +de chapelle, sous l'aspect d'un beau chevalier, portant le heaume +couronné, la cotte d'armes et l'écu, et transperçant le démon de sa +lance<a id="footnotetag234" name="footnotetag234"></a><a href="#footnote234" title="Lien vers la note 234"><span class="smaller">[234]</span></a>. On le représentait aussi tenant les balances dans +lesquelles il pesait les âmes, car il était prévôt du ciel et gardien +du paradis<a id="footnotetag235" name="footnotetag235"></a><a href="#footnote235" title="Lien vers la note 235"><span class="smaller">[235]</span></a>, à la fois le chef des milices célestes et l'ange du +Jugement<a id="footnotetag236" name="footnotetag236"></a><a href="#footnote236" title="Lien vers la note 236"><span class="smaller">[236]</span></a>. Il se plaisait sur les hauts lieux<a id="footnotetag237" name="footnotetag237"></a><a href="#footnote237" title="Lien vers la note 237"><span class="smaller">[237]</span></a>. C'est pourquoi +on lui avait consacré une chapelle en Lorraine sur le mont Sombar, au +nord de la ville de Toul. Apparu très anciennement à l'évêque +d'Avranches, il lui avait ordonné de construire une église, sur le +mont Tombe, à l'endroit où l'on trouverait un taureau que des voleurs +y avaient caché, et d'asseoir l'édifice sur toute l'aire foulée par +les pieds du taureau. Ce fut en observation de ce commandement que +s'éleva l'abbaye du Mont-Saint-Michel-au-Péril-de-la-Mer<a id="footnotetag238" name="footnotetag238"></a><a href="#footnote238" title="Lien vers la note 238"><span class="smaller">[238]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page35" name="page35"></a>(p. 35)</span> Vers le temps où l'enfant avait ces apparitions, les +défenseurs du Mont-Saint-Michel déconfirent les Anglais qui +attaquaient la forteresse par terre et par mer. Les Français +attribuèrent cette victoire à la toute-puissante intercession de +l'archange<a id="footnotetag239" name="footnotetag239"></a><a href="#footnote239" title="Lien vers la note 239"><span class="smaller">[239]</span></a>. Et pourquoi n'eût-il pas favorisé les Français qui +lui vouaient une dévotion spéciale? Depuis que monseigneur saint Denys +avait laissé prendre son abbaye par les Anglais, monseigneur saint +Michel, qui gardait si bien la sienne, était en passe de devenir le +véritable patron du royaume<a id="footnotetag240" name="footnotetag240"></a><a href="#footnote240" title="Lien vers la note 240"><span class="smaller">[240]</span></a>. Le dauphin Charles, en l'an 1419, +avait fait peindre des panonceaux à la ressemblance de saint Michel +tout armé, tenant une épée nue et faisant manière de tuer un +serpent<a id="footnotetag241" name="footnotetag241"></a><a href="#footnote241" title="Lien vers la note 241"><span class="smaller">[241]</span></a>. Mais des miracles de monseigneur saint Michel en +Normandie la fille de Domremy ne savait pas grand'chose.</p> + +<p>Elle reconnut l'ange à ses armes, à sa courtoisie et aux belles +maximes qui sortaient de sa bouche<a id="footnotetag242" name="footnotetag242"></a><a href="#footnote242" title="Lien vers la note 242"><span class="smaller">[242]</span></a>.</p> + +<p>Il lui dit un jour:</p> + +<p>—Sainte Catherine et sainte Marguerite viendront à <span class="pagenum"><a id="page36" name="page36"></a>(p. 36)</span> toi. Agis +par leurs conseils, car elles sont ordonnées pour te conduire et te +conseiller en ce que tu auras à faire, et tu les croiras en ce +qu'elles te diront. Et ces choses s'accomplissent par le commandement +de Notre-Seigneur<a id="footnotetag243" name="footnotetag243"></a><a href="#footnote243" title="Lien vers la note 243"><span class="smaller">[243]</span></a>.</p> + +<p>Cette promesse lui causa une grande joie, car elle les aimait bien +l'une et l'autre. Madame sainte Marguerite était grandement honorée +dans le royaume de France et elle y faisait beaucoup de grâces. Elle +assistait les femmes en couches<a id="footnotetag244" name="footnotetag244"></a><a href="#footnote244" title="Lien vers la note 244"><span class="smaller">[244]</span></a> et protégeait les paysans au +labour. Elle était la patronne des liniers, des recommanderesses, des +mégissiers et des blanchisseurs de laine. On lui était dévot en +Champagne et en Lorraine autant qu'en aucun pays chrétien. Des +religieux y promenaient à dos de mulet, par les villes et les +villages, une châsse contenant ses précieuses reliques. Ils les +faisaient toucher et recevaient pour cela d'abondantes aumônes<a id="footnotetag245" name="footnotetag245"></a><a href="#footnote245" title="Lien vers la note 245"><span class="smaller">[245]</span></a>. +Jeanne avait vu maintes fois à l'église madame sainte Marguerite +peinte au naturel, un goupillon à la main, le pied sur la tête du +dragon<a id="footnotetag246" name="footnotetag246"></a><a href="#footnote246" title="Lien vers la note 246"><span class="smaller">[246]</span></a>. Elle en savait l'histoire telle qu'on la contait alors et +à peu près de la manière que voici.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page37" name="page37"></a>(p. 37)</span> La bienheureuse Marguerite naquit à Antioche. Son père, +Théodose, était prêtre des gentils. Elle fut mise en nourrice et +baptisée secrètement. Un jour de sa quinzième année, comme elle +gardait les brebis de sa nourrice, le gouverneur Olibrius la vit, et, +frappé de sa beauté, conçut pour elle une grande passion. C'est +pourquoi il dit à ses serviteurs: «Allez et amenez-moi cette fille, +afin que je l'épouse si elle est de condition libre, ou que je la +prenne pour servante si elle est esclave.»</p> + +<p>Et lorsqu'elle lui fut amenée, il lui demanda son pays, son nom et sa +religion. Elle répondit qu'elle se nommait Marguerite et qu'elle était +chrétienne.</p> + +<p>Et Olibrius lui dit:</p> + +<p>—Comment une fille noble et belle comme toi peut-elle adorer Jésus le +crucifié?</p> + +<p>Et parce qu'elle répondit que Jésus-Christ vivait éternellement, le +gouverneur irrité la fit mettre en prison.</p> + +<p>Le lendemain il la manda à son tribunal et lui dit:</p> + +<p>—Malheureuse fille, aie pitié de ta propre beauté, et adore nos dieux +afin d'en retirer avantage. Mais si tu persistes dans ton aveuglement, +je ferai déchirer ton corps.</p> + +<p>Et Marguerite répondit:</p> + +<p>—Jésus s'est livré à la mort pour moi, et moi, je désire mourir pour +lui.</p> + +<p>Alors le gouverneur donna l'ordre de la suspendre sur le chevalet, de +la fouetter de verges et de lui déchirer <span class="pagenum"><a id="page38" name="page38"></a>(p. 38)</span> les chairs avec des +ongles de fer. Et le sang coula du corps de la vierge comme d'une +source très pure.</p> + +<p>Les assistants pleuraient et le gouverneur se couvrit le visage de son +manteau pour ne pas voir le sang. Et il ordonna de la détacher et de +la reconduire dans sa prison.</p> + +<p>Elle y fut tentée par l'Esprit, et elle pria le Seigneur de lui faire +voir l'ennemi qu'elle avait à combattre. Et voici qu'un énorme dragon, +se montrant devant elle, s'élança pour la dévorer. Mais elle fit le +signe de la croix et il disparut. Alors le diable emprunta, pour la +séduire, l'aspect d'un homme. Il vint doucement à elle, lui prit les +mains et dit: «Marguerite, c'est assez de ce que tu as fait.» Mais +elle le saisit par les cheveux, le jeta à terre, lui mit le pied droit +sur la tête et s'écria: «Tremble, ennemi superbe, tu gis sous le pied +d'une femme!» Le lendemain, en présence du peuple, elle fut amenée +devant le juge, qui lui ordonna de sacrifier aux idoles. Et, comme +elle s'y refusa, il lui fit brûler le corps avec des torches ardentes, +mais elle semblait n'éprouver aucun mal. Et de peur que, frappé de ce +miracle, le peuple ne se convertît en foule, Olibrius ordonna de +décapiter la bienheureuse Marguerite. Elle dit au bourreau: «Frère, +prends ton glaive et frappe-moi.» Il lui abattit la tête d'un seul +coup. L'âme s'envola au ciel sous la forme d'une colombe<a id="footnotetag247" name="footnotetag247"></a><a href="#footnote247" title="Lien vers la note 247"><span class="smaller">[247]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page39" name="page39"></a>(p. 39)</span> Cette histoire avait été mise en chansons et en mystères<a id="footnotetag248" name="footnotetag248"></a><a href="#footnote248" title="Lien vers la note 248"><span class="smaller">[248]</span></a>. +Elle était si connue, que le nom du gouverneur, avili par la +raillerie, devenu tout à fait ridicule, se donnait communément aux +fanfarons et aux glorieux et qu'on disait d'un sot qui fait le méchant +garçon: «C'est un olibrius<a id="footnotetag249" name="footnotetag249"></a><a href="#footnote249" title="Lien vers la note 249"><span class="smaller">[249]</span></a>.»</p> + +<p>Madame sainte Catherine, que l'ange avait annoncée à Jeanne en même +temps que madame sainte Marguerite, gardait sous sa protection +spéciale les jeunes filles, et particulièrement les servantes et les +fileuses. Les orateurs et les philosophes avaient pris aussi pour +patronne la vierge qui avait confondu les cinquante docteurs et +triomphé des mages de l'Orient. On lui faisait dans la vallée de la +Meuse des oraisons en rimes, comme celle-ci:</p> + +<p class="poem10"> + <i>Ave</i>, très sainte Catherine,<br> + Vierge pucelle nette et fine<a id="footnotetag250" name="footnotetag250"></a><a href="#footnote250" title="Lien vers la note 250"><span class="smaller">[250]</span></a>.</p> + +<p>Elle n'était pas non plus pour Jeanne une étrangère cette belle dame +qui avait son église à Maxey, sur l'autre bord de la rivière et dont +le nom était porté par la fille aînée d'Isabelle Romée<a id="footnotetag251" name="footnotetag251"></a><a href="#footnote251" title="Lien vers la note 251"><span class="smaller">[251]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page40" name="page40"></a>(p. 40)</span> Jeanne assurément ne connaissait pas l'histoire de madame +sainte Catherine telle que la savaient les grands clercs, telle, par +exemple, que la mettait en écrit, vers ce temps-là, messire Jean +Miélot, secrétaire du duc de Bourgogne. Jean Miélot disait comment la +vierge d'Alexandrie réprouva les subtils arguments d'Homère, les +syllogismes d'Aristote, les très sages raisons d'Esculape et de +Gallien, médecins renommés, pratiqua les sept arts libéraux et disputa +selon les règles de la dialectique<a id="footnotetag252" name="footnotetag252"></a><a href="#footnote252" title="Lien vers la note 252"><span class="smaller">[252]</span></a>. La fille de Jacques d'Arc +n'entendait rien à cela; elle connaissait madame sainte Catherine par +des récits tirés de quelque histoire en langue vulgaire comme il en +courait tant à cette époque, en prose ou en rimes<a id="footnotetag253" name="footnotetag253"></a><a href="#footnote253" title="Lien vers la note 253"><span class="smaller">[253]</span></a>.</p> + +<p>Fille du roi Costus et de la reine Sabinelle, Catherine, au sortir de +l'enfance, était versée dans l'étude des arts, et habile à broder la +soie. La beauté de son corps resplendissait, mais son âme demeurait +plongée dans les ténèbres de l'idolâtrie. Plusieurs barons de l'empire +la recherchaient en mariage; elle les dédaignait et disait: +«Trouvez-moi un époux qui soit sage, beau, noble et riche.» Or, +pendant son sommeil, <span class="pagenum"><a id="page41" name="page41"></a>(p. 41)</span> elle eut une vision. La Vierge Marie lui +apparut tenant l'Enfant Jésus dans ses bras et dit:</p> + +<p>—Catherine, veux-tu prendre celui-ci pour ton époux? Et vous, mon +très doux fils, voulez-vous avoir cette vierge pour épouse?</p> + +<p>L'Enfant Jésus répondit:</p> + +<p>—Ma mère, je ne la veux point; éloignez-la plutôt de vous, parce +qu'elle est idolâtre. Mais si elle consent à se faire baptiser, je lui +promets de mettre à son doigt l'anneau nuptial.</p> + +<p>Désireuse d'épouser le Roi des cieux, Catherine alla demander le saint +baptême à l'ermite Ananias, qui vivait en Arménie, dans la montagne +Nègre. Peu de jours après, comme elle priait dans sa chambre, elle vit +venir Jésus-Christ au milieu d'un chœur nombreux d'anges, de saints +et de saintes. Il s'approcha d'elle et lui mit au doigt son anneau. Et +Catherine connut seulement alors que ces noces étaient des noces +spirituelles.</p> + +<p>En ce temps-là, Maxence était empereur des Romains. Il ordonna aux +habitants d'Alexandrie d'offrir aux idoles de grands sacrifices. +Catherine, qui priait dans son oratoire, entendit les chants des +prêtres et les mugissements des victimes. Aussitôt elle se rendit sur +la place publique et, ayant vu Maxence à la porte du temple, elle lui +dit:</p> + +<p>—Comment es-tu assez insensé pour ordonner à cette foule de rendre +hommage à des idoles? Tu admires ce <span class="pagenum"><a id="page42" name="page42"></a>(p. 42)</span> temple que tu as élevé +par la main des ouvriers. Tu admires ces ornements précieux qui ne +sont que de la poussière qu'emporte le vent. Tu devrais plutôt admirer +le ciel et la terre, et la mer, et tout ce qui y est contenu. Tu +devrais admirer les ornements des cieux, le soleil, la lune et les +étoiles; tu devrais admirer les cercles de ces astres qui, depuis le +commencement du monde, courent vers l'Occident et reviennent à +l'Orient, et ne se fatiguent jamais. Et quand tu auras remarqué toutes +ces choses, interroge et apprends quel en est l'auteur. C'est notre +Dieu, le Seigneur des Dominations et le Dieu des dieux.</p> + +<p>—Femme, répondit l'empereur, laisse-nous achever le sacrifice; +ensuite nous te ferons réponse.</p> + +<p>Et il ordonna que Catherine fût conduite au palais et gardée avec +soin; et comme il admirait la grande sagesse et la merveilleuse beauté +de cette vierge, il manda cinquante docteurs versés dans la science +des Égyptiens et dans les arts libéraux, et, les ayant assemblés, il +leur dit:</p> + +<p>—Une fille d'un esprit subtil affirme que nos dieux ne sont que des +démons. J'aurais pu la contraindre à sacrifier ou la faire punir; mais +j'ai jugé plus convenable qu'elle fût confondue par la force de vos +arguments. Si vous triomphez d'elle, vous retournerez chez vous +chargés d'honneurs.</p> + +<p>Et les sages répondirent:</p> + +<p>-Qu'on l'amène, afin que sa témérité se manifeste <span class="pagenum"><a id="page43" name="page43"></a>(p. 43)</span> et qu'elle +avoue n'avoir jamais jusqu'ici rencontré de sages!</p> + +<p>Et quand elle apprit qu'elle devait disputer avec les sages, Catherine +craignit de ne pouvoir défendre dignement contre eux la vérité de +Jésus-Christ. Mais un ange lui apparut et lui dit:</p> + +<p>—Je suis l'archange saint Michel, envoyé par Dieu pour t'annoncer que +tu sortiras de ce combat victorieuse, et digne d'obtenir notre +Seigneur Jésus-Christ, espoir et couronne de ceux qui combattent pour +lui.</p> + +<p>Et la vierge disputa avec les docteurs. Ceux-ci ayant soutenu qu'il +était impossible qu'un Dieu se fît homme et connût la douleur, +Catherine montra que la naissance et la passion de Jésus-Christ +avaient été annoncées par les gentils eux-mêmes et proclamées par +Platon et la Sibylle.</p> + +<p>Les docteurs ne purent rien opposer à des arguments si solides. C'est +pourquoi le principal d'entre eux dit à l'empereur:</p> + +<p>—Tu sais que personne jusqu'ici n'a pu disputer avec nous sans être +aussitôt confondu. Mais cette jeune fille, dans laquelle parle +l'esprit de Dieu, nous remplit d'admiration, et nous ne savons ni +n'osons dire quelque chose contre le Christ. Et nous avouons hardiment +que, si tu n'as pas de meilleures raisons à donner en faveur des dieux +que nous avons adorés jusqu'à présent, nous nous convertissons tous à +la foi chrétienne.</p> + +<p>En entendant ces paroles, le tyran fut transporté <span class="pagenum"><a id="page44" name="page44"></a>(p. 44)</span> d'une telle +rage, qu'il fit brûler les cinquante docteurs au milieu de la ville. +Mais en signe de ce qu'ils mouraient pour la vérité, ni leurs +vêtements, ni leurs cheveux ne furent atteints par le feu.</p> + +<p>Maxence dit ensuite à Catherine:</p> + +<p>—Ô vierge issue de noble lignée, et digne de la pourpre impériale, +prends conseil de ta jeunesse et sacrifie à nos dieux. Si tu le veux +faire, tu tiendras dans mon palais le premier rang après +l'impératrice, et ton image, placée au milieu de la ville, sera adorée +de tout le peuple comme celle d'une déesse.</p> + +<p>Mais Catherine répondit:</p> + +<p>—Cesse de parler de telles choses. C'est un crime d'y penser +seulement. Jésus-Christ m'a prise pour épouse. Il est tout mon amour, +toute ma gloire et toutes mes délices.</p> + +<p>Voyant qu'il ne pouvait la flatter par des caresses, le tyran espéra +la réduire par la peur; c'est pourquoi il la menaça de mort.</p> + +<p>Le courage de Catherine n'en fut point ébranlé:</p> + +<p>—Jésus-Christ, dit-elle, s'est offert pour moi en sacrifice à son +Père; ce m'est une grande joie que je puisse être offerte à la gloire +de son nom comme une hostie agréable.</p> + +<p>Alors Maxence ordonna qu'elle fût fouettée de verges et que, traînée +ensuite dans un cachot ténébreux, on l'y laissât sans nourriture. Et, +appelé par diverses affaires pressantes, il partit pour une province +éloignée.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page45" name="page45"></a>(p. 45)</span> Or, l'impératrice, qui était païenne, eut une vision, et +sainte Catherine lui apparut environnée d'une clarté inestimable. Des +anges vêtus de blanc se tenaient auprès d'elle et l'on ne pouvait voir +leurs visages pour la très grande lumière qui en sortait. Et Catherine +dit à l'impératrice d'approcher. Et prenant une couronne de la main +d'un des anges qui étaient là, elle la mit sur la tête de +l'impératrice en disant:</p> + +<p>—Voici une couronne qui t'est envoyée du ciel, au nom de +Jésus-Christ, mon Dieu et mon Seigneur.</p> + +<p>L'impératrice fut troublée en son cœur par ce songe admirable. +C'est pourquoi, accompagnée de Porphyre, lequel était chevalier et +chef de l'armée, elle se rendit à la première heure de la nuit dans la +prison où Catherine était enfermée. Dans cette prison une colombe lui +apportait une nourriture céleste, et des anges pansaient les plaies de +la vierge. L'impératrice et Porphyre trouvèrent le cachot baigné d'une +clarté dont ils furent si épouvantés qu'ils tombèrent prosternés sur +la pierre. Mais une odeur merveilleusement suave se répandit aussitôt, +qui les réconforta et leur donna meilleur espoir.</p> + +<p>—Levez-vous, leur dit Catherine, et ne soyez pas épouvantés, car +Jésus-Christ vous appelle.</p> + +<p>Ils se levèrent et virent Catherine au milieu d'un chœur d'anges. +La sainte prit des mains de l'un de ceux qui étaient là une couronne +très belle, brillant comme l'or, et elle la mit sur la tête de +l'impératrice. <span class="pagenum"><a id="page46" name="page46"></a>(p. 46)</span> Et cette couronne était le signe du martyre. +Et en effet cette reine et le chevalier Porphyre étaient déjà inscrits +au livre des récompenses éternelles.</p> + +<p>Quand il fut de retour, Maxence donna l'ordre qu'on lui amenât +Catherine, et lui dit:</p> + +<p>—Choisis de ces deux choses: ou de sacrifier et vivre, ou de périr +dans les tourments.</p> + +<p>Et Catherine répondit:</p> + +<p>—Je désire offrir ma chair et mon sang à Jésus-Christ. Il est mon +amant, mon pasteur et mon époux.</p> + +<p>Alors le prévôt de la cité d'Alexandrie, qui avait nom Chursates, fit +faire quatre roues garnies de dents de fer très aiguës, afin que sur +ces roues la bienheureuse Catherine pérît d'une misérable et très +cruelle mort. Mais un ange brisa cette machine et la fit éclater avec +tant de force, que les débris tuèrent un grand nombre de gentils. Et +l'impératrice, qui, du haut de sa tour, voyait ces choses, descendit +et reprocha à l'empereur sa cruauté. Maxence, plein de rage, ordonna à +l'impératrice de sacrifier, et, comme elle s'y refusait, il commanda +de lui arracher les mamelles et de lui couper la tête. Et tandis qu'on +la menait au supplice, Catherine l'exhortait, disant:</p> + +<p>—Va, réjouis-toi, reine aimée de Dieu, car aujourd'hui tu échangeras +ton royaume périssable en un éternel empire et un époux mortel en un +immortel amant.</p> + +<p>Et l'impératrice fut conduite hors des murs pour y <span class="pagenum"><a id="page47" name="page47"></a>(p. 47)</span> souffrir +la mort. Porphyre enleva le corps et le fit ensevelir honorablement, +comme celui d'une servante de Jésus-Christ. C'est pourquoi Maxence fit +mettre Porphyre à mort et jeter son cadavre aux chiens. Puis, faisant +venir Catherine, il lui dit:</p> + +<p>—Puisque, par tes arts magiques, tu as fait périr l'impératrice, si +tu te repens, tu seras maintenant la première dans mon palais. +Aujourd'hui donc, sacrifie aux dieux, ou tu auras la tête coupée.</p> + +<p>Elle répondit:</p> + +<p>—Fais ce que tu as résolu, afin que je prenne place dans la troupe +virginale qui accompagne l'Agneau de Dieu.</p> + +<p>L'empereur la condamna à être décapitée. Et lorsqu'on l'eut menée hors +de la cité d'Alexandrie, au lieu du supplice, elle leva les yeux au +ciel et dit:</p> + +<p>—Jésus, espoir et salut des fidèles, gloire et beauté des vierges, je +te prie d'accorder que quiconque m'invoquera en souvenir de mon +martyre sera exaucé, soit au moment de sa mort, soit dans les périls +où il pourra se trouver.</p> + +<p>Et une voix du ciel lui répondit:</p> + +<p>—Viens, mon épouse chérie; la porte du ciel t'est ouverte. Je promets +les secours d'en haut à ceux qui m'invoqueront par ton intercession.</p> + +<p>Du col tranché de la vierge il coula du lait au lieu de sang.</p> + +<p>Ainsi madame sainte Catherine trépassa de ce monde <span class="pagenum"><a id="page48" name="page48"></a>(p. 48)</span> au bonheur +céleste, le vingt-cinquième jour du mois de novembre, qui était un +vendredi<a id="footnotetag254" name="footnotetag254"></a><a href="#footnote254" title="Lien vers la note 254"><span class="smaller">[254]</span></a>.</p> + +<p>Monseigneur saint Michel, archange, n'avait pas fait une fausse +promesse: mesdames sainte Catherine et sainte Marguerite vinrent comme +il avait dit. Dès leur première visite, la jeune paysanne fit vœu +entre leurs mains de garder sa virginité tant qu'il plairait à +Dieu<a id="footnotetag255" name="footnotetag255"></a><a href="#footnote255" title="Lien vers la note 255"><span class="smaller">[255]</span></a>. Si cette promesse avait un sens, il fallait que Jeanne, +quelque âge qu'elle eût alors, ne fût plus tout à fait une enfant. Et +il semble bien aussi qu'elle vit l'ange et les saintes au moment de +devenir femme, si tant est qu'elle le devint jamais<a id="footnotetag256" name="footnotetag256"></a><a href="#footnote256" title="Lien vers la note 256"><span class="smaller">[256]</span></a>. Les saintes +nouèrent bientôt avec elle des relations familières<a id="footnotetag257" name="footnotetag257"></a><a href="#footnote257" title="Lien vers la note 257"><span class="smaller">[257]</span></a>. Elles +venaient tous les jours au village et souvent plusieurs fois le jour. +En les voyant paraître dans cette clarté qu'elles apportaient du ciel, +charmantes, en habit de reines, le front ceint d'une couronne d'or et +de pierreries bien riche et bien précieuse, la villageoise se signait +dévotement et leur faisait une profonde révérence<a id="footnotetag258" name="footnotetag258"></a><a href="#footnote258" title="Lien vers la note 258"><span class="smaller">[258]</span></a>. Et comme elles +étaient des dames bien nées, elles lui rendaient son salut. Chacune +avait sa façon particulière de saluer, et <span class="pagenum"><a id="page49" name="page49"></a>(p. 49)</span> sans doute parce +que leur visage trop éblouissant ne pouvait être regardé en face, +c'était surtout à leur manière de faire la révérence que Jeanne les +distinguait l'une de l'autre. Elles se laissaient toucher volontiers +par leur amie terrestre, qui embrassait leurs genoux, baisait le bas +de leur robe et s'enivrait de la bonne odeur qu'elles exhalaient<a id="footnotetag259" name="footnotetag259"></a><a href="#footnote259" title="Lien vers la note 259"><span class="smaller">[259]</span></a>. +Elles parlaient d'une voix humble<a id="footnotetag260" name="footnotetag260"></a><a href="#footnote260" title="Lien vers la note 260"><span class="smaller">[260]</span></a>, à ce qu'il semblait à Jeanne. +Elles appelaient la pauvre fille: fille de Dieu. Elles lui +enseignaient à se bien conduire et à fréquenter l'église. Sans avoir +toujours des choses très nouvelles à lui dire, puisqu'elles venaient à +tout moment, elles lui tenaient des propos qui la remplissaient de +joie et, après qu'elles avaient disparu, Jeanne pressait ardemment de +ses lèvres la terre où leurs pieds s'étaient posés<a id="footnotetag261" name="footnotetag261"></a><a href="#footnote261" title="Lien vers la note 261"><span class="smaller">[261]</span></a>.</p> + +<p>Elle recevait souvent les Dames du ciel dans son petit jardin, contigu +au pourpris de l'église. Elle les rencontrait près de la fontaine; +souvent même elles se montraient à leur petite bien-aimée au milieu +des compagnies. «Car, disait la fille d'Isabelle, les anges viennent +bien des fois entre les chrétiens, et on ne les voit pas. Mais moi, je +les vois<a id="footnotetag262" name="footnotetag262"></a><a href="#footnote262" title="Lien vers la note 262"><span class="smaller">[262]</span></a>.» C'était dans les bois, <span class="pagenum"><a id="page50" name="page50"></a>(p. 50)</span> au bruit léger du +feuillage et surtout pendant que les cloches sonnaient matines ou +complies qu'elle entendait le plus distinctement les douces paroles. +Aussi aimait-elle cette voix des cloches dans laquelle se mêlaient ses +Voix. Et quand, à neuf heures du soir, Perrin le Drapier, marguillier +de la paroisse, manquait à sonner les complies, elle le reprenait de +sa négligence et le grondait, disant que ce n'était pas bien fait. +Elle lui promettait des gâteaux si, à l'avenir, il sonnait +exactement<a id="footnotetag263" name="footnotetag263"></a><a href="#footnote263" title="Lien vers la note 263"><span class="smaller">[263]</span></a>.</p> + +<p>Elle ne révéla rien de ces choses à son curé, en quoi elle fut +grandement répréhensible selon de bons docteurs et tout à fait +irréprochable de l'avis de certains autres docteurs excellents. Car, +si d'une part nous devons, en matière de foi, consulter nos supérieurs +ecclésiastiques, d'autre part là où souffle l'Esprit, là règne la +liberté<a id="footnotetag264" name="footnotetag264"></a><a href="#footnote264" title="Lien vers la note 264"><span class="smaller">[264]</span></a>.</p> + +<p>Depuis que les deux saintes fréquentaient Jeanne, monseigneur saint +Michel se montrait moins assidu auprès d'elle; mais il ne l'avait +point abandonnée. Une heure vint où il lui conta la pitié qui était au +royaume de France, la pitié qu'elle avait au cœur<a id="footnotetag265" name="footnotetag265"></a><a href="#footnote265" title="Lien vers la note 265"><span class="smaller">[265]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page51" name="page51"></a>(p. 51)</span> Et les saintes visiteuses, dont la voix se faisait plus +ardente et plus ferme, à mesure que la jeune fille prenait une âme +plus héroïque et plus sainte, lui révélèrent sa mission:</p> + +<p>—Fille de Dieu, lui dirent-elles, il faut que tu quittes ton village +et que tu ailles en France<a id="footnotetag266" name="footnotetag266"></a><a href="#footnote266" title="Lien vers la note 266"><span class="smaller">[266]</span></a>.</p> + +<p>Cette idée d'une mission sainte et guerrière, dont Jeanne prit +conscience par ses Voix, s'était-elle formée en son esprit +spontanément, sans l'intervention d'aucune volonté étrangère, ou lui +fut-elle suggérée par quelque personne dont elle subissait +l'influence? C'est ce qu'il serait impossible de discerner, si un +faible indice ne nous mettait sur la voie. Jeanne eut connaissance, à +Domremy, d'une prophétie qui disait que la France serait désolée par +une femme et puis rétablie par une pucelle<a id="footnotetag267" name="footnotetag267"></a><a href="#footnote267" title="Lien vers la note 267"><span class="smaller">[267]</span></a>. Elle en fut +étrangement frappée et il lui arriva, par la suite, d'en parler d'une +manière qui prouve que non seulement elle y ajoutait foi, mais encore +qu'elle croyait être la pucelle annoncée<a id="footnotetag268" name="footnotetag268"></a><a href="#footnote268" title="Lien vers la note 268"><span class="smaller">[268]</span></a>. Qui la lui apprit? +Quelque paysan? On a lieu de <span class="pagenum"><a id="page52" name="page52"></a>(p. 52)</span> croire que les paysans +l'ignoraient<a id="footnotetag269" name="footnotetag269"></a><a href="#footnote269" title="Lien vers la note 269"><span class="smaller">[269]</span></a> et qu'elle courait parmi les personnes de +dévotion<a id="footnotetag270" name="footnotetag270"></a><a href="#footnote270" title="Lien vers la note 270"><span class="smaller">[270]</span></a>. D'ailleurs, pour être édifié à cet égard, il suffit de +remarquer que Jeanne connut de cette prophétie une version spéciale, +visiblement arrangée pour elle, puisqu'il y était spécifié que la +pucelle réparatrice sortirait des Marches de Lorraine. Cette addition +topique ne peut être le fait d'un conducteur de bœufs et décèle un +esprit habile à gouverner les âmes, à susciter les actes. Le doute +n'est plus possible, la prophétie ainsi complétée et dirigée part d'un +clerc dont les intentions se laissent facilement voir. Dès lors on +surprend une pensée qui agit et pèse sur la jeune visionnaire. Cet +homme d'Église des bords de la Meuse qui, dans l'humilité des champs, +songeait au sort du pauvre peuple et, pour tourner les visions de +Jeanne au bien du royaume et à la conclusion de la paix, poussait +l'ardeur de son zèle pieux jusqu'à recueillir des prophéties sur le +salut du Lis de France et à les compléter avec une précision utile à +ses desseins, il faut le chercher parmi ces prêtres, ces religieux +lorrains ou champenois qui souffraient cruellement des malheurs +publics<a id="footnotetag271" name="footnotetag271"></a><a href="#footnote271" title="Lien vers la note 271"><span class="smaller">[271]</span></a>. Les marchands et les artisans, écrasés d'impôts et de +tailles, ruinés par les changements <span class="pagenum"><a id="page53" name="page53"></a>(p. 53)</span> des monnaies<a id="footnotetag272" name="footnotetag272"></a><a href="#footnote272" title="Lien vers la note 272"><span class="smaller">[272]</span></a>, les +paysans, dont les maisons, les granges, les moulins étaient détruits, +les champs ravagés, cessaient de contribuer aux frais du culte<a id="footnotetag273" name="footnotetag273"></a><a href="#footnote273" title="Lien vers la note 273"><span class="smaller">[273]</span></a>. +Chanoines et religieux, qui ne recevaient plus ni les redevances de +leurs feudataires, ni les contributions des fidèles, quittaient le +monastère et s'en allaient à travers le siècle mendier leur pain, +laissant au cloître deux ou trois vieux moines et quelques enfants. +Les abbayes fortifiées attiraient les capitaines et les soldats des +deux partis, qui s'y retranchaient, les pillaient et les brûlaient, et +si quelqu'une de ces saintes maisons échappait aux flammes, les +villageois errants s'y réfugiaient et l'on ne pouvait empêcher les +femmes d'envahir les réfectoires et les dortoirs<a id="footnotetag274" name="footnotetag274"></a><a href="#footnote274" title="Lien vers la note 274"><span class="smaller">[274]</span></a>. C'est dans la +multitude obscure des âmes troublées par l'affliction et les scandales +de l'Église que se devine le prophète et l'initiateur de la Pucelle.</p> + +<p>On ne sera pas tenté de le reconnaître en messire Guillaume Frontey, +curé de Domremy: le successeur de messire Jean Minet, à le juger par +ses propos, qui <span class="pagenum"><a id="page54" name="page54"></a>(p. 54)</span> nous ont été conservés, était aussi simple +que ses ouailles<a id="footnotetag275" name="footnotetag275"></a><a href="#footnote275" title="Lien vers la note 275"><span class="smaller">[275]</span></a>. Jeanne fréquentait beaucoup de prêtres et de +moines. Elle visitait son oncle le curé de Sermaize, et voyait son +cousin, jeune religieux profès en l'abbaye de Cheminon<a id="footnotetag276" name="footnotetag276"></a><a href="#footnote276" title="Lien vers la note 276"><span class="smaller">[276]</span></a>, qui +devait bientôt la suivre en France. Elle se trouvait en relation avec +nombre de personnes ecclésiastiques très aptes à reconnaître sa piété +singulière et le don qu'elle avait reçu de voir des choses invisibles +au commun des chrétiens. Ils lui tenaient des propos qui, s'ils nous +étaient conservés, nous ouvriraient sans doute une des sources de +cette extraordinaire vocation. L'un d'eux, dont le nom ne sera jamais +connu, prépara au roi et au royaume de France un angélique défenseur.</p> + +<p>Cependant Jeanne vivait en pleine illusion. Entièrement ignorante des +influences qu'elle subissait, incapable de reconnaître en ses Voix +l'écho d'une voix humaine ou la propre voix de son cœur, elle +répondit avec crainte aux saintes qui lui ordonnaient d'aller en +France:</p> + +<p>—Je suis une pauvre fille ne sachant ni chevaucher ni guerroyer<a id="footnotetag277" name="footnotetag277"></a><a href="#footnote277" title="Lien vers la note 277"><span class="smaller">[277]</span></a>.</p> + +<p>Dès qu'elle eut ces révélations, elle renonça aux <span class="pagenum"><a id="page55" name="page55"></a>(p. 55)</span> jeux et aux +promenades. Elle ne dansa plus guère au pied de l'arbre des fées et +seulement pour faire sauter les petits enfants<a id="footnotetag278" name="footnotetag278"></a><a href="#footnote278" title="Lien vers la note 278"><span class="smaller">[278]</span></a>; elle prit aussi +en dégoût, à ce qu'il semble, les travaux des champs, et surtout le +soin des troupeaux. Dès l'enfance, elle avait donné des signes de +piété. Elle se livrait maintenant aux pratiques d'une dévotion +singulière; elle se confessait souvent et communiait avec une +extraordinaire ferveur; elle entendait chaque jour la messe de son +curé. On la trouvait à toute heure dans l'église, tantôt prosternée de +son long sur la pierre, tantôt les mains jointes, le visage et les +yeux levés vers Notre-Seigneur ou Notre-Dame. Elle n'attendait pas +toujours le samedi pour aller à la chapelle de Bermont. Parfois, +tandis que ses parents la croyaient à garder les bêtes, elle était aux +pieds de la Vierge miraculeuse. Le curé du village, messire Guillaume +Frontey, ne pouvait que louer la plus innocente de ses +paroissiennes<a id="footnotetag279" name="footnotetag279"></a><a href="#footnote279" title="Lien vers la note 279"><span class="smaller">[279]</span></a>. Il appréciait les sentiments de cette bonne fille. +Un jour, il lui échappa de dire avec un soupir de regret:</p> + +<p>—Si Jeannette avait de l'argent, elle me donnerait pour dire des +messes<a id="footnotetag280" name="footnotetag280"></a><a href="#footnote280" title="Lien vers la note 280"><span class="smaller">[280]</span></a>.</p> + +<p>Quant au bonhomme Jacques d'Arc, il est croyable qu'il se plaignait +parfois de ces pèlerinages, contemplations <span class="pagenum"><a id="page56" name="page56"></a>(p. 56)</span> et autres +pratiques contraires à l'économie rurale. Jeanne paraissait à tout le +monde étrange et bizarre. La voyant si pieuse, Mengette et ses +compagnes disaient qu'elle l'était trop<a id="footnotetag281" name="footnotetag281"></a><a href="#footnote281" title="Lien vers la note 281"><span class="smaller">[281]</span></a>. Elles la grondaient de +ne point danser avec elles. Isabellette, entre autres, la jeune femme +de Gérardin d'Épinal, la mère de ce petit Nicolas, filleul de Jeanne, +blasonnait rustiquement une fille si peu dansante<a id="footnotetag282" name="footnotetag282"></a><a href="#footnote282" title="Lien vers la note 282"><span class="smaller">[282]</span></a>. Colin, fils de +Jean Colin, avec tous les gars du village, se moquaient d'elle à cause +de sa dévotion. Ses extases faisaient sourire; elle passait pour un +peu folle. Poursuivie de railleries, elle en souffrait<a id="footnotetag283" name="footnotetag283"></a><a href="#footnote283" title="Lien vers la note 283"><span class="smaller">[283]</span></a>. Mais elle +voyait des yeux de son corps les habitants du Paradis. Et, quand ils +s'éloignaient d'elle, elle pleurait et elle aurait bien voulu qu'ils +l'eussent emportée avec eux.</p> + +<p>—Fille de Dieu, il faut que tu quittes ton village et que tu ailles +en France<a id="footnotetag284" name="footnotetag284"></a><a href="#footnote284" title="Lien vers la note 284"><span class="smaller">[284]</span></a>.</p> + +<p>Et mesdames sainte Catherine et sainte Marguerite disaient encore:</p> + +<p>—Prends l'étendard de par le Roi du ciel, prends-le hardiment et Dieu +t'aidera.</p> + +<p>En écoutant les dames aux belles couronnes parler ainsi, Jeanne +brûlait du désir des longues chevauchées et de ces batailles où les +anges passent sur le front des <span class="pagenum"><a id="page57" name="page57"></a>(p. 57)</span> guerriers. Mais comment aller +en France? Comment aller parmi les gens d'armes? Les Voix, qu'elle +entendait, ignorantes et généreuses comme elle, ne lui révélaient que +son âme et la laissaient dans un trouble douloureux:</p> + +<p>—Je suis une pauvre fille, ne sachant ni chevaucher ni guerroyer.</p> + +<p>Le village natal de Jeanne portait le nom du bienheureux Remi<a id="footnotetag285" name="footnotetag285"></a><a href="#footnote285" title="Lien vers la note 285"><span class="smaller">[285]</span></a>; +l'église paroissiale était sous le vocable du grand apôtre des Gaules +qui, en baptisant le roi Clovis, avait oint de l'huile sainte le +premier prince chrétien de la noble Maison de France, issue du noble +roi Priam de Troie.</p> + +<p>Voici de quelle manière les clercs rapportaient la légende de +Saint-Remi:</p> + +<p>En ce temps-là, le pieux ermite Montan, qui vivait au pays de Laon, +vit le chœur des anges et l'assemblée des saints et il entendit une +voix grande et douce qui disait: «Le Seigneur a regardé la terre. Il a +entendu les gémissements de ceux qui sont enchaînés; il a vu les fils +de ceux qui ont péri, et il brisera leurs fers, afin que son nom soit +annoncé parmi les nations et que les peuples et les rois se réunissent +ensemble pour le servir. Et Cilinie enfantera un fils pour le salut du +peuple.»</p> + +<p>Or Cilinie était vieille et son mari Émilius était <span class="pagenum"><a id="page58" name="page58"></a>(p. 58)</span> aveugle. +Mais Cilinie, ayant conçu, mit au monde un fils et du lait dont elle +nourrissait l'enfant elle frotta les yeux du père aveugle, qui revit +aussitôt la lumière.</p> + +<p>Cet enfant, annoncé par les anges, fut nommé Remi, qui veut dire rame, +car il devait, par sa doctrine, comme avec une rame bien taillée, +diriger l'Église de Dieu et spécialement l'Église de Reims sur la mer +agitée de cette vie, et, par ses mérites et ses prières, la conduire +vers le port du salut éternel.</p> + +<p>Le fils de Cilinie passa sa pieuse jeunesse à Laon, dans la retraite +et les exercices d'une sainte et chrétienne conversation. Il entrait à +peine dans sa vingt-deuxième année, quand le siège épiscopal de Reims +vint à vaquer par la mort du bienheureux évêque Bennade. Un immense +concours de peuple désigna Remi à la garde des fidèles. Il refusait +une charge trop pesante, disait-il, pour la faiblesse de son âge; mais +un rayon d'une céleste lumière descendit tout à coup sur son front, et +une liqueur divine se répandit sur sa chevelure qu'elle embauma d'un +parfum inconnu. C'est pourquoi, sans plus tarder, les évêques de la +province de Reims, d'un consentement unanime, lui donnèrent la +consécration épiscopale. Assis dans le siège de saint Sixte, le +bienheureux Remi s'y montra libéral en aumônes, assidu dans sa +vigilance, fervent en ses oraisons, parfait en charité, merveilleux en +doctrine et saint en tous ses propos. Il attirait sur lui l'admiration +<span class="pagenum"><a id="page59" name="page59"></a>(p. 59)</span> des hommes, comme la cité bâtie sur le sommet d'une montagne.</p> + +<p>En ce temps-là, Clovis, roi de France, était païen avec toute sa +chevalerie. Mais ayant remporté, par l'invocation du nom de +Jésus-Christ, une grande victoire sur les Allemands, il résolut, à la +prière de la sainte reine Clotilde, sa femme, de demander le baptême +au bienheureux évêque de Reims. Instruit de ce pieux désir, saint Remi +enseigna au roi et au peuple comment, en renonçant à Satan, à ses +œuvres et à ses pompes, on doit croire en Dieu et en Jésus-Christ +son fils. Et, la solennité de Pâques approchant, il leur ordonna le +jeûne selon la coutume des fidèles.</p> + +<p>Le jour de la Passion de Notre-Seigneur, veille du jour où Clovis +devait être baptisé avec ses barons, l'évêque alla trouver le roi et +la reine dès le matin et les conduisit dans un oratoire consacré au +bienheureux Pierre, prince des apôtres. La chapelle fut tout à coup +remplie d'une lumière si brillante qu'elle effaçait l'éclat du soleil, +et du milieu de cette lumière sortit une voix qui disait: «La paix +soit avec vous; c'est moi, ne craignez point, et demeurez en mon +amour.» Après ces paroles la lumière disparut, mais il resta dans la +chapelle une odeur d'une suavité ineffable. Alors, resplendissant +comme Moïse par l'éclat du visage et illuminé au dedans d'une clarté +divine, le saint évêque prophétisa et dit: «Clovis et Clotilde, vos +descendants reculeront les limites du royaume. Ils <span class="pagenum"><a id="page60" name="page60"></a>(p. 60)</span> élèveront +l'Église de Jésus-Christ et triompheront des nations étrangères, +pourvu que, ne dégénérant pas de la vertu, ils ne s'écartent jamais +des voies du salut, ne s'engageant pas dans la route du péché, et ne +se laissant pas tomber dans les pièges de ces vices mortels qui +renversent les empires et transportent la domination d'une nation à +l'autre.»</p> + +<p>Cependant on prépare le chemin depuis le palais du roi jusqu'au +baptistère; on suspend des voiles, des tapis précieux; on tend les +maisons de chaque côté des rues; on pare l'église, on couvre le +baptistère de baume et de toutes sortes de parfums. Comblé des grâces +du Seigneur, le peuple croit déjà respirer les délices du paradis. Le +cortège part du palais; le clergé ouvre la marche avec les saints +évangiles, les croix et les bannières, chantant des hymnes et des +cantiques spirituels; vient ensuite l'évêque, conduisant le roi par la +main; enfin la reine suit avec le peuple. Chemin faisant, le roi +demanda à l'évêque si c'était là le royaume de Dieu qu'il lui avait +promis: «Non, répondit le bienheureux Remi, mais c'est l'entrée de la +route qui y conduit.» Quand ils furent parvenus au baptistère, le +prêtre qui portait le saint chrême, arrêté par la foule, ne put +atteindre jusqu'aux saints fonts; en sorte qu'à la bénédiction des +fonts, le chrême manqua par un exprès dessein du Seigneur. Alors le +pontife lève les yeux vers le ciel, et prie en silence et avec des +larmes. Aussitôt descend une colombe, blanche <span class="pagenum"><a id="page61" name="page61"></a>(p. 61)</span> comme la neige, +portant dans son bec une ampoule pleine d'un chrême envoyé du ciel. +Une odeur délicieuse s'en exhale, qui enivre les assistants d'un +plaisir bien au-dessus de tout ce qu'ils avaient senti jusque-là. Le +saint évêque prend l'ampoule, asperge de chrême l'eau baptismale et +incontinent la colombe disparaît.</p> + +<p>Transporté de joie à la vue d'un si grand miracle de la grâce, le roi +renonce à Satan, à ses pompes et à ses œuvres, demande avec +instance le baptême et s'incline sur la fontaine de vie<a id="footnotetag286" name="footnotetag286"></a><a href="#footnote286" title="Lien vers la note 286"><span class="smaller">[286]</span></a>.</p> + +<p>Et depuis lors les rois de France sont sacrés de l'onction divine +apportée du ciel par la colombe. La sainte ampoule qui la contient est +gardée dans l'église Saint-Remi de Reims. Et avec la permission de +Dieu, cette ampoule, au jour du sacre, se trouve toujours pleine<a id="footnotetag287" name="footnotetag287"></a><a href="#footnote287" title="Lien vers la note 287"><span class="smaller">[287]</span></a>.</p> + +<p>Voilà ce que disaient les clercs; et sans doute les paysans de +Domremy, sur un ton plus humble, en eussent pu dire autant et même +davantage. Comme on peut croire, ils chantaient la complainte de saint +Remi. <span class="pagenum"><a id="page62" name="page62"></a>(p. 62)</span> Tous les ans, quand le premier jour d'octobre ramenait +la fête patronale, le curé devait faire, selon l'usage, le panégyrique +du saint<a id="footnotetag288" name="footnotetag288"></a><a href="#footnote288" title="Lien vers la note 288"><span class="smaller">[288]</span></a>.</p> + +<p>Vers cette époque, un mystère se jouait à Reims, où les miracles de +l'apôtre des Gaules étaient amplement représentés<a id="footnotetag289" name="footnotetag289"></a><a href="#footnote289" title="Lien vers la note 289"><span class="smaller">[289]</span></a>. Et il y en +avait de bien propres à toucher des âmes villageoises. En sa vie +mortelle, monseigneur <span class="pagenum"><a id="page63" name="page63"></a>(p. 63)</span> saint Remi guérit un aveugle +démoniaque. Un homme ayant donné, pour le salut de son âme, ses biens +au chapitre de Reims, mourut; dix ans après sa mort, monseigneur saint +Remi le ressuscita et lui fit déclarer sa donation. Hébergé par des +gens qui n'avaient pas de quoi boire, le saint remplit leur tonneau +d'un vin miraculeux. Ayant reçu du roi Clovis un moulin en présent, +comme le meunier refusait de le lui abandonner, monseigneur saint +Remi, avec l'aide de Dieu, abîma le moulin dans les entrailles de la +terre. Une nuit que le Saint se trouvait seul dans sa chapelle, tandis +que tous ses clercs dormaient, les glorieux apôtres Pierre et Paul +descendirent du paradis pour chanter avec lui les matines.</p> + +<p>Qui mieux que les gens de Domremy pouvait connaître le baptême du roi +Clovis de France et savoir qu'au chant du <i>Veni Creator Spiritus</i> le +Saint-Esprit était descendu tenant en son bec la sainte Ampoule, +pleine du chrême bénit par Notre-Seigneur<a id="footnotetag290" name="footnotetag290"></a><a href="#footnote290" title="Lien vers la note 290"><span class="smaller">[290]</span></a>? Qui mieux qu'eux +entendait les paroles adressées au roi très chrétien, par monseigneur +saint Remi, non sans doute en latin d'église, mais en bonne langue +vulgaire, et revenant à ceci:</p> + +<p>«Or, Sire, ayez connaissance de servir Dieu dévotement et de garder la +justice, pour que florisse votre <span class="pagenum"><a id="page64" name="page64"></a>(p. 64)</span> royaume. Car lorsque justice +y périra, ce royaume courra grand péril<a id="footnotetag291" name="footnotetag291"></a><a href="#footnote291" title="Lien vers la note 291"><span class="smaller">[291]</span></a>.»</p> + +<p>Enfin, d'une manière ou d'une autre, soit par les clercs qui la +gouvernaient, soit par les paysans au milieu desquels elle vivait, +Jeanne avait connaissance du bon archevêque Remi, qui aimait tant le +sang royal de la sainte Ampoule de Reims et du sacre des rois très +chrétiens<a id="footnotetag292" name="footnotetag292"></a><a href="#footnote292" title="Lien vers la note 292"><span class="smaller">[292]</span></a>.</p> + +<p>Et l'ange lui apparut et lui dit:</p> + +<p>—Fille de Dieu, tu conduiras le dauphin à Reims, afin qu'il y reçoive +son digne sacre<a id="footnotetag293" name="footnotetag293"></a><a href="#footnote293" title="Lien vers la note 293"><span class="smaller">[293]</span></a>.</p> + +<p>La jeune fille entendait. Les voiles tombaient; une lumière éclatante +se faisait dans son esprit. Voilà donc pourquoi Dieu l'avait choisie. +C'était par elle que le dauphin Charles devait être sacré à Reims. La +colombe blanche, autrefois envoyée au bienheureux Remi, devait +redescendre à l'appel d'une vierge. Dieu, qui aime les Français, +marque leur roi d'un signe, et, quand ce signe manque, la puissance +royale n'est point. C'est le sacre qui fait seul le roi, et messire +Charles de Valois n'est pas sacré. Bien que le père soit couché, la +couronne au front, le sceptre à la main, dans la basilique de +Saint-Denys en France, le fils n'est que dauphin, <span class="pagenum"><a id="page65" name="page65"></a>(p. 65)</span> et il ne +recueillera son saint héritage que le jour où l'huile de l'ampoule +inépuisable coulera sur son front. Et c'est elle, la jeune paysanne, +ignorante que Dieu a choisie pour le conduire, à travers ses ennemis, +jusqu'à Reims où il recevra l'onction que reçut saint Louis. Desseins +impénétrables de Dieu! L'humble fille qui ne sait ni chevaucher ni +guerroyer est élue pour donner à Notre-Seigneur son vicaire temporel +dans la France chrétienne.</p> + +<p>Désormais Jeanne connaissait les grandes choses qu'elle avait à faire. +Mais elle ne découvrait pas encore les voies par lesquelles elle +devait les accomplir.</p> + +<p>—Il faut que tu ailles en France, lui disaient madame sainte +Catherine et madame sainte Marguerite.</p> + +<p>—Fille de Dieu, tu conduiras le dauphin à Reims<a id="footnotetag294" name="footnotetag294"></a><a href="#footnote294" title="Lien vers la note 294"><span class="smaller">[294]</span></a>, afin qu'il y +reçoive son digne sacre, lui disait monseigneur saint Michel, +archange.</p> + +<p>Il était nécessaire de leur obéir. Mais comment? S'il ne se trouva +pas, à ce moment, quelque personne de dévotion pour la diriger, un +fait très particulier et de peu d'importance, qui se passait alors +dans la maison paternelle, peut suffire à mettre la jeune sainte sur +la voie.</p> + +<p>Principal locataire du château de l'Île en 1419 et doyen de la +communauté en 1423, Jacques d'Arc était un des notables de Domremy. +Les gens du village, qui <span class="pagenum"><a id="page66" name="page66"></a>(p. 66)</span> l'estimaient, le chargeaient +volontiers de besognes difficiles. Ils l'envoyèrent, à la fin de mars +1427, à Vaucouleurs, comme leur procureur fondé dans un procès qu'ils +avaient à soutenir par-devant Robert de Baudricourt. Il s'agissait +d'une réparation de dommages que réclamait un certain Guyot Poignant, +de Montigny-le-Roi, et pour lesquels il avait assigné concurremment le +seigneur et les habitants de Greux et de Domremy. Ces dommages +remontaient à quatre années en çà, quand le damoiseau de Commercy +avait frappé Greux et Domremy d'un droit de sauvegarde qui s'élevait à +deux cent vingt écus d'or.</p> + +<p>Guyot Poignant se porta garant de cette somme qui ne fut point payée +au terme fixé. Le damoiseau saisit chez Poignant bois, foin et +chevaux, pour cent vingt écus d'or, dont ledit Poignant réclama le +paiement aux seigneurs et aux vilains de Greux et de Domremy. +L'affaire était pendante encore en 1427, quand la communauté désigna, +pour son procureur fondé, Jacques d'Arc, et l'envoya à Vaucouleurs. On +ignore comment le différend se termina; mais il suffit de savoir que +le père de Jeanne vit sire Robert, l'approcha, lui parla<a id="footnotetag295" name="footnotetag295"></a><a href="#footnote295" title="Lien vers la note 295"><span class="smaller">[295]</span></a>.</p> + +<p>De retour dans sa maison, il dut plus d'une fois conter ces entrevues, +rapporter d'un si grand personnage diverses façons et paroles. Et sans +doute Jeanne <span class="pagenum"><a id="page67" name="page67"></a>(p. 67)</span> en entendit maintes choses. Assurément ses +oreilles étaient rebattues du nom de Baudricourt. C'est alors que +l'archange chevalier, l'éblouissant ami, vint une fois encore lui +révéler la pensée obscure qui naissait en elle:</p> + +<p>—Fille de Dieu, lui dit-il, tu iras vers le capitaine Robert de +Baudricourt, en la ville de Vaucouleurs, afin qu'il te donne des gens +pour te conduire auprès du gentil dauphin<a id="footnotetag296" name="footnotetag296"></a><a href="#footnote296" title="Lien vers la note 296"><span class="smaller">[296]</span></a>.</p> + +<p>Résolue à fidèlement accomplir le vouloir de son archange, qui était +son propre vouloir, Jeanne prévoyait bien que sa mère, quoique pieuse, +ne l'aiderait point dans ses projets et que son père s'y opposerait +énergiquement. Aussi se garda-t-elle de leur en rien confier<a id="footnotetag297" name="footnotetag297"></a><a href="#footnote297" title="Lien vers la note 297"><span class="smaller">[297]</span></a>.</p> + +<p>Elle pensa que Durand Lassois était homme à lui assurer l'aide dont +elle avait besoin. Elle l'appelait son oncle, en considération de son +âge: il avait seize ans de plus qu'elle. Leur parenté résultait de ce +que Lassois avait épousé une Jeanne, fille d'un Le Vauseul, laboureur, +et d'Aveline, sœur d'Isabelle de Vouthon, et par conséquent cousine +germaine de la fille d'Isabelle<a id="footnotetag298" name="footnotetag298"></a><a href="#footnote298" title="Lien vers la note 298"><span class="smaller">[298]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page68" name="page68"></a>(p. 68)</span> Lassois habitait, avec sa femme, son beau-père et sa +belle-mère, un hameau de quelques feux, Burey-en-Vaulx, sur la rive +gauche de la Meuse, dans la verte vallée, à deux lieues de Domremy et +à moins d'une lieue de Vaucouleurs<a id="footnotetag299" name="footnotetag299"></a><a href="#footnote299" title="Lien vers la note 299"><span class="smaller">[299]</span></a>.</p> + +<p>Jeanne l'alla trouver, lui fit part de ses projets et lui représenta +qu'elle avait besoin de voir sire Robert de Baudricourt. Pour que son +bon parent lui donnât plus de créance elle lui cita une bien étrange +prophétie, dont nous avons déjà parlé:</p> + +<p>—N'a-t-il pas été su autrefois, fit-elle, qu'une femme ruinerait le +royaume de France et qu'une femme le rétablirait<a id="footnotetag300" name="footnotetag300"></a><a href="#footnote300" title="Lien vers la note 300"><span class="smaller">[300]</span></a>?</p> + +<p>Cette pronostication, paraît-il, rendit Durand Lassois pensif. Des +deux choses qui s'y trouvaient annoncées, la première, qui était +mauvaise, s'était accomplie dans la ville de Troyes, quand madame +Ysabeau avait donné le royaume des Lis et madame Catherine de France +au roi d'Angleterre. Il ne restait donc plus qu'à souhaiter que la +seconde chose, qui était bonne, s'accomplît aussi. Tel était le désir +de Durand Lassois, si toutefois il se sentait porté d'amour pour le +dauphin Charles, ce que l'histoire ne dit pas.</p> + +<p>Jeanne en ce séjour chez sa cousine ne voyait pas seulement ses +parents les Vouthon et leurs enfants. Elle <span class="pagenum"><a id="page69" name="page69"></a>(p. 69)</span> fréquentait aussi +chez un jeune gentilhomme nommé Geoffroy de Foug, qui habitait sur la +paroisse de Maxey-sur-Vayse dont le hameau de Burey faisait partie. +Elle lui confia qu'elle voulait aller en France. Le seigneur Geoffroy +ne connaissait pas beaucoup les parents de Jeanne; il ne savait pas +leurs noms. Mais la jeune fille lui parut bonne, simple, pieuse, et il +l'encouragea dans sa merveilleuse entreprise<a id="footnotetag301" name="footnotetag301"></a><a href="#footnote301" title="Lien vers la note 301"><span class="smaller">[301]</span></a>. Une huitaine de +jours après son arrivée à Burey, elle en vint à ses fins: Durand +Lassois consentit à la mener à Vaucouleurs<a id="footnotetag302" name="footnotetag302"></a><a href="#footnote302" title="Lien vers la note 302"><span class="smaller">[302]</span></a>.</p> + +<p>Avant de partir, elle fit une requête à sa tante Aveline, qui était +grosse; elle lui dit:</p> + +<p>—Si l'enfant que vous attendez est une fille, nommez-la Catherine en +mémoire de ma sœur défunte.</p> + +<p>Catherine, qui avait épousé Colin de Greux, venait de mourir<a id="footnotetag303" name="footnotetag303"></a><a href="#footnote303" title="Lien vers la note 303"><span class="smaller">[303]</span></a>.</p> + + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page70" name="page70"></a>(p. 70)</span> CHAPITRE III<br> + +<span class="smaller">PREMIER SÉJOUR À VAUCOULEURS. — FUITE À NEUFCHÂTEAU. — VOYAGE À +TOUL. — SECOND SÉJOUR À VAUCOULEURS.</span></h2> + + +<p>Robert de Baudricourt, alors capitaine de la ville de Vaucouleurs pour +le dauphin Charles, était fils de Liébault de Baudricourt, en son +vivant chambellan de Robert duc de Bar, gouverneur de Pont-à-Mousson, +et de Marguerite d'Aunoy, dame de Blaise en Bassigny. Quatorze ou +quinze ans auparavant, il avait succédé à ses deux oncles, Guillaume +Bâtard de Poitiers et Jean d'Aunoy, comme bailli de Chaumont et +capitaine de Vaucouleurs. Il s'était marié une première fois à une +riche veuve; devenu veuf il avait épousé, en 1425, une veuve aussi +riche que la première, madame Alarde de Chambley. Et c'est un fait que +les bergers d'Urusse et de Gibeaumex volèrent la charrette qui portait +les gâteaux commandés pour le festin de noces. Sire Robert ressemblait +à tous les hommes de guerre de son temps <span class="pagenum"><a id="page71" name="page71"></a>(p. 71)</span> et de son pays: il +était avide et madré; il avait beaucoup d'amis parmi ses ennemis et +beaucoup d'ennemis parmi ses amis, se battait parfois pour son parti, +parfois contre et toujours à son profit. Au reste, pas plus malfaisant +qu'un autre, et des moins sots<a id="footnotetag304" name="footnotetag304"></a><a href="#footnote304" title="Lien vers la note 304"><span class="smaller">[304]</span></a>.</p> + +<p>Vêtue d'une pauvre robe rouge toute rapiécée<a id="footnotetag305" name="footnotetag305"></a><a href="#footnote305" title="Lien vers la note 305"><span class="smaller">[305]</span></a>, mais le cœur +illuminé d'un mystique amour, Jeanne gravit la colline qui domine la +ville et la vallée, pénétra dans le château sans difficulté, car on y +entrait comme au moulin, et fut introduite dans une salle où sire +Robert se tenait parmi les gens d'armes. Elle entendit la Voix qui lui +disait: «Le voilà<a id="footnotetag306" name="footnotetag306"></a><a href="#footnote306" title="Lien vers la note 306"><span class="smaller">[306]</span></a>!» et aussitôt elle alla droit à lui, et lui +parla sans crainte, commençant par ce qu'elle croyait, sans doute, le +plus pressé:</p> + +<p>—Je suis venue à vous, lui dit-elle, de la part de Messire, pour que +vous mandiez au dauphin de se bien tenir et de ne pas assigner +bataille à ses ennemis<a id="footnotetag307" name="footnotetag307"></a><a href="#footnote307" title="Lien vers la note 307"><span class="smaller">[307]</span></a>.</p> + +<p>Assurément elle parlait de la sorte sur un nouveau <span class="pagenum"><a id="page72" name="page72"></a>(p. 72)</span> mandement +de ses Voix. Et, chose digne de remarque, elle répétait mot pour mot +ce qu'avait dit soixante-quinze ans en çà, non loin de Vaucouleurs, un +paysan champenois qui était vavasseur, c'est-à-dire homme franc. +L'aventure de ce paysan avait commencé comme celle de Jeanne, pour +finir, il est vrai, beaucoup plus court. La fille de Jacques d'Arc +n'était pas la première à dire qu'elle avait des révélations sur le +fait de la guerre. Les personnes inspirées se montrent surtout dans +les époques de grandes misères. C'est ainsi qu'au temps de la peste et +du Prince Noir, le vavasseur de Champagne avait, lui aussi, entendu +une voix dans une lumière.</p> + +<p>Tandis qu'il travaillait aux champs, la voix lui avait dit: «Va +avertir le roi de France Jean de ne combattre contre nul de ses +ennemis.» C'était quelques jours avant la bataille de Poitiers<a id="footnotetag308" name="footnotetag308"></a><a href="#footnote308" title="Lien vers la note 308"><span class="smaller">[308]</span></a>.</p> + +<p>Alors le conseil était bon; au mois de mai de l'an 1428, il semblait +moins utile et même il ne répondait pas très bien à la réalité des +choses. Depuis la malheureuse journée de Verneuil, les Français ne se +sentaient pas en état d'assigner bataille à leurs ennemis; ils n'y +songeaient point. On prenait, on perdait des villes, on faisait des +escarmouches et des rescousses; on n'assignait point de bataille aux +ennemis. Il n'était nul besoin de contenir le dauphin Charles qui, de +nature <span class="pagenum"><a id="page73" name="page73"></a>(p. 73)</span> et de fortune, était pour lors très contenu<a id="footnotetag309" name="footnotetag309"></a><a href="#footnote309" title="Lien vers la note 309"><span class="smaller">[309]</span></a>. +Environ le temps où Jeanne tenait ce propos à sire Robert, les Anglais +préparaient une expédition en France et hésitaient encore, ne sachant +s'ils marcheraient sur Angers ou sur Orléans<a id="footnotetag310" name="footnotetag310"></a><a href="#footnote310" title="Lien vers la note 310"><span class="smaller">[310]</span></a>.</p> + +<p>Jeanne parlait sur l'avis de son archange et de ses saintes qui, +touchant le fait de la guerre et l'état du royaume, n'en savaient ni +plus ni moins qu'elle. Mais il n'est pas surprenant que ceux qui se +croient envoyés de Dieu demandent qu'on les attende. Et puis il y +avait tout le gros bon sens du peuple dans cette crainte de la jeune +fille, que la chevalerie française ne livrât encore une bataille à sa +façon. On savait trop bien comment ces gens-là s'y prenaient.</p> + +<p>Sans se troubler, Jeanne poursuivit et fit une prophétie concernant le +dauphin:</p> + +<p>—Avant la mi-carême, Messire lui donnera secours.</p> + +<p>Et elle ajouta aussitôt:</p> + +<p>—De fait le royaume n'appartient pas au dauphin. Mais Messire veut +que le dauphin soit fait roi et qu'il ait le royaume en commande. +Malgré ses ennemis, le dauphin sera fait roi; et c'est moi qui le +conduirai à son sacre.</p> + +<p>Sans doute que le nom de Messire, dans le sens où elle l'employait, +avait quelque chose d'étrange et <span class="pagenum"><a id="page74" name="page74"></a>(p. 74)</span> d'obscur, puisque sire +Robert, ne le comprenant pas, demanda:</p> + +<p>—Qui est Messire?</p> + +<p>—Le Roi du ciel, répondit la jeune fille.</p> + +<p>Elle venait d'employer un autre terme sur lequel sire Robert ne fit +pas de réflexion, qu'on sache, et qui pourtant donne à penser<a id="footnotetag311" name="footnotetag311"></a><a href="#footnote311" title="Lien vers la note 311"><span class="smaller">[311]</span></a>.</p> + +<p>Ce mot de commande, usité en matières bénéficiales, signifiait +dépôt<a id="footnotetag312" name="footnotetag312"></a><a href="#footnote312" title="Lien vers la note 312"><span class="smaller">[312]</span></a>. Quand le roi recevrait le royaume en commande il n'en +serait que le dépositaire. Ce que la jeune fille disait là +correspondait aux idées des hommes les plus pieux sur le gouvernement +des royaumes par Notre-Seigneur. Elle n'avait pu trouver elle-même ni +le mot ni la chose; elle était visiblement endoctrinée par quelqu'un +de ces hommes d'Église dont nous avons déjà senti l'influence à +l'occasion d'une prophétie lorraine et dont toute trace est à jamais +perdue.</p> + +<p>Jeanne était en conversations spirituelles avec plusieurs prêtres; +entre autres avec Messire Arnolin, de Gondrecourt-le-Château, et +Messire Dominique Jacob, curé de Moutier-sur-Saulx, qui l'entendaient +en confession<a id="footnotetag313" name="footnotetag313"></a><a href="#footnote313" title="Lien vers la note 313"><span class="smaller">[313]</span></a>. Il est dommage qu'on ne sache pas ce qu'ils +pensaient de l'insatiable cruauté de la gent anglaise, de l'orgueil de +Monseigneur le duc de Bourgogne, des malheurs du dauphin, et s'ils +n'espéraient pas que Notre-Seigneur <span class="pagenum"><a id="page75" name="page75"></a>(p. 75)</span> Jésus-Christ daignerait +un jour, à la prière du commun peuple, donner le royaume en commande à +Charles, fils de Charles. C'est peut-être de quelqu'un de ceux-là que +Jeanne tenait sa politique sacrée<a id="footnotetag314" name="footnotetag314"></a><a href="#footnote314" title="Lien vers la note 314"><span class="smaller">[314]</span></a>.</p> + +<p>Au moment où elle parlait à sire Robert, se trouvait auprès du +capitaine, et non pas, sans doute, par pur hasard, un gentilhomme +lorrain nommé Bertrand de Poulengy, qui avait une terre près de +Gondrecourt et remplissait un office dans la prévôté de +Vaucouleurs<a id="footnotetag315" name="footnotetag315"></a><a href="#footnote315" title="Lien vers la note 315"><span class="smaller">[315]</span></a>. Il était alors âgé d'environ trente-six ans. C'était +un homme qui fréquentait les clercs; du moins entendait-il fort bien +le langage des personnes de dévotion<a id="footnotetag316" name="footnotetag316"></a><a href="#footnote316" title="Lien vers la note 316"><span class="smaller">[316]</span></a>. Peut-être voyait-il Jeanne +pour la première fois, mais assurément il avait beaucoup entendu +parler d'elle, la savait pieuse et de sage conduite; il avait +fréquenté à Domremy une douzaine d'années avant cette époque, +connaissait les aîtres, s'était assis sous l'arbre des Dames, était +allé plusieurs fois chez Jacques d'Arc et la Romée, qu'il tenait pour +d'honnêtes cultivateurs<a id="footnotetag317" name="footnotetag317"></a><a href="#footnote317" title="Lien vers la note 317"><span class="smaller">[317]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page76" name="page76"></a>(p. 76)</span> Il se peut que Bertrand de Poulengy fut touché du maintien et +du langage de la jeune fille; il est plus croyable encore que ce +gentilhomme était en relation avec les personnes d'Église, inconnues +de nous, qui instruisaient la paysanne visionnaire afin de la rendre +plus capable de servir le royaume de France et l'Église. De toute +manière elle avait en Bertrand un ami qui devait lui apporter plus +tard l'appui le plus utile.</p> + +<p>Pour cette fois, si nous sommes bien informés, il ne tenta rien ni ne +souffla mot. Peut-être jugeait-il qu'il fallait attendre que le +capitaine de la ville fût mieux préparé à accueillir la demande de la +sainte. Sire Robert ne comprenait rien à toute cette affaire et ce +point seul lui paraissait clair, que Jeanne ferait une belle ribaude +et que ce serait un friand morceau pour les gens d'armes<a id="footnotetag318" name="footnotetag318"></a><a href="#footnote318" title="Lien vers la note 318"><span class="smaller">[318]</span></a>.</p> + +<p>En renvoyant le vilain qui la lui avait amenée, il lui fit une +recommandation tout à fait conforme à la sagesse du temps sur le +castoiement des filles:</p> + +<p>—Reconduis-la à son père avec de bons soufflets.</p> + +<p>Et sire Robert estimait la méthode excellente, car il invita plusieurs +fois l'oncle Lassois à ramener au logis Jeannette bien +souffletée<a id="footnotetag319" name="footnotetag319"></a><a href="#footnote319" title="Lien vers la note 319"><span class="smaller">[319]</span></a>.</p> + +<p>Après huit jours d'absence, elle revint au village. Le <span class="pagenum"><a id="page77" name="page77"></a>(p. 77)</span> mépris +du capitaine et les outrages de la garnison ne l'avaient ni humiliée, +ni découragée; elle les tenait au contraire comme des preuves de la +vérité de sa mission, s'imaginant que ses Voix les lui avaient +annoncées<a id="footnotetag320" name="footnotetag320"></a><a href="#footnote320" title="Lien vers la note 320"><span class="smaller">[320]</span></a>. Comme ceux qui marchent en dormant, elle était douce à +l'obstacle et d'une obstination paisible. À la maison, au courtil, aux +prés, elle continuait ce sommeil merveilleux, plein des images du +dauphin, de sa chevalerie, et des batailles sur lesquelles flottaient +des anges.</p> + +<p>Elle ne pouvait se taire; son secret lui échappait de toutes parts. +Sans cesse elle prophétisait, mais on ne la croyait pas. La veille de +la Saint-Jean-Baptiste, environ un mois après son retour, elle dit +sentencieusement à Michel Lebuin, laboureur à Burey, qui était un tout +jeune garçon:</p> + +<p>—Il y a entre Coussey et Vaucouleurs une fille qui, avant un an +d'ici, fera sacrer le roi de France<a id="footnotetag321" name="footnotetag321"></a><a href="#footnote321" title="Lien vers la note 321"><span class="smaller">[321]</span></a>.</p> + +<p>Un jour même, avisant Gérardin d'Épinal, qui seul à Domremy n'était +pas du parti du dauphin, et à qui, de son aveu, elle eût volontiers +coupé la tête, encore qu'elle fût la marraine de son fils, elle ne put +se tenir de lui faire à mots couverts l'annonce du mystère qu'il y +avait entre elle et Dieu:</p> + +<p>—Compère, si vous n'étiez Bourguignon, je vous dirais quelque +chose<a id="footnotetag322" name="footnotetag322"></a><a href="#footnote322" title="Lien vers la note 322"><span class="smaller">[322]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page78" name="page78"></a>(p. 78)</span> Le bonhomme crut qu'il s'agissait de fiançailles prochaines, +et que la fille de Jacques d'Arc épouserait bientôt quelqu'un des +garçons avec qui elle avait mangé des petits pains sous l'arbre des +Fées et bu l'eau de la fontaine des Groseilliers.</p> + +<p>Hélas! Jacques d'Arc eût bien voulu que le secret de sa fille fût de +cette sorte. Cet homme de sens droit, très ferme et soucieux de la +bonne conduite de ses enfants, s'inquiétait des allures que prenait +Jeanne. Il ne savait pas qu'elle entendait des Voix; il ne se doutait +pas que c'était, dans son jardin, toute la journée une descente du +Paradis, que du Ciel à sa maison allaient et venaient sans cesse plus +d'anges que n'en avait porté l'échelle de Jacob et qu'enfin, pour +Jeannette seule, sans qu'on n'en vît rien, un mystère se jouait, plus +riche et plus beau mille fois que ceux qu'on représentait sur un +échafaud, aux jours de fête, dans des villes comme Toul ou Nancy. Il +était à cent lieues de soupçonner ces incroyables merveilles. Mais il +voyait bien que sa fille était hors de sens, qu'elle avait l'esprit +égaré, qu'elle disait des folies. Il s'apercevait bien qu'elle n'avait +en tête que chevauchées et batailles; il ne pouvait ignorer tout à +fait l'équipée de Vaucouleurs. Il craignait vivement qu'un jour cette +malheureuse enfant ne partît pour tout de bon et n'allât courir le +monde. Cette pénible inquiétude le poursuivait jusque dans son +sommeil. Il rêva, une nuit, qu'il la voyait s'enfuyant avec des hommes +d'armes; <span class="pagenum"><a id="page79" name="page79"></a>(p. 79)</span> et l'impression de ce rêve fut si forte qu'elle lui +resta encore à son réveil. Durant plusieurs jours il dit et répéta à +ses fils Jean et Pierre:</p> + +<p>—Si je croyais vraiment qu'advînt cette chose que j'ai songée de ma +fille, je voudrais qu'elle fût noyée par vous; et si vous ne le +faisiez, je la noierais moi-même<a id="footnotetag323" name="footnotetag323"></a><a href="#footnote323" title="Lien vers la note 323"><span class="smaller">[323]</span></a>.</p> + +<p>Isabelle répéta le propos à sa fille, pour l'effrayer et la corriger. +Tout dévote qu'elle était, elle partageait les craintes du père. +C'était une chose cruelle à penser pour ces braves gens, que leur +enfant pût devenir une ribaude. En ces temps de guerre, il y avait +foison de ces folles femmes que les gens d'armes menaient en croupe; +chacun avait la sienne.</p> + +<p>Par l'étrangeté de leurs actions, fréquemment les saintes, en leur +jeunesse, prêtent à de pareils soupçons. Et Jeanne donnait des signes +de sainteté. Elle était la fable du village. On la montrait au doigt +en disant par moquerie: «Voilà celle qui relèvera la France et le sang +royal<a id="footnotetag324" name="footnotetag324"></a><a href="#footnote324" title="Lien vers la note 324"><span class="smaller">[324]</span></a>.»</p> + +<p>Voyant le mal qui tenait cette fille, les gens du pays n'étaient pas +embarrassés pour en trouver la cause. Ils l'attribuaient à quelque +sortilège. Elle avait été vue sous le beau Mai, elle y avait suspendu +des guirlandes. On savait que le vieux hêtre était hanté, de même que +la fontaine voisine. Et c'était une chose bien connue <span class="pagenum"><a id="page80" name="page80"></a>(p. 80)</span> que les +fées jetaient des sorts. Certains découvrirent que Jeanne avait +rencontré une dame méchante. Ils disaient: «Jeannette a pris son fait +près de l'arbre des Fées<a id="footnotetag325" name="footnotetag325"></a><a href="#footnote325" title="Lien vers la note 325"><span class="smaller">[325]</span></a>.» Encore s'il n'y avait jamais eu que +des paysans pour le croire!</p> + +<p>Antoine de Vergy, gouverneur de Champagne, reçut, le 22 juin, du duc +de Bedford, régent de France au nom de Henri VI, commission d'équiper +mille hommes d'armes destinés à placer en l'obéissance des Anglais la +châtellenie de Vaucouleurs. Trois semaines après, la petite armée se +mettait en route sous les ordres des deux Vergy, Antoine et Jean. +Quatre chevaliers bannerets, quatorze chevaliers bacheliers, trois +cent soixante-trois hommes d'armes la composaient. Pierre de Trie, +capitaine de Beauvais, Jean, comte de Neufchâtel et Fribourg, reçurent +l'ordre de rejoindre le corps principal<a id="footnotetag326" name="footnotetag326"></a><a href="#footnote326" title="Lien vers la note 326"><span class="smaller">[326]</span></a>.</p> + +<p>Dans sa marche sur Vaucouleurs, Antoine de Vergy mettait, selon la +coutume, à feu et à sang tous les villages situés sur le territoire de +la châtellenie. Les gens de Domremy et de Greux, menacés à nouveau +d'un mal qu'ils ne connaissent que trop, voyaient déjà leurs bestiaux +enlevés, leurs granges incendiées, leurs femmes, leurs filles violées. +Ayant éprouvé déjà que le château de l'Île ne suffisait point à leur +sûreté, <span class="pagenum"><a id="page81" name="page81"></a>(p. 81)</span> ils se résolurent à fuir et à chercher asile dans la +ville de Neufchâteau, distante de deux lieues seulement de Domremy et +qui était le marché où ils fréquentaient. Donc, vers la mi-juillet, +abandonnant leurs maisons et leurs champs, ils partirent et, poussant +devant eux leurs bestiaux, suivirent la route à travers les champs de +froment et de seigle et les coteaux de vignes jusqu'à la ville, où ils +se logèrent comme ils purent<a id="footnotetag327" name="footnotetag327"></a><a href="#footnote327" title="Lien vers la note 327"><span class="smaller">[327]</span></a>.</p> + +<p>La famille d'Arc fut reçue par la femme de Jean Waldaires, qu'on +nommait la Rousse et qui tenait une auberge où logeaient soldats, +moines, marchands et pèlerins. Certains la soupçonnaient de donner +asile à des femmes de mauvaise vie<a id="footnotetag328" name="footnotetag328"></a><a href="#footnote328" title="Lien vers la note 328"><span class="smaller">[328]</span></a>. Et il y a apparence qu'elle +n'hébergeait pas que d'honnêtes dames. Cependant elle était elle-même +une bonne femme, c'est-à-dire une femme riche. Elle avait assez +d'argent pour en prêter parfois à des concitoyens<a id="footnotetag329" name="footnotetag329"></a><a href="#footnote329" title="Lien vers la note 329"><span class="smaller">[329]</span></a>. Bien que +Neufchâteau appartînt au duc de Lorraine, qui était du parti des +Bourguignons, on a cru savoir que cette hôtelière inclinait vers les +Armagnacs; mais il est peut-être un peu vain de rechercher les +sentiments de la Rousse sur les troubles du royaume de France<a id="footnotetag330" name="footnotetag330"></a><a href="#footnote330" title="Lien vers la note 330"><span class="smaller">[330]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page82" name="page82"></a>(p. 82)</span> À Neufchâteau comme à Domremy, Jeanne menait aux champs les +bêtes de son père et gardait les troupeaux<a id="footnotetag331" name="footnotetag331"></a><a href="#footnote331" title="Lien vers la note 331"><span class="smaller">[331]</span></a>. Adroite et robuste, +elle aidait aussi la Rousse dans les soins du ménage<a id="footnotetag332" name="footnotetag332"></a><a href="#footnote332" title="Lien vers la note 332"><span class="smaller">[332]</span></a>; c'est ce +qui a fait dire méchamment aux Bourguignons qu'elle avait été meschine +dans une auberge de soudards et de ribaudes<a id="footnotetag333" name="footnotetag333"></a><a href="#footnote333" title="Lien vers la note 333"><span class="smaller">[333]</span></a>. Au vrai, Jeanne +passait aux églises tout le temps qu'elle n'employait pas à soigner +les animaux et à donner aide à son hôtesse<a id="footnotetag334" name="footnotetag334"></a><a href="#footnote334" title="Lien vers la note 334"><span class="smaller">[334]</span></a>.</p> + +<p>Il y avait dans la ville deux beaux couvents, l'un de Cordeliers, +l'autre de Clarisses, fils et filles du bon saint François<a id="footnotetag335" name="footnotetag335"></a><a href="#footnote335" title="Lien vers la note 335"><span class="smaller">[335]</span></a>. La +maison des Cordeliers avait été bâtie, deux cents ans en çà, par +Mathieu II de Lorraine. Le duc régnant venait encore de la richement +doter. De nobles dames, de hauts seigneurs et entre autres un +Bourlémont, seigneur de Domremy et Greux, y gisaient sous lame<a id="footnotetag336" name="footnotetag336"></a><a href="#footnote336" title="Lien vers la note 336"><span class="smaller">[336]</span></a>.</p> + +<p>Ces moines mendiants qui, jadis en leur bel âge, affiliaient à leur +tiers-ordre bourgeois et paysans en foule et une multitude de princes +et de rois<a id="footnotetag337" name="footnotetag337"></a><a href="#footnote337" title="Lien vers la note 337"><span class="smaller">[337]</span></a>, maintenant <span class="pagenum"><a id="page83" name="page83"></a>(p. 83)</span> languissaient corrompus et +déchus. Les querelles et les schismes abondaient parmi les frères de +France. Malgré les efforts de Colette de Corbie pour rétablir la +règle, les vieilles disciplines étaient partout abolies<a id="footnotetag338" name="footnotetag338"></a><a href="#footnote338" title="Lien vers la note 338"><span class="smaller">[338]</span></a>. Ces +mendiants distribuaient des médailles de plomb, enseignaient de +courtes prières, en manière de recettes, et vouaient une affection +spéciale au saint nom de Jésus<a id="footnotetag339" name="footnotetag339"></a><a href="#footnote339" title="Lien vers la note 339"><span class="smaller">[339]</span></a>.</p> + +<p>Pendant les deux semaines que Jeanne passa dans la ville de +Neufchâteau<a id="footnotetag340" name="footnotetag340"></a><a href="#footnote340" title="Lien vers la note 340"><span class="smaller">[340]</span></a>, elle fit ses dévotions dans le couvent des +Cordeliers et se confessa deux ou trois fois aux mendiants<a id="footnotetag341" name="footnotetag341"></a><a href="#footnote341" title="Lien vers la note 341"><span class="smaller">[341]</span></a>. On a +dit qu'elle était du tiers-ordre de Saint-François, et l'on a supposé +que son affiliation datait de son séjour à Neufchâteau<a id="footnotetag342" name="footnotetag342"></a><a href="#footnote342" title="Lien vers la note 342"><span class="smaller">[342]</span></a>.</p> + +<p>C'est fort douteux; et, dans tous les cas, l'affiliation ne dut pas +être très solennelle. On ne voit pas qu'en si peu de temps les +mendiants aient pu la former aux pratiques de la piété franciscaine. +Pour se pénétrer de <span class="pagenum"><a id="page84" name="page84"></a>(p. 84)</span> leur esprit, elle était déjà trop imbue +de doctrines ecclésiastiques sur le spirituel et le temporel, trop +pleine de mystères et d'apocalypses. D'ailleurs, son séjour à +Neufchâteau fut troublé de soucis et coupé d'absences.</p> + +<p>Elle reçut dans cette ville une citation à comparaître devant +l'official de Toul dont elle relevait comme native de +Domremy-de-Greux. Un jeune garçon de Domremy prétendait qu'il y avait +promesse de mariage entre la fille de Jacques d'Arc et lui. Jeanne le +niait. Il s'obstina dans son dire et l'assigna devant l'official<a id="footnotetag343" name="footnotetag343"></a><a href="#footnote343" title="Lien vers la note 343"><span class="smaller">[343]</span></a>. +Ce tribunal ecclésiastique retenait les causes comme celle-ci et l'on +portait les demandes soit en nullité de mariage, soit en validité de +fiançailles.</p> + +<p>Ce qui est étrange dans le cas de Jeanne, c'est que ses parents lui +donnèrent tort et prirent le parti du jeune homme. Ce fut malgré leur +défense qu'elle soutint son procès et comparut devant l'official. Elle +déclara plus tard que, dans cette affaire, elle leur avait désobéi et +que c'était son seul manquement à la soumission qu'elle leur +devait<a id="footnotetag344" name="footnotetag344"></a><a href="#footnote344" title="Lien vers la note 344"><span class="smaller">[344]</span></a>.</p> + +<p>Pour aller de Neufchâteau à Toul et revenir, il lui fallait faire plus +de vingt lieues à pied sur des chemins infestés par des gens d'armes, +dans ce pays mis à feu et à sang et que les paysans de Domremy +venaient de <span class="pagenum"><a id="page85" name="page85"></a>(p. 85)</span> fuir épouvantés. C'est pourtant à quoi elle se +résolut, contre le gré de ses parents.</p> + +<p>Peut-être se rendit-elle à l'official de Toul non pas une fois, mais +deux et trois fois. Et si elle ne chemina pas jour et nuit avec son +faux fiancé, ce fut par grand hasard, car il suivait la même route en +même temps. Ses Voix lui disaient de ne rien craindre. Devant le juge +elle jura de dire la vérité et nia qu'elle eût fait promesse de +mariage.</p> + +<p>Elle n'avait point de torts. Mais sa conduite, qui procédait d'une +innocence héroïque et singulière, fut mal jugée. On prétendit à +Neufchâteau que ces voyages lui avaient mangé tout ce qu'elle avait. +Mais qu'avait-elle? hélas! Elle était partie sans rien. Peut-être lui +avait-il fallu mendier son pain aux portes. Les saintes reçoivent +l'aumône comme elles la donnent: pour l'amour de Dieu. On conta que, +pendant l'instance, son fiancé, la voyant vivre en compagnie de +mauvaises femmes, s'était désisté de sa demande en justice, renonçant +à une promise si mal famée<a id="footnotetag345" name="footnotetag345"></a><a href="#footnote345" title="Lien vers la note 345"><span class="smaller">[345]</span></a>. Propos calomnieux, qui ne trouvèrent +que trop de créance.</p> + +<p>Après deux semaines de séjour à Neufchâteau, Jacques d'Arc avec les +siens retourna à Domremy. Le verger, la maison, le moustier, le +village, les champs, dans quel état de désolation les revirent-ils! +Tout avait été pillé, ravagé, brûlé par les gens de guerre. Les +soldats, <span class="pagenum"><a id="page86" name="page86"></a>(p. 86)</span> faute de pouvoir rançonner les vilains disparus, +avaient détruit leurs biens. Le moustier, naguère encore fier comme +une forteresse, avec sa tour où veillait le guetteur, n'était plus +qu'un amas de pierres noircies. Et les habitants de Domremy durent +aller, aux jours fériés, entendre la messe à l'église de Greux<a id="footnotetag346" name="footnotetag346"></a><a href="#footnote346" title="Lien vers la note 346"><span class="smaller">[346]</span></a>.</p> + +<p>Telle était la misère du temps, qu'ordre fut donné aux villageois de +se tenir renfermés dans les maisons fortes et les châteaux<a id="footnotetag347" name="footnotetag347"></a><a href="#footnote347" title="Lien vers la note 347"><span class="smaller">[347]</span></a>.</p> + +<p>Cependant les Anglais assiégeaient la ville d'Orléans, qui appartenait +au duc Charles, leur prisonnier. Ce qui n'était point bien fait à eux, +car, ayant son corps, ils devaient respecter ses biens<a id="footnotetag348" name="footnotetag348"></a><a href="#footnote348" title="Lien vers la note 348"><span class="smaller">[348]</span></a>. Ils +élevaient des bastilles autour de cette ville d'Orléans, cœur de +France, et l'on disait qu'ils s'y tenaient à grande puissance<a id="footnotetag349" name="footnotetag349"></a><a href="#footnote349" title="Lien vers la note 349"><span class="smaller">[349]</span></a>.</p> + +<p>Et madame sainte Catherine et madame sainte Marguerite, qui étaient +des personnes très attachées à la terre des Lis, les féales du dauphin +Charles et ses belles cousines, s'entretenaient avec la bergère des +malheurs du royaume et lui disaient sans cesse:</p> + +<p>—Il faut que tu quittes ton village et que tu ailles en France<a id="footnotetag350" name="footnotetag350"></a><a href="#footnote350" title="Lien vers la note 350"><span class="smaller">[350]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page87" name="page87"></a>(p. 87)</span> Jeanne était d'autant plus impatiente de partir qu'elle avait +annoncé elle-même le temps de son arrivée en France et que ce temps +approchait. Elle avait dit au capitaine de Vaucouleurs que le dauphin +aurait secours avant la mi-carême. Elle ne voulait pas faire mentir +ses Voix<a id="footnotetag351" name="footnotetag351"></a><a href="#footnote351" title="Lien vers la note 351"><span class="smaller">[351]</span></a>.</p> + +<p>L'occasion, qu'elle épiait, de retourner à Burey, se présenta vers la +mi-janvier. À cette époque, la femme de Durand Lassois, Jeanne le +Vauseul, faisait ses couches<a id="footnotetag352" name="footnotetag352"></a><a href="#footnote352" title="Lien vers la note 352"><span class="smaller">[352]</span></a>. À la campagne, l'usage voulait que +les jeunes parentes et les amies de l'accouchée se rendissent auprès +d'elle pour soigner la mère et l'enfant. Coutume honnête et cordiale +qu'on suivait d'autant mieux qu'on y trouvait une occasion de bonnes +rencontres et de joyeux caquets<a id="footnotetag353" name="footnotetag353"></a><a href="#footnote353" title="Lien vers la note 353"><span class="smaller">[353]</span></a>. Jeanne pressa son oncle de la +demander à son père pour soigner l'accouchée et Lassois consentit: il +faisait tout ce que voulait sa nièce, et, peut-être, était-il +encouragé dans sa complaisance par des personnes pieuses et de +considération<a id="footnotetag354" name="footnotetag354"></a><a href="#footnote354" title="Lien vers la note 354"><span class="smaller">[354]</span></a>. Mais que ce père, qui tantôt ne parlait de rien +moins que de noyer sa fille pour l'empêcher de partir avec les gens +d'armes, la laissât aller aux portes de la ville, sous la garde d'un +<span class="pagenum"><a id="page88" name="page88"></a>(p. 88)</span> parent dont il connaissait la faiblesse, c'est ce qu'on a +peine à comprendre. Il le fit pourtant<a id="footnotetag355" name="footnotetag355"></a><a href="#footnote355" title="Lien vers la note 355"><span class="smaller">[355]</span></a>.</p> + +<p>Ayant quitté la maison de son enfance, qu'elle ne devait plus revoir, +Jeanne, en compagnie de Durand Lassois, descendit la vallée natale, +dépouillée par l'hiver. En passant devant la maison du laboureur +Gérard Guillemette de Greux, dont les enfants étaient en grande amitié +avec ceux de Jacques d'Arc, elle cria:</p> + +<p>—Adieu! Je vais à Vaucouleurs<a id="footnotetag356" name="footnotetag356"></a><a href="#footnote356" title="Lien vers la note 356"><span class="smaller">[356]</span></a>.</p> + +<p>Quelques pas plus loin, elle aperçut sa compagne Mengette:</p> + +<p>—Adieu, Mengette, dit-elle; je te recommande à Dieu<a id="footnotetag357" name="footnotetag357"></a><a href="#footnote357" title="Lien vers la note 357"><span class="smaller">[357]</span></a>.</p> + +<p>Et sur le chemin, au seuil des maisons, rencontrant des visages +connus, à tous elle disait adieu<a id="footnotetag358" name="footnotetag358"></a><a href="#footnote358" title="Lien vers la note 358"><span class="smaller">[358]</span></a>. Mais elle évita de voir +Hauviette, avec qui elle avait joué et dormi, aux jours d'enfance, et +qu'elle aimait chèrement. Elle craignit, si elle lui disait adieu, de +sentir son cœur défaillir. Hauviette ne sut que plus tard le départ +de son amie et elle en pleura très fort<a id="footnotetag359" name="footnotetag359"></a><a href="#footnote359" title="Lien vers la note 359"><span class="smaller">[359]</span></a>.</p> + +<p>Venue pour la seconde fois à Vaucouleurs, Jeanne croyait bien mettre +le pied dans une ville appartenant au dauphin, et entrer, comme on +disait alors, en <span class="pagenum"><a id="page89" name="page89"></a>(p. 89)</span> chambre royale<a id="footnotetag360" name="footnotetag360"></a><a href="#footnote360" title="Lien vers la note 360"><span class="smaller">[360]</span></a>. Elle se trompait. +Depuis les premiers jours du mois d'août 1428, le capitaine de +Vaucouleurs avait rendu la place au seigneur Antoine de Vergy, mais il +ne l'avait pas encore livrée. C'était une de ces capitulations à terme +comme on en signait beaucoup à cette époque et qui, le plus souvent, +cessaient d'être exécutoires au cas où la place recevait secours avant +le jour fixé pour la reddition<a id="footnotetag361" name="footnotetag361"></a><a href="#footnote361" title="Lien vers la note 361"><span class="smaller">[361]</span></a>.</p> + +<p>Comme elle avait fait neuf mois auparavant, Jeanne alla trouver sire +Robert au château, et voici la révélation qu'elle lui fit:</p> + +<p>—Capitaine Messire, dit-elle, sachez que Dieu m'a plusieurs fois fait +à savoir encore et commandé que j'allasse vers le gentil dauphin, qui +doit être et est vrai roi de France, et qu'il me baillât des gens +d'armes et que je lèverais le siège d'Orléans et le mènerais sacrer à +Reims<a id="footnotetag362" name="footnotetag362"></a><a href="#footnote362" title="Lien vers la note 362"><span class="smaller">[362]</span></a>.</p> + +<p>Cette fois, elle annonce qu'elle a mission de délivrer Orléans. Et +c'est seulement après avoir accompli cette première tâche qu'elle fera +le voyage du sacre. Il faut reconnaître la souplesse et l'à-propos +avec lesquels ses Voix changeaient, selon les nécessités du moment, +les ordres précédemment donnés.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page90" name="page90"></a>(p. 90)</span> Les manières de sire Robert à l'égard de Jeanne étaient tout à +fait changées. Il ne parlait plus de lui donner de bons soufflets et +de la renvoyer à ses parents. Maintenant, il la traitait sans rudesse +et, s'il n'avait pas foi en ce qu'elle annonçait, du moins +l'écoutait-il volontiers.</p> + +<p>Dans une des conversations qu'elle eut avec lui, elle lui tint un +propos étrange:</p> + +<p>—Une fois accomplies, lui dit-elle, les grandes choses que j'ai à +faire de la part de Messire, je me marierai et j'aurai trois fils, +dont le premier sera pape, le second empereur, le troisième roi.</p> + +<p>Sire Robert répondit gaiement:</p> + +<p>—Puisqu'ils seront si grands personnages, je voudrais bien t'en faire +un. J'en vaudrais mieux ensuite.</p> + +<p>Jeanne répondit:</p> + +<p>—Nenni, gentil Robert, nenni. Il n'est pas temps. Le Saint-Esprit y +ouvrera<a id="footnotetag363" name="footnotetag363"></a><a href="#footnote363" title="Lien vers la note 363"><span class="smaller">[363]</span></a>.</p> + +<p>À en juger sur le peu de paroles d'elle qui nous ont été transmises, +la jeune inspirée, dans les premiers temps de sa mission, parlait +alternativement deux langages différents. Ses paroles semblaient +couler de deux sources opposées. Les unes, ingénues, candides, naïves, +courtes, d'une simplicité rustique, d'une malice innocente, <span class="pagenum"><a id="page91" name="page91"></a>(p. 91)</span> +quelquefois rudes, empreintes d'autant de chevalerie que de sainteté, +avaient trait, le plus souvent, à l'héritage et au sacre du dauphin, +et à la débellation des Anglais. C'était le langage de ses Voix, son +vrai langage, son langage intérieur. Les autres, plus subtiles et +teintées d'allégories, fleuries, quintessenciés, d'une grâce savante, +concernant l'Église, sentaient le clerc et trahissaient quelque +influence du dehors. Le propos tenu par elle à sire Robert sur les +trois enfants qu'elle mettrait au monde est de la seconde sorte. C'est +une allégorie. Son triple enfantement signifie que de ses œuvres +naîtra la paix de la chrétienté, et que, après qu'elle aura accompli +sa mission divine, le pape, l'empereur et le roi, tous trois fils de +Dieu, feront régner la concorde et l'amour dans l'Église de +Jésus-Christ. L'apologue est d'une clarté limpide; encore faut-il un +peu d'esprit pour le comprendre. Le capitaine n'y entendit rien; il +prit la chose en sens littéral et répondit en conséquence, car c'était +un homme simple et jovial<a id="footnotetag364" name="footnotetag364"></a><a href="#footnote364" title="Lien vers la note 364"><span class="smaller">[364]</span></a>.</p> + +<p>Jeanne logeait en ville chez des amis de son cousin Lassois, gens +d'humble condition, Henri Leroyer et sa femme Catherine. Elle y +filait, étant bonne filandière; elle donnait aux pauvres le peu +qu'elle avait. Elle fréquentait l'église paroissiale en compagnie de +Catherine<a id="footnotetag365" name="footnotetag365"></a><a href="#footnote365" title="Lien vers la note 365"><span class="smaller">[365]</span></a>. Souvent, dans la matinée, elle montait la <span class="pagenum"><a id="page92" name="page92"></a>(p. 92)</span> +colline qui voit se pressera ses pieds les toits de la ville, et se +rendait en grande dévotion dans la chapelle de +Sainte-Marie-de-Vaucouleurs. Cette collégiale, construite sous le roi +Philippe VI, était attenante au château qu'habitait le capitaine de +Vaucouleurs. La vénérable nef de pierre s'élevait hardiment à +l'orient, sur la vaste étendue des coteaux et des prairies, et +dominait la vallée où Jeanne avait été nourrie. Elle y entendait la +messe et y demeurait longtemps en oraison.</p> + +<p>Sous la chapelle, dans la crypte, on gardait une image ancienne et +vénérée de la vierge qu'on appelait Notre-Dame-de-la-Voûte<a id="footnotetag366" name="footnotetag366"></a><a href="#footnote366" title="Lien vers la note 366"><span class="smaller">[366]</span></a>, et +qui faisait des miracles spécialement en faveur des pauvres et des +nécessiteux. Jeanne se plaisait dans cette crypte obscure et solitaire +où les saintes la visitaient de préférence.</p> + +<p>Un petit clerc, presque encore un enfant, qui desservait la chapelle, +y vit un jour la jeune fille immobile, les mains jointes, la tête +renversée, les yeux levés et noyés de larmes, et il devait garder +toute sa vie l'image de ce ravissement<a id="footnotetag367" name="footnotetag367"></a><a href="#footnote367" title="Lien vers la note 367"><span class="smaller">[367]</span></a>.</p> + +<p>Elle allait souvent à confesse et disait ses péchés notamment à +messire Jean Fournier, curé de Vaucouleurs<a id="footnotetag368" name="footnotetag368"></a><a href="#footnote368" title="Lien vers la note 368"><span class="smaller">[368]</span></a>.</p> + +<p>Elle touchait son hôtesse par la manière sage et douce <span class="pagenum"><a id="page93" name="page93"></a>(p. 93)</span> dont +elle vivait, et elle la troubla un jour extrêmement. Ce fut quand elle +lui dit:</p> + +<p>—Ne savez-vous pas qu'il a été prédit que la France, perdue par une +femme, serait sauvée par une pucelle des Marches de Lorraine<a id="footnotetag369" name="footnotetag369"></a><a href="#footnote369" title="Lien vers la note 369"><span class="smaller">[369]</span></a>?</p> + +<p>La femme Leroyer savait aussi bien que Durand Lassois, que madame +Ysabeau, comme une Hérodiade gonflée d'impuretés, avait livré madame +Catherine de France et le royaume des Lis au roi d'Angleterre<a id="footnotetag370" name="footnotetag370"></a><a href="#footnote370" title="Lien vers la note 370"><span class="smaller">[370]</span></a>. Et +dès lors elle n'était plus éloignée de croire que Jeanne fût la +pucelle annoncée par la prophétie.</p> + +<p>Cette pieuse fille fréquentait les personnes de dévotion et aussi les +nobles hommes. À tous elle disait:</p> + +<p>—Il faut que j'aille vers le gentil dauphin. C'est la volonté de +Messire, le Roi du ciel, que j'aille vers le gentil dauphin. C'est de +la part du Roi du ciel que je suis venue. Quand je devrais aller sur +mes genoux, j'irai<a id="footnotetag371" name="footnotetag371"></a><a href="#footnote371" title="Lien vers la note 371"><span class="smaller">[371]</span></a>.</p> + +<p>Elle apporta notamment des révélations de cette nature à messire +Aubert, seigneur d'Ourches, qui était bon français et du parti des +Armagnacs, puisqu'il avait fait la guerre, quatre ans auparavant, +contre les Anglais et les Bourguignons; elle lui dit qu'elle devait +aller vers le dauphin, qu'elle demandait qu'on la menât à <span class="pagenum"><a id="page94" name="page94"></a>(p. 94)</span> lui +et que ce serait pour lui profit et honneur non pareils<a id="footnotetag372" name="footnotetag372"></a><a href="#footnote372" title="Lien vers la note 372"><span class="smaller">[372]</span></a>.</p> + +<p>Enfin elle se faisait connaître dans la ville pour ses illuminations +et ses prophéties, et l'on trouvait qu'elle parlait bien.</p> + +<p>Il y avait alors dans la garnison un homme d'armes, âgé de vingt-huit +ans environ, Jean de Novelompont ou Nouillompont, qu'on appelait +communément Jean de Metz. De condition libre, mais non point noble, il +avait acquis ou hérité la seigneurie de Nouillompont et Hovecourt, +dans le Barrois non mouvant, et il en portait le titre<a id="footnotetag373" name="footnotetag373"></a><a href="#footnote373" title="Lien vers la note 373"><span class="smaller">[373]</span></a>. +Précédemment soudoyer au service de Jean de Wals, capitaine et prévôt +de Stenay, il était en 1428 au service du capitaine de Vaucouleurs.</p> + +<p>De ses mœurs et comportements nous ne savons rien, sinon que, trois +ans en çà, habitant dans la châtellenie de Foug, il avait juré un +«vilain serment» et, de ce fait, encouru une amende de deux sols. +Apparemment il était, lorsqu'il jura, très en colère<a id="footnotetag374" name="footnotetag374"></a><a href="#footnote374" title="Lien vers la note 374"><span class="smaller">[374]</span></a>. Il se +tenait en relations plus ou moins étroites avec Bertrand de Poulengy, +qui certainement lui avait parlé de Jeanne.</p> + +<p>Un jour, il aborda la jeune fille et lui dit:</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page95" name="page95"></a>(p. 95)</span> —Eh bien, ma mie, que faites-vous ici? Faut-il que le roi +soit chassé du royaume et que nous soyons Anglais<a id="footnotetag375" name="footnotetag375"></a><a href="#footnote375" title="Lien vers la note 375"><span class="smaller">[375]</span></a>?</p> + +<p>Ce propos d'un homme d'armes de Lorraine mérite attention. Le traité +de Troyes ne soumettait pas la France à l'Angleterre; il réunissait +les deux royaumes. Si l'on se battait après comme avant, c'était +uniquement pour décider entre les deux prétendants Charles de Valois +et Henri de Lancastre. Que l'un ou l'autre l'emportât, rien n'était +changé dans les lois et coutumes de France. Toutefois, ce pauvre +routier des Marches d'Allemagne n'en pensait pas moins que, sous un +roi anglais, il serait lui-même anglais. Beaucoup de français de toute +condition pensaient de même et ne pouvaient souffrir l'idée de se voir +anglaisés; ils attachaient leur sort et celui du royaume au sort du +dauphin Charles.</p> + +<p>Jeanne répondit à Jean de Metz:</p> + +<p>—Je suis venue ici, à chambre du roi, afin de parler à sire Robert, +pour qu'il me veuille conduire ou faire conduire au dauphin. Mais il +n'a souci ni de moi ni de mes paroles.</p> + +<p>Puis, pressée en son cœur par l'idée fixe que sa mission devait +commencer au milieu de la Sainte Quarantaine:</p> + +<p>—Pourtant, avant qu'arrive la mi-carême, il faut <span class="pagenum"><a id="page96" name="page96"></a>(p. 96)</span> que je sois +devers le dauphin, dussé-je, pour y aller, user mes jambes jusqu'aux +genoux<a id="footnotetag376" name="footnotetag376"></a><a href="#footnote376" title="Lien vers la note 376"><span class="smaller">[376]</span></a>.</p> + +<p>Une nouvelle courait alors les villes et les villages. On annonçait +que le fils du roi de France, le dauphin Louis, entré dans sa +cinquième année, venait d'être fiancé à la fille du roi d'Écosse, +madame Marguerite, âgée de trois ans, et le commun peuple célébrait +cette union royale par autant de réjouissances qu'il s'en pouvait +faire dans ce pays désolé<a id="footnotetag377" name="footnotetag377"></a><a href="#footnote377" title="Lien vers la note 377"><span class="smaller">[377]</span></a>. Jeanne, qui en avait entendu parler, +dit à l'homme d'armes:</p> + +<p>—Il faut que je sois vers le dauphin, car nul au monde, ni roi, ni +duc, ni fille du roi d'Écosse ne peuvent recouvrer le royaume de +France.</p> + +<p>Et elle ajouta aussitôt:</p> + +<p>—Il n'y a secours que de moi, quoique, pour ma part, j'aurais bien +plus cher filer près de ma pauvre mère, vu que ce n'est pas là mon +état. Mais il faut que j'aille. Et je ferai cela parce que Messire +veut que je le fasse.</p> + +<p>Elle le disait comme elle le pensait. Mais elle ne se connaissait pas; +elle ne savait pas que ses Voix c'était le cri de son cœur et +qu'elle brûlait de quitter la quenouille pour l'épée.</p> + +<p>Jean de Metz demanda, comme avait fait sire Robert:</p> + +<p>—Qui est Messire?</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page97" name="page97"></a>(p. 97)</span> —C'est Dieu, répondit-elle.</p> + +<p>Aussitôt, comme s'il croyait en elle, il lui dit d'un grand élan:</p> + +<p>—Je vous promets et vous donne ma foi que, Dieu aidant, je vous +conduirai vers le roi.</p> + +<p>Il lui toucha la main, en signe qu'il lui donnait sa foi, et il +demanda:</p> + +<p>—Quand voulez-vous partir?</p> + +<p>—À cette heure, répondit-elle, mieux que demain; demain mieux +qu'après.</p> + +<p>C'est Jean de Metz lui-même qui, vingt-sept ans plus tard, rapporta +cette conversation<a id="footnotetag378" name="footnotetag378"></a><a href="#footnote378" title="Lien vers la note 378"><span class="smaller">[378]</span></a>. À l'en croire, il demanda en dernier lieu à +la jeune fille si elle voulait faire chemin avec ses vêtements de +femme. On conçoit qu'il découvrît de très grands inconvénients à +traverser avec une paysanne en robe rouge les chemins de France, alors +battus par des coitreaux paillards, et qu'il jugeât plus prudent de +l'emmener déguisée en garçon. Elle entra tout de suite dans la pensée +de Jean, et lui répondit:</p> + +<p>—Je prendrai volontiers habit d'homme.</p> + +<p>Rien n'empêche de croire que les choses se sont passées ainsi. Mais +alors un routier de Lorraine aurait suggéré à la sainte, touchant +l'habit, une idée qu'elle s'imaginera ensuite avoir reçue de +Dieu<a id="footnotetag379" name="footnotetag379"></a><a href="#footnote379" title="Lien vers la note 379"><span class="smaller">[379]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page98" name="page98"></a>(p. 98)</span> De son propre mouvement, ou plutôt sur l'avis de quelque +prudente personne, sire Robert s'inquiéta de savoir si Jeanne n'était +pas sous l'inspiration d'un mauvais esprit. Car le diable est rusé et +prend parfois la figure de l'innocence. Et, comme, à cet égard, il +n'était pas grand clerc, il résolut de s'en rapporter à son curé.</p> + +<p>Or, un jour que Catherine et Jeanne filaient dans la maison, elles +virent entrer le capitaine de Vaucouleurs, en compagnie du curé, +messire Jean Fournier. Ils invitèrent l'hôtesse à se retirer, et, +lorsqu'ils furent seuls avec la jeune fille, messire Jean Fournier +revêtit son étole et récita des paroles latines qui revenaient à dire:</p> + +<p>—Si tu es chose mauvaise, éloigne-toi; si tu es chose bonne, +approche.</p> + +<p>C'était la formule ordinaire de l'exorcisme, ou, pour parler plus +exactement, de la conjuration. Dans la pensée de messire Jean +Fournier, ces paroles, mêlées de quelques gouttes d'eau bénite, +devaient faire fuir les diables, si par malheur il s'en trouvait dans +le corps de cette villageoise<a id="footnotetag380" name="footnotetag380"></a><a href="#footnote380" title="Lien vers la note 380"><span class="smaller">[380]</span></a>.</p> + +<p>Messire Jean Fournier ne doutait pas que les démons ne fussent poussés +par un désir immodéré de s'introduire dans le corps des hommes et +spécialement chez les filles, qui parfois les avalaient avec leur +pain. Ils se logeaient dans la bouche, sous la langue, dans les +<span class="pagenum"><a id="page99" name="page99"></a>(p. 99)</span> narines, coulaient dans l'estomac et dans le ventre et +s'agitaient furieusement en ces divers logis, où l'on reconnaissait +leur présence aux contorsions et hurlements des malheureux hantés.</p> + +<p>Saint Grégoire, pape, rapporte en ses <i>Dialogues</i> un exemple frappant +de la facilité avec laquelle les diables s'insinuent dans une femme. +Une religieuse, dit-il, étant au jardin, vit une laitue qui lui parut +tendre. Elle la cueillit et, négligeant de la bénir en faisant dessus +le signe de la croix, elle y mordit, et aussitôt elle tomba possédée. +Un homme de Dieu s'étant alors approché d'elle, le démon se mit à +crier: «C'est moi qui l'ai fait! C'est moi qui l'ai fait! J'étais +assis sur cette laitue. Cette femme est venue et elle m'a avalé.» Mais +les prières de l'homme de Dieu le forcèrent bientôt à se retirer<a id="footnotetag381" name="footnotetag381"></a><a href="#footnote381" title="Lien vers la note 381"><span class="smaller">[381]</span></a>.</p> + +<p>Messire Jean Fournier n'exagérait donc pas la prudence nécessaire. +Pénétré de cette idée que le diable est subtil et la femme corrompue, +il prenait soin d'éclaircir, selon les règles, un cas difficile. +C'était le plus souvent chose malaisée que de discerner des possédés +et de reconnaître une démoniaque d'avec une bonne chrétienne. +L'épreuve à laquelle Jeanne allait être soumise n'avait pas été +épargnée à de très grandes saintes.</p> + +<p>Ayant récité les formules et fait les aspersions, messire <span class="pagenum"><a id="page100" name="page100"></a>(p. 100)</span> +Jean Fournier s'attendait, au cas où cette fille eût été possédée, à +la voir s'agiter, se tordre et chercher à fuir. Il eût fallu, en cette +occurrence, employer des formules plus puissantes, user à nouveau +d'eau bénite et du signe de la croix, et, par ces moyens, déloger les +diables jusqu'à ce qu'on les vît partir avec un bruit effrayant et une +grande puanteur, sous forme de dragons, de chameaux ou de +poissons<a id="footnotetag382" name="footnotetag382"></a><a href="#footnote382" title="Lien vers la note 382"><span class="smaller">[382]</span></a>.</p> + +<p>L'attitude de Jeanne n'offrit rien de suspect. Point d'agitation +maniaque, nulle fureur. Inquiète seulement et suppliante, elle se +traîna à genoux vers le prêtre. Elle ne fuyait pas devant le saint nom +de Dieu. Messire Jean Fournier en conclut qu'il n'y avait pas de +diable en elle.</p> + +<p>Restée seule avec Catherine dans la maison, Jeanne, qui comprenait +enfin le sens de cette cérémonie, en témoigna un vif ressentiment à +l'endroit de messire Jean Fournier. Elle se plaignit de ce qu'il l'eût +soupçonnée: «C'était mal fait à lui, dit-elle à son hôtesse; car, +m'ayant entendue en confession, il me pouvait connaître<a id="footnotetag383" name="footnotetag383"></a><a href="#footnote383" title="Lien vers la note 383"><span class="smaller">[383]</span></a>.»</p> + +<p>Elle aurait rendu grâce au curé de Vaucouleurs si elle avait su +combien, en l'éprouvant, il avançait ses affaires. Averti que cette +pucelle n'était pas inspirée par le démon, sire Robert dut en conclure +qu'elle pouvait bien l'être par Dieu, car, selon toute apparence, il +<span class="pagenum"><a id="page101" name="page101"></a>(p. 101)</span> raisonnait simplement. Il écrivit au dauphin Charles, au +sujet de la jeune sainte, et sans doute il témoigna de l'innocence et +de la bonté qui se voyaient en elle<a id="footnotetag384" name="footnotetag384"></a><a href="#footnote384" title="Lien vers la note 384"><span class="smaller">[384]</span></a>.</p> + +<p>Bien que la capitainerie fût grandement menacée de passer au seigneur +de Vergy, sire Robert ne songeait pas à quitter son pays où il était +en accommodements avec tous les partis. Il se souciait en somme assez +peu du dauphin Charles et l'on ne voit pas qu'il eût un intérêt +personnel à lui recommander une prophétesse. Sans prétendre démêler ce +qui se passait dans sa tête, on peut croire qu'il écrivit au dauphin +en faveur de Jeanne à la demande de quelques-unes de ces personnes qui +l'estimaient bonne et probablement à la requête de Bertrand de +Poulengy et de Jean de Metz. Ces deux hommes d'armes, voyant la cause +du dauphin perdue sur les Marches de Lorraine, avaient toutes raisons +de passer jusqu'aux bords de la Loire, où l'on pouvait encore se +battre, partant gagner.</p> + +<p>Prêts à partir, ils se montraient disposés à emmener l'inspirée avec +eux et même à la défrayer de toutes ses dépenses, comptant se faire +rembourser à Chinon sur la cassette royale et tirer honneur et profit +d'une si rare merveille. Encore attendaient-ils d'être assurés de +l'agrément du dauphin<a id="footnotetag385" name="footnotetag385"></a><a href="#footnote385" title="Lien vers la note 385"><span class="smaller">[385]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page102" name="page102"></a>(p. 102)</span> Cependant Jeanne ne tenait plus en place. Elle allait et +venait de Vaucouleurs à Burey et de Burey à Vaucouleurs. Elle comptait +les jours; le temps lui pesait comme à une femme grosse<a id="footnotetag386" name="footnotetag386"></a><a href="#footnote386" title="Lien vers la note 386"><span class="smaller">[386]</span></a>.</p> + +<p>À la fin de janvier, n'y pouvant tenir, elle résolut d'aller seule +vers le dauphin Charles. Elle vêtit les habits de Durand Lassois et +prit avec ce bon cousin la route de France<a id="footnotetag387" name="footnotetag387"></a><a href="#footnote387" title="Lien vers la note 387"><span class="smaller">[387]</span></a>. Un habitant de +Vaucouleurs, nommé Jacques Alain, les accompagnait<a id="footnotetag388" name="footnotetag388"></a><a href="#footnote388" title="Lien vers la note 388"><span class="smaller">[388]</span></a>. Probablement, +ces deux hommes comptaient que la jeune fille reconnaîtrait +d'elle-même l'impossibilité d'un tel voyage et qu'on n'irait pas bien +loin. C'est ce qui arriva. À peine les trois voyageurs furent-ils à +une lieue de Vaucouleurs, vers la chapelle de Saint-Nicolas, qui +s'élève dans la vallée de Septfonds au milieu du grand bois de Saulcy, +que Jeanne, se ravisant, dit à ses compagnons qu'il n'était point +honnête à elle de partir ainsi: et tous trois retournèrent à la +ville<a id="footnotetag389" name="footnotetag389"></a><a href="#footnote389" title="Lien vers la note 389"><span class="smaller">[389]</span></a>.</p> + +<p>Enfin un messager royal vint apporter au capitaine de Vaucouleurs la +réponse du roi Charles. Il se nommait Colet de Vienne<a id="footnotetag390" name="footnotetag390"></a><a href="#footnote390" title="Lien vers la note 390"><span class="smaller">[390]</span></a>. Son nom le +désigne comme originaire de la province gouvernée par le dauphin avant +la mort du feu roi, et qui gardait au pauvre prince <span class="pagenum"><a id="page103" name="page103"></a>(p. 103)</span> une +constante fidélité. La réponse portait que sire Robert envoyât la +jeune sainte à Chinon<a id="footnotetag391" name="footnotetag391"></a><a href="#footnote391" title="Lien vers la note 391"><span class="smaller">[391]</span></a>.</p> + +<p>Ce que Jeanne avait demandé et qui paraissait impossible à obtenir, +lui était accordé. Elle allait être menée au roi comme elle l'avait +voulu et dans les délais fixés par elle-même. Mais ce départ après +lequel elle avait tant soupiré fut retardé de quelques jours, par une +circonstance remarquable, qui montre que la renommée de la jeune +prophétesse s'était répandue en Lorraine et atteste qu'alors les +grands de la terre, en leurs nécessités, recherchaient les saintes.</p> + +<p>Jeanne était mandée à Nancy par monseigneur le duc de Lorraine. Munie +d'un sauf-conduit que le duc lui avait envoyé, elle partit en veste et +houseaux rustiques, sur un bidet que Durand Lassois et Jacques Alain +lui donnèrent. Il leur avait coûté douze francs que sire Robert leur +remboursa plus tard sur les deniers du roi<a id="footnotetag392" name="footnotetag392"></a><a href="#footnote392" title="Lien vers la note 392"><span class="smaller">[392]</span></a>. Il y a vingt-quatre +lieues de Vaucouleurs à Nancy. Jean de Metz l'accompagna jusqu'à Toul; +Durand Lassois fit tout le voyage avec elle<a id="footnotetag393" name="footnotetag393"></a><a href="#footnote393" title="Lien vers la note 393"><span class="smaller">[393]</span></a>.</p> + +<p>Avant de se rendre à l'hôtel du duc de Lorraine, <span class="pagenum"><a id="page104" name="page104"></a>(p. 104)</span> Jeanne +monta la vallée de la Meurthe et alla faire ses dévotions au grand +saint Nicolas, dont on gardait les reliques dans la chapelle de +Saint-Nicolas-du-Port<a id="footnotetag394" name="footnotetag394"></a><a href="#footnote394" title="Lien vers la note 394"><span class="smaller">[394]</span></a>, desservie par des religieux bénédictins. +C'était bien fait à elle, saint Nicolas étant le patron des voyageurs.</p> + + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page105" name="page105"></a>(p. 105)</span> CHAPITRE IV<br> + +<span class="smaller">VOYAGE À NANCY. — ITINÉRAIRE DE VAUCOULEURS À +SAINTE-CATHERINE-DE-FIERBOIS.</span></h2> + + +<p>Le duc Charles II de Lorraine, allié aux Anglais, venait de jouer un +bien mauvais tour à son cousin et ami le duc de Bourgogne, en donnant +en mariage Isabelle sa fille aînée, l'héritière de Lorraine, à René, +second fils de madame Yolande, reine de Sicile et de Jérusalem, +duchesse d'Anjou<a id="footnotetag395" name="footnotetag395"></a><a href="#footnote395" title="Lien vers la note 395"><span class="smaller">[395]</span></a>. René d'Anjou, dans ses vingt ans, était un +gentil esprit, amoureux de bon savoir autant que de chevalerie, +bienveillant, affable et gracieux. Quand il ne faisait point de +chevauchées et ne maniait pas la lance, il se plaisait à peindre des +images dans des livres; il avait du goût pour les jardins fleuris et +les histoires en tapisserie, et, comme son beau cousin le duc +d'Orléans, <span class="pagenum"><a id="page106" name="page106"></a>(p. 106)</span> il composait des poèmes en français<a id="footnotetag396" name="footnotetag396"></a><a href="#footnote396" title="Lien vers la note 396"><span class="smaller">[396]</span></a>. Investi +du duché de Bar par le cardinal duc de Bar, son grand-oncle, il devait +hériter le duché de Lorraine après la mort du duc Charles, qui ne +pouvait beaucoup tarder. Ce mariage était justement regardé comme un +beau coup de madame Yolande. Mais qui terre a guerre a. Le duc de +Bourgogne, fort mal content de voir un prince de la maison d'Anjou, le +beau-frère de Charles de Valois, s'établir entre la Bourgogne et les +Flandres, excitait contre René le comte de Vaudemont, prétendant à +l'héritage de Lorraine, et la politique angevine rendait difficile la +réconciliation du duc de Bourgogne avec le roi de France. René d'Anjou +était engagé dans les querelles de son beau-père de Lorraine. Et +précisément, en 1429, il faisait aux habitants de Metz la guerre de la +Hottée de pommes. On la nommait ainsi parce que la cause en était une +hottée de pommes entrée dans la ville de Metz, sans qu'on eût payé de +droits aux officiers du duc de Lorraine<a id="footnotetag397" name="footnotetag397"></a><a href="#footnote397" title="Lien vers la note 397"><span class="smaller">[397]</span></a>.</p> + +<p>Cependant, madame sa mère faisait envoyer de Blois des convois de +vivres aux habitants d'Orléans, assiégés par les Anglais. Bien qu'elle +fût pour lors en mauvaise intelligence avec les conseillers du roi +Charles, <span class="pagenum"><a id="page107" name="page107"></a>(p. 107)</span> son gendre, elle se montrait vigilante à combattre +les ennemis du royaume, qui menaçaient son duché d'Anjou. René, duc de +Bar, avait donc des parentés, des amitiés, des intérêts tout à la fois +dans le parti d'Angleterre et Bourgogne et dans le parti de France. +Tel était le cas où se trouvaient la plupart des seigneurs français. +Ses rapports avec le capitaine de Vaucouleurs restaient amicaux et +fréquents<a id="footnotetag398" name="footnotetag398"></a><a href="#footnote398" title="Lien vers la note 398"><span class="smaller">[398]</span></a>. Il est possible que sire Robert l'ait informé qu'il +tenait à Vaucouleurs une jeune fille prophétisant sur le royaume de +France. Il est possible que le duc de Bar, curieux de la voir, l'ait +fait envoyer à Nancy où il devait se rendre lui-même vers le 20 +février; mais, bien plus probablement, René d'Anjou se souciait moins +de la Pucelle de Vaucouleurs, qu'il n'avait jamais vue, que du petit +More et du fou dont s'égayait son hôtel ducal<a id="footnotetag399" name="footnotetag399"></a><a href="#footnote399" title="Lien vers la note 399"><span class="smaller">[399]</span></a>. En ce mois de +février 1429, il n'avait ni l'envie ni les moyens de beaucoup +s'appliquer aux affaires de France; et, tout beau-frère qu'il était du +roi Charles, il se préparait, non pas à secourir la ville d'Orléans, +mais à mettre le siège devant la ville de Metz<a id="footnotetag400" name="footnotetag400"></a><a href="#footnote400" title="Lien vers la note 400"><span class="smaller">[400]</span></a>.</p> + +<p>Le duc de Lorraine, vieux et malade, vivait en son <span class="pagenum"><a id="page108" name="page108"></a>(p. 108)</span> hôtel +avec sa belle amie Alison du Mai, bâtarde, fille de prêtre, qui en +avait chassé l'épouse légitime, madame Marguerite de Bavière. Madame +Marguerite était de haute naissance et pieuse, mais vieille et laide; +et madame Alison était jolie; le duc Charles lui avait fait plusieurs +enfants<a id="footnotetag401" name="footnotetag401"></a><a href="#footnote401" title="Lien vers la note 401"><span class="smaller">[401]</span></a>.</p> + +<p>Voici ce qui paraît le plus vrai. Il y avait à Nancy des personnes de +bien qui désiraient que le duc Charles reprît sa bonne femme et +comptaient, pour l'y amener, sur les exhortations d'une dévote, ayant +révélations du Ciel et se disant fille de Dieu. Ces personnes +annoncèrent au vieux duc égrotant la fille de Domremy comme une sainte +guérisseuse. Par leurs conseils il la fit appeler, dans l'espoir +qu'elle aurait des secrets pour le soulager de ses maux et l'empêcher +de mourir.</p> + +<p>Dès qu'il la vit, il lui demanda si elle ne pouvait pas le rétablir en +bonne forme et santé.</p> + +<p>Elle répondit que «de cette matière» elle ne savait rien. Cependant +elle l'avertit qu'il se gouvernait mal, et lui annonça qu'il ne +guérirait oncques s'il ne s'amendait. Et elle lui enjoignit d'avoir à +renvoyer Alison sa concubine et à reprendre sa bonne femme<a id="footnotetag402" name="footnotetag402"></a><a href="#footnote402" title="Lien vers la note 402"><span class="smaller">[402]</span></a>.</p> + +<p>Sur ce chapitre, on lui avait un peu fait la leçon, sans doute, mais +elle ne disait que ce qu'elle pensait, car elle avait les mauvaises +femmes en aversion.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page109" name="page109"></a>(p. 109)</span> Elle était venue vers le duc parce que son état le voulait, +parce qu'une petite sainte ne se refuse pas aux consultations d'un +haut seigneur et parce qu'enfin on l'y avait amenée. Mais sa pensée +était ailleurs; elle ne songeait qu'à délivrer le royaume de France.</p> + +<p>Considérant que le fils de madame Yolande, le duc de Bar, avec une +belle compagnie d'hommes d'armes, apporterait grand'aide au Dauphin, +elle demanda au duc de Lorraine, en prenant congé, d'envoyer ce jeune +seigneur avec elle en France.</p> + +<p>—Donnez-moi votre fils, lui dit-elle, avec des gens pour me conduire. +En récompense, je prierai Dieu pour le rétablissement de votre santé.</p> + +<p>Le duc ne lui donna pas d'hommes d'armes; il ne lui donna pas le duc +de Bar, héritier de Lorraine, allié des Anglais, qui devait toutefois +la rejoindre bientôt sous les étendards du roi Charles. Mais il lui +donna quatre francs et un cheval noir<a id="footnotetag403" name="footnotetag403"></a><a href="#footnote403" title="Lien vers la note 403"><span class="smaller">[403]</span></a>.</p> + +<p>C'est peut-être à son retour de Nancy qu'elle écrivit à ses parents +pour leur demander pardon de les avoir quittés. On sait seulement +qu'ils reçurent une lettre d'elle et pardonnèrent<a id="footnotetag404" name="footnotetag404"></a><a href="#footnote404" title="Lien vers la note 404"><span class="smaller">[404]</span></a>. Il y aurait +lieu, sans doute, d'être surpris que Jacques d'Arc qui, pour avoir vu +seulement en rêve sa fille avec des gens d'armes, jurait de la noyer +de ses mains si ses fils ne la noyaient, demeurât coi tout un long +mois pendant qu'elle se tenait à Vaucouleurs. <span class="pagenum"><a id="page110" name="page110"></a>(p. 110)</span> Car il devait +bien savoir qu'elle y vivait parmi les hommes d'armes. Ç'avait été +déjà de sa part beaucoup de simplicité de l'avoir laissée partir, +sachant l'humeur dont elle était. On ne peut se défendre de supposer +que des personnes pieuses, qui croyaient en la bonté de Jeanne et +avaient hâte qu'elle fût conduite en France pour le salut du royaume, +prirent soin de rassurer le père et la mère sur les façons et +comportements de leur fille et peut-être même firent entendre à ces +bonnes gens que, si Jeanne allait vers le roi, toute sa famille en +tirerait honneur et profit.</p> + +<p>Avant ou après le voyage de Nancy (on ne sait) quelques habitants de +Vaucouleurs ayant foi en la jeune inspirée, firent faire ou achetèrent +pour elle des vêtements d'homme, un justaucorps, un gippon de drap, +des chausses attachées au justaucorps par des aiguillettes, des +houseaux, des souliers, des éperons, tout un harnais de guerre. Sire +Robert lui donna une épée<a id="footnotetag405" name="footnotetag405"></a><a href="#footnote405" title="Lien vers la note 405"><span class="smaller">[405]</span></a>.</p> + +<p>Elle fit tailler ses cheveux en rond, à la manière des jeunes +garçons<a id="footnotetag406" name="footnotetag406"></a><a href="#footnote406" title="Lien vers la note 406"><span class="smaller">[406]</span></a>. Jean de Metz et Bertrand de Poulengy, avec Jean de +Honecourt et Julien, leurs servants, devaient l'accompagner, ainsi que +Colet de Vienne, messager du roi, et Richard, l'archer<a id="footnotetag407" name="footnotetag407"></a><a href="#footnote407" title="Lien vers la note 407"><span class="smaller">[407]</span></a>. Il y eut +encore <span class="pagenum"><a id="page111" name="page111"></a>(p. 111)</span> quelques hésitations, et l'on tint des conseils. Car +les gens d'armes d'Antoine de Lorraine, seigneur de Joinville, +infestaient la contrée. On ne voyait dans la campagne que gens faisant +pilleries, larcins, meurtres et tyrannies cruelles, prenant les femmes +de force, incendiant les églises et les abbayes et y commettant des +péchés abominables. C'était le temps le plus dur à passer qu'homme eût +jamais vu<a id="footnotetag408" name="footnotetag408"></a><a href="#footnote408" title="Lien vers la note 408"><span class="smaller">[408]</span></a>. Mais la jeune fille ne craignait rien et disait:</p> + +<p>—En nom Dieu! menez-moi vers le gentil dauphin et ne faites doute que +vous ni moi n'aurons nul mal et nul empêchement<a id="footnotetag409" name="footnotetag409"></a><a href="#footnote409" title="Lien vers la note 409"><span class="smaller">[409]</span></a>.</p> + +<p>Enfin, le mercredi 23 février, la petite troupe sortit de Vaucouleurs +par la porte de France<a id="footnotetag410" name="footnotetag410"></a><a href="#footnote410" title="Lien vers la note 410"><span class="smaller">[410]</span></a>.</p> + +<p>Quelques amis l'avaient suivie jusque-là et la regardaient partir. Il +se trouvait parmi eux Henri Leroyer et Catherine, ses hôtes, et +messire Jean Colin, chanoine de Saint-Nicolas, près de Vaucouleurs, à +qui Jeanne s'était plusieurs fois confessée<a id="footnotetag411" name="footnotetag411"></a><a href="#footnote411" title="Lien vers la note 411"><span class="smaller">[411]</span></a>. Songeant à la +longueur <span class="pagenum"><a id="page112" name="page112"></a>(p. 112)</span> du chemin, aux périls du voyage, ils s'effrayaient +pour leur sainte.</p> + +<p>—Comment, lui disait-on, comment pourrez-vous faire un tel voyage, +quand il y a de tous côtés des gens de guerre?</p> + +<p>Mais elle répondait, dans la paix souriante de son cœur:</p> + +<p>—Je ne crains point les gens de guerre: j'ai mon chemin tout aplani. +S'il se trouve des hommes d'armes, messire Dieu saura bien me frayer +la route pour aller à messire le dauphin. Je suis venue pour +cela<a id="footnotetag412" name="footnotetag412"></a><a href="#footnote412" title="Lien vers la note 412"><span class="smaller">[412]</span></a>.</p> + +<p>Sire Robert assistait au départ. Il fit jurer, selon la formule +usuelle, à tous les hommes d'armes de bien et sûrement conduire celle +qu'il leur confiait. Puis, comme il était homme de peu de foi, il dit +à Jeanne en manière d'adieu:</p> + +<p>—Va! et advienne que pourra<a id="footnotetag413" name="footnotetag413"></a><a href="#footnote413" title="Lien vers la note 413"><span class="smaller">[413]</span></a>!</p> + +<p>Et la petite troupe s'en fut dans la brume qui recouvre en cette +saison les prairies de la Meuse.</p> + +<p>Il fallait éviter les voies fréquentées, se garder surtout de passer +par Joinville, par Montiers-en-Saulx, par Sailly où se tenaient les +gens d'armes du parti contraire. Sire Bertrand et Jean de Metz, +accoutumés à ces sourdes chevauchées, connaissaient les chemins de +traverse et savaient prendre les précautions utiles, <span class="pagenum"><a id="page113" name="page113"></a>(p. 113)</span> comme +d'envelopper de linges les pieds des chevaux pour amortir le bruit des +sabots sur le sol<a id="footnotetag414" name="footnotetag414"></a><a href="#footnote414" title="Lien vers la note 414"><span class="smaller">[414]</span></a>.</p> + +<p>À la nuit tombante la compagnie, ayant échappé à tous les dangers, +s'approcha de la rive droite de la Marne et atteignit l'abbaye de +Saint-Urbain<a id="footnotetag415" name="footnotetag415"></a><a href="#footnote415" title="Lien vers la note 415"><span class="smaller">[415]</span></a>. C'était de temps immémorial un lieu d'asile, et, à +l'époque où nous sommes, elle avait pour abbé Arnoult d'Aulnoy, parent +de Robert de Baudricourt<a id="footnotetag416" name="footnotetag416"></a><a href="#footnote416" title="Lien vers la note 416"><span class="smaller">[416]</span></a>.</p> + +<p>La porte du sévère édifice s'ouvrit aux voyageurs qui passèrent sous +la voûte en tiers-point<a id="footnotetag417" name="footnotetag417"></a><a href="#footnote417" title="Lien vers la note 417"><span class="smaller">[417]</span></a>. L'abbaye renfermait un corps de logis +pour les étrangers. C'est là qu'ils trouvèrent le gîte de leur +première étape.</p> + +<p>L'église abbatiale s'élevait à droite de la porte extérieure; on y +gardait les reliques de saint Urbain, pape. Le 24 février, au matin, +Jeanne y entendit la messe conventuelle<a id="footnotetag418" name="footnotetag418"></a><a href="#footnote418" title="Lien vers la note 418"><span class="smaller">[418]</span></a>. Puis elle se remit en +selle avec ses compagnons. Ils franchirent le pont sur la Marne +vis-à-vis de Saint-Urbain et poussèrent vers la France.</p> + +<p>Ils avaient encore cent vingt-cinq lieues de pays à parcourir et trois +rivières à traverser dans une contrée infestée de brigands. Onze +jours, ils chevauchèrent; par crainte de l'ennemi, ils voyageaient la +nuit<a id="footnotetag419" name="footnotetag419"></a><a href="#footnote419" title="Lien vers la note 419"><span class="smaller">[419]</span></a>. Pendant les couchées sur la paille, la jeune paysanne, +gardant <span class="pagenum"><a id="page114" name="page114"></a>(p. 114)</span> ses chausses liées à son justaucorps, dormait tout +habillée, sous une couverture, entre Jean de Metz et Bertrand de +Poulengy qui lui inspiraient de la confiance. Ils ont dit depuis +qu'ils n'eurent point désir de cette fille à cause de la sainteté +qu'ils voyaient en elle<a id="footnotetag420" name="footnotetag420"></a><a href="#footnote420" title="Lien vers la note 420"><span class="smaller">[420]</span></a>; on peut le croire ou ne le pas croire. +Jean de Metz n'était point échauffé d'une si grande foi dans cette +inspirée, puisqu'il lui demandait avec inquiétude:</p> + +<p>—Ferez-vous bien ce que vous dites?</p> + +<p>À quoi elle répondait:</p> + +<p>—N'ayez crainte. Ce que je fais, je le fais par commandement. Mes +frères du Paradis me disent ce que j'ai à faire. Il y a déjà quatre ou +cinq ans que mes frères du Paradis et Messire m'ont dit qu'il fallait +que j'allasse en guerre pour recouvrer le royaume de France<a id="footnotetag421" name="footnotetag421"></a><a href="#footnote421" title="Lien vers la note 421"><span class="smaller">[421]</span></a>.</p> + +<p>Ces rudes compagnons n'éprouvaient pas tous en sa présence un respect +religieux; certains la moquaient et, par amusement, parlaient devant +elle comme s'ils étaient du parti des Anglais. Quelquefois, en manière +de plaisanterie, feignant une alerte, ils faisaient mine de tourner +bride. C'était de la malice perdue. Elle les croyait, mais elle +n'avait pas peur et disait gravement à ces gens qui pensaient +l'effrayer avec des Anglais:</p> + +<p>—Gardez-vous de fuir. En nom Dieu, ils ne vous feront pas de +mal<a id="footnotetag422" name="footnotetag422"></a><a href="#footnote422" title="Lien vers la note 422"><span class="smaller">[422]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page115" name="page115"></a>(p. 115)</span> Et à l'approche de tout danger feint ou réel, il lui venait +aux lèvres des paroles de réconfort:</p> + +<p>—Ne craignez rien. Vous verrez comme à Chinon le gentil dauphin nous +fera bon visage<a id="footnotetag423" name="footnotetag423"></a><a href="#footnote423" title="Lien vers la note 423"><span class="smaller">[423]</span></a>.</p> + +<p>Son plus grand chagrin était de ne pas faire aussi souvent qu'elle le +voulait ses dévotions aux églises. Elle répétait chaque jour:</p> + +<p>—Si nous pouvions, nous ferions bien d'entendre la messe<a id="footnotetag424" name="footnotetag424"></a><a href="#footnote424" title="Lien vers la note 424"><span class="smaller">[424]</span></a>.</p> + +<p>Évitant les grandes routes, ils ne se trouvaient guère à portée des +ponts et ils durent souvent passer à gué les rivières grossies par les +pluies. Ils traversèrent l'Aube près de Bar-sur-Aube, la Seine près de +Bar-sur-Seine, l'Yonne devant Auxerre, où Jeanne entendit la messe +dans l'église Saint-Étienne: puis ils atteignirent la ville de Gien, +assise sur la rive droite de la Loire<a id="footnotetag425" name="footnotetag425"></a><a href="#footnote425" title="Lien vers la note 425"><span class="smaller">[425]</span></a>.</p> + +<p>Ces Lorrains voyaient enfin une ville française obéissant au roi de +France. Ils avaient fait soixante-quinze lieues en pays ennemi sans +être attaqués ni molestés, ce qui, par la suite, fut tenu pour +merveilleux. Mais était-il impossible à sept ou huit cavaliers +armagnacs de traverser sans malencontre les pays anglais ou +bourguignons? Le capitaine de Vaucouleurs faisait parvenir fréquemment +des lettres au dauphin, le dauphin lui envoyait des courriers; Colet +de Vienne<a id="footnotetag426" name="footnotetag426"></a><a href="#footnote426" title="Lien vers la note 426"><span class="smaller">[426]</span></a> venait de porter son message.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page116" name="page116"></a>(p. 116)</span> En fait, le péril n'était guère moindre pour les gens du +dauphin dans les provinces de son obéissance que dans les territoires +soumis à d'autres maîtres<a id="footnotetag427" name="footnotetag427"></a><a href="#footnote427" title="Lien vers la note 427"><span class="smaller">[427]</span></a>. Les routiers à la solde du roi Charles +ne s'inquiétaient pas, pour piller et rançonner les voyageurs, de +savoir s'ils étaient Armagnacs ou Bourguignons, et c'est précisément +après avoir traversé la Loire que les compagnons de Bertrand de +Poulengy se trouvèrent exposés aux plus grands dangers.</p> + +<p>Avertis de leur venue, quelques hommes d'armes du parti français +allèrent au devant d'eux et se mirent en embuscade pour les +surprendre. Ils voulaient s'emparer de la jeune fille, la jeter dans +une fosse et l'y laisser sous une grosse pierre, comptant que le roi, +qui la faisait venir, donnerait beaucoup d'argent pour la ravoir<a id="footnotetag428" name="footnotetag428"></a><a href="#footnote428" title="Lien vers la note 428"><span class="smaller">[428]</span></a>. +Les routiers et les soudoyers avaient coutume d'enfouir ainsi dans un +trou les voyageurs qu'ils délivraient ensuite, moyennant rançon. +Dix-huit ans auparavant, à Corbeil, cinq hommes avaient été mis dans +une fosse au pain et à l'eau, par des Bourguignons. Trois d'entre eux +moururent faute de pouvoir <span class="pagenum"><a id="page117" name="page117"></a>(p. 117)</span> payer<a id="footnotetag429" name="footnotetag429"></a><a href="#footnote429" title="Lien vers la note 429"><span class="smaller">[429]</span></a>. Il s'en manqua de peu +que Jeanne ne subît un traitement de ce genre. Mais les mauvais +garnements qui la guettaient, au moment de faire le coup restèrent +tranquilles, on ne sait pour quelle cause et peut-être par crainte de +n'être pas les plus forts<a id="footnotetag430" name="footnotetag430"></a><a href="#footnote430" title="Lien vers la note 430"><span class="smaller">[430]</span></a>.</p> + +<p>De Gien, la petite troupe longea la lisière nord du duché de Berry, +passa dans le Blaisois, traversa peut-être Selles-sur-Cher et +Saint-Aignan, puis, entrée en Touraine, atteignit les pentes vertes de +Fierbois<a id="footnotetag431" name="footnotetag431"></a><a href="#footnote431" title="Lien vers la note 431"><span class="smaller">[431]</span></a>. C'était là que l'une des deux dames du Ciel qui +visitaient familièrement chaque jour la jeune paysanne avait son +sanctuaire le plus renommé; c'était là que sainte Catherine recevait +une foule de pèlerins et faisait de beaux miracles. La créance +populaire donnait à son culte, en ce lieu, une origine nationale et +guerrière qui remontait aux plus profondes antiquités françaises. On +contait que, vainqueur des Sarrasins à Poitiers, Charles-Martel avait +déposé son épée dans l'oratoire de la bienheureuse Catherine<a id="footnotetag432" name="footnotetag432"></a><a href="#footnote432" title="Lien vers la note 432"><span class="smaller">[432]</span></a>. +Mais depuis lors ce sanctuaire, il <span class="pagenum"><a id="page118" name="page118"></a>(p. 118)</span> fallait bien l'avouer, +avait subi l'injure d'un long abandon. Un peu plus de quarante ans +avant la venue de la fille de Domremy, ses murs, au fond d'un bois, +disparaissaient sous les ronces et les épines.</p> + +<p>Il n'était pas rare alors que les saints et les saintes laissés dans +un injuste oubli vinssent eux-mêmes se plaindre à quelque pieuse +personne du tort qu'on leur faisait sur la terre. Ils apparaissaient +soit à un moine, soit à un paysan ou à un bourgeois, lui dénonçaient +en termes pressants, parfois assez vifs, l'impiété des fidèles et lui +donnaient l'ordre de rétablir leur culte et de relever leur +sanctuaire. C'est ce que fit madame sainte Catherine. En l'an 1375, +elle donna mission à un prud'homme du pays de Fierbois, nommé Jean +Godefroy, qui était aveugle et paralytique, de rétablir son oratoire +dans son éclat et sa célébrité, lui promettant guérison s'il faisait +neuvaine au lieu où Charles-Martel avait déposé son épée. Jean +Godefroy se fit porter à la chapelle abandonnée, mais il fallut +d'abord que ses valets ouvrissent, à force de coignée, un chemin à +travers les halliers. Madame sainte Catherine rendit à Jean Godefroy +l'usage de ses yeux et de ses membres, et ce fut par un bienfait +qu'elle rappela au peuple tourangeau sa gloire délaissée. L'oratoire +fut réparé; les fidèles en reprirent le chemin, et les miracles y +abondèrent. La sainte s'occupa d'abord de guérir les malades; puis, +quand le pays endura les guerres, elle s'employa spécialement à tirer +des mains des Anglais les <span class="pagenum"><a id="page119" name="page119"></a>(p. 119)</span> prisonniers qui avaient recours à +elle. Parfois elle rendait les captifs invisibles à leurs gardiens, +parfois elle rompait liens, chaînes, serrures; témoin un gentilhomme +du nom de Cazin du Boys, qui fut pris, en 1418, avec la garnison de +Beaumont-sur-Oise. Mis dans une huche fermée à clef, liée d'une grosse +corde et sur laquelle dormait un Bourguignon, il s'y remémora madame +sainte Catherine et se voua à cette glorieuse vierge; aussitôt la +huche s'ouvrit. Parfois encore elle obligeait les Anglais à déferrer +eux-mêmes leurs prisonniers et à les renvoyer sans rançon. C'était un +grand miracle. Elle en opéra un non moins grand en faveur de Perrot +Chapon, de Saint-Sauveur, près Luzarches. Étant aux fers en chartre +anglaise, depuis un mois, Perrot Chapon se voua à madame Sainte +Catherine et s'endormit. Il se réveilla, tout enchaîné encore, dans sa +maison.</p> + +<p>Le plus souvent, elle aidait ceux qui s'aidaient eux-mêmes. Ainsi fit, +en 1424, Jean Ducoudray, natif de Saumur, qui, prisonnier au château +de Bellême, se recommanda dévotement à madame sainte Catherine, puis +sauta dehors, étrangla l'homme du guet, escalada le mur d'enceinte, se +laissa tomber d'une hauteur de deux lances et s'en alla librement par +les champs<a id="footnotetag433" name="footnotetag433"></a><a href="#footnote433" title="Lien vers la note 433"><span class="smaller">[433]</span></a>.</p> + +<p>Peut-être ces miracles eussent-ils été moins fréquents si les Anglais +avaient entretenu plus de monde <span class="pagenum"><a id="page120" name="page120"></a>(p. 120)</span> en France; mais ils +manquaient d'hommes: en Normandie, ils s'enfermaient dans les villes, +abandonnant les campagnes aux partisans qui battaient le pays, +enlevaient les convois et favorisaient de la sorte grandement +l'intervention de madame sainte Catherine<a id="footnotetag434" name="footnotetag434"></a><a href="#footnote434" title="Lien vers la note 434"><span class="smaller">[434]</span></a>.</p> + +<p>Les captifs qui s'étaient voués à elle et qu'elle avait délivrés +faisaient, pour acquitter leur vœu, le glorieux pèlerinage de +Fierbois et venaient suspendre dans la chapelle leurs cordes, leurs +chaînes, leur harnois, ou par cas spécial, le harnois d'un ennemi.</p> + +<p>C'est ce qu'avait fait, neuf mois avant la venue de Jeanne à Fierbois, +un gentilhomme nommé Jean du Chastel. Il s'était échappé des mains +d'un capitaine qui l'accusait, en cela, de félonie, affirmant que du +Chastel lui avait donné sa foi. Du Chastel soutenait, au contraire, +qu'il n'avait rien juré; et il appela le capitaine en combat +singulier. L'issue du combat prouva le bon droit du gentilhomme +français; car, avec l'aide de madame sainte Catherine, il eut la +victoire. En reconnaissance, il vint offrir à sa sainte protectrice le +harnois de l'Anglais vaincu, en présence de monseigneur le bâtard +d'Orléans, du capitaine La Hire et de plusieurs autres seigneurs<a id="footnotetag435" name="footnotetag435"></a><a href="#footnote435" title="Lien vers la note 435"><span class="smaller">[435]</span></a>.</p> + +<p>Jeanne dut se plaire à entendre de telles ou semblables merveilles +qu'on lui récita, et à voir tant <span class="pagenum"><a id="page121" name="page121"></a>(p. 121)</span> d'armes suspendues aux murs +de la chapelle. Elle dut être bien aise que la sainte, qui la visitait +à toute heure et lui donnait conseil, se montrât si manifestement +l'amie des pauvres soldats et des paysans, la libératrice des +prisonniers mis en huche, en fosse, aux fers ou aux ceps par les +Godons.</p> + +<p>Elle fit ses dévotions et entendit deux messes dans la chapelle<a id="footnotetag436" name="footnotetag436"></a><a href="#footnote436" title="Lien vers la note 436"><span class="smaller">[436]</span></a>.</p> + + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page122" name="page122"></a>(p. 122)</span> CHAPITRE V<br> + +<span class="smaller">LE SIÈGE D'ORLÉANS, DU 12 OCTOBRE 1428 AU 6 MARS 1429.</span></h2> + + +<p>Depuis la victoire de Verneuil et la conquête du Maine, les Anglais ne +gagnaient guère en France, et ce qu'ils y tenaient leur était moins +assuré que jamais<a id="footnotetag437" name="footnotetag437"></a><a href="#footnote437" title="Lien vers la note 437"><span class="smaller">[437]</span></a>. S'ils épargnaient les terres du duc d'Orléans, +leur prisonnier, ce n'était point par vergogne. On disait bien, sur +les bords de la Loire, que ceux-là manquaient à l'honneur qui +prenaient les domaines d'un seigneur dont ils tenaient le corps<a id="footnotetag438" name="footnotetag438"></a><a href="#footnote438" title="Lien vers la note 438"><span class="smaller">[438]</span></a>, +mais en guerre où est le profit n'est point la honte. Le Régent ne +s'était pas fait scrupule de s'emparer du duché d'Alençon, alors que +le possesseur était prisonnier<a id="footnotetag439" name="footnotetag439"></a><a href="#footnote439" title="Lien vers la note 439"><span class="smaller">[439]</span></a>. Ce qui est vrai c'est que le bon +duc Charles, par prières et finances, dissuada les Anglais d'attaquer +son duché. De 1424 à 1426, les habitants d'Orléans payèrent pour +obtenir <span class="pagenum"><a id="page123" name="page123"></a>(p. 123)</span> abstinence de guerre<a id="footnotetag440" name="footnotetag440"></a><a href="#footnote440" title="Lien vers la note 440"><span class="smaller">[440]</span></a>. Les Godons acceptaient +d'autant plus volontiers ces accommodements qu'ils se sentaient moins +en état d'entrer en campagne. Pendant la minorité de leur roi +mi-anglais, mi-français, le duc de Glocester, frère et lieutenant du +Régent, et son oncle, l'évêque de Winchester, chancelier du royaume, +se prenaient aux cheveux et leurs discordes ensanglantaient les rues +de Londres<a id="footnotetag441" name="footnotetag441"></a><a href="#footnote441" title="Lien vers la note 441"><span class="smaller">[441]</span></a>. À la fin de l'année 1425, le Régent se rendit en +Angleterre où il passa dix-sept mois à calmer l'oncle et le neveu et à +rétablir la tranquillité publique. À force de finesse et d'énergie, il +y réussit assez pour rendre à ses compatriotes le désir et l'espoir +d'achever la conquête de la France. En 1428, le Parlement d'Angleterre +vota des subsides à cet effet<a id="footnotetag442" name="footnotetag442"></a><a href="#footnote442" title="Lien vers la note 442"><span class="smaller">[442]</span></a>.</p> + +<p>Le plus subtil, le plus expert, le plus heureux en armes de tous les +princes et capitaines d'Angleterre, Thomas Montaigu, comte de +Salisbury et du Perche<a id="footnotetag443" name="footnotetag443"></a><a href="#footnote443" title="Lien vers la note 443"><span class="smaller">[443]</span></a>, qui avait beaucoup fait la guerre dans la +Normandie, dans la Champagne et dans le Maine, recruta en Angleterre +<span class="pagenum"><a id="page124" name="page124"></a>(p. 124)</span> une armée en vue d'une expédition sur la Loire. Il trouva +des archers à sa suffisance; quant aux chevaliers et aux hommes +d'armes, il eut du mécompte. Seuls les gens de petit état voulaient +aller se battre dans un pays de famine<a id="footnotetag444" name="footnotetag444"></a><a href="#footnote444" title="Lien vers la note 444"><span class="smaller">[444]</span></a>. Enfin, le noble lord, le +beau cousin du roi Henri passa la mer avec quatre cent quarante-neuf +hommes d'armes et deux mille deux cent cinquante archers<a id="footnotetag445" name="footnotetag445"></a><a href="#footnote445" title="Lien vers la note 445"><span class="smaller">[445]</span></a>. Il +trouva en France des troupes recrutées par le Régent, quatre cents +lances dont deux cents normandes, à trois archers par lance suivant la +coutume d'Angleterre<a id="footnotetag446" name="footnotetag446"></a><a href="#footnote446" title="Lien vers la note 446"><span class="smaller">[446]</span></a>. Il conduisit ces troupes à Paris où des +résolutions irrévocables furent prises<a id="footnotetag447" name="footnotetag447"></a><a href="#footnote447" title="Lien vers la note 447"><span class="smaller">[447]</span></a>. Jusque-là on se disposait +à prendre la ville d'Angers; on décida en dernier lieu d'assiéger +Orléans<a id="footnotetag448" name="footnotetag448"></a><a href="#footnote448" title="Lien vers la note 448"><span class="smaller">[448]</span></a>.</p> + +<p>Entre la Beauce et la Sologne, en avant des provinces fidèles, +Touraine, Blaisois, Berry, la cité ducale se présentait à l'ennemi, +sur la Loire recourbée, comme sur l'arc tendu la pointe de la +flèche<a id="footnotetag449" name="footnotetag449"></a><a href="#footnote449" title="Lien vers la note 449"><span class="smaller">[449]</span></a>. Évêché, université, marché du haut et bas pays, fière de +ses clochers, de ses flèches et de ses tours, qui levaient vers le +ciel la <span class="pagenum"><a id="page125" name="page125"></a>(p. 125)</span> croix de Notre-Seigneur, les trois cœurs de lis +de la ville et les trois fleurs de lis de ses ducs, Orléans abritait, +sous les hauts toits d'ardoise de ses maisons de pierre ou de bois +plantées sur des rues tortueuses et sur de sombres venelles, quinze +mille habitants, officiers de justice et de finance, orfèvres, +droguistes, épiciers, tanneurs, bouchers, poissonniers, riches +bourgeois fins comme l'ambre, qui aimaient les beaux habits, les beaux +logis, la musique et la danse; curés, chanoines, régents et suppôts de +l'université, libraires, écrivains, imagiers, peintres, écoliers qui +n'étaient pas tous des fontaines de sapience, mais qui jouaient +joliment de la flûte; moines de toute robe, jacobins, cordeliers, +mathurins, carmes, augustins; et les artisans et les gens de métier, +forgerons, tonneliers, charpentiers, bateliers, pêcheurs<a id="footnotetag450" name="footnotetag450"></a><a href="#footnote450" title="Lien vers la note 450"><span class="smaller">[450]</span></a>.</p> + +<p>D'origine romaine, la ville gardait la carrure qui lui avait été +donnée au temps de l'empereur Aurélien. Le côté du midi, qui longeait +la Loire, et le côté du nord, s'étendaient sur une ligne de trois +mille pieds. Les petits côtés du levant et du couchant n'avaient que +<span class="pagenum"><a id="page126" name="page126"></a>(p. 126)</span> treize cent cinquante pieds de long. Elle était ceinte de +murs épais de six pieds et élevés de dix-huit à trente-trois pieds +au-dessus du fossé qui en noyait la base. Ces murs étaient flanqués de +trente-quatre tours, percés de cinq portes et de deux poternes<a id="footnotetag451" name="footnotetag451"></a><a href="#footnote451" title="Lien vers la note 451"><span class="smaller">[451]</span></a>. +Voici l'emplacement de ces portes, poternes et tours, avec les noms de +celles qui firent parler d'elles durant le siège.</p> + +<p>C'était, en allant de l'angle sud-est des murs à l'angle sud-ouest: la +tour Neuve, énorme et ronde, baignant dans la Loire: trois autres +tours portant sur les grèves; la poterne Chesneau qui seule, s'ouvrait +sur l'eau et qu'on fermait par une herse de fer: la tour de la +Croiche-Meuffroy, ainsi nommée de la croiche ou éperon qui, de son +pied, s'avançait dans la rivière; deux autres tours baignant dans la +Loire; la porte du Pont, avec pont-levis et flanquée de deux tours: la +tour de l'Abreuvoir; la tour Notre-Dame, qui tirait son nom d'une +chapelle adossée aux murs de la ville; la tour de la Barre-Flambert, +la dernière de ce côté, à l'angle sud-ouest de l'enceinte, et qui +barrait la rivière. Tout le long de la Loire, les murs étaient garnis +d'un parapet de pierre et munis de mâchicoulis crénelés, d'où l'on +pouvait lancer des carreaux et en cas d'escalade, renverser les +échelles. Les tours se dressaient à un jet d'arc les unes des autres.</p> + +<p>Sur le côté ouest, on comptait d'abord trois tours, <span class="pagenum"><a id="page127" name="page127"></a>(p. 127)</span> puis les +deux tours de la porte qu'on appelait Regnard ou Renard, du nom des +bourgeois, possesseurs autrefois d'un hôtel y attenant, habité en 1428 +par Jacques Boucher, trésorier du duc d'Orléans; puis une autre tour, +et, enfin, la porte Bernier ou Bannier, à l'angle nord-ouest de +l'enceinte. Les remparts, de ce côté, avaient été construits à une +époque où déjà on faisait usage de l'arbalète qui portait plus loin +que l'arc: les tours étaient à un jet d'arbalète les unes des autres, +et les murs moins hauts qu'ailleurs.</p> + +<p>Du côté nord, qui regardait la forêt: dix tours distantes entre elles +d'une portée d'arc; la deuxième, celle de Saint-Samson, servait +d'arsenal; la sixième et la septième flanquaient la porte Parisis.</p> + +<p>Du côté de l'Est, dix tours également et à la même distance les unes +des autres que celles du Nord; la cinquième et la sixième étaient +celles de la porte de Bourgogne, dite aussi de Saint-Aignan, parce +qu'elle était proche de l'église de Saint-Aignan hors les murs; la +dernière était la grosse tour d'angle, dite tour Neuve, qui se trouve +ainsi comptée deux fois.</p> + +<p>Le pont de pierre, bordé de maisons, qui reliait la ville à la rive +gauche de la Loire, était renommé dans le monde entier. Il avait +dix-neuf arches d'ouvertures inégales. La première, sur laquelle on +passât en sortant de la ville par la porte du Pont, se nommait +l'Allouée ou pont Jacquemin-Rousselet; un pont-levis était pratiqué +dans sa voûte. La cinquième arche appuyait sa <span class="pagenum"><a id="page128" name="page128"></a>(p. 128)</span> culée sur une +île étroite et longue, en forme de bateau, comme toutes ces îles des +fleuves. Elle s'appelait en amont Motte-Saint-Antoine, d'une chapelle +dédiée à ce saint, qui y était élevée; en aval Motte-des-Poissonniers, +parce qu'on y amarrait des bateaux dont le fond était percé, pour +conserver le poisson. En 1417, les Orléanais, prévoyant le cas où +l'ennemi ferait une descente dans cette île, avaient construit au delà +de la sixième arche une bastille, la bastille ou forteresse +Saint-Antoine, qui occupait toute la largeur du pont. Le pilier commun +à l'onzième et à la douzième arche portait, sur un socle de pierre +historiée, une croix de bronze doré. C'était, comme on disait, la +Belle-Croix. Sur la dix-huitième arche et ses deux piliers, formant +culée, s'élevait un châtelet composé de deux tours réunies par un +porche voûté. Ce châtelet avait nom les Tourelles. La dix-neuvième et +dernière arche portait, comme la première, un pont-levis. Après +l'avoir franchie on se trouvait sur le Portereau; et l'on avait devant +soi la route de Toulouse qui rejoignait, au delà du Loiret, sur les +hauteurs d'Olivet, la route de Blois<a id="footnotetag452" name="footnotetag452"></a><a href="#footnote452" title="Lien vers la note 452"><span class="smaller">[452]</span></a>.</p> + +<p>La Loire traînait alors ses eaux paresseuses entre des îles +recouvertes d'oseraies et de bouleaux, qui ont été <span class="pagenum"><a id="page129" name="page129"></a>(p. 129)</span> enlevées +depuis pour rendre le passage plus aisé aux bateaux. Une lieue à l'est +d'Orléans, à la hauteur de Chécy, l'île aux Bourdons était séparée par +un mince bras de la rive de Sologne et par un étroit chenal, de +l'Île-aux-Bœufs, qui étalait, vers la rive de Beauce, devant +Combleux, ses herbages et ses buissons. Un bateau, s'il descendait le +cours du fleuve, côtoyait ensuite les deux îles Saint-Loup, et, +doublant la tour Neuve, glissait entre les deux petites îles des +Martinets, à droite, et l'Île-aux-Toiles à gauche. Puis il passait +sous le Pont qui traversait, comme nous l'avons vu, une île dite en +haut Motte-Saint-Antoine et en bas Motte-des-Poissonniers. Enfin, en +aval des remparts, vis-à-vis de Saint-Laurent-des-Orgerils, il +rencontrait les deux petites îles Biche-d'Orge et Charlemagne<a id="footnotetag453" name="footnotetag453"></a><a href="#footnote453" title="Lien vers la note 453"><span class="smaller">[453]</span></a>.</p> + +<p>Les faubourgs d'Orléans étaient les plus beaux du royaume. Au midi, le +faubourg batelier du Portereau, avec l'église et le couvent des +Augustins, s'étendait le long du fleuve, au pied des vignobles de +Saint-Jean-le-Blanc qui mûrissaient le meilleur vin du pays<a id="footnotetag454" name="footnotetag454"></a><a href="#footnote454" title="Lien vers la note 454"><span class="smaller">[454]</span></a>. Plus +haut, sur les pentes douces conduisant au maigre plateau de Sologne, +le Loiret, ses sources agitées, ses eaux limpides, ses rives +ombreuses, les jardins et les <span class="pagenum"><a id="page130" name="page130"></a>(p. 130)</span> fontaines d'Olivet, riaient +aux regards d'un ciel pluvieux et doux.</p> + +<p>Au levant, le faubourg de la porte Bourgogne était de tous le plus +peuplé et le mieux bâti. C'est là qu'on admirait l'église Saint-Michel +et l'église Saint-Aignan, dont le cloître passait pour une +merveille<a id="footnotetag455" name="footnotetag455"></a><a href="#footnote455" title="Lien vers la note 455"><span class="smaller">[455]</span></a>. Au sortir de ce faubourg, en suivant, au bord des +vignes, le bras de sable ou d'eau que la Loire allongeait entre sa +berge et l'Île-aux-Bœufs, on atteignait, après un quart de lieue, +la côte roide de Saint-Loup, et, si l'on s'avançait encore à l'est, +entre la rivière et la route romaine d'Autun à Paris, on découvrait, +l'un après l'autre, les clochers de Saint-Jean-de-Bray, de Combleux et +de Chécy.</p> + +<p>Au nord de la ville, s'élevaient de beaux moustiers et de riches +églises, la chapelle Saint-Ladre, dans le cimetière; les Jacobins, les +Cordeliers, l'église de Saint-Pierre-Ensentelée. En plein nord, le +faubourg de la porte Bernier bordait la route de Paris et, tout +proche, s'étendait la sombre cité des loups, la profonde forêt de +chênes, de charmes, de hêtres et de bouleaux, où s'enfonçaient, comme +des bûcherons et des charbonniers, les villages de Fleury et de +Samoy<a id="footnotetag456" name="footnotetag456"></a><a href="#footnote456" title="Lien vers la note 456"><span class="smaller">[456]</span></a>.</p> + +<a id="img001" name="img001"></a> +<div class="figcenter"> +<a href="images/img001.jpg"> +<img src="images/img001tb.jpg" width="400" height="271" alt="" title=""></a> +<p>Plan d'Orléans.</p> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a id="page131" name="page131"></a>(p. 131)</span> Au couchant, parmi les cultures, le faubourg de la porte +Renard longeait la route de Châteaudun, et le hameau de Saint-Laurent, +la route de Blois<a id="footnotetag457" name="footnotetag457"></a><a href="#footnote457" title="Lien vers la note 457"><span class="smaller">[457]</span></a>.</p> + +<p>Lorsque les gens des faubourgs se renfermèrent dans la cité à +l'approche des Anglais, le nombre des habitants fut plus que doublé, +tant ces faubourgs étaient amples et populeux<a id="footnotetag458" name="footnotetag458"></a><a href="#footnote458" title="Lien vers la note 458"><span class="smaller">[458]</span></a>.</p> + +<p>Les habitants d'Orléans étaient résolus à combattre, non certes pour +l'honneur: un bourgeois, en ce temps-là, ne s'attirait aucun honneur à +défendre sa ville; par contre il y courait un terrible danger. La +ville prise, les hauts et riches seigneurs, qui se trouvaient pris +avec, en étaient quittes pour payer rançon, et le vainqueur leur +faisait bonne chère; les menus et pauvres seigneurs risquaient +davantage. En cette année 1428, les gentilshommes qui défendirent +Melun et se rendirent après avoir mangé leurs chevaux et leurs chiens, +furent noyés dans la Seine. «Rien n'y valut hautesse», dit une chanson +bourguignonne<a id="footnotetag459" name="footnotetag459"></a><a href="#footnote459" title="Lien vers la note 459"><span class="smaller">[459]</span></a>. Ordinairement hautesse valait la vie sauve. Quant +aux bourgeois assez courageux pour s'être défendus, ils avaient chance +d'être mis à <span class="pagenum"><a id="page132" name="page132"></a>(p. 132)</span> mort. Il n'existait pas de règles fixes à leur +égard; tantôt on en pendait plusieurs, tantôt un seul, tantôt on les +pendait tous; il était loisible aussi de leur couper la tête ou de les +jeter à l'eau, cousus dans un sac. En cette même année 1428, les +capitaines La Hire et Poton ayant manqué leur coup de main sur Le Mans +et décampé à propos, les bourgeois qui les avaient aidés furent +décapités place du Cloître-Saint-Julien, sur la pierre Olet, par ordre +de ce même William Pole, comte de Suffolk, qui débridait déjà à +Olivet, et de ce même John Talbot, le plus courtois des chevaliers +anglais, qui allait bientôt venir<a id="footnotetag460" name="footnotetag460"></a><a href="#footnote460" title="Lien vers la note 460"><span class="smaller">[460]</span></a>. Exemple suffisant pour +instruire les citoyens d'Orléans.</p> + +<p>La ville, sous l'autorité d'un gouverneur, s'administrait elle-même au +moyen de douze procureurs élus par le suffrage des bourgeois pour deux +ans, moyennant l'approbation du gouverneur<a id="footnotetag461" name="footnotetag461"></a><a href="#footnote461" title="Lien vers la note 461"><span class="smaller">[461]</span></a>. Ces procureurs +risquaient plus que les autres citoyens, et l'un d'eux, quand il +passait par le cloître Saint-Sulpice, où l'on mettait à mort les +condamnés, songeait sans doute qu'avant un an il pourrait bien être +justicié là pour avoir défendu l'héritage de son seigneur. Les douze +étaient résolus à défendre cet héritage et ils agissaient avec +promptitude et sagesse pour le salut commun.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page133" name="page133"></a>(p. 133)</span> Les Orléanais n'étaient pas pris au dépourvu. Leurs pères +avaient vu de près les Anglais et mis la ville en état de défense. +Eux-mêmes, en l'an 1425, s'étaient si bien attendus à subir un siège, +qu'ils avaient amassé des armes dans la tour Saint-Samson et que tous, +riches ou pauvres, avaient été requis pour creuser des fossés et +construire des boulevards<a id="footnotetag462" name="footnotetag462"></a><a href="#footnote462" title="Lien vers la note 462"><span class="smaller">[462]</span></a>. La guerre a toujours coûté cher. Ils +consacraient, chaque année, les trois quarts du revenu de la ville à +l'entretien des remparts et de l'armement. Avertis que le comte de +Salisbury approchait, ils se préparèrent avec une merveilleuse ardeur +à le recevoir. Les murs, hors ceux qui regardaient la rivière, étaient +sans parapets, mais il y avait dans les magasins des pieux et des +traverses destinés à faire des garde-fous. On les monta et l'on +établit des mantelets dans lesquels étaient pratiquées des barbacanes +en charpente, afin que, du haut des murs habillés de la sorte, les +défenseurs pussent tirer à couvert<a id="footnotetag463" name="footnotetag463"></a><a href="#footnote463" title="Lien vers la note 463"><span class="smaller">[463]</span></a>. On établit, à l'entrée de +chaque faubourg, des barrières de bois, avec un corps de garde et une +loge pour le portier chargé de les ouvrir et de les fermer. Les +remparts, bastilles et boulevards furent munis de soixante et onze +bouches à feu, tant canons que bombardes, sans compter les +couleuvrines. On tira de la carrière de Montmaillard, située à trois +lieues de la <span class="pagenum"><a id="page134" name="page134"></a>(p. 134)</span> ville, des pierres que les artisans façonnaient +en boulets de canon; on fit venir à grands frais du plomb, de la +poudre et du soufre, que les femmes finaient pour le service des +canons et des couleuvrines. On fabriquait chaque jour par milliers des +flèches, des traits, des fûts de viretons aboutés de pointes de fer et +empennés de parchemin, et nombre de pavas, grands boucliers faits de +douves assemblées à tenons et mortaises et recouvertes de cuir. On +acheta du blé, du vin, du bétail à force pour la nourriture des +habitants et des hommes d'armes qu'on attendait, gens du roi et +routiers<a id="footnotetag464" name="footnotetag464"></a><a href="#footnote464" title="Lien vers la note 464"><span class="smaller">[464]</span></a>.</p> + +<p>Par un privilège dont ils se montraient fort jaloux, les habitants +avaient la garde de leurs remparts. Ils étaient répartis par corps de +métiers en autant de compagnies qu'il y avait de tours. Se gardant +eux-mêmes, ils jouissaient du droit de ne pas recevoir garnison dans +leurs murs. Ce droit leur était précieux parce qu'il leur évitait +d'être pillés et dérobés, incendiés et molestés à tout moment par les +gens du roi. Ils y renoncèrent avec empressement, sentant bien que +seuls, avec leur milice civique et les milices des communes, +c'est-à-dire les paysans, ils ne pourraient soutenir l'effort d'un +siège et qu'il leur fallait, pour bien faire, des hommes de cheval +tenant roidement la lance et <span class="pagenum"><a id="page135" name="page135"></a>(p. 135)</span> des gens de pied habiles à +manœuvrer l'arbalète. Tandis que le sire de Gaucourt, leur +gouverneur, et monseigneur le Bâtard d'Orléans, lieutenant général du +roi, se rendaient à Chinon et à Poitiers pour obtenir des conseillers +du roi assez d'hommes et d'argent<a id="footnotetag465" name="footnotetag465"></a><a href="#footnote465" title="Lien vers la note 465"><span class="smaller">[465]</span></a>, des bourgeois partaient en +mission, deux par deux, et allaient jusqu'en Bourbonnais et en +Languedoc demander des secours aux villes<a id="footnotetag466" name="footnotetag466"></a><a href="#footnote466" title="Lien vers la note 466"><span class="smaller">[466]</span></a>. Les procureurs +faisaient appel aux routiers qui tenaient la campagne pour les fleurs +de lis et leur annonçaient, par les deux hérauts de la ville, Orléans +et Cœur-de-Lis, qu'il y avait chez eux de l'or et de l'argent en +abondance, des vivres et des armes pour nourrir et armer deux mille +combattants pendant deux ans, et que tout gentil et honnête capitaine +qui voudrait défendre leur ville avec eux le pourrait faire, et qu'on +se battrait à mort<a id="footnotetag467" name="footnotetag467"></a><a href="#footnote467" title="Lien vers la note 467"><span class="smaller">[467]</span></a>.</p> + +<p>Les habitants d'Orléans craignaient Dieu. En ce temps-là Dieu se +faisait beaucoup craindre; il était presque aussi terrible qu'au temps +des Philistins. Les pauvres pécheurs avaient peur d'être mal reçus +s'ils s'adressaient <span class="pagenum"><a id="page136" name="page136"></a>(p. 136)</span> à lui dans leurs afflictions; mieux +valait, croyaient-ils, prendre un biais et recourir à l'intercession +de Notre-Dame et des saints. Dieu respectait sa mère et s'efforçait de +lui complaire en toute occurrence. Il montrait pareillement de la +déférence aux bienheureux assis à ses côtés dans le paradis et +écoulait volontiers les requêtes qu'ils lui présentaient. Aussi +était-ce la coutume, en cas de grande nécessité, de faire des prières +et des présents aux saints pour les rendre favorables. Les bourgeois +d'Orléans se rappelèrent à propos Monsieur saint Euverte et Monsieur +saint Aignan, patrons de leur ville. Saint Euverte s'était assis très +anciennement dans le siège épiscopal occupé en 1428 par messire Jean +de Saint-Michel, écossais, et il y avait resplendi de toutes les +vertus apostoliques<a id="footnotetag468" name="footnotetag468"></a><a href="#footnote468" title="Lien vers la note 468"><span class="smaller">[468]</span></a>. Saint-Aignan, son successeur, avait obtenu +de Dieu qu'il regardât sa ville dans un péril semblable à celui +qu'elle courait présentement. Voici son histoire telle que les +Orléanais la savaient:</p> + +<p>Le bienheureux Aignan s'était retiré dès sa jeunesse dans une solitude +près d'Orléans. Saint Euverte, alors évêque de cette ville, l'y +découvrit, l'ordonna prêtre, l'institua abbé de +Saint-Laurent-des-Orgerils et le désigna pour son successeur dans le +gouvernement des fidèles. Et quand saint Euverte eut trépassé de cette +vie à l'autre, le bienheureux Aignan fut proclamé <span class="pagenum"><a id="page137" name="page137"></a>(p. 137)</span> évêque, du +consentement du peuple orléanais, par la voix d'un petit enfant. Car +Dieu, qui tire sa louange de la bouche des enfants, permit que l'un +d'eux, porté dans ses langes sur l'autel, parlât et dit: «Aignan, +Aignan, Aignan est élu de Dieu pour être évêque de cette ville.» Or, +dans la soixantième année de son pontificat, les Huns envahirent la +Gaule, conduits par Attila, leur roi, qui publiait que devant lui les +étoiles tombaient, la terre tremblait, et qu'il était le marteau du +monde, <i>stellas pre se cadere, terram tremere, se malleum esse +universi orbis</i>. Toutes les villes qu'il avait rencontrées sur son +chemin, il les avait détruites, et il marchait sur Orléans. Alors le +bienheureux Aignan alla trouver dans la cité d'Arles le patrice +Aetius, qui commandait l'armée romaine, et lui demanda son aide en un +si grand péril. Ayant obtenu du patrice promesse de secours, Aignan +revint dans sa ville épiscopale qu'il trouva entourée de guerriers +barbares. Les Huns avaient fait des brèches dans les murs, et ils se +préparaient à donner l'assaut. Le bienheureux monta sur le rempart, se +mit à genoux, pria, et, ayant prié, cracha sur les ennemis. Cette +goutte d'eau fut suivie, par la volonté de Dieu, de toutes les gouttes +d'eau suspendues dans le ciel; un orage éclata, une pluie si abondante +tomba sur les barbares, que leur camp en fut noyé; leurs tentes +s'abattirent sous la force des vents, et plusieurs d'entre eux +périrent frappés de la foudre. La pluie dura trois jours, après +lesquels Attila <span class="pagenum"><a id="page138" name="page138"></a>(p. 138)</span> fit battre par de puissantes machines les +remparts de la cité. Les habitants voyaient avec épouvante tomber +leurs murailles. Quand tout espoir de résister fut perdu, le saint +évêque alla, revêtu de ses habits sacerdotaux, vers le roi des Huns et +l'adjura d'avoir pitié du peuple orléanais, le menaçant de l'ire +céleste s'il était dur aux vaincus. Ces prières et ces menaces ne +changèrent pas le cœur d'Attila. L'évêque, revenu parmi ses +fidèles, les avertit qu'ils ne devaient s'assurer qu'en la puissance +de Dieu, mais que ce secours ne leur manquerait pas. Et bientôt, selon +la promesse qu'il leur avait donnée, Dieu délivra la ville par le +moyen des Romains et des Français, qui défirent les Huns dans une +grande bataille. Peu de temps après cette merveilleuse délivrance de +sa ville bien-aimée, saint Aignan s'endormit dans le Seigneur<a id="footnotetag469" name="footnotetag469"></a><a href="#footnote469" title="Lien vers la note 469"><span class="smaller">[469]</span></a>.</p> + +<p>C'est pourquoi, en ce grand péril où les mettaient les Anglais, les +citoyens d'Orléans attendaient de Monsieur saint Euverte et de +Monsieur saint Aignan aide et réconfort. Aux merveilles que saint +Aignan avait accomplies dans sa vie mortelle, ils mesuraient les +miracles qu'il pouvait opérer maintenant qu'il était au Paradis. Ces +deux confesseurs avaient, dans le faubourg de Bourgogne, chacun son +église où l'on <span class="pagenum"><a id="page139" name="page139"></a>(p. 139)</span> gardait précieusement leur corps<a id="footnotetag470" name="footnotetag470"></a><a href="#footnote470" title="Lien vers la note 470"><span class="smaller">[470]</span></a>. Les os +des martyrs et des confesseurs inspiraient alors une vénération +profonde. Ils répandaient parfois, disait-on, une odeur balsamique, ce +qui signifiait les grâces qui en émanaient. On les enfermait dans des +châsses dorées et semées de pierres précieuses et il n'est point de +miracle qu'on ne pensât obtenir par le moyen de ces saintes reliques. +Le 6 août 1428, le clergé de la ville alla prendre dans l'église où +elle était conservée la châsse de Monsieur saint Euverte et la porta +autour des murs, afin qu'ils en fussent affermis, et la châsse vénérée +fit le tour de la cité, suivie du peuple entier. Le 8 septembre, un +tortis de cent dix livres fut offert à Monsieur saint Aignan. Pour les +gagner, on faisait aux saints, quand on avait besoin d'eux, des +présents de toute nature, robes, joyaux, argent monnayé, maisons, +terres, bois, étangs; mais on pensait que la cire vierge leur était +particulièrement agréable. Un tortis était une rouelle de cire sur +laquelle on plantait des cierges et deux petits panonceaux aux armes +de la ville<a id="footnotetag471" name="footnotetag471"></a><a href="#footnote471" title="Lien vers la note 471"><span class="smaller">[471]</span></a>.</p> + +<p>Ainsi les Orléanais travaillaient à se munir et protéger.</p> + +<p>Des aventuriers de tout pays répondaient à l'appel des procureurs. +Messire Archambaud de Villars, capitaine de Montargis; Guillaume de +Chaumont, seigneur <span class="pagenum"><a id="page140" name="page140"></a>(p. 140)</span> de Guitry; messire Pierre de la Chapelle, +gentilhomme beauceron; Raimond Arnaud de Corraze, chevalier béarnais; +don Mathias d'Aragon, Jean de Saintrailles et Poton de Saintrailles +accoururent les premiers. L'abbé de Cerquenceaux, naguère étudiant à +l'Université d'Orléans, arriva à la tête d'une bande de +partisans<a id="footnotetag472" name="footnotetag472"></a><a href="#footnote472" title="Lien vers la note 472"><span class="smaller">[472]</span></a>. Il entra ainsi dans la ville à peu près autant d'amis +qu'on attendait d'ennemis. On les solda, on leur fournit pain, chair, +poisson, fourrage en abondance, et l'on défonça pour eux des tonneaux +de vin. Dans les premiers jours les habitants les traitèrent comme +leurs propres enfants. Ils se les partagèrent entre eux et les +nourrirent de ce qu'ils avaient. Mais cette concorde ne régna pas +longtemps, et, quoi qu'en dise une tradition conciliante<a id="footnotetag473" name="footnotetag473"></a><a href="#footnote473" title="Lien vers la note 473"><span class="smaller">[473]</span></a>, les +choses ne se passèrent pas à Orléans différemment que dans les autres +villes assiégées: les bourgeois ne tardèrent pas à se plaindre de la +garnison.</p> + +<p>Le 5 septembre, le comte de Salisbury parvint à Janville après s'être +emparé sans peine de quarante villes, églises fortes ou châteaux. Et +ce n'était pas le meilleur de son affaire; car si peu de monde qu'il +eût laissé dans chaque place, il avait semé en route une partie de son +armée, déjà trop encline à s'égrener<a id="footnotetag474" name="footnotetag474"></a><a href="#footnote474" title="Lien vers la note 474"><span class="smaller">[474]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page141" name="page141"></a>(p. 141)</span> Il envoya de Janville deux hérauts à Orléans pour sommer les +habitants de se rendre. Les procureurs logèrent ces hérauts +honorablement dans le faubourg Bannier, à l'hôtel de la Pomme, et leur +remirent un présent de vin pour le comte de Salisbury, car ils +savaient à quoi le devoir les obligeait envers un si haut prince; mais +ils refusèrent d'ouvrir leurs portes à une garnison anglaise, +alléguant sans doute, selon la coutume des bourgeois d'alors, qu'ils +ne le pouvaient pas, ayant plus forts qu'eux dans leurs murs<a id="footnotetag475" name="footnotetag475"></a><a href="#footnote475" title="Lien vers la note 475"><span class="smaller">[475]</span></a>.</p> + +<p>Le 6 octobre, le péril approchant, prêtres, bourgeois, notables +marchands, artisans, les femmes, les enfants, firent une belle +procession avec croix et bannières, chantant des psaumes et invoquant +les gardiens célestes de la cité<a id="footnotetag476" name="footnotetag476"></a><a href="#footnote476" title="Lien vers la note 476"><span class="smaller">[476]</span></a>.</p> + +<p>Le mardi 12 du même mois, à la nouvelle que l'ennemi venait par la +Sologne, les procureurs envoyèrent des gens de guerre abattre les +maisons du Portereau, faubourg de la rive gauche, l'église et le +couvent des Augustins, qui s'élevaient dans ce faubourg, ainsi que +tous les bâtiments où l'ennemi pouvait se loger et se retrancher. Les +gens de guerre furent pris de court. Ce <span class="pagenum"><a id="page142" name="page142"></a>(p. 142)</span> jour même les +Anglais occupèrent Olivet et se montrèrent au Portereau<a id="footnotetag477" name="footnotetag477"></a><a href="#footnote477" title="Lien vers la note 477"><span class="smaller">[477]</span></a>.</p> + +<p>Là se rassemblaient les vainqueurs de Verneuil, la fleur de la +chevalerie anglaise: Thomas, seigneur de Scales et de Nucelles, +capitaine de Pontorson, que le roi d'Angleterre appelait son cousin; +William Neville, lord Falcombridge; Richard Guethin, chevalier +gallois, bailli d'Évreux; lord Richard Gray, neveu du comte de +Salisbury; Gilbert Halsall, Richard Panyngel, Thomas Guérard, +chevaliers, et d'autres encore de haute renommée.</p> + +<p>Sur les deux cents lances de Normandie flottaient les étendards de +William Pole, comte de Suffolk, et de John Pole, deux frères issus +d'un compagnon du duc Guillaume; de Thomas Rampston, chevalier +banneret, chambellan du Régent; de Richard Walter, écuyer, capitaine +de Conches, bailli et capitaine d'Évreux; de William Molins, +chevalier; de William Glasdall, que les Français nommaient Glacidas, +écuyer, bailli d'Alençon, homme de petite naissance<a id="footnotetag478" name="footnotetag478"></a><a href="#footnote478" title="Lien vers la note 478"><span class="smaller">[478]</span></a>.</p> + +<p>Les archers étaient tous à cheval. Il n'y avait, autant dire, point de +fantassins. Des chariots attelés de bœufs traînaient les barils de +poudre, les arbalètes, les traits, les canons de toutes sortes, canons +à main, «fowlers» et grosses pièces, et les pierres à canons. Les +<span class="pagenum"><a id="page143" name="page143"></a>(p. 143)</span> deux maîtres de l'artillerie anglaise, Philibert de Moslant +et Guillaume Appilby, accompagnaient les troupes. Il s'y trouvait +aussi deux maîtres mineurs avec trente-huit ouvriers. Les femmes ne +manquaient pas, dont plusieurs servaient d'espions<a id="footnotetag479" name="footnotetag479"></a><a href="#footnote479" title="Lien vers la note 479"><span class="smaller">[479]</span></a>.</p> + +<p>Cette armée arrivait, à vrai dire, très diminuée par les délections, +ayant de victoire en victoire semé des fuyards. Les uns s'en +retournaient en Angleterre, les autres allaient par le royaume de +France pillant et dérobant. Ce même jour du 12 octobre, ordre était +envoyé de Rouen aux baillis et capitaines de Normandie d'arrêter les +Anglais qui s'étaient départis de la compagnie de monseigneur le comte +de Salisbury<a id="footnotetag480" name="footnotetag480"></a><a href="#footnote480" title="Lien vers la note 480"><span class="smaller">[480]</span></a>.</p> + +<p>Le fort des Tourelles et son boulevard fermaient l'entrée du pont. Les +Anglais s'établirent au Portereau, placèrent leurs canons et leurs +bombardes sur la levée de Saint-Jean-le-Blanc<a id="footnotetag481" name="footnotetag481"></a><a href="#footnote481" title="Lien vers la note 481"><span class="smaller">[481]</span></a>, et, le dimanche +qui suivit, ils lancèrent sur la ville force boulets de pierre, qui +firent grand dommage aux maisons, mais ne tuèrent personne, sinon une +Orléanaise, nommée Belles, demeurant <span class="pagenum"><a id="page144" name="page144"></a>(p. 144)</span> près de la poterne +Chesneau, au bord de la rivière. Ainsi commença par la mort d'une +femme ce siège qui devait finir par la victoire d'une femme.</p> + +<p>Cette même semaine les canons anglais détruisirent douze moulins à eau +établis près de la tour Neuve. Sur quoi les Orléanais, pour ne pas +manquer de farine, construisirent dans la ville onze moulins à +chevaux<a id="footnotetag482" name="footnotetag482"></a><a href="#footnote482" title="Lien vers la note 482"><span class="smaller">[482]</span></a>. Il y eut quelques escarmouches en avant du pont, et le +jeudi 21 octobre les Anglais donnèrent l'assaut au boulevard des +Tourelles. La petite troupe de routiers au service de la ville et les +milices bourgeoises firent une belle défense. Les femmes les aidèrent. +Pendant les quatre heures que dura l'assaut, les commères en longues +files couraient sur le pont, portant au boulevard leurs marmites et +leurs écuelles pleines de charbons allumés, d'huile et de graisse +bouillantes, avec une joie furieuse d'échauder les Godons<a id="footnotetag483" name="footnotetag483"></a><a href="#footnote483" title="Lien vers la note 483"><span class="smaller">[483]</span></a>. +L'assaut fut repoussé, mais, deux jours après, les Français +s'aperçurent que le boulevard était miné; c'est-à-dire que les Anglais +avaient creusé en dessous des galeries dont ils avaient ensuite +incendié les étais. Ce boulevard, devenu intenable, au dire des gens +de guerre, fut détruit et abandonné. On ne crut pas pouvoir défendre +les Tourelles ainsi démunies. Ces châtelets qui, jadis, arrêtaient +pendant des mois toute une armée, ne valaient plus rien contre les +pierres de canon. On construisit en avant <span class="pagenum"><a id="page145" name="page145"></a>(p. 145)</span> de la Belle-Croix +un boulevard de terre et de bois, on coupa deux arches du pont en +arrière du boulevard, on mit à la place un tablier mobile. Et quand ce +fut fait, on laissa, non sans regret, le fort des Tourelles aux +Anglais, qui firent un boulevard de terre et de fagots sur le pont, et +rompirent deux arches, l'une en avant, l'autre en arrière de leur +boulevard<a id="footnotetag484" name="footnotetag484"></a><a href="#footnote484" title="Lien vers la note 484"><span class="smaller">[484]</span></a>.</p> + +<p>Le dimanche, vers le soir, quelques heures après que l'étendard de +saint Georges eut été planté sur le fort, le comte de Salisbury monta +dans une des tours avec William Glasdale et quelques capitaines, pour +observer l'assiette de la ville. S'approchant d'une fenêtre, il vit +les murs armés de canons, les tours coiffées en pointe ou terminées en +terrasse, l'enceinte sèche et grise, les faubourgs ornés, pour +quelques jours encore, de la pierre dentelée de leurs églises et de +leurs moustiers, les vignes et les bois jaunis par l'automne, la Loire +et ses îles ovales endormies dans la paix du soir. Il cherchait le +point faible des remparts, l'endroit où il pourrait faire brèche et +appuyer les échelles. Car son projet était de prendre Orléans +d'assaut. William Glasdale lui dit:</p> + +<p>—Monseigneur, regardez bien votre ville. Vous la voyez d'ici bien à +plain.</p> + +<p>À ce moment, un boulet de canon écorne l'embrasure de la fenêtre, une +pierre de la muraille va frapper <span class="pagenum"><a id="page146" name="page146"></a>(p. 146)</span> Salisbury et lui emporte un +œil avec la moitié du visage. Le coup était parti de la tour +Notre-Dame. C'est du moins ce qu'on s'accorda à croire. On ne sut +jamais qui l'avait tiré. Un homme de la ville, accouru au bruit, vit +un enfant qui s'échappait de la tour et le canon déserté. On pensa que +cette pierre avait été lancée par la main d'un innocent, avec la +permission de la Mère de Dieu, irritée de ce que le comte de Salisbury +avait dépouillé les moines et pillé l'église Notre-Dame-de-Cléry. On +disait encore qu'il était puni pour avoir manqué à son serment, ayant +promis au duc d'Orléans de respecter ses terres et ses villes. Porté +secrètement à Meung-sur-Loire, il y trépassa le mercredi 27 d'octobre; +de quoi les Anglais furent dolents<a id="footnotetag485" name="footnotetag485"></a><a href="#footnote485" title="Lien vers la note 485"><span class="smaller">[485]</span></a>. La plupart d'entre eux +estimaient qu'ils perdaient gros à la mort de ce chef qui menait le +siège avec vigueur et avait, en moins de douze jours, enlevé le joyau +de guerre des Orléanais, les Tourelles; mais d'autres jugeaient qu'il +avait été bien simple de croire que ses boulets de pierre, après avoir +traversé les eaux et les sables d'un large fleuve, renverseraient le +mur épais contre lequel ils arrivaient essoufflés et mourants, et +qu'il avait été bien fou de vouloir emporter de force <span class="pagenum"><a id="page147" name="page147"></a>(p. 147)</span> une +ville qu'on ne pouvait réduire que par la famine. Et ils songeaient: +«Il est mort. Dieu ait son âme! Mais il nous a mis dans de vilains +draps.»</p> + +<p>On conta que maître Jean des Builhons, astrologue fameux, avait prédit +cette mort<a id="footnotetag486" name="footnotetag486"></a><a href="#footnote486" title="Lien vers la note 486"><span class="smaller">[486]</span></a>, et que le comte de Salisbury, la nuit d'avant le jour +funeste, avait rêvé qu'un loup l'égratignait. Un clerc normand fit de +cette male mort deux chansons, l'une contre et l'autre pour les +Anglais. La première, qui est la meilleure, se termine par un couplet +digne, en sa profonde sagesse, du roi Salomon lui-même<a id="footnotetag487" name="footnotetag487"></a><a href="#footnote487" title="Lien vers la note 487"><span class="smaller">[487]</span></a>:</p> + +<p class="poem10"> + Certes le duc de Bedefort,<br> + Se sage est, il se tendra<br> + Avec sa femme en ung fort,<br> + Chaudement le mieulx<a id="footnotetag488" name="footnotetag488"></a><a href="#footnote488" title="Lien vers la note 488"><span class="smaller">[488]</span></a> que il porra,<br> + De bon ypocras finera.<br> + Garde son corps, lesse la guerre:<br> + Povre et riche porrist en terre.</p> + +<p>Le lendemain de la perte des Tourelles et quand on y avait déjà +remédié autant que possible, le lieutenant général du roi entra dans +la ville. C'était le seigneur Jean, bâtard d'Orléans, comte de Porcien +et de Mortaing, grand chambellan de France, fils du duc Louis, +assassiné en 1407 par l'ordre de Jean-Sans-Peur et dont la mort avait +armé les Armagnacs contre les Bourguignons. <span class="pagenum"><a id="page148" name="page148"></a>(p. 148)</span> La dame de Cany, +sa mère, l'avait «robé» à la duchesse d'Orléans. Non seulement, il ne +nuisait en rien aux enfants d'être conçus en adultère et autrement +qu'en légitime mariage, mais encore c'était grand honneur que de se +pouvoir dire bâtard de prince. Jamais on n'avait vu tant de bâtards +qu'en ces temps de guerre et l'on faisait courir ce dicton: Les +enfants sont comme le froment: semez du blé volé, il poussera aussi +bien que d'autre<a id="footnotetag489" name="footnotetag489"></a><a href="#footnote489" title="Lien vers la note 489"><span class="smaller">[489]</span></a>. Le Bâtard d'Orléans avait alors tout au plus +vingt-six ans. L'année précédente, en petite compagnie, il avait couru +porter des vivres aux habitants de Montargis, assiégés par le comte de +Warwick. La ville qu'il venait seulement ravitailler, il l'avait +délivrée, avec l'aide du capitaine La Hire, ce qui était de bon augure +pour Orléans<a id="footnotetag490" name="footnotetag490"></a><a href="#footnote490" title="Lien vers la note 490"><span class="smaller">[490]</span></a>. Le Bâtard était déjà le plus adroit seigneur de son +temps. Il savait la grammaire et l'astrologie et parlait mieux que +personne<a id="footnotetag491" name="footnotetag491"></a><a href="#footnote491" title="Lien vers la note 491"><span class="smaller">[491]</span></a>. Il tenait de son père par son esprit aimable et clair, +mais il était plus prudent et plus tempéré. En le voyant si aimable, +courtois et avisé, on disait qu'il était en la grâce de toutes les +dames et même de la reine<a id="footnotetag492" name="footnotetag492"></a><a href="#footnote492" title="Lien vers la note 492"><span class="smaller">[492]</span></a>. Il était apte à tout, à la guerre +comme aux <span class="pagenum"><a id="page149" name="page149"></a>(p. 149)</span> négociations, merveilleusement adroit, et d'une +dissimulation consommée.</p> + +<p>Monseigneur le Bâtard amenait quelques chevaliers, capitaines et +écuyers de renom, c'est-à-dire de haute maison ou grande vaillance, le +maréchal de Boussac, messire Jacques de Chabannes, sénéchal de +Bourbonnais, le seigneur de Chaumont, messire Théaulde de Valpergue, +chevalier lombard, le capitaine La Hire, qui guerroyait et pillait +merveilleusement, et venait de si bien faire à la rescousse de +Montargis; et Jean, sire de Bueil, un de ces jouvenceaux venus au roi +sur un cheval boiteux et qui avaient reçu les leçons de deux dames +expertes: Souffrance et Pauvreté. Ils arrivaient suivis de huit cents +hommes, archers, arbalétriers et fantassins d'Italie, portant de +grandes targes, comme les Saint Georges des églises de Venise et de +Florence. C'était tout ce qu'on avait pu ramasser pour le moment de +seigneurs et de routiers<a id="footnotetag493" name="footnotetag493"></a><a href="#footnote493" title="Lien vers la note 493"><span class="smaller">[493]</span></a>.</p> + +<p>L'armée de Salisbury, ayant perdu son chef, se dissipait en troubles +et en désertions. L'hiver venait; les capitaines voyant que, pour +l'heure, il n'y avait rien à tenter, quittèrent la place avec ce qui +leur restait d'hommes et s'allèrent abriter sous les murs de Meung et +de Jargeau<a id="footnotetag494" name="footnotetag494"></a><a href="#footnote494" title="Lien vers la note 494"><span class="smaller">[494]</span></a>. Le 8 novembre au soir, il ne <span class="pagenum"><a id="page150" name="page150"></a>(p. 150)</span> demeurait +devant la ville que la garnison des Tourelles, composée de cinq cents +hommes des lances de Normandie, sous le commandement de William Molyns +et de William Glasdall. Les Français pouvaient les assiéger et les +réduire: ils ne bougèrent pas. Le gouverneur, le vieux sire de +Gaucourt, venait de se casser le bras en tombant sur le pavé de la rue +des Hôtelleries; il ne pouvait se remuer<a id="footnotetag495" name="footnotetag495"></a><a href="#footnote495" title="Lien vers la note 495"><span class="smaller">[495]</span></a>. Mais les autres?</p> + +<p>La vérité est que personne ne savait que faire. Sans doute ces gens de +guerre connaissaient plusieurs moyens de secourir une ville assiégée, +mais qui tous revenaient à un coup de main<a id="footnotetag496" name="footnotetag496"></a><a href="#footnote496" title="Lien vers la note 496"><span class="smaller">[496]</span></a>. Ils ne s'entendaient +qu'aux rescousses, aux escarmouches, aux embuscades, aux vaillantises +d'armes. S'ils ne réussissaient pas à faire lever un siège tout de +suite, par surprise, ils restaient cois, à bout de ressources et +d'invention. Leurs plus expérimentés capitaines n'étaient pas capables +d'un effort commun, d'une action concertée, de toute entreprise enfin +exigeant quelque esprit de suite et la subordination de tous à un +seul. Chacun n'en faisait qu'à sa tête et ne songeait qu'au butin. La +défense d'Orléans passait de beaucoup leur entendement.</p> + +<p>Durant vingt et un jours, le capitaine Glasdall resta retranché, avec +ses cinq cents Anglais, sous ses Tourelles écornées, entre son +boulevard du Portereau, qui <span class="pagenum"><a id="page151" name="page151"></a>(p. 151)</span> n'avait pu être tout de suite +bien redoutable, et son boulevard du Pont, qui n'était qu'une barrière +de bois qu'un tison pouvait faire flamber.</p> + +<p>Cependant les bourgeois travaillaient. Ils accomplirent, après le +départ des Anglais, un labeur énorme et douloureux. Pensant avec +raison que l'ennemi reviendrait, non plus par la Sologne, mais par la +Beauce, ils détruisirent tous leurs faubourgs du couchant, du nord et +du levant, comme ils avaient déjà détruit ou commencé de détruire le +Portereau. Ils incendièrent et abattirent vingt-deux églises et +moutiers, entre autres l'église Saint-Aignan et son cloître si beau +que c'était pitié de le voir abîmé, l'église Saint-Euverte, l'église +Saint-Laurent-des-Orgerils, non sans promettre aux benoîts patrons de +la ville de leur en rebâtir de plus belles quand ils seraient délivrés +des Anglais<a id="footnotetag497" name="footnotetag497"></a><a href="#footnote497" title="Lien vers la note 497"><span class="smaller">[497]</span></a>.</p> + +<p>Le 30 novembre, le capitaine Glasdall vit venir aux Tourelles sir John +Talbot, qui lui amenait trois cents combattants munis de canons, +bombardes et autres engins de guerre, et, dès lors, le bombardement +reprit plus violent que la première fois, crevant des toits, écornant +des murs et faisant plus de bruit que de besogne. Dans la rue +Aux-Petits-Souliers, une pierre de bombarde tomba sur la table autour +de laquelle cinq personnes <span class="pagenum"><a id="page152" name="page152"></a>(p. 152)</span> dînaient et qui n'eurent point de +mal. On estima que c'était un miracle accompli par Notre-Seigneur à la +requête de saint Aignan, patron de la ville<a id="footnotetag498" name="footnotetag498"></a><a href="#footnote498" title="Lien vers la note 498"><span class="smaller">[498]</span></a>. Ceux d'Orléans +avaient de quoi répondre. Douze canonniers de métier desservaient, +avec des servants à eux, les soixante-dix canons et bombardes qui +composaient l'artillerie de la ville. Un très subtil ouvrier nommé +Guillaume Duisy avait fondu pour eux une bombarde qui fut placée à la +croiche ou éperon de la poterne Chesneau et qui jetait sur les +Tourelles des pierres de cent vingt livres. Près de cette bombarde on +mit deux canons, l'un s'appelait <i>Montargis</i>, parce que c'était les +habitants de Montargis qui l'avaient prêté, l'autre portait le nom +d'un diable très populaire <i>Rifflart</i><a id="footnotetag499" name="footnotetag499"></a><a href="#footnote499" title="Lien vers la note 499"><span class="smaller">[499]</span></a>. Un couleuvrinier, natif de +Lorraine et demeurant à Angers, avait été envoyé par le roi à Orléans +où il recevait douze livres de solde par mois. Il avait nom Jean de +Montesclère; tenu pour le meilleur maître qui fût alors de son métier, +il gouvernait une grosse couleuvrine qui causait grand dommage aux +Anglais<a id="footnotetag500" name="footnotetag500"></a><a href="#footnote500" title="Lien vers la note 500"><span class="smaller">[500]</span></a>. Maître Jean était de plus un homme jovial. Parfois, +quand tombait une pierre de canon dans son voisinage, il se <span class="pagenum"><a id="page153" name="page153"></a>(p. 153)</span> +laissait choir à terre et se faisait porter en ville, à la grande joie +des Anglais qui le croyaient mort. Mais leur joie était courte, car +maître Jean revenait bientôt à son poste et les bombardait comme +devant<a id="footnotetag501" name="footnotetag501"></a><a href="#footnote501" title="Lien vers la note 501"><span class="smaller">[501]</span></a>. Ces couleuvrines se chargeaient avec des balles de plomb, +au moyen d'une baguette de fer. C'était de très petits canons ou, si +l'on veut, de grands fusils posés sur un chariot. On les maniait +aisément<a id="footnotetag502" name="footnotetag502"></a><a href="#footnote502" title="Lien vers la note 502"><span class="smaller">[502]</span></a>. Aussi, maître Jean portait-il la sienne partout où il +en était besoin.</p> + +<p>Le 25 décembre, pour célébrer la Nativité de Notre-Seigneur, on fit +trêve. Comme les deux peuples avaient même foi et même religion, ils +cessaient d'être ennemis aux jours de fête et la courtoisie renaissait +entre chevaliers des deux camps chaque fois que le calendrier leur +rappelait qu'ils étaient chrétiens. La Noël est une féerie joyeuse. Le +capitaine Glasdall désira la chômer avec des chansons, selon la +coutume d'Angleterre. Il demanda à Monseigneur Jean, bâtard d'Orléans, +et au maréchal de Boussac, de vouloir bien lui envoyer une troupe de +ménétriers, ce qu'ils firent gracieusement. Les ménétriers d'Orléans +se rendirent aux Tourelles avec leurs trompettes et leurs clairons et +jouèrent aux Anglais des Noëls qui leur réjouirent le cœur. Les +Orléanais, qui vinrent sur le pont écouter la musique, trouvèrent que +c'était grande mélodie. Mais, <span class="pagenum"><a id="page154" name="page154"></a>(p. 154)</span> sitôt la trêve expirée, chacun +prit garde à soi. Car, d'une rive à l'autre, les canons reposés +lancèrent avec une nouvelle vigueur les boulets de pierre et de +cuivre<a id="footnotetag503" name="footnotetag503"></a><a href="#footnote503" title="Lien vers la note 503"><span class="smaller">[503]</span></a>.</p> + +<p>Ce que les Orléanais avaient prévu se réalisa le 30 décembre. Ce +jour-là, les Anglais vinrent en force par la Beauce à +Saint-Laurent-des-Orgerils. Toute la chevalerie française alla +au-devant d'eux et fit des prouesses; mais les Anglais occupèrent +Saint-Laurent: le véritable siège commençait<a id="footnotetag504" name="footnotetag504"></a><a href="#footnote504" title="Lien vers la note 504"><span class="smaller">[504]</span></a>. Ils construisirent +un boulevard sur la rive gauche de la Loire, à l'ouest de Portereau, +en un lieu nommé le champ de Saint-Privé. Ils en construisirent un +autre dans l'île Charlemagne. Sur la rive droite, ils établirent à +Saint-Laurent-des-Orgerils un camp retranché; puis, à une portée +d'arbalète sur la route de Blois, en un lieu dit la Croix-Boissée, ils +construisirent un autre boulevard. À deux portées d'arbalète, au nord, +sur la route du Mans, au lieu dit des Douze-Pierres, ils élevèrent une +bastille qu'ils nommèrent Londres<a id="footnotetag505" name="footnotetag505"></a><a href="#footnote505" title="Lien vers la note 505"><span class="smaller">[505]</span></a>.</p> + +<p>Ces travaux achevés, Orléans n'était cerné qu'à moitié. Autant dire +qu'il ne l'était pas du tout: on y entrait et on en sortait à peu près +comme on voulait. <span class="pagenum"><a id="page155" name="page155"></a>(p. 155)</span> De petites compagnies de secours, envoyées +par le roi, arrivaient sans encombre. Le 5 janvier, l'amiral de Culant +traverse la Loire devant Saint-Loup avec cinq cents combattants et +pénètre dans la ville par la porte de Bourgogne. Le 8 février, William +Stuart, frère du connétable d'Écosse, et plusieurs chevaliers et +écuyers font leur entrée avec mille combattants très bien équipés. Ils +sont suivis le lendemain par trois cent vingt soldats. Les vivres et +les munitions ne cessent d'arriver. En janvier, le 3, neuf cent +cinquante-quatre pourceaux et quatre cents moutons; le 10, poudres et +victuailles; le 12, six cents pourceaux; le 24, six cents têtes de +gros bétail et deux cents pourceaux; le 31, huit chevaux chargés +d'huiles et de graisses<a id="footnotetag506" name="footnotetag506"></a><a href="#footnote506" title="Lien vers la note 506"><span class="smaller">[506]</span></a>.</p> + +<p>Lord Scales, William Pole et sir John Talbot, qui conduisaient le +siège depuis la mort du comte de Salisbury<a id="footnotetag507" name="footnotetag507"></a><a href="#footnote507" title="Lien vers la note 507"><span class="smaller">[507]</span></a>, s'apercevaient que +des mois s'écouleraient et des mois encore avant que l'investissement +fût complet et la place enfermée dans un cercle de bastilles reliées +entre elles par un fossé continu. En attendant, les malheureux Godons +enfonçaient dans la boue et la neige et gelaient dans leurs mauvais +abris de terre et de bois qu'on nommait des taudis. Ils risquaient, +leurs affaires allant de ce train, d'y être plus dépourvus et +<span class="pagenum"><a id="page156" name="page156"></a>(p. 156)</span> plus affamés que les assiégés. Aussi, de même que le défunt +comte de Salisbury, s'efforçaient-ils parfois encore de brusquer les +choses. De temps en temps, ils essayaient, sans grand espoir, de +prendre la ville d'assaut.</p> + +<p>Du côté de la porte Renart, le mur était moins haut qu'ailleurs et, +comme ils se trouvaient en force et puissance de ce côté, ils +attaquaient ce mur de préférence. Il faut dire qu'ils n'y mettaient +guère de malice. Ils se ruaient sur la porte Renart en criant +furieusement: «Saint Georges!» se heurtaient aux barrières et se +faisaient reconduire à leurs boulevards par les gens du roi et les +gens de la commune<a id="footnotetag508" name="footnotetag508"></a><a href="#footnote508" title="Lien vers la note 508"><span class="smaller">[508]</span></a>. Ces assauts, mal préparés, leur faisaient +perdre chaque fois quelques gens d'armes bien inutilement. Et déjà ils +manquaient d'hommes et de chevaux.</p> + +<p>Ils n'avaient pas réussi à effrayer les Orléanais en les bombardant +sur deux côtés à la fois, au midi et au couchant. On fut longtemps à +rire, dans la ville, d'une grosse pierre de canon tombée à la porte +Bannier, au milieu de plus de cent personnes, sans en toucher aucune, +si ce n'est un compagnon à qui elle ôta son soulier et qui en fut +quitte pour se rechausser<a id="footnotetag509" name="footnotetag509"></a><a href="#footnote509" title="Lien vers la note 509"><span class="smaller">[509]</span></a>.</p> + +<p>Cependant les seigneurs français faisaient à leur plaisir des +vaillantises d'armes. Ils couraient aux <span class="pagenum"><a id="page157" name="page157"></a>(p. 157)</span> champs, selon leur +fantaisie, sous le moindre prétexte, mais toujours pour ramasser +quelque butin, car ils ne songeaient guère qu'à cela. Un jour, entre +autres, vers la fin de janvier, comme il faisait grand froid, quelques +maraudeurs anglais vinrent dans les vignes de Saint-Ladre et de +Saint-Jean-de-la-Ruelle enlever des échalas pour se chauffer. Le +guetteur les signale: aussitôt voilà toutes les bannières au vent. Le +maréchal de Boussac, messire Jacques de Chabannes, sénéchal du +Bourbonnais, messire Denis de Chailly, maint autre seigneur et avec +eux routiers et capitaines, courent aux champs. Chacun d'eux n'avait +certainement pas vingt hommes à commander<a id="footnotetag510" name="footnotetag510"></a><a href="#footnote510" title="Lien vers la note 510"><span class="smaller">[510]</span></a>.</p> + +<p>Le Conseil royal travaillait avec ardeur à secourir Orléans. Le roi +appela sa noblesse d'Auvergne, demeurée fidèle aux fleurs de Lis +depuis le jour où, dauphin et chanoine de Notre-Dame-d'Ancis, presque +enfant encore, il était allé avec quelques chevaliers ramener à +l'obéissance deux ou trois seigneurs révoltés sur leurs puys +sauvages<a id="footnotetag511" name="footnotetag511"></a><a href="#footnote511" title="Lien vers la note 511"><span class="smaller">[511]</span></a>. À l'appel du roi, la noblesse auvergnate sortit de ses +montagnes et, sous l'étendard du comte de Clermont, arriva, dans les +premiers jours de février, à Blois, où elle se réunit aux Écossais de +John Stuart de Darnley, connétable d'Écosse, et aux gens <span class="pagenum"><a id="page158" name="page158"></a>(p. 158)</span> du +Bourbonnais, venus sous les bannières des seigneurs de la +Tour-d'Auvergne et de Thouars<a id="footnotetag512" name="footnotetag512"></a><a href="#footnote512" title="Lien vers la note 512"><span class="smaller">[512]</span></a>.</p> + +<p>On apprit à ce moment que sir John Falstolf amenait de Paris aux +Anglais d'Orléans un convoi de vivres et de munitions. Monseigneur le +Bâtard quitta Orléans, accompagné de deux cents hommes d'armes, et +alla s'entendre avec le comte de Clermont sur ce qu'il y avait à +faire. Il fut décidé qu'on attaquerait d'abord le convoi. Toute +l'armée de Blois, sous le commandement du comte de Clermont et la +conduite de monseigneur le Bâtard, marcha sur Étampes à la rencontre +de sir John Falstolf<a id="footnotetag513" name="footnotetag513"></a><a href="#footnote513" title="Lien vers la note 513"><span class="smaller">[513]</span></a>.</p> + +<p>Le 11 février, quinze cents combattants commandés par messire +Guillaume d'Albret, sir William Stuart, frère du connétable d'Écosse, +le maréchal de Boussac, le seigneur de Gravelle, les deux capitaines +Saintrailles, le capitaine La Hire, le seigneur de Verduzan et autres +chevaliers et écuyers, sortirent d'Orléans, mandés par le Bâtard, avec +ordre de rejoindre l'armée du comte de Clermont sur la route +d'Étampes, au village de Rouvray-Saint-Denis, proche Angerville<a id="footnotetag514" name="footnotetag514"></a><a href="#footnote514" title="Lien vers la note 514"><span class="smaller">[514]</span></a>.</p> + +<p>Ils arrivèrent à Rouvray le lendemain samedi 12 février, veille des +Brandons, quand l'armée du comte de <span class="pagenum"><a id="page159" name="page159"></a>(p. 159)</span> Clermont était encore +assez loin; là, de bon matin, les Gascons de Poton et de La Hire +aperçurent la tête du convoi qui, par la route d'Étampes, s'avançait +dans la plaine. Trois cents charrettes et chariots de vivres et +d'armes roulaient à la file conduits par des soldats anglais, par des +marchands et des paysans normands, picards et parisiens, quinze cents +hommes au plus, tranquilles et sans méfiance. Il vint aux Gascons +l'idée naturelle de tomber sur ces gens et de les culbuter au moment +où ils s'y attendaient le moins<a id="footnotetag515" name="footnotetag515"></a><a href="#footnote515" title="Lien vers la note 515"><span class="smaller">[515]</span></a>. En toute hâte, ils envoyèrent +demander au comte de Clermont la permission d'attaquer. Beau comme +Absalon et comme Pâris de Troye, plein de faconde et de jactance, le +comte de Clermont, jouvenceau non des plus sages, armé chevalier le +jour même, en était à sa première affaire<a id="footnotetag516" name="footnotetag516"></a><a href="#footnote516" title="Lien vers la note 516"><span class="smaller">[516]</span></a>. Il fit dire sottement +aux Gascons de ne point attaquer avant sa venue. Les Gascons obéirent +à grand déplaisir, voyant ce qu'on perdait à attendre. Car, +s'apercevant enfin qu'ils sont dans la gueule du loup, les chefs +anglais, sir John Falstolf, sir Richard Guethin, bailli d'Évreux, sir +Simon Morhier, prévôt de Paris, se mettent en belle ordonnance de +bataille. Ils font, dans la plaine, avec leurs charrettes, un parc +long et étroit où ils retranchent les gens de cheval, et au <span class="pagenum"><a id="page160" name="page160"></a>(p. 160)</span> +devant duquel ils placent les archers derrière des pieux fichés en +terre, la pointe inclinée vers l'ennemi<a id="footnotetag517" name="footnotetag517"></a><a href="#footnote517" title="Lien vers la note 517"><span class="smaller">[517]</span></a>. Ce que voyant, le +connétable d'Écosse perd patience et mène ses quatre cents cavaliers +contre les pieux où ils se rompent<a id="footnotetag518" name="footnotetag518"></a><a href="#footnote518" title="Lien vers la note 518"><span class="smaller">[518]</span></a>. Les Anglais, découvrant +qu'ils n'ont affaire qu'à une petite troupe, font sortir leur +cavalerie et chargent si roidement qu'ils culbutent les Français et en +tuent trois cents. Cependant les Auvergnats avaient atteint Rouvray +et, répandus dans le village, ils en mettaient les celliers à sec. +Monseigneur le Bâtard s'en détacha et vint en aide aux Écossais avec +quatre cents combattants. Mais il fut blessé au pied et en grand +danger d'être pris<a id="footnotetag519" name="footnotetag519"></a><a href="#footnote519" title="Lien vers la note 519"><span class="smaller">[519]</span></a>.</p> + +<p>Là tombèrent messire William Stuart et son frère, les seigneurs de +Verduzan, de Châteaubrun, de Rochechouart, Jean Chabot, avec plusieurs +autres de grande noblesse et renommée vaillance<a id="footnotetag520" name="footnotetag520"></a><a href="#footnote520" title="Lien vers la note 520"><span class="smaller">[520]</span></a>. Les Anglais, non +encore saouls de tuerie, s'éparpillèrent à la poursuite des fuyards. +La Hire et Poton, voyant alors les étendards ennemis dispersés dans la +plaine, réunirent ce qu'ils purent, soixante à quatre-vingts +combattants, et se jetèrent sur un petit parti d'Anglais qu'ils +écrasèrent. <span class="pagenum"><a id="page161" name="page161"></a>(p. 161)</span> À ce moment, si les autres Français avaient +rallié, l'honneur et le profit de la journée leur serait peut-être +revenu<a id="footnotetag521" name="footnotetag521"></a><a href="#footnote521" title="Lien vers la note 521"><span class="smaller">[521]</span></a>. Mais le comte de Clermont, qui n'avait pas fait mine de +secourir les hommes du connétable d'Écosse et du Bâtard, déploya +jusqu'au bout son inébranlable lâcheté. Les ayant vu tous tuer, il +s'en retourna avec son armée à Orléans, où il arriva fort avant dans +la nuit (12 février)<a id="footnotetag522" name="footnotetag522"></a><a href="#footnote522" title="Lien vers la note 522"><span class="smaller">[522]</span></a>. Le seigneur de La Tour-d'Auvergne, le +vicomte de Thouars, le maréchal de Boussac, le Bâtard se tenant à +grand'peine sur sa monture, suivaient avec leurs troupes en désarroi. +Jamet du Tillay, La Hire et Poton venaient les derniers, veillant à ce +que les Anglais des bastilles ne leur tombassent dessus, ce qui eût +achevé la déconfiture<a id="footnotetag523" name="footnotetag523"></a><a href="#footnote523" title="Lien vers la note 523"><span class="smaller">[523]</span></a>.</p> + +<p>Comme on entrait dans le saint temps du carême, les vivres, amenés de +Paris aux Anglais d'Orléans par sir John Falstolf, se composaient +surtout de harengs saurs qui, durant la bataille, avaient beaucoup +pâti dans leurs caques défoncées. Pour faire honneur aux Français +d'avoir déconfit tant de Dieppois, les joyeux Anglais nommèrent cette +journée la journée des Harengs<a id="footnotetag524" name="footnotetag524"></a><a href="#footnote524" title="Lien vers la note 524"><span class="smaller">[524]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page162" name="page162"></a>(p. 162)</span> Le comte de Clermont, bien qu'il fût beau cousin du roi, +reçut mauvais accueil des Orléanais. On jugeait sa conduite honteuse +et malhonnête et quelques-uns le lui firent entendre. Le lendemain, il +s'esquiva avec ses Auvergnats et ses Bourbonnais, aux applaudissements +du peuple qui ne voulait pas nourrir ceux qui ne se battaient +pas<a id="footnotetag525" name="footnotetag525"></a><a href="#footnote525" title="Lien vers la note 525"><span class="smaller">[525]</span></a>. En même temps, messire Louis de Culant, amiral de France, et +le capitaine La Hire, quittaient la ville avec deux mille hommes +d'armes et, quand on sut leur départ, ce furent de telles huées, qu'il +leur fallut, pour apaiser les bourgeois, leur promettre qu'ils les +allaient secourir de gens et de vivres, ce qui était la pure vérité. +Messire Regnault de Chartres, qui était venu dans la ville à un moment +qu'on ne saurait dire, partit avec eux, ce dont on ne pouvait lui +faire grief, puisque, chancelier de France, sa place était au Conseil +du Roi. Mais ce qui devait paraître assez étrange, c'est que le +successeur de Monsieur saint Euverte et de Monsieur saint Aignan, +messire de Saint-Michel, quitta alors son siège épiscopal et délaissa +son épouse affligée<a id="footnotetag526" name="footnotetag526"></a><a href="#footnote526" title="Lien vers la note 526"><span class="smaller">[526]</span></a>. Quand les rats s'en vont, c'est que le +navire va couler. Il ne restait plus dans la ville que monseigneur le +Bâtard et le maréchal de Boussac. Encore le maréchal ne devait-il pas +demeurer très longtemps. Il partit au bout d'un <span class="pagenum"><a id="page163" name="page163"></a>(p. 163)</span> mois, disant +qu'il lui fallait aller près du roi et aussi prendre possession de +plusieurs terres qui lui étaient échues du chef de sa femme, par la +mort du seigneur de Châteaubrun son beau-frère, qui avait été tué à la +journée des Harengs<a id="footnotetag527" name="footnotetag527"></a><a href="#footnote527" title="Lien vers la note 527"><span class="smaller">[527]</span></a>. Ceux de la ville tinrent cette raison pour +bonne et suffisante; il leur promit de revenir bientôt, et ils furent +contents. Or, le maréchal de Boussac était un des seigneurs les plus +attachés au bien du royaume<a id="footnotetag528" name="footnotetag528"></a><a href="#footnote528" title="Lien vers la note 528"><span class="smaller">[528]</span></a>. Mais quiconque avait terre se devait +à sa terre.</p> + +<p>Les bourgeois, se croyant trahis et délaissés, avisèrent à leur +sûreté. Et puisque le roi ne les savait garder, ils résolurent, pour +échapper aux Anglais, de se donner à plus puissant que lui. Ils +envoyèrent à monseigneur Philippe, duc de Bourgogne, le capitaine +Poton de Saintrailles, qui lui était connu pour avoir été son +prisonnier, et deux procureurs de la ville, Jean de Saint-Avy et Guion +du Fossé, avec mission de le prier et requérir qu'il voulût bien les +regarder favorablement et que, pour l'amour de son bon parent, leur +seigneur Charles, due d'Orléans, prisonnier en Angleterre et empêché +de garder lui-même ses terres, il lui plût amener les Anglais à lever +le siège, jusqu'à ce que le trouble du royaume fût éclairci. C'était +leur ville qu'ils offraient de remettre en dépôt aux mains du duc de +<span class="pagenum"><a id="page164" name="page164"></a>(p. 164)</span> Bourgogne, selon les vœux secrets de Monseigneur +Philippe, qui, ayant envoyé quelques centaines de lances +bourguignonnes sous Orléans, aidait les Anglais à prendre la ville et +n'entendait pas les y aider gratuitement<a id="footnotetag529" name="footnotetag529"></a><a href="#footnote529" title="Lien vers la note 529"><span class="smaller">[529]</span></a>.</p> + +<p>Les Orléanais, en attendant le jour incertain et lointain où ils +seraient ainsi gardés, continuèrent à se garder eux-mêmes de leur +mieux. Mais ils étaient soucieux et non sans raison. Car s'ils +veillaient à ce que l'ennemi ne pût entrer, ils ne découvraient aucun +moyen de le chasser bientôt. Dans les premiers jours de mars, ils +observèrent avec inquiétude que les Anglais creusaient un fossé pour +aller à couvert d'une bastille à l'autre depuis la Croix-Boissée +jusqu'à Saint-Ladre. Ils essayèrent de détruire cet ouvrage. Ils +attaquèrent les Godons avec vigueur et firent quelques prisonniers. +Maître Jean tua de sa couleuvrine, en deux coups, cinq personnes, +parmi lesquelles lord Gray, neveu du feu comte de Salisbury<a id="footnotetag530" name="footnotetag530"></a><a href="#footnote530" title="Lien vers la note 530"><span class="smaller">[530]</span></a>; mais +ils n'empêchèrent pas les Anglais d'accomplir leur travail. Ils +voyaient le siège se poursuivre avec une terrible rigueur. Agités de +doutes et de craintes, brûlés d'inquiétude, sans sommeil, sans repos +et n'avançant à rien, ils commençaient à désespérer. Tout à coup naît, +s'étend, grandit une rumeur étrange.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page165" name="page165"></a>(p. 165)</span> On apprend que par la ville de Gien a passé nouvellement une +pucelle annonçant qu'elle se rendait à Chinon auprès du gentil dauphin +et se disant envoyée de Dieu pour faire lever le siège d'Orléans et +sacrer le roi à Reims<a id="footnotetag531" name="footnotetag531"></a><a href="#footnote531" title="Lien vers la note 531"><span class="smaller">[531]</span></a>.</p> + +<p>Dans le langage familier, une pucelle était une fille d'humble +condition, gagnant sa vie à travailler de ses mains, et +particulièrement une servante. Aussi nommait-on pucelles les fontaines +de plomb dont on se servait dans les cuisines. Le terme était vulgaire +sans doute; mais il ne se prenait pas en mauvaise part. En dépit du +méchant dire de Clopinel: «Je lègue ma pucelle à mon curé», il +s'appliquait à une fille sage, de bonnes vie et mœurs<a id="footnotetag532" name="footnotetag532"></a><a href="#footnote532" title="Lien vers la note 532"><span class="smaller">[532]</span></a>.</p> + +<p>Cette nouvelle qu'une petite sainte d'humble condition, une pauvresse +de Notre-Seigneur, apportait secours divin aux Orléanais, frappa +vivement les esprits que la peur tournait à la dévotion et qu'exaltait +la fièvre du siège. La Pucelle annoncée leur inspira une curiosité +ardente que Monseigneur le Bâtard, en homme avisé, jugea bon +d'entretenir. Il envoya à Chinon deux gentilshommes chargés de +s'enquérir de la jeune fille. L'un, messire Archambaud de Villars, +capitaine de Montargis, qu'il avait déjà, durant le siège, expédié au +roi, était un très vieux chevalier, familier autrefois <span class="pagenum"><a id="page166" name="page166"></a>(p. 166)</span> du +duc Louis d'Orléans, un des sept Français qui combattirent contre les +sept Anglais en l'an 1402, à Montendre<a id="footnotetag533" name="footnotetag533"></a><a href="#footnote533" title="Lien vers la note 533"><span class="smaller">[533]</span></a>; un Orléanais de la +première heure qui, malgré son grand âge, avait vigoureusement défendu +les Tourelles, le 21 octobre. L'autre, messire Jamet du Tillay, écuyer +breton, venait de se faire honneur en couvrant avec ses hommes la +retraite de Rouvray. Ils partirent et la ville entière attendit +anxieusement leur retour<a id="footnotetag534" name="footnotetag534"></a><a href="#footnote534" title="Lien vers la note 534"><span class="smaller">[534]</span></a>.</p> + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page167" name="page167"></a>(p. 167)</span> CHAPITRE VI<br> + +<span class="smaller">LA PUCELLE À CHINON. — PROPHÉTIES.</span></h2> + + +<p>Du village de Sainte-Catherine-de-Fierbois, Jeanne dicta une lettre +pour le roi, ne sachant point écrire. Par cette lettre, elle lui +demandait congé de l'aller trouver à Chinon et l'avisait que, pour lui +venir en aide, elle avait traversé cent cinquante lieues de pays et +qu'elle savait beaucoup de choses bonnes pour lui. On a dit qu'elle +lui annonçait aussi que, même fût-il caché parmi beaucoup d'autres, +elle saurait bien le reconnaître; mais, interrogée plus tard à ce +sujet, elle répondit qu'il ne lui en souvenait plus<a id="footnotetag535" name="footnotetag535"></a><a href="#footnote535" title="Lien vers la note 535"><span class="smaller">[535]</span></a>.</p> + +<p>Vers midi, quand la lettre fut scellée, Jeanne partit avec son escorte +pour Chinon<a id="footnotetag536" name="footnotetag536"></a><a href="#footnote536" title="Lien vers la note 536"><span class="smaller">[536]</span></a>. Elle allait vers le roi, comme y allaient à cette +heure, sur un cheval boiteux <span class="pagenum"><a id="page168" name="page168"></a>(p. 168)</span> trouvé dans un pré, tous ces +fils pauvres des veuves d'Azincourt et de Verneuil, ces jouvenceaux +sortis à quinze ans de leur tour en ruines et qui venaient se refaire +et refaire le royaume; comme y allaient Loyauté, Bon désir et +Famine<a id="footnotetag537" name="footnotetag537"></a><a href="#footnote537" title="Lien vers la note 537"><span class="smaller">[537]</span></a>. Charles VII, c'était la France, l'image et le symbole de +la France. À cela près, un pauvre homme. Né l'onzième des malheureux +enfants qu'un malade faisait, entre deux accès de manie furieuse, à +une Bavaroise poulinière<a id="footnotetag538" name="footnotetag538"></a><a href="#footnote538" title="Lien vers la note 538"><span class="smaller">[538]</span></a>, il avait grandi dans les désastres et +survécu à ses quatre frères aînés, bien que lui-même assez mal venu, +cagneux, les jambes faibles<a id="footnotetag539" name="footnotetag539"></a><a href="#footnote539" title="Lien vers la note 539"><span class="smaller">[539]</span></a>; vrai fils de roi, si l'on s'en +rapporte à sa mine, encore n'en faudrait-il pas jurer<a id="footnotetag540" name="footnotetag540"></a><a href="#footnote540" title="Lien vers la note 540"><span class="smaller">[540]</span></a>. D'avoir +été sur le pont de Montereau ce jour où, disait un juste, mieux eût +valu être mort que d'y avoir été<a id="footnotetag541" name="footnotetag541"></a><a href="#footnote541" title="Lien vers la note 541"><span class="smaller">[541]</span></a>, il demeurait pâle et tremblant, +et regardait d'un œil morne tout aller autour de lui à la male +heure. Après leur victoire de Verneuil et la conquête inachevée du +Maine, les <span class="pagenum"><a id="page169" name="page169"></a>(p. 169)</span> Anglais, appauvris et fatigués, lui avaient +laissé quatre ans de répit. Mais ses amis, ses défenseurs, ses +sauveurs avaient été terribles. Pieux et modeste, se contentant pour +lors de sa femme qui n'était pas belle, il menait dans ses châteaux de +la Loire une vie inquiète et triste; il était peureux. On l'eût été à +moins: dès qu'il donnait un peu d'amitié ou de confiance à un +seigneur, on le lui tuait. Le connétable de Richemont et le sire de la +Trémouille lui avaient noyé le sire de Giac après une manière de +procès<a id="footnotetag542" name="footnotetag542"></a><a href="#footnote542" title="Lien vers la note 542"><span class="smaller">[542]</span></a>; le maréchal de Boussac, sur l'ordre du connétable, lui +avait tué Lecamus de Beaulieu avec moins de façons. Lecamus se +promenait sur sa mule, dans un pré au bord du Clain, quand des hommes +se jetèrent sur lui, l'abattirent, la tête fendue et la main coupée; +on ramena au roi la mule du favori<a id="footnotetag543" name="footnotetag543"></a><a href="#footnote543" title="Lien vers la note 543"><span class="smaller">[543]</span></a>. Le connétable de Richemont +lui avait donné La Trémouille, un tonneau, une outre, une espèce de +Gargantua qui dévorait le pays. La Trémouille ayant chassé Richemont, +le roi gardait La Trémouille, en attendant le retour de Richemont dont +il avait grand'peur. Et, de vrai, un prince paisible et timide comme +il était, <span class="pagenum"><a id="page170" name="page170"></a>(p. 170)</span> devait craindre ce Breton toujours battu, toujours +furieux, âpre, féroce, à qui sa maladresse et sa violence donnaient un +air de rude franchise<a id="footnotetag544" name="footnotetag544"></a><a href="#footnote544" title="Lien vers la note 544"><span class="smaller">[544]</span></a>.</p> + +<p>En 1428, Richemont voulut reprendre de force sa place auprès du roi. +Les comtes de Clermont et de Pardiac se joignirent au connétable. La +belle-mère du roi, Yolande d'Aragon, reine, sans royaume, de Sicile et +de Jérusalem et duchesse d'Anjou, entra dans le parti des +mécontents<a id="footnotetag545" name="footnotetag545"></a><a href="#footnote545" title="Lien vers la note 545"><span class="smaller">[545]</span></a>. Le comte de Clermont prit et mit à rançon le +chancelier de France, le premier ministre de la couronne. Il fallut +que le roi payât pour ravoir son chancelier<a id="footnotetag546" name="footnotetag546"></a><a href="#footnote546" title="Lien vers la note 546"><span class="smaller">[546]</span></a>. Le connétable +guerroyait en Poitou contre les gens du roi, tandis que les routiers, +à la solde du roi, ravageaient les pays restés dans son obéissance et +que les Anglais s'avançaient sur la Loire.</p> + +<p>Dans cette condition misérable, le roi Charles, tout mince, étriqué de +corps et d'esprit, fuyant, craintif, défiant, faisait triste figure: +pourtant, il en valait bien un autre, et c'était peut-être le roi +qu'il fallait à cette heure. Un Philippe de Valois, un Jean le Bon +s'étaient donné l'amusement de perdre des provinces à l'épée. +<span class="pagenum"><a id="page171" name="page171"></a>(p. 171)</span> Le pauvre roi Charles n'avait ni le goût ni les moyens de +faire comme eux des vaillantises d'armes, et de chevaucher sur le dos +de la piétaille. Il avait ceci d'excellent qu'il n'aimait pas du tout +les prouesses et qu'il n'était ni ne pouvait être de ces chevalereux +qui faisaient la guerre en beauté. Déjà son grand-père, dépourvu aussi +de toute chevalerie, avait beaucoup nui aux Anglais. Le petit-fils +n'était pas sans doute d'aussi grande sapience que Charles V, mais il +ne manquait point de cautèle et était enclin à penser que souvent on +gagne plus par traités qu'à la pointe de la lance<a id="footnotetag547" name="footnotetag547"></a><a href="#footnote547" title="Lien vers la note 547"><span class="smaller">[547]</span></a>.</p> + +<p>On faisait sur son dénuement des contes ridicules. Un cordonnier, +disait-on, qu'il ne pouvait payer comptant, lui avait tiré du pied le +houseau qu'il venait de lui mettre et était parti, le laissant avec +ses vieux houseaux<a id="footnotetag548" name="footnotetag548"></a><a href="#footnote548" title="Lien vers la note 548"><span class="smaller">[548]</span></a>. On disait encore qu'un jour, La Hire et +Saintrailles l'étant venu voir, l'avaient trouvé dînant avec la reine +et n'ayant que deux poulets et une queue de mouton pour tout +festoiement<a id="footnotetag549" name="footnotetag549"></a><a href="#footnote549" title="Lien vers la note 549"><span class="smaller">[549]</span></a>. C'étaient là des propos à faire rire les bonnes +gens. Le roi possédait encore de grandes et belles provinces: +Auvergne, Lyonnais, <span class="pagenum"><a id="page172" name="page172"></a>(p. 172)</span> Dauphiné, Touraine, Anjou, tous les pays +au sud de la Loire, hors la Guyenne et la Gascogne<a id="footnotetag550" name="footnotetag550"></a><a href="#footnote550" title="Lien vers la note 550"><span class="smaller">[550]</span></a>.</p> + +<p>Sa grande ressource était de convoquer les États. La noblesse ne +donnait rien, alléguant qu'il était ignoble de payer. Si le clergé +contribuait malgré son dénuement, le tiers portait plus que son faix +des charges pécuniaires. La taille, impôt extraordinaire, devenait +annuelle. Le roi assemblait les États tous les ans, souvent deux fois +l'an, mais non sans peine<a id="footnotetag551" name="footnotetag551"></a><a href="#footnote551" title="Lien vers la note 551"><span class="smaller">[551]</span></a>. Les routes étaient mal sûres. Les +voyageurs risquaient, à tout bout de champ, d'être détroussés et +assassinés. Les officiers, qui allaient de ville en ville recouvrer +les deniers, marchaient sous escorte, de crainte des Écossais et des +autres gens d'armes au service du roi<a id="footnotetag552" name="footnotetag552"></a><a href="#footnote552" title="Lien vers la note 552"><span class="smaller">[552]</span></a>. En 1427, un routier nommé +Sabbat, qui tenait garnison à Langeais, faisait trembler la Touraine +et l'Anjou. Aussi les députés des villes n'étaient-ils pas pressés de +se rendre aux États. Encore s'ils avaient cru que leur argent fût +employé pour le bien du royaume! Mais ils savaient que le roi en +ferait d'abord des présents à ses <span class="pagenum"><a id="page173" name="page173"></a>(p. 173)</span> seigneurs. On les invitait +à venir aviser sur le moyen de réprimer les pilleries et roberies dont +ils souffraient<a id="footnotetag553" name="footnotetag553"></a><a href="#footnote553" title="Lien vers la note 553"><span class="smaller">[553]</span></a>; et quand, au risque de leur vie, ils étaient +venus en chambre royale, il leur fallait consentir la taille en +silence. Les officiers du roi menaçaient de les faire noyer, s'ils +ouvraient la bouche. Aux États tenus à Mehun-sur-Yèvre, en 1425, les +gens des bonnes villes dirent qu'ils étaient contents d'aider le roi, +mais qu'ils voudraient bien qu'il fût mis fin aux pilleries, et +messire Hugues de Comberel, évêque de Poitiers, parla comme eux. En +l'entendant, le sire de Giac dit au roi: «Si l'on m'en croyait, on +jetterait Comberel dans la rivière avec les autres qui ont été de son +opinion.» Sur quoi les gens des bonnes villes votèrent deux cent +soixante mille livres<a id="footnotetag554" name="footnotetag554"></a><a href="#footnote554" title="Lien vers la note 554"><span class="smaller">[554]</span></a>. En septembre 1427, réunis à Chinon, ils +accordèrent cinq cent mille livres pour la guerre<a id="footnotetag555" name="footnotetag555"></a><a href="#footnote555" title="Lien vers la note 555"><span class="smaller">[555]</span></a>. Par lettres du +8 janvier 1428, le roi manda aux États généraux de se réunir dans un +délai de six mois, le 18 juillet suivant, à Tours<a id="footnotetag556" name="footnotetag556"></a><a href="#footnote556" title="Lien vers la note 556"><span class="smaller">[556]</span></a>. Le 18 juillet, +personne ne vint. Le 22 juillet, nouveau mandement du roi, assignant +les États à Tours le 10 septembre<a id="footnotetag557" name="footnotetag557"></a><a href="#footnote557" title="Lien vers la note 557"><span class="smaller">[557]</span></a>. L'assemblée n'eut <span class="pagenum"><a id="page174" name="page174"></a>(p. 174)</span> +lieu qu'en octobre 1428 à Chinon, au moment où le comte de Salisbury +marchait sur la Loire. Les États accordèrent cinq cent mille +livres<a id="footnotetag558" name="footnotetag558"></a><a href="#footnote558" title="Lien vers la note 558"><span class="smaller">[558]</span></a>. Mais on s'attendait à ce que bientôt le bon peuple ne pût +plus payer. Par ce temps de guerre et de roberies, bien des terres +étaient en friche, bien des boutiques closes, et l'on ne voyait plus +beaucoup de marchands allant, sur leur bidet, de ville en ville<a id="footnotetag559" name="footnotetag559"></a><a href="#footnote559" title="Lien vers la note 559"><span class="smaller">[559]</span></a>.</p> + +<p>L'impôt ne rentrait pas bien et réellement le roi souffrait par défaut +d'argent. Pour guérir ce grand mal, il employait trois remèdes, dont +le meilleur ne valait rien. Premièrement, comme il devait à tout le +monde, à la reine de Sicile<a id="footnotetag560" name="footnotetag560"></a><a href="#footnote560" title="Lien vers la note 560"><span class="smaller">[560]</span></a>, à La Trémouille<a id="footnotetag561" name="footnotetag561"></a><a href="#footnote561" title="Lien vers la note 561"><span class="smaller">[561]</span></a>, à son +chancelier<a id="footnotetag562" name="footnotetag562"></a><a href="#footnote562" title="Lien vers la note 562"><span class="smaller">[562]</span></a>, à son boucher<a id="footnotetag563" name="footnotetag563"></a><a href="#footnote563" title="Lien vers la note 563"><span class="smaller">[563]</span></a>, au chapitre de Bourges qui +<span class="pagenum"><a id="page175" name="page175"></a>(p. 175)</span> lui fournissait du poisson d'étang<a id="footnotetag564" name="footnotetag564"></a><a href="#footnote564" title="Lien vers la note 564"><span class="smaller">[564]</span></a>, à ses +cuisiniers<a id="footnotetag565" name="footnotetag565"></a><a href="#footnote565" title="Lien vers la note 565"><span class="smaller">[565]</span></a>, à ses galopins<a id="footnotetag566" name="footnotetag566"></a><a href="#footnote566" title="Lien vers la note 566"><span class="smaller">[566]</span></a>, il engageait l'impôt entre les +mains de ses créanciers<a id="footnotetag567" name="footnotetag567"></a><a href="#footnote567" title="Lien vers la note 567"><span class="smaller">[567]</span></a>; deuxièmement, il aliénait son domaine: +ses villes, ses terres étaient à tout le monde, hors à lui<a id="footnotetag568" name="footnotetag568"></a><a href="#footnote568" title="Lien vers la note 568"><span class="smaller">[568]</span></a>; +troisièmement, il faisait de la fausse monnaie. Ce n'était point par +malice, mais par nécessité et conformément à l'usage<a id="footnotetag569" name="footnotetag569"></a><a href="#footnote569" title="Lien vers la note 569"><span class="smaller">[569]</span></a>.</p> + +<p>Le sire de La Trémouille portait le seul titre de +conseiller-chambellan, mais il était aussi le grand usurier du +royaume. Il avait pour débiteurs le roi et une multitude de seigneurs +grands ou petits<a id="footnotetag570" name="footnotetag570"></a><a href="#footnote570" title="Lien vers la note 570"><span class="smaller">[570]</span></a>. C'était donc un homme puissant. En ces temps +difficiles, il rendit à la couronne des services sans doute intéressés +mais précieux. Du mois de janvier au mois d'août 1428, il avança des +sommes s'élevant à vingt-sept mille livres environ pour lesquelles des +châteaux et des terres lui furent données en gages<a id="footnotetag571" name="footnotetag571"></a><a href="#footnote571" title="Lien vers la note 571"><span class="smaller">[571]</span></a>. Par bonheur, +le Conseil du <span class="pagenum"><a id="page176" name="page176"></a>(p. 176)</span> roi était composé d'un assez grand nombre de +légistes et de gens d'Église fort capables d'expédier les affaires. +L'un d'eux, Robert Le Maçon, seigneur de Trèves, Angevin, né dans la +roture, entré au Conseil sous la Régence, fut le premier de ces hommes +sans naissance qui servirent Charles VII de manière à lui valoir le +surnom de Bien-Servi<a id="footnotetag572" name="footnotetag572"></a><a href="#footnote572" title="Lien vers la note 572"><span class="smaller">[572]</span></a>. Un autre, le sire de Gaucourt, avait aidé +son roi à la guerre<a id="footnotetag573" name="footnotetag573"></a><a href="#footnote573" title="Lien vers la note 573"><span class="smaller">[573]</span></a>.</p> + +<p>Il en est un troisième qu'il faut connaître le mieux possible. Sa part +dans cette histoire est grande; elle apparaîtrait plus grande encore +si on la découvrait tout entière. C'est Regnault de Chartres, que nous +avons déjà vu enlevé et mis à finance<a id="footnotetag574" name="footnotetag574"></a><a href="#footnote574" title="Lien vers la note 574"><span class="smaller">[574]</span></a>. Fils d'Hector de Chartres, +maître des Eaux et Forêts en Normandie, il entra dans les ordres, +devint archidiacre de Beauvais, puis camérier du pape Jean XXIII et +fut élevé en 1414, à l'âge de trente-quatre ans environ, au siège +archiépiscopal de Reims<a id="footnotetag575" name="footnotetag575"></a><a href="#footnote575" title="Lien vers la note 575"><span class="smaller">[575]</span></a>. L'année suivante, trois de ses frères +restèrent dans les boues sanglantes d'Azincourt. Hector de Chartres +périt à Paris en 1418 massacré par les bouchers<a id="footnotetag576" name="footnotetag576"></a><a href="#footnote576" title="Lien vers la note 576"><span class="smaller">[576]</span></a>. <span class="pagenum"><a id="page177" name="page177"></a>(p. 177)</span> +Regnault lui-même, jeté dans les prisons des Cabochiens, s'attendait à +être mis à mort. Il fit vœu, s'il échappait à ce péril, d'observer +le maigre tous les mercredis et de déjeuner à l'eau tous les vendredis +et les samedis, sa vie durant<a id="footnotetag577" name="footnotetag577"></a><a href="#footnote577" title="Lien vers la note 577"><span class="smaller">[577]</span></a>. On ne saurait juger de l'esprit +d'un homme sur un acte inspiré par l'épouvante; pourtant l'auteur de +ce vœu ne saurait être mis facilement au rang des Épicuriens qui ne +croyaient pas en Dieu, comme il s'en trouvait, dit-on, beaucoup parmi +les clercs; on supposera plutôt que son intelligence se soumettait aux +croyances communes.</p> + +<p>Une fidélité tragique, héréditairement gardée aux Armagnacs, +recommandait Monseigneur Regnault au dauphin Charles qui lui confia +des missions importantes dans diverses parties de la Chrétienté, +Languedoc, Écosse, Bretagne, Bourgogne<a id="footnotetag578" name="footnotetag578"></a><a href="#footnote578" title="Lien vers la note 578"><span class="smaller">[578]</span></a>. L'archevêque de Reims +s'en acquitta avec un zèle infatigable et une rare habileté. Au mois +de décembre 1421, alléguant sa santé débile et le service du dauphin, +qui l'obligeait à de fréquents voyages et à de laborieuses ambassades, +il supplia le Saint-Père de le relever du vœu fait auparavant dans +les prisons des Bouchers<a id="footnotetag579" name="footnotetag579"></a><a href="#footnote579" title="Lien vers la note 579"><span class="smaller">[579]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page178" name="page178"></a>(p. 178)</span> En 1425, alors qu'un homme de robe très habile, qui pouvait +bien être un fripon, le président Louvet<a id="footnotetag580" name="footnotetag580"></a><a href="#footnote580" title="Lien vers la note 580"><span class="smaller">[580]</span></a> gouvernait le royaume et +le roi, messire Regnault fut nommé chancelier de France à la place de +messire Martin Gouges de Charpaigne, évêque de Clermont<a id="footnotetag581" name="footnotetag581"></a><a href="#footnote581" title="Lien vers la note 581"><span class="smaller">[581]</span></a>. Mais peu +de temps après, Arthur de Bretagne, connétable de France, ayant chassé +Louvet, Regnault vendit sa charge à Martin Gouges, moyennant une +pension de deux mille cinq cents livres tournois<a id="footnotetag582" name="footnotetag582"></a><a href="#footnote582" title="Lien vers la note 582"><span class="smaller">[582]</span></a>.</p> + +<p>Révérend Père en Dieu, Monseigneur l'Archevêque de Reims n'était pas +aussi riche, tant s'en fallait, que Monseigneur de la Trémouille; mais +on fait ce qu'on peut. Tout comme le sire de la Trémouille il prêtait +de l'argent au roi<a id="footnotetag583" name="footnotetag583"></a><a href="#footnote583" title="Lien vers la note 583"><span class="smaller">[583]</span></a>. Après cela, qui, dans ce temps, ne prêtait +pas d'argent au roi? Charles VII lui donna la ville et le château de +Vierzon en paiement de seize mille livres tournois qu'il lui +devait<a id="footnotetag584" name="footnotetag584"></a><a href="#footnote584" title="Lien vers la note 584"><span class="smaller">[584]</span></a>. Quand le sire de la Trémouille eut traité le connétable, +comme le connétable avait traité Louvet, Regnault de Chartres redevint +<span class="pagenum"><a id="page179" name="page179"></a>(p. 179)</span> chancelier. Il entra en charge le 8 novembre 1428. À cette +date, le Conseil avait déjà envoyé à Orléans des gens d'armes et des +canons. Monseigneur de Reims, aussitôt en fonction, se jeta dans la +ville assiégée et n'épargna pas sa peine<a id="footnotetag585" name="footnotetag585"></a><a href="#footnote585" title="Lien vers la note 585"><span class="smaller">[585]</span></a>. Il était très attaché +aux biens de ce monde et pouvait passer pour avare<a id="footnotetag586" name="footnotetag586"></a><a href="#footnote586" title="Lien vers la note 586"><span class="smaller">[586]</span></a>. Mais on ne +peut douter ni de son dévouement à la cause royale, ni de la haine +qu'il nourrissait pour ceux du Léopard et de la Croix Rouge<a id="footnotetag587" name="footnotetag587"></a><a href="#footnote587" title="Lien vers la note 587"><span class="smaller">[587]</span></a>.</p> + +<p>Jeanne, après onze jours de voyage, arriva à Chinon, le 6 mars<a id="footnotetag588" name="footnotetag588"></a><a href="#footnote588" title="Lien vers la note 588"><span class="smaller">[588]</span></a>, +qui était le quatrième dimanche du carême, celui-là même où les +garçons et les filles de Domremy allaient en troupe, dans la campagne +encore grise et nue, manger des noix et des œufs durs avec des +petits pains, pétris par leurs mères. C'est ce qu'ils appelaient faire +leurs fontaines; mais Jeanne ne dut pas se rappeler ses fontaines +passées, ni sa maison quittée sans une parole d'adieu<a id="footnotetag589" name="footnotetag589"></a><a href="#footnote589" title="Lien vers la note 589"><span class="smaller">[589]</span></a>. Ignorant +ces fêtes rustiques et presque païennes par lesquelles les pauvres +chrétiens rompaient la pénitence de la sainte quarantaine, l'Église +avait donné à ce jour le nom de dimanche de <i>Laetare</i>, du premier mot +<span class="pagenum"><a id="page180" name="page180"></a>(p. 180)</span> de l'introït <i>Laetare, Jerusalem</i>. Ce dimanche, le prêtre en +montant à l'autel, récite à la messe basse, et le chœur chante à la +grand'messe ces paroles tirées de l'Écriture: «<i>Laetare, Jerusalem; et +conventum facite, omnes qui diligitis eam...</i> Réjouis-toi, Jérusalem; +et formez une assemblée, vous tous qui l'aimez. Délectez-vous dans la +joie, vous qui avez été dans la tristesse, afin d'exulter et d'être +rassasiés par l'abondance de votre consolation.» Les prêtres, les +religieux, les clercs versés dans les saintes Écritures, qui savaient +la venue de la Pucelle, ceux-là quand ils chantèrent dans les églises +avec tout le peuple <i>Laetare, Jerusalem</i>, eurent présente à la pensée +la vierge annoncée par les prophéties, suscitée pour le salut commun, +marquée d'un signe, qui en ce jour faisait son entrée humblement dans +la ville. Plus d'un, peut-être, appliqua au royaume de France ce qui +est dit de la nation sainte en cet endroit de l'Écriture et trouva +dans la coïncidence de ce texte liturgique et de cette bienvenue un +sujet d'espérance. <i>Laetare, Jerusalem!</i> Réjouis-toi, peuple fidèle à +ton vrai roi et droiturier souverain. <i>Et conventum facite</i>. Réunissez +toutes vos forces contre vos ennemis, <i>Gaudete cum laetitia, qui in +tristitia fuistis</i>. Après votre longue misère, réjouissez-vous. Le +Seigneur vous envoie secours et consolation.</p> + +<p>Par l'intercession de saint Julien, et probablement avec l'aide de +Collet de Vienne, messager du roi, Jeanne trouva logis en ville, près +du château, dans <span class="pagenum"><a id="page181" name="page181"></a>(p. 181)</span> une hôtellerie tenue par une femme de bonne +renommée<a id="footnotetag590" name="footnotetag590"></a><a href="#footnote590" title="Lien vers la note 590"><span class="smaller">[590]</span></a>. Les broches n'y tournaient point. Et les hôtes, +enfoncés dans le manteau de la cheminée, y voyaient griller saint +Hareng, qui souffrit pis que saint Laurent<a id="footnotetag591" name="footnotetag591"></a><a href="#footnote591" title="Lien vers la note 591"><span class="smaller">[591]</span></a>. En ces âges, les +prescriptions de l'Église relativement au jeûne et à l'abstinence +durant le saint temps du carême n'étaient transgressées par personne +en pays chrétien. À l'imitation de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui +jeûna quarante jours dans le désert, les fidèles observaient le jeûne +depuis le quatrième jour avant le dimanche de Quadragésime jusqu'à +Pâques, ce qui donne quarante jours en retranchant les dimanches, où +l'on rompait le jeûne, mais non pas l'abstinence. Ainsi jeûnant, l'âme +allégée, Jeanne entendait le tintement de ses Voix<a id="footnotetag592" name="footnotetag592"></a><a href="#footnote592" title="Lien vers la note 592"><span class="smaller">[592]</span></a>. Durant les +deux jours qu'elle passa à l'hôtellerie, elle vécut recluse, +agenouillée<a id="footnotetag593" name="footnotetag593"></a><a href="#footnote593" title="Lien vers la note 593"><span class="smaller">[593]</span></a>. Les bords de la Vienne et les larges prairies, +encore vêtues de la noire verdure de l'hiver, les coteaux où +traînaient les brumes légères, ne la tentèrent pas. Mais si, pour +aller à l'église, passant par quelque rue montueuse, ou seulement +soignant son cheval <span class="pagenum"><a id="page182" name="page182"></a>(p. 182)</span> dans la cour de l'auberge, elle levait +la tête du côté du nord, elle voyait debout, sur la montagne toute +proche, à un jet de ces boulets de pierre en usage depuis cinquante ou +soixante ans, les tours du plus beau château de tout le royaume, les +fières murailles derrière lesquelles respirait ce roi à qui elle +venait, conduite par un merveilleux amour.</p> + +<p>C'étaient trois châteaux qui se confondaient à ses yeux dans une +longue masse grise de murs crénelés, de donjons, de tours, de +tourelles, de courtines, de barbacanes, d'échauguettes et de +bretèches; trois châteaux séparés l'un de l'autre par des douves, des +barrières, des poternes, des herses. À sa gauche, vers le couchant, +fuyaient et se cachaient les unes derrière les autres les huit tours +du Coudray, dont l'une avait été bâtie par un roi d'Angleterre et dont +les moins anciennes dataient de plus de deux cents ans. À droite, bien +visible, le château du milieu dressait ses vieux murs et ses tours +couronnées de mâchicoulis. Là était la chambre de saint Louis, la +chambre du roi, appartement de celui que Jeanne appelait le gentil +dauphin. Et c'est là aussi, tout contre la chambre nattée, que +s'étendait la grande salle où elle allait être reçue. Du côté de la +ville, la place de cette salle était marquée par une tour contiguë, +une tour carrée, très vieille. À droite régnait un vaste bayle, ou +place d'armes, destiné au logement de la garnison et à la défense du +château du milieu. De ce côté, une grande chapelle élevait <span class="pagenum"><a id="page183" name="page183"></a>(p. 183)</span> +au-dessus des remparts sa toiture en forme de carène renversée. Cette +chapelle, bâtie par Henri II d'Angleterre, était sous l'invocation de +saint Georges; le bayle tenait d'elle son nom de fort +Saint-Georges<a id="footnotetag594" name="footnotetag594"></a><a href="#footnote594" title="Lien vers la note 594"><span class="smaller">[594]</span></a>. Tout le monde alors savait l'histoire de saint +Georges, vaillant chevalier qui transperça de sa lance un dragon et +délivra la fille d'un roi, puis souffrit en confessant sa foi; +attaché, comme sainte Catherine, à une roue garnie de lames +tranchantes, la roue se rompit par miracle, tout de même que se brisa +celle où les bourreaux avaient mis la vierge d'Alexandrie. Et, comme +elle, saint Georges souffrit la mort par le glaive. Ce qui prouve +qu'il était un grand saint<a id="footnotetag595" name="footnotetag595"></a><a href="#footnote595" title="Lien vers la note 595"><span class="smaller">[595]</span></a>, mais maintenant il avait un tort: il +était du parti des Godons qui, depuis plus de trois cents ans, +chômaient sa fête comme celle de toute l'englischerie, le tenaient +pour leur céleste patron et l'invoquaient de préférence à tout autre +bienheureux, en sorte que son nom était sans cesse dans la bouche du +plus vilain archer gallois comme dans celle d'un chevalier de la +Jarretière. À vrai dire, on ne savait ce qu'il pensait ni s'il ne +donnait pas tort à ces pillards qui combattaient pour une mauvaise +cause, mais on pouvait raisonnablement craindre qu'il ne se montrât +sensible à tant d'honneurs. <span class="pagenum"><a id="page184" name="page184"></a>(p. 184)</span> Les saints du Paradis se mettent +volontiers du côté de ceux qui les invoquent le plus dévotement. Saint +Georges, enfin, était Anglais comme saint Michel était Français. +Celui-là, le glorieux archange, se montrait le plus vigilant +protecteur des fleurs de lis, depuis que Monsieur saint Denys, patron +du royaume, avait laissé prendre son abbaye. Et Jeanne le savait.</p> + +<p>Cependant les dépêches du capitaine de Vaucouleurs, apportées par +Colet de Vienne, furent remises au Roi<a id="footnotetag596" name="footnotetag596"></a><a href="#footnote596" title="Lien vers la note 596"><span class="smaller">[596]</span></a>. Ces dépêches +l'instruisaient des faits et dits de la jeune fille. C'était une des +innombrables affaires qui devaient être examinées en Conseil, et l'une +de celles que le Roi, ce semble, devait examiner lui-même comme +inhérentes à sa fonction royale et comme l'intéressant spécialement, +puisqu'il s'agissait peut-être d'une fille de piété singulière, et +qu'il était lui-même la première personne ecclésiastique du +royaume<a id="footnotetag597" name="footnotetag597"></a><a href="#footnote597" title="Lien vers la note 597"><span class="smaller">[597]</span></a>. Son grand-père, si sage prince, aurait eu garde de +mépriser les avis des femmes dévotes, en qui Dieu parlait. Environ +l'an 1380, il avait fait appeler à Paris Guillemette de la Rochelle +qui menait une vie solitaire et contemplative, et y avait acquis, +disait-on, une si grande vertu, que, dans ses ravissements, elle se +soulevait de terre de plus de deux pieds. Le roi Charles V lui fit +faire, dans mainte <span class="pagenum"><a id="page185" name="page185"></a>(p. 185)</span> église, de beaux oratoires où elle pût +prier pour lui<a id="footnotetag598" name="footnotetag598"></a><a href="#footnote598" title="Lien vers la note 598"><span class="smaller">[598]</span></a>. Le petit-fils ne devait pas moins faire, ayant +plus grand besoin d'aide. Il trouvait encore dans sa famille des +exemples plus récents du commerce des rois et des saintes. Son père, +le pauvre roi Charles VI, de passage à Tours, se fit présenter par le +duc Louis d'Orléans la dame Marie de Maillé, qui avait fait vœu de +virginité et changé en un agneau timide l'époux venu comme un lion +dévorant. Elle dit au roi des secrets et il fut content d'elle, car il +voulut la revoir trois ans après à Paris. Cette fois ils conversèrent +longtemps seuls ensemble, et elle lui dit encore des secrets, si bien +qu'il la renvoya avec des présents<a id="footnotetag599" name="footnotetag599"></a><a href="#footnote599" title="Lien vers la note 599"><span class="smaller">[599]</span></a>. Ce même prince avait fait +accueil à un pauvre chevalier cauchois nommé Robert le Mennot qui, +favorisé d'une vision durant qu'il était près des côtes de Syrie, au +péril de la mer, se disait envoyé de Dieu pour le rétablissement de la +paix<a id="footnotetag600" name="footnotetag600"></a><a href="#footnote600" title="Lien vers la note 600"><span class="smaller">[600]</span></a>. Il avait reçu plus favorablement encore une femme nommée +Marie Robine et qu'on appelait d'ordinaire la Gasque d'Avignon<a id="footnotetag601" name="footnotetag601"></a><a href="#footnote601" title="Lien vers la note 601"><span class="smaller">[601]</span></a>. +En 1429, tout le monde, autour du Roi, n'avait pas oublié cette +inspirée venue à Charles VI pour le retenir dans l'obéissance du pape +Benoît XIII. Ce pape se trouva <span class="pagenum"><a id="page186" name="page186"></a>(p. 186)</span> être un antipape; mais la +Gasque fut tenue cependant pour prophétesse. Elle avait eu, comme +Jeanne, beaucoup de visions touchant la désolation du royaume de +France, et elle avait vu des armes dans le ciel<a id="footnotetag602" name="footnotetag602"></a><a href="#footnote602" title="Lien vers la note 602"><span class="smaller">[602]</span></a>. Les rois +d'Angleterre n'étaient pas moins attentifs que les rois de France à +recueillir la parole de ces saints et de ces saintes qui alors +prophétisaient en foule. Henri V interrogea l'ermite de Sainte-Claude, +Jean de Gand, qui lui annonça sa fin prochaine; et, mourant, il fit +encore appeler le prophète inexorable<a id="footnotetag603" name="footnotetag603"></a><a href="#footnote603" title="Lien vers la note 603"><span class="smaller">[603]</span></a>. C'était l'usage des saints +de parler aux rois et l'usage des rois de les entendre. Comment un +prince pieux eût-il dédaigné cette source merveilleuse de conseils? Il +eût encouru par là le blâme des plus sages.</p> + +<p>Le roi Charles lut les lettres du capitaine de Vaucouleurs et fit +interroger devant lui les conducteurs de la jeune fille. De mission, +de miracles, ils ne purent rien dire. Mais ils parlèrent du bien +qu'ils avaient vu en elle durant le voyage, et affirmèrent qu'elle +était toute bonne<a id="footnotetag604" name="footnotetag604"></a><a href="#footnote604" title="Lien vers la note 604"><span class="smaller">[604]</span></a>.</p> + +<p>Assurément, Dieu parle par ses vierges. Mais, en de telles rencontres, +il est nécessaire d'agir avec une <span class="pagenum"><a id="page187" name="page187"></a>(p. 187)</span> extrême prudence, de +distinguer soigneusement les vraies prophétesses d'avec les fausses et +de ne point prendre pour des messagères du ciel les fourrières du +diable. Celles-ci font parfois illusion. À l'exemple de Simon le +Magicien, qui opposait des prodiges aux miracles de saint Pierre, ces +créatures recourent aux arts diaboliques pour séduire les hommes. +Douze ans auparavant, une femme venue aussi des Marches de Lorraine, +Catherine Sauve, native de Thons proche Neufchâteau, qui vivait +recluse au Port de Lates, avait prophétisé. Toutefois, l'évêque de +Maguelonne sut de science certaine qu'elle était menteresse et +sorcière; c'est pourquoi elle fut brûlée vive à Montpellier en +1417<a id="footnotetag605" name="footnotetag605"></a><a href="#footnote605" title="Lien vers la note 605"><span class="smaller">[605]</span></a>. Des nuées de femmes, ou plutôt de femelles, +<i>mulierculae</i><a id="footnotetag606" name="footnotetag606"></a><a href="#footnote606" title="Lien vers la note 606"><span class="smaller">[606]</span></a>, vivaient comme cette Catherine et finissaient +comme elle.</p> + +<p>Jeanne fut interrogée sommairement par des hommes d'Église, qui lui +demandèrent pourquoi elle était venue. Elle répondit d'abord qu'elle +ne dirait rien que parlant au roi. Les clercs lui ayant représenté que +c'était au nom même du roi qu'ils l'invitaient à s'expliquer, elle fit +connaître qu'elle avait deux choses en mandat de la part du Roi des +cieux: que l'une était de lever le siège d'Orléans, l'autre de +conduire le roi à Reims <span class="pagenum"><a id="page188" name="page188"></a>(p. 188)</span> pour son sacre et son +couronnement<a id="footnotetag607" name="footnotetag607"></a><a href="#footnote607" title="Lien vers la note 607"><span class="smaller">[607]</span></a>. Devant ces gens d'Église, de même qu'à Vaucouleurs +devant sire Robert, elle répétait, mot pour mot, ce qu'autrefois avait +dit le vavasseur de Champagne envoyé au roi Jean le Bon, tout comme +elle était envoyée au dauphin Charles.</p> + +<p>Ayant cheminé jusqu'à la plaine de Beauce, où le roi Jean, impatient +de combattre, campait avec son armée, le vavasseur champenois entra +dans le camp et demanda à voir le plus prud'homme qui se tînt auprès +du roi. Les seigneurs, à qui cette requête fut portée, se mirent à +rire. Mais l'un d'eux, ayant vu de ses yeux le vavasseur, reconnut +tout de suite que c'était un homme bon, simple et sans malice. Il lui +dit: «Si tu as quelque avis à donner, va vers l'aumônier du roi.» Le +vavasseur alla donc vers l'aumônier du roi Jean et lui dit: «Faites +que je parle au roi; j'ai telle chose à dire que je ne dirai à +personne fors à lui.—Qu'est-ce? demanda l'aumônier. Dites ce que vous +savez.» Mais le bonhomme ne voulut pas révéler son secret. L'aumônier +alla trouver le roi Jean et lui dit: «Sire, il y a céans un +prud'homme, qui me semble sage à sa façon et qui vous veut dire une +chose qu'il ne dira qu'à vous.» Le roi Jean refusa de voir ce +prud'homme. Il appela son confesseur et l'envoya recueillir, en +compagnie de son aumônier, le secret du vavasseur. Les deux prêtres +allèrent à l'homme et lui annoncèrent qu'ils étaient commis <span class="pagenum"><a id="page189" name="page189"></a>(p. 189)</span> +par le roi pour l'entendre. À cette nouvelle, désespérant de voir le +roi Jean et se fiant au confesseur et à l'aumônier pour ne révéler son +secret qu'au roi, il leur parla comme voici: «Tandis que j'étais seul +aux champs, une voix me dit par trois fois: «Va vers le roi Jean de +France, et l'avertis de ne combattre contre nuls de ses ennemis. +Obéissant à cette voix, je suis venu en porter nouvelles au roi Jean.» +Ayant reçu le secret du vavasseur, le confesseur et l'aumônier le +portèrent au roi qui s'en moqua. Il s'avança avec ses compagnons +jusqu'à Poitiers, où il rencontra le prince Noir. Il perdit toute son +armée dans la bataille et, atteint au visage de deux blessures, fut +pris par les Anglais<a id="footnotetag608" name="footnotetag608"></a><a href="#footnote608" title="Lien vers la note 608"><span class="smaller">[608]</span></a>.</p> + +<p>Les clercs qui avaient interrogé Jeanne différaient d'opinions sur +elle. Les uns déclaraient que son affaire n'était qu'une trufferie et +que le roi eût à se défier de cette fille<a id="footnotetag609" name="footnotetag609"></a><a href="#footnote609" title="Lien vers la note 609"><span class="smaller">[609]</span></a>. Les autres pensaient +au contraire que puisqu'elle se disait envoyée de Dieu et avait à +parler au roi, le roi devait au moins l'entendre.</p> + +<p>Deux hommes d'Église, qui se trouvaient alors auprès du roi, Jean +Girard, président du Parlement de Grenoble, et Pierre l'Hermite, qui +fut depuis sous-doyen de Saint-Martin-de-Tours, jugèrent le cas assez +intéressant et assez difficile pour le soumettre à messire Jacques +<span class="pagenum"><a id="page190" name="page190"></a>(p. 190)</span> Gélu, ce prélat armagnac, qui avait longtemps servi, dans +les conseils et les ambassades, la maison d'Orléans et le dauphin de +France. Gélu aux approches de la soixantaine s'était retiré du Conseil +et avait quitté le siège archiépiscopal de Tours pour le siège +d'Embrun, plus humble et plus caché. Il était illustre et +vénérable<a id="footnotetag610" name="footnotetag610"></a><a href="#footnote610" title="Lien vers la note 610"><span class="smaller">[610]</span></a>. Jean Girard et Pierre l'Hermite lui annoncèrent, en +une lettre missive, la venue de cette jeune fille et ils lui firent +connaître qu'interrogée singulièrement par trois professeurs de +théologie, elle avait été reconnue dévote, sobre, tempérante et +coutumière, une fois la semaine, des sacrements de confession et de +communion. Jean Girard pensait qu'elle pouvait avoir été envoyée par +le Dieu qui suscita Judith et Déborah et se fit annoncer par les +Sibylles<a id="footnotetag611" name="footnotetag611"></a><a href="#footnote611" title="Lien vers la note 611"><span class="smaller">[611]</span></a>.</p> + +<p>Charles était pieux et entendait à genoux et dévotement trois messes +par jour; il récitait exactement ses heures canonicales et y joignait +des prières pour les morts et d'autres oraisons; il se confessait +quotidiennement et communiait aux jours de fêtes<a id="footnotetag612" name="footnotetag612"></a><a href="#footnote612" title="Lien vers la note 612"><span class="smaller">[612]</span></a>, mais il croyait +à la divination par les astres, en quoi, il ne se distinguait pas des +autres princes de son temps: chacun <span class="pagenum"><a id="page191" name="page191"></a>(p. 191)</span> d'eux avait un +astrologue à son service<a id="footnotetag613" name="footnotetag613"></a><a href="#footnote613" title="Lien vers la note 613"><span class="smaller">[613]</span></a>. Le feu duc de Bourgogne était +constamment accompagné d'un devin juif nommé maître Mousque. Le jour +dont il ne devait pas voir la fin, comme il se rendait au pont de +Montereau, maître Mousque lui conseilla de ne point aller plus avant, +pronostiquant qu'il n'en reviendrait pas. Le duc passa outre et fut +tué<a id="footnotetag614" name="footnotetag614"></a><a href="#footnote614" title="Lien vers la note 614"><span class="smaller">[614]</span></a>. Le dauphin Charles se fiait aux Jean des Builhons, aux +Germain de Thibouville et à tous autres bonnets pointus<a id="footnotetag615" name="footnotetag615"></a><a href="#footnote615" title="Lien vers la note 615"><span class="smaller">[615]</span></a> et +gardait toujours deux ou trois astrologues auprès de lui. Ces faiseurs +d'almanachs dressaient des thèmes de nativité, tiraient des horoscopes +et lisaient dans le ciel l'annonce des guerres et des révolutions. +L'un d'eux, maître Rolland l'Écrivain, suppôt de l'Université de +Paris, qui la nuit, dans sa gouttière, observait le ciel, vit, un +certain jour, à une certaine heure, l'Épi de la Vierge en l'ascendant, +Vénus, Mercure et le Soleil au mi-ciel<a id="footnotetag616" name="footnotetag616"></a><a href="#footnote616" title="Lien vers la note 616"><span class="smaller">[616]</span></a>; par quoi son compère +Guillaume Barbin de Genève découvrit sûrement que les Anglais seraient +chassés de France et le roi rétabli par le moyen d'une simple +pucelle<a id="footnotetag617" name="footnotetag617"></a><a href="#footnote617" title="Lien vers la note 617"><span class="smaller">[617]</span></a>. Si l'on en croit l'inquisiteur Bréhal, <span class="pagenum"><a id="page192" name="page192"></a>(p. 192)</span> quelque +temps avant la venue de Jeanne, en France, un habile astronome de +Sienne, du nom de Jean de Montalcin, avait, entre autres choses, écrit +au roi Charles les paroles suivantes: «Votre victoire sera dans le +conseil d'une vierge; poursuivez votre triomphe sans cesse jusqu'à la +ville de Paris<a id="footnotetag618" name="footnotetag618"></a><a href="#footnote618" title="Lien vers la note 618"><span class="smaller">[618]</span></a>.»</p> + +<p>En ce moment même, le dauphin Charles gardait près de lui, à Chinon, +un vieux astrologue normand, nommé Pierre, qui pourrait bien être +Pierre de Saint-Valerien, chanoine de Paris, lequel revenait d'Écosse, +où il était allé chercher, avec nombre de gentilshommes, madame +Marguerite, fiancée au dauphin Louis. Ce maître Pierre passa, très peu +de temps après, à tort ou à raison, pour avoir lu dans le ciel que la +bergère de la Meuse était destinée à chasser les Anglais<a id="footnotetag619" name="footnotetag619"></a><a href="#footnote619" title="Lien vers la note 619"><span class="smaller">[619]</span></a>.</p> + +<p>Jeanne n'attendit pas longtemps dans son hôtellerie. Deux jours après +sa venue, ce qu'elle avait voulu d'un si grand cœur s'accomplit; +elle fut menée au roi<a id="footnotetag620" name="footnotetag620"></a><a href="#footnote620" title="Lien vers la note 620"><span class="smaller">[620]</span></a>. On montrait encore au siècle dernier près +du Grand-Carroy, devant une maison en colombage, un puits sur la marge +duquel, selon la tradition, elle mit le pied pour descendre de cheval, +avant de gravir la pente roide qui, par la vieille Porte, conduisait +au château<a id="footnotetag621" name="footnotetag621"></a><a href="#footnote621" title="Lien vers la note 621"><span class="smaller">[621]</span></a>. Elle avait déjà franchi le fossé, et le roi <span class="pagenum"><a id="page193" name="page193"></a>(p. 193)</span> +n'était pas encore décidé à la recevoir. Plusieurs de ses familiers, +et non des moindres, lui conseillaient de se défier d'une femme +inconnue qui formait peut-être de mauvais desseins. D'autres lui +représentèrent, au contraire, que cette pastoure lui était annoncée +par lettres, envoyée de la part de Robert de Baudricourt, amenée à +travers des provinces ennemies; qu'elle avait, de façon quasi +miraculeuse, traversé à gué beaucoup de rivières pour arriver jusqu'à +lui. Le roi, sur ces représentations, consentit à l'accueillir<a id="footnotetag622" name="footnotetag622"></a><a href="#footnote622" title="Lien vers la note 622"><span class="smaller">[622]</span></a>.</p> + +<p>La grande salle regorgeait de monde; les haleines la chauffaient, ni +plus ni moins qu'à toute audience que donnait le roi; elle présentait +cet aspect de halle, de cohue, familier aux courtisans. C'était le +soir; cinquante torches brûlaient sous les solives peintes<a id="footnotetag623" name="footnotetag623"></a><a href="#footnote623" title="Lien vers la note 623"><span class="smaller">[623]</span></a>; +hommes mûrs enjuponnés et fourrés, jeunes gentilshommes glabres, +engoncés des épaules, étriqués du reste, la taille fine, les jambes +grêles dans les chausses collantes, les pieds pointus dans les +poulaines; seigneurs tout armés, au nombre de trois cents, se +pressaient, selon la coutume aulique, poussaient, arrondissaient les +coudes, et l'huissier donnait de la verge sur les têtes<a id="footnotetag624" name="footnotetag624"></a><a href="#footnote624" title="Lien vers la note 624"><span class="smaller">[624]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page194" name="page194"></a>(p. 194)</span> Là se trouvaient les deux envoyés d'Orléans, messire Jamet du +Tillay et le vieux seigneur Archambaud de Villars, capitaine de +Montargis, Simon Charles, maître des requêtes, ainsi que de très hauts +seigneurs, le comte de Clermont, le sire de Gaucourt et probablement +le sire de La Trémouille et Monseigneur l'archevêque de Reims, +chancelier du royaume<a id="footnotetag625" name="footnotetag625"></a><a href="#footnote625" title="Lien vers la note 625"><span class="smaller">[625]</span></a>. Averti que la Pucelle venait, soit qu'il +lui restât quelque défiance et qu'il hésitât encore, soit qu'il eût +certaines personnes à entretenir d'abord, ou pour toute autre raison, +le roi Charles s'enfonça dans la foule des seigneurs<a id="footnotetag626" name="footnotetag626"></a><a href="#footnote626" title="Lien vers la note 626"><span class="smaller">[626]</span></a>. Jeanne fut +introduite par le comte de Vendôme<a id="footnotetag627" name="footnotetag627"></a><a href="#footnote627" title="Lien vers la note 627"><span class="smaller">[627]</span></a>. Robuste, le cou puissant et +court, la poitrine ample, autant qu'il y pouvait paraître sous le +jacque, elle portait petits draps, c'est-à-dire braies comme les +hommes<a id="footnotetag628" name="footnotetag628"></a><a href="#footnote628" title="Lien vers la note 628"><span class="smaller">[628]</span></a>. Ce qui devait surprendre plus encore que ses chausses, +c'était sa coiffure. Un chaperon de laine sur la tête, elle montrait +ses cheveux noirs coupés en sébile à la manière des varlets<a id="footnotetag629" name="footnotetag629"></a><a href="#footnote629" title="Lien vers la note 629"><span class="smaller">[629]</span></a>. Les +femmes de tout âge et de toute condition prenaient grand soin de tirer +leurs cheveux sous le hennin, la coiffe, le voile, de manière qu'il +n'en <span class="pagenum"><a id="page195" name="page195"></a>(p. 195)</span> passât pas un fil. Et cette crinière libre sur une tête +féminine était pour le temps une chose étrange<a id="footnotetag630" name="footnotetag630"></a><a href="#footnote630" title="Lien vers la note 630"><span class="smaller">[630]</span></a>.</p> + +<p>Elle alla droit au roi, ôta son chaperon, fit la révérence à la +paysanne, et dit:</p> + +<p>—Dieu vous donne bonne vie, gentil dauphin<a id="footnotetag631" name="footnotetag631"></a><a href="#footnote631" title="Lien vers la note 631"><span class="smaller">[631]</span></a>.</p> + +<p>On admira plus tard qu'elle l'eût reconnu au milieu des seigneurs +vêtus plus richement que lui. Il est possible qu'il fût ce jour-là +assez mal habillé. Nous savons qu'il faisait remettre des manches à +ses vieux pourpoints<a id="footnotetag632" name="footnotetag632"></a><a href="#footnote632" title="Lien vers la note 632"><span class="smaller">[632]</span></a>. En tout cas, il ne payait pas de mine. Fort +laid, les yeux petits, vairons et troubles, le nez gros et bulbeux, ce +prince de vingt-six ans tenait mal sur ses jambes décharnées et +cagneuses, jointes à des cuisses creuses par deux genoux énormes qui +ne voulaient point se séparer l'un de l'autre<a id="footnotetag633" name="footnotetag633"></a><a href="#footnote633" title="Lien vers la note 633"><span class="smaller">[633]</span></a>. Qu'elle l'eût +reconnu pour l'avoir déjà vu en peinture, c'est peu croyable. Les +images des princes étaient rares en ce temps. Jeanne n'avait jamais +feuilleté un de ces livres <span class="pagenum"><a id="page196" name="page196"></a>(p. 196)</span> précieux où le roi Charles +pouvait être peint à la miniature dans l'attitude d'un Mage offrant +des présents à l'enfant Jésus<a id="footnotetag634" name="footnotetag634"></a><a href="#footnote634" title="Lien vers la note 634"><span class="smaller">[634]</span></a>. Elle n'avait jamais vu très +probablement aucun tableau peint sur bois à la ressemblance de son +roi, les mains jointes, sous les courtines de son oratoire<a id="footnotetag635" name="footnotetag635"></a><a href="#footnote635" title="Lien vers la note 635"><span class="smaller">[635]</span></a>. Et, +par grand hasard, lui eût-on montré quelqu'un de ces portraits, ses +yeux, faute d'habitude, n'y eussent pas distingué grand'chose. Il n'y +a pas non plus à rechercher si les Chinonais lui décrivirent le +costume ordinaire du roi et la façon du chapeau qu'il avait coutume de +porter: car il gardait, comme tout le monde, son chapeau sur la tête +dans les chambres, même pour dîner. Ce qui est le plus probable, c'est +que des gens bien disposés pour elle la dirigèrent. De toute manière, +le roi n'était pas si difficile à trouver, puisque ceux qui la virent, +quand elle le trouva, n'en furent nullement ébahis.</p> + +<p>Lorsqu'elle eut fait son salut villageois, le roi lui demanda son nom +et ce qu'elle voulait. Elle répondit:</p> + +<p>—Gentil dauphin, j'ai nom Jeanne la Pucelle et vous mande le Roi des +cieux par moi que vous serez sacré et couronné à Reims et serez le +lieutenant du Roi des cieux, qui est le Roi de France.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page197" name="page197"></a>(p. 197)</span> Elle demanda qu'on la mît en œuvre, promettant que par +elle serait levé le siège d'Orléans<a id="footnotetag636" name="footnotetag636"></a><a href="#footnote636" title="Lien vers la note 636"><span class="smaller">[636]</span></a>.</p> + +<p>Le roi la tira à part et l'interrogea assez longtemps. Il était +naturellement doux, affable envers les humbles et les pauvres, mais +non sans défiances ni soupçons.</p> + +<p>Durant cet entretien particulier, elle lui fit, dit-on, en le tutoyant +avec une familiarité angélique, cette étrange révélation:</p> + +<p>—Je te dis, de la part de Messire, que tu es vrai héritier de France +et fils de roi<a id="footnotetag637" name="footnotetag637"></a><a href="#footnote637" title="Lien vers la note 637"><span class="smaller">[637]</span></a>.</p> + +<p>Plus tard, l'aumônier de la Pucelle rapporta ce propos, disant le +tenir de la Pucelle elle-même. Ce qui est certain, c'est que les +Armagnacs en tirèrent bientôt un miracle en faveur de la maison des +Lis. On prétendit que ces paroles, que Dieu lui-même prononçait par la +bouche d'une innocente, correspondaient à une secrète et cruelle +inquiétude du roi, que le fils de madame Ysabeau était troublé et +contristé à l'idée que, peut-être, un sang royal ne coulait pas dans +ses veines et que, à moins de sortir, par illumination céleste, des +doutes que lui inspirait sa naissance, il était prêt à renoncer à son +royaume comme à un bien usurpé<a id="footnotetag638" name="footnotetag638"></a><a href="#footnote638" title="Lien vers la note 638"><span class="smaller">[638]</span></a>. <span class="pagenum"><a id="page198" name="page198"></a>(p. 198)</span> On assura qu'à la +révélation qu'il était vrai héritier de France, son visage avait +resplendi de joie.</p> + +<p>Sans doute, la reine Ysabeau était communément traitée par les +prêcheurs armagnacs de «grande gorre» et d'Hérodiade gonflée +d'impuretés; encore voudrait-on savoir d'où venait tout à coup à son +fils cette curiosité bizarre? Il n'en avait pas demandé tant pour +recevoir son héritage. Et, au besoin, tous les légistes de son parti +l'eussent rassuré<a id="footnotetag639" name="footnotetag639"></a><a href="#footnote639" title="Lien vers la note 639"><span class="smaller">[639]</span></a>: ils lui auraient démontré, par raisons tirées +des lois et coutumes, qu'il était, de naissance, vrai héritier et +droit successeur du feu roi, la filiation se prouvant par ce qui est +manifeste, et non par ce qui est caché, sans quoi, il ne serait pas +possible de régler les successions ni de discerner sûrement le +légitime héritier d'un royaume ou d'un arpent de terre. Cependant on +doit tenir compte que, à cette heure, il était très malheureux, et que +le malheur agite les consciences et soulève les scrupules, et qu'enfin +il pouvait douter de la justice de sa cause, puisque Dieu +l'abandonnait. Mais si vraiment des doutes pénibles le tourmentaient, +comment croire qu'il s'en délivra sur le dire d'une jeune fille dont +il ne savait encore si elle était sage on folle, ni si même elle ne +lui était pas envoyée par ses ennemis? Cette crédulité ne s'accorde +guère avec ce que nous savons de son naturel soupçonneux. La première +pensée qui devait venir à son <span class="pagenum"><a id="page199" name="page199"></a>(p. 199)</span> esprit, c'est que des clercs +avaient endoctriné la jeune fille.</p> + +<p>Peu d'instants après l'avoir congédiée, il appela le sire de Gaucourt +et quelques autres de son Conseil et leur répéta ce qu'il venait +d'entendre:</p> + +<p>—Elle m'a dit qu'elle m'était envoyée de par Dieu pour m'aider à +recouvrer mon royaume<a id="footnotetag640" name="footnotetag640"></a><a href="#footnote640" title="Lien vers la note 640"><span class="smaller">[640]</span></a>.</p> + +<p>Il n'ajouta point qu'elle lui avait révélé un secret connu de lui +seul.</p> + +<p>Les conseillers du roi, encore mal édifiés sur cette jeune fille, +décidèrent qu'il fallait l'avoir sous la main, pour l'examiner dans +ses mœurs et croyances<a id="footnotetag641" name="footnotetag641"></a><a href="#footnote641" title="Lien vers la note 641"><span class="smaller">[641]</span></a>.</p> + +<p>Le sire de Gaucourt la retira de chez son hôtesse pour la loger dans +une tour de ce Coudray que, depuis trois jours, elle voyait au-dessus +de la ville<a id="footnotetag642" name="footnotetag642"></a><a href="#footnote642" title="Lien vers la note 642"><span class="smaller">[642]</span></a>. Le Coudray, l'un des trois châteaux, n'était séparé +du château du milieu, où logeait le roi, que par un fossé et des +travaux de défense<a id="footnotetag643" name="footnotetag643"></a><a href="#footnote643" title="Lien vers la note 643"><span class="smaller">[643]</span></a>. Gaucourt la confia à son lieutenant pour la +ville de Chinon, Guillaume Bellier, majordome du roi<a id="footnotetag644" name="footnotetag644"></a><a href="#footnote644" title="Lien vers la note 644"><span class="smaller">[644]</span></a>. Il lui +donna pour la servir un de ses pages, un enfant de quinze ans, +Immerguet, qu'on appelait aussi Minguet, d'un sobriquet de famille. On +l'appelait encore Mugot, peut-être par corruption de <i>mango</i>, qui +<span class="pagenum"><a id="page200" name="page200"></a>(p. 200)</span> voulait dire «page» en bas-latin<a id="footnotetag645" name="footnotetag645"></a><a href="#footnote645" title="Lien vers la note 645"><span class="smaller">[645]</span></a>. Il était, de son vrai +nom, Louis de Coutes et sortait d'une vieille famille d'épée, attachée +dès le siècle précédent à la maison d'Orléans. Son père, Jean, dit +Minguet, seigneur de Fresnay-le-Gelmert, de la Gadelière et de Mitry, +chambellan du duc d'Orléans, était mort depuis deux ans, très pauvre. +Il avait laissé après lui une veuve et cinq enfants, trois garçons et +deux filles, dont l'une, nommée Jeanne, était depuis 1421, la femme de +messire Florentin d'Illiers, capitaine de Châteaudun. Ainsi donc Louis +de Coutes, le petit page, et Catherine le Mercier, dame de Noviant, sa +mère, qui sortait d'une noble famille d'Écosse, se trouvaient l'un et +l'autre dans un pénible dénuement, bien que le duc d'Orléans en +mémoire des loyaux services de son chambellan eût octroyé à la dame de +Noviant un secours sur ses finances<a id="footnotetag646" name="footnotetag646"></a><a href="#footnote646" title="Lien vers la note 646"><span class="smaller">[646]</span></a>. Jeanne gardait Minguet près +d'elle tout le jour, mais, la nuit, elle couchait avec des femmes. La +femme de Guillaume Bellier, qui était de bonne vie et pieuse, du moins +le disait-on, veillait sur elle<a id="footnotetag647" name="footnotetag647"></a><a href="#footnote647" title="Lien vers la note 647"><span class="smaller">[647]</span></a>. Au Coudray, le page la vit +maintes fois à genoux. Elle priait et souvent elle pleurait +abondamment<a id="footnotetag648" name="footnotetag648"></a><a href="#footnote648" title="Lien vers la note 648"><span class="smaller">[648]</span></a>. Des personnages de grand état vinrent pendant +plusieurs jours <span class="pagenum"><a id="page201" name="page201"></a>(p. 201)</span> s'entretenir avec elle. Ils la trouvèrent +habillée en garçon<a id="footnotetag649" name="footnotetag649"></a><a href="#footnote649" title="Lien vers la note 649"><span class="smaller">[649]</span></a>.</p> + +<p>Depuis qu'elle était auprès du roi, certains lui demandaient s'il n'y +avait point dans le pays d'où elle venait un bois nommé le +Bois-Chenu<a id="footnotetag650" name="footnotetag650"></a><a href="#footnote650" title="Lien vers la note 650"><span class="smaller">[650]</span></a>.</p> + +<p>On lui faisait cette question parce qu'il courait alors une prophétie +de Merlin concernant une pucelle qui devait venir du bois Chenu. Et +les gens en étaient émus, car tout le monde alors prêtait attention +aux prophéties et celles de Merlin l'Enchanteur étaient +particulièrement estimées<a id="footnotetag651" name="footnotetag651"></a><a href="#footnote651" title="Lien vers la note 651"><span class="smaller">[651]</span></a>.</p> + +<p>Merlin, né d'une femme par les œuvres du diable, tirait de cette +origine sa science profonde; à la pratique des nombres, qui donnent la +clef de l'avenir, il joignait la connaissance de la physique par +laquelle s'opèrent les enchantements; aussi lui était-il facile de +changer les rochers en géants. Pourtant une dame le vainquit; la fée +Viviane enchanta l'enchanteur et le retint charmé dans un buisson +d'aubépine. C'est là un exemple, après tant d'autres, du pouvoir des +femmes.</p> + +<p>Les insignes docteurs et les illustres maîtres estimaient que Merlin +avait dévoilé bien des choses <span class="pagenum"><a id="page202" name="page202"></a>(p. 202)</span> futures et prédit bien des +événements dont quelques-uns n'étaient pas encore accomplis; et à ceux +qui s'étonnaient qu'un fils du diable eût reçu le don de prophétie, +ils répondaient que le Saint-Esprit est bien le maître de révéler ses +secrets à qui il lui plaît, comme il l'a montré en faisant parler les +Sibylles et en ouvrant la bouche à l'ânesse de Balaam.</p> + +<p>Merlin avait désigné notamment sire Bertrand Du Guesclin sous la +figure d'un guerrier portant un aigle sur son écu, ce dont on s'avisa +après les hauts faits du Connétable<a id="footnotetag652" name="footnotetag652"></a><a href="#footnote652" title="Lien vers la note 652"><span class="smaller">[652]</span></a>.</p> + +<p>Les Anglais n'accordaient pas moins de créance que les Français aux +prophéties de ce sage. Quand Arthur de Bretagne, comte de Richemont, +fut pris à rançon et mené au roi Henri, celui-ci, voyant un sanglier +sur les armes du duc, laissa éclater sa joie. Il avait présente à +l'esprit la vaticination de Merlin, qui disait: «Un prince nommé +Arthur, né de la Bretagne armoricaine, <span class="pagenum"><a id="page203" name="page203"></a>(p. 203)</span> portant un sanglier +sur son enseigne, doit conquérir Angleterre, et, après qu'il en aura +débouté la génération des Anglais, la repeuplera du lignage +breton<a id="footnotetag653" name="footnotetag653"></a><a href="#footnote653" title="Lien vers la note 653"><span class="smaller">[653]</span></a>.»</p> + +<p>Or, durant le carême de l'an 1429, courait parmi les Armagnacs cette +prédiction extraite d'un livre de Merlin:</p> + +<p>«De la ville du Bois-Chenu sortira une pucelle pour donner ses soins à +la guérison; laquelle, après avoir forcé toutes les citadelles, +desséchera de son souffle toutes les fontaines. Elle se répandra en +pleurs misérables et remplira l'île d'une clameur horrible. La tuera +le cerf à dix cors, de qui quatre ramures porteront des diadèmes d'or, +mais dont les six autres seront changées en cornes de buffles et +troubleront d'un son funeste les îles de Bretagne. Se dressera la +forêt danoise, qui parlera d'une voix humaine, disant: «Viens, +Cambrie, joins à ton flanc Cornouailles<a id="footnotetag654" name="footnotetag654"></a><a href="#footnote654" title="Lien vers la note 654"><span class="smaller">[654]</span></a>.»</p> + +<p>Dans cet obscur langage, Merlin annonce confusément qu'une vierge +accomplira des actions grandes et extraordinaires avant de périr d'une +main ennemie. Sur un seul point il est clair, ou le semble. C'est +quand il dit que cette vierge sortira de la ville du Bois-Chenu.</p> + +<p>Si quelqu'un avait pu prendre cette prophétie à sa source et la lire +dans le quatrième livre de l'<i>Historia Britonum</i>, où elle se trouvait +effectivement sous le titre de <i>Guyntonia vaticinium</i>, il aurait vu +qu'elle concernait la <span class="pagenum"><a id="page204" name="page204"></a>(p. 204)</span> ville anglaise de Winchester et se +serait aperçu que, dans les copies qu'on faisait courir en France, +elle était dénaturée, tronquée et tout à fait détournée de son +véritable sens. Mais personne ne s'avisa de vérifier le texte. Les +livres étaient rares et les esprits dépourvus de critique. La leçon +fautive à dessein fut acceptée pour la pure parole de Merlin et il en +courut de nombreuses copies.</p> + +<p>Ces copies, d'où venaient-elles? Leur origine demeurera sans doute à +jamais inconnue; mais un point est hors de doute: c'est qu'elles +désignaient la fille de la Romée, qui du seuil de la maison paternelle +voyait l'orée du Bois-Chenu. Elles ne venaient donc pas de très loin +et ne couraient pas depuis longtemps<a id="footnotetag655" name="footnotetag655"></a><a href="#footnote655" title="Lien vers la note 655"><span class="smaller">[655]</span></a>. Si cette prophétie de +Merlin corrigée n'est pas celle que Jeanne entendit au village, +annonçant qu'une Pucelle viendrait des Marches de Lorraine pour le +salut du royaume, c'est sa cousine germaine; elles ont toutes deux un +air de famille<a id="footnotetag656" name="footnotetag656"></a><a href="#footnote656" title="Lien vers la note 656"><span class="smaller">[656]</span></a>; elles furent lancées l'une et l'autre dans un +même esprit et dans une même intention et il faut bien y reconnaître +l'indice d'un concert entre des clercs de la Meuse et des clercs de la +Loire pour mettre en lumière la miraculée de Domremy.</p> + +<p>La chevauchée de Jeanne étant prédite par Merlin, il fallait qu'elle +le fût aussi par Bède, car Bède et <span class="pagenum"><a id="page205" name="page205"></a>(p. 205)</span> Merlin, en matière +prophétique, marchaient toujours ensemble.</p> + +<p>Le moine de Yearmouth, Bède le Vénérable, vieux alors de six siècles, +avait été de son vivant un puits de science. Il avait écrit sur la +théologie et sur la chronologie, il avait parlé du jour et de la nuit, +de la semaine et des mois, des signes du zodiaque, des épactes, du +cycle lunaire et des fêtes mobiles. Dans son livre <i>De temporum +ratione</i>, il avait traité des septième et huitième âges du monde, +lesquels devaient suivre l'âge où il vivait. Il avait prophétisé. +Durant le siège d'Orléans, des clercs répandirent sous son nom ces +vers difficiles dans lesquels la venue de la Pucelle était annoncée:</p> + +<p class="poem10"> + <i>Bis sex cuculli, bis septem se sociabunt<a id="footnotetag657" name="footnotetag657"></a><a href="#footnote657" title="Lien vers la note 657"><span class="smaller">[657]</span></a>,<br> + Gallorum pulli Tauro nova bella parabunt,<br> + Ecce beant bella, tunc fert vexilla Puella.</i></p> + +<p>Le premier de ces vers est un chronogramme, c'est-à-dire qu'il +contient en lui-même une date. Pour la dégager, on prend les lettres +numérales qui s'y trouvent, et l'on en fait la somme. Cette somme +donnera la date.</p> + +<div class="center"> +<p><i>bIs seX CVCVLLI, bIs septeM se soClabVnt</i></p> + +<p>1 + 10 + 100 + 5 + 100 + 5 + 50 + 50 + 1 + 1 + 1000 + 100 + 1 + 5 = 1429.</p> +</div> + +<p>Si l'on avait cherché ces vers dans les livres du <span class="pagenum"><a id="page206" name="page206"></a>(p. 206)</span> vénérable +Bède, on ne les y aurait pas trouvés; ils n'y sont pas; mais on ne +songea pas plus à les y chercher qu'à chercher dans Merlin la Forêt +Chenue<a id="footnotetag658" name="footnotetag658"></a><a href="#footnote658" title="Lien vers la note 658"><span class="smaller">[658]</span></a>. Et il fut entendu que Bède et Merlin annonçaient la +Pucelle. Des bords de la Loire, en cette saison, vaticinations, carmes +sibyllins, chronogrammes s'envolaient comme des pigeons et se +répandaient dans tout le royaume. Le faux Bède parviendra en Bourgogne +dès mai ou juin de cette même année. On le connaîtra plus tôt encore à +Paris. Christine de Pisan, vieille et recluse en une abbaye de France, +écrira, avant le dernier jour de juillet 1429, que Bède et Merlin +avaient vu la Pucelle en esprit<a id="footnotetag659" name="footnotetag659"></a><a href="#footnote659" title="Lien vers la note 659"><span class="smaller">[659]</span></a>.</p> + +<p>Les clercs qui forgeaient alors des prophéties pour la Pucelle ne s'en +tinrent pas au faux Bède et au Merlin contrefait. Ils étaient vraiment +infatigables et nous possédons encore une pièce de leur métier, que +par grand hasard, le temps n'a pas détruite. C'est un petit poème +latin écrit dans le style obscur des devins, dont voici une vieille +traduction française:</p> + +<p class="quote">Une vierge vestue de vestemens d'homme et qui a les membres + appartenans à pucelle, par la monicion de Dieu, s'appareille de + relever le roy portant les fleurs-de-lis, qui est couché, et de + chasser ses ennemys maudis; et mesmement <span class="pagenum"><a id="page207" name="page207"></a>(p. 207)</span> ceux qui + maintenant sont devant la cité d'Orléans, laquelle ils + espavantent par siège. Et se les hommes ont grand courage d'eux + joindre à la bataille, les faux Anglois seront succombés par + mort, par le Dieu de la bataille de la Pucelle, et les François + les tresbucheront, et adonc sera la fin de la guerre; et + retourneront les anciennes alliances et amour; pitié et autres + droits retourneront; et traiteront de la paix; et tous les hommes + s'outroyeront [s'octroyeront?] au roy de leur bon gré, lequel roy + leur pèsera et leur administrera justice à tous, et les nourrira + de belle paix. Et dorénavant nul Anglois ennemy portant le + liépart ne sera, qui présumera soy dire roy de France [Le + translateur ajoute:] et d'ensuir les armes; lesquelles armes la + sainte Pucelle appareille<a id="footnotetag660" name="footnotetag660"></a><a href="#footnote660" title="Lien vers la note 660"><span class="smaller">[660]</span></a>.</p> + +<p>Ces fausses prophéties nous donnent un aperçu des moyens par lesquels +on mit en œuvre la jeune inspirée. On s'y prit sans doute un peu +trop artificieusement à notre gré. Ces clercs ne regardaient qu'au +but, qui était la paix du royaume et de l'Église. Il était nécessaire +de préparer le miracle du salut commun. Ne soyons pas trop émus de +découvrir ces fraudes pieuses sans lesquelles les merveilles de la +Pucelle ne se seraient pas produites. Il faut toujours beaucoup d'art +et même un peu de ruse pour accréditer l'innocence.</p> + +<p>Cependant, sur un rocher escarpé, au bord de la Durance, dans la +chaire écartée de Saint-Marcellin, Jacques Gélu restait attaché au roi +qu'il avait servi et <span class="pagenum"><a id="page208" name="page208"></a>(p. 208)</span> soucieux des intérêts des maisons +d'Orléans et de France. Il répondit aux deux hommes d'église, Jean +Girard et Pierre l'Hermite, qu'il ne doutait pas que Dieu ne se +manifestât en faveur de l'orphelin et de l'affligé et ne punît +l'injurieuse entreprise de l'Anglais, que néanmoins on ne devait pas +aisément ni à la légère croire aux discours d'une paysanne nourrie +dans la solitude, que le sexe féminin était fragile et prompt à +s'abuser, qu'il fallait ne pas se rendre ridicule aux yeux des +étrangers. «Les Français, ajouta-t-il, sont déjà trop connus pour leur +facilité naturelle à se laisser duper.» Il avisa enfin Pierre +l'Hermite qu'il serait opportun que le roi jeûnât et fît pénitence +pour être éclairé du Ciel et préservé d'erreur<a id="footnotetag661" name="footnotetag661"></a><a href="#footnote661" title="Lien vers la note 661"><span class="smaller">[661]</span></a>.</p> + +<p>L'ancien conseiller delphinal n'était pas tranquille. Il écrivit +directement au roi Charles et à la reine Marie pour les avertir du +danger. Cette fille ne lui disait rien de bon; il se méfiait d'elle et +pour trois raisons: premièrement, elle venait d'un pays que tenaient +les ennemis du roi, Bourguignons et Lorrains; deuxièmement, c'était +une bergère aisée à séduire; troisièmement, elle était fille. Il +bailla comme exemple Alexandre de Macédoine, qu'une reine voulut +empoisonner; elle avait été nourrie de venins par les ennemis du roi +et puis envoyée à lui dans l'espoir qu'il se laisserait prendre aux +<span class="pagenum"><a id="page209" name="page209"></a>(p. 209)</span> amours de cette garce, vraie boîte à poisons<a id="footnotetag662" name="footnotetag662"></a><a href="#footnote662" title="Lien vers la note 662"><span class="smaller">[662]</span></a>. Mais +Aristote écarta l'abuseresse et ainsi délivra de mort son prince. +Aussi sage qu'Aristote, l'archevêque d'Embrun recommanda au roi de ne +pas converser seul à seule avec la fille. Il prescrivit qu'on ne la +laissât pas approcher de trop près, qu'on l'examinât; que cependant +elle ne fût pas rebutée.</p> + +<p>À ses lettres Gélu reçut une réponse prudente qui le rassura. Dans une +nouvelle missive, il témoigna au roi qu'il était bien aise qu'on tînt +la fille dans la suspicion et qu'on la laissât dans l'incertitude de +lui croire ou de ne lui pas croire. Puis sentant renaître ses +premières incertitudes: «Il n'est pas à propos, disait-il encore, +qu'elle ait beaucoup d'accès au roi, jusqu'à ce qu'on soit bien +acertainé de sa vie et de ses mœurs<a id="footnotetag663" name="footnotetag663"></a><a href="#footnote663" title="Lien vers la note 663"><span class="smaller">[663]</span></a>.»</p> + +<p>Assurément le roi Charles tenait Jeanne dans l'incertitude de ce qu'on +croyait d'elle. Mais il ne la soupçonnait d'aucune malice et il la +recevait volontiers. Elle l'entretenait avec une angélique +familiarité. Elle l'appelait gentil dauphin et, par cette gentillesse +dont elle lui donnait, il faut entendre noblesse et splendeur +royale<a id="footnotetag664" name="footnotetag664"></a><a href="#footnote664" title="Lien vers la note 664"><span class="smaller">[664]</span></a>. Elle l'appelait aussi l'oriflamme, parce qu'il était pour +elle l'oriflamme, ou, comme elle eût dit aujourd'hui, <span class="pagenum"><a id="page210" name="page210"></a>(p. 210)</span> le +drapeau<a id="footnotetag665" name="footnotetag665"></a><a href="#footnote665" title="Lien vers la note 665"><span class="smaller">[665]</span></a>. L'oriflamme était la bannière royale. De tous ces gens +qui étaient alors à Chinon, personne ne l'avait jamais vue, mais on en +contait des merveilles. L'oriflamme était en forme de gonfalon à deux +queues, faite d'une étoffe fine, précieuse et légère, qu'on nommait +sandal, et toute bordée de houppes de soie verte. Elle était descendue +du ciel; c'était la bannière de Clovis et de saint Charlemagne. Quand +le roi allait en guerre, on la portait devant lui. Elle avait telle +vertu, que les ennemis, à son approche, perdaient leur force et +fuyaient épouvantés. On se rappelait qu'en l'an 1304, alors que le roi +Philippe le Bel eut victoire des Flamands, le chevalier qui la portait +fut tué. On le trouva le lendemain qui, mort, la pressait encore entre +ses bras<a id="footnotetag666" name="footnotetag666"></a><a href="#footnote666" title="Lien vers la note 666"><span class="smaller">[666]</span></a>. Elle avait flotté devant le roi Charles VI, avant ses +malheurs, et depuis lors jamais plus elle n'avait été déployée.</p> + +<p>Un jour que la Pucelle et le roi conversaient ensemble, le duc +d'Alençon entra dans la salle. Encore enfant, il avait été pris à +Verneuil par les Anglais, qui l'avaient gardé cinq ans dans la tour du +Crotoy<a id="footnotetag667" name="footnotetag667"></a><a href="#footnote667" title="Lien vers la note 667"><span class="smaller">[667]</span></a>. Délivré depuis peu de temps, il chassait aux cailles près +de Saint-Florent-lès-Saumur, quand un courrier vint lui <span class="pagenum"><a id="page211" name="page211"></a>(p. 211)</span> +apprendre qu'une jeune fille était envoyée au Roi, de par Dieu, pour +mettre les Anglais hors de France<a id="footnotetag668" name="footnotetag668"></a><a href="#footnote668" title="Lien vers la note 668"><span class="smaller">[668]</span></a>. Cette nouvelle l'intéressait +autant que personne, car il avait épousé la fille du duc d'Orléans. +Aussitôt il s'était rendu à Chinon pour voir ce qu'il en était. Le duc +d'Alençon se montrait à son avantage dans les années légères de sa +jeunesse; mais il ne fut jamais réputé bien sage. C'était un esprit +faible et violent, vain, envieux, d'une extrême crédulité. Il était +persuadé que l'herbe martagon met en la grâce des dames; et, plus +tard, il se crut ensorcelé. Il avait une vilaine voix rauque<a id="footnotetag669" name="footnotetag669"></a><a href="#footnote669" title="Lien vers la note 669"><span class="smaller">[669]</span></a>; il +le savait et il en souffrait. Dès qu'elle le vit approcher, Jeanne +demanda qui était ce seigneur. Le roi ayant répondu que c'était son +cousin d'Alençon, elle salua le duc et lui dit:</p> + +<p>—Vous, soyez le très bien venu. Plus on sera ensemble du sang du roi +de France, mieux cela sera<a id="footnotetag670" name="footnotetag670"></a><a href="#footnote670" title="Lien vers la note 670"><span class="smaller">[670]</span></a>.</p> + +<p>En quoi elle se trompait du tout au tout. À cette parole de la Pucelle +le dauphin dut sourire amèrement. Le sang de France, il savait ce +qu'en valait la pinte!</p> + +<p>Le lendemain Jeanne vint à la messe du roi. Quand elle approcha de son +dauphin, elle lui fit la révérence. Le roi la conduisit dans une +chambre, dont il fit <span class="pagenum"><a id="page212" name="page212"></a>(p. 212)</span> retirer tout le monde, hors le sire de +la Trémouille et le duc d'Alençon.</p> + +<p>Alors Jeanne lui adressa plusieurs requêtes. Elle lui demanda +particulièrement de faire don de son royaume au Roi des cieux.</p> + +<p>—Après quoi, ajouta-t-elle, le Roi des cieux fera pour vous ce qu'il +a fait pour vos prédécesseurs et vous remettra en l'État de vos +pères<a id="footnotetag671" name="footnotetag671"></a><a href="#footnote671" title="Lien vers la note 671"><span class="smaller">[671]</span></a>.</p> + +<p>En tenant ces propos spirituels, en exprimant ces préceptes de réforme +et de vie nouvelle, elle répétait ce que des clercs lui avaient +appris. Mais elle n'était pas profondément pénétrée de cette doctrine +qui, trop subtile pour elle, devait bientôt s'effacer de son esprit et +faire place à une ardeur moins monastique et plus chevaleresque.</p> + +<p>Ce même jour, elle accompagna le roi à la promenade et, dans la +prairie, courut une lance avec tant de bonne grâce, que le duc +d'Alençon, émerveillé, lui fit don d'un cheval<a id="footnotetag672" name="footnotetag672"></a><a href="#footnote672" title="Lien vers la note 672"><span class="smaller">[672]</span></a>.</p> + +<p>Peu de jours après, ce jeune seigneur la mena à l'abbaye de +Saint-Florent-lès-Saumur<a id="footnotetag673" name="footnotetag673"></a><a href="#footnote673" title="Lien vers la note 673"><span class="smaller">[673]</span></a>, dont l'église était si admirée qu'un +l'appelait la Belle-d'Anjou. C'est dans cette abbaye qu'habitaient +alors sa mère et sa femme. Elles furent, dit-on, joyeuses de voir +Jeanne. <span class="pagenum"><a id="page213" name="page213"></a>(p. 213)</span> Mais elles n'avaient pas grande confiance dans +l'issue de la guerre. La jeune dame d'Alençon lui dit:</p> + +<p>—Jeannette, je crains beaucoup pour mon mari. Il sort à peine de +prison et il a fallu dépenser tant d'argent pour sa rançon, que je le +prierais bien volontiers de rester au logis.</p> + +<p>À quoi Jeanne répondit:</p> + +<p>—Madame, soyez sans crainte. Je vous le rendrai sain et en tel ou +meilleur état qu'il n'est<a id="footnotetag674" name="footnotetag674"></a><a href="#footnote674" title="Lien vers la note 674"><span class="smaller">[674]</span></a>.</p> + +<p>Elle appelait le duc d'Alençon son beau duc<a id="footnotetag675" name="footnotetag675"></a><a href="#footnote675" title="Lien vers la note 675"><span class="smaller">[675]</span></a> et elle l'aimait pour +l'amour du duc d'Orléans dont il avait épousé la fille. Elle l'aimait +parce qu'il croyait en elle quand tous doutaient ou niaient; elle +l'aimait parce que les Anglais lui avaient fait tort; elle l'aimait +parce qu'elle lui voyait bonne envie de combattre. On contait que, +pris à Verneuil par les Anglais, quand ils lui avaient offert de lui +rendre sa liberté et ses biens s'il voulait se tourner de leur parti, +il avait rejeté leurs offres<a id="footnotetag676" name="footnotetag676"></a><a href="#footnote676" title="Lien vers la note 676"><span class="smaller">[676]</span></a>. Il était jeune comme elle; elle le +jugeait comme elle sincère et généreux. Et peut-être l'était-il alors; +sans doute il ne cherchait pas déjà des poudres pour sécher le +roi<a id="footnotetag677" name="footnotetag677"></a><a href="#footnote677" title="Lien vers la note 677"><span class="smaller">[677]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page214" name="page214"></a>(p. 214)</span> On décida que Jeanne serait conduite à Poitiers afin d'y être +examinée par les docteurs<a id="footnotetag678" name="footnotetag678"></a><a href="#footnote678" title="Lien vers la note 678"><span class="smaller">[678]</span></a>. Dans cette ville se tenait le +Parlement et étaient réunis beaucoup de notables clercs en théologie, +tant séculiers que réguliers<a id="footnotetag679" name="footnotetag679"></a><a href="#footnote679" title="Lien vers la note 679"><span class="smaller">[679]</span></a>. De solennels docteurs et maîtres y +furent convoqués par surcroît. Jeanne partit sous escorte. Elle crut +d'abord qu'on la menait à Orléans. Elle rappelait l'ignorance et la +foi de ces pauvres gens qui, ayant pris la croix, allaient et, à +chaque ville qu'ils voyaient devant eux, pensaient que ce fût +Jérusalem. À mi-chemin, elle demanda à ses guides où ils la +conduisaient. Quand elle apprit que c'était à Poitiers:</p> + +<p>—En nom Dieu! dit-elle, je sais que j'y aurai bien affaire. Mais +Messire m'aidera. Or, allons, de par Dieu<a id="footnotetag680" name="footnotetag680"></a><a href="#footnote680" title="Lien vers la note 680"><span class="smaller">[680]</span></a>!</p> + + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page215" name="page215"></a>(p. 215)</span> CHAPITRE VII<br> + +<span class="smaller">LA PUCELLE À POITIERS.</span></h2> + + +<p>Depuis quatorze ans, la ville de Poitiers était la capitale de la +France française. Le dauphin Charles y avait transféré le Parlement +ou, du moins, y avait réuni quelques membres échappés du Parlement de +Paris. Le Parlement de Poitiers n'était composé que de deux Chambres. +Il aurait jugé comme le roi Salomon, si les plaideurs étaient venus +lui soumettre leurs causes, mais ils ne venaient pas, de peur d'être +pris en chemin par les routiers et les capitaines à la solde du roi, +et parce que, dans le trouble du royaume, les différends ne se +réglaient guère par justice. Les conseillers, qui pour la plupart +avaient leurs terres près de Paris, ne savaient comment se vêtir et se +nourrir. Rarement ils recevaient leurs gages et le casuel faisait +défaut. Ils avaient beau inscrire sur leurs registres la formule: +<span class="pagenum"><a id="page216" name="page216"></a>(p. 216)</span> <i>Non deliberetur donec solvantur species</i>, les parties +n'apportaient point d'espèces<a id="footnotetag681" name="footnotetag681"></a><a href="#footnote681" title="Lien vers la note 681"><span class="smaller">[681]</span></a>. L'avocat général, messire Jean +Jouvenel des Ursins, qui possédait belles terres et maisons en +Île-de-France, Brie et Champagne, était tout piteux de voir la dame de +bien et d'honneur sa femme, ses onze enfants et ses trois gendres, +aller par les rues de la ville nu-pieds et dans de pauvres +habits<a id="footnotetag682" name="footnotetag682"></a><a href="#footnote682" title="Lien vers la note 682"><span class="smaller">[682]</span></a>. Quant aux docteurs et maîtres, qui avaient suivi la +fortune du roi, c'est en vain qu'ils étaient des puits de science et +des fontaines de clergie, puisque, faute d'une université où ils +pussent enseigner, ils ne tiraient nul profit de leur éloquence et de +leur savoir. La ville de Poitiers, devenue la première ville du +royaume, avait un Parlement et n'avait pas d'Université, semblable à +une dame de haute noblesse, mais borgne, le Parlement et l'Université +étant les deux yeux d'une grande ville. Aussi nourrissaient-ils en +leurs tristes loisirs un désir ardent de rétablir les affaires du roi +avec les leurs, s'il plaisait au Seigneur. En attendant, exténués de +froid et de faim, ils gémissaient et se lamentaient. Comme Israël dans +le désert, ils soupiraient après le jour où Dieu, entendant leurs +plaintes, dirait: «Ce soir vous mangerez de la chair et demain matin +vous <span class="pagenum"><a id="page217" name="page217"></a>(p. 217)</span> vous rassasierez de pain; et vous connaîtrez que je +suis le Seigneur votre Dieu.» <i>Vespere comedetis carnes et mane +saturabimini panibus: scietisque quod ego sum Dominus deus vester.</i> +(<i>Exod.</i> XVI, 12.) C'est parmi ces fidèles et pauvres serviteurs d'un +roi pauvre, que furent choisis pour la plupart les docteurs et clercs +chargés d'examiner la Pucelle. Voici quels ils étaient: le seigneur +évêque de Poitiers<a id="footnotetag683" name="footnotetag683"></a><a href="#footnote683" title="Lien vers la note 683"><span class="smaller">[683]</span></a>; le seigneur évêque de Maguelonne<a id="footnotetag684" name="footnotetag684"></a><a href="#footnote684" title="Lien vers la note 684"><span class="smaller">[684]</span></a>; maître +Jean Lombard, docteur en théologie, autrefois professeur de théologie +à l'Université de Paris<a id="footnotetag685" name="footnotetag685"></a><a href="#footnote685" title="Lien vers la note 685"><span class="smaller">[685]</span></a>; maître Guillaume Le Marié, bachelier en +théologie, chanoine de Poitiers<a id="footnotetag686" name="footnotetag686"></a><a href="#footnote686" title="Lien vers la note 686"><span class="smaller">[686]</span></a>; maître Gérard Machet, confesseur +du roi<a id="footnotetag687" name="footnotetag687"></a><a href="#footnote687" title="Lien vers la note 687"><span class="smaller">[687]</span></a>; maître Jourdain Morin<a id="footnotetag688" name="footnotetag688"></a><a href="#footnote688" title="Lien vers la note 688"><span class="smaller">[688]</span></a>; maître Jean Érault, +professeur de théologie<a id="footnotetag689" name="footnotetag689"></a><a href="#footnote689" title="Lien vers la note 689"><span class="smaller">[689]</span></a>; maître Mathieu Mesnage, bachelier en +théologie<a id="footnotetag690" name="footnotetag690"></a><a href="#footnote690" title="Lien vers la note 690"><span class="smaller">[690]</span></a>; maître Jacques Meledon<a id="footnotetag691" name="footnotetag691"></a><a href="#footnote691" title="Lien vers la note 691"><span class="smaller">[691]</span></a>; maître Jean Maçon, +docteur en droit civil et en droit canon, de grande renommée<a id="footnotetag692" name="footnotetag692"></a><a href="#footnote692" title="Lien vers la note 692"><span class="smaller">[692]</span></a>; +frère Pierre de Versailles, religieux de Saint-Denys en France, de +l'ordre de Saint-Benoît, <span class="pagenum"><a id="page218" name="page218"></a>(p. 218)</span> professeur de théologie, prieur du +prieuré de Saint-Pierre de Chaumont, abbé de Talmont au diocèse de +Laon, ambassadeur du très chrétien roi de France<a id="footnotetag693" name="footnotetag693"></a><a href="#footnote693" title="Lien vers la note 693"><span class="smaller">[693]</span></a>; frère Pierre +Turelure, de l'ordre de Saint-Dominique, inquisiteur de Toulouse<a id="footnotetag694" name="footnotetag694"></a><a href="#footnote694" title="Lien vers la note 694"><span class="smaller">[694]</span></a>; +maître Simon Bonnet<a id="footnotetag695" name="footnotetag695"></a><a href="#footnote695" title="Lien vers la note 695"><span class="smaller">[695]</span></a>; frère Guillaume Aimery, de l'ordre de +Saint-Dominique, docteur en théologie, professeur de théologie<a id="footnotetag696" name="footnotetag696"></a><a href="#footnote696" title="Lien vers la note 696"><span class="smaller">[696]</span></a>; +frère Seguin de Seguin, de l'ordre de Saint-Dominique, docteur en +théologie, professeur de théologie<a id="footnotetag697" name="footnotetag697"></a><a href="#footnote697" title="Lien vers la note 697"><span class="smaller">[697]</span></a>; frère Pierre Seguin, +carme<a id="footnotetag698" name="footnotetag698"></a><a href="#footnote698" title="Lien vers la note 698"><span class="smaller">[698]</span></a>; plusieurs conseillers du roi, licenciés en droit civil +ainsi qu'en droit canon.</p> + +<p>C'était beaucoup de docteurs pour interroger une bergère. Cependant on +doit songer qu'en ce temps où la théologie, inflexible et subtile, +dominait toute connaissance humaine et obtenait du bras séculier qu'il +fît suivre d'effets les opinions émises par elle, dès qu'une pauvre +fille ignorante donnait à croire qu'elle voyait Dieu, la Vierge, les +anges et les saints, il fallait qu'elle allât, dans un grand concours +de docteurs, de miracles en miracles, à une mort bien odorante et à la +béatification, <span class="pagenum"><a id="page219" name="page219"></a>(p. 219)</span> ou, d'hérésies en hérésies, aux prisons +ecclésiastiques et au bûcher des sorcières. Et comme les sacrés +inquisiteurs étaient persuadés que le diable entre facilement dans les +femmes, la malheureuse créature avait plus de chance d'être brûlée +vive que de mourir en odeur de sainteté. Par exception singulière, +Jeanne, devant les docteurs de Poitiers, ne courait pas grand risque +d'être suspectée dans sa foi. Frère Pierre Turelure lui-même ne +désirait pas trouver en ce moment devant lui une de ces hérétiques +qu'il recherchait curieusement à Toulouse. Les illustres maîtres, en +s'approchant d'elle, rentraient leurs griffes théologales. Ils étaient +d'Église; mais ils étaient Armagnacs. C'était, pour la plupart, des +hommes d'affaires, des négociateurs, de vieux conseillers du +dauphin<a id="footnotetag699" name="footnotetag699"></a><a href="#footnote699" title="Lien vers la note 699"><span class="smaller">[699]</span></a>. Qu'ils eussent, comme prêtres, une doctrine et des +mœurs, qu'ils connussent des règles pour juger en matière de foi, +ce n'est pas douteux. Mais à cette heure il ne s'agissait pas de +guérir le mal hérétique, il s'agissait de chasser les Anglais. Jeanne +était dans la grâce de monseigneur le duc d'Alençon et de monseigneur +le Bâtard; les habitants d'Orléans l'attendaient comme le salut. Elle +promettait de mener le roi à Reims, et il se trouvait que l'homme le +plus puissant et le plus habile de France, le chancelier du royaume, +messire Regnault de Chartres était <span class="pagenum"><a id="page220" name="page220"></a>(p. 220)</span> archevêque, comte de +Reims. Cela pesait d'un grand poids<a id="footnotetag700" name="footnotetag700"></a><a href="#footnote700" title="Lien vers la note 700"><span class="smaller">[700]</span></a>.</p> + +<p>Et qu'il en fût comme elle disait, que Dieu l'eût vraiment envoyée à +l'aide des fleurs de Lis, au jugement de quiconque avait sens et +clergie et tenait le parti français, ce n'était pas impossible, encore +qu'extraordinaire. Personne ne niait que Dieu pût intervenir +directement dans la conduite des royaumes, ayant dit lui-même: <i>Per me +reges regnant.</i> En l'Église une et sainte, les docteurs de Poitiers +pensaient judicieusement que le Seigneur protégeait les gens du +dauphin, tandis que l'Université de Paris tout aussi judicieusement le +croyait avec les Bourguignons et les Anglais. Il n'était pas +nécessaire que son messager fût un ange. Ce pouvait être une créature +humaine ou une bête, comme le corbeau qui nourrit Élie. Et qu'une +fille eût charge de guerre, c'est ce qui s'accordait avec ce qu'on +trouvait dans les livres touchant Camille, les Amazones et la reine +Penthésilée, et avec ce qui est dit dans la Bible des femmes fortes +suscitées par le Seigneur pour le salut d'Israël, Déborah, Jahel, +Judith de Béthulie. Car il est écrit: «Ce ne sont point les jeunes +hommes qui ont renversé celui dont la puissance était sur eux, ni les +fils des géants qui l'ont frappé, ni les colosses qui se sont opposés +à lui. Mais Judith, fille de Mérari, l'a détruit par la beauté de son +visage.»</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page221" name="page221"></a>(p. 221)</span> Jeanne fut conduite à l'hôtel qu'habitait maître Jean +Rabateau, non loin du Palais, au cœur de la ville<a id="footnotetag701" name="footnotetag701"></a><a href="#footnote701" title="Lien vers la note 701"><span class="smaller">[701]</span></a>. Maître Jean +Rabateau était avocat général lai; les causes criminelles lui +appartenaient tandis que les causes civiles allaient à l'avocat +général clerc, Jean Jouvenel. Avocats du roi, hommes du roi, ils le +représentaient l'un et l'autre, lorsqu'il était en cause. Le roi était +un mauvais client. Maître Jean Rabateau plaidait pour lui au criminel +moyennant quatre cents livres par an. Il ne pouvait plaider que pour +les fleurs de Lis et nul ne le soupçonnait de manger trop d'épices. +S'il remplissait en outre les fonctions de conseiller du duc +d'Orléans, il y gagnait peu. Comme la plupart des officiers du +Parlement, il se trouvait pour l'heure fort dénué de biens. Étranger à +Poitiers, il n'y possédait point de maison, et logeait dans un hôtel +qui, appartenant à une famille Rosier, en avait pris le nom d'hôtel de +la Rose. Au reste, la demeure était vaste. On y hébergeait les témoins +qu'on voulait garder honorablement et sûrement. Jeanne y fut amenée, +bien que le Parlement n'eût point à examiner l'affaire de cette jeune +fille<a id="footnotetag702" name="footnotetag702"></a><a href="#footnote702" title="Lien vers la note 702"><span class="smaller">[702]</span></a>. Cette fois encore, elle était remise aux mains d'un homme +qui appartenait au duc d'Orléans autant qu'au roi de France. La femme +de maître Jean Rabateau, comme toutes les <span class="pagenum"><a id="page222" name="page222"></a>(p. 222)</span> femmes des hommes +de robe, était de bonne renommée<a id="footnotetag703" name="footnotetag703"></a><a href="#footnote703" title="Lien vers la note 703"><span class="smaller">[703]</span></a>. À <i>la Rose</i>, chaque jour après +le dîner, Jeanne restait longtemps agenouillée. Elle se relevait, la +nuit, pour prier, et elle passait de longues heures dans le petit +oratoire de l'hôtel. C'est dans cette maison que les docteurs vinrent +l'interroger. Quand on lui annonça leur venue, elle fut agitée d'une +cruelle inquiétude. Madame sainte Catherine prit soin de la +rassurer<a id="footnotetag704" name="footnotetag704"></a><a href="#footnote704" title="Lien vers la note 704"><span class="smaller">[704]</span></a>; elle aussi avait disputé avec les docteurs, et les +avait confondus. Il est vrai que ceux-là étaient des païens, mais très +savants et d'un esprit bien subtil: car il est dit dans la vie de la +sainte:</p> + +<p>«L'empereur manda cinquante docteurs versés dans la science des +Égyptiens et dans les arts libéraux. Et, quand elle apprit qu'elle +devait disputer avec les sages, Catherine craignit de ne pouvoir +défendre dignement contre eux la vérité de Jésus-Christ. Mais un ange +lui apparut et lui dit:</p> + +<p>«Je suis l'archange saint Michel, envoyé par Dieu pour t'annoncer que +tu sortiras de ce combat victorieuse et digne d'obtenir Notre-Seigneur +Jésus-Christ, espoir <span class="pagenum"><a id="page223" name="page223"></a>(p. 223)</span> et couronne de ceux qui combattent pour +lui.» Et la vierge disputa avec les docteurs<a id="footnotetag705" name="footnotetag705"></a><a href="#footnote705" title="Lien vers la note 705"><span class="smaller">[705]</span></a>.»</p> + +<p>Les solennels docteurs et maîtres et les notables clercs du Parlement +de Poitiers se rendaient par petits groupes dans la maison de Jean +Rabateau, et chacun d'eux interrogeait Jeanne à son tour. Les premiers +qui vinrent furent Jean Lombard, Guillaume le Maire, Guillaume Aimery, +Pierre Turelure, Jacques Meledon. Frère Jean Lombard demanda:</p> + +<p>—Pourquoi êtes-vous venue? Le roi veut savoir ce qui vous a poussée à +l'aller trouver.</p> + +<p>Jeanne répondit d'une manière qui parut grande à tous ces clercs:</p> + +<p>—Comme je gardais les animaux, une <i>Voix m'apparut</i>. La Voix me dit: +«Dieu a grande pitié du peuple de France. Jeanne, il faut que tu +ailles en France». Ayant ouï ces paroles, je me mis à pleurer. Alors +la Voix me dit: «Vas à Vaucouleurs. Tu trouveras là un capitaine qui +te conduira sûrement en France, près du roi. Sois sans crainte». J'ai +fait ce qui m'était dit et suis arrivée au roi sans nul +empêchement<a id="footnotetag706" name="footnotetag706"></a><a href="#footnote706" title="Lien vers la note 706"><span class="smaller">[706]</span></a>.</p> + +<p>Frère Guillaume Aimery prit ensuite la parole:</p> + +<p>—D'après vos dires, la Voix vous apprit que Dieu veut tirer le peuple +de France de la calamité où il est. Mais si Dieu veut délivrer le +peuple de France, il n'est pas nécessaire d'avoir des gens d'armes.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page224" name="page224"></a>(p. 224)</span> —En nom Dieu! répliqua la Pucelle, les gens d'armes +batailleront, et Dieu donnera victoire.</p> + +<p>Maître Guillaume se déclara satisfait<a id="footnotetag707" name="footnotetag707"></a><a href="#footnote707" title="Lien vers la note 707"><span class="smaller">[707]</span></a>.</p> + +<p>Le 22 mars, maître Pierre de Versailles et maître Jean Érault se +rendirent ensemble au logis de Jean Rabateau. L'écuyer Gobert +Thibault, que Jeanne avait déjà vu à Chinon, y vint avec eux. C'était +un homme jeune, très simple, et qui pour croire ne demandait point de +signes. À leur venue, Jeanne alla un peu au-devant d'eux, et, frappant +amicalement sur l'épaule du soldat:</p> + +<p>—Je voudrais bien, lui dit-elle, avoir plusieurs hommes d'aussi bonne +volonté<a id="footnotetag708" name="footnotetag708"></a><a href="#footnote708" title="Lien vers la note 708"><span class="smaller">[708]</span></a>.</p> + +<p>Elle se sentait à l'aise avec les gens d'armes. Quant aux docteurs, +elle ne pouvait les souffrir, et c'était pour elle un supplice +lorsqu'ils venaient arguer. Bien que ces théologiens usassent de +grands ménagements à son endroit, leurs éternelles interrogations +lassaient sa patience; leur lenteur, leur pesanteur l'exaspérait. Elle +leur savait très mauvais gré de ne pas croire en elle tout de suite, +sans preuves, et de lui demander un signe qu'elle ne pouvait leur +donner, puisque ni monseigneur saint Michel, ni madame sainte +Catherine, ni madame sainte Marguerite, pendant les examens, +n'apparaissait. Dans le retrait, dans l'oratoire et dans la campagne +déserte, les hôtes du Paradis la visitaient en foule; anges et +saintes, descendus du ciel, se pressaient <span class="pagenum"><a id="page225" name="page225"></a>(p. 225)</span> autour d'elle. +Mais, à la venue des docteurs, l'échelle de Jacob se retirait soudain. +Et puis ils étaient des théologiens, et elle était une sainte. Les +rapports sont toujours difficiles entre les chefs de l'Église +militante et les dévotes femmes qui communiquent directement avec +l'Église triomphante. Elle sentait que les révélations dont elle était +favorisée abondamment donnaient des doutes, des soupçons, des +défiances même à ses examinateurs les plus favorables. Elle n'osait +pas trop leur conter les secrets de ses Voix, et elle confiait, +derrière leur dos, à son beau duc d'Alençon, qu'elle savait et qu'elle +pouvait beaucoup plus qu'elle n'avait dit à tous ces clercs<a id="footnotetag709" name="footnotetag709"></a><a href="#footnote709" title="Lien vers la note 709"><span class="smaller">[709]</span></a>. Ce +n'était pas à ceux-là qu'elle avait été envoyée; ce n'était pas pour +ceux-là qu'elle était venue. Elle se trouvait gênée avec eux, et leurs +façons d'être lui inspiraient cette mauvaise humeur empreinte dans +plus d'une de ses réponses. Parfois, quand ils l'interrogeaient, elle +se rencognait avec mutinerie au bout du banc et faisait la moue<a id="footnotetag710" name="footnotetag710"></a><a href="#footnote710" title="Lien vers la note 710"><span class="smaller">[710]</span></a>.</p> + +<p>—Nous sommes envoyés vers vous de la part du roi, dit maître Pierre +de Versailles.</p> + +<p>Elle répondit de très mauvaise grâce:</p> + +<p>—Je crois bien voir que vous êtes encore envoyés pour m'interroger. +Je ne sais ni A ni B<a id="footnotetag711" name="footnotetag711"></a><a href="#footnote711" title="Lien vers la note 711"><span class="smaller">[711]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page226" name="page226"></a>(p. 226)</span> Mais à cette demande:</p> + +<p>—Pourquoi donc venez-vous</p> + +<p>Elle répliqua vivement:</p> + +<p>—Je viens de la part du Roi des cieux pour faire lever le siège +d'Orléans et conduire le roi à Reims, pour son couronnement et son +sacre. Maître Jean Érault, avez-vous du papier et de l'encre? Écrivez +ce que je vais vous dire.</p> + +<p>Et elle dicta une brève apostrophe aux capitaines anglais: «Vous, +Suffort, Clasdas et la Poule, je vous somme de par le Roi des cieux +que vous en alliez en Angleterre<a id="footnotetag712" name="footnotetag712"></a><a href="#footnote712" title="Lien vers la note 712"><span class="smaller">[712]</span></a>.»</p> + +<p>Maître Jean Érault, qui écrivit sous sa dictée, était, comme la +plupart d'entre eux, très bien disposé pour elle. De plus il avait des +lumières. Il se rappelait cette Marie d'Avignon, surnommée la Gasque, +qui avait fait au feu roi Charles VI des prophéties bien bonnes et +mémorables. Or, la Gasque était allée dire au roi que le royaume +éprouverait encore maintes calamités, et qu'elle avait vu des armes +dans le ciel. Et elle avait conclu son apocalypse en ces termes: +«Tandis que j'étais effrayée, croyant qu'il me fallait <span class="pagenum"><a id="page227" name="page227"></a>(p. 227)</span> +prendre ces armes, une voix me rassura, en disant: «Elles ne sont pas +pour toi, mais pour une vierge qui viendra, et, par ces armes, +délivrera le royaume de France.» Maître Jean Érault médita ces +révélations merveilleuses et il en vint à croire que Jeanne était la +vierge annoncée par Marie d'Avignon<a id="footnotetag713" name="footnotetag713"></a><a href="#footnote713" title="Lien vers la note 713"><span class="smaller">[713]</span></a>.</p> + +<p>Maître Gérard Machet, confesseur du roi, avait trouvé dans des écrits +qu'une pucelle devait venir pour donner aide au roi de France. Il en +fit la remarque à l'écuyer Gobert Thibault qui n'était pas un très +gros personnage<a id="footnotetag714" name="footnotetag714"></a><a href="#footnote714" title="Lien vers la note 714"><span class="smaller">[714]</span></a>; il la fit assurément à bien d'autres. Gérard +Machet, docteur en théologie, autrefois vice-chancelier de +l'Université, dont il était maintenant exclu, passait pour une des +lumières de l'Église. Il aimait la cour<a id="footnotetag715" name="footnotetag715"></a><a href="#footnote715" title="Lien vers la note 715"><span class="smaller">[715]</span></a>, bien qu'il s'en +défendît, et jouissait de la faveur du roi qui, pour récompenser ses +bons services, venait de lui donner de quoi acheter une mule<a id="footnotetag716" name="footnotetag716"></a><a href="#footnote716" title="Lien vers la note 716"><span class="smaller">[716]</span></a>. On +est suffisamment édifié sur les dispositions des docteurs, quand on +surprend le confesseur du roi répandant lui-même les prophéties +fabriquées tout exprès pour accréditer la Pucelle du Bois-Chenu.</p> + +<p>On interrogea la jeune fille touchant ses Voix qu'elle <span class="pagenum"><a id="page228" name="page228"></a>(p. 228)</span> +appelait aussi son Conseil, et ses saintes, qu'elle se représentait à +la ressemblance des figures taillées et peintes qui peuplaient les +églises<a id="footnotetag717" name="footnotetag717"></a><a href="#footnote717" title="Lien vers la note 717"><span class="smaller">[717]</span></a>. Les docteurs firent objection sur ce qu'elle avait +rejeté tout vêtement de femme et fait tailler ses cheveux en rond, à +la façon des jouvenceaux. Or il est écrit: «Une femme ne prendra point +un habit d'homme, et un homme ne prendra point un habit de femme; car +celui qui le fait est abominable devant Dieu.» (<i>Deuter.</i> <span class="smcap">XXII</span>, 5.) Le +concile de Gangres, tenu sous le règne de Valens, avait frappé +d'anathème les femmes qui s'habillaient en hommes et se coupaient les +cheveux<a id="footnotetag718" name="footnotetag718"></a><a href="#footnote718" title="Lien vers la note 718"><span class="smaller">[718]</span></a>. Mais il importait de considérer que ce qui était +abominable à Dieu ce n'était point le dehors, c'était le dedans; ce +n'était point l'habit, c'était le mauvais dessein qui le faisait +prendre. Les Pères de Gangres n'avaient condamné que les femmes qui +s'habillaient en hommes et se coupaient les cheveux sous prétexte de +vie ascétique. L'Église approuvait depuis lors que les religieuses +coupassent leurs cheveux. Plusieurs saintes, inspirées par un +mouvement extraordinaire du Saint-Esprit, avaient caché leur sexe sous +des vêtements virils. On gardait à Saint-Jean-des-Bois, près +Compiègne, la châsse de sainte Euphrosine d'Alexandrie, qui avait vécu +trente-huit ans sous l'habit d'homme dans le couvent de <span class="pagenum"><a id="page229" name="page229"></a>(p. 229)</span> +l'abbé Théodose<a id="footnotetag719" name="footnotetag719"></a><a href="#footnote719" title="Lien vers la note 719"><span class="smaller">[719]</span></a>. Pour ces raisons et sur ces exemples, les +docteurs pensèrent: Puisque Jeanne prit cet habit non point pour +offenser la pudeur d'autrui, mais pour garder la sienne, ne tournons +pas à mal ce qui a été fait pour le bien, et ne condamnons point un +acte que la pureté des intentions justifie.</p> + +<p>Certains examinateurs lui demandèrent pourquoi elle nommait Charles, +dauphin, au lieu de lui donner son titre de roi. Ce titre, il le +portait légitimement depuis le 30 octobre 1422, ayant ce jour, le +neuvième depuis la mort du roi son père, à Mehun-sur-Yèvre, dans la +chapelle royale, quitté sa robe noire pour une robe vermeille, pendant +que les hérauts, levant la bannière de France, criaient: «Vive le +roi!»</p> + +<p>Elle répondit:</p> + +<p>—Je ne l'appellerai pas roi, tant qu'il n'aura pas été sacré et +couronné à Reims. C'est dans cette cité que j'entends le mener<a id="footnotetag720" name="footnotetag720"></a><a href="#footnote720" title="Lien vers la note 720"><span class="smaller">[720]</span></a>.</p> + +<p>Pour elle, il n'y avait point de roi de France sans ce sacre, dont +elle avait ouï les miracles de la bouche de son curé qui, chaque +année, récitait le panégyrique du bienheureux saint Remi, patron de la +paroisse. Cette réponse était de sorte à contenter les examinateurs, +car il importait, pour le spirituel et pour le temporel, <span class="pagenum"><a id="page230" name="page230"></a>(p. 230)</span> que +le roi fût sacré à Reims<a id="footnotetag721" name="footnotetag721"></a><a href="#footnote721" title="Lien vers la note 721"><span class="smaller">[721]</span></a>. Et messire Regnault de Chartres devait +le souhaiter ardemment.</p> + +<p>Quand les clercs la contredisaient, elle opposait ses propres lumières +à la doctrine de l'Église et elle leur disait:</p> + +<p>—Il y a aux livres de Notre-Seigneur plus qu'aux vôtres<a id="footnotetag722" name="footnotetag722"></a><a href="#footnote722" title="Lien vers la note 722"><span class="smaller">[722]</span></a>.</p> + +<p>Réponse hardie et brûlante, qu'il eût été dangereux de faire à des +théologiens moins favorables que ceux-là; car peut-être y eussent-ils +vu une offense aux droits de l'Église qui, gardienne des livres +saints, en demeure l'interprète jalouse et ne souffre pas qu'on oppose +l'autorité des Écritures aux décisions des Conciles<a id="footnotetag723" name="footnotetag723"></a><a href="#footnote723" title="Lien vers la note 723"><span class="smaller">[723]</span></a>. Quels +étaient les livres qu'elle jugeait, sans les avoir lus, contraires à +ceux de Notre-Seigneur, dans lesquels elle paraissait lire à pleines +pages par les yeux de l'esprit? Les sacrés canons, semblait-il, et les +saintes décrétales. Cette parole d'une enfant contenait de quoi ruiner +l'Église tout entière. Les docteurs de Poitiers, s'ils avaient été +moins Armagnacs, auraient dès lors flairé Jeanne avec méfiance et +trouvé qu'elle sentait la persinée. Mais ils servaient fidèlement les +maisons d'Orléans et de France; leurs robes étaient percées, <span class="pagenum"><a id="page231" name="page231"></a>(p. 231)</span> +leurs marmites vides<a id="footnotetag724" name="footnotetag724"></a><a href="#footnote724" title="Lien vers la note 724"><span class="smaller">[724]</span></a>, ils n'espéraient plus qu'en Dieu, et +craignaient, en rejetant cette jeune fille, de rebuter le +Saint-Esprit. D'ailleurs, rien ne les empêchait de croire que Jeanne +eût ainsi parlé par ignorance et simplicité, sans malice aucune. C'est +pourquoi sans doute ils ne se scandalisèrent point.</p> + +<p>À son tour, frère Seguin de Seguin interrogea la jeune fille. Il était +Limousin, et son origine paraissait à son langage. Il parlait avec une +lenteur pesante et employait des termes ignorés en Lorraine et en +Champagne. Peut-être avait-il cet air épais et lourd qui rendait les +gens de son pays un peu ridicules aux Français de la Loire, de la +Seine et de la Meuse. À cette question:</p> + +<p>—Quelle langue parlent vos Voix?</p> + +<p>Jeanne répondit:</p> + +<p>—Une meilleure que la vôtre<a id="footnotetag725" name="footnotetag725"></a><a href="#footnote725" title="Lien vers la note 725"><span class="smaller">[725]</span></a>.</p> + +<p>Les saintes ont leurs moments d'impatience. Si le frère Seguin ne le +savait pas encore, il l'apprit en ce jour. Aussi pourquoi doutait-il +que madame sainte Catherine et madame sainte Marguerite, qui étaient +du parti des Français, parlassent français? Un tel doute était +insupportable à Jeanne, et elle fit entendre à l'interrogateur que, +lorsqu'on est Limousin, on ne s'enquiert point du parler des dames du +ciel. Cependant il poursuivit son interrogatoire.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page232" name="page232"></a>(p. 232)</span> —Croyez-vous en Dieu?</p> + +<p>—Oui, et mieux que vous, fit la Pucelle, qui, ne connaissant point le +bon frère, semblait peut-être un peu prompte à s'estimer mieux +croyante que lui. Mais elle était outrée qu'on pût douter de sa +créance au Dieu qui l'avait envoyée. Sa réponse, à la bien entendre, +attestait l'ardeur de sa foi. Frère Seguin l'entendit-il ainsi? Des +contemporains disent qu'il se montra fort aigre personne. On a des +raisons de croire, au contraire, qu'il était bon homme<a id="footnotetag726" name="footnotetag726"></a><a href="#footnote726" title="Lien vers la note 726"><span class="smaller">[726]</span></a>.</p> + +<p>—Mais enfin, dit-il, Dieu ne veut pas qu'on vous croie, s'il ne +paraît quelque signe montrant qu'il vous faut croire. Nous ne saurions +conseiller au roi de vous confier, sur votre seule parole, des gens +d'armes et de les mettre ainsi en péril.</p> + +<p>—En nom Dieu, répondit-elle, je ne suis pas venue à Poitiers pour +faire signes. Mais menez-moi à Orléans, et je vous montrerai signes +pour quoi je suis envoyée. Qu'on me donne des hommes en si grand +nombre qu'on le jugera bon, et j'irai à Orléans.</p> + +<p>Et elle dit encore ce qu'elle disait sans cesse:</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page233" name="page233"></a>(p. 233)</span> —Les Anglais seront tous chassés et détruits. Le siège +d'Orléans sera levé et la ville affranchie de ses ennemis, après que +j'en aurai fait sommation de par le Roi du ciel. Le roi sera sacré à +Reims, la ville de Paris remise en l'obéissance du roi, et le duc +d'Orléans reviendra d'Angleterre<a id="footnotetag727" name="footnotetag727"></a><a href="#footnote727" title="Lien vers la note 727"><span class="smaller">[727]</span></a>.</p> + +<p>Longtemps, à l'exemple de frère Seguin de Seguin, plusieurs docteurs +et maîtres la pressèrent de montrer un signe de sa mission. Ils +estimaient en effet que, si Dieu l'avait choisie pour délivrer le +peuple de France, il ne manquerait pas de rendre ce choix manifeste +par un signe de sa main, ainsi qu'il avait fait pour Gédéon, fils de +Josias. Quand Israël était humilié sous Madian, et lorsque, pour +échapper à ses ennemis, le peuple de Dieu se cachait dans les cavernes +des montagnes, l'Ange apparut à Gédéon sous un chêne et, parlant au +nom du Seigneur lui dit: «Je serai avec toi et tu détruiras les +madianites.» À quoi Gédéon répondit: «Si j'ai trouvé grâce devant toi, +fais-moi connaître par un signe que c'est toi qui me parles.» Il fit +cuire un chevreau, pétrit des pains sans levain, mit la chair dans une +corbeille et le jus dans un vase, et déposa sous le chêne le vase et +la corbeille. Alors l'Ange du Seigneur lui dit: <span class="pagenum"><a id="page234" name="page234"></a>(p. 234)</span> «Prends la +chair et les pains sans levain, pose-les sur cette pierre et verse +dessus le jus de la chair.» Ce que Gédéon ayant fait, l'Ange toucha de +son bâton la chair et les pains sans levain, et aussitôt il sortit un +feu de la pierre qui consuma la chair et les pains. Et Gédéon +connaissant qu'il avait vu l'Ange du Seigneur, s'écria: «Hélas! mon +Dieu! car j'ai vu l'Ange du Seigneur face à face!» Et avec trois cents +hommes, il détruisit le peuple madianite. Les docteurs avaient cet +exemple présent à l'esprit<a id="footnotetag728" name="footnotetag728"></a><a href="#footnote728" title="Lien vers la note 728"><span class="smaller">[728]</span></a>.</p> + +<p>Mais pour la Pucelle, le signe de victoire, c'était la victoire même. +Elle ne cessa de dire:</p> + +<p>—Le signe que je vous montrerai, ce sera Orléans secouru et le siège +levé<a id="footnotetag729" name="footnotetag729"></a><a href="#footnote729" title="Lien vers la note 729"><span class="smaller">[729]</span></a>.</p> + +<p>La constance avec laquelle elle persévérait dans ce propos frappa la +plupart des interrogateurs qui estimèrent qu'elle devait être pour +eux, non pas une occasion de tiédeur et de doute, mais un exemple de +ferveur et un sujet d'édification, et que, puisqu'elle promettait de +montrer signe, il leur convenait de demander humblement à Dieu qu'il +le lui envoyât, d'espérer comme elle, et, unis au roi et à tout le +peuple de France, de demander les enseignes de victoire au Dieu qui +délivra Israël. Ainsi tombaient les raisons du bon frère Seguin et de +ceux qui, séduits par les <span class="pagenum"><a id="page235" name="page235"></a>(p. 235)</span> conseils de la sagesse humaine, +voulaient des preuves pour croire.</p> + +<p>Après un examen qui dura six semaines, les docteurs se déclarèrent +édifiés<a id="footnotetag730" name="footnotetag730"></a><a href="#footnote730" title="Lien vers la note 730"><span class="smaller">[730]</span></a>.</p> + +<p>Il y avait un point dont il convenait de s'assurer: il fallait savoir +si, comme elle le disait, Jeanne était vierge. À la vérité, des +matrones l'avaient déjà examinée lors de sa venue à Chinon, quand on +ne savait pas seulement si elle était fille ou garçon, et quand on +pouvait craindre même qu'elle ne fût une illusion en semblance de +femme, produite par l'art des démons, ce que les savants ne pensaient +pas impossible<a id="footnotetag731" name="footnotetag731"></a><a href="#footnote731" title="Lien vers la note 731"><span class="smaller">[731]</span></a>. Il n'était pas mort depuis longtemps, ce chanoine +qui croyait que parfois des chevaliers se transforment en ours et que +des esprits parcourent cent lieues en une nuit, puis, tout à coup, se +changent en truies et en fétus de paille<a id="footnotetag732" name="footnotetag732"></a><a href="#footnote732" title="Lien vers la note 732"><span class="smaller">[732]</span></a>. On avait donc fait tout +de suite le nécessaire. Mais il convenait de procéder à une visite +exacte, prudente et sage, tant la chose était de conséquence.</p> + + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page236" name="page236"></a>(p. 236)</span> CHAPITRE VIII<br> + +<span class="smaller">LA PUCELLE À POITIERS (<i>Suite</i>).</span></h2> + + +<p>Une croyance commune aux doctes et aux ignorants attachait des vertus +singulières à l'état de virginité. Ces idées remontaient jusqu'à une +antiquité vaste et profonde: l'origine s'en perdait dans un passé qui +n'était point chrétien; c'était un legs immémorial, dont une part +venait des Gaulois et des Germains, une autre part des Romains et des +Grecs. Sur cette terre des Gaules, les blanches prêtresses des forêts +avaient laissé quelque souvenir de leur beauté sacrée; et l'on voyait +parfois encore flotter dans l'île de Sein, le long des bords brumeux +de l'Océan, l'ombre pâle des neuf sœurs qui, aux jours passés, +endormaient à leur volonté ou éveillaient la tempête.</p> + +<p>Selon ces croyances, écloses dans la jeunesse des peuples, le don de +prophétie est réservé aux vierges. <span class="pagenum"><a id="page237" name="page237"></a>(p. 237)</span> C'est le partage d'une +Cassandre et d'une Velléda. Les Sibylles passaient pour avoir +prophétisé la venue de Jésus-Christ; on les tenait, dans l'Église, +pour les gardiennes de la révélation première au milieu des Gentils, +et on les vénérait comme les sœurs augustes des prophètes d'Israël. +La prose des Morts atteste l'une d'elles en même temps que le roi +David. Quelles fraudes pieuses établirent leur gloire prophétique, +c'est ce que nous devons ignorer ici autant que l'ignorait un Jean +Gerson ou un Gérard Machet. Il nous faut voir, au contraire, avec les +docteurs du <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> siècle, ces vierges annonçant la vérité aux +nations qui les vénéraient sans les comprendre. Telle était l'antique +tradition de l'Église chrétienne. Les Pères les plus anciens, Justin, +Origène, Clément d'Alexandrie faisaient grand usage des oracles +sibyllins, et les païens ne savaient trop que répondre quand Lactance +leur opposait le témoignage de ces prophétesses des nations. Saint +Jérôme, sur la foi de Varron, croyait fermement à leur existence. +Saint Augustin met dans la <i>Cité de Dieu</i> la Sibylle Érythrée qui, +dit-il, annonça sans mélange d'erreurs la vie du Sauveur. Dès le +<span class="smcap">XIII</span><sup>e</sup> siècle, ces vierges antiques avaient pris place dans les +cathédrales au côté des patriarches et des prophètes. Mais c'est au +<span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> que leurs images se montrent en foule, sculptées au portail des +églises, taillées dans les stalles du chœur, peintes sur les murs +des chapelles ou sur les verrières lumineuses. Chacune a son attribut +distinctif. La Persique tient cette lanterne <span class="pagenum"><a id="page238" name="page238"></a>(p. 238)</span> et la Libyque +cette torche, qui percèrent les ténèbres de la gentilité. L'Agrippe, +l'Européenne et l'Érythrée sont armées du glaive; la Phrygienne porte +la croix pascale; l'Hellespontine présente un rosier fleuri; les +autres montrent les signes visibles du mystère qu'elles ont annoncé: +la Cumane, une crèche; la Delphique, la Samienne, la Tiburtine, la +Cimmérienne, une couronne d'épines, un sceptre de roseau, des verges, +une croix<a id="footnotetag733" name="footnotetag733"></a><a href="#footnote733" title="Lien vers la note 733"><span class="smaller">[733]</span></a>.</p> + +<p>L'économie même de la religion chrétienne, l'ordre de ses mystères où +l'on voit l'humanité perdue par une femme et sauvée par une vierge, et +toute chair enveloppée, dans la malédiction d'Ève, conduisait au +triomphe de la virginité et à l'exaltation d'un état qui, pour parler +comme un Père de l'Église, est dans la chair sans être charnel.</p> + +<p>«C'est la virginité, dit saint Grégoire de Nysse, qui fait que Dieu ne +refuse pas de vivre avec les hommes. C'est elle qui donne aux hommes +des ailes pour prendre leur vol vers le ciel.» La virginité élève +l'apôtre Jean au-dessus même du prince des apôtres. Lors des +funérailles <span class="pagenum"><a id="page239" name="page239"></a>(p. 239)</span> de Marie, Pierre remit à Jean la branche de +palmier et dit: «Il convient à celui qui est vierge de porter la palme +de la Vierge<a id="footnotetag734" name="footnotetag734"></a><a href="#footnote734" title="Lien vers la note 734"><span class="smaller">[734]</span></a>.»</p> + +<p>La vierge Marie, la Vierge par excellence, était, dans l'occident +chrétien, depuis le <span class="smcap">XII</span><sup>e</sup> siècle, l'objet d'un culte ardent et +tendre<a id="footnotetag735" name="footnotetag735"></a><a href="#footnote735" title="Lien vers la note 735"><span class="smaller">[735]</span></a>. Les grandes cathédrales du nord de la France, placées +sous le vocable de Notre-Dame, célébraient leur fête patronale le jour +de l'Assomption. Contre le pilier symbolique du grand portail +s'élevait l'image de la Vierge avec son divin Enfant et le lis +virginal. Parfois Ève figurait au-dessous, afin qu'on vît en même +temps la faute et la rédemption, la seconde Ève rachetant la première, +la vierge exaltée et la femme humiliée. Au tympan des portails se +déroulent des scènes merveilleuses. La Vierge est agenouillée: près +d'elle un lis fleurit dans un vase. L'ange, un lis à la main, lui dit +<i>AVE</i>, retournant ainsi le nom d'<i>EVA</i>, <i>mutans Evae nomen</i>. Ou bien +encore, les pieds posés sur le croissant de la lune, elle s'élève au +plus haut des cieux: <i>Exaltata est super choros angelorum.</i> Plus loin, +elle reçoit de Jésus-Christ la couronne précieuse: <i>Posuit in capite +ejus coronam de lapide pretioso.</i> Les vitraux représentaient en joyaux +de lumière les figures de la virginité de Marie: la pierre vue par +<span class="pagenum"><a id="page240" name="page240"></a>(p. 240)</span> Daniel, détachée de la montagne sans la main d'aucun homme, +la toison de Gédéon, le buisson ardent de Moïse et la verge fleurie +d'Aaron.</p> + +<p>Célébrée en des hymnes, des séquences et des litanies, avec une +inépuisable abondance d'images, elle était la Rose mystique, la Tour +d'ivoire, l'Arche d'alliance, la Porte du ciel, l'Étoile du matin. +Elle était le Puits des eaux vives, la Fontaine du jardin, le Verger +clos, la Gemme lumineuse, la Fleur des vertus, la Palme de douceur, le +Myrte de tempérance, le Nard odorant.</p> + +<p>L'idée qu'en la virginité résidaient la grâce et la puissance prenait, +dans la légende dorée, les formes les plus riches et les plus +charmantes. Les hagiographies comblent des plus douces louanges les +épouses de Jésus-Christ, celles-là surtout qui mirent sur la robe +blanche de la virginité les roses rouges du martyre. C'était pendant +la passion des vierges que s'accomplissaient les miracles de la grâce +la plus abondante. Les anges apportent à Dorothée les roses célestes +qu'elle répand sur ses bourreaux. Les vierges martyres commandent aux +animaux. Les lions de l'amphithéâtre lèchent les pieds de sainte +Thècle; les bêtes fauves du cirque se réunissent et nouent leurs +queues ensemble pour préparer un trône à sainte Euphémie; des aspics, +dans une fosse profonde, forment autour du col de sainte Christine +d'agréables colliers. Le divin Époux pour lequel elles souffrent ne +permet pas du moins qu'elles souffrent dans leur pudeur. Quand le +bourreau <span class="pagenum"><a id="page241" name="page241"></a>(p. 241)</span> arrache les vêtements d'Agnès, les cheveux de la +sainte s'épaississent et lui font une robe miraculeuse; avant qu'on +promène sainte Barbe nue par les rues, un ange lui apporte une tunique +blanche. Ces Agnès et ces Dorothée, ces Catherine et ces Marguerite, +cette légion d'innocentes victorieuses disposaient les âmes à croire +au miracle d'une vierge plus forte que les archers. Sainte Geneviève +n'avait-elle pas détourné de Paris Attila et ses guerriers barbares?</p> + +<p>Cette croyance en une vertu attachée à l'état de virginité se trouve +vivement exprimée dans la fable, si répandue alors, de la Licorne et +de la Pucelle.</p> + +<p>La licorne était un cheval-chèvre d'une blancheur immaculée; elle +portait au front une merveilleuse épée. Les veneurs qui la voyaient +passer dans les clairières n'avaient jamais pu l'atteindre, tant elle +était rapide. Mais si une vierge, assise dans la forêt, appelait la +licorne, la bête obéissait, inclinait sa tête sur le giron de +l'enfant, se laissait prendre, enchaîner par d'aussi faibles mains. Au +contraire, il ne fallait pas qu'une fille corrompue et non pucelle +l'approchât: la licorne la tuait aussitôt<a id="footnotetag736" name="footnotetag736"></a><a href="#footnote736" title="Lien vers la note 736"><span class="smaller">[736]</span></a>.</p> + +<p>On disait même qu'une vierge avait le pouvoir de <span class="pagenum"><a id="page242" name="page242"></a>(p. 242)</span> guérir les +écrouelles en récitant à jeun et nue certaine formule magique, mais ce +n'était pas parole d'Évangile<a id="footnotetag737" name="footnotetag737"></a><a href="#footnote737" title="Lien vers la note 737"><span class="smaller">[737]</span></a>.</p> + +<p>Si les mystiques et les visionnaires exaltaient la virginité, +l'Église, jalouse de gouverner les corps avec les âmes, condamnait les +opinions contraires à la légitimité du mariage, dont elle avait fait +un sacrement. Elle tenait pour des impies très détestables ceux qui +réprouvaient absolument l'œuvre de chair. Une fille était louable +de garder sa virginité; encore fallait-il que ce ne fût pas pour des +raisons pernicieuses et condamnables. Deux cents ans avant que régnât +le roi Charles VII, une jeune fille de Reims éprouva qu'on peut pécher +gravement contre l'Église de Dieu en refusant de forniquer avec un +clerc dans une vigne. Voici l'histoire de cette jeune fille, telle +qu'elle fut rapportée par le chanoine Gervais.</p> + +<p>Guillaume aux Blanches Mains, archevêque de Reims, oncle du roi +Philippe de France, chevauchait un jour hors de sa ville pour se +divertir. Un clerc de sa suite, nommé Gervais, qui était dans l'ardeur +de la jeunesse, aperçut une belle jeune fille qui passait seule dans +une vigne. Il alla vers elle, la salua, et lui demanda: «Qu'avez-vous +donc à faire seule en si grande hâte?» Et, par propos congruents, il +la sollicita courtoisement à l'amour.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page243" name="page243"></a>(p. 243)</span> Sans même le regarder, elle lui répondit d'un maintien +tranquille et d'une voix grave:</p> + +<p>—À Dieu ne plaise, ô bon jouvenceau, que je sois jamais l'amie de toi +ou d'aucun autre homme, car si je perdais ma virginité et si ma chair +était une fois corrompue, je serais vouée infailliblement et sans +remède à la damnation éternelle.</p> + +<p>En entendant un tel langage il soupçonna la jeune fille d'appartenir à +la secte impie des cathares que l'Église recherchait alors avec soin +et punissait sévèrement. En effet, une des erreurs de ces hérétiques +était de condamner tout commerce charnel. Impatient d'éclaircir ses +doutes, Gervais provoqua aussitôt la jouvencelle à un débat sur +l'enseignement de l'Église relativement à l'œuvre de chair. +Cependant l'archevêque Guillaume aux Blanches Mains fit retourner sa +monture et poussa, suivi de ses religieux, jusqu'à la vigne où la +jeune fille et le clerc disputaient ensemble. Lorsqu'il eut appris le +sujet de leur dispute, il ordonna qu'on saisît cette jeune fille et +qu'on l'amenât dans la ville. Là, il l'exhorta et s'efforça +charitablement de la convertir à la foi catholique.</p> + +<p>Pourtant elle ne se soumit point.</p> + +<p>—Je ne suis pas, lui dit-elle, assez instruite dans la doctrine pour +me défendre. Mais j'ai en ville une maîtresse qui réfutera très +facilement, par de bonnes raisons, tous vos arguments. C'est une telle +qui loge en telle maison.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page244" name="page244"></a>(p. 244)</span> L'archevêque Guillaume envoya aussitôt quérir cette femme et, +l'ayant interrogée, il reconnut que la jeune fille avait parlé d'elle +exactement. Dès le lendemain il convoqua une assemblée de clercs et de +nobles pour juger les deux femmes. Elles furent l'une et l'autre +condamnées au feu. La maîtresse parvint à s'échapper, mais la jeune +fille, n'ayant pu être, par persuasion ni promesses, tirée de sa +pernicieuse erreur, fut livrée au bourreau. Elle mourut sans verser +une larme, sans murmurer une plainte<a id="footnotetag738" name="footnotetag738"></a><a href="#footnote738" title="Lien vers la note 738"><span class="smaller">[738]</span></a>.</p> + +<p>On croyait communément alors que le diable prenait la virginité des +filles qui se donnaient à lui et que c'était le premier acte par +lequel il exerçait sa puissance sur ces malheureuses créatures<a id="footnotetag739" name="footnotetag739"></a><a href="#footnote739" title="Lien vers la note 739"><span class="smaller">[739]</span></a>. +Cette façon d'agir était conforme à ce qu'on savait de son tempérament +libidineux. Il y goûtait un plaisir accommodé à sa condition +souffrante; il y obtenait de plus un avantage considérable, celui de +désarmer sa victime, car la virginité est une cuirasse contre laquelle +les traits de l'enfer se brisent comme paille. De la sorte on était +presque assuré de ne point trouver dans un corps intact et pur une âme +vouée au démon<a id="footnotetag740" name="footnotetag740"></a><a href="#footnote740" title="Lien vers la note 740"><span class="smaller">[740]</span></a>. Il y avait donc un moyen, autant dire +infaillible, de constater que la paysanne de Vaucouleurs n'était pas +adonnée à la <span class="pagenum"><a id="page245" name="page245"></a>(p. 245)</span> magie ni à la sorcellerie, qu'elle n'avait +point fait de pacte avec le Malin. On y eut recours.</p> + +<p>Jeanne fut vue, visitée, secrètement regardée, amplement examinée par +de sages femmes, <i>mulieres doctas</i>, des vierges expertes, <i>peritas +virgines</i>, des veuves et des épouses, <i>viduas et conjugatas</i>. Au +premier rang de ces matrones se trouvaient la reine de Sicile et de +Jérusalem, duchesse d'Anjou; la dame Jeanne de Preuilly, femme du sire +de Gaucourt, gouverneur d'Orléans, laquelle était âgée de +cinquante-sept ans environ, et la dame Jeanne de Mortemer, femme de +messire Robert Le Maçon, seigneur de Trêves, homme d'un grand +âge<a id="footnotetag741" name="footnotetag741"></a><a href="#footnote741" title="Lien vers la note 741"><span class="smaller">[741]</span></a>. Celle-ci n'avait pas plus de dix-huit ans, et l'on eût cru +qu'elle connaissait mieux le calendrier des vieillards que le +formulaire des matrones. Ce qui semble étrange, c'est l'assurance avec +laquelle les prudes femmes d'alors se livraient à une recherche que le +roi Salomon, dans sa sagesse, estimait difficile.</p> + +<p>Jeanne de Domremy fut trouvée vraie et entière pucelle, sans apparence +de corruption ni trace de violence<a id="footnotetag742" name="footnotetag742"></a><a href="#footnote742" title="Lien vers la note 742"><span class="smaller">[742]</span></a>.</p> + +<p>En même temps qu'elle subissait les interrogatoires des docteurs et +l'examen des matrones, plusieurs religieux, envoyés dans son pays +natal, y poursuivaient <span class="pagenum"><a id="page246" name="page246"></a>(p. 246)</span> une enquête sur sa naissance, sa vie +et ses mœurs<a id="footnotetag743" name="footnotetag743"></a><a href="#footnote743" title="Lien vers la note 743"><span class="smaller">[743]</span></a>. Ils avaient été choisis parmi ces moines +mendiants qui, sans cesse par voies et par chemins, pouvaient se +mouvoir en pays ennemi sans éveiller la défiance des Anglais et des +Bourguignons. En effet, ils ne furent point inquiétés et ils +rapportèrent de Domremy et de Vaucouleurs des témoignages certains qui +attestaient l'humilité, la dévotion, l'honnêteté et la simplicité de +Jeanne. Ils en rapportèrent surtout des contes pieux qu'ils n'avaient +pas eu grand'peine à trouver, car c'était ceux dont on ornait +communément l'enfance des saints. Il est juste de faire à ces moines +une très grande part dans les légendes de la première heure qui +devinrent si vite populaires. Ils contèrent, dès lors, selon toute +apparence, que, lorsque Jeanne était dans sa septième année, les loups +n'approchaient point de ses moutons et que les oiseaux des bois, quand +elle les appelait, venaient manger son pain dans son giron<a id="footnotetag744" name="footnotetag744"></a><a href="#footnote744" title="Lien vers la note 744"><span class="smaller">[744]</span></a>. Ces +fleurettes semblent bien d'origine franciscaine: on y retrouve le loup +de Gubbio et les oiseaux prêchés par saint François. Peut-être ces +mendiants fournirent-ils aussi quelques exemples du don de prophétie +qui était en la Pucelle, et publièrent-ils que, se trouvant à +Vaucouleurs, le jour des Harengs, elle avait su le grand dommage +souffert par les Français à <span class="pagenum"><a id="page247" name="page247"></a>(p. 247)</span> Rouvray<a id="footnotetag745" name="footnotetag745"></a><a href="#footnote745" title="Lien vers la note 745"><span class="smaller">[745]</span></a>. La fortune de ces +petits récits fut immense et soudaine.</p> + +<p>Après cet examen et ces enquêtes, les docteurs conclurent:</p> + +<p>«Le roi, attendu la nécessité de lui et de son royaume, et considéré +les continues prières de son pauvre peuple envers Dieu et tous autres +aimant paix et justice, ne doit point débouter ni rejeter la Pucelle, +qui se dit être envoyée de par Dieu pour lui donner secours, non +obstant que ces promesses soient seules<a id="footnotetag746" name="footnotetag746"></a><a href="#footnote746" title="Lien vers la note 746"><span class="smaller">[746]</span></a> œuvres humaines; ni +aussi ne doit croire en elle tant tôt et légèrement. Mais en suivant +la sainte Écriture, il la doit éprouver par deux manières: c'est +assavoir par prudence humaine, en enquérant de sa vie, de ses mœurs +et de son intention, comme dit saint Paul l'Apôtre: <i>Probate spiritus, +si ex Deo sunt</i>; et, par dévote oraison, requérir signe d'aucune +œuvre et espérance divine, par quoi on puisse juger qu'elle est +venue de la volonté de Dieu. Aussi commanda Dieu à Achaz, qu'il +demandât signe, quand Dieu lui faisait promesse de victoire, en lui +disant: <i>Pete signum a Domino</i>; et semblablement fit Gédéon, qui +demanda signe, et plusieurs autres, etc.</p> + +<p>»Le roi, depuis la venue de ladite Pucelle, a observé et tenu les deux +manières susdites: c'est assavoir <span class="pagenum"><a id="page248" name="page248"></a>(p. 248)</span> probation par prudence +humaine et par oraison, en demandant signe de Dieu. Quant à la +première qui est par prudence humaine, il a fait éprouver ladite +Pucelle de sa vie, de sa naissance, de ses mœurs, de son intention +et l'a fait garder avec lui bien par l'espace de six semaines pour la +montrer à toutes gens soit clercs, gens d'Église, gens de dévotion, +gens d'armes, femmes, veuves et autres. Et publiquement et secrètement +elle a conversé avec toutes gens. Mais en elle on ne trouve point de +mal, et rien que bien, humilité, virginité, dévotion, honnêteté, +simplesse; et de sa naissance et de sa vie plusieurs choses +merveilleuses sont dites comme vraies.</p> + +<p>»Quant à la seconde manière de probation, le roi lui demanda signe, à +quoi elle répond que, devant la ville d'Orléans, elle le montrera, et +non pas avant ni en autre lieu: car ainsi lui est ordonné de par Dieu.</p> + +<p>»Le roi, attendu la probation faite, de ladite Pucelle, autant qu'il +lui était possible, et nul mal ne trouvant en elle, et considéré sa +réponse qui est de montrer signe divin devant Orléans; vu sa constance +et sa persévérance en son propos, et ses requêtes instantes d'aller à +Orléans, pour y montrer le signe de divin secours, ne la doit point +empêcher d'aller à Orléans avec ses gens d'armes; mais la doit faire +conduire honnêtement, en espérant en Dieu. Car avoir crainte d'elle ou +la rejeter sans apparence de mal serait répugner au Saint-Esprit, et +se rendre indigne de l'aide de <span class="pagenum"><a id="page249" name="page249"></a>(p. 249)</span> Dieu, comme dit Gamaliel en +un conseil des Juifs au regard des Apôtres<a id="footnotetag747" name="footnotetag747"></a><a href="#footnote747" title="Lien vers la note 747"><span class="smaller">[747]</span></a>.»</p> + +<p>En résumé, la conclusion des docteurs était que rien de divin ne +paraissait encore dans les promesses de la Pucelle, mais qu'elle avait +été examinée et trouvée humble, vierge, dévote, honnête, simple et +toute bonne et que, puisqu'elle avait promis de montrer un signe de +Dieu devant Orléans, il fallait l'y conduire, de peur de repousser +avec elle les grâces de l'Esprit-Saint.</p> + +<p>Ces conclusions furent copiées à un grand nombre d'exemplaires et +envoyées aux villes du royaume ainsi qu'aux princes de la chrétienté. +L'empereur Sigismond, notamment, en reçut une copie<a id="footnotetag748" name="footnotetag748"></a><a href="#footnote748" title="Lien vers la note 748"><span class="smaller">[748]</span></a>. Si, par une +enquête de six semaines, suivie d'une conclusion favorable et +solennelle, les docteurs de Poitiers voulurent mettre en lumière et en +honneur la Pucelle, préparer, annoncer la merveille qu'ils avaient +sous la main, la montrer de manière à réconforter les Français, ils +réussirent parfaitement dans leur entreprise<a id="footnotetag749" name="footnotetag749"></a><a href="#footnote749" title="Lien vers la note 749"><span class="smaller">[749]</span></a>. Cette longue +information, ces minutieux examens rassurèrent en France les esprits +défiants qui craignaient qu'une fille habillée en homme ne fût une +diablesse, éblouirent les imaginations par l'espoir du miracle, +touchèrent les <span class="pagenum"><a id="page250" name="page250"></a>(p. 250)</span> cœurs en faveur de cette jeune fille qui +sortait du creuset radieuse et comme environnée d'une lumière céleste. +La victoire remportée par elle dans cette dispute avec les docteurs la +faisait paraître une autre sainte Catherine<a id="footnotetag750" name="footnotetag750"></a><a href="#footnote750" title="Lien vers la note 750"><span class="smaller">[750]</span></a>. Et comme ce n'était +pas assez pour la foule avide de prodiges qu'elle eût répondu sagement +aux questions difficiles, on imagina qu'elle avait été soumise à des +épreuves étranges et telles qu'elle n'avait pu les surmonter que par +miracle. C'est ainsi qu'on raconta quelques semaines après l'enquête, +en Bretagne et en Flandres, l'histoire merveilleuse que voici: À +Poitiers, comme elle se préparait à recevoir la communion, le prêtre +avait une hostie consacrée et une autre qui ne l'était pas; il voulut +lui donner celle qui n'était pas consacrée; elle la prit dans sa main +et dit au prêtre que cette hostie n'était pas le corps du Christ son +Rédempteur, mais que ce corps était dans l'hostie que le prêtre avait +mise sous le corporal<a id="footnotetag751" name="footnotetag751"></a><a href="#footnote751" title="Lien vers la note 751"><span class="smaller">[751]</span></a>. Comment douter après cela que Jeanne ne +fût une grande sainte?</p> + +<p>À la clôture des enquêtes, une occasion favorable survint, dans les +premiers jours d'avril, de jeter la Pucelle dans Orléans. On l'envoya +d'abord à Tours, pour qu'elle s'y fît équiper et armer<a id="footnotetag752" name="footnotetag752"></a><a href="#footnote752" title="Lien vers la note 752"><span class="smaller">[752]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page251" name="page251"></a>(p. 251)</span> Soixante-six ans plus tard, un habitant de Poitiers, presque +centenaire, contait à un jeune concitoyen qu'il avait vu la Pucelle +monter à cheval tout armée de blanc pour aller à Orléans<a id="footnotetag753" name="footnotetag753"></a><a href="#footnote753" title="Lien vers la note 753"><span class="smaller">[753]</span></a>. Il +montrait au coin de la rue Saint-Étienne la pierre de laquelle elle +s'était aidée pour se mettre en selle. Jeanne, à Poitiers, n'était +point armée. Mais la pierre avait reçu du peuple poitevin le nom de +«montoir de la Pucelle<a id="footnotetag754" name="footnotetag754"></a><a href="#footnote754" title="Lien vers la note 754"><span class="smaller">[754]</span></a>». De quel pied alerte et joyeux la Sainte +dut sauter de cette pierre sur le cheval qui l'emportait, loin des +chats fourrés, vers les vaincus et les affligés qu'elle avait hâte de +secourir!</p> + + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page252" name="page252"></a>(p. 252)</span> CHAPITRE IX<br> + +<span class="smaller">LA PUCELLE À TOURS.</span></h2> + + +<p>À Tours, la Pucelle logea en l'hôtel d'une dame qu'on nommait +communément Lapau<a id="footnotetag755" name="footnotetag755"></a><a href="#footnote755" title="Lien vers la note 755"><span class="smaller">[755]</span></a>. C'était Éléonore de Paul, une Angevine qui +avait été demoiselle de la reine Marie d'Anjou. Ayant épousé Jean du +Puy, seigneur de la Roche-Saint-Quentin, conseiller de la reine de +Sicile, elle restait encore auprès de la reine de France<a id="footnotetag756" name="footnotetag756"></a><a href="#footnote756" title="Lien vers la note 756"><span class="smaller">[756]</span></a>.</p> + +<p>La ville de Tours appartenait alors à la reine de Sicile qui +s'enrichissait à mesure que son gendre se ruinait. Elle l'aidait en +argent et il lui donnait des terres. C'est ainsi qu'en 1424 elle reçut +le duché de Touraine avec toutes ses dépendances, sauf la châtellenie +de Chinon<a id="footnotetag757" name="footnotetag757"></a><a href="#footnote757" title="Lien vers la note 757"><span class="smaller">[757]</span></a>. Les bourgeois et manants de Tours avaient <span class="pagenum"><a id="page253" name="page253"></a>(p. 253)</span> +bon désir de la paix. En attendant qu'elle vînt, ils tâchaient à +grand'peine d'échapper aux pilleries des gens d'armes. Ni le roi +Charles ni la reine Yolande n'étaient capables de les défendre et il +leur fallait se défendre eux-mêmes<a id="footnotetag758" name="footnotetag758"></a><a href="#footnote758" title="Lien vers la note 758"><span class="smaller">[758]</span></a>. Quand un de ces chefs de +bandes, qui ravageaient la Touraine et l'Anjou, était signalé par les +guetteurs de la ville, les bourgeois fermaient leurs portes et +veillaient à ce que les couleuvrines fussent en place. On +parlementait; le capitaine, au bord du fossé, exposait qu'il était au +service du roi, qu'il allait combattre les Anglais, qu'il demandait à +coucher dans la ville avec ses hommes; on l'invitait poliment, du haut +de la muraille, à passer outre et, pour qu'il ne fût pas tenté de +forcer l'entrée, on lui offrait une somme d'argent<a id="footnotetag759" name="footnotetag759"></a><a href="#footnote759" title="Lien vers la note 759"><span class="smaller">[759]</span></a>. De peur +d'être écorchés, les bourgeois se faisaient tondre. C'est ainsi que, +peu de jours avant la venue de Jeanne, ils donnèrent à l'Écossais +Kennedy, qui ravageait les environs, deux cents livres pour qu'il +allât un peu plus loin. Quand ils s'étaient débarrassés de leurs +défenseurs, leur plus grand souci était de se garder des Anglais. Le +29 février de cette même année 1429, ces bourgeois prêtèrent cent écus +au capitaine La Hire qui, pour lors, faisait de son mieux dans +Orléans. Et même à l'approche des Anglais, ils consentirent <span class="pagenum"><a id="page254" name="page254"></a>(p. 254)</span> +à recevoir quarante hommes de trait, de la compagnie du sire de Bueil, +à la condition que Bueil logeât au Château avec vingt hommes et que +les autres allassent dans les hôtelleries et ne prissent rien sans +payer. Il en fut ainsi ou autrement, et le sire de Bueil s'en alla +défendre Orléans<a id="footnotetag760" name="footnotetag760"></a><a href="#footnote760" title="Lien vers la note 760"><span class="smaller">[760]</span></a>.</p> + +<p>Dans l'hôtel de Jean du Puy, Jeanne reçut la visite d'un moine +augustin, nommé Jean Pasquerel, qui revenait de la ville du +Puy-en-Velay où il s'était rencontré avec Isabelle Romée et +quelques-uns de ceux qui avaient mené Jeanne au roi<a id="footnotetag761" name="footnotetag761"></a><a href="#footnote761" title="Lien vers la note 761"><span class="smaller">[761]</span></a>.</p> + +<p>En cette ville, dans le sanctuaire d'Anis, on gardait une image de la +mère de Dieu, rapportée d'Égypte par saint Louis et qui était ancienne +et vénérable, car le prophète Jérémie l'avait taillée de ses mains +dans du bois de sycomore, à la ressemblance de la vierge à naître +qu'il avait vue en esprit<a id="footnotetag762" name="footnotetag762"></a><a href="#footnote762" title="Lien vers la note 762"><span class="smaller">[762]</span></a>. Durant la semaine sainte, les pèlerins +y affluaient de toutes les parties de la France et de l'Europe, +seigneurs, clercs, gens d'armes, bourgeois et paysans, et beaucoup, +par pénitence ou pauvreté, cheminaient à pied, le bourdon à la main et +mendiaient leur pain aux portes. Des marchands de toutes sortes s'y +rendaient et c'était tout ensemble un des plus fréquentés pèlerinages +et une des plus riches <span class="pagenum"><a id="page255" name="page255"></a>(p. 255)</span> foires du monde. Aux environs de la +ville, les chemins ne suffisaient pas aux voyageurs qui envahissaient +vignes, prés et jardins. En l'an 1407, le jour du pardon, deux cents +personnes périrent étouffées<a id="footnotetag763" name="footnotetag763"></a><a href="#footnote763" title="Lien vers la note 763"><span class="smaller">[763]</span></a>.</p> + +<p>En certaines années, la conception de Notre-Seigneur se trouvant +commémorée en même temps que sa mort, la promesse du plus grand des +mystères coïncidait avec sa consommation. Alors le vendredi saint +devenait plus saint encore; on l'appelait le grand vendredi, et ceux +qui le passaient dans le sanctuaire d'Anis gagnaient une indulgence +plénière. Ce jour-là, les pèlerins s'y pressaient encore plus nombreux +que de coutume. Or, en l'an 1429, le vendredi saint tombait le 25 +mars, jour de l'Annonciation<a id="footnotetag764" name="footnotetag764"></a><a href="#footnote764" title="Lien vers la note 764"><span class="smaller">[764]</span></a>.</p> + +<p>Les rencontres que frère Pasquerel fit au Puy, pendant la semaine +sainte, ne doivent donc pas nous sembler trop extraordinaires. Qu'une +femme des champs accomplît un voyage de plus de cent lieues, à pied, +par un pays infesté de gens d'armes et autres larrons, sur de +mauvaises routes, dans la saison des neiges et des brumes, pour gagner +son pardon, c'est ce qui se voyait tous les jours; et la Romée n'en +était pas à son premier pèlerinage, si l'on s'en rapporte au surnom +qu'elle portait déjà depuis longtemps<a id="footnotetag765" name="footnotetag765"></a><a href="#footnote765" title="Lien vers la note 765"><span class="smaller">[765]</span></a>. <span class="pagenum"><a id="page256" name="page256"></a>(p. 256)</span> Ne sachant point +quels étaient ceux des compagnons de la Pucelle que rencontra le bon +Frère, nous sommes libres de croire que Bertrand de Poulengy se +trouvait du nombre. Nous ne le connaissons guère, mais son langage +révèle une personne dévote<a id="footnotetag766" name="footnotetag766"></a><a href="#footnote766" title="Lien vers la note 766"><span class="smaller">[766]</span></a>.</p> + +<p>Ces compagnons, s'étant mis sur un pied de familiarité avec Pasquerel, +lui dirent: «Il vous faut nous accompagner auprès de Jeanne. Nous ne +vous lâcherons pas que nous ne vous ayons conduit près d'elle.» Ils +cheminèrent ensemble. Frère Pasquerel passa avec eux à Chinon, quand +Jeanne n'y était plus; puis il alla à Tours où se trouvait son +couvent.</p> + +<p>Les augustins, qui prétendaient avoir reçu leur règle de saint +Augustin lui-même, portaient alors l'habit gris des franciscains. +C'est dans leur ordre, que l'année précédente, le roi avait choisi le +chapelain de son jeune fils, le dauphin Louis. Frère Pasquerel tenait +en son couvent l'emploi de lecteur<a id="footnotetag767" name="footnotetag767"></a><a href="#footnote767" title="Lien vers la note 767"><span class="smaller">[767]</span></a>. Il était prêtre. Fort jeune, +sans doute, et d'humeur errante, comme alors beaucoup de moines +mendiants, il avait le goût des choses merveilleuses et une extrême +crédulité.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page257" name="page257"></a>(p. 257)</span> Les compagnons dirent à Jeanne:</p> + +<p>—Jeanne, nous vous avons amené ce bon père. Quand vous le connaîtrez +bien vous l'aimerez bien.</p> + +<p>Elle répondit:</p> + +<p>—Le bon père me rend bien contente, j'ai déjà entendu parler de lui, +et dès demain je veux me confesser à lui.</p> + +<p>Le lendemain, le bon père l'ouït en confession et chanta la messe +devant elle. Il devint son aumônier et ne la quitta plus<a id="footnotetag768" name="footnotetag768"></a><a href="#footnote768" title="Lien vers la note 768"><span class="smaller">[768]</span></a>.</p> + +<p>Au <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> siècle, Tours était une des villes les plus industrieuses du +royaume. Les habitants excellaient en toutes sortes de métiers. Ils +tissaient des draps de soie d'or et d'argent. Ils fabriquaient aussi +des harnais de guerre; et, sans égaler les armuriers de Milan, de +Nuremberg et d'Augsbourg, ils étaient habiles à forger et à écrouir +l'acier<a id="footnotetag769" name="footnotetag769"></a><a href="#footnote769" title="Lien vers la note 769"><span class="smaller">[769]</span></a>. Là, un maître-armurier, par ordre du roi, fit sur mesure +une armure à la Pucelle<a id="footnotetag770" name="footnotetag770"></a><a href="#footnote770" title="Lien vers la note 770"><span class="smaller">[770]</span></a>. L'habillement de fer battu qu'il fournit +se composait, selon l'usage du temps, d'un heaume et d'une cuirasse en +quatre pièces, avec épaulières, bras, coudières, avant-bras, +gantelets, cuissots, genouillères, grèves et solerets<a id="footnotetag771" name="footnotetag771"></a><a href="#footnote771" title="Lien vers la note 771"><span class="smaller">[771]</span></a>. L'ouvrier, +sans doute, ne songea pas à accuser la forme féminine. Mais les +armures d'alors, bombées à <span class="pagenum"><a id="page258" name="page258"></a>(p. 258)</span> la poitrine, minces de taille +avec les tassettes évasées sur les hanches, ont toutes l'air, dans +leur grâce mièvre et leur sveltesse étrange, d'armures de femmes et +semblent faites pour la reine Penthésilée ou pour Camille romaine. +L'armure de la Pucelle était une armure blanche, toute simple, ainsi +qu'on en peut juger par le prix médiocre de cent livres tournois +qu'elle coûta. Les deux harnais de Jean de Metz et de son compagnon, +fournis en même temps par le même armurier, valaient ensemble cent +vingt-cinq livres tournois<a id="footnotetag772" name="footnotetag772"></a><a href="#footnote772" title="Lien vers la note 772"><span class="smaller">[772]</span></a>. Peut-être un de ces habiles et +renommés drapiers de Tours prit-il mesure sur la jeune fille d'une +huque ou houppelande, sorte de casaque de drap de soie, d'or et +d'argent, que les capitaines passaient par-dessus la cuirasse. Ouverte +par devant, la huque, pour avoir bon air, devait être déchiquetée en +lambrequins qui flottaient follement autour du cavalier. Jeanne aimait +les belles huques et plus encore les beaux chevaux<a id="footnotetag773" name="footnotetag773"></a><a href="#footnote773" title="Lien vers la note 773"><span class="smaller">[773]</span></a>.</p> + +<p>Le roi l'invita à prendre un cheval dans ses écuries. Si certain poète +latin dit vrai, elle choisit une bête <span class="pagenum"><a id="page259" name="page259"></a>(p. 259)</span> illustre assurément +par son origine, mais très vieille. C'était un destrier que Pierre de +Beauvau, gouverneur d'Anjou et du Maine, avait donné à l'un des deux +frères du roi, morts tous deux, l'un depuis déjà treize ans, l'autre +depuis douze<a id="footnotetag774" name="footnotetag774"></a><a href="#footnote774" title="Lien vers la note 774"><span class="smaller">[774]</span></a>. Ce cheval, ou un autre, fut mené dans la maison +Lapau, et le duc d'Alençon l'y alla voir. Le cheval dut recevoir aussi +son habillement, un chanfrein pour protéger la tête et une de ces +selles de bois à pommeau évasé dans lesquelles le cavalier se trouvait +parfaitement emboîté<a id="footnotetag775" name="footnotetag775"></a><a href="#footnote775" title="Lien vers la note 775"><span class="smaller">[775]</span></a>. De l'écu, il n'en put être question. Cette +pièce ne se portait plus qu'aux fêtes depuis que les armures de +mailles, qui se rompaient sous les coups, étaient remplacées par les +armures de plates, que rien n'entamait. Quant à l'épée, la plus noble +pièce du harnais et la plus claire image de la force unie à la +loyauté, Jeanne ne consentit pas à la tenir de l'armurier royal; elle +voulut la recevoir de sainte Catherine elle-même.</p> + +<p>On sait qu'à sa venue en France, elle s'était arrêtée à Fierbois et +qu'elle avait entendu trois messes dans la chapelle de sainte +Catherine<a id="footnotetag776" name="footnotetag776"></a><a href="#footnote776" title="Lien vers la note 776"><span class="smaller">[776]</span></a>. La vierge d'Alexandrie possédait en ce lieu de +Fierbois beaucoup d'épées, sans compter celle que Charles Martel lui +avait donnée, disait-on, et qu'il n'aurait pas été facile de +retrouver. Bonne Tourangelle en Touraine, elle était <span class="pagenum"><a id="page260" name="page260"></a>(p. 260)</span> du +parti des Armagnacs et se montrait en toutes rencontres favorable aux +hommes d'armes qui tenaient pour le dauphin Charles. Les capitaines et +les routiers du parti français, sachant qu'elle leur voulait du bien, +l'invoquaient préférablement à toute autre, quand ils se trouvaient en +danger de mort ou prisonniers de leurs ennemis. Elle ne les sauvait +pas tous, mais elle en secourait plusieurs qui venaient lui rendre +grâces, et, en signe de reconnaissance, lui offrir leurs harnais de +guerre; de sorte que la chapelle de madame sainte Catherine +ressemblait à une salle d'armes<a id="footnotetag777" name="footnotetag777"></a><a href="#footnote777" title="Lien vers la note 777"><span class="smaller">[777]</span></a>. Les murs en étaient tout +hérissés de fer, et, comme les dons affluaient depuis plus de +cinquante années, depuis le temps du roi Charles V, il est probable +que les sacristains décrochaient les anciennes armes pour faire place +aux nouvelles et entassaient dans quelque magasin la vieille ferraille +en attendant une occasion favorable de la vendre<a id="footnotetag778" name="footnotetag778"></a><a href="#footnote778" title="Lien vers la note 778"><span class="smaller">[778]</span></a>. Sainte +Catherine ne pouvait refuser une épée à la jeune fille qu'elle aimait +jusqu'à descendre du paradis tous les jours et à toute heure pour la +voir et l'entretenir sur terre et qui, à son tour, lui avait fait une +bonne et dévote visite en ce lieu de Fierbois. Car il faut savoir que +sainte Catherine, accompagnée de sainte Marguerite, n'avait pas cessé +de fréquenter près de Jeanne à Chinon <span class="pagenum"><a id="page261" name="page261"></a>(p. 261)</span> et à Tours. Elle +faisait partie de toutes ces assemblées secrètes que la Pucelle +appelait parfois son Conseil et plus souvent ses Voix, sans doute +parce que ses oreilles et son esprit en étaient encore plus frappés +que ses yeux, malgré l'éclat des lumières dont elle était parfois +éblouie et bien qu'elle distinguât des couronnes au front des saintes. +Les Voix désignèrent une épée entre toutes celles qui se trouvaient +dans la chapelle de Fierbois. Messire Richard Kyrthrizian et frère +Gille Lecourt, tous deux prêtres, étaient alors gouverneurs de la +chapelle. Tel est le titre qu'ils se donnaient en signant les +relations des miracles de leur sainte. Jeanne, par lettre missive, +leur fit demander l'épée dont elle avait eu révélation. On la +trouvera, disait-elle en sa lettre, sous terre, pas fort avant et +derrière l'autel. Ce fut du moins là toutes les indications qu'elle +put donner plus tard; encore ne lui souvenait-il plus bien si c'était +derrière l'autel ou devant. Sut-elle montrer aux gouverneurs de la +chapelle quelques signes auxquels ils reconnussent l'épée? Elle ne +s'expliqua jamais sur ce point et sa lettre est perdue<a id="footnotetag779" name="footnotetag779"></a><a href="#footnote779" title="Lien vers la note 779"><span class="smaller">[779]</span></a>.</p> + +<p>Ce qui est certain, c'est qu'elle croyait avoir vu cette épée par +révélation, et non pas autrement. Un armurier tourangeau, qu'elle ne +connaissait point (elle affirma depuis ne l'avoir jamais vu), fut +chargé de porter la lettre à Fierbois. Les gouverneurs de la chapelle +lui <span class="pagenum"><a id="page262" name="page262"></a>(p. 262)</span> remirent une épée marquée de cinq croix, ou de cinq +petites épées sur la lame, assez près de la garde. En quel endroit de +la chapelle l'avaient-ils trouvée? On ne sait. Un contemporain dit que +ce fut dans un coffre, avec de vieilles ferrailles. Si elle avait été +cachée et enfouie, ce n'était pas très anciennement; car il suffit de +la frotter un peu pour en ôter la rouille. Les prêtres eurent à +cœur de l'offrir très honorablement à la Pucelle<a id="footnotetag780" name="footnotetag780"></a><a href="#footnote780" title="Lien vers la note 780"><span class="smaller">[780]</span></a>. Ils +l'enfermèrent dans un fourreau de velours vermeil, semé de fleurs de +lis, avant de la remettre à l'armurier, qui la venait prendre. Jeanne, +en la recevant, la reconnut pour celle qu'elle avait vue par +révélation divine et que les Voix lui avaient promise. Et elle le dit +très haut à tout ce petit monde de moines et de soldats qui vivaient +près d'elle. Cela sembla bien admirable et signe de victoire<a id="footnotetag781" name="footnotetag781"></a><a href="#footnote781" title="Lien vers la note 781"><span class="smaller">[781]</span></a>. Des +prêtres de la ville donnèrent, pour protéger l'épée de sainte +Catherine, un second fourreau, celui-là de drap noir. Jeanne en fit +faire un troisième de cuir très fort<a id="footnotetag782" name="footnotetag782"></a><a href="#footnote782" title="Lien vers la note 782"><span class="smaller">[782]</span></a>.</p> + +<p>L'histoire de cette épée se répandit au loin, grossie de fables +étranges. C'était, disait-on, l'épée, longtemps <span class="pagenum"><a id="page263" name="page263"></a>(p. 263)</span> endormie +sous terre, du grand Charles Martel. Plusieurs pensaient que ce fût +l'épée d'Alexandre et des preux du temps jadis. Tous la tenaient bonne +et fortunée. Bientôt les Anglais et les Bourguignons, instruits de la +chose, eurent idée que cette Pucelle avait consulté les démons pour +voir ce qui était caché dans la terre, ou soupçonnèrent qu'elle avait +elle-même malicieusement enfoui l'épée à l'endroit par elle désigné, +afin de séduire les princes, le clergé et le peuple. Ils se +demandaient avec inquiétude si ces cinq croix n'étaient pas des signes +diaboliques<a id="footnotetag783" name="footnotetag783"></a><a href="#footnote783" title="Lien vers la note 783"><span class="smaller">[783]</span></a>. Ainsi commençaient à se former les illusions +contraires selon lesquelles Jeanne parut sainte ou sorcière.</p> + +<p>Le roi ne lui avait confié aucun commandement. Se conformant à l'avis +des docteurs, il ne l'empêchait pas d'aller à Orléans avec ses gens +d'armes, et même il l'y faisait mener honorablement, afin qu'elle y +montrât le signe qu'elle avait promis. Il lui donnait des gens pour la +conduire, et non pour qu'elle les conduisît. Comment les eût-elle +conduits, puisqu'elle ne savait point le chemin? Cependant elle fit +faire un étendard selon le mandement de mesdames sainte Catherine et +sainte Marguerite qui lui avaient dit: «Prends l'étendard de par le +Roi du ciel!» Il était d'une grosse toile blanche, dite boucassin ou +bougran, et bordé de franges de soie. <span class="pagenum"><a id="page264" name="page264"></a>(p. 264)</span> Ayant reçu avis de ses +Voix, Jeanne y fit mettre, par un peintre de la ville, ce qu'elle +appelait «le Monde»<a id="footnotetag784" name="footnotetag784"></a><a href="#footnote784" title="Lien vers la note 784"><span class="smaller">[784]</span></a>, c'est-à-dire Notre-Seigneur, assis sur son +trône, bénissant de sa dextre levée et tenant dans sa main senestre la +boule du monde. À sa droite était un ange, et un ange à sa gauche, +peints tous deux en la manière qu'on les voyait dans les églises, et +présentant au Seigneur des fleurs de lis. Les noms Jhesus-Maria +étaient écrits dessus ou à côté, et le champ était semé de fleurs de +lis d'or<a id="footnotetag785" name="footnotetag785"></a><a href="#footnote785" title="Lien vers la note 785"><span class="smaller">[785]</span></a>. Elle se fit peindre aussi des armoiries. C'était, dans +un écu d'azur, une colombe d'argent, tenant en son bec une banderole +où on lisait: «De par le Roi du ciel<a id="footnotetag786" name="footnotetag786"></a><a href="#footnote786" title="Lien vers la note 786"><span class="smaller">[786]</span></a>.» Elle mit cet écu sur +l'avers de l'étendard dont Notre-Seigneur occupait la face. Un +serviteur du duc d'Alençon, Perceval de Cagny, dit qu'elle fit faire +aussi un étendard plus petit que l'autre, un pennon, sur lequel était +l'image de Notre-Dame recevant le salut de l'Ange. Le Peintre de +Tours, que Jeanne avait employé, venait d'Écosse et se nommait Hamish +Power. Il fournit l'étoffe et fit les peintures des deux panonceaux, +du grand et du petit; il reçut pour cela du trésorier des guerres +vingt-cinq livres tournois<a id="footnotetag787" name="footnotetag787"></a><a href="#footnote787" title="Lien vers la note 787"><span class="smaller">[787]</span></a>. Hamish Power avait une fille nommée +<span class="pagenum"><a id="page265" name="page265"></a>(p. 265)</span> Héliote, qui était près de se marier et dont Jeanne se +souvint plus tard avec bonté<a id="footnotetag788" name="footnotetag788"></a><a href="#footnote788" title="Lien vers la note 788"><span class="smaller">[788]</span></a>.</p> + +<p>L'étendard était signe de ralliement. Longtemps les rois, les +empereurs, les chefs de guerre seuls l'avaient pu lever. Le suzerain +le faisait porter devant lui; les vassaux venaient sous les bannières +de leurs seigneurs. Mais, en 1429, les bannières n'étaient plus en +usage que dans les confréries, les corporations ou les paroisses, et +ne marchaient que devant des troupes pacifiques. À la guerre, il n'en +était plus question. Le moindre capitaine, le plus pauvre chevalier, +avait son étendard. Devant Orléans, quand cinquante gens d'armes +français couraient sus à une poignée de pillards anglais, des +étendards volaient sur eux par les champs comme un essaim de +papillons. On disait encore, en manière de proverbe, faire étendard +pour dire s'enorgueillir<a id="footnotetag789" name="footnotetag789"></a><a href="#footnote789" title="Lien vers la note 789"><span class="smaller">[789]</span></a>. En fait, un routier levait l'étendard +sans blâme en menant seulement à la guerre une vingtaine de gens +d'armes et de gens de trait à moitié nus. Jeanne en pouvait bien faire +autant. Et si même elle tenait, comme il est croyable, son étendard +pour signe de <span class="pagenum"><a id="page266" name="page266"></a>(p. 266)</span> commandement souverain et si, l'ayant reçu du +Roi du ciel, elle entendait le lever au-dessus de tous les autres, en +restait-il un seul dans le royaume pour lui disputer ce rang? +Qu'étaient-elles devenues, ces bannières féodales portées pendant +quatre-vingts ans au premier rang des désastres, semées dans les +champs de Crécy, ramassées sous les haies et les buissons par les +coustillers de Galles et de Cornouailles, perdues dans les vignes de +Maupertuis, foulées aux pieds des archers anglais dans la terre molle +où s'enfonçaient les morts d'Azincourt, ramassées à pleines mains, +sous les murs de Verneuil, par les maraudeurs de Bedford? C'est parce +que toutes ces bannières étaient misérablement tombées, c'est parce +qu'à Rouvray un prince du sang royal venait de traîner honteusement +dans sa fuite les étendards des seigneurs, que se levait maintenant +l'étendard de la paysanne.</p> + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page267" name="page267"></a>(p. 267)</span> CHAPITRE X<br> + +<span class="smaller">LE SIÈGE D'ORLÉANS DU 7 MARS AU 28 AVRIL 1429.</span></h2> + + +<p>Depuis la déconfiture terrible et ridicule des gens du Roi dans la +journée des Harengs, les bourgeois avaient perdu toute confiance en +leurs défenseurs. Leur esprit agité, soupçonneux et crédule était +hanté de tous les fantômes de la peur et de la colère. Brusquement, +sans raison, ils se croyaient trahis. Un jour, on apprend qu'un trou, +assez grand pour qu'un homme y pût passer, a été percé dans le mur de +la ville à l'endroit où ce mur longe les dépendances de l'Aumône<a id="footnotetag790" name="footnotetag790"></a><a href="#footnote790" title="Lien vers la note 790"><span class="smaller">[790]</span></a>. +Le peuple en foule y court, voit le trou et un pan de rempart refait à +neuf, avec deux «canonnières», ne comprend pas, se croit vendu, livré, +s'effraie, s'exaspère, hurle et cherche le religieux de l'infirmerie +pour le mettre en pièces<a id="footnotetag791" name="footnotetag791"></a><a href="#footnote791" title="Lien vers la note 791"><span class="smaller">[791]</span></a>. Peu de jours après, le jeudi saint, +<span class="pagenum"><a id="page268" name="page268"></a>(p. 268)</span> un bruit sinistre se répand: des traîtres vont remettre la +ville aux mains des Anglais. Tout le monde court aux armes; soldats, +bourgeois, manants, font la garde sur les boulevards, sur les murs, +dans les rues. Le lendemain, le surlendemain le soupçon, l'effroi +règnent encore<a id="footnotetag792" name="footnotetag792"></a><a href="#footnote792" title="Lien vers la note 792"><span class="smaller">[792]</span></a>.</p> + +<p>Au commencement de mars, les assiégeants virent venir les vassaux de +Normandie, que le Régent avait convoqués; mais ils ne fournissaient +que six cent vingt-neuf lances et ne devaient le service que pour +vingt-six jours. Sous la conduite de Scales, Pole et Talbot, les +Anglais poursuivaient de leur mieux et selon leurs moyens les travaux +d'investissement<a id="footnotetag793" name="footnotetag793"></a><a href="#footnote793" title="Lien vers la note 793"><span class="smaller">[793]</span></a>. Le 10 mars, ils occupèrent, à une lieue à l'est +de la ville, la côte escarpée de Saint-Loup qui ne leur fut pas +disputée et commencèrent d'y élever une bastille qui dominait le +fleuve en amont et les deux routes de Gien et de Pithiviers à leur +rencontre, vers la porte de Bourgogne<a id="footnotetag794" name="footnotetag794"></a><a href="#footnote794" title="Lien vers la note 794"><span class="smaller">[794]</span></a>. Le 20 mars, leur bastille +de Londres, sur la route du Mans, était achevée. Du 9 au 15 avril, +deux nouvelles bastilles s'élevèrent du côté du couchant, Rouen à neuf +cents pieds à l'est de Londres, Paris à neuf cents pieds de Rouen. +Vers le 20, ils fortifièrent Saint-Jean-le-Blanc au val de Loire +<span class="pagenum"><a id="page269" name="page269"></a>(p. 269)</span> et firent un guet pour garder le passage<a id="footnotetag795" name="footnotetag795"></a><a href="#footnote795" title="Lien vers la note 795"><span class="smaller">[795]</span></a>. C'était peu +au regard de ce qu'il leur restait à faire et ils manquaient de bras. +Ils n'avaient pas trois mille hommes autour de la ville. Ils +surprenaient les paysans qui, voyant venir le temps de labourer la +vigne, allaient aux champs sans autre souci que la terre, et quand ils +les avaient pris, ils les faisaient travailler<a id="footnotetag796" name="footnotetag796"></a><a href="#footnote796" title="Lien vers la note 796"><span class="smaller">[796]</span></a>. De l'avis des +hommes de guerre les plus avisés, ces bastilles ne valaient rien. Il +n'y avait pas moyen d'y garder des chevaux; on ne pouvait les +construire assez rapprochées pour se secourir les unes les autres; +l'assiégeant risquant d'y être assiégé. Enfin les Anglais qui +employaient ces fâcheuses machines n'y éprouvaient à l'usage que +mécomptes et disgrâces. C'est ce dont s'aperçut un des défenseurs de +la ville, le sire de Bueil quand il eut pris de l'expérience<a id="footnotetag797" name="footnotetag797"></a><a href="#footnote797" title="Lien vers la note 797"><span class="smaller">[797]</span></a>. Et +dans le fait, il y avait si peu de difficultés à traverser les lignes +ennemies, que des marchands en risquaient la chance et conduisaient du +bétail aux assiégés. Il entre dans la ville: le 7 mars, six chevaux +chargés de harengs; le 15, six chevaux chargés de poudre; le 29, du +bétail et des vivres; le 2 avril, neuf bœufs gras et des chevaux; +le 5, cent un pourceaux et six bœufs gras; le 9, dix-sept +pourceaux, des chevaux, des cochons de lait et du blé; le 13, des +espèces pour solder la garnison; le 16, des bestiaux et des vivres; +<span class="pagenum"><a id="page270" name="page270"></a>(p. 270)</span> le 23, de la poudre et des vivres. Et plus d'une fois on +prit à la barbe des Anglais les victuailles et munitions qui leur +étaient destinées, tonneaux de vin, gibier, chevaux, arcs, trousses, +voire vingt-six têtes de gros bétail<a id="footnotetag798" name="footnotetag798"></a><a href="#footnote798" title="Lien vers la note 798"><span class="smaller">[798]</span></a>.</p> + +<p>Le siège coûtait très cher aux Anglais, quarante mille livres tournois +par mois<a id="footnotetag799" name="footnotetag799"></a><a href="#footnote799" title="Lien vers la note 799"><span class="smaller">[799]</span></a>. L'argent manquait; il fallut recourir aux plus fâcheux +expédients. Le roi Henri venait d'ordonner, par lettres du 3 mars, que +tous les officiers de Normandie lui fissent prêt d'un quartier de +leurs gages<a id="footnotetag800" name="footnotetag800"></a><a href="#footnote800" title="Lien vers la note 800"><span class="smaller">[800]</span></a>. Les gens d'armes, dans leurs taudis de planches et +de terre, après avoir souffert du froid, commençaient à souffrir de la +faim. La Beauce, l'Île-de-France, la Normandie, ruinées et ravagées, +ne leur envoyaient pas beaucoup de bœufs et de moutons. Ils +mangeaient mal et buvaient plus mal. Le vin de 1427 était rare; le vin +nouveau si petit et si faible, qu'il sentait plus le verjus que le +vin<a id="footnotetag801" name="footnotetag801"></a><a href="#footnote801" title="Lien vers la note 801"><span class="smaller">[801]</span></a>. Or, un vieil Anglais a dit des soldats de sa nation: «Ils +soupirent après leur soupe et leurs grasses tranches de bœuf: il +faut qu'ils soient nourris comme des mulets et qu'ils portent leur +provende pendue à leur cou, sinon ils vous ont un air piteux comme des +souris noyées<a id="footnotetag802" name="footnotetag802"></a><a href="#footnote802" title="Lien vers la note 802"><span class="smaller">[802]</span></a>.»</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page271" name="page271"></a>(p. 271)</span> Une disgrâce subite les affaiblit encore. Le capitaine Poton +de Saintrailles et les deux procureurs Guyon du Fossé et Jean de +Saint-Avy, qui étaient allés en ambassade auprès du duc de Bourgogne, +furent de retour à Orléans le 17 avril. Le duc avait bien accueilli +leur requête et consenti à prendre la ville sous sa garde. Mais le +Régent, à qui l'offre avait été faite, n'entendait pas de cette +oreille. Il répondit qu'il serait bien marri d'avoir battu les +buissons et que d'autres eussent les oisillons<a id="footnotetag803" name="footnotetag803"></a><a href="#footnote803" title="Lien vers la note 803"><span class="smaller">[803]</span></a>. L'offre était +donc repoussée. Toutefois l'ambassade n'avait point été inutile et ce +n'était pas rien que d'avoir amené un nouveau désaccord entre le duc +et le Régent. Les ambassadeurs revenaient accompagnés d'un héraut de +Bourgogne qui sonna de sa trompette dans le camp anglais et commanda, +de par son maître, à tout combattant sujet du duc, de lever le siège. +Bourguignons, Picards, Champenois, quelques centaines d'hommes d'armes +et d'archers partirent incontinent<a id="footnotetag804" name="footnotetag804"></a><a href="#footnote804" title="Lien vers la note 804"><span class="smaller">[804]</span></a>.</p> + +<p>Le lendemain, à quatre heures du matin, les bourgeois, enhardis et +croyant l'occasion bonne, attaquèrent le camp de +Saint-Laurent-des-Orgerils. Ils tuèrent une partie du guet et +pénétrèrent dans l'enceinte où ils trouvèrent des tasses d'argent, des +robes de martre et beaucoup d'armes. Trop occupés à piller, ils ne se +gardèrent <span class="pagenum"><a id="page272" name="page272"></a>(p. 272)</span> pas et furent surpris par les ennemis accourus en +grand nombre. Ils s'enfuirent poursuivis par les Anglais qui en +tuèrent beaucoup. La ville fut pleine, ce jour-là, des lamentations +des femmes qui pleuraient un père, un mari, un frère, des +parents<a id="footnotetag805" name="footnotetag805"></a><a href="#footnote805" title="Lien vers la note 805"><span class="smaller">[805]</span></a>.</p> + +<p>Il y avait là quarante mille hommes emmurés<a id="footnotetag806" name="footnotetag806"></a><a href="#footnote806" title="Lien vers la note 806"><span class="smaller">[806]</span></a>, entassés dans une +enceinte qui n'en devait contenir qu'une quinzaine de mille, tout un +peuple agité par la souffrance, assombri par des deuils domestiques, +rongé d'inquiétude, et que d'incessants dangers, des alarmes +perpétuelles rendaient fou. Bien que les guerres ne fussent pas alors +aussi meurtrières qu'elles le devinrent par la suite, les Orléanais +faisaient dans les sorties des pertes fréquentes et cruelles. Les +boulets anglais qui, depuis la mi-mars, pénétraient plus avant dans la +ville, n'étaient pas toujours inoffensifs. La veille de Pâques +fleuries, une pierre de bombarde tua ou blessa cinq personnes, une +autre sept<a id="footnotetag807" name="footnotetag807"></a><a href="#footnote807" title="Lien vers la note 807"><span class="smaller">[807]</span></a>. Beaucoup d'habitants, comme le prévôt Alain Du Bey, +mouraient de fatigue et du mauvais air<a id="footnotetag808" name="footnotetag808"></a><a href="#footnote808" title="Lien vers la note 808"><span class="smaller">[808]</span></a>.</p> + +<p>Chacun dans la chrétienté était alors instruit que les crimes des +hommes amènent sur le monde les tremblements <span class="pagenum"><a id="page273" name="page273"></a>(p. 273)</span> de terre, les +guerres, la famine et la peste. Le beau duc Charles jugeait, comme +tout bon chrétien, que la France avait été frappée de grands maux en +punition de ses péchés, qui étaient: grand orgueil, gloutonnerie, +paresse, convoitise, mépris de la justice et luxure, dont le royaume +abondait; et il raisonna, dans une ballade, du mal et du remède<a id="footnotetag809" name="footnotetag809"></a><a href="#footnote809" title="Lien vers la note 809"><span class="smaller">[809]</span></a>. +Les Orléanais croyaient fermement que cette guerre leur était envoyée +de Dieu pour punir les pécheurs, qui avaient abusé de sa patience. Ils +connaissaient la cause de leur mal et le moyen d'en guérir. Ainsi que +l'enseignaient les bons frères prêcheurs et comme le duc Charles le +coucha par écrit dans sa ballade, le remède était: bien vivre, +s'amender, faire chanter et dire des messes pour les âmes de ceux qui +avaient souffert dure mort au service du royaume, oublier la vie +pécheresse, requérir pardon de Notre-Dame et des saints<a id="footnotetag810" name="footnotetag810"></a><a href="#footnote810" title="Lien vers la note 810"><span class="smaller">[810]</span></a>. Ce +remède, les habitants d'Orléans l'avaient employé. Ils avaient fait +dire des messes en l'église Sainte-Croix pour l'âme des seigneurs, +capitaines et gens d'armes tués à leur service et notamment pour ceux +qui avaient péri d'une mort pitoyable à la bataille des Harengs. Ils +avaient offert des cierges à Notre-Dame et aux saints patrons de la +ville et promené <span class="pagenum"><a id="page274" name="page274"></a>(p. 274)</span> autour des murs la châsse de monsieur Saint +Aignan<a id="footnotetag811" name="footnotetag811"></a><a href="#footnote811" title="Lien vers la note 811"><span class="smaller">[811]</span></a>.</p> + +<p>Chaque fois qu'ils se sentaient en grand péril, ils l'allaient quérir +dans l'église Sainte-Croix, la portaient en belle procession par la +ville et les remparts<a id="footnotetag812" name="footnotetag812"></a><a href="#footnote812" title="Lien vers la note 812"><span class="smaller">[812]</span></a>; puis, l'ayant ramenée dans la cathédrale, +ils écoutaient sous le parvis le sermon d'un bon religieux choisi par +les procureurs<a id="footnotetag813" name="footnotetag813"></a><a href="#footnote813" title="Lien vers la note 813"><span class="smaller">[813]</span></a>. Ils faisaient des prières publiques et tenaient +le ferme propos de s'amender. C'est pourquoi ils pensaient qu'au +paradis, monsieur saint Euverte et monsieur saint Aignan, touchés de +leur piété, intercédaient pour eux auprès de Notre-Seigneur; et ils +croyaient entendre la voix des deux pontifes. Saint Euverte disait:</p> + +<p>—Père tout puissant, je vous prie et requiers de sauver la ville +d'Orléans. Elle est mienne; j'en fus évêque, j'en suis patron. Ne la +livrez point à ses ennemis.</p> + +<p>Saint Aignan disait ensuite:</p> + +<p>—Donnez la paix à ceux d'Orléans. Père, ô vous qui, par la bouche +d'un enfant, m'avez nommé leur pasteur, faites qu'ils ne tombent pas +aux mains des méchants.</p> + +<p>Les Orléanais s'attendaient bien à ce que le Seigneur <span class="pagenum"><a id="page275" name="page275"></a>(p. 275)</span> ne +cédât pas tout de suite aux prières des deux confesseurs. Connaissant +la sévérité de ses jugements, ils craignaient qu'il ne répondît:</p> + +<p>—Le peuple de France est puni justement de ses péchés. Sa +désobéissance à la sainte Église l'a perdu. Du petit au grand, c'est à +qui, dans le royaume, se conduira le plus mal. Laboureurs, bourgeois, +gens de pratique et prêtres s'y montrent avaricieux et durs; les +princes, ducs et hauts seigneurs y sont orgueilleux, vains, +maugréeurs, jureurs et félons. L'ordure de leur vie empuantit l'air. +S'ils sont châtiés, c'est justice.</p> + +<p>Il fallait s'attendre à ce que le Seigneur parlât ainsi, parce qu'il +était en colère et parce qu'en effet les Orléanais avaient beaucoup +péché. Mais voici que Notre-Dame, qui aime le roi des fleurs de Lis, +prie pour lui et pour le duc d'Orléans le Fils qui cherche en toutes +choses à lui complaire:</p> + +<p>—Mon fils, je vous requiers tant que je puis de chasser les Anglais +de la terre de France; ils n'y ont nul droit. S'ils prennent Orléans, +ils prendront le reste à leur plaisance. Ô mon fils, doucement je vous +prie de ne le point souffrir.</p> + +<p>Et Notre-Seigneur, à la requête de sa sainte mère, pardonne aux +Français et consent à les sauver<a id="footnotetag814" name="footnotetag814"></a><a href="#footnote814" title="Lien vers la note 814"><span class="smaller">[814]</span></a>.</p> + +<p>Ainsi les clartés qu'on avait alors sur le monde spirituel pénétraient +les conseils tenus dans le paradis. Plusieurs, <span class="pagenum"><a id="page276" name="page276"></a>(p. 276)</span> et non des +moins savants, pensaient qu'après un de ces conseils, Notre-Seigneur +avait envoyé son archange à la bergère. Et qu'il voulût sauver le +royaume par le bras d'une femme, on le pouvait croire. N'est-ce pas +dans la faiblesse qu'il faisait éclater sa puissance? N'avait-il pas +permis à David enfant d'abattre le géant Goliath et livré à Judith la +tête d'Holopherne? Dans Orléans même, n'avait-il pas mis sur les +lèvres d'un nouveau-né le nom du pasteur qui devait délivrer la ville +assiégée par Attila<a id="footnotetag815" name="footnotetag815"></a><a href="#footnote815" title="Lien vers la note 815"><span class="smaller">[815]</span></a>?</p> + +<p>Le seigneur de Villars et messire Jamet du Tillay, revenus de Chinon, +rapportèrent qu'ils avaient vu de leurs yeux la Pucelle et contèrent +les merveilles de sa venue. Ils dirent comment elle avait fait si +grand chemin, traversé à gué de grosses rivières, passé par beaucoup +de villes et de villages du parti des Anglais, puis cheminé sans +dommage dans ces pays français où se faisaient d'innombrables maux et +pilleries; comment, menée au Roi, elle lui avait dit, par bien belles +paroles, en faisant la révérence: «Gentil dauphin, Dieu m'envoie pour +vous aider et secourir. Donnez-moi gens, car, par grâce divine et +force d'armes, je lèverai le siège d'Orléans et puis vous mènerai +sacrer à Reims, ainsi que me l'a commandé Dieu, qui veut que les +Anglais s'en retournent en leur pays et vous laissent <span class="pagenum"><a id="page277" name="page277"></a>(p. 277)</span> votre +royaume en paix, lequel vous doit demeurer. Ou s'ils ne le laissent, +il leur en mécherra»; et comment enfin interrogée par plusieurs +prélats, chevaliers, écuyers, docteurs en lois et en décrets, elle +avait été trouvée d'honnête contenance et sage en ses paroles. Ils +vantèrent sa piété, sa candeur, cette simplicité qui laissait voir +Dieu en elle, et cette adresse à conduire un cheval et à manier les +armes dont chacun s'émerveillait<a id="footnotetag816" name="footnotetag816"></a><a href="#footnote816" title="Lien vers la note 816"><span class="smaller">[816]</span></a>.</p> + +<p>Nouvelles vinrent à la fin de mars que, menée à Poitiers, elle avait +été interrogée par les docteurs et insignes maîtres, et leur avait +répondu aussi affirmativement que sainte Catherine aux docteurs +d'Alexandrie, et que, vu la bonté de ses paroles et la fermeté de ses +promesses, le roi, mettant en elle sa confiance, l'avait fait armer +pour qu'elle allât à Orléans où on la verrait bientôt montée sur un +cheval blanc, portant au côté l'épée de sainte Catherine et tenant en +sa main l'étendard qu'elle avait reçu du Roi des cieux<a id="footnotetag817" name="footnotetag817"></a><a href="#footnote817" title="Lien vers la note 817"><span class="smaller">[817]</span></a>.</p> + +<p>Ce qu'on rapportait de Jeanne paraissait aux gens d'Église merveilleux +et non pas incroyable, puisqu'ils en trouvaient des exemples dans +l'histoire sainte qui était pour eux toute l'histoire; ceux qui +avaient des lettres puisaient dans leur savoir moins de raisons de +<span class="pagenum"><a id="page278" name="page278"></a>(p. 278)</span> nier que de douter ou de croire. Les simples concevaient de +ces choses une admiration candide.</p> + +<p>Quelques-uns parmi les capitaines et même dans le peuple disaient que +c'était dérision. Mais ils risquaient de se faire maltraiter. Les +habitants croyaient en la Pucelle comme en Notre-Seigneur; ils +attendaient d'elle secours et délivrance; ils l'appelaient dans une +sorte de folie mystique et de délire religieux. La fièvre du siège +était devenue la fièvre de la Pucelle<a id="footnotetag818" name="footnotetag818"></a><a href="#footnote818" title="Lien vers la note 818"><span class="smaller">[818]</span></a>.</p> + +<p>Cependant la façon dont les gens du roi la mettaient en œuvre +prouvait que, se conformant à l'avis des théologiens, ils entendaient +ne se pas départir des moyens conseillés par la prudence humaine. Elle +devait entrer dans la ville avec un convoi de vivres et de munitions +préparé alors à Blois, par l'ordre du roi et par les soins de la reine +de Sicile<a id="footnotetag819" name="footnotetag819"></a><a href="#footnote819" title="Lien vers la note 819"><span class="smaller">[819]</span></a>. Un nouvel effort se faisait dans toutes les provinces +fidèles pour secourir et délivrer la cité courageuse. Gien, Bourges, +Blois, Châteaudun, Tours, envoyaient des hommes et des vivres; Angers, +Poitiers, La Rochelle, Albi, Moulins, Montpellier, Clermont, du +soufre, du salpêtre, de l'acier, des armes<a id="footnotetag820" name="footnotetag820"></a><a href="#footnote820" title="Lien vers la note 820"><span class="smaller">[820]</span></a>. Et, si les +Toulousains ne donnèrent <span class="pagenum"><a id="page279" name="page279"></a>(p. 279)</span> rien, c'est que la ville, comme le +déclarèrent ingénument les notables consultés par les capitouls, +n'avait pas de quoi, <i>non habebat de quibus</i><a id="footnotetag821" name="footnotetag821"></a><a href="#footnote821" title="Lien vers la note 821"><span class="smaller">[821]</span></a>. Les conseillers du +roi et notamment monseigneur Regnault de Chartres, chancelier du +royaume, formaient une nouvelle armée. Ce qu'on n'avait pu faire avec +les Auvergnats, on le tenterait avec les Angevins et les Manceaux. La +reine de Sicile, duchesse de Touraine et d'Anjou, s'y prêtait bien +volontiers. Orléans pris, elle risquait fort de perdre ses terres +auxquelles elle était très attachée. Aussi ne marchandait-elle ni +l'argent, ni les hommes, ni les vivres. Passé la mi-avril, un +bourgeois d'Angers, nommé Jean Langlois, vint apporter des lettres +avisant les procureurs que le blé donné par elle allait venir. Jean +Langlois reçut de la ville un cadeau et les procureurs lui offrirent à +dîner à l'Écu Saint-Georges. Ce blé faisait partie du grand convoi que +devait accompagner la Pucelle<a id="footnotetag822" name="footnotetag822"></a><a href="#footnote822" title="Lien vers la note 822"><span class="smaller">[822]</span></a>.</p> + +<p>Vers la fin du mois, sur l'ordre de Monseigneur le Bâtard, les +capitaines des garnisons françaises de la Beauce et du Gâtinais se +rendirent dans la ville pour appuyer l'armée de Blois, dont la venue +était annoncée. <span class="pagenum"><a id="page280" name="page280"></a>(p. 280)</span> Le 28, messire Florent d'Illiers<a id="footnotetag823" name="footnotetag823"></a><a href="#footnote823" title="Lien vers la note 823"><span class="smaller">[823]</span></a>, +capitaine de Châteaudun, fit son entrée avec quatre cents +combattants<a id="footnotetag824" name="footnotetag824"></a><a href="#footnote824" title="Lien vers la note 824"><span class="smaller">[824]</span></a>.</p> + +<p>Qu'allait-il advenir d'Orléans? Le siège, mal conduit, causait aux +Anglais les plus cruels mécomptes. Leurs capitaines s'apercevaient de +reste qu'ils ne réduiraient pas la ville au moyen de ces bastilles +entre lesquelles tout passait, hommes, vivres, munitions, et avec une +armée qui fondait dans la boue des taudis et que les maladies, les +désertions réduisaient à trois mille, trois mille deux cents hommes au +plus. Ils avaient perdu presque tous leurs chevaux. Loin de pouvoir +continuer l'attaque, ils n'étaient plus en état de se défendre dans +leurs malheureuses tours de bois, plus profitables, comme disait Le +Jouvencel, aux assiégés qu'aux assiégeants<a id="footnotetag825" name="footnotetag825"></a><a href="#footnote825" title="Lien vers la note 825"><span class="smaller">[825]</span></a>.</p> + +<p>Tout leur espoir, incertain et lointain, était dans l'armée de renfort +que le Régent formait péniblement à Paris<a id="footnotetag826" name="footnotetag826"></a><a href="#footnote826" title="Lien vers la note 826"><span class="smaller">[826]</span></a>. Cependant on trouvait +le temps long dans la ville assiégée. Les gens de guerre qui la +défendaient étaient braves, mais à bout d'inventions et ne sachant +plus que tenter; les bourgeois faisaient bonne garde, mais ils +tenaient mal à découvert; ils ne se doutaient <span class="pagenum"><a id="page281" name="page281"></a>(p. 281)</span> pas de l'état +désastreux où les assiégeants étaient réduits; la fièvre que leur +donnaient l'inquiétude, les privations et le mauvais air les abattait. +Ils voyaient déjà les Coués prenant la ville d'assaut, tuant, pillant, +violant. À tout moment ils se croyaient trahis. Le calme et le +sang-froid leur manquaient pour reconnaître les avantages de leur +situation, qui étaient énormes: la ville gardait ses communications +avec le dehors et pouvait se ravitailler et se renforcer indéfiniment. +Au surplus, une armée de secours, en bonne avance sur celle des +Anglais, allait bientôt venir, amenant force têtes de bétail, assez +puissante en hommes et abondante en munitions pour enlever en quelques +jours les forteresses anglaises.</p> + +<p>Avec cette armée, le roi envoyait la Pucelle annoncée.</p> + + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page282" name="page282"></a>(p. 282)</span> CHAPITRE XI<br> + +<span class="smaller">LA PUCELLE À BLOIS. — LA LETTRE AUX ANGLAIS. — LE DÉPART POUR ORLÉANS.</span></h2> + + +<p>La Pucelle, avec son escorte de routiers et de mendiants, arriva à +Blois en même temps que Messire Regnault de Chartres, chancelier de +France, et le sire de Gaucourt, gouverneur d'Orléans<a id="footnotetag827" name="footnotetag827"></a><a href="#footnote827" title="Lien vers la note 827"><span class="smaller">[827]</span></a>. Elle était +sur les terres du prince qu'elle avait grand souci de délivrer: le +Blésois appartenait au duc Charles, prisonnier des Anglais. Les +marchands amenaient dans la ville bœufs, vaches, moutons, brebis, +pourceaux à foison, du grain, de la poudre et des armes<a id="footnotetag828" name="footnotetag828"></a><a href="#footnote828" title="Lien vers la note 828"><span class="smaller">[828]</span></a>. L'amiral +de Culant et le seigneur Ambroise de Loré étaient venus d'Orléans +surveiller l'approvisionnement. La Reine de Sicile s'était rendue à +Blois. Le Roi qui, à cette époque, ne la consultait <span class="pagenum"><a id="page283" name="page283"></a>(p. 283)</span> guère, +lui dépêcha pourtant le duc d'Alençon, avec mission de se concerter +avec elle pour l'envoi des secours<a id="footnotetag829" name="footnotetag829"></a><a href="#footnote829" title="Lien vers la note 829"><span class="smaller">[829]</span></a>. Le sire de Rais, de la maison +de Laval et de la lignée des ducs de Bretagne, seigneur de +vingt-quatre ans à peine, vint, libéral et magnifique, amenant, avec +une belle compagnie d'Anjou et du Maine, les orgues de sa chapelle, +les enfants de la maîtrise, les petits chanteurs de la psallette<a id="footnotetag830" name="footnotetag830"></a><a href="#footnote830" title="Lien vers la note 830"><span class="smaller">[830]</span></a>. +Le maréchal de Boussac, les capitaines La Hire et Poton arrivèrent +d'Orléans<a id="footnotetag831" name="footnotetag831"></a><a href="#footnote831" title="Lien vers la note 831"><span class="smaller">[831]</span></a>. Une armée de sept mille hommes fut réunie sous les +murs de la ville<a id="footnotetag832" name="footnotetag832"></a><a href="#footnote832" title="Lien vers la note 832"><span class="smaller">[832]</span></a>. Pour partir on n'attendait plus que l'argent +nécessaire au paiement des vivres et à la solde des troupes. Les +capitaines et gens d'armes ne servaient pas à crédit; quant aux +marchands, s'ils risquaient de perdre leurs victuailles et la vie +avec, c'était pour argent comptant<a id="footnotetag833" name="footnotetag833"></a><a href="#footnote833" title="Lien vers la note 833"><span class="smaller">[833]</span></a>. Point de pécune point de +bétail, et les chariots ne roulaient pas.</p> + +<p>Au mois de mars, Jeanne avait dicté à l'un des <span class="pagenum"><a id="page284" name="page284"></a>(p. 284)</span> maîtres de +Poitiers une brève sommation à l'adresse des capitaines anglais<a id="footnotetag834" name="footnotetag834"></a><a href="#footnote834" title="Lien vers la note 834"><span class="smaller">[834]</span></a>. +Elle la développa en une lettre qu'elle montra à quelques-uns de son +parti, et qu'elle envoya ensuite de Blois, par un héraut, au camp de +Saint-Laurent-des-Orgerils. Cette lettre était adressée au roi Henri, +au Régent et aux trois chefs qui depuis la mort de Salisbury +conduisaient le siège, Scales, Suffolk et Talbot. En voici le +texte<a id="footnotetag835" name="footnotetag835"></a><a href="#footnote835" title="Lien vers la note 835"><span class="smaller">[835]</span></a>:</p> + +<div class="quote"> +<p class="center">✝ JHESUS MARIA ✝</p> + +<p>Roy d'Angleterre, et vous, duc de Bedford, qui vous dictes régent + le royaume de France; vous Guillaume de la Poule, <span class="pagenum"><a id="page285" name="page285"></a>(p. 285)</span> conte + de Sulford; Jehan, sire de Talebot; et vous, Thomas, sire + d'Escales, qui vous dictes lieutenans dudit duc de Bedfort, + faictes raison au Roy du ciel<a id="footnotetag836" name="footnotetag836"></a><a href="#footnote836" title="Lien vers la note 836"><span class="smaller">[836]</span></a>; rendez à la Pucelle qui est + cy envoiée de par Dieu, le Roy du ciel, les clefs de toutes les + bonnes villes<a id="footnotetag837" name="footnotetag837"></a><a href="#footnote837" title="Lien vers la note 837"><span class="smaller">[837]</span></a> que vous avez prises et violées<a id="footnotetag838" name="footnotetag838"></a><a href="#footnote838" title="Lien vers la note 838"><span class="smaller">[838]</span></a> en + France. Elle est ci venue de par Dieu, pour réclamer le sanc + royal<a id="footnotetag839" name="footnotetag839"></a><a href="#footnote839" title="Lien vers la note 839"><span class="smaller">[839]</span></a>. Elle est toute preste de faire paix, se vous lui + voulez faire raison, par ainsi que France vous mectrés jus, et + paierez ce que vous l'avez tenu<a id="footnotetag840" name="footnotetag840"></a><a href="#footnote840" title="Lien vers la note 840"><span class="smaller">[840]</span></a>. Et entre vous, archiers, + compaignons de guerre, gentilz et autres<a id="footnotetag841" name="footnotetag841"></a><a href="#footnote841" title="Lien vers la note 841"><span class="smaller">[841]</span></a> qui estes devant la + ville d'Orléans, <span class="pagenum"><a id="page286" name="page286"></a>(p. 286)</span> alez vous ent en vostre païs, de par + Dieu; et se ainsi ne le faictes, attendez les nouvelles<a id="footnotetag842" name="footnotetag842"></a><a href="#footnote842" title="Lien vers la note 842"><span class="smaller">[842]</span></a> de + la Pucelle qui vous ira voir briefment à voz bien grans + dommaiges. Roy d'Angleterre, se ainsi ne le faictes, je sui chief + de guerre, et en quelque lieu que je actaindray voz gens en + France, je les en ferai aler, vuellent ou non vuellent; et si ne + vuellent obéir je les feray tous occire. Je sui cy envoiée de par + Dieu, le Roy du ciel, corps pour corps, pour vous bouter hors de + toute France. Et s'i vuellent obéir, je les prandray à mercy. Et + n'aiez point en vostre oppinion, que vous ne tendrez<a id="footnotetag843" name="footnotetag843"></a><a href="#footnote843" title="Lien vers la note 843"><span class="smaller">[843]</span></a> point + le royaume de France [de] Dieu, le Roy du ciel, filz sainte + Marie<a id="footnotetag844" name="footnotetag844"></a><a href="#footnote844" title="Lien vers la note 844"><span class="smaller">[844]</span></a>; ainz le tendra le roy Charles, vray héritier<a id="footnotetag845" name="footnotetag845"></a><a href="#footnote845" title="Lien vers la note 845"><span class="smaller">[845]</span></a>; + car Dieu, le Roy du ciel, le veult, et lui est révélé par la + Pucelle; lequel<a id="footnotetag846" name="footnotetag846"></a><a href="#footnote846" title="Lien vers la note 846"><span class="smaller">[846]</span></a> entrera à Paris à bonne compagnie. Se vous + ne voulez croire les nouvelles de par Dieu et la Pucelle, en + quelque lieu que vous trouverons, nous ferrons<a id="footnotetag847" name="footnotetag847"></a><a href="#footnote847" title="Lien vers la note 847"><span class="smaller">[847]</span></a> dedens et y + ferons ung si grant hahay<a id="footnotetag848" name="footnotetag848"></a><a href="#footnote848" title="Lien vers la note 848"><span class="smaller">[848]</span></a>, que encore a-il mil <span class="pagenum"><a id="page287" name="page287"></a>(p. 287)</span> + ans<a id="footnotetag849" name="footnotetag849"></a><a href="#footnote849" title="Lien vers la note 849"><span class="smaller">[849]</span></a> que en France ne fu si grant, se vous ne faictes raison. + Et croyez fermement que le Roy du ciel envoiera plus de force à + la Pucelle, que vous ne lui sariez mener de tous assaulx, à elle + et à ses bonnes gens d'armes; et aux horions<a id="footnotetag850" name="footnotetag850"></a><a href="#footnote850" title="Lien vers la note 850"><span class="smaller">[850]</span></a> verra-on qui + ara<a id="footnotetag851" name="footnotetag851"></a><a href="#footnote851" title="Lien vers la note 851"><span class="smaller">[851]</span></a> meilleur droit de Dieu du ciel<a id="footnotetag852" name="footnotetag852"></a><a href="#footnote852" title="Lien vers la note 852"><span class="smaller">[852]</span></a>. Vous, duc de + Bedfort, la Pucelle vous prie et vous requiert que vous ne vous + faictes mie destruire. Se vous lui faictes raison, encore pourrez + venir en sa compaignie, l'où que les Franchois<a id="footnotetag853" name="footnotetag853"></a><a href="#footnote853" title="Lien vers la note 853"><span class="smaller">[853]</span></a> feront le + plus bel fait que oncques fu fait pour la chrestienté. Et faictes + response se vous voulez faire paix en la cité d'Orléans; et se + ainsi ne le faictes, de vos bien grans dommages vous souviengne + briefment. Escript ce mardi sepmaine saincte.</p> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a id="page288" name="page288"></a>(p. 288)</span> Telle est cette lettre d'un accent nouveau, qui proclame la +royauté de Jésus-Christ et déclare la guerre sainte. Il est difficile +de savoir si Jeanne la dicta de sa propre inspiration ou sur le +conseil des clercs. On serait d'abord tenté d'attribuer à des +religieux l'idée première d'une sommation qui est une application +littérale des préceptes inscrits dans le Deutéronome:</p> + +<p>«Quand vous vous approcherez d'une ville pour l'assiéger, d'abord vous +lui offrirez la paix.</p> + +<p>»Si elle l'accepte et qu'elle vous ouvre ses portes, tout le peuple +qui s'y trouvera sera sauvé et vous sera assujetti moyennant le +tribut.</p> + +<p>»Si elle ne veut point recevoir les conditions de la paix et qu'elle +commence à vous déclarer la guerre, vous l'assiégerez.</p> + +<p>»Et lorsque le Seigneur, votre Dieu, vous l'aura livrée entre les +mains, vous ferez passer tous les mâles au fil de l'épée,</p> + +<p>»En réservant les femmes, les enfants, les bêtes et tout le reste de +ce qui se trouvera dans la ville.»</p> + +<p class="quote">(<i>Deuter.</i>, XX, 10-14.)</p> + +<p>Il est certain du moins que, à cet égard, la Pucelle exprime ses +propres sentiments. Elle dira plus tard: «Je demandais la paix et, si +on me la refusait, j'étais prête à combattre<a id="footnotetag854" name="footnotetag854"></a><a href="#footnote854" title="Lien vers la note 854"><span class="smaller">[854]</span></a>.» Mais comme elle +dicta cette lettre <span class="pagenum"><a id="page289" name="page289"></a>(p. 289)</span> et ne put la lire, il y a lieu de +rechercher si les clercs qui tinrent la plume n'y mirent pas du leur.</p> + +<p>On peut soupçonner une main ecclésiastique en deux ou trois passages. +Plus tard la Pucelle ne se rappelait pas avoir dicté «corps pour +corps», ce qui n'a pas grande importance. Mais elle déclara qu'elle +n'avait pas dit: «Je suis chef de guerre», et qu'elle avait dicté: +«Rendez au Roi», et non pas: «Rendez à la Pucelle<a id="footnotetag855" name="footnotetag855"></a><a href="#footnote855" title="Lien vers la note 855"><span class="smaller">[855]</span></a>». Sa mémoire, +qui n'était pas toujours bonne, la trompait peut-être. Pourtant, elle +paraissait bien sûre de ce qu'elle disait, et elle répéta par deux +fois que «chef de guerre» et «rendez à la Pucelle» n'étaient pas dans +sa lettre, et il est possible que ces termes fussent du fait des +moines qui se tenaient près d'elle. Ces religieux errants se +souciaient médiocrement d'une querelle de fiefs, et leur plus grand +souci n'était pas que le roi Charles rentrât en possession de son +héritage. Ils voulaient sans doute le bien du royaume de France; mais, +assurément, ils voulaient d'un meilleur cœur le bien de la +chrétienté, et nous verrons que si ces moines mendiants, frère +Pasquerel et plus tard frère Richard, s'attachèrent à la Pucelle, ce +fut dans l'espoir de l'employer au profit de l'Église. Aussi ne +serait-il pas surprenant qu'ils eussent tout d'abord pris soin de la +déclarer chef de guerre et même de l'investir d'un pouvoir spirituel +supérieur au pouvoir temporel <span class="pagenum"><a id="page290" name="page290"></a>(p. 290)</span> du roi, ce qui est impliqué +dans cette phrase: «Rendez à la Pucelle... les clefs des bonnes +villes.»</p> + +<p>Cette lettre même indique une des espérances, entre autres, qu'ils +fondaient sur elle. Ils comptaient qu'après avoir accompli sa mission +en France, elle prendrait la croix et irait à la conquête de +Jérusalem, entraînant à sa suite toutes les armées de l'Europe +chrétienne<a id="footnotetag856" name="footnotetag856"></a><a href="#footnote856" title="Lien vers la note 856"><span class="smaller">[856]</span></a>. En ce moment même, un disciple de Bernardin de +Sienne, un franciscain, nouvellement venu de Syrie<a id="footnotetag857" name="footnotetag857"></a><a href="#footnote857" title="Lien vers la note 857"><span class="smaller">[857]</span></a>, frère +Richard, qui devait bientôt se rencontrer avec la Pucelle, prêchait à +Paris, annonçant la fin prochaine du monde et exhortant les fidèles à +combattre l'Antéchrist<a id="footnotetag858" name="footnotetag858"></a><a href="#footnote858" title="Lien vers la note 858"><span class="smaller">[858]</span></a>. Il faut se rappeler que les Turcs, qui +avaient vaincu les chevaliers chrétiens à Nicopolis et à Sémendria, +menaçaient Constantinople et terrifiaient l'Europe entière. Papes, +empereurs, rois, sentaient la nécessité de tenter contre eux un grand +effort.</p> + +<p>On disait en Angleterre que le roi Henri V avait fait à madame +Catherine de France, entre Saint-Denys et <span class="pagenum"><a id="page291" name="page291"></a>(p. 291)</span> Saint-Georges, un +garçon demi-anglais demi-français, qui irait jusqu'en Égypte tirer le +Grand Turc par la barbe<a id="footnotetag859" name="footnotetag859"></a><a href="#footnote859" title="Lien vers la note 859"><span class="smaller">[859]</span></a>. Ce victorieux Henri V, sur son lit de +mort, entendait les clercs réciter les psaumes de la pénitence. Quand +il ouït ce verset: <i>Benigne fac Domine in bona voluntate tua ut +aedificentur muri Jerusalem</i>, il murmura d'une voix expirante: «J'ai +toujours eu dessein d'aller en Syrie et de reprendre la ville sainte +aux infidèles<a id="footnotetag860" name="footnotetag860"></a><a href="#footnote860" title="Lien vers la note 860"><span class="smaller">[860]</span></a>.» Ce fut sa dernière parole. Les hommes sages +conseillaient l'union des princes chrétiens contre le Croissant. En +France, l'archevêque d'Embrun, qui avait siégé aux conseils du +dauphin, maudissait l'insatiable cruauté de la nation anglaise et ces +guerres entre chrétiens, dont se réjouissaient les ennemis de la croix +de Jésus-Christ<a id="footnotetag861" name="footnotetag861"></a><a href="#footnote861" title="Lien vers la note 861"><span class="smaller">[861]</span></a>.</p> + +<p>Appeler les Anglais et les Français à prendre ensemble la croix, +c'était proclamer qu'après quatre-vingt-onze ans de violences et de +crimes le cycle des guerres profanes était fermé et que la chrétienté +se retrouvait telle qu'aux jours où Philippe de Valois et Édouard +Plantagenet promettaient au pape de s'unir contre les infidèles.</p> + +<p>Mais quand la Pucelle conviait les Anglais à se joindre aux Français +dans une entreprise sainte et guerrière, on <span class="pagenum"><a id="page292" name="page292"></a>(p. 292)</span> pouvait prévoir +l'accueil que recevrait des Godons cette convocation angélique. Et, +lors du siège d'Orléans, les Français de leur côté, pour de bonnes +raisons, ne songeaient pas à prendre la croix avec les Coués<a id="footnotetag862" name="footnotetag862"></a><a href="#footnote862" title="Lien vers la note 862"><span class="smaller">[862]</span></a>.</p> + +<p>Le style de cette lettre ne fut pas très goûté des connaisseurs. Le +Bâtard d'Orléans en trouvait toutes les paroles bien simples et +quelques années plus tard un bon légiste français la jugea écrite en +gros et lourd langage et mal ordonné<a id="footnotetag863" name="footnotetag863"></a><a href="#footnote863" title="Lien vers la note 863"><span class="smaller">[863]</span></a>. Nous ne pouvons prétendre +en mieux juger que le légiste et que le Bâtard, qui avait des lettres; +pourtant nous nous demandons si ce qui leur semblait mauvais dans ces +façons de dire ce n'était pas qu'elles s'éloignaient du ton ordinaire +des chancelleries. La lettre de Blois se ressent, il est vrai, de +l'humilité où se tenait encore la prose française, quand elle n'était +pas soulevée par un Alain Chartier, mais on n'y trouve pas de terme ni +de tournure qui ne se rencontre dans les bons auteurs du temps. Le +langage peut n'en pas être très bien ordonné, mais l'allure en est +vive. Au reste rien n'y sent les bords de la Meuse; il n'y subsiste +aucune trace du parler lorrain et champenois<a id="footnotetag864" name="footnotetag864"></a><a href="#footnote864" title="Lien vers la note 864"><span class="smaller">[864]</span></a>. C'est français de +clerc.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page293" name="page293"></a>(p. 293)</span> Tandis qu'Isabelle de Vouthon s'en était allée en pèlerinage +au Puy, ses deux plus jeunes enfants, Jean et Pierre, avaient pris +aussi le chemin de la France, pour rejoindre leur sœur, dans l'idée +de faire fortune auprès d'elle et du roi. De même frère Nicolas de +Vouthon, cousin germain de Jeanne, religieux profès en l'abbaye de +Cheminon, se rendit auprès de la jeune dévote<a id="footnotetag865" name="footnotetag865"></a><a href="#footnote865" title="Lien vers la note 865"><span class="smaller">[865]</span></a>. Pour attirer ainsi +toute cette parenté, avant même d'avoir donné signe de son pouvoir, il +fallait que Jeanne eût des cautions aux bords de la Meuse et que de +vénérables personnes ecclésiastiques et de bons seigneurs lorrains +répondissent de son crédit en France. Ces garants de sa mission, elle +les trouvait sans aucun doute dans ceux qui l'avaient endoctrinée et +accréditée par prophétie; et peut-être frère Nicolas de Vouthon +lui-même était-il du nombre.</p> + +<p>Tenant dans l'armée état de sainte fille, elle avait en sa compagnie +un chapelain, frère Jean Pasquerel<a id="footnotetag866" name="footnotetag866"></a><a href="#footnote866" title="Lien vers la note 866"><span class="smaller">[866]</span></a>; deux pages, Louis de Coutes +et Raymond<a id="footnotetag867" name="footnotetag867"></a><a href="#footnote867" title="Lien vers la note 867"><span class="smaller">[867]</span></a>; ses deux frères, Pierre et Jean; deux hérauts, +Ambleville et Guyenne<a id="footnotetag868" name="footnotetag868"></a><a href="#footnote868" title="Lien vers la note 868"><span class="smaller">[868]</span></a>; <span class="pagenum"><a id="page294" name="page294"></a>(p. 294)</span> deux écuyers, Jean de Metz et +Bertrand de Poulengy. Jean de Metz pourvoyait à la dépense aux frais +de la couronne<a id="footnotetag869" name="footnotetag869"></a><a href="#footnote869" title="Lien vers la note 869"><span class="smaller">[869]</span></a>. Elle avait aussi quelques valets à son service. +Un écuyer, nommé Jean d'Aulon, que le roi lui donna pour intendant, +vint la rejoindre à Blois<a id="footnotetag870" name="footnotetag870"></a><a href="#footnote870" title="Lien vers la note 870"><span class="smaller">[870]</span></a>. C'était le plus pauvre écuyer du +royaume<a id="footnotetag871" name="footnotetag871"></a><a href="#footnote871" title="Lien vers la note 871"><span class="smaller">[871]</span></a>. Il appartenait entièrement au sire de La Trémouille qui +le secourait d'argent, mais avait bon renom d'honneur et de +sagesse<a id="footnotetag872" name="footnotetag872"></a><a href="#footnote872" title="Lien vers la note 872"><span class="smaller">[872]</span></a>. Jeanne attribuait les défaites des Français à ce qu'ils +chevauchaient avec des femmes de mauvaise vie et blasphémaient le +saint nom de Dieu. Et loin de lui être particulière, cette opinion +régnait parmi les personnes de savoir et de dévotion, qui rapportaient +notamment le désastre de Nicopolis à ce que, en chemin, les chrétiens +avaient fait des cruautés, mené des ribaudes et joué à des jeux +dissolus<a id="footnotetag873" name="footnotetag873"></a><a href="#footnote873" title="Lien vers la note 873"><span class="smaller">[873]</span></a>.</p> + +<p>À plusieurs reprises, de 1420 à 1425, le dauphin avait défendu de +maugréer, de renier, de blasphémer le nom de Dieu, de la Vierge Marie, +des saints et des saintes, sous peine d'une amende à laquelle +s'ajoutaient, en certains cas, des châtiments corporels. Les lettres +qui portaient cette défense alléguaient que <span class="pagenum"><a id="page295" name="page295"></a>(p. 295)</span> les blasphèmes +attiraient des guerres, des pestes et des famines, et que les +blasphémateurs étaient responsables en partie des maux qui +affligeaient le royaume<a id="footnotetag874" name="footnotetag874"></a><a href="#footnote874" title="Lien vers la note 874"><span class="smaller">[874]</span></a>. Aussi la Pucelle allait-elle parmi les +gens d'armes, les exhortant à chasser les femmes qui suivaient l'armée +et à ne plus prononcer en vain le nom du Seigneur. Elle leur +recommandait de confesser leurs péchés et de mettre leur âme en état +de grâce, affirmant que Dieu les aiderait et que si leur âme était en +bon état, ils obtiendraient la victoire<a id="footnotetag875" name="footnotetag875"></a><a href="#footnote875" title="Lien vers la note 875"><span class="smaller">[875]</span></a>.</p> + +<p>Jeanne porta son étendard à l'église Saint-Sauveur et le donna à bénir +aux prêtres<a id="footnotetag876" name="footnotetag876"></a><a href="#footnote876" title="Lien vers la note 876"><span class="smaller">[876]</span></a>. La petite confrérie, formée à Tours, se grossit à +Blois des gens d'Église et des religieux qui, échappés en foule des +abbayes voisines à l'approche des Anglais, souffraient le froid et la +faim. Il en était d'ordinaire ainsi. Constamment des nuées de moines +s'abattaient sur les armées. Beaucoup d'églises et la plupart des +abbayes gisaient <span class="pagenum"><a id="page296" name="page296"></a>(p. 296)</span> détruites. Celles des mendiants, situées +hors des villes, avaient toutes péri, dépouillées et incendiées par +les Anglais ou renversées par les habitants des villes, avec tous les +faubourgs sous la menace d'un siège. Les religieux sans asile ne +trouvaient point d'accueil dans les cités avares de leur bien; il leur +fallait tenir la campagne avec les gens d'armes et suivre l'armée. La +règle en souffrait et la piété n'y gagnait rien. Ces clercs affamés et +vagabonds ne menaient pas toujours, parmi les soudoyers, les ribaudes +et les convoyeurs, une vie édifiante. Ceux qui accompagnèrent la +Pucelle ne valaient sans doute ni mieux ni pis que les autres, et +comme ils avaient grand'faim ils songeaient premièrement à +manger<a id="footnotetag877" name="footnotetag877"></a><a href="#footnote877" title="Lien vers la note 877"><span class="smaller">[877]</span></a>. À l'égard de la sainte fille mêlée à cette troupe +vagabonde, les gens d'armes pouvaient éprouver tous les sentiments, +hors celui de la surprise, tant ils étaient habitués à voir +religieuses et religieux cheminer en leur compagnie. Il est vrai que +de celle-ci on annonçait des merveilles. Plusieurs y ajoutaient foi, +d'autres se moquaient et disaient tout haut: «Voilà un vaillant +champion pour récupérer le royaume de France<a id="footnotetag878" name="footnotetag878"></a><a href="#footnote878" title="Lien vers la note 878"><span class="smaller">[878]</span></a>.»</p> + +<p>La Pucelle fit faire une bannière sous laquelle les religieux +<span class="pagenum"><a id="page297" name="page297"></a>(p. 297)</span> pussent se rassembler et appeler les gens d'armes à la +prière. Cette bannière était blanche; il y avait dessus Jésus en croix +entre Notre-Dame et saint Jean<a id="footnotetag879" name="footnotetag879"></a><a href="#footnote879" title="Lien vers la note 879"><span class="smaller">[879]</span></a>.</p> + +<p>Le duc d'Alençon retourna vers le roi pour lui faire savoir l'embarras +où l'on était. Le roi envoya les sommes nécessaires; on pouvait enfin +partir<a id="footnotetag880" name="footnotetag880"></a><a href="#footnote880" title="Lien vers la note 880"><span class="smaller">[880]</span></a>. Deux routes, toutes deux libres au départ, l'une sur la +rive droite, l'autre sur la rive gauche de la Loire, conduisaient à +Orléans. En prenant la rive droite, on se trouvait, au bout de cinq à +six lieues, au bord de la plaine de Beauce, occupée par les Anglais, +qui avaient garnisons à Marchenoir, Beaugency, Meung, Montpipeau, +Saint-Sigismond, Janville, et l'on risquait d'y rencontrer l'armée qui +venait au secours des Anglais d'Orléans. Une telle rencontre faisait +peur depuis le jour des Harengs. En prenant la rive gauche, on +s'avançait par la Sologne, restée au pouvoir du roi Charles, et, +pourvu qu'on s'écartât un peu du fleuve, on passait hors de vue des +petites garnisons anglaises de Beaugency et de Meung. Il est vrai +qu'il fallait ensuite traverser la Loire, mais, en remontant le fleuve +à deux lieues au levant de la ville assiégée, on pouvait tenter sans +trop d'inconvénient le <span class="pagenum"><a id="page298" name="page298"></a>(p. 298)</span> passage entre Orléans et Jargeau. +Après délibération, il fut décidé qu'on prendrait la rive gauche et +qu'on irait par la Sologne. On arrêta aussi qu'on emporterait les +vivres en deux fois, de peur d'un trop lent débarquement si près des +bastilles ennemies<a id="footnotetag881" name="footnotetag881"></a><a href="#footnote881" title="Lien vers la note 881"><span class="smaller">[881]</span></a>. Le mercredi 27 avril<a id="footnotetag882" name="footnotetag882"></a><a href="#footnote882" title="Lien vers la note 882"><span class="smaller">[882]</span></a>, on partit. Les +prêtres, bannière en tête, ouvrirent la marche en chantant le <i>Veni +creator Spiritus</i><a id="footnotetag883" name="footnotetag883"></a><a href="#footnote883" title="Lien vers la note 883"><span class="smaller">[883]</span></a>. La Pucelle chevauchait avec eux, armée de +blanc, et portant son étendard. Les hommes d'armes et les hommes de +trait venaient ensuite, escortant six cents voitures de vivres et de +munitions et quatre cents têtes de bétail<a id="footnotetag884" name="footnotetag884"></a><a href="#footnote884" title="Lien vers la note 884"><span class="smaller">[884]</span></a>. La longue file des +lances, des chariots et des troupeaux passa le pont de Blois, et se +déroula dans la plaine infinie. Après avoir fait huit lieues sur une +route ravinée, à l'heure du couvre-feu, quand, au soleil couchant, la +Loire fut de cuivre entre ses joncs noirs, les prêtres chantèrent +<i>Gabriel angelus</i> et l'armée fit halte<a id="footnotetag885" name="footnotetag885"></a><a href="#footnote885" title="Lien vers la note 885"><span class="smaller">[885]</span></a>.</p> + +<p>Cette nuit-là, on coucha dans les champs. Jeanne, qui n'avait pas +voulu quitter son armure, se réveilla <span class="pagenum"><a id="page299" name="page299"></a>(p. 299)</span> tout endolorie. Elle +entendit la messe et reçut la communion des mains de son aumônier, +avec plusieurs gens d'armes. Puis l'armée se remit en marche vers +Orléans<a id="footnotetag886" name="footnotetag886"></a><a href="#footnote886" title="Lien vers la note 886"><span class="smaller">[886]</span></a>.</p> + + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page300" name="page300"></a>(p. 300)</span> CHAPITRE XII<br> + +<span class="smaller">LA PUCELLE À ORLÉANS.</span></h2> + + +<p>Le jeudi 28 avril au soir, Jeanne put voir des hauteurs d'Olivet les +clochers de la ville, les tours de Saint-Paul et de +Saint-Pierre-Empont, où les guetteurs signalaient sa venue. L'armée +suivit les pentes qui descendent vers la Loire et s'arrêta au port du +Bouchet, tandis que les chariots et le bétail continuaient leur chemin +sur la berge jusque vers l'Île-aux-Bourdons, devant Chécy, à une lieue +en amont<a id="footnotetag887" name="footnotetag887"></a><a href="#footnote887" title="Lien vers la note 887"><span class="smaller">[887]</span></a>. C'est là que devait se faire le débarquement. Au signal +des guetteurs, monseigneur le Bâtard, accompagné de Thibaut de Termes +et de quelques autres capitaines, sortit de la ville par la porte de +Bourgogne, sauta dans une barque à <span class="pagenum"><a id="page301" name="page301"></a>(p. 301)</span> Saint-Jean-de-Braye et +alla tenir conseil avec les sires de Rais et de Loré, qui commandaient +le convoi<a id="footnotetag888" name="footnotetag888"></a><a href="#footnote888" title="Lien vers la note 888"><span class="smaller">[888]</span></a>.</p> + +<p>Cependant la Pucelle venait de s'apercevoir qu'elle était sur la rive +de Sologne et qu'on l'avait trompée en chemin. Elle en ressentait de +la douleur et de la colère. On l'avait trompée, cela était sûr. Mais +l'avait-on fait exprès? Avait-on voulu vraiment la tromper? On +rapporte qu'elle avait exprimé la volonté de passer par la Beauce, et +non par la Sologne, et qu'il lui avait été répondu: «Jeanne, +rassurez-vous; nous vous menons par la Beauce<a id="footnotetag889" name="footnotetag889"></a><a href="#footnote889" title="Lien vers la note 889"><span class="smaller">[889]</span></a>.» Est-ce possible? +Pourquoi les seigneurs se seraient-ils joués de la sorte d'une sainte +fille que le roi avait mise sous leur garde et qui inspirait déjà du +respect à la plupart d'entre eux? Certains, il est vrai, croyant +qu'elle se moquait, l'eussent volontiers moquée. Mais, si l'un de +ceux-là lui avait fait cette trufferie, de lui mettre la Sologne en +Beauce, comment ne se serait-il trouvé personne pour la désabuser? +Comment frère Pasquerel, son aumônier; comment son intendant, +l'honnête écuyer d'Aulon, se seraient-ils rendus complices de cette +grossière plaisanterie? Tout cela ne se comprend guère, et quand on y +songe, ce qui se comprend le moins, c'est que Jeanne eût expressément +demandé qu'on allât à Orléans par la Beauce. Puisqu'elle <span class="pagenum"><a id="page302" name="page302"></a>(p. 302)</span> +ignorait sa route à ce point qu'en passant le pont de Blois elle ne se +douta pas qu'elle allait en Sologne, il y a peu d'apparence qu'elle se +représentât assez précisément l'assiette d'Orléans pour préférer y +entrer par le couchant ou par le midi. Une jeune fille qui seule +connaît la porte par laquelle on entrera dans la ville assiégée et à +qui de méchants capitaines font prendre un chemin pour un autre, cela +ressemble trop à un conte de ma mère l'oie. Jeanne ne se faisait pas +d'Orléans une idée plus claire que de Babylone. Il est vraisemblable +de supposer un malentendu. Elle n'avait parlé ni de Sologne ni de +Beauce. Ses Voix lui avaient dit que les Anglais ne bougeraient point. +Elles ne lui avaient point montré le portrait de la ville; elles ne +lui avaient donné ni plans ni cartes: les gens de guerre n'en usaient +point. Jeanne, sans doute, avait dit aux capitaines et aux prêtres ce +qu'elle devait bientôt répéter au Bâtard: «Je veux aller là où sont +Talbot et les Anglais.» Et les prêtres, les gens d'armes, avaient +répondu très sincèrement: «Jeanne, nous allons où sont Talbot et les +Anglais<a id="footnotetag890" name="footnotetag890"></a><a href="#footnote890" title="Lien vers la note 890"><span class="smaller">[890]</span></a>.» Ils avaient cru bien dire, puisque Talbot conduisait le +siège, et qu'on l'aurait, pour ainsi dire, devant soi, de quelque côté +qu'on approchât de la ville. Mais apparemment ils n'avaient pas bien +compris ce qu'avait dit la Pucelle, et la Pucelle n'avait pas bien +compris ce qu'ils avaient <span class="pagenum"><a id="page303" name="page303"></a>(p. 303)</span> répondu. Car maintenant, de se +voir séparée de la ville par les eaux et les sables du fleuve, elle se +montrait irritée et dolente. Que pouvait-elle trouver de si fâcheux à +cela? Ceux qui l'approchèrent en ce moment ne le découvrirent pas, et +peut-être ses raisons ont-elles été méconnues parce qu'elles étaient +spirituelles et mystiques. Certes, elle n'estimait pas qu'on eût +commis une faute militaire en amenant par la Sologne les troupes et +les vivres. Elle ne connaissait point les chemins; elle ne pouvait +donc savoir quel était le meilleur. Des positions de l'ennemi, des +travaux d'attaque et des travaux de défense elle ignorait tout; elle +venait d'apprendre à l'instant sur quelle rive du fleuve la ville +était assise. Il fallait pourtant qu'elle crût avoir une grave raison +de se plaindre, car elle s'approcha du seigneur Bâtard et lui demanda +vivement:</p> + +<p>—Est-ce vous qui êtes le Bâtard d'Orléans?</p> + +<p>—C'est moi, réjoui de votre venue.</p> + +<p>—Est-ce vous qui avez donné conseil que je vinsse ici, par ce côté de +la rivière, et que je ne vinsse pas droit là où sont Talbot et les +Anglais?</p> + +<p>—Moi et de plus sages ont donné ce conseil, croyant faire pour le +mieux et le plus sûrement.</p> + +<p>Mais Jeanne:</p> + +<p>—En nom Dieu! le conseil de Messire est plus sûr et plus sage que le +vôtre. Vous avez cru me tromper et vous vous êtes trompés vous-mêmes. +Car je vous apporte un meilleur secours qu'il n'en vint oncques à +<span class="pagenum"><a id="page304" name="page304"></a>(p. 304)</span> chevalier ou à cité, c'est le secours du Roi des cieux, +lequel secours procède de Dieu lui-même, qui, non vraiment pour +l'amour de moi, mais à la requête de saint Louis et de saint +Charlemagne, a eu pitié de la ville d'Orléans et n'a pas voulu +souffrir que les ennemis eussent à la fois le corps du duc et sa +ville<a id="footnotetag891" name="footnotetag891"></a><a href="#footnote891" title="Lien vers la note 891"><span class="smaller">[891]</span></a>.</p> + +<p>On entend: ce qui la fâchait, c'était de n'avoir point été menée droit +devant Talbot et les Anglais. Elle venait d'apprendre que Talbot était +sur la rive droite avec son camp. Et, en parlant de Talbot et des +Anglais, elle entendait désigner seulement les Anglais qui étaient +avec Talbot, puisqu'en descendant au Val de Loire, près du guet de +Saint-Jean-le-Blanc, elle avait aperçu la bastille des Augustins et +les Tourelles du bout du pont et qu'elle ne pouvait pas douter qu'il +n'y eût aussi des Anglais sur la rive gauche. Il reste à savoir +pourquoi elle avait tant désiré se montrer tout d'abord à Talbot et à +ses Anglais et pourquoi maintenant elle était si marrie d'être séparée +de lui par la Loire. Jugeait-elle que le camp retranché de +Saint-Laurent-des-Orgerils, où commandaient Scales, Suffolk et Talbot, +devait être tout de suite attaqué? Elle n'avait pu se faire +d'elle-même cette idée, puisqu'elle ne connaissait pas les lieux, et +aucun homme d'armes n'avait pu lui mettre cette folie en tête, +d'attaquer un camp retranché en menant des bœufs et des chariots. +<span class="pagenum"><a id="page305" name="page305"></a>(p. 305)</span> Elle n'avait pas songé non plus, comme on l'a dit tant de +fois, à forcer le passage entre la bastille Saint-Pouair à l'orée des +bois, puisqu'elle ignorait les bastilles et les forêts comme le reste. +Et si tel avait été son dessein, elle l'aurait dit clairement au +Bâtard, car elle savait se faire entendre, et même les bonnes gens +trouvaient qu'elle parlait bien. Quelle était donc sa pensée? Il n'est +pas impossible de la pénétrer, si l'on songe à ce que pouvait être en +ce moment la pensée d'une sainte, ou si seulement on se rappelle les +paroles et les actes par lesquels Jeanne avait annoncé et préparé sa +mission. Elle avait dit aux docteurs de Poitiers: «Le siège d'Orléans +sera levé et la ville affranchie de ses ennemis après que j'en aurai +fait sommation de par le Roi du ciel<a id="footnotetag892" name="footnotetag892"></a><a href="#footnote892" title="Lien vers la note 892"><span class="smaller">[892]</span></a>.» Elle avait mandé, de par +le Roi du ciel, à Scales, à Suffolk et à Talbot de lever le siège; +elle leur avait écrit qu'elle était toute prête à faire la paix et les +avait sommés de retourner en Angleterre. Maintenant elle demandait +réponse à Talbot, à Suffolk et à Scales. Puisque les Anglais ne lui +avaient point renvoyé son héraut, elle venait à eux, à leurs chefs, +comme un héraut de Messire; elle venait requérir qu'ils fissent paix. +Et s'ils ne voulaient faire paix, elle était prête à combattre. C'est +seulement après leur refus qu'elle serait assurée de vaincre, non par +raisons humaines, mais parce que son Conseil le lui <span class="pagenum"><a id="page306" name="page306"></a>(p. 306)</span> avait +promis. Peut-être même, peut-être espérait-elle qu'en se montrant aux +capitaines anglais, son étendard à la main, accompagnée de madame +sainte Catherine, de madame sainte Marguerite et de monseigneur saint +Michel archange, elle les persuaderait de quitter la France; que, +tombant à genoux, Talbot obéirait, non certes à elle, mais à Celui qui +l'envoyait, et qu'ainsi elle ferait ce pourquoi elle était venue sans +que coulât une goutte de ce sang français qui lui était cher et sans +que les Anglais, dont elle avait pitié, perdissent ni leurs corps ni +leurs âmes. En tout cas, il fallait obéir à Dieu et pratiquer la +charité: la victoire était à ce prix. Et cette pieuse victoire qu'elle +apportait, cette victoire angélique, les chefs de son parti, par une +fausse prudence, la lui arrachaient des mains. Ils l'empêchaient +d'accomplir sa mission, de donner, peut-être, le signe promis et +l'entraînaient avec eux dans des entreprises moins sûres et moins +belles. De là sa douleur et sa colère.</p> + +<p>Même après la déconvenue de son entrée, elle ne se croyait pas +dispensée d'offrir la paix aux ennemis, afin d'être agréable à +Dieu<a id="footnotetag893" name="footnotetag893"></a><a href="#footnote893" title="Lien vers la note 893"><span class="smaller">[893]</span></a>. Et puisqu'elle ne pouvait aller tout de suite au camp de +Talbot, elle voulut se montrer devant le guet de +Saint-Jean-le-Blanc<a id="footnotetag894" name="footnotetag894"></a><a href="#footnote894" title="Lien vers la note 894"><span class="smaller">[894]</span></a>.</p> + +<p>Il n'y avait plus personne derrière les palissades. <span class="pagenum"><a id="page307" name="page307"></a>(p. 307)</span> Mais, si +elle y était allée et si elle y avait trouvé des ennemis, elle leur +aurait d'abord offert la paix. La conduite qu'elle tint ensuite dans +la ville en est la preuve certaine. Elle ne venait pas mettre au +service des Orléanais des plans de campagne ou des ruses de guerre; sa +part dans l'œuvre de la délivrance était plus haute et plus pure. +Elle apportait à des hommes faibles, malheureux, égoïstes et +souffrants, les invincibles forces de l'amour et de la foi, la vertu +du sacrifice.</p> + +<p>Monseigneur le Bâtard, qui regardait la mission de Jeanne comme +purement religieuse et qu'on aurait bien étonné en lui disant qu'il +devait consulter cette paysanne sur le fait de la guerre, fit mine de +ne point entendre les reproches qu'elle lui adressait et alla pourvoir +à ce que les opérations fussent exécutées conformément aux +dispositions prises.</p> + +<p>Tout avait été soigneusement concerté et préparé, mais voici que +survenait une anicroche. Les chalands que les Orléanais devaient +envoyer à Chécy pour embarquer les vivres n'avaient pas encore +démarré<a id="footnotetag895" name="footnotetag895"></a><a href="#footnote895" title="Lien vers la note 895"><span class="smaller">[895]</span></a>. Ils n'allaient qu'à la voile et, comme le vent soufflait +d'amont, ils ne pouvaient pas naviguer. On ne savait pas s'ils le +pourraient bientôt, et le temps était cher. Jeanne dit avec confiance +à ceux qui s'inquiétaient:</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page308" name="page308"></a>(p. 308)</span> —Attendez un peu. Car, en nom Dieu, tout entrera dans la +ville<a id="footnotetag896" name="footnotetag896"></a><a href="#footnote896" title="Lien vers la note 896"><span class="smaller">[896]</span></a>.</p> + +<p>Elle avait raison. Le vent tourna; on déploya la toile, et les +chalands remontèrent le fleuve sous une brise d'arrière qui les +poussait assez fort pour qu'un bateau en pût traîner deux ou trois à +sa remorque<a id="footnotetag897" name="footnotetag897"></a><a href="#footnote897" title="Lien vers la note 897"><span class="smaller">[897]</span></a>. Ils passèrent sans encombre devant la bastille +Saint-Loup. Monseigneur le Bâtard monta dans un de ces bateaux avec +Nicole de Giresme, grand prieur de France en l'ordre de Rhodes, et la +flottille aborda au port de Chécy, où elle resta mouillée toute la +nuit<a id="footnotetag898" name="footnotetag898"></a><a href="#footnote898" title="Lien vers la note 898"><span class="smaller">[898]</span></a>. Il fut décidé que l'armée de secours camperait cette nuit +au port du Bouchet afin de garder le convoi en aval, tandis qu'un +détachement se tiendrait vers les îles de Chécy pour veiller en amont, +et regarder du côté de Jargeau. La Pucelle, en compagnie de quelques +capitaines, avec un détachement de gens d'armes et de trait, suivit la +berge et arriva devant l'Île-aux-Bourdons<a id="footnotetag899" name="footnotetag899"></a><a href="#footnote899" title="Lien vers la note 899"><span class="smaller">[899]</span></a>.</p> + +<p>Les seigneurs qui avaient amené le convoi décidèrent qu'on partirait +tout de suite après le débarquement. L'armée, ayant fait sa besogne, +retournerait à Blois pour y prendre ce qui restait de vivres et de +<span class="pagenum"><a id="page309" name="page309"></a>(p. 309)</span> munitions; car on n'avait pas tout emporté en une fois. +Apprenant que ces soldats, en compagnie desquels elle était venue, +s'en allaient, elle voulut partir avec eux, et après avoir tant +demandé qu'on la menât à Orléans, arrivée aux portes de la ville, elle +ne pensait plus qu'à s'en aller. Ainsi l'âme des mystiques tourne aux +souffles de l'Esprit; cette fois, comme toujours, Jeanne obéissait à +des raisons purement spirituelles. Elle ne voulait pas se séparer de +ces gens d'armes, parce qu'elle les croyait réconciliés avec Dieu, et +qu'elle n'était pas sûre d'en retrouver d'autres aussi contrits. Or, +pour elle, la victoire ou la défaite dépendaient uniquement de l'état +de grâce ou de péché où se trouvaient les combattants; les mener à +confesse, c'était tout son art militaire; elle n'avait point d'autre +science pour combattre derrière des murs ou en rase campagne.</p> + +<p>—Quant à ce qui est d'entrer dans la ville, dit-elle, il me ferait +mal de laisser mes gens et ne le dois faire. Ils sont tous confessés +et, en leur compagnie, je ne craindrais pas toute la puissance des +Anglais<a id="footnotetag900" name="footnotetag900"></a><a href="#footnote900" title="Lien vers la note 900"><span class="smaller">[900]</span></a>.</p> + +<p>En fait, comme on le pense bien, confessés ou non, près d'elle ou loin +d'elle, ces soudards commettaient tous les péchés compatibles avec la +simplicité d'esprit; mais l'innocente n'en voyait rien; ouverts aux +choses invisibles, ses yeux étaient fermés aux choses sensibles.</p> + +<p>Elle était soutenue dans sa résolution de retourner à <span class="pagenum"><a id="page310" name="page310"></a>(p. 310)</span> Blois +par les capitaines qui l'avaient amenée et qui la voulaient emmener, +alléguant les ordres du roi. Comme elle portait chance, ils tenaient à +la garder. Monseigneur le Bâtard voyait au contraire de graves +inconvénients et même des dangers à ce qu'elle s'éloignât. Dans l'état +où il avait laissé les habitants d'Orléans, si on tardait à leur +montrer leur Pucelle, cris, menaces, émeutes, violences, mouvements de +fureur et de désespoir, tout était à craindre, même des massacres. Il +demanda en grâce aux capitaines de trouver bon, dans l'intérêt du roi, +que Jeanne entrât à Orléans, et il obtint, sans trop de peine, qu'ils +retournassent à Blois sans elle. Mais Jeanne ne se rendit pas si vite. +Il la supplia de se décider à passer la Loire. Elle refusa et fit une +telle résistance qu'il dut s'apercevoir qu'il n'est pas facile de +manier une sainte. Il fallut que l'un des chefs qui l'avaient amenée, +le sire de Rais ou le sire de Loré, joignît ses prières à celle du +Bâtard et lui dît:</p> + +<p>—Allez-y sûrement, car nous vous promettons de retourner bientôt vers +vous<a id="footnotetag901" name="footnotetag901"></a><a href="#footnote901" title="Lien vers la note 901"><span class="smaller">[901]</span></a>.</p> + +<p>Enfin, quand elle sut que le frère Pasquerel partirait avec eux, +pensant que ses gens seraient bien confessés, elle consentit à +rester<a id="footnotetag902" name="footnotetag902"></a><a href="#footnote902" title="Lien vers la note 902"><span class="smaller">[902]</span></a>. Elle passa la Loire avec <span class="pagenum"><a id="page311" name="page311"></a>(p. 311)</span> ses frères, sa petite +compagnie, le Bâtard, le maréchal de Boussac, le capitaine La Hire, et +débarqua à Chécy qui était alors un très gros bourg, ayant deux +églises, un Hôtel-Dieu, une léproserie<a id="footnotetag903" name="footnotetag903"></a><a href="#footnote903" title="Lien vers la note 903"><span class="smaller">[903]</span></a>. Elle fut reçue par un +riche bourgeois nommé Guy de Cailly, dans le manoir de Reuilly où elle +passa la nuit<a id="footnotetag904" name="footnotetag904"></a><a href="#footnote904" title="Lien vers la note 904"><span class="smaller">[904]</span></a>.</p> + +<p>Le 29 au matin, les chalands qui avaient mouillé à Chécy traversèrent +la Loire, et les convoyeurs les chargèrent de vivres, de munitions et +de bétail<a id="footnotetag905" name="footnotetag905"></a><a href="#footnote905" title="Lien vers la note 905"><span class="smaller">[905]</span></a>. La Loire était haute<a id="footnotetag906" name="footnotetag906"></a><a href="#footnote906" title="Lien vers la note 906"><span class="smaller">[906]</span></a>. Les chalands purent dériver +à charge par le chenal navigable qui longeait la rive gauche. Les +oseraies et les bouleaux de l'Île-aux-Bœufs les cachaient aux +Anglais de la bastille Saint-Loup qui, d'ailleurs, avaient en ce +moment beaucoup à faire. La garnison de la ville, pour les distraire, +escarmouchait contre eux. On s'y battait assez rudement; il y avait +morts, blessés et prisonniers des deux partis et les Anglais perdaient +un étendard<a id="footnotetag907" name="footnotetag907"></a><a href="#footnote907" title="Lien vers la note 907"><span class="smaller">[907]</span></a>. Les chalands passèrent à découvert sous le guet de +Saint-Jean-le-Blanc, qui était <span class="pagenum"><a id="page312" name="page312"></a>(p. 312)</span> abandonné<a id="footnotetag908" name="footnotetag908"></a><a href="#footnote908" title="Lien vers la note 908"><span class="smaller">[908]</span></a>, tournèrent à +tribord entre l'Île-aux-Bœufs et l'îlette des Martinets, pour +redescendre, en côtoyant la rive droite, sous l'Île-aux-Toiles jusqu'à +la Tour-Neuve, dont le pied baignait dans la Loire, à l'angle sud-est +de la ville. Puis ils se mirent à l'abri dans les fossés de la porte +de Bourgogne<a id="footnotetag909" name="footnotetag909"></a><a href="#footnote909" title="Lien vers la note 909"><span class="smaller">[909]</span></a>.</p> + +<p>Toute la journée, le manoir de Reuilly fut assiégé par une foule de +bourgeois orléanais qui, n'y pouvant tenir, étaient venus, au péril de +leur vie, voir la Pucelle promise. Elle quitta Chécy seulement à six +heures du soir. Les capitaines voulaient ne la faire entrer dans la +ville que la nuit tombée, de peur qu'on ne s'écrasât devant elle et +qu'il n'y eût de grands désordres<a id="footnotetag910" name="footnotetag910"></a><a href="#footnote910" title="Lien vers la note 910"><span class="smaller">[910]</span></a>. Ils passèrent sans doute par +les larges vallées qui descendent au midi de Semoy, sur les confins +des paroisses de Saint-Marc et de Saint-Jean-de-Braye. Chemin faisant, +elle disait à ceux qui chevauchaient avec elle:</p> + +<p>—Ne craignez rien. Il ne vous arrivera aucun mal<a id="footnotetag911" name="footnotetag911"></a><a href="#footnote911" title="Lien vers la note 911"><span class="smaller">[911]</span></a>.</p> + +<p>En fait, le passage n'était dangereux qu'aux piétons. Les gens de +cheval ne risquaient guère d'être poursuivis par les Anglais, qui, +dans leurs bastilles, manquaient de chevaux.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page313" name="page313"></a>(p. 313)</span> Ce vendredi 29 avril, elle entra de nuit dans Orléans par la +porte de Bourgogne; elle était armée de toutes pièces, et montée sur +un cheval blanc<a id="footnotetag912" name="footnotetag912"></a><a href="#footnote912" title="Lien vers la note 912"><span class="smaller">[912]</span></a>. Un cheval blanc était la monture des hérauts +d'armes et des archanges<a id="footnotetag913" name="footnotetag913"></a><a href="#footnote913" title="Lien vers la note 913"><span class="smaller">[913]</span></a>. Le Bâtard l'avait placée à sa droite. +Elle faisait porter devant elle son étendard, sur lequel on voyait +deux anges tenant chacun à la main une fleur de lis, et son pennon +avec l'image de la Salutation angélique. Puis venaient le maréchal de +Boussac, Guy de Cailly, Pierre et Jean d'Arc, Jean de Metz et Bertrand +de Poulengy, le sire d'Aulon, les seigneurs, capitaines, écuyers, gens +de guerre et citoyens qui étaient allés au-devant d'elle à +Reuilly<a id="footnotetag914" name="footnotetag914"></a><a href="#footnote914" title="Lien vers la note 914"><span class="smaller">[914]</span></a>. À sa rencontre, se pressaient les bourgeois et les +bourgeoises d'Orléans, portant des torches et montrant autant de joie +que s'ils eussent vu Dieu lui-même descendre dans leur ville<a id="footnotetag915" name="footnotetag915"></a><a href="#footnote915" title="Lien vers la note 915"><span class="smaller">[915]</span></a>. Ils +avaient souffert de grands maux et craint de n'être point secourus, +mais déjà ils se sentaient réconfortés et comme désassiégés par la +vertu divine qu'on leur avait dit être en cette pucelle. Ils la +regardaient avec un pieux amour. Hommes, femmes, enfants se <span class="pagenum"><a id="page314" name="page314"></a>(p. 314)</span> +précipitaient, s'étouffaient pour la toucher, elle et son cheval +blanc, comme on touche les reliques des saints. Dans cette presse une +torche mit le feu au pennon. Ce que voyant, la Pucelle donna de +l'éperon et allongea le pas jusqu'à la flamme qu'elle éteignit avec +une adresse qui parut merveilleuse; car tout en elle +émerveillait<a id="footnotetag916" name="footnotetag916"></a><a href="#footnote916" title="Lien vers la note 916"><span class="smaller">[916]</span></a>. Gens d'armes et bourgeois ravis l'accompagnèrent en +foule, par la ville, à l'église Sainte-Croix, où premièrement elle +alla rendre grâces à Dieu, puis à l'hôtel de Jacques Boucher, où son +logis était préparé<a id="footnotetag917" name="footnotetag917"></a><a href="#footnote917" title="Lien vers la note 917"><span class="smaller">[917]</span></a>.</p> + +<p>Jacques, ou comme on disait, Jacquet Boucher, depuis plusieurs années +trésorier du duc d'Orléans, était très riche homme et avait épousé la +fille d'un des plus notables bourgeois de la cité<a id="footnotetag918" name="footnotetag918"></a><a href="#footnote918" title="Lien vers la note 918"><span class="smaller">[918]</span></a>. Demeuré dans +sa ville durant tout le siège, il contribuait à la dépense, faisait +des dons de blé, d'avoine et de vin, avançait des deniers pour achats +de poudre et d'armes. La garde des remparts appartenant aux bourgeois, +Jacques Boucher avait charge de tenir en état de défense la porte +Renart où il demeurait et qui se trouvait la plus exposée aux attaques +des Anglais. Son hôtel, un des <span class="pagenum"><a id="page315" name="page315"></a>(p. 315)</span> plus beaux et des plus grands +de la ville, autrefois habité par une famille Regnart ou Renart qui +avait donné son nom à la porte, était situé dans la rue des +Talmeliers, tout proche l'enceinte. Les capitaines y tenaient conseil, +quand ils ne se réunissaient pas dans l'hôtel du chancelier Guillaume +Cousinot, rue de la Rose<a id="footnotetag919" name="footnotetag919"></a><a href="#footnote919" title="Lien vers la note 919"><span class="smaller">[919]</span></a>. Le logis de Jacques Boucher était sans +doute bien garni de vaisselle d'argent et de tapisseries historiées. +Dans une des salles, il y avait, paraît-il, une peinture représentant +trois femmes et portant cette inscription: <i>Justice, Paix, +Union</i><a id="footnotetag920" name="footnotetag920"></a><a href="#footnote920" title="Lien vers la note 920"><span class="smaller">[920]</span></a>.</p> + +<p>La Pucelle fut reçue en cette maison avec ses deux frères, les deux +compagnons qui l'avaient amenée au roi et leurs valets. Elle s'y fit +désarmer<a id="footnotetag921" name="footnotetag921"></a><a href="#footnote921" title="Lien vers la note 921"><span class="smaller">[921]</span></a>. La femme et la fille de Jacques Boucher passèrent la +nuit avec elle. Jeanne partagea le lit de l'enfant, qui avait neuf ans +et se nommait Charlotte, du nom du duc Charles, que servait son +père<a id="footnotetag922" name="footnotetag922"></a><a href="#footnote922" title="Lien vers la note 922"><span class="smaller">[922]</span></a>. C'était l'usage alors que l'hôte partageât <span class="pagenum"><a id="page316" name="page316"></a>(p. 316)</span> son +lit avec son hôte, l'hôtesse avec son hôtesse. La civilité le voulait; +les rois n'y manquaient pas plus que les bourgeois. On enseignait aux +enfants comment il fallait se comporter avec son compagnon de lit, +tenir sa juste place, ne pas bouger et dormir la bouche fermée<a id="footnotetag923" name="footnotetag923"></a><a href="#footnote923" title="Lien vers la note 923"><span class="smaller">[923]</span></a>.</p> + +<p>Ainsi l'argentier ducal accueillit la Pucelle en son hôtel et +l'hébergea aux frais de la ville. Les chevaux de Jeanne furent mis +dans l'écurie d'un bourgeois nommé Jean Pillas. Quant aux frères +d'Arc, ils ne demeurèrent point avec leur sœur, mais logèrent en +l'hôtel de Thévenin Villedart. La ville les défraya de tout, leur +fournit notamment les souliers et les houseaux dont ils avaient besoin +et leur fit don de quelques écus d'or. Trois compagnons de la Pucelle, +fort dénués, qui la vinrent trouver à Orléans, reçurent de quoi +manger<a id="footnotetag924" name="footnotetag924"></a><a href="#footnote924" title="Lien vers la note 924"><span class="smaller">[924]</span></a>.</p> + +<p>Le lendemain, 30 avril, les milices orléanaises furent debout au petit +jour. Depuis la veille au soir tout était renversé dans la ville; la +révolte, longtemps contenue, éclatait. Les bourgeois, qui, dès le mois +de février, avaient pris la chevalerie en défiance et en haine, la +secouaient enfin et la brisaient<a id="footnotetag925" name="footnotetag925"></a><a href="#footnote925" title="Lien vers la note 925"><span class="smaller">[925]</span></a>. Il n'y avait plus ni lieutenant +du roi, ni gouverneur, ni seigneurs, ni chefs de guerre; il n'y avait +plus qu'un pouvoir et qu'une force: la Pucelle. La Pucelle était +capitaine de <span class="pagenum"><a id="page317" name="page317"></a>(p. 317)</span> la commune. Cette fillette, cette pastoure, +cette béguine que les nobles amenaient pour qu'elle leur portât +bonheur, leur causait le plus grand dommage qu'ils pussent éprouver; +elle les réduisait à rien. Dès la matinée du 30, ils eurent tout lieu +de s'apercevoir que la révolution bourgeoise était accomplie. Les +milices attendaient la Pucelle pour la mettre à leur tête et marcher +tout de suite avec elle contre les Godons. Les capitaines essayèrent +de leur faire comprendre qu'il fallait attendre l'armée de Blois et +les gens du maréchal de Boussac qui étaient partis, la nuit, à la +rencontre de cette armée. Les bourgeois en armes ne voulaient rien +entendre et réclamaient à grands cris la Pucelle. Elle ne parut point. +Monseigneur le Bâtard, qui avait la langue dorée, lui avait conseillé +de ne se pas montrer<a id="footnotetag926" name="footnotetag926"></a><a href="#footnote926" title="Lien vers la note 926"><span class="smaller">[926]</span></a>. Ce fut le dernier avantage que les chefs +prirent sur elle. Encore, en paraissant leur céder, n'avait-elle, +cette fois, comme les autres, agi qu'à sa volonté. Quant aux +bourgeois, avec ou sans la Pucelle, ils voulaient se battre. Le Bâtard +ne put les en empêcher. Ils sortirent, accompagnés par les Gascons du +capitaine La Hire et les gens de messire Florent d'Illiers; ils +attaquèrent courageusement la bastille Saint-Pouair, que les Anglais +nommaient Paris et qui se dressait à quatre cents toises des murs; ils +culbutèrent le poste avancé <span class="pagenum"><a id="page318" name="page318"></a>(p. 318)</span> et approchèrent la bastille de +si près qu'on leur apportait déjà de la ville des fagots et de la +paille pour incendier les barrières. Mais les Anglais, au cri de +Saint-Georges, sortirent en bon ordre et, après un rude et sanglant +combat, repoussèrent l'attaque des bourgeois et des routiers<a id="footnotetag927" name="footnotetag927"></a><a href="#footnote927" title="Lien vers la note 927"><span class="smaller">[927]</span></a>.</p> + +<p>La Pucelle n'en avait rien su. Venue de Dieu sur son cheval blanc, en +messagère armée et pacifique, elle n'estimait ni juste ni pieux de +combattre les Anglais avant qu'ils eussent refusé ses offres de paix. +Ce jour, comme la veille, tout son désir était d'aller saintement vers +Talbot. Elle demanda nouvelle de sa lettre et apprit que les +capitaines anglais n'en avaient tenu nul compte et qu'ils avaient +gardé son héraut Guyenne<a id="footnotetag928" name="footnotetag928"></a><a href="#footnote928" title="Lien vers la note 928"><span class="smaller">[928]</span></a>. Voici ce qui était arrivé.</p> + +<p>Cette lettre, que le Bâtard trouvait faite de paroles bien simples, +produisit sur les Anglais un effet prodigieux. Elle les remplit de +fureur et d'épouvante. Ils retinrent le héraut qui l'avait portée, et, +bien que la coutume et l'usage fussent de respecter la personne de ces +officiers, alléguant que le messager de la sorcière ne pouvait être +qu'un hérétique, ils le firent mettre aux fers et, après une manière +de procès, le condamnèrent au feu comme complice de l'abuseresse<a id="footnotetag929" name="footnotetag929"></a><a href="#footnote929" title="Lien vers la note 929"><span class="smaller">[929]</span></a>. +Même, <span class="pagenum"><a id="page319" name="page319"></a>(p. 319)</span> ils dressèrent le poteau où il devait être lié. +Toutefois, avant d'exécuter la sentence, ils jugèrent bon de consulter +l'Université de Paris, comme l'évêque de Beauvais devait la consulter, +en pareille matière, dix-huit mois plus tard<a id="footnotetag930" name="footnotetag930"></a><a href="#footnote930" title="Lien vers la note 930"><span class="smaller">[930]</span></a>. La peur les rendait +méchants. Ces malheureux, que l'on traitait de diables, craignaient +les diables. Ils soupçonnaient les Français à l'esprit subtil d'être +nécromanciens et sorciers, et disaient que les Armagnacs avaient fait +mourir le grand roi Henri V par des vers magiques. Redoutant que leurs +ennemis n'usassent contre eux de sortilèges et d'enchantements, ils +portaient sur eux, pour se préserver de tout mal des bandes de +parchemin couvertes de formules conjuratoires qu'on nommait des +«periapts»<a id="footnotetag931" name="footnotetag931"></a><a href="#footnote931" title="Lien vers la note 931"><span class="smaller">[931]</span></a>. Le plus efficace, de ces amulettes, était le premier +chapitre de l'évangile de saint Jean. À cette époque, les étoiles les +menaçaient et les mathématiciens lisaient dans le ciel leur ruine +prochaine. Leur défunt roi Henri V avait, du temps qu'il étudiait à +Oxford, appris les règles de la divination par les astres. Il gardait +dans ses coffres pour son usage particulier deux astrolabes, l'un +d'argent et l'autre d'or. Quand sa femme, Catherine de France, fut +près d'accoucher, il opéra lui-même «l'élection à la fois sidérale et +topique», relative à la venue <span class="pagenum"><a id="page320" name="page320"></a>(p. 320)</span> de l'enfant dans le monde. Et, +comme d'ailleurs une prophétie courait l'Angleterre<a id="footnotetag932" name="footnotetag932"></a><a href="#footnote932" title="Lien vers la note 932"><span class="smaller">[932]</span></a>, disant que +Windsor perdrait ce que Monmouth avait gagné, il défendit à la reine +de faire ses couches à Windsor. Mais on ne peut détourner la destinée. +L'enfant royal naquit à Windsor. Son père était en France quand il en +apprit la nouvelle; il en conçut de funestes présages et fit venir +Jean Halbourd de Troyes, ministre général des trinitaires ou +mathurins, «excellent en astrologie», qui, ayant dressé le thème de +nativité, ne put que confirmer le roi dans ses noirs +pressentiments<a id="footnotetag933" name="footnotetag933"></a><a href="#footnote933" title="Lien vers la note 933"><span class="smaller">[933]</span></a>. Et voici que les temps étaient venus. Windsor +régnait; il fallait s'attendre à tout perdre. Merlin l'avait prédit, +qu'une vierge les devait bouter hors de France et de tout point les +défaire. Quand vint la Pucelle, ils pâlirent d'effroi; capitaines et +soldats perdirent tout courage<a id="footnotetag934" name="footnotetag934"></a><a href="#footnote934" title="Lien vers la note 934"><span class="smaller">[934]</span></a>. Tels qui n'avaient peur d'homme +au monde tremblaient devant cette fille, la tenant pour sorcière. +C'eût été trop leur demander que de la tenir pour sainte et envoyée du +Ciel. Il suffisait qu'ils la prissent pour une magicienne très +savante<a id="footnotetag935" name="footnotetag935"></a><a href="#footnote935" title="Lien vers la note 935"><span class="smaller">[935]</span></a>. À ceux qu'elle venait secourir, elle semblait une fille +de Dieu; à ceux qu'elle venait détruire, elle apparaissait comme un +monstre horrible en forme <span class="pagenum"><a id="page321" name="page321"></a>(p. 321)</span> de femme. Ce double aspect fit +toute sa force: angélique pour les Français et diabolique pour les +Anglais, elle se montrait aux uns et aux autres invincible et +surnaturelle.</p> + +<p>Dans la soirée du 30, elle envoya au camp de +Saint-Laurent-des-Orgerils son héraut Ambleville pour réclamer +Guyenne, qui avait porté la lettre de Blois et qui n'était pas revenu. +Ambleville avait aussi mission de dire à sir John Talbot, au comte de +Suffolk et au seigneur de Scales, que de la part de Dieu, la Pucelle +les sommait de partir et d'aller en Angleterre; autrement que mal leur +adviendrait. Les Anglais renvoyèrent Ambleville avec un mauvais +message.</p> + +<p>—Les Anglais, dit-il à la Pucelle, gardent mon compagnon pour le +brûler.</p> + +<p>Elle répondit:</p> + +<p>—En nom Dieu, ils ne lui feront nul mal.</p> + +<p>Et elle ordonna à Ambleville de retourner<a id="footnotetag936" name="footnotetag936"></a><a href="#footnote936" title="Lien vers la note 936"><span class="smaller">[936]</span></a>.</p> + +<p>Elle était indignée, et sans doute grandement déçue. Certes elle +n'avait point prévu que Talbot et les chefs du siège feraient un tel +accueil à une lettre inspirée par mesdames sainte Catherine et sainte +Marguerite et par monseigneur saint Michel; mais elle avait tant de +charité au cœur, qu'elle voulut offrir encore la paix aux Anglais. +Dans son innocence, elle ne pouvait croire que les avertissements +qu'elle donnait de par Dieu ne <span class="pagenum"><a id="page322" name="page322"></a>(p. 322)</span> fussent point enfin entendus. +D'ailleurs, quoi qu'il en dût advenir, elle voulait faire son devoir +jusqu'au bout. Elle sortit à la nuit par la porte du Pont et alla +jusqu'au boulevard de la Belle-Croix. Il n'était pas rare qu'on +s'interpellât d'un parti à l'autre. La Belle-Croix était à portée de +voix des Tourelles. La Pucelle monta sur la barrière et cria aux +Anglais:</p> + +<p>—Rendez-vous, de par Dieu, vos vies sauves seulement.</p> + +<p>Mais ceux de la garnison et le capitaine William Glasdall lui-même lui +crachèrent de basses injures et d'horribles menaces.</p> + +<p>—Vachère! Si nous te tenons jamais, nous te ferons brûler.</p> + +<p>Elle leur répondit qu'ils mentaient. Mais ils étaient sérieux et +sincères; ils croyaient fermement que cette fille armait contre eux +des légions de diables<a id="footnotetag937" name="footnotetag937"></a><a href="#footnote937" title="Lien vers la note 937"><span class="smaller">[937]</span></a>.</p> + +<p>Le dimanche 1<sup>er</sup> mai, monseigneur le Bâtard alla au-devant de +l'armée de Blois<a id="footnotetag938" name="footnotetag938"></a><a href="#footnote938" title="Lien vers la note 938"><span class="smaller">[938]</span></a>. Il connaissait le pays; actif et prudent, il +tenait à surveiller l'entrée de ce convoi comme il avait surveillé +l'entrée de l'autre. Il partit avec une petite escorte. Adroitement, +pour flatter les Orléanais dans leur amour et leur piété, pour se +mettre, autant dire, sous la sauvegarde de leur sainte, ne se risquant +point à l'emmener elle-même, il emmena du moins quelqu'un à elle, +<span class="pagenum"><a id="page323" name="page323"></a>(p. 323)</span> son intendant, le sire Jean d'Aulon<a id="footnotetag939" name="footnotetag939"></a><a href="#footnote939" title="Lien vers la note 939"><span class="smaller">[939]</span></a>. Il saisissait la +première occasion de montrer son bon vouloir à l'endroit de la +Pucelle, sentant que désormais on ne pouvait rien faire qu'avec elle +et sous son ombre.</p> + +<p>La ferveur des citoyens ne tiédissait point. Ce jour encore, dans le +grand désir de voir la sainte, ils se pressèrent en foule devant +l'hôtel de Jacques Boucher avec autant de violence que les pèlerins du +Puy dans le sanctuaire de la Vierge noire. On craignit que les portes +ne fussent enfoncées. Le cri d'un peuple montait vers elle. C'est +alors qu'elle se montra bonne, sage, égale à sa mission et vraiment +née pour le salut de tous. Ce peuple fou, en l'absence des capitaines +et des hommes d'armes, n'attendait qu'un signe d'elle pour courir +tumultueusement aux bastilles, s'y briser, s'y meurtrir. Ce signe, +malgré les visions guerrières qui l'obsédaient, elle ne le fit pas. +Tout enfant qu'elle était et ignorante des choses de la guerre et de +toute chose humaine, elle trouva en elle le sentiment et la force +d'éviter le désastre. Elle mena cette foule d'hommes, non point aux +bastilles anglaises, mais aux lieux saints de la cité. Elle +chevauchait par les rues, accompagnée de plusieurs chevaliers et +écuyers; la foule des hommes et des femmes se jetait sur son passage +et ne pouvait se rassasier de la voir. On s'émerveillait de ce qu'elle +pût se tenir à cheval de si noble façon, comme elle <span class="pagenum"><a id="page324" name="page324"></a>(p. 324)</span> faisait, +et se comporter en toutes ses manières ainsi qu'un homme d'armes, et +l'on se serait écrié que c'était un vrai saint Georges, si l'on n'eût +eu soupçon que monsieur saint Georges s'était tourné Anglais<a id="footnotetag940" name="footnotetag940"></a><a href="#footnote940" title="Lien vers la note 940"><span class="smaller">[940]</span></a>.</p> + +<p>Ce dimanche, elle alla, pour la deuxième fois, offrir la paix aux +ennemis du royaume. Elle sortit par la porte Renart et s'avança sur la +route de Blois, dans le faubourg incendié, vers la bastille anglaise +qui, ceinte d'un double fossé, s'élevait sur un coteau, au carrefour +nommé la croix Boissée ou Buissée, parce que les Orléanais y avaient +dressé une croix que, chaque année, ils ornaient de buis bénit, le +jour de Pâques fleuries. Elle voulait sans doute atteindre cette +bastille et, peut-être, se rendre au camp de +Saint-Laurent-des-Orgerils qui s'étendait entre la croix Boissée et la +Loire et où étaient, comme elle avait dit, Talbot et les Anglais. Car +elle ne désespérait pas encore de se faire entendre des chefs du +siège. Mais au pied du coteau, en un lieu dit la Croix-Morin, elle +rencontra des Godons qui gardaient le passage. Là, gravement, +religieusement, saintement, elle les somma de se retirer devant les +armées du Seigneur.</p> + +<p>—Rendez-vous, la vie sauve tant seulement. Retournez de par Dieu en +Angleterre. Si non, je ferai que vous serez affligés<a id="footnotetag941" name="footnotetag941"></a><a href="#footnote941" title="Lien vers la note 941"><span class="smaller">[941]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page325" name="page325"></a>(p. 325)</span> Ces gens d'armes lui répondirent, ainsi qu'avaient fait ceux +des Tourelles, par des paroles injurieuses. L'un d'eux, le bâtard de +Granville, lui cria:</p> + +<p>—Veux-tu donc que nous nous rendions à une femme?</p> + +<p>Ils appelèrent les Français qui étaient avec elle maquereaux et +mécréants, pour leur faire honte d'accompagner une ribaude et une +sorcière. Mais soit qu'ils crussent que ses charmes la rendaient +invulnérable, soit qu'ils tinssent pour honteux de férir quiconque +portait un message, pas plus cette fois que les autres ils ne tirèrent +sur elle<a id="footnotetag942" name="footnotetag942"></a><a href="#footnote942" title="Lien vers la note 942"><span class="smaller">[942]</span></a>.</p> + +<p>Ce dimanche, Jacquet le Prestre, varlet de la ville, offrit le vin à +la Pucelle<a id="footnotetag943" name="footnotetag943"></a><a href="#footnote943" title="Lien vers la note 943"><span class="smaller">[943]</span></a>. Les procureurs et les citoyens ne savaient mieux +faire pour honorer celle qu'ils regardaient comme leur capitaine. +Ainsi en usaient-ils avec les seigneurs, les rois et les reines qu'ils +recevaient dans leurs murailles. Le vin était alors grandement estimé +pour sa noblesse et sa bienfaisance. Jeanne, en formant un souhait, +disait volontiers: «Dussé-je ne pas boire de vin d'ici à +Pâques<a id="footnotetag944" name="footnotetag944"></a><a href="#footnote944" title="Lien vers la note 944"><span class="smaller">[944]</span></a>!...» Mais de fait, elle ne buvait point de vin pur et +mangeait peu<a id="footnotetag945" name="footnotetag945"></a><a href="#footnote945" title="Lien vers la note 945"><span class="smaller">[945]</span></a>.</p> + +<p>Durant ces jours d'attente, la Pucelle ne se reposa <span class="pagenum"><a id="page326" name="page326"></a>(p. 326)</span> pas un +moment. Le lundi 2 mai, elle monta à cheval et alla aux champs pour +voir les bastilles anglaises. Le peuple la suivit en masse, sans +crainte, joyeux d'être près d'elle. Et quand elle eut regardé tout à +son aise, elle rentra dans la ville et se rendit à l'église cathédrale +où elle entendit les vêpres<a id="footnotetag946" name="footnotetag946"></a><a href="#footnote946" title="Lien vers la note 946"><span class="smaller">[946]</span></a>.</p> + +<p>Le lendemain, 3 mai, jour de l'invention de la sainte Croix, qui était +la fête de la cathédrale, elle suivit la procession avec les +procureurs et les habitants. Là, maître Jean de Macon, chantre de la +cathédrale<a id="footnotetag947" name="footnotetag947"></a><a href="#footnote947" title="Lien vers la note 947"><span class="smaller">[947]</span></a>, l'aborda en ces termes:</p> + +<p>—Ma fille, êtes-vous venue pour lever le siège?</p> + +<p>Elle répondit:</p> + +<p>—En nom Dieu, oui<a id="footnotetag948" name="footnotetag948"></a><a href="#footnote948" title="Lien vers la note 948"><span class="smaller">[948]</span></a>!</p> + +<p>Les Orléanais croyaient tous que les Anglais étaient innombrables +autour de la ville comme les étoiles dans le ciel; le notaire +Guillaume Girault n'attendait plus qu'un miracle<a id="footnotetag949" name="footnotetag949"></a><a href="#footnote949" title="Lien vers la note 949"><span class="smaller">[949]</span></a>; Jean Luillier, +marchand drapier<a id="footnotetag950" name="footnotetag950"></a><a href="#footnote950" title="Lien vers la note 950"><span class="smaller">[950]</span></a> de son état, estimait impossible que les +concitoyens pussent tenir longtemps contre des ennemis à ce point +<span class="pagenum"><a id="page327" name="page327"></a>(p. 327)</span> plus forts qu'eux<a id="footnotetag951" name="footnotetag951"></a><a href="#footnote951" title="Lien vers la note 951"><span class="smaller">[951]</span></a>. Messire Jean de Macon s'effrayait +pareillement de la puissance et de la multitude des Godons.</p> + +<p>—Ma fille, dit-il à la Pucelle, ils sont forts et bien fortifiés, et +ce sera une grande affaire que de les mettre dehors<a id="footnotetag952" name="footnotetag952"></a><a href="#footnote952" title="Lien vers la note 952"><span class="smaller">[952]</span></a>.</p> + +<p>Si le notaire Guillaume Girault, si le drapier Jean Luillier, si +messire Jean de Macon, au lieu de nourrir des imaginations tristes, +avaient fait le compte des assiégés et des assiégeants, ils auraient +reconnu que ceux-ci étaient moins nombreux que ceux-là, et que l'armée +de Scales, de Suffolk, de Talbot, semblait maigre et chétive au regard +des armées que le roi Henri V avait jadis menées aux grands sièges; +ils se seraient aperçus, en y regardant un peu, que les bastilles +horrifiquement nommées Londres et Paris n'étaient capables d'arrêter +au passage ni blé, ni bœufs, ni pourceaux, ni gens d'armes, que des +marchands avec leurs bestiaux insultaient chaque jour ces gigantesques +mannequins; et qu'enfin les affaires des Orléanais étaient pour +l'heure en meilleur état que celles des Anglais. Mais ils n'avaient +rien observé par eux-mêmes et ils s'en tenaient au sens commun, qui +est rarement le sens du juste et du vrai. La Pucelle n'entra pas dans +les fausses raisons de messire Jean de Macon. Des Anglais, elle n'en +savait pas plus que lui; cependant, <span class="pagenum"><a id="page328" name="page328"></a>(p. 328)</span> comme elle était une +sainte, elle répondit avec tranquillité:</p> + +<p>—Il n'est rien d'impossible à la puissance de Dieu<a id="footnotetag953" name="footnotetag953"></a><a href="#footnote953" title="Lien vers la note 953"><span class="smaller">[953]</span></a>.</p> + +<p>Et maître Jean de Macon l'approuva de penser ainsi.</p> + +<p class="p2">Ce qui rendait la situation trouble, dangereuse, effrayante, c'est que +les bourgeois se croyaient trahis. Ils se rappelaient le comte de +Clermont, l'homme des Harengs, et ils soupçonnaient les gens du roi de +les abandonner encore; ils se voyaient, après avoir tant fait et tant +payé, livrés aux Anglais. Cette idée les rendait fous<a id="footnotetag954" name="footnotetag954"></a><a href="#footnote954" title="Lien vers la note 954"><span class="smaller">[954]</span></a>. Le bruit +courait que le maréchal de Boussac, parti avec monseigneur le Bâtard +au-devant du second convoi de vivres, et qui devait revenir le mardi +3, ne reviendrait pas. On disait que le chancelier de France voulait +licencier l'armée. C'était absurde: le Conseil du roi et celui de la +reine de Sicile faisaient au contraire de vigoureux efforts pour +délivrer la cité; mais de longues souffrances et un horrible danger +troublaient les esprits. On craignait aussi plus raisonnablement qu'il +n'arrivât malheur en chemin à ceux de Blois, comme il était arrivé aux +autres, à Rouvray. Les inquiétudes des bourgeois envahirent les +compagnons de la Pucelle. Un des meilleurs d'entre eux, le sire +d'Aulon, son intendant, lui laissa voir ses craintes: elle n'en fut +point effleurée. Elle répondit avec la tranquillité radieuse des +illuminées:</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page329" name="page329"></a>(p. 329)</span> —Le maréchal viendra. Et je sais bien qu'il ne lui arrivera +aucun mal<a id="footnotetag955" name="footnotetag955"></a><a href="#footnote955" title="Lien vers la note 955"><span class="smaller">[955]</span></a>.</p> + +<p>Ce jour-là, on vit entrer les petites garnisons de Gien, de +Château-Regnard et de Montargis<a id="footnotetag956" name="footnotetag956"></a><a href="#footnote956" title="Lien vers la note 956"><span class="smaller">[956]</span></a>. Mais l'armée de Blois ne vint +point. Le lendemain au petit jour, elle fut signalée dans la plaine de +Beauce. Et, en effet, le sire de Rais, ramené par le maréchal de +Boussac et monseigneur le Bâtard, longeait avec ses hommes d'armes la +forêt d'Orléans<a id="footnotetag957" name="footnotetag957"></a><a href="#footnote957" title="Lien vers la note 957"><span class="smaller">[957]</span></a>. Les bourgeois, à cette nouvelle, durent tous +s'écrier que la Pucelle avait eu raison de vouloir passer au nez de +Talbot, puisque maintenant les capitaines suivaient le chemin qu'elle +avait indiqué. En fait il en était un peu autrement qu'on ne croyait. +Une partie seulement de l'armée de Blois s'était risquée à forcer le +passage entre les bastilles de l'ouest: le convoi avec son escorte +venait, comme l'autre, par la Sologne et devait entrer par eau dans la +ville, et l'on avait raisonnablement maintenu, pour débarquer les +vivres, les dispositions qui s'étaient à l'usage trouvées excellentes +une première fois<a id="footnotetag958" name="footnotetag958"></a><a href="#footnote958" title="Lien vers la note 958"><span class="smaller">[958]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page330" name="page330"></a>(p. 330)</span> Le capitaine La Hire et plusieurs chefs demeurés dans la +ville allèrent avec cinq cents combattants au-devant du sire de Rais, +du maréchal de Boussac et du Bâtard. La Pucelle monta à cheval et +partit avec eux. Ils traversèrent les lignes anglaises vers +Saint-Ladre et, ayant rencontré l'armée un peu au delà, ils +retournèrent à la ville de compagnie. Les prêtres, et parmi eux le +frère Pasquerel, portant la bannière, passèrent les premiers sous la +bastille de Paris, en chantant des psaumes<a id="footnotetag959" name="footnotetag959"></a><a href="#footnote959" title="Lien vers la note 959"><span class="smaller">[959]</span></a>.</p> + +<p>Jeanne dîna dans l'hôtel de Jacques Boucher avec son intendant Jean +d'Aulon. Quand on eut retiré la nappe, le Bâtard étant venu chez le +trésorier, causa un moment avec elle, gracieux et courtois, mais ne +disant que ce qu'il voulait dire.</p> + +<p>—J'ai su de vrai, fit-il, par gens dignes de foi, que Falstolf doit +venir bientôt vers les Anglais qui font le siège, pour les renforcer +et les ravitailler, et qu'il est déjà à Janville.</p> + +<p>Jeanne, à cette nouvelle, montra une grande joie et dit en riant:</p> + +<p>—Bâtard, Bâtard, en nom Dieu, je te commande que sitôt que tu sauras +la venue de Falstolf, tu me le fasses savoir. Car, s'il passe sans que +je le sache, je te promets que je te ferai ôter la tête.</p> + +<p>Sans paraître fâché de ce badinage un peu rude, il <span class="pagenum"><a id="page331" name="page331"></a>(p. 331)</span> lui +répondit qu'elle n'eût crainte, qu'il le lui ferait bien savoir<a id="footnotetag960" name="footnotetag960"></a><a href="#footnote960" title="Lien vers la note 960"><span class="smaller">[960]</span></a>.</p> + +<p>Sir John Falstolf était déjà signalé le 26 avril. C'est surtout pour +ne pas le rencontrer qu'on avait passé par la Sologne. Il se peut +qu'on l'eût encore signalé le 4 mai, sans plus de raison. Mais le +Bâtard savait autre chose. Le blé du second convoi était, comme celui +du premier, descendu par le fleuve; on avait décidé en conseil que les +capitaines attaqueraient dans l'après-dînée la bastille Saint-Loup, +pour opérer une diversion, ainsi qu'on avait fait le 29 avril<a id="footnotetag961" name="footnotetag961"></a><a href="#footnote961" title="Lien vers la note 961"><span class="smaller">[961]</span></a>. +L'attaque était déjà commencée. De cela le Bâtard ne souffla mot à la +Pucelle. Il lui apparaissait qu'elle était la seule puissance debout +dans la ville, mais il croyait que dans la guerre, elle ne dût vaquer +qu'au spirituel<a id="footnotetag962" name="footnotetag962"></a><a href="#footnote962" title="Lien vers la note 962"><span class="smaller">[962]</span></a>.</p> + +<p>Après qu'il se fut retiré, Jeanne, fatiguée de sa chevauchée matinale, +se mit sur son lit avec son hôtesse pour dormir un peu. Le sire Jean +d'Aulon, qui était fort las, s'étendit sur une couchette, dans la même +chambre, pensant prendre le repos dont il avait besoin. Mais à peine +s'était-il endormi que la Pucelle sauta du lit et l'éveilla à grand +bruit. Il lui demanda ce qu'elle voulait.</p> + +<p>—En nom Dieu! répondit-elle tout agitée, mon Conseil m'a dit que +j'allasse contre les Anglais, mais <span class="pagenum"><a id="page332" name="page332"></a>(p. 332)</span> je ne sais si je dois +aller à leurs bastilles ou contre Falstolf, qui les doit +ravitailler<a id="footnotetag963" name="footnotetag963"></a><a href="#footnote963" title="Lien vers la note 963"><span class="smaller">[963]</span></a>.</p> + +<p>Elle avait rêvé et assisté en songe à ce qu'elle appelait son Conseil, +c'est-à-dire à la venue des saintes. Elle avait entendu, dans son +rêve, madame sainte Catherine et madame sainte Marguerite. Il était +arrivé cette fois ce qui arrivait toujours. Les saintes ne lui avaient +dit que ce qu'elle savait elle-même; elles ne lui avaient rien révélé +de ce qu'elle avait besoin d'apprendre, elles ne l'avaient pas avertie +qu'en ce moment même les Français attaquaient la bastille Saint-Loup +et souffraient grand dommage. Et elles s'en étaient allées, les +bienheureuses, la laissant dans l'erreur et l'ignorance de ce qui +était, dans l'incertitude de ce qu'il fallait faire. Ce n'était pas le +bon sire d'Aulon qui pouvait la tirer d'embarras. On ne l'appelait +pas, lui non plus, aux conseils des capitaines. Il ne lui répondit +rien, et se mit à l'armer le plus vite qu'il put. Il avait déjà +commencé, quand ils entendirent une grande rumeur et des cris qui +montaient de la rue. Ils apprirent des passants qu'on se battait du +côté de Saint-Loup et que les ennemis faisaient beaucoup de mal aux +Français. Jean d'Aulon, sans en demander davantage, alla tout de suite +se faire armer par son écuyer. Presque en même temps Jeanne descendit +et demanda:</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page333" name="page333"></a>(p. 333)</span> —Où sont ceux qui me doivent armer? Le sang de nos gens +coule<a id="footnotetag964" name="footnotetag964"></a><a href="#footnote964" title="Lien vers la note 964"><span class="smaller">[964]</span></a>.</p> + +<p>Elle trouva dans la rue frère Pasquerel, son chapelain, avec quelques +prêtres, et son page Mugot, à qui elle cria:</p> + +<p>—Ha! sanglant garçon, vous ne me disiez pas que le sang de France fût +répandu!... En nom Dieu, nos gens ont fort affaire<a id="footnotetag965" name="footnotetag965"></a><a href="#footnote965" title="Lien vers la note 965"><span class="smaller">[965]</span></a>.</p> + +<p>Elle lui commanda d'amener son cheval et acheva de se faire armer par +la femme et la fille de son hôte. Le page, à son retour, la trouva +tout équipée. Elle l'envoya chercher son étendard, qui était resté +dans sa chambre. Il le lui passa par la fenêtre. Elle le prit et lança +son cheval sur la grand'rue, vers la porte de Bourgogne, d'un tel pas, +que le feu jaillissait du pavé<a id="footnotetag966" name="footnotetag966"></a><a href="#footnote966" title="Lien vers la note 966"><span class="smaller">[966]</span></a>.</p> + +<p>—Courez après elle! cria la femme de l'argentier<a id="footnotetag967" name="footnotetag967"></a><a href="#footnote967" title="Lien vers la note 967"><span class="smaller">[967]</span></a>.</p> + +<p>Le sire d'Aulon ne l'avait pas vue partir. Il s'imagina, on ne sait +pourquoi, qu'elle était sortie à pied et qu'ayant rencontré dans la +rue un page monté sur un cheval, elle l'en avait fait descendre et +avait pris le cheval<a id="footnotetag968" name="footnotetag968"></a><a href="#footnote968" title="Lien vers la note 968"><span class="smaller">[968]</span></a>. Pour aller de la porte Renart à la porte de +Bourgogne, il fallait traverser la ville dans toute sa largeur. Jeanne +qui, depuis trois jours, parcourait les <span class="pagenum"><a id="page334" name="page334"></a>(p. 334)</span> rues d'Orléans, tira +son chemin tout droit. Jean d'Aulon et le page, qui la poursuivaient à +grande hâte, ne la rejoignirent qu'à la porte. Comme ils y arrivaient, +ils rencontrèrent un blessé qu'on emmenait. La Pucelle demanda aux +porteurs qui était cet homme. Ils répondirent que c'était un Français. +Elle dit alors:</p> + +<p>—Je n'ai jamais vu sang de Français que les cheveux ne me levassent +sur la tête<a id="footnotetag969" name="footnotetag969"></a><a href="#footnote969" title="Lien vers la note 969"><span class="smaller">[969]</span></a>.</p> + +<p>La Pucelle et le sire d'Aulon poussèrent, avec quelques gens d'armes +de leur compagnie, par les champs, sur Saint-Loup. Chemin faisant ils +virent des hommes de leur parti. Le bon écuyer, peu accoutumé aux +grandes batailles, ne se rappelait pas en avoir jamais vu autant à la +fois<a id="footnotetag970" name="footnotetag970"></a><a href="#footnote970" title="Lien vers la note 970"><span class="smaller">[970]</span></a>.</p> + +<p>Depuis une heure, les Bretons et les Manceaux du sire de Rais +escarmouchaient devant la bastille. Les derniers arrivés, selon +l'usage, faisaient le guet<a id="footnotetag971" name="footnotetag971"></a><a href="#footnote971" title="Lien vers la note 971"><span class="smaller">[971]</span></a>. Mais, si ces combattants, venus le +matin dans la ville, avaient attaqué sans prendre le temps de +souffler, c'est apparemment qu'ils étaient pressés. Ils faisaient ce +qu'on avait fait le 29 avril et pour la même raison<a id="footnotetag972" name="footnotetag972"></a><a href="#footnote972" title="Lien vers la note 972"><span class="smaller">[972]</span></a>, c'est-à-dire +qu'ils occupaient les Anglais pendant le passage des chalands chargés +de blé qui, en ce moment même, descendaient la rivière jusqu'au fossé +de l'enceinte. <span class="pagenum"><a id="page335" name="page335"></a>(p. 335)</span> Du haut de leur colline escarpée, dans leur +forte bastille, les Anglais s'étaient défendus facilement malgré leur +petit nombre, et les gens du roi n'avaient guère tenu, puisque la +Pucelle et le sire d'Aulon les trouvaient répandus par les champs. +Elle les rassembla et les ramena. C'étaient ses amis: ils avaient +voyagé ensemble, chanté ensemble des hymnes et des psaumes, entendu +ensemble la messe dans les champs. Ils savaient qu'elle portait +chance: ils la suivirent. En marchant à leur tête, elle eut d'abord +une pensée religieuse. La bastille était construite sur l'église et le +monastère des Dames de Saint-Loup. Elle fit publier à son de trompe +qu'on ne prît rien dans l'église<a id="footnotetag973" name="footnotetag973"></a><a href="#footnote973" title="Lien vers la note 973"><span class="smaller">[973]</span></a>. Il lui souvenait que, pour +avoir pillé l'église de Notre-Dame de Cléry, Salisbury avait fait une +mauvaise fin; et elle avait à cœur de préserver de male mort ses +hommes d'armes<a id="footnotetag974" name="footnotetag974"></a><a href="#footnote974" title="Lien vers la note 974"><span class="smaller">[974]</span></a>. C'était la première fois qu'elle voyait des gens +combattre et, sitôt entrée dans la bataille, elle en devint le chef +parce qu'elle était la meilleure. Elle fit mieux que les autres, non +qu'elle en sût davantage; elle en savait moins. Mais elle avait plus +grand cœur. Quand chacun songeait à soi, seule elle songeait à +tous; quand chacun se gardait, elle ne se <span class="pagenum"><a id="page336" name="page336"></a>(p. 336)</span> gardait de rien, +s'étant offerte tout entière par avance. Et cette enfant, qui, comme +toute créature humaine, craignait la souffrance et la mort, à qui ses +Voix, ses pressentiments avaient annoncé qu'elle serait blessée, alla +droit en avant et demeura, sous les traits d'arbalète et les plombées +de couleuvrines, debout au bord du fossé, son étendard à la main, pour +rallier les combattants<a id="footnotetag975" name="footnotetag975"></a><a href="#footnote975" title="Lien vers la note 975"><span class="smaller">[975]</span></a>. Par elle ce qui n'était qu'une diversion +devenait une attaque à fond. On donna l'assaut.</p> + +<p>Lorsqu'il sut que la bastille Saint-Loup était attaquée, sir John +Talbot sortit du camp de Saint-Laurent-des-Orgerils. Il avait beaucoup +de chemin à faire sur ses lignes et le long de la forêt avant +d'atteindre la bastille en péril. Il se mit en marche et ramassa sur +son passage les garnisons des bastilles de l'ouest. Les guetteurs de +la ville virent ces mouvements et sonnèrent l'alarme; le maréchal de +Boussac sortit par la porte Parisis, au nord, et alla vers Fleury +s'opposer à la marche de Talbot. Le capitaine anglais se disposait à +forcer le passage quand il vit une épaisse fumée s'élever au-dessus de +la bastille Saint-Loup. Il comprit que les Français l'avaient prise et +brûlée, et il retourna tristement au camp de +Saint-Laurent-des-Orgerils<a id="footnotetag976" name="footnotetag976"></a><a href="#footnote976" title="Lien vers la note 976"><span class="smaller">[976]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page337" name="page337"></a>(p. 337)</span> L'assaut avait duré trois heures. Après l'incendie de la +bastille, les Anglais grimpèrent dans le clocher de l'église. Les +Français les y dénichèrent à grand'peine, mais sans péril aucun. Ils +firent une quarantaine de prisonniers et tuèrent tout le reste. De +voir tant d'ennemis morts, la Pucelle était toute dolente. Elle +plaignait ces pauvres gens qui étaient morts sans confession<a id="footnotetag977" name="footnotetag977"></a><a href="#footnote977" title="Lien vers la note 977"><span class="smaller">[977]</span></a>. +Quelques Godons, revêtus d'habits et d'ornements ecclésiastiques, +allèrent au-devant d'elle. Elle s'aperçut bien que c'étaient des +soldats affublés des aumusses et des étoles qu'ils avaient trouvées +dans la sacristie de l'abbaye aux Dames. Mais elle feignit de les +prendre pour ce qu'ils se donnaient. Elle les reçut et les fit +conduire en son hôtel, sans permettre qu'on leur fît aucun mal. Par +une moquerie charitable:</p> + +<p>—On ne doit rien demander, dit-elle, aux gens d'Église<a id="footnotetag978" name="footnotetag978"></a><a href="#footnote978" title="Lien vers la note 978"><span class="smaller">[978]</span></a>.</p> + +<p>Avant de quitter la place, elle se confessa au frère Pasquerel, son +chapelain. Et elle le chargea de faire ce mandement à tous les hommes +d'armes: «Confessez <span class="pagenum"><a id="page338" name="page338"></a>(p. 338)</span> vos péchés et rendez grâces à Dieu de la +victoire obtenue. Sinon la Pucelle ne vous aidera plus et ne demeurera +pas en votre compagnie<a id="footnotetag979" name="footnotetag979"></a><a href="#footnote979" title="Lien vers la note 979"><span class="smaller">[979]</span></a>.»</p> + +<p>La bastille de Saint-Loup, attaquée par plus de quinze cents Français, +avait été défendue par trois cents Anglais seulement. Ce qui donne à +croire qu'ils la défendirent mal, c'est qu'il n'y eut, dit-on, du +parti des Français, que deux ou trois hommes tués<a id="footnotetag980" name="footnotetag980"></a><a href="#footnote980" title="Lien vers la note 980"><span class="smaller">[980]</span></a>. Cet avantage, +les gens du roi de France ne l'avaient point obtenu par profond +calcul, ni à grand effort d'intelligence; et ils ne l'avaient pas payé +cher. Pourtant il était énorme. C'étaient les communications des +assiégeants avec Jargeau coupées, c'était le cours supérieur <span class="pagenum"><a id="page339" name="page339"></a>(p. 339)</span> +de la Loire ouvert et le commencement de la délivrance. Mieux encore, +c'était la preuve faite que ces diables dont on avait eu si grande +peur étaient des hommes misérables, qu'on pouvait prendre comme des +souris, enfumer comme des guêpes dans leur nid. Cet inespéré bonheur +était dû à la Pucelle. Elle avait tout fait, puisque sans elle on +n'aurait rien fait. C'est elle qui, dans son ignorance plus savante +que la science des routiers et des capitaines, avait changé la vaine +escarmouche en attaque profonde et donné victoire en donnant +confiance.</p> + +<p>Le soir même, les procureurs envoyèrent des ouvriers à Saint-Loup, +pour détruire les fortifications conquises<a id="footnotetag981" name="footnotetag981"></a><a href="#footnote981" title="Lien vers la note 981"><span class="smaller">[981]</span></a>.</p> + +<p>Rentrée de nuit en son logis, Jeanne avertit son aumônier que, le +lendemain, jour de l'Ascension de Notre-Seigneur, elle s'abstiendrait +de s'armer et de guerroyer, par révérence de cette fête. Elle ordonna +que nul ne pensât à sortir de la ville, à attaquer ou faire assaut, +qu'il ne se fût d'abord confessé. Elle ajouta qu'il fallait que les +gens d'armes prissent garde que des femmes dissolues n'allassent point +à leur suite, de peur qu'à cause de leurs péchés Dieu ne leur fît +perdre la bataille<a id="footnotetag982" name="footnotetag982"></a><a href="#footnote982" title="Lien vers la note 982"><span class="smaller">[982]</span></a>.</p> + +<p>Au besoin, la Pucelle veillait elle-même à ce que ses prescriptions au +sujet des ribaudes et des blasphémateurs <span class="pagenum"><a id="page340" name="page340"></a>(p. 340)</span> fussent exactement +observées. Plusieurs fois elle chassa des femmes venues à la suite de +l'armée. Elle semonçait les gens d'armes qui juraient et +blasphémaient. Un gentilhomme se mit un jour, en pleine rue, à jurer +et à renier Dieu. Jeanne, qui l'entendit, lui sauta à la gorge:</p> + +<p>—Ah! maître, osez-vous bien renier notre Sire et notre Maître? En nom +Dieu, vous vous en dédirez avant que je parte d'ici.</p> + +<p>Une bourgeoise, qui passait en ce moment dans la rue, vit cet homme, +qui lui parut un très grand seigneur, recevoir humblement les +reproches de la sainte et témoigner de son repentir<a id="footnotetag983" name="footnotetag983"></a><a href="#footnote983" title="Lien vers la note 983"><span class="smaller">[983]</span></a>.</p> + +<p>Le lendemain, jour de l'Ascension, les capitaines tinrent conseil en +l'hôtel du chancelier Cousinot, rue de la Rose<a id="footnotetag984" name="footnotetag984"></a><a href="#footnote984" title="Lien vers la note 984"><span class="smaller">[984]</span></a>. Là se trouvaient, +avec le chancelier, monseigneur le Bâtard, le sire de Gaucourt, le +sire de Rais, le sire de Graville, le capitaine La Hire, messire +Ambroise de Loré et plusieurs autres. On décida d'attaquer le +lendemain les Tourelles du bout du pont, la clé du siège. Il parut +nécessaire de tenir en respect, pendant l'attaque, les Anglais du camp +de Saint-Laurent-des-Orgerils. La veille, Talbot, parti de +Saint-Laurent, <span class="pagenum"><a id="page341" name="page341"></a>(p. 341)</span> n'avait pu venir à temps à Saint-Loup, parce +qu'il lui avait fallu suivre une longue courbe, en contournant la +ville du couchant à l'orient. Mais la rivière, qu'ils avaient perdue +la veille en amont, les ennemis la tenaient encore en aval. De +Saint-Laurent, ils pouvaient la passer, par l'Île-Charlemagne, aussi +rapidement que les Français la passeraient par l'Île-aux-Toiles, et se +trouver en grande puissance au Portereau. C'est ce qu'il fallait +empêcher, et l'on devait, s'il était possible, attirer à +Saint-Laurent-des-Orgerils les garnisons des Augustins et des +Tourelles. À cet effet, on résolut de simuler l'attaque du camp de +Saint-Laurent et d'y porter la commune orléanaise et les gens des +communes, c'est-à-dire des villages, avec manteaux, fagots, échelles. +Cependant, la noblesse traverserait la Loire, par l'Île-aux-Toiles, +aborderait au Portereau, sous le guet de Saint-Jean-le-Blanc, que les +Anglais avaient évacué, se porterait sur la bastille des Augustins, +et, si elle la pouvait prendre, attaquerait les Tourelles<a id="footnotetag985" name="footnotetag985"></a><a href="#footnote985" title="Lien vers la note 985"><span class="smaller">[985]</span></a>. Il y +aurait ainsi la bataille des bourgeois et la bataille des nobles; +celle-ci vraie, l'autre feinte, toutes deux utiles, une seule belle et +digne de la chevalerie. Le plan ainsi tracé, quelques capitaines +furent d'avis qu'il serait bon d'envoyer quérir la Pucelle pour lui +dire ce qu'on avait décidé<a id="footnotetag986" name="footnotetag986"></a><a href="#footnote986" title="Lien vers la note 986"><span class="smaller">[986]</span></a>. Et vraiment elle s'était assez bien +montrée la <span class="pagenum"><a id="page342" name="page342"></a>(p. 342)</span> veille pour qu'on ne la tînt plus à l'écart. +D'autres jugeaient qu'il n'était pas prudent de l'instruire de ce qui +devait être fait contre les Tourelles. Car il importait que +l'entreprise restât secrète, et l'on devait craindre que la sainte +fille n'en parlât à ses amis de la commune. Finalement, on fut +d'accord pour lui faire connaître les décisions qui concernaient la +milice orléanaise, puisqu'en effet elle en était le chef, et pour lui +taire ce que les bourgeois ne pouvaient savoir sans inconvénient.</p> + +<p>Jeanne se tenait dans une chambre de l'hôtel, avec la femme du +chancelier. Messire Ambroise de Loré l'alla chercher, et, quand elle +fut venue, le chancelier lui annonça qu'on attaquerait le lendemain le +camp de Saint-Laurent-des-Orgerils. Elle devina qu'on ne lui disait +pas tout. Elle avait sa finesse; d'ailleurs, puisqu'ils lui avaient +jusqu'alors tout caché, il était assez naturel qu'elle soupçonnât +qu'ils lui cachaient encore quelque chose. Cette défiance la fâcha. +Pensait-on qu'elle n'était pas capable de garder un secret? Elle parla +d'un ton âpre:</p> + +<p>—Dites ce que vous avez conclu et appointé. Je cèlerais bien plus +grande chose<a id="footnotetag987" name="footnotetag987"></a><a href="#footnote987" title="Lien vers la note 987"><span class="smaller">[987]</span></a>.</p> + +<p>Et, sans s'asseoir, elle allait et venait dans la salle.</p> + +<p>Monseigneur le Bâtard voyait plus d'inconvénient à la fâcher qu'à lui +dire la vérité. Il lui donna raison sans donner tort à personne:</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page343" name="page343"></a>(p. 343)</span> —Jeanne, ne vous courroucez pas. On ne peut pas tout dire en +une fois. Ce que le chancelier vous a dit a été conclu et appointé. +Mais si ceux de l'autre côté [de l'eau, ceux de la Sologne] se +départent pour venir aider la grande bastille de Saint-Laurent et ceux +de par ici, nous avons appointé de passer la rivière, pour besogner ce +que nous pourrons sur ceux de par delà [sur ceux des Augustins et des +Tourelles]. Et nous semble que cette conclusion est bonne et +profitable.</p> + +<p>La Pucelle répondit qu'elle était contente, qu'il lui semblait que +cette conclusion était bonne et qu'elle dût être ainsi exécutée<a id="footnotetag988" name="footnotetag988"></a><a href="#footnote988" title="Lien vers la note 988"><span class="smaller">[988]</span></a>.</p> + +<p>On verra que le secret de la délibération ne fut pas gardé, et que les +nobles ne purent faire ce qu'ils avaient conclu, ou du moins qu'ils ne +le purent faire comme ils l'avaient conclu.</p> + +<p>Ce jour de l'Ascension, la Pucelle envoya pour la dernière fois aux +Anglais un message de paix, qu'elle dicta au frère Pasquerel en cette +manière:</p> + +<p class="quote">Vous, hommes d'Angleterre, qui n'avez nul droit en le royaume de + France, le Roi des cieux vous prescrit et vous mande par moi, + Jeanne la Pucelle, que vous quittiez vos bastilles et retourniez + en vos pays, sans quoi, je ferai un tel hahai, qu'il y en aura + perpétuelle mémoire. C'est ce que pour la troisième et dernière + fois je vous écris, et ne vous écrirai plus.</p> + +<p>Ainsi signé: Jhesus-Maria. Jeanne la Pucelle.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page344" name="page344"></a>(p. 344)</span> Et plus bas:</p> + +<p class="quote">Je vous aurais envoyé ma lettre plus honnêtement. Mais vous + retenez mes hérauts. Vous avez retenu mon héraut Guyenne. + Veuillez me l'envoyer et je vous enverrai quelques-uns de vos + gens pris à la bastille Saint-Loup: ils ne sont pas tous + morts<a id="footnotetag989" name="footnotetag989"></a><a href="#footnote989" title="Lien vers la note 989"><span class="smaller">[989]</span></a>.</p> + +<p>Jeanne alla à la Belle-Croix, prit une flèche, y attacha sa lettre par +un fil et ordonna à un archer de la lancer aux Anglais, en criant:</p> + +<p>—Lisez! Ce sont nouvelles!</p> + +<p>Les Anglais reçurent la flèche, ils détachèrent la lettre, et, l'ayant +lue, ils se mirent à crier:</p> + +<p>—Ce sont nouvelles de la putain des Armagnacs.</p> + +<p>En les entendant, les larmes lui vinrent aux yeux et elle pleura. Mais +bientôt elle vit ses saintes, qui lui parlèrent de Notre-Seigneur, et +elle fut consolée.</p> + +<p>—J'ai eu des nouvelles de Messire, dit-elle avec joie<a id="footnotetag990" name="footnotetag990"></a><a href="#footnote990" title="Lien vers la note 990"><span class="smaller">[990]</span></a>. +Monseigneur le Bâtard réclama lui-même le héraut de la Pucelle, +menaçant, si on ne le renvoyait, de garder les hérauts que les Anglais +lui avaient dépêchés pour traiter de l'échange des prisonniers. On +prétend même qu'il menaça de mettre à mort ces prisonniers. Mais +Ambleville ne revint point<a id="footnotetag991" name="footnotetag991"></a><a href="#footnote991" title="Lien vers la note 991"><span class="smaller">[991]</span></a>.</p> + + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page345" name="page345"></a>(p. 345)</span> CHAPITRE XIII<br> + +<span class="smaller">LA PRISE DES TOURELLES ET LA DÉLIVRANCE D'ORLÉANS.</span></h2> + + +<p>Le lendemain, vendredi 6 mai, levée à la pointe du jour, la Pucelle se +confessa à son aumônier et entendit la messe qu'il chanta devant les +religieux et les gens d'armes de sa compagnie<a id="footnotetag992" name="footnotetag992"></a><a href="#footnote992" title="Lien vers la note 992"><span class="smaller">[992]</span></a>. Déjà la commune +ardente était debout, en armes. Qu'elle les eût ou non avertis, les +bourgeois, violemment décidés à passer la Loire pour attaquer +eux-mêmes les Tourelles, couraient en foule à la porte de Bourgogne. +Ils la trouvèrent fermée. Le sire de Gaucourt la gardait avec des gens +d'armes. La noblesse, dans le doute que les bourgeois éventeraient son +entreprise et voudraient s'y joindre, avait pris ses mesures pour les +en empêcher. La porte était close et bien défendue. Les citoyens, +obstinés à se <span class="pagenum"><a id="page346" name="page346"></a>(p. 346)</span> battre, à reprendre de leurs mains ces +Tourelles, leur joyau, recoururent à celle devant qui s'ouvraient les +portes et tombaient les murailles; ils envoyèrent chercher la Sainte. +Elle vint, candide et terrible, marcha droit sur le vieux sire de +Gaucourt, et, sans vouloir l'écouter:</p> + +<p>—Vous êtes, lui dit-elle, un méchant homme, d'empêcher ces gens de +sortir. Mais veuillez-le ou ne le veuillez pas: ils sortiront et +feront aussi bien qu'on a fait l'autre jour<a id="footnotetag993" name="footnotetag993"></a><a href="#footnote993" title="Lien vers la note 993"><span class="smaller">[993]</span></a>.</p> + +<p>Animés par la voix de Jeanne et fortifiés par sa présence, les +bourgeois se jetèrent sur Gaucourt et ses gens d'armes en poussant des +cris de mort. Le vieux seigneur vit qu'il n'aurait pas raison d'eux; +ne pouvant mettre ces gens-là de son sentiment, il se mit du leur. +Faisant ouvrir les portes toutes grandes, il cria aux bourgeois:</p> + +<p>—Venez, je serai votre capitaine.</p> + +<p>Et il sortit avec le sire de Villars et le sire d'Aulon à la tête des +gens d'armes qui avaient gardé la porte et de toute la milice +communale. Des bateaux étaient amarrés au pied de la Tour-Neuve, à +l'angle oriental des remparts. On aborda dans l'Île-aux-Toiles et de +là, on franchit, sur un pont formé par deux bateaux, le bras étroit de +la rivière qui séparait l'Île-aux-Toiles <span class="pagenum"><a id="page347" name="page347"></a>(p. 347)</span> de la rive de +Sologne<a id="footnotetag994" name="footnotetag994"></a><a href="#footnote994" title="Lien vers la note 994"><span class="smaller">[994]</span></a>. Les premiers arrivés entrèrent dans la forteresse +abandonnée de Saint-Jean-le-Blanc, et se donnèrent, en attendant les +autres, l'amusement de la détruire<a id="footnotetag995" name="footnotetag995"></a><a href="#footnote995" title="Lien vers la note 995"><span class="smaller">[995]</span></a>. Puis, quand tout le monde eut +passé la Loire, la commune marcha de bon cœur contre la bastille +des Augustins, assise en avant des Tourelles, sur les ruines du +couvent, et qu'il fallait enlever d'abord, si l'on voulait attaquer +les ouvrages du bout du pont. Mais les Anglais sortirent de leurs +retranchements, s'avancèrent de deux traits d'arc et lancèrent flèches +et carreaux si dru que les Orléanais ne purent tenir sous cette +effroyable volée. Ils lâchèrent pied, s'enfuirent jusqu'au pont de +bateaux, et, de peur d'être jetés à l'eau, regagnèrent +l'Île-aux-Toiles<a id="footnotetag996" name="footnotetag996"></a><a href="#footnote996" title="Lien vers la note 996"><span class="smaller">[996]</span></a>. Plus aguerris, les hommes d'armes du sire de +Gaucourt, et avec eux le sire de Villars, le sire d'Aulon et un +vaillant homme d'Espagne, le seigneur Alonzo de Partada, se rangèrent +sur la levée de Saint-Jean-le-Blanc et tinrent ferme contre l'ennemi. +Ils tenaient encore, bien qu'ils fussent en très petit nombre, quand, +vers trois heures de l'après-dînée, le capitaine La Hire et la Pucelle +passèrent l'eau avec les routiers, et, voyant les Français ainsi +travaillés et les Anglais en bataille, montèrent sur leurs chevaux, +qu'ils avaient passés avec <span class="pagenum"><a id="page348" name="page348"></a>(p. 348)</span> eux, couchèrent leurs lances et +poussèrent droit a l'ennemi. Les bourgeois rassurés suivirent tous et +firent reculer les Anglais. Mais arrivés devant la bastille ils furent +encore repoussés. La Pucelle inquiète galopait de la bastille à la +berge et de la berge à la bastille, et appelait la chevalerie. Les +seigneurs n'arrivaient pas. Il est vrai qu'on avait renversé leurs +projets, culbuté leur ordre de bataille et qu'il leur fallait bien un +moment pour se reconnaître. Enfin, elle vit flotter dans l'île les +bannières de monseigneur le Bâtard, du maréchal de Boussac et du sire +de Rais. L'artillerie vint aussi, et maître Jean de Montesclère avec +sa couleuvrine et les ouvriers apportant tous les engins nécessaires +pour donner l'assaut. Quatre mille hommes furent réunis autour des +Augustins. Toutefois on avait perdu beaucoup de temps; on n'en était +qu'aux approches et le soleil baissait à l'horizon<a id="footnotetag997" name="footnotetag997"></a><a href="#footnote997" title="Lien vers la note 997"><span class="smaller">[997]</span></a>.</p> + +<p>Les gens du sire de Gaucourt se tenaient en arrière pour couvrir les +assiégeants, au cas où les Anglais du bout du pont viendraient au +secours de ceux des Augustins. Mais une querelle s'éleva parmi eux. +Les uns, comme le sire d'Aulon et le seigneur Alonzo, jugeaient bon de +rester à leur poste. Les autres avaient honte de se croiser les bras. +De là des paroles arrogantes et des bravades. Finalement, le seigneur +Alonzo et un homme d'armes s'étant défiés à qui ferait mieux, +<span class="pagenum"><a id="page349" name="page349"></a>(p. 349)</span> coururent, la main dans la main, vers la bastille. La +couleuvrine de maître Jean, d'une seule plombée, dégagea la palissade. +Aussitôt, les deux champions forcèrent le passage<a id="footnotetag998" name="footnotetag998"></a><a href="#footnote998" title="Lien vers la note 998"><span class="smaller">[998]</span></a>.</p> + +<p>—Entrez hardiment! criait la Pucelle<a id="footnotetag999" name="footnotetag999"></a><a href="#footnote999" title="Lien vers la note 999"><span class="smaller">[999]</span></a>.</p> + +<p>Et elle planta son étendard sur la douve. Le sire de Rais la suivit de +près. Le nombre des Français allait croissant. Ils attaquèrent +vivement la bastille et bientôt la prirent d'assaut. Il leur fallut +ensuite assaillir l'un après l'autre les bâtiments du monastère où les +Godons s'étaient retranchés. Enfin, ils tuèrent ou firent prisonniers +tous les ennemis, hors un petit nombre, qui se réfugia dans les +Tourelles. Ils trouvèrent, dans les taudis, beaucoup des leurs +enfermés. Après les avoir fait sortir, ils mirent le feu à la +bastille, annonçant ainsi à tous les Anglais un nouveau désastre. Ce +fut, dit-on, la Pucelle qui donna l'ordre d'incendier la bastille pour +arrêter le pillage auquel les hommes se ruaient furieusement<a id="footnotetag1000" name="footnotetag1000"></a><a href="#footnote1000" title="Lien vers la note 1000"><span class="smaller">[1000]</span></a>.</p> + +<p>On faisait un grand gain. Mais la confiance tardait à renaître. En +regardant, sous le ciel noir, aux lueurs de l'incendie, le boulevard +des Tourelles qu'ils voyaient de près pour la première fois, les +hommes d'armes furent effrayés. Certains disaient:</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page350" name="page350"></a>(p. 350)</span> —Un mois ne suffira pas pour le prendre<a id="footnotetag1001" name="footnotetag1001"></a><a href="#footnote1001" title="Lien vers la note 1001"><span class="smaller">[1001]</span></a>!</p> + +<p>Les seigneurs, capitaines et gens d'armes, rentrèrent dans la ville +pour passer une nuit tranquille. Les gens de trait et le gros de la +commune restaient au Portereau. La Pucelle aurait bien voulu rester +aussi, pour être plus sûre de recommencer le lendemain<a id="footnotetag1002" name="footnotetag1002"></a><a href="#footnote1002" title="Lien vers la note 1002"><span class="smaller">[1002]</span></a>. Mais, +voyant que les capitaines laissaient aux champs leurs chevaux et leurs +pages, elle les suivit à Orléans<a id="footnotetag1003" name="footnotetag1003"></a><a href="#footnote1003" title="Lien vers la note 1003"><span class="smaller">[1003]</span></a>. Piquée au pied par une +chausse-trape<a id="footnotetag1004" name="footnotetag1004"></a><a href="#footnote1004" title="Lien vers la note 1004"><span class="smaller">[1004]</span></a>, accablée de fatigue, se sentant faible, elle ne +jeûna pas ce jour-là, contrairement à l'habitude qu'elle avait de +jeûner le vendredi<a id="footnotetag1005" name="footnotetag1005"></a><a href="#footnote1005" title="Lien vers la note 1005"><span class="smaller">[1005]</span></a>. Si l'on en croit frère Pasquerel, peu +croyable sur ce point, tandis qu'elle achevait de souper dans son +hôtel, elle vit venir à elle un seigneur dont on ne dit pas le nom, +qui lui parla en ces termes:</p> + +<p>—Les capitaines se sont rassemblés en conseil. Ils ont reconnu qu'on +était en bien petit nombre au regard des Anglais et que c'était par +grande grâce de Dieu qu'on avait obtenu quelque avantage. La ville +étant pleine de vivres, nous pouvons fort bien tenir en attendant le +secours du roi. Dès lors, le conseil ne trouve pas expédient que les +gens d'armes fassent demain une sortie.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page351" name="page351"></a>(p. 351)</span> Jeanne répondit:</p> + +<p>—Vous avez été à votre conseil, et j'ai été au mien, et croyez que le +conseil de Messire sera accompli et tiendra et que votre conseil +périra.</p> + +<p>Et se tournant vers le frère Pasquerel, qui était près d'elle:</p> + +<p>—Levez-vous demain de plus grand matin encore que vous n'avez fait +aujourd'hui, et faites du mieux que vous pourrez. Tenez-vous toujours +près de moi, car demain j'aurai beaucoup à faire et plus ample chose +que j'aie jamais eue, et demain il sortira du sang de mon corps<a id="footnotetag1006" name="footnotetag1006"></a><a href="#footnote1006" title="Lien vers la note 1006"><span class="smaller">[1006]</span></a>.</p> + +<p>Il n'était pas vrai que les Anglais fussent en plus grand nombre que +les Français; ils étaient bien moins nombreux au contraire. Autour +d'Orléans, il n'y avait guère plus de trois mille hommes. Le secours +du roi étant arrivé, les capitaines n'avaient pas pu dire qu'on +l'attendait. Il est vrai qu'ils hésitaient à attaquer dès le lendemain +les Tourelles, mais c'était de crainte que, <span class="pagenum"><a id="page352" name="page352"></a>(p. 352)</span> pendant +l'attaque, les Anglais de Talbot n'entrassent dans la ville déserte, +puisque la commune, refusant de marcher sur Saint-Laurent, s'était +toute jetée au Portereau. Le Conseil de la Pucelle ne s'embarrassait +point de ces difficultés. Madame sainte Catherine et madame sainte +Marguerite ne craignaient rien. Douter, c'est craindre: elles ne +doutaient de rien. Quoi qu'on ait dit, elles ignoraient la tactique et +la stratégie. Elles n'avaient pas lu Végèce, <i>De re militari</i>. Si +elles avaient lu Végèce, la ville était perdue. Son Végèce c'était +sainte Catherine.</p> + +<p>Durant la nuit, il fut crié par les rues qu'on portât à ceux qui +étaient restés au Portereau pain, vin, munitions, fourrages et toutes +choses dont ils eussent besoin. Des bateaux passaient sans cesse d'une +rive à l'autre. Hommes, femmes, enfants allaient ravitailler les +postes<a id="footnotetag1007" name="footnotetag1007"></a><a href="#footnote1007" title="Lien vers la note 1007"><span class="smaller">[1007]</span></a>.</p> + +<p>Le lendemain, samedi 7 mai, au soleil levant, Jeanne entendit la messe +du frère Pasquerel et communia dévotement<a id="footnotetag1008" name="footnotetag1008"></a><a href="#footnote1008" title="Lien vers la note 1008"><span class="smaller">[1008]</span></a>. L'hôtel de Jacques +Boucher était assailli par les procureurs et par de notables +bourgeois. Après une nuit de fatigue et d'inquiétude, ils venaient +d'apprendre une nouvelle qui les exaspérait. Ils avaient entendu dire +que les capitaines voulaient différer l'assaut des Tourelles, et ils +appelaient la <span class="pagenum"><a id="page353" name="page353"></a>(p. 353)</span> Pucelle à grands cris pour secourir le peuple +abandonné, trahi, vendu<a id="footnotetag1009" name="footnotetag1009"></a><a href="#footnote1009" title="Lien vers la note 1009"><span class="smaller">[1009]</span></a>. Ce qui était vrai, c'est que +Monseigneur le Bâtard et les capitaines, ayant observé durant la nuit +un grand mouvement d'Anglais en aval de la Loire, se confirmaient dans +la crainte que Talbot ne donnât l'assaut aux murailles, du côté de la +porte Renart, pendant que les Français occuperaient en forces la rive +gauche de la Loire. Ils s'étaient aperçus, au lever du soleil, que les +Anglais avaient détruit, la nuit, leur boulevard de Saint-Privé, au +sud de l'Île-Charlemagne<a id="footnotetag1010" name="footnotetag1010"></a><a href="#footnote1010" title="Lien vers la note 1010"><span class="smaller">[1010]</span></a>. Cela encore leur donnait véhémentement +à croire que l'ennemi se concentrait au couchant dans le camp de +Saint-Laurent et dans sa grande bastille de Londres. Depuis longtemps +les bourgeois s'irritaient des lenteurs que les gens du roi mettaient +à les délivrer. Et sans doute, les capitaines étaient moins pressés +qu'eux d'en finir. Les capitaines vivaient de la guerre et les +bourgeois en mouraient; cela faisait une grande différence. Les +procureurs demandèrent à la Pucelle d'achever sans retard leur +délivrance qu'elle avait commencée. Ils lui dirent:</p> + +<p>—Nous avons tenu conseil et nous vous requérons de vouloir accomplir +la charge que vous avez de par Dieu et aussi du roi.</p> + +<p>—En nom Dieu, je le ferai, dit-elle.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page354" name="page354"></a>(p. 354)</span> Et, aussitôt, elle monta à cheval et, employant une très +vieille façon de dire, elle s'écria:</p> + +<p>—Qui m'aime me suive<a id="footnotetag1011" name="footnotetag1011"></a><a href="#footnote1011" title="Lien vers la note 1011"><span class="smaller">[1011]</span></a>!</p> + +<p>Comme elle sortait de l'hôtel du trésorier, on lui apporta une alose. +Elle dit, en souriant, à son hôte:</p> + +<p>—En nom Dieu! on la mangera à souper. Je vous ramènerai un Godon qui +en mangera sa part.</p> + +<p>Elle ajouta:</p> + +<p>—Nous repasserons ce soir par le pont<a id="footnotetag1012" name="footnotetag1012"></a><a href="#footnote1012" title="Lien vers la note 1012"><span class="smaller">[1012]</span></a>.</p> + +<p>Il y avait cent quatre-vingt-dix-neuf jours qu'on ne le pouvait faire. +Cette parole fut trouvée bonne et heureuse.</p> + +<p>La bourgeoisie s'était alarmée trop vite. Malgré l'inquiétude que leur +donnaient Talbot et ceux de Saint-Laurent, les seigneurs traversèrent +la Loire de bon matin, et allèrent retrouver au Portereau leurs +chevaux et leurs pages qui y avaient passé la nuit avec les gens de +trait et les gens de la commune. Ils y furent tous, le Bâtard, le sire +de Gaucourt et les sires de Rais, de Graville, de Guitry, de Coarraze, +de Villars, d'Illiers, de Chailly, l'amiral de Culant, les capitaines +La Hire et Poton<a id="footnotetag1013" name="footnotetag1013"></a><a href="#footnote1013" title="Lien vers la note 1013"><span class="smaller">[1013]</span></a>. La Pucelle se tenait en leur compagnie. Les +procureurs leur firent parvenir une quantité énorme d'engins: +fascines, flèches, traits, martinets, cognées, <span class="pagenum"><a id="page355" name="page355"></a>(p. 355)</span> plomb, +poudre, couleuvrines, canons, échelles<a id="footnotetag1014" name="footnotetag1014"></a><a href="#footnote1014" title="Lien vers la note 1014"><span class="smaller">[1014]</span></a>. L'attaque commença de +bonne heure. Ce qui la rendait difficile, ce n'était pas le nombre des +Anglais retranchés dans leur boulevard et logés dans les tourelles; il +n'y avait là guère que cinq cents hommes<a id="footnotetag1015" name="footnotetag1015"></a><a href="#footnote1015" title="Lien vers la note 1015"><span class="smaller">[1015]</span></a>, commandés, il est +vrai, par lord Moleyns, et, sous lui, par lord Poynings et par le +capitaine Glasdall, qu'en France on nommait Glassidas, de petite +naissance et le premier des Anglais pour le courage<a id="footnotetag1016" name="footnotetag1016"></a><a href="#footnote1016" title="Lien vers la note 1016"><span class="smaller">[1016]</span></a>. Les +assaillants, bourgeois, gens d'armes, gens de trait, étaient dix fois +plus nombreux. C'était fort à l'honneur du peuple de France, qu'on eût +réuni tant de combattants; mais une telle masse d'hommes ne pouvait +être employée à la fois. Les chevaliers ne valaient pas grand'chose +contre des murailles de terre; et les bourgeois, très ardents, +n'étaient pas très solides. Enfin, le Bâtard, prudent et réfléchi, +craignait Talbot. En effet, si Talbot avait su, si Talbot avait voulu, +il aurait pris la ville pendant que les Français essayaient de prendre +les Tourelles. La guerre n'est qu'une suite de hasards, mais dans +cette journée, on avait eu vraiment trop peu de souci d'agir de +concert. La masse énorme des combattants n'était pas une force +<span class="pagenum"><a id="page356" name="page356"></a>(p. 356)</span> irrésistible, puisque personne, pas même le Bâtard, ne +savait la faire mouvoir, ni l'employer. À cette époque, le succès +d'une bataille dépendait d'un très petit nombre de combattants. La +veille, deux ou trois hommes d'armes avaient décidé de tout.</p> + +<p>En fait, devant ces fossés, l'armée des Français semblait une foule +énorme de curieux, regardant quelques gens d'armes essayer l'escalade. +Malgré le nombre des troupes, l'assaut se réduisit longtemps à une +suite de combats singuliers. Vingt fois des hommes de bonne volonté +s'approchèrent de la douve et vingt fois ils furent obligés de +reculer<a id="footnotetag1017" name="footnotetag1017"></a><a href="#footnote1017" title="Lien vers la note 1017"><span class="smaller">[1017]</span></a>. Il y eut des blessés et des morts, mais non point en +grand nombre. Les seigneurs, qui faisaient la guerre toute leur vie, +la faisaient prudemment, les routiers ménageaient leurs hommes. Les +bourgeois n'étaient pas très aguerris<a id="footnotetag1018" name="footnotetag1018"></a><a href="#footnote1018" title="Lien vers la note 1018"><span class="smaller">[1018]</span></a>. Seule la Pucelle se +donnait tout entière. Elle disait sans cesse:</p> + +<p>—Ayez bon cœur. Ne vous retirez pas. Vous aurez la bastille de +bref<a id="footnotetag1019" name="footnotetag1019"></a><a href="#footnote1019" title="Lien vers la note 1019"><span class="smaller">[1019]</span></a>.</p> + +<p>À midi tout le monde s'en fut dîner. Puis, vers une heure, on se remit +à la besogne. La Pucelle porta la première échelle, et, comme elle la +posait contre la <span class="pagenum"><a id="page357" name="page357"></a>(p. 357)</span> douve, elle fut atteinte, à l'épaule, +au-dessus du sein droit, d'un vireton tiré si roide, qu'un demi-pied +de bois lui traversa la chair. Elle savait qu'elle devait être +blessée; elle l'avait prédit à son roi, ajoutant qu'il l'employât tout +de même. Elle l'avait annoncé aux gens d'Orléans<a id="footnotetag1020" name="footnotetag1020"></a><a href="#footnote1020" title="Lien vers la note 1020"><span class="smaller">[1020]</span></a>, elle l'avait +dit la veille à son aumônier et certes, depuis cinq jours, elle +faisait bien tout ce qu'il fallait pour que la prophétie s'accomplît. +Les Anglais, voyant que le vireton avait pénétré dans la chair, en +furent grandement rassurés: ils croyaient qu'une sorcière, si on +pouvait lui tirer du sang, tout son pouvoir s'évanouissait. Les +Français en avaient grande tristesse. On la porta un peu à l'écart. Le +frère Pasquerel et le page Mugot se tenaient près d'elle. Sentant la +douleur, elle craignit et pleura<a id="footnotetag1021" name="footnotetag1021"></a><a href="#footnote1021" title="Lien vers la note 1021"><span class="smaller">[1021]</span></a>. Des soldats, comme d'ordinaire +il s'en trouve beaucoup dans les combats auprès des blessés, +l'entouraient; quelques-uns voulurent la charmer. C'était une pratique +habituelle aux gens de guerre de marmotter des patenôtres sur les +blessures pour les fermer. On charmait par incantations et +conjurations. Les paters de sang avaient la vertu d'arrêter les +hémorragies. On employait aussi des billets couverts de caractères +magiques. Mais c'était recourir à la puissance des diables et +commettre <span class="pagenum"><a id="page358" name="page358"></a>(p. 358)</span> un péché mortel; Jeanne ne voulut point être +charmée.</p> + +<p>—J'aimerais mieux mourir, dit-elle, que de faire chose que je saurais +péché ou contraire à la volonté de Dieu.</p> + +<p>Elle dit encore:</p> + +<p>—Je sais bien que je dois mourir. Mais je ne sais ni quand ni +comment; je ne sais l'heure. Si l'on peut donner, sans péché, remède à +ma blessure, je veux bien être guérie<a id="footnotetag1022" name="footnotetag1022"></a><a href="#footnote1022" title="Lien vers la note 1022"><span class="smaller">[1022]</span></a>.</p> + +<p>On lui ôta son armure. On appliqua sur la plaie de l'huile d'olive +avec du lard, et, le pansement fait, elle se confessa au frère +Pasquerel en pleurant et en gémissant. Bientôt elle vit venir à elle +ses conseillères du ciel, qui portaient des couronnes et répandaient +une bonne odeur, madame sainte Catherine et madame sainte Marguerite; +et elle fut réconfortée. Elle se fit armer et retourna à l'assaut.</p> + +<p>Le soleil baissait et, depuis le matin, les Français se fatiguaient en +vain contre les palissades du boulevard. Monseigneur le Bâtard, voyant +ses hommes las et la nuit proche, et craignant sans doute les Anglais +du camp de Saint-Laurent-des-Orgerils, résolut de ramener l'armée à +Orléans. Il fit sonner la retraite. Déjà la trompette appelait les +combattants au Portereau. La Pucelle vint à lui et le pria d'attendre +encore un peu.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page359" name="page359"></a>(p. 359)</span> —En nom Dieu! dit-elle, vous entrerez bien bref dedans. +N'ayez crainte, et n'auront les Anglais plus de force sur vous.</p> + +<p>D'après certains, elle ajouta: «C'est pourquoi, reposez vous un peu; +buvez et mangez<a id="footnotetag1023" name="footnotetag1023"></a><a href="#footnote1023" title="Lien vers la note 1023"><span class="smaller">[1023]</span></a>.»</p> + +<p>Tandis qu'ils se rafraîchissaient, elle demanda son cheval, monta +dessus et, laissant son étendard à un homme de sa compagnie, elle alla +seule, par le coteau, dans les vignes qui n'avaient pu être labourées +à la coutume en avril et où les petites feuilles de mai commençaient à +s'ouvrir. Là, dans le calme du soir, parmi les échalas formés en +faisceaux et les pieds bas des vignes alignées, qui buvaient la +première chaleur de la terre, elle se mit en oraison et tendit +l'oreille aux voix du ciel<a id="footnotetag1024" name="footnotetag1024"></a><a href="#footnote1024" title="Lien vers la note 1024"><span class="smaller">[1024]</span></a>. D'ordinaire le tumulte et les cris +l'empêchaient de comprendre ce que lui disaient son ange et ses +saintes. Elle ne les entendait bien que dans la solitude au tintement +des cloches lointaines et dans les sons légers et rythmés qui montent, +le soir, des champs et des prairies<a id="footnotetag1025" name="footnotetag1025"></a><a href="#footnote1025" title="Lien vers la note 1025"><span class="smaller">[1025]</span></a>.</p> + +<p>Pendant son absence, le sire d'Aulon, qui ne pouvait pas renoncer +encore à gagner la journée, imagina <span class="pagenum"><a id="page360" name="page360"></a>(p. 360)</span> un dernier expédient. +C'était un des moindres seigneurs de l'armée; mais alors, à la +bataille, chacun faisait à sa tête et selon son cœur. L'étendard de +la Pucelle flottait encore devant le boulevard. L'homme qui le +portait, tombant de fatigue, l'avait passé à un homme d'armes, +surnommé le Basque, de la compagnie du sire de Villars<a id="footnotetag1026" name="footnotetag1026"></a><a href="#footnote1026" title="Lien vers la note 1026"><span class="smaller">[1026]</span></a>. Le sire +d'Aulon, regardant cet étendard béni par les prêtres et qu'on tenait +pour heureux, songea que, s'il était porté en avant, les gens de +guerre le suivraient, tant ils y avaient d'amour, et, pour ne pas le +perdre, escaladeraient le boulevard. À cette idée, il s'approcha du +Basque et lui dit:</p> + +<p>—Si j'entrais là, et allais au pied du boulevard, me suivrais-tu?</p> + +<p>Le Basque promit de le faire. Le sire d'Aulon descendit aussitôt dans +le fossé et, se couvrant de sa targette, qui le garantissait des +pierres, s'avança vers la douve<a id="footnotetag1027" name="footnotetag1027"></a><a href="#footnote1027" title="Lien vers la note 1027"><span class="smaller">[1027]</span></a>.</p> + +<p>La Pucelle, ayant fait une courte prière, revint, après un demi-quart +d'heure, parmi les gens d'armes et leur dit:</p> + +<p>—Les Anglais n'ont plus de force. Approchez les échelles<a id="footnotetag1028" name="footnotetag1028"></a><a href="#footnote1028" title="Lien vers la note 1028"><span class="smaller">[1028]</span></a>.</p> + +<p>C'était vrai. Il leur restait si peu de poudre que <span class="pagenum"><a id="page361" name="page361"></a>(p. 361)</span> leurs +derniers boulets, chassés par une charge trop faible, tombaient court +comme des pierres jetées à la main<a id="footnotetag1029" name="footnotetag1029"></a><a href="#footnote1029" title="Lien vers la note 1029"><span class="smaller">[1029]</span></a>. Ils n'avaient plus que des +tronçons d'armes. Elle alla au boulevard. Mais, arrivée au bord du +fossé, voyant tout à coup aux mains d'un inconnu son étendard qui lui +était cher, mille fois plus cher que son épée, et le croyant en péril, +elle courut le reprendre, s'approcha du Basque au moment où il +descendait dans le fossé, saisit l'étendard par ce qu'on appelait la +queue, c'est-à-dire le bout de la toile, et tira de toutes ses forces, +en criant:</p> + +<p>—Ha! mon étendard, mon étendard!</p> + +<p>Le Basque tenait ferme, ne sachant pas qui tirait ainsi d'en haut. Et +la Pucelle ne lâchait point. Les seigneurs et capitaines, voyant +l'étendard secoué, crurent que c'était un signal et se rallièrent. +Cependant le sire d'Aulon était arrivé à la douve. Il pensait que le +Basque l'avait suivi pas à pas. Mais, s'étant retourné, il le vit +arrêté de l'autre côté du fossé et lui cria:</p> + +<p>—Hé! Basque, est-ce là ce que tu m'avais promis?</p> + +<p>À cet appel le Basque tira si fort qu'il fit lâcher prise à la Pucelle +et porta l'étendard jusqu'à la douve<a id="footnotetag1030" name="footnotetag1030"></a><a href="#footnote1030" title="Lien vers la note 1030"><span class="smaller">[1030]</span></a>. Jeanne comprit et fut +rassurée. Elle dit à ceux qui étaient près d'elle:</p> + +<p>—Donnez-vous garde quand la queue de mon étendard touchera contre le +boulevard.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page362" name="page362"></a>(p. 362)</span> Un gentilhomme lui répondit:</p> + +<p>—Jeanne, la queue y touche.</p> + +<p>Alors elle s'écria:</p> + +<p>—Tout est vôtre et y entrez<a id="footnotetag1031" name="footnotetag1031"></a><a href="#footnote1031" title="Lien vers la note 1031"><span class="smaller">[1031]</span></a>!</p> + +<p>Aussitôt, seigneurs et bourgeois, gens d'armes, gens de trait, gens +des communes se jetèrent éperdument dans le fossé et grimpèrent en tel +nombre et si vivement aux palissades, qu'ils semblaient une compagnie +d'oisillons s'abattant sur une haie<a id="footnotetag1032" name="footnotetag1032"></a><a href="#footnote1032" title="Lien vers la note 1032"><span class="smaller">[1032]</span></a>. Et les Français entrés dans +l'enceinte virent s'éloignant, mais tournés encore fièrement vers eux, +les lords Moleyns et Poynings, sir Thomas Giffart, bailli de Mantes, +et le capitaine Glasdall, qui couvraient la retraite des leurs vers +les Tourelles<a id="footnotetag1033" name="footnotetag1033"></a><a href="#footnote1033" title="Lien vers la note 1033"><span class="smaller">[1033]</span></a>. Glasdall tenait à la main le vieil étendard de +Chandos, qui, après avoir flotté sur quatre-vingts ans de victoires, +reculait devant l'étendard d'une enfant<a id="footnotetag1034" name="footnotetag1034"></a><a href="#footnote1034" title="Lien vers la note 1034"><span class="smaller">[1034]</span></a>. Car elle était là, +debout sur le rempart, la Pucelle. Et les Anglais se demandaient +épouvantés quelle était cette sorcière qui ne perdait pas son pouvoir +avec son sang et guérissait par des charmes ses profondes blessures. +Cependant elle les regardait avec douceur et tristesse et criait d'une +voix pleine de sanglots:</p> + +<p>—Glassidas! Glassidas! rends-t'y, rends-t'y au Roi <span class="pagenum"><a id="page363" name="page363"></a>(p. 363)</span> des +cieux. Tu m'as appelée putain. J'ai grande pitié de ton âme et de +celle des tiens<a id="footnotetag1035" name="footnotetag1035"></a><a href="#footnote1035" title="Lien vers la note 1035"><span class="smaller">[1035]</span></a>.</p> + +<p>En même temps, des murs de la ville et du boulevard de la Belle-Croix, +les boulets pleuvaient sur les Tourelles<a id="footnotetag1036" name="footnotetag1036"></a><a href="#footnote1036" title="Lien vers la note 1036"><span class="smaller">[1036]</span></a>. Montargis et Rifflart +leur crachaient des pierres; le nouveau canon de maître Guillaume +Duisy leur jetait, de la poterne Chesneau, des boulets de cent vingt +livres<a id="footnotetag1037" name="footnotetag1037"></a><a href="#footnote1037" title="Lien vers la note 1037"><span class="smaller">[1037]</span></a>. Les Tourelles étaient assaillies du côté du pont. Une +gouttière fut jetée sur l'arche rompue par les Anglais, et messire +Nicole de Giresme, le moine chevalier, y passa le premier<a id="footnotetag1038" name="footnotetag1038"></a><a href="#footnote1038" title="Lien vers la note 1038"><span class="smaller">[1038]</span></a>. Ceux +qui le suivirent mirent le feu à la palissade qui, de ce côté, barrait +l'accès du fort. Ainsi, les six cents Anglais, épuisés d'armes et de +forces, se voyaient attaqués en avant et en arrière. Ils l'étaient +aussi par-dessous, de façon sournoise et terrible. Des gens d'Orléans +avaient chargé un grand chaland de poix, d'étoupes, de fagots, d'os de +cheval, de savates, de résine, de soufre, de quatre-vingt-dix-huit +livres d'huile d'olive et de telles autres choses pouvant faire feu et +fumée; ils l'avaient conduit sous le pont de bois jeté par l'ennemi +entre les Tourelles et le boulevard: ils l'y avaient amarré et y +avaient mis le feu. Au moment de la retraite des Anglais, ce brûlot +incendia le pont. À travers la fumée et <span class="pagenum"><a id="page364" name="page364"></a>(p. 364)</span> la flamme, les six +cents passèrent sur le tablier brûlant. Et quand enfin William +Glasdall, lord Poynings et lord Moleyns, avec trente ou quarante +capitaines, quittant les derniers le boulevard perdu, mirent à leur +tour le pied sur le pont, les planches charbonnées croulèrent sous eux +et tous, avec l'étendard de Chandos, s'abîmèrent dans la Loire<a id="footnotetag1039" name="footnotetag1039"></a><a href="#footnote1039" title="Lien vers la note 1039"><span class="smaller">[1039]</span></a>.</p> + +<p>Jeanne, émue de pitié, pleura sur l'âme de Glassidas et sur celle des +Anglais noyés avec lui<a id="footnotetag1040" name="footnotetag1040"></a><a href="#footnote1040" title="Lien vers la note 1040"><span class="smaller">[1040]</span></a>. Près d'elle, les capitaines +s'affligeaient aussi de la mort de ces braves, songeant qu'ils leur +avaient fait grand tort en se noyant, car leur rançon eût rapporté +grande finance<a id="footnotetag1041" name="footnotetag1041"></a><a href="#footnote1041" title="Lien vers la note 1041"><span class="smaller">[1041]</span></a>.</p> + +<p>Échappés sur des charbons ardents aux Français du boulevard, les six +cents tombèrent sur les Français du pont. Quatre cents furent tués, +les autres pris. La journée avait coûté aux Orléanais une centaine +d'hommes<a id="footnotetag1042" name="footnotetag1042"></a><a href="#footnote1042" title="Lien vers la note 1042"><span class="smaller">[1042]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page365" name="page365"></a>(p. 365)</span> Quand les derniers cris des vaincus se furent éteints, dans +la nuit sombre, au bord de la Loire rougie de flammes, les capitaines +français, étonnés de leur victoire, regardaient du côté de +Saint-Laurent-des-Orgerils et craignaient encore que sir John Talbot +ne saillît de son camp et ne vînt venger ceux qu'il n'avait pas +secourus. Durant cette longue attaque, sur laquelle s'était levé et +couché le soleil, Talbot, le comte de Suffolk et les Anglais de +Saint-Laurent n'étaient pas sortis de leurs retranchements. Les +Tourelles prises, les vainqueurs se tenaient sur leurs gardes, +attendant encore Talbot<a id="footnotetag1043" name="footnotetag1043"></a><a href="#footnote1043" title="Lien vers la note 1043"><span class="smaller">[1043]</span></a>. Mais ce Talbot, dont le nom servait aux +mères françaises pour effrayer leurs enfants, ne bougea pas. On +l'avait beaucoup craint en cette journée, et il avait lui-même craint +que les Français ne lui prissent son camp et ses bastilles du couchant +s'il en retirait du monde pour secourir les Tourelles<a id="footnotetag1044" name="footnotetag1044"></a><a href="#footnote1044" title="Lien vers la note 1044"><span class="smaller">[1044]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page366" name="page366"></a>(p. 366)</span> L'armée se disposa à rentrer dans la ville. Le pont, dont +trois arches étaient rompues, fut rendu praticable en trois heures. +Bien avant dans la nuit, la Pucelle, ainsi qu'elle l'avait prédit, +entra par le pont dans la ville<a id="footnotetag1045" name="footnotetag1045"></a><a href="#footnote1045" title="Lien vers la note 1045"><span class="smaller">[1045]</span></a>. Pareillement se trouvaient +véritables toutes ses prophéties, quand l'accomplissement dépendait de +son courage et de sa bonne volonté. Les capitaines l'accompagnaient, +suivis de tous les hommes d'armes et de trait, de tous les bourgeois +et des prisonniers qu'on amenait deux à deux. Les cloches de la cité +sonnèrent; le clergé et le peuple chantèrent le <i>Te Deum</i><a id="footnotetag1046" name="footnotetag1046"></a><a href="#footnote1046" title="Lien vers la note 1046"><span class="smaller">[1046]</span></a>. Après +Dieu et sa benoîte mère, ils remercièrent très humblement Monsieur +saint Aignan et Monsieur saint Euverte, évêques, en leur vie mortelle, +et patrons célestes de la ville. Les citoyens estimaient que, devant +et durant le siège, ils leur avaient donné assez de cire et assez +promené leur châsse pour mériter leur puissante entremise et obtenir +par eux victoire et délivrance. Ce qui rendait manifeste +l'intervention de ces deux confesseurs, c'est qu'on avait vu, dans le +ciel, planer sur les Tourelles, au moment de l'assaut, deux évêques +resplendissant de lumière<a id="footnotetag1047" name="footnotetag1047"></a><a href="#footnote1047" title="Lien vers la note 1047"><span class="smaller">[1047]</span></a>.</p> + +<p>Jeanne fut ramenée à l'hôtel de Jacques Boucher, où <span class="pagenum"><a id="page367" name="page367"></a>(p. 367)</span> un +chirurgien pansa à nouveau la blessure qu'elle avait reçue au-dessus +du sein. Elle prit quatre ou cinq tranches de pain trempées dans du +vin mêlé d'eau, et ne but ni ne mangea autre chose<a id="footnotetag1048" name="footnotetag1048"></a><a href="#footnote1048" title="Lien vers la note 1048"><span class="smaller">[1048]</span></a>.</p> + +<p>Le lendemain, dimanche 8 mai, fête de l'apparition de Saint-Michel, on +apprit, au matin, dans Orléans, que les Anglais, sortis des bastilles +du couchant qui leur restaient encore, se rangeaient en belle +ordonnance, étendards déployés, devant les fossés de la ville. Ceux +d'Orléans, hommes d'armes et gens de la commune, avaient grande envie +de tomber dessus. À la pointe du jour, le maréchal de Boussac et +nombre de capitaines sortirent et se rangèrent devant eux<a id="footnotetag1049" name="footnotetag1049"></a><a href="#footnote1049" title="Lien vers la note 1049"><span class="smaller">[1049]</span></a>.</p> + +<p>La Pucelle alla aux champs avec les prêtres. N'ayant pu mettre sa +cuirasse sur son épaule blessée, elle était seulement armée d'une de +ces légères cottes de mailles, qu'on appelait jaserans<a id="footnotetag1050" name="footnotetag1050"></a><a href="#footnote1050" title="Lien vers la note 1050"><span class="smaller">[1050]</span></a>.</p> + +<p>Des gens d'armes lui demandèrent:</p> + +<p>—Est-ce mal de combattre aujourd'hui dimanche?</p> + +<p>Elle répondit:</p> + +<p>—Il faut entendre la messe<a id="footnotetag1051" name="footnotetag1051"></a><a href="#footnote1051" title="Lien vers la note 1051"><span class="smaller">[1051]</span></a>.</p> + +<p>Elle n'était pas d'avis qu'on les attaquât.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page368" name="page368"></a>(p. 368)</span> —Pour l'amour et honneur du saint dimanche, ne commencez +point la bataille. N'attaquez pas les Anglais, mais, si les Anglais +vous attaquent, défendez-vous fort et hardiment, et n'ayez nulle peur, +et vous serez les maîtres<a id="footnotetag1052" name="footnotetag1052"></a><a href="#footnote1052" title="Lien vers la note 1052"><span class="smaller">[1052]</span></a>.</p> + +<p>Une de ces pierres consacrées, de forme plate et carrée, bordée de +métal, que les clercs portaient en voyage, fut posée sur une table, en +un carrefour, dans les champs, au pied d'une croix<a id="footnotetag1053" name="footnotetag1053"></a><a href="#footnote1053" title="Lien vers la note 1053"><span class="smaller">[1053]</span></a>. Les +officiants chantèrent, en grande solennité, hymnes, répons et +oraisons, et la Pucelle, avec tous les religieux et tous les hommes +d'armes, ouït deux messes dites à cet autel<a id="footnotetag1054" name="footnotetag1054"></a><a href="#footnote1054" title="Lien vers la note 1054"><span class="smaller">[1054]</span></a>.</p> + +<p>Après le <i>Deo gratias</i>, elle recommanda d'observer les Anglais.</p> + +<p>—Or, regardez, s'ils ont le visage devers nous, ou le dos.</p> + +<p>On lui répondit qu'ils avaient le dos tourné et qu'ils s'en allaient.</p> + +<p>Elle leur avait dit trois fois: «Allez-vous-en d'Orléans vos vies +sauves.» Maintenant elle voulait qu'on les laissât aller sans leur en +demander davantage.</p> + +<p>—Il ne plaît pas à Messire qu'on les combatte aujourd'hui, dit-elle. +Vous les aurez une autre fois. Allons rendre grâces à Dieu<a id="footnotetag1055" name="footnotetag1055"></a><a href="#footnote1055" title="Lien vers la note 1055"><span class="smaller">[1055]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page369" name="page369"></a>(p. 369)</span> Les Godons s'en allaient. Ils avaient tenu conseil la nuit et +résolu de partir<a id="footnotetag1056" name="footnotetag1056"></a><a href="#footnote1056" title="Lien vers la note 1056"><span class="smaller">[1056]</span></a>. Après avoir fait front une heure durant aux +Orléanais pour donner un air menaçant à leur retraite et la faire +respecter, ils s'en allaient, gardant un bel ordre de marche. Le +capitaine La Hire et le sire de Loré, curieux de savoir quelle route +ils prenaient et de voir s'ils ne laissaient rien traîner derrière +eux, chevauchèrent à leur poursuite avec cent ou cent vingt lances +durant deux ou trois lieues. Les Anglais se retiraient sur +Meung<a id="footnotetag1057" name="footnotetag1057"></a><a href="#footnote1057" title="Lien vers la note 1057"><span class="smaller">[1057]</span></a>.</p> + +<p>Les bourgeois, manants, gens des communes, se précipitèrent en foule +dans les bastilles abandonnées. Les Godons y avaient laissé leurs +malades et leurs prisonniers. Les Orléanais y trouvèrent aussi des +munitions et même des vivres, qui n'étaient pas sans doute en grande +abondance ni excellents. Mais, dit un Bourguignon, «si en firent bonne +chère, car il ne leur avait guère coûté<a id="footnotetag1058" name="footnotetag1058"></a><a href="#footnote1058" title="Lien vers la note 1058"><span class="smaller">[1058]</span></a>». Les armes, les canons, +les bombardes furent portés dans la ville, les bastilles démolies, +pour qu'aucun ennemi désormais ne pût s'y loger<a id="footnotetag1059" name="footnotetag1059"></a><a href="#footnote1059" title="Lien vers la note 1059"><span class="smaller">[1059]</span></a>.</p> + +<p>Ce jour, furent faites très belles et solennelles processions +<span class="pagenum"><a id="page370" name="page370"></a>(p. 370)</span> et fut ouï le sermon d'un bon frère<a id="footnotetag1060" name="footnotetag1060"></a><a href="#footnote1060" title="Lien vers la note 1060"><span class="smaller">[1060]</span></a>. Les clercs, +seigneurs, capitaines, procureurs, gens d'armes et bourgeois +visitèrent les églises avec grande dévotion, et le peuple cria: +«Noël<a id="footnotetag1061" name="footnotetag1061"></a><a href="#footnote1061" title="Lien vers la note 1061"><span class="smaller">[1061]</span></a>!»</p> + +<p>Ainsi la ville d'Orléans fut délivrée ce 8 mai, au matin, deux cent +neuf jours après que le siège y eut été mis et neuf jours après la +venue de la Pucelle.</p> + + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page371" name="page371"></a>(p. 371)</span> CHAPITRE XIV<br> + +<span class="smaller">LA PUCELLE À TOURS ET À SELLES-EN-BERRY. — LES TRAITÉS DE JACQUES GÉLU +ET DE JEAN GERSON.</span></h2> + + +<p>Le dimanche 8 mai, au matin, les Anglais s'en étaient allés, tirant +sur Meung et Beaugency. Dans l'après-midi du même jour, messire +Florent d'Illiers avec ses gens d'armes quitta la ville délivrée et +gagna tout de suite sa capitainerie de Châteaudun, pour la défendre +contre les Godons qui tenaient garnison à Marchenoir et allaient +s'abattre sur le Dunois. Le lendemain, les autres capitaines de la +Beauce et du Gâtinais retournèrent dans leurs villes et +forteresses<a id="footnotetag1062" name="footnotetag1062"></a><a href="#footnote1062" title="Lien vers la note 1062"><span class="smaller">[1062]</span></a>.</p> + +<p>Le lundi neuf du même mois, les combattants amenés par le sire de +Rais, n'étant plus nourris ni payés, s'en allèrent chacun de son côté; +et la Pucelle ne demeura pas davantage<a id="footnotetag1063" name="footnotetag1063"></a><a href="#footnote1063" title="Lien vers la note 1063"><span class="smaller">[1063]</span></a>. Après avoir assisté à la +procession faite <span class="pagenum"><a id="page372" name="page372"></a>(p. 372)</span> par les habitants pour remercier Dieu, elle +prit congé de ceux vers qui elle était venue à l'heure de l'épreuve et +de l'affliction et qu'elle laissait délivrés et pleins d'allégresse. +Ils pleuraient de joie, lui rendaient grâce et s'offraient à elle pour +qu'elle fît d'eux et de leurs biens à sa volonté. Et elle les +remerciait avec douceur<a id="footnotetag1064" name="footnotetag1064"></a><a href="#footnote1064" title="Lien vers la note 1064"><span class="smaller">[1064]</span></a>.</p> + +<p>De Chinon le roi fit envoyer aux habitants des villes demeurées en son +obéissance, et notamment à ceux de La Rochelle et à ceux de Narbonne, +une lettre écrite à trois reprises, entre le soir du 9 mai et la +matinée du 10, à mesure que les nouvelles lui arrivaient. Par cette +lettre, il annonçait la prise des bastilles de Saint-Loup, des +Augustins et des Tourelles et invitait les bourgeois des villes à +louer Dieu et à honorer les vertueux faits accomplis là, notamment +ceux de la Pucelle qui «avait toujours été en personne à l'exécution +de toutes ces choses<a id="footnotetag1065" name="footnotetag1065"></a><a href="#footnote1065" title="Lien vers la note 1065"><span class="smaller">[1065]</span></a>». Ainsi la chancellerie royale marquait la +part de Jeanne dans la victoire. Ce n'était nullement celle d'un +capitaine; elle n'exerçait de commandement d'aucune sorte. Mais, venue +de Dieu, du moins le pouvait-on croire, sa présence apportait aide et +réconfort.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page373" name="page373"></a>(p. 373)</span> En compagnie de quelques seigneurs, elle se rendit à Blois, y +passa deux jours<a id="footnotetag1066" name="footnotetag1066"></a><a href="#footnote1066" title="Lien vers la note 1066"><span class="smaller">[1066]</span></a>, puis s'en fut à Tours, où le roi était +attendu<a id="footnotetag1067" name="footnotetag1067"></a><a href="#footnote1067" title="Lien vers la note 1067"><span class="smaller">[1067]</span></a>. Lorsqu'elle y entra, le vendredi avant la Pentecôte, +Charles, parti de Chinon, n'était pas encore arrivé. Elle chevaucha +vers lui, sa bannière à la main, et, quand elle le rencontra, elle ôta +son bonnet et inclina le plus qu'elle put la tête sur son cheval. Le +roi souleva son chaperon, la fit relever et l'embrassa. On dit qu'il +eut grande joie à la voir, mais en réalité on ne sait ce qu'il pensait +d'elle<a id="footnotetag1068" name="footnotetag1068"></a><a href="#footnote1068" title="Lien vers la note 1068"><span class="smaller">[1068]</span></a>.</p> + +<p>En ce mois de mai 1429, il reçut de messire Jacques Gélu un traité de +la Pucelle que probablement il ne lut pas, mais que son confesseur lut +pour lui. Messire Jacques Gélu, autrefois conseiller delphinal et +présentement seigneur archevêque d'Embrun<a id="footnotetag1069" name="footnotetag1069"></a><a href="#footnote1069" title="Lien vers la note 1069"><span class="smaller">[1069]</span></a>, commença par craindre +que cette bergère ne fût envoyée au roi par ses ennemis pour +l'empoisonner ou qu'elle ne fût une sorcière pleine de diables. Il +conseilla d'abord de l'examiner avec prudence, sans la repousser +précipitamment, car les apparences sont trompeuses et la grâce divine +suit souvent des voies extraordinaires. Maintenant, après avoir connu +les conclusions des docteurs <span class="pagenum"><a id="page374" name="page374"></a>(p. 374)</span> de Poitiers, appris la +délivrance d'Orléans et ouï le cri du commun peuple, messire Jacques +Gélu ne gardait plus de doutes sur l'innocence et la bonté de cette +jeune fille et, voyant que les docteurs différaient de sentiment sur +elle, il rédigea un bref traité, qu'il envoya au roi, avec une très +ample, très humble et très insigne épître dédicatoire.</p> + +<p>Il y avait, environ ce temps-là, un labyrinthe tracé à l'équerre et au +compas dans le pavé de la cathédrale de Reims<a id="footnotetag1070" name="footnotetag1070"></a><a href="#footnote1070" title="Lien vers la note 1070"><span class="smaller">[1070]</span></a>. Les pèlerins, +s'ils étaient attentifs et patients, en parcouraient tous les chemins. +Le traité de l'archevêque d'Embrun est de même un labyrinthe +scolastique très régulier, dans lequel on avance pour reculer et l'on +recule pour avancer, sans trop s'égarer, pourvu qu'on y marche avec +assez de patience et d'attention. Gélu, comme tous les scolastiques, +donne d'abord les raisons contraires aux siennes et c'est seulement +quand il a longuement suivi son adversaire qu'il s'achemine dans son +propre sens. Ce serait trop faire que de s'engager à sa suite dans les +détours de son labyrinthe. Mais puisque les familiers du roi le +consultaient, puisqu'il s'adressait au roi et que le roi et son +conseil réglèrent, peut-être, leur créance à Jeanne et leur conduite +envers elle d'après ce traité théologique, on veut savoir ce qu'ils y +trouvèrent professé et recommandé à cette occasion singulière.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page375" name="page375"></a>(p. 375)</span> Considérant d'abord le bien de l'Église, Jacques Gélu estime +que Dieu a suscité la Pucelle pour confondre les mal croyants, dont le +nombre, selon lui, n'était pas petit. «À la confusion de ceux, dit-il, +qui croient en Dieu comme s'ils n'y croyaient pas, le Très-Haut, qui +porte écrit sur sa cuisse: <i>Je suis le Roi des rois et le Seigneur des +Dominations</i>, se plut à secourir le roi de France par une enfant +nourrie dans le fumier.» L'archevêque d'Embrun découvre cinq raisons +pour lesquelles le roi a obtenu le secours divin; ce sont: la justice +de sa cause, les mérites éclatants de ses prédécesseurs, les prières +des âmes dévotes et les soupirs des opprimés, l'injustice des ennemis +du royaume, l'insatiable cruauté de la nation anglaise.</p> + +<p>Que Dieu ait choisi une pucelle pour détruire des armées, ce dessein +ne surprend point en lui. «Il a créé des insectes tels que les mouches +et les puces, par lesquels il abat la superbe des hommes.» Ces petites +créatures nous importunent et nous fatiguent au point de nous empêcher +d'étudier ou d'agir. Un homme, quelle que soit sa constance, ne peut +reposer dans une chambre infestée de puces. Par le moyen d'une jeune +paysanne, sortie d'humbles et infimes parents, soumise à un vil +labeur, ignorante, simple au delà de ce qu'on peut dire, il a voulu +abaisser les superbes, les ramener à l'humilité et leur rendre sa +Majesté présente, en sauvant ceux qui périssaient.</p> + +<p>Que le Très-Haut ait révélé à une vierge ses desseins <span class="pagenum"><a id="page376" name="page376"></a>(p. 376)</span> sur le +royaume des Lis, n'en soyons pas surpris: il accorde volontiers aux +vierges le don de prophétie. Il lui plut de découvrir aux sibylles les +mystères cachés à la gentilité tout entière. Sur l'autorité de +Nicanor, d'Euripide, de Chrysippe, de Nenius, d'Apollodore, +d'Eratosthène, d'Héraclide Pontique, de Marcus Varron et de Lactance, +messire Jacques Gélu enseigne que les sibylles furent au nombre de +dix: la Persique, la Libyque, la Delphique, la Cinicienne, l'Érythrée, +la Samienne, la Cumane, l'Hellespontique, la Phrygienne et la +Tiburtine, qui prophétisèrent, au milieu des gentils, la glorieuse +incarnation de Notre-Seigneur, la résurrection des morts et la +consommation des siècles. Cet exemple lui paraît très digne d'être +médité.</p> + +<p>Quant à Jeanne, elle est en elle-même inconnaissable. Aristote +l'enseigne: rien n'est dans l'intellect qui n'ait été d'abord dans la +sensation, et la sensation ne pénètre pas au delà des apparences. +Mais, où l'esprit ne peut entrer directement, il atteint par détour. +Autant que l'humaine fragilité permet de le savoir, à regarder ses +œuvres, la Pucelle est de Dieu. Bien qu'appliquée aux armes, elle +ne conseille jamais la cruauté; elle est miséricordieuse aux ennemis +qui se rendent à merci, et elle offre la paix. Enfin, l'archevêque +d'Embrun croit que cette Pucelle est un ange envoyé par le Seigneur +Dieu des armées pour le salut du peuple; non qu'elle en ait la nature; +mais elle en fait l'office.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page377" name="page377"></a>(p. 377)</span> Sur la conduite à tenir en cette merveilleuse occasion, le +docteur est d'avis que le roi observe dans la guerre les règles de la +prudence humaine. Il est écrit: «Tu ne tenteras pas le Seigneur ton +Dieu.» Un esprit industrieux aurait été donné en vain à l'homme, s'il +ne s'en servait point dans ses entreprises. Il faut délibérer +longtemps ce qui doit être exécuté soudain. Ce n'est ni par des +vœux ni par des supplications de femme que s'obtient le secours de +Dieu. Par action et conseil on accède à l'issue prospère.</p> + +<p>Mais il ne faut pas repousser l'inspiration de Dieu. C'est pourquoi il +doit être fait selon le vouloir de la Pucelle, alors même que ce +vouloir paraîtrait douteux et sans grande apparence de vérité. Si la +Pucelle est trouvée stable dans ses paroles, que le roi la suive et se +confie à elle comme à Dieu pour la conduite du fait auquel elle a été +commise. S'il survient au roi quelque doute, qu'il incline vers la +sagesse divine plutôt qu'à l'humaine prudence, car il n'y a pas de +mesure de l'une à l'autre, comme il n'y a pas de proportion du fini à +l'infini. Aussi faut-il croire que Celui qui envoya cette enfant saura +lui inspirer des conseils meilleurs que les conseils des hommes. Et +l'archevêque d'Embrun tire de ses raisonnements aristotéliques cette +conclusion bicéphale:</p> + +<p>«D'une part, pour ce qui est de préparer les batailles, d'employer +machines, échelles et tous autres engins de guerre, de jeter des +ponts, d'envoyer aux combattants <span class="pagenum"><a id="page378" name="page378"></a>(p. 378)</span> des vivres en quantité +suffisante, d'avoir bonnes finances, toutes choses sans lesquelles les +entreprises ne sauraient réussir que par miracle, nous faisons +suffisamment entendre qu'il y faut pourvoir par prudence humaine.</p> + +<p>»Mais lorsqu'on voit, d'autre part, la sagesse divine s'apprêter à +agir spécialement, la prudence humaine doit s'humilier et renoncer. +C'est alors, disons-nous, que le conseil de la Pucelle doit être +demandé, recherché, requis préférablement à tout autre. Celui qui +donne la vie donne la nourriture. À ses ouvriers il fournit les +outils. C'est pourquoi nous devons espérer dans le Seigneur. Il fit +sienne la cause du roi. Il inspirera à ceux qui la tiennent tout ce +qu'il faudra faire pour la gagner. Dieu ne laisse point ses œuvres +imparfaites.»</p> + +<p>Et l'archevêque termine son traité en recommandant spécialement au roi +la Pucelle comme inspiratrice de saintes pensées et révélatrice +d'œuvres pies. «Nous donnons ce conseil au roi, que chaque jour il +accomplisse une œuvre agréable à Dieu, et que de cela il confère +avec la Pucelle; que les avis qu'il en recevra, il les mette en usage +pieusement et dévotement, pour que Dieu ne lui retire pas sa main, +mais lui continue sa grâce<a id="footnotetag1071" name="footnotetag1071"></a><a href="#footnote1071" title="Lien vers la note 1071"><span class="smaller">[1071]</span></a>.»</p> + +<p>Le grand docteur Gerson, ancien chancelier de l'université, <span class="pagenum"><a id="page379" name="page379"></a>(p. 379)</span> +achevait alors à Lyon, dans le couvent des Célestins, dont son frère +était prieur, sa vie pleine de travaux et de fatigues<a id="footnotetag1072" name="footnotetag1072"></a><a href="#footnote1072" title="Lien vers la note 1072"><span class="smaller">[1072]</span></a>. L'an +1408, curé de Saint-Jean-en-Grève, à Paris, en prononçant dans son +église paroissiale l'oraison funèbre du duc d'Orléans, assassiné par +l'ordre du duc de Bourgogne, il souleva la fureur du peuple et courut +grand risque d'être massacré. Au concile de Constance, impatient +d'envoyer l'hérétique au feu «par une cruauté miséricordieuse<a id="footnotetag1073" name="footnotetag1073"></a><a href="#footnote1073" title="Lien vers la note 1073"><span class="smaller">[1073]</span></a>», +il pressa la condamnation de Jean Huss, sans égard au sauf-conduit que +celui-ci avait reçu de l'Empereur, estimant avec tous les pères +assemblés, que selon le droit naturel divin et humain nulle promesse +ne doit être tenue au préjudice de la foi catholique. Il poursuivit au +synode, avec une même ardeur, la condamnation des propositions de Jean +Petit sur la légitimité du tyrannicide. Au temporel comme au +spirituel, il professait l'unité d'obédience et le respect des +autorités établies. Comparant, dans un de ses sermons, le royaume de +France à la statue de Nabuchodonosor, il fait des marchands et des +artisans les jambes du colosse, «qui sont partie de fer, partie de +terre, pour leur labeur et humilité à servir et à obéir...» Fer +signifie labeur et terre humilité. <span class="pagenum"><a id="page380" name="page380"></a>(p. 380)</span> Tout le mal est venu de +ce que le roi et les notables citoyens ont été tenus en servitude par +l'outrageuse entreprise des gens de petit état<a id="footnotetag1074" name="footnotetag1074"></a><a href="#footnote1074" title="Lien vers la note 1074"><span class="smaller">[1074]</span></a>.</p> + +<p>Maintenant, accablé de misères et de tristesses, il instruisait les +jeunes enfants. «C'est par eux, disait-il, qu'il faut commencer la +réforme<a id="footnotetag1075" name="footnotetag1075"></a><a href="#footnote1075" title="Lien vers la note 1075"><span class="smaller">[1075]</span></a>.»</p> + +<p>La délivrance de la cité ducale dut réjouir le vieux défenseur du +parti d'Orléans. Les conseillers du dauphin, désireux de mettre en +œuvre la Pucelle, lui communiquèrent les délibérations de Poitiers +et lui demandèrent son avis comme à un bon serviteur de la maison de +France. En réponse, il composa un traité succinct de la Pucelle.</p> + +<p>Dans cet écrit, il prend soin tout d'abord de distinguer entre ce qui +est de foi et ce qui est de dévotion. En matière de foi, le doute +n'est pas permis. Quant à ce qui est de dévotion, comme on dit +vulgairement: «Qui ne le croit n'est pas damné.» Pour qu'une chose +soit de dévotion, trois conditions sont requises: il faut 1<sup>o</sup> qu'elle +soit édifiante; 2<sup>o</sup> qu'elle soit probable et attestée par la rumeur +publique ou le témoignage des fidèles; 3<sup>o</sup> qu'il ne s'y mêle rien de +contraire à la foi. À ces conditions, il convient de n'en porter ni +réprobation ni approbation opiniâtres, mais plutôt de s'en rapporter à +l'Église.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page381" name="page381"></a>(p. 381)</span> Par exemple, sont matières de dévotion et non de foi, la +conception de la très sainte Vierge, les indulgences, les reliques. +Une relique est vénérée en un lieu ou dans un autre ou dans plusieurs +lieux à la fois. Le Parlement de Paris a naguère disputé sur le chef +de monseigneur saint Denys, vénéré à Saint-Denys en France et dans la +cathédrale de Paris. C'est matière de dévotion<a id="footnotetag1076" name="footnotetag1076"></a><a href="#footnote1076" title="Lien vers la note 1076"><span class="smaller">[1076]</span></a>.</p> + +<p>D'où il faut conclure que l'on peut pieusement et salutairement, en +matière de dévotion, admettre le fait de cette Pucelle, surtout en +regardant aux fins, qui sont la restitution du royaume à son roi et la +très juste expulsion ou débellation de ses très obstinés ennemis.</p> + +<p>D'autant plus qu'on n'a pas trouvé qu'elle usât de sortilèges prohibés +par l'Église ni de superstitions publiquement réprouvées, ni qu'elle +agît avec cautèle, par fourberie, pour son gain propre, lorsqu'en gage +de sa foi, elle expose son corps aux plus grands dangers.</p> + +<p>Et, si plusieurs apportent divers témoignages sur son caquet, sa +légèreté, son astuce, c'est le lieu d'alléguer cet adage de Caton: +«Nos arbitres, ce n'est pas ce que chacun dit.» Selon la parole de +l'Apôtre, on ne doit pas mettre en cause le serviteur de Dieu. Bien +plutôt il convient ou de s'abstenir ou de soumettre aux supérieurs +ecclésiastiques, comme il est <span class="pagenum"><a id="page382" name="page382"></a>(p. 382)</span> permis, les points douteux. +Ainsi fut fait, dans le principe, pour la canonisation des saints. Le +canon des saints n'est pas de nécessité de foi, à strictement parler, +mais de pieuse dévotion. Toutefois il ne doit pas être réprouvé par +homme quelconque, à tort et à travers.</p> + +<p>Pour en venir au cas présent, il faut remarquer les circonstances +suivantes:</p> + +<p>Premièrement. Le conseil royal et les gens de guerre furent induits à +croire et à obéir, et ils affrontèrent le risque d'être défaits sous +la conduite d'une fillette, ce qui eût été grande vergogne.</p> + +<p>Deuxièmement. Le peuple exulte, et sa pieuse créance semble conspirer +à la louange de Dieu et à la confusion des ennemis.</p> + +<p>Troisièmement. Les ennemis se cachent, même leurs princes, et sont +agités de diverses terreurs. Ils tombent en faiblesse comme des femmes +grosses, conformément aux imprécations contenues dans le cantique que +chanta sur le tympanon Marie, sœur de Moïse, dans un chœur de +danseurs et de chanteurs: «Chantons au Seigneur, car il a été +glorieusement magnifié. Que tombent sur ses ennemis la crainte et la +terreur!» Et nous aussi, chantons le cantique de Marie, avec une +dévotion consonante à notre fait.</p> + +<p>Quatrièmement enfin. Et cela est à peser: Cette Pucelle et les soldats +attachés à elle ne quittent point les voies de la prudence humaine, et +ils ne tentent pas <span class="pagenum"><a id="page383" name="page383"></a>(p. 383)</span> Dieu. D'où il est visible que cette +Pucelle ne s'obstine pas au delà de ce qu'elle répute être monition ou +inspirations reçues de Dieu.</p> + +<p>On pourrait exposer encore plusieurs circonstances de sa vie, depuis +l'enfance, qui ont été recueillies abondamment. Il n'en sera rien +rapporté ici.</p> + +<p>Il est à propos de tirer exemple de Déborah et de sainte Catherine, +qui convertit miraculeusement cinquante docteurs ou rhéteurs, de +Judith et de Judas Macchabée. Dans leur fait, selon l'ordre constant, +se trouvèrent beaucoup de circonstances d'ordre purement naturel.</p> + +<p>À un premier miracle ne succèdent pas toujours d'autres miracles +attendus des hommes. Alors même que la Pucelle serait déçue dans son +attente et la nôtre (puisse-t-il n'en pas advenir ainsi!), il n'en +faudrait pas conclure que les premiers effets furent produits par le +malin esprit et non par influence céleste, mais préférablement croire +que nos espérances aient péri à cause de notre ingratitude et de nos +blasphèmes, ou par quelque juste et impénétrable jugement de Dieu! +Nous le supplions de détourner de nous sa colère et de nous regarder +favorablement.</p> + +<p>Tirons des enseignements premièrement pour le roi et les princes du +sang royal; deuxièmement, pour la milice du roi et du royaume; +troisièmement, pour le clergé et le peuple; quatrièmement, pour la +Pucelle. De ces enseignements, unique est la fin: mener bonne +<span class="pagenum"><a id="page384" name="page384"></a>(p. 384)</span> vie, dévote à Dieu, juste au prochain, sobre, vertueuse et +tempérante à soi-même. Et quant à l'enseignement spécial à la Pucelle, +il faut que la grâce, que Dieu a manifestée en elle, soit employée non +en vanités soucieuses, non en profits mondains, non en haines de +partis, non en séditions cruelles, non en vengeance des actes +accomplis, non en glorifications ineptes, mais en mansuétude et +oraisons, avec actions de grâce, et que chacun contribue, par libérale +subvention de biens temporels, à l'instauration de la paix en son lit +de justice, afin que, délivrés des mains de nos ennemis, Dieu nous +étant plus propice, nous le servions dans la sainteté et la justice.</p> + +<p>En terminant son traité, Gerson examine brièvement un point de droit +canon qui avait déjà été touché par les docteurs de Poitiers. Il +établit qu'il n'est pas défendu à la Pucelle de porter un habit +d'homme.</p> + +<p>Premièrement. L'ancienne loi interdisait à la femme de porter un habit +d'homme et à l'homme un habit de femme. Cette loi, en tant que +judicielle, cesse d'être en vigueur dans la nouvelle loi.</p> + +<p>Deuxièmement. En tant que morale, cette loi demeure obligatoire. Mais +elle ne concerne, en ce cas, que l'indécence de l'habit.</p> + +<p>Troisièmement. En tant que judicielle et morale, cette loi n'interdit +pas de porter l'habit viril et militaire à cette Pucelle que le Roi du +ciel élut porte-étendard pour fouler à ses pieds les ennemis de la +justice. <span class="pagenum"><a id="page385" name="page385"></a>(p. 385)</span> Où la divine vertu opère, les moyens sont conformes +aux fins.</p> + +<p>Quatrièmement. On peut alléguer des exemples tirés des histoires +sainte et profane, rappeler Camille et les Amazones.</p> + +<p>Jean Gerson termina ce traité le dimanche de la Pentecôte, huit jours +après la délivrance d'Orléans. Ce fut son dernier écrit. Il mourut au +mois de juillet de cette même année 1429, la soixante-cinquième de sa +vie<a id="footnotetag1077" name="footnotetag1077"></a><a href="#footnote1077" title="Lien vers la note 1077"><span class="smaller">[1077]</span></a>.</p> + +<p>C'est le testament politique du grand universitaire en exil. La +victoire de la Pucelle réjouit les derniers jours de sa vie. Il chante +de sa voix presque éteinte le cantique de Marie. Mais à la joie que +lui cause le bon événement, se mêlent les tristes pressentiments de sa +vieille sagesse. En même temps qu'il voit en la Pucelle bien venue un +sujet d'allégresse et d'édification pour le peuple, il craint que les +espérances qu'elle inspire ne soient bientôt déçues. Et il avertit +ceux qui maintenant l'exaltent dans le triomphe de ne point se +détourner d'elle aux mauvaises heures.</p> + +<p>Son argumentation maigre et sèche n'est pas différente au fond de la +grasse et molle argumentation de Jacques Gélu. On trouve dans l'une et +dans l'autre les mêmes raisonnements et les mêmes preuves et les +<span class="pagenum"><a id="page386" name="page386"></a>(p. 386)</span> deux docteurs s'accordent dans leurs conclusions qui sont +celles des maîtres de Poitiers.</p> + +<p>Pour les docteurs de Poitiers, pour l'archevêque d'Embrun, pour +l'ancien chancelier de l'Université, pour tous les théologiens +armagnacs, le fait de la Pucelle n'est pas matière de foi. Comment le +pourrait-il être avant que le pape et le concile en eussent décidé? On +est libre d'y croire comme de n'y pas croire. Mais c'est un sujet +d'édification, et il convient de le méditer non dans un esprit aride, +et qui doute obstinément, mais avec bonne volonté et selon la foi +chrétienne. Sur le conseil de Gerson, les âmes bénévoles croiront que +la Pucelle vient de Dieu, comme elles croient que le chef de +Monseigneur saint Denys est offert en même temps à la vénération des +fidèles dans l'église cathédrale de Paris et dans l'église abbatiale +de Saint-Denys en France. Elles ne s'attacheront pas tant à la vérité +littérale qu'à la vérité spirituelle et elles ne pécheront pas par +trop de curiosité.</p> + +<p>En somme, ni le traité de Jacques Gélu, ni celui de Jean Gerson ne +donnent de grandes clartés au roi et à son conseil. Les exhortations +n'y manquent point: mais elles reviennent toutes à dire: «Soyez sages +et pieux, pensez avec humilité, force et prudence.» Sur le point qui +importait le plus, l'emploi à faire de la Pucelle dans la conduite de +la guerre, l'archevêque d'Embrun enseigne doctement: «Accomplissez ce +que la Pucelle ordonne et ce que la prudence commande et <span class="pagenum"><a id="page387" name="page387"></a>(p. 387)</span> +pour le surplus faites œuvres pies et belles oraisons.» Il y avait +là de quoi embarrasser un capitaine comme le sire de Gaucourt et même +un bon prud'homme tel que le seigneur de Trèves. Il apparaît que ces +clercs laissaient au roi toute liberté de jugement et d'action et +qu'ils lui conseillaient finalement non de croire à la Pucelle, mais +d'y laisser croire le peuple et les gens d'armes.</p> + +<p>Le roi garda Jeanne près de lui durant les dix jours qu'il demeura +dans sa ville de Tours. Cependant le conseil délibérait sur la +conduite à tenir<a id="footnotetag1078" name="footnotetag1078"></a><a href="#footnote1078" title="Lien vers la note 1078"><span class="smaller">[1078]</span></a>. On n'avait point d'argent. Charles en trouvait +encore assez facilement pour faire des présents aux gentilshommes de +son hôtel, mais il avait grand'peine à s'en procurer pour payer les +dépenses de la guerre<a id="footnotetag1079" name="footnotetag1079"></a><a href="#footnote1079" title="Lien vers la note 1079"><span class="smaller">[1079]</span></a>. Il devait des gages à ses gens d'Orléans. +Ceux-là avaient peu reçu et beaucoup dépensé. Ils en étaient du leur, +et réclamaient leur paiement. Aux mois de mai et de juin, par quatre +fois, le roi répartit aux capitaines qui avaient défendu la ville des +sommes montant à quarante et un mille six cent trente et une +livres<a id="footnotetag1080" name="footnotetag1080"></a><a href="#footnote1080" title="Lien vers la note 1080"><span class="smaller">[1080]</span></a>. Il était victorieux à bon marché. La défense d'Orléans +lui coûta cent dix mille <span class="pagenum"><a id="page388" name="page388"></a>(p. 388)</span> livres en tout. Les bourgeois de la +ville firent le reste; ils donnèrent jusqu'à leurs petites cuillers +d'argent<a id="footnotetag1081" name="footnotetag1081"></a><a href="#footnote1081" title="Lien vers la note 1081"><span class="smaller">[1081]</span></a>.</p> + +<p>Il eût été expédient sans doute de chercher à détruire cette terrible +armée de sir John Falstolf qui avait causé naguère tant de peur à ceux +d'Orléans. Mais on ne savait pas où elle se trouvait. Elle était +disparue entre Orléans et Paris. Il eût fallu la chercher; ce n'était +pas possible; on n'y songea pas. L'art de la guerre ne comportait pas +alors des opérations si savantes. Il fut question d'aller en +Normandie, idée si naturelle que dans le peuple on croyait déjà le +dauphin à Rouen<a id="footnotetag1082" name="footnotetag1082"></a><a href="#footnote1082" title="Lien vers la note 1082"><span class="smaller">[1082]</span></a>. Finalement on décida de reprendre les châteaux +que les Anglais tenaient sur la Loire en amont et en aval d'Orléans, +Jargeau, Meung, Beaugency<a id="footnotetag1083" name="footnotetag1083"></a><a href="#footnote1083" title="Lien vers la note 1083"><span class="smaller">[1083]</span></a>. Entreprise utile et qui ne présentait +pas grandes difficultés, à moins qu'on eût sur les bras l'armée de sir +John Falstolf, ce que personne ne pouvait dire.</p> + +<p>Sans plus attendre, monseigneur le Bâtard alla sur Jargeau avec un peu +de chevalerie et les routiers de Poton; mais la Loire était haute et +remplissait les fossés. N'ayant pas d'engins de siège, ils se +retirèrent après avoir fait quelque mal aux Anglais et tué le +capitaine de la ville<a id="footnotetag1084" name="footnotetag1084"></a><a href="#footnote1084" title="Lien vers la note 1084"><span class="smaller">[1084]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page389" name="page389"></a>(p. 389)</span> La Pucelle n'entrait pas volontiers dans les raisons des +capitaines. Elle n'écoutait que ses Voix, qui lui disaient des paroles +infiniment simples. Elle ne pensait qu'à accomplir sa mission. Ce +n'était pas pour supputer les ressources du trésor royal, ordonner les +aides et les tailles, traiter avec les gens d'armes, les marchands et +les convoyeurs, faire des plans de campagne, négocier des trêves, que +madame sainte Catherine, madame sainte Marguerite et monseigneur saint +Michel archange l'avaient envoyée en France: c'était pour qu'elle +conduisît le dauphin à son sacre. Aussi était-ce à Reims qu'elle le +voulait mener; non qu'elle sût comment on y pouvait aller, mais elle +pensait que Dieu la guiderait. Tout retard, toute lenteur, toute +délibération même la désolait et l'irritait. Fréquentant chez le roi, +elle le pressait avec douceur. Maintes fois elle lui dit:</p> + +<p>—Je durerai un an, guère plus. Qu'on pense à bien besoigner pendant +cette année<a id="footnotetag1085" name="footnotetag1085"></a><a href="#footnote1085" title="Lien vers la note 1085"><span class="smaller">[1085]</span></a>!</p> + +<p>Et elle dénombrait les quatre charges dont elle avait à s'acquitter en +cet espace de temps. C'était, après avoir délivré Orléans, chasser les +Godons hors de France, faire couronner et sacrer le roi à Reims et +tirer le duc d'Orléans des mains des Anglais<a id="footnotetag1086" name="footnotetag1086"></a><a href="#footnote1086" title="Lien vers la note 1086"><span class="smaller">[1086]</span></a>. Un jour, n'y +pouvant tenir, elle alla trouver le roi tandis qu'il <span class="pagenum"><a id="page390" name="page390"></a>(p. 390)</span> était +dans un de ces retraits clos par des boiseries sculptées, qu'on +pratiquait dans les grandes salles des châteaux, et qui servaient aux +réunions familières. Elle heurta l'huis, entra presque aussitôt et +trouva le roi qui conversait avec maître Gérard Machet, son +confesseur, monseigneur le Bâtard, le sire de Trèves et un seigneur de +ses plus familiers, nommé messire Christophe d'Harcourt. Elle +s'agenouilla et, tenant le roi embrassé par les jambes (car elle +savait à quoi la politesse l'obligeait), elle lui dit:</p> + +<p>—Gentil dauphin, n'assemblez plus tant et de si longs conseils. Mais +venez tout de suite à Reims recevoir votre digne sacre<a id="footnotetag1087" name="footnotetag1087"></a><a href="#footnote1087" title="Lien vers la note 1087"><span class="smaller">[1087]</span></a>.</p> + +<p>Le roi lui fit bon visage, mais ne répondit rien. Le seigneur +d'Harcourt, averti que la Pucelle conversait avec des anges et des +saintes, fut curieux de savoir si vraiment la pensée de mener le roi à +Reims lui venait de ses visiteurs célestes. Employant pour les +désigner le mot dont elle se servait elle-même:</p> + +<p>—Est-ce votre Conseil, lui demanda-t-il, qui vous parle de telles +choses?</p> + +<p>Elle répondit:</p> + +<p>—Oui, et je suis beaucoup aiguillonnée à cet endroit.</p> + +<p>Le seigneur d'Harcourt reprit aussitôt:</p> + +<p>—Ne voudriez-vous pas dire ici, en présence du <span class="pagenum"><a id="page391" name="page391"></a>(p. 391)</span> roi, la +manière de votre Conseil, quand il vous parle?</p> + +<p>Jeanne rougit à cette demande.</p> + +<p>Voulant lui épargner tout embarras et toute contrainte, le roi lui dit +doucement:</p> + +<p>—Jeanne, vous plaît-il bien de déclarer ce qu'on vous demande, en +présence des personnes ici présentes?</p> + +<p>Mais Jeanne s'adressant au seigneur d'Harcourt:</p> + +<p>—Je vois bien ce que vous voulez savoir, lui dit-elle, et je vous le +dirai volontiers.</p> + +<p>Et tout de suite elle fit sentir au roi le tourment qu'elle éprouvait +de n'être pas crue et elle révéla sa consolation intérieure:</p> + +<p>—Quand je suis contristée en quelque manière de ce qu'on ne croit pas +facilement ce que je dis par mandement de Messire, je me retire à +part, et me plains à Messire de n'être facilement crue de ceux à qui +je parle. Et mon oraison faite, aussitôt j'entends une voix qui me +dit: «Fille de Dieu, va!» Et à l'entendre, j'ai grand'joie. Et même je +voudrais toujours rester en cet état<a id="footnotetag1088" name="footnotetag1088"></a><a href="#footnote1088" title="Lien vers la note 1088"><span class="smaller">[1088]</span></a>.</p> + +<p>Tandis qu'elle répétait les paroles de la Voix, Jeanne levait les yeux +au ciel. Les seigneurs présents furent frappés de l'expression céleste +que prenait alors le regard de la jeune fille. Pourtant ces yeux +noyés, cet <span class="pagenum"><a id="page392" name="page392"></a>(p. 392)</span> air de ravissement dont s'émerveillait +monseigneur le Bâtard, ce n'était pas une extase, c'était l'imitation +d'une extase. Scène à la fois pleine d'artifice et de naïveté, qui +montre et la douceur du roi, bien incapable de faire la moindre peine +à cette enfant, et la légèreté avec laquelle les seigneurs de la cour +croyaient ou feignaient de croire aux plus étranges merveilles et qui +surtout fait apparaître que, dès ce moment, on ne regardait pas comme +un mal, dans le conseil du roi, que la petite sainte donnât au projet +du sacre l'autorité d'une révélation divine.</p> + +<p>La Pucelle accompagna le roi à Loches, et elle resta auprès de lui +jusqu'après le vingt-troisième jour de mai<a id="footnotetag1089" name="footnotetag1089"></a><a href="#footnote1089" title="Lien vers la note 1089"><span class="smaller">[1089]</span></a>.</p> + +<p>Le peuple croyait en elle. Quand elle sortait dans les rues de Loches, +les habitants se jetaient dans les jambes de son cheval; ils baisaient +les mains et les pieds de la sainte. Maître Pierre de Versailles, +religieux de Saint-Denys en France, un des interrogateurs de Poitiers, +la voyant qui recevait ces marques de vénération, la blâma +théologalement:</p> + +<p>—Vous faites mal, lui dit-il, de souffrir telles choses, qui ne vous +sont pas dues. Prenez-y garde: vous induisez les hommes en idolâtrie.</p> + +<p>Jeanne, pensant à l'orgueil qui pourrait s'insinuer dans son cœur, +répondit:</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page393" name="page393"></a>(p. 393)</span> —En vérité je ne saurais m'en garder, si Messire ne m'en +gardait<a id="footnotetag1090" name="footnotetag1090"></a><a href="#footnote1090" title="Lien vers la note 1090"><span class="smaller">[1090]</span></a>.</p> + +<p>Elle voyait avec humeur que certaines bonnes femmes vinssent à elle +pour la saluer; cela lui semblait une espèce d'adoration dont elle +s'effrayait. Mais elle ne repoussait pas les pauvres gens qui venaient +à elle; elle ne leur faisait pas de déplaisir et plutôt les supportait +à son pouvoir<a id="footnotetag1091" name="footnotetag1091"></a><a href="#footnote1091" title="Lien vers la note 1091"><span class="smaller">[1091]</span></a>.</p> + +<p>Le renom de sa sainteté s'était répandu par toute la France avec une +promptitude merveilleuse. Beaucoup de personnes pieuses portaient sur +elles des médailles de plomb ou d'autre métal à sa ressemblance, selon +l'usage établi pour honorer la mémoire des saints<a id="footnotetag1092" name="footnotetag1092"></a><a href="#footnote1092" title="Lien vers la note 1092"><span class="smaller">[1092]</span></a>. On plaçait +dans les chapelles ses images peintes ou taillées. À la collecte de la +messe, le prêtre récitait «l'oraison de la Pucelle pour le royaume de +France»:</p> + +<p>«Dieu, auteur de la paix, qui détruis, sans arc ni flèche, les ennemis +qui mettent leur espoir en eux-mêmes<a id="footnotetag1093" name="footnotetag1093"></a><a href="#footnote1093" title="Lien vers la note 1093"><span class="smaller">[1093]</span></a>, nous te demandons, +seigneur, de nous protéger dans notre adversité, et, de même que tu as +délivré ton peuple par la main d'une femme, tends à Charles notre roi +ton bras victorieux, afin que nos ennemis, <span class="pagenum"><a id="page394" name="page394"></a>(p. 394)</span> qui s'assurent en +leur multitude et se glorifient de leurs flèches et leurs lances, +soient par lui surmontés à l'heure présente et qu'il lui soit donné, à +la fin de ses jours de parvenir glorieusement avec son peuple jusqu'à +toi, qui es la voie, la vérité et la vie. Par Notre-Seigneur +Jésus-Christ, etc<a id="footnotetag1094" name="footnotetag1094"></a><a href="#footnote1094" title="Lien vers la note 1094"><span class="smaller">[1094]</span></a>.»</p> + +<p class="p2">On consultait alors les saints et les saintes dans toutes les +difficultés de la vie. Plus on les jugeait innocents et simples, plus +on leur demandait conseil. Car on était mieux assuré, s'ils ne +savaient rien dire, que c'était Dieu qui parlait par leur bouche. On +pensait que la Pucelle n'avait pas d'esprit; c'est pourquoi on la +croyait capable de résoudre les questions les plus difficiles avec une +infaillible sagesse. On voyait que, sans savoir faire la guerre, elle +la faisait mieux que les capitaines, et l'on en concluait que tout ce +qu'elle accomplirait dans sa sainte ignorance, elle l'accomplirait +excellemment. C'est ainsi qu'à Toulouse un capitoul s'avisa de la +consulter en matière financière. Les gardes de la monnaie de cette +ville ayant reçu ordre de frapper de nouvelles espèces inférieures de +beaucoup à celles qui avaient cours jusque-là, les bourgeois s'en +émurent; d'avril à juin les capitouls s'employèrent à faire rapporter +cette mesure. Et le 2 juin, le capitoul Pierre Flamenc demanda en +conseil <span class="pagenum"><a id="page395" name="page395"></a>(p. 395)</span> qu'on écrivît à la Pucelle pour lui exposer les +inconvénients survenus du fait de la mutation des monnaies et pour lui +demander d'y apporter remède. En faisant cette proposition au +Capitole, Pierre Flamenc pensait qu'une sainte était de bon conseil +sur toute matière et particulièrement en matière d'espèces monnayées, +surtout si elle se trouvait l'amie du roi, comme c'était le cas de la +Pucelle<a id="footnotetag1095" name="footnotetag1095"></a><a href="#footnote1095" title="Lien vers la note 1095"><span class="smaller">[1095]</span></a>.</p> + +<p>Jeanne envoya de Loches, un petit anneau d'or a la dame de Laval qui +sans doute lui avait demandé un objet qu'elle eût touché<a id="footnotetag1096" name="footnotetag1096"></a><a href="#footnote1096" title="Lien vers la note 1096"><span class="smaller">[1096]</span></a>. +Jeanne, dame de Laval, avait épousé, cinquante-quatre ans en çà, sire +Bertrand Du Guesclin dont la mémoire était précieuse aux Français et +qu'on nommait, dans la maison d'Orléans, le dixième preux. Madame +Jeanne n'égalait point en renommée Tiphaine Raguenel, astrologienne et +fée<a id="footnotetag1097" name="footnotetag1097"></a><a href="#footnote1097" title="Lien vers la note 1097"><span class="smaller">[1097]</span></a>, première femme de sire Bertrand. C'était une dame avare et +colérique. Chassée par les Anglais de sa terre de Laval, elle vivait +retirée à Vitré avec sa fille Anne, qui s'était mise dans le cas de +lui déplaire quand, treize ans auparavant, jeune veuve, elle avait +épousé secrètement <span class="pagenum"><a id="page396" name="page396"></a>(p. 396)</span> un petit cadet sans terres. Ce qu'ayant +découvert, madame Jeanne enferma sa fille dans un cachot et reçut le +cadet à coups d'arbalète. Après quoi les deux dames vécurent +paisiblement ensemble<a id="footnotetag1098" name="footnotetag1098"></a><a href="#footnote1098" title="Lien vers la note 1098"><span class="smaller">[1098]</span></a>.</p> + +<p>De Loches la Pucelle se rendit à Selles en Berry, assez grosse ville +sur la rive gauche du Cher, où les trois états du royaume s'étaient +assemblés peu de temps auparavant<a id="footnotetag1099" name="footnotetag1099"></a><a href="#footnote1099" title="Lien vers la note 1099"><span class="smaller">[1099]</span></a> et où se faisait le +rassemblement des troupes.</p> + +<p>Le samedi 4 juin, elle reçut un héraut que les habitants d'Orléans lui +envoyaient pour lui donner nouvelles des Anglais<a id="footnotetag1100" name="footnotetag1100"></a><a href="#footnote1100" title="Lien vers la note 1100"><span class="smaller">[1100]</span></a>. Comme chef de +guerre, ils ne connaissaient qu'elle.</p> + +<p>Cependant, entourée de moines, elle menait, au milieu des gens +d'armes, une vie bonne, singulière et monastique. Elle mangeait et +buvait peu<a id="footnotetag1101" name="footnotetag1101"></a><a href="#footnote1101" title="Lien vers la note 1101"><span class="smaller">[1101]</span></a>. Elle communiait une fois la semaine et se confessait +fréquemment<a id="footnotetag1102" name="footnotetag1102"></a><a href="#footnote1102" title="Lien vers la note 1102"><span class="smaller">[1102]</span></a>. En entendant la messe, au moment de l'élévation, à +confesse et quand elle recevait le corps de Notre-Seigneur, elle +pleurait à grande abondance de larmes. Chaque soir, à l'heure de +vêpres, elle se retirait dans une église et faisait sonner les cloches +pendant une demi-heure environ pour appeler les religieux <span class="pagenum"><a id="page397" name="page397"></a>(p. 397)</span> +mendiants qui suivaient l'armée. Puis elle se mettait en oraison, +tandis que les bons frères chantaient une antienne en l'honneur de la +Vierge Marie<a id="footnotetag1103" name="footnotetag1103"></a><a href="#footnote1103" title="Lien vers la note 1103"><span class="smaller">[1103]</span></a>.</p> + +<p>Bien qu'elle pratiquât, à son pouvoir, les austérités que commande une +dévotion spéciale, elle se montrait magnifiquement vêtue, comme un +seigneur, ayant en effet seigneurie de par Dieu. Elle portait habit de +gentilhomme, c'est-à-dire petit chapeau, pourpoint et chausses +ajustées, très nobles huques de drap d'or et de soie bien fourrées et +souliers lacés en dehors du pied<a id="footnotetag1104" name="footnotetag1104"></a><a href="#footnote1104" title="Lien vers la note 1104"><span class="smaller">[1104]</span></a>. En la voyant ainsi vêtue, les +personnes les plus austères du parti dauphinois ne se scandalisaient +point. Elles lisaient dans l'Écriture qu'Esther et Judith, inspirées +du Seigneur, se chargèrent de parures, il est vrai dans l'ordre de +leur sexe et afin d'induire Assuérus et Holopherne en concupiscence +pour le salut d'Israël. Et elles estimaient que si Jeanne se couvrait +d'ornements virils afin de paraître aux gens d'armes un ange venant +donner la victoire au roi très chrétien, loin de céder aux vanités du +monde, elle considérait uniquement, comme Esther et Judith, l'intérêt +du peuple saint et la gloire de Dieu. Mais les clercs anglais et +bourguignons, tournant l'édification <span class="pagenum"><a id="page398" name="page398"></a>(p. 398)</span> en scandale, disaient +que c'était une femme dissolue en ses habits et ses mœurs.</p> + +<p>Depuis sept ans déjà, saint Michel archange et les saintes Catherine +et Marguerite, portant des couronnes riches et précieuses, venaient à +elle et lui parlaient. C'était dans le son des cloches, à l'heure de +complies et de matines, quelle entendait le mieux leurs paroles<a id="footnotetag1105" name="footnotetag1105"></a><a href="#footnote1105" title="Lien vers la note 1105"><span class="smaller">[1105]</span></a>. +Les cloches alors, grandes ou petites, métropolitaines, paroissiales +ou conventuelles, bourdons, campanes, campanelles et moineaux, sonnées +à la volée ou carillonnées en cadence, de leurs voix graves ou +claires, parlaient à tout le monde et de toutes choses. Elles étaient +le chant aérien du calendrier ecclésiastique et civil. Elles +convoquaient les clercs et les fidèles aux offices, lamentaient les +morts et louaient Dieu: elles annonçaient les foires et les travaux +des champs; elles faisaient voler par le ciel les grandes nouvelles, +et, dans ces temps de guerre, elles appelaient aux armes, sonnaient +l'alarme. Amies du laboureur, elles dissipaient l'orage, écartaient la +grêle; elles chassaient la peste. Les démons qui volent sans cesse +dans l'air et guettent les hommes, elles les mettaient en fuite, et +l'on attribuait à leur son béni la vertu d'apaiser les violents<a id="footnotetag1106" name="footnotetag1106"></a><a href="#footnote1106" title="Lien vers la note 1106"><span class="smaller">[1106]</span></a>. +Madame sainte Catherine, qui chaque jour visitait <span class="pagenum"><a id="page399" name="page399"></a>(p. 399)</span> Jeanne, +était la patronne des cloches et des sonneurs. Aussi beaucoup de +cloches portaient son nom. Jeanne, dans le son de ses cloches, comme +dans le bruit des feuilles, entendait ses Voix. Rarement elle les +entendait sans voir une lumière du côté d'où elles venaient<a id="footnotetag1107" name="footnotetag1107"></a><a href="#footnote1107" title="Lien vers la note 1107"><span class="smaller">[1107]</span></a>. Ces +voix l'appelaient «Jeanne, fille de Dieu<a id="footnotetag1108" name="footnotetag1108"></a><a href="#footnote1108" title="Lien vers la note 1108"><span class="smaller">[1108]</span></a>!» Souvent l'archange et +les saintes lui apparaissaient. Pour leur bienvenue elle leur faisait +la révérence en fléchissant le jarret et en s'inclinant; elle les +accolait par les genoux, sachant qu'il y a plus de respect à accoler +par le bas que par le haut. Elle sentait la bonne odeur et la douce +chaleur de leurs corps glorieux<a id="footnotetag1109" name="footnotetag1109"></a><a href="#footnote1109" title="Lien vers la note 1109"><span class="smaller">[1109]</span></a>.</p> + +<p>Saint Michel archange ne venait pas seul. Des anges l'accompagnaient +en grande multitude et si petits qu'ils dansaient comme des étincelles +aux yeux éblouis de la jeune fille. Quand les saintes et l'archange +s'éloignaient, elle pleurait du regret qu'ils ne l'eussent pas +emportée avec eux<a id="footnotetag1110" name="footnotetag1110"></a><a href="#footnote1110" title="Lien vers la note 1110"><span class="smaller">[1110]</span></a>. Ainsi Judith fut visitée par l'ange dans le +camp d'Holopherne.</p> + +<p>Tout comme le seigneur d'Harcourt, l'écuyer Jean d'Aulon demanda un +jour, à Jeanne, ce qu'était son Conseil. Elle lui répondit qu'elle +avait trois conseillers, dont l'un demeurait toujours avec elle. Un +autre allait <span class="pagenum"><a id="page400" name="page400"></a>(p. 400)</span> et venait souventes fois; le troisième était +celui avec lequel les deux autres délibéraient.</p> + +<p>Le sire d'Aulon, plus curieux que le roi, la pria et requit de lui +vouloir une fois montrer ce Conseil.</p> + +<p>Elle lui répondit:</p> + +<p>—Vous n'êtes pas assez digne et vertueux pour le voir<a id="footnotetag1111" name="footnotetag1111"></a><a href="#footnote1111" title="Lien vers la note 1111"><span class="smaller">[1111]</span></a>.</p> + +<p>Le bon écuyer n'en demanda pas davantage. S'il avait lu la Bible, il +aurait su que le serviteur d'Élisée ne voyait pas les anges que voyait +le prophète (<i>Rois</i>, 1. IV).</p> + +<p>Jeanne s'imaginait que son Conseil s'était, au contraire, manifesté au +roi et à la Cour.</p> + +<p>—Mon roi, dit-elle plus tard, mon roi et bien d'autres ont vu et +entendu les Voix qui venaient à moi. Le comte de Clermont était alors +près de lui avec deux ou trois autres<a id="footnotetag1112" name="footnotetag1112"></a><a href="#footnote1112" title="Lien vers la note 1112"><span class="smaller">[1112]</span></a>.</p> + +<p>Elle le croyait. Mais, en réalité, elle ne fit voir ses Voix à +personne, pas même, quoi qu'on en ait dit, à ce Guy de Cailly qui la +suivait depuis Chécy<a id="footnotetag1113" name="footnotetag1113"></a><a href="#footnote1113" title="Lien vers la note 1113"><span class="smaller">[1113]</span></a>.</p> + +<p>Jeanne s'entretenait dévotement avec le frère Pasquerel. Elle lui +témoignait souvent le désir que l'Église après sa mort priât pour elle +et pour tous les Français tués à la guerre.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page401" name="page401"></a>(p. 401)</span> —Si je venais à quitter ce monde, lui disait-elle, je +voudrais bien que le roi fît faire des chapelles où l'on prierait +Messire pour le salut des âmes de ceux qui sont morts à la guerre ou +pour la défense du royaume<a id="footnotetag1114" name="footnotetag1114"></a><a href="#footnote1114" title="Lien vers la note 1114"><span class="smaller">[1114]</span></a>.</p> + +<p>Cela était dans les vœux de toute âme pieuse. Quel chrétien au +monde n'aurait pas tenu pour bonne et salutaire la pratique des obits? +Aussi, sur ce point de dévotion, la Pucelle se rencontrait avec le duc +Charles d'Orléans, qui, dans une de ses complaintes, recommande de +faire chanter et dire des messes pour les âmes de ceux qui souffrirent +dure mort au service du royaume<a id="footnotetag1115" name="footnotetag1115"></a><a href="#footnote1115" title="Lien vers la note 1115"><span class="smaller">[1115]</span></a>.</p> + +<p>Elle dit un jour au bon frère:</p> + +<p>—Il est dans mon fait de porter certain secours.</p> + +<p>Et Pasquerel, qui pourtant avait étudié la Bible, s'écria tout +surpris:</p> + +<p>—On ne vit jamais rien de semblable à ce qui se voit en votre fait. +On ne lit rien de tel en aucun livre.</p> + +<p>Jeanne lui répondit plus hardiment encore qu'aux clercs de Poitiers:</p> + +<p>—Messire a un livre dans lequel jamais n'a lu aucun clerc, tant +soit-il parfait en cléricature<a id="footnotetag1116" name="footnotetag1116"></a><a href="#footnote1116" title="Lien vers la note 1116"><span class="smaller">[1116]</span></a>.</p> + +<p>Elle tenait sa mission de Dieu seul et lisait dans un livre fermé à +tous les docteurs de l'Église. <span class="pagenum"><a id="page402" name="page402"></a>(p. 402)</span> Sur l'avers de son étendard, +que ses mendiants aspergeaient d'eau bénite, elle avait fait peindre +une colombe portant dans son bec une banderole où se lisaient ces +mots: «par le Roi du ciel<a id="footnotetag1117" name="footnotetag1117"></a><a href="#footnote1117" title="Lien vers la note 1117"><span class="smaller">[1117]</span></a>.» C'étaient là des armoiries qu'elle +tenait de son Conseil et dont l'emblème et la devise semblaient lui +convenir, puisqu'elle se disait envoyée de Dieu et qu'elle avait donné +à Orléans le signe promis à Poitiers. Pourtant le roi lui changea cet +écu contre des armes représentant une couronne soutenue par une épée +entre deux fleurs de Lis et disant clairement le secours que la +pucelle de Dieu apportait au royaume de France. Elle quitta, dit-on, à +regret ses armes reçues par révélation<a id="footnotetag1118" name="footnotetag1118"></a><a href="#footnote1118" title="Lien vers la note 1118"><span class="smaller">[1118]</span></a>.</p> + +<p>Elle prophétisait et comme il arrive à tous les prophètes, elle +n'annonçait pas toujours ce qui devait arriver. Ce fut le sort du +prophète Jonas lui-même. Et les docteurs expliquent comment les +prophéties des véritables prophètes peuvent ne pas toutes être vraies.</p> + +<p>Elle disait:</p> + +<p>—Avant que le jour de la Saint-Jean-Baptiste de l'an 29 arrive, il ne +doit pas y avoir un Anglais si fort et si vaillant soit-il, qui se +laisse voir par la France, soit en campagne, soit en bataille<a id="footnotetag1119" name="footnotetag1119"></a><a href="#footnote1119" title="Lien vers la note 1119"><span class="smaller">[1119]</span></a>.</p> + +<p>La nativité de saint Jean-Baptiste se célèbre le 24 juin.</p> + + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page403" name="page403"></a>(p. 403)</span> CHAPITRE XV<br> + +<span class="smaller">LA PRISE DE JARGEAU. — LE PONT DE MEUNG. — BEAUGENCY.</span></h2> + + +<p>Le lundi 6 juin, le roi logea à Saint-Aignan, près +Selles-en-Berry<a id="footnotetag1120" name="footnotetag1120"></a><a href="#footnote1120" title="Lien vers la note 1120"><span class="smaller">[1120]</span></a>. Parmi les gentilshommes de sa compagnie se +trouvaient les deux fils de cette dame Anne de Laval qui, dans son +veuvage, avait eu le tort d'aimer un cadet sans terres. André, le plus +jeune, venait d'essuyer, à vingt ans, une disgrâce commune à presque +tous les seigneurs d'alors, et que le second mari de sa grand'mère, +sire Bertrand Du Guesclin, avait lui-même plusieurs fois éprouvée. +Fait prisonnier, dans le château de Laval, par sire John Talbot, il +s'était beaucoup endetté pour fournir les seize mille écus d'or de sa +rançon<a id="footnotetag1121" name="footnotetag1121"></a><a href="#footnote1121" title="Lien vers la note 1121"><span class="smaller">[1121]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page404" name="page404"></a>(p. 404)</span> Ayant grand besoin de gagner, les deux jeunes seigneurs +offraient leurs services au roi qui les reçut fort bien, ne leur donna +pas un écu, mais leur dit qu'il leur ferait voir la Pucelle; et comme +il se rendait de Saint-Aignan à Selles avec eux, il manda la +sainte<a id="footnotetag1122" name="footnotetag1122"></a><a href="#footnote1122" title="Lien vers la note 1122"><span class="smaller">[1122]</span></a>, qui aussitôt, armée de toutes pièces sauf la tête, la +lance à la main, chevaucha à la rencontre du roi. Elle fit bonne chère +aux deux jeunes seigneurs et retourna avec eux à Selles. Elle reçut +l'aîné, le seigneur Guy, dans la maison qu'elle habitait, devant +l'église, et fit venir le vin. Ainsi en usaient les princes entre eux. +On servait des tasses de vin et les convives y trempaient des tranches +de pain, qu'on appelait des soupes<a id="footnotetag1123" name="footnotetag1123"></a><a href="#footnote1123" title="Lien vers la note 1123"><span class="smaller">[1123]</span></a>. En offrant le vin, la +Pucelle dit au seigneur Guy:</p> + +<p>—Je vous en ferai bientôt boire à Paris.</p> + +<p>Elle lui apprit que trois jours auparavant, elle avait envoyé à la +dame Jeanne de Laval un anneau d'or:</p> + +<p>—C'est bien petite chose, ajouta-t-elle avec grâce. Je lui aurais +volontiers envoyé mieux, considéré sa recommandation<a id="footnotetag1124" name="footnotetag1124"></a><a href="#footnote1124" title="Lien vers la note 1124"><span class="smaller">[1124]</span></a>.</p> + +<p>Ce même jour, à l'heure de vêpres, elle partit de Selles pour +Romorantin, avec une compagnie nombreuse <span class="pagenum"><a id="page405" name="page405"></a>(p. 405)</span> de gens d'armes et +de gens des communes, commandée par le maréchal de Boussac. Elle était +entourée de moines mendiants et un de ses frères l'accompagnait. Armée +de blanc, et coiffée d'un chaperon, on lui amena son cheval à la porte +de sa maison. C'était un grand coursier noir qui ne voulait pas se +laisser monter et se défendait très fort. Elle le fit mener à la croix +qui s'élevait devant l'église au bord du chemin, et là, se mit en +selle. De quoi le seigneur Guy fut assez émerveillé, voyant que le +coursier ne se mouvait pas plus que s'il eût été lié. Elle tourna la +tête de son cheval vers le porche et cria d'une voix qui sonnait clair +comme une voix de femme:</p> + +<p>—Vous, les prêtres et gens d'église, faites processions et prières à +Dieu.</p> + +<p>Puis, gagnant la route:</p> + +<p>—Tirez avant, dit-elle, tirez avant!</p> + +<p>Elle tenait à la main une petite hache. Son page portait son étendard +roulé<a id="footnotetag1125" name="footnotetag1125"></a><a href="#footnote1125" title="Lien vers la note 1125"><span class="smaller">[1125]</span></a>.</p> + +<p>On se réunit à Orléans. Le jeudi 9 au soir, Jeanne passa le pont +qu'elle avait passé le 8 mai. Le samedi 11, l'armée partit pour +Jargeau. Elle se composait des lances amenées par le duc d'Alençon, le +comte de Vendôme, le Bâtard, le maréchal de Boussac, le capitaine La +Hire, messire Florent d'Illiers, messire Jamet du Tillay, messire +Thudal de Kermoisan de Bretagne, ainsi <span class="pagenum"><a id="page406" name="page406"></a>(p. 406)</span> que des contingents +fournis par les communes, en tout peut-être huit mille combattants, +dont plusieurs portant guisarmes, haches, arbalètes et maillets de +plomb<a id="footnotetag1126" name="footnotetag1126"></a><a href="#footnote1126" title="Lien vers la note 1126"><span class="smaller">[1126]</span></a>. Le commandement en fut donné au jeune duc d'Alençon qui +n'était pas bien sensé<a id="footnotetag1127" name="footnotetag1127"></a><a href="#footnote1127" title="Lien vers la note 1127"><span class="smaller">[1127]</span></a>. Mais il se tenait à cheval, et c'était +alors la seule science indispensable à un chef de guerre. Les +habitants d'Orléans faisaient encore les frais de l'expédition. Ils +donnèrent trois mille livres pour payer les gens d'armes, sept muids +de blé pour les nourrir. Et, sur leur demande, le roi leur imposa une +nouvelle taille de trois mille livres<a id="footnotetag1128" name="footnotetag1128"></a><a href="#footnote1128" title="Lien vers la note 1128"><span class="smaller">[1128]</span></a>. Ils envoyèrent des +ouvriers de tous corps de métiers, maçons, charpentiers, maréchaux, à +leurs gages. Ils prêtèrent leur artillerie. Des couleuvrines, des +canons, la Bergère et la grosse bombarde traînée à quatre chevaux, +partirent sous la conduite des canonniers Megret et Jean +Boillève<a id="footnotetag1129" name="footnotetag1129"></a><a href="#footnote1129" title="Lien vers la note 1129"><span class="smaller">[1129]</span></a>. Ils fournirent des munitions et des engins, traits, +échelles, pioches, pelles, pics, le tout poinçonné, car ils étaient +gens d'ordre. Et c'est à la Pucelle qu'ils envoyèrent tout le matériel +de siège. Ils ne connaissaient en cette affaire ni le duc d'Alençon, +ni même le frère de leur <span class="pagenum"><a id="page407" name="page407"></a>(p. 407)</span> seigneur, le noble Bâtard. Ils ne +connaissaient que Jeanne, et c'est à Jeanne qu'ils dépêchèrent, sous +la ville assiégée, deux des leurs, Jean Leclerc et François +Joachim<a id="footnotetag1130" name="footnotetag1130"></a><a href="#footnote1130" title="Lien vers la note 1130"><span class="smaller">[1130]</span></a>. Après les citoyens d'Orléans, ce fut le sire de Rais +qui contribua le plus aux dépenses du siège de Jargeau<a id="footnotetag1131" name="footnotetag1131"></a><a href="#footnote1131" title="Lien vers la note 1131"><span class="smaller">[1131]</span></a>. Ce +malheureux seigneur dépensait sans compter, et de riches bourgeois +gagnaient gros à lui prêter sur gages. Il devait bientôt se vouer au +diable pour rétablir ses affaires.</p> + +<p>La ville de Jargeau, qu'on allait reprendre à grandes forces, s'était +rendue aux Anglais sans nulle résistance, le 5 octobre de la +précédente année<a id="footnotetag1132" name="footnotetag1132"></a><a href="#footnote1132" title="Lien vers la note 1132"><span class="smaller">[1132]</span></a>. Le pont conduisant de la ville sur la rive de +Beauce était muni de deux châtelets<a id="footnotetag1133" name="footnotetag1133"></a><a href="#footnote1133" title="Lien vers la note 1133"><span class="smaller">[1133]</span></a>. La ville elle-même, +entourée de murs et de tours, n'était pas très forte, mais les Anglais +l'avaient mise en état de défense. Avertis que les gens du roi de +France la venaient assiéger, le comte de Suffolk et ses deux frères +s'y jetèrent avec cinq cents chevaliers, écuyers et autres gens +d'armes, et deux cents archers d'élite<a id="footnotetag1134" name="footnotetag1134"></a><a href="#footnote1134" title="Lien vers la note 1134"><span class="smaller">[1134]</span></a>. Le duc d'Alençon prit +les devants et <span class="pagenum"><a id="page408" name="page408"></a>(p. 408)</span> chevaucha à la tête de six cents lances. La +Pucelle se tenait en sa compagnie. La première nuit ils couchèrent +dans les bois<a id="footnotetag1135" name="footnotetag1135"></a><a href="#footnote1135" title="Lien vers la note 1135"><span class="smaller">[1135]</span></a>. Le lendemain, à la pointe du jour, monseigneur le +Bâtard, messire Florent d'Illiers et plusieurs autres capitaines les +rejoignirent. Ils avaient grande hâte d'atteindre Jargeau. Soudain on +apprend que sir John Falstolf, venant de Paris avec deux mille +combattants, amène des vivres et de l'artillerie à Jargeau, et qu'il +approche<a id="footnotetag1136" name="footnotetag1136"></a><a href="#footnote1136" title="Lien vers la note 1136"><span class="smaller">[1136]</span></a>.</p> + +<p>C'était cette même armée qui avait tant inquiété Jeanne, le 4 mai, +parce que ses saintes ne lui avaient pas dit où était Falstolf. Les +capitaines tinrent conseil. Plusieurs jugeaient qu'il fallait renoncer +au siège et aller à la rencontre de Falstolf. Quelques-uns décampèrent +sans attendre davantage. Jeanne exhorta les gens d'armes à continuer +leur marche sur Jargeau. Elle ne savait pas mieux que les autres où +était pour lors cette armée de sir John Falstolf; ses raisons +n'étaient point de ce monde.</p> + +<p>—Ne craignez quelque multitude que ce soit, dit-elle, et ne faites +point difficulté de donner l'assaut aux Anglais, car Messire conduit +cet ouvrage.</p> + +<p>Et elle dit encore:</p> + +<p>—Si je n'étais certaine que Messire conduit cet <span class="pagenum"><a id="page409" name="page409"></a>(p. 409)</span> ouvrage, +j'aimerais mieux garder les brebis que de m'exposer à de si grands +dangers.</p> + +<p>Elle se faisait écouter du duc d'Alençon mieux qu'elle n'avait fait +d'aucun des chefs de l'armée d'Orléans<a id="footnotetag1137" name="footnotetag1137"></a><a href="#footnote1137" title="Lien vers la note 1137"><span class="smaller">[1137]</span></a>. On rappela ceux qui +étaient partis et l'on poursuivit la marche sur Jargeau<a id="footnotetag1138" name="footnotetag1138"></a><a href="#footnote1138" title="Lien vers la note 1138"><span class="smaller">[1138]</span></a>.</p> + +<p>Les faubourgs de la ville étaient ouverts. Mais les gens du roi de +France, quand ils s'en approchèrent, trouvèrent les Anglais qui, +rangés en avant des masures, les contraignirent à reculer. Ce que +voyant, la Pucelle prit son étendard et se jeta sur les ennemis en +recommandant aux hommes d'armes d'avoir bon courage. Les gens du roi +de France purent loger cette nuit-là dans les faubourg<a id="footnotetag1139" name="footnotetag1139"></a><a href="#footnote1139" title="Lien vers la note 1139"><span class="smaller">[1139]</span></a>. Ils ne +firent pour ainsi dire aucune garde et, de l'aveu du duc d'Alençon, +ils étaient en grand danger, si les Anglais étaient sortis<a id="footnotetag1140" name="footnotetag1140"></a><a href="#footnote1140" title="Lien vers la note 1140"><span class="smaller">[1140]</span></a>. La +Pucelle avait raison plus qu'elle ne croyait. Tout dans son armée +allait à la grâce de Dieu.</p> + +<p>Dès le lendemain matin les assiégeants firent avancer les machines et +les bombardes. Les canons d'Orléans tirèrent sur la ville qui fut très +endommagée. En trois coups la Bergère fit choir la plus grosse tour de +l'enceinte<a id="footnotetag1141" name="footnotetag1141"></a><a href="#footnote1141" title="Lien vers la note 1141"><span class="smaller">[1141]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page410" name="page410"></a>(p. 410)</span> Les gens des communes arrivèrent devant Jargeau le samedi 11. +Aussitôt sans demander conseil, ils coururent aux fossés et donnèrent +l'assaut. Ils y allèrent de trop bon cœur, s'y prirent mal, ne +furent pas aidés par les gens d'armes et revinrent en mauvais +état<a id="footnotetag1142" name="footnotetag1142"></a><a href="#footnote1142" title="Lien vers la note 1142"><span class="smaller">[1142]</span></a>.</p> + +<p>Dans la nuit du samedi, la Pucelle, qui avait coutume de sommer +l'ennemi avant de le combattre, s'approcha du fossé et cria aux +Anglais:</p> + +<p>—Rendez la place au Roi du ciel et au roi Charles, et vous en allez. +Autrement il vous mescherra<a id="footnotetag1143" name="footnotetag1143"></a><a href="#footnote1143" title="Lien vers la note 1143"><span class="smaller">[1143]</span></a>.</p> + +<p>Les Anglais ne tinrent nul compte de cette sommation. Pourtant ils +avaient grande envie d'entrer en accommodement. Le comte de Suffolk +alla trouver monseigneur le Bâtard et lui dit de ne point donner +l'assaut, et que la ville lui serait rendue. Les Anglais demandaient +un délai de quinze jours, après quoi ils s'engageaient à se retirer +sur l'heure, eux et leurs chevaux, à la condition, sans doute, de +n'être pas secourus à cette date<a id="footnotetag1144" name="footnotetag1144"></a><a href="#footnote1144" title="Lien vers la note 1144"><span class="smaller">[1144]</span></a>. Ces capitulations +conditionnelles étaient fréquentes dans les deux partis. Le sire de +Baudricourt en avait signé une semblable à Vaucouleurs quand Jeanne y +vint<a id="footnotetag1145" name="footnotetag1145"></a><a href="#footnote1145" title="Lien vers la note 1145"><span class="smaller">[1145]</span></a>. Dans ce cas, c'eût été une duperie de consentir à la +demande du noble comte au moment où <span class="pagenum"><a id="page411" name="page411"></a>(p. 411)</span> sir John Falstolf +arrivait avec des vivres et des canons<a id="footnotetag1146" name="footnotetag1146"></a><a href="#footnote1146" title="Lien vers la note 1146"><span class="smaller">[1146]</span></a>. Que le Bâtard donnât +dans le panneau, on l'a dit; mais ce n'est pas croyable. Il était bien +trop avisé pour cela. Toutefois, le lendemain dimanche, douzième du +mois, le duc d'Alençon et les seigneurs, tenant conseil sur ce qu'il y +avait à faire pour prendre la ville, apprirent que le capitaine La +Hire conférait avec le comte de Suffolk. Ils en furent très +mécontents<a id="footnotetag1147" name="footnotetag1147"></a><a href="#footnote1147" title="Lien vers la note 1147"><span class="smaller">[1147]</span></a>. Le capitaine La Hire, qui ne pouvait traiter en son +propre nom, puisqu'il n'était pas chef de l'armée, avait sans doute +les pouvoirs de monseigneur le Bâtard. Celui-ci commandait pour le +duc, prisonnier des Anglais, tandis que le duc d'Alençon commandait +pour le roi, et l'on conçoit qu'il y eût conflit.</p> + +<p>La Pucelle, toujours disposée à recevoir les ennemis à merci et +toujours prête à combattre, disait:</p> + +<p>—Qu'ils s'en aillent de Jargeau en leurs petites cottes, la vie +sauve, s'ils veulent! Sinon ils seront pris d'assaut<a id="footnotetag1148" name="footnotetag1148"></a><a href="#footnote1148" title="Lien vers la note 1148"><span class="smaller">[1148]</span></a>.</p> + +<p>Le duc d'Alençon, sans seulement s'enquérir des clauses de la +capitulation, fit rappeler le capitaine La Hire.</p> + +<p>Il vint et aussitôt on apporta les échelles. Les hérauts sonnèrent la +trompette et crièrent: «À l'assaut!»</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page412" name="page412"></a>(p. 412)</span> La Pucelle déploya son étendard et, toute armée, la tête +recouverte d'un de ces casques légers qu'on nommait chapelines<a id="footnotetag1149" name="footnotetag1149"></a><a href="#footnote1149" title="Lien vers la note 1149"><span class="smaller">[1149]</span></a>, +elle descendit dans le fossé avec les gens du roi et les gens des +communes, sous les traits des arbalètes et les pierres des canons; +elle se tenait au coté du duc d'Alençon, lui disant:</p> + +<p>—En avant! gentil duc, à l'assaut!</p> + +<p>Le duc, qui n'avait pas le cœur aussi ferme qu'elle, trouvait +qu'elle allait peut-être un peu vite en besogne. Il le lui laissa +entendre.</p> + +<p>Alors elle l'encouragea:</p> + +<p>—Ne craignez point. L'heure est favorable quand il plaît à Dieu, et +il est à propos d'ouvrer quand Dieu le veut. Ouvrez et Dieu ouvrera.</p> + +<p>Et le voyant mal assuré en cet assaut, elle lui rappela la promesse +qu'elle avait faite naguère à son sujet dans l'abbaye de +Saint-Florent-lès-Saumur.</p> + +<p>—Oh! gentil duc, avez-vous peur? Ne savez-vous pas que j'ai promis à +votre femme de vous ramener sain et sauf<a id="footnotetag1150" name="footnotetag1150"></a><a href="#footnote1150" title="Lien vers la note 1150"><span class="smaller">[1150]</span></a>?</p> + +<p>Au vif de l'attaque, elle observa sur la muraille une de ces bombardes +très longues et minces, qui se chargeaient par la culasse et qu'on +appelait veuglaires. Voyant que ce veuglaire crachait des pierres à +l'endroit même où elle se trouvait avec le beau cousin du roi, +<span class="pagenum"><a id="page413" name="page413"></a>(p. 413)</span> elle sentit le danger, mais ne le sentit point pour elle.</p> + +<p>—Éloignez-vous, dit-elle vivement. Cette machine va vous tuer.</p> + +<p>Le duc ne s'était pas écarté de trois toises, qu'un gentilhomme +d'Anjou, le sire Du Lude, ayant pris la place quittée, fut tué par une +pierre du veuglaire<a id="footnotetag1151" name="footnotetag1151"></a><a href="#footnote1151" title="Lien vers la note 1151"><span class="smaller">[1151]</span></a>. Le duc d'Alençon admira cette prophétie. +Sans doute la Pucelle était venue pour le sauver, et elle n'était pas +venue pour sauver le sire Du Lude. Les anges du Seigneur viennent pour +le salut des uns et la perte des autres. Comme les gens du roi de +France touchaient au mur, le comte de Suffolk fit crier qu'il voulait +parler au duc d'Alençon. Il ne fut pas écouté et l'assaut +continua<a id="footnotetag1152" name="footnotetag1152"></a><a href="#footnote1152" title="Lien vers la note 1152"><span class="smaller">[1152]</span></a>.</p> + +<p>Il y avait quatre heures qu'on s'efforçait<a id="footnotetag1153" name="footnotetag1153"></a><a href="#footnote1153" title="Lien vers la note 1153"><span class="smaller">[1153]</span></a>, quand Jeanne, son +étendard à la main, monta sur une échelle appuyée à la douve. Une +pierre lancée sur sa chapeline l'abattit avec ses panonceaux. On la +croyait écrasée, mais elle se releva vivement et cria aux hommes +d'armes:</p> + +<p>—Amis, amis, sus, sus! Messire a condamné les Anglais. À cette heure, +ils sont nôtres. Ayez bon cœur<a id="footnotetag1154" name="footnotetag1154"></a><a href="#footnote1154" title="Lien vers la note 1154"><span class="smaller">[1154]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page414" name="page414"></a>(p. 414)</span> Le mur fut escaladé et les gens du roi de France se +répandirent dans la ville. Les Anglais s'enfuirent vers la Beauce, et +les Français se lancèrent à leur poursuite. Guillaume Regnault, écuyer +d'Auvergne, atteignit sur le pont le comte de Suffolk et le prit.</p> + +<p>—Êtes-vous gentilhomme? demanda Suffolk.</p> + +<p>—Oui.</p> + +<p>—Êtes-vous chevalier?</p> + +<p>—Non.</p> + +<p>Le comte de Suffolk le fit chevalier et se rendit à lui<a id="footnotetag1155" name="footnotetag1155"></a><a href="#footnote1155" title="Lien vers la note 1155"><span class="smaller">[1155]</span></a>.</p> + +<p>Bientôt le bruit courut que le comte de Suffolk s'était rendu à la +Pucelle à genoux<a id="footnotetag1156" name="footnotetag1156"></a><a href="#footnote1156" title="Lien vers la note 1156"><span class="smaller">[1156]</span></a>. On publia même qu'il avait demandé à se rendre +à elle comme à la plus vaillante dame qui fût au monde<a id="footnotetag1157" name="footnotetag1157"></a><a href="#footnote1157" title="Lien vers la note 1157"><span class="smaller">[1157]</span></a>. Mais il +est croyable qu'il se serait rendu au dernier valet de l'armée plutôt +qu'à une femme qu'il tenait pour endiablée sorcière.</p> + +<p>John Pole, frère de Suffolk, fut pris aussi sur le pont. Un troisième +frère du duc, Alexander Pole, fut tué au même endroit ou se noya dans +la Loire<a id="footnotetag1158" name="footnotetag1158"></a><a href="#footnote1158" title="Lien vers la note 1158"><span class="smaller">[1158]</span></a>. La garnison se rendit à merci. Il en fut cette fois +comme <span class="pagenum"><a id="page415" name="page415"></a>(p. 415)</span> d'ordinaire. On ne se faisait pas grand mal pendant la +bataille; ensuite, les vainqueurs se rattrapaient. Cinq cents Anglais +furent massacrés; seuls leurs gentilshommes furent reçus à rançon. Et +les Français se prirent de querelle à leur sujet. Les seigneurs les +gardaient tous pour eux; les gens des communes en réclamaient leur +part, et, ne l'obtenant point, se mirent à tout assommer. Ce que les +nobles purent sauver fut conduit par eau, de nuit, à Orléans. La ville +fut entièrement saccagée; la vieille église, qui avait servi de +magasin aux Godons, toute pillée<a id="footnotetag1159" name="footnotetag1159"></a><a href="#footnote1159" title="Lien vers la note 1159"><span class="smaller">[1159]</span></a>.</p> + +<p>Tant tués que blessés, les Français n'avaient pas perdu vingt +hommes<a id="footnotetag1160" name="footnotetag1160"></a><a href="#footnote1160" title="Lien vers la note 1160"><span class="smaller">[1160]</span></a>.</p> + +<p>Sans désemparer la Pucelle, avec la chevalerie, retourna à Orléans. À +l'occasion de la prise de Jargeau, les procureurs ordonnèrent une +procession publique. Un beau sermon fut fait par frère Robert +Baignart, Jacobin<a id="footnotetag1161" name="footnotetag1161"></a><a href="#footnote1161" title="Lien vers la note 1161"><span class="smaller">[1161]</span></a>.</p> + +<p>Les habitants d'Orléans firent présent au duc d'Alençon de six +tonneaux de vin; à la Pucelle de quatre; au comte de Vendôme de +deux<a id="footnotetag1162" name="footnotetag1162"></a><a href="#footnote1162" title="Lien vers la note 1162"><span class="smaller">[1162]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page416" name="page416"></a>(p. 416)</span> En considération des bons et agréables services que la sainte +fille avait rendus, les conseillers du duc Charles, prisonnier des +Anglais, lui donnèrent une huque verte et une robe de drap cramoisi de +Flandre ou fine Bruxelles vermeille. Jean Luillier, qui fournit +l'étoffe, demanda: pour deux aunes de fine Bruxelles, à quatre écus +l'aune, huit écus; pour la doublure de la robe, deux écus; pour une +aune de vert perdu deux écus, ce qui faisait douze écus d'or<a id="footnotetag1163" name="footnotetag1163"></a><a href="#footnote1163" title="Lien vers la note 1163"><span class="smaller">[1163]</span></a>. +Jean Luillier était un jeune marchand drapier qui aimait grandement la +Pucelle et la regardait comme un ange de Dieu. Il avait bon cœur: +mais la peur des Anglais lui donnait la berlue et il en voyait plus +qu'il n'y en avait<a id="footnotetag1164" name="footnotetag1164"></a><a href="#footnote1164" title="Lien vers la note 1164"><span class="smaller">[1164]</span></a>. Un de ses parents faisait partie du conseil +élu en 1429. Il devait lui-même être nommé procureur un peu plus +tard<a id="footnotetag1165" name="footnotetag1165"></a><a href="#footnote1165" title="Lien vers la note 1165"><span class="smaller">[1165]</span></a>.</p> + +<p>Jean Bourgeois, tailleur, demanda, tant pour la façon de la robe et de +la huque que pour fourniture de satin blanc, sandal et autres étoffes, +un écu d'or<a id="footnotetag1166" name="footnotetag1166"></a><a href="#footnote1166" title="Lien vers la note 1166"><span class="smaller">[1166]</span></a>.</p> + +<p>Précédemment la ville avait donné à la Pucelle pour faire les «orties» +de ses robes une demi-aune de deux verts, valant trente-cinq sols +parisis<a id="footnotetag1167" name="footnotetag1167"></a><a href="#footnote1167" title="Lien vers la note 1167"><span class="smaller">[1167]</span></a>. Les orties étaient la devise du duc d'Orléans; le vert +et le vermeil ou <span class="pagenum"><a id="page417" name="page417"></a>(p. 417)</span> cramoisi, ses couleurs<a id="footnotetag1168" name="footnotetag1168"></a><a href="#footnote1168" title="Lien vers la note 1168"><span class="smaller">[1168]</span></a>. Ce vert ne +gardait pas sa claire nuance première; il allait s'assombrissant avec +la fortune de la maison. On avait vu le vert gai, puis le vert brun, +et enfin le vert perdu, qui tirait sur le noir et signifiait deuil et +douleur<a id="footnotetag1169" name="footnotetag1169"></a><a href="#footnote1169" title="Lien vers la note 1169"><span class="smaller">[1169]</span></a>. On donna à la Pucelle le vert perdu. Elle portait la +livrée d'Orléans, ainsi que les officiers du duché et les miliciens de +la ville, et de la sorte, on faisait d'elle un merveilleux héraut +d'armes et comme un ange héraldique.</p> + +<p>La huque de vert perdu et la robe brodée d'orties, elle dut les porter +volontiers et de bon cœur pour l'amour du duc Charles à qui les +Anglais avaient fait si grand déplaisir. Venue pour défendre +l'héritage du prince prisonnier, elle disait que, de par Jésus, le bon +duc d'Orléans était à sa charge, et comptait bien le délivrer. Son +dessein était de sommer tout d'abord les Anglais de le rendre et, +s'ils n'y consentaient point, de passer la mer et de l'aller chercher +avec une armée en Angleterre. Au cas où ce moyen lui manquerait, elle +en avait imaginé un autre, avec le congé de ses saintes. Elle aurait +demandé à son roi qu'il la laissât faire des prisonniers, comptant en +faire assez pour les échanger contre le duc Charles. Mesdames sainte +Catherine et sainte Marguerite lui avaient promis <span class="pagenum"><a id="page418" name="page418"></a>(p. 418)</span> que, de +cette manière, elle le délivrerait dans un terme plus bref que celui +de trois ans et plus long que le terme d'une année<a id="footnotetag1170" name="footnotetag1170"></a><a href="#footnote1170" title="Lien vers la note 1170"><span class="smaller">[1170]</span></a>. Rêves pieux +d'une enfant endormie au son des cloches villageoises! Trouvant juste +de travailler et de souffrir pour ôter les princes de peine et +d'ennui, elle disait, en bonne servante:</p> + +<p>—Je sais bien que Dieu aime mieux mon roi et le duc d'Orléans que +moi, en ce qui regarde l'aise du corps, et je le sais par révélation.</p> + +<p>Et parlant du duc prisonnier, elle disait aussi:</p> + +<p>—Mes Voix m'ont fait beaucoup de révélations sur lui; elles m'en ont +fait sur le duc Charles plus que sur homme vivant, excepté mon +roi<a id="footnotetag1171" name="footnotetag1171"></a><a href="#footnote1171" title="Lien vers la note 1171"><span class="smaller">[1171]</span></a>.</p> + +<p>Dans le fait, madame sainte Catherine et madame sainte Marguerite lui +avaient seulement conté les malheurs tant connus du prince. Le fils de +Valentine de Milan et la fille d'Isabelle Romée étaient séparés par un +abîme plus large et plus profond que l'océan qui s'étendait entre eux. +Ils vivaient aux deux bouts du monde des âmes; et toutes les saintes +du paradis n'eussent pas réussi à les expliquer l'un à l'autre.</p> + +<p>C'était pourtant un bon prince que le duc Charles, un prince +débonnaire, bienveillant et pitoyable. Plus qu'aucun autre il +possédait le don de plaire: il charmait par sa grâce, encore que de +pauvre mine et de faible <span class="pagenum"><a id="page419" name="page419"></a>(p. 419)</span> complexion. Sa nature s'accordait +si mal avec sa destinée, qu'on peut dire qu'il endurait sa vie et ne +la vivait pas. Son père assassiné la nuit, rue Barbette, à Paris, par +l'ordre du duc Jean; sa mère morte de douleur et de colère, parmi les +cordelières, la chantepleure, les deux S de Soupirs et Souci, emblèmes +et devises de son deuil, qui révélaient l'élégance d'un esprit +ingénieux jusque dans le désespoir; les Armagnacs, les Bourguignons, +les Cabochiens s'entre-égorgeant autour de lui, voilà ce qu'il avait +vu presque enfant encore. Puis il avait été blessé et pris à la +bataille d'Azincourt.</p> + +<p>Et depuis quatorze ans, mené de châteaux en châteaux, d'un bout à +l'autre de l'île brumeuse, enfermé dans des murs épais, étroitement +gardé, recevant deux ou trois Français à longs intervalles et n'en +pouvant entretenir aucun sans témoins, il se sentait vieux avant +l'âge, flétri par le malheur. Il disait: «Fruit abattu vert encore, je +fus mis à mûrir sur la paille de la prison. Je suis un fruit d'hiver». +Captif, il souffrait sans espoir, sachant que le roi Henri V, en +mourant, avait recommandé à son frère de ne le rendre à aucun +prix<a id="footnotetag1172" name="footnotetag1172"></a><a href="#footnote1172" title="Lien vers la note 1172"><span class="smaller">[1172]</span></a>.</p> + +<p>Doux à autrui, doux à lui-même, il se réfugiait dans sa propre pensée, +qui était aussi riante et claire que sa vie était triste et sombre. Au +fond des durs châteaux <span class="pagenum"><a id="page420" name="page420"></a>(p. 420)</span> de Windsor et de Bolingbroke, à la +tour de Londres, aux côtés de ses geôliers, il vivait et respirait +dans le monde ingénieux du Roman de la Rose. Vénus, Cupidon, Espoir, +Bon-Accueil, Plaisance, Pitié, Danger, Tristesse, Soin, Mélancolie, +Doux-Regard entouraient le pupitre, sur lequel, dans l'embrasure +profonde d'une fenêtre, sans un rayon de soleil, il écrivait ses +ballades fraîches et fines comme des enluminures. Ce qui vraiment +existait pour lui c'était l'allégorie. Il errait dans la forêt de +Longue-Attente; il s'embarquait dans la nef de Bonne-Nouvelle. Il +était poète et chantait sa dame Beauté avec courtoisie. À lire ses +vers, on eût dit qu'il n'était captif que du seigneur Amour<a id="footnotetag1173" name="footnotetag1173"></a><a href="#footnote1173" title="Lien vers la note 1173"><span class="smaller">[1173]</span></a>.</p> + +<p>Dans l'ignorance où on le laissait des affaires de son duché, si +quelque soin l'occupait encore, c'était de recueillir les livres du +roi Charles V, volés par le duc de Bedfort et vendus aux marchands de +Londres, ou d'ordonner qu'on enlevât de Blois, à l'approche des +Anglais, ses belles tapisseries, avec la librairie de son père, et de +les faire porter à Saumur. Ce qu'il aimait le plus au monde, après +Beauté, c'était les riches tentures et les manuscrits ornés de +miniatures délicates<a id="footnotetag1174" name="footnotetag1174"></a><a href="#footnote1174" title="Lien vers la note 1174"><span class="smaller">[1174]</span></a>. <span class="pagenum"><a id="page421" name="page421"></a>(p. 421)</span> Ce qu'il regrettait, c'était le +beau soleil de France, le beau mois de mai, les danses et les dames. +Il était guéri de prouesse et de chevalerie.</p> + +<p>On a voulu croire que, lorsque vint la Pucelle, il reçut des nouvelles +de son duché; on a même supposé qu'un fidèle domestique lui fit tenir +la chronique des événements heureux de mai et de juin 1428<a id="footnotetag1175" name="footnotetag1175"></a><a href="#footnote1175" title="Lien vers la note 1175"><span class="smaller">[1175]</span></a>. Mais +rien n'est moins certain. Il est probable au contraire, que les +Anglais ne laissèrent parvenir à lui aucun message et qu'il ignorait +tout ce qui se passait dans les deux royaumes<a id="footnotetag1176" name="footnotetag1176"></a><a href="#footnote1176" title="Lien vers la note 1176"><span class="smaller">[1176]</span></a>.</p> + +<p>Et il n'était peut-être pas aussi curieux qu'on pourrait le croire des +nouvelles de la guerre. Il n'espérait rien des gens d'armes, et ne +comptait point sur ses beaux cousins de France pour le délivrer par +faits d'armes et batailles. Il savait trop bien comment ils s'y +prenaient. C'était de la paix qu'il attendait, pour son peuple et pour +lui, la délivrance. Il pensait que, puisque les pères étaient morts, +les fils pouvaient oublier et pardonner. Il gardait bon espoir en son +cousin de Bourgogne et il n'avait pas tort, car enfin la fortune des +Anglais en France dépendait du duc Philippe. Il était résigné, ou, du +moins, il devait un peu plus tard <span class="pagenum"><a id="page422" name="page422"></a>(p. 422)</span> se résigner à reconnaître +la suzeraineté du roi d'Angleterre. Il faut moins considérer la +faiblesse des hommes que la force des choses. Et le prisonnier ne +croyait jamais trop faire pour obtenir la paix, «vrai trésor de +joie»<a id="footnotetag1177" name="footnotetag1177"></a><a href="#footnote1177" title="Lien vers la note 1177"><span class="smaller">[1177]</span></a>.</p> + +<p>Non, en dépit de ses révélations, Jeanne ne se faisait pas un portrait +au vrai de son beau duc. Ils ne devaient jamais se voir; mais s'ils +avaient pu se rencontrer, ils se seraient bien mal entendus et +seraient demeurés impénétrables l'un à l'autre. La pensée rustique et +franche de Jeanne ne pouvait s'accorder avec la pensée d'un si haut +seigneur et d'un poète si courtois. Ils ne pouvaient s'entendre parce +qu'elle était simple et qu'il était subtil, parce qu'elle était +prophétesse et qu'il était nourri de gai savoir et de bonnes lettres, +parce qu'elle croyait et qu'il était comme ne croyant pas, parce +qu'elle était une fille des communes, et une sainte rapportant toute +souveraineté à Dieu, et qu'il concevait le droit selon les coutumes +féodales, usages, alliances et traités<a id="footnotetag1178" name="footnotetag1178"></a><a href="#footnote1178" title="Lien vers la note 1178"><span class="smaller">[1178]</span></a>; parce qu'ils ne se +faisaient pas tous deux la même idée du monde et de la vie. Le bon duc +n'aurait vu goutte au fait de la Pucelle envoyée par Messire pour +recouvrer son duché, et Jeanne n'aurait jamais pu s'expliquer les +façons du duc Charles <span class="pagenum"><a id="page423" name="page423"></a>(p. 423)</span> envers ses cousins d'Angleterre et de +Bourgogne. Il valait mieux qu'ils ne se vissent jamais.</p> + +<p>Depuis la prise de Jargeau, la Loire était libre en amont. Pour que la +ville d'Orléans fût en sûreté, il fallait aussi dégager le fleuve en +aval, où les Anglais tenaient encore Meung, Beaugency et La Charité. +Le mardi quatorzième de juin, à l'heure des vêpres, l'armée prit les +champs<a id="footnotetag1179" name="footnotetag1179"></a><a href="#footnote1179" title="Lien vers la note 1179"><span class="smaller">[1179]</span></a>.</p> + +<p>On passa par la Sologne et l'on fut, le soir même, devant le pont de +Meung, établi en amont de la ville et séparé des murs par une large +prairie. Comme la plupart des ponts, il était défendu à chaque bout +par un châtelet, et les Anglais l'avaient muni d'un boulevard de +terre, ainsi qu'ils avaient fait aux Tourelles d'Orléans<a id="footnotetag1180" name="footnotetag1180"></a><a href="#footnote1180" title="Lien vers la note 1180"><span class="smaller">[1180]</span></a>. +Pourtant ils le gardèrent mal et les gens du roi de France en +forcèrent aisément le passage avant la nuit. Ils y laissèrent garnison +et allèrent gîter en Beauce, presque sous la ville. Le jeune duc +d'Alençon se logea dans une église avec quelques hommes d'armes, sans +se garder, selon sa coutume. Il y fut surpris et en grand péril<a id="footnotetag1181" name="footnotetag1181"></a><a href="#footnote1181" title="Lien vers la note 1181"><span class="smaller">[1181]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page424" name="page424"></a>(p. 424)</span> La garnison, peu nombreuse, était commandée par lord Scales +et par le jeune fils de Warwick. Le lendemain, de bonne heure, les +gens du roi, passant à une portée de canon de la ville de Meung, s'en +furent droit à Beaugency où ils arrivèrent dans la matinée<a id="footnotetag1182" name="footnotetag1182"></a><a href="#footnote1182" title="Lien vers la note 1182"><span class="smaller">[1182]</span></a>.</p> + +<p>La vieille petite ville, assise sur le penchant d'une colline et +ceinte de vignes, de jardins, de champs de blé, penchait devant eux +vers la verte vallée du Ru, et dressait à leur vue sa tour carrée, de +mine assez fière, bien qu'accoutumée à se laisser prendre. Les +faubourgs n'étaient pas fortifiés; mais les Français, quand ils y +pénétrèrent, furent criblés de carreaux, de flèches et de viretons par +les archers embusqués dans les maisons et les masures. Il y eut, d'un +parti et de l'autre, morts et blessés. Finalement les Anglais se +retirèrent dans le château et dans les bastilles du pont<a id="footnotetag1183" name="footnotetag1183"></a><a href="#footnote1183" title="Lien vers la note 1183"><span class="smaller">[1183]</span></a>.</p> + +<p>Le duc d'Alençon mit des gardes devant le château, pour surveiller les +Anglais. À ce moment, il vit venir à lui deux seigneurs bretons, les +sires de Rostrenen et de Kermoisan, qui lui dirent:</p> + +<p>—Le connétable demande logis à ceux du siège<a id="footnotetag1184" name="footnotetag1184"></a><a href="#footnote1184" title="Lien vers la note 1184"><span class="smaller">[1184]</span></a>.</p> + +<p>Arthur de Bretagne, sire de Richemont, connétable de France, ayant +guerroyé tout l'hiver en Poitou contre les gens du sire de La +Trémouille, venait, malgré la <span class="pagenum"><a id="page425" name="page425"></a>(p. 425)</span> défense du roi, se joindre aux +gens du roi<a id="footnotetag1185" name="footnotetag1185"></a><a href="#footnote1185" title="Lien vers la note 1185"><span class="smaller">[1185]</span></a>. Il avait passé la Loire à Amboise et arrivait +devant Beaugency avec six cents gens d'armes et quatre cents hommes de +trait<a id="footnotetag1186" name="footnotetag1186"></a><a href="#footnote1186" title="Lien vers la note 1186"><span class="smaller">[1186]</span></a>. Sa venue mit les capitaines dans l'embarras. Il y en +avait qui le tenaient pour homme de grand vouloir et courage. Mais +beaucoup vivaient du sire de La Trémouille, entre autres le pauvre +écuyer Jean d'Aulon. Le duc d'Alençon voulait se retirer, alléguant +l'ordre du roi de ne pas recevoir en sa société le connétable.</p> + +<p>—Si le connétable vient, je m'en irai, dit-il à Jeanne.</p> + +<p>Et il fit réponse aux deux gentilshommes bretons, qu'au cas où le +connétable viendrait prendre logis, la Pucelle et ceux du siège le +combattraient<a id="footnotetag1187" name="footnotetag1187"></a><a href="#footnote1187" title="Lien vers la note 1187"><span class="smaller">[1187]</span></a>.</p> + +<p>Il y était si décidé qu'il monta à cheval, pour courir sus aux +Bretons. La Pucelle s'apprêtait à le suivre, par révérence pour lui et +le roi. Mais plusieurs capitaines, jugeant que ce n'était pas l'heure +de coucher la lance contre le connétable de France, retinrent le duc +d'Alençon<a id="footnotetag1188" name="footnotetag1188"></a><a href="#footnote1188" title="Lien vers la note 1188"><span class="smaller">[1188]</span></a>.</p> + +<p>Le lendemain, une vive alerte agita le camp. Les hérauts criaient: «À +l'arme!» On apprit que les <span class="pagenum"><a id="page426" name="page426"></a>(p. 426)</span> Anglais venaient en grand nombre. +Le jeune duc voulait encore se retirer plutôt que d'accueillir le +connétable. Jeanne, cette fois, l'en dissuada:</p> + +<p>—Il faut s'entr'aider, lui dit-elle<a id="footnotetag1189" name="footnotetag1189"></a><a href="#footnote1189" title="Lien vers la note 1189"><span class="smaller">[1189]</span></a>.</p> + +<p>Il écouta ce conseil et alla, suivi d'elle, de monseigneur le Bâtard, +et des sires de Laval, au devant du connétable. Près de la maladrerie +de Beaugency, ils rencontrèrent une belle chevauchée. À leur approche, +un petit homme noir, renfrogné, lippu, descendit de cheval. C'était +Arthur de Bretagne. La Pucelle le vint embrasser par les jambes, comme +elle avait coutume de faire aux grands de la terre et du ciel, qu'elle +fréquentait<a id="footnotetag1190" name="footnotetag1190"></a><a href="#footnote1190" title="Lien vers la note 1190"><span class="smaller">[1190]</span></a>. Ainsi en usait tout seigneur quand il rencontrait +plus noble que lui<a id="footnotetag1191" name="footnotetag1191"></a><a href="#footnote1191" title="Lien vers la note 1191"><span class="smaller">[1191]</span></a>.</p> + +<p>Le connétable lui parla en bon catholique, dévot à Dieu et à l'Église:</p> + +<p>—Jeanne, on m'a dit que vous me vouliez combattre. Je ne sais si vous +êtes de par Dieu, ou non. Si vous êtes de par Dieu, je ne vous crains +de rien. Car Dieu fait mon bon vouloir. Si vous êtes de par le diable, +je vous crains encore moins<a id="footnotetag1192" name="footnotetag1192"></a><a href="#footnote1192" title="Lien vers la note 1192"><span class="smaller">[1192]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page427" name="page427"></a>(p. 427)</span> Il avait le droit de parler de la sorte, s'efforçant de ne +jamais donner au diable puissance sur lui. Il montrait à Dieu son bon +vouloir en recherchant les sorciers et les sorcières plus curieusement +que ne faisaient les évêques et les inquisiteurs du mal hérétique. Il +en fit brûler en France, en Poitou et en Bretagne, plus qu'homme +vivant<a id="footnotetag1193" name="footnotetag1193"></a><a href="#footnote1193" title="Lien vers la note 1193"><span class="smaller">[1193]</span></a>.</p> + +<p>Le duc d'Alençon n'osa ni le renvoyer ni lui accorder le logis pour la +nuit. Les nouveaux venus, selon la coutume, devaient le guet. Le +connétable, avec sa compagnie, fit le guet cette nuit devant le +château<a id="footnotetag1194" name="footnotetag1194"></a><a href="#footnote1194" title="Lien vers la note 1194"><span class="smaller">[1194]</span></a>.</p> + +<p>Le jeune duc d'Alençon chevauchait, sans plus. Ici encore les vrais +faiseurs de la guerre et pourvoyeurs du siège étaient les bourgeois +d'Orléans. Les procureurs de la ville avaient fait conduire par eau, à +Meung et à Beaugency, les engins nécessaires, échelles, pics, pioches, +et ces grands pavas dont les assiégeants se couvraient comme la tortue +de son écaille. Ils avaient envoyé leurs canons et leurs bombardes. Le +joyeux canonnier maître Jean de Montesclère était là<a id="footnotetag1195" name="footnotetag1195"></a><a href="#footnote1195" title="Lien vers la note 1195"><span class="smaller">[1195]</span></a>. Ils +faisaient parvenir aux gens du roi des vivres qu'ils adressaient +expressément à la Pucelle. Le procureur Jean Boillève vint apporter +dans un chaland des pains et du <span class="pagenum"><a id="page428" name="page428"></a>(p. 428)</span> vin<a id="footnotetag1196" name="footnotetag1196"></a><a href="#footnote1196" title="Lien vers la note 1196"><span class="smaller">[1196]</span></a>. Toute la journée +du vendredi 17, les bombardes et les canons jetèrent des pierres sur +les assiégés. L'attaque se poursuivait en même temps du côté de la +vallée et, par le moyen des chalands, du côté de la rivière. Ce 17 +juin, à minuit, sir Richard Guethin, bailli d'Évreux, qui commandait +la garnison, offrit de capituler. Il fut accordé que les Anglais +rendraient le château et le pont et qu'ils s'en iraient le lendemain, +emmenant chevaux et harnais avec chacun son bien valant au plus un +marc d'argent. Ils étaient requis en outre de jurer ne point reprendre +les armes avant dix jours. À ces conditions, le lendemain, au soleil +levant, ils passèrent, au nombre de cinq cents, sur le pont levis et +se retirèrent à Meung dont le château, mais non le pont, était resté +aux Anglais<a id="footnotetag1197" name="footnotetag1197"></a><a href="#footnote1197" title="Lien vers la note 1197"><span class="smaller">[1197]</span></a>. Prudemment, le connétable envoya quelques hommes +renforcer la garnison du pont de Meung<a id="footnotetag1198" name="footnotetag1198"></a><a href="#footnote1198" title="Lien vers la note 1198"><span class="smaller">[1198]</span></a>. Sir Richard Guethin et +le capitaine Math Gouth furent retenus comme otages<a id="footnotetag1199" name="footnotetag1199"></a><a href="#footnote1199" title="Lien vers la note 1199"><span class="smaller">[1199]</span></a>.</p> + +<p>La garnison de Beaugency s'était trop pressée de se rendre. À peine +était-elle partie, qu'un homme d'armes <span class="pagenum"><a id="page429" name="page429"></a>(p. 429)</span> de la compagnie du +capitaine La Hire vint dire au duc d'Alençon:</p> + +<p>—Les Anglais marchent sur nous. Nous allons les avoir en face. Ils +sont bien là-bas mille hommes d'armes.</p> + +<p>Jeanne, l'entendant parler sans saisir ses paroles, demanda:</p> + +<p>—Que dit cet homme d'armes?</p> + +<p>Et quand elle le sut, se tournant vers Arthur de Bretagne, qui était +près d'elle:</p> + +<p>—Ah! beau connétable, vous n'êtes pas venu de par moi; mais puisque +vous êtes venu, vous serez le bien venu<a id="footnotetag1200" name="footnotetag1200"></a><a href="#footnote1200" title="Lien vers la note 1200"><span class="smaller">[1200]</span></a>.</p> + +<p>Ce que les Français avaient devant eux, c'était sir John Talbot et sir +John Falstolf avec toute l'armée anglaise.</p> + + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page430" name="page430"></a>(p. 430)</span> CHAPITRE XVI<br> + +<span class="smaller">LA BATAILLE DE PATAY. — L'OPINION DES CLERCS D'ITALIE ET +D'ALLEMAGNE. — L'ARMÉE DE GIEN.</span></h2> + + +<p>Sir John Falstolf, ayant quitté Paris le 9 juin, s'achemina par la +Beauce, avec cinq mille combattants. Il amenait abondance de vivres et +de traits aux Anglais de Jargeau. Apprenant en route que la ville +s'était rendue, il laissa ses bagages à Étampes et se porta sur +Janville où sir John Talbot vint le rejoindre avec quarante lances et +deux cents archers<a id="footnotetag1201" name="footnotetag1201"></a><a href="#footnote1201" title="Lien vers la note 1201"><span class="smaller">[1201]</span></a>.</p> + +<p>Là, ils furent instruits que les Français avaient pris le pont de +Meung et mis le siège devant Beaugency. Sir John Talbot voulait +marcher au secours de ceux de Beaugency et les délivrer, avec l'aide +de Dieu et de monseigneur saint Georges. Sir John Falstolf était +d'avis <span class="pagenum"><a id="page431" name="page431"></a>(p. 431)</span> d'abandonner sir Richard Guethin et la garnison à +leur sort, et de ne point combattre pour l'heure. Voyant les siens +craintifs et les Français envigourés, il estimait que les Anglais +n'avaient rien de mieux à faire que d'attendre dans les villes, +châteaux et forteresses qui leur restaient, les renforts promis par le +Régent.</p> + +<p>—Nous ne sommes qu'une poignée de gens au regard des Français, +disait-il. Si la fortune nous devient mauvaise, tout ce que le feu roi +Henri a conquis en France à grand labeur et long terme sera en voie de +perdition<a id="footnotetag1202" name="footnotetag1202"></a><a href="#footnote1202" title="Lien vers la note 1202"><span class="smaller">[1202]</span></a>.</p> + +<p>Il ne fut pas écouté et l'armée marcha sur Beaugency. Elle se trouvait +non loin de la ville, le dimanche dix-neuvième d'août, au moment où la +garnison en sortait avec seulement chevaux, harnais et bagages d'un +marc d'argent pour chaque homme<a id="footnotetag1203" name="footnotetag1203"></a><a href="#footnote1203" title="Lien vers la note 1203"><span class="smaller">[1203]</span></a>.</p> + +<p>Les gens du roi de France, avertis que cette armée approchait, se +portèrent à sa rencontre. Après une courte chevauchée les éclaireurs +signalèrent, à une lieue environ de Patay, les étendards et les +pennons d'Angleterre qui flottaient sur la plaine. Alors les Français +gravirent une colline d'où ils purent observer l'ennemi. Le capitaine +<span class="pagenum"><a id="page432" name="page432"></a>(p. 432)</span> La Hire et le jeune sire de Termes dirent à la Pucelle:</p> + +<p>—Les Anglais viennent. Ils sont en ordre de bataille et prêts à se +battre.</p> + +<p>Elle répondit, à sa coutume:</p> + +<p>—Frappez hardiment; ils prendront la fuite.</p> + +<p>Et elle ajouta que ce ne serait pas long<a id="footnotetag1204" name="footnotetag1204"></a><a href="#footnote1204" title="Lien vers la note 1204"><span class="smaller">[1204]</span></a>.</p> + +<p>Les Anglais, croyant que les Français leur offraient la bataille, +mirent pied à terre. Les archers plantèrent leurs pieux dans le sol, +la pointe inclinée vers l'ennemi. C'est ainsi que, d'ordinaire, ils se +préparaient à combattre, et ils n'avaient pas fait autrement à la +journée des Harengs. Le soleil baissait déjà<a id="footnotetag1205" name="footnotetag1205"></a><a href="#footnote1205" title="Lien vers la note 1205"><span class="smaller">[1205]</span></a>.</p> + +<p>Le duc d'Alençon n'était nullement décidé à descendre dans la plaine. +En présence du Connétable, de monseigneur le Bâtard et des capitaines, +il consulta la sainte fille, qui tourna sa réponse en énigme:</p> + +<p>—Ayez tous de bons éperons.</p> + +<p>Pensant qu'elle parlait des éperons du comte de Clermont, des éperons +de Rouvray, le duc d'Alençon lui demanda:</p> + +<p>—Que dites-vous? Nous tournerons donc le dos?</p> + +<p>—Nenni, répondit-elle.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page433" name="page433"></a>(p. 433)</span> Ses Voix, en toute occasion, lui conseillaient une invariable +confiance.</p> + +<p>—Nenni. En nom Dieu, allez sur eux, car ils s'enfuiront et +n'arrêteront pas et seront déconfits, sans guère de perte pour vos +gens; et pour ce, faut-il vos éperons pour les suivre<a id="footnotetag1206" name="footnotetag1206"></a><a href="#footnote1206" title="Lien vers la note 1206"><span class="smaller">[1206]</span></a>.</p> + +<p>Selon l'avis des maîtres et docteurs, il convenait d'écouter la +Pucelle sans quitter les voies de la prudence humaine. Les chefs de +l'armée, soit qu'ils jugeassent l'occasion mauvaise, soit qu'ils +craignissent encore, après tant de défaites, de livrer une bataille +rangée, ne descendirent point de leur colline. À deux hérauts +d'Angleterre venus de la part de trois chevaliers qui offraient de +combattre en combat singulier, il fut répondu:</p> + +<p>—Allez vous coucher pour aujourd'hui, car il est assez tard. Mais +demain, au plaisir de Dieu et de Notre-Dame, nous nous verrons de plus +près<a id="footnotetag1207" name="footnotetag1207"></a><a href="#footnote1207" title="Lien vers la note 1207"><span class="smaller">[1207]</span></a>.</p> + +<p>Les Anglais, certains qu'ils ne seraient pas attaqués, <span class="pagenum"><a id="page434" name="page434"></a>(p. 434)</span> +quittèrent la place et s'en allèrent loger, pour la nuit, à +Meung<a id="footnotetag1208" name="footnotetag1208"></a><a href="#footnote1208" title="Lien vers la note 1208"><span class="smaller">[1208]</span></a>.</p> + +<p>Les Français les y allèrent chercher le lendemain samedi 18, jour de +saint Hubert; ils ne les y trouvèrent pas. Les Godons avaient déguerpi +de bon matin et s'en étaient allés avec canons, munitions et vivres, +vers Janville où ils comptaient se retrancher<a id="footnotetag1209" name="footnotetag1209"></a><a href="#footnote1209" title="Lien vers la note 1209"><span class="smaller">[1209]</span></a>.</p> + +<p>L'armée du roi Charles forte de douze mille hommes<a id="footnotetag1210" name="footnotetag1210"></a><a href="#footnote1210" title="Lien vers la note 1210"><span class="smaller">[1210]</span></a> se mit +aussitôt à leur poursuite, sur la route de Paris par la plaine de +Beauce, inculte, buissonneuse, et giboyeuse, couverte de broussailles +et de taillis, belle pourtant au gré des chevaucheurs anglais et +français qui la vantaient à l'envi<a id="footnotetag1211" name="footnotetag1211"></a><a href="#footnote1211" title="Lien vers la note 1211"><span class="smaller">[1211]</span></a>.</p> + +<p>Sur la plaine infinie où la terre glisse au regard et fuit, voyant le +ciel devant elle, le ciel nuageux des plaines qui fait rêver de +chevauchées merveilleuses par les montagnes de l'air, la Pucelle +s'écria:</p> + +<p>—En nom Dieu, s'ils étaient pendus aux nuées, nous les aurions<a id="footnotetag1212" name="footnotetag1212"></a><a href="#footnote1212" title="Lien vers la note 1212"><span class="smaller">[1212]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page435" name="page435"></a>(p. 435)</span> Comme la veille elle prophétisa.</p> + +<p>—Le gentil roi aura aujourd'hui plus grande victoire qu'il eût de +longtemps. Et m'a dit mon Conseil qu'ils sont tous nôtres.</p> + +<p>Elle prédit que des Français il y aurait peu ou point de tués.</p> + +<p>Le capitaine Poton et le sire Arnault de Gugem allèrent en éclaireurs. +Les plus experts hommes de guerre et parmi eux monseigneur le Bâtard +et le maréchal de Boussac, montés sur fleur de coursiers, formèrent +l'avant-garde. Puis, sous la conduite du capitaine La Hire, qui +connaissait le pays, s'avançait le principal corps d'armée, composé +des lances du duc d'Alençon, du comte de Vendôme, du Connétable de +France, avec les archers et les arbalétriers. Enfin venait +l'arrière-garde commandée par les seigneurs de Graville, de Laval, de +Rais et de Saint-Gilles<a id="footnotetag1213" name="footnotetag1213"></a><a href="#footnote1213" title="Lien vers la note 1213"><span class="smaller">[1213]</span></a>.</p> + +<p>La Pucelle, qui avait bon cœur, voulut aller en avant; on l'en +empêcha. Elle ne conduisait pas les gens d'armes; les gens d'armes la +conduisaient, la tenant non pour chef de guerre, mais pour +porte-bonheur. Elle dut, grandement contristée, prendre place à +l'arrière-garde, sans doute dans la compagnie du sire de <span class="pagenum"><a id="page436" name="page436"></a>(p. 436)</span> +Rais, où d'abord on l'avait mise<a id="footnotetag1214" name="footnotetag1214"></a><a href="#footnote1214" title="Lien vers la note 1214"><span class="smaller">[1214]</span></a>. Tout le monde se hâtait fort, +craignant que l'ennemi n'échappât.</p> + +<p>Après avoir chevauché près de cinq lieues, par une chaleur accablante, +laissé à gauche Saint-Sigismond et dépassé Saint-Péravy, les soixante +ou quatre-vingts coureurs du capitaine Poton, atteignirent l'endroit +où le terrain, entièrement plat jusque-là, s'abaisse et la route +dévale dans un bas-fond dit de la Retrève. Ils ne pouvaient voir le +creux de la Retrève; mais au delà le sol se relève doucement et ils +voyaient poindre à moins d'une demi-lieue le clocher de Lignerolles, +sur la plaine boisée dite Climat-du-Camp. À une lieue, droit devant +eux, se devinait la petite ville de Patay<a id="footnotetag1215" name="footnotetag1215"></a><a href="#footnote1215" title="Lien vers la note 1215"><span class="smaller">[1215]</span></a>.</p> + +<p>Il était deux heures après midi. Par aventure, les cavaliers de Poton +et de Gugem lancent un cerf qui, débuchant d'un taillis, va fondre +dans le creux de la Retrève. Alors de ce creux s'élève une clameur. Ce +sont les soldats anglais qui se disputent à grands cris le gibier +lancé sur eux. Avertis ainsi de la présence de l'ennemi, les coureurs +français s'arrêtent et détachent aussitôt quelques-uns des leurs pour +annoncer à l'armée <span class="pagenum"><a id="page437" name="page437"></a>(p. 437)</span> qu'ils ont surpris les Godons et que +c'est l'heure de besogner<a id="footnotetag1216" name="footnotetag1216"></a><a href="#footnote1216" title="Lien vers la note 1216"><span class="smaller">[1216]</span></a>.</p> + +<p>Voici ce qui s'était passé du côté des Anglais. Ils se retiraient en +bon ordre sur Janville, l'avant-garde conduite par un chevalier à +l'étendard blanc<a id="footnotetag1217" name="footnotetag1217"></a><a href="#footnote1217" title="Lien vers la note 1217"><span class="smaller">[1217]</span></a>. Puis venaient l'artillerie et les vivres +voiturés par les marchands, puis le corps de bataille, commandé par +sir John Talbot et sir John Falstolf. L'arrière-garde, exposée à subir +un rude choc, n'était formée que d'Anglais d'Angleterre<a id="footnotetag1218" name="footnotetag1218"></a><a href="#footnote1218" title="Lien vers la note 1218"><span class="smaller">[1218]</span></a>. Elle +suivait à une assez longue distance. Ses coureurs, ayant vu les +Français sans être vus, avertirent sir John Talbot, qui se trouvait +alors entre le hameau de Saint-Péravy et la ville de Patay. Sur cet +avis, arrêtant la marche de l'armée, il donna l'ordre à l'avant-garde +de se ranger, avec les chariots et les canons, à l'orée des bois de +Lignerolles. Position excellente: adossés à la futaie, les combattants +ne craignaient point d'être pris à revers<a id="footnotetag1219" name="footnotetag1219"></a><a href="#footnote1219" title="Lien vers la note 1219"><span class="smaller">[1219]</span></a>; et ils se +retranchaient derrière les charrois. Le corps de bataille n'alla pas +si avant. Il fit halte à un demi-quart de lieue de Lignerolles, dans +le creux de la Retrève. Il y avait, à cet endroit, au bord de la +route, des haies vives. Sir John Talbot s'y porta avec cinq cents +archers d'élite et mit pied à terre pour attendre les Français qui +devaient <span class="pagenum"><a id="page438" name="page438"></a>(p. 438)</span> forcément passer là. Il comptait défendre la voie +jusqu'à ce que l'arrière-garde eût rejoint le corps de bataille et +pensait se rabattre ensuite sur l'armée en côtoyant les haies.</p> + +<p>Les archers s'apprêtaient à planter en terre, selon leur habitude, ces +pieux aiguisés, dont ils tournaient la pointe contre le poitrail des +chevaux ennemis, quand les Français, avertis par les éclaireurs de +Poton, fondirent sur eux comme une trombe, les culbutèrent et les +mirent en pièces<a id="footnotetag1220" name="footnotetag1220"></a><a href="#footnote1220" title="Lien vers la note 1220"><span class="smaller">[1220]</span></a>.</p> + +<p>En ce moment, sir John Falstolf, à la tête du corps de bataille, se +disposait à rejoindre l'avant-garde: sentant déjà sur lui la cavalerie +française, il donna de l'éperon et lança à fond de train sa troupe sur +Lignerolles. Quand ils la virent venir ainsi débridée, ceux de +l'étendard blanc crurent qu'elle était en déroute. Ils prirent peur +et, quittant la lisière du bois, se jetèrent dans les halliers de +Climat-du-Camp pour gagner en grand désordre la route de Paris. Sir +John Falstolf poussa dans la même direction avec le principal corps +d'armée. Il n'y eut pas de bataille. Ayant passé sur les cadavres des +archers de Talbot, les Français entrèrent dans l'Angleterre éperdue +comme dans un troupeau de moutons et tuèrent à plaisir. Ils tuèrent +deux mille de ces gens de petit état que les Godons avaient coutume +d'amener ainsi de leur pays mourir en <span class="pagenum"><a id="page439" name="page439"></a>(p. 439)</span> France. Quand ceux du +principal corps d'armée, que conduisait La Hire, arrivèrent à +Lignerolles, ils ne trouvèrent devant eux que huit cents fantassins, +qu'ils culbutèrent. Des douze à treize mille Français cheminant sur la +route, quinze cents à peine prirent part au combat, ou plutôt au +massacre. Sir John Talbot, qui avait sauté sur son cheval sans +chausser ses éperons, fut fait prisonnier par les capitaines La Hire +et Poton<a id="footnotetag1221" name="footnotetag1221"></a><a href="#footnote1221" title="Lien vers la note 1221"><span class="smaller">[1221]</span></a>. Les seigneurs de Scales et de Hungerford, lord +Falcombridge, sir Thomas Guérard, Richard Spencer et Fitz Walter +furent également pris à rançon. On fit de douze à quinze cents +prisonniers<a id="footnotetag1222" name="footnotetag1222"></a><a href="#footnote1222" title="Lien vers la note 1222"><span class="smaller">[1222]</span></a>.</p> + +<p>Deux cents hommes d'armes tout au plus donnèrent la chasse aux fuyards +jusqu'aux portes de Janville. Hors l'avant-garde, qui s'était enfuie +la première, l'armée anglaise était entièrement détruite. Du parti des +Français, le sire de Termes, présent à l'affaire, assure qu'il n'y eut +qu'un mort, un homme de sa compagnie. Perceval <span class="pagenum"><a id="page440" name="page440"></a>(p. 440)</span> de +Boulainvilliers, conseiller chambellan du roi, dit qu'il y en eut +trois<a id="footnotetag1223" name="footnotetag1223"></a><a href="#footnote1223" title="Lien vers la note 1223"><span class="smaller">[1223]</span></a>.</p> + +<p>Quand la Pucelle arriva, on tuait encore. Elle vit un Français qui +conduisait des prisonniers, frapper l'un d'eux à la tête si rudement, +que l'homme tomba comme mort. Elle descendit de cheval et fit +confesser l'Anglais. Elle lui soutenait la tête et le consolait selon +son pouvoir. Voilà la part qu'elle prit à la bataille de Patay<a id="footnotetag1224" name="footnotetag1224"></a><a href="#footnote1224" title="Lien vers la note 1224"><span class="smaller">[1224]</span></a>. +Ce fut celle d'une sainte fille.</p> + +<p>Les Français passèrent la nuit dans la ville. Sir John Talbot amené au +duc d'Alençon et au Connétable, le jeune duc lui dit:</p> + +<p>—Vous ne croyiez pas, ce matin, qu'ainsi vous adviendrait.</p> + +<p>Talbot répondit:</p> + +<p>—C'est la fortune de la guerre<a id="footnotetag1225" name="footnotetag1225"></a><a href="#footnote1225" title="Lien vers la note 1225"><span class="smaller">[1225]</span></a>.</p> + +<p>Quelques Godons arrivèrent hors d'haleine à Janville<a id="footnotetag1226" name="footnotetag1226"></a><a href="#footnote1226" title="Lien vers la note 1226"><span class="smaller">[1226]</span></a>. Mais les +habitants, à qui ils avaient laissé en partant leur argent et leurs +biens, leur formèrent la porte au nez et firent serment de fidélité au +dauphin Charles.</p> + +<p>Les capitaines anglais de deux petites places de la Beauce, Montpipeau +et Saint-Sigismond, mirent le feu à leur ville et s'enfuirent<a id="footnotetag1227" name="footnotetag1227"></a><a href="#footnote1227" title="Lien vers la note 1227"><span class="smaller">[1227]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page441" name="page441"></a>(p. 441)</span> De Patay, l'armée victorieuse se rendit à Orléans. Les +habitants attendaient le roi. Ils avaient accroché des tapisseries +pour son entrée<a id="footnotetag1228" name="footnotetag1228"></a><a href="#footnote1228" title="Lien vers la note 1228"><span class="smaller">[1228]</span></a>. Mais le roi et le sire chambellan, craignant, +non sans motif, une agression du Connétable, restèrent enfermés dans +le château de Sully<a id="footnotetag1229" name="footnotetag1229"></a><a href="#footnote1229" title="Lien vers la note 1229"><span class="smaller">[1229]</span></a>, d'où ils sortirent le 22 juin pour se +rendre à Châteauneuf. La Pucelle rejoignit, ce jour même, le roi à +Saint-Benoît-sur-Loire<a id="footnotetag1230" name="footnotetag1230"></a><a href="#footnote1230" title="Lien vers la note 1230"><span class="smaller">[1230]</span></a>. Il la reçut avec sa douceur coutumière +et lui dit:</p> + +<p>—J'ai pitié de vous et de la peine que vous endurez.</p> + +<p>Et il la pressa de se reposer.</p> + +<p>En l'entendant parler, elle pleura. Elle pleura, dit-on, de sentir ce +que l'affabilité du roi contenait pour elle d'indifférence et +d'incroyance.</p> + +<p>Mais gardons-nous d'attribuer aux larmes des extatiques et des +miraculées une cause intelligible à la commune raison humaine. Charles +lui apparaissait revêtu d'une ineffable splendeur, tel que le plus +saint des rois. Comment eût-elle supposé un instant qu'il manquait de +foi puisqu'elle lui avait montré ses anges cachés au vulgaire.</p> + +<p>—N'en doutez point, lui dit-elle avec assurance, vous aurez tout +votre royaume et serez de bref couronné<a id="footnotetag1231" name="footnotetag1231"></a><a href="#footnote1231" title="Lien vers la note 1231"><span class="smaller">[1231]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page442" name="page442"></a>(p. 442)</span> Assurément le roi Charles n'était pas pressé de recouvrer son +royaume par chevalerie. Mais son conseil en ce moment n'avait nulle +intention de se débarrasser de la Pucelle; il s'en servait au +contraire adroitement pour donner du cœur aux Français, épouvanter +les Anglais et montrer à tous que Dieu, monseigneur saint Michel et +madame sainte Catherine, étaient Armagnacs. En mandant aux bonnes +villes la victoire de Patay, la chancellerie royale ne souffla mot du +Connétable, et ne nomma pas davantage monseigneur le Bâtard<a id="footnotetag1232" name="footnotetag1232"></a><a href="#footnote1232" title="Lien vers la note 1232"><span class="smaller">[1232]</span></a>. +Elle désigna la Pucelle comme chef de la bataille avec les deux +princes du sang royal, le duc d'Alençon et duc de Vendôme. C'est donc +qu'on en faisait étendard. Et certes elle valait aussi cher et plus +cher qu'un grand capitaine, puisque le connétable tenta de s'emparer +d'elle. Il chargea de l'entreprise un homme à lui, Andrieu de +Beaumont, précédemment employé à enlever le sire de La Trémouille. +Mais Andrieu de Beaumont, comme il avait manqué le chambellan, manqua +la Pucelle<a id="footnotetag1233" name="footnotetag1233"></a><a href="#footnote1233" title="Lien vers la note 1233"><span class="smaller">[1233]</span></a>.</p> + +<p>Probablement elle ne sut rien elle-même de ce guet-apens. Elle demanda +au roi qu'il reçût en grâce le <span class="pagenum"><a id="page443" name="page443"></a>(p. 443)</span> Connétable, requête qui +témoigne d'une grande innocence. Richemont regagna par ordre sa +seigneurie de Parthenay<a id="footnotetag1234" name="footnotetag1234"></a><a href="#footnote1234" title="Lien vers la note 1234"><span class="smaller">[1234]</span></a>.</p> + +<p>Le duc Jean de Bretagne, marié à une sœur de Charles de Valois, +n'avait pas toujours eu à se louer des conseillers de son beau-frère +qui, en l'an 1420, le trouvant un peu trop bourguignon, lui +cherchèrent près de Nantes, un pont de Montereau<a id="footnotetag1235" name="footnotetag1235"></a><a href="#footnote1235" title="Lien vers la note 1235"><span class="smaller">[1235]</span></a>. Il n'était en +réalité, ni armagnac, ni bourguignon, ni français, ni anglais, mais +breton. En 1423, il reconnut le traité de Troyes, mais deux ans plus +tard, le duc de Richemont, son frère, ayant passé au roi français et +reçu de lui l'épée de connétable, le duc Jean se rendit auprès de +Charles de Valois à Saumur, et lui fit hommage de son duché<a id="footnotetag1236" name="footnotetag1236"></a><a href="#footnote1236" title="Lien vers la note 1236"><span class="smaller">[1236]</span></a>. En +somme, il se tira fort adroitement des pas les plus difficiles et sut +rester étranger à la querelle des deux rois qui prétendaient l'un et +l'autre l'y engager. Tandis que la France et l'Angleterre +s'entredétruisaient, tranquille, il relevait la Bretagne de ses +ruines<a id="footnotetag1237" name="footnotetag1237"></a><a href="#footnote1237" title="Lien vers la note 1237"><span class="smaller">[1237]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page444" name="page444"></a>(p. 444)</span> La Pucelle lui inspira beaucoup de curiosité et d'admiration. +Peu de temps après la bataille de Patay, il envoya vers elle Hermine, +son héraut d'armes, et frère Yves Milbeau, son confesseur, pour lui +faire compliment de sa victoire. Le bon frère avait mission +d'interroger la jeune fille.</p> + +<p>Il lui demanda si c'était de par Dieu qu'elle était venue secourir le +roi.</p> + +<p>Jeanne répondit qu'oui.</p> + +<p>—S'il en est ainsi, répliqua frère Yves Milbeau, monseigneur le duc +de Bretagne notre droit seigneur est disposé à aider le roi de son +service. Il ne peut venir de son propre corps, car il est dans un +grand état d'infirmité. Mais il doit envoyer son fils aîné avec une +grande armée.</p> + +<p>Le bon frère parlait légèrement et faisait là pour son duc une fausse +promesse. Il était vrai seulement que beaucoup de nobles bretons +venaient se mettre au service du roi Charles.</p> + +<p>En entendant ces paroles, la petite sainte commit une étrange méprise. +Elle crut que frère Yves avait voulu dire que le duc de Bretagne était +son droit seigneur à elle comme à lui, ce qui eût été vraiment hors de +sens. Sa loyauté s'en révolta:</p> + +<p>—Le duc de Bretagne n'est pas mon droit seigneur, répliqua-t-elle +vivement. C'est le roi qui est mon droit seigneur.</p> + +<p>Ainsi qu'on peut croire, la conduite prudente du duc de Bretagne +n'était pas jugée favorablement en <span class="pagenum"><a id="page445" name="page445"></a>(p. 445)</span> France. On disait que +c'était mal fait à lui de n'avoir pas obéi au ban de guerre du roi et +d'avoir traité avec les Anglais. Jeanne le pensait et elle le dit sans +détours à frère Yves:</p> + +<p>—Le duc ne devait pas raisonnablement attendre si longtemps pour +envoyer ses gens aider le roi de leur service<a id="footnotetag1238" name="footnotetag1238"></a><a href="#footnote1238" title="Lien vers la note 1238"><span class="smaller">[1238]</span></a>.</p> + +<p>À quelques jours de là, le sire de Rostrenen, qui avait accompagné le +Connétable à Beaugency et à Patay et Comment-Qu'il-Soit, héraut de +Richard de Bretagne, comte d'Étampes, vinrent de la part du duc Jean +stipuler relativement au mariage projeté entre François, son fils +aîné, et Bonne de Savoie, fille du duc Amédée. Comment-Qu'il-Soit +était chargé de présenter à la Pucelle une dague et des chevaux<a id="footnotetag1239" name="footnotetag1239"></a><a href="#footnote1239" title="Lien vers la note 1239"><span class="smaller">[1239]</span></a>.</p> + +<p>Il y avait en 1428, à Rome, un clerc français compilateur d'une de ces +cosmographies qui abondaient alors et se ressemblaient toutes. La +sienne, qui commençait, selon l'usage, à la création, allait jusqu'au +pontificat du pape Martin V alors vivant. «Sous ce pontificat, y +disait l'auteur, la fleur et le lis du monde, le royaume de France, +opulent entre les plus opulents et devant qui l'univers s'inclinait, a +été jeté bas par le tyran Henri qui l'a envahi, n'étant pas seigneur +légitime <span class="pagenum"><a id="page446" name="page446"></a>(p. 446)</span> même du royaume d'Angleterre». Puis, cet homme +d'église voue les Bourguignons à une éternelle infamie et lance contre +eux les plus terribles malédictions. «Que leurs yeux soient crevés, +qu'ils meurent de male mort!» À ce langage, on reconnaît un bon +Armagnac et peut-être un clerc dépouillé et chassé par les ennemis du +royaume. En apprenant la venue de la Pucelle et la délivrance +d'Orléans, transporté de joie et d'admiration, il rouvre sa +cosmographie et y consigne ses arguments en faveur de cette +prodigieuse Pucelle dont les actions lui paraissent plus divines +qu'humaines, mais sur laquelle il sait peu de choses. Il la met en +comparaison avec Déborah, Judith, Esther et Penthésilée. «On trouve, +dit-il, dans les livres des Gentils que Penthésilée, et mille vierges +avec elle, vinrent au secours du roi Priam et combattirent si +courageusement qu'elles mirent en pièces les Myrmidons et tuèrent plus +de deux mille Grecs.» Selon lui la Pucelle passe de beaucoup +Penthésilée en courage et hauts faits. Elle réfute brièvement ceux qui +soutiennent qu'elle a été envoyée par le Diable<a id="footnotetag1240" name="footnotetag1240"></a><a href="#footnote1240" title="Lien vers la note 1240"><span class="smaller">[1240]</span></a>.</p> + +<p>La prophétesse de Charles, en un moment, remplit de sa renommée la +chrétienté tout entière. Tandis qu'au temporel les peuples +s'entredéchiraient, l'unité d'obédience faisait de l'Europe une +république spirituelle <span class="pagenum"><a id="page447" name="page447"></a>(p. 447)</span> n'ayant qu'une doctrine et qu'une +langue, et qui se gouvernait par les Conciles. Le souffle de l'Église +passait partout. En Italie, en Allemagne, il n'était bruit que de la +Sibylle de France et les clercs, à l'envi, dissertaient sur sa nature +et ses actes, qui intéressaient si grandement la foi chrétienne. En +ces temps-là, les peintres représentaient parfois sur les murs des +cloîtres les Arts Libéraux en figure de très nobles Dames. Ils +peignaient, au milieu de ses sœurs, Logique assise dans une haute +chaire, coiffée de l'antique turban, vêtue d'une robe éclatante, et +tenant d'une main le scorpion, de l'autre le lézard en signe que sa +science est d'atteindre l'adversaire au vif et de ne pas se laisser +prendre. À ses pieds, Aristote, les yeux levés sur elle, disputait en +nombrant ses arguments sur ses doigts<a id="footnotetag1241" name="footnotetag1241"></a><a href="#footnote1241" title="Lien vers la note 1241"><span class="smaller">[1241]</span></a>. Cette dame austère +rendait tous ses disciples semblables les uns aux autres. Rien n'était +alors plus méprisable et plus odieux qu'une idée singulière. +L'originalité n'existait à aucun degré dans les esprits. Les clercs +qui traitèrent de la Pucelle le firent tous suivant la même méthode, +avec les mêmes arguments, sous l'autorité des mêmes textes sacrés et +profanes. La conformité ne saurait aller plus loin. Ils avaient tous +le même esprit, non le même cœur; l'esprit argumente et c'est +<span class="pagenum"><a id="page448" name="page448"></a>(p. 448)</span> le cœur qui décide. Ces scolastiques, plus secs que leurs +parchemins, étaient pourtant des hommes; ils se déterminaient par +sentiment, par passions, par des intérêts spirituels ou temporels. +Tandis que les docteurs armagnacs démontraient que dans le cas de la +Pucelle, les raisons de croire l'emportaient sur celles de ne pas +croire, les maîtres allemands ou italiens, étrangers à la querelle du +Dauphin de Viennois, demeuraient dans le doute, n'étant mus ni par +haine ni par amour.</p> + +<p>Un docteur en théologie, nommé Henri de Gorcum, qui enseignait à +Cologne, rédigea, dès le mois de juin 1429, un mémoire sur la Pucelle. +Les esprits étaient divisés en Allemagne, sur la question de savoir si +cette jeune fille appartenait à l'humanité nature ou si elle n'était +pas plutôt un être céleste en forme de femme; si ses faits +s'expliquaient humainement ou par l'action d'une puissance supérieure +à l'homme, et, dans ce cas, si la puissance était bonne ou si elle +était mauvaise. Maître Henri de Gorcum composa son traité pour fournir +dans les deux sens des arguments tirés de l'Écriture Sainte, et il +s'abstint de conclure<a id="footnotetag1242" name="footnotetag1242"></a><a href="#footnote1242" title="Lien vers la note 1242"><span class="smaller">[1242]</span></a>.</p> + +<p>En Italie, mêmes doutes, même incertitude sur les faits de la Pucelle. +Certains disaient que ce n'étaient que faussetés et pures inventions. +On disputait à Milan s'il fallait croire les nouvelles qui venaient de +France. Les notables de la ville résolurent d'envoyer, pour s'en +<span class="pagenum"><a id="page449" name="page449"></a>(p. 449)</span> informer, un moine franciscain, frère Antonio de Rho, bon +humaniste et prédicateur zélé pour la pureté des mœurs.</p> + +<p>Le seigneur Jean Corsini, sénateur du duché d'Arezzo, poussé par une +semblable curiosité, consulta un savant clerc milanais, nommé +Cosme-Raymond de Crémone. Ce clerc cicéronien lui répondit en +substance:</p> + +<p>«Clarissime seigneur, ce serait chose nouvelle, dit-on, que Dieu +choisisse une bergère pour rendre à un prince son royaume. Pourtant +nous voyons que le berger David fut sacré roi. On rapporte que la +Pucelle, conduisant une petite troupe, défit une nombreuse armée. On +peut expliquer la victoire par l'avantage de la position, la +soudaineté de l'attaque. Mais ne disons pas que les ennemis ont été +surpris, que le cœur leur a manqué, choses toutefois possibles; +admettons qu'il y ait miracle: quoi d'étonnant? N'est-il pas plus +admirable encore qu'avec une mâchoire d'âne, Samson ait tué tant de +Philistins?</p> + +<p>»La Pucelle a, dit-on, le pouvoir de révéler les choses futures. Qu'il +vous souvienne des Sibylles, notamment de celles d'Érythrée et de +Cumes. Elles étaient païennes. Pourquoi serait-il moins accordé à une +chrétienne? Cette femme est une bergère. Jacob, alors qu'il gardait +les troupeaux de Laban, s'entretenait familièrement avec Dieu.</p> + +<p>»À ces exemples et à ces raisons, qui m'inclinent à donner fiance aux +nouvelles qui courent, se joint une <span class="pagenum"><a id="page450" name="page450"></a>(p. 450)</span> raison tirée de la +physique. J'ai lu souvent dans les livres qui traitent d'astrologie, +que, par bénigne influence des astres, certains hommes de naissance +intime sont devenus les égaux des plus hauts princes et furent +considérés comme des hommes divins, chargés d'une mission céleste. +Guido de Forli, habile astronome, en cite un très grand nombre. C'est +pourquoi j'estimerais n'encourir nul reproche en croyant que c'est +l'influence des astres qui a fait entreprendre à la Pucelle ce qu'on +rapporte d'elle.»</p> + +<p>Et, concluant sur le fait de Jeanne, le clerc de Crémone dit qu'il ne +le tient pas pour avéré sans le tenir comme entièrement à +rejeter<a id="footnotetag1243" name="footnotetag1243"></a><a href="#footnote1243" title="Lien vers la note 1243"><span class="smaller">[1243]</span></a>.</p> + +<p class="p2">Jeanne demeurait ferme dans son propos d'aller à Reims pour y faire +sacrer le roi. Elle ne jugeait pas qu'il valût mieux faire la guerre +en Champagne qu'en Normandie. Elle ne se représentait pas assez +clairement la figure du royaume pour en décider. Et l'on ne pensera +pas que ses anges et ses saintes eussent plus de géographie qu'elle. +Elle avait hâte de mener le roi à Reims pour être sacré, parce qu'elle +ne croyait pas qu'il fût roi avant d'avoir reçu son sacre<a id="footnotetag1244" name="footnotetag1244"></a><a href="#footnote1244" title="Lien vers la note 1244"><span class="smaller">[1244]</span></a>. La +pensée de le faire oindre du saint chrême lui était venue lorsqu'elle +était encore dans son village et bien avant qu'Orléans fût assiégé. +Cette inspiration était de source <span class="pagenum"><a id="page451" name="page451"></a>(p. 451)</span> purement spirituelle et ne +répondait en aucune manière à l'état de choses créé par la délivrance +d'Orléans et la victoire de Patay.</p> + +<p>Pour bien faire, il aurait fallu, le 18 juin, sans reprendre haleine, +marcher sur Paris. On était à trente lieues seulement de la grande +ville qui, à ce moment, n'eût pas même songé à se défendre. Le régent, +la tenant pour déjà prise, s'enfermait dans la bastille de +Vincennes<a id="footnotetag1245" name="footnotetag1245"></a><a href="#footnote1245" title="Lien vers la note 1245"><span class="smaller">[1245]</span></a>. On avait manqué l'occasion. Les conseillers du roi, +les princes du sang de France, surpris par la victoire, encore +incertains de ce qu'il fallait faire, délibéraient. Assurément, aucun +d'eux ne songeait à reconquérir par les armes, à bref délai, +l'héritage entier du roi Charles. Les forces dont ils disposaient et +les conditions mêmes de la société où ils vivaient ne leur +permettaient pas de concevoir une semblable entreprise. Les seigneurs +du grand conseil ne ressemblaient pas à ces pauvres moines qui, dans +leur cloître en ruines, rêvaient un âge de concorde et de paix<a id="footnotetag1246" name="footnotetag1246"></a><a href="#footnote1246" title="Lien vers la note 1246"><span class="smaller">[1246]</span></a>. +Ils n'étaient point des songeurs; ils ne croyaient ni ne désiraient +que la guerre prît fin. Mais ils entendaient la faire avec le moins +possible de risques et de dépenses. Ils se disaient qu'il y aurait +toujours des gens pour endosser le haubergeon et aller à la picorée; +qu'on prendrait et reprendrait <span class="pagenum"><a id="page452" name="page452"></a>(p. 452)</span> toujours des villes dans le +royaume, qu'à chaque jour suffit sa peine, qu'il faut se battre +doucement pour se battre longtemps, que, neuf fois sur dix, on gagne +plus par négociations et traités que par vaillantises d'armes, qu'il +faut conclure habilement des trêves et les rompre à propos, s'attendre +à perdre quelquefois et laisser de la besogne aux jeunes. Ainsi +pensaient les bons serviteurs du roi Charles.</p> + +<p>Certains d'entre eux voulaient qu'on portât la guerre en +Normandie<a id="footnotetag1247" name="footnotetag1247"></a><a href="#footnote1247" title="Lien vers la note 1247"><span class="smaller">[1247]</span></a>; ils y avaient songé dès le mois de mai, avant la +campagne de la Loire, et certes ils ne manquaient pas d'arguments. En +Normandie on tranchait l'arbre anglais à sa racine. Il était très +possible de recouvrer tout de suite une partie de cette contrée où les +Godons avaient très peu de monde. En 1424, les garnisons normandes se +montaient en tout à quatre cents lances et douze cents archers<a id="footnotetag1248" name="footnotetag1248"></a><a href="#footnote1248" title="Lien vers la note 1248"><span class="smaller">[1248]</span></a>. +Depuis lors, elles n'avaient pas dû être beaucoup renforcées. Le +Régent ramassait des hommes partout et déployait une activité +merveilleuse. Mais il manquait d'argent et ses soldats désertaient à +l'envi<a id="footnotetag1249" name="footnotetag1249"></a><a href="#footnote1249" title="Lien vers la note 1249"><span class="smaller">[1249]</span></a>. Dans le pays de conquête, les Coués, aussitôt sortis de +leurs places fortes, se trouvaient en territoire ennemi. Depuis les +frontières de la <span class="pagenum"><a id="page453" name="page453"></a>(p. 453)</span> Bretagne, du Maine et du Perche, jusqu'au +Ponthieu et à la Picardie, sur les rives de la Mayenne, de l'Orne, de +la Dive, de la Touque, de l'Eure et de la Seine, des partisans +tenaient la campagne, guetteurs de chemins, larrons, pillards, +meurtriers, brigands<a id="footnotetag1250" name="footnotetag1250"></a><a href="#footnote1250" title="Lien vers la note 1250"><span class="smaller">[1250]</span></a>. Les Français eussent trouvé partout l'aide +de ces hardis compagnons, ainsi que le bon vouloir des paysans et des +curés de campagne. Mais il fallait s'attendre à demeurer longtemps +devant des villes très fortes, qu'une petite garnison suffisait à +défendre. Or, les gens d'armes redoutaient la lenteur des sièges, et +le trésor royal n'était pas en état de soutenir ces opérations +coûteuses. La Normandie était ruinée; plus de bétail, plus de +moissons. Les capitaines et leurs gens voudraient-ils aller dans ce +pays de famine? Et quel besoin le roi avait-il de reprendre une +province misérable?</p> + +<p>Ces partisans enfin, prêts à tendre la main aux Français, n'étaient +guère engageants. On savait que brigands ils étaient, brigands ils +resteraient et que, la Normandie reconquise, il faudrait les +exterminer jusqu'au dernier, sans honneur ni profit. En ce cas, ne +valait-il pas mieux laisser les Godons aux prises avec eux?</p> + +<p>D'autres seigneurs demandaient qu'on allât en Champagne<a id="footnotetag1251" name="footnotetag1251"></a><a href="#footnote1251" title="Lien vers la note 1251"><span class="smaller">[1251]</span></a>. Et, +quoi qu'on ait dit, les apocalypses de la <span class="pagenum"><a id="page454" name="page454"></a>(p. 454)</span> Pucelle n'étaient +pour rien dans leur détermination. Les conseillers du roi conduisaient +Jeanne, loin de se laisser conduire par elle. Ils l'avaient une +première fois détournée de la route de Reims en lui donnant du travail +sur la Loire. Ils pouvaient la dériver encore sur la Normandie sans +seulement qu'elle s'en aperçût, tant elle ignorait les chemins et les +pays. Si plusieurs recommandaient la campagne champenoise, c'était non +sur la foi des anges et des saintes, mais pour des raisons humaines. +Peut-on les nommer? Sans doute il y avait des seigneurs et des +capitaines qui consultaient l'intérêt du roi et du royaume, mais il +était si difficile à chacun de ne pas le confondre avec son propre +intérêt, que l'on sera bien près de connaître ceux qui décidèrent la +marche sur Reims quand on saura ceux à qui cette marche devait +profiter. Certes, ce n'était pas au duc d'Alençon, qui aurait beaucoup +mieux aimé reprendre son duché avec le secours de la Pucelle<a id="footnotetag1252" name="footnotetag1252"></a><a href="#footnote1252" title="Lien vers la note 1252"><span class="smaller">[1252]</span></a>. Ce +n'était pas non plus à monseigneur le Bâtard ni au sire de Gaucourt, +ni au roi lui-même, qui devaient surtout désirer, pour la sûreté du +Berry et de l'Orléanais, qu'on enlevât La Charité au terrible Perrinet +Gressart<a id="footnotetag1253" name="footnotetag1253"></a><a href="#footnote1253" title="Lien vers la note 1253"><span class="smaller">[1253]</span></a>. On peut supposer, au contraire, que la reine de Sicile +ne voyait pas d'un mauvais œil le roi son gendre pousser vers le +nord-est. Cette dame espagnole était prise de la folie angevine. +Rassurée, pour l'instant, sur le sort de son <span class="pagenum"><a id="page455" name="page455"></a>(p. 455)</span> duché d'Anjou, +elle poursuivait avec âpreté, et au grand dommage du royaume de +France, l'établissement de son fils René dans le duché de Bar et dans +l'héritage de Lorraine, et il ne devait pas lui déplaire que le roi +Charles lui tînt la route libre de Gien à Troyes et à Châlons. Mais +elle avait perdu tout pouvoir sur son gendre depuis l'exil du +Connétable, et l'on ne voit pas qui l'aurait servie dans le conseil, +au mois de mai 1429<a id="footnotetag1254" name="footnotetag1254"></a><a href="#footnote1254" title="Lien vers la note 1254"><span class="smaller">[1254]</span></a>. Au reste, sans chercher davantage, nous +trouvons le personnage qui, plus que tout autre, devait être d'avis +que le roi fût sacré, et qui, plus que tout autre, se trouvait en état +de faire prévaloir son avis. C'était celui-là même à qui il +appartenait de tenir la Sainte Ampoule entre ses mains sacrées, +messire Regnault de Chartres, archevêque duc de Reims, chancelier du +royaume.</p> + +<p>C'était un homme d'une intelligence rare, appliqué aux affaires, très +habile négociateur, avide de biens, moins soucieux de vains honneurs +que d'avantages solides; avare, peu scrupuleux, qui, aux environs de +la cinquantaine, n'avait rien perdu de son activité dévorante: il +venait de le montrer en se dépensant avec une belle ardeur pour la +défense d'Orléans. Doué de la sorte, comment n'eût-il pas exercé dans +le Gouvernement une action puissante?</p> + +<p>Archevêque duc de Reims depuis quinze ans, il <span class="pagenum"><a id="page456" name="page456"></a>(p. 456)</span> attendait +encore le premier sou de ses énormes revenus. Il criait misère, bien +qu'il fût riche; il adressait au pape des suppliques à fendre +l'âme<a id="footnotetag1255" name="footnotetag1255"></a><a href="#footnote1255" title="Lien vers la note 1255"><span class="smaller">[1255]</span></a>. Si la Pucelle avait été jugée favorablement par les +maîtres de Poitiers, monseigneur Regnault y était bien pour quelque +chose. Les clercs n'eussent pas, sans lui, proposé au roi de +l'essayer. Et ce n'est pas faire une supposition trop hasardeuse que +de croire que, si l'on décida la marche sur Reims dans les conseils du +roi, ce fut que le chancelier du royaume approuva par sagesse humaine +ce que la Pucelle proposait par inspiration divine.</p> + +<p>Et, dans le fait, la campagne du sacre, qui n'allait point sans grands +dommages et fâcheux inconvénients offrait aussi de précieux avantages +et surtout des facilités secrètes. Par malheur, elle laissait libre +tout le pays de France occupé par les Anglais et elle donnait à +ceux-ci le temps de se refaire et de recevoir des secours d'outre-mer. +Et l'on verra bientôt qu'ils mirent ce temps à profit<a id="footnotetag1256" name="footnotetag1256"></a><a href="#footnote1256" title="Lien vers la note 1256"><span class="smaller">[1256]</span></a>. Quant aux +avantages, il s'en présentait plusieurs et de diverses sortes. Et +d'abord Jeanne exprimait en vérité le sentiment des pauvres clercs et +du commun peuple en disant que par son sacre le dauphin gagnerait +beaucoup<a id="footnotetag1257" name="footnotetag1257"></a><a href="#footnote1257" title="Lien vers la note 1257"><span class="smaller">[1257]</span></a>. L'huile de la Sainte Ampoule devait communiquer au roi +une splendeur, une majesté <span class="pagenum"><a id="page457" name="page457"></a>(p. 457)</span> dont le rayonnement s'étendrait +sur la France et sur la chrétienté tout entière. La royauté, dans ce +temps, était d'ordre spirituel autant que d'ordre temporel, et la +foule des hommes pensait, ainsi que Jeanne, que les rois ne sont rois +que par l'onction sainte. Aussi pouvait-on dire que Charles de Valois +recevrait plus de force d'une goutte d'huile que de dix mille lances. +De cela les conseillers du roi devaient tenir grand compte; encore +fallait-il considérer le temps et le lieu. Ne pouvait-on pas faire la +cérémonie ailleurs qu'à Reims? Ne pouvait-on pas accomplir ce qu'on +appelait le «mystère», dans cette ville sauvée par l'intercession de +ses bienheureux patrons, Saint-Aignan et Saint-Euverte? Deux rois +issus de Hugues Capet, Robert le Sage et Louis le Gros, avaient été +couronnés à Orléans<a id="footnotetag1258" name="footnotetag1258"></a><a href="#footnote1258" title="Lien vers la note 1258"><span class="smaller">[1258]</span></a>. Mais le souvenir de leur consécration +royale se perdait dans la nuit des âges, tandis que le peuple gardait +la mémoire d'une longue suite de rois très chrétiens sacrés dans la +ville où la colombe divine avait apporté l'huile sainte à +Clovis<a id="footnotetag1259" name="footnotetag1259"></a><a href="#footnote1259" title="Lien vers la note 1259"><span class="smaller">[1259]</span></a>. D'ailleurs le seigneur archevêque et duc de Reims +n'aurait jamais souffert que le roi reçût les onctions autrement que +de sa main et dans sa cathédrale.</p> + +<p>Il fallait donc aller à Reims; il fallait devancer les <span class="pagenum"><a id="page458" name="page458"></a>(p. 458)</span> +Anglais qui avaient résolu d'y amener leur roi enfant, pour qu'il y +fût sacré selon le cérémonial<a id="footnotetag1260" name="footnotetag1260"></a><a href="#footnote1260" title="Lien vers la note 1260"><span class="smaller">[1260]</span></a>. Mais les Français, en pénétrant +dans la Normandie, auraient fermé au jeune roi Henri le chemin, déjà +mal sûr pour lui, de Paris et de Reims, et vraiment il eût été puéril +de dire que le sacre ne pouvait être retardé de quelques semaines. Si +l'on renonçait à gagner des terres et des villes en Normandie, ce +n'était donc pas seulement pour aller à la conquête de la Sainte +Ampoule. Le seigneur archevêque de Reims avait d'autres considérations +à présenter, celle-ci par exemple: En se plaçant hardiment entre le +duc de Bourgogne et les Anglais ses alliés, on pouvait se flatter de +produire quelque impression sur l'esprit du prince et de lui fournir, +comme sujet de méditations salutaires, la vue de Charles, fils de +Charles, roi de France, chevauchant à la tête d'une puissante armée.</p> + +<p>Pour atteindre la cité du bienheureux Remi, il fallait parcourir plus +de cent lieues en pays rebelle, mais sans aucun risque d'y rencontrer +de longtemps des gens d'armes ennemis. Anglais et Bourguignons +levaient des troupes à force, engageaient, «endentaient». Pour le +présent, ils n'avaient personne à opposer aux français. La Champagne, +beau pays, peu boisé, avait beaucoup de blé, beaucoup de cultures, +beaucoup de vin, beaucoup <span class="pagenum"><a id="page459" name="page459"></a>(p. 459)</span> de gros bétail<a id="footnotetag1261" name="footnotetag1261"></a><a href="#footnote1261" title="Lien vers la note 1261"><span class="smaller">[1261]</span></a>; elle n'était +pas ruinée comme la Normandie; les hommes d'armes avaient chance de +s'y nourrir, surtout si, comme on y comptait, les bonnes villes se +laissaient tirer des vivres. Elles possédaient de grands biens; leurs +greniers regorgeaient de blé. Quoiqu'elles reconnussent le roi Henri +pour leur seigneur, elles ne se sentaient aucun attachement aux +Anglais et aux Bourguignons; elles se gouvernaient elles-mêmes. +C'étaient de riches marchandes qui ne voulaient que la paix et se +donnaient au plus fort. À cette époque, elles soupçonnaient que la +force passait aux Armagnacs. Elles avaient un clergé et des bourgeois +à qui l'on pouvait parler. Il ne s'agissait pas de les assiéger avec +de l'artillerie, des mines et des fossés, mais de les circonvenir avec +de belles lettres d'amnistie, beaux traités de commerce et beaux +engagements de respecter les privilèges du clergé. Avec elles on ne +risquait pas de pourrir dans des taudis et de flamber dans des +bastilles. On s'attendait à ce qu'elles ouvrissent leurs portes et, +moitié amour, moitié peur, donnassent de l'argent au roi leur +seigneur.</p> + +<p>La campagne était déjà préparée; elle l'était très habilement. On +avait noué des intelligences, à Troyes, à Châlons; le roi Charles +reçut de quelques notables de Reims avis, par lettres et messages, que +s'il venait, ils lui feraient ouvrir les portes de leur ville. Il +accueillit même trois ou quatre bourgeois qui lui dirent:</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page460" name="page460"></a>(p. 460)</span> —Allez sûrement vers notre ville de Reims. Nous nous faisons +fort de vous mettre en dedans<a id="footnotetag1262" name="footnotetag1262"></a><a href="#footnote1262" title="Lien vers la note 1262"><span class="smaller">[1262]</span></a>.</p> + +<p>Ces assurances enhardirent le Conseil royal; et la marche en Champagne +fut résolue.</p> + +<p>L'armée se rassembla à Gien; elle y croissait tous les jours. Les +seigneurs de Bretagne et de Poitou arrivaient abondamment, la plupart +en petite compagnie, sur un mauvais bidet<a id="footnotetag1263" name="footnotetag1263"></a><a href="#footnote1263" title="Lien vers la note 1263"><span class="smaller">[1263]</span></a>. Les plus pauvres, +équipés en archers, venaient faire, faute de mieux, le service des +gens de trait. Les vilains et les gens de métier s'offraient. De la +Loire à la Seine et de la Seine à la Somme, la terre n'était plus +cultivée qu'autour des châteaux et des forteresses; la plupart des +champs restaient en jachères; en beaucoup d'endroits on ne tenait plus +ni foires ni marchés; les ouvriers chômaient partout. La guerre, ayant +détruit tous les métiers, devenait l'unique métier. «Chacun dit +Eustache Deschamps, veut devenir écuyer. Il n'y a presque plus +d'artisans<a id="footnotetag1264" name="footnotetag1264"></a><a href="#footnote1264" title="Lien vers la note 1264"><span class="smaller">[1264]</span></a>.» Il vint au lieu du rassemblement trente mille +hommes, dont beaucoup de piétons, beaucoup de gens des communes, qui +servaient pour la nourriture. Encore faut-il compter les moines, les +valets, les femmes, la séquelle. <span class="pagenum"><a id="page461" name="page461"></a>(p. 461)</span> Et tout ce monde avait +grand'faim. Le roi se rendit à Gien, et il y manda la reine qui était +à Bourges<a id="footnotetag1265" name="footnotetag1265"></a><a href="#footnote1265" title="Lien vers la note 1265"><span class="smaller">[1265]</span></a>.</p> + +<p>Il pensait l'emmener à Reims pour qu'elle y fût sacrée avec lui, à +l'exemple de la reine Blanche de Castille, de Jeanne de Valois et de +la reine Jeanne, femme du roi Jean. Toutefois, les reines pour la +plupart n'avaient pas été couronnées à Reims; la reine Ysabeau, mère +du roi vivant, avait reçu la couronne des mains de l'archevêque de +Rouen, dans la Sainte-Chapelle de Paris<a id="footnotetag1266" name="footnotetag1266"></a><a href="#footnote1266" title="Lien vers la note 1266"><span class="smaller">[1266]</span></a>. Avant elle, les épouses +des rois, à l'exemple de Berthe, femme de Pépin le Bref, venaient de +préférence à Saint-Denys recevoir la couronne d'or, de saphir et de +perles donnée par Jeanne d'Évreux aux religieux de l'abbaye<a id="footnotetag1267" name="footnotetag1267"></a><a href="#footnote1267" title="Lien vers la note 1267"><span class="smaller">[1267]</span></a>. +Tantôt les reines étaient couronnées avec leur époux, tantôt elles +l'étaient seules et à part; plusieurs ne l'avaient jamais été.</p> + +<p>Pour que le roi Charles pensât emmener la reine Marie dans cette +chevauchée, il fallait qu'il ne craignît ni fatigues trop rudes ni +trop grands périls. Pourtant, au dernier moment, on changea d'avis. La +reine, étant venue à Gien, fut renvoyée à Bourges; le roi se mit en +chemin sans elle<a id="footnotetag1268" name="footnotetag1268"></a><a href="#footnote1268" title="Lien vers la note 1268"><span class="smaller">[1268]</span></a>.</p> + +<p class="poem10"> + <span class="pagenum"><a id="page462" name="page462"></a>(p. 462)</span> Quand le roy s'en vint en France,<br> + Il feit oindre ses houssiaulx,<br> + Et la royne lui demande:<br> + Où veult aller cest damoiseaulx<a id="footnotetag1269" name="footnotetag1269"></a><a href="#footnote1269" title="Lien vers la note 1269"><span class="smaller">[1269]</span></a>?</p> + +<p>La reine ne demandait rien. Elle était laide et de faible vouloir. +Mais la chanson dit qu'en partant le roi fit graisser ses vieux +houssiaux, faute d'en pouvoir mettre de neufs. Ces plaisanteries sur +la pauvreté du roi de Bourges, tout anciennes qu'elles étaient, +pouvaient paraître bonnes encore<a id="footnotetag1270" name="footnotetag1270"></a><a href="#footnote1270" title="Lien vers la note 1270"><span class="smaller">[1270]</span></a>. Le roi n'était pas devenu +riche. C'était l'usage de payer d'avance aux gens d'armes une partie +des sommes convenues pour leurs gages. À Gien il fut fait un paiement +de trois francs par homme d'armes. La somme parut maigre, mais on +comptait gagner en route<a id="footnotetag1271" name="footnotetag1271"></a><a href="#footnote1271" title="Lien vers la note 1271"><span class="smaller">[1271]</span></a>.</p> + +<p>Le vendredi 24 juin, la Pucelle partit d'Orléans pour Gien. Le +lendemain, elle dicta de Gien une lettre aux habitants de Tournai pour +les instruire que les Anglais avaient été chassés de leurs places sur +la Loire et déconfits en bataille, pour les inviter à venir au sacre +du roi Charles à Reims et pour leur recommander de se maintenir loyaux +Français.</p> + +<p>Voici cette lettre:</p> + +<div class="quote"> +<p class="center"><span class="pagenum"><a id="page463" name="page463"></a>(p. 463)</span> ✝ JHESUS ✝ MARIA.</p> + +<p>Gentilz loiaux Franchois de la ville du Tournay, la Pucelle vous + faict savoir des nouvelles de par dechà, que en viij jours elle a + cachié les Anglois hors de toutez les places qu'ilz tenoient sur + la rivire de Loire par assaut ou aultrement; où il en a eu mains + mors et prinz, et lez a desconfis en bataille. Et croiés que le + conte de Suffort, Lapoulle son frère, le sire de Tallebord, le + sire de Scallez et messires Jean Falscof et plusieurs chevaliers + et capitainez ont esté prinz, et le frère du conte de Suffort et + Glasdas mors. Maintenés vous bien loiaux Franchois, je vous en + pry, et vous pry et vous requiers que vous soiés tous prestz de + venir au sacre du gentil roy Charles à Rains où nous serons + briefment, et venés au devant de nous quand vous saurés que nous + aprocherons. À Dieu vous commans, Dieu soit garde de vous et vous + doinst grace que vous puissiés maintenir la bonne querelle du + royaume de France. Escript à Gien le <span class="smcap">XXV</span><sup>e</sup> jour de juing.</p> + +<p><i>Sur l'adresse</i>: Aux loiaux Franchois de la ville de + Tournay<a id="footnotetag1272" name="footnotetag1272"></a><a href="#footnote1272" title="Lien vers la note 1272"><span class="smaller">[1272]</span></a>.</p> +</div> + +<p>Une lettre de la même teneur dut être envoyée par la chancellerie +monacale de la Pucelle à toutes les villes restées favorables au roi +Charles, et les religieux durent faire eux-mêmes la liste de ces +villes<a id="footnotetag1273" name="footnotetag1273"></a><a href="#footnote1273" title="Lien vers la note 1273"><span class="smaller">[1273]</span></a>. Certes ils ne <span class="pagenum"><a id="page464" name="page464"></a>(p. 464)</span> pouvaient oublier la ville du +domaine royal, qui, dans les Flandres, en pleine domination +bourguignonne, demeurait fidèle à son légitime seigneur. La ville de +Tournai, cédée à Philippe le Bon par le Gouvernement anglais, en 1423, +n'avait pas reconnu son nouveau maître. Jean de Thoisy, son évêque, +résidait auprès du duc Philippe<a id="footnotetag1274" name="footnotetag1274"></a><a href="#footnote1274" title="Lien vers la note 1274"><span class="smaller">[1274]</span></a>; mais elle restait «chambre du +Roi» et l'attachement de ses habitants à la fortune du dauphin était +connu de tous, exemplaire et fameux<a id="footnotetag1275" name="footnotetag1275"></a><a href="#footnote1275" title="Lien vers la note 1275"><span class="smaller">[1275]</span></a>. Les consuls d'Albi, dans +une note très brève, qu'ils rédigèrent sur les merveilles de l'année +1429, prirent soin de marquer que cette ville du nord, si lointaine, +qu'ils ne savaient pas bien où elle était située, tenait pour la +France, au milieu des ennemis de la France. «Le fait est, +écrivirent-ils, que les Anglais occupaient tout le pays de Normandie +et de Picardie, fors Tournay<a id="footnotetag1276" name="footnotetag1276"></a><a href="#footnote1276" title="Lien vers la note 1276"><span class="smaller">[1276]</span></a>.»</p> + +<p>Ceux du bailliage de Tournai, jaloux en effet de jouir des franchises +et des privilèges que le roi de France leur avait accordés, n'eussent +voulu pour rien au monde se disjoindre de la Couronne. Ils +protestaient de leur fidélité et faisaient de belles processions pour +le bien du roi et le recouvrement de son royaume; <span class="pagenum"><a id="page465" name="page465"></a>(p. 465)</span> mais là +s'arrêtait leur dévouement, et quand leur seigneur Charles leur +réclamait instamment les arrérages de leurs contributions, dont il +disait avoir très grand besoin, leurs magistrats en délibéraient et +décidaient de demander de nouveaux délais, les plus longs +possibles<a id="footnotetag1277" name="footnotetag1277"></a><a href="#footnote1277" title="Lien vers la note 1277"><span class="smaller">[1277]</span></a>.</p> + +<p>Il n'est pas douteux que la Pucelle n'ait dicté elle-même cette +missive. On voit qu'elle y attribue à elle seule la victoire, toute la +victoire. Sa candeur l'y obligeait. À son sens, Dieu avait tout fait, +et il avait tout fait par elle. «La Pucelle a chassé les Anglais de +toutes les places qu'ils tenaient.» Elle seule pouvait montrer une foi +si naïve en elle-même. Frère Pasquerel n'aurait pas écrit avec cette +sainte simplicité.</p> + +<p>Il est remarquable que, dans cette lettre, sir John Falstolf est +compté parmi les prisonniers. Cette erreur n'est pas particulière à +Jeanne. Le roi mande à ses bonnes villes que trois capitaines anglais +furent pris, Talbot, le sire de Scalles et Falstolf. Perceval de +Boulainvilliers, dans son épître latine au duc de Milan, met Falstolf, +qu'il nomme Fastechat, au nombre des mille prisonniers faits par les +Dauphinois. Enfin, une missive, envoyée vers le 25 juin d'une des +villes du diocèse de Luçon, témoigne d'une grande incertitude sur le +sort de Talbot, Falstolf et Scalles, «qu'on dit être pris ou +morts<a id="footnotetag1278" name="footnotetag1278"></a><a href="#footnote1278" title="Lien vers la note 1278"><span class="smaller">[1278]</span></a>». <span class="pagenum"><a id="page466" name="page466"></a>(p. 466)</span> Les Français avaient mis la main, peut-être, +sur un seigneur qui ressemblait à John Falstolf de visage ou de nom; +ou bien quelque homme d'armes, pour être reçu à rançon, avait dit être +Falstolf. La lettre de la Pucelle parvint le 7 juillet à Tournai. Le +lendemain, les consaux<a id="footnotetag1279" name="footnotetag1279"></a><a href="#footnote1279" title="Lien vers la note 1279"><span class="smaller">[1279]</span></a> de la ville décidèrent d'envoyer une +ambassade au roi Charles de France<a id="footnotetag1280" name="footnotetag1280"></a><a href="#footnote1280" title="Lien vers la note 1280"><span class="smaller">[1280]</span></a>.</p> + +<p>Le 27 juin ou environ, la Pucelle fit porter au duc de Bourgogne des +lettres pour qu'il fût au sacre du roi. Elle ne reçut point de +réponse<a id="footnotetag1281" name="footnotetag1281"></a><a href="#footnote1281" title="Lien vers la note 1281"><span class="smaller">[1281]</span></a>. Le duc Philippe était l'homme du monde le plus +incapable de correspondre avec la Pucelle. Qu'elle lui écrivît +obligeamment, c'était une marque de son bon esprit. Enfant, dans son +village, elle avait été l'ennemie des Bourguignons avant d'être +l'ennemie des Anglais, cependant elle voulait le bien du royaume et la +réconciliation des Français.</p> + +<p>Le duc de Bourgogne ne pouvait facilement pardonner le guet-apens de +Montereau, mais à aucun moment de sa vie il n'avait voué une haine +irréconciliable au parti français. L'entente était devenue très +possible depuis l'année 1425, alors que son beau-frère, le Connétable +de France, avait chassé du Conseil royal les assassins du duc Jean. +Quant au dauphin Charles, il se défendait <span class="pagenum"><a id="page467" name="page467"></a>(p. 467)</span> d'avoir eu part au +crime et, parmi les Bourguignons, il passait pour idiot<a id="footnotetag1282" name="footnotetag1282"></a><a href="#footnote1282" title="Lien vers la note 1282"><span class="smaller">[1282]</span></a>. Dans le +fond de son cœur, le duc Philippe n'aimait pas les Anglais. Il leur +avait refusé, après la mort du roi Henri V, de prendre la régence de +France. On sait l'aventure de la comtesse Jacqueline qui faillit le +brouiller tout à fait avec eux<a id="footnotetag1283" name="footnotetag1283"></a><a href="#footnote1283" title="Lien vers la note 1283"><span class="smaller">[1283]</span></a>. La maison de Bourgogne cherchait +depuis de longues années à mettre la main sur les Pays-Bas. Le duc +Philippe y parvint enfin en mariant son cousin germain Jean, duc de +Brabant, avec Jacqueline de Bavière, comtesse de Hainaut, Hollande et +Zélande, et dame de Frise. Jacqueline, qui ne pouvait souffrir son +mari, s'enfuit en Angleterre, et, ayant fait casser son mariage par +l'antipape Benoit XIII, épousa le duc de Glocester, frère du Régent.</p> + +<p>Bedford, aussi sage que Glocester était fol, s'efforçait au contraire +de retenir le magnifique duc dans l'alliance anglaise; mais la haine +secrète qu'il ressentait pour le Bourguignon éclatait par soudains +accès. Qu'il ait voulu le faire assassiner et que le duc de Bourgogne +l'ait su, ce n'est pas prouvé. On assure, tout au moins, qu'à ce +prudent duc de Bedford il échappa, un jour, de dire que le duc +Philippe pourrait bien s'en aller en Angleterre boire de la bière plus +que son saoul<a id="footnotetag1284" name="footnotetag1284"></a><a href="#footnote1284" title="Lien vers la note 1284"><span class="smaller">[1284]</span></a>. Il <span class="pagenum"><a id="page468" name="page468"></a>(p. 468)</span> venait de le mécontenter très +maladroitement en ne lui laissant pas prendre la ville +d'Orléans<a id="footnotetag1285" name="footnotetag1285"></a><a href="#footnote1285" title="Lien vers la note 1285"><span class="smaller">[1285]</span></a>. Il s'en mordait les doigts et, tout repentant d'avoir +refusé au duc le nombril de la Loire et le cœur de la France, il +s'empressa de lui offrir la Champagne, que les Français s'en allaient +prendre: c'était, en effet, le moment d'en faire un présent au grand +ami<a id="footnotetag1286" name="footnotetag1286"></a><a href="#footnote1286" title="Lien vers la note 1286"><span class="smaller">[1286]</span></a>.</p> + +<p>Cependant le magnifique duc ne pensait qu'à ses Flandres. Le pape +Martin avait déclaré nul le mariage de la comtesse Jacqueline avec +Glocester, et Glocester épousait une autre femme. Le Gargantua de +Dijon remettait la main sur les terres de cette belle Jacqueline. Il +restait l'allié des Anglais, comptant se servir d'eux et ne pas les +servir, et se réservait, s'il y trouvait avantage, de combattre les +Français avant de se réconcilier avec eux; il n'y voyait aucun mal. +Après les Flandres c'étaient les dames et les belles peintures comme +celles des frères Van Eyck qu'il avait le plus à gré. On imagine ce +qu'une lettre de la Pucelle des Armagnacs devait peser sur son +esprit<a id="footnotetag1287" name="footnotetag1287"></a><a href="#footnote1287" title="Lien vers la note 1287"><span class="smaller">[1287]</span></a>.</p> + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page469" name="page469"></a>(p. 469)</span> CHAPITRE XVII<br> + +<span class="smaller">LA CONVENTION D'AUXERRE. — FRÈRE RICHARD. — LA CAPITULATION DE TROYES.</span></h2> + + +<p>Le 27 juin, l'avant-garde, commandée par le maréchal de Boussac, le +sire de Rais, les capitaines La Hire et Poton, partit de Gien et se +dirigea sur Montargis, dans le dessein d'occuper Sens. On se ravisa +presque aussitôt et l'on se tourna vers Auxerre. Le roi se mit en +marche le surlendemain, avec les princes du sang royal, une nombreuse +chevalerie, la grosse bataille, comme on disait, et le sire de la +Trémouille, qui conduisait toute l'entreprise<a id="footnotetag1288" name="footnotetag1288"></a><a href="#footnote1288" title="Lien vers la note 1288"><span class="smaller">[1288]</span></a>. L'armée arriva le +1<sup>er</sup> juillet devant Auxerre<a id="footnotetag1289" name="footnotetag1289"></a><a href="#footnote1289" title="Lien vers la note 1289"><span class="smaller">[1289]</span></a>. La Pucelle, qui avait accompagné +l'avant-garde, voyait la ville entourée de coteaux de vignes et de +champs de blé, dresser ses murailles, <span class="pagenum"><a id="page470" name="page470"></a>(p. 470)</span> ses tours, ses toits +et ses clochers au penchant d'une colline. Cette cité devant laquelle +elle chevauchait au soleil d'été, tout armée, comme un beau saint +Maurice, au milieu d'une ample chevalerie, elle l'avait vue, sous un +ciel sombre et pluvieux quand, trois mois auparavant, habillée en +galopin d'écurie, elle allait, sur un mauvais cheval, en compagnie de +quelques pauvres routiers, vers le dauphin Charles<a id="footnotetag1290" name="footnotetag1290"></a><a href="#footnote1290" title="Lien vers la note 1290"><span class="smaller">[1290]</span></a>.</p> + +<p>Le comté d'Auxerre appartenait, depuis l'an 1424, au duc de Bourgogne, +qui l'avait reçu en don du Régent et y exerçait son autorité au moyen +d'un bailli et d'un capitaine<a id="footnotetag1291" name="footnotetag1291"></a><a href="#footnote1291" title="Lien vers la note 1291"><span class="smaller">[1291]</span></a>.</p> + +<p>Le seigneur évêque, messire Jean de Corbie, précédemment évêque de +Mende, passait pour favorable au dauphin<a id="footnotetag1292" name="footnotetag1292"></a><a href="#footnote1292" title="Lien vers la note 1292"><span class="smaller">[1292]</span></a>. Le Chapitre de la +cathédrale professait au contraire des sentiments bourguignons<a id="footnotetag1293" name="footnotetag1293"></a><a href="#footnote1293" title="Lien vers la note 1293"><span class="smaller">[1293]</span></a>. +Douze jurés, élus par la communauté des bourgeois et des habitants, +administraient la ville. On conçoit sans peine le sentiment qu'ils +éprouvèrent à la venue de l'armée royale: ce fut l'épouvante. Les +hommes d'armes, qu'ils portassent la croix blanche ou la croix rouge, +inspiraient <span class="pagenum"><a id="page471" name="page471"></a>(p. 471)</span> une juste terreur aux gens des villes qui, pour +détourner de leurs murs ces larrons sacrilèges et homicides, étaient +capables des plus rudes efforts, même de mettre la main à +l'escarcelle.</p> + +<p>À ceux d'Auxerre le roi manda par ses hérauts de le recevoir comme +leur naturel et droiturier seigneur. Un tel mandement, appuyé sur des +lances, les embarrassait fort. À refuser comme à consentir, ces bonnes +gens couraient de grands risques. Changer d'obéissance n'était pas une +chose à faire légèrement; il y allait de leurs biens et de leur vie. +Prévoyant le danger et sentant leur faiblesse, ils étaient entrés dans +la ligue communale formée par les cités champenoises contre la +disgrâce de recevoir des gens d'armes et les périls d'avoir deux +maîtres ennemis. Ils se présentèrent devant le roi Charles et +promirent de lui faire telle et pareille obéissance que ceux des +villes de Troyes, Châlons et Reims<a id="footnotetag1294" name="footnotetag1294"></a><a href="#footnote1294" title="Lien vers la note 1294"><span class="smaller">[1294]</span></a>.</p> + +<p>Ce n'était pas obéir; ce n'était pas non plus se mettre en état de +rébellion. On négocia; les ambassadeurs allaient de la ville au camp +et du camp à la ville; finalement, les jurés, qui ne manquaient pas +d'esprit, proposèrent un arrangement acceptable et que les princes +concluaient entre eux à tout moment, la trêve.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page472" name="page472"></a>(p. 472)</span> Ils dirent au Roi:</p> + +<p>—Nous vous prions et requérons de vouloir bien passer outre, et nous +vous demandons de conclure abstinence de guerre.</p> + +<p>Et, pour rendre leur prière plus agréable, ils donnèrent deux mille +écus au sire de la Trémouille qui les garda, dit-on, sans vergogne. De +plus, les habitants consentaient à fournir des vivres à l'armée, +contre espèces sonnantes; et c'était à considérer, car la famine +régnait dans le camp<a id="footnotetag1295" name="footnotetag1295"></a><a href="#footnote1295" title="Lien vers la note 1295"><span class="smaller">[1295]</span></a>. Cette trêve ne faisait pas l'affaire des +gens d'armes qui y perdaient une belle occasion de dérober et piller. +Des murmures s'élevèrent; plusieurs seigneurs et capitaines disaient +qu'il ne serait pas difficile de prendre la ville et qu'il fallait +essayer. La Pucelle, à qui ses Voix annonçaient perpétuellement la +victoire, ne cessait d'appeler les soldats aux armes<a id="footnotetag1296" name="footnotetag1296"></a><a href="#footnote1296" title="Lien vers la note 1296"><span class="smaller">[1296]</span></a>. Sans +aucunement s'émouvoir, le Roi conclut la trêve proposée, ne se +souciant pas d'obtenir par force plus qu'il n'avait gagné par douceur. +S'il avait attaqué la ville, peut-être l'aurait-il prise et tenue à sa +merci; mais c'était le pillage, l'incendie, le meurtre et le viol +certains. Et les Bourguignons seraient venus la reprendre sur ses +talons, y piller, brûler, violer, massacrer <span class="pagenum"><a id="page473" name="page473"></a>(p. 473)</span> de nouveau. Que +d'exemples on avait de ces malheureuses villes enlevées et perdues +tout aussitôt, ruinées par les Français, ruinées par les Anglais et +les Bourguignons, où chaque bourgeois gardait dans son coffre, pour +s'en coiffer tour à tour, béret rouge et béret blanc! Fallait-il donc +sans cesse renouveler ces massacres et ces abominations dont le +ressentiment faisait exécrer les Armagnacs dans toute l'Île de France +et rendait si difficile au roi légitime la recouvrance de sa ville de +Paris? Le Conseil royal ne le crut pas; il pensa au contraire que +Charles de Valois réussirait mieux à reprendre son bien en montrant en +même temps sa mansuétude et sa force et en poursuivant avec une royale +clémence jusqu'à la ville de Reims sa marche armée et pacifique.</p> + +<p>Après être demeurés trois jours sous les murs de la ville, les soldats +rassasiés passèrent l'Yonne et s'en furent sous la ville de +Saint-Florentin qui se mit aussitôt dans l'obéissance du roi. Le 4 +juillet, ils atteignirent le village de Saint-Phal, à quatre heures de +Troyes<a id="footnotetag1297" name="footnotetag1297"></a><a href="#footnote1297" title="Lien vers la note 1297"><span class="smaller">[1297]</span></a>.</p> + +<p>En cette ville forte, quatre cents hommes au plus tenaient garnison, +tous natifs du royaume de France: il n'y avait pas, il n'y avait +jamais eu d'Anglais en Champagne; un bailli, messire Jean de +Dinteville; deux capitaines, les sires de Rochefort et de Plancy, +commandaient, dans la ville, pour le roi Henri et pour le <span class="pagenum"><a id="page474" name="page474"></a>(p. 474)</span> +duc de Bourgogne<a id="footnotetag1298" name="footnotetag1298"></a><a href="#footnote1298" title="Lien vers la note 1298"><span class="smaller">[1298]</span></a>. Troyes était marchande: la draperie faisait sa +richesse. Sans doute cette industrie déclinait depuis longtemps, +atteinte par la concurrence et le déplacement des marchés; la misère +publique et l'insécurité des routes précipitaient sa ruine. Pourtant +la corporation des drapiers demeurait puissante et donnait au Conseil +un grand nombre de magistrats<a id="footnotetag1299" name="footnotetag1299"></a><a href="#footnote1299" title="Lien vers la note 1299"><span class="smaller">[1299]</span></a>.</p> + +<p>Ces marchands avaient juré, en 1420, le traité qui assurait à la +maison de Lancastre la couronne de France; ils se trouvaient à la +merci des Bourguignons et des Anglais. Pour tenir ces grandes foires +où ils portaient leurs draps, il leur fallait vivre en paix avec leurs +voisins de Bourgogne, et, si les Godons avaient fermé les ports de +Seine à leurs ballots, ils fussent morts de faim. Aussi les notables +de la ville étaient-ils devenus Anglais. Ce n'était pas à dire qu'ils +dussent le rester toujours. De grands changements s'étaient accomplis +dans le royaume depuis quelques semaines, et les Gilles Laiguisé, les +Hennequin, les Jouvenel, ne se piquaient pas de demeurer immuables +dans leurs sentiments parmi les mutations de la fortune qui ôtaient la +force aux uns pour la communiquer aux autres. Les victoires des +Français leur donnaient à réfléchir. Le menu peuple, les ouvriers +tisseurs, teinturiers, corroyeurs, <span class="pagenum"><a id="page475" name="page475"></a>(p. 475)</span> nombreux le long des +ruisseaux qui traversaient la cité, avaient le cœur bourguignon. +Quant aux hommes d'Église, s'ils ne se sentaient émus d'aucun amour +pour les Armagnacs, ils n'en étaient pas moins enclins à croire que le +roi Charles venait à eux par un décret spécial de la providence +divine.</p> + +<p>Le seigneur évêque de Troyes était messire Jean Laiguisé, fils de +maître Huet Laiguisé, un des premiers jureurs du traité de 1420<a id="footnotetag1300" name="footnotetag1300"></a><a href="#footnote1300" title="Lien vers la note 1300"><span class="smaller">[1300]</span></a>. +Le Chapitre l'avait élu sans attendre la licence du régent, qui +s'éleva contre l'élection et menaça de confisquer les biens des +chanoines, non que le nouveau pontife lui déplût; messire Jean +Laiguisé avait sucé sur le sein de l'alme Université de Paris la haine +des Armagnacs et le respect de la rose de Lancastre. Mais monseigneur +de Bedford ne tolérait pas ce mépris des droits du souverain.</p> + +<p>Peu de temps après, il souleva la réprobation de l'Église de France +tout entière et fut jugé par les évêques pire que les plus cruels +tyrans dont il est parlé dans l'Écriture, Pharaon, Nabuchodonosor, +Artaxercès qui, châtiant Israël, avaient toutefois épargné les +lévites. Plus méchant qu'eux et plus impie, monseigneur de Bedford +attentait aux privilèges de l'Église gallicane, c'est-à-dire que, au +profit du Saint-Siège, il dépouillait <span class="pagenum"><a id="page476" name="page476"></a>(p. 476)</span> les ordinaires de la +collation des bénéfices, levait un double décime sur le clergé de +France, et demandait aux gens d'Église de lui faire abandon des biens +reçus par eux depuis quarante ans. Qu'il agît de la sorte avec +l'agrément du pape, sa conduite n'en était pas moins exécrable au +sentiment des seigneurs évêques de France, décidés à en appeler du +pape mal informé au pape mieux informé, et qui tenaient l'autorité de +l'évêque de Rome, petite auprès de l'autorité du Concile. Ils +gémissaient: l'abomination de la désolation était dans la Gaule +chrétienne. Monseigneur de Bedford, pour pacifier l'Église de France, +soulevée contre lui, convoqua à Paris les évêques de la province +ecclésiastique de Sens, qui comprenait les diocèses de Paris, de +Troyes, d'Auxerre, de Nevers, de Meaux, de Chartres et +d'Orléans<a id="footnotetag1301" name="footnotetag1301"></a><a href="#footnote1301" title="Lien vers la note 1301"><span class="smaller">[1301]</span></a>.</p> + +<p>Messire Jean Laiguisé se rendit à cette convocation. Le synode se tint +à Paris, dans le prieuré de Saint-Éloi, sous la présidence du +métropolitain, du 1<sup>er</sup> mars au 23 avril 1429<a id="footnotetag1302" name="footnotetag1302"></a><a href="#footnote1302" title="Lien vers la note 1302"><span class="smaller">[1302]</span></a>. Les évêques +rassemblés représentèrent à monseigneur le Régent le malheureux état +des seigneurs ecclésiastiques, à qui les paysans, pillés par les gens +de guerre, ne payaient plus leurs redevances, les terres d'Église +abandonnées, le service <span class="pagenum"><a id="page477" name="page477"></a>(p. 477)</span> divin cessé dans les campagnes, +faute d'argent pour la célébration du culte. Ils furent unanimes à +refuser le double décime au régent et au pape, menaçant d'en appeler +du pape au concile. Quant à dépouiller les clercs de tous les biens +qu'ils avaient reçus depuis quarante ans, ils déclarèrent que ce +serait une impiété et ils avertirent charitablement monseigneur de +Bedford du sort réservé dès ce monde aux impies par le juste jugement +de Dieu. «Le Prince, lui dirent-ils, doit détourner de lui les misères +et calamités advenues aux princes de plusieurs royaumes qui +affligèrent de telles réquisitions l'Église que Dieu a délivrée par +son précieux sang de la servitude du Démon, desquels les uns périrent +par le glaive, plusieurs furent traînés en captivité, les autres +dépouillés de leurs très illustres souverainetés. C'est pourquoi ils +ne doivent pas croire qu'ils méritent la grâce de la divine Majesté, +ceux-là qui s'efforcent de réduire en servitude l'Église son +épouse<a id="footnotetag1303" name="footnotetag1303"></a><a href="#footnote1303" title="Lien vers la note 1303"><span class="smaller">[1303]</span></a>.»</p> + +<p>Les sentiments de Jean Laiguisé à l'égard du régent d'Angleterre +étaient ceux du synode. Il n'en faut pas conclure que l'évêque de +Troyes voulût la mort du pécheur, ni même qu'il fût l'ennemi des +Anglais<a id="footnotetag1304" name="footnotetag1304"></a><a href="#footnote1304" title="Lien vers la note 1304"><span class="smaller">[1304]</span></a>. L'Église use communément de prudence à l'endroit des +puissances temporelles. Sa mansuétude est grande et <span class="pagenum"><a id="page478" name="page478"></a>(p. 478)</span> sa +patience inlassable. Elle menace longtemps avant que de frapper et +admet l'impie à résipiscence dès qu'il donne signe de repentir. Mais +on pouvait croire que, si Charles de Valois prenait pouvoir et volonté +de protéger l'Église de France, le seigneur évêque et le chapitre de +Troyes craindraient, en lui résistant, de résister à Dieu lui-même, +car toute puissance vient de Dieu qui <i>deposuit potentes</i>.</p> + +<p>Le roi Charles ne s'était point aventuré en Champagne sans prendre ses +sûretés; il savait sur qui compter en cette ville de Troyes. Il avait +reçu des avis, des promesses; il entretenait des relations secrètes +avec plusieurs bourgeois de la cité, et non des moindres<a id="footnotetag1305" name="footnotetag1305"></a><a href="#footnote1305" title="Lien vers la note 1305"><span class="smaller">[1305]</span></a>. Dans +la première quinzaine de mai, un notaire royal et dix clercs et +notables marchands, qui se rendaient vers lui, avaient été arrêtés au +sortir de leurs murailles, sur la route de Paris, par un capitaine au +service des Anglais, le sire de Chateauvillain<a id="footnotetag1306" name="footnotetag1306"></a><a href="#footnote1306" title="Lien vers la note 1306"><span class="smaller">[1306]</span></a>. Probablement que +d'autres, plus heureux, purent accomplir leur mission. Il n'est pas +difficile de deviner les questions agitées dans ces conciliabules. Les +marchands demandaient que, au cas où le roi Charles deviendrait leur +maître, il leur garantît l'entière liberté de leur trafic; les clercs +voulaient être assurés qu'il respecterait les biens de l'Église. Et le +roi, sans doute, ne ménageait point les promesses.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page479" name="page479"></a>(p. 479)</span> La Pucelle s'arrêta avec une partie de l'armée devant le +château fort de Saint-Phal, appartenant à Philibert de Vaudrey, +capitaine de la ville de Tonnerre, au service du duc de +Bourgogne<a id="footnotetag1307" name="footnotetag1307"></a><a href="#footnote1307" title="Lien vers la note 1307"><span class="smaller">[1307]</span></a>. En ce lieu de Saint-Phal, elle vit venir à elle un +cordelier qui, craignant qu'elle ne fût le diable, faisait des signes +de croix, jetait de l'eau bénite et n'osait approcher sans l'avoir +exorcisée. C'était frère Richard qui venait de Troyes<a id="footnotetag1308" name="footnotetag1308"></a><a href="#footnote1308" title="Lien vers la note 1308"><span class="smaller">[1308]</span></a>. Il y a +intérêt à dire ce qu'était ce religieux, autant qu'on peut le savoir.</p> + +<p>On ignore le lieu de sa naissance<a id="footnotetag1309" name="footnotetag1309"></a><a href="#footnote1309" title="Lien vers la note 1309"><span class="smaller">[1309]</span></a>. Disciple du frère Vincent +Ferrier et du frère Bernardin de Sienne, comme eux il enseignait +l'avènement prochain de l'Antéchrist et le salut des fidèles par +l'adoration du saint nom de Jésus<a id="footnotetag1310" name="footnotetag1310"></a><a href="#footnote1310" title="Lien vers la note 1310"><span class="smaller">[1310]</span></a>. Après avoir fait le +pèlerinage de Jérusalem, il vint en France et prêcha dans la ville de +Troyes l'avent de 1428. L'avent, qu'on nomme parfois aussi le carême +<span class="pagenum"><a id="page480" name="page480"></a>(p. 480)</span> de la Saint-Martin, commence le dimanche qui tombe entre le +27 novembre et le 3 décembre, et dure quatre semaines pendant +lesquelles les chrétiens se préparent à célébrer le mystère de la +Nativité.</p> + +<p>—Semez, disait-il, semez, bonnes gens; semez foison de fèves, car +Celui qui doit venir viendra bien bref<a id="footnotetag1311" name="footnotetag1311"></a><a href="#footnote1311" title="Lien vers la note 1311"><span class="smaller">[1311]</span></a>.</p> + +<p>Par les fèves qu'il fallait semer, il entendait les bonnes œuvres +qu'il convenait d'accomplir avant que Notre-Seigneur vînt, sur les +nuées, juger les vivants et les morts. Or, il importait de semer les +œuvres sans tarder, car bientôt serait la moisson. La venue de +l'Antéchrist devait précéder de peu de temps la fin du monde et la +consommation des siècles. Au mois d'avril 1429, frère Richard se +rendit à Paris; le synode de la province de Sens tenait alors ses +dernières séances. Que le bon frère ait été appelé dans la grande +ville par l'évêque de Troyes présent au synode, c'est possible, mais +il ne paraît pas que ce moine errant y fût venu pour défendre les +droits de l'Église gallicane<a id="footnotetag1312" name="footnotetag1312"></a><a href="#footnote1312" title="Lien vers la note 1312"><span class="smaller">[1312]</span></a>.</p> + +<p>Le 16 avril, il fit son premier sermon à Sainte-Geneviève; le +lendemain et jours suivants, jusqu'au dimanche 24, il prêcha tous les +matins, de cinq heures à dix et onze heures, en plein air, sur un +échafaud adossé au charnier des Innocents, à l'endroit de la <span class="pagenum"><a id="page481" name="page481"></a>(p. 481)</span> +danse macabre. Autour de l'estrade, haute d'une toise et demie, se +pressaient cinq ou six mille personnes auxquelles il annonçait la +venue prochaine de l'Antéchrist et la fin du monde<a id="footnotetag1313" name="footnotetag1313"></a><a href="#footnote1313" title="Lien vers la note 1313"><span class="smaller">[1313]</span></a>. «En Syrie, +disait-il, j'ai rencontré des Juifs qui cheminaient par troupe; je +leur demandai où ils allaient et ils me répondirent: «Nous nous +rendons en foule à Babylone, parce qu'en vérité, le Messie est né +parmi les hommes, et il nous restituera notre héritage, et il nous +rétablira dans la terre de promission.» Ainsi parlaient ces Juifs de +Syrie. Or, l'Écriture nous enseigne que celui qu'ils appellent le +Messie est en effet l'Antéchrist de qui il est dit qu'il naîtra à +Babylone, capitale du royaume de Perse, qu'il sera nourri à Bethsaïde +et s'établira dans sa jeunesse à Coronaïm. C'est pourquoi +Notre-Seigneur a dit: «<i>Vhe! vhe! tibi Bethsaïda. Vhe! Coronaïm</i>». +L'an 1430, ajoutait frère Richard, apportera les plus grandes +merveilles qu'on ait jamais vues<a id="footnotetag1314" name="footnotetag1314"></a><a href="#footnote1314" title="Lien vers la note 1314"><span class="smaller">[1314]</span></a>. Les temps étaient proches. Il +était né, l'homme de péché, le fils de perdition, le méchant, la bête +vomie par l'abîme, l'abomination de la désolation; il sortait de la +tribu de Dan, dont il est écrit: «Que Dan devienne semblable à la +couleuvre du chemin et au serpent du sentier!» Bientôt reviendraient +sur la terre les prophètes Élie et Énoch, Moïse, Jérémie et saint Jean +l'Évangéliste; et bientôt se lèverait <span class="pagenum"><a id="page482" name="page482"></a>(p. 482)</span> ce jour de colère, qui +réduirait le siècle en poudre, selon le témoignage de David et de la +Sibylle<a id="footnotetag1315" name="footnotetag1315"></a><a href="#footnote1315" title="Lien vers la note 1315"><span class="smaller">[1315]</span></a>. Et le bon frère concluait qu'il fallait se repentir, +faire pénitence, renoncer aux faux biens. Enfin, c'était, au sentiment +des clercs, un prud'homme, savant en oraisons; et ses sermons +tournaient le peuple à la dévotion plus, croyait-on, que ceux de tous +les sermonneurs qui, depuis cent ans, avaient prêché dans la ville. Il +était à propos qu'il vînt, car, en ce temps-là, le peuple de Paris +s'adonnait avec fureur aux jeux de hasard; les clercs eux-mêmes s'y +livraient sans honte, et l'on avait vu, sept ans auparavant, un +chanoine de Saint-Merry, grand amateur de dés, tenir un jeu dans sa +propre maison<a id="footnotetag1316" name="footnotetag1316"></a><a href="#footnote1316" title="Lien vers la note 1316"><span class="smaller">[1316]</span></a>. Et malgré la guerre et la famine, les femmes de +Paris se chargeaient de parures; le soin de leur beauté les occupait +bien plus que le salut de leur âme.</p> + +<p>Frère Richard tonnait surtout contre les damiers des hommes et les +atours des dames. Un jour, notamment, qu'il prêchait à +Boulogne-la-Petite, il cria sus aux dés et aux hennins et parla si +bien que le cœur de ceux qui l'écoutaient en fut changé. De retour +au logis, les bourgeois jetèrent dans la rue leurs tables à jeu, leurs +damiers, leurs cartes, leurs billards et leurs billes, leurs dés et +leurs cornets, et ils en firent un grand feu <span class="pagenum"><a id="page483" name="page483"></a>(p. 483)</span> devant leur +porte. Plus de cent de ces feux restèrent allumés dans les rues +pendant trois ou quatre heures. Les femmes suivirent le bon exemple: +ce jour-là et le lendemain, elles brûlèrent publiquement leurs atours +de tête, bourreaux, truffaux, pièces de cuir ou de baleine dont elles +dressaient le devant de leurs chaperons; les demoiselles quittèrent +leurs cornes et leurs queues, ayant enfin honte de s'attifer en +diablesses<a id="footnotetag1317" name="footnotetag1317"></a><a href="#footnote1317" title="Lien vers la note 1317"><span class="smaller">[1317]</span></a>.</p> + +<p>Le bon frère fit brûler pareillement les racines de mandragores que +beaucoup de gens gardaient alors chez eux. Ces racines présentent +parfois l'aspect d'un petit homme très laid, d'une difformité bizarre +et diabolique. C'est là, peut-être, ce qui fit qu'on leur attribua des +vertus singulières. On les habillait magnifiquement, de fin lin et de +soie, et l'on conservait ces poupées, dans la croyance qu'elles +portaient bonheur et procuraient des richesses. Les sorcières en +faisaient grand commerce et ceux qui croyaient que la Pucelle était +sorcière l'accusaient très faussement de porter sur elle une +mandragore. Frère Richard haïssait ces racines magiques d'autant plus +véhémentement qu'il leur reconnaissait le pouvoir de procurer des +richesses, sources de tous les maux de ce monde. Cette fois encore sa +parole fut entendue; et beaucoup de Parisiens rejetèrent avec +épouvante les mandragores qu'ils <span class="pagenum"><a id="page484" name="page484"></a>(p. 484)</span> avaient payées fort cher à +ces vieilles femmes qui veulent trop savoir<a id="footnotetag1318" name="footnotetag1318"></a><a href="#footnote1318" title="Lien vers la note 1318"><span class="smaller">[1318]</span></a>.</p> + +<p>Pour mieux édifier les Parisiens, il leur faisait prendre des +médailles d'étain, sur lesquelles était frappé le nom de Jésus, objet +de sa dévotion particulière<a id="footnotetag1319" name="footnotetag1319"></a><a href="#footnote1319" title="Lien vers la note 1319"><span class="smaller">[1319]</span></a>.</p> + +<p>Ayant prêché dix fois en ville et une fois dans le village de +Boulogne, le bon frère annonça qu'il s'en retournait en Bourgogne et +prit congé des Parisiens.</p> + +<p>—Je prierai pour vous, dit-il, priez pour moi. <i>Amen</i>.</p> + +<p>Alors toutes gens, les grands et les petits, pleuraient amèrement et +abondamment comme si chacun d'eux eût porté en terre son plus doux +ami. Il pleura avec eux et consentit à retarder un peu son +départ<a id="footnotetag1320" name="footnotetag1320"></a><a href="#footnote1320" title="Lien vers la note 1320"><span class="smaller">[1320]</span></a>.</p> + +<p>Le dimanche 1<sup>er</sup> mai, il devait parler pour la dernière fois au +dévot peuple de Paris. Il avait donné rendez-vous à ses fidèles à +Montmartre, au lieu même où monseigneur saint Denys avait souffert le +martyre. La montagne était, par le malheur des temps, presque +inhabitée. Dès la veille au soir, plus de six mille personnes s'y +rendirent pour s'assurer d'une bonne place et passèrent la nuit, les +uns dans des masures abandonnées, <span class="pagenum"><a id="page485" name="page485"></a>(p. 485)</span> le plus grand nombre dans +les champs à la belle étoile. Le matin étant venu, ils ne virent point +paraître frère Richard et l'attendirent en vain. Déçus et contristés, +ils apprirent enfin que défense de prêcher avait été faite au bon +frère<a id="footnotetag1321" name="footnotetag1321"></a><a href="#footnote1321" title="Lien vers la note 1321"><span class="smaller">[1321]</span></a>. Il n'avait rien dit dans ses sermons qui pût déplaire aux +Anglais. Les habitants de Paris qui l'avaient entendu, le croyaient +bon ami du régent et du duc de Bourgogne. Peut-être qu'il prit la +fuite, ayant appris que la faculté de théologie voulait procéder +contre lui. En effet, il professait des opinions singulières et +dangereuses sur la fin du monde<a id="footnotetag1322" name="footnotetag1322"></a><a href="#footnote1322" title="Lien vers la note 1322"><span class="smaller">[1322]</span></a>.</p> + +<p>Frère Richard s'en fut à Auxerre. Et il alla prêchant par la Bourgogne +et la Champagne. S'il était du parti du roi Charles il ne le laissa +point paraître. Car, au mois de juin, les Champenois et spécialement +les habitants de Châlons le considéraient comme un prud'homme attaché +au duc de Bourgogne. Et nous avons vu que le 4 juillet il soupçonna la +Pucelle d'être un diable ou une possédée<a id="footnotetag1323" name="footnotetag1323"></a><a href="#footnote1323" title="Lien vers la note 1323"><span class="smaller">[1323]</span></a>.</p> + +<p>Elle ne s'y trompa pas. En voyant le bon frère se signer et jeter de +l'eau bénite, elle comprit qu'il la prenait pour une chose horrible en +manière de femme, <span class="pagenum"><a id="page486" name="page486"></a>(p. 486)</span> pour un fantôme formé par l'esprit du mal +et à tout le moins pour une sorcière. Pourtant elle n'en fut pas +offensée comme elle l'avait été des soupçons de messire Jean Fournier. +À ce prêtre, qui l'avait entendue en confession, elle ne pardonnait +pas de douter qu'elle fût bonne chrétienne<a id="footnotetag1324" name="footnotetag1324"></a><a href="#footnote1324" title="Lien vers la note 1324"><span class="smaller">[1324]</span></a>. Mais frère Richard +ne la connaissait pas; il ne l'avait jamais vue. D'ailleurs elle +s'habituait à ces façons. Le Connétable, frère Yves Milbeau, tant, +d'autres qui venaient à elle lui demandaient si elle était de Dieu ou +du diable<a id="footnotetag1325" name="footnotetag1325"></a><a href="#footnote1325" title="Lien vers la note 1325"><span class="smaller">[1325]</span></a>. Elle dit au bon prêcheur, sans colère, avec un peu de +moquerie:</p> + +<p>—Approchez hardiment, je ne m'envolerai pas<a id="footnotetag1326" name="footnotetag1326"></a><a href="#footnote1326" title="Lien vers la note 1326"><span class="smaller">[1326]</span></a>.</p> + +<p>En même temps, frère Richard reconnaissait à l'épreuve de l'eau bénite +et du signe de la croix que cette jeune fille n'était point un diable +et qu'il n'y avait point de diable en elle. Et, comme elle se disait +venue de Dieu, il la crut pleinement et la tint pour un ange du +Seigneur<a id="footnotetag1327" name="footnotetag1327"></a><a href="#footnote1327" title="Lien vers la note 1327"><span class="smaller">[1327]</span></a>.</p> + +<p>Il lui confia la raison de sa venue<a id="footnotetag1328" name="footnotetag1328"></a><a href="#footnote1328" title="Lien vers la note 1328"><span class="smaller">[1328]</span></a>: Ceux de Troyes doutaient +qu'elle fût chose de Dieu; il s'était rendu à Saint-Phal pour s'en +éclaircir. Maintenant il savait qu'elle était chose de Dieu, et ce +n'était pas pour l'étonner; il tenait comme certain que l'année 1430 +amènerait les plus grandes merveilles qu'on eût jamais <span class="pagenum"><a id="page487" name="page487"></a>(p. 487)</span> vues, +et il s'attendait à rencontrer un jour ou l'autre le prophète Élie +marchant et conversant parmi les vivants<a id="footnotetag1329" name="footnotetag1329"></a><a href="#footnote1329" title="Lien vers la note 1329"><span class="smaller">[1329]</span></a>. Dès ce moment, il +s'attacha résolument au parti de la Pucelle et du dauphin. Il croyait +le monde trop près de son terme pour s'intéresser au rétablissement du +fils de l'Insensé dans son héritage; ce n'étaient pas les +vaticinations de la Pucelle touchant le royaume de France qui +l'attiraient vers cette sainte fille, mais il comptait que, après +avoir établi la royauté de Jésus-Christ sur la terre des Lis, la +prophétesse Jeanne et Charles, vicaire temporel de Jésus-Christ, +conduiraient le peuple chrétien à la délivrance du Saint-Sépulcre, +œuvre méritoire, qu'il convenait d'accomplir avant la consommation +des siècles.</p> + +<p>Jeanne dicta une lettre par laquelle, se disant au service du Roi du +ciel et parlant au nom de Dieu lui-même, elle mandait aux bourgeois et +habitants de la ville de Troyes, en termes doux et pressants, de faire +obéissance au roi Charles de France, et les avertissait que, bon gré +mal gré, elle entrerait avec le roi dans toutes les villes du saint +royaume et ferait bonne paix.</p> + +<p>Voici cette lettre<a id="footnotetag1330" name="footnotetag1330"></a><a href="#footnote1330" title="Lien vers la note 1330"><span class="smaller">[1330]</span></a>:</p> + +<div class="quote"> +<p class="center">JHESUS ✝ MARIA</p> + +<p>Très chiers et bons amis, s'il ne tient à vous, seigneurs, + bourgeois et habitans de la ville de Troies, Jehanne la <span class="pagenum"><a id="page488" name="page488"></a>(p. 488)</span> + Pucelle vous mande et fait sçavoir de par le roy du Ciel, son + droitturier et souverain seigneur, duquel elle est chascun jour + en son service roial, que vous fassiés vraye obéissance et + recongnoissance au gentil roy de France quy sera bien brief à + Reins et à Paris, quy que vienne contre, et en ses bonnes villes + du sainct royaume, à l'ayde du roy Jhesus. Loiaulx François, + venés au devant du roy Charles et qu'il n'y ait point de faulte; + et ne vous doubtés de voz corps ne de voz biens, se ainsi le + faictes. Et se ainsi ne le faictes, je vous promectz et certiffie + sur voz vies que nous entrerons à l'ayde de Dieu en toultes les + villes quy doibvent estre du sainct royaulme, et y ferons bonne + paix fermes, quy que vienne contre. À Dieu vous commant, Dieu + soit garde de vous, s'il luy plaist. Responce brief. Devant la + cité de Troyes, escrit à Saint-Fale, le mardi quatriesme jour de + juillet<a id="footnotetag1331" name="footnotetag1331"></a><a href="#footnote1331" title="Lien vers la note 1331"><span class="smaller">[1331]</span></a>.</p> +</div> + +<p>Au dos:</p> + +<p class="quote">Aux seigneurs, bourgeois de la cité de Troyes.</p> + +<p>La Pucelle remit cette lettre au frère Richard, qui se chargea de la +porter aux habitants<a id="footnotetag1332" name="footnotetag1332"></a><a href="#footnote1332" title="Lien vers la note 1332"><span class="smaller">[1332]</span></a>.</p> + +<p>De Saint-Phal, suivant la voie romaine, l'armée s'avança vers +Troyes<a id="footnotetag1333" name="footnotetag1333"></a><a href="#footnote1333" title="Lien vers la note 1333"><span class="smaller">[1333]</span></a>. À cette nouvelle, le Conseil de la ville s'assembla le +mardi 5, de bon matin, et envoya aux habitants de Reims une missive +dont voici le sens:</p> + +<p>«Nous attendons aujourd'hui les ennemis du roi Henri et du duc de +Bourgogne pour être assiégés par <span class="pagenum"><a id="page489" name="page489"></a>(p. 489)</span> eux. À l'entreprise de ces +ennemis, quelque puissance qu'ils aient, vu et considéré la juste +querelle que nous tenons et les secours de nos princes qui nous ont +été promis, nous sommes délibérés de nous garder de bien en mieux en +l'obéissance du roi Henri et du duc de Bourgogne, jusques à la mort, +comme nous avons juré sur le précieux corps de Notre-Seigneur +Jésus-Christ, priant les habitants de Reims d'avoir souci de nous, +comme frères et loyaux amis, et d'envoyer par devers monseigneur le +Régent et le duc de Bourgogne, pour les requérir et supplier de +prendre pitié de leurs pauvres sujets et de les venir secourir<a id="footnotetag1334" name="footnotetag1334"></a><a href="#footnote1334" title="Lien vers la note 1334"><span class="smaller">[1334]</span></a>.»</p> + +<p>Ce même jour, de Brinion-l'Archevêque où il avait pris logis, le roi +Charles fit porter dès le matin, par ses hérauts, aux membres du +Conseil de la ville de Troyes, des lettres closes, signées de sa main +et scellées de son sceau, par lesquelles il leur faisait savoir que, +sur l'avis de son Conseil, il avait entrepris d'aller à Reims pour y +recevoir son sacre, que son intention était d'entrer le lendemain dans +la cité de Troyes et qu'à cette fin il leur mandait et commandait de +lui rendre l'obéissance qu'ils lui devaient et de se disposer à le +recevoir. Il s'efforçait prudemment de les rassurer sur ses +intentions, qui n'étaient point de tirer vengeance des choses passées. +Il n'en avait point la volonté, disait-il; mais qu'ils se +gouvernassent envers leur souverain <span class="pagenum"><a id="page490" name="page490"></a>(p. 490)</span> comme ils devaient, il +mettrait tout en oubli et les tiendrait en sa bonne grâce<a id="footnotetag1335" name="footnotetag1335"></a><a href="#footnote1335" title="Lien vers la note 1335"><span class="smaller">[1335]</span></a>.</p> + +<p>Le Conseil refusa aux hérauts du roi Charles l'entrée de la ville, +mais il reçut les lettres, les lut, en délibéra et fit connaître aux +hérauts la délibération prise, dont voici la substance:</p> + +<p>«Les seigneurs chevaliers et écuyers qui sont en la ville, de par le +roi Henri et le duc de Bourgogne, ont avec nous, habitants de Troyes, +juré de ne faire entrer dans notre ville plus fort que nous, sans +l'exprès commandement du duc de Bourgogne. Eu égard à leur serment, +ceux qui sont dans la ville n'oseraient y mettre le roi Charles.»</p> + +<p>Et les conseillers ajoutèrent pour leur excuse:</p> + +<p>«Quelque vouloir que nous ayons, nous, habitants, il nous faut +regarder aux hommes de guerre qui sont dans la ville, plus forts que +nous.»</p> + +<p>Les conseillers firent afficher la lettre du roi Charles et, +au-dessous, leur réponse<a id="footnotetag1336" name="footnotetag1336"></a><a href="#footnote1336" title="Lien vers la note 1336"><span class="smaller">[1336]</span></a>.</p> + +<p>Ils lurent en Conseil la lettre que la Pucelle avait dictée de +Saint-Phal et remise au frère Richard. Le religieux n'avait pas +préparé ces bourgeois à la recevoir favorablement, car ils en rirent +beaucoup.</p> + +<p>—Il n'y a, dirent-ils, à cette lettre ni rime ni raison. Ce n'est que +moquerie<a id="footnotetag1337" name="footnotetag1337"></a><a href="#footnote1337" title="Lien vers la note 1337"><span class="smaller">[1337]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page491" name="page491"></a>(p. 491)</span> Ils la jetèrent au feu sans y faire de réponse. Ils disaient +de Jeanne qu'elle était cocarde<a id="footnotetag1338" name="footnotetag1338"></a><a href="#footnote1338" title="Lien vers la note 1338"><span class="smaller">[1338]</span></a>, c'est-à-dire toute niaise. Et +ils ajoutaient:</p> + +<p>—Nous la certifions être une folle pleine du diable<a id="footnotetag1339" name="footnotetag1339"></a><a href="#footnote1339" title="Lien vers la note 1339"><span class="smaller">[1339]</span></a>.</p> + +<p>Ce même jour, à neuf heures du matin, l'armée commença de passer le +long des murs et à prendre logis autour de la ville<a id="footnotetag1340" name="footnotetag1340"></a><a href="#footnote1340" title="Lien vers la note 1340"><span class="smaller">[1340]</span></a>.</p> + +<p>Ceux qui campèrent au sud-ouest, vers les Hauts-Clos, purent admirer +la cité qui dressait au milieu d'une vaste plaine ses longues +murailles, ses portes guerrières, ses hautes tours et son beffroi. Ils +voyaient à leur droite l'église de Saint-Pierre dont l'ample vaisseau, +sans flèches ni tours, s'élevait au-dessus des toits<a id="footnotetag1341" name="footnotetag1341"></a><a href="#footnote1341" title="Lien vers la note 1341"><span class="smaller">[1341]</span></a>. C'est là +que huit ans auparavant avaient été célébrées les fiançailles du roi +Henri V d'Angleterre avec madame Catherine de France. Car, en cette +ville de Troyes, la reine Ysabeau et le duc Jean avaient fait signer +au roi Charles VI, privé de sens et de mémoire, l'abandon du royaume +des Lis au roi d'Angleterre et la déchéance de Charles de Valois. +Madame Ysabeau avait assisté aux fiançailles de sa fille, vêtue d'une +robe <span class="pagenum"><a id="page492" name="page492"></a>(p. 492)</span> de damas de soie bleue et d'une houppelande de velours +noir fourrée de quinze cents ventres de menu vair, après quoi elle +avait fait venir, pour se distraire, ses oiseaux chanteurs, +chardonnerets, pinsons, tarins et linots<a id="footnotetag1342" name="footnotetag1342"></a><a href="#footnote1342" title="Lien vers la note 1342"><span class="smaller">[1342]</span></a>.</p> + +<p>À l'arrivée des Français, la plupart des habitants étaient sur les +murs, regardant, moins en ennemis qu'en curieux, et semblaient ne rien +craindre; ils cherchaient surtout à voir le roi<a id="footnotetag1343" name="footnotetag1343"></a><a href="#footnote1343" title="Lien vers la note 1343"><span class="smaller">[1343]</span></a>.</p> + +<p>La ville était forte; le duc de Bourgogne pourvoyait depuis longtemps +à ce qu'elle fût en état de défense. En 1417 et 1419 ceux de Troyes, +comme en 1428 ceux d'Orléans, avaient rasé leurs faubourgs et démoli +toutes les maisons situées hors de la ville à deux ou trois cents pas +des remparts. L'arsenal était pourvu; les magasins regorgeaient de +vivres, mais la garnison anglo-bourguignonne ne se composait que de +trois cent cinquante à quatre cents hommes<a id="footnotetag1344" name="footnotetag1344"></a><a href="#footnote1344" title="Lien vers la note 1344"><span class="smaller">[1344]</span></a>.</p> + +<p>Ce même jour encore, à cinq heures de l'après-midi, les conseillers de +la ville de Troyes mandèrent aux habitants de Reims l'arrivée des +Armagnacs, leur envoyèrent copie de la lettre de Charles de Valois, de +<span class="pagenum"><a id="page493" name="page493"></a>(p. 493)</span> la réponse qu'ils y avaient faite et de la lettre de la +Pucelle, qu'ils n'avaient donc pas brûlée tout de suite; et leur +firent part de la résolution où ils étaient de résister jusqu'à la +mort, au cas où ils fussent secourus.</p> + +<p>Ils écrivirent semblablement aux habitants de Châlons pour les aviser +de la venue du dauphin, et ils leur firent connaître que la lettre de +Jeanne la Pucelle avait été portée à Troyes par frère Richard le +prêcheur<a id="footnotetag1345" name="footnotetag1345"></a><a href="#footnote1345" title="Lien vers la note 1345"><span class="smaller">[1345]</span></a>.</p> + +<p>Ces écritures revenaient à dire: Comme tout bourgeois en pareille +occurrence, nous risquons d'être pendus par les Bourguignons et par +les Armagnacs, de quoi nous aurions grand regret. Pour conjurer autant +que possible cette disgrâce, nous donnons à entendre au roi Charles de +Valois, que nous ne lui ouvrons pas nos portes, parce que la garnison +nous en empêche, et que nous sommes les plus faibles, ce qui est vrai. +Et nous faisons connaître à nos seigneurs le Régent et le duc de +Bourgogne que, la garnison étant trop faible pour nous garder, ce qui +est vrai, nous demandons à être secourus, ce qui est loyal, et nous +comptons bien ne pas l'être, car alors il nous faudrait subir un siège +et risquer d'être pris d'assaut, ce qui est une cruelle extrémité pour +des marchands. Mais ayant demandé à être secourus et ne l'étant pas, +nous nous rendrons sans encourir de reproche. Le point important est +de faire déguerpir la garnison, heureusement <span class="pagenum"><a id="page494" name="page494"></a>(p. 494)</span> petite. Quatre +cents hommes, c'est peu pour nous défendre, c'est trop pour nous +rendre. Quant à charger les habitants de la ville de Reims de demander +secours pour eux et pour nous, c'est montrer à notre seigneur de +Bourgogne notre bonne volonté et nous n'y risquons rien, car nous +savons de reste que nos compères les Rémois s'arrangent comme nous +pour demander aide et n'en point recevoir, et qu'ils guettent le +moment d'ouvrir leurs portes au roi Charles, qui a une forte armée. Et +pour tout dire, nous résisterons jusqu'à la mort si nous sommes +secourus, ce qu'à Dieu ne plaise!</p> + +<p>Ainsi pensaient finement ces âmes champenoises.</p> + +<p>Les bourgeois tirèrent quelques boulets de pierre sur les Français; la +garnison escarmoucha quelque peu et rentra dans la ville<a id="footnotetag1346" name="footnotetag1346"></a><a href="#footnote1346" title="Lien vers la note 1346"><span class="smaller">[1346]</span></a>.</p> + +<p>Cependant l'armée du roi Charles criait famine<a id="footnotetag1347" name="footnotetag1347"></a><a href="#footnote1347" title="Lien vers la note 1347"><span class="smaller">[1347]</span></a>. Le conseil qu'on +avait reçu du seigneur archevêque d'Embrun de pourvoir aux vivres par +les moyens de la prudence humaine était plus facile à donner qu'à +suivre. Il y rivait dans le camp bien six à sept mille hommes qui de +huit jours n'avaient mangé de pain. Les gens d'armes se nourrissaient, +vaille que vaille, d'épis de blé pilés encore verts et de fèves +nouvelles qu'ils trouvaient <span class="pagenum"><a id="page495" name="page495"></a>(p. 495)</span> en abondance. On se rappela +alors que, durant le carême de la Saint-Martin, frère Richard avait +dit aux gens de Troyes: «Semez des fèves largement: Celui qui doit +venir viendra bientôt.» Ce que le bon frère avait dit des semailles au +sens spirituel fut pris au sens littéral; par un beau coq-à-l'âne, ce +qui s'entendait de la venue du Messie fut appliqué à la venue du roi +Charles. Frère Richard passa pour le prophète des Armagnacs et les +gens d'armes crurent de bonne foi que ce prêcheur évangélique avait +fait pousser les fèves qu'ils cueillaient et pourvu à leur nourriture +par sa prud'homie, sagesse et pénétration dans les conseils du Dieu +qui donna dans le désert la manne au peuple d'Israël<a id="footnotetag1348" name="footnotetag1348"></a><a href="#footnote1348" title="Lien vers la note 1348"><span class="smaller">[1348]</span></a>.</p> + +<p>Le roi, qui logeait à Brinion depuis le 4 juillet, arriva devant +Troyes, après dîner, le vendredi 8<a id="footnotetag1349" name="footnotetag1349"></a><a href="#footnote1349" title="Lien vers la note 1349"><span class="smaller">[1349]</span></a>. Ce jour même il tint conseil +avec les chefs de guerre et les princes du sang royal pour aviser si +l'on resterait devant la ville jusqu'à ce qu'on obtînt, soit par +promesses, soit par menaces, qu'elle se soumît, ou si l'on passerait +outre, la laissant de côté comme Auxerre<a id="footnotetag1350" name="footnotetag1350"></a><a href="#footnote1350" title="Lien vers la note 1350"><span class="smaller">[1350]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page496" name="page496"></a>(p. 496)</span> La discussion avait beaucoup duré quand la Pucelle survint et +prophétisa:</p> + +<p>—Gentil dauphin, dit-elle, ordonnez à vos gens d'assaillir la ville +de Troyes et ne durez pas davantage en de trop longs conseils, car, en +nom de Dieu, avant trois jours, je vous ferai entrer dans la ville, +qui sera vôtre par amour ou par puissance et courage. Et en sera la +fausse Bourgogne bien sotte<a id="footnotetag1351" name="footnotetag1351"></a><a href="#footnote1351" title="Lien vers la note 1351"><span class="smaller">[1351]</span></a>.</p> + +<p>Pourquoi, contre l'habitude, l'avait-on appelée au Conseil? Il +s'agissait de tirer quelques coups de canon et de faire mine +d'escalader les murs, de donner enfin un semblant d'assaut. On le +devait bien aux habitants de Troyes, à ces bourgeois, à ces gens +d'Église, qui ne pouvaient décemment céder qu'à la force; et il +fallait effrayer le menu peuple qui restait Bourguignon de cœur. +Probablement le seigneur de Trèves ou quelque autre jugeait que la +petite sainte, en se montrant sous les remparts, inspirerait aux +ouvriers tisseurs de Troyes une terreur religieuse.</p> + +<p>On n'eut qu'à la laisser faire. Au sortir du Conseil, elle monta à +cheval et, sa lance à la main, courut aux fossés, suivie d'une foule +de chevaliers, d'écuyers et d'artisans<a id="footnotetag1352" name="footnotetag1352"></a><a href="#footnote1352" title="Lien vers la note 1352"><span class="smaller">[1352]</span></a>. L'attaque fut préparée +contre le mur du nord-ouest, <span class="pagenum"><a id="page497" name="page497"></a>(p. 497)</span> entre la porte de la Madeleine +et celle de Comporté<a id="footnotetag1353" name="footnotetag1353"></a><a href="#footnote1353" title="Lien vers la note 1353"><span class="smaller">[1353]</span></a>. Jeanne, qui croyait fermement que par elle +la ville serait prise, excita toute la nuit les gens à apporter des +fagots et à mettre l'artillerie en place. Elle criait: «À l'assaut!» +et faisait le geste de jeter des fascines dans les fossés<a id="footnotetag1354" name="footnotetag1354"></a><a href="#footnote1354" title="Lien vers la note 1354"><span class="smaller">[1354]</span></a>.</p> + +<p>Cette menace produisit l'effet attendu. Les gens de petit état, voyant +déjà la ville prise et s'attendant à ce que les Français vinssent +piller, massacrer, violer, selon l'usage, se réfugièrent dans les +églises. Quant aux clercs et aux notables, ils n'en demandèrent pas +davantage<a id="footnotetag1355" name="footnotetag1355"></a><a href="#footnote1355" title="Lien vers la note 1355"><span class="smaller">[1355]</span></a>.</p> + +<p>Charles de Valois ayant fait savoir qu'on pouvait aller à lui en toute +sûreté, le seigneur évêque Jean Laiguisé, messire Guillaume +Andouillette, maître de l'Hôtel-Dieu, le doyen du chapitre, les +membres du clergé, les notables, se rendirent auprès du roi<a id="footnotetag1356" name="footnotetag1356"></a><a href="#footnote1356" title="Lien vers la note 1356"><span class="smaller">[1356]</span></a>.</p> + +<p>Jean Laiguisé prit la parole. Il venait faire la révérence au roi et +avait à cœur d'excuser ceux de la ville.</p> + +<p>—Il ne tient pas à eux, dit-il, que le roi n'y entre à son bon +plaisir. Le bailli et les gens de la garnison, qui sont bien de trois +à quatre cents, gardent les portes <span class="pagenum"><a id="page498" name="page498"></a>(p. 498)</span> et s'opposent à ce qu'on +les ouvre. Qu'il plaise au roi d'avoir patience jusqu'à ce que j'aie +parlé à ceux de la ville. J'espère qu'aussitôt que je leur aurai +parlé, ils donneront l'entrée et feront obéissance en sorte que le roi +sera content d'eux<a id="footnotetag1357" name="footnotetag1357"></a><a href="#footnote1357" title="Lien vers la note 1357"><span class="smaller">[1357]</span></a>.</p> + +<p>Le roi, répondant à l'évêque, lui exposa les raisons de son voyage et +les droits qu'il avait sur la ville de Troyes.</p> + +<p>—Je pardonnerai sans réserve, ajouta-t-il, tout ce qui fut fait au +temps passé. Je tiendrai les habitants de Troyes en paix et franchise, +à l'exemple du roi saint Louis<a id="footnotetag1358" name="footnotetag1358"></a><a href="#footnote1358" title="Lien vers la note 1358"><span class="smaller">[1358]</span></a>.</p> + +<p>Jean Laiguisé demanda que les gens d'église qui avaient régales ou +collations du feu roi Charles VI les gardassent et que ceux qui les +avaient du roi Henri d'Angleterre prissent lettres du roi Charles et +qu'ils gardassent leurs bénéfices, au cas même où le roi en eût fait +collation à d'autres.</p> + +<p>Le roi y consentit, et le seigneur évêque crut voir un nouveau Cyrus.</p> + +<p>Il rapporta ce colloque au Conseil de la ville qui délibéra et conclut +de rendre obéissance au roi, attendu son bon droit et moyennant qu'il +ferait absolution générale de tous les cas, ne laisserait point de +garnison et abolirait les aides, excepté la gabelle<a id="footnotetag1359" name="footnotetag1359"></a><a href="#footnote1359" title="Lien vers la note 1359"><span class="smaller">[1359]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page499" name="page499"></a>(p. 499)</span> Sur quoi, le Conseil fit connaître, par lettres, cette +résolution aux habitants de Reims en les exhortant à en prendre une +semblable.</p> + +<p>«Ainsi, dirent-ils, nous aurons même seigneur; vous préserverez vos +corps et vos biens, comme nous avons fait. Car autrement nous étions +perdus. Nous ne regrettons point notre soumission. Il nous déplaît +seulement d'avoir tant tardé. Vous serez joyeux de faire de même, +d'autant que le roi Charles est le prince de la plus grande +discrétion, entendement et vaillance qui de longtemps soit sorti de la +noble maison de France<a id="footnotetag1360" name="footnotetag1360"></a><a href="#footnote1360" title="Lien vers la note 1360"><span class="smaller">[1360]</span></a>.»</p> + +<p>Frère Richard s'en fut trouver la Pucelle. Sitôt qu'il l'aperçut, et +de fort loin, il s'agenouilla devant elle. Quand elle le vit, elle +s'agenouilla pareillement devant lui, et ils se firent grande +révérence. Rentré dans la ville, le bon frère prêcha abondamment le +peuple et l'exhorta à se mettre en l'obéissance du roi Charles.</p> + +<p>—Dieu, dit-il, avise à son succès. Il lui a donné pour l'accompagner +et conduire à son sacre une sainte Pucelle qui, comme je le crois +fermement, a autant de puissance à pénétrer les secrets de Dieu, +qu'aucun saint du Paradis, excepté saint Jean l'Évangéliste<a id="footnotetag1361" name="footnotetag1361"></a><a href="#footnote1361" title="Lien vers la note 1361"><span class="smaller">[1361]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page500" name="page500"></a>(p. 500)</span> C'était le moins que le bon frère laissât au-dessus de la +Pucelle le premier des saints, l'apôtre qui avait reposé sa tête sur +la poitrine de Jésus, le prophète qui devait revenir sur la terre, à +la consommation des siècles, avant peu.</p> + +<p>—Si elle voulait, disait encore frère Richard, elle pourrait faire +entrer tous les gens d'armes du roi par-dessus les murs, et comme il +lui plairait. Elle peut beaucoup d'autres choses encore.</p> + +<p>Ceux de la ville avaient grande foi et confiance en ce bon père qui +parlait bien. Ce qu'il disait de la Pucelle leur parut admirable et +les tourna à l'obéissance d'un roi si bien accompagné. Ils crièrent +tous d'une voix<a id="footnotetag1362" name="footnotetag1362"></a><a href="#footnote1362" title="Lien vers la note 1362"><span class="smaller">[1362]</span></a>:</p> + +<p>—Vive le roi Charles de France!</p> + +<p>Il fallait maintenant traiter avec le bailli, qui n'était pas +intraitable, puisqu'il avait souffert cette allée et venue de la ville +au camp et du camp à la ville, et trouver un moyen honnête de se +débarrasser de la garnison. À cet effet, précédée du seigneur évêque, +la commune alla très nombreuse vers le bailli et les capitaines et les +somma de mettre la ville en sûreté<a id="footnotetag1363" name="footnotetag1363"></a><a href="#footnote1363" title="Lien vers la note 1363"><span class="smaller">[1363]</span></a>. Ce dont ils étaient bien +incapables, car de délivrer une ville qui ne voulait pas être délivrée +et de chasser trente mille Français, ils ne le pouvaient vraiment +faire.</p> + +<p>Comme les habitants l'avaient prévu, le bailli se <span class="pagenum"><a id="page501" name="page501"></a>(p. 501)</span> trouvait +dans un grand embarras. Ce que voyant, les conseillers de la ville lui +dirent:</p> + +<p>—Si vous ne voulez tenir le traité que vous avez fait pour le bien +public, nous mettrons les gens du roi dans la ville, que vous le +veuillez ou non.</p> + +<p>Le bailli et les capitaines se refusèrent à trahir les Anglais et les +Bourguignons qu'ils servaient, mais ils consentirent à s'en aller. +C'est tout ce qu'on leur demandait<a id="footnotetag1364" name="footnotetag1364"></a><a href="#footnote1364" title="Lien vers la note 1364"><span class="smaller">[1364]</span></a>.</p> + +<p>La ville ouvrit ses portes au roi Charles. Le dimanche 10 juillet de +très bon matin, la Pucelle entra la première dans Troyes, avec les +communes dont elle était aimée si chèrement. Frère Richard +l'accompagnait. Elle mit les gens de trait le long des rues que devait +suivre le cortège, afin que le roi de France traversât la ville entre +une double haie de ces piétons qui l'avaient suivi et grandement +aidé<a id="footnotetag1365" name="footnotetag1365"></a><a href="#footnote1365" title="Lien vers la note 1365"><span class="smaller">[1365]</span></a>.</p> + +<p>Tandis que Charles de Valois entrait par une porte la garnison +bourguignonne sortait par une autre<a id="footnotetag1366" name="footnotetag1366"></a><a href="#footnote1366" title="Lien vers la note 1366"><span class="smaller">[1366]</span></a>. Comme il avait été convenu, +les gens du roi Henri et du duc Philippe emportaient leurs armes et +leurs biens. Or, dans leurs biens, ils comprenaient les prisonniers du +parti français, qu'ils avaient reçus à rançon. <span class="pagenum"><a id="page502" name="page502"></a>(p. 502)</span> Ils n'avaient +pas tout à fait tort, semble-t-il, selon les usages et coutumes de la +guerre, mais c'était pitié de voir ces gens du roi Charles emmenés +ainsi captifs à la venue de leur seigneur. La Pucelle en fut avertie +et son bon cœur s'émut. Elle courut à la porte de la ville où déjà +les gens de guerre étaient réunis avec armes et bagages. Elle y trouva +les seigneurs de Rochefort et Philibert de Moslant, les interpella, +leur cria de laisser les gens du dauphin. Les capitaines n'entendaient +pas de cette oreille-là.</p> + +<p>—C'est fraude et malice, lui dirent-ils, de venir ainsi contre le +traité.</p> + +<p>Cependant les prisonniers priaient à genoux la sainte de les garder.</p> + +<p>—En nom Dieu, s'écria-t-elle, ils ne partiront pas<a id="footnotetag1367" name="footnotetag1367"></a><a href="#footnote1367" title="Lien vers la note 1367"><span class="smaller">[1367]</span></a>.</p> + +<p>Durant cette altercation, un écuyer bourguignon faisait à part lui sur +la Pucelle des Armagnacs des réflexions qu'il révéla par la suite. +«C'est par ma foi, songeait-il, la plus simple chose que je vis +oncques. En son fait il n'y a ni rime ni raison, non plus qu'en le +plus sot que je vis oncques. Je ne la compare pas à si vaillante femme +comme madame d'Or, et les Bourguignons ne font que se moquer de ceux +qui ont peur d'elle<a id="footnotetag1368" name="footnotetag1368"></a><a href="#footnote1368" title="Lien vers la note 1368"><span class="smaller">[1368]</span></a>.»</p> + +<p>Pour entendre la finesse de cette plaisanterie il faut <span class="pagenum"><a id="page503" name="page503"></a>(p. 503)</span> +savoir que madame d'Or, haute comme une botte, tenait l'emploi de +sotte auprès de monseigneur Philippe<a id="footnotetag1369" name="footnotetag1369"></a><a href="#footnote1369" title="Lien vers la note 1369"><span class="smaller">[1369]</span></a>.</p> + +<p>La Pucelle ne put s'entendre, au sujet des prisonniers, avec les +seigneurs de Rochefort et de Moslant. Ils avaient pour eux le droit de +la guerre. Elle n'avait pour elle que les raisons de son bon cœur. +Ce débat parut fort plaisant aux gens d'armes des deux obéissances. +Quand il en fut instruit, le roi Charles sourit et dit que, pour +appointer les parties, il payerait la rançon des prisonniers, qui fut +fixée à un marc d'argent par tête. Les Bourguignons, en recevant cette +somme, louèrent fort le roi de France de ses grandes manières<a id="footnotetag1370" name="footnotetag1370"></a><a href="#footnote1370" title="Lien vers la note 1370"><span class="smaller">[1370]</span></a>.</p> + +<p>Ce même jour de dimanche, environ neuf heures du matin, le roi Charles +fit son entrée. Il avait revêtu ses habits de fête, éclatants de +velours, d'or et de pierreries; le duc d'Alençon et la Pucelle, tenant +sa bannière à la main, chevauchaient à ses côtés; il était suivi de +toute sa chevalerie. Les habitants allumèrent des feux de joie et +dansèrent des rondes; les petits enfants crièrent: «Noël!» frère +Richard prêcha<a id="footnotetag1371" name="footnotetag1371"></a><a href="#footnote1371" title="Lien vers la note 1371"><span class="smaller">[1371]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page504" name="page504"></a>(p. 504)</span> La Pucelle fit ses dévotions dans les églises. En une de ces +églises elle tint un enfant sur les fonts du baptême. On lui demandait +souvent, comme à une princesse ou à une sainte femme, d'être marraine +d'enfants qu'elle ne connaissait pas et qu'elle ne devait jamais +revoir. Elle donnait de préférence aux garçons le nom de Charles, pour +l'honneur de son roi, et aux filles son nom de Jeanne. Elle nommait +parfois aussi ses filleuls comme les mères voulaient<a id="footnotetag1372" name="footnotetag1372"></a><a href="#footnote1372" title="Lien vers la note 1372"><span class="smaller">[1372]</span></a>.</p> + +<p>Le lendemain, 11 juillet, l'armée, qui était restée aux champs sous le +commandement de messire Ambroise de Loré, traversa la ville. L'entrée +des gens d'armes était un fléau aussi redouté des bourgeois que la +peste noire<a id="footnotetag1373" name="footnotetag1373"></a><a href="#footnote1373" title="Lien vers la note 1373"><span class="smaller">[1373]</span></a>. Le roi Charles, qui traitait les habitants de +Troyes avec d'extrêmes ménagements, prit soin de contenir le fléau. +Par son commandement, les hérauts crièrent que nul ne fût si hardi, +sous peine de la hart, d'entrer dans les maisons et de rien prendre +contre le gré et la volonté de ceux de la ville<a id="footnotetag1374" name="footnotetag1374"></a><a href="#footnote1374" title="Lien vers la note 1374"><span class="smaller">[1374]</span></a>.</p> + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page505" name="page505"></a>(p. 505)</span> CHAPITRE XVIII<br> + +<span class="smaller">LA CAPITULATION DE CHÂLONS ET DE REIMS. — LE SACRE.</span></h2> + + +<p>Au sortir de Troyes, l'armée royale s'engagea dans la Champagne +pouilleuse, traversa l'Aube vers Arcis et prit son logis dans Lettrée, +à cinq lieues de Châlons. De Lettrée, le roi envoya son héraut +Montjoie à ceux de Châlons pour leur demander de le recevoir et de lui +rendre pleine obéissance<a id="footnotetag1375" name="footnotetag1375"></a><a href="#footnote1375" title="Lien vers la note 1375"><span class="smaller">[1375]</span></a>.</p> + +<p>Les villes de Champagne se tenaient comme les doigts de la main. Quand +le dauphin était encore à Brinion-l'Archevêque, les habitants de +Châlons en avaient été instruits par leurs amis de Troyes. Ceux-ci les +avaient même avertis que frère Richard, le prêcheur, leur avait porté +une lettre de Jeanne la Pucelle. Sur <span class="pagenum"><a id="page506" name="page506"></a>(p. 506)</span> quoi ceux de Châlons +écrivirent aux habitants de Reims:</p> + +<p>«Nous avons été fort ébahis du frère Richard. Nous pensions que ce fût +un très bon prud'homme. Mais il est devenu sorcier. Nous vous mandons +que les habitants de Troyes font forte guerre aux gens du dauphin. +Nous avons intention de résister de toute notre puissance à ces +ennemis<a id="footnotetag1376" name="footnotetag1376"></a><a href="#footnote1376" title="Lien vers la note 1376"><span class="smaller">[1376]</span></a>.»</p> + +<p>Ils ne pensaient pas un mot de ce qu'ils écrivaient et ils savaient +que ceux de Reims n'en croyaient rien. Mais il importait de montrer +une grande loyauté au duc de Bourgogne avant de recevoir un autre +maître.</p> + +<p>L'évêque comte de Châlons vint à Lettrée au-devant du roi, et lui +remit les clés de la ville. C'était Jean de Montbéliard-Sarrebrück, +des sires de Commercy<a id="footnotetag1377" name="footnotetag1377"></a><a href="#footnote1377" title="Lien vers la note 1377"><span class="smaller">[1377]</span></a>.</p> + +<p>Le 14 juillet, le roi entra avec son armée dans la ville de +Châlons<a id="footnotetag1378" name="footnotetag1378"></a><a href="#footnote1378" title="Lien vers la note 1378"><span class="smaller">[1378]</span></a>. La Pucelle y trouva quatre ou cinq paysans de son +village, qui venaient la voir, entre autres Jean Morel, un de ses +parrains. Laboureur de son état, âgé de quarante-trois ans environ, il +s'était <span class="pagenum"><a id="page507" name="page507"></a>(p. 507)</span> enfui avec la famille d'Arc à Neufchâteau, au +passage des gens de guerre. Jeanne lui donna une robe rouge, qu'elle +avait portée<a id="footnotetag1379" name="footnotetag1379"></a><a href="#footnote1379" title="Lien vers la note 1379"><span class="smaller">[1379]</span></a>. Elle vit aussi à Châlons un autre laboureur plus +jeune que Morel d'une dizaine d'années, Gérardin d'Épinal, qu'elle +appelait son compère, comme elle appelait Isabellette, femme de +Gérardin, sa commère, pour la raison qu'elle avait tenu sur les fonts +leur fils Nicolas et qu'une marraine est une mère en esprit. Au +village, Jeanne se défiait de Gérardin, qui était Bourguignon; à +Châlons, elle lui montra plus de confiance et, l'entretenant des +progrès de l'armée, lui dit qu'elle ne craignait rien hors la +trahison<a id="footnotetag1380" name="footnotetag1380"></a><a href="#footnote1380" title="Lien vers la note 1380"><span class="smaller">[1380]</span></a>. Elle avait déjà de sombres pressentiments; sans doute +elle sentait que désormais la candeur de son âme et la simplicité de +sa pensée étaient trop rudement combattues par la malice des hommes et +les forces confuses des choses; déjà monseigneur saint Michel, madame +sainte Catherine et madame sainte Marguerite ne lui parlaient plus +avec autant de clarté que devant, faute de pénétrer dans les +chancelleries de France et de Bourgogne, qui n'étaient pas choses du +ciel.</p> + +<p>Ceux de Châlons, à l'exemple de leurs amis de Troyes, écrivirent aux +habitants de Reims qu'ils avaient reçu le roi de France et qu'ils leur +conseillaient de faire de même. En cette lettre, ils disaient qu'ils +avaient trouvé le roi Charles doux, gracieux, pitoyable et +miséricordieux; <span class="pagenum"><a id="page508" name="page508"></a>(p. 508)</span> et, dans le fait, ce roi prenait en douceur +ses villes de Champagne. Ceux de Châlons ajoutaient qu'il était de +haut entendement, beau de sa personne et de beau maintien<a id="footnotetag1381" name="footnotetag1381"></a><a href="#footnote1381" title="Lien vers la note 1381"><span class="smaller">[1381]</span></a>. +C'était beaucoup dire.</p> + +<p>Les habitants de Reims se comportaient avec prudence. À la venue du +roi de France, en même temps qu'ils lui envoyaient des messagers pour +l'avertir que les portes de la ville lui seraient ouvertes, ils +donnaient avis à leur seigneur le duc Philippe, ainsi qu'aux chefs +anglais et bourguignons, des progrès de l'armée royale, selon ce +qu'ils en pouvaient savoir, et ils leur mandaient de fermer le passage +aux ennemis<a id="footnotetag1382" name="footnotetag1382"></a><a href="#footnote1382" title="Lien vers la note 1382"><span class="smaller">[1382]</span></a>. Mais ils n'étaient pas pressés d'obtenir des +secours pour la défense de leur ville, comptant que, s'ils n'en +recevaient pas, ils se rendraient au roi Charles sans encourir aucun +blâme des Bourguignons, et qu'ainsi ils n'auraient rien à craindre de +l'un et l'autre parti. Pour l'heure, ils gardaient deux loyautés, ce +qui n'était pas trop d'une en ces conjonctures difficiles et +périlleuses. Quand on voit comme ces villes de Champagne pratiquaient +ingénieusement l'art de changer de maître, il est bon de savoir que de +cet art dépendait le salut de leurs corps et de leurs biens.</p> + +<p>Dès le 1<sup>er</sup> juillet, le capitaine Philibert de Moslant leur écrivit +de Nogent-sur-Seine, où il se trouvait avec <span class="pagenum"><a id="page509" name="page509"></a>(p. 509)</span> sa compagnie +bourguignonne, que, s'ils avaient besoin de lui, il les viendrait +secourir en bon chrétien<a id="footnotetag1383" name="footnotetag1383"></a><a href="#footnote1383" title="Lien vers la note 1383"><span class="smaller">[1383]</span></a>. Ils firent mine de ne pas entendre. +Après tout, le seigneur Philibert n'était pas leur capitaine. Ce qu'il +en pensait faire n'était, comme il le disait, que par charité +chrétienne. Les notables de Reims, qui ne voulaient pas être sauvés, +avaient à se garder surtout de leur naturel sauveur, le sire de +Chastillon, grand queux de France, capitaine de la ville<a id="footnotetag1384" name="footnotetag1384"></a><a href="#footnote1384" title="Lien vers la note 1384"><span class="smaller">[1384]</span></a>. Et il +fallait qu'ils lui demandassent secours de façon qu'ils n'obtinssent +pas ce qu'ils demandaient, de peur d'être comme les Israélites de qui +il est écrit: <i>Et tribuit eis petitionem eorum</i>.</p> + +<p>Alors que l'armée royale était encore sous Troyes, un héraut se +présenta devant la ville de Reims, portant une lettre donnée par le +roi, à Brinion-l'Archevêque, le lundi 4 juillet. Cette lettre fut +remise au Conseil. «Vous pouvez bien avoir reçu nouvelle, disait le +roi Charles aux habitants de Reims, de la bonne fortune et victoire +qu'il a plu à Dieu nous donner sur les Anglais, nos anciens ennemis, +devant la ville d'Orléans et, depuis lors, à Jargeau, Beaugency et +Meung-sur-Loire, en chacun desquels lieux nos ennemis ont reçu très +grand dommage; tous leurs chefs et des autres jusqu'au nombre de +quatre mille y sont morts ou demeurés prisonniers. Ces choses étant +advenues <span class="pagenum"><a id="page510" name="page510"></a>(p. 510)</span> plus par grâce divine que par œuvre humaine, +selon l'avis des princes de notre sang et lignage et des conseillers +de notre Grand-Conseil, nous nous sommes acheminés pour aller en la +ville de Reims recevoir notre sacre et couronnement. C'est pourquoi +nous vous mandons que, sur la loyauté et obéissance que vous nous +devez, vous vous disposiez à nous recevoir dans la manière accoutumée, +et comme vous avez fait à l'égard de nos prédécesseurs<a id="footnotetag1385" name="footnotetag1385"></a><a href="#footnote1385" title="Lien vers la note 1385"><span class="smaller">[1385]</span></a>.»</p> + +<p>Et le roi Charles, usant envers le peuple de Reims de la même +bénignité prudente qu'il avait montrée à ceux de Troyes, faisait +pleine promesse de pardon et d'oubli.</p> + +<p>«Que les choses passées, disait-il, et la crainte que j'en eusse +encore mémoire ne vous arrêtent pas. Soyez assurés que, si vous vous +conduisez envers moi comme vous devez, je vous traiterai en bons et +loyaux sujets.»</p> + +<p>Même il leur demandait d'envoyer des notables traiter avec lui: «Si, +pour être mieux informés de nos intentions, quelques-uns de la ville +de Reims voulaient venir vers nous avec le héraut que nous vous +envoyons, nous en serions très content. Ils y pourront aller sûrement +en tel nombre qu'il leur plaira<a id="footnotetag1386" name="footnotetag1386"></a><a href="#footnote1386" title="Lien vers la note 1386"><span class="smaller">[1386]</span></a>.»</p> + +<p>Au reçu de cette lettre, le Conseil fut convoqué, mais il se trouva +que les échevins ne furent point en <span class="pagenum"><a id="page511" name="page511"></a>(p. 511)</span> nombre pour délibérer; +ce qui les tira d'un grand embarras. Ensuite de quoi ils firent +assembler la commune par quartiers, et ils obtinrent des bourgeois +ainsi consultés cette déclaration cauteleuse: «Nous entendons vivre et +mourir avec le Conseil et les notables. Nous nous comporterons selon +leur avis, en bonne union et paix, sans murmurer ni faire de réponse, +si ce n'est par l'avis et ordonnance du capitaine de Reims et de son +lieutenant<a id="footnotetag1387" name="footnotetag1387"></a><a href="#footnote1387" title="Lien vers la note 1387"><span class="smaller">[1387]</span></a>.»</p> + +<p>Le sire de Chastillon, capitaine de la ville, était alors à +Château-Thierry avec ses lieutenants, Jean Cauchon et Thomas de +Bazoches, tous deux écuyers. Les habitants de Reims jugèrent utile de +mettre sous ses yeux la lettre du roi Charles; leur bailli, Guillaume +Hodierne, se rendit auprès du soigneur capitaine et la lui montra. Le +bailli répondit parfaitement au sentiment des habitants de Reims: il +demanda au sire de Chastillon de venir, mais il le lui demanda de +manière que le sire de Chastillon ne vînt pas. C'était le point +essentiel; car, à ne le pas appeler, on se mettait en trahison +ouverte, et, s'il venait, on risquait de subir un siège plein de +calamités et de dangers.</p> + +<p>À ces fins, le bailli déclara que les habitants de Reims, désireux de +communiquer avec leur capitaine, le recevraient accompagné de +cinquante chevaux seulement; en quoi ils montraient leur bon vouloir; +ayant <span class="pagenum"><a id="page512" name="page512"></a>(p. 512)</span> le droit de ne point recevoir garnison dans leur +ville, ils consentaient à y laisser entrer cinquante lances, ce qui +allait bien à deux cents combattants. Le sire de Chastillon, comme les +habitants l'avaient prévu, jugea qu'en l'occurrence ce n'était pas +assez pour sa sûreté et il mit, comme conditions à sa venue, que la +ville fût emparée et munie, qu'il y entrât avec trois ou quatre cents +combattants, qu'il en eût la garde ainsi que du château, avec cinq ou +six notables pris, autant dire, comme otages. À ces conditions il +était, disait-il, prêt à vivre et à mourir pour eux<a id="footnotetag1388" name="footnotetag1388"></a><a href="#footnote1388" title="Lien vers la note 1388"><span class="smaller">[1388]</span></a>.</p> + +<p>Il s'achemina avec sa compagnie jusque auprès de la ville et là fit +savoir aux habitants qu'il était venu les aider. Il leur manda que +dans cinq ou six semaines sans faute, une belle et grande armée +anglaise, débarquée à Boulogne, marcherait à leur secours<a id="footnotetag1389" name="footnotetag1389"></a><a href="#footnote1389" title="Lien vers la note 1389"><span class="smaller">[1389]</span></a>.</p> + +<p>À la vérité les Anglais levaient des troupes autant qu'ils pouvaient +et faisaient flèche de tout bois. Ils armaient, disait-on, jusqu'aux +prêtres. Le Régent employait à sa guerre les croisés débarqués en +France, que le cardinal de Winchester conduisait contre les +Hussites<a id="footnotetag1390" name="footnotetag1390"></a><a href="#footnote1390" title="Lien vers la note 1390"><span class="smaller">[1390]</span></a>. Et, comme bien on pense, le conseil du roi <span class="pagenum"><a id="page513" name="page513"></a>(p. 513)</span> +Henri ne négligeait pas d'avertir les habitants de Reims des armements +qu'il ordonnait. Le 3 juillet, il les avisait que des troupes étaient +en passage de mer, et le 10, Colard de Mailly, bailli de Vermandois, +leur faisait savoir que ces troupes étaient déjà passées. Mais ces +nouvelles ne donnaient pas grande confiance aux Champenois dans la +force des Anglais et lorsque le sire de Chastillon leur promit, à +quarante jours, une grande et belle armée d'outre-mer, le roi Charles +chevauchait à quelques lieues de leur ville avec trente mille +combattants. Le sire de Chastillon s'aperçut qu'il était joué, ce dont +il avait eu déjà quelque soupçon. Les habitants de Reims refusèrent de +le recevoir. Il ne lui restait plus qu'à tourner bride et à rejoindre +les Anglais<a id="footnotetag1391" name="footnotetag1391"></a><a href="#footnote1391" title="Lien vers la note 1391"><span class="smaller">[1391]</span></a>.</p> + +<p>Le 12 juillet, ils reçurent de monseigneur Regnault de Chartres, +archevêque duc de Reims, une lettre les priant de se disposer à la +venue du roi<a id="footnotetag1392" name="footnotetag1392"></a><a href="#footnote1392" title="Lien vers la note 1392"><span class="smaller">[1392]</span></a>.</p> + +<p>Ce même jour, le Conseil de ville s'étant assemblé le greffier +commença d'inscrire sur le registre des délibérations le procès-verbal +de la séance:</p> + +<p>«..... Après ce qu'on a exposé à Monseigneur de Chastillon, comment il +estoit capitaine, et les seigneurs et autre multitude de peuple +qui<a id="footnotetag1393" name="footnotetag1393"></a><a href="#footnote1393" title="Lien vers la note 1393"><span class="smaller">[1393]</span></a>.....»</p> + +<p>Il n'en écrivit pas davantage. Trouvant difficile de <span class="pagenum"><a id="page514" name="page514"></a>(p. 514)</span> +témoigner leur loyauté aux Anglais en préparant le sacre du roi +Charles et contraire à la prudence de reconnaître un nouveau prince +sans y être forcés, les citoyens renonçaient tout à coup à la parole +qui est d'argent et se réfugiaient dans un silence d'or.</p> + +<p>Le samedi 16, le roi Charles prit gîte à quatre lieues de la ville du +sacre, au château de Sept-Saulx, construit plus de deux cents ans +auparavant par les prédécesseurs guerriers de messire Regnault et dont +le fier donjon commandait le passage de la Vesle<a id="footnotetag1394" name="footnotetag1394"></a><a href="#footnote1394" title="Lien vers la note 1394"><span class="smaller">[1394]</span></a>. Il y reçut les +bourgeois de Reims qui vinrent en grand nombre lui offrir pleine et +entière obéissance<a id="footnotetag1395" name="footnotetag1395"></a><a href="#footnote1395" title="Lien vers la note 1395"><span class="smaller">[1395]</span></a>. Puis il se remit en marche avec la Pucelle +et toute son armée, et ayant franchi sa dernière étape sur la chaussée +qui côtoyait la Vesle, il entra dans la grande cité champenoise au +tomber du jour, par la porte méridionale nommée Dieulimire, qui, +devant lui, abaissa ses ponts et leva ses deux herses<a id="footnotetag1396" name="footnotetag1396"></a><a href="#footnote1396" title="Lien vers la note 1396"><span class="smaller">[1396]</span></a>.</p> + +<p>La tradition voulait que le sacre fut célébré, de préférence, un +dimanche, et cette règle se trouvait mentionnée dans un cérémonial qui +avait servi, croyait-on, <span class="pagenum"><a id="page515" name="page515"></a>(p. 515)</span> pour le sacre de Louis VIII et qui +faisait autorité<a id="footnotetag1397" name="footnotetag1397"></a><a href="#footnote1397" title="Lien vers la note 1397"><span class="smaller">[1397]</span></a>. Les habitants de Reims travaillèrent pendant +la nuit, afin que tout fût prêt pour le lendemain<a id="footnotetag1398" name="footnotetag1398"></a><a href="#footnote1398" title="Lien vers la note 1398"><span class="smaller">[1398]</span></a>. Leur amour +subit du roi de France les aiguillonnait et surtout la peur qu'il +demeurât quelques jours dans la ville avec son armée. Ils ressentaient +à recevoir et à garder des gens d'armes dans leurs murs une crainte +commune aux bourgeois de toutes les villes, qui, dans leur épouvante, +ne distinguaient point les hommes de guerre armagnacs des hommes de +guerre anglais et bourguignons<a id="footnotetag1399" name="footnotetag1399"></a><a href="#footnote1399" title="Lien vers la note 1399"><span class="smaller">[1399]</span></a>. Aussi furent-ils diligents à +préparer toutes choses, avec la ferme intention d'en payer le moins +possible. Attendu que le sacre ne leur rapportait «ni profit ni +honneur<a id="footnotetag1400" name="footnotetag1400"></a><a href="#footnote1400" title="Lien vers la note 1400"><span class="smaller">[1400]</span></a>», les échevins, d'habitude, en rejetaient la charge sur +l'archevêque, qui en tenait, disaient-ils, les émoluments comme pair +de France<a id="footnotetag1401" name="footnotetag1401"></a><a href="#footnote1401" title="Lien vers la note 1401"><span class="smaller">[1401]</span></a>.</p> + +<p>Les ornements royaux déposés, après le sacre du feu <span class="pagenum"><a id="page516" name="page516"></a>(p. 516)</span> roi, +dans le trésor de Saint-Denys, étaient aux mains des Anglais. La +couronne de Charlemagne, brillante de rubis, de saphirs et +d'émeraudes, fleuronnée de quatre fleurs de Lis, que recevaient les +rois de France à leur couronnement, les Anglais voulaient la mettre +sur la tête de leur roi Henri; ils se préparaient à ceindre le roi +enfant de l'épée de Charlemagne, l'illustre Joyeuse, qui dormait dans +son fourreau de velours violet, sous la garde de l'abbé bourguignon de +Saint-Denys. Aux Anglais aussi le sceptre que surmontait un +Charlemagne d'or en habit d'empereur, la verge de justice terminée par +une main en corne de licorne, l'agrafe dorée du manteau de saint Louis +et les éperons d'or, et le <i>Pontifical</i> contenant, dans sa reliure de +vermeil émaillée, les cérémonies du sacre<a id="footnotetag1402" name="footnotetag1402"></a><a href="#footnote1402" title="Lien vers la note 1402"><span class="smaller">[1402]</span></a>. On dut se contenter +d'une couronne conservée dans le trésor de la cathédrale<a id="footnotetag1403" name="footnotetag1403"></a><a href="#footnote1403" title="Lien vers la note 1403"><span class="smaller">[1403]</span></a>. Quant +aux autres insignes de la royauté de Clovis, de saint Charlemagne et +de saint Louis, on les représenterait comme on pourrait et il n'était +pas mauvais après tout que ce sacre gagné dans une chevauchée se +sentît des travaux et des misères qu'il avait coûtés et que la +cérémonie participât en quelque chose de la pauvreté héroïque des +hommes d'armes et des <span class="pagenum"><a id="page517" name="page517"></a>(p. 517)</span> gens des communes, qui y avaient +conduit le dauphin.</p> + +<p>Les rois étaient sacrés par l'huile, car l'huile signifie renommée, +gloire et sapience. Le matin, les seigneurs de Rais, de Boussac, de +Graville et de Culant furent députés par le roi pour aller quérir la +Sainte Ampoule<a id="footnotetag1404" name="footnotetag1404"></a><a href="#footnote1404" title="Lien vers la note 1404"><span class="smaller">[1404]</span></a>.</p> + +<p>C'était une fiole de cristal que le grand prieur de Saint-Remi tenait +enfermée dans le tombeau de l'apôtre derrière le maître-autel de +l'église abbatiale. Cette fiole contenait le saint chrême, dont le +bienheureux Remi avait oint le roi Clovis, et elle était enchâssée +dans un reliquaire en forme de colombe, parce qu'on avait vu la +colombe du Paraclet apporter l'huile destinée au sacrement du premier +roi chrétien. Il est vrai qu'on trouvait en de vieux livres qu'un ange +était descendu du ciel avec l'ampoule miraculeuse<a id="footnotetag1405" name="footnotetag1405"></a><a href="#footnote1405" title="Lien vers la note 1405"><span class="smaller">[1405]</span></a>; mais ces +incertitudes ne troublaient point les esprits, et l'on ne doutait pas, +dans le peuple chrétien, que le saint chrême n'eût des vertus +merveilleuses. On savait, par exemple, qu'il ne diminuait point à +l'usage, et que la fiole restait toujours pleine, en présage et gage +de la pérennité du royaume de France. Selon les observations des +témoins, lors du sacre du feu roi Charles, l'huile n'avait pas diminué +après les onctions<a id="footnotetag1406" name="footnotetag1406"></a><a href="#footnote1406" title="Lien vers la note 1406"><span class="smaller">[1406]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page518" name="page518"></a>(p. 518)</span> À neuf heures du matin, Charles de Valois entra dans l'église +avec une suite nombreuse. Le roi d'armes de France appela par leurs +noms, devant le maître-autel, les douze pairs du royaume. Des six +pairs laïques, aucun ne répondit. À leur place se présentèrent le duc +d'Alençon, les comtes de Clermont et de Vendôme, les sires de Laval, +de la Trémouille et de Maillé.</p> + +<p>Des six pairs ecclésiastiques, trois répondirent à l'appel du roi +d'armes: l'archevêque duc de Reims, l'évêque comte de Châlons, +l'évêque duc de Laon. Les évêques détaillants de Langres, de Chaumont +et de Noyon furent suppléés. En l'absence d'Arthur de Bretagne, +connétable de France, l'épée fut tenue par Charles, sire +d'Albret<a id="footnotetag1407" name="footnotetag1407"></a><a href="#footnote1407" title="Lien vers la note 1407"><span class="smaller">[1407]</span></a>.</p> + +<p>Devant l'autel se tenait Charles de Valois, revêtu d'habits fendus sur +la poitrine et les épaules. Il jura, premièrement, de conserver à +l'Église paix et privilèges; deuxièmement, de préserver le peuple des +exactions et de ne le pas trop charger; troisièmement, de gouverner +avec justice et miséricorde<a id="footnotetag1408" name="footnotetag1408"></a><a href="#footnote1408" title="Lien vers la note 1408"><span class="smaller">[1408]</span></a>.</p> + +<p>Il fut armé chevalier par son cousin d'Alençon<a id="footnotetag1409" name="footnotetag1409"></a><a href="#footnote1409" title="Lien vers la note 1409"><span class="smaller">[1409]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page519" name="page519"></a>(p. 519)</span> Puis l'archevêque lui fit les onctions avec l'huile mystique, +dont le Saint-Esprit fortifie les prêtres, les rois, les prophètes et +les martyrs et, nouveau Samuel, consacra le nouveau Saül, manifestant +que toute puissance est de Dieu et que, à l'exemple de David, les rois +sont les pontifes, les annonciateurs et les témoins du Seigneur. Cette +effusion d'huile, dont étaient consacrés les rois, dans Israël, +rendait brillants et forts les rois de la France très chrétienne +depuis Charlemagne, depuis Clovis, car, s'il reçut de saint Remi non +proprement le sacre, mais le baptême et la confirmation, Clovis fut +consacré en même temps chrétien et roi par le bienheureux évêque, au +moyen de l'huile sainte, envoyée par Dieu lui-même à ce prince et à +ses successeurs<a id="footnotetag1410" name="footnotetag1410"></a><a href="#footnote1410" title="Lien vers la note 1410"><span class="smaller">[1410]</span></a>.</p> + +<p>Et Charles reçut les onctions présage de force et de victoire, car il +est écrit au livre des Rois: «Samuel prit la fiole d'huile, la versa +sur la tête de Saül et dit: Voici que le Seigneur t'a sacré prince sur +son héritage, et tu délivreras son peuple des mains des ennemis qui +l'environnent. <i>Ecce unxit te Dominus super hereditatem suam in +principem, et liberabis populum suum de manibus inimicorum ejus, qui +in circuitu ejus sunt.</i>» (<i>Reg.</i> I, <span class="smcap">X</span>, 1, 6.)</p> + +<p>Durant le mystère, comme on disait en ancien langage<a id="footnotetag1411" name="footnotetag1411"></a><a href="#footnote1411" title="Lien vers la note 1411"><span class="smaller">[1411]</span></a>, la Pucelle +demeurait au côté du roi. Elle tint un <span class="pagenum"><a id="page520" name="page520"></a>(p. 520)</span> moment déployé son +étendard blanc devant lequel le vieil étendard de Chandos avait +reculé. Puis d'autres tinrent l'étendard à leur tour, son page Louis +de Coutes, qui ne la quittait jamais, frère Richard le prêcheur, qui +l'avait suivie à Châlons et à Reims<a id="footnotetag1412" name="footnotetag1412"></a><a href="#footnote1412" title="Lien vers la note 1412"><span class="smaller">[1412]</span></a>. Dans un de ses rêves, elle +avait donné naguère une couronne éblouissante à son roi; elle +s'attendait à ce que cette couronne fût apportée dans l'église par des +messagers célestes<a id="footnotetag1413" name="footnotetag1413"></a><a href="#footnote1413" title="Lien vers la note 1413"><span class="smaller">[1413]</span></a>. Les saintes ne recevaient-elles pas +communément des couronnes de la main des anges? Un ange offrit à +sainte Cécile une couronne tressée de roses et de lis. Un ange donna à +la vierge Catherine la couronne impérissable, que la sainte posa sur +la tête de l'Impératrice de Rome. Mais la couronne étrangement riche +et magnifique que Jeanne attendait ne vint point.</p> + +<p>L'archevêque prit sur l'autel la couronne de prix modique fournie par +le chapitre, et l'éleva à deux mains sur la tête du roi. Les douze +pairs en cercle autour du prince y portèrent le bras pour la soutenir. +Les trompettes éclatèrent, et le peuple cria: «Noël<a id="footnotetag1414" name="footnotetag1414"></a><a href="#footnote1414" title="Lien vers la note 1414"><span class="smaller">[1414]</span></a>!»</p> + +<p>Ainsi fut oint et couronné Charles de France, issu de la royale lignée +du noble roi Priam de Troie la Grande.</p> + +<p>Le mystère fut terminé à deux heures après midi<a id="footnotetag1415" name="footnotetag1415"></a><a href="#footnote1415" title="Lien vers la note 1415"><span class="smaller">[1415]</span></a>. <span class="pagenum"><a id="page521" name="page521"></a>(p. 521)</span> On +rapporte qu'alors la Pucelle s'agenouilla et, embrassant le roi par +les jambes, lui dit avec des larmes:</p> + +<p>—Gentil roi, maintenant est fait le plaisir de Dieu, qui voulait que +je levasse le siège d'Orléans et vous amenasse en cette cité de Reims +recevoir votre saint sacre, en montrant que vous êtes vrai roi et +celui auquel le royaume de France doit appartenir<a id="footnotetag1416" name="footnotetag1416"></a><a href="#footnote1416" title="Lien vers la note 1416"><span class="smaller">[1416]</span></a>.</p> + +<p>Le roi fit les présents d'usage. Il offrit au Chapitre un tapis de +satin vert, ainsi que des ornements de velours rouge et de damas +blanc. De plus, il posa sur l'autel un vase d'argent du prix de treize +écus d'or. Le seigneur archevêque s'en empara malgré les réclamations +des chanoines, mais il ne lui servit de rien de l'avoir pris, car il +lui fallut le rendre<a id="footnotetag1417" name="footnotetag1417"></a><a href="#footnote1417" title="Lien vers la note 1417"><span class="smaller">[1417]</span></a>.</p> + +<p>Après la cérémonie, Charles ceignit la couronne, revêtit le manteau +royal, bleu comme le ciel, fleuri de lis d'or, et traversa sur son +coursier les rues de la ville de Reims. Le peuple en liesse criait: +«Noël!» comme il avait crié à l'entrée de monseigneur le duc de +Bourgogne.</p> + +<p>Ce jour-là, le sire de Rais fut fait maréchal de France et le sire de +la Trémouille comte; l'aîné des deux fils de madame de Laval, à qui la +Pucelle avait offert <span class="pagenum"><a id="page522" name="page522"></a>(p. 522)</span> le vin à Selles-en-Berri, fut fait +comte aussi. Le capitaine La Hire reçut le comté de Longueville avec +tout ce qu'il prendrait en Normandie<a id="footnotetag1418" name="footnotetag1418"></a><a href="#footnote1418" title="Lien vers la note 1418"><span class="smaller">[1418]</span></a>.</p> + +<p>Le roi Charles fut servi à dîner en l'hôtel épiscopal, dans l'ancienne +salle du Tau, par le duc d'Alençon et le comte de Clermont<a id="footnotetag1419" name="footnotetag1419"></a><a href="#footnote1419" title="Lien vers la note 1419"><span class="smaller">[1419]</span></a>. La +table royale, selon la coutume, se prolongeait dans la rue et le +festin débordait sur toute la ville. C'était un jour de franche lippée +et de commune frairie. Dans les maisons, sous les portes, sur les +bornes, on faisait ripaille, on se ruait en cuisine; il se dévorait +bœufs par douzaines, moutons par centaines, poules et lapins par +milliers. On se bourrait d'épices, et comme on avait grand'soif, on +humait à plein pot les vins de Bourgogne et notamment le parfumé vin +de Beaune. Le très vieux cerf de la cour archiépiscopale, qui était de +bronze et creux, on le transportait, à chaque couronnement, dans la +rue du Parvis; on le remplissait de vin, et le peuple y venait boire +comme à la fontaine. Finalement les bourgeois et habitants de la cité +du bienheureux Remi, riches et pauvres, empiffrés, saouls de viandes +et de vin, ayant hurlé «Noël!» à plein gosier, tombaient endormis sur +les fûts et les victuailles dont, le lendemain, les <span class="pagenum"><a id="page523" name="page523"></a>(p. 523)</span> échevins +moroses allaient disputer aigrement les restes aux gens du roi<a id="footnotetag1420" name="footnotetag1420"></a><a href="#footnote1420" title="Lien vers la note 1420"><span class="smaller">[1420]</span></a>.</p> + +<p>Jacques d'Arc était venu voir ce couronnement auquel sa fille avait +tant ouvré. Il logeait à l'enseigne de l'<i>Âne rayé</i>, rue du Parvis, +dans une hôtellerie tenue par Alix, veuve de Raulin Morieau. En même +temps que sa fille, il revit son fils Pierre<a id="footnotetag1421" name="footnotetag1421"></a><a href="#footnote1421" title="Lien vers la note 1421"><span class="smaller">[1421]</span></a>. Ce cousin que +Jeanne appelait son oncle et qui l'avait accompagnée auprès de sire +Robert à Vaucouleurs, Durand Lassois, était pareillement venu aux +fêtes du sacre. Il parla au roi et lui conta tout ce qu'il savait de +sa cousine<a id="footnotetag1422" name="footnotetag1422"></a><a href="#footnote1422" title="Lien vers la note 1422"><span class="smaller">[1422]</span></a>. Jeanne trouva aussi à Reims un jeune compatriote, +Husson Le Maistre, chaudronnier dans le village de Varville, à trois +lieues de Domremy. Elle ne le connaissait pas, mais il avait bien +entendu parler d'elle, et il était très familier avec Jacques et +Pierre d'Arc<a id="footnotetag1423" name="footnotetag1423"></a><a href="#footnote1423" title="Lien vers la note 1423"><span class="smaller">[1423]</span></a>.</p> + +<p>Jacques d'Arc était un des notables de son village et peut-être le +plus entendu aux affaires<a id="footnotetag1424" name="footnotetag1424"></a><a href="#footnote1424" title="Lien vers la note 1424"><span class="smaller">[1424]</span></a>. Il ne s'était pas rendu à Reims à +seule fin de voir sa fille chevaucher par les rues de la cité en habit +d'homme; il venait <span class="pagenum"><a id="page524" name="page524"></a>(p. 524)</span> demander au roi pour lui, pour ceux de +son village, dépouillés par les gens de guerre, une exemption +d'impôts. Cette demande, que la Pucelle transmit au roi, fut agréée. +Le 31 du même mois, le roi ordonnait que les habitants de Greux et de +Domremy fussent francs de toutes tailles, aides, subsides et +subventions<a id="footnotetag1425" name="footnotetag1425"></a><a href="#footnote1425" title="Lien vers la note 1425"><span class="smaller">[1425]</span></a>. Les Élus de la ville payèrent sur les deniers +publics les dépenses de Jacques d'Arc, et, quand il fut sur son +départ, ils lui donnèrent un cheval pour retourner chez lui<a id="footnotetag1426" name="footnotetag1426"></a><a href="#footnote1426" title="Lien vers la note 1426"><span class="smaller">[1426]</span></a>.</p> + +<p>Durant les cinq ou six jours qu'elle demeura à Reims, la Pucelle se +montra au peuple. Les humbles, les simples venaient à elle; les bonnes +femmes lui prenaient les mains et faisaient toucher leurs anneaux au +sien<a id="footnotetag1427" name="footnotetag1427"></a><a href="#footnote1427" title="Lien vers la note 1427"><span class="smaller">[1427]</span></a>. Elle portait au doigt un petit anneau que sa mère lui +avait donné; il était de laiton, autrement appelé aurichalque<a id="footnotetag1428" name="footnotetag1428"></a><a href="#footnote1428" title="Lien vers la note 1428"><span class="smaller">[1428]</span></a>. +L'aurichalque était, comme on disait, l'or des pauvres. Cet anneau +n'avait pas de pierre et portait au chaton les noms de <i>Jhesus Maria</i>, +avec trois croix. Elle y tenait souventes fois les regards pieusement +fixés parce qu'un jour elle l'avait fait toucher par madame sainte +Catherine<a id="footnotetag1429" name="footnotetag1429"></a><a href="#footnote1429" title="Lien vers la note 1429"><span class="smaller">[1429]</span></a>. Et que la sainte l'eût vraiment <span class="pagenum"><a id="page525" name="page525"></a>(p. 525)</span> touché, ce +n'était pas incroyable, puisqu'il était manifeste que peu de temps +auparavant, en l'an 1413, sœur Colette, qui professait la chasteté +virginale, avait reçu de l'apôtre vierge un riche anneau d'or, en +signe d'alliance spirituelle avec le Roi des rois. Sœur Colette +faisait toucher cet anneau aux religieux et aux religieuses de son +ordre, et elle le confiait aux messagers qu'elle envoyait au loin, +afin de les préserver des périls de la route<a id="footnotetag1430" name="footnotetag1430"></a><a href="#footnote1430" title="Lien vers la note 1430"><span class="smaller">[1430]</span></a>. La Pucelle +attribuait aussi à son anneau de grandes vertus; toutefois elle ne +s'en servait point pour opérer des guérisons<a id="footnotetag1431" name="footnotetag1431"></a><a href="#footnote1431" title="Lien vers la note 1431"><span class="smaller">[1431]</span></a>.</p> + +<p>On attendait d'elle les menus services qu'il était d'usage de demander +aux saintes gens et parfois aux sorciers. Avant la cérémonie du sacre, +les nobles et les chevaliers avaient reçu des gants, selon la coutume. +L'un d'eux perdit les siens; il demanda, ou d'autres demandèrent pour +lui, qu'elle les lui fît retrouver. Elle ne dit point qu'elle le +ferait; cependant la chose fut sue et diversement jugée<a id="footnotetag1432" name="footnotetag1432"></a><a href="#footnote1432" title="Lien vers la note 1432"><span class="smaller">[1432]</span></a>.</p> + +<p>Après le sacre du roi, si, mêlé au peuple dans la rue du Parvis, +quelque clerc méditatif leva les yeux sur la haute face historiée de +la cathédrale, déjà très vieille alors pour des hommes qui, +connaissant mal les chroniques, mesuraient le temps sur la durée de +<span class="pagenum"><a id="page526" name="page526"></a>(p. 526)</span> la vie humaine, il vit sûrement, à gauche de l'arc aigu qui +surmonte la rose, l'image colossale de Goliath dressé fièrement dans +son armure à écailles, et cette même figure répétée à droite de l'arc, +dans l'attitude d'un homme chancelant et qui tombe<a id="footnotetag1433" name="footnotetag1433"></a><a href="#footnote1433" title="Lien vers la note 1433"><span class="smaller">[1433]</span></a>. Alors ce +clerc dut se rappeler ce qui est écrit au premier livre des Rois:</p> + +<p>«Les Philistins assemblèrent toutes leurs troupes pour combattre +Israël. Or, il arriva qu'un homme, qui était bâtard, sortit du camp +des Philistins. Il s'appelait Goliath; il était de Geth, et il avait +six coudées et une palme de haut. Il était revêtu d'une cuirasse à +écailles qui pesait cinq mille sicles d'airain. Et il vint disant: +«J'ai jeté l'opprobre aux armées d'Israël. Donnez-moi un homme qui +vienne combattre contre moi en un combat singulier.»</p> + +<p>»Or, David enfant s'en était allé à Bethléem pour paître les troupeaux +de son père. Mais David, s'étant levé dès la pointe du jour, laissa à +un serviteur le soin de son troupeau. Il vint au lieu appelé Magala, +où l'armée s'était avancée pour donner la bataille. Et voyant Goliath, +il demanda: «Qui est ce Philistin incirconcis qui jette l'opprobre aux +armées du Dieu vivant?»</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page527" name="page527"></a>(p. 527)</span> »Ces paroles de David ayant été entendues, elles furent +rapportées à Saül. Et Saül l'ayant fait venir devant lui, David lui +parla de cette manière: «Que personne ne s'épouvante de ce Philistin, +car moi, ton serviteur, je suis prêt à aller le combattre.» Saül lui +dit: «Tu ne saurais résister à ce Philistin ni combattre contre lui, +parce que tu es un enfant, et que celui-ci est un homme nourri à la +guerre depuis sa jeunesse.» David répondit: «J'irai contre lui et je +ferai cesser l'opprobre d'Israël.» Saül dit donc à David: «Va! et que +le Seigneur soit avec toi!»</p> + +<p>»David prit son bâton, choisit dans le torrent cinq pierres très +polies et, tenant à la main sa fronde, il marcha contre les +Philistins.</p> + +<p>»Et Goliath, lorsqu'il eut aperçu David, voyant que c'était un bel +enfant aux cheveux roux, lui dit: «Suis-je un chien, pour que tu +viennes à moi avec un bâton?» Mais David répondit au Philistin: «Tu +viens à moi avec l'épée, la lance et le bouclier. Mais moi, je viens à +toi au nom du Seigneur des armées, du Dieu des batailles d'Israël, +auquel tu as insulté aujourd'hui. Le Seigneur te livrera entre mes +mains. Et que toute cette assemblée d'hommes reconnaisse que ce n'est +point par l'épée, ni par la lance que Dieu sauve! Cette guerre est sa +guerre et il vous livrera dans nos mains.»</p> + +<p>»Le Philistin s'avança donc et marcha contre David. Et David lança une +pierre avec sa fronde et en frappa <span class="pagenum"><a id="page528" name="page528"></a>(p. 528)</span> le Philistin au front. Et +Goliath tomba le visage contre terre.»</p> + +<p>Alors le clerc qui méditait ces paroles du Livre songeait que, +toujours semblable à lui-même, le Seigneur qui sauva Israël et abattit +Goliath par la fronde d'un berger enfant avait suscité la fille d'un +laboureur pour la délivrance du très chrétien royaume et l'opprobre du +Léopard<a id="footnotetag1434" name="footnotetag1434"></a><a href="#footnote1434" title="Lien vers la note 1434"><span class="smaller">[1434]</span></a>.</p> + +<p>La Pucelle avait fait écrire de Gien, vers le 27 juin, au duc de +Bourgogne, pour l'inviter à se rendre au sacre du roi. N'ayant pas +reçu de réponse, elle dicta, le jour même du sacre, une deuxième +lettre au duc. Voici cette lettre:</p> + +<div class="quote"> +<p class="center">✝ JHESUS MARIA.</p> + +<p>Haultet reboubté prince, duc de Bourgoingne, Jehanne la Pucelle + vous requiert de par le Roy du ciel, mon droicturier et souverain + seigneur, que le roy de France et vous, faciez bonne paix ferme, + qui dure longuement. Pardonnez l'un à l'autre de bon cuer, + entièrement, ainsi que doivent faire loyaulx chrestians; et s'il + vous plaist à guerroier, si alez sur les Sarrazins. Prince de + Bourgoingne, je vous prie, supplie et requiers tant humblement + que requérir vous puis, que ne guerroiez plus ou saint royaume de + France, et faictes retraire incontinent et briefment voz gens qui + sont en aucunes places et forteresses dudit saint royaume; et de + la part du gentil roy de France, il est prest de faire paix à + vous, sauve son honneur, <span class="pagenum"><a id="page529" name="page529"></a>(p. 529)</span> s'il ne tient en vous. Et vous + faiz à savoir de par le Roy du ciel, mon droicturier et souverain + seigneur, pour vostre bien et pour vostre honneur et sur voz vie, + que vous n'y gaignerez point bataille à l'encontre des loyaulx + François, et que tous ceulx qui guerroient oudit saint royaume de + France, guerroient contre le roy Jhesus, roy du ciel et de tout + le monde, mon droicturier et souverain seigneur. Et vous prie et + requiers à jointes mains, que ne faictes nulle bataille ne ne + guerroiez contre nous, vous, vos gens ou subgiez; et croiez + seurement que, quelque nombre de gens que amenez contre nous, + qu'ilz n'y gagneront mie, et sera grant pitié de la grant + bataille et du sang qui y sera respendu de ceulx qui y vendront + contre nous. Et a trois semaines que je vous avoye escript et + envoié bonnes lettres par ung hérault, que feussiez au sacre du + roy qui, aujourd'hui dimenche, xvij<sup>e</sup> jour de ce présent mois + de juillet, ce fait en la cité de Reims: dont je n'ay eu point de + response, ne n'ouy oncques puis nouvelles dudit hérault. À Dieu + vous commens et soit garde de vous, s'il lui plaist; et prie Dieu + qu'il y mecte bonne pais. Escript audit lieu de Reims, ledit + xvij<sup>e</sup> jour de juillet.»</p> + +<p><i>Sur l'adresse:</i> «Au duc de Bourgoigne<a id="footnotetag1435" name="footnotetag1435"></a><a href="#footnote1435" title="Lien vers la note 1435"><span class="smaller">[1435]</span></a>.»</p> +</div> + +<p>Sainte Catherine de Sienne, à Reims, n'aurait pas écrit autrement. La +Pucelle, bien qu'elle n'aimât pas les Bourguignons, sentait à sa +manière et fortement combien la paix avec le duc de Bourgogne était +désirable. C'est à mains jointes qu'elle le prie de ne plus faire la +guerre en France. «S'il vous plaît de guerroyer, <span class="pagenum"><a id="page530" name="page530"></a>(p. 530)</span> lui +dit-elle, allez sur les Sarrasins.» Elle avait déjà conseillé aux +Anglais de s'unir aux Français pour faire la croisade. La destruction +des infidèles était alors le rêve des âmes douces et pacifiques, et +beaucoup de bonnes personnes comptaient que le fils riche et puissant +du vaincu de Nicopolis ferait payer cher aux Turcs leur antique +victoire<a id="footnotetag1436" name="footnotetag1436"></a><a href="#footnote1436" title="Lien vers la note 1436"><span class="smaller">[1436]</span></a>.</p> + +<p>Par sa lettre, la Pucelle annonce, de la part du roi du ciel, au duc +Philippe que, s'il combat contre le roi, il perdra la bataille. Ses +voix lui avaient prédit la victoire de la France sur la Bourgogne; +elles ne lui avaient pas révélé qu'au moment même où elle dictait sa +lettre, les ambassadeurs du duc Philippe se trouvaient à Reims; +c'était pourtant la vérité<a id="footnotetag1437" name="footnotetag1437"></a><a href="#footnote1437" title="Lien vers la note 1437"><span class="smaller">[1437]</span></a>.</p> + +<p>Le duc Philippe, estimant que le roi Charles, maître de la Champagne, +était un prince à ménager, lui envoya, à Reims, David de Brimeu, +bailli d'Artois, à la tête d'une ambassade, pour le saluer et lui +faire des ouvertures de paix<a id="footnotetag1438" name="footnotetag1438"></a><a href="#footnote1438" title="Lien vers la note 1438"><span class="smaller">[1438]</span></a>. Les Bourguignons reçurent du +chancelier et du Conseil un accueil empressé. On espérait que +<span class="pagenum"><a id="page531" name="page531"></a>(p. 531)</span> la paix serait conclue avant leur départ. Les seigneurs +angevins le mandèrent aux reines Yolande et Marie<a id="footnotetag1439" name="footnotetag1439"></a><a href="#footnote1439" title="Lien vers la note 1439"><span class="smaller">[1439]</span></a>. Ce n'était +pas connaître le magnifique renard de Dijon. Les Français n'étaient +pas encore assez forts, les Anglais assez faibles. Il fut convenu +qu'une ambassade serait envoyée en août au duc de Bourgogne dans la +ville d'Arras. Après quatre jours de conférences, une trêve de quinze +jours fut signée et l'ambassade quitta Reims<a id="footnotetag1440" name="footnotetag1440"></a><a href="#footnote1440" title="Lien vers la note 1440"><span class="smaller">[1440]</span></a>. Dans le même +moment, le duc renouvelait solennellement à Paris sa plainte contre +Charles de Valois, assassin de son père, et s'engageait à amener une +armée au secours des Anglais<a id="footnotetag1441" name="footnotetag1441"></a><a href="#footnote1441" title="Lien vers la note 1441"><span class="smaller">[1441]</span></a>.</p> + +<p>Laissant à Reims, comme capitaine, Antoine de Hellande, neveu de +l'archevêque duc<a id="footnotetag1442" name="footnotetag1442"></a><a href="#footnote1442" title="Lien vers la note 1442"><span class="smaller">[1442]</span></a>, le roi de France sortit de la ville le 20 +juillet et se rendit à Saint-Marcoul-de-Corbeny où les rois avaient +coutume de toucher les écrouelles au lendemain de leur sacre<a id="footnotetag1443" name="footnotetag1443"></a><a href="#footnote1443" title="Lien vers la note 1443"><span class="smaller">[1443]</span></a>.</p> + +<p>Monseigneur saint Marcoul guérissait les scrofules<a id="footnotetag1444" name="footnotetag1444"></a><a href="#footnote1444" title="Lien vers la note 1444"><span class="smaller">[1444]</span></a>. <span class="pagenum"><a id="page532" name="page532"></a>(p. 532)</span> Il +était de race royale, mais sa puissance, révélée longtemps après mort, +lui venait surtout de son nom, et l'on pensait que saint Marcoul était +désigné pour guérir les affligés qui portaient des marques au cou, +ainsi que saint Clair pour rendre la vue aux aveugles et saint Fort +pour donner la vigueur aux enfants. Le roi de France partageait avec +lui le pouvoir de guérir les scrofules et comme il le tenait de +l'huile apportée du ciel par une colombe, on estimait que cette vertu +agissait davantage au moment du sacre, d'autant plus qu'il risquait de +la perdre par paillardise, désobéissance à l'église chrétienne ou +autres dérèglements: c'est ce qui était arrivé au roi Philippe +I<sup>er</sup><a id="footnotetag1445" name="footnotetag1445"></a><a href="#footnote1445" title="Lien vers la note 1445"><span class="smaller">[1445]</span></a>. Les rois d'Angleterre touchaient aussi les écrouelles; +le roi Édouard III notamment opéra sur des scrofuleux couverts de +plaies des cures admirables. Pour ces raisons, le mal des scrofules +était dit mal Saint-Marcoul ou mal royal. Les vierges, ainsi que les +rois, avaient le pouvoir de guérir le mal royal. Mais il fallait que +la vierge, ayant jeûné, se mît nue et prononçât ces mots: <i>Negat +Apollo pestem passe recrudescere, quam nuda virgo restringat</i><a id="footnotetag1446" name="footnotetag1446"></a><a href="#footnote1446" title="Lien vers la note 1446"><span class="smaller">[1446]</span></a>. Il +était à <span class="pagenum"><a id="page533" name="page533"></a>(p. 533)</span> craindre qu'il n'y eût là quelque sorcellerie, comme +à charmer les blessures, tandis que le pouvoir de saint Marcoul et du +roi de France venait de Dieu. On sent la différence<a id="footnotetag1447" name="footnotetag1447"></a><a href="#footnote1447" title="Lien vers la note 1447"><span class="smaller">[1447]</span></a>.</p> + +<p>Le roi Charles fit ses dévotions, ses oraisons et ses offrandes à +monseigneur saint Marcoul et toucha les écrouelles. Il reçut à Corbeny +la soumission de la ville de Laon. Puis il s'en fut, le lendemain 22, +à une petite ville forte de la vallée de l'Aisne, nommée Vailly, qui +appartenait à l'archevêque duc de Reims. Il reçut à Vailly la +soumission de la ville de Soissons<a id="footnotetag1448" name="footnotetag1448"></a><a href="#footnote1448" title="Lien vers la note 1448"><span class="smaller">[1448]</span></a>. Comme le disait alors un +prophète armagnac, «les clés des portes guerrières reconnaissaient les +mains qui les avaient forgées<a id="footnotetag1449" name="footnotetag1449"></a><a href="#footnote1449" title="Lien vers la note 1449"><span class="smaller">[1449]</span></a>».</p> + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page534" name="page534"></a>(p. 534)</span> CHAPITRE XIX<br> + +<span class="smaller">LA LÉGENDE DE LA PREMIÈRE HEURE.</span></h2> + + +<p>Il est toujours difficile de savoir comment à la guerre les choses se +sont passées; dans ce temps-là c'était tout à fait impossible de se +faire une idée un peu raisonnable des actions accomplies. Il y avait à +Orléans, sans doute, quelques personnes assez avisées pour +s'apercevoir que les engins abondants et subtils, rassemblés par les +procureurs, avaient été d'un grand secours; mais les habitants +admirent généralement que la délivrance s'était opérée par miracle, et +ils en rapportèrent le mérite premièrement à leurs benoîts patrons, +Monsieur saint Aignan et Monsieur saint Euverte, et après eux, à +Jeanne la Pucelle de Dieu, ne concevant pas aux faits accomplis sous +leurs yeux d'explication plus simple, plus facile, plus +naturelle<a id="footnotetag1450" name="footnotetag1450"></a><a href="#footnote1450" title="Lien vers la note 1450"><span class="smaller">[1450]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page535" name="page535"></a>(p. 535)</span> Guillaume Girault, ancien procureur de la ville et notaire au +Châtelet, écrivit et signa de son nom une relation très brève de la +délivrance, y consignant que, le mercredi, veille de l'Ascension, la +bastille Saint-Loup fut prise comme par miracle à force d'armes, +«présente et aidant Jeanne la Pucelle, envoyée de Dieu» et que, le +samedi suivant, le siège que les Anglais avaient mis aux Tourelles du +bout du pont fut levé «par le plus évident miracle qui ait apparu +depuis la Passion». Et Guillaume Girault atteste que la Pucelle +conduisait la besogne<a id="footnotetag1451" name="footnotetag1451"></a><a href="#footnote1451" title="Lien vers la note 1451"><span class="smaller">[1451]</span></a>. Quand les témoins, les acteurs eux-mêmes +ne se rendaient point un compte exact des événements, quelle idée +pouvait-on s'en faire au loin?</p> + +<p>Les nouvelles des victoires françaises volaient avec une étonnante +rapidité<a id="footnotetag1452" name="footnotetag1452"></a><a href="#footnote1452" title="Lien vers la note 1452"><span class="smaller">[1452]</span></a>. À la brièveté des relations authentiques l'éloquence +des clercs facondeux et l'imagination populaire amplement suppléaient. +La campagne de la Loire et le voyage du sacre ne furent guère connus +d'abord que par des fables, et le peuple ne put les concevoir que +comme des événements surnaturels.</p> + +<p>Dans les lettres envoyées par la chancellerie royale aux villes du +royaume et aux princes de la chrétienté, le nom de Jeanne la Pucelle +était associé à tous les faits d'armes. Jeanne elle-même, par sa +chancellerie monastique, <span class="pagenum"><a id="page536" name="page536"></a>(p. 536)</span> faisait savoir à tous les grandes +choses qu'elle croyait fermement avoir accomplies<a id="footnotetag1453" name="footnotetag1453"></a><a href="#footnote1453" title="Lien vers la note 1453"><span class="smaller">[1453]</span></a>.</p> + +<p>On pensait que tout s'était fait par elle, que le roi l'avait +consultée en toutes choses quand, en réalité, les conseillers du roi +et les capitaines ne lui demandaient guère son avis, l'écoutaient peu +et la montraient à propos. On rapportait tout à elle seule. Sa +personne, présente à des actions avérées et qui semblaient inouïes, +fut emportée en un vaste cycle de fables surprenantes et disparut dans +une forêt de contes héroïques<a id="footnotetag1454" name="footnotetag1454"></a><a href="#footnote1454" title="Lien vers la note 1454"><span class="smaller">[1454]</span></a>.</p> + +<p>Il y avait alors des âmes contrites qui, attribuant aux péchés du +peuple tous les maux du royaume, cherchaient la salut commun dans +l'humilité, le repentir et la pénitence<a id="footnotetag1455" name="footnotetag1455"></a><a href="#footnote1455" title="Lien vers la note 1455"><span class="smaller">[1455]</span></a>. Elles attendaient la +fin de l'iniquité et le règne de Dieu sur la terre. Jeanne procéda, du +moins à ses débuts, de ces bonnes personnes. S'exprimant parfois en +réformatrice mystique, elle disait que Jésus est roi du saint royaume +de France, que le roi Charles est son lieutenant et n'a le royaume +qu'en «commande». Elle prononçait des paroles qui donnaient à croire +que sa mission était toute de charité, de paix et d'amour; celles-ci, +par exemple: «J'ai été envoyée pour la consolation des pauvres et des +indigents<a id="footnotetag1456" name="footnotetag1456"></a><a href="#footnote1456" title="Lien vers la note 1456"><span class="smaller">[1456]</span></a>. «Ces doux pénitents, qui rêvaient un monde pur, +fidèle et bénin, faisaient <span class="pagenum"><a id="page537" name="page537"></a>(p. 537)</span> de Jeanne leur prophétesse et +leur sainte. Ils lui prêtaient des propos édifiants qu'elle n'avait +jamais tenus.</p> + +<p>«Quand la Pucelle vint auprès du roi, disaient-ils, elle lui fit faire +trois promesses: la première, de se démettre de son royaume, d'y +renoncer et de le rendre à Dieu, de qui il le tenait; la deuxième, de +pardonner à tous ceux des siens qui s'étaient tournés contre lui et +l'avaient affligé; la troisième, qu'il s'humiliât assez, pour que tous +ceux, pauvres et riches, amis et ennemis, qui viendraient à lui, il +les reçût en grâce<a id="footnotetag1457" name="footnotetag1457"></a><a href="#footnote1457" title="Lien vers la note 1457"><span class="smaller">[1457]</span></a>.»</p> + +<p>Ou bien encore, ils la mettaient en action dans des apologues naïfs et +charmants, comme celui-ci:</p> + +<p>«Un jour, la Pucelle demanda au roi de lui faire un présent, et le roi +y ayant consenti, elle réclama comme don le royaume de France. Le roi, +surpris, ne révoqua point sa promesse. La Pucelle voulut qu'ayant reçu +ce don, l'acte en fût solennellement dressé par les quatre notaires du +roi et que lecture fût faite de cet acte. Tandis que le roi entendait +cette lecture, elle le montra aux assistants et dit: «Voilà le plus +pauvre chevalier du royaume.» Et, après un peu de temps, en présence +des notaires, disposant du royaume de France, elle le remit à Dieu. +Puis, agissant au nom de Dieu, elle en investit le roi Charles et +ordonna que de cette transmission acte solennel fût dressé par +écrit<a id="footnotetag1458" name="footnotetag1458"></a><a href="#footnote1458" title="Lien vers la note 1458"><span class="smaller">[1458]</span></a>.»</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page538" name="page538"></a>(p. 538)</span> Jeanne, avait annoncé, croyait-on, qu'à la +Saint-Jean-Baptiste de l'an 1429, il ne demeurerait pas un Anglais en +France<a id="footnotetag1459" name="footnotetag1459"></a><a href="#footnote1459" title="Lien vers la note 1459"><span class="smaller">[1459]</span></a>. Ces hommes de bonne volonté s'attendaient à ce que les +promesses de leur sainte fussent réalisées au jour fixé par elle. Ils +annoncèrent qu'elle avait, le 23 juin, fait son entrée dans la ville +de Rouen et que, le lendemain, jour de la Saint-Jean-Baptiste, les +habitants de Paris avaient de bon cœur ouvert leurs portes au roi +de France. Au mois de juillet on en faisait des récits dans +Avignon<a id="footnotetag1460" name="footnotetag1460"></a><a href="#footnote1460" title="Lien vers la note 1460"><span class="smaller">[1460]</span></a>. Les réformateurs, assez nombreux, ce semble, en France +et dans la chrétienté, croyaient savoir que la Pucelle donnerait une +constitution monastique aux Anglais et aux Français, dont elle ferait +un seul peuple de béguins et de béguines, une même confrérie de +pénitents et de pénitentes. Voici quelles étaient, selon eux, les +intentions des deux partis et les principales clauses du traité:</p> + +<p>«Le roi Charles de Valois pardonne à tous, et il ne lui souvient plus +des injures reçues. Les Anglais et les Français, tournés à contrition +et pénitence, s'appliquent à conclure une bonne et droite paix. La +Pucelle leur en a imposé elle-même les conditions. Conformément à sa +volonté, Anglais et Français, durant une ou deux années, porteront un +habit gris, avec une petite croix <span class="pagenum"><a id="page539" name="page539"></a>(p. 539)</span> cousue dessus; le vendredi +de chaque semaine, ils ne prendront que du pain et de l'eau; ils +vivront en bonne union avec leurs femmes et ne dormiront point avec +d'autres. Ils promettent à Dieu de ne faire nulle guerre, si ce n'est +pour la défense de leur patrimoine<a id="footnotetag1461" name="footnotetag1461"></a><a href="#footnote1461" title="Lien vers la note 1461"><span class="smaller">[1461]</span></a>.»</p> + +<p>Pendant la campagne du sacre, l'accord survenu entre les gens du roi +et les habitants d'Auxerre demeurant ignoré, on rapportait, vers la +fin de juillet, que, la ville prise d'assaut, quatre mille cinq cents +bourgeois avaient été occis et mêmement quinze cents hommes d'armes +tant chevaliers qu'écuyers des partis de Bourgogne et de Savoie. On +nommait parmi les gentilshommes morts messire Humbert Maréchal, le +seigneur de Varambon et un très fameux homme de guerre, le Viau de +Bar. On racontait des histoires de trahisons et de massacres, des +aventures horrifiques dans lesquelles la Pucelle était associée au +valet de cœur déjà fameux. On disait qu'elle avait fait couper la +tête à douze traîtres<a id="footnotetag1462" name="footnotetag1462"></a><a href="#footnote1462" title="Lien vers la note 1462"><span class="smaller">[1462]</span></a>. C'était de vrais romans de chevalerie, +dont voici un exemple:</p> + +<p>Environ deux mille Anglais entouraient le camp du roi, guettant s'ils +n'y pourraient causer quelque dommage. Alors, la Pucelle fit appeler +le capitaine La Hire et lui dit:</p> + +<p>—Tu as fait, en ton temps, de très nobles choses, mais au jour +d'aujourd'hui, Dieu t'en a préparé à faire <span class="pagenum"><a id="page540" name="page540"></a>(p. 540)</span> une plus notable +que celles que jamais tu fis. Prends tes gens d'armes et va à tel +bois, à deux lieues d'ici, tu y trouveras deux mille Anglais, tous la +lance en main; tu les prendras tous et tu les tueras.</p> + +<p>La Hire alla vers les Anglais et tous furent pris et tués, ainsi +qu'avait dit la Pucelle<a id="footnotetag1463" name="footnotetag1463"></a><a href="#footnote1463" title="Lien vers la note 1463"><span class="smaller">[1463]</span></a>.</p> + +<p>Voilà les contes de Mélusine qu'on faisait d'elle, pour la joie des +hommes simples et violents qui se complaisaient à l'idée d'une Pucelle +coupe-têtes et tranche-montagne!</p> + +<p>Le bruit courait qu'après le sac d'Auxerre, le duc de Bourgogne avait +été vaincu et pris dans une grande bataille, que le Régent était mort, +que les Armagnacs étaient entrés dans Paris<a id="footnotetag1464" name="footnotetag1464"></a><a href="#footnote1464" title="Lien vers la note 1464"><span class="smaller">[1464]</span></a>. La capitulation de +Troyes fut enveloppée de prodiges. À la venue des Français, les +habitants virent, disait-on, du haut de leurs remparts une grande +compagnie d'hommes d'armes, bien cinq à six mille, tenant chacun à la +main un pennon blanc. Au départ des Français ils les revirent rangés à +un trait d'arc derrière le roi Charles. Aussi merveilleux que les +chevaliers à l'écharpe blanche que les Bretons avaient vus peu de +temps auparavant chevaucher dans le ciel, ces chevaliers aux blancs +pennons, quand le roi partit, s'évanouirent<a id="footnotetag1465" name="footnotetag1465"></a><a href="#footnote1465" title="Lien vers la note 1465"><span class="smaller">[1465]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page541" name="page541"></a>(p. 541)</span> Tout ce qu'avaient cru, dans leur simplicité, les Orléanais +subitement désassiégés, tout ce qu'avaient conté les mendiants des +Armagnacs et les clercs du dauphin, fut avidement recueilli, accru, +amplifié. Trois mois après sa venue à Chinon, Jeanne eut sa légende +qui, vivace, fleurie et touffue, se répandit au dehors, en Italie, en +Flandre, en Allemagne<a id="footnotetag1466" name="footnotetag1466"></a><a href="#footnote1466" title="Lien vers la note 1466"><span class="smaller">[1466]</span></a>. Dans l'été de 1429, cette légende était +entièrement trouvée. Toutes les parties éparses de ce qu'on peut +appeler l'évangile de l'enfance existaient déjà.</p> + +<p>Âgée de sept ans, Jeanne menait paître les troupeaux; les loups +n'approchaient point de ses moutons; les oiseaux des bois, quand elle +les appelait, venaient manger son pain dans son giron. Le pouvoir +était en elle d'écarter les méchants. Personne sous le toit où elle +reposait n'avait à craindre la fraude et la malice des hommes<a id="footnotetag1467" name="footnotetag1467"></a><a href="#footnote1467" title="Lien vers la note 1467"><span class="smaller">[1467]</span></a>.</p> + +<p>Les miracles qui accompagnent la naissance de Jeanne, quand c'est un +poète latin qui les célèbre, revêtent la majesté romaine et prennent +le caractère de prodiges antiques; et c'est un spectacle assez étrange +que de voir, en 1429, un humaniste appeler les Muses <span class="pagenum"><a id="page542" name="page542"></a>(p. 542)</span> +ausoniennes sur le berceau de la fille de Zabillet Romée.</p> + +<p>«Le tonnerre gronda, la mer frémit, la terre trembla, le ciel +s'enflamma, le monde donna des signes de joie; une ardeur inconnue +mêlée d'épouvante agita les peuples ravis. Ils chantent de doux poèmes +et forment des danses rythmées en signe du salut destiné à la race +française par cette naissance céleste<a id="footnotetag1468" name="footnotetag1468"></a><a href="#footnote1468" title="Lien vers la note 1468"><span class="smaller">[1468]</span></a>.»</p> + +<p>On fit plus. Dès la première heure on voulut que les merveilles qui +avaient signalé la nativité de Jésus se fussent renouvelées lors de la +venue de Jeanne au monde. On imagina qu'elle était née dans la nuit de +Noël; les bergers du village, émus d'une joie indicible dont ils +ignoraient la cause, couraient dans l'ombre pour découvrir la +merveille inconnue. Les coqs, hérauts de cette allégresse nouvelle, +font éclater à l'heure inaccoutumée des chants inouïs, et, battant des +ailes, durant deux heures semblent vaticiner. Ainsi l'enfant eut dans +sa crèche son adoration des bergers<a id="footnotetag1469" name="footnotetag1469"></a><a href="#footnote1469" title="Lien vers la note 1469"><span class="smaller">[1469]</span></a>.</p> + +<p>De sa venue en France on avait beaucoup à conter. On croyait savoir +que, dans le château de Chinon, elle avait reconnu le roi qu'elle +n'avait jamais vu auparavant, et qu'elle était allée droit à lui, bien +qu'il se cachât sous des habits sans richesse, dans la foule des +seigneurs<a id="footnotetag1470" name="footnotetag1470"></a><a href="#footnote1470" title="Lien vers la note 1470"><span class="smaller">[1470]</span></a>. <span class="pagenum"><a id="page543" name="page543"></a>(p. 543)</span> On disait qu'elle avait donné un signe au +roi, qu'elle lui avait révélé un secret et qu'à la révélation de ce +secret, connu de lui seul, il avait été inondé d'une joie céleste; et +sur cette entrevue de Chinon, tandis que les assistants n'avaient +guère à dire, plusieurs, qui ne s'y étaient pas trouvés, étaient +inépuisables<a id="footnotetag1471" name="footnotetag1471"></a><a href="#footnote1471" title="Lien vers la note 1471"><span class="smaller">[1471]</span></a>.</p> + +<p>Le 7 mai, à quatre heures après midi, une colombe blanche se posa sur +l'étendard de la Pucelle; et l'on vit, le même jour, pendant l'assaut, +deux oiseaux blancs voltiger sur ses épaules<a id="footnotetag1472" name="footnotetag1472"></a><a href="#footnote1472" title="Lien vers la note 1472"><span class="smaller">[1472]</span></a>. Les saintes +étaient fréquentées des colombes. Un jour que sainte Catherine de +Sienne se tenait agenouillée dans la maison du foulon, une colombe +blanche comme la neige se posa sur la tête de l'enfant<a id="footnotetag1473" name="footnotetag1473"></a><a href="#footnote1473" title="Lien vers la note 1473"><span class="smaller">[1473]</span></a>.</p> + +<p>Un petit conte qui courait alors est intéressant en ce qu'on y voit +l'idée qu'on se faisait des relations du roi et de la Pucelle et aussi +comme exemple des déformations que peut subir, en passant de bouche en +bouche, le récit d'un fait véritable. Voici l'historiette, telle +qu'elle a été recueillie par un marchand allemand:</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page544" name="page544"></a>(p. 544)</span> Un jour, en une certaine ville, la Pucelle, avisée que les +Anglais étaient proches, prit les champs, et aussitôt, tous les gens +d'armes qui se trouvaient dans la ville sautèrent à cheval pour la +suivre. Pendant ce temps le roi, qui dînait à table, apprenant que +chacun allait en compagnie de la Pucelle, fit fermer les portes de la +cité.</p> + +<p>On en avertit la Pucelle qui répondit sans se troubler:</p> + +<p>—Avant qu'il soit heure de none, il sera au roi tel besoin de venir à +moi, qu'il me suivra tout de suite, son manteau à peine jeté sur lui, +et sans éperons.</p> + +<p>Ainsi en advint-il. Car les gens d'armes enfermés dans la ville +mandèrent au roi qu'il fît immédiatement ouvrir les portes, sinon +qu'ils le détruiraient. Les portes furent ouvertes et tous les gens +d'armes coururent vers la Pucelle, sans se soucier du roi, qui jeta +son manteau sur lui et les suivit.</p> + +<p>Ce jour-là un grand nombre d'Anglais furent détruits<a id="footnotetag1474" name="footnotetag1474"></a><a href="#footnote1474" title="Lien vers la note 1474"><span class="smaller">[1474]</span></a>.</p> + +<p>On reconnaît dans ce conte le souvenir très altéré des faits qui se +passèrent le 6 mai, à Orléans. Les bourgeois couraient en foule à la +porte Bourgogne, décidés à passer la Loire pour attaquer les +Tourelles. Trouvant la porte fermée, ils se jetèrent furieux sur le +sire de Gaucourt qui la gardait. Le vieux seigneur fit ouvrir la porte +toute grande et leur dit: «Venez, je <span class="pagenum"><a id="page545" name="page545"></a>(p. 545)</span> serai votre +capitaine<a id="footnotetag1475" name="footnotetag1475"></a><a href="#footnote1475" title="Lien vers la note 1475"><span class="smaller">[1475]</span></a>.» Dans le conte, les bourgeois sont devenus des gens +d'armes, et ce n'est plus le sire de Gaucourt qui fait méchamment +fermer la porte, c'est le roi; il n'a pas à s'en féliciter, et l'on +est surpris de trouver dès la première heure cette idée toute formée +dans l'esprit du peuple, que bien loin d'aider la Pucelle à chasser +les Anglais, le roi lui suscitait des obstacles et était toujours le +dernier à la suivre.</p> + +<p>Entrevue dans ce chaos de récits plus confus que les nuées d'un ciel +orageux, Jeanne apparaissait comme une merveille inouïe. Elle +prophétisait et plusieurs de ses prophéties étaient déjà accomplies. +Elle avait annoncé la délivrance d'Orléans, et Orléans était délivré. +Elle avait annoncé qu'elle serait blessée, et elle avait reçu une +flèche au-dessus de la mamelle gauche. Elle avait annoncé qu'elle +mènerait le roi à Reims, et le roi avait été sacré dans cette ville. +Elle avait fait d'autres prophéties encore touchant le royaume de +France, comme de délivrer le duc d'Orléans, d'entrer dans Paris, de +chasser tous les Anglais hors du saint royaume, et l'on en attendait +l'accomplissement<a id="footnotetag1476" name="footnotetag1476"></a><a href="#footnote1476" title="Lien vers la note 1476"><span class="smaller">[1476]</span></a>.</p> + +<p>Elle prophétisait tous les jours, notamment au sujet <span class="pagenum"><a id="page546" name="page546"></a>(p. 546)</span> de +plusieurs hommes qui lui avaient manqué de respect et qui étaient +morts de male mort<a id="footnotetag1477" name="footnotetag1477"></a><a href="#footnote1477" title="Lien vers la note 1477"><span class="smaller">[1477]</span></a>.</p> + +<p>À Chinon, tandis qu'elle était menée au roi, un homme d'armes qui +chevauchait devant le château, pensant la reconnaître, demanda:</p> + +<p>—N'est-ce point là la Pucelle? Jarnidieu, si je la tenais une nuit, +je ne la laisserais pas pucelle.</p> + +<p>Alors Jeanne prophétisa et dit:</p> + +<p>—Ha! en nom Dieu, tu le renies, et tu es si près de ta mort!</p> + +<p>Moins d'une heure après, cet homme tomba à l'eau et se noya<a id="footnotetag1478" name="footnotetag1478"></a><a href="#footnote1478" title="Lien vers la note 1478"><span class="smaller">[1478]</span></a>.</p> + +<p>Ce miracle fut mis tout de suite en vers latins. Dans le poème, où se +déroule l'histoire merveilleuse de Jeanne jusqu'à la délivrance +d'Orléans, le paillard qui renia Dieu et fit, comme tous les +blasphémateurs, une mauvaise fin, est noble et se nomme +Furtivolus<a id="footnotetag1479" name="footnotetag1479"></a><a href="#footnote1479" title="Lien vers la note 1479"><span class="smaller">[1479]</span></a>.</p> + +<p class="quote"><i>...generoso sanguine natus, Nomine Furtivolus, veneris moderator + iniquus.</i></p> + +<p>Le capitaine Glasdall appela Jeanne putain et renia son Créateur. +Jeanne lui annonça qu'il mourrait sans saigner, et Glasdall se noya +dans la Loire<a id="footnotetag1480" name="footnotetag1480"></a><a href="#footnote1480" title="Lien vers la note 1480"><span class="smaller">[1480]</span></a>.</p> + +<p>Imitations manifestes des historiettes contées dans <span class="pagenum"><a id="page547" name="page547"></a>(p. 547)</span> les vies +des saints qu'on lisait alors. Une femme hérétique ayant tiré saint +Ambroise par son vêlement, le bienheureux évêque lui dit: «Crains que, +par un jugement de Dieu, il ne te survienne quelque châtiment.» Le +lendemain cette femme mourut et le bienheureux Ambroise la conduisit +au tombeau<a id="footnotetag1481" name="footnotetag1481"></a><a href="#footnote1481" title="Lien vers la note 1481"><span class="smaller">[1481]</span></a>.</p> + +<p>Une religieuse encore vivante et qui devait mourir en odeur de +sainteté, sœur Colette de Corbie, avait rencontré son Furtivolus et +l'avait puni, mais avec douceur. Un jour qu'elle priait dans une +église de Corbie, un étranger s'approcha d'elle et lui tint des propos +contraires à la chasteté. «Plaise à Dieu, lui répondit-elle, de vous +faire connaître la laideur du langage que vous venez de tenir.» +L'étranger, pris de honte, gagna la porte. Mais une main invisible +l'arrêta sur le seuil. Comprenant alors la grandeur de son péché, il +demanda pardon à la sainte et put sortir librement de l'église<a id="footnotetag1482" name="footnotetag1482"></a><a href="#footnote1482" title="Lien vers la note 1482"><span class="smaller">[1482]</span></a>.</p> + +<p>Après que l'armée royale eut quitté Gien, la Pucelle avait annoncé, +disait-on, qu'une grande bataille serait livrée entre Auxerre et +Reims<a id="footnotetag1483" name="footnotetag1483"></a><a href="#footnote1483" title="Lien vers la note 1483"><span class="smaller">[1483]</span></a>. Quand des prédictions, comme celle-ci, ne se vérifiaient +pas, on les oubliait. D'ailleurs il était admis alors que les vrais +prophètes <span class="pagenum"><a id="page548" name="page548"></a>(p. 548)</span> pouvaient prophétiser parfois à faux. Le +théologien subtil distinguait entre les prophéties de prédestination +qui se réalisent toujours et celles de commination qui, étant +conditionnelles, peuvent ne pas se réaliser, sans qu'on doive accuser +de mensonge la bouche qui les fit<a id="footnotetag1484" name="footnotetag1484"></a><a href="#footnote1484" title="Lien vers la note 1484"><span class="smaller">[1484]</span></a>. On admirait qu'une enfant des +champs découvrît les choses futures et l'on s'écriait avec l'apôtre: « +Je vous loue, ô Père, de ce que vous avez dérobé vos secrets aux sages +et aux prudents, et de ce que vous les avez révélés aux petits.»</p> + +<p>Les prophéties de la Pucelle se répandirent en un moment dans toute la +chrétienté<a id="footnotetag1485" name="footnotetag1485"></a><a href="#footnote1485" title="Lien vers la note 1485"><span class="smaller">[1485]</span></a>. Un clerc de Spire composa sur elle un traité +intitulé <i>Sibylla Francica</i>, et divisé en deux rôles. Le premier rôle +fut rédigé, au plus tard, dans le mois de juillet de l'année 1429. Le +second est daté du 17 septembre de la même année. Ce clerc croit que +la Pucelle exerçait la divination par l'astrologie. Il avait ouï dire +à un religieux français, de l'ordre des Prémontrés, que Jeanne se +plaisait, la nuit, à observer le ciel. Il remarque qu'elle ne +prophétisa jamais que sur le royaume de France et il donne comme +sortie de la bouche de la Pucelle la vaticination que voici: «Après +avoir accompli vingt <span class="pagenum"><a id="page549" name="page549"></a>(p. 549)</span> années de royauté, le dauphin dormira +avec ses pères. Après lui, son fils aîné, maintenant enfant de six +ans, régnera avec plus grande gloire, honneur et puissance royale +qu'aucun des rois de France depuis Charlemagne<a id="footnotetag1486" name="footnotetag1486"></a><a href="#footnote1486" title="Lien vers la note 1486"><span class="smaller">[1486]</span></a>.»</p> + +<p>La Pucelle avait le don de voir certaines choses qui s'accomplissaient +loin d'elle.</p> + +<p>Elle sut, à Vaucouleurs, le jour même de la bataille des Harengs, +qu'un grand meschef advenait au dauphin<a id="footnotetag1487" name="footnotetag1487"></a><a href="#footnote1487" title="Lien vers la note 1487"><span class="smaller">[1487]</span></a>.</p> + +<p>Un jour qu'elle mangeait assise auprès du roi, elle se mit à rire à la +dérobée. Le roi, s'en avisant, lui demanda:</p> + +<p>—Bien-aimée, pourquoi riez-vous de si grand cœur?</p> + +<p>Elle répondit qu'elle le lui dirait après le repas.</p> + +<p>Et quand on apporta l'aiguière:</p> + +<p>—Sire, fit-elle, en ce jour, cinq cents Anglais sont noyés en la mer, +qui voulaient passer par delà, en votre terre, pour vous porter +dommage. Voilà pourquoi j'ai ri. Dans trois jours, il vous viendra +nouvelles certaines que c'est vérité.</p> + +<p>Et il en fut ainsi<a id="footnotetag1488" name="footnotetag1488"></a><a href="#footnote1488" title="Lien vers la note 1488"><span class="smaller">[1488]</span></a>.</p> + +<p>Une autre fois, comme elle était dans une ville éloignée de plusieurs +lieues du château où se tenait le <span class="pagenum"><a id="page550" name="page550"></a>(p. 550)</span> roi, faisant sa prière +avant de s'endormir, elle apprit par révélation que des ennemis du roi +le voulaient empoisonner à son dîner. Aussitôt elle appela ses frères +et les dépêcha au roi pour l'aviser de ne prendre aucune nourriture +avant sa venue.</p> + +<p>Quand elle parut devant lui, il était à table avec onze personnes +autour de lui.</p> + +<p>—Sire, dit-elle, faites emporter les mets.</p> + +<p>Elle les donna à des chiens qui les mangèrent et moururent aussitôt.</p> + +<p>Alors désignant un chevalier qui se tenait près du roi et deux autres +convives:</p> + +<p>—Ceux-là, dit-elle, voulaient vous empoisonner.</p> + +<p>Le chevalier avoua sur l'heure que c'était la vérité, et il fut traité +selon ses mérites<a id="footnotetag1489" name="footnotetag1489"></a><a href="#footnote1489" title="Lien vers la note 1489"><span class="smaller">[1489]</span></a>.</p> + +<p>Elle avait reconnu qu'un prêtre était concubinaire<a id="footnotetag1490" name="footnotetag1490"></a><a href="#footnote1490" title="Lien vers la note 1490"><span class="smaller">[1490]</span></a>; et, +rencontrant un jour, au camp, une fille habillée en homme, elle avait +su par illumination que cette fille était grosse et qu'ayant déjà +accouché d'un enfant, elle l'avait fait périr<a id="footnotetag1491" name="footnotetag1491"></a><a href="#footnote1491" title="Lien vers la note 1491"><span class="smaller">[1491]</span></a>.</p> + +<p>On attribuait aussi à la Pucelle la faculté de découvrir les objets +cachés. Elle-même se l'était attribuée lors de son passage à Tours. +Elle avait, disait-elle, connu par révélation une épée enfouie sous +terre dans la chapelle de Sainte-Catherine-de-Fierbois, et <span class="pagenum"><a id="page551" name="page551"></a>(p. 551)</span> +s'était armée de cette épée. On pensait que c'était l'épée dont +Charles Martel avait frappé les Sarrasins. D'autres soupçonnaient que +ce fût celle d'Alexandre le Grand<a id="footnotetag1492" name="footnotetag1492"></a><a href="#footnote1492" title="Lien vers la note 1492"><span class="smaller">[1492]</span></a>.</p> + +<p>Jeanne avait connu pareillement avant le sacre, disait-on, une +couronne précieuse, célée à tous les yeux. Et voici le conte que l'on +faisait à ce sujet:</p> + +<p>Un évêque gardait la couronne de saint Louis. On ne savait pas bien +quel évêque c'était, mais on savait que la Pucelle lui avait envoyé un +messager avec une lettre pour le prier de rendre la couronne. L'évêque +répondit au messager que la Pucelle avait rêvé. Elle réclama une +deuxième fois le saint joyau et l'évêque fit même réponse. Alors elle +écrivit aux bourgeois de la ville épiscopale que, si la couronne +n'était pas rendue au roi, le Seigneur leur enverrait un châtiment, et +aussitôt il tomba dans le pays une grêle si abondante, que ce fut +grande merveille. Communément c'étaient les sorciers qui faisaient +grêler. Cette fois la grêle était une plaie envoyée par le Dieu qui +affligea dix plaies à l'Égypte. Après quoi la Pucelle fit tenir aux +bourgeois de la ville une troisième lettre dans laquelle elle leur +décrivait la forme et la façon de la couronne que l'évêque tenait +cachée, et les avertissait que, si elle n'était <span class="pagenum"><a id="page552" name="page552"></a>(p. 552)</span> pas rendue +au roi, il leur adviendrait pis qu'il n'était advenu. L'évêque, qui +croyait que le merveilleux chapeau d'or n'était connu que de lui, +admira que la forme et la façon en fussent décrites dans cette lettre. +Il se repentit de sa méchanceté, pleura abondamment et ordonna que la +couronne fût envoyée au Roi et à la Pucelle<a id="footnotetag1493" name="footnotetag1493"></a><a href="#footnote1493" title="Lien vers la note 1493"><span class="smaller">[1493]</span></a>.</p> + +<p>Nous discernons sans trop de peine de quels éléments ce conte a pu se +former. La couronne de Charlemagne, que les rois de France ceignaient +dans la cérémonie du sacre, était à Saint-Denys en France, aux mains +des Anglais. Jeanne se vantait d'avoir donné au dauphin à Chinon une +couronne précieuse, apportée par des anges. Elle disait que cette +couronne avait été envoyée à Reims pour le couronnement, mais qu'on +n'avait pas pu l'attendre<a id="footnotetag1494" name="footnotetag1494"></a><a href="#footnote1494" title="Lien vers la note 1494"><span class="smaller">[1494]</span></a>. Quant au cel de la couronne par un +évêque, cela ne fut-il pas inspiré par ce qu'on savait de l'avidité de +messire Regnault de Chartres, archevêque de Reims, qui avait pris un +vase d'argent déposé par le roi sur l'autel, après la cérémonie, et +destiné au chapitre de la cathédrale<a id="footnotetag1495" name="footnotetag1495"></a><a href="#footnote1495" title="Lien vers la note 1495"><span class="smaller">[1495]</span></a>?</p> + +<p>On parlait aussi de gants perdus à Reims et d'une tasse que Jeanne +avait retrouvés<a id="footnotetag1496" name="footnotetag1496"></a><a href="#footnote1496" title="Lien vers la note 1496"><span class="smaller">[1496]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page553" name="page553"></a>(p. 553)</span> Pucelle guerrière et pacifique, béguine, prophétesse, +magicienne, ange du Seigneur, ogresse, chacun dans le peuple la voit à +sa façon, la rêve à son image. Les âmes pieuses lui prêtent une +invincible douceur et les trésors divins de la charité, les simples la +font simple comme eux; les hommes violents et grossiers se la +représentent ainsi qu'une géante burlesque et terrible. Pourra-t-on +désormais apercevoir quelques traits de son véritable visage? La voilà +dès la première heure et pour toujours, peut-être, enfermée dans le +buisson fleuri des légendes!</p> + +<p class="p2 center smcap">FIN DU TOME PREMIER</p> + + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page555" name="page555"></a>(p. 555)</span> TABLE DU TOME PREMIER</h2> + +<div class="tam"> +<ul class="none"> +<li>PRÉFACE. <span class="ralign10"><a href="#pageI">i</a></span></li> +</ul> +<ul class="roman"> +<li>—L'ENFANCE. <span class="ralign10"><a href="#page1">1</a></span></li> + +<li>—LES VOIX. <span class="ralign10"><a href="#page33">33</a></span></li> + +<li>—PREMIER SÉJOUR À VAUCOULEURS. — FUITE À + NEUFCHÂTEAU. — VOYAGE À TOUL. — SECOND + SÉJOUR À VAUCOULEURS. <span class="ralign10"><a href="#page70">70</a></span></li> + +<li>—VOYAGE À NANCY. — ITINÉRAIRE DE VAUCOULEURS + À SAINTE-CATHERINE-DE-FIERBOIS. <span class="ralign10"><a href="#page105">105</a></span></li> + +<li>—LE SIÈGE D'ORLÉANS, DU 12 OCTOBRE 1428 AU + 6 MARS 1429. <span class="ralign10"><a href="#page122">122</a></span></li> + +<li>—LA PUCELLE À CHINON. — PROPHÉTIES. <span class="ralign10"><a href="#page167">167</a></span></li> + +<li>—LA PUCELLE À POITIERS. <span class="ralign10"><a href="#page215">215</a></span></li> + +<li>—LA PUCELLE À POITIERS (<i>Suite</i>). <span class="ralign10"><a href="#page236">236</a></span></li> + +<li>—LA PUCELLE À TOURS. <span class="ralign10"><a href="#page252">252</a></span></li> + +<li>—LE SIÈGE D'ORLÉANS, DU 7 MARS AU 28 AVRIL 1429. <span class="ralign10"><a href="#page267">267</a></span></li> + +<li>—LA PUCELLE À BLOIS. — LA LETTRE AUX ANGLAIS. — LE + DÉPART POUR ORLÉANS. <span class="ralign10"><a href="#page282">282</a></span></li> + +<li>—LA PUCELLE À ORLÉANS. <span class="ralign10"><a href="#page300">300</a></span></li> + +<li>—LA PRISE DES TOURELLES ET LA DÉLIVRANCE + D'ORLÉANS. <span class="ralign10"><a href="#page345">345</a></span></li> + +<li>—LA PUCELLE À TOURS ET À SELLES-EN-BERRY. — LES + TRAITÉS DE JACQUES GÉLU ET DE JEAN + GERSON. <span class="ralign10"><a href="#page371">371</a></span></li> + +<li>—LA PRISE DE JARGEAU. — LE PONT DE MEUNG. — BEAUGENCY. <span class="ralign10"><a href="#page403">403</a></span></li> + +<li>—LA BATAILLE DE PATAY. — L'OPINION DES + CLERCS D'ITALIE ET D'ALLEMAGNE. — L'ARMÉE + DE GIEN. <span class="ralign10"><a href="#page430">430</a></span></li> + +<li>—LA CONVENTION D'AUXERRE. — FRÈRE RICHARD. — LA + CAPITULATION DE TROYES. <span class="ralign10"><a href="#page469">469</a></span></li> + +<li>—LA CAPITULATION DE CHÂLONS ET DE REIMS. — LE + SACRE. <span class="ralign10"><a href="#page505">505</a></span></li> + +<li>—LA LÉGENDE DE LA PREMIÈRE HEURE. <span class="ralign10"><a href="#page534">534</a></span></li> +</ul> +</div> +<p class="p2 center"><span class="smcap">Imprimerie Chaix, rue Bergère, 20, Paris</span>.—2854-2-08.—(Encre +Lorilleux).</p> + + +<h2>CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS<br> + +<span class="smaller">DU MÊME AUTEUR<br> +Format grand in-18.</span></h2> + +<div class="tam"> +<ul class="none"> +<li>BALTHASAR. <span class="ralign10">1 vol.</span></li> + +<li>CRAINQUEBILLE, PUTOIS, RIQUET. <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>LE CRIME DE SYLVESTRE BONNARD (<i>Ouvrage + couronné par l'Académie française</i>). <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>LES DÉSIRS DE JEAN SERVIEN. <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>L'ÉTUI DE NACRE. <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>HISTOIRE COMIQUE. <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>LE JARDIN D'ÉPICURE. <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>JOCASTE ET LE CHAT MAIGRE. <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>LE LIVRE DE MON AMI. <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>LE LYS ROUGE. <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>LES OPINIONS DE M. JÉRÔME COIGNARD. <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>LE PUITS DE SAINTE-CLAIRE. <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>LA RÔTISSERIE DE LA REINE PÉDAUQUE. <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>SUR LA PIERRE BLANCHE. <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>THAÏS. <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>LA VIE LITTÉRAIRE. <span class="ralign10">4 —</span></li> + +<li>PAGES CHOISIES. <span class="ralign10">1 —</span></li> +<li> </li> + +<li>HISTOIRE CONTEMPORAINE</li> +<li><ol class="roman"> + +<li>—L'ORME DU MAIL. <span class="ralign10">1 vol.</span></li> + +<li>—LE MANNEQUIN D'OSIER. <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>—L'ANNEAU D'AMÉTHYSTE. <span class="ralign10">1 —</span></li> + +<li>—MONSIEUR BERGERET À PARIS. <span class="ralign10">1 —</span></li> +</ol></li> + +<li> </li> + +<li>ÉDITION ILLUSTRÉE</li> +<li><ol class="none"> + +<li>CLIO (<i>Illustrations en couleurs de Mucha</i>) <span class="ralign10">1 vol.</span></li> + +<li>HISTOIRE COMIQUE (<i>Pointes sèches et eaux-fortes de + Edgar Chahine</i>) <span class="ralign10">1 —</span></li> +</ol></li> +</ul> +</div> + +<p class="p2 center"><span class="smcap">Imprimerie Chaix, rue Bergère, 20, Paris.</span>—2716-2-08.—(Encre +Lorilleux).</p> + +<h2>Notes</h2> + +<div class="notes"> +<p><a id="footnote1" name="footnote1"></a><a href="#footnotetag1">[1]</a> Le P. Lelong, <i>Bibliothèque historique de la France</i>, +Paris, 1768 (5 vol. in fol.), II, n. 17172-17242.—Potthast, +<i>Bibliotheca medii œvi</i>, Berlin, 1895, in-8<sup>o</sup>, t. 1, pp. 643 et +suiv.—U. Chevalier, <i>Répertoire des sources historiques du Moyen +Âge</i>, Paris, in-8<sup>o</sup>, 1877, pp. 1247-1255; <i>Jeanne d'Arc, +biobibliographie</i>, Montbéliard, 1878 [Extrait]; <i>Supplément au +Répertoire</i>, Paris, 1883, pp. 2684-2686, in-8<sup>o</sup>.—Lanéry d'Arc, <i>Le +livre d'Or de Jeanne d'Arc, bibliographie raisonnée et analytique des +ouvrages relatifs à Jeanne d'Arc</i>, Paris, 1894, gr. in-8<sup>o</sup> et +supplément.—A. Molinier, <i>Les sources de l'histoire de France des +origines aux guerres d'Italie</i>, IV: <i>Les Valois</i>, 1328-1461, Paris, +1904, pp. 310-348.</p> + +<p><a id="footnote2" name="footnote2"></a><a href="#footnotetag2">[2]</a> Jules Quicherat, <i>Procès de condamnation et de +réhabilitation de Jeanne d'Arc</i>, Paris, in-8<sup>o</sup>, 1841, t. I.</p> + +<p><a id="footnote3" name="footnote3"></a><a href="#footnotetag3">[3]</a> <i>Procès</i>, t. I. p. 93 et <i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote4" name="footnote4"></a><a href="#footnotetag4">[4]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 89, 142, 161, 176, 178, 201.</p> + +<p><a id="footnote5" name="footnote5"></a><a href="#footnotetag5">[5]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 478 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote6" name="footnote6"></a><a href="#footnotetag6">[6]</a> Jean de Bueil, <i>le Jouvencel</i>, éd. C. Fabre et L. +Lecestre, Paris, 1887, in-8<sup>o</sup>, t. II, p. 283.</p> + +<p><a id="footnote7" name="footnote7"></a><a href="#footnotetag7">[7]</a> Perceval de Cagny, <i>Chroniques</i>, publiées par H. +Moranvillé, Paris, 1902, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote8" name="footnote8"></a><a href="#footnotetag8">[8]</a> <i>Ibid.</i>, p. 31.</p> + +<p><a id="footnote9" name="footnote9"></a><a href="#footnotetag9">[9]</a> <i>Procès</i>, t. IV, p. 1.</p> + +<p><a id="footnote10" name="footnote10"></a><a href="#footnotetag10">[10]</a> <i>Ibid.</i>, t. IV, pp. 40 à 50.—D. Godefroy, <i>Histoire de +Charles VII</i>, Paris, 1661, in-fol., pp. 369-474.</p> + +<p><a id="footnote11" name="footnote11"></a><a href="#footnotetag11">[11]</a> Jean Chartier, <i>Chronique de Charles VII, roi de +France</i>, publ. par Vallet de Viriville, Paris, 1858, 3 vol. in-18 +(Bibliothèque Elzévirienne).</p> + +<p><a id="footnote12" name="footnote12"></a><a href="#footnotetag12">[12]</a> Jean Chartier, <i>Chronique de Charles VII, roi de +France</i>, t. I, p. 122.</p> + +<p><a id="footnote13" name="footnote13"></a><a href="#footnotetag13">[13]</a> Jean Chartier, <i>Chronique de Charles VII, roi de +France</i>, t. I, p. 121.</p> + +<p><a id="footnote14" name="footnote14"></a><a href="#footnotetag14">[14]</a> <i>Ibid.</i>, t. 1, p. 87.</p> + +<p><a id="footnote15" name="footnote15"></a><a href="#footnotetag15">[15]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 97.</p> + +<p><a id="footnote16" name="footnote16"></a><a href="#footnotetag16">[16]</a> <i>Journal du siège d'Orléans</i> (1428-1429), publié par P. +Charpentier et C. Cuissart, Orléans, 1896, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote17" name="footnote17"></a><a href="#footnotetag17">[17]</a> <i>Ibid.</i>, p. 81.—<i>Procès</i>, t. IV, p. 162, note.</p> + +<p><a id="footnote18" name="footnote18"></a><a href="#footnotetag18">[18]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 97.—<i>Procès</i>, t. III, p. 215.</p> + +<p><a id="footnote19" name="footnote19"></a><a href="#footnotetag19">[19]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i> ou <i>Chronique de Cousinot</i>, +publiée par Vallet de Viriville, Paris, 1859, in-16 (Bibliothèque +Gauloise).</p> + +<p><a id="footnote20" name="footnote20"></a><a href="#footnotetag20">[20]</a> <i>Mistère du siège d'Orléans</i>, publ. pour la première +fois d'après le manuscrit unique conservé à la bibliothèque du +Vatican, par MM. F. Guessard et E. de Certain, Paris, 1862, +in-4<sup>o</sup>.—Cf. <i>Étude sur le mystère du siège d'Orléans</i>, par H. Tivier, +Paris, 1868, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote21" name="footnote21"></a><a href="#footnotetag21">[21]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 309.</p> + +<p><a id="footnote22" name="footnote22"></a><a href="#footnotetag22">[22]</a> L'abbé E. Bossard et de Maulde, <i>Gilles de Rais, +maréchal de France dit Barbe-Bleue</i> (1404-1440), 2<sup>e</sup> édit., Paris, +1886, in-8<sup>o</sup>, pp. 94 à 113.</p> + +<p><a id="footnote23" name="footnote23"></a><a href="#footnotetag23">[23]</a> <i>Mistère du siège</i>, p. viij.</p> + +<p><a id="footnote24" name="footnote24"></a><a href="#footnotetag24">[24]</a> <i>Mistère du siège</i>, préface, p. <span class="smcap">X</span>.</p> + +<p><a id="footnote25" name="footnote25"></a><a href="#footnotetag25">[25]</a> <i>Mistère du siège</i>, pp. 397-398.</p> + +<p><a id="footnote26" name="footnote26"></a><a href="#footnotetag26">[26]</a> <i>Mistère du siège</i>, vers 14375-14381, p. 559.</p> + +<p><a id="footnote27" name="footnote27"></a><a href="#footnotetag27">[27]</a> <i>Procès</i>, t. V, pp. 285 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote28" name="footnote28"></a><a href="#footnotetag28">[28]</a> <i>Relation inédite sur Jeanne d'Arc, extraite du livre +noir de l'hôtel de ville de La Rochelle</i>, publ. par J. Quicherat, +Orléans, 1879, in-8<sup>o</sup>, et <i>Revue Historique</i>, t. IV, 1877, pp. +329-344.</p> + +<p><a id="footnote29" name="footnote29"></a><a href="#footnotetag29">[29]</a> Bibl. nat. fr., 23.018.—J. Quicherat, <i>Supplément aux +témoignages contemporains sur Jeanne d'Arc</i>, dans <i>Revue Historique</i>, +t. XIX, mai-juin 1882, pp. 72-83.</p> + +<p><a id="footnote30" name="footnote30"></a><a href="#footnotetag30">[30]</a> Pierre Champion, <i>Guillaume de Flavy</i>, Paris, 1906, +in-8<sup>o</sup>, pp. xj et xij.</p> + +<p><a id="footnote31" name="footnote31"></a><a href="#footnotetag31">[31]</a> <i>Chronique d'Antonio Morosini</i>, introd. et comm., par +Germain Lefèvre-Pontalis, texte établi par Léon Dorez, t. III, 1901, +p. 302 et t. IV, annexe xxj.</p> + +<p><a id="footnote32" name="footnote32"></a><a href="#footnotetag32">[32]</a> Enguerran de Monstrelet, <i>Chronique</i>, publ. par +Doüet-d'Arcq, Paris, 1857-1861, 6 vol. in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote33" name="footnote33"></a><a href="#footnotetag33">[33]</a> Rabelais, <i>Pantagruel</i>, t. III, ch. <span class="smcap">XXIV</span>.</p> + +<p><a id="footnote34" name="footnote34"></a><a href="#footnotetag34">[34]</a> Jehan de Wavrin, <i>Anchiennes croniques d'Engleterre</i>, +éd. de mademoiselle Dupont, Paris, 1858-1863, 3 vol. in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote35" name="footnote35"></a><a href="#footnotetag35">[35]</a> Additions de Wavrin à Monstrelet, dans <i>Procès</i>, t. IV, +p. 407.</p> + +<p><a id="footnote36" name="footnote36"></a><a href="#footnotetag36">[36]</a> <i>Chronique de Jean Le Fèvre, seigneur de Saint-Remy</i>, +publ. par François Morand, Taris, 1876-81, 2 vol. in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote37" name="footnote37"></a><a href="#footnotetag37">[37]</a> <i>Chronique des ducs de Bourgogne</i>, Paris, 1827, 2 vol. +in-8<sup>o</sup>, t. XLII et XLIII de la <i>Collection des Chroniques françaises</i> +de Buchon.—<i>Œuvres de Georges Chastellain</i>, publiées par Kervyn de +Lettenhove, Bruxelles, 1863, 8 vol. in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote38" name="footnote38"></a><a href="#footnotetag38">[38]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i> (1405-1449), publié +par A. Tuetey, Paris, 1881, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote39" name="footnote39"></a><a href="#footnotetag39">[39]</a> <i>Chronique d'Antonio Morosini</i>, publ. par Léon Dorez et +Germain Lefèvre-Pontalis, Paris, 1900-1902, 4 vol. in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote40" name="footnote40"></a><a href="#footnotetag40">[40]</a> G. Lefèvre-Pontalis, <i>Les sources allemandes de +l'histoire de Jeanne d'Arc</i>, Eberhard Windecke, Paris, 1903, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote41" name="footnote41"></a><a href="#footnotetag41">[41]</a> <i>Procès</i>, t. II à III, 1844-45. (Les tomes V et VI, +1846-47, contiennent les témoignages.)</p> + +<p><a id="footnote42" name="footnote42"></a><a href="#footnotetag42">[42]</a> Lanéry d'Arc, <i>Mémoires et consultations en faveur de +Jeanne d'Arc</i>, Paris, 1889, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote43" name="footnote43"></a><a href="#footnotetag43">[43]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 378-463.</p> + +<p><a id="footnote44" name="footnote44"></a><a href="#footnotetag44">[44]</a> J. Quicherat, <i>Histoire du costume</i>, Paris, 1875, gr. +in-8<sup>o</sup>, <i>passim</i>.—G. Demay, <i>Le costume au moyen âge d'après les +sceaux</i>, Paris, 1880, p. 121, fig. 76 et 77.</p> + +<p><a id="footnote45" name="footnote45"></a><a href="#footnotetag45">[45]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 34.</p> + +<p><a id="footnote46" name="footnote46"></a><a href="#footnotetag46">[46]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 100.</p> + +<p><a id="footnote47" name="footnote47"></a><a href="#footnotetag47">[47]</a> Il convient toutefois de remarquer que frère Pasquerel, +qui n'était ni à Chinon, ni à Poitiers, prend soin de dire qu'il ne +sait du séjour de Jeanne dans ces deux villes que ce qu'elle-même lui +a appris. Or, nous voyons, non sans surprise, qu'elle mettait aussi +l'examen de Poitiers avant l'audience de Chinon, puisqu'elle a dit +dans son procès, que, à Chinon, ayant montré un signe à son roi, les +clercs cessèrent de «l'arguer» (<i>Procès</i>, t. I, p. 146).</p> + +<p><a id="footnote48" name="footnote48"></a><a href="#footnotetag48">[48]</a> <i>Expectando succursum regis</i> (<i>Procès</i>, t. III, p. +109).</p> + +<p><a id="footnote49" name="footnote49"></a><a href="#footnotetag49">[49]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 105.</p> + +<p><a id="footnote50" name="footnote50"></a><a href="#footnotetag50">[50]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 2 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote51" name="footnote51"></a><a href="#footnotetag51">[51]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 12.</p> + +<p><a id="footnote52" name="footnote52"></a><a href="#footnotetag52">[52]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 15, 161, 329; t. III, pp. 41 et +<i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote53" name="footnote53"></a><a href="#footnotetag53">[53]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 23.</p> + +<p><a id="footnote54" name="footnote54"></a><a href="#footnotetag54">[54]</a> L. Jarry, <i>Le compte de l'armée anglaise au siège +d'Orléans</i> (1428-1429). Orléans, 1892, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote54a" name="footnote54a"></a><a href="#footnotetag54a">[54a]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 85.</p> + +<p><a id="footnote54b" name="footnote54b"></a><a href="#footnotetag54b">[54b]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 100.—Voir, par contre, la +déposition de Dunois (t. III, p. 16) «<i>licet dicta Johanna +aliquotiens jocose loqueretur de facto armorum, pro animante +armatos... tamen quando loquebatur seriose de guerra... nunquam +affirmative asserebat nisi quod erat missa ad levandum obsidionem +Aurelianensem.</i></p> + +<p><a id="footnote54c" name="footnote54c"></a><a href="#footnotetag54c">[54c]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 438, 457; t. III, pp. 100, 219.</p> + +<p><a id="footnote55" name="footnote55"></a><a href="#footnotetag55">[55]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 20.</p> + +<p><a id="footnote56" name="footnote56"></a><a href="#footnotetag56">[56]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 87.</p> + +<p><a id="footnote57" name="footnote57"></a><a href="#footnotetag57">[57]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 438; t. III, pp. 15, 76, 100, 219 et +457.</p> + +<p><a id="footnote58" name="footnote58"></a><a href="#footnotetag58">[58]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 89 et 121.</p> + +<p><a id="footnote59" name="footnote59"></a><a href="#footnotetag59">[59]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 2 et 35.</p> + +<p><a id="footnote60" name="footnote60"></a><a href="#footnotetag60">[60]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 100 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote61" name="footnote61"></a><a href="#footnotetag61">[61]</a> Siméon Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy, recherches +critiques sur les origines de la mission de la Pucelle</i>, Paris, 1886, +in-8<sup>o</sup>; <i>La France pendant la guerre de cent ans: épisodes historiques +et vie privée aux XIV<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup> siècles</i>, Paris, 1890, in-12.</p> + +<p><a id="footnote62" name="footnote62"></a><a href="#footnotetag62">[62]</a> D. Lottin, <i>Recherches sur la ville d'Orléans</i>, Orléans, +7 vol. in-8<sup>o</sup>.—Boucher de Molandon, <i>Les comptes de ville d'Orléans +des XIV<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup> siècles</i>, Orléans, 1880, in-8<sup>o</sup>.—Jules +Loiseleur, <i>Compte des dépenses faites par Charles VII pour secourir +Orléans pendant le siège de 1428</i>, Orléans, 1808, in-8<sup>o</sup>.—Louis +Jarry, <i>Le compte de l'armée anglaise au siège d'Orléans</i>, Orléans, +1892, in-8<sup>o</sup>.—Couret, <i>Un fragment inédit des anciens registres de la +prévôté d'Orléans, relatif au règlement des frais du siège de +1428-1429</i>, Orléans, 1897, in-8<sup>o</sup> (extrait des <i>Mémoires de l'Académie +de Sainte Croix</i>).</p> + +<p><a id="footnote63" name="footnote63"></a><a href="#footnotetag63">[63]</a> Rymer, <i>Fœdera, conventiones...</i> éd. tercia, Hagæ +Comitis, 1739-1745, 10 vol. in-fol.—Delpit, <i>Collection de documents +français qui se trouvent en Angleterre</i>, Paris, 1847, in-4<sup>o</sup>.—J. +Stevenson, <i>Letters and papers illustrative of the wars of the English +in France during the reign of Henry VI</i>, 1861-1864, 3 part., en 2 vol. +in-8<sup>o</sup>.—Charles Gross, <i>The sources and literature of English +history</i>, 1900, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote64" name="footnote64"></a><a href="#footnotetag64">[64]</a> Varin, <i>Archives législatives de la ville de Reims</i>, +2<sup>e</sup> partie, <i>Statuts</i>, t. I, p. 596.—<i>Procès</i>, t. IV, pp. 284 et +suiv.</p> + +<p><a id="footnote65" name="footnote65"></a><a href="#footnotetag65">[65]</a> E. Robillard de Beaurepaire, <i>Recherches sur le procès +de condamnation de Jeanne d'Arc</i>, Rouen, 1869, in-8<sup>o</sup>; [<i>Précis des +travaux de l'Académie de Rouen</i>, 1867-1868, pp. 321-448]; <i>Notes sur +les juges et les assesseurs du procès de condamnation de Jeanne +d'Arc</i>, Rouen, 1890, in-8<sup>o</sup>; [<i>Précis des travaux de l'Académie de +Rouen</i>, 1888-89, pp. 375-504].</p> + +<p><a id="footnote66" name="footnote66"></a><a href="#footnotetag66">[66]</a> <i>Procès</i>, t. V, pp. 342 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote67" name="footnote67"></a><a href="#footnotetag67">[67]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 219.</p> + +<p><a id="footnote68" name="footnote68"></a><a href="#footnotetag68">[68]</a> Brière de Boismont, <i>De l'hallucination historique, ou +étude médico-psychique sur les voix et les révélations de Jeanne +d'Arc</i>, 1861, in-8<sup>o</sup>.—Le vicomte de Mouchy, <i>Jeanne d'Arc, étude +historique et psychologique</i>, Montpellier, 1868, in-8<sup>o</sup>, 67 p.</p> + +<p><a id="footnote69" name="footnote69"></a><a href="#footnotetag69">[69]</a> T. II.</p> + +<p><a id="footnote70" name="footnote70"></a><a href="#footnotetag70">[70]</a> <i>Acta Sanctorum</i>, 1675, Avril, III, 851.</p> + +<p><a id="footnote71" name="footnote71"></a><a href="#footnotetag71">[71]</a> <i>Ibid.</i>, Mars, I, 532.</p> + +<p><a id="footnote72" name="footnote72"></a><a href="#footnotetag72">[72]</a> Le Père Hugues de Saint-François, <i>Les grandeurs de +sainte Anne</i>, Rennes, 1657, in-8<sup>o</sup>.—L'abbé Max Nicol, +<i>Sainte-Anne-d'Auray</i>, Paris, Bruxelles, s. d. in-8<sup>o</sup>, pp. 37 et +suiv.—M. le docteur G. de Closmadeuc a bien voulu me communiquer son +précieux travail inédit sur Yves Nicolazic, dans lequel on retrouve la +sûreté d'information et de critique qui caractérise ses études +d'histoire locale.</p> + +<p><a id="footnote73" name="footnote73"></a><a href="#footnotetag73">[73]</a> <i>Recueil des ouvrages de la célèbre mademoiselle +Labrousse, du Bourg de Vauxains, en Périgord, canton de Ribeirac, +département de la Dordogne, actuellement prisonnière au château +Saint-Ange, à Rome</i>, Bordeaux, 1797, in-8<sup>o</sup>.—E. Lairtullier, <i>Les +femmes célèbres de 1789 à 1795</i>, Paris, 1842, in-8<sup>o</sup>, t. I, pp. 212 et +suiv.—Abbé Chr. Moreau, <i>Une mystique révolutionnaire, Suzette +Labrousse</i>, Paris, 1886, in-8<sup>o</sup>.—A. France, <i>Suzette Labrousse</i>, +Paris, 1907, in-12.</p> + +<p><a id="footnote74" name="footnote74"></a><a href="#footnotetag74">[74]</a> T. II, appendices II et III.</p> + +<p><a id="footnote75" name="footnote75"></a><a href="#footnotetag75">[75]</a> Le P. Ayroles, <i>La vraie Jeanne d'Arc</i>, 5 vol. grand +in-8<sup>o</sup>, Paris, 1894-1902. En parlant de ce livre dans une étude sur +l'<i>Abjuration de Jeanne d'Arc</i> (Paris, 1902, pp. 7 et 8, note), le +chanoine Ulysse Chevalier, auteur d'un précieux <i>Répertoire des +sources du moyen âge</i>, s'exprime avec beaucoup de sens et de fermeté. +«Par les dimensions de ses cinq volumes, dit-il, cet ouvrage pourrait +faire l'illusion d'être la plus ample histoire de Jeanne d'Arc; il +n'en est rien. C'est un chaos de mémoires traduits ou mis en français +de notre temps, de réflexions et de controverses contre la libre +pensée, représentée par Michelet, H. Martin, Quicherat, Vallet de +Viriville, Sim. Luce et Jos. Fabre. Deux titres suffiront pour donner +une idée du ton. «Les pseudo-théologiens bourreaux de Jeanne d'Arc, +bourreaux de la Papauté» (t. I, p. 87). «L'Université de Paris et le +brigandage de Rouen» (p. 149). L'auteur juge trop souvent le <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> +siècle d'après les préoccupations du <span class="smcap">XIX</span><sup>e</sup>. Est-il sûr que, membre +de l'Université de Paris, en 1431, il eût pensé et jugé en faveur de +Jeanne d'Arc, à l'encontre de ses collègues?».</p> + +<p><a id="footnote76" name="footnote76"></a><a href="#footnotetag76">[76]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 456.</p> + +<p><a id="footnote77" name="footnote77"></a><a href="#footnotetag77">[77]</a> Le P. Denifle, <i>La désolation des églises, monastères, +hôpitaux en France vers le milieu du XV<sup>e</sup> siècle</i>, Mâcon, 1897, +in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote78" name="footnote78"></a><a href="#footnotetag78">[78]</a> O. Raguenet, <i>Les juges de Jeanne d'Arc à Poitiers, +membres du Parlement ou gens d'Église?</i> dans <i>Lettres et mémoires de +l'Académie de Sainte-Croix d'Orléans</i>, VII, 1894, pp. 399-442.—D. +Lacombe, <i>L'hôte de Jeanne d'Arc à Poitiers, maître Jean Rabateau, +président au Parlement de Poitiers</i>, dans <i>Revue du Bas-Poitou</i>, 1891, +pp. 46-66.</p> + +<p><a id="footnote79" name="footnote79"></a><a href="#footnotetag79">[79]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 146.</p> + +<p><a id="footnote80" name="footnote80"></a><a href="#footnotetag80">[80]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 2 et suiv., p. 96.</p> + +<p><a id="footnote81" name="footnote81"></a><a href="#footnotetag81">[81]</a> Lettre d'Alain Chartier dans <i>Procès</i>, t. V, pp. 135, +136.—Capitaine P. Marin, <i>Jeanne d'Arc tacticien et stratégiste</i>, +Paris, 1889, 4 vol. in-12.—Le général Canonge, <i>Jeanne d'Arc +guerrière</i>, Paris, 1907, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote82" name="footnote82"></a><a href="#footnotetag82">[82]</a> <i>Rossel et la légende de Jeanne d'Arc</i>, dans la <i>Petite +République</i> du 15 juillet 1896.—<i>Jeanne d'Arc soldat</i>, par Art Roë, +dans le <i>Temps</i> du 8 mai 1907.—Voyez aussi les ouvrages du capitaine +Marin, si recommandables d'ailleurs par le soin et la bonne foi.</p> + +<p><a id="footnote83" name="footnote83"></a><a href="#footnotetag83">[83]</a> Alain Chartier, <i>Œuvres</i>, éd. André du Chesne, p. +412.</p> + +<p><a id="footnote84" name="footnote84"></a><a href="#footnotetag84">[84]</a> Jean Chartier, <i>Chronique de Charles VII</i>, t. I, p. +121.</p> + +<p><a id="footnote85" name="footnote85"></a><a href="#footnotetag85">[85]</a> Voir la délibération des communes du 2 décembre 1421, +dans Bréquigny, <i>Lettres des rois, reines et autres personnages des +cours de France et d'Angleterre</i>, Paris, 1847 (2 vol. in-4<sup>o</sup>), t. II, +pp. 393 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote86" name="footnote86"></a><a href="#footnotetag86">[86]</a> Le R. P. M. Fornier, <i>Histoire des Alpes-Maritimes</i>, +Paris, 1890, in-8<sup>o</sup>, t. II. p. 324.—Lanéry d'Arc, <i>Mémoires et +consultations</i>, pp. 565 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote87" name="footnote87"></a><a href="#footnotetag87">[87]</a> Marquis de Gaucourt, <i>Le sire de Gaucourt</i>, Orléans, +1855, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote88" name="footnote88"></a><a href="#footnotetag88">[88]</a> H. Martin, <i>Jeanne d'Arc</i>, Paris, 1856, in-12.—J. +Quicherat, <i>Nouvelles preuves des trahisons essuyées par la Pucelle</i> +dans <i>Revue de Normandie</i>, t. VI (1866), pp. 396-401.</p> + +<p><a id="footnote89" name="footnote89"></a><a href="#footnotetag89">[89]</a> Même à considérer seulement ceux des chanoines qui +siégèrent au procès. Cf. Ch. de Beaurepaire, <i>Recherches sur le procès +de condamnation de Jeanne d'Arc</i>, Rouen, 1869, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote90" name="footnote90"></a><a href="#footnotetag90">[90]</a> Ou du moins les conclusions des docteurs qui nous sont +parvenues. Quant au registre, il ne devait pas contenir grand'chose. +On voit, par les témoignages du procès de réhabilitation, que les +clercs de Poitiers ne tenaient pas beaucoup à ce qu'on parlât de leur +enquête.</p> + +<p><a id="footnote91" name="footnote91"></a><a href="#footnotetag91">[91]</a> Aug. Vallet, <i>Observation sur l'ancien monument érigé à +Orléans</i>, Paris, 1858, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote92" name="footnote92"></a><a href="#footnotetag92">[92]</a> Voir un curieux projet de décoration du terre-plein du +Pont-Neuf adressé à Louis XIV (B. N., V p<sup>zz</sup> 338, in-fol.). Un sieur +Dupuis, aide des Cérémonies, y propose l'érection de statues «à ces +grands et illustres capitaines qui de règne en règne ont vaillamment +soutenu la dignité de la couronne... Artus de Bretagne, connestable, +Jean, comte de Dunois, Jeanne Dark, pucelle d'Orléans, Roger de +Gramont, comte de Guiche, Guillaume, comte de Chaumont, Amaury de +Severac, Vignoles dit La Hire...». (Communications de M. Paul Lacombe, +<i>Bulletin de la Société de l'Histoire de Paris</i>, 1894, p. 115; 11 juin +1907, <i>Ibid.</i>).</p> + +<p><a id="footnote93" name="footnote93"></a><a href="#footnotetag93">[93]</a> <i>Puellæ Aureliensis causa adversariis orationibus +disceptata auctore Jacobo Jolio</i>, Parisiis, apud Julianum Bertaut, +1609.</p> + +<p><a id="footnote94" name="footnote94"></a><a href="#footnotetag94">[94]</a> Jean Hordal, <i>Heroinæ nobilissimæ Ioannæ Darc Lotharingæ +vulgo aurelianensis puellæ historia...</i> Ponti-Mussi, 1612, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote95" name="footnote95"></a><a href="#footnotetag95">[95]</a> Rabelais, <i>Gargantua</i>, chap. <span class="smcap">VI</span>.—Abbé Thiers, <i>Traité +des superstitions selon l'Écriture sainte</i>, Paris, 1697, t. I, p. +109.</p> + +<p><a id="footnote96" name="footnote96"></a><a href="#footnotetag96">[96]</a> Edmond Richer, <i>Histoire de la Pucelle d'Orléans en 4 +livres</i>, ms., Biblioth. Nat, f. fr., 10448, fol. 12<sup>20</sup>.</p> + +<p><a id="footnote97" name="footnote97"></a><a href="#footnotetag97">[97]</a> «La vie de sainte Catherine, vierge et martyre, est +toute fabuleuse depuis le commencement jusqu'à la fin.» <i>Valesiana</i>, +p. 48.—«M. de Launoy, docteur en théologie, avait rayé de son +calendrier sainte Catherine, vierge et martyre. Il disait que sa vie +était une fable, et, pour montrer qu'il n'y ajoutait aucune foi, tous +les ans, au jour de la fête de cette sainte, il disait une messe de +<i>Requiem</i>. C'est de lui-même que je tiens cette particularité.» +<i>Ibidem</i>, p. 36.</p> + +<p><a id="footnote98" name="footnote98"></a><a href="#footnotetag98">[98]</a> Jean Chapelain, <i>La Pucelle ou la France délivrée</i>, +Paris, 1656, in-f<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote99" name="footnote99"></a><a href="#footnotetag99">[99]</a> <i>Œuvres de messire Jacques-Bénigne Bossuet</i>, Paris, +in-4<sup>o</sup>, tome XI, 1749, feuillets chiffrés; tome XII, pp. 234 et +suiv.—Cf. Ce qu'il nous dit des inspirées dans l'<i>Instruction sur les +états d'oraison</i>, Paris, 1697, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote100" name="footnote100"></a><a href="#footnotetag100">[100]</a> «Cette fille nommée Jeanne d'Arq... avoit été servante +dans une hôtellerie.» <i>Loc. cit.</i>, p. 233.</p> + +<p><a id="footnote101" name="footnote101"></a><a href="#footnotetag101">[101]</a> Il ne faut pas juger trop sévèrement les cahiers d'un +précepteur; mais Bossuet, qui place la réhabilitation sous la rubrique +de 1431, ne nous avertit pas qu'elle ne fut prononcée que vingt-cinq +ans plus tard. Bien au contraire, il ne tient qu'à lui qu'on la croie +antérieure à la délivrance de Compiègne. Voici son texte: «En +exécution de cette sentence, elle fut brûlée toute vive à Rouen en +1431. Les Anglois firent courir le bruit qu'elle avoit enfin reconnu +que les révélations dont elle s'étoit vantée étaient fausses. Mais le +Pape, quelque temps après, nomma des commissaires. Son procès fut revu +solemnellement, et sa conduite approuvée par un dernier jugement que +le Pape lui-même confirma. Les Bourguignons furent contraints de lever +le siège de Compiègne» (<i>Loc. cit.</i>, p. 236).</p> + +<p>Mézeray est plus crédule que Bossuet; il nomme «les saintes Catherine +et Marguerite, qui purifioient son âme par des conversations célestes, +à cause qu'elle les vénéroit d'une particulière dévotion». Comme +Bossuet, en exposant le procès, il passe sous silence le +vice-inquisiteur (<i>Histoire de France</i>, t. II, 1746, in-folio, pp. 11 +et suiv.).</p> + +<p><a id="footnote102" name="footnote102"></a><a href="#footnotetag102">[102]</a> Voltaire, éd. Beuchot, t. XXVI.—Cf. aussi: <i>Essai sur +les mœurs</i>, chap. <span class="smcap">LXXX</span>. «Enfin, accusée d'avoir repris une fois +l'habit d'homme qu'on lui avait laissé exprès pour la tenter, ses +juges... la déclarèrent hérétique relapse, et firent mourir par le feu +celle qui, ayant sauvé son roi, aurait eu des autels dans les temps +héroïques, où les hommes en élevaient à leurs libérateurs. Charles VII +rétablit depuis sa mémoire, assez honorée par son supplice même.»</p> + +<p><a id="footnote103" name="footnote103"></a><a href="#footnotetag103">[103]</a> L'abbé Lenglet du Fresnoy, <i>Histoire de Jeanne d'Arc, +vierge, héroïne et martyre d'État suscitée par la Providence pour +rétablir la monarchie française, tirée des procès et pièces originales +du temps</i>. Paris, 1753-54, 3 vol. in-12.</p> + +<p><a id="footnote104" name="footnote104"></a><a href="#footnotetag104">[104]</a> F. de L'Averdy, <i>Mémorial lu au comité des manuscrits +concernant la recherche à faire des minutes originales des différentes +affaires qui ont eu lieu par rapport à Jeanne d'Arc, appelée +communément la Pucelle d'Orléans</i>. Paris, Imprimerie Royale, 1787, +in-4<sup>o</sup>.—<i>Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque du +roi, lus au comité établi par sa Majesté dans l'Académie royale des +Inscriptions et Belles Lettres.</i> Paris, Imp. Royale, 1790, t. III.</p> + +<p><a id="footnote105" name="footnote105"></a><a href="#footnotetag105">[105]</a> «Il n'y avait dans les temps modernes que deux beaux +sujets de poëme épique les <i>Croisades</i> et la <i>Découverte du Nouveau +Monde</i>» (éd. de 1802, Paris, t. II, p. 7.)</p> + +<p><a id="footnote106" name="footnote106"></a><a href="#footnotetag106">[106]</a> «L'illustre Jeanne d'Arc a prouvé qu'il n'est pas de +miracle que le génie français ne puisse produire dans les +circonstances où l'indépendance nationale est menacée» (<i>Moniteur</i> du +10 pluviôse, an XI—30 janvier 1803).—Pour l'approbation du premier +Consul: Fac-similé dans A. Sarrazin, <i>Jeanne d'Arc et la Normandie</i>, +p. 600 [Original tiré de la collection de Reiset].</p> + +<p><a id="footnote107" name="footnote107"></a><a href="#footnotetag107">[107]</a> Le Brun de Charmettes, <i>Histoire de Jeanne d'Arc +surnommée la Pucelle d'Orléans</i>, Paris, 1817, 4 vol. in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote108" name="footnote108"></a><a href="#footnotetag108">[108]</a> Michelet, <i>Histoire de France</i>, t. V.</p> + +<p><a id="footnote109" name="footnote109"></a><a href="#footnotetag109">[109]</a> Vallet de Viriville, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, +Paris, 1863, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote110" name="footnote110"></a><a href="#footnotetag110">[110]</a> H. Wallon, <i>Jeanne d'Arc</i>, Paris, 1860, 2 vol. in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote111" name="footnote111"></a><a href="#footnotetag111">[111]</a> M. Sepet, <i>Jeanne d'Arc</i>, avec une introduction par +Léon Gauthier, Tours, 1869, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote112" name="footnote112"></a><a href="#footnotetag112">[112]</a> Chanoine Dunand, <i>Histoire de Jeanne d'Arc</i>, Toulouse, +1898-1899, 3 vol. in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote113" name="footnote113"></a><a href="#footnotetag113">[113]</a> Joseph Fabre, <i>Jeanne d'Arc, libératrice de la France</i>, +n. éd., Paris, 1894, in-12.</p> + +<p><a id="footnote114" name="footnote114"></a><a href="#footnotetag114">[114]</a> <i>Procès de condamnation de Jeanne d'Arc...</i> traduction +avec éclaircissements, par J. Fabre, n. éd., Paris, 1895, in-18.</p> + +<p><a id="footnote115" name="footnote115"></a><a href="#footnotetag115">[115]</a> <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, <i>op. cit.</i>—<i>La France +pendant la guerre de Cent Ans</i>, <i>op. cit.</i></p> + +<p><a id="footnote116" name="footnote116"></a><a href="#footnotetag116">[116]</a> Lanéry d'Arc, <i>Le Livre d'Or de Jeanne d'Arc</i>, n<sup>os</sup> +2080 à 2112.</p> + +<p><a id="footnote117" name="footnote117"></a><a href="#footnotetag117">[117]</a> A. Thomas, <i>Le mot «Patrie» et Jeanne d'Arc</i>, dans +<i>Revue des Idées</i>, 15 juillet 1906.</p> + +<p><a id="footnote118" name="footnote118"></a><a href="#footnotetag118">[118]</a> <i>Les œuvres de Maistre Alain Chartier</i>, publ. par +André Duchesne, Paris, 1642, in-4<sup>o</sup>, p. 410.</p> + +<p><a id="footnote119" name="footnote119"></a><a href="#footnotetag119">[119]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 436.</p> + +<p><a id="footnote120" name="footnote120"></a><a href="#footnotetag120">[120]</a> Froissart, <i>Chroniques</i>, livre I, chap. 128.</p> + +<p><a id="footnote121" name="footnote121"></a><a href="#footnotetag121">[121]</a> Jean Juvénal des Ursins dans Buchon, <i>Choix de +chroniques</i>, IV.</p> + +<p><a id="footnote122" name="footnote122"></a><a href="#footnotetag122">[122]</a> Rymer, <i>Fœdera</i>, t. IX, p. 427.</p> + +<p><a id="footnote123" name="footnote123"></a><a href="#footnotetag123">[123]</a> <i>Pantagruel</i>, l. IV, ch. LXVII.</p> + +<p><a id="footnote124" name="footnote124"></a><a href="#footnotetag124">[124]</a> <i>La Pucelle</i>, préface.</p> + +<p><a id="footnote125" name="footnote125"></a><a href="#footnotetag125">[125]</a> Germain Lefèvre-Pontalis, <i>Les sources allemandes de +l'histoire de Jeanne d'Arc</i>, p. 93.</p> + +<p><a id="footnote126" name="footnote126"></a><a href="#footnotetag126">[126]</a> T. II.</p> + +<p><a id="footnote127" name="footnote127"></a><a href="#footnotetag127">[127]</a> Voir le tableau daté de 1581, conservé au musée +d'Orléans et reproduit dans la <i>Jeanne d'Arc</i> de Wallon, p. 466.</p> + +<p><a id="footnote128" name="footnote128"></a><a href="#footnotetag128">[128]</a> <i>La Danse des Morts</i>, peinte à Berne, dans les années +1515 à 1520, par Nicolas Manuel, lithographiée par Guillaume Stettler, +s. d. in-f<sup>o</sup> oblong, pl. XX.</p> + +<p><a id="footnote129" name="footnote129"></a><a href="#footnotetag129">[129]</a> Lanéry d'Arc, <i>Le livre d'or de Jeanne d'Arc</i>, +Iconographie, n<sup>os</sup> 2080-2112.</p> + +<p><a id="footnote130" name="footnote130"></a><a href="#footnotetag130">[130]</a> J. Ch. Chapellier, <i>Étude historique et géographique +sur Domremy, pays de Jeanne d'Arc</i>, Saint-Dié, 1890, in-8<sup>o</sup>.—E. +Hinzelin, <i>Chez Jeanne d'Arc</i>, Paris, 1894, in-18.</p> + +<p><a id="footnote131" name="footnote131"></a><a href="#footnotetag131">[131]</a> C'est ce qu'on peut induire de <i>Procès</i>, t. I, p. 46. +Mais Jeanne ne savait pas à quel âge elle avait quitté la maison de +son père (<i>Procès</i>, t. I, p. 51). Je n'ai pas fait usage de <i>Procès</i>, +t. V, p. 116, qui est tout à fait fabuleux.</p> + +<p><a id="footnote132" name="footnote132"></a><a href="#footnotetag132">[132]</a> Darc (<i>Procès</i>, t. I, p. 191, t. II, p. 82); Dars +(Siméon Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, p. 360); Day (<i>Procès</i>, t. V, +p. 150); Daiz (communication de M. Pierre Champion), et cette graphie +paraît attester la prononciation de Jeanne d'Arc.—Sur l'orthographe +du nom de d'Arc, cf. Lanéry d'Arc, <i>Livre d'Or de Jeanne d'Arc</i>, +notices 647-657.</p> + +<p><a id="footnote133" name="footnote133"></a><a href="#footnotetag133">[133]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 46, 208.—E. de Bouteiller et G. de +Braux, <i>La famille de Jeanne d'Arc</i>, Paris, in-8<sup>o</sup>, 1878, p. 185; +<i>Nouvelles recherches sur la famille de Jeanne d'Arc</i>, Paris-Orléans, +1879, in-12, p. x et <i>passim</i>.—Boucher de Molandon, <i>Jacques d'Arc, +père de la Pucelle</i>, Orléans, 1885, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote134" name="footnote134"></a><a href="#footnotetag134">[134]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 378 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote135" name="footnote135"></a><a href="#footnotetag135">[135]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 191 et 208; t. II, p. 74, n. +1.—Armand Boucher de Crèvecœur, <i>Les Romée et les de Perthes, +famille maternelle de Jeanne d'Arc</i>, Abbeville, 1891, in-8<sup>o</sup>.—Lanéry +d'Arc, <i>Livre d'Or</i>, notices 1278 à 1308.</p> + +<p><a id="footnote136" name="footnote136"></a><a href="#footnotetag136">[136]</a> Du Cange, <i>Glossaire</i>, au mot: <i>Romeus</i>.—G. de Braux, +<i>Jeanne d'Arc à Saint-Nicolas</i>, Nancy, 1889, p. 8.—<i>Revue catholique +des Institutions et du Droit</i>, août 1886.—E. de Bouteiller, +<i>Nouvelles recherches</i>, p. <span class="smcap">XII</span>.—Vallet de Viriville, <i>Histoire de +Charles VII</i>, t. II, p. 43.</p> + +<p><a id="footnote137" name="footnote137"></a><a href="#footnotetag137">[137]</a> Très probablement avant la naissance de Jeanne: «J'ai +pour surnom d'Arc ou Romée» dit Jeanne (<i>Procès</i>, t. I, p. 191). On +voit qu'elle se donne indifféremment le surnom de son père ou celui de +sa mère, bien qu'elle dise (<i>Procès</i>, t. I, p. 191) que les filles, +dans son pays, portaient le surnom de leur mère.</p> + +<p><a id="footnote138" name="footnote138"></a><a href="#footnotetag138">[138]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 252.—E. de Bouteiller et G. de +Braux, <i>Nouvelles recherches sur la famille de Jeanne d'Arc</i>, Paris, +1879, pp. 3 à 20.—Ch. du Lys, <i>Traité sommaire tant du nom et des +armes que de la naissance et parenté de la Pucelle d'Orléans et de ses +frères</i>, édit. Vallet de Viriville, Paris, 1857, p. 28.—E. Georges, +<i>Jeanne d'Arc considérée au point de vue Franco-Champenois</i>, Troyes, +1893, in-8<sup>o</sup>, p. 101.</p> + +<p><a id="footnote139" name="footnote139"></a><a href="#footnotetag139">[139]</a> Rien de moins certain que l'ordre de naissance des +enfants de Jacques d'Arc (<i>Procès</i>, à la table, au mot: <i>Arc</i>).</p> + +<p><a id="footnote140" name="footnote140"></a><a href="#footnotetag140">[140]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 393 et <i>passim</i>.—S. Luce, <i>Jeanne +d'Arc à Domremy</i>, <span class="smcap">XVI</span>, p. 357.</p> + +<p><a id="footnote141" name="footnote141"></a><a href="#footnotetag141">[141]</a> A. Monteil, <i>Histoire des Français</i>, 1853, in-18, t. +II, p. 194.</p> + +<p><a id="footnote142" name="footnote142"></a><a href="#footnotetag142">[142]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 46, Jean Minet était originaire de +Neufchâteau.</p> + +<p><a id="footnote143" name="footnote143"></a><a href="#footnotetag143">[143]</a> J. Corblet, <i>Parrains et marraines</i>, dans <i>Revue de +l'Art chrétien</i>, 1881, t. XIV, pp. 336 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote144" name="footnote144"></a><a href="#footnotetag144">[144]</a> Siméon Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, LI, p. 98.</p> + +<p><a id="footnote145" name="footnote145"></a><a href="#footnotetag145">[145]</a> Cf. <i>Procès</i>, à la table, aux articles: <i>parrains</i> et +<i>marraines</i>.—Il n'est pas toujours possible du donner aux personnes +les noms et l'état qu'elles avaient précisément à la date où nous les +voyons intervenir.</p> + +<p><a id="footnote146" name="footnote146"></a><a href="#footnotetag146">[146]</a> <i>Relation du greffier de La Rochelle</i>, dans <i>Revue +Historique</i>, t. IV, p. 342. Cf. Eustache Deschamps, ballade 354, t. +III, p. 83, éd. Queux de Saint-Hilaire.</p> + +<p><a id="footnote147" name="footnote147"></a><a href="#footnotetag147">[147]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 74-388; t. V, pp. 151, 220 et +<i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote148" name="footnote148"></a><a href="#footnotetag148">[148]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 46.—Henri Lepage, <i>Jeanne d'Arc +est-elle Lorraine?</i> Nancy, 1852, pp. 57 à 79.</p> + +<p><a id="footnote149" name="footnote149"></a><a href="#footnotetag149">[149]</a> <i>Procès</i>, t. V, pp. 244 et suiv.—La maison de Jacques +d'Arc était sans doute sur la route; les Du Lys, ou plutôt les +Thiesselin, la démolirent et bâtirent à la place une maison qui +n'existe plus. Les écus qui en ornaient la façade ont été appliqués +sur la porte de celle qu'on montre aujourd'hui comme la maison de +Jeanne. Ce qu'on donne pour la chambre de Jeanne est le fournil (É. +Hinzelin, <i>Chez Jeanne d'Arc</i>, p. 74. Voir un article de Henri Arsac, +dans l'<i>Écho de l'Est</i>, du 26 juillet 1890). Il y a sur ce sujet toute +une littérature (Lanéry d'Arc, <i>Livre d'Or</i>, pp. 330 et suiv.).</p> + +<p><a id="footnote150" name="footnote150"></a><a href="#footnotetag150">[150]</a> Émile Hinzelin, <i>Chez Jeanne d'Arc</i>, <i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote151" name="footnote151"></a><a href="#footnotetag151">[151]</a> <i>Procès</i>, t. V, pp. 151, 220.</p> + +<p><a id="footnote152" name="footnote152"></a><a href="#footnotetag152">[152]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 417.</p> + +<p><a id="footnote153" name="footnote153"></a><a href="#footnotetag153">[153]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 429.</p> + +<p><a id="footnote154" name="footnote154"></a><a href="#footnotetag154">[154]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 408.</p> + +<p><a id="footnote155" name="footnote155"></a><a href="#footnotetag155">[155]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 423.</p> + +<p><a id="footnote156" name="footnote156"></a><a href="#footnotetag156">[156]</a> E. Georges, <i>Jeanne d'Arc considérée au point de vue +Franco-Champenois</i>, p. 115.—De La Fons-Mélicocq, <i>Documents inédits +pour servir à l'histoire de l'instruction publique en France et à +l'histoire des mœurs au XV<sup>e</sup> siècle</i>, dans <i>Bulletin de la +Société des Antiquaires de la Morinie</i>, t. III, pp. 460 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote157" name="footnote157"></a><a href="#footnotetag157">[157]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 65-66.—(<i>Item.</i>, je donne à +Oudinot, à Richard et à Gérard, clercz enfantz du maistre de l'escole +de Marcey dessoubz Brixey, doubz escus pour priier pour mi et pour +dire les sept psaulmes.) Testament de Jean de Bourlémont, 23 octobre +1399, dans S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, preuve <span class="smcap">XIII</span>.</p> + +<p><a id="footnote158" name="footnote158"></a><a href="#footnotetag158">[158]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 46, 47.</p> + +<p><a id="footnote159" name="footnote159"></a><a href="#footnotetag159">[159]</a> Voyez dans Montfaucon, <i>Monuments de la Monarchie +française</i>, t. III, la gravure de la seconde miniature des «Douze +périls d'enfer».</p> + +<p><a id="footnote160" name="footnote160"></a><a href="#footnotetag160">[160]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 51, 66.—S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à +Domremy</i>, p. lij.</p> + +<p><a id="footnote161" name="footnote161"></a><a href="#footnotetag161">[161]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 404.</p> + +<p><a id="footnote162" name="footnote162"></a><a href="#footnotetag162">[162]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 423.</p> + +<p><a id="footnote163" name="footnote163"></a><a href="#footnotetag163">[163]</a> <i>Procès</i>, table, au mot: <i>Bermont</i>.—Du Haldat, <i>Notice +sur la chapelle de Belmont</i>, dans les <i>Mémoires de l'Académie +Stanislas de Nancy</i>, 1833-1834, p. 96.—E. Hinzelin, <i>Chez Jeanne +d'Arc</i>, p. 95.—Lanéry d'Arc, <i>Livre d'Or</i>, p. 330.</p> + +<p><a id="footnote164" name="footnote164"></a><a href="#footnotetag164">[164]</a> Alexis Monteil, <i>Histoire des Français</i>, t. I, p. 91.</p> + +<p><a id="footnote165" name="footnote165"></a><a href="#footnotetag165">[165]</a> <i>Procès</i>, table, au mot: <i>Bois Chesnu</i>.</p> + +<p><a id="footnote166" name="footnote166"></a><a href="#footnotetag166">[166]</a> <i>Ibid.</i>, table, au mot: <i>Fontaine des Groseilliers</i>.</p> + +<p><a id="footnote167" name="footnote167"></a><a href="#footnotetag167">[167]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 67-210; t. II, pp. 391 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote168" name="footnote168"></a><a href="#footnotetag168">[168]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, éd. Tuetey, p. 267.</p> + +<p><a id="footnote169" name="footnote169"></a><a href="#footnotetag169">[169]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 209.</p> + +<p><a id="footnote170" name="footnote170"></a><a href="#footnotetag170">[170]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 67, 187, 209; t. II, pp. 390, 404, +450.</p> + +<p><a id="footnote171" name="footnote171"></a><a href="#footnotetag171">[171]</a> Wolf, <i>Mythologie des fées et des elfes</i>, 1828, +in-8<sup>o</sup>.—A. Maury, <i>Les fées au moyen âge</i>, 1843, in-18 et <i>Croyances +et légendes du moyen âge</i>, Paris, 1896, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote172" name="footnote172"></a><a href="#footnotetag172">[172]</a> Richer, <i>Histoire manuscrite de Jeanne d'Arc</i>, ms. fr. +10448, fol. 14-15.</p> + +<p><a id="footnote173" name="footnote173"></a><a href="#footnotetag173">[173]</a> Sur le culte des arbres, voir l'étude de M. Henry +Carnoy dans <i>la Tradition</i>, du 15 mars 1889.</p> + +<p><a id="footnote174" name="footnote174"></a><a href="#footnotetag174">[174]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 422.</p> + +<p><a id="footnote175" name="footnote175"></a><a href="#footnotetag175">[175]</a> <i>Ibid.</i>, à la table, au mot: <i>Arbre des Fées</i>.</p> + +<p><a id="footnote176" name="footnote176"></a><a href="#footnotetag176">[176]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 404.</p> + +<p><a id="footnote177" name="footnote177"></a><a href="#footnotetag177">[177]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 404 et <i>passim</i>.—<i>Simple crayon de +la noblesse des ducs de Lorraine et de Bar</i> dans Le Brun des +Charmettes, <i>Histoire de Jeanne d'Arc</i>, t. I, p. 266.—Jules Baudot, +<i>Les princesses Yolande et les ducs de Bar de la famille des Valois</i>, +1<sup>re</sup> partie: <i>Mélusine</i>, Paris, 1901, in-8<sup>o</sup>, p. 121.</p> + +<p><a id="footnote178" name="footnote178"></a><a href="#footnotetag178">[178]</a> <i>Propter eorum peccata</i>, dans <i>Procès</i>, t. II, p. 396. +Le sens n'est pas douteux.</p> + +<p><a id="footnote179" name="footnote179"></a><a href="#footnotetag179">[179]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 390.</p> + +<p><a id="footnote180" name="footnote180"></a><a href="#footnotetag180">[180]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 397.</p> + +<p><a id="footnote181" name="footnote181"></a><a href="#footnotetag181">[181]</a> Bergier, <i>Dictionnaire de Théologie</i>, au mot: +<i>Conjuration</i>.</p> + +<p><a id="footnote182" name="footnote182"></a><a href="#footnotetag182">[182]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 450.</p> + +<p><a id="footnote183" name="footnote183"></a><a href="#footnotetag183">[183]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 67, 209.</p> + +<p><a id="footnote184" name="footnote184"></a><a href="#footnotetag184">[184]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 178, 209 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote185" name="footnote185"></a><a href="#footnotetag185">[185]</a> Sur les traditions relatives aux fées à Domremy et sur +ce qu'en pensait Jeanne: <i>Procès</i>, table, au mot: <i>Fées</i>.</p> + +<p><a id="footnote186" name="footnote186"></a><a href="#footnotetag186">[186]</a> Sur le dimanche et la fête des Fontaines à Domremy: +<i>Procès</i>, table, au mot: <i>Fontaine</i>.</p> + +<p><a id="footnote187" name="footnote187"></a><a href="#footnotetag187">[187]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 67, 212, 404 et suiv.—S. Luce, +<i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, pp. xx à xxij.</p> + +<p><a id="footnote188" name="footnote188"></a><a href="#footnotetag188">[188]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 391-462.</p> + +<p><a id="footnote189" name="footnote189"></a><a href="#footnotetag189">[189]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 67, 209, 210.</p> + +<p><a id="footnote190" name="footnote190"></a><a href="#footnotetag190">[190]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 434.</p> + +<p><a id="footnote191" name="footnote191"></a><a href="#footnotetag191">[191]</a> <i>Atropa Mandragor</i>, mandragore femelle, main-de-gloire, +herbe-aux-magiciens: <i>Procès</i>, t. I, pp. 89 et 213.—<i>Journal d'un +bourgeois de Paris</i>, p. 236.</p> + +<p><a id="footnote192" name="footnote192"></a><a href="#footnotetag192">[192]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 209.</p> + +<p><a id="footnote193" name="footnote193"></a><a href="#footnotetag193">[193]</a> Cela est probable, non certain.—<i>Procès</i>, t. II, pp. +74, 388; t. V, p. 252.—E. de Bouteiller et G. de Braux, <i>Nouvelles +recherches sur la famille de Jeanne d'Arc</i>, pp. <span class="smcap">XVIII</span> et suiv.; 7, 8, +10 et <i>passim</i>.—C. Gilardoni, <i>Sermaize et son église</i>, +Vitry-le-François, 1893, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote194" name="footnote194"></a><a href="#footnotetag194">[194]</a> Capitaine Champion, <i>Jeanne d'Arc écuyère</i>, Paris, +1901, in-12, p. 28.</p> + +<p><a id="footnote195" name="footnote195"></a><a href="#footnotetag195">[195]</a> Boucher de Molandon, <i>La famille de Jeanne d'Arc</i>, p. +627.—E. de Bouteiller et G. de Braux, <i>Nouvelles recherches</i>, pp. 9 +et 10.—S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, pp. <span class="smcap">XLV</span> et suiv.</p> + +<p><a id="footnote196" name="footnote196"></a><a href="#footnotetag196">[196]</a> E. Misset, <i>Jeanne d'Arc champenoise</i>, Paris, s. d. +(1894), in-8<sup>o</sup>.—Sur la nationalité de Jeanne d'Arc il y a toute une +littérature d'une richesse extrême dont il m'est impossible de donner +ici la bibliographie. Cf. Lanéry d'Arc, <i>Livre d'Or</i>, pp. 295 et +suiv.</p> + +<p><a id="footnote197" name="footnote197"></a><a href="#footnotetag197">[197]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 208.</p> + +<p><a id="footnote198" name="footnote198"></a><a href="#footnotetag198">[198]</a> P. Jollois, <i>Histoire abrégée de la vie et des exploits +de Jeanne d'Arc</i>, Paris, 1821, pl. I, p. 190.—A. Renard, <i>La patrie +de Jeanne d'Arc</i>, Langres, 1880, in-18, p. 6.—S. Luce, <i>Jeanne d'Arc +à Domremy</i>, Supplément aux preuves, pp. 281, 282.</p> + +<p><a id="footnote199" name="footnote199"></a><a href="#footnotetag199">[199]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 152.</p> + +<p><a id="footnote200" name="footnote200"></a><a href="#footnotetag200">[200]</a> Colonel de Boureulle, <i>Le pays de Jeanne d'Arc</i>, +Saint-Dié, 1890, in-8<sup>o</sup>, 28 p. pl.—J.-Ch. Chappellier, <i>Étude +historique sur Domremy, pays de Jeanne d'Arc</i>, 2 plans.—C. Niobé, <i>Le +pays de Jeanne d'Arc</i>, dans <i>Mémoires de la Société académique de +l'Aube</i>, 1894, 3<sup>e</sup> série, t. XXXI, pp. 307 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote201" name="footnote201"></a><a href="#footnotetag201">[201]</a> Juvénal des Ursins, dans la <i>Collection Michaud et +Poujoulat</i>, col. 561.</p> + +<p><a id="footnote202" name="footnote202"></a><a href="#footnotetag202">[202]</a> A. Tuetey, <i>Les écorcheurs sous Charles VII</i>, +Montbéliard, 1874, t. I, p. 87.</p> + +<p><a id="footnote203" name="footnote203"></a><a href="#footnotetag203">[203]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 66, 215.</p> + +<p><a id="footnote204" name="footnote204"></a><a href="#footnotetag204">[204]</a> «Imal, dit Le Trévoux, mesure de grains dont on se sert +à Nancy. La quarte fait deux imaux, et quatre quartes le réal qui +contient quinze boisseaux, mesure de Paris.»</p> + +<p><a id="footnote205" name="footnote205"></a><a href="#footnotetag205">[205]</a> Archives départementales de la Meurthe-et-Moselle, +layette Ruppes, II, n<sup>o</sup> 28.—Le bail à ferme du 2 avril 1420 a été +publié pour la première fois par M. J.-Ch. Chappellier dans le +<i>Journal de la Société d'Archéologie lorraine</i>, janvier-février 1889, +et <i>Deux actes inédits du XV<sup>e</sup> siècle sur Domremy</i>, Nancy 1889, +in-8<sup>o</sup>, 16 p.—S. Luce, <i>La France pendant la guerre de cent ans</i>, +1890, in-18, pp. 274 et suiv.—Lefèvre-Pontalis, <i>Étude historique et +géographique sur Domremy, pays de Jeanne d'Arc</i>, dans <i>Bibliothèque de +l'École des Chartes</i>, t. LVI, pp. 154-168.</p> + +<p><a id="footnote206" name="footnote206"></a><a href="#footnotetag206">[206]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 420-426.—S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à +Domremy</i>, p. lxiv.</p> + +<p><a id="footnote207" name="footnote207"></a><a href="#footnotetag207">[207]</a> Liénard, <i>Dictionnaire topographique de la Meuse</i>, +introduction, p. x.</p> + +<p><a id="footnote208" name="footnote208"></a><a href="#footnotetag208">[208]</a> Dom Devienne, <i>Histoire de Bordeaux</i>, pp. 98 et +103.—L. Bachelier, <i>Histoire du commerce de Bordeaux</i>, Bordeaux, +1862, in-8<sup>o</sup>, p. 45.—D. Brissaud, <i>Les Anglais en Guyenne</i>, Paris, +1875, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote209" name="footnote209"></a><a href="#footnotetag209">[209]</a> Ch. de Beaurepaire, <i>De l'administration de la +Normandie sous la domination anglaise</i>, Caen, 1859, in-4<sup>o</sup>, et <i>États +de Normandie sous la domination anglaise</i>, Évreux, 1859, in-8<sup>o</sup>.—De +Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. V, pp. 40-56, pp. 261-286.</p> + +<p><a id="footnote210" name="footnote210"></a><a href="#footnotetag210">[210]</a> Thomas Basin, <i>Histoire de Charles VII et de Louis XI</i>, +éd. Quicherat, t. I, p. 27.</p> + +<p><a id="footnote211" name="footnote211"></a><a href="#footnotetag211">[211]</a> La Curne, aux mots: <i>Anglais</i> et <i>Goddons</i>.</p> + +<p><a id="footnote212" name="footnote212"></a><a href="#footnotetag212">[212]</a> Voragine, <i>La légende de Saint-Grégoire</i>.—Du Cange, +<i>Glossaire</i>, au mot: <i>Caudatus</i>.—Le Roux de Lincy, <i>Recueil de chants +historiques français</i>, Paris, 1851, t. I, pp. 300-301.—Cette injure +se trouve déjà couramment chez Eustache Deschamps; elle est encore +vivace au <span class="smcap">XVII</span><sup>e</sup> siècle (<i>Sommaire tant du nom et des armes que de +la naissance et parenté de la Pucelle</i>, éd. Vallet de Viriville).</p> + +<p><a id="footnote213" name="footnote213"></a><a href="#footnotetag213">[213]</a> Carlier, <i>Histoire du Valois</i>, t. II, pp. 441 et +suiv.—S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, ch. <span class="smcap">III</span>.</p> + +<p><a id="footnote214" name="footnote214"></a><a href="#footnotetag214">[214]</a> Dom Calmet, <i>Histoire de Lorraine</i>, t. II, col. +631.—Bonnabelle, <i>Notice sur la ville de Vaucouleurs</i>, Bar-le-Duc, +1879, in-8<sup>o</sup> de 75 pages.</p> + +<p><a id="footnote215" name="footnote215"></a><a href="#footnotetag215">[215]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 65-66.—S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à +Domremy</i>, pp. 18 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote216" name="footnote216"></a><a href="#footnotetag216">[216]</a> N. Villiaumé, <i>Histoire de Jeanne d'Arc</i>, 1864, in-8<sup>o</sup>, +p. 52, note I.</p> + +<p><a id="footnote217" name="footnote217"></a><a href="#footnotetag217">[217]</a> S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, ch. <span class="smcap">III</span>.</p> + +<p><a id="footnote218" name="footnote218"></a><a href="#footnotetag218">[218]</a> Pierre d'Alheim, <i>Le jargon jobelin</i>, Paris, 1892, +in-18, glossaire, au mot: <span class="smcap">Hirenalle</span>, p. 61, et communication verbale +de M. Marcel Schwob.—<i>Cronique Martiniane</i>, éd. P. Champion, p. 8, +note 3.—<i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 270.—De Montlezun, +<i>Histoire de Gascogne</i>, 1847, in-8<sup>o</sup>, p. 143.—A. Castaing, <i>La patrie +du valet de cœur</i>, dans <i>Revue de Gascogne</i>, 1869, X, 29-33.</p> + +<p><a id="footnote219" name="footnote219"></a><a href="#footnotetag219">[219]</a> S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, pp. lxxiij et 87, +note 1.—E. de Bouteiller et G. de Braux, <i>Nouvelles recherches</i>, pp. +4-15.</p> + +<p><a id="footnote220" name="footnote220"></a><a href="#footnotetag220">[220]</a> Bonvalot, <i>Le tiers état d'après la charte de Beaumont +et ses filiales</i>, Paris, 1886, p. 412.</p> + +<p><a id="footnote221" name="footnote221"></a><a href="#footnotetag221">[221]</a> S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, pp. lxxi et suiv.</p> + +<p><a id="footnote222" name="footnote222"></a><a href="#footnotetag222">[222]</a> S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, preuve <span class="smcap">LI</span>.</p> + +<p><a id="footnote223" name="footnote223"></a><a href="#footnotetag223">[223]</a> De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, pp. +16-17.</p> + +<p><a id="footnote224" name="footnote224"></a><a href="#footnotetag224">[224]</a> S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, preuve <span class="smcap">LXII</span>.</p> + +<p><a id="footnote225" name="footnote225"></a><a href="#footnotetag225">[225]</a> Du Chesne, <i>Généalogie de la maison de Vergy</i>, Paris, +1625, in-folio.—Nouvelle Biographie Générale, t. XLV, p. 1125.</p> + +<p><a id="footnote226" name="footnote226"></a><a href="#footnotetag226">[226]</a> S. Luce, Domremy et Vaucouleurs, de 1412 à 1425, dans +<i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, ch. <span class="smcap">III</span>.</p> + +<p><a id="footnote227" name="footnote227"></a><a href="#footnotetag227">[227]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 66.</p> + +<p><a id="footnote228" name="footnote228"></a><a href="#footnotetag228">[228]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 66.—S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à +Domremy</i>, p. <span class="smcap">LXXXVI</span> et preuve <span class="smcap">XIV</span>, p. 20.</p> + +<p><a id="footnote229" name="footnote229"></a><a href="#footnotetag229">[229]</a> S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, pp. 275 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote230" name="footnote230"></a><a href="#footnotetag230">[230]</a> E. de Bouteiller et G. de Braux, <i>Nouvelles +recherches</i>, pp. 4-15.</p> + +<p><a id="footnote231" name="footnote231"></a><a href="#footnotetag231">[231]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 52, 72-73, 89, 170.</p> + +<p><a id="footnote232" name="footnote232"></a><a href="#footnotetag232">[232]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 52.—Le manuscrit porte <i>non +jejunaverat die præcedenti</i>.</p> + +<p><a id="footnote233" name="footnote233"></a><a href="#footnotetag233">[233]</a> V. Servais, <i>Annales historiques du Barrois</i>, +Bar-le-Duc, 1865, t. I, planche 2.</p> + +<p><a id="footnote234" name="footnote234"></a><a href="#footnotetag234">[234]</a> P.-Ch. Cahier, <i>Caractéristique des Saints dans l'art +populaire</i>, t. I, p. 363.—Quicherat, <i>Aperçus nouveaux</i>, p. 50.—S. +Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, pp. <span class="smcap">XCV</span>, <span class="smcap">XCVI</span> et preuve <span class="smcap">XXIV</span>, p. 74.</p> + +<p><a id="footnote235" name="footnote235"></a><a href="#footnotetag235">[235]</a> <i>Mystère de Saint Remi</i>, Biblioth. de l'Arsenal, ms. +3.364, f<sup>os</sup> 4 et 108.</p> + +<p><a id="footnote236" name="footnote236"></a><a href="#footnotetag236">[236]</a> «<i>Sed signifer Sanctus Michael representet eas [animas] +in lucem sanctam</i>». Offertoire de la messe des morts.</p> + +<p><a id="footnote237" name="footnote237"></a><a href="#footnotetag237">[237]</a> A. Maury, <i>Croyances et légendes du moyen âge</i>, pp. 171 +et suiv.—Barbier de Montault, <i>Traité d'Iconographie chrétienne</i>, t. +I, p. 191.</p> + +<p><a id="footnote238" name="footnote238"></a><a href="#footnotetag238">[238]</a> AA. SS, 1672; t. III, I. pp. 85 et suiv.—Dom J. +Huynes, <i>Histoire générale de l'abbaye du Mont-Saint-Michel</i>, éd. R. +de Beaurepaire, Rouen, 1872, pp. 61 et suiv.—A. Forgeais. <i>Collection +de plombs historiés trouvés dans la Seine</i>, Paris, 1864, t. III, p. +197.—S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, ch. <span class="smcap">IV</span>.—<i>Chronique du +Mont-Saint-Michel</i> (1343-1468), éd. S. Luce, Paris, 1880-1886 (2 vol. +in-8<sup>o</sup>), t. I, pp. 26, 146, 163 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote239" name="footnote239"></a><a href="#footnotetag239">[239]</a> Lanéry d'Arc, <i>Mémoires et consultations en faveur de +Jeanne d'Arc</i>, p. 272 [Opinion de Jean Bochard, dit de Vaucelle, +évêque d'Avranches].—Dom. J. Huynes, <i>loc cit.</i>, ch. <span class="smcap">VIII</span>, p. 105.</p> + +<p><a id="footnote240" name="footnote240"></a><a href="#footnotetag240">[240]</a> Dom Félibien, <i>Histoire de l'abbaye royale de +Saint-Denis...</i>, Paris, 1706, in-fol. p. 341.</p> + +<p><a id="footnote241" name="footnote241"></a><a href="#footnotetag241">[241]</a> Richer, <i>Histoire manuscrite de la Pucelle</i>, ms. fr. +10448, fol. 13.—S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, preuve <span class="smcap">XXIV</span>.</p> + +<p><a id="footnote242" name="footnote242"></a><a href="#footnotetag242">[242]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 72-73.</p> + +<p><a id="footnote243" name="footnote243"></a><a href="#footnotetag243">[243]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 170.</p> + +<p><a id="footnote244" name="footnote244"></a><a href="#footnotetag244">[244]</a> <i>La vierge Marguerite substituée à la Lucine antique</i>, +analyse d'un poème inédit du <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> siècle, Paris, 1885, in-8<sup>o</sup>, p. +2.—Rabelais, <i>Gargantua</i>, l. I, ch. <span class="smcap">VI</span>.—L'abbé J.-B. Thiers, <i>Traité +des superstitions selon l'Écriture sainte</i>, Paris, 1697 (4 vol. +in-12), t. I, p. 109.</p> + +<p><a id="footnote245" name="footnote245"></a><a href="#footnotetag245">[245]</a> S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, preuve <span class="smcap">CCXXXIV</span>, p. +272.</p> + +<p><a id="footnote246" name="footnote246"></a><a href="#footnotetag246">[246]</a> Abbé Bourgaut, <i>Guide du pèlerin à Domremy</i>, Nancy, +1878, in-12, p. 60.—E. Hinzelin, <i>Chez Jeanne d'Arc</i>, pp. 65 et 72.</p> + +<p><a id="footnote247" name="footnote247"></a><a href="#footnotetag247">[247]</a> <i>Legenda Sanctorum</i>, Bâle, Nicolas Kesler, in-fol., +1486, lég. <span class="smcap">LXXXVIII</span>.—Douhet, <i>Dictionnaire des légendes</i>, pp. +824-836.</p> + +<p><a id="footnote248" name="footnote248"></a><a href="#footnotetag248">[248]</a> Gaston Paris, <i>La littérature française au moyen âge</i>, +1890, in-16, p. 212.</p> + +<p><a id="footnote249" name="footnote249"></a><a href="#footnotetag249">[249]</a> La Curne, <i>Dictionnaire de l'ancien langage français</i>, +au mot: <i>Olibrius</i>. Olibrius se trouve aussi dans la légende de sainte +Reine où il est gouverneur des Gaules. La légende de sainte Reine +n'est qu'une variante assez ancienne de la légende de sainte +Marguerite.</p> + +<p><a id="footnote250" name="footnote250"></a><a href="#footnotetag250">[250]</a> Bibliothèque Mazarine, manuscrit 515. <i>Recueil, de +prières</i>, f<sup>o</sup> 55. Ce manuscrit est précisément originaire des bords de +la Meuse.</p> + +<p><a id="footnote251" name="footnote251"></a><a href="#footnotetag251">[251]</a> S. Luce, <i>loc. cit.</i>, preuve <span class="smcap">XIII</span>, p. 19, note 2.—E. +de Bouteiller et G. de Braux, <i>Nouvelles recherches sur la famille de +Jeanne d'Arc</i>, pp. <span class="smcap">XVI</span> et 62.—<i>Guide et souvenir du pèlerin à +Domremy</i>, Nancy, 1878, in-18, p. 60.</p> + +<p><a id="footnote252" name="footnote252"></a><a href="#footnotetag252">[252]</a> J. Miélot, <i>Vie de sainte Catherine</i>, texte revu par +Marius Sepet, 1881, gr. in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote253" name="footnote253"></a><a href="#footnotetag253">[253]</a> Gaston Paris, <i>La littérature française au moyen âge</i>, +pp. 82, 213.</p> + +<p><a id="footnote254" name="footnote254"></a><a href="#footnotetag254">[254]</a> Voragine, <i>La légende dorée</i>, 1846, pp. +789-797.—Douhet, <i>Dictionnaire des légendes</i>, 1855, p. 282.</p> + +<p><a id="footnote255" name="footnote255"></a><a href="#footnotetag255">[255]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 128.—Hinzelin, <i>Chez Jeanne d'Arc</i>, +p. 29.—Nous examinerons, au moment du procès, s'il est possible de +concilier les assertions de Jeanne relativement à ce vœu.</p> + +<p><a id="footnote256" name="footnote256"></a><a href="#footnotetag256">[256]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 128; t. III, p. 219.</p> + +<p><a id="footnote257" name="footnote257"></a><a href="#footnotetag257">[257]</a> <i>Ibid.</i>, table, aux mots: <i>Voix</i>, <i>Catherine</i> et +<i>Marguerite</i>.</p> + +<p><a id="footnote258" name="footnote258"></a><a href="#footnotetag258">[258]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 71-85; 167 et suiv.; 186 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote259" name="footnote259"></a><a href="#footnotetag259">[259]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 185-186.</p> + +<p><a id="footnote260" name="footnote260"></a><a href="#footnotetag260">[260]</a> Humblement n'exprime dans la langue ancienne qu'un +sentiment affable. On trouve dans Froissart (cité par La Curne): «Li +contes de Hainaut rechut ces seigneurs d'Engleterre, l'un après +l'autre, moult humblement.»</p> + +<p><a id="footnote261" name="footnote261"></a><a href="#footnotetag261">[261]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 130.</p> + +<p><a id="footnote262" name="footnote262"></a><a href="#footnotetag262">[262]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 130.</p> + +<p><a id="footnote263" name="footnote263"></a><a href="#footnotetag263">[263]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 413 et note 2.</p> + +<p><a id="footnote264" name="footnote264"></a><a href="#footnotetag264">[264]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 52, glose marginale du ms. d'Urfé: +<i>Celavit visiones curato, patri et matri et cuicumque</i>, dans <i>Procès</i>, +t. I, p. 128, note.—Lanéry d'Arc, <i>Mémoires et consultations en +faveur de Jeanne d'Arc</i>, p. 471.</p> + +<p><a id="footnote265" name="footnote265"></a><a href="#footnotetag265">[265]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 171: «Et luy racontet l'angle la +pitié qui estoit ou royaume de France». <i>Pitié</i> sujet de tendresse et +d'amour: L'ange pense spécialement au Dauphin. Pour le sens et +l'emploi de ce mot, comparez <i>Monstrelet</i>, t. III. p. 74: «... et le +peuple plorant de pitié et de joie qu'ils avoient à regarder leur +seigneur». Gérard de Nevers dans La Curne: «Pitié estoit de voir +festoyer leur seigneur; on ne pourrait retenir ses larmes en voyant la +joie qu'ils marquoient de recevoir leur seigneur.»</p> + +<p><a id="footnote266" name="footnote266"></a><a href="#footnotetag266">[266]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 53.</p> + +<p><a id="footnote267" name="footnote267"></a><a href="#footnotetag267">[267]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 444.</p> + +<p><a id="footnote268" name="footnote268"></a><a href="#footnotetag268">[268]</a> «Nonne alios dictum fuit quod Francia per mulierem +desolaretur, et postea per Virginem restaurari debebat» Déposition de +Durand Lassois dans <i>Procès</i>, t. II, p. 444.</p> + +<p><a id="footnote269" name="footnote269"></a><a href="#footnotetag269">[269]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 447.</p> + +<p><a id="footnote270" name="footnote270"></a><a href="#footnotetag270">[270]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p 83.—Morosini, t. IV, annexe XVI.</p> + +<p><a id="footnote271" name="footnote271"></a><a href="#footnotetag271">[271]</a> Monstrelet, t. III, p. 180.—Jean Chartier, <i>Chronique +latine</i>, éd. Vallet de Viriville, t. I, p. 13.—Th. Basin, <i>Histoire +de Charles VII et de Louis XI</i>, t. I, p. 44 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote272" name="footnote272"></a><a href="#footnotetag272">[272]</a> Alain Chartier, <i>Quadriloge invectif</i>, éd. André +Duchesne, Paris, 1617, pp. 440 et suiv.—<i>Ordonnances</i>, t. XI, pp. 101 +et suiv.—Vuitry, <i>Les monnaies sous les trois premiers Valois</i>, +Paris, 1881, in-8<sup>o</sup>, <i>passim</i>.—De Beaucourt, <i>Histoire de Charles +VII</i>, t. I, ch. <span class="smcap">XI</span>.</p> + +<p><a id="footnote273" name="footnote273"></a><a href="#footnotetag273">[273]</a> Juvénal des Ursins et <i>Journal d'un bourgeois de +Paris</i>, <i>passim</i>.—Lettre de Nicolas de Clemangis à Gerson, dans +<i>Clemangis opera omnia</i>, 1613, in-4<sup>o</sup>, II, pp. 159 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote274" name="footnote274"></a><a href="#footnotetag274">[274]</a> Le P. Denifle, <i>La désolation des églises, +monastères...</i>, Mâcon, 1897, in-8<sup>o</sup>, introduction.</p> + +<p><a id="footnote275" name="footnote275"></a><a href="#footnotetag275">[275]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp 402, 434.</p> + +<p><a id="footnote276" name="footnote276"></a><a href="#footnotetag276">[276]</a> Toutefois ces deux personnages ne nous sont connus que +par des documents généalogiques très suspects. <i>Procès</i>, t. V, p. +252—Boucher de Molandon, <i>La famille de Jeanne d'Arc</i>, p. 127.—G. de +Braux et E. de Bouteiller, <i>Nouvelles recherches</i>, pp. 7 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote277" name="footnote277"></a><a href="#footnotetag277">[277]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 52, 53.</p> + +<p><a id="footnote278" name="footnote278"></a><a href="#footnotetag278">[278]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 404, 407, 409, 411, 414, 416 et +<i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote279" name="footnote279"></a><a href="#footnotetag279">[279]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, pp. 402, 434.</p> + +<p><a id="footnote280" name="footnote280"></a><a href="#footnotetag280">[280]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 402.—Sur les pratiques religieuses +de Jeanne, <i>Procès</i>, à la table, aux mots: <i>Messe</i>, <i>Vierge</i>, +<i>Cloche</i>.</p> + +<p><a id="footnote281" name="footnote281"></a><a href="#footnotetag281">[281]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 429.</p> + +<p><a id="footnote282" name="footnote282"></a><a href="#footnotetag282">[282]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 426.</p> + +<p><a id="footnote283" name="footnote283"></a><a href="#footnotetag283">[283]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 432.</p> + +<p><a id="footnote284" name="footnote284"></a><a href="#footnotetag284">[284]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 52-53.</p> + +<p><a id="footnote285" name="footnote285"></a><a href="#footnotetag285">[285]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 393, 400 et <i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote286" name="footnote286"></a><a href="#footnotetag286">[286]</a> Grégoire de Tours, <i>Le livre des miracles</i>, éd. +Bordier, 1864, in-8<sup>o</sup>, t. II, pp. 27, 31.—Hincmar, <i>Vita sancti +Remigii</i>, dans la <i>Patrologie de Migne</i>, t. CXXV, pp. 1130 et +suiv.—H. Jadart, <i>Bibliographie des ouvrages concernant la vie et le +culte de saint Remi, évêque de Reims</i>, Reims, 1891, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote287" name="footnote287"></a><a href="#footnotetag287">[287]</a> Froissart, l. II, ch. <span class="smcap">LXXIV</span>.—Le doyen de +Saint-Thibaud, p. 328.—Vertot, <i>Dissertation au sujet de la sainte +ampoule conservée à Reims</i>, dans <i>Mémoires de l'Acad. des Inscr. et +Belles-Lettres</i>, 1736, t. II, pp. 619-33; t. IV, pp. 1350-65.—Leber, +<i>Des cérémonies du sacre ou recherches historiques et critiques sur +les mœurs, les coutumes dans l'ancienne monarchie</i>, Paris, Reims, +1825, in-8<sup>o</sup>, pp. 255 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote288" name="footnote288"></a><a href="#footnotetag288">[288]</a> A. Monteil, <i>Histoire des Français</i>, 1853, t. II, p. +194.</p> + +<p><a id="footnote289" name="footnote289"></a><a href="#footnotetag289">[289]</a> <i>Mystère de saint Remi</i>, bibliothèque de l'Arsenal, +3.364. Ce mystère date du <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> siècle, du temps des guerres en +Champagne.</p> + +<p>Voici des vers qui s'y rapportent aux malheurs du royaume:</p> + +<div class="poem10"> +<p>SAINT-ESTIENNE.</p> + +<p>Ô Jhesucrist, qui les sains cieulx<br> + As de lumière environnez,<br> + Soleil et lune enluminés,<br> + Et ordonnez à ta plaisance;<br> + Pour le très doulz païs de France<br> + Les martirs, non pas un mais tous,<br> + À jointes mains et à genoux<br> + Te requièrent que tu effaces<br> + La grant doleur de France; et faces<br> + Par ta sainte digne vertu<br> + Qu'ilz aient paix; adfin que tu,<br> + Ta doulce mère et tous les sains,<br> + Et ceulx qui sont de pechiez sains,<br> + Devotement servis y soient!...</p> + +<p>SAINT-NICOLAS...</p> + +<p>Dieu tout puissant fay tant qu'il ysse<br> + Hors du doulz païs sans amer<br> + Que toutes gens doivent amer<br> + C'est France, où sont les bons Chrestiens<br> + S'on les confort; si les soustiens<br> + Car l'engin de leur adversaire<br> + Et son faulx art les tire à faire<br> + Contre ta sainte voulenté.<br> + Ayez pitié de Crestienté<br> + Beau sire Dieux<br> + Tant en France qu'en autres lieux!<br> + Ce seroit Pitié à oultrance<br> + Que si noble roiaume, comme France,<br> + Fust par male temptacion<br> + Mis du tout à perdicion...</p> +</div> + +<p class="left50">Fol. 3, verso.</p> + +<p><a id="footnote290" name="footnote290"></a><a href="#footnotetag290">[290]</a> <i>Mystère de saint Remi</i>, Bibliothèque de l'Arsenal, +ms., n<sup>o</sup> 3.364, fol. 69, verso.</p> + +<p><a id="footnote291" name="footnote291"></a><a href="#footnotetag291">[291]</a> <i>Mystère de saint Remi</i>, fol. 71, verso.</p> + +<p><a id="footnote292" name="footnote292"></a><a href="#footnotetag292">[292]</a></p> + +<p class="poem10"> + Le bon archevesque Remy<br> + Qui tant aime le sang royal,<br> + Qui tant a son conseil loyal,<br> + Qui tant aime Dieu et l'Église.</p> + +<p class="left50"><i>Mystère de saint Remi</i>, fol. 77.</p> + +<p><a id="footnote293" name="footnote293"></a><a href="#footnotetag293">[293]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 130.</p> + +<p><a id="footnote294" name="footnote294"></a><a href="#footnotetag294">[294]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 130; t. II, p. 456; t. III, p. 3 et +<i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote295" name="footnote295"></a><a href="#footnotetag295">[295]</a> S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, pp. <span class="smcap">CLIV</span>, <span class="smcap">CLV</span>, <span class="smcap">CLVI</span>, +97, 359 et suiv.; <i>La France pendant la guerre de cent ans</i>, p. 287.</p> + +<p><a id="footnote296" name="footnote296"></a><a href="#footnotetag296">[296]</a> <i>Procès</i>, t. I, 53.</p> + +<p><a id="footnote297" name="footnote297"></a><a href="#footnotetag297">[297]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 128.</p> + +<p><a id="footnote298" name="footnote298"></a><a href="#footnotetag298">[298]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 443.—Boucher de Molandon, <i>La +famille de Jeanne d'Arc</i>, p. 146.—E. de Bouteiller et G. de Braux, +<i>Nouvelles recherches sur la famille de Jeanne d'Arc</i>, introduction, +pp. <span class="smcap">XXI</span>, <span class="smcap">XXII</span>.</p> + +<p><a id="footnote299" name="footnote299"></a><a href="#footnotetag299">[299]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 411, 431, 439.—S. Luce, <i>Jeanne +d'Arc à Domremy</i>, p. <span class="smcap">CLXI</span>.—Hinzelin, <i>Chez Jeanne d'Arc</i>, p. 92.</p> + +<p><a id="footnote300" name="footnote300"></a><a href="#footnotetag300">[300]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 443, 444.</p> + +<p><a id="footnote301" name="footnote301"></a><a href="#footnotetag301">[301]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 442.</p> + +<p><a id="footnote302" name="footnote302"></a><a href="#footnotetag302">[302]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p, 33, 221; t. II, pp. 443.</p> + +<p><a id="footnote303" name="footnote303"></a><a href="#footnotetag303">[303]</a> Enquête généalogique du bailli de Chaumont sur Jehan +Royer (8 octobre 1555) dans E. de Bouteiller et G. de Braux, +<i>Nouvelles recherches sur la famille de Jeanne d'Arc</i>, p. 62. +(Document assez suspect.)</p> + +<p><a id="footnote304" name="footnote304"></a><a href="#footnotetag304">[304]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 271.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, t. I, p. 67.—Le R. P. Benoît, <i>Histoire ecclésiastique +et politique de la ville et du diocèse de Toul</i>, Toul, 1707, p. +529.—S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, pp. <span class="smcap">CLXII</span>-<span class="smcap">CLXIII</span>.—Léon +Mougenot, <i>Jeanne d'Arc, le Duc de Lorraine et le Sire de +Baudricourt</i>, 1895, in-8<sup>o</sup>.—G. de Braux et E. de Bouteiller, +<i>Nouvelles recherches</i>, p. <span class="smcap">XVIII</span>.—C. Nioré, <i>Le pays de Jeanne +d'Arc</i>, dans <i>Mémoires de la Société académique de l'Aube</i>, 1894, t. +XXXI, pp. 307-320.—De Pange, <i>Le pays de Jeanne d'Arc. Le fief et +l'arrière-fief. Les Baudricourt</i>, Paris, 1903, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote305" name="footnote305"></a><a href="#footnotetag305">[305]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 436.</p> + +<p><a id="footnote306" name="footnote306"></a><a href="#footnotetag306">[306]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 456.</p> + +<p><a id="footnote307" name="footnote307"></a><a href="#footnotetag307">[307]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 456.</p> + +<p><a id="footnote308" name="footnote308"></a><a href="#footnotetag308">[308]</a> <i>Chronique des quatre premiers Valois</i>, éd. S. Luce, +Paris, 1861, in-8<sup>o</sup>, pp. 46-48.</p> + +<p><a id="footnote309" name="footnote309"></a><a href="#footnotetag309">[309]</a> P. de Fénin, <i>Mémoires</i>, éd. de mademoiselle Dupont, +Paris, 1837, pp. 195, 222, 223.</p> + +<p><a id="footnote310" name="footnote310"></a><a href="#footnotetag310">[310]</a> L. Jarry, <i>Le compte de l'armée anglaise au siège +d'Orléans</i>, Orléans, 1892, in-8<sup>o</sup>, pp. 75-76.</p> + +<p><a id="footnote311" name="footnote311"></a><a href="#footnotetag311">[311]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 456.</p> + +<p><a id="footnote312" name="footnote312"></a><a href="#footnotetag312">[312]</a> Voir La Curne et Godefroy au mot: <i>commande</i>.</p> + +<p><a id="footnote313" name="footnote313"></a><a href="#footnotetag313">[313]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 392, 393, 458, 459.</p> + +<p><a id="footnote314" name="footnote314"></a><a href="#footnotetag314">[314]</a> Quant à Nicolas de Vouthon, religieux de l'abbaye de +Cheminon, ce qui est dit de lui dans l'information des 2 et 3 novembre +1476 semble peu vraisemblable. <i>Procès</i>, t. V, p. 252.—E. de +Bouteiller et G. de Braux, <i>Nouvelles recherches sur la famille de +Jeanne d'Arc</i>, pp. <span class="smcap">XVIII</span> et suiv., p. 9.</p> + +<p><a id="footnote315" name="footnote315"></a><a href="#footnotetag315">[315]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 475.—Servais, dans <i>Mémoires de la +Société des Lettres, Sciences et Arts de Bar-le-Duc</i>, t. VI, p. +139.—E. de Bouteiller et G. de Braux, <i>Nouvelles recherches</i>, p. +<span class="smcap">XXVIII</span>.—S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, preuve <span class="smcap">XCV</span>, p. 143, et +note 3.—De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, p. 204.</p> + +<p><a id="footnote316" name="footnote316"></a><a href="#footnotetag316">[316]</a> Cela apparaît à la manière dont il rapporte les paroles +de Jeanne.</p> + +<p><a id="footnote317" name="footnote317"></a><a href="#footnotetag317">[317]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 451, 458.</p> + +<p><a id="footnote318" name="footnote318"></a><a href="#footnotetag318">[318]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 85.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. +72.—<i>Journal du siège</i>, p. 35.</p> + +<p><a id="footnote319" name="footnote319"></a><a href="#footnotetag319">[319]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 444.—L. Mougenot, <i>Jeanne d'Arc, +le Duc de Lorraine et le Sire de Baudricourt</i>, Nancy, 1895, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote320" name="footnote320"></a><a href="#footnotetag320">[320]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 53.</p> + +<p><a id="footnote321" name="footnote321"></a><a href="#footnotetag321">[321]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 440.</p> + +<p><a id="footnote322" name="footnote322"></a><a href="#footnotetag322">[322]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 423.</p> + +<p><a id="footnote323" name="footnote323"></a><a href="#footnotetag323">[323]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 131-132 et 219.</p> + +<p><a id="footnote324" name="footnote324"></a><a href="#footnotetag324">[324]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 421.</p> + +<p><a id="footnote325" name="footnote325"></a><a href="#footnotetag325">[325]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 68.</p> + +<p><a id="footnote326" name="footnote326"></a><a href="#footnotetag326">[326]</a> Compte d'André d'Épernon dans S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à +Domremy</i>, p. <span class="smcap">CLXVII</span> et preuves, pp. 217-218 et 220.</p> + +<p><a id="footnote327" name="footnote327"></a><a href="#footnotetag327">[327]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 51, 214; t. II, pp. 392-454.—S. +Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, p. <span class="smcap">CLXXVI</span>.</p> + +<p><a id="footnote328" name="footnote328"></a><a href="#footnotetag328">[328]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 214.</p> + +<p><a id="footnote329" name="footnote329"></a><a href="#footnotetag329">[329]</a> S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, p. <span class="smcap">CLXXVII</span>.</p> + +<p><a id="footnote330" name="footnote330"></a><a href="#footnotetag330">[330]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 51, 214; t. II, p. 402.</p> + +<p><a id="footnote331" name="footnote331"></a><a href="#footnotetag331">[331]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 409, 423, 428, 463.</p> + +<p><a id="footnote332" name="footnote332"></a><a href="#footnotetag332">[332]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 417.</p> + +<p><a id="footnote333" name="footnote333"></a><a href="#footnotetag333">[333]</a> <i>Monstrelet</i>, t. III, p. 314.</p> + +<p><a id="footnote334" name="footnote334"></a><a href="#footnotetag334">[334]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 51.</p> + +<p><a id="footnote335" name="footnote335"></a><a href="#footnotetag335">[335]</a> S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, p. <span class="smcap">CLXXVII</span>.</p> + +<p><a id="footnote336" name="footnote336"></a><a href="#footnotetag336">[336]</a> Expilly, <i>Dictionnaire géographique de la France</i>, au +mot: <i>Neufchâteau</i>.</p> + +<p><a id="footnote337" name="footnote337"></a><a href="#footnotetag337">[337]</a> S.-M. de Vernon, <i>Histoire générale et particulière du +tiers-ordre de Saint-François</i>, Paris, 1667, 3 vol. in-8<sup>o</sup>.—Hilarion +de Nolay, <i>Histoire du tiers-ordre</i>, Lyon, 1694, in-4<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote338" name="footnote338"></a><a href="#footnotetag338">[338]</a> AA. SS., Mars, t. I. p. 549.</p> + +<p><a id="footnote339" name="footnote339"></a><a href="#footnotetag339">[339]</a> Wadding, <i>Annales Minorum</i>, V, p. 183.</p> + +<p><a id="footnote340" name="footnote340"></a><a href="#footnotetag340">[340]</a> Jean Morel déclare qu'elle fut quatre jours à +Neufchâteau, et il ajoute: «Ce que je vous dis, je le sais, car je fus +avec les autres à Neufchâteau» (<i>Procès</i>, t. II, p. 392); Gérard +Guillemette parle de quatre ou cinq jours (<i>Procès</i>, t. II, p. 414); +Nicolas Bailly de trois ou quatre (<i>Procès</i>, t. II, p. 451). Mais +Jeanne dit aux juges de Rouen qu'elle était restée quinze jours à +Neufchâteau (<i>Procès</i>, t. I, p. 51); elle avait un souvenir moins +lointain et sans doute plus fidèle.</p> + +<p><a id="footnote341" name="footnote341"></a><a href="#footnotetag341">[341]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 51.</p> + +<p><a id="footnote342" name="footnote342"></a><a href="#footnotetag342">[342]</a> S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, ch. <span class="smcap">IX</span>, <span class="smcap">X</span>, <span class="smcap">XI</span>.—Abbé +V. Mourot, <i>Jeanne d'Arc et le tiers-ordre de Saint-François</i>, +Saint-Dié, 1886, in-8<sup>o</sup>.—L. de Kerval, <i>Jeanne d'Arc et les +Franciscains</i>, Vanves, 1893, in-18.—<i>E iera begina</i>, dit une +correspondance de Morosini, éd. Lefévre-Pontalis, t. III, p. 92 et +note 2.</p> + +<p><a id="footnote343" name="footnote343"></a><a href="#footnotetag343">[343]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 476.—E. Misset, <i>Jeanne d'Arc +Champenoise</i>, 1895, in-8<sup>o</sup>, p. 28.</p> + +<p><a id="footnote344" name="footnote344"></a><a href="#footnotetag344">[344]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 128.</p> + +<p><a id="footnote345" name="footnote345"></a><a href="#footnotetag345">[345]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 215.—L'article 9 de l'acte +d'accusation est constitué d'après une enquête faite à Neufchâteau.</p> + +<p><a id="footnote346" name="footnote346"></a><a href="#footnotetag346">[346]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 396 et <i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote347" name="footnote347"></a><a href="#footnotetag347">[347]</a> S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, pp. <span class="smcap">CLXXX</span> et 230.</p> + +<p><a id="footnote348" name="footnote348"></a><a href="#footnotetag348">[348]</a> <i>Mistère du siège</i>, V. 497.</p> + +<p><a id="footnote349" name="footnote349"></a><a href="#footnotetag349">[349]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, ch. <span class="smcap">XXXIV</span> et <span class="smcap">XXXV</span>.—Jean +Chartier, <i>Chronique</i>, ch. <span class="smcap">XXXII</span>, <span class="smcap">XXXV</span>.—<i>Journal du siège</i>, pp. 2 et +suiv.</p> + +<p><a id="footnote350" name="footnote350"></a><a href="#footnotetag350">[350]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 52, 216.</p> + +<p><a id="footnote351" name="footnote351"></a><a href="#footnotetag351">[351]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 456.</p> + +<p><a id="footnote352" name="footnote352"></a><a href="#footnotetag352">[352]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, pp. 428, 434.—S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à +Domremy</i>, p. <span class="smcap">CLXXX</span>.—G. de Braux et E. de Bouteiller, <i>Nouvelles +recherches</i>, p. <span class="smcap">XXIII</span>.</p> + +<p><a id="footnote353" name="footnote353"></a><a href="#footnotetag353">[353]</a> <i>Les caquets de l'accouchée</i>, nouv. éd. par E. Fournier +et Le Roux de Lincy, Paris, 1855, in-16, introduction.</p> + +<p><a id="footnote354" name="footnote354"></a><a href="#footnotetag354">[354]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 53; t. II, p. 443 et <i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote355" name="footnote355"></a><a href="#footnotetag355">[355]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 428, 430, 431.</p> + +<p><a id="footnote356" name="footnote356"></a><a href="#footnotetag356">[356]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 416.</p> + +<p><a id="footnote357" name="footnote357"></a><a href="#footnotetag357">[357]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 431.</p> + +<p><a id="footnote358" name="footnote358"></a><a href="#footnotetag358">[358]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 416.</p> + +<p><a id="footnote359" name="footnote359"></a><a href="#footnotetag359">[359]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 419.</p> + +<p><a id="footnote360" name="footnote360"></a><a href="#footnotetag360">[360]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 436.</p> + +<p><a id="footnote361" name="footnote361"></a><a href="#footnotetag361">[361]</a> S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, pp. <span class="smcap">CLXVIII</span> et 222, +234.</p> + +<p><a id="footnote362" name="footnote362"></a><a href="#footnotetag362">[362]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 273.—La <i>Chronique de +Lorraine</i>, dans Dom Calmet, <i>Histoire de Lorraine</i>, t. III, col. vj., +donne une version amplifiée et suspecte de ces paroles.</p> + +<p><a id="footnote363" name="footnote363"></a><a href="#footnotetag363">[363]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 219, 220.—La source est suspecte. +Pourtant l'accusation s'appuie ici sur les données de l'enquête. Si +Jeanne nia avoir tenu ce propos, c'est qu'elle l'avait oublié, ou +qu'on le lui avait assez changé, pour qu'elle pût le désavouer sous la +forme où on le lui présentait.</p> + +<p><a id="footnote364" name="footnote364"></a><a href="#footnotetag364">[364]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 86.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. +272.—<i>Journal du siège</i>, p. 35.</p> + +<p><a id="footnote365" name="footnote365"></a><a href="#footnotetag365">[365]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 51, 214; t. II, pp. 392, 395 et +suiv.</p> + +<p><a id="footnote366" name="footnote366"></a><a href="#footnotetag366">[366]</a> S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, p. <span class="smcap">CXCXIV</span>.</p> + +<p><a id="footnote367" name="footnote367"></a><a href="#footnotetag367">[367]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 460, 461.</p> + +<p><a id="footnote368" name="footnote368"></a><a href="#footnotetag368">[368]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 446.</p> + +<p><a id="footnote369" name="footnote369"></a><a href="#footnotetag369">[369]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 447.</p> + +<p><a id="footnote370" name="footnote370"></a><a href="#footnotetag370">[370]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 447.</p> + +<p><a id="footnote371" name="footnote371"></a><a href="#footnotetag371">[371]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 448.</p> + +<p><a id="footnote372" name="footnote372"></a><a href="#footnotetag372">[372]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 450.—S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à +Domremy</i>, p. 103.</p> + +<p><a id="footnote373" name="footnote373"></a><a href="#footnotetag373">[373]</a> <i>Ibid.</i>, t. V, p. 363.—<i>Journal du siège</i>, p. 45.—S. +Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, xcv, cxi, cxxvj.—De Beaucourt, +<i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, p. 204, note.—G. de Braux et E. de +Bouteiller, <i>Nouvelles recherches</i>, pp. <span class="smcap">XXV</span> et suiv.</p> + +<p><a id="footnote374" name="footnote374"></a><a href="#footnotetag374">[374]</a> S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, pp. <span class="smcap">CXC</span>, 160-161.</p> + +<p><a id="footnote375" name="footnote375"></a><a href="#footnotetag375">[375]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 435-457.—E. de Bouteiller et G. de +Braux, <i>Nouvelles recherches</i>, pp. <span class="smcap">XXVI</span>-<span class="smcap">XXVII</span>.</p> + +<p><a id="footnote376" name="footnote376"></a><a href="#footnotetag376">[376]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 436.—De Beaucourt, <i>Histoire de +Charles VII</i>, t. II, pp. 396 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote377" name="footnote377"></a><a href="#footnotetag377">[377]</a> <i>Procès</i>, <i>ibid.</i>—S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, +p. <span class="smcap">CXCI</span>.</p> + +<p><a id="footnote378" name="footnote378"></a><a href="#footnotetag378">[378]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 436.</p> + +<p><a id="footnote379" name="footnote379"></a><a href="#footnotetag379">[379]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 161, 176, 332.—<i>Journal du siège</i>, +p. 45.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 372.</p> + +<p><a id="footnote380" name="footnote380"></a><a href="#footnotetag380">[380]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 446.</p> + +<p><a id="footnote381" name="footnote381"></a><a href="#footnotetag381">[381]</a> Voragine, <i>La légende dorée</i>, en la fête de +l'Exaltation de la Sainte-Croix.</p> + +<p><a id="footnote382" name="footnote382"></a><a href="#footnotetag382">[382]</a> Migne, <i>Dictionnaire des sciences occultes</i>, Paris, 2 +vol. gr. in-8<sup>o</sup>, au mot: <i>Exorcisme</i>.</p> + +<p><a id="footnote383" name="footnote383"></a><a href="#footnotetag383">[383]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 446.</p> + +<p><a id="footnote384" name="footnote384"></a><a href="#footnotetag384">[384]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 115.—<i>Journal du siège</i>, p. +48.—<i>Mirouer des femmes vertueuses</i>, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 267.</p> + +<p><a id="footnote385" name="footnote385"></a><a href="#footnotetag385">[385]</a> Extrait du 8<sup>e</sup> compte de Guillaume Charrier, dans +<i>Procès</i>, t. V, pp. 257 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote386" name="footnote386"></a><a href="#footnotetag386">[386]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 447.</p> + +<p><a id="footnote387" name="footnote387"></a><a href="#footnotetag387">[387]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 53; t. II, pp. 443 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote388" name="footnote388"></a><a href="#footnotetag388">[388]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, pp. 445-447.</p> + +<p><a id="footnote389" name="footnote389"></a><a href="#footnotetag389">[389]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, pp. 447-457.</p> + +<p><a id="footnote390" name="footnote390"></a><a href="#footnotetag390">[390]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 406.—S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à +Domremy</i>, p. 160, note 6.</p> + +<p><a id="footnote391" name="footnote391"></a><a href="#footnotetag391">[391]</a> Monstrelet, t. IV, pp. 314-315.—Poème anonyme sur +l'arrivée de la Pucelle, dans <i>Procès</i>, t. V, p. 30.</p> + +<p><a id="footnote392" name="footnote392"></a><a href="#footnotetag392">[392]</a> Durand Lassois dit qu'il coûte douze francs; Jean de +Metz seize. «Ce serait aujourd'hui un cheval de cent écus» (L. +Champion, <i>Jeanne d'Arc écuyère</i>, 1901, p. 55).</p> + +<p><a id="footnote393" name="footnote393"></a><a href="#footnotetag393">[393]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 54, 222; t. II, pp. 391, 406, 432, +437, 442-450, 456-457; t. III, pp. 87, 115; Extrait du 8<sup>e</sup> compte de +Guillaume Charrier et du 13<sup>e</sup> compte de Hémon Raguier, dans +<i>Procès</i>, t. V, pp. 257 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote394" name="footnote394"></a><a href="#footnotetag394">[394]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 457.—A. Renard, <i>Jeanne d'Arc. +Examen d'une question de lieu</i>, Orléans, 1861, in-8<sup>o</sup>, 16 pages.—G. +de Braux, <i>Jeanne d'Arc à Saint-Nicolas</i>, Nancy, 1889, in-8<sup>o</sup>.—De +Pimodan, <i>La première étape de Jeanne d'Arc</i>, 1890, in-8<sup>o</sup>, cartes.</p> + +<p><a id="footnote395" name="footnote395"></a><a href="#footnotetag395">[395]</a> Le P. Anselme, <i>Histoire généalogique de la Maison de +France</i>, II, p. 218.—Ludovic Drapeyron, <i>Jeanne d'Arc et Philippe le +Bon</i>, dans <i>Revue de Géographie</i>, novembre 1886, p. 236.—S. Luce, +<i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, pp. <span class="smcap">LXVI</span>, <span class="smcap">CXCIX</span>.</p> + +<p><a id="footnote396" name="footnote396"></a><a href="#footnotetag396">[396]</a> <i>Œuvres du roi René</i>, par le comte de de +Quatrebarbes, Angers, 1845, t. I, notice, pp. <span class="smcap">LXXVI</span> et suiv.—Leroy de +la Marche, <i>Le roi René, sa vie, son administration, ses travaux +artistiques et littéraires</i>, Paris, 1875, 2 vol. in 8<sup>o</sup>, et Giry, +compte rendu dans <i>Revue Critique</i>.</p> + +<p><a id="footnote397" name="footnote397"></a><a href="#footnotetag397">[397]</a> Dom Calmet, <i>Histoire de Lorraine</i>, t. II. col. 695, +703.</p> + +<p><a id="footnote398" name="footnote398"></a><a href="#footnotetag398">[398]</a> S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, pp. <span class="smcap">CXCVII</span>, +<span class="smcap">CLXXXVII</span>, <span class="smcap">CLXXXVIII</span> et 236.—Le registre des Archives de la Meuse, B +1051, conserve la trace d'une correspondance active du duc de Bar avec +Baudricourt.</p> + +<p><a id="footnote399" name="footnote399"></a><a href="#footnotetag399">[399]</a> <i>Chronique du doyen de Saint-Thibaud</i>, dans Dom Calmet, +<i>Histoire de Lorraine</i>, preuves, t. II, col. <span class="smcap">CXCIX</span>.—S. Luce, <i>Jeanne +d'Arc à Domremy</i>, pp. <span class="smcap">CXCVII</span> et suiv.</p> + +<p><a id="footnote400" name="footnote400"></a><a href="#footnotetag400">[400]</a> Lettre de Jean Desch, secrétaire de la ville de Metz, +dans <i>Procès</i>, t. V, p. 355.—Dom Calmet, <i>Histoire de Lorraine</i>, t. +II, preuves, col. <span class="smcap">CXCIX</span>.</p> + +<p><a id="footnote401" name="footnote401"></a><a href="#footnotetag401">[401]</a> S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, p. <span class="smcap">CC</span>, note.</p> + +<p><a id="footnote402" name="footnote402"></a><a href="#footnotetag402">[402]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 7.—Dom Calmet, <i>Histoire de +Lorraine</i>, t. III, preuves, col. vj.</p> + +<p><a id="footnote403" name="footnote403"></a><a href="#footnotetag403">[403]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 391 et 444.</p> + +<p><a id="footnote404" name="footnote404"></a><a href="#footnotetag404">[404]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 129.</p> + +<p><a id="footnote405" name="footnote405"></a><a href="#footnotetag405">[405]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 54; t. II, pp. 438, 445, 447, +457.—<i>Relation du greffier de La Rochelle</i>, dans <i>Revue Historique</i>, +t. IV, p. 336.</p> + +<p><a id="footnote406" name="footnote406"></a><a href="#footnotetag406">[406]</a> <i>Relation du greffier de La Rochelle</i>, dans <i>Revue +Historique</i>, <i>ibid.</i></p> + +<p><a id="footnote407" name="footnote407"></a><a href="#footnotetag407">[407]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 406, 432, 442, 457; t. III, p. +209.—S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, pp. <span class="smcap">XCV</span>, 143 note 3.—G. de +Braux et E. de Bouteiller, <i>Nouvelles recherches</i>, pp. <span class="smcap">XXIX</span> et suiv.</p> + +<p><a id="footnote408" name="footnote408"></a><a href="#footnotetag408">[408]</a> <i>Les routiers en Lorraine</i>, dans <i>Journal de la Société +archéologique de Lorraine</i>, 1866, p. 161.—D<sup>r</sup> A. Lapierre, <i>La +guerre de cent ans dans l'Argonne et le Rethélois</i>, Sedan, 1900, +in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote409" name="footnote409"></a><a href="#footnotetag409">[409]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 272 (texte assez suspect +à cause de sa tendance hagiographique).</p> + +<p><a id="footnote410" name="footnote410"></a><a href="#footnotetag410">[410]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 54; t. II, p. 437.—<i>Chronique du +Mont-Saint-Michel</i>, t. I, p. 30.—De Boismarmin, <i>Mémoire sur la date +de l'arrivée de Jeanne d'Arc à Chinon</i>, dans <i>Bulletin du Comité des +travaux historiques et scientifiques</i>, 1892, pp. 350-359.—Ulysse +Chevalier, <i>L'abjuration de Jeanne d'Arc</i>, p. 10, note 1.</p> + +<p><a id="footnote411" name="footnote411"></a><a href="#footnotetag411">[411]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 431, 446.</p> + +<p><a id="footnote412" name="footnote412"></a><a href="#footnotetag412">[412]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 449.</p> + +<p><a id="footnote413" name="footnote413"></a><a href="#footnotetag413">[413]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 55.</p> + +<p><a id="footnote414" name="footnote414"></a><a href="#footnotetag414">[414]</a> De Pimodan, <i>La première étape de Jeanne d'Arc</i>, Paris, +1891, in-8<sup>o</sup>, cartes.</p> + +<p><a id="footnote415" name="footnote415"></a><a href="#footnotetag415">[415]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 54.</p> + +<p><a id="footnote416" name="footnote416"></a><a href="#footnotetag416">[416]</a> Jolibois, <i>Dictionnaire historique de la Haute-Marne</i>, +p. 492.</p> + +<p><a id="footnote417" name="footnote417"></a><a href="#footnotetag417">[417]</a> De Pimodan, <i>La première étape de Jeanne d'Arc</i>, <i>loc. +cit.</i></p> + +<p><a id="footnote418" name="footnote418"></a><a href="#footnotetag418">[418]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 54-55.</p> + +<p><a id="footnote419" name="footnote419"></a><a href="#footnotetag419">[419]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, pp. 437, 457.</p> + +<p><a id="footnote420" name="footnote420"></a><a href="#footnotetag420">[420]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 457.</p> + +<p><a id="footnote421" name="footnote421"></a><a href="#footnotetag421">[421]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 449.</p> + +<p><a id="footnote422" name="footnote422"></a><a href="#footnotetag422">[422]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 199.</p> + +<p><a id="footnote423" name="footnote423"></a><a href="#footnotetag423">[423]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 437, 458.</p> + +<p><a id="footnote424" name="footnote424"></a><a href="#footnotetag424">[424]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, pp. 437, 457.</p> + +<p><a id="footnote425" name="footnote425"></a><a href="#footnotetag425">[425]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 54; t. III pp. 3-21.</p> + +<p><a id="footnote426" name="footnote426"></a><a href="#footnotetag426">[426]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, pp. 406, 432, 445, 448, 457.</p> + +<p><a id="footnote427" name="footnote427"></a><a href="#footnotetag427">[427]</a> Monstrelet, t. V, p. 269.—Th. Basin, t. I, p. +44.—Bueil, <i>Le Jouvencel</i>, introduction.—Lettres de rémission, dans +E. Boularic, <i>Institutions militaires de la France avant les armées +permanentes...</i>, 1863, in-8<sup>o</sup>, p. 266.—<i>Récit du prieur de Droillet</i>, +éd. Quicherat, dans <i>Bibliothèque de l'École des Chartes</i>, IV<sup>e</sup> +série, t. III, p. 359.—Mantellier, <i>Histoire de la communauté des +marchands fréquentant la rivière de Loire</i> t. I, p. 195.—Le P. H. +Denifle, <i>La désolation des églises, monastères hôpitaux en France, +vers le milieu du XV<sup>e</sup> siècle</i>, Mâcon, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote428" name="footnote428"></a><a href="#footnotetag428">[428]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 293.</p> + +<p><a id="footnote429" name="footnote429"></a><a href="#footnotetag429">[429]</a> Abbé J.-J. Bourassé, <i>Les miracles de madame Sainte +Katerine de Fierboys en Touraine, d'après un manuscrit de la +Bibliothèque Impériale</i>, Paris, in-12, 1858, p. 28.</p> + +<p><a id="footnote430" name="footnote430"></a><a href="#footnotetag430">[430]</a> Je joins ici ce que dit Seguin, <i>Procès</i>, t. III, p. +203, et ce que dit la Touroulde, <i>Procès</i>, t. III, pp. 86, 87. Il me +semble bien qu'il s'agit du même fait, rapporté sommairement par le +premier, inexactement par la seconde.</p> + +<p><a id="footnote431" name="footnote431"></a><a href="#footnotetag431">[431]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 56, 75; t. III, pp. 3, 21; t. V, p. +378.</p> + +<p><a id="footnote432" name="footnote432"></a><a href="#footnotetag432">[432]</a> Que sainte Catherine ait été connue en Occident un peu +avant les croisades, cela est possible, mais que son culte remonte à +Charles-Martel, non pas; il était du moins très vivace au temps de +Jeanne d'Arc. Cf. H. Moranvillé, <i>Un pèlerinage en Terre sainte et au +Sinaï au XV<sup>e</sup> siècle</i>, dans <i>Bibliothèque de l'École des Chartes</i>, +t. LXVI (1905), pp. 70 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote433" name="footnote433"></a><a href="#footnotetag433">[433]</a> <i>Les miracles de madame sainte Katerine</i>, <i>passim</i>.—G. +Launay, <i>Notice...</i>, dans <i>Bull. Soc. archéol. du Vendômois, 1880</i>, t. +<span class="smcap">XIX</span>, p. 23-25.</p> + +<p><a id="footnote434" name="footnote434"></a><a href="#footnotetag434">[434]</a> G. Lefèvre-Pontalis, <i>La guerre des partisans dans la +Haute Normandie</i> (1424-1429) dans <i>Bibliothèque de l'École des +Chartes</i> (1893-1896).</p> + +<p><a id="footnote435" name="footnote435"></a><a href="#footnotetag435">[435]</a> <i>Les miracles de madame sainte Katerine</i>, <i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote436" name="footnote436"></a><a href="#footnotetag436">[436]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 75.</p> + +<p><a id="footnote437" name="footnote437"></a><a href="#footnotetag437">[437]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 190.—Alain +Chartier, <i>L'espérance ou consolation des trois vertus</i>, dans +<i>Œuvres</i>, p. 271.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 14.</p> + +<p><a id="footnote438" name="footnote438"></a><a href="#footnotetag438">[438]</a> <i>Mistère du siège</i>, vers 497.</p> + +<p><a id="footnote439" name="footnote439"></a><a href="#footnotetag439">[439]</a> Perceval de Cagny, pp. 21-22.</p> + +<p><a id="footnote440" name="footnote440"></a><a href="#footnotetag440">[440]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 255.—<i>Chronique de +l'établissement de la fête</i>, dans <i>Procès</i>, t. V, p. 286.—Le Maire, +<i>Histoire et antiquités de la ville et duché d'Orléans</i>, Orléans, +1645, in-4<sup>o</sup>, pp. 129 et suiv.—Lottin, <i>Recherches historiques sur la +ville d'Orléans</i>, Orléans, 1836-1845 (7 vol. in-8<sup>o</sup>), t. I, p. 197.</p> + +<p><a id="footnote441" name="footnote441"></a><a href="#footnotetag441">[441]</a> Stevenson, <i>Letters and papers</i>, introduction, t. I, p. +<span class="smcap">XLVII</span>.—De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, p. 17.</p> + +<p><a id="footnote442" name="footnote442"></a><a href="#footnotetag442">[442]</a> Rymer, <i>Fœdera</i>, t. IV. part. IV, p. +135.—Mademoiselle A. de Villaret, <i>Campagne des Anglais dans +l'Orléanais, la Beauce chartraine et le Gâtinais</i> (1421-1428), +Orléans, 1893, in-8<sup>o</sup>, pièces justif., p. 134.—Stevenson, <i>Letters +and papers</i>, t. I, pp. 403 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote443" name="footnote443"></a><a href="#footnotetag443">[443]</a> Monstrelet, t. IV, p. 300.</p> + +<p><a id="footnote444" name="footnote444"></a><a href="#footnotetag444">[444]</a> L. Jarry, <i>Le compte de l'armée anglaise au siège +d'Orléans</i>, 1428-1429, Orléans, 1892, in-8<sup>o</sup>, pp. 59 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote445" name="footnote445"></a><a href="#footnotetag445">[445]</a> Monstrelet, t. IV, p. 293.—Rymer, <i>Fœdera</i>, t. IV, +partie IV, pp. 132, 135, 138.</p> + +<p><a id="footnote446" name="footnote446"></a><a href="#footnotetag446">[446]</a> L. Jarry, <i>Le compte de l'armée anglaise</i>, pp. 26-27.</p> + +<p><a id="footnote447" name="footnote447"></a><a href="#footnotetag447">[447]</a> Monstrelet, t. IV, p. 294.—Stevenson, <i>Letters and +papers</i>, p. <span class="smcap">LXII</span>.</p> + +<p><a id="footnote448" name="footnote448"></a><a href="#footnotetag448">[448]</a> Boucher de Molandon et A. de Beaucorps, <i>L'armée +anglaise vaincue par Jeanne d'Arc sous les murs d'Orléans</i>, Orléans, +1892, in-8<sup>o</sup>, p. 61.—L. Jarry, <i>loc. cit.</i></p> + +<p><a id="footnote449" name="footnote449"></a><a href="#footnotetag449">[449]</a> Le Maire, <i>Antiquités</i>, p. 29.</p> + +<p><a id="footnote450" name="footnote450"></a><a href="#footnotetag450">[450]</a> Astesan dans <i>Paris et ses historiens</i>, par Le Roux de +Lincy et Tisserand, pp. 528 et suiv.—Le Maire, <i>Antiquités</i>, ch. <span class="smcap">XIX</span>, +pp. 75 et suiv.—P. Mantellier, <i>Histoire du siège d'Orléans</i>, in-18, +pp. 22, 24.—E. Fournier, <i>Le Conteur Orléanais</i>, p. 111.—C. +Cuissard, <i>Étude sur la musique dans l'Orléanais</i>, Orléans, 1886, p. +50.—Jodocius Sincere, <i>Itinerarium Galliæ</i>, Amstelodami, 1655, pp. +24, 25.—Paul Charpentier et Cuissard, <i>Histoire du siège d'Orléans, +mémoire inédit de M. l'abbé Dubois</i>, Orléans, 1894, in-8<sup>o</sup>, p. +129.—De Buzonnière, <i>Histoire architecturale de la ville d'Orléans</i>, +1849 (2 vol. in-8<sup>o</sup>), t. I, p. 76.</p> + +<p><a id="footnote451" name="footnote451"></a><a href="#footnotetag451">[451]</a> Jollois, <i>Histoire du siège d'Orléans</i>, Paris, 1833, +in-4<sup>o</sup>, fig.—Lottin, <i>Recherches</i>, t. I, pp. 183 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote452" name="footnote452"></a><a href="#footnotetag452">[452]</a> Jollois, <i>Lettre à Messieurs les Membres de la Société +des Antiquaires de France, sur l'emplacement du fort des Tourelles de +l'ancien pont d'Orléans</i>, Paris, 1834, in-f<sup>o</sup>, fig.—Abbé Dubois, +<i>Histoire du siège</i>, dissertation, v. Lottin, <i>Recherches</i>, t. I, pp. +15-18.—Vergniaud Romagnési, <i>Des différentes enceintes de la ville +d'Orléans</i>, pp. 17-19.—A. Collin, <i>Le pont des Tourelles à Orléans</i>, +Orléans, 1895, in-8<sup>o</sup>.—Morosini, t. III, p. 13, note 2.</p> + +<p><a id="footnote453" name="footnote453"></a><a href="#footnotetag453">[453]</a> Jollois, <i>Histoire du siège</i>, planche 1.—Abbé Dubois, +<i>Histoire du siège</i>, pp. 193, 199.—Boucher de Molandon, <i>Première +expédition de Jeanne d'Arc</i>, p. 16.</p> + +<p><a id="footnote454" name="footnote454"></a><a href="#footnotetag454">[454]</a> Symphorien Guyon, <i>Histoire de l'église et diocèse +d'Orléans</i>, Orléans, 1647, t. I, préface.—Le Maire, <i>Antiquités</i>, p. +36.</p> + +<p><a id="footnote455" name="footnote455"></a><a href="#footnotetag455">[455]</a> <i>Journal du siège</i>, pp. 13, 15.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, p. 270.—Hubert, <i>Antiquités historiques de l'église royale +d'Orléans</i>, Orléans, 1661, in-8<sup>o</sup>.—Le Maire, <i>Antiquités</i>, p. +284.—Abbé Dubois, <i>Histoire du siège</i>, pp. 133, 205, 277 et +<i>passim</i>.—Jollois, <i>Histoire du siège</i>, p. 21.—H. Baraude, <i>Le siège +d'Orléans et Jeanne d'Arc</i>, Paris, 1906, pp. 10 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote456" name="footnote456"></a><a href="#footnotetag456">[456]</a> Le Maire, <i>Antiquités</i>, p. 43.</p> + +<p><a id="footnote457" name="footnote457"></a><a href="#footnotetag457">[457]</a> Abbé Dubois, <i>Histoire du siège</i>, p. 296.—Boucher de +Molandon, <i>Première expédition de Jeanne d'Arc, le ravitaillement +d'Orléans, nouveaux documents</i>, Orléans, 1874, gr. in-8<sup>o</sup>, plan +topographique: <i>Orléans, la Loire et ses îles en 1429</i>.</p> + +<p><a id="footnote458" name="footnote458"></a><a href="#footnotetag458">[458]</a> Abbé Dubois, <i>Histoire du siège</i>, pp. 391, +399.—Jollois, <i>Histoire du siège</i>, pp. 41, 44.—P. Mantellier, +<i>Histoire du siège</i>, Orléans, 1867, in-8<sup>o</sup>, p. 24.—Lottin, +<i>Recherches sur Orléans</i>, t. I, p. 141.</p> + +<p><a id="footnote459" name="footnote459"></a><a href="#footnotetag459">[459]</a> Le Roux de Lincy, <i>Chants historiques et populaires du +temps de Charles VII</i>, Paris, 1862, in-18, p. 28.</p> + +<p><a id="footnote460" name="footnote460"></a><a href="#footnotetag460">[460]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, pp. 225-226.—<i>Geste +des Nobles</i>, p. 202.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 251.—Jean +Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 59.—Jarry, <i>Le compte de l'armée +anglaise</i>, pp. 107-112.</p> + +<p><a id="footnote461" name="footnote461"></a><a href="#footnotetag461">[461]</a> Lottin, <i>Recherches</i>, t. I, pp. 164, 171.—P. +Mantellier, <i>Histoire du siège</i>, p. 25.</p> + +<p><a id="footnote462" name="footnote462"></a><a href="#footnotetag462">[462]</a> Le religieux de Dunfermling, dans <i>Procès</i>, t. V, p. +341.—Le Maire, <i>Antiquités</i>, pp. 283 et suiv.—Lottin, <i>Recherches</i>, +t. I, pp. 160-161.</p> + +<p><a id="footnote463" name="footnote463"></a><a href="#footnotetag463">[463]</a> Jollois, <i>Histoire du siège</i>, p. 6.—Lottin, +<i>Recherches</i>, t. I, pp. 202-205.</p> + +<p><a id="footnote464" name="footnote464"></a><a href="#footnotetag464">[464]</a> Comptes de forteresses, dans <i>Journal du siège</i>, pp. +301 et suiv.—Jollois, <i>Histoire du siège</i>, p. 12.—P. Mantellier, +<i>Histoire du siège</i>, pp. 15-17.—Loiseleur, <i>Comptes des dépenses +faites par Charles VII pour secourir Orléans pendant le siège de +1428</i>, Orléans, 1868, in-8<sup>o</sup>, p. 113.—Boucher de Molandon et de +Beaucorps, <i>L'armée anglaise vaincue par Jeanne d'Arc</i>, p. 81.</p> + +<p><a id="footnote465" name="footnote465"></a><a href="#footnotetag465">[465]</a> Compte de Hémon Raguier, Bibl. Nat., Fr. 7858, fol. +41—Loiseleur, <i>Comptes des dépenses</i>, p. 65.—Pallet, <i>Nouvelle +Histoire du Berry</i>, t. III, pp. 78-80.—Vallet de Viriville, dans +<i>Bulletin de la Société d'Histoire de France</i>.—<i>Cabinet Historique</i>, +V, 2<sup>e</sup> partie, 107.—P. Mantellier, <i>Histoire du siège</i>, p. 15.</p> + +<p><a id="footnote466" name="footnote466"></a><a href="#footnotetag466">[466]</a> A. Thomas, <i>Le siège d'Orléans, Jeanne d'Arc et les +capitouls de Toulouse</i>, dans <i>Annales du Midi</i>, avril 1889, p. +232.—M. Boudet, <i>Villandrando et les écorcheurs à Saint-Flour</i>, pp. +18 et 19.—A. de Villaret, <i>Campagne des Anglais</i>, p. 61.</p> + +<p><a id="footnote467" name="footnote467"></a><a href="#footnotetag467">[467]</a> Le religieux de Dunfermling, dans <i>Procès</i>, t. V, p. +341.</p> + +<p><a id="footnote468" name="footnote468"></a><a href="#footnotetag468">[468]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 51.—<i>Chronique de la fête</i> dans +<i>Procès</i>, t. V, p. 296.—Lottin, <i>Recherches</i>, t. I, pp. 27-31.</p> + +<p><a id="footnote469" name="footnote469"></a><a href="#footnotetag469">[469]</a> Hubert, <i>Antiquitez historiques de l'église royale de +Saint-Aignan d'Orléans</i>, Orléans, 1661, in-8<sup>o</sup>, pp. 1-15.</p> + +<p><a id="footnote470" name="footnote470"></a><a href="#footnotetag470">[470]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 32.—<i>Journal du siège</i>, p. +14.—Hubert, <i>loc. cit.</i>, chap. <span class="smcap">III-IV</span>.—Lottin, <i>Recherches</i>, t. I, +pp. 82-83.</p> + +<p><a id="footnote471" name="footnote471"></a><a href="#footnotetag471">[471]</a> Le Maire, <i>Antiquités</i>, p. 285.—P. Mantellier, +<i>Histoire du siège</i>, p. 16.</p> + +<p><a id="footnote472" name="footnote472"></a><a href="#footnotetag472">[472]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, pp. 257-258.—<i>Journal du +siège</i>, pp. 6-7.—Lottin, <i>Recherches</i>, t. I, p. 204.—J. Devaux, <i>Le +Gâtinais au temps de Jeanne d'Arc</i>, dans <i>Ann. Soc. hist. et arch. du +Gâtinais</i>, V, 1887, p. 220.</p> + +<p><a id="footnote473" name="footnote473"></a><a href="#footnotetag473">[473]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 92.</p> + +<p><a id="footnote474" name="footnote474"></a><a href="#footnotetag474">[474]</a> <i>Geste des Nobles</i>, p. 204.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, +p. 256.—Lettre de Salisbury à la Commune de Londres, dans Delpit, +<i>Collection de documents français qui se trouvent en Angleterre</i>, pp. +236-237.—Jarry, <i>Le compte de l'armée anglaise</i>, pp. 79-89.</p> + +<p><a id="footnote475" name="footnote475"></a><a href="#footnotetag475">[475]</a> Abbé Dubois, <i>Histoire du siège</i>, p. 11.—Jarry, <i>Le +compte de l'armée anglaise</i>, p. 82.—Boucher de Molandon, <i>Les comptes +de ville d'Orléans des quatorzième et quinzième siècles</i>, Orléans, +1880, in-8<sup>o</sup>, pp. 91 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote476" name="footnote476"></a><a href="#footnotetag476">[476]</a> Lottin, <i>Recherches</i>, t. I, p. 205.—P. Mantellier, +<i>Histoire du siège</i>, p. 17.</p> + +<p><a id="footnote477" name="footnote477"></a><a href="#footnotetag477">[477]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 4.</p> + +<p><a id="footnote478" name="footnote478"></a><a href="#footnotetag478">[478]</a> <i>Journal du siège</i>, pp. 2-4.—Boucher de Molandon et de +Beaucorps, <i>L'armée anglaise vaincue par Jeanne d'Arc</i>, p. 129.</p> + +<p><a id="footnote479" name="footnote479"></a><a href="#footnotetag479">[479]</a> L. Jarry, <i>Le compte de l'année anglaise</i>, pp. 26, 28, +29.—Boucher de Molandon et de Beaucorps, <i>L'armée anglaise vaincue +par Jeanne d'Arc</i>, pp. 50 et suiv.—Mademoiselle A. de Villaret, +<i>Campagne des Anglais</i>, ch. IV, pp. 39, 53; comptes du siège, n<sup>os</sup> +30, 31, p. 214.—Lottin, <i>Recherches</i>, t. I, p. 205.</p> + +<p><a id="footnote480" name="footnote480"></a><a href="#footnotetag480">[480]</a> L. Jarry, <i>Le compte de l'armée anglaise</i>, p. 61.</p> + +<p><a id="footnote481" name="footnote481"></a><a href="#footnotetag481">[481]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 258.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, p. 66.—Jean Raoulet dans Chartier, <i>Chronique</i>, t. III, +p. 198.—<i>Journal du siège</i>, pp. 1, 2.—Abbé Dubois, <i>Histoire du +siège</i>, p. 246.—P. Mantellier, <i>Histoire du siège</i>, p. 27.—H. +Baraude, <i>Le siège d'Orléans et Jeanne d'Arc</i>, p. 31.</p> + +<p><a id="footnote482" name="footnote482"></a><a href="#footnotetag482">[482]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 4.</p> + +<p><a id="footnote483" name="footnote483"></a><a href="#footnotetag483">[483]</a> <i>Ibid.</i>, p. 7-8.—Lottin, <i>Recherches</i>, t. I, pp. 208, +210.</p> + +<p><a id="footnote484" name="footnote484"></a><a href="#footnotetag484">[484]</a> <i>Journal du siège</i>, pp. 5 à 8.</p> + +<p><a id="footnote485" name="footnote485"></a><a href="#footnotetag485">[485]</a> <i>Journal du siège</i>, pp. 10, 12.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, p. 264.—Monstrelet, t. IV, p. 298.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, t. I, p. 63.—<i>Mistère d'Orléans</i>, vers 3104 et +suiv.—<i>Chronique de la fête</i>, dans <i>Procès</i>, t. V, p. 288.—Morosini, +t. III, p. 131.—Lorenzo Buonincontro, dans Muratori, <i>Rerum +Italicarum Scriptores</i>, t. XXI, col. 136.—Jarry, <i>Le compte de +l'armée anglaise</i>, pp. 85-86.</p> + +<p><a id="footnote486" name="footnote486"></a><a href="#footnotetag486">[486]</a> <i>Procès</i>, t. IV, p. 345.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. +263.—<i>Journal du siège</i>, p. 10.—Vallet de Viriville, <i>Histoire de +Charles VII</i>, t. II, p. 32.</p> + +<p><a id="footnote487" name="footnote487"></a><a href="#footnotetag487">[487]</a> L. Jarry, <i>Deux chansons normandes</i>, Orléans, 1894, +in-8<sup>o</sup>, p. 11.</p> + +<p><a id="footnote488" name="footnote488"></a><a href="#footnotetag488">[488]</a> Le texte publié par M. Jarry porte «mielux».</p> + +<p><a id="footnote489" name="footnote489"></a><a href="#footnotetag489">[489]</a> Vallet de Viriville, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. I, +p. 25; t. II, p. 389.</p> + +<p><a id="footnote490" name="footnote490"></a><a href="#footnotetag490">[490]</a> Monstrelet, t. IV, pp. 273, 274.—<i>Chronique du la +Pucelle</i>, pp. 243, 247.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. +54.—<i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 221.—<i>Cronique +Martiniane</i>, p. 7.</p> + +<p><a id="footnote491" name="footnote491"></a><a href="#footnotetag491">[491]</a> Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. II, p. 105.</p> + +<p><a id="footnote492" name="footnote492"></a><a href="#footnotetag492">[492]</a> Mathieu d'Escouchy, <i>Chronique</i>, édit. de Beaucourt, +Paris, 1863, t. I, p. 186.—De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, +t. II, p. 236.</p> + +<p><a id="footnote493" name="footnote493"></a><a href="#footnotetag493">[493]</a> <i>Journal du siège</i>, pp. 10 et 12.—<i>Cronique +Martiniane</i>, p. 8.—<i>Le Jouvencel</i>, p. 277.—Loiseleur, <i>Comptes des +dépenses</i>, pp. 90, 91.</p> + +<p><a id="footnote494" name="footnote494"></a><a href="#footnotetag494">[494]</a> <i>Journal du siège</i>, pp. 12, 13.—Abbé Dubois, <i>Histoire +du siège</i>, p. 245.—Boucher de Molandon et de Beaucorps, <i>L'armée +anglaise vaincue par Jeanne d'Arc</i>, pp. 92, 111.—Jean de Bueil, <i>Le +Jouvencel</i>, <i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote495" name="footnote495"></a><a href="#footnotetag495">[495]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 7.</p> + +<p><a id="footnote496" name="footnote496"></a><a href="#footnotetag496">[496]</a> <i>Le Jouvencel</i>, t. I, p. 142.</p> + +<p><a id="footnote497" name="footnote497"></a><a href="#footnotetag497">[497]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 19.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, +p. 270.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 61.—Le P. Denifle, <i>La +désolation des églises de France</i>, supplique C.</p> + +<p><a id="footnote498" name="footnote498"></a><a href="#footnotetag498">[498]</a> <i>Journal du siège</i>, pp. 16 et 17.</p> + +<p><a id="footnote499" name="footnote499"></a><a href="#footnotetag499">[499]</a> <i>Ibid.</i>, p. 17.—J.-L. Micqueau, <i>Histoire du siège +d'Orléans par les Anglais</i>, traduite par Du Breton, Paris, 1631, p. +27.—Abbé Dubois, <i>Histoire du siège</i>, p. 287.—Lottin, <i>Recherches</i>, +t. I, pp. 209, 210.</p> + +<p><a id="footnote500" name="footnote500"></a><a href="#footnotetag500">[500]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 18.—S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à +Domremy</i>, p. <span class="smcap">CLXXXV</span>.—Loiseleur, <i>Compte des dépenses faites par +Charles VII pour secourir Orléans</i>, dans <i>Mém. Soc. Arch. de +l'Orléanais</i>, t. XI, pp. 114 et 186.</p> + +<p><a id="footnote501" name="footnote501"></a><a href="#footnotetag501">[501]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 28.—Lottin, <i>Recherches</i>, t. I, +p. 214.</p> + +<p><a id="footnote502" name="footnote502"></a><a href="#footnotetag502">[502]</a> Loiseleur, <i>Comptes</i>, p. 114.—P. Mantellier, <i>Histoire +du siège</i>, p. 33.</p> + +<p><a id="footnote503" name="footnote503"></a><a href="#footnotetag503">[503]</a> <i>Journal du siège</i>, pp. 15, 18.</p> + +<p><a id="footnote504" name="footnote504"></a><a href="#footnotetag504">[504]</a> <i>Ibid.</i>, p. 20.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. +265.—Abbé Dubois, <i>Histoire du siège</i>, p. 252.—Jollois, <i>Histoire du +siège</i>, pp. 26, 27.</p> + +<p><a id="footnote505" name="footnote505"></a><a href="#footnotetag505">[505]</a> Relation de G. Girault, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. +283.—Morosini, t. III, p. 16, note 5; t. IV, annexe <span class="smcap">XIII</span>.</p> + +<p><a id="footnote506" name="footnote506"></a><a href="#footnotetag506">[506]</a> <i>Journal du siège</i>, pp. 22, 23, 24, 25, 27, 34.</p> + +<p><a id="footnote507" name="footnote507"></a><a href="#footnotetag507">[507]</a> Boucher de Molandon et A. de Beaucorps, <i>L'armée +anglaise vaincue par Jeanne d'Arc</i>, pp. 3 et suiv.—Jarry, <i>Le compte +de l'armée anglaise</i>, pièce justificative <span class="smcap">V</span>, p. 233.</p> + +<p><a id="footnote508" name="footnote508"></a><a href="#footnotetag508">[508]</a> <i>Journal du siège</i>, pp. 21, 22, 30.</p> + +<p><a id="footnote509" name="footnote509"></a><a href="#footnotetag509">[509]</a> <i>Ibid.</i>, p. 26.</p> + +<p><a id="footnote510" name="footnote510"></a><a href="#footnotetag510">[510]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 32.</p> + +<p><a id="footnote511" name="footnote511"></a><a href="#footnotetag511">[511]</a> <i>Gallia Christiana</i>, t. II, p. 732.—Vallet de +Viriville, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. I, p. 213; t. II, p. 6, note +2.—S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, p. <span class="smcap">CCXCV</span>.</p> + +<p><a id="footnote512" name="footnote512"></a><a href="#footnotetag512">[512]</a> <i>Journal du siège</i>, pp. 21, 36-38.—Compte de Hémon +Raguier, Bibl. Nat., fr. 7858, fol. 41.—Loiseleur, <i>Comptes et +dépenses de Charles VII pour secourir Orléans</i>, <i>loc. cit.</i></p> + +<p><a id="footnote513" name="footnote513"></a><a href="#footnotetag513">[513]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 37.</p> + +<p><a id="footnote514" name="footnote514"></a><a href="#footnotetag514">[514]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 231.—<i>Chronique +de la Pucelle</i>, pp. 266, 267.—<i>Journal du siège</i>, pp. 37, 38.</p> + +<p><a id="footnote515" name="footnote515"></a><a href="#footnotetag515">[515]</a> <i>Journal du siège</i>, pp. 38, 39.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, pp. 267, 268.—<i>Mistère du siège</i>, vers 8867.—Dom Plancher, +<i>Histoire de Bourgogne</i>, t. IV, p. 127.</p> + +<p><a id="footnote516" name="footnote516"></a><a href="#footnotetag516">[516]</a> Monstrelet, t. IV, p. 312.—<i>Journal du siège</i>, p. +43.—Chastellain, éd. Kervyn de Lettenhove, t. II, p. 164.</p> + +<p><a id="footnote517" name="footnote517"></a><a href="#footnotetag517">[517]</a> Monstrelet, t. IV, p. 311.—<i>Journal du siège</i>, p. +39.—<i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 231.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, pp. 267 et 268.—Perceval de Cagny, pp. 137 et 139.</p> + +<p><a id="footnote518" name="footnote518"></a><a href="#footnotetag518">[518]</a> <i>Journal du siège</i>, pp. 40, 41.</p> + +<p><a id="footnote519" name="footnote519"></a><a href="#footnotetag519">[519]</a> <i>Ibid.</i>, p. 43.—<i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. +232.</p> + +<p><a id="footnote520" name="footnote520"></a><a href="#footnotetag520">[520]</a> <i>Ibid.</i>, p. 43—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. +269.—Monstrelet, t. IV, p. 313.</p> + +<p><a id="footnote521" name="footnote521"></a><a href="#footnotetag521">[521]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 42.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, +t. I, p. 63.</p> + +<p><a id="footnote522" name="footnote522"></a><a href="#footnotetag522">[522]</a> <i>Ibid.</i>, p. 44.</p> + +<p><a id="footnote523" name="footnote523"></a><a href="#footnotetag523">[523]</a> <i>Ibid.</i>, pp. 43, 44.</p> + +<p><a id="footnote524" name="footnote524"></a><a href="#footnotetag524">[524]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, pp. +230-233.—Monstrelet, t. IV, p. 313.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. +II, p. 62.—Symphorien Guyon, <i>Histoire de la ville d'Orléans</i>, t. II, +p. 195.—Vallet de Viriville, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, p. +37.</p> + +<p><a id="footnote525" name="footnote525"></a><a href="#footnotetag525">[525]</a> <i>Journal du siège</i>, pp. 50, 52.</p> + +<p><a id="footnote526" name="footnote526"></a><a href="#footnotetag526">[526]</a> <i>Ibid.</i>, p. 51.</p> + +<p><a id="footnote527" name="footnote527"></a><a href="#footnotetag527">[527]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 59.</p> + +<p><a id="footnote528" name="footnote528"></a><a href="#footnotetag528">[528]</a> Thaumas de la Thaumassière, <i>Histoire du Berry</i>, +Bourges, 1689, in-fol., pp. 648-656.</p> + +<p><a id="footnote529" name="footnote529"></a><a href="#footnotetag529">[529]</a> Monstrelet, t. IV, p. 317.—<i>Journal du siège</i>, p. +52.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 269.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, +t. I, p. 65.—Morosini, pp. 16, 17; t. IV, annexe <span class="smcap">XIV</span>.—Du Tillet, +<i>Recueil des traités</i>, p. 221.</p> + +<p><a id="footnote530" name="footnote530"></a><a href="#footnotetag530">[530]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 54.</p> + +<p><a id="footnote531" name="footnote531"></a><a href="#footnotetag531">[531]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 21-23.—<i>Journal du siège</i>, pp. +46 et suiv.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 278.</p> + +<p><a id="footnote532" name="footnote532"></a><a href="#footnotetag532">[532]</a> La Curne et Godefroy, au mot: <i>Pucelle</i>.</p> + +<p><a id="footnote533" name="footnote533"></a><a href="#footnotetag533">[533]</a> <i>Relation contemporaine du combat de Montendre</i>, dans +<i>Bulletin de la Société de l'Histoire de France</i>, 1834, pp. 109-113.</p> + +<p><a id="footnote534" name="footnote534"></a><a href="#footnotetag534">[534]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 3, 125, 215.—<i>Journal du siège</i>, +pp. 5, 6, 31, 44.—<i>Nouvelle Biographie Générale</i>, articles de Vallet +de Viriville.</p> + +<p><a id="footnote535" name="footnote535"></a><a href="#footnotetag535">[535]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 56, 75.</p> + +<p><a id="footnote536" name="footnote536"></a><a href="#footnotetag536">[536]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 56.</p> + +<p><a id="footnote537" name="footnote537"></a><a href="#footnotetag537">[537]</a> Bueil, <i>Le Jouvencel</i>, t. I, p. 32 et Tringant, +XV.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, ch. <span class="smcap">CXXXVIII</span>.</p> + +<p><a id="footnote538" name="footnote538"></a><a href="#footnotetag538">[538]</a> Vallet de Viriville, <i>Isabeau de Bavière</i>, 1859, +in-8<sup>o</sup>, et <i>Notes sur l'état civil des princes et princesses nés +d'Isabeau de Bavière</i> dans la <i>Bibliothèque de l'École des Chartes</i>, +t. XIX, pp. 473-482.</p> + +<p><a id="footnote539" name="footnote539"></a><a href="#footnotetag539">[539]</a> Th. Basin, <i>Histoire de Charles VII et de Louis XI</i>, t. +I, p. 312.—Chastellain, édit. Kervyn de Lettenhove, t. 11, p. 178.</p> + +<p><a id="footnote540" name="footnote540"></a><a href="#footnotetag540">[540]</a> <i>Chronique du Religieux de Saint-Denis</i>, t. I, pp. 28 +et 43.—Docteur A. Chevreau, <i>De la maladie de Charles VI, roi de +France, et des médecins qui ont soigné ce prince</i>, dans l'<i>Union +Médicale</i>, février-mars 1862.—De Beaucourt, <i>Histoire de Charles +VII</i>, t. I, p. 4, note.</p> + +<p><a id="footnote541" name="footnote541"></a><a href="#footnotetag541">[541]</a> Monstrelet, t. III, p. 347.</p> + +<p><a id="footnote542" name="footnote542"></a><a href="#footnotetag542">[542]</a> Gruel, éd. Le Vavasseur, pp. 46 et suiv.—<i>Chronique de +la Pucelle</i>, p. 239.—Berry, p. 374.—Pierre de Fénin, <i>Mémoires</i>, +édit. de mademoiselle Dupont, pp. 222, 223.—Vallet de Viriville, +<i>Histoire de Charles VII</i>, t. I, p. 453.—De Beaucourt, <i>Histoire de +Charles VII</i>, t. II, p. 432.</p> + +<p><a id="footnote543" name="footnote543"></a><a href="#footnotetag543">[543]</a> Gruel, pp. 53, 193.—<i>Geste des Nobles</i>, p. 200.—Jean +Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, pp. 23, 24, 54.—De Beaucourt, <i>Histoire +de Charles VII</i>, t. II, p. 132.—E. Cosneau, <i>Le connétable de +Richemont</i>, Paris, 1886, in-8<sup>o</sup>, p. 131.</p> + +<p><a id="footnote544" name="footnote544"></a><a href="#footnotetag544">[544]</a> Gruel, p. 231.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, pp. 200, +248.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 54; t. III, p. 189.—De +Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, p. 142.—E. Cosneau, <i>Le +connétable de Richemont</i>, p. 140.</p> + +<p><a id="footnote545" name="footnote545"></a><a href="#footnotetag545">[545]</a> De Beaucourt, <i>op. cit.</i>, t. II, pp. 143, 144 et +suiv.—E. Cosneau, <i>op. cit.</i>, pp. 142 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote546" name="footnote546"></a><a href="#footnotetag546">[546]</a> Dom Morice, <i>Preuves de l'histoire de Bretagne</i>, t. II, +col. 1199.—De Beaucourt, <i>op. cit.</i>, t. II, p. 150.—E. Cosneau, <i>op. +cit.</i>, p. 144.</p> + +<p><a id="footnote547" name="footnote547"></a><a href="#footnotetag547">[547]</a> P. de Fénin, <i>Mémoires</i>, p. 222.—De Beaucourt, +<i>Histoire de Charles VII</i>, Introduction.—E. Charles, <i>Le caractère de +Charles VII</i>, dans <i>Revue Contemporaine</i>, t. XXII, pp. 300-328.</p> + +<p><a id="footnote548" name="footnote548"></a><a href="#footnotetag548">[548]</a> Le doyen de Saint-Thibaud, <i>Tableau des rois de +France</i>, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 325.</p> + +<p><a id="footnote549" name="footnote549"></a><a href="#footnotetag549">[549]</a> Martial d'Auvergne, <i>Les vigiles de Charles VII</i>, éd. +Coustelier, 1724, (2 vol. in-12), t. I, p. 56.</p> + +<p><a id="footnote550" name="footnote550"></a><a href="#footnotetag550">[550]</a> L. Drapeyron, <i>Jeanne d'Arc et Philippe le Bon</i>, dans +<i>Revue de Géographie</i>, novembre 1886, p. 331.</p> + +<p><a id="footnote551" name="footnote551"></a><a href="#footnotetag551">[551]</a> <i>Recueil des Ordonnances</i>, t. XIII, p. <span class="smcap">XCIX</span>, et la +table de ce volume au mot: <i>Impôts</i>.—Loiseleur, <i>Compte des +dépenses</i>, pp. 51 et suiv.—A. Thomas, <i>Les États Généraux sous +Charles VII</i> dans le <i>Cabinet Historique</i>, t. XXIV, 1878; <i>Les États +provinciaux de la France centrale sous Charles VII</i>, Paris, 1879, 2 +vol. in-8<sup>o</sup>, <i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote552" name="footnote552"></a><a href="#footnotetag552">[552]</a> Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. III, p. 318.—Vallet de +Viriville, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. I, p. 390.—De Beaucourt, +<i>Histoire de Charles VII</i>, t. I, p. 428; t. II, pp. 646 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote553" name="footnote553"></a><a href="#footnotetag553">[553]</a> <i>Le Jouvencel</i>, t. I, Introduction, pp. <span class="smcap">XIX</span>, <span class="smcap">XX</span>.</p> + +<p><a id="footnote554" name="footnote554"></a><a href="#footnotetag554">[554]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 237.—Loiseleur, <i>Compte +des dépenses</i>, p. 61.—Vallet de Viriville, <i>Mémoire sur les +institutions de Charles VII</i>, dans <i>Bibliothèque de l'École des +Chartes</i>, t. XXXIII, p. 37.</p> + +<p><a id="footnote555" name="footnote555"></a><a href="#footnotetag555">[555]</a> Dom Vaissette, <i>Histoire du Languedoc</i>, t. IV, p. 471.</p> + +<p><a id="footnote556" name="footnote556"></a><a href="#footnotetag556">[556]</a> De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, p. +167.</p> + +<p><a id="footnote557" name="footnote557"></a><a href="#footnotetag557">[557]</a> Dom Vaissette, <i>Histoire du Languedoc</i>, IV, p. 471.—A. +Thomas, <i>Les États Généraux sous Charles VII</i>, pp. 49-50.</p> + +<p><a id="footnote558" name="footnote558"></a><a href="#footnotetag558">[558]</a> Dom Vaissette, <i>Histoire du Languedoc</i>, t. IV, p. +472.—Raynal, <i>Histoire du Berry</i>, t. III, p. 20.—Loiseleur, <i>Compte +des dépenses</i>, pp. 63 et suiv.—De Beaucourt, <i>Histoire de Charles +VII</i>, t. II, pp. 170 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote559" name="footnote559"></a><a href="#footnotetag559">[559]</a> Th. Basin, <i>Histoire de Charles VII</i>, liv. II, ch. +<span class="smcap">VI</span>.—Antoine Loysel, <i>Mémoires des pays, villes, comtés et comtes de +Beauvais et Beauvoisis</i>, Paris, 1618, p. 229.—P. Mantellier, +<i>Histoire de la communauté des marchands fréquentant la rivière de +Loire</i>, t. I, p. 195.</p> + +<p><a id="footnote560" name="footnote560"></a><a href="#footnotetag560">[560]</a> Dom Morice, <i>Preuves de l'Histoire de Bretagne</i>, t. II, +col. 1145, 1194.—<i>Ordonnances</i>, t. XV, p. 147.</p> + +<p><a id="footnote561" name="footnote561"></a><a href="#footnotetag561">[561]</a> Vallet de Viriville, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. I, +p. 373.—De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, p. 175.—Duc +de La Trémoïlle, <i>Chartrier de Thouars, documents historiques et +généalogiques</i>, p. 17; <i>Les La Trémoïlle pendant cinq siècles</i>, t. I, +p. 175.</p> + +<p><a id="footnote562" name="footnote562"></a><a href="#footnotetag562">[562]</a> De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>. t. II, p. +632.</p> + +<p><a id="footnote563" name="footnote563"></a><a href="#footnotetag563">[563]</a> Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. III, Comptes, p. +316.—<i>Cabinet Historique</i>, juin 1858, p. 176.</p> + +<p><a id="footnote564" name="footnote564"></a><a href="#footnotetag564">[564]</a> <i>Cabinet Historique</i>, sept. et oct. 1858, p. 263.</p> + +<p><a id="footnote565" name="footnote565"></a><a href="#footnotetag565">[565]</a> Vallet de Viriville, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. I, +p. 374.</p> + +<p><a id="footnote566" name="footnote566"></a><a href="#footnotetag566">[566]</a> De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, p. +634.</p> + +<p><a id="footnote567" name="footnote567"></a><a href="#footnotetag567">[567]</a> Loiseleur, <i>Compte des dépenses</i>, p. 57.</p> + +<p><a id="footnote568" name="footnote568"></a><a href="#footnotetag568">[568]</a> De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, p. +634.</p> + +<p><a id="footnote569" name="footnote569"></a><a href="#footnotetag569">[569]</a> Vuitry, <i>Les monnaies sous les trois premiers Valois</i>, +Paris, 1881, in-8<sup>o</sup>, pp. 29 et suiv.—Loiseleur, <i>Compte des +dépenses</i>, p. 47.—Vallet de Viriville, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. +I, p. 243.—De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, pp. 620 et +suiv.</p> + +<p><a id="footnote570" name="footnote570"></a><a href="#footnotetag570">[570]</a> Clairambault, <i>Titres, scellés</i>, vol. 205, pp. 8769, +8771, 8773 et <i>passim</i>.—De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. +II, p. 293.</p> + +<p><a id="footnote571" name="footnote571"></a><a href="#footnotetag571">[571]</a> Arch. nat. J. 183, n<sup>o</sup> 142.—Duc de La Trémoïlle, <i>Les +La Trémoïlle pendant cinq siècles</i>, t. 1, p. 177.—De Beaucourt, +<i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, p. 198.</p> + +<p><a id="footnote572" name="footnote572"></a><a href="#footnotetag572">[572]</a> Le P. Anselme, <i>Histoire générale et chronologique de +la maison de France</i>, t. VI, p. 399.—Vallet de Viriville, dans +<i>Nouvelle Biographie générale</i>.—De Beaucourt, <i>Histoire de Charles +VII</i>, t. I, p. 63.</p> + +<p><a id="footnote573" name="footnote573"></a><a href="#footnotetag573">[573]</a> Marquis de Gaucourt, <i>Le Sire de Gaucourt</i>, Orléans, +1855, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote574" name="footnote574"></a><a href="#footnotetag574">[574]</a> Le P. Anselme, <i>Histoire généalogique et chronologique +de la maison de France</i>, t. VI, p. 339.—<i>Gallia Christiana</i>, t. IX, +col. 135.—Hermant, <i>Histoire ecclésiastique de Beauvais</i> (Bibl. nat., +fr. 8581), fol. 15 et suiv.—Article de Vallet de Viriville dans +<i>Nouvelle Biographie générale</i> et <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, pp. +160 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote575" name="footnote575"></a><a href="#footnotetag575">[575]</a> Le P. Denifle, <i>Cartularium Universitatis Parisiensis</i>, +t. IV, p. 275.</p> + +<p><a id="footnote576" name="footnote576"></a><a href="#footnotetag576">[576]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 109.</p> + +<p><a id="footnote577" name="footnote577"></a><a href="#footnotetag577">[577]</a> Le P. Denifle, <i>La désolation des églises</i>, t. I, pp. +594, 595.—Garnier, <i>Documents relatifs à la surprise de Paris par les +Bourguignons en mai 1418</i>, dans <i>Bulletin de la Société de l'Histoire +de Paris</i>, 1877, p. 51.</p> + +<p><a id="footnote578" name="footnote578"></a><a href="#footnotetag578">[578]</a> De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. I, pp. 268, +276, 339.—P. Champion, <i>Guillaume de Flavy</i>, p. 4 et pièce +justificative <span class="smcap">LXXJ</span>.</p> + +<p><a id="footnote579" name="footnote579"></a><a href="#footnotetag579">[579]</a> Le P. Denifle, <i>La désolation des églises</i>, <i>loc. +cit.</i>—Par une fiction «légitimiste» il allègue le service du roi +Charles VI et de son fils le Dauphin «... <i>tam propter sue persone +debilitatem, quam etiam propter assidua viagia et ambassiatas, que +ipse serviendo Carolo Francorum regi et Carolo, ejusdem régis +unigenito filio, dalphino Viennensi</i>...».</p> + +<p><a id="footnote580" name="footnote580"></a><a href="#footnotetag580">[580]</a> Vallet de Viriville, <i>Nouvelle Biographie +générale</i>.—De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. I, pp. 64 et +suiv.</p> + +<p><a id="footnote581" name="footnote581"></a><a href="#footnotetag581">[581]</a> F. Duchesne, <i>Histoire des chanceliers et gardes des +sceaux de France</i>, Paris, 1680, in-fol., p. 483.</p> + +<p><a id="footnote582" name="footnote582"></a><a href="#footnotetag582">[582]</a> Arch. Nat., p. 2298.</p> + +<p><a id="footnote583" name="footnote583"></a><a href="#footnotetag583">[583]</a> De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, p. +632.</p> + +<p><a id="footnote584" name="footnote584"></a><a href="#footnotetag584">[584]</a> Le P. Anselme, <i>Histoire généalogique de la maison de +France</i>, t. I, p. 407.</p> + +<p><a id="footnote585" name="footnote585"></a><a href="#footnotetag585">[585]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 51.</p> + +<p><a id="footnote586" name="footnote586"></a><a href="#footnotetag586">[586]</a> Le P. Denifle, <i>La désolation des églises</i>, +introduction.—Cf. La série des quittances à la Bibl. Nat., fr. 20887, +Pièces originales 693, Clairambault, <i>titres, scellés</i>, vol. 29.</p> + +<p><a id="footnote587" name="footnote587"></a><a href="#footnotetag587">[587]</a> F. Duchesne, <i>Histoire des chanceliers et garde des +sceaux de France</i>, p. 487.</p> + +<p><a id="footnote588" name="footnote588"></a><a href="#footnotetag588">[588]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 56.</p> + +<p><a id="footnote589" name="footnote589"></a><a href="#footnotetag589">[589]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, pp. 394, 462.</p> + +<p><a id="footnote590" name="footnote590"></a><a href="#footnotetag590">[590]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 143.</p> + +<p><a id="footnote591" name="footnote591"></a><a href="#footnotetag591">[591]</a> <i>La vie de saint Harenc glorieux martir et comment il +fut pesché en la mer et porté à Dieppe</i>, dans <i>Recueil des poésies +françaises des XV<sup>e</sup> et XVI<sup>e</sup> siècles</i>, par A. de Montaiglon, t. +II, pp. 325-332.</p> + +<p><a id="footnote592" name="footnote592"></a><a href="#footnotetag592">[592]</a> Pourtant si Jeanne avait alors l'âge qu'on lui donne, +environ dix-huit ans, elle n'était pas obligée de jeûner; seule +l'abstinence lui était d'obligation.</p> + +<p><a id="footnote593" name="footnote593"></a><a href="#footnotetag593">[593]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 103.</p> + +<p><a id="footnote594" name="footnote594"></a><a href="#footnotetag594">[594]</a> G. de Cougny, <i>Notice archéologique et historique sur +le château de Chinon</i>, Chinon, 1860, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote595" name="footnote595"></a><a href="#footnotetag595">[595]</a> <i>La Légende dorée</i>, trad. Gustave Brunet, 1846, pp. +259, 264.—Douhet, <i>Dictionnaire des légendes</i>, pp. 426, 436.</p> + +<p><a id="footnote596" name="footnote596"></a><a href="#footnotetag596">[596]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 273.—<i>Journal du siège</i>, +p. 46-47.</p> + +<p><a id="footnote597" name="footnote597"></a><a href="#footnotetag597">[597]</a> Épître de Jouvenel des Ursins, dans De Beaucourt, +<i>Histoire de Charles VII</i>, t. V, p. 206, note 1.</p> + +<p><a id="footnote598" name="footnote598"></a><a href="#footnotetag598">[598]</a> Vallet de Viriville, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, +p. <span class="smcap">X</span>.</p> + +<p><a id="footnote599" name="footnote599"></a><a href="#footnotetag599">[599]</a> <i>Acta sanctorum</i>, t. III, Mars, p. 742.—Abbé Pétin, +<i>Dictionnaire hagiographique</i>, 1850, t. II, p. 1516.</p> + +<p><a id="footnote600" name="footnote600"></a><a href="#footnotetag600">[600]</a> Froissart, <i>Chroniques</i>, liv. IV, ch. XLIII et suiv.</p> + +<p><a id="footnote601" name="footnote601"></a><a href="#footnotetag601">[601]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 83, note 2.—Vallet de Viriville, +<i>Procès de condamnation de Jeanne d'Arc</i>, Paris, 1867, in-8<sup>o</sup>, pp. +XXXI et suiv.</p> + +<p><a id="footnote602" name="footnote602"></a><a href="#footnotetag602">[602]</a> <i>Le songe du vieil Pèlerin</i>, par Philippe de Maizières +(Bibl. Nat., fonds français, n<sup>o</sup> 22542).</p> + +<p><a id="footnote603" name="footnote603"></a><a href="#footnotetag603">[603]</a> Chastellain, éd. Buchon, pp. 114 et 116.—<i>Acta +Sanctorum Junii</i>, t. I, p. 648.—Le P. De Buck, <i>Le bienheureux Jean +de Gand</i>, Bruxelles, 1862, in-8<sup>o</sup>, 40. p.—Le P. Chapotin, <i>La guerre +de cent ans; Jeanne d'Arc et les Dominicains</i>, Évreux, 1888, in-8<sup>o</sup>, +p. 89.</p> + +<p><a id="footnote604" name="footnote604"></a><a href="#footnotetag604">[604]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 273.—<i>Journal du siège</i>, +p. 46.</p> + +<p><a id="footnote605" name="footnote605"></a><a href="#footnotetag605">[605]</a> <i>Parvus Thalamus</i>, éd. de la Société archéologique de +Montpellier, p. 464.—Th. de Bèze, <i>Histoire ecclésiastique</i>, 1580, t. +I, p. 217.—A. Germain, <i>Catherine Sauve</i>, Montpellier, 1853, in-4<sup>o</sup>, +16 pages.—H.-C. Lea, <i>Histoire de l'inquisition au moyen âge</i>, trad. +S. Reinach, t. II, p. 185.—Vallet de Viriville, <i>Histoire de Charles +VII</i>, t. II. p. <span class="smcap">X</span>.</p> + +<p><a id="footnote606" name="footnote606"></a><a href="#footnotetag606">[606]</a> Jean Nider, <i>Formicarium</i> dans <i>Procès</i>, t. IV, p. +502.</p> + +<p><a id="footnote607" name="footnote607"></a><a href="#footnotetag607">[607]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 115.</p> + +<p><a id="footnote608" name="footnote608"></a><a href="#footnotetag608">[608]</a> S. Luce, <i>Chronique des quatre premiers Valois</i>, Paris, +1861, in-8<sup>o</sup>, pp. 46, 48.</p> + +<p><a id="footnote609" name="footnote609"></a><a href="#footnotetag609">[609]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 115.—Thomassin, <i>Registre +Delphinal</i>, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 304.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, +p. 273.—<i>Journal du siège</i>, p. 47.</p> + +<p><a id="footnote610" name="footnote610"></a><a href="#footnotetag610">[610]</a> <i>Gallia Christiana</i>, t. III, col. 1089.</p> + +<p><a id="footnote611" name="footnote611"></a><a href="#footnotetag611">[611]</a> Le R. P. Marcellin Fornier, <i>Histoire générale des +Alpes-Maritimes ou Cottiennes</i>, publ. par l'abbé Paul Guillaume, +Paris, 1890-1892 (3 vol. in-8<sup>o</sup>), t. II, pp. 313 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote612" name="footnote612"></a><a href="#footnotetag612">[612]</a> Le Religieux de Dunfermling, dans <i>Procès</i>, t. V, p. +340.—Vallet de Viriville, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. I, pp. 265 et +suiv.—De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. I, p. 243.</p> + +<p><a id="footnote613" name="footnote613"></a><a href="#footnotetag613">[613]</a> Simon de Phares, <i>Recueil des plus célèbres +astrologues</i>, ms. fr. 1357.—Vallet de Viriville, <i>Histoire de Charles +VII</i>, t. I, p. 306; t. II, p. 345, note.—De Beaucourt, <i>Histoire de +Charles VII</i>, t. VI, p. 399.</p> + +<p><a id="footnote614" name="footnote614"></a><a href="#footnotetag614">[614]</a> Chastellain, t. III, p. 446.</p> + +<p><a id="footnote615" name="footnote615"></a><a href="#footnotetag615">[615]</a> Vallet de Viriville, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. I, +p. 173.</p> + +<p><a id="footnote616" name="footnote616"></a><a href="#footnotetag616">[616]</a> Je corrige à cet endroit le texte de Simon de Phares +(<i>Procès</i>, IV, p. 536) d'après une communication écrite de M. Camille +Flammarion.</p> + +<p><a id="footnote617" name="footnote617"></a><a href="#footnotetag617">[617]</a> <i>Procès</i>, t. IV, p. 536.</p> + +<p><a id="footnote618" name="footnote618"></a><a href="#footnotetag618">[618]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 341.</p> + +<p><a id="footnote619" name="footnote619"></a><a href="#footnotetag619">[619]</a> Recueil de Simon de Phares, dans <i>Procès</i>, t. V, p. 32, +note.</p> + +<p><a id="footnote620" name="footnote620"></a><a href="#footnotetag620">[620]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 143; t. III. p. 143.</p> + +<p><a id="footnote621" name="footnote621"></a><a href="#footnotetag621">[621]</a> La margelle a été enlevée sous le second Empire. On +sait d'ailleurs qu'il ne faut accorder aucune confiance aux traditions +de ce genre.—G. de Cougny, <i>Charles VII et Jeanne d'Arc à Chinon</i>, +Tours, 1877, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote622" name="footnote622"></a><a href="#footnotetag622">[622]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 75; t. III, p. 115.—<i>Chronique de +la Pucelle</i>, p. 273.—<i>Journal du siège</i>, pp. 46, 47.—Th. Basin, +<i>Histoire de Charles VII et de Louis XI</i>, t. I, p. 68.</p> + +<p><a id="footnote623" name="footnote623"></a><a href="#footnotetag623">[623]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 79, 141.</p> + +<p><a id="footnote624" name="footnote624"></a><a href="#footnotetag624">[624]</a> Le Curial, dans <i>Les œuvres de maistre Alain +Chartier</i>, éd. Du Chesne, Paris, 1642, in-4<sup>o</sup>, p. 398.</p> + +<p><a id="footnote625" name="footnote625"></a><a href="#footnotetag625">[625]</a> Jeanne cite comme présent La Trémoïlle et l'archevêque +de Reims, mais elle cite aussi le duc d'Alençon qui certainement ne +s'y trouvait pas.</p> + +<p><a id="footnote626" name="footnote626"></a><a href="#footnotetag626">[626]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 115.</p> + +<p><a id="footnote627" name="footnote627"></a><a href="#footnotetag627">[627]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 79 et 141.</p> + +<p><a id="footnote628" name="footnote628"></a><a href="#footnotetag628">[628]</a> Mathieu Thomassin, dans <i>Procès</i>, t. IV, pp. 304; +<i>Chronique de Lorraine</i>, <i>ibid.</i>, p. 330; Philippe de Bergame, +<i>ibid.</i>, p. 523.</p> + +<p><a id="footnote629" name="footnote629"></a><a href="#footnotetag629">[629]</a> <i>Relation du Greffier de la Rochelle</i>, dans <i>Revue +Historique</i>, t. IV, p. 336.</p> + +<p><a id="footnote630" name="footnote630"></a><a href="#footnotetag630">[630]</a> Saint Paul, Épître aux Corynthiens, 11.—Labbe, +<i>Collection des Conciles</i>, t. VII, p. 978.—Saumaise, <i>Epistola ad +Andream Colvium super cap. XI, I ad Corynth. de cæsarie virorum et +mulierum coma</i>, Lugd. Batavor, ex off. Elz. 1644, in-12.—<i>Quelques +notes d'archéologie sur la chevelure féminine</i> dans <i>Comptes rendus de +l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres</i>, 1888, XVI, pp. 419, +425.</p> + +<p><a id="footnote631" name="footnote631"></a><a href="#footnotetag631">[631]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 75; III, pp. 17, 92, 115.—Jean +Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 67.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. +273.—<i>Journal du siège</i>, p. 46.</p> + +<p><a id="footnote632" name="footnote632"></a><a href="#footnotetag632">[632]</a> De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, p. +195.</p> + +<p><a id="footnote633" name="footnote633"></a><a href="#footnotetag633">[633]</a> Th. Basin, t. I, p. 312.—Chastellain, t. II, p. +178.—<i>Portrait historique du roi Charles VII</i>, par Henri Baude, +publié par Vallet de Viriville dans <i>Nouvelles Recherches sur Henri +Baude</i>, p. 6.—De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, p. 83.</p> + +<p><a id="footnote634" name="footnote634"></a><a href="#footnotetag634">[634]</a> Comme dans la miniature de Jean Fouquet, de plus de dix +ans postérieure. Gruyer, <i>Les Quarante Fouquet de Chantilly</i>, Paris, +1897, in-4<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote635" name="footnote635"></a><a href="#footnotetag635">[635]</a> <i>Note sur un ancien portrait de Charles VII conservé au +Louvre</i>, dans <i>Bulletin de la Société des Antiquaires de France</i>, +1862, pp. 67 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote636" name="footnote636"></a><a href="#footnotetag636">[636]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 103.—<i>Relation du Greffier de La +Rochelle</i>, p. 337.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 273.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, t. I, pp. 67, 68.</p> + +<p><a id="footnote637" name="footnote637"></a><a href="#footnotetag637">[637]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 103.</p> + +<p><a id="footnote638" name="footnote638"></a><a href="#footnotetag638">[638]</a> L'abréviateur du Procès, dans <i>Procès</i>, t. IV, pp. +258-259.—Basin, <i>Histoire de Charles VII et de Louis XI</i>, t. I, p. +67.—<i>Journal du siège</i>, p. 48.</p> + +<p><a id="footnote639" name="footnote639"></a><a href="#footnotetag639">[639]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 116.—S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à +Domremy</i>, p. <span class="smcap">LXI</span>.</p> + +<p><a id="footnote640" name="footnote640"></a><a href="#footnotetag640">[640]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 209.</p> + +<p><a id="footnote641" name="footnote641"></a><a href="#footnotetag641">[641]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 209.</p> + +<p><a id="footnote642" name="footnote642"></a><a href="#footnotetag642">[642]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 66.</p> + +<p><a id="footnote643" name="footnote643"></a><a href="#footnotetag643">[643]</a> G. de Cougny, <i>Charles VII et Jeanne d'Arc à Chinon</i>, +Tours, 1877, p. 40.</p> + +<p><a id="footnote644" name="footnote644"></a><a href="#footnotetag644">[644]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 17.</p> + +<p><a id="footnote645" name="footnote645"></a><a href="#footnotetag645">[645]</a> Du Cange, <i>Glossarium, ad verb</i>.</p> + +<p><a id="footnote646" name="footnote646"></a><a href="#footnotetag646">[646]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 65, 73.—Mademoiselle A. de +Villaret, <i>Louis de Coutes, page de Jeanne d'Arc</i>, Orléans, 1890, +in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote647" name="footnote647"></a><a href="#footnotetag647">[647]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 17.</p> + +<p><a id="footnote648" name="footnote648"></a><a href="#footnotetag648">[648]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 66.</p> + +<p><a id="footnote649" name="footnote649"></a><a href="#footnotetag649">[649]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, pp. 274 et suiv.—Jean +Chartier, <i>Chronique</i>, p. 68.</p> + +<p><a id="footnote650" name="footnote650"></a><a href="#footnotetag650">[650]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 68.</p> + +<p><a id="footnote651" name="footnote651"></a><a href="#footnotetag651">[651]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 133, 340.—Thomassin, dans +<i>Procès</i>, t. IV, p. 395.—Walter Bower, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. +489.—Christine de Pisan, dans <i>Procès</i>, t. V, p. 12.—La Borderie, +<i>Les véritables prophéties de Merlin, examen des poèmes bretons +attribues à ce barde</i>, dans <i>Revue de Bretagne</i>, 1883, t. LIII.</p> + +<p><a id="footnote652" name="footnote652"></a><a href="#footnotetag652">[652]</a> Cuvelier, <i>Le poème de Du Guesclin</i>, v. +3285.—Francisque-Michel et Th. Wright, <i>Vie de Merlin attribuée à +Geoffroy de Monmouth, suivie des prophéties de ce barde, tirées de +l'histoire des Bretons</i>, Paris, 1837, in-8<sup>o</sup>, pp. 67 et suiv.—La +Villemarqué, <i>Myrdhin ou Merlin l'Enchanteur, son histoire, ses +œuvres, son influence</i>, n. éd., Paris, 1862, in-12.—D'Arbois de +Jubainville, <i>Merlin est-il un personnage réel?</i> dans <i>Revue des +Questions Historiques</i>, 1868, pp. 559-568.—Lefèvre-Pontalis, +<i>Morosini</i>, t. IV, annexe XVI.—«[Geoffroy de Monmouth] fit prédire +par lui (Merlin) tous les événements de l'histoire de Bretagne jusqu'à +l'année même où il écrivait (1135)... Le succès de l'<i>Historia regum</i> +fut très grand dans le monde des clercs; on accepta ses fables pour +vérité, et, s'émerveillant de l'exactitude des prophéties de Merlin +jusqu'en 1135, on s'efforça de démêler ce qu'elles annonçaient pour +les temps subséquents.» Gaston Paris, <i>La Littérature française au +moyen âge</i>, 1890, pp. 86-104.</p> + +<p><a id="footnote653" name="footnote653"></a><a href="#footnotetag653">[653]</a> Le Baud, <i>Histoire de Bretagne</i>, Paris, 1638. in-fol. +p. 451.</p> + +<p><a id="footnote654" name="footnote654"></a><a href="#footnotetag654">[654]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 340-342.</p> + +<p><a id="footnote655" name="footnote655"></a><a href="#footnotetag655">[655]</a> Morosini, t. IV, p. 324.</p> + +<p><a id="footnote656" name="footnote656"></a><a href="#footnotetag656">[656]</a> Pierre Migiet fond les deux prophéties en une seule +qu'il dit avoir lue dans un livre, <i>Procès</i>, t. III, p. 133.</p> + +<p><a id="footnote657" name="footnote657"></a><a href="#footnotetag657">[657]</a> En adoptant la correction de M. Germain +Lefèvre-Pontalis, <i>Chronique d'Antonio Morosini</i>, t. III, pp. 126, +127; t. IV, pp. 316 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote658" name="footnote658"></a><a href="#footnotetag658">[658]</a> <i>The complete works of Venerable Bede</i>, éd. Giles, +Londres, 1843-44, 12 vol. in-8<sup>o</sup>, ap. <i>Patres Ecclesiæ anglicanæ</i>.</p> + +<p><a id="footnote659" name="footnote659"></a><a href="#footnotetag659">[659]</a> Christine de Pisan, dans <i>Procès</i>, t. V, p. +12.—Morosini, t. III, p. 126.—Le Doyen de Saint Thibaud, dans +<i>Procès</i>, t. IV, p. 423.—Herman Korner, dans le P. Ayroles, <i>La vraie +Jeanne d'Arc</i>, pp. 279 et suiv.—Walter Bower, dans <i>Procès</i>, t. IV, +p. 481.</p> + +<p><a id="footnote660" name="footnote660"></a><a href="#footnotetag660">[660]</a> Buchon, <i>Math. d'Escouchy, etc.</i>, p. 537.—G. +Lefèvre-Pontalis, <i>Eberhard Windecke</i>, pp. 21 à 31.—On trouve sur un +feuillet de garde du Cartulaire de Thérouanne un texte latin de cette +prophétie.</p> + +<p><a id="footnote661" name="footnote661"></a><a href="#footnotetag661">[661]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 393-407, t. V, pp. 473.—Marcellin +Fornier, <i>Histoire des Alpes-Maritimes ou Cottiennes</i>, t. II, pp. 313, +314.</p> + +<p><a id="footnote662" name="footnote662"></a><a href="#footnotetag662">[662]</a> L'imprimé donne «grace» qui n'est pas possible. J'ai +conjecturé garce, qui est extrêmement probable.</p> + +<p><a id="footnote663" name="footnote663"></a><a href="#footnotetag663">[663]</a> M. Fornier, <i>Histoire des Alpes-Maritimes ou +Cottiennes</i>, <i>ibid.</i></p> + +<p><a id="footnote664" name="footnote664"></a><a href="#footnotetag664">[664]</a> Greffier de l'Hôtel de Ville d'Albi, dans <i>Procès</i>, t. +IV, p. 300.</p> + +<p><a id="footnote665" name="footnote665"></a><a href="#footnotetag665">[665]</a> Thomassin, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 304.</p> + +<p><a id="footnote666" name="footnote666"></a><a href="#footnotetag666">[666]</a> Du Cange, <i>Glossaire</i>, au mot: <i>auriflamma</i>.—Le Roux +de Lincy et Tisserand, <i>Paris et ses historiens</i>, pp. 150, 251, 257, +259. [<i>Histoire générale de Paris</i>.]</p> + +<p><a id="footnote667" name="footnote667"></a><a href="#footnotetag667">[667]</a> Perceval de Cagny, p. 136.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, +pp. 224, 249.</p> + +<p><a id="footnote668" name="footnote668"></a><a href="#footnotetag668">[668]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 91.</p> + +<p><a id="footnote669" name="footnote669"></a><a href="#footnotetag669">[669]</a> Vallet de Viriville, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. III, +pp. 408, 409.—De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. VI, pp. 43, +44.</p> + +<p><a id="footnote670" name="footnote670"></a><a href="#footnotetag670">[670]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 91.</p> + +<p><a id="footnote671" name="footnote671"></a><a href="#footnotetag671">[671]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 91 et 92.—Eberhard Windecke, pp. +152 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote672" name="footnote672"></a><a href="#footnotetag672">[672]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 92.</p> + +<p><a id="footnote673" name="footnote673"></a><a href="#footnotetag673">[673]</a> Perceval de Cagny, p. 148.</p> + +<p><a id="footnote674" name="footnote674"></a><a href="#footnotetag674">[674]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 96.</p> + +<p><a id="footnote675" name="footnote675"></a><a href="#footnotetag675">[675]</a> Perceval de Cagny, p. 151 et <i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote676" name="footnote676"></a><a href="#footnotetag676">[676]</a> Monstrelet, t. IV, p. 240.</p> + +<p><a id="footnote677" name="footnote677"></a><a href="#footnotetag677">[677]</a> P. Dupuy, <i>Procès de Jean II duc d'Alençon</i> 1458-1474, +1658, in-4<sup>o</sup>.—Michelet, <i>Histoire de France</i>, t. V, p. 382.—Docteur +Chereau, <i>Médecins du quinzième siècle</i>, dans l'<i>Union Médicale</i>, t. +XIV, août 1862.—Joseph Guibert, <i>Jean II duc d'Alençon</i>, dans les +<i>Positions de l'École des Chartes</i>, année 1893.</p> + +<p><a id="footnote678" name="footnote678"></a><a href="#footnotetag678">[678]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 116 et 209.</p> + +<p><a id="footnote679" name="footnote679"></a><a href="#footnotetag679">[679]</a> Bélisaire Ledain, <i>Jeanne d'Arc à Poitiers</i>, +Saint-Maixent, 1891, in-8<sup>o</sup> de 15 p.—Neuville, <i>Le Parlement royal à +Poitiers</i>, dans <i>Revue Historique</i>, t. VI, p. 284.</p> + +<p><a id="footnote680" name="footnote680"></a><a href="#footnotetag680">[680]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 275.—<i>Journal du siège</i>, +p. 48.—Monstrelet, t. IV, p. 316.</p> + +<p><a id="footnote681" name="footnote681"></a><a href="#footnotetag681">[681]</a> Neuville, <i>Le Parlement royal à Poitiers</i>, dans <i>Revue +Historique</i>, t. VI, p. 18.—De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, +t. II, pp. 571 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote682" name="footnote682"></a><a href="#footnotetag682">[682]</a> Louis Batiffol, <i>Jean Jouvenel, prévôt des marchands de +la ville de Paris</i>, Paris, 1894, in-8<sup>o</sup>.—Juvénal des Ursins, +<i>Histoire de Charles VI</i>, pp. 359, 360.</p> + +<p><a id="footnote683" name="footnote683"></a><a href="#footnotetag683">[683]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 92.—<i>Gallia Christiana</i>, t. II, +col. 1198.</p> + +<p><a id="footnote684" name="footnote684"></a><a href="#footnotetag684">[684]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 92.—Le P. Ayroles, <i>La Pucelle +devant l'Église de son temps</i>, p. 6.</p> + +<p><a id="footnote685" name="footnote685"></a><a href="#footnotetag685">[685]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 203, 204.</p> + +<p><a id="footnote686" name="footnote686"></a><a href="#footnotetag686">[686]</a> Le Maire, <i>Procès</i>, t. III, pp. 19 et 203.</p> + +<p><a id="footnote687" name="footnote687"></a><a href="#footnotetag687">[687]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 74, 75.—Launoy, <i>Historia +Collegii Navarrici</i>, lib. II, <i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote688" name="footnote688"></a><a href="#footnotetag688">[688]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 92, 102.</p> + +<p><a id="footnote689" name="footnote689"></a><a href="#footnotetag689">[689]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 74, 75.</p> + +<p><a id="footnote690" name="footnote690"></a><a href="#footnotetag690">[690]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 74, 92, 102.</p> + +<p><a id="footnote691" name="footnote691"></a><a href="#footnotetag691">[691]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, p. 203.</p> + +<p><a id="footnote692" name="footnote692"></a><a href="#footnotetag692">[692]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 27, 28.</p> + +<p><a id="footnote693" name="footnote693"></a><a href="#footnotetag693">[693]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 19, 74, 92, 203.—<i>Gallia +Christiana</i>, t. III, col. 1128.</p> + +<p><a id="footnote694" name="footnote694"></a><a href="#footnotetag694">[694]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 203.—<i>Gallia Christiana</i>, t. III, +col. 1129.</p> + +<p><a id="footnote695" name="footnote695"></a><a href="#footnotetag695">[695]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 92.</p> + +<p><a id="footnote696" name="footnote696"></a><a href="#footnotetag696">[696]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 19, 83, 203.</p> + +<p><a id="footnote697" name="footnote697"></a><a href="#footnotetag697">[697]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 19, 203.—Le P. Chapotin, <i>La +guerre de cent ans; Jeanne d'Arc et les Dominicains</i>, p. 132.</p> + +<p><a id="footnote698" name="footnote698"></a><a href="#footnotetag698">[698]</a> Le Chanoine Dunand, <i>La légende anglaise de Jeanne</i>, +Paris, 1903, in-8<sup>o</sup>, p. 118.</p> + +<p><a id="footnote699" name="footnote699"></a><a href="#footnotetag699">[699]</a> O. Raguenet de Saint-Albin, <i>Les juges de Jeanne d'Arc +à Poitiers, membres du Parlement ou gens d'Église?</i>, Orléans, 1894, +in-8<sup>o</sup>, 46 p.</p> + +<p><a id="footnote700" name="footnote700"></a><a href="#footnotetag700">[700]</a> Voir plus haut, pp. 176-179]. + +<p><a id="footnote701" name="footnote701"></a><a href="#footnotetag701">[701]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 19, 74, 82, 203.—<i>Chronique de +la Pucelle</i>, p. 275.—B. Ledain, <i>Jeanne d'Arc à Poitiers</i>, +Saint-Maixent, 1891, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote702" name="footnote702"></a><a href="#footnotetag702">[702]</a> Voyez toutefois le <i>Mistère du siège</i>, pp. 397-406.</p> + +<p><a id="footnote703" name="footnote703"></a><a href="#footnotetag703">[703]</a> On peut d'autant moins soupçonner cette dame de ne +point mériter sa bonne renommée qu'on ne sait rien d'elle et qu'on +ignore même si c'est la première ou la seconde femme de maître Jean +Rabateau: car il en eut deux. La première était fille de Benoît +Pidelet.—Cf. B. Ledain, <i>La maison de Jeanne d'Arc à Poitiers</i>, +Saint-Maixent, 1892, in-8<sup>o</sup>.—Henri Daniel-Lacombe, <i>L'hôte de Jeanne +d'Arc à Poitiers, maître Jean Rabateau</i> (<i>Revue du Bas-Poitou</i>, avril +1891, pp. 48, 66).—A. Barbier, <i>Jeanne d'Arc et l'hôtellerie de la +Rose</i>, Poitiers, 1892, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote704" name="footnote704"></a><a href="#footnotetag704">[704]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 82.</p> + +<p><a id="footnote705" name="footnote705"></a><a href="#footnotetag705">[705]</a> Voragine, <i>La légende dorée</i> (Vie de sainte +Catherine).</p> + +<p><a id="footnote706" name="footnote706"></a><a href="#footnotetag706">[706]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 204.</p> + +<p><a id="footnote707" name="footnote707"></a><a href="#footnotetag707">[707]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 203-204.</p> + +<p><a id="footnote708" name="footnote708"></a><a href="#footnotetag708">[708]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 73-74.</p> + +<p><a id="footnote709" name="footnote709"></a><a href="#footnotetag709">[709]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 92.</p> + +<p><a id="footnote710" name="footnote710"></a><a href="#footnotetag710">[710]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 275.</p> + +<p><a id="footnote711" name="footnote711"></a><a href="#footnotetag711">[711]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 74.</p> + +<p><a id="footnote712" name="footnote712"></a><a href="#footnotetag712">[712]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 74.—Boucher de Molandon et A. de +Beaucorps, <i>L'armée anglaise</i>, p. 111.—La Poule, comme il est ici +nommé à la française, n'est autre que Suffort, c'est-à-dire William +Pole, comte de Suffolk; à moins qu'on ne veuille désigner le frère de +William, John Pole, qui n'était pas un des trois chefs du siège. Quant +à Clasdas ou Glasdale, pour le nommer comme les Français, il servait +sous les ordres du commandant des Tourelles. Ces erreurs peuvent être +du fait de Jeanne; elles peuvent être aussi du témoin. On ne les +retrouve pas dans la lettre aux Anglais.</p> + +<p><a id="footnote713" name="footnote713"></a><a href="#footnotetag713">[713]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 83.</p> + +<p><a id="footnote714" name="footnote714"></a><a href="#footnotetag714">[714]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 75.</p> + +<p><a id="footnote715" name="footnote715"></a><a href="#footnotetag715">[715]</a> Lettres de Gérard Machet, Bibl. nat., fonds latin n<sup>o</sup> +8577.—Launoy, <i>Regii Navarræ Gymnasii Parisiensis historia...</i>, +Paris, 1682 (2 vol. in-4<sup>o</sup>), t. II, pp. 533, 557.—Du Boulay, <i>Hist. +Univ. Parisiensis</i>, t. V, p. 875.—Vallet de Viriville, dans <i>Nouvelle +Biographie générale</i>.</p> + +<p><a id="footnote716" name="footnote716"></a><a href="#footnotetag716">[716]</a> De Beaucourt, <i>Extrait du catalogue des actes de +Charles VII</i>, p. 18.</p> + +<p><a id="footnote717" name="footnote717"></a><a href="#footnotetag717">[717]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 71, 72, 73, 171.</p> + +<p><a id="footnote718" name="footnote718"></a><a href="#footnotetag718">[718]</a> Labbe, <i>Sacro-Sancta Consilia</i> (1671), II, 413-34.</p> + +<p><a id="footnote719" name="footnote719"></a><a href="#footnotetag719">[719]</a> Surius, <i>Vitæ S.S.</i> (1618), t. I, pp. 21-24.—Gabriel +Brosse, <i>Histoire abrégée de la vie et de la translation de sainte +Euphrosine, vierge d'Alexandrie, patronne de l'abbaye de +Beaulieu-lès-Compiègne</i>, Paris, 1649, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote720" name="footnote720"></a><a href="#footnotetag720">[720]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 20.</p> + +<p><a id="footnote721" name="footnote721"></a><a href="#footnotetag721">[721]</a> Il est à remarquer que la consultation des docteurs, +telle que Thomassin l'a insérée dans le <i>Registre delphinal</i>, désigne +Charles de Valois tour à tour et indifféremment par le titre de roi et +par celui de dauphin (<i>Procès</i>, t. IV, p. 303).</p> + +<p><a id="footnote722" name="footnote722"></a><a href="#footnotetag722">[722]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 86.</p> + +<p><a id="footnote723" name="footnote723"></a><a href="#footnotetag723">[723]</a> Le Père Didon, <i>Vie de Jésus</i>, t. 1<sup>er</sup>, préface.</p> + +<p><a id="footnote724" name="footnote724"></a><a href="#footnotetag724">[724]</a> Juvénal des Ursins, <i>Histoire de Charles VI</i>, p. 359.</p> + +<p><a id="footnote725" name="footnote725"></a><a href="#footnotetag725">[725]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 204.</p> + +<p><a id="footnote726" name="footnote726"></a><a href="#footnotetag726">[726]</a> C'était donc la destinée des Limousins d'être raillés +par les Français de Champagne et de France! Après Frère Seguin, ce +sera l'étudiant limousin à qui Pantagruel dit: «Tu es Limousin pour +tous potaige, et tu veux icy contrefaire le Parisian.» Et ce sera M. +de Pourceaugnac. La Fontaine écrit de Limoges, à sa femme, en 1663, +que les Limousins ne sont ni malheureux ni disgraciés du Ciel, «comme +on se le figure dans nos provinces». Mais il ajoute que leurs +habitudes ne lui plaisent pas. Il semble que le Frère Seguin ait été +d'abord piqué des moqueries et des vivacités de la jeune fille. Mais +il ne lui garda pas rancune. «Le bon naturel du Limousin, dit Abel +Hugo, ne sait pas nourrir longtemps un sentiment haineux.» <i>La France +pittoresque: Haute-Vienne.</i>—Cf. A. Précicou, <i>Rabelais et les +Limousins</i>, Limoges, 1906, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote727" name="footnote727"></a><a href="#footnotetag727">[727]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 205.</p> + +<p><a id="footnote728" name="footnote728"></a><a href="#footnotetag728">[728]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 20.</p> + +<p><a id="footnote729" name="footnote729"></a><a href="#footnotetag729">[729]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 20 et 205.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, p. 278.—<i>Journal du siège</i>, p. 49.</p> + +<p><a id="footnote730" name="footnote730"></a><a href="#footnotetag730">[730]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 19-20.</p> + +<p><a id="footnote731" name="footnote731"></a><a href="#footnotetag731">[731]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 95; t. III, p. 209.</p> + +<p><a id="footnote732" name="footnote732"></a><a href="#footnotetag732">[732]</a> Mary Darmesteter, <i>Froissart</i>, Paris, 1894, in-12, p. +96.</p> + +<p><a id="footnote733" name="footnote733"></a><a href="#footnotetag733">[733]</a> Jean-Philippe de Lignan, Rome, 1481 (non paginé), +feuillets 10 et suiv.—Sur l'assimilation de Jeanne d'Arc à la Sibylle +antique, voir le clerc de Spire.—<i>Sibylla Francica</i>, dans <i>Procès</i>, +t. III, p. 422.—Christine de Pisan, dans <i>Procès</i>, t. V, p, +12.—Lanéry d'Arc, <i>Mémoires et consultations en faveur de Jeanne +d'Arc</i>, pp. 8-10.—Barbier de Montault, <i>Iconographie des Sibylles</i>, +dans <i>Revue de l'Art Chrétien</i>, XIII-XIV (1869-1870).—Barraud, +<i>Notice sur les attributs avec lesquels on représente les Sibylles aux +XV<sup>e</sup> et XVI<sup>e</sup> siècles</i> dans <i>Bulletin archéologique de la +commission hist. des Arts Mon.</i>, t. IV (1848).—Cf. Morosini, t. IV, +annexe <span class="smcap">XIV</span>, p. 319.</p> + +<p><a id="footnote734" name="footnote734"></a><a href="#footnotetag734">[734]</a> Voragine, <i>La légende dorée</i> (Assomption de la +Vierge).</p> + +<p><a id="footnote735" name="footnote735"></a><a href="#footnotetag735">[735]</a> Le curé de Saint-Sulpice, <i>Notre-Dame de France ou +hist. du culte de la Sainte Vierge en France</i>, Paris, 1862, 7 vol. +in-8<sup>o</sup>.—Abbé Mignard, <i>La Sainte Vierge</i>, Paris, 1877, in-8<sup>o</sup>, pp. +382 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote736" name="footnote736"></a><a href="#footnotetag736">[736]</a> <i>De l'Unicorne qu'une jeune fille séduit</i>, dans le +<i>Bestiaire</i> de R. de Fournival (Paulin Paris, <i>Manuscrits français</i>, +t. IV, p. 25.)—Berger de Xivrey, <i>Traditions tératologiques</i>, p. +559.—J. Doublet, <i>Histoire de l'abbaye de Saint-Denys</i>, t. I, p. +320.—Vallet de Viriville, <i>Nouvelles recherches sur Agnès Sorel</i>, +dans <i>Bulletin de la Société des Antiquaires de Picardie</i>, t. VI, p. +621.—A. Maury, <i>Croyances et légendes du moyen âge</i>, pp. 262 et +suiv.</p> + +<p><a id="footnote737" name="footnote737"></a><a href="#footnotetag737">[737]</a> Leber, <i>Des cérémonies du sacre</i>, Paris, 1825, in-8<sup>o</sup>, +p. 459.</p> + +<p><a id="footnote738" name="footnote738"></a><a href="#footnotetag738">[738]</a> L. Tanon, <i>Histoire des tribunaux de l'inquisition en +France</i>, Paris, 1893, in-8<sup>o</sup>, p. 293.</p> + +<p><a id="footnote739" name="footnote739"></a><a href="#footnotetag739">[739]</a> Du Cange, <i>Glossaire</i>, au mot: <i>Matrimonium</i>.</p> + +<p><a id="footnote740" name="footnote740"></a><a href="#footnotetag740">[740]</a> Pierre Le Loyer, <i>Livre des spectres</i>, 1586, in-4<sup>o</sup>, +pp. 527, 551.</p> + +<p><a id="footnote741" name="footnote741"></a><a href="#footnotetag741">[741]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 102.—Vallet de Viriville, article +<i>Le Maçon</i>, dans <i>Nouvelle Biographie générale</i>.</p> + +<p><a id="footnote742" name="footnote742"></a><a href="#footnotetag742">[742]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 210.—Eberhard Windecke, p. +157.—Morosini, p. 99.</p> + +<p><a id="footnote743" name="footnote743"></a><a href="#footnotetag743">[743]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 82.</p> + +<p><a id="footnote744" name="footnote744"></a><a href="#footnotetag744">[744]</a> Lettre de Perceval de Boulainvilliers au duc de Milan, +dans <i>Procès</i>, t. V, pp. 115, 121.—<i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, +p. 237.</p> + +<p><a id="footnote745" name="footnote745"></a><a href="#footnotetag745">[745]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 48.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, +p. 275.</p> + +<p><a id="footnote746" name="footnote746"></a><a href="#footnotetag746">[746]</a> <i>Seules</i> est douteux dans le texte.</p> + +<p><a id="footnote747" name="footnote747"></a><a href="#footnotetag747">[747]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 391, 392; t. IV, pp. 306, 487, +488.</p> + +<p><a id="footnote748" name="footnote748"></a><a href="#footnotetag748">[748]</a> Eberhard Windecke, pp. 32, 41.</p> + +<p><a id="footnote749" name="footnote749"></a><a href="#footnotetag749">[749]</a> Les conclusions de la commission de Poitiers se +répandirent partout. Les traces de cette diffusion se retrouvent: en +Bretagne (Buchon et <i>Chronique de Morosini</i>); en Flandre (<i>Chronique +de Tournai</i> et <i>Chronique de Morosini</i>); en Allemagne (Eb. Windecke); +en Dauphiné (Buchon).</p> + +<p><a id="footnote750" name="footnote750"></a><a href="#footnotetag750">[750]</a> «<i>Altra santa Catarina</i>.» (Morosini, t. III, p. +52.)—Sans aucun doute, c'est à sainte Catherine d'Alexandrie qu'elle +est comparée en cet endroit, et non pas à sainte Catherine de Sienne.</p> + +<p><a id="footnote751" name="footnote751"></a><a href="#footnotetag751">[751]</a> Morosini, t. III, pp. 101.</p> + +<p><a id="footnote752" name="footnote752"></a><a href="#footnotetag752">[752]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 66 et 210.</p> + +<p><a id="footnote753" name="footnote753"></a><a href="#footnotetag753">[753]</a> Jean Bouchet, <i>Annales d'Aquitaine</i>, dans <i>Procès</i>, t. +IV, pp. 536-537.</p> + +<p><a id="footnote754" name="footnote754"></a><a href="#footnotetag754">[754]</a> M. de la Fontenelle de Vaudoré écrivait en 1845: «Or, +sous la Restauration, à une époque où l'on pavait cette rue (la rue +Saint-Estienne), nous étant aperçu que cette pierre (celle dont parle +Bouchet) appelée par le peuple le montoir de la Pucelle, et formant un +beau fragment de granit vert, étranger au pays, venait d'être brisée +par les paveurs, nous en recueillîmes religieusement les fragments, +afin d'en déposer une partie au musée de la ville et de réserver +l'autre pour nous et les autres amateurs de reliques historiques.» +(Guilbert, <i>Histoire des villes de France</i>, t. IV, Poitiers.)</p> + +<p>La pierre dont parle ici M. de la Fontenelle de Vaudoré et qui a été +transportée à la Bibliothèque publique en 1823 était placée au coin de +la rue du Petit-Maure. Si c'est vraiment celle que Jean Bouchet vit au +coin de la rue Saint-Étienne, il faut qu'elle ait été déplacée, ce qui +ne s'explique pas. Il y avait des bornes semblables devant tous les +hôtels. Cf. B. Ledain, <i>La maison de Jeanne d'Arc à Poitiers</i>, +Saint-Maixent, 1892, in-8<sup>o</sup>.—L'hôtel de la Rose s'élevait, selon M. +Ledain, sur l'emplacement occupé aujourd'hui par la maison n<sup>o</sup> 13 de +la rue Notre-Dame-la-Petite.</p> + +<p><a id="footnote755" name="footnote755"></a><a href="#footnotetag755">[755]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 66.</p> + +<p><a id="footnote756" name="footnote756"></a><a href="#footnotetag756">[756]</a> Vallet de Viriville, <i>Notices et extraits de chartes et +de manuscrits appartenant au British Museum de Londres</i>, dans +<i>Bibliothèque de l'École des Chartes</i>, t. VIII, pp. 139, 140.</p> + +<p><a id="footnote757" name="footnote757"></a><a href="#footnotetag757">[757]</a> De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, p. 77.</p> + +<p><a id="footnote758" name="footnote758"></a><a href="#footnotetag758">[758]</a> Vallet de Viriville, <i>Analyse et fragments tirés des +Archives municipales de Tours</i> dans <i>Cabinet Historique</i>, V, pp. +102-121.</p> + +<p><a id="footnote759" name="footnote759"></a><a href="#footnotetag759">[759]</a> Quicherat, <i>Rodrigue de Villandrando</i>, Paris, 1879 +in-8<sup>o</sup>, pp. 14 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote760" name="footnote760"></a><a href="#footnotetag760">[760]</a> <i>Le Jouvencel</i>, t. I, Introduction, p. xxij., note 1.</p> + +<p><a id="footnote761" name="footnote761"></a><a href="#footnotetag761">[761]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 100 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote762" name="footnote762"></a><a href="#footnotetag762">[762]</a> Francisque Mandet, <i>Histoire du Velay</i>, Le Puy, +1860-1862 (7 vol. in-12), t. I, pp. 570 et suiv.—S. Luce, <i>Jeanne +d'Arc à Domremy</i>, ch. <span class="smcap">XII</span>.</p> + +<p><a id="footnote763" name="footnote763"></a><a href="#footnotetag763">[763]</a> Jean Juvénal des Ursins, année 1407.</p> + +<p><a id="footnote764" name="footnote764"></a><a href="#footnotetag764">[764]</a> Nicole de Savigni, <i>Notes sur les exploits de Jeanne +d'Arc et sur divers événements de son temps</i>, dans <i>Bulletin de la +Société de l'Histoire de Paris</i>, I, 1874, p. 43.—Chanoine Lucot, +<i>Jeanne d'Arc en Champagne</i>, Châlons, 1880, pp. 12 et 13.</p> + +<p><a id="footnote765" name="footnote765"></a><a href="#footnotetag765">[765]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 191; t. II, p. 74, note.—La Romée +peut avoir reçu son surnom pour une toute autre raison. Nous ne +connaissons guère la mère de Jeanne que par des documents +généalogiques extrêmement suspects.</p> + +<p><a id="footnote766" name="footnote766"></a><a href="#footnotetag766">[766]</a> Francis C. Lowell regarde l'idée du pèlerinage de la +Romée au Puy comme «a characteristic exemple of the madness» de Siméon +Luce (<i>Joan of Arc</i>, Boston, 1896, in-8<sup>o</sup>, p. 72, note.)—Toutefois, +après une assez longue hésitation, j'ai, comme Luce, repoussé les +corrections proposées par Lebrun de Charmettes et Quicherat, et admis +sans changement le texte du procès.</p> + +<p><a id="footnote767" name="footnote767"></a><a href="#footnotetag767">[767]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 101.—Sur la signification du mot +<i>Lector</i>, professeur de théologie, cf. Du Cange.</p> + +<p><a id="footnote768" name="footnote768"></a><a href="#footnotetag768">[768]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 101 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote769" name="footnote769"></a><a href="#footnotetag769">[769]</a> E. Giraudet, <i>Histoire de la ville de Tours</i>, Tours, +1874, 2 vol., in-8<sup>o</sup>, <i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote770" name="footnote770"></a><a href="#footnotetag770">[770]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 67, 94, 210; t. IV, pp. 3, 301, +363.</p> + +<p><a id="footnote771" name="footnote771"></a><a href="#footnotetag771">[771]</a> J. Quicherat, <i>Histoire du costume en France</i>, Paris, +1875, gr. in-8<sup>o</sup>, pp. 270-271.</p> + +<p><a id="footnote772" name="footnote772"></a><a href="#footnotetag772">[772]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 67, 94, 210.—<i>Relation du +greffier de La Rochelle</i>, p. 60.—«Le harnais blanc des hommes d'armes +du <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> siècle, si simple qu'il fût, coûtait fort cher, dix mille +francs environ du pouvoir d'argent actuel. Mais dans cette somme +comptait aussi le harnais complet de cheval.» (Maurice Maindron, <i>Pour +l'histoire de l'armure</i>, dans le <i>Monde moderne</i>, 1896).</p> + +<p><a id="footnote773" name="footnote773"></a><a href="#footnotetag773">[773]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 76.—Lettre de Perceval de +Boulainvilliers, <i>ibid.</i>, t. V, p. 120.—Greffier de la Chambre des +comptes de Brabant, <i>ibid.</i>, t. IV, p. 428.—Le Fèvre de Saint-Remy, +<i>ibid.</i>, t. IV, p. 439.</p> + +<p><a id="footnote774" name="footnote774"></a><a href="#footnotetag774">[774]</a> <i>Poème anonyme</i> dans <i>Procès</i>, t. V, p. 38, et note.</p> + +<p><a id="footnote775" name="footnote775"></a><a href="#footnotetag775">[775]</a> Capitaine Champion, <i>Jeanne d'Arc écuyère</i>, pp. 146 et +suiv.</p> + +<p><a id="footnote776" name="footnote776"></a><a href="#footnotetag776">[776]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 56, 75-76-77.</p> + +<p><a id="footnote777" name="footnote777"></a><a href="#footnotetag777">[777]</a> Abbé Bourassé, <i>Les miracles de madame Sainte Katerine +de Fierboys en Touraine</i> (1375-1446), Tours, 1858, in-8<sup>o</sup>, <i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote778" name="footnote778"></a><a href="#footnotetag778">[778]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 277.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, t. I, p. 69.</p> + +<p><a id="footnote779" name="footnote779"></a><a href="#footnotetag779">[779]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 77.—<i>Les miracles de madame sainte +Katerine</i>, <i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote780" name="footnote780"></a><a href="#footnotetag780">[780]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 76, 234, 236.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, p. 277.—<i>Journal du siège</i>, p. 49.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, t. I, pp. 69-70.—Guerneri Berni, dans <i>Procès</i>, t. IV, +p. 519.—<i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 267.—Morosini, t. III, +p. 109.—<i>Relation du greffier de La Rochelle</i>, pp. 337, +338.—<i>Chronique Messine</i>, éd. de Bouteiller, 1878, Orléans, in-8<sup>o</sup>, +26 pages.</p> + +<p><a id="footnote781" name="footnote781"></a><a href="#footnotetag781">[781]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 75, 235.</p> + +<p><a id="footnote782" name="footnote782"></a><a href="#footnotetag782">[782]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 76.</p> + +<p><a id="footnote783" name="footnote783"></a><a href="#footnotetag783">[783]</a> Morosini, t. III, pp. 108, 109.—<i>Chronique de +Lorraine</i>, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 332.—Eberhard Windecke, p. 101.</p> + +<p><a id="footnote784" name="footnote784"></a><a href="#footnotetag784">[784]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 77, 179, 236; t. III, p. 103.</p> + +<p><a id="footnote785" name="footnote785"></a><a href="#footnotetag785">[785]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 78, 117.</p> + +<p><a id="footnote786" name="footnote786"></a><a href="#footnotetag786">[786]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 78, 117, 181, 300.—<i>Relation du +greffier de La Rochelle</i>, p. 338.—Morosini, t. III, p. 110; t. IV, +annexe <span class="smcap">XV/SC</span>, pp. 313, 315.</p> + +<p><a id="footnote787" name="footnote787"></a><a href="#footnotetag787">[787]</a> Perceval de Cagny, p. 150.—<i>Journal du siège</i>, p. +70.—<i>Relation du Greffier d'Albi</i>, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. +301.—<i>Relation du greffier de La Rochelle</i>, p. 338.—<i>Chronique du +doyen de Saint-Thibaud de Metz</i>, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. +322.—Extrait du 13<sup>e</sup> compte d'Hémon Raguier, dans <i>Procès</i>, t. V, +p. 258.</p> + +<p><a id="footnote788" name="footnote788"></a><a href="#footnotetag788">[788]</a> Vallet de Viriville, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, +p. 65; <i>Un épisode de la vie de Jeanne d'Arc</i>, dans <i>Bibliothèque de +l'École des Chartes</i>, t. IV 1<sup>re</sup> série, p. 488.</p> + +<p><a id="footnote789" name="footnote789"></a><a href="#footnotetag789">[789]</a> La Curne, au mot: <i>Étendard</i>.</p> + +<p><a id="footnote790" name="footnote790"></a><a href="#footnotetag790">[790]</a> L'Hotel-Dieu d'Orléans, à côté de la Cathédrale.</p> + +<p><a id="footnote791" name="footnote791"></a><a href="#footnotetag791">[791]</a> <i>Journal du siège</i>, pp. 56, 57.</p> + +<p><a id="footnote792" name="footnote792"></a><a href="#footnotetag792">[792]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 64.</p> + +<p><a id="footnote793" name="footnote793"></a><a href="#footnotetag793">[793]</a> Boucher de Molandan, <i>L'armée anglaise vaincue par +Jeanne d'Arc</i>, ch. <span class="smcap">II</span>.—Jarry, <i>Le compte de l'armée anglaise</i>, pp. +60, 107, 110, 112.</p> + +<p><a id="footnote794" name="footnote794"></a><a href="#footnotetag794">[794]</a> <i>Journal du siège</i>, pp. 57, 58.—Abbé Dubois, <i>Histoire +du siège</i>, dissertation <span class="smcap">VI</span>.</p> + +<p><a id="footnote795" name="footnote795"></a><a href="#footnotetag795">[795]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, pp. 265, 267.—Morosini, t. +IV, annexe <span class="smcap">XIII</span>.</p> + +<p><a id="footnote796" name="footnote796"></a><a href="#footnotetag796">[796]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 58.</p> + +<p><a id="footnote797" name="footnote797"></a><a href="#footnotetag797">[797]</a> <i>Le Jouvencel</i>, t. I, xxij; t. II, p. 44.</p> + +<p><a id="footnote798" name="footnote798"></a><a href="#footnotetag798">[798]</a> <i>Journal du siège</i>, pp. 56, 62.</p> + +<p><a id="footnote799" name="footnote799"></a><a href="#footnotetag799">[799]</a> Jarry, <i>Le compte de l'armée anglaise</i>, pp. 50, 58.</p> + +<p><a id="footnote800" name="footnote800"></a><a href="#footnotetag800">[800]</a> Compte de Pierre Sureau, dans Jarry, <i>Le compte de +l'armée anglaise</i>, pièce justificative n<sup>o</sup> <span class="smcap">VI</span> et pp. 45-46.</p> + +<p><a id="footnote801" name="footnote801"></a><a href="#footnotetag801">[801]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, pp. 221, 222 et +suiv.</p> + +<p><a id="footnote802" name="footnote802"></a><a href="#footnotetag802">[802]</a> Shakespeare, <i>Henry VI</i>, première partie, scène <span class="smcap">II</span>.</p> + +<p><a id="footnote803" name="footnote803"></a><a href="#footnotetag803">[803]</a> Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 65.</p> + +<p><a id="footnote804" name="footnote804"></a><a href="#footnotetag804">[804]</a> <i>Journal du siège</i>, pp. 69, 70.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, p. 270.—Monstrelet, t. IV, pp. 317 et suiv.—Morosini, t. +III, pp. 19, 20 et 21; t. IV, annexe <span class="smcap">XIV</span>, p. 311.—Jarry, <i>Le compte +de l'armée anglaise</i>, pp. 68 et suiv.—Boucher de Molandon, <i>L'armée +anglaise vaincue par Jeanne d'Arc</i>, p. 145.</p> + +<p><a id="footnote805" name="footnote805"></a><a href="#footnotetag805">[805]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 70.</p> + +<p><a id="footnote806" name="footnote806"></a><a href="#footnotetag806">[806]</a> Jollois, <i>Histoire du siège</i>, part. VI, chap. <span class="smcap">I</span>.—Abbé +Dubois, <i>Histoire du siège</i>, diss. <span class="smcap">IX</span>.—Loiseleur, <i>Compte des +dépenses de Charles VII</i>, chap. <span class="smcap">V</span>.—Lottin, <i>Recherches historiques sur +la ville d'Orléans</i>, t. II, p. 205.—Morosini, t. III, p. 25, note 2.</p> + +<p><a id="footnote807" name="footnote807"></a><a href="#footnotetag807">[807]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 64.</p> + +<p><a id="footnote808" name="footnote808"></a><a href="#footnotetag808">[808]</a> <i>Ibid.</i>, p. 59.</p> + +<p><a id="footnote809" name="footnote809"></a><a href="#footnotetag809">[809]</a> Charles d'Orléans, <i>Poésies</i>, publiées par A. +Champollion-Figeac, Paris, 1842, in-8<sup>o</sup>, p. 176.</p> + +<p><a id="footnote810" name="footnote810"></a><a href="#footnotetag810">[810]</a> Miniature du ms. des poésies de Charles d'Orléans, du +British Museum, Royal 16 F ij, fol. 73 v<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote811" name="footnote811"></a><a href="#footnotetag811">[811]</a> <i>Journal du siège</i>, pp. 43.—Symphorien Guyon, +<i>Histoire de la ville d'Orléans</i>, t. II, p. 43.</p> + +<p><a id="footnote812" name="footnote812"></a><a href="#footnotetag812">[812]</a> <i>Chronique de la fête</i>, dans <i>Procès</i>, t. V, p. 297.</p> + +<p><a id="footnote813" name="footnote813"></a><a href="#footnotetag813">[813]</a> Comptes de Commune, <i>passim</i>, dans <i>Journal du siège</i>, +pp. 210 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote814" name="footnote814"></a><a href="#footnotetag814">[814]</a> <i>Mistère du siège</i>, vers 6964 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote815" name="footnote815"></a><a href="#footnotetag815">[815]</a> Aug. Theiner, <i>Saint Aignan ou le siège d'Orléans par +Attila, notice historique suivie de la vie de ce saint, tirées des +mms. de la Bibliothèque du roi</i>, Paris, 1832, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote816" name="footnote816"></a><a href="#footnotetag816">[816]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 46.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, +p. 278.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, p. 66.</p> + +<p><a id="footnote817" name="footnote817"></a><a href="#footnotetag817">[817]</a> <i>Journal du siège</i>, pp. 47 et 48.—P. Mantellier, +<i>Histoire du siège</i>, pp. 61 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote818" name="footnote818"></a><a href="#footnotetag818">[818]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 77.</p> + +<p><a id="footnote819" name="footnote819"></a><a href="#footnotetag819">[819]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 93.—<i>Geste des nobles</i>, dans la +<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 250.—Comptes de forteresses, +(1428-1430) dans Boucher de Molandon, <i>Première expédition de Jeanne +d'Arc</i>, pp. 30 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote820" name="footnote820"></a><a href="#footnotetag820">[820]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 287.—<i>Journal du siège</i>, +p. 81.—Boucher de Molandon, <i>Première expédition de Jeanne d'Arc</i>, +pp. 28-29.—P. Mantellier, <i>Histoire du siège</i>, p. 230.</p> + +<p><a id="footnote821" name="footnote821"></a><a href="#footnotetag821">[821]</a> <i>Le siège d'Orléans, Jeanne d'Arc et les capitouls de +Toulouse</i>, par A. Thomas, dans <i>Annales du Midi</i>, 1889, p. 232.—Il ne +paraît pas que Saint-Flour, sollicitée, ait contribué: elle avait +assez à faire de se garder des routiers qui rôdaient autour d'elle. +Cf. <i>Villandrando et les écorcheurs à Saint-Flour</i>, par M. Boudet, +Clermond-Ferrand, 1895, in-8<sup>o</sup>, pp. 18 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote822" name="footnote822"></a><a href="#footnotetag822">[822]</a> Quittances de la ville d'Orléans en 1429, dans Boucher +de Molandon, <i>Première expédition de Jeanne d'Arc</i>, p. 36.</p> + +<p><a id="footnote823" name="footnote823"></a><a href="#footnotetag823">[823]</a> Florent d'Illiers, issu d'une ancienne famille du pays +chartrain, avait épousé Jeanne, fille de Jean de Coutes et sœur de +ce petit page que le sire de Gaucourt avait donné à la Pucelle (A. de +Villaret).</p> + +<p><a id="footnote824" name="footnote824"></a><a href="#footnotetag824">[824]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 73.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, +p. 278.</p> + +<p><a id="footnote825" name="footnote825"></a><a href="#footnotetag825">[825]</a> <i>Le Jouvencel</i>, t. II, p. 44.</p> + +<p><a id="footnote826" name="footnote826"></a><a href="#footnotetag826">[826]</a> Jarry, <i>Le compte de l'armée anglaise</i>, pp. 75 et +suiv.</p> + +<p><a id="footnote827" name="footnote827"></a><a href="#footnotetag827">[827]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 4.</p> + +<p><a id="footnote828" name="footnote828"></a><a href="#footnotetag828">[828]</a> <i>Journal du siège</i>, <i>passim</i>.—<i>Chronique de +Tournai</i>, éd. de Smedt (t. III, du <i>Recueil des chroniques de +Flandre</i>), p. 409.</p> + +<p><a id="footnote829" name="footnote829"></a><a href="#footnotetag829">[829]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 93.</p> + +<p><a id="footnote830" name="footnote830"></a><a href="#footnotetag830">[830]</a> Wavrin dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 407.—Monstrelet, t. +IV, p. 316.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 278.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, p. 68.—<i>Mistère du siège</i>, v. 11431 et suiv.—Abbé +Bossard, <i>Gilles de Rais, maréchal de France, dit Barbe-Bleue</i> +(1404-1440), Paris, 1886, in-8<sup>o</sup>, pp. 31, 106.</p> + +<p><a id="footnote831" name="footnote831"></a><a href="#footnotetag831">[831]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 74.</p> + +<p><a id="footnote832" name="footnote832"></a><a href="#footnotetag832">[832]</a></p> + +<table border="0" cellpadding="0" summary="Opinions"> +<colgroup> + <col width="60%"> + <col width="30%"> +</colgroup> +<tr> +<td>Jeanne dit (dans son <i>Procès</i>)</td> +<td class="right">de 10 à 12000 hommes.</td> +</tr> +<tr> +<td>Monstrelet</td> +<td class="right">7000 hommes.</td> +</tr> +<tr> +<td>Eberhard Windecke</td> +<td class="right">3000 hommes.</td> +</tr> +<tr> +<td>Morosini</td> +<td class="right">12000 hommes.</td> +</tr> +</table> + +<p><a id="footnote833" name="footnote833"></a><a href="#footnotetag833">[833]</a> «Car vous ne trouverez nulz marchans qu'ils se mettent +en ceste peine ne en ce danger, s'ilz n'ont l'argent contant.» <i>Le +Jouvencel</i>, t. I, p. 184.</p> + +<p><a id="footnote834" name="footnote834"></a><a href="#footnotetag834">[834]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 74.</p> + +<p><a id="footnote835" name="footnote835"></a><a href="#footnotetag835">[835]</a> On a de cette lettre huit textes anciens:</p> + +<p>1<sup>o</sup> Le texte introduit dans les pièces du procès de Rouen (<i>P.</i> I, p. +240);</p> + +<p>2<sup>o</sup> Un texte probablement de la main d'un chevalier de Saint-Jean de +Jérusalem; ce texte n'existe plus, mais on en a deux copies du +<span class="smcap">XVIII</span><sup>e</sup> siècle (<i>P.</i> V, p. 95);</p> + +<p>3<sup>o</sup> Le texte inséré dans le <i>Journal du siège</i> (<i>P.</i> IV, p. 139);</p> + +<p>4<sup>o</sup> Le texte qui se trouve dans la <i>Chronique de la Pucelle</i> (<i>P.</i> IV, +p. 215);</p> + +<p>5<sup>o</sup> Le texte qui fut inscrit dans le <i>Registre Delphinal</i> de Thomassin +(<i>P.</i> IV, p. 306);</p> + +<p>6<sup>o</sup> Le texte du Greffier de La Rochelle (<i>Revue Historique</i>, t. IV);</p> + +<p>7<sup>o</sup> Le texte de la Chronique de Tournai (<i>Recueil des Chroniques de +Flandre</i>, t. III, p. 407);</p> + +<p>8<sup>o</sup> Le texte inséré dans le <i>Mistère du Siège</i>.</p> + +<p>Mentionnons aussi une traduction en allemand, contemporaine (Eberhard +Windecke).</p> + +<p>Je donne ici le texte du Procès, lequel représente l'original. Les +autres textes diffèrent trop de celui-ci et sont trop différents les +uns des autres pour qu'il soit possible d'indiquer les variantes +autrement qu'en donnant les huit textes en entier. Au reste, ces +différences pour la plupart n'ont pas grande importance.</p> + +<p><a id="footnote836" name="footnote836"></a><a href="#footnotetag836">[836]</a> Comparez:</p> + +<p class="poem10"> + Dangier, je vous gecte mon gant,<br> + Vous appelant de traïson,<br> + Devant le Dieu d'amours puissant<br> + <i>Qui me fera de vous raison</i>.</p> + +<p class="left50">(Poésies de Charles d'Orléans, publ. par A. Champollion-Figeac, + 1842, in-8<sup>o</sup>, p. 17.)</p> + +<p><a id="footnote837" name="footnote837"></a><a href="#footnotetag837">[837]</a> C'est le roi de France qui nommait «bonnes» celles de +ses villes qu'il voulait honorer.</p> + +<p><a id="footnote838" name="footnote838"></a><a href="#footnotetag838">[838]</a> Comparez: «Et ardirent la ville et <i>violèrent +l'abbaye</i>» (Froissart, cité par Littré).</p> + +<p>On trouve déjà dans la Chanson de Roland:</p> + +<p class="quote">Les castels pris, les cités violées.</p> + +<p><a id="footnote839" name="footnote839"></a><a href="#footnotetag839">[839]</a> La délivrance du duc d'Orléans.</p> + +<p><a id="footnote840" name="footnote840"></a><a href="#footnotetag840">[840]</a> <i>France</i> est régime.—<i>Jus</i>, opposé à <i>sus</i>. <i>Mettre +jus</i>, laisser de côté.—<i>Tenu</i>, dû. Que vous laisserez la France +tranquille et payerez ce que vous devez.—Le <i>Journal du siège</i> omet +le mot France et rend ainsi la phrase inintelligible. Cette omission +est le fait d'un texte sans doute fort ancien dont procèdent notamment +<i>La Chronique de la Pucelle</i> et le Greffier de La Rochelle que cette +phrase tronquée a visiblement embarrassé.</p> + +<p><a id="footnote841" name="footnote841"></a><a href="#footnotetag841">[841]</a> <i>Gentil</i> opposé à vilain. <i>Gentils et autres</i>, nobles +et vilains.—Sans aucun doute, il faut ici prendre les termes de +<i>compagnons</i> et de <i>gentils</i> dans leur vrai sens et ne pas croire +qu'ils aient été mis par antiphrase, comme dans cet endroit de +Froissart: «Il (le duc de Lancastre) entendit comme il pourroit estre +saisy de quatre <i>gentils compaignons</i> qui estranglé avoyent son oncle, +le duc de Clocestre, au chasteau de Calais» (Froissart, dans La +Curne).</p> + +<p><a id="footnote842" name="footnote842"></a><a href="#footnotetag842">[842]</a> <i>Attendez les nouvelles de la Pucelle...</i>, et plus bas: +<i>Si vous ne voulés croire lez nouvelles de par Dieu de la Pucelle...</i> +Ce mot de «<i>Nouvelles</i>» s'entendait alors comme aujourd'hui, mais il +avait aussi le sens de «prodiges», ainsi qu'on voit dans cette phrase: +«En celle année apparurent maintes <i>nouvelles</i> à Rosay en Brie: le vin +fut mué en sang et le pain en chair sensiblement ou (au) sacrement de +l'autel» (<i>Chroniques de Saint Denys</i>, dans La Curne).</p> + +<p><a id="footnote843" name="footnote843"></a><a href="#footnotetag843">[843]</a> <i>Tendrez</i>..., <i>tendra</i>: tiendrez, tiendra.</p> + +<p><a id="footnote844" name="footnote844"></a><a href="#footnotetag844">[844]</a> <i>Fils sainte Marie</i>, comme <i>Hôtel Dieu</i>, <i>les fils +Aymon</i>, etc.</p> + +<p><a id="footnote845" name="footnote845"></a><a href="#footnotetag845">[845]</a> Comprenez: Et n'ayez point en votre opinion, ne croyez +pas que vous tiendrez de Dieu le royaume de France, car c'est le roi +Charles qui le tiendra de Dieu.</p> + +<p><a id="footnote846" name="footnote846"></a><a href="#footnotetag846">[846]</a> Lequel roi Charles.</p> + +<p><a id="footnote847" name="footnote847"></a><a href="#footnotetag847">[847]</a> <i>Ferrons</i>, frapperons.</p> + +<p><a id="footnote848" name="footnote848"></a><a href="#footnotetag848">[848]</a> Un grand cri de guerre. Il faut corriger <i>hahut</i> dans +<i>Procès</i>, t. III, p. 107.—Comparez «Ceux qui avoient fait le guet +devers l'ost ouïrent le cri à le <i>hahay</i>» (Froissart, liv. I, dans La +Curne).</p> + +<p class="poem10"> + Princes à ce mot me convint eveillier<br> + Pour un <i>hahay</i> que j'oy escrier<br> + Par nuit, en l'ost, assez près de Coulogne.</p> + +<p class="left50">(Eustache Deschamps, dans La Curne.)</p> + +<p class="poem10"> + La dame d'Orlyens s'aparut sans delay<br> + Tout droit en parlement, et fist un grand <i>hahay</i>.</p> + +<p class="left50">(<i>Geste des ducs de Bourgogne</i>, dans Godefroy.)</p> + +<p><a id="footnote849" name="footnote849"></a><a href="#footnotetag849">[849]</a> Grande et indéterminée longueur de temps. Il est bien +inutile de chercher ce qui se passa en France mille ans auparavant. Ni +Jeanne ni les moines n'y songeaient.</p> + +<p><a id="footnote850" name="footnote850"></a><a href="#footnotetag850">[850]</a> Comparez: «Se mirent en grands et rudes <i>orions</i>, +tellement qu'il sembloit la bataille estre mortelle» (<i>Histoire du +chevalier Bayard</i>, dans La Curne).</p> + +<p><a id="footnote851" name="footnote851"></a><a href="#footnotetag851">[851]</a> Le futur <i>ara</i> pour <i>aura</i> est picard, mais se trouve +ailleurs qu'en Picardie (Communication de M. E. Langlois, professeur à +la Faculté des Lettres de Lille).</p> + +<p><a id="footnote852" name="footnote852"></a><a href="#footnotetag852">[852]</a> Comprenez: De la part de Dieu, et il n'y aura pas lieu +de suppléer <i>ou de vous</i>. Pourtant la copie du Chevalier de +Saint-Jean, le <i>Journal du siège</i>, la <i>Chronique de la Pucelle</i> +ajoutent ces trois mots. Avec cette addition, le sens me semble moins +bon.</p> + +<p><a id="footnote853" name="footnote853"></a><a href="#footnotetag853">[853]</a> <i>Franchois</i> est de Picardie et de la partie orientale +de la Normandie.</p> + +<p><a id="footnote854" name="footnote854"></a><a href="#footnotetag854">[854]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 55, 84, 240.</p> + +<p><a id="footnote855" name="footnote855"></a><a href="#footnotetag855">[855]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 55, 56, 84.</p> + +<p><a id="footnote856" name="footnote856"></a><a href="#footnotetag856">[856]</a> Morosini, t. III, pp. 64, 82 et suiv.—Christine de +Pisan, dans <i>Procès</i>, t. V, p. 16.—Sur l'idée de Croisade, Cf. N. +Jorga, <i>Philippe de Mézières</i>, 1896, in-8<sup>o</sup>; <i>Notes et extraits pour +servir à l'histoire des Croisades au XV<sup>e</sup> siècle</i>, Paris, 1899-1902, +3 vol. in-8<sup>o</sup> (Extrait de la <i>Revue de l'Orient Latin</i>).</p> + +<p><a id="footnote857" name="footnote857"></a><a href="#footnotetag857">[857]</a> <i>Pii Secundi commentarii</i>, éd. 1614, p. 440.—Wadding, +<i>Annales Minorum</i>, t. V, pp. 130 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote858" name="footnote858"></a><a href="#footnotetag858">[858]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 233.—S. Luce, +<i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, pp. <span class="smcap">XV</span>, <span class="smcap">CCXXXVII</span>.—Voir les planches des +nombreux livrets populaires sur l'Antéchrist au <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> siècle (Brunet, +<i>Manuel du Libraire</i>, t. I, col. 316).</p> + +<p><a id="footnote859" name="footnote859"></a><a href="#footnotetag859">[859]</a> Félix Rabbe, <i>Jeanne d'Arc en Angleterre</i>, Paris, 1891, +p. 12.</p> + +<p><a id="footnote860" name="footnote860"></a><a href="#footnotetag860">[860]</a> Monstrelet, t. IV, p. 112.—Vallet de Viriville, +<i>Histoire de Charles VII</i>, t. I, p. 340.</p> + +<p><a id="footnote861" name="footnote861"></a><a href="#footnotetag861">[861]</a> Le P. Marcellin Fornier, <i>Histoire des Alpes-Maritimes +ou Cottiennes</i>, t. II, pp. 315 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote862" name="footnote862"></a><a href="#footnotetag862">[862]</a> Dans toutes les copies de la lettre aux Anglais qui +nous sont parvenues, hors dans celle du Procès, à cet endroit: «Encore +que pourrez venir, etc.» le texte est complètement défiguré.</p> + +<p><a id="footnote863" name="footnote863"></a><a href="#footnotetag863">[863]</a> <i>Procès</i>, t. IV, p. 7.—Mathieu Thomassin, <i>Registre +Delphinal</i>, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 304.</p> + +<p><a id="footnote864" name="footnote864"></a><a href="#footnotetag864">[864]</a> Elle contient au contraire des formes qu'on ne +rencontrerait pas sous la plume d'un Picard, d'un Bourguignon, d'un +Lorrain ou d'un Champenois, tel le participe <i>envoyée</i>. Les formes et +la graphie sont bien d'un clerc français (Communication de M. E. +Langlois).</p> + +<p><a id="footnote865" name="footnote865"></a><a href="#footnotetag865">[865]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 252.—E. de Bouteiller et G. de +Braux, <i>Nouvelles recherches sur la famille de Jeanne d'Arc</i>, pp. <span class="smcap">XX</span>, +9 et 10. Source très suspecte.</p> + +<p><a id="footnote866" name="footnote866"></a><a href="#footnotetag866">[866]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 101.</p> + +<p><a id="footnote867" name="footnote867"></a><a href="#footnotetag867">[867]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 65, 67, 124.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, p. 277.—A. de Villaret, <i>Louis de Coutes, page de Jeanne +d'Arc</i>, Orléans, 1890, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote868" name="footnote868"></a><a href="#footnotetag868">[868]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 26-27.</p> + +<p><a id="footnote869" name="footnote869"></a><a href="#footnotetag869">[869]</a> Extraits des comptes de Hémon Raguier, <i>Procès</i>, t. V, +pp. 257, 258.</p> + +<p><a id="footnote870" name="footnote870"></a><a href="#footnotetag870">[870]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 211.</p> + +<p><a id="footnote871" name="footnote871"></a><a href="#footnotetag871">[871]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 15.</p> + +<p><a id="footnote872" name="footnote872"></a><a href="#footnotetag872">[872]</a> Duc de la Trémoïlle, <i>Les La Trémouille pendant cinq +siècles, Guy VI et Georges</i> (1343-1446), Nantes, 1890, pp. 196, 201.</p> + +<p><a id="footnote873" name="footnote873"></a><a href="#footnotetag873">[873]</a> Juvénal des Ursins, année 1396.</p> + +<p><a id="footnote874" name="footnote874"></a><a href="#footnotetag874">[874]</a> <i>Ordonnances des rois de France</i>, t. XI, p. 105; t. +XIII, p. 247.—S. de Bouillerie, <i>La répression du blasphème dans +l'ancienne législation</i> dans <i>Revue historique et archéologique du +Maine</i>, 1884, pp. 369 et suiv.—De Beaucourt, <i>Histoire de Charles +VII</i>, t. I, p. 370; t. II, p. 189.—A. Longnon, <i>Paris pendant la +domination anglaise</i>, Paris, 1878, in-8<sup>o</sup>, pp. 11 et 56.</p> + +<p><a id="footnote875" name="footnote875"></a><a href="#footnotetag875">[875]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 78, 104, 105.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, p. 283.—On l'associa de très bonne heure à La Hire, comme +au plus vaillant homme de France, et l'on imagina qu'elle le fit +confesser et l'habitua à ne plus jurer le nom de Dieu. Ce sont là de +petits contes édifiants (<i>Procès</i>, t. III, p. 32; t. IV, p. 327).</p> + +<p><a id="footnote876" name="footnote876"></a><a href="#footnotetag876">[876]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 103.—Boucher de Molandon, +<i>Première expédition de Jeanne d'Arc</i>, p. 47.—L.-A. Bossebœuf, +<i>Jeanne d'Arc en Touraine</i>, Tours, 1899, pp. 34 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote877" name="footnote877"></a><a href="#footnotetag877">[877]</a> Le P. Denifle, <i>La désolation des églises, monastères, +hôpitaux, en France, vers le milieu du XV<sup>e</sup> siècle</i>, Mâcon, 1897, +in-8<sup>o</sup>, Introduction.</p> + +<p><a id="footnote878" name="footnote878"></a><a href="#footnotetag878">[878]</a> <i>Procès</i>, t. IV, p. 327.—Tringant, <i>Le Jouvencel</i>, t. +II, p. 277, dit seulement que peu de gens d'armes allaient volontiers +secourir Orléans, ce qui n'est pas bien exact.</p> + +<p><a id="footnote879" name="footnote879"></a><a href="#footnotetag879">[879]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 78, 117, 181.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, p. 281.—Morosini, t. III, pp. 110, 111; t. IV, pp. +313-315.—G. Martin, <i>L'étendard de Jeanne d'Arc</i>, dans <i>Notes d'art +et d'arch.</i>, 1834, pp. 65-71, 81-88, pl.</p> + +<p><a id="footnote880" name="footnote880"></a><a href="#footnotetag880">[880]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 93.—<i>Chronique du doyen de +Saint-Thibaud</i>, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 327.</p> + +<p><a id="footnote881" name="footnote881"></a><a href="#footnotetag881">[881]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 5, 67, 78, 105, 212; Martial +d'Auvergne, <i>ibid.</i>, t. V, p. 53.—<i>Chronique de la fête</i>, <i>ibid.</i>, p. +290.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 281.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, +t. I, p. 71.—Boucher de Molandon, <i>Première expédition de Jeanne +d'Arc</i>, pp. 38 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote882" name="footnote882"></a><a href="#footnotetag882">[882]</a> Le 28 avril, selon Eberhard Windecke, p. 165. Le 27, +si, comme le dit Pasquerel, l'armée coucha deux nuits aux champs.</p> + +<p><a id="footnote883" name="footnote883"></a><a href="#footnotetag883">[883]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 105.</p> + +<p><a id="footnote884" name="footnote884"></a><a href="#footnotetag884">[884]</a> Eberhard Windecke, p. 167.</p> + +<p><a id="footnote885" name="footnote885"></a><a href="#footnotetag885">[885]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 104.</p> + +<p><a id="footnote886" name="footnote886"></a><a href="#footnotetag886">[886]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 67.</p> + +<p><a id="footnote887" name="footnote887"></a><a href="#footnotetag887">[887]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 4 et 5.—Boucher de Molandon, +<i>Bulletin de la Société archéologique de l'Orléanais</i>, t. IV, p. 427, +et IX, p. 73.—Le même, <i>Première expédition de Jeanne d'Arc</i>, pp. 41 +et suiv.—<i>Mistère du siège</i>, vers. 11480 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote888" name="footnote888"></a><a href="#footnotetag888">[888]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 75.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, +p. 283.—<i>Chronique de l'établissement de la fête</i>, dans <i>Procès</i>, t. +V, p. 289.</p> + +<p><a id="footnote889" name="footnote889"></a><a href="#footnotetag889">[889]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 281.—<i>Procès</i>, t. III, +p. 78.</p> + +<p><a id="footnote890" name="footnote890"></a><a href="#footnotetag890">[890]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 5-6.</p> + +<p><a id="footnote891" name="footnote891"></a><a href="#footnotetag891">[891]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 5.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. +284.—Boucher de Molandon, <i>Première expédition de Jeanne d'Arc</i>, p. +49.</p> + +<p><a id="footnote892" name="footnote892"></a><a href="#footnotetag892">[892]</a> Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 68.—<i>Journal du +siège</i>, p. 48.</p> + +<p><a id="footnote893" name="footnote893"></a><a href="#footnotetag893">[893]</a> Opinion de Martin Berruyer, dans Lanéry d'Arc, +<i>Mémoires et consultations</i>, chap. <span class="smcap">VII</span>.</p> + +<p><a id="footnote894" name="footnote894"></a><a href="#footnotetag894">[894]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 78 et 214.</p> + +<p><a id="footnote895" name="footnote895"></a><a href="#footnotetag895">[895]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 78.—<i>Journal du siège</i>, pp. +74-75.—<i>Chronique de la fête</i>, dans <i>Procès</i>, t. V, p. 290.</p> + +<p><a id="footnote896" name="footnote896"></a><a href="#footnotetag896">[896]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 105.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, +p. 284.</p> + +<p><a id="footnote897" name="footnote897"></a><a href="#footnotetag897">[897]</a> Boucher de Molandon, <i>La délivrance d'Orléans et +l'institution de la fête du 8 mai, Chronique anonyme du XV<sup>e</sup> +siècle</i>, Orléans, 1883, in-8<sup>o</sup>, pp. 28, 29.</p> + +<p><a id="footnote898" name="footnote898"></a><a href="#footnotetag898">[898]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 6.</p> + +<p><a id="footnote899" name="footnote899"></a><a href="#footnotetag899">[899]</a> <i>Chronique de la fête</i>, dans <i>Procès</i>, t. V, p. +290.—Morosini, t. III, p. 23, note 5.—Boucher de Molandon, <i>Première +expédition de Jeanne d'Arc</i>, pp. 52-56.</p> + +<p><a id="footnote900" name="footnote900"></a><a href="#footnotetag900">[900]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 6.</p> + +<p><a id="footnote901" name="footnote901"></a><a href="#footnotetag901">[901]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 78.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. +280.—<i>Chronique de la fête</i>, dans <i>Procès</i>, t. V, p. 285.—Boucher de +Molandon, <i>Première expédition de Jeanne d'Arc</i>, pp. 61-62.</p> + +<p><a id="footnote902" name="footnote902"></a><a href="#footnotetag902">[902]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 105.—<i>Mistère du siège</i>, v. +11616.</p> + +<p><a id="footnote903" name="footnote903"></a><a href="#footnotetag903">[903]</a> Boucher de Molandon, <i>Première expédition de Jeanne +d'Arc</i>, pp. 62 et 99, note <span class="smcap">XIV</span>, et dans <i>Bulletin de la Société +archéologique de l'Orléanais</i>, t. IV, p. 429; t. IX, p. 73.</p> + +<p><a id="footnote904" name="footnote904"></a><a href="#footnotetag904">[904]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 75.—Ch. du Lys, <i>Traité +sommaire tant du nom et des armes que de la naissance et parenté de la +Pucelle d'Orléans et de ses frères</i>, Paris, 1628, in-4<sup>o</sup>, p. 50.—Abbé +Dubois, <i>Histoire du siège</i>, p. 344.—P. Mantellier, <i>Histoire du +siège</i>, p. 86.—Boucher de Molandon, <i>Première expédition de Jeanne +d'Arc</i>, p. 65, pièces justificatives, note <span class="smcap">XV</span>.</p> + +<p><a id="footnote905" name="footnote905"></a><a href="#footnotetag905">[905]</a> <i>Journal du siège</i>, pp. 75-76.</p> + +<p><a id="footnote906" name="footnote906"></a><a href="#footnotetag906">[906]</a> Boucher de Molandon, <i>Première expédition de Jeanne +d'Arc</i>, p. 68.</p> + +<p><a id="footnote907" name="footnote907"></a><a href="#footnotetag907">[907]</a> <i>Chronique de la fête</i>, dans <i>Procès</i>, t. V, p. 290.</p> + +<p><a id="footnote908" name="footnote908"></a><a href="#footnotetag908">[908]</a> <i>Journal du siège</i>, pp. 74, 75.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, t. I, p. 69.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, pp. 284-285.</p> + +<p><a id="footnote909" name="footnote909"></a><a href="#footnotetag909">[909]</a> Boucher de Molandon, <i>Première expédition de Jeanne +d'Arc</i>, pp. 51 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote910" name="footnote910"></a><a href="#footnotetag910">[910]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 75.</p> + +<p><a id="footnote911" name="footnote911"></a><a href="#footnotetag911">[911]</a> <i>Ibid.</i>, p. 76.</p> + +<p><a id="footnote912" name="footnote912"></a><a href="#footnotetag912">[912]</a> <i>Journal du siège</i>, pp. 76-77.</p> + +<p><a id="footnote913" name="footnote913"></a><a href="#footnotetag913">[913]</a> Et maintenant encore les trompettes montent des chevaux +blancs (<i>Histoire de Jeanne d'Arc</i>, par Lebrun de Charmettes, 1817, +in-8<sup>o</sup>, t. II, p. 21).</p> + +<p><a id="footnote914" name="footnote914"></a><a href="#footnotetag914">[914]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 7.—<i>Journal du siège</i>, p. +76.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 287.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, +t. I, p. 72.—Morosini, t. III, pp. 28-30.</p> + +<p><a id="footnote915" name="footnote915"></a><a href="#footnotetag915">[915]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 24.</p> + +<p><a id="footnote916" name="footnote916"></a><a href="#footnotetag916">[916]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 77.</p> + +<p><a id="footnote917" name="footnote917"></a><a href="#footnotetag917">[917]</a> <i>Chronique de l'établissement de la fête</i>, p. 28.</p> + +<p><a id="footnote918" name="footnote918"></a><a href="#footnotetag918">[918]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 101; t. III, pp. 34, 68, 124 et +suiv.; p. 211.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 285.—Boucher de +Molandon, <i>Jacques Boucher, sieur de Guilleville, trésorier général du +district d'Orléans...</i>, dans <i>Mémoires de la Société archéologique de +l'Orléanais</i>, t. XXII, 1889, p. 373.—Boucher de Molandon, <i>Première +expédition de Jeanne d'Arc</i>, p. 101, note <span class="smcap">XVI</span>; pièces justificatives, +p. 108.</p> + +<p><a id="footnote919" name="footnote919"></a><a href="#footnotetag919">[919]</a> Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 73.—<i>Chronique de +la Pucelle</i>, éd. Vallet de Viriville, p. 20 [Notice sur G. Cousinot le +Chancelier]; Cf. <i>Nouvelle Biographie générale</i>.—Vallet de Viriville, +<i>Essais critiques sur les historiens originaux du règne de Charles +VII</i>, dans <i>Bibliothèque de l'École des Chartes</i>, 1857, 4<sup>e</sup> série, +t. III, pp. 11-14; 105-111.</p> + +<p><a id="footnote920" name="footnote920"></a><a href="#footnotetag920">[920]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 101; t. III, pp. 68, 124 et suiv.; +t. IV, pp. 153, 219, 227.—<i>Journal du siège</i>, pp. 77, 78.—Boucher de +Molandon, <i>Première expédition de Jeanne d'Arc</i>, pp. 69, 101, note +<span class="smcap">XVI</span>.</p> + +<p><a id="footnote921" name="footnote921"></a><a href="#footnotetag921">[921]</a> G. Lefèvre-Pontalis (<i>Chronique d'Antonio Morosini</i>, t. +III, p. 101, note) reconnaît dans la <i>Chronique de la Pucelle</i> (XLIV, +p. 285) un mauvais emploi d'un trait cité par Dunois dans sa +déposition et qu'il faut laisser à la date du 7 mai où Dunois l'a +placé (<i>Procès</i>, t. III, p. 9).</p> + +<p><a id="footnote922" name="footnote922"></a><a href="#footnotetag922">[922]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 34, 68.</p> + +<p><a id="footnote923" name="footnote923"></a><a href="#footnotetag923">[923]</a> Franklin, <i>La vie privée d'autrefois</i>, t. II et XIX, +<i>passim</i>.—H. Havard, <i>Dictionnaire de l'ameublement</i>, au mot: <i>lit</i>.</p> + +<p><a id="footnote924" name="footnote924"></a><a href="#footnotetag924">[924]</a> Comptes de forteresse, dans <i>Procès</i>, t. V, pp. 259, +260.</p> + +<p><a id="footnote925" name="footnote925"></a><a href="#footnotetag925">[925]</a> <i>Journal du siège</i>, pp. 43-44.</p> + +<p><a id="footnote926" name="footnote926"></a><a href="#footnotetag926">[926]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 7 et 211.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, p. 287.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, pp. 74-75.</p> + +<p><a id="footnote927" name="footnote927"></a><a href="#footnotetag927">[927]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 78.—<i>Chronique de la fête</i>, +dans <i>Procès</i>, t. V, pp. 291-292.—Lettre écrite d'Allemagne dans +<i>Procès</i>, t. V, p. 347.</p> + +<p><a id="footnote928" name="footnote928"></a><a href="#footnotetag928">[928]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 27, 108.—<i>Journal du siège</i>, p. +79.</p> + +<p><a id="footnote929" name="footnote929"></a><a href="#footnotetag929">[929]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 284.—<i>Procès</i>, t. III, +p. 26.</p> + +<p><a id="footnote930" name="footnote930"></a><a href="#footnotetag930">[930]</a> Martial de Paris, dit d'Auvergne, <i>Vigiles de Charles +VII</i>, éd. Coustelier, 1724, t. I, p. 98.</p> + +<p><a id="footnote931" name="footnote931"></a><a href="#footnotetag931">[931]</a> La Curne, au mot: <i>Periapt</i>.—Shakespeare, <i>Henry VI</i>, +première partie, scène <span class="smcap">XXIV</span>.</p> + +<p><a id="footnote932" name="footnote932"></a><a href="#footnotetag932">[932]</a> Shakespeare, <i>Henry VI</i>, première partie, scène <span class="smcap">XI</span>.</p> + +<p><a id="footnote933" name="footnote933"></a><a href="#footnotetag933">[933]</a> Vallet de Viriville, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. I, +p. 306.—Carlier, <i>Histoire du Valois</i>, t. II, p. 442.</p> + +<p><a id="footnote934" name="footnote934"></a><a href="#footnotetag934">[934]</a> Jarry, <i>Le compte de l'armée anglaise</i>, p. 61.</p> + +<p><a id="footnote935" name="footnote935"></a><a href="#footnotetag935">[935]</a> Shakespeare, <i>Henry VI</i>, première partie, scène <span class="smcap">I</span>.</p> + +<p><a id="footnote936" name="footnote936"></a><a href="#footnotetag936">[936]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 26.—<i>Journal du siège</i>, p. +79.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, pp. 285-286.</p> + +<p><a id="footnote937" name="footnote937"></a><a href="#footnotetag937">[937]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 108.—<i>Journal d'un bourgeois de +Paris</i>, p. 237.—<i>Journal du siège</i>, p. 79.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, p. 290.</p> + +<p><a id="footnote938" name="footnote938"></a><a href="#footnotetag938">[938]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 7.—<i>Journal du siège</i>, p. 79.</p> + +<p><a id="footnote939" name="footnote939"></a><a href="#footnotetag939">[939]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 211.</p> + +<p><a id="footnote940" name="footnote940"></a><a href="#footnotetag940">[940]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 80—P. Mantellier, <i>Histoire du +siège</i>, pp. 92-95.</p> + +<p><a id="footnote941" name="footnote941"></a><a href="#footnotetag941">[941]</a> <i>Ibid.</i>, p. 80.</p> + +<p><a id="footnote942" name="footnote942"></a><a href="#footnotetag942">[942]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 68.—<i>Journal du siège</i>, p. 79.</p> + +<p><a id="footnote943" name="footnote943"></a><a href="#footnotetag943">[943]</a> Extraits des comptes de forteresse, dans <i>Procès</i>, t. +V, p. 259.</p> + +<p><a id="footnote944" name="footnote944"></a><a href="#footnotetag944">[944]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 64.</p> + +<p><a id="footnote945" name="footnote945"></a><a href="#footnotetag945">[945]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 9, 15, 18, 22, 60; t. V, p. +120.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 285.—Morosini, p. 101.—<i>Relation +du greffier de La Rochelle</i>, p. 337.</p> + +<p><a id="footnote946" name="footnote946"></a><a href="#footnotetag946">[946]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 80.—P. Mantellier, <i>Histoire du +siège</i>, p. 95.</p> + +<p><a id="footnote947" name="footnote947"></a><a href="#footnotetag947">[947]</a> Charles Cuissard, <i>Notes chronologiques sur Jean de +Macon</i>, dans <i>Mémoires de la Société archéologique de l'Orléanais</i>, t. +XI, 1897, pp. 529, 545.</p> + +<p><a id="footnote948" name="footnote948"></a><a href="#footnotetag948">[948]</a> <i>Chronique de la fête</i>, dans <i>Procès</i>, t. V, p. +291.—Lottin, <i>Recherches</i>, t. I, p. 30.</p> + +<p><a id="footnote949" name="footnote949"></a><a href="#footnotetag949">[949]</a> Note de Guill. Girault, notaire, dans <i>Procès</i>, t. IV, +p. 282.—<i>Journal du siège</i>, p. 135.</p> + +<p><a id="footnote950" name="footnote950"></a><a href="#footnotetag950">[950]</a> <i>Procès</i>, t. V, pp. 112-113.</p> + +<p><a id="footnote951" name="footnote951"></a><a href="#footnotetag951">[951]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 23.</p> + +<p><a id="footnote952" name="footnote952"></a><a href="#footnotetag952">[952]</a> <i>Chronique de la fête</i>, dans <i>Procès</i>, t. V, p. 291.</p> + +<p><a id="footnote953" name="footnote953"></a><a href="#footnotetag953">[953]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 23.</p> + +<p><a id="footnote954" name="footnote954"></a><a href="#footnotetag954">[954]</a> <i>Journal du siège</i>, pp. 51-52.</p> + +<p><a id="footnote955" name="footnote955"></a><a href="#footnotetag955">[955]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 79.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. +286.—P. Mantellier, <i>Histoire du siège</i>, p. 85.</p> + +<p><a id="footnote956" name="footnote956"></a><a href="#footnotetag956">[956]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 81.</p> + +<p><a id="footnote957" name="footnote957"></a><a href="#footnotetag957">[957]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 287.—<i>Journal du siège</i>, +p. 81.—Abbé Dubois, <i>Histoire du siège</i>, dissertation <span class="smcap">IX</span>.—Lottin, +<i>Recherches</i>, t. I, p. 205.—Loiseleur, <i>Comptes des dépenses</i>, ch. +<span class="smcap">VII</span>.</p> + +<p><a id="footnote958" name="footnote958"></a><a href="#footnotetag958">[958]</a> Le 4 mai, comme le 29 avril, les blés descendirent par +la Loire. En effet, on trouve dans un mandement de paiement mention +des «nottoniers qui amenèrent les blés qui furent amenés de Blois le +iiij<sup>e</sup> jour de may» (Boucher de Molandon, <i>Première expédition de +Jeanne d'Arc</i>, pp. 58-59).</p> + +<p><a id="footnote959" name="footnote959"></a><a href="#footnotetag959">[959]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 105, 211.</p> + +<p><a id="footnote960" name="footnote960"></a><a href="#footnotetag960">[960]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 212.</p> + +<p><a id="footnote961" name="footnote961"></a><a href="#footnotetag961">[961]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 212.—<i>Journal du siège</i>, p. 78.</p> + +<p><a id="footnote962" name="footnote962"></a><a href="#footnotetag962">[962]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 288.</p> + +<p><a id="footnote963" name="footnote963"></a><a href="#footnotetag963">[963]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 212-213.</p> + +<p><a id="footnote964" name="footnote964"></a><a href="#footnotetag964">[964]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 106.</p> + +<p><a id="footnote965" name="footnote965"></a><a href="#footnotetag965">[965]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 68.</p> + +<p><a id="footnote966" name="footnote966"></a><a href="#footnotetag966">[966]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 288.</p> + +<p><a id="footnote967" name="footnote967"></a><a href="#footnotetag967">[967]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 69.</p> + +<p><a id="footnote968" name="footnote968"></a><a href="#footnotetag968">[968]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 212.</p> + +<p><a id="footnote969" name="footnote969"></a><a href="#footnotetag969">[969]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 212-213.</p> + +<p><a id="footnote970" name="footnote970"></a><a href="#footnotetag970">[970]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 213.</p> + +<p><a id="footnote971" name="footnote971"></a><a href="#footnotetag971">[971]</a> Gruel, <i>Chronique d'Arthur de Richemont</i>, p. 72.</p> + +<p><a id="footnote972" name="footnote972"></a><a href="#footnotetag972">[972]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 75.</p> + +<p><a id="footnote973" name="footnote973"></a><a href="#footnotetag973">[973]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 124, 126.—Abbé Dubois, <i>Histoire +du siège</i>, dissertation <span class="smcap">VI</span>.—Morosini, t. IV, annexe XIII.—<i>Journal +du siège</i>, pp. 83-84.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 72.</p> + +<p><a id="footnote974" name="footnote974"></a><a href="#footnotetag974">[974]</a> Robert Blondel, <i>De reductione Normanniæ</i>, dans +<i>Procès</i>, t. IV, p. 347.—<i>Journal du siège</i>, p. 13.—<i>Chronique de la +fête</i>, dans <i>Procès</i>, t. V, pp. 286 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote975" name="footnote975"></a><a href="#footnotetag975">[975]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 109, 127.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, p. 295.—Greffier de la Chambre des comptes de Brabant, dans +<i>Procès</i>, t. IV, p. 426.—Eberhard Windecke, p. 172.</p> + +<p><a id="footnote976" name="footnote976"></a><a href="#footnotetag976">[976]</a> Perceval de Cagny dit: «Tentost après [l'arrivée de la +Pucelle au bord des fosses] ceulx de la place se vouldrent rendre à +elle: elle ne les voult recevoir à rançon et dist qu'elle les +prendroit maulgré eulx, et fist renforcier son assault. Et incontinent +fut la place prinse et presque touz mis à mort.» Cela est peu +croyable. Les Anglais se seraient rendus au dernier goujat de l'ost +des Armagnacs, plutôt que de se rendre à la Pucelle, et celle-ci +n'aurait pas refusé vraisemblablement de les prendre à rançon. +D'ailleurs, Perceval de Cagny n'a pas la moindre idée de ce qui se +passa le 4 mai. Il croit, par exemple, que la Pucelle commença +l'attaque.—<i>Perceval de Cagny</i>, pp. 144 et suiv.—<i>Journal du siège</i>, +p. 82.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 289.—<i>Chronique de la fête</i>, +dans <i>Procès</i>, t. V, p. 294.</p> + +<p><a id="footnote977" name="footnote977"></a><a href="#footnotetag977">[977]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 106.</p> + +<p><a id="footnote978" name="footnote978"></a><a href="#footnotetag978">[978]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 289.</p> + +<p><a id="footnote979" name="footnote979"></a><a href="#footnotetag979">[979]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 106.</p> + +<p><a id="footnote980" name="footnote980"></a><a href="#footnotetag980">[980]</a> À la prise de la bastille Saint-Loup:</p> + +<table border="0" cellpadding="0" summary="Pertes"> +<tr> +<td> </td> +<td class="center">Nombre des Français combattants.</td> +<td class="center">Nombre des morts français.</td> +</tr> +<tr> +<td colspan="3"> </td> +</tr> +<tr> +<td>Journal du Siège.</td> +<td class="center">1500 sans compter les nobles.</td> +<td> </td> +</tr> +<tr> +<td>Lettre de Charles VII.</td> +<td> </td> +<td class="center">2</td> +</tr> +<tr> +<td>Le correspondant de Morosini.</td> +<td class="center">3500.</td> +<td> </td> +</tr> +<tr> +<td>Eberhard Windecke.</td> +<td> </td> +<td class="center">2</td> +</tr> +<tr> +<td colspan="3"> </td> +</tr> +<tr> +<td> </td> +<td class="center">Nombre des Anglais combattants.</td> +<td class="center">Nombre des pertes anglaises.</td> +</tr> +<tr> +<td colspan="3"> </td> +</tr> +<tr> +<td>Frère Pasquerel.</td> +<td class="center">100 hommes d'élite.</td> +<td class="center">100 tués ou pris.</td> +</tr> +<tr> +<td>Jean d'Aulon.</td> +<td> </td> +<td class="center">Tous tués ou pris.</td> +</tr> +<tr> +<td>G. Girault.</td> +<td> </td> +<td class="center">120 tués ou pris.</td> +</tr> +<tr> +<td>Lettre de Charles VII.</td> +<td> </td> +<td class="center">Tous tués ou pris.</td> +</tr> +<tr> +<td>Journal du Siège.</td> +<td> </td> +<td class="center">114 tués, 40 pris.</td> +</tr> +<tr> +<td>Relation de la fête du 8 mai.</td> +<td class="center">De 120 à 140.</td> +<td class="center">Tous tués ou pris.</td> +</tr> +<tr> +<td>Perceval de Cagny.</td> +<td class="center">3000.</td> +<td class="center">Tous tués ou pris.</td> +</tr> +<tr> +<td>Chronique de la Pucelle.</td> +<td> </td> +<td class="center">160 tués.</td> +</tr> +<tr> +<td>Monstrelet.</td> +<td class="center">De 300 à 400.</td> +<td class="center">Tous tués ou pris.</td> +</tr> +<tr> +<td>Eberhard Windecke.</td> +<td> </td> +<td class="center">170 morts, 1300 pris.</td> +</tr> +<tr> +<td>Les Vigiles de Charles VII.</td> +<td> </td> +<td class="center">60 tués, 22 pris.</td> +</tr> +</table> + +<p><a id="footnote981" name="footnote981"></a><a href="#footnotetag981">[981]</a> Comptes de forteresse, dans <i>Journal du siège</i>, p. +284.</p> + +<p><a id="footnote982" name="footnote982"></a><a href="#footnotetag982">[982]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 107.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, +pp. 289, 290.</p> + +<p><a id="footnote983" name="footnote983"></a><a href="#footnotetag983">[983]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 34.</p> + +<p><a id="footnote984" name="footnote984"></a><a href="#footnotetag984">[984]</a> C'est par erreur que Quicherat dit (<i>Procès</i>, t. IV, p. +57 note) que ce conseil fut tenu chez Jacques Boucher. Cf. <i>Journal du +siège</i>, p. 83.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, p. 73.—Boucher de +Molandon, dans <i>Mémoires de la Société archéologique de l'Orléanais</i>, +t. XXII, p. 373.</p> + +<p><a id="footnote985" name="footnote985"></a><a href="#footnotetag985">[985]</a> Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 74.</p> + +<p><a id="footnote986" name="footnote986"></a><a href="#footnotetag986">[986]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 74-75, assertions très douteuses.</p> + +<p><a id="footnote987" name="footnote987"></a><a href="#footnotetag987">[987]</a> Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I. pp. 74-75, très +douteux.</p> + +<p><a id="footnote988" name="footnote988"></a><a href="#footnotetag988">[988]</a> Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 75.</p> + +<p><a id="footnote989" name="footnote989"></a><a href="#footnotetag989">[989]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 107.</p> + +<p><a id="footnote990" name="footnote990"></a><a href="#footnotetag990">[990]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 108.</p> + +<p><a id="footnote991" name="footnote991"></a><a href="#footnotetag991">[991]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 286.—<i>Journal du siège</i>, +p. 79.</p> + +<p><a id="footnote992" name="footnote992"></a><a href="#footnotetag992">[992]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 108.</p> + +<p><a id="footnote993" name="footnote993"></a><a href="#footnotetag993">[993]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 70, 117.—<i>Chronique de la fête</i>, +dans <i>Procès</i>, t. V, p. 294.—<i>Journal du siège</i>; p. 83.—<i>Chronique +de la Pucelle</i>, p. 288.—P. Mantellier, <i>Histoire du siège</i>, p. 105.</p> + +<p><a id="footnote994" name="footnote994"></a><a href="#footnotetag994">[994]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 83-84.—Abbé Dubois, <i>Histoire +du siège</i>, p. 535.—Jollois, <i>Histoire du siège</i>, p. 39.</p> + +<p><a id="footnote995" name="footnote995"></a><a href="#footnotetag995">[995]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, pp. 288, 289.</p> + +<p><a id="footnote996" name="footnote996"></a><a href="#footnotetag996">[996]</a> Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t I, p. 76.—<i>Journal du +siège</i>, pp. 84-85.</p> + +<p><a id="footnote997" name="footnote997"></a><a href="#footnotetag997">[997]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 214.</p> + +<p><a id="footnote998" name="footnote998"></a><a href="#footnotetag998">[998]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 78, 215.</p> + +<p><a id="footnote999" name="footnote999"></a><a href="#footnotetag999">[999]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 78.—Berry, dans <i>Procès</i>, t. IV, +p. 43.</p> + +<p><a id="footnote1000" name="footnote1000"></a><a href="#footnotetag1000">[1000]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 291.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, t. I, p. 72.—<i>Journal du siège</i>, pp. 84, 85. Très +douteux.</p> + +<p><a id="footnote1001" name="footnote1001"></a><a href="#footnotetag1001">[1001]</a> <i>Perceval de Cagny</i>, p. 146.</p> + +<p><a id="footnote1002" name="footnote1002"></a><a href="#footnotetag1002">[1002]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 79.</p> + +<p><a id="footnote1003" name="footnote1003"></a><a href="#footnotetag1003">[1003]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 70.—<i>Chronique de la fête</i>, p. +33.</p> + +<p><a id="footnote1004" name="footnote1004"></a><a href="#footnotetag1004">[1004]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 291.</p> + +<p><a id="footnote1005" name="footnote1005"></a><a href="#footnotetag1005">[1005]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 108.</p> + +<p><a id="footnote1006" name="footnote1006"></a><a href="#footnotetag1006">[1006]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 108, 109.</p> + +<p>Le frère Pasquerel, que je suis ici, rapporte en ces termes, les +paroles de Jeanne: <i>Exibit crastina die sanguis a corpore meo supra +mammam.</i> Je le soupçonne véhémentement d'avoir ajouté à la prédiction. +Il aimait trop les miracles et les prophéties. Le 28 avril, la Pucelle +dit que le vent tournerait, et le vent tourna. Frère Pasquerel ne se +contente pas de ce médiocre prodige. Il raconte que Jeanne souleva la +Loire. Nous savons par ailleurs, que la Loire était haute. Que Jeanne +ait longtemps d'avance annoncé qu'elle serait blessée, on ne peut le +nier. Le fait, énoncé dans une lettre de Lyon, à la date du 22 avril +1429, fut consigné dans un registre de la Cour des comptes du Brabant. +Mais elle n'indiqua pas le jour. <i>Dixit... quod ipsa ante Aureliam in +conflictu telo vulnerabitur</i> (<i>Procès</i>, t. IV, p. 426).</p> + +<p><a id="footnote1007" name="footnote1007"></a><a href="#footnotetag1007">[1007]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 84.</p> + +<p><a id="footnote1008" name="footnote1008"></a><a href="#footnotetag1008">[1008]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 109.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, +p. 295.</p> + +<p><a id="footnote1009" name="footnote1009"></a><a href="#footnotetag1009">[1009]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 292.—<i>Procès</i>, t. III, +p. 215.—<i>Journal du siège</i>, pp. 84-85.</p> + +<p><a id="footnote1010" name="footnote1010"></a><a href="#footnotetag1010">[1010]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 291.</p> + +<p><a id="footnote1011" name="footnote1011"></a><a href="#footnotetag1011">[1011]</a> <i>Chronique de l'établissement de la fête</i>, p. 34.—Le +Roux de Lincy, <i>Proverbes</i>, t. II, p. 395.</p> + +<p><a id="footnote1012" name="footnote1012"></a><a href="#footnotetag1012">[1012]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 124.</p> + +<p><a id="footnote1013" name="footnote1013"></a><a href="#footnotetag1013">[1013]</a> Berry, dans <i>Procès</i>, t. IV, pp. 43, 44.</p> + +<p><a id="footnote1014" name="footnote1014"></a><a href="#footnotetag1014">[1014]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 292.—<i>Journal du +siège</i>, p. 284 et <i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote1015" name="footnote1015"></a><a href="#footnotetag1015">[1015]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 87.—Lettre de Charles VII aux +Narbonnais (10 mai 1429) dans <i>Procès</i>, t. V, pp. 101 et +suiv.—<i>Chronique de la fête</i> dans <i>Procès</i>, t. V. p. 294.—Jean +Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 77.—Morosini, t. III, p. 32, note 1.</p> + +<p><a id="footnote1016" name="footnote1016"></a><a href="#footnotetag1016">[1016]</a> Jarry, <i>Le compte de l'armée anglaise</i>, pp. 94, 95, +136, 206.—Boucher de Molandon, <i>L'armée anglaise...</i>, pp. 94 et +suiv.</p> + +<p><a id="footnote1017" name="footnote1017"></a><a href="#footnotetag1017">[1017]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 85.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, +p. 293.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 77.—Morosini, t. III, +pp. 31 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1018" name="footnote1018"></a><a href="#footnotetag1018">[1018]</a> Comptes de forteresse, dans <i>Journal du siège</i>, pp. +296, 300.—Vergniaud-Romagnési, <i>Notice historique sur le fort des +Tourelles</i>, Paris, in-8<sup>o</sup>, 1832, p. 50.</p> + +<p><a id="footnote1019" name="footnote1019"></a><a href="#footnotetag1019">[1019]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 293.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, t. I, pp. 76, 77.</p> + +<p><a id="footnote1020" name="footnote1020"></a><a href="#footnotetag1020">[1020]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 79, t. III, p. 109;—Le Greffier de +la Chambre des comptes de Brabant, dans <i>Procès</i>, t. V, pp. +425-426.—Eberhard Windecke, 172.</p> + +<p><a id="footnote1021" name="footnote1021"></a><a href="#footnotetag1021">[1021]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 109.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, +p. 292.</p> + +<p><a id="footnote1022" name="footnote1022"></a><a href="#footnotetag1022">[1022]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 109-110.</p> + +<p><a id="footnote1023" name="footnote1023"></a><a href="#footnotetag1023">[1023]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 25.—<i>Journal du siège</i>, pp. 85, +86.—Eberbard Windecke, p. 173.</p> + +<p><a id="footnote1024" name="footnote1024"></a><a href="#footnotetag1024">[1024]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 8.—Je rejette absolument les +faits allégués par Charles du Lys, relativement à Guy de Cailly, qui +aurait accompagné Jeanne dans les vignes et vu les anges descendre +vers elle. Les lettres d'anoblissement de Guy de Cailly sont +apocryphes.—Charles du Lys, <i>Traité sommaire</i>, pp. 50, 52.</p> + +<p><a id="footnote1025" name="footnote1025"></a><a href="#footnotetag1025">[1025]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 52, 62, 153, 480; t. II, pp. 420, +424.</p> + +<p><a id="footnote1026" name="footnote1026"></a><a href="#footnotetag1026">[1026]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 216.—Le comte Couret, <i>Un +fragment inédit des anciens registres de la Prévôté d'Orléans</i>, +Orléans, 1897, pp. 12, 20, 21 et <i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote1027" name="footnote1027"></a><a href="#footnotetag1027">[1027]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 216.</p> + +<p><a id="footnote1028" name="footnote1028"></a><a href="#footnotetag1028">[1028]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 86.</p> + +<p><a id="footnote1029" name="footnote1029"></a><a href="#footnotetag1029">[1029]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 293.</p> + +<p><a id="footnote1030" name="footnote1030"></a><a href="#footnotetag1030">[1030]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 216, 217.</p> + +<p><a id="footnote1031" name="footnote1031"></a><a href="#footnotetag1031">[1031]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 293.—<i>Journal du +siège</i>, p. 86.</p> + +<p><a id="footnote1032" name="footnote1032"></a><a href="#footnotetag1032">[1032]</a> <i>Chronique de la fête</i>, dans <i>Procès</i>, t. V, p. 294.</p> + +<p><a id="footnote1033" name="footnote1033"></a><a href="#footnotetag1033">[1033]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 87.</p> + +<p><a id="footnote1034" name="footnote1034"></a><a href="#footnotetag1034">[1034]</a> Lettre de Charles VII aux habitants de Narbonne, 10 +mai 1429, dans <i>Procès</i>, t. III, p. 25; t. V, pp. 101, 103.</p> + +<p><a id="footnote1035" name="footnote1035"></a><a href="#footnotetag1035">[1035]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 110.</p> + +<p><a id="footnote1036" name="footnote1036"></a><a href="#footnotetag1036">[1036]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, pp. 293, 294; Morosini, t. +III, p. 31.</p> + +<p><a id="footnote1037" name="footnote1037"></a><a href="#footnotetag1037">[1037]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 17.—Jollois, <i>Histoire du +siège</i>, p. 12.</p> + +<p><a id="footnote1038" name="footnote1038"></a><a href="#footnotetag1038">[1038]</a> <i>Ibid.</i>, p. 87.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 294.</p> + +<p><a id="footnote1039" name="footnote1039"></a><a href="#footnotetag1039">[1039]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 25.—<i>Chronique de +l'établissement de la fête</i> dans <i>Procès</i>, t. V, p. 294.—<i>Chronique +de la Pucelle</i>, p. 294.—<i>Journal du siège</i>, pp. 87, 88.—Jean +Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 78.—Perceval de Cagny, p. +145.—Eberhart Windecke, p. 173.—Monstrelet, t. IV, p. +321.—Morosini, t. III, pp. 31 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1040" name="footnote1040"></a><a href="#footnotetag1040">[1040]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 110.</p> + +<p><a id="footnote1041" name="footnote1041"></a><a href="#footnotetag1041">[1041]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 87.</p> + +<p><a id="footnote1042" name="footnote1042"></a><a href="#footnotetag1042">[1042]</a> Le nombre des Anglais qui défendirent les Tourelles +est porté, dans le <i>Journal du siège</i>, à 4 ou 500; dans la Lettre de +Charles VII, à 600; dans la <i>Relation de la fête du 8 mai</i>, à 800; +dans la <i>Chronique de la Pucelle</i>, à 500.—Le nombre des Français, +qu'il est impossible d'évaluer exactement, était plus de dix fois +supérieur.</p> + +<p>Les pertes des Anglais sont portées:</p> + +<p>Par Guillaume Girault, à 300 morts et pris;</p> + +<p>Par Berry, à 400 ou 500 morts et pris;</p> + +<p>Par Jean Chartier, à 400 environ tués et les autres pris;</p> + +<p>Par la <i>Chronique de la Pucelle</i>, à 300 tués, 200 prisonniers;</p> + +<p>Par le <i>Journal du siège</i>, à 400 ou 500 tués, hors un petit nombre +prisonniers;</p> + +<p>Par Monstrelet, à 600 ou 800 morts ou pris, dans les mss.; à 1.000 +dans les éditions imprimées;</p> + +<p>Par Bower, à 600 et plus tués.</p> + +<p>Les pertes des Français sont portées:</p> + +<p>Par Perceval de Cagny, de 16 à 20 morts;</p> + +<p>Par Eberhard Windecke, à 5 tués et quelques blessés;</p> + +<p>Par Monstrelet, à 100 environ.</p> + +<p>À l'estimation de la Pucelle, dans les diverses affaires où elle prit +part à Orléans, des Français «cent et même plus» furent blessés.</p> + +<p><a id="footnote1043" name="footnote1043"></a><a href="#footnotetag1043">[1043]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 88.</p> + +<p><a id="footnote1044" name="footnote1044"></a><a href="#footnotetag1044">[1044]</a> Perceval de Cagny, p. 147.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, +p. 295.</p> + +<p><a id="footnote1045" name="footnote1045"></a><a href="#footnotetag1045">[1045]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 88.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, +p. 295.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 78.</p> + +<p><a id="footnote1046" name="footnote1046"></a><a href="#footnotetag1046">[1046]</a> <i>Chronique de l'établissement de la fête</i>, dans +<i>Procès</i>, t. V, pp. 294 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1047" name="footnote1047"></a><a href="#footnotetag1047">[1047]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 295.—<i>Journal du +siège</i>, p. 88.</p> + +<p><a id="footnote1048" name="footnote1048"></a><a href="#footnotetag1048">[1048]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, <i>Ibid.</i></p> + +<p><a id="footnote1049" name="footnote1049"></a><a href="#footnotetag1049">[1049]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 89.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, +p. 296.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, pp. 78, 79.—<i>Le +Jouvencel</i>, I, p. 208. Il faut tenir pour historique le passage qui +commence par ces mots: «Le sire de Rocquencourt dit:».</p> + +<p><a id="footnote1050" name="footnote1050"></a><a href="#footnotetag1050">[1050]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 9.</p> + +<p><a id="footnote1051" name="footnote1051"></a><a href="#footnotetag1051">[1051]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 29.</p> + +<p><a id="footnote1052" name="footnote1052"></a><a href="#footnotetag1052">[1052]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 89.</p> + +<p><a id="footnote1053" name="footnote1053"></a><a href="#footnotetag1053">[1053]</a> <i>Le Jouvencel.</i></p> + +<p><a id="footnote1054" name="footnote1054"></a><a href="#footnotetag1054">[1054]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 296.</p> + +<p><a id="footnote1055" name="footnote1055"></a><a href="#footnotetag1055">[1055]</a> <i>Ibid.</i>, p. 296.</p> + +<p><a id="footnote1056" name="footnote1056"></a><a href="#footnotetag1056">[1056]</a> <i>Chronique de l'établissement de la fête</i>, dans +<i>Procès</i>, t. V, pp. 294, 295.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 296.</p> + +<p><a id="footnote1057" name="footnote1057"></a><a href="#footnotetag1057">[1057]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 71, 97, 110.—<i>Journal du +siège</i>, p. 89.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 297.—Morosini, t. III, +p. 34.—Walter Bower, <i>Scotichronicon</i> dans <i>Procès</i>, t. IV, pp. +478-479.—Eberhard Windecke, p. 177.</p> + +<p><a id="footnote1058" name="footnote1058"></a><a href="#footnotetag1058">[1058]</a> Lettre de Charles VII aux Narbonnais, dans <i>Procès</i>, +t. V, p. 101.—Monstrelet, t. IV, p. 323.</p> + +<p><a id="footnote1059" name="footnote1059"></a><a href="#footnotetag1059">[1059]</a> <i>Journal du siège</i>, pp. 209 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1060" name="footnote1060"></a><a href="#footnotetag1060">[1060]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 216.—<i>Chronique de la fête</i> +dans <i>Procès</i>, t. V, p. 295.</p> + +<p><a id="footnote1061" name="footnote1061"></a><a href="#footnotetag1061">[1061]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 110.—<i>Journal du siège</i>, p. 92.</p> + +<p><a id="footnote1062" name="footnote1062"></a><a href="#footnotetag1062">[1062]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 91.—G. Met-Gaubert, <i>Notice +sur Florent d'Illiers</i>, Chartres, 1864, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote1063" name="footnote1063"></a><a href="#footnotetag1063">[1063]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 298.</p> + +<p><a id="footnote1064" name="footnote1064"></a><a href="#footnotetag1064">[1064]</a> <i>Journal du siège</i>, pp. 91, 92.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, t. I, p. 71.</p> + +<p><a id="footnote1065" name="footnote1065"></a><a href="#footnotetag1065">[1065]</a> Lettre de Charles VII aux habitants de Narbonne, dans +<i>Procès</i>, t. V, pp. 101, 104.—Arcère, <i>Histoire de la Rochelle</i>, t., +p. 271.—Moynès, <i>Inventaire des archives de l'Aude</i>, annexes, p. +390.—<i>Procession d'actions de grâces à Brignoles (Var) en l'honneur +de la délivrance d'Orléans par Jeanne d'Arc</i> (1429). Communication +faite au Congrès des Sociétés savantes à la Sorbonne (avril 1893), par +F. Mireur, Draguignan, 1894, in-8<sup>o</sup>, p. 175.</p> + +<p><a id="footnote1066" name="footnote1066"></a><a href="#footnotetag1066">[1066]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 80.—<i>Journal du siège</i>, p. 91.</p> + +<p><a id="footnote1067" name="footnote1067"></a><a href="#footnotetag1067">[1067]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 72, 76, 80.</p> + +<p><a id="footnote1068" name="footnote1068"></a><a href="#footnotetag1068">[1068]</a> Eberhard Windecke, p. 177 et <i>Chronique de Tournai</i>, +éd. de Smedt, pp. 407 et suiv. (t. III des <i>Chroniques de Flandre</i>).</p> + +<p><a id="footnote1069" name="footnote1069"></a><a href="#footnotetag1069">[1069]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 394, 407; t. V, p. 413.—Le P. +Marcellin Fornier, <i>Histoire des Alpes-Maritimes ou Cottiennes</i>, t. +II, p. 320.—Le P. Ayroles, <i>La Pucelle devant l'Église de son temps</i>, +pp. 39, 52.</p> + +<p><a id="footnote1070" name="footnote1070"></a><a href="#footnotetag1070">[1070]</a> L. Paris, <i>Notice sur le dédale ou labyrinthe de +l'église de Reims</i>, dans <i>Ann. des Inst. provinc.</i>, 1857, t. IX, p. +233.</p> + +<p><a id="footnote1071" name="footnote1071"></a><a href="#footnotetag1071">[1071]</a> Bibl. Nat., fonds latin, n<sup>o</sup> 6199, folio +36.—<i>Procès</i>, t. III, pp. 395-410.—Lanéry d'Arc, <i>Mémoires et +consultations</i>, pp. 365 et suiv.—Le P. Ayroles, <i>La Pucelle devant +l'Église de son temps</i>, pp. 31-52.</p> + +<p><a id="footnote1072" name="footnote1072"></a><a href="#footnotetag1072">[1072]</a> I. Launoy, <i>Historia Navarrici Gymnasii</i>, lib. IV, ch. +V.—J.-B. Lecuy, <i>Essai sur la vie de Jean Gerson, chancelier de +l'église et de l'université de Paris, sur sa doctrine, sur ses +écrits...</i>, Paris, 1832, 2 vol. in-8<sup>o</sup>.—Vallet de Viriville, +<i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, p. 94.—A.-L. Masson, <i>Jean Gerson, +sa vie, son temps, ses œuvres</i>, Lyon, 1894, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote1073" name="footnote1073"></a><a href="#footnotetag1073">[1073]</a> Du Boulay, <i>Historia Universitatis Parisiensis</i>, t. +IV, p. 270.</p> + +<p><a id="footnote1074" name="footnote1074"></a><a href="#footnotetag1074">[1074]</a> Gerson, <i>Opera</i>, t. IV, pp. 668-678.</p> + +<p><a id="footnote1075" name="footnote1075"></a><a href="#footnotetag1075">[1075]</a> Gerson, <i>Adversus corruptionem Juventutis</i>.—A. +Lafontaine, <i>De Johanne Gersonio puerorum adulescentiumque +institutore...</i> La Chapelle-Montligeon, 1902, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote1076" name="footnote1076"></a><a href="#footnotetag1076">[1076]</a> <i>Gallia Christiana</i>, t. VII, col. 142.—Jean Juvénal +des Ursins, année 1406.</p> + +<p><a id="footnote1077" name="footnote1077"></a><a href="#footnotetag1077">[1077]</a> <i>Œuvres de Gerson</i>, éd. Ellies Dupin, Paris, 1706, +in-folio, t. IV, p. 864.—<i>Procès</i>, t. III, p. 298; t. V, p. 412.—Le +P. Ayroles, <i>La Pucelle devant l'Église de son temps</i>, p. 24.</p> + +<p><a id="footnote1078" name="footnote1078"></a><a href="#footnotetag1078">[1078]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 12, 72, 76, 80.—<i>Chronique de +la Pucelle</i>, p. 298.—<i>Journal du siège</i>, p. 93.—<i>Chronique de la +fête</i>, dans <i>Procès</i>, t. V, p. 299.—Lettre écrite par les agents +d'une ville allemande, dans <i>Procès</i>, t. V, p. 349.—<i>Chronique de +Tournai</i> (<i>Recueil des Chroniques de Flandre</i>, t. III, p. +412).—Eberhard Windecke, p. 177.—De Beaucourt, <i>Histoire de Charles +VII</i>, t. II, p. 215.</p> + +<p><a id="footnote1079" name="footnote1079"></a><a href="#footnotetag1079">[1079]</a> <i>De Beaucourt</i>, <i>Histoire de Charles VII</i>, pp. 634 et +suiv.</p> + +<p><a id="footnote1080" name="footnote1080"></a><a href="#footnotetag1080">[1080]</a> Loiseleur, <i>Compte des dépenses</i>, pp. 147 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1081" name="footnote1081"></a><a href="#footnotetag1081">[1081]</a> <i>Procès</i>, t. V, pp. 256 et suiv., et Relevé des +comptes de commune et de forteresse, dans <i>Journal du siège</i>.—A. de +Villaret, <i>loc. cit.</i>, p. 61.—Couret, <i>Un fragment inédit des anciens +registres de la Prévôté d'Orléans</i>.</p> + +<p><a id="footnote1082" name="footnote1082"></a><a href="#footnotetag1082">[1082]</a> Morosini, t. III, p. 61.</p> + +<p><a id="footnote1083" name="footnote1083"></a><a href="#footnotetag1083">[1083]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 9, 10.</p> + +<p><a id="footnote1084" name="footnote1084"></a><a href="#footnotetag1084">[1084]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 93.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, +p. 300.</p> + +<p><a id="footnote1085" name="footnote1085"></a><a href="#footnotetag1085">[1085]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 99.</p> + +<p><a id="footnote1086" name="footnote1086"></a><a href="#footnotetag1086">[1086]</a> <i>Ibid.</i>, p. 99.</p> + +<p><a id="footnote1087" name="footnote1087"></a><a href="#footnotetag1087">[1087]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 12.—<i>Journal du siège</i>, p. +93.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 299.</p> + +<p><a id="footnote1088" name="footnote1088"></a><a href="#footnotetag1088">[1088]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 12.</p> + +<p><a id="footnote1089" name="footnote1089"></a><a href="#footnotetag1089">[1089]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 9, 11, 80.</p> + +<p><a id="footnote1090" name="footnote1090"></a><a href="#footnotetag1090">[1090]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 84.</p> + +<p><a id="footnote1091" name="footnote1091"></a><a href="#footnotetag1091">[1091]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 102.</p> + +<p><a id="footnote1092" name="footnote1092"></a><a href="#footnotetag1092">[1092]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 191.—A. Forgeais, <i>Collection de +plombs historiés trouvés dans la Seine</i>, Paris, 1869 (5 vol. in-8<sup>o</sup>), +t. II, IV et <i>passim</i>.—Vallet de Viriville, <i>Notes sur deux médailles +de plomb relatives à Jeanne d'Arc</i>, Paris, 1861, in-8<sup>o</sup>, 30 p. +[Extrait de la <i>Revue Archéologique</i>.]</p> + +<p><a id="footnote1093" name="footnote1093"></a><a href="#footnotetag1093">[1093]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 104. Je lis <i>in se sperantes</i>.</p> + +<p><a id="footnote1094" name="footnote1094"></a><a href="#footnotetag1094">[1094]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 104.—Lanéry d'Arc, <i>Le culte de +Jeanne d'Arc au XV<sup>e</sup> siècle</i>, 1886, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote1095" name="footnote1095"></a><a href="#footnotetag1095">[1095]</a> A. Thomas, <i>Le siège d'Orléans, Jeanne d'Arc et les +capitouls de Toulouse</i>, dans <i>Annales du Midi</i>, 1889, pp. 235, 236.</p> + +<p><a id="footnote1096" name="footnote1096"></a><a href="#footnotetag1096">[1096]</a> Lettre des Laval, dans <i>Procès</i>, t. V, p. +109.—Bertrand de Broussillon, <i>La maison de Laval, les +Montfort-Laval</i>, Paris, 1900, in-8<sup>o</sup>, t. III, p. 75.—C'est par erreur +que Quicherat (<i>Procès</i>, t. V, p. 105) donne à la veuve de Du Guesclin +le nom de Anne, et à la mère de Guy et d'André le nom de Jeanne.</p> + +<p><a id="footnote1097" name="footnote1097"></a><a href="#footnotetag1097">[1097]</a> Cuvelier, <i>Poème de Duguesclin</i>, vers 2325 et seq.</p> + +<p><a id="footnote1098" name="footnote1098"></a><a href="#footnotetag1098">[1098]</a> Bertrand de Broussillon, <i>La maison de Laval</i>, in-8<sup>o</sup>, +1900, t. III, <i>loc. cit.</i></p> + +<p><a id="footnote1099" name="footnote1099"></a><a href="#footnotetag1099">[1099]</a> Lettre de Gui de Laval, dans <i>Procès</i>, t. V, p. +105.—Lucien Jeny et P. Lanéry d'Arc, <i>Jeanne d'Arc en Berry</i>, Paris, +s. d., in-8<sup>o</sup>, p. 53.</p> + +<p><a id="footnote1100" name="footnote1100"></a><a href="#footnotetag1100">[1100]</a> Comptes de forteresse, dans <i>Procès</i>, t. V, p. 262.</p> + +<p><a id="footnote1101" name="footnote1101"></a><a href="#footnotetag1101">[1101]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 3, 9, 15, 18, 22, 69, 219 et +<i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote1102" name="footnote1102"></a><a href="#footnotetag1102">[1102]</a> <i>Ibid.</i>, t. V, aux mots: <i>Confession</i> et <i>Communion</i>.</p> + +<p><a id="footnote1103" name="footnote1103"></a><a href="#footnotetag1103">[1103]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 14; t. II, pp. 420, 424.</p> + +<p><a id="footnote1104" name="footnote1104"></a><a href="#footnotetag1104">[1104]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 220, 253; t. II, pp. 294, +438.—<i>Relation du greffier de La Rochelle</i>, p. 60.—Analyse d'une +lettre de Regnault de Chartres, dans Rogier (<i>Procès</i>, t. V, +168-169).—Martin le Franc, <i>Le champion des dames</i>, dans <i>Procès</i>, t. +V, p. 48.</p> + +<p><a id="footnote1105" name="footnote1105"></a><a href="#footnotetag1105">[1105]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 61, 62, 481.</p> + +<p><a id="footnote1106" name="footnote1106"></a><a href="#footnotetag1106">[1106]</a> P. Blavignac, <i>La cloche</i>, Genève, 1877, in-8<sup>o</sup>.—L. +Morillot, <i>Étude sur l'emploi des clochettes</i>, dans <i>Bulletin hist. +archéolog. du diocèse de Dijon</i>, 1887. in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote1107" name="footnote1107"></a><a href="#footnotetag1107">[1107]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 52, 64, 153 et <i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote1108" name="footnote1108"></a><a href="#footnotetag1108">[1108]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p 130.</p> + +<p><a id="footnote1109" name="footnote1109"></a><a href="#footnotetag1109">[1109]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 186.</p> + +<p><a id="footnote1110" name="footnote1110"></a><a href="#footnotetag1110">[1110]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 72, 75.</p> + +<p><a id="footnote1111" name="footnote1111"></a><a href="#footnotetag1111">[1111]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 219, 220.</p> + +<p><a id="footnote1112" name="footnote1112"></a><a href="#footnotetag1112">[1112]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 57.</p> + +<p><a id="footnote1113" name="footnote1113"></a><a href="#footnotetag1113">[1113]</a> <i>Ibid.</i>, t. V, p. 342. Les lettres d'anoblissement de +Guy de Cailly sont très suspectes.—Vallet de Viriville, <i>Petit +traité...</i>, p. 92.</p> + +<p><a id="footnote1114" name="footnote1114"></a><a href="#footnotetag1114">[1114]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 112.</p> + +<p><a id="footnote1115" name="footnote1115"></a><a href="#footnotetag1115">[1115]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 112.—<i>Poésies de Charles +d'Orléans</i>, éd. A. Champollion-Figeac, p. 174.</p> + +<p><a id="footnote1116" name="footnote1116"></a><a href="#footnotetag1116">[1116]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 108, 109.</p> + +<p><a id="footnote1117" name="footnote1117"></a><a href="#footnotetag1117">[1117]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 78, 117, 182.</p> + +<p><a id="footnote1118" name="footnote1118"></a><a href="#footnotetag1118">[1118]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 117, 300; t. V, p. 227.</p> + +<p><a id="footnote1119" name="footnote1119"></a><a href="#footnotetag1119">[1119]</a> Greffier de la Chambre des comptes de Brabant, dans +<i>Procès</i>, t. IV, p. 426.—Morosini, t. III, pp. 33, 46, 62.</p> + +<p><a id="footnote1120" name="footnote1120"></a><a href="#footnotetag1120">[1120]</a> Lettre de Gui et André de Laval aux dames de Laval, +dans <i>Procès</i>, t. V, p. 106.—L. Jeny et Lanéry d'Arc, <i>Jeanne d'Arc +en Berry</i>, Paris, 1892, in-8<sup>o</sup>, p. 54.</p> + +<p><a id="footnote1121" name="footnote1121"></a><a href="#footnotetag1121">[1121]</a> Bertrand de Broussillon, <i>La maison de Laval</i>, t. III, +p. 21.</p> + +<p><a id="footnote1122" name="footnote1122"></a><a href="#footnotetag1122">[1122]</a> Lettre de Gui et André de Laval, dans <i>Procès</i>, t. V, +pp. 106 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1123" name="footnote1123"></a><a href="#footnotetag1123">[1123]</a> N. Villiaumé, <i>Histoire de Jeanne d'Arc</i>, p. 88.</p> + +<p><a id="footnote1124" name="footnote1124"></a><a href="#footnotetag1124">[1124]</a> C'est-à-dire, considéré la réputation, l'estime où on +la tenait. Comparez Froissart, cité dans La Curne, <i>Glossaire, ad. v.</i> +«Six bourgeois de la ville de Calais et de plus grande +recommandation.»</p> + +<p><a id="footnote1125" name="footnote1125"></a><a href="#footnotetag1125">[1125]</a> Lettre de Gui et d'André de Laval, dans <i>Procès</i>, t. +V, pp. 106, 107.</p> + +<p><a id="footnote1126" name="footnote1126"></a><a href="#footnotetag1126">[1126]</a> <i>Mistère du siège</i>, vers 15761.—<i>Journal du siège</i>, +p. 95.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 299.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, t. I, p. 81.—Monstrelet, t. III, p. 338.</p> + +<p><a id="footnote1127" name="footnote1127"></a><a href="#footnotetag1127">[1127]</a> A. Duveau, <i>Le jugement du duc d'Alençon</i>, dans <i>Bull. +soc. archéol. du Vendômois</i> (1874), XIII, pp. 132 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1128" name="footnote1128"></a><a href="#footnotetag1128">[1128]</a> Loiseleur, <i>Compte des dépenses faites par Charles VII +pour secourir Orléans</i>, p. 158.</p> + +<p><a id="footnote1129" name="footnote1129"></a><a href="#footnotetag1129">[1129]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 97.</p> + +<p><a id="footnote1130" name="footnote1130"></a><a href="#footnotetag1130">[1130]</a> Extraits des livres de comptes, dans <i>Procès</i>, t. V, +pp. 262, 263.—A. de Villaret, <i>Campagnes de Jeanne d'Arc sur la +Loire</i>, pp. 77-80.—Loiseleur, <i>Compte des dépenses</i>, p. 149.</p> + +<p><a id="footnote1131" name="footnote1131"></a><a href="#footnotetag1131">[1131]</a> Abbé Bossard, <i>Gille de Rais</i>, Paris, 1886, p. +32.—Lea, <i>Histoire de l'Inquisition</i>, trad. Reinach, t. III, pp. 566 +et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1132" name="footnote1132"></a><a href="#footnotetag1132">[1132]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 258.</p> + +<p><a id="footnote1133" name="footnote1133"></a><a href="#footnotetag1133">[1133]</a> Berry, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 45.</p> + +<p><a id="footnote1134" name="footnote1134"></a><a href="#footnotetag1134">[1134]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 96.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, +p. 299.—<i>Chronique de la fête</i>, dans <i>Procès</i>, t. V, p. 295.—Jean +Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 82.—Berry, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. +44.—Monstrelet, t. IV, p. 325.</p> + +<p><a id="footnote1135" name="footnote1135"></a><a href="#footnotetag1135">[1135]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 94.—Perceval de Cagny, pp. 150, +151.</p> + +<p><a id="footnote1136" name="footnote1136"></a><a href="#footnotetag1136">[1136]</a> <i>Journal du siège</i>, <i>Chronique de la Pucelle</i>, Berry, +Jean Chartier, <i>loc. cit.</i>—Wavrin du Forestel, <i>Anchiennes +croniques</i>, t. I, p. 284.—Fauquembergue, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. +452.</p> + +<p><a id="footnote1137" name="footnote1137"></a><a href="#footnotetag1137">[1137]</a> Perceval de Cagny, p. 148 et <i>passim</i>.—<i>Chronique de +la Pucelle</i>, p. 300.</p> + +<p><a id="footnote1138" name="footnote1138"></a><a href="#footnotetag1138">[1138]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 95.</p> + +<p><a id="footnote1139" name="footnote1139"></a><a href="#footnotetag1139">[1139]</a> La nuit du vendredi 10 au samedi 11.</p> + +<p><a id="footnote1140" name="footnote1140"></a><a href="#footnotetag1140">[1140]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 95.</p> + +<p><a id="footnote1141" name="footnote1141"></a><a href="#footnotetag1141">[1141]</a> <i>Procès</i>, <i>ibid.</i>—<i>Journal du siège</i>, p. 97.</p> + +<p><a id="footnote1142" name="footnote1142"></a><a href="#footnotetag1142">[1142]</a> Perceval de Cagny, p. 150.</p> + +<p><a id="footnote1143" name="footnote1143"></a><a href="#footnotetag1143">[1143]</a> <i>Ibid.</i>, p. 150.</p> + +<p><a id="footnote1144" name="footnote1144"></a><a href="#footnotetag1144">[1144]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 79, 95.</p> + +<p><a id="footnote1145" name="footnote1145"></a><a href="#footnotetag1145">[1145]</a> S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, p. <span class="smcap">CLXVIII</span>.</p> + +<p><a id="footnote1146" name="footnote1146"></a><a href="#footnotetag1146">[1146]</a> <i>Journal du siège</i>, <i>Chronique de la Pucelle</i>, J. +Chartier. Monstrelet, <i>loc. cit.</i></p> + +<p><a id="footnote1147" name="footnote1147"></a><a href="#footnotetag1147">[1147]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 95.</p> + +<p><a id="footnote1148" name="footnote1148"></a><a href="#footnotetag1148">[1148]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 79-80, 234.</p> + +<p><a id="footnote1149" name="footnote1149"></a><a href="#footnotetag1149">[1149]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 97.—Perceval de Cagny, pp. +150-151.</p> + +<p><a id="footnote1150" name="footnote1150"></a><a href="#footnotetag1150">[1150]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 95-96.</p> + +<p><a id="footnote1151" name="footnote1151"></a><a href="#footnotetag1151">[1151]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 96, 97.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, p. 301.—<i>Journal du siège</i>, p. 97.</p> + +<p><a id="footnote1152" name="footnote1152"></a><a href="#footnotetag1152">[1152]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 97.</p> + +<p><a id="footnote1153" name="footnote1153"></a><a href="#footnotetag1153">[1153]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 100.</p> + +<p><a id="footnote1154" name="footnote1154"></a><a href="#footnotetag1154">[1154]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 97.—<i>Journal du siège</i>, p. +98.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, pp. 301-302.—Perceval de Cagny, pp. +150-151.</p> + +<p><a id="footnote1155" name="footnote1155"></a><a href="#footnotetag1155">[1155]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 99.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, +p. 302.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 82.—Berry, dans +<i>Procès</i>, t. IV, p. 65.</p> + +<p><a id="footnote1156" name="footnote1156"></a><a href="#footnotetag1156">[1156]</a> Fragment d'une lettre sur des prodiges advenus en +Poitou, dans <i>Procès</i>, t. V, p. 122.</p> + +<p><a id="footnote1157" name="footnote1157"></a><a href="#footnotetag1157">[1157]</a> <i>Relation du greffier de La Rochelle</i>, p. +340.—Morosini, t. III, p. 70.—<i>Procès</i>, t. V, pp. 121-122.</p> + +<p><a id="footnote1158" name="footnote1158"></a><a href="#footnotetag1158">[1158]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 72.—Perceval de Cagny, p. +151.—<i>Journal du siège</i>, p. 99.—Monstrelet, t. IV, p. +328.—Morosini, t. III, pp. 128, 129.</p> + +<p><a id="footnote1159" name="footnote1159"></a><a href="#footnotetag1159">[1159]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 99.</p> + +<p><a id="footnote1160" name="footnote1160"></a><a href="#footnotetag1160">[1160]</a> Perceval de Cagny, p. 151.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, +p. 302.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I. pp. 82, 83.—Berry, dans +<i>Procès</i>, t. IV, p. 65.</p> + +<p><a id="footnote1161" name="footnote1161"></a><a href="#footnotetag1161">[1161]</a> Comptes de la ville d'Orléans, à la suite du <i>Journal +du siège</i>, édit. Charpentier et Cuissard, p. 229.—Le R. P. Chapotin, +<i>La guerre de cent ans</i>, <i>Jeanne d'Arc et les Dominicains</i>, Paris, +1889, in-8<sup>o</sup>, p. 82.</p> + +<p><a id="footnote1162" name="footnote1162"></a><a href="#footnotetag1162">[1162]</a> A. de Villaret, <i>Campagne des Anglais...</i>, pièces +justificatives, p. 51.</p> + +<p><a id="footnote1163" name="footnote1163"></a><a href="#footnotetag1163">[1163]</a> <i>Procès</i>, t. V, pp. 112-113.</p> + +<p><a id="footnote1164" name="footnote1164"></a><a href="#footnotetag1164">[1164]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 23.</p> + +<p><a id="footnote1165" name="footnote1165"></a><a href="#footnotetag1165">[1165]</a> <i>Ibid.</i>, t. V, p. 306.</p> + +<p><a id="footnote1166" name="footnote1166"></a><a href="#footnotetag1166">[1166]</a> <i>Ibid.</i>, t. V, pp. 112, 114.</p> + +<p><a id="footnote1167" name="footnote1167"></a><a href="#footnotetag1167">[1167]</a> Comptes de forteresse, dans <i>Procès</i>, t. V, p. 259.</p> + +<p><a id="footnote1168" name="footnote1168"></a><a href="#footnotetag1168">[1168]</a> <i>Procès</i>, t. V, pp. 106, 259.—<i>Catalogue des Arch. de +Joursanvault</i>, t. I, p. 129, n<sup>os</sup> 603, 607, 619, 645, +772.—Dambreville, <i>Abrégé de l'histoire des ordres de chevalerie</i>, p. +167.—P. Mantelier, <i>Histoire du siège</i>, p. 92.</p> + +<p><a id="footnote1169" name="footnote1169"></a><a href="#footnotetag1169">[1169]</a> Vert perdu, feuille morte, dans La Curne.</p> + +<p><a id="footnote1170" name="footnote1170"></a><a href="#footnotetag1170">[1170]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 133, 254.</p> + +<p><a id="footnote1171" name="footnote1171"></a><a href="#footnotetag1171">[1171]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 55.</p> + +<p><a id="footnote1172" name="footnote1172"></a><a href="#footnotetag1172">[1172]</a> A. Champollion-Figeac, <i>Louis et Charles, ducs +d'Orléans, leur influence sur les arts, la littérature et l'esprit de +leur siècle</i>, Paris, 1844, 1 vol. in-8<sup>o</sup> et atlas, pp. 300-337.</p> + +<p><a id="footnote1173" name="footnote1173"></a><a href="#footnotetag1173">[1173]</a> <i>Les poésies de Chartes d'Orléans</i>, éd. A. +Champollion-Figeac, Paris, 1842, in-8<sup>o</sup>.—Pierre Champion, <i>Le +manuscrit autographe des poésies de Charles d'Orléans</i>, Paris, 1907, +in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote1174" name="footnote1174"></a><a href="#footnotetag1174">[1174]</a> Le Roux de Lincy, <i>La bibliothèque de Charles +d'Orléans à son château de Blois, en 1427</i>, Paris, 1843, +in-8<sup>o</sup>.—Comte de Laborde, <i>Les ducs de Bourgogne, études sur les +lettres, les arts et l'industrie pendant le XV<sup>e</sup> siècle</i>, Paris, +1852, t. III, pp. 235 et suiv.—<i>Inventaires et documents relatifs aux +joyaux et tapisseries des princes d'Orléans-Valois</i>, Paris, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote1175" name="footnote1175"></a><a href="#footnotetag1175">[1175]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, Introduction, par Vallet de +Viriville, pp. 8, 19 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1176" name="footnote1176"></a><a href="#footnotetag1176">[1176]</a> Cela est certain pour l'année 1433 (<i>Poésies complètes +de Charles d'Orléans</i>, éd. Charles d'Héricault, Paris, 1874, 2 vol. +in-8<sup>o</sup>, introduction).</p> + +<p><a id="footnote1177" name="footnote1177"></a><a href="#footnotetag1177">[1177]</a> <i>Poésies de Charles d'Orléans</i>, éd. A. +Champollion-Figeac, pp. 175-176.</p> + +<p><a id="footnote1178" name="footnote1178"></a><a href="#footnotetag1178">[1178]</a> Toute paix était pour lui une bonne paix; même celle +de 1420, celle du traité de Troyes (Pierre Champion, <i>Le manuscrit +autographe des poésies de Charles d'Orléans</i>, Paris, 1907, in-8<sup>o</sup>, p. +32).</p> + +<p><a id="footnote1179" name="footnote1179"></a><a href="#footnotetag1179">[1179]</a> Perceval de Cagny, p. 152: «Je veux demain, après +dîner, aller voir ceux de Meung.» Le tour de langage qui est attribué +à Jeanne, dans cette chronique, appartient en propre au clerc qui la +rédigea.</p> + +<p><a id="footnote1180" name="footnote1180"></a><a href="#footnotetag1180">[1180]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 71, 97, 110.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, p. 305.—<i>Journal du siège</i>, p. 101.—Berry, dans <i>Procès</i>, +t. IV, p. 44.—Walter Bower, <i>Scotichronicon</i>, dans <i>Procès</i>, t. IV, +p. 479.—Eberhard Windecke, p. 176.</p> + +<p><a id="footnote1181" name="footnote1181"></a><a href="#footnotetag1181">[1181]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 97.</p> + +<p><a id="footnote1182" name="footnote1182"></a><a href="#footnotetag1182">[1182]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 97, 98.</p> + +<p><a id="footnote1183" name="footnote1183"></a><a href="#footnotetag1183">[1183]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 101.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, p. 304.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 83.</p> + +<p><a id="footnote1184" name="footnote1184"></a><a href="#footnotetag1184">[1184]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 97, 98.—Gruel, <i>Chronique de +Richemont</i>, p. 70.</p> + +<p><a id="footnote1185" name="footnote1185"></a><a href="#footnotetag1185">[1185]</a> E. Cosneau, <i>Le connétable de Richemont</i>, pp. 93 et +suiv.</p> + +<p><a id="footnote1186" name="footnote1186"></a><a href="#footnotetag1186">[1186]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 315, 316.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, t. I, p. 84.—<i>Journal du siège</i>, pp. 101, 102.—Perceval +de Cagny, p. 153.</p> + +<p><a id="footnote1187" name="footnote1187"></a><a href="#footnotetag1187">[1187]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 98.—E. Cosneau, <i>Le connétable +de Richemont</i>, p. 168.</p> + +<p><a id="footnote1188" name="footnote1188"></a><a href="#footnotetag1188">[1188]</a> Gruel, <i>Chronique de Richemont</i>, pp. 70 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1189" name="footnote1189"></a><a href="#footnotetag1189">[1189]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 98.</p> + +<p><a id="footnote1190" name="footnote1190"></a><a href="#footnotetag1190">[1190]</a> Gruel, <i>Chronique de Richemont</i>, p. 71.—E. Cosneau, +<i>Le connétable de Richemont</i>, p. 169.</p> + +<p><a id="footnote1191" name="footnote1191"></a><a href="#footnotetag1191">[1191]</a> «Lors le saluèrent et le vindrent accoller par les +jambes». J. de Bueil, <i>Le Jouvencel</i>, t. I, p. 191.</p> + +<p><a id="footnote1192" name="footnote1192"></a><a href="#footnotetag1192">[1192]</a> Gruel, <i>Chronique de Richemont</i>, pp. 71-72.—J'ai +suivi Gruel, peu sûr d'ordinaire, mais très vraisemblable en cet +endroit et qui, du moins, ne nous jette pas en pleine hagiographie.</p> + +<p><a id="footnote1193" name="footnote1193"></a><a href="#footnotetag1193">[1193]</a> Gruel, <i>Chronique de Richemont</i>, p. 228.</p> + +<p><a id="footnote1194" name="footnote1194"></a><a href="#footnotetag1194">[1194]</a> <i>Ibid.</i>, p. 72.—E. Cosneau, <i>Le connétable de +Richemont</i>, p. 170.</p> + +<p><a id="footnote1195" name="footnote1195"></a><a href="#footnotetag1195">[1195]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 97.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, +p. 301.</p> + +<p><a id="footnote1196" name="footnote1196"></a><a href="#footnotetag1196">[1196]</a> A. de Villaret, <i>Campagne des Anglais</i>, pp. 87-88 et +pièces justificatives, pp. 153, 158.</p> + +<p><a id="footnote1197" name="footnote1197"></a><a href="#footnotetag1197">[1197]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 305.—<i>Journal du +siège</i>, p. 102.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 84.—Wavrin du +Forestel, <i>Anchiennes croniques</i>, t. I, pp. 279, 282.—Monstrelet, t. +III, pp. 325 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1198" name="footnote1198"></a><a href="#footnotetag1198">[1198]</a> Gruel, <i>Chronique de Richemont</i>, p. 72.</p> + +<p><a id="footnote1199" name="footnote1199"></a><a href="#footnotetag1199">[1199]</a> Wavrin du Forestel, <i>Anchiennes croniques</i>, t. I, p. +279.</p> + +<p><a id="footnote1200" name="footnote1200"></a><a href="#footnotetag1200">[1200]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 98.</p> + +<p><a id="footnote1201" name="footnote1201"></a><a href="#footnotetag1201">[1201]</a> Wavrin du Forestel, <i>Anchiennes croniques</i>, éd. +Dupont, t. I, p. 281.—Berry, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 44.—Jean +Chartier, <i>Chronique</i>; t. I, p. 85.—<i>Journal du siège</i>, pp. +102-103.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 306.—Gruel, <i>Chronique de +Richemont</i>, p. 72.—Fauquembergue, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. +452.—Morosini, t. III, pp. 71-73.</p> + +<p><a id="footnote1202" name="footnote1202"></a><a href="#footnotetag1202">[1202]</a> Monstrelet, t. IV, p. 331.—Wavrin du Forestel, +<i>Anchiennes croniques</i>, t. I, p. 283 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1203" name="footnote1203"></a><a href="#footnotetag1203">[1203]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, J. Chartier, Gruel, +Morosini, Berry, Monstrelet, Wavrin, <i>loc. cit.</i>—<i>Lettre de Jacques +de Bourbon, comte de la Marche à Guill. de Champeaux, évêque de Laon</i>, +d'après un manuscrit de Vienne par Bougenot, dans <i>Bull. du Com. des +travaux hist. et scientif. Hist. et phil. 1892</i>, pp. 56-65 (traduction +française par S. Luce, dans la <i>Revue Bleue</i>, 13 février 1892, pp. +201-204).</p> + +<p><a id="footnote1204" name="footnote1204"></a><a href="#footnotetag1204">[1204]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 120.—Monstrelet, t. IV, p. +328.—Le clerc qui rédigea la déposition de Thibault de Termes, +ignorant cette affaire, mit ces propos à la rencontre de Patay. À +Patay, Jeanne et La Hire n'étaient pas près l'un de l'autre.</p> + +<p><a id="footnote1205" name="footnote1205"></a><a href="#footnotetag1205">[1205]</a> Wavrin du Forestel, <i>Anchiennes croniques</i>, t. I, p. +286.</p> + +<p><a id="footnote1206" name="footnote1206"></a><a href="#footnotetag1206">[1206]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 11.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, +p. 243.—Il est clair que cet endroit de la déposition de Dunois et de +la <i>Chronique de la Pucelle</i> ne s'applique pas à la journée du 18, +comme on l'a cru. «Tous les corps anglais, dit Dunois, se réunirent en +une seule armée. Nous crûmes qu'ils voulaient nous offrir la +bataille.» Il parle évidemment de ce qui s'est passé le 17 août. La +déposition du duc d'Alençon brouille tout. On ne comprend pas que la +Pucelle ait dit des Anglais, le 18: «Dieu nous les envoie», quand ils +fuyaient.</p> + +<p><a id="footnote1207" name="footnote1207"></a><a href="#footnotetag1207">[1207]</a> Ceux qui attribuent ce mot à la Pucelle ont mal lu +Wavrin, <i>Anchiennes croniques</i>, t. I, p. 287.</p> + +<p><a id="footnote1208" name="footnote1208"></a><a href="#footnotetag1208">[1208]</a> Wavrin du Forestel, <i>Anchiennes croniques</i>, t. I, p. +287.—Monstrelet, t. IV, pp. 326 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1209" name="footnote1209"></a><a href="#footnotetag1209">[1209]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, <i>Journal du siège</i>, Gruel, +J. Chartier, Berry, <i>loc. cit.</i></p> + +<p><a id="footnote1210" name="footnote1210"></a><a href="#footnotetag1210">[1210]</a> Wavrin du Forestel, <i>Anchiennes croniques</i>, t. I, p. +289.—Fauché-Prunelle, <i>Lettres tirées des archives de l'évêché de +Grenoble</i>, dans <i>Bull. acad. Delph.</i>, t. II, 1847, pp. 458 et +suiv.—Lettre de Charles VII à la ville de Tours, dans <i>Procès</i>, t. V, +pp. 262, 263.</p> + +<p><a id="footnote1211" name="footnote1211"></a><a href="#footnotetag1211">[1211]</a> Wavrin du Forestel, <i>Anchiennes croniques</i>, t. I, p. +289.</p> + +<p><a id="footnote1212" name="footnote1212"></a><a href="#footnotetag1212">[1212]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 10, 98, 99.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, p. 306.—<i>Chronique Normande</i>, ch. <span class="smcap">XLVIII</span>, éd. Vallet de +Viriville.—Monstrelet, t. III, pp. 325 et suiv.—Morosini, t. III, +pp. 72, 73.—Wavrin du Forestel, <i>Anchiennes croniques</i>, t. I, pp. +289-290.—On met cette parole au moment où les Anglais furent +rejoints, sans s'apercevoir qu'alors elle n'a plus aucun sens.</p> + +<p><a id="footnote1213" name="footnote1213"></a><a href="#footnotetag1213">[1213]</a> Lettre de Jacques de Bourbon dans la <i>Revue Bleue</i>, 13 +février 1892, pp. 201-204.—Monstrelet, t. IV, p. 327.—Wavrin du +Forestel, <i>Anchiennes croniques</i>, p. 289.</p> + +<p><a id="footnote1214" name="footnote1214"></a><a href="#footnotetag1214">[1214]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 71.—<i>Journal du siège</i>, p. +140.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 307.—<i>Deux documents sur Jeanne +d'Arc</i>, dans <i>Revue Bleue</i>, 13 février 1892.</p> + +<p><a id="footnote1215" name="footnote1215"></a><a href="#footnotetag1215">[1215]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 11, 71, 98.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, pp. 306 et suiv.—<i>Journal du siège</i>, pp. 103 et suiv.—Jean +Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 85.—Le comte de Vassal, <i>La bataille +de Patay</i>, Orléans, 1890.</p> + +<p><a id="footnote1216" name="footnote1216"></a><a href="#footnotetag1216">[1216]</a> Monstrelet, t. IV, p. 328.</p> + +<p><a id="footnote1217" name="footnote1217"></a><a href="#footnotetag1217">[1217]</a> Wavrin du Forestel, <i>Anchiennes croniques</i>, t. I, p. +291.</p> + +<p><a id="footnote1218" name="footnote1218"></a><a href="#footnotetag1218">[1218]</a> <i>Ibid.</i>, pp. 291-292.</p> + +<p><a id="footnote1219" name="footnote1219"></a><a href="#footnotetag1219">[1219]</a> Monstrelet, t. IV, p. 329.</p> + +<p><a id="footnote1220" name="footnote1220"></a><a href="#footnotetag1220">[1220]</a> Wavrin du Forestel, <i>Anchiennes croniques</i>, t. I, p. +292.—Monstrelet, t. III, pp. 329, 350.</p> + +<p><a id="footnote1221" name="footnote1221"></a><a href="#footnotetag1221">[1221]</a> «Aux alentours de Lignerolles, on a trouvé des fers de +chevaux, un dard de javelot, des ferrements de chariots, des boulets.» +P. Mantellier, <i>Histoire du siège</i>, Orléans, 1867, in-12, p. 139.</p> + +<p><a id="footnote1222" name="footnote1222"></a><a href="#footnotetag1222">[1222]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 11.—Gruel, <i>Chronique de +Richemont</i>, pp. 73-74.—Perceval de Cagny, pp. 154 et +suiv.—<i>Chronique Normande</i>, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 340.—Eberhard +Windecke, p. 180.—Lefèvre de Saint-Remy, t. II, pp. 144, +145.—Fauquembergue, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 452.—<i>Commentaires de +Pie II</i>, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 512.—Morosini, t. III, pp. +72-75.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 306.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, t. I, p. 86.—Monstrelet, t. IV, pp. 330-333.—Wavrin du +Forestel, <i>Anchiennes croniques</i>, t. I, p. 293.—Lettre de J. de +Bourbon, dans la <i>Revue Bleue</i>, 13 février 1892. Lettre de Charles VII +à Tours et aux Dauphinois, dans <i>Procès</i>, t. V, pp. 345, 346.</p> + +<p><a id="footnote1223" name="footnote1223"></a><a href="#footnotetag1223">[1223]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 118; t. V, p. 120.</p> + +<p><a id="footnote1224" name="footnote1224"></a><a href="#footnotetag1224">[1224]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 71.</p> + +<p><a id="footnote1225" name="footnote1225"></a><a href="#footnotetag1225">[1225]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 99.</p> + +<p><a id="footnote1226" name="footnote1226"></a><a href="#footnotetag1226">[1226]</a> Boucher de Molandon, <i>Janville, son donjon, son +château, ses souvenirs du XV<sup>e</sup> siècle</i>, Orléans, 1886, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote1227" name="footnote1227"></a><a href="#footnotetag1227">[1227]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 105.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, pp. 307, 308.</p> + +<p><a id="footnote1228" name="footnote1228"></a><a href="#footnotetag1228">[1228]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, pp. 307-308.—<i>Journal du +siège</i>, p. 105.</p> + +<p><a id="footnote1229" name="footnote1229"></a><a href="#footnotetag1229">[1229]</a> De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, pp. +222 et suiv.—E. Cosneau, <i>Le connétable de Richemont</i>, p. 172.</p> + +<p><a id="footnote1230" name="footnote1230"></a><a href="#footnotetag1230">[1230]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 116.</p> + +<p><a id="footnote1231" name="footnote1231"></a><a href="#footnotetag1231">[1231]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 76, 116.</p> + +<p><a id="footnote1232" name="footnote1232"></a><a href="#footnotetag1232">[1232]</a> Lettre de Charles VII aux Dauphinois, publiée par +Fauché-Prunelle, dans <i>Bull. de l'Acad. Delphinale</i>, t. II, p. 459; +aux habitants de Tours (Archives de Tours, <i>Registre des comptes</i>, +XXIV), dans <i>Cabinet Historique</i>, I, C, p. 109; à ceux de Poitiers, +Redet, dans les <i>Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest</i>, +t. III, p. 406.—<i>Relation du greffier de La Rochelle</i>, dans <i>Revue +Historique</i>, t. IV, p. 459.</p> + +<p><a id="footnote1233" name="footnote1233"></a><a href="#footnotetag1233">[1233]</a> <i>Journal du siège</i>, pp. 106, 108.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, t. I, p. 89.—Gruel, <i>Chronique de Richemont</i>, p. +74.—Monstrelet, t. IV, pp. 344, 347.—E. Cosneau, <i>Le connétable de +Richemont</i>, pp. 181, 182.</p> + +<p><a id="footnote1234" name="footnote1234"></a><a href="#footnotetag1234">[1234]</a> 1431, 8 mai. Arrêt condamnant André de Beaumont à la +peine capitale comme criminel de lèse-majesté (Arch. nat. J. 366). La +copie intégrale de cette pièce m'a été communiquée par M. P. +Champion.</p> + +<p><a id="footnote1235" name="footnote1235"></a><a href="#footnotetag1235">[1235]</a> Monstrelet, t. IV, p. 30.—De Beaucourt, <i>Histoire de +Charles VII</i>, t. I, pp. 202 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1236" name="footnote1236"></a><a href="#footnotetag1236">[1236]</a> Dom Morice, <i>Histoire de Bretagne</i>, t. II, col. +1135-6.—De Beaucourt, <i>loc. cit.</i>, t. II, chap. <span class="smcap">VII</span>.</p> + +<p><a id="footnote1237" name="footnote1237"></a><a href="#footnotetag1237">[1237]</a> Bellier-Dumaine, <i>L'administration du duché de +Bretagne sous le règne de Jean V</i> (1399-1442), dans les <i>Annales de +Bretagne</i>, t. XIV-XVI (1898-99), <i>passim</i> et 3<sup>e</sup> partie: Le +commerce, l'industrie, l'agriculture, l'instruction publique et Jean V +(t. XVI, p. 246) et 4<sup>e</sup> partie, ch. <span class="smcap">III</span>: Les villes, les paroisses +rurales et Jean V (t. XVI, p. 495).</p> + +<p><a id="footnote1238" name="footnote1238"></a><a href="#footnotetag1238">[1238]</a> Eberhard Windecke, pp. 178, 179.</p> + +<p><a id="footnote1239" name="footnote1239"></a><a href="#footnotetag1239">[1239]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 264.—Eberhard Windecke, pp. 68-70, +179.—Morosini, t. III, p. 90.—Dom Lobineau, <i>Histoire de Bretagne</i>, +t. I, p. 587.—Dom Morice, <i>Histoire de Bretagne</i>, t. I, pp. 508, +580.</p> + +<p><a id="footnote1240" name="footnote1240"></a><a href="#footnotetag1240">[1240]</a> L. Delisle, <i>Un nouveau témoignage relatif à la +mission de Jeanne d'Arc</i>, dans <i>Bibliothèque de l'École des Chartes</i>, +t. XLVI, p. 649.—Le P. Ayroles, <i>La Pucelle devant l'Église de son +temps</i>, pp. 53, 60.</p> + +<p><a id="footnote1241" name="footnote1241"></a><a href="#footnotetag1241">[1241]</a> Cathédrale du Puy.—E.-F. Corpet, <i>Portraits des Arts +libéraux d'après les écrivains du moyen âge</i>, dans <i>Annales +archéologiques</i>, 1857, t. XVII, pp. 89-103.—Em. Male, <i>Les Arts +libéraux dans la statuaire du moyen âge</i>, dans <i>Revue archéologique</i>, +1891.</p> + +<p><a id="footnote1242" name="footnote1242"></a><a href="#footnotetag1242">[1242]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 411-421.—Le P. Ayroles, <i>La +Pucelle devant l'église de son temps</i>, t. I, pp. 61-68.</p> + +<p><a id="footnote1243" name="footnote1243"></a><a href="#footnotetag1243">[1243]</a> Le P. Ayrolles, t. IV, <i>La vierge guerrière</i>, pp. 240 +et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1244" name="footnote1244"></a><a href="#footnotetag1244">[1244]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 20.—<i>Journal du siège</i>, pp. 93, +94.</p> + +<p><a id="footnote1245" name="footnote1245"></a><a href="#footnotetag1245">[1245]</a> Fauquembergue, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 451.—<i>Journal +d'un bourgeois de Paris</i>, p. 239.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. +291.—De Barante, <i>Histoire des ducs de Bourgogne</i>, t. III, p. 323.</p> + +<p><a id="footnote1246" name="footnote1246"></a><a href="#footnotetag1246">[1246]</a> Le P. Denifle, <i>La désolation des églises</i>, +introduction.</p> + +<p><a id="footnote1247" name="footnote1247"></a><a href="#footnotetag1247">[1247]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 12, 13.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, p. 300.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, p. 87.—Morosini, t. +III, p. 63, note 2.</p> + +<p><a id="footnote1248" name="footnote1248"></a><a href="#footnotetag1248">[1248]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 12, 13.—Wallon, <i>Jeanne d'Arc</i>, +1875, t. I, p. 213.</p> + +<p><a id="footnote1249" name="footnote1249"></a><a href="#footnotetag1249">[1249]</a> Rymer, <i>Fœdera</i>, 18 juin 1429.—Morosini, t. III, +pp. 132-133; t. IV, annexe <span class="smcap">XVII</span>.—G. Lefèvre-Pontalis, <i>La panique +anglaise en mai 1429</i>, Paris, 1894, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote1250" name="footnote1250"></a><a href="#footnotetag1250">[1250]</a> G. Lefèvre-Pontalis, <i>La guerre des partisans dans la +Haute Normandie</i> (1424-1429) dans <i>Bibliothèque de l'École des +Chartes</i>, depuis 1893.</p> + +<p><a id="footnote1251" name="footnote1251"></a><a href="#footnotetag1251">[1251]</a> Perceval de Cagny, pp. 149, 157.</p> + +<p><a id="footnote1252" name="footnote1252"></a><a href="#footnotetag1252">[1252]</a> Perceval de Cagny, p. 170.</p> + +<p><a id="footnote1253" name="footnote1253"></a><a href="#footnotetag1253">[1253]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 310.</p> + +<p><a id="footnote1254" name="footnote1254"></a><a href="#footnotetag1254">[1254]</a> E. Cosneau, <i>Le connétable de Richemont</i>, pp. 179 et +suiv.</p> + +<p><a id="footnote1255" name="footnote1255"></a><a href="#footnotetag1255">[1255]</a> Le P. Denifle, <i>La désolation des églises</i>, +introduction.</p> + +<p><a id="footnote1256" name="footnote1256"></a><a href="#footnotetag1256">[1256]</a> Morosini, t. IV, Annexe XVII.</p> + +<p><a id="footnote1257" name="footnote1257"></a><a href="#footnotetag1257">[1257]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 20, 300.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, pp. 322, 323.—<i>Journal du siège</i>, pp. 93, 114.</p> + +<p><a id="footnote1258" name="footnote1258"></a><a href="#footnotetag1258">[1258]</a> Le Maire, <i>Antiquités d'Orléans</i>, chap. <span class="smcap">XXV</span>, p. 100.</p> + +<p><a id="footnote1259" name="footnote1259"></a><a href="#footnotetag1259">[1259]</a> Pie II, <i>Commentarii</i>, dans <i>Procès</i>, t. IV, pp. +513-514.—Pierre des Gros, <i>Jardin des nobles</i>, dans P. Paris, +<i>Manuscrits français de la bibliothèque du roi</i>, t. II, p. 149, et +<i>Procès</i>, t. IV, pp. 533-534.</p> + +<p><a id="footnote1260" name="footnote1260"></a><a href="#footnotetag1260">[1260]</a> William Wyrcester, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 475.—Pie +II, <i>Commentarii</i>, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 513.</p> + +<p><a id="footnote1261" name="footnote1261"></a><a href="#footnotetag1261">[1261]</a> Voyages du héraut Berry, Bibl. nat. ms. fr. 5873, fol. +7.</p> + +<p><a id="footnote1262" name="footnote1262"></a><a href="#footnotetag1262">[1262]</a> Jean Rogier dans <i>Procès</i>, t. IV, pp. 284-285.</p> + +<p><a id="footnote1263" name="footnote1263"></a><a href="#footnotetag1263">[1263]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 312.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, pp. 93-94.—<i>Journal du siège</i>, p. 108.—Cagny, p. +157.—Morosini, pp. 84-85.—Loiseleur, <i>Compte des dépenses</i>, pp. 90, +91.</p> + +<p><a id="footnote1264" name="footnote1264"></a><a href="#footnotetag1264">[1264]</a> Eustache Deschamps, éd. Queux de Saint-Hilaire et G. +Raynaud, t. I, pp. 159, 217 et <i>passim</i>.—Th. Basin, <i>Histoire de +Charles VII et de Louis XI</i>, t. I, p. 44.—Lettre de Nicolas de +Clamanges à Gerson, LIV.</p> + +<p><a id="footnote1265" name="footnote1265"></a><a href="#footnotetag1265">[1265]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 308.—<i>Perceval de +Cagny</i>, p. 155.—<i>Journal du siège</i>, p. 180—Morosini, t. III, p. 85.</p> + +<p><a id="footnote1266" name="footnote1266"></a><a href="#footnotetag1266">[1266]</a> S.-J. Morand, <i>Histoire de la Sainte-Chapelle royale +du Palais</i>, Paris, 1790, in-4<sup>o</sup>, pp. 77 et <i>passim</i>.</p> + +<p><a id="footnote1267" name="footnote1267"></a><a href="#footnotetag1267">[1267]</a> Le P. J. Doublet, <i>Histoire de l'abbaye de Saint-Denys +en France</i>, Paris, 1625, in-fol., ch. <span class="smcap">L</span>, pp. 373 et suiv.—Dom +Félibien, <i>Histoire de l'abbaye royale de Saint-Denis</i>, 1706, in-fol., +pp. 203, 275, 543.</p> + +<p><a id="footnote1268" name="footnote1268"></a><a href="#footnotetag1268">[1268]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 107.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, p. 310.</p> + +<p><a id="footnote1269" name="footnote1269"></a><a href="#footnotetag1269">[1269]</a> Cité d'après la <i>Chronique Messine</i>, par Vallet de +Viriville, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. I, p. 424, note 1.</p> + +<p><a id="footnote1270" name="footnote1270"></a><a href="#footnotetag1270">[1270]</a> Voir plus bas, pp. 170-171.</p> + +<p><a id="footnote1271" name="footnote1271"></a><a href="#footnotetag1271">[1271]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 313.—Perceval de Cagny, +p. 157.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 87.</p> + +<p><a id="footnote1272" name="footnote1272"></a><a href="#footnotetag1272">[1272]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 125.—<i>Registre des Consaux, +extraits analytiques des anciens Consaux de la ville de Tournay</i>, éd. +H. Vandenbroeck, t. II, p. 329.—F. Hennebert, <i>Une lettre de Jeanne +d'Arc aux Tournaisiens</i>, dans <i>Arch. hist. et littéraires du Nord de +la France</i>, 1837, t. I, p. 525.—De Beaucourt, <i>Histoire de Charles +VII</i>, t. III, p. 516</p> + +<p><a id="footnote1273" name="footnote1273"></a><a href="#footnotetag1273">[1273]</a> Lettre de Charles VII aux Dauphinois, publiée par +Fauché-Prunelle, dans <i>Bulletin de l'Acad. Delphinale</i>, t. II, p. 459; +aux habitants de Tours, dans le <i>Cabinet Historique</i>, t. I, C, p. 109; +à ceux de Poitiers, par Redet, dans les <i>Mémoires de la Société des +Antiquaires de l'Ouest</i>, t. III, p. 106.—<i>Relation du greffier de La +Rochelle</i>, dans <i>Revue Historique</i>, t. IV, p. 459.</p> + +<p><a id="footnote1274" name="footnote1274"></a><a href="#footnotetag1274">[1274]</a> Monstrelet, t. IV, p. 352.</p> + +<p><a id="footnote1275" name="footnote1275"></a><a href="#footnotetag1275">[1275]</a> Morosini, t. III, pp. 184-185.—<i>Chronique de +Tournai</i>, éd. de Smedt (<i>Recueil des Chroniques de Flandre</i>, t. III, +<i>passim</i>).—<i>Troubles à Tournai</i> (1422-1430), dans <i>Mémoires de la +Société historique et littéraire de Tournai</i>, t. XVII +(1882).—<i>Extraits des anciens registres des Consaux</i>, éd. +Vandenbroeck, t. II, <i>passim</i>.—Monstrelet, chap. <span class="smcap">LXVII</span> et <span class="smcap">LXIX</span>.—A. +Longnon, <i>Paris sous la domination anglaise</i>, pp. 143, 144.</p> + +<p><a id="footnote1276" name="footnote1276"></a><a href="#footnotetag1276">[1276]</a> Le greffier de l'hôtel de ville d'Albi, dans <i>Procès</i>, +t. IV, p. 301.</p> + +<p><a id="footnote1277" name="footnote1277"></a><a href="#footnotetag1277">[1277]</a> H. Vandenbroeck, <i>Extraits analytiques des anciens +registres des Consaux de la ville de Tournai</i>, t. II, pp. 328-330.</p> + +<p><a id="footnote1278" name="footnote1278"></a><a href="#footnotetag1278">[1278]</a> Lettre de Perceval de Boulainvilliers, dans <i>Procès</i>, +t. V, p. 120.—Fragment d'une lettre sur des prodiges advenus en +Poitou, <i>ibid.</i>, p. 122.—Morosini, t. III, pp. 74-76.</p> + +<p><a id="footnote1279" name="footnote1279"></a><a href="#footnotetag1279">[1279]</a> <i>Consau</i> pour Conseil, Assemblée. <i>Consaux</i> a signifié +également conseillers (La Curne).</p> + +<p><a id="footnote1280" name="footnote1280"></a><a href="#footnotetag1280">[1280]</a> Hennebert, <i>Archives historiques et littéraires du +Nord de la France</i>, 1837, t. I, p. 520.—<i>Extraits des anciens +registre des consaux</i>, éd. Vandenbroeck, t. II, <i>loc. cit.</i></p> + +<p><a id="footnote1281" name="footnote1281"></a><a href="#footnotetag1281">[1281]</a> <i>Procès</i>, t. V, p. 126.</p> + +<p><a id="footnote1282" name="footnote1282"></a><a href="#footnotetag1282">[1282]</a> Dom Plancher, <i>Histoire de Bourgogne</i>, IV, p. +lvi-lvij.—E. Cosneau, <i>Le connétable de Richemont</i>, pp. 114 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1283" name="footnote1283"></a><a href="#footnotetag1283">[1283]</a> Dom Plancher, <i>Histoire de Bourgogne</i>, t. IV, preuves, +p. <span class="smcap">LV</span>.</p> + +<p><a id="footnote1284" name="footnote1284"></a><a href="#footnotetag1284">[1284]</a> De Barante, <i>Histoire des ducs de Bourgogne</i>, t. V, p. +270.—Desplanques, <i>Projet d'assassinat de Philippe le Bon par les +Anglais (1424-1426)</i>, dans les <i>Mémoires couronnés par l'Académie de +Bruxelles</i>, XXXIII (1867).</p> + +<p><a id="footnote1285" name="footnote1285"></a><a href="#footnotetag1285">[1285]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 70.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, +p. 270.—Morosini, t. III, pp. 20 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1286" name="footnote1286"></a><a href="#footnotetag1286">[1286]</a> Monstrelet, t. IV. pp. 332, 333.—De Beaucourt, +<i>Histoire de Charles VII</i>, t. II. p. 36, note 7.</p> + +<p><a id="footnote1287" name="footnote1287"></a><a href="#footnotetag1287">[1287]</a> Monstrelet, t. IV, pp. 308-309.—Quenson, <i>Notice sur +Philippe le Bon, la Flandre et ses fêtes</i>, Douai, 1840, in-8<sup>o</sup>.—De +Reiffenberg, <i>Les enfants naturels du duc Philippe le Bon</i> dans +<i>Bulletin de l'Académie de Bruxelles</i>, t. XIII (1846).</p> + +<p><a id="footnote1288" name="footnote1288"></a><a href="#footnotetag1288">[1288]</a> Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 90.—Perceval de +Cagny, pp. 158-159.—Morosini, t. III, pp. 142, 143.</p> + +<p><a id="footnote1289" name="footnote1289"></a><a href="#footnotetag1289">[1289]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 314.—<i>Journal du +siège</i>, pp. 108-109.—Monstrelet, t. IV, p. 330.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, t. I, p. 92.—Morosini, t. III, p. 142 et note 3.</p> + +<p><a id="footnote1290" name="footnote1290"></a><a href="#footnotetag1290">[1290]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 54, 222.</p> + +<p><a id="footnote1291" name="footnote1291"></a><a href="#footnotetag1291">[1291]</a> Abbé Lebeuf, <i>Histoire ecclésiastique et civile +d'Auxerre</i>, t. II, p. 251; t. III, pp. 302, 506.</p> + +<p><a id="footnote1292" name="footnote1292"></a><a href="#footnotetag1292">[1292]</a> Chardon, <i>Histoire de la ville d'Auxerre</i>, Auxerre, +1834 (2 vol. in-8<sup>o</sup>), t. II, p. 258.</p> + +<p><a id="footnote1293" name="footnote1293"></a><a href="#footnotetag1293">[1293]</a> Dom Plancher, <i>Histoire de Bourgogne</i>, t. IV, p. +76.—Chardon, <i>Histoire de la ville d'Auxerre</i>, t. II, pp. 257 et +suiv.—Vallet de Viriville, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. I, p. 383.</p> + +<p><a id="footnote1294" name="footnote1294"></a><a href="#footnotetag1294">[1294]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 108.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, p. 313.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. +90.—Monstrelet, t. IV, p. 436.—Abbé Lebeuf, <i>Histoire ecclésiastique +d'Auxerre</i>, t. II, p. 51.—Chardon, <i>Histoire de la ville d'Auxerre</i>, +t. II, p. 259.</p> + +<p><a id="footnote1295" name="footnote1295"></a><a href="#footnotetag1295">[1295]</a> Morosini, t. III, p. 149.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, +t. I, p. 90.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 313.—Monstrelet, t. IV, +p. 336.—Gilles de Roye, dans <i>Collection des chroniques belges</i>, pp. +206, 207.—Chardon, <i>Histoire de la ville d'Auxerre</i>, t. II, p. 260.</p> + +<p><a id="footnote1296" name="footnote1296"></a><a href="#footnotetag1296">[1296]</a> Jean Chartier, <i>Journal du siège</i>, <i>Chronique de la +Pucelle</i>, <i>loc. cit.</i></p> + +<p><a id="footnote1297" name="footnote1297"></a><a href="#footnotetag1297">[1297]</a> J. Rogier, dans <i>Procès</i>, t. IV, pp. +290-292.—Monstrelet, t. IV. p. 336.—<i>Journal du siège</i>, p. +109.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 314.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, +t. I, p. 91.—<i>Procès</i>, t. V, pp. 264-265.</p> + +<p><a id="footnote1298" name="footnote1298"></a><a href="#footnotetag1298">[1298]</a> Th. Boutiot, <i>Histoire de la ville de Troyes et de la +Champagne méridionale</i>, Paris, 1872 (5 vol. in-8<sup>o</sup>), t. II. p. 182.</p> + +<p><a id="footnote1299" name="footnote1299"></a><a href="#footnotetag1299">[1299]</a> F. Bourquelot, <i>Les foires de Champagne</i>, Paris, 1865, +t. I<sup>er</sup>, p. 65.—Louis Batiffol, <i>Jean Jouvenel, prévôt des +marchands</i>, Paris, 1894, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote1300" name="footnote1300"></a><a href="#footnotetag1300">[1300]</a> <i>Gallia Christiana</i>, t. XIII, col. +514-516.—Courtalon-Delaistre, <i>Topographie historique du diocèse de +Troyes</i> (Troyes, 1783, 3 vol. in-8<sup>o</sup>), t. I, p. 384.—Th. Boutiot, +Histoire de la ville de Troyes, t. II, pp. 477-478.—De Pange, <i>Le +pays de Jeanne d'Arc, le fief et l'arrière-fief</i>, Paris, 1902, in-8<sup>o</sup>, +p. 33.</p> + +<p><a id="footnote1301" name="footnote1301"></a><a href="#footnotetag1301">[1301]</a> S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, p. <span class="smcap">CCXX</span> et preuves, +<i>ccix</i>, pp. 238-239.—Robillard de Beaurepaire, <i>Les États de +Normandie sous la domination anglaise</i>, Évreux, 1859, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote1302" name="footnote1302"></a><a href="#footnotetag1302">[1302]</a> Labbe et Cossart, <i>Sacro-Sancta-Consilia</i>, t. XII, +col. 392.</p> + +<p><a id="footnote1303" name="footnote1303"></a><a href="#footnotetag1303">[1303]</a> Labbe et Cossart, <i>Sacro-Sancta-Consilia</i>, t. XII, +col. 390, 399.</p> + +<p><a id="footnote1304" name="footnote1304"></a><a href="#footnotetag1304">[1304]</a> De Pange, <i>Le pays de Jeanne d'Arc, le fief et +l'arrière-fief</i>, p. 33.</p> + +<p><a id="footnote1305" name="footnote1305"></a><a href="#footnotetag1305">[1305]</a> J. Rogier, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 285.</p> + +<p><a id="footnote1306" name="footnote1306"></a><a href="#footnotetag1306">[1306]</a> Th. Boutiot, <i>Histoire de la ville de Troyes</i>, t. II, +pp. 316 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1307" name="footnote1307"></a><a href="#footnotetag1307">[1307]</a> J. Rogier, dans <i>Procès</i>, t. IV, pp. 287, 288.—Th. +Boutiot, <i>Histoire de la ville de Troyes</i>, t. II, p. 490.—A. Assier, +<i>Une cité champenoise au XV<sup>e</sup> siècle</i>, Troyes, 1875, in-12.</p> + +<p><a id="footnote1308" name="footnote1308"></a><a href="#footnotetag1308">[1308]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 99, 100.—<i>Relation du greffier de +La Rochelle</i>, p. 338.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 315.—<i>Journal du +siège</i>, pp. 109-110.</p> + +<p><a id="footnote1309" name="footnote1309"></a><a href="#footnotetag1309">[1309]</a> Ed. Richer dit qu'il se nommait Roch Richard, licencié +en théologie; <i>Histoire manuscrite de la Pucelle</i> (Bibl. Nat., fr. +10448), livre I, folios 50 et suiv.—Abbé Dunand, <i>Histoire de Jeanne +d'Arc</i>, t. II, p. 214.—Th. Boutiot, <i>Histoire de la ville de Troyes</i>, +t. II, p. 499.</p> + +<p><a id="footnote1310" name="footnote1310"></a><a href="#footnotetag1310">[1310]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 235.—Th. Basin, +<i>Histoire de Charles VII et de Louis XI</i>, t. I, p. 104.—Vallet de +Viriville, <i>Procès de condamnation de Jeanne d'Arc</i>, 1867, +Introduction; <i>Notes sur deux médailles de plomb relatives à Jeanne +d'Arc</i>, Paris, 1861, p. 22.—S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, p. +<span class="smcap">CCXXXIX</span>.</p> + +<p><a id="footnote1311" name="footnote1311"></a><a href="#footnotetag1311">[1311]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 110.</p> + +<p><a id="footnote1312" name="footnote1312"></a><a href="#footnotetag1312">[1312]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 233.—Labbe, +Boutiot, <i>loc. cit.</i></p> + +<p><a id="footnote1313" name="footnote1313"></a><a href="#footnotetag1313">[1313]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 234.</p> + +<p><a id="footnote1314" name="footnote1314"></a><a href="#footnotetag1314">[1314]</a> <i>Ibid.</i>, p. 235.</p> + +<p><a id="footnote1315" name="footnote1315"></a><a href="#footnotetag1315">[1315]</a> Th. Basin, <i>Histoire des règnes de Charles VII et de +Louis XI</i>, t. IV, pp. 103, 104.</p> + +<p><a id="footnote1316" name="footnote1316"></a><a href="#footnotetag1316">[1316]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 236.</p> + +<p><a id="footnote1317" name="footnote1317"></a><a href="#footnotetag1317">[1317]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, pp. 234-235.</p> + +<p><a id="footnote1318" name="footnote1318"></a><a href="#footnotetag1318">[1318]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 89, 213.—<i>Journal d'un bourgeois +de Paris</i>, p. 236.</p> + +<p><a id="footnote1319" name="footnote1319"></a><a href="#footnotetag1319">[1319]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, pp. 242, +243.—Vallet de Viriville, <i>Notes sur deux médailles de plomb +relatives à Jeanne d'Arc</i>, dans <i>Revue Archéologique</i>, 1861, pp. 429, +433.—S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, chap. X.</p> + +<p><a id="footnote1320" name="footnote1320"></a><a href="#footnotetag1320">[1320]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 236.</p> + +<p><a id="footnote1321" name="footnote1321"></a><a href="#footnotetag1321">[1321]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 237.</p> + +<p><a id="footnote1322" name="footnote1322"></a><a href="#footnotetag1322">[1322]</a> Il reste à savoir comment l'auteur du journal dit +d'<i>Un bourgeois de Paris</i> n'en fut pas scandalisé, tout bon +universitaire qu'il était, mais, au contraire, s'édifia des propos de +ce bon père.—Th. Basin, <i>Histoire des règnes de Charles VII et de +Louis XI</i>, t. IV, p. 104.</p> + +<p><a id="footnote1323" name="footnote1323"></a><a href="#footnotetag1323">[1323]</a> J. Rogier dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 290.</p> + +<p><a id="footnote1324" name="footnote1324"></a><a href="#footnotetag1324">[1324]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 446.</p> + +<p><a id="footnote1325" name="footnote1325"></a><a href="#footnotetag1325">[1325]</a> Gruel, <i>Chronique de Richemont</i>, p. 71.—Eberhard +Windecke, pp. 178, 179.</p> + +<p><a id="footnote1326" name="footnote1326"></a><a href="#footnotetag1326">[1326]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 100.</p> + +<p><a id="footnote1327" name="footnote1327"></a><a href="#footnotetag1327">[1327]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 100.</p> + +<p><a id="footnote1328" name="footnote1328"></a><a href="#footnotetag1328">[1328]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 99, 100.—<i>Relation du greffier de +la Rochelle</i>, p. 342.</p> + +<p><a id="footnote1329" name="footnote1329"></a><a href="#footnotetag1329">[1329]</a> <i>Journal d'un bourgeois de Paris</i>, p. 235.</p> + +<p><a id="footnote1330" name="footnote1330"></a><a href="#footnotetag1330">[1330]</a> J. Rogier, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 287.</p> + +<p><a id="footnote1331" name="footnote1331"></a><a href="#footnotetag1331">[1331]</a> Il faut lire le lundi 4 juillet.</p> + +<p><a id="footnote1332" name="footnote1332"></a><a href="#footnotetag1332">[1332]</a> J. Rogier, dans <i>Procès</i>, t. IV, pp. 287, 288, 290.</p> + +<p><a id="footnote1333" name="footnote1333"></a><a href="#footnotetag1333">[1333]</a> Th. Boutiot, <i>Histoire de la ville de Troyes</i>, t. II, +p. 493.</p> + +<p><a id="footnote1334" name="footnote1334"></a><a href="#footnotetag1334">[1334]</a> J. Rogier, dans <i>Procès</i>, t. IV, pp. 288-289.</p> + +<p><a id="footnote1335" name="footnote1335"></a><a href="#footnotetag1335">[1335]</a> J. Rogier, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 292.—Th. Boutiot, +<i>Histoire de la ville de Troyes</i>, t. II, p. 494.</p> + +<p><a id="footnote1336" name="footnote1336"></a><a href="#footnotetag1336">[1336]</a> <i>Ibid.</i>, t. IV, p. 289.</p> + +<p><a id="footnote1337" name="footnote1337"></a><a href="#footnotetag1337">[1337]</a> <i>Ibid.</i>, p. 290.</p> + +<p><a id="footnote1338" name="footnote1338"></a><a href="#footnotetag1338">[1338]</a> Dans le <i>Mistère du siège d'Orléans</i> l'anglais +Fauquembergue traite aussi Jeanne de «coquarde»:</p> + +<p class="poem10"> + Y nous fault prandre la coquarde,<br> + Qui veult les François gouverner. Vers 12689-90.</p> + +<p><a id="footnote1339" name="footnote1339"></a><a href="#footnotetag1339">[1339]</a> J. Rogier, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 290.</p> + +<p><a id="footnote1340" name="footnote1340"></a><a href="#footnotetag1340">[1340]</a> <i>Ibid.</i>—Th. Boutiot, <i>Histoire de la ville de +Troyes</i>, t. II, p. 492.</p> + +<p><a id="footnote1341" name="footnote1341"></a><a href="#footnotetag1341">[1341]</a> L. Pigeotte, <i>Étude sur les travaux d'achèvement de la +cathédrale de Troyes</i>, p. 9.—A. Babeau, <i>Les vues d'ensemble de +Troyes</i>, Troyes, 1892, in-8<sup>o</sup>, p. 13.—A. Assier, <i>Une cité +champenoise au XV<sup>e</sup> siècle</i>, Paris, 1875, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote1342" name="footnote1342"></a><a href="#footnotetag1342">[1342]</a> <i>Comptes de l'argenterie de la reine</i>, dans Jean +Chartier, <i>Chronique</i>, t. III, pp. 236, 237.—De Barante, <i>Histoire +des ducs de Bourgogne</i>, t. III, pp. 122, 125.—Vallet de Viriville, +<i>Histoire de Charles VII</i>, t. I, p. 216.—Th. Boutiot, <i>Histoire de la +ville de Troyes</i>, t. II, pp. 418, 419.</p> + +<p><a id="footnote1343" name="footnote1343"></a><a href="#footnotetag1343">[1343]</a> J. Rogier, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 289.</p> + +<p><a id="footnote1344" name="footnote1344"></a><a href="#footnotetag1344">[1344]</a> Th. Boutiot, <i>Histoire de la ville de Troyes</i>, t. II, +pp. 391, 418, 419.—A. Assier, <i>Une cité champenoise au XV<sup>e</sup> +siècle</i>, p. 8.</p> + +<p><a id="footnote1345" name="footnote1345"></a><a href="#footnotetag1345">[1345]</a> J. Rogier, dans <i>Procès</i>, t. IV, pp. 289, 290.</p> + +<p><a id="footnote1346" name="footnote1346"></a><a href="#footnotetag1346">[1346]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 109.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, pp. 314-315.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 91.—Th. +Boutiot, <i>Histoire de la ville de Troyes</i>, t. II, p. 497.</p> + +<p><a id="footnote1347" name="footnote1347"></a><a href="#footnotetag1347">[1347]</a> Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 91.</p> + +<p><a id="footnote1348" name="footnote1348"></a><a href="#footnotetag1348">[1348]</a> <i>Journal du siège</i>, pp. 109, 110.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, p. 315.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, pp. 91, 92.</p> + +<p><a id="footnote1349" name="footnote1349"></a><a href="#footnotetag1349">[1349]</a> Perceval de Cagny, p. 157.—Voyez toutefois Morosini, +t. III, p. 143, note.</p> + +<p><a id="footnote1350" name="footnote1350"></a><a href="#footnotetag1350">[1350]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 13, 117.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, t. I, p. 92.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. +315.—Chartier et la <i>Chronique de la Pucelle</i>, font parler Regnault +de Chartres et Robert Le Maçon avec une extrême invraisemblance. Le +chancelier n'a pas pu dire qu'on n'avait pas «gens en nombre +suffisant» et, dans ce Conseil de guerre il n'a pu être question de +retourner à Gien. Il s'agissait de savoir, comme le dit Dunois, si +l'on irait tout de suite sur Reims et non si l'on retournerait à Gien, +selon l'opinion de Chartier.</p> + +<p><a id="footnote1351" name="footnote1351"></a><a href="#footnotetag1351">[1351]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 13, 117.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, p. 317.—<i>Journal du siège</i>, p. 110.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, t. I, p. 94.</p> + +<p><a id="footnote1352" name="footnote1352"></a><a href="#footnotetag1352">[1352]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 13, 14, 117.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>; t. I, p. 96. <i>Journal du siège</i>, p. 111.—<i>Chronique de +la Pucelle</i>, p. 78.—De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, +p. 225.</p> + +<p><a id="footnote1353" name="footnote1353"></a><a href="#footnotetag1353">[1353]</a> Th. Boutiot, <i>Histoire de la ville de Troyes</i>, t. II, +p. 497, note.—A. Assier, <i>Une cité champenoise au XV<sup>e</sup> siècle</i>, +Paris, 1875, in-8<sup>o</sup>, p. 26.</p> + +<p><a id="footnote1354" name="footnote1354"></a><a href="#footnotetag1354">[1354]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 117.</p> + +<p><a id="footnote1355" name="footnote1355"></a><a href="#footnotetag1355">[1355]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 117.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, +t. I, p. 96.—J. Rogier, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 296.</p> + +<p><a id="footnote1356" name="footnote1356"></a><a href="#footnotetag1356">[1356]</a> J. Rogier, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 295.—<i>Procès</i>, +pp. 13, 14, 17.—Chartier, <i>Journal du siège</i>, <i>Chronique de la +Pucelle</i>.—Camusat, <i>Mél. hist.</i> part. II, fol. 214.</p> + +<p><a id="footnote1357" name="footnote1357"></a><a href="#footnotetag1357">[1357]</a> <i>Relation du greffier de La Rochelle</i>, dans <i>Revue +Historique</i>, t. IV, p. 342.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, <i>Journal du +siège</i>, Chartier, Gilles de Roye dans Chartier, t. III, p. 205.</p> + +<p><a id="footnote1358" name="footnote1358"></a><a href="#footnotetag1358">[1358]</a> J. Rogier, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 296.</p> + +<p><a id="footnote1359" name="footnote1359"></a><a href="#footnotetag1359">[1359]</a> <i>Ordonnances des rois de France</i>, t. XIII, p. +142.—Th. Boutiot. <i>Histoire de la ville de Troyes</i>, t. II, p. +500.—A. Roserot, <i>Le plus ancien registre des délibérations du +Conseil de la ville de Troyes</i>, dans <i>Coll. de Doc. inédits sur la +ville de Troyes</i>, t. III, p. 175.</p> + +<p><a id="footnote1360" name="footnote1360"></a><a href="#footnotetag1360">[1360]</a> J. Rogier, dans <i>Procès</i>, t. IV, pp. 295, 296.</p> + +<p><a id="footnote1361" name="footnote1361"></a><a href="#footnotetag1361">[1361]</a> <i>Relation du greffier de La Rochelle</i>, dans <i>Revue +Historique</i>, t. IV, p. 342.</p> + +<p><a id="footnote1362" name="footnote1362"></a><a href="#footnotetag1362">[1362]</a> <i>Relation du greffier de La Rochelle</i>, dans <i>Revue +Historique</i>, t. IV, p. 342.</p> + +<p><a id="footnote1363" name="footnote1363"></a><a href="#footnotetag1363">[1363]</a> J. Rogier, dans <i>Procès</i>, t. IV, pp. 296-297.</p> + +<p><a id="footnote1364" name="footnote1364"></a><a href="#footnotetag1364">[1364]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 13 et 117; t. IV, pp. 296, +297.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. III, p. 205.—Th. Boutiot, +<i>Histoire de la ville de Troyes</i>, t. II, pp. 499, 500.—M. Poinsignon, +<i>Histoire générale de la Champagne et de la Brie</i>, Châlons, 1885, t. +I, pp. 352 et suiv.—A. Assier, <i>Une cité champenoise au XV<sup>e</sup> +siècle</i>, Paris, 1875, in-12, pp. 16, 17.</p> + +<p><a id="footnote1365" name="footnote1365"></a><a href="#footnotetag1365">[1365]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 102.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. +319.</p> + +<p><a id="footnote1366" name="footnote1366"></a><a href="#footnotetag1366">[1366]</a> Chartier, <i>Journal du siège</i>, <i>Chronique de la +Pucelle</i>, <i>loc. cit.</i></p> + +<p><a id="footnote1367" name="footnote1367"></a><a href="#footnotetag1367">[1367]</a> Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, pp. 95, +96.—<i>Journal du siège</i>, p. 112.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 319.</p> + +<p><a id="footnote1368" name="footnote1368"></a><a href="#footnotetag1368">[1368]</a> J. Rogier, dans <i>Procès</i>, t. IV, pp. 296-297.</p> + +<p><a id="footnote1369" name="footnote1369"></a><a href="#footnotetag1369">[1369]</a> Lefèvre de Saint-Remy, t. II, p. 168.—S. Luce, +<i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, pp. <span class="smcap">CLXXIII</span>, <span class="smcap">CLXXIV</span>.—P. Champion, <i>Notes +sur Jeanne d'Arc</i>, 1. <i>Madame d'Or et Jeanne d'Arc</i>, dans <i>le Moyen +Âge</i>, juillet-août, 1907, pp. 193-199.</p> + +<p><a id="footnote1370" name="footnote1370"></a><a href="#footnotetag1370">[1370]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 319.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, t. I, p. 96.—<i>Journal du siège</i>, p. 112.—«Un prince de +façon», Martial d'Auvergne, <i>Vigiles</i>, t. I, pp. 106, 107.</p> + +<p><a id="footnote1371" name="footnote1371"></a><a href="#footnotetag1371">[1371]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 102.—Lettre de trois gentilshommes +angevins, dans <i>Procès</i> t. V, p. 130.—<i>Relation du greffier de La +Rochelle</i>, p. 342.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 319.—Morosini, t. +III, p. 176.—Th. Boutiot, <i>Histoire de la ville de Troyes</i>, t. II, +pp. 504 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1372" name="footnote1372"></a><a href="#footnotetag1372">[1372]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 103.</p> + +<p><a id="footnote1373" name="footnote1373"></a><a href="#footnotetag1373">[1373]</a> T. Babeau, <i>Le guet et la milice bourgeoise à Troyes</i>, +pp. 4 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1374" name="footnote1374"></a><a href="#footnotetag1374">[1374]</a> <i>Relation du greffier de La Rochelle</i>, p. +342.—<i>Chronique de la Pucelle</i>; p. 319.—<i>Journal du siège</i>, p. +112.—Th. Boutiot, <i>Histoire de la ville de Troyes</i>, t. II, p. +505.—A. Roserot, <i>Le plus ancien registre des délibérations du +Conseil de Troyes</i>, dans <i>Coll. de Documents inédits de la ville de +Troyes</i>, t. III, pp. 175 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1375" name="footnote1375"></a><a href="#footnotetag1375">[1375]</a> J. Rogier, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 298.—Morosini, t. +III, p. 179.—Éd. de Barthélémy, <i>Histoire de la ville de +Châlons-sur-Marne</i>, pièces just. n<sup>o</sup> 25, pp. 334-335.</p> + +<p><a id="footnote1376" name="footnote1376"></a><a href="#footnotetag1376">[1376]</a> J. Rogier, dans <i>Procès</i>, t. IV, pp. 290, 291.—Varin, +<i>Archives législatives de la ville de Reims, Statuts</i>, t. I, pp. 596 +et suiv. [<i>Coll. des documents inédits sur l'Histoire de France</i>, +1845].</p> + +<p><a id="footnote1377" name="footnote1377"></a><a href="#footnotetag1377">[1377]</a> <i>Gallia Christiana</i>, t. V, col. 891-895.—<i>Chronique +de la Pucelle</i>, pp. 319-320.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. +96.—L. Barbat, <i>Histoire de la ville de Châlons</i>, 1855 (2 vol. +in-4<sup>o</sup>), t. I, p. 350.—S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, pièces +just. n<sup>o</sup> 33.—Morosini, t. III, p. 182, n. 2.</p> + +<p><a id="footnote1378" name="footnote1378"></a><a href="#footnotetag1378">[1378]</a> J. Rogier, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 298.—Lettre de +trois gentilshommes angevins, dans <i>Procès</i>, t. V, p. 130.—Perceval +de Cagny, p. 158.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, pp. +96-97.—<i>Chronique des Cordeliers</i>, fol. 85 v<sup>o</sup>.—E. de Barthélémy, +<i>Châlons pendant l'invasion anglaise</i>, Châlons, 1851, p. 16.</p> + +<p><a id="footnote1379" name="footnote1379"></a><a href="#footnotetag1379">[1379]</a> <i>Procès</i>, t. II, pp. 391-392.</p> + +<p><a id="footnote1380" name="footnote1380"></a><a href="#footnotetag1380">[1380]</a> <i>Ibid.</i>, t. II, pp. 421-423.</p> + +<p><a id="footnote1381" name="footnote1381"></a><a href="#footnotetag1381">[1381]</a> J. Rogier, dans <i>Procès</i>, t. IV, pp. 295, 296.—Varin, +<i>Archives de Reims, Statuts</i>, t. I, p. 601.—H. Jadart, <i>Jeanne d'Arc +à Reims</i>, pp. 13 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1382" name="footnote1382"></a><a href="#footnotetag1382">[1382]</a> J. Rogier, <i>loc. cit.</i>—Varin, p. 599.</p> + +<p><a id="footnote1383" name="footnote1383"></a><a href="#footnotetag1383">[1383]</a> J. Rogier, dans <i>Procès</i>, t. IV, pp. 286 et +suiv.—Varin, pp. 600 et s.</p> + +<p><a id="footnote1384" name="footnote1384"></a><a href="#footnotetag1384">[1384]</a> H. Jadart, <i>Jeanne d'Arc à Reims</i>, p. 18.—Dom Marlot, +<i>Hist. Metrop. Remensis</i>, t. II, pp. 709 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1385" name="footnote1385"></a><a href="#footnotetag1385">[1385]</a> J. Rogier, dans <i>Procès</i>, t. IV. p. 291.—L. Paris, +dans <i>Cabinet Historique</i>, 1855, t. I, p. 68.</p> + +<p><a id="footnote1386" name="footnote1386"></a><a href="#footnotetag1386">[1386]</a> J. Rogier dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 291.</p> + +<p><a id="footnote1387" name="footnote1387"></a><a href="#footnotetag1387">[1387]</a> J. Rogier, dans <i>Procès</i>, t. IV, pp. 292, 293.—H. +Jadart, <i>Jeanne d'Arc à Reims</i>, pp. 17 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1388" name="footnote1388"></a><a href="#footnotetag1388">[1388]</a> J. Rogier, dans <i>Procès</i>, t. IV, pp. 292-293.—Varin, +<i>Archives de Reims</i>, pp. 910, 912.—H. Jadart, <i>Jeanne d'Arc à Reims</i>, +p. 18.</p> + +<p><a id="footnote1389" name="footnote1389"></a><a href="#footnotetag1389">[1389]</a> J. Rogier, dans <i>Procès</i>, t. IV, pp. 292, 294.—H. +Jadart, <i>Jeanne d'Arc à Reims</i>, pp. 18-19.</p> + +<p><a id="footnote1390" name="footnote1390"></a><a href="#footnotetag1390">[1390]</a> Fauquembergue, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 451.—Jean +Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, pp. 101-102.—<i>Journal du siège</i>, p. +118.—Rymer, <i>Fœdera</i>, t. X, p. 424.—S. Bougenot, <i>Notices et +Extraits des manuscrits intéressant l'Histoire de France conservés à +la bibliothèque impériale de Vienne</i>, p. 62.—Raynaldi, <i>Annales +ecclesiatici</i>, t. IX, pp. 77, 78.—Morosini, t. IV, annexe XVII.</p> + +<p><a id="footnote1391" name="footnote1391"></a><a href="#footnotetag1391">[1391]</a> J. Rogier, dans <i>Procès</i>, t. IV, pp. 294, 298.</p> + +<p><a id="footnote1392" name="footnote1392"></a><a href="#footnotetag1392">[1392]</a> <i>Ibid.</i>—L. Paris, <i>Cabinet Historique</i>, 1865, p. 77.</p> + +<p><a id="footnote1393" name="footnote1393"></a><a href="#footnotetag1393">[1393]</a> H. Jadart, <i>Jeanne d'Arc à Reims</i>, p. 19.</p> + +<p><a id="footnote1394" name="footnote1394"></a><a href="#footnotetag1394">[1394]</a> Perceval de Cagny, p. 159.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, p. 97.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 320.—<i>Chronique +des Cordeliers</i>, fol. 85 v<sup>o</sup>.—<i>Journal du siège</i>, p. 112.—Bergier, +<i>Poème sur la tapisserie de Jeanne d'Arc</i>, p. 112.—H. Jadart, <i>Jeanne +d'Arc à Reims</i>, pp. 20, 21.—F. Pinon, <i>Notice sur Sept-Saulx</i>, dans +<i>Travaux de l'Académie de Reims</i>, t. VI, p. 328.</p> + +<p><a id="footnote1395" name="footnote1395"></a><a href="#footnotetag1395">[1395]</a> J. Rogier, dans <i>Procès</i>, pp. 298 et suiv.—Dom +Marlot, <i>Histoire de la Ville de Reims</i>, t. IV, Reims, 1846 (4 vol. +in-4<sup>o</sup>), t. III, p. 174.</p> + +<p><a id="footnote1396" name="footnote1396"></a><a href="#footnotetag1396">[1396]</a> H. Jadart, <i>Jeanne d'Arc à Reims</i>, p. 23.</p> + +<p><a id="footnote1397" name="footnote1397"></a><a href="#footnotetag1397">[1397]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, pp. 322-323, note.—«Ce +rituel date bien du <span class="smcap">XIII</span><sup>e</sup> siècle. Il nous a été conservé dans un +manuscrit de la bibliothèque de Reims qui paraît avoir été écrit vers +1274.» Communication de M. H. Jadart.—Varin, <i>Archives de Reims</i>, t. +I, p. 522.—Dom Marlot, <i>Histoire de la ville de Reims</i>, t. III, p. +566, et t. IV, Pièces just., n<sup>o</sup> 142.—H. Jadart, <i>Jeanne d'Arc à +Reims</i>, p. 7.</p> + +<p><a id="footnote1398" name="footnote1398"></a><a href="#footnotetag1398">[1398]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 321.—Perceval de Cagny, +p. 159.—Lettre de trois gentilhommes angevins, dans <i>Procès</i>, t. V, +p. 128.</p> + +<p><a id="footnote1399" name="footnote1399"></a><a href="#footnotetag1399">[1399]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 91.</p> + +<p><a id="footnote1400" name="footnote1400"></a><a href="#footnotetag1400">[1400]</a> Thirion, <i>Les frais du sacre</i>, dans <i>Travaux de +l'Académie de Reims</i>, 1894.—Voir dans Varin, <i>Archives de Reims</i>, la +table des matières au mot: <i>Sacre</i>.—Dom Marlot, <i>Histoire de la ville +de Reims</i>, t. III, pp. 461, 566, 640, 651, 819; t. IV, pp. 25, 31, +45.</p> + +<p><a id="footnote1401" name="footnote1401"></a><a href="#footnotetag1401">[1401]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 321, note 2.</p> + +<p><a id="footnote1402" name="footnote1402"></a><a href="#footnotetag1402">[1402]</a> C. Leber, <i>Des cérémonies du sacre ou Recherches +historiques et antiques sur les mœurs, les coutumes, les +institutions et le droit public des Français, dans l'ancienne +monarchie</i>, Paris-Reims, 1825, in-8<sup>o</sup>.—A. Lenoble, <i>Histoire du sacre +et du couronnement des rois et des reines de France</i>, Paris, 1825, +in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote1403" name="footnote1403"></a><a href="#footnotetag1403">[1403]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 91.—Varin, <i>Archives de Reims</i>, t. +III. pp. 559 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1404" name="footnote1404"></a><a href="#footnotetag1404">[1404]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 321.—<i>Journal du +siège</i>, p. 113.—Varin, <i>Archives de Reims</i>, t. II, p. 509; t. III, p. +555.</p> + +<p><a id="footnote1405" name="footnote1405"></a><a href="#footnotetag1405">[1405]</a> Flodoard, <i>Hist. ecclesiæ Remensis</i>, dans <i>coll. +Guizot</i>, t. V, pp. 41 et suiv.—Eustache Deschamps, Ballade 172, t. I, +p. 305, t. II, p. 104.—Dom Marlot, <i>Histoire de la ville de Reims</i>, +t. II, p. 48, n<sup>o</sup> 1.—Vertot, dans <i>Académie des Inscriptions</i>, t. +II.</p> + +<p><a id="footnote1406" name="footnote1406"></a><a href="#footnotetag1406">[1406]</a> Froissart, l. II, ch. <span class="smcap">LXXIV</span>.</p> + +<p><a id="footnote1407" name="footnote1407"></a><a href="#footnotetag1407">[1407]</a> Lettres de trois gentilshommes angevins, dans +<i>Procès</i>, t. V, pp. 127, 129.—Monstrelet, t. IV, ch. <span class="smcap">LXIV</span>.—Perceval +de Cagny, p. 159.—<i>Relation du greffier de La Rochelle</i>, p. +343.—<i>Chronique de Tournai</i> (t. III du <i>Recueil des Chroniques de +Flandre</i>), p. 414.—<i>Gallia Christiana</i>, t. IX, col. 551; t. XI, col. +698.</p> + +<p><a id="footnote1408" name="footnote1408"></a><a href="#footnotetag1408">[1408]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 322, note +1.—<i>Collection de Champagne</i>, vol. 125, Sacre des rois, fol. 86.</p> + +<p><a id="footnote1409" name="footnote1409"></a><a href="#footnotetag1409">[1409]</a> Perceval de Cagny, p. 159.—<i>Chronique de la pucelle</i>, +p. 322—<i>Journal du siège</i>, p. 114.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, +p. 97.</p> + +<p><a id="footnote1410" name="footnote1410"></a><a href="#footnotetag1410">[1410]</a> Chifletius, <i>De ampula Remensi nova et acurata +disquisitio</i>, Anvers, 1651, in-4<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote1411" name="footnote1411"></a><a href="#footnotetag1411">[1411]</a> Lettre de trois gentilshommes angevins, dans <i>Procès</i>, +t. V, p. 129.—F. Boyer, <i>Variante inédite d'un document sur le Sacre +de Charles VII</i>, Clermont et Orléans, 1881, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote1412" name="footnote1412"></a><a href="#footnotetag1412">[1412]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 104, 300.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, p. 322.—Lettre de trois gentilshommes angevins, dans +<i>Procès</i>, t. V, p. 129.—Varin, D. Marlot, H. Jadart, <i>loc. cit.</i></p> + +<p><a id="footnote1413" name="footnote1413"></a><a href="#footnotetag1413">[1413]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 108.</p> + +<p><a id="footnote1414" name="footnote1414"></a><a href="#footnotetag1414">[1414]</a> Lettre de trois gentilshommes angevins, dans <i>Procès</i>, +t. V, p. 129.</p> + +<p><a id="footnote1415" name="footnote1415"></a><a href="#footnotetag1415">[1415]</a> Morosini, t. III, p. 181.—Lettre de trois +gentilshommes, <i>loc. cit.</i></p> + +<p><a id="footnote1416" name="footnote1416"></a><a href="#footnotetag1416">[1416]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, pp. 322, 323.—<i>Journal du +siège</i>, p. 114.</p> + +<p><a id="footnote1417" name="footnote1417"></a><a href="#footnotetag1417">[1417]</a> Dom Marlot, <i>Histoire de la ville de Reims</i>, t. IV, p. +175.—H. Jadart, <i>Jeanne d'Arc à Reims</i>, p. 107.</p> + +<p><a id="footnote1418" name="footnote1418"></a><a href="#footnotetag1418">[1418]</a> <i>Chronique de la Pucelle</i>, p. 322.—<i>Journal du +siège</i>, p. 114.—Perceval de Cagny, p. 159.—Lettre de trois +gentilshommes angevins, dans <i>Procès</i>, t. V, p. 129.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, t. I, p. 97.—Vallet de Viriville, <i>Histoire de Charles +VII</i>, t. II, p. 99, note 2.</p> + +<p><a id="footnote1419" name="footnote1419"></a><a href="#footnotetag1419">[1419]</a> Monstrelet, t. IV, p. 339.—H. Jadart, <i>Jeanne d'Arc à +Reims</i>, p. 32.</p> + +<p><a id="footnote1420" name="footnote1420"></a><a href="#footnotetag1420">[1420]</a> Thirion, <i>Les frais du sacre</i> dans <i>Travaux de +l'Académie de Reims</i>, 1894.—Dom Marlot, <i>Histoire de la ville de +Reims</i>, t. IV, p. 45, n. 1.—Varin, <i>Arch. adm. de la ville de Reims</i>, +t. III, p. 39.</p> + +<p><a id="footnote1421" name="footnote1421"></a><a href="#footnotetag1421">[1421]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 198; t. V, pp. 141, 266.—H. +Jadart, <i>Jeanne d'Arc à Reims</i>, pp. 47, 48.—L'abbé Cerf, <i>Le vieux +Reims</i>, 1875, pp. 35 et 110.</p> + +<p><a id="footnote1422" name="footnote1422"></a><a href="#footnotetag1422">[1422]</a> <i>Procès</i>, t. II, p. 445.</p> + +<p><a id="footnote1423" name="footnote1423"></a><a href="#footnotetag1423">[1423]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, p. 198.</p> + +<p><a id="footnote1424" name="footnote1424"></a><a href="#footnotetag1424">[1424]</a> S. Luce, <i>Jeanne d'Arc à Domremy</i>, pp. <span class="smcap">L</span> et suiv.; +preuve, <span class="smcap">LI</span>, pp. 97, 106; supplément aux preuves, pp. 359, +362.—Boucher de Molandon, <i>Jacques d'Arc, père de la Pucelle, sa +notabilité personnelle</i>, Orléans, 1885, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote1425" name="footnote1425"></a><a href="#footnotetag1425">[1425]</a> <i>Procès</i>, t. V, pp. 137, 139.</p> + +<p><a id="footnote1426" name="footnote1426"></a><a href="#footnotetag1426">[1426]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, pp. 141, 266, 267.</p> + +<p><a id="footnote1427" name="footnote1427"></a><a href="#footnotetag1427">[1427]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 103.</p> + +<p><a id="footnote1428" name="footnote1428"></a><a href="#footnotetag1428">[1428]</a> Du Cange, <i>Glossarium</i>, aux mots: <i>Auriacum</i>, +<i>electrum</i> et <i>leto</i>.—Vallet de Viriville, <i>Les anneaux de Jeanne +d'Arc</i>, dans <i>Mémoires de la Société des Antiquaires de France</i>, t. +XXX, janvier 1867.</p> + +<p><a id="footnote1429" name="footnote1429"></a><a href="#footnotetag1429">[1429]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 185, 238; Walter Bower, <i>ibid.</i>, +t. IV, p. 480.</p> + +<p><a id="footnote1430" name="footnote1430"></a><a href="#footnotetag1430">[1430]</a> <i>Sanctissimæ virginis Coletæ vita</i>, Paris, in-8<sup>o</sup>, +gothique sans date, feuillet 8, verso.—<i>Bollandistes</i>, AA. SS., mars, +t. I, p. 611.</p> + +<p><a id="footnote1431" name="footnote1431"></a><a href="#footnotetag1431">[1431]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 104.</p> + +<p><a id="footnote1432" name="footnote1432"></a><a href="#footnotetag1432">[1432]</a> <i>Ibid.</i>, t. I, p. 104.—H. Jadart, <i>Jeanne d'Arc à +Reims</i>, p. 37.</p> + +<p><a id="footnote1433" name="footnote1433"></a><a href="#footnotetag1433">[1433]</a> «Ces sculptures (Goliath et David) ont été +certainement exécutées à la fin du <span class="smcap">XIII</span><sup>e</sup> siècle» (L. Demaison, +<i>Notice historique sur la cathédrale de Reims</i>, Reims, <i>s. d.</i>, +in-4<sup>o</sup>, p. 44). La rose est de 1280 (H. Jadart, <i>Jeanne d'Arc à +Reims</i>, p. 41).</p> + +<p><a id="footnote1434" name="footnote1434"></a><a href="#footnotetag1434">[1434]</a> Voir le sacre de David et celui de Louis XII, par un +peintre inconnu, vers 1498, au Musée de Cluny.—H. Bouchot, +<i>L'Exposition des Primitifs français. La peinture en France sous les +Valois</i>, liv. II, planche C.</p> + +<p><a id="footnote1435" name="footnote1435"></a><a href="#footnotetag1435">[1435]</a> <i>Procès</i>, t. V, pp. 126-127.—Hennebert, <i>Une lettre +de Jeanne d'Arc aux Tournaisiens</i>, dans <i>Arch. hist. et litt. du Nord +de la France et du Midi de la Belgique</i>, nouv. série, t. I, 1837, p. +525.—Fac-similé dans l'<i>Album des Archives départementales</i>, n<sup>o</sup> +123.</p> + +<p><a id="footnote1436" name="footnote1436"></a><a href="#footnotetag1436">[1436]</a> Morosini, t. III, pp. 82, 83.—Eberhard Windecke, p. +61, note 9, et p. 108.—Christine de Pisan, dans <i>Procès</i>, t. V, p. +416.—Jorga, <i>Notes et extraits pour servir à l'histoire des croisades +au <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> siècle</i>, Paris, 1899-1902, 3 vol. in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote1437" name="footnote1437"></a><a href="#footnotetag1437">[1437]</a> <i>Mémoires du Pape Pie II</i>, dans <i>Procès</i>, t. IV, pp. +514, 515.—Morosini, t. III, p. 190.</p> + +<p><a id="footnote1438" name="footnote1438"></a><a href="#footnotetag1438">[1438]</a> <i>Procès</i>, t. IV, pp. 514, 515.—Monstrelet, t. IV, p. +340.—<i>Relation du greffier de La Rochelle</i>, p. 37.—Lettre de trois +gentilshommes angevins, dans <i>Procès</i>, t. V, p. 130.—Troisième compte +de Jean Abonnel, dans De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, +p. 404, n<sup>o</sup> 3.</p> + +<p><a id="footnote1439" name="footnote1439"></a><a href="#footnotetag1439">[1439]</a> Lettre de trois gentilshommes angevins, dans <i>Procès</i>, +t. V, p. 130.</p> + +<p><a id="footnote1440" name="footnote1440"></a><a href="#footnotetag1440">[1440]</a> Le 20 ou le 21.—Monstrelet, t. IV, pp. 348 et +suiv.—De Beaucourt, <i>Histoire de Charles VII</i>, t. II, pp. 404 et +suiv.</p> + +<p><a id="footnote1441" name="footnote1441"></a><a href="#footnotetag1441">[1441]</a> Fauquembergue, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. 455.—<i>Journal +d'un bourgeois de Paris</i>, pp. 240, 241.—Stevenson, <i>Letters and +Papers</i>, t. II, pp. 101 et suiv.—Rymer, <i>Fœdera</i>, t. IV, part. IV, +p. 150.</p> + +<p><a id="footnote1442" name="footnote1442"></a><a href="#footnotetag1442">[1442]</a> Archives de Reims, Compte des deniers patrimoniaux, t. +I, années 1428-29.—<i>Procès</i>, t. V, p. 141.—Monstrelet, t. IV, p. +339.—H. Jadart, <i>Jeanne d Arc à Reims</i>, p. 51.</p> + +<p><a id="footnote1443" name="footnote1443"></a><a href="#footnotetag1443">[1443]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 199.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, +p. 323.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 97.—<i>Journal du siège</i>, +p. 114.—Martial d'Auvergne, <i>Vigiles</i>, t. I, p. 111.</p> + +<p><a id="footnote1444" name="footnote1444"></a><a href="#footnotetag1444">[1444]</a> <i>Gallia Christ.</i> IX, pp. 239, 51.—Le Poulle, <i>Notice +sur Corbeny, son prieuré, et le pèlerinage de Saint-Marcoul</i>, +Soissons, 1883, in-8<sup>o</sup>.—E. de Barthélemy, <i>Notice historique sur le +pèlerinage de Saint-Marcoul et Corbeny</i>, dans <i>Ann. Soc. Acad. de +Saint-Quentin</i>, 1878.</p> + +<p><a id="footnote1445" name="footnote1445"></a><a href="#footnotetag1445">[1445]</a> A. Du Laurent, <i>De mirabili strumas sanandi vi solis +regibus Galliarum christianissimis divinitus concessa liber</i>, Paris, +1607, in-8<sup>o</sup>.—Cerf, <i>Du toucher des écrouelles par le roi de France</i>, +dans <i>Trav. Acad. de Reims</i>, 1865-1867.—Dom Marlot, <i>Histoire de la +ville de Reims</i>, t. III, pp. 196 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1446" name="footnote1446"></a><a href="#footnotetag1446">[1446]</a> G. Leber, <i>Des cérémonies du sacre</i>, p. 459.</p> + +<p><a id="footnote1447" name="footnote1447"></a><a href="#footnotetag1447">[1447]</a> L'abbé J.-B. Thiers, <i>Traité des superstitions selon +l'Écriture sainte</i>, Paris, 1697, t. I, pp. 518-519.</p> + +<p><a id="footnote1448" name="footnote1448"></a><a href="#footnotetag1448">[1448]</a> Perceval de Cagny, p. 160.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, +pp. 323-324.—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, p. 98.—<i>Journal du +siège</i>, p. 115.—<i>Chronique des Cordeliers</i>, fol. 486 r<sup>o</sup>.—Morosini, +t. III, p. 182, note 3.</p> + +<p><a id="footnote1449" name="footnote1449"></a><a href="#footnotetag1449">[1449]</a> Bréhal, dans <i>Procès</i>, t. III, p. 345.</p> + +<p><a id="footnote1450" name="footnote1450"></a><a href="#footnotetag1450">[1450]</a> <i>Journal du siège</i>, pp. 16, 88.—<i>Chronique de +l'établissement de la fête</i>, dans <i>Procès</i>, t. V, p. 296.—Lottin, +<i>Récits historiques sur Orléans</i>, t. I, p. 279.</p> + +<p><a id="footnote1451" name="footnote1451"></a><a href="#footnotetag1451">[1451]</a> <i>Procès</i>, t. IV, pp. 282, 283.</p> + +<p><a id="footnote1452" name="footnote1452"></a><a href="#footnotetag1452">[1452]</a> La délivrance d'Orléans annoncée de Bruges à Venise le +10 mai (Morosini, t. III, pp. 23-24).</p> + +<p><a id="footnote1453" name="footnote1453"></a><a href="#footnotetag1453">[1453]</a> <i>Procès</i>, t. V, pp. 123, 139, 145, 147, 156, 159, +161.</p> + +<p><a id="footnote1454" name="footnote1454"></a><a href="#footnotetag1454">[1454]</a> Morosini, t. III, pp. 60, 61.</p> + +<p><a id="footnote1455" name="footnote1455"></a><a href="#footnotetag1455">[1455]</a> Saint-Vincent Ferrier; Saint-Bernardin de Sienne.</p> + +<p><a id="footnote1456" name="footnote1456"></a><a href="#footnotetag1456">[1456]</a> <i>Procès</i>, t. III, p. 88.</p> + +<p><a id="footnote1457" name="footnote1457"></a><a href="#footnotetag1457">[1457]</a> Eberbard Windecke, pp. 52-53.—Cf. La déposition du +duc d'Alençon, <i>Procès</i>, t. III, p. 91.</p> + +<p><a id="footnote1458" name="footnote1458"></a><a href="#footnotetag1458">[1458]</a> L. Delisle, <i>Un nouveau témoignage relatif à la +mission de Jeanne d'Arc</i>, dans <i>Bibliothèque de l'École des Chartes</i>, +t. XLVI, p. 649.—Le P. Ayrolles, <i>La Pucelle devant l'Église de son +temps</i>, pp. 57-58.</p> + +<p><a id="footnote1459" name="footnote1459"></a><a href="#footnotetag1459">[1459]</a> Grellier de la Chambre des comptes de Brabant, dans +<i>Procès</i>, t. IV, p. 426.</p> + +<p><a id="footnote1460" name="footnote1460"></a><a href="#footnotetag1460">[1460]</a> Morosini, t. III, pp. 38, 46, 61.</p> + +<p><a id="footnote1461" name="footnote1461"></a><a href="#footnotetag1461">[1461]</a> Morosini, t. III, pp. 64-65.</p> + +<p><a id="footnote1462" name="footnote1462"></a><a href="#footnotetag1462">[1462]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 144 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1463" name="footnote1463"></a><a href="#footnotetag1463">[1463]</a> Morosini, t. III, pp. 150, 153.</p> + +<p><a id="footnote1464" name="footnote1464"></a><a href="#footnotetag1464">[1464]</a> <i>Ibid.</i>, t. III, pp. 166, 167.</p> + +<p><a id="footnote1465" name="footnote1465"></a><a href="#footnotetag1465">[1465]</a> Fragment d'une lettre sur des prodiges advenus en +Poitou, dans <i>Procès</i>, t. V, pp. 121-122.—<i>Relation du greffier de La +Rochelle</i>, <i>op. cit.</i>, p. 343.</p> + +<p><a id="footnote1466" name="footnote1466"></a><a href="#footnotetag1466">[1466]</a> Morosini, t. III, p. 78, note I.—Eberhard Windecke, +<i>passim</i>.—Fauché-Prunelle, <i>Lettres tirées des Archives de Grenoble</i>, +dans <i>Bull. Acad. delph.</i>, t. II, 1847, 1849, pp. 459, 460.—Lettre +écrite par les agents d'une ville allemande, dans <i>Procès</i>, t. V, p. +347.—Lettre de Jean Desch, secrétaire de la ville de Metz, <i>ibid.</i>, +pp. 352, 355.</p> + +<p><a id="footnote1467" name="footnote1467"></a><a href="#footnotetag1467">[1467]</a> Lettres de Perceval de Boulainvilliers au duc de +Milan, dans <i>Procès</i>, t. V, pp. 114, 116.</p> + +<p><a id="footnote1468" name="footnote1468"></a><a href="#footnotetag1468">[1468]</a> Poème anonyme sur l'arrivée de la Pucelle et la +délivrance d'Orléans, <i>Procès</i>, t. V, p. 27, vers 70 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1469" name="footnote1469"></a><a href="#footnotetag1469">[1469]</a> Lettre de Perceval de Boulainvilliers, dans <i>Procès</i>, +t. V, p. 116.</p> + +<p><a id="footnote1470" name="footnote1470"></a><a href="#footnotetag1470">[1470]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 116, 192.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, p. 273.—<i>Journal du siège</i>, p. 47.—Jean Chartier, +<i>Chronique</i>, t. I, p. 67.—<i>Relation du greffier de La Rochelle</i>, pp. +336, 337.—Martial d'Auvergne, <i>Vigiles</i>, t. I, p. 96.</p> + +<p><a id="footnote1471" name="footnote1471"></a><a href="#footnotetag1471">[1471]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 103, 116, 209 et +<i>passim</i>.—<i>Journal du siège</i>, p. 48.—Th. Basin, <i>Histoire de Charles +VII</i>, t. I, p. 68.—<i>Mirouer des femmes vertueuses</i>, dans <i>Procès</i>, t. +IV, p. 271.—Pierre Sala, <i>ibid.</i>, p. 280.—Morosini, t. III, p. +104.—Eberhard Windecke, p. 153.</p> + +<p><a id="footnote1472" name="footnote1472"></a><a href="#footnotetag1472">[1472]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 294.—<i>Chronique de +l'établissement de la fête</i> dans <i>Procès</i>, t. V, p. 294.</p> + +<p><a id="footnote1473" name="footnote1473"></a><a href="#footnotetag1473">[1473]</a> <i>AA. SS.</i>, 3 avril.—Didron, <i>Iconographie +chrétienne</i>, pp. 438-439.—Alba Mignati, <i>Sainte Catherine de Sienne</i>, +p. 16.</p> + +<p><a id="footnote1474" name="footnote1474"></a><a href="#footnotetag1474">[1474]</a> Eberhard Windecke, p. 103.</p> + +<p><a id="footnote1475" name="footnote1475"></a><a href="#footnotetag1475">[1475]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 116-117.</p> + +<p><a id="footnote1476" name="footnote1476"></a><a href="#footnotetag1476">[1476]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 55, 84 et suiv., 133, 174, 232, +251, 252, 254, 331; t. III, pp. 99, 205, 254, 257 et +<i>passim</i>.—<i>Journal du siège</i>, pp. 34, 44, 45, 48.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, pp. 212, 295.—Perceval de Cagny, p. 141.—Monstrelet, t. +IV, p. 320.—Lefèvre de Saint-Remy, t. II, p. 143.—Le Greffier de la +Chambre des comptes de Brabant, dans <i>Procès</i>, t. IV, p. +426.—<i>Chronique de Tournai</i> (t. III du <i>Recueil des Chroniques de +Flandre</i>), p. 411.—Morosini, t. III, p. 121.</p> + +<p><a id="footnote1477" name="footnote1477"></a><a href="#footnotetag1477">[1477]</a> Morosini, t. III, p. 57.</p> + +<p><a id="footnote1478" name="footnote1478"></a><a href="#footnotetag1478">[1478]</a> Déposition du frère Pasquerel, dans <i>Procès</i>, t. III, +p. 102.</p> + +<p><a id="footnote1479" name="footnote1479"></a><a href="#footnotetag1479">[1479]</a> Poème anonyme sur la Pucelle, dans <i>Procès</i>, t. V, p. +39, vers 105 et suiv.</p> + +<p><a id="footnote1480" name="footnote1480"></a><a href="#footnotetag1480">[1480]</a> Dépositions de J. Luillier et de frère Pasquerel, dans +<i>Procès</i>, t. III, pp. 25, 108.</p> + +<p><a id="footnote1481" name="footnote1481"></a><a href="#footnotetag1481">[1481]</a> <i>La légende dorée</i>, vie de Saint Ambroise.</p> + +<p><a id="footnote1482" name="footnote1482"></a><a href="#footnotetag1482">[1482]</a> Abbé J.-Th. Bizouard, <i>Histoire de sainte Colette et +des clarisses en Franche-Comté, d'après des documents inédits et des +traditions locales</i>, Paris, 1888, in-8<sup>o</sup>.</p> + +<p><a id="footnote1483" name="footnote1483"></a><a href="#footnotetag1483">[1483]</a> Morosini, t. III, pp. 148, 156.—Eberhard Windecke, +pp. 103, 105, 187.—Noël Valois, <i>Un nouveau témoignage sur Jeanne +d'Arc</i>, p. 17.</p> + +<p><a id="footnote1484" name="footnote1484"></a><a href="#footnotetag1484">[1484]</a> Lanéry d'Arc, <i>Mémoires et consultations</i>, pp. 220, +222.—Théodore de Leliis, dans <i>Procès</i>, t. II, pp. 39, 42.—Le P. +Ayrolles, <i>La Pucelle devant l'Église de son temps</i>, p. 342.—Abbé +Hyacinthe Chassagnon, <i>Les voix de Jeanne d'Arc</i>, Lyon, 1896, in-8<sup>o</sup>, +pp. 312, 313.</p> + +<p><a id="footnote1485" name="footnote1485"></a><a href="#footnotetag1485">[1485]</a> Eberhard Windecke, pp. 138 et suiv.—Morosini, t. III. +pp. 62-63.</p> + +<p><a id="footnote1486" name="footnote1486"></a><a href="#footnotetag1486">[1486]</a> <i>Procès</i>, t. III, pp. 422 et suiv., pp. 433, 434, 465; +t. V, pp. 475, 476.</p> + +<p><a id="footnote1487" name="footnote1487"></a><a href="#footnotetag1487">[1487]</a> <i>Journal du siège</i>, p. 44.—<i>Chronique de la Pucelle</i>, +p. 272.</p> + +<p><a id="footnote1488" name="footnote1488"></a><a href="#footnotetag1488">[1488]</a> Eberhard Windecke, p. 117.</p> + +<p><a id="footnote1489" name="footnote1489"></a><a href="#footnotetag1489">[1489]</a> Eberhard Windecke, p. 97.</p> + +<p><a id="footnote1490" name="footnote1490"></a><a href="#footnotetag1490">[1490]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 146.</p> + +<p><a id="footnote1491" name="footnote1491"></a><a href="#footnotetag1491">[1491]</a> Eberhard Windecke, p. 97.</p> + +<p><a id="footnote1492" name="footnote1492"></a><a href="#footnotetag1492">[1492]</a> <i>Procès</i>, t. I, pp. 76, 234.—<i>Chronique de la +Pucelle</i>, p. 277—Jean Chartier, <i>Chronique</i>, t. I, pp. 69, +70.—<i>Journal du siège</i>, pp. 49, 50.—<i>Relation du greffier de La +Rochelle</i>, pp. 337-338.—Morosini, t. III, pp. 108-109.—Abbé +Bourassé, <i>Les miracles de madame Sainte Katerine</i>, Introduction.</p> + +<p><a id="footnote1493" name="footnote1493"></a><a href="#footnotetag1493">[1493]</a> Morosini, t. III, pp. 160, 163.</p> + +<p><a id="footnote1494" name="footnote1494"></a><a href="#footnotetag1494">[1494]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 91.</p> + +<p><a id="footnote1495" name="footnote1495"></a><a href="#footnotetag1495">[1495]</a> Dom Marlot, <i>Histoire de l'église de Reims</i>, t. IV, p. +175.—H. Jadart, <i>Jeanne d'Arc à Reims</i>, appendice XVII.</p> + +<p><a id="footnote1496" name="footnote1496"></a><a href="#footnotetag1496">[1496]</a> <i>Procès</i>, t. I, p. 104.</p> +</div> + + +<div class="p4 tn"> +<p>Note au lecteur de ce fichier digital:</p> + +<p>Ainsi que dans le livre original, les références de quelques notes de +fin de page sont incomplètes.</p> + +<p>Certaines pages étaient manquantes lors de la création de ce fichier, +et n'ont été rajoutées que plus tard. De ce fait, le numéro de +certaines notes de fin de pages n'est pas séquentiel (ex: 54, 54a, +etc.).</p> +</div> + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Vie de Jeanne d'Arc, by Anatole France + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK VIE DE JEANNE D'ARC *** + +***** This file should be named 33692-h.htm or 33692-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/3/3/6/9/33692/ + +Produced by wagner, Mireille Harmelin, Christine P. Travers +and the Online Distributed Proofreaders at +http://dp.ratsko.net + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. Special rules, +set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to +copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to +protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project +Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you +charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you +do not charge anything for copies of this eBook, complying with the +rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose +such as creation of derivative works, reports, performances and +research. 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Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. 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Donations are accepted in a number of other +ways including checks, online payments and credit card donations. +To donate, please visit: http://pglaf.org/donate + + +Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic +works. + +Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. 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