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+Project Gutenberg's Cours de philosophie positive.(2/6), by Auguste Comte
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
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+
+Title: Cours de philosophie positive.(2/6)
+
+Author: Auguste Comte
+
+Release Date: April 4, 2010 [EBook #31882]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK COURS DE PHILOSOPHIE ***
+
+
+
+
+Produced by Sébastien Blondeel, Carlo Traverso, Rénald
+Lévesque and the Online Distributed Proofreading Team at
+http://www.pgdp.net (This file was produced from images
+generously made available by the Bibliothèque nationale
+de France (BnF/Gallica)
+
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+
+
+COURS
+DE
+PHILOSOPHIE POSITIVE.
+
+IMPRIMERIE DE BACHELIER,
+rue du Jardinet, n° 12.
+
+COURS
+DE
+PHILOSOPHIE POSITIVE,
+
+PAR M. AUGUSTE COMTE,
+
+ANCIEN ÉLÈVE DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE, RÉPÉTITEUR D'ANALYSE
+TRANSCENDANTE ET DE MÉCANIQUE RATIONNELLE À LADITE ÉCOLE.
+
+TOME DEUXIÈME,
+
+CONTENANT
+LA PHILOSOPHIE ASTRONOMIQUE ET LA PHILOSOPHIE
+DE LA PHYSIQUE.
+
+PARIS,
+BACHELIER, IMPRIMEUR-LIBRAIRE
+POUR LES SCIENCES,
+QUAI DES AUGUSTINS, Nº 55.
+
+1835
+
+AVIS DE L'AUTEUR.
+
+Le premier volume de cet ouvrage, renfermant les préliminaires généraux
+et la philosophie mathématique, a paru en juillet 1830. La crise
+extraordinaire survenue dans la librairie, à la suite des événements
+politiques, a long-temps interrompu cette publication, que les premiers
+éditeurs se sont vus contraints d'abandonner. Confiée maintenant à un
+nouvel éditeur, dont le nom est une garantie, elle sera désormais
+continue, de façon à être terminée à la fin de l'année 1835.
+
+Il peut être utile de rappeler ici que, suivant le plan général exposé
+dès l'origine, ce second volume comprend la philosophie astronomique et
+la philosophie de la physique proprement dite; le troisième sera
+consacré à la philosophie chimique et à la philosophie physiologique;
+enfin, le quatrième contiendra la philosophie sociale et les conclusions
+philosophiques qui résultent de l'ensemble de l'ouvrage; chaque volume
+étant composé de dix-huit leçons.
+
+
+
+
+COURS
+DE
+PHILOSOPHIE POSITIVE.
+
+
+
+
+DIX-NEUVIÈME LEÇON.
+
+Considérations philosophiques sur l'ensemble de la science astronomique.
+
+L'astronomie est jusqu'ici la seule branche de la philosophie naturelle
+dans laquelle l'esprit humain se soit enfin rigoureusement affranchi de
+toute influence théologique et métaphysique, directe ou indirecte; ce
+qui rend particulièrement facile de présenter avec netteté son vrai
+caractère philosophique. Mais, pour se faire une juste idée générale de
+la nature et de la composition de cette science, il est indispensable,
+en sortant des définitions vagues qu'on en donne encore habituellement,
+de commencer par circonscrire avec exactitude le véritable champ des
+connaissances positives que nous pouvons acquérir à l'égard des astres.
+
+Parmi les trois sens propres à nous faire apercevoir l'existence des
+corps éloignés, celui de la vue est évidemment le seul qui puisse être
+employé relativement aux corps célestes; en sorte qu'il ne saurait
+exister aucune astronomie pour des espèces aveugles, quelque
+intelligentes qu'on voulût d'ailleurs les imaginer; et, pour nous-mêmes,
+les astres obscurs, qui sont peut-être plus nombreux que les astres
+visibles, échappent à toute étude réelle, leur existence pouvant tout au
+plus être soupçonnée par induction. Toute recherche qui n'est point
+finalement réductible à de simples observations visuelles nous est donc
+nécessairement interdite au sujet des astres, qui sont ainsi de tous les
+êtres naturels ceux que nous pouvons connaître sous les rapports les
+moins variés. Nous concevons la possibilité de déterminer leurs formes,
+leurs distances, leurs grandeurs et leurs mouvemens; tandis que nous ne
+saurions jamais étudier par aucun moyen leur composition chimique, ou
+leur structure minéralogique, et, à plus forte raison, la nature des
+corps organisés qui vivent à leur surface, etc. En un mot, pour
+employer immédiatement les expressions scientifiques les plus précises,
+nos connaissances positives par rapport aux astres sont nécessairement
+limitées à leurs seuls phénomènes géométriques et mécaniques, sans
+pouvoir nullement embrasser les autres recherches physiques, chimiques,
+physiologiques, et même sociales, que comportent les êtres accessibles à
+tous nos divers moyens d'observation.
+
+Il serait certainement téméraire de prétendre fixer avec une précision
+rigoureuse les bornes nécessaires de nos connaissances dans chaque
+partie déterminée de la philosophie naturelle; car, en s'engageant dans
+le détail, on les placerait presque inévitablement ou trop près ou trop
+loin. Une telle appréciation est d'ailleurs singulièrement influencée
+par l'état de notre développement intellectuel. Ainsi, tel esprit,
+entièrement étranger aux conceptions mathématiques, ne comprend pas même
+qu'on puisse estimer avec certitude les distances et les dimensions des
+corps célestes, puisqu'ils ne sont point accessibles; tandis que tel
+autre, à demi éclairé sous ce rapport, admettra sans difficulté la
+possibilité de semblables mesures, mais niera à son tour qu'on puisse
+peser indirectement le soleil et les planètes. Nonobstant ces remarques
+évidentes, il n'en est pas moins indispensable, ce me semble, de poser
+à cet égard des limites générales, pour que l'esprit humain ne se laisse
+point égarer dans le vague de recherches nécessairement inabordables,
+sans que cependant il s'interdise celles qui sont vraiment accessibles
+par des procédés plus ou moins indirects, quelque embarras qu'on doive
+éprouver à concilier ces deux conditions également fondamentales. Cette
+conciliation si délicate me paraît essentiellement établie à l'égard des
+recherches astronomiques par la maxime philosophique ci-dessus énoncée,
+qui les circonscrit dans les deux seules catégories des phénomènes
+géométriques et des phénomènes mécaniques. Une telle règle n'a rien
+d'arbitraire, puisqu'elle résulte évidemment d'une comparaison générale
+entre les objets à étudier et nos moyens pour les explorer. Son
+application peut seule présenter quelque difficulté, qu'un examen
+spécial plus approfondi fera presque toujours disparaître dans chaque
+cas particulier, en continuant à procéder d'après le même principe
+fondamental. Ainsi, pour fixer les idées, dans la célèbre question des
+atmosphères des corps célestes, on pouvait certainement concevoir, même
+avant la découverte des ingénieux moyens imaginés pour leur exacte
+exploration, qu'une telle recherche nous présentait quelque chose
+d'accessible, à cause des phénomènes lumineux plus ou moins appréciables
+que ces atmosphères doivent évidemment produire; mais il est tout aussi
+sensible, par la même considération, que nos connaissances, à l'égard de
+ces enveloppes gazeuses, sont nécessairement bornées à celles de leur
+existence, de leur étendue plus ou moins grande, et de leur vrai pouvoir
+réfringent, sans que nous puissions nullement déterminer ni leur
+composition chimique, ni même leur densité; en sorte qu'il y aurait une
+grave inadvertance à supposer, par exemple, comme on l'a fait
+quelquefois, l'atmosphère de Vénus aussi dense que notre atmosphère,
+d'après la réfraction horizontale d'environ un demi-degré qui leur est
+commune, car la nature chimique des gaz influe autant que leur densité
+sur leur puissance réfringente.
+
+En général, dans chaque espèce de question que nous pouvons imaginer sur
+les astres, ou nous apercevons clairement qu'elle ne dépend en dernier
+lieu que d'observations visuelles plus ou moins directes, et alors nous
+n'hésitons pas à la déclarer tôt ou tard accessible; ou bien nous
+reconnaissons avec évidence qu'elle exigerait par sa nature, quelque
+autre genre d'exploration, et dans ce cas nous ne devons pas balancer
+davantage à l'exclure comme radicalement inabordable; ou, enfin, nous
+ne voyons nettement ni l'un ni l'autre, et dès lors nous devons
+complétement suspendre notre jugement, jusqu'à ce que le progrès de nos
+connaissances réelles vienne nous fournir quelques indications
+décisives, disposition d'esprit malheureusement fort rare et pourtant
+bien nécessaire. Cette règle est d'autant plus aisément applicable que
+l'observation scientifique n'emploie jamais et ne saurait employer
+d'autres moyens que l'observation la plus vulgaire dans des
+circonstances analogues; seulement elle en perfectionne et en étend
+l'usage.
+
+La détermination des températures est probablement la seule à l'égard de
+laquelle la limite précédemment établie pourra paraître aujourd'hui trop
+sévère. Mais, quelques espérances qu'ait pu faire concevoir à ce sujet
+la création si capitale de la thermologie mathématique par notre
+immortel Fourier, et spécialement sa belle évaluation de la température
+de l'espace dans lequel nous circulons, je n'en persiste pas moins à
+regarder toute notion sur les véritables températures moyennes des
+différens astres comme devant nécessairement nous être à jamais
+interdite. Quand même toutes les influences thermologiques proprement
+dites, relatives aux échanges de chaleur entre les divers corps
+célestes, auraient été mathématiquement analysées, ce qui d'ailleurs me
+semble peu admissible, la question renfermerait toujours un élément qui
+doit être éternellement inconnu, et qui cependant est peut-être
+prépondérant pour certains astres, l'état interne de chacun d'eux, et,
+dans beaucoup de cas, la manière non moins inconnue dont la chaleur est
+absorbée par son atmosphère. Ainsi, par exemple, la tentative de Newton,
+pour évaluer la température de la comète de 1680 à son périhélie, était
+certainement illusoire; car un tel calcul, refait même aussi
+convenablement qu'il peut l'être aujourd'hui, apprendrait, tout au plus,
+quelle serait la température de notre terre si, sans rien changer à sa
+constitution actuelle, on la supposait transportée dans cette position:
+ce qui, vu les différences physiques et chimiques, peut s'écarter
+extrêmement de la température effective de la comète.
+
+D'après les considérations précédentes, je crois donc pouvoir définir
+l'astronomie avec précision, et néanmoins d'une manière assez large, en
+lui assignant pour objet de découvrir les lois des phénomènes
+géométriques et des phénomènes mécaniques que nous présentent les corps
+célestes.
+
+À cette limitation nécessaire portant sur la nature des phénomènes
+observables, il faut, ce me semble, pour être pleinement dans la
+réalité scientifique, en ajouter une autre relative aux corps qui
+peuvent être le sujet de telles explorations. Cette dernière restriction
+n'est point sans doute absolue comme la première, et il importe beaucoup
+de le remarquer; mais, dans l'état présent de nos connaissances, elle
+est presque aussi rigoureuse.
+
+Les esprits philosophiques auxquels l'étude approfondie de l'astronomie
+est étrangère, et les astronomes eux-mêmes, n'ont pas suffisamment
+distingué jusqu'ici, dans l'ensemble de nos recherches célestes, le
+point de vue que je puis appeler _solaire_, de celui qui mérite
+véritablement le nom d'_universel_. Cette distinction me paraît
+néanmoins indispensable pour séparer nettement la partie de la science
+qui comporte une entière perfection, de celle qui, par sa nature, sans
+être sans doute purement conjecturale, semble cependant devoir toujours
+rester presque dans l'enfance, du moins comparativement à la première.
+La considération du système solaire dont nous faisons partie nous offre
+évidemment un sujet d'étude bien circonscrit, susceptible d'une
+exploration complète, et qui devait nous conduire aux connaissances les
+plus satisfaisantes. Au contraire, la pensée de ce que nous appelons
+l'_univers_ est par elle-même nécessairement indéfinie, en sorte que,
+si étendues qu'on veuille supposer dans l'avenir nos connaissances
+réelles en ce genre, nous ne saurions jamais nous élever à la véritable
+conception de l'ensemble des astres. La différence est extrêmement
+frappante aujourd'hui, puisque, à côté de la haute perfection acquise
+dans les deux derniers siècles par l'astronomie solaire, nous ne
+possédons pas même encore, en astronomie sidérale, le premier et le plus
+simple élément de toute recherche positive, la détermination des
+intervalles stellaires. Sans doute nous avons tout lieu de présumer,
+comme j'aurai soin de l'expliquer plus tard, que ces distances ne
+tarderont pas à être évaluées, du moins entre certaines limites, à
+l'égard de plusieurs étoiles, et que, par suite, nous connaîtrons, pour
+ces mêmes astres, divers autres élémens importans, que la théorie est
+toute prête à déduire de cette donnée fondamentale, tels que leurs
+masses, etc. Mais l'importante distinction établie ci-dessus n'en sera
+nullement affectée. Quand même nous parviendrions un jour à étudier
+complètement les mouvemens relatifs de quelques étoiles multiples, cette
+notion, qui serait d'ailleurs très précieuse, surtout si elle pouvait
+concerner le groupe dont notre soleil fait probablement partie, ne nous
+laisserait évidemment guère moins éloignés d'une véritable connaissance
+de l'univers, qui doit inévitablement nous échapper toujours.
+
+Il existe, dans toutes les classes de nos recherches et sous tous les
+grands rapports, une harmonie constante et nécessaire entre l'étendue de
+nos vrais besoins intellectuels et la portée effective, actuelle ou
+future, de nos connaissances réelles. Cette harmonie, que j'aurai soin
+de signaler dans tous les phénomènes, n'est point, comme les philosophes
+vulgaires sont tentés de le croire, le résultat ni l'indice d'une cause
+finale. Elle dérive simplement de cette nécessité évidente: nous avons
+seulement besoin de connaître ce qui peut agir sur nous, d'une manière
+plus ou moins directe; et, d'un autre côté, par cela même qu'une telle
+influence existe, elle devient pour nous tôt ou tard un moyen certain de
+connaissance. Cette relation se vérifie d'une manière remarquable dans
+le cas présent. L'étude la plus parfaite possible des lois du système
+solaire dont nous faisons partie, est pour nous d'un intérêt capital, et
+aussi sommes-nous parvenus à lui donner une précision admirable. Au
+contraire, si la notion exacte de l'univers nous est nécessairement
+interdite, il est évident qu'elle ne nous offre point, excepté pour
+notre insatiable curiosité, de véritable importance. L'application
+journalière de l'astronomie montre que les phénomènes intérieurs de
+chaque système solaire, les seuls qui puissent affecter ses habitans,
+sont essentiellement indépendans des phénomènes plus généraux relatifs à
+l'action mutuelle des soleils, à peu près comme nos phénomènes
+météoroliques vis-à-vis des phénomènes planétaires. Nos tables des
+événemens célestes, dressées, long-temps d'avance, en ne considérant
+dans l'univers aucun autre monde que le nôtre, s'accordent jusqu'ici
+rigoureusement avec les observations directes, quelque minutieuse
+précision que nous y apportions aujourd'hui. Cette indépendance si
+manifeste se trouve d'ailleurs pleinement expliquée par l'immense
+disproportion que nous savons certainement exister entre les distances
+mutuelles des soleils et les petits intervalles de nos planètes. Si,
+suivant une grande vraisemblance, les planètes pourvues d'atmosphères,
+comme Mercure, Vénus, Jupiter, etc., sont effectivement habitées, nous
+pouvons en regarder les habitans comme étant en quelque façon nos
+concitoyens, puisque, de cette sorte de patrie commune, il doit résulter
+nécessairement une certaine communauté de pensées et même d'intérêts;
+tandis que les habitans des autres systèmes solaires nous doivent être
+entièrement étrangers. Il faut donc séparer plus profondément qu'on n'a
+coutume de le faire le point de vue solaire et le point universel,
+l'idée de monde et celle d'univers: le premier est le plus élevé auquel
+nous puissions réellement atteindre, et c'est aussi le seul qui nous
+intéresse véritablement.
+
+Ainsi, sans renoncer entièrement à l'espoir d'obtenir quelques
+connaissances sidérales, il faut concevoir l'astronomie positive comme
+consistant essentiellement dans l'étude géométrique et mécanique du
+petit nombre de corps célestes qui composent le _monde_ dont nous
+faisons partie. C'est seulement entre de telles limites que l'astronomie
+mérite par sa perfection le rang suprême qu'elle occupe aujourd'hui
+parmi les sciences naturelles. Quant à ces astres innombrables
+disséminés dans le ciel, ils n'ont guère, pour l'astronome, d'autre
+intérêt principal que celui de nous servir de jalons dans nos
+observations, leurs positions pouvant être regardées comme fixes
+relativement aux mouvemens intérieurs de notre système, seul objet
+essentiel de notre étude.
+
+En considérant, dans tout le développement de ce cours, la succession
+des divers ordres de phénomènes naturels, je ferai soigneusement
+ressortir une loi philosophique très importante, et tout-à-fait
+inaperçue jusqu'à présent, dont je dois signaler ici la première
+application. Elle consiste en ce que, à mesure que les phénomènes à
+étudier deviennent plus compliqués, ils sont en même temps susceptibles,
+par leur nature, de moyens d'exploration plus étendus et plus variés,
+sans que toutefois il puisse y avoir une exacte compensation entre
+l'accroissement des difficultés et l'augmentation des ressources; en
+sorte que, malgré cette harmonie, les sciences relatives aux phénomènes
+les plus complexes n'en restent pas moins nécessairement les plus
+imparfaites, suivant l'échelle encyclopédique établie dès le début de
+cet ouvrage. Ainsi, les phénomènes astronomiques étant les plus simples,
+doivent être ceux pour lesquels les moyens d'exploration sont les plus
+bornés.
+
+Notre art d'observer se compose, en général, de trois procédés
+différens: 1º l'observation proprement dite, c'est-à-dire l'examen
+direct du phénomène tel qu'il se présente naturellement; 2º
+l'expérience, c'est-à-dire la contemplation du phénomène plus ou moins
+modifié par des circonstances artificielles, que nous instituons
+expressément en vue d'une plus parfaite exploration; 3º la comparaison,
+c'est-à-dire la considération graduelle d'une suite de cas analogues,
+dans lesquels le phénomène se simplifie de plus en plus. La science des
+corps organisés, qui étudie les phénomènes du plus difficile accès, est
+aussi la seule qui permette véritablement la réunion de ces trois
+moyens. L'astronomie, au contraire, est nécessairement bornée au
+premier. L'expérience y est évidemment impossible; et, quant à la
+comparaison, elle n'y existerait que si nous pouvions observer
+directement plusieurs systèmes solaires, ce qui ne saurait avoir lieu.
+Reste donc la simple observation, et réduite même, comme nous l'avons
+remarqué, à la moindre extension possible, puisqu'elle ne peut concerner
+qu'un seul de nos sens. Mesurer des angles et compter des temps écoulés,
+tels sont les seuls moyens d'après lesquels notre intelligence puisse
+procéder à la découverte des lois qui régissent les phénomènes célestes.
+Mais ces moyens n'en sont pas moins parfaitement adaptés à la nature des
+véritables recherches astronomiques, car il ne faut pas autre chose pour
+observer des phénomènes géométriques ou des phénomènes mécaniques, des
+grandeurs ou des mouvemens. On doit seulement en conclure que, entre
+toutes les branches de la philosophie naturelle, l'astronomie est celle
+où l'observation directe, quelque indispensable qu'elle soit, est par
+elle-même la moins significative, et où la part du raisonnement est
+incomparablement la plus grande, ce qui constitue le premier fondement
+de sa dignité intellectuelle. Rien de vraiment intéressant ne s'y
+décide jamais par la simple inspection, contrairement à ce qui se passe
+en physique, en chimie, en physiologie, etc. Nous pouvons dire, sans
+exagération, que les phénomènes, quelque réels qu'ils soient, y sont
+pour la plupart essentiellement construits par notre intelligence; car
+on ne saurait _voir_ immédiatement la figure de la terre, ni la courbe
+décrite par une planète, ni même le mouvement journalier du ciel; notre
+esprit seul peut former ces diverses notions, en combinant, par des
+raisonnemens souvent très prolongés et fort complexes, des sensations
+isolées, que, sans cela, leur incohérence rendrait presque entièrement
+insignifiantes. Ces difficultés fondamentales propres aux études
+astronomiques, qui offrent un attrait de plus aux intelligences d'un
+certain ordre, inspirent ordinairement au vulgaire une répugnance très
+pénible à surmonter.
+
+La combinaison de ces deux caractères essentiels, extrême simplicité des
+phénomènes à étudier, et grande difficulté de leur observation, est ce
+qui constitue l'astronomie une science si éminemment mathématique. D'une
+part, la nécessité où l'on s'y trouve sans cesse de déduire d'un petit
+nombre de mesures directes, soit angulaires, soit horaires, des
+quantités qui ne sont point par elles-mêmes immédiatement observables,
+y rend l'usage continuel de la mathématique abstraite absolument
+indispensable. D'une autre part, les questions astronomiques étant
+toujours en elles-mêmes ou des problèmes de géométrie, ou des problèmes
+de mécanique, elles tombent naturellement dans le domaine de la
+mathématique concrète. Enfin, sous le rapport géométrique, la parfaite
+régularité des formes astronomiques, et, sous le rapport mécanique,
+l'admirable simplicité de mouvemens s'opérant dans un milieu dont la
+résistance est jusqu'ici négligeable et sous l'influence d'un petit
+nombre de forces constamment assujetties à une même loi très facile,
+permettent d'y conduire, beaucoup plus loin qu'en tout autre cas,
+l'application des méthodes et des théories mathématiques. Il n'est
+peut-être pas un seul procédé analytique, une seule doctrine géométrique
+ou mécanique, qui ne trouvent aujourd'hui leur emploi dans les
+recherches astronomiques, et la plupart même n'ont pas eu jusqu'ici
+d'autre destination primitive. Aussi est-ce surtout en étudiant
+convenablement une telle application qu'on peut acquérir un juste
+sentiment de l'importance et de la réalité des spéculations
+mathématiques.
+
+En considérant la nature éminemment simple des recherches astronomiques,
+et la facilité qui en résulte d'y appliquer de la manière la plus
+étendue l'ensemble des moyens mathématiques, on conçoit pourquoi
+l'astronomie est unanimement placée aujourd'hui à la tête des sciences
+naturelles. Elle mérite cette suprématie, 1º par la perfection de son
+caractère scientifique; 2º par l'importance prépondérante des lois
+qu'elle nous dévoile.
+
+Je ne dois point envisager ici sa haute utilité pratique pour la mesure
+des temps, pour la description exacte de notre globe, et surtout pour le
+perfectionnement de la navigation; car une telle considération ne
+saurait devenir un moyen de classement entre les différentes sciences,
+qui, à cet égard, sont en réalité essentiellement équivalentes. Mais il
+importe de remarquer à ce sujet, comme rentrant pleinement dans l'esprit
+général de cet ouvrage, que l'astronomie nous offre l'exemple le plus
+étendu et le plus irrécusable de l'indispensable nécessité des
+spéculations scientifiques les plus sublimes pour l'entière satisfaction
+des besoins pratiques les plus vulgaires. En se bornant au seul problème
+de la détermination des longitudes en mer, on voit que sa liaison intime
+avec l'ensemble des théories astronomiques a été établie, dès l'origine
+de la science, par son plus éminent fondateur, le grand Hipparque. Or,
+quoiqu'on n'ait, depuis cette époque, rien ajouté d'essentiel à l'idée
+fondamentale de cette relation, il a fallu tous les immenses
+perfectionnemens successivement apportés jusqu'ici à la science
+astronomique pour qu'une telle application devînt susceptible d'être
+suffisamment réalisée. Sans les plus hautes spéculations des géomètres
+sur la mécanique céleste, qui ont tant augmenté la précision des tables
+astronomiques, il serait absolument impossible de déterminer la
+longitude d'un vaisseau avec le degré d'exactitude que nous pouvons
+maintenant obtenir; et, bien loin que la science soit à cet égard plus
+parfaite que ne l'exige la pratique, il est au contraire certain que si
+nous ne pouvons pas encore connaître toujours sûrement notre position
+avec une erreur de moins de trois ou quatre lieues dans les mers
+équatoriales, cela tient essentiellement à ce que la précision de nos
+tables n'est point encore assez grande. De telles réflexions sont
+propres à frapper ces esprits étroits qui, s'ils pouvaient jamais
+dominer, arrêteraient aveuglément le développement des sciences, en
+voulant les restreindre à ne s'occuper que de recherches immédiatement
+susceptibles d'utilité pratique.
+
+En examinant scrupuleusement l'état philosophique actuel des diverses
+sciences fondamentales, nous aurons lieu de reconnaître, comme je l'ai
+déjà indiqué, que l'astronomie est aujourd'hui la seule qui soit enfin
+réellement purgée de toute considération théologique ou métaphysique.
+Tel est, sous le rapport de la méthode, son premier titre à la
+suprématie. C'est là que les esprits philosophiques peuvent efficacement
+étudier en quoi consiste véritablement une science; et c'est sur ce
+modèle qu'on doit s'efforcer, autant que possible, de constituer toutes
+les autres sciences fondamentales, en ayant toutefois convenablement
+égard aux différences plus ou moins profondes qui résultent
+nécessairement de la complication croissante des phénomènes.
+
+Sans doute, la géométrie abstraite et la mécanique rationnelle sont, en
+réalité, des sciences naturelles, et les premières de toutes, comme je
+me suis efforcé de le montrer dans le premier volume; elles sont
+supérieures à l'astronomie elle-même, à cause de la perfection de leurs
+méthodes et de l'entière généralité de leurs théories. En un mot, nous
+avons établi qu'elles constituent le véritable fondement primitif de
+toute la philosophie naturelle, et cela est particulièrement sensible à
+l'égard de l'astronomie. Mais, quelque réel que soit leur caractère
+physique, leurs phénomènes sont d'une nature trop abstraite pour
+qu'elles puissent être habituellement, sous ce rapport, appréciées
+d'une manière convenable, surtout à cause de l'esprit vicieux qui domine
+encore dans leur exposition ordinaire. Nos intelligences ont besoin
+jusqu'ici de voir ces combinaisons générales de figures ou de mouvemens
+se spécifier dans des corps existans, comme le fait si complètement
+l'astronomie, pour que leur réalité devienne suffisamment manifeste.
+Quoique la connaissance des lois géométriques et mécaniques soit, en
+elle-même, extrêmement précieuse, il est certain que, dans l'état
+présent de l'esprit humain, elle est bien plus employée comme un
+puissant et indispensable moyen d'investigation dans l'étude des autres
+phénomènes naturels, que comme une véritable science directe. Ainsi, le
+premier rang, dans la philosophie naturelle proprement dite, reste
+incontestablement à l'astronomie.
+
+Ceux qui font consister la science dans la simple accumulation des faits
+observés, n'ont qu'à considérer avec quelque attention l'astronomie,
+pour sentir combien leur pensée est étroite et superficielle. Ici, les
+faits sont tellement simples, et d'ailleurs si peu intéressans, qu'il
+devient impossible de méconnaître que leur liaison seule, l'exacte
+connaissance de leurs lois, constituent la science. Qu'est-ce réellement
+qu'un fait astronomique? rien autre chose habituellement que: tel astre
+a été vu à tel instant précis et sous tel angle bien mesuré; ce qui,
+sans doute, est, en soi-même, fort peu important. La combinaison
+continuelle et l'élaboration mathématique plus ou moins profonde de ces
+observations caractérisent uniquement la science, même dans son état le
+plus imparfait. L'astronomie n'a pas réellement pris naissance quand les
+prêtres de l'Égypte ou de la Chaldée ont fait sur le ciel une suite
+d'observations empiriques plus ou moins exactes, mais seulement lorsque
+les premiers philosophes grecs ont commencé à ramener à quelques lois
+géométriques le phénomène général du mouvement diurne. Le véritable but
+définitif des recherches astronomiques étant toujours de prédire avec
+certitude l'état effectif du ciel dans un avenir plus ou moins lointain,
+l'établissement des lois des phénomènes offre évidemment le seul moyen
+d'y parvenir, sans que l'accumulation des observations puisse être, en
+elle-même, d'aucune utilité pour cela, autrement que comme fournissant à
+nos spéculations un fondement solide. En un mot, il n'y a pas eu de
+véritable astronomie tant qu'on n'a pas su, par exemple, prévoir, avec
+une certaine précision, au moins par des procédés graphiques, et surtout
+par quelques calculs trigonométriques, l'instant du lever du soleil ou
+de quelque étoile pour un jour et pour un lieu donnés. Ce caractère
+essentiel de la science a toujours été le même depuis son origine. Tous
+ses progrès ultérieurs ont seulement consisté à apporter définitivement
+dans ces prédictions une certitude et une précision de plus en plus
+grandes, en empruntant à l'observation directe le moins de données
+possible pour la prévoyance la plus lointaine. Aucune partie de la
+philosophie naturelle ne peut donc manifester avec plus de force la
+vérité de cet axiome fondamental: _toute science a pour but la
+prévoyance_, qui distingue la science réelle de la simple érudition,
+bornée à raconter les événemens accomplis, sans aucune vue d'avenir.
+
+Non-seulement le vrai caractère scientifique est plus profondément
+marqué dans l'astronomie qu'en aucune autre branche de nos connaissances
+positives; mais on peut même dire que, depuis le développement de la
+théorie de la gravitation, elle a atteint la plus haute perfection
+philosophique à laquelle une science puisse jamais prétendre sous le
+rapport de la méthode, l'exacte réduction de tous les phénomènes, soit
+quant à leur nature, soit quant à leur degré, à une seule loi générale;
+pourvu toutefois que, suivant l'explication précédemment établie, on ne
+considère que l'astronomie solaire. Sans doute, la complication
+graduelle des phénomènes doit nous faire envisager une telle perfection
+comme absolument chimérique dans toutes les autres sciences
+fondamentales. Mais tel n'en est pas moins le type général que les
+diverses classes de savans doivent sans cesse avoir en vue, en
+s'efforçant d'en approcher autant que le comportent les phénomènes
+correspondans, comme je tâcherai de le montrer successivement dans les
+différentes parties de cet ouvrage. C'est toujours là qu'il faut
+remonter désormais pour sentir, dans toute sa pureté, ce que c'est que
+l'_explication_ positive d'un phénomène, sans aucune enquête sur sa
+cause ou première ou finale; c'est là enfin qu'on doit apprendre le
+véritable caractère et les conditions essentielles des _hypothèses_
+vraiment scientifiques, nulle autre science n'ayant fait de ce puissant
+secours un usage à la fois aussi étendu et aussi convenable. Après avoir
+exposé la philosophie astronomique de manière à faire ressortir, le plus
+qu'il me sera possible, ces grandes propriétés générales, je
+m'efforcerai ensuite de les appliquer, plus profondément qu'on ne l'a
+fait encore, à perfectionner le caractère philosophique des autres
+sciences principales.
+
+En général, chaque science, suivant la nature de ses phénomènes, a dû
+perfectionner la méthode positive fondamentale sous quelque rapport
+essentiel qui lui est propre. Le véritable esprit de cet ouvrage
+consiste, à cet égard, à saisir successivement ces divers
+perfectionnemens, et ensuite à les combiner, d'après la hiérarchie
+scientifique établie dans la deuxième leçon, de manière à acquérir,
+comme résultat final d'un tel travail, une connaissance parfaite de la
+méthode positive, qui, j'espère, ne laissera plus aucun doute sur
+l'utilité réelle de semblables comparaisons pour les progrès futurs de
+notre intelligence.
+
+En considérant maintenant l'ensemble de la science astronomique, non
+plus relativement à la méthode, mais quant aux lois naturelles qu'elle
+nous dévoile effectivement, sa prééminence est tout aussi incontestable.
+
+J'ai toujours regardé comme un véritable trait de génie philosophique,
+de la part de Newton, d'avoir intitulé son admirable traité de Mécanique
+céleste: _Philosophiæ naturalis principia mathematica_. Car, on ne
+pouvait indiquer avec une plus énergique concision que les lois
+générales des phénomènes célestes sont le premier fondement du système
+entier de nos connaissances réelles.
+
+La loi encyclopédique établie au commencement de cet ouvrage me dispense
+de grands développemens à ce sujet. Il est évident que l'astronomie
+doit être par sa nature, essentiellement indépendante de toutes les
+autres sciences naturelles, et qu'elle a seulement besoin de s'appuyer
+sur la science mathématique. Les divers phénomènes physiques, chimiques
+et physiologiques, ne peuvent certainement exercer aucune influence sur
+les phénomènes astronomiques, dont les lois ne sauraient éprouver la
+moindre altération même par les plus grands bouleversemens intérieurs de
+chaque planète sous tous ces autres rapports naturels. La physique, il
+est vrai, et même, à quelques égards secondaires, la chimie[1], ont pu
+fournir à l'astronomie, lorsqu'elle a été très avancée, des secours
+indispensables pour perfectionner ses observations; mais il est clair
+que cette influence accessoire n'a été nullement nécessaire à sa
+constitution scientifique. L'astronomie avait certainement, entre les
+mains d'Hipparque et de ses successeurs, tous les caractères d'une
+véritable science, au moins sous le rapport géométrique, pendant que la
+physique, la chimie, etc., étaient encore profondément enfouies dans le
+chaos métaphysique et même théologique. À une époque toute moderne,
+Képler a découvert ses grandes lois astronomiques d'après les
+observations faites par Tycho-Brahé, avant les grands perfectionnemens
+des instrumens, et essentiellement avec les mêmes moyens matériels
+qu'employaient les Grecs. Les instrumens de précision n'ont aussi
+nullement contribué à la découverte de la gravitation; et c'est
+seulement depuis lors qu'ils sont devenus nécessaires pour correspondre
+à la nouvelle perfection que la théorie permettait désormais dans les
+déterminations astronomiques. Le grand instrument qui réellement
+produisit toutes les découvertes fondamentales de l'astronomie, ce fut
+d'abord la géométrie, et plus tard la mécanique rationnelle, dont les
+progrès sont, en effet, à chaque époque, un excellent critérium pour
+présumer, avec une entière certitude, l'état général des connaissances
+astronomiques correspondantes. L'indépendance de l'astronomie,
+relativement aux autres branches de la philosophie naturelle, demeure
+donc incontestable.
+
+ [Note 1: C'est évidemment la chimie, par exemple, qui a
+ fourni à Wollaston l'ingénieux procédé par lequel on obtient
+ aujourd'hui les meilleurs fils micrométriques.]
+
+Mais, au contraire, il est certain que les phénomènes physiques,
+chimiques, physiologiques, et même sociaux, sont essentiellement
+subordonnés, d'une manière plus ou moins directe, aux phénomènes
+astronomiques, indépendamment de leur coordination mutuelle. L'étude des
+autres sciences fondamentales ne peut donc avoir un caractère vraiment
+rationnel, qu'en prenant pour base une connaissance exacte des lois
+astronomiques, relatives aux phénomènes les plus généraux. Notre esprit
+pourrait-il penser, d'une manière réellement scientifique, à aucun
+phénomène terrestre, sans considérer auparavant ce qu'est cette terre
+dans le monde dont nous faisons partie, sa situation et ses mouvemens
+devant nécessairement exercer une influence prépondérante sur tous les
+phénomènes qui s'y passent? Que deviendraient nos conceptions physiques,
+et par suite chimiques, physiologiques, etc., sans la notion
+fondamentale de la gravitation, qui les domine toutes? Pour choisir
+l'exemple le plus défavorable, où la subordination est la moins
+manifeste, il faut reconnaître, quoique cela puisse d'abord sembler
+étrange, que, même les phénomènes relatifs au développement des sociétés
+humaines, ne sauraient être conçus rationnellement sans la considération
+préalable des principales lois astronomiques. On pourra le sentir
+aisément en observant que si les divers élémens astronomiques de notre
+planète, comme sa distance au soleil, et, par suite, la durée de
+l'année, l'obliquité de l'écliptique, etc., éprouvaient quelques
+changemens importans, ce qui, en astronomie, n'aurait guère d'autre
+effet que de modifier quelques coefficiens, notre développement social
+en serait sans doute notablement affecté, et deviendrait même impossible
+si ces altérations étaient poussées trop loin. Je ne crains nullement de
+mériter le reproche d'exagération, en établissant à ce sujet, que la
+physique sociale n'était point une science possible, tant que les
+géomètres n'avaient pas démontré, comme résultat général de la mécanique
+céleste, que les dérangemens de notre système solaire ne sauraient
+jamais être que des oscillations graduelles et très limitées autour d'un
+état moyen nécessairement invariable. Comment espérerait-on, en effet,
+former avec certitude quelques lois naturelles relativement aux
+phénomènes sociaux, si les données astronomiques, sous l'empire
+desquelles ils s'accomplissent, pouvaient comporter des variations
+indéfinies? Je reprendrai cette considération d'une manière spéciale
+dans la dernière partie de cet ouvrage. Il me suffit, quant à présent,
+de l'indiquer pour faire comprendre que le système général des
+connaissances astronomiques est un élément aussi indispensable à
+combiner dans la formation rationnelle de la physique sociale qu'à
+l'égard de toutes les autres sciences principales.
+
+On n'aurait qu'une idée imparfaite de la haute importance intellectuelle
+des théories astronomiques, si l'on se bornait à envisager ainsi leur
+influence nécessaire et spéciale sur les diverses parties de la
+philosophie naturelle, quelque essentielle que soit d'ailleurs une telle
+considération. Il faut encore avoir égard à l'action générale qu'elles
+exercent directement sur les dispositions fondamentales de notre
+intelligence, à la rénovation de laquelle les progrès de l'astronomie
+ont plus puissamment contribué que ceux d'aucune autre science.
+
+Je n'ai pas besoin de signaler expressément ici, comme trop évident par
+lui-même et trop communément apprécié aujourd'hui, l'effet des
+connaissances astronomiques pour dissiper entièrement les préjugés
+absurdes et les terreurs superstitieuses, tenant à l'ignorance des lois
+célestes, au sujet de plusieurs phénomènes remarquables, tels que les
+éclipses, les comètes, etc. Ces dispositions naturelles ont cessé ou
+cessent de jour en jour dans les esprits les plus vulgaires, même
+indépendamment de la diffusion des vraies notions astronomiques, par
+l'éclatante coïncidence de ces événemens avec les prédictions
+scientifiques. Toutefois, nous ne devons jamais oublier à cet égard que,
+suivant la juste remarque de Laplace, elles renaîtraient promptement si
+les études astronomiques pouvaient jamais cesser d'être cultivées.
+
+Mais je dois principalement insister dans cet ouvrage sur une action
+philosophique plus générale et plus profonde, jusqu'ici bien moins
+sentie, inhérente à l'ensemble même de la science astronomique, et qui
+résulte de la connaissance de la vraie constitution de notre monde et de
+l'ordre qui s'y établit nécessairement. Je la développerai soigneusement
+à mesure que l'examen philosophique des diverses théories astronomiques
+m'en fournira l'occasion. En ce moment, il me suffira de l'indiquer.
+
+Pour les esprits étrangers à l'étude des corps célestes, quoique souvent
+très éclairés d'ailleurs sur d'autres parties de la philosophie
+naturelle, l'astronomie a encore la réputation d'être une science
+éminemment religieuse, comme si le fameux verset: _Coeli enarrant
+gloriam Dei_ avait conservé toute sa valeur[2]. Il est cependant
+certain, ainsi que je l'ai établi, que toute science réelle est en
+opposition radicale et nécessaire avec toute théologie; et ce caractère
+est plus prononcé en astronomie que partout ailleurs, précisément parce
+que l'astronomie est, pour ainsi dire, plus _science_ qu'aucune autre,
+suivant la comparaison indiquée ci-dessus. Aucune n'a porté de plus
+terribles coups à la doctrine des causes finales, généralement regardée
+par les modernes comme la base indispensable de tous les systèmes
+religieux, quoiqu'elle n'en ait été, en réalité, qu'une conséquence. La
+seule connaissance du mouvement de la terre a dû détruire le premier
+fondement réel de cette doctrine, l'idée de l'univers subordonné à la
+terre et par suite à l'homme, comme je l'expliquerai spécialement en
+traitant de ce mouvement. D'ailleurs, l'exacte exploration de notre
+système solaire ne pouvait manquer de faire essentiellement disparaître
+cette admiration aveugle et illimitée qu'inspirait l'ordre général de la
+nature, en montrant, de la manière la plus sensible, et sous un très
+grand nombre de rapports divers, que les élémens de ce système n'étaient
+certainement point disposés de la manière la plus avantageuse, et que la
+science permettait de concevoir aisément un meilleur arrangement[3].
+Enfin, sous un dernier point de vue encore plus capital, par le
+développement de la vraie mécanique céleste depuis Newton, toute
+philosophie théologique, même la plus perfectionnée, a été désormais
+privée de son principal office intellectuel, l'ordre le plus régulier
+étant dès lors conçu comme nécessairement établi et maintenu, dans notre
+monde et même dans l'univers entier, par la simple pesanteur mutuelle de
+ses diverses parties.
+
+ [Note 2: Aujourd'hui, pour les esprits familiarisés de
+ bonne heure avec la vraie philosophie astronomique, les
+ cieux ne racontent plus d'autre gloire que celle
+ d'Hipparque, de Képler, de Newton, et de tous ceux qui ont
+ concouru à en établir les lois.]
+
+ [Note 3: Il convient d'observer à ce sujet, comme trait
+ caractéristique que, lorsque des astronomes se livrent
+ aujourd'hui à un tel genre d'admiration, il porte
+ essentiellement sur l'organisation des animaux, qui leur est
+ entièrement étrangère; tandis que les anatomistes, au
+ contraire, qui en connaissent toute l'imperfection, se
+ rejettent sur l'arrangement des astres, dont ils n'ont
+ aucune idée approfondie et ce qui est propre à mettre en
+ évidence la véritable source de cette disposition d'esprit.]
+
+Si les philosophes qui, de nos jours, tiennent encore à la doctrine des
+causes finales n'étaient point, ordinairement, dépourvus d'une véritable
+instruction scientifique un peu approfondie, ils n'auraient pas manqué
+de faire ressortir, avec leur emphase habituelle, une considération
+générale fort spécieuse, à laquelle ils n'ont jamais eu égard, et que je
+choisis exprès comme l'exemple le plus défavorable. Il s'agit de ce beau
+résultat final de l'ensemble des travaux mathématiques sur la théorie de
+la gravitation, mentionné ci-dessus pour un autre motif, la stabilité
+essentielle de notre système solaire. Cette grande notion, présentée
+sous l'aspect convenable, pourrait sans doute devenir aisément la base
+d'une suite de déclamations éloquentes, ayant une imposante apparence de
+solidité. Et, néanmoins, une constitution aussi essentielle à
+l'existence continue des espèces animales est une simple conséquence
+nécessaire, d'après les lois mécaniques du monde, de quelques
+circonstances caractéristiques de notre système solaire, la petitesse
+extrême des masses planétaires en comparaison de la masse centrale, la
+faible excentricité de leurs orbites, et la médiocre inclinaison
+mutuelle de leurs plans; caractères qui, à leur tour, peuvent être
+envisagés avec beaucoup de vraisemblance, ainsi que je le montrerai plus
+tard suivant l'indication de Laplace, comme dérivant tout naturellement
+du mode de formation de ce système. On devait d'ailleurs _à priori_
+s'attendre, en général, à un tel résultat, par cette seule réflexion que
+puisque nous existons, il faut bien, de toute nécessité, que le système
+dont nous faisons partie soit disposé de façon à permettre cette
+existence, qui serait incompatible avec une absence totale de stabilité
+dans les élémens principaux de notre monde. Pour apprécier
+convenablement cette considération, il faut observer que cette stabilité
+n'est nullement absolue; car elle n'a pas lieu à l'égard des comètes,
+dont les perturbations sont beaucoup plus fortes, et peuvent même
+s'accroître presque indéfiniment par le défaut des conditions de
+restriction que je viens d'énoncer, ce qui ne permet guère de les
+concevoir habitées. La prétendue cause finale se réduirait donc ici,
+comme on l'a déjà vu dans toutes les occasions analogues, à cette
+remarque puérile: il n'y a d'astres habités, dans notre système
+solaire, que ceux qui sont habitables. On rentre, en un mot, dans le
+principe des conditions d'existence, qui est la vraie transformation
+positive de la doctrine des causes finales, et dont la portée et la
+fécondité sont bien supérieures.
+
+Tels sont, en aperçu, les services immenses et fondamentaux rendus par
+le développement des théories astronomiques à l'émancipation de la
+raison humaine. Je m'efforcerai de les mettre en évidence dans les
+différentes parties de l'examen philosophique dont je vais m'occuper.
+
+Après avoir expliqué l'objet réel de l'astronomie, et m'être efforcé de
+circonscrire, avec une sévère précision, le véritable champ de ses
+recherches; après avoir établi sa vraie position encyclopédique, par sa
+subordination nécessaire à la science mathématique et par son rang
+incontestable à la tête des sciences naturelles; après avoir enfin
+signalé ses propriétés philosophiques, quant à la méthode et quant à la
+doctrine, il ne me reste plus, pour compléter cet aperçu général, qu'à
+envisager la division principale de la science astronomique, qui découle
+tout naturellement des considérations déjà exposées dans ce discours.
+
+Nous avons précédemment établi le principe que les phénomènes étudiés
+en astronomie sont, de toute nécessité, ou des phénomènes géométriques,
+ou des phénomènes mécaniques. De là résulte immédiatement la division
+naturelle de la science en deux parties profondément distinctes, quoique
+maintenant combinées de la manière la plus heureuse: 1º l'astronomie
+géométrique, ou la _géométrie céleste_, qui, pour avoir eu, si
+long-temps avant l'autre, le caractère scientifique, a conservé encore
+le nom d'astronomie proprement dite; 2º. l'astronomie mécanique, ou la
+_mécanique céleste_, dont Newton est l'immortel fondateur, et qui a
+reçu, dans le siècle dernier, un si vaste et si admirable développement.
+Il est d'ailleurs évident que cette division convient aussi bien à
+l'astronomie sidérale, si jamais elle existe véritablement, qu'à notre
+astronomie solaire, la seule que je doive avoir essentiellement en vue
+par les raisons expliquées ci-dessus, et qui, dans toute hypothèse,
+occupera toujours le premier rang. Une telle distribution dérive si
+directement aujourd'hui de la nature même de la science, qu'on la voit
+dominer presque spontanément dans toute exposition un peu méthodique,
+bien qu'elle n'ait jamais été, ce me semble, rationnellement examinée.
+
+Il importe de remarquer à cet égard que cette division est parfaitement
+en harmonie avec la règle encyclopédique posée au commencement de cet
+ouvrage, et que je m'efforcerai toujours de suivre, autant que possible,
+dans la distribution intérieure de chaque science fondamentale. Il est
+clair, en effet, que la géométrie céleste est, par sa nature, beaucoup
+plus simple que la mécanique céleste: et, d'un autre côté, elle en est
+essentiellement indépendante, quoique celle-ci puisse contribuer
+singulièrement à la perfectionner. Dans l'astronomie proprement dite, il
+ne s'agit que de déterminer la forme et la grandeur des corps célestes,
+et d'étudier les lois géométriques suivant lesquelles leurs positions
+varient, sans considérer ces déplacemens relativement aux forces qui les
+produisent, ou, en termes plus positifs, quant aux mouvemens
+élémentaires dont ils dépendent. Aussi a-t-elle pu faire et a-t-elle
+fait réellement les progrès les plus importans avant que la mécanique
+céleste eût aucun commencement d'existence; et, même depuis lors, ses
+découvertes les plus remarquables ont encore été dues à son
+développement spontané, comme on le voit si éminemment dans le beau
+travail du grand Bradley sur l'aberration et la nutation. Au contraire,
+la mécanique céleste est, par sa nature, essentiellement dépendante de
+la géométrie céleste, sans laquelle elle ne saurait avoir aucun
+fondement solide. Son objet, en effet, est d'analyser les mouvemens
+effectifs des astres, afin de les ramener, d'après les règles de la
+mécanique rationnelle, à des mouvemens élémentaires régis par une loi
+mathématique universelle et invariable; et, en partant ensuite de cette
+loi, de perfectionner à un haut degré la connaissance des mouvemens
+réels, en les déterminant _à priori_ par des calculs de mécanique
+générale, empruntant à l'observation directe le moins de données
+possible, et néanmoins toujours confirmés par elle. C'est par là que
+s'établit, de la manière la plus naturelle, la liaison fondamentale de
+l'astronomie avec la physique proprement dite; liaison devenue telle
+aujourd'hui, que plusieurs grands phénomènes forment de l'une à l'autre
+une transition presque insensible, comme on le voit surtout dans la
+théorie des marées. Mais il est évident que ce qui constitue toute la
+réalité de la mécanique céleste, ainsi que je m'attacherai à le faire
+ressortir en son lieu, c'est d'avoir pris son point de départ dans
+l'exacte connaissance des véritables mouvemens, fournie par la géométrie
+céleste. C'est précisément faute d'avoir été conçues d'après cette
+relation fondamentale, que toutes les tentatives faites avant Newton
+pour former des systèmes de mécanique céleste, et entre autres celle de
+Descartes, ont dû être nécessairement illusoires sous le rapport
+scientifique, quelque utilité qu'elles aient pu avoir d'ailleurs
+momentanément sous le point de vue philosophique.
+
+La division générale de l'astronomie en géométrique et mécanique n'a
+donc certainement rien d'arbitraire, ni même de scolastique: elle dérive
+de la nature même de la science; elle est à la fois historique et
+dogmatique. Il serait inutile d'insister davantage sur un principe aussi
+évident, et que personne n'a jamais contesté. Quant aux subdivisions,
+d'ailleurs très aisées à établir, ce n'est point le moment de s'en
+occuper: elles seront expliquées à mesure que le besoin s'en fera
+sentir.
+
+Relativement au point de vue où le lecteur doit se placer, je renvoie
+aux judicieuses remarques de Delambre sur l'innovation tentée par
+Lacaille, qui, pour simplifier son exposition, avait imaginé de
+transporter son observateur à la surface du soleil. Il est certain que
+la conception des mouvemens célestes devient ainsi beaucoup plus facile;
+mais on ne saurait plus comprendre par quel enchaînement de
+connaissances on a pu s'élever à une telle conception. Le point de vue
+solaire doit être le terme et non l'origine d'un système rationnel
+d'études astronomiques. L'obligation de partir de notre point de vue
+réel est surtout prescrite par la nature de cet ouvrage, où l'analyse
+de la méthode scientifique et l'observation de la filiation logique des
+idées principales doivent avoir encore plus d'importance que
+l'exposition plus claire des résultats généraux.
+
+Il convient, enfin, d'avertir ceux de mes lecteurs qui seraient
+étrangers à l'étude de l'astronomie, mais qui, doués d'un véritable
+esprit philosophique, voudraient se former une juste idée générale de
+ses méthodes essentielles et de ses principaux résultats, que je leur
+suppose préalablement au moins une exacte connaissance des deux
+phénomènes fondamentaux, le mouvement diurne et le mouvement annuel,
+telle qu'on peut l'obtenir par les plus simples observations, faites
+sans aucun instrument précis, et seulement élaborées par la
+trigonométrie. Je les renvoie pour cet objet, comme, en général, pour
+toutes les autres données nécessaires, à l'excellent traité de mon
+illustre maître en astronomie, le judicieux Delambre. Il ne s'agit point
+ici d'un traité, même sommaire, d'astronomie; mais d'une suite de
+considérations philosophiques sur les diverses parties de la science:
+toute exposition spéciale de quelque étendue y serait donc déplacée.
+
+Ayant ainsi considéré, sous tous les aspects essentiels, le système de
+la science astronomique, je dois procéder maintenant à l'examen
+philosophique de ses diverses parties, dans l'ordre établi ci-dessus.
+Mais il faut auparavant jeter un coup d'oeil général sur l'ensemble des
+moyens d'observation nécessaires aux astronomes, ce qui fera l'objet de
+la leçon suivante.
+
+
+
+
+VINGTIÈME LEÇON.
+
+Considérations générales sur les méthodes d'observation en astronomie.
+
+Toutes les observations astronomiques se réduisent nécessairement, comme
+nous l'avons vu, à mesurer des temps et des angles. La nature de cet
+ouvrage ne comporte nullement une exposition, même sommaire, des divers
+procédés par lesquels en a enfin obtenu, dans ces deux sortes de
+mesures, l'étonnante précision que nous y admirons aujourd'hui. Il
+s'agit seulement ici de concevoir, d'une manière générale, l'ensemble
+des idées fondamentales qui ont pu successivement conduire à une telle
+perfection.
+
+Cet ensemble se compose essentiellement, pour l'un et l'autre genre
+d'observations, de deux ordres d'idées bien distincts, quoiqu'il y ait
+entre eux une harmonie nécessaire: le premier est relatif au
+perfectionnement des instrumens; le second concerne certaines
+corrections fondamentales apportées par la théorie à leurs indications,
+et sans lesquelles leur précision serait illusoire. Telle est la
+division naturelle de nos considérations générales à cet égard. Nous
+devons commencer par celles sur les instrumens.
+
+Quoique les moyens gnomoniques aient dû être rejetés avec raison par les
+modernes, comme n'étant pas susceptibles de la précision nécessaire, il
+convient d'abord de les signaler ici dans leur ensemble, à cause de leur
+extrême importance pour la première formation de la géométrie céleste
+par les astronomes grecs.
+
+Les ombres solaires, et même, à un degré moindre, les ombres lunaires,
+ont été, dans l'origine de l'astronomie, un instrument très précieux,
+immédiatement fourni par la nature, aussitôt que la propagation
+rectiligne de la lumière a été bien reconnue. Elles peuvent devenir un
+moyen d'observation astronomique sous deux rapports: envisagées quant à
+leur direction, elles servent à la mesure du temps; et, par leur
+longueur, elles permettent d'évaluer certaines distances angulaires.
+
+Sous le premier point de vue, lorsque l'uniformité du mouvement diurne
+apparent de la sphère céleste a été une fois admise, il suffisait,
+évidemment, de fixer un style dans la direction, préalablement bien
+déterminée, de l'axe de cette sphère, pour que l'ombre qu'il projetait
+sur un plan ou sur toute autre surface fît connaître, à toute époque
+dans chaque lieu correspondant, les temps écoulés, par le seul indice de
+ses diverses positions successives. En se bornant au cas le plus simple,
+celui d'un plan perpendiculaire à cet axe, duquel tous les autres cas
+peuvent être aisément déduits par des moyens graphiques, il est clair
+que les angles horaires sont exactement proportionnels aux déplacemens
+angulaires de l'ombre depuis sa situation méridienne. Toutefois, de
+semblables indications doivent être imparfaites, puisqu'elles supposent
+que le soleil décrit chaque jour le même parallèle de la sphère céleste,
+et que, par conséquent, elles exigent une correction, impossible à
+exécuter sur l'appareil lui-même, à raison de l'obliquité du mouvement
+annuel, outre celle qui correspond à son inégalité; ce qui rend de tels
+instrumens inapplicables à des observations précises.
+
+Sous le second point de vue, il est évident que la longueur variable de
+l'ombre horizontale projetée à chaque instant par un style vertical,
+étant comparée à la longueur fixe et bien connue de ce style, on en
+conclut immédiatement la distance angulaire correspondante du soleil au
+zénith; ce rapport constituant par lui-même la tangente trigonométrique
+de cet angle, dont il a primitivement inspiré l'idée aux astronomes
+arabes. De là est résulté un moyen long-temps précieux, d'observer les
+variations qu'éprouve la distance zénithale du soleil aux divers instans
+de la journée, et celles plus importantes de sa position méridienne aux
+différentes époques de l'année. L'inexactitude inévitable des procédés
+gnomoniques consiste, à cet égard, dans l'influence de la pénombre, qui
+laisse toujours une incertitude plus ou moins grande sur la vraie
+longueur de l'ombre, dont l'extrémité ne peut jamais être nettement
+terminée. Cette influence, qui affecte d'une manière nécessairement fort
+inégale les diverses distances au zénith, peut bien être atténuée par
+l'emploi de très grands gnomons; mais il est évidemment impossible de
+s'y soustraire tout-à-fait.
+
+Cette double propriété des indications gnomoniques avait été réalisée,
+dès l'origine de la science, par l'ingénieux instrument connu sous le
+nom d'hémisphère creux de Bérose, qui servait à mesurer simultanément
+les temps et les angles, quoique, d'ailleurs, il fût encore moins
+susceptible d'exactitude que les instrumens imaginés plus tard d'après
+le même principe.
+
+L'imperfection fondamentale des procédés gnomoniques, la difficulté
+d'une exécution suffisamment rigoureuse, et l'inconvénient de cesser
+d'être applicables précisément aux instans les plus convenables pour
+l'observation, ont déterminé les astronomes à y renoncer entièrement,
+aussitôt qu'il a été possible de s'en passer. Dominique Cassini est le
+dernier qui en ait fait un usage important, à l'aide de ses grands
+gnomons, pour sa théorie du soleil. Toutefois, la spontanéité d'un tel
+moyen d'observation, lui conservera toujours une valeur réelle, pour
+procurer une première approximation de certaines données astronomiques,
+lorsqu'on se trouve placé dans des circonstances défavorables, qui ne
+permettent pas l'emploi des instrumens modernes. Il est resté,
+d'ailleurs, dans nos observatoires actuels, la base de l'importante
+construction de la ligne méridienne, envisagée comme divisant en deux
+parties égales l'angle formé par les ombres horizontales de même
+longueur qui correspondent aux deux parties symétriques d'une même
+journée. Dans ce cas spécial, les deux causes fondamentales d'erreur
+signalées ci-dessus sont essentiellement éludées; car la pénombre
+affecte évidemment au même degré les deux ombres conjuguées; et, quant à
+l'obliquité du mouvement du soleil, il est facile d'en éviter presque
+entièrement l'influence en faisant l'opération aux environs des
+solstices, surtout vers le solstice d'été. On peut, en outre, la
+vérifier et la rectifier aisément par l'observation des étoiles.
+
+Considérons maintenant les procédés les plus exacts, en séparant, comme
+il devient indispensable de le faire, ce qui se rapporte à la mesure du
+temps de ce qui concerne celle des angles, et en examinant d'abord la
+première.
+
+Il faut, à cet égard, reconnaître, avant tout, que le plus parfait de
+tous les chronomètres est le ciel lui-même, par l'uniformité rigoureuse
+de son mouvement diurne apparent, en vertu de la rotation réelle de la
+terre. Il suffit, en effet, d'après cela, lorsqu'on sait exactement la
+latitude de son observatoire, d'y mesurer, à chaque instant, la distance
+au zénith d'un astre quelconque, dont la déclinaison, d'ailleurs
+variable ou constante, est actuellement bien connue, pour en conclure
+l'angle horaire correspondant, et, par une suite immédiate, le temps
+écoulé, en résolvant le triangle sphérique que forment le pôle, le
+zénith et l'astre, et dont les trois côtés sont ainsi donnés. Si l'on
+avait dressé, dans chaque lieu, des tables numériques très étendues de
+ces résultats pour quelques étoiles convenablement choisies, ce moyen
+naturel deviendrait, sans doute, beaucoup plus praticable qu'il ne le
+semble d'abord. Mais il ne saurait, évidemment, jamais comporter toute
+l'actualité nécessaire pour qu'il pût entièrement suffire, outre le
+grave inconvénient qu'il présente de faire dépendre la mesure du temps
+de celle des angles, qui est réellement aujourd'hui moins parfaite.
+Aussi ce procédé chronométrique n'est-il employé qu'à défaut de tout
+autre moyen exact, comme c'est essentiellement le cas en astronomie
+nautique. Sa grande propriété usuelle consiste, dans nos observatoires,
+à régler avec précision la marche de toutes les autres horloges, en la
+confrontant à celle de la sphère céleste. Et, cette importante
+vérification se fait même le plus souvent sans exiger aucun calcul
+trigonométrique; car on peut se borner à modifier le mouvement du
+chronomètre jusqu'à ce qu'il marque très exactement vingt-quatre heures
+sidérales, entre les deux passages consécutifs d'une même étoile
+quelconque à une lunette fixée, aussi invariablement que possible, dans
+une direction d'ailleurs arbitraire.
+
+Les moyens artificiels pour mesurer le temps avec précision par des
+instrumens de notre création sont donc indispensables en astronomie.
+Cherchons à en saisir l'esprit général.
+
+Tout phénomène qui présente des changemens graduels quelconques est
+réellement susceptible de nous fournir, par l'étendue des changemens
+opérés, une certaine appréciation du temps employé à les produire. Dans
+ce sens général, l'homme semble pouvoir choisir à cet égard entre toutes
+les classes des phénomènes naturels. Mais son choix devient, en réalité,
+infiniment restreint, quand il veut obtenir des estimations précises.
+Les divers ordres de phénomènes étant, de toute nécessité, d'autant
+moins réguliers qu'ils sont plus compliqués, cette loi nous prescrit de
+chercher seulement parmi les plus simples nos vrais moyens
+chronométriques. Ainsi, les mouvemens physiologiques eux-mêmes[4]
+pourraient, à cet égard, nous procurer quelques indications, en
+comptant, par exemple, le nombre de nos pulsations dans l'état sain, ou
+le nombre de pas bien réglés, ou celui des sons vocaux, etc., pendant le
+temps à évaluer, et, quelque grossier que soit nécessairement un tel
+procédé, il peut néanmoins avoir une véritable utilité dans certaines
+occasions où tout autre nous est interdit. Mais il est évident, en
+général, que les divers mouvemens des corps vivans varient d'une manière
+beaucoup trop irrégulière pour qu'on puisse jamais les employer à la
+mesure du temps. Il en est encore essentiellement de même, quoiqu'à un
+degré bien moindre, des phénomènes chimiques. La combustion d'une
+quantité déterminée de matière quelconque homogène, peut devenir, par
+exemple, un moyen d'évaluer, avec une grossière approximation, le temps
+écoulé. Mais la durée totale de cette combustion, et surtout celle de
+ses diverses parties, sont évidemment trop incertaines et trop variables
+pour qu'on en déduise aucune détermination précise. Ainsi, puisqu'il a
+fallu écarter les phénomènes astronomiques, comme seulement destinés à
+la vérification, quoiqu'ils soient, par leur nature, les plus réguliers,
+ce n'est donc que dans les mouvemens physiques proprement dits, et
+surtout dans ceux dus à la pesanteur, que nous pouvons réellement
+chercher des procédés chronométriques susceptibles d'exactitude. C'est
+aussi là où ils ont été puisés de tout temps, aussitôt qu'on a senti le
+besoin de ne plus se borner aux moyens gnomoniques.
+
+ [Note 4: On peut utilement remarquer à ce sujet, d'après
+ les poëmes d'Homère et les récits de la Bible, que, dans
+ l'enfance de la civilisation, les fonctions sociales
+ elles-mêmes servaient, jusqu'à un certain point, à marquer
+ et à mesurer le temps.]
+
+Les anciens ont d'abord employé le mouvement produit par la pesanteur
+dans l'écoulement des liquides: de là leurs diverses clepsydres, et les
+sabliers encore usités à bord de nos vaisseaux. Mais il est évident que
+de tels instrumens, même en les supposant aussi perfectionnés que le
+permettraient nos connaissances actuelles, ne sont pas susceptibles,
+par leur nature, d'une grande précision, à cause de l'irrégularité
+nécessaire de tout mouvement dans les liquides. C'est pourquoi on a été
+rationnellement conduit, dans le moyen âge, à substituer les solides aux
+liquides, en imaginant les horloges fondées sur la descente verticale
+des poids. Ainsi, en cherchant, parmi tous les phénomènes naturels, des
+moyens exacts de mesurer le temps, on a été successivement conduit à se
+borner à un principe unique de chronométrie, qui semble, d'après
+l'analyse précédente, être en effet le seul propre à nous fournir
+définitivement une solution convenable du problème, et qui, sans doute,
+servira toujours de base à nos horloges astronomiques. Mais il s'en
+fallait de beaucoup qu'il pût suffire par lui-même, sans une longue et
+difficile élaboration, qui se rattache aux plus hautes questions
+mathématiques. En effet, le mouvement vertical des corps pesans, bien
+loin d'être uniforme, étant, au contraire, nécessairement accéléré, les
+indications d'un tel instrument sont donc naturellement vicieuses,
+quoique assujetties à une loi régulière. Le ralentissement indispensable
+de la chûte, à l'aide des contre-poids, ne remédie en rien à ce défaut
+capital, puisque, affectant proportionnellement les diverses vitesses
+successives, il ne saurait altérer leurs rapports: il peut seulement
+diminuer la résistance de l'air, qui n'est là qu'une cause fort
+accessoire. Le problème chronométrique fondamental n'était donc
+nullement résolu jusqu'à ce que la création de la dynamique rationnelle
+par le génie de Galilée eût conduit à découvrir, dans une modification
+capitale du mouvement naturel des corps pesans, la parfaite régularité
+qu'on avait jusqu'alors vainement cherchée.
+
+On a long-temps disputé à Galilée la gloire d'avoir eu, le premier,
+l'idée de mesurer le temps par les oscillations d'un pendule; et la
+discussion attentive de ce point d'érudition a montré, ce me semble, que
+c'était à tort. Mais il est, dans tous les cas, scientifiquement
+incontestable que ses belles découvertes en dynamique devaient y amener
+naturellement. Car, il en résultait nécessairement que la vitesse d'un
+poids qui descend suivant une courbe verticale décroît à mesure qu'il
+s'approche du point le plus bas, en raison du sinus de l'inclinaison
+horizontale de chaque élément parcouru: de sorte qu'on pouvait aisément
+concevoir que, par une forme convenable de la courbe, l'isochronisme des
+oscillations serait obtenu si le ralentissement se trouvait, en chaque
+point, compenser exactement la diminution de l'arc à décrire. La
+solution de ce dernier problème mathématique était réservée à Huyghens,
+la géométrie n'étant point assez avancée à l'époque de Galilée pour
+qu'il fût encore accessible. Galilée paraît avoir été seulement conduit
+par l'observation à regarder comme rigoureusement isochrones les
+oscillations circulaires, sans avoir nullement connu la restriction
+relative à leur amplitude très petite, quoique ses propres théorèmes
+permissent de l'apercevoir aisément.
+
+À partir de la première idée du pendule, et de la connaissance du défaut
+d'isochronisme rigoureux dans le cercle, l'histoire, impossible à
+développer ici, de la solution de ce beau problème par les immortels
+travaux d'Huyghens devient un des plus admirables exemples de cette
+relation intime et nécessaire qui fait dépendre les questions pratiques
+les plus simples en apparence des plus éminentes recherches
+scientifiques. Après avoir découvert que l'égalité parfaite de la durée
+des oscillations quelconques n'appartenait qu'à la cycloïde, Huyghens,
+pour faire décrire cette courbe à son pendule, imagina un appareil aussi
+simple que possible, fondé sur la belle conception des développées, qui,
+transportée ensuite dans la géométrie abstraite, en est devenue un des
+élémens fondamentaux. Les difficultés d'une exécution précise, et
+surtout l'impossibilité pratique de maintenir un tel appareil
+suffisamment inaltérable, ont dû faire entièrement renoncer au pendule
+cycloïdal. Quand Huyghens l'eut reconnu, il déduisit de sa théorie un
+moyen heureux de revenir enfin au pendule circulaire, le seul vraiment
+admissible, en démontrant que, le rayon de courbure de la cycloïde à son
+sommet étant égal à la longueur totale de son pendule, il pouvait
+transporter, d'une manière suffisamment approchée, au cercle osculateur
+tout ce qu'il avait trouvé sur l'isochronisme et sur la mesure des
+oscillations cycloïdales, pourvu que les oscillations circulaires
+fussent toujours très petites, ce qu'il assura par l'ingénieux mécanisme
+de l'échappement, en appliquant le pendule à la régularisation des
+horloges. Mais cette belle solution ne pouvait encore devenir
+entièrement pratique, sans avoir préalablement traité une dernière
+question fondamentale, qui tient à la partie la plus élevée de la
+dynamique rationnelle, la réduction du pendule composé au pendule
+simple, pour laquelle Huyghens inventa le célèbre principe des forces
+vives, et qui, outre qu'elle était indispensable, indiquait à l'art de
+nouveaux moyens de modifier les oscillations sans changer les dimensions
+de l'appareil. Par un tel ensemble de découvertes pour une même
+destination, le beau traité _De Horologio oscillatorio_ est peut-être
+l'exemple le plus remarquable de recherches spéciales que nous offre
+jusqu'ici l'histoire de l'esprit humain tout entière.
+
+Depuis ce grand résultat, le perfectionnement des horloges astronomiques
+a été uniquement du domaine de l'art. Il a porté essentiellement sur
+deux points: la diminution du frottement, par un meilleur mode de
+suspension, et la correction des irrégularités dues aux variations de
+température, par l'ingénieuse invention des appareils compensateurs. Je
+n'ai point d'ailleurs à considérer ici les chronomètres portatifs,
+fondés sur la distension graduelle d'un ressort métallique plié en
+spirale, et dont l'étonnante perfection, presque égale aujourd'hui à
+celle des horloges astronomiques, est due essentiellement à l'art, la
+science y ayant peu contribué.
+
+Tel est, en aperçu, l'ensemble des moyens par lesquels le temps est
+habituellement mesuré, d'une manière sûre, dans nos observations
+astronomiques, à une demi-seconde près, et quelquefois même avec une
+précision encore plus grande.
+
+Considérons maintenant, sous un point de vue général, le
+perfectionnement de la mesure des angles, dont l'histoire n'offre point
+toutefois un ensemble de recherches aussi intéressant.
+
+Pour concevoir nettement d'abord, en quoi consiste, à cet égard, la
+difficulté essentielle, il suffit, ce me semble, de se représenter que,
+lorsqu'on se propose d'évaluer un angle seulement à une minute près, il
+faudrait, d'après un calcul très facile, un cercle de sept mètres de
+diamètre environ, en y accordant aux minutes une étendue d'un
+millimètre; et l'indication directe des secondes sexagésimales, en
+réduisant chacune à occuper un dixième de millimètre, exigerait un
+diamètre de plus de quarante mètres. D'un autre côté, en restant même
+fort au-dessous de dimensions aussi impraticables, l'expérience a
+démontré que, indépendamment de l'exécution difficile et de l'usage
+incommode, la grandeur des instrumens ne pouvait excéder certaines
+limites assez médiocres sans nuire nécessairement à leur précision, à
+cause de leur déformation inévitable par le poids, la température, etc.
+Les astronomes arabes du moyen âge ont vainement employé des instrumens
+gigantesques, sans en obtenir l'exactitude qu'ils y avaient cherchée; et
+on y a généralement renoncé depuis plusieurs siècles. Les télescopes à
+grandes dimensions qu'on remarque dans nos observatoires actuels sont
+uniquement destinés à procurer de forts grossissemens pour voir les
+astres les moins apparens, et ils seraient entièrement impropres à
+aucune mesure exacte. Tous les observateurs conviennent aujourd'hui que
+les instrumens destinés à mesurer les angles ne sauraient avoir sans
+inconvénient plus de trois ou quatre mètres de diamètre, quand il s'agit
+d'un cercle entier; et les plus usités n'ont guère que deux mètres. Cela
+posé, la question consiste essentiellement à comprendre comment on a pu
+parvenir à évaluer les angles à une seconde près, comme on le fait
+habituellement aujourd'hui, avec des cercles dont la grandeur
+permettrait à peine d'y marquer les minutes.
+
+Trois moyens principaux ont concouru à produire un aussi grand
+perfectionnement: l'application des lunettes aux instrumens angulaires;
+l'usage du vernier; et enfin la répétition des angles.
+
+Les astronomes se sont long-temps bornés à employer leurs lunettes pour
+distinguer dans le ciel de nouveaux objets, sans penser à l'usage bien
+plus important qu'ils en pouvaient faire pour augmenter la précision des
+mesures d'angles. Mais la curiosité primitive une fois satisfaite, le
+télescope devait être naturellement appliqué, comme il le fut par Morin
+un demi-siècle environ après son invention, à remplacer dans les
+instrumens angulaires les alidades des anciens et les pinnules du moyen
+âge, pour permettre de viser plus exactement. Cette heureuse idée put
+être entièrement réalisée lorsque Auzout eut imaginé, trente ans après,
+le réticule, destiné à fixer avec la dernière précision l'instant
+effectif du passage d'un astre par l'axe optique de la lunette. Enfin,
+ces importans perfectionnemens furent complétés, un siècle plus tard,
+par la mémorable découverte que fit Dollond, des objectifs
+achromatiques, qui ont tant augmenté la netteté des observations.
+
+L'ingénieux procédé imaginé par Vernier, en 1631, pour subdiviser un
+intervalle quelconque en parties beaucoup moindres que les plus petites
+qu'on y puisse marquer distinctement, est la seconde cause fondamentale
+à laquelle nous devons la précision actuelle des mesures angulaires. Les
+transversales de Tycho-Brahé avaient offert pour cela un premier moyen,
+d'un usage incommode et très limité, que l'emploi du vernier a fait avec
+raison entièrement oublier. On a pu ainsi déterminer aisément les
+angles, à une demi-minute près, par exemple, avec des cercles divisés
+seulement en sixièmes de degré. Ce simple appareil semble pouvoir
+procurer, par lui-même, une précision en quelque sorte indéfinie, qui
+n'est limitée, en réalité, que par la difficulté d'apercevoir assez
+distinctement la coïncidence des traits du vernier avec ceux du limbe.
+
+Quelle que soit l'importance de la lunette et du vernier, la combinaison
+de ces deux moyens aurait été néanmoins insuffisante pour porter la
+mesure des angles jusqu'à la précision des secondes, sans une dernière
+cause essentielle de perfectionnement, l'idée éminemment heureuse de la
+répétition des angles, conçue d'abord par Mayer et réalisée plus tard
+par Borda, avec les modifications qu'exigeait la nature des observations
+astronomiques. Il est vraiment singulier qu'on ait été aussi long-temps
+à reconnaître que, l'erreur des instrumens angulaires étant
+nécessairement indépendante de la grandeur des angles à évaluer, il y
+aurait avantage, pour l'atténuer, à augmenter exprès, dans une
+proportion connue, chaque angle proposé, pourvu que cette multiplication
+s'effectuât sans dépendre en rien de l'exactitude de l'instrument: un
+procédé analogue était habituellement employé depuis des siècles, dans
+d'autres genres d'évaluation, il est vrai, et entre autres dans
+l'approximation indéfinie des racines numériques, qui repose directement
+sur le même principe. Quoi qu'il en soit, la répétition des angles était
+immédiatement exécutable, par un mécanisme très simple, relativement aux
+mesures terrestres, à cause de l'immobilité des points de mire. Mais,
+au contraire, le déplacement continuel des corps célestes, présentait,
+dans l'application d'un tel moyen, une difficulté spéciale, que Borda
+parvint à surmonter. En se bornant, comme on le peut presque toujours, à
+mesurer les distances zénithales des astres lorsqu'ils traversent le
+méridien, il est clair que, malgré son déplacement, l'astre reste, à
+cette époque, sensiblement à la même distance du zénith, pendant un
+temps assez long pour permettre d'opérer la multiplication de l'angle.
+Cette remarque est le fondement de la disposition imaginée par Borda.
+
+C'est d'après ces diverses bases essentielles que d'habiles
+constructeurs ont pu donner aux instrumens angulaires une précision en
+harmonie avec celle des instrumens horaires, et qui impose maintenant à
+l'observateur la stricte obligation de pratiquer, avec une constance
+infatigable, les précautions minutieuses et les nombreuses
+rectifications dont l'expérience a fait reconnaître successivement la
+nécessité, pour tirer réellement de ces puissans appareils tous les
+avantages possibles.
+
+Afin de compléter cet aperçu général des moyens fondamentaux sur
+lesquels repose la perfection des mesures astronomiques, il est
+indispensable de signaler ici l'instrument capital inventé par Roëmer
+sous le nom de _lunette méridienne_. Il est destiné à fixer avec une
+merveilleuse exactitude le véritable instant du passage d'un astre
+quelconque à travers le plan du méridien. Avec quelque soin que pût être
+exécuté un méridien matériel, il laisserait toujours à cet égard une
+incertitude inévitable. C'est pour l'éluder que Roëmer imagina de
+réduire ce plan à être purement géométrique, en le décrivant par l'axe
+optique d'une simple lunette convenablement disposée, ce qui suffit
+quand on veut seulement connaître le moment précis du passage. La
+distance zénithale correspondante est d'ailleurs mesurée nécessairement
+sur un cercle effectif; mais il peut ne pas coïncider entièrement avec
+le vrai méridien, sans qu'il en résulte aucune inexactitude sur cette
+distance, qui est, à une telle époque de mouvement, sensiblement
+invariable.
+
+Enfin, il faut encore mentionner, comme instrumens essentiels, les
+divers appareils micrométriques successivement imaginés pour mesurer
+avec précision les diamètres apparens des astres, et généralement tous
+les petits intervalles angulaires.
+
+Quoique la théorie en soit extrêmement facile, depuis le simple
+micromètre réticulaire jusqu'au micromètre à double image, il est
+néanmoins remarquable qu'ils aient tous été inventés par des astronomes,
+sans que les constructeurs y aient eu aucune part essentielle, comme le
+montre, au reste, l'histoire de tous les instrumens de précision. Cela
+tient principalement, sans doute, à l'éducation si imparfaite de la
+plupart des constructeurs habiles, dont plusieurs ont évidemment
+témoigné par leurs productions un génie mécanique plus que suffisant
+pour inventer spontanément les instrumens qu'ils se bornaient à
+exécuter, s'ils eussent pu en mieux sentir l'importance et en comprendre
+plus clairement la destination.
+
+Après avoir considéré le perfectionnement des mesures astronomiques,
+soit angulaires, soit horaires, relativement aux principaux moyens
+matériels qu'on y emploie, il faut maintenant envisager les moyens
+intellectuels qui sont au moins aussi nécessaires, c'est-à-dire la
+théorie des corrections indispensables que les astronomes doivent faire
+subir à toutes les indications de leurs instrumens pour les dégager des
+erreurs inévitables dues à diverses causes générales, et surtout aux
+réfractions et aux parallaxes.
+
+Il existe, comme je l'ai indiqué ci-dessus, une harmonie fondamentale
+entre ces deux ordres de perfectionnemens. Car il faut des instrumens
+d'une certaine précision pour que la réfraction et la parallaxe
+deviennent suffisamment appréciables; et, d'un autre côté, il serait
+parfaitement inutile d'inventer des instrumens extrêmement exacts, si la
+réfraction ou la parallaxe devaient, à elles seules, apporter dans les
+observations une incertitude supérieure à celle qu'on se propose
+d'éviter par l'amélioration des appareils. Pourquoi, par exemple, les
+Grecs se seraient-ils efforcés de perfectionner beaucoup leurs
+instrumens, lorsque l'impossibilité où ils étaient de tenir compte des
+réfractions et des parallaxes introduisait nécessairement dans leurs
+mesures angulaires des erreurs habituelles de un à deux degrés, et
+quelquefois même davantage? C'est sans doute dans une telle corrélation
+qu'il faut chercher l'explication véritable de la grossièreté des
+instrumens grecs, qui forme un contraste si frappant avec la sagacité
+d'invention et la finesse d'exécution dont les anciens ont donné tant de
+preuves irrécusables dans d'autres genres de productions.
+
+Ces corrections fondamentales peuvent être distinguées, d'après leurs
+causes, en deux classes. Les unes tiennent, d'une manière directe et
+évidente, à la position de l'observateur, et n'exigent aucune
+connaissance approfondie des phénomènes astronomiques: ce sont la
+réfraction et la parallaxe ordinaire proprement dite. Les autres, qui
+ont sans doute, au fond, la même origine, puisqu'elles proviennent des
+mouvemens de la planète sur laquelle l'observateur est situé, sont
+fondées, au contraire, sur le développement même des principales
+théories astronomiques: ce sont la parallaxe annuelle, la précession,
+l'aberration et la nutation. Nous devons nous borner, en ce moment, à
+envisager les premières, qui sont d'ailleurs habituellement les plus
+importantes, les autres étant plus convenablement examinées à mesure
+qu'il sera question des phénomènes compliqués dont elles dépendent.
+
+Considérons, en premier lieu, la théorie générale des réfractions
+astronomiques.
+
+La lumière qui nous vient d'un astre quelconque doit être,
+inévitablement, plus ou moins déviée par l'action de l'atmosphère
+terrestre, qu'elle est obligée de traverser dans toute son étendue avant
+d'agir sur nous. De là une source fondamentale d'erreur, dont toutes nos
+observations astronomiques ont besoin d'être soigneusement dégagées,
+avant de pouvoir servir à former aucune théorie précise. Conçue d'une
+manière générale, son influence consiste évidemment, d'après la loi de
+la réfraction, à rapprocher constamment l'astre du zénith, en le
+laissant toujours dans le même plan vertical; et cet effet, qui ne peut
+être rigoureusement nul qu'au zénith seul, devient graduellement de plus
+en plus considérable à mesure que l'astre descend vers l'horizon. La
+manifestation la plus simple de cette altération s'obtient en mesurant
+la hauteur du pôle, en un lieu quelconque, comme étant la moyenne entre
+les deux hauteurs méridiennes d'une même étoile circompolaire. Cette
+hauteur, qui naturellement devrait être exactement la même de quelque
+étoile qu'on se fût servi, éprouve au contraire des variations très
+sensibles suivant les diverses étoiles employées; et elle devient
+d'autant plus grande que l'étoile descend plus près de l'horizon, ce qui
+rend évidente l'influence de la réfraction.
+
+Quoique l'altération qui provient d'une telle cause ne puisse porter
+immédiatement que sur les distances zénithales, il est clair que, par
+une suite nécessaire, elle doit affecter indirectement toutes les autres
+mesures astronomiques, à l'exception des azimuths, qui restent seuls
+inaltérables. Par cela même que l'astre se trouve élevé dans son plan
+vertical, sa distance au pôle, l'instant de son passage au méridien,
+l'heure de son lever et de son coucher, etc., éprouvent des
+modifications inévitables. Mais ces effets secondaires seraient
+évidemment très faciles à calculer avec exactitude par de simples
+formules trigonométriques, si l'effet principal était une fois bien
+connu. Toute la difficulté se réduit donc à découvrir la véritable loi
+suivant laquelle la réfraction diminue les diverses distances
+zénithales, et c'est en cela que consiste le grand problème des
+réfractions astronomiques, dont il s'agit maintenant d'apprécier la
+nature.
+
+On en peut chercher la solution par deux voies opposées: l'une
+rationnelle, l'autre empirique, que les astronomes ont fini par
+combiner.
+
+Si l'atmosphère terrestre pouvait être regardée comme homogène, la
+lumière n'y subirait qu'une seule réfraction à son entrée, et sa
+direction demeurant ensuite invariable, il serait aisé de calculer _à
+priori_ la déviation, d'après la célèbre loi du rapport constant qui
+existe entre les sinus des angles que le rayon réfracté et le rayon
+incident font avec la normale à la surface réfringente: il resterait
+tout au plus à déterminer, par l'observation, un seul coefficient, si
+l'on ignorait la vraie valeur de ce rapport. Tel est le procédé très
+simple d'après lequel Dominique Cassini construisit la première table de
+réfractions un peu satisfaisante, lorsque Descartes et Snellius eurent
+découvert cette loi générale de la réfraction. Il avait heureusement,
+jusqu'à un certain point, compensé, à son insu, ce que l'hypothèse
+d'homogénéité avait de profondément défectueux, en supposant à
+l'atmosphère une hauteur totale beaucoup trop petite. Mais la diminution
+de la densité des différentes couches atmosphériques à mesure qu'on
+s'élève est trop considérable, et d'ailleurs trop intimement liée à la
+notion même d'atmosphère, pour qu'une telle solution puisse être
+envisagée comme vraiment rationnelle. Or, c'est là ce qui fait la
+difficulté, jusqu'ici insurmontable, de cette importante recherche. Car
+il résulte de cette constitution nécessaire de l'atmosphère, non pas une
+réfraction unique, mais une suite infinie de petites réfractions toutes
+inégales et croissantes à mesure que la lumière pénètre dans une couche
+plus dense, en sorte que sa roule, au lieu d'être simplement rectiligne,
+forme une courbe extrêmement compliquée, dont il faudrait connaître la
+nature pour calculer, par sa dernière tangente comparée à la première,
+la véritable déviation totale. La détermination de cette courbe
+deviendrait un problème purement géométrique, d'ailleurs plus ou moins
+difficile à résoudre, si la loi relative à la variation de la densité
+des couches atmosphériques pouvait être une fois exactement obtenue; ce
+qui, en réalité, doit être jugé impossible lorsqu'on veut tenir compte
+de toutes les causes essentielles.
+
+Sans doute, en considérant l'équilibre mathématique de notre atmosphère
+comme simplement produit par la pression de ses diverses couches les
+unes sur les autres, en vertu de leur seule pesanteur, on trouve
+aisément la loi suivant laquelle leur densité varie; mais un tel état
+est évidemment tout-à-fait idéal. D'abord, l'atmosphère n'est jamais et
+ne saurait être en équilibre, et ses mouvemens peuvent altérer beaucoup
+la densité statique de ses diverses parties, en changeant leurs
+pressions. De plus, en supposant cet équilibre, il est clair que
+l'abaissement graduel et très considérable qu'éprouvent les températures
+atmosphériques à mesure qu'on s'élève, et même leurs variations non
+moins réelles dans le sens horizontal, doivent altérer notablement le
+mode de changement des densités qui correspondrait à la seule
+considération des pressions. La solution rationnelle du problème des
+réfractions astronomiques ne serait donc réductible à des difficultés
+purement mathématiques, qui pourraient bien d'ailleurs se trouver
+finalement très grandes, que si l'on avait préalablement découvert la
+véritable loi de la température dans l'atmosphère, sur laquelle nous
+n'avons encore aucune donnée exacte, et qu'on ne saurait guère espérer
+d'obtenir jamais d'une manière assez précise pour une telle
+destination. C'est pourquoi les travaux de Laplace et de quelques autres
+géomètres à cet égard ne peuvent être raisonnablement envisagés que
+comme de simples exercices mathématiques, dont l'influence sur le
+perfectionnement réel des tables de réfraction est fort équivoque. Il
+faut donc renoncer, au moins dans l'état présent de la science, et
+probablement aussi pour jamais, à établir d'une manière purement
+rationnelle une vraie théorie des réfractions astronomiques.
+
+Quant au procédé empirique, il est aisé de comprendre que si les
+réfractions étaient rigoureusement constantes à une même hauteur, on en
+pourrait dresser facilement, par l'observation, des tables fort exactes
+et suffisamment étendues, pour les diverses distances zénithales. On
+peut d'abord mesurer la vraie hauteur du pôle, sans avoir besoin de
+connaître exactement les réfractions, par les deux hauteurs méridiennes
+d'une étoile très rapprochée du pôle, comme la polaire, entre autres, ce
+qui est surtout susceptible d'exactitude dans les latitudes supérieures
+à 45°. Cela posé, il suffit de choisir une étoile qui passe au méridien
+extrêmement près du zénith: en observant, à l'instant de ce passage, sa
+distance zénithale, qui fera connaître immédiatement sa distance
+polaire, on pourra calculer d'avance, par la simple résolution d'un
+triangle sphérique, sa véritable distance au zénith à telle époque
+précise qu'on voudra de son mouvement diurne. La parallaxe des étoiles
+étant tout-à-fait insensible, comme il sera dit plus bas, l'excès plus
+ou moins grand que l'on trouvera ainsi sur la distance apparente
+directement observée sera dû entièrement à la réfraction, dont il
+mesurera l'influence effective. Le grand nombre d'étoiles qui admettent
+convenablement de telles comparaisons permet, évidemment, des
+vérifications très multipliées, qui peuvent d'ailleurs être complétées,
+sous un autre point de vue, par la confrontation des résultats obtenus
+dans des observatoires différens, inégalement rapprochés du pôle. Telle
+est, en effet, essentiellement la marche laborieuse, mais sûre, que
+suivent les astronomes pour dresser leurs tables de réfraction, depuis
+que la grande précision de leurs instrumens, soit angulaires, soit
+horaires (sans laquelle ce procédé serait évidemment illusoire), a
+permis de l'adopter. Ils emploient néanmoins, d'une manière secondaire,
+l'une ou l'autre des diverses formules rationnelles proposées par les
+géomètres, mais seulement pour se diriger, ou pour remplir les lacunes
+inévitables que laisse l'observation. L'usage réel de ces formules est
+tellement peu fondamental désormais, dans les déterminations de ce
+genre, que l'on regarde comme presque indifférent, par exemple, de
+supposer la réfraction proportionnelle au sinus ou à la tangente de la
+distance zénithale apparente. Si des tables qu'on présente comme fondées
+sur des hypothèses mathématiquement aussi différentes coïncident
+néanmoins, en réalité, d'une manière presque absolue, jusqu'à 80° du
+zénith, c'est sans doute parce que ces hypothèses n'ont pas joué un rôle
+effectif bien important dans leur construction.
+
+La marche ainsi caractérisée laisserait peu de regrets, du moins quant
+aux observations astronomiques, sur l'imperfection nécessaire de la
+théorie mathématique des réfractions, si l'on pouvait supposer une
+constance rigoureuse dans les résultats obtenus; mais il est
+malheureusement évident que les innombrables variations qui doivent
+survenir continuellement dans la densité, et par suite dans la puissance
+réfringente de chaque couche atmosphérique, en résultat de l'agitation
+de l'atmosphère et de ses changemens thermométriques, barométriques, et
+même hygrométriques, ne sauraient manquer d'altérer plus ou moins la
+fixité des réfractions. On tient compte, il est vrai, maintenant, d'une
+partie de ces modifications, en notant avec soin l'état du baromètre et
+celui du thermomètre au moment de chaque observation, ce qui permet
+d'apprécier, d'après deux lois physiques actuellement bien établies, les
+changemens survenus dans la densité, et par suite dans les réfractions.
+Mais, quelque précieuses que puissent être ces corrections, elles sont
+nécessairement fort imparfaites. Outre qu'elles ne concernent qu'une
+partie des causes d'altération, il faut encore y noter que, même à
+l'égard de cette partie, nos instrumens ne peuvent nous instruire,
+suivant la juste remarque de Delambre, que des variations
+thermométriques et barométriques de l'atmosphère à l'endroit où nous
+observons, et nullement de celles qu'ont pu éprouver toutes les autres
+portions du trajet de la lumière, et qui, quoique relatives à des
+couches moins denses, ont peut-être beaucoup contribué à l'effet total.
+Aussi ne faut-il point s'étonner des dissidences plus ou moins graves
+que présentent des tables de réfractions également bien dressées pour
+des observatoires différens, et même pour un lieu unique, en divers
+temps. On sait que Delambre a trouvé, du jour au lendemain, des
+différences inexplicables, et pourtant certaines, de quatre ou cinq
+minutes dans la réfraction horizontale, après avoir cependant tenu
+compte des indications du baromètre et du thermomètre, à la manière
+ordinaire. Toutefois, il importe de reconnaître, pour ne rien exagérer,
+que ces fâcheuses irrégularités deviennent seulement sensibles dans le
+voisinage de l'horizon, et disparaissent presque entièrement à 10° ou
+15° d'élévation, ce qui fait présumer qu'elles proviennent
+principalement de l'état éminemment variable de la surface terrestre.
+Ainsi, la conclusion pratique de cet ensemble de considérations est
+qu'il faut, autant que possible, éviter d'observer très près de
+l'horizon, à cause de la trop grande incertitude des réfractions
+correspondantes, et c'est ce qu'on peut presque toujours faire en
+astronomie, tandis qu'on n'en a point, au contraire, la faculté dans les
+opérations géodésiques. Avec une telle précaution, la réfraction, qui
+est seulement d'une minute à 45° de distance zénithale, de 5' ou 6' à
+80° et d'environ 34' à l'horizon, doit être regardée comme suffisamment
+connue, dans l'état actuel des mesures angulaires, d'après les tables
+maintenant usitées, surtout si l'on a soin de préférer, toutes choses
+d'ailleurs égales, dans chaque observatoire, celles qui y ont été
+construites. On voit donc que les inextricables difficultés
+fondamentales du problème des réfractions astronomiques n'exercent
+point, à beaucoup près, sur l'imperfection réelle de nos observations
+ordinaires, autant d'influence effective qu'elles semblent d'abord
+devoir le faire inévitablement.
+
+Passons maintenant à la considération générale de la théorie des
+parallaxes, qui est, par sa nature, beaucoup plus facile, et par suite,
+bien plus satisfaisante.
+
+Les observations célestes faites en des lieux différens ne seraient pas
+exactement comparables, si on ne les ramenait point sans cesse, par la
+pensée, à celles qu'on ferait d'un observatoire idéal, situé au centre
+de la terre, qui est d'ailleurs le véritable centre des mouvemens
+diurnes apparens. Cette correction, qu'on a nommée la _parallaxe_, est
+parfaitement analogue à celle que l'on fait journellement dans les
+opérations géodésiques, sous la dénomination plus rationnelle de
+_réduction au centre de la station_; et elle suit exactement les mêmes
+lois, sauf la difficulté d'évaluer les coefficiens.
+
+Il est d'abord évident que l'effet de la parallaxe porte directement,
+comme celui de la réfraction, sur la seule distance zénithale, et
+consiste, en laissant toujours l'astre dans le même plan vertical, à
+l'éloigner du zénith, tandis que la réfraction l'en rapproche. Cette
+nouvelle déviation, qui aussi n'est rigoureusement nulle qu'au zénith,
+croît d'ailleurs constamment à mesure que l'astre descend vers
+l'horizon, ainsi que dans le cas de la réfraction, quoique ce ne soit
+pas suivant la même loi mathématique. De l'altération fondamentale de la
+distance au zénith, résultent pareillement aussi des modifications
+secondaires pour toutes les autres quantités astronomiques, excepté
+encore à l'égard des seuls azimuths; et qui s'en déduisent absolument de
+la même manière que dans la théorie des réfractions; en sorte que les
+mêmes formules trigonométriques servent pour les deux cas, en changeant
+seulement le signe de la correction et les valeurs des coefficiens.
+Toute la difficulté essentielle se réduit donc également à déterminer la
+rectification que doit subir la distance zénithale; ce qui, pour être
+effectué de la manière la plus rationnelle, consiste simplement ici dans
+un problème élémentaire de trigonométrie rectiligne, au lieu de
+présenter cet ensemble de profondes recherches physiques et
+mathématiques qui fera toujours le désespoir des géomètres dans la
+théorie des réfractions. Il convient, au reste, de noter que cette
+opposition d'effets assujettis à une marche semblable, a dû contribuer
+beaucoup à empêcher les astronomes de prendre plus promptement en
+considération, soit la réfraction, soit la parallaxe, dont une telle
+opposition tend à dissimuler, quoique très imparfaitement sans doute,
+l'influence propre dans les observations effectives.
+
+À l'inspection du triangle rectiligne formé par le centre de la terre,
+l'observateur et l'astre, il est clair que la loi mathématique de la
+parallaxe consiste en ce que le sinus de la parallaxe est nécessairement
+proportionnel à celui de la distance zénithale apparente. La raison
+constante de ces deux sinus, qui constitue ce qu'on appelle justement la
+parallaxe horizontale, est évidemment égale au rapport entre le rayon de
+la terre et la distance de son centre à l'astre; du moins en supposant
+la terre sphérique, ce qui est pleinement suffisant dans toute cette
+théorie. D'après ces lois simples et exactes, il est sensible que la
+parallaxe ne produit point, comme la réfraction, un effet commun sur
+tous les astres, son influence est, au contraire, fort inégale suivant
+les astres que l'on considère, et même selon les diverses situations de
+chacun d'eux. Elle est complètement insensible pour tous ceux qui sont
+étrangers à notre système solaire, à cause de leur immense éloignement;
+et elle varie extrêmement, dans l'intérieur de ce système, depuis la
+parallaxe horizontale d'Uranus, qui ne peut jamais atteindre entièrement
+une demi-seconde, jusqu'à celle de la lune, qui peut quelquefois
+surpasser un degré. C'est là ce qui établit, dans les calculs
+astronomiques, une profonde distinction entre la théorie des parallaxes
+et celle des réfractions.
+
+La détermination rationnelle de tout ce qui concerne les parallaxes
+repose donc finalement sur l'évaluation des distances des astres à la
+terre; et en ce sens, cette théorie préliminaire ne fait pas seulement
+partie, comme celle des réfractions, des méthodes d'observation en
+astronomie; elle constitue déjà une portion directe de la science
+proprement dite; et même elle se rattache à l'ensemble de la géométrie
+céleste, par le besoin qu'elle a de connaître la loi du mouvement de
+chaque astre, pour prendre facilement en considération les changemens
+continuels de ces distances. Sous ce rapport, nous devons nécessairement
+renvoyer à la leçon suivante pour l'estimation _à priori_ des
+coefficiens propres à la théorie des parallaxes. Mais, quoique ce mode
+d'évaluation soit, sans aucun doute, le plus sûr et le plus précis, il
+importe néanmoins de remarquer ici que ces coefficiens peuvent être
+essentiellement déterminés, en éludant la connaissance directe des
+distances des astres à la terre, par un procédé empirique, analogue à
+celui expliqué ci-dessus à l'égard des réfractions.
+
+Il suffit, en effet, après avoir choisi un lieu et un temps tels, que
+l'astre proposé passe au méridien très près du zénith, de mesurer,
+pendant quelques jours consécutifs, sa distance polaire, de manière à
+pouvoir connaître fort approximativement la valeur de cette distance à
+un instant quelconque de la durée de l'opération. Cela posé, en
+calculant pour cet instant, d'après l'angle horaire et ses deux côtés,
+la vraie distance de l'astre au zénith, quand il en est très éloigné,
+sans cependant qu'il approche trop de l'horizon, à 75° ou 80°, par
+exemple, la comparaison de cette distance avec celle qu'on observera
+réellement en ce moment fera évidemment apprécier la parallaxe
+correspondante, et par suite, la parallaxe horizontale; pourvu toutefois
+que la distance apparente ait été, préalablement, bien corrigée de la
+réfraction. Tel est le procédé par lequel on constate le plus aisément
+que la parallaxe de toutes les étoiles est absolument insensible. Il
+présente, évidemment, le grave inconvénient de faire immédiatement
+dépendre la détermination des parallaxes, de celle des réfractions, et
+de transporter, par conséquent, à la première, toute l'incertitude qui
+existera toujours plus ou moins pour la seconde. Cette incertitude a peu
+d'influence dans une telle application, lorsqu'il s'agit d'un astre dont
+la parallaxe est très forte, comme la lune surtout. Mais elle devient
+très sensible à l'égard des astres plus éloignés; et, pour le soleil,
+par exemple, une telle méthode pourrait produire une erreur d'un tiers
+ou même de moitié, en plus ou en moins, sur la vraie valeur de sa
+parallaxe horizontale. Enfin, le procédé deviendrait totalement
+inapplicable aux corps les plus lointains de notre monde, et
+non-seulement à Uranus, mais à Saturne, et même à Jupiter. Pour tous ces
+astres, il devient indispensable de recourir à la détermination directe
+de leurs distances à la terre, qui seront considérées dans la leçon
+suivante. J'ai cru, néanmoins, que l'indication générale d'un tel
+procédé présentait ici un véritable intérêt philosophique, en montrant
+que, jusqu'à un certain point, les astronomes pouvaient connaître, par
+des observations faites en un lieu unique, les vraies distances des
+astres à la terre, au moins comparativement à son rayon; ce qui semble
+d'abord géométriquement impossible.
+
+Pour avoir un aperçu complet de l'ensemble actuel des moyens
+d'observation nécessaires en astronomie, je crois devoir enfin y faire
+rentrer, contrairement aux usages ordinaires, la formation de ce qu'on
+appelle un catalogue d'étoiles, c'est-à-dire un tableau mathématique des
+directions exactes suivant lesquelles nous apercevons les diverses
+étoiles. Relativement à l'astronomie sidérale, une telle détermination
+constitue sans doute une connaissance directe et fondamentale; mais,
+pour notre astronomie solaire, on n'y peut voir réellement qu'un
+précieux moyen d'observation, qui nous fournit des termes de
+comparaison, indispensables à l'étude des mouvemens intérieurs de notre
+monde. Tel est, en effet, depuis Hipparque, l'usage essentiel des
+catalogues d'étoiles.
+
+Afin de marquer exactement les positions angulaires respectives de tous
+les astres, les astronomes emploient constamment, d'après Hipparque qui
+en eut le premier l'idée, deux coordonnées sphériques fort simples, qui
+ont une parfaite analogie avec nos deux coordonnées géographiques, dont,
+au reste, Hipparque est également l'inventeur. L'une, analogue à la
+latitude terrestre, est la _déclinaison_ de l'astre, c'est-à-dire sa
+distance à l'équateur céleste, mesurée sur le grand cercle mené du pôle
+à l'astre. L'autre, connue sous la dénomination peu heureuse
+d'_ascension droite_, correspond à notre longitude géographique: elle
+consiste dans la distance du point où le grand cercle précédent vient
+couper l'équateur à un point fixe choisi sur cet équateur, et qui est
+ordinairement celui de l'équinoxe du printemps pour notre hémisphère.
+Il faut d'ailleurs, évidemment, afin que la détermination soit
+rigoureusement complète, noter le signe de chaque coordonnée, ce que les
+astronomes ont l'habitude de faire en distinguant les déclinaisons en
+boréales et australes, et les ascensions droites, en orientales et
+occidentales.
+
+Le moyen le plus simple de mesurer avec précision ces deux coordonnées
+angulaires à l'égard d'un astre quelconque, consiste à observer son
+passage au méridien. L'heure exacte de ce passage, donnée par la lunette
+méridienne et l'horloge astronomique, étant comparée à celle qui
+correspond au passage du point équinoxial, fait connaître immédiatement
+l'ascension droite de l'astre, après avoir converti les temps en degrés,
+suivant la règle ordinaire du mouvement diurne. D'une autre part, la
+distance de l'astre au zénith, exactement évaluée à l'aide du cercle
+répétiteur, étant comparée à la hauteur du pôle, donne évidemment la
+déclinaison par une simple addition ou soustraction. Il est d'ailleurs
+bien entendu que les indications des deux instrumens doivent être
+préalablement rectifiées d'après les deux corrections fondamentales de
+la réfraction et de la parallaxe examinées ci-dessus, qui se réduisent à
+la première pour les étoiles. Nous considérerons plus tard les autres
+corrections moins considérables, mais nécessaires aujourd'hui. Tel est
+le procédé facile et exact d'après lequel on construit tous les
+catalogues d'étoiles.
+
+Pour que ces catalogues remplissent convenablement l'office auquel ils
+sont destinés, il importe sans doute qu'ils comprennent le plus grand
+nombre d'astres possible; mais il est encore plus essentiel que ces
+astres se trouvent répartis dans toutes les régions du ciel. Du reste,
+les astronomes sont, à cet égard, à l'abri de tout reproche, par
+l'excellente habitude qu'ils ont contractée de déterminer, autant qu'ils
+le peuvent, les coordonnées de chaque nouvelle étoile qu'ils viennent à
+apercevoir; ce qui a dû finir par rendre nos catalogues nécessairement
+très volumineux, au point de comprendre aujourd'hui jusqu'à cent vingt
+mille étoiles, quoique l'hémisphère austral soit encore peu exploré.
+
+Il serait inutile de mentionner spécialement ici le système de
+classification et de nomenclature que les astronomes emploient pour
+cette multitude d'astres.
+
+Ce système est sans doute, extrêmement peu rationnel, surtout en ce qui
+concerne la nomenclature, qui porte encore si profondément l'empreinte
+barbare de l'état théologique primitif de l'astronomie. Il ne serait
+certainement pas difficile de le remplacer, si l'on en éprouvait
+vivement le besoin, par un système vraiment méthodique. On y
+rencontrerait, évidemment, bien moins d'obstacles que n'en présentait la
+formation de la nomenclature chimique, par exemple, les objets à classer
+et à désigner étant ici de la plus grande simplicité possible, puisque
+tout se réduit essentiellement à des positions. Mais c'est précisément
+cette extrême simplicité qui doit empêcher les astronomes d'attacher une
+importance majeure à un système rationnel, quoiqu'il pût faciliter
+secondairement leurs observations, en permettant, s'il était
+heureusement construit, de retrouver plus promptement dans le ciel la
+position d'une étoile d'après son seul nom méthodique, et
+réciproquement. Un tel perfectionnement, qui finira, sans doute, par
+s'établir dans la suite, n'est nullement urgent. Ce qui fait réellement
+reconnaître et retrouver une étoile, ce n'est pas son nom, qui pourrait
+presque être totalement supprimé sans inconvénient; ce sont uniquement
+les valeurs assignées par le catalogue à ses deux coordonnées
+sphériques; et, sous ce rapport essentiel, la classification, qui
+résulte de la division fondamentale du cercle, est certainement aussi
+parfaite que possible, ainsi que la nomenclature correspondante: tout
+le reste est de peu d'importance. Je ne crois donc pas devoir proposer
+ici aucun changement à cet égard dans les usages établis, qui, quelque
+imparfaits qu'ils soient, ont l'immense avantage d'être universellement
+adoptés. Je me borne seulement à demander à ce sujet qu'on remplace
+désormais, ce qui serait très facile, par l'expression exacte de
+_clarté_, la dénomination vicieuse de _grandeur_ appliquée aux étoiles,
+qui a l'inconvénient de tendre à induire en erreur, en faisant supposer
+que les étoiles les plus brillantes sont nécessairement les plus
+grandes; tandis que la proximité compense peut-être, en réalité, la
+petitesse, dans un grand nombre de cas; ce que nous ignorons totalement
+jusqu'ici. Le mot _clarté_ aurait l'avantage d'être le strict énoncé du
+fait.
+
+Tels sont, en aperçu, dans leur ensemble total, les divers moyens
+généraux d'observation propres à l'astronomie, et dont la réunion a été
+indispensable pour apporter dans les déterminations modernes l'admirable
+précision qui les distingue maintenant. On peut aisément résumer, sous
+ce rapport, l'ensemble des progrès depuis l'origine de la science,
+d'après ce simple rapprochement: en ce qui concerne les mesures
+angulaires, par exemple, les anciens observaient à la précision d'un
+degré tout au plus; Tycho-Brahé parvint le premier à pouvoir répondre
+ordinairement d'une minute, et les modernes ont porté la précision
+habituelle jusqu'aux secondes. Ce dernier perfectionnement est tellement
+récent que toutes les observations qui remontent au-delà d'un siècle à
+partir d'aujourd'hui, c'est-à-dire qui sont antérieures à l'époque de
+Bradley, de Lacaille et de Mayer, doivent être regardées comme
+inadmissibles dans la formation exacte des théories astronomiques
+actuelles, attendu qu'elles n'ont point la précision qu'on y exige
+aujourd'hui.
+
+Je me suis particulièrement attaché, dans cette revue philosophique, à
+faire nettement ressortir l'harmonie fondamentale qui existe
+nécessairement entre les différens moyens d'observation. Si cette
+harmonie a sans doute puissamment contribué à leur perfectionnement
+respectif, il faut également reconnaître qu'elle y pose des limites
+inévitables, indépendamment de celles plus éloignées qui tiennent à la
+nature de l'organisation humaine, puisque ces moyens se bornent
+mutuellement. Quelle pourrait être, par exemple, l'importance
+astronomique réelle d'un accroissement notable dans la précision
+actuelle des instrumens angulaires ou horaires, tant que la connaissance
+des réfractions restera aussi imparfaite qu'elle l'est? Mais,
+d'ailleurs, rien évidemment n'autorise à penser que nous ayons déjà
+atteint à cet égard les limites qui nous sont naturellement imposées par
+l'ensemble des conditions du sujet.
+
+Après avoir suffisamment considéré, pour la destination de cet ouvrage,
+les instrumens généraux, matériels ou intellectuels, de l'observation
+astronomique, nous devons commencer, sans autre préparation, dans la
+leçon suivante, l'examen philosophique de la géométrie céleste,
+c'est-à-dire, étudier de quelle manière la connaissance précise des
+phénomènes géométriques des astres de notre monde a pu être exactement
+ramenée à de simples élaborations mathématiques, basées sur des mesures
+dont nous avons ci-dessus apprécié les divers procédés fondamentaux.
+
+
+
+
+VINGT-UNIÈME LEÇON.
+
+Considérations générales sur les phénomènes géométriques élémentaires
+des corps célestes.
+
+Les phénomènes géométriques qui peuvent être le sujet de nos recherches
+dans le système solaire dont nous faisons partie forment deux classes
+bien distinctes: les uns se rapportent à chaque astre envisagé comme
+immobile, et comprennent sa distance, sa figure, sa grandeur,
+l'atmosphère dont il est peut-être entouré, etc., en un mot tous les
+élémens essentiels qui le caractérisent directement; les autres sont
+relatifs à l'astre considéré dans ses déplacemens, et se réduisent à la
+comparaison mathématique des diverses positions qu'il occupe aux
+différentes époques de sa course périodique. Le premier ordre de
+phénomènes est, par sa nature, tout-à-fait indépendant du second,
+quoique, pour obtenir des déterminations plus exactes, on soit
+fréquemment obligé, comme nous allons le voir, de l'y rattacher. Il
+continuerait d'avoir lieu quand même le ciel ne nous offrirait plus
+d'autre spectacle que la rigoureuse invariabilité de son mouvement
+journalier: il serait, dans cette hypothèse idéale, le seul objet de nos
+études astronomiques. Au contraire, le second ordre de phénomènes
+dépend nécessairement du premier, au moins en ce qui concerne les
+positions. Enfin, l'étude des derniers phénomènes doit être, par sa
+nature, plus difficile et plus compliquée, en même temps qu'elle
+constitue seule le véritable but définitif de la géométrie céleste, la
+prévision exacte de l'état du ciel à une époque quelconque, à l'égard
+duquel la connaissance des premiers phénomènes n'est qu'un préliminaire
+indispensable. Cette division n'est donc point purement artificielle. On
+pourra l'exprimer commodément en employant les expressions de phénomènes
+_statiques_ pour le premier ordre, et phénomènes _dynamiques_ pour le
+second, à la condition toutefois de n'attacher ici à ces termes qu'un
+simple sens géométrique. Telle est la division rationnelle d'après
+laquelle je me propose d'examiner l'esprit de la géométrie céleste.
+Cette leçon sera essentiellement consacrée à la considération des
+phénomènes statiques, et je ne ferai qu'y ébaucher l'analyse des
+phénomènes dynamiques, dont l'examen, nécessairement, bien plus étendu,
+sera le sujet spécial des deux leçons suivantes conformément au tableau
+synoptique contenu dans le premier volume de cet ouvrage.
+
+La détermination la plus fondamentale à l'égard des astres consiste
+dans l'évaluation de leurs distances à la terre, et, par suite, entre
+eux, qui est la première base nécessaire de toutes les spéculations
+mathématiques dont les corps célestes peuvent être l'objet, soit sous le
+point de vue géométrique, soit sous le point de vue mécanique. Cherchons
+à nous faire une juste idée générale des moyens par lesquels on a pu
+obtenir cette donnée capitale, relativement à tous les astres de notre
+monde.
+
+Il ne saurait exister à cet égard d'autre procédé élémentaire que celui
+imaginé, dès l'origine de la géométrie, pour connaître, en général, les
+distances des corps inaccessibles. Une telle distance ne peut jamais
+être déterminée par la seule direction précise dans laquelle le corps
+est aperçu d'un point de vue unique, mais en comparant exactement la
+différence des directions qui correspondent à deux points de vue
+distincts avec l'écartement mutuel, préalablement bien connu, de ces
+deux points de vue. En termes plus géométriques, il est clair que la
+distance angulaire observée à chacune des deux stations, entre l'astre
+et l'autre station, conjointement avec l'intervalle linéaire de ces
+stations, permet de résoudre le triangle rectiligne formé par l'astre et
+les deux points de vue, ce qui fait connaître la distance cherchée.
+Telle est la méthode fondamentale qui semble, par sa nature, devoir
+être exactement applicable à quelque distance que ce soit.
+
+Mais, en l'examinant avec plus d'attention, on reconnaît, au contraire,
+qu'elle est en réalité nécessairement limitée, dans les cas
+astronomiques, par l'imperfection plus ou moins inévitable des mesures
+angulaires, dont le degré actuel de précision a été fixé dans la leçon
+précédente. En effet, la résolution de ce triangle exige
+indispensablement la connaissance du troisième angle, celui dont le
+sommet est au point inaccessible proposé. Si donc, par l'immensité de la
+distance, ou par la petitesse de la base, cet angle se trouve être
+extrêmement petit, il sera fort mal connu, et, par suite, la distance
+sera très inexactement calculée. Cet inconvénient est d'autant plus
+possible, qu'un tel angle ne pouvant être, par sa nature, directement
+évalué, mais seulement conclu des deux autres, suivant la règle
+ordinaire, comme étant le supplément de leur somme, l'incertitude des
+observations y sera nécessairement doublée; en sorte que, dans l'état
+présent de nos mesures, on n'en pourra pas répondre ordinairement à
+moins de deux secondes près. Il suit de là que si l'angle est, en
+réalité, moindre que deux secondes, il ne saurait être nullement connu,
+et que, dans ce cas, on pourra seulement déterminer une limite
+inférieure de la distance cherchée, sans savoir, en aucune manière, si
+cette distance est effectivement beaucoup au-delà ou très rapprochée
+d'une telle limite.
+
+Dans tous les cas terrestres, nous avons, il est vrai, la faculté
+d'échapper complètement à cet inconvénient radical, quelque grande que
+puisse être la distance proposée, en augmentant convenablement
+l'intervalle des deux stations. C'est pourquoi les longueurs terrestres
+sont susceptibles d'être mesurées avec beaucoup plus de précision que
+les distances célestes, l'angle à l'objet étant non-seulement toujours
+très sensible, mais pouvant même avoir constamment la grandeur que nous
+jugeons la plus favorable à l'exactitude du résultat. Il ne saurait en
+être ainsi pour les cas célestes, la nécessité qui nous renferme dans
+les limites de notre planète imposant des bornes fort étroites, et
+souvent, en effet, très insuffisantes, à l'agrandissement possible de
+nos bases. Telle est la difficulté fondamentale que présente la
+détermination des distances astronomiques, et qui restreint
+considérablement nos connaissances à cet égard, comme nous allons
+l'expliquer en examinant sous ce rapport les différens cas principaux.
+
+Envisageons d'abord, pour bien fixer les idées, l'astre dont la
+distance peut être le plus exactement calculée, en mesurant sur la terre
+une très grande base. Quand on voulut déterminer avec toute la précision
+possible la parallaxe horizontale de la lune, vers le milieu du siècle
+dernier, Lacaille se transporta au cap de Bonne-Espérance et Lalande à
+Berlin, afin d'y observer la distance zénithale de cet astre en un même
+instant, bien convenu d'avance d'après un signal céleste quelconque, par
+exemple au milieu d'une éclipse exactement prévue. Les latitudes et les
+longitudes des deux stations, choisies, pour plus de facilité, sous deux
+méridiens très rapprochés, permettaient préalablement de connaître sans
+peine, du moins comparativement au rayon de la terre, la grandeur
+linéaire de la base, qui est à peu près la plus étendue que notre globe
+puisse effectivement nous offrir. Cela posé, l'observation directe des
+deux distances zénithales procurait immédiatement toutes les données
+nécessaires à la résolution du triangle rectiligne d'où résultait la
+distance cherchée. Une telle opération, dans laquelle l'angle à la lune
+était presque de deux degrés, devait faire connaître très exactement la
+distance de cet astre, qui, dans sa valeur moyenne, est d'environ
+soixante rayons terrestres, et sur laquelle on peut ainsi garantir que
+l'erreur n'excède point deux myriamètres.
+
+Le même moyen pourrait être directement appliqué, quoique avec une
+précision bien moins grande, à quelques astres plus éloignés, surtout à
+Vénus et même à Mars, dans le moment où ces deux planètes sont à leur
+moindre distance de la terre. Mais il devient beaucoup trop incertain à
+l'égard du soleil, sur la distance duquel une semblable opération
+laisserait une incertitude d'au moins un huitième, ou d'environ deux
+millions de myriamètres. Enfin, il est tout-à-fait insuffisant envers
+les astres plus lointains de notre système.
+
+L'ingénieux procédé général d'après lequel les astronomes sont enfin
+parvenus à surmonter ces difficultés fondamentales, consiste à se servir
+des plus petites distances, à l'égard desquelles les bases terrestres
+suffisent, afin de s'élever aux plus grandes, d'après la liaison
+qu'établissent entre elles certains phénomènes, long-temps inaperçus ou
+négligés; de manière, en quelque sorte, à utiliser les premières, comme
+d'immenses bases nouvelles, pour l'évaluation des autres. Considérons,
+en général, la nature et les limites nécessaires d'un tel procédé.
+
+Il faut, à cet effet, distinguer deux cas essentiels: celui du soleil,
+et ensuite celui de tous les autres astres.
+
+Dès l'origine de la véritable astronomie, Aristarque de Samos avait
+imaginé un moyen fort ingénieux de rattacher la distance du soleil à
+celle de la lune par une considération très simple, propre à faire
+comprendre, plus aisément qu'aucune autre, en quoi peuvent généralement
+consister de semblables rapprochemens. Nous ne pouvons évaluer
+directement le rapport de ces deux distances, parce que, dans le
+triangle où elles se trouvent, l'angle à la terre est le seul qui puisse
+être immédiatement observé, tandis que, cependant, il faudrait encore
+connaître l'angle à la lune, ce qui semble exiger, en général, que les
+distances soient données. Or, il y a, dans le cours mensuel de la lune,
+un instant particulier où cet angle se trouve être naturellement tout
+estimé d'avance; c'est celui de l'un ou l'autre quartier, où il est
+nécessairement droit. Il suffirait donc d'observer la distance angulaire
+de la lune au soleil au moment exact de la quadrature, pour avoir
+aussitôt, par la sécante de cet angle, la valeur du rapport entre la
+distance solaire et la distance lunaire. Telle est la méthode
+d'Aristarque. Mais, malheureusement, elle ne comporte, en réalité,
+aucune précision, vu l'impossibilité de saisir avec l'exactitude
+nécessaire le véritable instant de la dichotomie, et la grande influence
+qu'une erreur médiocre à cet égard peut exercer sur le résultat final,
+l'angle à la terre se trouvant être presque droit. Aussi Aristarque
+avait-il trouvé par là que la distance du soleil était seulement
+dix-neuf à vingt fois celle de la lune, ce qui est environ vingt fois
+trop petit. Sans doute, une opération de ce genre recommencée
+aujourd'hui donnerait une conclusion beaucoup moins erronée. Mais il est
+certain qu'on ne saurait déterminer ainsi la distance du soleil, même
+avec autant d'exactitude que le permettrait l'emploi immédiat d'une base
+terrestre. La méthode d'Aristarque ne peut donc servir qu'à indiquer
+nettement l'esprit général de ces procédés indirects.
+
+L'observation des passages de Mercure, et surtout de Vénus, sur le
+soleil, a offert à Halley, vers le milieu du siècle dernier, un moyen
+bien plus détourné, et qui supposait un bien plus grand développement de
+la géométrie céleste, mais qui est aussi infiniment plus exact, et le
+seul admissible aujourd'hui, pour déterminer la parallaxe relative de
+chacun de ces astres et du soleil, et par suite la distance de celui-ci
+à la terre, d'après la seule indication de la différence très sensible
+que peut présenter la durée du passage observé en deux stations fort
+éloignées. Je ne dois caractériser ce procédé que dans la
+vingt-troisième leçon quand j'aurai convenablement examiné les lois
+astronomiques sur lesquelles il est fondé. Il me suffit ici, après
+l'avoir mentionné, de dire, par anticipation, qu'il permet, comme nous
+le verrons, d'évaluer la distance du soleil à la terre à moins d'un
+centième près. C'est ainsi que les fameuses opérations exécutées sur le
+plan de Halley, par divers astronomes, au sujet des passages de Vénus en
+1761, et surtout en 1769, ont assigné; à la parallaxe horizontale
+moyenne du soleil, une valeur définitive de 8'',6; ce qui revient à dire
+que la distance du soleil à la terre est, à très peu près, quatre cents
+fois plus grande que la moyenne distance de la lune, indiquée ci-dessus.
+L'incertitude d'un tel résultat est, au plus, de 160000 myriamètres.
+
+Cette distance fondamentale étant, ainsi, bien déterminée, la
+connaissance du mouvement de la terre permet de la prendre pour base de
+l'estimation des autres distances astronomiques plus considérables. Il
+suffit, en effet, d'observer la distance angulaire du soleil à l'astre
+proposé, à deux époques séparées par un intervalle de six mois, qui
+correspond à deux positions diamétralement opposées de la terre dans son
+orbite. On a dès lors, pour calculer la distance linéaire de cet astre,
+un triangle immense, dont la base est double de la distance de la terre
+au soleil. C'est ainsi que la découverte du mouvement de notre planète
+nous a permis d'appliquer, à la mesure des espaces célestes, une base
+vingt-quatre mille fois plus étendue que la plus grande qui puisse être
+conçue sur notre globe. À la vérité, quand il s'agit d'une planète, ce
+qui est jusqu'ici le seul cas réel, le déplacement de l'astre, pendant
+le temps qui s'écoule entre les deux observations comparatives, doit
+nécessairement affecter plus ou moins l'exactitude du résultat. Mais, il
+faut considérer, à ce sujet, qu'un tel procédé est exclusivement
+destiné, par sa nature, aux planètes les plus lointaines, qui sont, de
+toute nécessité, comme nous l'expliquerons dans la suite, les moins
+rapides; en sorte qu'on pourrait d'abord, pour une première
+approximation, négliger entièrement leur déplacement, surtout à l'égard
+d'Uranus. Cela est d'autant moins nuisible que les proportions de notre
+monde n'exigent nullement un intervalle de six mois, supposé ci-dessus
+afin de présenter d'un seul coup toute la portée du procédé; deux mois
+et même un seul suffisent pleinement, envers les planètes les plus
+éloignées, pour obtenir, en choisissant des situations favorables, un
+angle à l'astre qui soit très appréciable: or, pendant un temps aussi
+court, une planète, telle que Saturne par exemple, qui met environ
+trente ans à parcourir le ciel, pourra être envisagée comme
+sensiblement immobile; et, si l'astre est moins lent, il ne faudra, par
+compensation, qu'un moindre intervalle, puisqu'il sera plus rapproché.
+Enfin, il est possible de prendre en suffisante considération le petit
+déplacement de la planète, d'après la théorie géométrique de son
+mouvement propre, dans l'application de laquelle on pourra se contenter
+ici de la première approximation déjà obtenue pour la distance cherchée.
+
+C'est ainsi que les astronomes ont pu déterminer avec exactitude les
+positions réelles des astres les plus lointains dont notre monde soit
+composé. Quand on considère les valeurs de ces distances en myriamètres,
+ou seulement même en rayons terrestres, elles sont nécessairement
+affectées de l'incertitude indiquée plus haut sur la distance de la
+terre au soleil. Mais, si l'on se borne à envisager leurs rapports à
+cette dernière distance, ce qui est le cas le plus ordinaire et le seul
+important en astronomie, il est clair que le procédé précédent comporte
+une précision bien supérieure. Les nombres par lesquels on exprime
+habituellement ces rapports, sont certains aujourd'hui jusqu'à la
+troisième décimale au moins.
+
+L'immense accroissement de la base d'observation, qui résulte de la
+connaissance du mouvement de la terre, est, évidemment, le plus grand
+qui nous soit permis: si nous avons pu, en quelque sorte, franchir ainsi
+les limites de notre globe, celles de l'orbite qu'il parcourt sont
+nécessairement insurmontables. Or, cette base, quelque prodigieuse
+qu'elle doive nous paraître, devient, à son tour, du moins jusqu'ici,
+totalement illusoire, aussitôt que nous voulons estimer l'éloignement
+des astres étrangers à notre système. En lui donnant alors toute
+l'étendue possible, par un intervalle de six mois entre les deux
+observations, la somme des deux distances angulaires ne laisse point,
+pour l'angle à l'étoile, une quantité qui soit même légèrement
+supérieure à l'erreur totale d'une telle mesure, dans l'état actuel de
+nos moyens. Nous ne pouvons donc assigner encore, à cet égard, qu'une
+simple limite inférieure, nécessairement insuffisante, en établissant
+seulement avec certitude que l'étoile la plus voisine est, au moins,
+deux cent mille fois plus éloignée que le soleil, ou dix mille fois plus
+lointaine que la dernière planète de notre système; ce qui suffit
+pleinement, il est vrai, pour constater l'indépendance de notre monde.
+J'indiquerai dans la suite l'ingénieux procédé récemment imaginé par M.
+Savary, et d'après lequel on peut espérer d'obtenir plus tard, pour
+certaines étoiles, des limites supérieures de distance, plus ou moins
+rapprochées des limites inférieures.
+
+Après avoir déterminé exactement les distances de tous les astres de
+notre monde à la terre, il est aisé de comprendre comment on calcule
+leurs distances mutuelles, puisque, dans le triangle où chacune est
+contenue, deux côtés sont déjà donnés et l'angle à la terre peut
+toujours être mesuré. C'est seulement pour la lune et le soleil que les
+distances à la terre méritent d'être soigneusement retenues. Quant à
+tous nos autres astres, de telles distances sont beaucoup trop variables
+et d'ailleurs trop peu importantes en astronomie pour qu'il convienne de
+les considérer directement. On doit se borner, comme le font depuis
+long-temps les astronomes, à mentionner les distances des planètes au
+soleil, et celle de chaque satellite à sa planète, lesquelles
+n'éprouvent que de légères variations, dont nous aurons plus tard à nous
+occuper.
+
+Tel est l'ensemble des moyens que possède aujourd'hui l'astronomie pour
+déterminer les diverses distances célestes. On voit que, comme le bon
+sens l'indiquait d'avance, nous les connaissons d'autant plus exactement
+qu'elles sont plus petites, au point d'ignorer totalement les plus
+considérables. On doit aussi remarquer déjà cette harmonie qui lie
+profondément entre elles toutes les parties de la science astronomique,
+puisque la détermination la plus simple et la plus élémentaire se trouve
+finalement dépendre, dans la plupart des cas, des théories les plus
+délicates et les plus compliquées de la géométrie céleste.
+
+J'ai cru devoir insister sur cette première recherche, comme étant la
+plus fondamentale, en même temps qu'elle me paraît la plus propre à
+faire ressortir l'esprit général des méthodes astronomiques. Cela nous
+permettra, d'ailleurs, d'examiner maintenant avec plus de rapidité, sous
+le point de vue philosophique de cet ouvrage, les autres déterminations
+statiques dont la géométrie céleste est composée.
+
+Les distances des astres à la terre étant une fois bien connues, l'étude
+de leur figure et de leur grandeur ne peut plus présenter d'autre
+difficulté que celle d'une observation suffisamment précise, en
+réservant toutefois la question à l'égard de notre propre planète, qui
+sera ci-après spécialement considérée. Cette recherche est, en effet,
+par sa nature, du ressort de l'inspection immédiate. L'éloignement même
+où ces grands corps sont placés de nos yeux est une circonstance
+éminemment favorable qui nous permet d'embrasser d'un seul regard
+l'ensemble de leur forme, en même temps que leur mouvement ou le nôtre
+nous les fait voir successivement sous tous les aspects possibles. La
+distance, il est vrai, pourrait être tellement grande que les dimensions
+et, par suite, la forme nous devinssent totalement imperceptibles: tel
+est le cas de tous les astres extérieurs à notre monde, qui ne sont
+aperçus, dans les plus puissans télescopes, que comme des points
+mathématiques d'un très vif éclat, et dont la sphéricité ne nous est
+réellement indiquée que par une induction très forte. C'est aussi ce qui
+arrive jusqu'ici pour quelques corps secondaires de notre propre
+système, pour les satellites d'Uranus par exemple, et même, à un certain
+degré, pour les quatre petites planètes situées entre Mars et Jupiter.
+Mais tous les astres de quelque importance dans notre monde comportent,
+à cet égard, une exploration complète, du moins avec nos instrumens
+actuels. Il suffit donc de mesurer soigneusement, par les meilleurs
+moyens micrométriques, leurs diamètres apparens dans tous les sens
+possibles, pour juger immédiatement de leur véritable figure, après
+avoir toutefois effectué les deux corrections fondamentales de la
+réfraction et de la parallaxe. Si la figure de la terre a été long-temps
+mise en question, et si sa connaissance exacte a exigé les recherches
+les plus difficiles et les plus laborieuses, comme je l'indiquerai plus
+bas, il n'a jamais pu en être ainsi du soleil et de la lune, et
+successivement de tous les autres astres de notre système; à mesure que
+le perfectionnement de la vision artificielle a permis de les explorer
+assez distinctement. Un seul cas a dû présenter, à cet égard, une
+véritable difficulté scientifique. C'est celui des deux singuliers
+satellites annulaires dont Saturne est immédiatement entouré.
+L'étrangeté de leur figure a exigé que, pour la bien reconnaître,
+Huyghens, guidé par des apparences long-temps inexplicables, formât à ce
+sujet une heureuse hypothèse, qui a satisfait ensuite à toutes les
+observations. Il en a été ainsi, jusqu'à un certain point, dans
+l'origine de la science astronomique, à l'égard de la lune, par la
+diversité de ses aspects, quoique la plus simple géométrie permette ici
+de décider la question. À ces seules exceptions près, l'inspection
+immédiate a évidemment suffi pour reconnaître la sphéricité presque
+parfaite de tous nos astres[5], et pour s'apercevoir plus tard qu'ils
+sont tous légèrement aplatis dans le sens de leur axe de rotation et
+renflés dans leur équateur. La quantité de cet aplatissement a pu même
+être exactement mesurée avec des micromètres perfectionnés. Le résultat
+général de ces mesures a été de montrer, ce me semble, que les astres
+sont d'autant plus aplatis que leur rotation est plus rapide, depuis
+l'aplatissement presque imperceptible de la lune ou de Vénus, jusqu'à
+l'aplatissement d'environ 1/12 dans Jupiter ou dans Saturne; ce que nous
+verrons plus tard être conforme à la théorie de la gravitation.
+
+ [Note 5: Il semble nécessaire d'en excepter les quatre
+ petites planètes découvertes depuis le commencement de ce
+ siècle, et dont la forme semble être beaucoup moins
+ régulière, autant que leur faible étendue et leur grand
+ éloignement permettent jusqu'ici d'en juger.]
+
+Quant à la véritable grandeur des corps célestes, un calcul très facile
+la déduit immédiatement de la mesure du diamètre apparent combinée avec
+la détermination de la distance. Car, la sécante du demi-diamètre
+apparent d'un corps sphérique est évidemment égale au rapport entre son
+rayon réel et sa distance à l'oeil; ce qui permet d'évaluer maintenant
+ce rayon, et, par suite, la surface et le volume. L'homme n'a eu si
+long-temps des idées profondément erronées des vraies dimensions des
+astres que parce que leurs distances réelles lui étaient inconnues;
+quoique, d'ailleurs, par son ignorance des lois de la vision, il n'ait
+pas toujours maintenu une exacte harmonie entre les fausses notions
+qu'il se formait des unes et des autres.
+
+Le résultat général de ces diverses déterminations pour tous les astres
+de notre monde, comparé avec l'ordre fondamental de leurs distances au
+soleil, ne se montre assujetti jusqu'à présent à aucune règle. On y
+remarque seulement que le soleil est beaucoup plus volumineux que tous
+les autres corps de ce système, même réunis; et, en général, que les
+satellites sont aussi beaucoup moindres que leurs planètes, comme
+l'exige la mécanique céleste.
+
+Il est presque superflu d'ajouter ici que notre ignorance à l'égard des
+distances effectives de tous les corps extérieurs à notre monde, nous
+interdit toute connaissance de leurs vraies dimensions, quand même nous
+parviendrions, à l'aide de plus puissans télescopes, à mesurer leurs
+diamètres apparens. Nous avons seulement lieu de penser vaguement que
+leur volume doit être analogue à celui de notre soleil.
+
+Une question secondaire, mais qui n'est point sans intérêt, se rattache
+à l'étude de la figure et de la grandeur des astres, dont elle est, en
+quelque sorte, un complément minutieux. C'est l'évaluation exacte de la
+hauteur des petites aspérités qui recouvrent leur surface, à la façon de
+nos montagnes. Rien n'est plus propre peut-être qu'une telle estimation
+à rendre sensible la puissance de nos lunettes actuelles et la
+précision qu'ont acquis nos moyens micrométriques.
+
+On conçoit, en général, que l'un quelconque des astres intérieurs à
+notre monde doit avoir un hémisphère éclairé par le soleil et un autre
+hémisphère visible de la terre; et que nous apercevons seulement la
+portion commune, plus ou moins étendue suivant les divers aspects, de
+ces deux hémisphères, dont chacun serait d'ailleurs nettement terminé
+par un cercle, si la surface était parfaitement polie. Cela posé, s'il
+existe, dans la partie invisible de l'hémisphère éclairé, ou dans la
+partie obscure de l'hémisphère visible, et tout près de la ligne de
+séparation, une montagne suffisamment élevée, son sommet nous apparaîtra
+nécessairement, dans l'image de l'astre, comme un point isolé extérieur
+au disque régulier, et dont la distance à ce disque, ainsi que la
+situation, exactement appréciées l'une et l'autre à l'aide d'un bon
+micromètre, nous permettront de déterminer, avec plus ou moins de
+précision, par un calcul trigonométrique fort simple, la hauteur
+cherchée, d'abord comparativement au rayon de l'astre, et finalement en
+mètres si nous le désirons. Le degré de précision que comporte une
+estimation aussi délicate dépend, évidemment, de l'étendue et de la
+netteté du disque; et l'absence d'atmosphère doit aussi contribuer à
+l'augmenter. Aucun astre, sous ces divers rapports, ne peut être plus
+exactement exploré, à cet égard, que la lune, dont les principales
+montagnes sont peut-être mieux mesurées aujourd'hui, d'après les
+opérations de M. Schroëter, qu'un grand nombre des montagnes terrestres.
+Il est remarquable qu'elles soient, en général, plus élevées que nos
+plus hautes montagnes, puisqu'on en trouve de huit mille mètres au
+moins, ce qui est surtout frappant par contraste avec un diamètre plus
+de trois fois moindre. La même singularité s'observe à l'égard de Vénus
+et de Mercure, seules planètes qui aient pu jusqu'ici permettre une
+semblable détermination, bien moins exacte toutefois que pour la lune;
+M. Schroëter a trouvé que leurs montagnes atteignent jusqu'à quatre
+myriamètres environ, dans la première, qui est à peu près égale en
+grandeur à la terre, et deux dans la seconde, dont le diamètre est
+presque trois fois moindre.
+
+Une recherche plus importante, qui complète naturellement l'étude de la
+figure et de la grandeur des astres, consiste à évaluer l'étendue et
+l'intensité de leurs atmosphères. Elle est fondée sur la déviation
+appréciable que ces atmosphères doivent imprimer à la lumière des
+astres extérieurs à notre monde, devant lesquels vient se placer en
+ligne droite l'astre intérieur proposé; ce qui constitue ce genre
+particulier d'éclipses, connu sous le nom d'occultations d'étoiles, et
+qui est, comme tout autre, et même mieux qu'aucun autre, susceptible
+d'être exactement calculé. Cette déviation, qui est parfaitement
+semblable à la réfraction horizontale de notre atmosphère, peut être
+surtout estimée d'une manière extrêmement précise, par un procédé
+indirect, qui ne nous serait point applicable, d'après l'influence très
+sensible qu'elle exerce sur la durée totale de l'occultation. Par le
+simple mouvement diurne du ciel, cette durée serait naturellement
+indéfinie; mais elle est, en réalité, plus ou moins longue, suivant le
+mouvement propre plus ou moins lent de l'astre proposé. On peut la
+calculer d'avance avec exactitude, d'après la vitesse angulaire et la
+direction de ce mouvement, comparées au diamètre apparent de l'astre, et
+modifiées d'ailleurs par le mouvement de l'observateur lui-même. Or,
+maintenant, la réfraction atmosphérique doit, en réalité, diminuer, plus
+ou moins selon les différens astres, mais toujours très notablement,
+cette durée géométrique; car elle retarde le commencement de
+l'occultation, et elle en accélère la fin. Cette influence, entièrement
+comparable à celle qui prolonge un peu la présence du soleil sur notre
+horizon, est d'ailleurs beaucoup plus grande; elle quadruple en quelque
+sorte l'effet direct de la réfraction, puisqu'on cumule ainsi la
+déviation éprouvée par la lumière à sa sortie de l'atmosphère aussi bien
+qu'à son entrée, et cela tant à la fin de l'occultation qu'au
+commencement. On pourra donc, en comparant la durée effective de cette
+occultation avec sa durée mathématique, connaître, d'après l'excès plus
+ou moins grand de celle-ci sur l'autre, la valeur de la réfraction
+horizontale de l'atmosphère proposée, bien plus exactement que par
+aucune observation directe. Le degré de précision que comporte cette
+détermination compliquée, et qui est évidemment mesuré par le temps plus
+ou moins long que l'occultation doit durer, est très inégal suivant les
+différens astres. C'est ainsi que, pour la lune, qui offre, il est vrai,
+le cas le plus favorable, on a pu garantir que la réfraction
+horizontale, dont la valeur est, sur notre terre, de trente-quatre
+minutes, ne s'élève pas à une seule seconde, d'après les mesures de M.
+Schroëter, et que, par conséquent, il n'y existe aucune atmosphère
+appréciable, ce qui a été confirmé plus tard par M. Arago, d'après un
+tout autre genre d'observations, relatif à la polarisation de la
+lumière que réfléchissent sous certaines incidences les surfaces
+liquides, et d'où il est résulté qu'il n'y a point, à la surface de la
+lune, de grandes masses liquides, susceptibles de former une atmosphère.
+Parmi tous les autres cas, le mieux connu est celui de Vénus, où M.
+Schroëter a constaté une réfraction horizontale de trente minutes
+vingt-quatre secondes.
+
+Quant à l'étendue des atmosphères, il est clair qu'elle est appréciable,
+jusqu'à un certain point, en examinant, soit d'après le procédé
+précédent, soit à l'aide d'une observation directe, à quelle distance de
+la planète peut cesser l'action réfringente. Mais, comme la réfraction
+décroît graduellement à mesure qu'on s'éloigne de l'astre, elle finit
+par devenir assez faible pour ne plus exercer aucune influence bien
+sensible, quoique les limites de l'atmosphère soient peut-être encore
+très reculées. Le résultat le plus singulier, à cet égard, est celui des
+planètes télescopiques, en exceptant Vesta, dont les atmosphères sont
+vraiment monstrueuses; la hauteur de l'atmosphère de Pallas surtout
+excède, suivant M. Schroëter, douze fois le rayon de la planète. Le cas
+normal, dans l'ensemble du système solaire, semble être cependant, comme
+pour la terre, une très petite étendue atmosphérique comparativement
+aux dimensions de l'astre, quoique l'extrême incertitude de ce genre
+d'exploration ne permette encore de rien affirmer bien positivement à ce
+sujet.
+
+Pour compléter l'examen des phénomènes statiques étudiés en géométrie
+céleste, il me reste enfin à considérer la question fondamentale de la
+figure et de la grandeur de la terre, qui a dû ci-dessus être
+soigneusement réservée, à cause de sa nature toute spéciale.
+
+Si l'inspection immédiate a dû suffire pour connaître, d'après leurs
+distances, les dimensions et la forme de tous les astres de notre monde,
+il est évident que cela ne pouvait être à l'égard de la planète que nous
+habitons. L'impossibilité absolue où nous sommes de nous en écarter
+assez pour en apercevoir l'ensemble d'un seul coup d'oeil ne nous a
+permis de connaître exactement sa véritable figure qu'à l'aide de
+raisonnemens mathématiques très compliqués, fondés sur une longue suite
+d'observations indirectes, laborieusement accumulées. Quoiqu'une telle
+question se rattache aux plus hautes théories de la mécanique céleste,
+et malgré même que la première impulsion des plus grands travaux
+géométriques à cet égard soit réellement due à une conception mécanique,
+je dois néanmoins me réduire ici, autant que possible, à considérer ce
+sujet sous le point de vue purement géométrique, devant l'envisager plus
+tard sous le rapport mécanique.
+
+À la naissance de l'astronomie mathématique, les variations que présente
+dans les différens lieux le spectacle général du mouvement diurne ont
+d'abord fourni la preuve géométrique de la figure sphérique de la terre.
+Il a suffi, pour s'en convaincre, de constater que le changement éprouvé
+par la hauteur du pôle sur chaque horizon était toujours exactement
+proportionnel à la longueur du chemin parcouru suivant un même méridien
+quelconque, ce qui est un caractère évident et exclusif de la sphère.
+Or, cette comparaison primitive, sans cesse développée et perfectionnée
+pendant vingt siècles, est la véritable et unique source de toutes nos
+connaissances géométriques sur la forme et la grandeur de notre planète.
+L'explication en sera simplifiée si, sans nous occuper d'abord de la
+figure, et continuant à la supposer parfaitement sphérique, nous
+cherchons à déterminer la grandeur, comme l'ont réellement fait les
+astronomes; car la connaissance de la forme n'a pu être perfectionnée
+que par la comparaison des mesures effectuées en des lieux différens.
+Dans ce cas, comme dans tout autre, la figure d'un corps n'est
+appréciable qu'en comparant ses dimensions en divers sens: il n'y a ici
+de particulier que la difficulté de les mesurer.
+
+Le principe fondamental de cette importante détermination a été établi,
+dès les premiers temps de l'école d'Alexandrie, par Ératosthène. Il
+consiste, sous sa forme la plus simple et la plus ordinaire, à mesurer
+la longueur effective d'une portion plus ou moins grande d'un méridien
+quelconque, pour en conclure celle de la circonférence entière, et par
+suite du rayon, d'après les hauteurs comparatives du pôle observées aux
+deux extrémités de l'arc. On pourrait choisir, sans doute, au lieu d'un
+méridien, un grand cercle quelconque, et même un petit cercle; mais
+l'opération deviendrait plus compliquée et plus incertaine, sans
+procurer d'ailleurs aucune facilité réelle.
+
+Quelque reculée que soit l'origine de cette idée générale, elle n'a pu
+être, en réalité, convenablement appliquée que dans la célèbre opération
+conçue et exécutée par Picard, vers le milieu de l'avant-dernier siècle,
+pour mesurer le degré entre Paris et Amiens; soit que, jusque alors, la
+hauteur du pôle ne pût pas être connue d'une manière suffisamment
+exacte; soit, surtout, qu'on n'eût point imaginé de déterminer la
+longueur de l'arc par des procédés purement trigonométriques. Tel est
+le vrai point de départ des grands travaux géodésiques exécutés depuis,
+et qui ont très peu changé la valeur moyenne du rayon terrestre que
+Picard avait obtenue.
+
+Malgré le penchant naturel à regarder la terre comme une sphère
+parfaite, le simple désir de perfectionner cette mesure fondamentale, en
+donnant à l'arc plus d'étendue, aurait sans doute inévitablement conduit
+à découvrir la vraie figure, par la seule inégalité des degrés les plus
+opposés. Mais cette importante connaissance eût été certainement très
+retardée, puisque le premier prolongement, inexactement opéré par
+Jacques Cassini et La Hire, et d'ailleurs trop peu considérable, avait
+d'abord donné, comme on sait, une figure inverse de la véritable. Cette
+réflexion doit faire sentir, quoique ce ne soit pas ici le moment de
+l'expliquer davantage, combien a été nécessaire, pour hâter cette
+découverte, la grande impulsion donnée par Newton, qui, d'après la seule
+théorie de la gravitation, et sans aucun autre fait que le simple
+raccourcissement du pendule à secondes à Cayenne, eut l'heureuse
+hardiesse de décider que notre globe devait être nécessairement aplati à
+ses pôles et renflé à son équateur, dans le rapport de 229 à 230.
+
+Ce trait de génie devint l'origine de la controverse, prolongée pendant
+plus d'un demi-siècle, entre les géomètres proprement dits, pour
+lesquels la théorie newtonienne avait une pleine évidence, et les
+astronomes, qui ne croyaient point devoir prononcer contrairement à des
+mesures directes. Rien n'a plus excité qu'un tel débat à entreprendre
+les mémorables opérations qui, faisant cesser cette sorte d'anarchie
+scientifique, ont mis enfin les observations en harmonie avec les
+principes, et déterminé exactement la forme réelle de notre planète.
+
+Si la terre était rigoureusement sphérique, les degrés du méridien
+seraient parfaitement égaux, à quelque latitude qu'ils fussent mesurés:
+ainsi, le seul fait de leur inégalité constate directement le défaut de
+sphéricité. D'une autre part, si la terre est aplatie dans un sens
+quelconque, il est clair qu'il faudra parcourir un arc plus étendu pour
+que le pôle s'élève sur l'horizon d'un degré de plus, à mesure que la
+courbure deviendra moindre. Toute la question se réduit donc
+essentiellement à savoir dans quel sens effectif a lieu l'accroissement
+des degrés. Mais l'aplatissement réel devant, en tout cas, être fort
+petit, ce qu'indiquait clairement le fait même d'une telle indécision,
+il ne saurait être sensible dans la comparaison de degrés très
+rapprochés, et l'on ne pouvait le découvrir irrécusablement qu'en
+confrontant les degrés les plus différens. Tel est le motif rationnel de
+la grande expédition scientifique exécutée, il y a un siècle, par les
+académiciens français, pour aller mesurer, les uns à l'équateur, les
+autres aussi près que possible du pôle, les deux degrés extrêmes, dont
+la comparaison, soit entre eux, soit avec le degré de Picard, termina
+enfin, à la satisfaction générale, cette longue contestation, en
+confirmant la profonde justesse de la pensée de Newton, et même
+l'exactitude très approchée de son calcul. Cette conclusion a été de
+plus en plus vérifiée par toutes les mesurés exécutées depuis en divers
+pays, et surtout par la plus importante d'entre elles, cette que
+Delambre et Méchain parvinrent à effectuer avec une si merveilleuse
+précision, au milieu de l'époque la plus orageuse, de Dunkerque à
+Barcelone, pour la fondation du nouveau système métrique, et qui a été
+ensuite considérablement prolongée par différens astronomes. Le
+perfectionnement des procédés a permis de constater, entre des limites
+moins écartées, l'accroissement continuel des degrés à mesure qu'on
+s'avance vers le pôle.
+
+En supposant à la terre la forme rigoureuse d'un ellipsoïde de
+révolution, la seule comparaison entre deux degrés évalués à des
+latitudes quelconques bien connues doit suffire pour déterminer, d'après
+la théorie de l'ellipse, le vrai rapport des deux axes. Si donc on en a
+mesuré un plus grand nombre, en les comparant deux à deux de toutes les
+manières possibles, on doit toujours trouver le même aplatissement, ou
+bien la véritable figure ne serait pas encore obtenue, et il faudrait
+alors construire une nouvelle hypothèse, nécessairement plus compliquée:
+celle, par exemple, d'un ellipsoïde à trois axes inégaux. Tel est l'état
+d'indécision où l'on se trouve aujourd'hui, d'après les mesures les plus
+parfaites. L'aplatissement de 1/300, indiqué par l'ensemble des
+opérations, s'écarte trop peu de chacune d'elles, pour qu'on puisse
+affirmer que cette différence ne tient pas à ce qui reste encore
+d'incertitude inévitable dans les résultats des observations. D'un autre
+côté, la comparaison de quelques degrés mesurés à la même latitude, sous
+des méridiens différens ou dans les deux hémisphères, tend à démontrer
+que la terre n'est pas un véritable ellipsoïde de révolution. Cette
+figure et cet aplatissement sont cependant encore généralement adoptés.
+Quels que puissent être, sous ce rapport, les progrès des opérations
+futures, il restera toujours bien certain que cette hypothèse s'écarte
+extrêmement peu de la réalité, et beaucoup moins que la sphère ne
+différait de l'ellipsoïde régulier. Or, cette dernière différence est
+déjà assez petite pour être négligeable sans inconvénient dans la
+plupart des cas usuels, excepté dans les questions les plus délicates de
+la mécanique céleste. Aucune recherche n'exige jusqu'ici qu'on ait égard
+à l'irrégularité de l'ellipsoïde; ce qui reste à désirer à ce sujet ne
+saurait donc avoir une véritable importance. La figure précise de notre
+planète est probablement très compliquée à cause des influences locales,
+qui, en descendant dans un détail trop minutieux, doivent nécessairement
+devenir sensibles. Il faut donc reconnaître que toute connaissance
+absolue nous est interdite à cet égard, comme à tout autre, et nous
+devons nous contenter de compliquer nos approximations à mesure que de
+nouveaux phénomènes viennent réellement à l'exiger.
+
+Aucun exemple ne rend plus sensible cette marche rationnelle de l'esprit
+humain une fois engagé dans la direction positive, que l'histoire
+générale des travaux sur la figure de la terre, depuis l'école
+d'Alexandrie jusqu'à nos jours. Quelque différence qu'aient présentée
+les opinions scientifiques successivement adoptées à ce sujet, chacune
+d'elles a conservé indéfiniment la propriété de correspondre aux
+phénomènes qui l'ont inspirée, et de pouvoir être toujours employée,
+même aujourd'hui, lorsqu'il s'agit seulement de considérer ces mêmes
+phénomènes. C'est ainsi que, en conservant une exacte harmonie entre la
+précision de nos théories et celle dont nous avons besoin dans nos
+déterminations, l'ensemble de nos études positives présente, en tout
+genre, malgré les révolutions scientifiques, un véritable caractère de
+stabilité, propre à détruire entièrement le reproche d'arbitraire
+suggéré si souvent à des esprits superficiels par le spectacle
+inattentif de ces variations.
+
+Après avoir suffisamment considéré l'étude générale des phénomènes
+géométriques que présentent les astres de notre monde envisagés dans
+l'état de repos, je dois commencer l'examen philosophique de la théorie
+géométrique de leurs mouvemens, qui sera complété dans les deux leçons
+suivantes.
+
+Le mouvement d'un astre, comme celui de tout autre corps, est toujours
+composé de translation et de rotation. La liaison de ces deux mouvemens
+est tellement naturelle, ainsi que nous l'avons vu en philosophie
+mathématique, que la seule connaissance de l'un est un motif extrêmement
+puissant de présumer l'existence de l'autre. Néanmoins, il est
+indispensable, en géométrie céleste, de les étudier séparément, car ils
+présentent des difficultés très inégales.
+
+Quoique les rotations de nos astres aient été connues beaucoup plus tard
+que leurs translations, vu l'impossibilité de les observer à l'oeil nu,
+leur étude n'en est pas moins, en réalité, bien plus facile sous le
+point de vue géométrique, et c'est justement l'inverse sous le point de
+vue mécanique. Il est d'abord évident que ces rotations peuvent être
+déterminées géométriquement, sans qu'il soit nécessaire d'avoir aucun
+égard aux mouvemens de l'observateur lui-même, qui doivent être pris, au
+contraire, en considération essentielle quand il s'agit d'explorer les
+translations. En second lieu, la connaissance des rotations est en
+elle-même d'une bien plus grande simplicité, puisque la question
+d'orbite, qui constitue la principale difficulté de l'étude des
+translations, en est nécessairement exclue: elle se rapproche beaucoup,
+par sa nature, des recherches purement statiques dont nous venons de
+nous occuper. L'ensemble de ces motifs ne permet point d'hésiter, ce me
+semble, à placer désormais l'étude des rotations avant celle des
+translations, dans toute exposition rationnelle de la géométrie
+céleste.
+
+La connaissance des rotations célestes a commencé par la découverte que
+fit Galilée de la rotation du soleil, la plus aisée de toutes à
+déterminer, et qui ne pouvait manquer de suivre presque immédiatement
+l'invention du télescope. La méthode très simple imaginée dans cette
+première occasion a été, au fond, constamment la même pour tous les
+autres cas, qui ne diffèrent que par la difficulté plus ou moins grande
+de l'observation: elle est directement indiquée par la nature même du
+problème. En effet, la rotation d'une sphère inaccessible et très
+éloignée serait impossible à apercevoir, si sa surface était
+parfaitement polie et exactement uniforme. Mais il suffit de pouvoir y
+distinguer, soit par leur obscurité, soit, au contraire, par leur éclat,
+ou de toute autre manière, quelques points reconnaissables, qui soient
+réellement adhérens à la surface, ou du moins susceptibles d'être
+regardés comme tels pendant un certain temps (et tel est aujourd'hui le
+cas de presque tous nos astres intérieurs), pour que l'examen attentif
+de leur déplacement graduel sur l'image totale permette la détermination
+géométrique de cette rotation. Un cercle étant connu par trois de ses
+points, on pourrait, à la rigueur, se borner à observer exactement
+trois positions successives de l'un quelconque des indices ainsi
+choisis, en notant avec soin les époques correspondantes. D'après ces
+données, un calcul géométrique, d'ailleurs un peu compliqué,
+déterminerait entièrement le parallèle décrit par cet indice, comme le
+temps employé à le parcourir; conséquemment, la durée totale de la
+rotation et l'axe autour duquel elle s'effectue seraient ainsi
+exactement connus. Mais il est évidemment indispensable de combiner un
+plus grand nombre de positions, et surtout de varier, autant que
+possible, les indices, pour obtenir des moyens de vérification dans des
+opérations aussi délicates, qui reposent entièrement sur les seules
+variations de la différence très petite que présentent, à chaque
+instant, l'ascension droite et la déclinaison de l'indice comparées à
+celles du centre de l'astre. Ces comparaisons étaient, en outre,
+primitivement nécessaires afin de constater l'uniformité réelle de la
+rotation. Il faut d'ailleurs remarquer que l'observation directe de la
+durée totale d'une révolution, fondée sur le retour exact du même indice
+à la même situation, fournit un moyen général de vérification très
+précieux; pourvu que l'on soit bien assuré de l'invariabilité relative
+des indices, et même, si la rotation est un peu lente, ce qui n'a guère
+lieu qu'à l'égard du soleil et de la lune, qu'on ait suffisamment tenu
+compte du déplacement propre de l'observateur dans cet intervalle.
+
+D'après l'ensemble des conditions du problème, cette détermination doit
+offrir évidemment un degré de précision très inégal suivant les
+différens astres. Excepté pour le soleil et la lune, elle exige
+indispensablement l'emploi des moyens d'observation les plus
+perfectionnés que possède l'astronomie, dont elle constitue peut-être
+l'exploration pratique la plus délicate, non-seulement par la difficulté
+des mesures, mais aussi à cause des illusions presque inévitables
+auxquelles on est alors exposé, et qui ne peuvent être prévenues qu'à
+l'aide d'une sorte d'éducation spéciale et graduelle de l'oeil. On se
+figure aisément quels obstacles doit présenter le succès d'une telle
+opération, d'après ce seul fait, qu'un observateur exact et
+recommandable, Bianchini, a pu s'y tromper au point de supposer la
+rotation de Vénus vingt-quatre fois plus lente qu'elle n'est
+effectivement. Il y a même des planètes trop éloignées ou trop petites,
+Uranus, d'une part, et les quatre planètes télescopiques de l'autre,
+dont la rotation n'est encore nullement déterminée, son existence étant
+seulement admise _à priori_, par une analogie et surtout par une
+induction très puissantes. Il en est ainsi d'ailleurs des satellites de
+Jupiter et de Saturne, et, à plus forte raison, de ceux d'Uranus, sauf
+toutefois les motifs généraux qu'on a de penser que, à leur égard comme
+envers la lune, la durée de la rotation est nécessairement égale à celle
+de leur circulation autour de la planète correspondante, d'après une
+notion de mécanique céleste qui sera indiquée en son lieu.
+
+Parmi les rotations bien connues, on n'aperçoit jusqu'ici aucune trace
+de loi régulière, au sujet de leur durée, qui ne se lie ni aux
+distances, ni aux grandeurs, et qui paraît seulement, comme je l'ai noté
+plus haut, avoir une sorte de relation générale avec le degré
+d'aplatissement: encore cette analogie n'est-elle point sans exception,
+l'aplatissement de Mars étant beaucoup plus prononcé que celui de la
+terre ou de Vénus, et sa rotation n'étant certainement point plus
+rapide. Il faut toutefois remarquer que la rotation du soleil est
+beaucoup plus lente que celle d'aucune planète. Mais, si les durées des
+rotations, quoique d'ailleurs rigoureusement invariables, semblent
+tout-à-fait irrégulières, il n'en est nullement ainsi de leurs
+directions, ces mouvemens ayant toujours lieu de l'ouest à l'est dans
+toutes les parties de notre monde, et suivant des plans très peu
+inclinés sur celui de l'équateur solaire; ce qui constitue une donnée
+générale fort importante sous le point de vue cosmogonique.
+
+Passons maintenant à l'examen des mouvemens de translation, dont
+l'étude, beaucoup plus compliquée, est aussi bien autrement importante,
+en égard au but définitif des recherches astronomiques, la prévision
+exacte de l'état du ciel à une époque future quelconque, dont je ne
+saurais craindre de rappeler trop souvent la considération formelle.
+
+Outre que le mouvement de la terre constitue directement une partie fort
+essentielle de cette grande recherche, il ne saurait évidemment être
+indifférent, à l'égard des autres astres, de regarder l'observateur
+comme fixe ou comme mobile, puisque son déplacement doit notablement
+affecter, de toute nécessité, sa manière d'apercevoir les divers
+mouvemens extérieurs. On peut bien, à la vérité, décider avec certitude,
+sans cette connaissance préalable, que le soleil et non la terre est le
+vrai centre des mouvemens de toutes les planètes, comme l'avait reconnu
+Tycho-Brahé, en niant notre propre mouvement: car il suffit pour cela de
+constater, d'après les procédés indiqués dans cette leçon, que les
+distances des planètes au soleil sont très peu variables, tandis que, au
+contraire, leurs distances à la terre varient extrêmement; et, en
+second lieu, que la distance solaire de chaque planète inférieure est
+constamment moindre, et celle d'une planète supérieure constamment plus
+grande que l'intervalle entre le soleil et la terre: ce qui résulte des
+plus simples observations de parallaxe et de diamètre apparent. Mais on
+ne peut aller plus loin, et déterminer la vraie figure des orbites
+planétaires, ainsi que la manière dont elles sont parcourues, sans tenir
+un compte exact et indispensable du déplacement de l'observateur. C'est
+pourquoi la leçon suivante sera tout entière consacrée à l'examen de la
+théorie fondamentale du mouvement de la terre, après quoi nous pourrons
+poursuivre, d'une manière vraiment rationnelle, l'étude générale des
+mouvemens planétaires. Toutefois, il convient, ce me semble, de
+compléter la leçon actuelle, en considérant la détermination de
+certaines données capitales au sujet de ces mouvemens, qui peuvent être
+obtenues, comme elles l'ont été en effet, sans avoir égard à notre
+mouvement, et dont la théorie, parfaitement analogue à celle qui vient
+d'être caractérisée pour les rotations, présente aussi la simplicité
+essentielle des recherches purement statiques; en sorte que
+l'homogénéité de cette leçon sera pleinement maintenue. Je veux parler
+de la connaissance des plans des orbites et de la durée des révolutions
+sidérales, entièrement indépendante, par sa nature, de tout ce qui
+concerne la figure des orbites et la vitesse variable de l'astre. On
+peut même, pour plus de simplicité, regarder ici tous les mouvemens
+comme circulaires et uniformes, ainsi que les astronomes ont dû le faire
+primitivement.
+
+Cela posé, il est évident, comme dans le cas des rotations, que, un plan
+étant déterminé par trois points, il suffit d'observer trois positions
+différentes de l'astre pour en conclure géométriquement la situation du
+plan de son orbite. Dans ces opérations, les astronomes ont renoncé
+depuis long-temps à employer les déclinaisons et les ascensions droites,
+qui continuent toutefois à être les seules coordonnées directement
+observées, afin d'adopter l'usage plus commode de deux autres
+coordonnées sphériques, connues sous les noms impropres de _latitude_ et
+_longitude_ astronomiques, et qui sont exactement, par rapport à
+l'écliptique, l'analogue des premières à l'égard de l'équateur. Cette
+substitution, qui permet de comparer plus aisément les mouvemens des
+planètes à celui de la terre, s'effectue aisément par des formules
+trigonométriques invariables, qui conduisent du premier système au
+second[6]. Après avoir déterminé ainsi la latitude et la longitude de
+l'astre dans les trois positions considérées, on en déduit la situation
+de ses _noeuds_, c'est-à-dire la ligne suivant laquelle son orbite
+rencontre le plan de l'écliptique, et l'inclinaison de l'orbite sur ce
+plan. Il est d'ailleurs évident que toutes les autres positions
+observées fourniront autant de moyens de vérifier et de rectifier cette
+importante détermination du plan de l'orbite, en ayant soin, pour plus
+de sûreté, de comparer entre elles des positions suffisamment éloignées.
+On voit que ce cas comporte, par sa nature, une précision bien plus
+grande que celui des rotations.
+
+ [Note 6: Il serait peut-être plus convenable encore de
+ prendre pour terme de comparaison le plan de l'équateur
+ solaire, du moins jusqu'à l'époque d'une exacte connaissance
+ de ce qu'on appelle le _plan invariable_. Les coordonnées ne
+ se ressentiraient plus ainsi de la considération spéciale
+ d'une planète unique, et d'ailleurs les orbites planétaires
+ s'approchent en général davantage de ce plan que de celui de
+ l'écliptique. Cette transformation, si jamais elle est jugée
+ utile, s'effectuera évidemment par les mêmes formules qui
+ nous font passer de notre équateur à l'écliptique, en y
+ changeant seulement quelques coefficiens. Au reste,
+ l'équateur terrestre continuera nécessairement à être le
+ terme immédiat de comparaison le plus commode dans toutes
+ les observations.]
+
+C'est par là qu'on a reconnu que les plans de toutes les orbites
+planétaires passent par le soleil, et de même à l'égard des divers
+satellites d'une planète quelconque; et que ces plans sont, en général,
+peu inclinés sur l'écliptique, et encore moins sur le plan de l'équateur
+solaire, sauf les quatre planètes télescopiques où l'on trouve des
+inclinaisons beaucoup plus considérables.
+
+Quant à la durée des révolutions sidérales, elle peut évidemment,
+d'abord, être directement observée, d'après le retour de l'astre à la
+même situation par rapport au centre de son mouvement. Les temps écoulés
+entre les trois positions successives considérées ci-dessus
+permettraient même de l'évaluer, comme dans le cas des rotations, sans
+attendre une révolution complète, souvent très lente, si l'on supposait
+l'uniformité du mouvement ainsi qu'on le peut pour une première
+approximation. La connaissance complète de la loi géométrique de ce
+mouvement donne le moyen de déduire de cette observation partielle une
+détermination exacte, ainsi que nous l'expliquerons plus tard.
+
+Les valeurs de ces temps périodiques ne sont point, comme toutes les
+autres données examinées dans cette leçon, irrégulièrement réparties
+entre les différens astres de notre monde. En les comparant avec les
+distances de ces astres aux centres de leurs mouvemens, on reconnaît
+aussitôt que la révolution est toujours d'autant plus rapide qu'elle est
+plus courte, et que sa durée croît même plus promptement que la
+distance correspondante; en sorte que la vitesse moyenne diminue à
+mesure que la distance augmente. Il existe entre ces deux élémens
+essentiels une harmonie fondamentale qui sera examinée dans la
+vingt-troisième leçon, et dont la découverte, due au génie de Képler,
+est un des plus beaux résultats généraux de la géométrie céleste et une
+des bases les plus indispensables de la mécanique céleste.
+
+Tel est l'esprit des divers procédés par lesquels la géométrie céleste
+détermine, d'une manière sûre et précise, les différentes données
+élémentaires qui caractérisent chacun des astres de notre système, et
+qui nous permettront de nous élever à la connaissance exacte des vraies
+lois géométriques de leurs mouvemens lorsque ceux de notre propre
+planète, d'ailleurs si importans en eux-mêmes, auront été préalablement
+considérés dans la leçon suivante. Il eût été contraire à la nature de
+cet ouvrage d'insérer ici, pour une quelconque de ces données, aucun de
+ces tableaux numériques que l'on doit trouver dans les traités
+d'astronomie, et dont tout le monde peut même aujourd'hui consulter
+aisément les plus importans dans l'_Annuaire du Bureau des longitudes_,
+ou dans tout autre recueil de ce genre.
+
+
+
+
+VINGT-DEUXIÈME LEÇON.
+
+Considérations générales sur le mouvement de la terre.
+
+Pour faciliter l'examen général de cette grande question fondamentale,
+il convient d'envisager séparément, comme à l'égard des autres astres,
+les deux mouvemens dont notre planète est animée, en commençant aussi
+par la rotation, bien plus simple à reconnaître directement que la
+translation. Cette décomposition est ici d'autant plus naturelle que,
+dans l'accomplissement total de la profonde révolution intellectuelle
+qui a dû résulter du passage de l'idée de repos à celle de mouvement,
+l'esprit humain a formé en effet une hypothèse intermédiaire, peu connue
+aujourd'hui, celle de Longomontanus, qui admettait la rotation de la
+terre en continuant à méconnaître sa translation, et qui, quelque
+absurde qu'elle soit sans doute, astronomiquement, n'a pas été inutile,
+sous le point de vue philosophique, comme moyen transitoire. Il est
+d'ailleurs évident que, suivant le principe général de la liaison de ces
+deux mouvemens dans un corps quelconque, les preuves directes de chacun
+deviennent ici, de même qu'envers toutes les planètes, autant de
+preuves indirectes de l'autre. Mais, de plus, cette relation présente,
+dans le cas actuel, un caractère tout spécial, qui ne saurait avoir lieu
+à l'égard d'aucun autre corps céleste: c'est l'impossibilité évidente
+que le mouvement annuel de la terre existe sans son mouvement diurne,
+quoique l'inverse ait pu logiquement être supposé.
+
+La rotation de la terre ne pouvant point, par sa nature, être exactement
+commune au même degré à tous les points de sa surface, doit laisser,
+parmi les phénomènes purement terrestre quelques indices sensibles de
+son existence, comme je l'ai noté d'avance dans le premier volume, ce
+qui ne saurait être pour la translation. Il faut donc distinguer les
+preuves célestes et les preuves terrestres de notre mouvement diurne,
+tandis que notre mouvement annuel n'en comporte que du premier genre,
+qui sont, il est vrai, plus variées.
+
+Les astronomes commencent avec raison, par écarter entièrement la
+considération des apparences immédiates, qui ne sauraient devenir, en
+aucun sens, un motif réel de décision, puisqu'elles s'accordent
+également bien avec les deux hypothèses opposées. Il est clair, en
+effet, que l'observateur, ne pouvant avoir nullement la conscience de la
+rotation de sa planète, doit apercevoir, en vertu de cette rotation, le
+même spectacle céleste que si le ciel tournait journellement, comme un
+système solide, autour de l'axe de la terre, et en sens contraire du
+vrai mouvement; ainsi qu'on l'observe habituellement dans une foule de
+cas analogues.
+
+Dans l'enfance de l'esprit humain, l'opinion, d'ailleurs spontanée, de
+l'immobilité de la terre, et du mouvement quotidien de la sphère céleste
+autour d'elle, n'avait point, à beaucoup près, le degré d'absurdité
+qu'elle présente de nos jours chez le petit nombre d'intelligences mal
+organisées qui s'obstinent quelquefois à la maintenir: elle était, au
+contraire, ce me semble, aussi logique que naturelle. Car elle se
+trouvait être exactement en harmonie avec les idées profondément
+erronées que l'on se formait nécessairement des distances et des
+dimensions des astres avant la naissance de la géométrie céleste. Les
+astres étaient regardés comme très voisins, et par suite supposés très
+peu supérieurs à leurs grandeurs apparentes, en même temps qu'on devait
+naturellement s'exagérer beaucoup les dimensions de la terre, lorsqu'on
+eut commencé à lui reconnaître des limites. Avec de tels renseignemens,
+il eût été, évidemment, impossible de ne pas admettre l'immobilité d'une
+masse aussi immense, et le mouvement journalier d'un univers dont les
+élémens et les intervalles étaient, comparativement, aussi petits. Une
+conception tellement enracinée, et appuyée sur des motifs directs d'une
+telle force, indépendamment de la confiance énergique que lui prêtait
+l'ensemble des sentimens humains, ne pouvait donc être ébranlée que par
+une approximation au moins grossière, mais, pourtant géométrique, des
+distances et des dimensions célestes, comparées à la grandeur de la
+terre. Or, malgré que ces déterminations statiques, objet essentiel de
+la leçon dernière, doivent certainement précéder aujourd'hui l'étude des
+mouvemens dans une exposition rationnelle de la géométrie céleste, il
+n'a pu en être entièrement ainsi dans le développement historique de la
+science. L'astronomie grecque avait ébauché la théorie vraiment
+géométrique des mouvemens célestes, en n'envisageant essentiellement que
+les directions, sans s'être nullement occupée de mesurer les proportions
+de l'univers; ce qui a dû maintenir beaucoup plus long-temps l'opinion
+primitive sur le système du monde.
+
+Mais, depuis que ces proportions ont commencé à être géométriquement
+appréciées, l'ensemble des notions sur lesquelles reposait une telle
+opinion a pris un caractère absolument inverse, qui a dû provoquer de
+plus en plus la formation de la conception copernicienne. Quand il a été
+une fois bien constaté que la terre n'est qu'un point au milieu des
+intervalles célestes, et que ses dimensions sont extrêmement petites
+comparativement à celles du soleil et même de plusieurs autres astres de
+notre monde, il est devenu absurde d'en faire le centre de divers
+mouvemens, et surtout l'immense rotation journalière du ciel a aussitôt
+impliqué une contradiction choquante. À la vérité, les astres extérieurs
+à notre système seront réputés 24000 fois moins lointains, d'après la
+leçon précédente, en n'admettant point la circulation annuelle de la
+terre: mais leurs distances n'en cesseraient pas d'être immenses, et
+beaucoup plus grandes que celle du soleil; ce qui doit, en outre, leur
+faire attribuer certainement des volumes au moins analogues. Dès lors,
+la prodigieuse vitesse que devraient avoir tous ces grands corps pour
+décrire en un jour, autour de la terre, des cercles d'une telle
+immensité, devient évidemment inadmissible, surtout quand on reconnaît
+que, pour l'éviter, il suffit en laissant tout ce système immobile,
+d'attribuer à la terre un très petit mouvement, qui n'excède point, même
+à l'équateur, le mouvement initial d'un boulet de 24. Cette
+considération est puissamment fortifiée en pensant, sous le point de vue
+mécanique, à l'énormité de la force centrifuge qui résulterait de
+mouvemens aussi étendus et aussi rapides, et qui exigerait
+continuellement, de la part de la terre, imperceptible comparativement à
+l'univers, un effort évidemment impossible, pour empêcher ces masses
+immenses de poursuivre à chaque instant leur route suivant la tangente,
+tandis que la rotation de la terre détermine seulement une force
+centrifuge presque insensible, aisément surmontée par la pesanteur, dont
+elle n'est, même à l'équateur, que la deux cent quatre-vingt-neuvième
+partie.
+
+Une seconde preuve fondamentale, indépendante de la connaissance des
+intervalles et des dimensions, se tire de l'existence des mouvemens
+propres. Il a suffi de voir les astres passer les uns devant les autres
+pour être assuré qu'ils sont inégalement éloignés; ensuite,
+l'observation des mouvemens particuliers aux différentes planètes, en
+sens contraire du mouvement général du ciel, et selon des directions et
+des périodes fort distinctes, a constaté que tous les astres ne tenaient
+point ensemble. Or, il était évidemment impossible de concilier cette
+indépendance avec la liaison si étroite qu'exigeait l'harmonie
+fondamentale du mouvement diurne, où l'on voyait le ciel tourner tout
+d'une pièce. Aristote et Ptolémée avaient été inévitablement conduits,
+pour établir cette conciliation, à construire l'hypothèse si compliquée,
+quoique ingénieuse, d'un système de cieux solides et transparens, qui
+présente d'ailleurs tant d'absurdités physiques. Mais la simple
+connaissance de certains astres, comme les comètes, qui passent
+successivement dans toutes les régions célestes, aurait suffi seule à
+détruire tout ce pénible échafaudage, qui, suivant l'ingénieuse
+expression de Fontenelle, exposait ainsi l'univers à être cassé. Il est
+singulier que ce soit Tycho-Brahé, le plus illustre antagoniste de la
+découverte de Copernic, qui ait ainsi fourni un des argumens les plus
+sensibles contre sa propre opinion, en ébauchant, le premier, la vraie
+théorie géométrique des comètes.
+
+Quel que doive être l'empire des opinions établies, surtout quand elles
+sont aussi profondément enracinées, l'ensemble des considérations
+précédentes, aurait, probablement, par son évidence de plus en plus
+puissante, déterminé les astronomes à reconnaître, long-temps avant
+Copernic, la réalité du mouvement de rotation de la terre; car, la
+précision des déterminations modernes n'était nullement nécessaire pour
+faire sentir la force de telles preuves: il suffisait d'une
+approximation grossière, déjà essentiellement obtenue à une époque très
+antérieure. Mais l'ignorance des lois fondamentales du mouvement
+présentait un obstacle nécessairement insurmontable à l'admission d'une
+théorie, dont la supériorité astronomique était sans doute vivement
+sentie, par un aussi grand astronome que Tycho entre autres, et qui
+toutefois paraissait absolument inconciliable avec l'observation de qui
+se passe habituellement sous nos yeux à la surface de la terre,
+principalement dans la chute des corps pesans. Copernic ne fit nullement
+disparaître cet obstacle radical, il dura encore près d'un siècle,
+jusqu'à la mémorable époque de la création de la dynamique par le génie
+de Galilée, qui établit, le premier, cette grande loi, que j'ai cru
+devoir présenter, dans la philosophie mathématique, comme une des trois
+bases physiques nécessaires de la mécanique rationnelle: l'indépendance
+totale des mouvemens relatifs de différens corps quelconques envers le
+mouvement commun de leur ensemble. Jusque alors, la rotation de la
+terre, quelque probable qu'elle fût comme hypothèse astronomique, était
+nécessairement inadmissible. Telle est la prépondérance des habitudes
+intellectuelles natives, que, sans que personne eût jamais pensé à faire
+l'expérience, on admettait, comme un fait incontestable, que la balle
+jetée du haut du mât, dans un vaisseau en mouvement, ne retombait point
+au pied du mât, mais à quelque distance en arrière, ce dont le moindre
+observateur eût immédiatement signalé la fausseté grossière. Delambre a
+justement remarqué, dans son _Histoire de l'Astronomie moderne_, combien
+l'argumentation des Coperniciens avant Galilée, dans cette célèbre
+discussion, était encore plus vicieuse et plus métaphysique à cet égard
+que celle de leurs adversaires, puisqu'ils admettaient aussi la réalité
+de ce prétendu fait, et que seulement ils s'efforçaient, par de vaines
+subtilités, de détruire l'objection qu'on en tirait très logiquement
+contre le mouvement de la terre. Même après les démonstrations de
+Galilée, il fallut encore que Gassendi provoquât spécialement, dans le
+port de Marseille, une expérience publique pour achever de convaincre à
+ce sujet les péripatéticiens obstinés.
+
+Depuis que la propagation des saines doctrines mécaniques a fait ainsi
+disparaître la seule difficulté qui s'opposât réellement à l'admission
+de la rotation de la terre, on a cherché, dans l'examen plus approfondi
+de ces mêmes phénomènes de chute, une confirmation directe et terrestre
+de l'existence de ce mouvement. Il est clair, en effet, qu'un corps en
+tombant du sommet d'une tour très élevée, doit avoir une légère vitesse
+initiale horizontale dans le sens de la rotation terrestre, d'après le
+petit excès de la vitesse du sommet sur celle du pied, à raison de son
+cercle diurne un peu plus grand. Le corps, ainsi lancé comme un
+projectile, retombe donc nécessairement un peu à l'est du pied de la
+tour; et la quantité de cette déviation est aisément calculable, du
+moins en négligeant la résistance de l'air, en fonction de la hauteur de
+la tour et de sa latitude. Si cet écartement était plus grand, on aurait
+là un moyen expérimental très précieux de démontrer la rotation
+terrestre. Mais il est malheureusement trop petit, à l'égard même de nos
+édifices les plus élevés, pour que l'expérience soit vraiment décisive,
+à cause de l'impossibilité presque absolue, quelques précautions qu'on
+ait prises, de laisser tomber le corps sans qu'il reçoive aucune petite
+impulsion, comparable à celle dont on veut apprécier l'effet. Néanmoins,
+cette ingénieuse expérience, tentée en divers lieux au commencement de
+ce siècle, a généralement donné une déviation dans le sens convenable,
+quoique sa valeur n'ait pu être celle que la théorie avait assignée; ce
+qui fait espérer qu'on pourra plus tard, en choisissant des conditions
+plus favorables, parvenir à la compléter. Il est regrettable qu'on ne
+l'ait point essayée à l'équateur, où l'écartement doit avoir plus
+d'étendue qu'en aucun autre lieu.
+
+Afin d'obtenir des preuves terrestres vraiment incontestables de la
+réalité de notre rotation, il faut considérer l'influence de la force
+centrifuge qui en résulte nécessairement, pour altérer la direction
+naturelle et surtout l'intensité propre de la pesanteur.
+
+La célèbre observation faite par Richer à Cayenne en 1672, de la
+diminution d'environ 3/2 ligne, à l'équateur, dans la longueur exacte du
+pendule à secondes réglé à Paris, fournit, en l'analysant
+convenablement, la première confirmation directe du mouvement de
+rotation de la terre. Notre globe s'écarte trop peu, d'après la leçon
+précédente, de la figure exactement sphérique, pour qu'un tel
+décroissement de la pesanteur puisse provenir du seul renflement
+équatorial, en vertu de la loi générale de la variation de la gravité
+inversement au quarré de la distance au centre de la terre. Suivant
+l'aplatissement le plus certain, cette cause ne pourrait produire qu'une
+différence d'à peine 1/8 ligne. Reste donc, évidemment, 1 ligne pour
+l'influence propre de la force centrifuge, qui, étant, à l'équateur, à
+la fois la plus grande possible, et directement opposée à la gravité,
+doit la diminuer davantage qu'en tout autre lieu. La quantité de cette
+diminution, qui peut être aisément calculée _à priori_ avec une entière
+certitude, coïncide, d'une manière admirable, entre les limites des
+erreurs des observations, avec la portion qui appartient ainsi à la
+force centrifuge dans le raccourcissement total; et cela, non-seulement
+à l'équateur, mais encore à toutes les latitudes où cette comparaison
+délicate a pu être établie avec le surcroît de soin qu'exige l'effet
+moins prononcé. Une démonstration aussi mathématique ne permettrait plus
+aucun doute sur la rotation de la terre, quand même on écarterait
+entièrement les preuves astronomiques, d'ailleurs si évidentes. C'est
+ainsi que l'immortelle observation de Richer se rattache aux deux plus
+grandes découvertes de la philosophie naturelle, le mouvement de la
+terre, et la théorie de la gravitation: les deux tiers de l'effet mesuré
+ont irrécusablement vérifié la rotation de notre planète, et l'autre
+tiers a conduit Newton à déterminer son aplatissement. Aucun autre fait
+particulier n'a eu peut-être d'aussi grandes conséquences dans toute
+l'histoire de l'esprit humain.
+
+Passons maintenant à la considération spéciale du mouvement de
+translation de la terre, dont l'existence ne peut être constatée, comme
+nous l'avons remarqué, que par des preuves astronomiques, à cause de la
+différence tout-à-fait insensible de la vitesse des divers points de la
+terre en vertu de ce mouvement, qui ne saurait donc exercer la moindre
+influence sur nos phénomènes terrestres.
+
+La seule position exacte de la question établit d'abord une analogie
+puissante en faveur de la théorie copernicienne, puisque la circulation
+de toutes les autres planètes autour du soleil avait été déjà constatée
+par Tycho lui-même, le système ancien proprement dit étant ainsi
+définitivement écarté de la discussion, qui s'est dès lors trouvée
+réduite à examiner si la terre circule aussi à son rang, comme Vénus,
+Mars, Jupiter, etc., ou bien si le soleil, centre reconnu de tous les
+mouvemens planétaires, parcourt annuellement l'écliptique autour de la
+terre immobile. Par ce simple énoncé, tout esprit impartial est,
+évidemment, porté à présumer que le vrai motif de cette indécision tient
+uniquement à la situation de l'observateur, qui, placé sur quelque autre
+planète, en eût fait sans doute aussi le centre général des mouvemens
+célestes.
+
+Ici, comme à l'égard de la rotation, il est d'abord évident que les
+apparences ne peuvent rien décider. Car, en ôtant la terre du centre de
+l'écliptique pour y mettre le soleil, il suffit de placer la terre en un
+point de cette orbite diamétralement opposé à celui qu'occupait le
+soleil auparavant; et dès lors, sans rien changer au sens du mouvement,
+l'observateur terrestre apercevra continuellement le soleil dans la même
+direction que ci-devant. En regardant le mouvement annuel de la terre
+comme n'altérant point le parallélisme de son axe de rotation, toute
+l'explication des phénomènes relatifs aux saisons et aux climats, étant
+reprise sous ce point de vue, donnera, évidemment, les mêmes résultats
+que dans l'ancien système. Tous les phénomènes les plus sensibles du
+ciel sont donc exactement les mêmes pour les deux hypothèses. Ainsi,
+c'est uniquement dans des comparaisons plus délicates et plus
+détournées, fondées sur des observations plus approfondies, qu'il faut
+chercher des motifs de prononcer entre elles, en considérant des
+phénomènes qui conviennent beaucoup mieux à l'une qu'à l'autre, ou même,
+comme on en a découvert, qui soient absolument incompatibles avec le
+système ancien, et mathématiquement en harmonie avec le système moderne.
+Si l'on ne voulait point distinguer, à cet égard, entre les preuves
+directes et indirectes, il faudrait, pour ainsi dire, envisager
+l'ensemble des phénomènes célestes, tant mécaniques que géométriques;
+car il n'en est presque aucun qui ne puisse fournir indirectement une
+confirmation spéciale du mouvement de notre planète, dont l'influence
+doit, en effet, se faire sentir naturellement dans toutes nos
+explorations astronomiques. Mais il ne saurait évidemment être question,
+en ce moment, que des preuves les plus directes. Je crois devoir les
+réduire à trois principales, que je vais successivement considérer dans
+l'ordre croissant de leur validité logique; elles se tirent de l'examen
+des phénomènes: 1º. de la précession des équinoxes, modifiée par la
+nutation de l'axe terrestre; 2º. des apparences stationnaires et
+rétrogrades que présentent les mouvemens planétaires; 3º. enfin, de
+l'aberration de la lumière, d'où l'on a déduit la démonstration la plus
+décisive et la plus mathématique.
+
+En comparant deux catalogues d'étoiles dressés à des époques
+différentes, on remarque, dans les positions de tous ces astres, une
+variation très singulière et croissante avec le temps, qui ne semble
+assujettie à aucune loi, quand on se borne à envisager les ascensions
+droites et les déclinaisons. Mais, si l'on en déduit les longitudes et
+les latitudes, on reconnaît aussitôt que les dernières n'ont éprouvé
+aucun changement, et que les premières ont subi une modification
+commune, consistant dans une augmentation générale d'environ cinquante
+secondes par an, qui se continue indéfiniment avec uniformité. Cette
+importante découverte fut faite par Hipparque, d'après la différence de
+deux degrés qu'il aperçut entre ses longitudes d'étoiles et celles qui
+résultaient des observations d'Aristille et Timocharis un siècle et demi
+auparavant. La précision des observations modernes permet de vérifier ce
+fait général par des comparaisons beaucoup plus rapprochées, et même
+d'une année à l'autre. Ce phénomène équivaut évidemment à une
+rétrogradation des points équinoxiaux sur l'écliptique contre l'ordre
+des signes; d'où vient sa dénomination habituelle, à cause de
+l'avancement continuel d'environ vingt minutes, qui en résulte
+nécessairement chaque année pour l'époque des équinoxes.
+
+Cette précession des équinoxes ne pouvait être conçue, dans l'hypothèse
+de la terre immobile, qu'en faisant tourner l'univers tout d'une pièce
+autour des pôles de l'écliptique en vingt-cinq mille neuf cent vingt
+ans, en même temps qu'il tournait chaque jour, en sens contraire, autour
+des pôles de l'équateur. Aussi Ptolémée avait-il imaginé, à cet effet,
+un ciel de plus. Au lieu de cette complication inintelligible, il
+suffit, au contraire, en admettant le mouvement de la terre, d'altérer
+le parallélisme de son axe de rotation d'une quantité presque
+insensible; car, le phénomène sera complètement représenté, si l'on fait
+tourner lentement cet axe, pendant cette longue période, autour de celui
+de l'écliptique, en formant avec lui un angle constant.
+
+La différence des deux hypothèses à cet égard devient bien plus sensible
+encore en considérant le phénomène secondaire, désigné sous le nom de
+_nutation_, dont les anciens n'ont pu avoir aucune connaissance, à cause
+de son extrême petitesse, quoiqu'il ne soit qu'une sorte de
+différentiation de la précession des équinoxes, et qu'il se manifeste
+essentiellement de la même manière, pourvu que les observations soient
+faites avec toute la précision moderne. Ce phénomène remarquable, dont
+la période est de dix-huit ans environ, avait été indiqué par Newton
+d'après la théorie de la gravitation; mais il a été réellement constaté,
+pour la première fois, par Bradley. On le représente aisément, dans
+l'hypothèse copernicienne, en modifiant un peu le mouvement conique
+précédent de l'axe terrestre, qui correspond à la précession. Il faut
+alors concevoir que cet axe, au lieu d'occuper à chaque instant une des
+génératrices de ce cône, tourne autour d'elle en dix-huit ans, suivant
+un autre cône très petit, ayant pour base une ellipse, dont les deux
+demi-axes sont à peu près de neuf secondes et de six secondes. Ce
+phénomène obligerait évidemment, dans l'hypothèse de la terre en repos,
+à supposer à l'univers un troisième mouvement général, encore plus
+difficile à concilier que celui de la précession avec le mouvement
+fondamental.
+
+La considération de ces phénomènes du point de vue mécanique rend
+beaucoup plus frappant le contraste des deux systèmes à ce sujet. Car,
+ces légères altérations du parallélisme de l'axe terrestre sont, d'après
+la théorie de la gravitation, une simple conséquence nécessaire et
+évidente, comme je l'indiquerai plus tard, de l'action du soleil, et
+surtout de la lune, sur le renflement équatorial de notre globe, suivant
+le beau travail de D'Alembert, qui explique complètement, non-seulement
+la nature, mais encore la quantité exacte de ces deux perturbations.
+
+Voilà donc une première classe de phénomènes qui, sans être absolument
+inconciliables avec l'ancien système du monde, s'accordent infiniment
+mieux avec le mouvement de la terre, même en se bornant à les envisager
+sous le rapport géométrique, comme nous devons le faire
+actuellement[7].
+
+Cette évidente supériorité du système copernicien, est encore plus
+clairement prononcée à l'égard des nombreux phénomènes connus sous le
+nom de _rétrogradations et stations des planètes_, qui, dans l'hypothèse
+de la terre immobile, ne pouvaient être que vaguement expliqués à l'aide
+des suppositions les plus forcées et les plus arbitraires; tandis que
+toutes leurs diverses circonstances, même numériquement appréciées,
+résultent immédiatement, et de la manière la plus simple, du seul
+mouvement de notre planète.
+
+ [Note 7: Craignant d'interrompre la série naturelle des
+ idées dans cette importante exposition, je n'ai pas cru
+ devoir mentionner l'application chronologique qu'on a voulu
+ faire quelquefois de la procession des équinoxes, d'après
+ l'indication de Newton à ça sujet, afin de remonter à des
+ époques très reculées, par les monumens de diverses sortes
+ qui retraçaient alors l'état du ciel, à raison de
+ soixante-douze ans pour chaque degré de différence dans la
+ position des points équinoxiaux. Quoique sans doute très
+ rationnelle en elle-même, cette application me semble
+ réellement dépourvue de toute utilité essentielle, à cause
+ de l'extrême imperfection nécessaire des observations
+ antiques, et de la grossière infidélité de leur expression
+ par les monumens considérés. Car, il résulterait
+ probablement de cette double cause, convenablement
+ appréciée, une incertitude chronologique très supérieure,
+ dans la plupart des cas, à celle que laissent les procédés
+ ordinaires de l'exploration historique. Cette méthode ne
+ deviendrait donc applicable, avec quelque précision, qu'à
+ partir de la naissance de la véritable astronomie chez les
+ Grecs; et, pour des temps si peu lointains, les autres
+ renseignemens suffisent déjà entièrement. Je ne pense pas
+ qu'on puisse citer aucune véritable découverte chronologique
+ qui soit effectivement due à ce procédé, depuis plus d'un
+ siècle qu'on s'en est occupé.]
+
+On a justement comparé ces phénomènes aux apparences que présente
+journellement un bateau, descendant une large rivière, à un observateur
+qui la descend aussi de son côté, sans avoir conscience de son
+mouvement; et d'où il résulte que le mouvement de ce bateau semble
+direct, stationnaire, ou rétrograde, selon que sa vitesse est
+supérieure, égale, ou inférieure à celle de l'observateur. Nous
+concevons en effet, que le mouvement de notre globe doit nous faire
+continuellement apercevoir chaque planète au point de son orbite où elle
+se trouverait en lui imprimant, en sens contraire, une vitesse égale à
+la nôtre. Cela posé, à partir du moment où la planète quelconque est le
+plus près de nous, afin que les deux mouvemens soient exactement dans le
+même sens, cette correction la fera évidemment paraître rétrograde
+pendant un temps plus ou moins long dépendant des vitesses et des
+distances relatives, jusqu'à ce que sa direction se trouve suffisamment
+changée, par la continuité de sa propre circulation, pour que son
+mouvement apparent redevienne direct, comme il l'est le plus souvent. Il
+est d'ailleurs évident que, suivant la règle ordinaire de tous les
+phénomènes qui changent de signe, il y aura, vers la fin et vers le
+renouvellement de la rétrogradation, un instant où la planète paraîtra
+sensiblement stationnaire dans le ciel. Toutes les parties du phénomène,
+l'époque et la durée de la rétrogradation, l'étendue de l'arc qu'elle
+embrasse et la position de ses points extrêmes, peuvent être exactement
+calculées d'après la distance de la planète au soleil et la durée de sa
+révolution, comparées au mouvement de la terre. On peut, dans ce cas,
+simplifier beaucoup le calcul, sans aucun inconvénient réel, en
+supposant tous les mouvemens circulaires et uniformes, et même dans le
+plan de l'écliptique. Les résultats doivent évidemment présenter de
+grandes différences, suivant les diverses planètes. Leur comparaison
+générale montre que la durée absolue de la rétrogradation augmente à
+mesure qu'on s'éloigne du soleil; mais que, relativement au temps
+périodique de la planète, elle diminue, au contraire, très rapidement et
+de plus en plus. Or, l'observation directe de ces phénomènes vérifie,
+d'une manière remarquable, toutes ces conséquences de la théorie du
+mouvement de la terre, même quant à leur valeur numérique.
+
+Ces apparences si simples n'avaient pu être expliquées, dans l'ancien
+système, qu'en faisant mouvoir chaque planète sur la circonférence d'un
+cercle idéal, dont le centre parcourait l'orbite effective. On conçoit
+que, ces deux mouvemens se trouvant être tantôt conformes et tantôt
+contraires, il était possible, en disposant convenablement du rayon
+arbitraire de cet épicycle et du temps fictif de la révolution
+correspondante, de représenter, jusqu'à un certain point, la
+rétrogradation et la station de chaque planète. Cette conception, qu'il
+faut juger comme subordonnée à l'ancien système, était sans doute fort
+ingénieuse. Mais, malgré toutes les ressources arbitraires qu'on s'y
+était ménagé, elle ne satisfaisait que d'une manière très vague aux
+phénomènes mêmes qui l'avaient provoquée, et elle était manifestement
+contraire à la véritable nature des orbites planétaires, comme nous le
+verrons dans la leçon suivante. Ainsi, indépendamment de son absurdité
+physique, elle ne pouvait évidemment soutenir à cet égard la moindre
+concurrence, avec la théorie de Copernic, qui a rendu ces phénomènes
+tellement simples et vulgaires, que les astronomes ne s'en occupent plus
+aujourd'hui. On n'avait pas même tenté d'y expliquer la circonstance la
+plus frappante que présentent les rétrogradations planétaires, leur
+coïncidence invariable avec l'époque de l'opposition, s'il s'agit d'une
+planète supérieure, ou de la conjonction inférieure, à l'égard des deux
+autres planètes, ce qui, au contraire, résulte, au premier coup d'oeil,
+de l'explication moderne.
+
+Le mouvement annuel de la terre pourrait donc être regardé comme
+suffisamment constaté par cette seconde classe de phénomènes, qui
+faisait en effet la principale force de l'argumentation des coperniciens
+avant Képler et Galilée. Néanmoins, comme elle peut à la rigueur se
+concilier, jusqu'à un certain point, avec l'ancien système du monde,
+quelque étrange et imparfaite qu'y soit son explication, l'astronomie
+moderne, dans l'admirable sévérité de sa méthode, ne proclame
+aujourd'hui, comme une vraie démonstration mathématique du mouvement de
+la terre, que celle qui résulte de l'analyse exacte des phénomènes si
+variés de l'aberration de la lumière, absolument incompatibles avec
+l'immobilité de notre globe, et si parfaitement déduits au contraire par
+le grand Bradley de la théorie copernicienne; quoique, d'ailleurs, cette
+théorie se trouvât déjà généralement admise par les astronomes, quand
+ces phénomènes furent découverts. Telle est la troisième considération
+fondamentale, qui me reste à indiquer ici, au sujet du mouvement de la
+terre.
+
+Il est préalablement indispensable d'examiner comment l'astronomie
+parvient à mesurer la vitesse avec laquelle la lumière se propage.
+
+Les distances terrestres sont beaucoup trop petites pour que le procédé
+qui permet d'estimer, par des observations directes, la durée de la
+propagation du son, puisse être jamais applicable à la lumière, dont le
+mouvement est tellement rapide qu'on ne saurait constater, quelques
+précautions qu'on ait prises, la moindre différence perceptible entre
+l'instant où la lumière est émise en un certain lieu et le moment où
+elle est vue d'un autre lieu aussi éloigné que possible, quoique les
+deux phénomènes ne soient pas sans doute exactement simultanés. Mais la
+grandeur des espaces intérieurs de notre système solaire comporte, au
+contraire, une évaluation très précise de cette vitesse. Toutefois, il
+semble au premier abord, que, quel que soit le temps employé par la
+lumière à nous venir des astres, il n'en doit résulter qu'un simple
+retard dans l'époque que nous assignons à chacune de leurs positions, ce
+qui n'exercerait aucune influence sur nos observations comparatives.
+C'est pourquoi ce temps ne peut être aperçu et mesuré qu'en considérant
+des phénomènes uniformes qui s'exécutent successivement à des distances
+de la terre extrêmement inégales, et qui, dès lors, présenteront pour
+cette seule cause des différences appréciables suivant les diverses
+situations. Tel est, en effet, le procédé imaginé par Roëmer, auteur de
+cette immortelle découverte, que lui fournit l'observation comparative
+des éclipses des satellites de Jupiter dans les situations opposées de
+cette planète à l'égard de la terre.
+
+Le premier satellite, par exemple, est éclipsé par Jupiter toutes les
+quarante-deux heures et demie. Supposons que les tables en aient été
+dressées pour la moyenne distance de Jupiter à la terre, qui a lieu
+lorsque Jupiter nous semble à quatre-vingt-dix degrés environ du soleil.
+En comparant à cette situation moyenne l'époque de l'opposition et celle
+de la conjonction, il est clair que l'apparition de l'éclipse aura lieu
+plus tôt dans le premier cas, et plus tard dans le second, à cause du
+chemin moindre ou plus grand que la lumière devra parcourir. La
+confrontation des deux cas extrêmes détermine le temps très sensible
+employé par la lumière à décrire le diamètre de l'orbite terrestre, et
+il en est résulté qu'elle nous vient du soleil en huit minutes environ.
+L'observation des autres satellites, et, plus tard, celle des satellites
+de Saturne et même d'Uranus, ont fourni à cet égard de nombreux moyens
+de vérification, qui, d'ailleurs, ont constaté l'exacte uniformité du
+mouvement de la lumière, du moins entre les limites de notre monde.
+
+D'après cette importante détermination préliminaire, il devient aisé de
+concevoir comment le mouvement de la terre produit les phénomènes de
+l'aberration de la lumière dans les étoiles et dans les planètes.
+
+Quoique la lumière emploie certainement plusieurs années à nous
+parvenir, même des étoiles les plus voisines, il n'en peut évidemment
+résulter, si la terre est immobile, qu'une simple erreur d'époque, et
+jamais aucune erreur de lieu. Au contraire, notre mouvement doit
+nécessairement altérer un peu la direction suivant laquelle nous
+apercevons l'astre, et qui s'obtient alors en composant, d'après la
+règle ordinaire du parallélogramme des mouvemens, la vitesse de la
+lumière avec celle de la terre. Comme la première est environ dix mille
+fois supérieure à la seconde, cette déviation ne peut être, à son
+_maximum_ (qui a lieu lorsque les deux mouvemens sont rectangulaires),
+que de vingt secondes, tantôt en un sens, tantôt dans l'autre; d'où
+résulte au plus une variation de quarante secondes dans les positions
+des étoiles pendant tout le cours de l'année. Il fallait donc toute la
+précision des observations modernes pour parvenir à la constater avec
+une entière certitude, quoique plusieurs astronomes aient semblé
+l'entrevoir un peu avant Bradley, sans pouvoir d'ailleurs se l'expliquer
+en aucune manière.
+
+La loi fondamentale de cette déviation ne laisse évidemment rien
+d'arbitraire. L'aberration a toujours lieu dans le plan qui passe à
+chaque instant par la direction variable et exactement connue du
+mouvement de la terre, et par le rayon visuel mené à l'étoile, qui peut
+être regardé, d'après la leçon précédente, comme sensiblement parallèle,
+en tous temps, à la droite que déterminent la longitude et la latitude
+de cet astre. L'angle formé par ces deux droites règle tous les
+changemens que ce phénomène doit présenter. Tout est donc mathématique
+ici, et peut être confronté, sans la moindre équivoque, à l'observation
+directe, après avoir, pour plus de facilité, déduit de l'aberration
+primitive les variations qu'elle entraîne dans l'ascension droite et la
+déclinaison, préalablement corrigées de la précession.
+
+En considérant la marche générale du phénomène, on peut envisager
+l'ensemble des rayons visuels menés à l'étoile dans toutes les positions
+de la terre, comme formant un cylindre plus ou moins oblique, dont la
+base est le cercle de l'écliptique. Le plus grand angle que la
+génératrice de ce cylindre puisse former avec la tangente de la base,
+et qui détermine la plus grande aberration, a lieu dans les deux points
+diamétralement opposés où son plan est perpendiculaire à l'écliptique:
+l'angle est au contraire le plus éloigné possible d'être droit, d'où
+résulte le _minimum_ d'aberration, dans les deux points de l'écliptique
+situés à quatre-vingt-dix degrés des précédens. Le développement total
+du phénomène, pendant le cours de l'année, doit donc présenter quatre
+phases principales, deux _maxima_ et deux _minima_, tantôt dans un sens,
+tantôt dans l'autre, suivant les directions opposées de la terre aux
+deux moitiés de sa route. Cette marche caractéristique de l'aberration,
+et surtout la périodicité si frappante de l'ensemble des phénomènes
+après chaque année révolue, ont été pour Bradley les premiers symptômes
+qui l'aient naturellement conduit à en chercher la vraie théorie dans la
+combinaison du mouvement de la terre avec le mouvement de la lumière.
+
+L'aberration doit, évidemment, présenter des différences très
+considérables suivant les diverses étoiles. Ce qui vient d'être indiqué
+sur sa marche générale, correspond essentiellement au cas le plus
+ordinaire d'une étoile plus ou moins écartée de l'écliptique. Mais, si
+l'on envisage les deux cas extrêmes, il est d'abord évident que, pour
+une étoile située au pôle de l'écliptique, le cylindre précédent
+deviendra droit, et, par conséquent, l'aberration fondamentale aura
+toujours la même valeur, égale à son _maximum_ de vingt secondes, et
+sera seulement tantôt d'un côté, tantôt de l'autre. Quant au contraire,
+à une étoile située exactement dans le plan de l'écliptique, les
+variations seront plus prononcées qu'en aucun autre cas; puisque, notre
+cylindre se réduisant alors à un plan, l'aberration pourra être nulle à
+deux époques opposées de l'année, tandis que, à trois mois de chacune
+d'elles, elle atteindra toute sa valeur. Voilà donc une nouvelle source
+de vérifications très sensibles pour la théorie générale de
+l'aberration.
+
+Enfin, l'observation des planètes doit nécessairement être affectée
+aussi d'une erreur de lieu semblable à l'aberration des étoiles.
+Seulement, la loi fondamentale en est plus compliquée; car, au lieu du
+simple parallélogramme des mouvemens, il faut considérer alors le
+parallélépipède destiné à composer les trois vitesses de la lumière, de
+la terre, et de la planète; ce qui produit des formules plus
+embarrassantes; mais d'ailleurs entièrement analogues. Cette nouvelle
+aberration est susceptible d'un troisième genre de changement, dû aux
+vitesses fort inégales des diverses planètes, indépendamment de celles
+qui correspondent aux directions continuellement variables de la terre
+et de la planète. Il en résulte des différences plus étendues entre les
+valeurs extrêmes du phénomène, ainsi qu'une moindre régularité dans ses
+phases principales, quoique tout continue évidemment à pouvoir être
+calculé _à priori_ avec exactitude.
+
+Tel est, dans son ensemble, l'esprit du beau travail de Bradley, qu'on
+peut considérer comme présentant, après la grande suite de recherches de
+Képler, la plus haute manifestation de génie astronomique qui ait jamais
+été produite jusqu'ici: une nouvelle classe de phénomènes très délicats
+et très variés, ramenée mathématiquement tout entière, et jusque dans
+ses moindres détails numériques, à un seul principe éminemment simple et
+lucide. Le merveilleux accord de cette théorie avec les observations
+directes les plus précises, diversifiées de mille manières, nous offre
+donc enfin une démonstration complètement irrécusable de la réalité du
+mouvement annuel de la terre, sans lequel aucun de ces nombreux
+phénomènes ne saurait évidemment avoir lieu.
+
+La vitesse due à la rotation quotidienne de notre globe doit aussi,
+d'après le même principe fondamental, produire une certaine aberration
+diurne, présentant, comme l'aberration annuelle, quatre phases
+principales et analogues, séparées par des intervalles de six heures, et
+susceptible, en outre, d'un nouvel ordre de variations, suivant les
+latitudes des divers observatoires. Mais nos observations ne deviendront
+peut-être jamais assez précises pour procurer à notre intelligence la
+vive satisfaction de trouver, dans un même ordre de phénomènes, une
+démonstration mathématique de la rotation de notre planète aussi bien
+que de sa translation. En effet, la vitesse qui résulte de la rotation
+de la terre étant plus de soixante fois moindre, même à l'équateur, que
+celle due à la translation, le _maximum_ de cette aberration diurne est
+un peu au-dessous de un tiers de seconde, et par conséquent
+inappréciable jusqu'ici. Il en serait, à bien plus forte raison, de même
+pour les plus grandes vitesses artificielles que nous puissions nous
+imprimer, et qui ne sauraient produire aucune aberration perceptible
+dans les objets fixes vers lesquels nous dirigerions nos regards pendant
+ces mouvemens.
+
+Il ne faut pas négliger de noter, au sujet de la théorie de
+l'aberration, que tous les calculs y étant fondés sur l'uniformité du
+mouvement de la lumière, leur exacte harmonie avec l'observation
+immédiate a étendu, aux plus grands espaces imaginables, la preuve de
+cette uniformité, constatée seulement jusque alors dans l'intérieur de
+notre monde par le travail de Roëmer. En même temps, on a ainsi reconnu
+que la vitesse de la lumière est la même pour toutes les étoiles, ou, du
+moins, que les différences ne peuvent point s'élever à un vingtième de
+la valeur moyenne.
+
+Enfin, il est évident que la connaissance de l'aberration a nécessité
+désormais, dans toutes les observations astronomiques, une nouvelle
+correction fondamentale, à joindre à celles de la réfraction et de la
+parallaxe, avant de pouvoir les employer à des déterminations qui
+exigent toute la précision possible. Il en est de même à l'égard de la
+précession et de la nutation. Ces trois nouvelles corrections générales
+peuvent se faire par des formules trigonométriques essentiellement
+analogues à celles déjà usitées pour la réfraction et la parallaxe, sauf
+le changement des coefficiens. On conçoit que, par l'ensemble de ces
+opérations, le simple dépouillement d'une observation brute, faite avec
+les meilleurs instrumens, soit devenu, pour les modernes, une opération
+délicate et pénible.
+
+Telles sont, en aperçu, les diverses considérations essentielles dont
+l'influence combinée a graduellement conduit l'homme à reconnaître
+enfin, de la manière la plus irrésistible, le double mouvement effectif
+de la planète qu'il habite. Aucune révolution intellectuelle ne fait
+autant d'honneur à la rectitude naturelle de l'esprit humain, et ne
+montre aussi bien l'action prépondérante des démonstrations positives
+sur nos opinions définitives, car aucune n'a eu à surmonter un tel
+ensemble d'obstacles fondamentaux. Un très petit nombre de philosophes
+isolés, sans autre supériorité sociale que celle qui dérive du génie
+positif et de la science réelle, a suffi pour détruire, en moins de deux
+siècles, chez tous les hommes civilisés, une doctrine aussi ancienne que
+notre intelligence, directement établie sur les apparences les plus
+fortes et les plus vulgaires, intimement liée au système entier des
+opinions dirigeantes, et, par suite, aux intérêts généraux des plus
+grands pouvoirs existans, et à laquelle, enfin, l'orgueil humain prêtait
+même un appui instinctif, dans le secret de chaque conscience
+individuelle.
+
+Ce n'est pas ici le lieu d'analyser l'influence nécessaire qu'une
+innovation aussi radicale a effectivement exercée et doit exercer de
+plus en plus sur l'ensemble des idées humaines. Cet examen appartient
+spécialement à la dernière partie de cet ouvrage, destinée, comme on
+sait, à étudier les lois naturelles de notre développement social. Mais
+il convient d'indiquer ici, d'une manière générale, l'opposition directe
+et inévitable que présente la connaissance du mouvement de la terre avec
+tout le système des croyances théologiques. Ce système, en effet, repose
+évidemment sur la notion de l'ensemble de l'univers essentiellement
+ordonné pour l'homme; ce qui doit paraître absurde, même aux esprits les
+plus ordinaires, quand il est enfin constaté que la terre n'est point le
+centre des mouvemens célestes, qu'on n'y peut voir qu'un astre
+subalterne, circulant à son rang et en son temps, autour du soleil,
+entre Vénus et Mars, dont les habitans auraient tout autant de motifs de
+s'attribuer le monopole d'un monde qui est lui-même presque
+imperceptible dans l'univers. Les demi-philosophes qui ont voulu
+maintenir la doctrine des causes finales et des lois providentielles, en
+s'écartant des notions vulgaires admises de tout temps sur la nature de
+leur destination, sont tombés, ce me semble, dans une grave
+inconséquence fondamentale. Car, après avoir ôté la considération, au
+moins claire et sensible, du plus grand avantage de l'homme, je défie
+qu'on puisse assigner aucun but intelligible à l'action providentielle.
+L'admission du mouvement de la terre, en faisant rejeter cette
+destination humaine de l'univers, a donc tendu nécessairement à saper
+par sa base tout l'édifice théologique. On s'explique aisément ainsi la
+répugnance instinctive des esprits vraiment religieux contre cette
+grande découverte, et l'acharnement opiniâtre du pouvoir sacerdotal
+contre son plus illustre promoteur.
+
+La philosophie positive n'a jamais détruit une doctrine quelconque, sans
+lui substituer immédiatement une conception nouvelle, capable de
+satisfaire encore plus complètement aux besoins fondamentaux et
+permanens de la nature humaine, comme j'aurai tant d'occasions de le
+constater dans le quatrième volume de cet ouvrage. Ainsi, la vanité de
+l'homme a dû être, sans doute, profondément humiliée, quand la
+connaissance du mouvement de la terre est venue dissiper les illusions
+puériles qu'il s'était faites sur son importance prépondérante dans
+l'univers. Mais, en même temps, le seul fait de cette découverte ne
+tendait-il point nécessairement à lui donner un sentiment plus élevé de
+sa vraie dignité intellectuelle, en lui faisant apprécier toute la
+portée de ses moyens réels convenablement employés, par l'immense
+difficulté que notre position, dans le monde dont nous faisons partie,
+opposait à l'acquisition exacte et certaine d'une telle vérité? Laplace
+a justement signalé cette considération philosophique. À l'idée
+fantastique et énervante d'un univers arrangé pour l'homme, nous
+substituons la conception réelle et vivifiante de l'homme découvrant,
+par un exercice positif de son intelligence, les vraies lois générales
+du monde, afin de parvenir à le modifier à son avantage entre certaines
+limites, par un emploi bien combiné de son activité, malgré les
+obstacles de sa condition? Laquelle est, au fond, la plus honorable pour
+la nature humaine, parvenue à un certain degré de développement social?
+Laquelle est le mieux en harmonie avec nos plus nobles penchans?
+Laquelle enfin tend à stimuler avec plus d'énergie notre intelligence et
+notre activité? Si l'univers était réellement disposé pour l'homme, il
+serait puéril à lui de s'en faire un mérite, puisqu'il n'y aurait
+nullement contribué, et qu'il ne lui resterait qu'à jouir, avec une
+inertie stupide, des faveurs de sa destinée; tandis qu'il peut, au
+contraire, dans sa véritable condition, se glorifier justement des
+avantages qu'il parvient à se procurer en résultat des connaissances
+qu'il a fini par acquérir, tout ici étant essentiellement son
+ouvrage[8].
+
+Une dernière conséquence philosophique, très imparfaitement appréciée
+jusqu'ici, et qui me semble fort importante, résulte nécessairement de
+la doctrine du mouvement de la terre. C'est la distinction, désormais
+profondément tranchée, entre l'idée d'_univers_ et celle de _monde_,
+trop souvent encore prises l'une pour l'autre. On n'a point reconnu
+jusqu'à présent que la notion d'univers, c'est-à-dire la considération
+de l'ensemble des grands corps existans comme formant un système unique,
+était essentiellement fondée sur l'opinion primitive à l'égard de
+l'immobilité de la terre. Dans cette manière de voir, tous les astres
+constituaient, en effet, malgré leurs caractères propres et la diversité
+de leurs mouvemens, un véritable système général, ayant la terre pour
+centre évident. Au contraire, la connaissance du mouvement de notre
+globe, transportant subitement toutes les étoiles à des distances
+infiniment plus considérables que les plus grands intervalles
+planétaires, n'a plus laissé, dans notre pensée, de place à l'idée
+réelle et sensible de _système_ qu'à l'égard du très petit groupe dont
+nous faisons partie autour du soleil. Dès lors, la notion de _monde_
+s'est introduite comme claire et usuelle; et celle d'_univers_ est
+devenue essentiellement incertaine et même à peu près inintelligible.
+Car, nous ignorons complétement aujourd'hui, et nous ne saurons
+probablement jamais avec une véritable certitude, si les innombrables
+soleils que nous apercevons composent finalement, en effet, un système
+unique et général, ou, au contraire, un nombre, peut-être fort grand, de
+systèmes partiels, entièrement indépendans les uns des autres. L'idée
+d'univers se trouve donc ainsi essentiellement exclue de la philosophie
+vraiment positive, et l'idée de monde devient la pensée la plus étendue
+qu'il nous soit permis de poursuivre habituellement avec fruit; ce qui
+doit être regardé comme un véritable progrès, cette pensée ayant
+l'avantage d'être, par sa nature, exactement circonscrite, tandis que
+l'autre est, de toute nécessité, vague et indéfinie; comme je l'ai
+remarqué au commencement de ce volume. Cette restriction de nos
+conceptions générales usuelles est d'autant plus rationnelle que nous
+avons acquis, par l'expérience la plus étendue et la plus décisive, la
+conviction de l'indépendance fondamentale des phénomènes intérieurs de
+notre monde, les seuls dont la connaissance nous soit indispensable, à
+l'égard des phénomènes vraiment universels, puisque, comme je l'ai déjà
+signalé, les tables astronomiques de l'état de notre système solaire,
+dressées sans avoir aucun égard à l'action des autres soleils,
+coïncident journellement avec les observations directes les plus
+minutieuses.
+
+ [Note 8: Vauvenargues a dit avec une profonde raison:
+ «Le monde est ce qu'il doit être pour un être actif,
+ c'est-à-dire fertile en obstacles.»]
+
+La théorie du mouvement de la terre n'a point encore certainement
+exercé, dans notre manière de voir habituelle, toute son influence
+nécessaire, surtout au sujet de cette distinction fondamentale, qui en
+est néanmoins une conséquence immédiate et évidente. Cela tient, sans
+doute, à l'extrême imperfection de notre système d'éducation, qui ne
+permet, même aux plus éminens esprits, d'être initiés à ces hautes
+pensées philosophiques, que lorsque tout l'ensemble de leurs idées a
+déjà reçu la profonde empreinte habituelle d'une doctrine absolument
+opposée: en sorte que les connaissances positives qu'ils parviennent à
+acquérir, au lieu de dominer et de diriger leur intelligence, ne servent
+ordinairement qu'à modifier et à contenir la tendance vicieuse qu'on a
+d'abord développée en elle.
+
+
+
+
+VINGT-TROISIÈME LEÇON.
+
+Considérations générales sur les lois de Képler, et sur leur
+application à la théorie géométrique des mouvemens célestes.
+
+La connaissance du mouvement de la terre nous conduit naturellement à
+nous transporter au point de vue solaire, puisqu'il devient dès lors
+nécessaire, et en même temps possible, de ramener nos observations
+immédiates à celles qui seraient faites du centre du soleil, désormais
+reconnu comme le vrai centre immobile de tous les mouvemens intérieurs
+de notre monde, seul objet essentiel de nos études astronomiques. Cette
+transformation, justement nommée _parallaxe annuelle_, suit, en effet,
+les mêmes règles que la parallaxe ordinaire ou diurne, examinée dans la
+vingtième leçon: elle est seulement beaucoup plus grande, la distance de
+la terre au soleil y remplaçant le rayon de la terre; ce qui n'a
+d'influence que sur les coefficiens des formules trigonométriques déjà
+usitées dans le premier cas. À la vérité, le changement qu'éprouve,
+pendant le cours de l'année, la distance de la terre au soleil, tend à
+introduire, entre ces deux réductions, une différence essentielle. Mais,
+cette variation, dont la plus grande valeur n'est que d'un trentième,
+peut, d'abord, être entièrement négligée, sans aucun inconvénient réel,
+dans une première étude des mouvemens célestes: et la découverte des
+lois géométriques de ces mouvemens permet, ensuite, d'en tenir compte
+avec exactitude, dans les cas qui l'exigent.
+
+C'est ainsi que les astronomes convertissent habituellement toutes leurs
+observations géocentriques en observations héliocentriques. À l'égard
+des étoiles, nous savons déjà, par l'avant-dernière leçon, que cette
+transformation, quelque considérable qu'elle doive paraître, est
+toujours entièrement insensible jusqu'ici: en sorte que, dans
+l'observation de tous les astres extérieurs à notre monde, il est
+parfaitement indifférent que le spectateur soit placé sur la terre, ou
+sur le soleil, ou sur une planète quelconque. Mais, pour l'intérieur de
+notre système, la parallaxe annuelle doit, évidemment, avoir une valeur
+très sensible, quelquefois extrêmement grande, et dont il est
+indispensable de tenir compte, même envers les planètes les plus
+lointaines.
+
+D'après cette transformation fondamentale, nous pouvons maintenant
+poursuivre et terminer l'étude géométrique des mouvemens planétaires,
+déjà ébauchée, à la fin de l'avant-dernière leçon, quant à leurs
+périodes et aux plans dans lesquels ils s'exécutent, et au sujet de
+laquelle nous avions dû réserver la partie la plus importante et la plus
+difficile, la détermination exacte de la vraie figure des orbites et de
+la manière dont elles sont parcourues. Ces connaissances essentielles
+une fois acquises, nous pourrons enfin nettement comprendre comment
+l'astronomie atteint son véritable but définitif, la prévision exacte et
+rationnelle de l'état de notre système à une époque quelconque donnée.
+Tel est l'objet de la leçon actuelle.
+
+Dans la première enfance de l'astronomie mathématique, on a dû
+naturellement regarder les mouvemens des planètes comme exactement
+uniformes et circulaires. Quoique cette supposition fût, sans doute,
+appuyée, si ce n'est inspirée, par des considérations métaphysiques et
+même théologiques sur la perfection de ce genre de mouvemens, convenable
+à la nature divine des astres, comme les écrits des anciens nous en
+offrent d'incontestables témoignages, elle n'en était pas moins alors
+profondément rationnelle. Car, il était indispensable de former à cet
+égard une hypothèse quelconque pour parvenir graduellement, en la
+comparant de plus en plus aux observations, à la vraie connaissance des
+mouvemens célestes, qui n'était point susceptible d'être jamais obtenue
+d'une manière directe. Or, on ne pouvait, évidemment, adopter une
+hypothèse plus simple qui, représentant à peu près l'ensemble des
+premières observations, fût plus aisément susceptible de leur être,
+ensuite, extrêmement confrontée par la géométrie alors naissante. Telle
+est la valeur réelle de cette hypothèse fondamentale, qui a d'abord
+constitué la science astronomique, que nous l'employons encore
+aujourd'hui, quand nous voulons nous contenter d'une première
+approximation, toutes les fois, par exemple, que nous ébauchons la
+théorie d'un nouvel astre.
+
+Mais, par les progrès mêmes que permettait l'usage d'une telle
+hypothèse, on ne dut pas tarder à reconnaître que les planètes ne
+demeurent point à des distances invariables du centre de leurs
+mouvemens, et que leurs vitesses autour de lui ne sont pas constantes.
+Cette remarque générale dut être surtout hâtée par l'obligation qu'on
+s'était imposée de placer ce centre sur la terre; car, si l'on eût
+rapporté les mouvemens au soleil, ces irrégularités eussent été beaucoup
+moins prononcées, et, par conséquent, bien plus tard constatées. Dès
+lors, les astronomes grecs imaginèrent, pour représenter les phénomènes,
+de modifier leur hypothèse fondamentale par deux conceptions
+principales, dont chacune isolément permettait d'expliquer, jusqu'à un
+certain point, les irrégularités observées, et qui, surtout, combinées,
+pouvaient long-temps suffire à cette interprétation, tant que les
+progrès de la géométrie abstraite ne comportaient pas une confrontation
+mathématique entièrement rigoureuse. Ces deux hypothèses secondaires
+sont connues sous les noms d'excentrique, et d'épicycle. La première
+consiste à placer l'astre central à une certaine distance du centre
+géométrique des mouvemens circulaires et uniformes; ce qui suffit pour
+faire varier les rayons vecteurs ainsi que les vitesses angulaires,
+d'une manière à peu près conforme aux observations, tant que celles-ci
+n'ont pas atteint un certain degré de précision, et que, en même temps,
+la théorie du cercle n'a point fait exactement connaître la relation
+propre de ses coordonnées polaires. Dans la seconde conception, déjà
+indiquée par la leçon précédente, l'astre est supposé décrire
+immédiatement avec une vitesse constante la circonférence d'un petit
+cercle auxiliaire, dont le centre parcourt uniformément l'orbite
+primitive; d'où résulte une certaine variation nécessaire dans les
+mouvemens rapportés à l'astre central, même sans le déplacer du centre
+du cercle principal. Cette seconde hypothèse fournit plus de ressources
+que la première, puisqu'elle dispose de deux quantités arbitraires, au
+lieu de la seule excentricité. Elle est, d'ailleurs, beaucoup plus
+féconde; car, rien n'empêche, à chaque nouvelle découverte d'un défaut
+d'harmonie avec les observations, de créer un nouvel épicycle, comme
+l'ont fait effectivement, et au degré le plus abusif, les astronomes du
+moyen âge. Enfin, les deux hypothèses peuvent, évidemment, être réunies.
+
+À partir de l'époque où l'usage régulier de ces deux conceptions fut
+devenu dominant, il n'est pas douteux, ce me semble, que la philosophie
+métaphysique, à laquelle se rattachait l'hypothèse fondamentale, ait
+considérablement retardé les progrès de la science astronomique. Sans
+les mystiques chimères de cette philosophie sur la convenance absolue du
+mouvement circulaire et uniforme à l'égard des astres, on eût
+certainement tenté beaucoup plus tôt de sortir d'une hypothèse qui,
+n'ayant, à l'origine, d'autre mérite réel que celui de sa simplicité
+primitive, avait fini par présenter une complication presque
+inextricable, par la multiplication graduelle des épicycles successifs.
+Les inconvéniens de cette complication étaient déjà vivement sentis par
+tous les astronomes lors de la composition des tables pruténiques, et
+même à l'époque des tables alphonsines, comme l'indique clairement le
+mot célèbre et énergique du roi Alphonse. Néanmoins, l'influence
+prépondérante des préjugés métaphysiques prolongea l'emploi de cette
+théorie, jusqu'à ce qu'il fût devenu réellement impossible de la suivre
+davantage, lorsque, vers la fin du seizième siècle, le nombre total des
+cercles employés à l'explication des mouvemens célestes s'éleva jusqu'à
+74, pour les sept astres considérés alors; tandis que, en même temps,
+les progrès importans que Tycho introduisit dans toutes les observations
+astronomiques ne permirent plus de représenter suffisamment ainsi les
+mouvemens planétaires effectifs, malgré la multitude de quantités
+arbitraires dont les astronomes pouvaient disposer d'après un tel
+système. C'est ainsi que, même dans les sciences, les hommes ne se
+déterminent à changer radicalement leurs institutions primitives
+(surtout quand elles n'ont pas été rationnellement établies), que
+lorsqu'elles ont enfin complètement cessé de remplir l'office auquel
+elles étaient destinées, et après que les nombreuses modifications dont
+on les avait, à cet effet, successivement surchargées, sont évidemment
+devenues impuissantes.
+
+Tel était l'état de l'astronomie avant le grand rénovateur Képler, qui,
+le premier après vingt siècles, osa reprendre, de fond en comble, le
+problème général des mouvemens planétaires, en regardant tous les
+travaux antérieurs comme non-avenus, et n'adoptant d'autre base
+générale que le système complet d'observations exactes auquel la vie de
+son illustre précurseur, Tycho-Brahé, venait d'être si noblement
+dévouée. Malgré la hardiesse naturelle de son génie, ses écrits nous
+montrent, dans leur admirable naïveté, combien il avait besoin d'exciter
+son enthousiasme pour soutenir l'exécution d'une entreprise aussi
+audacieuse et aussi difficile, quoique si éminemment rationnelle.
+
+Le choix que fit Képler de la planète Mars, pour son système de
+recherches astronomiques, était extrêmement heureux, à cause de
+l'excentricité plus prononcée de cette planète, qui devait rendre plus
+facile à saisir la vraie loi des inégalités. Mercure, à la vérité, est
+encore plus excentrique; mais la difficulté de l'observer d'une manière
+assez suivie, ne permettait pas de l'employer.
+
+Il s'agit donc maintenant de considérer directement les trois grandes
+lois fondamentales, découvertes par Képler au sujet de Mars, et qu'il
+étendit ensuite à tous les autres mouvemens intérieurs de notre système.
+L'ordre suivant lequel on les dispose habituellement aujourd'hui n'est
+point indifférent: c'est celui dans lequel elles servent à fonder la
+mécanique céleste, comme le montrera la leçon prochaine. Sous le point
+de vue purement géométrique, les deux premières suffisent pour
+déterminer complètement le mouvement propre à chaque planète, l'une en
+réglant sa vitesse à chaque instant, l'autre en fixant la figure de
+l'orbite. La troisième loi est destinée à établir une harmonie
+fondamentale entre tous les divers mouvemens planétaires.
+
+_Première loi._ On avait depuis long-temps remarqué que la vitesse
+angulaire de chaque planète, c'est-à-dire, l'angle plus ou moins grand
+décrit, en un temps donné, par son rayon vecteur, augmente constamment à
+mesure que l'astre s'approche davantage du centre de son mouvement: mais
+on ignorait entièrement la relation exacte entre les distances et les
+vitesses. Képler la découvrit, en comparant les deux cas extrêmes du
+_maximum_ et du _minimum_ de ces quantités, où leur vraie liaison devait
+être, en effet, plus sensible. Il reconnut ainsi que les vitesses
+angulaires de Mars, à son périhélie et à son aphélie, sont inversement
+proportionnelles aux quarrés des distances correspondantes. Cette loi,
+saisie par son génie dans le simple rapprochement de deux seules
+observations, fut ensuite vérifiée pour toutes les positions
+intermédiaires de Mars, et, plus tard, étendue à toutes les autres
+planètes. Son exactitude a été constatée depuis par l'expérience
+habituelle de tous les astronomes. Elle est ordinairement présentée
+sous une autre forme géométrique, imaginée par Képler lui-même. Au lieu
+de dire que la vitesse angulaire d'une planète quelconque est, à chaque
+point de son orbite, en raison inverse du quarré de la distance au
+soleil, on préfère exprimer, plus simplement, que l'aire tracée, en un
+temps donné et très court, chaque jour par exemple, par le rayon vecteur
+de la planète, est d'une grandeur constante, quoique sa forme soit
+variable: ou, en d'autres termes, que les aires décrites croissent
+proportionnellement aux temps écoulés. Cet énoncé n'est évidemment
+qu'une heureuse transformation géométrique de l'énoncé primitif. Car, en
+choisissant un temps assez court pour que le mouvement de l'astre puisse
+être envisagé comme momentanément circulaire autour du soleil, il est
+clair que l'aire qu'engendre le rayon vecteur est proportionnelle au
+produit de la vitesse angulaire par le quarré de la distance; et
+qu'ainsi la réciprocité des deux facteurs équivaut à l'invariabilité du
+produit.
+
+En détruisant radicalement la prétendue uniformité des mouvemens
+célestes, Képler a donc satisfait aux besoins fondamentaux de l'esprit
+humain en la remplaçant par une analogie du même ordre et plus réelle:
+la constance n'a plus été dans les arcs décrits, mais dans les aires
+tracées. On a même judicieusement remarqué à ce sujet que cette loi
+nouvelle, quoique moins simple en apparence, était, au fond, beaucoup
+plus favorable pour faciliter la solution effective du problème
+géométrique des planètes. Car, avec la vraie figure des orbites
+planétaires, et même en conservant des cercles excentriques, l'égalité
+des arcs eût, en réalité, bien moins simplifié le travail que ne l'a
+fait l'égalité des aires.
+
+_Seconde loi._ La véritable nature des orbites était peut-être moins
+difficile à découvrir. Car, il suffit essentiellement, à un homme tel
+que Képler, d'avoir enfin bien senti, d'une manière franche et complète,
+la nécessité d'abandonner irrévocablement les mouvemens circulaires, ce
+à quoi l'on conçoit d'ailleurs aisément qu'il n'a pu parvenir tout d'un
+coup. C'est là qu'on peut apercevoir clairement la funeste influence des
+préjugés métaphysiques pour entraver la marche de Képler, en le faisant
+si souvent hésiter, dans ses diverses tentatives, à renoncer
+définitivement au mouvement circulaire. Mais, cette condition préalable
+une fois remplie, il était fort naturel d'essayer l'ellipse, la plus
+simple de toutes les courbes fermées après le cercle, qui n'en est
+qu'une modification.
+
+La théorie abstraite de cette courbe avait été heureusement poussée
+assez loin par les géomètres grecs pour qu'il devînt possible de la
+reconnaître avec certitude dans les orbites planétaires. Il ne pouvait y
+avoir une longue hésitation sur la place que le soleil devait occuper.
+Car, on ne pouvait, évidemment, lui assigner que deux positions
+remarquables, ou le centre, ou l'un des deux foyers. Or, une réflexion
+générale sur les mouvemens célestes excluait immédiatement le centre,
+sans avoir besoin d'aucun travail mathématique. Car, dans cette
+hypothèse, l'orbite présenterait deux périhélies diamétralement opposés,
+ainsi que deux aphélies; et chaque périhélie serait à quatre-vingt-dix
+degrés seulement, au lieu de cent quatre-vingt degrés, de chaque
+aphélie, ce qui est trop manifestement contraire à l'ensemble des
+observations, même les plus grossières, pour pouvoir être un seul
+instant supposé. Voilà comment Képler, en adoptant les orbites
+elliptiques, fut nécessairement conduit à placer le soleil au foyer,
+pour toutes les planètes à la fois. Quand son hypothèse eut été ainsi
+bien formée, il devint aisé d'en constater la justesse, en la comparant
+aux observations, par des calculs dont tous les principes étaient posés
+d'avance.
+
+Telle est donc la seconde loi de Képler: les orbites planétaires
+elliptiques, ayant le soleil pour foyer commun. Les excentricités sont
+toujours fort petites pour les planètes proprement dites, excepté à
+l'égard de deux des quatre planètes télescopiques, dans lesquelles la
+distance des foyers s'élève jusqu'à un quart du grand axe. Cette belle
+loi fut long-temps méconnue par la plupart des astronomes, même de ceux
+qui sentaient vivement la nécessité d'abandonner les mouvemens
+circulaires, et qui faisaient, à cet effet, dans une autre direction que
+Képler, d'infructueuses tentatives. Dominique Cassini lui-même, plus
+d'un demi-siècle après, eut la malheureuse idée de remplacer l'ellipse
+de Képler par une courbe du quatrième degré, grossièrement semblable, en
+certains cas, à l'ellipse, et dans laquelle le produit des distances aux
+deux foyers, au lieu de leur somme, reste invariable[9]. Mais,
+l'expérience journalière de tous les astronomes a démontré depuis
+combien était exacte la découverte de Képler, qui d'ailleurs, avait déjà
+donné à cet égard les preuves les plus irrécusables, en construisant,
+d'après ses deux premières lois, les célèbres tables rudolphines, qui
+représentaient l'ensemble des observations avec bien plus de précision
+que toutes les tables antérieures.
+
+ [Note 9: Le nom bizarre de _cassinoïde_, donne à cette
+ courbe par quelques écrivains, a tendu à éterniser le
+ souvenir de l'erreur fondamentale de ce célèbre astronome.]
+
+_Troisième loi._ Les deux lois précédentes déterminent entièrement la
+course de chaque planète, considérée séparément, d'après le petit nombre
+de constantes nécessaires pour la caractériser. Mais, les mouvemens des
+diverses planètes autour du foyer commun restaient encore complètement
+isolés les uns des autres, toutes ces constantes paraissant avoir des
+valeurs essentiellement arbitraires. Képler, qui, de tous les hommes
+peut-être, a possédé au plus haut degré le génie analogique, chercha (ce
+que les anciens n'avaient jamais tenté, même grossièrement) à établir
+entre tous ces mouvemens si différens, une certaine harmonie exacte et
+fondamentale. Tel est l'objet de sa troisième loi.
+
+Plusieurs philosophes ont pensé (et j'avoue l'avoir d'abord cru
+moi-même), que les vagues conceptions de la métaphysique sur les
+harmonies mystiques de l'univers n'avaient pas été inutiles à cette
+sublime découverte, en excitant les recherches de Képler sur la relation
+entre les temps périodiques des diverses planètes et leurs moyennes
+distances. Mais, en examinant plus profondément ce point intéressant de
+l'histoire de l'esprit humain, il est aisé, ce me semble, de se
+convaincre du contraire. Long-temps avant Képler, la philosophie
+métaphysique avait entièrement cessé d'avoir, en astronomie, aucune
+utilité réelle. Elle n'eût pu servir, en cette occasion, qu'à soutenir
+la constance de ses travaux, par la persuasion préalable de l'existence
+certaine d'une harmonie quelconque à cet égard. Or, sous ce rapport,
+elle était complètement inutile, puisque beaucoup d'astronomes avaient
+déjà remarqué que les révolutions planétaires sont toujours d'autant
+plus lentes que les orbites ont plus d'étendue, ce qui suffisait,
+évidemment, à Képler, pour motiver, à ce sujet, une recherche
+mathématique. Il est clair, au contraire, que les considérations
+métaphysiques ont considérablement retardé sa marche, en lui faisant
+chercher avec une longue obstination, des harmonies qui ne pouvaient
+avoir aucune réalité. En suivant d'abord la direction positive, comme il
+finit par le faire, après s'être si long-temps égaré dans ces recherches
+chimériques, sa découverte n'eût certainement point exigé dix-sept ans
+de travaux assidus. Ayant préalablement reconnu que les temps
+périodiques des diverses planètes croissent plus rapidement que leurs
+moyennes distances au soleil, il suffisait d'essayer successivement,
+parmi les diverses puissances du demi-grand axe, celle à laquelle la
+durée de la révolution devait être proportionnelle. L'ensemble des
+données du problème excluait d'abord les puissances entières, en
+montrant que les temps périodiques croissent moins rapidement que les
+quarrés des moyennes distances. Képler était ainsi naturellement conduit
+à essayer l'exposant 3/2, le plus simple de tous les exposans entre 1 et
+2. C'est par là qu'il découvrit enfin que les quarrés des temps des
+révolutions sidérales de toutes les diverses planètes sont exactement
+proportionnels aux cubes des demi-grands axes de leurs orbites: loi que
+les observations postérieures ont toujours entièrement confirmée. On
+voit que les conceptions métaphysiques furent, en réalité, parfaitement
+étrangères à sa découverte, et que, loin d'y guider Képler, elles l'en
+détournèrent long-temps.
+
+Outre la destination fondamentale de cette grande loi pour la mécanique
+céleste, comme nous l'indiquerons dans la leçon suivante, elle présente
+évidemment, en géométrie céleste, cette importante propriété directe, de
+permettre de déterminer, l'un par l'autre, le temps périodique et la
+moyenne distance de toutes les diverses planètes, quand ces deux élémens
+ont été d'abord bien observés à l'égard d'une seule planète quelconque.
+C'est ainsi, par exemple, qu'on a pu évaluer très promptement la durée
+de la révolution d'Uranus, une fois que sa distance au soleil a été
+mesurée, sans avoir besoin d'attendre l'accomplissement si lent d'une
+révolution entière, qui a seulement servi plus tard à confirmer le
+résultat primitif. De même, en sens inverse, si l'on venait à découvrir
+quelque nouvelle planète très rapprochée du soleil, il suffirait
+d'observer la durée très courte de sa révolution sidérale, pour en
+conclure immédiatement la valeur de sa distance, dont la détermination
+directe serait alors embarrassante. Les astronomes font continuellement
+usage de cette double faculté, que la troisième loi de Képler leur a
+procurée.
+
+Telles sont les trois lois générales qui serviront éternellement de base
+à la géométrie céleste pour l'étude rationnelle des mouvemens
+planétaires, et qui régissent aussi, exactement de la même manière, les
+mouvemens des satellites autour de leurs planètes, en plaçant l'origine
+des aires ou le foyer de l'ellipse au centre de la planète
+correspondante. Depuis que l'admirable génie de Képler nous les a
+dévoilées, le nombre total des astres de notre monde, sans même y
+comprendre les comètes, a plus que triplé; et cette multiplicité
+d'épreuves aussi inattendues n'a fait que confirmer successivement de
+plus en plus leur profonde justesse. Leur ensemble a réduit toute notre
+détermination des mouvemens de translation de ces corps, à un simple
+problème de géométrie (dont les difficultés abstraites sont d'ailleurs
+considérables), qui n'emprunte plus à l'observation directe que les
+données fondamentales strictement indispensables: ce qui a imprimé à
+l'astronomie un caractère profondément rationnel. Ces données sont, pour
+chaque astre, au nombre de six: 1º. deux, déjà envisagées dans la
+vingt-unième leçon, relativement au plan de l'orbite, déterminé
+habituellement par la longitude de l'un ou l'autre noeud, et par
+l'inclinaison à l'écliptique; 2º. la longitude du périhélie, qui fixe la
+direction de l'orbite dans son plan; 3º. le rapport de la distance
+focale au grand axe, qui caractérise la forme de l'ellipse décrite; 4º.
+la moyenne distance au soleil, c'est-à-dire le demi-grand axe de cette
+ellipse, qui définit entièrement sa grandeur; 5º. enfin, la durée de la
+révolution sidérale, indiquant suffisamment la vitesse moyenne de
+l'astre. Nous devons regarder, dans cette leçon, tous ces élémens
+fondamentaux comme rigoureusement constans, l'étude des légères
+variations qu'ils subissent progressivement étant le principal objet
+définitif de la mécanique céleste, quoique plusieurs aient d'abord été
+appréciées, avec plus ou moins d'exactitude, par la simple observation
+directe. D'après ces élémens, il suffit de connaître une seule position
+de chaque astre, pour que toute sa course se trouve être géométriquement
+définie: ce que les astronomes font ordinairement, en se bornant à
+indiquer la longitude de l'astre à une époque donnée.
+
+Quoiqu'il soit évident, en thèse générale, que l'étude des mouvemens
+intérieurs de notre monde est ainsi entièrement tombée sous le ressort
+de la géométrie abstraite, il n'en est pas moins indispensable de
+considérer ici la nature spéciale de ce grand problème géométrique,
+suivant les principaux cas généraux qu'il doit présenter, sans entrer
+d'ailleurs dans aucun détail de solution, incompatible avec l'esprit et
+la destination de cet ouvrage. Il faut distinguer, à cet effet, trois
+cas essentiels, que je range ici dans l'ordre astronomique de leur
+difficulté croissante: le cas des planètes proprement dites, celui des
+satellites, et enfin celui des comètes. Nous devons nous borner ici à
+caractériser nettement les différences essentielles que présente à cet
+égard le problème général de la géométrie céleste. En outre, on doit
+reconnaître préalablement que, par sa nature, ce problème se décompose
+toujours en deux questions distinctes, inverses l'une de l'autre: 1º.
+étant donnés les élémens astronomiques de l'orbite, déterminer tout ce
+qui concerne la course entière de l'astre, ce qui est la recherche la
+plus ordinaire à l'égard des astres anciennement connus; 2º.
+réciproquement, comme on doit surtout le faire envers tout astre
+nouvellement étudié, trouver les valeurs de tous ces divers élémens,
+d'après l'observation d'une partie suffisamment étendue de la course de
+l'astre. Il importe fort peu d'ailleurs laquelle de ces deux questions
+essentielles sera placée avant l'autre.
+
+_Problème des planètes._ La difficulté bien moindre que présente l'étude
+géométrique des mouvemens des planètes proprement dites résulte
+uniquement de la faible excentricité de leurs orbites, et de la petite
+inclinaison des plans correspondans, seuls caractères essentiels qui,
+aux yeux des astronomes, les distinguent réellement des comètes. Ces
+deux circonstances caractéristiques facilitent beaucoup la solution
+précise du problème, en permettant, dans les divers développemens
+analytiques qu'elle exige, de s'en tenir aux premières puissances des
+inclinaisons et des excentricités. En même temps, sous le point de vue
+mécanique, les perturbations étant, en général, comme nous le verrons,
+bien plus petites, par une suite nécessaire de ces mêmes conditions, on
+conçoit que la solution doit naturellement avoir plus d'exactitude.
+
+En supposant d'abord que tous les élémens astronomiques de la planète
+soient donnés, il est clair que, partant d'une position connue, on
+pourra calculer, par la combinaison des deux premières lois de Képler,
+en quel lieu se trouvera l'astre à telle époque, ou, au contraire, en
+combien de temps il se transportera de telle situation à telle autre. La
+difficulté consiste essentiellement dans cette question relative à la
+théorie de l'ellipse: trouver l'angle compris entre deux rayons vecteurs
+qui forment un secteur elliptique dont l'aire est donnée, ou,
+réciproquement, passer de l'angle à l'aire. Ce problème fondamental, si
+justement désigné sous le nom de _Problème de Képler_, ne peut être
+résolu que par approximation dans l'état présent de l'analyse
+mathématique, car il dépend d'une intégration qu'on ne sait point
+jusqu'ici effectuer en termes finis. Les astronomes emploient encore, à
+cet égard, des transformations géométriques essentiellement semblables à
+celles imaginées par Képler.
+
+Une ellipse, dont le foyer est donné, étant suffisamment déterminée par
+trois quelconques de ses points, il est clair, en considérant maintenant
+la question inverse, que trois positions exactement observées d'une
+planète, doivent permettre de remonter à la connaissance de tous ses
+élémens astronomiques. Cette seconde recherche générale est susceptible
+d'une solution parfaitement rigoureuse, quoique, d'ailleurs, elle exige
+des calculs fort compliqués. L'orbite une fois géométriquement définie,
+la simple comparaison de l'aire comprise entre deux des trois rayons
+vecteurs primitifs, avec le temps employé par l'astre à passer de l'un à
+l'autre, suffira pour faire connaître, d'après la première loi de
+Képler, la durée totale de sa révolution, ce qui complétera la solution.
+Ici se reproduit d'ailleurs, dans l'évaluation de cette aire, la
+difficulté fondamentale du problème de Képler.
+
+En principe, trois positions quelconques sont strictement suffisantes.
+Mais il est d'abord évident que, la solution étant fondée sur la
+différence de ces positions, les résultats seraient trop incertains si
+l'on ne mettait point, entre les trois observations successives un
+notable intervalle, dont la valeur doit naturellement augmenter à mesure
+qu'il s'agit d'une planète plus lointaine. En second lieu, il est
+indispensable de connaître un plus grand nombre de positions
+suffisamment distinctes, au moins cinq ou six, afin de se procurer des
+moyens de vérifier et de rectifier les premiers résultats par les
+diverses combinaisons ternaires des observations effectuées, dont le
+degré d'accord mesurera l'exactitude de l'opération.
+
+Cette double nécessité entraînant le besoin d'un temps plus ou moins
+considérable, et, en certains cas, très long, pour l'exacte
+détermination définitive d'une orbite planétaire, les astronomes ont
+senti l'importance d'employer d'abord provisoirement, comme guide
+général de leurs observations, l'antique hypothèse du mouvement
+circulaire et uniforme, dans toute sa simplicité primitive, qui présente
+le précieux avantage de pouvoir être beaucoup plus facilement calculée,
+d'après deux positions seulement, contrôlées, tout au plus, si on le
+juge à propos, par une troisième. On peut même avant tout, ce qui est
+encore plus simple, commencer par regarder, pendant un temps très court,
+la route de l'astre comme rectiligne; et les astronomes l'ont fait
+quelquefois avec succès, pour discerner tout d'un coup, surtout envers
+un astre nouveau, dans quelle partie du ciel il doit être observé
+prochainement. Mais, c'est seulement lorsqu'on se borne à des procédés
+graphiques, qui suffisent à un tel but, que cette hypothèse peut être
+utilement employée. Quant aux calculs, l'hypothèse circulaire méritera
+seule d'être considérée, puisqu'elle s'y adapte avec presque autant de
+facilité, et que, d'ailleurs, elle représente infiniment mieux le vrai
+mouvement, pour une bien plus grande portion de la course totale. Quoi
+qu'il en soit, on voit clairement par là que l'astronomie moderne, en
+détruisant sans retour les hypothèses primitives, envisagées comme lois
+réelles du monde, a soigneusement maintenu leur valeur positive et
+permanente, la propriété de représenter commodément les phénomènes quand
+il s'agit d'une première ébauche. Nos ressources à cet égard sont même
+bien plus étendues, précisément à cause que nous ne nous faisons aucune
+illusion sur la réalité des hypothèses; ce qui nous permet d'employer
+sans scrupule, en chaque cas, celle que nous jugeons la plus
+avantageuse.
+
+_Problème des satellites._ Les lois de Képler, dans leur application aux
+satellites, ne concernent que les mouvemens relatifs de chaque satellite
+autour de sa planète, envisagée comme immobile. Ainsi, la difficulté
+supérieure du problème des satellites a évidemment pour cause
+fondamentale la nécessité de tenir compte du déplacement continuel du
+foyer de leurs orbites elliptiques, si l'on veut réellement parvenir à
+représenter par des tables effectives la suite de leurs positions, comme
+les astronomes l'ont toujours finalement en vue dans leurs travaux. À
+cela près, et la course de la planète correspondante étant préalablement
+connue, la marche générale de la solution est d'ailleurs entièrement
+analogue, dans l'une et l'autre des deux questions inverses, à celle
+ci-dessus caractérisée, puisque les mêmes circonstances essentielles, de
+la petitesse des excentricités et des inclinaisons, se reproduisent ici.
+Mais cette mobilité du foyer de l'ellipse décrite doit nécessairement
+compliquer beaucoup la recherche, en regardant même, ainsi qu'il
+convient à la leçon actuelle, tous les élémens astronomiques comme
+constans, quoique leurs variations soient bien plus prononcées qu'à
+l'égard des planètes. Heureusement l'extrême rapidité de la circulation
+des satellites compense un peu, dans la plupart des cas, cet
+accroissement général de difficulté, en permettant de déterminer, par
+des observations immédiates fréquemment renouvelées, leurs principaux
+élémens. La première approximation, qui consiste ici, en regardant
+d'ailleurs le mouvement comme toujours circulaire et uniforme, à
+négliger entièrement le déplacement de la planète pendant
+l'accomplissement d'une révolution entière, est peut-être même plus
+facile alors qu'en aucun autre cas.
+
+La difficulté fondamentale du problème des satellites doit, évidemment,
+présenter des degrés très inégaux, à raison de la disproportion plus ou
+moins grande entre le temps périodique de chaque satellite et celui de
+la planète correspondante. Si l'on compare, par exemple, le premier
+satellite d'Uranus avec le dernier satellite de Jupiter, on voit que
+celui-ci emploie deux fois plus de temps que l'autre à faire le tour de
+sa planète, qui, d'un autre côté circule autour du soleil sept fois plus
+rapidement. Il y aura donc, sans doute, beaucoup moins d'inconvénient à
+traiter le premier comme s'il tournait autour d'un foyer immobile; et,
+lorsqu'on voudra tenir compte du déplacement, son influence réelle étant
+bien moindre, on obtiendra par des calculs moins pénibles le même degré
+d'approximation. Aucun cas ne présente à cet égard, par sa nature,
+autant de difficultés que celui de la lune, dont la théorie a toujours
+fait, même sans compter les perturbations, le plus grand embarras des
+astronomes, et dont cependant l'étude exacte nous importe davantage que
+celle de tout autre satellite. Il est clair, en effet que, le temps
+périodique de la lune étant seulement treize fois moindre environ que
+celui de la terre, le déplacement de la planète a ici une extrême
+influence sur les positions successives du satellite. La disproportion
+des deux mouvemens est infiniment supérieure envers tous les autres
+satellites.
+
+_Problème des comètes._ Les comètes ne se distinguent essentiellement
+des planètes proprement dites, comme je l'ai indiqué plus haut, que par
+la très grande excentricité de leurs orbites, et les inclinations
+presque illimitées des plans qui les contiennent. La petitesse si
+prononcée et si constante de leurs masses, indiquée par la mécanique
+céleste, n'est pas même un caractère vraiment exclusif, puisque les
+quatre planètes télescopiques n'ont point probablement des masses
+supérieures à celles de presque toutes les comètes. Toutes les autres
+circonstances, et surtout celles qui attirent principalement l'attention
+vulgaire à l'égard des comètes, sont secondaires et accidentelles, et
+manquent d'ailleurs dans plusieurs de ces corps, outre qu'elles ne
+sauraient exercer aucune sorte d'influence sur leur étude astronomique.
+C'est même de l'extrême excentricité des orbites cométaires, comparée à
+la faible excentricité des orbites planétaires, que doit résulter
+l'ensemble des différences les plus importantes entre les planètes et
+les comètes quant à leur constitution physique et chimique,
+essentiellement fixe, d'après cela, dans les premières, et, au
+contraire, éminemment variable dans les dernières. Les philosophes qui
+ont regardé les comètes comme habitables n'ont point suffisamment
+considéré, ce me semble, l'influence physiologique de cette distinction
+fondamentale. D'après tout ce que nous connaissons de positif jusqu'ici
+sur les lois de la vie, son existence doit être jugée radicalement
+incompatible avec une aussi énorme variation dans l'ensemble des
+circonstances extérieures, sous les rapports thermométriques,
+hygrométriques, barométriques, et probablement électriques et chimiques,
+que celle qui doit nécessairement avoir lieu lors du passage,
+quelquefois très rapide, d'une comète de son périhélie à son aphélie ou
+réciproquement.
+
+On conçoit aisément, du point de vue astronomique, la difficulté
+nouvelle que doivent introduire, dans l'étude des mouvemens, ces deux
+caractères essentiels des comètes, si peu intéressans en apparence.
+Indépendamment des perturbations bien plus grandes qui en sont la suite
+nécessaire, et que nous ne devons point considérer encore, il est clair
+que l'obligation de ne rien négliger, à l'égard des excentricités et des
+inclinaisons, doit rendre les calculs purement géométriques presque
+inextricables dans l'exécution, quoique d'ailleurs la théorie soit
+entièrement semblable à celle des planètes. Il est remarquable toutefois
+que, même dans ce cas, l'hypothèse circulaire puisse être encore
+réellement employée pour diriger les premières observations, quoiqu'il
+faille évidemment la restreindre à un temps beaucoup plus court. C'est
+par l'emploi de cette hypothèse, à laquelle Tycho s'était borné, qu'il
+démontra, le premier, contrairement à tous les préjugés philosophiques,
+que les comètes sont de véritables astres, aussi réguliers dans leur
+cours que les planètes elles-mêmes, quoique d'une étude plus difficile,
+après qu'il eut d'abord établi, par l'évaluation grossièrement approchée
+de leurs distances, qu'on ne saurait y voir des météores atmosphériques.
+
+Mais, la première ébauche de la théorie des comètes se fait
+essentiellement aujourd'hui à l'aide d'une nouvelle hypothèse, imaginée
+par Newton, et qui leur est spécialement adaptée, à raison même de la
+forme très allongée de leurs orbites elliptiques. C'est l'hypothèse
+parabolique, qui, moins simple sans doute que l'hypothèse circulaire,
+représente nécessairement beaucoup mieux la course de l'astre, jusqu'à
+une assez grande distance de son périhélie. On conçoit, en effet, que
+l'ellipse d'une comète, vu sa grande excentricité, doit peu s'écarter,
+depuis son périhélie jusqu'à environ quatre-vingt-dix degrés de là, de
+la parabole qui aurait le même sommet et le même foyer: c'est seulement
+plus loin que la distance des deux courbes devient de plus en plus
+considérable, et bientôt immense, quelque allongée que puisse être
+l'ellipse. La parabole peut donc suffisamment correspondre aux positions
+effectives de l'astre pendant cette première partie de sa course, dont
+elle simplifie extrêmement l'étude, d'après l'ensemble des propriétés
+géométriques de cette courbe, bien plus facile à traiter que l'ellipse.
+Cette substitution provisoire est d'autant plus heureuse, qu'elle
+convient précisément à la seule portion qui intéresse vivement la
+curiosité publique, l'astre n'étant plus ordinairement assez éclairé,
+lorsqu'il s'écarte davantage du soleil, pour être visible de la terre à
+l'oeil nu.
+
+Pour employer une telle hypothèse, il suffit évidemment, d'après la
+nature de la parabole, d'avoir observé la comète dans deux positions
+différentes, comme s'il s'agissait du cercle. On en déduit alors
+géométriquement tous les élémens ordinaires, sauf bien entendu, le temps
+périodique, et le grand axe étant remplacé par la distance du sommet au
+foyer. Ce sont ces cinq élémens qui servent aux astronomes de
+signalement ordinaire pour reconnaître ou distinguer les comètes dans
+leurs apparitions successives, quoique les variations considérables
+qu'ils sont susceptibles d'éprouver en réalité puissent souvent induire
+en erreur à ce sujet, et qu'elles aient probablement conduit en effet à
+multiplier beaucoup trop le nombre des comètes. Enfin, le problème de
+Képler, qui comporte alors une solution rigoureuse et même facile,
+déterminant l'aire décrite pendant l'intervalle connu des deux
+observations primitives, achève de régler tout ce qui concerne la course
+de l'astre, en faisant apprécier sa vitesse, ce qui permet dès lors à
+nos calculs de le devancer dans toutes ses positions successives,
+jusqu'aux limites naturelles de l'hypothèse parabolique.
+
+C'est dans cet esprit que la théorie géométrique des comètes est
+habituellement traitée; car, sur le très grand nombre de comètes
+actuellement connues et paraboliquement caractérisées, il n'y en a pas
+dix dont les orbites elliptiques soient jusqu'ici bien établies, tant
+est extrême la difficulté mathématique de la solution rigoureuse.
+Néanmoins, sans la théorie elliptique on ne saurait, évidemment,
+atteindre à la partie la plus intéressante de cette recherche, la
+prévision exacte des retours, d'après l'évaluation du temps périodique.
+Il faut même reconnaître, à cet égard, que la durée de la révolution
+sidérale constitue le trait le plus caractéristique, et peut-être le
+seul vraiment décisif, du signalement d'une comète; car, malgré les
+perturbations dont cet élément est aussi susceptible, il varie beaucoup
+moins que les divers élémens paraboliques.
+
+On conçoit, par cet ensemble de considérations, quelle est jusqu'ici
+l'imperfection nécessaire de la théorie des comètes, comparée à celle
+des planètes.
+
+Tels sont, dans leurs caractères essentiels, les trois cas généraux que
+présente l'application des lois de Képler au problème fondamental de la
+géométrie céleste. C'est ainsi que l'astronomie a pu parvenir à assigner
+mathématiquement, pour la suite entière des temps, ou futurs ou passés,
+la position qu'occupe, en un instant donné, l'un quelconque des divers
+astres qui composent le système solaire dont nous faisons partie.
+D'après ces déterminations fondamentales, il devient aisé de comprendre,
+en thèse générale, comment tous les phénomènes secondaires qui peuvent
+résulter de la situation mutuelle de plusieurs de ces corps ont dû être
+exactement calculés et prévus, d'une manière entièrement rationnelle.
+Les principaux de ces aspects sont les éclipses de diverses sortes,
+qu'entraîne naturellement le passage de ces astres les uns devant les
+autres par rapport à nous. L'exactitude et la rationnalité de leur
+prévision ont toujours été le critérium évident et décisif d'après
+lequel la perfection effective des théories astronomiques est devenue
+facilement appréciable, même par le vulgaire, puisqu'un tel résultat
+suppose nécessairement une profonde connaissance réelle des lois
+géométriques que suivent, dans leurs mouvemens, les deux ou les trois
+astres qui concourent au phénomène. À la vérité, tous les événemens
+célestes sont, par leur nature, essentiellement périodiques, puisque les
+orbites sont toujours nécessairement des courbes fermées. Ainsi, la
+notion empirique et grossière de quelques périodes qui reproduisent à
+peu près certains genres d'éclipses, a pu devenir, dès la première
+enfance de l'astronomie, un moyen direct de prédiction fort imparfait;
+ce qui a souvent trompé les érudits sur l'étendue des connaissances de
+quelques castes antiques, quoique cela ne supposât essentiellement
+d'autre découverte que celle d'une écriture quelconque pour tenir
+registre des événemens observés. Mais, il ne saurait évidemment être
+question ici de ce procédé anti-géométrique, fondé sur des périodes très
+mal observées à l'origine, et d'ailleurs réellement variables, qui
+pourrait tout au plus indiquer vaguement, même aujourd'hui, le jour de
+l'événement. Il s'agit uniquement de prédictions vraiment mathématiques,
+qui n'ont pu commencer que dans l'immortelle école d'Alexandrie; et dont
+le degré de précision, à l'heure, à la minute, et enfin à la seconde,
+représente fidèlement en effet les grandes phases historiques du
+perfectionnement graduel de l'ensemble de la géométrie céleste. Voilà ce
+qui, abstraction faite de toute application à nos besoins, fera
+toujours, de l'observation des éclipses, un spectacle aussi intéressant
+pour les vrais philosophes que pour le public lui-même, et par des
+motifs que la propagation de l'esprit positif rendra, j'espère, de plus
+en plus, essentiellement analogues, quoique inégalement énergiques.
+
+Indépendamment de la haute utilité pratique de cette classe générale de
+phénomènes au sujet du grand problème des longitudes, quelques-uns
+d'entre eux sont devenus, depuis un siècle, susceptibles d'une
+destination scientifique fort importante, en fournissant, comme je l'ai
+annoncé dans l'avant-dernière leçon, les meilleurs moyens de déterminer
+avec exactitude la distance du soleil à la terre, donnée si
+indispensable à toute notre astronomie.
+
+Quand le soleil est plus ou moins éclipsé par un astre quelconque, soit
+qu'il s'agisse d'une éclipse très apparente, comme celles que produit la
+lune, soit, au contraire, que le phénomène se réduise à obscurcir un
+seul point du disque solaire, d'une manière imperceptible à l'oeil nu,
+comme lors des passages de Vénus ou de Mercure entre le soleil et nous,
+l'observation de ces phénomènes, dont la théorie est, dans tous les cas,
+essentiellement identique, peut nous conduire à apprécier, plus
+exactement que par aucune autre voie, la parallaxe relative de cet astre
+et du soleil, et par suite la distance du soleil lui-même, d'après la
+différence, soigneusement mesurée, que doit présenter la durée totale du
+phénomène aux divers observatoires de notre globe. Considérons, en
+effet, que la théorie a d'abord déterminé cette durée pour le centre de
+la terre, qui verrait l'astre décrivant une certaine corde du disque
+solaire. Dès lors, par l'effet de la parallaxe, qui abaisse inégalement
+les deux astres, l'observateur situé à la surface du globe verra décrire
+une corde différente, ce qui changera la durée effective du phénomène.
+Or, dans les cas ordinaires, cet effet se trouvera nécessairement
+inverse pour deux lieux situés de part et d'autre de l'équateur
+terrestre. Car, si la parallaxe relative rapproche la corde du centre du
+disque, à l'égard de l'un de nos hémisphères, et, conséquemment,
+augmente la durée mathématique du passage, elle l'en éloignera, au
+contraire, et diminuera cette durée, envers l'hémisphère opposé. Il y
+aura donc, sous ce rapport, une différence très appréciable entre deux
+lieux distincts, convenablement choisis parmi ceux qui permettent
+d'apercevoir le phénomène, et surtout d'un hémisphère à l'autre. Cette
+différence constatée, ne dépendant, évidemment, que de la parallaxe
+relative et de la vitesse angulaire, déjà bien connue, de l'astre
+considéré, conduira à l'évaluation de la première de ces deux quantités
+et, par suite, de la parallaxe horizontale du soleil.
+
+Tous les astres susceptibles de passer entre le soleil et nos yeux ne
+sont pas, à beaucoup près, également propres à une telle détermination.
+Il faut d'abord que la parallaxe relative ne soit pas trop considérable,
+afin que l'influence propre à la parallaxe solaire ne s'efface point,
+pour ainsi dire, vis-à-vis de celle de l'astre, dont la distance à la
+terre serait alors insuffisante à nous servir de base dans l'exacte
+évaluation de l'éloignement du soleil. D'un autre côté, cette parallaxe
+relative serait elle-même trop mal connue si elle ne surpassait pas
+notablement la parallaxe du soleil, qu'il vaudrait alors presque autant
+déterminer d'une manière directe; et d'ailleurs la différence des durées
+serait trop peu prononcée. Enfin, il faut aussi que le mouvement
+angulaire de l'astre soit assez lent, pour que, le phénomène se
+prolongeant long-temps, cette différence doive être très sensible.
+
+Parmi les trois seuls astres connus qui puissent ainsi éclipser le
+soleil, l'ensemble de ces motifs exclut, évidemment, la lune, et même
+Mercure, en sorte qu'il ne reste que Vénus. La parallaxe, dans une telle
+position, offre les proportions convenables, étant presque triple de
+celle du soleil; et la vitesse angulaire est assez petite pour que le
+phénomène, dont la durée totale est de six à huit heures, puisse
+présenter des différences de vingt minutes au moins entre deux
+observatoires bien choisis. Telle est la belle méthode imaginée par
+Halley, et pratiquée plus tard par divers astronomes. Le degré de
+précision du résultat se trouve, évidemment fixé d'après les
+considérations qui précèdent.
+
+J'ai cru devoir caractériser nettement cette application de la théorie
+géométrique des mouvemens célestes, à cause de son extrême importance
+pour le système entier de la science astronomique. Mais, il serait
+contraire à la nature de cet ouvrage d'y considérer spécialement aucune
+autre de ces questions secondaires, quelque grande que puisse être,
+d'ailleurs, leur utilité pratique.
+
+L'ensemble de ces phénomènes provoque naturellement une remarque
+philosophique fort essentielle, sur l'opposition nécessaire et de plus
+en plus prononcée de l'esprit positif contre l'esprit théologique ou
+métaphysique, à mesure que la géométrie céleste s'est perfectionnée
+davantage. Le caractère fondamental de toute philosophie théologique
+est d'envisager tous les phénomènes comme gouvernés par des volontés,
+et, par conséquent, comme éminemment variables et irréguliers, au moins
+virtuellement. Au contraire, la philosophie positive les conçoit comme
+assujettis, à l'abri de tout caprice, à des lois invariables, qui
+permettent de les prévoir exactement. L'incompatibilité radicale de ces
+deux manières de voir n'est, aujourd'hui, nulle part plus saillante qu'à
+l'égard des événemens célestes, depuis qu'on a pu les prévoir
+complètement et avec la dernière précision. En voyant toujours arriver
+les comètes et les éclipses, avec toutes les circonstances minutieuses
+exactement annoncées long-temps à l'avance, suivant les lois que le
+génie humain a su enfin créer d'après ses observations, le vulgaire
+lui-même doit être inévitablement entraîné à sentir que ces phénomènes
+sont soustraits à l'empire de toute volonté, qui n'aurait pu, sans
+doute, se subordonner aussi complaisamment à nos décisions
+astronomiques.
+
+Je me suis efforcé de caractériser aussi nettement que possible, dans
+cette leçon et dans les deux précédentes, le véritable esprit général
+de la géométrie céleste, envisagée sous ses divers aspects principaux,
+et en faisant complètement abstraction de toute considération mécanique.
+Il faut maintenant passer à l'examen philosophique, bien plus difficile
+et non moins important, de la théorie mécanique dont sont susceptibles
+aussi les phénomènes astronomiques, en concevant les résultats généraux
+de leur étude géométrique, si admirablement résumés par les trois lois
+de Képler, comme autant de faits fondamentaux, propres à nous conduire à
+une conception supérieure et unique. Cette seconde étude procure de
+nouvelles déterminations, qui, sans elle, nous seraient nécessairement
+interdites. Mais, sa principale influence scientifique est de réagir sur
+le perfectionnement de la géométrie céleste elle-même, en rendant ses
+théories plus précises, par suite de la liaison sublime qu'elle établit
+profondément entre tous les phénomènes intérieurs de notre monde, sans
+aucune exception. C'est ainsi que l'esprit humain en est enfin venu à
+regarder les lois de Képler elles-mêmes comme une sorte d'approximation,
+qui n'en conserve pas moins toute l'éminente valeur que nous lui avons
+assignée ici. Les divers élémens que ces lois supposent constans sont,
+en réalité, ainsi que j'ai dû déjà l'annoncer, susceptibles
+d'altérations plus ou moins étendues. La connaissance exacte des lois si
+complexes de leurs variations, constitue le principal résultat
+astronomique de la mécanique céleste, indépendamment de sa haute
+importance directe sous le rapport philosophique.
+
+
+
+
+VINGT-QUATRIÈME LEÇON.
+
+Considérations fondamentales sur la loi de la gravitation.
+
+Beaucoup d'esprits judicieux, auxquels la saine philosophie n'est point
+étrangère, mais qui n'ont pas une connaissance générale assez
+approfondie des conceptions mathématiques, se représentent encore
+l'étude mécanique des corps célestes comme étant nécessairement moins
+positive que leur étude géométrique; parce qu'ils la confondent, sans
+doute, avec la recherche inaccessible de l'origine et du mode de
+production des mouvemens, méprise que les expressions vicieuses trop
+souvent employées par les géomètres semblent tendre, il est vrai, à
+autoriser. Cependant, les lois fondamentales du mouvement, quoique plus
+difficiles à découvrir que celles de l'étendue, et connues bien
+long-temps après elles, ne sont, incontestablement, ni moins certaines
+ni moins universelles, ni d'une positivité moins évidente. Comment
+pourrait-il en être autrement de leur application? Tout déplacement
+curviligne d'un corps quelconque, d'un astre aussi bien que d'un boulet,
+peut être étudié sous ces deux points de vue, également mathématiques:
+géométriquement, en déterminant, d'après les observations directes, la
+forme de la trajectoire, et la loi suivant laquelle varie la vitesse,
+comme Képler l'a fait pour les corps célestes; mécaniquement, en
+cherchant la loi du mouvement qui empêche continuellement le corps de
+poursuivre sa route naturelle en ligne droite, et qui, combiné à chaque
+instant avec sa vitesse actuelle, lui fait décrire sa trajectoire
+effective, dès lors susceptible d'être connue _à priori_. Ces deux
+recherches sont, évidemment aussi positives l'une que l'autre, et
+pareillement fondées sur les phénomènes. Si dans la seconde, on se sert
+encore quelquefois de termes qui paraissent indiquer une enquête de la
+nature essentielle et de la cause première des mouvemens considérés,
+cette habitude blâmable, dernier vestige de l'esprit métaphysique à cet
+égard, ne doit pourtant pas faire illusion sur le vrai caractère
+fondamental d'une telle étude.
+
+À la vérité, le cas du boulet et celui de l'astre présentent entre eux
+cette différence essentielle, que, dans le premier, les deux mouvemens
+élémentaires dont se compose, à chaque instant, le mouvement effectif,
+sont préalablement bien connus, ce qui ne saurait avoir lieu dans
+l'autre cas. Mais, cette circonstance ne fait qu'introduire, dans la
+théorie mécanique de l'astre, une importante difficulté préliminaire de
+plus, exactement compensée par la parfaite connaissance géométrique de
+la trajectoire, qui manque immédiatement pour le boulet. Si la loi
+fondamentale de la chute des poids n'eût pas été découverte d'après une
+étude directe, la dynamique abstraite eût pu incontestablement la
+déduire, d'une manière tout aussi sûre, quoique moins facile, de
+l'observation des divers phénomènes que présentent les mouvemens
+curvilignes produits par la pesanteur, qui nous fournissent
+effectivement la meilleure mesure du coefficient numérique de cette loi.
+Ce qui serait simplement facultatif à l'égard du boulet, devient forcé à
+l'égard de l'astre; telle est, au fond, la seule différence réelle entre
+les deux cas.
+
+La mécanique céleste a donc été fondée sur une base inébranlable, quand,
+d'après les trois lois de Képler, désormais envisagées comme autant de
+faits généraux, on est parvenu à déterminer, par les règles de la
+dynamique rationnelle, la loi relative à la direction et à l'intensité
+de la force qui doit agir incessamment sur l'astre pour le détourner de
+sa route tangentielle. Cette loi fondamentale une fois découverte,
+toutes les recherches astronomiques sont rentrées dans la catégorie
+ordinaire des problèmes de mécanique, où l'on calcule les mouvemens des
+corps d'après les forces dont ils sont animés. Telle est la marche
+admirablement philosophique suivie, avec une si complète persévérance,
+par le génie du grand Newton. La leçon actuelle doit être
+essentiellement consacrée au premier ordre de considérations; le second
+sera l'objet exclusif des deux leçons suivantes.
+
+Pour se conformer rigoureusement à l'exactitude historique, il faut
+reconnaître, quoique cela n'altère en rien le sublime mérite des travaux
+de Newton, que la fondation réelle de la mécanique céleste avait été
+vaguement ébauchée par Képler lui-même, qui parut dignement pressentir
+la haute destination philosophique des lois géométriques qu'il avait
+établies. Il poussa, ce me semble, leur interprétation dynamique aussi
+loin que le permettait alors l'état si imparfait de la science
+mathématique. Il entrevit, en effet, la relation exacte de sa première
+loi avec le principe que la direction de la force accélératrice de
+chaque planète passe continuellement par le soleil, ce qui n'exige que
+les considérations mathématiques les plus élémentaires. Quant à la loi
+relative à l'intensité, qui constitue la difficulté essentielle de cette
+grande recherche, il était absolument impossible de la découvrir à cette
+époque. Néanmoins, Képler osa la chercher; mais, n'y pouvant suivre la
+marche positive, il s'abandonna à cette métaphysique qui avait déjà tant
+entravé ses travaux propres. Il serait superflu de rappeler ici sa
+chimérique conception des rayons attractifs, par laquelle il tenta de
+mesurer la force accélératrice des planètes, ni même son rapprochement,
+moins métaphysique, entre cette force et la pesanteur. Quand même ces
+considérations vagues et illusoires eussent fait accidentellement
+deviner la loi véritable, ce qui arriva à Bouillaud en rectifiant le
+propre raisonnement de Képler à ce sujet, cette circonstance
+insignifiante ne pouvait faciliter, en aucune manière, la découverte
+fondamentale de Newton, où il s'agissait réellement d'établir la
+correspondance mathématique entre la loi des orbites elliptiques ayant
+le soleil pour foyer, et celle de la variation de la force accélératrice
+inversement au carré de la distance; ce que de telles tentatives
+n'avaient nullement en vue. Les vrais précurseurs de Newton, sous ce
+rapport, sont Huyghens et surtout Galilée, comme fondateurs de la
+dynamique. Néanmoins, on peut remarquer avec intérêt comment le génie de
+Képler, après avoir parcouru une aussi belle carrière, en constituant
+définitivement la géométrie céleste, osa s'élancer aussitôt dans la
+carrière, toute différente et alors inaccessible, de la mécanique
+céleste, que la marche générale de l'esprit humain réservait si
+impérieusement à ses héritiers; succession d'efforts, dont l'histoire
+des sciences ne présente peut-être, dans tout son ensemble, aucun autre
+exemple aussi prononcé. Personne, d'ailleurs, ne sent plus profondément
+que moi la nullité radicale de toute semblable tentative.
+
+Dans un temps où l'on s'efforce chaque jour davantage de rabaisser au
+niveau des plus médiocres intelligences les plus hautes conceptions du
+génie humain, il est du devoir de tout vrai philosophe de se prononcer,
+aussi énergiquement que possible, contre cette tendance déplorable, qui
+finirait par pervertir, jusqu'en son germe, le développement général de
+l'esprit positif chez les masses, en leur persuadant que ces découvertes
+sublimes, qui ont coûté tant d'efforts du premier ordre à la série des
+hommes les plus éminens dont notre espèce puisse s'honorer, étaient
+susceptibles d'être simplement obtenues par quelques aperçus vagues et
+faciles, accessibles, sans aucune préparation laborieuse, aux
+entendemens les plus vulgaires. Quoiqu'il soit, sans doute, infiniment
+plus aisé d'apprendre que d'inventer, il faut enfin que le public, pour
+n'être point livré aux sophistes et vendu aux trafiquans de science,
+soit profondément convaincu que, comme le simple bon sens l'indique
+clairement, ce qui a été découvert par le long et pénible travail du
+génie, la raison commune ne saurait se l'approprier réellement que par
+une méditation persévérante, précédée d'études convenables. Si, comme
+il est évident, ces conditions indispensables ne peuvent pas toujours
+être suffisamment remplies, à l'égard de toutes les vérités
+scientifiques destinées à entrer dans la circulation générale, n'est-il
+pas bien préférable de le déclarer avec franchise, et de réclamer
+directement une confiance, qui n'a jamais été refusée quand elle a été
+convenablement motivée, au lieu de vouloir lutter contre une difficulté
+insurmontable, en essayant vainement de rendre élémentaires des
+conceptions nécessairement transcendantes? Car, les hommes ont encore
+plus besoin de méthode que de doctrine, d'éducation que d'instruction.
+
+Conformément à ces maximes générales, je ne saurais trop condamner ici
+les tentatives illusoires et nuisibles qu'on a si fréquemment
+renouvelées, dans la vulgarisation, d'ailleurs si utile quand elle est
+sagement conçue et exécutée, des principales notions de la philosophie
+naturelle, pour rendre indépendante des grandes théories mathématiques
+la démonstration de la loi fondamentale de la gravitation, d'après des
+raisonnemens vagues et essentiellement métaphysiques sur les émanations
+et les attractions, dont l'idée première est empruntée à Képler. Outre
+le vide profond de ces considérations absolues, il est clair qu'une
+telle manière de procéder tend à faire radicalement disparaître tout ce
+qui constitue l'admirable réalité de la découverte newtonienne, sa
+parfaite harmonie mathématique avec les lois géométriques des mouvemens
+célestes, seul fondement positif de la mécanique des astres.
+
+Considérons maintenant, d'une manière directe, l'établissement vraiment
+rationnel de cette conception fondamentale, en réservant à l'analyse
+transcendante sa grande et indispensable part dans une telle opération.
+
+Il est d'abord évident, comme je l'ai déjà indiqué, que la première loi
+de Képler prouve, sans aucune incertitude et de la manière la plus
+simple, que la force accélératrice de chaque planète est constamment
+dirigée vers le soleil. On n'a pas besoin, pour s'en convaincre, de
+recourir à la théorie dynamique des aires. Une figure très élémentaire
+suffit à démontrer, comme l'a fait Newton, que la force accélératrice,
+quelque énergique qu'on l'imagine, ne saurait altérer en rien la
+grandeur de l'aire qui serait décrite, en un temps donné, autour du
+soleil, par le rayon vecteur de l'astre, en vertu de sa seule vitesse
+actuelle, si sa direction passe exactement par le soleil, tandis qu'elle
+la changerait inévitablement dans toute autre supposition. Ainsi, la
+constance de cette aire, première donnée générale de l'observation,
+dévoile la loi de la direction. La principale difficulté du problème,
+celle qui fait la gloire essentielle de Newton, consiste donc dans la
+découverte, d'après les deux autres théorèmes astronomiques de Képler,
+de la loi relative à l'intensité de cette action continuelle que nous
+concevons dès lors exercée, sans nous enquérir de son mode, par le
+soleil sur les planètes.
+
+Dans la première ébauche de sa conception, Newton a pris pour base la
+troisième loi de Képler, en considérant d'abord les mouvemens comme
+circulaires et uniformes, ce qui suffisait en commençant. L'action
+solaire, dès lors égale et contraire à la force centrifuge de la
+planète, devenait ainsi nécessairement constante aux divers points de
+l'orbite, et ne pouvait varier qu'en passant d'une planète à une autre.
+Les théorèmes d'Huyghens sur la force centrifuge dans le cercle, dont la
+démonstration est presque élémentaire, conduisaient immédiatement à
+saisir la loi de cette variation. Car, la force centrifuge étant,
+d'après ces théorèmes, proportionnelle au rapport entre le rayon de
+l'orbite et le quarré du temps périodique, elle variait évidemment d'un
+astre à l'autre, inversement au quarré de sa distance au soleil, en
+vertu de la constance, établie par Képler, du rapport entre le cube de
+cette distance et ce même quarré du temps périodique, pour toutes les
+planètes. Telle est la considération mathématique qui mit réellement
+Newton, à l'origine de ses recherches, sur la voie de cette loi
+fondamentale, à la simple indication de laquelle ne contribuèrent
+nullement les raisonnemens métaphysiques antérieurs, dont il n'avait
+même probablement alors aucune connaissance.
+
+Mais, quelque précieuse que fût l'ouverture donnée par cette première
+approximation, le noeud essentiel de la difficulté n'en continuait pas
+moins à subsister dans son intégrité. Car, il fallait surtout expliquer
+comment cette loi sur la variation de l'action solaire s'accordait avec
+la nature géométrique des orbites, découverte par Képler. À la vérité,
+l'orbite elliptique présentait deux points remarquables, l'aphélie et le
+périhélie, où la force centrifuge était encore directement opposée, et,
+par conséquent, égale à l'action du soleil, dont le changement devait
+naturellement y être, en même temps, plus prononcé. La courbure de
+l'orbite était, évidemment, identique en ces deux points; cette action
+se trouvait donc simplement mesurée, d'après ces mêmes théorèmes
+d'Huyghens, par le quarré de la vitesse correspondante. Dès lors, un
+raisonnement facile déduisait immédiatement de la première loi de
+Képler, que le décroissement de l'action solaire, du périhélie à
+l'aphélie, s'opérait encore inversement au quarré de la distance. Ainsi,
+la loi indiquée par un premier rapprochement entre les diverses
+planètes, se trouvait pleinement confirmée par une exacte comparaison
+entre les deux positions principales de chacune d'elles. Mais tout cela
+était encore évidemment insuffisant, puisque le mouvement elliptique
+n'était nullement pris en considération. Toute autre courbe que
+l'ellipse eût incontestablement donné le même résultat, à la simple
+condition d'avoir, en ses deux sommets, une égale courbure.
+
+Ces deux considérations préliminaires sont, néanmoins, les seules
+parties de la démonstration qui puissent être rendues vraiment sensibles
+à toutes les intelligences qui n'ont, en mathématique, que des notions
+purement élémentaires. Quant à la mesure de l'action solaire dans toute
+l'étendue de l'orbite, qui constitue la portion essentielle et
+réellement décisive de cette démonstration, l'analyse transcendante y
+est absolument indispensable. En continuant à procéder dans le même
+esprit, c'est-à-dire d'après la comparaison de l'action solaire à la
+force centrifuge, la première a dès lors besoin d'être décomposée, en un
+point quelconque, suivant la normale correspondante, avant de pouvoir
+être appréciée par la seconde, qui ne lui est plus directement
+antagoniste, et dont l'évaluation exige, d'ailleurs, la théorie exacte
+de la courbure de l'ellipse. Par l'ensemble de ses découvertes, en
+géométrie et en mécanique, qu'il lui eût suffi de combiner, le grand
+Huyghens touchait certainement au principe de cette détermination
+capitale. Mais enfin, il n'a point eu réellement l'idée de cette
+combinaison: et, ce qu'on doit surtout remarquer, l'eût-il même conçue,
+il n'aurait, sans doute, pu la suivre complètement qu'avec le secours de
+l'analyse différentielle, dont nous savons que Newton est l'inventeur
+aussi bien que Leïbnitz.
+
+À l'aide de cette analyse, on mesure facilement, et de diverses
+manières, l'énergie de l'action solaire en tous les points de l'orbite,
+et l'on reconnaît aussitôt qu'elle varie toujours inversement au quarré
+de la distance, et qu'elle est indépendante de la direction. Enfin, le
+même calcul démontre que sa valeur propre pour chaque planète, ramenée,
+suivant cette loi, à l'unité de distance, est proportionnelle au rapport
+entre le quarré du temps périodique et le cube du demi-grand axe de
+l'ellipse; ce qui prouve exactement, d'après la troisième loi de Képler,
+l'identité de cette valeur à l'égard de toutes les planètes, sur
+lesquelles l'action du soleil ne change donc qu'en vertu de la seule
+distance, quelles que soient les grandes différences de leurs
+dimensions. C'est de là que Newton a déduit cette importante
+conséquence, qui complète l'établissement de la loi fondamentale, que
+l'action solaire est, en chaque cas, proportionnelle, à distance égale,
+à la masse de la planète; de la même manière que, par l'identité de la
+chute de tous les corps terrestres dans le vide, ou par l'exacte
+coïncidence de leurs oscillations, on avait déjà constaté évidemment la
+proportionnalité entre leurs poids et leurs masses.
+
+On voit ainsi comment les trois grandes lois de Képler ont concouru,
+chacune pour sa part essentielle, à établir exactement, d'après les
+règles de la mécanique rationnelle, cette loi fondamentale de la nature.
+La première démontre la tendance continuelle de toutes les planètes vers
+le soleil; la seconde fait connaître que cette tendance, la même en tous
+sens, change avec la distance au soleil, inversement à son quarré;
+enfin, la troisième apprend que cet effort, nullement spécifique, est
+toujours simplement proportionnel, pour une même distance, à la masse de
+chaque planète. Il serait sans doute inutile de prévenir expressément
+que les lois de Képler ayant lieu exactement de la même manière, dans
+les mouvemens des satellites autour de leurs planètes, il en résulte
+nécessairement les mêmes conséquences dynamiques pour l'action continue
+exercée par chaque planète sur chacun de ses satellites, en raison
+directe de la masse de celui-ci, et en raison inverse du quarré de sa
+distance à la planète.
+
+Afin de compléter cette démonstration capitale, Newton jugea sagement
+qu'il devait reprendre, en sens inverse, l'ensemble de la question, en
+déterminant, _à priori_, les mouvemens planétaires qui résulteraient
+d'une telle loi dynamique. C'est ainsi que, par une intégration alors
+difficile, il retomba complètement sur les lois de Képler, comme cela
+devait être de toute nécessité. Indépendamment de cette utile
+vérification mathématique, qui fournit d'ailleurs incidemment quelques
+moyens de simplifier l'étude géométrique de ces mouvemens, cette analyse
+inverse fit reconnaître que l'orbite aurait pu être, non-seulement une
+ellipse, mais une section conique quelconque, ayant toujours le soleil
+pour foyer. La nature de la courbe dépend uniquement de l'intensité de
+la vitesse initiale, et nullement de sa direction; en sorte qu'un
+certain accroissement déterminé, qui surviendrait tout à coup dans la
+vitesse d'une planète, changerait son ellipse en une parabole, et plus
+grand encore, en une hyperbole. Ainsi, les orbites devant être, par une
+nécessité évidente, des courbes fermées, la figure elliptique est donc
+la seule qui puisse réellement dériver de la loi newtonienne.
+
+Parmi les objections, aussi vaines qu'innombrables, que dut soulever à
+son origine cette admirable découverte, et que reproduisent encore
+quelquefois des esprits mal organisés, une seule mérite d'être ici
+mentionnée, comme tendant à éclaircir la notion fondamentale, et comme
+ayant beaucoup frappé autrefois, par son apparence très spécieuse,
+plusieurs philosophes fort recommandables, entre autres le judicieux
+Fontenelle. Elle est fondée sur la considération que si, pendant une
+moitié de sa révolution, la planète se rapproche de plus en plus du
+soleil, elle s'en éloigne évidemment toujours davantage dans l'autre
+partie de l'orbite; ce qui semble impliquer une contradiction frappante
+avec l'idée d'une tendance continuelle _vers_ le soleil. L'emploi du
+malheureux mot _attraction_, beaucoup trop prodigué par Newton et par
+presque tous ses successeurs, donnait à cette objection une nouvelle
+apparence de solidité. Aussi quelques newtoniens n'avaient-ils pas
+hésité d'abord à recourir, pour la résoudre, à cet expédient absurde, de
+déclarer l'action solaire tantôt attractive et tantôt répulsive. Laplace
+lui-même en a donné, ce me semble, une explication peu satisfaisante,
+puisqu'elle se borne à reproduire, sous un autre point de vue, le fait
+lui-même, en disant que la planète doit s'approcher du soleil, tant que
+sa direction forme un angle aigu avec celle de l'action solaire, et s'en
+éloigner quand cet angle devient obtus. Cette considération exige donc
+un nouvel examen.
+
+Il faut reconnaître, avant tout, qu'elle ne saurait exercer la moindre
+influence effective sur les calculs de la mécanique céleste, ce qui
+explique qu'on s'en soit si peu inquiété. Car il n'importe guère aux
+géomètres que l'action solaire soit, en réalité, attractive ou
+répulsive, pourvu que la direction de la force accélératrice de la
+planète, prolongée s'il le faut, vienne toujours passer exactement par
+le soleil, ce que la première loi de Képler assure incontestablement.
+Mais, néanmoins, le doute à cet égard donnerait un caractère trop
+indécis à la conception fondamentale, pour qu'on ne doive pas le
+dissiper entièrement.
+
+Afin de mettre l'objection dans un plus grand jour, il convient de
+considérer le cas hypothétique d'une orbite parabolique ou hyperbolique,
+qui nous montre l'astre, parti du périhélie, s'éloignant toujours et
+indéfiniment du soleil, quoiqu'on puisse aisément prouver qu'il ne cesse
+pas un seul instant de tendre _vers_ lui. En effet, on ne doit point
+constater cette tendance en comparant la position actuelle de l'astre à
+celle qu'il occupait auparavant, mais à celle qu'il occuperait au même
+instant, en vertu de sa seule vitesse acquise, si l'action solaire
+n'existait pas: c'est évidemment le seul moyen d'apprécier l'influence
+réelle de cette action. Or, d'après ce principe, on voit clairement
+qu'elle tend, dans tous les cas, à rapprocher l'astre du soleil,
+puisqu'il s'en trouve toujours effectivement plus près, même avec une
+orbite hyperbolique, que s'il eût continué son mouvement naturel suivant
+la tangente. La vraie solution de l'objection se réduit donc à remarquer
+que l'orbite est constamment concave vers le soleil: elle serait
+évidemment insurmontable, si la trajectoire eût pu être convexe. On
+rencontre ici la même circonstance que dans le mouvement ascensionnel
+des bombes, que personne ne s'est jamais avisé d'attribuer à une
+pesanteur suspendue ou renversée: le projectile, quoiqu'il s'élève, ne
+cesse réellement de tomber, et tombe de plus en plus, comme dans sa
+chute ordinaire, puisqu'il est continuellement, et toujours davantage,
+au-dessous du lieu où l'aurait porté sa seule impulsion initiale, la
+trajectoire étant constamment concave vers le sol.
+
+Dans l'exposition habituelle de la conception fondamentale de la
+mécanique céleste, on néglige aujourd'hui beaucoup trop de considérer
+les cas hypothétiques où il faut remonter de telle forme idéale des
+orbites planétaires à telle autre loi correspondante de l'action
+solaire, et réciproquement. Ce n'est pas uniquement pour mieux
+caractériser sa théorie générale des forces centrales, qui eût été
+suffisamment expliquée par l'analyse exacte du seul cas naturel, que
+Newton s'est plu à développer avec tant de soin cette importante
+considération. Il a probablement senti qu'une telle étude devait
+réfléchir une nouvelle lumière sur le vrai caractère de la loi
+effective, en faisant ressortir avec plus d'évidence ses conditions
+essentielles. Rien n'est plus propre surtout à lui ôter cette apparence
+d'absolu, qui résulte si fréquemment de l'exposition ordinaire, en
+montrant combien il y aurait peu à changer aux orbites planétaires pour
+que l'action solaire dût suivre nécessairement une loi toute
+différente. Je dois me borner ici à mentionner à cet égard le cas le
+plus remarquable et le plus instructif, parmi tous ceux que Newton a
+envisagés. C'est celui de l'orbite elliptique, mais dont le soleil
+occuperait le centre, au lieu du foyer. On trouve alors que l'action
+solaire, au lieu d'être inversement proportionnelle au quarré de la
+distance, varierait au contraire en raison directe de la distance
+elle-même. Il serait impossible d'obtenir une plus grande opposition
+dans les résultats pour une modification, aussi légère en apparence, à
+l'hypothèse primitive; et cependant rien n'est mieux démontré. De bons
+esprits, auxquels la mathématique est étrangère, pourraient même
+envisager un tel défaut d'harmonie comme devant inspirer d'abord
+quelques doutes raisonnables sur la réalité de la loi effective, surtout
+en considérant que, les orbites planétaires étant presque circulaires,
+il s'en faut de bien peu que le soleil n'en occupe le centre. Mais, j'ai
+indiqué à dessein dans la leçon précédente, au sujet de la seconde loi
+de Képler, les principales différences astronomiques des deux orbites,
+pour montrer que leur opposition réelle, sous le simple point de vue
+géométrique, est beaucoup plus prononcée qu'elle ne le semble au premier
+aspect, tellement que jamais les astronomes n'ont pu s'y tromper,
+quelque petites que soient les excentricités. En appréciant cette
+comparaison, on reconnaîtra facilement, j'espère, que l'harmonie
+générale et indispensable entre la considération géométrique et la
+considération dynamique n'est pas plus altérée dans ce cas hypothétique
+que dans tout autre. Mais, comme l'idée d'une orbite elliptique autour
+du soleil pour centre, quelque opposée qu'elle soit à toutes nos
+observations astronomiques, est fort loin, évidemment, de présenter
+aucune absurdité intrinsèque, on aperçoit ainsi dans tout son jour la
+profonde inanité nécessaire de tous les prétendus raisonnemens _à
+priori_ par lesquels tant d'esprits se sont efforcés d'établir,
+abstraction faite de l'analyse mathématique des phénomènes exactement
+explorés, l'impossibilité absolue d'aucune autre loi que celle de
+Newton, relativement à l'action du soleil sur les planètes[10]. Que
+peuvent donc signifier tous ces vains projets de démonstrations
+élémentaires, contre lesquels je m'élevais ci-dessus, où l'on ne tient
+même aucun compte de la forme elliptique des orbites, et où, à plus
+forte raison, on ne s'est jamais inquiété si le soleil occupe le foyer
+plutôt que le centre qui en est tout près?
+
+Je me suis jusqu'ici soigneusement abstenu de qualifier, par aucun terme
+spécial, la tendance continue des planètes vers le soleil, et des
+satellites vers leurs planètes, dont l'existence et la loi ont été le
+seul objet des considérations précédentes. Mais, si ces notions
+suffisent pour que les phénomènes célestes soient désormais parfaitement
+liés entre eux, et mathématiquement calculables, c'est surtout par une
+autre propriété essentielle de la conception fondamentale de Newton
+qu'ils sont réellement _expliqués_ dans le sens propre du mot,
+c'est-à-dire compris, d'après leur exacte assimilation générale avec les
+phénomènes si vulgaires que la pesanteur produit continuellement à la
+surface de notre globe. Examinons maintenant ce complément indispensable
+donné par Newton à sa sublime pensée.
+
+ [Note 10: Il est même évidemment impossible, d'après
+ cela, d'expliquer réellement _à priori_ pourquoi un astre
+ tend nécessairement vers le soleil avec d'autant plus
+ d'énergie qu'il en est plus près, quelle que soit d'ailleurs
+ la loi mathématique de cette variation. Car, dans une telle
+ hypothèse, l'action solaire augmenterait, au contraire,
+ quand l'astre serait plus éloigné; en sorte que, s'il, en
+ est autrement, il faut l'attribuer uniquement à ce que le
+ soleil occupe le foyer et non le centre de l'ellipse.
+ Comment oserait-on, dès lors proclamer _évident à priori_,
+ le décroissement nécessaire de cette action à mesure que la
+ distance augmente, sans aucun égard à cette circonstance
+ caractéristique?]
+
+Si notre planète n'avait aucun satellite, cette comparaison capitale
+serait évidemment impossible, comme manquant de base. Il eût fallu alors
+nous contenter de calculer exactement les mouvemens célestes, d'après
+les règles générales de la dynamique, sans pouvoir jamais les rattacher
+à ceux qui s'exécutent journellement parmi nous. Quoique l'harmonie
+universelle de notre monde devînt ainsi infiniment moindre, cette
+conception n'en serait pas moins extrêmement précieuse. Mais l'existence
+de la lune nous a rendu l'immense service philosophique de lier
+intimement la mécanique du ciel à la mécanique terrestre, en nous
+permettant de constater l'identité de la tendance continue de la lune
+vers la terre avec la pesanteur proprement dite: ce qui a suffi pour
+démontrer ensuite que l'action mutuelle des corps célestes n'était autre
+chose que la pesanteur convenablement généralisée, ou, en sens inverse,
+que la pesanteur ordinaire n'était qu'un cas particulier de cette
+action.
+
+Ce rapprochement fondamental est susceptible d'un examen mathématique
+qui ne saurait laisser aucune incertitude à cet égard. Car, d'après
+l'analyse dynamique du mouvement de la lune, on connaît l'intensité de
+l'action que la terre exerce sur elle, c'est-à-dire la quantité dont
+elle tend à tomber vers le centre de notre globe en un temps donné, une
+seconde par exemple. En regardant le mouvement comme circulaire et
+uniforme, ce que Newton a d'abord jugé avec raison pleinement suffisant
+ici, cette évaluation se fait aisément, d'après la règle d'Huyghens sur
+la mesure de la force centrifuge; d'ailleurs, on peut aussi l'effectuer,
+avec un peu plus de peine, en ayant égard au mouvement elliptique et
+varié. Elle ne dépend que de données parfaitement connues, sur
+lesquelles il ne peut y avoir aucune hésitation, le temps périodique de
+la lune, sa distance à la terre, et enfin le rayon de la terre. Cela
+posé, il suffit d'augmenter cette intensité primitive, inversement au
+quarré de la distance, suivant la loi fondamentale, pour savoir ce
+qu'elle deviendrait en supposant la lune placée tout près de la surface
+de la terre, afin de la confronter avec l'intensité effective de la
+pesanteur proprement dite, que nous savons être exactement la même dans
+tous les corps grands et petits, et qui est mesurable, avec la dernière
+précision, soit par l'observation directe de la chute des poids, soit
+surtout par les expériences du pendule. L'identité ou la diversité de
+ces deux nombres, décidera évidemment, en dernier ressort, pour ou
+contre l'assimilation entre la tendance de la lune vers la terre et la
+pesanteur. Or, l'exécution d'une telle comparaison établit la parfaite
+coïncidence des deux résultats; d'où s'ensuit la démonstration
+mathématique de cette assimilation. Telle est la marche profondément
+rationnelle suivie à cet égard par Newton, sauf que, pour plus de
+clarté, j'ai cru devoir l'indiquer en ordre inverse, ce qui est en soi
+fort indifférent. L'histoire de ce beau travail nous présente une
+anecdote très intéressante, qui caractérise fortement l'admirable
+sévérité de la méthode philosophique constamment suivie, avec une si
+sage énergie, par le grand Newton. On sait que, dans ses premières
+recherches, il avait employé une valeur erronée du rayon de la terre,
+déduite d'une mauvaise mesure exécutée un peu avant lui en Angleterre:
+il en résultait une différence assez sensible entre les deux nombres qui
+devaient parfaitement coïncider. Newton eut le rare courage
+philosophique de renoncer, d'après cela seul et pendant long-temps, à
+cette partie importante de sa conception générale, jusqu'à ce que Picard
+eût enfin opéré la mesure exacte de la terre, qui permit à Newton de
+constater la profonde justesse de sa pensée primitive.
+
+Cette identité entre la tendance de la lune vers la terre et la
+pesanteur proprement dite présente sous un jour tout nouveau l'ensemble
+de la conception fondamentale de la mécanique céleste. Elle nous montre
+le mouvement des astres comme parfaitement semblable à celui des
+projectiles, qui nous est si familier, et que, par cela seul, nous
+devons trouver suffisamment compris, et propre à servir de type
+d'explication. La seule différence réelle qu'il y ait entre eux résulte
+simplement de ce que nos projectiles ne sont pas lancés d'assez loin, ni
+assez énergiquement, pour que leur inégal éloignement du centre de notre
+globe puisse manifester l'influence de la variation de la pesanteur
+inversement au quarré de la distance. Projetés d'un peu plus haut et
+avec un peu plus de force, ils circuleraient indéfiniment autour de nous
+comme de petits astres (sauf la résistance de notre atmosphère), ainsi
+que le fait la lune, ainsi que la terre elle-même et toutes les planètes
+le font autour du soleil. C'est par là que l'astronomie tout entière est
+devenue réellement une sorte de problème d'artillerie, beaucoup
+simplifié par l'absence d'un milieu sensiblement résistant, mais
+compliqué, à la vérité, par la variation et la pluralité des pesanteurs.
+
+En même temps que la notion mécanique fondamentale des mouvemens
+célestes se trouvait ainsi considérablement éclaircie par l'assimilation
+de la force qui les produit à la pesanteur ordinaire, la conception
+générale de celle-ci a éprouvé, par une heureuse réaction nécessaire, un
+immense perfectionnement, puisque la loi de sa variation, imperceptible
+dans les phénomènes terrestres habituels, a été dès lors immédiatement
+connue. L'homme avait conçu jusque là le poids d'un corps comme une
+qualité rigoureusement inaltérable, suivant les expériences les plus
+diverses et les plus précises, que ni le changement de forme, ni le
+passage d'une constitution physique à une autre, ni aucune métamorphose
+chimique, ni la différence même entre l'état de vie et l'état de mort,
+ne pouvaient nullement modifier, tant que l'intégrité de la substance
+était maintenue. C'était, en un mot, la seule notion qui pût présenter,
+même aux philosophes les plus positifs, un véritable caractère d'absolu.
+Ce caractère, qui devait sembler si indestructible, la conception
+newtonienne est venue l'effacer entièrement d'un seul trait, en
+montrant, avec une pleine évidence, que le poids d'un corps est au
+contraire un phénomène purement relatif, non pas il est vrai aux
+diverses circonstances dont on avait jusque alors analysé l'influence,
+et qui effectivement ne l'altèrent en rien, mais à une autre à laquelle
+on n'eût jamais pensé sans cela, tant elle eût paru devoir être
+insignifiante, et qui seule le règle souverainement, la simple position
+de ce corps dans le monde, ou, plus exactement, sa distance au centre de
+la terre, indépendamment de la direction, au quarré de laquelle il est
+toujours inversement proportionnel. Sans doute, une connaissance aussi
+opposée à l'ensemble des idées humaines n'aurait pas même été jamais
+cherchée directement, si la mécanique céleste ne l'eût, pour ainsi dire,
+involontairement établie d'une manière invincible, en prouvant
+l'identité mathématique de la pesanteur avec la force accélératrice des
+astres, à l'égard de laquelle une telle loi de variation devenait
+incontestable et évidente. Ainsi avertis, les physiciens ont pu vérifier
+ensuite, par des expériences directes et irrécusables, en s'écartant
+plus ou moins du centre de la terre, soit dans le sens vertical, soit
+surtout dans le sens horizontal, la réalité de cette loi, même à la
+surface de notre globe, où les différences qu'elle engendre sont trop
+délicates à constater pour qu'on eût jamais pu les apprécier, si l'on
+n'eût pas été certain d'avance qu'elles devaient exister.
+
+C'est afin d'énoncer brièvement cette assimilation fondamentale entre la
+pesanteur et la force accélératrice des astres qu'on a créé le mot
+heureux de _gravitation_, envisagé comme exactement synonyme de
+pesanteur universelle, pour désigner l'action du soleil sur les
+planètes, et de celles-ci sur leurs satellites. L'emploi de ce terme a
+le précieux avantage philosophique d'indiquer strictement un simple fait
+général, mathématiquement constaté, sans aucune vaine recherche de la
+nature intime et de la cause première de cette action céleste ni de
+cette pesanteur terrestre. Il tend à faire éminemment ressortir le vrai
+caractère essentiel de toutes nos explications positives, qui
+consistent, en effet, à lier et à assimiler le plus complètement
+possible. Nous ne pouvons évidemment savoir ce que sont au fond cette
+action mutuelle des astres, et cette pesanteur des corps terrestres: une
+tentative quelconque à cet égard serait, de toute nécessité,
+profondément illusoire aussi bien que parfaitement oiseuse; les esprits
+entièrement étrangers aux études scientifiques peuvent seuls s'en
+occuper aujourd'hui. Mais nous connaissons, avec une pleine certitude,
+l'existence et la loi de ces deux ordres de phénomènes; et nous savons,
+en outre, qu'ils sont identiques. C'est ce qui constitue leur véritable
+_explication_ mutuelle, par une exacte comparaison des moins connus aux
+plus connus. Pour le géomètre, qu'une longue et habituelle méditation a
+profondément familiarisé avec le vrai mécanisme des mouvemens célestes,
+la pesanteur terrestre est expliquée, quand il la conçoit comme un cas
+particulier de la gravitation générale. Au contraire, c'est la
+pesanteur qui fait comprendre la gravitation céleste au physicien
+proprement dit, ainsi qu'au vulgaire, la notion lui en étant seule
+suffisamment familière. Nous ne pouvons jamais aller réellement au-delà
+de semblables rapprochemens.
+
+D'après ces principes élémentaires de la philosophie positive, je ne
+saurais ici trop fortement blâmer l'usage irrationnel que l'on fait
+encore si fréquemment du mot _attraction_, dans l'étude de la mécanique
+céleste. Son emploi, qu'un simple artifice de langage eût toujours
+permis d'éviter, est surtout devenu sans excuse depuis la formation du
+mot _gravitation_. Quoique cette réserve du style ne doive sans doute
+dégénérer jamais en une affectation puérile et pédantesque, il importe
+infiniment que le discours maintienne inaltérable le vrai caractère
+d'une conception positive aussi fondamentale. Or, le mot _attraction_
+tend, par lui-même, à jeter aussitôt l'esprit dans une direction vague
+et anti-scientifique, par la prétention qu'il annonce inévitablement,
+malgré tous les commentaires préalables, à caractériser le mode d'action
+du soleil sur les planètes, et de la terre sur les poids, en le
+comparant à l'effort par lequel nous tirons à nous, à l'aide d'un lien
+quelconque, un objet éloigné: car tel est le sens de ce terme, ou il
+n'en a aucun. Depuis un siècle que cette expression est usitée
+scientifiquement, il me semble étrange qu'on n'ait pas encore nettement
+senti qu'une telle comparaison n'est nullement propre, en n'y voyant
+même qu'une image grossière, à donner aucune idée de l'action solaire ou
+terrestre, dont elle tend, au contraire, à obscurcir la notion. Car, une
+semblable métaphore ne pourrait avoir quelque utilité dans le discours
+que si l'action effective de tirer était réellement influencée par la
+distance, ce qui est évidemment absurde: qu'un objet soit à dix mètres
+ou à cent, le même effort l'attirera vers nous exactement de la même
+quantité, en négligeant du moins la masse et la raideur du lien. Comment
+un tel mot serait-il donc propre à qualifier un phénomène qui, à une
+distance décuple, est nécessairement cent fois moindre, sans qu'aucune
+autre circonstance ait changé? Je ne vois, dans son emploi, qu'un grand
+nombre d'inconvéniens majeurs, sans le moindre avantage réel.
+
+Il y a tout lieu de penser que cette idée inintelligible d'attraction
+fut pour beaucoup dans l'opposition que rencontra si long-temps, surtout
+en France, la conception newtonienne, dont l'étude approfondie n'avait
+point encore démontré combien elle est au fond nécessairement
+indépendante d'une telle notion. Elle devait, en effet, sous une
+semblable forme, se présenter naturellement à nos penseurs comme
+susceptible de faire rétrograder la philosophie, et de la ramener à
+l'état métaphysique, en rétablissant ces qualités occultes que notre
+grand Descartes avait, après tant d'efforts, si justement bannies. Telle
+est aussi la principale objection que les cartésiens, parmi lesquels on
+distingue l'illustre Jean Bernouilli et le sage Fontenelle, reproduisent
+continuellement dans tous leurs écrits. Il n'est pas douteux, ce me
+semble, que l'esprit français, éminemment clair et positif, n'ait ainsi
+puissamment contribué, en résultat général de cette utile discussion, à
+épurer le caractère primitif de la pensée fondamentale de Newton, en
+détruisant l'apparence métaphysique qui altérait la réalité admirable de
+cette sublime découverte.
+
+Pour compléter l'examen général de la loi de la gravitation, il faut
+encore l'envisager sous un dernier aspect élémentaire, indispensable à
+son entière explication mathématique.
+
+Nous avons jusqu'ici considéré l'action du soleil sur les planètes et de
+celles-ci sur leurs satellites, sans avoir aucun égard aux dimensions
+et aux formes de ces grands corps, et comme si tous étaient autant de
+points. Mais, la proportionnalité bien constatée entre l'intensité de
+cette action et la masse du corps qui l'éprouve, montre clairement
+qu'elle ne s'exerce directement que sur les molécules, qui toutes y
+participent indépendamment les unes des autres, et avec une égale
+énergie, sauf la diversité des distances. La gravitation moléculaire est
+donc seule réelle, et celle des masses n'en peut être que le résultat
+mathématique. Celle-ci néanmoins peut seule être immédiatement
+considérée, soit dans l'observation des phénomènes, soit dans l'étude
+mathématique des mouvemens, qui exige indispensablement la conception
+d'une force unique, au lieu de cette infinité d'actions élémentaires. De
+là est résulté nécessairement une partie essentielle, quoique
+préliminaire, de la mécanique céleste, celle qui a pour objet de
+composer en une seule résultante toutes les gravitations mutuelles des
+molécules de deux astres. Cette portion, aujourd'hui très étendue, a
+été, comme toutes les autres, fondée par Newton, et les deux théorèmes
+essentiels qu'il a primitivement établis à ce sujet, sont encore ce que
+cette importante théorie présente de plus usuel. Ils reposent sur la
+forme presque exactement sphérique de tous les astres. En supposant des
+sphères parfaites, et composées de couches homogènes, dont la densité
+varie d'ailleurs arbitrairement, Newton a découvert, par des
+considérations géométriques extrêmement simples: 1º. que les
+gravitations mutuelles de toutes les molécules d'une même couche sur un
+point intérieur quelconque se détruisent nécessairement; 2º que la
+gravitation totale d'un point extérieur vers les diverses molécules de
+la sphère, est exactement la même que si la masse entière de cette
+sphère était condensée à son centre; et qu'il en est par conséquent
+ainsi de la gravitation mutuelle de deux sphères. Il en résulte
+immédiatement la précieuse faculté de pouvoir traiter les corps célestes
+comme des points, dans l'étude de leurs mouvemens de translation. Mais,
+l'irrégularité effective de la figure des astres, quelque petite qu'elle
+soit, a besoin d'être prise en considération dans la théorie de leurs
+rotations, où ces théorèmes cessent d'être applicables. C'est même
+seulement d'après cette différence que les géomètres ont pu expliquer, à
+cet égard, plusieurs phénomènes importans, comme je l'indiquerai dans la
+vingt-sixième leçon. Pour toute autre forme que la sphère, le problème
+général se complique beaucoup, et les difficultés analytiques qu'il
+présente ne sont encore habituellement surmontables que par
+approximation, malgré l'importance des derniers perfectionnemens
+introduits dans cette théorie, surtout par les travaux tout récens de
+M. Jacobi. Enfin la solution parfaitement exacte exigerait évidemment la
+connaissance de la vraie loi de la densité dans l'intérieur des astres,
+qu'on ne peut guère envisager comme susceptible d'être jamais réellement
+obtenue.
+
+La loi générale de l'égalité constante et nécessaire entre la réaction
+et l'action, qui est une des trois bases physiques essentielles de la
+mécanique rationnelle, comme je l'ai établi dans la philosophie
+mathématique, montre évidemment, sans aucune explication spéciale, que
+la gravitation est essentiellement mutuelle, en sorte que le soleil pèse
+vers chaque planète, et les planètes vers leurs satellites. Quoique
+l'extrême inégalité des masses doive rendre naturellement les effets de
+cette pesanteur inverse fort difficiles à constater, à cause de leur
+excessive petitesse par rapport aux mouvemens principaux, j'indiquerai
+néanmoins, dans les deux leçons suivantes, comment la mécanique céleste
+les a mis en évidence à l'égard de divers phénomènes secondaires.
+
+Quant à la gravitation des planètes les unes vers les autres, elle était
+sans doute naturellement indiquée par la seule exposition de la
+conception fondamentale. Mais il faut reconnaître, ce me semble,
+qu'elle n'a été mathématiquement démontrée que lorsque les successeurs
+de Newton en ont déduit l'explication exacte des perturbations
+effectives qu'éprouve le mouvement principal des planètes, comme
+l'indiquera la vingt-sixième leçon. Dès que ce résultat capital a été
+obtenu, cette gravitation secondaire s'est trouvée établie d'une manière
+aussi positive que la gravitation principale.
+
+C'est ainsi que l'analyse approfondie des phénomènes célestes a
+irrévocablement prouvé, dans toutes ses diverses parties, cette grande
+loi fondamentale, résultat le plus sublime de l'ensemble de nos études
+sur la nature: _Toutes les molécules de notre monde gravitent les unes
+vers les autres, proportionnellement à leurs masses, et inversement aux
+quarrés de leurs distances._
+
+Je croirais méconnaître profondément le vrai caractère de cette
+admirable conception, qui n'est que l'exacte représentation d'un fait
+général, si je l'étendais aussitôt, comme on ne craint pas
+habituellement de le faire, aux phénomènes les plus généraux de
+l'univers, relatifs à l'action mutuelle des divers systèmes solaires.
+Qu'on le suppose par simple analogie, et en attendant des renseignemens
+directs, qui, si jamais ils arrivent, prouveraient peut-être le
+contraire, je n'y vois sans doute aucun inconvénient. Ce procédé me
+paraît même très philosophique, comme devant nécessairement hâter à cet
+égard les découvertes réelles, si elles sont effectivement possibles.
+Mais, regarder témérairement une telle extension comme aussi certaine
+que la gravitation intérieure de notre monde, c'est, à mon avis, altérer
+autant que possible la nature de nos vraies connaissances, en confondant
+ce qu'il y a de véritablement positif avec ce qui sera peut-être
+toujours essentiellement conjectural. En procédant ainsi, on obéit
+encore, à son insu, à cette tendance métaphysique vers les connaissances
+absolues, dont l'esprit humain a eu tant de peine à s'affranchir. Sur
+quoi est fondée la réalité de la gravitation newtonienne? Uniquement
+sans doute sur sa relation avec les phénomènes, à défaut de laquelle ce
+ne serait qu'un admirable jeu d'esprit. Or, dans la considération de
+l'_univers_, il n'y a pas encore de phénomènes exactement observés et
+mesurés, à plus forte raison, aucune loi géométrique comparable à celles
+de Képler: quelle serait donc alors la base de nos conceptions
+dynamiques, qui n'auraient rien à interpréter? Je n'ignore pas que, dans
+les mouvemens relatifs de quelques étoiles doubles, on a cru reconnaître
+depuis peu les ellipses de Képler: je le désire vivement, mais sans en
+être jusqu'ici bien convaincu. Les mesures sont encore tellement
+délicates dans ce genre d'observations, que leur précision ne saurait
+être garantie, à l'abri de toute prévention, au degré où l'exigerait une
+semblable conclusion. Si quelque astronome y avait bien cherché les
+orbites elliptiques où l'astre principal occupe le centre au lieu du
+foyer, ou le milieu entre ces deux points, etc., ne serait-il point
+peut-être parvenu à les y rencontrer? Et dès lors, cependant, la loi de
+gravitation eût été, comme on sait, absolument opposée[11]. D'ailleurs,
+en admettant la parfaite réalité de ces résultats, qui, dans toute
+hypothèse, n'en sont pas moins fort précieux, ils ne constituent
+évidemment qu'un cas extrêmement particulier, encore impropre à motiver
+suffisamment une conclusion vraiment universelle. Je crois donc devoir
+maintenir, en mécanique céleste, comme je l'ai déjà fait en géométrie
+céleste, la séparation tranchée que je me suis efforcé de rendre
+sensible, entre la notion de monde et celle d'univers, et la restriction
+fondamentale que j'ai tâché d'établir, pour nos études vraiment
+positives, à la seule considération des phénomènes intérieurs de notre
+système solaire. Il est d'ailleurs évident que j'indique ici une simple
+suspension de jugement; car, je suis loin d'avoir aucun motif direct
+pour que la loi de la gravitation cesse d'être vraie dans l'action
+mutuelle des soleils; ce qui ne saurait être, pour moi, une raison de
+l'y étendre positivement, si ce n'est comme moyen artificiel
+d'investigation. Malgré le fameux principe de la raison suffisante,
+l'absence de motifs de nier ne constitue certainement point le droit
+d'affirmer, sans aucune preuve directe. Les notions absolues me semblent
+tellement impossibles, que je n'oserais même nullement garantir, quelque
+vraisemblance que j'y voie, la perpétuité nécessaire et inaltérable de
+la théorie de la gravitation, restreinte à l'intérieur de notre monde,
+si l'on venait un jour, ce qu'il est au reste bien difficile d'admettre,
+à perfectionner la précision de nos observations actuelles autant que
+nous l'avons fait comparativement à celles d'Hipparque. Mais, quand même
+cela pourrait jamais arriver, et qu'il fallût alors construire une autre
+loi de gravitation, il resterait éternellement vrai, de toute nécessité,
+que la loi actuelle satisfait aux observations en se contentant de la
+précision des secondes, angulaires ou horaires, propriété qui suffit
+pleinement sans doute à nos besoins réels. C'est ainsi que, malgré la
+nature nécessairement relative de nos connaissances positives, nos
+théories présentent, au milieu de leurs variations inévitables, et par
+leur subordination même aux faits observés, un caractère fondamental de
+stabilité réelle, propre à prévenir la vacillation de nos intelligences:
+comme je l'ai déjà indiqué ailleurs, au sujet de la figure de la terre.
+
+ [Note 11: Je regretterais profondément d'exciter ainsi
+ le moindre doute sur l'exactitude et la sagacité des
+ astronomes dont la constance à poursuivre des observations
+ aussi délicates et aussi pénibles mérite assurément tous nos
+ respects. Mais peut-être n'ont-ils pas, avant tout, assez
+ réfléchi au degré de précision tout particulier
+ qu'exigeraient de telles déterminations pour motiver une
+ conséquence dynamique solidement fondée. L'immense
+ éloignement de ces orbites, dont les rayons n'ont jamais
+ qu'une étendue angulaire de quelques secondes, ne nous
+ interdit-il point, de toute nécessité, d'apporter dans
+ l'étude mathématique de leur figure les précautions
+ indispensables qui ont été possibles à l'égard de nos
+ orbites planétaires?]
+
+Telles sont les considérations essentielles que je devais présenter sur
+la loi fondamentale de la gravitation, avant de passer à l'examen
+philosophique de l'immense perfectionnement qu'elle a introduit dans la
+connaissance effective des phénomènes intérieurs de notre monde, surtout
+en dévoilant la véritable règle de leurs anomalies apparentes. On a dû
+remarquer, dans cette exposition, combien la conception newtonienne,
+abstraction faite des notions infiniment précieuses qu'elle nous a
+directement procurées, a perfectionné notre marche philosophique,
+combien elle a avancé l'éducation générale de la raison humaine.
+
+Jusque alors l'esprit humain n'avait pu s'élever, dans la personne de
+notre grand Descartes, à une conception mécanique des phénomènes
+généraux, qu'en créant, sans aucune base positive, une vaste hypothèse
+sur leur mode de production. Cet ébranlement énergique était, sans
+doute, indispensable, comme je l'établirai spécialement dans la dernière
+partie de cet ouvrage, pour dégager définitivement notre intelligence
+des voies métaphysiques, qui l'avaient si long-temps poussée à la vaine
+recherche des notions absolues. Mais l'empire trop prolongé d'une telle
+conception eût entravé profondément le développement de l'esprit humain,
+en lui faisant user ses forces à la poursuite de théories
+essentiellement arbitraires. L'action philosophique de la découverte
+newtonienne est venue le lancer dans la véritable direction positive,
+susceptible d'un progrès réel et indéfini. Elle a soigneusement conservé
+de Descartes l'idée fondamentale d'un mécanisme; mais en écartant
+définitivement, comme radicalement inaccessible à nos moyens, toute
+enquête de l'origine et du mode de production. Elle a montré, par un
+exemple admirable, comment, sans pénétrer dans l'essence des phénomènes,
+nous pouvions parvenir exactement à les lier et à les assimiler, de
+manière à atteindre, avec autant de précision que de certitude, le
+véritable but définitif de nos études réelles, une juste prévision des
+événemens, que des conceptions _à priori_ sont nécessairement incapables
+de procurer.
+
+
+
+
+VINGT-CINQUIÈME LEÇON.
+
+Considérations générales sur la statique céleste.
+
+Avant l'admirable découverte de Newton, les phénomènes célestes étaient
+liés entre eux, à un certain degré, par les trois grandes lois de
+Képler. Mais cette liaison, quoique infiniment précieuse, était
+nécessairement fort imparfaite; car elle laissait entièrement
+indépendans les uns des autres les phénomènes qui se rattachaient à deux
+lois différentes. La réduction de ces trois divers faits généraux à un
+fait unique et encore plus général, a établi, au contraire, parmi tous
+les phénomènes intérieurs de notre monde, une harmonie rigoureusement
+universelle, qui permet toujours d'apercevoir exactement, d'une manière
+plus ou moins indirecte, la relation intime et nécessaire de deux
+quelconques d'entre eux, constamment rattachés désormais à une théorie
+commune, qui les lie en outre à nos principaux phénomènes terrestres.
+C'est ainsi que la science astronomique a enfin acquis la plus haute
+perfection spéculative dont nos études soient jamais susceptibles,
+l'entière systématisation mathématique de toutes ses diverses parties;
+en sorte qu'il n'y aurait rien à gagner, sous ce rapport, à découvrir un
+principe encore plus étendu, quand même un tel espoir ne devrait pas
+être regardé comme éminemment chimérique.
+
+On ne connaîtrait donc pas convenablement la conception fondamentale de
+la mécanique céleste en se bornant à l'envisager en elle-même, ainsi que
+nous avons dû le faire dans la leçon précédente. Afin d'en sentir
+dignement toute la valeur philosophique, il est indispensable de
+caractériser maintenant, sous ses divers aspects principaux,
+l'application de la théorie de la gravitation à l'explication
+mathématique des phénomènes célestes et au perfectionnement de leur
+étude. Tel est l'objet spécial de cette leçon et de la suivante.
+
+Pour faciliter cet aperçu général, je crois utile de transporter ici la
+distinction élémentaire que j'ai établie dans l'examen de la géométrie
+céleste, entre les phénomènes propres à chaque astre envisagé comme
+immobile, et ceux qui concernent ses divers mouvemens. Cette division
+est sans doute, en mécanique céleste, plus astronomique que
+mathématique; car les deux genres de questions ne présentent point
+d'ailleurs des différences bien tranchées quant à leur degré de
+difficulté, ni quant à la nature des considérations employées, toujours
+nécessairement relatives à une même pensée fondamentale. Mais elle me
+paraît propre à éclaircir cette importante exposition, en la rendant
+plus méthodique que ne le permet l'ordre essentiellement arbitraire
+qu'on y suit ordinairement. La leçon actuelle sera consacrée aux
+phénomènes statiques, et la suivante aux phénomènes dynamiques.
+
+La détermination des masses de nos différens astres est aussi
+fondamentale, en mécanique céleste, que celle de leurs distances en
+géométrie céleste, puisque, sans elle, on ne pourrait évidemment se
+former aucune idée exacte de leur gravitation mutuelle. Une telle
+connaissance présente en même temps la manifestation la plus saillante
+des ressources générales que la théorie de la gravitation nous a
+procurées pour obtenir à l'égard des astres des notions entièrement
+nouvelles, qui devaient jusque alors nous paraître, quoique à tort,
+radicalement inaccessibles. Essayons de caractériser successivement les
+trois procédés principaux qu'on applique à cette importante recherche,
+et qui diffèrent beaucoup, soit en généralité, soit en simplicité.
+
+Le moyen le plus général, le seul même qui soit réellement applicable à
+tous les cas, mais aussi celui dont l'emploi est le plus difficile,
+consiste à analyser, aussi exactement que possible, la part spéciale de
+chaque astre dans les perturbations qu'éprouve le mouvement principal
+d'un autre, en translation ou en rotation. Cette influence ne dépend
+évidemment que de deux élémens, la distance et la masse de l'astre
+considéré. Le premier est bien connu; et le second, qui est constant,
+étant introduit dans le calcul comme un coefficient indéterminé, sa
+valeur pourra être appréciée par la comparaison du résultat avec les
+observations directes. Malheureusement, dans l'état présent de la
+mathématique abstraite, l'analyse des perturbations ne saurait être, par
+sa nature, que simplement approximative, comme l'indiquera la leçon
+suivante. Il est surtout extrêmement difficile d'isoler, dans chaque
+perturbation totale, ce qui tient spécialement à l'action de tel astre
+proposé; quelque soin qu'on apporte dans le choix des divers
+dérangemens, on ne parvient guère à établir cette séparation d'une
+manière aussi précise que l'exigerait une semblable détermination. Aussi
+les astronomes et les géomètres sont-ils loin de compter autant
+jusqu'ici sur les masses qui n'ont pu être obtenues que par cette
+méthode, que sur celles qui ont permis l'application des autres
+procédés.
+
+Tel était à cet égard l'état de la mécanique céleste, lorsque, dans ces
+dernières années, M. Poinsot a imaginé pour ces évaluations
+fondamentales un moyen parfaitement rationnel, le plus direct et le
+plus sûr de tous, quoique, par sa nature, son emploi exige
+malheureusement beaucoup de temps[12]. Au lieu de se borner à démêler
+péniblement dans les diverses perturbations naturelles l'influence
+détournée et peu distincte de chaque masse envisagée séparément, M.
+Poinsot propose de déterminer désormais toutes les masses à la fois, par
+l'examen d'un nouveau genre de perturbations, en quelque sorte
+artificielles, spécialement adaptées à un tel usage, et les seules qui
+observent nécessairement entre elles une relation invariable, aussi
+simple que rigoureuse. Il s'agit des changemens que l'action mutuelle
+des astres de notre monde fait subir aux aires décrites en un temps
+donné par leurs rayons vecteurs autour du centre de gravité général. On
+sait, d'après la mécanique rationnelle, que parmi ces diverses
+variations il s'opère nécessairement une telle compensation, que la
+somme algébrique de toutes ces aires, projetées en un instant quelconque
+sur un même plan d'ailleurs arbitraire, et multipliées chacune par la
+masse correspondante, demeure rigoureusement invariable. Ainsi, en
+comparant entre eux les divers états du ciel à des époques suffisamment
+distinctes, l'égalité mutuelle de toutes ces sommes peut fournir, dans
+la suite des temps, autant d'équations qu'on voudra, propres à faire
+connaître, si l'on a eu soin d'en former le nombre convenable, les
+valeurs des différentes masses, seules inconnues qu'elles contiennent,
+puisque les aires sont d'ailleurs exactement mesurables, d'après les
+positions et les vitesses effectives des astres considérés.
+
+ [Note 12: Voyez le beau Mémoire de ce grand géomètre sur
+ la vraie théorie du _plan invariable_, maintenant annexé à
+ la dernière édition de sa _Statique_.]
+
+Indépendamment de sa rationnalité parfaite et de son entière généralité,
+cette méthode présente un caractère philosophique bien remarquable, en
+ce que, comme l'indique avec raison M. Poinsot, elle rend l'évaluation
+des masses relatives de tous les astres de notre monde entièrement
+indépendante de la loi de gravitation, suivant l'esprit de la théorie
+des aires, ce que jusque alors aucun géomètre n'eût jamais jugé
+possible. Il en résulte d'ailleurs que les résultats ne sont plus
+affectés des approximations relatives à cette loi dans les calculs
+ordinaires de la mécanique céleste.
+
+On doit vivement regretter que la nature de cette méthode ne permette
+point son application immédiate, ne fût-ce que pour obtenir, par la
+confrontation de ses résultats avec ceux déjà connus, une des
+confirmations les plus décisives de la théorie de la gravitation. Mais
+la nécessité évidente d'attendre que toutes les aires individuelles
+aient assez varié pour rendre significative la comparaison de leurs
+sommes, exige un intervalle considérable entre les époques successives,
+dont le nombre dépend d'ailleurs de celui des masses cherchées. Le temps
+total doit même être d'autant plus grand que, d'après la rectification
+importante apportée par M. Poinsot à la théorie générale des aires, il
+est mathématiquement indispensable de prendre en considération celles
+qui résultent des rotations, comme je l'indiquerai plus tard au sujet du
+plan invariable. Cette obligation, en introduisant dans les équations
+les divers momens d'inertie, tendrait à doubler le nombre des époques
+nécessaires pour obtenir des résultats parfaitement rigoureux; mais en
+procurant, à la vérité, une nouvelle détermination essentielle, qui
+devait sembler d'abord encore plus inaccessible que celle des masses.
+Les observations suffisamment précises sont encore si peu anciennes que
+le passé nous offrirait à cet égard un bien petit nombre d'équations, en
+sorte qu'un tel procédé ne deviendrait entièrement applicable, sans
+aucun auxiliaire, que dans un avenir assez lointain. Je n'ai pas cru
+néanmoins pouvoir me dispenser d'indiquer cette méthode générale et
+directe, dont le caractère spéculatif est si parfait. On doit
+reconnaître d'ailleurs qu'en la réservant pour les masses qui ne sont
+pas encore bien connues d'une autre manière, et en négligeant d'abord
+les termes peu influens, le temps nécessaire à son application effective
+se trouverait notablement abrégé[13].
+
+ [Note 13: Cette méthode de M. Poinsot me fait naître
+ l'idée d'un nouveau moyen rationnel, analogue au précédent,
+ pour déterminer simultanément les masses de tous les astres
+ de notre monde, d'après un autre théorème fondamental de
+ mécanique rationnelle, la conservation nécessaire du
+ mouvement du centre de gravité de l'ensemble de ces astres,
+ quelles que puissent être les perturbations provenant de
+ leur action mutuelle. Il en résulte la constance, à une
+ époque quelconque, de la somme des produits de toutes les
+ diverses masses par les vitesses correspondantes,
+ décomposées suivant une même droite arbitraire; ce qui peut
+ fournir autant d'équations qu'on voudra comparer d'époques.
+ Dans l'estimation de ces produits pour les différentes
+ molécules de chaque astre, il est clair, quant à la
+ translation, qu'on pourrait traiter l'astre comme condensé à
+ son centre de gravité, d'après la propriété fondamentale de
+ ce point; et, quant à la rotation, cette même propriété
+ indique qu'il n'y aurait pas lieu à la considérer, puisque
+ l'ensemble des produits qui en résulteraient serait
+ nécessairement nul pour l'astre entier. Ce procédé me
+ semblerait donc plus simple que celui fondé sur le théorème
+ des aires: il exigerait moins d'équations, et par suite
+ beaucoup moins de temps pour son application complète, en ne
+ procurant point, il est vrai, l'évaluation des momens
+ d'inertie, indispensable à la détermination du plan
+ invariable. La durée totale de l'opération serait d'autant
+ moindre, que les vitesses varient avec plus de rapidité que
+ les aires, ce qui permettrait de rapprocher davantage les
+ époques comparatives d'observation.]
+
+Après le procédé général fondé sur l'analyse des perturbations, soit
+sous sa forme ordinaire, soit avec la modification si heureusement
+imaginée par M. Poinsot, le moyen le moins restreint pour évaluer les
+masses des astres de notre monde, est celui que Newton créa, dès
+l'origine, à l'égard des planètes pourvues d'un satellite. La méthode,
+aussi simple qu'immédiate, consiste à comparer le mouvement du
+satellite autour de la planète, au mouvement de celle-ci autour du
+soleil. On sait que, dans chacun d'eux, la gravitation exercée par
+l'astre central, et qui doit être en raison de sa masse, est
+proportionnelle au rapport entre le cube du demi-grand axe de l'orbite
+et le quarré du temps périodique, en ramenant l'action, suivant la loi
+ordinaire, à l'unité de distance. Ainsi, il suffit de comparer entre
+elles les deux valeurs bien connues que prend cette fraction dans les
+deux cas, pour obtenir aussitôt le rapport des masses du soleil et de la
+planète. À la vérité, on néglige alors nécessairement la masse de la
+planète vis-à-vis de celle du soleil, ou au moins du satellite envers la
+planète. Mais l'erreur qui en résulte est trop peu importante, dans
+presque tous les cas de notre monde, pour que le degré de précision
+auquel nous pouvons réellement prétendre à l'égard des masses
+planétaires en soit sensiblement affecté. La masse de Jupiter,
+déterminée ainsi par Newton, n'a reçu qu'un très léger changement des
+divers moyens qu'on a pu y appliquer depuis; et encore la différence
+tient-elle, presqu'en totalité, à ce que les données du procédé
+newtonien sont aujourd'hui mieux connues.
+
+Enfin, la méthode la plus simple et la plus directe de toutes, mais
+aussi la plus particulière, puisqu'elle est nécessairement bornée à la
+planète qu'habité l'observateur, consiste à évaluer les masses relatives
+par la comparaison des pesanteurs qu'elles produisent. Si la masse d'un
+astre bien connu était exactement déterminée, elle permettrait
+évidemment d'apprécier l'énergie de la pesanteur à sa surface, ou à une
+distance quelconque donnée: donc, réciproquement, la mesure directe de
+cette intensité suffira pour estimer la masse. Ainsi, les expériences du
+pendule ayant mesuré, avec la dernière précision, la pesanteur
+terrestre; en la diminuant, inversement au quarré de la distance, on
+saura quelle serait sa valeur à la distance dit soleil; et l'on n'aura
+dès lors qu'à la comparer avec la quantité, préalablement bien connue,
+qui exprime l'action du soleil sur la terre, pour trouver immédiatement
+le rapport de la masse de la terre à celle du soleil. Envers toute autre
+planète, ce serait, au contraire, l'évaluation de sa masse qui
+permettrait seule l'estimation de la gravité correspondante. Ce procédé
+n'est, en réalité, qu'une modification du précédent, où la chute du
+satellite se trouvait être au fond indirectement évaluée, au lieu de
+résulter d'une expérience immédiate, qui permet sans doute un peu plus
+de précision, surtout à cause de la masse du satellite, relativement à
+celles qui nous servent à mesurer la pesanteur.
+
+L'ensemble de tous ces divers moyens étant applicable à la terre, sa
+masse comparée à la masse solaire, unité naturelle à cet égard, doit
+être regardée comme la mieux connue de notre monde. La masse de la lune,
+et surtout celle de Jupiter, sont aujourd'hui estimées presque aussi
+parfaitement; viennent ensuite les masses de Saturne et d'Uranus; on
+compte moins sur les trois autres déjà évaluées, celles de Mercure, de
+Vénus et de Mars, quoique l'incertitude ne puisse pas y être très
+grande. On ignore presque entièrement les masses des quatre planètes
+télescopiques, et surtout celles des comètes, ce qui tient à leur
+extrême petitesse, qui ne leur permet aucune influence appréciable sur
+les perturbations. Ce caractère est particulièrement remarquable à
+l'égard des comètes, qui, dans leur course allongée, passent fréquemment
+dans le voisinage de forts petits astres, comme les satellites de
+Jupiter et de Saturne, sans y produire aucun dérangement perceptible.
+Quant aux satellites, en exceptant la lune, on ne connaît encore que les
+valeurs approchées des masses de ceux de Jupiter.
+
+Aucune exacte comparaison générale des résultats obtenus n'a pu
+jusqu'ici faire apercevoir entre eux une harmonie quelconque. La seule
+circonstance essentielle qu'ils présentent est l'immense supériorité de
+la masse du soleil à l'égard de tout le reste de notre monde, dont la
+masse, même réunie, en fait à peine la millième partie. On devait
+évidemment s'y attendre, du moins à un certain degré, quoique rien
+n'indiquât directement une aussi grande disproportion, si ce n'est la
+petitesse des perturbations planétaires, qui en dépend essentiellement.
+Du reste, à partir du soleil, on voit alterner, sans aucun ordre
+sensible, des masses tantôt décroissantes, tantôt croissantes. On avait
+pensé d'abord, conformément à une supposition _à priori_ de Képler, que
+les masses étaient régulièrement liées aux volumes (d'ailleurs
+irréguliers eux-mêmes, comme nous l'avons remarqué); en sorte que les
+densités moyennes fussent continuellement moindres en s'éloignant du
+soleil, en raison inverse des racines quarrées des distances. Mais,
+indépendamment de cette loi numérique, qui ne s'observe jamais
+exactement, le simple fait du décroissement des densités présente
+quelques exceptions, entre autres pour Uranus. On ne saurait d'ailleurs
+lui assigner aucun motif rationnel.
+
+Tels sont, en aperçu, les divers moyens que possède aujourd'hui
+l'astronomie, quant à l'évaluation relative des différentes masses qui
+composent notre système solaire. Mais, pour compléter cette connaissance
+fondamentale, il reste à indiquer comment on a pu rapporter enfin toutes
+ces masses à nos unités de poids habituelles, par l'importante
+détermination directe du véritable poids total de la terre, qui
+constitue une des applications les plus simples et les plus
+intéressantes de la théorie générale de la gravitation.
+
+Bouguer est le premier qui ait aperçu distinctement la possibilité d'une
+telle évaluation, en reconnaissant, dans sa célèbre expédition
+scientifique au Pérou, l'influence du voisinage des grosses montagnes
+pour altérer légèrement la direction de la pesanteur. On conçoit en
+effet, d'après la loi fondamentale de la gravitation, qu'une masse
+considérable, envisagée comme condensée en son centre de gravité, peut,
+quand le fil-à-plomb s'en trouve très rapproché, déterminer en lui, à
+raison de cette proximité, une gravitation secondaire, extrêmement
+petite sans doute vis-à-vis de celle de l'ensemble de la terre, mais
+néanmoins perceptible, qui le fasse dévier vers elle d'une quantité
+presque insensible, susceptible cependant d'être mesurée par des
+observations très délicates sur la comparaison de sa direction effective
+avec la verticale naturelle du lieu, préalablement bien connue. Cette
+déviation étant exactement appréciée, l'équation d'équilibre facile à
+établir entre l'action de la montagne et celle de la terre doit
+permettre d'en déduire le rapport des deux masses, et par suite la
+valeur de la masse terrestre, d'après le poids de la montagne, puisque
+toutes les autres quantités que renferme cette équation sont déjà
+évidemment données. Les observations astronomiques ne pouvaient pas être
+assez précises à l'époque de Bouguer pour que ce procédé fut dès lors
+réellement applicable, tant est minime la déviation sur laquelle il
+repose. Mais un demi-siècle après, Maskelyne parvint à constater, en
+Écosse, une altération de cinq à six secondes dans la direction
+naturelle de la pesanteur, et Hutton en déduisit le poids de la terre
+égal à 4-1/8 fois celui d'un pareil volume d'eau distillée à son
+_maximum_ de densité. Toutefois, un tel procédé présente évidemment,
+outre la petitesse de la déviation, une source notable d'incertitude,
+dans l'impossibilité de connaître avec assez d'exactitude le poids de la
+montagne, qui ne peut être que grossièrement obtenu d'après son volume.
+
+Quand Coulomb eut créé sa célèbre balance de torsion, destinée à la
+mesure précise des plus petites forces quelconques, Cavendish conçut la
+possibilité de déterminer beaucoup plus exactement la masse de la terre
+en la comparant, à l'aide de cet appareil, à des masses artificielles,
+susceptibles d'être parfaitement connues. C'est ainsi que, dans
+l'immortelle expérience qu'il imagina, il parvint à rendre sensible
+l'action de deux sphères de plomb sur un petit pendule horizontal, dont
+les oscillations, comparées à celles que produit la pesanteur,
+permettaient de déterminer mathématiquement, avec une précision
+remarquable, le rapport de la masse de ces sphères à celle de la terre.
+Par ce procédé bien plus parfait, Cavendish trouva la densité moyenne de
+notre globe égale à 5-1/2 fois celle de l'eau; d'où l'on peut déduire,
+si on le juge à propos, le vrai poids de la terre en kilogrammes ou en
+tonneaux.
+
+Indépendamment de l'importance d'une telle détermination, pour faire
+connaître les masses et les densités effectives de tous les astres de
+notre monde, ce qui est peu utile en astronomie, où l'on n'a besoin que
+de leurs rapports, ce résultat présente la propriété essentielle de nous
+fournir, sur la constitution intérieure de notre globe, une première
+donnée générale, qui, fort incomplète sans doute, n'en est pas moins
+infiniment précieuse, en vertu de son incontestable positivité, qui peut
+déjà suffire à exclure plusieurs conjectures hasardées. En effet, la
+densité moyenne de la terre étant, d'après cette mesure, très supérieure
+à la densité des couches qui composent sa surface, formée d'eau en si
+grande partie, il est indispensable que les couches deviennent, en
+général, de plus en plus denses, en se rapprochant du centre, sauf les
+irrégularités accidentelles, ce qui est d'ailleurs parfaitement en
+harmonie avec l'indication mathématique de la mécanique céleste à
+l'égard de toutes les planètes, comme nous le mentionnerons ci-après.
+Une conjecture quelconque sur la structure interne de la terre est donc
+désormais assujettie à cette indispensable condition, en sorte que
+celles qui n'y satisferaient pas, en supposant vide par exemple
+l'intérieur du globe, seraient, par cela même, radicalement fausses.
+Mais, ce renseignement, le seul réel qui existe encore à cet égard, est
+malheureusement très imparfait; car il ne donne évidemment aucun indice,
+même sur l'état physique des couches internes, qu'on pourrait supposer
+liquides et peut-être gazeuses, aussi bien que solides, sans que cette
+condition fût effectivement violée.
+
+La seconde grande détermination statique que nous devions caractériser
+dans la mécanique céleste, concerne l'importante et difficile étude
+mathématique de la figure des astres, envisagée comme déduite de la
+théorie générale de leur équilibre, indépendamment d'aucune mesure
+géométrique.
+
+Si la terre, ou toute autre planète, avait toujours été dans l'état de
+consistance que nous observons, la mécanique céleste n'aurait évidemment
+aucune base pour déterminer _à priori_ sa figure, puisque l'équilibre
+d'un système solide est certainement compatible avec une forme
+extérieure quelconque. C'est pourquoi les géomètres, afin d'étudier la
+figure des astres d'après les règles générales de la statique, ont dû
+les supposer antérieurement fluides, du moins à la surface, ce qui ne
+permet plus l'équilibre qu'avec certaines formes spéciales. L'accord
+remarquable des principaux résultats de cette hypothèse indispensable
+avec l'ensemble des observations directes, a démontré ensuite la
+justesse d'une conjecture indiquée d'ailleurs, surtout envers la terre,
+par beaucoup d'autres phénomènes.
+
+En considérant ainsi la question d'une manière générale, il est d'abord
+évident que, si les astres n'avaient aucun mouvement de rotation, la
+figure parfaitement sphérique conviendrait à l'équilibre de leurs
+molécules, puisque la pesanteur, dès lors constamment dirigée au centre,
+serait toujours perpendiculaire aux couches de niveau, pourvu qu'on les
+supposât homogènes, et que la densité variât seulement de l'une à
+l'autre, suivant une loi d'ailleurs arbitraire. Mais on conçoit aisément
+que la force centrifuge engendrée par la rotation doit nécessairement
+modifier cette forme primitive, en altérant plus ou moins soit la
+direction, soit l'intensité de la pesanteur proprement dite.
+
+Sous le premier point de vue, qui est celui d'Huyghens, il est facile de
+constater que si la terre, par exemple, était exactement sphérique, la
+force centrifuge écarterait sensiblement le fil-à-plomb de la direction
+perpendiculaire à la surface. Cette déviation, nécessairement nulle au
+pôle, où la force centrifuge n'existe pas, et à l'équateur, où elle agit
+suivant la même droite que la pesanteur, atteindrait son _maximum_ vers
+quarante-cinq degrés de latitude, où elle devrait être d'environ six
+minutes, et, par conséquent, très appréciable. Ainsi, la droite décrite
+par les corps dans leur chute naturelle, c'est-à-dire celle suivant
+laquelle se dirige, en chaque lieu, la résultante de la gravité et de la
+force centrifuge, ne saurait être, conformément à toutes les
+observations et à la théorie générale de l'équilibre des fluides,
+exactement perpendiculaire à la surface, qu'autant que la planète cesse
+d'être une sphère parfaite, pour devenir un sphéroïde aplati aux pôles
+et renflé à l'équateur.
+
+Il en est de même sous le point de vue de l'intensité, que Newton
+adopta. Deux colonnes fluides menées du centre de l'astre à son pôle et
+à son équateur, doivent nécessairement, pour l'égalité de leurs poids,
+avoir des longueurs inégales, puisque la gravité naturelle n'est
+nullement affaiblie dans la première par la force centrifuge, qui, au
+contraire, diminue diversement la pesanteur propre à chacun des points
+de la seconde. La comparaison des colonnes correspondantes à deux
+latitudes quelconques donnerait lieu évidemment à une remarque analogue,
+la différence y étant seulement moins prononcée. Les divers rayons de
+l'astre doivent donc augmenter graduellement depuis le pôle jusqu'à
+l'équateur, et rester seulement égaux entre eux à la même latitude,
+comme dans une surface de révolution.
+
+Cette première vue du sujet explique donc, d'une manière aussi
+élémentaire que satisfaisante, et la forme presque sphérique de tous
+nos astres, et le léger aplatissement que chacun d'eux nous présente à
+ses pôles. Mais quand on veut aller au-delà de cet aperçu général, et
+déterminer mathématiquement la véritable figure, ainsi que la valeur
+exacte de l'aplatissement, la question devient tout-à-coup
+transcendante, et présente des obstacles qui ne sauraient jamais être
+entièrement surmontés.
+
+La cause essentielle de ces hautes difficultés tient à ce que, par sa
+nature, le fond d'une telle recherche présente une sorte de cercle
+vicieux, qui ne comporte point d'issue parfaitement rationnelle. En
+effet, la théorie mathématique de l'équilibre des fluides exige
+évidemment que, pour former l'équation de la surface, on connaisse
+d'abord la vraie loi de la pesanteur dont ses diverses molécules sont
+animées. Or, d'un autre côté, cette loi ne saurait être exactement
+déterminée, d'après la théorie fondamentale de la gravitation, qu'autant
+que la forme de l'astre, et même le mode de variation de la densité dans
+son intérieur, seraient préalablement donnés. Il est donc impossible,
+même en supposant l'astre homogène, d'obtenir une solution directe et
+complète qui indique avec une pleine certitude les formes propres à
+l'équilibre, en donnant une exclusion nécessaire à toutes les autres. On
+ne peut réellement qu'essayer si telle figure proposée remplit ou non
+les conditions fondamentales. Aussi les géomètres attachent-ils avec
+raison un très grand prix au beau théorème découvert par Maclaurin, qui
+est devenu le fondement nécessaire de toutes leurs recherches à ce
+sujet[14], en démontrant que l'ellipsoïde de révolution satisfait
+exactement aux conditions de l'équilibre. Ce point de départ, que
+Maclaurin avait établi seulement dans l'hypothèse de l'homogénéité, fut
+ensuite étendu par Clairaut au cas d'un astre composé de couches dont la
+densité varie arbitrairement, et qui ne serait même que partiellement
+fluide[15]. La question a dès lors été réduite à la détermination du
+rapport des deux axes. Or, cette évaluation ne présente aucune
+difficulté en regardant l'astre comme homogène. Mais les mesures
+directes ayant toujours montré, à l'égard des diverses planètes, un
+aplatissement moindre que celui obtenu ainsi, cette hypothèse,
+directement reconnue fausse d'ailleurs envers la terre, comme nous
+l'avons vu plus haut, et évidemment invraisemblable en général, a dû
+être définitivement exclue. Dès ce moment, l'aplatissement a cessé de
+comporter une détermination directe et rigoureuse, puisque nous ignorons
+nécessairement la vraie loi suivant laquelle la densité croît de la
+surface au centre dans un astre quelconque, et qu'il serait strictement
+indispensable d'y avoir égard. Néanmoins, les travaux des géomètres, et
+surtout de Laplace, sur l'influence de diverses lois de la densité, ont
+fait connaître des limites très précieuses, souvent fort resserrées,
+entre lesquelles l'aplatissement doit inévitablement tomber. La plus
+générale et la plus usuelle consiste en ce que cet aplatissement est
+compris, de toute nécessité, pour un astre quelconque, entre les cinq
+quarts et la moitié du rapport de la force centrifuge à l'équateur à la
+gravité correspondante, puisque la première valeur aurait lieu si
+l'astre était homogène, et la seconde si la densité croissait avec une
+telle rapidité qu'elle devînt infinie au centre. C'est ainsi que
+l'aplatissement terrestre ne peut excéder un deux cent trentième, ni
+être moindre qu'un cinq cent soixante-dix-huitième; ce qui est
+parfaitement conforme aux mesures directes, que cette règle mathématique
+a plus d'une fois servi à contrôler.
+
+ [Note 14: Le travail de Newton ne fit réellement que
+ poser la question, puisqu'il y avait supposé, sans aucune
+ démonstration, la figure elliptique des méridiens, ce qui
+ réduisait dès lors la recherche à la mesure de
+ l'aplatissement, extrêmement facile dans l'hypothèse
+ d'homogénéité qu'il avait adoptée.]
+
+ [Note 15: M. Jacobi a fait tout récemment, pour le seul
+ cas de l'homogénéité, la découverte remarquable de la
+ possibilité de l'équilibre avec un ellipsoïde à trois axes
+ inégaux, dont le moindre est toujours nécessairement celui
+ du pôle.]
+
+Au reste, dans presque toutes les planètes, l'aplatissement exerce,
+comme nous l'indiquerons prochainement, une influence nécessaire et
+appréciable sur certains phénomènes de perturbation, ce qui fournit de
+nouveaux moyens indirects de le déterminer, en éludant la difficulté
+insurmontable que présente à cet égard la théorie de l'équilibre des
+astres.
+
+L'ensemble de ces évaluations coïncide avec les mesures immédiates plus
+parfaitement qu'on n'avait lieu de l'espérer d'après les causes
+fondamentales d'incertitude inhérentes à une telle recherche. Le seul
+cas qui semble présenter une exception réelle, est celui de Mars, qui,
+suivant sa grandeur, sa masse, et la durée de sa rotation, ne devrait
+être guère plus aplati que la terre, et qui cependant le serait presque
+autant que Jupiter, si les observations d'Herschell sont parfaitement
+exactes.
+
+Quoique l'équilibre soit compatible avec la figure ellipsoïdique,
+d'après le théorème de Maclaurin, la nature de cette question ne permet
+nullement d'assurer que cette forme doive être regardée comme exclusive.
+Aussi notre monde nous offre-t-il, dans les anneaux de Saturne, un
+exemple très prononcé d'une figure différente. Laplace a démontré qu'ils
+pouvaient être en équilibre, même à l'état fluide, en les supposant
+engendrés par la révolution d'une ellipse autour d'une droite
+extérieure, menée, parallèlement à son petit axe et dans son plan, par
+le centre de Saturne. L'équilibre subsisterait même encore avec
+l'inégalité de ces méridiens elliptiques, qui semble indiquée par les
+observations.
+
+La plus utile conséquence finale de la théorie mathématique des formes
+planétaires, consiste dans l'importante relation qu'elle a naturellement
+établie entre la valeur des différens degrés terrestres et l'intensité
+de la pesanteur correspondante mesurée par la longueur du pendule à
+secondes aux diverses latitudes. Il en est résulté l'heureuse faculté de
+multiplier ainsi presqu'à volonté, de la manière la plus commode, nos
+renseignemens indirects sur la figure de notre globe, tandis que
+l'estimation géométrique des degrés est une opération longue et pénible,
+qui ne saurait être fréquemment répétée avec tout le soin qu'elle exige.
+Mais, en général, plus une mesure est indirecte, tout étant d'ailleurs
+égal, moins elle est certaine. Aussi, quelque précise que soit
+réellement cette ressource, il faut reconnaître, ce me semble, que les
+procédés géodésiques convenablement appliqués n'en continuent pas moins
+à mériter la préférence, à cause de la loi intérieure des densités
+terrestres, élément inconnu qui affecte nécessairement les indications
+fournies par les expériences du pendule pour la figure de la terre.
+
+Un appendice naturel et intéressant de la théorie hydrostatique de la
+figure des planètes, consiste dans les conditions de la stabilité de
+l'équilibre des fluides qui recouvrent, en totalité ou en partie, la
+surface des astres. Laplace a établi à ce sujet un théorème général,
+aussi simple qu'important, qu'un premier aperçu semble d'ailleurs devoir
+indiquer d'avance. Il fait dépendre cette stabilité, quels que puissent
+être et le mode de répartition du fluide et la loi interne des densités,
+de la seule supériorité de la densité moyenne de l'astre sur celle du
+fluide; caractère si évidemment constaté, pour la terre, par la belle
+expérience de Cavendish. On pourrait aisément en faire le texte d'une
+cause finale, puisque la perpétuité des espèces terrestres exige
+clairement que l'équilibre des mers tende à se rétablir spontanément,
+après avoir été momentanément troublé d'une manière quelconque. Mais
+l'examen attentif du sujet fait aussitôt disparaître la finalité, en
+rendant sensible la nécessité d'un tel arrangement dans la formation
+primitive des planètes, la densité des couches ayant dû naturellement
+croître de la surface au centre, comme l'indique si nettement toute la
+théorie de la figure des astres.
+
+La grande question des marées constitue la dernière recherche
+essentielle que je crois devoir classer parmi les études principales de
+la statique céleste. Sous le point de vue astronomique, le caractère
+statique de cette théorie se montre évidemment, puisque l'astre y est
+essentiellement envisagé comme immobile. Mais ce caractère n'est pas, au
+fond, moins réel sous le point de vue mathématique, en considérant le
+véritable esprit de la solution, où l'on ne s'occupe surtout que de la
+figure vers laquelle tend l'Océan par l'équilibre périodique des
+diverses forces qui le sollicitent, sans penser aux mouvemens que
+produisent les variations de cet équilibre. Enfin, cette étude fait
+naturellement suite à celle de la figure des astres.
+
+Ce beau problème, indépendamment de son importance propre, présente un
+intérêt philosophique tout particulier, en établissant une transition
+naturelle et évidente de la physique du ciel à celle de la terre, par
+l'explication céleste d'un grand phénomène terrestre.
+
+Descartes est réellement le premier philosophe qui ait tenté de fonder
+une théorie positive des marées, exclusivement rattachées jusque alors à
+des conceptions métaphysiques, dont Képler lui-même n'avait pas cru
+pouvoir se passer. Quoique l'explication proposée par Descartes soit,
+sans doute, entièrement inadmissible, c'est néanmoins à lui que nous
+devons l'observation fondamentale de l'harmonie constante entre la
+marche générale de ce phénomène et le mouvement de la lune, qui a
+certainement contribué à mettre Newton sur la voie de la vraie théorie.
+Il suffisait, en quelque sorte, d'être averti que la cause réelle de ce
+grand phénomène devait nécessairement se trouver dans le ciel, pour que
+la théorie de la gravitation dévoilât aussitôt son explication générale,
+tant elle en résulte naturellement.
+
+L'inégale gravitation des diverses parties de l'Océan vers un quelconque
+des astres de notre monde, et particulièrement vers le soleil et la
+lune: tel est le principe, éminemment simple et lucide, d'après lequel
+Newton a ébauché la véritable théorie des marées, approfondie ensuite
+par Daniel Bernouilli, dont le beau travail n'a réellement subi depuis
+aucun perfectionnement essentiel. Essayons de caractériser nettement
+l'esprit général de cette grande recherche. La théorie convient en
+elle-même aussi bien à l'atmosphère qu'à l'Océan. Mais je considérerai
+seulement ce dernier cas, puisque les marées atmosphériques, d'ailleurs
+infiniment moindres, à cause de la masse si minime de notre enveloppe
+gazeuse, échappent essentiellement, par leur nature, à toute
+observation réelle, malgré les efforts tentés quelquefois pour en
+manifester l'influence, surtout dans les variations diurnes du
+baromètre, dont l'examen attentif pendant plusieurs années a cependant
+indiqué à M. Flaugergues une relation certaine avec le mois lunaire.
+
+En joignant le centre de la terre à un astre quelconque, les deux points
+correspondans de la surface terrestre doivent graviter évidemment l'un
+un peu plus, l'autre un peu moins que le centre lui-même, inversement
+aux quarrés de leurs distances respectives. Le premier tend donc à
+s'éloigner du centre, ce qui doit produire une certaine élévation de la
+surface fluide, et le centre tend, au contraire, à s'éloigner du second
+point, où doit survenir ainsi une élévation analogue et à très peu près
+égale. Cet effet diminue nécessairement à mesure qu'on s'écarte
+davantage de ces deux points dans un sens quelconque, et devient nul à
+quatre-vingt-dix degrés de là, où, les parties de l'Océan gravitant
+comme le centre, le niveau doit baisser pour fournir à l'exhaussement du
+reste, indépendamment d'une dépression directe presque insensible. En
+même temps, ces divers changemens de niveau font varier la pesanteur
+terrestre des eaux correspondantes; et cette seconde cause, la plus
+difficile et la plus incertaine à calculer, agit évidemment dans le
+même sens que la première, quoique avec moins d'énergie, pour
+l'établissement définitif du niveau général.
+
+On voit ainsi comment l'action d'un astre quelconque sur l'Océan, qui ne
+pourrait nullement altérer sa surface naturelle, si elle avait partout
+la même intensité, tend nécessairement, à raison de son inégale énergie
+sur les divers lieux, à la modifier un peu, en lui faisant prendre la
+forme d'un sphéroïde allongé vers l'astre. Sous ce rapport fondamental,
+la question est parfaitement semblable à celle considérée ci-dessus de
+la figure mathématique de la terre, la force centrifuge étant ici
+remplacée par la différence entre la gravitation du centre de notre
+globe et celle de sa surface vers l'astre proposé. La recherche est
+seulement encore plus compliquée, puisqu'il faut évidemment y tenir
+compte aussi de l'ellipticité naturelle du globe. Mais l'esprit et la
+marche générale de la solution mathématique doivent être essentiellement
+identiques dans les deux cas. C'est ainsi que Newton a pu d'abord
+calculer aisément la partie principale du phénomène, en supposant, sans
+la démontrer, une figure ellipsoïdique, comme il l'avait déjà fait pour
+l'autre question, et se bornant à comparer immédiatement, dans
+l'hypothèse de l'homogénéité, les deux axes de l'ellipse. De même
+encore, le théorème de Maclaurin est aussi devenu plus tard, pour Daniel
+Bernouilli, la base naturelle d'une exacte théorie des marées.
+
+Jusque là, toutefois, il n'y a point de marées proprement dites,
+c'est-à-dire ces élévations et dépressions alternatives et périodiques,
+qui en font le caractère le plus saillant. Le phénomène semble consister
+en un simple renflement fixe de la partie de l'Océan située sous l'astre
+considéré. Mais, quoiqu'un tel effet paraisse différer beaucoup d'une
+véritable marée, il n'en constitue pas moins la principale base
+mathématique de cette grande question. Il est maintenant très facile de
+concevoir la périodicité fondamentale du phénomène en introduisant la
+considération du mouvement diurne, jusque alors écartée. Si ce mouvement
+n'avait pas lieu, ou si seulement il s'exécutait autour de la droite qui
+joint l'astre au centre de la terre, toutes les parties de l'Océan
+conservant sans cesse la même situation envers cet astre, la surface de
+la mer resterait invariable, après avoir pris, dès l'origine, la forme
+convenable à son équilibre. Mais, en réalité, la rotation quotidienne de
+notre globe transporte successivement les eaux qui le recouvrent dans
+toutes les positions où l'astre tend à les élever et dans celles où il
+doit les abaisser. C'est ainsi que la marche journalière du phénomène se
+compose nécessairement de quatre alternatives périodiques à peu près
+également réparties: les deux plus grandes élévations correspondent aux
+deux passages de l'astre par le méridien du lieu, et les moindres
+niveaux à son lever et à son coucher; la période totale étant d'ailleurs
+exactement fixée par la combinaison de la rotation terrestre avec le
+mouvement propre de l'astre en un jour.
+
+Un dernier élément indispensable nous reste à indiquer, pour avoir
+établi toutes les bases de la notion abstraite des marées; c'est la
+règle générale d'après laquelle on peut apprécier à cet égard l'énergie
+des différens astres, dont aucun ne semble mathématiquement devoir être
+négligé. Cette énergie est évidemment mesurée par la différence entre la
+gravitation du centre de notre globe et celle des points extrêmes de sa
+surface vers l'astre proposé. En exécutant, d'après la loi fondamentale
+de la gravitation, cette différentiation très facile, on trouve aussitôt
+que la puissance de chaque astre pour produire nos marées est en raison
+directe de sa masse et en raison inverse du cube de sa distance à la
+terre. Il résulte de cette règle essentielle la précieuse faculté de
+déterminer rationnellement, parmi tous les astres de notre monde, quels
+sont ceux qui peuvent concourir sensiblement au phénomène, et de mesurer
+à chacun d'eux sa part d'influence. On reconnaît ainsi que le soleil, en
+vertu de sa masse immense, et la lune, par son extrême proximité,
+doivent seuls produire des marées appréciables; tous les autres corps
+célestes sont ou trop éloignés ou de trop peu de poids pour qu'il en
+résulte aucun effet perceptible. Enfin, l'action de la lune est de deux
+fois et demi à trois fois plus grande que celle du soleil. Ainsi, lors
+même que les deux astres agissent en sens opposé, c'est sur la lune que
+doit se régler constamment la marche générale du phénomène; ce qui
+explique parfaitement l'observation fondamentale de Descartes, quant à
+la continuelle coïncidence de la période des marées avec le jour
+lunaire.
+
+Toutes les considérations mathématiques précédemment indiquées ne
+s'appliquent directement qu'à la marée simple et abstraite, produite par
+un astre unique. Mais la nécessité d'envisager simultanément les actions
+de deux astres différens rendrait la solution analytiquement
+inextricable, si Daniel Bernouilli ne l'eût radicalement simplifiée, en
+y appliquant son célèbre principe dynamique sur la coexistence des
+petites oscillations, que j'ai exposé à la fin du premier volume de ce
+cours. Suivant ce principe, les marées lunaire et solaire se superposent
+sans altération, ce qui réduit aussitôt le problème à l'analyse
+partielle de chacune d'elles. Toutes les grandes variations régulières
+du phénomène s'expliquent dès lors avec une admirable facilité.
+Considérons seulement les plus importantes et les plus simples, celles
+qui correspondent aux diverses phases mensuelles de la lune. Aux deux
+syzygies, l'action solaire et l'action lunaire coïncident exactement;
+donc la marée effective doit alors atteindre son _maximum_, égal à la
+somme des deux marées élémentaires. Dans les deux quadratures, au
+contraire, le moindre niveau produit par l'un des astres accompagne
+nécessairement le plus haut niveau correspondant à l'autre; en sorte que
+l'on doit alors observer le _minimum_ d'effet, égal à la différence des
+marées simples. Aux diverses époques intermédiaires, la marée solaire
+modifie toujours inégalement la marée lunaire, et ces variations se
+reproduisent par périodes d'un mois lunaire synodique, dont elles
+doivent suivre les irrégularités séculaires. La comparaison des deux cas
+extrêmes, si les observations permettaient de l'établir avec assez
+d'exactitude, conduirait même évidemment à estimer _à posteriori_ le
+vrai rapport entre l'action de la lune et celle du soleil. Or, ce
+rapport dépendant des distances et des masses relatives des deux astres,
+suivant la règle exposée ci-dessus, on en pourrait déduire la raison de
+leurs masses, celle de leurs distances étant déjà bien connue. Cette
+considération, quoique ne devant pas être exclusivement employée, peut
+utilement concourir avec d'autres moyens pour déterminer la masse de la
+lune.
+
+Suivant la mesure fondamentale de chaque marée simple, cette classe de
+phénomènes doit éprouver un nouvel ordre de modifications régulières et
+périodiques, en vertu des changemens naturels qu'éprouve, pendant le
+cours de l'année ou du mois, la distance de la terre au soleil ou à la
+lune. Cette influence est ici proportionnellement plus sensible que dans
+beaucoup d'autres phénomènes, puisqu'elle y dépend du cube de la
+distance. Elle doit affecter particulièrement l'action lunaire,
+non-seulement comme étant la plus forte, mais encore en vertu de
+l'excentricité bien supérieure de l'orbite lunaire. Enfin, les deux
+variations peuvent se combiner de diverses manières, tantôt
+convergentes, tantôt divergentes; et elles doivent aussi modifier très
+diversement les inégalités principales, dues aux phases de la lune.
+
+Dans tout ce qui précède, le mouvement diurne de l'astre proposé est
+censé avoir exactement lieu suivant le plan de l'équateur. Mais, à une
+époque quelconque, son action doit évidemment être décomposée en deux;
+l'une, selon l'axe de rotation de la terre, et qui est nulle pour
+produire une marée; l'autre, parallèlement à l'équateur, et qui, seule,
+détermine le phénomène. Voilà donc, à cet égard, un dernier genre de
+modifications générales, indépendantes de la distance, et uniquement
+dues à la direction: en sorte que, toutes choses d'ailleurs égales,
+chaque marée élémentaire doit varier proportionnellement au cosinus de
+la déclinaison de l'astre correspondant. Telle est la raison simple de
+la différence notable, si généralement remarquée, quant à l'ensemble des
+marées, entre le mois lunaire équinoxial et le mois lunaire solsticial,
+surtout en considérant, pour notre hémisphère, le solstice d'été, où
+l'affaiblissement déterminé par la distance du soleil concourt avec
+celui qui résulte de sa direction.
+
+Quant aux variations du phénomène dans nos divers climats, la théorie ne
+peut apprécier jusqu'ici d'autre influence régulière que celle de la
+latitude. Aux deux pôles, il ne saurait exister évidemment que de
+faibles marées indirectes dues à la nécessité d'y prendre ou d'y envoyer
+les eaux qui s'élèvent ou s'abaissent ailleurs; car, là, il n'y a plus,
+à proprement parler, de mouvement diurne. À l'équateur, au contraire, le
+phénomène doit se manifester au plus haut degré possible, non-seulement
+à cause de la diminution de la pesanteur, mais surtout en vertu de la
+diversité plus complète des positions successives occupées par les eaux
+pendant la rotation journalière. En tout autre lieu, l'intensité de la
+marée doit varier proportionnellement à l'énergie de cette rotation, et,
+par conséquent, en raison du cosinus de la latitude.
+
+Tel est, en aperçu, l'esprit général de la grande théorie mathématique
+des marées, envisagée sous ses divers aspects réguliers. Toutes ses
+différentes parties, abstraction faite des évaluations numériques, sont
+dans une admirable harmonie avec l'ensemble des observations directes.
+On a même lieu d'être surpris, quant aux nombres, de ne pas les trouver
+plus différens de la réalité, convenablement explorée, lorsqu'on pense
+aux hypothèses que les géomètres ont dû faire pour rendre les calculs
+exécutables, et aux données nécessairement inaccessibles qu'exigerait
+une estimation parfaitement rationnelle. Il ne suffirait point, en
+effet, de connaître exactement l'étendue et la forme du lit de l'Océan.
+La question dépend encore évidemment d'une notion bien plus inabordable,
+la vraie loi de la densité dans l'intérieur de la terre, comme à l'égard
+de la figure des astres. Il y a même ici une circonstance nouvelle,
+suivant la judicieuse remarque de Daniel Bernouilli; car il faudrait
+connaître aussi quel est l'état, fluide ou solide, des couches internes,
+pour savoir si elles participent ou non au phénomène, et si, par
+conséquent, elles modifient l'effet produit à la surface. L'ensemble de
+ces considérations peut faire apprécier la profondeur du conseil général
+donné par Daniel Bernouilli, qui possédait à un degré si éminent le
+véritable esprit mathématique, consistant surtout dans la relation du
+concret à l'abstrait, comme je me suis efforcé de le faire sentir en
+traitant de la philosophie mathématique. Il recommande prudemment aux
+géomètres, à cet égard, ainsi que Clairaut, «de ne point trop presser
+les conséquences des formules, de peur d'en tirer des conclusions
+contraires à la vérité.» Laplace, en détaillant davantage la théorie de
+son illustre prédécesseur, n'a peut-être pas toujours fait assez
+d'attention à cette sage maxime philosophique.
+
+Quant à la comparaison générale et exacte de la théorie mathématique des
+marées avec leur observation effective, on doit reconnaître, ce me
+semble, qu'elle n'a point encore été convenablement faite, puisque
+toutes les mesures ont été prises dans des ports, ou du moins très près
+des côtes. Or, dans de telles localités, on ne peut apercevoir
+essentiellement que des marées indirectes, qui ne doivent représenter
+que fort imparfaitement les marées régulières dont elles émanent, leur
+intensité étant principalement déterminée le plus souvent par l'étendue
+et la configuration du sol, tant au fond qu'à la surface, et pouvant
+même être influencée par sa structure. C'est à de telles circonstances,
+qu'aucune théorie mathématique ne saurait évidemment considérer, qu'il
+faut sans doute attribuer ces énormes différences que présente en
+quelques lieux la hauteur des marées, aux mêmes époques, et dans des
+positions presque identiques; comme, par exemple, les marées
+comparatives de Granville et Dieppe, ou de Bristol et Liverpool. Afin
+d'apprécier empiriquement l'exactitude numérique de la théorie des
+marées, il serait indispensable d'entreprendre, pendant un nombre
+d'années assez grand pour que les diverses variations régulièrement
+prévues fussent plusieurs fois reproduites, une suite continue
+d'observations précises, dans une île très petite, située à l'équateur,
+et à trente degrés au moins de tout continent. Tel est le seul contrôle
+réellement susceptible de contribuer essentiellement à vérifier et
+surtout à perfectionner la théorie générale des marées mathématiques.
+
+Quelque incertitude inévitable que présentent plusieurs données de cette
+grande théorie, surtout dans son application à nos ports, elle n'en
+reçoit pas moins, de notre expérience journalière, la sanction la plus
+décisive et la plus utile, puisqu'elle atteint le but définitif de toute
+science réelle, une exacte prévision des événemens, propre à régler
+notre conduite. Les principales circonstances locales devant avoir, à
+l'exception des vents, une influence essentiellement constante, il a été
+possible de modifier heureusement, d'après l'observation, pour chaque
+port, les deux coefficiens fondamentaux, relatifs à la hauteur moyenne
+des marées, et à l'heure de leur entier établissement; ce qui a permis
+de rendre toutes les déterminations mathématiques suffisamment conformes
+à la réalité. C'est ainsi que, depuis un siècle, une classe importante
+de phénomènes naturels, généralement regardés jusque alors comme
+inexplicables, a été ramenée avec précision à des lois invariables, qui
+en excluent irrévocablement toute intervention providentielle et toute
+conception arbitraire.
+
+Tels sont les caractères philosophiques des trois hautes questions dont
+se compose la mécanique céleste, envisagée sous le point de vue
+statique. Il nous reste maintenant à entreprendre, dans la leçon
+suivante, le même examen général à l'égard des phénomènes vraiment
+dynamiques que présente notre monde, et dont l'étude a été précédemment
+ébauchée par la géométrie céleste, résumée dans les trois grandes lois
+de Képler, qui éprouvent en réalité des modifications indispensables à
+connaître pour l'exacte prévision de l'état du ciel à une époque
+quelconque.
+
+
+
+
+VINGT-SIXIÈME LEÇON.
+
+Considérations générales sur la dynamique céleste.
+
+La gravitation mutuelle des différens astres de notre monde doit
+nécessairement altérer la parfaite régularité de leur mouvement
+principal, déterminé, conformément aux lois de Képler, par la seule
+pesanteur de chacun d'eux vers le foyer de son orbite. Parmi ces divers
+dérangemens, les plus considérables furent directement observés dès
+l'origine de l'astronomie mathématique dans l'école d'Alexandrie;
+d'autres ont été aperçus plus tard de la même manière, à mesure que
+l'exploration du ciel est devenue plus précise; enfin, les moindres
+n'ont pu être découverts que par l'emploi des moyens d'observation les
+plus perfectionnés de l'astronomie moderne. Tous sont maintenant
+expliqués, avec une admirable exactitude, par la théorie générale de la
+gravitation, qui a même devancé quelquefois l'inspection immédiate à
+l'égard des moins prononcés. Cet important résultat de l'ensemble des
+grands travaux mathématiques exécutés, dans le siècle dernier, par les
+successeurs de Newton, constitue une des vérifications les plus
+décisives de la théorie newtonienne, surtout en ce qu'il met hors de
+doute l'universelle réciprocité de la gravitation entre tous les corps
+qui composent notre système solaire.
+
+Le caractère fondamental de cet ouvrage et ses limites nécessaires
+interdisent évidemment de considérer ici séparément chacun de ces
+nombreux problèmes, dont les difficultés sont d'ailleurs
+essentiellement analytiques, leurs équations différentielles étant
+presque toujours très faciles à former, d'après les règles de la
+dynamique rationnelle. L'esprit général des recherches de mécanique
+céleste se trouve être suffisamment caractérisé par les questions
+examinées dans la leçon précédente, les seules, en réalité, qui exigent
+des conceptions propres, indépendantes du calcul. Nous devons donc ici
+nous borner essentiellement à examiner le plan rationnel et la nature
+générale des principales études relatives aux modifications des
+mouvemens célestes.
+
+À l'égard de ces mouvemens, comme envers tous les autres, il importe
+beaucoup de distinguer d'abord, avec Lagrange, deux genres principaux
+d'altérations, qui diffèrent profondément, aussi bien quant à leur
+théorie mathématique que par les circonstances qui les constituent: les
+changemens brusques, provenant de chocs ou d'explosions internes, dont
+l'action peut, sans aucun inconvénient, être conçue instantanée; les
+changemens graduels, ou les perturbations proprement dites, dues à
+l'influence continue des gravitations secondaires, dont l'effet dépend
+du temps écoulé. Quoique le premier ordre de dérangemens soit, sans
+doute, dans notre monde, presque entièrement idéal, il n'en est pas
+moins essentiel à considérer, ne fût-ce que comme un préliminaire
+indispensable à l'étude du second, dont l'esprit consiste, en effet, à
+traiter chaque gravitation perturbatrice comme une suite de petites
+impulsions, selon la méthode ordinaire de la mécanique rationnelle.
+
+L'influence des changemens brusques, bien qu'elle puisse être beaucoup
+plus grande que celles des simples perturbations, comporte une étude
+infiniment plus facile. Il est clair, en effet, que les lois de Képler
+ne doivent point cesser, pour cela, d'être exactement maintenues: tout
+au plus, l'ellipse pourrait-elle dégénérer en parabole ou en hyperbole,
+comme je l'ai indiqué dans l'avant-dernière leçon. Tout l'effet doit
+évidemment consister à donner subitement de nouvelles valeurs aux six
+élémens fondamentaux du mouvement elliptique, puisque rien n'est changé
+dans les forces accélératrices. Après une telle variation, ces nouveaux
+élémens resteront d'ailleurs aussi fixes qu'auparavant, jusqu'à ce qu'il
+survienne quelque autre événement semblable. D'ailleurs l'altération
+peut porter indifféremment sur chacun des six élémens, dont plusieurs
+sont, au contraire, fort peu affectés par les perturbations.
+
+On éprouverait de vraies difficultés mathématiques à déterminer
+rationnellement, d'après les règles de la mécanique abstraite, quel doit
+être l'effet d'un choc ou d'une explosion sur le changement instantané
+de la vitesse actuelle d'un astre, quant à son intensité et à sa
+direction. Mais, cette variation une fois donnée, il est au contraire
+facile d'en déduire, comme Lagrange l'a montré, les nouvelles valeurs
+des élémens fondamentaux, et par suite toutes les modifications que
+pourra présenter le mouvement de translation. La question pourrait être
+beaucoup plus compliquée à l'égard de la rotation, si l'événement ne se
+bornait point à en altérer la durée, et qu'il changeât la direction de
+l'axe autour duquel elle s'exécute. Car, la nouvelle droite cessant
+d'être un des axes dynamiques principaux de l'astre, cet événement,
+quoique instantané, deviendrait nécessairement, d'après la théorie
+générale de la rotation, la source d'une suite perpétuelle, ou du moins
+très prolongée, d'altérations difficiles à analyser; ce qui ne saurait
+jamais avoir lieu, quant à la translation.
+
+Quoique le choc mutuel de deux astres et la rupture d'un astre unique en
+plusieurs fragmens séparés par suite d'une explosion interne, puissent
+déterminer des variations quelconques dans tous les élémens
+astronomiques de leur mouvement elliptique, il existe deux relations
+fondamentales, qui, d'après les lois générales du mouvement, doivent
+rester, même alors, nécessairement inaltérables, et qui pourraient, ce
+me semble, en les employant convenablement, nous conduire souvent à
+constater la réalité de tels événemens à une époque quelconque. Ce sont
+les deux propriétés essentielles de la conservation du mouvement du
+centre de gravité et de l'invariabilité de la somme des aires, qui
+reposent seulement, comme on sait, sur l'égalité entre la réaction et
+l'action, à laquelle sans doute de tels changemens ne cesseraient point
+de se conformer. Il en résulte deux équations très importantes entre les
+masses, les vitesses et les positions des deux astres ou des deux
+fragmens du même astre, considérées avant et après l'événement.
+
+Aucun indice ne paraît jusqu'ici nous autoriser à penser que le cas du
+choc se soit jamais réellement présenté dans notre monde, et l'on
+conçoit en effet combien la rencontre de deux astres doit y être
+difficile, sans qu'elle y soit, néanmoins, mathématiquement impossible.
+Mais, il n'en est nullement ainsi à l'égard des explosions. L'identité
+presque parfaite des moyennes distances et des temps périodiques propres
+aux quatre petites planètes situées entre Mars et Jupiter, a conduit,
+comme on sait, M. Olbers à conjecturer ingénieusement qu'elles formaient
+autrefois une planète unique, dont une forte explosion interne aurait
+déterminé la division en plusieurs fragmens séparés. Presque toutes les
+autres circonstances caractéristiques de ces petits astres sont en
+harmonie avec cette opinion, à laquelle Lagrange a ajouté, d'après
+l'irrégularité de leur figure, que l'événement a dû être postérieur à la
+consolidation de la planète primitive. Quand leurs masses seront
+connues, je pense que cette hypothèse pourra être soumise à une
+vérification mathématique, qu'il me suffit d'indiquer ici, suivant les
+deux théorèmes précédemment mentionnés. En calculant ainsi les positions
+et les vitesses successives du centre de gravité du système de ces
+quatre planètes, on devrait, en effet, d'après une telle origine,
+retrouver le mouvement principal de l'astre primitif. Si donc les
+résultats de ces calculs représentaient ce centre de gravité décrivant
+une ellipse autour du soleil pour foyer, et son rayon vecteur traçant
+des aires proportionnelles aux temps, cet événement serait aussi
+constaté, ce me semble, que peut l'être un fait dont on n'a pas été
+témoin. Mais notre ignorance actuelle au sujet des momens d'inertie et
+surtout des masses de ces petits corps ne permet point encore
+d'assujettir la conjecture de M. Olbers à une semblable épreuve. Il n'en
+est pas moins intéressant, sous le point de vue philosophique, de voir
+comment la mécanique céleste peut parvenir à constater, d'une manière
+entièrement positive, de tels événemens, qui paraissent ne devoir
+laisser aucun témoignage appréciable. Il est, d'ailleurs, évident que la
+nature instantanée de ces changemens nous interdirait nécessairement
+d'en reconnaître l'époque, puisque les phénomènes seraient exactement
+les mêmes, que l'explosion fût récente ou ancienne; tandis qu'il n'en
+est point ainsi à l'égard des perturbations.
+
+Lagrange a pensé, avec beaucoup de vraisemblance, que le cas des
+explosions avait été très fréquent dans notre monde, et qu'on pouvait
+expliquer ainsi l'existence des comètes, d'après la grandeur des
+excentricités et des inclinaisons et la petitesse des masses, qui les
+caractérisent principalement. Il suffit, en effet, de concevoir qu'une
+planète ait éclaté en deux fragmens extrêmement inégaux, pour que le
+mouvement du plus considérable soit resté presque tel qu'auparavant,
+tandis que le plus petit aura pu décrire une ellipse très allongée et
+fort inclinée à l'écliptique. L'intensité de l'impulsion nécessaire à ce
+dernier changement est, en général, assez médiocre, comme Lagrange l'a
+établi, et d'ailleurs d'autant moindre que la planète primitive est plus
+éloignée du soleil. Cette opinion me paraît beaucoup plus satisfaisante
+que toutes celles qui ont été proposées au sujet des comètes,
+quoiqu'elle soit loin, sans doute, d'être jusqu'ici démontrée.
+
+Passons maintenant à la considération bien plus importante et bien
+autrement difficile des perturbations proprement dites, principal objet
+de la mécanique céleste pour le perfectionnement des tables
+astronomiques.
+
+Elles doivent être distinguées en deux classes générales, suivant
+qu'elles portent sur les mouvemens de translation, ou de rotation. La
+théorie abstraite des rotations constituant, par sa nature, comme nous
+l'avons reconnu en philosophie mathématique, la partie la plus difficile
+de la dynamique des solides, il en doit être nécessairement de même pour
+l'application au ciel.
+
+Heureusement, les mouvemens de rotation sont, en général, moins altérés,
+dans notre monde, que ceux de translation; et surtout, leurs
+perturbations sont bien moins importantes à connaître, si ce n'est dans
+le seul cas de la terre. Envisageons d'abord l'étude des translations,
+où les astres doivent être traités comme condensés en leurs centres de
+gravité.
+
+Quoiqu'il fût aisé de former, d'après les règles de la dynamique
+rationnelle, les équations différentielles du mouvement d'un quelconque
+des astres de notre monde, sollicité par ses diverses gravitations
+variables vers tous les autres, l'ensemble de ces équations ne
+constituerait, en réalité, dans l'état présent de nos connaissances
+mathématiques, et probablement toujours, qu'une énigme analytique
+absolument inextricable, dont il serait impossible de tirer aucun parti
+effectif pour l'étude des phénomènes célestes. Obligés de renoncer à
+cette marche directe, la seule pleinement rationnelle, les géomètres ont
+dû se réduire à analyser séparément le mouvement de chaque astre autour
+de celui qui en est le foyer, en ne considérant à la fois qu'un seul
+astre modificateur. C'est ce qui constitue, en général, le célèbre
+problème des trois corps, quoique cette dénomination n'ait d'abord été
+employée que pour la théorie de la lune. On conçoit aisément à quelles
+circonvolutions doit entraîner une telle manière de procéder, puisque
+l'astre qui modifie, étant à son tour modifié par d'autres, ses
+perturbations exigent un retour indispensable à l'étude du corps
+primitif. À quelques expédiens que notre impuissance mathématique nous
+contraigne de recourir, nous ne saurions empêcher que la détermination
+de l'ensemble des mouvemens de notre monde ne constitue nécessairement
+par sa nature, un problème vraiment unique, et non une suite de
+problèmes détachés les uns des autres. Cette séparation irrationnelle,
+et néanmoins impérieusement prescrite par l'imperfection de notre
+analyse, est la première source des modifications si multipliées dont
+les géomètres sont forcés de surcharger successivement leurs formules
+célestes.
+
+Si le problème des trois corps comportait une solution rigoureuse, ces
+corrections pourraient être bien moindres et surtout beaucoup moins
+nombreuses, puisque, en prenant pour type le mouvement qui lui
+correspond dans chaque cas, les mouvemens effectifs ne s'en écarteraient
+qu'à très peu d'égards et de quantités presque insensibles. Mais le
+problème fondamental et élémentaire de deux corps, dont l'un est même
+regardé comme fixe, c'est-à-dire le problème du mouvement elliptique,
+représenté par les lois de Képler, est le seul dont notre analyse
+actuelle permette une solution vraiment rationnelle, et encore
+avons-nous reconnu combien sont pénibles les calculs qu'elle exige.
+C'est donc à ce type, plus éloigné de la réalité, que les géomètres sont
+obligés de rapporter, par des approximations successives extrêmement
+compliquées, les vrais mouvemens des astres, en accumulant les
+perturbations produites séparément par chaque corps susceptible d'une
+influence appréciable; l'intégration des équations relatives au cas des
+trois corps ne pouvant s'opérer que par des séries ordonnées de diverses
+manières suivant les perturbations qu'on veut mettre en évidence.
+
+La petitesse ordinaire des perturbations a d'abord naturellement
+introduit cette manière de procéder, puisque le mouvement elliptique
+représente suffisamment, pendant un temps plus ou moins long, le
+véritable état du ciel. Elle a été ensuite érigée en principe, quand les
+géomètres ont bien connu la nature mathématique du problème général, et
+l'impossibilité de le traiter autrement que par approximation. C'est
+Lagrange qui a essentiellement donné à cette marche nécessaire son
+caractère méthodique définitif, en créant sa célèbre théorie générale de
+la variation des constantes arbitraires, si fondamentale dans toute la
+mécanique céleste, dont elle tend à régulariser les recherches et à
+rendre les procédés uniformes aussi rationnels que le comportent les
+difficultés insurmontables radicalement inhérentes à la question réelle.
+L'esprit de cette théorie consiste à concevoir le mouvement effectif
+d'un astre quelconque comme s'il était véritablement elliptique, mais
+avec des élémens variables, au lieu d'élémens fixes. Dès lors, Lagrange
+a établi des formules analytiques entièrement générales, pour
+déterminer les variations qu'éprouve chacun des six élémens, lorsque la
+force perturbatrice est donnée. L'étude de la mécanique céleste sera
+beaucoup simplifiée, quand l'usage direct de cette belle méthode y
+deviendra prépondérant.
+
+Pour se diriger dans le choix des perturbations dont il convient
+d'apprécier l'influence, la loi fondamentale de la gravitation permet
+immédiatement de comparer avec exactitude les diverses influences
+secondaires propres à chaque cas, du moins en regardant toutes les
+masses comme bien connues. Il suffit, en effet, de diviser le rapport
+des masses de deux astres modificateurs par le quarré du rapport de
+leurs distances à l'astre modifié, et ce quotient fait aussitôt
+distinguer quelle est la force perturbatrice qu'il faut principalement
+considérer, et quelle peut être, en général, la part d'influence de
+chacune des autres. Sous ce rapport fondamental, il faut reconnaître que
+la constitution effective de notre monde favorise éminemment la
+simplification de nos recherches mathématiques. Car, les astres qui le
+composent ont tous, comparativement au soleil, des masses extrêmement
+faibles, ce qui est la condition première de la petitesse habituelle des
+perturbations; mais, de plus, ils sont peu nombreux, très écartés les
+uns des autres, et fort inégaux en masse, d'où il résulte que, dans
+presque tous les cas, et surtout dans les plus importans, le mouvement
+principal n'est sensiblement modifié que par l'action d'un seul corps.
+Si, comme il arrive peut-être dans quelque autre monde, les astres du
+système eussent été, au contraire, plus multipliés, presque égaux en
+masse, très rapprochés, et beaucoup moins différens de l'astre central,
+quand même les inclinaisons et les excentricités de leurs orbites
+eussent continué à être fort petites, il est évident que les
+perturbations seraient devenues beaucoup plus considérables, et surtout
+bien plus variées, puisqu'un grand nombre de corps auraient presque
+également concouru à chacune d'elles. Ainsi, dans un tel arrangement, la
+mécanique céleste aurait probablement présenté une complication
+inextricable, n'étant plus essentiellement réductible au seul problème
+des trois corps.
+
+L'étude dynamique des modifications du mouvement elliptique des
+différens astres de notre monde, reproduit naturellement, et par les
+mêmes motifs, la distinction fondamentale que j'ai établie dans la
+vingt-troisième leçon, sous le point de vue géométrique, entre les trois
+cas généraux, inégalement difficiles, des planètes, des satellites et
+des comètes. En procédant avec toute la rigueur mathématique, il
+faudrait ici considérer sans doute un nouveau cas, celui du soleil, qui
+ne peut plus être regardé comme parfaitement immobile, en vertu de la
+réaction nécessaire que les planètes exercent sur lui. Les phénomènes
+intérieurs de notre monde ne comportent en effet d'autre point
+absolument fixe que le centre de gravité général de ce système, dont la
+position, d'après les lois abstraites du mouvement, demeure entièrement
+indépendante de toutes les actions mutuelles, quand même elles seraient
+beaucoup plus grandes. C'est, à vrai dire, ce centre de gravité qui
+constitue le foyer réel des mouvemens planétaires, et le soleil lui-même
+doit osciller continuellement autour de lui, dans des directions
+toujours variables suivant la situation des planètes. Mais, d'après la
+grandeur et la masse du soleil comparées aux distances et aux masses de
+tous les autres corps du système, il est évident que ce point tombe
+toujours entre le centre du soleil et sa surface. Ce serait donc
+affecter vainement d'introduire dans la dynamique céleste une précision
+qu'elle ne saurait comporter par tant d'autres motifs bien plus
+puissans, que d'y vouloir tenir compte de ces oscillations solaires,
+dont aucune observation ne parviendra probablement jamais à constater
+l'existence. On doit donc continuer à traiter le soleil comme
+rigoureusement fixe, sauf sa rotation. La même considération ne semble
+pas d'abord devoir être aussi négligée dans les systèmes partiels formés
+par une planète et ses satellites, où la disproportion des masses est
+quelquefois beaucoup moindre. Mais les distances étant pareillement
+réduites, le résultat se trouve être essentiellement identique, même à
+l'égard du système de la terre et de la lune, qui offre la disposition
+la plus défavorable, et dont néanmoins le centre de gravité est toujours
+situé dans l'intérieur de la terre. Cette circonstance peut donc être
+entièrement écartée de l'étude des mouvemens de translation, qui n'en
+sauraient éprouver que des modifications imperceptibles. Ainsi, la
+mécanique céleste ne présente réellement, dans cette étude, d'autres
+problèmes essentiels que ceux déjà traités, sous un autre point de vue,
+par la géométrie céleste.
+
+Le problème des planètes est ici, comme là, le plus simple de tous, et
+par suite des mêmes caractères, la petitesse des excentricités et des
+inclinaisons de leurs orbites, qui doit évidemment simplifier autant les
+approximations dynamiques que les séries géométriques. Outre cette
+influence algébrique, il en résulte surtout une bien plus grande fixité
+des perturbations, puisque chaque astre, demeurant toujours ainsi dans
+les mêmes régions célestes, se trouve sans cesse dans les mêmes rapports
+mécaniques, quoique leur intensité varie nécessairement entre certaines
+limites. Le cas le moins avantageux de cette première classe est
+malheureusement celui de notre planète, à cause du lourd satellite qui
+l'escorte de si près, et auquel sont dues ses principales perturbations,
+ce qui ne l'empêche pas d'ailleurs d'être sensiblement troublée, en
+outre, à l'époque des oppositions, surtout par une masse aussi
+supérieure que celle de Jupiter. Aucune autre planète à satellites ne se
+trouve dans un ensemble de conditions aussi défavorables; car, le
+mouvement de Jupiter, par exemple, ne saurait être notablement dérangé
+par l'action de ses satellites, quoique proportionnellement plus
+voisins, puisque la masse du plus considérable n'est pas tout-à-fait la
+dix-millième partie de la sienne, tandis que la masse lunaire est
+seulement soixante-huit fois moindre que celle de notre globe. Aussi la
+circulation de Jupiter n'est-elle sensiblement altérée que par
+l'influence de Saturne. Le cas le plus simple paraît toutefois devoir
+être celui d'Uranus, comme étant la dernière planète, en même temps
+qu'elle se trouve toujours extrêmement loin de celle qui la précède
+immédiatement: ses six satellites ne paraissent pas troubler beaucoup
+son mouvement.
+
+Le problème des satellites est nécessairement plus compliqué que celui
+des planètes, à cause de la mobilité du foyer du mouvement principal,
+comme en géométrie céleste. Il en résulte que, même abstraction faite
+des perturbations qui lui sont propres, toutes celles qu'éprouve la
+planète correspondante viennent inévitablement se réfléchir sur lui.
+C'est ainsi, par exemple, que la petite accélération perpétuelle du
+moyen mouvement de la lune avait si long-temps vainement occupé les
+fondateurs de la mécanique céleste, qui la regardaient comme
+inexplicable, jusqu'à ce que Laplace eût démêlé sa véritable cause dans
+la légère variation à laquelle est assujettie l'excentricité de l'orbite
+terrestre. Quant aux perturbations directes du mouvement des satellites,
+le problème général exige une distinction essentielle, suivant que la
+planète a un seul satellite, ou plusieurs. Dans le premier cas, qui
+n'existe que pour la lune, l'astre perturbateur est essentiellement le
+soleil, à cause de son inégale action sur la planète et sur son
+satellite. Il est clair, en effet, que si la terre et la lune
+gravitaient vers le soleil avec la même énergie et dans la même
+direction, cette action commune ne pourrait aucunement altérer le
+mouvement relatif de la lune en vertu de sa pesanteur terrestre. La
+différence de direction peut être presque négligée, mais non celle
+d'intensité. Il en résulte une force perturbatrice, dont la loi doit
+être naturellement analogue à celle considérée dans la leçon précédente
+au sujet des marées, en raison directe de la masse du soleil et inverse
+du cube de sa distance à la terre. Elle est ainsi seulement cent
+quatre-vingts fois plus petite que l'action de la terre sur la lune, et,
+par conséquent, elle doit fortement altérer le mouvement principal.
+C'est par là, entre autres, que les géomètres ont exactement expliqué
+ces grands dérangemens connus dès l'origine de l'astronomie, la
+révolution rétrograde des noeuds de l'orbite lunaire en dix-neuf ans
+environ, et celle, encore plus rapide, de son périgée en un peu moins de
+neuf ans. Il en est de même des inégalités moins prononcées, qui ne
+sauraient être énumérées ici. Il faut considérer, en outre, que la force
+perturbatrice variant alors, d'après la distance, bien plus rapidement
+que pour les planètes, le déplacement de la terre, même en s'y bornant
+au mouvement elliptique, change sensiblement l'intensité de cette force,
+ce qui introduit une complication nouvelle dans la théorie lunaire.
+Cependant, si cette théorie est justement réputée plus difficile que
+celle d'aucun autre satellite, cela tient surtout à ce que sa précision
+nous importe bien davantage, en même temps que les observations
+manifesteraient beaucoup mieux son imperfection. Car, d'ailleurs, sous
+le point de vue mathématique, il y a réellement une complication bien
+supérieure dans le cas de la pluralité des satellites, qui nous reste
+maintenant à signaler. Alors, en effet, toutes les considérations
+propres au cas précédent se reproduisent nécessairement, à l'égard du
+mouvement de chaque satellite, quoique leur influence puisse être
+réellement moindre. De plus, il faut tenir compte de l'action encore
+plus embarrassante, et pourtant aussi essentielle au moins, des divers
+satellites les uns sur les autres. Les complications hypothétiques
+indiquées ci-dessus envers les planètes d'un autre monde, se trouvent
+ici pleinement réalisées par l'extrême rapprochement et l'inégalité peu
+prononcée de ces différentes masses, qui peuvent être au nombre de six
+ou sept à traiter simultanément. Cette difficulté fondamentale se
+trouve, il est vrai, un peu compensée par la prépondérance de l'action
+de la planète, beaucoup plus prononcée que dans le cas précédent, et qui
+doit rendre les perturbations mutuelles des satellites bien moins
+considérables. Mais les obstacles inhérens à cette recherche n'en sont
+pas moins tels que jusqu'ici la mécanique céleste n'a réellement établi
+à cet égard que la théorie des satellites de Jupiter, au sujet desquels
+Laplace a découvert deux propriétés remarquables que présentent
+constamment, malgré toutes leurs perturbations, les positions et les
+vitesses de trois d'entre eux. Les tables des satellites de Saturne et
+d'Uranus ne sont encore construites que sous le point de vue
+géométrique, sans qu'on ait même aucune valeur approchée de leurs
+masses. Il faut reconnaître, toutefois, que nous n'avons heureusement
+aucun besoin de rendre leur étude aussi parfaite que celle de la lune,
+leur office pratique à l'égard de la détermination des longitudes
+pouvant être aisément suppléé. On conçoit d'ailleurs que notre grand
+éloignement de ces mondes secondaires nous permet de représenter
+suffisamment leur observation par une théorie bien plus grossière que ne
+doit l'être celle relative à un astre aussi rapproché que la lune, dont
+les moindres irrégularités nous deviennent nécessairement très
+appréciables. Quoique la mécanique céleste ait quelquefois réellement
+devancé l'exploration directe envers certains petits phénomènes peu
+importans, il ne faut point, ce me semble, que de tels exemples nous
+conduisent à exagérer notre ambition spéculative, qui doit sans doute se
+réduire, en général, à porter dans nos explications un degré de
+précision correspondant à celui des observations effectives. Un tel rôle
+est certainement assez élevé et assez difficile, pour provoquer le plus
+complet développement de nos forces intellectuelles: le reste serait,
+même en astronomie, essentiellement illusoire.
+
+Quelles que soient les difficultés fondamentales de la théorie dynamique
+des satellites, les circonstances caractéristiques propres au problème
+des comètes doivent le rendre encore plus compliqué. Il est clair, en
+effet, que, par suite de l'extrême allongement et de l'inclinaison en
+tous sens de leurs orbites, ces astres se trouvent, pendant leur
+révolution autour du soleil, dans des rapports mécaniques
+continuellement variables, à cause des différens corps près desquels ils
+viennent successivement à passer; tandis que les planètes, et même les
+satellites, ont toujours au contraire les mêmes relations, dont
+l'intensité seule varie. Les comètes s'éloignent ainsi à tel point du
+soleil, et se rapprochent tellement des diverses planètes, que la force
+perturbatrice peut devenir presque égale à la gravitation principale,
+dont elle n'est jamais, en tout autre cas, qu'une fraction très
+médiocre: il ne serait nullement impossible que cet effet devînt assez
+prononcé pour dénaturer entièrement le mouvement de la comète, et la
+convertir en un satellite, lorsqu'elle arrive dans le voisinage d'une
+planète considérable, comme Jupiter, Saturne, ou même Uranus. En restant
+dans les cas ordinaires, il faut noter, en outre, que la masse
+extrêmement petite de toutes les comètes rend nécessairement leurs
+diverses perturbations beaucoup plus prononcées qu'elles ne le seraient
+pour des masses supérieures qui circuleraient de la même manière: sans
+compter que leur poids éprouve probablement quelques variations,
+impossibles à apprécier, par l'absorption que peuvent exercer d'autres
+corps très voisins sur une partie de leur atmosphère, quand celle-ci est
+très étendue; absorption qui, très petite sans doute en elle-même,
+devient peut-être fort sensible à la longue, puisqu'elle doit
+naturellement se reproduire à chaque révolution. Telles sont les
+conditions principales qui produisent nécessairement l'extrême
+imperfection de la théorie des perturbations cométaires, indépendamment
+des inconvéniens algébriques qui résultent directement de la grandeur
+des excentricités et des inclinaisons pour compliquer les séries qui s'y
+rapportent, de même qu'en géométrie céleste. Voilà surtout ce qui rend
+si difficile et souvent si incertaine la prévision exacte du retour de
+ces petits astres, qui, lorsque nous croyons, après de longs et pénibles
+travaux, avoir suffisamment calculé toutes leurs modifications
+possibles, éprouvent quelquefois, par suite d'une circonstance oubliée,
+une forte perturbation susceptible de changer complètement leurs
+périodes: comme la comète de 1770, calculée par Lexell, en a offert un
+mémorable exemple, cet astre, dont la révolution était alors de moins de
+six ans, n'ayant pas reparu une seule fois depuis, à cause du grand
+dérangement qu'il a subi en passant très près de Jupiter. Il faut
+reconnaître, toutefois, que les mêmes caractères en vertu desquels
+l'étude des comètes est si imparfaite, font aussi qu'elle ne saurait
+avoir pour nous une grande importance réelle. Car, l'extrême variation
+de leurs distances ne leur permettrait d'exercer sur les autres astres
+de notre monde qu'une action presque instantanée, que leur peu de poids
+doit d'ailleurs rendre entièrement insensible, même sur d'aussi petits
+corps que les satellites. Le passage de la comète de 1770 entre les
+satellites de Jupiter, vérifia d'une manière frappante cette loi
+nécessaire, puisque leurs tables, calculées d'avance sans penser à cet
+événement inattendu, n'en continuèrent pas moins à se trouver encore
+parfaitement conformes aux observations directes, ce qui prouve
+clairement que leurs mouvemens n'avaient pas été sensiblement dérangés.
+Les craintes puériles qui ont remplacé les terreurs religieuses
+inspirées par les comètes avant que nous les eussions ramenées à des
+théories positives, ne sauraient donc avoir aucun fondement réel. Quant
+à leur choc contre la terre, il est évidemment presque impossible, et,
+néanmoins, c'est seulement ainsi que leur influence deviendrait
+sensible. Leur voisinage, même extrême, ne pourrait avoir d'autre effet
+que d'augmenter un peu la hauteur de la marée correspondante. Or, même
+sous ce rapport, on voit clairement que, si une comète venait à passer
+deux ou trois fois plus près de nous que la lune, ce qui est fort loin
+d'être possible à l'égard d'aucune comète connue, une masse aussi minime
+ne produirait, dans nos marées, qu'un accroissement imperceptible.
+L'inévitable imperfection d'une telle théorie est donc, en réalité, peu
+regrettable, si ce n'est sous un point de vue indirect qui sera indiqué
+plus bas.
+
+Considérons maintenant la seconde classe principale des perturbations,
+celles relatives aux rotations, dont l'étude présenterait, par sa
+nature, des difficultés d'un ordre encore plus élevé, si sa précision
+avait en général autant d'importance, et si quelques circonstances
+favorables ne la simplifiaient beaucoup, dans le seul cas vraiment
+essentiel à bien analyser.
+
+Les ellipsoïdes célestes ont dû nécessairement sinon commencer, ce qui
+serait fort invraisemblable, du moins finir, au bout d'un temps plus ou
+moins long, par tourner autour d'un de leurs trois axes dynamiques
+principaux, et même de celui à l'égard duquel la rotation a le plus de
+stabilité, c'est-à-dire de leur moindre diamètre. Car, d'après la
+théorie de la figure des astres, c'est leur rotation même qui a produit,
+comme nous l'avons vu, leur écartement de la forme parfaitement
+sphérique, et qui l'a naturellement déterminé dans ce sens le plus
+favorable à la stabilité. Ainsi, sous ce rapport fondamental, comme sous
+tant d'autres, l'ordre s'est établi spontanément dans notre monde. Du
+reste, la stabilité de la rotation d'un astre, quant à ses pôles et
+quant à sa durée, est évidemment si indispensable à l'existence des
+corps vivans à sa surface, que l'on pourrait, _à priori_, garantir cette
+stabilité, du moins pour la terre et pour tous les astres habités, à
+partir de l'époque où la vie y est devenue possible. Mais, si la
+rotation de chaque corps céleste, envisagé comme isolé, est
+naturellement stable, la gravitation de ses diverses parties vers le
+reste de notre monde lui fait éprouver, non moins nécessairement,
+certaines modifications secondaires, qui ne peuvent porter que sur la
+direction absolue de son axe dans l'espace. Ces modifications
+n'importent réellement à connaître qu'envers la terre; car,
+fussent-elles extrêmement prononcées à l'égard des autres astres, il
+n'en saurait évidemment résulter pour nous aucune action appréciable, ni
+même, suivant la remarque ci-dessus indiquée, aucun intérêt sympathique.
+
+D'après les lois fondamentales du mouvement, la rotation d'un corps
+quelconque autour de son centre de gravité s'exécute nécessairement de
+la même manière que si ce centre était fixe dans l'espace. Ainsi,
+non-seulement l'action mutuelle des molécules d'un astre ne saurait
+nullement influer sur sa rotation, due à une impulsion primitive; mais
+aucune force accélératrice extérieure, quelque grande qu'on la suppose,
+ne peut davantage la troubler, quand sa direction passe exactement par
+le centre de gravité de l'astre. Or, si les corps célestes étaient
+parfaitement sphériques, en les supposant d'ailleurs, comme il est très
+naturel, composés de couches concentriques homogènes dont la densité
+varierait arbitrairement de l'une à l'autre, on sait que la résultante
+totale de la gravitation mutuelle de toutes leurs molécules devrait
+passer rigoureusement par leurs centres de gravité. Les astres de notre
+monde ne peuvent donc altérer mutuellement leurs rotations propres,
+qu'en vertu du léger défaut de sphéricité produit par ces rotations
+elles-mêmes. On voit par là que cette même nécessité qui assure la
+stabilité essentielle des rotations célestes, relativement à leur durées
+et à leurs pôles, détermine aussi, envisagée sous un autre point de vue,
+l'altération inévitable du parallélisme de leurs axes.
+
+À l'égard de la terre, cette altération consiste, comme nous l'avons
+déjà constaté sous le rapport géométrique, dans la précession des
+équinoxes, modifiée par la nutation. Elles résultent de l'action des
+différens astres de notre monde, et surtout du soleil et de la lune, sur
+notre renflement équatorial, suivant la belle théorie mathématique créée
+par D'Alembert. La méthode des couples[16] de M. Poinsot facilite
+beaucoup la conception générale de leur mécanisme. Il suffit, en effet,
+de transporter au centre de la terre, d'après cette méthode, les
+gravitations de toutes les parties de cette protubérance vers un astre
+quelconque, pour que de tous ces couples élémentaires il résulte
+immédiatement un couple général, susceptible de modifier la direction
+absolue de la rotation principale, en se composant avec le couple
+primitif qui lui correspond. Le pouvoir de chaque astre à cet égard est
+naturellement, comme pour les marées, en raison directe de sa masse et
+inverse du cube de sa distance; en sorte que le soleil et la lune sont
+encore les seuls dont l'influence y doive être considérée, en la
+répartissant d'ailleurs entre eux de la même manière: en outre,
+l'étendue effective de la déviation dépend de la masse et de la grandeur
+de la terre, de la durée de sa rotation, de son degré d'aplatissement,
+et enfin de l'obliquité de l'écliptique. Si la lune circulait dans le
+plan de l'écliptique, ou si les noeuds de son orbite étaient fixes, le
+phénomène se réduirait à la précession proprement dite, l'axe du couple
+perturbateur étant alors exactement perpendiculaire à ce plan. Mais, la
+légère inclinaison de l'orbite lunaire détermine, à raison du mouvement
+rétrograde de ses noeuds, une modification secondaire de même vitesse,
+qui produit la nutation. La quantité du phénomène est réglée en chaque
+cas par le rapport entre le moment du couple principal et celui du
+couple modificateur. Or, comme celui-ci dépend, entre autres élémens, de
+la masse de l'astre qui le produit, on conçoit comment l'observation du
+phénomène peut offrir un moyen de la déterminer. C'est ainsi que la
+mesure précise de la nutation a spécialement perfectionné l'évaluation
+de la masse lunaire. La théorie de ces phénomènes montre d'ailleurs que,
+comme dans les marées, leur intensité doit changer d'après les distances
+variables du soleil et surtout de la lune à la terre. Mais les effets
+sont eux-mêmes trop peu prononcés pour que ce défaut d'uniformité puisse
+jamais devenir bien sensible dans les observations directes. Telles
+sont, en aperçu, les causes générales qui déterminent les petites
+altérations qu'éprouve la rotation de notre sphéroïde, quant à la
+direction de son axe dans l'espace. On voit combien ce serait
+étrangement abuser de l'analyse mathématique que de s'exercer
+puérilement, comme on n'a pas craint de le faire tout récemment, à
+chercher quelle devrait être la précession en supposant que la terre ne
+tournât pas, puisque la question cesserait même, dans cette absurde
+hypothèse, d'avoir aucun sens réel et intelligible.
+
+ [Note 16: Dans le premier volume de cet ouvrage, j'avais
+ indiqué, il y a quatre ans, cette lumineuse conception comme
+ essentiellement destinée, par sa nature, à simplifier
+ extrêmement la théorie fondamentale des rotations, au lieu
+ d'être bornée à son usage statique immédiat. Cette espérance
+ vient d'être heureusement réalisée, de la manière la plus
+ complète, par le beau travail tout récent de M. Poinsot sur
+ ce grand sujet, qui rend désormais presque élémentaire la
+ partie la plus transcendante de la dynamique, en même temps
+ qu'il dévoile entièrement une solution jusque alors
+ vainement enveloppée dans des équations inextricables, où la
+ marche générale du phénomène était profondément cachée. Si
+ ma _Philosophie mathématique_ n'était depuis long-temps
+ publiée, j'y aurais soigneusement caractérisé l'esprit de
+ cet important mémoire, fondé sur la notion nouvelle des
+ _couples de rotation_, entièrement analogues, par l'ensemble
+ de leurs propriétés fondamentales, aux couples de
+ translation, quoique étant de nature inverse, et dont
+ l'emploi réduit l'analyse exacte de toutes les
+ circonstances que peut présenter la rotation d'un corps
+ quelconque à la simple considération uniforme de son
+ _ellipsoïde central_.]
+
+S'il convenait de poursuivre, envers tous les autres astres de notre
+monde, la théorie des perturbations relatives à leurs rotations, il
+faudrait distinguer, comme au sujet des translations, entre les
+planètes, les satellites et les comètes; puisque, par suite des mêmes
+motifs, cette analyse offrirait encore les mêmes gradations de
+difficulté. Le cas des comètes ne saurait être mentionné que pour
+mémoire, par l'impossibilité où nous serons toujours d'observer leur
+rotation. Quant aux planètes, elles doivent naturellement présenter des
+phénomènes semblables à ceux de notre précession, et qui peuvent être
+plus ou moins prononcés, suivant l'inclinaison de leurs axes à leurs
+orbites, leur position, leur masse, leur grandeur, la durée de leur
+rotation, et enfin leur degré d'aplatissement. Par l'ensemble de ces
+motifs, les perturbations de Mars, sous ce rapport, tiendraient le
+premier rang.
+
+À l'égard des satellites, leur rotation nous présente, sous un autre
+point de vue, un phénomène du plus haut intérêt, l'égalité remarquable
+entre la durée de cette rotation et celle de leur circulation autour de
+la planète correspondante, à laquelle, par suite, ils présentent
+continuellement le même hémisphère, sauf les oscillations très petites
+connues sous le nom de _libration_, dont la règle est d'ailleurs bien
+déterminée. Cette égalité fondamentale n'est encore sans doute
+réellement constatée que pour la lune; mais son explication mécanique,
+indépendamment de la simple analogie, tend à l'ériger en loi générale de
+tous les satellites. Car, elle résulte, suivant le beau mémoire de
+Lagrange, de la simple prépondérance qu'a dû nécessairement acquérir,
+par l'action de la planète, l'hémisphère tourné vers elle dans
+l'origine, ce qui a produit une tendance naturelle du satellite à
+retomber sans cesse sur cette face. Un tel effet ayant certainement lieu
+pour la lune, on ne saurait comprendre comment il pourrait ne pas
+exister aussi envers les autres satellites, appartenant tous à des
+planètes plus pesantes, dont ils sont même en général
+proportionnellement bien plus voisins.
+
+Telle est l'indication générale extrêmement imparfaite à laquelle je
+suis forcé de me réduire, par la nature de cet ouvrage, relativement à
+l'étude des diverses sortes de perturbations que l'action mutuelle de
+tous les astres de notre monde produit nécessairement dans leurs
+mouvemens. Pour compléter cet aperçu, il me reste encore à signaler une
+considération essentielle, susceptible, dans la suite, de simplifier
+cette étude et de la rendre plus précise, en permettant de rapporter
+tous ces mouvemens à un plan dont la position soit nécessairement
+indépendante de leurs dérangemens quelconques.
+
+En imaginant, pour plus de facilité, l'ensemble de nos astres décomposé
+en particules de même poids, l'action mutuelle de ces différens corps
+peut bien changer la grandeur de l'aire décrite séparément, autour du
+centre de gravité général, par la projection de chaque rayon vecteur
+correspondant, sur un plan commun arbitrairement choisi; mais, il
+résulte des lois fondamentales de la dynamique, comme nous l'avons déjà
+remarqué dans cette leçon, que, quelque énergie qu'on suppose à cette
+action, les altérations individuelles qu'elle produit à cet égard se
+compensent nécessairement, en sorte que la somme totale de ces aires
+demeure toujours invariable en un temps donné. Il en doit donc être
+ainsi de tout plan dont la position dépendrait uniquement de semblables
+sommes relatives à divers plans quelconques. Or, parmi l'infinité de
+plans qui pourraient présenter ce caractère, il en est un qu'on a dû
+naturellement choisir de préférence, comme se distinguant de tout autre
+par la propriété remarquable que la somme des aires y est la plus grande
+possible, et que d'ailleurs elle est nulle sur ceux qui lui sont
+perpendiculaires. La situation de ce plan se détermine aisément, en
+général, par des formules très simples, d'après les valeurs de la somme
+des aires pour trois plans rectangulaires quelconques, valeurs qu'on
+déduit d'ailleurs sans peine des positions et des vitesses de toutes les
+particules du système rapportées à ces trois plans. On doit la première
+notion de ce plan à Daniel Bernouilli et à Euler, qui l'avaient remarqué
+sous le seul point de vue analytique, comme servant à simplifier, par
+l'annulation de deux constantes, les équations relatives à la rotation
+d'un corps solide. Cette idée fut immédiatement étendue, sans aucune
+difficulté, à la considération d'un système variable par Laplace, qui
+ajouta la propriété géométrique, et qui eut surtout l'heureuse pensée de
+l'appliquer à la mécanique céleste. Enfin, la vraie conception dynamique
+du plan invariable a été présentée, depuis quelques années, par M.
+Poinsot, qui l'a montré directement, abstraction faite de tout caractère
+analytique ou géométrique, comme étant simplement le plan du couple
+général qui résulte du transport de toutes les vitesses individuelles au
+centre de gravité du système.
+
+Quant à la détermination effective de ce plan, elle exige, pour qu'il
+soit réellement invariable, que l'on prenne en considération toutes les
+aires que peuvent décrire, en vertu de leurs divers mouvemens, les
+différens points du système. Or, dans l'impossibilité évidente de
+décomposer le système en particules égales, ainsi que l'exige le strict
+énoncé de la propriété fondamentale, Laplace avait cru devoir traiter
+chaque corps céleste comme condensé à son centre, en réunissant aussi
+les satellites à leurs planètes, afin de ne plus avoir à considérer que
+de simples points. La lumineuse théorie de M. Poinsot lui a fait
+immédiatement apercevoir le vice radical d'un tel procédé, où l'on fait
+nécessairement abstraction, non-seulement des aires relatives décrites
+simultanément par les satellites, mais aussi de celles que les diverses
+molécules de chaque corps tracent autour de son centre de gravité, en
+vertu des rotations correspondantes; et il a ensuite rendu sensible
+d'ailleurs, d'après les formules analytiques habituellement employées,
+la nécessité d'ajouter ces diverses aires à celles considérées jusque
+alors. Une simple décomposition d'intégrale montre, en effet, que la
+somme des aires décrites par toutes les molécules d'un même corps
+équivaut au produit de sa masse par l'aire que trace son centre de
+gravité, plus l'ensemble des aires qu'engendrent les molécules autour de
+ce centre. Ces aires dues aux rotations ne seraient réellement
+négligeables vis-à-vis des autres que si le corps était fort petit, ou
+s'il tournait avec une lenteur extrême. Celle qui résulte de la rotation
+du soleil est, d'après les hypothèses même les plus défavorables,
+beaucoup plus grande que celle tracée par la terre dans son mouvement
+annuel. Aussi, le plan déterminé par les calculs de Laplace serait-il
+loin, en réalité, d'une invariabilité rigoureuse. C'est néanmoins la
+parfaite constance qui ferait le seul mérite véritable d'un tel terme de
+comparaison, pour manifester immédiatement les variations survenues dans
+l'intérieur de notre monde, et même les déplacemens de son ensemble. Si
+l'on voulait se borner à un plan peu mobile, il n'y aurait aucun besoin
+de pénibles calculs fondés sur une théorie spéciale, et l'on pourrait
+prendre, presqu'au hasard, parmi les divers plans astronomiques, tels
+que celui de l'équateur terrestre ou surtout solaire, ou le plan de
+l'écliptique, dont les changemens seraient, en réalité, beaucoup moins
+considérables que ceux du plan proposé par Laplace. Malheureusement, le
+vrai plan invariable, découvert par M. Poinsot, est d'une détermination
+bien plus difficile, puisqu'il exige inévitablement, non-seulement,
+comme l'autre, l'évaluation des masses célestes, mais aussi celles des
+momens d'inertie correspondans. Cette dernière estimation ne saurait
+être faite, _à priori_, qu'en adoptant des hypothèses nécessairement
+très hasardées sur la loi mathématique relative à la densité dans
+l'intérieur des astres. J'ai déjà indiqué dans la leçon précédente, au
+sujet des masses, l'ingénieuse manière dont M. Poinsot a heureusement
+éludé cette difficulté fondamentale, en imaginant un moyen rationnel,
+aussi général que direct, pour obtenir exactement, _à posteriori_, cette
+mesure indispensable. Cette importante théorie est donc aujourd'hui
+évidemment complète. Mais son application immédiate ne saurait avoir
+lieu, comme je l'ai expliqué, avec toute la précision qu'exige, par sa
+nature, une semblable détermination, pour correspondre convenablement à
+sa destination essentielle. Quoi qu'il en soit, on n'en doit pas moins,
+sous le rapport philosophique, voir avec un profond intérêt comment la
+mécanique céleste a pu enfin assigner un plan nécessairement immobile au
+milieu de toutes les perturbations intérieures de notre système, comme
+Newton avait d'abord reconnu une vitesse nécessairement inaltérable,
+celle du centre de gravité général. Ce sont les deux seuls élémens
+rigoureusement indépendans de tous les événemens qui peuvent survenir
+dans l'intérieur de notre monde, même des bouleversemens les plus
+complets que notre imagination puisse y supposer; leurs variations se
+rapporteraient seulement aux phénomènes les plus généraux de l'univers,
+produits par l'action mutuelle des divers soleils, dont elles nous
+fourniraient naturellement la plus claire manifestation, si une telle
+connaissance nous était réellement permise.
+
+Le résultat général de l'étude des perturbations a été d'établir, de la
+manière la plus irrécusable, la stabilité fondamentale de notre monde,
+relativement à tous les astres de quelque importance, considérés sous
+tous les rapports essentiels. En faisant abstraction des comètes, toutes
+les variations de diverses sortes, à l'exception de quelques-unes
+presque imperceptibles, sont nécessairement périodiques, et leur période
+est le plus souvent extrêmement longue, tandis que leur étendue est au
+contraire fort courte: en sorte que l'ensemble de nos astres ne peut
+qu'osciller lentement autour d'un état moyen, dont il s'écarte toujours
+très peu. Quoique tous les élémens astronomiques de chacun d'eux
+participent réellement à ces oscillations, il faut cependant faire entre
+eux une distinction importante, en séparant ceux qui se rapportent à la
+situation des orbites et à la direction des rotations, de ceux qui
+concernent les positions et les vitesses moyennes relatives au double
+mouvement d'un astre quelconque. Toutes les grandes perturbations
+portent uniquement sur les premiers; les seconds ne peuvent éprouver que
+des oscillations presque insensibles, dont la précision extrême de nos
+tables astronomiques actuelles n'exige pas même encore la considération
+effective. Au milieu de toutes les variations célestes, la translation
+de nos astres nous présente l'invariabilité presque rigoureuse des
+grands axes de leurs orbites elliptiques, et de la durée de leurs
+révolutions sidérales: leur rotation nous montre une constance encore
+plus parfaite dans sa durée, dans ses pôles, et même, quoiqu'à un degré
+un peu moindre, dans l'inclinaison de son axe à l'orbite correspondante.
+On est certain, par exemple, que, depuis Hipparque, la durée du jour n'a
+pas varié d'un centième de seconde. Ainsi, dans la stabilité générale de
+notre monde, nous découvrons encore une stabilité spéciale et plus
+prononcée à l'égard des élémens dont la fixité importe le plus à la
+perpétuité des espèces vivantes. Tels sont les sublimes théorèmes
+fondamentaux de philosophie naturelle, dont l'humanité est redevable à
+l'ensemble des grands travaux exécutés dans le siècle dernier par les
+illustres successeurs de Newton.
+
+La cause générale de ces importans résultats réside essentiellement dans
+la faible excentricité de toutes les orbites principales et dans le peu
+de divergence de leurs plans. Si les astres de quelque importance
+avaient décrit, comme les comètes, des ellipses très allongées,
+contenues dans des plans dirigés en tous sens, leurs relations
+dynamiques auraient été toujours extrêmement variables, et leurs
+perturbations auraient dès lors cessé d'être périodiques, pour devenir
+presque indéfinies, ainsi que celles des comètes. Au contraire, en vertu
+de l'extrême rondeur des véritables orbites et de l'identité presque
+entière de leurs plans, l'intensité des diverses actions mutuelles, ne
+pouvant qu'osciller entre des limites très rapprochées, doit tendre sans
+cesse à rétablir l'état moyen du monde. Or, comme les astres à orbites
+peu excentriques sont évidemment les seuls habitables, cette harmonie
+fondamentale ne présente réellement aucun texte de cause finale, ainsi
+que je l'ai indiqué au commencement de ce volume, puisqu'il ne pourrait
+en être autrement qu'à l'égard de mondes tellement constitués, que la
+vie, et par suite la pensée, la philosophie théologique ou positive, ne
+sauraient y exister.
+
+Toute la théorie mathématique des mouvemens célestes a été constamment
+traitée jusqu'ici, sans avoir aucun égard à la résistance du milieu
+général dans lequel ces mouvemens s'accomplissent. La parfaite
+conformité des tables ainsi dressées avec l'ensemble des observations
+les plus précises, montre clairement que cette résistance ne peut
+exercer qu'une influence imperceptible. Cependant, comme il est
+évidemment impossible qu'elle soit rigoureusement nulle, les géomètres
+ont dû s'occuper d'en préparer d'avance l'analyse générale. Abstraction
+faite de son intensité, cette action est nécessairement d'une tout autre
+nature que celle des perturbations proprement dites, quoique
+pareillement graduelle; car, elle ne saurait être périodique, et doit
+toujours s'exercer dans le même sens, de manière à diminuer
+continuellement toutes les vitesses, avec d'autant plus d'énergie
+qu'elles sont plus grandes. Euler et Lagrange ont établi qu'il n'en peut
+résulter aucune altération dans les positions des orbites, comme il est
+aisé de le sentir _à priori_: toute l'influence porte inévitablement sur
+leurs dimensions et sur les temps périodiques, ainsi que sur la durée
+des rotations; c'est-à-dire, qu'elle affecte précisément les élémens
+essentiellement épargnés par les perturbations. En même temps que les
+rotations des planètes doivent ainsi se ralentir sans cesse, leurs
+orbites doivent se rétrécir toujours en s'arrondissant, et leurs temps
+périodiques diminuer par suite; puisque, la vitesse devenant moindre,
+l'action solaire acquiert naturellement une plus grande efficacité: ces
+divers effets sont d'ailleurs non-seulement continus, mais encore de
+plus en plus rapides. Ainsi, dans un avenir jusqu'ici complètement
+inassignable, quoique nous puissions assurer qu'il est infiniment
+lointain, tous les astres de notre monde doivent nécessairement finir
+par se réunir à la masse solaire, d'où ils sont probablement émanés,
+comme l'indiquera la leçon suivante: en sorte que la stabilité du
+système est simplement relative aux perturbations proprement dites.
+Telles sont, à cet égard, les indications générales incontestables de la
+mécanique céleste. Quant à l'évaluation numérique de ces effets
+nécessaires, leur extrême petitesse nous empêchera sans doute de la
+connaître avant qu'il se soit écoulé un très long temps, à partir de
+l'époque où les observations astronomiques ont acquis une grande
+précision. Vainement Euler avait-il cru apercevoir une petite diminution
+séculaire de l'année sidérale en vertu de cette cause: les comparaisons
+exactes établies depuis par tous les astronomes ont clairement montré
+que cette remarque était illusoire. Il est d'ailleurs certain que nous
+connaissons encore trop peu la vraie loi mathématique de la résistance
+des milieux, pour que ces phénomènes soient jusqu'ici exactement
+calculables, même quand ils seraient plus prononcés. Lorsqu'ils pourront
+être réellement étudiés, c'est sur les comètes que devra surtout porter
+une telle exploration. Car, la faible masse de ces petits astres, et la
+grande surface qu'ils présentent à l'action du milieu lorsque leurs
+atmosphères sont très étendues, doivent nécessairement rendre sa
+résistance beaucoup plus appréciable à leur égard qu'envers les
+planètes, leur vitesse étant d'ailleurs naturellement à son _maximum_ au
+moment même de cette expansion. Aussi quelques astronomes contemporains
+croient-ils déjà avoir constaté, pour une ou deux comètes, l'effet de
+cette résistance. L'étude de ces astres ne semblait jusqu'ici avoir pour
+nous qu'une utilité négative, afin de prévenir le retour des terreurs
+chimériques ou des craintes ridicules qu'ils ont si long-temps fait
+naître. On voit maintenant qu'il n'existe pas un seul astre dans notre
+monde, même parmi les plus insignifians, dont la théorie ne puisse nous
+offrir un intérêt direct et positif; puisque l'étude des comètes se
+trouve ainsi essentiellement propre à nous dévoiler plus tard une des
+lois générales les plus importantes du système dont nous faisons partie,
+celle qui, dans un avenir indéfini, doit le plus influer sur ses
+destinées. Il faut même remarquer que, pour remplir convenablement un
+tel office, cette étude ne saurait être trop perfectionnée; car, c'est
+seulement sur une théorie très précise que le contrôle de l'observation
+peut manifester, avec une véritable certitude, d'aussi petits effets.
+
+Je me suis efforcé, dans la vingt-troisième leçon, d'établir nettement,
+sous le simple point de vue géométrique, l'indépendance des phénomènes
+les plus généraux de l'univers, en faisant soigneusement ressortir la
+conformité décisive de toutes les observations directes avec les tables
+dressées par les astronomes, sans penser aucunement aux autres mondes.
+En supposant la loi de la gravitation étendue à l'action mutuelle des
+divers soleils, la mécanique céleste explique et fortifie immédiatement
+cette incontestable vérité, qui me semble devoir constituer, en
+philosophie naturelle, un dogme vraiment fondamental. Il est d'abord
+évident que les différentes gravitations de notre monde vers les
+innombrables soleils dispersés dans l'espace, doivent se détruire en
+partie par leur opposition, quoiqu'il fût absurde de penser que leur
+résultante générale est nulle. En second lieu, quelle que soit cette
+résultante, il importe surtout de remarquer que c'est seulement par
+l'inégalité de son action sur les divers astres de notre monde qu'elle
+en pourrait troubler les mouvemens internes, nécessairement indépendans
+de toute action qui serait exactement commune. Chaque force
+perturbatrice de ce genre est donc évidemment, comme dans les marées,
+dans la précession des équinoxes, etc., en raison directe de la masse
+productrice, et en raison inverse du cube de sa distance au soleil.
+Suivant cette loi, la perturbation doit donc être entièrement
+imperceptible, à cause de l'immensité bien constatée de l'intervalle qui
+nous sépare du plus prochain soleil. En supposant le plus grand
+rapprochement compatible avec nos observations les plus certaines, une
+masse qui égalerait un million de fois celle de notre monde, n'y ferait
+naître ainsi qu'une force perturbatrice plusieurs milliards de fois
+moindre que celle d'où résultent nos marées. L'indépendance de notre
+monde est donc parfaitement certaine.
+
+Il m'importe d'autant plus de la faire remarquer, sous le rapport
+philosophique, qu'elle constitue la seule exception générale que je
+connaisse à la grande loi encyclopédique que j'ai établie en commençant
+cet ouvrage, et d'après laquelle les phénomènes les plus généraux
+dominent les plus particuliers, sans être au contraire nullement
+influencés par eux. Ainsi, les phénomènes vraiment astronomiques,
+c'est-à-dire, ceux de l'intérieur de notre monde, régissent évidemment
+tous nos phénomènes sublunaires, soit physiques, soit chimiques, soit
+physiologiques, soit même sociaux, comme je l'ai indiqué spécialement
+dans la dix-neuvième leçon. Mais ici nous trouvons, en sens inverse, que
+les phénomènes les plus généraux de l'univers ne peuvent au contraire
+exercer aucune influence réelle sur les phénomènes plus particuliers qui
+s'accomplissent dans l'intérieur de notre système solaire. Cette
+anomalie philosophique disparaîtra immédiatement pour tous les esprits
+qui admettront avec moi que ces derniers phénomènes sont les plus
+étendus auxquels nos recherches positives puissent véritablement
+atteindre, et que l'étude de l'_univers_ doit être désormais
+radicalement détachée de la vraie philosophie naturelle; maxime, à mon
+avis, fondamentale, et dont j'espère que la justesse et l'utilité seront
+d'autant plus senties qu'on l'examinera plus profondément.
+
+Tel est l'ensemble des considérations philosophiques que je devais
+présenter ici sur la dynamique céleste, envisagée sous ses divers
+aspects principaux. Quelque admirable extension qu'ait pris depuis
+Newton cette sublime étude, nous avons reconnu combien, à beaucoup
+d'égards, l'extrême insuffisance de notre analyse mathématique actuelle
+la rend nécessairement imparfaite. On s'en formerait une idée trop
+avantageuse si l'on pensait que, dans l'exécution finale des tables
+astronomiques, elle peut aujourd'hui se suffire entièrement à elle-même,
+sans emprunter à la géométrie céleste aucun autre secours direct que
+l'évaluation des données indispensables, déduites de l'observation
+immédiate. Non-seulement cela n'est pas à l'égard des astres dont la
+théorie mécanique n'est encore qu'ébauchée, et qui sont, sans contredit,
+les plus nombreux, quoique les moins importans; mais encore, sous
+plusieurs rapports, envers les mieux étudiés. Bien que la dynamique de
+chaque astre doive naturellement remplir, dans la construction de ses
+tables, un office de plus en plus prépondérant, la difficulté de démêler
+avec certitude toutes les perturbations indiquées par les formules
+analytiques, assignera probablement toujours à cet égard un rôle
+indispensable, quoique de plus en plus subsidiaire, à l'ingénieuse
+méthode empirique des _équations de condition_, imaginée par les
+astronomes pour dévoiler immédiatement, d'après les observations, la
+marche effective des moindres irrégularités, sans aucune recherche de
+leur loi mécanique; méthode qui me semble aujourd'hui trop dédaignée
+peut-être par les géomètres, auxquels les glorieux succès de la
+mécanique céleste ont inspiré un sentiment un peu exagéré de la portée
+réelle de ses théories. Cette méthode complémentaire consiste en
+général, comme on sait, à comparer les observations directes avec les
+tables où l'on a déjà tenu compte de toutes les inégalités bien connues,
+afin de combler les différences par l'introduction de quelques termes
+additionnels, relatifs à des fonctions périodiques de la quantité dont
+ces anomalies paraissent dépendre, en les affectant de coefficiens
+convenables, déterminés d'après un nombre suffisant de mesures
+immédiates. C'est à un tel procédé qu'on doit effectivement la
+découverte de presque toutes les petites perturbations, expliquées
+ensuite par la mécanique céleste, qui en a perfectionné la connaissance.
+Il constitue d'ailleurs le vrai modèle d'après lequel les physiciens
+établissent journellement leurs lois empiriques des phénomènes, ce qui
+me semble lui donner ici un véritable intérêt philosophique.
+
+Le résultat général des considérations exposées dans cette leçon montre
+nettement combien le développement de la dynamique céleste,
+indépendamment de la haute importance des sublimes connaissances
+directes qu'il nous a procurées, a puissamment contribué à perfectionner
+l'ensemble des théories astronomiques, envisagées quant à leur but
+définitif, la juste prévision de l'état du ciel, à une époque
+quelconque, soit passée, soit future. Si l'on devait se borner à
+déterminer, pour peu de temps, le véritable état de notre monde, la
+géométrie céleste, résumée par les trois grandes lois de Képler,
+pourrait être regardée comme strictement suffisante, en choisissant des
+élémens convenablement déduits d'observations actuelles faites avec
+toute la précision possible. Mais il ne peut plus en être ainsi, et la
+plus parfaite théorie des perturbations devient absolument
+indispensable, quand on se propose d'étendre cette exacte prévoyance
+astronomique à des époques très éloignés, postérieures ou antérieures.
+C'est à la dynamique céleste que notre astronomie actuelle doit
+incontestablement cette admirable perfection pratique qui lui permet à
+volonté de descendre ou de remonter les siècles pour y fixer, avec une
+pleine certitude, l'instant et le degré précis des divers événemens
+célestes, tels que les éclipses entre autres, ces déterminations ne
+pouvant pas d'ailleurs évidemment être aussi minutieusement exactes que
+celles relatives à l'époque présente.
+
+Quoique l'ensemble des huit leçons déjà contenues dans ce volume
+constitue réellement, à mes yeux, la vraie philosophie astronomique tout
+entière, elle semblerait néanmoins présenter, à presque tous les esprits
+éclairés, une lacune essentielle, si je ne consacrais point une dernière
+leçon à l'examen général de ce qu'on appelle aujourd'hui l'_astronomie
+sidérale_, et à l'appréciation rationnelle de ce que nous pouvons
+maintenant concevoir de positif sur la cosmogonie.
+
+
+
+
+VINGT-SEPTIÈME LEÇON.
+
+Considérations générales sur l'astronomie sidérale, et sur la cosmogonie
+positive.
+
+La seule branche de l'astronomie sidérale qui paraisse comporter jusqu'à
+présent une certaine suite d'études exactes, concerne les mouvemens
+relatifs des _étoiles multiples_, dont la première découverte est due
+au grand observateur Herschell. Les astronomes entendent par là des
+étoiles extrêmement rapprochées, dont la distance angulaire n'excède
+jamais une demi-minute, et qui semblent pour cette raison n'en faire
+qu'une, non-seulement à la vue simple, mais avec les lunettes ordinaires
+de nos observatoires, les plus puissans télescopes pouvant seuls les
+séparer. Il faut considérer, en outre, que les mouvemens relatifs de ces
+astres tendent souvent à faire méconnaître leur multiplicité effective,
+comme on l'a vu plus d'une fois, en produisant pendant un temps plus ou
+moins long des occultations mutuelles, qui ne permettent point alors la
+séparation. Parmi plus de trois mille étoiles multiples actuellement
+enregistrées dans les catalogues, quoique le ciel austral soit encore à
+cet égard très peu exploré, presque toutes sont seulement doubles, la
+triplicité même étant extrêmement rare, et aucun degré supérieur de
+multiplicité n'ayant jamais été observé, ce qui ne tient peut-être qu'à
+l'imperfection de nos meilleurs télescopes, comme, avant Herschell, la
+simple dualité était ignorée. Ces groupes remarquables ne constituent
+évidemment, par leur nature, qu'un cas très particulier dans l'univers,
+puisque l'intervalle des astres qui les composent est probablement d'un
+ordre beaucoup moindre que les distances mutuelles des principaux
+soleils; en sorte que, dans ces mouvemens relatifs, quand même ils
+pourraient être un jour parfaitement connus, ce qui est en soi fort
+douteux, d'après les considérations indiquées à la fin de la
+vingt-quatrième leçon, il ne s'agirait encore nullement des phénomènes
+célestes les plus généraux, quelque intérêt que doive inspirer une telle
+étude. La spécialité du cas deviendrait même bien autrement prononcée,
+si, comme la rigueur scientifique me semble l'exiger, les astronomes ne
+formaient leur catégorie des étoiles doubles que de celles dont ils ont
+pleinement constaté les mouvemens, et qui sont jusqu'ici en très petit
+nombre. Car, la dualité de presque toutes les autres n'indique peut-être
+aucune relation réelle, puisque, malgré le rapprochement des directions,
+les intervalles mutuels peuvent être tels, que les deux astres ne
+forment pas plus un vrai système que deux étoiles quelconques combinées
+au hasard dans le ciel, si ces astres sont très inégalement éloignés de
+nous, circonstance à l'égard de laquelle nous n'avons encore aucune
+sorte de renseignement direct ou indirect. S'autoriser de quelques
+exemples incontestables pour envisager cette multitude d'étoiles
+doubles comme autant de systèmes binaires, où la moindre masse circule
+autour de la plus grande, ce serait, à mon avis, s'écarter étrangement
+de l'indispensable sévérité de méthode qui seule constitue l'admirable
+positivité de la véritable astronomie, en confondant, peut-être le plus
+souvent, avec un vrai phénomène céleste, un simple accident de position,
+tenant uniquement au point de l'univers occupé par notre monde. La seule
+analogie est ici évidemment insuffisante, car elle pourrait bien n'être
+due qu'à l'impuissance de nos explorations. Quel astronome oserait
+maintenant garantir que, si les télescopes étaient susceptibles d'être
+un jour suffisamment perfectionnés, nous ne parviendrions pas à
+distinguer, entre les étoiles que leur distance nous porte le plus à
+classer aujourd'hui comme indépendantes, une multitude d'intermédiaires
+très resserrés, qui rendraient le cas de la dualité presque général? Le
+voisinage apparent serait-il alors un motif suffisant de présumer
+toujours une circulation mutuelle, dont la pensée ne nous est suggérée
+actuellement par analogie, qu'en vertu de l'extrême singularité d'une
+telle circonstance, qui cesserait ainsi d'être exceptionnelle? On ne
+doit donc reconnaître jusqu'ici, en astronomie sidérale, d'autre étude
+réellement positive que celle des mouvemens relatifs bien connus de
+certaines étoiles doubles, dont le nombre ne s'élève encore qu'à sept ou
+huit. On ne saurait d'ailleurs espérer d'introduire jamais, dans la
+détermination géométrique de la vraie figure des orbites
+correspondantes, une certitude à beaucoup près comparable à celle
+qu'admet la connaissance précise de nos orbites planétaires; puisque les
+rayons vecteurs apparens sont tellement petits que l'erreur de ces
+mesures délicates s'élève peut-être ordinairement au quart ou au tiers
+de leur valeur totale. Il en est de même à l'égard des temps
+périodiques, quand ils n'ont pas pu être directement observés, ce qui
+est jusqu'à présent le cas habituel. On concevrait surtout bien
+difficilement, comme je l'ai indiqué ailleurs, que ces études pussent
+jamais acquérir assez d'exactitude pour fournir une base suffisamment
+solide à des conclusions dynamiques vraiment irrécusables; de manière à
+démontrer, par exemple, l'extension effective de la théorie de la
+gravitation à l'action mutuelle des deux élémens d'une étoile double, ce
+qui serait d'ailleurs très loin de constater la rigoureuse universalité
+de cette théorie. L'importance générale de ces recherches est en outre
+beaucoup diminuée par cette réflexion que jusqu'ici notre monde, dès
+lors envisagé comme essentiellement réduit au soleil, n'appartient à
+aucun de ces groupes, non-seulement étudiés, mais simplement signalés.
+Cette circonstance remarquable ne me semble nullement fortuite; car si
+notre monde fait effectivement partie de quelque étoile double, comme
+rien n'empêche de l'imaginer, il nous sera probablement toujours
+impossible d'apercevoir réellement, à côté du soleil, l'étoile qui
+constituerait le second élément de ce petit système, et dont la
+direction devrait être si rapprochée que sa lumière se perdrait
+nécessairement dans la lumière solaire. Un tel cas, néanmoins, pourrait
+seul avoir pour nous un puissant intérêt scientifique, non-seulement
+comme utile à la connaissance des déplacemens de notre monde, mais
+encore comme comportant naturellement une étude beaucoup plus précise,
+par cela même que l'observateur serait alors situé sur l'un des astres
+du couple stellaire.
+
+Les sept orbites d'étoiles doubles établies jusqu'ici, et dont la
+première est due aux travaux de M. Savary, présentent en général des
+excentricités très considérables, dont la moindre est presque double, et
+la plus grande quadruple de la plus forte qui existe dans nos ellipses
+planétaires. Quant à leurs temps périodiques, le plus court excède un
+peu quarante ans, et le plus long six cents. Du reste, l'excentricité
+et la durée de la révolution ne paraissent avoir entre elles aucune
+relation fixe; et ni l'une ni l'autre ne semblent d'ailleurs dépendre de
+la distance angulaire plus ou moins grande des deux élémens des couples
+correspondans. Tel est en général le résumé exact, quoique succinct, des
+seules connaissances réelles que nous possédions encore à cet égard.
+
+Tant que les distances linéaires de ces astres à la terre, et par suite
+entre eux, resteront ignorées, ces notions ne sauraient avoir une grande
+importance, ni peut-être même une solidité suffisante. Si ces distances
+pouvaient être un jour bien connues, on évaluerait aisément les masses
+des couples correspondans, en supposant que la loi de la gravitation
+leur fût légitimement applicable. Il suffirait, pour cela, d'employer
+une méthode essentiellement analogue aux deux dernières de celles
+indiquées dans la vingt-cinquième leçon à l'égard des masses
+planétaires. La quantité, dès lors déterminée, dont l'étoile secondaire
+tend à tomber, en un temps donné, vers l'étoile principale, étant
+comparée à la chute des corps à la surface de la terre, préalablement
+ramenée à la même distance, suivant la loi ordinaire, fournirait
+immédiatement en effet la valeur du rapport entre la masse du couple et
+celle de la terre. Mais, la répartition de cette masse totale entre ses
+deux élémens resterait évidemment encore incertaine, puisqu'il est très
+possible qu'elle doive s'opérer d'une manière beaucoup moins inégale
+qu'entre nos planètes et leurs satellites. Cette dernière considération
+fait d'ailleurs rejaillir sur l'ensemble d'une telle étude un nouveau
+motif fondamental d'incertitude. Car, si les masses des deux élémens de
+chaque couple stellaire différaient réellement assez peu,
+comparativement à leur distance et à leur grandeur, pour que le centre
+de gravité du système s'écartât sensiblement de l'astre principal (ce
+que nous ignorons encore entièrement), c'est à ce centre inconnu qu'il
+faudrait nécessairement rapporter les mouvemens observés; et, dès lors,
+quelle exacte conclusion dynamique pourrait-on tirer des orbites
+elliptiques autour de l'astre majeur comme foyer, en les supposant même
+irrécusablement constatées?
+
+Il me reste à caractériser à ce sujet l'ingénieuse méthode si
+heureusement imaginée par M. Savary, d'après laquelle on parviendra
+peut-être un jour à déterminer effectivement, du moins entre certaines
+limites, les distances de quelques étoiles doubles à la terre ou au
+soleil. Cette méthode constitue réellement jusqu'ici la seule
+conception scientifique qui soit propre à l'astronomie sidérale. Elle a
+le mérite capital d'être essentiellement indépendante de toute hypothèse
+hasardée sur la forme rigoureuse des orbites stellaires et sur
+l'extension de la théorie de la gravitation. Il lui suffit, en réalité,
+que ces courbes soient symétriques, relativement à leur plus long
+diamètre, et que l'astre mineur y circule avec la même vitesse aux deux
+points également distans de l'astre majeur, ce qui est certainement très
+admissible.
+
+Ce procédé est fondé, comme la théorie générale de l'aberration, sur la
+durée de la propagation de la lumière, dont nous savons, d'après la
+vingt-deuxième leçon, que la vitesse est exactement connue. Seulement,
+tandis que, dans l'aberration ordinaire, il s'agit d'une erreur de lieu,
+on considère ici une erreur de temps.
+
+Concevons une orbite stellaire dont le petit axe soit situé
+perpendiculairement au rayon visuel mené du soleil ou de la terre, qui
+peuvent ici être confondus. S'il en était de même du grand axe, et, par
+suite, du plan de l'orbite, les deux moitiés de la révolution, que
+l'astre mineur accomplit réellement toujours en des temps exactement
+égaux, devraient encore nous paraître évidemment d'égale durée, quelque
+lente que pût être, à chaque position, la transmission de la lumière.
+Mais, il ne peut plus en être ainsi, quand le plan de l'orbite est
+fortement incliné vers le rayon visuel, sans que toutefois il doive le
+contenir, ce qui rendrait impossible l'observation fondamentale. Dans ce
+cas, la durée de la demi-révolution, correspondante à la moitié de la
+courbe où l'astre se dirige vers nous, devra nous sembler moindre
+qu'elle n'est en réalité, et celle relative à la moitié où il s'en
+éloigne de plus en plus, paraîtra au contraire augmentée, en vertu de la
+différence des temps que la lumière doit employer à nous parvenir des
+deux points de l'orbite les plus inégalement distans de la terre. Ainsi,
+quoique le temps périodique total ne doive être nullement altéré, les
+deux moitiés de la révolution n'auront donc pas exactement la même durée
+apparente, et, si leur inégalité peut être bien observée, elle fera
+immédiatement connaître, d'après la vitesse effective de la lumière, la
+vraie différence entre les distances de la terre aux deux points
+extrêmes de l'orbite. Dès lors, cette différence deviendra évidemment
+une base géométrique suffisante pour estimer, avec une approximation
+correspondante, les dimensions linéaires de l'orbite, et sa véritable
+distance à la terre, son inclinaison et son étendue angulaire étant
+d'ailleurs préalablement données[17]. Tout se réduit donc à constater
+une inégalité appréciable entre les durées des deux demi-révolutions.
+Mais il est indispensable que cette appréciation s'opère d'après
+l'observation effective d'une révolution entière, afin que son
+exactitude ne dépende d'aucune hypothèse sur la nature géométrique de
+l'orbite stellaire, et sur la loi relative à la vitesse avec laquelle
+l'astre la parcourt.
+
+Tel est ce procédé, dont l'esprit est éminemment approprié à l'immensité
+des distances qu'on s'y propose d'estimer, et qui serait au contraire
+évidemment illusoire envers nos petites orbites planétaires. Jusqu'à ce
+que l'expérience ait prononcé, nous ignorerons nécessairement si les
+rayons des orbites stellaires sont en réalité assez considérables par
+rapport à leur éloignement, pour que nous puissions apercevoir quelque
+différence très sensible entre les deux parties du temps périodique. En
+le supposant, à l'égard d'orbites convenablement situées, il est
+d'ailleurs évident que l'incertitude inséparable d'observations aussi
+délicates, et l'extrême lenteur des révolutions, ne permettront un jour
+de connaître cette différence qu'entre certaines limites plus ou moins
+écartées. Or, indépendamment du peu de précision que comporte la mesure
+effective des autres élémens du calcul, chaque seconde d'erreur sur ce
+temps, qui n'est probablement susceptible d'être jamais apprécié qu'à
+plusieurs jours près, tend à introduire une erreur d'au moins 32000
+myriamètres dans l'évaluation de la distance cherchée. Aussi l'inventeur
+de cette méthode l'a-t-il toujours présentée comme seulement propre à
+déterminer un _maximum_ et un _minimum_, peut-être fort écartés,
+relativement à notre éloignement effectif des couples stellaires
+auxquels elle pourra devenir applicable. Quelle que soit son
+imperfection nécessaire, elle n'en doit pas moins inspirer un profond
+intérêt, par l'espoir qu'elle nous donne d'obtenir plus tard, à l'aide
+d'un détour très ingénieux, quelque approximation certaine à l'égard de
+plusieurs de ces distances qui ne comportent encore qu'une grossière
+limite inférieure, commune à l'ensemble des astres innombrables que le
+ciel nous présente.
+
+ [Note 17: M. Arago a très nettement expliqué cette
+ ingénieuse méthode dans sa notice sur les étoiles doubles,
+ annexée à l'_Annuaire du Bureau des Longitudes_ pour 1834.]
+
+Cette discussion philosophique de la seule portion de l'astronomie
+sidérale qui semble présenter aujourd'hui quelque consistance
+scientifique, est sans doute très propre à confirmer directement le
+principe général que je me suis efforcé d'établir sous divers rapports
+dans plusieurs leçons précédentes, sur la restriction essentielle et
+nécessaire de nos véritables recherches célestes à l'étude approfondie
+des phénomènes intérieurs de notre monde. On voit combien deviennent
+bornées et incertaines nos connaissances réelles, même dans les plus
+simples questions, aussitôt que nous tentons de franchir ces limites
+naturelles, quoique nous restions encore très loin de la vraie
+considération de l'univers. L'étude indiquée ci-dessus, et qui est toute
+récente, devra sans doute faire dans la suite des siècles quelques
+progrès notables; mais les causes évidentes de son imperfection sont
+trop fondamentales, pour qu'on puisse espérer qu'elle présente jamais un
+caractère scientifique aucunement comparable à celui de notre astronomie
+solaire.
+
+Je dois maintenant procéder à l'examen général de ce qui comporte un
+certain caractère de positivité dans les hypothèses cosmogoniques. Il
+serait sans doute superflu d'établir spécialement à cet égard ce
+préliminaire indispensable, que toute idée de _création_ proprement dite
+doit être ici radicalement écartée, comme étant par sa nature
+entièrement insaisissable, et que la seule recherche raisonnable, si
+elle est réellement accessible, doit concerner uniquement les
+_transformations_ successives du ciel, en se bornant même, au moins
+d'abord, à celle qui a pu produire immédiatement son état actuel. Ces
+considérations préalables sont trop évidentes pour qu'il convienne de
+les expliquer davantage aux lecteurs de cet ouvrage.
+
+La question réelle consiste donc à décider si l'état présent du ciel
+offre quelques indices appréciables d'un état antérieur plus simple,
+dont le caractère général soit susceptible d'être déterminé. À cet
+égard, la séparation fondamentale que je me suis tant occupé de
+constituer solidement entre l'étude essentiellement inaccessible de
+l'univers et l'étude nécessairement très positive de notre monde,
+introduit naturellement une distinction profonde, qui restreint beaucoup
+le champ des recherches effectives. On conçoit, en effet, que nous
+puissions conjecturer, avec quelque espoir de succès, sur la formation
+du système solaire dont nous faisons partie, car il nous présente de
+nombreux phénomènes, parfaitement connus, susceptibles peut-être de
+porter un témoignage décisif de sa véritable origine immédiate. Mais,
+quelle pourrait-être, au contraire, la base rationnelle de nos
+conjectures sur la formation des soleils eux-mêmes? Comment confirmer ou
+infirmer à ce sujet, d'après les phénomènes, aucune hypothèse
+cosmogonique, lorsqu'il n'existe vraiment en ce genre aucun phénomène
+exploré, ni même sans doute explorable? Quelque intérêt philosophique
+que doive inspirer la curieuse suite d'observations d'Herschell sur la
+condensation progressive des nébuleuses, d'où il a induit leur
+transformation nécessaire en étoiles, ces faits ne sauraient évidemment
+autoriser une semblable conclusion. Pour qu'elle comportât une vraie
+solidité, il faudrait qu'on pût déduire d'un tel principe quelques
+conséquences relatives aux formes ou aux mouvemens, qui se trouvassent
+en harmonie avec des phénomènes bien constatés. Or, cela serait-il
+possible, quand ces phénomènes cosmiques eux-mêmes nous manquent
+entièrement! En un mot, notre monde étant, dans l'ensemble du ciel, le
+seul connu, sa formation est tout au plus la seule que nous puissions
+raisonnablement chercher. Les autres origines célestes rentrent
+nécessairement, du moins jusqu'ici, dans le vague domaine de
+l'imagination pure, affranchie de toute condition scientifique. Si, pour
+la plupart des intelligences actuelles, cette extrême restriction doit
+naturellement diminuer beaucoup l'intérêt d'une telle recherche, elle
+tend directement, au contraire, à recommander auprès de tous les bons
+esprits une étude dont ils peuvent maintenant entrevoir la positivité,
+tandis que la confusion habituelle des idées à cet égard ne leur laisse
+apercevoir d'autre perspective que la vraie succession d'une suite
+indéfinie de conceptions essentiellement arbitraires, propres à leur
+inspirer une juste et profonde répugnance. Nous savons d'ailleurs, avec
+une pleine certitude, par l'ensemble des études astronomiques, que les
+phénomènes intérieurs de notre monde s'accomplissent constamment sans
+dépendre en aucune manière des phénomènes vraiment cosmiques; en sorte
+qu'il est rationnel de conjecturer sur la formation de notre système
+planétaire, abstraction faite de toute enquête sur celle des soleils
+eux-mêmes. Enfin, la marche que je caractérise ici n'est, à vrai dire,
+qu'un prolongement naturel de la direction spontanée déjà suivie, sous
+un rapport analogue, par le développement régulier de la véritable
+astronomie. Car on doit reconnaître, ce me semble, que la cosmogonie
+positive a réellement commencé quand les géomètres, d'après la théorie
+mathématique de la figure des planètes, ont démontré leur fluidité
+primitive. Après avoir ainsi constaté l'état antérieur de chacune
+d'elles envisagée séparément, il est naturel de remonter maintenant à
+l'origine du système planétaire, en vertu de sa constitution actuelle,
+avec un soleil tout formé; et, plus tard, si l'on pouvait jamais
+parvenir à connaître réellement quelques lois cosmiques, on s'élèverait
+jusqu'aux formations solaires, de toutes les plus éloignées des données
+immédiates. Tel est, sans doute, le seul plan rationnel qui pût nous
+conduire à la construction graduelle d'une genèse positive, si elle
+était vraiment possible.
+
+Nous devons donc réduire la cosmogonie réelle à l'étude de la formation
+de notre monde, en regardant le soleil comme donné, et même comme animé
+d'un mouvement uniforme de rotation autour de son axe actuel, avec une
+vitesse indéterminée. Il s'agit uniquement de rattacher à cette donnée
+fondamentale la constitution effective de notre système planétaire,
+telle que nous la connaissons exactement aujourd'hui. Le problème est
+assez large pour que sa solution certaine et précise surpasse
+vraisemblablement beaucoup la portée réelle de notre intelligence. Nos
+conjectures sur une telle origine doivent d'ailleurs être évidemment
+assujetties à cette indispensable condition de n'y faire intervenir
+d'autres agens naturels que ceux dont nous apercevons clairement
+l'influence dans nos phénomènes habituels, et qui seulement auraient
+alors opéré sur une plus grande échelle. Sans cette règle, ce travail ne
+saurait avoir aucun caractère vraiment scientifique, et l'on tomberait
+dans l'inconvénient, si justement reproché à la plupart des hypothèses
+géologiques, d'avoir introduit, pour expliquer les anciennes révolutions
+du globe, des agens qui ne subsistent plus aujourd'hui, et dont, par
+cela même, il nous est impossible de vérifier ou seulement de comprendre
+l'influence.
+
+Quoique ainsi restreintes à un sujet bien circonscrit, dont toutes les
+circonstances caractéristiques sont parfaitement connues, les théories
+cosmogoniques n'en restent pas moins, par leur nature, essentiellement
+conjecturales, quelque plausibles qu'elles puissent devenir. Car, il ne
+peut en être ici comme dans l'établissement de la mécanique céleste, où,
+de l'étude géométrique des mouvemens planétaires, on a pu remonter, avec
+une entière certitude, à leur conception dynamique, d'après les lois
+générales du mouvement, qui indiquaient exactement tel mécanisme, en
+donnant à tout autre une exclusion nécessaire. Nous ne saurions avoir
+aucune théorie abstraite des formations, analogue à celle des mouvemens,
+qui puisse nous conduire mathématiquement à assigner telle formation
+déterminée comme effectivement correspondante à telle disposition
+effective. Toutes nos tentatives à cet égard ne peuvent consister qu'à
+construire, d'après les renseignemens généraux, des hypothèses
+cosmogoniques plus ou moins vraisemblables, pour les comparer ensuite,
+le plus exactement possible, à l'ensemble des phénomènes bien explorés.
+Quelque consistance que ces hypothèses soient susceptibles d'acquérir
+par un tel contrôle, elles ne sauraient jamais, faute de ce critérium
+indispensable, être élevées, comme l'a été si justement la loi de la
+gravitation, au rang des faits généraux. Car, on serait toujours
+autorisé à penser qu'une hypothèse nouvelle conviendrait peut-être aussi
+bien aux mêmes phénomènes, en permettant de plus d'en expliquer
+d'autres, à moins qu'on ne parvînt un jour à représenter exactement
+toutes les circonstances caractéristiques, même numériquement
+envisagées, ce qui, en ce genre, est évidemment chimérique.
+
+J'ai cru devoir insister ici sur la vraie nature des seules recherches
+cosmogoniques qui puissent avoir quelque efficacité, parce que la
+plupart des esprits éclairés me semblent encore bien éloignés de sentir
+suffisamment, à cet égard, toutes les exigences spéciales de la saine
+philosophie. Passons maintenant, sans autre préambule, à l'examen
+général de la théorie cosmogonique de Laplace, incomparablement la plus
+plausible de toutes celles qui ont été proposées jusqu'ici, et
+susceptible, à mon avis, d'une vérification mathématique, dont son
+illustre auteur n'avait pas conçu l'espérance. Elle a le mérite capital,
+conformément à la règle posée ci-dessus, de faire opérer la formation de
+notre monde par les agens les plus simples que nous présente sans cesse
+l'ensemble de nos études naturelles, la pesanteur et la chaleur, les
+deux seuls principes d'action qui soient rigoureusement généraux.
+
+L'hypothèse cosmogonique de Laplace a pour but d'expliquer les
+circonstances générales qui caractérisent la constitution de notre
+système solaire, savoir: l'identité de la direction de toutes les
+circulations planétaires d'occident en orient; celle non moins
+remarquable que présentent aussi les rotations; les mêmes phénomènes
+envers les satellites; la faible excentricité de toutes les orbites; et,
+enfin, le peu d'écartement de leurs plans, comparés surtout à celui de
+l'équateur solaire. Je ne considère point ici les comètes, parce que je
+préfère adopter à leur égard l'opinion de Lagrange, indiquée au
+commencement de la leçon précédente. L'idée de Laplace, qui les envisage
+comme des astres essentiellement étrangers à notre monde, me semble peu
+rationnelle et radicalement contraire au principe si bien établi de
+l'entière indépendance des phénomènes intérieurs de notre système envers
+les phénomènes vraiment sidéraux.
+
+Avant d'examiner la conception fondamentale de Laplace au sujet de
+l'interprétation cosmogonique des divers caractères généraux que je
+viens de rappeler, je ne puis m'empêcher de témoigner ici combien tous
+les bons esprits, étrangers aux préjugés mathématiques, ont dû trouver
+puérile et déplacée la singulière application du calcul des chances,
+indiquée d'abord par Daniel Bernouilli, et péniblement complétée ensuite
+par Laplace lui-même, pour évaluer la probabilité que ces phénomènes ont
+réellement une cause, comme si notre intelligence avait besoin
+d'attendre une telle autorisation arithmétique, avant d'entreprendre
+légitimement d'expliquer un phénomène quelconque bien constaté,
+lorsqu'elle en aperçoit la possibilité[18].
+
+ [Note 18: Depuis la publication du premier volume de cet
+ ouvrage, plusieurs bons esprits m'ayant demandé pourquoi, en
+ y traitant de la philosophie mathématique, je n'avais
+ nullement considéré l'analyse des probabilités, je crois
+ devoir indiquer ici sommairement, mais avec franchise, mon
+ principal motif à ce sujet.
+
+ Le caractère général de cet ouvrage est essentiellement
+ dogmatique: la critique ne peut y être admise que d'une
+ manière accessoire. Il m'eût paru dès lors peu convenable
+ d'y envisager la théorie générale des probabilités, au sujet
+ de laquelle je n'avais à porter qu'un jugement négatif, qui,
+ par son développement nécessaire, aurait formé sans doute
+ une disparate choquante.
+
+ Le calcul des probabilités ne me semble avoir été
+ réellement, pour ses illustres inventeurs, qu'un texte
+ commode à d'ingénieux et difficiles problèmes numériques,
+ qui n'en conservent pas moins toute leur valeur abstraite,
+ comme les théories analytiques dont il a été ensuite
+ l'occasion, ou, si l'on veut, l'origine. Quant à la
+ conception philosophique sur laquelle repose une telle
+ doctrine, je la crois radicalement fausse et susceptible de
+ conduire aux plus absurdes conséquences. Je ne parle pas
+ seulement de l'application évidemment illusoire qu'on a
+ souvent tenté d'en faire un prétendu perfectionnement des
+ sciences sociales: ces essais, nécessairement chimériques,
+ seront caractérisés dans la dernière partie de cet ouvrage.
+ C'est la notion fondamentale de la probabilité évaluée, qui
+ me semble directement irrationnelle et même sophistique: je
+ la regarde comme essentiellement impropre à régler notre
+ conduite en aucun cas, si ce n'est tout au plus dans les
+ jeux de hasard. Elle nous amènerait habituellement, dans la
+ pratique, à rejeter, comme numériquement invraisemblables,
+ des événemens qui vont pourtant s'accomplir. On s'y propose
+ le problème insoluble de suppléer à la suspension de
+ jugement, si nécessaire en tant d'occasions. Les
+ applications utiles qui semblent lui être dues, le simple
+ bon sens, dont cette doctrine a souvent faussé les aperçus,
+ les avait toujours clairement indiquées d'avance.
+
+ Quoique ces assertions soient purement négatives, je
+ reconnais aujourd'hui qu'elles ont trop d'utilité pratique
+ pour que je ne doive pas consacrer à cette discussion une
+ leçon spéciale dans ma _Philosophie mathématique_, si jamais
+ cet ouvrage comporte une seconde édition.]
+
+La cosmogonie de Laplace consiste, comme on sait, à former les planètes
+par la condensation graduelle de l'atmosphère solaire, supposée
+primitivement étendue, en vertu d'une extrême chaleur, jusqu'aux limites
+de notre monde, et successivement contractée par le refroidissement.
+Elle repose sur deux considérations mathématiques incontestables. La
+première concerne la relation nécessaire qui existe, d'après la théorie
+fondamentale des rotations, et spécialement d'après le théorème général
+des aires, entre les dilatations ou contractions successives d'un corps
+quelconque (y compris son atmosphère, qui en est inséparable), et la
+durée de sa rotation, qui doit s'accélérer quand les dimensions
+diminuent, ou devenir plus lente lorsqu'elles augmentent, afin que les
+variations angulaires et linéaires, que la somme des aires tend à
+éprouver, soient exactement compensées. La seconde considération est
+relative à la liaison, non moins évidente, de la vitesse angulaire de
+rotation du soleil à l'extension possible de son atmosphère, dont la
+limite mathématique est inévitablement à la distance où la force
+centrifuge, due à cette rotation, devient égale à la gravité
+correspondante: en sorte que si, par une cause quelconque, une partie de
+cette atmosphère venait à se trouver placée au-delà d'une telle limite,
+elle cesserait aussitôt d'appartenir réellement au soleil, quoiqu'elle
+dût continuer à circuler autour de lui avec la vitesse convenable au
+moment de la séparation, mais sans pouvoir dès lors participer davantage
+aux modifications ultérieures qui surviendraient dans la rotation
+solaire par le progrès du refroidissement.
+
+On conçoit aisément, d'après cela, comment la limite mathématique de
+l'atmosphère du soleil a dû diminuer sans cesse, pour les parties
+situées à l'équateur solaire, à mesure que le refroidissement a rendu la
+rotation plus rapide. Dès lors, cette atmosphère a dû successivement
+abandonner, dans le plan de cet équateur, diverses zones gazeuses,
+situées un peu au-delà des limites correspondantes; ce qui constituerait
+le premier état de nos planètes. Le même mode de formation
+s'appliquerait évidemment aux différens satellites, par les atmosphères
+de leurs planètes respectives.
+
+Nos astres, étant ainsi une fois détachés de la masse solaire, ont pu
+ensuite devenir liquides et finalement solides, par le progrès continu
+de leur propre refroidissement, sans être affectés des nouvelles
+variations que l'atmosphère et la rotation du soleil ont pu éprouver.
+Mais l'irrégularité de ce refroidissement et l'inégale densité des
+diverses parties de chaque astre ont dû naturellement, pendant ces
+transformations, changer presque toujours la forme annulaire primitive,
+qui n'aurait subsisté sans altération que dans le seul cas des
+singuliers satellites dont Saturne est immédiatement entouré. Le plus
+souvent, la prépondérance d'une portion de la zone gazeuse a dû réunir
+graduellement, par voie d'absorption, autour de ce noyau, la masse
+entière de l'anneau; et l'astre a pris ainsi une figure sphéroïdique,
+avec un mouvement de rotation dirigé dans le même sens que la
+translation, à cause de l'excès de vitesse nécessaire des molécules
+supérieures à l'égard des inférieures.
+
+Les caractères généraux de notre monde, tels que je les ai mentionnés
+ci-dessus, sont évidemment en parfaite harmonie avec cette théorie
+cosmogonique. La direction identique de tous les mouvemens, tant de
+rotation que de translation, en dérive immédiatement. Quant à la forme
+et à la position des orbites, elles seraient, d'après une telle
+cosmogonie, parfaitement circulaires et dans le plan de l'équateur
+solaire, si le refroidissement et la condensation avaient pu s'accomplir
+avec une entière régularité. Mais les variations, nécessairement
+irrégulières, qu'ont dû éprouver les différentes parties de chaque
+masse, dans leur température et dans leur densité, ont pu produire,
+comme le remarque justement Laplace, les faibles excentricités et les
+légères déviations que nous observons. On voit, en outre, que cette
+hypothèse explique immédiatement cette impulsion primitive propre à
+chaque astre de notre monde, qui embarrassait jusqu'ici la conception
+fondamentale des mouvemens célestes, et dont désormais la seule rotation
+du soleil peut rendre uniformément raison de la manière la plus
+naturelle. Enfin, il en résulte évidemment, quoique personne ne l'ait
+encore remarqué, que la formation des diverses parties de notre système
+a été, de toute nécessité, successive; les planètes étant d'autant plus
+anciennes qu'elles sont plus éloignées du soleil, et la même loi
+s'observant, dans chacune d'elles, à l'égard de ses différens
+satellites, qui, tous, sont d'ailleurs plus modernes que les planètes
+correspondantes. Peut-être même, comme je l'indiquerai bientôt,
+pourra-t-on parvenir, dans la suite, à perfectionner cet ordre
+chronologique au point d'assigner, entre certaines limites, le nombre de
+siècles écoulés depuis chaque formation.
+
+Pour donner à cette cosmogonie une véritable consistance mathématique,
+j'ai tenté d'y découvrir un aspect d'après lequel elle comportât quelque
+vérification numérique, critérium indispensable de toute hypothèse
+relative à des phénomènes astronomiques[19]. Il s'agissait donc de
+trouver, dans les valeurs actuelles et bien connues de nos élémens
+astronomiques, une classe de nombres qui fût suffisamment en harmonie
+avec les conséquences nécessaires d'un tel mode de formation. J'ai
+d'abord senti que je devais les chercher seulement parmi les élémens qui
+ne sont point sensiblement altérés par les perturbations proprement
+dites, les autres étant nécessairement impropres à témoigner, sans
+équivoque, de l'état primitif. Enfin, il était indispensable de se
+borner, du moins en premier lieu, à la considération des mouvemens de
+translation, comme beaucoup plus susceptibles d'être exactement
+analysés, d'après la nature de l'hypothèse, que les rotations, qui sont
+d'ailleurs encore si mal connues en plusieurs cas.
+
+ [Note 19: Les résultats que je vais indiquer ont été
+ annoncés, pour la première fois, en août 1831, dans le cours
+ public d'astronomie que je fais gratuitement, depuis quatre
+ ans, pour les ouvriers de Paris, à la municipalité du 3e
+ arrondissement. J'ai lu récemment, sur ce sujet, à
+ l'Académie des sciences, en janvier 1835, un premier mémoire
+ spécial.]
+
+Le principe fondamental de cette importante vérification, consiste en ce
+que, suivant la cosmogonie proposée, le temps périodique de chaque astre
+produit a dû être nécessairement égal à la durée de la rotation de
+l'astre producteur à l'époque où son atmosphère pouvait s'étendre
+jusque-là. On fait ainsi porter naturellement la discussion sur les deux
+élémens astronomiques les mieux connus, et les moins affectés par les
+perturbations, les moyennes distances et les durées des révolutions
+sidérales. La question consistait donc à déterminer directement quelle
+pouvait être la durée de la rotation du soleil quand la limite
+mathématique de son atmosphère s'étendait jusqu'à telle ou telle
+planète, pour examiner si, en effet, on la trouverait sensiblement égale
+au temps périodique correspondant: et, pareillement, à l'égard de chaque
+planète comparée à ses satellites.
+
+Au premier abord, cette détermination semble exiger l'évaluation
+relative des variations successives du moment d'inertie du soleil,
+auquel la vitesse angulaire de sa rotation a dû être toujours
+inversement proportionnelle; ce qui jetterait dans des calculs peut-être
+inextricables, et d'ailleurs nécessairement illusoires, en vertu de
+notre profonde ignorance sur la loi mathématique de la densité des
+couches intérieures de ce corps et de son atmosphère, qu'on ne pourrait
+alors se dispenser de prendre en considération. C'est probablement par
+ce motif que Laplace aura renoncé à une telle vérification de sa
+cosmogonie, s'il en a réellement conçu la pensée. Mais un autre point de
+vue du sujet m'a permis, d'après les théorèmes élémentaires d'Huyghens
+sur la mesure des forces centrifuges, combinés avec la loi de la
+gravitation, de former, sans aucune difficulté, une équation
+fondamentale très simple entre la durée de la rotation de l'astre
+producteur et la distance de l'astre produit, jusque auquel s'étendait
+la limite mathématique correspondante de son atmosphère. Les constantes
+de cette équation sont d'ailleurs bien connues, puisqu'elles consistent
+uniquement dans le rayon de l'astre central, et l'intensité de la
+pesanteur à sa surface, qui est une conséquence directe de sa masse.
+
+Cette équation conduit d'abord immédiatement à la troisième grande loi
+de Képler sur l'harmonie des diverses révolutions, qui devient ainsi
+susceptible d'être conçue _à priori_ sous le point de vue cosmogonique,
+outre son interprétation dynamique. En même temps, cette harmonie
+fondamentale me semble par là être complétée: car, la loi de Képler
+expliquait bien pourquoi, étant donnés séparément le temps périodique et
+la moyenne distance d'un seul astre, tel autre quelconque circulait
+inévitablement, d'après sa position, en tel temps; mais elle
+n'établissait aucune relation nécessaire entre la situation et la
+vitesse de chaque corps envisagé isolément, ce qui était surtout
+manifeste dans le cas d'une seule circulation, réalisé pour le système
+secondaire formé par la terre et la lune. Notre principe tend, en un
+mot, à constater une loi générale entre les diverses vitesses initiales,
+traitées jusqu'ici, en mécanique céleste, comme essentiellement
+arbitraires. Il est d'ailleurs évident que ce rapprochement abrège
+beaucoup les calculs numériques qu'exige, par sa nature, la vérification
+proposée, puisqu'il suffit dès lors, dans chaque système de
+circulation, de l'avoir effectuée à l'égard d'un seul astre, pour qu'on
+doive aussitôt, en vertu de la loi de Képler, l'étendre à tous les
+autres.
+
+La première comparaison de ce genre, qui m'ait vivement frappé, se
+rapporte à la lune; car on trouve alors que son temps périodique actuel
+s'accorde, à moins d'un dixième de jour près, avec la durée que devait
+avoir la rotation terrestre à l'époque où la distance lunaire formait la
+limite mathématique de notre atmosphère. La coïncidence est moins
+exacte, mais cependant très frappante, dans tous les autres cas. À
+l'égard des planètes, on obtient ainsi, pour la durée des rotations
+solaires correspondantes, une valeur toujours un peu moindre que celle
+de leurs temps périodiques effectifs. Il est remarquable que cet écart,
+quoique croissant à mesure que l'on considère une planète plus
+lointaine, conserve néanmoins, à très peu près, le même rapport avec le
+temps périodique correspondant, dont il forme ordinairement 1/45. Le
+défaut se change en excès dans les divers systèmes de satellites, où il
+est proportionnellement plus grand qu'envers les planètes, et d'ailleurs
+inégal d'un système à l'autre.
+
+Par l'ensemble de ces comparaisons, je suis donc conduit à ce résultat
+général: _en supposant la limite mathématique de l'atmosphère solaire
+successivement étendue jusqu'aux régions où se trouvent maintenant les
+diverses planètes, la durée de la rotation du soleil était, à chacune de
+ces époques, sensiblement égale à celle de la révolution sidérale
+actuelle de la planète correspondante; et de même, pour chaque
+atmosphère planétaire à l'égard de tous les divers satellites
+respectifs_. Sans doute, s'il s'agissait de l'astronomie ordinaire,
+relative à un monde déjà bien formé, et parvenu même à cet état de
+consistance qui ne comporte plus que de lentes et très petites
+oscillations produites par les perturbations proprement dites, la
+coïncidence numérique indiquée ci-dessus serait loin de devoir être
+regardée comme assez complète. Mais, au contraire, pour remonter à un
+état céleste aussi antique, et surtout aussi profondément distinct de
+celui que nous observons, il serait évidemment déraisonnable d'exiger le
+même degré de précision. Dans une recherche de cette nature, on doit
+être, ce me semble, bien plus frappé de cet accord approximatif que du
+défaut d'accord parfait. Néanmoins, d'après les considérations
+philosophiques précédemment établies, je suis loin de regarder une telle
+vérification comme une vraie démonstration mathématique de la cosmogonie
+proposée: car, ce sujet n'en comporte pas. Ce qui pourrait maintenant
+donner le plus de force à cette théorie, ce serait d'en déduire quelque
+loi réelle encore inconnue, comme, par exemple, ainsi que j'en ai
+l'espérance, d'en tirer une analogie relative aux diverses rotations
+planétaires, qui semblent jusqu'ici tout-à-fait incohérentes, et parmi
+lesquelles doit, pourtant, régner, sans doute, un certain ordre caché.
+Mais, cette première vérification suffit pour donner immédiatement à
+l'hypothèse cosmogonique de Laplace une consistance scientifique qui lui
+manquait encore, et qui peut attirer désormais sur une telle étude
+l'attention des esprits philosophiques.
+
+En considérant, sous un autre point de vue, ces légères différences
+entre les temps périodiques indiqués par notre principe et ceux qui ont
+effectivement lieu, on peut même y entrevoir une base d'après laquelle
+on pourrait tenter un jour de remonter, avec une certaine approximation,
+aux époques des diverses formations successives. Si les temps
+périodiques n'avaient souffert aucune altération, une telle chronologie
+n'aurait, au contraire, aucun fondement. L'augmentation d'environ huit
+jours, par exemple, qu'a dû éprouver, d'après cette cosmogonie, notre
+année sidérale, depuis la séparation de la terre, permettrait de fixer,
+entre des limites plus ou moins écartées, la date de cet événement, si
+l'influence des diverses causes perturbatrices qui ont pu produire cette
+modification pouvait être jamais suffisamment connue. Cette
+considération semble d'autant plus rationnelle que l'écart s'accroît à
+mesure qu'il se rapporte à une planète plus ancienne. Mais les
+difficultés mathématiques transcendantes propres à une telle question,
+nous interdiront peut-être toujours d'effectuer, même grossièrement, une
+semblable détermination, quand même cette cosmogonie viendrait à être
+suffisamment constatée.
+
+Une dernière conséquence générale de l'hypothèse cosmogonique proposée,
+consiste à établir, d'après la formule fondamentale indiquée ci-dessus,
+que la formation de notre monde est maintenant aussi complète qu'elle
+puisse l'être pendant la durée totale qu'il comporte. Il suffit, pour
+cela, de reconnaître, comme on le peut aisément dans tous les cas, que
+l'étendue effective de chaque atmosphère est actuellement inférieure à
+la limite mathématique qui résulte de la rotation correspondante, ce qui
+montre aussitôt l'impossibilité d'aucune formation nouvelle.
+
+Ainsi, l'état de notre monde serait, depuis un temps plus ou moins long,
+qui sera peut-être un jour grossièrement assignable, aussi stable sous
+le rapport cosmogonique que sous le rapport mécanique. Ni l'une ni
+l'autre stabilité ne doivent d'ailleurs, d'après la leçon précédente,
+être envisagées comme absolues, quoique leur incontestable durée puisse
+amplement suffire aux exigences les plus exagérées de la prévoyance
+humaine, relativement aux destinées réelles de notre espèce. Nous
+savons, en effet, que par la seule résistance continue du milieu
+général, notre monde doit, à la longue, se réunir inévitablement à la
+masse solaire d'où il est émané, jusqu'à ce qu'une nouvelle dilatation
+de cette masse vienne, dans l'immensité des temps futurs, organiser, de
+la même manière, un monde nouveau, destiné à fournir une carrière
+analogue. Toutes ces immenses alternatives de destruction et de
+renouvellement doivent s'accomplir d'ailleurs sans influer en rien sur
+les phénomènes les plus généraux, dus à l'action mutuelle des soleils:
+en sorte que ces grandes révolutions de notre monde, à la pensée
+desquelles il semble à peine que nous puissions nous élever, ne seraient
+cependant que des événemens secondaires, et pour ainsi dire locaux, par
+rapport aux transformations vraiment universelles. Il n'est pas moins
+remarquable que l'histoire naturelle de notre monde soit, à son tour,
+aussi certainement indépendante des changemens les plus profonds que
+puisse éprouver tout le reste de l'univers; à tel point que,
+fréquemment peut-être, des systèmes entiers se développent ou se
+condensent dans d'autres régions de l'espace, sans que notre attention
+soit aucunement attirée vers ces immenses événemens.
+
+L'ensemble des neuf leçons contenues jusqu'ici dans ce volume, me paraît
+constituer une exposition complète de la philosophie astronomique,
+envisagée sous tous ses divers aspects essentiels. Mon but principal
+sera atteint, si j'ai fait nettement ressortir, quant à la méthode et
+quant à la doctrine, le vrai caractère général de cette admirable
+science, fondement immédiat de la philosophie naturelle tout entière. Je
+me suis efforcé de caractériser exactement la marche d'après laquelle
+l'esprit humain, en s'y restreignant, avec une persévérante sagesse, aux
+recherches géométriques et mécaniques, les seules conformes à la nature
+du sujet, a pu graduellement, à l'aide de l'instrument mathématique
+incessamment perfectionné, parvenir à y introduire une précision et une
+rationnalité si supérieures à celles que puisse jamais comporter aucune
+autre branche de nos connaissances réelles, de manière à représenter
+enfin tous les nombreux phénomènes de notre monde, numériquement
+appréciés, comme les différentes faces d'un même fait général,
+rigoureusement défini, et continuellement reproduit sous nos yeux, dans
+les phénomènes terrestres les plus communs: en sorte que le but final de
+toutes nos études positives, la juste prévision des événemens, ait pu y
+être atteint aussi complètement qu'on doive le désirer, tant pour
+l'étendue que pour la certitude de cette prévoyance. J'ai dû aussi
+m'attacher soigneusement à indiquer, sous les divers rapports
+principaux, l'influence fondamentale propre à la science céleste, pour
+contribuer à affranchir irrévocablement la raison humaine de toute
+tutelle théologique ou métaphysique, en montrant les phénomènes les plus
+généraux comme exactement assujettis à des relations invariables et ne
+dépendant d'aucune volonté, en représentant l'ordre du ciel comme
+nécessaire et spontané. Quoique la considération spéciale et directe de
+cette action philosophique appartienne, d'ailleurs, naturellement à la
+dernière partie de cet ouvrage, il importait de manifester ici, en
+général, cet enchaînement inévitable d'après lequel l'ensemble du
+développement de l'astronomie nous a graduellement conduits à substituer
+désormais, à l'idée chimérique d'un univers destiné à notre satisfaction
+passive, la notion rationnelle de l'homme, intelligence suprême parmi
+toutes celles qu'il peut connaître, modifiant à son avantage, entre
+certaines limites déterminées, le système de phénomènes dont il fait
+partie, en résultat d'un sage exercice de son activité, dégagée de toute
+terreur oppressive, et dirigée uniquement par une exacte connaissance
+des lois naturelles. Enfin, je devais juger indispensable de constituer
+solidement, d'après tous les motifs importans, la restriction
+fondamentale du point de vue le plus général de la philosophie positive,
+à la seule considération bien circonscrite de notre monde, en
+représentant comme essentiellement inaccessible l'étude vague et
+indéfinie de l'univers.
+
+Il faut maintenant passer à l'examen philosophique de la seconde science
+naturelle fondamentale, celle qui concerne les phénomènes physiques
+proprement dits, dont l'étude, nécessairement beaucoup plus compliquée,
+emprunte à la méthode et à la doctrine astronomique un modèle général et
+une base indispensable, indépendamment de l'application si précieuse de
+l'instrument mathématique, qui doit s'y adapter toutefois d'une manière
+bien moins complète et moins satisfaisante qu'à l'analyse des phénomènes
+célestes, les plus éminemment mathématiques de tous.
+
+
+
+
+VINGT-HUITIÈME LEÇON.
+
+Considérations philosophiques sur l'ensemble de la physique.
+
+Cette seconde branche fondamentale de la philosophie naturelle n'a
+commencé à se dégager définitivement de la métaphysique, pour prendre un
+caractère vraiment positif, que depuis les découvertes capitales de
+Galilée sur la chute des poids; tandis que, au contraire, la science
+considérée dans la première partie de ce volume était réellement
+positive, sous le rapport purement géométrique, depuis la fondation de
+l'École d'Alexandrie. On doit donc s'attendre ici, outre l'influence
+directe de la plus grande complication des phénomènes, à trouver l'état
+scientifique de la physique bien moins satisfaisant que celui de
+l'astronomie; soit sous le point de vue spéculatif, quant à la pureté et
+à la coordination de ses théories; soit sous le point de vue pratique,
+quant à l'étendue et à l'exactitude des prévisions qui en résultent. À
+la vérité, la formation graduelle de cette science pendant les deux
+derniers siècles a pu s'accomplir sous l'impulsion philosophique des
+préceptes de Bacon et des conceptions de Descartes, qui a dû rendre sa
+marche générale bien plus rationnelle, en établissant directement les
+conditions fondamentales de la méthode positive universelle. Mais,
+quelque importante qu'ait été réellement cette haute influence pour
+accélérer le progrès naturel de la philosophie physique, l'empire si
+prolongé des habitudes métaphysiques primitives était tellement profond,
+et l'esprit positif, qui n'a pu se développer que par l'exercice, était
+encore si imparfaitement caractérisé, que cette science ne pouvait
+acquérir en aussi peu de temps une entière positivité, dont manquait
+l'astronomie elle-même, envisagée dans sa partie mécanique, jusqu'au
+milieu de cette période. Aussi, à partir du point où est maintenant
+parvenu notre examen philosophique, trouverons-nous, dans les diverses
+sciences fondamentales qui nous restent à considérer, des traces de plus
+en plus profondes de l'esprit métaphysique, dont l'astronomie est seule
+aujourd'hui, entre toutes les branches de la philosophie naturelle,
+complètement affranchie. Cette influence anti-scientifique ne se bornera
+plus, comme celle que j'ai eu jusqu'ici à signaler en divers cas, à des
+détails peu importans, qui n'affectent essentiellement que le mode
+d'exposition; nous reconnaîtrons qu'elle altère notablement les
+conceptions fondamentales de la science, qui, même en physique, n'a
+point encore, à mon avis, entièrement pris son caractère philosophique
+définitif. Conformément à l'esprit général de notre travail, en
+comparant, d'une manière plus directe, plus rationnelle et plus profonde
+qu'on ne l'a fait encore, la philosophie de la physique avec le modèle
+si parfait que nous offre la philosophie astronomique, et perfectionnant
+toujours graduellement la méthode des sciences plus compliquées par
+l'application des préceptes généraux fournis par l'analyse des sciences
+moins compliquées, je ferai concevoir, j'espère, la possibilité
+d'imprimer désormais à toutes la même positivité, quoiqu'elles soient
+loin de comporter, par la nature de leurs phénomènes, la même
+perfection, suivant la hiérarchie fondamentale établie au commencement
+de cet ouvrage.
+
+Nous devons d'abord circonscrire aussi nettement que possible le
+véritable champ des recherches dont se compose la physique proprement
+dite.
+
+En ne la séparant point de la chimie, leur ensemble a pour objet la
+connaissance des lois générales du monde inorganique. Dès lors, cette
+étude totale se distingue aisément par des caractères fort tranchés, qui
+seront plus tard exactement analysés, aussi bien de la science de la
+vie, qui la suit dans notre échelle encyclopédique, que de la science
+astronomique qui l'y précède, et dont le simple objet, comme nous
+l'avons vu, se réduit à la considération des grands corps naturels quant
+à leurs formes et à leurs mouvemens. Mais, au contraire, la distinction
+entre la physique et la chimie est très délicate à constituer avec
+précision, et sa difficulté augmente de jour en jour par les relations
+de plus en plus intimes que l'ensemble des découvertes modernes
+développe continuellement entre ces deux sciences. Cette division est
+néanmoins réelle et indispensable, quoique nécessairement moins
+prononcée que toutes les autres séparations contenues dans notre série
+encyclopédique fondamentale. Je crois pouvoir l'établir solidement
+d'après trois considérations générales, distinctes quoique équivalentes,
+dont chacune isolément serait peut-être, en certains cas, insuffisante,
+mais qui, réunies, ne me paraissent devoir jamais laisser aucune
+incertitude réelle.
+
+La première consiste dans le contraste caractéristique, déjà vaguement
+entrevu par les philosophes du dix-septième siècle, entre la généralité
+nécessaire des recherches vraiment physiques et la spécialité non moins
+inhérente aux explorations purement chimiques. Toute considération de
+physique proprement dite est, par sa nature, plus ou moins applicable à
+un corps quelconque: tandis que, au contraire, toute idée chimique
+concerne nécessairement une action particulière à certaines substances,
+quelque similitude que nous parvenions d'ailleurs à saisir entre les
+différens cas. Cette opposition fondamentale est toujours nettement
+marquée entre les deux catégories de phénomènes. Ainsi, non-seulement la
+pesanteur, premier objet de la physique, se manifeste de la même manière
+dans tous les corps, et tous comportent pareillement des effets
+thermologiques; mais, encore, tous sont plus ou moins sonores, et
+susceptibles aussi de phénomènes optiques et même électriques: ils ne
+nous offrent jamais, pour ces diverses propriétés, que de simples
+inégalités de degré. Dans les différentes compositions et décompositions
+dont la chimie s'occupe, il s'agit constamment, au contraire, en
+dernière analyse, de propriétés radicalement spécifiques, qui varient
+non-seulement entre les diverses substances élémentaires, mais encore
+parmi leurs combinaisons les plus analogues. Les phénomènes magnétiques
+semblent, il est vrai, présenter une exception notable à cette
+généralité caractéristique des études physiques proprement dites,
+puisqu'ils sont particuliers à certaines matières très peu nombreuses,
+ce qui paraîtrait devoir les faire rentrer, sous ce rapport, dans le
+domaine de la chimie, à laquelle néanmoins ils ne sauraient évidemment
+appartenir. Mais cette objection doit disparaître depuis qu'il est bien
+reconnu, d'après la belle série de découvertes créée par M. Oersted, que
+ces phénomènes sont une simple modification des phénomènes électriques,
+dont la généralité est irrécusable. Sous l'influence de cette vue
+fondamentale, le progrès journalier de la science tend d'ailleurs, ce me
+semble, à constater de plus en plus que cette modification n'est point,
+comme on le croyait d'une manière trop absolue, strictement propre à une
+ou deux substances, et que toutes en sont très probablement susceptibles
+quand on les place dans des conditions convenables, seulement à des
+degrés beaucoup plus inégaux que pour aucune autre propriété physique.
+Cette exception apparente, qui, du reste, est évidemment la seule, ne
+peut donc réellement altérer le caractère intime de généralité
+rigoureuse, nécessairement inhérent à tous les phénomènes qui
+constituent le domaine de la physique, par opposition à la chimie.
+
+C'est donc bien vainement que, dans la manière habituelle de concevoir
+la physique, on croit encore devoir distinguer aujourd'hui les diverses
+propriétés dont elle s'occupe, suivant que leur universalité est
+nécessaire ou contingente, ce qui tend directement à jeter une fâcheuse
+incertitude sur la vraie définition de cette science. Une telle
+subtilité scolastique ne tient évidemment qu'à un reste d'influence de
+l'esprit métaphysique, d'après lequel on avait prétendu si long-temps à
+connaître les corps en eux-mêmes, indépendamment des phénomènes qu'ils
+nous montrent, et que l'on envisageait toujours comme essentiellement
+fortuits, tandis qu'ils sont réellement au contraire, pour les
+philosophes positifs, la seule base primitive de nos conceptions.
+Depuis que l'homme a reconnu, par exemple, l'universalité de la
+pesanteur, pouvons-nous continuer à la regarder comme une propriété
+contingente, c'est-à-dire, concevoir effectivement des corps qui en
+seraient dépourvus? De même, est-il vraiment en notre pouvoir de nous
+représenter une substance qui n'aurait point une température quelconque,
+ou qui ne comporterait aucun effet sonore, ni aucune action lumineuse,
+ou même électrique? En un mot, du point de vue de la philosophie
+positive, il y a évidemment exclusion entre l'idée de généralité
+rigoureuse et la notion de contingence, qui ne saurait appartenir qu'à
+des propriétés dont l'absence soit constatée dans quelques cas réels.
+
+La seconde considération élémentaire propre à distinguer la physique de
+la chimie, offre moins d'importance et même de solidité que la
+précédente, quoique susceptible d'une utilité véritable. Elle consiste à
+remarquer qu'en physique, les phénomènes considérés sont toujours
+relatifs aux masses, et en chimie aux molécules, d'où cette dernière
+science tirait autrefois sa dénomination habituelle de _physique
+moléculaire_. Malgré que cette distinction ne soit pas, au fond,
+dépourvue de toute réalité, il faut néanmoins reconnaître que les
+actions purement physiques sont le plus souvent aussi moléculaires que
+les influences chimiques, quand on les étudie d'une manière suffisamment
+approfondie. La pesanteur elle-même nous en présente un exemple
+irrécusable. Les phénomènes physiques observés dans les masses ne sont
+habituellement que les résultats sensibles de ceux qui s'opèrent dans
+leurs moindres particules: on ne doit tout au plus excepter de cette
+règle que les phénomènes du son et peut-être ceux de l'électricité.
+Quant à la nécessité d'une certaine masse pour manifester l'action, elle
+est évidemment tout aussi indispensable en chimie; en sorte que, sous ce
+rapport non plus, on ne semble point pouvoir admettre aucune différence
+vraiment caractéristique. Toutefois, cet ancien aperçu général, inspiré
+par la science naissante à des esprits profondément philosophiques, doit
+nécessairement offrir quelques fondemens véritables qui ont seulement
+besoin d'être plus précisément analysés; car, le développement ultérieur
+de la science ne saurait détruire le résultat d'une telle comparaison
+primitive, convenablement établie. Il me semble, en effet, que le fait
+général inaltérable, dont cette distinction n'est que l'énoncé abstrait,
+exprimé peut-être d'une manière qui n'est plus aujourd'hui strictement
+scientifique, consiste réellement en ce que, pour tous les phénomènes
+chimiques, l'un au moins des corps entre lesquels ils s'opèrent doit
+être nécessairement dans un état d'extrême division, et même, le plus
+souvent, de fluidité véritable, sans lequel l'action ne saurait avoir
+lieu, tandis que cette condition préliminaire n'est, au contraire,
+jamais indispensable à la production d'aucun phénomène physique
+proprement dit, et qu'elle constitue même toujours une circonstance
+défavorable à cette production, quoiqu'elle ne suffise pas constamment à
+l'empêcher. Il y a donc, à cet égard, une distinction réelle, quoique
+peu tranchée, entre les deux ordres de recherches.
+
+Enfin, une troisième remarque générale est peut-être plus convenable
+qu'aucune autre pour séparer nettement les phénomènes physiques des
+phénomènes chimiques. Dans les premiers, la constitution des corps,
+c'est-à-dire le mode d'arrangement de leurs particules, peut se trouver
+changée, quoique le plus souvent elle demeure même essentiellement
+intacte; mais, leur nature, c'est-à-dire la composition de leurs
+molécules, reste constamment inaltérable. Dans les seconds, au
+contraire, non-seulement il y a toujours changement d'état à l'égard de
+quelqu'un des corps considérés, mais l'action mutuelle de ces corps
+altère nécessairement leur nature, et c'est même une telle modification
+qui constitue essentiellement le phénomène. La plupart des agens
+considérés en physique sont sans doute susceptibles, quand leur
+influence est très énergique ou très prolongée, d'opérer à eux seuls des
+compositions et décompositions parfaitement identiques avec celles que
+détermine l'action chimique proprement dite; et c'est là d'où résulte
+directement la liaison si naturelle entre la physique et la chimie.
+Mais, à ce degré d'action, ils sortent, en effet, du domaine de la
+première science pour entrer dans celui de la seconde.
+
+Nos classifications scientifiques, pour être vraiment positives, ne
+sauraient reposer sur la considération vague et incertaine des agens
+auxquels nous rapportons les phénomènes étudiés. Un tel principe,
+rigoureusement appliqué, introduirait nécessairement une confusion
+totale et tendrait à faire disparaître les distinctions les plus utiles
+et les plus réelles. On sait, par exemple, que plusieurs philosophes
+modernes, et entre autres le grand Euler, ont voulu attribuer à un même
+éther universel, non-seulement les phénomènes de la chaleur et de la
+lumière, ainsi que ceux de l'électricité et du magnétisme, mais encore
+ceux de la pesanteur, terrestre ou céleste: et il serait impossible de
+démontrer, d'une manière réellement péremptoire, la fausseté d'une telle
+opinion. Plus tard, d'autres ont encore chargé le même fluide imaginaire
+de la production des phénomènes sonores, pour lesquels l'air ne leur
+paraissait pas un intermédiaire suffisant. Enfin, nous voyons
+aujourd'hui quelques physiologistes distingués, sectateurs du
+_naturisme_ allemand, rapporter aussi la vie à l'attraction universelle,
+à laquelle déjà l'action chimique a été souvent rattachée. Ainsi, en
+combinant ces diverses hypothèses, qui sont tout aussi plausibles
+réunies que séparées, on arriverait à concevoir vaguement, en résumé,
+que tous les phénomènes observables sont dus à un agent unique, et
+personne sans doute ne saurait prouver qu'il en est autrement. Toute
+classification fondée sur la considération des agens deviendrait donc
+entièrement illusoire. Le seul moyen de dissiper une telle incertitude,
+en écartant des contestations nécessairement interminables, consiste à
+remarquer directement que, nos études positives ayant seulement pour
+objet la connaissance des lois des phénomènes, et nullement celle de
+leur mode de production, c'est sur les phénomènes eux-mêmes que doivent
+être exclusivement basées nos distributions scientifiques, pour avoir
+réellement une consistance rationnelle, comme je l'ai établi dans les
+prolégomènes de cet ouvrage. En procédant ainsi, il n'y a plus
+d'obscurité ni d'hésitation; notre marche philosophique devient assurée.
+
+On voit, dès lors, pour nous renfermer dans les limites de la question
+présente, que quand même tous les phénomènes chimiques seraient un jour
+positivement analysés comme dus à des actions purement physiques, ce qui
+sera peut-être le résultat général des travaux de la génération
+scientifique actuelle, notre distinction fondamentale entre la physique
+et la chimie ne saurait en être effectivement ébranlée. Car il resterait
+nécessairement vrai que, dans un fait justement qualifié de _chimique_,
+il y a toujours quelque chose de plus que dans un fait simplement
+_physique_, savoir: l'altération caractéristique qu'éprouvent la
+composition moléculaire des corps, et par suite, l'ensemble de leurs
+propriétés. Une telle distinction est donc naturellement à l'abri de
+toute révolution scientifique.
+
+L'ensemble des considérations précédentes me paraît suffire pour définir
+avec exactitude l'objet propre de la physique, strictement circonscrite
+dans ses limites naturelles. On voit que cette science consiste à
+_étudier les lois qui régissent les propriétés générales des corps,
+ordinairement envisagés en masse, et constamment placés dans des
+circonstances susceptibles de maintenir intacte la composition de leurs
+molécules, et même, le plus souvent, leur état d'agrégation_. En outre,
+le véritable esprit philosophique exige toujours, comme je l'ai déjà
+fréquemment rappelé, que toute science digne de ce nom soit évidemment
+destinée à établir sûrement un ordre correspondant de prévoyance. Il est
+donc indispensable d'ajouter, pour compléter réellement une telle
+définition, que le but final des théories physiques est de _prévoir, le
+plus exactement possible, tous les phénomènes que présentera un corps
+placé dans un ensemble quelconque de circonstances données_, en excluant
+toutefois celles qui pourraient le dénaturer. Que ce but soit rarement
+atteint d'une manière complète et surtout précise, cela n'est point
+douteux; mais il en résulte seulement que la science est imparfaite. Son
+imperfection réelle fût-elle même beaucoup plus grande, telle n'en
+serait pas moins évidemment sa destination nécessaire. J'ai remarqué
+ailleurs que, pour concevoir nettement le vrai caractère général d'une
+science quelconque, il est d'abord indispensable de la supposer
+parfaite, et l'on a ensuite convenablement égard aux difficultés
+fondamentales plus ou moins grandes que présente toujours effectivement
+cette perfection idéale, comme nous l'avons déjà fait envers
+l'astronomie.
+
+Par cette seule exposition sommaire de l'objet général des recherches
+physiques, il est aisé de sentir combien elles doivent offrir
+nécessairement plus de complication que les études astronomiques.
+Celles-ci se bornent à considérer les corps dont elles s'occupent sous
+les deux aspects élémentaires les plus simples que nous puissions
+imaginer, quant à leurs formes et à leurs mouvemens, en faisant
+rigoureusement abstraction de tout autre point de vue. En physique, au
+contraire, les corps, accessibles à tous nos sens, sont nécessairement
+envisagés dans l'ensemble des conditions générales qui caractérisent
+leur existence réelle, et par conséquent, étudiés sous un grand nombre
+de rapports divers, qui d'ordinaire se compliquent mutuellement. Si l'on
+apprécie convenablement la difficulté totale du problème, il deviendra
+facile de concevoir, _à priori_, que non-seulement une telle science
+doit être inévitablement beaucoup moins parfaite que l'astronomie, mais
+encore même qu'elle serait réellement impossible si l'accroissement des
+obstacles fondamentaux n'était naturellement compensé, jusqu'à un
+certain point, par l'extension des moyens d'exploration. C'est ici le
+lieu d'appliquer la loi philosophique que j'ai établie dans la
+dix-neuvième leçon, au sujet de cette compensation nécessaire et
+constante, qui résulte essentiellement de ce que, à mesure que les
+phénomènes se compliquent, ils deviennent, par cela même, explorables
+sous un plus grand nombre de rapports divers.
+
+Des trois procédés généraux qui constituent notre art d'observer, comme
+je l'ai exposé alors, le dernier, la comparaison, n'est à la vérité
+guère plus applicable ici qu'à l'égard des phénomènes astronomiques.
+Quoiqu'il y puisse être quelquefois heureusement employé, il faut
+reconnaître que, par sa nature, il est essentiellement destiné à l'étude
+des phénomènes propres aux corps organisés, comme nous le constaterons
+plus tard. Mais la physique comporte évidemment le plus complet
+développement des deux autres modes fondamentaux d'observation. Quant au
+premier, c'est-à-dire à l'observation proprement dite, qui, en
+astronomie, était forcément bornée à l'usage d'un seul sens, elle
+commence à recevoir ici toute son extension possible. La multiplicité
+des points de vue relatifs aux propriétés physiques tient
+essentiellement en effet à la même condition caractéristique qui nous
+permet d'y employer simultanément tous nos sens. Néanmoins, cette
+science, réduite à la seule ressource de l'observation pure, serait,
+sans aucun doute, extrêmement imparfaite, quelque varié qu'y puisse être
+son usage. Mais ici s'introduit spontanément, dans la philosophie
+naturelle, l'emploi du second procédé général d'exploration,
+l'expérience, dont l'application convenablement dirigée constitue la
+principale force des physiciens pour toutes les questions un peu
+compliquées. Cet heureux artifice fondamental consiste toujours à
+observer en dehors des circonstances naturelles, en plaçant les corps
+dans des conditions artificielles, expressément instituées pour
+faciliter l'examen de la marche des phénomènes qu'on se propose
+d'analyser sous un point de vue déterminé. On conçoit aisément combien
+un tel art est éminemment adapté aux recherches physiques, qui,
+destinées, par leur nature, à étudier dans les corps leurs propriétés
+générales et permanentes, susceptibles seulement de divers degrés
+d'intensité, peuvent admettre, pour ainsi dire sans limites, l'ensemble
+quelconque de circonstances qu'on juge convenable d'introduire. C'est
+réellement en physique que se trouve le triomphe de l'expérimentation,
+parce que notre faculté de modifier les corps afin de mieux observer
+leurs phénomènes, n'y est assujettie à presque aucune restriction, ou
+que, du moins, elle s'y développe beaucoup plus librement que dans
+toute autre partie de la philosophie naturelle.
+
+Quand nous examinerons, dans le volume suivant, la science de la vie,
+nous reconnaîtrons quelles difficultés fondamentales y présente
+l'institution des expériences, à cause de la nécessité de les combiner
+de manière à maintenir l'état vivant, et même au degré normal, ce qui,
+d'un autre côté, exige impérieusement un ensemble très complexe de
+conditions, tant extérieures qu'intérieures, dont les variations
+admissibles sont renfermées entre des limites peu écartées, et dont les
+modifications se provoquent mutuellement: en sorte qu'on ne peut presque
+jamais établir, en physiologie, tandis qu'on l'obtient si aisément en
+physique deux cas exactement pareils sous tous les rapports, sauf sous
+celui qu'on veut analyser; ce qui constitue pourtant la base
+indispensable d'une expérimentation complètement rationnelle et vraiment
+décisive. L'usage des expériences doit donc être, en physiologie,
+extrêmement restreint, quoique, sans doute, elles y puissent être
+réellement avantageuses, quand on procède à leur institution avec toute
+la circonspection qu'elle exige: nous examinerons plus tard comment
+cette ressource y est, jusqu'à un certain point, remplacée par
+l'observation pathologique. En chimie, le domaine de l'expérimentation
+semble ordinairement encore plus complet que dans la physique, puisqu'on
+n'y considère, pour ainsi dire, jusqu'ici que des faits résultant de
+circonstances artificielles, établies par notre intervention. Mais, la
+non-spontanéité des circonstances ne constitue pas, ce me semble, le
+principal caractère philosophique de l'expérimentation, qui consiste
+surtout dans le choix le plus libre possible du cas propre à dévoiler le
+mieux la marche du phénomène, que ce cas soit d'ailleurs naturel ou
+factice. Or, ce choix est, en réalité, bien plus facultatif en physique
+qu'à l'égard des phénomènes chimiques, dont la plupart, ne pouvant
+s'obtenir que par le concours indispensable d'un plus grand nombre
+d'influences diverses, ne permettent pas de varier autant les
+circonstances de leur production, ni surtout d'isoler aussi complètement
+les différentes conditions déterminantes, comme nous le reconnaîtrons
+spécialement dans le volume suivant. Ainsi, en résumé, non-seulement la
+création de l'art général de l'expérimentation est due au développement
+de la physique; mais c'est surtout à cette science qu'un tel procédé
+est, en effet, destiné, quelque précieuses ressources qu'il offre aux
+branches plus compliquées de la philosophie naturelle.
+
+Après l'usage rationnel des méthodes expérimentales, la principale base
+du perfectionnement de la physique résulte de l'application plus ou
+moins complète de l'analyse mathématique. C'est ici que finit le domaine
+actuel de cette analyse en philosophie naturelle; et la suite de cet
+ouvrage montrera combien il serait chimérique d'espérer que son empire
+s'étende jamais au-delà avec une efficacité notable, même en se bornant
+aux phénomènes chimiques. La fixité et la simplicité relatives des
+phénomènes physiques, doivent comporter naturellement un emploi étendu
+de l'instrument mathématique, quoiqu'il s'y adapte beaucoup moins bien
+qu'aux études astronomiques. Cette application peut s'y présenter sous
+deux formes très différentes, l'une directe, l'autre indirecte. La
+première a lieu quand la considération immédiate des phénomènes a permis
+d'y saisir une loi numérique fondamentale, qui devient la base d'une
+suite plus ou moins prolongée de déductions analytiques; comme on l'a vu
+si éminemment lorsque le grand Fourier a créé sa belle théorie
+mathématique de la répartition de la chaleur, fondée tout entière sur le
+principe de l'action thermologique entre deux corps, proportionnelle à
+la différence de leurs températures. Le plus souvent, au contraire,
+l'analyse mathématique ne s'y introduit qu'indirectement, c'est-à-dire
+après que les phénomènes ont été d'abord ramenés, par une étude
+expérimentale plus ou moins difficile, à quelques lois géométriques ou
+mécaniques; et alors ce n'est point proprement à la physique que
+l'analyse s'applique, mais à la géométrie ou à la mécanique. Telles
+sont, entre autres, sous le rapport géométrique, les théories de la
+réflexion ou de la réfraction, et, sous le rapport mécanique, l'étude de
+la pesanteur ou celle d'une partie de l'acoustique.
+
+Que l'introduction des théories analytiques, dans les recherches
+physiques, soit médiate ou immédiate, il importe de ne les y employer
+qu'avec une extrême circonspection, après avoir sévèrement scruté la
+réalité du point de départ, qui peut seule établir la solidité des
+déductions, qu'une telle méthode permet de prolonger et de varier avec
+une si admirable fécondité; et le génie propre de la physique doit
+diriger sans cesse l'usage rationnel de ce puissant instrument. Il faut
+convenir que l'ensemble de ces conditions a été rarement rempli d'une
+manière convenable par les géomètres, qui, le plus souvent, prenant le
+moyen pour le but, ont embarrassé la physique d'une foule de travaux
+analytiques fondés sur des hypothèses très hasardées, ou même sur des
+conceptions entièrement chimériques, et où, par conséquent, les bons
+esprits ne peuvent voir réellement que de simples exercices
+mathématiques, dont la valeur abstraite est quelquefois très éminente,
+sans que leur influence puisse nullement accélérer le progrès naturel de
+la physique. L'injuste dédain que la prépondérance de l'analyse provoque
+trop fréquemment pour les études purement expérimentales, tend même
+directement à imprimer à l'ensemble des recherches une impulsion
+vicieuse qui, si elle n'était point nécessairement contenue, enlevant à
+la physique ses fondemens indispensables, la ferait rétrograder vers un
+état d'incertitude et d'obscurité peu différent, au fond, malgré
+l'imposante sévérité des formes, de son ancien état métaphysique. Les
+physiciens n'ont pas d'autre moyen radical d'éviter ces empiètemens
+funestes, que de devenir désormais eux-mêmes assez géomètres pour
+diriger habituellement l'usage de l'instrument analytique, comme celui
+de tous les autres appareils qu'ils emploient, au lieu d'en abandonner
+l'application à des esprits qui n'ont ordinairement aucune idée nette et
+approfondie des phénomènes à l'exploration desquels ils le destinent.
+Cette condition, rationnellement indiquée par la seule position de la
+physique dans notre série encyclopédique, pourrait sans doute être
+convenablement remplie, si l'éducation préliminaire des physiciens était
+plus fortement organisée. Dès lors, ils n'auraient plus besoin de
+recourir aux géomètres que dans les cas, nécessairement très rares, qui
+exigeraient le perfectionnement abstrait des procédés analytiques.
+Non-seulement ils feraient ainsi cesser directement la sorte de fausse
+position scientifique qui leur est si souvent pénible aujourd'hui, mais
+ils amélioreraient notablement l'ensemble du système scientifique, en
+hâtant le développement de la saine philosophie mathématique. Car, la
+philosophie de l'analyse commence maintenant à être bien connue, quoique
+sans doute, comme je l'ai indiqué dans le volume précédent, elle soit
+encore susceptible de perfectionnemens capitaux; mais, quant à la vraie
+philosophie mathématique, qui consiste surtout dans la relation
+convenablement organisée de l'abstrait au concret, elle est encore
+presque entièrement dans l'enfance, sa formation ayant dû nécessairement
+être postérieure. Or, elle ne pouvait naître que d'une comparaison
+suffisamment étendue entre les études mathématiques de divers ordres de
+phénomènes; elle ne peut se développer que par l'accroissement graduel
+de telles études, poursuivies dans un esprit vraiment positif, qui, au
+degré où il est nécessaire, doit naturellement se trouver bien plus
+complet chez les physiciens que chez les géomètres. L'attention de
+ceux-ci doit, en général, se diriger spontanément de préférence vers
+l'instrument, abstraction faite de l'usage; les autres peuvent seuls,
+d'ordinaire, sentir assez vivement le besoin de modifier les moyens,
+conformément à la destination qu'ils ont en vue. Telles sont les
+fonctions respectives que leur assigne une distribution rationnelle de
+l'ensemble du travail scientifique.
+
+Quoique l'application de l'analyse à l'étude de la physique ne soit
+point encore assez philosophiquement instituée, et que, par suite, elle
+ait été fréquemment illusoire, elle n'en a pas moins déjà rendu
+d'éminens services au progrès réel de nos connaissances, comme j'aurai
+soin de l'indiquer en examinant successivement les diverses parties
+essentielles de la science. Lorsque les conditions fondamentales d'une
+telle application ont pu être suffisamment remplies, l'analyse a porté,
+dans les différentes branches de la physique, cette précision admirable
+et surtout cette parfaite coordination qui caractérisent toujours son
+emploi bien entendu. Que seraient sans elle, l'étude de la pesanteur,
+celle de la chaleur, de la lumière, etc.? Des suites de faits presque
+incohérens, dans lesquelles notre esprit ne pourrait rien prévoir qu'en
+consultant l'expérience, pour ainsi dire à chaque pas, tandis qu'elles
+nous offrent maintenant un caractère de rationnalité très satisfaisant,
+qui les rend susceptibles de remplir à un haut degré la destination
+finale de tout travail scientifique. Néanmoins, il ne faut pas se
+dissimuler que les phénomènes physiques, à raison de leur plus grande
+complication, sont bien moins accessibles aux méthodes mathématiques que
+les phénomènes astronomiques, soit quant à l'étendue ou à la sûreté des
+procédés. Sous le point de vue mécanique surtout, il n'y a pas de
+problème physique qui ne soit réellement beaucoup plus complexe qu'aucun
+problème astronomique, lorsqu'on y veut tenir compte de toutes les
+circonstances susceptibles d'exercer sur le phénomène une véritable
+influence. Le cas de la pesanteur, quelque simple qu'il paraisse et
+qu'il soit en effet, relativement à tous les autres, en offre la preuve
+bien sensible, même en se bornant aux solides, par l'impossibilité où
+nous sommes encore d'avoir suffisamment égard dans nos calculs à la
+résistance de l'air, qui modifie pourtant d'une manière si prononcée le
+mouvement effectif. Il en est ainsi, à plus forte raison, des autres
+recherches physiques susceptibles de devenir mathématiques, et qui
+ordinairement ne sauraient comporter une telle transformation qu'après
+avoir écarté une portion plus ou moins essentielle des conditions du
+problème, d'où résulte l'impérieuse nécessité d'une grande réserve dans
+l'emploi des déductions de cette analyse incomplète. On pourrait
+cependant augmenter beaucoup l'utilité réelle de l'analyse dans les
+questions physiques, en ne lui accordant plus une prépondérance aussi
+exclusive, et en consultant plus convenablement l'expérience, qui,
+cessant d'être bornée à la simple détermination des coefficiens, comme
+on le voit trop souvent aujourd'hui, fournirait aux méthodes
+mathématiques des points de départ moins écartés; cette marche a déjà
+réussi pour quelques cas, malheureusement trop rares. Sans doute, la
+coordination devient ainsi plus imparfaite; mais doit-on regretter cette
+perfection illusoire, lorsqu'on ne peut l'obtenir qu'en altérant plus ou
+moins profondément la réalité des phénomènes? Cet art de combiner
+intimement l'analyse et l'expérience, sans subalterniser l'une à
+l'autre, est encore presque inconnu; il constitue naturellement le
+dernier progrès fondamental de la méthode propre à l'étude approfondie
+de la physique. Il ne pourra être, en réalité, convenablement cultivé,
+que lorsque les physiciens, et non les géomètres, se chargeront enfin,
+dans ces recherches, de diriger l'instrument analytique, comme je viens
+de le proposer.
+
+Après avoir suffisamment considéré, d'une manière générale, l'objet
+propre de la physique et les moyens fondamentaux qui lui appartiennent,
+je dois maintenant fixer sa vraie position encyclopédique. La discussion
+établie au commencement de cette leçon doit me dispenser naturellement
+de grands développemens à ce sujet. Il faut, néanmoins, justifier ici
+sommairement le rang que j'ai assigné à cette branche de la philosophie
+naturelle dans la hiérarchie scientifique, telle que je l'ai constituée
+au début de cet ouvrage.
+
+Si l'on envisage d'abord la physique relativement aux sciences que j'ai
+placées comme antécédentes, il est aisé de reconnaître, en premier lieu,
+que non-seulement ses phénomènes sont plus compliqués que les phénomènes
+astronomiques, ce qui est évident, mais que leur étude ne saurait
+acquérir son vrai caractère rationnel qu'en se fondant sur une
+connaissance approfondie, quoique générale, de l'astronomie, soit comme
+modèle, soit même comme base. Nous avons reconnu, dans la première
+partie de ce volume, que la science céleste, tant sous le point de vue
+mécanique que sous le point de vue géométrique, nous offre
+nécessairement, à raison de la simplicité caractéristique de ses
+phénomènes, le type le plus parfait de la méthode universelle qu'on doit
+appliquer, autant que possible, à la découverte des lois naturelles.
+Quelle préparation immédiate aussi convenable pourrions-nous donc
+imaginer pour notre intelligence avant de se livrer aux explorations
+plus difficiles de la physique, que celle qui résulte de l'examen
+philosophique d'un tel modèle? Comment procéder rationnellement à
+l'analyse des phénomènes plus compliqués, sans s'être rendu d'abord un
+compte général satisfaisant de la manière dont les plus simples peuvent
+être étudiés? La marche de l'individu doit offrir ici les mêmes phases
+principales que celle de l'espèce. C'est par l'astronomie que l'esprit
+positif a réellement commencé à s'introduire dans la philosophie
+naturelle proprement dite, après avoir été suffisamment développé par
+les études purement mathématiques. Notre éducation individuelle
+pourrait-elle réellement être dispensée de suivre la même série
+générale? Si la science céleste nous a seule primitivement appris ce que
+c'est que l'_explication_ positive d'un phénomène sans aucune enquête
+inaccessible sur sa _cause_, ou première ou finale, ni sur son mode de
+production, à quelle source plus pure puiserions-nous aujourd'hui un tel
+enseignement fondamental? La physique, plus qu'aucune autre science
+naturelle, doit surtout se proposer l'imitation d'un tel modèle, puisque
+ses phénomènes étant les moins compliqués de tous après les phénomènes
+astronomiques, cette imitation y est nécessairement bien plus complète.
+
+Indépendamment de cette relation fondamentale, sous le rapport de la
+méthode, l'ensemble des théories célestes constitue une donnée
+préliminaire indispensable à l'étude rationnelle de la physique
+terrestre, comme je l'ai déjà indiqué dans la dix-neuvième leçon. La
+position et les mouvemens de notre planète dans le monde dont nous
+faisons partie, sa figure, sa grandeur, l'équilibre général de sa masse,
+sont évidemment nécessaires à connaître avant que l'un quelconque des
+phénomènes physiques qui s'opèrent à sa surface puisse être
+véritablement compris. Le plus élémentaire d'entre eux, et qui se
+reproduit dans presque tous les autres, la pesanteur, n'est point
+susceptible d'être étudié d'une manière approfondie, abstraction faite
+du phénomène céleste universel dont il ne présente réellement qu'un cas
+particulier. Enfin, j'ai déjà remarqué ailleurs que plusieurs phénomènes
+importans, et surtout celui des marées, établissent naturellement une
+transition formelle et presque insensible de l'astronomie à la
+physique. Une telle subordination est donc incontestable, sous quelque
+point de vue qu'on l'envisage.
+
+Par suite de cette harmonie, la physique est donc sous la dépendance
+étroite, quoique indirecte, de la science mathématique, base évidente de
+l'astronomie. Mais, outre cette connexion médiate, nous avons reconnu
+ci-dessus le lien direct qui rattache intimement la physique au
+fondement général et primitif de toute la philosophie naturelle. Dans la
+plupart des branches de la physique, il s'agit, comme en astronomie, de
+phénomènes essentiellement géométriques ou mécaniques, quoique les
+circonstances en soient ordinairement beaucoup plus compliquées. Cette
+complication empêche sans doute que les théories géométriques et
+mécaniques, suivant l'examen précédent, puissent y être appliquées d'une
+manière à beaucoup près aussi parfaite, soit quant à l'étendue ou à la
+précision, que dans les cas célestes. Mais les lois abstraites de
+l'espace et du mouvement n'en doivent pas moins y être exactement
+observées; et leur application, envisagée d'une manière générale, ne
+saurait manquer d'y fournir des indications fondamentales extrêmement
+précieuses. Néanmoins, quelque évidente que soit cette subordination
+sous le rapport de la doctrine, c'est relativement à la méthode que la
+filiation mathématique de la physique me semble surtout importante à
+considérer. N'oublions jamais, en effet, que l'esprit général de la
+philosophie positive s'est formé primitivement par la culture des
+mathématiques, et qu'il faut nécessairement remonter jusqu'à une telle
+origine pour connaître réellement cet esprit dans toute sa pureté
+élémentaire. Les théorèmes et les formules mathématiques sont rarement
+susceptibles d'une application complète à l'étude effective des
+phénomènes naturels, quand on veut dépasser la plus extrême simplicité
+dans les conditions réelles des problèmes. Mais le véritable esprit
+mathématique, si distinct de l'esprit algébrique, avec lequel on le
+confond trop souvent[20], est, au contraire, constamment applicable; et
+sa connaissance approfondie constitue, à mes yeux, le plus intéressant
+résultat que les physiciens puissent retirer d'une étude philosophique
+de la science mathématique. C'est seulement par l'habitude intime des
+vérités éminemment simples et lucides de la géométrie et de la mécanique
+que notre esprit peut d'abord développer convenablement sa positivité
+naturelle, et se préparer à établir dans les études les plus complexes
+des démonstrations réelles. Rien ne saurait tenir lieu d'un tel régime
+pour dresser complétement l'organe intellectuel. On doit même
+reconnaître que les notions géométriques étant encore plus nettes et
+plus fondamentales que les notions mécaniques, l'étude des premières
+importe encore davantage aux physiciens comme moyen d'éducation, quoique
+les secondes aient réellement, dans les diverses branches de la science,
+un usage effectif plus immédiat et plus étendu. Toutefois, quelle que
+soit l'importance évidente d'une telle préparation primitive, il ne
+faudrait pas croire que, même sous le seul rapport du régime
+intellectuel, elle pût être vraiment suffisante, si l'étude
+philosophique de l'astronomie ne venait point la compléter, en montrant,
+par une application à la fois simple et capitale, comment l'esprit
+mathématique doit se modifier pour s'adapter réellement à l'exploration
+des phénomènes naturels. On voit ainsi, en résumé, que l'éducation
+scientifique préliminaire propre à former des physiciens rationnels est
+nécessairement plus compliquée que celle convenable aux astronomes,
+puisque, indépendamment d'une base mathématique exactement commune, et
+qui suffit à ceux-ci, les premiers doivent y joindre l'étude, au moins
+générale, de la science céleste. Sous ce premier point de vue, la
+position encyclopédique que j'ai assignée à la physique est donc
+incontestable.
+
+ [Note 20: Les mêmes géomètres qui se plaisent le plus à
+ soumettre au calcul des hypothèses physiques très hasardées
+ ou même entièrement chimériques, sont ordinairement ceux
+ qui, en mathématiques pures, poussent jusqu'au ridicule les
+ habitudes de circonspection pédantesque et de sévérité
+ minutieuse. Ce contraste remarquable me semble propre à
+ faire ressortir la différence profonde qui existe entre
+ l'esprit algébrique et le véritable esprit mathématique,
+ pour lequel le calcul n'est qu'un instrument,
+ essentiellement subordonné, comme tout autre, à sa
+ destination.]
+
+Son rang n'est pas moins évident sous le rapport inverse, c'est-à-dire
+quant à ses relations fondamentales avec les sciences que j'ai classées
+après elle.
+
+Ce ne saurait être par accident que, non-seulement dans notre langue,
+mais, en général, dans celles de tous les peuples penseurs, le nom
+générique primitivement destiné à désigner l'ensemble de l'étude de la
+nature, soit unanimement devenu, depuis environ un siècle, la
+dénomination spécifique de la science que nous considérons ici. Un usage
+aussi universel résulte nécessairement du sentiment profond, quoique
+vague, de la prépondérance que doit exercer la physique proprement dite
+dans le système de la philosophie naturelle, qu'elle domine en effet
+tout entier, en exceptant la seule astronomie, qui n'est, en réalité,
+qu'une émanation immédiate de la science mathématique. Il suffit de
+considérer directement cette relation générale, pour concevoir aussitôt
+que l'étude des propriétés communes à tous les corps, qu'ils nous
+manifestent, avec de simples différences de degré, dans tous les états
+dont ils sont susceptibles, et qui constituent, par conséquent,
+l'existence fondamentale de toute matière, doit indispensablement
+précéder celle des modifications propres aux diverses substances et à
+leurs divers arrangemens. La nécessité d'un tel ordre est même sensible,
+comme on voit, indépendamment de la loi philosophique qui impose si
+clairement, sous le rapport de la méthode, l'obligation de n'étudier les
+phénomènes les plus complexes qu'après les moins complexes. Relativement
+à la science de la vie en particulier, quelque opinion qu'on adopte sur
+la nature des phénomènes qui distinguent les corps organisés, il est
+évident que, avant tout, ces corps, en tant que tels, sont soumis aux
+lois universelles de la matière, modifiées seulement dans leurs
+manifestations par les circonstances caractéristiques de l'état vivant.
+En examinant, dans le volume suivant, la philosophie de cette science,
+nous reconnaîtrons combien sont illusoires les considérations d'après
+lesquelles on a si souvent tenté d'établir que les phénomènes vitaux
+sont en opposition avec les lois générales de la physique. D'ailleurs,
+la vie ne pouvant jamais avoir lieu que sous l'influence continuelle et
+indispensable d'un système déterminé de circonstances extérieures,
+comment serait-elle susceptible d'étude positive, si l'on voulait faire
+abstraction des lois relatives à ces modificateurs externes? Ainsi,
+toute physiologie qui n'est point fondée sur une connaissance préalable
+de la physique, ne saurait avoir aucune vraie consistance scientifique.
+Cette subordination est encore plus frappante pour la chimie, comme nous
+le constaterons spécialement au commencement du volume suivant. Sans
+admettre l'hypothèse prématurée, et peut-être au fond très hasardée, par
+laquelle quelques physiciens éminens veulent aujourd'hui rapporter tous
+les phénomènes chimiques à des actions purement physiques, il est
+néanmoins évident que tout acte chimique s'accomplit constamment sous
+des influences physiques, dont le concours est aussi indispensable
+qu'inévitable. Quel phénomène de composition ou de décomposition serait
+intelligible, si l'on ne tenait aucun compte de la pesanteur, de la
+chaleur, de l'électricité, etc.? Or, pourrait-on apprécier la puissance
+chimique de ces divers agens, sans connaître d'abord les lois relatives
+à l'influence générale propre à chacun d'eux? Il suffit, quant à
+présent, d'indiquer sommairement ces différens motifs, pour mettre hors
+de doute la dépendance étroite de la chimie envers la physique, tandis
+que celle-ci est, au contraire, par sa nature, essentiellement
+indépendante de l'autre.
+
+Les considérations précédentes, en même temps qu'elles établissent
+clairement quel rang la physique doit occuper dans la hiérarchie
+rationnelle des sciences fondamentales, font sentir suffisamment sa
+haute importance philosophique, puisqu'elles la présentent comme une
+base indispensable à toutes les sciences que ma formule encyclopédique a
+placées après elle. Quant à l'action directe d'une telle science sur
+l'ensemble du système intellectuel de l'homme, il faut reconnaître,
+avant tout, qu'elle est nécessairement moins profonde que celle des deux
+termes extrêmes de la philosophie naturelle proprement dite,
+l'astronomie et la physiologie. Ces deux sciences, en fixant
+immédiatement nos idées relativement aux deux sujets universels et
+corrélatifs de toutes nos conceptions, le monde et l'homme, doivent sans
+doute, par leur nature, agir spontanément sur la pensée humaine, d'une
+manière plus radicale que ne peuvent le faire les sciences
+intermédiaires, comme la physique et la chimie, quelque indispensable
+que soit leur intervention. Toutefois, l'influence de celles-ci sur le
+développement général et l'émancipation définitive de l'intelligence
+humaine, n'en est pas moins extrêmement prononcée. En me bornant, comme
+il convient ici, à la physique seule, il est évident que le caractère
+fondamental d'opposition absolue entre la philosophie positive et la
+philosophie théologique ou métaphysique s'y fait très fortement sentir,
+quoiqu'il y soit réellement moins complet qu'en astronomie, en raison
+même d'une moindre perfection scientifique. Cette infériorité relative,
+peu sensible aux esprits vulgaires, doit être sans doute, à cet égard,
+pleinement compensée par la variété beaucoup plus grande des phénomènes
+dont la physique s'occupe, d'où résulte un antagonisme bien plus
+multiplié et, en conséquence, plus apparent, avec la théologie et la
+métaphysique. L'histoire intellectuelle des derniers siècles nous
+montre, en effet, que c'est principalement sur le terrain de la physique
+qu'a eu lieu, d'une manière formelle, la lutte générale et décisive de
+l'esprit positif contre l'esprit métaphysique: en astronomie, la
+discussion a été peu marquée, et le positivisme a triomphé presque
+spontanément, si ce n'est au sujet du mouvement de la terre.
+
+Il importe, d'ailleurs, de remarquer ici que, à partir de la physique,
+les phénomènes naturels commencent à être réellement modifiables par
+l'intervention humaine, ce qui ne pouvait avoir lieu en astronomie, et
+ce que nous verrons désormais se manifester de plus en plus dans tout le
+reste de notre série encyclopédique. Si l'extrême simplicité, des
+phénomènes astronomiques ne nous avait nécessairement permis de pousser,
+à leur égard, la prévision scientifique jusqu'au plus haut degré
+d'étendue et d'exactitude, l'impossibilité où nous sommes d'intervenir,
+en aucune manière, dans leur accomplissement, eût rendu éminemment
+difficile leur affranchissement radical de toute suprématie théologique
+et métaphysique: mais cette parfaite prévoyance a dû être pour cela bien
+autrement efficace que la petite action effective de l'homme sur tous
+les autres phénomènes naturels. Quant à ceux-ci, au contraire, cette
+action, quelque restreinte qu'elle soit, acquiert, par compensation, une
+haute importance philosophique, à cause du peu de perfection que nous
+pouvons apporter dans leur prévision rationnelle. Le caractère
+fondamental de toute philosophie théologique, ainsi que je l'ai remarqué
+ailleurs, est de concevoir les phénomènes comme assujettis à des
+volontés surnaturelles, et par suite, comme éminemment et
+irrégulièrement variables. Or, pour le public, qui ne saurait entrer
+réellement dans aucune discussion spéculative approfondie sur la
+meilleure manière de philosopher, un tel genre d'explications ne peut
+être finalement renversé que par deux moyens généraux, dont le succès
+populaire est infaillible à la longue: la prévoyance exacte et
+rationnelle des phénomènes, qui fait immédiatement disparaître toute
+idée d'une volonté directrice; ou la possibilité de les modifier suivant
+nos convenances, qui conduit au même résultat sous un autre point de
+vue, en présentant alors cette puissance comme subordonnée à la nôtre.
+Le premier procédé est le plus philosophique; c'est même celui qui peut
+le mieux entraîner la conviction du vulgaire, quand il est complétement
+applicable, ce qui n'a guère lieu jusqu'ici, à un haut degré, qu'à
+l'égard des phénomènes célestes; mais le second, lorsque sa réalité est
+bien évidente, détermine non moins nécessairement l'assentiment
+universel. C'est ainsi, par exemple, que Franklin a irrévocablement
+détruit, dans les intelligences même les moins cultivées, la théorie
+religieuse du tonnerre, en prouvant l'action directrice que l'homme peut
+exercer, entre certaines limites, sur ce météore, tandis que ses
+ingénieuses expériences pour établir l'identité d'un tel phénomène avec
+la décharge électrique ordinaire, quoique ayant une valeur scientifique
+bien supérieure, ne pouvaient être décisives qu'aux yeux des physiciens.
+La découverte d'une telle faculté de diriger la foudre, a donc exercé
+réellement la même influence sur le renversement des préjugés
+théologiques que, dans un autre cas, la prévision exacte des retours des
+comètes. Une loi philosophique inconnue jusqu'ici, et que j'exposerai
+soigneusement dans le volume suivant, nous montrera à ce sujet que, plus
+notre prévision scientifique devient imparfaite, en vertu de la
+complication croissante des phénomènes, plus notre action sur eux
+acquiert naturellement d'étendue et de variété, par une autre
+conséquence du même caractère. Ainsi, à mesure que l'antagonisme de la
+philosophie positive contre la philosophie théologique est moins
+prononcé sous le premier point de vue, il se manifeste davantage sous le
+second; en sorte que, quant à l'influence générale de cette lutte sur
+l'esprit du vulgaire, le résultat final est à peu près le même, quoique
+la compensation soit loin d'être exacte.
+
+En considérant maintenant l'appréciation philosophique de la physique,
+sous le rapport de sa méthode et quant à la perfection de son caractère
+scientifique, indépendamment de l'importance de ses lois, nous
+reconnaissons, en général, que la vraie valeur comparative de cette
+science fondamentale se trouve exactement en harmonie avec le rang
+qu'elle occupe dans la hiérarchie encyclopédique que j'ai établie. La
+perfection spéculative d'une science quelconque doit se mesurer
+essentiellement par ces deux considérations principales, toujours et
+nécessairement corrélatives, quoique d'ailleurs fort distinctes: la
+coordination plus ou moins complète, et la prévision plus ou moins
+exacte. Ce dernier caractère nous offre surtout le critérium le plus
+clair et le plus décisif, comme se rapportant directement au but final
+de toute science. Or, en premier lieu, sous chacun de ces deux points de
+vue, la physique, par la variété et la complication de ses phénomènes,
+doit toujours être évidemment très inférieure à l'astronomie, quels que
+puissent être ses progrès futurs. Au lieu de cette parfaite harmonie
+mathématique que nous avons admirée dans la science céleste, désormais
+ramenée à une rigoureuse unité, la physique va nous présenter de
+nombreuses branches, presque entièrement isolées les unes des autres, et
+dont chacune à part n'établit qu'une liaison souvent faible et équivoque
+entre ses principaux phénomènes: de même, la prévision rationnelle et
+précise de l'ensemble des événemens célestes à une époque quelconque,
+d'après un très petit nombre d'observations directes, sera remplacée
+ici par une prévoyance à courte portée, qui, pour ne pas être
+incertaine, peut à peine perdre de vue l'expérience immédiate. Mais,
+d'un autre côté, la supériorité spéculative de la physique sur tout le
+reste de la philosophie naturelle, sous l'un et l'autre rapport, est
+également incontestable, même relativement à la chimie, et, à plus forte
+raison, quant à la physiologie, comme je l'établirai spécialement dans
+l'examen philosophique de ces deux sciences, dont les phénomènes sont,
+par leur nature, bien autrement incohérens, et comportent, en
+conséquence, une prévoyance beaucoup plus imparfaite encore. Il importe,
+en outre, de noter ici, d'après une discussion précédemment indiquée
+dans cette leçon, que l'étude philosophique de la physique nous
+présente, comme moyen général d'éducation intellectuelle, une utilité
+toute spéciale, qu'il serait impossible de trouver ailleurs au même
+degré: la connaissance approfondie de l'art fondamental de
+l'expérimentation, que nous avons reconnu être particulièrement destiné
+à la physique. C'est toujours là que les vrais philosophes, quel que
+soit l'objet propre de leurs recherches habituelles, devront remonter,
+pour apprendre en quoi consiste le véritable esprit expérimental, pour
+connaître les conditions caractéristiques qu'exige l'institution des
+expériences propres à dévoiler sans équivoque la marche réelle des
+phénomènes, et enfin pour se faire une juste idée des ingénieuses
+précautions par lesquelles on peut empêcher l'altération des résultats
+d'un procédé aussi délicat. Chaque science fondamentale, outre les
+caractères essentiels de la méthode positive, qui doivent s'y montrer
+nécessairement à un degré plus ou moins prononcé, nous présentera ainsi
+naturellement quelques indications philosophiques qui lui appartiennent
+spécialement, comme nous l'avons déjà remarqué au sujet de l'astronomie;
+et c'est toujours à leur source que de telles notions de logique
+universelle doivent être examinées, sous peine d'être imparfaitement
+appréciées. Suivant l'esprit de cet ouvrage, la science mathématique
+nous fait seule bien connaître les conditions élémentaires de la
+positivité; l'astronomie caractérise nettement la véritable étude de la
+nature; la physique nous enseigne spécialement la théorie de
+l'expérimentation; c'est à la chimie que nous devons surtout emprunter
+l'art général des nomenclatures; et enfin la science des corps organisés
+peut seule nous dévoiler la vraie théorie des classifications
+quelconques.
+
+Pour compléter le jugement définitif que je devais porter ici sur la
+philosophie de la physique, envisagée dans son ensemble, il me reste à
+la considérer sous un dernier rapport fort important, dont j'ai
+jusqu'ici soigneusement réservé l'examen, et à l'égard duquel je me
+trouve obligé de choquer directement des opinions encore très
+accréditées parmi les physiciens, et surtout des habitudes profondément
+enracinées chez la plupart d'entre eux. Il s'agit du véritable esprit
+général qui doit présider à la construction rationnelle et à l'usage
+scientifique des _hypothèses_, conçues comme un puissant et
+indispensable auxiliaire dans notre étude de la nature. Cette grande
+question philosophique nous offrira, j'espère, une occasion capitale de
+reconnaître formellement l'utilité effective, quant au progrès réel des
+sciences, de ce point de vue général, et néanmoins positif, où je me
+suis placé le premier, dans cet ouvrage. Car, c'est sur la philosophie
+astronomique, caractérisée par la première partie de ce volume, que je
+prendrai mon point d'appui pour un tel examen, qui, sans cette méthode,
+entraînerait à des discussions interminables. La fonction fondamentale
+et difficile à analyser que remplissent, en physique, les hypothèses,
+m'oblige naturellement à placer ici ce problème général de philosophie
+positive. Je ne devais point m'en occuper expressément en astronomie,
+quoique aucune autre science ne fasse un usage, à la fois aussi complet
+et aussi rationnel, de ce moyen nécessaire: car, en vertu de l'extrême
+simplicité des phénomènes, c'est, pour ainsi dire, spontanément que
+toutes les conditions essentielles à son application bien entendue y ont
+été presque toujours observées, sans avoir besoin d'aucune règle
+philosophique spécialement affectée à cette destination. À mes yeux, au
+contraire, l'analyse convenablement approfondie de l'art des hypothèses,
+considéré dans la science dont la suprématie spéculative est aujourd'hui
+unanimement reconnue, peut seule établir solidement les règles générales
+propres à diriger l'emploi de ce précieux artifice en physique, et, à
+plus forte raison, dans tout le reste de la philosophie naturelle. Telle
+est, en aperçu, la marche de mon intelligence. Les métaphysiciens, comme
+Condillac entre autres[21], qui ont voulu traiter cette question
+difficile en faisant abstraction de cette base indispensable, n'ont pu
+aboutir qu'à proposer à ce sujet quelques maximes vagues et
+insuffisantes, remarquables par leur puérilité lorsqu'elles n'ont pas un
+caractère absurde.
+
+ [Note 21: Voyez son étrange _Traité des Systèmes_. Un
+ philosophe d'une bien plus haute portée, l'illustre
+ Barthez, a, depuis, traité ce sujet d'une manière
+ infiniment supérieure, dans le discours préliminaire, si
+ éminent par sa force philosophique, qu'il a placé à la tête
+ de ses _Nouveaux Élémens de la science de l'homme_ (deuxième
+ édition). Mais, il n'avait pas non plus une connaissance
+ assez approfondie de la philosophie mathématique et de la
+ philosophie astronomique pour donner à son analyse générale
+ une base positive suffisante. Aussi, l'excellente théorie
+ logique qu'il avait si vigoureusement tenté d'établir ne
+ l'a-t-elle pu conduire, en physiologie, qu'à une application
+ profondément vicieuse, comme nous aurons occasion de le
+ constater spécialement dans le volume suivant.]
+
+_Théorie fondamentale des hypothèses._ Il ne peut exister que deux
+moyens généraux propres à nous dévoiler, d'une manière directe et
+entièrement rationnelle, la loi réelle d'un phénomène quelconque, ou
+l'analyse immédiate de la marche de ce phénomène, ou sa relation exacte
+et évidente à quelque loi plus étendue, préalablement établie; en un
+mot, l'induction, ou la déduction. Or, l'une et l'autre voie seraient
+certainement insuffisantes, même à l'égard des plus simples phénomènes,
+aux yeux de quiconque a bien compris les difficultés essentielles de
+l'étude approfondie de la nature, si l'on ne commençait souvent par
+anticiper sur les résultats, en faisant une supposition provisoire,
+d'abord essentiellement conjecturale, quant à quelques-unes des notions
+mêmes qui constituent l'objet final de la recherche. De là,
+l'introduction, strictement indispensable, des hypothèses en philosophie
+naturelle. Sans cet heureux détour, dont les méthodes d'approximation
+des géomètres ont primitivement suggéré l'idée générale, la découverte
+effective des lois naturelles serait évidemment impossible, pour peu que
+le cas présentât de complication; et, toujours, le progrès réel serait,
+au moins, extrêmement ralenti. Mais, l'emploi de ce puissant artifice
+doit être constamment assujetti à une condition fondamentale, à défaut
+de laquelle il tendrait nécessairement, au contraire, à entraver le
+développement de nos vraies connaissances. Cette condition, jusqu'ici
+vaguement analysée, consiste à ne jamais imaginer que des hypothèses
+susceptibles, par leur nature, d'une vérification positive, plus ou
+moins éloignée, mais toujours clairement inévitable, et dont le degré de
+précision soit exactement en harmonie avec celui que comporte l'étude
+des phénomènes correspondans. En d'autres termes, les hypothèses
+vraiment philosophiques doivent constamment présenter le caractère de
+simples anticipations sur ce que l'expérience et le raisonnement
+auraient pu dévoiler immédiatement, si les circonstances du problème
+eussent été plus favorables. Pourvu que cette seule règle nécessaire
+soit toujours et scrupuleusement observée, les hypothèses peuvent
+évidemment être introduites sans aucun danger, toutes les fois qu'on en
+éprouve le besoin, ou même simplement le désir raisonné. Car, on se
+borne ainsi à substituer une exploration indirecte à l'exploration
+directe, quand celle-ci serait ou impossible ou trop difficile. Mais, si
+l'une et l'autre n'avaient point, au contraire, le même sujet général,
+si l'on prétendait atteindre par l'hypothèse ce qui, en soi-même, est
+radicalement inaccessible à l'observation et au raisonnement, la
+condition fondamentale serait méconnue, et l'hypothèse, sortant aussitôt
+du vrai domaine scientifique, deviendrait nécessairement nuisible. Or,
+tous les bons esprits reconnaissent aujourd'hui que nos études réelles
+sont strictement circonscrites à l'analyse des phénomènes pour découvrir
+leurs _lois_ effectives, c'est-à-dire, leurs relations constantes de
+succession ou de similitude, et ne peuvent nullement concerner leur
+nature intime, ni leur _cause_, ou première ou finale, ni leur mode
+essentiel de production. Comment des suppositions arbitraires
+auraient-elles réellement plus de portée? Ainsi, toute hypothèse qui
+franchit les limites de cette sphère positive, ne peut aboutir qu'à
+engendrer des discussions interminables, en prétendant prononcer sur des
+questions nécessairement insolubles pour notre intelligence.
+
+À l'époque actuelle, aucun physicien, sans doute, ne contestera
+directement la règle précédente. Mais, il faut que ce principe soit
+encore très imparfaitement compris, puisqu'il est, en réalité,
+continuellement violé dans l'application et sous les rapports
+fondamentaux, de manière à altérer radicalement, à mes yeux, le vrai
+caractère de la physique. En thèse générale, le domaine de la conjecture
+est bien conçu comme destiné à combler provisoirement les intervalles
+que laisse inévitablement çà et là le domaine de la réalité: examinez
+ensuite ce qui se pratique, et les deux domaines paraîtront, au
+contraire, entièrement séparés, le réel étant même encore, presque
+toujours, plus ou moins subordonné à l'imaginaire. Il est donc
+maintenant indispensable, après ces généralités préliminaires, de
+préciser directement le véritable état actuel de la question
+relativement à la philosophie de la physique.
+
+Les diverses hypothèses employées aujourd'hui par les physiciens doivent
+être soigneusement distinguées en deux classes: les unes, jusqu'ici peu
+multipliées, sont simplement relatives aux lois des phénomènes; les
+autres, dont le rôle actuel est beaucoup plus étendu, concernent la
+détermination des agens généraux auxquels on rapporte les différens
+genres d'effets naturels. Or, d'après la règle fondamentale posée
+ci-dessus, les premières sont seules admissibles; les secondes,
+essentiellement chimériques, ont un caractère anti-scientifique, et ne
+peuvent désormais qu'entraver radicalement le progrès réel de la
+physique, bien loin de le favoriser: telle est la maxime philosophique
+que je dois maintenant établir.
+
+En astronomie, le premier ordre d'hypothèses est exclusivement usité,
+depuis que la science céleste est complétement parvenue à l'état
+positif, sous les deux aspects généraux, géométrique et mécanique,
+qu'elle nous présente. Tel fait est encore peu connu, ou telle loi est
+ignorée: on forme alors à cet égard une hypothèse, le plus possible en
+harmonie avec l'ensemble des données déjà acquises; et la science,
+pouvant ainsi se développer librement, finit toujours par conduire à de
+nouvelles conséquences observables, susceptibles de confirmer ou
+d'infirmer, sans aucune équivoque, la supposition primitive. Nous en
+avons remarqué, dans la première partie de ce volume, de fréquens et
+heureux exemples, relatifs à la découverte des principales vérités
+astronomiques. Mais, depuis l'établissement de la loi fondamentale de la
+gravitation, les géomètres et les astronomes ont définitivement renoncé
+à créer des fluides chimériques pour expliquer le mode général de
+production des mouvemens célestes; ou, du moins, ce qui revient au même,
+ceux qui l'ont entrepris, comme Euler entre autres, se livraient
+simplement à un goût personnel, en quelque sorte analogue à celui qui
+inspira jadis à Képler son fameux songe astronomique, et sans prétendre
+exercer ainsi aucune influence réelle sur le marche effective de la
+science.
+
+Pourquoi, dans une étude où l'erreur est bien plus difficile à éviter,
+et qui exigerait, par sa nature, beaucoup plus de précautions, les
+physiciens n'imiteraient-ils point cette admirable circonspection?
+Pourquoi, comme les astronomes, ne borneraient-ils pas les hypothèses à
+porter uniquement sur les circonstances encore inconnues des phénomènes
+ou sur leurs lois ignorées, et jamais sur leur mode de production,
+nécessairement inaccessible à notre intelligence? Quelle peut être
+l'utilité scientifique de ces conceptions fantastiques, qui jouent
+encore un si grand rôle, sur les fluides et les éthers imaginaires
+auxquels on rapporte les phénomènes de la chaleur, de la lumière, de
+l'électricité et du magnétisme? Ce mélange intime de réalités et de
+chimères ne doit-il pas, de toute nécessité, fausser profondément les
+notions essentielles de la physique, engendrer des débats sans issue, et
+inspirer à beaucoup de bons esprits une répugnance, naturelle quoique
+funeste, pour une étude qui offre un tel caractère d'arbitraire?
+
+La seule définition habituelle de ces agens inintelligibles devrait
+suffire, ce me semble, pour les exclure immédiatement de toute science
+réelle; car, par son énoncé même, il est évident que la question n'est
+point jugeable, l'existence de ces prétendus fluides n'étant pas plus
+susceptible de négation que d'affirmation, puisque, d'après la
+constitution qui leur est soigneusement attribuée, ils échappent
+nécessairement à tout contrôle positif. Quelle argumentation sérieuse
+pourrait-on instituer pour ou contre des corps ou des milieux dont le
+caractère fondamental est de n'en avoir aucun? Ils sont expressément
+imaginés comme invisibles, intangibles, impondérables même, et
+d'ailleurs inséparables des substances qu'ils animent: notre raison ne
+saurait donc avoir sur eux la moindre prise. Sans la toute-puissance de
+l'habitude, ceux qui croient fermement aujourd'hui à l'existence du
+calorique, de l'éther lumineux, ou des fluides électriques,
+oseraient-ils prendre en pitié les esprits élémentaires de Paracelse,
+dont la notion n'est pas certainement plus étrange? N'est-ce point même
+par une véritable inconséquence qu'ils refusent d'admettre les anges et
+les génies? Pour me borner à un exemple plus analogue, on a vu de tels
+physiciens repousser dédaigneusement, comme indigne d'examen
+scientifique, l'idée du fluide sonore, proposée par un naturaliste du
+premier ordre, l'illustre Lamarck: et, cependant, le seul tort de cette
+hypothèse, tort irréparable, à la vérité, c'est d'être venue beaucoup
+trop tard, long-temps après que l'acoustique était pleinement
+constituée; créé dès la naissance de la science, comme les hypothèses
+sur la chaleur, la lumière et l'électricité, ce fluide eût fait,
+probablement, la même fortune que les autres.
+
+La nature de cet ouvrage ne me permet nullement d'indiquer tous les
+détails spéciaux que comporterait un tel sujet. Le lecteur instruit y
+suppléera facilement quand il aura bien saisi mon idée principale. Je
+signalerai seulement encore, comme un symptôme remarquable, la
+singulière facilité avec laquelle ces diverses hypothèses se renversent
+mutuellement, au grand scandale des esprits superficiels, qui qualifient
+dès lors la science d'arbitraire, parce que, à leurs yeux, elle consiste
+surtout en ces vaines discussions. Dans les différentes controverses de
+ce genre, qui ont eu lieu successivement depuis environ un demi-siècle,
+chaque secte a trouvé aisément de puissans motifs contre l'opinion de
+son antagoniste: la difficulté a toujours été d'en produire de décisifs
+pour sa propre hypothèse. Il eût même été ordinairement possible
+d'imaginer une troisième fiction, susceptible de soutenir, avec
+avantage, la concurrence avec les deux autres.
+
+À la vérité, les physiciens se défendent vivement aujourd'hui d'attacher
+aucune réalité intrinsèque à ces hypothèses, qu'ils préconisent
+seulement comme des moyens indispensables pour faciliter la conception
+et la combinaison des phénomènes. Mais, n'est-ce point là l'illusion
+d'une positivité incomplète, qui sent la profonde inanité de tels
+systèmes, et pourtant n'ose point encore s'en passer? Est-il vraiment
+possible, après avoir adopté une notion qui ne comporte aucune
+vérification, d'en faire un usage continuel, de la mêler intimement à
+toutes les idées réelles, sans être jamais involontairement entraîné à
+lui attribuer une existence effective, qui, d'ailleurs, ne saurait être
+plus complète? Même en admettant cette sécurité, sur quels motifs
+rationnels pourrait-on philosophiquement fonder la nécessité d'une
+marche aussi étrange? L'astronomie se passe entièrement d'un tel
+secours, et cependant on y conçoit très nettement tous les phénomènes,
+et on les y combine d'une manière admirable. La véritable raison n'en
+serait-elle pas, au fond, comme je l'établirai tout à l'heure, que
+l'astronomie, étant à la fois plus simple et plus ancienne que la
+physique, a dû atteindre avant elle à l'entier développement de son
+vrai caractère scientifique?
+
+En examinant directement la prétendue destination scientifique de ces
+hypothèses, il serait difficile de comprendre, par exemple, comment la
+dilatation des corps par la chaleur serait aucunement _expliquée_,
+c'est-à-dire éclaircie, par cette seule idée qu'un fluide imaginaire
+interposé dans les intervalles moléculaires, tend constamment à les
+augmenter, puisqu'il resterait à concevoir d'où vient à ce fluide cette
+élasticité spontanée, qui, certes, est encore moins intelligible que le
+fait primitif. De même, on ne conçoit pas mieux, en réalité, la
+propriété lumineuse des corps, après l'avoir attribuée à leur faculté
+incompréhensible de lancer un fluide fictif ou de faire vibrer un éther
+imaginaire; pareillement, à l'égard des phénomènes électriques ou
+magnétiques. Toutes ces prétendues explications ne sont pas, au fond,
+guère plus scientifiques que l'explication métaphysique des phénomènes
+humains, par l'action mystérieuse de l'âme sur le corps; dans l'un et
+l'autre cas, en effet, loin d'aplanir réellement aucune difficulté, on
+en fait naître artificiellement un grand nombre de nouvelles. Une
+tentative quelconque, même purement fictive, pour concevoir le mode de
+production des phénomènes, est nécessairement illusoire et directement
+opposée au véritable esprit scientifique. La faculté de se représenter
+les phénomènes eux-mêmes ne saurait résulter que de leur observation
+attentive; et, quant à la facilité de les combiner, elle ne peut être
+fondée que sur la connaissance familière de leurs relations positives.
+Ces hypothèses ne pourraient aujourd'hui y contribuer réellement tout au
+plus que comme de simples moyens mnémoniques, qui ont même, sous ce
+rapport, le grave inconvénient de détourner notre attention du véritable
+objet de nos recherches. Les motifs ordinairement allégués en faveur de
+ces artifices anti-scientifiques sont donc évidemment dépourvus de toute
+réalité. Il ne reste d'autre considération valable que celle relative à
+l'empire d'une habitude quelconque profondément contractée; d'où il
+résulterait probablement, en effet, que les physiciens de la génération
+actuelle combineraient plus difficilement leurs idées s'ils voulaient
+les dégager tout à coup de cet alliage, intime quoique hétérogène. Pour
+opérer complétement cette importante réforme, le langage scientifique
+aura lui-même besoin d'être convenablement épuré, puisqu'il s'est formé
+jusqu'ici sous l'influence prépondérante de cette fausse manière de
+philosopher. Toutefois, je pense qu'on s'exagère beaucoup, d'ordinaire,
+les difficultés qui proviennent de cette circonstance. Il suffit, pour
+s'en convaincre, de considérer que, depuis un demi-siècle, le fréquent
+passage de l'un de ces systèmes physiques au système antagoniste n'a pas
+rencontré beaucoup d'obstacles dans le langage primitivement adopté. On
+n'en éprouverait sans doute guère davantage, sous ce rapport, à écarter
+indifféremment toutes ces vaines hypothèses. En optique, par exemple, le
+mot _rayon_, si bien construit pour l'hypothèse de l'émission, continue
+aujourd'hui à être employé par les partisans des ondulations: il ne
+serait pas plus difficile de lui attacher un sens indépendant d'aucune
+hypothèse, et simplement relatif au phénomène. De telles variations
+facilitent même singulièrement cette transition définitive, en habituant
+peu à peu à dégager, dans les termes scientifiques, la signification
+réelle et fixe de l'interprétation imaginaire et variable.
+
+Quelque vicieuse que soit évidemment une telle manière de philosopher,
+la discussion précédente serait essentiellement incomplète, si je ne
+donnais point une explication satisfaisante de l'introduction naturelle
+de cette méthode, qui, à l'origine, a dû sans doute être un vrai
+progrès. Mais, ma théorie fondamentale sur les lois nécessaires et
+effectives du développement général de l'esprit humain, exposée
+sommairement au début de cet ouvrage, me permet de démontrer aisément
+que cet usage anti-scientifique n'a tenu réellement et ne tient
+aujourd'hui qu'à une dernière et inévitable influence indirecte de la
+philosophie métaphysique, dont le joug prolongé pèse encore sur nous à
+tant d'égards. Quoique cette démonstration appartienne naturellement,
+sous le point de vue historique, au quatrième volume, je crois
+indispensable, au moins, de l'indiquer ici comme un complément
+d'explication, éminemment propre à éclaircir la question actuelle.
+
+La filiation métaphysique de cette fausse manière de procéder doit
+d'abord être facilement présumée par tout esprit impartial qui
+considérera les _fluides_ comme ayant pris la place des _entités_, dont
+la transformation a simplement consisté ainsi à se matérialiser.
+Qu'est-ce, au fond, de quelque façon qu'on l'interprète, que la chaleur,
+conçue comme existant à part du corps chaud; la lumière, indépendante du
+corps lumineux; l'électricité, séparée du corps électrique? Ne sont-ce
+pas évidemment de pures entités, tout aussi bien telles que la pensée,
+envisagée comme un être indépendant du corps pensant; ou la digestion,
+isolée du corps digérant? La seule différence qui les distingue des
+anciennes entités scolastiques, c'est d'avoir substitué, à des êtres
+essentiellement abstraits, des fluides imaginaires, dont la corporéité
+est fort équivoque, puisqu'on leur ôte expressément, par leur définition
+fondamentale, toutes les qualités susceptibles de caractériser une
+matière quelconque; en sorte que nous n'avons pas même réellement la
+ressource de les envisager comme la limite idéale d'un gaz de plus en
+plus raréfié. Quelle filiation d'idées pourrait être admise, si celle-là
+est méconnue? Le caractère fondamental des conceptions métaphysiques est
+d'envisager les phénomènes indépendamment des corps qui nous les
+manifestent, d'attribuer aux propriétés de chaque substance une
+existence distincte de la sienne. Qu'importe ensuite que, de ces
+abstractions personnifiées, on fasse des âmes ou des fluides? L'origine
+est toujours la même, et se rattache constamment à cette enquête de la
+nature intime des choses, qui caractérise, en tout genre, l'enfance de
+l'esprit humain, et qui inspira primitivement la conception des dieux,
+devenus ensuite des âmes, et finalement transformés en fluides
+imaginaires.
+
+Cette considération rationnelle et directe se trouve exactement en
+harmonie avec l'analyse historique. À l'origine de toute science
+positive, notre intelligence a toujours passé par cette phase de
+développement nécessaire, quoique transitoire. Un tel état constitue, à
+mon avis, un intermédiaire inévitable et même indispensable entre l'état
+franchement métaphysique et l'état purement positif, que la mathématique
+et ensuite l'astronomie ont seules atteint jusqu'ici d'une manière
+complète et définitive. L'esprit métaphysique et l'esprit positif sont
+trop radicalement opposés pour que notre faible raison puisse passer
+brusquement de l'un à l'autre. Quoique la métaphysique ne constitue
+elle-même, comme je l'ai établi, qu'une grande transition générale de la
+théologie à la science réelle: une transition secondaire, et, par là,
+beaucoup plus rapide, devient ensuite nécessaire entre les conceptions
+métaphysiques et les conceptions vraiment positives. Les physiciens, les
+chimistes, les physiologistes et les publicistes, se trouvent
+aujourd'hui dans cette dernière période transitoire; les premiers tout
+près d'en sortir définitivement à la suite des géomètres et des
+astronomes, tous les autres encore engagés pour un temps plus ou moins
+long, à raison de la plus ou moins grande complication de leurs études
+respectives, comme je le constaterai spécialement plus tard en examinant
+chacune d'elles. Sans ce positivisme bâtard, l'esprit humain n'aurait
+jamais pu renoncer aux théories métaphysiques, qui lui permettaient, en
+apparence, la connaissance intime des êtres et du mode de production de
+leurs phénomènes. Il fallait bien que la science naissante satisfît
+d'abord à cette exigence profondément habituelle, et donnât le change à
+notre esprit en lui proposant, à la place des entités scolastiques, de
+nouvelles entités plus saisissables, destinées au même but, et
+susceptibles, par conséquent, d'être préférées; en même temps que leur
+nature devait graduellement conduire à la considération de plus en plus
+exclusive des phénomènes et de leurs lois. Telle a donc été l'importante
+destination temporaire de ce système général d'hypothèses: permettre à
+l'intelligence humaine le passage des habitudes métaphysiques aux
+habitudes positives.
+
+L'astronomie n'a pas réellement plus échappé que la physique, ou que
+toute autre branche de la philosophie naturelle, à cette obligation
+fondamentale: seulement, à son égard, cette phase nécessaire de
+développement est depuis long-temps pleinement accomplie; en sorte que
+personne n'y fait plus attention, l'histoire des sciences étant
+aujourd'hui fort négligée, d'ordinaire, par les savans, si ce n'est,
+tout au plus, comme l'objet d'une curiosité superficielle et stérile.
+Mais, en étudiant la marche de l'esprit humain au dix-septième siècle,
+on reconnaît aussitôt combien, à cette époque, les géomètres et les
+astronomes étaient généralement préoccupés d'hypothèses parfaitement
+analogues à celles que nous jugeons ici. Tel est éminemment le caractère
+de la vaste conception de Descartes sur l'explication des mouvemens
+célestes par l'influence d'un système de tourbillons imaginaires.
+L'histoire rationnelle de cette grande hypothèse est ce qu'on peut
+trouver de plus propre à éclaircir l'ensemble de la question actuelle:
+car, ici, l'analyse peut porter nettement sur une opération
+philosophique complétement achevée, où nous suivons aisément aujourd'hui
+l'enchaînement des trois phases essentielles, la création de
+l'hypothèse, son usage temporaire indispensable, et enfin son rejet
+définitif quand elle a eu rempli sa destination réelle. Ces fameux
+tourbillons, tant décriés maintenant par des physiciens qui croient
+fermement au calorique, à l'éther et aux fluides électriques, ont été, à
+l'origine, un puissant moyen de développement pour la saine philosophie,
+en introduisant l'idée fondamentale d'un mécanisme quelconque, là où le
+grand Képler lui-même n'avait osé concevoir que l'action
+incompréhensible des âmes et des génies. Une antique philosophie qui
+prétend tout expliquer, en pénétrant, à l'aide de ses entités, jusqu'à
+la nature intime des corps et aux causes premières des phénomènes, ne
+pouvait être définitivement renversée que par une physique audacieuse,
+remplissant le même office plus complétement encore et avec des moyens
+beaucoup plus intelligibles, quoique tout aussi chimériques. Quiconque a
+suivi la longue et mémorable controverse engendrée par le cartésianisme,
+a dû remarquer combien les meilleurs esprits de cette époque
+identifiaient le sort de la saine manière de philosopher avec celui
+d'une telle doctrine; et c'était, sans doute, à très juste titre, tant
+qu'il ne s'est agi que de lutter avec la philosophie métaphysique. Mais,
+plus tard, quand la discussion fut portée sur le terrain de la vraie
+mécanique céleste, fondée par la théorie de la gravitation newtonienne,
+l'influence, primitivement progressive, du système des tourbillons
+devint incontestablement rétrograde, en vertu de cette triste fatalité,
+qui pousse les doctrines, aussi bien que les institutions et les
+pouvoirs, à prolonger leur activité au-delà de la fonction plus ou moins
+temporaire que la marche générale de l'esprit humain leur avait
+assignée. Et, néanmoins, les derniers cartésiens soutenaient vainement,
+par des argumens d'ailleurs tout aussi plausibles que ceux de nos
+physiciens actuels, qu'il était impossible de philosopher sans le
+secours d'un tel genre d'hypothèses. Comment leur a-t-on définitivement
+répondu? En philosophant d'une autre manière. Ce rôle transitoire de
+l'hypothèse de Descartes a cessé spontanément aussitôt que le sentiment
+du véritable objet des études scientifiques est devenu suffisamment
+prépondérant chez les géomètres et les astronomes, par suite de
+l'impulsion définitive due à la découverte fondamentale de Newton. Les
+tourbillons dureraient encore, ou ils auraient été simplement remplacés
+par quelque doctrine analogue, si l'on n'avait point enfin senti
+complétement, à l'égard de la science céleste, ce qu'il faudra bien
+aussi arriver à comprendre successivement de la même manière envers
+toutes les autres: que, ne pouvant nullement connaître les agens
+primitifs ou le mode de production des phénomènes, toute science réelle
+doit concerner seulement les lois effectives des phénomènes observés; et
+que, ainsi, toute hypothèse auxiliaire qui aurait une autre destination,
+serait, par cela même, radicalement contraire au véritable esprit
+scientifique. L'utilité du cartésianisme a été de conduire graduellement
+notre intelligence à une telle disposition habituelle; et c'est en ce
+sens que l'empire de cette hypothèse a puissamment contribué, quoique
+pour peu de temps, à l'éducation générale de la raison humaine. Pourquoi
+en serait-il autrement des hypothèses analogues, employées aujourd'hui
+par les physiciens? Si, comme ils le croient, leur esprit est vraiment
+parvenu à cet état de positivité que je viens de caractériser, et dont
+le vrai type se trouve maintenant dans la science céleste, à quoi
+peuvent réellement servir désormais de telles hypothèses, primitivement
+indispensables pour nous conduire insensiblement du régime métaphysique
+au régime positif? Leur usage prolongé n'est-il point évidemment
+contradictoire avec le but même que, d'un aveu unanime, on se propose
+aujourd'hui dans toute recherche scientifique?
+
+Ce n'est pas seulement en astronomie que nous pouvons observer
+pleinement la transition ci-dessus considérée. Elle est maintenant tout
+aussi accomplie dans les branches de la physique les plus avancées, et
+surtout dans l'étude de la pesanteur. Il n'a peut-être pas existé un
+seul savant de quelque valeur pendant le dix-septième siècle, même
+long-temps après Galilée, qui n'ait construit ou adopté un système sur
+les causes de la chute des corps. Qui s'occupe aujourd'hui de ces
+hypothèses, sans lesquelles, à cette époque, l'étude de la pesanteur
+semblait cependant impossible? Si cet usage a cessé en barologie,
+pourquoi se prolongerait-il indéfiniment pour les autres parties de la
+physique? L'acoustique en est également affranchie, à peu près depuis la
+même époque. L'influence philosophique des travaux du grand Fourier sur
+la théorie de la chaleur, a produit une heureuse impulsion qui tend,
+évidemment, aujourd'hui à débarrasser pour jamais la thermologie de tous
+les fluides et éthers imaginaires. Restent donc seulement l'étude de la
+lumière et celle de l'électricité; or, il serait certainement impossible
+de trouver, à leur égard, aucun motif réel qui dût les faire excepter de
+la règle générale. Pour tous ceux qui pensent que le développement
+historique de l'esprit humain est assujetti à des lois naturelles,
+déterminées et uniformes, j'espère donc que cette grande question
+philosophique sera désormais, d'après la discussion précédente,
+irrévocablement résolue: et que, par conséquent, on admettra, en
+physique, comme principe fondamental de la vraie théorie relative à
+l'institution des hypothèses, que _toute hypothèse scientifique, afin
+d'être réellement jugeable, doit exclusivement porter sur les lois des
+phénomènes, et jamais sur leurs modes de production_[22].
+
+ [Note 22: Une influence accidentelle, mais aujourd'hui
+ très puissante, que je dois signaler ici avec une sévère
+ franchise, pourra retarder sensiblement, ou, du moins,
+ entraver beaucoup, cette grande et inévitable réforme dans
+ la philosophie de la physique. Je veux parler de l'influence
+ des géomètres, ou, pour mieux dire, des algébristes, qui, de
+ nos jours, ont tant abusé de l'analyse mathématique en
+ l'appliquant à ces hypothèses chimériques, et qui,
+ naturellement, devront s'efforcer d'éloigner le plus
+ possible la démonétisation scientifique de leurs nombreux
+ calculs, dès lors réduits à leur véritable valeur abstraite,
+ souvent fort médiocre. Mais les physiciens comprendront,
+ sans doute, le grand intérêt qu'ils ont à discréditer ces
+ moyens, aujourd'hui faciles (depuis la vulgarisation,
+ d'ailleurs si heureuse à d'autres égards, de l'art
+ algébrique), d'usurper, en philosophie naturelle, une
+ prépondérance momentanée: et tous les vrais géomètres
+ s'empresseront certainement de concourir à cette
+ indispensable épuration.]
+
+Je ne saurais trop fortement recommander, en général, quant à toutes les
+hautes difficultés analogues que peut présenter la philosophie des
+sciences, l'usage de la méthode historique comparative que je viens
+d'appliquer. C'est du moins à une telle marche que j'ai toujours dû
+primitivement, non-seulement une analyse satisfaisante de la question
+précédente, mais une solution claire de tous mes problèmes
+philosophiques. Cette méthode universelle, que plusieurs philosophes
+positifs, et entre autres le grand Lagrange, ont si bien sentie en
+quelques cas particuliers, n'a jamais été jusqu'ici directement conçue,
+d'une manière rationnelle et générale: son exposition appartient
+naturellement à la dernière partie de cet ouvrage. Je dois ici me
+borner, à ce sujet, à poser en principe, que la philosophie des
+sciences ne saurait être convenablement étudiée séparément de leur
+histoire, sous peine de ne conduire qu'à de vagues et stériles aperçus;
+comme, en sens inverse, cette histoire, isolée de cette philosophie,
+serait inexplicable et oiseuse[23].
+
+ [Note 23: C'est surtout pour avoir voulu isoler ces deux
+ aspects indivisibles d'une même pensée fondamentale, que des
+ esprits d'une haute portée, très instruits d'ailleurs dans
+ les principales sciences naturelles, se sont néanmoins
+ occupés avec si peu d'efficacité de la philosophie des
+ sciences, et n'ont abouti qu'à produire de vains systèmes de
+ classifications scientifiques, fondés sur des considérations
+ essentiellement arbitraires, et qui, dans leur ensemble,
+ sont aussi radicalement illusoires et éphémères que presque
+ tous ceux journellement construits par les encyclopédistes
+ métaphysiciens les plus dépourvus de toutes connaissances
+ positives. M. Ampère vient d'en donner un illustre exemple,
+ malheureusement irrécusable.]
+
+Il ne me reste plus maintenant qu'à caractériser sommairement le plan
+général suivant lequel je dois procéder, dans les leçons suivantes, à
+l'examen philosophique des différentes parties essentielles de la
+physique.
+
+Dans la construction de cet ordre, je me suis efforcé, autant que
+possible, de me conformer toujours strictement au principe fondamental
+de classification que j'ai établi, dès le début de cet ouvrage, en
+constituant la hiérarchie générale des sciences, et que j'ai ensuite
+appliqué jusqu'ici à la distribution intérieure de la mathématique et de
+l'astronomie. Je devais donc disposer les diverses branches principales
+de la physique d'après le degré de généralité des phénomènes
+correspondans, leur complication plus ou moins grande, la perfection
+relative de leur étude, et enfin leur dépendance mutuelle. L'ordre
+obtenu par là peut d'ailleurs être contrôlé par l'analyse historique du
+développement de la physique, qui a dû suivre essentiellement la même
+marche. En outre, la position générale, déjà bien déterminée, de la
+physique entre l'astronomie et la chimie, introduit ici une
+considération secondaire propre à vérifier et à faciliter un tel
+arrangement; puisque la première catégorie des phénomènes physiques doit
+ainsi naturellement comprendre ceux qui se rapprochent le plus des
+phénomènes astronomiques, et, de même, la dernière doit nécessairement
+être composée de ceux qui sont le plus immédiatement liés aux phénomènes
+chimiques. L'ensemble de ces conditions ne me paraît laisser aucune
+incertitude grave sur l'ordre rationnel des différentes parties
+essentielles de la physique, quoique leur disposition soit encore
+habituellement envisagée comme à peu près arbitraire.
+
+Tous ces divers motifs généraux se réunissent évidemment pour assigner,
+en physique, le premier rang à la science des phénomènes de la pesanteur
+dans les solides et les fluides, envisagés sous les deux points de vue,
+statique et dynamique. C'est la seule partie de la classification sur
+laquelle tous les physiciens soient aujourd'hui pleinement d'accord. La
+généralité supérieure de ces phénomènes ne saurait être douteuse: car,
+non-seulement ils se manifestent dans un corps quelconque, comme tous
+les autres phénomènes vraiment physiques; mais, ce qui les caractérise
+exclusivement, le corps ne peut jamais cesser de nous les présenter, en
+quelques circonstances qu'il soit placé; en sorte qu'ils deviennent le
+symptôme le plus irrécusable de l'existence matérielle, et souvent le
+seul, en effet, qui nous permette de la constater. Leur simplicité
+relative, et leur entière indépendance de tous les autres, ne sont pas
+moins sensibles. En même temps, et par une suite nécessaire de ces
+qualités fondamentales, leur étude, d'ailleurs plus ou moins
+indispensable à toutes les autres branches de la physique, constitue
+certainement la partie la plus satisfaisante de cette science, d'abord
+en vertu de sa positivité bien plus pure, comme je l'ai noté ci-dessus,
+et ensuite par sa plus grande exactitude, sa coordination beaucoup plus
+complète, et sa prévision plus rationnelle. C'est là où se trouve le
+point de contact naturel et général entre la physique et l'astronomie,
+et aussi le vrai berceau de la physique.
+
+Les mêmes considérations, appliquées en sens exactement inverse, me
+paraissent converger également, quoique d'une manière moins évidente,
+pour placer l'étude des phénomènes électriques à l'extrémité opposée,
+dans l'échelle encyclopédique de la physique. Ces phénomènes, dont je ne
+crois pas devoir séparer les phénomènes magnétiques, sont
+incontestablement les moins généraux de tous, puisque leur production
+exige un concours de circonstances bien plus spécial. Ils sont, en même
+temps, les plus compliqués, et ceux dont l'étude rationnelle, constituée
+la dernière, est certainement la plus imparfaite encore, sous quelque
+rapport qu'on l'envisage, malgré les éminens progrès qu'elle a faits en
+ce siècle: c'est là que le caractère scientifique est aujourd'hui le
+plus profondément altéré par ces hypothèses inintelligibles que nous
+venons d'examiner. Enfin, c'est par là surtout que s'opère maintenant,
+et qu'aura lieu, sans doute, de plus en plus, la transition naturelle de
+la physique à la chimie.
+
+Entre ces deux termes extrêmes, viennent successivement s'intercaler,
+pour ainsi dire spontanément, d'après les mêmes principes, la
+thermologie, l'acoustique et l'optique. La théorie de la chaleur doit
+aujourd'hui, ce me semble, être placée immédiatement après celle de la
+pesanteur, surtout en considération de la généralité de ses phénomènes,
+presque aussi universels que ceux de la gravité, puisque leur
+manifestation ne saurait être entièrement empêchée que par un concours
+de circonstances tout spécial et, en quelque sorte, artificiel, quoique
+réellement possible. Le vrai caractère scientifique y est bien plus
+prononcé que dans l'étude de l'électricité, ou même de la lumière.
+Enfin, malgré que l'application de l'analyse mathématique y ait lieu
+beaucoup plus tard, elle y présente un aspect infiniment plus rationnel,
+grâce à la haute supériorité philosophique de son illustre fondateur,
+qui, dédaignant la facile ressource de disserter algébriquement sur des
+fluides imaginaires, s'est admirablement imposé la condition sévère
+d'une parfaite positivité.
+
+Cette dernière considération concourt avec celle de la généralité
+relative, pour placer l'acoustique avant l'optique. Sa positivité est
+certainement très supérieure, le son n'étant point aujourd'hui
+personnifié comme la lumière, si ce n'est dans un projet qui n'a eu
+aucune suite. On pourrait même réclamer, à certains égards, la priorité
+de l'acoustique sur la thermologie, puisque la théorie du son nous
+présente, après celle de la pesanteur, l'application la plus immédiate
+et la plus étendue de la mécanique rationnelle. Mais, le degré de
+généralité des phénomènes, qui constitue nécessairement, à mes yeux, le
+motif prépondérant, ne me permettrait point d'adopter un tel
+arrangement, qui serait, du reste, très plausible. Il me semble
+d'ailleurs que l'étude des phénomènes du son offre encore, sous
+plusieurs rapports, des lacunes essentielles, qui doivent la faire
+regarder aujourd'hui comme étant réellement moins avancée que celle de
+la chaleur.
+
+Tel est donc, pour moi, l'ordre définitif des diverses branches
+principales de la physique: barologie, thermologie, acoustique, optique
+et électrologie[24]. Il faudrait se garder, du reste, d'attacher à cette
+question d'arrangement une importance exagérée, vu le peu de liaison
+réelle qui existe malheureusement jusqu'ici entre ces différentes
+parties. Je dois seulement faire remarquer le soin que j'ai toujours
+pris, à ce sujet, de fonder toutes mes comparaisons sur les phénomènes
+eux-mêmes, sans aucun égard aux vains rapprochemens ni aux oppositions
+non moins vaines que peuvent suggérer les hypothèses anti-scientifiques
+auxquelles on les rapporte encore. Ainsi, on a dû voir, par exemple,
+que, si je place l'optique immédiatement après l'acoustique, ce n'est
+nullement parce que, de nos jours, le système des vibrations lumineuses
+est devenu prépondérant: j'aurais agi d'une manière absolument
+identique, sous le règne de l'émission. La classification scientifique
+devrait sans doute être à l'abri de l'instabilité inhérente à ces
+conceptions arbitraires.
+
+ [Note 24: Il m'a paru convenable, pour abréger le
+ discours, de donner des dénominations spéciales aux branches
+ de la physique relatives à la pesanteur, à la chaleur, et à
+ l'électricité, par analogie avec l'usage commode adopté
+ depuis si long-temps envers les deux autres. De ces trois
+ expressions, la première, quoique inusitée, remonte
+ réellement au moins à quarante ans; j'ai seulement construit
+ les deux autres; et encore même, après avoir formé le mot
+ _thermologie_, j'ai reconnu qu'il avait été quelquefois
+ employé par Fourier. Reste donc uniquement à ma charge le
+ nom _électrologie_, que son utilité fera, j'espère, excuser.
+ Personne, d'ailleurs, ne sent plus fortement que moi les
+ graves inconvéniens scientifiques de ce néologisme
+ pédantesque, qui sert si souvent à dissimuler le vide réel
+ des idées, en imposant des noms étranges à des sciences qui
+ n'existent pas ou à des caractères superficiellement
+ conçus.]
+
+Par l'ensemble des diverses considérations générales exposées dans ce
+long discours, la philosophie de la physique me paraît être suffisamment
+caractérisée sous tous les rapports fondamentaux; puisque nous avons
+successivement analysé l'objet propre de la physique, les différens
+modes essentiels d'exploration qui lui appartiennent, sa vraie position
+encyclopédique, son influence sur l'éducation universelle de la raison
+humaine, son véritable degré de perfection scientifique, son incomplète
+positivité actuelle, ainsi que le moyen d'y remédier par une saine
+institution des hypothèses, et enfin la disposition rationnelle de ses
+principales parties. L'importante discussion à laquelle j'ai dû me
+livrer sur la théorie des hypothèses, est éminemment propre à simplifier
+l'examen philosophique des diverses branches de la physique, auquel je
+dois maintenant procéder directement, suivant l'ordre que j'ai établi;
+car, je n'y devrai faire désormais aucune mention de tout ce qui se
+rapporte aux hypothèses anti-scientifiques, en me bornant strictement à
+la seule considération des lois effectives des phénomènes. On sait
+d'ailleurs que, par la nature de cet ouvrage, il ne saurait être ici
+question d'un traité, même sommaire, sur aucune des portions de la
+physique, mais seulement d'une suite d'études philosophiques sur
+l'ensemble de chacune d'elles, supposée préalablement connue, et
+envisagée sous nos deux points de vue habituels, de sa méthode propre et
+de ses résultats principaux, sans entrer jamais dans aucune exposition
+spéciale. La plus grande complication des phénomènes, et surtout la
+perfection si inférieure de leurs théories, ne peuvent même permettre de
+caractériser ici chaque section de la science aussi nettement, ni aussi
+complétement, à beaucoup près, que j'ai pu le faire dans une science
+aussi rationnelle que l'astronomie.
+
+
+
+
+VINGT-NEUVIÈME LEÇON.
+
+Considérations générales sur la barologie.
+
+Nous savons déjà, d'après le discours précédent, que cette étude
+fondamentale constitue réellement aujourd'hui, vu la généralité et la
+simplicité de ses phénomènes, la seule partie de la physique dont le
+caractère de positivité soit parfaitement pur, c'est-à-dire
+irrévocablement dégagé de tout alliage métaphysique, direct ou indirect.
+Ainsi, indépendamment de la haute importance propre aux lois effectives
+qui la composent, cette première branche présente à tout esprit
+philosophique un puissant attrait spécial, comme offrant le modèle le
+plus parfait (quoique inférieur, sans doute, au type astronomique) et en
+même temps le plus immédiat et le plus complet, de la méthode
+fondamentale convenable aux recherches physiques, envisagée sous tous
+les rapports généraux qui la caractérisent, savoir: la netteté des
+observations, la bonne institution des expériences, la saine
+construction et l'usage rationnel des hypothèses, et enfin l'application
+judicieuse de l'analyse mathématique. À ces divers titres, une étude
+approfondie de la barologie offre à tout physicien rationnel un moyen
+d'éducation extrêmement précieux, à quelque section de la physique qu'il
+doive consacrer spécialement ses travaux, et quand même elle n'aurait,
+s'il est possible, aucune relation directe avec la science de la
+pesanteur. Malgré tous ces puissans motifs, le véritable esprit
+philosophique est encore tellement peu développé, que la théorie
+complète de la pesanteur n'existe aujourd'hui nulle part, convenablement
+coordonnée: on en trouve seulement les fragmens dispersés çà et là, dans
+les traités de mécanique rationnelle ou dans ceux de physique, et jamais
+combinés; en sorte que, sous le simple rapport de l'instruction
+scientifique ordinaire, il y aurait déjà un grand avantage à les réunir
+rationnellement, pour la première fois, en un seul corps de doctrine
+homogène et continu.
+
+Pour effectuer nettement l'examen philosophique de la barologie il est
+indispensable de la diviser suivant qu'elle envisage les effets
+statiques ou les effets dynamiques produits par la gravité. Chacune de
+ces deux sections principales doit ensuite être subdivisée en trois
+portions, d'après les modifications importantes que présente le
+phénomène, statique ou dynamique, selon l'état solide, liquide, ou
+gazeux du corps considéré. Telle est la distribution rationnelle,
+directement indiquée par la nature du sujet, et d'ailleurs
+essentiellement conforme au développement historique de la barologie.
+
+Examinons d'abord sommairement l'ensemble de la partie statique.
+
+On n'a point, à cet égard, assez remarqué, ce me semble, que les
+premières notions élémentaires ayant un vrai caractère scientifique, au
+moins en ce qui concerne les solides, remontent véritablement jusqu'à
+Archimède. C'est par lui néanmoins que la barologie positive a
+réellement commencé; et ses travaux à ce sujet ont un caractère bien
+distinct de celui que présentent ses sublimes recherches de mathématique
+pure. Il établit nettement, le premier, en généralisant l'observation
+vulgaire, que l'effort statique produit dans un corps par la pesanteur,
+c'est-à-dire son _poids_, est entièrement indépendant de la forme de la
+surface, et dépend seulement du volume, tant que la nature et la
+constitution du corps ne sont pas changées. Quelque simple que doive
+nous paraître aujourd'hui une telle notion, elle n'en constitue pas
+moins le véritable germe primitif d'une proposition capitale de
+philosophie naturelle, qui n'a reçu que vers la fin du siècle dernier
+son complément général et définitif, savoir: que le poids d'un corps est
+non-seulement tout-a-fait indépendant de sa forme, et même de ses
+dimensions, mais encore du mode d'agrégation de ses particules, et des
+variations quelconques qui peuvent survenir dans leur composition
+intime, même par les diverses opérations vitales, en un mot, comme je
+l'ai indiqué dans la vingt-quatrième leçon, que cette qualité
+fondamentale devrait sembler absolument inaltérable, si elle n'était
+évidemment modifiée par la distance du corps au centre de la terre,
+seule condition réelle de son intensité. Archimède ne pouvait, sans
+doute, apprécier exactement, à cet égard, que la simple influence des
+circonstances purement géométriques. Or, sous ce rapport élémentaire,
+son travail fut vraiment complet. Car, après un tel point de départ,
+non-seulement il reconnut que, dans les masses homogènes, les poids sont
+constamment proportionnels aux volumes; mais encore il découvrit le
+meilleur moyen général, dont les physiciens feront indéfiniment usage,
+pour mesurer, en chaque corps solide, d'après son célèbre principe
+d'hydrostatique, ce coefficient spécifique qui permet, suivant cette
+loi, d'évaluer, l'un par l'autre, le poids et le volume du corps. Enfin,
+nous devons aussi à Archimède, comme on sait, la notion fondamentale du
+centre de gravité, ainsi que les premiers développemens de la théorie
+géométrique correspondante. Or, par cette seule notion, tous les
+problèmes relatifs à l'équilibre des solides pesans, rentrent
+immédiatement dans le domaine de la mécanique rationnelle. Ainsi, en
+exceptant uniquement l'importante relation des poids aux masses, qui n'a
+pu être exactement connue que des modernes, on voit que, sous tous les
+rapports essentiels, Archimède doit être regardé comme le vrai fondateur
+de la barologie statique, en ce qui concerne les solides. Toutefois, la
+rigueur historique obligerait aussi à distinguer une autre notion
+capitale, qui n'était pas encore bien nette à l'époque d'Archimède,
+quoiqu'elle le soit devenue peu de temps après: celle de la loi relative
+à la direction de la pesanteur, que l'homme a dû spontanément supposer
+d'abord constante, et que l'école d'Alexandrie a enfin reconnu devoir
+varier d'un lieu à un autre, en suivant toujours la normale à la
+surface du globe terrestre; cette découverte essentielle est évidemment
+due à l'astronomie, qui seule offrait des termes de comparaison propres
+à manifester et à mesurer la divergence des verticales.
+
+Quant à l'équilibre des liquides pesans, on ne peut pas dire que les
+anciens en aient eu réellement aucune idée juste. Car, le beau principe
+d'Archimède ne concernait, au fond, que l'équilibre des solides soutenus
+par des liquides, comme le rappelle si bien le titre même de son traité
+à ce sujet, qui, d'ailleurs, après un tel point de départ, ne se
+composait plus que d'une admirable suite de recherches purement
+géométriques, sur les situations d'équilibre propres aux différentes
+formes rigoureuses des corps. En outre, ce principe lui-même, produit
+immédiat d'un seul trait du génie d'Archimède, ne résultait point, comme
+aujourd'hui, d'une analyse exacte des diverses pressions du liquide
+contre les parois du vase, conduisant à évaluer la poussée totale que le
+fluide exerce pour soulever le solide plongé. On doit donc envisager la
+théorie de l'équilibre des liquides pesans comme réellement due aux
+modernes.
+
+En considérant sommairement ici l'ensemble de cette théorie, il serait
+peu logique de discuter de nouveau, comme on le fait souvent, les
+principes généraux de l'hydrostatique rationnelle, qui forment un
+système parfaitement distinct, préalablement examiné dans le volume
+précédent: il ne peut être maintenant question que de leur application
+effective au cas actuel, et les notions physiques relatives à cette
+application doivent être la seule base des subdivisions à établir, ce
+qui, au contraire, ne conviendrait point en mécanique abstraite.
+
+Toutefois, il appartient réellement à la physique d'examiner ici, avant
+tout, si la définition générale des liquides, sur laquelle repose
+l'hydrostatique mathématique, est suffisamment admissible. Or, les
+physiciens ont aisément reconnu que, ni le caractère général de la
+fluidité mathématique, consistant dans la parfaite indépendance des
+molécules, ni la rigoureuse incompressibilité par laquelle les géomètres
+spécifient l'état liquide, ne sont, et même ne sauraient être exactement
+vrais. L'adhérence mutuelle des molécules fluides se fait sentir dans
+une foule de phénomènes secondaires, et ses principaux résultats
+constituent, en effet, aujourd'hui une intéressante subdivision de la
+physique, complément naturel de notre étude actuelle, comme je
+l'indiquerai tout à l'heure. Quant à la compressibilité des liquides,
+on sait que, long-temps niée, quoique divers phénomènes, et surtout la
+transmission du son à travers l'eau, l'indiquassent avec une grande
+vraisemblance, elle a été enfin mise directement en évidence, par les
+expériences incontestables de plusieurs physiciens contemporains.
+Cependant, les plus fortes charges observées n'ont jamais pu produire
+qu'une très faible contraction, et nous ignorons encore complétement
+quelle loi réelle suit un tel phénomène en faisant varier la pression:
+ce qui empêche jusqu'ici d'avoir égard à cette condensation dans la
+théorie de l'équilibre des liquides naturels. Mais la petitesse même
+d'un, semblable effet permet heureusement de le négliger dans presque
+tous les cas réels; et il en est ainsi de l'imparfaite fluidité, pourvu
+que la masse ait une certaine étendue. Néanmoins, il était indispensable
+de signaler ici ces deux considérations préliminaires et générales, dont
+l'étude est jusqu'à présent peu avancée.
+
+En les écartant maintenant, nous devrons distinguer l'équilibre effectif
+des liquides pesans, selon qu'il s'agit d'une masse assez limitée pour
+que les verticales puissent être regardées comme parallèles, ainsi qu'il
+arrive le plus souvent; ou, au contraire, d'une masse très étendue,
+telle que la mer surtout, envers laquelle il est nécessaire de tenir
+compte de la direction variable de la gravité.
+
+Le premier cas a dû être naturellement le seul considéré d'abord; c'est
+à lui, en effet, que se rapportèrent exclusivement les travaux de
+Stévin, par lesquels commença la véritable analyse de l'équilibre des
+liquides pesans. Dans un tel problème, la forme de la surface
+d'équilibre ne présentait évidemment aucune difficulté; et tous les
+efforts devaient se concentrer sur la détermination des pressions
+exercées par le liquide, en vertu de son poids, contre les parois du
+vase qui le renferme. Guidé par le principe d'Archimède, Stévin établit
+complétement la règle de leur évaluation, en prouvant d'abord que la
+pression sur une paroi horizontale est toujours égale, quelle que soit
+la forme du vase, au poids de la colonne liquide de même base qui
+aboutirait à la surface d'équilibre; et il ramena ensuite à ce cas
+fondamental celui d'une paroi plane inclinée d'une manière quelconque,
+en la décomposant en élémens horizontaux, comme nous le faisons
+aujourd'hui par nos intégrations; ce qui fit voir, en général, que la
+pression équivaut constamment au poids d'une colonne liquide verticale
+qui aurait pour base la paroi considérée, et pour hauteur celle de la
+surface d'équilibre au-dessus du centre de gravité de cette paroi.
+D'après cela, l'analyse infinitésimale permet de calculer aisément la
+pression exercée contre une portion, définie arbitrairement, d'une
+surface courbe quelconque. La plus intéressante conséquence physique qui
+en résulte, consiste dans l'évaluation de la pression totale supportée
+par l'ensemble du vase, et que l'on trouve toujours nécessairement
+équivalente au poids du liquide contenu, comme il est aisé de
+l'expliquer, en considérant l'équilibre mutuel des composantes
+horizontales dues aux pressions élémentaires opposées. C'est ainsi qu'a
+pu être complétement résolu le fameux paradoxe de Stévin, relatif au cas
+où le liquide exerçait sur le fond du vase une pression très supérieure
+à son propre poids, ce qui n'avait semblé contradictoire qu'en vertu de
+la confusion vicieuse que l'on établissait, par inadvertance, entre la
+pression supportée par le fond et la pression totale, sans tenir compte
+des pressions latérales, qui pouvaient tendre, et tendaient en effet,
+dans le cas paradoxal, à soulever le vase, et à contre-balancer ainsi
+partiellement la pression sur le fond, en sorte que la différence des
+deux efforts était réellement toujours égale au poids du liquide. Ici,
+les expériences instituées par divers physiciens, n'ont eu d'autre
+utilité que de vérifier ces importantes notions d'une manière aisément
+appréciable par les esprits étrangers aux études mathématiques; elles
+n'eurent aucune part effective aux découvertes.
+
+Cette mesure générale des pressions conduit aussitôt à la théorie
+complète de l'équilibre des corps flottans, qui n'en est qu'une simple
+application. Car, en regardant la partie plongée du solide comme une
+paroi, on aperçoit sur-le-champ que la poussée totale du liquide pour
+soulever ce corps équivaut à une force verticale égale au poids du
+fluide déplacé, et appliquée au centre de gravité de cette portion
+immergée. Or, cette règle, qui n'est autre que le principe même
+d'Archimède, ainsi rattaché aux fondemens généraux de l'hydrostatique,
+réduit immédiatement la recherche des situations d'équilibre propres aux
+divers corps homogènes, flottans sur des liquides homogènes, à ce simple
+problème géométrique, si bien traité par Archimède: dans un corps de
+forme connue, mener un plan qui le coupe en deux segmens dont les
+centres de gravité soient situés sur une même droite perpendiculaire au
+plan sécant, leurs volumes étant d'ailleurs en raison donnée; ce qui ne
+peut présenter que des difficultés de détail, quelquefois très grandes.
+La seule recherche vraiment délicate à ce sujet concerne les conditions
+de la stabilité de cet équilibre, et l'analyse exacte des oscillations
+du corps flottant autour de sa situation stable, ce qui constitue une
+des applications les plus compliquées de la dynamique des solides. En se
+bornant aux oscillations verticales du centre de gravité, l'étude serait
+facile, parce qu'on apprécie aisément la manière dont la poussée
+augmente quand le corps s'enfonce, ou diminue lorsqu'il s'élève, en
+tendant toujours au rétablissement de l'état primitif. Mais il n'en est
+plus ainsi des oscillations relatives à la rotation, soit quant au
+roulis ou au tangage, dont la théorie aurait cependant beaucoup plus
+d'intérêt pour l'art naval. Ici, les travaux des géomètres, qui ne
+peuvent aborder les hautes difficultés mathématiques du problème qu'en
+faisant abstraction de la résistance et de l'agitation du liquide,
+deviennent essentiellement de purs exercices mathématiques, d'ailleurs
+quelquefois ingénieux, qui ne sauraient réellement fournir à la pratique
+aucune indication précise, lorsqu'on veut aller au-delà d'une simple
+analyse générale du phénomène, indépendante du calcul. On en peut dire
+presque autant des expériences tentées à ce sujet par divers physiciens,
+sur la demande de quelques géomètres.
+
+Considérant maintenant l'équilibre des grandes masses liquides qui
+composent la majeure partie de la surface terrestre, il est d'abord
+évident que cette question se rattache immédiatement à la théorie
+générale de la figure des planètes, caractérisée dans la vingt-cinquième
+leçon. Mais, en regardant la forme de la surface d'équilibre comme
+suffisamment connue, et la supposant même sphérique, pour plus de
+simplicité, l'analyse réelle du problème présente encore des difficultés
+qui ne peuvent être exactement surmontées. Car, l'hydrostatique
+rationnelle enseigne ici que l'équilibre ne serait possible qu'en
+supposant la même densité à tous les points également distans du centre
+de la terre, ce qui, évidemment, ne saurait avoir lieu, en vertu de
+leurs températures nécessairement inégales, par la seule diversité de
+leurs positions. Cette impossibilité mathématique d'un équilibre
+rigoureux ferait, dès lors, consister la question dans l'étude,
+rationnellement inextricable, des divers courans, qui se compliquerait
+même de la loi inconnue des températures propres aux différentes parties
+de la masse. On doit remarquer, de plus, que la nature d'une telle
+recherche exigerait sans doute qu'on y eût aussi égard à la
+compressibilité des liquides, dont la loi est jusqu'ici entièrement
+ignorée, et qui, néanmoins, ne saurait être insensible pour les couches
+océaniques un peu profondes, vu l'immense pression qu'elles supportent.
+Il est donc peu étonnant qu'un problème tellement compliqué ne comporte
+encore aucune solution rationnelle, et que nos seules connaissances
+réelles à ce sujet soient le résultat d'études purement empiriques. Ces
+études, qui d'ailleurs n'appartiennent pas proprement à la physique et
+se rapportent à l'histoire naturelle du globe, sont même extrêmement
+imparfaites: car, jusqu'ici, par exemple, nous ne savons véritablement à
+quoi attribuer les simples différences de niveau si bien constatées
+entre les diverses parties de l'Océan général, qui semblent
+contradictoires avec les notions fondamentales de l'hydrostatique;
+celle, entre autres, mesurée à l'isthme de Suez, entre la mer
+Méditerranée et la mer rouge, ou celle, plus remarquable, quoique moins
+prononcée, qui a été reconnue sur l'isthme de Panama, entre le grand
+Océan et l'Océan atlantique.
+
+La théorie des marées, considérée dans la vingt-cinquième leçon,
+pourrait évidemment être classée ici comme un appendice naturel de cette
+partie de la barologie, dont l'analyse des perturbations périodiques de
+l'équilibre océanique forme, sans doute, le complément nécessaire. Quand
+les études physiques seront habituellement devenues aussi fortes et
+aussi bien coordonnées qu'elles devraient l'être, et que, par
+conséquent, elles auront été toujours précédées d'études astronomiques
+convenables, il est, en effet, très probable que cette doctrine rentrera
+d'elle-même dans la barologie, à laquelle, sans doute, elle appartient
+rationnellement: qu'importe, au fond, puisqu'il s'agit d'un phénomène
+terrestre, que la vraie cause en soit céleste?
+
+Il faut maintenant envisager la dernière section de la barologie
+statique, relative à l'équilibre des gaz, et spécialement de
+l'atmosphère, en vertu de leur poids.
+
+À cet égard, la physique a dû d'abord surmonter une grande difficulté
+préliminaire, qui ne pouvait exister envers les solides et les liquides,
+celle de découvrir la pesanteur du milieu général dans lequel nous
+vivons. L'air n'était point, en effet, directement susceptible d'être
+pesé, comme un liquide, par le simple excès de poids d'un vase plein,
+sur le même vase vide; car, le vase ne peut être vidé d'air qu'à l'aide
+d'ingénieux artifices, fondés sur la connaissance même de la pesanteur
+atmosphérique, exactement analysée dans ses principaux effets statiques.
+Cette pesanteur ne pouvait donc être constatée que d'une manière
+indirecte, par l'examen des pressions que l'atmosphère devait ainsi
+nécessairement produire sur les corps placés à sa base, en vertu des
+lois générales de l'équilibre des fluides. Une telle découverte était
+donc évidemment impossible avant la théorie mathématique de ces
+pressions, créée, comme nous venons de le voir, au commencement du
+dix-septième siècle, par les travaux de Stévin, dont la haute importance
+n'a pas été suffisamment appréciée. Mais, d'un autre côté, cette théorie
+devait nécessairement conduire à dévoiler promptement ce grand fait;
+car, quoique Stévin n'eût point pensé à l'atmosphère, son analyse des
+pressions convenait aussi bien à ce cas, puisqu'elle n'était point
+arrêtée par l'hétérogénéité de la masse fluide. L'époque de cette vérité
+capitale était donc, pour ainsi dire, fixée; elle n'a été retardée que
+par l'influence des habitudes métaphysiques: les moyens rationnels
+d'exploration étant convenablement préparés, il suffisait, en effet,
+désormais d'oser envisager, sous un point de vue positif, l'équilibre
+général de l'atmosphère. Tel fut le projet de Galilée, dans ses
+dernières années, si bien exécuté ensuite par son illustre disciple
+Torricelli. L'existence et la mesure de la pression atmosphérique
+devinrent irrécusables quand Torricelli eut découvert que cette force
+soutenait les différens liquides à des hauteurs inversement
+proportionnelles à leurs densités. L'ingénieuse expérience de Pascal
+compléta bientôt la conviction générale, en constatant, avec une pleine
+évidence, la diminution nécessaire de cette pression à mesure qu'on
+s'élève dans l'atmosphère. Enfin, la belle invention du célèbre
+bourguemestre de Magdebourg, déduction plus éloignée, mais inévitable,
+de la découverte fondamentale de Torricelli, vint permettre une
+démonstration directe, en donnant les moyens de faire le vide, et par
+suite, d'apprécier exactement la pesanteur spécifique de l'air qui nous
+entoure, jusque alors très vaguement mesurée. On voit comment cette
+grande vérité, outre sa haute importance propre, a spontanément doté la
+philosophie naturelle de deux des plus précieux moyens d'exploration
+matérielle qu'elle possède, le baromètre et la pompe pneumatique. En
+général, la création et le perfectionnement des instrumens d'observation
+ou d'expérimentation ont toujours été, en physique, le résultat
+nécessaire et définitif des principales découvertes scientifiques, dont
+leur histoire est réellement inséparable: plus nous connaissons la
+nature, mieux nous l'explorons sous de nouveaux rapports, ce qui doit
+faire attacher un prix tout spécial aux premiers instrumens, quelque
+grossière qu'ait été d'abord leur ébauche.
+
+Le poids de l'air, et en général des gaz, étant une fois bien constaté,
+une dernière condition préliminaire restait seule à remplir pour qu'on
+pût appliquer à l'équilibre atmosphérique les lois fondamentales de
+l'hydrostatique: c'était l'indispensable connaissance exacte de la
+relation nécessaire entre la densité d'un fluide élastique et la
+pression qu'il supporte. Dans les liquides, du moins en les supposant
+tout-à-fait incompressibles, ces deux phénomènes sont absolument
+indépendans l'un de l'autre, tandis que, dans les gaz, ils sont
+inévitablement liés; et c'est ce qui constitue, comme on sait, la
+différence essentielle entre les théories mécaniques des deux sortes de
+fluides. La découverte capitale de cette relation élémentaire fut faite
+à la fois, et presque en même temps, par Mariotte en France, et Boyle en
+Angleterre, qui possédaient tous deux à un si éminent degré le véritable
+génie de la physique. Il était naturel, sans doute, de supposer d'abord
+que la compressibilité caractéristique des gaz est indépendante de leur
+densité; et en effet, ces deux illustres physiciens constatèrent, dans
+leurs expériences, que les divers volumes successivement occupés par une
+même masse gazeuse, sont exactement en raison inverse des différentes
+pressions qu'elle éprouve. Cette loi, primitivement établie entre des
+limites peu écartées, a été soigneusement vérifiée, dans ces derniers
+temps, en faisant croître la pression jusqu'à près de trente
+atmosphères. On a donc dû l'adopter, comme base de toute la mécanique
+des gaz et des vapeurs. Toutefois, il serait difficile d'admettre
+qu'elle soit l'expression mathématique de la réalité. Car, elle équivaut
+évidemment à regarder les fluides élastiques comme toujours également
+compressibles, quelques comprimés qu'ils soient déjà; ou, en sens
+inverse, comme toujours aussi dilatables, à quelque dilatation qu'ils
+soient parvenus. Or, l'une et l'autre conséquence sont, au moins, fort
+invraisemblables, en considérant des pressions, ou très fortes ou très
+faibles: poussées à l'extrême, elles détruiraient, sans doute, dans un
+cas l'idée de gaz, et, dans l'autre, l'idée même de corps ou système.
+Cette loi ne peut donc être qu'une approximation de la réalité,
+suffisamment exacte seulement entre certaines limites, comprenant
+heureusement presque tous les cas qu'il nous importe d'étudier. Mais il
+ne faudrait pas croire qu'une telle remarque soit particulière à cette
+importante relation. Il en est nécessairement toujours ainsi dans
+l'application de nos conceptions abstraites à l'interprétation de la
+nature, dont les véritables lois mathématiques ne peuvent jamais nous
+être connues que par des approximations analogues, leurs limites étant
+seulement plus ou moins écartées, même à l'égard des phénomènes les plus
+simples et les mieux étudiés. Cette considération philosophique a déjà
+été expressément signalée, au sujet de la loi de la gravitation
+elle-même, à la fin de la vingt-quatrième leçon, où je me suis efforcé
+de faire sentir combien il serait hasardé de regarder cette loi comme
+nécessairement applicable à toute distance, quelque grande ou petite
+qu'elle fût. Non-seulement toutes nos connaissances réelles sont
+strictement circonscrites dans l'analyse des phénomènes et la découverte
+de leurs lois effectives; mais, même ainsi restreintes, nos recherches
+ne sauraient aboutir, en aucun genre, à des résultats absolus, et
+peuvent uniquement fournir des approximations plus ou moins parfaites,
+constamment susceptibles, il est vrai, de suffire à nos besoins
+véritables: tel est l'esprit fondamental de la philosophie positive, que
+je ne dois pas craindre de reproduire trop fréquemment dans cet ouvrage.
+
+D'après la loi de Mariotte et Boyle, la théorie générale de l'équilibre
+atmosphérique tombe aussitôt sous la compétence de la mécanique
+rationnelle. On voit d'abord que l'ensemble de l'atmosphère ne peut
+jamais être réellement dans un état d'équilibre rigoureux, par les
+mêmes motifs indiqués ci-dessus envers l'Océan, leur influence étant
+seulement ici bien plus prononcée, puisque la chaleur dilate beaucoup
+moins l'eau que l'air. Il est néanmoins indispensable de considérer,
+abstraction faite de cette agitation nécessaire, l'équilibre partiel
+d'une colonne atmosphérique très étroite, afin de se former une juste
+idée générale du mode fondamental de décroissement propre à la densité
+et à la pression des diverses couches. La question ne présente aucune
+difficulté essentielle, quand on écarte les effets thermologiques; et
+l'on voit alors aisément que les densités et les pressions diminueraient
+en progression géométrique pour des hauteurs croissantes en progression
+arithmétique, si la température pouvait être la même en tous les points
+de la colonne, du moins en faisant abstraction du décroissement presque
+insensible de la gravité, qui peut d'ailleurs être facilement pris en
+considération exacte. Mais l'abaissement graduel et très prononcé
+qu'éprouve nécessairement la température des couches atmosphériques à
+mesure qu'elles sont plus élevées, doit en réalité ralentir notablement
+cette variation abstraite, en rendant chaque couche plus dense que ne le
+comporterait ainsi sa position. L'étude de ce grand phénomène se
+complique donc naturellement d'un nouvel élément, jusqu'ici tout-à-fait
+inconnu malgré quelques tentatives imparfaites, la loi relative à la
+variation verticale des températures atmosphériques, qui ne sera
+peut-être jamais suffisamment dévoilée, quelque intéressante qu'elle fût
+à plusieurs égards, comme je l'ai déjà indiqué au sujet de la théorie
+des réfractions astronomiques. On n'y supplée évidemment que d'une
+manière extrêmement grossière et radicalement incertaine, lorsque, pour
+formuler l'équilibre d'une portion déterminée de la colonne
+atmosphérique, on suppose une température uniforme égale à la moyenne
+arithmétique entre les deux températures extrêmes immédiatement
+observées. Car la loi inconnue pourrait être telle, que la moyenne
+géométrique, ou même quelque nombre très rapproché de l'un des extrêmes,
+représentât avec moins d'erreur le véritable état de la colonne,
+qu'aucune hypothèse de température commune ne saurait d'ailleurs
+fidèlement exprimer. L'intervention du calcul des probabilités serait,
+du reste, ici ou puérile ou sophistique, comme en tant d'autres
+occasions. Tout ce qu'on pourrait dire de raisonnable en faveur d'un tel
+usage, se réduirait réellement à la conformité de quelques-uns des
+résultats auxquels il conduit avec des observations directes, argument
+qui aurait en effet un grand poids, si cette confrontation avait jamais
+été convenablement établie, ce dont il y a lieu de douter. On ne doit
+donc employer qu'avec une grande circonspection, et seulement à défaut
+de déterminations géométriques, le procédé imaginé par Bouguer pour la
+mesure des hauteurs par le baromètre, dont la formule a été surchargée
+plus tard d'un grand nombre de détails, qui ont fortement altéré sa
+simplicité primitive, sans peut-être augmenter beaucoup son exactitude
+réelle, si ce n'est en ce qui concerne la meilleure évaluation des
+coefficiens, due à l'observation seule. Ce moyen est certainement fort
+ingénieux: et son principal défaut consiste précisément à l'être
+beaucoup trop, en faisant dépendre une grandeur aussi simple qu'une
+distance d'une foule d'autres qui s'y rattachent indirectement dans un
+phénomène très complexe. Mais il est évident que, quand on prétend à
+l'exactitude, on ne saurait accorder une confiance bien étendue à une
+méthode aussi indirecte, fondée sur la supposition préalable d'un état
+de stagnation atmosphérique qui ne peut exister, et ensuite sur une
+uniformité de température encore plus inadmissible. En considérant, dans
+l'estimable travail de Ramon, la longue série des précautions
+minutieuses qu'exige l'application exacte d'un tel procédé pour mériter
+quelque confiance, et, par suite, la durée souvent très grande de
+l'ensemble de l'opération, on voit même que ce moyen perd
+essentiellement cette facilité qui fait sa seule valeur, et qu'il y
+aurait fréquemment moins d'embarras, quand les circonstances le
+permettent, à entreprendre directement une mesure géométrique, dont la
+certitude serait d'ailleurs si supérieure. En principe, comme je l'ai
+remarqué dans une autre occasion, une mesure quelconque est d'autant
+plus précaire qu'elle est plus indirecte. Néanmoins, en renonçant à tout
+parallèle entre ce mode de nivellement et le mode géométrique, il
+conserve une valeur très réelle pour multiplier commodément nos
+renseignemens généraux sur le relief du globe terrestre. Je regrette
+seulement que la vérification n'en ait pas encore été convenablement
+instituée. En cette occasion, comme en bien d'autres plus importantes,
+les physiciens se sont jusqu'ici beaucoup trop subalternisés envers les
+géomètres.
+
+Tel est essentiellement, en aperçu, l'ensemble de la barologie statique.
+Pour la compléter, il faudrait maintenant considérer les modifications
+importantes qu'éprouvent ses lois générales, à l'égard des petites
+masses fluides, en vertu de l'imparfaite fluidité des liquides et des
+gaz. Elles consistent surtout dans une élévation notable (quelquefois
+changée en dépression), relativement à la surface ordinaire d'équilibre,
+pour les filets liquides contenus dans des tubes très étroits: on les a
+encore peu étudiées sur les gaz. C'est donc ici, à mes yeux, le lieu
+naturel de la théorie de la capillarité. Plusieurs physiciens l'ont déjà
+placée ainsi, mais par des motifs indépendans de la nature des
+phénomènes, et seulement relatifs à leur mode actuel d'explication, en
+vertu d'une vague analogie entre la pesanteur, rattachée à
+l'_attraction_ universelle, et la force moléculaire à laquelle on
+attribue ces effets remarquables. J'avoue qu'un tel rapprochement me
+touche peu, car il me paraît reposer essentiellement sur l'emploi du
+malheureux mot _attraction_ pour désigner la pesanteur générale:
+supprimez cette expression abusive, dont j'ai signalé, dans la
+vingt-quatrième leçon, les graves inconvéniens, il n'y aura plus aucune
+assimilation à établir entre la gravité et la capillarité, leurs
+phénomènes étant réellement antagonistes. C'est donc seulement parce que
+les effets capillaires consistent dans une altération notable des lois
+fondamentales de la pesanteur, que leur étude me paraît devoir être
+classée comme un complément naturel et indispensable de la barologie
+proprement dite.
+
+Quant au fond de la question à cet égard, c'est-à-dire, quant à la
+théorie actuelle de ces phénomènes, je dois déclarer, quoique je ne
+puisse me livrer ici à son examen spécial, que, malgré l'imposante
+apparence d'exactitude dont Laplace l'a revêtue en y déployant un si
+grand luxe analytique, elle m'a toujours paru fort peu satisfaisante, à
+cause de son caractère vague, obscur, et même, au fond, essentiellement
+arbitraire. Clairaut, pour ainsi dire en se jouant, avait imaginé l'idée
+principale de cette explication, sans y attacher une grande importance:
+Laplace, en voulant lui donner une consistance mathématique et une
+précision qu'elle ne comportait pas, n'a fait que rendre ses vices plus
+prononcés, aux yeux de quiconque ne se laisse point fasciner par un vain
+appareil algébrique. Cette force mystérieuse et indéterminée, évidemment
+créée pour le besoin de l'explication, et qui, par sa définition même,
+échappe nécessairement à tout contrôle réel, cette force dont
+l'intervention cesse ou reparaît presque à volonté, à laquelle on ajoute
+ou l'on retranche des qualités essentielles pour la faire correspondre
+aux phénomènes, ne serait-elle pas réellement une pure entité? Cette
+théorie a-t-elle sensiblement perfectionné l'étude de la capillarité,
+dont les progrès sont presque nuls depuis plus d'un demi-siècle? La
+principale loi numérique des phénomènes capillaires, celle des hauteurs
+inversement proportionnelles aux diamètres des différens tubes, était
+parfaitement connue long-temps avant cette théorie, qui n'a rien produit
+de semblable. Sa prépondérance n'aurait-elle point, au contraire, en ces
+derniers temps, attiédi le zèle des physiciens pour une exploration
+directe, menacée d'avance d'un accueil peu encourageant, si elle ne
+venait point confirmer les prescriptions analytiques? Si, par exemple,
+nous connaissons trop peu encore l'influence de la chaleur et de
+l'électricité sur l'action capillaire, n'est-ce point à une telle cause
+qu'on doit l'attribuer en grande partie?
+
+Quoi qu'il en soit, l'étude réelle de ces phénomènes est en elle-même du
+plus haut intérêt. Indépendamment de son utile application pour
+augmenter la précision de plusieurs instrumens importans, elle occupe
+directement, en philosophie naturelle, un rang très éminent, en vertu du
+rôle fondamental de la capillarité dans l'ensemble des phénomènes
+physiologiques, comme leur examen général nous le démontrera. Les effets
+remarquables découverts par M. Dutrochet, sous les noms d'_endosmose_ et
+d'_exosmose_, viennent s'y rattacher spontanément: c'est l'action
+capillaire envisagée en surface, au lieu de la simple capillarité
+linéaire, jusque alors étudiée par les physiciens.
+
+Considérons maintenant, dans son ensemble, la seconde partie principale
+de la barologie, celle qui concerne les lois des mouvemens des corps
+pesans, et en premier lieu des solides.
+
+La belle observation fondamentale relative à la chute identique de tous
+les corps dans le vide, a d'abord établi irrévocablement une dernière
+notion élémentaire sur la pesanteur, celle de la proportionnalité
+nécessaire entre les poids et les masses, qui manquait encore
+essentiellement à la barologie statique. Les phénomènes de pur équilibre
+pouvaient, à la rigueur, suffire à la dévoiler, mais d'une manière
+beaucoup moins frappante, par une analyse convenable des effets du choc,
+qui, permettant d'évaluer directement les rapports de deux masses,
+auraient ainsi conduit à reconnaître son égalité avec celui de leurs
+poids. Après cette notion préliminaire, nous devons surtout examiner ici
+la découverte des lois fondamentales propres aux mouvemens produits par
+la gravité. Non-seulement c'est par là que la physique réelle a dû être
+historiquement créée; mais cette étude nous offre encore, à tous égards,
+le plus parfait exemple de la manière de philosopher qui convient à
+cette science.
+
+L'accélération naturelle de la chute des corps pesans n'avait point
+échappé au génie si avancé d'Aristote, celui de tous les anciens
+penseurs qui fut le moins éloigné de la philosophie positive, quoiqu'on
+lui doive la coordination de la philosophie métaphysique. Mais
+l'ignorance des principes élémentaires de la dynamique rationnelle ne
+pouvait évidemment permettre de découvrir alors la vraie loi de ce
+phénomène. L'hypothèse d'Aristote, qui consiste à faire croître la
+vitesse proportionnellement à l'espace parcouru, pouvait être regardée
+comme plausible tant que la théorie générale des mouvemens variés
+n'était point formée. Aussi est-ce surtout cette création capitale,
+provoquée par les difficultés propres au problème de la chute des corps,
+qui constitue la gloire immortelle du grand Galilée. Cette théorie,
+indiquée dans le premier volume de cet ouvrage, rend aussitôt palpable
+l'absurdité de l'hypothèse d'Aristote, en montrant, avec une pleine
+évidence, d'après une intégration fort élémentaire, qu'une telle loi de
+mouvement équivaudrait mathématiquement à supposer l'intensité de la
+pesanteur graduellement croissante, pendant la chute, en raison de
+l'espace parcouru. Pour procéder, d'après cette théorie générale, à la
+découverte de la loi véritable, Galilée dut naturellement supposer que
+la gravité conservait toujours la même énergie, et il reconnut dès lors
+que la vitesse et l'espace étaient nécessairement proportionnels, l'un
+au temps écoulé, l'autre à son carré. La vérification expérimentale
+pouvait être instituée de deux manières, également décisives, que
+Galilée fit connaître: soit par l'observation immédiate de la chute
+ordinaire, soit en ralentissant à volonté la chute à l'aide d'un plan
+suffisamment incliné, sans que la loi essentielle pût en être altérée,
+sauf les précautions nécessaires pour atténuer l'influence du
+frottement. Atwood a imaginé plus tard un instrument fort ingénieux, qui
+permet de ralentir indifféremment la chute, tout en la laissant
+verticale, en obligeant une petite masse à en mouvoir une très grande:
+ce qui permet de vérifier commodément, sous tous les points de vue, la
+loi de Galilée.
+
+Parmi les contestations innombrables que suscita d'abord cette grande
+découverte, la seule qui mérite aujourd'hui quelque attention est la
+discussion élevée par Baliani, qui prétendait substituer à la loi de
+Galilée une hypothèse peu différente en apparence, quoique radicalement
+inadmissible. Les espaces décrits par le corps, dans chaque seconde
+successive, doivent croître réellement comme la suite des nombres
+impairs, et c'est sous cette forme que Galilée avait présenté sa loi.
+Or, Baliani voulait remplacer cette progression par la série naturelle
+de tous les nombres entiers. À une époque où la dynamique était encore
+si peu connue, une telle concurrence pouvait être fort spécieuse, et la
+discussion se serait, en effet, long-temps prolongée, si l'on n'en eût
+appelé à l'expérience, qui condamna aussitôt Baliani. Car, cette
+hypothèse correspond, en effet, comme celle de Galilée, à une intensité
+constante de la pesanteur. Le seul caractère qui les distingue
+rationnellement consiste en ce que, suivant Galilée, la vitesse peut
+être aussi petite qu'on voudra, en choisissant une durée assez courte,
+tandis que, d'après Baliani, il y aurait toujours un _minimum_ de
+vitesse très appréciable, indépendant du temps écoulé, et qui devrait
+être instantanément imprimé au corps dès l'origine du mouvement: ce qui
+eût suffi sans doute pour renverser immédiatement une telle hypothèse,
+si la validité de cette déduction mathématique avait pu être d'abord
+bien sentie.
+
+Par cette seule loi de Galilée, tous les problèmes relatifs au mouvement
+des corps pesans rentrent aussitôt dans le domaine de la dynamique
+rationnelle dont, au dix-septième siècle, ils provoquèrent la formation
+sous les divers rapports fondamentaux, comme, au dix-huitième siècle,
+les questions de mécanique céleste déterminèrent son développement
+général. En ce qui concerne le mouvement de translation du corps libre
+dans l'espace, cette étude est essentiellement due à Galilée lui-même,
+qui établit la théorie du mouvement curviligne des projectiles,
+abstraction faite de la résistance de l'air. Les tentatives fréquemment
+renouvelées depuis par les géomètres pour y tenir compte de cette
+résistance, n'ont pas eu encore un résultat physique satisfaisant.
+Toutefois, il importe de noter ici combien, dans ces travaux, on s'est
+strictement conformé à l'esprit de la saine théorie des hypothèses, en
+se bornant à faire une supposition sur la loi mathématique de la
+résistance du milieu, relativement à la vitesse, dans l'impossibilité où
+l'on se trouve encore, et où l'on sera peut-être toujours, de découvrir
+rationnellement cette loi, par les seuls principes de l'hydrodynamique,
+dont une telle recherche constitue le problème le plus difficile. Une
+semblable supposition est, en effet, éminemment susceptible, par sa
+nature, d'une épreuve expérimentale qui ne saurait laisser aucune
+incertitude; et c'est ainsi qu'on a successivement reconnu
+l'imperfection de toutes les hypothèses jusqu'ici proposées à cet égard,
+depuis Newton, à qui l'on doit la première et la plus usuelle d'entre
+elles. La construction rationnelle de ces conjectures présente en
+elle-même de grandes difficultés, pour concilier ces deux conditions qui
+semblent contradictoires, et qui sont néanmoins également
+indispensables: faire toujours décroître la résistance à mesure que la
+vitesse diminue indéfiniment; et, cependant, disposer la loi de telle
+manière que la vitesse initiale du mobile puisse être enfin complétement
+détruite, par la seule action graduelle de la résistance. La dernière de
+ces deux indications générales exige évidemment la présence d'un terme
+constant dans l'expression algébrique de la loi, tandis que la première
+semble devoir l'en exclure formellement. Quelle que soit l'utilité des
+études expérimentales directes dont cette question difficile a été
+jusqu'ici le sujet, elles n'ont pas eu encore de résultats pleinement
+satisfaisans. Enfin, quelques observations récentes viennent même
+d'augmenter à cet égard l'incertitude fondamentale, quoique propres
+peut-être à présenter ensuite sous un nouveau jour l'ensemble du sujet,
+en montrant que, lorsque les vitesses deviennent très grandes, elles
+peuvent augmenter sans faire croître les résistances; cette importante
+remarque ne saurait cependant être admise, sans un nouvel et scrupuleux
+examen. Ainsi, en résumé, l'étude exacte du mouvement réel des
+projectiles est encore extrêmement imparfaite.
+
+Quant aux mouvemens que produit la pesanteur dans un corps retenu, le
+cas où ce corps est assujetti sur une courbe donnée est le seul
+important à analyser; il constitue le problème général du pendule, dont
+la théorie, entièrement due à Huyghens, n'offre plus, comme application
+de la mécanique rationnelle, que de simples difficultés analytiques, en
+faisant abstraction de la résistance du milieu. Cette belle théorie a
+présenté, dès son origine, un puissant intérêt pratique, comme base de
+la plus parfaite chronométrie. J'ai déjà indiqué, sous ce rapport, dans
+la vingtième leçon, comment Huyghens, après avoir reconnu les
+oscillations cycloïdales pour les seules rigoureusement isochrones,
+était parvenu à les remplacer par les oscillations circulaires, seules
+réellement admissibles, en rendant leurs amplitudes très petites. Ainsi
+réglées, leurs durées ne dépendent que de la longueur du pendule simple
+et de l'énergie de la gravité, proportionnellement à la racine carrée du
+rapport numérique de ces deux grandeurs.
+
+Indépendamment de sa haute importance chronométrique, cette loi capitale
+d'Huyghens a fourni deux conséquences générales, fort essentielles pour
+les progrès de la barologie. D'abord, le pendule a permis à Newton de
+vérifier la proportionnalité des poids aux masses avec beaucoup plus
+d'exactitude que n'en pouvait comporter la chute des corps dans le vide,
+ci-dessus mentionnée. Car, si cette relation n'avait pas lieu, ou, ce
+qui revient au même, si la pesanteur agissait inégalement sur les
+différens corps, cette diversité devrait se manifester nécessairement,
+d'une manière très sensible, par la durée variable de leurs oscillations
+pour des pendules d'égale longueur, comparativement formés de substances
+distinctes. Or, l'expérience constate, au contraire, une frappante
+coïncidence à cet égard entre les cas les plus opposés, pourvu qu'on
+l'institue de manière à y rendre identique l'influence du milieu
+résistant, condition facile à remplir en prenant les précautions
+adoptées par Newton. Tous les corps ont donc la même gravité.
+
+En second lieu, le pendule nous a mis en état de reconnaître les
+variations qu'éprouve, à diverses distances du centre de la terre,
+l'intensité de cette commune pesanteur, suivant l'indication fournie par
+la théorie fondamentale de la gravitation. Il a suffi, en effet,
+d'apercevoir une différence irrécusable entre les longueurs du pendule à
+secondes observées en des lieux distincts, pour avoir aussitôt le droit
+d'en conclure mathématiquement l'inégalité des pesanteurs
+correspondantes, en raison directe des longueurs respectives. Reste
+ensuite, ce qui est facile, à isoler dans cette indication expérimentale
+la part de la force centrifuge, d'après la latitude du lieu, pour
+obtenir exactement la variation propre de la gravité. C'est d'après un
+tel principe que se multiplient chaque jour nos renseignemens sur la
+mesure de la pesanteur en divers points du globe, et par une suite
+indirecte, comme je l'ai indiqué dans la vingt-cinquième leçon, sur la
+vraie figure de la terre.
+
+Dans ces différentes sections de la barologie dynamique, les corps
+solides sont envisagés, abstraction faite de leurs dimensions, et comme
+de simples points. Mais, tous ces problèmes doivent maintenant être
+repris avec un nouvel ordre de difficultés, en ayant égard aux diverses
+particules dont le corps est réellement formé. Sous ce rapport, la
+question du mouvement libre nous entraînerait nécessairement dans cet
+ensemble de recherches délicates et compliquées qui caractérisent en
+dynamique abstraite, l'analyse des rotations, même en se bornant au cas
+du vide, et qui serait ici entièrement indépendant de l'action de la
+pesanteur: heureusement, cette face du problème est, en réalité, peu
+importante pour le mouvement de nos projectiles. À l'égard du pendule,
+cette difficulté se réduit à déterminer suivant quelles lois les divers
+points du corps modifient, en vertu de leur liaison, les durées inégales
+de leurs oscillations respectives, afin que leur ensemble puisse
+osciller comme un point unique, idéal ou réel. Cette loi, découverte par
+Huyghens, et obtenue ensuite, d'une manière plus rationnelle, par
+Jacques Bernouilli, ramène aisément le pendule composé au pendule simple
+jusque alors étudié, quand on connaît le moment d'inertie du corps. Elle
+explique nettement un nouveau moyen de faire varier la durée des
+oscillations, en changeant seulement la répartition de la masse
+oscillante. C'est ainsi que l'étude du pendule se rattache à toutes les
+questions essentielles de la dynamique générale des solides. Quoique la
+résistance de l'air y exerce beaucoup moins d'influence que dans le
+mouvement des projectiles, il faut cependant l'y prendre aussi en
+considération, afin de donner à ce précieux instrument toute la
+précision dont il est susceptible. Ici, les tentatives ont pu être bien
+plus heureuses, surtout en établissant, comme l'a fait si judicieusement
+M. Bessel en dernier lieu, une exacte comparaison expérimentale entre
+les oscillations réelles, nécessairement affectées de la résistance du
+milieu, et les oscillations théoriques, relatives au cas du vide: aussi
+le passage de l'un à l'autre cas se fait-il maintenant avec beaucoup de
+sûreté et de facilité.
+
+En considérant les immenses difficultés fondamentales que présente
+l'hydrodynamique abstraite, comme nous l'avons reconnu en philosophie
+mathématique, on ne sera pas surpris que la partie de la barologie
+dynamique relative aux fluides soit encore si imparfaite, au moins sous
+le point de vue rationnel. Le cas des gaz, et surtout de l'air, est,
+d'abord, presque entièrement négligé, tant on a senti l'impossibilité
+d'y atteindre réellement. Quant aux liquides, il n'y a jusqu'ici
+d'analysé, d'une manière à quelques égards satisfaisante, que leur
+écoulement par de très petits orifices percés au fond ou sur les côtés
+des vases, c'est-à-dire le mouvement purement linéaire, dont l'étude
+mathématique a été faite par Daniel Bernouilli, d'après sa célèbre
+hypothèse du parallélisme des tranches. Son principal résultat a été de
+démontrer la règle, proposée empiriquement par Torricelli, sur
+l'évaluation de la vitesse du liquide à l'orifice, comme égale à celle
+d'un poids qui serait tombé de toute la hauteur du liquide dans le vase.
+Or, cette règle n'a été mise en harmonie avec l'observation, même
+lorsque le niveau est entretenu invariable, qu'à l'aide d'une sorte de
+fiction ingénieuse, suggérée par le singulier phénomène de la
+_contraction_ de la veine fluide. Le cas du niveau variable est à peine
+ébauché, et à plus forte raison celui où l'on doit tenir compte de la
+forme et de la grandeur de l'orifice. Quant au mouvement à deux
+dimensions, et surtout quant au mouvement général en tous sens, qui a
+toujours lieu plus ou moins, leur théorie est encore entièrement dans
+l'enfance, quoiqu'elle ait été le sujet de travaux mathématiques fort
+étendus, dont quelques-uns ont une éminente valeur abstraite. Corancez a
+fait, dans ces derniers temps, une tentative très estimable pour
+appliquer à cette recherche difficile les perfectionnemens généraux
+introduits par Fourier dans l'analyse mathématique, à l'occasion de sa
+théorie thermologique.
+
+Les études expérimentales, d'ailleurs trop rares et surtout trop peu
+suivies, n'ont pas eu jusqu'ici, sous ces divers rapports, des résultats
+beaucoup plus satisfaisans, si ce n'est relativement à quelques données
+numériques. Elles ont été, en général, conçues dans un esprit trop
+subalterne envers les théories mathématiques, et entreprises
+ordinairement pour les vérifier. Or, les cas abstraits considérés par
+les géomètres diffèrent habituellement à tant de titres des cas réels,
+que cette confrontation est, en elle-même, fort délicate, et le plus
+souvent assez incertaine, vu l'embarras qu'on éprouve à démêler, parmi
+les circonstances que la théorie néglige, celles qui produisent
+principalement les écarts observés. Faut-il les rapporter à l'imparfaite
+fluidité du liquide, ou à son frottement contre les parois du vase, ou
+aux mouvemens obliques qui s'établissent dans l'intérieur de la masse
+fluide, etc.? C'est ce qui demeure ordinairement indécis. Néanmoins,
+cette importante branche de la barologie peut tirer un grand parti d'un
+système rationnel d'expérimentation, entre les mains de physiciens
+sachant bien apprécier la valeur réelle des théories mathématiques, sans
+s'exagérer leur portée. Mais il faut que les expériences soient
+instituées avec plus de génie, et d'une manière plus indépendante, afin
+d'éclaircir les nombreuses questions laissées intactes par la théorie.
+L'imperfection de cette partie de la science est fort sensible,
+lorsqu'on cherche à la faire correspondre aux grands cas naturels, non
+pas même aux mouvemens généraux de l'Océan ou de l'atmosphère, dont
+l'étude rationnelle doit encore être jugée trop peu accessible, mais
+seulement aux mouvemens des fleuves et des canaux, dont la théorie n'a
+guère dépassé aujourd'hui le degré de précision et de profondeur où
+l'avait laissée le judicieux Guglielmini, au milieu de l'avant-dernier
+siècle.
+
+Telles sont les considérations générales extrêmement sommaires
+auxquelles je dois me borner ici, sur les principales parties de la
+barologie, successivement examinées. Elles me paraissent suffire pour
+faire ressortir leur véritable esprit, ainsi que l'état présent de
+l'ensemble de chacune d'elles, et la nature des progrès qu'elles
+comportent. Quoique nous l'ayons reconnue très imparfaite à beaucoup
+d'égards, cette première branche de la physique n'en est pas moins,
+non-seulement la plus pure, mais aussi la plus riche: nous y avons
+fréquemment remarqué un caractère de rationnalité et un degré de
+coordination que seront loin de nous offrir les autres parties de la
+science. Son imperfection est même essentiellement relative à ce que
+nous y cherchons naturellement une consistance et une précision presque
+astronomiques, bien plus difficiles ici qu'à l'égard des phénomènes
+célestes, et que nous n'oserions demander au reste de la physique. La
+barologie a depuis long-temps pleinement atteint son état de positivité
+définitive; il n'y a pas une seule de ses nombreuses subdivisions qui ne
+soit au moins ébauchée; tous les moyens généraux d'investigation y ont
+été successivement introduits et appliqués: ainsi, ses progrès futurs ne
+dépendent désormais essentiellement que d'une harmonie plus complète
+entre ces divers moyens, et surtout d'une combinaison plus homogène et
+plus intime entre le génie mathématique et le génie physique.
+
+
+
+
+TRENTIÈME LEÇON.
+
+Considérations générales sur la thermologie physique.
+
+Après les phénomènes de la gravité, ceux de la chaleur sont,
+incontestablement, les plus universels de tous les phénomènes physiques.
+Dans l'économie générale de la nature terrestre, morte ou vivante, leur
+fonction est aussi importante que celle des premiers, dont ils sont
+habituellement les principaux antagonistes. Si l'étude géométrique ou
+mécanique des corps réels est surtout dominée par la considération de la
+gravité, l'influence de la chaleur devient, à son tour, prépondérante,
+lorsqu'on envisage les modifications plus profondes, relatives ou à
+l'état d'agrégation, ou à l'intime composition des molécules; la
+vitalité, enfin, lui est essentiellement subordonnée. Quant à l'action
+de l'homme sur la nature, c'est une sage application de la chaleur qui
+la constitue principalement. Ainsi, après la barologie, aucune partie de
+la physique ne saurait mériter autant que la thermologie l'attention des
+esprits qui conçoivent l'ensemble de la philosophie naturelle.
+
+Les premières observations thermologiques, entreprises dans une
+intention scientifique, sont presque aussi anciennes que les découvertes
+de Stévin et de Galilée sur la pesanteur; puisque l'invention primitive
+du thermomètre remonte, comme on sait, au commencement du dix-septième
+siècle, et que l'illustre académie _del Cimento_ n'a cessé de se livrer,
+avec un zèle persévérant, à l'étude de la chaleur, pendant toute la
+durée de sa trop courte existence. Il est néanmoins incontestable que,
+vu la complication supérieure de ses phénomènes, la thermologie a
+toujours été fort en arrière de la barologie. À la fin du dix-septième
+siècle, elle était encore si peu avancée, que les indications
+thermométriques ne pouvaient même être comparées, faute des deux points
+fixes, dont la nécessité fut alors signalée par Newton. Mais cette
+imperfection relative devient bien plus sensible en considérant surtout
+la nature si opposée des recherches dont ces deux branches de la
+physique étaient alors le sujet. Tandis que les physiciens avaient
+essentiellement renoncé, depuis long-temps, envers la pesanteur, à
+deviner la nature intime et le mode de production des phénomènes, pour
+se borner à en découvrir, par une observation rationnelle, les lois
+effectives, ils ne regardaient comme dignes de leur attention, dans
+l'étude plus difficile de la chaleur, que les tentatives chimériques sur
+la nature du feu, où les faits ne jouaient qu'un rôle pour ainsi dire
+épisodique. On voit encore, presque au milieu du siècle dernier,
+l'Académie des Sciences de Paris couronner, à ce sujet, des
+dissertations essentiellement métaphysiques, dont une entre autres,
+composée d'ailleurs avec un talent remarquable, était due à
+l'association de Voltaire avec Mme du Châtelet. C'est seulement pendant
+la dernière moitié de ce siècle, lorsque toutes les parties importantes
+de la barologie étaient déjà à peu près aussi développées
+qu'aujourd'hui, que la thermologie commença à prendre un caractère
+vraiment scientifique, en vertu de l'heureuse impulsion déterminée
+surtout par la découverte capitale de Black. Dès lors, l'analyse des
+phénomènes et la recherche de leurs relations ont attiré de plus en plus
+l'attention des physiciens, qui en ont fait enfin le principal objet de
+leurs travaux. Toutefois, ils n'ont pas encore entièrement renoncé aux
+hypothèses primitives sur la cause et l'essence du feu: seulement ils en
+ont subordonné l'usage à l'étude des phénomènes, que ces conceptions
+imaginaires sont destinées, dit-on, à faciliter. Mais, pour quiconque a
+suivi convenablement cette marche historique, une telle inversion des
+rôles, à l'égard d'hypothèses jadis souveraines, est un symptôme
+irrécusable de leur décadence définitive et prochaine. La haute
+influence des travaux de l'illustre Fourier doit nécessairement hâter
+beaucoup ici le développement naturel de la saine philosophie, comme je
+l'ai indiqué déjà dans l'avant-dernière leçon. Il est certain, en effet,
+que de toutes les branches de la physique encore envahies par cet esprit
+anti-scientifique, la thermologie est aujourd'hui la plus près
+d'échapper complétement à son influence. Cette importante réforme sera
+même accélérée par l'ébranlement que produit, depuis le commencement de
+ce siècle, le choc des deux principales hypothèses sur la nature de la
+chaleur, et qui tend à les discréditer également auprès des physiciens
+les plus rationnels.
+
+Entre toutes les branches de la physique auxquelles on applique
+l'analyse mathématique, l'étude des lois générales de la chaleur se
+distingue éminemment par le caractère spécial qu'y présente aujourd'hui
+cette application. En barologie, cette analyse remplit, il est vrai, une
+fonction parfaitement rationnelle, comme je l'ai montré dans la leçon
+précédente; mais son introduction n'y offrait aucune difficulté propre,
+puisque, après les découvertes physiques fondamentales, la théorie de la
+pesanteur rentrait d'elle-même dans le ressort de la mécanique
+rationnelle. Il en est essentiellement ainsi, quoiqu'à un degré moindre,
+pour l'acoustique. En électrologie, et même, à certains égards, en
+optique, on a bien tenté de procéder d'une manière analogue,
+c'est-à-dire d'y appliquer l'analyse mathématique en ramenant les
+questions à de simples recherches de mécanique générale; mais ce n'a pu
+être qu'en se fondant sur les hypothèses arbitraires des fluides et des
+éthers imaginaires, ce qui rend une telle application radicalement
+illusoire. Au contraire, la théorie analytique de la chaleur présente un
+caractère scientifique aussi satisfaisant que celles de la pesanteur et
+du son; et, néanmoins, elle ne pouvait être traitée comme une dépendance
+de la mécanique abstraite, à moins de faire reposer une telle relation
+sur de semblables chimères, ce qu'a si parfaitement évité son illustre
+fondateur. Cette théorie a donc exigé une conception spéciale et
+directe, ainsi qu'une analyse non moins nouvelle. Afin de faire mieux
+ressortir ces propriétés fondamentales, je consacrerai exclusivement la
+leçon suivante à l'examen philosophique de la thermologie mathématique,
+et je me bornerai dans la leçon actuelle à considérer seulement l'étude
+purement physique de la chaleur, qui doit d'ailleurs servir, évidemment,
+de base nécessaire et d'introduction naturelle à son étude mathématique.
+
+La thermologie physique se décompose rationnellement, suivant les
+phénomènes qu'elle envisage, en deux parties bien distinctes, quoique
+étroitement liées l'une à l'autre. Dans la première, on étudie les lois
+de l'action thermologique proprement dite; c'est-à-dire de l'influence
+mutuelle des corps pour faire varier leurs températures respectives,
+sans s'occuper des altérations qui en résulteront à d'autres égards. La
+seconde partie consiste, au contraire, dans l'étude de ces altérations,
+c'est-à-dire, des modifications ou même des changemens que la
+constitution physique des corps peut éprouver par suite de leurs
+variations de température, en s'arrêtant au degré où ces effets
+commenceraient à porter sur la composition moléculaire, et
+appartiendraient dès lors au domaine de la chimie[25]. Considérons
+d'abord le premier ordre de phénomènes, dont l'analyse se réduit à la
+théorie de l'échauffement et du refroidissement.
+
+ [Note 25: On admet souvent une troisième partie,
+ toutefois bien moins tranchée, relative aux sources de la
+ chaleur et du froid. Mais, en excluant les sources
+ chimiques, qui sont les principales, cette section rentre
+ essentiellement dans les deux autres, sauf le cas de la
+ production de la chaleur par le frottement, dont l'étude est
+ jusqu'ici fort imparfaite.]
+
+Entre deux corps, dont les températures, d'ailleurs quelconques, sont
+exactement égales, il ne se produit jamais aucun effet thermologique.
+L'action commence aussitôt que, par une cause quelconque, les
+températures deviennent inégales. Envisagée d'une manière générale, elle
+consiste en ce que le corps le plus chaud élève la température de
+l'autre, tandis que celui-ci abaisse celle du premier; en sorte que leur
+influence mutuelle tend à les ramener plus ou moins promptement à une
+température commune, intermédiaire entre les deux primitives. Quoique,
+le plus souvent, cet état final soit inégalement éloigné des deux
+extrêmes, l'action, convenablement estimée, n'en est pas moins, dans un
+tel ordre de phénomènes, parfaitement équivalente à la réaction en sens
+contraire. Examinons sommairement leurs principales lois, en les
+dégageant de toute intervention des hypothèses arbitraires par
+lesquelles on prétend encore les expliquer, et qui n'ont d'autre effet
+réel que d'en obscurcir la notion et d'en compliquer l'étude[26].
+
+ [Note 26: Cette tendance aux entités, quoique
+ aujourd'hui fort affaiblie, est encore si prononcée chez la
+ plupart des physiciens actuels, qu'on a été sur le point, au
+ commencement de ce siècle, d'admettre définitivement, en
+ thermologie, comme on le fait en électrologie, deux fluides
+ imaginaires, l'un pour la chaleur, l'autre pour le froid, à
+ cause des phénomènes connus sous le nom de _réflexion du
+ froid_, qui, ayant été d'abord mal analysés, ne paraissaient
+ point suffisamment expliqués avec un fluide unique, dont on
+ a fini néanmoins par se contenter.]
+
+Il convient, pour cela, de distinguer, d'après tous les physiciens, deux
+cas essentiels, suivant que les corps agissent thermologiquement les uns
+sur les autres à des distances plus ou moins considérables, ou bien au
+contact immédiat. Le premier cas constitue ce qu'on nomme le
+_rayonnement_ de la chaleur.
+
+La communication directe de la chaleur entre deux corps parfaitement
+isolés l'un de l'autre a été long-temps niée par des physiciens qui
+regardaient l'air, ou tout autre milieu, comme un intermédiaire
+indispensable. Mais elle est maintenant incontestable, puisque l'action
+thermologique s'accomplit même dans le vide; outre que le peu de densité
+et la faible conductibilité de l'air ne sauraient évidemment permettre
+d'expliquer, par sa seule intervention, les effets observés dans la
+plupart des cas ordinaires. Cette action, ainsi que celle de la gravité,
+s'étend sans doute à toutes les distances, conformément au rapprochement
+fondamental indiqué par Fourier entre ces deux grands phénomènes: car
+nous pouvons concevoir aujourd'hui les divers astres de notre monde,
+comme exerçant à cet égard une influence mutuelle appréciable; et même,
+la température propre à l'ensemble de notre système solaire paraît
+devoir être essentiellement attribuée à l'équilibre thermométrique vers
+lequel tendent toutes les parties de l'univers.
+
+La première loi générale relative à une telle action, consiste dans sa
+propagation constamment rectiligne. C'est ce fait capital qu'on a tenté
+de formuler, d'après l'hypothèse du fluide calorifique, par l'expression
+de _rayonnement_, qui indique le trajet des molécules du calorique, et
+qu'on a transportée ensuite à l'hypothèse de l'éther, où elle désigne
+les séries linéaires de vibrations. Mais la loi, en elle-même, est
+parfaitement indépendante de l'une ou l'autre supposition, et il importe
+beaucoup de l'en dégager, afin d'ôter à une vérité physique aussi
+essentielle l'apparence métaphysique d'une conception arbitraire. Cela
+n'empêche nullement de conserver l'expression utile de _rayon_ de
+chaleur, pourvu qu'on la restreigne avec scrupule à désigner la droite
+suivant laquelle deux points agissent thermologiquement l'un sur
+l'autre; elle devient alors l'énoncé abstrait et concis de ce simple
+fait général, si fécond en applications importantes: c'est selon une
+telle droite que doivent être placés les corps susceptibles d'absorber
+la chaleur pour empêcher cette action mutuelle.
+
+Cette chaleur rayonnante peut être réfléchie comme la lumière, et
+conformément à la même règle, sous un angle de réflexion égal à celui
+d'incidence, comme le prouve la belle expérience des réflecteurs
+paraboliques. Quand elle est unie à la lumière, elle paraît éprouver les
+mêmes réfractions, sauf quelques différences notables qui seront
+indiquées ci-après: mais nous ignorons réellement s'il en est encore
+ainsi à l'égard de la chaleur obscure, vu la difficulté de distinguer
+suffisamment la chaleur simplement transmise par un corps intermédiaire
+de celle qui résulte de son propre échauffement.
+
+L'action thermologique que deux corps exercent directement l'un sur
+l'autre dépend certainement de leur distance mutuelle, de manière à
+s'affaiblir lorsque cette distance augmente. Ce décroissement paraît
+même varier plus rapidement que la distance: mais on ignore encore
+quelle est sa loi véritable. On le suppose habituellement en raison
+inverse du carré de la distance. Il y a lieu de penser, néanmoins, que
+ce mode de variation a été bien plus imaginé qu'aperçu, soit afin
+d'obtenir une loi analogue à celle de la pesanteur, soit surtout par
+suite de la considération métaphysique sur la loi absolue des émanations
+quelconques. Aucun système d'expériences n'a jamais été jusqu'ici
+convenablement institué et exécuté pour résoudre directement une telle
+question, que ne sauraient trancher, sans doute, des conjectures aussi
+hasardées, et sur laquelle Fourier s'est sagement abstenu de prononcer.
+
+Une autre condition générale relative à cette action thermologique,
+consiste dans la direction du rayonnement, envisagée, soit quant à la
+surface du corps échauffant, soit quant à celle du corps échauffé. Les
+expériences de M. Leslie, parfaitement confirmées d'ailleurs, comme
+l'indiquera la leçon suivante, par la théorie mathématique de la chaleur
+rayonnante, ont établi que, sous l'un ou l'autre rapport, l'intensité de
+l'action est d'autant plus grande que les rayons sont plus rapprochés de
+l'une ou de l'autre normale, et qu'elle varie proportionnellement au
+sinus de l'angle qu'ils forment avec chaque surface.
+
+Enfin, la différence des températures entre les deux corps considérés
+constitue le dernier élément fondamental, et le plus important de tous,
+en continuant à analyser le phénomène d'une manière entièrement
+générale. Quand cette différence n'est pas très grande, l'intensité du
+phénomène lui est exactement proportionnelle, d'après les expériences
+les plus précises; mais cette relation paraît cesser lorsque les
+températures deviennent extrêmement inégales, et l'on ignore jusqu'à
+présent quelle est alors la véritable loi, quoiqu'il ne soit pas douteux
+que l'action continue toujours à dépendre exclusivement de la
+température relative.
+
+Telles sont les lois élémentaires de l'influence thermologique mutuelle
+de deux corps quelconques, isolés l'un de l'autre, en supposant que la
+chaleur soit directement transmise. La chaleur lumineuse exigerait
+d'ailleurs une nouvelle distinction, relative à la couleur de la
+lumière; car les diverses parties du spectre solaire sont loin, comme on
+sait, de posséder au même degré la propriété d'échauffer. Mais, d'après
+les considérations très judicieuses présentées tout récemment à ce
+sujet, par M. Melloni, cette question réclame un examen plus approfondi,
+où l'on ait égard à l'action thermologique du prisme que la lumière a dû
+traverser avant de fournir le spectre solaire. Car suivant les
+expériences de ce physicien, le _maximum_ de chaleur, que jusque alors
+on croyait invariablement fixé un peu au-delà des rayons rouges, passe
+successivement dans presque toutes les portions du spectre, en faisant
+convenablement varier la nature et même seulement les dimensions du
+prisme.
+
+Quand le rayonnement calorifique, au lieu d'être direct, s'effectue à
+travers un intermédiaire susceptible de le transmettre, les conditions
+fondamentales signalées ci-dessus se compliquent de nouvelles
+circonstances, jusqu'ici peu étudiées, relatives à l'action du corps
+interposé. On doit à Saussure une belle série d'expériences, toutefois
+trop peu variées, sur l'influence d'une suite d'enveloppes transparentes
+pour altérer notablement le mode naturel d'accumulation ou de
+déperdition de la chaleur, soit lumineuse, soit surtout obscure. Plus
+tard, M. Melloni a signalé une distinction essentielle, jusque alors
+méconnue, entre la transmission de la chaleur et celle de la lumière, en
+prouvant irrécusablement que les corps les plus diaphanes ne sont pas
+toujours ceux que la chaleur traverse le mieux, comme on le croyait
+habituellement avant lui.
+
+Quelque avantage que doivent trouver les physiciens, afin de mieux
+analyser les phénomènes thermologiques, à étudier le rayonnement de la
+chaleur à part de sa propagation au contact, il est néanmoins évident
+que, dans la nature, ces deux modes sont toujours et nécessairement
+liés, quoique à des degrés souvent fort inégaux. Car indépendamment de
+ce que l'air constitue presque toujours un intermédiaire inévitable, qui
+concourt à la production de l'équilibre thermométrique entre deux corps
+éloignés, on voit que c'est seulement l'état de la surface qui peut être
+déterminé par le simple rayonnement, soit que la température s'élève ou
+s'abaisse. Pour chacun des deux corps, les parties intérieures, qui
+contribuent aussi bien que les surfaces à l'état final, ne peuvent
+s'échauffer ou se refroidir que par voie de propagation contiguë et
+graduelle. Ainsi, l'étude de la chaleur rayonnante serait, par
+elle-même, insuffisante à analyser complétement aucun cas réel. De même,
+en sens inverse, outre que des circonstances artificiellement combinées
+peuvent seules mettre les deux corps à l'abri de tout rayonnement
+extérieur, leur action thermologique réciproque ne saurait avoir lieu au
+simple contact que dans les parties nécessairement limitées où cette
+contiguité existe, et le phénomène s'accomplit toujours inévitablement
+sous l'influence plus ou moins importante du rayonnement mutuel de tous
+les autres points des deux surfaces. Cette combinaison intime et
+permanente rend très difficile l'analyse exacte des deux modes
+fondamentaux de l'action thermologique, quoique leur distinction n'en
+soit pas moins réelle.
+
+Parmi les trois conditions générales indiquées ci-dessus, relativement à
+l'intensité de cette action quand elle s'exerce à distance, la
+différence des températures, qui constitue, il est vrai, la principale,
+est la seule qui se reproduise certainement et d'une manière identique à
+l'égard de la propagation de la chaleur par contiguïté. Puisque dans ce
+cas, les températures des parties simultanément considérées sont
+nécessairement beaucoup moins inégales, la loi qui fait croître
+l'influence thermologique proportionnellement à leur différence, peut
+même y être presque toujours regardée comme l'expression exacte de la
+réalité. Quant à la loi relative à la direction, elle paraît s'y
+maintenir aussi, sans qu'on ait pu toutefois s'en assurer formellement
+jusqu'ici. Mais celle qui concerne la distance doit s'y trouver
+totalement changée: car, d'une part, l'action des molécules presque
+contiguës ne saurait être à beaucoup près aussi grande que
+l'indiqueraient les variations qu'on éprouve tant que les distances
+restent appréciables; et, d'un autre côté, en comparant entre eux les
+divers petits intervalles, le décroissement est sans doute bien plus
+rapide qu'à l'égard des corps éloignés.
+
+Quel que soit le mode général suivant lequel s'accomplisse
+l'échauffement de l'un des corps et le refroidissement de l'autre,
+l'état final qui s'établit, conformément à ces lois fondamentales, est
+déterminé numériquement par trois coefficiens essentiels,
+particulièrement affectés à chaque corps naturel, comme l'est, en
+barologie, sa pesanteur spécifique, et qu'il faut maintenant
+caractériser.
+
+Avant Fourier, les physiciens avaient toujours confondu sous le nom
+commun de _conductibilité_, deux propriétés thermologiques très
+différentes, dont les divers degrés d'intensité sont bien loin de se
+correspondre exactement dans un grand nombre de cas: 1º la faculté pour
+chaque corps d'admettre, par sa surface, la chaleur extérieure, ou, en
+sens inverse, de laisser dissiper au dehors sa chaleur superficielle; 2º
+la facilité plus ou moins grande qu'il présente à propager graduellement
+dans l'intérieur de sa masse les changemens quelconques survenus à sa
+surface. Fourier a proposé de désigner ces deux qualités par les
+dénominations très expressives de _pénétrabilité_ et de _perméabilité_,
+dont l'usage deviendra sans doute universel, quand on aura
+convenablement senti l'importance d'une telle distinction élémentaire.
+
+La conductibilité intérieure, ou perméabilité, ne dépend essentiellement
+que de la nature du corps et de son état d'agrégation. Elle peut
+présenter, d'un corps à un autre, d'immenses différences, dont les plus
+prononcées ont été reconnues de tout temps par tous les hommes, en
+opposant, par exemple, à la propagation si facile et si prompte de la
+chaleur dans l'intérieur de beaucoup de métaux, son mouvement si lent et
+si pénible dans le charbon, qui, incandescent en certains points, est à
+peine sensiblement échauffé à quelques centimètres de là. Elle varie
+d'une manière non moins évidente, avec la constitution physique des
+corps. La fluidité la diminue tellement, que des physiciens aussi
+éminens que Rumford ont pu aller jusqu'à en nier complétement
+l'existence dans les liquides, où la propagation de la chaleur serait
+ainsi uniquement attribuée à l'agitation intérieure qu'elle y produit
+nécessairement. Quoique des expériences décisives aient montré ensuite
+la fausseté de cette opinion, il est demeuré incontestable que la
+perméabilité proprement dite est extrêmement faible dans les liquides,
+et moindre encore dans les gaz.
+
+Quant à la conductibilité extérieure, ou pénétrabilité, elle varie sans
+doute suivant la nature des corps et leur état d'agrégation. Mais elle
+dépend, en outre, et principalement, des circonstances purement
+relatives à leur surface extérieure. On sait, par exemple, que la
+couleur seule de cette surface exerce, à cet égard, une très grande
+influence. Il en est encore ainsi de son degré de poli, de la manière
+plus ou moins régulière dont elle peut être rayée en divers sens, et de
+plusieurs autres modifications, insignifiantes en apparence, dont les
+effets généraux ont été soigneusement étudiés par les physiciens. Toutes
+ces variations se manifestent d'ailleurs identiquement, soit que le
+corps s'échauffe, soit qu'il se refroidisse. Enfin, la pénétrabilité est
+assujettie, par sa nature, à changer, pour une même surface,
+successivement exposée à l'action de divers milieux.
+
+En principe, les degrés si différens que peuvent nous offrir ces deux
+sortes de conductibilité ne sauraient influer, sans doute, sur l'état
+thermologique final qui tend à s'établir entre deux corps quelconques
+par suite de leur action mutuelle, mais seulement sur l'époque de son
+entier établissement dans chacun d'eux. Toutefois, comme les questions
+réelles deviennent souvent, à tous égards, de pures questions de temps,
+il est clair que, si ces inégalités sont très prononcées, elles doivent
+influer effectivement sur l'intensité même des phénomènes que nous
+observons. Si, par exemple, la perméabilité est assez faible pour qu'on
+ne puisse produire, en temps opportun, une température déterminée dans
+l'intérieur du corps sans appliquer à quelques parties de sa surface une
+chaleur capable de les fondre ou de les brûler, le phénomène ne pourra
+évidemment avoir lieu, à moins d'y employer un temps démesuré. En
+général, plus l'une et l'autre conductibilité seront parfaites, mieux
+les corps se conformeront réellement aux lois fondamentales de l'action
+thermologique, à distance, ou au contact. Il serait donc très important
+de mesurer exactement les valeurs effectives de ces deux coefficiens
+pour tous les corps étudiés. Malheureusement, ces évaluations sont
+jusqu'ici extrêmement imparfaites. On conçoit aisément que les
+expériences de conductibilité, d'ailleurs peu étendues, tentées avant la
+distinction élémentaire établie par Fourier, ne sauraient fournir, à cet
+égard, que des renseignemens fort équivoques, avec quelque soin qu'elles
+eussent été exécutées, puisque la pénétrabilité et la perméabilité y
+étaient toujours confondues. Il est difficile de les instituer de
+manière à apprécier sûrement l'influence précise propre à chacune de ces
+qualités. Toutefois, Fourier a indiqué, d'après sa thermologie
+mathématique, les moyens généraux d'évaluer directement la perméabilité,
+et, par suite, de mesurer indirectement la pénétrabilité, en
+défalquant, dans la conductibilité totale, jusque alors seule évaluée,
+la part de la première propriété. Mais l'application de ces procédés est
+encore à peine ébauchée.
+
+Une dernière considération spécifique, qui concourt, avec les deux
+précédentes, à régler, dans les différens corps, les résultats
+définitifs de leur action thermologique, résulte de ce que, soit sous le
+même poids, soit à volume égal, les diverses substances consomment des
+quantités distinctes de chaleur pour élever également leur température.
+Cette importante propriété, dont on n'a commencé à se faire une juste
+idée que dans la dernière moitié du siècle précédent, dépend
+essentiellement, comme la perméabilité, de la nature des corps et de
+leur constitution physique, quoique celle-ci y influe beaucoup moins:
+elle paraît, au contraire, tout-à-fait indépendante des circonstances
+superficielles qui font tant varier la pénétrabilité. On la désigne
+habituellement sous la dénomination assez heureuse de _chaleur
+spécifique_. Elle doit évidemment exercer une influence directe et
+inévitable sur la valeur de la température commune due à l'équilibre
+thermologique de deux corps quelconques, et qui ne saurait être
+également éloignée de leurs températures primitives, si, tout étant
+d'ailleurs parfaitement semblable, ils diffèrent sous ce seul rapport.
+L'évaluation exacte des chaleurs spécifiques a donc une très grande
+importance en thermologie. Les physiciens s'en sont convenablement
+occupés, et avec beaucoup de succès. La méthode primitive, imaginée par
+Crawford, et qu'on a nommée la _méthode des mélanges_, consiste
+précisément à comparer entre elles les différences de la température
+commune, une fois bien établie, aux deux températures initiales, pour
+des poids ou des volumes égaux des deux substances. Mais il est
+difficile d'obtenir ainsi des résultats bien précis, puisqu'il faudrait
+pour cela que le mélange et l'action fussent très rapides, et même que
+le vase et le milieu dans lesquels le phénomène s'accomplit fussent
+placés d'avance à cette température commune, condition évidemment
+impossible à remplir avec exactitude. Ce procédé n'est réellement
+applicable, d'une manière suffisamment approchée, que lorsque l'un des
+corps, au moins, est à l'état liquide; il a aussi été heureusement
+modifié à l'égard des gaz. La précieuse invention du calorimètre, par
+Lavoisier et Laplace, a fourni plus tard un moyen bien autrement exact,
+et surtout entièrement général, pour l'évaluation des chaleurs
+spécifiques. Il consiste à évaluer directement la quantité de chaleur
+consommée par un corps dans une élévation déterminée de sa température,
+d'après la quantité de glace que peut fondre la chaleur qu'il dégage, en
+revenant de la plus haute température à la plus basse. En prenant les
+diverses précautions nécessaires pour éviter toute action thermologique
+du vase et du milieu, ce que l'appareil permet aisément d'obtenir,
+l'exactitude d'un tel procédé ne laisse rien d'essentiel à désirer, si
+ce n'est envers les gaz, dont les chaleurs spécifiques sont jusqu'ici
+moins parfaitement connues.
+
+Tels sont les trois coefficiens fondamentaux servant à fixer les
+températures finales qui résultent de l'équilibre thermologique entre
+les différens corps. Il est naturel de les supposer d'abord
+essentiellement uniformes et constans, jusqu'à ce qu'une exploration
+plus approfondie ait dévoilé clairement aux physiciens les lois de leurs
+variations effectives. Néanmoins, il serait peu rationnel de concevoir
+la conductibilité comme nécessairement identique en tous sens, au moins
+dans un grand nombre de corps, dont la structure varie certainement
+suivant plusieurs directions distinctes. De même, pour la chaleur
+spécifique, il est évidemment très vraisemblable qu'elle éprouve des
+changemens notables à des températures fort écartées, et surtout dans le
+voisinage de celles qui déterminent un nouvel état d'agrégation, comme
+quelques expériences paraissent l'avoir déjà nettement indiqué.
+Toutefois, ces différentes modifications sont encore tellement
+incertaines et surtout si peu connues, que les physiciens ne sauraient
+être blâmés aujourd'hui de ne pas les prendre en considération
+habituelle.
+
+Caractérisons maintenant la seconde partie essentielle de la
+thermologie, celle qui concerne les altérations plus ou moins profondes
+déterminées par la chaleur dans la constitution physique des corps.
+
+Il n'y a peut-être aucun corps dont la structure ne soit, à quelques
+égards, modifiée pour toujours par une variation de température un peu
+considérable. Mais il ne saurait être ici question de ces changemens
+permanens, dont l'étude est d'ailleurs jusqu'à présent à peine
+effleurée, et ne se rattache encore à aucune notion générale. Ils
+appartiennent, par leur nature, à ce que j'ai nommé, au commencement de
+cet ouvrage, la _physique concrète_, c'est-à-dire à l'histoire
+naturelle du corps correspondant, et nullement à la physique abstraite,
+seul objet de notre examen philosophique. En tout cas, ils ne se
+rapporteraient point à la théorie de la chaleur, et rentreraient
+essentiellement dans l'étude mécanique des diverses situations
+d'équilibre stable propres à chaque système de molécules. Telles sont,
+par exemple, les influences si remarquables de la chaleur et du froid,
+pour changer notablement les divers degrés d'élasticité de plusieurs
+corps. Mais on ne doit considérer, en thermologie que les modifications,
+à la fois générales et passagères, que produit, dans un corps
+quelconque, une certaine variation de température, et qui sont détruites
+par la variation inverse. Or, en se restreignant, comme il convient, aux
+altérations purement physiques, il faut les distinguer en deux classes,
+suivant qu'elles se bornent à un simple changement de volume, ou
+qu'elles vont jusqu'à produire un nouvel état d'agrégation. Sous l'un ou
+l'autre point de vue, cette partie de la thermologie est certainement
+aujourd'hui celle qui laisse le moins à désirer.
+
+Quoique de tels phénomènes coexistent toujours, par leur nature, avec
+ceux de l'échauffement ou du refroidissement, ces deux ordres d'effets
+n'en sont pas moins parfaitement distincts, non-seulement, comme il est
+évident, quant aux circonstances qui les constituent, mais aussi quant
+à l'action thermologique qui les produit. Soit qu'il s'agisse d'une
+variation de volume ou d'un changement d'état, on doit les rapporter à
+une action thermologique tout-à-fait indépendante, dans sa loi et dans
+son degré, de celle d'où résulte la nouvelle température correspondante.
+Quand on échauffe un corps quelconque, l'élévation de la température
+n'est jamais déterminée que par une portion, souvent peu considérable,
+de la chaleur effectivement consommée, dont le reste, insensible au
+thermomètre, est absorbé pour modifier la constitution physique. C'est
+ce qu'on exprime ordinairement aujourd'hui en disant que cette partie de
+la chaleur est devenue _latente_, expression qui peut être conservée
+comme l'énoncé concis d'un fait capital, malgré qu'elle rappelle une
+hypothèse sur la nature de la chaleur. Telle est la loi fondamentale
+découverte par l'illustre Black, d'après l'observation des cas où elle
+était nécessairement irrécusable, c'est-à-dire, lorsqu'une modification
+physique très prononcée n'est accompagnée d'aucun changement de
+température dans le corps modifié, comme je l'indiquerai ci-dessous.
+Quand les deux effets coexistent, leur décomposition est beaucoup plus
+difficile à constater nettement, et surtout à mesurer, quoique toujours
+indiquée, au moins par l'analogie. On ignore d'ailleurs encore si elle
+suit constamment la même marche générale dans les différens corps, sauf
+la variété des coefficiens.
+
+Après cette importante notion préliminaire, commune aux deux ordres de
+modifications physiques produites par la chaleur, considérons les lois
+générales de chacun d'eux, et en premier lieu, des changemens de volume.
+
+En principe, tout corps homogène se dilate par la chaleur et se condense
+par le froid; il en est encore ainsi pour les corps hétérogènes, tels
+surtout que les tissus organisés, lorsqu'on envisage séparément leurs
+diverses parties constituantes. Cette règle élémentaire ne souffre
+d'exception qu'à l'égard d'un très petit nombre de substances, et
+seulement même dans une portion fort limitée de l'échelle
+thermométrique. Toutefois, comme la principale anomalie est relative à
+l'eau, elle acquiert, en histoire naturelle, une très grande importance.
+Mais elle ne saurait en avoir beaucoup dans la physique abstraite, si ce
+n'est par l'ingénieux parti que les physiciens ont su en tirer pour se
+procurer une unité de densité parfaitement invariable, et facile à
+reproduire avec exactitude, du moins quand l'eau est chimiquement pure.
+Néanmoins, ces diverses anomalies, quoique évidemment trop rares et trop
+circonscrites pour infirmer aucunement la loi générale, sont très
+propres, sous le point de vue philosophique, à vérifier, d'une manière
+fort sensible, l'insuffisance radicale des conceptions chimériques par
+lesquelles on prétend expliquer _à priori_ ces dilatations et ces
+contractions, puisque, d'après de telles hypothèses, toute augmentation
+de température devrait toujours produire un accroissement de volume, et
+toute diminution un décroissement, sans que l'inverse pût jamais avoir
+lieu.
+
+Les solides se dilatent, en général, beaucoup moins que les liquides
+pour une même élévation de température, et ceux-ci, à leur tour, moins
+que les gaz, non-seulement lorsqu'un même corps passe successivement par
+ces trois états, mais aussi en comparant des substances différentes.
+
+La dilatation des solides, quoique peu prononcée, s'effectue avec une
+parfaite uniformité, du moins entre les limites où elle a été examinée,
+et qui sont, il est vrai, fort éloignées, ordinairement, du point de
+leur fusion. Elles n'ont encore été exactement appréciées qu'envers un
+très petit nombre de corps.
+
+On a plus complétement étudié la dilatation des liquides, dont les lois
+avaient naturellement une importance si fondamentale, à cause de la
+vraie théorie du thermomètre, sans laquelle toutes les explorations
+thermologiques seraient radicalement équivoques[27]. La belle série
+d'expériences de MM. Dulong et Petit a pleinement démontré que, dans une
+étendue de plus de trois cents degrés centigrades, la dilatation du
+mercure suit une marche exactement uniforme, c'est-à-dire que des
+accroissemens égaux de volume sont toujours produits par des quantités
+de chaleur susceptibles de fondre des poids égaux de glace à zéro. On a
+tout lieu de penser qu'il en est ainsi d'un liquide quelconque, entre
+des limites sensiblement différentes de sa congélation et de son
+ébullition, quoique aucun autre cas n'ait été exploré jusqu'ici avec
+cette admirable circonspection et cette précision presque astronomique
+qui caractérisent si éminemment le mode général d'expérimentation de ces
+deux illustres physiciens.
+
+ [Note 27: Pour compléter une pensée que j'ai déjà eu
+ l'occasion d'indiquer dans la leçon précédente, on doit
+ remarquer, en général, que chaque branche principale de la
+ physique peut être envisagée comme consistant
+ essentiellement tout entière dans la théorie exacte et
+ approfondie de quelque instrument capital. Cela est évident
+ ici au sujet de la théorie du thermomètre, à laquelle
+ aboutissent directement toutes les parties importantes de la
+ thermologie physique, et qui comporte même, à plusieurs
+ égards, une utile application de la thermologie
+ mathématique. Pareillement, la théorie du pendule et celle
+ du baromètre se rapportent naturellement à l'ensemble de la
+ barologie. Il en est évidemment ainsi en optique, pour la
+ théorie des divers télescopes ou microscopes; et, en
+ électrogie, pour celles de la machine électrique, de la pile
+ voltaïque et de la boussole. La naissance de chaque branche
+ se manifeste toujours par la création de quelque instrument
+ fondamental; et elle aurait atteint essentiellement son
+ entière perfection, si elle était parvenue à en établir une
+ théorie complète et précise.]
+
+C'est dans les gaz que la dilatation s'opère avec la plus parfaite
+régularité, en même temps qu'elle y est beaucoup plus prononcée.
+Non-seulement elle s'y fait toujours par degrés égaux, comme on le voit
+le plus souvent dans les liquides et les solides: mais en outre, tandis
+que, pour ceux-ci, son coefficient varie extrêmement d'un corps à un
+autre, sans relation fixe à aucun caractère, même thermologique, il a,
+au contraire, une valeur identique envers tous les gaz. Quoique ceux-ci
+diffèrent entre eux presque autant que les divers solides ou liquides,
+soit quant à la densité, ou à la chaleur spécifique, ou à la
+perméabilité, tous se dilatent néanmoins uniformément et également, leur
+volume augmentant toujours des trois huitièmes depuis la température de
+la glace fondante jusqu'à celle de l'eau bouillante. À cet égard, comme
+sous beaucoup d'autres points de vue physiques, les vapeurs se
+comportent exactement comme les gaz proprement dits. Telles sont les
+lois générales éminemment simples de la dilatation des fluides
+électriques, découvertes à la fois, au commencement de ce siècle, par M.
+Gay-Lussac à Paris, et par M. Dalton à Manchester.
+
+Considérons enfin les changemens généraux produits par la chaleur dans
+l'état d'agrégation des corps.
+
+La solidité et la fluidité, si long-temps envisagées comme des qualités
+absolues, sont, au contraire, reconnues désormais, depuis les premiers
+progrès de la philosophie naturelle, comme des états purement relatifs,
+qui dépendent nécessairement de plusieurs conditions variables, parmi
+lesquelles l'influence de la chaleur ou du froid constitue la plus
+générale et la plus puissante. Quoique plusieurs solides n'aient pu être
+encore liquéfiés, il n'est pas douteux maintenant que tous deviendraient
+fusibles si l'on pouvait produire en eux une température assez élevée,
+sans les exposer néanmoins à aucune altération chimique. De même, en
+sens inverse, on avait regardé, jusqu'à ces derniers temps, tous les gaz
+proprement dits comme devant conserver toujours leur élasticité, à
+quelque degré de refroidissement ou de pression qu'ils fussent soumis:
+on sait aujourd'hui que la plupart d'entre eux deviennent aisément
+liquides, quand on les saisit à l'état naissant, d'après les
+intéressantes expériences de M. Bussy et de M. Faraday; il y a tout lieu
+de penser dès lors que, par une combinaison convenable de froid et de
+pression, on pourrait encore les liquéfier constamment, même quand ils
+sont pleinement développés. Les diverses substances ne se distinguent
+donc réellement à cet égard que par les différentes parties de l'échelle
+thermométrique indéfinie auxquelles correspondent leurs états
+successifs, solide, liquide et gazeux. Mais cette simple inégalité n'en
+constitue pas moins un caractère fort important, qui n'est encore
+exactement rattaché d'une manière fixe à aucune autre propriété
+fondamentale de chaque substance. La relation la plus évidente et la
+moins sujette à des anomalies, est avec la densité: tous les gaz sont,
+en général, moins denses que les liquides, et ceux-ci que les solides.
+Le second cas offre néanmoins plusieurs exceptions très notables; et,
+quoiqu'on n'en connaisse aucune pour le premier cas, cela tient
+peut-être uniquement à ce que les gaz n'ont pu être observés jusqu'ici
+dans des circonstances suffisamment variées, surtout relativement à la
+pression. Quant aux trois états d'une même substance, il y a toujours
+raréfaction dans la fusion des solides et dans la vaporisation des
+liquides; sauf quelques anomalies très rares, quoique fort importantes
+pour la physique concrète, constamment relatives au premier phénomène.
+
+Tous ces divers changemens d'état ont été assujettis par l'illustre
+Black, à une grande loi fondamentale, qui constitue l'une des plus
+admirables découvertes de la philosophie naturelle, tant par son extrême
+importance que par sa rigoureuse universalité, que toutes les
+expériences des physiciens ont, depuis un demi-siècle, irrévocablement
+constatée. Elle consiste en ce que, dans le passage de l'état solide à
+l'état liquide, et de celui-ci à l'état gazeux, un corps quelconque
+absorbe toujours une quantité de chaleur plus ou moins notable, sans
+élever sa température; tandis que le passage inverse détermine
+constamment, au contraire, un dégagement de chaleur exactement
+correspondant à cette absorption. Ainsi, par exemple, la liquéfaction
+d'une masse de glace à zéro, sans aucun accroissement de température,
+exige l'absorption de toute la quantité de chaleur que renferme une
+masse égale d'eau à 75 degrés centigrades; et une masse d'eau à 100
+degrés ne peut se vaporiser, quoiqu'elle ne s'échauffe pas, qu'en
+absorbant 660 fois plus de chaleur qu'il n'en faudrait pour élever d'un
+degré la température d'un poids égal d'eau liquide. Cette chaleur
+latente, qui redevient sensible au thermomètre dans le phénomène
+inverse, a été soigneusement mesurée par les physiciens à l'égard des
+principales substances naturelles, surtout à l'aide du calorimètre. On
+ignore encore si elle est rigoureusement fixe, c'est-à-dire si elle est
+toujours exactement indépendante des circonstances quelconques qui
+peuvent éloigner ou avancer artificiellement le degré ordinaire de
+l'échelle thermométrique où s'effectue le changement d'état. Le cas le
+mieux étudié, à cet égard, est celui de la vaporisation de l'eau, dont
+la température normale peut être si aisément augmentée ou diminuée en
+faisant varier la pression: l'opinion la plus accréditée aujourd'hui,
+quoiqu'elle soit loin, ce me semble, d'avoir obtenu encore l'assentiment
+unanime des physiciens, consiste à regarder la chaleur latente
+nécessaire à cette vaporisation comme parfaitement constante, à quelque
+température que le phénomène s'accomplisse.
+
+Ces dégagemens et ces absorptions de chaleur constituent évidemment,
+après les phénomènes chimiques, les plus grandes sources de la chaleur
+et du froid. Sous ce dernier rapport surtout, c'est par une
+vaporisation, rendue artificiellement très rapide, dans la belle
+expérience de M. Leslie, qu'ont été produites les plus basses
+températures que nous connaissions. D'illustres philosophes naturels ont
+même pensé que la chaleur, si abondamment dégagée dans la plupart des
+fortes combinaisons chimiques, ne saurait jamais provenir que des divers
+changemens d'état qui en résultent ordinairement. Mais cette opinion,
+quoique vraie pour un très grand nombre de cas, ne peut plus être érigée
+aujourd'hui en un principe général, comme nous le reconnaîtrons dans le
+volume suivant, à cause des exceptions capitales et incontestables qui
+la contredisent trop fréquemment.
+
+Tel est, en aperçu, l'ensemble de la thermologie physique, envisagée
+successivement sous tous ses divers aspects fondamentaux. Je crois
+devoir en outre classer à sa suite, comme un appendice naturel et
+indispensable, l'étude des lois relatives à la formation et à la tension
+des vapeurs, et par suite l'hygrométrie. Cette importante théorie
+constitue en effet, envers les liquides, le complément nécessaire de la
+doctrine des changemens d'état. Elle ne saurait, évidemment, être
+rattachée à aucune autre branche principale de la physique; or, d'un
+autre côté, son étendue n'est pas assez grande, et surtout, son
+caractère propre est trop peu tranché, pour qu'elle puisse constituer,
+par elle-même, une branche essentiellement distincte: c'est donc ici
+son lieu rationnel.
+
+Saussure a fait rentrer irrévocablement dans le domaine de la physique
+le phénomène général de l'évaporation, regardé avant lui comme une sorte
+d'effet chimique, puisqu'on l'attribuait à l'action dissolvante de l'air
+sur les liqueurs. Il a montré que l'influence de l'air était alors
+purement mécanique; et que, loin de favoriser l'évaporation, la pression
+atmosphérique faisait, au contraire, toujours obstacle à sa rapidité;
+sauf, bien entendu, ce qui tient au renouvellement du milieu ambiant.
+Toutefois, cette étude n'est aujourd'hui vraiment complète que lorsque
+les vapeurs se forment dans un espace circonscrit. Saussure a trouvé
+alors que la quantité de vapeur formée, en un temps donné, à une
+température déterminée, dans un espace défini, est toujours la même soit
+que cet espace ait été entièrement vidé d'air ou rempli d'un gaz
+quelconque; il en est ainsi encore de l'élasticité de la vapeur dégagée.
+La masse et la tension de cette vapeur croissent d'ailleurs sans cesse
+avec la température; sans qu'il paraisse exister toutefois aucun degré
+de froid susceptible d'annuller complétement cet important phénomène,
+puisque la glace elle-même produit une vapeur appréciable à
+l'exploration délicate de la physique actuelle, quoique sa force
+élastique soit extrêmement petite. On ignore suivant quelle loi exacte
+l'accroissement de la température accélère l'évaporation, du moins tant
+que le liquide reste au-dessous de son terme d'ébullition. Mais les
+physiciens se sont occupés soigneusement et avec succès des variations
+qu'éprouve l'élasticité de la vapeur produite.
+
+À cet égard, les différens liquides offrent d'abord un point de départ
+commun, nettement caractérisé: c'est la température propre à
+l'ébullition de chacun d'eux, si bien marquée par l'immobilité du
+thermomètre, en vertu de l'absorption de chaleur qu'exige le changement
+d'état. Au moment de l'ébullition, la tension de la vapeur formée,
+jusque alors graduellement accrue, à mesure que la température
+s'élevait, est nécessairement devenue toujours égale, pour un liquide
+quelconque, à la pression atmosphérique; ce que l'expérience directe
+peut d'ailleurs confirmer exactement. Or, à partir d'une telle origine,
+l'illustre M. Dalton, dont tous les divers travaux scientifiques ont
+constamment présenté à un si haut degré l'indice du véritable esprit
+philosophique, a découvert cette loi importante, vérifiée jusqu'ici par
+l'ensemble des observations: les vapeurs émanées de tous les divers
+liquides ont des tensions continuellement égales entre elles, à des
+températures équidistantes des termes d'ébullition correspondans, quel
+que soit d'ailleurs le sens de la différence. Ainsi, par exemple,
+l'ébullition de l'eau ayant lieu à 100 degrés, et celle de l'alcool à 80
+degrés, les deux vapeurs, qui ont alors la même tension, équivalente à
+la pression de l'atmosphère, auront encore des élasticités égales,
+d'ailleurs supérieures ou inférieures à la précédente, quand on fera
+varier ces deux températures caractéristiques d'un même nombre
+quelconque de degrés. Le nombre des liquides connus a déjà beaucoup
+augmenté par les travaux des chimistes, depuis l'époque de cette belle
+découverte; et ces épreuves inopinées n'ont fait jusqu'ici qu'en
+constater l'exactitude générale. Il est à regretter, pour la perfection
+rationnelle d'une telle étude, que le génie systématique de M. Dalton ne
+se soit pas appliqué avec persévérance à saisir une harmonie quelconque
+entre les températures d'ébullition propres aux différens liquides, sous
+la pression ordinaire de l'atmosphère, et toute autre de leurs qualités
+physiques essentielles: mais jusqu'ici aucune relation analogue n'a été
+généralement aperçue, et ces températures semblent encore tout-à-fait
+incohérentes, quoique leur fixité doive d'ailleurs les faire envisager
+comme d'importans caractères.
+
+Quoi qu'il en soit, la loi de M. Dalton permet, évidemment, de
+simplifier à un très haut degré la recherche générale du mode suivant
+lequel la tension des vapeurs varie d'après leur température, puisqu'il
+suffit dès lors d'analyser ces variations dans une seule vapeur pour
+qu'elles soient aussitôt connues dans toutes. La suite d'expériences
+entreprises à cet effet sur la vapeur d'eau par M. Dalton lui-même,
+avait indiqué une règle fort simple, qui consistait à faire croître la
+tension en progression géométrique, pour des augmentations égales dans
+la température. Mais les mesures postérieures, soigneusement exécutées
+par plusieurs physiciens, ont montré que cette formule ne pouvait être
+regardée comme une approximation suffisante qu'en s'écartant de la
+température d'ébullition. M. Dulong a établi depuis, d'après une suite
+beaucoup plus étendue d'expériences fort exactes, une nouvelle loi
+empirique, qui correspond jusqu'ici, de l'aveu unanime des physiciens, à
+l'ensemble des observations: on y fait croître la force élastique de la
+vapeur proportionnellement à la sixième puissance d'une fonction du
+premier degré de la température. Quelques géomètres avaient essayé de
+déterminer _à priori_ la loi rationnelle; mais ces tentatives, beaucoup
+trop hypothétiques, n'ont conduit qu'à des formules infirmées presque à
+chaque instant par les observations directes.
+
+L'étude de l'équilibre hygrométrique entre les différens corps humides,
+constitue un prolongement naturel de la théorie générale de
+l'évaporation. Cette importante recherche, dont Saussure et Deluc se
+sont tant occupés, a conduit, par leurs travaux, à un instrument fort
+précieux. Mais, quoique l'établissement nécessaire d'un tel équilibre
+soit maintenant facile à concevoir d'une manière générale, nous n'avons
+encore que des notions vagues et imparfaites sur les lois qui le
+régissent, même dans le cas d'un corps plongé dans un milieu indéfini,
+qu'on a presque exclusivement considéré, et dont l'importance est, à la
+vérité, prépondérante. La prévision, qui, en tout genre, est la mesure
+exacte de la science, devient ici à peu près nulle jusqu'à présent.
+
+La faible influence des actions hygrométriques dans l'ensemble des
+phénomènes de la nature inorganique, contribue beaucoup sans doute au
+peu d'intérêt qu'une telle étude inspire habituellement aux physiciens.
+Mais, en considérant sous un point de vue général le système entier de
+la philosophie naturelle, on reconnaîtrait, au contraire, la haute
+importance de cette théorie à l'égard des phénomènes vitaux, comme
+j'aurai soin de le faire ressortir dans le volume suivant. D'après le
+bel aperçu de M. de Blainville, l'action hygrométrique constitue
+réellement, dans les corps vivans, le premier degré général et le mode
+le plus élémentaire de leur nutrition, comme la capillarité y est le
+germe des plus simples mouvemens organiques. L'imperfection actuelle de
+ces deux subdivisions de la physique est donc, sous ce rapport capital,
+extrêmement regrettable. On a ici l'occasion de vérifier expressément,
+comme je l'ai indiqué dès le début de cet ouvrage, combien l'instruction
+trop étroite de presque tous ceux qui cultivent aujourd'hui la
+philosophie naturelle, et les habitudes trop subalternes qui en
+résultent pour leur intelligence, sont directement nuisibles aux progrès
+effectifs des diverses sciences. Deux études fort importantes, que les
+physiciens peuvent seuls perfectionner convenablement, se trouvent
+néanmoins très négligées, uniquement parce que leur principale
+destination concerne une autre partie fondamentale du système
+scientifique général.
+
+Je me suis efforcé, par les diverses considérations sommairement
+indiquées dans cette leçon, de caractériser le véritable esprit de la
+thermologie, envisagée sous tous ses aspects principaux. La nature de
+cet ouvrage interdisait évidemment de mentionner ici, soit la théorie
+des différens instrumens essentiels créés par le génie des physiciens et
+inspirés par le besoin de perfectionner les explorations, soit les
+nombreux moyens de vérification qui garantissent aujourd'hui la
+précision des résultats obtenus. Je ne pouvais pas même signaler ces
+résultats, en ce qu'ils offrent de spécial, et je devais me borner
+strictement à l'appréciation philosophique de leurs conséquences
+générales. Quelque imparfait que soit nécessairement ce rapide examen,
+il fera concevoir, j'espère, les vrais caractères essentiels propres à
+l'ensemble de cette belle partie de la physique; il indiquera la liaison
+rationnelle des divers ordres de recherches qui la composent, ainsi que
+le degré de perfection où chacun d'eux est aujourd'hui parvenu, et les
+principales lacunes qu'il laisse encore à remplir.
+
+Afin de compléter réellement cette analyse philosophique de la
+thermologie, il est maintenant indispensable d'examiner avec soin,
+quoique d'une manière générale, dans la leçon suivante, comment la
+partie la plus simple et la plus fondamentale des phénomènes de la
+chaleur, a pu être ramenée, par le génie de Fourier, à une admirable
+théorie mathématique.
+
+
+
+
+TRENTE-UNIÈME LEÇON
+
+Considérations générales sur la thermologie mathématique.
+
+D'après la leçon précédente, on considère, en thermologie, deux ordres
+principaux de phénomènes: les premiers, directement relatifs à l'action
+thermologique proprement dite, consistent dans le mode suivant lequel
+certains corps quelconques s'échauffent tandis que d'autres se
+refroidissent, en vertu de leurs diverses influences mutuelles, à
+distance ou au contact, fondées sur l'inégalité de leurs températures;
+les seconds se rapportent, au contraire, aux modifications plus ou moins
+profondes et plus ou moins éloignées que le nouvel état thermométrique
+de chaque corps fait nécessairement éprouver à sa constitution physique
+primitive. Ces derniers phénomènes ne sauraient être jusqu'ici l'objet
+d'aucune théorie mathématique, si ce n'est par l'intervention illusoire
+des fluides ou des éthers imaginaires, et l'on ne conçoit pas même,
+d'une manière nette, comment ils pourraient jamais y être réellement
+assujettis, quoique rien, sans doute, n'en doive indiquer
+l'impossibilité radicale. Ainsi, la thermologie mathématique embrasse
+exclusivement aujourd'hui les phénomènes du premier genre, dont elle est
+destinée à compléter et à perfectionner l'étude fondamentale.
+
+On conçoit, en effet, que la thermologie physique, ci-dessus examinée,
+puisse nous conduire jusqu'à connaître selon quelles lois la température
+s'élève successivement sur la surface extérieure de l'un des deux corps,
+et s'abaisse sur celle de l'autre, par suite de leur action réciproque.
+Mais là s'arrête évidemment, en général, par la nature même de cette
+question physique, le domaine de l'exploration directe; et, néanmoins,
+une semblable étude ne saurait être envisagée comme vraiment complète
+que dans le cas purement idéal d'un point géométrique. Comment la
+chaleur, une fois introduite dans un corps par son enveloppe extérieure,
+se propage-t-elle peu à peu en tous les points de sa masse, de manière à
+assigner à chacun d'eux, pour un instant désigné, une température
+déterminée; ou, en sens inverses, comment cette chaleur intérieure se
+dissipe-t-elle au dehors, à travers la surface, par une déperdition
+graduelle et continue? C'est ce qu'il faudrait évidemment renoncer à
+connaître avec exactitude, si l'analyse mathématique, prolongement
+naturel de l'observation immédiate devenue impossible, ne venait ici
+permettre à notre intelligence de contempler, par une exploration
+indirecte, les lois suivant lesquelles s'accomplissent ces phénomènes
+internes, dont l'étude semblait devoir nous être nécessairement
+impénétrable. Telle est la destination essentielle de la doctrine
+admirable que nous devons au beau génie du grand Fourier, et qu'il
+s'agit maintenant de caractériser nettement dans son ensemble.
+
+Cette doctrine comprend deux parties générales bien distinctes: l'une,
+relative aux lois de la propagation proprement dite de la chaleur, d'une
+manière graduelle et continue, par voie de contiguïté immédiate;
+l'autre, qui concerne la théorie de l'action thermologique exercée à des
+distances quelconques, ou l'analyse du rayonnement. Je considérerai
+surtout, et d'abord, la première partie, principal objet des travaux de
+Fourier, et qui constitue, en effet, par sa nature, l'étude la plus
+fondamentale.
+
+Afin de mieux circonscrire le sujet propre et essentiel de notre examen
+philosophique, il faut, enfin, décomposer cette étude en deux branches
+fort différentes, suivant qu'on envisage les lois de la propagation
+graduelle de la chaleur dans les solides ou dans les fluides. Outre que
+le premier cas est jusqu'ici le seul réellement exploré, c'est
+nécessairement celui où ces lois peuvent être contemplées dans toute
+leur pureté élémentaire. Quant aux masses fluides, la température
+effective de chacun de leurs points, à une époque donnée, ne tient pas
+seulement à l'action thermologique que les diverses molécules exercent,
+de proche en proche, les unes sur les autres; elle est surtout, en
+réalité, comme l'expérience le montre clairement, le résultat des
+mouvemens plus ou moins rapides que l'inégalité des températures fait
+naître inévitablement dans l'intérieur du système: en sorte que les
+recherches purement thermologiques se compliquent de questions
+hydrodynamiques, dont elles sont nécessairement inséparables. À la
+vérité, Fourier a su étendre à ce cas difficile sa théorie fondamentale,
+du moins en ce qui concerne les équations différentielles du problème.
+Mais, on conçoit que, la simple étude analytique des mouvemens réels
+produits dans les fluides par la seule pesanteur étant jusqu'ici,
+d'après la vingt-neuvième leçon, presque inextricable, la question, bien
+plus difficile, de la propagation mathématique de la chaleur y sera
+long-temps encore essentiellement inaccessible. Du reste, il convient
+d'observer que c'est principalement envers les gaz que les hautes
+difficultés propres à une telle recherche se trouvent profondément
+combinées, dans le cas, par exemple, des températures atmosphériques.
+Car les liquides pouvant être échauffés, dans les expériences des
+physiciens, de manière à prévenir la formation des courans intérieurs,
+ils constituent par leur nature, à cet égard comme à tant d'autres, une
+sorte d'intermédiaire entre le cas des solides et celui des gaz.
+Quoiqu'un tel mode d'échauffement soit, sans doute, essentiellement
+artificiel, son observation exacte et approfondie n'en serait pas moins
+très précieuse, par la facilité que procure l'état fluide de mesurer
+directement les températures internes, et de vérifier ainsi, d'une
+manière fort sensible, les lois fondamentales de la propagation de la
+chaleur, qui doit alors s'accomplir presque aussi régulièrement que si
+la masse était solide. Néanmoins, c'est, évidemment, au seul cas des
+solides que nous devons ici restreindre nos considérations générales.
+
+Le phénomène fondamental de la diffusion de la chaleur dans l'intérieur
+d'une masse solide par la seule action graduelle et continue de ses
+molécules consécutives, est toujours modifié nécessairement par deux
+sortes de conditions générales, qu'il faut d'abord caractériser, afin
+que l'ensemble du problème soit nettement défini. Les unes se rapportent
+à l'état initial arbitraire, qui, dans chaque cas particulier, détermine
+la température primitive propre à un point quelconque du corps. Les
+autres concernent l'état thermométrique de la surface extérieure, en
+vertu de l'action, variable ou constante, inégale ou commune, du système
+ambiant. Ces deux ordres de données sont indispensables pour fixer
+exactement, à l'égard de chaque question spéciale, l'interprétation
+analytique de l'équation fondamentale de la propagation de la chaleur,
+qui, par son extrême généralité nécessaire, ne saurait renfermer aucune
+trace immédiate, ni de l'état initial propre aux diverses molécules, ni
+des circonstances permanentes particulières à l'enveloppe. Mais, par
+cela même que ces conditions sont essentiellement modificatrices, il
+importe de considérer, avant tout, la loi principale; quoique, en
+elle-même, elle ne puisse avoir de relation directe qu'avec un phénomène
+purement abstrait, dont l'entière réalisation immédiate ne saurait avoir
+lieu que dans le seul cas d'une masse solide indéfinie en tous sens.
+
+Quant à l'objet analytique d'une telle recherche, il consiste toujours à
+découvrir la fonction qui exprime, à tout instant, la température d'un
+point quelconque de la masse solide. Cette fonction se rapporte donc, en
+général, à quatre variables indépendantes, puisque, outre le temps, elle
+doit contenir les trois coordonnées géométriques de chaque molécule:
+cependant, le nombre des variables est souvent réductible à trois, ou
+même à deux, quand la forme du corps et son mode d'échauffement
+permettent de supposer que la température change uniquement d'après une
+seule coordonnée.
+
+Il paraîtrait d'abord nécessaire de distinguer deux cas essentiels dans
+la question fondamentale, suivant qu'on examine l'état variable des
+températures successives, ce qui constitue l'étude la plus complète, ou
+qu'on se borne à considérer l'état permanent vers lequel tend finalement
+l'ensemble de ces températures, sous l'influence d'une cause quelconque
+constante. Le système approche toujours très rapidement de ce dernier
+état, et d'autant plus que la perméabilité est plus parfaite, quoiqu'il
+ne pût jamais y atteindre rigoureusement que dans un temps indéfini.
+Quand on l'envisage isolément, la fonction cherchée, qui devient alors
+indépendante du temps, peut se réduire, dans les cas les plus simples,
+à ne contenir qu'une seule variable. Ce problème est susceptible, sans
+doute, d'être étudié, jusqu'à un certain point, indépendamment du
+premier, comme l'avait fait l'illustre Lambert à l'égard des
+températures permanentes d'une barre prismatique dont une extrémité est
+soumise à l'action d'un foyer constant. Mais une telle étude serait
+évidemment très imparfaite, et surtout peu rationnelle, puisque l'état
+final ne saurait être bien conçu qu'à la suite des modifications
+successives qui l'ont graduellement produit. On ne doit donc pas traiter
+cette question séparément de l'ensemble du problème; elle constitue
+seulement une des conséquences générales les plus importantes de la
+solution totale.
+
+Relativement à la loi physique élémentaire, base nécessaire de cette
+théorie mathématique, elle consiste à supposer toujours l'intensité de
+l'action thermologique proportionnelle à la différence des températures,
+sans qu'on ait d'ailleurs besoin de rien préjuger habituellement quant
+au mode suivant lequel elle dépend de la distance. Si cette
+proportionnalité n'était point admise, il importe de remarquer, avant
+tout, que le véritable esprit fondamental de la doctrine générale créée
+par Fourier n'en saurait être aucunement altéré, ce que les physiciens
+ont quelquefois trop méconnu; mais l'obligation d'introduire, dans les
+élémens de cette doctrine, une fonction nouvelle et moins simple,
+compliquerait nécessairement beaucoup les équations différentielles, et
+pourrait ainsi rendre inextricables les difficultés purement
+analytiques. Or, les expériences de divers physiciens, et surtout celles
+de MM. Dulong et Petit, ont clairement constaté, comme je l'ai indiqué
+dans la leçon précédente, que cette loi, primitivement imaginée par
+Newton, ne pouvait plus être adoptée quand la différence des
+températures devenait très considérable. Toutefois, un tel résultat ne
+peut nullement affecter la formation des équations différentielles
+fondamentales relatives à la propagation intérieure de la chaleur. Car,
+en parvenant à ces équations, on n'a jamais à considérer que l'action
+thermologique instantanée de molécules infiniment voisines, dont les
+températures diffèrent infiniment peu. Dès lors il suffit que cette
+action dépende seulement de la différence des températures, ce qui
+demeurera toujours incontestable, pour qu'on doive la supposer ici
+simplement proportionnelle à cette différence, quelle que puisse être
+d'ailleurs la vraie fonction naturelle, conformément à l'esprit général
+de la méthode infinitésimale, si clairement prononcé dans toutes les
+recherches géométriques et mécaniques. Lorsque, en complétant chaque
+application effective, on arrivera à considérer l'état thermologique de
+la surface extérieure, modifié par voie de rayonnement, c'est seulement
+alors qu'une telle hypothèse deviendra purement approximative, et qu'on
+ne devra plus l'employer qu'avec la réserve convenable et en soumettant
+ses conséquences définitives aux diverses restrictions indiquées par
+l'expérience. Mais la théorie fondamentale ne peut jamais en être
+radicalement affectée.
+
+Après ces considérations préliminaires indispensables sur la nature
+propre d'un tel problème, et sur l'esprit général de la solution,
+examinons directement la formation des équations fondamentales qui
+expriment les lois mathématiques de la propagation de la chaleur. Il
+faut, pour cela, envisager préalablement deux cas élémentaires,
+essentiellement abstraits sans doute, et constituant néanmoins une
+préparation nécessaire, puisque toutes les notions essentielles de cette
+théorie y trouvent leur véritable origines, et peuvent y être étudiées
+dans leur plus grande simplicité. Ils consistent, suivant la judicieuse
+expression de Fourier, dans le mouvement uniforme de la chaleur, d'abord
+en une seule direction, et ensuite en tous sens; ils remplissent, en
+effet, envers l'ensemble de la thermologie mathématique, le même office
+essentiel que la théorie du mouvement uniforme à l'égard de la mécanique
+rationnelle.
+
+Le premier et le plus simple de ces deux cas concerne l'état final et
+permanent des températures dans un solide indéfini compris entre deux
+plans parallèles, dont chacun est supposé constamment entretenu à une
+température invariable, commune à tous ses points, et différente
+seulement de l'une à l'autre base. Quelles que soient les températures
+initiales des divers points intérieurs d'une masse ainsi définie, leur
+ensemble tendra vers un certain système définitif, qui ne serait
+exactement réalisé qu'au bout d'un temps infini, mais qui aurait la
+propriété caractéristique de subsister éternellement par lui-même s'il
+était une fois établi. Ce système est, par sa nature, entièrement
+indépendant des circonstances primitives, susceptibles seulement
+d'influer sur l'époque de sa réalisation, et sur les modifications qui
+l'auraient graduellement amenée. La définition de la masse proposée
+montre clairement que cet état final et fixe doit être identique en tous
+les points d'une même section quelconque parallèle aux deux bases, et
+varier uniquement d'une tranche à la suivante, d'après la distance à
+ces bases données. Toute la difficulté est donc réduite ici à connaître
+la loi précise de cette variation. Or, une telle loi doit être déduite
+de cette condition, caractéristique de la fixité: une tranche quelconque
+transmet à la suivante autant de chaleur qu'elle en reçoit de la
+précédente. Ce principe évident conduit aussitôt à reconnaître aisément
+que la température de chaque point est exprimée par une fonction du
+premier degré de sa distance à l'une des bases: puisque, en vertu d'une
+semblable distribution des températures, l'échauffement que tendrait à
+produire sur la molécule considérée une quelconque de celles qui
+l'avoisinent, serait toujours exactement compensé par le refroidissement
+dû à la molécule symétrique; en sorte que toutes les actions
+thermologiques du système, ainsi comparées, se détruiraient
+mutuellement. Dans cette formule, le terme indépendant de l'ordonnée est
+égal à la température de la base à partir de laquelle cette ordonnée est
+comptée; le coefficient du terme variable, a pour valeur le rapport de
+la différence des deux températures extrêmes données à la distance
+connue des deux bases.
+
+Ce dernier coefficient est extrêmement remarquable, comme fournissant la
+première source élémentaire d'une notion fondamentale commune à toute
+la thermologie mathématique, celle de ce que Fourier a nommé le _flux_
+de chaleur, c'est-à-dire la quantité de chaleur plus ou moins grande,
+qui, en un temps donné, traverse perpendiculairement une aire plane de
+grandeur déterminée[28]. La différence des températures de deux tranches
+quelconques étant ici toujours proportionnelle à leur distance, le flux
+relatif à l'unité de temps et à l'unité de surface, a pour mesure
+naturelle, le rapport constant de ces deux nombres, qu'exprime le
+coefficient proposé multiplié par la perméabilité propre à la substance
+considérée. Ce cas est le seul où le flux puisse être immédiatement
+évalué, et c'est d'après lui qu'on l'estime en toute autre circonstance,
+quand l'état du système varie, et que les températures ne sont pas
+uniformément réparties.
+
+ [Note 28: Contraints de penser à l'aide de langues
+ jusqu'ici toujours formées sous l'influence exclusive ou
+ prépondérante d'une philosophie théologique ou métaphysique,
+ nous ne saurions encore entièrement éviter, dans le style
+ scientifique, l'emploi exagéré des métaphores. On ne doit
+ donc pas reprocher à Fourier ce que les expressions
+ précédentes contiennent, sans doute, de trop figuré. Mais il
+ est aisé de sentir, malgré cette imperfection, qu'elles
+ désignent seulement un simple fait thermologique général,
+ entièrement indépendant de toute vaine hypothèse sur la
+ nature de la chaleur, comme le savent très bien tous ceux
+ qui ont quelque connaissance de cette théorie.]
+
+La même démonstration convient à l'analyse du second cas préparatoire,
+où l'on envisage l'égale distribution de la chaleur, non plus dans une
+seule direction, mais en tous sens. Il s'agit alors de l'état final et
+permanent d'une masse solide comprise entre trois couples de plans
+parallèles, respectivement rectangulaires, où les températures changent
+d'un point à un autre à raison de chacune de ses trois coordonnées. On
+prouve encore, dans un tel parallélépipède, que la température d'une
+molécule quelconque est exprimée par une fonction complète du premier
+degré relative aux trois coordonnées simultanément, pourvu qu'on suppose
+les six faces extérieures constamment entretenues aux diverses
+températures qu'une telle formule assignerait à chacun de leurs points.
+Il est aisé de reconnaître en effet, comme précédemment, que toutes les
+actions thermologiques élémentaires se détruisent deux à deux, en vertu
+de cette répartition des températures.
+
+Ce cas donne lieu à une nouvelle remarque fondamentale sur
+l'interprétation thermologique des trois coefficiens propres aux
+diverses coordonnées contenues dans cette équation. Les échanges de
+chaleur s'effectuant ici en tous sens, chaque coefficient sert à mesurer
+le flux parallèle à l'ordonnée correspondante. Chacun de ces trois flux
+principaux se trouve avoir nécessairement la même valeur que si les
+deux autres n'existaient pas; comme en mécanique, les divers mouvemens
+élémentaires s'accomplissent simultanément, sans aucune altération
+mutuelle. En estimant ce flux suivant une nouvelle direction quelconque,
+on voit aussi qu'il se déduit des premiers d'après les mêmes lois
+mathématiques qui président, en mécanique, à la composition des forces,
+et, en géométrie, à la théorie des projections.
+
+On aperçoit ici un nouvel et mémorable exemple de cette admirable
+propriété radicalement inhérente à l'analyse mathématique de dévoiler,
+quand elle est judicieusement appliquée, des analogies réelles entre les
+phénomènes les plus divers, en permettant de saisir dans chacun ce qu'il
+présente d'abstrait, et par suite, de commun. Le premier et le plus
+fondamental des deux cas thermologiques élémentaires que nous venons de
+considérer, correspond exactement, en géométrie, à la marche des
+ordonnées d'une ligne droite, et, en mécanique, à la loi du mouvement
+uniforme. Les mêmes coefficiens dont la destination thermologique est de
+mesurer les flux de chaleur, servent, géométriquement, à estimer les
+directions, et, mécaniquement, à évaluer les vitesses. Quoique je me
+sois efforcé, dans le premier volume, de faire convenablement ressortir,
+par une étude directe et générale, ce caractère fondamental de
+l'analyse mathématique, je ne devais pas négliger d'en signaler ici une
+vérification aussi capitale.
+
+D'après les théorèmes préliminaires indiqués ci-dessus, la méthode
+infinitésimale permet de former aisément l'équation fondamentale
+relative à la propagation de la chaleur dans un cas quelconque. En
+effet, de quelque manière que doivent varier les températures
+successives d'une même molécule, ou les températures simultanées des
+différens points, on peut toujours concevoir la masse décomposée en
+élémens prismatiques, infiniment petits relativement à chacun des trois
+axes coordonnés, suivant les faces desquels les flux de chaleur soient
+uniformes et constans pendant toute la durée d'un même instant. Chaque
+flux sera donc nécessairement exprimé par la fonction dérivée de la
+température relativement à l'ordonnée correspondante. Cela posé, si le
+flux avait, dans les trois sens, la même valeur pour les deux faces
+égales et opposées perpendiculaires à la même ordonnée, la température
+de l'élément ne pourrait, évidemment, éprouver aucun changement,
+puisqu'il s'échaufferait autant par l'une de ces faces qu'il se
+refroidirait par l'autre. Ainsi, les variations de cette température ne
+sont dues qu'à l'inégalité de ces deux flux antagonistes. En évaluant
+cette différence, qui dépendra naturellement de la seconde dérivée de
+la température rapportée à l'ordonnée considérée, et ajoutant entre
+elles les différences propres aux trois axes, on évaluera donc
+exactement la quantité totale de chaleur alors introduite, et par suite,
+l'accroissement instantané que devra présenter effectivement la
+température de la molécule, pourvu qu'on ait convenablement égard à la
+chaleur spécifique et à la densité de cet élément. De là résulte
+immédiatement l'équation différentielle fondamentale, qui consiste en ce
+que la somme des trois dérivées partielles du second ordre de la
+température, envisagée tour à tour comme une fonction de chaque ordonnée
+isolément, est nécessairement toujours égale à la première dérivée de
+cette température relativement au temps, multipliée toutefois par un
+coefficient constant: ce coefficient a pour valeur le produit de la
+densité par le rapport de la chaleur spécifique à la perméabilité de la
+molécule. S'il était convenable de considérer directement l'état final
+et permanent du système, on le caractériserait aussitôt en se bornant à
+annuller le second membre de cette équation générale, qui ne
+contiendrait plus alors que trois variables indépendantes.
+
+On voit que, conformément aux propriétés universelles des relations
+différentielles, une telle équation ne renferme immédiatement aucune
+trace, non-seulement de l'état thermologique initial, mais encore des
+circonstances perpétuelles propres à la surface extérieure. L'équation
+exprime simplement ce que le phénomène offre de plus général et de plus
+profond, l'échange continuel de la chaleur entre toutes les molécules du
+système, en vertu de leurs températures actuelles. C'est ainsi que le
+premier volume de cet ouvrage nous a fait voir les équations
+différentielles fondamentales de la géométrie et de la mécanique,
+représentant d'une manière uniforme, un même phénomène général,
+abstraction faite du cas particulier quelconque où il se réalisera.
+Telle est l'origine philosophique de cette parfaite coordination
+qu'introduit constamment l'emploi convenable de l'analyse mathématique,
+quand la nature de nos études les en rend susceptibles. Désormais, en
+thermologie, les recherches illimitées que pourront suggérer les
+innombrables variétés de la forme des corps et de leur mode
+d'échauffement seront toujours, aux yeux des géomètres, les diverses
+modifications analytiques d'un problème unique, invariablement assujetti
+à une même équation fondamentale. Les différens cas particuliers ne
+pourront, en effet, s'y distinguer que par la composition analytique des
+fonctions arbitraires propres à l'intégrale générale de cette équation.
+
+Toutefois, comme le sens d'une telle relation abstraite ne saurait
+devenir entièrement déterminé qu'en ayant égard aux conditions
+caractéristiques de chaque question spéciale, il importe de signaler
+maintenant, pour compléter cette indication sommaire, le mode uniforme
+suivant lequel Fourier a conçu l'introduction analytique de ces
+conditions complémentaires. Il faut distinguer, à cet effet, entre
+l'état initial des différens points du système et l'état permanent de la
+surface extérieure, titres généraux sous lesquels pourront toujours être
+classées toutes ces diverses particularités.
+
+Quant à la considération des températures primitives, elle ne présente
+immédiatement aucune difficulté analytique qui lui soit propre, si ce
+n'est lorsqu'on en vient à exécuter les intégrations. Alors, les
+fonctions arbitraires doivent être choisies de telle manière que, en
+annullant le temps dans la formule générale qui représente la
+température de chaque point à un instant quelconque, afin de remonter à
+l'état initial, cette formule devienne exactement identique avec la
+fonction des coordonnées, préalablement définie, par laquelle a été
+caractérisé le système thermologique originel. Cette condition ne donne
+donc lieu à aucune relation différentielle générale.
+
+Il n'en est pas de même relativement à l'état de la surface. On doit
+alors exprimer que la formule générale des températures, quand on y
+suppose, entre les coordonnées qui s'y trouvent, la relation convenable
+à la surface proposée, coïncide, en tout temps, avec celle qui convient
+à cette surface. Or, cette condition étant, de sa nature, permanente,
+elle est susceptible d'être prise en considération d'une manière
+générale par une équation différentielle subsidiaire, puisqu'elle altère
+continuellement le mode fondamental de propagation, tandis que
+l'influence de l'état initial devait se borner uniquement à affecter les
+valeurs absolues des températures propres à un instant donné. Cette
+équation différentielle, qui est nécessairement du premier ordre,
+s'obtient en égalant, pour un élément quelconque de la surface, la
+quantité de chaleur qu'il reçoit, selon sa normale, de la part des
+molécules intérieures correspondantes, avec celle qui tend à sortir par
+l'influence donnée du système ambiant. L'ordre moins élevé d'une telle
+équation, comparativement à l'équation fondamentale de la propagation
+intérieure, résulte de ce que, dans celle-ci, il fallait inévitablement
+considérer la différentiation du flux entre les deux faces opposées de
+chaque élément, tandis que, pour la surface, on doit, au contraire,
+envisager le flux lui-même, immédiatement compensé par l'action du
+milieu. Si, par une cause quelconque, une certaine couche intérieure
+était assujettie d'avance à un système de températures déterminé, il en
+résulterait aussitôt, comme le remarque judicieusement Fourier, la même
+solution de continuité qu'à la surface dans le mode général de
+propagation de la chaleur.
+
+Cette équation auxiliaire propre à tous les points de l'enveloppe,
+contient nécessairement, outre les fonctions dérivées de la température
+relativement aux coordonnées qui expriment le flux suivant chacune
+d'elles, les coefficiens différentiels purement géométriques par
+lesquels est définie analytiquement la direction de la normale en chaque
+point de la surface. Tel est le mode général suivant lequel la forme des
+corps se trouve convenablement introduite dans la thermologie
+mathématique, de manière à exercer toujours sur l'ensemble de la
+solution une influence inévitable et spéciale. L'observation avait, sans
+doute, signalé depuis long-temps une telle influence, par des
+indications incontestables; mais on conçoit qu'il était impossible de
+s'en faire une juste idée, avant que la doctrine de Fourier eût
+rationnellement assigné son véritable rang général parmi les diverses
+causes qui concourent à l'effet total, dont l'exploration directe ne
+saurait fournir à cet égard que des notions essentiellement vagues et
+confuses.
+
+Tels sont les moyens généraux de mettre en équation tous les problèmes
+relatifs à la propagation de la chaleur dans les solides, ainsi que les
+deux sortes de conditions complémentaires destinées à déterminer, pour
+chaque cas particulier, les fonctions arbitraires correspondantes à
+cette équation différentielle du second ordre. La nature de cet ouvrage
+et ses limites nécessaires ne me permettent point de donner ici aucune
+idée, même sommaire, du système entièrement neuf de procédés analytiques
+créé par le génie de Fourier pour l'intégration de ces équations, qui se
+trouvaient dépendre inévitablement de la partie la plus difficile et la
+plus imparfaite du calcul intégral. Cette belle analyse est surtout
+caractérisée par le soin qu'on y prend constamment de chercher
+directement l'intégrale convenable à la question thermologique, sans la
+déduire de celle qui présente la plus grande généralité abstraite, et
+dont la formation serait presque toujours impossible. Les conditions
+subsidiaires relatives, soit à l'état primitif du système, soit à
+l'état permanent de la surface, y ont introduit la considération
+indispensable des fonctions discontinues, dont la théorie, maintenant si
+satisfaisante, était jusque alors à peine ébauchée dans ses premiers
+rudimens. Les théorèmes généraux sur la transformation de ces fonctions
+en séries trigonométriques, procédant selon les sinus ou les cosinus des
+multiples indéfinis de la variable, ou en intégrales définies
+équivalentes, ont notablement agrandi le domaine fondamental de
+l'analyse mathématique, indépendamment de leur destination directe pour
+la thermologie. J'ai déjà noté, dans le premier volume, comment la
+géométrie pouvait les employer à compléter la représentation analytique
+de toutes les figures, en l'étendant à des portions limitées des lieux
+géométriques ou à des assemblages quelconques des diverses formes, ce
+qui était d'ailleurs nécessaire à la thermologie mathématique, afin d'y
+pouvoir étudier la propagation de la chaleur dans les polyèdres. Mais la
+manière dont Fourier a dirigé l'usage de ses procédés analytiques n'est
+peut-être pas moins remarquable, sous le point de vue philosophique, que
+l'invention même de tels moyens. Non-seulement il s'est toujours
+scrupuleusement attaché, dans tous les cas importans, à obtenir
+finalement des formules claires, simples et facilement évaluables en
+nombres, comme on devrait le faire à l'égard de questions quelconques;
+mais il les a, en général, tellement composées qu'elles dévoilent, au
+premier aspect, la marche essentielle du phénomène proposé, leurs
+différens termes exprimant sans cesse des états thermologiques
+élémentaires et distincts, qui se superposent continuellement, ainsi que
+l'exploration directe le ferait apercevoir, si elle était praticable
+avec un tel degré de précision.
+
+Sous le point de vue purement analytique, les problèmes thermologiques
+offrent, par leur nature, une analogie fondamentale avec ceux que fait
+naître l'étude du mouvement des fluides. Il s'agit, de part et d'autre,
+de fonctions de quatre variables indépendantes, assujetties à des
+équations aux différences partielles du second ordre, dont la
+composition est habituellement semblable. La parité s'étend même, à
+beaucoup d'égards, aux conditions auxiliaires. Celles relatives aux
+températures primitives des diverses molécules, sont remplacées, dans
+les problèmes hydrodynamiques, par les vitesses initiales des différens
+points. De même, le maintien constant de la surface du fluide à un degré
+donné de pression extérieure, représente l'état permanent de l'enveloppe
+du solide échauffé à une température déterminée, indépendante de la
+propagation interne. Il y a toutefois, sous ce dernier rapport, une
+différence essentielle entre les deux cas, puisque, dans le problème
+thermologique, la forme de la surface demeure invariable pendant toute
+la durée du phénomène, tandis qu'elle change, dans la question
+hydrodynamique, à mesure que le phénomène s'accomplit, ce qui doit
+augmenter nécessairement les difficultés analytiques. Mais, quoique les
+deux analyses ne puissent pas, sans doute, être envisagées comme
+exactement identiques, leurs analogies naturelles n'en sont pas moins
+évidemment assez profondes pour que les progrès généraux de l'une,
+deviennent immédiatement applicables au perfectionnement de l'autre,
+ainsi que Fourier l'a annoncé. On doit donc compter que, lorsque
+l'ensemble de la doctrine de Fourier sera plus connu et mieux apprécié,
+les géomètres en feront un usage très étendu et fort important dans
+l'exploration analytique des mouvemens des fluides, comme Corancez l'a
+déjà tenté.
+
+En considérant sous un aspect philosophique l'esprit général de cette
+analyse thermologique, elle m'a semblé comporter un perfectionnement
+fondamental, que je dois ici indiquer sommairement aux géomètres
+susceptibles de le comprendre et de l'utiliser. Il consisterait
+essentiellement dans l'application du calcul des variations à la
+thermologie, jusqu'ici tout-à-fait privée de cette précieuse méthode.
+Partout où une grandeur quelconque reçoit deux sortes d'accroissemens,
+non-seulement divers et indépendans, mais aussi radicalement
+hétérogènes, la conception des _variations_ peut être introduite, et
+présente constamment la propriété essentielle d'améliorer, dans ses
+élémens, l'expression analytique des phénomènes, en distinguant mieux,
+par le calcul même, les causes naturellement différentes. C'est ainsi
+que Lagrange a si heureusement transporté cette conception dans
+l'analyse mécanique, où elle empêche de confondre désormais les
+différentiations purement géométriques avec celles dont le caractère est
+vraiment dynamique. Or, la thermologie me paraît comporter une telle
+application, tout aussi naturellement que la mécanique. Car on y
+considère toujours évidemment, à l'égard des températures, deux ordres
+bien tranchés de changemens généraux: ceux qu'éprouve, aux diverses
+époques du phénomène, la température d'une même molécule, et ceux qui se
+manifestent en un même instant, en passant d'un point à un autre. Deux
+points de vue différentiels aussi distincts, jusqu'ici sans cesse
+confondus dans les équations thermologiques, pourraient y être
+habituellement séparés avec facilité en appliquant à l'un d'eux
+l'algorithme spécial des variations, qui conviendrait surtout au second.
+Un tel perfectionnement ne se bornerait pas à l'amélioration des
+notations fondamentales, ce qui d'ailleurs aurait déjà, pour tout
+analyste, une extrême importance. Mais je ne doute pas, en outre, que
+l'emploi judicieux des transformations générales enseignées par le
+calcul des variations pour isoler les deux caractéristiques, ne
+contribuât beaucoup à simplifier l'ensemble de la solution analytique,
+en même temps qu'à l'éclaircir, et à la mettre mieux en harmonie avec la
+marche du phénomène thermologique. La nature et l'étendue de mes travaux
+propres ne me laissant guère l'espoir de suivre jamais cette pensée
+d'une manière convenablement spéciale, j'ai dû la livrer immédiatement
+aux géomètres qui seraient disposés à profiter d'une telle ouverture.
+
+Après avoir suffisamment caractérisé sous ses principaux aspects la
+théorie mathématique de la propagation graduelle et continue de la
+chaleur ou du froid dans les corps solides, il resterait à analyser
+philosophiquement la doctrine générale de Fourier en ce qui concerne
+l'étude de la chaleur rayonnante. Mais cette opération ne pourrait
+s'effectuer clairement qu'à l'aide de développemens très étendus qui
+seraient ici déplacés. D'ailleurs, les considérations précédentes,
+relatives à la question la plus importante et la plus difficile, font
+assez concevoir comment les phénomènes thermologiques ont pu être
+irrévocablement ramenés à des lois mathématiques, ce qui devait être,
+dans cet ouvrage, mon seul but essentiel. Je me bornerai donc, quant à
+l'analyse du rayonnement, à signaler ici son résultat général le plus
+remarquable, qui consiste dans l'explication rationnelle du mode suivant
+lequel varie l'intensité du rayonnement d'après sa direction.
+
+J'ai déjà noté à ce sujet, dans la leçon précédente, comment M. Leslie
+avait découvert, par une expérimentation ingénieuse, la variation
+continuelle de cette intensité proportionnellement aux sinus des angles
+que forment les rayons, soit émergens, soit incidens, avec la surface
+correspondante. Or, Fourier a pleinement démontré que cette loi est
+indispensable à l'établissement ou au maintien de l'équilibre
+thermométrique entre deux corps quelconques. Une molécule placée
+arbitrairement dans l'intérieur d'une enceinte très étendue, dont toutes
+les parties sont exactement à une même température constante, prend
+toujours, au bout d'un certain temps, cette température commune, et la
+conserve indéfiniment quand elle l'a une fois acquise: c'est ce
+qu'indiquent clairement les observations les plus vulgaires. Il est
+d'abord aisé de prouver qu'un tel résultat ne saurait avoir lieu si
+toutes les parties de l'enceinte rayonnaient sur la molécule avec la
+même énergie, abstraction faite de l'inégalité des distances: la chaleur
+émise perpendiculairement à la surface de l'enceinte ne peut donc avoir
+la même intensité que celle qui en émane suivant des directions plus ou
+moins obliques. Les considérations employées par Fourier montrent
+ensuite, d'après une analyse plus approfondie, que cette température
+commune n'existerait pas davantage si l'on faisait varier l'intensité du
+rayonnement suivant toute autre loi que celle du sinus de l'obliquité:
+l'état thermométrique de la molécule dépendrait alors de sa situation,
+et pourrait présenter les différences les plus absurdes d'une position à
+l'autre, au point d'être, en certains cas, très supérieur ou très
+inférieur à l'état général et permanent de l'enceinte. La démonstration
+est simple, quand on a seulement égard à la chaleur directement envoyée
+à la molécule par chaque élément de l'enceinte; mais elle se complique
+beaucoup lorsqu'on vient à considérer, comme l'exige une analyse
+complète, celle qui peut en provenir aussi après un nombre quelconque de
+réflexions successives. Enfin, il suffit de remplacer la molécule
+proposée par un corps de dimensions sensibles, pour étendre le même
+raisonnement mathématique à la partie de la loi empirique de M. Leslie,
+qui concerne la chaleur reçue au lieu de la chaleur émise. Ainsi, ce
+beau travail de Fourier rattache directement au simple fait général et
+vulgaire de l'équilibre thermométrique cette loi remarquable, base
+principale de la théorie du rayonnement, et que les expériences des
+physiciens ne pouvaient sans doute établir que d'une manière seulement
+approximative. Cette démonstration difficile constitue certainement une
+des plus heureuses applications de l'analyse mathématique aux études
+physiques, envisagées sous un point de vue spécial.
+
+D'après le plan général établi dans les prolégomènes de cet ouvrage, la
+philosophie naturelle, conçue abstraitement, doit être le seul sujet de
+notre examen habituel, et nous avons dû nous interdire d'y comprendre,
+d'ordinaire, les considérations concrètes relatives à l'ensemble de
+l'histoire naturelle proprement dite, le système des sciences
+secondaires ne pouvant être qu'une dérivation de celui des sciences
+fondamentales (voyez la deuxième leçon). Je ne saurais donc envisager
+ici, avec toutes les indications spéciales qu'exigerait son exacte
+appréciation philosophique, l'importante théorie des températures
+terrestres, qui constitue cependant l'application la plus essentielle et
+en même temps la plus difficile de la thermologie mathématique.
+Toutefois, je ne puis m'empêcher de signaler sommairement une partie
+aussi neuve et aussi intéressante de la doctrine générale créée par
+Fourier.
+
+La température propre à chaque point de notre globe est essentiellement
+due, abstraction faite des influences purement locales ou accidentelles,
+à l'action diversement combinée de trois causes générales et
+permanentes: 1º la chaleur solaire, affectant inégalement les différens
+lieux, et partout assujettie à des variations périodiques; 2º la chaleur
+intérieure propre à la terre dès l'origine de sa formation à l'état de
+planète distincte; 3º enfin, l'état thermométrique général de l'espace
+occupé par le monde dont nous faisons partie. La seconde cause agit
+seule directement sur tous les points de la masse terrestre; l'influence
+des deux autres est immédiatement limitée à la seule surface extérieure.
+Elles sont, d'ailleurs, énumérées ici dans l'ordre effectif suivant
+lequel elles ont pu nous être successivement dévoilées, c'est-à-dire
+d'après leur participation plus ou moins étendue et plus ou moins
+évidente à la production des phénomènes thermologiques de la surface,
+les seuls complètement observables.
+
+Avant Fourier, ces phénomènes étaient regardés, par l'ensemble des
+physiciens et des naturalistes, comme devant être uniquement attribués à
+l'action solaire, tant leur analyse avait été jusque alors vague et
+superficielle. L'opinion d'une chaleur centrale était à la vérité très
+ancienne; mais cette hypothèse, arbitrairement rejetée par les uns,
+tandis que les autres l'admettaient d'une manière non moins hasardée,
+n'avait réellement aucune consistance scientifique, la discussion
+n'ayant jamais porté sur la part que cette chaleur originaire pouvait
+avoir aux variations thermologiques de la surface. La théorie
+mathématique de Fourier lui a montré clairement que, à cette surface,
+les températures différeraient extrêmement de ce que nous observons,
+soit quant à leur valeur, soit surtout quant à leur comparaison
+générale, si la masse terrestre n'était point partout pénétrée d'une
+chaleur propre et primitive, indépendante de l'action du soleil, et qui
+tend à se perdre, à travers l'enveloppe, par son rayonnement vers les
+autres astres, quoique l'atmosphère doive ralentir beaucoup cette
+déperdition naturelle. Cette chaleur originaire contribue directement
+très peu aux températures superficielles effectives; mais elle empêche
+que leurs variations périodiques suivent d'autres lois que celles qui
+doivent résulter de l'influence solaire, laquelle, sans cela, se
+perdrait, en majeure partie, dans la masse totale du globe. En
+considérant les points intérieurs, même très près de l'enveloppe, et à
+une distance d'ailleurs d'autant moindre qu'ils sont plus rapprochés de
+l'équateur, la chaleur centrale devient prépondérante, et bientôt c'est
+elle qui règle exclusivement les températures correspondantes, dont la
+fixité rigoureuse, et l'accroissement graduel à mesure que la profondeur
+augmente, ont tant attiré dans ces derniers temps l'attention des
+observateurs.
+
+Quant à la troisième cause générale des températures terrestres,
+personne, jusqu'à Fourier, n'en avait seulement conçu la pensée. Et
+néanmoins, comme cet illustre philosophe avait coutume de l'indiquer à
+ceux qu'il honorait de ses entretiens familiers, si, quand la terre a
+quitté une partie quelconque de son orbite, elle y laissait un
+thermomètre, cet instrument, supposé soustrait à l'action solaire, ne
+pourrait sans doute baisser indéfiniment; la liqueur s'arrêterait
+nécessairement à un certain point, qui indiquerait la température de
+l'espace où nous circulons. Cette ingénieuse supposition n'est que
+l'énoncé le plus simple et le plus frappant du résultat général des
+travaux de Fourier à ce sujet, qui ont clairement établi que la marche
+effective des températures à la surface de notre globe serait totalement
+inexplicable, même en ayant égard à la chaleur intérieure, si l'espace
+ambiant n'avait point une température propre et déterminée, qui doit
+très peu différer de celle qu'on observerait réellement aux deux pôles
+de la terre, quoique son évaluation véritable présente jusqu'ici quelque
+incertitude. Il est remarquable que, des deux causes thermologiques
+nouvelles découvertes par Fourier, la première soit susceptible d'être
+directement mesurée à l'équateur, à quelques centimètres de la surface,
+et la seconde aux pôles; tandis que, sur tous les points intermédiaires,
+l'observation a besoin d'être dirigée et interprétée par une analyse
+mathématique approfondie pour qu'on puisse démêler, dans ses indications
+totales, l'influence propre à chacune des trois actions fondamentales.
+
+Le grand problème des températures terrestres étant ainsi défini quant à
+ses élémens généraux, sa solution mathématique constitue l'application
+la plus difficile de la thermologie analytique. Il s'agit alors
+d'analyser exactement la marche des températures dans une sphère donnée,
+dont l'état initial est exprimé par une fonction déterminée, mais
+inconnue, des coordonnées d'une molécule quelconque, et dont la surface,
+en même temps qu'elle rayonne vers un milieu qu'on doit supposer à une
+température constante, d'ailleurs ignorée, reçoit continuellement
+l'influence d'une cause thermologique variable, exprimée par une
+fonction périodique très complexe, quoique donnée, du temps écoulé: il
+faut encore avoir égard à l'enveloppe gazeuse dont cette sphère est
+entourée, et qui doit sensiblement modifier le mouvement naturel de la
+chaleur à sa surface. L'extrême complication d'un tel problème, et notre
+ignorance nécessaire à l'égard de l'une des conditions essentielles, ne
+sauraient permettre d'en obtenir une solution rationnelle vraiment
+complète, quoiqu'on puisse le simplifier en regardant la température
+initiale de chaque molécule intérieure comme dépendant seulement de sa
+distance au centre. Toutefois, l'état thermologique de la surface ou des
+couches qui l'avoisinent devant constituer ici la plus intéressante
+partie de la recherche, il a été possible, en dirigeant judicieusement
+tous les efforts vers ce seul but, de parvenir, sous ce rapport, à des
+résultats très satisfaisans, essentiellement dégagés de toute hypothèse
+précaire sur la loi relative à la chaleur intérieure, envers laquelle
+Fourier s'est toujours si sagement abstenu de prononcer. La marche
+générale des températures superficielles est désormais nettement
+caractérisée dans ses variations principales, soit diurnes, soit
+annuelles; nous connaissons le mode suivant lequel y participe chacune
+des trois causes thermologiques; enfin, nous apprécions convenablement
+l'influence essentielle de l'atmosphère, qui, par une alternative
+périodique, échauffe et refroidit tour à tour la surface, et contribue
+ainsi à la régularité des phénomènes. Quoique cette étude difficile soit
+encore si près de sa naissance, ses progrès principaux, relativement à
+ce que nous pouvons espérer d'en connaître d'une manière positive, ne
+dépendent essentiellement désormais que du perfectionnement des
+observations, dont la belle théorie de Fourier a d'ailleurs nettement
+tracé le plan le plus rationnel. Quand les données indispensables du
+problème seront ainsi mieux connues, celle théorie permettra de remonter
+avec certitude à quelques indications précises sur l'ancien état
+thermologique de notre globe, aussi bien que sur ses modifications
+futures. Mais, dès aujourd'hui, nous avons obtenu par là un résultat
+définitif d'une haute importance philosophique, en reconnaissant que
+l'état périodique de la surface est maintenant devenu essentiellement
+fixe, et ne peut éprouver que d'imperceptibles variations par le
+refroidissement continu de la masse intérieure dans la suite des
+siècles postérieurs. Ce résumé rapide, quelque imparfait qu'il soit,
+montre clairement quelle admirable consistance scientifique a pris tout
+à coup, par les seuls travaux d'un homme de génie, cette branche
+fondamentale de l'histoire naturelle du globe terrestre, qui, jusqu'à
+Fourier, ne se composait que d'opinions vagues et arbitraires,
+entremêlées de quelques observations incomplètes et incohérentes, d'où
+ne pouvait résulter aucune exacte notion générale.
+
+Tels sont, en aperçu, les principaux caractères scientifiques de la
+thermologie mathématique créée par le génie du grand Fourier. Beaucoup
+de géomètres contemporains se sont déjà empressés de parcourir cette
+nouvelle carrière ouverte à l'esprit mathématique, mais sans ajouter
+réellement jusqu'ici rien de vraiment capital aux résultats des travaux
+de Fourier. On doit même dire que la plupart d'entre eux n'ont vu
+essentiellement encore, en de telles recherches, qu'un nouveau champ
+d'exercices analytiques, où l'on pouvait aisément obtenir une célébrité
+momentanée, en modifiant, d'une manière plus ou moins intéressante, les
+cas traités par l'illustre fondateur. Ces travaux secondaires
+n'indiquent pas, le plus souvent, ce sentiment profond de la vraie
+philosophie mathématique, dont Fourier fut peut-être plus éminemment
+pénétré qu'aucun autre grand géomètre, et qui consiste surtout dans la
+relation intime et continue de l'abstrait au concret, comme je me suis
+tant efforcé de l'établir nettement. On a vu, par exemple, un géomètre,
+aujourd'hui très renommé, attacher une puérile importance à reprendre
+l'équation fondamentale de la propagation de la chaleur, en y concevant
+variable, d'un point à un autre, la perméabilité, que Fourier avait
+supposée constante, mais en continuant d'ailleurs à l'y regarder comme
+identique en tous sens. Néanmoins, dans cet ensemble, déjà très étendu,
+de recherches analytiques sur la thermologie, il faut distinguer les
+travaux de M. Duhamel, les seuls dignes jusqu'ici d'être remarqués comme
+ajoutant réellement quelque chose à la théorie fondamentale de Fourier,
+en cherchant à perfectionner la représentation analytique des phénomènes
+effectifs. J'indiquerai surtout l'heureuse conception de ce géomètre sur
+la perméabilité.
+
+M. Duhamel a senti qu'il serait illusoire de faire varier cette
+propriété dans les différens points d'un corps, si, pour chaque
+molécule, on la laissait égale en tous sens, ses modifications réelles
+devant être, évidemment, bien plus prononcées selon les directions que
+suivant les lieux. Il a donc reformé l'équation générale de la
+thermologie, en y regardant la perméabilité comme assujettie à ces deux
+ordres simultanés de variations. Son analyse l'a conduit à découvrir un
+théorème général très remarquable sur les relations fixes des diverses
+perméabilités d'une même molécule quelconque dans toutes les directions
+différentes. Ce théorème est relatif au cas où la perméabilité serait la
+même en tous les points du corps, et varierait seulement, pour chacun
+d'eux, suivant les directions. Il consiste en ce que, dans une telle
+hypothèse, il existe toujours, pour une masse quelconque, trois
+directions rectangulaires déterminées, que M. Duhamel a judicieusement
+nommées _axes principaux de conductibilité_, et selon lesquelles le flux
+de chaleur a la même valeur que si la conductibilité était constante: le
+flux est un _maximum_ relativement à l'un de ces axes, et varie, en tout
+autre sens, proportionnellement au cosinus de l'angle correspondant. Ces
+axes thermologiques offrent, en général, par l'ensemble de leurs
+propriétés, une analogie intéressante et soutenue avec les axes
+dynamiques découverts par Euler dans la théorie des rotations: il est
+digne de remarque que les uns et les autres soient caractérisés par les
+mêmes conditions analytiques, comme l'a montré M. Duhamel. Leur
+considération présente surtout la même importance pour faciliter
+l'étude analytique du phénomène, puisque, en y rapportant les
+coordonnées, M. Duhamel est parvenu à rendre l'équation fondamentale
+aussi simple, dans le cas de la perméabilité variable, que Fourier
+l'avait établie pour la conductibilité constante, avec cette seule
+différence que les trois termes du second ordre n'y ont plus des
+coefficiens égaux. Cette intéressante découverte, envisagée sous le
+point de vue philosophique, complète, d'une manière remarquable,
+l'harmonie fondamentale, déjà signalée à tant d'autres égards par
+Fourier, entre l'analyse thermologique et l'analyse dynamique. Son
+utilité effective est, toutefois, notablement diminuée par la nature
+essentiellement hypothétique de la constitution thermologique
+correspondante: car, le théorème cesse nécessairement d'avoir lieu
+lorsqu'on vient à envisager la perméabilité comme variable,
+non-seulement selon les directions, mais aussi suivant les points, ce
+qui est, néanmoins, sans doute, le cas réel, à l'égard duquel M. Duhamel
+a d'ailleurs établi ensuite l'équation différentielle complète du
+phénomène.
+
+On n'a point encore tenté d'examiner les modifications que devrait
+éprouver la thermologie mathématique, en tenant compte des changemens
+que l'accomplissement du phénomène peut introduire, à ses diverses
+époques, dans la perméabilité propre à chaque molécule et à chaque
+direction: il en est ainsi des altérations analogues de la chaleur
+spécifique. Aucune de ces propriétés, et surtout la dernière, ne saurait
+cependant être envisagée comme rigoureusement invariable à toutes les
+températures, conformément à ce que j'ai indiqué dans la leçon
+précédente. Leurs inégalités doivent, sans doute, exercer une influence
+réelle sur tous les cas qui comportent des changemens de température
+très étendus. Il serait difficile d'y avoir égard sans compliquer
+beaucoup les équations thermologiques fondamentales, dont l'intégration
+deviendrait alors peut-être entièrement inextricable, comme on le voit
+ordinairement dans l'étude analytique des phénomènes physiques
+quelconques, même les plus simples, quand on veut trop rapprocher l'état
+abstrait de l'état concret. Ces modifications sont même celles qui, par
+leur nature, compliqueraient le plus les difficultés fondamentales du
+problème thermologique, envisagé sous le point de vue analytique; car,
+en y ayant égard, l'équation différentielle de la propagation de la
+chaleur, cesserait nécessairement d'être _linéaire_, et par conséquent
+échapperait dès lors à toutes les méthodes d'intégration employées
+jusqu'ici, toujours essentiellement relatives à un tel genre
+d'équations. Toutefois, l'ignorance complète où nous sommes encore des
+lois effectives de ces altérations, dont l'existence est à peine
+constatée jusqu'ici par les observations, obligera long-temps les
+géomètres et les physiciens à supposer ces deux propriétés spécifiques
+parfaitement constantes, quoique cette hypothèse primitive doive être
+rectifiée plus tard. La philosophie astronomique nous a fréquemment
+montré combien il importe que le véritable esprit scientifique
+n'introduise pas, dans ses conceptions rationnelles, une complication
+prématurée, quand l'exploration plus attentive des phénomènes n'en a
+point encore manifesté la nécessité positive.
+
+Il y a tout lieu de penser que cette maxime philosophique, dont la
+sagesse est évidente, a seule empêché Fourier de prendre en
+considération toutes les diverses modifications indiquées ci-dessus. Il
+a dû même s'abstenir essentiellement d'attirer l'attention sur elles,
+dans la crainte de compliquer l'exposition fondamentale d'une théorie
+aussi neuve par l'introduction de difficultés accessoires, qui en
+auraient obscurci le caractère principal. Ses méditations lui avaient
+sans doute montré comment ses successeurs, en poursuivant la carrière
+ouverte par son génie, pourraient avoir aisément égard à toutes les
+considérations secondaires qu'il avait judicieusement élaguées,
+lorsqu'elles auraient été convenablement définies, sauf les embarras
+analytiques qui en résulteraient.
+
+Je me suis efforcé, dans cette leçon, de donner, aussi nettement que
+possible, sans sortir des limites conformes à la nature de cet ouvrage,
+une faible idée générale de l'admirable théorie mathématique créée par
+Fourier pour perfectionner l'étude des phénomènes thermologiques
+fondamentaux. Indépendamment du génie, non seulement analytique, mais
+surtout mathématique, qui caractérise si éminemment ce bel ensemble de
+découvertes, on a dû remarquer, dans mon imparfaite indication, avec
+quelle persévérante sagesse philosophique Fourier s'était
+scrupuleusement attaché, dès l'origine de ses recherches, à la
+thermologie positive, dont il ne s'écarta jamais un seul instant tout en
+prenant l'essor le plus sublime, à une époque où néanmoins, partout
+autour de lui, on s'accordait à ne regarder comme dignes de l'attention
+des penseurs que les travaux propres à appuyer telle ou telle conception
+arbitraire sur la nature de la chaleur. En considérant d'une manière
+impartiale et approfondie l'harmonie de ces hautes qualités, dont la
+perte est peut-être encore trop récente pour être convenablement
+appréciée par le vulgaire des savans, je ne crains pas de prononcer,
+comme si j'étais à dix siècles d'aujourd'hui, que, depuis la théorie de
+la gravitation, aucune création mathématique n'a eu plus de valeur et de
+portée que celle-ci, quant aux progrès généraux de la philosophie
+naturelle: peut-être même, en scrutant de près l'histoire de ces deux
+grandes pensées, trouverait-on que la fondation de la thermologie
+mathématique par Fourier était moins préparée que celle de la mécanique
+céleste par Newton.
+
+Et cependant un tel génie a été long-temps méconnu; ses créations ont
+été contestées par d'indignes rivaux; et, lorsqu'il n'a plus été
+possible de nier ses droits irrécusables, on s'est efforcé d'atténuer
+l'importance de ses immortels travaux. Enfin, quand il nous fut ravi, à
+peine commençait-il à jouir librement, depuis quelques années, de la
+plénitude d'une gloire si hautement méritée: il a disparu sans avoir
+exercé, dans le monde savant, cette prépondérance paisible et continue
+du maître sur les disciples, dernière fonction sociale naturellement
+assignée aux hommes de génie, dont elle constitue la principale
+récompense après le libre développement de leur activité essentielle,
+que Newton, Euler et Lagrange obtinrent si complétement, et que Fourier
+était, comme eux, si propre à rendre éminemment profitable aux progrès
+généraux de l'esprit humain. Une telle destinée a dû être sans doute
+bien imparfaitement compensée par la conviction profonde et habituelle
+que la postérité le classerait indéfiniment dans le très petit nombre
+des géomètres vraiment créateurs, dès l'époque prochaine où l'on aurait
+oublié presque jusqu'au nom de ceux que la médiocrité de ses
+contemporains avait osé placer à son niveau et même au-dessus de
+lui[29].
+
+ [Note 29: On excusera, j'espère, ce faible témoignage
+ spécial, consacré à la mémoire vénérée d'un illustre ami,
+ dont le génie vraiment supérieur n'a généralement obtenu
+ qu'une tardive et incomplète justice.]
+
+
+
+
+TRENTE-DEUXIÈME LEÇON.
+
+Considérations générales sur l'acoustique.
+
+Quoique cette branche fondamentale de la physique ait évidemment passé,
+comme toutes les autres, par l'état théologique et ensuite par l'état
+métaphysique, elle a pris, aussi complétement que la barologie, et
+presque depuis la même époque, son caractère scientifique définitif. Par
+une suite nécessaire de la nature beaucoup plus compliquée des
+phénomènes si délicats dont elle s'occupe, la théorie du son est
+certainement bien moins avancée que celle de la pesanteur, qui doit sans
+doute rester toujours supérieure à toute autre partie de la physique,
+quels que puissent être nos progrès futurs. Mais, malgré cette
+inévitable gradation, la positivité de l'acoustique est néanmoins tout
+aussi parfaite que celle de la barologie elle-même, depuis que la
+connaissance exacte des propriétés mécaniques élémentaires de
+l'atmosphère a permis de concevoir nettement, vers le milieu de
+l'avant-dernier siècle, la production et la transmission des vibrations
+sonores. Aujourd'hui, en effet, l'acoustique n'est pas moins
+radicalement affranchie que la barologie de ces hypothèses
+anti-scientifiques, derniers vestiges de l'esprit métaphysique, qui
+vicient encore, plus ou moins profondément, tout le reste de la
+physique. On a tenté, il est vrai, au commencement de notre siècle,
+ainsi que je l'ai indiqué dans la vingt-huitième leçon, de personnifier
+le son comme la chaleur, la lumière, et l'électricité. Mais cette
+aberration isolée et intempestive ne pouvait acquérir aucune
+consistance, et n'a pas, en effet, exercé la moindre influence sur la
+marche des physiciens, pour la plupart desquels elle a passé inaperçue,
+malgré l'incontestable supériorité de l'illustre naturaliste qui s'y
+était laissé entraîner. La même doctrine générale des vibrations qui,
+abusivement transportée à l'étude des phénomènes lumineux, par exemple,
+ne peut y conduire qu'à des conceptions chimériques, convient
+parfaitement, au contraire, à l'analyse des phénomènes sonores, où elle
+nous offre l'expression exacte d'une évidente réalité.
+
+Indépendamment du haut intérêt philosophique que doit naturellement
+inspirer aujourd'hui une telle étude par cette entière pureté de son
+caractère scientifique, et abstraction faite de l'extrême importance
+directe évidemment propre aux phénomènes qu'elle considère, cette belle
+partie de la physique mérite, sous deux rapports principaux, l'attention
+spéciale des esprits qui envisagent l'ensemble des connaissances
+positives, vu l'application générale très précieuse dont l'acoustique
+est susceptible pour perfectionner les notions fondamentales relatives,
+soit aux corps inorganiques, soit à l'homme lui-même.
+
+D'une part, en effet, l'examen des vibrations sonores constitue notre
+moyen le plus rationnel et le plus efficace, si ce n'est le seul,
+d'explorer, jusqu'à un certain point, la constitution mécanique
+intérieure des corps naturels, dont l'influence doit surtout se
+manifester dans les modifications qu'éprouvent les mouvemens vibratoires
+de leurs molécules. Les faibles renseignemens obtenus jusqu'ici à cet
+égard par une telle voie, à cause de l'imperfection actuelle de
+l'acoustique, ne sauraient indiquer, ce me semble, l'impossibilité
+d'employer ultérieurement, avec un vrai succès, ce mode général
+d'exploration, quand l'étude du son sera plus avancée. Les belles suites
+d'observations de M. Chladni et de M. Savart, quoique trop peu variées,
+n'ont-elles pas déjà fourni à ce sujet quelques indications précieuses
+sur les propriétés essentielles d'un tel système d'expérimentation.
+L'étude approfondie des phénomènes sonores ne nous révèle-t-elle pas
+certaines propriétés délicates des corps naturels, qui ne pourraient s'y
+apercevoir d'aucune autre manière? Par exemple, la faculté de contracter
+de véritables _habitudes_, c'est-à-dire des dispositions fixes, d'après
+une suite suffisamment prolongée d'impressions uniformes, faculté qui
+semblait exclusivement appartenir aux êtres animés, n'est-elle pas ainsi
+clairement indiquée, à un degré plus ou moins grand, pour les appareils
+inorganiques eux-mêmes? N'est-ce point aussi aux mouvemens vibratoires
+qu'il faut attribuer l'influence remarquable que peuvent exercer l'un
+sur l'autre, en certains cas, deux appareils mécaniques entièrement
+séparés, comme, entre autres, dans la singulière action mutuelle de deux
+horloges placées sur un support commun?
+
+D'une autre part, l'acoustique présente évidemment à la physiologie un
+point d'appui indispensable pour l'analyse exacte des deux fonctions
+élémentaires les plus importantes à l'établissement des relations
+sociales, l'audition et la phonation. En séparant avec soin tout ce qui
+concerne la perception des sons, et même leur simple transmission au
+cerveau, phénomènes essentiellement nerveux, de ce qui est purement
+relatif à leur impression sur l'organe de l'ouïe, on voit clairement que
+l'étude de ces derniers phénomènes, sans lesquels les autres resteraient
+nécessairement inexplicables, doit avoir pour base rationnelle une
+connaissance approfondie des lois générales de l'acoustique, qui règlent
+inévitablement le mode de vibration de tout appareil auditif. Il en est
+ainsi, à plus forte raison, quant à la production de la voix, phénomène
+essentiellement assimilable, par sa nature, à l'action de tout autre
+instrument sonore, sauf la complication supérieure due aux modifications
+presque continuelles de l'appareil vocal, en vertu des innombrables
+variations organiques, et dont les plus délicates seront toujours, sans
+doute, à peu près inappréciables.
+
+Mais, malgré cette incontestable relation, ou, plutôt, en y ayant
+convenablement égard, ce n'est pas aux physiciens proprement dits
+qu'appartient rationnellement l'étude de ces deux grands phénomènes,
+dont les anatomistes et les physiologistes ne doivent pas se dessaisir,
+pourvu qu'ils empruntent désormais à la physique toutes les notions
+nécessaires. Car, les physiciens sont, en eux-mêmes, essentiellement
+impropres, soit à l'usage judicieux des données anatomiques du
+problème, soit surtout à la saine interprétation physiologique des
+résultats obtenus. On aperçoit ainsi combien sont déplacées, dans nos
+systèmes actuels de physique, les théories, d'ailleurs si
+superficielles, de l'audition et de la phonation: on en peut dire
+autant, par les mêmes motifs fondamentaux, quant à la théorie si
+imparfaite de la vision. Il semble que les physiciens aient voulu
+tenter, à ces divers égards, la combinaison inverse de celle qui devrait
+être réellement entreprise par les physiologistes, seuls compétens pour
+l'établir: aussi aurons-nous lieu de constater, dans le volume suivant,
+les graves préjudices qu'a nécessairement produits cette marche
+irrationnelle, relativement à nos vraies connaissances sur ces sujets
+difficiles.
+
+Parmi toutes les branches principales de la physique, l'acoustique est,
+sans doute, après la barologie, celle qui, par sa nature, comporte le
+plus directement, et de la manière la plus satisfaisante, une large
+application des doctrines et des méthodes mathématiques. Considérés, en
+effet, sous le point de vue le plus général, les phénomènes sonores se
+rattachent évidemment à la théorie fondamentale des oscillations très
+petites d'un système quelconque de molécules autour d'une situation
+d'équilibre stable. Car, pour que le son se produise, il faut d'abord
+qu'il y ait perturbation brusque dans l'équilibre moléculaire, en vertu
+d'un ébranlement instantané; et il est tout aussi indispensable que ce
+dérangement passager soit suivi d'un retour suffisamment prompt à l'état
+primitif. Les oscillations plus ou moins perceptibles et continuellement
+décroissantes qu'effectue ainsi le système en-deçà et au-delà de sa
+figure de repos, sont, par leur nature, sensiblement isochrones, puisque
+la réaction élastique en vertu de laquelle chaque molécule tend à
+reprendre sa position initiale est d'autant plus énergique que
+l'écartement a été plus grand, comme dans le cas du pendule. Pourvu que
+ces vibrations ne soient pas trop lentes, il en résulte toujours un son
+appréciable. Une fois produites dans le corps directement ébranlé, elles
+peuvent être transmises à de grands intervalles, à l'aide d'un milieu
+quelconque suffisamment élastique, et principalement de l'atmosphère, en
+y excitant une succession graduelle de dilatations et contractions
+alternatives, que leur analogie évidente avec les ondes formées à la
+surface d'un liquide a fait justement qualifier d'_ondulations_ sonores.
+Dans l'air, en particulier, vu sa parfaite élasticité, l'agitation doit
+se propager, non-seulement suivant la direction de l'ébranlement
+primitif, mais encore en tous sens au même degré. Enfin, les vibrations
+transmises sont toujours nécessairement isochrones aux vibrations
+primitives, quoique leur amplitude puisse être d'ailleurs fort
+différente.
+
+L'analyse la plus élémentaire du phénomène général des vibrations
+sonores, a donc suffi pour faire concevoir cette étude, presque dès son
+origine, comme immédiatement subordonnée aux lois fondamentales de la
+mécanique rationnelle. Aussi, d'après Newton, auquel est due la première
+tentative pour déterminer rationnellement la vitesse de propagation du
+son dans l'air, l'acoustique a-t-elle toujours été plus ou moins mêlée à
+tous les travaux des géomètres sur le développement de la mécanique
+abstraite. Ce sont même de simples considérations d'acoustique qui ont
+primitivement suggéré le beau principe général découvert par Daniel
+Bernouilli, relativement à la coexistence nécessaire et sans confusion
+des petites oscillations de diverses sortes que produisent à la fois,
+dans un système quelconque, plusieurs ébranlemens distincts. Un tel
+théorème n'est plus maintenant, sans doute, aux yeux des géomètres,
+comme je l'ai indiqué dans la dix-huitième leçon, que l'interprétation
+naturelle et générale du caractère analytique propre aux équations
+différentielles qui expriment les perturbations quelconques de tout
+l'équilibre stable. Mais, c'est dans les phénomènes sonores que se
+trouve directement sa réalisation la plus évidente et la plus étendue;
+puisque, sans cette loi, il serait impossible d'expliquer le phénomène
+le plus vulgaire de l'acoustique, la simultanéité des sons nombreux et
+néanmoins parfaitement distincts que nous entendons à chaque instant.
+
+Quoique la relation de l'acoustique avec la mécanique rationnelle soit
+ainsi presque aussi directe et aussi complète que celle de la barologie
+elle-même, les moyens de perfectionnement qui doivent naturellement
+résulter de ce caractère mathématique n'ont point, à beaucoup près,
+autant d'efficacité réelle dans la théorie du son que dans l'étude de la
+pesanteur. Les recherches barologiques, du moins quand on s'y borne aux
+questions les plus simples, qui sont aussi les plus importantes, se
+rattachent directement aux théories mécaniques les plus fondamentales et
+les plus nettes: leurs équations ne présentent point ordinairement de
+grandes difficultés analytiques. Au contraire, l'étude mathématique des
+vibrations sonores dépend uniquement d'une théorie dynamique très
+difficile et fort délicate, celle des perturbations d'équilibre: les
+équations différentielles qu'elle fournit se rapportent toujours
+nécessairement à la partie la plus élevée et la plus imparfaite du
+calcul intégral. La nature de cet ouvrage ne saurait permettre de
+considérer ici, même sommairement, le mode de formation de ces
+équations: mais il est évident qu'elles doivent être aux différences
+partielles, et au moins du second ordre; leur composition,
+nécessairement _linéaire_, est la seule circonstance favorable qui ait
+pu fournir un point d'appui aux efforts des géomètres pour parvenir,
+dans les cas les plus simples, à leur intégration. Le mouvement
+vibratoire suivant une seule dimension, est encore, même à l'égard des
+solides, le seul dont la théorie mathématique soit jusqu'ici vraiment
+complète par les travaux successifs de D'Alembert, de Daniel Bernouilli,
+et de Lagrange. La mémorable impulsion donnée à la science, sous ce
+rapport, par le génie d'une illustre contemporaine, dont la perte
+récente est si regrettable[30], a conduit, il est vrai, les géomètres à
+considérer, dans ces derniers temps, un cas plus difficile et plus
+rapproché de la réalité, les vibrations des surfaces. Mais jusqu'à
+présent cette nouvelle étude mathématique n'est point assez avancée pour
+concourir utilement au perfectionnement effectif de l'acoustique, encore
+essentiellement réduite à cet égard aux seules ressources de la pure
+expérimentation, comme à l'époque des premières observations de M.
+Chladni. Quant au mouvement vibratoire, envisagé suivant les trois
+dimensions, sa théorie analytique est aujourd'hui entièrement ignorée,
+même en ce qui concerne le simple établissement de l'équation: et,
+cependant, c'est peut-être le cas dont l'examen mathématique aurait le
+plus d'importance, soit comme étant, au fond, le seul pleinement réel,
+soit à cause des obstacles presque insurmontables qu'il oppose, par sa
+nature, à l'exploration directe.
+
+ [Note 30: On apprécierait imparfaitement la haute portée
+ de mademoiselle Sophie Germain, si l'on se bornait à
+ l'envisager comme géomètre, quel que soit l'éminent mérite
+ mathématique dont elle a fait preuve. Son excellent discours
+ posthume, publié en 1833, _sur l'état des sciences et des
+ lettres aux différentes époques de leur culture_, indique en
+ elle une philosophie très élevée, à la fois sage et
+ énergique, dont bien peu d'esprits supérieurs ont
+ aujourd'hui un sentiment aussi net et aussi profond.
+ J'attacherai toujours le plus grand prix à la conformité
+ générale que j'ai aperçue dans cet écrit avec ma propre
+ manière de concevoir l'ensemble du développement
+ intellectuel de l'humanité.]
+
+Afin de se former une juste idée générale des hautes difficultés que
+présente nécessairement l'étude mathématique des mouvemens vibratoires,
+il faut considérer, en outre, que ces vibrations doivent déterminer
+habituellement, dans la constitution moléculaire des corps, certaines
+modifications physiques d'une autre nature, dont la réaction peut
+affecter ensuite le phénomène sonore primitif. Quoique ces modifications
+soient trop faibles, et surtout trop passagères, pour être jusqu'ici, et
+peut-être jamais, directement appréciables, on conçoit que leur
+influence sur un phénomène aussi délicat que celui des vibrations
+sonores puisse n'être pas réellement insensible: seulement, la
+difficulté fondamentale du problème en sera beaucoup augmentée, par la
+nécessité de le compliquer d'élémens essentiellement inconnus. La seule
+action de ce genre qu'on ait encore tenté de prendre en considération,
+consiste dans les effets thermologiques qui résultent nécessairement du
+mouvement vibratoire. Laplace en a très heureusement profité pour
+expliquer, d'une manière satisfaisante, la notable différence entre la
+vitesse du son dans l'air, déterminée expérimentalement, et celle
+qu'indiquait la formule dynamique, dont le résultat était en défaut
+d'environ un sixième, ce qui ne pouvait évidemment être attribué aux
+erreurs d'observation. Cette différence a été comblée en ayant
+convenablement égard à la chaleur dégagée par la compression des couches
+atmosphériques, qui doit faire varier leur élasticité dans un plus grand
+rapport que leur densité, et, par conséquent, accélérer la propagation
+du mouvement vibratoire. À la vérité, une telle explication présente
+encore une lacune essentielle; puisque, dans l'impossibilité de mesurer
+directement ce dégagement de chaleur, il a fallu lui supposer
+expressément la valeur propre à faire cesser la discordance des deux
+vitesses. Quoique cette valeur n'offre aucune invraisemblance, il reste
+à désirer qu'une estimation réelle de cet effet thermologique vienne
+confirmer définitivement cette ingénieuse conjecture, comme une
+expérience intéressante de M. Clément permet de l'espérer. Mais, quelle
+que puisse être l'issue d'une telle comparaison, cette idée de Laplace
+aura toujours mis en évidence désormais la nécessité permanente de
+combiner les considérations thermologiques avec la théorie purement
+dynamique des mouvemens vibratoires, malgré la nouvelle complication que
+le problème doit ainsi inévitablement éprouver. La modification qui en
+résulte est, sans doute, par sa nature, beaucoup moins prononcée, quant
+à la propagation du son dans les liquides, et surtout dans les solides:
+toutefois, le défaut d'expériences comparatives suffisamment exactes ne
+permet point encore de juger si elle est alors tout-à-fait négligeable.
+
+Nonobstant les difficultés capitales qui caractérisent nécessairement la
+théorie mathématique des vibrations sonores, elle n'en a pas moins
+exercé jusqu'ici, quelque imparfaite qu'elle soit encore, l'influence la
+plus heureuse sur les progrès effectifs de l'acoustique, qui lui sont,
+en réalité, essentiellement dus. Sous le point de vue le plus
+philosophique, la simple formation des équations différentielles propres
+aux phénomènes sonores constitue déjà, par elle-même, et indépendamment
+de leur intégration, une connaissance fort importante, à cause des
+lumineux rapprochemens que comporte si naturellement l'emploi judicieux
+de l'analyse mathématique entre les questions, d'ailleurs hétérogènes à
+tous autres égards, qui peuvent conduire à des équations semblables.
+Cette admirable propriété fondamentale, si fréquemment signalée
+jusqu'ici dans cet ouvrage, s'applique d'une manière très remarquable à
+la théorie du son, surtout depuis la création de la thermologie
+mathématique, dont les principales équations offrent tant d'analogie
+avec celles des mouvemens vibratoires, qui n'en diffèrent quelquefois
+que par le signe d'un coefficient.
+
+Outre la haute importance directe évidemment propre aux lois précises
+des vibrations sonores, dans les cas, malheureusement trop rares, où
+l'analyse mathématique a pu jusqu'ici nous les dévoiler complétement, ce
+précieux moyen d'investigation acquiert un surcroît spécial de valeur,
+vu les difficultés particulières que présente, par sa nature,
+l'exploration directe des phénomènes du son, considérés d'une manière un
+peu approfondie. Il est aisé, sans doute, de rendre sensible, par une
+expérience décisive, la nécessité du milieu atmosphérique pour la
+transmission habituelle des vibrations sonores, comme on l'a fait dès
+l'origine de l'acoustique. On conçoit de même que, par des expériences
+convenablement instituées, il nous soit possible de déterminer avec
+exactitude la durée effective de cette propagation, d'abord dans l'air,
+et ensuite dans tout autre milieu. Mais les lois générales des
+vibrations des corps sonores échappent presque toujours à l'observation
+immédiate. Quoique l'existence de ces vibrations soit constamment
+évidente, leur faible intensité habituelle, et leur durée trop fugitive
+sans aucun vestige appréciable, ne permettent guère à nos sens de les
+explorer d'une manière suffisamment précise. Le degré de rapidité
+qu'elles doivent avoir pour qu'il en résulte un son perceptible, doit
+même s'opposer le plus souvent à leur simple énumération directe. Ainsi,
+nos connaissances réelles à cet égard étant encore bien peu étendues,
+elles seraient, évidemment, presque nulles si la théorie mathématique,
+liant entre eux les divers phénomènes sonores, ne nous donnait point la
+faculté de remplacer les observations immédiates, ordinairement
+impossibles ou trop imparfaites, par l'examen équivalent des cas plus
+favorables assujettis à la même loi. On conçoit, par exemple, que les
+plus rapides vibrations d'une corde très courte aient pu néanmoins être
+exactement comptées, quand l'analyse du problème des cordes vibrantes a
+fait connaître que, tout étant d'ailleurs rigoureusement égal, le nombre
+des oscillations est inversement proportionnel à la longueur de la
+corde, puisque cette loi permet dès lors de se borner à l'observation
+effective de vibrations très lentes. Il en est de même en beaucoup
+d'autres occasions où la substitution est plus indirecte.
+
+Toutefois, les physiciens ont, ce me semble, trop compté jusqu'ici sur
+le secours de l'analyse mathématique, si fréquemment inefficace; et l'on
+doit regretter, pour les progrès réels de l'acoustique, qu'ils ne se
+soient pas occupés davantage de perfectionner directement leur système
+général d'expérimentation, encore essentiellement dans l'enfance.
+Quelles que soient les difficultés caractéristiques d'un tel ordre
+d'observations, tout esprit impartial reconnaîtra, sans doute,
+aujourd'hui que les modes actuels d'exploration sont presque toujours
+fort inférieurs à ce que permettrait effectivement la nature des
+phénomènes. L'acoustique ne paraît point au niveau des autres parties
+de la physique, quand on l'envisage relativement à l'invention et à
+l'emploi des moyens artificiels d'observation: on y remarque peu de ces
+ingénieuses créations de l'esprit expérimental, si multipliées et si
+importantes en thermologie, en optique, et en électrologie: les légers
+chevalets de Sauveur, et le sable fin de M. Chladni, soutiendraient mal
+une telle concurrence, quelque précieux que soit d'ailleurs leur emploi
+pour distinguer commodément les points qui participent le moins au
+mouvement vibratoire. Je ne doute pas que cette stérilité relative de
+l'art des expériences ne doive être attribuée, en partie, à l'opinion
+exagérée que se sont formée les physiciens du rôle de l'analyse
+mathématique dans le développement de l'acoustique, et qui leur a fait
+négliger à cet égard les ressources de l'expérimentation directe. Depuis
+les expériences vraiment fondamentales de Sauveur, on ne retrouve, en
+acoustique, après plus d'un siècle, d'autre suite importante
+d'observations que celles de notre illustre contemporain M. Chladni,
+complétées et perfectionnées par les judicieux travaux de M. Savart:
+tout l'intervalle est rempli par des recherches essentiellement
+mathématiques. Et, néanmoins, quelle que soit ici l'indispensable
+nécessité de ce puissant auxiliaire, comme j'ai essayé de le faire
+sentir ci-dessus, nous avons reconnu combien il serait, par lui-même,
+radicalement insuffisant, à cause des difficultés capitales inséparables
+d'une telle analyse, d'après laquelle on n'a pas même pu jusqu'à présent
+expliquer, d'une manière pleinement satisfaisante, les expériences de
+Sauveur, et, à plus forte raison, celles de M. Chladni. Sans renoncer au
+perfectionnement si désirable de la théorie mathématique des mouvemens
+vibratoires, il importe donc extrêmement que les physiciens proprement
+dits suivent désormais, en acoustique, une marche moins passive, en
+s'attachant avec plus de force et de persévérance à y développer
+convenablement le génie expérimental. L'indifférence qui pourrait en
+résulter quant à ces brillans exercices analytiques, où l'on ne trouve,
+sous le point de vue physique, que d'insignifiantes modifications des
+recherches antérieures, serait loin, sans doute, d'être aujourd'hui un
+inconvénient pour la science réelle. J'ai déjà indiqué, dans la
+vingt-neuvième leçon, des remarques analogues au sujet des parties les
+plus difficiles de la barologie: mais elles ont ici une importance très
+supérieure.
+
+Après cet examen sommaire de la nature générale des études acoustiques
+et des principaux moyens d'investigation qui leur sont propres, il nous
+reste à considérer directement, par un aperçu non moins rapide,
+l'ensemble des parties dont se compose aujourd'hui cette branche
+fondamentale de la physique.
+
+Nos connaissances à l'égard des lois des vibrations sonores se
+rapportent à ces trois points de vue élémentaires: le mode de
+propagation des sons; leur intensité plus ou moins grande, et, enfin,
+leur ton musical. L'acoustique actuelle, peu avancée sous le second
+rapport, présente sous les deux autres un aspect beaucoup plus
+satisfaisant. Il existe naturellement, à la vérité, une quatrième
+considération fondamentale, dont l'analyse scientifique serait d'un haut
+intérêt, celle du _timbre_, c'est-à-dire, du mode particulier de
+vibration propre à chaque corps et à chaque appareil sonore. Sans que
+nous sachions encore en quoi consiste réellement cette propriété, nous
+lui reconnaissons évidemment une telle fixité et une si grande
+importance que nous l'employons habituellement, soit dans la vie
+commune, soit même en histoire naturelle, comme tout-à-fait
+caractéristique. Toutefois, la physique générale n'a point à s'enquérir
+de ce qui peut constituer le timbre particulier à chacune des diverses
+substances, comme les pierres, les bois, les métaux, les tissus
+organisés, etc.; ces distinctions appartiennent proprement à la
+physique concrète, en traitant de l'histoire des différens corps: il
+est même évident que, sous ce rapport, comme en tout ce qui concerne les
+qualités primordiales des êtres naturels, certains phénomènes ne peuvent
+qu'être observés, et ne comportent aucune explication. Mais la manière
+dont le timbre propre à chaque substance peut être modifié, soit par la
+disposition de l'appareil sonore, soit par les pressions qu'il éprouve,
+ou par plusieurs autres circonstances générales, rentre pleinement dans
+le domaine rationnel de l'acoustique, qui doit donc être regardée
+aujourd'hui comme présentant, sous ce rapport essentiel, une véritable
+et grave lacune.
+
+Dans l'étude de la propagation du son, la question la plus intéressante,
+et aussi la plus simple et la mieux explorée, consiste à mesurer la
+durée de cette propagation uniforme, surtout à travers l'atmosphère. En
+négligeant d'abord les variations de température qui résultent de la
+compression des couches atmosphériques, la théorie mathématique, quand
+on se borne au mouvement linéaire, conduit aisément à une telle
+détermination, énoncée par Newton sous cette forme très simple: la
+vitesse du son est celle qu'acquiert un corps pesant tombant d'une
+hauteur égale à la moitié de la hauteur totale de l'atmosphère supposée
+homogène. On a pu calculer d'une manière analogue la vitesse du son dans
+les différens gaz, d'après leur densité et leur élasticité plus ou moins
+grandes. Suivant cette loi, la vitesse du son dans l'air doit être
+regardée comme essentiellement indépendante des vicissitudes
+atmosphériques, puisque, d'après la règle de Mariotte, la densité et
+l'élasticité de l'air varient toujours proportionnellement, et que leur
+rapport seul influe ainsi sur cette vitesse. J'ai déjà eu ci-dessus
+l'occasion d'indiquer comment Laplace avait heureusement rectifié la
+formule de Newton d'une manière conforme au prescriptions
+expérimentales, en ayant égard aux effets thermologiques: la correction
+consiste à multiplier la quantité primitive par la racine carrée du
+rapport des deux chaleurs spécifiques de l'air, à pression constante et
+à volume égal.
+
+Une importante notion générale, qui résulte immédiatement de cette loi
+mathématique, et que l'observation confirme entièrement avec une pleine
+évidence, c'est l'identité nécessaire de la vitesse des différens sons,
+malgré leurs degrés si divers, soit d'intensité, soit d'acuité. On sent
+que s'il existait, à cet égard, une inégalité réelle, nous la
+constaterions sans peine, d'après l'altération qui en résulterait
+inévitablement, à une certaine distance, dans la régularité des
+intervalles musicaux.
+
+L'évaluation mathématique de la vitesse du son dans l'air ne pouvant se
+rapporter, par la nature même de cette théorie, qu'à une masse
+atmosphérique essentiellement immobile, animée seulement du mouvement
+vibratoire, il était intéressant d'observer jusqu'à quel point
+l'agitation effective de l'air modifiait réellement cette valeur
+moyenne. Les expériences fondamentales d'après lesquelles la durée de la
+propagation avait été primitivement mesurée, pouvaient indiquer déjà que
+cette cause perturbatrice n'exerçait point, à cet égard, une influence
+bien sensible, puisque l'observation étant toujours faite
+comparativement dans les deux sens opposés, ne présente, sous ce
+rapport, aucune différence notable. Une telle comparaison n'est point à
+la vérité décisive, vu l'état de calme atmosphérique qu'on avait
+toujours dû choisir pour exécuter convenablement une semblable
+opération; mais les expériences directes tentées à ce sujet par divers
+physiciens contemporains ont conduit à un résultat presque exactement
+identique. On a reconnu, du moins entre les limites des vents
+ordinaires, que l'agitation de l'air n'exerce aucune influence
+appréciable sur la vitesse du son quand la direction du courant
+atmosphérique est perpendiculaire à celle suivant laquelle le son se
+propage, et qu'elle l'altère faiblement, soit en plus, soit en moins,
+lorsque ces deux directions coïncident, selon que leurs sens sont
+conformes ou contraires: la valeur exacte, et, à plus forte raison, la
+loi précise de cette légère perturbation sont d'ailleurs encore
+essentiellement inconnues.
+
+C'est seulement dans l'air que la durée de la propagation du son a été
+jusqu'ici convenablement étudiée, soit par l'observation, soit d'après
+la théorie mathématique. À l'égard des milieux liquides ou solides, nous
+ne possédons aujourd'hui que certaines indications mathématiques
+affectées d'hypothèses précaires, et quelques expériences directes très
+imparfaites. On a simplement constaté que le son se propage beaucoup
+plus rapidement dans presque toutes les substances soumises à cette
+comparaison, et surtout dans les métaux très sonores, que dans
+l'atmosphère, sans que cette supériorité de vitesse ait été exactement
+mesurée, du moins pour la plupart des cas, vu les difficultés qu'on doit
+éprouver à réunir les conditions nécessaires au succès de ce genre
+d'évaluations immédiates.
+
+Lorsque, dans la propagation ordinaire du son, les ondulations aériennes
+viennent à rencontrer un obstacle immobile, de manière à produire un
+écho, elles éprouvent des modifications dont l'analyse exacte et
+complète présente de grandes difficultés mathématiques, et sur
+lesquelles aussi les expériences des physiciens ont peu ajouté encore
+aux notions vulgaires. Il ne s'opère point alors évidemment, comme le
+terme habituel tendrait à l'indiquer, une véritable réflexion mécanique
+analogue à celle des corps élastiques par les corps durs: le phénomène
+consiste en une simple répercussion en sens contraire qu'éprouvent les
+vibrations du milieu, d'ailleurs immobile. La loi de cette répercussion
+n'a été découverte, d'une manière entièrement satisfaisante, que dans le
+cas où l'obstacle est terminé par une surface plane. Il est clair
+d'abord que, si ce plan est perpendiculaire à la direction de la série
+linéaire d'ondulations, la dilatation des particules aériennes
+adjacentes ne pouvant plus avoir lieu dans le sens de l'obstacle, leur
+réaction nécessaire fera naître en sens contraire, et suivant la même
+droite, un ébranlement secondaire, sans que la vitesse des vibrations ni
+la durée de leur propagation doivent être d'ailleurs aucunement
+altérées. On démontre ensuite que, pour une inclinaison arbitraire du
+plan sur la direction du son, la modification s'opère toujours comme si
+le centre d'ébranlement primitif avait été transporté symétriquement, de
+l'autre côté de l'obstacle, à la même distance, ce qui reproduit alors
+la loi commune de toutes les réflexions. Quand la forme de l'obstacle
+est quelconque, on ignore si, en général, le phénomène serait encore
+exactement représenté d'après la même loi, en substituant à la surface
+courbe le plan tangent correspondant. Cette extension n'a été jusqu'ici
+bien constatée que dans le cas d'un ellipsoïde de révolution, et en
+supposant même que l'ébranlement sonore primitif soit produit à l'un des
+foyers; on reconnaît alors que l'ébranlement secondaire émane en effet
+de l'autre foyer, ce que l'expérience a pleinement confirmé. Quant à
+l'influence évidente que peut exercer sur la répercussion du son la
+constitution physique de l'obstacle, elle n'a été le sujet d'aucune
+étude scientifique, et nous n'avons à cet égard d'autres notions réelles
+que celles qui résultent des observations communes.
+
+Il en est essentiellement de même pour toute la partie de l'acoustique
+qui concerne l'intensité des sons. Non-seulement les notables variétés
+spécifiques que présentent sous ce rapport les sons transmis par
+différens corps solides, et quelquefois par le même corps, suivant les
+diverses directions, n'ont jamais été ni analysées, ni mesurées: mais
+les travaux des physiciens n'ont encore ajouté rien de vraiment
+essentiel à ce qu'enseigne spontanément l'expérience vulgaire
+relativement aux influences générales qui règlent l'intensité du son,
+comme l'étendue des surfaces vibrantes, l'amplitude des excursions,
+l'éloignement du corps sonore, etc. À ces divers égards, les physiciens
+ne pourraient avoir d'autre mérite propre que de préciser des notions
+naturellement vagues, en les assujettissant à d'exactes lois numériques,
+ce que, jusqu'à présent, on n'a pas même entrepris.
+
+C'est donc improprement que ces différens sujets figurent dans nos
+systèmes actuels de physique: l'application d'une telle remarque est
+malheureusement trop fréquente dans l'ensemble de nos études. Ne
+semblerait-il pas aujourd'hui, d'après nos habitudes scolastiques, que,
+avant de se livrer régulièrement à la culture méthodique et spéciale de
+la philosophie naturelle, les auditeurs ou les lecteurs n'avaient jamais
+exercé ni leurs sens, ni leur intelligence, puisqu'on se croit obligé de
+leur enseigner, d'un ton doctoral, même les choses que souvent ils
+savent déjà tout aussi bien que leurs maîtres? Ce dogmatisme puéril
+tient sans doute à ce qu'on méconnaît le vrai caractère de la science
+réelle, qui, en tout genre, ne peut jamais être qu'un simple
+prolongement spécial de la raison et de l'expérience universelles; et
+dont, par conséquent, le vrai point de départ est toujours dans
+l'ensemble des notions acquises spontanément par la généralité des
+hommes relativement aux sujets considérés. L'observance scrupuleuse de
+ce précepte évident tendrait à simplifier beaucoup nos expositions
+scientifiques actuelles, en les dégageant d'une foule de détails
+superflus, susceptibles seulement d'obscurcir le plus souvent la
+manifestation directe de ce que la science proprement dite ajoute
+réellement à la masse fondamentale des connaissances communes.
+
+Quant aux lois relatives à l'intensité des sons, le seul point qui ait
+été jusqu'ici le sujet d'un véritable éclaircissement scientifique, et
+dont l'examen était à la vérité extrêmement facile, consiste dans
+l'influence qu'exerce la densité plus ou moins grande du milieu
+atmosphérique sur l'énergie des sons transmis. À cet égard, l'acoustique
+confirme et surtout explique immédiatement, d'une manière très
+satisfaisante, l'observation vulgaire sur la dégradation nécessaire
+qu'éprouve l'intensité du son à mesure que l'air devient plus rare, sans
+qu'on sache toutefois si cette diminution est exactement
+proportionnelle, comme il est naturel de le penser, au décroissement de
+la densité, de quelque source qu'il provienne.
+
+Dans la manière habituelle de concevoir l'acoustique, on présente, comme
+effectivement résolue, une question intéressante, qui me semble au
+contraire jusqu'ici essentiellement intacte, celle relative au mode
+d'affaiblissement des sons suivant la distance du corps sonore, sur
+laquelle la science n'a point encore réellement dépassé les résultats de
+l'expérience commune. On a coutume de supposer ce décroissement en
+raison inverse du carré de la distance, ce qui constituerait sans doute
+une loi fort importante, si nous pouvions compter sur sa réalité. Mais,
+outre qu'aucune suite d'expériences précises n'a jamais été instituée
+pour la vérifier, les considérations mathématiques sur lesquelles on
+l'appuie uniquement sont, il faut l'avouer, extrêmement précaires, si ce
+n'est frivoles, puisqu'elles exigent d'abord une assimilation fort
+gratuite entre l'intensité du son et l'énergie du choc d'un fluide
+contre un obstacle, et que l'on y fait ensuite varier ce choc
+proportionnellement au carré de la vitesse, conformément à l'ancienne
+hypothèse sur la résistance des fluides, si souvent démentie par
+l'observation. Si l'on accordait ces deux prémisses très hasardées, la
+loi ordinaire en résulterait en effet nécessairement; car il est
+certain, d'après la théorie mathématique du mouvement vibratoire, que la
+vitesse de vibration des molécules situées sur un même rayon sonore
+varie, à très peu près, en raison inverse de leur distance au centre
+d'ébranlement. Mais ne serait-il pas bien préférable d'avouer nettement
+notre ignorance actuelle à cet égard, au lieu de tendre à dissimuler une
+vraie lacune scientifique, en s'efforçant vainement de la remplir par
+des considérations aussi peu péremptoires? Cette marche est, à mon gré,
+tellement arbitraire que je ne serais pas éloigné de l'attribuer, en
+grande partie, à l'influence inaperçue de la prédisposition trop commune
+à retrouver dans tous les phénomènes la formule mathématique de la
+gravitation, en vertu du préjugé métaphysique sur la loi absolue des
+irradiations quelconques.
+
+Du reste, ne serait-il pas étrange, en général, qu'on pût avoir
+aujourd'hui aucune notion exacte sur les lois de l'intensité du son,
+lorsque l'acoustique est encore à cet égard dans une telle enfance, que
+les idées ne sont pas même fixées jusqu'ici sur la manière dont cette
+qualité comporterait une estimation précise, ni peut-être seulement sur
+le sens rigoureux du mot? Nous ne possédons jusqu'ici aucun instrument
+susceptible de remplir, envers la théorie du son, l'office capital si
+bien exercé, pour l'étude de la pesanteur, par le pendule et le
+baromètre, et par les divers thermomètres ou électromètres, quant à la
+mesure des phénomènes correspondans. On n'a pas même aperçu nettement
+le principe d'après lequel de tels _sonomètres_ pourraient être conçus.
+Tant que la science restera à cet égard dans un état aussi imparfait,
+convient-il de hasarder aucune loi numérique sur les variations que peut
+éprouver l'intensité des sons?
+
+Considérons enfin la dernière partie essentielle de l'acoustique
+actuelle, celle relative à la théorie des tons, qui, malgré ses
+imperfections, est, à tous égards, la plus satisfaisante par les
+nombreux et intéressans phénomènes dont elle a dévoilé l'explication
+exacte et complète.
+
+Les lois qui déterminent la nature musicale des différens sons,
+c'est-à-dire, leur degré précis d'acuité ou de gravité, marqué par le
+nombre de vibrations exécutées en un temps donné, ne sont jusqu'ici bien
+connues, d'après une heureuse combinaison de l'expérience avec la
+théorie mathématique, que pour le cas élémentaire d'une série de
+vibrations, linéaire, et même rectiligne, produite, soit dans une verge
+métallique, fixée par un bout et libre par l'autre, soit, enfin, dans
+une colonne d'air remplissant un tuyau cylindrique très étroit. Ce cas
+fondamental est, à la vérité, le plus important pour l'analyse des
+instrumens inorganiques les plus usités, mais non quant à l'étude du
+mécanisme de l'audition et de la phonation.
+
+À l'égard des cordes tendues, la théorie mathématique, dont les
+principales conséquences ont été pleinement vérifiées par des
+expériences nombreuses et précises, fixe le ton propre à chaque ligne
+sonore, d'après sa masse, sa longueur et sa tension. Toutes les lois qui
+s'y rapportent peuvent être résumées en cette seule règle générale: le
+nombre des vibrations exécutées dans un temps donné est en raison
+directe de la racine carrée de la tension de la corde, et en raison
+inverse du produit de sa longueur par son épaisseur.
+
+Dans les tiges métalliques droites et homogènes, ce nombre est
+proportionnel au rapport de leur épaisseur au carré de leur longueur.
+Cette différence profonde entre les lois de ces deux sortes de
+vibrations est la suite nécessaire de la flexibilité du corps sonore
+dans le premier cas, et de sa rigidité dans le second. Elle était déjà
+nettement indiquée par l'observation, surtout quant à l'influence si
+opposée de l'épaisseur.
+
+Ces lois sont relatives aux vibrations ordinaires, qui s'opèrent
+transversalement. Mais M. Chladni a considéré en outre, soit pour les
+cordes, soit pour les verges, un nouveau genre de vibrations dans le
+sens longitudinal. Elles sont en général beaucoup plus aiguës que les
+précédentes, et la marche en est d'ailleurs essentiellement distincte,
+car l'épaisseur ne paraît exercer sur elles aucune influence, et la
+différence indiquée ci-dessus entre les cordes et les tiges disparaît
+entièrement, le nombre des vibrations variant alors toujours
+réciproquement à la longueur; identité à laquelle on devait
+naturellement s'attendre, puisque, dans cette manière de vibrer,
+l'inextensibilité de la corde équivaut à la rigidité de la tige. Enfin,
+les verges métalliques comportent encore un troisième genre de
+vibrations, découvert et étudié expérimentalement par M. Chladni, celles
+qui résultent de la torsion, et qui s'effectuent dans un sens plus ou
+moins oblique. Toutefois, il importe de noter que, d'après les travaux
+postérieurs de M. Savart, ces trois ordres de vibrations ne sont pas, au
+fond, essentiellement distincts, puisqu'ils peuvent être transformés les
+uns dans les autres, en faisant seulement varier par degrés la direction
+suivant laquelle les sons se propagent, et qui est toujours parallèle à
+celle de l'ébranlement primitif successivement produit de la même
+manière en divers sens.
+
+Quant aux sons rendus par une mince colonne d'air, le nombre des
+vibrations est encore, d'après la théorie et l'observation, inversement
+proportionnel à la longueur de chaque colonne, si l'état mécanique de
+l'air reste inaltérable; mais il varie en outre, comme la racine carrée
+du rapport entre l'élasticité de l'air et sa densité. De là résulte,
+entre autres conséquences remarquables, que les changemens de
+température, qui font nécessairement varier ce rapport dans le même
+sens, doivent avoir ici une action absolument inverse de celle qu'ils
+produisent sur les cordes ou sur les tiges. C'est ainsi que l'acoustique
+a nettement expliqué l'impossibilité, remarquée de tout temps par les
+musiciens, de maintenir, sous l'influence des notables variations
+thermométriques, l'harmonie d'abord établie entre les instrumens à corde
+et les instrumens à vent.
+
+Dans tout ce qui précède, la ligne sonore est envisagée comme vibrant en
+totalité. Mais si, ce qui arrive le plus souvent, elle présente, à l'un
+de ses points, un léger obstacle, naturel ou artificiel, aux vibrations,
+le son éprouve alors une modification fondamentale extrêmement
+remarquable dont la loi générale, qui n'aurait, sans doute, pu être
+indiquée par la théorie mathématique, a été découverte depuis long-temps
+par le créateur de l'acoustique expérimentale, l'illustre physicien
+Sauveur. Elle consiste en ce que le son rendu par la corde coïncide
+toujours avec celui que produirait une corde analogue, mais plus
+courte, et d'une longueur égale à celle de la plus grande commune mesure
+entre les deux parties de la ligne totale. L'explication donnée par
+Sauveur de ce phénomène capital se réduit, comme on sait, à concevoir
+que l'obstacle détermine alors la division nécessaire de la corde en
+parties égales à cette commune mesure, qui vibrent à la fois mais
+indépendamment, et que séparent des noeuds de vibration immobiles.
+Quoiqu'on n'ait pu réellement se rendre compte jusqu'ici de la manière
+dont cette division est ainsi établie d'après la seule influence de
+l'obstacle primitif, une telle conception n'en est pas moins l'exacte
+représentation du phénomène, puisque Sauveur a constaté, par une
+ingénieuse expérience, devenue maintenant vulgaire, l'immobilité
+effective de ces points remarquables, comparativement à tous les autres
+points de la ligne sonore.
+
+Cette découverte de Sauveur est d'autant plus importante, qu'elle
+indique immédiatement l'explication la plus satisfaisante d'une autre
+loi fondamentale dévoilée par le même physicien, celle de la série des
+sons harmoniques plus ou moins distincts qui accompagnent constamment le
+son principal de chaque ligne sonore, et dont l'acuité croît comme la
+suite naturelle des nombres entiers, ainsi qu'on le constate aisément,
+soit par l'audition directe, quand une oreille délicate est suffisamment
+exercée, soit surtout en disposant, à côté de la corde primitive,
+d'autres cordes semblables et plus courtes, qui en soient les diverses
+parties aliquotes, et que le seul ébranlement de la première suffit
+alors pour faire vibrer. Un tel phénomène général peut être, sinon
+réellement expliqué, du moins exactement représente, en le rapprochant
+de celui qui précède. Car il suffit d'imaginer que la corde se divise
+alors spontanément, de diverses manières, en ses parties aliquotes, qui
+vibreraient isolément, ainsi que la ligne totale, à des intervalles très
+rapprochés, quoiqu'il soit, sans doute, difficile de concevoir,
+non-seulement le mode de production de ces divisions, mais encore même
+la simple conciliation effective de tous ces divers mouvemens
+vibratoires, qui sont presque simultanés.
+
+Telles sont les principales lois des tons simples. Nous ne possédons
+encore que des notions très imparfaites relativement à la théorie de la
+composition des sons, qui aurait cependant une grande importance. On la
+regarde habituellement comme ébauchée par la belle expérience du célèbre
+musicien Tartini, relative aux sons résultans, et dans laquelle la
+production exactement simultanée de deux sons quelconques, suffisamment
+intenses, et surtout bien caractérisés, fait entendre un son unique plus
+grave que chacun des deux autres, suivant une règle invariable et très
+simple. Toutefois, quelque intérêt que doive évidemment inspirer un
+phénomène général aussi remarquable, il ne me semble point appartenir
+strictement à la véritable acoustique, mais à la théorie physiologique
+de l'audition, qui doit désormais en être soigneusement séparée, comme
+je l'ai établi au commencement de cette leçon. Car, un tel phénomène me
+paraît être, par sa nature, essentiellement nerveux; c'est, à mon avis,
+une sorte d'hallucination normale du sens de l'ouïe, analogue aux
+illusions d'optique: l'explication ordinaire, fondée sur la coïncidence
+de certaines parties régulières des deux séries d'ondulations, ne fait
+que reculer la difficulté, sans la résoudre effectivement. Du reste, ce
+phénomène a pris, ce me semble, un nouvel intérêt scientifique depuis
+que l'attention a été fixée, comme je l'indiquerai dans la leçon
+suivante, sur l'important phénomène des _interférences_ lumineuses, qui
+offre réellement avec lui une analogie profonde, quoique jusqu'à présent
+inaperçue.
+
+Quant aux vibrations, non plus d'une simple fibre sonore, mais d'une
+surface également étendue en tous sens, et dont nous avons déjà
+remarqué que la théorie mathématique est encore dans l'enfance, la
+belle suite d'observations de M. Chladni a fait connaître, à cet égard,
+de très curieux phénomènes, surtout relativement aux formes régulières
+des lignes nodales. Ces recherches ont reçu, dans ces derniers temps, un
+important complément par les expériences de M. Savart, d'où ce judicieux
+physicien a déduit, d'abord, la remarque générale relative à la
+dissemblance constante des figures nodales qui correspondent aux deux
+surfaces d'une même lame, et ensuite la connaissance plus exacte de
+l'influence qu'exerce la direction de l'ébranlement sur la forme de ces
+lignes, qui cesse d'être ainsi nettement caractéristique du mode de
+vibration propre à chaque corps. En même temps, les travaux de M. Savart
+ont donné à cette étude une extension fort essentielle, par ses
+intéressantes observations sur le mouvement vibratoire des membranes
+tendues, qui doivent fournir des renseignemens indispensables pour
+l'intelligence du mécanisme fondamental de l'audition, en ce qui
+concerne l'influence sonore du degré de tension, de l'état
+hygrométrique, etc.
+
+L'étude du cas le plus général et le plus compliqué des mouvemens
+vibratoires, celui d'une masse qui vibre suivant les trois dimensions,
+a été encore à peine ébauchée par les physiciens, sauf pour quelques
+solides creux et réguliers. C'est cependant celui dont l'analyse exacte
+aurait le plus d'importance, puisque, sans lui, il est évidemment
+impossible de compléter l'explication d'aucun instrument réel, même de
+ceux où le son principal est produit par de simples lignes, dont les
+vibrations effectives doivent toujours être plus ou moins modifiées par
+les masses qui leur sont constamment liées. On peut dire, en général (et
+cette remarque me semble propre à résumer utilement l'esprit de
+l'ensemble des considérations indiquées dans cette leçon), que l'état de
+l'acoustique ne permet pas d'atteindre encore à l'entière explication
+des propriétés fondamentales d'aucun instrument musical, malgré les
+ingénieux travaux de Daniel Bernouilli sur la théorie des instrumens à
+vent. Cette condition, qui d'abord paraît si simple, se rapporte
+réellement, au contraire, à la plus grande perfection de la science,
+même en excluant ces effets extraordinaires, radicalement inaccessibles
+à toute analyse scientifique, que le jeu d'un habile artiste peut
+obtenir d'un instrument quelconque, et en se bornant uniquement, comme
+on doit le faire, aux influences susceptibles d'être nettement définies
+et fixement caractérisées.
+
+Telles sont les considérations principales, que la nature de cet
+ouvrage m'interdisait de développer davantage, relativement à l'examen
+philosophique de l'acoustique, envisagée dans son ensemble et dans ses
+parties. Quelque imparfait que soit, sans doute, ce rapide aperçu, il
+permettra, j'espère, d'apprécier exactement le vrai caractère général
+propre à cette belle partie de la physique, la haute importance des lois
+qu'elle nous a dévoilées jusqu'ici, les connexions fondamentales de ses
+diverses parties essentielles, ainsi que le degré de développement
+auquel chacune d'elles est maintenant parvenue, et les lacunes plus ou
+moins profondes qu'elle laisse encore à remplir pour correspondre
+convenablement à sa destination essentielle.
+
+
+
+
+TRENTE-TROISIÈME LEÇON.
+
+Considérations générales sur l'optique.
+
+La révolution fondamentale, et de plus en plus prononcée, par laquelle,
+depuis environ deux siècles, l'esprit humain, en fondant la philosophie
+naturelle, tend à se dégager irrévocablement de toute influence
+théologique ou métaphysique, ne s'est composée essentiellement
+jusqu'ici que d'une succession d'efforts plus ou moins partiels,
+toujours conçus d'une manière isolée, quoique tous, en réalité, aient
+convergé sans cesse vers un même but final, presque constamment inaperçu
+de ceux qui ont coopéré avec le plus d'ardeur et de succès à cette
+immense régénération intellectuelle. Si une telle incohérence a fait
+ressortir d'une manière plus éclatante l'irrésistible spontanéité de cet
+instinct universel qui caractérise les intelligences modernes, elle a
+produit aussi beaucoup de lenteur et d'embarras, et même, à certains
+égards, une véritable hésitation dans la marche générale de notre
+émancipation définitive. Personne n'ayant encore conçu directement la
+philosophie positive dans son ensemble réel, les conditions radicales de
+la positivité n'ayant jamais été rationnellement analysées, ni, à plus
+forte raison, nettement formulées, avec les modifications essentielles
+convenables aux divers ordres de recherches, il en est résulté que, sur
+les parties du système scientifique qui ne constituaient point le sujet
+spécial de leurs travaux, la plupart des illustres fondateurs de la
+philosophie naturelle ont continué, à leur insu, à subir cette même
+impulsion métaphysique et théologique dont leurs découvertes propres
+tendaient avec tant d'énergie à détruire les bases, et sous la
+prépondérance de laquelle s'était jusque alors exclusivement accomplie
+l'éducation générale de la raison humaine. Aucun penseur ne s'est autant
+rapproché, sans doute, que notre grand Descartes de cette conception, à
+la fois claire et complète, de l'ensemble de la philosophie moderne avec
+son vrai caractère: aucun n'a exercé aussi sciemment, dans cette
+transformation universelle, une action aussi directe, aussi étendue, et
+aussi efficace, quoique d'ailleurs essentiellement transitoire; aucun
+surtout ne s'est montré aussi indépendant de l'esprit dominant de ses
+contemporains. Cependant Descartes lui-même, dont la persévérante
+hardiesse renversait si vigoureusement tout l'édifice de l'ancienne
+philosophie relativement à l'ensemble des phénomènes inorganiques, et
+même quant aux phénomènes purement physiques de l'animalité, était, sous
+d'autres rapports, involontairement entraîné par son siècle en un sens
+tout-à-fait inverse, lorsqu'il entreprit tant de vains efforts, pour
+étayer, en les rajeunissant, les conceptions théologiques et
+métaphysiques sur l'étude de l'homme moral, ainsi que je l'expliquerai
+soigneusement en analysant, dans la dernière partie de cet ouvrage, la
+marche générale du développement effectif de l'humanité, dont Descartes
+fut incontestablement un des types essentiels. Après un tel exemple, on
+ne saurait être étonné de reconnaître chez les hommes d'un génie plus
+spécial, qui ont concouru à la formation ou au développement du système
+scientifique, sans s'occuper directement de la régénération fondamentale
+de la raison humaine, cette radicale inconséquence philosophique qui
+leur faisait suivre, à certains égards, une direction métaphysique, en
+même temps que, sous d'autres rapports, quelquefois peu éloignés, ils
+produisaient des manifestations si décisives du véritable esprit
+positif.
+
+Ces réflexions générales préliminaires sont éminemment applicables à
+l'histoire philosophique de l'optique, celle peut-être de toutes les
+branches essentielles de la physique où l'état de positivisme incomplet,
+caractérisé dans la vingt-huitième leçon, conserve encore aujourd'hui la
+plus profonde consistance, surtout à cause des importans travaux
+mathématiques qui malheureusement s'y rattachent. La formation de cette
+belle science est due principalement aux philosophes qui ont le plus
+puissamment contribué, sous d'autres rapports capitaux, à jeter les
+bases essentielles de la philosophie positive, tels que Descartes,
+Huyghens et Newton: et, néanmoins, l'influence inaperçue du vieil esprit
+métaphysique et absolu a poussé chacun d'eux à la création d'une
+hypothèse, nécessairement chimérique, sur la nature de la lumière. Un
+tel contraste est spécialement remarquable chez le grand Newton, qui,
+par son admirable doctrine de la gravitation universelle, comme je l'ai
+soigneusement établi dans la première partie de ce volume, avait élevé
+d'une manière irrévocable la conception fondamentale de la philosophie
+moderne au-dessus de l'état où le cartésianisme l'avait placée, en
+constatant l'inanité radicale de toutes les études dirigées vers la
+nature intime et le mode de production des phénomènes, et en assignant
+désormais, comme seul but nécessaire des efforts scientifiques vraiment
+rationnels, l'exacte réduction d'un système plus ou moins étendu de
+faits particuliers à un fait unique et général. Ce même Newton, dont
+l'exclamation favorite était: _ô physique! garde-toi de la
+métaphysique!_ s'est laissé entraîner, dans la théorie des phénomènes
+lumineux, par les anciennes habitudes philosophiques, jusqu'à la
+personnification formelle de la lumière, envisagée comme une substance
+distincte et indépendante du corps lumineux; ce qui constitue évidemment
+une conception tout aussi métaphysique que pourrait l'être celle de la
+gravité, si on lui attribuait une existence propre, isolée du corps
+gravitant.
+
+Après la discussion générale établie dans la vingt-huitième leçon sur la
+théorie fondamentale des hypothèses en philosophie naturelle, il serait
+entièrement superflu d'examiner ici, d'une manière spéciale, soit la
+fiction de Newton sur la lumière, soit celle, tout aussi nécessairement
+vaine, qu'on lui substitue maintenant, d'après Descartes, Huyghens et
+Euler: chacun leur appliquera aisément, avec les particularités
+convenables, tous les principes essentiels de cette nouvelle doctrine
+philosophique. La nullité radicale de ces conceptions
+anti-scientifiques, relativement à leur destination directe, n'a pas
+besoin d'être formellement constatée; il suffit de se demander, en se
+dégageant des préjugés scolastiques ordinaires, si la faculté lumineuse
+des corps est réellement expliquée, en aucune manière, par cela seul
+qu'on l'a transformée dans la propriété de lancer, avec une
+incompréhensible vitesse, de chimériques molécules, ou dans celle de
+faire vibrer les particules immobiles d'un fluide imaginaire, doué d'une
+inappréciable élasticité. N'est-il pas évident, au contraire, qu'on
+entasse ainsi mystères sur mystères, comme il doit arriver toutes les
+fois que nous voulons tenter de concevoir _à priori_ une notion vraiment
+primordiale, qui, par sa nature, ne saurait comporter d'explication? Du
+reste, on peut s'en rapporter, sur ce sujet, aux critiques irrésistibles
+que se sont mutuellement adressées, surtout depuis Euler, les partisans
+de ces deux hypothèses opposées. La préférence alternative qui, aux
+diverses époques de l'optique a été successivement accordée à chacun de
+ces systèmes, n'a tenu certainement qu'à ce que le développement naturel
+de la science attirait, d'une manière trop exclusive, l'attention
+générale des physiciens vers les phénomènes qui lui semblaient
+favorables, en la détournant momentanément de ceux qui lui étaient
+contraires, quoique l'ensemble réel des connaissances acquises leur
+fût, au fond, également opposé. Sans doute, les nombreuses objections
+présentées par Euler, avec une logique si nette et si pressante, contre
+la doctrine de l'émission, sont nécessairement insolubles: mais n'en
+est-il pas essentiellement ainsi de celles trop dissimulées aujourd'hui
+par notre système habituel d'enseignement, que les partisans de cette
+hypothèse faisaient autrefois, ou ont adressées depuis, au système des
+ondulations? Pour me borner à l'exemple le plus simple, a-t-on
+réellement concilié la propagation en tout sens, propre au mouvement
+vibratoire, avec le phénomène vulgaire de la nuit, c'est-à-dire, de
+l'obscurité produite par la seule interposition d'un corps opaque?
+L'objection fondamentale élevée à cet égard par les newtoniens contre le
+système de Descartes et d'Huyghens, n'est-elle pas effectivement restée
+aussi vierge aujourd'hui qu'elle l'était plus d'un siècle auparavant,
+malgré tant d'inintelligibles subterfuges?
+
+La juste appréciation de ces hypothèses arbitraires n'est pas moins
+évidente par la considération des phénomènes qui conviennent également à
+toutes deux. Cette possibilité de concevoir aussi bien les mêmes
+phénomènes généraux d'après les deux systèmes antagonistes, doit
+manifester à tous les esprits que les lois de ces phénomènes
+constituent seules la science réelle, dont de tels systèmes ne forment
+qu'une vague et inutile superfétation, échappant, par sa nature, à toute
+vérification effective. En voyant, par exemple, les lois de la réflexion
+et de la réfraction découler indifféremment de l'émission ou de
+l'ondulation, la nature arbitraire de ces explications chimériques ne
+devient-elle pas irrécusable? Sous ce rapport du moins, les travaux
+mathématiques dont chacune de ces conceptions a été le sujet n'auront
+pas été inutiles, dans un prochain avenir, à l'éducation générale de
+l'esprit scientifique, en contribuant à dissiper le prestige encore trop
+souvent attaché au seul emploi, judicieux ou abusif, de l'instrument
+analytique. Pourrait-on persévérer à regarder un tel appareil comme le
+vêtement caractéristique de la vérité, lorsqu'on le voit également
+applicable à deux hypothèses opposées, ainsi qu'il le serait sans doute
+à beaucoup d'autres conceptions analogues qu'on formerait aisément, si
+les progrès du véritable esprit positif ne tendaient point évidemment,
+au contraire, à l'exclusion totale et définitive de cette manière
+vicieuse de philosopher?
+
+De nos jours, il est vrai, les partisans les plus éclairés du système
+émissif ou du système vibratoire sacrifient assez volontiers la réalité
+de ces conceptions, pour se retrancher dans leur prétendue propriété
+scientifique de faciliter, à titre de simple artifice logique, la
+combinaison des idées acquises, que l'on proclame essentiellement
+impossible sans elle. Mais le passage même d'une hypothèse à l'autre,
+sans que la science en ait certes éprouvé aucun préjudice, ne
+suffirait-il point pour témoigner clairement, envers chacune d'elles,
+contre une indispensabilité aussi gratuitement admise? Il faut convenir
+toutefois, comme je l'ai indiqué dans la discussion générale, que, pour
+des esprits déjà formés sous l'influence prépondérante des habitudes
+actuelles, la combinaison des idées scientifiques deviendrait
+nécessairement plus difficile, si tout à coup on les obligeait à se
+priver d'un tel mode de liaison, quelque vicieux qu'il soit en effet.
+Une telle considération, commune à tout régime intellectuel devenu, à
+une époque quelconque, suffisamment familier, ne saurait prouver, en
+aucune façon, que la nouvelle génération scientifique ne combinerait pas
+ses idées d'une manière encore plus facile, et surtout plus parfaite, si
+elle était élevée à envisager directement les relations générales des
+phénomènes, sans jamais recourir à ces vains artifices, par lesquels les
+réalités scientifiques doivent toujours être plus ou moins altérées.
+
+L'histoire effective de l'optique, envisagée dans son ensemble, montre
+clairement, à mon gré, que ces secours illusoires n'ont exercé aucune
+influence notable sur les vrais progrès de la théorie de la lumière,
+puisque toutes les acquisitions importantes leur sont évidemment
+étrangères. Cette remarque n'est pas seulement incontestable à l'égard
+des lois fondamentales de la réflexion et de la réfraction, dont la
+découverte a essentiellement précédé la construction de ces systèmes
+arbitraires. Elle est aussi réelle, quoique moins évidente, envers
+toutes les autres vérités principales de l'optique. L'hypothèse de
+l'émission n'a pas plus inspiré à Newton la notion de l'inégale
+réfrangibilité des diverses couleurs, que celle de l'ondulation n'a
+réellement contribué à dévoiler à Huyghens la loi de la double
+réfraction propre à certaines substances. C'est constamment après coup
+que la coexistence, chez d'aussi grands hommes, de ces chimériques
+conceptions avec ces immortelles découvertes, a pu faire croire à
+l'influence effective des unes sur les autres. Même dans un ordre
+d'idées moins général, c'est exclusivement à la comparaison directe des
+phénomènes qu'ont toujours été dues les nouvelles notions, et jusqu'aux
+heureuses conjectures. Quand la combustibilité du diamant a été si
+judicieusement présumée par la profonde sagacité de Newton, cette
+indication ne résultait-elle pas uniquement du simple rapprochement de
+deux phénomènes généraux, la nature inflammable des corps les plus
+réfringens? Lorsque, plus tard, Euler, contrairement aux opinions
+établies, pressentit avec tant de succès la possibilité nécessaire de
+l'achromatisme rigoureux, cette idée ne lui fût-elle pas immédiatement
+suggérée par la simple considération de l'existence évidente d'une telle
+compensation dans l'appareil oculaire, à laquelle d'ailleurs il mêlait
+indûment un caractère de finalité qu'on en pouvait aisément écarter?
+Quelle part effective le système émissif ou le système ondulatoire
+ont-ils eue à ces diverses notions optiques, et à tant d'autres plus ou
+moins importantes, qu'il serait facile de citer?
+
+J'ai expliqué dans la vingt-huitième leçon, à laquelle je renvoie, la
+destination réelle et le genre d'utilité purement philosophique qui me
+paraissent propres à ces conceptions imaginaires, dont le véritable
+office se réduit à servir momentanément, mais d'une manière très
+puissante et même strictement indispensable, au développement général de
+l'esprit scientifique, en permettant à notre faible intelligence la
+transition graduelle du régime franchement métaphysique au régime
+entièrement positif: elles n'ont pas en effet d'autre but essentiel. Or,
+j'ai aussi indiqué alors les motifs principaux qui doivent faire
+envisager cette fonction temporaire comme étant aujourd'hui, et même
+depuis long-temps, suffisamment accomplie, et l'empire trop prolongé de
+cette méthode vicieuse comme tendant par suite à entraver notablement le
+vrai progrès de la science. L'une et l'autre considération me semblent
+particulièrement incontestables à l'égard de l'optique, pour quiconque
+examinera sans prévention et d'une manière assez approfondie son état
+actuel, surtout depuis l'adoption presque universelle du système
+vibratoire au lieu du système émissif.
+
+Il importe, en outre, de signaler ici une dernière disposition qui sans
+doute contribue beaucoup aujourd'hui, même chez d'excellens esprits, à
+la prolongation abusive de cette marche anti-scientifique, parce qu'elle
+présente un caractère fort spécieux, comme n'étant que l'exagération
+d'un penchant d'ailleurs très convenable à la plus entière coordination
+possible de nos diverses études. Les plus recommandables défenseurs de
+ces vaines hypothèses, ceux qui déjà sentent avec énergie le vide
+nécessaire des recherches absolues sur la nature intime et le mode
+essentiel de production des phénomènes, se persuadent encore que du
+moins l'optique acquiert ainsi une rationnalité bien plus satisfaisante
+en se rattachant d'une manière générale aux lois fondamentales de la
+mécanique universelle. Il est certain en effet que le système émissif,
+par exemple, ne peut avoir d'autre sens intelligible que de présenter
+les phénomènes lumineux comme radicalement analogues à ceux du mouvement
+ordinaire: de même la seule signification admissible de l'hypothèse des
+ondulations consiste évidemment dans l'assimilation des phénomènes de la
+lumière avec ceux de l'agitation vibratoire qui constitue le son: d'une
+part, c'est à la barologie, de l'autre à l'acoustique, que l'on prétend
+comparer l'optique. Mais comment des analogies aussi gratuites, aussi
+incompréhensibles même, pourraient-elles avoir aucune véritable
+efficacité scientifique? En quoi perfectionneraient-elles réellement nos
+moyens généraux de coordination? Quand des phénomènes peuvent
+effectivement rentrer sous le ressort de la mécanique rationnelle, une
+telle propriété n'est jamais équivoque ni arbitraire; elle résulte
+immédiatement, et à tous les yeux, de la simple inspection des
+phénomènes; elle n'a pu devenir, à aucune époque, un sujet sérieux de
+contestation: toute la difficulté a toujours été seulement de connaître
+d'une manière assez complète les lois générales du mouvement pour
+pouvoir en réaliser une semblable application. Ainsi, personne ne
+méconnaissait la nature évidemment mécanique des principaux effets
+relatifs à la pesanteur ou au son long-temps avant que les progrès de la
+dynamique rationnelle eussent permis de l'employer à leur exacte
+analyse. On conçoit qu'une telle application a puissamment contribué,
+comme j'ai tâché de le faire sentir, au perfectionnement réel de la
+barologie et de l'acoustique; mais cela tient essentiellement à ce
+qu'elle n'avait rien de forcé ni d'hypothétique. Il ne saurait en être
+de même quant à l'optique. Malgré toutes les suppositions arbitraires,
+les phénomènes lumineux constitueront toujours une catégorie _sui
+generis_, nécessairement irréductible à aucune autre: une lumière sera
+éternellement hétérogène à un mouvement ou à un son.
+
+Les considérations physiologiques elles-mêmes s'opposeraient
+invinciblement, à défaut d'autres motifs, à une telle confusion d'idées,
+par les caractères inaltérables qui distinguent profondément le sens de
+la vue, soit du sens de l'ouie, soit du sens de contact ou de pression.
+Si ces séparations radicales pouvaient être arbitrairement effacées
+d'après des hypothèses gratuites, d'ailleurs plus ou moins ingénieuses,
+on ne voit pas où s'arrêteraient de telles aberrations. Ainsi, par
+exemple, un philosophe, dont la prédilection scientifique porterait sur
+les effets chimiques, serait dès lors suffisamment autorisé, en prenant
+pour type le sens du goût ou celui de l'odorat, à prétendre expliquer à
+son tour les couleurs et les tons en les assimilant à des saveurs ou à
+des odeurs. Cette bizarre conception n'exigerait pas peut-être, en
+réalité, de plus grands efforts d'imagination, ni des subtilités plus
+étranges, qu'il n'en a fallu pour aboutir, par un procédé de même
+nature, à la similitude, aujourd'hui classique, entre les tons et les
+couleurs.
+
+Que l'esprit humain sache donc, à cet égard, renoncer enfin à
+l'irrationnelle poursuite d'une vaine unité scientifique, et reconnaisse
+que les catégories radicalement distinctes de phénomènes hétérogènes
+sont plus nombreuses que ne le suppose une systématisation vicieuse.
+L'ensemble de la philosophie naturelle serait sans doute plus parfait
+s'il pouvait en être autrement; mais la coordination n'a de mérite et de
+valeur qu'autant qu'elle repose sur des assimilations réelles et
+fondamentales; déduite d'analogies purement hypothétiques, elle est à la
+fois sans consistance et sans utilité.
+
+Les physiciens vraiment rationnels devront donc s'abstenir désormais de
+rattacher, par aucune fiction scientifique, les phénomènes de la lumière
+à ceux du mouvement, vu leur hétérogénéité radicale. Tout ce que
+l'optique, dans son état actuel, peut comporter de mathématique, dépend,
+en réalité, non de la mécanique, mais de la géométrie, qui s'y trouve
+éminemment applicable, attendu la nature évidemment géométrique des
+principales lois de la lumière. À d'autres égards, on ne pourrait
+concevoir qu'une application directe de l'analyse, dans certaines
+recherches optiques, comme, par exemple, celles de Lambert sur la
+photométrie, où l'observation fournirait immédiatement quelques
+relations numériques: mais, en aucun cas, l'étude positive de la lumière
+ne saurait vraiment donner lieu à une analyse dynamique. Telles sont les
+deux directions générales suivant lesquelles les géomètres peuvent
+efficacement concourir aux progrès réels de l'optique, dont ils ont
+souvent à se reprocher aujourd'hui d'entraver le développement naturel
+en prolongeant l'empire des hypothèses anti-scientifiques par des
+analyses inopportunes et mal conçues, où brille d'ailleurs quelquefois,
+comme on le voit surtout dans les travaux si remarquables de M. Cauchy,
+une grande valeur abstraite, qui n'a malheureusement d'autre effet
+ordinaire que de rendre plus pernicieuse leur influence sur la
+philosophie de la science.
+
+Il m'a semblé nécessaire d'indiquer ainsi, quant à l'optique,
+l'application formelle de la doctrine générale établie, dans la
+vingt-huitième leçon, sur la théorie des hypothèses. Ni la barologie, ni
+l'acoustique ne l'exigeaient, au contraire, en aucune manière, et
+l'heureuse impulsion philosophique produite par le génie de Fourier a pu
+même m'en dispenser essentiellement pour la thermologie: cet examen est
+enfin moins nécessaire envers l'électrologie, quoique ces conceptions
+chimériques y soient au moins aussi prépondérantes, leurs vices radicaux
+étant tellement sensibles que presque tous leurs partisans les
+reconnaissent aujourd'hui. La consistance plus spécieuse qu'elles ont en
+optique, y demandait, à un certain degré, un jugement spécial.
+
+Procédons maintenant, d'une manière sommaire, sans nous occuper
+davantage de ces vaines hypothèses, à l'analyse philosophique de
+l'ensemble des connaissances réelles actuellement acquises sur la
+théorie de la lumière. Il est malheureusement difficile aujourd'hui,
+surtout quant aux découvertes récentes, de dégager nettement une telle
+exposition de toute allusion aux systèmes arbitraires d'après lesquels
+le langage scientifique a été jusqu'ici presque toujours formulé. Un
+physicien qui, pénétré de la doctrine philosophique établie dans cet
+ouvrage, entreprendrait un traité spécial pour exécuter convenablement
+cette épuration fondamentale, rendrait, j'ose le dire, à la science un
+service capital.
+
+L'ensemble de l'optique se décompose naturellement en plusieurs
+sections, d'après les différentes modifications générales dont la
+lumière, soit homogène, soit diversement colorée, est reconnue
+susceptible, suivant qu'on l'envisage comme directe, réfléchie,
+réfractée, ou enfin diffractée. Quoique le plus souvent coexistans dans
+les phénomènes ordinaires, des effets élémentaires aussi distincts ont
+dû être soigneusement séparés par les physiciens. À ces quatre parties
+principales, qui comprennent les seuls phénomènes optiques
+rigoureusement universels, il convient d'ajouter aujourd'hui, comme un
+indispensable complément, deux autres sections fort intéressantes,
+relatives à la double réfraction et à ce qu'on appelle la
+_polarisation_. Ces deux derniers ordres de phénomènes sont, sans doute,
+essentiellement propres à certains corps; mais ils n'en devraient pas
+moins être exactement analysés, ne fût-ce qu'à titre de modification
+remarquable des phénomènes fondamentaux: d'ailleurs, les corps qui nous
+les manifestent deviennent chaque jour plus nombreux, et leurs
+conditions se rapportent bien plus à certaines circonstances générales
+de structure qu'à de véritables particularités de substance. Il est, du
+reste, évidemment superflu de classer ici les différentes applications
+de ces six parties intégrantes de l'optique, soit à l'histoire
+naturelle, comme dans la belle théorie newtonienne de l'arc-en-ciel,
+soit aux arts, comme dans l'analyse, si difficile à établir avec
+précision, des divers instrumens visuels, y compris l'appareil oculaire
+lui-même. Quelque importantes que soient de telles applications, et
+quoique, à vrai dire, elles constituent la meilleure mesure du degré de
+perfection de la science, elles n'appartiennent pas au domaine rationnel
+de l'optique, que nous devons seul avoir en vue.
+
+Par les motifs généraux déjà indiqués, dans la leçon précédente, quant
+aux théories de l'audition et de la phonation, je dois condamner ici,
+d'une manière directe et formelle, comme radicalement irrationnel,
+l'usage encore presque universel, de comprendre, parmi les études
+optiques, la théorie de la vision, qui appartient, avec tant d'évidence,
+à la seule physiologie. Quand des physiciens veulent s'occuper d'une
+telle recherche, il est clair que la nature de leurs études propres ne
+s'adapte qu'à une partie des conditions de ce difficile problème; sous
+tout autre rapport, ils ne sont pas mieux préparés que le vulgaire: et
+quelque importante que soit, sans doute, cette partie, puisqu'elle
+constitue un préliminaire indispensable, elle ne saurait être prise pour
+l'ensemble, dont la considération est toujours, néanmoins, l'objet final
+du travail. Aussi en résulte-t-il d'ordinaire que plusieurs conditions
+capitales sont essentiellement négligées, ce qui rend les explications
+incomplètes, et, par suite, illusoires. À peine pourrait-on citer
+aujourd'hui une seule loi de la vision, qu'on puisse regarder comme
+établie, d'une manière vraiment fondamentale et positive, sur des bases
+immuables, même en se bornant aux phénomènes les plus simples et les
+plus vulgaires. C'est ainsi, par exemple, que la faculté élémentaire de
+voir distinctement à des distances fort inégales reste encore sans
+explication satisfaisante, après toutes les vaines tentatives des
+physiciens pour l'attribuer successivement à la plupart des élémens de
+l'appareil oculaire. Cette ignorance presque honteuse a, sans doute,
+principalement tenu jusqu'ici à ce que les vrais savans, physiciens ou
+physiologistes, laissaient la théorie des sensations entre les mains des
+seuls métaphysiciens, qui n'en pouvaient tirer que d'illusoires
+dissertations idéologiques. Mais sa durée trop prolongée résulte
+certainement aujourd'hui, en majeure partie, de la mauvaise
+organisation du travail scientifique à cet égard, depuis l'époque, déjà
+assez éloignée, où ces questions ont commencé à devenir le sujet de
+quelques tentatives de solution positive. Si, dès lors, les anatomistes
+et les physiologistes, empruntant à l'optique les documens préliminaires
+indispensables, s'étaient convenablement occupés de la théorie de la
+vision, au lieu d'attendre vainement, de la part des physiciens, des
+solutions qu'ils ne pouvaient fournir, nos connaissances réelles sur cet
+important sujet seraient, évidemment, dans un état moins déplorable.
+
+Une autre étude qui me semble devoir être radicalement bannie de
+l'optique, et même de toute la philosophie naturelle, non comme
+simplement déplacée, mais comme nécessairement inaccessible, consiste
+dans la théorie de la coloration des corps. Il serait, sans doute,
+inutile d'expliquer spécialement à ce sujet que je ne saurais avoir en
+vue, dans une telle critique, l'admirable série d'expériences de Newton
+et de ses successeurs sur la décomposition de la lumière, qui ont
+constitué irrévocablement une notion fondamentale, commune à toutes les
+parties de l'optique. Je veux parler des efforts, nécessairement
+illusoires, qu'on a si souvent tentés pour expliquer, soit par le
+système émissif, soit par le système vibratoire, le phénomène
+primordial, évidemment inexplicable, de la couleur élémentaire propre à
+chaque substance. Ces tentatives irrationnelles sont, à mon avis, des
+témoignages irrécusables et directs de la fâcheuse influence qu'exerce
+encore, sur nos intelligences à demi positives, l'antique esprit de la
+philosophie, essentiellement caractérisé par la tendance aux notions
+absolues. Il faut que notre raison naturelle soit aujourd'hui bien
+obscurcie par la longue habitude de ces conceptions vagues et
+arbitraires que j'ai si souvent signalées, pour que nous puissions
+envisager, comme une véritable explication de la couleur propre à tel
+corps, la prétendue faculté de réfléchir ou de transmettre exclusivement
+tel genre de rayons, ou celle, non moins inintelligible, d'exciter tel
+ordre de vibrations éthérées, en vertu de telle disposition chimérique
+des molécules, beaucoup plus difficile à concevoir que le fait primitif
+lui-même. Les explications placées par l'admirable Molière dans la
+bouche de ses docteurs métaphysiciens, ne sont pas, au fond, plus
+ridicules. N'est-il pas déplorable que le véritable esprit scientifique
+soit encore assez peu développé, pour qu'on soit obligé de formuler
+expressément de telles remarques? Personne n'entreprend plus aujourd'hui
+d'expliquer la pesanteur spécifique particulière à chaque substance ou
+à chaque structure. Pourquoi en serait-il autrement, quant à la couleur
+spécifique, dont la notion n'est pas, sans doute, moins primordiale?
+Cette seconde recherche n'est-elle point, par sa nature, tout aussi
+métaphysique que l'autre?
+
+Que la considération des couleurs soit, en physiologie, d'une importance
+capitale pour la théorie de la vision; que, de même, le système de
+coloration puisse devenir, en histoire naturelle, un moyen utile de
+classification: cela est évidemment incontestable, et je serais bien mal
+compris si l'on pouvait penser que je prétends condamner de telles
+études, ou d'autres tout aussi positives. Mais, en optique, la vraie
+théorie des couleurs doit se réduire à perfectionner l'analyse
+fondamentale de la lumière, de manière à apprécier l'influence de la
+structure, ou de telle autre circonstance générale, même accidentelle ou
+fugitive, sur la couleur transmise ou réfléchie, sans jamais s'engager
+d'ailleurs dans la recherche illusoire des causes premières de la
+coloration spécifique: le champ d'études ainsi circonscrit offre
+certainement, encore une assez vaste carrière à l'activité des
+physiciens.
+
+Considérant maintenant, d'une manière directe, les parties essentielles
+dont l'optique est composée, nous trouvons d'abord, comme la première et
+la plus fondamentale de toutes, l'optique proprement dite, ou l'étude de
+la lumière directe. Si, comme il convient, on fait remonter l'origine
+scientifique de cette étude à la connaissance nette et générale de la
+loi élémentaire relative à la propagation rectiligne de la lumière dans
+tout milieu homogène, l'époque exacte de ce point de départ est à peu
+près inassignable; c'est, avec la catoptrique, la seule branche de
+l'optique que les anciens aient cultivée. Cette première loi suffit
+évidemment pour que les nombreux problèmes relatifs à la théorie des
+ombres deviennent aussitôt réductibles à des questions purement
+géométriques, qui peuvent d'ailleurs donner lieu à de véritables
+difficultés d'exécution précise, sauf dans les cas, heureusement les
+plus importans à analyser, d'un corps lumineux très éloigné, ou à
+dimensions négligeables. Cette théorie dépend, en général, comme on
+sait, tant pour l'ombre que pour la pénombre, de la détermination d'une
+surface développable circonscrite à la fois au corps éclairant et au
+corps éclairé.
+
+Quelle que soit son antiquité réelle, cette première partie de l'optique
+n'en est pas moins encore extrêmement imparfaite, quand on l'envisage
+sous le second point de vue fondamental qui lui est propre,
+c'est-à-dire, relativement aux lois de l'intensité de la lumière, ou à
+ce qu'on appelle la _photométrie_, dont la connaissance exacte et
+approfondie aurait néanmoins une grande importance. L'intensité de la
+lumière est modifiée par plusieurs circonstances générales bien
+caractérisées, telles que la direction, soit émergente, soit incidente;
+la distance; l'absorption qu'exerce le milieu; enfin la couleur. Or, à
+ces divers égards, les notions que nous possédons aujourd'hui sont
+presque toujours, ou très vagues, ou essentiellement précaires.
+
+Il est d'abord évident que, sous ce rapport capital, l'optique actuelle
+pèche directement par la base, puisqu'elle manque d'instrumens
+photométriques, sur la certitude et la précision desquels on puisse
+réellement compter, et qui soient propres, dès lors, à fournir les
+seules vérifications décisives susceptibles d'élever au rang de lois
+naturelles les conjectures, plus ou moins plausibles, relatives aux
+divers modes de dégradation de la lumière. Tous nos photomètres
+reposent, au contraire, sur une sorte de cercle vicieux fondamental,
+puisqu'ils sont conçus d'après les lois mêmes qu'ils seraient destinés à
+vérifier, et ordinairement d'après la plus douteuse de toutes, en vertu
+de son origine essentiellement métaphysique, celle qui concerne la
+distance. Chacun sait par quelles vaines considérations absolues sur les
+émanations quelconques on suppose habituellement l'intensité de la
+lumière réciproque au carré de la distance, sans qu'une seule expérience
+ait jamais été instituée pour éprouver une conjecture aussi équivoque.
+Et telle est cependant la base incertaine que l'on donne aujourd'hui à
+la photométrie tout entière! Les vains systèmes sur la nature de la
+lumière, ont, comme je l'ai établi, si peu d'utilité réelle pour guider
+notre esprit dans l'étude effective de l'optique, que lorsque
+l'ondulation a été, de nos jours, universellement substituée à
+l'émission, ses partisans, exclusivement préoccupés des phénomènes qui
+avaient provoqué ce changement, n'ont pas même aperçu que la plupart des
+notions photométriques reposaient directement sur l'ancienne hypothèse,
+et réclamaient, par conséquent, une révision fondamentale, à laquelle
+nul ne paraît avoir pensé.
+
+On conçoit aisément ce que peut être la photométrie actuelle avec une
+telle manière de procéder. La loi relative à la direction, en raison du
+sinus de l'angle d'émergence ou d'incidence, n'est pas, au fond, mieux
+démontrée que celle propre à la distance, quoique la source en soit un
+peu moins suspecte. Il n'y a rien ici de semblable au beau travail de
+Fourier sur la chaleur rayonnante, dont j'ai caractérisé l'esprit dans
+l'avant-dernière leçon; et, néanmoins, le sujet pourrait être conçu, ce
+me semble, de façon à comporter une élaboration mathématique analogue.
+La seule branche de la photométrie qui présente aujourd'hui une vraie
+consistance scientifique, est la théorie mathématique de l'absorption
+graduelle et plus ou moins énergique exercée sur la lumière par un
+milieu quelconque, qui a été pour Bouguer, et ensuite pour Lambert, le
+sujet de travaux fort intéressans, quoique le défaut d'expériences
+précises et irrécusables se fasse sentir ici, comme dans les autres cas,
+quant à la vérification des principes, nécessairement précaires, d'un
+tel examen. Enfin, l'influence photométrique de la couleur a donné lieu
+à quelques observations exactes, mais dépourvues, par le même motif
+fondamental, de conclusions générales et précises, si ce n'est la
+fixation du _maximum_ de clarté au milieu du spectre solaire. Ainsi, en
+résumé, dans cette première partie de l'optique, quoiqu'elle soit de
+beaucoup la plus ancienne, et qu'elle semble la plus facile, les
+physiciens n'ont pas encore réellement dépassé, d'une manière très
+notable, le terme où conduit spontanément l'observation vulgaire, du
+moins en écartant tout ce qui se rattache à la géométrie, et la mesure
+de la vitesse de propagation de la lumière, fournie par l'astronomie.
+
+Il en est tout autrement à l'égard de la catoptrique, et surtout de la
+dioptrique, si l'on élague, bien entendu, les questions radicalement
+insolubles relatives aux causes premières de la réflexion et de la
+réfraction. Les notions universelles sur ces deux ordres de phénomènes
+généraux ont été considérablement étendues et perfectionnées par les
+études scientifiques, d'après lesquelles tous les effets variés qui s'y
+rattachent sont désormais ramenés à un très petit nombre de lois
+uniformes, d'une précision et d'une simplicité remarquables.
+
+La loi fondamentale de la catoptrique, déjà bien connue des anciens, et
+vérifiée par une multitude d'expériences diverses, soit directes, soit
+surtout indirectes, consiste en ce que, quelles que soient la forme et
+la nature du corps réflecteur, ainsi que la couleur et l'intensité de la
+lumière, l'angle de réflexion est constamment égal à l'angle
+d'incidence, et dans le même plan normal. D'après cette seule loi,
+l'analyse exacte des divers effets produits par toutes les espèces de
+miroirs est immédiatement réduite à de simples problèmes géométriques,
+qui pourraient, il est vrai, suivant la forme du corps, conduire souvent
+à de longs et pénibles calculs, si les cas très faciles du plan, de la
+sphère, et tout au plus du cylindre circulaire droit, n'étaient point,
+en réalité, les plus nécessaires à examiner complétement. Toutefois,
+dans ces cas élémentaires, la détermination rationnelle des images
+présenterait d'assez grandes difficultés géométriques, si l'on y
+prétendait à une précision rigoureuse, qui, heureusement, n'est pas en
+effet nécessaire. Cette détermination repose essentiellement, en
+général, sous le point de vue mathématique, sur la théorie des
+_caustiques_, créée par Tschirnaüs, et qu'il est aisé de caractériser.
+
+Le seul principe exact qui paraisse établi d'une manière irrécusable
+dans la théorie physiologique de la vision consiste en ce que l'oeil
+rapporte toujours la position d'un point au lieu d'où lui paraissent
+diverger les rayons lumineux qui en émanent, quelques déviations qu'ils
+aient d'ailleurs éprouvées avant de parvenir à l'organe. D'après ce
+principe, l'appréciation rigoureuse de l'image d'un point quelconque vu
+à l'aide d'un miroir donné exige naturellement la considération des deux
+surfaces _caustiques_ contenant le système des points d'intersection des
+rayons réfléchis consécutifs qui correspondent aux rayons dirigés du
+point primitif vers toutes les parties du miroir; car, ces deux
+surfaces étant une fois déterminées, il suffirait de leur mener de
+l'oeil une tangente commune pour avoir aussitôt la direction suivant
+laquelle il apercevra le point proposé. Quant à la position précise de
+l'image sur cette droite, dans le cas où les deux points de contact
+seront du même côté de l'organe, on ne le détermine habituellement que
+d'une manière fort hasardée, qui consiste à prendre, sans aucune raison
+vraiment fondée, le milieu entre ces deux points. Il en est
+essentiellement de même à l'égard des images que produisent les
+lentilles, et dont la détermination mathématique reposerait, d'une
+manière analogue, sur la considération des caustiques par réfraction
+assujetties à une théorie semblable, quoique nécessairement plus
+compliquée. Du reste, le défaut d'expériences directes et exactes, à ce
+sujet, et l'incertitude fondamentale qui caractérise encore presque
+toutes les parties de la théorie de la vision, ne permettent peut-être
+pas de garantir suffisamment la réalité rigoureuse de conséquences aussi
+éloignées fournies par le principe général sur lequel on s'appuie dans
+ces diverses déterminations.
+
+Toute réflexion lumineuse sur un corps quelconque est constamment
+accompagnée de l'absorption d'une partie plus ou moins notable, mais
+toujours très grande, de la lumière incidente; ce qui donne lieu, en
+catoptrique, à une seconde question générale fort intéressante. Mais
+l'imperfection radicale que nous avons constatée dans la photométrie
+actuelle affecte nécessairement une telle étude, qui a été jusqu'ici à
+peine ébauchée par quelques observations incomplètes et peu suivies,
+d'où l'on ne peut tirer aucune loi certaine. Ce décroissement
+d'intensité est-il le même sous toutes les incidences? Sa valeur
+relative est-elle indépendante du degré de clarté? Quelle est, à cet
+égard, l'influence de la couleur? Les notables variations de ce
+phénomène, dans les différens corps réflecteurs, sont-elles en harmonie
+avec d'autres caractères spécifiques, surtout optiques? Ces diverses
+questions sont encore tout-à-fait intactes, ou n'ont pas même été
+posées; ce qui sans doute doit peu nous étonner si nous considérons
+l'absence d'instrumens propres à mesurer avec exactitude l'intensité de
+la lumière, et par suite les variations quelconques de cette intensité.
+Nous ne possédons réellement aujourd'hui à ce sujet aucun autre
+renseignement général, si ce n'est que l'absorption de la lumière paraît
+être toujours plus grande, à un degré d'ailleurs inconnu, par réflexion
+que par transmission; d'où est résulté, dans ces derniers temps, l'usage
+des phares lenticulaires, si heureusement introduit par Fresnel.
+
+Enfin, l'étude de la réflexion donne lieu, pour toutes les substances
+diaphanes, à un dernier ordre de recherches plus avancé que le
+précédent, mais dont les principales lois sont encore mal connues. Dans
+de tels corps, la réflexion accompagne toujours la réfraction, et par
+conséquent on peut examiner suivant quelles lois générales ou spéciales
+s'accomplit la répartition entre la lumière transmise et la lumière
+réfléchie. On sait seulement que celle-ci est d'autant plus abondante
+que l'incidence est plus oblique, et que la réflexion commence à devenir
+totale à partir d'une certaine inclinaison propre à chaque substance, et
+mesurée exactement pour plusieurs corps. Cette inclinaison paraît être
+toujours d'autant moindre que la substance est plus réfringente, quoique
+la loi exacte admise d'ordinaire à ce sujet se rattache uniquement
+jusqu'ici aux hypothèses hasardées sur la nature de la lumière, ce qui
+laisse à désirer une comparaison faite d'après des expériences directes
+et précises, dégagées de toute prévention systématique.
+
+De toutes les parties fondamentales de l'optique, la dioptrique est
+incontestablement aujourd'hui la plus riche en connaissances certaines
+et précises, réduites à des lois simples et peu nombreuses, embrassant
+des phénomènes très variés. La loi fondamentale de la réfraction simple,
+entièrement ignorée des anciens, et découverte à la fois, sous deux
+formes distinctes et équivalentes, par Snellius et par Descartes,
+consiste dans la proportionnalité constante des sinus des angles que le
+rayon réfracté et le rayon incident, toujours contenus d'ailleurs dans
+un même plan normal, forment avec la perpendiculaire à la surface
+réfringente, en quelque sens que la réfraction ait lieu. Le rapport fixe
+de ces deux sinus, quand la lumière passe du vide dans un milieu
+quelconque, constitue le coefficient optique le plus important de chaque
+corps naturel, et tient même un rang essentiel dans l'ensemble de ses
+caractères physiques. Les physiciens se sont occupés de le déterminer
+avec beaucoup de soin et de succès, par des procédés ingénieux et d'une
+exactitude admirable: ils en ont dressé des tables fort précieuses et
+très étendues, qui peuvent rivaliser aujourd'hui, pour la précision,
+avec les tables de pesanteur spécifique, l'incertitude n'étant pas
+habituellement d'un centième sur la valeur numérique du pouvoir
+réfringent. Si la lumière passe d'un milieu réel dans un autre, le
+rapport de réfraction dépend alors de la nature de tous deux; mais en un
+cas quelconque, le passage inverse lui donne toujours une valeur
+exactement réciproque, comme l'expérimentation l'a constamment montré.
+L'étude des réfractions consécutives, à travers un nombre quelconque
+d'intermédiaires terminés par des surfaces communes, a fait connaître,
+en général, cette loi importante et très simple: la déviation définitive
+est la même que si la lumière eût immédiatement passé du premier milieu
+dans le dernier. C'est en vertu de cette loi remarquable que les tables
+ordinaires de réfraction contiennent seulement les valeurs du rapport de
+réfraction propres au cas, presque idéal, mais fournissant une unité
+commode, où la lumière pénétrerait du vide dans chaque substance; la
+simple division de ces nombres les uns par les autres suffit, dès lors,
+pour en déduire les rapports effectifs qui conviennent à toutes les
+comparaisons binaires qu'on juge à propos d'établir.
+
+Tant qu'un corps n'éprouve aucune altération chimique, et qu'il devient
+seulement plus ou moins dense, le rapport de réfraction qui lui est
+propre varie proportionnellement à la pesanteur spécifique, comme il est
+aisé de la constater, surtout pour les liquides, et encore mieux pour
+les gaz, où la température et la pression permettent de tant modifier la
+densité. C'est pourquoi les physiciens, afin d'obtenir des caractères
+plus fixes, et par suite plus spécifiques, dans la comparaison
+dioptrique des diverses substances, ont dû considérer, de préférence au
+rapport de réfraction proprement dit, son quotient par la densité,
+qu'ils ont nommé spécialement _pouvoir réfringent_; distinction
+réellement motivée, malgré son origine suspecte, qui se rattache aux
+systèmes sur la lumière. Toutefois, il ne paraît pas que ce quotient
+reste invariable quand le corps, même sans subir aucune modification
+chimique, passe successivement par divers états d'agrégation, comme on
+l'a surtout reconnu à l'égard de l'eau. L'existence de ces variations du
+pouvoir réfringent est assez prononcée pour que, dans ces derniers
+temps, les partisans du système vibratoire aient pu en tirer un de leurs
+argumens formels contre le système émissif, qui semblait exiger, en
+effet, la fixité numérique d'un tel caractère, quoique le vague inhérent
+à ces hypothèses arbitraires eût permis, sans doute, aux newtoniens
+d'adapter leur thèse à cette modification expérimentale. Il est fort à
+craindre, sans qu'on doive néanmoins l'affirmer, qu'une révision aussi
+scrupuleuse ne renversât également la loi ordinaire relative au pouvoir
+réfringent d'un mélange quelconque, et qui consiste en ce que le produit
+de ce nombre par le poids du mélange, ou le produit équivalent du
+rapport de réfraction par le volume, est toujours la somme des produits
+analogues propres à toutes les parties intégrantes. Cette relation
+constituerait, pour la philosophie naturelle, un théorème général très
+remarquable et fort important, si l'on pouvait définitivement compter
+sur sa réalité, et, en même temps, l'étendre à toutes les combinaisons,
+au lieu de la borner aux simples mélanges gazeux, et surtout enfin la
+dégager de toute présupposition hasardée sur la permanence nécessaire du
+pouvoir réfringent. En général, ce n'est pas aujourd'hui l'un des
+moindres inconvéniens inséparables de l'emploi des hypothèses
+anti-scientifiques sur la nature intime des phénomènes, que la confusion
+vicieuse, et souvent presque inextricable, qui en résulte
+continuellement entre les notions vraiment constatées et celles purement
+systématiques, et qui, pour les esprits impartiaux, peut rendre fort
+équivoque le caractère effectif de la science.
+
+La loi fondamentale de la réfraction a reçu un complément indispensable
+par les belles découvertes de Newton sur l'inégale réfrangibilité des
+diverses couleurs élémentaires. Du fait même de la décomposition de la
+lumière dans un prisme, il s'ensuit évidemment que le rapport du sinus
+d'incidence, quoique constant pour chaque couleur, varie de l'une à
+l'autre partie du spectre solaire. L'accroissement total qu'il éprouve
+depuis les rayons rouges jusqu'aux violets mesure la _dispersion_
+propre à chaque substance, et doit compléter la détermination de son
+pouvoir réfringent dans les tables usuelles, où l'on ne peut insérer que
+la réfraction moyenne. Cette évaluation, attendu sa petitesse,
+constitue, en général, une des plus délicates opérations de l'optique
+actuelle, et ne saurait comporter autant d'exactitude que celle de
+l'action réfringente proprement dite, surtout dans les corps qui dévient
+peu la lumière, comme les gaz principalement: elle est, néanmoins, bien
+connue maintenant pour un assez grand nombre de substances, solides ou
+liquides. En comparant ainsi les changemens qu'éprouve le pouvoir
+dispersif quand on passe d'un corps à un autre, on a reconnu que ses
+variations sont loin d'être proportionnelles, comme Newton l'avait cru,
+à celles du pouvoir réfringent; on voit même, en plus d'un cas, que la
+lumière est moins dispersée par des substances qui la réfractent
+davantage. Ce défaut général de correspondance entre deux qualités aussi
+analogues en apparence (découvert, vers le milieu du siècle dernier, par
+le célèbre opticien Dollond) est justement regardé comme constituant, en
+optique, une notion capitale, puisqu'il en résulte la possibilité de
+l'achromatisme, par la compensation des actions opposées dues à deux
+substances différentes, qui, sans cela, ne pourraient cesser de
+disperser la lumière qu'en cessant aussi de la dévier.
+
+D'après les seules lois de la réfraction, on conçoit aisément que
+l'analyse exacte des nombreux effets relatifs à l'action des milieux
+homogènes sur la lumière qui les traverse ne peut plus présenter que des
+difficultés purement géométriques. La grande complication que pourrait y
+introduire la forme du corps réfringent, est notablement diminuée dans
+les cas ordinaires, où l'on peut se borner à envisager des surfaces
+planes, sphériques ou cylindriques[31]. Toutefois, un examen complet
+deviendrait même alors fort embarrassant, surtout en ayant égard à la
+dispersion, si, pour le simplifier, on ne le réduisait à l'appréciation
+suffisamment approximative des seules circonstances qui se présentent le
+plus souvent.
+
+ [Note 31: À l'origine de la dioptrique, Descartes
+ entreprit de belles recherches géométriques, qui avaient une
+ haute valeur mathématique dans un temps antérieur à la
+ création de l'analyse infinitésimale, sur les formes
+ rigoureuses qu'il faudrait donner aux surfaces réfringentes
+ pour produire une parfaite concentration des rayons en un
+ foyer unique. Mais l'impossibilité reconnue d'exécuter avec
+ assez de précision des lentilles aussi compliquées, dont
+ chacune d'ailleurs ne s'adapterait, par sa nature, qu'à un
+ seul cas, a généralement déterminé ensuite les physiciens à
+ employer exclusivement les surfaces sphériques ou
+ cylindriques, sauf à tenir compte approximativement de leur
+ défaut de concentration, peu étendu dans la plupart des
+ circonstances ordinaires.]
+
+Outre la réflexion et la réfraction, la lumière peut éprouver une autre
+modification générale fort importante, dont l'étude, ébauchée par
+Grimaldi et par Newton, constitue maintenant, depuis les belles
+recherches du docteur Young, complétées par celles, non moins
+remarquables, de Fresnel, une des parties essentielles de l'optique.
+Cette modification, connue sous le nom de _diffraction_, consiste dans
+la déviation, toujours accompagnée d'une dispersion plus ou moins
+prononcée, que subit la lumière en passant très près des extrémités d'un
+corps quelconque. Elle se manifeste, de la manière la plus simple, par
+les franges inégales et diversement colorées, les unes extérieures, les
+autres intérieures, qui entourent les ombres produites dans la chambre
+obscure. Le fameux principe général des _interférences_, découvert par
+le docteur Young, constitue désormais la plus importante notion propre à
+cette théorie. Ce principe, si remarquable en lui-même, n'a été bien
+apprécié que depuis l'usage très étendu que Fresnel en a fait pour
+l'explication satisfaisante de plusieurs phénomènes intéressans et
+difficiles à analyser, et entre autres du célèbre phénomène des anneaux,
+colorés, sur lequel les beaux travaux de Newton laissaient encore
+beaucoup à désirer. La loi de ces singulières interférences consiste en
+ce que dans l'action mutuelle de deux faisceaux lumineux émanés d'un
+même point et ayant suivi, par une cause quelconque, deux routes
+distinctes, mais peu inclinées l'une à l'autre, les intensités propres
+aux deux lumières se neutralisent et s'ajoutent alternativement, en
+faisant croître par degrés égaux et très rapprochés, dont la valeur est
+déterminée, la différence de longueur entre les chemins que parcourent
+en totalité les deux faisceaux. Il est fort regrettable qu'un principe
+aussi important n'ait pas été encore nettement dégagé des conceptions
+chimériques sur la nature de la lumière, qui ont presque toujours altéré
+jusqu'ici son usage.
+
+L'esprit de cet ouvrage et ses limites nécessaires m'interdisent
+rigoureusement ici les détails qui seraient indispensables pour
+caractériser avec clarté, même par une simple indication, l'étude des
+phénomènes si remarquables de la double réfraction propre à plusieurs
+cristaux, et dont la loi générale a été découverte par Huyghens sous une
+forme géométrique fort élégante, où l'on passe de la réfraction
+ordinaire à cette nouvelle déviation par la seule substitution d'un
+ellipsoïde à une sphère. Il en est de même, à plus forte raison, quant
+aux nombreux phénomènes, si bien dévoilés par l'illustre Malus, sous le
+nom, d'ailleurs peu convenable, de _polarisation_, qui se rapportent aux
+modifications qu'éprouve la lumière lorsqu'elle a été réfléchie par un
+corps quelconque sous une certaine inclinaison, propre à chaque
+substance, et qui paraît dépendre uniquement de son rapport de
+réfraction.
+
+Tels sont les aperçus rapides et très incomplets auxquels je suis obligé
+de me borner, par la nature de cet ouvrage, sur le caractère général des
+diverses branches principales de l'optique. Quoique j'aie dû signaler
+sommairement, dans cet examen philosophique, les lacunes fondamentales
+et peu senties que présentent aujourd'hui la plupart d'entre elles,
+j'espère avoir fait ressortir aussi, avec encore plus de soin, les
+grands et nombreux résultats déjà obtenus pendant les deux derniers
+siècles, quant à cette partie capitale de la physique, malgré la
+subalternité évidente où le génie de l'expérimentation rationnelle y a
+toujours été retenu jusqu'ici par la prépondérance désastreuse des
+vaines hypothèses sur le prétendu principe de la lumière.
+
+
+
+
+TRENTE-QUATRIÈME LEÇON.
+
+Considérations générales sur l'électrologie.
+
+Cette dernière branche principale de la physique, relative aux
+phénomènes les plus compliqués et les moins apparens, n'a pu se
+développer qu'après toutes les autres. Quoique l'invention de la machine
+électrique soit aussi ancienne que celle de la machine pneumatique,
+c'est seulement un siècle plus tard que cette étude a commencé à prendre
+un vrai caractère scientifique, par les travaux de Dufay et de Symner
+sur la distinction des deux électricités, par l'expérience fondamentale
+de Musschembroëk sur la bouteille de Leyde, et peu après par
+l'immortelle découverte météorologique du grand Franklin, première
+manifestation importante de l'influence capitale d'un tel ordre de
+phénomènes dans le système général de la nature. Jusque alors, les
+observations, essentiellement isolées, des divers physiciens n'avaient
+eu d'autre résultat philosophique que de dévoiler peu à peu le
+caractère de généralité inhérent à cette partie de la physique comme à
+toutes les autres, en augmentant de plus en plus le nombre des corps
+susceptibles de ces remarquables phénomènes, si long-temps attribués,
+d'une manière exclusive, à certaines substances, ainsi que le témoigne
+encore la dénomination qu'on leur a conservée. Enfin, c'est uniquement
+depuis les mémorables travaux de l'illustre Coulomb, il y a cinquante
+ans, que cette étude a présenté, par sa consistance et par sa précision,
+un aspect rationnel, comparable, quoique plus ou moins inférieur, à
+celui des autres branches fondamentales de la physique.
+
+Cette complication supérieure et cette formation plus récente de
+l'électrologie, suffisent pour expliquer aisément son imperfection
+scientifique actuelle, comparativement à tout le reste de la physique.
+Sous le simple rapport des observations, aucune autre étude peut-être ne
+nous offre aujourd'hui une aussi grande variété de phénomènes curieux et
+importans. Mais, les faits seuls ne constituent point la science,
+quoiqu'ils en forment à la fois les fondemens nécessaires et les
+indispensables matériaux. Pour tout esprit philosophique, la science
+consiste essentiellement désormais dans la systématisation réelle, la
+plus complète et la plus exacte possible, des phénomènes observés,
+d'après certaines lois générales irrécusablement constatées. Or, à cet
+égard, quelque imparfaites que soient effectivement aujourd'hui, suivant
+l'ensemble des leçons précédentes, les diverses branches principales de
+la physique, l'électrologie est, sans doute, encore moins avancée
+qu'aucune d'elles. La plupart des observations y sont essentiellement
+incohérentes, les phénomènes n'y étant presque jamais assujettis jusqu'à
+présent qu'à des relations vagues ou même illusoires, et, par suite,
+n'admettant le plus souvent aucune explication vraiment satisfaisante.
+Si l'on éprouvait quelque difficulté à reconnaître directement cet état
+d'imperfection, il suffirait, pour s'en convaincre, d'une manière
+irrécusable, d'envisager la science, relativement à son but final, la
+prévision des phénomènes d'après leurs lois générales. Il est évident
+que, par l'étude actuelle des phénomènes électriques, on peut rarement
+prévoir, non-seulement avec précision, mais simplement même avec
+certitude, ce qui se passera dans des circonstances qui ne seraient pas
+entièrement identiques à celles dont l'influence a déjà été
+immédiatement observée: en sorte que la destination nécessaire de tout
+système de recherches vraiment scientifiques est jusqu'ici presque
+toujours manquée en électrologie.
+
+Dans aucune autre partie de la physique, pas même en optique,
+l'influence des hypothèses arbitraires et quasi-métaphysiques sur les
+agens chimériques des phénomènes n'est aussi étendue, ni surtout aussi
+nettement caractérisée, l'absence presque totale des lois réelles
+rendant ici une telle influence beaucoup plus saillante. La naïve
+confiance avec laquelle on y explique si facilement tous les phénomènes,
+en douant des fluides imaginaires d'une nouvelle propriété pour chaque
+nouvelle occurrence, rappelle, d'une manière frappante, l'esprit des
+anciennes explications métaphysiques, sauf que l'entité a été remplacée
+par un fluide idéal, comme je l'ai établi dans la vingt-huitième leçon.
+Mais, une intervention aussi complète et aussi marquée est, par cela
+même, moins dangereuse aujourd'hui. Elle n'a pas autant besoin d'un
+examen spécial que l'influence analogue qui s'exerce encore, d'une
+manière bien plus spécieuse, quoiqu'à un moindre degré, dans la théorie
+de la lumière, où le mélange intime de ces vains systèmes avec
+d'admirables lois rend plus difficile leur juste appréciation, par
+l'imposant aspect qu'ils en acquièrent, comme j'ai dû l'indiquer
+expressément dans la leçon précédente. En électrologie, au contraire,
+les physiciens même les moins philosophes doivent maintenant reconnaître
+la stérilité radicale de ces hypothèses illusoires, qui n'ont eu,
+évidemment, aucune part effective aux nombreuses découvertes dont la
+science s'est enrichie depuis un demi-siècle, et qu'il a fallu y
+rattacher arbitrairement après coup. Aussi, la plupart ne voient
+aujourd'hui, dans ces vicieux artifices, qu'une sorte d'appareil
+mnémonique, propre à faciliter la liaison des souvenirs, quoique ayant
+eu primitivement une tout autre destination. Sans doute, sous ce rapport
+secondaire lui-même, un tel appareil serait mal construit; et, à
+supposer qu'un semblable secours soit nécessaire, ce qui me paraît fort
+exagéré, on devrait certainement préférer, à cet égard, un système de
+formules scientifiques, spécialement adapté à cette fonction[32]. Mais,
+l'allégation d'un pareil motif n'est, en réalité, aujourd'hui, qu'un
+indice certain du sentiment confus de l'inanité caractéristique de ces
+conceptions arbitraires, sans qu'on ose encore renoncer définitivement à
+leur usage. Toutefois, quoique leur empire n'ait point, à beaucoup près
+aujourd'hui, autant de consistance, en électrologie, qu'il en conserve
+encore en optique, elles n'y exercent pas moins une influence très
+pernicieuse, ne fût-ce qu'en dissimulant à la plupart des esprits les
+besoins essentiels de la science. Il faut considérer d'ailleurs que, de
+la physique, cette action anti-scientifique se répand, d'une manière
+indirecte, mais nécessaire, sur toutes les parties plus compliquées de
+la philosophie naturelle, qui, à raison même de leur difficulté
+supérieure, auraient tant besoin d'une méthode plus sévère, dont il est
+naturel qu'elles cherchent le type dans les sciences antécédentes,
+tandis que les physiciens, au contraire, leur transmettent ainsi un
+modèle radicalement vicié. Ces mêmes hypothèses, auxquelles les
+physiciens se défendent d'attribuer sérieusement aucune réalité
+intrinsèque, deviennent néanmoins, par une suite naturelle de leur
+emploi, le sublime de la physique, aux yeux des savans qui, livrés à
+l'étude des phénomènes les plus complexes, croient y trouver la base
+préliminaire indispensable de leurs travaux propres; ce qui contribue
+singulièrement aujourd'hui à maintenir les notions vagues et hasardées.
+Sous ce rapport indirect, l'influence des systèmes relatifs à la nature
+des phénomènes électriques doit être plus spécialement dangereuse,
+surtout à l'égard des sciences physiologiques, comme nous aurons
+occasion de le reconnaître dans le volume suivant, par suite de
+l'incontestable relation qui existe, à tant de titres, entre les
+actions, soit chimiques, soit vitales, et les actions électriques. C'est
+ainsi que la conception des fluides électriques et magnétiques tend à
+fortifier spontanément celle du fluide nerveux, et souvent même
+contribue encore au maintien des plus absurdes rêveries sur ce qu'on
+appelle le _magnétisme animal_, dont les adeptes ont pu quelquefois
+s'enorgueillir d'avoir entraîné dans leurs rangs d'éminens physiciens.
+D'aussi déplorables conséquences sont propres à manifester combien peut
+devenir funeste, pour le système général de notre entendement, par suite
+d'une philosophie vicieuse, une étude qui, en elle-même, est, au
+contraire, éminemment favorable au développement positif de
+l'intelligence humaine.
+
+ [Note 32: Plusieurs philosophes de premier ordre, entre
+ autres Descartes, Leïbnitz, et plus tard, Condorcet, se sont
+ occupés avec zèle de la formation d'un langage spécial pour
+ la combinaison des idées scientifiques. Mais cette question,
+ quoique intéressante à examiner, ne me paraît pas avoir, au
+ fond, l'importance extrême qu'on y a attachée, sauf, bien
+ entendu, en ce qui concerne les systèmes de nomenclature.
+ Car, l'analyse mathématique se trouve déjà remplir un tel
+ office, d'une manière admirable, à l'égard des études assez
+ simples, et, par suite, assez perfectibles pour qu'un
+ semblable besoin de concision s'y fasse réellement sentir.
+ Quant aux sciences qui ne comportent pas l'application
+ effective de cette analyse, leur complication nécessaire me
+ semble devoir y limiter toujours à tel point la généralité
+ et le prolongement des déductions réelles, que ces besoins y
+ seront, sans doute, à toutes les époques, amplement
+ satisfaits par le perfectionnement graduel et continu que le
+ langage ordinaire reçoit spontanément. Une sorte de langue
+ sacrée pour les savans pourrait d'ailleurs opposer, dans
+ l'avenir, quelques entraves à la civilisation générale. On
+ peut s'en faire aujourd'hui une faible idée par l'emploi
+ abusif de l'instrument analytique lui-même, qui sert trop
+ souvent à déguiser, pour soi-même, et surtout pour les
+ autres, le vide réel des idées sous l'abondance illusoire du
+ discours algébrique.]
+
+Vu la nature plus compliquée des phénomènes variés dont elle s'occupe,
+l'électrologie comporte, à un degré beaucoup moindre qu'aucune autre
+partie de la physique, l'application des doctrines et des méthodes
+mathématiques, même en se bornant, comme nous devons le concevoir ici,
+aux actions purement physiques, à l'exclusion de tout effet chimique.
+Aussi ce moyen n'a-t-il point, en réalité, notablement participé jusqu'à
+présent au perfectionnement de cette étude. Toutefois, il importe de
+distinguer soigneusement, à cet égard, les deux manières opposées, l'une
+illusoire, l'autre réelle, dont une telle application a été conçue en
+électrologie.
+
+Les uns, en effet, l'ont uniquement fondée sur les fluides imaginaires
+auxquels on attribue vulgairement les phénomènes électriques et
+magnétiques, en transportant à l'action mutuelle de leurs molécules les
+lois générales de la mécanique rationnelle; le corps réel ne constitue
+alors qu'un simple _substratum_, nécessaire à la manifestation du
+phénomène, mais inutile à sa production, qui se passe tout entière dans
+le fluide. On comprend que de tels travaux mathématiques sont
+radicalement frappés d'inanité comme le prétendu principe qui leur sert
+de base; ils ne peuvent avoir de valeur essentielle qu'à titre de
+simples exercices analytiques, sans comporter aucune influence utile sur
+l'accroissement de nos vraies connaissances. Cette stérilité nécessaire
+est clairement vérifiée pour quiconque considère que l'on a pu ainsi
+parvenir seulement jusqu'ici à représenter imparfaitement une petite
+portion des nombreux et importans résultats obtenus, trente ans
+auparavant, par l'illustre Coulomb, d'après des études directes et
+vraiment rationnelles, sur l'état électrique ou magnétique des diverses
+parties d'un même corps ou de plusieurs corps contigus. Il serait
+superflu d'insister davantage à cet égard.
+
+En d'autres cas, au contraire, l'élaboration mathématique a reposé
+essentiellement comme l'exige la saine philosophie, sur quelques lois
+générales et élémentaires, que l'expérience avait constatées, d'une
+manière directe ou indirecte, et d'après lesquelles on a procédé à
+l'étude de phénomènes effectifs propres aux corps eux-mêmes: abstraction
+faite, d'ailleurs, de l'intervention ordinaire des hypothèses
+chimériques, qui caractérise malheureusement toute la physique actuelle,
+mais dont ces intéressans travaux pourraient être aisément dégagés,
+puisque leurs bases en sont réellement indépendantes. Tel est surtout le
+caractère remarquable des belles recherches de M. Ampère et de ses
+successeurs sur l'exploration mathématique des phénomènes
+électro-magnétiques, où l'on a pu appliquer avec efficacité les lois de
+la dynamique abstraite à certains cas d'action mutuelle entre des
+conducteurs électriques ou des aimans. De semblables travaux présentent,
+sans doute, sous le point de vue mathématique, un aspect bien moins
+imposant que ceux auxquels je viens de faire allusion, et qui paraissent
+remonter directement à la loi fondamentale de l'ensemble des phénomènes
+électriques; mais leur positivité doit leur faire attribuer réellement
+une valeur bien supérieure pour le progrès effectif de la science. C'est
+ainsi que, dans cette importante spécialité, l'immortelle série d'études
+de M. Ampère, en même temps qu'elle a si notablement agrandi le domaine
+de nos vraies connaissances, a offert un mémorable exemple de cette
+combinaison judicieuse entre l'esprit physique et l'esprit mathématique,
+que j'ai tant recommandée, en général, dans la vingt-huitième leçon,
+comme constituant aujourd'hui le plus puissant moyen de perfectionnement
+fondamental des diverses branches de la physique[33].
+
+ [Note 33: Il est très regrettable, pour l'extension de
+ nos connaissances réelles et pour le progrès du véritable
+ esprit philosophique, que M. Ampère n'ait pas cru devoir se
+ consacrer exclusivement à la grande spécialité scientifique
+ qui a irrévocablement immortalisé son nom. Ni la nature de
+ son intelligence, ni l'ensemble de son éducation, ne
+ semblaient l'appeler aux travaux de philosophie générale, où
+ ses tentatives éphémères, depuis quelques années, n'ont
+ abouti qu'à une déplorable rétrogradation vers l'état
+ métaphysique et même théologique, qui réveillera un jour le
+ souvenir involontaire de Newton commentant l'Apocalypse.
+
+ Les savans livrés à l'étude particulière des diverses
+ sections de la science naturelle, prescrivent
+ habituellement, à très juste titre, comme maxime
+ fondamentale de la philosophie moderne, la spécialisation
+ exclusive des intelligences. Ils finiront, sans doute, par
+ s'appliquer judicieusement à eux-mêmes ce principe
+ inflexible, en cessant désormais d'envisager la culture de
+ la philosophie des sciences comme une sorte de délassement
+ des travaux scientifiques proprement dits, à l'usage d'un
+ savant quelconque. Outre une vocation spéciale nettement
+ caractérisée, cette carrière purement philosophique exige,
+ évidemment, un système tout particulier de longues et
+ difficiles études préliminaires, à la fois historiques et
+ dogmatiques, sur le développement rationnel et la
+ coordination réelle des connaissances humaines: ce qui doit,
+ presque toujours, rendre essentiellement impropres à toute
+ autre destination les esprits capables de poursuivre avec
+ fruit un tel ordre de recherches; et, réciproquement, les
+ savans ordinaires doivent être ainsi naturellement
+ incompétens quant à l'étude des généralités scientifiques, à
+ l'égard de laquelle ils ne peuvent utilement exercer qu'une
+ simple action critique, du point de vue correspondant à leur
+ spécialité. La division rationnelle du travail intellectuel
+ est donc jusqu'ici très imparfaitement comprise par ceux-là
+ même qui d'ordinaire insistent le plus impérieusement sur
+ cette règle indispensable.]
+
+Après ces considérations préliminaires sur le caractère général de
+l'électrologie, examinons sommairement, sous le point de vue
+philosophique, la composition effective de ses principales parties, en
+excluant avec soin tout ce qui est purement relatif à l'influence
+chimique ou physiologique de l'électricité, et aussi tout ce qui
+concerne l'application des études électriques à ce que j'ai appelé, dès
+l'origine de cet ouvrage, la _physique concrète_, et surtout à la
+météorologie.
+
+Ainsi réduite à sa partie strictement physique et abstraite,
+l'électrologie comprend aujourd'hui trois ordres essentiels de
+recherches fondamentales: dans le premier, on étudie la production des
+phénomènes électriques, leur manifestation et leur mesure; le second, se
+rapporte à la comparaison de l'état électrique propre aux diverses
+parties d'une même masse ou à divers corps contigus; le troisième a pour
+objet les lois des mouvemens qui résultent de l'électrisation. On doit
+classer, en outre, comme une quatrième et dernière section,
+l'application de l'ensemble des connaissances précédentes à l'étude
+spéciale des phénomènes magnétiques, qui en est désormais inséparable.
+
+Quoique tous les corps soient, sans doute, susceptibles d'électrisation
+positive et négative, tous ne sont pas actuellement électriques, et cet
+état est même, au contraire, essentiellement passager, semblable, à cet
+égard, à l'état sonore. Il y a donc lieu d'examiner dans quelles
+circonstances générales il s'établit ou se détruit, par l'action des
+différens corps les uns sur les autres; et cette étude doit même
+précéder toutes les autres études électriques, qui en dépendent
+nécessairement.
+
+L'ensemble des observations paraît devoir conduire aujourd'hui à
+regarder l'état électrique comme étant, à un degré plus ou moins
+prononcé, la suite invariable de presque toutes les modifications, de
+nature quelconque, que les corps peuvent éprouver. Néanmoins, les
+principales causes d'électrisation, sont, dans l'ordre de leur énergie
+et de leur importance scientifique actuelle: les compositions et
+décompositions chimiques; les variations de température; le frottement;
+la pression, et enfin le simple contact. Cette distribution diffère
+extrêmement de celle que les premières recherches avaient indiquée,
+puisque le frottement avait été long-temps réputé le seul moyen, et
+ensuite le plus puissant, pour produire l'état électrique. Quoique la
+comparaison de ces divers modes généraux d'électrisation ne soit pas
+encore suffisamment approfondie et définitivement arrêtée, il n'y a plus
+lieu de craindre désormais que les travaux ultérieurs puissent
+radicalement altérer l'ordre précédent.
+
+Les actions chimiques constituent certainement les sources électriques,
+non-seulement les plus générales, mais aussi les plus abondantes, comme
+à l'égard de la chaleur. Dans les appareils électriques les plus
+puissans, et surtout dans la pile de l'illustre Volta, l'action
+chimique, d'abord inaperçue ou négligée, est aujourd'hui reconnue,
+depuis les travaux de Wollaston et de plusieurs autres physiciens, comme
+la principale cause de l'électrisation, qui devient, en effet, presque
+insensible quand on a soin d'éviter scrupuleusement toute production de
+phénomènes chimiques.
+
+Après cette influence prépondérante, il n'y a pas, en réalité, de cause
+d'électrisation plus étendue ni plus énergique que les actions
+thermologiques, quoique, jusqu'à ces derniers temps, leur puissance
+électrique n'eût été reconnue que dans un seul cas particulier,
+aujourd'hui peu important, l'électrisation de la tourmaline échauffée.
+On sait maintenant que de notables différences de température entre des
+barreaux consécutifs de diverses natures, d'ailleurs quelconques, ou
+même homogènes, suffisent pour déterminer, dans un tel système, un état
+électrique très prononcé, et d'autant plus intense, à parité de
+circonstances thermométriques, que les élémens y sont plus nombreux.
+
+La prépondérance bien constatée de deux moyens d'électrisation aussi
+généraux, doit rendre fort délicate l'exacte appréciation de tous les
+autres, par l'extrême difficulté d'y distinguer, sans incertitude, ce
+qui leur est véritablement propre d'avec ce qui tient aux premiers, dont
+l'influence est presque impossible à écarter entièrement. C'est ainsi
+que, malgré l'état électrique que le frottement semble développer avec
+tant d'énergie, il est, pour ainsi dire, douteux aujourd'hui, aux yeux
+des plus judicieux physiciens, si le frottement, en tant que tel,
+contribue réellement, d'une manière notable, à l'électrisation, ou si
+celle-ci ne résulte pas essentiellement des effets thermométriques et
+même chimiques dont le frottement est toujours accompagné, et auxquels
+on n'avait eu d'abord aucun égard. Il en est à peu près de même envers
+la pression, dont l'influence électrique, quoique bien moins prononcée,
+semble toutefois plus irrécusable, en ce qu'on peut plus aisément
+l'isoler. Mais cette remarque est surtout applicable à la production de
+l'état électrique par le simple contact des corps hétérogènes, d'où
+l'immortel inventeur de la pile avait fait résulter toute l'énergie de
+cet admirable instrument, tandis qu'il est bien reconnu désormais que
+l'action chimique y a la principale part, et que le contact n'y
+contribue que d'une manière très secondaire, ou même fort équivoque.
+
+Outre ces causes générales d'électrisation, une foule d'autres moins
+importantes peuvent, en certaines circonstances, produire l'état
+électrique. On peut citer entre autres les changemens dans le mode
+d'agrégation, abstraction faite des variations thermométriques qui les
+accompagnent: en plusieurs cas la fusion des solides, et surtout
+l'évaporation des liquides, déterminent une électrisation notable. Il
+n'est pas jusqu'au simple mouvement même qui ne suffise, sous des
+conditions spéciales, pour faire naître quelquefois, indépendamment de
+tout autre motif, un véritable état électrique, comme le montre si bien
+la belle expérience de M. Arago, relative à l'influence de la rotation
+d'un disque métallique sur une aiguille aimantée non contiguë, quoique
+voisine.
+
+Il convient toutefois que les physiciens se tiennent en garde
+aujourd'hui contre une tendance exagérée à considérer les moindres
+phénomènes quelconques comme des causes d'électrisation plus ou moins
+énergiques, afin de ne point encourir le reproche inverse de celui
+qu'ils font justement à leurs prédécesseurs, de n'avoir observé que les
+sources électriques les plus apparentes, en méconnaissant les plus
+essentielles. Une exploration grossière est sans doute radicalement
+préjudiciable à l'électrologie; mais une analyse trop subtile n'aurait
+peut-être pas moins d'inconvéniens pour la science, où il deviendrait,
+dès lors, presque impossible de considérer des phénomènes suffisamment
+caractérisés. Cet avis semble surtout acquérir une grande importance
+pour la théorie électro-chimique, comme nous le reconnaîtrons dans le
+volume suivant; car, après avoir admis, sur de faibles indices, des
+électrisations fort équivoques, on peut être souvent conduit à leur
+attribuer une grande influence chimique, ce qui tend à produire des
+explications essentiellement arbitraires.
+
+La cessation graduelle de l'état électrique a été beaucoup moins étudiée
+jusqu'ici que sa formation, et les lois n'en sont pas cependant moins
+intéressantes à bien connaître. On est pleinement autorisé à poser en
+principe que l'électrisation, une fois établie d'une manière quelconque,
+persisterait indéfiniment, comme l'état thermométrique, si le corps
+pouvait être rigoureusement soustrait à toute influence extérieure, ou,
+suivant l'expression technique, strictement _isolé_, soit de
+l'atmosphère, soit de la masse générale du globe. Depuis que l'identité
+entre les phénomènes magnétiques et les phénomènes électriques a été
+irrécusablement démontrée par la belle série de recherches de M. Ampère,
+fondée sur la découverte capitale de M. Oersted, ce principe général a
+été puissamment fortifié, en considérant la persévérance, beaucoup plus
+facile à prolonger, de l'état magnétique. Toutefois, comme les corps le
+plus justement qualifiés de mauvais conducteurs de l'électricité sont
+néanmoins toujours susceptibles, à un degré quelconque, de transmettre
+réellement l'influence électrique, il est évident que l'électrisation
+doit nécessairement cesser, à la longue, dans nos appareils même le
+mieux isolés, par suite de l'action continuelle, quoique très faible,
+qu'exerce sur eux le milieu atmosphérique incessamment renouvelé, dans
+lequel ils sont habituellement plongés, et la masse immense du globe
+terrestre avec laquelle ils communiquent d'une manière plus ou moins
+directe, indépendamment des autres sources secondaires d'une déperdition
+plus rapide, que nous pouvons artificiellement écarter. Mais les lois
+effectives de cette déperdition inévitable sont jusqu'ici très peu
+connues. Coulomb est le seul grand physicien qui s'en soit directement
+occupé, dans son importante suite d'expériences sur la dissipation
+graduelle de l'électricité le long des supports isolans de la machine
+électrique, ou à travers un air plus ou moins humide: sous ce dernier
+point de vue, il a exactement analysé l'influence incontestable,
+vaguement aperçue dès l'origine de l'électrologie, de l'état
+hygrométrique de l'atmosphère sur la déperdition électrique.
+
+À chacun des modes généraux d'électrisation, correspond naturellement un
+instrument spécial, ou plutôt une classe d'instrumens, destinés à
+réaliser, par un ensemble de dispositions convenablement instituées, les
+conditions les plus favorables à la production et au maintien de l'état
+électrique. Quelle que soit l'importance de ces nombreux appareils, qui
+sont la base nécessaire des recherches habituelles, et malgré
+l'organisation profondément ingénieuse de quelques-uns d'entre eux, et
+surtout de la pile voltaïque, il serait évidemment déplacé de les
+considérer ici. Mais, il convient, au contraire, de mentionner, d'une
+manière générale, les instrumens destinés à la manifestation et surtout
+à la mesure de l'état électrique, c'est-à-dire, les électroscopes et les
+électromètres. Les plus grands physiciens ont, avec raison, attaché une
+extrême importance au perfectionnement de tels appareils, dans
+l'invention desquels un vrai génie se fait plus d'une fois sentir. On
+conçoit même que l'amélioration de ces instrumens est encore plus
+nécessaire que celle des machines électriques proprement dites,
+uniquement destinées à l'électrisation: car, de bons indicateurs
+permettent d'utiliser de très faibles puissances électriques; et, en
+effet, dans les recherches délicates, d'où dépend surtout le progrès de
+l'électrologie actuelle, on n'emploie désormais habituellement que des
+appareils peu énergiques, préférables à cause de leur extrême
+simplicité, et tous les artifices sont réservés pour l'institution des
+moyens propres à manifester ou à mesurer les moindres effets
+électriques.
+
+Quoique la mesure de l'état électrique ne puisse évidemment avoir lieu
+sans sa manifestation, et même que celle-ci conduise toujours, d'une
+manière directe, à une évaluation quelconque, la distinction générale
+entre les _électroscopes_ proprement dits et les vrais _électromètres_
+n'en est pas moins très réelle et fort utile à considérer pour se faire
+une juste idée de l'ensemble des moyens d'exploration propres aux
+électriciens. Parmi les simples électroscopes, il faut surtout
+distinguer, comme adaptés aux recherches délicates, ceux qui, sous le
+nom caractéristique de _condensateurs_, sont destinés à rendre
+sensibles, par une ingénieuse accumulation graduelle, de très faibles
+effets électriques. Tous ces instrumens sont d'ailleurs disposés de
+manière à indiquer, par une ingénieuse accumulation graduelle, de très
+faibles effets électriques. Tous ces instrumens sont d'ailleurs disposés
+de manière à indiquer, par le mode même d'expérimentation, la nature,
+positive ou négative[34], de l'électrisation étudiée.
+
+ [Note 34: Ces dénominations sont aujourd'hui, par
+ plusieurs motifs importans, très heureusement substituées,
+ sans doute, à celles radicalement impropres d'électricité
+ _vitrée_ et _résineuse_, qui, jusqu'à ces derniers temps,
+ étaient généralement usitées en France. Toutefois, il
+ convient d'observer à ce sujet que le principal inconvénient
+ réel de ces anciennes expressions, c'est-à-dire, leur
+ relation naturelle et exclusive à deux substances
+ déterminées, existe, d'une manière encore plus complète et
+ plus grave, dans le nom général de la science électrique
+ elle-même, que, par une singulière inconséquence, aucun
+ physicien ne juge néanmoins convenable de changer, tant est
+ grande la puissance des habitudes sur les esprits les plus
+ rationnels.]
+
+Quant aux électromètres, le plus parfait consiste certainement jusqu'ici
+dans la célèbre balance électrique de notre immortel Coulomb, où
+l'intensité des attractions et des répulsions électriques est mesurée,
+avec une admirable précision, d'après l'important principe de
+l'équilibre de torsion, par le nombre d'oscillations que l'indicateur
+exécute, en un temps donné, autour de sa situation statique. C'est à
+l'aide de cet instrument capital que Coulomb découvrit, et que l'on
+démontre journellement, la loi fondamentale relative à la variation de
+l'action électrique, répulsive ou attractive, inversement au quarré de
+la distance, loi qui ne pouvait être obtenue par aucune autre voie
+irrécusable. Lorsque, dans les quinze dernières années, la science s'est
+enrichie des importantes notions propres à l'électro-magnétisme, cette
+nouvelle étude a naturellement amené une nouvelle classe
+d'électromètres, destinés à des mesures que l'appareil de Coulomb ne
+pouvait indiquer, et dont la première idée, due à M. Schweigger, a été
+beaucoup perfectionnée par plusieurs physiciens, et surtout par M.
+Nobili. Ils consistent dans les divers _multiplicateurs_, où l'action
+naturelle d'un conducteur métallique sur une aiguille aimantée est
+considérablement amplifiée par des circonvolutions très rapprochées et
+presque parallèles. Toutefois, quelque précieux que soient de tels
+instrumens, et quoiqu'ils puissent rivaliser, pour la délicatesse des
+manifestations, avec la balance de torsion elle-même, ils sont loin, du
+moins jusqu'ici, de pouvoir être appliqués, avec autant de certitude, à
+des mesures exactes, vu l'extrême difficulté d'une graduation précise,
+vraiment conforme à l'intensité effective du phénomène observé[35].
+
+ [Note 35: D'après l'influence électrique de la chaleur,
+ ces instrumens ont pu être heureusement appliqués à la
+ mesure des moindres effets thermométriques, sauf les mêmes
+ embarras de graduation. M. Melloni a surtout utilisé cette
+ ingénieuse modification, pour étudier tout récemment le
+ rayonnement spécifique des différens corps, jusqu'alors
+ vaguement exploré. M. Becquerel vient aussi d'adapter très
+ heureusement le même principe à la mesure des températures
+ propres aux parties les plus profondes des divers tissus
+ organisés qui composent les corps vivans, dont l'état
+ thermométrique ne pouvait jusqu'ici être observé que d'une
+ manière confuse et incomplète. Enfin, M. Peltier propose
+ aujourd'hui une importante extension de cet ingénieux
+ procédé général, pour explorer commodément les températures
+ des lieux profonds ou des diverses couches atmosphériques.]
+
+Tels sont, en aperçu, les principaux objets de cette première partie
+fondamentale de l'électrologie, si riche en appareils puissans ou
+précis. La seconde partie concerne, comme je l'ai indiqué, ce qu'on
+appelle vulgairement la _statique électrique_, par une dénomination
+essentiellement relative aux hypothèses illusoires sur la nature de
+l'électricité. Toutefois, une telle expression n'est pas, au fond,
+entièrement dépourvue de justesse, puisqu'il s'agit alors, en effet, de
+la répartition de l'électricité dans une masse ou dans un système de
+corps, dont l'état électrique est envisagé comme sensiblement
+invariable. On peut donc continuer à employer désormais ce terme abrégé,
+pourvu qu'on en écarte désormais avec soin toute idée mécanique sur
+l'équilibre du prétendu fluide électrique, et qu'on cesse, par exemple,
+de penser à la mesure des divers degrés d'épaisseur de la couche
+imaginaire dont quelques géomètres ont voulu recouvrir les corps
+électrisés. En un mot, on pourra parler encore de l'_équilibre_
+électrique, si l'on attache à cette expression un sens exactement
+analogue à celui dans lequel Fourier prenait habituellement l'équilibre
+de la chaleur, et comme les économistes entendent tous les jours
+l'équilibre de la population: toute autre acception serait absurde, et
+même inintelligible. C'est ainsi que la plupart des formules de langage
+successivement introduites en physique, sous l'influence prépondérante
+des vains systèmes qui doivent désormais en être radicalement exclus,
+sont susceptibles néanmoins d'être essentiellement maintenues, si l'on
+prend la précaution d'en rectifier scrupuleusement le sens fondamental,
+de manière à le réduire au strict énoncé d'un phénomène général, ce qui
+me semble presque toujours possible.
+
+En considérant d'abord l'équilibre électrique dans chaque corps isolé,
+Coulomb a irrécusablement établi, à cet égard, une première loi
+fondamentale, la tendance constante (suivant le style métaphorique
+encore exclusivement usité) de l'électricité à se porter immédiatement à
+la surface: ce qui signifie, en termes rationnels, que, après un instant
+jusqu'ici inappréciable, l'électrisation est toujours strictement
+limitée à la surface des corps, de quelque manière qu'elle ait été
+primitivement produite. Quant à la répartition de l'état électrique
+entre les diverses parties de cette surface, elle dépend principalement,
+d'après les belles suites d'expériences de Coulomb, de la forme des
+corps: uniforme pour la sphère seule, elle est inégale pour toute autre
+figure, mais toujours soumise néanmoins à des lois régulières, dont il
+est, d'ailleurs, facile de concevoir que l'analyse exacte et complète
+présente, par sa nature, des difficultés presque insurmontables, malgré
+l'expédient illusoire des vaines spéculations algébriques, dépourvues de
+tout fondement scientifique. Néanmoins, Coulomb a constaté, sous ce
+rapport, un fait général d'une grande importance, en comparant l'état
+électrique propre aux extrémités d'un ellipsoïde graduellement allongé:
+il a ainsi reconnu que leur électrisation augmente rapidement à mesure
+que la figure s'allonge, en diminuant sur le reste du corps; d'où il a
+déduit une heureuse application à l'explication de ce remarquable
+pouvoir des pointes, si bien dévoilé par Franklin.
+
+Les lois de l'équilibre électrique entre plusieurs corps contigus,
+constituent, par leur nature, comme il est aisé de le sentir, une
+recherche encore plus difficile et plus étendue. Coulomb ne les a
+exactement étudiées que dans le cas très limité, et trop insuffisant
+pour les applications, de diverses masses sphériques. Toutefois, les
+travaux de ce grand physicien ont conduit, à cet égard, à cette notion
+générale fort essentielle, que la nature des substances n'exerce aucune
+influence sur la répartition électrique qui s'établit entre elles, et
+dont le mode dépend seulement de leur figure et de leur grandeur:
+seulement, l'état électrique que prend chaque surface est plus ou moins
+persévérant et se manifeste avec plus ou moins de rapidité, suivant le
+degré de conductibilité du corps. L'action mutuelle de deux sphères
+égales a été complétement analysée par Coulomb, dont l'admirable
+sagacité a dévoilé le mode singulier de répartition que rien ne pouvait
+auparavant indiquer, et suivant lequel l'état électrique, toujours nul
+au point de contact, et à peine sensible à 20 degrés de là, augmente
+ensuite rapidement de 60 à 90 degrés, et continue à croître encore,
+quoique plus lentement, jusqu'à 180 degrés, où se trouve constamment son
+_maximum_. La même marche se manifeste quand les deux globes sont
+inégaux, sauf que le moindre est toujours le plus électrisé. Enfin, le
+mode d'action semble d'ailleurs identique, soit que les deux corps ou
+seulement l'un d'eux aient été primitivement électrisés. La question
+devient encore plus complexe en considérant plus de deux corps: elle
+présente alors des subdivisions extrêmement multipliées, même en la
+restreignant à des figures semblables, suivant le nombre des masses,
+leur rapport de grandeur, et leur disposition mutuelle. Coulomb s'est
+borné à examiner, dans ses expériences, une suite de globes égaux rangés
+en ligne droite. On conçoit que les seules variétés d'arrangement
+peuvent donner naissance à de nombreuses combinaisons, dont les
+résultats doivent sans doute notablement différer; car, si les sphères
+de Coulomb, au lieu d'être consécutives, avaient, été disposées de telle
+sorte que chacune en touchât à la fois trois ou quatre autres, par des
+points situés à des distances angulaires quelconques, le mode de
+répartition électrique eût inévitablement éprouvé de grands changemens.
+Cette intéressante et difficile étude, à laquelle, depuis Coulomb,
+personne n'a rien ajouté d'important, doit donc être envisagée comme
+seulement ébauchée par les travaux de cet illustre physicien; elle offre
+évidemment aux électriciens un sujet de recherches presque inépuisable.
+
+Considérons maintenant la troisième partie fondamentale de
+l'électrologie actuelle, justement qualifiée de _dynamique électrique_,
+parce qu'elle a pour objet l'étude des mouvemens qui résultent de
+l'électrisation. Malgré sa fondation toute récente, cette section n'en
+est pas moins, à mon avis, par le bel ensemble des travaux de M. Ampère,
+celle dont l'état scientifique est aujourd'hui le plus satisfaisant, en
+y élaguant, bien entendu, l'influence des conceptions chimériques sur
+l'essence des phénomènes électriques.
+
+L'analyse exacte et complète des effets si variés relatifs à celle
+branche capitale de l'électrologie, a été essentiellement ramenée par M.
+Ampère à un seul phénomène général et élémentaire, dont il a pleinement
+dévoilé toutes les lois, l'action directe et mutuelle de deux fils
+conducteurs électrisés par des piles voltaïques, habituellement réduites
+à leur plus grande simplification, c'est-à-dire, presque toujours
+composées d'un seul élément. C'est donc à cette action fondamentale que
+nous devons ici borner notre examen philosophique.
+
+Deux conducteurs ainsi disposés tendent toujours, quand ils sont
+suffisamment mobiles, à se placer dans des directions parallèles entre
+elles; et, après y être parvenus, ils s'attirent ou se repoussent,
+suivant que les deux courans électriques sont conformes ou contraires.
+Mais, pour observer avec exactitude les lois de ce phénomène principal,
+il est indispensable de soustraire les deux fils à l'action directrice
+analogue qu'exerce sur eux, en vertu de son état électrique, la masse
+générale du globe terrestre, et qui altérerait notablement l'effet de
+leur influence mutuelle. Après avoir découvert cette action remarquable,
+qui est, d'ailleurs, en elle-même, si importante à connaître, M. Ampère
+a imaginé des dispositions expérimentales, aussi simples qu'ingénieuses,
+pour garantir les observations de cette perturbation générale, soit en
+plaçant d'avance chaque conducteur dans le plan où l'influence de la
+terre tendrait à le ramener, soit même en neutralisant complétement
+cette influence par l'opposition rigoureuse des effets égaux qu'elle
+produirait sur les deux parties du conducteur convenablement modifié.
+L'observation étant ainsi préservée de toute altération, il devient
+facile dès lors de saisir les lois élémentaires du phénomène, où, pour
+plus de généralité et de simplicité, on doit avoir seulement en vue des
+portions infiniment petites des divers conducteurs. Ces lois,
+mathématiquement envisagées, sont relatives ou à l'influence de la
+direction, ou à celle de la distance.
+
+Quant à la direction, il faut distinguer deux cas, suivant que l'on
+compare deux élémens conducteurs situés dans le même plan, ou dans des
+plans différens. Pour le premier cas, l'intensité de l'action dépend
+seulement de l'angle formé par chacun des deux élémens avec la ligne qui
+joint leurs milieux: elle est nulle en même temps que cet angle, et
+augmente avec lui, en atteignant son _maximum_ lorsqu'il devient droit,
+et changeant d'ailleurs de signe en même temps que lui. Tous les
+phénomènes, directs ou indirects, paraissent être exactement
+représentés, si l'on fait varier cette intensité proportionnellement au
+sinus de l'inclinaison, suivant la formule adoptée par tous les
+successeurs de M. Ampère. Quand les deux conducteurs ne sont pas dans un
+même plan, l'action dépend en outre de l'inclinaison mutuelle des plans
+menés par chacun d'eux et par la ligne commune de leurs milieux; et la
+marche de cette seconde relation est totalement différente. Sous ce
+nouveau rapport, la perpendicularité de ces deux plans détermine au
+contraire l'absence d'action, soit attractive, soit répulsive: il y a
+attraction tant que l'angle est aigu, et elle augmente à mesure qu'il
+diminue, son _maximum_ ayant lieu au moment de la coïncidence; quand
+l'angle est obtus, l'action devient répulsive et présente une intensité
+d'autant plus grande que chaque plan s'approche davantage du
+prolongement de l'autre, situation qui produit le _maximum_ de
+répulsion. L'ensemble de ces variations tend à faire envisager une telle
+action comme étant proportionnelle au cosinus de l'angle des deux plans,
+quoique d'ailleurs les observations n'aient point prononcé jusqu'ici sur
+le degré d'exactitude réelle de cette simple supposition, aussi
+clairement qu'à l'égard de la première relation.
+
+Dès l'origine de ses recherches, M. Ampère a été conduit à supposer,
+par analogie avec la loi fondamentale de Coulomb sur les attractions et
+les répulsions électriques ordinaires, que l'action des deux élémens
+conducteurs est toujours réciproque au carré de la distance de leurs
+milieux. Mais, cette simple analogie, parmi tant de différences
+essentielles, ne pouvait évidemment suffire pour établir, d'une manière
+catégorique, une loi aussi importante. D'une autre part, l'action
+mutuelle des parties infiniment petites n'était pas susceptible d'une
+observation directe, toujours nécessairement affectée par la forme et la
+grandeur réelles des deux conducteurs effectifs. Toutefois, il était
+aisé de démontrer mathématiquement, comme le fit Laplace, que, dans
+l'hypothèse adoptée par M. Ampère, l'action d'un conducteur rectiligne,
+de longueur indéfinie, sur une aiguille aimantée, devait varier
+exactement en raison inverse de leur plus courte distance. Or, cette
+conséquence nécessaire, directement vérifiée, de la manière la plus
+précise, par les expériences délicates de MM. Savart et Biot, a dû
+évidemment mettre hors de doute la réalité de la loi proposée.
+
+Une telle loi tendrait à présenter la marche de ces actions électriques
+comme essentiellement analogue, sous le point de vue mathématique, à
+celle de la gravitation. Mais l'ensemble du parallèle détruit aussitôt
+tout semblable rapprochement, en montrant, comme nous venons de le voir,
+la grande et fondamentale influence exercée, dans la dynamique
+électrique, par la direction mutuelle, dont la gravitation est au
+contraire radicalement indépendante. Cette différence profonde peut
+faire sentir avec quelle réserve on doit transporter, dans l'étude
+mathématique de ces singuliers mouvemens, les procédés ordinaires de la
+dynamique abstraite, qui a presque toujours en vue, dans ses théorèmes
+les plus usuels, des actions essentiellement indépendantes de la
+direction, et variant d'après la seule distance. On conçoit aisément
+que, par suite de ce caractère propre aux forces électriques, leur
+composition analytique doit présenter beaucoup plus de difficultés que
+celle des gravitations moléculaires, dont la complication est déjà,
+comme nous l'avons reconnu dans la première partie de ce volume, presque
+entièrement inextricable, sauf pour les cas les plus simples. Aussi
+jusqu'à présent la dynamique électrique n'a-t-elle été, en réalité,
+mathématiquement étudiée, que suivant une seule dimension, et jamais en
+surface, par les divers successeurs de M. Ampère, et surtout par M.
+Savary, qui s'en est le plus heureusement occupé. Cette étude, ainsi
+réduite au cas le plus simple, offrirait même encore de grands
+obstacles, si l'on n'y mettait continuellement à profit une dernière
+notion fondamentale, établie par M. Ampère d'après des expériences
+décisives, et qui consiste en ce que, dans une étendue infiniment
+petite, et tant que la distance n'est pas sensiblement changée, l'action
+électrique est exactement identique pour deux élémens conducteurs
+aboutissant aux mêmes extrémités, quelle que soit d'ailleurs leur
+différence de forme. Une semblable propriété doit évidemment introduire
+de précieuses simplifications analytiques, par l'heureuse faculté qui en
+résulte de substituer, dans les calculs électriques, à l'action de tout
+élément curviligne, celle, dès lors équivalente, de l'ensemble des
+différentielles de ses coordonnées quelconques, ce qui établit une
+analogie remarquable entre les décompositions électriques et les
+décompositions dynamiques ordinaires.
+
+Tel est l'ensemble des notions fondamentales d'après lesquelles on
+procède à l'étude exacte et rationnelle des actions variées produites
+par des fils conducteurs, contournés et disposés de diverses manières.
+Le cas le plus intéressant se rapporte aux conducteurs pliés en hélices,
+surtout lorsque leurs spires sont très rapprochées, et dont M. Ampère a
+si judicieusement montré l'extrême importance pour imiter le plus
+complétement possible, dans les expériences purement électriques, les
+phénomènes propres aux corps aimantés. L'observation confirme
+pleinement, à leur égard, toutes les conséquences, plus ou moins
+éloignées, qui résultent naturellement de la combinaison des lois
+précédentes.
+
+La destination scientifique la plus essentielle de cette dynamique
+électrique, consiste dans l'explication exacte des principaux phénomènes
+magnétiques, dont l'étude constitue irrévocablement désormais la
+quatrième et dernière branche fondamentale de l'électrologie, depuis la
+découverte capitale faite par M. Oersted, il y a quinze ans, de
+l'influence exercée par un conducteur voltaïque sur une aiguille
+aimantée.
+
+Malgré l'éminent mérite d'une telle découverte, des esprits superficiels
+ont souvent tenté de la représenter comme essentiellement due au hasard,
+qui, néanmoins, en thèse générale, n'a jamais pu conduire, sous aucun
+rapport, à une création de quelque importance, même dans les cas les
+plus simples. Ces étranges philosophes auraient bien dû toutefois nous
+expliquer pourquoi, avant M. Oersted, personne n'avait encore aperçu
+cette action mutuelle, quoique le hasard eût, sans doute, placé très
+fréquemment, sous les yeux des physiciens, une aiguille aimantée à côté
+d'une pile galvanique. Il est clair, en principe, que ce ne sont pas
+ordinairement les phénomènes qui manquent à nos découvertes, mais
+surtout les observateurs capables et convenablement disposés, prêts à
+démêler, dans la foule de circonstances qui affectent nos sens à chaque
+instant, les faits susceptibles d'une véritable signification
+scientifique. Suivant une autre explication plus rationnelle, quoique
+vicieusement systématique, cette grande découverte devrait uniquement
+son origine à des idées _à priori_ sur l'identité nécessaire du
+magnétisme et de l'électricité, rattachées aux vaines hypothèses dont la
+nature intime de ces deux ordres de phénomènes a été le sujet. Mais,
+sans entreprendre l'analyse impossible de l'influence effective qu'ont
+pu avoir ces conceptions arbitraires sur la marche réelle d'un esprit
+qui en était préoccupé, il est évident que la simple comparaison
+générale des phénomènes devait conduire à soupçonner cette identité,
+comme paraît l'avoir fait M. Oersted, long-temps avant qu'elle fût
+constatée. L'influence magnétique si prononcée de l'électricité
+atmosphérique, remarquée, dès l'origine de l'électrologie, dans tous les
+cas de vaisseaux frappés par la foudre, suffisait certainement, par
+exemple, pour indiquer, d'une manière générale, la relation fondamentale
+des deux sortes d'actions. On peut, ce me semble, plus judicieusement
+demander si, à cet égard, comme à tant d'autres, les systèmes illusoires
+n'ont pas, en réalité, contribué davantage à retarder cette importante
+découverte qu'à l'accélérer, en rapportant les deux ordres de phénomènes
+à des causes radicalement différentes, qui tendaient à faire méconnaître
+la valeur des analogies manifestées entre eux par l'observation
+rationnelle de plusieurs effets naturels, connus de tous les physiciens.
+
+Quoi qu'il en soit de cette question philosophique, l'ensemble des
+expériences décisives imaginées par divers physiciens, dans la direction
+tracée par M. Oersted, a mis entièrement hors de doute l'identité
+générale des effets magnétiques et électriques. La propriété la plus
+vulgaire des aimans, leur puissance attractive à l'égard du fer, a été
+constatée par M. Arago, pour les conducteurs voltaïques de nature
+quelconque. Ce même physicien a reconnu, dans une expérience capitale,
+la possibilité d'aimanter une aiguille d'acier en l'entourant d'un
+conducteur voltaïque plié en hélice, ou même en l'électrisant par des
+procédés ordinaires, indépendans de l'action galvanique; et ces nouveaux
+modes d'aimantation ont été ensuite l'objet d'un judicieux travail de M.
+Savary, qui en a exactement analysé toutes les circonstances
+essentielles. Enfin, le plus important caractère des phénomènes
+magnétiques, la direction constante de l'aiguille aimantée, a été
+rattaché par M. Ampère à l'électrologie, aussitôt que cet illustre
+physicien eût fait la découverte fondamentale de l'action directrice
+exercée par la terre sur un conducteur voltaïque, dont le plan tend
+toujours à se placer perpendiculairement à la situation naturelle de
+l'aiguille aimantée. D'un autre côté, pour compléter un tel parallèle,
+la plupart des phénomènes électriques ordinaires ont pu être imités à
+l'aide des aimans; et M. Faraday est même parvenu jusqu'à produire ainsi
+de véritables étincelles électriques. En un mot, par la combinaison
+rationnelle de ces diverses séries d'observations nouvelles, M. Ampère a
+été justement conduit à représenter tous les phénomènes magnétiques
+comme fidèlement interprétés en concevant la surface d'un aimant
+quelconque recouverte d'une suite de circuits voltaïques fermés,
+perpendiculaires à son axe.
+
+Dans cette belle théorie, il ne resterait essentiellement à expliquer
+qu'un seul caractère fondamental de la vertu magnétique, sa relation
+exclusive à un petit nombre de substances déterminées. Sans doute, il
+serait anti-scientifique de vouloir, à cet égard, remonter jusqu'à la
+propriété spécifique primordiale; de même qu'on ne saurait, par exemple,
+raisonnablement chercher pourquoi tel corps est un bon ou un mauvais
+conducteur de l'action électrique. Toutefois, en écartant cette enquête
+irrationnelle, il semble que, les phénomènes électriques étant, de leur
+nature, généraux, la doctrine électro-magnétique laissera quelque chose
+de capital à désirer, tant qu'on n'aura pas rattaché la constitution
+propre aux aimans à quelque autre condition électrique, susceptible de
+généralité. Le progrès continuel des observations, tend, il est vrai, à
+affaiblir chaque jour davantage la différence, primitivement absolue,
+entre les substances propres à l'aimantation, et celles qui ne le sont
+pas: et nous sommes aujourd'hui autorisés à penser qu'il n'existe, sous
+ce rapport, entre les divers corps naturels que de simples distinctions
+de degrés, qui, peut-être, ne nous paraissent aussi tranchées que par
+l'imperfection des moyens d'observation. Déjà Coulomb avait constaté des
+indices non équivoques, quoique très faibles, de l'état magnétique, dans
+un grand nombre de substances, réduites en minces filets: mais ces
+résultats avaient été alors généralement attribués à l'action de
+quelques particules ferrugineuses, dont l'absence ne pouvait être, à
+cette époque, irrécusablement garantie. Or, les expériences
+électro-magnétiques ont conduit aujourd'hui à multiplier beaucoup le
+nombre des effets analogues, en même temps que le perfectionnement de
+l'analyse chimique a permis d'assurer que le fer n'avait aucune part à
+leur production. Nonobstant ces considérations subsidiaires, il demeure
+cependant incontestable que jusqu'ici on n'aperçoit de relation entre
+aucun caractère électrique des substances ferrugineuses et leur
+singulière prépondérance magnétique: il y a, sous ce rapport, dans
+l'électro-magnétisme actuel, une véritable lacune essentielle, qu'on ne
+doit pas dissimuler.
+
+Pour faire entièrement rentrer dans la dynamique électrique ordinaire le
+phénomène fondamental de la direction propre à l'aiguille aimantée, il
+suffit de concevoir la terre, comme tout autre aimant, recouverte à sa
+surface d'une suite de circuits voltaïques, parallèles à l'équateur
+magnétique. M. Ampère a formé, sur l'origine d'un tel état électrique,
+une conjecture fort ingénieuse et même très philosophique, en
+l'attribuant, d'après l'action incontestable de la chaleur sur le
+développement de l'électricité, aux températures inégales et
+périodiquement variables des divers points de la surface terrestre.
+L'expérience capitale de M. Arago sur l'influence magnétique du
+mouvement de rotation, porte d'ailleurs à penser que le mouvement diurne
+de la terre contribue vraisemblablement, d'une manière directe, à une
+semblable électrisation. Enfin, il y aurait peut-être lieu d'admettre
+aussi, comme sous le rapport thermologique, une certaine constitution
+électrique fondamentale, propre à l'ensemble de notre globe. Du reste,
+suivant l'esprit général et le plan de cet ouvrage, expliqués dès
+l'origine, il ne saurait être ici essentiellement question de ce qui
+concerne l'histoire naturelle du globe, quand même elle ne serait point
+encore, à tous égards, dans un état de véritable enfance. Je ne puis
+donc nullement envisager les lois relatives à la distribution du
+magnétisme à la surface de notre planète, dont l'étude, quoique fort
+imparfaite, constitue aujourd'hui une des plus intéressantes parties de
+la géographie physique. La théorie magnétique propre à la physique
+abstraite et générale, se borne, sous ce rapport, à caractériser
+exactement, et à assujettir à des mesures précises, les objets
+essentiels sur lesquels doit porter l'observation comparative des
+naturalistes, savoir: l'intensité relative de l'action magnétique,
+estimée d'après le nombre d'oscillations que l'aiguille aimantée
+exécute, en un temps donné, autour de sa position d'équilibre; la
+direction de cette action, définie par les deux élémens rigoureusement
+appréciables, connus sous les noms de _déclinaison_ et d'_inclinaison_,
+dont l'évaluation se fait aujourd'hui avec une grande justesse. On
+commence maintenant à entrevoir quelques lois empiriques sur diverses
+valeurs normales de ces deux angles dans les différens lieux, et l'on
+présume, par exemple, que la tangente de l'inclinaison est toujours
+double de celle de la latitude magnétique: mais cette recherche est à
+peine ébauchée, et présente même encore une notable incertitude. Il en
+est ainsi, à plus forte raison, des singulières variations périodiques,
+de plusieurs ordres de grandeur et de durée, qu'éprouve, en chaque lieu,
+la direction de l'aiguille aimantée, soit en déclinaison, soit en
+inclinaison, et qui paraissent jusqu'ici totalement inexplicables.
+Toutefois, je ne dois pas négliger de signaler à ce sujet, à cause de sa
+rationnalité, l'heureuse tentative entreprise récemment par un célèbre
+navigateur, M. le capitaine Duperrey, pour rattacher l'ensemble de ces
+diverses variations aux changemens réguliers qu'éprouve l'état
+thermométrique du globe. Il serait fort désirable qu'une telle
+conception, pleinement en harmonie avec la théorie fondamentale de M.
+Ampère, fût finalement confirmée par une discussion judicieuse et
+approfondie du système des observations relatives au magnétisme
+terrestre.
+
+Telles sont, en aperçu, les principales considérations générales que
+fait naître l'examen philosophique des quatre parties essentielles de
+l'électrologie actuelle. Quelle que soit l'imperfection relative de
+cette branche fondamentale de la physique par suite de la complication
+supérieure de ses phénomènes, on a dû remarquer, dans cette sommaire
+indication, combien ses progrès ont été comparativement plus rapides, à
+partir de l'époque, si peu éloignée, où elle a commencé à prendre un
+véritable aspect scientifique. Les parties les plus nouvelles surtout
+ont acquis, avec une extrême promptitude, une consistance et une
+rationnalité très remarquables, qu'il faut sans doute attribuer avant
+tout au sentiment devenu plus profond, plus complet, et plus unanime de
+la saine méthode scientifique, mais qui tiennent aussi, à quelques
+égards, à l'unité de construction naturellement produite à ce sujet par
+la prépondérance des travaux d'un grand physicien. Quoique aucune autre
+branche de la physique ne soit altérée, d'une manière aussi étendue, par
+l'usage des vaines et absurdes hypothèses relatives à l'essence des
+phénomènes et à leur mode primitif de production, ces systèmes
+arbitraires n'y sont pas néanmoins très profondément enracinés: leur
+radicale nullité y est plus facile à saisir; et son épuration présentera
+réellement peu d'obstacles, quand les physiciens en auront dignement
+compris l'importance.
+
+Dans cette leçon, et dans l'ensemble des six précédentes, je me suis
+attaché à faire exactement apprécier le caractère général propre à la
+philosophie de la physique, successivement envisagée sous les divers
+aspects fondamentaux que peut présenter l'étude des propriétés communes
+à toutes les substances et à toutes les structures, et qui constituent,
+par leur nature, autant de sciences vraiment distinctes, quoique liées
+entre elles à plusieurs titres, plutôt que les différentes branches
+d'une science unique. Ce travail a nécessité partout une opération
+philosophique d'une grande importance, qu'avait à peine exigée la
+science astronomique, mais qui, désormais, deviendra, dans la suite de
+cet ouvrage, de plus en plus indispensable; celle qui consiste à dégager
+la science réelle de la déplorable influence qu'exerce encore sur elle,
+d'une manière si prononcée, quoique indirecte, l'ancien esprit de la
+philosophie métaphysique, dont nous sommes encore fort incomplétement
+affranchis, et qui se manifeste, surtout en physique, par les
+conceptions, nécessairement illusoires et arbitraires, sur les agens
+primordiaux des phénomènes. Après avoir démontré en général le vice
+fondamental d'une telle manière de philosopher, j'ai dû l'assujettir à
+un examen sommaire, mais spécial, pour chaque partie de la physique qui
+en est notablement affectée. La nature de cet ouvrage s'opposait sans
+doute à l'exécution convenable d'une telle épuration, qui ne pouvait y
+être qu'indiquée: j'espère, toutefois, que cette indication sera
+suffisante pour attirer sur cette question vitale l'attention de
+quelques physiciens rationnels, en leur faisant sentir que ces vaines
+hypothèses constituent, dans le système de la science actuelle, une
+superfétation hétérogène, qui ne peut que nuire au progrès des
+connaissances réelles, en altérant leur positivité caractéristique, et
+dont il serait aussi facile que désirable de se passer désormais
+entièrement. La principale utilité scientifique de ce traité consistant
+à perfectionner l'esprit général de chaque science fondamentale, mon but
+ne sera atteint, à cet égard, que si quelque physicien spécial
+entreprend, d'après une telle ouverture, la réalisation d'un projet dont
+j'ai dû me borner à signaler ici l'importance et la possibilité. C'est
+dans les mêmes vues que j'ai essayé de caractériser sommairement
+l'application judicieuse des théories mathématiques aux diverses
+branches principales de la physique, tout en indiquant les graves
+dangers de la systématisation démesurée et illusoire qu'on a si souvent
+tenté d'obtenir par l'emploi de ce puissant moyen, au-delà de ce que
+comportait la nature trop complexe des phénomènes correspondans.
+Toutefois, en m'occupant, par-dessus tout, de la méthode, je n'ai pas
+négligé de signaler, en aperçu, dans la composition effective de chaque
+doctrine physique, les principales lois naturelles déjà dévoilées par
+l'esprit humain pendant les deux siècles écoulés depuis la naissance de
+la vraie physique, et aussi les lacunes essentielles que cet examen
+philosophique a fait ressortir.
+
+Je dois maintenant poursuivre la grande tâche que je me suis tracée, en
+procédant, dans la première partie du volume suivant, à l'appréciation
+philosophique d'une nouvelle science fondamentale, la dernière de toutes
+celles qui composent l'ensemble des connaissances générales ou
+inorganiques. Cette science, relative aux réactions moléculaires et
+spécifiques que les diverses substances naturelles exercent les unes sur
+les autres, est nécessairement plus compliquée, et, par suite, beaucoup
+plus imparfaite que celles considérées dans ces deux premiers volumes.
+Mais sa subordination aux sciences antérieures, dont nous avons établi
+la philosophie, peut fournir les moyens de perfectionner notablement son
+caractère général.
+
+FIN DU TOME DEUXIÈME.
+
+Avril 1835.
+
+
+
+
+TABLE DES MATIÈRES
+CONTENUES DANS LE DEUXIÈME VOLUME.
+
+
+AVIS DE L'AUTEUR.
+
+19e LEÇON. Considérations philosophiques sur l'ensemble de la science
+astronomique.
+
+20e LEÇON. Considérations générales sur les méthodes d'observations en
+astronomie.
+
+21e LEÇON. Considérations générales sur les phénomènes géométriques
+élémentaires des corps célestes.
+
+22e LEÇON. Considérations générales sur le mouvement de la terre.
+
+23e LEÇON. Considérations générales sur les lois de Képler, et sur leur
+application à l'étude géométrique des mouvemens célestes.
+
+24e LEÇON. Considérations fondamentales sur la loi de la gravitation.
+
+25e LEÇON. Considérations générales sur la statique céleste.
+
+26e LEÇON. Considérations générales sur la dynamique céleste.
+
+27e LEÇON. Considérations générales sur l'astronomie sidérale, et sur la
+cosmogonie positive.
+
+28e LEÇON. Considérations philosophiques sur l'ensemble de la physique.
+
+29e LEÇON. Considérations générales sur la barologie.
+
+30e LEÇON. Considérations générales sur la thermologie physique.
+
+31e LEÇON. Considérations générales sur la thermologie mathématique.
+
+32e LEÇON. Considérations générales sur l'acoustique.
+
+33e LEÇON. Considérations générales sur l'optique.
+
+34e LEÇON. Considérations générales sur l'électrologie.
+
+
+FIN DE LA TABLE DU DEUXIÈME VOLUME.
+
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Cours de philosophie positive.(2/6), by
+Auguste Comte
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK COURS DE PHILOSOPHIE ***
+
+***** This file should be named 31882-8.txt or 31882-8.zip *****
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+ http://www.gutenberg.org/3/1/8/8/31882/
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+Produced by Sébastien Blondeel, Carlo Traverso, Rénald
+Lévesque and the Online Distributed Proofreading Team at
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+generously made available by the Bibliothèque nationale
+de France (BnF/Gallica)
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+will be renamed.
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+one owns a United States copyright in these works, so the Foundation
+(and you!) can copy and distribute it in the United States without
+permission and without paying copyright royalties. Special rules,
+set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to
+copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to
+protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project
+Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
+charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you
+do not charge anything for copies of this eBook, complying with the
+rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose
+such as creation of derivative works, reports, performances and
+research. They may be modified and printed and given away--you may do
+practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is
+subject to the trademark license, especially commercial
+redistribution.
+
+
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+Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the
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+entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8.
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+used on or associated in any way with an electronic work by people who
+agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
+things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
+even without complying with the full terms of this agreement. See
+paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
+collection are in the public domain in the United States. If an
+individual work is in the public domain in the United States and you are
+located in the United States, we do not claim a right to prevent you from
+copying, distributing, performing, displaying or creating derivative
+works based on the work as long as all references to Project Gutenberg
+are removed. Of course, we hope that you will support the Project
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+freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of
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+the work. You can easily comply with the terms of this agreement by
+keeping this work in the same format with its attached full Project
+Gutenberg-tm License when you share it without charge with others.
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+through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the
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+permission of the copyright holder found at the beginning of this work.
+
+1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm
+License terms from this work, or any files containing a part of this
+work or any other work associated with Project Gutenberg-tm.
+
+1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this
+electronic work, or any part of this electronic work, without
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+Gutenberg-tm License.
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+1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary,
+compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any
+word processing or hypertext form. However, if you provide access to or
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+"Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version
+posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org),
+you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a
+copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon
+request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other
+form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm
+License as specified in paragraph 1.E.1.
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+1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
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+access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided
+that
+
+- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
+ the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
+ you already use to calculate your applicable taxes. The fee is
+ owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he
+ has agreed to donate royalties under this paragraph to the
+ Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments
+ must be paid within 60 days following each date on which you
+ prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax
+ returns. Royalty payments should be clearly marked as such and
+ sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the
+ address specified in Section 4, "Information about donations to
+ the Project Gutenberg Literary Archive Foundation."
+
+- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
+ you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
+ does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
+ License. You must require such a user to return or
+ destroy all copies of the works possessed in a physical medium
+ and discontinue all use of and all access to other copies of
+ Project Gutenberg-tm works.
+
+- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any
+ money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
+ electronic work is discovered and reported to you within 90 days
+ of receipt of the work.
+
+- You comply with all other terms of this agreement for free
+ distribution of Project Gutenberg-tm works.
+
+1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm
+electronic work or group of works on different terms than are set
+forth in this agreement, you must obtain permission in writing from
+both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael
+Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the
+Foundation as set forth in Section 3 below.
+
+1.F.
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+1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
+effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
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+collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic
+works, and the medium on which they may be stored, may contain
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+of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project
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+TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
+LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
+INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
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+defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
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+providing it to you may choose to give you a second opportunity to
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+is also defective, you may demand a refund in writing without further
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+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
+WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
+WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
+
+1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
+warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
+If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
+law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
+interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
+the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
+provision of this agreement shall not void the remaining provisions.
+
+1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
+providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance
+with this agreement, and any volunteers associated with the production,
+promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
+harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ http://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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+<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.01 Transitional//EN">
+<html>
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+<pre>
+
+Project Gutenberg's Cours de philosophie positive.(2/6), by Auguste Comte
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
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+
+Title: Cours de philosophie positive.(2/6)
+
+Author: Auguste Comte
+
+Release Date: April 4, 2010 [EBook #31882]
+
+Language: French
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+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK COURS DE PHILOSOPHIE ***
+
+
+
+
+Produced by Sébastien Blondeel, Carlo Traverso, Rénald
+Lévesque and the Online Distributed Proofreading Team at
+http://www.pgdp.net (This file was produced from images
+generously made available by the Bibliothèque nationale
+de France (BnF/Gallica)
+
+
+
+
+
+
+</pre>
+
+
+
+
+<br><br>
+
+
+
+
+<h3>COURS<br>
+DE<br>
+PHILOSOPHIE POSITIVE.</h3>
+
+<br><br>
+<p class="overl">IMPRIMERIE DE BACHELIER,
+rue du Jardinet, n° 12.</p>
+<br><br>
+
+<h1>COURS</h1>
+<h5>DE</h5>
+<h2>PHILOSOPHIE POSITIVE,</h2>
+
+<h4>PAR M. AUGUSTE COMTE,</h4>
+
+<h5>ANCIEN ÉLÈVE DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE, RÉPÉTITEUR D'ANALYSE<br>
+TRANSCENDANTE ET DE MÉCANIQUE RATIONNELLE À LADITE ÉCOLE.</h5>
+
+<hr class="short">
+
+<h3>TOME DEUXIÈME,</h3>
+
+<h5>CONTENANT</h5>
+
+<h5>LA PHILOSOPHIE ASTRONOMIQUE ET LA PHILOSOPHIE<br>
+DE LA PHYSIQUE.</h5>
+
+<hr>
+
+<p class="mid">PARIS,<br>
+BACHELIER, IMPRIMEUR-LIBRAIRE<br>
+POUR LES SCIENCES,<br>
+QUAI DES AUGUSTINS, Nº 55.</p>
+
+<hr class="short">
+
+<h5>1835</h5>
+
+<a name="l0" id="l0"></a>
+
+<br><hr class="full"><br>
+
+<h3>AVIS DE L'AUTEUR.</h3>
+
+<br><hr class="short"><br>
+
+<p>Le premier volume de cet ouvrage, renfermant les préliminaires généraux
+et la philosophie mathématique, a paru en juillet 1830. La crise
+extraordinaire survenue dans la librairie, à la suite des événements
+politiques, a long-temps interrompu cette publication, que les premiers
+éditeurs se sont vus contraints d'abandonner. Confiée maintenant à un
+nouvel éditeur, dont le nom est une garantie, elle sera désormais
+continue, de façon à être terminée à la fin de l'année 1835.</p>
+
+<p>Il peut être utile de rappeler ici que, suivant le plan général exposé
+dès l'origine, ce second volume comprend la philosophie astronomique et
+la philosophie de la physique proprement dite; le troisième sera
+consacré à la philosophie chimique et à la philosophie physiologique;
+enfin, le quatrième contiendra la philosophie sociale et les conclusions
+philosophiques qui résultent de l'ensemble de l'ouvrage; chaque volume
+étant composé de dix-huit leçons.</p>
+
+<br><br><br>
+
+<h2>COURS</h2>
+
+<h5>DE</h5>
+
+<h2>PHILOSOPHIE POSITIVE.</h2>
+
+<a name="l19" id="l19"></a>
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+<br><hr class="full"><br><br>
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+<h3>DIX-NEUVIÈME LEÇON.</h3>
+
+<br><hr class="short"><br>
+
+<p class="sml">Considérations philosophiques sur l'ensemble de la science astronomique.</p>
+
+<p>L'astronomie est jusqu'ici la seule branche de la philosophie naturelle
+dans laquelle l'esprit humain se soit enfin rigoureusement affranchi de
+toute influence théologique et métaphysique, directe ou indirecte; ce
+qui rend particulièrement facile de présenter avec netteté son vrai
+caractère philosophique. Mais, pour se faire une juste idée générale de
+la nature et de la composition de cette science, il est indispensable,
+en sortant des définitions vagues qu'on en donne encore habituellement,
+de commencer par circonscrire avec exactitude le véritable champ des
+connaissances positives que nous pouvons acquérir à l'égard des astres.</p>
+
+<p>Parmi les trois sens propres à nous faire apercevoir l'existence des
+corps éloignés, celui de la vue est évidemment le seul qui puisse être
+employé relativement aux corps célestes; en sorte qu'il ne saurait
+exister aucune astronomie pour des espèces aveugles, quelque
+intelligentes qu'on voulût d'ailleurs les imaginer; et, pour nous-mêmes,
+les astres obscurs, qui sont peut-être plus nombreux que les astres
+visibles, échappent à toute étude réelle, leur existence pouvant tout au
+plus être soupçonnée par induction. Toute recherche qui n'est point
+finalement réductible à de simples observations visuelles nous est donc
+nécessairement interdite au sujet des astres, qui sont ainsi de tous les
+êtres naturels ceux que nous pouvons connaître sous les rapports les
+moins variés. Nous concevons la possibilité de déterminer leurs formes,
+leurs distances, leurs grandeurs et leurs mouvemens; tandis que nous ne
+saurions jamais étudier par aucun moyen leur composition chimique, ou
+leur structure minéralogique, et, à plus forte raison, la nature des
+corps organisés qui vivent à leur surface, etc. En un mot, pour
+employer immédiatement les expressions scientifiques les plus précises,
+nos connaissances positives par rapport aux astres sont nécessairement
+limitées à leurs seuls phénomènes géométriques et mécaniques, sans
+pouvoir nullement embrasser les autres recherches physiques, chimiques,
+physiologiques, et même sociales, que comportent les êtres accessibles à
+tous nos divers moyens d'observation.</p>
+
+<p>Il serait certainement téméraire de prétendre fixer avec une précision
+rigoureuse les bornes nécessaires de nos connaissances dans chaque
+partie déterminée de la philosophie naturelle; car, en s'engageant dans
+le détail, on les placerait presque inévitablement ou trop près ou trop
+loin. Une telle appréciation est d'ailleurs singulièrement influencée
+par l'état de notre développement intellectuel. Ainsi, tel esprit,
+entièrement étranger aux conceptions mathématiques, ne comprend pas même
+qu'on puisse estimer avec certitude les distances et les dimensions des
+corps célestes, puisqu'ils ne sont point accessibles; tandis que tel
+autre, à demi éclairé sous ce rapport, admettra sans difficulté la
+possibilité de semblables mesures, mais niera à son tour qu'on puisse
+peser indirectement le soleil et les planètes. Nonobstant ces remarques
+évidentes, il n'en est pas moins indispensable, ce me semble, de poser
+à cet égard des limites générales, pour que l'esprit humain ne se laisse
+point égarer dans le vague de recherches nécessairement inabordables,
+sans que cependant il s'interdise celles qui sont vraiment accessibles
+par des procédés plus ou moins indirects, quelque embarras qu'on doive
+éprouver à concilier ces deux conditions également fondamentales. Cette
+conciliation si délicate me paraît essentiellement établie à l'égard des
+recherches astronomiques par la maxime philosophique ci-dessus énoncée,
+qui les circonscrit dans les deux seules catégories des phénomènes
+géométriques et des phénomènes mécaniques. Une telle règle n'a rien
+d'arbitraire, puisqu'elle résulte évidemment d'une comparaison générale
+entre les objets à étudier et nos moyens pour les explorer. Son
+application peut seule présenter quelque difficulté, qu'un examen
+spécial plus approfondi fera presque toujours disparaître dans chaque
+cas particulier, en continuant à procéder d'après le même principe
+fondamental. Ainsi, pour fixer les idées, dans la célèbre question des
+atmosphères des corps célestes, on pouvait certainement concevoir, même
+avant la découverte des ingénieux moyens imaginés pour leur exacte
+exploration, qu'une telle recherche nous présentait quelque chose
+d'accessible, à cause des phénomènes lumineux plus ou moins appréciables
+que ces atmosphères doivent évidemment produire; mais il est tout aussi
+sensible, par la même considération, que nos connaissances, à l'égard de
+ces enveloppes gazeuses, sont nécessairement bornées à celles de leur
+existence, de leur étendue plus ou moins grande, et de leur vrai pouvoir
+réfringent, sans que nous puissions nullement déterminer ni leur
+composition chimique, ni même leur densité; en sorte qu'il y aurait une
+grave inadvertance à supposer, par exemple, comme on l'a fait
+quelquefois, l'atmosphère de Vénus aussi dense que notre atmosphère,
+d'après la réfraction horizontale d'environ un demi-degré qui leur est
+commune, car la nature chimique des gaz influe autant que leur densité
+sur leur puissance réfringente.</p>
+
+<p>En général, dans chaque espèce de question que nous pouvons imaginer sur
+les astres, ou nous apercevons clairement qu'elle ne dépend en dernier
+lieu que d'observations visuelles plus ou moins directes, et alors nous
+n'hésitons pas à la déclarer tôt ou tard accessible; ou bien nous
+reconnaissons avec évidence qu'elle exigerait par sa nature, quelque
+autre genre d'exploration, et dans ce cas nous ne devons pas balancer
+davantage à l'exclure comme radicalement inabordable; ou, enfin, nous
+ne voyons nettement ni l'un ni l'autre, et dès lors nous devons
+complétement suspendre notre jugement, jusqu'à ce que le progrès de nos
+connaissances réelles vienne nous fournir quelques indications
+décisives, disposition d'esprit malheureusement fort rare et pourtant
+bien nécessaire. Cette règle est d'autant plus aisément applicable que
+l'observation scientifique n'emploie jamais et ne saurait employer
+d'autres moyens que l'observation la plus vulgaire dans des
+circonstances analogues; seulement elle en perfectionne et en étend
+l'usage.</p>
+
+<p>La détermination des températures est probablement la seule à l'égard de
+laquelle la limite précédemment établie pourra paraître aujourd'hui trop
+sévère. Mais, quelques espérances qu'ait pu faire concevoir à ce sujet
+la création si capitale de la thermologie mathématique par notre
+immortel Fourier, et spécialement sa belle évaluation de la température
+de l'espace dans lequel nous circulons, je n'en persiste pas moins à
+regarder toute notion sur les véritables températures moyennes des
+différens astres comme devant nécessairement nous être à jamais
+interdite. Quand même toutes les influences thermologiques proprement
+dites, relatives aux échanges de chaleur entre les divers corps
+célestes, auraient été mathématiquement analysées, ce qui d'ailleurs me
+semble peu admissible, la question renfermerait toujours un élément qui
+doit être éternellement inconnu, et qui cependant est peut-être
+prépondérant pour certains astres, l'état interne de chacun d'eux, et,
+dans beaucoup de cas, la manière non moins inconnue dont la chaleur est
+absorbée par son atmosphère. Ainsi, par exemple, la tentative de Newton,
+pour évaluer la température de la comète de 1680 à son périhélie, était
+certainement illusoire; car un tel calcul, refait même aussi
+convenablement qu'il peut l'être aujourd'hui, apprendrait, tout au plus,
+quelle serait la température de notre terre si, sans rien changer à sa
+constitution actuelle, on la supposait transportée dans cette position:
+ce qui, vu les différences physiques et chimiques, peut s'écarter
+extrêmement de la température effective de la comète.</p>
+
+<p>D'après les considérations précédentes, je crois donc pouvoir définir
+l'astronomie avec précision, et néanmoins d'une manière assez large, en
+lui assignant pour objet de découvrir les lois des phénomènes
+géométriques et des phénomènes mécaniques que nous présentent les corps
+célestes.</p>
+
+<p>À cette limitation nécessaire portant sur la nature des phénomènes
+observables, il faut, ce me semble, pour être pleinement dans la
+réalité scientifique, en ajouter une autre relative aux corps qui
+peuvent être le sujet de telles explorations. Cette dernière restriction
+n'est point sans doute absolue comme la première, et il importe beaucoup
+de le remarquer; mais, dans l'état présent de nos connaissances, elle
+est presque aussi rigoureuse.</p>
+
+<p>Les esprits philosophiques auxquels l'étude approfondie de l'astronomie
+est étrangère, et les astronomes eux-mêmes, n'ont pas suffisamment
+distingué jusqu'ici, dans l'ensemble de nos recherches célestes, le
+point de vue que je puis appeler <i>solaire</i>, de celui qui mérite
+véritablement le nom d'<i>universel</i>. Cette distinction me paraît
+néanmoins indispensable pour séparer nettement la partie de la science
+qui comporte une entière perfection, de celle qui, par sa nature, sans
+être sans doute purement conjecturale, semble cependant devoir toujours
+rester presque dans l'enfance, du moins comparativement à la première.
+La considération du système solaire dont nous faisons partie nous offre
+évidemment un sujet d'étude bien circonscrit, susceptible d'une
+exploration complète, et qui devait nous conduire aux connaissances les
+plus satisfaisantes. Au contraire, la pensée de ce que nous appelons
+l'<i>univers</i> est par elle-même nécessairement indéfinie, en sorte que,
+si étendues qu'on veuille supposer dans l'avenir nos connaissances
+réelles en ce genre, nous ne saurions jamais nous élever à la véritable
+conception de l'ensemble des astres. La différence est extrêmement
+frappante aujourd'hui, puisque, à côté de la haute perfection acquise
+dans les deux derniers siècles par l'astronomie solaire, nous ne
+possédons pas même encore, en astronomie sidérale, le premier et le plus
+simple élément de toute recherche positive, la détermination des
+intervalles stellaires. Sans doute nous avons tout lieu de présumer,
+comme j'aurai soin de l'expliquer plus tard, que ces distances ne
+tarderont pas à être évaluées, du moins entre certaines limites, à
+l'égard de plusieurs étoiles, et que, par suite, nous connaîtrons, pour
+ces mêmes astres, divers autres élémens importans, que la théorie est
+toute prête à déduire de cette donnée fondamentale, tels que leurs
+masses, etc. Mais l'importante distinction établie ci-dessus n'en sera
+nullement affectée. Quand même nous parviendrions un jour à étudier
+complètement les mouvemens relatifs de quelques étoiles multiples, cette
+notion, qui serait d'ailleurs très précieuse, surtout si elle pouvait
+concerner le groupe dont notre soleil fait probablement partie, ne nous
+laisserait évidemment guère moins éloignés d'une véritable connaissance
+de l'univers, qui doit inévitablement nous échapper toujours.</p>
+
+<p>Il existe, dans toutes les classes de nos recherches et sous tous les
+grands rapports, une harmonie constante et nécessaire entre l'étendue de
+nos vrais besoins intellectuels et la portée effective, actuelle ou
+future, de nos connaissances réelles. Cette harmonie, que j'aurai soin
+de signaler dans tous les phénomènes, n'est point, comme les philosophes
+vulgaires sont tentés de le croire, le résultat ni l'indice d'une cause
+finale. Elle dérive simplement de cette nécessité évidente: nous avons
+seulement besoin de connaître ce qui peut agir sur nous, d'une manière
+plus ou moins directe; et, d'un autre côté, par cela même qu'une telle
+influence existe, elle devient pour nous tôt ou tard un moyen certain de
+connaissance. Cette relation se vérifie d'une manière remarquable dans
+le cas présent. L'étude la plus parfaite possible des lois du système
+solaire dont nous faisons partie, est pour nous d'un intérêt capital, et
+aussi sommes-nous parvenus à lui donner une précision admirable. Au
+contraire, si la notion exacte de l'univers nous est nécessairement
+interdite, il est évident qu'elle ne nous offre point, excepté pour
+notre insatiable curiosité, de véritable importance. L'application
+journalière de l'astronomie montre que les phénomènes intérieurs de
+chaque système solaire, les seuls qui puissent affecter ses habitans,
+sont essentiellement indépendans des phénomènes plus généraux relatifs à
+l'action mutuelle des soleils, à peu près comme nos phénomènes
+météoroliques vis-à-vis des phénomènes planétaires. Nos tables des
+événemens célestes, dressées, long-temps d'avance, en ne considérant
+dans l'univers aucun autre monde que le nôtre, s'accordent jusqu'ici
+rigoureusement avec les observations directes, quelque minutieuse
+précision que nous y apportions aujourd'hui. Cette indépendance si
+manifeste se trouve d'ailleurs pleinement expliquée par l'immense
+disproportion que nous savons certainement exister entre les distances
+mutuelles des soleils et les petits intervalles de nos planètes. Si,
+suivant une grande vraisemblance, les planètes pourvues d'atmosphères,
+comme Mercure, Vénus, Jupiter, etc., sont effectivement habitées, nous
+pouvons en regarder les habitans comme étant en quelque façon nos
+concitoyens, puisque, de cette sorte de patrie commune, il doit résulter
+nécessairement une certaine communauté de pensées et même d'intérêts;
+tandis que les habitans des autres systèmes solaires nous doivent être
+entièrement étrangers. Il faut donc séparer plus profondément qu'on n'a
+coutume de le faire le point de vue solaire et le point universel,
+l'idée de monde et celle d'univers: le premier est le plus élevé auquel
+nous puissions réellement atteindre, et c'est aussi le seul qui nous
+intéresse véritablement.</p>
+
+<p>Ainsi, sans renoncer entièrement à l'espoir d'obtenir quelques
+connaissances sidérales, il faut concevoir l'astronomie positive comme
+consistant essentiellement dans l'étude géométrique et mécanique du
+petit nombre de corps célestes qui composent le <i>monde</i> dont nous
+faisons partie. C'est seulement entre de telles limites que l'astronomie
+mérite par sa perfection le rang suprême qu'elle occupe aujourd'hui
+parmi les sciences naturelles. Quant à ces astres innombrables
+disséminés dans le ciel, ils n'ont guère, pour l'astronome, d'autre
+intérêt principal que celui de nous servir de jalons dans nos
+observations, leurs positions pouvant être regardées comme fixes
+relativement aux mouvemens intérieurs de notre système, seul objet
+essentiel de notre étude.</p>
+
+<p>En considérant, dans tout le développement de ce cours, la succession
+des divers ordres de phénomènes naturels, je ferai soigneusement
+ressortir une loi philosophique très importante, et tout-à-fait
+inaperçue jusqu'à présent, dont je dois signaler ici la première
+application. Elle consiste en ce que, à mesure que les phénomènes à
+étudier deviennent plus compliqués, ils sont en même temps susceptibles,
+par leur nature, de moyens d'exploration plus étendus et plus variés,
+sans que toutefois il puisse y avoir une exacte compensation entre
+l'accroissement des difficultés et l'augmentation des ressources; en
+sorte que, malgré cette harmonie, les sciences relatives aux phénomènes
+les plus complexes n'en restent pas moins nécessairement les plus
+imparfaites, suivant l'échelle encyclopédique établie dès le début de
+cet ouvrage. Ainsi, les phénomènes astronomiques étant les plus simples,
+doivent être ceux pour lesquels les moyens d'exploration sont les plus
+bornés.</p>
+
+<p>Notre art d'observer se compose, en général, de trois procédés
+différens: 1º l'observation proprement dite, c'est-à-dire l'examen
+direct du phénomène tel qu'il se présente naturellement; 2º
+l'expérience, c'est-à-dire la contemplation du phénomène plus ou moins
+modifié par des circonstances artificielles, que nous instituons
+expressément en vue d'une plus parfaite exploration; 3º la comparaison,
+c'est-à-dire la considération graduelle d'une suite de cas analogues,
+dans lesquels le phénomène se simplifie de plus en plus. La science des
+corps organisés, qui étudie les phénomènes du plus difficile accès, est
+aussi la seule qui permette véritablement la réunion de ces trois
+moyens. L'astronomie, au contraire, est nécessairement bornée au
+premier. L'expérience y est évidemment impossible; et, quant à la
+comparaison, elle n'y existerait que si nous pouvions observer
+directement plusieurs systèmes solaires, ce qui ne saurait avoir lieu.
+Reste donc la simple observation, et réduite même, comme nous l'avons
+remarqué, à la moindre extension possible, puisqu'elle ne peut concerner
+qu'un seul de nos sens. Mesurer des angles et compter des temps écoulés,
+tels sont les seuls moyens d'après lesquels notre intelligence puisse
+procéder à la découverte des lois qui régissent les phénomènes célestes.
+Mais ces moyens n'en sont pas moins parfaitement adaptés à la nature des
+véritables recherches astronomiques, car il ne faut pas autre chose pour
+observer des phénomènes géométriques ou des phénomènes mécaniques, des
+grandeurs ou des mouvemens. On doit seulement en conclure que, entre
+toutes les branches de la philosophie naturelle, l'astronomie est celle
+où l'observation directe, quelque indispensable qu'elle soit, est par
+elle-même la moins significative, et où la part du raisonnement est
+incomparablement la plus grande, ce qui constitue le premier fondement
+de sa dignité intellectuelle. Rien de vraiment intéressant ne s'y
+décide jamais par la simple inspection, contrairement à ce qui se passe
+en physique, en chimie, en physiologie, etc. Nous pouvons dire, sans
+exagération, que les phénomènes, quelque réels qu'ils soient, y sont
+pour la plupart essentiellement construits par notre intelligence; car
+on ne saurait <i>voir</i> immédiatement la figure de la terre, ni la courbe
+décrite par une planète, ni même le mouvement journalier du ciel; notre
+esprit seul peut former ces diverses notions, en combinant, par des
+raisonnemens souvent très prolongés et fort complexes, des sensations
+isolées, que, sans cela, leur incohérence rendrait presque entièrement
+insignifiantes. Ces difficultés fondamentales propres aux études
+astronomiques, qui offrent un attrait de plus aux intelligences d'un
+certain ordre, inspirent ordinairement au vulgaire une répugnance très
+pénible à surmonter.</p>
+
+<p>La combinaison de ces deux caractères essentiels, extrême simplicité des
+phénomènes à étudier, et grande difficulté de leur observation, est ce
+qui constitue l'astronomie une science si éminemment mathématique. D'une
+part, la nécessité où l'on s'y trouve sans cesse de déduire d'un petit
+nombre de mesures directes, soit angulaires, soit horaires, des
+quantités qui ne sont point par elles-mêmes immédiatement observables,
+y rend l'usage continuel de la mathématique abstraite absolument
+indispensable. D'une autre part, les questions astronomiques étant
+toujours en elles-mêmes ou des problèmes de géométrie, ou des problèmes
+de mécanique, elles tombent naturellement dans le domaine de la
+mathématique concrète. Enfin, sous le rapport géométrique, la parfaite
+régularité des formes astronomiques, et, sous le rapport mécanique,
+l'admirable simplicité de mouvemens s'opérant dans un milieu dont la
+résistance est jusqu'ici négligeable et sous l'influence d'un petit
+nombre de forces constamment assujetties à une même loi très facile,
+permettent d'y conduire, beaucoup plus loin qu'en tout autre cas,
+l'application des méthodes et des théories mathématiques. Il n'est
+peut-être pas un seul procédé analytique, une seule doctrine géométrique
+ou mécanique, qui ne trouvent aujourd'hui leur emploi dans les
+recherches astronomiques, et la plupart même n'ont pas eu jusqu'ici
+d'autre destination primitive. Aussi est-ce surtout en étudiant
+convenablement une telle application qu'on peut acquérir un juste
+sentiment de l'importance et de la réalité des spéculations
+mathématiques.</p>
+
+<p>En considérant la nature éminemment simple des recherches astronomiques,
+et la facilité qui en résulte d'y appliquer de la manière la plus
+étendue l'ensemble des moyens mathématiques, on conçoit pourquoi
+l'astronomie est unanimement placée aujourd'hui à la tête des sciences
+naturelles. Elle mérite cette suprématie, 1º par la perfection de son
+caractère scientifique; 2º par l'importance prépondérante des lois
+qu'elle nous dévoile.</p>
+
+<p>Je ne dois point envisager ici sa haute utilité pratique pour la mesure
+des temps, pour la description exacte de notre globe, et surtout pour le
+perfectionnement de la navigation; car une telle considération ne
+saurait devenir un moyen de classement entre les différentes sciences,
+qui, à cet égard, sont en réalité essentiellement équivalentes. Mais il
+importe de remarquer à ce sujet, comme rentrant pleinement dans l'esprit
+général de cet ouvrage, que l'astronomie nous offre l'exemple le plus
+étendu et le plus irrécusable de l'indispensable nécessité des
+spéculations scientifiques les plus sublimes pour l'entière satisfaction
+des besoins pratiques les plus vulgaires. En se bornant au seul problème
+de la détermination des longitudes en mer, on voit que sa liaison intime
+avec l'ensemble des théories astronomiques a été établie, dès l'origine
+de la science, par son plus éminent fondateur, le grand Hipparque. Or,
+quoiqu'on n'ait, depuis cette époque, rien ajouté d'essentiel à l'idée
+fondamentale de cette relation, il a fallu tous les immenses
+perfectionnemens successivement apportés jusqu'ici à la science
+astronomique pour qu'une telle application devînt susceptible d'être
+suffisamment réalisée. Sans les plus hautes spéculations des géomètres
+sur la mécanique céleste, qui ont tant augmenté la précision des tables
+astronomiques, il serait absolument impossible de déterminer la
+longitude d'un vaisseau avec le degré d'exactitude que nous pouvons
+maintenant obtenir; et, bien loin que la science soit à cet égard plus
+parfaite que ne l'exige la pratique, il est au contraire certain que si
+nous ne pouvons pas encore connaître toujours sûrement notre position
+avec une erreur de moins de trois ou quatre lieues dans les mers
+équatoriales, cela tient essentiellement à ce que la précision de nos
+tables n'est point encore assez grande. De telles réflexions sont
+propres à frapper ces esprits étroits qui, s'ils pouvaient jamais
+dominer, arrêteraient aveuglément le développement des sciences, en
+voulant les restreindre à ne s'occuper que de recherches immédiatement
+susceptibles d'utilité pratique.</p>
+
+<p>En examinant scrupuleusement l'état philosophique actuel des diverses
+sciences fondamentales, nous aurons lieu de reconnaître, comme je l'ai
+déjà indiqué, que l'astronomie est aujourd'hui la seule qui soit enfin
+réellement purgée de toute considération théologique ou métaphysique.
+Tel est, sous le rapport de la méthode, son premier titre à la
+suprématie. C'est là que les esprits philosophiques peuvent efficacement
+étudier en quoi consiste véritablement une science; et c'est sur ce
+modèle qu'on doit s'efforcer, autant que possible, de constituer toutes
+les autres sciences fondamentales, en ayant toutefois convenablement
+égard aux différences plus ou moins profondes qui résultent
+nécessairement de la complication croissante des phénomènes.</p>
+
+<p>Sans doute, la géométrie abstraite et la mécanique rationnelle sont, en
+réalité, des sciences naturelles, et les premières de toutes, comme je
+me suis efforcé de le montrer dans le premier volume; elles sont
+supérieures à l'astronomie elle-même, à cause de la perfection de leurs
+méthodes et de l'entière généralité de leurs théories. En un mot, nous
+avons établi qu'elles constituent le véritable fondement primitif de
+toute la philosophie naturelle, et cela est particulièrement sensible à
+l'égard de l'astronomie. Mais, quelque réel que soit leur caractère
+physique, leurs phénomènes sont d'une nature trop abstraite pour
+qu'elles puissent être habituellement, sous ce rapport, appréciées
+d'une manière convenable, surtout à cause de l'esprit vicieux qui domine
+encore dans leur exposition ordinaire. Nos intelligences ont besoin
+jusqu'ici de voir ces combinaisons générales de figures ou de mouvemens
+se spécifier dans des corps existans, comme le fait si complètement
+l'astronomie, pour que leur réalité devienne suffisamment manifeste.
+Quoique la connaissance des lois géométriques et mécaniques soit, en
+elle-même, extrêmement précieuse, il est certain que, dans l'état
+présent de l'esprit humain, elle est bien plus employée comme un
+puissant et indispensable moyen d'investigation dans l'étude des autres
+phénomènes naturels, que comme une véritable science directe. Ainsi, le
+premier rang, dans la philosophie naturelle proprement dite, reste
+incontestablement à l'astronomie.</p>
+
+<p>Ceux qui font consister la science dans la simple accumulation des faits
+observés, n'ont qu'à considérer avec quelque attention l'astronomie,
+pour sentir combien leur pensée est étroite et superficielle. Ici, les
+faits sont tellement simples, et d'ailleurs si peu intéressans, qu'il
+devient impossible de méconnaître que leur liaison seule, l'exacte
+connaissance de leurs lois, constituent la science. Qu'est-ce réellement
+qu'un fait astronomique? rien autre chose habituellement que: tel astre
+a été vu à tel instant précis et sous tel angle bien mesuré; ce qui,
+sans doute, est, en soi-même, fort peu important. La combinaison
+continuelle et l'élaboration mathématique plus ou moins profonde de ces
+observations caractérisent uniquement la science, même dans son état le
+plus imparfait. L'astronomie n'a pas réellement pris naissance quand les
+prêtres de l'Égypte ou de la Chaldée ont fait sur le ciel une suite
+d'observations empiriques plus ou moins exactes, mais seulement lorsque
+les premiers philosophes grecs ont commencé à ramener à quelques lois
+géométriques le phénomène général du mouvement diurne. Le véritable but
+définitif des recherches astronomiques étant toujours de prédire avec
+certitude l'état effectif du ciel dans un avenir plus ou moins lointain,
+l'établissement des lois des phénomènes offre évidemment le seul moyen
+d'y parvenir, sans que l'accumulation des observations puisse être, en
+elle-même, d'aucune utilité pour cela, autrement que comme fournissant à
+nos spéculations un fondement solide. En un mot, il n'y a pas eu de
+véritable astronomie tant qu'on n'a pas su, par exemple, prévoir, avec
+une certaine précision, au moins par des procédés graphiques, et surtout
+par quelques calculs trigonométriques, l'instant du lever du soleil ou
+de quelque étoile pour un jour et pour un lieu donnés. Ce caractère
+essentiel de la science a toujours été le même depuis son origine. Tous
+ses progrès ultérieurs ont seulement consisté à apporter définitivement
+dans ces prédictions une certitude et une précision de plus en plus
+grandes, en empruntant à l'observation directe le moins de données
+possible pour la prévoyance la plus lointaine. Aucune partie de la
+philosophie naturelle ne peut donc manifester avec plus de force la
+vérité de cet axiome fondamental: <i>toute science a pour but la
+prévoyance</i>, qui distingue la science réelle de la simple érudition,
+bornée à raconter les événemens accomplis, sans aucune vue d'avenir.</p>
+
+<p>Non-seulement le vrai caractère scientifique est plus profondément
+marqué dans l'astronomie qu'en aucune autre branche de nos connaissances
+positives; mais on peut même dire que, depuis le développement de la
+théorie de la gravitation, elle a atteint la plus haute perfection
+philosophique à laquelle une science puisse jamais prétendre sous le
+rapport de la méthode, l'exacte réduction de tous les phénomènes, soit
+quant à leur nature, soit quant à leur degré, à une seule loi générale;
+pourvu toutefois que, suivant l'explication précédemment établie, on ne
+considère que l'astronomie solaire. Sans doute, la complication
+graduelle des phénomènes doit nous faire envisager une telle perfection
+comme absolument chimérique dans toutes les autres sciences
+fondamentales. Mais tel n'en est pas moins le type général que les
+diverses classes de savans doivent sans cesse avoir en vue, en
+s'efforçant d'en approcher autant que le comportent les phénomènes
+correspondans, comme je tâcherai de le montrer successivement dans les
+différentes parties de cet ouvrage. C'est toujours là qu'il faut
+remonter désormais pour sentir, dans toute sa pureté, ce que c'est que
+l'<i>explication</i> positive d'un phénomène, sans aucune enquête sur sa
+cause ou première ou finale; c'est là enfin qu'on doit apprendre le
+véritable caractère et les conditions essentielles des <i>hypothèses</i>
+vraiment scientifiques, nulle autre science n'ayant fait de ce puissant
+secours un usage à la fois aussi étendu et aussi convenable. Après avoir
+exposé la philosophie astronomique de manière à faire ressortir, le plus
+qu'il me sera possible, ces grandes propriétés générales, je
+m'efforcerai ensuite de les appliquer, plus profondément qu'on ne l'a
+fait encore, à perfectionner le caractère philosophique des autres
+sciences principales.</p>
+
+<p>En général, chaque science, suivant la nature de ses phénomènes, a dû
+perfectionner la méthode positive fondamentale sous quelque rapport
+essentiel qui lui est propre. Le véritable esprit de cet ouvrage
+consiste, à cet égard, à saisir successivement ces divers
+perfectionnemens, et ensuite à les combiner, d'après la hiérarchie
+scientifique établie dans la deuxième leçon, de manière à acquérir,
+comme résultat final d'un tel travail, une connaissance parfaite de la
+méthode positive, qui, j'espère, ne laissera plus aucun doute sur
+l'utilité réelle de semblables comparaisons pour les progrès futurs de
+notre intelligence.</p>
+
+<p>En considérant maintenant l'ensemble de la science astronomique, non
+plus relativement à la méthode, mais quant aux lois naturelles qu'elle
+nous dévoile effectivement, sa prééminence est tout aussi incontestable.</p>
+
+<p>J'ai toujours regardé comme un véritable trait de génie philosophique,
+de la part de Newton, d'avoir intitulé son admirable traité de Mécanique
+céleste: <i>Philosophiæ naturalis principia mathematica</i>. Car, on ne
+pouvait indiquer avec une plus énergique concision que les lois
+générales des phénomènes célestes sont le premier fondement du système
+entier de nos connaissances réelles.</p>
+
+<p>La loi encyclopédique établie au commencement de cet ouvrage me dispense
+de grands développemens à ce sujet. Il est évident que l'astronomie
+doit être par sa nature, essentiellement indépendante de toutes les
+autres sciences naturelles, et qu'elle a seulement besoin de s'appuyer
+sur la science mathématique. Les divers phénomènes physiques, chimiques
+et physiologiques, ne peuvent certainement exercer aucune influence sur
+les phénomènes astronomiques, dont les lois ne sauraient éprouver la
+moindre altération même par les plus grands bouleversemens intérieurs de
+chaque planète sous tous ces autres rapports naturels. La physique, il
+est vrai, et même, à quelques égards secondaires, la chimie<a id="footnotetag1" name="footnotetag1"></a>
+<a href="#footnote1"><sup class="sml">1</sup></a>, ont pu
+fournir à l'astronomie, lorsqu'elle a été très avancée, des secours
+indispensables pour perfectionner ses observations; mais il est clair
+que cette influence accessoire n'a été nullement nécessaire à sa
+constitution scientifique. L'astronomie avait certainement, entre les
+mains d'Hipparque et de ses successeurs, tous les caractères d'une
+véritable science, au moins sous le rapport géométrique, pendant que la
+physique, la chimie, etc., étaient encore profondément enfouies dans le
+chaos métaphysique et même théologique. À une époque toute moderne,
+Képler a découvert ses grandes lois astronomiques d'après les
+observations faites par Tycho-Brahé, avant les grands perfectionnemens
+des instrumens, et essentiellement avec les mêmes moyens matériels
+qu'employaient les Grecs. Les instrumens de précision n'ont aussi
+nullement contribué à la découverte de la gravitation; et c'est
+seulement depuis lors qu'ils sont devenus nécessaires pour correspondre
+à la nouvelle perfection que la théorie permettait désormais dans les
+déterminations astronomiques. Le grand instrument qui réellement
+produisit toutes les découvertes fondamentales de l'astronomie, ce fut
+d'abord la géométrie, et plus tard la mécanique rationnelle, dont les
+progrès sont, en effet, à chaque époque, un excellent critérium pour
+présumer, avec une entière certitude, l'état général des connaissances
+astronomiques correspondantes. L'indépendance de l'astronomie,
+relativement aux autres branches de la philosophie naturelle, demeure
+donc incontestable.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote1"
+name="footnote1"><b>Note 1: </b></a><a href="#footnotetag1">
+(retour) </a> C'est évidemment la chimie, par exemple, qui a
+ fourni à Wollaston l'ingénieux procédé par lequel on obtient
+ aujourd'hui les meilleurs fils micrométriques.
+</blockquote>
+
+<p>Mais, au contraire, il est certain que les phénomènes physiques,
+chimiques, physiologiques, et même sociaux, sont essentiellement
+subordonnés, d'une manière plus ou moins directe, aux phénomènes
+astronomiques, indépendamment de leur coordination mutuelle. L'étude des
+autres sciences fondamentales ne peut donc avoir un caractère vraiment
+rationnel, qu'en prenant pour base une connaissance exacte des lois
+astronomiques, relatives aux phénomènes les plus généraux. Notre esprit
+pourrait-il penser, d'une manière réellement scientifique, à aucun
+phénomène terrestre, sans considérer auparavant ce qu'est cette terre
+dans le monde dont nous faisons partie, sa situation et ses mouvemens
+devant nécessairement exercer une influence prépondérante sur tous les
+phénomènes qui s'y passent? Que deviendraient nos conceptions physiques,
+et par suite chimiques, physiologiques, etc., sans la notion
+fondamentale de la gravitation, qui les domine toutes? Pour choisir
+l'exemple le plus défavorable, où la subordination est la moins
+manifeste, il faut reconnaître, quoique cela puisse d'abord sembler
+étrange, que, même les phénomènes relatifs au développement des sociétés
+humaines, ne sauraient être conçus rationnellement sans la considération
+préalable des principales lois astronomiques. On pourra le sentir
+aisément en observant que si les divers élémens astronomiques de notre
+planète, comme sa distance au soleil, et, par suite, la durée de
+l'année, l'obliquité de l'écliptique, etc., éprouvaient quelques
+changemens importans, ce qui, en astronomie, n'aurait guère d'autre
+effet que de modifier quelques coefficiens, notre développement social
+en serait sans doute notablement affecté, et deviendrait même impossible
+si ces altérations étaient poussées trop loin. Je ne crains nullement de
+mériter le reproche d'exagération, en établissant à ce sujet, que la
+physique sociale n'était point une science possible, tant que les
+géomètres n'avaient pas démontré, comme résultat général de la mécanique
+céleste, que les dérangemens de notre système solaire ne sauraient
+jamais être que des oscillations graduelles et très limitées autour d'un
+état moyen nécessairement invariable. Comment espérerait-on, en effet,
+former avec certitude quelques lois naturelles relativement aux
+phénomènes sociaux, si les données astronomiques, sous l'empire
+desquelles ils s'accomplissent, pouvaient comporter des variations
+indéfinies? Je reprendrai cette considération d'une manière spéciale
+dans la dernière partie de cet ouvrage. Il me suffit, quant à présent,
+de l'indiquer pour faire comprendre que le système général des
+connaissances astronomiques est un élément aussi indispensable à
+combiner dans la formation rationnelle de la physique sociale qu'à
+l'égard de toutes les autres sciences principales.</p>
+
+<p>On n'aurait qu'une idée imparfaite de la haute importance intellectuelle
+des théories astronomiques, si l'on se bornait à envisager ainsi leur
+influence nécessaire et spéciale sur les diverses parties de la
+philosophie naturelle, quelque essentielle que soit d'ailleurs une telle
+considération. Il faut encore avoir égard à l'action générale qu'elles
+exercent directement sur les dispositions fondamentales de notre
+intelligence, à la rénovation de laquelle les progrès de l'astronomie
+ont plus puissamment contribué que ceux d'aucune autre science.</p>
+
+<p>Je n'ai pas besoin de signaler expressément ici, comme trop évident par
+lui-même et trop communément apprécié aujourd'hui, l'effet des
+connaissances astronomiques pour dissiper entièrement les préjugés
+absurdes et les terreurs superstitieuses, tenant à l'ignorance des lois
+célestes, au sujet de plusieurs phénomènes remarquables, tels que les
+éclipses, les comètes, etc. Ces dispositions naturelles ont cessé ou
+cessent de jour en jour dans les esprits les plus vulgaires, même
+indépendamment de la diffusion des vraies notions astronomiques, par
+l'éclatante coïncidence de ces événemens avec les prédictions
+scientifiques. Toutefois, nous ne devons jamais oublier à cet égard que,
+suivant la juste remarque de Laplace, elles renaîtraient promptement si
+les études astronomiques pouvaient jamais cesser d'être cultivées.</p>
+
+<p>Mais je dois principalement insister dans cet ouvrage sur une action
+philosophique plus générale et plus profonde, jusqu'ici bien moins
+sentie, inhérente à l'ensemble même de la science astronomique, et qui
+résulte de la connaissance de la vraie constitution de notre monde et de
+l'ordre qui s'y établit nécessairement. Je la développerai soigneusement
+à mesure que l'examen philosophique des diverses théories astronomiques
+m'en fournira l'occasion. En ce moment, il me suffira de l'indiquer.</p>
+
+<p>Pour les esprits étrangers à l'étude des corps célestes, quoique souvent
+très éclairés d'ailleurs sur d'autres parties de la philosophie
+naturelle, l'astronomie a encore la réputation d'être une science
+éminemment religieuse, comme si le fameux verset: <i>Coeli enarrant
+gloriam Dei</i> avait conservé toute sa valeur<a id="footnotetag2" name="footnotetag2"></a>
+<a href="#footnote2"><sup class="sml">2</sup></a>. Il est cependant
+certain, ainsi que je l'ai établi, que toute science réelle est en
+opposition radicale et nécessaire avec toute théologie; et ce caractère
+est plus prononcé en astronomie que partout ailleurs, précisément parce
+que l'astronomie est, pour ainsi dire, plus <i>science</i> qu'aucune autre,
+suivant la comparaison indiquée ci-dessus. Aucune n'a porté de plus
+terribles coups à la doctrine des causes finales, généralement regardée
+par les modernes comme la base indispensable de tous les systèmes
+religieux, quoiqu'elle n'en ait été, en réalité, qu'une conséquence. La
+seule connaissance du mouvement de la terre a dû détruire le premier
+fondement réel de cette doctrine, l'idée de l'univers subordonné à la
+terre et par suite à l'homme, comme je l'expliquerai spécialement en
+traitant de ce mouvement. D'ailleurs, l'exacte exploration de notre
+système solaire ne pouvait manquer de faire essentiellement disparaître
+cette admiration aveugle et illimitée qu'inspirait l'ordre général de la
+nature, en montrant, de la manière la plus sensible, et sous un très
+grand nombre de rapports divers, que les élémens de ce système n'étaient
+certainement point disposés de la manière la plus avantageuse, et que la
+science permettait de concevoir aisément un meilleur arrangement<a id="footnotetag3" name="footnotetag3"></a>
+<a href="#footnote3"><sup class="sml">3</sup></a>.
+Enfin, sous un dernier point de vue encore plus capital, par le
+développement de la vraie mécanique céleste depuis Newton, toute
+philosophie théologique, même la plus perfectionnée, a été désormais
+privée de son principal office intellectuel, l'ordre le plus régulier
+étant dès lors conçu comme nécessairement établi et maintenu, dans notre
+monde et même dans l'univers entier, par la simple pesanteur mutuelle de
+ses diverses parties.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote2"
+name="footnote2"><b>Note 2: </b></a><a href="#footnotetag2">
+(retour) </a> Aujourd'hui, pour les esprits familiarisés de
+ bonne heure avec la vraie philosophie astronomique, les
+ cieux ne racontent plus d'autre gloire que celle
+ d'Hipparque, de Képler, de Newton, et de tous ceux qui ont
+ concouru à en établir les lois.
+</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote3"
+name="footnote3"><b>Note 3: </b></a><a href="#footnotetag3">
+(retour) </a> Il convient d'observer à ce sujet, comme trait
+ caractéristique que, lorsque des astronomes se livrent
+ aujourd'hui à un tel genre d'admiration, il porte
+ essentiellement sur l'organisation des animaux, qui leur est
+ entièrement étrangère; tandis que les anatomistes, au
+ contraire, qui en connaissent toute l'imperfection, se
+ rejettent sur l'arrangement des astres, dont ils n'ont
+ aucune idée approfondie et ce qui est propre à mettre en
+ évidence la véritable source de cette disposition d'esprit.
+</blockquote>
+
+<p>Si les philosophes qui, de nos jours, tiennent encore à la doctrine des
+causes finales n'étaient point, ordinairement, dépourvus d'une véritable
+instruction scientifique un peu approfondie, ils n'auraient pas manqué
+de faire ressortir, avec leur emphase habituelle, une considération
+générale fort spécieuse, à laquelle ils n'ont jamais eu égard, et que je
+choisis exprès comme l'exemple le plus défavorable. Il s'agit de ce beau
+résultat final de l'ensemble des travaux mathématiques sur la théorie de
+la gravitation, mentionné ci-dessus pour un autre motif, la stabilité
+essentielle de notre système solaire. Cette grande notion, présentée
+sous l'aspect convenable, pourrait sans doute devenir aisément la base
+d'une suite de déclamations éloquentes, ayant une imposante apparence de
+solidité. Et, néanmoins, une constitution aussi essentielle à
+l'existence continue des espèces animales est une simple conséquence
+nécessaire, d'après les lois mécaniques du monde, de quelques
+circonstances caractéristiques de notre système solaire, la petitesse
+extrême des masses planétaires en comparaison de la masse centrale, la
+faible excentricité de leurs orbites, et la médiocre inclinaison
+mutuelle de leurs plans; caractères qui, à leur tour, peuvent être
+envisagés avec beaucoup de vraisemblance, ainsi que je le montrerai plus
+tard suivant l'indication de Laplace, comme dérivant tout naturellement
+du mode de formation de ce système. On devait d'ailleurs <i>à priori</i>
+s'attendre, en général, à un tel résultat, par cette seule réflexion que
+puisque nous existons, il faut bien, de toute nécessité, que le système
+dont nous faisons partie soit disposé de façon à permettre cette
+existence, qui serait incompatible avec une absence totale de stabilité
+dans les élémens principaux de notre monde. Pour apprécier
+convenablement cette considération, il faut observer que cette stabilité
+n'est nullement absolue; car elle n'a pas lieu à l'égard des comètes,
+dont les perturbations sont beaucoup plus fortes, et peuvent même
+s'accroître presque indéfiniment par le défaut des conditions de
+restriction que je viens d'énoncer, ce qui ne permet guère de les
+concevoir habitées. La prétendue cause finale se réduirait donc ici,
+comme on l'a déjà vu dans toutes les occasions analogues, à cette
+remarque puérile: il n'y a d'astres habités, dans notre système
+solaire, que ceux qui sont habitables. On rentre, en un mot, dans le
+principe des conditions d'existence, qui est la vraie transformation
+positive de la doctrine des causes finales, et dont la portée et la
+fécondité sont bien supérieures.</p>
+
+<p>Tels sont, en aperçu, les services immenses et fondamentaux rendus par
+le développement des théories astronomiques à l'émancipation de la
+raison humaine. Je m'efforcerai de les mettre en évidence dans les
+différentes parties de l'examen philosophique dont je vais m'occuper.</p>
+
+<p>Après avoir expliqué l'objet réel de l'astronomie, et m'être efforcé de
+circonscrire, avec une sévère précision, le véritable champ de ses
+recherches; après avoir établi sa vraie position encyclopédique, par sa
+subordination nécessaire à la science mathématique et par son rang
+incontestable à la tête des sciences naturelles; après avoir enfin
+signalé ses propriétés philosophiques, quant à la méthode et quant à la
+doctrine, il ne me reste plus, pour compléter cet aperçu général, qu'à
+envisager la division principale de la science astronomique, qui découle
+tout naturellement des considérations déjà exposées dans ce discours.</p>
+
+<p>Nous avons précédemment établi le principe que les phénomènes étudiés
+en astronomie sont, de toute nécessité, ou des phénomènes géométriques,
+ou des phénomènes mécaniques. De là résulte immédiatement la division
+naturelle de la science en deux parties profondément distinctes, quoique
+maintenant combinées de la manière la plus heureuse: 1º l'astronomie
+géométrique, ou la <i>géométrie céleste</i>, qui, pour avoir eu, si
+long-temps avant l'autre, le caractère scientifique, a conservé encore
+le nom d'astronomie proprement dite; 2º. l'astronomie mécanique, ou la
+<i>mécanique céleste</i>, dont Newton est l'immortel fondateur, et qui a
+reçu, dans le siècle dernier, un si vaste et si admirable développement.
+Il est d'ailleurs évident que cette division convient aussi bien à
+l'astronomie sidérale, si jamais elle existe véritablement, qu'à notre
+astronomie solaire, la seule que je doive avoir essentiellement en vue
+par les raisons expliquées ci-dessus, et qui, dans toute hypothèse,
+occupera toujours le premier rang. Une telle distribution dérive si
+directement aujourd'hui de la nature même de la science, qu'on la voit
+dominer presque spontanément dans toute exposition un peu méthodique,
+bien qu'elle n'ait jamais été, ce me semble, rationnellement examinée.</p>
+
+<p>Il importe de remarquer à cet égard que cette division est parfaitement
+en harmonie avec la règle encyclopédique posée au commencement de cet
+ouvrage, et que je m'efforcerai toujours de suivre, autant que possible,
+dans la distribution intérieure de chaque science fondamentale. Il est
+clair, en effet, que la géométrie céleste est, par sa nature, beaucoup
+plus simple que la mécanique céleste: et, d'un autre côté, elle en est
+essentiellement indépendante, quoique celle-ci puisse contribuer
+singulièrement à la perfectionner. Dans l'astronomie proprement dite, il
+ne s'agit que de déterminer la forme et la grandeur des corps célestes,
+et d'étudier les lois géométriques suivant lesquelles leurs positions
+varient, sans considérer ces déplacemens relativement aux forces qui les
+produisent, ou, en termes plus positifs, quant aux mouvemens
+élémentaires dont ils dépendent. Aussi a-t-elle pu faire et a-t-elle
+fait réellement les progrès les plus importans avant que la mécanique
+céleste eût aucun commencement d'existence; et, même depuis lors, ses
+découvertes les plus remarquables ont encore été dues à son
+développement spontané, comme on le voit si éminemment dans le beau
+travail du grand Bradley sur l'aberration et la nutation. Au contraire,
+la mécanique céleste est, par sa nature, essentiellement dépendante de
+la géométrie céleste, sans laquelle elle ne saurait avoir aucun
+fondement solide. Son objet, en effet, est d'analyser les mouvemens
+effectifs des astres, afin de les ramener, d'après les règles de la
+mécanique rationnelle, à des mouvemens élémentaires régis par une loi
+mathématique universelle et invariable; et, en partant ensuite de cette
+loi, de perfectionner à un haut degré la connaissance des mouvemens
+réels, en les déterminant <i>à priori</i> par des calculs de mécanique
+générale, empruntant à l'observation directe le moins de données
+possible, et néanmoins toujours confirmés par elle. C'est par là que
+s'établit, de la manière la plus naturelle, la liaison fondamentale de
+l'astronomie avec la physique proprement dite; liaison devenue telle
+aujourd'hui, que plusieurs grands phénomènes forment de l'une à l'autre
+une transition presque insensible, comme on le voit surtout dans la
+théorie des marées. Mais il est évident que ce qui constitue toute la
+réalité de la mécanique céleste, ainsi que je m'attacherai à le faire
+ressortir en son lieu, c'est d'avoir pris son point de départ dans
+l'exacte connaissance des véritables mouvemens, fournie par la géométrie
+céleste. C'est précisément faute d'avoir été conçues d'après cette
+relation fondamentale, que toutes les tentatives faites avant Newton
+pour former des systèmes de mécanique céleste, et entre autres celle de
+Descartes, ont dû être nécessairement illusoires sous le rapport
+scientifique, quelque utilité qu'elles aient pu avoir d'ailleurs
+momentanément sous le point de vue philosophique.</p>
+
+<p>La division générale de l'astronomie en géométrique et mécanique n'a
+donc certainement rien d'arbitraire, ni même de scolastique: elle dérive
+de la nature même de la science; elle est à la fois historique et
+dogmatique. Il serait inutile d'insister davantage sur un principe aussi
+évident, et que personne n'a jamais contesté. Quant aux subdivisions,
+d'ailleurs très aisées à établir, ce n'est point le moment de s'en
+occuper: elles seront expliquées à mesure que le besoin s'en fera
+sentir.</p>
+
+<p>Relativement au point de vue où le lecteur doit se placer, je renvoie
+aux judicieuses remarques de Delambre sur l'innovation tentée par
+Lacaille, qui, pour simplifier son exposition, avait imaginé de
+transporter son observateur à la surface du soleil. Il est certain que
+la conception des mouvemens célestes devient ainsi beaucoup plus facile;
+mais on ne saurait plus comprendre par quel enchaînement de
+connaissances on a pu s'élever à une telle conception. Le point de vue
+solaire doit être le terme et non l'origine d'un système rationnel
+d'études astronomiques. L'obligation de partir de notre point de vue
+réel est surtout prescrite par la nature de cet ouvrage, où l'analyse
+de la méthode scientifique et l'observation de la filiation logique des
+idées principales doivent avoir encore plus d'importance que
+l'exposition plus claire des résultats généraux.</p>
+
+<p>Il convient, enfin, d'avertir ceux de mes lecteurs qui seraient
+étrangers à l'étude de l'astronomie, mais qui, doués d'un véritable
+esprit philosophique, voudraient se former une juste idée générale de
+ses méthodes essentielles et de ses principaux résultats, que je leur
+suppose préalablement au moins une exacte connaissance des deux
+phénomènes fondamentaux, le mouvement diurne et le mouvement annuel,
+telle qu'on peut l'obtenir par les plus simples observations, faites
+sans aucun instrument précis, et seulement élaborées par la
+trigonométrie. Je les renvoie pour cet objet, comme, en général, pour
+toutes les autres données nécessaires, à l'excellent traité de mon
+illustre maître en astronomie, le judicieux Delambre. Il ne s'agit point
+ici d'un traité, même sommaire, d'astronomie; mais d'une suite de
+considérations philosophiques sur les diverses parties de la science:
+toute exposition spéciale de quelque étendue y serait donc déplacée.</p>
+
+<p>Ayant ainsi considéré, sous tous les aspects essentiels, le système de
+la science astronomique, je dois procéder maintenant à l'examen
+philosophique de ses diverses parties, dans l'ordre établi ci-dessus.
+Mais il faut auparavant jeter un coup d'oeil général sur l'ensemble des
+moyens d'observation nécessaires aux astronomes, ce qui fera l'objet de
+la leçon suivante.</p>
+
+
+<a name="l20" id="l20"></a>
+<br><hr class="full"><br>
+
+<h3>VINGTIÈME LEÇON.</h3>
+
+<br><hr class="short"><br>
+
+<p class="sml">Considérations générales sur les méthodes d'observation en astronomie.</p>
+
+<p>Toutes les observations astronomiques se réduisent nécessairement, comme
+nous l'avons vu, à mesurer des temps et des angles. La nature de cet
+ouvrage ne comporte nullement une exposition, même sommaire, des divers
+procédés par lesquels en a enfin obtenu, dans ces deux sortes de
+mesures, l'étonnante précision que nous y admirons aujourd'hui. Il
+s'agit seulement ici de concevoir, d'une manière générale, l'ensemble
+des idées fondamentales qui ont pu successivement conduire à une telle
+perfection.</p>
+
+<p>Cet ensemble se compose essentiellement, pour l'un et l'autre genre
+d'observations, de deux ordres d'idées bien distincts, quoiqu'il y ait
+entre eux une harmonie nécessaire: le premier est relatif au
+perfectionnement des instrumens; le second concerne certaines
+corrections fondamentales apportées par la théorie à leurs indications,
+et sans lesquelles leur précision serait illusoire. Telle est la
+division naturelle de nos considérations générales à cet égard. Nous
+devons commencer par celles sur les instrumens.</p>
+
+<p>Quoique les moyens gnomoniques aient dû être rejetés avec raison par les
+modernes, comme n'étant pas susceptibles de la précision nécessaire, il
+convient d'abord de les signaler ici dans leur ensemble, à cause de leur
+extrême importance pour la première formation de la géométrie céleste
+par les astronomes grecs.</p>
+
+<p>Les ombres solaires, et même, à un degré moindre, les ombres lunaires,
+ont été, dans l'origine de l'astronomie, un instrument très précieux,
+immédiatement fourni par la nature, aussitôt que la propagation
+rectiligne de la lumière a été bien reconnue. Elles peuvent devenir un
+moyen d'observation astronomique sous deux rapports: envisagées quant à
+leur direction, elles servent à la mesure du temps; et, par leur
+longueur, elles permettent d'évaluer certaines distances angulaires.</p>
+
+<p>Sous le premier point de vue, lorsque l'uniformité du mouvement diurne
+apparent de la sphère céleste a été une fois admise, il suffisait,
+évidemment, de fixer un style dans la direction, préalablement bien
+déterminée, de l'axe de cette sphère, pour que l'ombre qu'il projetait
+sur un plan ou sur toute autre surface fît connaître, à toute époque
+dans chaque lieu correspondant, les temps écoulés, par le seul indice de
+ses diverses positions successives. En se bornant au cas le plus simple,
+celui d'un plan perpendiculaire à cet axe, duquel tous les autres cas
+peuvent être aisément déduits par des moyens graphiques, il est clair
+que les angles horaires sont exactement proportionnels aux déplacemens
+angulaires de l'ombre depuis sa situation méridienne. Toutefois, de
+semblables indications doivent être imparfaites, puisqu'elles supposent
+que le soleil décrit chaque jour le même parallèle de la sphère céleste,
+et que, par conséquent, elles exigent une correction, impossible à
+exécuter sur l'appareil lui-même, à raison de l'obliquité du mouvement
+annuel, outre celle qui correspond à son inégalité; ce qui rend de tels
+instrumens inapplicables à des observations précises.</p>
+
+<p>Sous le second point de vue, il est évident que la longueur variable de
+l'ombre horizontale projetée à chaque instant par un style vertical,
+étant comparée à la longueur fixe et bien connue de ce style, on en
+conclut immédiatement la distance angulaire correspondante du soleil au
+zénith; ce rapport constituant par lui-même la tangente trigonométrique
+de cet angle, dont il a primitivement inspiré l'idée aux astronomes
+arabes. De là est résulté un moyen long-temps précieux, d'observer les
+variations qu'éprouve la distance zénithale du soleil aux divers instans
+de la journée, et celles plus importantes de sa position méridienne aux
+différentes époques de l'année. L'inexactitude inévitable des procédés
+gnomoniques consiste, à cet égard, dans l'influence de la pénombre, qui
+laisse toujours une incertitude plus ou moins grande sur la vraie
+longueur de l'ombre, dont l'extrémité ne peut jamais être nettement
+terminée. Cette influence, qui affecte d'une manière nécessairement fort
+inégale les diverses distances au zénith, peut bien être atténuée par
+l'emploi de très grands gnomons; mais il est évidemment impossible de
+s'y soustraire tout-à-fait.</p>
+
+<p>Cette double propriété des indications gnomoniques avait été réalisée,
+dès l'origine de la science, par l'ingénieux instrument connu sous le
+nom d'hémisphère creux de Bérose, qui servait à mesurer simultanément
+les temps et les angles, quoique, d'ailleurs, il fût encore moins
+susceptible d'exactitude que les instrumens imaginés plus tard d'après
+le même principe.</p>
+
+<p>L'imperfection fondamentale des procédés gnomoniques, la difficulté
+d'une exécution suffisamment rigoureuse, et l'inconvénient de cesser
+d'être applicables précisément aux instans les plus convenables pour
+l'observation, ont déterminé les astronomes à y renoncer entièrement,
+aussitôt qu'il a été possible de s'en passer. Dominique Cassini est le
+dernier qui en ait fait un usage important, à l'aide de ses grands
+gnomons, pour sa théorie du soleil. Toutefois, la spontanéité d'un tel
+moyen d'observation, lui conservera toujours une valeur réelle, pour
+procurer une première approximation de certaines données astronomiques,
+lorsqu'on se trouve placé dans des circonstances défavorables, qui ne
+permettent pas l'emploi des instrumens modernes. Il est resté,
+d'ailleurs, dans nos observatoires actuels, la base de l'importante
+construction de la ligne méridienne, envisagée comme divisant en deux
+parties égales l'angle formé par les ombres horizontales de même
+longueur qui correspondent aux deux parties symétriques d'une même
+journée. Dans ce cas spécial, les deux causes fondamentales d'erreur
+signalées ci-dessus sont essentiellement éludées; car la pénombre
+affecte évidemment au même degré les deux ombres conjuguées; et, quant à
+l'obliquité du mouvement du soleil, il est facile d'en éviter presque
+entièrement l'influence en faisant l'opération aux environs des
+solstices, surtout vers le solstice d'été. On peut, en outre, la
+vérifier et la rectifier aisément par l'observation des étoiles.</p>
+
+<p>Considérons maintenant les procédés les plus exacts, en séparant, comme
+il devient indispensable de le faire, ce qui se rapporte à la mesure du
+temps de ce qui concerne celle des angles, et en examinant d'abord la
+première.</p>
+
+<p>Il faut, à cet égard, reconnaître, avant tout, que le plus parfait de
+tous les chronomètres est le ciel lui-même, par l'uniformité rigoureuse
+de son mouvement diurne apparent, en vertu de la rotation réelle de la
+terre. Il suffit, en effet, d'après cela, lorsqu'on sait exactement la
+latitude de son observatoire, d'y mesurer, à chaque instant, la distance
+au zénith d'un astre quelconque, dont la déclinaison, d'ailleurs
+variable ou constante, est actuellement bien connue, pour en conclure
+l'angle horaire correspondant, et, par une suite immédiate, le temps
+écoulé, en résolvant le triangle sphérique que forment le pôle, le
+zénith et l'astre, et dont les trois côtés sont ainsi donnés. Si l'on
+avait dressé, dans chaque lieu, des tables numériques très étendues de
+ces résultats pour quelques étoiles convenablement choisies, ce moyen
+naturel deviendrait, sans doute, beaucoup plus praticable qu'il ne le
+semble d'abord. Mais il ne saurait, évidemment, jamais comporter toute
+l'actualité nécessaire pour qu'il pût entièrement suffire, outre le
+grave inconvénient qu'il présente de faire dépendre la mesure du temps
+de celle des angles, qui est réellement aujourd'hui moins parfaite.
+Aussi ce procédé chronométrique n'est-il employé qu'à défaut de tout
+autre moyen exact, comme c'est essentiellement le cas en astronomie
+nautique. Sa grande propriété usuelle consiste, dans nos observatoires,
+à régler avec précision la marche de toutes les autres horloges, en la
+confrontant à celle de la sphère céleste. Et, cette importante
+vérification se fait même le plus souvent sans exiger aucun calcul
+trigonométrique; car on peut se borner à modifier le mouvement du
+chronomètre jusqu'à ce qu'il marque très exactement vingt-quatre heures
+sidérales, entre les deux passages consécutifs d'une même étoile
+quelconque à une lunette fixée, aussi invariablement que possible, dans
+une direction d'ailleurs arbitraire.</p>
+
+<p>Les moyens artificiels pour mesurer le temps avec précision par des
+instrumens de notre création sont donc indispensables en astronomie.
+Cherchons à en saisir l'esprit général.</p>
+
+<p>Tout phénomène qui présente des changemens graduels quelconques est
+réellement susceptible de nous fournir, par l'étendue des changemens
+opérés, une certaine appréciation du temps employé à les produire. Dans
+ce sens général, l'homme semble pouvoir choisir à cet égard entre toutes
+les classes des phénomènes naturels. Mais son choix devient, en réalité,
+infiniment restreint, quand il veut obtenir des estimations précises.
+Les divers ordres de phénomènes étant, de toute nécessité, d'autant
+moins réguliers qu'ils sont plus compliqués, cette loi nous prescrit de
+chercher seulement parmi les plus simples nos vrais moyens
+chronométriques. Ainsi, les mouvemens physiologiques eux-mêmes<a id="footnotetag4" name="footnotetag4"></a>
+<a href="#footnote4"><sup class="sml">4</sup></a>
+pourraient, à cet égard, nous procurer quelques indications, en
+comptant, par exemple, le nombre de nos pulsations dans l'état sain, ou
+le nombre de pas bien réglés, ou celui des sons vocaux, etc., pendant le
+temps à évaluer, et, quelque grossier que soit nécessairement un tel
+procédé, il peut néanmoins avoir une véritable utilité dans certaines
+occasions où tout autre nous est interdit. Mais il est évident, en
+général, que les divers mouvemens des corps vivans varient d'une manière
+beaucoup trop irrégulière pour qu'on puisse jamais les employer à la
+mesure du temps. Il en est encore essentiellement de même, quoiqu'à un
+degré bien moindre, des phénomènes chimiques. La combustion d'une
+quantité déterminée de matière quelconque homogène, peut devenir, par
+exemple, un moyen d'évaluer, avec une grossière approximation, le temps
+écoulé. Mais la durée totale de cette combustion, et surtout celle de
+ses diverses parties, sont évidemment trop incertaines et trop variables
+pour qu'on en déduise aucune détermination précise. Ainsi, puisqu'il a
+fallu écarter les phénomènes astronomiques, comme seulement destinés à
+la vérification, quoiqu'ils soient, par leur nature, les plus réguliers,
+ce n'est donc que dans les mouvemens physiques proprement dits, et
+surtout dans ceux dus à la pesanteur, que nous pouvons réellement
+chercher des procédés chronométriques susceptibles d'exactitude. C'est
+aussi là où ils ont été puisés de tout temps, aussitôt qu'on a senti le
+besoin de ne plus se borner aux moyens gnomoniques.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote4"
+name="footnote4"><b>Note 4: </b></a><a href="#footnotetag4">
+(retour) </a> On peut utilement remarquer à ce sujet, d'après
+ les poëmes d'Homère et les récits de la Bible, que, dans
+ l'enfance de la civilisation, les fonctions sociales
+ elles-mêmes servaient, jusqu'à un certain point, à marquer
+ et à mesurer le temps.
+</blockquote>
+
+<p>Les anciens ont d'abord employé le mouvement produit par la pesanteur
+dans l'écoulement des liquides: de là leurs diverses clepsydres, et les
+sabliers encore usités à bord de nos vaisseaux. Mais il est évident que
+de tels instrumens, même en les supposant aussi perfectionnés que le
+permettraient nos connaissances actuelles, ne sont pas susceptibles,
+par leur nature, d'une grande précision, à cause de l'irrégularité
+nécessaire de tout mouvement dans les liquides. C'est pourquoi on a été
+rationnellement conduit, dans le moyen âge, à substituer les solides aux
+liquides, en imaginant les horloges fondées sur la descente verticale
+des poids. Ainsi, en cherchant, parmi tous les phénomènes naturels, des
+moyens exacts de mesurer le temps, on a été successivement conduit à se
+borner à un principe unique de chronométrie, qui semble, d'après
+l'analyse précédente, être en effet le seul propre à nous fournir
+définitivement une solution convenable du problème, et qui, sans doute,
+servira toujours de base à nos horloges astronomiques. Mais il s'en
+fallait de beaucoup qu'il pût suffire par lui-même, sans une longue et
+difficile élaboration, qui se rattache aux plus hautes questions
+mathématiques. En effet, le mouvement vertical des corps pesans, bien
+loin d'être uniforme, étant, au contraire, nécessairement accéléré, les
+indications d'un tel instrument sont donc naturellement vicieuses,
+quoique assujetties à une loi régulière. Le ralentissement indispensable
+de la chûte, à l'aide des contre-poids, ne remédie en rien à ce défaut
+capital, puisque, affectant proportionnellement les diverses vitesses
+successives, il ne saurait altérer leurs rapports: il peut seulement
+diminuer la résistance de l'air, qui n'est là qu'une cause fort
+accessoire. Le problème chronométrique fondamental n'était donc
+nullement résolu jusqu'à ce que la création de la dynamique rationnelle
+par le génie de Galilée eût conduit à découvrir, dans une modification
+capitale du mouvement naturel des corps pesans, la parfaite régularité
+qu'on avait jusqu'alors vainement cherchée.</p>
+
+<p>On a long-temps disputé à Galilée la gloire d'avoir eu, le premier,
+l'idée de mesurer le temps par les oscillations d'un pendule; et la
+discussion attentive de ce point d'érudition a montré, ce me semble, que
+c'était à tort. Mais il est, dans tous les cas, scientifiquement
+incontestable que ses belles découvertes en dynamique devaient y amener
+naturellement. Car, il en résultait nécessairement que la vitesse d'un
+poids qui descend suivant une courbe verticale décroît à mesure qu'il
+s'approche du point le plus bas, en raison du sinus de l'inclinaison
+horizontale de chaque élément parcouru: de sorte qu'on pouvait aisément
+concevoir que, par une forme convenable de la courbe, l'isochronisme des
+oscillations serait obtenu si le ralentissement se trouvait, en chaque
+point, compenser exactement la diminution de l'arc à décrire. La
+solution de ce dernier problème mathématique était réservée à Huyghens,
+la géométrie n'étant point assez avancée à l'époque de Galilée pour
+qu'il fût encore accessible. Galilée paraît avoir été seulement conduit
+par l'observation à regarder comme rigoureusement isochrones les
+oscillations circulaires, sans avoir nullement connu la restriction
+relative à leur amplitude très petite, quoique ses propres théorèmes
+permissent de l'apercevoir aisément.</p>
+
+<p>À partir de la première idée du pendule, et de la connaissance du défaut
+d'isochronisme rigoureux dans le cercle, l'histoire, impossible à
+développer ici, de la solution de ce beau problème par les immortels
+travaux d'Huyghens devient un des plus admirables exemples de cette
+relation intime et nécessaire qui fait dépendre les questions pratiques
+les plus simples en apparence des plus éminentes recherches
+scientifiques. Après avoir découvert que l'égalité parfaite de la durée
+des oscillations quelconques n'appartenait qu'à la cycloïde, Huyghens,
+pour faire décrire cette courbe à son pendule, imagina un appareil aussi
+simple que possible, fondé sur la belle conception des développées, qui,
+transportée ensuite dans la géométrie abstraite, en est devenue un des
+élémens fondamentaux. Les difficultés d'une exécution précise, et
+surtout l'impossibilité pratique de maintenir un tel appareil
+suffisamment inaltérable, ont dû faire entièrement renoncer au pendule
+cycloïdal. Quand Huyghens l'eut reconnu, il déduisit de sa théorie un
+moyen heureux de revenir enfin au pendule circulaire, le seul vraiment
+admissible, en démontrant que, le rayon de courbure de la cycloïde à son
+sommet étant égal à la longueur totale de son pendule, il pouvait
+transporter, d'une manière suffisamment approchée, au cercle osculateur
+tout ce qu'il avait trouvé sur l'isochronisme et sur la mesure des
+oscillations cycloïdales, pourvu que les oscillations circulaires
+fussent toujours très petites, ce qu'il assura par l'ingénieux mécanisme
+de l'échappement, en appliquant le pendule à la régularisation des
+horloges. Mais cette belle solution ne pouvait encore devenir
+entièrement pratique, sans avoir préalablement traité une dernière
+question fondamentale, qui tient à la partie la plus élevée de la
+dynamique rationnelle, la réduction du pendule composé au pendule
+simple, pour laquelle Huyghens inventa le célèbre principe des forces
+vives, et qui, outre qu'elle était indispensable, indiquait à l'art de
+nouveaux moyens de modifier les oscillations sans changer les dimensions
+de l'appareil. Par un tel ensemble de découvertes pour une même
+destination, le beau traité <i>De Horologio oscillatorio</i> est peut-être
+l'exemple le plus remarquable de recherches spéciales que nous offre
+jusqu'ici l'histoire de l'esprit humain tout entière.</p>
+
+<p>Depuis ce grand résultat, le perfectionnement des horloges astronomiques
+a été uniquement du domaine de l'art. Il a porté essentiellement sur
+deux points: la diminution du frottement, par un meilleur mode de
+suspension, et la correction des irrégularités dues aux variations de
+température, par l'ingénieuse invention des appareils compensateurs. Je
+n'ai point d'ailleurs à considérer ici les chronomètres portatifs,
+fondés sur la distension graduelle d'un ressort métallique plié en
+spirale, et dont l'étonnante perfection, presque égale aujourd'hui à
+celle des horloges astronomiques, est due essentiellement à l'art, la
+science y ayant peu contribué.</p>
+
+<p>Tel est, en aperçu, l'ensemble des moyens par lesquels le temps est
+habituellement mesuré, d'une manière sûre, dans nos observations
+astronomiques, à une demi-seconde près, et quelquefois même avec une
+précision encore plus grande.</p>
+
+<p>Considérons maintenant, sous un point de vue général, le
+perfectionnement de la mesure des angles, dont l'histoire n'offre point
+toutefois un ensemble de recherches aussi intéressant.</p>
+
+<p>Pour concevoir nettement d'abord, en quoi consiste, à cet égard, la
+difficulté essentielle, il suffit, ce me semble, de se représenter que,
+lorsqu'on se propose d'évaluer un angle seulement à une minute près, il
+faudrait, d'après un calcul très facile, un cercle de sept mètres de
+diamètre environ, en y accordant aux minutes une étendue d'un
+millimètre; et l'indication directe des secondes sexagésimales, en
+réduisant chacune à occuper un dixième de millimètre, exigerait un
+diamètre de plus de quarante mètres. D'un autre côté, en restant même
+fort au-dessous de dimensions aussi impraticables, l'expérience a
+démontré que, indépendamment de l'exécution difficile et de l'usage
+incommode, la grandeur des instrumens ne pouvait excéder certaines
+limites assez médiocres sans nuire nécessairement à leur précision, à
+cause de leur déformation inévitable par le poids, la température, etc.
+Les astronomes arabes du moyen âge ont vainement employé des instrumens
+gigantesques, sans en obtenir l'exactitude qu'ils y avaient cherchée; et
+on y a généralement renoncé depuis plusieurs siècles. Les télescopes à
+grandes dimensions qu'on remarque dans nos observatoires actuels sont
+uniquement destinés à procurer de forts grossissemens pour voir les
+astres les moins apparens, et ils seraient entièrement impropres à
+aucune mesure exacte. Tous les observateurs conviennent aujourd'hui que
+les instrumens destinés à mesurer les angles ne sauraient avoir sans
+inconvénient plus de trois ou quatre mètres de diamètre, quand il s'agit
+d'un cercle entier; et les plus usités n'ont guère que deux mètres. Cela
+posé, la question consiste essentiellement à comprendre comment on a pu
+parvenir à évaluer les angles à une seconde près, comme on le fait
+habituellement aujourd'hui, avec des cercles dont la grandeur
+permettrait à peine d'y marquer les minutes.</p>
+
+<p>Trois moyens principaux ont concouru à produire un aussi grand
+perfectionnement: l'application des lunettes aux instrumens angulaires;
+l'usage du vernier; et enfin la répétition des angles.</p>
+
+<p>Les astronomes se sont long-temps bornés à employer leurs lunettes pour
+distinguer dans le ciel de nouveaux objets, sans penser à l'usage bien
+plus important qu'ils en pouvaient faire pour augmenter la précision des
+mesures d'angles. Mais la curiosité primitive une fois satisfaite, le
+télescope devait être naturellement appliqué, comme il le fut par Morin
+un demi-siècle environ après son invention, à remplacer dans les
+instrumens angulaires les alidades des anciens et les pinnules du moyen
+âge, pour permettre de viser plus exactement. Cette heureuse idée put
+être entièrement réalisée lorsque Auzout eut imaginé, trente ans après,
+le réticule, destiné à fixer avec la dernière précision l'instant
+effectif du passage d'un astre par l'axe optique de la lunette. Enfin,
+ces importans perfectionnemens furent complétés, un siècle plus tard,
+par la mémorable découverte que fit Dollond, des objectifs
+achromatiques, qui ont tant augmenté la netteté des observations.</p>
+
+<p>L'ingénieux procédé imaginé par Vernier, en 1631, pour subdiviser un
+intervalle quelconque en parties beaucoup moindres que les plus petites
+qu'on y puisse marquer distinctement, est la seconde cause fondamentale
+à laquelle nous devons la précision actuelle des mesures angulaires. Les
+transversales de Tycho-Brahé avaient offert pour cela un premier moyen,
+d'un usage incommode et très limité, que l'emploi du vernier a fait avec
+raison entièrement oublier. On a pu ainsi déterminer aisément les
+angles, à une demi-minute près, par exemple, avec des cercles divisés
+seulement en sixièmes de degré. Ce simple appareil semble pouvoir
+procurer, par lui-même, une précision en quelque sorte indéfinie, qui
+n'est limitée, en réalité, que par la difficulté d'apercevoir assez
+distinctement la coïncidence des traits du vernier avec ceux du limbe.</p>
+
+<p>Quelle que soit l'importance de la lunette et du vernier, la combinaison
+de ces deux moyens aurait été néanmoins insuffisante pour porter la
+mesure des angles jusqu'à la précision des secondes, sans une dernière
+cause essentielle de perfectionnement, l'idée éminemment heureuse de la
+répétition des angles, conçue d'abord par Mayer et réalisée plus tard
+par Borda, avec les modifications qu'exigeait la nature des observations
+astronomiques. Il est vraiment singulier qu'on ait été aussi long-temps
+à reconnaître que, l'erreur des instrumens angulaires étant
+nécessairement indépendante de la grandeur des angles à évaluer, il y
+aurait avantage, pour l'atténuer, à augmenter exprès, dans une
+proportion connue, chaque angle proposé, pourvu que cette multiplication
+s'effectuât sans dépendre en rien de l'exactitude de l'instrument: un
+procédé analogue était habituellement employé depuis des siècles, dans
+d'autres genres d'évaluation, il est vrai, et entre autres dans
+l'approximation indéfinie des racines numériques, qui repose directement
+sur le même principe. Quoi qu'il en soit, la répétition des angles était
+immédiatement exécutable, par un mécanisme très simple, relativement aux
+mesures terrestres, à cause de l'immobilité des points de mire. Mais,
+au contraire, le déplacement continuel des corps célestes, présentait,
+dans l'application d'un tel moyen, une difficulté spéciale, que Borda
+parvint à surmonter. En se bornant, comme on le peut presque toujours, à
+mesurer les distances zénithales des astres lorsqu'ils traversent le
+méridien, il est clair que, malgré son déplacement, l'astre reste, à
+cette époque, sensiblement à la même distance du zénith, pendant un
+temps assez long pour permettre d'opérer la multiplication de l'angle.
+Cette remarque est le fondement de la disposition imaginée par Borda.</p>
+
+<p>C'est d'après ces diverses bases essentielles que d'habiles
+constructeurs ont pu donner aux instrumens angulaires une précision en
+harmonie avec celle des instrumens horaires, et qui impose maintenant à
+l'observateur la stricte obligation de pratiquer, avec une constance
+infatigable, les précautions minutieuses et les nombreuses
+rectifications dont l'expérience a fait reconnaître successivement la
+nécessité, pour tirer réellement de ces puissans appareils tous les
+avantages possibles.</p>
+
+<p>Afin de compléter cet aperçu général des moyens fondamentaux sur
+lesquels repose la perfection des mesures astronomiques, il est
+indispensable de signaler ici l'instrument capital inventé par Roëmer
+sous le nom de <i>lunette méridienne</i>. Il est destiné à fixer avec une
+merveilleuse exactitude le véritable instant du passage d'un astre
+quelconque à travers le plan du méridien. Avec quelque soin que pût être
+exécuté un méridien matériel, il laisserait toujours à cet égard une
+incertitude inévitable. C'est pour l'éluder que Roëmer imagina de
+réduire ce plan à être purement géométrique, en le décrivant par l'axe
+optique d'une simple lunette convenablement disposée, ce qui suffit
+quand on veut seulement connaître le moment précis du passage. La
+distance zénithale correspondante est d'ailleurs mesurée nécessairement
+sur un cercle effectif; mais il peut ne pas coïncider entièrement avec
+le vrai méridien, sans qu'il en résulte aucune inexactitude sur cette
+distance, qui est, à une telle époque de mouvement, sensiblement
+invariable.</p>
+
+<p>Enfin, il faut encore mentionner, comme instrumens essentiels, les
+divers appareils micrométriques successivement imaginés pour mesurer
+avec précision les diamètres apparens des astres, et généralement tous
+les petits intervalles angulaires.</p>
+
+<p>Quoique la théorie en soit extrêmement facile, depuis le simple
+micromètre réticulaire jusqu'au micromètre à double image, il est
+néanmoins remarquable qu'ils aient tous été inventés par des astronomes,
+sans que les constructeurs y aient eu aucune part essentielle, comme le
+montre, au reste, l'histoire de tous les instrumens de précision. Cela
+tient principalement, sans doute, à l'éducation si imparfaite de la
+plupart des constructeurs habiles, dont plusieurs ont évidemment
+témoigné par leurs productions un génie mécanique plus que suffisant
+pour inventer spontanément les instrumens qu'ils se bornaient à
+exécuter, s'ils eussent pu en mieux sentir l'importance et en comprendre
+plus clairement la destination.</p>
+
+<p>Après avoir considéré le perfectionnement des mesures astronomiques,
+soit angulaires, soit horaires, relativement aux principaux moyens
+matériels qu'on y emploie, il faut maintenant envisager les moyens
+intellectuels qui sont au moins aussi nécessaires, c'est-à-dire la
+théorie des corrections indispensables que les astronomes doivent faire
+subir à toutes les indications de leurs instrumens pour les dégager des
+erreurs inévitables dues à diverses causes générales, et surtout aux
+réfractions et aux parallaxes.</p>
+
+<p>Il existe, comme je l'ai indiqué ci-dessus, une harmonie fondamentale
+entre ces deux ordres de perfectionnemens. Car il faut des instrumens
+d'une certaine précision pour que la réfraction et la parallaxe
+deviennent suffisamment appréciables; et, d'un autre côté, il serait
+parfaitement inutile d'inventer des instrumens extrêmement exacts, si la
+réfraction ou la parallaxe devaient, à elles seules, apporter dans les
+observations une incertitude supérieure à celle qu'on se propose
+d'éviter par l'amélioration des appareils. Pourquoi, par exemple, les
+Grecs se seraient-ils efforcés de perfectionner beaucoup leurs
+instrumens, lorsque l'impossibilité où ils étaient de tenir compte des
+réfractions et des parallaxes introduisait nécessairement dans leurs
+mesures angulaires des erreurs habituelles de un à deux degrés, et
+quelquefois même davantage? C'est sans doute dans une telle corrélation
+qu'il faut chercher l'explication véritable de la grossièreté des
+instrumens grecs, qui forme un contraste si frappant avec la sagacité
+d'invention et la finesse d'exécution dont les anciens ont donné tant de
+preuves irrécusables dans d'autres genres de productions.</p>
+
+<p>Ces corrections fondamentales peuvent être distinguées, d'après leurs
+causes, en deux classes. Les unes tiennent, d'une manière directe et
+évidente, à la position de l'observateur, et n'exigent aucune
+connaissance approfondie des phénomènes astronomiques: ce sont la
+réfraction et la parallaxe ordinaire proprement dite. Les autres, qui
+ont sans doute, au fond, la même origine, puisqu'elles proviennent des
+mouvemens de la planète sur laquelle l'observateur est situé, sont
+fondées, au contraire, sur le développement même des principales
+théories astronomiques: ce sont la parallaxe annuelle, la précession,
+l'aberration et la nutation. Nous devons nous borner, en ce moment, à
+envisager les premières, qui sont d'ailleurs habituellement les plus
+importantes, les autres étant plus convenablement examinées à mesure
+qu'il sera question des phénomènes compliqués dont elles dépendent.</p>
+
+<p>Considérons, en premier lieu, la théorie générale des réfractions
+astronomiques.</p>
+
+<p>La lumière qui nous vient d'un astre quelconque doit être,
+inévitablement, plus ou moins déviée par l'action de l'atmosphère
+terrestre, qu'elle est obligée de traverser dans toute son étendue avant
+d'agir sur nous. De là une source fondamentale d'erreur, dont toutes nos
+observations astronomiques ont besoin d'être soigneusement dégagées,
+avant de pouvoir servir à former aucune théorie précise. Conçue d'une
+manière générale, son influence consiste évidemment, d'après la loi de
+la réfraction, à rapprocher constamment l'astre du zénith, en le
+laissant toujours dans le même plan vertical; et cet effet, qui ne peut
+être rigoureusement nul qu'au zénith seul, devient graduellement de plus
+en plus considérable à mesure que l'astre descend vers l'horizon. La
+manifestation la plus simple de cette altération s'obtient en mesurant
+la hauteur du pôle, en un lieu quelconque, comme étant la moyenne entre
+les deux hauteurs méridiennes d'une même étoile circompolaire. Cette
+hauteur, qui naturellement devrait être exactement la même de quelque
+étoile qu'on se fût servi, éprouve au contraire des variations très
+sensibles suivant les diverses étoiles employées; et elle devient
+d'autant plus grande que l'étoile descend plus près de l'horizon, ce qui
+rend évidente l'influence de la réfraction.</p>
+
+<p>Quoique l'altération qui provient d'une telle cause ne puisse porter
+immédiatement que sur les distances zénithales, il est clair que, par
+une suite nécessaire, elle doit affecter indirectement toutes les autres
+mesures astronomiques, à l'exception des azimuths, qui restent seuls
+inaltérables. Par cela même que l'astre se trouve élevé dans son plan
+vertical, sa distance au pôle, l'instant de son passage au méridien,
+l'heure de son lever et de son coucher, etc., éprouvent des
+modifications inévitables. Mais ces effets secondaires seraient
+évidemment très faciles à calculer avec exactitude par de simples
+formules trigonométriques, si l'effet principal était une fois bien
+connu. Toute la difficulté se réduit donc à découvrir la véritable loi
+suivant laquelle la réfraction diminue les diverses distances
+zénithales, et c'est en cela que consiste le grand problème des
+réfractions astronomiques, dont il s'agit maintenant d'apprécier la
+nature.</p>
+
+<p>On en peut chercher la solution par deux voies opposées: l'une
+rationnelle, l'autre empirique, que les astronomes ont fini par
+combiner.</p>
+
+<p>Si l'atmosphère terrestre pouvait être regardée comme homogène, la
+lumière n'y subirait qu'une seule réfraction à son entrée, et sa
+direction demeurant ensuite invariable, il serait aisé de calculer <i>à
+priori</i> la déviation, d'après la célèbre loi du rapport constant qui
+existe entre les sinus des angles que le rayon réfracté et le rayon
+incident font avec la normale à la surface réfringente: il resterait
+tout au plus à déterminer, par l'observation, un seul coefficient, si
+l'on ignorait la vraie valeur de ce rapport. Tel est le procédé très
+simple d'après lequel Dominique Cassini construisit la première table de
+réfractions un peu satisfaisante, lorsque Descartes et Snellius eurent
+découvert cette loi générale de la réfraction. Il avait heureusement,
+jusqu'à un certain point, compensé, à son insu, ce que l'hypothèse
+d'homogénéité avait de profondément défectueux, en supposant à
+l'atmosphère une hauteur totale beaucoup trop petite. Mais la diminution
+de la densité des différentes couches atmosphériques à mesure qu'on
+s'élève est trop considérable, et d'ailleurs trop intimement liée à la
+notion même d'atmosphère, pour qu'une telle solution puisse être
+envisagée comme vraiment rationnelle. Or, c'est là ce qui fait la
+difficulté, jusqu'ici insurmontable, de cette importante recherche. Car
+il résulte de cette constitution nécessaire de l'atmosphère, non pas une
+réfraction unique, mais une suite infinie de petites réfractions toutes
+inégales et croissantes à mesure que la lumière pénètre dans une couche
+plus dense, en sorte que sa roule, au lieu d'être simplement rectiligne,
+forme une courbe extrêmement compliquée, dont il faudrait connaître la
+nature pour calculer, par sa dernière tangente comparée à la première,
+la véritable déviation totale. La détermination de cette courbe
+deviendrait un problème purement géométrique, d'ailleurs plus ou moins
+difficile à résoudre, si la loi relative à la variation de la densité
+des couches atmosphériques pouvait être une fois exactement obtenue; ce
+qui, en réalité, doit être jugé impossible lorsqu'on veut tenir compte
+de toutes les causes essentielles.</p>
+
+<p>Sans doute, en considérant l'équilibre mathématique de notre atmosphère
+comme simplement produit par la pression de ses diverses couches les
+unes sur les autres, en vertu de leur seule pesanteur, on trouve
+aisément la loi suivant laquelle leur densité varie; mais un tel état
+est évidemment tout-à-fait idéal. D'abord, l'atmosphère n'est jamais et
+ne saurait être en équilibre, et ses mouvemens peuvent altérer beaucoup
+la densité statique de ses diverses parties, en changeant leurs
+pressions. De plus, en supposant cet équilibre, il est clair que
+l'abaissement graduel et très considérable qu'éprouvent les températures
+atmosphériques à mesure qu'on s'élève, et même leurs variations non
+moins réelles dans le sens horizontal, doivent altérer notablement le
+mode de changement des densités qui correspondrait à la seule
+considération des pressions. La solution rationnelle du problème des
+réfractions astronomiques ne serait donc réductible à des difficultés
+purement mathématiques, qui pourraient bien d'ailleurs se trouver
+finalement très grandes, que si l'on avait préalablement découvert la
+véritable loi de la température dans l'atmosphère, sur laquelle nous
+n'avons encore aucune donnée exacte, et qu'on ne saurait guère espérer
+d'obtenir jamais d'une manière assez précise pour une telle
+destination. C'est pourquoi les travaux de Laplace et de quelques autres
+géomètres à cet égard ne peuvent être raisonnablement envisagés que
+comme de simples exercices mathématiques, dont l'influence sur le
+perfectionnement réel des tables de réfraction est fort équivoque. Il
+faut donc renoncer, au moins dans l'état présent de la science, et
+probablement aussi pour jamais, à établir d'une manière purement
+rationnelle une vraie théorie des réfractions astronomiques.</p>
+
+<p>Quant au procédé empirique, il est aisé de comprendre que si les
+réfractions étaient rigoureusement constantes à une même hauteur, on en
+pourrait dresser facilement, par l'observation, des tables fort exactes
+et suffisamment étendues, pour les diverses distances zénithales. On
+peut d'abord mesurer la vraie hauteur du pôle, sans avoir besoin de
+connaître exactement les réfractions, par les deux hauteurs méridiennes
+d'une étoile très rapprochée du pôle, comme la polaire, entre autres, ce
+qui est surtout susceptible d'exactitude dans les latitudes supérieures
+à 45°. Cela posé, il suffit de choisir une étoile qui passe au méridien
+extrêmement près du zénith: en observant, à l'instant de ce passage, sa
+distance zénithale, qui fera connaître immédiatement sa distance
+polaire, on pourra calculer d'avance, par la simple résolution d'un
+triangle sphérique, sa véritable distance au zénith à telle époque
+précise qu'on voudra de son mouvement diurne. La parallaxe des étoiles
+étant tout-à-fait insensible, comme il sera dit plus bas, l'excès plus
+ou moins grand que l'on trouvera ainsi sur la distance apparente
+directement observée sera dû entièrement à la réfraction, dont il
+mesurera l'influence effective. Le grand nombre d'étoiles qui admettent
+convenablement de telles comparaisons permet, évidemment, des
+vérifications très multipliées, qui peuvent d'ailleurs être complétées,
+sous un autre point de vue, par la confrontation des résultats obtenus
+dans des observatoires différens, inégalement rapprochés du pôle. Telle
+est, en effet, essentiellement la marche laborieuse, mais sûre, que
+suivent les astronomes pour dresser leurs tables de réfraction, depuis
+que la grande précision de leurs instrumens, soit angulaires, soit
+horaires (sans laquelle ce procédé serait évidemment illusoire), a
+permis de l'adopter. Ils emploient néanmoins, d'une manière secondaire,
+l'une ou l'autre des diverses formules rationnelles proposées par les
+géomètres, mais seulement pour se diriger, ou pour remplir les lacunes
+inévitables que laisse l'observation. L'usage réel de ces formules est
+tellement peu fondamental désormais, dans les déterminations de ce
+genre, que l'on regarde comme presque indifférent, par exemple, de
+supposer la réfraction proportionnelle au sinus ou à la tangente de la
+distance zénithale apparente. Si des tables qu'on présente comme fondées
+sur des hypothèses mathématiquement aussi différentes coïncident
+néanmoins, en réalité, d'une manière presque absolue, jusqu'à 80° du
+zénith, c'est sans doute parce que ces hypothèses n'ont pas joué un rôle
+effectif bien important dans leur construction.</p>
+
+<p>La marche ainsi caractérisée laisserait peu de regrets, du moins quant
+aux observations astronomiques, sur l'imperfection nécessaire de la
+théorie mathématique des réfractions, si l'on pouvait supposer une
+constance rigoureuse dans les résultats obtenus; mais il est
+malheureusement évident que les innombrables variations qui doivent
+survenir continuellement dans la densité, et par suite dans la puissance
+réfringente de chaque couche atmosphérique, en résultat de l'agitation
+de l'atmosphère et de ses changemens thermométriques, barométriques, et
+même hygrométriques, ne sauraient manquer d'altérer plus ou moins la
+fixité des réfractions. On tient compte, il est vrai, maintenant, d'une
+partie de ces modifications, en notant avec soin l'état du baromètre et
+celui du thermomètre au moment de chaque observation, ce qui permet
+d'apprécier, d'après deux lois physiques actuellement bien établies, les
+changemens survenus dans la densité, et par suite dans les réfractions.
+Mais, quelque précieuses que puissent être ces corrections, elles sont
+nécessairement fort imparfaites. Outre qu'elles ne concernent qu'une
+partie des causes d'altération, il faut encore y noter que, même à
+l'égard de cette partie, nos instrumens ne peuvent nous instruire,
+suivant la juste remarque de Delambre, que des variations
+thermométriques et barométriques de l'atmosphère à l'endroit où nous
+observons, et nullement de celles qu'ont pu éprouver toutes les autres
+portions du trajet de la lumière, et qui, quoique relatives à des
+couches moins denses, ont peut-être beaucoup contribué à l'effet total.
+Aussi ne faut-il point s'étonner des dissidences plus ou moins graves
+que présentent des tables de réfractions également bien dressées pour
+des observatoires différens, et même pour un lieu unique, en divers
+temps. On sait que Delambre a trouvé, du jour au lendemain, des
+différences inexplicables, et pourtant certaines, de quatre ou cinq
+minutes dans la réfraction horizontale, après avoir cependant tenu
+compte des indications du baromètre et du thermomètre, à la manière
+ordinaire. Toutefois, il importe de reconnaître, pour ne rien exagérer,
+que ces fâcheuses irrégularités deviennent seulement sensibles dans le
+voisinage de l'horizon, et disparaissent presque entièrement à 10° ou
+15° d'élévation, ce qui fait présumer qu'elles proviennent
+principalement de l'état éminemment variable de la surface terrestre.
+Ainsi, la conclusion pratique de cet ensemble de considérations est
+qu'il faut, autant que possible, éviter d'observer très près de
+l'horizon, à cause de la trop grande incertitude des réfractions
+correspondantes, et c'est ce qu'on peut presque toujours faire en
+astronomie, tandis qu'on n'en a point, au contraire, la faculté dans les
+opérations géodésiques. Avec une telle précaution, la réfraction, qui
+est seulement d'une minute à 45° de distance zénithale, de 5' ou 6' à
+80° et d'environ 34' à l'horizon, doit être regardée comme suffisamment
+connue, dans l'état actuel des mesures angulaires, d'après les tables
+maintenant usitées, surtout si l'on a soin de préférer, toutes choses
+d'ailleurs égales, dans chaque observatoire, celles qui y ont été
+construites. On voit donc que les inextricables difficultés
+fondamentales du problème des réfractions astronomiques n'exercent
+point, à beaucoup près, sur l'imperfection réelle de nos observations
+ordinaires, autant d'influence effective qu'elles semblent d'abord
+devoir le faire inévitablement.</p>
+
+<p>Passons maintenant à la considération générale de la théorie des
+parallaxes, qui est, par sa nature, beaucoup plus facile, et par suite,
+bien plus satisfaisante.</p>
+
+<p>Les observations célestes faites en des lieux différens ne seraient pas
+exactement comparables, si on ne les ramenait point sans cesse, par la
+pensée, à celles qu'on ferait d'un observatoire idéal, situé au centre
+de la terre, qui est d'ailleurs le véritable centre des mouvemens
+diurnes apparens. Cette correction, qu'on a nommée la <i>parallaxe</i>, est
+parfaitement analogue à celle que l'on fait journellement dans les
+opérations géodésiques, sous la dénomination plus rationnelle de
+<i>réduction au centre de la station</i>; et elle suit exactement les mêmes
+lois, sauf la difficulté d'évaluer les coefficiens.</p>
+
+<p>Il est d'abord évident que l'effet de la parallaxe porte directement,
+comme celui de la réfraction, sur la seule distance zénithale, et
+consiste, en laissant toujours l'astre dans le même plan vertical, à
+l'éloigner du zénith, tandis que la réfraction l'en rapproche. Cette
+nouvelle déviation, qui aussi n'est rigoureusement nulle qu'au zénith,
+croît d'ailleurs constamment à mesure que l'astre descend vers
+l'horizon, ainsi que dans le cas de la réfraction, quoique ce ne soit
+pas suivant la même loi mathématique. De l'altération fondamentale de la
+distance au zénith, résultent pareillement aussi des modifications
+secondaires pour toutes les autres quantités astronomiques, excepté
+encore à l'égard des seuls azimuths; et qui s'en déduisent absolument de
+la même manière que dans la théorie des réfractions; en sorte que les
+mêmes formules trigonométriques servent pour les deux cas, en changeant
+seulement le signe de la correction et les valeurs des coefficiens.
+Toute la difficulté essentielle se réduit donc également à déterminer la
+rectification que doit subir la distance zénithale; ce qui, pour être
+effectué de la manière la plus rationnelle, consiste simplement ici dans
+un problème élémentaire de trigonométrie rectiligne, au lieu de
+présenter cet ensemble de profondes recherches physiques et
+mathématiques qui fera toujours le désespoir des géomètres dans la
+théorie des réfractions. Il convient, au reste, de noter que cette
+opposition d'effets assujettis à une marche semblable, a dû contribuer
+beaucoup à empêcher les astronomes de prendre plus promptement en
+considération, soit la réfraction, soit la parallaxe, dont une telle
+opposition tend à dissimuler, quoique très imparfaitement sans doute,
+l'influence propre dans les observations effectives.</p>
+
+<p>À l'inspection du triangle rectiligne formé par le centre de la terre,
+l'observateur et l'astre, il est clair que la loi mathématique de la
+parallaxe consiste en ce que le sinus de la parallaxe est nécessairement
+proportionnel à celui de la distance zénithale apparente. La raison
+constante de ces deux sinus, qui constitue ce qu'on appelle justement la
+parallaxe horizontale, est évidemment égale au rapport entre le rayon de
+la terre et la distance de son centre à l'astre; du moins en supposant
+la terre sphérique, ce qui est pleinement suffisant dans toute cette
+théorie. D'après ces lois simples et exactes, il est sensible que la
+parallaxe ne produit point, comme la réfraction, un effet commun sur
+tous les astres, son influence est, au contraire, fort inégale suivant
+les astres que l'on considère, et même selon les diverses situations de
+chacun d'eux. Elle est complètement insensible pour tous ceux qui sont
+étrangers à notre système solaire, à cause de leur immense éloignement;
+et elle varie extrêmement, dans l'intérieur de ce système, depuis la
+parallaxe horizontale d'Uranus, qui ne peut jamais atteindre entièrement
+une demi-seconde, jusqu'à celle de la lune, qui peut quelquefois
+surpasser un degré. C'est là ce qui établit, dans les calculs
+astronomiques, une profonde distinction entre la théorie des parallaxes
+et celle des réfractions.</p>
+
+<p>La détermination rationnelle de tout ce qui concerne les parallaxes
+repose donc finalement sur l'évaluation des distances des astres à la
+terre; et en ce sens, cette théorie préliminaire ne fait pas seulement
+partie, comme celle des réfractions, des méthodes d'observation en
+astronomie; elle constitue déjà une portion directe de la science
+proprement dite; et même elle se rattache à l'ensemble de la géométrie
+céleste, par le besoin qu'elle a de connaître la loi du mouvement de
+chaque astre, pour prendre facilement en considération les changemens
+continuels de ces distances. Sous ce rapport, nous devons nécessairement
+renvoyer à la leçon suivante pour l'estimation <i>à priori</i> des
+coefficiens propres à la théorie des parallaxes. Mais, quoique ce mode
+d'évaluation soit, sans aucun doute, le plus sûr et le plus précis, il
+importe néanmoins de remarquer ici que ces coefficiens peuvent être
+essentiellement déterminés, en éludant la connaissance directe des
+distances des astres à la terre, par un procédé empirique, analogue à
+celui expliqué ci-dessus à l'égard des réfractions.</p>
+
+<p>Il suffit, en effet, après avoir choisi un lieu et un temps tels, que
+l'astre proposé passe au méridien très près du zénith, de mesurer,
+pendant quelques jours consécutifs, sa distance polaire, de manière à
+pouvoir connaître fort approximativement la valeur de cette distance à
+un instant quelconque de la durée de l'opération. Cela posé, en
+calculant pour cet instant, d'après l'angle horaire et ses deux côtés,
+la vraie distance de l'astre au zénith, quand il en est très éloigné,
+sans cependant qu'il approche trop de l'horizon, à 75° ou 80°, par
+exemple, la comparaison de cette distance avec celle qu'on observera
+réellement en ce moment fera évidemment apprécier la parallaxe
+correspondante, et par suite, la parallaxe horizontale; pourvu toutefois
+que la distance apparente ait été, préalablement, bien corrigée de la
+réfraction. Tel est le procédé par lequel on constate le plus aisément
+que la parallaxe de toutes les étoiles est absolument insensible. Il
+présente, évidemment, le grave inconvénient de faire immédiatement
+dépendre la détermination des parallaxes, de celle des réfractions, et
+de transporter, par conséquent, à la première, toute l'incertitude qui
+existera toujours plus ou moins pour la seconde. Cette incertitude a peu
+d'influence dans une telle application, lorsqu'il s'agit d'un astre dont
+la parallaxe est très forte, comme la lune surtout. Mais elle devient
+très sensible à l'égard des astres plus éloignés; et, pour le soleil,
+par exemple, une telle méthode pourrait produire une erreur d'un tiers
+ou même de moitié, en plus ou en moins, sur la vraie valeur de sa
+parallaxe horizontale. Enfin, le procédé deviendrait totalement
+inapplicable aux corps les plus lointains de notre monde, et
+non-seulement à Uranus, mais à Saturne, et même à Jupiter. Pour tous ces
+astres, il devient indispensable de recourir à la détermination directe
+de leurs distances à la terre, qui seront considérées dans la leçon
+suivante. J'ai cru, néanmoins, que l'indication générale d'un tel
+procédé présentait ici un véritable intérêt philosophique, en montrant
+que, jusqu'à un certain point, les astronomes pouvaient connaître, par
+des observations faites en un lieu unique, les vraies distances des
+astres à la terre, au moins comparativement à son rayon; ce qui semble
+d'abord géométriquement impossible.</p>
+
+<p>Pour avoir un aperçu complet de l'ensemble actuel des moyens
+d'observation nécessaires en astronomie, je crois devoir enfin y faire
+rentrer, contrairement aux usages ordinaires, la formation de ce qu'on
+appelle un catalogue d'étoiles, c'est-à-dire un tableau mathématique des
+directions exactes suivant lesquelles nous apercevons les diverses
+étoiles. Relativement à l'astronomie sidérale, une telle détermination
+constitue sans doute une connaissance directe et fondamentale; mais,
+pour notre astronomie solaire, on n'y peut voir réellement qu'un
+précieux moyen d'observation, qui nous fournit des termes de
+comparaison, indispensables à l'étude des mouvemens intérieurs de notre
+monde. Tel est, en effet, depuis Hipparque, l'usage essentiel des
+catalogues d'étoiles.</p>
+
+<p>Afin de marquer exactement les positions angulaires respectives de tous
+les astres, les astronomes emploient constamment, d'après Hipparque qui
+en eut le premier l'idée, deux coordonnées sphériques fort simples, qui
+ont une parfaite analogie avec nos deux coordonnées géographiques, dont,
+au reste, Hipparque est également l'inventeur. L'une, analogue à la
+latitude terrestre, est la <i>déclinaison</i> de l'astre, c'est-à-dire sa
+distance à l'équateur céleste, mesurée sur le grand cercle mené du pôle
+à l'astre. L'autre, connue sous la dénomination peu heureuse
+d'<i>ascension droite</i>, correspond à notre longitude géographique: elle
+consiste dans la distance du point où le grand cercle précédent vient
+couper l'équateur à un point fixe choisi sur cet équateur, et qui est
+ordinairement celui de l'équinoxe du printemps pour notre hémisphère.
+Il faut d'ailleurs, évidemment, afin que la détermination soit
+rigoureusement complète, noter le signe de chaque coordonnée, ce que les
+astronomes ont l'habitude de faire en distinguant les déclinaisons en
+boréales et australes, et les ascensions droites, en orientales et
+occidentales.</p>
+
+<p>Le moyen le plus simple de mesurer avec précision ces deux coordonnées
+angulaires à l'égard d'un astre quelconque, consiste à observer son
+passage au méridien. L'heure exacte de ce passage, donnée par la lunette
+méridienne et l'horloge astronomique, étant comparée à celle qui
+correspond au passage du point équinoxial, fait connaître immédiatement
+l'ascension droite de l'astre, après avoir converti les temps en degrés,
+suivant la règle ordinaire du mouvement diurne. D'une autre part, la
+distance de l'astre au zénith, exactement évaluée à l'aide du cercle
+répétiteur, étant comparée à la hauteur du pôle, donne évidemment la
+déclinaison par une simple addition ou soustraction. Il est d'ailleurs
+bien entendu que les indications des deux instrumens doivent être
+préalablement rectifiées d'après les deux corrections fondamentales de
+la réfraction et de la parallaxe examinées ci-dessus, qui se réduisent à
+la première pour les étoiles. Nous considérerons plus tard les autres
+corrections moins considérables, mais nécessaires aujourd'hui. Tel est
+le procédé facile et exact d'après lequel on construit tous les
+catalogues d'étoiles.</p>
+
+<p>Pour que ces catalogues remplissent convenablement l'office auquel ils
+sont destinés, il importe sans doute qu'ils comprennent le plus grand
+nombre d'astres possible; mais il est encore plus essentiel que ces
+astres se trouvent répartis dans toutes les régions du ciel. Du reste,
+les astronomes sont, à cet égard, à l'abri de tout reproche, par
+l'excellente habitude qu'ils ont contractée de déterminer, autant qu'ils
+le peuvent, les coordonnées de chaque nouvelle étoile qu'ils viennent à
+apercevoir; ce qui a dû finir par rendre nos catalogues nécessairement
+très volumineux, au point de comprendre aujourd'hui jusqu'à cent vingt
+mille étoiles, quoique l'hémisphère austral soit encore peu exploré.</p>
+
+<p>Il serait inutile de mentionner spécialement ici le système de
+classification et de nomenclature que les astronomes emploient pour
+cette multitude d'astres.</p>
+
+<p>Ce système est sans doute, extrêmement peu rationnel, surtout en ce qui
+concerne la nomenclature, qui porte encore si profondément l'empreinte
+barbare de l'état théologique primitif de l'astronomie. Il ne serait
+certainement pas difficile de le remplacer, si l'on en éprouvait
+vivement le besoin, par un système vraiment méthodique. On y
+rencontrerait, évidemment, bien moins d'obstacles que n'en présentait la
+formation de la nomenclature chimique, par exemple, les objets à classer
+et à désigner étant ici de la plus grande simplicité possible, puisque
+tout se réduit essentiellement à des positions. Mais c'est précisément
+cette extrême simplicité qui doit empêcher les astronomes d'attacher une
+importance majeure à un système rationnel, quoiqu'il pût faciliter
+secondairement leurs observations, en permettant, s'il était
+heureusement construit, de retrouver plus promptement dans le ciel la
+position d'une étoile d'après son seul nom méthodique, et
+réciproquement. Un tel perfectionnement, qui finira, sans doute, par
+s'établir dans la suite, n'est nullement urgent. Ce qui fait réellement
+reconnaître et retrouver une étoile, ce n'est pas son nom, qui pourrait
+presque être totalement supprimé sans inconvénient; ce sont uniquement
+les valeurs assignées par le catalogue à ses deux coordonnées
+sphériques; et, sous ce rapport essentiel, la classification, qui
+résulte de la division fondamentale du cercle, est certainement aussi
+parfaite que possible, ainsi que la nomenclature correspondante: tout
+le reste est de peu d'importance. Je ne crois donc pas devoir proposer
+ici aucun changement à cet égard dans les usages établis, qui, quelque
+imparfaits qu'ils soient, ont l'immense avantage d'être universellement
+adoptés. Je me borne seulement à demander à ce sujet qu'on remplace
+désormais, ce qui serait très facile, par l'expression exacte de
+<i>clarté</i>, la dénomination vicieuse de <i>grandeur</i> appliquée aux étoiles,
+qui a l'inconvénient de tendre à induire en erreur, en faisant supposer
+que les étoiles les plus brillantes sont nécessairement les plus
+grandes; tandis que la proximité compense peut-être, en réalité, la
+petitesse, dans un grand nombre de cas; ce que nous ignorons totalement
+jusqu'ici. Le mot <i>clarté</i> aurait l'avantage d'être le strict énoncé du
+fait.</p>
+
+<p>Tels sont, en aperçu, dans leur ensemble total, les divers moyens
+généraux d'observation propres à l'astronomie, et dont la réunion a été
+indispensable pour apporter dans les déterminations modernes l'admirable
+précision qui les distingue maintenant. On peut aisément résumer, sous
+ce rapport, l'ensemble des progrès depuis l'origine de la science,
+d'après ce simple rapprochement: en ce qui concerne les mesures
+angulaires, par exemple, les anciens observaient à la précision d'un
+degré tout au plus; Tycho-Brahé parvint le premier à pouvoir répondre
+ordinairement d'une minute, et les modernes ont porté la précision
+habituelle jusqu'aux secondes. Ce dernier perfectionnement est tellement
+récent que toutes les observations qui remontent au-delà d'un siècle à
+partir d'aujourd'hui, c'est-à-dire qui sont antérieures à l'époque de
+Bradley, de Lacaille et de Mayer, doivent être regardées comme
+inadmissibles dans la formation exacte des théories astronomiques
+actuelles, attendu qu'elles n'ont point la précision qu'on y exige
+aujourd'hui.</p>
+
+<p>Je me suis particulièrement attaché, dans cette revue philosophique, à
+faire nettement ressortir l'harmonie fondamentale qui existe
+nécessairement entre les différens moyens d'observation. Si cette
+harmonie a sans doute puissamment contribué à leur perfectionnement
+respectif, il faut également reconnaître qu'elle y pose des limites
+inévitables, indépendamment de celles plus éloignées qui tiennent à la
+nature de l'organisation humaine, puisque ces moyens se bornent
+mutuellement. Quelle pourrait être, par exemple, l'importance
+astronomique réelle d'un accroissement notable dans la précision
+actuelle des instrumens angulaires ou horaires, tant que la connaissance
+des réfractions restera aussi imparfaite qu'elle l'est? Mais,
+d'ailleurs, rien évidemment n'autorise à penser que nous ayons déjà
+atteint à cet égard les limites qui nous sont naturellement imposées par
+l'ensemble des conditions du sujet.</p>
+
+<p>Après avoir suffisamment considéré, pour la destination de cet ouvrage,
+les instrumens généraux, matériels ou intellectuels, de l'observation
+astronomique, nous devons commencer, sans autre préparation, dans la
+leçon suivante, l'examen philosophique de la géométrie céleste,
+c'est-à-dire, étudier de quelle manière la connaissance précise des
+phénomènes géométriques des astres de notre monde a pu être exactement
+ramenée à de simples élaborations mathématiques, basées sur des mesures
+dont nous avons ci-dessus apprécié les divers procédés fondamentaux.</p>
+
+<a name="l21" id="l21"></a>
+<br><hr class="full"><br>
+
+<h3>VINGT-UNIÈME LEÇON.</h3>
+
+<br><hr class="short"><br>
+
+<p class="sml">Considérations générales sur les phénomènes géométriques élémentaires
+des corps célestes.</p>
+
+<p>Les phénomènes géométriques qui peuvent être le sujet de nos recherches
+dans le système solaire dont nous faisons partie forment deux classes
+bien distinctes: les uns se rapportent à chaque astre envisagé comme
+immobile, et comprennent sa distance, sa figure, sa grandeur,
+l'atmosphère dont il est peut-être entouré, etc., en un mot tous les
+élémens essentiels qui le caractérisent directement; les autres sont
+relatifs à l'astre considéré dans ses déplacemens, et se réduisent à la
+comparaison mathématique des diverses positions qu'il occupe aux
+différentes époques de sa course périodique. Le premier ordre de
+phénomènes est, par sa nature, tout-à-fait indépendant du second,
+quoique, pour obtenir des déterminations plus exactes, on soit
+fréquemment obligé, comme nous allons le voir, de l'y rattacher. Il
+continuerait d'avoir lieu quand même le ciel ne nous offrirait plus
+d'autre spectacle que la rigoureuse invariabilité de son mouvement
+journalier: il serait, dans cette hypothèse idéale, le seul objet de nos
+études astronomiques. Au contraire, le second ordre de phénomènes
+dépend nécessairement du premier, au moins en ce qui concerne les
+positions. Enfin, l'étude des derniers phénomènes doit être, par sa
+nature, plus difficile et plus compliquée, en même temps qu'elle
+constitue seule le véritable but définitif de la géométrie céleste, la
+prévision exacte de l'état du ciel à une époque quelconque, à l'égard
+duquel la connaissance des premiers phénomènes n'est qu'un préliminaire
+indispensable. Cette division n'est donc point purement artificielle. On
+pourra l'exprimer commodément en employant les expressions de phénomènes
+<i>statiques</i> pour le premier ordre, et phénomènes <i>dynamiques</i> pour le
+second, à la condition toutefois de n'attacher ici à ces termes qu'un
+simple sens géométrique. Telle est la division rationnelle d'après
+laquelle je me propose d'examiner l'esprit de la géométrie céleste.
+Cette leçon sera essentiellement consacrée à la considération des
+phénomènes statiques, et je ne ferai qu'y ébaucher l'analyse des
+phénomènes dynamiques, dont l'examen, nécessairement, bien plus étendu,
+sera le sujet spécial des deux leçons suivantes conformément au tableau
+synoptique contenu dans le premier volume de cet ouvrage.</p>
+
+<p>La détermination la plus fondamentale à l'égard des astres consiste
+dans l'évaluation de leurs distances à la terre, et, par suite, entre
+eux, qui est la première base nécessaire de toutes les spéculations
+mathématiques dont les corps célestes peuvent être l'objet, soit sous le
+point de vue géométrique, soit sous le point de vue mécanique. Cherchons
+à nous faire une juste idée générale des moyens par lesquels on a pu
+obtenir cette donnée capitale, relativement à tous les astres de notre
+monde.</p>
+
+<p>Il ne saurait exister à cet égard d'autre procédé élémentaire que celui
+imaginé, dès l'origine de la géométrie, pour connaître, en général, les
+distances des corps inaccessibles. Une telle distance ne peut jamais
+être déterminée par la seule direction précise dans laquelle le corps
+est aperçu d'un point de vue unique, mais en comparant exactement la
+différence des directions qui correspondent à deux points de vue
+distincts avec l'écartement mutuel, préalablement bien connu, de ces
+deux points de vue. En termes plus géométriques, il est clair que la
+distance angulaire observée à chacune des deux stations, entre l'astre
+et l'autre station, conjointement avec l'intervalle linéaire de ces
+stations, permet de résoudre le triangle rectiligne formé par l'astre et
+les deux points de vue, ce qui fait connaître la distance cherchée.
+Telle est la méthode fondamentale qui semble, par sa nature, devoir
+être exactement applicable à quelque distance que ce soit.</p>
+
+<p>Mais, en l'examinant avec plus d'attention, on reconnaît, au contraire,
+qu'elle est en réalité nécessairement limitée, dans les cas
+astronomiques, par l'imperfection plus ou moins inévitable des mesures
+angulaires, dont le degré actuel de précision a été fixé dans la leçon
+précédente. En effet, la résolution de ce triangle exige
+indispensablement la connaissance du troisième angle, celui dont le
+sommet est au point inaccessible proposé. Si donc, par l'immensité de la
+distance, ou par la petitesse de la base, cet angle se trouve être
+extrêmement petit, il sera fort mal connu, et, par suite, la distance
+sera très inexactement calculée. Cet inconvénient est d'autant plus
+possible, qu'un tel angle ne pouvant être, par sa nature, directement
+évalué, mais seulement conclu des deux autres, suivant la règle
+ordinaire, comme étant le supplément de leur somme, l'incertitude des
+observations y sera nécessairement doublée; en sorte que, dans l'état
+présent de nos mesures, on n'en pourra pas répondre ordinairement à
+moins de deux secondes près. Il suit de là que si l'angle est, en
+réalité, moindre que deux secondes, il ne saurait être nullement connu,
+et que, dans ce cas, on pourra seulement déterminer une limite
+inférieure de la distance cherchée, sans savoir, en aucune manière, si
+cette distance est effectivement beaucoup au-delà ou très rapprochée
+d'une telle limite.</p>
+
+<p>Dans tous les cas terrestres, nous avons, il est vrai, la faculté
+d'échapper complètement à cet inconvénient radical, quelque grande que
+puisse être la distance proposée, en augmentant convenablement
+l'intervalle des deux stations. C'est pourquoi les longueurs terrestres
+sont susceptibles d'être mesurées avec beaucoup plus de précision que
+les distances célestes, l'angle à l'objet étant non-seulement toujours
+très sensible, mais pouvant même avoir constamment la grandeur que nous
+jugeons la plus favorable à l'exactitude du résultat. Il ne saurait en
+être ainsi pour les cas célestes, la nécessité qui nous renferme dans
+les limites de notre planète imposant des bornes fort étroites, et
+souvent, en effet, très insuffisantes, à l'agrandissement possible de
+nos bases. Telle est la difficulté fondamentale que présente la
+détermination des distances astronomiques, et qui restreint
+considérablement nos connaissances à cet égard, comme nous allons
+l'expliquer en examinant sous ce rapport les différens cas principaux.</p>
+
+<p>Envisageons d'abord, pour bien fixer les idées, l'astre dont la
+distance peut être le plus exactement calculée, en mesurant sur la terre
+une très grande base. Quand on voulut déterminer avec toute la précision
+possible la parallaxe horizontale de la lune, vers le milieu du siècle
+dernier, Lacaille se transporta au cap de Bonne-Espérance et Lalande à
+Berlin, afin d'y observer la distance zénithale de cet astre en un même
+instant, bien convenu d'avance d'après un signal céleste quelconque, par
+exemple au milieu d'une éclipse exactement prévue. Les latitudes et les
+longitudes des deux stations, choisies, pour plus de facilité, sous deux
+méridiens très rapprochés, permettaient préalablement de connaître sans
+peine, du moins comparativement au rayon de la terre, la grandeur
+linéaire de la base, qui est à peu près la plus étendue que notre globe
+puisse effectivement nous offrir. Cela posé, l'observation directe des
+deux distances zénithales procurait immédiatement toutes les données
+nécessaires à la résolution du triangle rectiligne d'où résultait la
+distance cherchée. Une telle opération, dans laquelle l'angle à la lune
+était presque de deux degrés, devait faire connaître très exactement la
+distance de cet astre, qui, dans sa valeur moyenne, est d'environ
+soixante rayons terrestres, et sur laquelle on peut ainsi garantir que
+l'erreur n'excède point deux myriamètres.</p>
+
+<p>Le même moyen pourrait être directement appliqué, quoique avec une
+précision bien moins grande, à quelques astres plus éloignés, surtout à
+Vénus et même à Mars, dans le moment où ces deux planètes sont à leur
+moindre distance de la terre. Mais il devient beaucoup trop incertain à
+l'égard du soleil, sur la distance duquel une semblable opération
+laisserait une incertitude d'au moins un huitième, ou d'environ deux
+millions de myriamètres. Enfin, il est tout-à-fait insuffisant envers
+les astres plus lointains de notre système.</p>
+
+<p>L'ingénieux procédé général d'après lequel les astronomes sont enfin
+parvenus à surmonter ces difficultés fondamentales, consiste à se servir
+des plus petites distances, à l'égard desquelles les bases terrestres
+suffisent, afin de s'élever aux plus grandes, d'après la liaison
+qu'établissent entre elles certains phénomènes, long-temps inaperçus ou
+négligés; de manière, en quelque sorte, à utiliser les premières, comme
+d'immenses bases nouvelles, pour l'évaluation des autres. Considérons,
+en général, la nature et les limites nécessaires d'un tel procédé.</p>
+
+<p>Il faut, à cet effet, distinguer deux cas essentiels: celui du soleil,
+et ensuite celui de tous les autres astres.</p>
+
+<p>Dès l'origine de la véritable astronomie, Aristarque de Samos avait
+imaginé un moyen fort ingénieux de rattacher la distance du soleil à
+celle de la lune par une considération très simple, propre à faire
+comprendre, plus aisément qu'aucune autre, en quoi peuvent généralement
+consister de semblables rapprochemens. Nous ne pouvons évaluer
+directement le rapport de ces deux distances, parce que, dans le
+triangle où elles se trouvent, l'angle à la terre est le seul qui puisse
+être immédiatement observé, tandis que, cependant, il faudrait encore
+connaître l'angle à la lune, ce qui semble exiger, en général, que les
+distances soient données. Or, il y a, dans le cours mensuel de la lune,
+un instant particulier où cet angle se trouve être naturellement tout
+estimé d'avance; c'est celui de l'un ou l'autre quartier, où il est
+nécessairement droit. Il suffirait donc d'observer la distance angulaire
+de la lune au soleil au moment exact de la quadrature, pour avoir
+aussitôt, par la sécante de cet angle, la valeur du rapport entre la
+distance solaire et la distance lunaire. Telle est la méthode
+d'Aristarque. Mais, malheureusement, elle ne comporte, en réalité,
+aucune précision, vu l'impossibilité de saisir avec l'exactitude
+nécessaire le véritable instant de la dichotomie, et la grande influence
+qu'une erreur médiocre à cet égard peut exercer sur le résultat final,
+l'angle à la terre se trouvant être presque droit. Aussi Aristarque
+avait-il trouvé par là que la distance du soleil était seulement
+dix-neuf à vingt fois celle de la lune, ce qui est environ vingt fois
+trop petit. Sans doute, une opération de ce genre recommencée
+aujourd'hui donnerait une conclusion beaucoup moins erronée. Mais il est
+certain qu'on ne saurait déterminer ainsi la distance du soleil, même
+avec autant d'exactitude que le permettrait l'emploi immédiat d'une base
+terrestre. La méthode d'Aristarque ne peut donc servir qu'à indiquer
+nettement l'esprit général de ces procédés indirects.</p>
+
+<p>L'observation des passages de Mercure, et surtout de Vénus, sur le
+soleil, a offert à Halley, vers le milieu du siècle dernier, un moyen
+bien plus détourné, et qui supposait un bien plus grand développement de
+la géométrie céleste, mais qui est aussi infiniment plus exact, et le
+seul admissible aujourd'hui, pour déterminer la parallaxe relative de
+chacun de ces astres et du soleil, et par suite la distance de celui-ci
+à la terre, d'après la seule indication de la différence très sensible
+que peut présenter la durée du passage observé en deux stations fort
+éloignées. Je ne dois caractériser ce procédé que dans la
+vingt-troisième leçon quand j'aurai convenablement examiné les lois
+astronomiques sur lesquelles il est fondé. Il me suffit ici, après
+l'avoir mentionné, de dire, par anticipation, qu'il permet, comme nous
+le verrons, d'évaluer la distance du soleil à la terre à moins d'un
+centième près. C'est ainsi que les fameuses opérations exécutées sur le
+plan de Halley, par divers astronomes, au sujet des passages de Vénus en
+1761, et surtout en 1769, ont assigné; à la parallaxe horizontale
+moyenne du soleil, une valeur définitive de 8'',6; ce qui revient à dire
+que la distance du soleil à la terre est, à très peu près, quatre cents
+fois plus grande que la moyenne distance de la lune, indiquée ci-dessus.
+L'incertitude d'un tel résultat est, au plus, de 160000 myriamètres.</p>
+
+<p>Cette distance fondamentale étant, ainsi, bien déterminée, la
+connaissance du mouvement de la terre permet de la prendre pour base de
+l'estimation des autres distances astronomiques plus considérables. Il
+suffit, en effet, d'observer la distance angulaire du soleil à l'astre
+proposé, à deux époques séparées par un intervalle de six mois, qui
+correspond à deux positions diamétralement opposées de la terre dans son
+orbite. On a dès lors, pour calculer la distance linéaire de cet astre,
+un triangle immense, dont la base est double de la distance de la terre
+au soleil. C'est ainsi que la découverte du mouvement de notre planète
+nous a permis d'appliquer, à la mesure des espaces célestes, une base
+vingt-quatre mille fois plus étendue que la plus grande qui puisse être
+conçue sur notre globe. À la vérité, quand il s'agit d'une planète, ce
+qui est jusqu'ici le seul cas réel, le déplacement de l'astre, pendant
+le temps qui s'écoule entre les deux observations comparatives, doit
+nécessairement affecter plus ou moins l'exactitude du résultat. Mais, il
+faut considérer, à ce sujet, qu'un tel procédé est exclusivement
+destiné, par sa nature, aux planètes les plus lointaines, qui sont, de
+toute nécessité, comme nous l'expliquerons dans la suite, les moins
+rapides; en sorte qu'on pourrait d'abord, pour une première
+approximation, négliger entièrement leur déplacement, surtout à l'égard
+d'Uranus. Cela est d'autant moins nuisible que les proportions de notre
+monde n'exigent nullement un intervalle de six mois, supposé ci-dessus
+afin de présenter d'un seul coup toute la portée du procédé; deux mois
+et même un seul suffisent pleinement, envers les planètes les plus
+éloignées, pour obtenir, en choisissant des situations favorables, un
+angle à l'astre qui soit très appréciable: or, pendant un temps aussi
+court, une planète, telle que Saturne par exemple, qui met environ
+trente ans à parcourir le ciel, pourra être envisagée comme
+sensiblement immobile; et, si l'astre est moins lent, il ne faudra, par
+compensation, qu'un moindre intervalle, puisqu'il sera plus rapproché.
+Enfin, il est possible de prendre en suffisante considération le petit
+déplacement de la planète, d'après la théorie géométrique de son
+mouvement propre, dans l'application de laquelle on pourra se contenter
+ici de la première approximation déjà obtenue pour la distance cherchée.</p>
+
+<p>C'est ainsi que les astronomes ont pu déterminer avec exactitude les
+positions réelles des astres les plus lointains dont notre monde soit
+composé. Quand on considère les valeurs de ces distances en myriamètres,
+ou seulement même en rayons terrestres, elles sont nécessairement
+affectées de l'incertitude indiquée plus haut sur la distance de la
+terre au soleil. Mais, si l'on se borne à envisager leurs rapports à
+cette dernière distance, ce qui est le cas le plus ordinaire et le seul
+important en astronomie, il est clair que le procédé précédent comporte
+une précision bien supérieure. Les nombres par lesquels on exprime
+habituellement ces rapports, sont certains aujourd'hui jusqu'à la
+troisième décimale au moins.</p>
+
+<p>L'immense accroissement de la base d'observation, qui résulte de la
+connaissance du mouvement de la terre, est, évidemment, le plus grand
+qui nous soit permis: si nous avons pu, en quelque sorte, franchir ainsi
+les limites de notre globe, celles de l'orbite qu'il parcourt sont
+nécessairement insurmontables. Or, cette base, quelque prodigieuse
+qu'elle doive nous paraître, devient, à son tour, du moins jusqu'ici,
+totalement illusoire, aussitôt que nous voulons estimer l'éloignement
+des astres étrangers à notre système. En lui donnant alors toute
+l'étendue possible, par un intervalle de six mois entre les deux
+observations, la somme des deux distances angulaires ne laisse point,
+pour l'angle à l'étoile, une quantité qui soit même légèrement
+supérieure à l'erreur totale d'une telle mesure, dans l'état actuel de
+nos moyens. Nous ne pouvons donc assigner encore, à cet égard, qu'une
+simple limite inférieure, nécessairement insuffisante, en établissant
+seulement avec certitude que l'étoile la plus voisine est, au moins,
+deux cent mille fois plus éloignée que le soleil, ou dix mille fois plus
+lointaine que la dernière planète de notre système; ce qui suffit
+pleinement, il est vrai, pour constater l'indépendance de notre monde.
+J'indiquerai dans la suite l'ingénieux procédé récemment imaginé par M.
+Savary, et d'après lequel on peut espérer d'obtenir plus tard, pour
+certaines étoiles, des limites supérieures de distance, plus ou moins
+rapprochées des limites inférieures.</p>
+
+<p>Après avoir déterminé exactement les distances de tous les astres de
+notre monde à la terre, il est aisé de comprendre comment on calcule
+leurs distances mutuelles, puisque, dans le triangle où chacune est
+contenue, deux côtés sont déjà donnés et l'angle à la terre peut
+toujours être mesuré. C'est seulement pour la lune et le soleil que les
+distances à la terre méritent d'être soigneusement retenues. Quant à
+tous nos autres astres, de telles distances sont beaucoup trop variables
+et d'ailleurs trop peu importantes en astronomie pour qu'il convienne de
+les considérer directement. On doit se borner, comme le font depuis
+long-temps les astronomes, à mentionner les distances des planètes au
+soleil, et celle de chaque satellite à sa planète, lesquelles
+n'éprouvent que de légères variations, dont nous aurons plus tard à nous
+occuper.</p>
+
+<p>Tel est l'ensemble des moyens que possède aujourd'hui l'astronomie pour
+déterminer les diverses distances célestes. On voit que, comme le bon
+sens l'indiquait d'avance, nous les connaissons d'autant plus exactement
+qu'elles sont plus petites, au point d'ignorer totalement les plus
+considérables. On doit aussi remarquer déjà cette harmonie qui lie
+profondément entre elles toutes les parties de la science astronomique,
+puisque la détermination la plus simple et la plus élémentaire se trouve
+finalement dépendre, dans la plupart des cas, des théories les plus
+délicates et les plus compliquées de la géométrie céleste.</p>
+
+<p>J'ai cru devoir insister sur cette première recherche, comme étant la
+plus fondamentale, en même temps qu'elle me paraît la plus propre à
+faire ressortir l'esprit général des méthodes astronomiques. Cela nous
+permettra, d'ailleurs, d'examiner maintenant avec plus de rapidité, sous
+le point de vue philosophique de cet ouvrage, les autres déterminations
+statiques dont la géométrie céleste est composée.</p>
+
+<p>Les distances des astres à la terre étant une fois bien connues, l'étude
+de leur figure et de leur grandeur ne peut plus présenter d'autre
+difficulté que celle d'une observation suffisamment précise, en
+réservant toutefois la question à l'égard de notre propre planète, qui
+sera ci-après spécialement considérée. Cette recherche est, en effet,
+par sa nature, du ressort de l'inspection immédiate. L'éloignement même
+où ces grands corps sont placés de nos yeux est une circonstance
+éminemment favorable qui nous permet d'embrasser d'un seul regard
+l'ensemble de leur forme, en même temps que leur mouvement ou le nôtre
+nous les fait voir successivement sous tous les aspects possibles. La
+distance, il est vrai, pourrait être tellement grande que les dimensions
+et, par suite, la forme nous devinssent totalement imperceptibles: tel
+est le cas de tous les astres extérieurs à notre monde, qui ne sont
+aperçus, dans les plus puissans télescopes, que comme des points
+mathématiques d'un très vif éclat, et dont la sphéricité ne nous est
+réellement indiquée que par une induction très forte. C'est aussi ce qui
+arrive jusqu'ici pour quelques corps secondaires de notre propre
+système, pour les satellites d'Uranus par exemple, et même, à un certain
+degré, pour les quatre petites planètes situées entre Mars et Jupiter.
+Mais tous les astres de quelque importance dans notre monde comportent,
+à cet égard, une exploration complète, du moins avec nos instrumens
+actuels. Il suffit donc de mesurer soigneusement, par les meilleurs
+moyens micrométriques, leurs diamètres apparens dans tous les sens
+possibles, pour juger immédiatement de leur véritable figure, après
+avoir toutefois effectué les deux corrections fondamentales de la
+réfraction et de la parallaxe. Si la figure de la terre a été long-temps
+mise en question, et si sa connaissance exacte a exigé les recherches
+les plus difficiles et les plus laborieuses, comme je l'indiquerai plus
+bas, il n'a jamais pu en être ainsi du soleil et de la lune, et
+successivement de tous les autres astres de notre système; à mesure que
+le perfectionnement de la vision artificielle a permis de les explorer
+assez distinctement. Un seul cas a dû présenter, à cet égard, une
+véritable difficulté scientifique. C'est celui des deux singuliers
+satellites annulaires dont Saturne est immédiatement entouré.
+L'étrangeté de leur figure a exigé que, pour la bien reconnaître,
+Huyghens, guidé par des apparences long-temps inexplicables, formât à ce
+sujet une heureuse hypothèse, qui a satisfait ensuite à toutes les
+observations. Il en a été ainsi, jusqu'à un certain point, dans
+l'origine de la science astronomique, à l'égard de la lune, par la
+diversité de ses aspects, quoique la plus simple géométrie permette ici
+de décider la question. À ces seules exceptions près, l'inspection
+immédiate a évidemment suffi pour reconnaître la sphéricité presque
+parfaite de tous nos astres<a id="footnotetag5" name="footnotetag5"></a>
+<a href="#footnote5"><sup class="sml">5</sup></a>, et pour s'apercevoir plus tard qu'ils
+sont tous légèrement aplatis dans le sens de leur axe de rotation et
+renflés dans leur équateur. La quantité de cet aplatissement a pu même
+être exactement mesurée avec des micromètres perfectionnés. Le résultat
+général de ces mesures a été de montrer, ce me semble, que les astres
+sont d'autant plus aplatis que leur rotation est plus rapide, depuis
+l'aplatissement presque imperceptible de la lune ou de Vénus, jusqu'à
+l'aplatissement d'environ 1/12 dans Jupiter ou dans Saturne; ce que nous
+verrons plus tard être conforme à la théorie de la gravitation.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote5"
+name="footnote5"><b>Note 5: </b></a><a href="#footnotetag5">
+(retour) </a> Il semble nécessaire d'en excepter les quatre
+ petites planètes découvertes depuis le commencement de ce
+ siècle, et dont la forme semble être beaucoup moins
+ régulière, autant que leur faible étendue et leur grand
+ éloignement permettent jusqu'ici d'en juger.
+</blockquote>
+
+<p>Quant à la véritable grandeur des corps célestes, un calcul très facile
+la déduit immédiatement de la mesure du diamètre apparent combinée avec
+la détermination de la distance. Car, la sécante du demi-diamètre
+apparent d'un corps sphérique est évidemment égale au rapport entre son
+rayon réel et sa distance à l'oeil; ce qui permet d'évaluer maintenant
+ce rayon, et, par suite, la surface et le volume. L'homme n'a eu si
+long-temps des idées profondément erronées des vraies dimensions des
+astres que parce que leurs distances réelles lui étaient inconnues;
+quoique, d'ailleurs, par son ignorance des lois de la vision, il n'ait
+pas toujours maintenu une exacte harmonie entre les fausses notions
+qu'il se formait des unes et des autres.</p>
+
+<p>Le résultat général de ces diverses déterminations pour tous les astres
+de notre monde, comparé avec l'ordre fondamental de leurs distances au
+soleil, ne se montre assujetti jusqu'à présent à aucune règle. On y
+remarque seulement que le soleil est beaucoup plus volumineux que tous
+les autres corps de ce système, même réunis; et, en général, que les
+satellites sont aussi beaucoup moindres que leurs planètes, comme
+l'exige la mécanique céleste.</p>
+
+<p>Il est presque superflu d'ajouter ici que notre ignorance à l'égard des
+distances effectives de tous les corps extérieurs à notre monde, nous
+interdit toute connaissance de leurs vraies dimensions, quand même nous
+parviendrions, à l'aide de plus puissans télescopes, à mesurer leurs
+diamètres apparens. Nous avons seulement lieu de penser vaguement que
+leur volume doit être analogue à celui de notre soleil.</p>
+
+<p>Une question secondaire, mais qui n'est point sans intérêt, se rattache
+à l'étude de la figure et de la grandeur des astres, dont elle est, en
+quelque sorte, un complément minutieux. C'est l'évaluation exacte de la
+hauteur des petites aspérités qui recouvrent leur surface, à la façon de
+nos montagnes. Rien n'est plus propre peut-être qu'une telle estimation
+à rendre sensible la puissance de nos lunettes actuelles et la
+précision qu'ont acquis nos moyens micrométriques.</p>
+
+<p>On conçoit, en général, que l'un quelconque des astres intérieurs à
+notre monde doit avoir un hémisphère éclairé par le soleil et un autre
+hémisphère visible de la terre; et que nous apercevons seulement la
+portion commune, plus ou moins étendue suivant les divers aspects, de
+ces deux hémisphères, dont chacun serait d'ailleurs nettement terminé
+par un cercle, si la surface était parfaitement polie. Cela posé, s'il
+existe, dans la partie invisible de l'hémisphère éclairé, ou dans la
+partie obscure de l'hémisphère visible, et tout près de la ligne de
+séparation, une montagne suffisamment élevée, son sommet nous apparaîtra
+nécessairement, dans l'image de l'astre, comme un point isolé extérieur
+au disque régulier, et dont la distance à ce disque, ainsi que la
+situation, exactement appréciées l'une et l'autre à l'aide d'un bon
+micromètre, nous permettront de déterminer, avec plus ou moins de
+précision, par un calcul trigonométrique fort simple, la hauteur
+cherchée, d'abord comparativement au rayon de l'astre, et finalement en
+mètres si nous le désirons. Le degré de précision que comporte une
+estimation aussi délicate dépend, évidemment, de l'étendue et de la
+netteté du disque; et l'absence d'atmosphère doit aussi contribuer à
+l'augmenter. Aucun astre, sous ces divers rapports, ne peut être plus
+exactement exploré, à cet égard, que la lune, dont les principales
+montagnes sont peut-être mieux mesurées aujourd'hui, d'après les
+opérations de M. Schroëter, qu'un grand nombre des montagnes terrestres.
+Il est remarquable qu'elles soient, en général, plus élevées que nos
+plus hautes montagnes, puisqu'on en trouve de huit mille mètres au
+moins, ce qui est surtout frappant par contraste avec un diamètre plus
+de trois fois moindre. La même singularité s'observe à l'égard de Vénus
+et de Mercure, seules planètes qui aient pu jusqu'ici permettre une
+semblable détermination, bien moins exacte toutefois que pour la lune;
+M. Schroëter a trouvé que leurs montagnes atteignent jusqu'à quatre
+myriamètres environ, dans la première, qui est à peu près égale en
+grandeur à la terre, et deux dans la seconde, dont le diamètre est
+presque trois fois moindre.</p>
+
+<p>Une recherche plus importante, qui complète naturellement l'étude de la
+figure et de la grandeur des astres, consiste à évaluer l'étendue et
+l'intensité de leurs atmosphères. Elle est fondée sur la déviation
+appréciable que ces atmosphères doivent imprimer à la lumière des
+astres extérieurs à notre monde, devant lesquels vient se placer en
+ligne droite l'astre intérieur proposé; ce qui constitue ce genre
+particulier d'éclipses, connu sous le nom d'occultations d'étoiles, et
+qui est, comme tout autre, et même mieux qu'aucun autre, susceptible
+d'être exactement calculé. Cette déviation, qui est parfaitement
+semblable à la réfraction horizontale de notre atmosphère, peut être
+surtout estimée d'une manière extrêmement précise, par un procédé
+indirect, qui ne nous serait point applicable, d'après l'influence très
+sensible qu'elle exerce sur la durée totale de l'occultation. Par le
+simple mouvement diurne du ciel, cette durée serait naturellement
+indéfinie; mais elle est, en réalité, plus ou moins longue, suivant le
+mouvement propre plus ou moins lent de l'astre proposé. On peut la
+calculer d'avance avec exactitude, d'après la vitesse angulaire et la
+direction de ce mouvement, comparées au diamètre apparent de l'astre, et
+modifiées d'ailleurs par le mouvement de l'observateur lui-même. Or,
+maintenant, la réfraction atmosphérique doit, en réalité, diminuer, plus
+ou moins selon les différens astres, mais toujours très notablement,
+cette durée géométrique; car elle retarde le commencement de
+l'occultation, et elle en accélère la fin. Cette influence, entièrement
+comparable à celle qui prolonge un peu la présence du soleil sur notre
+horizon, est d'ailleurs beaucoup plus grande; elle quadruple en quelque
+sorte l'effet direct de la réfraction, puisqu'on cumule ainsi la
+déviation éprouvée par la lumière à sa sortie de l'atmosphère aussi bien
+qu'à son entrée, et cela tant à la fin de l'occultation qu'au
+commencement. On pourra donc, en comparant la durée effective de cette
+occultation avec sa durée mathématique, connaître, d'après l'excès plus
+ou moins grand de celle-ci sur l'autre, la valeur de la réfraction
+horizontale de l'atmosphère proposée, bien plus exactement que par
+aucune observation directe. Le degré de précision que comporte cette
+détermination compliquée, et qui est évidemment mesuré par le temps plus
+ou moins long que l'occultation doit durer, est très inégal suivant les
+différens astres. C'est ainsi que, pour la lune, qui offre, il est vrai,
+le cas le plus favorable, on a pu garantir que la réfraction
+horizontale, dont la valeur est, sur notre terre, de trente-quatre
+minutes, ne s'élève pas à une seule seconde, d'après les mesures de M.
+Schroëter, et que, par conséquent, il n'y existe aucune atmosphère
+appréciable, ce qui a été confirmé plus tard par M. Arago, d'après un
+tout autre genre d'observations, relatif à la polarisation de la
+lumière que réfléchissent sous certaines incidences les surfaces
+liquides, et d'où il est résulté qu'il n'y a point, à la surface de la
+lune, de grandes masses liquides, susceptibles de former une atmosphère.
+Parmi tous les autres cas, le mieux connu est celui de Vénus, où M.
+Schroëter a constaté une réfraction horizontale de trente minutes
+vingt-quatre secondes.</p>
+
+<p>Quant à l'étendue des atmosphères, il est clair qu'elle est appréciable,
+jusqu'à un certain point, en examinant, soit d'après le procédé
+précédent, soit à l'aide d'une observation directe, à quelle distance de
+la planète peut cesser l'action réfringente. Mais, comme la réfraction
+décroît graduellement à mesure qu'on s'éloigne de l'astre, elle finit
+par devenir assez faible pour ne plus exercer aucune influence bien
+sensible, quoique les limites de l'atmosphère soient peut-être encore
+très reculées. Le résultat le plus singulier, à cet égard, est celui des
+planètes télescopiques, en exceptant Vesta, dont les atmosphères sont
+vraiment monstrueuses; la hauteur de l'atmosphère de Pallas surtout
+excède, suivant M. Schroëter, douze fois le rayon de la planète. Le cas
+normal, dans l'ensemble du système solaire, semble être cependant, comme
+pour la terre, une très petite étendue atmosphérique comparativement
+aux dimensions de l'astre, quoique l'extrême incertitude de ce genre
+d'exploration ne permette encore de rien affirmer bien positivement à ce
+sujet.</p>
+
+<p>Pour compléter l'examen des phénomènes statiques étudiés en géométrie
+céleste, il me reste enfin à considérer la question fondamentale de la
+figure et de la grandeur de la terre, qui a dû ci-dessus être
+soigneusement réservée, à cause de sa nature toute spéciale.</p>
+
+<p>Si l'inspection immédiate a dû suffire pour connaître, d'après leurs
+distances, les dimensions et la forme de tous les astres de notre monde,
+il est évident que cela ne pouvait être à l'égard de la planète que nous
+habitons. L'impossibilité absolue où nous sommes de nous en écarter
+assez pour en apercevoir l'ensemble d'un seul coup d'oeil ne nous a
+permis de connaître exactement sa véritable figure qu'à l'aide de
+raisonnemens mathématiques très compliqués, fondés sur une longue suite
+d'observations indirectes, laborieusement accumulées. Quoiqu'une telle
+question se rattache aux plus hautes théories de la mécanique céleste,
+et malgré même que la première impulsion des plus grands travaux
+géométriques à cet égard soit réellement due à une conception mécanique,
+je dois néanmoins me réduire ici, autant que possible, à considérer ce
+sujet sous le point de vue purement géométrique, devant l'envisager plus
+tard sous le rapport mécanique.</p>
+
+<p>À la naissance de l'astronomie mathématique, les variations que présente
+dans les différens lieux le spectacle général du mouvement diurne ont
+d'abord fourni la preuve géométrique de la figure sphérique de la terre.
+Il a suffi, pour s'en convaincre, de constater que le changement éprouvé
+par la hauteur du pôle sur chaque horizon était toujours exactement
+proportionnel à la longueur du chemin parcouru suivant un même méridien
+quelconque, ce qui est un caractère évident et exclusif de la sphère.
+Or, cette comparaison primitive, sans cesse développée et perfectionnée
+pendant vingt siècles, est la véritable et unique source de toutes nos
+connaissances géométriques sur la forme et la grandeur de notre planète.
+L'explication en sera simplifiée si, sans nous occuper d'abord de la
+figure, et continuant à la supposer parfaitement sphérique, nous
+cherchons à déterminer la grandeur, comme l'ont réellement fait les
+astronomes; car la connaissance de la forme n'a pu être perfectionnée
+que par la comparaison des mesures effectuées en des lieux différens.
+Dans ce cas, comme dans tout autre, la figure d'un corps n'est
+appréciable qu'en comparant ses dimensions en divers sens: il n'y a ici
+de particulier que la difficulté de les mesurer.</p>
+
+<p>Le principe fondamental de cette importante détermination a été établi,
+dès les premiers temps de l'école d'Alexandrie, par Ératosthène. Il
+consiste, sous sa forme la plus simple et la plus ordinaire, à mesurer
+la longueur effective d'une portion plus ou moins grande d'un méridien
+quelconque, pour en conclure celle de la circonférence entière, et par
+suite du rayon, d'après les hauteurs comparatives du pôle observées aux
+deux extrémités de l'arc. On pourrait choisir, sans doute, au lieu d'un
+méridien, un grand cercle quelconque, et même un petit cercle; mais
+l'opération deviendrait plus compliquée et plus incertaine, sans
+procurer d'ailleurs aucune facilité réelle.</p>
+
+<p>Quelque reculée que soit l'origine de cette idée générale, elle n'a pu
+être, en réalité, convenablement appliquée que dans la célèbre opération
+conçue et exécutée par Picard, vers le milieu de l'avant-dernier siècle,
+pour mesurer le degré entre Paris et Amiens; soit que, jusque alors, la
+hauteur du pôle ne pût pas être connue d'une manière suffisamment
+exacte; soit, surtout, qu'on n'eût point imaginé de déterminer la
+longueur de l'arc par des procédés purement trigonométriques. Tel est
+le vrai point de départ des grands travaux géodésiques exécutés depuis,
+et qui ont très peu changé la valeur moyenne du rayon terrestre que
+Picard avait obtenue.</p>
+
+<p>Malgré le penchant naturel à regarder la terre comme une sphère
+parfaite, le simple désir de perfectionner cette mesure fondamentale, en
+donnant à l'arc plus d'étendue, aurait sans doute inévitablement conduit
+à découvrir la vraie figure, par la seule inégalité des degrés les plus
+opposés. Mais cette importante connaissance eût été certainement très
+retardée, puisque le premier prolongement, inexactement opéré par
+Jacques Cassini et La Hire, et d'ailleurs trop peu considérable, avait
+d'abord donné, comme on sait, une figure inverse de la véritable. Cette
+réflexion doit faire sentir, quoique ce ne soit pas ici le moment de
+l'expliquer davantage, combien a été nécessaire, pour hâter cette
+découverte, la grande impulsion donnée par Newton, qui, d'après la seule
+théorie de la gravitation, et sans aucun autre fait que le simple
+raccourcissement du pendule à secondes à Cayenne, eut l'heureuse
+hardiesse de décider que notre globe devait être nécessairement aplati à
+ses pôles et renflé à son équateur, dans le rapport de 229 à 230.</p>
+
+<p>Ce trait de génie devint l'origine de la controverse, prolongée pendant
+plus d'un demi-siècle, entre les géomètres proprement dits, pour
+lesquels la théorie newtonienne avait une pleine évidence, et les
+astronomes, qui ne croyaient point devoir prononcer contrairement à des
+mesures directes. Rien n'a plus excité qu'un tel débat à entreprendre
+les mémorables opérations qui, faisant cesser cette sorte d'anarchie
+scientifique, ont mis enfin les observations en harmonie avec les
+principes, et déterminé exactement la forme réelle de notre planète.</p>
+
+<p>Si la terre était rigoureusement sphérique, les degrés du méridien
+seraient parfaitement égaux, à quelque latitude qu'ils fussent mesurés:
+ainsi, le seul fait de leur inégalité constate directement le défaut de
+sphéricité. D'une autre part, si la terre est aplatie dans un sens
+quelconque, il est clair qu'il faudra parcourir un arc plus étendu pour
+que le pôle s'élève sur l'horizon d'un degré de plus, à mesure que la
+courbure deviendra moindre. Toute la question se réduit donc
+essentiellement à savoir dans quel sens effectif a lieu l'accroissement
+des degrés. Mais l'aplatissement réel devant, en tout cas, être fort
+petit, ce qu'indiquait clairement le fait même d'une telle indécision,
+il ne saurait être sensible dans la comparaison de degrés très
+rapprochés, et l'on ne pouvait le découvrir irrécusablement qu'en
+confrontant les degrés les plus différens. Tel est le motif rationnel de
+la grande expédition scientifique exécutée, il y a un siècle, par les
+académiciens français, pour aller mesurer, les uns à l'équateur, les
+autres aussi près que possible du pôle, les deux degrés extrêmes, dont
+la comparaison, soit entre eux, soit avec le degré de Picard, termina
+enfin, à la satisfaction générale, cette longue contestation, en
+confirmant la profonde justesse de la pensée de Newton, et même
+l'exactitude très approchée de son calcul. Cette conclusion a été de
+plus en plus vérifiée par toutes les mesurés exécutées depuis en divers
+pays, et surtout par la plus importante d'entre elles, cette que
+Delambre et Méchain parvinrent à effectuer avec une si merveilleuse
+précision, au milieu de l'époque la plus orageuse, de Dunkerque à
+Barcelone, pour la fondation du nouveau système métrique, et qui a été
+ensuite considérablement prolongée par différens astronomes. Le
+perfectionnement des procédés a permis de constater, entre des limites
+moins écartées, l'accroissement continuel des degrés à mesure qu'on
+s'avance vers le pôle.</p>
+
+<p>En supposant à la terre la forme rigoureuse d'un ellipsoïde de
+révolution, la seule comparaison entre deux degrés évalués à des
+latitudes quelconques bien connues doit suffire pour déterminer, d'après
+la théorie de l'ellipse, le vrai rapport des deux axes. Si donc on en a
+mesuré un plus grand nombre, en les comparant deux à deux de toutes les
+manières possibles, on doit toujours trouver le même aplatissement, ou
+bien la véritable figure ne serait pas encore obtenue, et il faudrait
+alors construire une nouvelle hypothèse, nécessairement plus compliquée:
+celle, par exemple, d'un ellipsoïde à trois axes inégaux. Tel est l'état
+d'indécision où l'on se trouve aujourd'hui, d'après les mesures les plus
+parfaites. L'aplatissement de 1/300, indiqué par l'ensemble des
+opérations, s'écarte trop peu de chacune d'elles, pour qu'on puisse
+affirmer que cette différence ne tient pas à ce qui reste encore
+d'incertitude inévitable dans les résultats des observations. D'un autre
+côté, la comparaison de quelques degrés mesurés à la même latitude, sous
+des méridiens différens ou dans les deux hémisphères, tend à démontrer
+que la terre n'est pas un véritable ellipsoïde de révolution. Cette
+figure et cet aplatissement sont cependant encore généralement adoptés.
+Quels que puissent être, sous ce rapport, les progrès des opérations
+futures, il restera toujours bien certain que cette hypothèse s'écarte
+extrêmement peu de la réalité, et beaucoup moins que la sphère ne
+différait de l'ellipsoïde régulier. Or, cette dernière différence est
+déjà assez petite pour être négligeable sans inconvénient dans la
+plupart des cas usuels, excepté dans les questions les plus délicates de
+la mécanique céleste. Aucune recherche n'exige jusqu'ici qu'on ait égard
+à l'irrégularité de l'ellipsoïde; ce qui reste à désirer à ce sujet ne
+saurait donc avoir une véritable importance. La figure précise de notre
+planète est probablement très compliquée à cause des influences locales,
+qui, en descendant dans un détail trop minutieux, doivent nécessairement
+devenir sensibles. Il faut donc reconnaître que toute connaissance
+absolue nous est interdite à cet égard, comme à tout autre, et nous
+devons nous contenter de compliquer nos approximations à mesure que de
+nouveaux phénomènes viennent réellement à l'exiger.</p>
+
+<p>Aucun exemple ne rend plus sensible cette marche rationnelle de l'esprit
+humain une fois engagé dans la direction positive, que l'histoire
+générale des travaux sur la figure de la terre, depuis l'école
+d'Alexandrie jusqu'à nos jours. Quelque différence qu'aient présentée
+les opinions scientifiques successivement adoptées à ce sujet, chacune
+d'elles a conservé indéfiniment la propriété de correspondre aux
+phénomènes qui l'ont inspirée, et de pouvoir être toujours employée,
+même aujourd'hui, lorsqu'il s'agit seulement de considérer ces mêmes
+phénomènes. C'est ainsi que, en conservant une exacte harmonie entre la
+précision de nos théories et celle dont nous avons besoin dans nos
+déterminations, l'ensemble de nos études positives présente, en tout
+genre, malgré les révolutions scientifiques, un véritable caractère de
+stabilité, propre à détruire entièrement le reproche d'arbitraire
+suggéré si souvent à des esprits superficiels par le spectacle
+inattentif de ces variations.</p>
+
+<p>Après avoir suffisamment considéré l'étude générale des phénomènes
+géométriques que présentent les astres de notre monde envisagés dans
+l'état de repos, je dois commencer l'examen philosophique de la théorie
+géométrique de leurs mouvemens, qui sera complété dans les deux leçons
+suivantes.</p>
+
+<p>Le mouvement d'un astre, comme celui de tout autre corps, est toujours
+composé de translation et de rotation. La liaison de ces deux mouvemens
+est tellement naturelle, ainsi que nous l'avons vu en philosophie
+mathématique, que la seule connaissance de l'un est un motif extrêmement
+puissant de présumer l'existence de l'autre. Néanmoins, il est
+indispensable, en géométrie céleste, de les étudier séparément, car ils
+présentent des difficultés très inégales.</p>
+
+<p>Quoique les rotations de nos astres aient été connues beaucoup plus tard
+que leurs translations, vu l'impossibilité de les observer à l'oeil nu,
+leur étude n'en est pas moins, en réalité, bien plus facile sous le
+point de vue géométrique, et c'est justement l'inverse sous le point de
+vue mécanique. Il est d'abord évident que ces rotations peuvent être
+déterminées géométriquement, sans qu'il soit nécessaire d'avoir aucun
+égard aux mouvemens de l'observateur lui-même, qui doivent être pris, au
+contraire, en considération essentielle quand il s'agit d'explorer les
+translations. En second lieu, la connaissance des rotations est en
+elle-même d'une bien plus grande simplicité, puisque la question
+d'orbite, qui constitue la principale difficulté de l'étude des
+translations, en est nécessairement exclue: elle se rapproche beaucoup,
+par sa nature, des recherches purement statiques dont nous venons de
+nous occuper. L'ensemble de ces motifs ne permet point d'hésiter, ce me
+semble, à placer désormais l'étude des rotations avant celle des
+translations, dans toute exposition rationnelle de la géométrie
+céleste.</p>
+
+<p>La connaissance des rotations célestes a commencé par la découverte que
+fit Galilée de la rotation du soleil, la plus aisée de toutes à
+déterminer, et qui ne pouvait manquer de suivre presque immédiatement
+l'invention du télescope. La méthode très simple imaginée dans cette
+première occasion a été, au fond, constamment la même pour tous les
+autres cas, qui ne diffèrent que par la difficulté plus ou moins grande
+de l'observation: elle est directement indiquée par la nature même du
+problème. En effet, la rotation d'une sphère inaccessible et très
+éloignée serait impossible à apercevoir, si sa surface était
+parfaitement polie et exactement uniforme. Mais il suffit de pouvoir y
+distinguer, soit par leur obscurité, soit, au contraire, par leur éclat,
+ou de toute autre manière, quelques points reconnaissables, qui soient
+réellement adhérens à la surface, ou du moins susceptibles d'être
+regardés comme tels pendant un certain temps (et tel est aujourd'hui le
+cas de presque tous nos astres intérieurs), pour que l'examen attentif
+de leur déplacement graduel sur l'image totale permette la détermination
+géométrique de cette rotation. Un cercle étant connu par trois de ses
+points, on pourrait, à la rigueur, se borner à observer exactement
+trois positions successives de l'un quelconque des indices ainsi
+choisis, en notant avec soin les époques correspondantes. D'après ces
+données, un calcul géométrique, d'ailleurs un peu compliqué,
+déterminerait entièrement le parallèle décrit par cet indice, comme le
+temps employé à le parcourir; conséquemment, la durée totale de la
+rotation et l'axe autour duquel elle s'effectue seraient ainsi
+exactement connus. Mais il est évidemment indispensable de combiner un
+plus grand nombre de positions, et surtout de varier, autant que
+possible, les indices, pour obtenir des moyens de vérification dans des
+opérations aussi délicates, qui reposent entièrement sur les seules
+variations de la différence très petite que présentent, à chaque
+instant, l'ascension droite et la déclinaison de l'indice comparées à
+celles du centre de l'astre. Ces comparaisons étaient, en outre,
+primitivement nécessaires afin de constater l'uniformité réelle de la
+rotation. Il faut d'ailleurs remarquer que l'observation directe de la
+durée totale d'une révolution, fondée sur le retour exact du même indice
+à la même situation, fournit un moyen général de vérification très
+précieux; pourvu que l'on soit bien assuré de l'invariabilité relative
+des indices, et même, si la rotation est un peu lente, ce qui n'a guère
+lieu qu'à l'égard du soleil et de la lune, qu'on ait suffisamment tenu
+compte du déplacement propre de l'observateur dans cet intervalle.</p>
+
+<p>D'après l'ensemble des conditions du problème, cette détermination doit
+offrir évidemment un degré de précision très inégal suivant les
+différens astres. Excepté pour le soleil et la lune, elle exige
+indispensablement l'emploi des moyens d'observation les plus
+perfectionnés que possède l'astronomie, dont elle constitue peut-être
+l'exploration pratique la plus délicate, non-seulement par la difficulté
+des mesures, mais aussi à cause des illusions presque inévitables
+auxquelles on est alors exposé, et qui ne peuvent être prévenues qu'à
+l'aide d'une sorte d'éducation spéciale et graduelle de l'oeil. On se
+figure aisément quels obstacles doit présenter le succès d'une telle
+opération, d'après ce seul fait, qu'un observateur exact et
+recommandable, Bianchini, a pu s'y tromper au point de supposer la
+rotation de Vénus vingt-quatre fois plus lente qu'elle n'est
+effectivement. Il y a même des planètes trop éloignées ou trop petites,
+Uranus, d'une part, et les quatre planètes télescopiques de l'autre,
+dont la rotation n'est encore nullement déterminée, son existence étant
+seulement admise <i>à priori</i>, par une analogie et surtout par une
+induction très puissantes. Il en est ainsi d'ailleurs des satellites de
+Jupiter et de Saturne, et, à plus forte raison, de ceux d'Uranus, sauf
+toutefois les motifs généraux qu'on a de penser que, à leur égard comme
+envers la lune, la durée de la rotation est nécessairement égale à celle
+de leur circulation autour de la planète correspondante, d'après une
+notion de mécanique céleste qui sera indiquée en son lieu.</p>
+
+<p>Parmi les rotations bien connues, on n'aperçoit jusqu'ici aucune trace
+de loi régulière, au sujet de leur durée, qui ne se lie ni aux
+distances, ni aux grandeurs, et qui paraît seulement, comme je l'ai noté
+plus haut, avoir une sorte de relation générale avec le degré
+d'aplatissement: encore cette analogie n'est-elle point sans exception,
+l'aplatissement de Mars étant beaucoup plus prononcé que celui de la
+terre ou de Vénus, et sa rotation n'étant certainement point plus
+rapide. Il faut toutefois remarquer que la rotation du soleil est
+beaucoup plus lente que celle d'aucune planète. Mais, si les durées des
+rotations, quoique d'ailleurs rigoureusement invariables, semblent
+tout-à-fait irrégulières, il n'en est nullement ainsi de leurs
+directions, ces mouvemens ayant toujours lieu de l'ouest à l'est dans
+toutes les parties de notre monde, et suivant des plans très peu
+inclinés sur celui de l'équateur solaire; ce qui constitue une donnée
+générale fort importante sous le point de vue cosmogonique.</p>
+
+<p>Passons maintenant à l'examen des mouvemens de translation, dont
+l'étude, beaucoup plus compliquée, est aussi bien autrement importante,
+en égard au but définitif des recherches astronomiques, la prévision
+exacte de l'état du ciel à une époque future quelconque, dont je ne
+saurais craindre de rappeler trop souvent la considération formelle.</p>
+
+<p>Outre que le mouvement de la terre constitue directement une partie fort
+essentielle de cette grande recherche, il ne saurait évidemment être
+indifférent, à l'égard des autres astres, de regarder l'observateur
+comme fixe ou comme mobile, puisque son déplacement doit notablement
+affecter, de toute nécessité, sa manière d'apercevoir les divers
+mouvemens extérieurs. On peut bien, à la vérité, décider avec certitude,
+sans cette connaissance préalable, que le soleil et non la terre est le
+vrai centre des mouvemens de toutes les planètes, comme l'avait reconnu
+Tycho-Brahé, en niant notre propre mouvement: car il suffit pour cela de
+constater, d'après les procédés indiqués dans cette leçon, que les
+distances des planètes au soleil sont très peu variables, tandis que, au
+contraire, leurs distances à la terre varient extrêmement; et, en
+second lieu, que la distance solaire de chaque planète inférieure est
+constamment moindre, et celle d'une planète supérieure constamment plus
+grande que l'intervalle entre le soleil et la terre: ce qui résulte des
+plus simples observations de parallaxe et de diamètre apparent. Mais on
+ne peut aller plus loin, et déterminer la vraie figure des orbites
+planétaires, ainsi que la manière dont elles sont parcourues, sans tenir
+un compte exact et indispensable du déplacement de l'observateur. C'est
+pourquoi la leçon suivante sera tout entière consacrée à l'examen de la
+théorie fondamentale du mouvement de la terre, après quoi nous pourrons
+poursuivre, d'une manière vraiment rationnelle, l'étude générale des
+mouvemens planétaires. Toutefois, il convient, ce me semble, de
+compléter la leçon actuelle, en considérant la détermination de
+certaines données capitales au sujet de ces mouvemens, qui peuvent être
+obtenues, comme elles l'ont été en effet, sans avoir égard à notre
+mouvement, et dont la théorie, parfaitement analogue à celle qui vient
+d'être caractérisée pour les rotations, présente aussi la simplicité
+essentielle des recherches purement statiques; en sorte que
+l'homogénéité de cette leçon sera pleinement maintenue. Je veux parler
+de la connaissance des plans des orbites et de la durée des révolutions
+sidérales, entièrement indépendante, par sa nature, de tout ce qui
+concerne la figure des orbites et la vitesse variable de l'astre. On
+peut même, pour plus de simplicité, regarder ici tous les mouvemens
+comme circulaires et uniformes, ainsi que les astronomes ont dû le faire
+primitivement.</p>
+
+<p>Cela posé, il est évident, comme dans le cas des rotations, que, un plan
+étant déterminé par trois points, il suffit d'observer trois positions
+différentes de l'astre pour en conclure géométriquement la situation du
+plan de son orbite. Dans ces opérations, les astronomes ont renoncé
+depuis long-temps à employer les déclinaisons et les ascensions droites,
+qui continuent toutefois à être les seules coordonnées directement
+observées, afin d'adopter l'usage plus commode de deux autres
+coordonnées sphériques, connues sous les noms impropres de <i>latitude</i> et
+<i>longitude</i> astronomiques, et qui sont exactement, par rapport à
+l'écliptique, l'analogue des premières à l'égard de l'équateur. Cette
+substitution, qui permet de comparer plus aisément les mouvemens des
+planètes à celui de la terre, s'effectue aisément par des formules
+trigonométriques invariables, qui conduisent du premier système au
+second<a id="footnotetag6" name="footnotetag6"></a>
+<a href="#footnote6"><sup class="sml">6</sup></a>. Après avoir déterminé ainsi la latitude et la longitude de
+l'astre dans les trois positions considérées, on en déduit la situation
+de ses <i>noeuds</i>, c'est-à-dire la ligne suivant laquelle son orbite
+rencontre le plan de l'écliptique, et l'inclinaison de l'orbite sur ce
+plan. Il est d'ailleurs évident que toutes les autres positions
+observées fourniront autant de moyens de vérifier et de rectifier cette
+importante détermination du plan de l'orbite, en ayant soin, pour plus
+de sûreté, de comparer entre elles des positions suffisamment éloignées.
+On voit que ce cas comporte, par sa nature, une précision bien plus
+grande que celui des rotations.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote6"
+name="footnote6"><b>Note 6: </b></a><a href="#footnotetag6">
+(retour) </a> Il serait peut-être plus convenable encore de
+ prendre pour terme de comparaison le plan de l'équateur
+ solaire, du moins jusqu'à l'époque d'une exacte connaissance
+ de ce qu'on appelle le <i>plan invariable</i>. Les coordonnées ne
+ se ressentiraient plus ainsi de la considération spéciale
+ d'une planète unique, et d'ailleurs les orbites planétaires
+ s'approchent en général davantage de ce plan que de celui de
+ l'écliptique. Cette transformation, si jamais elle est jugée
+ utile, s'effectuera évidemment par les mêmes formules qui
+ nous font passer de notre équateur à l'écliptique, en y
+ changeant seulement quelques coefficiens. Au reste,
+ l'équateur terrestre continuera nécessairement à être le
+ terme immédiat de comparaison le plus commode dans toutes
+ les observations.
+</blockquote>
+
+<p>C'est par là qu'on a reconnu que les plans de toutes les orbites
+planétaires passent par le soleil, et de même à l'égard des divers
+satellites d'une planète quelconque; et que ces plans sont, en général,
+peu inclinés sur l'écliptique, et encore moins sur le plan de l'équateur
+solaire, sauf les quatre planètes télescopiques où l'on trouve des
+inclinaisons beaucoup plus considérables.</p>
+
+<p>Quant à la durée des révolutions sidérales, elle peut évidemment,
+d'abord, être directement observée, d'après le retour de l'astre à la
+même situation par rapport au centre de son mouvement. Les temps écoulés
+entre les trois positions successives considérées ci-dessus
+permettraient même de l'évaluer, comme dans le cas des rotations, sans
+attendre une révolution complète, souvent très lente, si l'on supposait
+l'uniformité du mouvement ainsi qu'on le peut pour une première
+approximation. La connaissance complète de la loi géométrique de ce
+mouvement donne le moyen de déduire de cette observation partielle une
+détermination exacte, ainsi que nous l'expliquerons plus tard.</p>
+
+<p>Les valeurs de ces temps périodiques ne sont point, comme toutes les
+autres données examinées dans cette leçon, irrégulièrement réparties
+entre les différens astres de notre monde. En les comparant avec les
+distances de ces astres aux centres de leurs mouvemens, on reconnaît
+aussitôt que la révolution est toujours d'autant plus rapide qu'elle est
+plus courte, et que sa durée croît même plus promptement que la
+distance correspondante; en sorte que la vitesse moyenne diminue à
+mesure que la distance augmente. Il existe entre ces deux élémens
+essentiels une harmonie fondamentale qui sera examinée dans la
+vingt-troisième leçon, et dont la découverte, due au génie de Képler,
+est un des plus beaux résultats généraux de la géométrie céleste et une
+des bases les plus indispensables de la mécanique céleste.</p>
+
+<p>Tel est l'esprit des divers procédés par lesquels la géométrie céleste
+détermine, d'une manière sûre et précise, les différentes données
+élémentaires qui caractérisent chacun des astres de notre système, et
+qui nous permettront de nous élever à la connaissance exacte des vraies
+lois géométriques de leurs mouvemens lorsque ceux de notre propre
+planète, d'ailleurs si importans en eux-mêmes, auront été préalablement
+considérés dans la leçon suivante. Il eût été contraire à la nature de
+cet ouvrage d'insérer ici, pour une quelconque de ces données, aucun de
+ces tableaux numériques que l'on doit trouver dans les traités
+d'astronomie, et dont tout le monde peut même aujourd'hui consulter
+aisément les plus importans dans l'<i>Annuaire du Bureau des longitudes</i>,
+ou dans tout autre recueil de ce genre.</p>
+
+
+<a name="l22" id="l22"></a>
+<br><hr class="full"><br>
+
+<h3>VINGT-DEUXIÈME LEÇON.</h3>
+
+<br><hr class="short"><br>
+
+<p class="sml">Considérations générales sur le mouvement de la terre.</p>
+
+<p>Pour faciliter l'examen général de cette grande question fondamentale,
+il convient d'envisager séparément, comme à l'égard des autres astres,
+les deux mouvemens dont notre planète est animée, en commençant aussi
+par la rotation, bien plus simple à reconnaître directement que la
+translation. Cette décomposition est ici d'autant plus naturelle que,
+dans l'accomplissement total de la profonde révolution intellectuelle
+qui a dû résulter du passage de l'idée de repos à celle de mouvement,
+l'esprit humain a formé en effet une hypothèse intermédiaire, peu connue
+aujourd'hui, celle de Longomontanus, qui admettait la rotation de la
+terre en continuant à méconnaître sa translation, et qui, quelque
+absurde qu'elle soit sans doute, astronomiquement, n'a pas été inutile,
+sous le point de vue philosophique, comme moyen transitoire. Il est
+d'ailleurs évident que, suivant le principe général de la liaison de ces
+deux mouvemens dans un corps quelconque, les preuves directes de chacun
+deviennent ici, de même qu'envers toutes les planètes, autant de
+preuves indirectes de l'autre. Mais, de plus, cette relation présente,
+dans le cas actuel, un caractère tout spécial, qui ne saurait avoir lieu
+à l'égard d'aucun autre corps céleste: c'est l'impossibilité évidente
+que le mouvement annuel de la terre existe sans son mouvement diurne,
+quoique l'inverse ait pu logiquement être supposé.</p>
+
+<p>La rotation de la terre ne pouvant point, par sa nature, être exactement
+commune au même degré à tous les points de sa surface, doit laisser,
+parmi les phénomènes purement terrestre quelques indices sensibles de
+son existence, comme je l'ai noté d'avance dans le premier volume, ce
+qui ne saurait être pour la translation. Il faut donc distinguer les
+preuves célestes et les preuves terrestres de notre mouvement diurne,
+tandis que notre mouvement annuel n'en comporte que du premier genre,
+qui sont, il est vrai, plus variées.</p>
+
+<p>Les astronomes commencent avec raison, par écarter entièrement la
+considération des apparences immédiates, qui ne sauraient devenir, en
+aucun sens, un motif réel de décision, puisqu'elles s'accordent
+également bien avec les deux hypothèses opposées. Il est clair, en
+effet, que l'observateur, ne pouvant avoir nullement la conscience de la
+rotation de sa planète, doit apercevoir, en vertu de cette rotation, le
+même spectacle céleste que si le ciel tournait journellement, comme un
+système solide, autour de l'axe de la terre, et en sens contraire du
+vrai mouvement; ainsi qu'on l'observe habituellement dans une foule de
+cas analogues.</p>
+
+<p>Dans l'enfance de l'esprit humain, l'opinion, d'ailleurs spontanée, de
+l'immobilité de la terre, et du mouvement quotidien de la sphère céleste
+autour d'elle, n'avait point, à beaucoup près, le degré d'absurdité
+qu'elle présente de nos jours chez le petit nombre d'intelligences mal
+organisées qui s'obstinent quelquefois à la maintenir: elle était, au
+contraire, ce me semble, aussi logique que naturelle. Car elle se
+trouvait être exactement en harmonie avec les idées profondément
+erronées que l'on se formait nécessairement des distances et des
+dimensions des astres avant la naissance de la géométrie céleste. Les
+astres étaient regardés comme très voisins, et par suite supposés très
+peu supérieurs à leurs grandeurs apparentes, en même temps qu'on devait
+naturellement s'exagérer beaucoup les dimensions de la terre, lorsqu'on
+eut commencé à lui reconnaître des limites. Avec de tels renseignemens,
+il eût été, évidemment, impossible de ne pas admettre l'immobilité d'une
+masse aussi immense, et le mouvement journalier d'un univers dont les
+élémens et les intervalles étaient, comparativement, aussi petits. Une
+conception tellement enracinée, et appuyée sur des motifs directs d'une
+telle force, indépendamment de la confiance énergique que lui prêtait
+l'ensemble des sentimens humains, ne pouvait donc être ébranlée que par
+une approximation au moins grossière, mais, pourtant géométrique, des
+distances et des dimensions célestes, comparées à la grandeur de la
+terre. Or, malgré que ces déterminations statiques, objet essentiel de
+la leçon dernière, doivent certainement précéder aujourd'hui l'étude des
+mouvemens dans une exposition rationnelle de la géométrie céleste, il
+n'a pu en être entièrement ainsi dans le développement historique de la
+science. L'astronomie grecque avait ébauché la théorie vraiment
+géométrique des mouvemens célestes, en n'envisageant essentiellement que
+les directions, sans s'être nullement occupée de mesurer les proportions
+de l'univers; ce qui a dû maintenir beaucoup plus long-temps l'opinion
+primitive sur le système du monde.</p>
+
+<p>Mais, depuis que ces proportions ont commencé à être géométriquement
+appréciées, l'ensemble des notions sur lesquelles reposait une telle
+opinion a pris un caractère absolument inverse, qui a dû provoquer de
+plus en plus la formation de la conception copernicienne. Quand il a été
+une fois bien constaté que la terre n'est qu'un point au milieu des
+intervalles célestes, et que ses dimensions sont extrêmement petites
+comparativement à celles du soleil et même de plusieurs autres astres de
+notre monde, il est devenu absurde d'en faire le centre de divers
+mouvemens, et surtout l'immense rotation journalière du ciel a aussitôt
+impliqué une contradiction choquante. À la vérité, les astres extérieurs
+à notre système seront réputés 24000 fois moins lointains, d'après la
+leçon précédente, en n'admettant point la circulation annuelle de la
+terre: mais leurs distances n'en cesseraient pas d'être immenses, et
+beaucoup plus grandes que celle du soleil; ce qui doit, en outre, leur
+faire attribuer certainement des volumes au moins analogues. Dès lors,
+la prodigieuse vitesse que devraient avoir tous ces grands corps pour
+décrire en un jour, autour de la terre, des cercles d'une telle
+immensité, devient évidemment inadmissible, surtout quand on reconnaît
+que, pour l'éviter, il suffit en laissant tout ce système immobile,
+d'attribuer à la terre un très petit mouvement, qui n'excède point, même
+à l'équateur, le mouvement initial d'un boulet de 24. Cette
+considération est puissamment fortifiée en pensant, sous le point de vue
+mécanique, à l'énormité de la force centrifuge qui résulterait de
+mouvemens aussi étendus et aussi rapides, et qui exigerait
+continuellement, de la part de la terre, imperceptible comparativement à
+l'univers, un effort évidemment impossible, pour empêcher ces masses
+immenses de poursuivre à chaque instant leur route suivant la tangente,
+tandis que la rotation de la terre détermine seulement une force
+centrifuge presque insensible, aisément surmontée par la pesanteur, dont
+elle n'est, même à l'équateur, que la deux cent quatre-vingt-neuvième
+partie.</p>
+
+<p>Une seconde preuve fondamentale, indépendante de la connaissance des
+intervalles et des dimensions, se tire de l'existence des mouvemens
+propres. Il a suffi de voir les astres passer les uns devant les autres
+pour être assuré qu'ils sont inégalement éloignés; ensuite,
+l'observation des mouvemens particuliers aux différentes planètes, en
+sens contraire du mouvement général du ciel, et selon des directions et
+des périodes fort distinctes, a constaté que tous les astres ne tenaient
+point ensemble. Or, il était évidemment impossible de concilier cette
+indépendance avec la liaison si étroite qu'exigeait l'harmonie
+fondamentale du mouvement diurne, où l'on voyait le ciel tourner tout
+d'une pièce. Aristote et Ptolémée avaient été inévitablement conduits,
+pour établir cette conciliation, à construire l'hypothèse si compliquée,
+quoique ingénieuse, d'un système de cieux solides et transparens, qui
+présente d'ailleurs tant d'absurdités physiques. Mais la simple
+connaissance de certains astres, comme les comètes, qui passent
+successivement dans toutes les régions célestes, aurait suffi seule à
+détruire tout ce pénible échafaudage, qui, suivant l'ingénieuse
+expression de Fontenelle, exposait ainsi l'univers à être cassé. Il est
+singulier que ce soit Tycho-Brahé, le plus illustre antagoniste de la
+découverte de Copernic, qui ait ainsi fourni un des argumens les plus
+sensibles contre sa propre opinion, en ébauchant, le premier, la vraie
+théorie géométrique des comètes.</p>
+
+<p>Quel que doive être l'empire des opinions établies, surtout quand elles
+sont aussi profondément enracinées, l'ensemble des considérations
+précédentes, aurait, probablement, par son évidence de plus en plus
+puissante, déterminé les astronomes à reconnaître, long-temps avant
+Copernic, la réalité du mouvement de rotation de la terre; car, la
+précision des déterminations modernes n'était nullement nécessaire pour
+faire sentir la force de telles preuves: il suffisait d'une
+approximation grossière, déjà essentiellement obtenue à une époque très
+antérieure. Mais l'ignorance des lois fondamentales du mouvement
+présentait un obstacle nécessairement insurmontable à l'admission d'une
+théorie, dont la supériorité astronomique était sans doute vivement
+sentie, par un aussi grand astronome que Tycho entre autres, et qui
+toutefois paraissait absolument inconciliable avec l'observation de qui
+se passe habituellement sous nos yeux à la surface de la terre,
+principalement dans la chute des corps pesans. Copernic ne fit nullement
+disparaître cet obstacle radical, il dura encore près d'un siècle,
+jusqu'à la mémorable époque de la création de la dynamique par le génie
+de Galilée, qui établit, le premier, cette grande loi, que j'ai cru
+devoir présenter, dans la philosophie mathématique, comme une des trois
+bases physiques nécessaires de la mécanique rationnelle: l'indépendance
+totale des mouvemens relatifs de différens corps quelconques envers le
+mouvement commun de leur ensemble. Jusque alors, la rotation de la
+terre, quelque probable qu'elle fût comme hypothèse astronomique, était
+nécessairement inadmissible. Telle est la prépondérance des habitudes
+intellectuelles natives, que, sans que personne eût jamais pensé à faire
+l'expérience, on admettait, comme un fait incontestable, que la balle
+jetée du haut du mât, dans un vaisseau en mouvement, ne retombait point
+au pied du mât, mais à quelque distance en arrière, ce dont le moindre
+observateur eût immédiatement signalé la fausseté grossière. Delambre a
+justement remarqué, dans son <i>Histoire de l'Astronomie moderne</i>, combien
+l'argumentation des Coperniciens avant Galilée, dans cette célèbre
+discussion, était encore plus vicieuse et plus métaphysique à cet égard
+que celle de leurs adversaires, puisqu'ils admettaient aussi la réalité
+de ce prétendu fait, et que seulement ils s'efforçaient, par de vaines
+subtilités, de détruire l'objection qu'on en tirait très logiquement
+contre le mouvement de la terre. Même après les démonstrations de
+Galilée, il fallut encore que Gassendi provoquât spécialement, dans le
+port de Marseille, une expérience publique pour achever de convaincre à
+ce sujet les péripatéticiens obstinés.</p>
+
+<p>Depuis que la propagation des saines doctrines mécaniques a fait ainsi
+disparaître la seule difficulté qui s'opposât réellement à l'admission
+de la rotation de la terre, on a cherché, dans l'examen plus approfondi
+de ces mêmes phénomènes de chute, une confirmation directe et terrestre
+de l'existence de ce mouvement. Il est clair, en effet, qu'un corps en
+tombant du sommet d'une tour très élevée, doit avoir une légère vitesse
+initiale horizontale dans le sens de la rotation terrestre, d'après le
+petit excès de la vitesse du sommet sur celle du pied, à raison de son
+cercle diurne un peu plus grand. Le corps, ainsi lancé comme un
+projectile, retombe donc nécessairement un peu à l'est du pied de la
+tour; et la quantité de cette déviation est aisément calculable, du
+moins en négligeant la résistance de l'air, en fonction de la hauteur de
+la tour et de sa latitude. Si cet écartement était plus grand, on aurait
+là un moyen expérimental très précieux de démontrer la rotation
+terrestre. Mais il est malheureusement trop petit, à l'égard même de nos
+édifices les plus élevés, pour que l'expérience soit vraiment décisive,
+à cause de l'impossibilité presque absolue, quelques précautions qu'on
+ait prises, de laisser tomber le corps sans qu'il reçoive aucune petite
+impulsion, comparable à celle dont on veut apprécier l'effet. Néanmoins,
+cette ingénieuse expérience, tentée en divers lieux au commencement de
+ce siècle, a généralement donné une déviation dans le sens convenable,
+quoique sa valeur n'ait pu être celle que la théorie avait assignée; ce
+qui fait espérer qu'on pourra plus tard, en choisissant des conditions
+plus favorables, parvenir à la compléter. Il est regrettable qu'on ne
+l'ait point essayée à l'équateur, où l'écartement doit avoir plus
+d'étendue qu'en aucun autre lieu.</p>
+
+<p>Afin d'obtenir des preuves terrestres vraiment incontestables de la
+réalité de notre rotation, il faut considérer l'influence de la force
+centrifuge qui en résulte nécessairement, pour altérer la direction
+naturelle et surtout l'intensité propre de la pesanteur.</p>
+
+<p>La célèbre observation faite par Richer à Cayenne en 1672, de la
+diminution d'environ 3/2 ligne, à l'équateur, dans la longueur exacte du
+pendule à secondes réglé à Paris, fournit, en l'analysant
+convenablement, la première confirmation directe du mouvement de
+rotation de la terre. Notre globe s'écarte trop peu, d'après la leçon
+précédente, de la figure exactement sphérique, pour qu'un tel
+décroissement de la pesanteur puisse provenir du seul renflement
+équatorial, en vertu de la loi générale de la variation de la gravité
+inversement au quarré de la distance au centre de la terre. Suivant
+l'aplatissement le plus certain, cette cause ne pourrait produire qu'une
+différence d'à peine 1/8 ligne. Reste donc, évidemment, 1 ligne pour
+l'influence propre de la force centrifuge, qui, étant, à l'équateur, à
+la fois la plus grande possible, et directement opposée à la gravité,
+doit la diminuer davantage qu'en tout autre lieu. La quantité de cette
+diminution, qui peut être aisément calculée <i>à priori</i> avec une entière
+certitude, coïncide, d'une manière admirable, entre les limites des
+erreurs des observations, avec la portion qui appartient ainsi à la
+force centrifuge dans le raccourcissement total; et cela, non-seulement
+à l'équateur, mais encore à toutes les latitudes où cette comparaison
+délicate a pu être établie avec le surcroît de soin qu'exige l'effet
+moins prononcé. Une démonstration aussi mathématique ne permettrait plus
+aucun doute sur la rotation de la terre, quand même on écarterait
+entièrement les preuves astronomiques, d'ailleurs si évidentes. C'est
+ainsi que l'immortelle observation de Richer se rattache aux deux plus
+grandes découvertes de la philosophie naturelle, le mouvement de la
+terre, et la théorie de la gravitation: les deux tiers de l'effet mesuré
+ont irrécusablement vérifié la rotation de notre planète, et l'autre
+tiers a conduit Newton à déterminer son aplatissement. Aucun autre fait
+particulier n'a eu peut-être d'aussi grandes conséquences dans toute
+l'histoire de l'esprit humain.</p>
+
+<p>Passons maintenant à la considération spéciale du mouvement de
+translation de la terre, dont l'existence ne peut être constatée, comme
+nous l'avons remarqué, que par des preuves astronomiques, à cause de la
+différence tout-à-fait insensible de la vitesse des divers points de la
+terre en vertu de ce mouvement, qui ne saurait donc exercer la moindre
+influence sur nos phénomènes terrestres.</p>
+
+<p>La seule position exacte de la question établit d'abord une analogie
+puissante en faveur de la théorie copernicienne, puisque la circulation
+de toutes les autres planètes autour du soleil avait été déjà constatée
+par Tycho lui-même, le système ancien proprement dit étant ainsi
+définitivement écarté de la discussion, qui s'est dès lors trouvée
+réduite à examiner si la terre circule aussi à son rang, comme Vénus,
+Mars, Jupiter, etc., ou bien si le soleil, centre reconnu de tous les
+mouvemens planétaires, parcourt annuellement l'écliptique autour de la
+terre immobile. Par ce simple énoncé, tout esprit impartial est,
+évidemment, porté à présumer que le vrai motif de cette indécision tient
+uniquement à la situation de l'observateur, qui, placé sur quelque autre
+planète, en eût fait sans doute aussi le centre général des mouvemens
+célestes.</p>
+
+<p>Ici, comme à l'égard de la rotation, il est d'abord évident que les
+apparences ne peuvent rien décider. Car, en ôtant la terre du centre de
+l'écliptique pour y mettre le soleil, il suffit de placer la terre en un
+point de cette orbite diamétralement opposé à celui qu'occupait le
+soleil auparavant; et dès lors, sans rien changer au sens du mouvement,
+l'observateur terrestre apercevra continuellement le soleil dans la même
+direction que ci-devant. En regardant le mouvement annuel de la terre
+comme n'altérant point le parallélisme de son axe de rotation, toute
+l'explication des phénomènes relatifs aux saisons et aux climats, étant
+reprise sous ce point de vue, donnera, évidemment, les mêmes résultats
+que dans l'ancien système. Tous les phénomènes les plus sensibles du
+ciel sont donc exactement les mêmes pour les deux hypothèses. Ainsi,
+c'est uniquement dans des comparaisons plus délicates et plus
+détournées, fondées sur des observations plus approfondies, qu'il faut
+chercher des motifs de prononcer entre elles, en considérant des
+phénomènes qui conviennent beaucoup mieux à l'une qu'à l'autre, ou même,
+comme on en a découvert, qui soient absolument incompatibles avec le
+système ancien, et mathématiquement en harmonie avec le système moderne.
+Si l'on ne voulait point distinguer, à cet égard, entre les preuves
+directes et indirectes, il faudrait, pour ainsi dire, envisager
+l'ensemble des phénomènes célestes, tant mécaniques que géométriques;
+car il n'en est presque aucun qui ne puisse fournir indirectement une
+confirmation spéciale du mouvement de notre planète, dont l'influence
+doit, en effet, se faire sentir naturellement dans toutes nos
+explorations astronomiques. Mais il ne saurait évidemment être question,
+en ce moment, que des preuves les plus directes. Je crois devoir les
+réduire à trois principales, que je vais successivement considérer dans
+l'ordre croissant de leur validité logique; elles se tirent de l'examen
+des phénomènes: 1º. de la précession des équinoxes, modifiée par la
+nutation de l'axe terrestre; 2º. des apparences stationnaires et
+rétrogrades que présentent les mouvemens planétaires; 3º. enfin, de
+l'aberration de la lumière, d'où l'on a déduit la démonstration la plus
+décisive et la plus mathématique.</p>
+
+<p>En comparant deux catalogues d'étoiles dressés à des époques
+différentes, on remarque, dans les positions de tous ces astres, une
+variation très singulière et croissante avec le temps, qui ne semble
+assujettie à aucune loi, quand on se borne à envisager les ascensions
+droites et les déclinaisons. Mais, si l'on en déduit les longitudes et
+les latitudes, on reconnaît aussitôt que les dernières n'ont éprouvé
+aucun changement, et que les premières ont subi une modification
+commune, consistant dans une augmentation générale d'environ cinquante
+secondes par an, qui se continue indéfiniment avec uniformité. Cette
+importante découverte fut faite par Hipparque, d'après la différence de
+deux degrés qu'il aperçut entre ses longitudes d'étoiles et celles qui
+résultaient des observations d'Aristille et Timocharis un siècle et demi
+auparavant. La précision des observations modernes permet de vérifier ce
+fait général par des comparaisons beaucoup plus rapprochées, et même
+d'une année à l'autre. Ce phénomène équivaut évidemment à une
+rétrogradation des points équinoxiaux sur l'écliptique contre l'ordre
+des signes; d'où vient sa dénomination habituelle, à cause de
+l'avancement continuel d'environ vingt minutes, qui en résulte
+nécessairement chaque année pour l'époque des équinoxes.</p>
+
+<p>Cette précession des équinoxes ne pouvait être conçue, dans l'hypothèse
+de la terre immobile, qu'en faisant tourner l'univers tout d'une pièce
+autour des pôles de l'écliptique en vingt-cinq mille neuf cent vingt
+ans, en même temps qu'il tournait chaque jour, en sens contraire, autour
+des pôles de l'équateur. Aussi Ptolémée avait-il imaginé, à cet effet,
+un ciel de plus. Au lieu de cette complication inintelligible, il
+suffit, au contraire, en admettant le mouvement de la terre, d'altérer
+le parallélisme de son axe de rotation d'une quantité presque
+insensible; car, le phénomène sera complètement représenté, si l'on fait
+tourner lentement cet axe, pendant cette longue période, autour de celui
+de l'écliptique, en formant avec lui un angle constant.</p>
+
+<p>La différence des deux hypothèses à cet égard devient bien plus sensible
+encore en considérant le phénomène secondaire, désigné sous le nom de
+<i>nutation</i>, dont les anciens n'ont pu avoir aucune connaissance, à cause
+de son extrême petitesse, quoiqu'il ne soit qu'une sorte de
+différentiation de la précession des équinoxes, et qu'il se manifeste
+essentiellement de la même manière, pourvu que les observations soient
+faites avec toute la précision moderne. Ce phénomène remarquable, dont
+la période est de dix-huit ans environ, avait été indiqué par Newton
+d'après la théorie de la gravitation; mais il a été réellement constaté,
+pour la première fois, par Bradley. On le représente aisément, dans
+l'hypothèse copernicienne, en modifiant un peu le mouvement conique
+précédent de l'axe terrestre, qui correspond à la précession. Il faut
+alors concevoir que cet axe, au lieu d'occuper à chaque instant une des
+génératrices de ce cône, tourne autour d'elle en dix-huit ans, suivant
+un autre cône très petit, ayant pour base une ellipse, dont les deux
+demi-axes sont à peu près de neuf secondes et de six secondes. Ce
+phénomène obligerait évidemment, dans l'hypothèse de la terre en repos,
+à supposer à l'univers un troisième mouvement général, encore plus
+difficile à concilier que celui de la précession avec le mouvement
+fondamental.</p>
+
+<p>La considération de ces phénomènes du point de vue mécanique rend
+beaucoup plus frappant le contraste des deux systèmes à ce sujet. Car,
+ces légères altérations du parallélisme de l'axe terrestre sont, d'après
+la théorie de la gravitation, une simple conséquence nécessaire et
+évidente, comme je l'indiquerai plus tard, de l'action du soleil, et
+surtout de la lune, sur le renflement équatorial de notre globe, suivant
+le beau travail de D'Alembert, qui explique complètement, non-seulement
+la nature, mais encore la quantité exacte de ces deux perturbations.</p>
+
+<p>Voilà donc une première classe de phénomènes qui, sans être absolument
+inconciliables avec l'ancien système du monde, s'accordent infiniment
+mieux avec le mouvement de la terre, même en se bornant à les envisager
+sous le rapport géométrique, comme nous devons le faire
+actuellement<a id="footnotetag7" name="footnotetag7"></a>
+<a href="#footnote7"><sup class="sml">7</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote7"
+name="footnote7"><b>Note 7: </b></a><a href="#footnotetag7">
+(retour) </a> Craignant d'interrompre la série naturelle des
+ idées dans cette importante exposition, je n'ai pas cru
+ devoir mentionner l'application chronologique qu'on a voulu
+ faire quelquefois de la procession des équinoxes, d'après
+ l'indication de Newton à ça sujet, afin de remonter à des
+ époques très reculées, par les monumens de diverses sortes
+ qui retraçaient alors l'état du ciel, à raison de
+ soixante-douze ans pour chaque degré de différence dans la
+ position des points équinoxiaux. Quoique sans doute très
+ rationnelle en elle-même, cette application me semble
+ réellement dépourvue de toute utilité essentielle, à cause
+ de l'extrême imperfection nécessaire des observations
+ antiques, et de la grossière infidélité de leur expression
+ par les monumens considérés. Car, il résulterait
+ probablement de cette double cause, convenablement
+ appréciée, une incertitude chronologique très supérieure,
+ dans la plupart des cas, à celle que laissent les procédés
+ ordinaires de l'exploration historique. Cette méthode ne
+ deviendrait donc applicable, avec quelque précision, qu'à
+ partir de la naissance de la véritable astronomie chez les
+ Grecs; et, pour des temps si peu lointains, les autres
+ renseignemens suffisent déjà entièrement. Je ne pense pas
+ qu'on puisse citer aucune véritable découverte chronologique
+ qui soit effectivement due à ce procédé, depuis plus d'un
+ siècle qu'on s'en est occupé.
+</blockquote>
+
+<p>Cette évidente supériorité du système copernicien, est encore plus
+clairement prononcée à l'égard des nombreux phénomènes connus sous le
+nom de <i>rétrogradations et stations des planètes</i>, qui, dans l'hypothèse
+de la terre immobile, ne pouvaient être que vaguement expliqués à l'aide
+des suppositions les plus forcées et les plus arbitraires; tandis que
+toutes leurs diverses circonstances, même numériquement appréciées,
+résultent immédiatement, et de la manière la plus simple, du seul
+mouvement de notre planète.</p>
+
+<p>On a justement comparé ces phénomènes aux apparences que présente
+journellement un bateau, descendant une large rivière, à un observateur
+qui la descend aussi de son côté, sans avoir conscience de son
+mouvement; et d'où il résulte que le mouvement de ce bateau semble
+direct, stationnaire, ou rétrograde, selon que sa vitesse est
+supérieure, égale, ou inférieure à celle de l'observateur. Nous
+concevons en effet, que le mouvement de notre globe doit nous faire
+continuellement apercevoir chaque planète au point de son orbite où elle
+se trouverait en lui imprimant, en sens contraire, une vitesse égale à
+la nôtre. Cela posé, à partir du moment où la planète quelconque est le
+plus près de nous, afin que les deux mouvemens soient exactement dans le
+même sens, cette correction la fera évidemment paraître rétrograde
+pendant un temps plus ou moins long dépendant des vitesses et des
+distances relatives, jusqu'à ce que sa direction se trouve suffisamment
+changée, par la continuité de sa propre circulation, pour que son
+mouvement apparent redevienne direct, comme il l'est le plus souvent. Il
+est d'ailleurs évident que, suivant la règle ordinaire de tous les
+phénomènes qui changent de signe, il y aura, vers la fin et vers le
+renouvellement de la rétrogradation, un instant où la planète paraîtra
+sensiblement stationnaire dans le ciel. Toutes les parties du phénomène,
+l'époque et la durée de la rétrogradation, l'étendue de l'arc qu'elle
+embrasse et la position de ses points extrêmes, peuvent être exactement
+calculées d'après la distance de la planète au soleil et la durée de sa
+révolution, comparées au mouvement de la terre. On peut, dans ce cas,
+simplifier beaucoup le calcul, sans aucun inconvénient réel, en
+supposant tous les mouvemens circulaires et uniformes, et même dans le
+plan de l'écliptique. Les résultats doivent évidemment présenter de
+grandes différences, suivant les diverses planètes. Leur comparaison
+générale montre que la durée absolue de la rétrogradation augmente à
+mesure qu'on s'éloigne du soleil; mais que, relativement au temps
+périodique de la planète, elle diminue, au contraire, très rapidement et
+de plus en plus. Or, l'observation directe de ces phénomènes vérifie,
+d'une manière remarquable, toutes ces conséquences de la théorie du
+mouvement de la terre, même quant à leur valeur numérique.</p>
+
+<p>Ces apparences si simples n'avaient pu être expliquées, dans l'ancien
+système, qu'en faisant mouvoir chaque planète sur la circonférence d'un
+cercle idéal, dont le centre parcourait l'orbite effective. On conçoit
+que, ces deux mouvemens se trouvant être tantôt conformes et tantôt
+contraires, il était possible, en disposant convenablement du rayon
+arbitraire de cet épicycle et du temps fictif de la révolution
+correspondante, de représenter, jusqu'à un certain point, la
+rétrogradation et la station de chaque planète. Cette conception, qu'il
+faut juger comme subordonnée à l'ancien système, était sans doute fort
+ingénieuse. Mais, malgré toutes les ressources arbitraires qu'on s'y
+était ménagé, elle ne satisfaisait que d'une manière très vague aux
+phénomènes mêmes qui l'avaient provoquée, et elle était manifestement
+contraire à la véritable nature des orbites planétaires, comme nous le
+verrons dans la leçon suivante. Ainsi, indépendamment de son absurdité
+physique, elle ne pouvait évidemment soutenir à cet égard la moindre
+concurrence, avec la théorie de Copernic, qui a rendu ces phénomènes
+tellement simples et vulgaires, que les astronomes ne s'en occupent plus
+aujourd'hui. On n'avait pas même tenté d'y expliquer la circonstance la
+plus frappante que présentent les rétrogradations planétaires, leur
+coïncidence invariable avec l'époque de l'opposition, s'il s'agit d'une
+planète supérieure, ou de la conjonction inférieure, à l'égard des deux
+autres planètes, ce qui, au contraire, résulte, au premier coup d'oeil,
+de l'explication moderne.</p>
+
+<p>Le mouvement annuel de la terre pourrait donc être regardé comme
+suffisamment constaté par cette seconde classe de phénomènes, qui
+faisait en effet la principale force de l'argumentation des coperniciens
+avant Képler et Galilée. Néanmoins, comme elle peut à la rigueur se
+concilier, jusqu'à un certain point, avec l'ancien système du monde,
+quelque étrange et imparfaite qu'y soit son explication, l'astronomie
+moderne, dans l'admirable sévérité de sa méthode, ne proclame
+aujourd'hui, comme une vraie démonstration mathématique du mouvement de
+la terre, que celle qui résulte de l'analyse exacte des phénomènes si
+variés de l'aberration de la lumière, absolument incompatibles avec
+l'immobilité de notre globe, et si parfaitement déduits au contraire par
+le grand Bradley de la théorie copernicienne; quoique, d'ailleurs, cette
+théorie se trouvât déjà généralement admise par les astronomes, quand
+ces phénomènes furent découverts. Telle est la troisième considération
+fondamentale, qui me reste à indiquer ici, au sujet du mouvement de la
+terre.</p>
+
+<p>Il est préalablement indispensable d'examiner comment l'astronomie
+parvient à mesurer la vitesse avec laquelle la lumière se propage.</p>
+
+<p>Les distances terrestres sont beaucoup trop petites pour que le procédé
+qui permet d'estimer, par des observations directes, la durée de la
+propagation du son, puisse être jamais applicable à la lumière, dont le
+mouvement est tellement rapide qu'on ne saurait constater, quelques
+précautions qu'on ait prises, la moindre différence perceptible entre
+l'instant où la lumière est émise en un certain lieu et le moment où
+elle est vue d'un autre lieu aussi éloigné que possible, quoique les
+deux phénomènes ne soient pas sans doute exactement simultanés. Mais la
+grandeur des espaces intérieurs de notre système solaire comporte, au
+contraire, une évaluation très précise de cette vitesse. Toutefois, il
+semble au premier abord, que, quel que soit le temps employé par la
+lumière à nous venir des astres, il n'en doit résulter qu'un simple
+retard dans l'époque que nous assignons à chacune de leurs positions, ce
+qui n'exercerait aucune influence sur nos observations comparatives.
+C'est pourquoi ce temps ne peut être aperçu et mesuré qu'en considérant
+des phénomènes uniformes qui s'exécutent successivement à des distances
+de la terre extrêmement inégales, et qui, dès lors, présenteront pour
+cette seule cause des différences appréciables suivant les diverses
+situations. Tel est, en effet, le procédé imaginé par Roëmer, auteur de
+cette immortelle découverte, que lui fournit l'observation comparative
+des éclipses des satellites de Jupiter dans les situations opposées de
+cette planète à l'égard de la terre.</p>
+
+<p>Le premier satellite, par exemple, est éclipsé par Jupiter toutes les
+quarante-deux heures et demie. Supposons que les tables en aient été
+dressées pour la moyenne distance de Jupiter à la terre, qui a lieu
+lorsque Jupiter nous semble à quatre-vingt-dix degrés environ du soleil.
+En comparant à cette situation moyenne l'époque de l'opposition et celle
+de la conjonction, il est clair que l'apparition de l'éclipse aura lieu
+plus tôt dans le premier cas, et plus tard dans le second, à cause du
+chemin moindre ou plus grand que la lumière devra parcourir. La
+confrontation des deux cas extrêmes détermine le temps très sensible
+employé par la lumière à décrire le diamètre de l'orbite terrestre, et
+il en est résulté qu'elle nous vient du soleil en huit minutes environ.
+L'observation des autres satellites, et, plus tard, celle des satellites
+de Saturne et même d'Uranus, ont fourni à cet égard de nombreux moyens
+de vérification, qui, d'ailleurs, ont constaté l'exacte uniformité du
+mouvement de la lumière, du moins entre les limites de notre monde.</p>
+
+<p>D'après cette importante détermination préliminaire, il devient aisé de
+concevoir comment le mouvement de la terre produit les phénomènes de
+l'aberration de la lumière dans les étoiles et dans les planètes.</p>
+
+<p>Quoique la lumière emploie certainement plusieurs années à nous
+parvenir, même des étoiles les plus voisines, il n'en peut évidemment
+résulter, si la terre est immobile, qu'une simple erreur d'époque, et
+jamais aucune erreur de lieu. Au contraire, notre mouvement doit
+nécessairement altérer un peu la direction suivant laquelle nous
+apercevons l'astre, et qui s'obtient alors en composant, d'après la
+règle ordinaire du parallélogramme des mouvemens, la vitesse de la
+lumière avec celle de la terre. Comme la première est environ dix mille
+fois supérieure à la seconde, cette déviation ne peut être, à son
+<i>maximum</i> (qui a lieu lorsque les deux mouvemens sont rectangulaires),
+que de vingt secondes, tantôt en un sens, tantôt dans l'autre; d'où
+résulte au plus une variation de quarante secondes dans les positions
+des étoiles pendant tout le cours de l'année. Il fallait donc toute la
+précision des observations modernes pour parvenir à la constater avec
+une entière certitude, quoique plusieurs astronomes aient semblé
+l'entrevoir un peu avant Bradley, sans pouvoir d'ailleurs se l'expliquer
+en aucune manière.</p>
+
+<p>La loi fondamentale de cette déviation ne laisse évidemment rien
+d'arbitraire. L'aberration a toujours lieu dans le plan qui passe à
+chaque instant par la direction variable et exactement connue du
+mouvement de la terre, et par le rayon visuel mené à l'étoile, qui peut
+être regardé, d'après la leçon précédente, comme sensiblement parallèle,
+en tous temps, à la droite que déterminent la longitude et la latitude
+de cet astre. L'angle formé par ces deux droites règle tous les
+changemens que ce phénomène doit présenter. Tout est donc mathématique
+ici, et peut être confronté, sans la moindre équivoque, à l'observation
+directe, après avoir, pour plus de facilité, déduit de l'aberration
+primitive les variations qu'elle entraîne dans l'ascension droite et la
+déclinaison, préalablement corrigées de la précession.</p>
+
+<p>En considérant la marche générale du phénomène, on peut envisager
+l'ensemble des rayons visuels menés à l'étoile dans toutes les positions
+de la terre, comme formant un cylindre plus ou moins oblique, dont la
+base est le cercle de l'écliptique. Le plus grand angle que la
+génératrice de ce cylindre puisse former avec la tangente de la base,
+et qui détermine la plus grande aberration, a lieu dans les deux points
+diamétralement opposés où son plan est perpendiculaire à l'écliptique:
+l'angle est au contraire le plus éloigné possible d'être droit, d'où
+résulte le <i>minimum</i> d'aberration, dans les deux points de l'écliptique
+situés à quatre-vingt-dix degrés des précédens. Le développement total
+du phénomène, pendant le cours de l'année, doit donc présenter quatre
+phases principales, deux <i>maxima</i> et deux <i>minima</i>, tantôt dans un sens,
+tantôt dans l'autre, suivant les directions opposées de la terre aux
+deux moitiés de sa route. Cette marche caractéristique de l'aberration,
+et surtout la périodicité si frappante de l'ensemble des phénomènes
+après chaque année révolue, ont été pour Bradley les premiers symptômes
+qui l'aient naturellement conduit à en chercher la vraie théorie dans la
+combinaison du mouvement de la terre avec le mouvement de la lumière.</p>
+
+<p>L'aberration doit, évidemment, présenter des différences très
+considérables suivant les diverses étoiles. Ce qui vient d'être indiqué
+sur sa marche générale, correspond essentiellement au cas le plus
+ordinaire d'une étoile plus ou moins écartée de l'écliptique. Mais, si
+l'on envisage les deux cas extrêmes, il est d'abord évident que, pour
+une étoile située au pôle de l'écliptique, le cylindre précédent
+deviendra droit, et, par conséquent, l'aberration fondamentale aura
+toujours la même valeur, égale à son <i>maximum</i> de vingt secondes, et
+sera seulement tantôt d'un côté, tantôt de l'autre. Quant au contraire,
+à une étoile située exactement dans le plan de l'écliptique, les
+variations seront plus prononcées qu'en aucun autre cas; puisque, notre
+cylindre se réduisant alors à un plan, l'aberration pourra être nulle à
+deux époques opposées de l'année, tandis que, à trois mois de chacune
+d'elles, elle atteindra toute sa valeur. Voilà donc une nouvelle source
+de vérifications très sensibles pour la théorie générale de
+l'aberration.</p>
+
+<p>Enfin, l'observation des planètes doit nécessairement être affectée
+aussi d'une erreur de lieu semblable à l'aberration des étoiles.
+Seulement, la loi fondamentale en est plus compliquée; car, au lieu du
+simple parallélogramme des mouvemens, il faut considérer alors le
+parallélépipède destiné à composer les trois vitesses de la lumière, de
+la terre, et de la planète; ce qui produit des formules plus
+embarrassantes; mais d'ailleurs entièrement analogues. Cette nouvelle
+aberration est susceptible d'un troisième genre de changement, dû aux
+vitesses fort inégales des diverses planètes, indépendamment de celles
+qui correspondent aux directions continuellement variables de la terre
+et de la planète. Il en résulte des différences plus étendues entre les
+valeurs extrêmes du phénomène, ainsi qu'une moindre régularité dans ses
+phases principales, quoique tout continue évidemment à pouvoir être
+calculé <i>à priori</i> avec exactitude.</p>
+
+<p>Tel est, dans son ensemble, l'esprit du beau travail de Bradley, qu'on
+peut considérer comme présentant, après la grande suite de recherches de
+Képler, la plus haute manifestation de génie astronomique qui ait jamais
+été produite jusqu'ici: une nouvelle classe de phénomènes très délicats
+et très variés, ramenée mathématiquement tout entière, et jusque dans
+ses moindres détails numériques, à un seul principe éminemment simple et
+lucide. Le merveilleux accord de cette théorie avec les observations
+directes les plus précises, diversifiées de mille manières, nous offre
+donc enfin une démonstration complètement irrécusable de la réalité du
+mouvement annuel de la terre, sans lequel aucun de ces nombreux
+phénomènes ne saurait évidemment avoir lieu.</p>
+
+<p>La vitesse due à la rotation quotidienne de notre globe doit aussi,
+d'après le même principe fondamental, produire une certaine aberration
+diurne, présentant, comme l'aberration annuelle, quatre phases
+principales et analogues, séparées par des intervalles de six heures, et
+susceptible, en outre, d'un nouvel ordre de variations, suivant les
+latitudes des divers observatoires. Mais nos observations ne deviendront
+peut-être jamais assez précises pour procurer à notre intelligence la
+vive satisfaction de trouver, dans un même ordre de phénomènes, une
+démonstration mathématique de la rotation de notre planète aussi bien
+que de sa translation. En effet, la vitesse qui résulte de la rotation
+de la terre étant plus de soixante fois moindre, même à l'équateur, que
+celle due à la translation, le <i>maximum</i> de cette aberration diurne est
+un peu au-dessous de un tiers de seconde, et par conséquent
+inappréciable jusqu'ici. Il en serait, à bien plus forte raison, de même
+pour les plus grandes vitesses artificielles que nous puissions nous
+imprimer, et qui ne sauraient produire aucune aberration perceptible
+dans les objets fixes vers lesquels nous dirigerions nos regards pendant
+ces mouvemens.</p>
+
+<p>Il ne faut pas négliger de noter, au sujet de la théorie de
+l'aberration, que tous les calculs y étant fondés sur l'uniformité du
+mouvement de la lumière, leur exacte harmonie avec l'observation
+immédiate a étendu, aux plus grands espaces imaginables, la preuve de
+cette uniformité, constatée seulement jusque alors dans l'intérieur de
+notre monde par le travail de Roëmer. En même temps, on a ainsi reconnu
+que la vitesse de la lumière est la même pour toutes les étoiles, ou, du
+moins, que les différences ne peuvent point s'élever à un vingtième de
+la valeur moyenne.</p>
+
+<p>Enfin, il est évident que la connaissance de l'aberration a nécessité
+désormais, dans toutes les observations astronomiques, une nouvelle
+correction fondamentale, à joindre à celles de la réfraction et de la
+parallaxe, avant de pouvoir les employer à des déterminations qui
+exigent toute la précision possible. Il en est de même à l'égard de la
+précession et de la nutation. Ces trois nouvelles corrections générales
+peuvent se faire par des formules trigonométriques essentiellement
+analogues à celles déjà usitées pour la réfraction et la parallaxe, sauf
+le changement des coefficiens. On conçoit que, par l'ensemble de ces
+opérations, le simple dépouillement d'une observation brute, faite avec
+les meilleurs instrumens, soit devenu, pour les modernes, une opération
+délicate et pénible.</p>
+
+<p>Telles sont, en aperçu, les diverses considérations essentielles dont
+l'influence combinée a graduellement conduit l'homme à reconnaître
+enfin, de la manière la plus irrésistible, le double mouvement effectif
+de la planète qu'il habite. Aucune révolution intellectuelle ne fait
+autant d'honneur à la rectitude naturelle de l'esprit humain, et ne
+montre aussi bien l'action prépondérante des démonstrations positives
+sur nos opinions définitives, car aucune n'a eu à surmonter un tel
+ensemble d'obstacles fondamentaux. Un très petit nombre de philosophes
+isolés, sans autre supériorité sociale que celle qui dérive du génie
+positif et de la science réelle, a suffi pour détruire, en moins de deux
+siècles, chez tous les hommes civilisés, une doctrine aussi ancienne que
+notre intelligence, directement établie sur les apparences les plus
+fortes et les plus vulgaires, intimement liée au système entier des
+opinions dirigeantes, et, par suite, aux intérêts généraux des plus
+grands pouvoirs existans, et à laquelle, enfin, l'orgueil humain prêtait
+même un appui instinctif, dans le secret de chaque conscience
+individuelle.</p>
+
+<p>Ce n'est pas ici le lieu d'analyser l'influence nécessaire qu'une
+innovation aussi radicale a effectivement exercée et doit exercer de
+plus en plus sur l'ensemble des idées humaines. Cet examen appartient
+spécialement à la dernière partie de cet ouvrage, destinée, comme on
+sait, à étudier les lois naturelles de notre développement social. Mais
+il convient d'indiquer ici, d'une manière générale, l'opposition directe
+et inévitable que présente la connaissance du mouvement de la terre avec
+tout le système des croyances théologiques. Ce système, en effet, repose
+évidemment sur la notion de l'ensemble de l'univers essentiellement
+ordonné pour l'homme; ce qui doit paraître absurde, même aux esprits les
+plus ordinaires, quand il est enfin constaté que la terre n'est point le
+centre des mouvemens célestes, qu'on n'y peut voir qu'un astre
+subalterne, circulant à son rang et en son temps, autour du soleil,
+entre Vénus et Mars, dont les habitans auraient tout autant de motifs de
+s'attribuer le monopole d'un monde qui est lui-même presque
+imperceptible dans l'univers. Les demi-philosophes qui ont voulu
+maintenir la doctrine des causes finales et des lois providentielles, en
+s'écartant des notions vulgaires admises de tout temps sur la nature de
+leur destination, sont tombés, ce me semble, dans une grave
+inconséquence fondamentale. Car, après avoir ôté la considération, au
+moins claire et sensible, du plus grand avantage de l'homme, je défie
+qu'on puisse assigner aucun but intelligible à l'action providentielle.
+L'admission du mouvement de la terre, en faisant rejeter cette
+destination humaine de l'univers, a donc tendu nécessairement à saper
+par sa base tout l'édifice théologique. On s'explique aisément ainsi la
+répugnance instinctive des esprits vraiment religieux contre cette
+grande découverte, et l'acharnement opiniâtre du pouvoir sacerdotal
+contre son plus illustre promoteur.</p>
+
+<p>La philosophie positive n'a jamais détruit une doctrine quelconque, sans
+lui substituer immédiatement une conception nouvelle, capable de
+satisfaire encore plus complètement aux besoins fondamentaux et
+permanens de la nature humaine, comme j'aurai tant d'occasions de le
+constater dans le quatrième volume de cet ouvrage. Ainsi, la vanité de
+l'homme a dû être, sans doute, profondément humiliée, quand la
+connaissance du mouvement de la terre est venue dissiper les illusions
+puériles qu'il s'était faites sur son importance prépondérante dans
+l'univers. Mais, en même temps, le seul fait de cette découverte ne
+tendait-il point nécessairement à lui donner un sentiment plus élevé de
+sa vraie dignité intellectuelle, en lui faisant apprécier toute la
+portée de ses moyens réels convenablement employés, par l'immense
+difficulté que notre position, dans le monde dont nous faisons partie,
+opposait à l'acquisition exacte et certaine d'une telle vérité? Laplace
+a justement signalé cette considération philosophique. À l'idée
+fantastique et énervante d'un univers arrangé pour l'homme, nous
+substituons la conception réelle et vivifiante de l'homme découvrant,
+par un exercice positif de son intelligence, les vraies lois générales
+du monde, afin de parvenir à le modifier à son avantage entre certaines
+limites, par un emploi bien combiné de son activité, malgré les
+obstacles de sa condition? Laquelle est, au fond, la plus honorable pour
+la nature humaine, parvenue à un certain degré de développement social?
+Laquelle est le mieux en harmonie avec nos plus nobles penchans?
+Laquelle enfin tend à stimuler avec plus d'énergie notre intelligence et
+notre activité? Si l'univers était réellement disposé pour l'homme, il
+serait puéril à lui de s'en faire un mérite, puisqu'il n'y aurait
+nullement contribué, et qu'il ne lui resterait qu'à jouir, avec une
+inertie stupide, des faveurs de sa destinée; tandis qu'il peut, au
+contraire, dans sa véritable condition, se glorifier justement des
+avantages qu'il parvient à se procurer en résultat des connaissances
+qu'il a fini par acquérir, tout ici étant essentiellement son
+ouvrage<a id="footnotetag8" name="footnotetag8"></a>
+<a href="#footnote8"><sup class="sml">8</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote8"
+name="footnote8"><b>Note 8: </b></a><a href="#footnotetag8">
+(retour) </a> Vauvenargues a dit avec une profonde raison:
+ «Le monde est ce qu'il doit être pour un être actif,
+ c'est-à-dire fertile en obstacles.»
+</blockquote>
+
+<p>Une dernière conséquence philosophique, très imparfaitement appréciée
+jusqu'ici, et qui me semble fort importante, résulte nécessairement de
+la doctrine du mouvement de la terre. C'est la distinction, désormais
+profondément tranchée, entre l'idée d'<i>univers</i> et celle de <i>monde</i>,
+trop souvent encore prises l'une pour l'autre. On n'a point reconnu
+jusqu'à présent que la notion d'univers, c'est-à-dire la considération
+de l'ensemble des grands corps existans comme formant un système unique,
+était essentiellement fondée sur l'opinion primitive à l'égard de
+l'immobilité de la terre. Dans cette manière de voir, tous les astres
+constituaient, en effet, malgré leurs caractères propres et la diversité
+de leurs mouvemens, un véritable système général, ayant la terre pour
+centre évident. Au contraire, la connaissance du mouvement de notre
+globe, transportant subitement toutes les étoiles à des distances
+infiniment plus considérables que les plus grands intervalles
+planétaires, n'a plus laissé, dans notre pensée, de place à l'idée
+réelle et sensible de <i>système</i> qu'à l'égard du très petit groupe dont
+nous faisons partie autour du soleil. Dès lors, la notion de <i>monde</i>
+s'est introduite comme claire et usuelle; et celle d'<i>univers</i> est
+devenue essentiellement incertaine et même à peu près inintelligible.
+Car, nous ignorons complétement aujourd'hui, et nous ne saurons
+probablement jamais avec une véritable certitude, si les innombrables
+soleils que nous apercevons composent finalement, en effet, un système
+unique et général, ou, au contraire, un nombre, peut-être fort grand, de
+systèmes partiels, entièrement indépendans les uns des autres. L'idée
+d'univers se trouve donc ainsi essentiellement exclue de la philosophie
+vraiment positive, et l'idée de monde devient la pensée la plus étendue
+qu'il nous soit permis de poursuivre habituellement avec fruit; ce qui
+doit être regardé comme un véritable progrès, cette pensée ayant
+l'avantage d'être, par sa nature, exactement circonscrite, tandis que
+l'autre est, de toute nécessité, vague et indéfinie; comme je l'ai
+remarqué au commencement de ce volume. Cette restriction de nos
+conceptions générales usuelles est d'autant plus rationnelle que nous
+avons acquis, par l'expérience la plus étendue et la plus décisive, la
+conviction de l'indépendance fondamentale des phénomènes intérieurs de
+notre monde, les seuls dont la connaissance nous soit indispensable, à
+l'égard des phénomènes vraiment universels, puisque, comme je l'ai déjà
+signalé, les tables astronomiques de l'état de notre système solaire,
+dressées sans avoir aucun égard à l'action des autres soleils,
+coïncident journellement avec les observations directes les plus
+minutieuses.</p>
+
+<p>La théorie du mouvement de la terre n'a point encore certainement
+exercé, dans notre manière de voir habituelle, toute son influence
+nécessaire, surtout au sujet de cette distinction fondamentale, qui en
+est néanmoins une conséquence immédiate et évidente. Cela tient, sans
+doute, à l'extrême imperfection de notre système d'éducation, qui ne
+permet, même aux plus éminens esprits, d'être initiés à ces hautes
+pensées philosophiques, que lorsque tout l'ensemble de leurs idées a
+déjà reçu la profonde empreinte habituelle d'une doctrine absolument
+opposée: en sorte que les connaissances positives qu'ils parviennent à
+acquérir, au lieu de dominer et de diriger leur intelligence, ne servent
+ordinairement qu'à modifier et à contenir la tendance vicieuse qu'on a
+d'abord développée en elle.</p>
+
+<a name="l23" id="l23"></a>
+<br><hr class="full"><br>
+
+<h3>VINGT-TROISIÈME LEÇON.</h3>
+
+<br><hr class="short"><br>
+
+<p class="sml">Considérations générales sur les lois de Képler, et sur leur
+application à la théorie géométrique des mouvemens célestes.</p>
+
+<p>La connaissance du mouvement de la terre nous conduit naturellement à
+nous transporter au point de vue solaire, puisqu'il devient dès lors
+nécessaire, et en même temps possible, de ramener nos observations
+immédiates à celles qui seraient faites du centre du soleil, désormais
+reconnu comme le vrai centre immobile de tous les mouvemens intérieurs
+de notre monde, seul objet essentiel de nos études astronomiques. Cette
+transformation, justement nommée <i>parallaxe annuelle</i>, suit, en effet,
+les mêmes règles que la parallaxe ordinaire ou diurne, examinée dans la
+vingtième leçon: elle est seulement beaucoup plus grande, la distance de
+la terre au soleil y remplaçant le rayon de la terre; ce qui n'a
+d'influence que sur les coefficiens des formules trigonométriques déjà
+usitées dans le premier cas. À la vérité, le changement qu'éprouve,
+pendant le cours de l'année, la distance de la terre au soleil, tend à
+introduire, entre ces deux réductions, une différence essentielle. Mais,
+cette variation, dont la plus grande valeur n'est que d'un trentième,
+peut, d'abord, être entièrement négligée, sans aucun inconvénient réel,
+dans une première étude des mouvemens célestes: et la découverte des
+lois géométriques de ces mouvemens permet, ensuite, d'en tenir compte
+avec exactitude, dans les cas qui l'exigent.</p>
+
+<p>C'est ainsi que les astronomes convertissent habituellement toutes leurs
+observations géocentriques en observations héliocentriques. À l'égard
+des étoiles, nous savons déjà, par l'avant-dernière leçon, que cette
+transformation, quelque considérable qu'elle doive paraître, est
+toujours entièrement insensible jusqu'ici: en sorte que, dans
+l'observation de tous les astres extérieurs à notre monde, il est
+parfaitement indifférent que le spectateur soit placé sur la terre, ou
+sur le soleil, ou sur une planète quelconque. Mais, pour l'intérieur de
+notre système, la parallaxe annuelle doit, évidemment, avoir une valeur
+très sensible, quelquefois extrêmement grande, et dont il est
+indispensable de tenir compte, même envers les planètes les plus
+lointaines.</p>
+
+<p>D'après cette transformation fondamentale, nous pouvons maintenant
+poursuivre et terminer l'étude géométrique des mouvemens planétaires,
+déjà ébauchée, à la fin de l'avant-dernière leçon, quant à leurs
+périodes et aux plans dans lesquels ils s'exécutent, et au sujet de
+laquelle nous avions dû réserver la partie la plus importante et la plus
+difficile, la détermination exacte de la vraie figure des orbites et de
+la manière dont elles sont parcourues. Ces connaissances essentielles
+une fois acquises, nous pourrons enfin nettement comprendre comment
+l'astronomie atteint son véritable but définitif, la prévision exacte et
+rationnelle de l'état de notre système à une époque quelconque donnée.
+Tel est l'objet de la leçon actuelle.</p>
+
+<p>Dans la première enfance de l'astronomie mathématique, on a dû
+naturellement regarder les mouvemens des planètes comme exactement
+uniformes et circulaires. Quoique cette supposition fût, sans doute,
+appuyée, si ce n'est inspirée, par des considérations métaphysiques et
+même théologiques sur la perfection de ce genre de mouvemens, convenable
+à la nature divine des astres, comme les écrits des anciens nous en
+offrent d'incontestables témoignages, elle n'en était pas moins alors
+profondément rationnelle. Car, il était indispensable de former à cet
+égard une hypothèse quelconque pour parvenir graduellement, en la
+comparant de plus en plus aux observations, à la vraie connaissance des
+mouvemens célestes, qui n'était point susceptible d'être jamais obtenue
+d'une manière directe. Or, on ne pouvait, évidemment, adopter une
+hypothèse plus simple qui, représentant à peu près l'ensemble des
+premières observations, fût plus aisément susceptible de leur être,
+ensuite, extrêmement confrontée par la géométrie alors naissante. Telle
+est la valeur réelle de cette hypothèse fondamentale, qui a d'abord
+constitué la science astronomique, que nous l'employons encore
+aujourd'hui, quand nous voulons nous contenter d'une première
+approximation, toutes les fois, par exemple, que nous ébauchons la
+théorie d'un nouvel astre.</p>
+
+<p>Mais, par les progrès mêmes que permettait l'usage d'une telle
+hypothèse, on ne dut pas tarder à reconnaître que les planètes ne
+demeurent point à des distances invariables du centre de leurs
+mouvemens, et que leurs vitesses autour de lui ne sont pas constantes.
+Cette remarque générale dut être surtout hâtée par l'obligation qu'on
+s'était imposée de placer ce centre sur la terre; car, si l'on eût
+rapporté les mouvemens au soleil, ces irrégularités eussent été beaucoup
+moins prononcées, et, par conséquent, bien plus tard constatées. Dès
+lors, les astronomes grecs imaginèrent, pour représenter les phénomènes,
+de modifier leur hypothèse fondamentale par deux conceptions
+principales, dont chacune isolément permettait d'expliquer, jusqu'à un
+certain point, les irrégularités observées, et qui, surtout, combinées,
+pouvaient long-temps suffire à cette interprétation, tant que les
+progrès de la géométrie abstraite ne comportaient pas une confrontation
+mathématique entièrement rigoureuse. Ces deux hypothèses secondaires
+sont connues sous les noms d'excentrique, et d'épicycle. La première
+consiste à placer l'astre central à une certaine distance du centre
+géométrique des mouvemens circulaires et uniformes; ce qui suffit pour
+faire varier les rayons vecteurs ainsi que les vitesses angulaires,
+d'une manière à peu près conforme aux observations, tant que celles-ci
+n'ont pas atteint un certain degré de précision, et que, en même temps,
+la théorie du cercle n'a point fait exactement connaître la relation
+propre de ses coordonnées polaires. Dans la seconde conception, déjà
+indiquée par la leçon précédente, l'astre est supposé décrire
+immédiatement avec une vitesse constante la circonférence d'un petit
+cercle auxiliaire, dont le centre parcourt uniformément l'orbite
+primitive; d'où résulte une certaine variation nécessaire dans les
+mouvemens rapportés à l'astre central, même sans le déplacer du centre
+du cercle principal. Cette seconde hypothèse fournit plus de ressources
+que la première, puisqu'elle dispose de deux quantités arbitraires, au
+lieu de la seule excentricité. Elle est, d'ailleurs, beaucoup plus
+féconde; car, rien n'empêche, à chaque nouvelle découverte d'un défaut
+d'harmonie avec les observations, de créer un nouvel épicycle, comme
+l'ont fait effectivement, et au degré le plus abusif, les astronomes du
+moyen âge. Enfin, les deux hypothèses peuvent, évidemment, être réunies.</p>
+
+<p>À partir de l'époque où l'usage régulier de ces deux conceptions fut
+devenu dominant, il n'est pas douteux, ce me semble, que la philosophie
+métaphysique, à laquelle se rattachait l'hypothèse fondamentale, ait
+considérablement retardé les progrès de la science astronomique. Sans
+les mystiques chimères de cette philosophie sur la convenance absolue du
+mouvement circulaire et uniforme à l'égard des astres, on eût
+certainement tenté beaucoup plus tôt de sortir d'une hypothèse qui,
+n'ayant, à l'origine, d'autre mérite réel que celui de sa simplicité
+primitive, avait fini par présenter une complication presque
+inextricable, par la multiplication graduelle des épicycles successifs.
+Les inconvéniens de cette complication étaient déjà vivement sentis par
+tous les astronomes lors de la composition des tables pruténiques, et
+même à l'époque des tables alphonsines, comme l'indique clairement le
+mot célèbre et énergique du roi Alphonse. Néanmoins, l'influence
+prépondérante des préjugés métaphysiques prolongea l'emploi de cette
+théorie, jusqu'à ce qu'il fût devenu réellement impossible de la suivre
+davantage, lorsque, vers la fin du seizième siècle, le nombre total des
+cercles employés à l'explication des mouvemens célestes s'éleva jusqu'à
+74, pour les sept astres considérés alors; tandis que, en même temps,
+les progrès importans que Tycho introduisit dans toutes les observations
+astronomiques ne permirent plus de représenter suffisamment ainsi les
+mouvemens planétaires effectifs, malgré la multitude de quantités
+arbitraires dont les astronomes pouvaient disposer d'après un tel
+système. C'est ainsi que, même dans les sciences, les hommes ne se
+déterminent à changer radicalement leurs institutions primitives
+(surtout quand elles n'ont pas été rationnellement établies), que
+lorsqu'elles ont enfin complètement cessé de remplir l'office auquel
+elles étaient destinées, et après que les nombreuses modifications dont
+on les avait, à cet effet, successivement surchargées, sont évidemment
+devenues impuissantes.</p>
+
+<p>Tel était l'état de l'astronomie avant le grand rénovateur Képler, qui,
+le premier après vingt siècles, osa reprendre, de fond en comble, le
+problème général des mouvemens planétaires, en regardant tous les
+travaux antérieurs comme non-avenus, et n'adoptant d'autre base
+générale que le système complet d'observations exactes auquel la vie de
+son illustre précurseur, Tycho-Brahé, venait d'être si noblement
+dévouée. Malgré la hardiesse naturelle de son génie, ses écrits nous
+montrent, dans leur admirable naïveté, combien il avait besoin d'exciter
+son enthousiasme pour soutenir l'exécution d'une entreprise aussi
+audacieuse et aussi difficile, quoique si éminemment rationnelle.</p>
+
+<p>Le choix que fit Képler de la planète Mars, pour son système de
+recherches astronomiques, était extrêmement heureux, à cause de
+l'excentricité plus prononcée de cette planète, qui devait rendre plus
+facile à saisir la vraie loi des inégalités. Mercure, à la vérité, est
+encore plus excentrique; mais la difficulté de l'observer d'une manière
+assez suivie, ne permettait pas de l'employer.</p>
+
+<p>Il s'agit donc maintenant de considérer directement les trois grandes
+lois fondamentales, découvertes par Képler au sujet de Mars, et qu'il
+étendit ensuite à tous les autres mouvemens intérieurs de notre système.
+L'ordre suivant lequel on les dispose habituellement aujourd'hui n'est
+point indifférent: c'est celui dans lequel elles servent à fonder la
+mécanique céleste, comme le montrera la leçon prochaine. Sous le point
+de vue purement géométrique, les deux premières suffisent pour
+déterminer complètement le mouvement propre à chaque planète, l'une en
+réglant sa vitesse à chaque instant, l'autre en fixant la figure de
+l'orbite. La troisième loi est destinée à établir une harmonie
+fondamentale entre tous les divers mouvemens planétaires.</p>
+
+<p><i>Première loi.</i> On avait depuis long-temps remarqué que la vitesse
+angulaire de chaque planète, c'est-à-dire, l'angle plus ou moins grand
+décrit, en un temps donné, par son rayon vecteur, augmente constamment à
+mesure que l'astre s'approche davantage du centre de son mouvement: mais
+on ignorait entièrement la relation exacte entre les distances et les
+vitesses. Képler la découvrit, en comparant les deux cas extrêmes du
+<i>maximum</i> et du <i>minimum</i> de ces quantités, où leur vraie liaison devait
+être, en effet, plus sensible. Il reconnut ainsi que les vitesses
+angulaires de Mars, à son périhélie et à son aphélie, sont inversement
+proportionnelles aux quarrés des distances correspondantes. Cette loi,
+saisie par son génie dans le simple rapprochement de deux seules
+observations, fut ensuite vérifiée pour toutes les positions
+intermédiaires de Mars, et, plus tard, étendue à toutes les autres
+planètes. Son exactitude a été constatée depuis par l'expérience
+habituelle de tous les astronomes. Elle est ordinairement présentée
+sous une autre forme géométrique, imaginée par Képler lui-même. Au lieu
+de dire que la vitesse angulaire d'une planète quelconque est, à chaque
+point de son orbite, en raison inverse du quarré de la distance au
+soleil, on préfère exprimer, plus simplement, que l'aire tracée, en un
+temps donné et très court, chaque jour par exemple, par le rayon vecteur
+de la planète, est d'une grandeur constante, quoique sa forme soit
+variable: ou, en d'autres termes, que les aires décrites croissent
+proportionnellement aux temps écoulés. Cet énoncé n'est évidemment
+qu'une heureuse transformation géométrique de l'énoncé primitif. Car, en
+choisissant un temps assez court pour que le mouvement de l'astre puisse
+être envisagé comme momentanément circulaire autour du soleil, il est
+clair que l'aire qu'engendre le rayon vecteur est proportionnelle au
+produit de la vitesse angulaire par le quarré de la distance; et
+qu'ainsi la réciprocité des deux facteurs équivaut à l'invariabilité du
+produit.</p>
+
+<p>En détruisant radicalement la prétendue uniformité des mouvemens
+célestes, Képler a donc satisfait aux besoins fondamentaux de l'esprit
+humain en la remplaçant par une analogie du même ordre et plus réelle:
+la constance n'a plus été dans les arcs décrits, mais dans les aires
+tracées. On a même judicieusement remarqué à ce sujet que cette loi
+nouvelle, quoique moins simple en apparence, était, au fond, beaucoup
+plus favorable pour faciliter la solution effective du problème
+géométrique des planètes. Car, avec la vraie figure des orbites
+planétaires, et même en conservant des cercles excentriques, l'égalité
+des arcs eût, en réalité, bien moins simplifié le travail que ne l'a
+fait l'égalité des aires.</p>
+
+<p><i>Seconde loi.</i> La véritable nature des orbites était peut-être moins
+difficile à découvrir. Car, il suffit essentiellement, à un homme tel
+que Képler, d'avoir enfin bien senti, d'une manière franche et complète,
+la nécessité d'abandonner irrévocablement les mouvemens circulaires, ce
+à quoi l'on conçoit d'ailleurs aisément qu'il n'a pu parvenir tout d'un
+coup. C'est là qu'on peut apercevoir clairement la funeste influence des
+préjugés métaphysiques pour entraver la marche de Képler, en le faisant
+si souvent hésiter, dans ses diverses tentatives, à renoncer
+définitivement au mouvement circulaire. Mais, cette condition préalable
+une fois remplie, il était fort naturel d'essayer l'ellipse, la plus
+simple de toutes les courbes fermées après le cercle, qui n'en est
+qu'une modification.</p>
+
+<p>La théorie abstraite de cette courbe avait été heureusement poussée
+assez loin par les géomètres grecs pour qu'il devînt possible de la
+reconnaître avec certitude dans les orbites planétaires. Il ne pouvait y
+avoir une longue hésitation sur la place que le soleil devait occuper.
+Car, on ne pouvait, évidemment, lui assigner que deux positions
+remarquables, ou le centre, ou l'un des deux foyers. Or, une réflexion
+générale sur les mouvemens célestes excluait immédiatement le centre,
+sans avoir besoin d'aucun travail mathématique. Car, dans cette
+hypothèse, l'orbite présenterait deux périhélies diamétralement opposés,
+ainsi que deux aphélies; et chaque périhélie serait à quatre-vingt-dix
+degrés seulement, au lieu de cent quatre-vingt degrés, de chaque
+aphélie, ce qui est trop manifestement contraire à l'ensemble des
+observations, même les plus grossières, pour pouvoir être un seul
+instant supposé. Voilà comment Képler, en adoptant les orbites
+elliptiques, fut nécessairement conduit à placer le soleil au foyer,
+pour toutes les planètes à la fois. Quand son hypothèse eut été ainsi
+bien formée, il devint aisé d'en constater la justesse, en la comparant
+aux observations, par des calculs dont tous les principes étaient posés
+d'avance.</p>
+
+<p>Telle est donc la seconde loi de Képler: les orbites planétaires
+elliptiques, ayant le soleil pour foyer commun. Les excentricités sont
+toujours fort petites pour les planètes proprement dites, excepté à
+l'égard de deux des quatre planètes télescopiques, dans lesquelles la
+distance des foyers s'élève jusqu'à un quart du grand axe. Cette belle
+loi fut long-temps méconnue par la plupart des astronomes, même de ceux
+qui sentaient vivement la nécessité d'abandonner les mouvemens
+circulaires, et qui faisaient, à cet effet, dans une autre direction que
+Képler, d'infructueuses tentatives. Dominique Cassini lui-même, plus
+d'un demi-siècle après, eut la malheureuse idée de remplacer l'ellipse
+de Képler par une courbe du quatrième degré, grossièrement semblable, en
+certains cas, à l'ellipse, et dans laquelle le produit des distances aux
+deux foyers, au lieu de leur somme, reste invariable<a id="footnotetag9" name="footnotetag9"></a>
+<a href="#footnote9"><sup class="sml">9</sup></a>. Mais,
+l'expérience journalière de tous les astronomes a démontré depuis
+combien était exacte la découverte de Képler, qui d'ailleurs, avait déjà
+donné à cet égard les preuves les plus irrécusables, en construisant,
+d'après ses deux premières lois, les célèbres tables rudolphines, qui
+représentaient l'ensemble des observations avec bien plus de précision
+que toutes les tables antérieures.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote9"
+name="footnote9"><b>Note 9: </b></a><a href="#footnotetag9">
+(retour) </a> Le nom bizarre de <i>cassinoïde</i>, donne à cette
+ courbe par quelques écrivains, a tendu à éterniser le
+ souvenir de l'erreur fondamentale de ce célèbre astronome.
+</blockquote>
+
+<p><i>Troisième loi.</i> Les deux lois précédentes déterminent entièrement la
+course de chaque planète, considérée séparément, d'après le petit nombre
+de constantes nécessaires pour la caractériser. Mais, les mouvemens des
+diverses planètes autour du foyer commun restaient encore complètement
+isolés les uns des autres, toutes ces constantes paraissant avoir des
+valeurs essentiellement arbitraires. Képler, qui, de tous les hommes
+peut-être, a possédé au plus haut degré le génie analogique, chercha (ce
+que les anciens n'avaient jamais tenté, même grossièrement) à établir
+entre tous ces mouvemens si différens, une certaine harmonie exacte et
+fondamentale. Tel est l'objet de sa troisième loi.</p>
+
+<p>Plusieurs philosophes ont pensé (et j'avoue l'avoir d'abord cru
+moi-même), que les vagues conceptions de la métaphysique sur les
+harmonies mystiques de l'univers n'avaient pas été inutiles à cette
+sublime découverte, en excitant les recherches de Képler sur la relation
+entre les temps périodiques des diverses planètes et leurs moyennes
+distances. Mais, en examinant plus profondément ce point intéressant de
+l'histoire de l'esprit humain, il est aisé, ce me semble, de se
+convaincre du contraire. Long-temps avant Képler, la philosophie
+métaphysique avait entièrement cessé d'avoir, en astronomie, aucune
+utilité réelle. Elle n'eût pu servir, en cette occasion, qu'à soutenir
+la constance de ses travaux, par la persuasion préalable de l'existence
+certaine d'une harmonie quelconque à cet égard. Or, sous ce rapport,
+elle était complètement inutile, puisque beaucoup d'astronomes avaient
+déjà remarqué que les révolutions planétaires sont toujours d'autant
+plus lentes que les orbites ont plus d'étendue, ce qui suffisait,
+évidemment, à Képler, pour motiver, à ce sujet, une recherche
+mathématique. Il est clair, au contraire, que les considérations
+métaphysiques ont considérablement retardé sa marche, en lui faisant
+chercher avec une longue obstination, des harmonies qui ne pouvaient
+avoir aucune réalité. En suivant d'abord la direction positive, comme il
+finit par le faire, après s'être si long-temps égaré dans ces recherches
+chimériques, sa découverte n'eût certainement point exigé dix-sept ans
+de travaux assidus. Ayant préalablement reconnu que les temps
+périodiques des diverses planètes croissent plus rapidement que leurs
+moyennes distances au soleil, il suffisait d'essayer successivement,
+parmi les diverses puissances du demi-grand axe, celle à laquelle la
+durée de la révolution devait être proportionnelle. L'ensemble des
+données du problème excluait d'abord les puissances entières, en
+montrant que les temps périodiques croissent moins rapidement que les
+quarrés des moyennes distances. Képler était ainsi naturellement conduit
+à essayer l'exposant 3/2, le plus simple de tous les exposans entre 1 et
+2. C'est par là qu'il découvrit enfin que les quarrés des temps des
+révolutions sidérales de toutes les diverses planètes sont exactement
+proportionnels aux cubes des demi-grands axes de leurs orbites: loi que
+les observations postérieures ont toujours entièrement confirmée. On
+voit que les conceptions métaphysiques furent, en réalité, parfaitement
+étrangères à sa découverte, et que, loin d'y guider Képler, elles l'en
+détournèrent long-temps.</p>
+
+<p>Outre la destination fondamentale de cette grande loi pour la mécanique
+céleste, comme nous l'indiquerons dans la leçon suivante, elle présente
+évidemment, en géométrie céleste, cette importante propriété directe, de
+permettre de déterminer, l'un par l'autre, le temps périodique et la
+moyenne distance de toutes les diverses planètes, quand ces deux élémens
+ont été d'abord bien observés à l'égard d'une seule planète quelconque.
+C'est ainsi, par exemple, qu'on a pu évaluer très promptement la durée
+de la révolution d'Uranus, une fois que sa distance au soleil a été
+mesurée, sans avoir besoin d'attendre l'accomplissement si lent d'une
+révolution entière, qui a seulement servi plus tard à confirmer le
+résultat primitif. De même, en sens inverse, si l'on venait à découvrir
+quelque nouvelle planète très rapprochée du soleil, il suffirait
+d'observer la durée très courte de sa révolution sidérale, pour en
+conclure immédiatement la valeur de sa distance, dont la détermination
+directe serait alors embarrassante. Les astronomes font continuellement
+usage de cette double faculté, que la troisième loi de Képler leur a
+procurée.</p>
+
+<p>Telles sont les trois lois générales qui serviront éternellement de base
+à la géométrie céleste pour l'étude rationnelle des mouvemens
+planétaires, et qui régissent aussi, exactement de la même manière, les
+mouvemens des satellites autour de leurs planètes, en plaçant l'origine
+des aires ou le foyer de l'ellipse au centre de la planète
+correspondante. Depuis que l'admirable génie de Képler nous les a
+dévoilées, le nombre total des astres de notre monde, sans même y
+comprendre les comètes, a plus que triplé; et cette multiplicité
+d'épreuves aussi inattendues n'a fait que confirmer successivement de
+plus en plus leur profonde justesse. Leur ensemble a réduit toute notre
+détermination des mouvemens de translation de ces corps, à un simple
+problème de géométrie (dont les difficultés abstraites sont d'ailleurs
+considérables), qui n'emprunte plus à l'observation directe que les
+données fondamentales strictement indispensables: ce qui a imprimé à
+l'astronomie un caractère profondément rationnel. Ces données sont, pour
+chaque astre, au nombre de six: 1º. deux, déjà envisagées dans la
+vingt-unième leçon, relativement au plan de l'orbite, déterminé
+habituellement par la longitude de l'un ou l'autre noeud, et par
+l'inclinaison à l'écliptique; 2º. la longitude du périhélie, qui fixe la
+direction de l'orbite dans son plan; 3º. le rapport de la distance
+focale au grand axe, qui caractérise la forme de l'ellipse décrite; 4º.
+la moyenne distance au soleil, c'est-à-dire le demi-grand axe de cette
+ellipse, qui définit entièrement sa grandeur; 5º. enfin, la durée de la
+révolution sidérale, indiquant suffisamment la vitesse moyenne de
+l'astre. Nous devons regarder, dans cette leçon, tous ces élémens
+fondamentaux comme rigoureusement constans, l'étude des légères
+variations qu'ils subissent progressivement étant le principal objet
+définitif de la mécanique céleste, quoique plusieurs aient d'abord été
+appréciées, avec plus ou moins d'exactitude, par la simple observation
+directe. D'après ces élémens, il suffit de connaître une seule position
+de chaque astre, pour que toute sa course se trouve être géométriquement
+définie: ce que les astronomes font ordinairement, en se bornant à
+indiquer la longitude de l'astre à une époque donnée.</p>
+
+<p>Quoiqu'il soit évident, en thèse générale, que l'étude des mouvemens
+intérieurs de notre monde est ainsi entièrement tombée sous le ressort
+de la géométrie abstraite, il n'en est pas moins indispensable de
+considérer ici la nature spéciale de ce grand problème géométrique,
+suivant les principaux cas généraux qu'il doit présenter, sans entrer
+d'ailleurs dans aucun détail de solution, incompatible avec l'esprit et
+la destination de cet ouvrage. Il faut distinguer, à cet effet, trois
+cas essentiels, que je range ici dans l'ordre astronomique de leur
+difficulté croissante: le cas des planètes proprement dites, celui des
+satellites, et enfin celui des comètes. Nous devons nous borner ici à
+caractériser nettement les différences essentielles que présente à cet
+égard le problème général de la géométrie céleste. En outre, on doit
+reconnaître préalablement que, par sa nature, ce problème se décompose
+toujours en deux questions distinctes, inverses l'une de l'autre: 1º.
+étant donnés les élémens astronomiques de l'orbite, déterminer tout ce
+qui concerne la course entière de l'astre, ce qui est la recherche la
+plus ordinaire à l'égard des astres anciennement connus; 2º.
+réciproquement, comme on doit surtout le faire envers tout astre
+nouvellement étudié, trouver les valeurs de tous ces divers élémens,
+d'après l'observation d'une partie suffisamment étendue de la course de
+l'astre. Il importe fort peu d'ailleurs laquelle de ces deux questions
+essentielles sera placée avant l'autre.</p>
+
+<p><i>Problème des planètes.</i> La difficulté bien moindre que présente l'étude
+géométrique des mouvemens des planètes proprement dites résulte
+uniquement de la faible excentricité de leurs orbites, et de la petite
+inclinaison des plans correspondans, seuls caractères essentiels qui,
+aux yeux des astronomes, les distinguent réellement des comètes. Ces
+deux circonstances caractéristiques facilitent beaucoup la solution
+précise du problème, en permettant, dans les divers développemens
+analytiques qu'elle exige, de s'en tenir aux premières puissances des
+inclinaisons et des excentricités. En même temps, sous le point de vue
+mécanique, les perturbations étant, en général, comme nous le verrons,
+bien plus petites, par une suite nécessaire de ces mêmes conditions, on
+conçoit que la solution doit naturellement avoir plus d'exactitude.</p>
+
+<p>En supposant d'abord que tous les élémens astronomiques de la planète
+soient donnés, il est clair que, partant d'une position connue, on
+pourra calculer, par la combinaison des deux premières lois de Képler,
+en quel lieu se trouvera l'astre à telle époque, ou, au contraire, en
+combien de temps il se transportera de telle situation à telle autre. La
+difficulté consiste essentiellement dans cette question relative à la
+théorie de l'ellipse: trouver l'angle compris entre deux rayons vecteurs
+qui forment un secteur elliptique dont l'aire est donnée, ou,
+réciproquement, passer de l'angle à l'aire. Ce problème fondamental, si
+justement désigné sous le nom de <i>Problème de Képler</i>, ne peut être
+résolu que par approximation dans l'état présent de l'analyse
+mathématique, car il dépend d'une intégration qu'on ne sait point
+jusqu'ici effectuer en termes finis. Les astronomes emploient encore, à
+cet égard, des transformations géométriques essentiellement semblables à
+celles imaginées par Képler.</p>
+
+<p>Une ellipse, dont le foyer est donné, étant suffisamment déterminée par
+trois quelconques de ses points, il est clair, en considérant maintenant
+la question inverse, que trois positions exactement observées d'une
+planète, doivent permettre de remonter à la connaissance de tous ses
+élémens astronomiques. Cette seconde recherche générale est susceptible
+d'une solution parfaitement rigoureuse, quoique, d'ailleurs, elle exige
+des calculs fort compliqués. L'orbite une fois géométriquement définie,
+la simple comparaison de l'aire comprise entre deux des trois rayons
+vecteurs primitifs, avec le temps employé par l'astre à passer de l'un à
+l'autre, suffira pour faire connaître, d'après la première loi de
+Képler, la durée totale de sa révolution, ce qui complétera la solution.
+Ici se reproduit d'ailleurs, dans l'évaluation de cette aire, la
+difficulté fondamentale du problème de Képler.</p>
+
+<p>En principe, trois positions quelconques sont strictement suffisantes.
+Mais il est d'abord évident que, la solution étant fondée sur la
+différence de ces positions, les résultats seraient trop incertains si
+l'on ne mettait point, entre les trois observations successives un
+notable intervalle, dont la valeur doit naturellement augmenter à mesure
+qu'il s'agit d'une planète plus lointaine. En second lieu, il est
+indispensable de connaître un plus grand nombre de positions
+suffisamment distinctes, au moins cinq ou six, afin de se procurer des
+moyens de vérifier et de rectifier les premiers résultats par les
+diverses combinaisons ternaires des observations effectuées, dont le
+degré d'accord mesurera l'exactitude de l'opération.</p>
+
+<p>Cette double nécessité entraînant le besoin d'un temps plus ou moins
+considérable, et, en certains cas, très long, pour l'exacte
+détermination définitive d'une orbite planétaire, les astronomes ont
+senti l'importance d'employer d'abord provisoirement, comme guide
+général de leurs observations, l'antique hypothèse du mouvement
+circulaire et uniforme, dans toute sa simplicité primitive, qui présente
+le précieux avantage de pouvoir être beaucoup plus facilement calculée,
+d'après deux positions seulement, contrôlées, tout au plus, si on le
+juge à propos, par une troisième. On peut même avant tout, ce qui est
+encore plus simple, commencer par regarder, pendant un temps très court,
+la route de l'astre comme rectiligne; et les astronomes l'ont fait
+quelquefois avec succès, pour discerner tout d'un coup, surtout envers
+un astre nouveau, dans quelle partie du ciel il doit être observé
+prochainement. Mais, c'est seulement lorsqu'on se borne à des procédés
+graphiques, qui suffisent à un tel but, que cette hypothèse peut être
+utilement employée. Quant aux calculs, l'hypothèse circulaire méritera
+seule d'être considérée, puisqu'elle s'y adapte avec presque autant de
+facilité, et que, d'ailleurs, elle représente infiniment mieux le vrai
+mouvement, pour une bien plus grande portion de la course totale. Quoi
+qu'il en soit, on voit clairement par là que l'astronomie moderne, en
+détruisant sans retour les hypothèses primitives, envisagées comme lois
+réelles du monde, a soigneusement maintenu leur valeur positive et
+permanente, la propriété de représenter commodément les phénomènes quand
+il s'agit d'une première ébauche. Nos ressources à cet égard sont même
+bien plus étendues, précisément à cause que nous ne nous faisons aucune
+illusion sur la réalité des hypothèses; ce qui nous permet d'employer
+sans scrupule, en chaque cas, celle que nous jugeons la plus
+avantageuse.</p>
+
+<p><i>Problème des satellites.</i> Les lois de Képler, dans leur application aux
+satellites, ne concernent que les mouvemens relatifs de chaque satellite
+autour de sa planète, envisagée comme immobile. Ainsi, la difficulté
+supérieure du problème des satellites a évidemment pour cause
+fondamentale la nécessité de tenir compte du déplacement continuel du
+foyer de leurs orbites elliptiques, si l'on veut réellement parvenir à
+représenter par des tables effectives la suite de leurs positions, comme
+les astronomes l'ont toujours finalement en vue dans leurs travaux. À
+cela près, et la course de la planète correspondante étant préalablement
+connue, la marche générale de la solution est d'ailleurs entièrement
+analogue, dans l'une et l'autre des deux questions inverses, à celle
+ci-dessus caractérisée, puisque les mêmes circonstances essentielles, de
+la petitesse des excentricités et des inclinaisons, se reproduisent ici.
+Mais cette mobilité du foyer de l'ellipse décrite doit nécessairement
+compliquer beaucoup la recherche, en regardant même, ainsi qu'il
+convient à la leçon actuelle, tous les élémens astronomiques comme
+constans, quoique leurs variations soient bien plus prononcées qu'à
+l'égard des planètes. Heureusement l'extrême rapidité de la circulation
+des satellites compense un peu, dans la plupart des cas, cet
+accroissement général de difficulté, en permettant de déterminer, par
+des observations immédiates fréquemment renouvelées, leurs principaux
+élémens. La première approximation, qui consiste ici, en regardant
+d'ailleurs le mouvement comme toujours circulaire et uniforme, à
+négliger entièrement le déplacement de la planète pendant
+l'accomplissement d'une révolution entière, est peut-être même plus
+facile alors qu'en aucun autre cas.</p>
+
+<p>La difficulté fondamentale du problème des satellites doit, évidemment,
+présenter des degrés très inégaux, à raison de la disproportion plus ou
+moins grande entre le temps périodique de chaque satellite et celui de
+la planète correspondante. Si l'on compare, par exemple, le premier
+satellite d'Uranus avec le dernier satellite de Jupiter, on voit que
+celui-ci emploie deux fois plus de temps que l'autre à faire le tour de
+sa planète, qui, d'un autre côté circule autour du soleil sept fois plus
+rapidement. Il y aura donc, sans doute, beaucoup moins d'inconvénient à
+traiter le premier comme s'il tournait autour d'un foyer immobile; et,
+lorsqu'on voudra tenir compte du déplacement, son influence réelle étant
+bien moindre, on obtiendra par des calculs moins pénibles le même degré
+d'approximation. Aucun cas ne présente à cet égard, par sa nature,
+autant de difficultés que celui de la lune, dont la théorie a toujours
+fait, même sans compter les perturbations, le plus grand embarras des
+astronomes, et dont cependant l'étude exacte nous importe davantage que
+celle de tout autre satellite. Il est clair, en effet que, le temps
+périodique de la lune étant seulement treize fois moindre environ que
+celui de la terre, le déplacement de la planète a ici une extrême
+influence sur les positions successives du satellite. La disproportion
+des deux mouvemens est infiniment supérieure envers tous les autres
+satellites.</p>
+
+<p><i>Problème des comètes.</i> Les comètes ne se distinguent essentiellement
+des planètes proprement dites, comme je l'ai indiqué plus haut, que par
+la très grande excentricité de leurs orbites, et les inclinations
+presque illimitées des plans qui les contiennent. La petitesse si
+prononcée et si constante de leurs masses, indiquée par la mécanique
+céleste, n'est pas même un caractère vraiment exclusif, puisque les
+quatre planètes télescopiques n'ont point probablement des masses
+supérieures à celles de presque toutes les comètes. Toutes les autres
+circonstances, et surtout celles qui attirent principalement l'attention
+vulgaire à l'égard des comètes, sont secondaires et accidentelles, et
+manquent d'ailleurs dans plusieurs de ces corps, outre qu'elles ne
+sauraient exercer aucune sorte d'influence sur leur étude astronomique.
+C'est même de l'extrême excentricité des orbites cométaires, comparée à
+la faible excentricité des orbites planétaires, que doit résulter
+l'ensemble des différences les plus importantes entre les planètes et
+les comètes quant à leur constitution physique et chimique,
+essentiellement fixe, d'après cela, dans les premières, et, au
+contraire, éminemment variable dans les dernières. Les philosophes qui
+ont regardé les comètes comme habitables n'ont point suffisamment
+considéré, ce me semble, l'influence physiologique de cette distinction
+fondamentale. D'après tout ce que nous connaissons de positif jusqu'ici
+sur les lois de la vie, son existence doit être jugée radicalement
+incompatible avec une aussi énorme variation dans l'ensemble des
+circonstances extérieures, sous les rapports thermométriques,
+hygrométriques, barométriques, et probablement électriques et chimiques,
+que celle qui doit nécessairement avoir lieu lors du passage,
+quelquefois très rapide, d'une comète de son périhélie à son aphélie ou
+réciproquement.</p>
+
+<p>On conçoit aisément, du point de vue astronomique, la difficulté
+nouvelle que doivent introduire, dans l'étude des mouvemens, ces deux
+caractères essentiels des comètes, si peu intéressans en apparence.
+Indépendamment des perturbations bien plus grandes qui en sont la suite
+nécessaire, et que nous ne devons point considérer encore, il est clair
+que l'obligation de ne rien négliger, à l'égard des excentricités et des
+inclinaisons, doit rendre les calculs purement géométriques presque
+inextricables dans l'exécution, quoique d'ailleurs la théorie soit
+entièrement semblable à celle des planètes. Il est remarquable toutefois
+que, même dans ce cas, l'hypothèse circulaire puisse être encore
+réellement employée pour diriger les premières observations, quoiqu'il
+faille évidemment la restreindre à un temps beaucoup plus court. C'est
+par l'emploi de cette hypothèse, à laquelle Tycho s'était borné, qu'il
+démontra, le premier, contrairement à tous les préjugés philosophiques,
+que les comètes sont de véritables astres, aussi réguliers dans leur
+cours que les planètes elles-mêmes, quoique d'une étude plus difficile,
+après qu'il eut d'abord établi, par l'évaluation grossièrement approchée
+de leurs distances, qu'on ne saurait y voir des météores atmosphériques.</p>
+
+<p>Mais, la première ébauche de la théorie des comètes se fait
+essentiellement aujourd'hui à l'aide d'une nouvelle hypothèse, imaginée
+par Newton, et qui leur est spécialement adaptée, à raison même de la
+forme très allongée de leurs orbites elliptiques. C'est l'hypothèse
+parabolique, qui, moins simple sans doute que l'hypothèse circulaire,
+représente nécessairement beaucoup mieux la course de l'astre, jusqu'à
+une assez grande distance de son périhélie. On conçoit, en effet, que
+l'ellipse d'une comète, vu sa grande excentricité, doit peu s'écarter,
+depuis son périhélie jusqu'à environ quatre-vingt-dix degrés de là, de
+la parabole qui aurait le même sommet et le même foyer: c'est seulement
+plus loin que la distance des deux courbes devient de plus en plus
+considérable, et bientôt immense, quelque allongée que puisse être
+l'ellipse. La parabole peut donc suffisamment correspondre aux positions
+effectives de l'astre pendant cette première partie de sa course, dont
+elle simplifie extrêmement l'étude, d'après l'ensemble des propriétés
+géométriques de cette courbe, bien plus facile à traiter que l'ellipse.
+Cette substitution provisoire est d'autant plus heureuse, qu'elle
+convient précisément à la seule portion qui intéresse vivement la
+curiosité publique, l'astre n'étant plus ordinairement assez éclairé,
+lorsqu'il s'écarte davantage du soleil, pour être visible de la terre à
+l'oeil nu.</p>
+
+<p>Pour employer une telle hypothèse, il suffit évidemment, d'après la
+nature de la parabole, d'avoir observé la comète dans deux positions
+différentes, comme s'il s'agissait du cercle. On en déduit alors
+géométriquement tous les élémens ordinaires, sauf bien entendu, le temps
+périodique, et le grand axe étant remplacé par la distance du sommet au
+foyer. Ce sont ces cinq élémens qui servent aux astronomes de
+signalement ordinaire pour reconnaître ou distinguer les comètes dans
+leurs apparitions successives, quoique les variations considérables
+qu'ils sont susceptibles d'éprouver en réalité puissent souvent induire
+en erreur à ce sujet, et qu'elles aient probablement conduit en effet à
+multiplier beaucoup trop le nombre des comètes. Enfin, le problème de
+Képler, qui comporte alors une solution rigoureuse et même facile,
+déterminant l'aire décrite pendant l'intervalle connu des deux
+observations primitives, achève de régler tout ce qui concerne la course
+de l'astre, en faisant apprécier sa vitesse, ce qui permet dès lors à
+nos calculs de le devancer dans toutes ses positions successives,
+jusqu'aux limites naturelles de l'hypothèse parabolique.</p>
+
+<p>C'est dans cet esprit que la théorie géométrique des comètes est
+habituellement traitée; car, sur le très grand nombre de comètes
+actuellement connues et paraboliquement caractérisées, il n'y en a pas
+dix dont les orbites elliptiques soient jusqu'ici bien établies, tant
+est extrême la difficulté mathématique de la solution rigoureuse.
+Néanmoins, sans la théorie elliptique on ne saurait, évidemment,
+atteindre à la partie la plus intéressante de cette recherche, la
+prévision exacte des retours, d'après l'évaluation du temps périodique.
+Il faut même reconnaître, à cet égard, que la durée de la révolution
+sidérale constitue le trait le plus caractéristique, et peut-être le
+seul vraiment décisif, du signalement d'une comète; car, malgré les
+perturbations dont cet élément est aussi susceptible, il varie beaucoup
+moins que les divers élémens paraboliques.</p>
+
+<p>On conçoit, par cet ensemble de considérations, quelle est jusqu'ici
+l'imperfection nécessaire de la théorie des comètes, comparée à celle
+des planètes.</p>
+
+<p>Tels sont, dans leurs caractères essentiels, les trois cas généraux que
+présente l'application des lois de Képler au problème fondamental de la
+géométrie céleste. C'est ainsi que l'astronomie a pu parvenir à assigner
+mathématiquement, pour la suite entière des temps, ou futurs ou passés,
+la position qu'occupe, en un instant donné, l'un quelconque des divers
+astres qui composent le système solaire dont nous faisons partie.
+D'après ces déterminations fondamentales, il devient aisé de comprendre,
+en thèse générale, comment tous les phénomènes secondaires qui peuvent
+résulter de la situation mutuelle de plusieurs de ces corps ont dû être
+exactement calculés et prévus, d'une manière entièrement rationnelle.
+Les principaux de ces aspects sont les éclipses de diverses sortes,
+qu'entraîne naturellement le passage de ces astres les uns devant les
+autres par rapport à nous. L'exactitude et la rationnalité de leur
+prévision ont toujours été le critérium évident et décisif d'après
+lequel la perfection effective des théories astronomiques est devenue
+facilement appréciable, même par le vulgaire, puisqu'un tel résultat
+suppose nécessairement une profonde connaissance réelle des lois
+géométriques que suivent, dans leurs mouvemens, les deux ou les trois
+astres qui concourent au phénomène. À la vérité, tous les événemens
+célestes sont, par leur nature, essentiellement périodiques, puisque les
+orbites sont toujours nécessairement des courbes fermées. Ainsi, la
+notion empirique et grossière de quelques périodes qui reproduisent à
+peu près certains genres d'éclipses, a pu devenir, dès la première
+enfance de l'astronomie, un moyen direct de prédiction fort imparfait;
+ce qui a souvent trompé les érudits sur l'étendue des connaissances de
+quelques castes antiques, quoique cela ne supposât essentiellement
+d'autre découverte que celle d'une écriture quelconque pour tenir
+registre des événemens observés. Mais, il ne saurait évidemment être
+question ici de ce procédé anti-géométrique, fondé sur des périodes très
+mal observées à l'origine, et d'ailleurs réellement variables, qui
+pourrait tout au plus indiquer vaguement, même aujourd'hui, le jour de
+l'événement. Il s'agit uniquement de prédictions vraiment mathématiques,
+qui n'ont pu commencer que dans l'immortelle école d'Alexandrie; et dont
+le degré de précision, à l'heure, à la minute, et enfin à la seconde,
+représente fidèlement en effet les grandes phases historiques du
+perfectionnement graduel de l'ensemble de la géométrie céleste. Voilà ce
+qui, abstraction faite de toute application à nos besoins, fera
+toujours, de l'observation des éclipses, un spectacle aussi intéressant
+pour les vrais philosophes que pour le public lui-même, et par des
+motifs que la propagation de l'esprit positif rendra, j'espère, de plus
+en plus, essentiellement analogues, quoique inégalement énergiques.</p>
+
+<p>Indépendamment de la haute utilité pratique de cette classe générale de
+phénomènes au sujet du grand problème des longitudes, quelques-uns
+d'entre eux sont devenus, depuis un siècle, susceptibles d'une
+destination scientifique fort importante, en fournissant, comme je l'ai
+annoncé dans l'avant-dernière leçon, les meilleurs moyens de déterminer
+avec exactitude la distance du soleil à la terre, donnée si
+indispensable à toute notre astronomie.</p>
+
+<p>Quand le soleil est plus ou moins éclipsé par un astre quelconque, soit
+qu'il s'agisse d'une éclipse très apparente, comme celles que produit la
+lune, soit, au contraire, que le phénomène se réduise à obscurcir un
+seul point du disque solaire, d'une manière imperceptible à l'oeil nu,
+comme lors des passages de Vénus ou de Mercure entre le soleil et nous,
+l'observation de ces phénomènes, dont la théorie est, dans tous les cas,
+essentiellement identique, peut nous conduire à apprécier, plus
+exactement que par aucune autre voie, la parallaxe relative de cet astre
+et du soleil, et par suite la distance du soleil lui-même, d'après la
+différence, soigneusement mesurée, que doit présenter la durée totale du
+phénomène aux divers observatoires de notre globe. Considérons, en
+effet, que la théorie a d'abord déterminé cette durée pour le centre de
+la terre, qui verrait l'astre décrivant une certaine corde du disque
+solaire. Dès lors, par l'effet de la parallaxe, qui abaisse inégalement
+les deux astres, l'observateur situé à la surface du globe verra décrire
+une corde différente, ce qui changera la durée effective du phénomène.
+Or, dans les cas ordinaires, cet effet se trouvera nécessairement
+inverse pour deux lieux situés de part et d'autre de l'équateur
+terrestre. Car, si la parallaxe relative rapproche la corde du centre du
+disque, à l'égard de l'un de nos hémisphères, et, conséquemment,
+augmente la durée mathématique du passage, elle l'en éloignera, au
+contraire, et diminuera cette durée, envers l'hémisphère opposé. Il y
+aura donc, sous ce rapport, une différence très appréciable entre deux
+lieux distincts, convenablement choisis parmi ceux qui permettent
+d'apercevoir le phénomène, et surtout d'un hémisphère à l'autre. Cette
+différence constatée, ne dépendant, évidemment, que de la parallaxe
+relative et de la vitesse angulaire, déjà bien connue, de l'astre
+considéré, conduira à l'évaluation de la première de ces deux quantités
+et, par suite, de la parallaxe horizontale du soleil.</p>
+
+<p>Tous les astres susceptibles de passer entre le soleil et nos yeux ne
+sont pas, à beaucoup près, également propres à une telle détermination.
+Il faut d'abord que la parallaxe relative ne soit pas trop considérable,
+afin que l'influence propre à la parallaxe solaire ne s'efface point,
+pour ainsi dire, vis-à-vis de celle de l'astre, dont la distance à la
+terre serait alors insuffisante à nous servir de base dans l'exacte
+évaluation de l'éloignement du soleil. D'un autre côté, cette parallaxe
+relative serait elle-même trop mal connue si elle ne surpassait pas
+notablement la parallaxe du soleil, qu'il vaudrait alors presque autant
+déterminer d'une manière directe; et d'ailleurs la différence des durées
+serait trop peu prononcée. Enfin, il faut aussi que le mouvement
+angulaire de l'astre soit assez lent, pour que, le phénomène se
+prolongeant long-temps, cette différence doive être très sensible.</p>
+
+<p>Parmi les trois seuls astres connus qui puissent ainsi éclipser le
+soleil, l'ensemble de ces motifs exclut, évidemment, la lune, et même
+Mercure, en sorte qu'il ne reste que Vénus. La parallaxe, dans une telle
+position, offre les proportions convenables, étant presque triple de
+celle du soleil; et la vitesse angulaire est assez petite pour que le
+phénomène, dont la durée totale est de six à huit heures, puisse
+présenter des différences de vingt minutes au moins entre deux
+observatoires bien choisis. Telle est la belle méthode imaginée par
+Halley, et pratiquée plus tard par divers astronomes. Le degré de
+précision du résultat se trouve, évidemment fixé d'après les
+considérations qui précèdent.</p>
+
+<p>J'ai cru devoir caractériser nettement cette application de la théorie
+géométrique des mouvemens célestes, à cause de son extrême importance
+pour le système entier de la science astronomique. Mais, il serait
+contraire à la nature de cet ouvrage d'y considérer spécialement aucune
+autre de ces questions secondaires, quelque grande que puisse être,
+d'ailleurs, leur utilité pratique.</p>
+
+<p>L'ensemble de ces phénomènes provoque naturellement une remarque
+philosophique fort essentielle, sur l'opposition nécessaire et de plus
+en plus prononcée de l'esprit positif contre l'esprit théologique ou
+métaphysique, à mesure que la géométrie céleste s'est perfectionnée
+davantage. Le caractère fondamental de toute philosophie théologique
+est d'envisager tous les phénomènes comme gouvernés par des volontés,
+et, par conséquent, comme éminemment variables et irréguliers, au moins
+virtuellement. Au contraire, la philosophie positive les conçoit comme
+assujettis, à l'abri de tout caprice, à des lois invariables, qui
+permettent de les prévoir exactement. L'incompatibilité radicale de ces
+deux manières de voir n'est, aujourd'hui, nulle part plus saillante qu'à
+l'égard des événemens célestes, depuis qu'on a pu les prévoir
+complètement et avec la dernière précision. En voyant toujours arriver
+les comètes et les éclipses, avec toutes les circonstances minutieuses
+exactement annoncées long-temps à l'avance, suivant les lois que le
+génie humain a su enfin créer d'après ses observations, le vulgaire
+lui-même doit être inévitablement entraîné à sentir que ces phénomènes
+sont soustraits à l'empire de toute volonté, qui n'aurait pu, sans
+doute, se subordonner aussi complaisamment à nos décisions
+astronomiques.</p>
+
+<p>Je me suis efforcé de caractériser aussi nettement que possible, dans
+cette leçon et dans les deux précédentes, le véritable esprit général
+de la géométrie céleste, envisagée sous ses divers aspects principaux,
+et en faisant complètement abstraction de toute considération mécanique.
+Il faut maintenant passer à l'examen philosophique, bien plus difficile
+et non moins important, de la théorie mécanique dont sont susceptibles
+aussi les phénomènes astronomiques, en concevant les résultats généraux
+de leur étude géométrique, si admirablement résumés par les trois lois
+de Képler, comme autant de faits fondamentaux, propres à nous conduire à
+une conception supérieure et unique. Cette seconde étude procure de
+nouvelles déterminations, qui, sans elle, nous seraient nécessairement
+interdites. Mais, sa principale influence scientifique est de réagir sur
+le perfectionnement de la géométrie céleste elle-même, en rendant ses
+théories plus précises, par suite de la liaison sublime qu'elle établit
+profondément entre tous les phénomènes intérieurs de notre monde, sans
+aucune exception. C'est ainsi que l'esprit humain en est enfin venu à
+regarder les lois de Képler elles-mêmes comme une sorte d'approximation,
+qui n'en conserve pas moins toute l'éminente valeur que nous lui avons
+assignée ici. Les divers élémens que ces lois supposent constans sont,
+en réalité, ainsi que j'ai dû déjà l'annoncer, susceptibles
+d'altérations plus ou moins étendues. La connaissance exacte des lois si
+complexes de leurs variations, constitue le principal résultat
+astronomique de la mécanique céleste, indépendamment de sa haute
+importance directe sous le rapport philosophique.</p>
+
+
+<a name="l24" id="l24"></a>
+<br><hr class="full"><br>
+
+<h3>VINGT-QUATRIÈME LEÇON.</h3>
+
+<br><hr class="short"><br>
+
+<p class="small">Considérations fondamentales sur la loi de la gravitation.</p>
+
+<p>Beaucoup d'esprits judicieux, auxquels la saine philosophie n'est point
+étrangère, mais qui n'ont pas une connaissance générale assez
+approfondie des conceptions mathématiques, se représentent encore
+l'étude mécanique des corps célestes comme étant nécessairement moins
+positive que leur étude géométrique; parce qu'ils la confondent, sans
+doute, avec la recherche inaccessible de l'origine et du mode de
+production des mouvemens, méprise que les expressions vicieuses trop
+souvent employées par les géomètres semblent tendre, il est vrai, à
+autoriser. Cependant, les lois fondamentales du mouvement, quoique plus
+difficiles à découvrir que celles de l'étendue, et connues bien
+long-temps après elles, ne sont, incontestablement, ni moins certaines
+ni moins universelles, ni d'une positivité moins évidente. Comment
+pourrait-il en être autrement de leur application? Tout déplacement
+curviligne d'un corps quelconque, d'un astre aussi bien que d'un boulet,
+peut être étudié sous ces deux points de vue, également mathématiques:
+géométriquement, en déterminant, d'après les observations directes, la
+forme de la trajectoire, et la loi suivant laquelle varie la vitesse,
+comme Képler l'a fait pour les corps célestes; mécaniquement, en
+cherchant la loi du mouvement qui empêche continuellement le corps de
+poursuivre sa route naturelle en ligne droite, et qui, combiné à chaque
+instant avec sa vitesse actuelle, lui fait décrire sa trajectoire
+effective, dès lors susceptible d'être connue <i>à priori</i>. Ces deux
+recherches sont, évidemment aussi positives l'une que l'autre, et
+pareillement fondées sur les phénomènes. Si dans la seconde, on se sert
+encore quelquefois de termes qui paraissent indiquer une enquête de la
+nature essentielle et de la cause première des mouvemens considérés,
+cette habitude blâmable, dernier vestige de l'esprit métaphysique à cet
+égard, ne doit pourtant pas faire illusion sur le vrai caractère
+fondamental d'une telle étude.</p>
+
+<p>À la vérité, le cas du boulet et celui de l'astre présentent entre eux
+cette différence essentielle, que, dans le premier, les deux mouvemens
+élémentaires dont se compose, à chaque instant, le mouvement effectif,
+sont préalablement bien connus, ce qui ne saurait avoir lieu dans
+l'autre cas. Mais, cette circonstance ne fait qu'introduire, dans la
+théorie mécanique de l'astre, une importante difficulté préliminaire de
+plus, exactement compensée par la parfaite connaissance géométrique de
+la trajectoire, qui manque immédiatement pour le boulet. Si la loi
+fondamentale de la chute des poids n'eût pas été découverte d'après une
+étude directe, la dynamique abstraite eût pu incontestablement la
+déduire, d'une manière tout aussi sûre, quoique moins facile, de
+l'observation des divers phénomènes que présentent les mouvemens
+curvilignes produits par la pesanteur, qui nous fournissent
+effectivement la meilleure mesure du coefficient numérique de cette loi.
+Ce qui serait simplement facultatif à l'égard du boulet, devient forcé à
+l'égard de l'astre; telle est, au fond, la seule différence réelle entre
+les deux cas.</p>
+
+<p>La mécanique céleste a donc été fondée sur une base inébranlable, quand,
+d'après les trois lois de Képler, désormais envisagées comme autant de
+faits généraux, on est parvenu à déterminer, par les règles de la
+dynamique rationnelle, la loi relative à la direction et à l'intensité
+de la force qui doit agir incessamment sur l'astre pour le détourner de
+sa route tangentielle. Cette loi fondamentale une fois découverte,
+toutes les recherches astronomiques sont rentrées dans la catégorie
+ordinaire des problèmes de mécanique, où l'on calcule les mouvemens des
+corps d'après les forces dont ils sont animés. Telle est la marche
+admirablement philosophique suivie, avec une si complète persévérance,
+par le génie du grand Newton. La leçon actuelle doit être
+essentiellement consacrée au premier ordre de considérations; le second
+sera l'objet exclusif des deux leçons suivantes.</p>
+
+<p>Pour se conformer rigoureusement à l'exactitude historique, il faut
+reconnaître, quoique cela n'altère en rien le sublime mérite des travaux
+de Newton, que la fondation réelle de la mécanique céleste avait été
+vaguement ébauchée par Képler lui-même, qui parut dignement pressentir
+la haute destination philosophique des lois géométriques qu'il avait
+établies. Il poussa, ce me semble, leur interprétation dynamique aussi
+loin que le permettait alors l'état si imparfait de la science
+mathématique. Il entrevit, en effet, la relation exacte de sa première
+loi avec le principe que la direction de la force accélératrice de
+chaque planète passe continuellement par le soleil, ce qui n'exige que
+les considérations mathématiques les plus élémentaires. Quant à la loi
+relative à l'intensité, qui constitue la difficulté essentielle de cette
+grande recherche, il était absolument impossible de la découvrir à cette
+époque. Néanmoins, Képler osa la chercher; mais, n'y pouvant suivre la
+marche positive, il s'abandonna à cette métaphysique qui avait déjà tant
+entravé ses travaux propres. Il serait superflu de rappeler ici sa
+chimérique conception des rayons attractifs, par laquelle il tenta de
+mesurer la force accélératrice des planètes, ni même son rapprochement,
+moins métaphysique, entre cette force et la pesanteur. Quand même ces
+considérations vagues et illusoires eussent fait accidentellement
+deviner la loi véritable, ce qui arriva à Bouillaud en rectifiant le
+propre raisonnement de Képler à ce sujet, cette circonstance
+insignifiante ne pouvait faciliter, en aucune manière, la découverte
+fondamentale de Newton, où il s'agissait réellement d'établir la
+correspondance mathématique entre la loi des orbites elliptiques ayant
+le soleil pour foyer, et celle de la variation de la force accélératrice
+inversement au carré de la distance; ce que de telles tentatives
+n'avaient nullement en vue. Les vrais précurseurs de Newton, sous ce
+rapport, sont Huyghens et surtout Galilée, comme fondateurs de la
+dynamique. Néanmoins, on peut remarquer avec intérêt comment le génie de
+Képler, après avoir parcouru une aussi belle carrière, en constituant
+définitivement la géométrie céleste, osa s'élancer aussitôt dans la
+carrière, toute différente et alors inaccessible, de la mécanique
+céleste, que la marche générale de l'esprit humain réservait si
+impérieusement à ses héritiers; succession d'efforts, dont l'histoire
+des sciences ne présente peut-être, dans tout son ensemble, aucun autre
+exemple aussi prononcé. Personne, d'ailleurs, ne sent plus profondément
+que moi la nullité radicale de toute semblable tentative.</p>
+
+<p>Dans un temps où l'on s'efforce chaque jour davantage de rabaisser au
+niveau des plus médiocres intelligences les plus hautes conceptions du
+génie humain, il est du devoir de tout vrai philosophe de se prononcer,
+aussi énergiquement que possible, contre cette tendance déplorable, qui
+finirait par pervertir, jusqu'en son germe, le développement général de
+l'esprit positif chez les masses, en leur persuadant que ces découvertes
+sublimes, qui ont coûté tant d'efforts du premier ordre à la série des
+hommes les plus éminens dont notre espèce puisse s'honorer, étaient
+susceptibles d'être simplement obtenues par quelques aperçus vagues et
+faciles, accessibles, sans aucune préparation laborieuse, aux
+entendemens les plus vulgaires. Quoiqu'il soit, sans doute, infiniment
+plus aisé d'apprendre que d'inventer, il faut enfin que le public, pour
+n'être point livré aux sophistes et vendu aux trafiquans de science,
+soit profondément convaincu que, comme le simple bon sens l'indique
+clairement, ce qui a été découvert par le long et pénible travail du
+génie, la raison commune ne saurait se l'approprier réellement que par
+une méditation persévérante, précédée d'études convenables. Si, comme
+il est évident, ces conditions indispensables ne peuvent pas toujours
+être suffisamment remplies, à l'égard de toutes les vérités
+scientifiques destinées à entrer dans la circulation générale, n'est-il
+pas bien préférable de le déclarer avec franchise, et de réclamer
+directement une confiance, qui n'a jamais été refusée quand elle a été
+convenablement motivée, au lieu de vouloir lutter contre une difficulté
+insurmontable, en essayant vainement de rendre élémentaires des
+conceptions nécessairement transcendantes? Car, les hommes ont encore
+plus besoin de méthode que de doctrine, d'éducation que d'instruction.</p>
+
+<p>Conformément à ces maximes générales, je ne saurais trop condamner ici
+les tentatives illusoires et nuisibles qu'on a si fréquemment
+renouvelées, dans la vulgarisation, d'ailleurs si utile quand elle est
+sagement conçue et exécutée, des principales notions de la philosophie
+naturelle, pour rendre indépendante des grandes théories mathématiques
+la démonstration de la loi fondamentale de la gravitation, d'après des
+raisonnemens vagues et essentiellement métaphysiques sur les émanations
+et les attractions, dont l'idée première est empruntée à Képler. Outre
+le vide profond de ces considérations absolues, il est clair qu'une
+telle manière de procéder tend à faire radicalement disparaître tout ce
+qui constitue l'admirable réalité de la découverte newtonienne, sa
+parfaite harmonie mathématique avec les lois géométriques des mouvemens
+célestes, seul fondement positif de la mécanique des astres.</p>
+
+<p>Considérons maintenant, d'une manière directe, l'établissement vraiment
+rationnel de cette conception fondamentale, en réservant à l'analyse
+transcendante sa grande et indispensable part dans une telle opération.</p>
+
+<p>Il est d'abord évident, comme je l'ai déjà indiqué, que la première loi
+de Képler prouve, sans aucune incertitude et de la manière la plus
+simple, que la force accélératrice de chaque planète est constamment
+dirigée vers le soleil. On n'a pas besoin, pour s'en convaincre, de
+recourir à la théorie dynamique des aires. Une figure très élémentaire
+suffit à démontrer, comme l'a fait Newton, que la force accélératrice,
+quelque énergique qu'on l'imagine, ne saurait altérer en rien la
+grandeur de l'aire qui serait décrite, en un temps donné, autour du
+soleil, par le rayon vecteur de l'astre, en vertu de sa seule vitesse
+actuelle, si sa direction passe exactement par le soleil, tandis qu'elle
+la changerait inévitablement dans toute autre supposition. Ainsi, la
+constance de cette aire, première donnée générale de l'observation,
+dévoile la loi de la direction. La principale difficulté du problème,
+celle qui fait la gloire essentielle de Newton, consiste donc dans la
+découverte, d'après les deux autres théorèmes astronomiques de Képler,
+de la loi relative à l'intensité de cette action continuelle que nous
+concevons dès lors exercée, sans nous enquérir de son mode, par le
+soleil sur les planètes.</p>
+
+<p>Dans la première ébauche de sa conception, Newton a pris pour base la
+troisième loi de Képler, en considérant d'abord les mouvemens comme
+circulaires et uniformes, ce qui suffisait en commençant. L'action
+solaire, dès lors égale et contraire à la force centrifuge de la
+planète, devenait ainsi nécessairement constante aux divers points de
+l'orbite, et ne pouvait varier qu'en passant d'une planète à une autre.
+Les théorèmes d'Huyghens sur la force centrifuge dans le cercle, dont la
+démonstration est presque élémentaire, conduisaient immédiatement à
+saisir la loi de cette variation. Car, la force centrifuge étant,
+d'après ces théorèmes, proportionnelle au rapport entre le rayon de
+l'orbite et le quarré du temps périodique, elle variait évidemment d'un
+astre à l'autre, inversement au quarré de sa distance au soleil, en
+vertu de la constance, établie par Képler, du rapport entre le cube de
+cette distance et ce même quarré du temps périodique, pour toutes les
+planètes. Telle est la considération mathématique qui mit réellement
+Newton, à l'origine de ses recherches, sur la voie de cette loi
+fondamentale, à la simple indication de laquelle ne contribuèrent
+nullement les raisonnemens métaphysiques antérieurs, dont il n'avait
+même probablement alors aucune connaissance.</p>
+
+<p>Mais, quelque précieuse que fût l'ouverture donnée par cette première
+approximation, le noeud essentiel de la difficulté n'en continuait pas
+moins à subsister dans son intégrité. Car, il fallait surtout expliquer
+comment cette loi sur la variation de l'action solaire s'accordait avec
+la nature géométrique des orbites, découverte par Képler. À la vérité,
+l'orbite elliptique présentait deux points remarquables, l'aphélie et le
+périhélie, où la force centrifuge était encore directement opposée, et,
+par conséquent, égale à l'action du soleil, dont le changement devait
+naturellement y être, en même temps, plus prononcé. La courbure de
+l'orbite était, évidemment, identique en ces deux points; cette action
+se trouvait donc simplement mesurée, d'après ces mêmes théorèmes
+d'Huyghens, par le quarré de la vitesse correspondante. Dès lors, un
+raisonnement facile déduisait immédiatement de la première loi de
+Képler, que le décroissement de l'action solaire, du périhélie à
+l'aphélie, s'opérait encore inversement au quarré de la distance. Ainsi,
+la loi indiquée par un premier rapprochement entre les diverses
+planètes, se trouvait pleinement confirmée par une exacte comparaison
+entre les deux positions principales de chacune d'elles. Mais tout cela
+était encore évidemment insuffisant, puisque le mouvement elliptique
+n'était nullement pris en considération. Toute autre courbe que
+l'ellipse eût incontestablement donné le même résultat, à la simple
+condition d'avoir, en ses deux sommets, une égale courbure.</p>
+
+<p>Ces deux considérations préliminaires sont, néanmoins, les seules
+parties de la démonstration qui puissent être rendues vraiment sensibles
+à toutes les intelligences qui n'ont, en mathématique, que des notions
+purement élémentaires. Quant à la mesure de l'action solaire dans toute
+l'étendue de l'orbite, qui constitue la portion essentielle et
+réellement décisive de cette démonstration, l'analyse transcendante y
+est absolument indispensable. En continuant à procéder dans le même
+esprit, c'est-à-dire d'après la comparaison de l'action solaire à la
+force centrifuge, la première a dès lors besoin d'être décomposée, en un
+point quelconque, suivant la normale correspondante, avant de pouvoir
+être appréciée par la seconde, qui ne lui est plus directement
+antagoniste, et dont l'évaluation exige, d'ailleurs, la théorie exacte
+de la courbure de l'ellipse. Par l'ensemble de ses découvertes, en
+géométrie et en mécanique, qu'il lui eût suffi de combiner, le grand
+Huyghens touchait certainement au principe de cette détermination
+capitale. Mais enfin, il n'a point eu réellement l'idée de cette
+combinaison: et, ce qu'on doit surtout remarquer, l'eût-il même conçue,
+il n'aurait, sans doute, pu la suivre complètement qu'avec le secours de
+l'analyse différentielle, dont nous savons que Newton est l'inventeur
+aussi bien que Leïbnitz.</p>
+
+<p>À l'aide de cette analyse, on mesure facilement, et de diverses
+manières, l'énergie de l'action solaire en tous les points de l'orbite,
+et l'on reconnaît aussitôt qu'elle varie toujours inversement au quarré
+de la distance, et qu'elle est indépendante de la direction. Enfin, le
+même calcul démontre que sa valeur propre pour chaque planète, ramenée,
+suivant cette loi, à l'unité de distance, est proportionnelle au rapport
+entre le quarré du temps périodique et le cube du demi-grand axe de
+l'ellipse; ce qui prouve exactement, d'après la troisième loi de Képler,
+l'identité de cette valeur à l'égard de toutes les planètes, sur
+lesquelles l'action du soleil ne change donc qu'en vertu de la seule
+distance, quelles que soient les grandes différences de leurs
+dimensions. C'est de là que Newton a déduit cette importante
+conséquence, qui complète l'établissement de la loi fondamentale, que
+l'action solaire est, en chaque cas, proportionnelle, à distance égale,
+à la masse de la planète; de la même manière que, par l'identité de la
+chute de tous les corps terrestres dans le vide, ou par l'exacte
+coïncidence de leurs oscillations, on avait déjà constaté évidemment la
+proportionnalité entre leurs poids et leurs masses.</p>
+
+<p>On voit ainsi comment les trois grandes lois de Képler ont concouru,
+chacune pour sa part essentielle, à établir exactement, d'après les
+règles de la mécanique rationnelle, cette loi fondamentale de la nature.
+La première démontre la tendance continuelle de toutes les planètes vers
+le soleil; la seconde fait connaître que cette tendance, la même en tous
+sens, change avec la distance au soleil, inversement à son quarré;
+enfin, la troisième apprend que cet effort, nullement spécifique, est
+toujours simplement proportionnel, pour une même distance, à la masse de
+chaque planète. Il serait sans doute inutile de prévenir expressément
+que les lois de Képler ayant lieu exactement de la même manière, dans
+les mouvemens des satellites autour de leurs planètes, il en résulte
+nécessairement les mêmes conséquences dynamiques pour l'action continue
+exercée par chaque planète sur chacun de ses satellites, en raison
+directe de la masse de celui-ci, et en raison inverse du quarré de sa
+distance à la planète.</p>
+
+<p>Afin de compléter cette démonstration capitale, Newton jugea sagement
+qu'il devait reprendre, en sens inverse, l'ensemble de la question, en
+déterminant, <i>à priori</i>, les mouvemens planétaires qui résulteraient
+d'une telle loi dynamique. C'est ainsi que, par une intégration alors
+difficile, il retomba complètement sur les lois de Képler, comme cela
+devait être de toute nécessité. Indépendamment de cette utile
+vérification mathématique, qui fournit d'ailleurs incidemment quelques
+moyens de simplifier l'étude géométrique de ces mouvemens, cette analyse
+inverse fit reconnaître que l'orbite aurait pu être, non-seulement une
+ellipse, mais une section conique quelconque, ayant toujours le soleil
+pour foyer. La nature de la courbe dépend uniquement de l'intensité de
+la vitesse initiale, et nullement de sa direction; en sorte qu'un
+certain accroissement déterminé, qui surviendrait tout à coup dans la
+vitesse d'une planète, changerait son ellipse en une parabole, et plus
+grand encore, en une hyperbole. Ainsi, les orbites devant être, par une
+nécessité évidente, des courbes fermées, la figure elliptique est donc
+la seule qui puisse réellement dériver de la loi newtonienne.</p>
+
+<p>Parmi les objections, aussi vaines qu'innombrables, que dut soulever à
+son origine cette admirable découverte, et que reproduisent encore
+quelquefois des esprits mal organisés, une seule mérite d'être ici
+mentionnée, comme tendant à éclaircir la notion fondamentale, et comme
+ayant beaucoup frappé autrefois, par son apparence très spécieuse,
+plusieurs philosophes fort recommandables, entre autres le judicieux
+Fontenelle. Elle est fondée sur la considération que si, pendant une
+moitié de sa révolution, la planète se rapproche de plus en plus du
+soleil, elle s'en éloigne évidemment toujours davantage dans l'autre
+partie de l'orbite; ce qui semble impliquer une contradiction frappante
+avec l'idée d'une tendance continuelle <i>vers</i> le soleil. L'emploi du
+malheureux mot <i>attraction</i>, beaucoup trop prodigué par Newton et par
+presque tous ses successeurs, donnait à cette objection une nouvelle
+apparence de solidité. Aussi quelques newtoniens n'avaient-ils pas
+hésité d'abord à recourir, pour la résoudre, à cet expédient absurde, de
+déclarer l'action solaire tantôt attractive et tantôt répulsive. Laplace
+lui-même en a donné, ce me semble, une explication peu satisfaisante,
+puisqu'elle se borne à reproduire, sous un autre point de vue, le fait
+lui-même, en disant que la planète doit s'approcher du soleil, tant que
+sa direction forme un angle aigu avec celle de l'action solaire, et s'en
+éloigner quand cet angle devient obtus. Cette considération exige donc
+un nouvel examen.</p>
+
+<p>Il faut reconnaître, avant tout, qu'elle ne saurait exercer la moindre
+influence effective sur les calculs de la mécanique céleste, ce qui
+explique qu'on s'en soit si peu inquiété. Car il n'importe guère aux
+géomètres que l'action solaire soit, en réalité, attractive ou
+répulsive, pourvu que la direction de la force accélératrice de la
+planète, prolongée s'il le faut, vienne toujours passer exactement par
+le soleil, ce que la première loi de Képler assure incontestablement.
+Mais, néanmoins, le doute à cet égard donnerait un caractère trop
+indécis à la conception fondamentale, pour qu'on ne doive pas le
+dissiper entièrement.</p>
+
+<p>Afin de mettre l'objection dans un plus grand jour, il convient de
+considérer le cas hypothétique d'une orbite parabolique ou hyperbolique,
+qui nous montre l'astre, parti du périhélie, s'éloignant toujours et
+indéfiniment du soleil, quoiqu'on puisse aisément prouver qu'il ne cesse
+pas un seul instant de tendre <i>vers</i> lui. En effet, on ne doit point
+constater cette tendance en comparant la position actuelle de l'astre à
+celle qu'il occupait auparavant, mais à celle qu'il occuperait au même
+instant, en vertu de sa seule vitesse acquise, si l'action solaire
+n'existait pas: c'est évidemment le seul moyen d'apprécier l'influence
+réelle de cette action. Or, d'après ce principe, on voit clairement
+qu'elle tend, dans tous les cas, à rapprocher l'astre du soleil,
+puisqu'il s'en trouve toujours effectivement plus près, même avec une
+orbite hyperbolique, que s'il eût continué son mouvement naturel suivant
+la tangente. La vraie solution de l'objection se réduit donc à remarquer
+que l'orbite est constamment concave vers le soleil: elle serait
+évidemment insurmontable, si la trajectoire eût pu être convexe. On
+rencontre ici la même circonstance que dans le mouvement ascensionnel
+des bombes, que personne ne s'est jamais avisé d'attribuer à une
+pesanteur suspendue ou renversée: le projectile, quoiqu'il s'élève, ne
+cesse réellement de tomber, et tombe de plus en plus, comme dans sa
+chute ordinaire, puisqu'il est continuellement, et toujours davantage,
+au-dessous du lieu où l'aurait porté sa seule impulsion initiale, la
+trajectoire étant constamment concave vers le sol.</p>
+
+<p>Dans l'exposition habituelle de la conception fondamentale de la
+mécanique céleste, on néglige aujourd'hui beaucoup trop de considérer
+les cas hypothétiques où il faut remonter de telle forme idéale des
+orbites planétaires à telle autre loi correspondante de l'action
+solaire, et réciproquement. Ce n'est pas uniquement pour mieux
+caractériser sa théorie générale des forces centrales, qui eût été
+suffisamment expliquée par l'analyse exacte du seul cas naturel, que
+Newton s'est plu à développer avec tant de soin cette importante
+considération. Il a probablement senti qu'une telle étude devait
+réfléchir une nouvelle lumière sur le vrai caractère de la loi
+effective, en faisant ressortir avec plus d'évidence ses conditions
+essentielles. Rien n'est plus propre surtout à lui ôter cette apparence
+d'absolu, qui résulte si fréquemment de l'exposition ordinaire, en
+montrant combien il y aurait peu à changer aux orbites planétaires pour
+que l'action solaire dût suivre nécessairement une loi toute
+différente. Je dois me borner ici à mentionner à cet égard le cas le
+plus remarquable et le plus instructif, parmi tous ceux que Newton a
+envisagés. C'est celui de l'orbite elliptique, mais dont le soleil
+occuperait le centre, au lieu du foyer. On trouve alors que l'action
+solaire, au lieu d'être inversement proportionnelle au quarré de la
+distance, varierait au contraire en raison directe de la distance
+elle-même. Il serait impossible d'obtenir une plus grande opposition
+dans les résultats pour une modification, aussi légère en apparence, à
+l'hypothèse primitive; et cependant rien n'est mieux démontré. De bons
+esprits, auxquels la mathématique est étrangère, pourraient même
+envisager un tel défaut d'harmonie comme devant inspirer d'abord
+quelques doutes raisonnables sur la réalité de la loi effective, surtout
+en considérant que, les orbites planétaires étant presque circulaires,
+il s'en faut de bien peu que le soleil n'en occupe le centre. Mais, j'ai
+indiqué à dessein dans la leçon précédente, au sujet de la seconde loi
+de Képler, les principales différences astronomiques des deux orbites,
+pour montrer que leur opposition réelle, sous le simple point de vue
+géométrique, est beaucoup plus prononcée qu'elle ne le semble au premier
+aspect, tellement que jamais les astronomes n'ont pu s'y tromper,
+quelque petites que soient les excentricités. En appréciant cette
+comparaison, on reconnaîtra facilement, j'espère, que l'harmonie
+générale et indispensable entre la considération géométrique et la
+considération dynamique n'est pas plus altérée dans ce cas hypothétique
+que dans tout autre. Mais, comme l'idée d'une orbite elliptique autour
+du soleil pour centre, quelque opposée qu'elle soit à toutes nos
+observations astronomiques, est fort loin, évidemment, de présenter
+aucune absurdité intrinsèque, on aperçoit ainsi dans tout son jour la
+profonde inanité nécessaire de tous les prétendus raisonnemens <i>à
+priori</i> par lesquels tant d'esprits se sont efforcés d'établir,
+abstraction faite de l'analyse mathématique des phénomènes exactement
+explorés, l'impossibilité absolue d'aucune autre loi que celle de
+Newton, relativement à l'action du soleil sur les planètes<a id="footnotetag10" name="footnotetag10"></a>
+<a href="#footnote10"><sup class="sml">10</sup></a>. Que
+peuvent donc signifier tous ces vains projets de démonstrations
+élémentaires, contre lesquels je m'élevais ci-dessus, où l'on ne tient
+même aucun compte de la forme elliptique des orbites, et où, à plus
+forte raison, on ne s'est jamais inquiété si le soleil occupe le foyer
+plutôt que le centre qui en est tout près?</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote10"
+name="footnote10"><b>Note 10: </b></a><a href="#footnotetag10">
+(retour) </a> Il est même évidemment impossible, d'après
+ cela, d'expliquer réellement <i>à priori</i> pourquoi un astre
+ tend nécessairement vers le soleil avec d'autant plus
+ d'énergie qu'il en est plus près, quelle que soit d'ailleurs
+ la loi mathématique de cette variation. Car, dans une telle
+ hypothèse, l'action solaire augmenterait, au contraire,
+ quand l'astre serait plus éloigné; en sorte que, s'il, en
+ est autrement, il faut l'attribuer uniquement à ce que le
+ soleil occupe le foyer et non le centre de l'ellipse.
+ Comment oserait-on, dès lors proclamer <i>évident à priori</i>,
+ le décroissement nécessaire de cette action à mesure que la
+ distance augmente, sans aucun égard à cette circonstance
+ caractéristique?
+</blockquote>
+
+<p>Je me suis jusqu'ici soigneusement abstenu de qualifier, par aucun terme
+spécial, la tendance continue des planètes vers le soleil, et des
+satellites vers leurs planètes, dont l'existence et la loi ont été le
+seul objet des considérations précédentes. Mais, si ces notions
+suffisent pour que les phénomènes célestes soient désormais parfaitement
+liés entre eux, et mathématiquement calculables, c'est surtout par une
+autre propriété essentielle de la conception fondamentale de Newton
+qu'ils sont réellement <i>expliqués</i> dans le sens propre du mot,
+c'est-à-dire compris, d'après leur exacte assimilation générale avec les
+phénomènes si vulgaires que la pesanteur produit continuellement à la
+surface de notre globe. Examinons maintenant ce complément indispensable
+donné par Newton à sa sublime pensée.</p>
+
+<p>Si notre planète n'avait aucun satellite, cette comparaison capitale
+serait évidemment impossible, comme manquant de base. Il eût fallu alors
+nous contenter de calculer exactement les mouvemens célestes, d'après
+les règles générales de la dynamique, sans pouvoir jamais les rattacher
+à ceux qui s'exécutent journellement parmi nous. Quoique l'harmonie
+universelle de notre monde devînt ainsi infiniment moindre, cette
+conception n'en serait pas moins extrêmement précieuse. Mais l'existence
+de la lune nous a rendu l'immense service philosophique de lier
+intimement la mécanique du ciel à la mécanique terrestre, en nous
+permettant de constater l'identité de la tendance continue de la lune
+vers la terre avec la pesanteur proprement dite: ce qui a suffi pour
+démontrer ensuite que l'action mutuelle des corps célestes n'était autre
+chose que la pesanteur convenablement généralisée, ou, en sens inverse,
+que la pesanteur ordinaire n'était qu'un cas particulier de cette
+action.</p>
+
+<p>Ce rapprochement fondamental est susceptible d'un examen mathématique
+qui ne saurait laisser aucune incertitude à cet égard. Car, d'après
+l'analyse dynamique du mouvement de la lune, on connaît l'intensité de
+l'action que la terre exerce sur elle, c'est-à-dire la quantité dont
+elle tend à tomber vers le centre de notre globe en un temps donné, une
+seconde par exemple. En regardant le mouvement comme circulaire et
+uniforme, ce que Newton a d'abord jugé avec raison pleinement suffisant
+ici, cette évaluation se fait aisément, d'après la règle d'Huyghens sur
+la mesure de la force centrifuge; d'ailleurs, on peut aussi l'effectuer,
+avec un peu plus de peine, en ayant égard au mouvement elliptique et
+varié. Elle ne dépend que de données parfaitement connues, sur
+lesquelles il ne peut y avoir aucune hésitation, le temps périodique de
+la lune, sa distance à la terre, et enfin le rayon de la terre. Cela
+posé, il suffit d'augmenter cette intensité primitive, inversement au
+quarré de la distance, suivant la loi fondamentale, pour savoir ce
+qu'elle deviendrait en supposant la lune placée tout près de la surface
+de la terre, afin de la confronter avec l'intensité effective de la
+pesanteur proprement dite, que nous savons être exactement la même dans
+tous les corps grands et petits, et qui est mesurable, avec la dernière
+précision, soit par l'observation directe de la chute des poids, soit
+surtout par les expériences du pendule. L'identité ou la diversité de
+ces deux nombres, décidera évidemment, en dernier ressort, pour ou
+contre l'assimilation entre la tendance de la lune vers la terre et la
+pesanteur. Or, l'exécution d'une telle comparaison établit la parfaite
+coïncidence des deux résultats; d'où s'ensuit la démonstration
+mathématique de cette assimilation. Telle est la marche profondément
+rationnelle suivie à cet égard par Newton, sauf que, pour plus de
+clarté, j'ai cru devoir l'indiquer en ordre inverse, ce qui est en soi
+fort indifférent. L'histoire de ce beau travail nous présente une
+anecdote très intéressante, qui caractérise fortement l'admirable
+sévérité de la méthode philosophique constamment suivie, avec une si
+sage énergie, par le grand Newton. On sait que, dans ses premières
+recherches, il avait employé une valeur erronée du rayon de la terre,
+déduite d'une mauvaise mesure exécutée un peu avant lui en Angleterre:
+il en résultait une différence assez sensible entre les deux nombres qui
+devaient parfaitement coïncider. Newton eut le rare courage
+philosophique de renoncer, d'après cela seul et pendant long-temps, à
+cette partie importante de sa conception générale, jusqu'à ce que Picard
+eût enfin opéré la mesure exacte de la terre, qui permit à Newton de
+constater la profonde justesse de sa pensée primitive.</p>
+
+<p>Cette identité entre la tendance de la lune vers la terre et la
+pesanteur proprement dite présente sous un jour tout nouveau l'ensemble
+de la conception fondamentale de la mécanique céleste. Elle nous montre
+le mouvement des astres comme parfaitement semblable à celui des
+projectiles, qui nous est si familier, et que, par cela seul, nous
+devons trouver suffisamment compris, et propre à servir de type
+d'explication. La seule différence réelle qu'il y ait entre eux résulte
+simplement de ce que nos projectiles ne sont pas lancés d'assez loin, ni
+assez énergiquement, pour que leur inégal éloignement du centre de notre
+globe puisse manifester l'influence de la variation de la pesanteur
+inversement au quarré de la distance. Projetés d'un peu plus haut et
+avec un peu plus de force, ils circuleraient indéfiniment autour de nous
+comme de petits astres (sauf la résistance de notre atmosphère), ainsi
+que le fait la lune, ainsi que la terre elle-même et toutes les planètes
+le font autour du soleil. C'est par là que l'astronomie tout entière est
+devenue réellement une sorte de problème d'artillerie, beaucoup
+simplifié par l'absence d'un milieu sensiblement résistant, mais
+compliqué, à la vérité, par la variation et la pluralité des pesanteurs.</p>
+
+<p>En même temps que la notion mécanique fondamentale des mouvemens
+célestes se trouvait ainsi considérablement éclaircie par l'assimilation
+de la force qui les produit à la pesanteur ordinaire, la conception
+générale de celle-ci a éprouvé, par une heureuse réaction nécessaire, un
+immense perfectionnement, puisque la loi de sa variation, imperceptible
+dans les phénomènes terrestres habituels, a été dès lors immédiatement
+connue. L'homme avait conçu jusque là le poids d'un corps comme une
+qualité rigoureusement inaltérable, suivant les expériences les plus
+diverses et les plus précises, que ni le changement de forme, ni le
+passage d'une constitution physique à une autre, ni aucune métamorphose
+chimique, ni la différence même entre l'état de vie et l'état de mort,
+ne pouvaient nullement modifier, tant que l'intégrité de la substance
+était maintenue. C'était, en un mot, la seule notion qui pût présenter,
+même aux philosophes les plus positifs, un véritable caractère d'absolu.
+Ce caractère, qui devait sembler si indestructible, la conception
+newtonienne est venue l'effacer entièrement d'un seul trait, en
+montrant, avec une pleine évidence, que le poids d'un corps est au
+contraire un phénomène purement relatif, non pas il est vrai aux
+diverses circonstances dont on avait jusque alors analysé l'influence,
+et qui effectivement ne l'altèrent en rien, mais à une autre à laquelle
+on n'eût jamais pensé sans cela, tant elle eût paru devoir être
+insignifiante, et qui seule le règle souverainement, la simple position
+de ce corps dans le monde, ou, plus exactement, sa distance au centre de
+la terre, indépendamment de la direction, au quarré de laquelle il est
+toujours inversement proportionnel. Sans doute, une connaissance aussi
+opposée à l'ensemble des idées humaines n'aurait pas même été jamais
+cherchée directement, si la mécanique céleste ne l'eût, pour ainsi dire,
+involontairement établie d'une manière invincible, en prouvant
+l'identité mathématique de la pesanteur avec la force accélératrice des
+astres, à l'égard de laquelle une telle loi de variation devenait
+incontestable et évidente. Ainsi avertis, les physiciens ont pu vérifier
+ensuite, par des expériences directes et irrécusables, en s'écartant
+plus ou moins du centre de la terre, soit dans le sens vertical, soit
+surtout dans le sens horizontal, la réalité de cette loi, même à la
+surface de notre globe, où les différences qu'elle engendre sont trop
+délicates à constater pour qu'on eût jamais pu les apprécier, si l'on
+n'eût pas été certain d'avance qu'elles devaient exister.</p>
+
+<p>C'est afin d'énoncer brièvement cette assimilation fondamentale entre la
+pesanteur et la force accélératrice des astres qu'on a créé le mot
+heureux de <i>gravitation</i>, envisagé comme exactement synonyme de
+pesanteur universelle, pour désigner l'action du soleil sur les
+planètes, et de celles-ci sur leurs satellites. L'emploi de ce terme a
+le précieux avantage philosophique d'indiquer strictement un simple fait
+général, mathématiquement constaté, sans aucune vaine recherche de la
+nature intime et de la cause première de cette action céleste ni de
+cette pesanteur terrestre. Il tend à faire éminemment ressortir le vrai
+caractère essentiel de toutes nos explications positives, qui
+consistent, en effet, à lier et à assimiler le plus complètement
+possible. Nous ne pouvons évidemment savoir ce que sont au fond cette
+action mutuelle des astres, et cette pesanteur des corps terrestres: une
+tentative quelconque à cet égard serait, de toute nécessité,
+profondément illusoire aussi bien que parfaitement oiseuse; les esprits
+entièrement étrangers aux études scientifiques peuvent seuls s'en
+occuper aujourd'hui. Mais nous connaissons, avec une pleine certitude,
+l'existence et la loi de ces deux ordres de phénomènes; et nous savons,
+en outre, qu'ils sont identiques. C'est ce qui constitue leur véritable
+<i>explication</i> mutuelle, par une exacte comparaison des moins connus aux
+plus connus. Pour le géomètre, qu'une longue et habituelle méditation a
+profondément familiarisé avec le vrai mécanisme des mouvemens célestes,
+la pesanteur terrestre est expliquée, quand il la conçoit comme un cas
+particulier de la gravitation générale. Au contraire, c'est la
+pesanteur qui fait comprendre la gravitation céleste au physicien
+proprement dit, ainsi qu'au vulgaire, la notion lui en étant seule
+suffisamment familière. Nous ne pouvons jamais aller réellement au-delà
+de semblables rapprochemens.</p>
+
+<p>D'après ces principes élémentaires de la philosophie positive, je ne
+saurais ici trop fortement blâmer l'usage irrationnel que l'on fait
+encore si fréquemment du mot <i>attraction</i>, dans l'étude de la mécanique
+céleste. Son emploi, qu'un simple artifice de langage eût toujours
+permis d'éviter, est surtout devenu sans excuse depuis la formation du
+mot <i>gravitation</i>. Quoique cette réserve du style ne doive sans doute
+dégénérer jamais en une affectation puérile et pédantesque, il importe
+infiniment que le discours maintienne inaltérable le vrai caractère
+d'une conception positive aussi fondamentale. Or, le mot <i>attraction</i>
+tend, par lui-même, à jeter aussitôt l'esprit dans une direction vague
+et anti-scientifique, par la prétention qu'il annonce inévitablement,
+malgré tous les commentaires préalables, à caractériser le mode d'action
+du soleil sur les planètes, et de la terre sur les poids, en le
+comparant à l'effort par lequel nous tirons à nous, à l'aide d'un lien
+quelconque, un objet éloigné: car tel est le sens de ce terme, ou il
+n'en a aucun. Depuis un siècle que cette expression est usitée
+scientifiquement, il me semble étrange qu'on n'ait pas encore nettement
+senti qu'une telle comparaison n'est nullement propre, en n'y voyant
+même qu'une image grossière, à donner aucune idée de l'action solaire ou
+terrestre, dont elle tend, au contraire, à obscurcir la notion. Car, une
+semblable métaphore ne pourrait avoir quelque utilité dans le discours
+que si l'action effective de tirer était réellement influencée par la
+distance, ce qui est évidemment absurde: qu'un objet soit à dix mètres
+ou à cent, le même effort l'attirera vers nous exactement de la même
+quantité, en négligeant du moins la masse et la raideur du lien. Comment
+un tel mot serait-il donc propre à qualifier un phénomène qui, à une
+distance décuple, est nécessairement cent fois moindre, sans qu'aucune
+autre circonstance ait changé? Je ne vois, dans son emploi, qu'un grand
+nombre d'inconvéniens majeurs, sans le moindre avantage réel.</p>
+
+<p>Il y a tout lieu de penser que cette idée inintelligible d'attraction
+fut pour beaucoup dans l'opposition que rencontra si long-temps, surtout
+en France, la conception newtonienne, dont l'étude approfondie n'avait
+point encore démontré combien elle est au fond nécessairement
+indépendante d'une telle notion. Elle devait, en effet, sous une
+semblable forme, se présenter naturellement à nos penseurs comme
+susceptible de faire rétrograder la philosophie, et de la ramener à
+l'état métaphysique, en rétablissant ces qualités occultes que notre
+grand Descartes avait, après tant d'efforts, si justement bannies. Telle
+est aussi la principale objection que les cartésiens, parmi lesquels on
+distingue l'illustre Jean Bernouilli et le sage Fontenelle, reproduisent
+continuellement dans tous leurs écrits. Il n'est pas douteux, ce me
+semble, que l'esprit français, éminemment clair et positif, n'ait ainsi
+puissamment contribué, en résultat général de cette utile discussion, à
+épurer le caractère primitif de la pensée fondamentale de Newton, en
+détruisant l'apparence métaphysique qui altérait la réalité admirable de
+cette sublime découverte.</p>
+
+<p>Pour compléter l'examen général de la loi de la gravitation, il faut
+encore l'envisager sous un dernier aspect élémentaire, indispensable à
+son entière explication mathématique.</p>
+
+<p>Nous avons jusqu'ici considéré l'action du soleil sur les planètes et de
+celles-ci sur leurs satellites, sans avoir aucun égard aux dimensions
+et aux formes de ces grands corps, et comme si tous étaient autant de
+points. Mais, la proportionnalité bien constatée entre l'intensité de
+cette action et la masse du corps qui l'éprouve, montre clairement
+qu'elle ne s'exerce directement que sur les molécules, qui toutes y
+participent indépendamment les unes des autres, et avec une égale
+énergie, sauf la diversité des distances. La gravitation moléculaire est
+donc seule réelle, et celle des masses n'en peut être que le résultat
+mathématique. Celle-ci néanmoins peut seule être immédiatement
+considérée, soit dans l'observation des phénomènes, soit dans l'étude
+mathématique des mouvemens, qui exige indispensablement la conception
+d'une force unique, au lieu de cette infinité d'actions élémentaires. De
+là est résulté nécessairement une partie essentielle, quoique
+préliminaire, de la mécanique céleste, celle qui a pour objet de
+composer en une seule résultante toutes les gravitations mutuelles des
+molécules de deux astres. Cette portion, aujourd'hui très étendue, a
+été, comme toutes les autres, fondée par Newton, et les deux théorèmes
+essentiels qu'il a primitivement établis à ce sujet, sont encore ce que
+cette importante théorie présente de plus usuel. Ils reposent sur la
+forme presque exactement sphérique de tous les astres. En supposant des
+sphères parfaites, et composées de couches homogènes, dont la densité
+varie d'ailleurs arbitrairement, Newton a découvert, par des
+considérations géométriques extrêmement simples: 1º. que les
+gravitations mutuelles de toutes les molécules d'une même couche sur un
+point intérieur quelconque se détruisent nécessairement; 2º que la
+gravitation totale d'un point extérieur vers les diverses molécules de
+la sphère, est exactement la même que si la masse entière de cette
+sphère était condensée à son centre; et qu'il en est par conséquent
+ainsi de la gravitation mutuelle de deux sphères. Il en résulte
+immédiatement la précieuse faculté de pouvoir traiter les corps célestes
+comme des points, dans l'étude de leurs mouvemens de translation. Mais,
+l'irrégularité effective de la figure des astres, quelque petite qu'elle
+soit, a besoin d'être prise en considération dans la théorie de leurs
+rotations, où ces théorèmes cessent d'être applicables. C'est même
+seulement d'après cette différence que les géomètres ont pu expliquer, à
+cet égard, plusieurs phénomènes importans, comme je l'indiquerai dans la
+vingt-sixième leçon. Pour toute autre forme que la sphère, le problème
+général se complique beaucoup, et les difficultés analytiques qu'il
+présente ne sont encore habituellement surmontables que par
+approximation, malgré l'importance des derniers perfectionnemens
+introduits dans cette théorie, surtout par les travaux tout récens de
+M. Jacobi. Enfin la solution parfaitement exacte exigerait évidemment la
+connaissance de la vraie loi de la densité dans l'intérieur des astres,
+qu'on ne peut guère envisager comme susceptible d'être jamais réellement
+obtenue.</p>
+
+<p>La loi générale de l'égalité constante et nécessaire entre la réaction
+et l'action, qui est une des trois bases physiques essentielles de la
+mécanique rationnelle, comme je l'ai établi dans la philosophie
+mathématique, montre évidemment, sans aucune explication spéciale, que
+la gravitation est essentiellement mutuelle, en sorte que le soleil pèse
+vers chaque planète, et les planètes vers leurs satellites. Quoique
+l'extrême inégalité des masses doive rendre naturellement les effets de
+cette pesanteur inverse fort difficiles à constater, à cause de leur
+excessive petitesse par rapport aux mouvemens principaux, j'indiquerai
+néanmoins, dans les deux leçons suivantes, comment la mécanique céleste
+les a mis en évidence à l'égard de divers phénomènes secondaires.</p>
+
+<p>Quant à la gravitation des planètes les unes vers les autres, elle était
+sans doute naturellement indiquée par la seule exposition de la
+conception fondamentale. Mais il faut reconnaître, ce me semble,
+qu'elle n'a été mathématiquement démontrée que lorsque les successeurs
+de Newton en ont déduit l'explication exacte des perturbations
+effectives qu'éprouve le mouvement principal des planètes, comme
+l'indiquera la vingt-sixième leçon. Dès que ce résultat capital a été
+obtenu, cette gravitation secondaire s'est trouvée établie d'une manière
+aussi positive que la gravitation principale.</p>
+
+<p>C'est ainsi que l'analyse approfondie des phénomènes célestes a
+irrévocablement prouvé, dans toutes ses diverses parties, cette grande
+loi fondamentale, résultat le plus sublime de l'ensemble de nos études
+sur la nature: <i>Toutes les molécules de notre monde gravitent les unes
+vers les autres, proportionnellement à leurs masses, et inversement aux
+quarrés de leurs distances.</i></p>
+
+<p>Je croirais méconnaître profondément le vrai caractère de cette
+admirable conception, qui n'est que l'exacte représentation d'un fait
+général, si je l'étendais aussitôt, comme on ne craint pas
+habituellement de le faire, aux phénomènes les plus généraux de
+l'univers, relatifs à l'action mutuelle des divers systèmes solaires.
+Qu'on le suppose par simple analogie, et en attendant des renseignemens
+directs, qui, si jamais ils arrivent, prouveraient peut-être le
+contraire, je n'y vois sans doute aucun inconvénient. Ce procédé me
+paraît même très philosophique, comme devant nécessairement hâter à cet
+égard les découvertes réelles, si elles sont effectivement possibles.
+Mais, regarder témérairement une telle extension comme aussi certaine
+que la gravitation intérieure de notre monde, c'est, à mon avis, altérer
+autant que possible la nature de nos vraies connaissances, en confondant
+ce qu'il y a de véritablement positif avec ce qui sera peut-être
+toujours essentiellement conjectural. En procédant ainsi, on obéit
+encore, à son insu, à cette tendance métaphysique vers les connaissances
+absolues, dont l'esprit humain a eu tant de peine à s'affranchir. Sur
+quoi est fondée la réalité de la gravitation newtonienne? Uniquement
+sans doute sur sa relation avec les phénomènes, à défaut de laquelle ce
+ne serait qu'un admirable jeu d'esprit. Or, dans la considération de
+l'<i>univers</i>, il n'y a pas encore de phénomènes exactement observés et
+mesurés, à plus forte raison, aucune loi géométrique comparable à celles
+de Képler: quelle serait donc alors la base de nos conceptions
+dynamiques, qui n'auraient rien à interpréter? Je n'ignore pas que, dans
+les mouvemens relatifs de quelques étoiles doubles, on a cru reconnaître
+depuis peu les ellipses de Képler: je le désire vivement, mais sans en
+être jusqu'ici bien convaincu. Les mesures sont encore tellement
+délicates dans ce genre d'observations, que leur précision ne saurait
+être garantie, à l'abri de toute prévention, au degré où l'exigerait une
+semblable conclusion. Si quelque astronome y avait bien cherché les
+orbites elliptiques où l'astre principal occupe le centre au lieu du
+foyer, ou le milieu entre ces deux points, etc., ne serait-il point
+peut-être parvenu à les y rencontrer? Et dès lors, cependant, la loi de
+gravitation eût été, comme on sait, absolument opposée<a id="footnotetag11" name="footnotetag11"></a>
+<a href="#footnote11"><sup class="sml">11</sup></a>. D'ailleurs,
+en admettant la parfaite réalité de ces résultats, qui, dans toute
+hypothèse, n'en sont pas moins fort précieux, ils ne constituent
+évidemment qu'un cas extrêmement particulier, encore impropre à motiver
+suffisamment une conclusion vraiment universelle. Je crois donc devoir
+maintenir, en mécanique céleste, comme je l'ai déjà fait en géométrie
+céleste, la séparation tranchée que je me suis efforcé de rendre
+sensible, entre la notion de monde et celle d'univers, et la restriction
+fondamentale que j'ai tâché d'établir, pour nos études vraiment
+positives, à la seule considération des phénomènes intérieurs de notre
+système solaire. Il est d'ailleurs évident que j'indique ici une simple
+suspension de jugement; car, je suis loin d'avoir aucun motif direct
+pour que la loi de la gravitation cesse d'être vraie dans l'action
+mutuelle des soleils; ce qui ne saurait être, pour moi, une raison de
+l'y étendre positivement, si ce n'est comme moyen artificiel
+d'investigation. Malgré le fameux principe de la raison suffisante,
+l'absence de motifs de nier ne constitue certainement point le droit
+d'affirmer, sans aucune preuve directe. Les notions absolues me semblent
+tellement impossibles, que je n'oserais même nullement garantir, quelque
+vraisemblance que j'y voie, la perpétuité nécessaire et inaltérable de
+la théorie de la gravitation, restreinte à l'intérieur de notre monde,
+si l'on venait un jour, ce qu'il est au reste bien difficile d'admettre,
+à perfectionner la précision de nos observations actuelles autant que
+nous l'avons fait comparativement à celles d'Hipparque. Mais, quand même
+cela pourrait jamais arriver, et qu'il fallût alors construire une autre
+loi de gravitation, il resterait éternellement vrai, de toute nécessité,
+que la loi actuelle satisfait aux observations en se contentant de la
+précision des secondes, angulaires ou horaires, propriété qui suffit
+pleinement sans doute à nos besoins réels. C'est ainsi que, malgré la
+nature nécessairement relative de nos connaissances positives, nos
+théories présentent, au milieu de leurs variations inévitables, et par
+leur subordination même aux faits observés, un caractère fondamental de
+stabilité réelle, propre à prévenir la vacillation de nos intelligences:
+comme je l'ai déjà indiqué ailleurs, au sujet de la figure de la terre.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote11"
+name="footnote11"><b>Note 11: </b></a><a href="#footnotetag11">
+(retour) </a> Je regretterais profondément d'exciter ainsi
+ le moindre doute sur l'exactitude et la sagacité des
+ astronomes dont la constance à poursuivre des observations
+ aussi délicates et aussi pénibles mérite assurément tous nos
+ respects. Mais peut-être n'ont-ils pas, avant tout, assez
+ réfléchi au degré de précision tout particulier
+ qu'exigeraient de telles déterminations pour motiver une
+ conséquence dynamique solidement fondée. L'immense
+ éloignement de ces orbites, dont les rayons n'ont jamais
+ qu'une étendue angulaire de quelques secondes, ne nous
+ interdit-il point, de toute nécessité, d'apporter dans
+ l'étude mathématique de leur figure les précautions
+ indispensables qui ont été possibles à l'égard de nos
+ orbites planétaires?
+</blockquote>
+
+<p>Telles sont les considérations essentielles que je devais présenter sur
+la loi fondamentale de la gravitation, avant de passer à l'examen
+philosophique de l'immense perfectionnement qu'elle a introduit dans la
+connaissance effective des phénomènes intérieurs de notre monde, surtout
+en dévoilant la véritable règle de leurs anomalies apparentes. On a dû
+remarquer, dans cette exposition, combien la conception newtonienne,
+abstraction faite des notions infiniment précieuses qu'elle nous a
+directement procurées, a perfectionné notre marche philosophique,
+combien elle a avancé l'éducation générale de la raison humaine.</p>
+
+<p>Jusque alors l'esprit humain n'avait pu s'élever, dans la personne de
+notre grand Descartes, à une conception mécanique des phénomènes
+généraux, qu'en créant, sans aucune base positive, une vaste hypothèse
+sur leur mode de production. Cet ébranlement énergique était, sans
+doute, indispensable, comme je l'établirai spécialement dans la dernière
+partie de cet ouvrage, pour dégager définitivement notre intelligence
+des voies métaphysiques, qui l'avaient si long-temps poussée à la vaine
+recherche des notions absolues. Mais l'empire trop prolongé d'une telle
+conception eût entravé profondément le développement de l'esprit humain,
+en lui faisant user ses forces à la poursuite de théories
+essentiellement arbitraires. L'action philosophique de la découverte
+newtonienne est venue le lancer dans la véritable direction positive,
+susceptible d'un progrès réel et indéfini. Elle a soigneusement conservé
+de Descartes l'idée fondamentale d'un mécanisme; mais en écartant
+définitivement, comme radicalement inaccessible à nos moyens, toute
+enquête de l'origine et du mode de production. Elle a montré, par un
+exemple admirable, comment, sans pénétrer dans l'essence des phénomènes,
+nous pouvions parvenir exactement à les lier et à les assimiler, de
+manière à atteindre, avec autant de précision que de certitude, le
+véritable but définitif de nos études réelles, une juste prévision des
+événemens, que des conceptions <i>à priori</i> sont nécessairement incapables
+de procurer.</p>
+
+<a name="l25" id="l25"></a>
+<br><hr class="full"><br>
+
+<h3>VINGT-CINQUIÈME LEÇON.</h3>
+
+<br><hr class="short"><br>
+
+<p class="sml">Considérations générales sur la statique céleste.</p>
+
+<p>Avant l'admirable découverte de Newton, les phénomènes célestes étaient
+liés entre eux, à un certain degré, par les trois grandes lois de
+Képler. Mais cette liaison, quoique infiniment précieuse, était
+nécessairement fort imparfaite; car elle laissait entièrement
+indépendans les uns des autres les phénomènes qui se rattachaient à deux
+lois différentes. La réduction de ces trois divers faits généraux à un
+fait unique et encore plus général, a établi, au contraire, parmi tous
+les phénomènes intérieurs de notre monde, une harmonie rigoureusement
+universelle, qui permet toujours d'apercevoir exactement, d'une manière
+plus ou moins indirecte, la relation intime et nécessaire de deux
+quelconques d'entre eux, constamment rattachés désormais à une théorie
+commune, qui les lie en outre à nos principaux phénomènes terrestres.
+C'est ainsi que la science astronomique a enfin acquis la plus haute
+perfection spéculative dont nos études soient jamais susceptibles,
+l'entière systématisation mathématique de toutes ses diverses parties;
+en sorte qu'il n'y aurait rien à gagner, sous ce rapport, à découvrir un
+principe encore plus étendu, quand même un tel espoir ne devrait pas
+être regardé comme éminemment chimérique.</p>
+
+<p>On ne connaîtrait donc pas convenablement la conception fondamentale de
+la mécanique céleste en se bornant à l'envisager en elle-même, ainsi que
+nous avons dû le faire dans la leçon précédente. Afin d'en sentir
+dignement toute la valeur philosophique, il est indispensable de
+caractériser maintenant, sous ses divers aspects principaux,
+l'application de la théorie de la gravitation à l'explication
+mathématique des phénomènes célestes et au perfectionnement de leur
+étude. Tel est l'objet spécial de cette leçon et de la suivante.</p>
+
+<p>Pour faciliter cet aperçu général, je crois utile de transporter ici la
+distinction élémentaire que j'ai établie dans l'examen de la géométrie
+céleste, entre les phénomènes propres à chaque astre envisagé comme
+immobile, et ceux qui concernent ses divers mouvemens. Cette division
+est sans doute, en mécanique céleste, plus astronomique que
+mathématique; car les deux genres de questions ne présentent point
+d'ailleurs des différences bien tranchées quant à leur degré de
+difficulté, ni quant à la nature des considérations employées, toujours
+nécessairement relatives à une même pensée fondamentale. Mais elle me
+paraît propre à éclaircir cette importante exposition, en la rendant
+plus méthodique que ne le permet l'ordre essentiellement arbitraire
+qu'on y suit ordinairement. La leçon actuelle sera consacrée aux
+phénomènes statiques, et la suivante aux phénomènes dynamiques.</p>
+
+<p>La détermination des masses de nos différens astres est aussi
+fondamentale, en mécanique céleste, que celle de leurs distances en
+géométrie céleste, puisque, sans elle, on ne pourrait évidemment se
+former aucune idée exacte de leur gravitation mutuelle. Une telle
+connaissance présente en même temps la manifestation la plus saillante
+des ressources générales que la théorie de la gravitation nous a
+procurées pour obtenir à l'égard des astres des notions entièrement
+nouvelles, qui devaient jusque alors nous paraître, quoique à tort,
+radicalement inaccessibles. Essayons de caractériser successivement les
+trois procédés principaux qu'on applique à cette importante recherche,
+et qui diffèrent beaucoup, soit en généralité, soit en simplicité.</p>
+
+<p>Le moyen le plus général, le seul même qui soit réellement applicable à
+tous les cas, mais aussi celui dont l'emploi est le plus difficile,
+consiste à analyser, aussi exactement que possible, la part spéciale de
+chaque astre dans les perturbations qu'éprouve le mouvement principal
+d'un autre, en translation ou en rotation. Cette influence ne dépend
+évidemment que de deux élémens, la distance et la masse de l'astre
+considéré. Le premier est bien connu; et le second, qui est constant,
+étant introduit dans le calcul comme un coefficient indéterminé, sa
+valeur pourra être appréciée par la comparaison du résultat avec les
+observations directes. Malheureusement, dans l'état présent de la
+mathématique abstraite, l'analyse des perturbations ne saurait être, par
+sa nature, que simplement approximative, comme l'indiquera la leçon
+suivante. Il est surtout extrêmement difficile d'isoler, dans chaque
+perturbation totale, ce qui tient spécialement à l'action de tel astre
+proposé; quelque soin qu'on apporte dans le choix des divers
+dérangemens, on ne parvient guère à établir cette séparation d'une
+manière aussi précise que l'exigerait une semblable détermination. Aussi
+les astronomes et les géomètres sont-ils loin de compter autant
+jusqu'ici sur les masses qui n'ont pu être obtenues que par cette
+méthode, que sur celles qui ont permis l'application des autres
+procédés.</p>
+
+<p>Tel était à cet égard l'état de la mécanique céleste, lorsque, dans ces
+dernières années, M. Poinsot a imaginé pour ces évaluations
+fondamentales un moyen parfaitement rationnel, le plus direct et le
+plus sûr de tous, quoique, par sa nature, son emploi exige
+malheureusement beaucoup de temps<a id="footnotetag12" name="footnotetag12"></a>
+<a href="#footnote12"><sup class="sml">12</sup></a>. Au lieu de se borner à démêler
+péniblement dans les diverses perturbations naturelles l'influence
+détournée et peu distincte de chaque masse envisagée séparément, M.
+Poinsot propose de déterminer désormais toutes les masses à la fois, par
+l'examen d'un nouveau genre de perturbations, en quelque sorte
+artificielles, spécialement adaptées à un tel usage, et les seules qui
+observent nécessairement entre elles une relation invariable, aussi
+simple que rigoureuse. Il s'agit des changemens que l'action mutuelle
+des astres de notre monde fait subir aux aires décrites en un temps
+donné par leurs rayons vecteurs autour du centre de gravité général. On
+sait, d'après la mécanique rationnelle, que parmi ces diverses
+variations il s'opère nécessairement une telle compensation, que la
+somme algébrique de toutes ces aires, projetées en un instant quelconque
+sur un même plan d'ailleurs arbitraire, et multipliées chacune par la
+masse correspondante, demeure rigoureusement invariable. Ainsi, en
+comparant entre eux les divers états du ciel à des époques suffisamment
+distinctes, l'égalité mutuelle de toutes ces sommes peut fournir, dans
+la suite des temps, autant d'équations qu'on voudra, propres à faire
+connaître, si l'on a eu soin d'en former le nombre convenable, les
+valeurs des différentes masses, seules inconnues qu'elles contiennent,
+puisque les aires sont d'ailleurs exactement mesurables, d'après les
+positions et les vitesses effectives des astres considérés.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote12"
+name="footnote12"><b>Note 12: </b></a><a href="#footnotetag12">
+(retour) </a> Voyez le beau Mémoire de ce grand géomètre sur
+ la vraie théorie du <i>plan invariable</i>, maintenant annexé à
+ la dernière édition de sa <i>Statique</i>.
+</blockquote>
+
+<p>Indépendamment de sa rationnalité parfaite et de son entière généralité,
+cette méthode présente un caractère philosophique bien remarquable, en
+ce que, comme l'indique avec raison M. Poinsot, elle rend l'évaluation
+des masses relatives de tous les astres de notre monde entièrement
+indépendante de la loi de gravitation, suivant l'esprit de la théorie
+des aires, ce que jusque alors aucun géomètre n'eût jamais jugé
+possible. Il en résulte d'ailleurs que les résultats ne sont plus
+affectés des approximations relatives à cette loi dans les calculs
+ordinaires de la mécanique céleste.</p>
+
+<p>On doit vivement regretter que la nature de cette méthode ne permette
+point son application immédiate, ne fût-ce que pour obtenir, par la
+confrontation de ses résultats avec ceux déjà connus, une des
+confirmations les plus décisives de la théorie de la gravitation. Mais
+la nécessité évidente d'attendre que toutes les aires individuelles
+aient assez varié pour rendre significative la comparaison de leurs
+sommes, exige un intervalle considérable entre les époques successives,
+dont le nombre dépend d'ailleurs de celui des masses cherchées. Le temps
+total doit même être d'autant plus grand que, d'après la rectification
+importante apportée par M. Poinsot à la théorie générale des aires, il
+est mathématiquement indispensable de prendre en considération celles
+qui résultent des rotations, comme je l'indiquerai plus tard au sujet du
+plan invariable. Cette obligation, en introduisant dans les équations
+les divers momens d'inertie, tendrait à doubler le nombre des époques
+nécessaires pour obtenir des résultats parfaitement rigoureux; mais en
+procurant, à la vérité, une nouvelle détermination essentielle, qui
+devait sembler d'abord encore plus inaccessible que celle des masses.
+Les observations suffisamment précises sont encore si peu anciennes que
+le passé nous offrirait à cet égard un bien petit nombre d'équations, en
+sorte qu'un tel procédé ne deviendrait entièrement applicable, sans
+aucun auxiliaire, que dans un avenir assez lointain. Je n'ai pas cru
+néanmoins pouvoir me dispenser d'indiquer cette méthode générale et
+directe, dont le caractère spéculatif est si parfait. On doit
+reconnaître d'ailleurs qu'en la réservant pour les masses qui ne sont
+pas encore bien connues d'une autre manière, et en négligeant d'abord
+les termes peu influens, le temps nécessaire à son application effective
+se trouverait notablement abrégé<a id="footnotetag13" name="footnotetag13"></a>
+<a href="#footnote13"><sup class="sml">13</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote13"
+name="footnote13"><b>Note 13: </b></a><a href="#footnotetag13">
+(retour) </a> Cette méthode de M. Poinsot me fait naître
+ l'idée d'un nouveau moyen rationnel, analogue au précédent,
+ pour déterminer simultanément les masses de tous les astres
+ de notre monde, d'après un autre théorème fondamental de
+ mécanique rationnelle, la conservation nécessaire du
+ mouvement du centre de gravité de l'ensemble de ces astres,
+ quelles que puissent être les perturbations provenant de
+ leur action mutuelle. Il en résulte la constance, à une
+ époque quelconque, de la somme des produits de toutes les
+ diverses masses par les vitesses correspondantes,
+ décomposées suivant une même droite arbitraire; ce qui peut
+ fournir autant d'équations qu'on voudra comparer d'époques.
+ Dans l'estimation de ces produits pour les différentes
+ molécules de chaque astre, il est clair, quant à la
+ translation, qu'on pourrait traiter l'astre comme condensé à
+ son centre de gravité, d'après la propriété fondamentale de
+ ce point; et, quant à la rotation, cette même propriété
+ indique qu'il n'y aurait pas lieu à la considérer, puisque
+ l'ensemble des produits qui en résulteraient serait
+ nécessairement nul pour l'astre entier. Ce procédé me
+ semblerait donc plus simple que celui fondé sur le théorème
+ des aires: il exigerait moins d'équations, et par suite
+ beaucoup moins de temps pour son application complète, en ne
+ procurant point, il est vrai, l'évaluation des momens
+ d'inertie, indispensable à la détermination du plan
+ invariable. La durée totale de l'opération serait d'autant
+ moindre, que les vitesses varient avec plus de rapidité que
+ les aires, ce qui permettrait de rapprocher davantage les
+ époques comparatives d'observation.
+</blockquote>
+
+<p>Après le procédé général fondé sur l'analyse des perturbations, soit
+sous sa forme ordinaire, soit avec la modification si heureusement
+imaginée par M. Poinsot, le moyen le moins restreint pour évaluer les
+masses des astres de notre monde, est celui que Newton créa, dès
+l'origine, à l'égard des planètes pourvues d'un satellite. La méthode,
+aussi simple qu'immédiate, consiste à comparer le mouvement du
+satellite autour de la planète, au mouvement de celle-ci autour du
+soleil. On sait que, dans chacun d'eux, la gravitation exercée par
+l'astre central, et qui doit être en raison de sa masse, est
+proportionnelle au rapport entre le cube du demi-grand axe de l'orbite
+et le quarré du temps périodique, en ramenant l'action, suivant la loi
+ordinaire, à l'unité de distance. Ainsi, il suffit de comparer entre
+elles les deux valeurs bien connues que prend cette fraction dans les
+deux cas, pour obtenir aussitôt le rapport des masses du soleil et de la
+planète. À la vérité, on néglige alors nécessairement la masse de la
+planète vis-à-vis de celle du soleil, ou au moins du satellite envers la
+planète. Mais l'erreur qui en résulte est trop peu importante, dans
+presque tous les cas de notre monde, pour que le degré de précision
+auquel nous pouvons réellement prétendre à l'égard des masses
+planétaires en soit sensiblement affecté. La masse de Jupiter,
+déterminée ainsi par Newton, n'a reçu qu'un très léger changement des
+divers moyens qu'on a pu y appliquer depuis; et encore la différence
+tient-elle, presqu'en totalité, à ce que les données du procédé
+newtonien sont aujourd'hui mieux connues.</p>
+
+<p>Enfin, la méthode la plus simple et la plus directe de toutes, mais
+aussi la plus particulière, puisqu'elle est nécessairement bornée à la
+planète qu'habité l'observateur, consiste à évaluer les masses relatives
+par la comparaison des pesanteurs qu'elles produisent. Si la masse d'un
+astre bien connu était exactement déterminée, elle permettrait
+évidemment d'apprécier l'énergie de la pesanteur à sa surface, ou à une
+distance quelconque donnée: donc, réciproquement, la mesure directe de
+cette intensité suffira pour estimer la masse. Ainsi, les expériences du
+pendule ayant mesuré, avec la dernière précision, la pesanteur
+terrestre; en la diminuant, inversement au quarré de la distance, on
+saura quelle serait sa valeur à la distance dit soleil; et l'on n'aura
+dès lors qu'à la comparer avec la quantité, préalablement bien connue,
+qui exprime l'action du soleil sur la terre, pour trouver immédiatement
+le rapport de la masse de la terre à celle du soleil. Envers toute autre
+planète, ce serait, au contraire, l'évaluation de sa masse qui
+permettrait seule l'estimation de la gravité correspondante. Ce procédé
+n'est, en réalité, qu'une modification du précédent, où la chute du
+satellite se trouvait être au fond indirectement évaluée, au lieu de
+résulter d'une expérience immédiate, qui permet sans doute un peu plus
+de précision, surtout à cause de la masse du satellite, relativement à
+celles qui nous servent à mesurer la pesanteur.</p>
+
+<p>L'ensemble de tous ces divers moyens étant applicable à la terre, sa
+masse comparée à la masse solaire, unité naturelle à cet égard, doit
+être regardée comme la mieux connue de notre monde. La masse de la lune,
+et surtout celle de Jupiter, sont aujourd'hui estimées presque aussi
+parfaitement; viennent ensuite les masses de Saturne et d'Uranus; on
+compte moins sur les trois autres déjà évaluées, celles de Mercure, de
+Vénus et de Mars, quoique l'incertitude ne puisse pas y être très
+grande. On ignore presque entièrement les masses des quatre planètes
+télescopiques, et surtout celles des comètes, ce qui tient à leur
+extrême petitesse, qui ne leur permet aucune influence appréciable sur
+les perturbations. Ce caractère est particulièrement remarquable à
+l'égard des comètes, qui, dans leur course allongée, passent fréquemment
+dans le voisinage de forts petits astres, comme les satellites de
+Jupiter et de Saturne, sans y produire aucun dérangement perceptible.
+Quant aux satellites, en exceptant la lune, on ne connaît encore que les
+valeurs approchées des masses de ceux de Jupiter.</p>
+
+<p>Aucune exacte comparaison générale des résultats obtenus n'a pu
+jusqu'ici faire apercevoir entre eux une harmonie quelconque. La seule
+circonstance essentielle qu'ils présentent est l'immense supériorité de
+la masse du soleil à l'égard de tout le reste de notre monde, dont la
+masse, même réunie, en fait à peine la millième partie. On devait
+évidemment s'y attendre, du moins à un certain degré, quoique rien
+n'indiquât directement une aussi grande disproportion, si ce n'est la
+petitesse des perturbations planétaires, qui en dépend essentiellement.
+Du reste, à partir du soleil, on voit alterner, sans aucun ordre
+sensible, des masses tantôt décroissantes, tantôt croissantes. On avait
+pensé d'abord, conformément à une supposition <i>à priori</i> de Képler, que
+les masses étaient régulièrement liées aux volumes (d'ailleurs
+irréguliers eux-mêmes, comme nous l'avons remarqué); en sorte que les
+densités moyennes fussent continuellement moindres en s'éloignant du
+soleil, en raison inverse des racines quarrées des distances. Mais,
+indépendamment de cette loi numérique, qui ne s'observe jamais
+exactement, le simple fait du décroissement des densités présente
+quelques exceptions, entre autres pour Uranus. On ne saurait d'ailleurs
+lui assigner aucun motif rationnel.</p>
+
+<p>Tels sont, en aperçu, les divers moyens que possède aujourd'hui
+l'astronomie, quant à l'évaluation relative des différentes masses qui
+composent notre système solaire. Mais, pour compléter cette connaissance
+fondamentale, il reste à indiquer comment on a pu rapporter enfin toutes
+ces masses à nos unités de poids habituelles, par l'importante
+détermination directe du véritable poids total de la terre, qui
+constitue une des applications les plus simples et les plus
+intéressantes de la théorie générale de la gravitation.</p>
+
+<p>Bouguer est le premier qui ait aperçu distinctement la possibilité d'une
+telle évaluation, en reconnaissant, dans sa célèbre expédition
+scientifique au Pérou, l'influence du voisinage des grosses montagnes
+pour altérer légèrement la direction de la pesanteur. On conçoit en
+effet, d'après la loi fondamentale de la gravitation, qu'une masse
+considérable, envisagée comme condensée en son centre de gravité, peut,
+quand le fil-à-plomb s'en trouve très rapproché, déterminer en lui, à
+raison de cette proximité, une gravitation secondaire, extrêmement
+petite sans doute vis-à-vis de celle de l'ensemble de la terre, mais
+néanmoins perceptible, qui le fasse dévier vers elle d'une quantité
+presque insensible, susceptible cependant d'être mesurée par des
+observations très délicates sur la comparaison de sa direction effective
+avec la verticale naturelle du lieu, préalablement bien connue. Cette
+déviation étant exactement appréciée, l'équation d'équilibre facile à
+établir entre l'action de la montagne et celle de la terre doit
+permettre d'en déduire le rapport des deux masses, et par suite la
+valeur de la masse terrestre, d'après le poids de la montagne, puisque
+toutes les autres quantités que renferme cette équation sont déjà
+évidemment données. Les observations astronomiques ne pouvaient pas être
+assez précises à l'époque de Bouguer pour que ce procédé fut dès lors
+réellement applicable, tant est minime la déviation sur laquelle il
+repose. Mais un demi-siècle après, Maskelyne parvint à constater, en
+Écosse, une altération de cinq à six secondes dans la direction
+naturelle de la pesanteur, et Hutton en déduisit le poids de la terre
+égal à 4-1/8 fois celui d'un pareil volume d'eau distillée à son
+<i>maximum</i> de densité. Toutefois, un tel procédé présente évidemment,
+outre la petitesse de la déviation, une source notable d'incertitude,
+dans l'impossibilité de connaître avec assez d'exactitude le poids de la
+montagne, qui ne peut être que grossièrement obtenu d'après son volume.</p>
+
+<p>Quand Coulomb eut créé sa célèbre balance de torsion, destinée à la
+mesure précise des plus petites forces quelconques, Cavendish conçut la
+possibilité de déterminer beaucoup plus exactement la masse de la terre
+en la comparant, à l'aide de cet appareil, à des masses artificielles,
+susceptibles d'être parfaitement connues. C'est ainsi que, dans
+l'immortelle expérience qu'il imagina, il parvint à rendre sensible
+l'action de deux sphères de plomb sur un petit pendule horizontal, dont
+les oscillations, comparées à celles que produit la pesanteur,
+permettaient de déterminer mathématiquement, avec une précision
+remarquable, le rapport de la masse de ces sphères à celle de la terre.
+Par ce procédé bien plus parfait, Cavendish trouva la densité moyenne de
+notre globe égale à 5-1/2 fois celle de l'eau; d'où l'on peut déduire,
+si on le juge à propos, le vrai poids de la terre en kilogrammes ou en
+tonneaux.</p>
+
+<p>Indépendamment de l'importance d'une telle détermination, pour faire
+connaître les masses et les densités effectives de tous les astres de
+notre monde, ce qui est peu utile en astronomie, où l'on n'a besoin que
+de leurs rapports, ce résultat présente la propriété essentielle de nous
+fournir, sur la constitution intérieure de notre globe, une première
+donnée générale, qui, fort incomplète sans doute, n'en est pas moins
+infiniment précieuse, en vertu de son incontestable positivité, qui peut
+déjà suffire à exclure plusieurs conjectures hasardées. En effet, la
+densité moyenne de la terre étant, d'après cette mesure, très supérieure
+à la densité des couches qui composent sa surface, formée d'eau en si
+grande partie, il est indispensable que les couches deviennent, en
+général, de plus en plus denses, en se rapprochant du centre, sauf les
+irrégularités accidentelles, ce qui est d'ailleurs parfaitement en
+harmonie avec l'indication mathématique de la mécanique céleste à
+l'égard de toutes les planètes, comme nous le mentionnerons ci-après.
+Une conjecture quelconque sur la structure interne de la terre est donc
+désormais assujettie à cette indispensable condition, en sorte que
+celles qui n'y satisferaient pas, en supposant vide par exemple
+l'intérieur du globe, seraient, par cela même, radicalement fausses.
+Mais, ce renseignement, le seul réel qui existe encore à cet égard, est
+malheureusement très imparfait; car il ne donne évidemment aucun indice,
+même sur l'état physique des couches internes, qu'on pourrait supposer
+liquides et peut-être gazeuses, aussi bien que solides, sans que cette
+condition fût effectivement violée.</p>
+
+<p>La seconde grande détermination statique que nous devions caractériser
+dans la mécanique céleste, concerne l'importante et difficile étude
+mathématique de la figure des astres, envisagée comme déduite de la
+théorie générale de leur équilibre, indépendamment d'aucune mesure
+géométrique.</p>
+
+<p>Si la terre, ou toute autre planète, avait toujours été dans l'état de
+consistance que nous observons, la mécanique céleste n'aurait évidemment
+aucune base pour déterminer <i>à priori</i> sa figure, puisque l'équilibre
+d'un système solide est certainement compatible avec une forme
+extérieure quelconque. C'est pourquoi les géomètres, afin d'étudier la
+figure des astres d'après les règles générales de la statique, ont dû
+les supposer antérieurement fluides, du moins à la surface, ce qui ne
+permet plus l'équilibre qu'avec certaines formes spéciales. L'accord
+remarquable des principaux résultats de cette hypothèse indispensable
+avec l'ensemble des observations directes, a démontré ensuite la
+justesse d'une conjecture indiquée d'ailleurs, surtout envers la terre,
+par beaucoup d'autres phénomènes.</p>
+
+<p>En considérant ainsi la question d'une manière générale, il est d'abord
+évident que, si les astres n'avaient aucun mouvement de rotation, la
+figure parfaitement sphérique conviendrait à l'équilibre de leurs
+molécules, puisque la pesanteur, dès lors constamment dirigée au centre,
+serait toujours perpendiculaire aux couches de niveau, pourvu qu'on les
+supposât homogènes, et que la densité variât seulement de l'une à
+l'autre, suivant une loi d'ailleurs arbitraire. Mais on conçoit aisément
+que la force centrifuge engendrée par la rotation doit nécessairement
+modifier cette forme primitive, en altérant plus ou moins soit la
+direction, soit l'intensité de la pesanteur proprement dite.</p>
+
+<p>Sous le premier point de vue, qui est celui d'Huyghens, il est facile de
+constater que si la terre, par exemple, était exactement sphérique, la
+force centrifuge écarterait sensiblement le fil-à-plomb de la direction
+perpendiculaire à la surface. Cette déviation, nécessairement nulle au
+pôle, où la force centrifuge n'existe pas, et à l'équateur, où elle agit
+suivant la même droite que la pesanteur, atteindrait son <i>maximum</i> vers
+quarante-cinq degrés de latitude, où elle devrait être d'environ six
+minutes, et, par conséquent, très appréciable. Ainsi, la droite décrite
+par les corps dans leur chute naturelle, c'est-à-dire celle suivant
+laquelle se dirige, en chaque lieu, la résultante de la gravité et de la
+force centrifuge, ne saurait être, conformément à toutes les
+observations et à la théorie générale de l'équilibre des fluides,
+exactement perpendiculaire à la surface, qu'autant que la planète cesse
+d'être une sphère parfaite, pour devenir un sphéroïde aplati aux pôles
+et renflé à l'équateur.</p>
+
+<p>Il en est de même sous le point de vue de l'intensité, que Newton
+adopta. Deux colonnes fluides menées du centre de l'astre à son pôle et
+à son équateur, doivent nécessairement, pour l'égalité de leurs poids,
+avoir des longueurs inégales, puisque la gravité naturelle n'est
+nullement affaiblie dans la première par la force centrifuge, qui, au
+contraire, diminue diversement la pesanteur propre à chacun des points
+de la seconde. La comparaison des colonnes correspondantes à deux
+latitudes quelconques donnerait lieu évidemment à une remarque analogue,
+la différence y étant seulement moins prononcée. Les divers rayons de
+l'astre doivent donc augmenter graduellement depuis le pôle jusqu'à
+l'équateur, et rester seulement égaux entre eux à la même latitude,
+comme dans une surface de révolution.</p>
+
+<p>Cette première vue du sujet explique donc, d'une manière aussi
+élémentaire que satisfaisante, et la forme presque sphérique de tous
+nos astres, et le léger aplatissement que chacun d'eux nous présente à
+ses pôles. Mais quand on veut aller au-delà de cet aperçu général, et
+déterminer mathématiquement la véritable figure, ainsi que la valeur
+exacte de l'aplatissement, la question devient tout-à-coup
+transcendante, et présente des obstacles qui ne sauraient jamais être
+entièrement surmontés.</p>
+
+<p>La cause essentielle de ces hautes difficultés tient à ce que, par sa
+nature, le fond d'une telle recherche présente une sorte de cercle
+vicieux, qui ne comporte point d'issue parfaitement rationnelle. En
+effet, la théorie mathématique de l'équilibre des fluides exige
+évidemment que, pour former l'équation de la surface, on connaisse
+d'abord la vraie loi de la pesanteur dont ses diverses molécules sont
+animées. Or, d'un autre côté, cette loi ne saurait être exactement
+déterminée, d'après la théorie fondamentale de la gravitation, qu'autant
+que la forme de l'astre, et même le mode de variation de la densité dans
+son intérieur, seraient préalablement donnés. Il est donc impossible,
+même en supposant l'astre homogène, d'obtenir une solution directe et
+complète qui indique avec une pleine certitude les formes propres à
+l'équilibre, en donnant une exclusion nécessaire à toutes les autres. On
+ne peut réellement qu'essayer si telle figure proposée remplit ou non
+les conditions fondamentales. Aussi les géomètres attachent-ils avec
+raison un très grand prix au beau théorème découvert par Maclaurin, qui
+est devenu le fondement nécessaire de toutes leurs recherches à ce
+sujet<a id="footnotetag14" name="footnotetag14"></a>
+<a href="#footnote14"><sup class="sml">14</sup></a>, en démontrant que l'ellipsoïde de révolution satisfait
+exactement aux conditions de l'équilibre. Ce point de départ, que
+Maclaurin avait établi seulement dans l'hypothèse de l'homogénéité, fut
+ensuite étendu par Clairaut au cas d'un astre composé de couches dont la
+densité varie arbitrairement, et qui ne serait même que partiellement
+fluide<a id="footnotetag15" name="footnotetag15"></a>
+<a href="#footnote15"><sup class="sml">15</sup></a>. La question a dès lors été réduite à la détermination du
+rapport des deux axes. Or, cette évaluation ne présente aucune
+difficulté en regardant l'astre comme homogène. Mais les mesures
+directes ayant toujours montré, à l'égard des diverses planètes, un
+aplatissement moindre que celui obtenu ainsi, cette hypothèse,
+directement reconnue fausse d'ailleurs envers la terre, comme nous
+l'avons vu plus haut, et évidemment invraisemblable en général, a dû
+être définitivement exclue. Dès ce moment, l'aplatissement a cessé de
+comporter une détermination directe et rigoureuse, puisque nous ignorons
+nécessairement la vraie loi suivant laquelle la densité croît de la
+surface au centre dans un astre quelconque, et qu'il serait strictement
+indispensable d'y avoir égard. Néanmoins, les travaux des géomètres, et
+surtout de Laplace, sur l'influence de diverses lois de la densité, ont
+fait connaître des limites très précieuses, souvent fort resserrées,
+entre lesquelles l'aplatissement doit inévitablement tomber. La plus
+générale et la plus usuelle consiste en ce que cet aplatissement est
+compris, de toute nécessité, pour un astre quelconque, entre les cinq
+quarts et la moitié du rapport de la force centrifuge à l'équateur à la
+gravité correspondante, puisque la première valeur aurait lieu si
+l'astre était homogène, et la seconde si la densité croissait avec une
+telle rapidité qu'elle devînt infinie au centre. C'est ainsi que
+l'aplatissement terrestre ne peut excéder un deux cent trentième, ni
+être moindre qu'un cinq cent soixante-dix-huitième; ce qui est
+parfaitement conforme aux mesures directes, que cette règle mathématique
+a plus d'une fois servi à contrôler.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote14"
+name="footnote14"><b>Note 14: </b></a><a href="#footnotetag14">
+(retour) </a> Le travail de Newton ne fit réellement que
+ poser la question, puisqu'il y avait supposé, sans aucune
+ démonstration, la figure elliptique des méridiens, ce qui
+ réduisait dès lors la recherche à la mesure de
+ l'aplatissement, extrêmement facile dans l'hypothèse
+ d'homogénéité qu'il avait adoptée.
+</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote15"
+name="footnote15"><b>Note 15: </b></a><a href="#footnotetag15">
+(retour) </a> M. Jacobi a fait tout récemment, pour le seul
+ cas de l'homogénéité, la découverte remarquable de la
+ possibilité de l'équilibre avec un ellipsoïde à trois axes
+ inégaux, dont le moindre est toujours nécessairement celui
+ du pôle.
+</blockquote>
+
+<p>Au reste, dans presque toutes les planètes, l'aplatissement exerce,
+comme nous l'indiquerons prochainement, une influence nécessaire et
+appréciable sur certains phénomènes de perturbation, ce qui fournit de
+nouveaux moyens indirects de le déterminer, en éludant la difficulté
+insurmontable que présente à cet égard la théorie de l'équilibre des
+astres.</p>
+
+<p>L'ensemble de ces évaluations coïncide avec les mesures immédiates plus
+parfaitement qu'on n'avait lieu de l'espérer d'après les causes
+fondamentales d'incertitude inhérentes à une telle recherche. Le seul
+cas qui semble présenter une exception réelle, est celui de Mars, qui,
+suivant sa grandeur, sa masse, et la durée de sa rotation, ne devrait
+être guère plus aplati que la terre, et qui cependant le serait presque
+autant que Jupiter, si les observations d'Herschell sont parfaitement
+exactes.</p>
+
+<p>Quoique l'équilibre soit compatible avec la figure ellipsoïdique,
+d'après le théorème de Maclaurin, la nature de cette question ne permet
+nullement d'assurer que cette forme doive être regardée comme exclusive.
+Aussi notre monde nous offre-t-il, dans les anneaux de Saturne, un
+exemple très prononcé d'une figure différente. Laplace a démontré qu'ils
+pouvaient être en équilibre, même à l'état fluide, en les supposant
+engendrés par la révolution d'une ellipse autour d'une droite
+extérieure, menée, parallèlement à son petit axe et dans son plan, par
+le centre de Saturne. L'équilibre subsisterait même encore avec
+l'inégalité de ces méridiens elliptiques, qui semble indiquée par les
+observations.</p>
+
+<p>La plus utile conséquence finale de la théorie mathématique des formes
+planétaires, consiste dans l'importante relation qu'elle a naturellement
+établie entre la valeur des différens degrés terrestres et l'intensité
+de la pesanteur correspondante mesurée par la longueur du pendule à
+secondes aux diverses latitudes. Il en est résulté l'heureuse faculté de
+multiplier ainsi presqu'à volonté, de la manière la plus commode, nos
+renseignemens indirects sur la figure de notre globe, tandis que
+l'estimation géométrique des degrés est une opération longue et pénible,
+qui ne saurait être fréquemment répétée avec tout le soin qu'elle exige.
+Mais, en général, plus une mesure est indirecte, tout étant d'ailleurs
+égal, moins elle est certaine. Aussi, quelque précise que soit
+réellement cette ressource, il faut reconnaître, ce me semble, que les
+procédés géodésiques convenablement appliqués n'en continuent pas moins
+à mériter la préférence, à cause de la loi intérieure des densités
+terrestres, élément inconnu qui affecte nécessairement les indications
+fournies par les expériences du pendule pour la figure de la terre.</p>
+
+<p>Un appendice naturel et intéressant de la théorie hydrostatique de la
+figure des planètes, consiste dans les conditions de la stabilité de
+l'équilibre des fluides qui recouvrent, en totalité ou en partie, la
+surface des astres. Laplace a établi à ce sujet un théorème général,
+aussi simple qu'important, qu'un premier aperçu semble d'ailleurs devoir
+indiquer d'avance. Il fait dépendre cette stabilité, quels que puissent
+être et le mode de répartition du fluide et la loi interne des densités,
+de la seule supériorité de la densité moyenne de l'astre sur celle du
+fluide; caractère si évidemment constaté, pour la terre, par la belle
+expérience de Cavendish. On pourrait aisément en faire le texte d'une
+cause finale, puisque la perpétuité des espèces terrestres exige
+clairement que l'équilibre des mers tende à se rétablir spontanément,
+après avoir été momentanément troublé d'une manière quelconque. Mais
+l'examen attentif du sujet fait aussitôt disparaître la finalité, en
+rendant sensible la nécessité d'un tel arrangement dans la formation
+primitive des planètes, la densité des couches ayant dû naturellement
+croître de la surface au centre, comme l'indique si nettement toute la
+théorie de la figure des astres.</p>
+
+<p>La grande question des marées constitue la dernière recherche
+essentielle que je crois devoir classer parmi les études principales de
+la statique céleste. Sous le point de vue astronomique, le caractère
+statique de cette théorie se montre évidemment, puisque l'astre y est
+essentiellement envisagé comme immobile. Mais ce caractère n'est pas, au
+fond, moins réel sous le point de vue mathématique, en considérant le
+véritable esprit de la solution, où l'on ne s'occupe surtout que de la
+figure vers laquelle tend l'Océan par l'équilibre périodique des
+diverses forces qui le sollicitent, sans penser aux mouvemens que
+produisent les variations de cet équilibre. Enfin, cette étude fait
+naturellement suite à celle de la figure des astres.</p>
+
+<p>Ce beau problème, indépendamment de son importance propre, présente un
+intérêt philosophique tout particulier, en établissant une transition
+naturelle et évidente de la physique du ciel à celle de la terre, par
+l'explication céleste d'un grand phénomène terrestre.</p>
+
+<p>Descartes est réellement le premier philosophe qui ait tenté de fonder
+une théorie positive des marées, exclusivement rattachées jusque alors à
+des conceptions métaphysiques, dont Képler lui-même n'avait pas cru
+pouvoir se passer. Quoique l'explication proposée par Descartes soit,
+sans doute, entièrement inadmissible, c'est néanmoins à lui que nous
+devons l'observation fondamentale de l'harmonie constante entre la
+marche générale de ce phénomène et le mouvement de la lune, qui a
+certainement contribué à mettre Newton sur la voie de la vraie théorie.
+Il suffisait, en quelque sorte, d'être averti que la cause réelle de ce
+grand phénomène devait nécessairement se trouver dans le ciel, pour que
+la théorie de la gravitation dévoilât aussitôt son explication générale,
+tant elle en résulte naturellement.</p>
+
+<p>L'inégale gravitation des diverses parties de l'Océan vers un quelconque
+des astres de notre monde, et particulièrement vers le soleil et la
+lune: tel est le principe, éminemment simple et lucide, d'après lequel
+Newton a ébauché la véritable théorie des marées, approfondie ensuite
+par Daniel Bernouilli, dont le beau travail n'a réellement subi depuis
+aucun perfectionnement essentiel. Essayons de caractériser nettement
+l'esprit général de cette grande recherche. La théorie convient en
+elle-même aussi bien à l'atmosphère qu'à l'Océan. Mais je considérerai
+seulement ce dernier cas, puisque les marées atmosphériques, d'ailleurs
+infiniment moindres, à cause de la masse si minime de notre enveloppe
+gazeuse, échappent essentiellement, par leur nature, à toute
+observation réelle, malgré les efforts tentés quelquefois pour en
+manifester l'influence, surtout dans les variations diurnes du
+baromètre, dont l'examen attentif pendant plusieurs années a cependant
+indiqué à M. Flaugergues une relation certaine avec le mois lunaire.</p>
+
+<p>En joignant le centre de la terre à un astre quelconque, les deux points
+correspondans de la surface terrestre doivent graviter évidemment l'un
+un peu plus, l'autre un peu moins que le centre lui-même, inversement
+aux quarrés de leurs distances respectives. Le premier tend donc à
+s'éloigner du centre, ce qui doit produire une certaine élévation de la
+surface fluide, et le centre tend, au contraire, à s'éloigner du second
+point, où doit survenir ainsi une élévation analogue et à très peu près
+égale. Cet effet diminue nécessairement à mesure qu'on s'écarte
+davantage de ces deux points dans un sens quelconque, et devient nul à
+quatre-vingt-dix degrés de là, où, les parties de l'Océan gravitant
+comme le centre, le niveau doit baisser pour fournir à l'exhaussement du
+reste, indépendamment d'une dépression directe presque insensible. En
+même temps, ces divers changemens de niveau font varier la pesanteur
+terrestre des eaux correspondantes; et cette seconde cause, la plus
+difficile et la plus incertaine à calculer, agit évidemment dans le
+même sens que la première, quoique avec moins d'énergie, pour
+l'établissement définitif du niveau général.</p>
+
+<p>On voit ainsi comment l'action d'un astre quelconque sur l'Océan, qui ne
+pourrait nullement altérer sa surface naturelle, si elle avait partout
+la même intensité, tend nécessairement, à raison de son inégale énergie
+sur les divers lieux, à la modifier un peu, en lui faisant prendre la
+forme d'un sphéroïde allongé vers l'astre. Sous ce rapport fondamental,
+la question est parfaitement semblable à celle considérée ci-dessus de
+la figure mathématique de la terre, la force centrifuge étant ici
+remplacée par la différence entre la gravitation du centre de notre
+globe et celle de sa surface vers l'astre proposé. La recherche est
+seulement encore plus compliquée, puisqu'il faut évidemment y tenir
+compte aussi de l'ellipticité naturelle du globe. Mais l'esprit et la
+marche générale de la solution mathématique doivent être essentiellement
+identiques dans les deux cas. C'est ainsi que Newton a pu d'abord
+calculer aisément la partie principale du phénomène, en supposant, sans
+la démontrer, une figure ellipsoïdique, comme il l'avait déjà fait pour
+l'autre question, et se bornant à comparer immédiatement, dans
+l'hypothèse de l'homogénéité, les deux axes de l'ellipse. De même
+encore, le théorème de Maclaurin est aussi devenu plus tard, pour Daniel
+Bernouilli, la base naturelle d'une exacte théorie des marées.</p>
+
+<p>Jusque là, toutefois, il n'y a point de marées proprement dites,
+c'est-à-dire ces élévations et dépressions alternatives et périodiques,
+qui en font le caractère le plus saillant. Le phénomène semble consister
+en un simple renflement fixe de la partie de l'Océan située sous l'astre
+considéré. Mais, quoiqu'un tel effet paraisse différer beaucoup d'une
+véritable marée, il n'en constitue pas moins la principale base
+mathématique de cette grande question. Il est maintenant très facile de
+concevoir la périodicité fondamentale du phénomène en introduisant la
+considération du mouvement diurne, jusque alors écartée. Si ce mouvement
+n'avait pas lieu, ou si seulement il s'exécutait autour de la droite qui
+joint l'astre au centre de la terre, toutes les parties de l'Océan
+conservant sans cesse la même situation envers cet astre, la surface de
+la mer resterait invariable, après avoir pris, dès l'origine, la forme
+convenable à son équilibre. Mais, en réalité, la rotation quotidienne de
+notre globe transporte successivement les eaux qui le recouvrent dans
+toutes les positions où l'astre tend à les élever et dans celles où il
+doit les abaisser. C'est ainsi que la marche journalière du phénomène se
+compose nécessairement de quatre alternatives périodiques à peu près
+également réparties: les deux plus grandes élévations correspondent aux
+deux passages de l'astre par le méridien du lieu, et les moindres
+niveaux à son lever et à son coucher; la période totale étant d'ailleurs
+exactement fixée par la combinaison de la rotation terrestre avec le
+mouvement propre de l'astre en un jour.</p>
+
+<p>Un dernier élément indispensable nous reste à indiquer, pour avoir
+établi toutes les bases de la notion abstraite des marées; c'est la
+règle générale d'après laquelle on peut apprécier à cet égard l'énergie
+des différens astres, dont aucun ne semble mathématiquement devoir être
+négligé. Cette énergie est évidemment mesurée par la différence entre la
+gravitation du centre de notre globe et celle des points extrêmes de sa
+surface vers l'astre proposé. En exécutant, d'après la loi fondamentale
+de la gravitation, cette différentiation très facile, on trouve aussitôt
+que la puissance de chaque astre pour produire nos marées est en raison
+directe de sa masse et en raison inverse du cube de sa distance à la
+terre. Il résulte de cette règle essentielle la précieuse faculté de
+déterminer rationnellement, parmi tous les astres de notre monde, quels
+sont ceux qui peuvent concourir sensiblement au phénomène, et de mesurer
+à chacun d'eux sa part d'influence. On reconnaît ainsi que le soleil, en
+vertu de sa masse immense, et la lune, par son extrême proximité,
+doivent seuls produire des marées appréciables; tous les autres corps
+célestes sont ou trop éloignés ou de trop peu de poids pour qu'il en
+résulte aucun effet perceptible. Enfin, l'action de la lune est de deux
+fois et demi à trois fois plus grande que celle du soleil. Ainsi, lors
+même que les deux astres agissent en sens opposé, c'est sur la lune que
+doit se régler constamment la marche générale du phénomène; ce qui
+explique parfaitement l'observation fondamentale de Descartes, quant à
+la continuelle coïncidence de la période des marées avec le jour
+lunaire.</p>
+
+<p>Toutes les considérations mathématiques précédemment indiquées ne
+s'appliquent directement qu'à la marée simple et abstraite, produite par
+un astre unique. Mais la nécessité d'envisager simultanément les actions
+de deux astres différens rendrait la solution analytiquement
+inextricable, si Daniel Bernouilli ne l'eût radicalement simplifiée, en
+y appliquant son célèbre principe dynamique sur la coexistence des
+petites oscillations, que j'ai exposé à la fin du premier volume de ce
+cours. Suivant ce principe, les marées lunaire et solaire se superposent
+sans altération, ce qui réduit aussitôt le problème à l'analyse
+partielle de chacune d'elles. Toutes les grandes variations régulières
+du phénomène s'expliquent dès lors avec une admirable facilité.
+Considérons seulement les plus importantes et les plus simples, celles
+qui correspondent aux diverses phases mensuelles de la lune. Aux deux
+syzygies, l'action solaire et l'action lunaire coïncident exactement;
+donc la marée effective doit alors atteindre son <i>maximum</i>, égal à la
+somme des deux marées élémentaires. Dans les deux quadratures, au
+contraire, le moindre niveau produit par l'un des astres accompagne
+nécessairement le plus haut niveau correspondant à l'autre; en sorte que
+l'on doit alors observer le <i>minimum</i> d'effet, égal à la différence des
+marées simples. Aux diverses époques intermédiaires, la marée solaire
+modifie toujours inégalement la marée lunaire, et ces variations se
+reproduisent par périodes d'un mois lunaire synodique, dont elles
+doivent suivre les irrégularités séculaires. La comparaison des deux cas
+extrêmes, si les observations permettaient de l'établir avec assez
+d'exactitude, conduirait même évidemment à estimer <i>à posteriori</i> le
+vrai rapport entre l'action de la lune et celle du soleil. Or, ce
+rapport dépendant des distances et des masses relatives des deux astres,
+suivant la règle exposée ci-dessus, on en pourrait déduire la raison de
+leurs masses, celle de leurs distances étant déjà bien connue. Cette
+considération, quoique ne devant pas être exclusivement employée, peut
+utilement concourir avec d'autres moyens pour déterminer la masse de la
+lune.</p>
+
+<p>Suivant la mesure fondamentale de chaque marée simple, cette classe de
+phénomènes doit éprouver un nouvel ordre de modifications régulières et
+périodiques, en vertu des changemens naturels qu'éprouve, pendant le
+cours de l'année ou du mois, la distance de la terre au soleil ou à la
+lune. Cette influence est ici proportionnellement plus sensible que dans
+beaucoup d'autres phénomènes, puisqu'elle y dépend du cube de la
+distance. Elle doit affecter particulièrement l'action lunaire,
+non-seulement comme étant la plus forte, mais encore en vertu de
+l'excentricité bien supérieure de l'orbite lunaire. Enfin, les deux
+variations peuvent se combiner de diverses manières, tantôt
+convergentes, tantôt divergentes; et elles doivent aussi modifier très
+diversement les inégalités principales, dues aux phases de la lune.</p>
+
+<p>Dans tout ce qui précède, le mouvement diurne de l'astre proposé est
+censé avoir exactement lieu suivant le plan de l'équateur. Mais, à une
+époque quelconque, son action doit évidemment être décomposée en deux;
+l'une, selon l'axe de rotation de la terre, et qui est nulle pour
+produire une marée; l'autre, parallèlement à l'équateur, et qui, seule,
+détermine le phénomène. Voilà donc, à cet égard, un dernier genre de
+modifications générales, indépendantes de la distance, et uniquement
+dues à la direction: en sorte que, toutes choses d'ailleurs égales,
+chaque marée élémentaire doit varier proportionnellement au cosinus de
+la déclinaison de l'astre correspondant. Telle est la raison simple de
+la différence notable, si généralement remarquée, quant à l'ensemble des
+marées, entre le mois lunaire équinoxial et le mois lunaire solsticial,
+surtout en considérant, pour notre hémisphère, le solstice d'été, où
+l'affaiblissement déterminé par la distance du soleil concourt avec
+celui qui résulte de sa direction.</p>
+
+<p>Quant aux variations du phénomène dans nos divers climats, la théorie ne
+peut apprécier jusqu'ici d'autre influence régulière que celle de la
+latitude. Aux deux pôles, il ne saurait exister évidemment que de
+faibles marées indirectes dues à la nécessité d'y prendre ou d'y envoyer
+les eaux qui s'élèvent ou s'abaissent ailleurs; car, là, il n'y a plus,
+à proprement parler, de mouvement diurne. À l'équateur, au contraire, le
+phénomène doit se manifester au plus haut degré possible, non-seulement
+à cause de la diminution de la pesanteur, mais surtout en vertu de la
+diversité plus complète des positions successives occupées par les eaux
+pendant la rotation journalière. En tout autre lieu, l'intensité de la
+marée doit varier proportionnellement à l'énergie de cette rotation, et,
+par conséquent, en raison du cosinus de la latitude.</p>
+
+<p>Tel est, en aperçu, l'esprit général de la grande théorie mathématique
+des marées, envisagée sous ses divers aspects réguliers. Toutes ses
+différentes parties, abstraction faite des évaluations numériques, sont
+dans une admirable harmonie avec l'ensemble des observations directes.
+On a même lieu d'être surpris, quant aux nombres, de ne pas les trouver
+plus différens de la réalité, convenablement explorée, lorsqu'on pense
+aux hypothèses que les géomètres ont dû faire pour rendre les calculs
+exécutables, et aux données nécessairement inaccessibles qu'exigerait
+une estimation parfaitement rationnelle. Il ne suffirait point, en
+effet, de connaître exactement l'étendue et la forme du lit de l'Océan.
+La question dépend encore évidemment d'une notion bien plus inabordable,
+la vraie loi de la densité dans l'intérieur de la terre, comme à l'égard
+de la figure des astres. Il y a même ici une circonstance nouvelle,
+suivant la judicieuse remarque de Daniel Bernouilli; car il faudrait
+connaître aussi quel est l'état, fluide ou solide, des couches internes,
+pour savoir si elles participent ou non au phénomène, et si, par
+conséquent, elles modifient l'effet produit à la surface. L'ensemble de
+ces considérations peut faire apprécier la profondeur du conseil général
+donné par Daniel Bernouilli, qui possédait à un degré si éminent le
+véritable esprit mathématique, consistant surtout dans la relation du
+concret à l'abstrait, comme je me suis efforcé de le faire sentir en
+traitant de la philosophie mathématique. Il recommande prudemment aux
+géomètres, à cet égard, ainsi que Clairaut, «de ne point trop presser
+les conséquences des formules, de peur d'en tirer des conclusions
+contraires à la vérité.» Laplace, en détaillant davantage la théorie de
+son illustre prédécesseur, n'a peut-être pas toujours fait assez
+d'attention à cette sage maxime philosophique.</p>
+
+<p>Quant à la comparaison générale et exacte de la théorie mathématique des
+marées avec leur observation effective, on doit reconnaître, ce me
+semble, qu'elle n'a point encore été convenablement faite, puisque
+toutes les mesures ont été prises dans des ports, ou du moins très près
+des côtes. Or, dans de telles localités, on ne peut apercevoir
+essentiellement que des marées indirectes, qui ne doivent représenter
+que fort imparfaitement les marées régulières dont elles émanent, leur
+intensité étant principalement déterminée le plus souvent par l'étendue
+et la configuration du sol, tant au fond qu'à la surface, et pouvant
+même être influencée par sa structure. C'est à de telles circonstances,
+qu'aucune théorie mathématique ne saurait évidemment considérer, qu'il
+faut sans doute attribuer ces énormes différences que présente en
+quelques lieux la hauteur des marées, aux mêmes époques, et dans des
+positions presque identiques; comme, par exemple, les marées
+comparatives de Granville et Dieppe, ou de Bristol et Liverpool. Afin
+d'apprécier empiriquement l'exactitude numérique de la théorie des
+marées, il serait indispensable d'entreprendre, pendant un nombre
+d'années assez grand pour que les diverses variations régulièrement
+prévues fussent plusieurs fois reproduites, une suite continue
+d'observations précises, dans une île très petite, située à l'équateur,
+et à trente degrés au moins de tout continent. Tel est le seul contrôle
+réellement susceptible de contribuer essentiellement à vérifier et
+surtout à perfectionner la théorie générale des marées mathématiques.</p>
+
+<p>Quelque incertitude inévitable que présentent plusieurs données de cette
+grande théorie, surtout dans son application à nos ports, elle n'en
+reçoit pas moins, de notre expérience journalière, la sanction la plus
+décisive et la plus utile, puisqu'elle atteint le but définitif de toute
+science réelle, une exacte prévision des événemens, propre à régler
+notre conduite. Les principales circonstances locales devant avoir, à
+l'exception des vents, une influence essentiellement constante, il a été
+possible de modifier heureusement, d'après l'observation, pour chaque
+port, les deux coefficiens fondamentaux, relatifs à la hauteur moyenne
+des marées, et à l'heure de leur entier établissement; ce qui a permis
+de rendre toutes les déterminations mathématiques suffisamment conformes
+à la réalité. C'est ainsi que, depuis un siècle, une classe importante
+de phénomènes naturels, généralement regardés jusque alors comme
+inexplicables, a été ramenée avec précision à des lois invariables, qui
+en excluent irrévocablement toute intervention providentielle et toute
+conception arbitraire.</p>
+
+<p>Tels sont les caractères philosophiques des trois hautes questions dont
+se compose la mécanique céleste, envisagée sous le point de vue
+statique. Il nous reste maintenant à entreprendre, dans la leçon
+suivante, le même examen général à l'égard des phénomènes vraiment
+dynamiques que présente notre monde, et dont l'étude a été précédemment
+ébauchée par la géométrie céleste, résumée dans les trois grandes lois
+de Képler, qui éprouvent en réalité des modifications indispensables à
+connaître pour l'exacte prévision de l'état du ciel à une époque
+quelconque.</p>
+
+<a name="l26" id="l26"></a>
+<br><hr class="full"><br>
+
+<h3>VINGT-SIXIÈME LEÇON.</h3>
+
+<br><hr class="short"><br>
+
+<p class="sml">Considérations générales sur la dynamique céleste.</p>
+
+<p>La gravitation mutuelle des différens astres de notre monde doit
+nécessairement altérer la parfaite régularité de leur mouvement
+principal, déterminé, conformément aux lois de Képler, par la seule
+pesanteur de chacun d'eux vers le foyer de son orbite. Parmi ces divers
+dérangemens, les plus considérables furent directement observés dès
+l'origine de l'astronomie mathématique dans l'école d'Alexandrie;
+d'autres ont été aperçus plus tard de la même manière, à mesure que
+l'exploration du ciel est devenue plus précise; enfin, les moindres
+n'ont pu être découverts que par l'emploi des moyens d'observation les
+plus perfectionnés de l'astronomie moderne. Tous sont maintenant
+expliqués, avec une admirable exactitude, par la théorie générale de la
+gravitation, qui a même devancé quelquefois l'inspection immédiate à
+l'égard des moins prononcés. Cet important résultat de l'ensemble des
+grands travaux mathématiques exécutés, dans le siècle dernier, par les
+successeurs de Newton, constitue une des vérifications les plus
+décisives de la théorie newtonienne, surtout en ce qu'il met hors de
+doute l'universelle réciprocité de la gravitation entre tous les corps
+qui composent notre système solaire.</p>
+
+<p>Le caractère fondamental de cet ouvrage et ses limites nécessaires
+interdisent évidemment de considérer ici séparément chacun de ces
+nombreux problèmes, dont les difficultés sont d'ailleurs
+essentiellement analytiques, leurs équations différentielles étant
+presque toujours très faciles à former, d'après les règles de la
+dynamique rationnelle. L'esprit général des recherches de mécanique
+céleste se trouve être suffisamment caractérisé par les questions
+examinées dans la leçon précédente, les seules, en réalité, qui exigent
+des conceptions propres, indépendantes du calcul. Nous devons donc ici
+nous borner essentiellement à examiner le plan rationnel et la nature
+générale des principales études relatives aux modifications des
+mouvemens célestes.</p>
+
+<p>À l'égard de ces mouvemens, comme envers tous les autres, il importe
+beaucoup de distinguer d'abord, avec Lagrange, deux genres principaux
+d'altérations, qui diffèrent profondément, aussi bien quant à leur
+théorie mathématique que par les circonstances qui les constituent: les
+changemens brusques, provenant de chocs ou d'explosions internes, dont
+l'action peut, sans aucun inconvénient, être conçue instantanée; les
+changemens graduels, ou les perturbations proprement dites, dues à
+l'influence continue des gravitations secondaires, dont l'effet dépend
+du temps écoulé. Quoique le premier ordre de dérangemens soit, sans
+doute, dans notre monde, presque entièrement idéal, il n'en est pas
+moins essentiel à considérer, ne fût-ce que comme un préliminaire
+indispensable à l'étude du second, dont l'esprit consiste, en effet, à
+traiter chaque gravitation perturbatrice comme une suite de petites
+impulsions, selon la méthode ordinaire de la mécanique rationnelle.</p>
+
+<p>L'influence des changemens brusques, bien qu'elle puisse être beaucoup
+plus grande que celles des simples perturbations, comporte une étude
+infiniment plus facile. Il est clair, en effet, que les lois de Képler
+ne doivent point cesser, pour cela, d'être exactement maintenues: tout
+au plus, l'ellipse pourrait-elle dégénérer en parabole ou en hyperbole,
+comme je l'ai indiqué dans l'avant-dernière leçon. Tout l'effet doit
+évidemment consister à donner subitement de nouvelles valeurs aux six
+élémens fondamentaux du mouvement elliptique, puisque rien n'est changé
+dans les forces accélératrices. Après une telle variation, ces nouveaux
+élémens resteront d'ailleurs aussi fixes qu'auparavant, jusqu'à ce qu'il
+survienne quelque autre événement semblable. D'ailleurs l'altération
+peut porter indifféremment sur chacun des six élémens, dont plusieurs
+sont, au contraire, fort peu affectés par les perturbations.</p>
+
+<p>On éprouverait de vraies difficultés mathématiques à déterminer
+rationnellement, d'après les règles de la mécanique abstraite, quel doit
+être l'effet d'un choc ou d'une explosion sur le changement instantané
+de la vitesse actuelle d'un astre, quant à son intensité et à sa
+direction. Mais, cette variation une fois donnée, il est au contraire
+facile d'en déduire, comme Lagrange l'a montré, les nouvelles valeurs
+des élémens fondamentaux, et par suite toutes les modifications que
+pourra présenter le mouvement de translation. La question pourrait être
+beaucoup plus compliquée à l'égard de la rotation, si l'événement ne se
+bornait point à en altérer la durée, et qu'il changeât la direction de
+l'axe autour duquel elle s'exécute. Car, la nouvelle droite cessant
+d'être un des axes dynamiques principaux de l'astre, cet événement,
+quoique instantané, deviendrait nécessairement, d'après la théorie
+générale de la rotation, la source d'une suite perpétuelle, ou du moins
+très prolongée, d'altérations difficiles à analyser; ce qui ne saurait
+jamais avoir lieu, quant à la translation.</p>
+
+<p>Quoique le choc mutuel de deux astres et la rupture d'un astre unique en
+plusieurs fragmens séparés par suite d'une explosion interne, puissent
+déterminer des variations quelconques dans tous les élémens
+astronomiques de leur mouvement elliptique, il existe deux relations
+fondamentales, qui, d'après les lois générales du mouvement, doivent
+rester, même alors, nécessairement inaltérables, et qui pourraient, ce
+me semble, en les employant convenablement, nous conduire souvent à
+constater la réalité de tels événemens à une époque quelconque. Ce sont
+les deux propriétés essentielles de la conservation du mouvement du
+centre de gravité et de l'invariabilité de la somme des aires, qui
+reposent seulement, comme on sait, sur l'égalité entre la réaction et
+l'action, à laquelle sans doute de tels changemens ne cesseraient point
+de se conformer. Il en résulte deux équations très importantes entre les
+masses, les vitesses et les positions des deux astres ou des deux
+fragmens du même astre, considérées avant et après l'événement.</p>
+
+<p>Aucun indice ne paraît jusqu'ici nous autoriser à penser que le cas du
+choc se soit jamais réellement présenté dans notre monde, et l'on
+conçoit en effet combien la rencontre de deux astres doit y être
+difficile, sans qu'elle y soit, néanmoins, mathématiquement impossible.
+Mais, il n'en est nullement ainsi à l'égard des explosions. L'identité
+presque parfaite des moyennes distances et des temps périodiques propres
+aux quatre petites planètes situées entre Mars et Jupiter, a conduit,
+comme on sait, M. Olbers à conjecturer ingénieusement qu'elles formaient
+autrefois une planète unique, dont une forte explosion interne aurait
+déterminé la division en plusieurs fragmens séparés. Presque toutes les
+autres circonstances caractéristiques de ces petits astres sont en
+harmonie avec cette opinion, à laquelle Lagrange a ajouté, d'après
+l'irrégularité de leur figure, que l'événement a dû être postérieur à la
+consolidation de la planète primitive. Quand leurs masses seront
+connues, je pense que cette hypothèse pourra être soumise à une
+vérification mathématique, qu'il me suffit d'indiquer ici, suivant les
+deux théorèmes précédemment mentionnés. En calculant ainsi les positions
+et les vitesses successives du centre de gravité du système de ces
+quatre planètes, on devrait, en effet, d'après une telle origine,
+retrouver le mouvement principal de l'astre primitif. Si donc les
+résultats de ces calculs représentaient ce centre de gravité décrivant
+une ellipse autour du soleil pour foyer, et son rayon vecteur traçant
+des aires proportionnelles aux temps, cet événement serait aussi
+constaté, ce me semble, que peut l'être un fait dont on n'a pas été
+témoin. Mais notre ignorance actuelle au sujet des momens d'inertie et
+surtout des masses de ces petits corps ne permet point encore
+d'assujettir la conjecture de M. Olbers à une semblable épreuve. Il n'en
+est pas moins intéressant, sous le point de vue philosophique, de voir
+comment la mécanique céleste peut parvenir à constater, d'une manière
+entièrement positive, de tels événemens, qui paraissent ne devoir
+laisser aucun témoignage appréciable. Il est, d'ailleurs, évident que la
+nature instantanée de ces changemens nous interdirait nécessairement
+d'en reconnaître l'époque, puisque les phénomènes seraient exactement
+les mêmes, que l'explosion fût récente ou ancienne; tandis qu'il n'en
+est point ainsi à l'égard des perturbations.</p>
+
+<p>Lagrange a pensé, avec beaucoup de vraisemblance, que le cas des
+explosions avait été très fréquent dans notre monde, et qu'on pouvait
+expliquer ainsi l'existence des comètes, d'après la grandeur des
+excentricités et des inclinaisons et la petitesse des masses, qui les
+caractérisent principalement. Il suffit, en effet, de concevoir qu'une
+planète ait éclaté en deux fragmens extrêmement inégaux, pour que le
+mouvement du plus considérable soit resté presque tel qu'auparavant,
+tandis que le plus petit aura pu décrire une ellipse très allongée et
+fort inclinée à l'écliptique. L'intensité de l'impulsion nécessaire à ce
+dernier changement est, en général, assez médiocre, comme Lagrange l'a
+établi, et d'ailleurs d'autant moindre que la planète primitive est plus
+éloignée du soleil. Cette opinion me paraît beaucoup plus satisfaisante
+que toutes celles qui ont été proposées au sujet des comètes,
+quoiqu'elle soit loin, sans doute, d'être jusqu'ici démontrée.</p>
+
+<p>Passons maintenant à la considération bien plus importante et bien
+autrement difficile des perturbations proprement dites, principal objet
+de la mécanique céleste pour le perfectionnement des tables
+astronomiques.</p>
+
+<p>Elles doivent être distinguées en deux classes générales, suivant
+qu'elles portent sur les mouvemens de translation, ou de rotation. La
+théorie abstraite des rotations constituant, par sa nature, comme nous
+l'avons reconnu en philosophie mathématique, la partie la plus difficile
+de la dynamique des solides, il en doit être nécessairement de même pour
+l'application au ciel.</p>
+
+<p>Heureusement, les mouvemens de rotation sont, en général, moins altérés,
+dans notre monde, que ceux de translation; et surtout, leurs
+perturbations sont bien moins importantes à connaître, si ce n'est dans
+le seul cas de la terre. Envisageons d'abord l'étude des translations,
+où les astres doivent être traités comme condensés en leurs centres de
+gravité.</p>
+
+<p>Quoiqu'il fût aisé de former, d'après les règles de la dynamique
+rationnelle, les équations différentielles du mouvement d'un quelconque
+des astres de notre monde, sollicité par ses diverses gravitations
+variables vers tous les autres, l'ensemble de ces équations ne
+constituerait, en réalité, dans l'état présent de nos connaissances
+mathématiques, et probablement toujours, qu'une énigme analytique
+absolument inextricable, dont il serait impossible de tirer aucun parti
+effectif pour l'étude des phénomènes célestes. Obligés de renoncer à
+cette marche directe, la seule pleinement rationnelle, les géomètres ont
+dû se réduire à analyser séparément le mouvement de chaque astre autour
+de celui qui en est le foyer, en ne considérant à la fois qu'un seul
+astre modificateur. C'est ce qui constitue, en général, le célèbre
+problème des trois corps, quoique cette dénomination n'ait d'abord été
+employée que pour la théorie de la lune. On conçoit aisément à quelles
+circonvolutions doit entraîner une telle manière de procéder, puisque
+l'astre qui modifie, étant à son tour modifié par d'autres, ses
+perturbations exigent un retour indispensable à l'étude du corps
+primitif. À quelques expédiens que notre impuissance mathématique nous
+contraigne de recourir, nous ne saurions empêcher que la détermination
+de l'ensemble des mouvemens de notre monde ne constitue nécessairement
+par sa nature, un problème vraiment unique, et non une suite de
+problèmes détachés les uns des autres. Cette séparation irrationnelle,
+et néanmoins impérieusement prescrite par l'imperfection de notre
+analyse, est la première source des modifications si multipliées dont
+les géomètres sont forcés de surcharger successivement leurs formules
+célestes.</p>
+
+<p>Si le problème des trois corps comportait une solution rigoureuse, ces
+corrections pourraient être bien moindres et surtout beaucoup moins
+nombreuses, puisque, en prenant pour type le mouvement qui lui
+correspond dans chaque cas, les mouvemens effectifs ne s'en écarteraient
+qu'à très peu d'égards et de quantités presque insensibles. Mais le
+problème fondamental et élémentaire de deux corps, dont l'un est même
+regardé comme fixe, c'est-à-dire le problème du mouvement elliptique,
+représenté par les lois de Képler, est le seul dont notre analyse
+actuelle permette une solution vraiment rationnelle, et encore
+avons-nous reconnu combien sont pénibles les calculs qu'elle exige.
+C'est donc à ce type, plus éloigné de la réalité, que les géomètres sont
+obligés de rapporter, par des approximations successives extrêmement
+compliquées, les vrais mouvemens des astres, en accumulant les
+perturbations produites séparément par chaque corps susceptible d'une
+influence appréciable; l'intégration des équations relatives au cas des
+trois corps ne pouvant s'opérer que par des séries ordonnées de diverses
+manières suivant les perturbations qu'on veut mettre en évidence.</p>
+
+<p>La petitesse ordinaire des perturbations a d'abord naturellement
+introduit cette manière de procéder, puisque le mouvement elliptique
+représente suffisamment, pendant un temps plus ou moins long, le
+véritable état du ciel. Elle a été ensuite érigée en principe, quand les
+géomètres ont bien connu la nature mathématique du problème général, et
+l'impossibilité de le traiter autrement que par approximation. C'est
+Lagrange qui a essentiellement donné à cette marche nécessaire son
+caractère méthodique définitif, en créant sa célèbre théorie générale de
+la variation des constantes arbitraires, si fondamentale dans toute la
+mécanique céleste, dont elle tend à régulariser les recherches et à
+rendre les procédés uniformes aussi rationnels que le comportent les
+difficultés insurmontables radicalement inhérentes à la question réelle.
+L'esprit de cette théorie consiste à concevoir le mouvement effectif
+d'un astre quelconque comme s'il était véritablement elliptique, mais
+avec des élémens variables, au lieu d'élémens fixes. Dès lors, Lagrange
+a établi des formules analytiques entièrement générales, pour
+déterminer les variations qu'éprouve chacun des six élémens, lorsque la
+force perturbatrice est donnée. L'étude de la mécanique céleste sera
+beaucoup simplifiée, quand l'usage direct de cette belle méthode y
+deviendra prépondérant.</p>
+
+<p>Pour se diriger dans le choix des perturbations dont il convient
+d'apprécier l'influence, la loi fondamentale de la gravitation permet
+immédiatement de comparer avec exactitude les diverses influences
+secondaires propres à chaque cas, du moins en regardant toutes les
+masses comme bien connues. Il suffit, en effet, de diviser le rapport
+des masses de deux astres modificateurs par le quarré du rapport de
+leurs distances à l'astre modifié, et ce quotient fait aussitôt
+distinguer quelle est la force perturbatrice qu'il faut principalement
+considérer, et quelle peut être, en général, la part d'influence de
+chacune des autres. Sous ce rapport fondamental, il faut reconnaître que
+la constitution effective de notre monde favorise éminemment la
+simplification de nos recherches mathématiques. Car, les astres qui le
+composent ont tous, comparativement au soleil, des masses extrêmement
+faibles, ce qui est la condition première de la petitesse habituelle des
+perturbations; mais, de plus, ils sont peu nombreux, très écartés les
+uns des autres, et fort inégaux en masse, d'où il résulte que, dans
+presque tous les cas, et surtout dans les plus importans, le mouvement
+principal n'est sensiblement modifié que par l'action d'un seul corps.
+Si, comme il arrive peut-être dans quelque autre monde, les astres du
+système eussent été, au contraire, plus multipliés, presque égaux en
+masse, très rapprochés, et beaucoup moins différens de l'astre central,
+quand même les inclinaisons et les excentricités de leurs orbites
+eussent continué à être fort petites, il est évident que les
+perturbations seraient devenues beaucoup plus considérables, et surtout
+bien plus variées, puisqu'un grand nombre de corps auraient presque
+également concouru à chacune d'elles. Ainsi, dans un tel arrangement, la
+mécanique céleste aurait probablement présenté une complication
+inextricable, n'étant plus essentiellement réductible au seul problème
+des trois corps.</p>
+
+<p>L'étude dynamique des modifications du mouvement elliptique des
+différens astres de notre monde, reproduit naturellement, et par les
+mêmes motifs, la distinction fondamentale que j'ai établie dans la
+vingt-troisième leçon, sous le point de vue géométrique, entre les trois
+cas généraux, inégalement difficiles, des planètes, des satellites et
+des comètes. En procédant avec toute la rigueur mathématique, il
+faudrait ici considérer sans doute un nouveau cas, celui du soleil, qui
+ne peut plus être regardé comme parfaitement immobile, en vertu de la
+réaction nécessaire que les planètes exercent sur lui. Les phénomènes
+intérieurs de notre monde ne comportent en effet d'autre point
+absolument fixe que le centre de gravité général de ce système, dont la
+position, d'après les lois abstraites du mouvement, demeure entièrement
+indépendante de toutes les actions mutuelles, quand même elles seraient
+beaucoup plus grandes. C'est, à vrai dire, ce centre de gravité qui
+constitue le foyer réel des mouvemens planétaires, et le soleil lui-même
+doit osciller continuellement autour de lui, dans des directions
+toujours variables suivant la situation des planètes. Mais, d'après la
+grandeur et la masse du soleil comparées aux distances et aux masses de
+tous les autres corps du système, il est évident que ce point tombe
+toujours entre le centre du soleil et sa surface. Ce serait donc
+affecter vainement d'introduire dans la dynamique céleste une précision
+qu'elle ne saurait comporter par tant d'autres motifs bien plus
+puissans, que d'y vouloir tenir compte de ces oscillations solaires,
+dont aucune observation ne parviendra probablement jamais à constater
+l'existence. On doit donc continuer à traiter le soleil comme
+rigoureusement fixe, sauf sa rotation. La même considération ne semble
+pas d'abord devoir être aussi négligée dans les systèmes partiels formés
+par une planète et ses satellites, où la disproportion des masses est
+quelquefois beaucoup moindre. Mais les distances étant pareillement
+réduites, le résultat se trouve être essentiellement identique, même à
+l'égard du système de la terre et de la lune, qui offre la disposition
+la plus défavorable, et dont néanmoins le centre de gravité est toujours
+situé dans l'intérieur de la terre. Cette circonstance peut donc être
+entièrement écartée de l'étude des mouvemens de translation, qui n'en
+sauraient éprouver que des modifications imperceptibles. Ainsi, la
+mécanique céleste ne présente réellement, dans cette étude, d'autres
+problèmes essentiels que ceux déjà traités, sous un autre point de vue,
+par la géométrie céleste.</p>
+
+<p>Le problème des planètes est ici, comme là, le plus simple de tous, et
+par suite des mêmes caractères, la petitesse des excentricités et des
+inclinaisons de leurs orbites, qui doit évidemment simplifier autant les
+approximations dynamiques que les séries géométriques. Outre cette
+influence algébrique, il en résulte surtout une bien plus grande fixité
+des perturbations, puisque chaque astre, demeurant toujours ainsi dans
+les mêmes régions célestes, se trouve sans cesse dans les mêmes rapports
+mécaniques, quoique leur intensité varie nécessairement entre certaines
+limites. Le cas le moins avantageux de cette première classe est
+malheureusement celui de notre planète, à cause du lourd satellite qui
+l'escorte de si près, et auquel sont dues ses principales perturbations,
+ce qui ne l'empêche pas d'ailleurs d'être sensiblement troublée, en
+outre, à l'époque des oppositions, surtout par une masse aussi
+supérieure que celle de Jupiter. Aucune autre planète à satellites ne se
+trouve dans un ensemble de conditions aussi défavorables; car, le
+mouvement de Jupiter, par exemple, ne saurait être notablement dérangé
+par l'action de ses satellites, quoique proportionnellement plus
+voisins, puisque la masse du plus considérable n'est pas tout-à-fait la
+dix-millième partie de la sienne, tandis que la masse lunaire est
+seulement soixante-huit fois moindre que celle de notre globe. Aussi la
+circulation de Jupiter n'est-elle sensiblement altérée que par
+l'influence de Saturne. Le cas le plus simple paraît toutefois devoir
+être celui d'Uranus, comme étant la dernière planète, en même temps
+qu'elle se trouve toujours extrêmement loin de celle qui la précède
+immédiatement: ses six satellites ne paraissent pas troubler beaucoup
+son mouvement.</p>
+
+<p>Le problème des satellites est nécessairement plus compliqué que celui
+des planètes, à cause de la mobilité du foyer du mouvement principal,
+comme en géométrie céleste. Il en résulte que, même abstraction faite
+des perturbations qui lui sont propres, toutes celles qu'éprouve la
+planète correspondante viennent inévitablement se réfléchir sur lui.
+C'est ainsi, par exemple, que la petite accélération perpétuelle du
+moyen mouvement de la lune avait si long-temps vainement occupé les
+fondateurs de la mécanique céleste, qui la regardaient comme
+inexplicable, jusqu'à ce que Laplace eût démêlé sa véritable cause dans
+la légère variation à laquelle est assujettie l'excentricité de l'orbite
+terrestre. Quant aux perturbations directes du mouvement des satellites,
+le problème général exige une distinction essentielle, suivant que la
+planète a un seul satellite, ou plusieurs. Dans le premier cas, qui
+n'existe que pour la lune, l'astre perturbateur est essentiellement le
+soleil, à cause de son inégale action sur la planète et sur son
+satellite. Il est clair, en effet, que si la terre et la lune
+gravitaient vers le soleil avec la même énergie et dans la même
+direction, cette action commune ne pourrait aucunement altérer le
+mouvement relatif de la lune en vertu de sa pesanteur terrestre. La
+différence de direction peut être presque négligée, mais non celle
+d'intensité. Il en résulte une force perturbatrice, dont la loi doit
+être naturellement analogue à celle considérée dans la leçon précédente
+au sujet des marées, en raison directe de la masse du soleil et inverse
+du cube de sa distance à la terre. Elle est ainsi seulement cent
+quatre-vingts fois plus petite que l'action de la terre sur la lune, et,
+par conséquent, elle doit fortement altérer le mouvement principal.
+C'est par là, entre autres, que les géomètres ont exactement expliqué
+ces grands dérangemens connus dès l'origine de l'astronomie, la
+révolution rétrograde des noeuds de l'orbite lunaire en dix-neuf ans
+environ, et celle, encore plus rapide, de son périgée en un peu moins de
+neuf ans. Il en est de même des inégalités moins prononcées, qui ne
+sauraient être énumérées ici. Il faut considérer, en outre, que la force
+perturbatrice variant alors, d'après la distance, bien plus rapidement
+que pour les planètes, le déplacement de la terre, même en s'y bornant
+au mouvement elliptique, change sensiblement l'intensité de cette force,
+ce qui introduit une complication nouvelle dans la théorie lunaire.
+Cependant, si cette théorie est justement réputée plus difficile que
+celle d'aucun autre satellite, cela tient surtout à ce que sa précision
+nous importe bien davantage, en même temps que les observations
+manifesteraient beaucoup mieux son imperfection. Car, d'ailleurs, sous
+le point de vue mathématique, il y a réellement une complication bien
+supérieure dans le cas de la pluralité des satellites, qui nous reste
+maintenant à signaler. Alors, en effet, toutes les considérations
+propres au cas précédent se reproduisent nécessairement, à l'égard du
+mouvement de chaque satellite, quoique leur influence puisse être
+réellement moindre. De plus, il faut tenir compte de l'action encore
+plus embarrassante, et pourtant aussi essentielle au moins, des divers
+satellites les uns sur les autres. Les complications hypothétiques
+indiquées ci-dessus envers les planètes d'un autre monde, se trouvent
+ici pleinement réalisées par l'extrême rapprochement et l'inégalité peu
+prononcée de ces différentes masses, qui peuvent être au nombre de six
+ou sept à traiter simultanément. Cette difficulté fondamentale se
+trouve, il est vrai, un peu compensée par la prépondérance de l'action
+de la planète, beaucoup plus prononcée que dans le cas précédent, et qui
+doit rendre les perturbations mutuelles des satellites bien moins
+considérables. Mais les obstacles inhérens à cette recherche n'en sont
+pas moins tels que jusqu'ici la mécanique céleste n'a réellement établi
+à cet égard que la théorie des satellites de Jupiter, au sujet desquels
+Laplace a découvert deux propriétés remarquables que présentent
+constamment, malgré toutes leurs perturbations, les positions et les
+vitesses de trois d'entre eux. Les tables des satellites de Saturne et
+d'Uranus ne sont encore construites que sous le point de vue
+géométrique, sans qu'on ait même aucune valeur approchée de leurs
+masses. Il faut reconnaître, toutefois, que nous n'avons heureusement
+aucun besoin de rendre leur étude aussi parfaite que celle de la lune,
+leur office pratique à l'égard de la détermination des longitudes
+pouvant être aisément suppléé. On conçoit d'ailleurs que notre grand
+éloignement de ces mondes secondaires nous permet de représenter
+suffisamment leur observation par une théorie bien plus grossière que ne
+doit l'être celle relative à un astre aussi rapproché que la lune, dont
+les moindres irrégularités nous deviennent nécessairement très
+appréciables. Quoique la mécanique céleste ait quelquefois réellement
+devancé l'exploration directe envers certains petits phénomènes peu
+importans, il ne faut point, ce me semble, que de tels exemples nous
+conduisent à exagérer notre ambition spéculative, qui doit sans doute se
+réduire, en général, à porter dans nos explications un degré de
+précision correspondant à celui des observations effectives. Un tel rôle
+est certainement assez élevé et assez difficile, pour provoquer le plus
+complet développement de nos forces intellectuelles: le reste serait,
+même en astronomie, essentiellement illusoire.</p>
+
+<p>Quelles que soient les difficultés fondamentales de la théorie dynamique
+des satellites, les circonstances caractéristiques propres au problème
+des comètes doivent le rendre encore plus compliqué. Il est clair, en
+effet, que, par suite de l'extrême allongement et de l'inclinaison en
+tous sens de leurs orbites, ces astres se trouvent, pendant leur
+révolution autour du soleil, dans des rapports mécaniques
+continuellement variables, à cause des différens corps près desquels ils
+viennent successivement à passer; tandis que les planètes, et même les
+satellites, ont toujours au contraire les mêmes relations, dont
+l'intensité seule varie. Les comètes s'éloignent ainsi à tel point du
+soleil, et se rapprochent tellement des diverses planètes, que la force
+perturbatrice peut devenir presque égale à la gravitation principale,
+dont elle n'est jamais, en tout autre cas, qu'une fraction très
+médiocre: il ne serait nullement impossible que cet effet devînt assez
+prononcé pour dénaturer entièrement le mouvement de la comète, et la
+convertir en un satellite, lorsqu'elle arrive dans le voisinage d'une
+planète considérable, comme Jupiter, Saturne, ou même Uranus. En restant
+dans les cas ordinaires, il faut noter, en outre, que la masse
+extrêmement petite de toutes les comètes rend nécessairement leurs
+diverses perturbations beaucoup plus prononcées qu'elles ne le seraient
+pour des masses supérieures qui circuleraient de la même manière: sans
+compter que leur poids éprouve probablement quelques variations,
+impossibles à apprécier, par l'absorption que peuvent exercer d'autres
+corps très voisins sur une partie de leur atmosphère, quand celle-ci est
+très étendue; absorption qui, très petite sans doute en elle-même,
+devient peut-être fort sensible à la longue, puisqu'elle doit
+naturellement se reproduire à chaque révolution. Telles sont les
+conditions principales qui produisent nécessairement l'extrême
+imperfection de la théorie des perturbations cométaires, indépendamment
+des inconvéniens algébriques qui résultent directement de la grandeur
+des excentricités et des inclinaisons pour compliquer les séries qui s'y
+rapportent, de même qu'en géométrie céleste. Voilà surtout ce qui rend
+si difficile et souvent si incertaine la prévision exacte du retour de
+ces petits astres, qui, lorsque nous croyons, après de longs et pénibles
+travaux, avoir suffisamment calculé toutes leurs modifications
+possibles, éprouvent quelquefois, par suite d'une circonstance oubliée,
+une forte perturbation susceptible de changer complètement leurs
+périodes: comme la comète de 1770, calculée par Lexell, en a offert un
+mémorable exemple, cet astre, dont la révolution était alors de moins de
+six ans, n'ayant pas reparu une seule fois depuis, à cause du grand
+dérangement qu'il a subi en passant très près de Jupiter. Il faut
+reconnaître, toutefois, que les mêmes caractères en vertu desquels
+l'étude des comètes est si imparfaite, font aussi qu'elle ne saurait
+avoir pour nous une grande importance réelle. Car, l'extrême variation
+de leurs distances ne leur permettrait d'exercer sur les autres astres
+de notre monde qu'une action presque instantanée, que leur peu de poids
+doit d'ailleurs rendre entièrement insensible, même sur d'aussi petits
+corps que les satellites. Le passage de la comète de 1770 entre les
+satellites de Jupiter, vérifia d'une manière frappante cette loi
+nécessaire, puisque leurs tables, calculées d'avance sans penser à cet
+événement inattendu, n'en continuèrent pas moins à se trouver encore
+parfaitement conformes aux observations directes, ce qui prouve
+clairement que leurs mouvemens n'avaient pas été sensiblement dérangés.
+Les craintes puériles qui ont remplacé les terreurs religieuses
+inspirées par les comètes avant que nous les eussions ramenées à des
+théories positives, ne sauraient donc avoir aucun fondement réel. Quant
+à leur choc contre la terre, il est évidemment presque impossible, et,
+néanmoins, c'est seulement ainsi que leur influence deviendrait
+sensible. Leur voisinage, même extrême, ne pourrait avoir d'autre effet
+que d'augmenter un peu la hauteur de la marée correspondante. Or, même
+sous ce rapport, on voit clairement que, si une comète venait à passer
+deux ou trois fois plus près de nous que la lune, ce qui est fort loin
+d'être possible à l'égard d'aucune comète connue, une masse aussi minime
+ne produirait, dans nos marées, qu'un accroissement imperceptible.
+L'inévitable imperfection d'une telle théorie est donc, en réalité, peu
+regrettable, si ce n'est sous un point de vue indirect qui sera indiqué
+plus bas.</p>
+
+<p>Considérons maintenant la seconde classe principale des perturbations,
+celles relatives aux rotations, dont l'étude présenterait, par sa
+nature, des difficultés d'un ordre encore plus élevé, si sa précision
+avait en général autant d'importance, et si quelques circonstances
+favorables ne la simplifiaient beaucoup, dans le seul cas vraiment
+essentiel à bien analyser.</p>
+
+<p>Les ellipsoïdes célestes ont dû nécessairement sinon commencer, ce qui
+serait fort invraisemblable, du moins finir, au bout d'un temps plus ou
+moins long, par tourner autour d'un de leurs trois axes dynamiques
+principaux, et même de celui à l'égard duquel la rotation a le plus de
+stabilité, c'est-à-dire de leur moindre diamètre. Car, d'après la
+théorie de la figure des astres, c'est leur rotation même qui a produit,
+comme nous l'avons vu, leur écartement de la forme parfaitement
+sphérique, et qui l'a naturellement déterminé dans ce sens le plus
+favorable à la stabilité. Ainsi, sous ce rapport fondamental, comme sous
+tant d'autres, l'ordre s'est établi spontanément dans notre monde. Du
+reste, la stabilité de la rotation d'un astre, quant à ses pôles et
+quant à sa durée, est évidemment si indispensable à l'existence des
+corps vivans à sa surface, que l'on pourrait, <i>à priori</i>, garantir cette
+stabilité, du moins pour la terre et pour tous les astres habités, à
+partir de l'époque où la vie y est devenue possible. Mais, si la
+rotation de chaque corps céleste, envisagé comme isolé, est
+naturellement stable, la gravitation de ses diverses parties vers le
+reste de notre monde lui fait éprouver, non moins nécessairement,
+certaines modifications secondaires, qui ne peuvent porter que sur la
+direction absolue de son axe dans l'espace. Ces modifications
+n'importent réellement à connaître qu'envers la terre; car,
+fussent-elles extrêmement prononcées à l'égard des autres astres, il
+n'en saurait évidemment résulter pour nous aucune action appréciable, ni
+même, suivant la remarque ci-dessus indiquée, aucun intérêt sympathique.</p>
+
+<p>D'après les lois fondamentales du mouvement, la rotation d'un corps
+quelconque autour de son centre de gravité s'exécute nécessairement de
+la même manière que si ce centre était fixe dans l'espace. Ainsi,
+non-seulement l'action mutuelle des molécules d'un astre ne saurait
+nullement influer sur sa rotation, due à une impulsion primitive; mais
+aucune force accélératrice extérieure, quelque grande qu'on la suppose,
+ne peut davantage la troubler, quand sa direction passe exactement par
+le centre de gravité de l'astre. Or, si les corps célestes étaient
+parfaitement sphériques, en les supposant d'ailleurs, comme il est très
+naturel, composés de couches concentriques homogènes dont la densité
+varierait arbitrairement de l'une à l'autre, on sait que la résultante
+totale de la gravitation mutuelle de toutes leurs molécules devrait
+passer rigoureusement par leurs centres de gravité. Les astres de notre
+monde ne peuvent donc altérer mutuellement leurs rotations propres,
+qu'en vertu du léger défaut de sphéricité produit par ces rotations
+elles-mêmes. On voit par là que cette même nécessité qui assure la
+stabilité essentielle des rotations célestes, relativement à leur durées
+et à leurs pôles, détermine aussi, envisagée sous un autre point de vue,
+l'altération inévitable du parallélisme de leurs axes.</p>
+
+<p>À l'égard de la terre, cette altération consiste, comme nous l'avons
+déjà constaté sous le rapport géométrique, dans la précession des
+équinoxes, modifiée par la nutation. Elles résultent de l'action des
+différens astres de notre monde, et surtout du soleil et de la lune, sur
+notre renflement équatorial, suivant la belle théorie mathématique créée
+par D'Alembert. La méthode des couples<a id="footnotetag16" name="footnotetag16"></a>
+<a href="#footnote16"><sup class="sml">16</sup></a> de M. Poinsot facilite
+beaucoup la conception générale de leur mécanisme. Il suffit, en effet,
+de transporter au centre de la terre, d'après cette méthode, les
+gravitations de toutes les parties de cette protubérance vers un astre
+quelconque, pour que de tous ces couples élémentaires il résulte
+immédiatement un couple général, susceptible de modifier la direction
+absolue de la rotation principale, en se composant avec le couple
+primitif qui lui correspond. Le pouvoir de chaque astre à cet égard est
+naturellement, comme pour les marées, en raison directe de sa masse et
+inverse du cube de sa distance; en sorte que le soleil et la lune sont
+encore les seuls dont l'influence y doive être considérée, en la
+répartissant d'ailleurs entre eux de la même manière: en outre,
+l'étendue effective de la déviation dépend de la masse et de la grandeur
+de la terre, de la durée de sa rotation, de son degré d'aplatissement,
+et enfin de l'obliquité de l'écliptique. Si la lune circulait dans le
+plan de l'écliptique, ou si les noeuds de son orbite étaient fixes, le
+phénomène se réduirait à la précession proprement dite, l'axe du couple
+perturbateur étant alors exactement perpendiculaire à ce plan. Mais, la
+légère inclinaison de l'orbite lunaire détermine, à raison du mouvement
+rétrograde de ses noeuds, une modification secondaire de même vitesse,
+qui produit la nutation. La quantité du phénomène est réglée en chaque
+cas par le rapport entre le moment du couple principal et celui du
+couple modificateur. Or, comme celui-ci dépend, entre autres élémens, de
+la masse de l'astre qui le produit, on conçoit comment l'observation du
+phénomène peut offrir un moyen de la déterminer. C'est ainsi que la
+mesure précise de la nutation a spécialement perfectionné l'évaluation
+de la masse lunaire. La théorie de ces phénomènes montre d'ailleurs que,
+comme dans les marées, leur intensité doit changer d'après les distances
+variables du soleil et surtout de la lune à la terre. Mais les effets
+sont eux-mêmes trop peu prononcés pour que ce défaut d'uniformité puisse
+jamais devenir bien sensible dans les observations directes. Telles
+sont, en aperçu, les causes générales qui déterminent les petites
+altérations qu'éprouve la rotation de notre sphéroïde, quant à la
+direction de son axe dans l'espace. On voit combien ce serait
+étrangement abuser de l'analyse mathématique que de s'exercer
+puérilement, comme on n'a pas craint de le faire tout récemment, à
+chercher quelle devrait être la précession en supposant que la terre ne
+tournât pas, puisque la question cesserait même, dans cette absurde
+hypothèse, d'avoir aucun sens réel et intelligible.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote16"
+name="footnote16"><b>Note 16: </b></a><a href="#footnotetag16">
+(retour) </a> Dans le premier volume de cet ouvrage, j'avais
+ indiqué, il y a quatre ans, cette lumineuse conception comme
+ essentiellement destinée, par sa nature, à simplifier
+ extrêmement la théorie fondamentale des rotations, au lieu
+ d'être bornée à son usage statique immédiat. Cette espérance
+ vient d'être heureusement réalisée, de la manière la plus
+ complète, par le beau travail tout récent de M. Poinsot sur
+ ce grand sujet, qui rend désormais presque élémentaire la
+ partie la plus transcendante de la dynamique, en même temps
+ qu'il dévoile entièrement une solution jusque alors
+ vainement enveloppée dans des équations inextricables, où la
+ marche générale du phénomène était profondément cachée. Si
+ ma <i>Philosophie mathématique</i> n'était depuis long-temps
+ publiée, j'y aurais soigneusement caractérisé l'esprit de
+ cet important mémoire, fondé sur la notion nouvelle des
+ <i>couples de rotation</i>, entièrement analogues, par l'ensemble
+ de leurs propriétés fondamentales, aux couples de
+ translation, quoique étant de nature inverse, et dont
+ l'emploi réduit l'analyse exacte de toutes les
+ circonstances que peut présenter la rotation d'un corps
+ quelconque à la simple considération uniforme de son
+ <i>ellipsoïde central</i>.
+</blockquote>
+
+<p>S'il convenait de poursuivre, envers tous les autres astres de notre
+monde, la théorie des perturbations relatives à leurs rotations, il
+faudrait distinguer, comme au sujet des translations, entre les
+planètes, les satellites et les comètes; puisque, par suite des mêmes
+motifs, cette analyse offrirait encore les mêmes gradations de
+difficulté. Le cas des comètes ne saurait être mentionné que pour
+mémoire, par l'impossibilité où nous serons toujours d'observer leur
+rotation. Quant aux planètes, elles doivent naturellement présenter des
+phénomènes semblables à ceux de notre précession, et qui peuvent être
+plus ou moins prononcés, suivant l'inclinaison de leurs axes à leurs
+orbites, leur position, leur masse, leur grandeur, la durée de leur
+rotation, et enfin leur degré d'aplatissement. Par l'ensemble de ces
+motifs, les perturbations de Mars, sous ce rapport, tiendraient le
+premier rang.</p>
+
+<p>À l'égard des satellites, leur rotation nous présente, sous un autre
+point de vue, un phénomène du plus haut intérêt, l'égalité remarquable
+entre la durée de cette rotation et celle de leur circulation autour de
+la planète correspondante, à laquelle, par suite, ils présentent
+continuellement le même hémisphère, sauf les oscillations très petites
+connues sous le nom de <i>libration</i>, dont la règle est d'ailleurs bien
+déterminée. Cette égalité fondamentale n'est encore sans doute
+réellement constatée que pour la lune; mais son explication mécanique,
+indépendamment de la simple analogie, tend à l'ériger en loi générale de
+tous les satellites. Car, elle résulte, suivant le beau mémoire de
+Lagrange, de la simple prépondérance qu'a dû nécessairement acquérir,
+par l'action de la planète, l'hémisphère tourné vers elle dans
+l'origine, ce qui a produit une tendance naturelle du satellite à
+retomber sans cesse sur cette face. Un tel effet ayant certainement lieu
+pour la lune, on ne saurait comprendre comment il pourrait ne pas
+exister aussi envers les autres satellites, appartenant tous à des
+planètes plus pesantes, dont ils sont même en général
+proportionnellement bien plus voisins.</p>
+
+<p>Telle est l'indication générale extrêmement imparfaite à laquelle je
+suis forcé de me réduire, par la nature de cet ouvrage, relativement à
+l'étude des diverses sortes de perturbations que l'action mutuelle de
+tous les astres de notre monde produit nécessairement dans leurs
+mouvemens. Pour compléter cet aperçu, il me reste encore à signaler une
+considération essentielle, susceptible, dans la suite, de simplifier
+cette étude et de la rendre plus précise, en permettant de rapporter
+tous ces mouvemens à un plan dont la position soit nécessairement
+indépendante de leurs dérangemens quelconques.</p>
+
+<p>En imaginant, pour plus de facilité, l'ensemble de nos astres décomposé
+en particules de même poids, l'action mutuelle de ces différens corps
+peut bien changer la grandeur de l'aire décrite séparément, autour du
+centre de gravité général, par la projection de chaque rayon vecteur
+correspondant, sur un plan commun arbitrairement choisi; mais, il
+résulte des lois fondamentales de la dynamique, comme nous l'avons déjà
+remarqué dans cette leçon, que, quelque énergie qu'on suppose à cette
+action, les altérations individuelles qu'elle produit à cet égard se
+compensent nécessairement, en sorte que la somme totale de ces aires
+demeure toujours invariable en un temps donné. Il en doit donc être
+ainsi de tout plan dont la position dépendrait uniquement de semblables
+sommes relatives à divers plans quelconques. Or, parmi l'infinité de
+plans qui pourraient présenter ce caractère, il en est un qu'on a dû
+naturellement choisir de préférence, comme se distinguant de tout autre
+par la propriété remarquable que la somme des aires y est la plus grande
+possible, et que d'ailleurs elle est nulle sur ceux qui lui sont
+perpendiculaires. La situation de ce plan se détermine aisément, en
+général, par des formules très simples, d'après les valeurs de la somme
+des aires pour trois plans rectangulaires quelconques, valeurs qu'on
+déduit d'ailleurs sans peine des positions et des vitesses de toutes les
+particules du système rapportées à ces trois plans. On doit la première
+notion de ce plan à Daniel Bernouilli et à Euler, qui l'avaient remarqué
+sous le seul point de vue analytique, comme servant à simplifier, par
+l'annulation de deux constantes, les équations relatives à la rotation
+d'un corps solide. Cette idée fut immédiatement étendue, sans aucune
+difficulté, à la considération d'un système variable par Laplace, qui
+ajouta la propriété géométrique, et qui eut surtout l'heureuse pensée de
+l'appliquer à la mécanique céleste. Enfin, la vraie conception dynamique
+du plan invariable a été présentée, depuis quelques années, par M.
+Poinsot, qui l'a montré directement, abstraction faite de tout caractère
+analytique ou géométrique, comme étant simplement le plan du couple
+général qui résulte du transport de toutes les vitesses individuelles au
+centre de gravité du système.</p>
+
+<p>Quant à la détermination effective de ce plan, elle exige, pour qu'il
+soit réellement invariable, que l'on prenne en considération toutes les
+aires que peuvent décrire, en vertu de leurs divers mouvemens, les
+différens points du système. Or, dans l'impossibilité évidente de
+décomposer le système en particules égales, ainsi que l'exige le strict
+énoncé de la propriété fondamentale, Laplace avait cru devoir traiter
+chaque corps céleste comme condensé à son centre, en réunissant aussi
+les satellites à leurs planètes, afin de ne plus avoir à considérer que
+de simples points. La lumineuse théorie de M. Poinsot lui a fait
+immédiatement apercevoir le vice radical d'un tel procédé, où l'on fait
+nécessairement abstraction, non-seulement des aires relatives décrites
+simultanément par les satellites, mais aussi de celles que les diverses
+molécules de chaque corps tracent autour de son centre de gravité, en
+vertu des rotations correspondantes; et il a ensuite rendu sensible
+d'ailleurs, d'après les formules analytiques habituellement employées,
+la nécessité d'ajouter ces diverses aires à celles considérées jusque
+alors. Une simple décomposition d'intégrale montre, en effet, que la
+somme des aires décrites par toutes les molécules d'un même corps
+équivaut au produit de sa masse par l'aire que trace son centre de
+gravité, plus l'ensemble des aires qu'engendrent les molécules autour de
+ce centre. Ces aires dues aux rotations ne seraient réellement
+négligeables vis-à-vis des autres que si le corps était fort petit, ou
+s'il tournait avec une lenteur extrême. Celle qui résulte de la rotation
+du soleil est, d'après les hypothèses même les plus défavorables,
+beaucoup plus grande que celle tracée par la terre dans son mouvement
+annuel. Aussi, le plan déterminé par les calculs de Laplace serait-il
+loin, en réalité, d'une invariabilité rigoureuse. C'est néanmoins la
+parfaite constance qui ferait le seul mérite véritable d'un tel terme de
+comparaison, pour manifester immédiatement les variations survenues dans
+l'intérieur de notre monde, et même les déplacemens de son ensemble. Si
+l'on voulait se borner à un plan peu mobile, il n'y aurait aucun besoin
+de pénibles calculs fondés sur une théorie spéciale, et l'on pourrait
+prendre, presqu'au hasard, parmi les divers plans astronomiques, tels
+que celui de l'équateur terrestre ou surtout solaire, ou le plan de
+l'écliptique, dont les changemens seraient, en réalité, beaucoup moins
+considérables que ceux du plan proposé par Laplace. Malheureusement, le
+vrai plan invariable, découvert par M. Poinsot, est d'une détermination
+bien plus difficile, puisqu'il exige inévitablement, non-seulement,
+comme l'autre, l'évaluation des masses célestes, mais aussi celles des
+momens d'inertie correspondans. Cette dernière estimation ne saurait
+être faite, <i>à priori</i>, qu'en adoptant des hypothèses nécessairement
+très hasardées sur la loi mathématique relative à la densité dans
+l'intérieur des astres. J'ai déjà indiqué dans la leçon précédente, au
+sujet des masses, l'ingénieuse manière dont M. Poinsot a heureusement
+éludé cette difficulté fondamentale, en imaginant un moyen rationnel,
+aussi général que direct, pour obtenir exactement, <i>à posteriori</i>, cette
+mesure indispensable. Cette importante théorie est donc aujourd'hui
+évidemment complète. Mais son application immédiate ne saurait avoir
+lieu, comme je l'ai expliqué, avec toute la précision qu'exige, par sa
+nature, une semblable détermination, pour correspondre convenablement à
+sa destination essentielle. Quoi qu'il en soit, on n'en doit pas moins,
+sous le rapport philosophique, voir avec un profond intérêt comment la
+mécanique céleste a pu enfin assigner un plan nécessairement immobile au
+milieu de toutes les perturbations intérieures de notre système, comme
+Newton avait d'abord reconnu une vitesse nécessairement inaltérable,
+celle du centre de gravité général. Ce sont les deux seuls élémens
+rigoureusement indépendans de tous les événemens qui peuvent survenir
+dans l'intérieur de notre monde, même des bouleversemens les plus
+complets que notre imagination puisse y supposer; leurs variations se
+rapporteraient seulement aux phénomènes les plus généraux de l'univers,
+produits par l'action mutuelle des divers soleils, dont elles nous
+fourniraient naturellement la plus claire manifestation, si une telle
+connaissance nous était réellement permise.</p>
+
+<p>Le résultat général de l'étude des perturbations a été d'établir, de la
+manière la plus irrécusable, la stabilité fondamentale de notre monde,
+relativement à tous les astres de quelque importance, considérés sous
+tous les rapports essentiels. En faisant abstraction des comètes, toutes
+les variations de diverses sortes, à l'exception de quelques-unes
+presque imperceptibles, sont nécessairement périodiques, et leur période
+est le plus souvent extrêmement longue, tandis que leur étendue est au
+contraire fort courte: en sorte que l'ensemble de nos astres ne peut
+qu'osciller lentement autour d'un état moyen, dont il s'écarte toujours
+très peu. Quoique tous les élémens astronomiques de chacun d'eux
+participent réellement à ces oscillations, il faut cependant faire entre
+eux une distinction importante, en séparant ceux qui se rapportent à la
+situation des orbites et à la direction des rotations, de ceux qui
+concernent les positions et les vitesses moyennes relatives au double
+mouvement d'un astre quelconque. Toutes les grandes perturbations
+portent uniquement sur les premiers; les seconds ne peuvent éprouver que
+des oscillations presque insensibles, dont la précision extrême de nos
+tables astronomiques actuelles n'exige pas même encore la considération
+effective. Au milieu de toutes les variations célestes, la translation
+de nos astres nous présente l'invariabilité presque rigoureuse des
+grands axes de leurs orbites elliptiques, et de la durée de leurs
+révolutions sidérales: leur rotation nous montre une constance encore
+plus parfaite dans sa durée, dans ses pôles, et même, quoiqu'à un degré
+un peu moindre, dans l'inclinaison de son axe à l'orbite correspondante.
+On est certain, par exemple, que, depuis Hipparque, la durée du jour n'a
+pas varié d'un centième de seconde. Ainsi, dans la stabilité générale de
+notre monde, nous découvrons encore une stabilité spéciale et plus
+prononcée à l'égard des élémens dont la fixité importe le plus à la
+perpétuité des espèces vivantes. Tels sont les sublimes théorèmes
+fondamentaux de philosophie naturelle, dont l'humanité est redevable à
+l'ensemble des grands travaux exécutés dans le siècle dernier par les
+illustres successeurs de Newton.</p>
+
+<p>La cause générale de ces importans résultats réside essentiellement dans
+la faible excentricité de toutes les orbites principales et dans le peu
+de divergence de leurs plans. Si les astres de quelque importance
+avaient décrit, comme les comètes, des ellipses très allongées,
+contenues dans des plans dirigés en tous sens, leurs relations
+dynamiques auraient été toujours extrêmement variables, et leurs
+perturbations auraient dès lors cessé d'être périodiques, pour devenir
+presque indéfinies, ainsi que celles des comètes. Au contraire, en vertu
+de l'extrême rondeur des véritables orbites et de l'identité presque
+entière de leurs plans, l'intensité des diverses actions mutuelles, ne
+pouvant qu'osciller entre des limites très rapprochées, doit tendre sans
+cesse à rétablir l'état moyen du monde. Or, comme les astres à orbites
+peu excentriques sont évidemment les seuls habitables, cette harmonie
+fondamentale ne présente réellement aucun texte de cause finale, ainsi
+que je l'ai indiqué au commencement de ce volume, puisqu'il ne pourrait
+en être autrement qu'à l'égard de mondes tellement constitués, que la
+vie, et par suite la pensée, la philosophie théologique ou positive, ne
+sauraient y exister.</p>
+
+<p>Toute la théorie mathématique des mouvemens célestes a été constamment
+traitée jusqu'ici, sans avoir aucun égard à la résistance du milieu
+général dans lequel ces mouvemens s'accomplissent. La parfaite
+conformité des tables ainsi dressées avec l'ensemble des observations
+les plus précises, montre clairement que cette résistance ne peut
+exercer qu'une influence imperceptible. Cependant, comme il est
+évidemment impossible qu'elle soit rigoureusement nulle, les géomètres
+ont dû s'occuper d'en préparer d'avance l'analyse générale. Abstraction
+faite de son intensité, cette action est nécessairement d'une tout autre
+nature que celle des perturbations proprement dites, quoique
+pareillement graduelle; car, elle ne saurait être périodique, et doit
+toujours s'exercer dans le même sens, de manière à diminuer
+continuellement toutes les vitesses, avec d'autant plus d'énergie
+qu'elles sont plus grandes. Euler et Lagrange ont établi qu'il n'en peut
+résulter aucune altération dans les positions des orbites, comme il est
+aisé de le sentir <i>à priori</i>: toute l'influence porte inévitablement sur
+leurs dimensions et sur les temps périodiques, ainsi que sur la durée
+des rotations; c'est-à-dire, qu'elle affecte précisément les élémens
+essentiellement épargnés par les perturbations. En même temps que les
+rotations des planètes doivent ainsi se ralentir sans cesse, leurs
+orbites doivent se rétrécir toujours en s'arrondissant, et leurs temps
+périodiques diminuer par suite; puisque, la vitesse devenant moindre,
+l'action solaire acquiert naturellement une plus grande efficacité: ces
+divers effets sont d'ailleurs non-seulement continus, mais encore de
+plus en plus rapides. Ainsi, dans un avenir jusqu'ici complètement
+inassignable, quoique nous puissions assurer qu'il est infiniment
+lointain, tous les astres de notre monde doivent nécessairement finir
+par se réunir à la masse solaire, d'où ils sont probablement émanés,
+comme l'indiquera la leçon suivante: en sorte que la stabilité du
+système est simplement relative aux perturbations proprement dites.
+Telles sont, à cet égard, les indications générales incontestables de la
+mécanique céleste. Quant à l'évaluation numérique de ces effets
+nécessaires, leur extrême petitesse nous empêchera sans doute de la
+connaître avant qu'il se soit écoulé un très long temps, à partir de
+l'époque où les observations astronomiques ont acquis une grande
+précision. Vainement Euler avait-il cru apercevoir une petite diminution
+séculaire de l'année sidérale en vertu de cette cause: les comparaisons
+exactes établies depuis par tous les astronomes ont clairement montré
+que cette remarque était illusoire. Il est d'ailleurs certain que nous
+connaissons encore trop peu la vraie loi mathématique de la résistance
+des milieux, pour que ces phénomènes soient jusqu'ici exactement
+calculables, même quand ils seraient plus prononcés. Lorsqu'ils pourront
+être réellement étudiés, c'est sur les comètes que devra surtout porter
+une telle exploration. Car, la faible masse de ces petits astres, et la
+grande surface qu'ils présentent à l'action du milieu lorsque leurs
+atmosphères sont très étendues, doivent nécessairement rendre sa
+résistance beaucoup plus appréciable à leur égard qu'envers les
+planètes, leur vitesse étant d'ailleurs naturellement à son <i>maximum</i> au
+moment même de cette expansion. Aussi quelques astronomes contemporains
+croient-ils déjà avoir constaté, pour une ou deux comètes, l'effet de
+cette résistance. L'étude de ces astres ne semblait jusqu'ici avoir pour
+nous qu'une utilité négative, afin de prévenir le retour des terreurs
+chimériques ou des craintes ridicules qu'ils ont si long-temps fait
+naître. On voit maintenant qu'il n'existe pas un seul astre dans notre
+monde, même parmi les plus insignifians, dont la théorie ne puisse nous
+offrir un intérêt direct et positif; puisque l'étude des comètes se
+trouve ainsi essentiellement propre à nous dévoiler plus tard une des
+lois générales les plus importantes du système dont nous faisons partie,
+celle qui, dans un avenir indéfini, doit le plus influer sur ses
+destinées. Il faut même remarquer que, pour remplir convenablement un
+tel office, cette étude ne saurait être trop perfectionnée; car, c'est
+seulement sur une théorie très précise que le contrôle de l'observation
+peut manifester, avec une véritable certitude, d'aussi petits effets.</p>
+
+<p>Je me suis efforcé, dans la vingt-troisième leçon, d'établir nettement,
+sous le simple point de vue géométrique, l'indépendance des phénomènes
+les plus généraux de l'univers, en faisant soigneusement ressortir la
+conformité décisive de toutes les observations directes avec les tables
+dressées par les astronomes, sans penser aucunement aux autres mondes.
+En supposant la loi de la gravitation étendue à l'action mutuelle des
+divers soleils, la mécanique céleste explique et fortifie immédiatement
+cette incontestable vérité, qui me semble devoir constituer, en
+philosophie naturelle, un dogme vraiment fondamental. Il est d'abord
+évident que les différentes gravitations de notre monde vers les
+innombrables soleils dispersés dans l'espace, doivent se détruire en
+partie par leur opposition, quoiqu'il fût absurde de penser que leur
+résultante générale est nulle. En second lieu, quelle que soit cette
+résultante, il importe surtout de remarquer que c'est seulement par
+l'inégalité de son action sur les divers astres de notre monde qu'elle
+en pourrait troubler les mouvemens internes, nécessairement indépendans
+de toute action qui serait exactement commune. Chaque force
+perturbatrice de ce genre est donc évidemment, comme dans les marées,
+dans la précession des équinoxes, etc., en raison directe de la masse
+productrice, et en raison inverse du cube de sa distance au soleil.
+Suivant cette loi, la perturbation doit donc être entièrement
+imperceptible, à cause de l'immensité bien constatée de l'intervalle qui
+nous sépare du plus prochain soleil. En supposant le plus grand
+rapprochement compatible avec nos observations les plus certaines, une
+masse qui égalerait un million de fois celle de notre monde, n'y ferait
+naître ainsi qu'une force perturbatrice plusieurs milliards de fois
+moindre que celle d'où résultent nos marées. L'indépendance de notre
+monde est donc parfaitement certaine.</p>
+
+<p>Il m'importe d'autant plus de la faire remarquer, sous le rapport
+philosophique, qu'elle constitue la seule exception générale que je
+connaisse à la grande loi encyclopédique que j'ai établie en commençant
+cet ouvrage, et d'après laquelle les phénomènes les plus généraux
+dominent les plus particuliers, sans être au contraire nullement
+influencés par eux. Ainsi, les phénomènes vraiment astronomiques,
+c'est-à-dire, ceux de l'intérieur de notre monde, régissent évidemment
+tous nos phénomènes sublunaires, soit physiques, soit chimiques, soit
+physiologiques, soit même sociaux, comme je l'ai indiqué spécialement
+dans la dix-neuvième leçon. Mais ici nous trouvons, en sens inverse, que
+les phénomènes les plus généraux de l'univers ne peuvent au contraire
+exercer aucune influence réelle sur les phénomènes plus particuliers qui
+s'accomplissent dans l'intérieur de notre système solaire. Cette
+anomalie philosophique disparaîtra immédiatement pour tous les esprits
+qui admettront avec moi que ces derniers phénomènes sont les plus
+étendus auxquels nos recherches positives puissent véritablement
+atteindre, et que l'étude de l'<i>univers</i> doit être désormais
+radicalement détachée de la vraie philosophie naturelle; maxime, à mon
+avis, fondamentale, et dont j'espère que la justesse et l'utilité seront
+d'autant plus senties qu'on l'examinera plus profondément.</p>
+
+<p>Tel est l'ensemble des considérations philosophiques que je devais
+présenter ici sur la dynamique céleste, envisagée sous ses divers
+aspects principaux. Quelque admirable extension qu'ait pris depuis
+Newton cette sublime étude, nous avons reconnu combien, à beaucoup
+d'égards, l'extrême insuffisance de notre analyse mathématique actuelle
+la rend nécessairement imparfaite. On s'en formerait une idée trop
+avantageuse si l'on pensait que, dans l'exécution finale des tables
+astronomiques, elle peut aujourd'hui se suffire entièrement à elle-même,
+sans emprunter à la géométrie céleste aucun autre secours direct que
+l'évaluation des données indispensables, déduites de l'observation
+immédiate. Non-seulement cela n'est pas à l'égard des astres dont la
+théorie mécanique n'est encore qu'ébauchée, et qui sont, sans contredit,
+les plus nombreux, quoique les moins importans; mais encore, sous
+plusieurs rapports, envers les mieux étudiés. Bien que la dynamique de
+chaque astre doive naturellement remplir, dans la construction de ses
+tables, un office de plus en plus prépondérant, la difficulté de démêler
+avec certitude toutes les perturbations indiquées par les formules
+analytiques, assignera probablement toujours à cet égard un rôle
+indispensable, quoique de plus en plus subsidiaire, à l'ingénieuse
+méthode empirique des <i>équations de condition</i>, imaginée par les
+astronomes pour dévoiler immédiatement, d'après les observations, la
+marche effective des moindres irrégularités, sans aucune recherche de
+leur loi mécanique; méthode qui me semble aujourd'hui trop dédaignée
+peut-être par les géomètres, auxquels les glorieux succès de la
+mécanique céleste ont inspiré un sentiment un peu exagéré de la portée
+réelle de ses théories. Cette méthode complémentaire consiste en
+général, comme on sait, à comparer les observations directes avec les
+tables où l'on a déjà tenu compte de toutes les inégalités bien connues,
+afin de combler les différences par l'introduction de quelques termes
+additionnels, relatifs à des fonctions périodiques de la quantité dont
+ces anomalies paraissent dépendre, en les affectant de coefficiens
+convenables, déterminés d'après un nombre suffisant de mesures
+immédiates. C'est à un tel procédé qu'on doit effectivement la
+découverte de presque toutes les petites perturbations, expliquées
+ensuite par la mécanique céleste, qui en a perfectionné la connaissance.
+Il constitue d'ailleurs le vrai modèle d'après lequel les physiciens
+établissent journellement leurs lois empiriques des phénomènes, ce qui
+me semble lui donner ici un véritable intérêt philosophique.</p>
+
+<p>Le résultat général des considérations exposées dans cette leçon montre
+nettement combien le développement de la dynamique céleste,
+indépendamment de la haute importance des sublimes connaissances
+directes qu'il nous a procurées, a puissamment contribué à perfectionner
+l'ensemble des théories astronomiques, envisagées quant à leur but
+définitif, la juste prévision de l'état du ciel, à une époque
+quelconque, soit passée, soit future. Si l'on devait se borner à
+déterminer, pour peu de temps, le véritable état de notre monde, la
+géométrie céleste, résumée par les trois grandes lois de Képler,
+pourrait être regardée comme strictement suffisante, en choisissant des
+élémens convenablement déduits d'observations actuelles faites avec
+toute la précision possible. Mais il ne peut plus en être ainsi, et la
+plus parfaite théorie des perturbations devient absolument
+indispensable, quand on se propose d'étendre cette exacte prévoyance
+astronomique à des époques très éloignés, postérieures ou antérieures.
+C'est à la dynamique céleste que notre astronomie actuelle doit
+incontestablement cette admirable perfection pratique qui lui permet à
+volonté de descendre ou de remonter les siècles pour y fixer, avec une
+pleine certitude, l'instant et le degré précis des divers événemens
+célestes, tels que les éclipses entre autres, ces déterminations ne
+pouvant pas d'ailleurs évidemment être aussi minutieusement exactes que
+celles relatives à l'époque présente.</p>
+
+<p>Quoique l'ensemble des huit leçons déjà contenues dans ce volume
+constitue réellement, à mes yeux, la vraie philosophie astronomique tout
+entière, elle semblerait néanmoins présenter, à presque tous les esprits
+éclairés, une lacune essentielle, si je ne consacrais point une dernière
+leçon à l'examen général de ce qu'on appelle aujourd'hui l'<i>astronomie
+sidérale</i>, et à l'appréciation rationnelle de ce que nous pouvons
+maintenant concevoir de positif sur la cosmogonie.</p>
+
+<a name="l27" id="l27"></a>
+<br><hr class="full"><br>
+
+<h3>VINGT-SEPTIÈME LEÇON.</h3>
+
+<br><hr class="short"><br>
+
+<p class="sml">Considérations générales sur l'astronomie sidérale, et sur la cosmogonie
+positive.</p>
+
+<p>La seule branche de l'astronomie sidérale qui paraisse comporter jusqu'à
+présent une certaine suite d'études exactes, concerne les mouvemens
+relatifs des <i>étoiles multiples</i>, dont la première découverte est due
+au grand observateur Herschell. Les astronomes entendent par là des
+étoiles extrêmement rapprochées, dont la distance angulaire n'excède
+jamais une demi-minute, et qui semblent pour cette raison n'en faire
+qu'une, non-seulement à la vue simple, mais avec les lunettes ordinaires
+de nos observatoires, les plus puissans télescopes pouvant seuls les
+séparer. Il faut considérer, en outre, que les mouvemens relatifs de ces
+astres tendent souvent à faire méconnaître leur multiplicité effective,
+comme on l'a vu plus d'une fois, en produisant pendant un temps plus ou
+moins long des occultations mutuelles, qui ne permettent point alors la
+séparation. Parmi plus de trois mille étoiles multiples actuellement
+enregistrées dans les catalogues, quoique le ciel austral soit encore à
+cet égard très peu exploré, presque toutes sont seulement doubles, la
+triplicité même étant extrêmement rare, et aucun degré supérieur de
+multiplicité n'ayant jamais été observé, ce qui ne tient peut-être qu'à
+l'imperfection de nos meilleurs télescopes, comme, avant Herschell, la
+simple dualité était ignorée. Ces groupes remarquables ne constituent
+évidemment, par leur nature, qu'un cas très particulier dans l'univers,
+puisque l'intervalle des astres qui les composent est probablement d'un
+ordre beaucoup moindre que les distances mutuelles des principaux
+soleils; en sorte que, dans ces mouvemens relatifs, quand même ils
+pourraient être un jour parfaitement connus, ce qui est en soi fort
+douteux, d'après les considérations indiquées à la fin de la
+vingt-quatrième leçon, il ne s'agirait encore nullement des phénomènes
+célestes les plus généraux, quelque intérêt que doive inspirer une telle
+étude. La spécialité du cas deviendrait même bien autrement prononcée,
+si, comme la rigueur scientifique me semble l'exiger, les astronomes ne
+formaient leur catégorie des étoiles doubles que de celles dont ils ont
+pleinement constaté les mouvemens, et qui sont jusqu'ici en très petit
+nombre. Car, la dualité de presque toutes les autres n'indique peut-être
+aucune relation réelle, puisque, malgré le rapprochement des directions,
+les intervalles mutuels peuvent être tels, que les deux astres ne
+forment pas plus un vrai système que deux étoiles quelconques combinées
+au hasard dans le ciel, si ces astres sont très inégalement éloignés de
+nous, circonstance à l'égard de laquelle nous n'avons encore aucune
+sorte de renseignement direct ou indirect. S'autoriser de quelques
+exemples incontestables pour envisager cette multitude d'étoiles
+doubles comme autant de systèmes binaires, où la moindre masse circule
+autour de la plus grande, ce serait, à mon avis, s'écarter étrangement
+de l'indispensable sévérité de méthode qui seule constitue l'admirable
+positivité de la véritable astronomie, en confondant, peut-être le plus
+souvent, avec un vrai phénomène céleste, un simple accident de position,
+tenant uniquement au point de l'univers occupé par notre monde. La seule
+analogie est ici évidemment insuffisante, car elle pourrait bien n'être
+due qu'à l'impuissance de nos explorations. Quel astronome oserait
+maintenant garantir que, si les télescopes étaient susceptibles d'être
+un jour suffisamment perfectionnés, nous ne parviendrions pas à
+distinguer, entre les étoiles que leur distance nous porte le plus à
+classer aujourd'hui comme indépendantes, une multitude d'intermédiaires
+très resserrés, qui rendraient le cas de la dualité presque général? Le
+voisinage apparent serait-il alors un motif suffisant de présumer
+toujours une circulation mutuelle, dont la pensée ne nous est suggérée
+actuellement par analogie, qu'en vertu de l'extrême singularité d'une
+telle circonstance, qui cesserait ainsi d'être exceptionnelle? On ne
+doit donc reconnaître jusqu'ici, en astronomie sidérale, d'autre étude
+réellement positive que celle des mouvemens relatifs bien connus de
+certaines étoiles doubles, dont le nombre ne s'élève encore qu'à sept ou
+huit. On ne saurait d'ailleurs espérer d'introduire jamais, dans la
+détermination géométrique de la vraie figure des orbites
+correspondantes, une certitude à beaucoup près comparable à celle
+qu'admet la connaissance précise de nos orbites planétaires; puisque les
+rayons vecteurs apparens sont tellement petits que l'erreur de ces
+mesures délicates s'élève peut-être ordinairement au quart ou au tiers
+de leur valeur totale. Il en est de même à l'égard des temps
+périodiques, quand ils n'ont pas pu être directement observés, ce qui
+est jusqu'à présent le cas habituel. On concevrait surtout bien
+difficilement, comme je l'ai indiqué ailleurs, que ces études pussent
+jamais acquérir assez d'exactitude pour fournir une base suffisamment
+solide à des conclusions dynamiques vraiment irrécusables; de manière à
+démontrer, par exemple, l'extension effective de la théorie de la
+gravitation à l'action mutuelle des deux élémens d'une étoile double, ce
+qui serait d'ailleurs très loin de constater la rigoureuse universalité
+de cette théorie. L'importance générale de ces recherches est en outre
+beaucoup diminuée par cette réflexion que jusqu'ici notre monde, dès
+lors envisagé comme essentiellement réduit au soleil, n'appartient à
+aucun de ces groupes, non-seulement étudiés, mais simplement signalés.
+Cette circonstance remarquable ne me semble nullement fortuite; car si
+notre monde fait effectivement partie de quelque étoile double, comme
+rien n'empêche de l'imaginer, il nous sera probablement toujours
+impossible d'apercevoir réellement, à côté du soleil, l'étoile qui
+constituerait le second élément de ce petit système, et dont la
+direction devrait être si rapprochée que sa lumière se perdrait
+nécessairement dans la lumière solaire. Un tel cas, néanmoins, pourrait
+seul avoir pour nous un puissant intérêt scientifique, non-seulement
+comme utile à la connaissance des déplacemens de notre monde, mais
+encore comme comportant naturellement une étude beaucoup plus précise,
+par cela même que l'observateur serait alors situé sur l'un des astres
+du couple stellaire.</p>
+
+<p>Les sept orbites d'étoiles doubles établies jusqu'ici, et dont la
+première est due aux travaux de M. Savary, présentent en général des
+excentricités très considérables, dont la moindre est presque double, et
+la plus grande quadruple de la plus forte qui existe dans nos ellipses
+planétaires. Quant à leurs temps périodiques, le plus court excède un
+peu quarante ans, et le plus long six cents. Du reste, l'excentricité
+et la durée de la révolution ne paraissent avoir entre elles aucune
+relation fixe; et ni l'une ni l'autre ne semblent d'ailleurs dépendre de
+la distance angulaire plus ou moins grande des deux élémens des couples
+correspondans. Tel est en général le résumé exact, quoique succinct, des
+seules connaissances réelles que nous possédions encore à cet égard.</p>
+
+<p>Tant que les distances linéaires de ces astres à la terre, et par suite
+entre eux, resteront ignorées, ces notions ne sauraient avoir une grande
+importance, ni peut-être même une solidité suffisante. Si ces distances
+pouvaient être un jour bien connues, on évaluerait aisément les masses
+des couples correspondans, en supposant que la loi de la gravitation
+leur fût légitimement applicable. Il suffirait, pour cela, d'employer
+une méthode essentiellement analogue aux deux dernières de celles
+indiquées dans la vingt-cinquième leçon à l'égard des masses
+planétaires. La quantité, dès lors déterminée, dont l'étoile secondaire
+tend à tomber, en un temps donné, vers l'étoile principale, étant
+comparée à la chute des corps à la surface de la terre, préalablement
+ramenée à la même distance, suivant la loi ordinaire, fournirait
+immédiatement en effet la valeur du rapport entre la masse du couple et
+celle de la terre. Mais, la répartition de cette masse totale entre ses
+deux élémens resterait évidemment encore incertaine, puisqu'il est très
+possible qu'elle doive s'opérer d'une manière beaucoup moins inégale
+qu'entre nos planètes et leurs satellites. Cette dernière considération
+fait d'ailleurs rejaillir sur l'ensemble d'une telle étude un nouveau
+motif fondamental d'incertitude. Car, si les masses des deux élémens de
+chaque couple stellaire différaient réellement assez peu,
+comparativement à leur distance et à leur grandeur, pour que le centre
+de gravité du système s'écartât sensiblement de l'astre principal (ce
+que nous ignorons encore entièrement), c'est à ce centre inconnu qu'il
+faudrait nécessairement rapporter les mouvemens observés; et, dès lors,
+quelle exacte conclusion dynamique pourrait-on tirer des orbites
+elliptiques autour de l'astre majeur comme foyer, en les supposant même
+irrécusablement constatées?</p>
+
+<p>Il me reste à caractériser à ce sujet l'ingénieuse méthode si
+heureusement imaginée par M. Savary, d'après laquelle on parviendra
+peut-être un jour à déterminer effectivement, du moins entre certaines
+limites, les distances de quelques étoiles doubles à la terre ou au
+soleil. Cette méthode constitue réellement jusqu'ici la seule
+conception scientifique qui soit propre à l'astronomie sidérale. Elle a
+le mérite capital d'être essentiellement indépendante de toute hypothèse
+hasardée sur la forme rigoureuse des orbites stellaires et sur
+l'extension de la théorie de la gravitation. Il lui suffit, en réalité,
+que ces courbes soient symétriques, relativement à leur plus long
+diamètre, et que l'astre mineur y circule avec la même vitesse aux deux
+points également distans de l'astre majeur, ce qui est certainement très
+admissible.</p>
+
+<p>Ce procédé est fondé, comme la théorie générale de l'aberration, sur la
+durée de la propagation de la lumière, dont nous savons, d'après la
+vingt-deuxième leçon, que la vitesse est exactement connue. Seulement,
+tandis que, dans l'aberration ordinaire, il s'agit d'une erreur de lieu,
+on considère ici une erreur de temps.</p>
+
+<p>Concevons une orbite stellaire dont le petit axe soit situé
+perpendiculairement au rayon visuel mené du soleil ou de la terre, qui
+peuvent ici être confondus. S'il en était de même du grand axe, et, par
+suite, du plan de l'orbite, les deux moitiés de la révolution, que
+l'astre mineur accomplit réellement toujours en des temps exactement
+égaux, devraient encore nous paraître évidemment d'égale durée, quelque
+lente que pût être, à chaque position, la transmission de la lumière.
+Mais, il ne peut plus en être ainsi, quand le plan de l'orbite est
+fortement incliné vers le rayon visuel, sans que toutefois il doive le
+contenir, ce qui rendrait impossible l'observation fondamentale. Dans ce
+cas, la durée de la demi-révolution, correspondante à la moitié de la
+courbe où l'astre se dirige vers nous, devra nous sembler moindre
+qu'elle n'est en réalité, et celle relative à la moitié où il s'en
+éloigne de plus en plus, paraîtra au contraire augmentée, en vertu de la
+différence des temps que la lumière doit employer à nous parvenir des
+deux points de l'orbite les plus inégalement distans de la terre. Ainsi,
+quoique le temps périodique total ne doive être nullement altéré, les
+deux moitiés de la révolution n'auront donc pas exactement la même durée
+apparente, et, si leur inégalité peut être bien observée, elle fera
+immédiatement connaître, d'après la vitesse effective de la lumière, la
+vraie différence entre les distances de la terre aux deux points
+extrêmes de l'orbite. Dès lors, cette différence deviendra évidemment
+une base géométrique suffisante pour estimer, avec une approximation
+correspondante, les dimensions linéaires de l'orbite, et sa véritable
+distance à la terre, son inclinaison et son étendue angulaire étant
+d'ailleurs préalablement données<a id="footnotetag17" name="footnotetag17"></a>
+<a href="#footnote17"><sup class="sml">17</sup></a>. Tout se réduit donc à constater
+une inégalité appréciable entre les durées des deux demi-révolutions.
+Mais il est indispensable que cette appréciation s'opère d'après
+l'observation effective d'une révolution entière, afin que son
+exactitude ne dépende d'aucune hypothèse sur la nature géométrique de
+l'orbite stellaire, et sur la loi relative à la vitesse avec laquelle
+l'astre la parcourt.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote17"
+name="footnote17"><b>Note 17: </b></a><a href="#footnotetag17">
+(retour) </a> M. Arago a très nettement expliqué cette
+ ingénieuse méthode dans sa notice sur les étoiles doubles,
+ annexée à l'<i>Annuaire du Bureau des Longitudes</i> pour 1834.
+</blockquote>
+
+<p>Tel est ce procédé, dont l'esprit est éminemment approprié à l'immensité
+des distances qu'on s'y propose d'estimer, et qui serait au contraire
+évidemment illusoire envers nos petites orbites planétaires. Jusqu'à ce
+que l'expérience ait prononcé, nous ignorerons nécessairement si les
+rayons des orbites stellaires sont en réalité assez considérables par
+rapport à leur éloignement, pour que nous puissions apercevoir quelque
+différence très sensible entre les deux parties du temps périodique. En
+le supposant, à l'égard d'orbites convenablement situées, il est
+d'ailleurs évident que l'incertitude inséparable d'observations aussi
+délicates, et l'extrême lenteur des révolutions, ne permettront un jour
+de connaître cette différence qu'entre certaines limites plus ou moins
+écartées. Or, indépendamment du peu de précision que comporte la mesure
+effective des autres élémens du calcul, chaque seconde d'erreur sur ce
+temps, qui n'est probablement susceptible d'être jamais apprécié qu'à
+plusieurs jours près, tend à introduire une erreur d'au moins 32000
+myriamètres dans l'évaluation de la distance cherchée. Aussi l'inventeur
+de cette méthode l'a-t-il toujours présentée comme seulement propre à
+déterminer un <i>maximum</i> et un <i>minimum</i>, peut-être fort écartés,
+relativement à notre éloignement effectif des couples stellaires
+auxquels elle pourra devenir applicable. Quelle que soit son
+imperfection nécessaire, elle n'en doit pas moins inspirer un profond
+intérêt, par l'espoir qu'elle nous donne d'obtenir plus tard, à l'aide
+d'un détour très ingénieux, quelque approximation certaine à l'égard de
+plusieurs de ces distances qui ne comportent encore qu'une grossière
+limite inférieure, commune à l'ensemble des astres innombrables que le
+ciel nous présente.</p>
+
+<p>Cette discussion philosophique de la seule portion de l'astronomie
+sidérale qui semble présenter aujourd'hui quelque consistance
+scientifique, est sans doute très propre à confirmer directement le
+principe général que je me suis efforcé d'établir sous divers rapports
+dans plusieurs leçons précédentes, sur la restriction essentielle et
+nécessaire de nos véritables recherches célestes à l'étude approfondie
+des phénomènes intérieurs de notre monde. On voit combien deviennent
+bornées et incertaines nos connaissances réelles, même dans les plus
+simples questions, aussitôt que nous tentons de franchir ces limites
+naturelles, quoique nous restions encore très loin de la vraie
+considération de l'univers. L'étude indiquée ci-dessus, et qui est toute
+récente, devra sans doute faire dans la suite des siècles quelques
+progrès notables; mais les causes évidentes de son imperfection sont
+trop fondamentales, pour qu'on puisse espérer qu'elle présente jamais un
+caractère scientifique aucunement comparable à celui de notre astronomie
+solaire.</p>
+
+<p>Je dois maintenant procéder à l'examen général de ce qui comporte un
+certain caractère de positivité dans les hypothèses cosmogoniques. Il
+serait sans doute superflu d'établir spécialement à cet égard ce
+préliminaire indispensable, que toute idée de <i>création</i> proprement dite
+doit être ici radicalement écartée, comme étant par sa nature
+entièrement insaisissable, et que la seule recherche raisonnable, si
+elle est réellement accessible, doit concerner uniquement les
+<i>transformations</i> successives du ciel, en se bornant même, au moins
+d'abord, à celle qui a pu produire immédiatement son état actuel. Ces
+considérations préalables sont trop évidentes pour qu'il convienne de
+les expliquer davantage aux lecteurs de cet ouvrage.</p>
+
+<p>La question réelle consiste donc à décider si l'état présent du ciel
+offre quelques indices appréciables d'un état antérieur plus simple,
+dont le caractère général soit susceptible d'être déterminé. À cet
+égard, la séparation fondamentale que je me suis tant occupé de
+constituer solidement entre l'étude essentiellement inaccessible de
+l'univers et l'étude nécessairement très positive de notre monde,
+introduit naturellement une distinction profonde, qui restreint beaucoup
+le champ des recherches effectives. On conçoit, en effet, que nous
+puissions conjecturer, avec quelque espoir de succès, sur la formation
+du système solaire dont nous faisons partie, car il nous présente de
+nombreux phénomènes, parfaitement connus, susceptibles peut-être de
+porter un témoignage décisif de sa véritable origine immédiate. Mais,
+quelle pourrait-être, au contraire, la base rationnelle de nos
+conjectures sur la formation des soleils eux-mêmes? Comment confirmer ou
+infirmer à ce sujet, d'après les phénomènes, aucune hypothèse
+cosmogonique, lorsqu'il n'existe vraiment en ce genre aucun phénomène
+exploré, ni même sans doute explorable? Quelque intérêt philosophique
+que doive inspirer la curieuse suite d'observations d'Herschell sur la
+condensation progressive des nébuleuses, d'où il a induit leur
+transformation nécessaire en étoiles, ces faits ne sauraient évidemment
+autoriser une semblable conclusion. Pour qu'elle comportât une vraie
+solidité, il faudrait qu'on pût déduire d'un tel principe quelques
+conséquences relatives aux formes ou aux mouvemens, qui se trouvassent
+en harmonie avec des phénomènes bien constatés. Or, cela serait-il
+possible, quand ces phénomènes cosmiques eux-mêmes nous manquent
+entièrement! En un mot, notre monde étant, dans l'ensemble du ciel, le
+seul connu, sa formation est tout au plus la seule que nous puissions
+raisonnablement chercher. Les autres origines célestes rentrent
+nécessairement, du moins jusqu'ici, dans le vague domaine de
+l'imagination pure, affranchie de toute condition scientifique. Si, pour
+la plupart des intelligences actuelles, cette extrême restriction doit
+naturellement diminuer beaucoup l'intérêt d'une telle recherche, elle
+tend directement, au contraire, à recommander auprès de tous les bons
+esprits une étude dont ils peuvent maintenant entrevoir la positivité,
+tandis que la confusion habituelle des idées à cet égard ne leur laisse
+apercevoir d'autre perspective que la vraie succession d'une suite
+indéfinie de conceptions essentiellement arbitraires, propres à leur
+inspirer une juste et profonde répugnance. Nous savons d'ailleurs, avec
+une pleine certitude, par l'ensemble des études astronomiques, que les
+phénomènes intérieurs de notre monde s'accomplissent constamment sans
+dépendre en aucune manière des phénomènes vraiment cosmiques; en sorte
+qu'il est rationnel de conjecturer sur la formation de notre système
+planétaire, abstraction faite de toute enquête sur celle des soleils
+eux-mêmes. Enfin, la marche que je caractérise ici n'est, à vrai dire,
+qu'un prolongement naturel de la direction spontanée déjà suivie, sous
+un rapport analogue, par le développement régulier de la véritable
+astronomie. Car on doit reconnaître, ce me semble, que la cosmogonie
+positive a réellement commencé quand les géomètres, d'après la théorie
+mathématique de la figure des planètes, ont démontré leur fluidité
+primitive. Après avoir ainsi constaté l'état antérieur de chacune
+d'elles envisagée séparément, il est naturel de remonter maintenant à
+l'origine du système planétaire, en vertu de sa constitution actuelle,
+avec un soleil tout formé; et, plus tard, si l'on pouvait jamais
+parvenir à connaître réellement quelques lois cosmiques, on s'élèverait
+jusqu'aux formations solaires, de toutes les plus éloignées des données
+immédiates. Tel est, sans doute, le seul plan rationnel qui pût nous
+conduire à la construction graduelle d'une genèse positive, si elle
+était vraiment possible.</p>
+
+<p>Nous devons donc réduire la cosmogonie réelle à l'étude de la formation
+de notre monde, en regardant le soleil comme donné, et même comme animé
+d'un mouvement uniforme de rotation autour de son axe actuel, avec une
+vitesse indéterminée. Il s'agit uniquement de rattacher à cette donnée
+fondamentale la constitution effective de notre système planétaire,
+telle que nous la connaissons exactement aujourd'hui. Le problème est
+assez large pour que sa solution certaine et précise surpasse
+vraisemblablement beaucoup la portée réelle de notre intelligence. Nos
+conjectures sur une telle origine doivent d'ailleurs être évidemment
+assujetties à cette indispensable condition de n'y faire intervenir
+d'autres agens naturels que ceux dont nous apercevons clairement
+l'influence dans nos phénomènes habituels, et qui seulement auraient
+alors opéré sur une plus grande échelle. Sans cette règle, ce travail ne
+saurait avoir aucun caractère vraiment scientifique, et l'on tomberait
+dans l'inconvénient, si justement reproché à la plupart des hypothèses
+géologiques, d'avoir introduit, pour expliquer les anciennes révolutions
+du globe, des agens qui ne subsistent plus aujourd'hui, et dont, par
+cela même, il nous est impossible de vérifier ou seulement de comprendre
+l'influence.</p>
+
+<p>Quoique ainsi restreintes à un sujet bien circonscrit, dont toutes les
+circonstances caractéristiques sont parfaitement connues, les théories
+cosmogoniques n'en restent pas moins, par leur nature, essentiellement
+conjecturales, quelque plausibles qu'elles puissent devenir. Car, il ne
+peut en être ici comme dans l'établissement de la mécanique céleste, où,
+de l'étude géométrique des mouvemens planétaires, on a pu remonter, avec
+une entière certitude, à leur conception dynamique, d'après les lois
+générales du mouvement, qui indiquaient exactement tel mécanisme, en
+donnant à tout autre une exclusion nécessaire. Nous ne saurions avoir
+aucune théorie abstraite des formations, analogue à celle des mouvemens,
+qui puisse nous conduire mathématiquement à assigner telle formation
+déterminée comme effectivement correspondante à telle disposition
+effective. Toutes nos tentatives à cet égard ne peuvent consister qu'à
+construire, d'après les renseignemens généraux, des hypothèses
+cosmogoniques plus ou moins vraisemblables, pour les comparer ensuite,
+le plus exactement possible, à l'ensemble des phénomènes bien explorés.
+Quelque consistance que ces hypothèses soient susceptibles d'acquérir
+par un tel contrôle, elles ne sauraient jamais, faute de ce critérium
+indispensable, être élevées, comme l'a été si justement la loi de la
+gravitation, au rang des faits généraux. Car, on serait toujours
+autorisé à penser qu'une hypothèse nouvelle conviendrait peut-être aussi
+bien aux mêmes phénomènes, en permettant de plus d'en expliquer
+d'autres, à moins qu'on ne parvînt un jour à représenter exactement
+toutes les circonstances caractéristiques, même numériquement
+envisagées, ce qui, en ce genre, est évidemment chimérique.</p>
+
+<p>J'ai cru devoir insister ici sur la vraie nature des seules recherches
+cosmogoniques qui puissent avoir quelque efficacité, parce que la
+plupart des esprits éclairés me semblent encore bien éloignés de sentir
+suffisamment, à cet égard, toutes les exigences spéciales de la saine
+philosophie. Passons maintenant, sans autre préambule, à l'examen
+général de la théorie cosmogonique de Laplace, incomparablement la plus
+plausible de toutes celles qui ont été proposées jusqu'ici, et
+susceptible, à mon avis, d'une vérification mathématique, dont son
+illustre auteur n'avait pas conçu l'espérance. Elle a le mérite capital,
+conformément à la règle posée ci-dessus, de faire opérer la formation de
+notre monde par les agens les plus simples que nous présente sans cesse
+l'ensemble de nos études naturelles, la pesanteur et la chaleur, les
+deux seuls principes d'action qui soient rigoureusement généraux.</p>
+
+<p>L'hypothèse cosmogonique de Laplace a pour but d'expliquer les
+circonstances générales qui caractérisent la constitution de notre
+système solaire, savoir: l'identité de la direction de toutes les
+circulations planétaires d'occident en orient; celle non moins
+remarquable que présentent aussi les rotations; les mêmes phénomènes
+envers les satellites; la faible excentricité de toutes les orbites; et,
+enfin, le peu d'écartement de leurs plans, comparés surtout à celui de
+l'équateur solaire. Je ne considère point ici les comètes, parce que je
+préfère adopter à leur égard l'opinion de Lagrange, indiquée au
+commencement de la leçon précédente. L'idée de Laplace, qui les envisage
+comme des astres essentiellement étrangers à notre monde, me semble peu
+rationnelle et radicalement contraire au principe si bien établi de
+l'entière indépendance des phénomènes intérieurs de notre système envers
+les phénomènes vraiment sidéraux.</p>
+
+<p>Avant d'examiner la conception fondamentale de Laplace au sujet de
+l'interprétation cosmogonique des divers caractères généraux que je
+viens de rappeler, je ne puis m'empêcher de témoigner ici combien tous
+les bons esprits, étrangers aux préjugés mathématiques, ont dû trouver
+puérile et déplacée la singulière application du calcul des chances,
+indiquée d'abord par Daniel Bernouilli, et péniblement complétée ensuite
+par Laplace lui-même, pour évaluer la probabilité que ces phénomènes ont
+réellement une cause, comme si notre intelligence avait besoin
+d'attendre une telle autorisation arithmétique, avant d'entreprendre
+légitimement d'expliquer un phénomène quelconque bien constaté,
+lorsqu'elle en aperçoit la possibilité<a id="footnotetag18" name="footnotetag18"></a>
+<a href="#footnote18"><sup class="sml">18</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote18"
+name="footnote18"><b>Note 18: </b></a><a href="#footnotetag18">
+(retour) </a> Depuis la publication du premier volume de cet
+ ouvrage, plusieurs bons esprits m'ayant demandé pourquoi, en
+ y traitant de la philosophie mathématique, je n'avais
+ nullement considéré l'analyse des probabilités, je crois
+ devoir indiquer ici sommairement, mais avec franchise, mon
+ principal motif à ce sujet.
+
+<p> Le caractère général de cet ouvrage est essentiellement
+ dogmatique: la critique ne peut y être admise que d'une
+ manière accessoire. Il m'eût paru dès lors peu convenable
+ d'y envisager la théorie générale des probabilités, au sujet
+ de laquelle je n'avais à porter qu'un jugement négatif, qui,
+ par son développement nécessaire, aurait formé sans doute
+ une disparate choquante.</p>
+
+<p> Le calcul des probabilités ne me semble avoir été
+ réellement, pour ses illustres inventeurs, qu'un texte
+ commode à d'ingénieux et difficiles problèmes numériques,
+ qui n'en conservent pas moins toute leur valeur abstraite,
+ comme les théories analytiques dont il a été ensuite
+ l'occasion, ou, si l'on veut, l'origine. Quant à la
+ conception philosophique sur laquelle repose une telle
+ doctrine, je la crois radicalement fausse et susceptible de
+ conduire aux plus absurdes conséquences. Je ne parle pas
+ seulement de l'application évidemment illusoire qu'on a
+ souvent tenté d'en faire un prétendu perfectionnement des
+ sciences sociales: ces essais, nécessairement chimériques,
+ seront caractérisés dans la dernière partie de cet ouvrage.
+ C'est la notion fondamentale de la probabilité évaluée, qui
+ me semble directement irrationnelle et même sophistique: je
+ la regarde comme essentiellement impropre à régler notre
+ conduite en aucun cas, si ce n'est tout au plus dans les
+ jeux de hasard. Elle nous amènerait habituellement, dans la
+ pratique, à rejeter, comme numériquement invraisemblables,
+ des événemens qui vont pourtant s'accomplir. On s'y propose
+ le problème insoluble de suppléer à la suspension de
+ jugement, si nécessaire en tant d'occasions. Les
+ applications utiles qui semblent lui être dues, le simple
+ bon sens, dont cette doctrine a souvent faussé les aperçus,
+ les avait toujours clairement indiquées d'avance.</p>
+
+<p> Quoique ces assertions soient purement négatives, je
+ reconnais aujourd'hui qu'elles ont trop d'utilité pratique
+ pour que je ne doive pas consacrer à cette discussion une
+ leçon spéciale dans ma <i>Philosophie mathématique</i>, si jamais
+ cet ouvrage comporte une seconde édition.</p>
+</blockquote>
+
+<p>La cosmogonie de Laplace consiste, comme on sait, à former les planètes
+par la condensation graduelle de l'atmosphère solaire, supposée
+primitivement étendue, en vertu d'une extrême chaleur, jusqu'aux limites
+de notre monde, et successivement contractée par le refroidissement.
+Elle repose sur deux considérations mathématiques incontestables. La
+première concerne la relation nécessaire qui existe, d'après la théorie
+fondamentale des rotations, et spécialement d'après le théorème général
+des aires, entre les dilatations ou contractions successives d'un corps
+quelconque (y compris son atmosphère, qui en est inséparable), et la
+durée de sa rotation, qui doit s'accélérer quand les dimensions
+diminuent, ou devenir plus lente lorsqu'elles augmentent, afin que les
+variations angulaires et linéaires, que la somme des aires tend à
+éprouver, soient exactement compensées. La seconde considération est
+relative à la liaison, non moins évidente, de la vitesse angulaire de
+rotation du soleil à l'extension possible de son atmosphère, dont la
+limite mathématique est inévitablement à la distance où la force
+centrifuge, due à cette rotation, devient égale à la gravité
+correspondante: en sorte que si, par une cause quelconque, une partie de
+cette atmosphère venait à se trouver placée au-delà d'une telle limite,
+elle cesserait aussitôt d'appartenir réellement au soleil, quoiqu'elle
+dût continuer à circuler autour de lui avec la vitesse convenable au
+moment de la séparation, mais sans pouvoir dès lors participer davantage
+aux modifications ultérieures qui surviendraient dans la rotation
+solaire par le progrès du refroidissement.</p>
+
+<p>On conçoit aisément, d'après cela, comment la limite mathématique de
+l'atmosphère du soleil a dû diminuer sans cesse, pour les parties
+situées à l'équateur solaire, à mesure que le refroidissement a rendu la
+rotation plus rapide. Dès lors, cette atmosphère a dû successivement
+abandonner, dans le plan de cet équateur, diverses zones gazeuses,
+situées un peu au-delà des limites correspondantes; ce qui constituerait
+le premier état de nos planètes. Le même mode de formation
+s'appliquerait évidemment aux différens satellites, par les atmosphères
+de leurs planètes respectives.</p>
+
+<p>Nos astres, étant ainsi une fois détachés de la masse solaire, ont pu
+ensuite devenir liquides et finalement solides, par le progrès continu
+de leur propre refroidissement, sans être affectés des nouvelles
+variations que l'atmosphère et la rotation du soleil ont pu éprouver.
+Mais l'irrégularité de ce refroidissement et l'inégale densité des
+diverses parties de chaque astre ont dû naturellement, pendant ces
+transformations, changer presque toujours la forme annulaire primitive,
+qui n'aurait subsisté sans altération que dans le seul cas des
+singuliers satellites dont Saturne est immédiatement entouré. Le plus
+souvent, la prépondérance d'une portion de la zone gazeuse a dû réunir
+graduellement, par voie d'absorption, autour de ce noyau, la masse
+entière de l'anneau; et l'astre a pris ainsi une figure sphéroïdique,
+avec un mouvement de rotation dirigé dans le même sens que la
+translation, à cause de l'excès de vitesse nécessaire des molécules
+supérieures à l'égard des inférieures.</p>
+
+<p>Les caractères généraux de notre monde, tels que je les ai mentionnés
+ci-dessus, sont évidemment en parfaite harmonie avec cette théorie
+cosmogonique. La direction identique de tous les mouvemens, tant de
+rotation que de translation, en dérive immédiatement. Quant à la forme
+et à la position des orbites, elles seraient, d'après une telle
+cosmogonie, parfaitement circulaires et dans le plan de l'équateur
+solaire, si le refroidissement et la condensation avaient pu s'accomplir
+avec une entière régularité. Mais les variations, nécessairement
+irrégulières, qu'ont dû éprouver les différentes parties de chaque
+masse, dans leur température et dans leur densité, ont pu produire,
+comme le remarque justement Laplace, les faibles excentricités et les
+légères déviations que nous observons. On voit, en outre, que cette
+hypothèse explique immédiatement cette impulsion primitive propre à
+chaque astre de notre monde, qui embarrassait jusqu'ici la conception
+fondamentale des mouvemens célestes, et dont désormais la seule rotation
+du soleil peut rendre uniformément raison de la manière la plus
+naturelle. Enfin, il en résulte évidemment, quoique personne ne l'ait
+encore remarqué, que la formation des diverses parties de notre système
+a été, de toute nécessité, successive; les planètes étant d'autant plus
+anciennes qu'elles sont plus éloignées du soleil, et la même loi
+s'observant, dans chacune d'elles, à l'égard de ses différens
+satellites, qui, tous, sont d'ailleurs plus modernes que les planètes
+correspondantes. Peut-être même, comme je l'indiquerai bientôt,
+pourra-t-on parvenir, dans la suite, à perfectionner cet ordre
+chronologique au point d'assigner, entre certaines limites, le nombre de
+siècles écoulés depuis chaque formation.</p>
+
+<p>Pour donner à cette cosmogonie une véritable consistance mathématique,
+j'ai tenté d'y découvrir un aspect d'après lequel elle comportât quelque
+vérification numérique, critérium indispensable de toute hypothèse
+relative à des phénomènes astronomiques<a id="footnotetag19" name="footnotetag19"></a>
+<a href="#footnote19"><sup class="sml">19</sup></a>. Il s'agissait donc de
+trouver, dans les valeurs actuelles et bien connues de nos élémens
+astronomiques, une classe de nombres qui fût suffisamment en harmonie
+avec les conséquences nécessaires d'un tel mode de formation. J'ai
+d'abord senti que je devais les chercher seulement parmi les élémens qui
+ne sont point sensiblement altérés par les perturbations proprement
+dites, les autres étant nécessairement impropres à témoigner, sans
+équivoque, de l'état primitif. Enfin, il était indispensable de se
+borner, du moins en premier lieu, à la considération des mouvemens de
+translation, comme beaucoup plus susceptibles d'être exactement
+analysés, d'après la nature de l'hypothèse, que les rotations, qui sont
+d'ailleurs encore si mal connues en plusieurs cas.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote19"
+name="footnote19"><b>Note 19: </b></a><a href="#footnotetag19">
+(retour) </a> Les résultats que je vais indiquer ont été
+ annoncés, pour la première fois, en août 1831, dans le cours
+ public d'astronomie que je fais gratuitement, depuis quatre
+ ans, pour les ouvriers de Paris, à la municipalité du 3e
+ arrondissement. J'ai lu récemment, sur ce sujet, à
+ l'Académie des sciences, en janvier 1835, un premier mémoire
+ spécial.
+</blockquote>
+
+<p>Le principe fondamental de cette importante vérification, consiste en ce
+que, suivant la cosmogonie proposée, le temps périodique de chaque astre
+produit a dû être nécessairement égal à la durée de la rotation de
+l'astre producteur à l'époque où son atmosphère pouvait s'étendre
+jusque-là. On fait ainsi porter naturellement la discussion sur les deux
+élémens astronomiques les mieux connus, et les moins affectés par les
+perturbations, les moyennes distances et les durées des révolutions
+sidérales. La question consistait donc à déterminer directement quelle
+pouvait être la durée de la rotation du soleil quand la limite
+mathématique de son atmosphère s'étendait jusqu'à telle ou telle
+planète, pour examiner si, en effet, on la trouverait sensiblement égale
+au temps périodique correspondant: et, pareillement, à l'égard de chaque
+planète comparée à ses satellites.</p>
+
+<p>Au premier abord, cette détermination semble exiger l'évaluation
+relative des variations successives du moment d'inertie du soleil,
+auquel la vitesse angulaire de sa rotation a dû être toujours
+inversement proportionnelle; ce qui jetterait dans des calculs peut-être
+inextricables, et d'ailleurs nécessairement illusoires, en vertu de
+notre profonde ignorance sur la loi mathématique de la densité des
+couches intérieures de ce corps et de son atmosphère, qu'on ne pourrait
+alors se dispenser de prendre en considération. C'est probablement par
+ce motif que Laplace aura renoncé à une telle vérification de sa
+cosmogonie, s'il en a réellement conçu la pensée. Mais un autre point de
+vue du sujet m'a permis, d'après les théorèmes élémentaires d'Huyghens
+sur la mesure des forces centrifuges, combinés avec la loi de la
+gravitation, de former, sans aucune difficulté, une équation
+fondamentale très simple entre la durée de la rotation de l'astre
+producteur et la distance de l'astre produit, jusque auquel s'étendait
+la limite mathématique correspondante de son atmosphère. Les constantes
+de cette équation sont d'ailleurs bien connues, puisqu'elles consistent
+uniquement dans le rayon de l'astre central, et l'intensité de la
+pesanteur à sa surface, qui est une conséquence directe de sa masse.</p>
+
+<p>Cette équation conduit d'abord immédiatement à la troisième grande loi
+de Képler sur l'harmonie des diverses révolutions, qui devient ainsi
+susceptible d'être conçue <i>à priori</i> sous le point de vue cosmogonique,
+outre son interprétation dynamique. En même temps, cette harmonie
+fondamentale me semble par là être complétée: car, la loi de Képler
+expliquait bien pourquoi, étant donnés séparément le temps périodique et
+la moyenne distance d'un seul astre, tel autre quelconque circulait
+inévitablement, d'après sa position, en tel temps; mais elle
+n'établissait aucune relation nécessaire entre la situation et la
+vitesse de chaque corps envisagé isolément, ce qui était surtout
+manifeste dans le cas d'une seule circulation, réalisé pour le système
+secondaire formé par la terre et la lune. Notre principe tend, en un
+mot, à constater une loi générale entre les diverses vitesses initiales,
+traitées jusqu'ici, en mécanique céleste, comme essentiellement
+arbitraires. Il est d'ailleurs évident que ce rapprochement abrège
+beaucoup les calculs numériques qu'exige, par sa nature, la vérification
+proposée, puisqu'il suffit dès lors, dans chaque système de
+circulation, de l'avoir effectuée à l'égard d'un seul astre, pour qu'on
+doive aussitôt, en vertu de la loi de Képler, l'étendre à tous les
+autres.</p>
+
+<p>La première comparaison de ce genre, qui m'ait vivement frappé, se
+rapporte à la lune; car on trouve alors que son temps périodique actuel
+s'accorde, à moins d'un dixième de jour près, avec la durée que devait
+avoir la rotation terrestre à l'époque où la distance lunaire formait la
+limite mathématique de notre atmosphère. La coïncidence est moins
+exacte, mais cependant très frappante, dans tous les autres cas. À
+l'égard des planètes, on obtient ainsi, pour la durée des rotations
+solaires correspondantes, une valeur toujours un peu moindre que celle
+de leurs temps périodiques effectifs. Il est remarquable que cet écart,
+quoique croissant à mesure que l'on considère une planète plus
+lointaine, conserve néanmoins, à très peu près, le même rapport avec le
+temps périodique correspondant, dont il forme ordinairement 1/45. Le
+défaut se change en excès dans les divers systèmes de satellites, où il
+est proportionnellement plus grand qu'envers les planètes, et d'ailleurs
+inégal d'un système à l'autre.</p>
+
+<p>Par l'ensemble de ces comparaisons, je suis donc conduit à ce résultat
+général: <i>en supposant la limite mathématique de l'atmosphère solaire
+successivement étendue jusqu'aux régions où se trouvent maintenant les
+diverses planètes, la durée de la rotation du soleil était, à chacune de
+ces époques, sensiblement égale à celle de la révolution sidérale
+actuelle de la planète correspondante; et de même, pour chaque
+atmosphère planétaire à l'égard de tous les divers satellites
+respectifs</i>. Sans doute, s'il s'agissait de l'astronomie ordinaire,
+relative à un monde déjà bien formé, et parvenu même à cet état de
+consistance qui ne comporte plus que de lentes et très petites
+oscillations produites par les perturbations proprement dites, la
+coïncidence numérique indiquée ci-dessus serait loin de devoir être
+regardée comme assez complète. Mais, au contraire, pour remonter à un
+état céleste aussi antique, et surtout aussi profondément distinct de
+celui que nous observons, il serait évidemment déraisonnable d'exiger le
+même degré de précision. Dans une recherche de cette nature, on doit
+être, ce me semble, bien plus frappé de cet accord approximatif que du
+défaut d'accord parfait. Néanmoins, d'après les considérations
+philosophiques précédemment établies, je suis loin de regarder une telle
+vérification comme une vraie démonstration mathématique de la cosmogonie
+proposée: car, ce sujet n'en comporte pas. Ce qui pourrait maintenant
+donner le plus de force à cette théorie, ce serait d'en déduire quelque
+loi réelle encore inconnue, comme, par exemple, ainsi que j'en ai
+l'espérance, d'en tirer une analogie relative aux diverses rotations
+planétaires, qui semblent jusqu'ici tout-à-fait incohérentes, et parmi
+lesquelles doit, pourtant, régner, sans doute, un certain ordre caché.
+Mais, cette première vérification suffit pour donner immédiatement à
+l'hypothèse cosmogonique de Laplace une consistance scientifique qui lui
+manquait encore, et qui peut attirer désormais sur une telle étude
+l'attention des esprits philosophiques.</p>
+
+<p>En considérant, sous un autre point de vue, ces légères différences
+entre les temps périodiques indiqués par notre principe et ceux qui ont
+effectivement lieu, on peut même y entrevoir une base d'après laquelle
+on pourrait tenter un jour de remonter, avec une certaine approximation,
+aux époques des diverses formations successives. Si les temps
+périodiques n'avaient souffert aucune altération, une telle chronologie
+n'aurait, au contraire, aucun fondement. L'augmentation d'environ huit
+jours, par exemple, qu'a dû éprouver, d'après cette cosmogonie, notre
+année sidérale, depuis la séparation de la terre, permettrait de fixer,
+entre des limites plus ou moins écartées, la date de cet événement, si
+l'influence des diverses causes perturbatrices qui ont pu produire cette
+modification pouvait être jamais suffisamment connue. Cette
+considération semble d'autant plus rationnelle que l'écart s'accroît à
+mesure qu'il se rapporte à une planète plus ancienne. Mais les
+difficultés mathématiques transcendantes propres à une telle question,
+nous interdiront peut-être toujours d'effectuer, même grossièrement, une
+semblable détermination, quand même cette cosmogonie viendrait à être
+suffisamment constatée.</p>
+
+<p>Une dernière conséquence générale de l'hypothèse cosmogonique proposée,
+consiste à établir, d'après la formule fondamentale indiquée ci-dessus,
+que la formation de notre monde est maintenant aussi complète qu'elle
+puisse l'être pendant la durée totale qu'il comporte. Il suffit, pour
+cela, de reconnaître, comme on le peut aisément dans tous les cas, que
+l'étendue effective de chaque atmosphère est actuellement inférieure à
+la limite mathématique qui résulte de la rotation correspondante, ce qui
+montre aussitôt l'impossibilité d'aucune formation nouvelle.</p>
+
+<p>Ainsi, l'état de notre monde serait, depuis un temps plus ou moins long,
+qui sera peut-être un jour grossièrement assignable, aussi stable sous
+le rapport cosmogonique que sous le rapport mécanique. Ni l'une ni
+l'autre stabilité ne doivent d'ailleurs, d'après la leçon précédente,
+être envisagées comme absolues, quoique leur incontestable durée puisse
+amplement suffire aux exigences les plus exagérées de la prévoyance
+humaine, relativement aux destinées réelles de notre espèce. Nous
+savons, en effet, que par la seule résistance continue du milieu
+général, notre monde doit, à la longue, se réunir inévitablement à la
+masse solaire d'où il est émané, jusqu'à ce qu'une nouvelle dilatation
+de cette masse vienne, dans l'immensité des temps futurs, organiser, de
+la même manière, un monde nouveau, destiné à fournir une carrière
+analogue. Toutes ces immenses alternatives de destruction et de
+renouvellement doivent s'accomplir d'ailleurs sans influer en rien sur
+les phénomènes les plus généraux, dus à l'action mutuelle des soleils:
+en sorte que ces grandes révolutions de notre monde, à la pensée
+desquelles il semble à peine que nous puissions nous élever, ne seraient
+cependant que des événemens secondaires, et pour ainsi dire locaux, par
+rapport aux transformations vraiment universelles. Il n'est pas moins
+remarquable que l'histoire naturelle de notre monde soit, à son tour,
+aussi certainement indépendante des changemens les plus profonds que
+puisse éprouver tout le reste de l'univers; à tel point que,
+fréquemment peut-être, des systèmes entiers se développent ou se
+condensent dans d'autres régions de l'espace, sans que notre attention
+soit aucunement attirée vers ces immenses événemens.</p>
+
+<p>L'ensemble des neuf leçons contenues jusqu'ici dans ce volume, me paraît
+constituer une exposition complète de la philosophie astronomique,
+envisagée sous tous ses divers aspects essentiels. Mon but principal
+sera atteint, si j'ai fait nettement ressortir, quant à la méthode et
+quant à la doctrine, le vrai caractère général de cette admirable
+science, fondement immédiat de la philosophie naturelle tout entière. Je
+me suis efforcé de caractériser exactement la marche d'après laquelle
+l'esprit humain, en s'y restreignant, avec une persévérante sagesse, aux
+recherches géométriques et mécaniques, les seules conformes à la nature
+du sujet, a pu graduellement, à l'aide de l'instrument mathématique
+incessamment perfectionné, parvenir à y introduire une précision et une
+rationnalité si supérieures à celles que puisse jamais comporter aucune
+autre branche de nos connaissances réelles, de manière à représenter
+enfin tous les nombreux phénomènes de notre monde, numériquement
+appréciés, comme les différentes faces d'un même fait général,
+rigoureusement défini, et continuellement reproduit sous nos yeux, dans
+les phénomènes terrestres les plus communs: en sorte que le but final de
+toutes nos études positives, la juste prévision des événemens, ait pu y
+être atteint aussi complètement qu'on doive le désirer, tant pour
+l'étendue que pour la certitude de cette prévoyance. J'ai dû aussi
+m'attacher soigneusement à indiquer, sous les divers rapports
+principaux, l'influence fondamentale propre à la science céleste, pour
+contribuer à affranchir irrévocablement la raison humaine de toute
+tutelle théologique ou métaphysique, en montrant les phénomènes les plus
+généraux comme exactement assujettis à des relations invariables et ne
+dépendant d'aucune volonté, en représentant l'ordre du ciel comme
+nécessaire et spontané. Quoique la considération spéciale et directe de
+cette action philosophique appartienne, d'ailleurs, naturellement à la
+dernière partie de cet ouvrage, il importait de manifester ici, en
+général, cet enchaînement inévitable d'après lequel l'ensemble du
+développement de l'astronomie nous a graduellement conduits à substituer
+désormais, à l'idée chimérique d'un univers destiné à notre satisfaction
+passive, la notion rationnelle de l'homme, intelligence suprême parmi
+toutes celles qu'il peut connaître, modifiant à son avantage, entre
+certaines limites déterminées, le système de phénomènes dont il fait
+partie, en résultat d'un sage exercice de son activité, dégagée de toute
+terreur oppressive, et dirigée uniquement par une exacte connaissance
+des lois naturelles. Enfin, je devais juger indispensable de constituer
+solidement, d'après tous les motifs importans, la restriction
+fondamentale du point de vue le plus général de la philosophie positive,
+à la seule considération bien circonscrite de notre monde, en
+représentant comme essentiellement inaccessible l'étude vague et
+indéfinie de l'univers.</p>
+
+<p>Il faut maintenant passer à l'examen philosophique de la seconde science
+naturelle fondamentale, celle qui concerne les phénomènes physiques
+proprement dits, dont l'étude, nécessairement beaucoup plus compliquée,
+emprunte à la méthode et à la doctrine astronomique un modèle général et
+une base indispensable, indépendamment de l'application si précieuse de
+l'instrument mathématique, qui doit s'y adapter toutefois d'une manière
+bien moins complète et moins satisfaisante qu'à l'analyse des phénomènes
+célestes, les plus éminemment mathématiques de tous.</p>
+
+<a name="l28" id="l28"></a>
+<br><hr class="full"><br>
+
+<h3>VINGT-HUITIÈME LEÇON.</h3>
+
+<br><hr class="short"><br>
+
+<p class="sml">Considérations philosophiques sur l'ensemble de la physique.</p>
+
+<p>Cette seconde branche fondamentale de la philosophie naturelle n'a
+commencé à se dégager définitivement de la métaphysique, pour prendre un
+caractère vraiment positif, que depuis les découvertes capitales de
+Galilée sur la chute des poids; tandis que, au contraire, la science
+considérée dans la première partie de ce volume était réellement
+positive, sous le rapport purement géométrique, depuis la fondation de
+l'École d'Alexandrie. On doit donc s'attendre ici, outre l'influence
+directe de la plus grande complication des phénomènes, à trouver l'état
+scientifique de la physique bien moins satisfaisant que celui de
+l'astronomie; soit sous le point de vue spéculatif, quant à la pureté et
+à la coordination de ses théories; soit sous le point de vue pratique,
+quant à l'étendue et à l'exactitude des prévisions qui en résultent. À
+la vérité, la formation graduelle de cette science pendant les deux
+derniers siècles a pu s'accomplir sous l'impulsion philosophique des
+préceptes de Bacon et des conceptions de Descartes, qui a dû rendre sa
+marche générale bien plus rationnelle, en établissant directement les
+conditions fondamentales de la méthode positive universelle. Mais,
+quelque importante qu'ait été réellement cette haute influence pour
+accélérer le progrès naturel de la philosophie physique, l'empire si
+prolongé des habitudes métaphysiques primitives était tellement profond,
+et l'esprit positif, qui n'a pu se développer que par l'exercice, était
+encore si imparfaitement caractérisé, que cette science ne pouvait
+acquérir en aussi peu de temps une entière positivité, dont manquait
+l'astronomie elle-même, envisagée dans sa partie mécanique, jusqu'au
+milieu de cette période. Aussi, à partir du point où est maintenant
+parvenu notre examen philosophique, trouverons-nous, dans les diverses
+sciences fondamentales qui nous restent à considérer, des traces de plus
+en plus profondes de l'esprit métaphysique, dont l'astronomie est seule
+aujourd'hui, entre toutes les branches de la philosophie naturelle,
+complètement affranchie. Cette influence anti-scientifique ne se bornera
+plus, comme celle que j'ai eu jusqu'ici à signaler en divers cas, à des
+détails peu importans, qui n'affectent essentiellement que le mode
+d'exposition; nous reconnaîtrons qu'elle altère notablement les
+conceptions fondamentales de la science, qui, même en physique, n'a
+point encore, à mon avis, entièrement pris son caractère philosophique
+définitif. Conformément à l'esprit général de notre travail, en
+comparant, d'une manière plus directe, plus rationnelle et plus profonde
+qu'on ne l'a fait encore, la philosophie de la physique avec le modèle
+si parfait que nous offre la philosophie astronomique, et perfectionnant
+toujours graduellement la méthode des sciences plus compliquées par
+l'application des préceptes généraux fournis par l'analyse des sciences
+moins compliquées, je ferai concevoir, j'espère, la possibilité
+d'imprimer désormais à toutes la même positivité, quoiqu'elles soient
+loin de comporter, par la nature de leurs phénomènes, la même
+perfection, suivant la hiérarchie fondamentale établie au commencement
+de cet ouvrage.</p>
+
+<p>Nous devons d'abord circonscrire aussi nettement que possible le
+véritable champ des recherches dont se compose la physique proprement
+dite.</p>
+
+<p>En ne la séparant point de la chimie, leur ensemble a pour objet la
+connaissance des lois générales du monde inorganique. Dès lors, cette
+étude totale se distingue aisément par des caractères fort tranchés, qui
+seront plus tard exactement analysés, aussi bien de la science de la
+vie, qui la suit dans notre échelle encyclopédique, que de la science
+astronomique qui l'y précède, et dont le simple objet, comme nous
+l'avons vu, se réduit à la considération des grands corps naturels quant
+à leurs formes et à leurs mouvemens. Mais, au contraire, la distinction
+entre la physique et la chimie est très délicate à constituer avec
+précision, et sa difficulté augmente de jour en jour par les relations
+de plus en plus intimes que l'ensemble des découvertes modernes
+développe continuellement entre ces deux sciences. Cette division est
+néanmoins réelle et indispensable, quoique nécessairement moins
+prononcée que toutes les autres séparations contenues dans notre série
+encyclopédique fondamentale. Je crois pouvoir l'établir solidement
+d'après trois considérations générales, distinctes quoique équivalentes,
+dont chacune isolément serait peut-être, en certains cas, insuffisante,
+mais qui, réunies, ne me paraissent devoir jamais laisser aucune
+incertitude réelle.</p>
+
+<p>La première consiste dans le contraste caractéristique, déjà vaguement
+entrevu par les philosophes du dix-septième siècle, entre la généralité
+nécessaire des recherches vraiment physiques et la spécialité non moins
+inhérente aux explorations purement chimiques. Toute considération de
+physique proprement dite est, par sa nature, plus ou moins applicable à
+un corps quelconque: tandis que, au contraire, toute idée chimique
+concerne nécessairement une action particulière à certaines substances,
+quelque similitude que nous parvenions d'ailleurs à saisir entre les
+différens cas. Cette opposition fondamentale est toujours nettement
+marquée entre les deux catégories de phénomènes. Ainsi, non-seulement la
+pesanteur, premier objet de la physique, se manifeste de la même manière
+dans tous les corps, et tous comportent pareillement des effets
+thermologiques; mais, encore, tous sont plus ou moins sonores, et
+susceptibles aussi de phénomènes optiques et même électriques: ils ne
+nous offrent jamais, pour ces diverses propriétés, que de simples
+inégalités de degré. Dans les différentes compositions et décompositions
+dont la chimie s'occupe, il s'agit constamment, au contraire, en
+dernière analyse, de propriétés radicalement spécifiques, qui varient
+non-seulement entre les diverses substances élémentaires, mais encore
+parmi leurs combinaisons les plus analogues. Les phénomènes magnétiques
+semblent, il est vrai, présenter une exception notable à cette
+généralité caractéristique des études physiques proprement dites,
+puisqu'ils sont particuliers à certaines matières très peu nombreuses,
+ce qui paraîtrait devoir les faire rentrer, sous ce rapport, dans le
+domaine de la chimie, à laquelle néanmoins ils ne sauraient évidemment
+appartenir. Mais cette objection doit disparaître depuis qu'il est bien
+reconnu, d'après la belle série de découvertes créée par M. Oersted, que
+ces phénomènes sont une simple modification des phénomènes électriques,
+dont la généralité est irrécusable. Sous l'influence de cette vue
+fondamentale, le progrès journalier de la science tend d'ailleurs, ce me
+semble, à constater de plus en plus que cette modification n'est point,
+comme on le croyait d'une manière trop absolue, strictement propre à une
+ou deux substances, et que toutes en sont très probablement susceptibles
+quand on les place dans des conditions convenables, seulement à des
+degrés beaucoup plus inégaux que pour aucune autre propriété physique.
+Cette exception apparente, qui, du reste, est évidemment la seule, ne
+peut donc réellement altérer le caractère intime de généralité
+rigoureuse, nécessairement inhérent à tous les phénomènes qui
+constituent le domaine de la physique, par opposition à la chimie.</p>
+
+<p>C'est donc bien vainement que, dans la manière habituelle de concevoir
+la physique, on croit encore devoir distinguer aujourd'hui les diverses
+propriétés dont elle s'occupe, suivant que leur universalité est
+nécessaire ou contingente, ce qui tend directement à jeter une fâcheuse
+incertitude sur la vraie définition de cette science. Une telle
+subtilité scolastique ne tient évidemment qu'à un reste d'influence de
+l'esprit métaphysique, d'après lequel on avait prétendu si long-temps à
+connaître les corps en eux-mêmes, indépendamment des phénomènes qu'ils
+nous montrent, et que l'on envisageait toujours comme essentiellement
+fortuits, tandis qu'ils sont réellement au contraire, pour les
+philosophes positifs, la seule base primitive de nos conceptions.
+Depuis que l'homme a reconnu, par exemple, l'universalité de la
+pesanteur, pouvons-nous continuer à la regarder comme une propriété
+contingente, c'est-à-dire, concevoir effectivement des corps qui en
+seraient dépourvus? De même, est-il vraiment en notre pouvoir de nous
+représenter une substance qui n'aurait point une température quelconque,
+ou qui ne comporterait aucun effet sonore, ni aucune action lumineuse,
+ou même électrique? En un mot, du point de vue de la philosophie
+positive, il y a évidemment exclusion entre l'idée de généralité
+rigoureuse et la notion de contingence, qui ne saurait appartenir qu'à
+des propriétés dont l'absence soit constatée dans quelques cas réels.</p>
+
+<p>La seconde considération élémentaire propre à distinguer la physique de
+la chimie, offre moins d'importance et même de solidité que la
+précédente, quoique susceptible d'une utilité véritable. Elle consiste à
+remarquer qu'en physique, les phénomènes considérés sont toujours
+relatifs aux masses, et en chimie aux molécules, d'où cette dernière
+science tirait autrefois sa dénomination habituelle de <i>physique
+moléculaire</i>. Malgré que cette distinction ne soit pas, au fond,
+dépourvue de toute réalité, il faut néanmoins reconnaître que les
+actions purement physiques sont le plus souvent aussi moléculaires que
+les influences chimiques, quand on les étudie d'une manière suffisamment
+approfondie. La pesanteur elle-même nous en présente un exemple
+irrécusable. Les phénomènes physiques observés dans les masses ne sont
+habituellement que les résultats sensibles de ceux qui s'opèrent dans
+leurs moindres particules: on ne doit tout au plus excepter de cette
+règle que les phénomènes du son et peut-être ceux de l'électricité.
+Quant à la nécessité d'une certaine masse pour manifester l'action, elle
+est évidemment tout aussi indispensable en chimie; en sorte que, sous ce
+rapport non plus, on ne semble point pouvoir admettre aucune différence
+vraiment caractéristique. Toutefois, cet ancien aperçu général, inspiré
+par la science naissante à des esprits profondément philosophiques, doit
+nécessairement offrir quelques fondemens véritables qui ont seulement
+besoin d'être plus précisément analysés; car, le développement ultérieur
+de la science ne saurait détruire le résultat d'une telle comparaison
+primitive, convenablement établie. Il me semble, en effet, que le fait
+général inaltérable, dont cette distinction n'est que l'énoncé abstrait,
+exprimé peut-être d'une manière qui n'est plus aujourd'hui strictement
+scientifique, consiste réellement en ce que, pour tous les phénomènes
+chimiques, l'un au moins des corps entre lesquels ils s'opèrent doit
+être nécessairement dans un état d'extrême division, et même, le plus
+souvent, de fluidité véritable, sans lequel l'action ne saurait avoir
+lieu, tandis que cette condition préliminaire n'est, au contraire,
+jamais indispensable à la production d'aucun phénomène physique
+proprement dit, et qu'elle constitue même toujours une circonstance
+défavorable à cette production, quoiqu'elle ne suffise pas constamment à
+l'empêcher. Il y a donc, à cet égard, une distinction réelle, quoique
+peu tranchée, entre les deux ordres de recherches.</p>
+
+<p>Enfin, une troisième remarque générale est peut-être plus convenable
+qu'aucune autre pour séparer nettement les phénomènes physiques des
+phénomènes chimiques. Dans les premiers, la constitution des corps,
+c'est-à-dire le mode d'arrangement de leurs particules, peut se trouver
+changée, quoique le plus souvent elle demeure même essentiellement
+intacte; mais, leur nature, c'est-à-dire la composition de leurs
+molécules, reste constamment inaltérable. Dans les seconds, au
+contraire, non-seulement il y a toujours changement d'état à l'égard de
+quelqu'un des corps considérés, mais l'action mutuelle de ces corps
+altère nécessairement leur nature, et c'est même une telle modification
+qui constitue essentiellement le phénomène. La plupart des agens
+considérés en physique sont sans doute susceptibles, quand leur
+influence est très énergique ou très prolongée, d'opérer à eux seuls des
+compositions et décompositions parfaitement identiques avec celles que
+détermine l'action chimique proprement dite; et c'est là d'où résulte
+directement la liaison si naturelle entre la physique et la chimie.
+Mais, à ce degré d'action, ils sortent, en effet, du domaine de la
+première science pour entrer dans celui de la seconde.</p>
+
+<p>Nos classifications scientifiques, pour être vraiment positives, ne
+sauraient reposer sur la considération vague et incertaine des agens
+auxquels nous rapportons les phénomènes étudiés. Un tel principe,
+rigoureusement appliqué, introduirait nécessairement une confusion
+totale et tendrait à faire disparaître les distinctions les plus utiles
+et les plus réelles. On sait, par exemple, que plusieurs philosophes
+modernes, et entre autres le grand Euler, ont voulu attribuer à un même
+éther universel, non-seulement les phénomènes de la chaleur et de la
+lumière, ainsi que ceux de l'électricité et du magnétisme, mais encore
+ceux de la pesanteur, terrestre ou céleste: et il serait impossible de
+démontrer, d'une manière réellement péremptoire, la fausseté d'une telle
+opinion. Plus tard, d'autres ont encore chargé le même fluide imaginaire
+de la production des phénomènes sonores, pour lesquels l'air ne leur
+paraissait pas un intermédiaire suffisant. Enfin, nous voyons
+aujourd'hui quelques physiologistes distingués, sectateurs du
+<i>naturisme</i> allemand, rapporter aussi la vie à l'attraction universelle,
+à laquelle déjà l'action chimique a été souvent rattachée. Ainsi, en
+combinant ces diverses hypothèses, qui sont tout aussi plausibles
+réunies que séparées, on arriverait à concevoir vaguement, en résumé,
+que tous les phénomènes observables sont dus à un agent unique, et
+personne sans doute ne saurait prouver qu'il en est autrement. Toute
+classification fondée sur la considération des agens deviendrait donc
+entièrement illusoire. Le seul moyen de dissiper une telle incertitude,
+en écartant des contestations nécessairement interminables, consiste à
+remarquer directement que, nos études positives ayant seulement pour
+objet la connaissance des lois des phénomènes, et nullement celle de
+leur mode de production, c'est sur les phénomènes eux-mêmes que doivent
+être exclusivement basées nos distributions scientifiques, pour avoir
+réellement une consistance rationnelle, comme je l'ai établi dans les
+prolégomènes de cet ouvrage. En procédant ainsi, il n'y a plus
+d'obscurité ni d'hésitation; notre marche philosophique devient assurée.</p>
+
+<p>On voit, dès lors, pour nous renfermer dans les limites de la question
+présente, que quand même tous les phénomènes chimiques seraient un jour
+positivement analysés comme dus à des actions purement physiques, ce qui
+sera peut-être le résultat général des travaux de la génération
+scientifique actuelle, notre distinction fondamentale entre la physique
+et la chimie ne saurait en être effectivement ébranlée. Car il resterait
+nécessairement vrai que, dans un fait justement qualifié de <i>chimique</i>,
+il y a toujours quelque chose de plus que dans un fait simplement
+<i>physique</i>, savoir: l'altération caractéristique qu'éprouvent la
+composition moléculaire des corps, et par suite, l'ensemble de leurs
+propriétés. Une telle distinction est donc naturellement à l'abri de
+toute révolution scientifique.</p>
+
+<p>L'ensemble des considérations précédentes me paraît suffire pour définir
+avec exactitude l'objet propre de la physique, strictement circonscrite
+dans ses limites naturelles. On voit que cette science consiste à
+<i>étudier les lois qui régissent les propriétés générales des corps,
+ordinairement envisagés en masse, et constamment placés dans des
+circonstances susceptibles de maintenir intacte la composition de leurs
+molécules, et même, le plus souvent, leur état d'agrégation</i>. En outre,
+le véritable esprit philosophique exige toujours, comme je l'ai déjà
+fréquemment rappelé, que toute science digne de ce nom soit évidemment
+destinée à établir sûrement un ordre correspondant de prévoyance. Il est
+donc indispensable d'ajouter, pour compléter réellement une telle
+définition, que le but final des théories physiques est de <i>prévoir, le
+plus exactement possible, tous les phénomènes que présentera un corps
+placé dans un ensemble quelconque de circonstances données</i>, en excluant
+toutefois celles qui pourraient le dénaturer. Que ce but soit rarement
+atteint d'une manière complète et surtout précise, cela n'est point
+douteux; mais il en résulte seulement que la science est imparfaite. Son
+imperfection réelle fût-elle même beaucoup plus grande, telle n'en
+serait pas moins évidemment sa destination nécessaire. J'ai remarqué
+ailleurs que, pour concevoir nettement le vrai caractère général d'une
+science quelconque, il est d'abord indispensable de la supposer
+parfaite, et l'on a ensuite convenablement égard aux difficultés
+fondamentales plus ou moins grandes que présente toujours effectivement
+cette perfection idéale, comme nous l'avons déjà fait envers
+l'astronomie.</p>
+
+<p>Par cette seule exposition sommaire de l'objet général des recherches
+physiques, il est aisé de sentir combien elles doivent offrir
+nécessairement plus de complication que les études astronomiques.
+Celles-ci se bornent à considérer les corps dont elles s'occupent sous
+les deux aspects élémentaires les plus simples que nous puissions
+imaginer, quant à leurs formes et à leurs mouvemens, en faisant
+rigoureusement abstraction de tout autre point de vue. En physique, au
+contraire, les corps, accessibles à tous nos sens, sont nécessairement
+envisagés dans l'ensemble des conditions générales qui caractérisent
+leur existence réelle, et par conséquent, étudiés sous un grand nombre
+de rapports divers, qui d'ordinaire se compliquent mutuellement. Si l'on
+apprécie convenablement la difficulté totale du problème, il deviendra
+facile de concevoir, <i>à priori</i>, que non-seulement une telle science
+doit être inévitablement beaucoup moins parfaite que l'astronomie, mais
+encore même qu'elle serait réellement impossible si l'accroissement des
+obstacles fondamentaux n'était naturellement compensé, jusqu'à un
+certain point, par l'extension des moyens d'exploration. C'est ici le
+lieu d'appliquer la loi philosophique que j'ai établie dans la
+dix-neuvième leçon, au sujet de cette compensation nécessaire et
+constante, qui résulte essentiellement de ce que, à mesure que les
+phénomènes se compliquent, ils deviennent, par cela même, explorables
+sous un plus grand nombre de rapports divers.</p>
+
+<p>Des trois procédés généraux qui constituent notre art d'observer, comme
+je l'ai exposé alors, le dernier, la comparaison, n'est à la vérité
+guère plus applicable ici qu'à l'égard des phénomènes astronomiques.
+Quoiqu'il y puisse être quelquefois heureusement employé, il faut
+reconnaître que, par sa nature, il est essentiellement destiné à l'étude
+des phénomènes propres aux corps organisés, comme nous le constaterons
+plus tard. Mais la physique comporte évidemment le plus complet
+développement des deux autres modes fondamentaux d'observation. Quant au
+premier, c'est-à-dire à l'observation proprement dite, qui, en
+astronomie, était forcément bornée à l'usage d'un seul sens, elle
+commence à recevoir ici toute son extension possible. La multiplicité
+des points de vue relatifs aux propriétés physiques tient
+essentiellement en effet à la même condition caractéristique qui nous
+permet d'y employer simultanément tous nos sens. Néanmoins, cette
+science, réduite à la seule ressource de l'observation pure, serait,
+sans aucun doute, extrêmement imparfaite, quelque varié qu'y puisse être
+son usage. Mais ici s'introduit spontanément, dans la philosophie
+naturelle, l'emploi du second procédé général d'exploration,
+l'expérience, dont l'application convenablement dirigée constitue la
+principale force des physiciens pour toutes les questions un peu
+compliquées. Cet heureux artifice fondamental consiste toujours à
+observer en dehors des circonstances naturelles, en plaçant les corps
+dans des conditions artificielles, expressément instituées pour
+faciliter l'examen de la marche des phénomènes qu'on se propose
+d'analyser sous un point de vue déterminé. On conçoit aisément combien
+un tel art est éminemment adapté aux recherches physiques, qui,
+destinées, par leur nature, à étudier dans les corps leurs propriétés
+générales et permanentes, susceptibles seulement de divers degrés
+d'intensité, peuvent admettre, pour ainsi dire sans limites, l'ensemble
+quelconque de circonstances qu'on juge convenable d'introduire. C'est
+réellement en physique que se trouve le triomphe de l'expérimentation,
+parce que notre faculté de modifier les corps afin de mieux observer
+leurs phénomènes, n'y est assujettie à presque aucune restriction, ou
+que, du moins, elle s'y développe beaucoup plus librement que dans
+toute autre partie de la philosophie naturelle.</p>
+
+<p>Quand nous examinerons, dans le volume suivant, la science de la vie,
+nous reconnaîtrons quelles difficultés fondamentales y présente
+l'institution des expériences, à cause de la nécessité de les combiner
+de manière à maintenir l'état vivant, et même au degré normal, ce qui,
+d'un autre côté, exige impérieusement un ensemble très complexe de
+conditions, tant extérieures qu'intérieures, dont les variations
+admissibles sont renfermées entre des limites peu écartées, et dont les
+modifications se provoquent mutuellement: en sorte qu'on ne peut presque
+jamais établir, en physiologie, tandis qu'on l'obtient si aisément en
+physique deux cas exactement pareils sous tous les rapports, sauf sous
+celui qu'on veut analyser; ce qui constitue pourtant la base
+indispensable d'une expérimentation complètement rationnelle et vraiment
+décisive. L'usage des expériences doit donc être, en physiologie,
+extrêmement restreint, quoique, sans doute, elles y puissent être
+réellement avantageuses, quand on procède à leur institution avec toute
+la circonspection qu'elle exige: nous examinerons plus tard comment
+cette ressource y est, jusqu'à un certain point, remplacée par
+l'observation pathologique. En chimie, le domaine de l'expérimentation
+semble ordinairement encore plus complet que dans la physique, puisqu'on
+n'y considère, pour ainsi dire, jusqu'ici que des faits résultant de
+circonstances artificielles, établies par notre intervention. Mais, la
+non-spontanéité des circonstances ne constitue pas, ce me semble, le
+principal caractère philosophique de l'expérimentation, qui consiste
+surtout dans le choix le plus libre possible du cas propre à dévoiler le
+mieux la marche du phénomène, que ce cas soit d'ailleurs naturel ou
+factice. Or, ce choix est, en réalité, bien plus facultatif en physique
+qu'à l'égard des phénomènes chimiques, dont la plupart, ne pouvant
+s'obtenir que par le concours indispensable d'un plus grand nombre
+d'influences diverses, ne permettent pas de varier autant les
+circonstances de leur production, ni surtout d'isoler aussi complètement
+les différentes conditions déterminantes, comme nous le reconnaîtrons
+spécialement dans le volume suivant. Ainsi, en résumé, non-seulement la
+création de l'art général de l'expérimentation est due au développement
+de la physique; mais c'est surtout à cette science qu'un tel procédé
+est, en effet, destiné, quelque précieuses ressources qu'il offre aux
+branches plus compliquées de la philosophie naturelle.</p>
+
+<p>Après l'usage rationnel des méthodes expérimentales, la principale base
+du perfectionnement de la physique résulte de l'application plus ou
+moins complète de l'analyse mathématique. C'est ici que finit le domaine
+actuel de cette analyse en philosophie naturelle; et la suite de cet
+ouvrage montrera combien il serait chimérique d'espérer que son empire
+s'étende jamais au-delà avec une efficacité notable, même en se bornant
+aux phénomènes chimiques. La fixité et la simplicité relatives des
+phénomènes physiques, doivent comporter naturellement un emploi étendu
+de l'instrument mathématique, quoiqu'il s'y adapte beaucoup moins bien
+qu'aux études astronomiques. Cette application peut s'y présenter sous
+deux formes très différentes, l'une directe, l'autre indirecte. La
+première a lieu quand la considération immédiate des phénomènes a permis
+d'y saisir une loi numérique fondamentale, qui devient la base d'une
+suite plus ou moins prolongée de déductions analytiques; comme on l'a vu
+si éminemment lorsque le grand Fourier a créé sa belle théorie
+mathématique de la répartition de la chaleur, fondée tout entière sur le
+principe de l'action thermologique entre deux corps, proportionnelle à
+la différence de leurs températures. Le plus souvent, au contraire,
+l'analyse mathématique ne s'y introduit qu'indirectement, c'est-à-dire
+après que les phénomènes ont été d'abord ramenés, par une étude
+expérimentale plus ou moins difficile, à quelques lois géométriques ou
+mécaniques; et alors ce n'est point proprement à la physique que
+l'analyse s'applique, mais à la géométrie ou à la mécanique. Telles
+sont, entre autres, sous le rapport géométrique, les théories de la
+réflexion ou de la réfraction, et, sous le rapport mécanique, l'étude de
+la pesanteur ou celle d'une partie de l'acoustique.</p>
+
+<p>Que l'introduction des théories analytiques, dans les recherches
+physiques, soit médiate ou immédiate, il importe de ne les y employer
+qu'avec une extrême circonspection, après avoir sévèrement scruté la
+réalité du point de départ, qui peut seule établir la solidité des
+déductions, qu'une telle méthode permet de prolonger et de varier avec
+une si admirable fécondité; et le génie propre de la physique doit
+diriger sans cesse l'usage rationnel de ce puissant instrument. Il faut
+convenir que l'ensemble de ces conditions a été rarement rempli d'une
+manière convenable par les géomètres, qui, le plus souvent, prenant le
+moyen pour le but, ont embarrassé la physique d'une foule de travaux
+analytiques fondés sur des hypothèses très hasardées, ou même sur des
+conceptions entièrement chimériques, et où, par conséquent, les bons
+esprits ne peuvent voir réellement que de simples exercices
+mathématiques, dont la valeur abstraite est quelquefois très éminente,
+sans que leur influence puisse nullement accélérer le progrès naturel de
+la physique. L'injuste dédain que la prépondérance de l'analyse provoque
+trop fréquemment pour les études purement expérimentales, tend même
+directement à imprimer à l'ensemble des recherches une impulsion
+vicieuse qui, si elle n'était point nécessairement contenue, enlevant à
+la physique ses fondemens indispensables, la ferait rétrograder vers un
+état d'incertitude et d'obscurité peu différent, au fond, malgré
+l'imposante sévérité des formes, de son ancien état métaphysique. Les
+physiciens n'ont pas d'autre moyen radical d'éviter ces empiètemens
+funestes, que de devenir désormais eux-mêmes assez géomètres pour
+diriger habituellement l'usage de l'instrument analytique, comme celui
+de tous les autres appareils qu'ils emploient, au lieu d'en abandonner
+l'application à des esprits qui n'ont ordinairement aucune idée nette et
+approfondie des phénomènes à l'exploration desquels ils le destinent.
+Cette condition, rationnellement indiquée par la seule position de la
+physique dans notre série encyclopédique, pourrait sans doute être
+convenablement remplie, si l'éducation préliminaire des physiciens était
+plus fortement organisée. Dès lors, ils n'auraient plus besoin de
+recourir aux géomètres que dans les cas, nécessairement très rares, qui
+exigeraient le perfectionnement abstrait des procédés analytiques.
+Non-seulement ils feraient ainsi cesser directement la sorte de fausse
+position scientifique qui leur est si souvent pénible aujourd'hui, mais
+ils amélioreraient notablement l'ensemble du système scientifique, en
+hâtant le développement de la saine philosophie mathématique. Car, la
+philosophie de l'analyse commence maintenant à être bien connue, quoique
+sans doute, comme je l'ai indiqué dans le volume précédent, elle soit
+encore susceptible de perfectionnemens capitaux; mais, quant à la vraie
+philosophie mathématique, qui consiste surtout dans la relation
+convenablement organisée de l'abstrait au concret, elle est encore
+presque entièrement dans l'enfance, sa formation ayant dû nécessairement
+être postérieure. Or, elle ne pouvait naître que d'une comparaison
+suffisamment étendue entre les études mathématiques de divers ordres de
+phénomènes; elle ne peut se développer que par l'accroissement graduel
+de telles études, poursuivies dans un esprit vraiment positif, qui, au
+degré où il est nécessaire, doit naturellement se trouver bien plus
+complet chez les physiciens que chez les géomètres. L'attention de
+ceux-ci doit, en général, se diriger spontanément de préférence vers
+l'instrument, abstraction faite de l'usage; les autres peuvent seuls,
+d'ordinaire, sentir assez vivement le besoin de modifier les moyens,
+conformément à la destination qu'ils ont en vue. Telles sont les
+fonctions respectives que leur assigne une distribution rationnelle de
+l'ensemble du travail scientifique.</p>
+
+<p>Quoique l'application de l'analyse à l'étude de la physique ne soit
+point encore assez philosophiquement instituée, et que, par suite, elle
+ait été fréquemment illusoire, elle n'en a pas moins déjà rendu
+d'éminens services au progrès réel de nos connaissances, comme j'aurai
+soin de l'indiquer en examinant successivement les diverses parties
+essentielles de la science. Lorsque les conditions fondamentales d'une
+telle application ont pu être suffisamment remplies, l'analyse a porté,
+dans les différentes branches de la physique, cette précision admirable
+et surtout cette parfaite coordination qui caractérisent toujours son
+emploi bien entendu. Que seraient sans elle, l'étude de la pesanteur,
+celle de la chaleur, de la lumière, etc.? Des suites de faits presque
+incohérens, dans lesquelles notre esprit ne pourrait rien prévoir qu'en
+consultant l'expérience, pour ainsi dire à chaque pas, tandis qu'elles
+nous offrent maintenant un caractère de rationnalité très satisfaisant,
+qui les rend susceptibles de remplir à un haut degré la destination
+finale de tout travail scientifique. Néanmoins, il ne faut pas se
+dissimuler que les phénomènes physiques, à raison de leur plus grande
+complication, sont bien moins accessibles aux méthodes mathématiques que
+les phénomènes astronomiques, soit quant à l'étendue ou à la sûreté des
+procédés. Sous le point de vue mécanique surtout, il n'y a pas de
+problème physique qui ne soit réellement beaucoup plus complexe qu'aucun
+problème astronomique, lorsqu'on y veut tenir compte de toutes les
+circonstances susceptibles d'exercer sur le phénomène une véritable
+influence. Le cas de la pesanteur, quelque simple qu'il paraisse et
+qu'il soit en effet, relativement à tous les autres, en offre la preuve
+bien sensible, même en se bornant aux solides, par l'impossibilité où
+nous sommes encore d'avoir suffisamment égard dans nos calculs à la
+résistance de l'air, qui modifie pourtant d'une manière si prononcée le
+mouvement effectif. Il en est ainsi, à plus forte raison, des autres
+recherches physiques susceptibles de devenir mathématiques, et qui
+ordinairement ne sauraient comporter une telle transformation qu'après
+avoir écarté une portion plus ou moins essentielle des conditions du
+problème, d'où résulte l'impérieuse nécessité d'une grande réserve dans
+l'emploi des déductions de cette analyse incomplète. On pourrait
+cependant augmenter beaucoup l'utilité réelle de l'analyse dans les
+questions physiques, en ne lui accordant plus une prépondérance aussi
+exclusive, et en consultant plus convenablement l'expérience, qui,
+cessant d'être bornée à la simple détermination des coefficiens, comme
+on le voit trop souvent aujourd'hui, fournirait aux méthodes
+mathématiques des points de départ moins écartés; cette marche a déjà
+réussi pour quelques cas, malheureusement trop rares. Sans doute, la
+coordination devient ainsi plus imparfaite; mais doit-on regretter cette
+perfection illusoire, lorsqu'on ne peut l'obtenir qu'en altérant plus ou
+moins profondément la réalité des phénomènes? Cet art de combiner
+intimement l'analyse et l'expérience, sans subalterniser l'une à
+l'autre, est encore presque inconnu; il constitue naturellement le
+dernier progrès fondamental de la méthode propre à l'étude approfondie
+de la physique. Il ne pourra être, en réalité, convenablement cultivé,
+que lorsque les physiciens, et non les géomètres, se chargeront enfin,
+dans ces recherches, de diriger l'instrument analytique, comme je viens
+de le proposer.</p>
+
+<p>Après avoir suffisamment considéré, d'une manière générale, l'objet
+propre de la physique et les moyens fondamentaux qui lui appartiennent,
+je dois maintenant fixer sa vraie position encyclopédique. La discussion
+établie au commencement de cette leçon doit me dispenser naturellement
+de grands développemens à ce sujet. Il faut, néanmoins, justifier ici
+sommairement le rang que j'ai assigné à cette branche de la philosophie
+naturelle dans la hiérarchie scientifique, telle que je l'ai constituée
+au début de cet ouvrage.</p>
+
+<p>Si l'on envisage d'abord la physique relativement aux sciences que j'ai
+placées comme antécédentes, il est aisé de reconnaître, en premier lieu,
+que non-seulement ses phénomènes sont plus compliqués que les phénomènes
+astronomiques, ce qui est évident, mais que leur étude ne saurait
+acquérir son vrai caractère rationnel qu'en se fondant sur une
+connaissance approfondie, quoique générale, de l'astronomie, soit comme
+modèle, soit même comme base. Nous avons reconnu, dans la première
+partie de ce volume, que la science céleste, tant sous le point de vue
+mécanique que sous le point de vue géométrique, nous offre
+nécessairement, à raison de la simplicité caractéristique de ses
+phénomènes, le type le plus parfait de la méthode universelle qu'on doit
+appliquer, autant que possible, à la découverte des lois naturelles.
+Quelle préparation immédiate aussi convenable pourrions-nous donc
+imaginer pour notre intelligence avant de se livrer aux explorations
+plus difficiles de la physique, que celle qui résulte de l'examen
+philosophique d'un tel modèle? Comment procéder rationnellement à
+l'analyse des phénomènes plus compliqués, sans s'être rendu d'abord un
+compte général satisfaisant de la manière dont les plus simples peuvent
+être étudiés? La marche de l'individu doit offrir ici les mêmes phases
+principales que celle de l'espèce. C'est par l'astronomie que l'esprit
+positif a réellement commencé à s'introduire dans la philosophie
+naturelle proprement dite, après avoir été suffisamment développé par
+les études purement mathématiques. Notre éducation individuelle
+pourrait-elle réellement être dispensée de suivre la même série
+générale? Si la science céleste nous a seule primitivement appris ce que
+c'est que l'<i>explication</i> positive d'un phénomène sans aucune enquête
+inaccessible sur sa <i>cause</i>, ou première ou finale, ni sur son mode de
+production, à quelle source plus pure puiserions-nous aujourd'hui un tel
+enseignement fondamental? La physique, plus qu'aucune autre science
+naturelle, doit surtout se proposer l'imitation d'un tel modèle, puisque
+ses phénomènes étant les moins compliqués de tous après les phénomènes
+astronomiques, cette imitation y est nécessairement bien plus complète.</p>
+
+<p>Indépendamment de cette relation fondamentale, sous le rapport de la
+méthode, l'ensemble des théories célestes constitue une donnée
+préliminaire indispensable à l'étude rationnelle de la physique
+terrestre, comme je l'ai déjà indiqué dans la dix-neuvième leçon. La
+position et les mouvemens de notre planète dans le monde dont nous
+faisons partie, sa figure, sa grandeur, l'équilibre général de sa masse,
+sont évidemment nécessaires à connaître avant que l'un quelconque des
+phénomènes physiques qui s'opèrent à sa surface puisse être
+véritablement compris. Le plus élémentaire d'entre eux, et qui se
+reproduit dans presque tous les autres, la pesanteur, n'est point
+susceptible d'être étudié d'une manière approfondie, abstraction faite
+du phénomène céleste universel dont il ne présente réellement qu'un cas
+particulier. Enfin, j'ai déjà remarqué ailleurs que plusieurs phénomènes
+importans, et surtout celui des marées, établissent naturellement une
+transition formelle et presque insensible de l'astronomie à la
+physique. Une telle subordination est donc incontestable, sous quelque
+point de vue qu'on l'envisage.</p>
+
+<p>Par suite de cette harmonie, la physique est donc sous la dépendance
+étroite, quoique indirecte, de la science mathématique, base évidente de
+l'astronomie. Mais, outre cette connexion médiate, nous avons reconnu
+ci-dessus le lien direct qui rattache intimement la physique au
+fondement général et primitif de toute la philosophie naturelle. Dans la
+plupart des branches de la physique, il s'agit, comme en astronomie, de
+phénomènes essentiellement géométriques ou mécaniques, quoique les
+circonstances en soient ordinairement beaucoup plus compliquées. Cette
+complication empêche sans doute que les théories géométriques et
+mécaniques, suivant l'examen précédent, puissent y être appliquées d'une
+manière à beaucoup près aussi parfaite, soit quant à l'étendue ou à la
+précision, que dans les cas célestes. Mais les lois abstraites de
+l'espace et du mouvement n'en doivent pas moins y être exactement
+observées; et leur application, envisagée d'une manière générale, ne
+saurait manquer d'y fournir des indications fondamentales extrêmement
+précieuses. Néanmoins, quelque évidente que soit cette subordination
+sous le rapport de la doctrine, c'est relativement à la méthode que la
+filiation mathématique de la physique me semble surtout importante à
+considérer. N'oublions jamais, en effet, que l'esprit général de la
+philosophie positive s'est formé primitivement par la culture des
+mathématiques, et qu'il faut nécessairement remonter jusqu'à une telle
+origine pour connaître réellement cet esprit dans toute sa pureté
+élémentaire. Les théorèmes et les formules mathématiques sont rarement
+susceptibles d'une application complète à l'étude effective des
+phénomènes naturels, quand on veut dépasser la plus extrême simplicité
+dans les conditions réelles des problèmes. Mais le véritable esprit
+mathématique, si distinct de l'esprit algébrique, avec lequel on le
+confond trop souvent<a id="footnotetag20" name="footnotetag20"></a>
+<a href="#footnote20"><sup class="sml">20</sup></a>, est, au contraire, constamment applicable; et
+sa connaissance approfondie constitue, à mes yeux, le plus intéressant
+résultat que les physiciens puissent retirer d'une étude philosophique
+de la science mathématique. C'est seulement par l'habitude intime des
+vérités éminemment simples et lucides de la géométrie et de la mécanique
+que notre esprit peut d'abord développer convenablement sa positivité
+naturelle, et se préparer à établir dans les études les plus complexes
+des démonstrations réelles. Rien ne saurait tenir lieu d'un tel régime
+pour dresser complétement l'organe intellectuel. On doit même
+reconnaître que les notions géométriques étant encore plus nettes et
+plus fondamentales que les notions mécaniques, l'étude des premières
+importe encore davantage aux physiciens comme moyen d'éducation, quoique
+les secondes aient réellement, dans les diverses branches de la science,
+un usage effectif plus immédiat et plus étendu. Toutefois, quelle que
+soit l'importance évidente d'une telle préparation primitive, il ne
+faudrait pas croire que, même sous le seul rapport du régime
+intellectuel, elle pût être vraiment suffisante, si l'étude
+philosophique de l'astronomie ne venait point la compléter, en montrant,
+par une application à la fois simple et capitale, comment l'esprit
+mathématique doit se modifier pour s'adapter réellement à l'exploration
+des phénomènes naturels. On voit ainsi, en résumé, que l'éducation
+scientifique préliminaire propre à former des physiciens rationnels est
+nécessairement plus compliquée que celle convenable aux astronomes,
+puisque, indépendamment d'une base mathématique exactement commune, et
+qui suffit à ceux-ci, les premiers doivent y joindre l'étude, au moins
+générale, de la science céleste. Sous ce premier point de vue, la
+position encyclopédique que j'ai assignée à la physique est donc
+incontestable.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote20"
+name="footnote20"><b>Note 20: </b></a><a href="#footnotetag20">
+(retour) </a> Les mêmes géomètres qui se plaisent le plus à
+ soumettre au calcul des hypothèses physiques très hasardées
+ ou même entièrement chimériques, sont ordinairement ceux
+ qui, en mathématiques pures, poussent jusqu'au ridicule les
+ habitudes de circonspection pédantesque et de sévérité
+ minutieuse. Ce contraste remarquable me semble propre à
+ faire ressortir la différence profonde qui existe entre
+ l'esprit algébrique et le véritable esprit mathématique,
+ pour lequel le calcul n'est qu'un instrument,
+ essentiellement subordonné, comme tout autre, à sa
+ destination.
+</blockquote>
+
+<p>Son rang n'est pas moins évident sous le rapport inverse, c'est-à-dire
+quant à ses relations fondamentales avec les sciences que j'ai classées
+après elle.</p>
+
+<p>Ce ne saurait être par accident que, non-seulement dans notre langue,
+mais, en général, dans celles de tous les peuples penseurs, le nom
+générique primitivement destiné à désigner l'ensemble de l'étude de la
+nature, soit unanimement devenu, depuis environ un siècle, la
+dénomination spécifique de la science que nous considérons ici. Un usage
+aussi universel résulte nécessairement du sentiment profond, quoique
+vague, de la prépondérance que doit exercer la physique proprement dite
+dans le système de la philosophie naturelle, qu'elle domine en effet
+tout entier, en exceptant la seule astronomie, qui n'est, en réalité,
+qu'une émanation immédiate de la science mathématique. Il suffit de
+considérer directement cette relation générale, pour concevoir aussitôt
+que l'étude des propriétés communes à tous les corps, qu'ils nous
+manifestent, avec de simples différences de degré, dans tous les états
+dont ils sont susceptibles, et qui constituent, par conséquent,
+l'existence fondamentale de toute matière, doit indispensablement
+précéder celle des modifications propres aux diverses substances et à
+leurs divers arrangemens. La nécessité d'un tel ordre est même sensible,
+comme on voit, indépendamment de la loi philosophique qui impose si
+clairement, sous le rapport de la méthode, l'obligation de n'étudier les
+phénomènes les plus complexes qu'après les moins complexes. Relativement
+à la science de la vie en particulier, quelque opinion qu'on adopte sur
+la nature des phénomènes qui distinguent les corps organisés, il est
+évident que, avant tout, ces corps, en tant que tels, sont soumis aux
+lois universelles de la matière, modifiées seulement dans leurs
+manifestations par les circonstances caractéristiques de l'état vivant.
+En examinant, dans le volume suivant, la philosophie de cette science,
+nous reconnaîtrons combien sont illusoires les considérations d'après
+lesquelles on a si souvent tenté d'établir que les phénomènes vitaux
+sont en opposition avec les lois générales de la physique. D'ailleurs,
+la vie ne pouvant jamais avoir lieu que sous l'influence continuelle et
+indispensable d'un système déterminé de circonstances extérieures,
+comment serait-elle susceptible d'étude positive, si l'on voulait faire
+abstraction des lois relatives à ces modificateurs externes? Ainsi,
+toute physiologie qui n'est point fondée sur une connaissance préalable
+de la physique, ne saurait avoir aucune vraie consistance scientifique.
+Cette subordination est encore plus frappante pour la chimie, comme nous
+le constaterons spécialement au commencement du volume suivant. Sans
+admettre l'hypothèse prématurée, et peut-être au fond très hasardée, par
+laquelle quelques physiciens éminens veulent aujourd'hui rapporter tous
+les phénomènes chimiques à des actions purement physiques, il est
+néanmoins évident que tout acte chimique s'accomplit constamment sous
+des influences physiques, dont le concours est aussi indispensable
+qu'inévitable. Quel phénomène de composition ou de décomposition serait
+intelligible, si l'on ne tenait aucun compte de la pesanteur, de la
+chaleur, de l'électricité, etc.? Or, pourrait-on apprécier la puissance
+chimique de ces divers agens, sans connaître d'abord les lois relatives
+à l'influence générale propre à chacun d'eux? Il suffit, quant à
+présent, d'indiquer sommairement ces différens motifs, pour mettre hors
+de doute la dépendance étroite de la chimie envers la physique, tandis
+que celle-ci est, au contraire, par sa nature, essentiellement
+indépendante de l'autre.</p>
+
+<p>Les considérations précédentes, en même temps qu'elles établissent
+clairement quel rang la physique doit occuper dans la hiérarchie
+rationnelle des sciences fondamentales, font sentir suffisamment sa
+haute importance philosophique, puisqu'elles la présentent comme une
+base indispensable à toutes les sciences que ma formule encyclopédique a
+placées après elle. Quant à l'action directe d'une telle science sur
+l'ensemble du système intellectuel de l'homme, il faut reconnaître,
+avant tout, qu'elle est nécessairement moins profonde que celle des deux
+termes extrêmes de la philosophie naturelle proprement dite,
+l'astronomie et la physiologie. Ces deux sciences, en fixant
+immédiatement nos idées relativement aux deux sujets universels et
+corrélatifs de toutes nos conceptions, le monde et l'homme, doivent sans
+doute, par leur nature, agir spontanément sur la pensée humaine, d'une
+manière plus radicale que ne peuvent le faire les sciences
+intermédiaires, comme la physique et la chimie, quelque indispensable
+que soit leur intervention. Toutefois, l'influence de celles-ci sur le
+développement général et l'émancipation définitive de l'intelligence
+humaine, n'en est pas moins extrêmement prononcée. En me bornant, comme
+il convient ici, à la physique seule, il est évident que le caractère
+fondamental d'opposition absolue entre la philosophie positive et la
+philosophie théologique ou métaphysique s'y fait très fortement sentir,
+quoiqu'il y soit réellement moins complet qu'en astronomie, en raison
+même d'une moindre perfection scientifique. Cette infériorité relative,
+peu sensible aux esprits vulgaires, doit être sans doute, à cet égard,
+pleinement compensée par la variété beaucoup plus grande des phénomènes
+dont la physique s'occupe, d'où résulte un antagonisme bien plus
+multiplié et, en conséquence, plus apparent, avec la théologie et la
+métaphysique. L'histoire intellectuelle des derniers siècles nous
+montre, en effet, que c'est principalement sur le terrain de la physique
+qu'a eu lieu, d'une manière formelle, la lutte générale et décisive de
+l'esprit positif contre l'esprit métaphysique: en astronomie, la
+discussion a été peu marquée, et le positivisme a triomphé presque
+spontanément, si ce n'est au sujet du mouvement de la terre.</p>
+
+<p>Il importe, d'ailleurs, de remarquer ici que, à partir de la physique,
+les phénomènes naturels commencent à être réellement modifiables par
+l'intervention humaine, ce qui ne pouvait avoir lieu en astronomie, et
+ce que nous verrons désormais se manifester de plus en plus dans tout le
+reste de notre série encyclopédique. Si l'extrême simplicité, des
+phénomènes astronomiques ne nous avait nécessairement permis de pousser,
+à leur égard, la prévision scientifique jusqu'au plus haut degré
+d'étendue et d'exactitude, l'impossibilité où nous sommes d'intervenir,
+en aucune manière, dans leur accomplissement, eût rendu éminemment
+difficile leur affranchissement radical de toute suprématie théologique
+et métaphysique: mais cette parfaite prévoyance a dû être pour cela bien
+autrement efficace que la petite action effective de l'homme sur tous
+les autres phénomènes naturels. Quant à ceux-ci, au contraire, cette
+action, quelque restreinte qu'elle soit, acquiert, par compensation, une
+haute importance philosophique, à cause du peu de perfection que nous
+pouvons apporter dans leur prévision rationnelle. Le caractère
+fondamental de toute philosophie théologique, ainsi que je l'ai remarqué
+ailleurs, est de concevoir les phénomènes comme assujettis à des
+volontés surnaturelles, et par suite, comme éminemment et
+irrégulièrement variables. Or, pour le public, qui ne saurait entrer
+réellement dans aucune discussion spéculative approfondie sur la
+meilleure manière de philosopher, un tel genre d'explications ne peut
+être finalement renversé que par deux moyens généraux, dont le succès
+populaire est infaillible à la longue: la prévoyance exacte et
+rationnelle des phénomènes, qui fait immédiatement disparaître toute
+idée d'une volonté directrice; ou la possibilité de les modifier suivant
+nos convenances, qui conduit au même résultat sous un autre point de
+vue, en présentant alors cette puissance comme subordonnée à la nôtre.
+Le premier procédé est le plus philosophique; c'est même celui qui peut
+le mieux entraîner la conviction du vulgaire, quand il est complétement
+applicable, ce qui n'a guère lieu jusqu'ici, à un haut degré, qu'à
+l'égard des phénomènes célestes; mais le second, lorsque sa réalité est
+bien évidente, détermine non moins nécessairement l'assentiment
+universel. C'est ainsi, par exemple, que Franklin a irrévocablement
+détruit, dans les intelligences même les moins cultivées, la théorie
+religieuse du tonnerre, en prouvant l'action directrice que l'homme peut
+exercer, entre certaines limites, sur ce météore, tandis que ses
+ingénieuses expériences pour établir l'identité d'un tel phénomène avec
+la décharge électrique ordinaire, quoique ayant une valeur scientifique
+bien supérieure, ne pouvaient être décisives qu'aux yeux des physiciens.
+La découverte d'une telle faculté de diriger la foudre, a donc exercé
+réellement la même influence sur le renversement des préjugés
+théologiques que, dans un autre cas, la prévision exacte des retours des
+comètes. Une loi philosophique inconnue jusqu'ici, et que j'exposerai
+soigneusement dans le volume suivant, nous montrera à ce sujet que, plus
+notre prévision scientifique devient imparfaite, en vertu de la
+complication croissante des phénomènes, plus notre action sur eux
+acquiert naturellement d'étendue et de variété, par une autre
+conséquence du même caractère. Ainsi, à mesure que l'antagonisme de la
+philosophie positive contre la philosophie théologique est moins
+prononcé sous le premier point de vue, il se manifeste davantage sous le
+second; en sorte que, quant à l'influence générale de cette lutte sur
+l'esprit du vulgaire, le résultat final est à peu près le même, quoique
+la compensation soit loin d'être exacte.</p>
+
+<p>En considérant maintenant l'appréciation philosophique de la physique,
+sous le rapport de sa méthode et quant à la perfection de son caractère
+scientifique, indépendamment de l'importance de ses lois, nous
+reconnaissons, en général, que la vraie valeur comparative de cette
+science fondamentale se trouve exactement en harmonie avec le rang
+qu'elle occupe dans la hiérarchie encyclopédique que j'ai établie. La
+perfection spéculative d'une science quelconque doit se mesurer
+essentiellement par ces deux considérations principales, toujours et
+nécessairement corrélatives, quoique d'ailleurs fort distinctes: la
+coordination plus ou moins complète, et la prévision plus ou moins
+exacte. Ce dernier caractère nous offre surtout le critérium le plus
+clair et le plus décisif, comme se rapportant directement au but final
+de toute science. Or, en premier lieu, sous chacun de ces deux points de
+vue, la physique, par la variété et la complication de ses phénomènes,
+doit toujours être évidemment très inférieure à l'astronomie, quels que
+puissent être ses progrès futurs. Au lieu de cette parfaite harmonie
+mathématique que nous avons admirée dans la science céleste, désormais
+ramenée à une rigoureuse unité, la physique va nous présenter de
+nombreuses branches, presque entièrement isolées les unes des autres, et
+dont chacune à part n'établit qu'une liaison souvent faible et équivoque
+entre ses principaux phénomènes: de même, la prévision rationnelle et
+précise de l'ensemble des événemens célestes à une époque quelconque,
+d'après un très petit nombre d'observations directes, sera remplacée
+ici par une prévoyance à courte portée, qui, pour ne pas être
+incertaine, peut à peine perdre de vue l'expérience immédiate. Mais,
+d'un autre côté, la supériorité spéculative de la physique sur tout le
+reste de la philosophie naturelle, sous l'un et l'autre rapport, est
+également incontestable, même relativement à la chimie, et, à plus forte
+raison, quant à la physiologie, comme je l'établirai spécialement dans
+l'examen philosophique de ces deux sciences, dont les phénomènes sont,
+par leur nature, bien autrement incohérens, et comportent, en
+conséquence, une prévoyance beaucoup plus imparfaite encore. Il importe,
+en outre, de noter ici, d'après une discussion précédemment indiquée
+dans cette leçon, que l'étude philosophique de la physique nous
+présente, comme moyen général d'éducation intellectuelle, une utilité
+toute spéciale, qu'il serait impossible de trouver ailleurs au même
+degré: la connaissance approfondie de l'art fondamental de
+l'expérimentation, que nous avons reconnu être particulièrement destiné
+à la physique. C'est toujours là que les vrais philosophes, quel que
+soit l'objet propre de leurs recherches habituelles, devront remonter,
+pour apprendre en quoi consiste le véritable esprit expérimental, pour
+connaître les conditions caractéristiques qu'exige l'institution des
+expériences propres à dévoiler sans équivoque la marche réelle des
+phénomènes, et enfin pour se faire une juste idée des ingénieuses
+précautions par lesquelles on peut empêcher l'altération des résultats
+d'un procédé aussi délicat. Chaque science fondamentale, outre les
+caractères essentiels de la méthode positive, qui doivent s'y montrer
+nécessairement à un degré plus ou moins prononcé, nous présentera ainsi
+naturellement quelques indications philosophiques qui lui appartiennent
+spécialement, comme nous l'avons déjà remarqué au sujet de l'astronomie;
+et c'est toujours à leur source que de telles notions de logique
+universelle doivent être examinées, sous peine d'être imparfaitement
+appréciées. Suivant l'esprit de cet ouvrage, la science mathématique
+nous fait seule bien connaître les conditions élémentaires de la
+positivité; l'astronomie caractérise nettement la véritable étude de la
+nature; la physique nous enseigne spécialement la théorie de
+l'expérimentation; c'est à la chimie que nous devons surtout emprunter
+l'art général des nomenclatures; et enfin la science des corps organisés
+peut seule nous dévoiler la vraie théorie des classifications
+quelconques.</p>
+
+<p>Pour compléter le jugement définitif que je devais porter ici sur la
+philosophie de la physique, envisagée dans son ensemble, il me reste à
+la considérer sous un dernier rapport fort important, dont j'ai
+jusqu'ici soigneusement réservé l'examen, et à l'égard duquel je me
+trouve obligé de choquer directement des opinions encore très
+accréditées parmi les physiciens, et surtout des habitudes profondément
+enracinées chez la plupart d'entre eux. Il s'agit du véritable esprit
+général qui doit présider à la construction rationnelle et à l'usage
+scientifique des <i>hypothèses</i>, conçues comme un puissant et
+indispensable auxiliaire dans notre étude de la nature. Cette grande
+question philosophique nous offrira, j'espère, une occasion capitale de
+reconnaître formellement l'utilité effective, quant au progrès réel des
+sciences, de ce point de vue général, et néanmoins positif, où je me
+suis placé le premier, dans cet ouvrage. Car, c'est sur la philosophie
+astronomique, caractérisée par la première partie de ce volume, que je
+prendrai mon point d'appui pour un tel examen, qui, sans cette méthode,
+entraînerait à des discussions interminables. La fonction fondamentale
+et difficile à analyser que remplissent, en physique, les hypothèses,
+m'oblige naturellement à placer ici ce problème général de philosophie
+positive. Je ne devais point m'en occuper expressément en astronomie,
+quoique aucune autre science ne fasse un usage, à la fois aussi complet
+et aussi rationnel, de ce moyen nécessaire: car, en vertu de l'extrême
+simplicité des phénomènes, c'est, pour ainsi dire, spontanément que
+toutes les conditions essentielles à son application bien entendue y ont
+été presque toujours observées, sans avoir besoin d'aucune règle
+philosophique spécialement affectée à cette destination. À mes yeux, au
+contraire, l'analyse convenablement approfondie de l'art des hypothèses,
+considéré dans la science dont la suprématie spéculative est aujourd'hui
+unanimement reconnue, peut seule établir solidement les règles générales
+propres à diriger l'emploi de ce précieux artifice en physique, et, à
+plus forte raison, dans tout le reste de la philosophie naturelle. Telle
+est, en aperçu, la marche de mon intelligence. Les métaphysiciens, comme
+Condillac entre autres<a id="footnotetag21" name="footnotetag21"></a>
+<a href="#footnote21"><sup class="sml">21</sup></a>, qui ont voulu traiter cette question
+difficile en faisant abstraction de cette base indispensable, n'ont pu
+aboutir qu'à proposer à ce sujet quelques maximes vagues et
+insuffisantes, remarquables par leur puérilité lorsqu'elles n'ont pas un
+caractère absurde.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote21"
+name="footnote21"><b>Note 21: </b></a><a href="#footnotetag21">
+(retour) </a> Voyez son étrange <i>Traité des Systèmes</i>. Un
+ philosophe d'une bien plus haute portée, l'illustre
+ Barthez, a, depuis, traité ce sujet d'une manière
+ infiniment supérieure, dans le discours préliminaire, si
+ éminent par sa force philosophique, qu'il a placé à la tête
+ de ses <i>Nouveaux Élémens de la science de l'homme</i> (deuxième
+ édition). Mais, il n'avait pas non plus une connaissance
+ assez approfondie de la philosophie mathématique et de la
+ philosophie astronomique pour donner à son analyse générale
+ une base positive suffisante. Aussi, l'excellente théorie
+ logique qu'il avait si vigoureusement tenté d'établir ne
+ l'a-t-elle pu conduire, en physiologie, qu'à une application
+ profondément vicieuse, comme nous aurons occasion de le
+ constater spécialement dans le volume suivant.
+</blockquote>
+
+<p><i>Théorie fondamentale des hypothèses.</i> Il ne peut exister que deux
+moyens généraux propres à nous dévoiler, d'une manière directe et
+entièrement rationnelle, la loi réelle d'un phénomène quelconque, ou
+l'analyse immédiate de la marche de ce phénomène, ou sa relation exacte
+et évidente à quelque loi plus étendue, préalablement établie; en un
+mot, l'induction, ou la déduction. Or, l'une et l'autre voie seraient
+certainement insuffisantes, même à l'égard des plus simples phénomènes,
+aux yeux de quiconque a bien compris les difficultés essentielles de
+l'étude approfondie de la nature, si l'on ne commençait souvent par
+anticiper sur les résultats, en faisant une supposition provisoire,
+d'abord essentiellement conjecturale, quant à quelques-unes des notions
+mêmes qui constituent l'objet final de la recherche. De là,
+l'introduction, strictement indispensable, des hypothèses en philosophie
+naturelle. Sans cet heureux détour, dont les méthodes d'approximation
+des géomètres ont primitivement suggéré l'idée générale, la découverte
+effective des lois naturelles serait évidemment impossible, pour peu que
+le cas présentât de complication; et, toujours, le progrès réel serait,
+au moins, extrêmement ralenti. Mais, l'emploi de ce puissant artifice
+doit être constamment assujetti à une condition fondamentale, à défaut
+de laquelle il tendrait nécessairement, au contraire, à entraver le
+développement de nos vraies connaissances. Cette condition, jusqu'ici
+vaguement analysée, consiste à ne jamais imaginer que des hypothèses
+susceptibles, par leur nature, d'une vérification positive, plus ou
+moins éloignée, mais toujours clairement inévitable, et dont le degré de
+précision soit exactement en harmonie avec celui que comporte l'étude
+des phénomènes correspondans. En d'autres termes, les hypothèses
+vraiment philosophiques doivent constamment présenter le caractère de
+simples anticipations sur ce que l'expérience et le raisonnement
+auraient pu dévoiler immédiatement, si les circonstances du problème
+eussent été plus favorables. Pourvu que cette seule règle nécessaire
+soit toujours et scrupuleusement observée, les hypothèses peuvent
+évidemment être introduites sans aucun danger, toutes les fois qu'on en
+éprouve le besoin, ou même simplement le désir raisonné. Car, on se
+borne ainsi à substituer une exploration indirecte à l'exploration
+directe, quand celle-ci serait ou impossible ou trop difficile. Mais, si
+l'une et l'autre n'avaient point, au contraire, le même sujet général,
+si l'on prétendait atteindre par l'hypothèse ce qui, en soi-même, est
+radicalement inaccessible à l'observation et au raisonnement, la
+condition fondamentale serait méconnue, et l'hypothèse, sortant aussitôt
+du vrai domaine scientifique, deviendrait nécessairement nuisible. Or,
+tous les bons esprits reconnaissent aujourd'hui que nos études réelles
+sont strictement circonscrites à l'analyse des phénomènes pour découvrir
+leurs <i>lois</i> effectives, c'est-à-dire, leurs relations constantes de
+succession ou de similitude, et ne peuvent nullement concerner leur
+nature intime, ni leur <i>cause</i>, ou première ou finale, ni leur mode
+essentiel de production. Comment des suppositions arbitraires
+auraient-elles réellement plus de portée? Ainsi, toute hypothèse qui
+franchit les limites de cette sphère positive, ne peut aboutir qu'à
+engendrer des discussions interminables, en prétendant prononcer sur des
+questions nécessairement insolubles pour notre intelligence.</p>
+
+<p>À l'époque actuelle, aucun physicien, sans doute, ne contestera
+directement la règle précédente. Mais, il faut que ce principe soit
+encore très imparfaitement compris, puisqu'il est, en réalité,
+continuellement violé dans l'application et sous les rapports
+fondamentaux, de manière à altérer radicalement, à mes yeux, le vrai
+caractère de la physique. En thèse générale, le domaine de la conjecture
+est bien conçu comme destiné à combler provisoirement les intervalles
+que laisse inévitablement çà et là le domaine de la réalité: examinez
+ensuite ce qui se pratique, et les deux domaines paraîtront, au
+contraire, entièrement séparés, le réel étant même encore, presque
+toujours, plus ou moins subordonné à l'imaginaire. Il est donc
+maintenant indispensable, après ces généralités préliminaires, de
+préciser directement le véritable état actuel de la question
+relativement à la philosophie de la physique.</p>
+
+<p>Les diverses hypothèses employées aujourd'hui par les physiciens doivent
+être soigneusement distinguées en deux classes: les unes, jusqu'ici peu
+multipliées, sont simplement relatives aux lois des phénomènes; les
+autres, dont le rôle actuel est beaucoup plus étendu, concernent la
+détermination des agens généraux auxquels on rapporte les différens
+genres d'effets naturels. Or, d'après la règle fondamentale posée
+ci-dessus, les premières sont seules admissibles; les secondes,
+essentiellement chimériques, ont un caractère anti-scientifique, et ne
+peuvent désormais qu'entraver radicalement le progrès réel de la
+physique, bien loin de le favoriser: telle est la maxime philosophique
+que je dois maintenant établir.</p>
+
+<p>En astronomie, le premier ordre d'hypothèses est exclusivement usité,
+depuis que la science céleste est complétement parvenue à l'état
+positif, sous les deux aspects généraux, géométrique et mécanique,
+qu'elle nous présente. Tel fait est encore peu connu, ou telle loi est
+ignorée: on forme alors à cet égard une hypothèse, le plus possible en
+harmonie avec l'ensemble des données déjà acquises; et la science,
+pouvant ainsi se développer librement, finit toujours par conduire à de
+nouvelles conséquences observables, susceptibles de confirmer ou
+d'infirmer, sans aucune équivoque, la supposition primitive. Nous en
+avons remarqué, dans la première partie de ce volume, de fréquens et
+heureux exemples, relatifs à la découverte des principales vérités
+astronomiques. Mais, depuis l'établissement de la loi fondamentale de la
+gravitation, les géomètres et les astronomes ont définitivement renoncé
+à créer des fluides chimériques pour expliquer le mode général de
+production des mouvemens célestes; ou, du moins, ce qui revient au même,
+ceux qui l'ont entrepris, comme Euler entre autres, se livraient
+simplement à un goût personnel, en quelque sorte analogue à celui qui
+inspira jadis à Képler son fameux songe astronomique, et sans prétendre
+exercer ainsi aucune influence réelle sur le marche effective de la
+science.</p>
+
+<p>Pourquoi, dans une étude où l'erreur est bien plus difficile à éviter,
+et qui exigerait, par sa nature, beaucoup plus de précautions, les
+physiciens n'imiteraient-ils point cette admirable circonspection?
+Pourquoi, comme les astronomes, ne borneraient-ils pas les hypothèses à
+porter uniquement sur les circonstances encore inconnues des phénomènes
+ou sur leurs lois ignorées, et jamais sur leur mode de production,
+nécessairement inaccessible à notre intelligence? Quelle peut être
+l'utilité scientifique de ces conceptions fantastiques, qui jouent
+encore un si grand rôle, sur les fluides et les éthers imaginaires
+auxquels on rapporte les phénomènes de la chaleur, de la lumière, de
+l'électricité et du magnétisme? Ce mélange intime de réalités et de
+chimères ne doit-il pas, de toute nécessité, fausser profondément les
+notions essentielles de la physique, engendrer des débats sans issue, et
+inspirer à beaucoup de bons esprits une répugnance, naturelle quoique
+funeste, pour une étude qui offre un tel caractère d'arbitraire?</p>
+
+<p>La seule définition habituelle de ces agens inintelligibles devrait
+suffire, ce me semble, pour les exclure immédiatement de toute science
+réelle; car, par son énoncé même, il est évident que la question n'est
+point jugeable, l'existence de ces prétendus fluides n'étant pas plus
+susceptible de négation que d'affirmation, puisque, d'après la
+constitution qui leur est soigneusement attribuée, ils échappent
+nécessairement à tout contrôle positif. Quelle argumentation sérieuse
+pourrait-on instituer pour ou contre des corps ou des milieux dont le
+caractère fondamental est de n'en avoir aucun? Ils sont expressément
+imaginés comme invisibles, intangibles, impondérables même, et
+d'ailleurs inséparables des substances qu'ils animent: notre raison ne
+saurait donc avoir sur eux la moindre prise. Sans la toute-puissance de
+l'habitude, ceux qui croient fermement aujourd'hui à l'existence du
+calorique, de l'éther lumineux, ou des fluides électriques,
+oseraient-ils prendre en pitié les esprits élémentaires de Paracelse,
+dont la notion n'est pas certainement plus étrange? N'est-ce point même
+par une véritable inconséquence qu'ils refusent d'admettre les anges et
+les génies? Pour me borner à un exemple plus analogue, on a vu de tels
+physiciens repousser dédaigneusement, comme indigne d'examen
+scientifique, l'idée du fluide sonore, proposée par un naturaliste du
+premier ordre, l'illustre Lamarck: et, cependant, le seul tort de cette
+hypothèse, tort irréparable, à la vérité, c'est d'être venue beaucoup
+trop tard, long-temps après que l'acoustique était pleinement
+constituée; créé dès la naissance de la science, comme les hypothèses
+sur la chaleur, la lumière et l'électricité, ce fluide eût fait,
+probablement, la même fortune que les autres.</p>
+
+<p>La nature de cet ouvrage ne me permet nullement d'indiquer tous les
+détails spéciaux que comporterait un tel sujet. Le lecteur instruit y
+suppléera facilement quand il aura bien saisi mon idée principale. Je
+signalerai seulement encore, comme un symptôme remarquable, la
+singulière facilité avec laquelle ces diverses hypothèses se renversent
+mutuellement, au grand scandale des esprits superficiels, qui qualifient
+dès lors la science d'arbitraire, parce que, à leurs yeux, elle consiste
+surtout en ces vaines discussions. Dans les différentes controverses de
+ce genre, qui ont eu lieu successivement depuis environ un demi-siècle,
+chaque secte a trouvé aisément de puissans motifs contre l'opinion de
+son antagoniste: la difficulté a toujours été d'en produire de décisifs
+pour sa propre hypothèse. Il eût même été ordinairement possible
+d'imaginer une troisième fiction, susceptible de soutenir, avec
+avantage, la concurrence avec les deux autres.</p>
+
+<p>À la vérité, les physiciens se défendent vivement aujourd'hui d'attacher
+aucune réalité intrinsèque à ces hypothèses, qu'ils préconisent
+seulement comme des moyens indispensables pour faciliter la conception
+et la combinaison des phénomènes. Mais, n'est-ce point là l'illusion
+d'une positivité incomplète, qui sent la profonde inanité de tels
+systèmes, et pourtant n'ose point encore s'en passer? Est-il vraiment
+possible, après avoir adopté une notion qui ne comporte aucune
+vérification, d'en faire un usage continuel, de la mêler intimement à
+toutes les idées réelles, sans être jamais involontairement entraîné à
+lui attribuer une existence effective, qui, d'ailleurs, ne saurait être
+plus complète? Même en admettant cette sécurité, sur quels motifs
+rationnels pourrait-on philosophiquement fonder la nécessité d'une
+marche aussi étrange? L'astronomie se passe entièrement d'un tel
+secours, et cependant on y conçoit très nettement tous les phénomènes,
+et on les y combine d'une manière admirable. La véritable raison n'en
+serait-elle pas, au fond, comme je l'établirai tout à l'heure, que
+l'astronomie, étant à la fois plus simple et plus ancienne que la
+physique, a dû atteindre avant elle à l'entier développement de son
+vrai caractère scientifique?</p>
+
+<p>En examinant directement la prétendue destination scientifique de ces
+hypothèses, il serait difficile de comprendre, par exemple, comment la
+dilatation des corps par la chaleur serait aucunement <i>expliquée</i>,
+c'est-à-dire éclaircie, par cette seule idée qu'un fluide imaginaire
+interposé dans les intervalles moléculaires, tend constamment à les
+augmenter, puisqu'il resterait à concevoir d'où vient à ce fluide cette
+élasticité spontanée, qui, certes, est encore moins intelligible que le
+fait primitif. De même, on ne conçoit pas mieux, en réalité, la
+propriété lumineuse des corps, après l'avoir attribuée à leur faculté
+incompréhensible de lancer un fluide fictif ou de faire vibrer un éther
+imaginaire; pareillement, à l'égard des phénomènes électriques ou
+magnétiques. Toutes ces prétendues explications ne sont pas, au fond,
+guère plus scientifiques que l'explication métaphysique des phénomènes
+humains, par l'action mystérieuse de l'âme sur le corps; dans l'un et
+l'autre cas, en effet, loin d'aplanir réellement aucune difficulté, on
+en fait naître artificiellement un grand nombre de nouvelles. Une
+tentative quelconque, même purement fictive, pour concevoir le mode de
+production des phénomènes, est nécessairement illusoire et directement
+opposée au véritable esprit scientifique. La faculté de se représenter
+les phénomènes eux-mêmes ne saurait résulter que de leur observation
+attentive; et, quant à la facilité de les combiner, elle ne peut être
+fondée que sur la connaissance familière de leurs relations positives.
+Ces hypothèses ne pourraient aujourd'hui y contribuer réellement tout au
+plus que comme de simples moyens mnémoniques, qui ont même, sous ce
+rapport, le grave inconvénient de détourner notre attention du véritable
+objet de nos recherches. Les motifs ordinairement allégués en faveur de
+ces artifices anti-scientifiques sont donc évidemment dépourvus de toute
+réalité. Il ne reste d'autre considération valable que celle relative à
+l'empire d'une habitude quelconque profondément contractée; d'où il
+résulterait probablement, en effet, que les physiciens de la génération
+actuelle combineraient plus difficilement leurs idées s'ils voulaient
+les dégager tout à coup de cet alliage, intime quoique hétérogène. Pour
+opérer complétement cette importante réforme, le langage scientifique
+aura lui-même besoin d'être convenablement épuré, puisqu'il s'est formé
+jusqu'ici sous l'influence prépondérante de cette fausse manière de
+philosopher. Toutefois, je pense qu'on s'exagère beaucoup, d'ordinaire,
+les difficultés qui proviennent de cette circonstance. Il suffit, pour
+s'en convaincre, de considérer que, depuis un demi-siècle, le fréquent
+passage de l'un de ces systèmes physiques au système antagoniste n'a pas
+rencontré beaucoup d'obstacles dans le langage primitivement adopté. On
+n'en éprouverait sans doute guère davantage, sous ce rapport, à écarter
+indifféremment toutes ces vaines hypothèses. En optique, par exemple, le
+mot <i>rayon</i>, si bien construit pour l'hypothèse de l'émission, continue
+aujourd'hui à être employé par les partisans des ondulations: il ne
+serait pas plus difficile de lui attacher un sens indépendant d'aucune
+hypothèse, et simplement relatif au phénomène. De telles variations
+facilitent même singulièrement cette transition définitive, en habituant
+peu à peu à dégager, dans les termes scientifiques, la signification
+réelle et fixe de l'interprétation imaginaire et variable.</p>
+
+<p>Quelque vicieuse que soit évidemment une telle manière de philosopher,
+la discussion précédente serait essentiellement incomplète, si je ne
+donnais point une explication satisfaisante de l'introduction naturelle
+de cette méthode, qui, à l'origine, a dû sans doute être un vrai
+progrès. Mais, ma théorie fondamentale sur les lois nécessaires et
+effectives du développement général de l'esprit humain, exposée
+sommairement au début de cet ouvrage, me permet de démontrer aisément
+que cet usage anti-scientifique n'a tenu réellement et ne tient
+aujourd'hui qu'à une dernière et inévitable influence indirecte de la
+philosophie métaphysique, dont le joug prolongé pèse encore sur nous à
+tant d'égards. Quoique cette démonstration appartienne naturellement,
+sous le point de vue historique, au quatrième volume, je crois
+indispensable, au moins, de l'indiquer ici comme un complément
+d'explication, éminemment propre à éclaircir la question actuelle.</p>
+
+<p>La filiation métaphysique de cette fausse manière de procéder doit
+d'abord être facilement présumée par tout esprit impartial qui
+considérera les <i>fluides</i> comme ayant pris la place des <i>entités</i>, dont
+la transformation a simplement consisté ainsi à se matérialiser.
+Qu'est-ce, au fond, de quelque façon qu'on l'interprète, que la chaleur,
+conçue comme existant à part du corps chaud; la lumière, indépendante du
+corps lumineux; l'électricité, séparée du corps électrique? Ne sont-ce
+pas évidemment de pures entités, tout aussi bien telles que la pensée,
+envisagée comme un être indépendant du corps pensant; ou la digestion,
+isolée du corps digérant? La seule différence qui les distingue des
+anciennes entités scolastiques, c'est d'avoir substitué, à des êtres
+essentiellement abstraits, des fluides imaginaires, dont la corporéité
+est fort équivoque, puisqu'on leur ôte expressément, par leur définition
+fondamentale, toutes les qualités susceptibles de caractériser une
+matière quelconque; en sorte que nous n'avons pas même réellement la
+ressource de les envisager comme la limite idéale d'un gaz de plus en
+plus raréfié. Quelle filiation d'idées pourrait être admise, si celle-là
+est méconnue? Le caractère fondamental des conceptions métaphysiques est
+d'envisager les phénomènes indépendamment des corps qui nous les
+manifestent, d'attribuer aux propriétés de chaque substance une
+existence distincte de la sienne. Qu'importe ensuite que, de ces
+abstractions personnifiées, on fasse des âmes ou des fluides? L'origine
+est toujours la même, et se rattache constamment à cette enquête de la
+nature intime des choses, qui caractérise, en tout genre, l'enfance de
+l'esprit humain, et qui inspira primitivement la conception des dieux,
+devenus ensuite des âmes, et finalement transformés en fluides
+imaginaires.</p>
+
+<p>Cette considération rationnelle et directe se trouve exactement en
+harmonie avec l'analyse historique. À l'origine de toute science
+positive, notre intelligence a toujours passé par cette phase de
+développement nécessaire, quoique transitoire. Un tel état constitue, à
+mon avis, un intermédiaire inévitable et même indispensable entre l'état
+franchement métaphysique et l'état purement positif, que la mathématique
+et ensuite l'astronomie ont seules atteint jusqu'ici d'une manière
+complète et définitive. L'esprit métaphysique et l'esprit positif sont
+trop radicalement opposés pour que notre faible raison puisse passer
+brusquement de l'un à l'autre. Quoique la métaphysique ne constitue
+elle-même, comme je l'ai établi, qu'une grande transition générale de la
+théologie à la science réelle: une transition secondaire, et, par là,
+beaucoup plus rapide, devient ensuite nécessaire entre les conceptions
+métaphysiques et les conceptions vraiment positives. Les physiciens, les
+chimistes, les physiologistes et les publicistes, se trouvent
+aujourd'hui dans cette dernière période transitoire; les premiers tout
+près d'en sortir définitivement à la suite des géomètres et des
+astronomes, tous les autres encore engagés pour un temps plus ou moins
+long, à raison de la plus ou moins grande complication de leurs études
+respectives, comme je le constaterai spécialement plus tard en examinant
+chacune d'elles. Sans ce positivisme bâtard, l'esprit humain n'aurait
+jamais pu renoncer aux théories métaphysiques, qui lui permettaient, en
+apparence, la connaissance intime des êtres et du mode de production de
+leurs phénomènes. Il fallait bien que la science naissante satisfît
+d'abord à cette exigence profondément habituelle, et donnât le change à
+notre esprit en lui proposant, à la place des entités scolastiques, de
+nouvelles entités plus saisissables, destinées au même but, et
+susceptibles, par conséquent, d'être préférées; en même temps que leur
+nature devait graduellement conduire à la considération de plus en plus
+exclusive des phénomènes et de leurs lois. Telle a donc été l'importante
+destination temporaire de ce système général d'hypothèses: permettre à
+l'intelligence humaine le passage des habitudes métaphysiques aux
+habitudes positives.</p>
+
+<p>L'astronomie n'a pas réellement plus échappé que la physique, ou que
+toute autre branche de la philosophie naturelle, à cette obligation
+fondamentale: seulement, à son égard, cette phase nécessaire de
+développement est depuis long-temps pleinement accomplie; en sorte que
+personne n'y fait plus attention, l'histoire des sciences étant
+aujourd'hui fort négligée, d'ordinaire, par les savans, si ce n'est,
+tout au plus, comme l'objet d'une curiosité superficielle et stérile.
+Mais, en étudiant la marche de l'esprit humain au dix-septième siècle,
+on reconnaît aussitôt combien, à cette époque, les géomètres et les
+astronomes étaient généralement préoccupés d'hypothèses parfaitement
+analogues à celles que nous jugeons ici. Tel est éminemment le caractère
+de la vaste conception de Descartes sur l'explication des mouvemens
+célestes par l'influence d'un système de tourbillons imaginaires.
+L'histoire rationnelle de cette grande hypothèse est ce qu'on peut
+trouver de plus propre à éclaircir l'ensemble de la question actuelle:
+car, ici, l'analyse peut porter nettement sur une opération
+philosophique complétement achevée, où nous suivons aisément aujourd'hui
+l'enchaînement des trois phases essentielles, la création de
+l'hypothèse, son usage temporaire indispensable, et enfin son rejet
+définitif quand elle a eu rempli sa destination réelle. Ces fameux
+tourbillons, tant décriés maintenant par des physiciens qui croient
+fermement au calorique, à l'éther et aux fluides électriques, ont été, à
+l'origine, un puissant moyen de développement pour la saine philosophie,
+en introduisant l'idée fondamentale d'un mécanisme quelconque, là où le
+grand Képler lui-même n'avait osé concevoir que l'action
+incompréhensible des âmes et des génies. Une antique philosophie qui
+prétend tout expliquer, en pénétrant, à l'aide de ses entités, jusqu'à
+la nature intime des corps et aux causes premières des phénomènes, ne
+pouvait être définitivement renversée que par une physique audacieuse,
+remplissant le même office plus complétement encore et avec des moyens
+beaucoup plus intelligibles, quoique tout aussi chimériques. Quiconque a
+suivi la longue et mémorable controverse engendrée par le cartésianisme,
+a dû remarquer combien les meilleurs esprits de cette époque
+identifiaient le sort de la saine manière de philosopher avec celui
+d'une telle doctrine; et c'était, sans doute, à très juste titre, tant
+qu'il ne s'est agi que de lutter avec la philosophie métaphysique. Mais,
+plus tard, quand la discussion fut portée sur le terrain de la vraie
+mécanique céleste, fondée par la théorie de la gravitation newtonienne,
+l'influence, primitivement progressive, du système des tourbillons
+devint incontestablement rétrograde, en vertu de cette triste fatalité,
+qui pousse les doctrines, aussi bien que les institutions et les
+pouvoirs, à prolonger leur activité au-delà de la fonction plus ou moins
+temporaire que la marche générale de l'esprit humain leur avait
+assignée. Et, néanmoins, les derniers cartésiens soutenaient vainement,
+par des argumens d'ailleurs tout aussi plausibles que ceux de nos
+physiciens actuels, qu'il était impossible de philosopher sans le
+secours d'un tel genre d'hypothèses. Comment leur a-t-on définitivement
+répondu? En philosophant d'une autre manière. Ce rôle transitoire de
+l'hypothèse de Descartes a cessé spontanément aussitôt que le sentiment
+du véritable objet des études scientifiques est devenu suffisamment
+prépondérant chez les géomètres et les astronomes, par suite de
+l'impulsion définitive due à la découverte fondamentale de Newton. Les
+tourbillons dureraient encore, ou ils auraient été simplement remplacés
+par quelque doctrine analogue, si l'on n'avait point enfin senti
+complétement, à l'égard de la science céleste, ce qu'il faudra bien
+aussi arriver à comprendre successivement de la même manière envers
+toutes les autres: que, ne pouvant nullement connaître les agens
+primitifs ou le mode de production des phénomènes, toute science réelle
+doit concerner seulement les lois effectives des phénomènes observés; et
+que, ainsi, toute hypothèse auxiliaire qui aurait une autre destination,
+serait, par cela même, radicalement contraire au véritable esprit
+scientifique. L'utilité du cartésianisme a été de conduire graduellement
+notre intelligence à une telle disposition habituelle; et c'est en ce
+sens que l'empire de cette hypothèse a puissamment contribué, quoique
+pour peu de temps, à l'éducation générale de la raison humaine. Pourquoi
+en serait-il autrement des hypothèses analogues, employées aujourd'hui
+par les physiciens? Si, comme ils le croient, leur esprit est vraiment
+parvenu à cet état de positivité que je viens de caractériser, et dont
+le vrai type se trouve maintenant dans la science céleste, à quoi
+peuvent réellement servir désormais de telles hypothèses, primitivement
+indispensables pour nous conduire insensiblement du régime métaphysique
+au régime positif? Leur usage prolongé n'est-il point évidemment
+contradictoire avec le but même que, d'un aveu unanime, on se propose
+aujourd'hui dans toute recherche scientifique?</p>
+
+<p>Ce n'est pas seulement en astronomie que nous pouvons observer
+pleinement la transition ci-dessus considérée. Elle est maintenant tout
+aussi accomplie dans les branches de la physique les plus avancées, et
+surtout dans l'étude de la pesanteur. Il n'a peut-être pas existé un
+seul savant de quelque valeur pendant le dix-septième siècle, même
+long-temps après Galilée, qui n'ait construit ou adopté un système sur
+les causes de la chute des corps. Qui s'occupe aujourd'hui de ces
+hypothèses, sans lesquelles, à cette époque, l'étude de la pesanteur
+semblait cependant impossible? Si cet usage a cessé en barologie,
+pourquoi se prolongerait-il indéfiniment pour les autres parties de la
+physique? L'acoustique en est également affranchie, à peu près depuis la
+même époque. L'influence philosophique des travaux du grand Fourier sur
+la théorie de la chaleur, a produit une heureuse impulsion qui tend,
+évidemment, aujourd'hui à débarrasser pour jamais la thermologie de tous
+les fluides et éthers imaginaires. Restent donc seulement l'étude de la
+lumière et celle de l'électricité; or, il serait certainement impossible
+de trouver, à leur égard, aucun motif réel qui dût les faire excepter de
+la règle générale. Pour tous ceux qui pensent que le développement
+historique de l'esprit humain est assujetti à des lois naturelles,
+déterminées et uniformes, j'espère donc que cette grande question
+philosophique sera désormais, d'après la discussion précédente,
+irrévocablement résolue: et que, par conséquent, on admettra, en
+physique, comme principe fondamental de la vraie théorie relative à
+l'institution des hypothèses, que <i>toute hypothèse scientifique, afin
+d'être réellement jugeable, doit exclusivement porter sur les lois des
+phénomènes, et jamais sur leurs modes de production</i><a id="footnotetag22" name="footnotetag22"></a>
+<a href="#footnote22"><sup class="sml">22</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote22"
+name="footnote22"><b>Note 22: </b></a><a href="#footnotetag22">
+(retour) </a> Une influence accidentelle, mais aujourd'hui
+ très puissante, que je dois signaler ici avec une sévère
+ franchise, pourra retarder sensiblement, ou, du moins,
+ entraver beaucoup, cette grande et inévitable réforme dans
+ la philosophie de la physique. Je veux parler de l'influence
+ des géomètres, ou, pour mieux dire, des algébristes, qui, de
+ nos jours, ont tant abusé de l'analyse mathématique en
+ l'appliquant à ces hypothèses chimériques, et qui,
+ naturellement, devront s'efforcer d'éloigner le plus
+ possible la démonétisation scientifique de leurs nombreux
+ calculs, dès lors réduits à leur véritable valeur abstraite,
+ souvent fort médiocre. Mais les physiciens comprendront,
+ sans doute, le grand intérêt qu'ils ont à discréditer ces
+ moyens, aujourd'hui faciles (depuis la vulgarisation,
+ d'ailleurs si heureuse à d'autres égards, de l'art
+ algébrique), d'usurper, en philosophie naturelle, une
+ prépondérance momentanée: et tous les vrais géomètres
+ s'empresseront certainement de concourir à cette
+ indispensable épuration.
+</blockquote>
+
+<p>Je ne saurais trop fortement recommander, en général, quant à toutes les
+hautes difficultés analogues que peut présenter la philosophie des
+sciences, l'usage de la méthode historique comparative que je viens
+d'appliquer. C'est du moins à une telle marche que j'ai toujours dû
+primitivement, non-seulement une analyse satisfaisante de la question
+précédente, mais une solution claire de tous mes problèmes
+philosophiques. Cette méthode universelle, que plusieurs philosophes
+positifs, et entre autres le grand Lagrange, ont si bien sentie en
+quelques cas particuliers, n'a jamais été jusqu'ici directement conçue,
+d'une manière rationnelle et générale: son exposition appartient
+naturellement à la dernière partie de cet ouvrage. Je dois ici me
+borner, à ce sujet, à poser en principe, que la philosophie des
+sciences ne saurait être convenablement étudiée séparément de leur
+histoire, sous peine de ne conduire qu'à de vagues et stériles aperçus;
+comme, en sens inverse, cette histoire, isolée de cette philosophie,
+serait inexplicable et oiseuse<a id="footnotetag23" name="footnotetag23"></a>
+<a href="#footnote23"><sup class="sml">23</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote23"
+name="footnote23"><b>Note 23: </b></a><a href="#footnotetag23">
+(retour) </a> C'est surtout pour avoir voulu isoler ces deux
+ aspects indivisibles d'une même pensée fondamentale, que des
+ esprits d'une haute portée, très instruits d'ailleurs dans
+ les principales sciences naturelles, se sont néanmoins
+ occupés avec si peu d'efficacité de la philosophie des
+ sciences, et n'ont abouti qu'à produire de vains systèmes de
+ classifications scientifiques, fondés sur des considérations
+ essentiellement arbitraires, et qui, dans leur ensemble,
+ sont aussi radicalement illusoires et éphémères que presque
+ tous ceux journellement construits par les encyclopédistes
+ métaphysiciens les plus dépourvus de toutes connaissances
+ positives. M. Ampère vient d'en donner un illustre exemple,
+ malheureusement irrécusable.
+</blockquote>
+
+<p>Il ne me reste plus maintenant qu'à caractériser sommairement le plan
+général suivant lequel je dois procéder, dans les leçons suivantes, à
+l'examen philosophique des différentes parties essentielles de la
+physique.</p>
+
+<p>Dans la construction de cet ordre, je me suis efforcé, autant que
+possible, de me conformer toujours strictement au principe fondamental
+de classification que j'ai établi, dès le début de cet ouvrage, en
+constituant la hiérarchie générale des sciences, et que j'ai ensuite
+appliqué jusqu'ici à la distribution intérieure de la mathématique et de
+l'astronomie. Je devais donc disposer les diverses branches principales
+de la physique d'après le degré de généralité des phénomènes
+correspondans, leur complication plus ou moins grande, la perfection
+relative de leur étude, et enfin leur dépendance mutuelle. L'ordre
+obtenu par là peut d'ailleurs être contrôlé par l'analyse historique du
+développement de la physique, qui a dû suivre essentiellement la même
+marche. En outre, la position générale, déjà bien déterminée, de la
+physique entre l'astronomie et la chimie, introduit ici une
+considération secondaire propre à vérifier et à faciliter un tel
+arrangement; puisque la première catégorie des phénomènes physiques doit
+ainsi naturellement comprendre ceux qui se rapprochent le plus des
+phénomènes astronomiques, et, de même, la dernière doit nécessairement
+être composée de ceux qui sont le plus immédiatement liés aux phénomènes
+chimiques. L'ensemble de ces conditions ne me paraît laisser aucune
+incertitude grave sur l'ordre rationnel des différentes parties
+essentielles de la physique, quoique leur disposition soit encore
+habituellement envisagée comme à peu près arbitraire.</p>
+
+<p>Tous ces divers motifs généraux se réunissent évidemment pour assigner,
+en physique, le premier rang à la science des phénomènes de la pesanteur
+dans les solides et les fluides, envisagés sous les deux points de vue,
+statique et dynamique. C'est la seule partie de la classification sur
+laquelle tous les physiciens soient aujourd'hui pleinement d'accord. La
+généralité supérieure de ces phénomènes ne saurait être douteuse: car,
+non-seulement ils se manifestent dans un corps quelconque, comme tous
+les autres phénomènes vraiment physiques; mais, ce qui les caractérise
+exclusivement, le corps ne peut jamais cesser de nous les présenter, en
+quelques circonstances qu'il soit placé; en sorte qu'ils deviennent le
+symptôme le plus irrécusable de l'existence matérielle, et souvent le
+seul, en effet, qui nous permette de la constater. Leur simplicité
+relative, et leur entière indépendance de tous les autres, ne sont pas
+moins sensibles. En même temps, et par une suite nécessaire de ces
+qualités fondamentales, leur étude, d'ailleurs plus ou moins
+indispensable à toutes les autres branches de la physique, constitue
+certainement la partie la plus satisfaisante de cette science, d'abord
+en vertu de sa positivité bien plus pure, comme je l'ai noté ci-dessus,
+et ensuite par sa plus grande exactitude, sa coordination beaucoup plus
+complète, et sa prévision plus rationnelle. C'est là où se trouve le
+point de contact naturel et général entre la physique et l'astronomie,
+et aussi le vrai berceau de la physique.</p>
+
+<p>Les mêmes considérations, appliquées en sens exactement inverse, me
+paraissent converger également, quoique d'une manière moins évidente,
+pour placer l'étude des phénomènes électriques à l'extrémité opposée,
+dans l'échelle encyclopédique de la physique. Ces phénomènes, dont je ne
+crois pas devoir séparer les phénomènes magnétiques, sont
+incontestablement les moins généraux de tous, puisque leur production
+exige un concours de circonstances bien plus spécial. Ils sont, en même
+temps, les plus compliqués, et ceux dont l'étude rationnelle, constituée
+la dernière, est certainement la plus imparfaite encore, sous quelque
+rapport qu'on l'envisage, malgré les éminens progrès qu'elle a faits en
+ce siècle: c'est là que le caractère scientifique est aujourd'hui le
+plus profondément altéré par ces hypothèses inintelligibles que nous
+venons d'examiner. Enfin, c'est par là surtout que s'opère maintenant,
+et qu'aura lieu, sans doute, de plus en plus, la transition naturelle de
+la physique à la chimie.</p>
+
+<p>Entre ces deux termes extrêmes, viennent successivement s'intercaler,
+pour ainsi dire spontanément, d'après les mêmes principes, la
+thermologie, l'acoustique et l'optique. La théorie de la chaleur doit
+aujourd'hui, ce me semble, être placée immédiatement après celle de la
+pesanteur, surtout en considération de la généralité de ses phénomènes,
+presque aussi universels que ceux de la gravité, puisque leur
+manifestation ne saurait être entièrement empêchée que par un concours
+de circonstances tout spécial et, en quelque sorte, artificiel, quoique
+réellement possible. Le vrai caractère scientifique y est bien plus
+prononcé que dans l'étude de l'électricité, ou même de la lumière.
+Enfin, malgré que l'application de l'analyse mathématique y ait lieu
+beaucoup plus tard, elle y présente un aspect infiniment plus rationnel,
+grâce à la haute supériorité philosophique de son illustre fondateur,
+qui, dédaignant la facile ressource de disserter algébriquement sur des
+fluides imaginaires, s'est admirablement imposé la condition sévère
+d'une parfaite positivité.</p>
+
+<p>Cette dernière considération concourt avec celle de la généralité
+relative, pour placer l'acoustique avant l'optique. Sa positivité est
+certainement très supérieure, le son n'étant point aujourd'hui
+personnifié comme la lumière, si ce n'est dans un projet qui n'a eu
+aucune suite. On pourrait même réclamer, à certains égards, la priorité
+de l'acoustique sur la thermologie, puisque la théorie du son nous
+présente, après celle de la pesanteur, l'application la plus immédiate
+et la plus étendue de la mécanique rationnelle. Mais, le degré de
+généralité des phénomènes, qui constitue nécessairement, à mes yeux, le
+motif prépondérant, ne me permettrait point d'adopter un tel
+arrangement, qui serait, du reste, très plausible. Il me semble
+d'ailleurs que l'étude des phénomènes du son offre encore, sous
+plusieurs rapports, des lacunes essentielles, qui doivent la faire
+regarder aujourd'hui comme étant réellement moins avancée que celle de
+la chaleur.</p>
+
+<p>Tel est donc, pour moi, l'ordre définitif des diverses branches
+principales de la physique: barologie, thermologie, acoustique, optique
+et électrologie<a id="footnotetag24" name="footnotetag24"></a>
+<a href="#footnote24"><sup class="sml">24</sup></a>. Il faudrait se garder, du reste, d'attacher à cette
+question d'arrangement une importance exagérée, vu le peu de liaison
+réelle qui existe malheureusement jusqu'ici entre ces différentes
+parties. Je dois seulement faire remarquer le soin que j'ai toujours
+pris, à ce sujet, de fonder toutes mes comparaisons sur les phénomènes
+eux-mêmes, sans aucun égard aux vains rapprochemens ni aux oppositions
+non moins vaines que peuvent suggérer les hypothèses anti-scientifiques
+auxquelles on les rapporte encore. Ainsi, on a dû voir, par exemple,
+que, si je place l'optique immédiatement après l'acoustique, ce n'est
+nullement parce que, de nos jours, le système des vibrations lumineuses
+est devenu prépondérant: j'aurais agi d'une manière absolument
+identique, sous le règne de l'émission. La classification scientifique
+devrait sans doute être à l'abri de l'instabilité inhérente à ces
+conceptions arbitraires.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote24"
+name="footnote24"><b>Note 24: </b></a><a href="#footnotetag24">
+(retour) </a> Il m'a paru convenable, pour abréger le
+ discours, de donner des dénominations spéciales aux branches
+ de la physique relatives à la pesanteur, à la chaleur, et à
+ l'électricité, par analogie avec l'usage commode adopté
+ depuis si long-temps envers les deux autres. De ces trois
+ expressions, la première, quoique inusitée, remonte
+ réellement au moins à quarante ans; j'ai seulement construit
+ les deux autres; et encore même, après avoir formé le mot
+ <i>thermologie</i>, j'ai reconnu qu'il avait été quelquefois
+ employé par Fourier. Reste donc uniquement à ma charge le
+ nom <i>électrologie</i>, que son utilité fera, j'espère, excuser.
+ Personne, d'ailleurs, ne sent plus fortement que moi les
+ graves inconvéniens scientifiques de ce néologisme
+ pédantesque, qui sert si souvent à dissimuler le vide réel
+ des idées, en imposant des noms étranges à des sciences qui
+ n'existent pas ou à des caractères superficiellement
+ conçus.
+</blockquote>
+
+<p>Par l'ensemble des diverses considérations générales exposées dans ce
+long discours, la philosophie de la physique me paraît être suffisamment
+caractérisée sous tous les rapports fondamentaux; puisque nous avons
+successivement analysé l'objet propre de la physique, les différens
+modes essentiels d'exploration qui lui appartiennent, sa vraie position
+encyclopédique, son influence sur l'éducation universelle de la raison
+humaine, son véritable degré de perfection scientifique, son incomplète
+positivité actuelle, ainsi que le moyen d'y remédier par une saine
+institution des hypothèses, et enfin la disposition rationnelle de ses
+principales parties. L'importante discussion à laquelle j'ai dû me
+livrer sur la théorie des hypothèses, est éminemment propre à simplifier
+l'examen philosophique des diverses branches de la physique, auquel je
+dois maintenant procéder directement, suivant l'ordre que j'ai établi;
+car, je n'y devrai faire désormais aucune mention de tout ce qui se
+rapporte aux hypothèses anti-scientifiques, en me bornant strictement à
+la seule considération des lois effectives des phénomènes. On sait
+d'ailleurs que, par la nature de cet ouvrage, il ne saurait être ici
+question d'un traité, même sommaire, sur aucune des portions de la
+physique, mais seulement d'une suite d'études philosophiques sur
+l'ensemble de chacune d'elles, supposée préalablement connue, et
+envisagée sous nos deux points de vue habituels, de sa méthode propre et
+de ses résultats principaux, sans entrer jamais dans aucune exposition
+spéciale. La plus grande complication des phénomènes, et surtout la
+perfection si inférieure de leurs théories, ne peuvent même permettre de
+caractériser ici chaque section de la science aussi nettement, ni aussi
+complétement, à beaucoup près, que j'ai pu le faire dans une science
+aussi rationnelle que l'astronomie.</p>
+
+
+<a name="l29" id="l29"></a>
+<br><hr class="full"><br>
+
+<h3>VINGT-NEUVIÈME LEÇON.</h3>
+
+<br><hr class="short"><br>
+
+<p class="sml">Considérations générales sur la barologie.</p>
+
+<p>Nous savons déjà, d'après le discours précédent, que cette étude
+fondamentale constitue réellement aujourd'hui, vu la généralité et la
+simplicité de ses phénomènes, la seule partie de la physique dont le
+caractère de positivité soit parfaitement pur, c'est-à-dire
+irrévocablement dégagé de tout alliage métaphysique, direct ou indirect.
+Ainsi, indépendamment de la haute importance propre aux lois effectives
+qui la composent, cette première branche présente à tout esprit
+philosophique un puissant attrait spécial, comme offrant le modèle le
+plus parfait (quoique inférieur, sans doute, au type astronomique) et en
+même temps le plus immédiat et le plus complet, de la méthode
+fondamentale convenable aux recherches physiques, envisagée sous tous
+les rapports généraux qui la caractérisent, savoir: la netteté des
+observations, la bonne institution des expériences, la saine
+construction et l'usage rationnel des hypothèses, et enfin l'application
+judicieuse de l'analyse mathématique. À ces divers titres, une étude
+approfondie de la barologie offre à tout physicien rationnel un moyen
+d'éducation extrêmement précieux, à quelque section de la physique qu'il
+doive consacrer spécialement ses travaux, et quand même elle n'aurait,
+s'il est possible, aucune relation directe avec la science de la
+pesanteur. Malgré tous ces puissans motifs, le véritable esprit
+philosophique est encore tellement peu développé, que la théorie
+complète de la pesanteur n'existe aujourd'hui nulle part, convenablement
+coordonnée: on en trouve seulement les fragmens dispersés çà et là, dans
+les traités de mécanique rationnelle ou dans ceux de physique, et jamais
+combinés; en sorte que, sous le simple rapport de l'instruction
+scientifique ordinaire, il y aurait déjà un grand avantage à les réunir
+rationnellement, pour la première fois, en un seul corps de doctrine
+homogène et continu.</p>
+
+<p>Pour effectuer nettement l'examen philosophique de la barologie il est
+indispensable de la diviser suivant qu'elle envisage les effets
+statiques ou les effets dynamiques produits par la gravité. Chacune de
+ces deux sections principales doit ensuite être subdivisée en trois
+portions, d'après les modifications importantes que présente le
+phénomène, statique ou dynamique, selon l'état solide, liquide, ou
+gazeux du corps considéré. Telle est la distribution rationnelle,
+directement indiquée par la nature du sujet, et d'ailleurs
+essentiellement conforme au développement historique de la barologie.</p>
+
+<p>Examinons d'abord sommairement l'ensemble de la partie statique.</p>
+
+<p>On n'a point, à cet égard, assez remarqué, ce me semble, que les
+premières notions élémentaires ayant un vrai caractère scientifique, au
+moins en ce qui concerne les solides, remontent véritablement jusqu'à
+Archimède. C'est par lui néanmoins que la barologie positive a
+réellement commencé; et ses travaux à ce sujet ont un caractère bien
+distinct de celui que présentent ses sublimes recherches de mathématique
+pure. Il établit nettement, le premier, en généralisant l'observation
+vulgaire, que l'effort statique produit dans un corps par la pesanteur,
+c'est-à-dire son <i>poids</i>, est entièrement indépendant de la forme de la
+surface, et dépend seulement du volume, tant que la nature et la
+constitution du corps ne sont pas changées. Quelque simple que doive
+nous paraître aujourd'hui une telle notion, elle n'en constitue pas
+moins le véritable germe primitif d'une proposition capitale de
+philosophie naturelle, qui n'a reçu que vers la fin du siècle dernier
+son complément général et définitif, savoir: que le poids d'un corps est
+non-seulement tout-a-fait indépendant de sa forme, et même de ses
+dimensions, mais encore du mode d'agrégation de ses particules, et des
+variations quelconques qui peuvent survenir dans leur composition
+intime, même par les diverses opérations vitales, en un mot, comme je
+l'ai indiqué dans la vingt-quatrième leçon, que cette qualité
+fondamentale devrait sembler absolument inaltérable, si elle n'était
+évidemment modifiée par la distance du corps au centre de la terre,
+seule condition réelle de son intensité. Archimède ne pouvait, sans
+doute, apprécier exactement, à cet égard, que la simple influence des
+circonstances purement géométriques. Or, sous ce rapport élémentaire,
+son travail fut vraiment complet. Car, après un tel point de départ,
+non-seulement il reconnut que, dans les masses homogènes, les poids sont
+constamment proportionnels aux volumes; mais encore il découvrit le
+meilleur moyen général, dont les physiciens feront indéfiniment usage,
+pour mesurer, en chaque corps solide, d'après son célèbre principe
+d'hydrostatique, ce coefficient spécifique qui permet, suivant cette
+loi, d'évaluer, l'un par l'autre, le poids et le volume du corps. Enfin,
+nous devons aussi à Archimède, comme on sait, la notion fondamentale du
+centre de gravité, ainsi que les premiers développemens de la théorie
+géométrique correspondante. Or, par cette seule notion, tous les
+problèmes relatifs à l'équilibre des solides pesans, rentrent
+immédiatement dans le domaine de la mécanique rationnelle. Ainsi, en
+exceptant uniquement l'importante relation des poids aux masses, qui n'a
+pu être exactement connue que des modernes, on voit que, sous tous les
+rapports essentiels, Archimède doit être regardé comme le vrai fondateur
+de la barologie statique, en ce qui concerne les solides. Toutefois, la
+rigueur historique obligerait aussi à distinguer une autre notion
+capitale, qui n'était pas encore bien nette à l'époque d'Archimède,
+quoiqu'elle le soit devenue peu de temps après: celle de la loi relative
+à la direction de la pesanteur, que l'homme a dû spontanément supposer
+d'abord constante, et que l'école d'Alexandrie a enfin reconnu devoir
+varier d'un lieu à un autre, en suivant toujours la normale à la
+surface du globe terrestre; cette découverte essentielle est évidemment
+due à l'astronomie, qui seule offrait des termes de comparaison propres
+à manifester et à mesurer la divergence des verticales.</p>
+
+<p>Quant à l'équilibre des liquides pesans, on ne peut pas dire que les
+anciens en aient eu réellement aucune idée juste. Car, le beau principe
+d'Archimède ne concernait, au fond, que l'équilibre des solides soutenus
+par des liquides, comme le rappelle si bien le titre même de son traité
+à ce sujet, qui, d'ailleurs, après un tel point de départ, ne se
+composait plus que d'une admirable suite de recherches purement
+géométriques, sur les situations d'équilibre propres aux différentes
+formes rigoureuses des corps. En outre, ce principe lui-même, produit
+immédiat d'un seul trait du génie d'Archimède, ne résultait point, comme
+aujourd'hui, d'une analyse exacte des diverses pressions du liquide
+contre les parois du vase, conduisant à évaluer la poussée totale que le
+fluide exerce pour soulever le solide plongé. On doit donc envisager la
+théorie de l'équilibre des liquides pesans comme réellement due aux
+modernes.</p>
+
+<p>En considérant sommairement ici l'ensemble de cette théorie, il serait
+peu logique de discuter de nouveau, comme on le fait souvent, les
+principes généraux de l'hydrostatique rationnelle, qui forment un
+système parfaitement distinct, préalablement examiné dans le volume
+précédent: il ne peut être maintenant question que de leur application
+effective au cas actuel, et les notions physiques relatives à cette
+application doivent être la seule base des subdivisions à établir, ce
+qui, au contraire, ne conviendrait point en mécanique abstraite.</p>
+
+<p>Toutefois, il appartient réellement à la physique d'examiner ici, avant
+tout, si la définition générale des liquides, sur laquelle repose
+l'hydrostatique mathématique, est suffisamment admissible. Or, les
+physiciens ont aisément reconnu que, ni le caractère général de la
+fluidité mathématique, consistant dans la parfaite indépendance des
+molécules, ni la rigoureuse incompressibilité par laquelle les géomètres
+spécifient l'état liquide, ne sont, et même ne sauraient être exactement
+vrais. L'adhérence mutuelle des molécules fluides se fait sentir dans
+une foule de phénomènes secondaires, et ses principaux résultats
+constituent, en effet, aujourd'hui une intéressante subdivision de la
+physique, complément naturel de notre étude actuelle, comme je
+l'indiquerai tout à l'heure. Quant à la compressibilité des liquides,
+on sait que, long-temps niée, quoique divers phénomènes, et surtout la
+transmission du son à travers l'eau, l'indiquassent avec une grande
+vraisemblance, elle a été enfin mise directement en évidence, par les
+expériences incontestables de plusieurs physiciens contemporains.
+Cependant, les plus fortes charges observées n'ont jamais pu produire
+qu'une très faible contraction, et nous ignorons encore complétement
+quelle loi réelle suit un tel phénomène en faisant varier la pression:
+ce qui empêche jusqu'ici d'avoir égard à cette condensation dans la
+théorie de l'équilibre des liquides naturels. Mais la petitesse même
+d'un, semblable effet permet heureusement de le négliger dans presque
+tous les cas réels; et il en est ainsi de l'imparfaite fluidité, pourvu
+que la masse ait une certaine étendue. Néanmoins, il était indispensable
+de signaler ici ces deux considérations préliminaires et générales, dont
+l'étude est jusqu'à présent peu avancée.</p>
+
+<p>En les écartant maintenant, nous devrons distinguer l'équilibre effectif
+des liquides pesans, selon qu'il s'agit d'une masse assez limitée pour
+que les verticales puissent être regardées comme parallèles, ainsi qu'il
+arrive le plus souvent; ou, au contraire, d'une masse très étendue,
+telle que la mer surtout, envers laquelle il est nécessaire de tenir
+compte de la direction variable de la gravité.</p>
+
+<p>Le premier cas a dû être naturellement le seul considéré d'abord; c'est
+à lui, en effet, que se rapportèrent exclusivement les travaux de
+Stévin, par lesquels commença la véritable analyse de l'équilibre des
+liquides pesans. Dans un tel problème, la forme de la surface
+d'équilibre ne présentait évidemment aucune difficulté; et tous les
+efforts devaient se concentrer sur la détermination des pressions
+exercées par le liquide, en vertu de son poids, contre les parois du
+vase qui le renferme. Guidé par le principe d'Archimède, Stévin établit
+complétement la règle de leur évaluation, en prouvant d'abord que la
+pression sur une paroi horizontale est toujours égale, quelle que soit
+la forme du vase, au poids de la colonne liquide de même base qui
+aboutirait à la surface d'équilibre; et il ramena ensuite à ce cas
+fondamental celui d'une paroi plane inclinée d'une manière quelconque,
+en la décomposant en élémens horizontaux, comme nous le faisons
+aujourd'hui par nos intégrations; ce qui fit voir, en général, que la
+pression équivaut constamment au poids d'une colonne liquide verticale
+qui aurait pour base la paroi considérée, et pour hauteur celle de la
+surface d'équilibre au-dessus du centre de gravité de cette paroi.
+D'après cela, l'analyse infinitésimale permet de calculer aisément la
+pression exercée contre une portion, définie arbitrairement, d'une
+surface courbe quelconque. La plus intéressante conséquence physique qui
+en résulte, consiste dans l'évaluation de la pression totale supportée
+par l'ensemble du vase, et que l'on trouve toujours nécessairement
+équivalente au poids du liquide contenu, comme il est aisé de
+l'expliquer, en considérant l'équilibre mutuel des composantes
+horizontales dues aux pressions élémentaires opposées. C'est ainsi qu'a
+pu être complétement résolu le fameux paradoxe de Stévin, relatif au cas
+où le liquide exerçait sur le fond du vase une pression très supérieure
+à son propre poids, ce qui n'avait semblé contradictoire qu'en vertu de
+la confusion vicieuse que l'on établissait, par inadvertance, entre la
+pression supportée par le fond et la pression totale, sans tenir compte
+des pressions latérales, qui pouvaient tendre, et tendaient en effet,
+dans le cas paradoxal, à soulever le vase, et à contre-balancer ainsi
+partiellement la pression sur le fond, en sorte que la différence des
+deux efforts était réellement toujours égale au poids du liquide. Ici,
+les expériences instituées par divers physiciens, n'ont eu d'autre
+utilité que de vérifier ces importantes notions d'une manière aisément
+appréciable par les esprits étrangers aux études mathématiques; elles
+n'eurent aucune part effective aux découvertes.</p>
+
+<p>Cette mesure générale des pressions conduit aussitôt à la théorie
+complète de l'équilibre des corps flottans, qui n'en est qu'une simple
+application. Car, en regardant la partie plongée du solide comme une
+paroi, on aperçoit sur-le-champ que la poussée totale du liquide pour
+soulever ce corps équivaut à une force verticale égale au poids du
+fluide déplacé, et appliquée au centre de gravité de cette portion
+immergée. Or, cette règle, qui n'est autre que le principe même
+d'Archimède, ainsi rattaché aux fondemens généraux de l'hydrostatique,
+réduit immédiatement la recherche des situations d'équilibre propres aux
+divers corps homogènes, flottans sur des liquides homogènes, à ce simple
+problème géométrique, si bien traité par Archimède: dans un corps de
+forme connue, mener un plan qui le coupe en deux segmens dont les
+centres de gravité soient situés sur une même droite perpendiculaire au
+plan sécant, leurs volumes étant d'ailleurs en raison donnée; ce qui ne
+peut présenter que des difficultés de détail, quelquefois très grandes.
+La seule recherche vraiment délicate à ce sujet concerne les conditions
+de la stabilité de cet équilibre, et l'analyse exacte des oscillations
+du corps flottant autour de sa situation stable, ce qui constitue une
+des applications les plus compliquées de la dynamique des solides. En se
+bornant aux oscillations verticales du centre de gravité, l'étude serait
+facile, parce qu'on apprécie aisément la manière dont la poussée
+augmente quand le corps s'enfonce, ou diminue lorsqu'il s'élève, en
+tendant toujours au rétablissement de l'état primitif. Mais il n'en est
+plus ainsi des oscillations relatives à la rotation, soit quant au
+roulis ou au tangage, dont la théorie aurait cependant beaucoup plus
+d'intérêt pour l'art naval. Ici, les travaux des géomètres, qui ne
+peuvent aborder les hautes difficultés mathématiques du problème qu'en
+faisant abstraction de la résistance et de l'agitation du liquide,
+deviennent essentiellement de purs exercices mathématiques, d'ailleurs
+quelquefois ingénieux, qui ne sauraient réellement fournir à la pratique
+aucune indication précise, lorsqu'on veut aller au-delà d'une simple
+analyse générale du phénomène, indépendante du calcul. On en peut dire
+presque autant des expériences tentées à ce sujet par divers physiciens,
+sur la demande de quelques géomètres.</p>
+
+<p>Considérant maintenant l'équilibre des grandes masses liquides qui
+composent la majeure partie de la surface terrestre, il est d'abord
+évident que cette question se rattache immédiatement à la théorie
+générale de la figure des planètes, caractérisée dans la vingt-cinquième
+leçon. Mais, en regardant la forme de la surface d'équilibre comme
+suffisamment connue, et la supposant même sphérique, pour plus de
+simplicité, l'analyse réelle du problème présente encore des difficultés
+qui ne peuvent être exactement surmontées. Car, l'hydrostatique
+rationnelle enseigne ici que l'équilibre ne serait possible qu'en
+supposant la même densité à tous les points également distans du centre
+de la terre, ce qui, évidemment, ne saurait avoir lieu, en vertu de
+leurs températures nécessairement inégales, par la seule diversité de
+leurs positions. Cette impossibilité mathématique d'un équilibre
+rigoureux ferait, dès lors, consister la question dans l'étude,
+rationnellement inextricable, des divers courans, qui se compliquerait
+même de la loi inconnue des températures propres aux différentes parties
+de la masse. On doit remarquer, de plus, que la nature d'une telle
+recherche exigerait sans doute qu'on y eût aussi égard à la
+compressibilité des liquides, dont la loi est jusqu'ici entièrement
+ignorée, et qui, néanmoins, ne saurait être insensible pour les couches
+océaniques un peu profondes, vu l'immense pression qu'elles supportent.
+Il est donc peu étonnant qu'un problème tellement compliqué ne comporte
+encore aucune solution rationnelle, et que nos seules connaissances
+réelles à ce sujet soient le résultat d'études purement empiriques. Ces
+études, qui d'ailleurs n'appartiennent pas proprement à la physique et
+se rapportent à l'histoire naturelle du globe, sont même extrêmement
+imparfaites: car, jusqu'ici, par exemple, nous ne savons véritablement à
+quoi attribuer les simples différences de niveau si bien constatées
+entre les diverses parties de l'Océan général, qui semblent
+contradictoires avec les notions fondamentales de l'hydrostatique;
+celle, entre autres, mesurée à l'isthme de Suez, entre la mer
+Méditerranée et la mer rouge, ou celle, plus remarquable, quoique moins
+prononcée, qui a été reconnue sur l'isthme de Panama, entre le grand
+Océan et l'Océan atlantique.</p>
+
+<p>La théorie des marées, considérée dans la vingt-cinquième leçon,
+pourrait évidemment être classée ici comme un appendice naturel de cette
+partie de la barologie, dont l'analyse des perturbations périodiques de
+l'équilibre océanique forme, sans doute, le complément nécessaire. Quand
+les études physiques seront habituellement devenues aussi fortes et
+aussi bien coordonnées qu'elles devraient l'être, et que, par
+conséquent, elles auront été toujours précédées d'études astronomiques
+convenables, il est, en effet, très probable que cette doctrine rentrera
+d'elle-même dans la barologie, à laquelle, sans doute, elle appartient
+rationnellement: qu'importe, au fond, puisqu'il s'agit d'un phénomène
+terrestre, que la vraie cause en soit céleste?</p>
+
+<p>Il faut maintenant envisager la dernière section de la barologie
+statique, relative à l'équilibre des gaz, et spécialement de
+l'atmosphère, en vertu de leur poids.</p>
+
+<p>À cet égard, la physique a dû d'abord surmonter une grande difficulté
+préliminaire, qui ne pouvait exister envers les solides et les liquides,
+celle de découvrir la pesanteur du milieu général dans lequel nous
+vivons. L'air n'était point, en effet, directement susceptible d'être
+pesé, comme un liquide, par le simple excès de poids d'un vase plein,
+sur le même vase vide; car, le vase ne peut être vidé d'air qu'à l'aide
+d'ingénieux artifices, fondés sur la connaissance même de la pesanteur
+atmosphérique, exactement analysée dans ses principaux effets statiques.
+Cette pesanteur ne pouvait donc être constatée que d'une manière
+indirecte, par l'examen des pressions que l'atmosphère devait ainsi
+nécessairement produire sur les corps placés à sa base, en vertu des
+lois générales de l'équilibre des fluides. Une telle découverte était
+donc évidemment impossible avant la théorie mathématique de ces
+pressions, créée, comme nous venons de le voir, au commencement du
+dix-septième siècle, par les travaux de Stévin, dont la haute importance
+n'a pas été suffisamment appréciée. Mais, d'un autre côté, cette théorie
+devait nécessairement conduire à dévoiler promptement ce grand fait;
+car, quoique Stévin n'eût point pensé à l'atmosphère, son analyse des
+pressions convenait aussi bien à ce cas, puisqu'elle n'était point
+arrêtée par l'hétérogénéité de la masse fluide. L'époque de cette vérité
+capitale était donc, pour ainsi dire, fixée; elle n'a été retardée que
+par l'influence des habitudes métaphysiques: les moyens rationnels
+d'exploration étant convenablement préparés, il suffisait, en effet,
+désormais d'oser envisager, sous un point de vue positif, l'équilibre
+général de l'atmosphère. Tel fut le projet de Galilée, dans ses
+dernières années, si bien exécuté ensuite par son illustre disciple
+Torricelli. L'existence et la mesure de la pression atmosphérique
+devinrent irrécusables quand Torricelli eut découvert que cette force
+soutenait les différens liquides à des hauteurs inversement
+proportionnelles à leurs densités. L'ingénieuse expérience de Pascal
+compléta bientôt la conviction générale, en constatant, avec une pleine
+évidence, la diminution nécessaire de cette pression à mesure qu'on
+s'élève dans l'atmosphère. Enfin, la belle invention du célèbre
+bourguemestre de Magdebourg, déduction plus éloignée, mais inévitable,
+de la découverte fondamentale de Torricelli, vint permettre une
+démonstration directe, en donnant les moyens de faire le vide, et par
+suite, d'apprécier exactement la pesanteur spécifique de l'air qui nous
+entoure, jusque alors très vaguement mesurée. On voit comment cette
+grande vérité, outre sa haute importance propre, a spontanément doté la
+philosophie naturelle de deux des plus précieux moyens d'exploration
+matérielle qu'elle possède, le baromètre et la pompe pneumatique. En
+général, la création et le perfectionnement des instrumens d'observation
+ou d'expérimentation ont toujours été, en physique, le résultat
+nécessaire et définitif des principales découvertes scientifiques, dont
+leur histoire est réellement inséparable: plus nous connaissons la
+nature, mieux nous l'explorons sous de nouveaux rapports, ce qui doit
+faire attacher un prix tout spécial aux premiers instrumens, quelque
+grossière qu'ait été d'abord leur ébauche.</p>
+
+<p>Le poids de l'air, et en général des gaz, étant une fois bien constaté,
+une dernière condition préliminaire restait seule à remplir pour qu'on
+pût appliquer à l'équilibre atmosphérique les lois fondamentales de
+l'hydrostatique: c'était l'indispensable connaissance exacte de la
+relation nécessaire entre la densité d'un fluide élastique et la
+pression qu'il supporte. Dans les liquides, du moins en les supposant
+tout-à-fait incompressibles, ces deux phénomènes sont absolument
+indépendans l'un de l'autre, tandis que, dans les gaz, ils sont
+inévitablement liés; et c'est ce qui constitue, comme on sait, la
+différence essentielle entre les théories mécaniques des deux sortes de
+fluides. La découverte capitale de cette relation élémentaire fut faite
+à la fois, et presque en même temps, par Mariotte en France, et Boyle en
+Angleterre, qui possédaient tous deux à un si éminent degré le véritable
+génie de la physique. Il était naturel, sans doute, de supposer d'abord
+que la compressibilité caractéristique des gaz est indépendante de leur
+densité; et en effet, ces deux illustres physiciens constatèrent, dans
+leurs expériences, que les divers volumes successivement occupés par une
+même masse gazeuse, sont exactement en raison inverse des différentes
+pressions qu'elle éprouve. Cette loi, primitivement établie entre des
+limites peu écartées, a été soigneusement vérifiée, dans ces derniers
+temps, en faisant croître la pression jusqu'à près de trente
+atmosphères. On a donc dû l'adopter, comme base de toute la mécanique
+des gaz et des vapeurs. Toutefois, il serait difficile d'admettre
+qu'elle soit l'expression mathématique de la réalité. Car, elle équivaut
+évidemment à regarder les fluides élastiques comme toujours également
+compressibles, quelques comprimés qu'ils soient déjà; ou, en sens
+inverse, comme toujours aussi dilatables, à quelque dilatation qu'ils
+soient parvenus. Or, l'une et l'autre conséquence sont, au moins, fort
+invraisemblables, en considérant des pressions, ou très fortes ou très
+faibles: poussées à l'extrême, elles détruiraient, sans doute, dans un
+cas l'idée de gaz, et, dans l'autre, l'idée même de corps ou système.
+Cette loi ne peut donc être qu'une approximation de la réalité,
+suffisamment exacte seulement entre certaines limites, comprenant
+heureusement presque tous les cas qu'il nous importe d'étudier. Mais il
+ne faudrait pas croire qu'une telle remarque soit particulière à cette
+importante relation. Il en est nécessairement toujours ainsi dans
+l'application de nos conceptions abstraites à l'interprétation de la
+nature, dont les véritables lois mathématiques ne peuvent jamais nous
+être connues que par des approximations analogues, leurs limites étant
+seulement plus ou moins écartées, même à l'égard des phénomènes les plus
+simples et les mieux étudiés. Cette considération philosophique a déjà
+été expressément signalée, au sujet de la loi de la gravitation
+elle-même, à la fin de la vingt-quatrième leçon, où je me suis efforcé
+de faire sentir combien il serait hasardé de regarder cette loi comme
+nécessairement applicable à toute distance, quelque grande ou petite
+qu'elle fût. Non-seulement toutes nos connaissances réelles sont
+strictement circonscrites dans l'analyse des phénomènes et la découverte
+de leurs lois effectives; mais, même ainsi restreintes, nos recherches
+ne sauraient aboutir, en aucun genre, à des résultats absolus, et
+peuvent uniquement fournir des approximations plus ou moins parfaites,
+constamment susceptibles, il est vrai, de suffire à nos besoins
+véritables: tel est l'esprit fondamental de la philosophie positive, que
+je ne dois pas craindre de reproduire trop fréquemment dans cet ouvrage.</p>
+
+<p>D'après la loi de Mariotte et Boyle, la théorie générale de l'équilibre
+atmosphérique tombe aussitôt sous la compétence de la mécanique
+rationnelle. On voit d'abord que l'ensemble de l'atmosphère ne peut
+jamais être réellement dans un état d'équilibre rigoureux, par les
+mêmes motifs indiqués ci-dessus envers l'Océan, leur influence étant
+seulement ici bien plus prononcée, puisque la chaleur dilate beaucoup
+moins l'eau que l'air. Il est néanmoins indispensable de considérer,
+abstraction faite de cette agitation nécessaire, l'équilibre partiel
+d'une colonne atmosphérique très étroite, afin de se former une juste
+idée générale du mode fondamental de décroissement propre à la densité
+et à la pression des diverses couches. La question ne présente aucune
+difficulté essentielle, quand on écarte les effets thermologiques; et
+l'on voit alors aisément que les densités et les pressions diminueraient
+en progression géométrique pour des hauteurs croissantes en progression
+arithmétique, si la température pouvait être la même en tous les points
+de la colonne, du moins en faisant abstraction du décroissement presque
+insensible de la gravité, qui peut d'ailleurs être facilement pris en
+considération exacte. Mais l'abaissement graduel et très prononcé
+qu'éprouve nécessairement la température des couches atmosphériques à
+mesure qu'elles sont plus élevées, doit en réalité ralentir notablement
+cette variation abstraite, en rendant chaque couche plus dense que ne le
+comporterait ainsi sa position. L'étude de ce grand phénomène se
+complique donc naturellement d'un nouvel élément, jusqu'ici tout-à-fait
+inconnu malgré quelques tentatives imparfaites, la loi relative à la
+variation verticale des températures atmosphériques, qui ne sera
+peut-être jamais suffisamment dévoilée, quelque intéressante qu'elle fût
+à plusieurs égards, comme je l'ai déjà indiqué au sujet de la théorie
+des réfractions astronomiques. On n'y supplée évidemment que d'une
+manière extrêmement grossière et radicalement incertaine, lorsque, pour
+formuler l'équilibre d'une portion déterminée de la colonne
+atmosphérique, on suppose une température uniforme égale à la moyenne
+arithmétique entre les deux températures extrêmes immédiatement
+observées. Car la loi inconnue pourrait être telle, que la moyenne
+géométrique, ou même quelque nombre très rapproché de l'un des extrêmes,
+représentât avec moins d'erreur le véritable état de la colonne,
+qu'aucune hypothèse de température commune ne saurait d'ailleurs
+fidèlement exprimer. L'intervention du calcul des probabilités serait,
+du reste, ici ou puérile ou sophistique, comme en tant d'autres
+occasions. Tout ce qu'on pourrait dire de raisonnable en faveur d'un tel
+usage, se réduirait réellement à la conformité de quelques-uns des
+résultats auxquels il conduit avec des observations directes, argument
+qui aurait en effet un grand poids, si cette confrontation avait jamais
+été convenablement établie, ce dont il y a lieu de douter. On ne doit
+donc employer qu'avec une grande circonspection, et seulement à défaut
+de déterminations géométriques, le procédé imaginé par Bouguer pour la
+mesure des hauteurs par le baromètre, dont la formule a été surchargée
+plus tard d'un grand nombre de détails, qui ont fortement altéré sa
+simplicité primitive, sans peut-être augmenter beaucoup son exactitude
+réelle, si ce n'est en ce qui concerne la meilleure évaluation des
+coefficiens, due à l'observation seule. Ce moyen est certainement fort
+ingénieux: et son principal défaut consiste précisément à l'être
+beaucoup trop, en faisant dépendre une grandeur aussi simple qu'une
+distance d'une foule d'autres qui s'y rattachent indirectement dans un
+phénomène très complexe. Mais il est évident que, quand on prétend à
+l'exactitude, on ne saurait accorder une confiance bien étendue à une
+méthode aussi indirecte, fondée sur la supposition préalable d'un état
+de stagnation atmosphérique qui ne peut exister, et ensuite sur une
+uniformité de température encore plus inadmissible. En considérant, dans
+l'estimable travail de Ramon, la longue série des précautions
+minutieuses qu'exige l'application exacte d'un tel procédé pour mériter
+quelque confiance, et, par suite, la durée souvent très grande de
+l'ensemble de l'opération, on voit même que ce moyen perd
+essentiellement cette facilité qui fait sa seule valeur, et qu'il y
+aurait fréquemment moins d'embarras, quand les circonstances le
+permettent, à entreprendre directement une mesure géométrique, dont la
+certitude serait d'ailleurs si supérieure. En principe, comme je l'ai
+remarqué dans une autre occasion, une mesure quelconque est d'autant
+plus précaire qu'elle est plus indirecte. Néanmoins, en renonçant à tout
+parallèle entre ce mode de nivellement et le mode géométrique, il
+conserve une valeur très réelle pour multiplier commodément nos
+renseignemens généraux sur le relief du globe terrestre. Je regrette
+seulement que la vérification n'en ait pas encore été convenablement
+instituée. En cette occasion, comme en bien d'autres plus importantes,
+les physiciens se sont jusqu'ici beaucoup trop subalternisés envers les
+géomètres.</p>
+
+<p>Tel est essentiellement, en aperçu, l'ensemble de la barologie statique.
+Pour la compléter, il faudrait maintenant considérer les modifications
+importantes qu'éprouvent ses lois générales, à l'égard des petites
+masses fluides, en vertu de l'imparfaite fluidité des liquides et des
+gaz. Elles consistent surtout dans une élévation notable (quelquefois
+changée en dépression), relativement à la surface ordinaire d'équilibre,
+pour les filets liquides contenus dans des tubes très étroits: on les a
+encore peu étudiées sur les gaz. C'est donc ici, à mes yeux, le lieu
+naturel de la théorie de la capillarité. Plusieurs physiciens l'ont déjà
+placée ainsi, mais par des motifs indépendans de la nature des
+phénomènes, et seulement relatifs à leur mode actuel d'explication, en
+vertu d'une vague analogie entre la pesanteur, rattachée à
+l'<i>attraction</i> universelle, et la force moléculaire à laquelle on
+attribue ces effets remarquables. J'avoue qu'un tel rapprochement me
+touche peu, car il me paraît reposer essentiellement sur l'emploi du
+malheureux mot <i>attraction</i> pour désigner la pesanteur générale:
+supprimez cette expression abusive, dont j'ai signalé, dans la
+vingt-quatrième leçon, les graves inconvéniens, il n'y aura plus aucune
+assimilation à établir entre la gravité et la capillarité, leurs
+phénomènes étant réellement antagonistes. C'est donc seulement parce que
+les effets capillaires consistent dans une altération notable des lois
+fondamentales de la pesanteur, que leur étude me paraît devoir être
+classée comme un complément naturel et indispensable de la barologie
+proprement dite.</p>
+
+<p>Quant au fond de la question à cet égard, c'est-à-dire, quant à la
+théorie actuelle de ces phénomènes, je dois déclarer, quoique je ne
+puisse me livrer ici à son examen spécial, que, malgré l'imposante
+apparence d'exactitude dont Laplace l'a revêtue en y déployant un si
+grand luxe analytique, elle m'a toujours paru fort peu satisfaisante, à
+cause de son caractère vague, obscur, et même, au fond, essentiellement
+arbitraire. Clairaut, pour ainsi dire en se jouant, avait imaginé l'idée
+principale de cette explication, sans y attacher une grande importance:
+Laplace, en voulant lui donner une consistance mathématique et une
+précision qu'elle ne comportait pas, n'a fait que rendre ses vices plus
+prononcés, aux yeux de quiconque ne se laisse point fasciner par un vain
+appareil algébrique. Cette force mystérieuse et indéterminée, évidemment
+créée pour le besoin de l'explication, et qui, par sa définition même,
+échappe nécessairement à tout contrôle réel, cette force dont
+l'intervention cesse ou reparaît presque à volonté, à laquelle on ajoute
+ou l'on retranche des qualités essentielles pour la faire correspondre
+aux phénomènes, ne serait-elle pas réellement une pure entité? Cette
+théorie a-t-elle sensiblement perfectionné l'étude de la capillarité,
+dont les progrès sont presque nuls depuis plus d'un demi-siècle? La
+principale loi numérique des phénomènes capillaires, celle des hauteurs
+inversement proportionnelles aux diamètres des différens tubes, était
+parfaitement connue long-temps avant cette théorie, qui n'a rien produit
+de semblable. Sa prépondérance n'aurait-elle point, au contraire, en ces
+derniers temps, attiédi le zèle des physiciens pour une exploration
+directe, menacée d'avance d'un accueil peu encourageant, si elle ne
+venait point confirmer les prescriptions analytiques? Si, par exemple,
+nous connaissons trop peu encore l'influence de la chaleur et de
+l'électricité sur l'action capillaire, n'est-ce point à une telle cause
+qu'on doit l'attribuer en grande partie?</p>
+
+<p>Quoi qu'il en soit, l'étude réelle de ces phénomènes est en elle-même du
+plus haut intérêt. Indépendamment de son utile application pour
+augmenter la précision de plusieurs instrumens importans, elle occupe
+directement, en philosophie naturelle, un rang très éminent, en vertu du
+rôle fondamental de la capillarité dans l'ensemble des phénomènes
+physiologiques, comme leur examen général nous le démontrera. Les effets
+remarquables découverts par M. Dutrochet, sous les noms d'<i>endosmose</i> et
+d'<i>exosmose</i>, viennent s'y rattacher spontanément: c'est l'action
+capillaire envisagée en surface, au lieu de la simple capillarité
+linéaire, jusque alors étudiée par les physiciens.</p>
+
+<p>Considérons maintenant, dans son ensemble, la seconde partie principale
+de la barologie, celle qui concerne les lois des mouvemens des corps
+pesans, et en premier lieu des solides.</p>
+
+<p>La belle observation fondamentale relative à la chute identique de tous
+les corps dans le vide, a d'abord établi irrévocablement une dernière
+notion élémentaire sur la pesanteur, celle de la proportionnalité
+nécessaire entre les poids et les masses, qui manquait encore
+essentiellement à la barologie statique. Les phénomènes de pur équilibre
+pouvaient, à la rigueur, suffire à la dévoiler, mais d'une manière
+beaucoup moins frappante, par une analyse convenable des effets du choc,
+qui, permettant d'évaluer directement les rapports de deux masses,
+auraient ainsi conduit à reconnaître son égalité avec celui de leurs
+poids. Après cette notion préliminaire, nous devons surtout examiner ici
+la découverte des lois fondamentales propres aux mouvemens produits par
+la gravité. Non-seulement c'est par là que la physique réelle a dû être
+historiquement créée; mais cette étude nous offre encore, à tous égards,
+le plus parfait exemple de la manière de philosopher qui convient à
+cette science.</p>
+
+<p>L'accélération naturelle de la chute des corps pesans n'avait point
+échappé au génie si avancé d'Aristote, celui de tous les anciens
+penseurs qui fut le moins éloigné de la philosophie positive, quoiqu'on
+lui doive la coordination de la philosophie métaphysique. Mais
+l'ignorance des principes élémentaires de la dynamique rationnelle ne
+pouvait évidemment permettre de découvrir alors la vraie loi de ce
+phénomène. L'hypothèse d'Aristote, qui consiste à faire croître la
+vitesse proportionnellement à l'espace parcouru, pouvait être regardée
+comme plausible tant que la théorie générale des mouvemens variés
+n'était point formée. Aussi est-ce surtout cette création capitale,
+provoquée par les difficultés propres au problème de la chute des corps,
+qui constitue la gloire immortelle du grand Galilée. Cette théorie,
+indiquée dans le premier volume de cet ouvrage, rend aussitôt palpable
+l'absurdité de l'hypothèse d'Aristote, en montrant, avec une pleine
+évidence, d'après une intégration fort élémentaire, qu'une telle loi de
+mouvement équivaudrait mathématiquement à supposer l'intensité de la
+pesanteur graduellement croissante, pendant la chute, en raison de
+l'espace parcouru. Pour procéder, d'après cette théorie générale, à la
+découverte de la loi véritable, Galilée dut naturellement supposer que
+la gravité conservait toujours la même énergie, et il reconnut dès lors
+que la vitesse et l'espace étaient nécessairement proportionnels, l'un
+au temps écoulé, l'autre à son carré. La vérification expérimentale
+pouvait être instituée de deux manières, également décisives, que
+Galilée fit connaître: soit par l'observation immédiate de la chute
+ordinaire, soit en ralentissant à volonté la chute à l'aide d'un plan
+suffisamment incliné, sans que la loi essentielle pût en être altérée,
+sauf les précautions nécessaires pour atténuer l'influence du
+frottement. Atwood a imaginé plus tard un instrument fort ingénieux, qui
+permet de ralentir indifféremment la chute, tout en la laissant
+verticale, en obligeant une petite masse à en mouvoir une très grande:
+ce qui permet de vérifier commodément, sous tous les points de vue, la
+loi de Galilée.</p>
+
+<p>Parmi les contestations innombrables que suscita d'abord cette grande
+découverte, la seule qui mérite aujourd'hui quelque attention est la
+discussion élevée par Baliani, qui prétendait substituer à la loi de
+Galilée une hypothèse peu différente en apparence, quoique radicalement
+inadmissible. Les espaces décrits par le corps, dans chaque seconde
+successive, doivent croître réellement comme la suite des nombres
+impairs, et c'est sous cette forme que Galilée avait présenté sa loi.
+Or, Baliani voulait remplacer cette progression par la série naturelle
+de tous les nombres entiers. À une époque où la dynamique était encore
+si peu connue, une telle concurrence pouvait être fort spécieuse, et la
+discussion se serait, en effet, long-temps prolongée, si l'on n'en eût
+appelé à l'expérience, qui condamna aussitôt Baliani. Car, cette
+hypothèse correspond, en effet, comme celle de Galilée, à une intensité
+constante de la pesanteur. Le seul caractère qui les distingue
+rationnellement consiste en ce que, suivant Galilée, la vitesse peut
+être aussi petite qu'on voudra, en choisissant une durée assez courte,
+tandis que, d'après Baliani, il y aurait toujours un <i>minimum</i> de
+vitesse très appréciable, indépendant du temps écoulé, et qui devrait
+être instantanément imprimé au corps dès l'origine du mouvement: ce qui
+eût suffi sans doute pour renverser immédiatement une telle hypothèse,
+si la validité de cette déduction mathématique avait pu être d'abord
+bien sentie.</p>
+
+<p>Par cette seule loi de Galilée, tous les problèmes relatifs au mouvement
+des corps pesans rentrent aussitôt dans le domaine de la dynamique
+rationnelle dont, au dix-septième siècle, ils provoquèrent la formation
+sous les divers rapports fondamentaux, comme, au dix-huitième siècle,
+les questions de mécanique céleste déterminèrent son développement
+général. En ce qui concerne le mouvement de translation du corps libre
+dans l'espace, cette étude est essentiellement due à Galilée lui-même,
+qui établit la théorie du mouvement curviligne des projectiles,
+abstraction faite de la résistance de l'air. Les tentatives fréquemment
+renouvelées depuis par les géomètres pour y tenir compte de cette
+résistance, n'ont pas eu encore un résultat physique satisfaisant.
+Toutefois, il importe de noter ici combien, dans ces travaux, on s'est
+strictement conformé à l'esprit de la saine théorie des hypothèses, en
+se bornant à faire une supposition sur la loi mathématique de la
+résistance du milieu, relativement à la vitesse, dans l'impossibilité où
+l'on se trouve encore, et où l'on sera peut-être toujours, de découvrir
+rationnellement cette loi, par les seuls principes de l'hydrodynamique,
+dont une telle recherche constitue le problème le plus difficile. Une
+semblable supposition est, en effet, éminemment susceptible, par sa
+nature, d'une épreuve expérimentale qui ne saurait laisser aucune
+incertitude; et c'est ainsi qu'on a successivement reconnu
+l'imperfection de toutes les hypothèses jusqu'ici proposées à cet égard,
+depuis Newton, à qui l'on doit la première et la plus usuelle d'entre
+elles. La construction rationnelle de ces conjectures présente en
+elle-même de grandes difficultés, pour concilier ces deux conditions qui
+semblent contradictoires, et qui sont néanmoins également
+indispensables: faire toujours décroître la résistance à mesure que la
+vitesse diminue indéfiniment; et, cependant, disposer la loi de telle
+manière que la vitesse initiale du mobile puisse être enfin complétement
+détruite, par la seule action graduelle de la résistance. La dernière de
+ces deux indications générales exige évidemment la présence d'un terme
+constant dans l'expression algébrique de la loi, tandis que la première
+semble devoir l'en exclure formellement. Quelle que soit l'utilité des
+études expérimentales directes dont cette question difficile a été
+jusqu'ici le sujet, elles n'ont pas eu encore de résultats pleinement
+satisfaisans. Enfin, quelques observations récentes viennent même
+d'augmenter à cet égard l'incertitude fondamentale, quoique propres
+peut-être à présenter ensuite sous un nouveau jour l'ensemble du sujet,
+en montrant que, lorsque les vitesses deviennent très grandes, elles
+peuvent augmenter sans faire croître les résistances; cette importante
+remarque ne saurait cependant être admise, sans un nouvel et scrupuleux
+examen. Ainsi, en résumé, l'étude exacte du mouvement réel des
+projectiles est encore extrêmement imparfaite.</p>
+
+<p>Quant aux mouvemens que produit la pesanteur dans un corps retenu, le
+cas où ce corps est assujetti sur une courbe donnée est le seul
+important à analyser; il constitue le problème général du pendule, dont
+la théorie, entièrement due à Huyghens, n'offre plus, comme application
+de la mécanique rationnelle, que de simples difficultés analytiques, en
+faisant abstraction de la résistance du milieu. Cette belle théorie a
+présenté, dès son origine, un puissant intérêt pratique, comme base de
+la plus parfaite chronométrie. J'ai déjà indiqué, sous ce rapport, dans
+la vingtième leçon, comment Huyghens, après avoir reconnu les
+oscillations cycloïdales pour les seules rigoureusement isochrones,
+était parvenu à les remplacer par les oscillations circulaires, seules
+réellement admissibles, en rendant leurs amplitudes très petites. Ainsi
+réglées, leurs durées ne dépendent que de la longueur du pendule simple
+et de l'énergie de la gravité, proportionnellement à la racine carrée du
+rapport numérique de ces deux grandeurs.</p>
+
+<p>Indépendamment de sa haute importance chronométrique, cette loi capitale
+d'Huyghens a fourni deux conséquences générales, fort essentielles pour
+les progrès de la barologie. D'abord, le pendule a permis à Newton de
+vérifier la proportionnalité des poids aux masses avec beaucoup plus
+d'exactitude que n'en pouvait comporter la chute des corps dans le vide,
+ci-dessus mentionnée. Car, si cette relation n'avait pas lieu, ou, ce
+qui revient au même, si la pesanteur agissait inégalement sur les
+différens corps, cette diversité devrait se manifester nécessairement,
+d'une manière très sensible, par la durée variable de leurs oscillations
+pour des pendules d'égale longueur, comparativement formés de substances
+distinctes. Or, l'expérience constate, au contraire, une frappante
+coïncidence à cet égard entre les cas les plus opposés, pourvu qu'on
+l'institue de manière à y rendre identique l'influence du milieu
+résistant, condition facile à remplir en prenant les précautions
+adoptées par Newton. Tous les corps ont donc la même gravité.</p>
+
+<p>En second lieu, le pendule nous a mis en état de reconnaître les
+variations qu'éprouve, à diverses distances du centre de la terre,
+l'intensité de cette commune pesanteur, suivant l'indication fournie par
+la théorie fondamentale de la gravitation. Il a suffi, en effet,
+d'apercevoir une différence irrécusable entre les longueurs du pendule à
+secondes observées en des lieux distincts, pour avoir aussitôt le droit
+d'en conclure mathématiquement l'inégalité des pesanteurs
+correspondantes, en raison directe des longueurs respectives. Reste
+ensuite, ce qui est facile, à isoler dans cette indication expérimentale
+la part de la force centrifuge, d'après la latitude du lieu, pour
+obtenir exactement la variation propre de la gravité. C'est d'après un
+tel principe que se multiplient chaque jour nos renseignemens sur la
+mesure de la pesanteur en divers points du globe, et par une suite
+indirecte, comme je l'ai indiqué dans la vingt-cinquième leçon, sur la
+vraie figure de la terre.</p>
+
+<p>Dans ces différentes sections de la barologie dynamique, les corps
+solides sont envisagés, abstraction faite de leurs dimensions, et comme
+de simples points. Mais, tous ces problèmes doivent maintenant être
+repris avec un nouvel ordre de difficultés, en ayant égard aux diverses
+particules dont le corps est réellement formé. Sous ce rapport, la
+question du mouvement libre nous entraînerait nécessairement dans cet
+ensemble de recherches délicates et compliquées qui caractérisent en
+dynamique abstraite, l'analyse des rotations, même en se bornant au cas
+du vide, et qui serait ici entièrement indépendant de l'action de la
+pesanteur: heureusement, cette face du problème est, en réalité, peu
+importante pour le mouvement de nos projectiles. À l'égard du pendule,
+cette difficulté se réduit à déterminer suivant quelles lois les divers
+points du corps modifient, en vertu de leur liaison, les durées inégales
+de leurs oscillations respectives, afin que leur ensemble puisse
+osciller comme un point unique, idéal ou réel. Cette loi, découverte par
+Huyghens, et obtenue ensuite, d'une manière plus rationnelle, par
+Jacques Bernouilli, ramène aisément le pendule composé au pendule simple
+jusque alors étudié, quand on connaît le moment d'inertie du corps. Elle
+explique nettement un nouveau moyen de faire varier la durée des
+oscillations, en changeant seulement la répartition de la masse
+oscillante. C'est ainsi que l'étude du pendule se rattache à toutes les
+questions essentielles de la dynamique générale des solides. Quoique la
+résistance de l'air y exerce beaucoup moins d'influence que dans le
+mouvement des projectiles, il faut cependant l'y prendre aussi en
+considération, afin de donner à ce précieux instrument toute la
+précision dont il est susceptible. Ici, les tentatives ont pu être bien
+plus heureuses, surtout en établissant, comme l'a fait si judicieusement
+M. Bessel en dernier lieu, une exacte comparaison expérimentale entre
+les oscillations réelles, nécessairement affectées de la résistance du
+milieu, et les oscillations théoriques, relatives au cas du vide: aussi
+le passage de l'un à l'autre cas se fait-il maintenant avec beaucoup de
+sûreté et de facilité.</p>
+
+<p>En considérant les immenses difficultés fondamentales que présente
+l'hydrodynamique abstraite, comme nous l'avons reconnu en philosophie
+mathématique, on ne sera pas surpris que la partie de la barologie
+dynamique relative aux fluides soit encore si imparfaite, au moins sous
+le point de vue rationnel. Le cas des gaz, et surtout de l'air, est,
+d'abord, presque entièrement négligé, tant on a senti l'impossibilité
+d'y atteindre réellement. Quant aux liquides, il n'y a jusqu'ici
+d'analysé, d'une manière à quelques égards satisfaisante, que leur
+écoulement par de très petits orifices percés au fond ou sur les côtés
+des vases, c'est-à-dire le mouvement purement linéaire, dont l'étude
+mathématique a été faite par Daniel Bernouilli, d'après sa célèbre
+hypothèse du parallélisme des tranches. Son principal résultat a été de
+démontrer la règle, proposée empiriquement par Torricelli, sur
+l'évaluation de la vitesse du liquide à l'orifice, comme égale à celle
+d'un poids qui serait tombé de toute la hauteur du liquide dans le vase.
+Or, cette règle n'a été mise en harmonie avec l'observation, même
+lorsque le niveau est entretenu invariable, qu'à l'aide d'une sorte de
+fiction ingénieuse, suggérée par le singulier phénomène de la
+<i>contraction</i> de la veine fluide. Le cas du niveau variable est à peine
+ébauché, et à plus forte raison celui où l'on doit tenir compte de la
+forme et de la grandeur de l'orifice. Quant au mouvement à deux
+dimensions, et surtout quant au mouvement général en tous sens, qui a
+toujours lieu plus ou moins, leur théorie est encore entièrement dans
+l'enfance, quoiqu'elle ait été le sujet de travaux mathématiques fort
+étendus, dont quelques-uns ont une éminente valeur abstraite. Corancez a
+fait, dans ces derniers temps, une tentative très estimable pour
+appliquer à cette recherche difficile les perfectionnemens généraux
+introduits par Fourier dans l'analyse mathématique, à l'occasion de sa
+théorie thermologique.</p>
+
+<p>Les études expérimentales, d'ailleurs trop rares et surtout trop peu
+suivies, n'ont pas eu jusqu'ici, sous ces divers rapports, des résultats
+beaucoup plus satisfaisans, si ce n'est relativement à quelques données
+numériques. Elles ont été, en général, conçues dans un esprit trop
+subalterne envers les théories mathématiques, et entreprises
+ordinairement pour les vérifier. Or, les cas abstraits considérés par
+les géomètres diffèrent habituellement à tant de titres des cas réels,
+que cette confrontation est, en elle-même, fort délicate, et le plus
+souvent assez incertaine, vu l'embarras qu'on éprouve à démêler, parmi
+les circonstances que la théorie néglige, celles qui produisent
+principalement les écarts observés. Faut-il les rapporter à l'imparfaite
+fluidité du liquide, ou à son frottement contre les parois du vase, ou
+aux mouvemens obliques qui s'établissent dans l'intérieur de la masse
+fluide, etc.? C'est ce qui demeure ordinairement indécis. Néanmoins,
+cette importante branche de la barologie peut tirer un grand parti d'un
+système rationnel d'expérimentation, entre les mains de physiciens
+sachant bien apprécier la valeur réelle des théories mathématiques, sans
+s'exagérer leur portée. Mais il faut que les expériences soient
+instituées avec plus de génie, et d'une manière plus indépendante, afin
+d'éclaircir les nombreuses questions laissées intactes par la théorie.
+L'imperfection de cette partie de la science est fort sensible,
+lorsqu'on cherche à la faire correspondre aux grands cas naturels, non
+pas même aux mouvemens généraux de l'Océan ou de l'atmosphère, dont
+l'étude rationnelle doit encore être jugée trop peu accessible, mais
+seulement aux mouvemens des fleuves et des canaux, dont la théorie n'a
+guère dépassé aujourd'hui le degré de précision et de profondeur où
+l'avait laissée le judicieux Guglielmini, au milieu de l'avant-dernier
+siècle.</p>
+
+<p>Telles sont les considérations générales extrêmement sommaires
+auxquelles je dois me borner ici, sur les principales parties de la
+barologie, successivement examinées. Elles me paraissent suffire pour
+faire ressortir leur véritable esprit, ainsi que l'état présent de
+l'ensemble de chacune d'elles, et la nature des progrès qu'elles
+comportent. Quoique nous l'ayons reconnue très imparfaite à beaucoup
+d'égards, cette première branche de la physique n'en est pas moins,
+non-seulement la plus pure, mais aussi la plus riche: nous y avons
+fréquemment remarqué un caractère de rationnalité et un degré de
+coordination que seront loin de nous offrir les autres parties de la
+science. Son imperfection est même essentiellement relative à ce que
+nous y cherchons naturellement une consistance et une précision presque
+astronomiques, bien plus difficiles ici qu'à l'égard des phénomènes
+célestes, et que nous n'oserions demander au reste de la physique. La
+barologie a depuis long-temps pleinement atteint son état de positivité
+définitive; il n'y a pas une seule de ses nombreuses subdivisions qui ne
+soit au moins ébauchée; tous les moyens généraux d'investigation y ont
+été successivement introduits et appliqués: ainsi, ses progrès futurs ne
+dépendent désormais essentiellement que d'une harmonie plus complète
+entre ces divers moyens, et surtout d'une combinaison plus homogène et
+plus intime entre le génie mathématique et le génie physique.</p>
+
+
+<a name="l30" id="l30"></a>
+<br><hr class="full"><br>
+
+<h3>TRENTIÈME LEÇON.</h3>
+
+<br><hr class="short"><br>
+
+<p class="sml">Considérations générales sur la thermologie physique.</p>
+
+<p>Après les phénomènes de la gravité, ceux de la chaleur sont,
+incontestablement, les plus universels de tous les phénomènes physiques.
+Dans l'économie générale de la nature terrestre, morte ou vivante, leur
+fonction est aussi importante que celle des premiers, dont ils sont
+habituellement les principaux antagonistes. Si l'étude géométrique ou
+mécanique des corps réels est surtout dominée par la considération de la
+gravité, l'influence de la chaleur devient, à son tour, prépondérante,
+lorsqu'on envisage les modifications plus profondes, relatives ou à
+l'état d'agrégation, ou à l'intime composition des molécules; la
+vitalité, enfin, lui est essentiellement subordonnée. Quant à l'action
+de l'homme sur la nature, c'est une sage application de la chaleur qui
+la constitue principalement. Ainsi, après la barologie, aucune partie de
+la physique ne saurait mériter autant que la thermologie l'attention des
+esprits qui conçoivent l'ensemble de la philosophie naturelle.</p>
+
+<p>Les premières observations thermologiques, entreprises dans une
+intention scientifique, sont presque aussi anciennes que les découvertes
+de Stévin et de Galilée sur la pesanteur; puisque l'invention primitive
+du thermomètre remonte, comme on sait, au commencement du dix-septième
+siècle, et que l'illustre académie <i>del Cimento</i> n'a cessé de se livrer,
+avec un zèle persévérant, à l'étude de la chaleur, pendant toute la
+durée de sa trop courte existence. Il est néanmoins incontestable que,
+vu la complication supérieure de ses phénomènes, la thermologie a
+toujours été fort en arrière de la barologie. À la fin du dix-septième
+siècle, elle était encore si peu avancée, que les indications
+thermométriques ne pouvaient même être comparées, faute des deux points
+fixes, dont la nécessité fut alors signalée par Newton. Mais cette
+imperfection relative devient bien plus sensible en considérant surtout
+la nature si opposée des recherches dont ces deux branches de la
+physique étaient alors le sujet. Tandis que les physiciens avaient
+essentiellement renoncé, depuis long-temps, envers la pesanteur, à
+deviner la nature intime et le mode de production des phénomènes, pour
+se borner à en découvrir, par une observation rationnelle, les lois
+effectives, ils ne regardaient comme dignes de leur attention, dans
+l'étude plus difficile de la chaleur, que les tentatives chimériques sur
+la nature du feu, où les faits ne jouaient qu'un rôle pour ainsi dire
+épisodique. On voit encore, presque au milieu du siècle dernier,
+l'Académie des Sciences de Paris couronner, à ce sujet, des
+dissertations essentiellement métaphysiques, dont une entre autres,
+composée d'ailleurs avec un talent remarquable, était due à
+l'association de Voltaire avec Mme du Châtelet. C'est seulement pendant
+la dernière moitié de ce siècle, lorsque toutes les parties importantes
+de la barologie étaient déjà à peu près aussi développées
+qu'aujourd'hui, que la thermologie commença à prendre un caractère
+vraiment scientifique, en vertu de l'heureuse impulsion déterminée
+surtout par la découverte capitale de Black. Dès lors, l'analyse des
+phénomènes et la recherche de leurs relations ont attiré de plus en plus
+l'attention des physiciens, qui en ont fait enfin le principal objet de
+leurs travaux. Toutefois, ils n'ont pas encore entièrement renoncé aux
+hypothèses primitives sur la cause et l'essence du feu: seulement ils en
+ont subordonné l'usage à l'étude des phénomènes, que ces conceptions
+imaginaires sont destinées, dit-on, à faciliter. Mais, pour quiconque a
+suivi convenablement cette marche historique, une telle inversion des
+rôles, à l'égard d'hypothèses jadis souveraines, est un symptôme
+irrécusable de leur décadence définitive et prochaine. La haute
+influence des travaux de l'illustre Fourier doit nécessairement hâter
+beaucoup ici le développement naturel de la saine philosophie, comme je
+l'ai indiqué déjà dans l'avant-dernière leçon. Il est certain, en effet,
+que de toutes les branches de la physique encore envahies par cet esprit
+anti-scientifique, la thermologie est aujourd'hui la plus près
+d'échapper complétement à son influence. Cette importante réforme sera
+même accélérée par l'ébranlement que produit, depuis le commencement de
+ce siècle, le choc des deux principales hypothèses sur la nature de la
+chaleur, et qui tend à les discréditer également auprès des physiciens
+les plus rationnels.</p>
+
+<p>Entre toutes les branches de la physique auxquelles on applique
+l'analyse mathématique, l'étude des lois générales de la chaleur se
+distingue éminemment par le caractère spécial qu'y présente aujourd'hui
+cette application. En barologie, cette analyse remplit, il est vrai, une
+fonction parfaitement rationnelle, comme je l'ai montré dans la leçon
+précédente; mais son introduction n'y offrait aucune difficulté propre,
+puisque, après les découvertes physiques fondamentales, la théorie de la
+pesanteur rentrait d'elle-même dans le ressort de la mécanique
+rationnelle. Il en est essentiellement ainsi, quoiqu'à un degré moindre,
+pour l'acoustique. En électrologie, et même, à certains égards, en
+optique, on a bien tenté de procéder d'une manière analogue,
+c'est-à-dire d'y appliquer l'analyse mathématique en ramenant les
+questions à de simples recherches de mécanique générale; mais ce n'a pu
+être qu'en se fondant sur les hypothèses arbitraires des fluides et des
+éthers imaginaires, ce qui rend une telle application radicalement
+illusoire. Au contraire, la théorie analytique de la chaleur présente un
+caractère scientifique aussi satisfaisant que celles de la pesanteur et
+du son; et, néanmoins, elle ne pouvait être traitée comme une dépendance
+de la mécanique abstraite, à moins de faire reposer une telle relation
+sur de semblables chimères, ce qu'a si parfaitement évité son illustre
+fondateur. Cette théorie a donc exigé une conception spéciale et
+directe, ainsi qu'une analyse non moins nouvelle. Afin de faire mieux
+ressortir ces propriétés fondamentales, je consacrerai exclusivement la
+leçon suivante à l'examen philosophique de la thermologie mathématique,
+et je me bornerai dans la leçon actuelle à considérer seulement l'étude
+purement physique de la chaleur, qui doit d'ailleurs servir, évidemment,
+de base nécessaire et d'introduction naturelle à son étude mathématique.</p>
+
+<p>La thermologie physique se décompose rationnellement, suivant les
+phénomènes qu'elle envisage, en deux parties bien distinctes, quoique
+étroitement liées l'une à l'autre. Dans la première, on étudie les lois
+de l'action thermologique proprement dite; c'est-à-dire de l'influence
+mutuelle des corps pour faire varier leurs températures respectives,
+sans s'occuper des altérations qui en résulteront à d'autres égards. La
+seconde partie consiste, au contraire, dans l'étude de ces altérations,
+c'est-à-dire, des modifications ou même des changemens que la
+constitution physique des corps peut éprouver par suite de leurs
+variations de température, en s'arrêtant au degré où ces effets
+commenceraient à porter sur la composition moléculaire, et
+appartiendraient dès lors au domaine de la chimie<a id="footnotetag25" name="footnotetag25"></a>
+<a href="#footnote25"><sup class="sml">25</sup></a>. Considérons
+d'abord le premier ordre de phénomènes, dont l'analyse se réduit à la
+théorie de l'échauffement et du refroidissement.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote25"
+name="footnote25"><b>Note 25: </b></a><a href="#footnotetag25">
+(retour) </a> On admet souvent une troisième partie,
+ toutefois bien moins tranchée, relative aux sources de la
+ chaleur et du froid. Mais, en excluant les sources
+ chimiques, qui sont les principales, cette section rentre
+ essentiellement dans les deux autres, sauf le cas de la
+ production de la chaleur par le frottement, dont l'étude est
+ jusqu'ici fort imparfaite.
+</blockquote>
+
+<p>Entre deux corps, dont les températures, d'ailleurs quelconques, sont
+exactement égales, il ne se produit jamais aucun effet thermologique.
+L'action commence aussitôt que, par une cause quelconque, les
+températures deviennent inégales. Envisagée d'une manière générale, elle
+consiste en ce que le corps le plus chaud élève la température de
+l'autre, tandis que celui-ci abaisse celle du premier; en sorte que leur
+influence mutuelle tend à les ramener plus ou moins promptement à une
+température commune, intermédiaire entre les deux primitives. Quoique,
+le plus souvent, cet état final soit inégalement éloigné des deux
+extrêmes, l'action, convenablement estimée, n'en est pas moins, dans un
+tel ordre de phénomènes, parfaitement équivalente à la réaction en sens
+contraire. Examinons sommairement leurs principales lois, en les
+dégageant de toute intervention des hypothèses arbitraires par
+lesquelles on prétend encore les expliquer, et qui n'ont d'autre effet
+réel que d'en obscurcir la notion et d'en compliquer l'étude<a id="footnotetag26" name="footnotetag26"></a>
+<a href="#footnote26"><sup class="sml">26</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote26"
+name="footnote26"><b>Note 26: </b></a><a href="#footnotetag26">
+(retour) </a> Cette tendance aux entités, quoique
+ aujourd'hui fort affaiblie, est encore si prononcée chez la
+ plupart des physiciens actuels, qu'on a été sur le point, au
+ commencement de ce siècle, d'admettre définitivement, en
+ thermologie, comme on le fait en électrologie, deux fluides
+ imaginaires, l'un pour la chaleur, l'autre pour le froid, à
+ cause des phénomènes connus sous le nom de <i>réflexion du
+ froid</i>, qui, ayant été d'abord mal analysés, ne paraissaient
+ point suffisamment expliqués avec un fluide unique, dont on
+ a fini néanmoins par se contenter.
+</blockquote>
+
+<p>Il convient, pour cela, de distinguer, d'après tous les physiciens, deux
+cas essentiels, suivant que les corps agissent thermologiquement les uns
+sur les autres à des distances plus ou moins considérables, ou bien au
+contact immédiat. Le premier cas constitue ce qu'on nomme le
+<i>rayonnement</i> de la chaleur.</p>
+
+<p>La communication directe de la chaleur entre deux corps parfaitement
+isolés l'un de l'autre a été long-temps niée par des physiciens qui
+regardaient l'air, ou tout autre milieu, comme un intermédiaire
+indispensable. Mais elle est maintenant incontestable, puisque l'action
+thermologique s'accomplit même dans le vide; outre que le peu de densité
+et la faible conductibilité de l'air ne sauraient évidemment permettre
+d'expliquer, par sa seule intervention, les effets observés dans la
+plupart des cas ordinaires. Cette action, ainsi que celle de la gravité,
+s'étend sans doute à toutes les distances, conformément au rapprochement
+fondamental indiqué par Fourier entre ces deux grands phénomènes: car
+nous pouvons concevoir aujourd'hui les divers astres de notre monde,
+comme exerçant à cet égard une influence mutuelle appréciable; et même,
+la température propre à l'ensemble de notre système solaire paraît
+devoir être essentiellement attribuée à l'équilibre thermométrique vers
+lequel tendent toutes les parties de l'univers.</p>
+
+<p>La première loi générale relative à une telle action, consiste dans sa
+propagation constamment rectiligne. C'est ce fait capital qu'on a tenté
+de formuler, d'après l'hypothèse du fluide calorifique, par l'expression
+de <i>rayonnement</i>, qui indique le trajet des molécules du calorique, et
+qu'on a transportée ensuite à l'hypothèse de l'éther, où elle désigne
+les séries linéaires de vibrations. Mais la loi, en elle-même, est
+parfaitement indépendante de l'une ou l'autre supposition, et il importe
+beaucoup de l'en dégager, afin d'ôter à une vérité physique aussi
+essentielle l'apparence métaphysique d'une conception arbitraire. Cela
+n'empêche nullement de conserver l'expression utile de <i>rayon</i> de
+chaleur, pourvu qu'on la restreigne avec scrupule à désigner la droite
+suivant laquelle deux points agissent thermologiquement l'un sur
+l'autre; elle devient alors l'énoncé abstrait et concis de ce simple
+fait général, si fécond en applications importantes: c'est selon une
+telle droite que doivent être placés les corps susceptibles d'absorber
+la chaleur pour empêcher cette action mutuelle.</p>
+
+<p>Cette chaleur rayonnante peut être réfléchie comme la lumière, et
+conformément à la même règle, sous un angle de réflexion égal à celui
+d'incidence, comme le prouve la belle expérience des réflecteurs
+paraboliques. Quand elle est unie à la lumière, elle paraît éprouver les
+mêmes réfractions, sauf quelques différences notables qui seront
+indiquées ci-après: mais nous ignorons réellement s'il en est encore
+ainsi à l'égard de la chaleur obscure, vu la difficulté de distinguer
+suffisamment la chaleur simplement transmise par un corps intermédiaire
+de celle qui résulte de son propre échauffement.</p>
+
+<p>L'action thermologique que deux corps exercent directement l'un sur
+l'autre dépend certainement de leur distance mutuelle, de manière à
+s'affaiblir lorsque cette distance augmente. Ce décroissement paraît
+même varier plus rapidement que la distance: mais on ignore encore
+quelle est sa loi véritable. On le suppose habituellement en raison
+inverse du carré de la distance. Il y a lieu de penser, néanmoins, que
+ce mode de variation a été bien plus imaginé qu'aperçu, soit afin
+d'obtenir une loi analogue à celle de la pesanteur, soit surtout par
+suite de la considération métaphysique sur la loi absolue des émanations
+quelconques. Aucun système d'expériences n'a jamais été jusqu'ici
+convenablement institué et exécuté pour résoudre directement une telle
+question, que ne sauraient trancher, sans doute, des conjectures aussi
+hasardées, et sur laquelle Fourier s'est sagement abstenu de prononcer.</p>
+
+<p>Une autre condition générale relative à cette action thermologique,
+consiste dans la direction du rayonnement, envisagée, soit quant à la
+surface du corps échauffant, soit quant à celle du corps échauffé. Les
+expériences de M. Leslie, parfaitement confirmées d'ailleurs, comme
+l'indiquera la leçon suivante, par la théorie mathématique de la chaleur
+rayonnante, ont établi que, sous l'un ou l'autre rapport, l'intensité de
+l'action est d'autant plus grande que les rayons sont plus rapprochés de
+l'une ou de l'autre normale, et qu'elle varie proportionnellement au
+sinus de l'angle qu'ils forment avec chaque surface.</p>
+
+<p>Enfin, la différence des températures entre les deux corps considérés
+constitue le dernier élément fondamental, et le plus important de tous,
+en continuant à analyser le phénomène d'une manière entièrement
+générale. Quand cette différence n'est pas très grande, l'intensité du
+phénomène lui est exactement proportionnelle, d'après les expériences
+les plus précises; mais cette relation paraît cesser lorsque les
+températures deviennent extrêmement inégales, et l'on ignore jusqu'à
+présent quelle est alors la véritable loi, quoiqu'il ne soit pas douteux
+que l'action continue toujours à dépendre exclusivement de la
+température relative.</p>
+
+<p>Telles sont les lois élémentaires de l'influence thermologique mutuelle
+de deux corps quelconques, isolés l'un de l'autre, en supposant que la
+chaleur soit directement transmise. La chaleur lumineuse exigerait
+d'ailleurs une nouvelle distinction, relative à la couleur de la
+lumière; car les diverses parties du spectre solaire sont loin, comme on
+sait, de posséder au même degré la propriété d'échauffer. Mais, d'après
+les considérations très judicieuses présentées tout récemment à ce
+sujet, par M. Melloni, cette question réclame un examen plus approfondi,
+où l'on ait égard à l'action thermologique du prisme que la lumière a dû
+traverser avant de fournir le spectre solaire. Car suivant les
+expériences de ce physicien, le <i>maximum</i> de chaleur, que jusque alors
+on croyait invariablement fixé un peu au-delà des rayons rouges, passe
+successivement dans presque toutes les portions du spectre, en faisant
+convenablement varier la nature et même seulement les dimensions du
+prisme.</p>
+
+<p>Quand le rayonnement calorifique, au lieu d'être direct, s'effectue à
+travers un intermédiaire susceptible de le transmettre, les conditions
+fondamentales signalées ci-dessus se compliquent de nouvelles
+circonstances, jusqu'ici peu étudiées, relatives à l'action du corps
+interposé. On doit à Saussure une belle série d'expériences, toutefois
+trop peu variées, sur l'influence d'une suite d'enveloppes transparentes
+pour altérer notablement le mode naturel d'accumulation ou de
+déperdition de la chaleur, soit lumineuse, soit surtout obscure. Plus
+tard, M. Melloni a signalé une distinction essentielle, jusque alors
+méconnue, entre la transmission de la chaleur et celle de la lumière, en
+prouvant irrécusablement que les corps les plus diaphanes ne sont pas
+toujours ceux que la chaleur traverse le mieux, comme on le croyait
+habituellement avant lui.</p>
+
+<p>Quelque avantage que doivent trouver les physiciens, afin de mieux
+analyser les phénomènes thermologiques, à étudier le rayonnement de la
+chaleur à part de sa propagation au contact, il est néanmoins évident
+que, dans la nature, ces deux modes sont toujours et nécessairement
+liés, quoique à des degrés souvent fort inégaux. Car indépendamment de
+ce que l'air constitue presque toujours un intermédiaire inévitable, qui
+concourt à la production de l'équilibre thermométrique entre deux corps
+éloignés, on voit que c'est seulement l'état de la surface qui peut être
+déterminé par le simple rayonnement, soit que la température s'élève ou
+s'abaisse. Pour chacun des deux corps, les parties intérieures, qui
+contribuent aussi bien que les surfaces à l'état final, ne peuvent
+s'échauffer ou se refroidir que par voie de propagation contiguë et
+graduelle. Ainsi, l'étude de la chaleur rayonnante serait, par
+elle-même, insuffisante à analyser complétement aucun cas réel. De même,
+en sens inverse, outre que des circonstances artificiellement combinées
+peuvent seules mettre les deux corps à l'abri de tout rayonnement
+extérieur, leur action thermologique réciproque ne saurait avoir lieu au
+simple contact que dans les parties nécessairement limitées où cette
+contiguité existe, et le phénomène s'accomplit toujours inévitablement
+sous l'influence plus ou moins importante du rayonnement mutuel de tous
+les autres points des deux surfaces. Cette combinaison intime et
+permanente rend très difficile l'analyse exacte des deux modes
+fondamentaux de l'action thermologique, quoique leur distinction n'en
+soit pas moins réelle.</p>
+
+<p>Parmi les trois conditions générales indiquées ci-dessus, relativement à
+l'intensité de cette action quand elle s'exerce à distance, la
+différence des températures, qui constitue, il est vrai, la principale,
+est la seule qui se reproduise certainement et d'une manière identique à
+l'égard de la propagation de la chaleur par contiguïté. Puisque dans ce
+cas, les températures des parties simultanément considérées sont
+nécessairement beaucoup moins inégales, la loi qui fait croître
+l'influence thermologique proportionnellement à leur différence, peut
+même y être presque toujours regardée comme l'expression exacte de la
+réalité. Quant à la loi relative à la direction, elle paraît s'y
+maintenir aussi, sans qu'on ait pu toutefois s'en assurer formellement
+jusqu'ici. Mais celle qui concerne la distance doit s'y trouver
+totalement changée: car, d'une part, l'action des molécules presque
+contiguës ne saurait être à beaucoup près aussi grande que
+l'indiqueraient les variations qu'on éprouve tant que les distances
+restent appréciables; et, d'un autre côté, en comparant entre eux les
+divers petits intervalles, le décroissement est sans doute bien plus
+rapide qu'à l'égard des corps éloignés.</p>
+
+<p>Quel que soit le mode général suivant lequel s'accomplisse
+l'échauffement de l'un des corps et le refroidissement de l'autre,
+l'état final qui s'établit, conformément à ces lois fondamentales, est
+déterminé numériquement par trois coefficiens essentiels,
+particulièrement affectés à chaque corps naturel, comme l'est, en
+barologie, sa pesanteur spécifique, et qu'il faut maintenant
+caractériser.</p>
+
+<p>Avant Fourier, les physiciens avaient toujours confondu sous le nom
+commun de <i>conductibilité</i>, deux propriétés thermologiques très
+différentes, dont les divers degrés d'intensité sont bien loin de se
+correspondre exactement dans un grand nombre de cas: 1º la faculté pour
+chaque corps d'admettre, par sa surface, la chaleur extérieure, ou, en
+sens inverse, de laisser dissiper au dehors sa chaleur superficielle; 2º
+la facilité plus ou moins grande qu'il présente à propager graduellement
+dans l'intérieur de sa masse les changemens quelconques survenus à sa
+surface. Fourier a proposé de désigner ces deux qualités par les
+dénominations très expressives de <i>pénétrabilité</i> et de <i>perméabilité</i>,
+dont l'usage deviendra sans doute universel, quand on aura
+convenablement senti l'importance d'une telle distinction élémentaire.</p>
+
+<p>La conductibilité intérieure, ou perméabilité, ne dépend essentiellement
+que de la nature du corps et de son état d'agrégation. Elle peut
+présenter, d'un corps à un autre, d'immenses différences, dont les plus
+prononcées ont été reconnues de tout temps par tous les hommes, en
+opposant, par exemple, à la propagation si facile et si prompte de la
+chaleur dans l'intérieur de beaucoup de métaux, son mouvement si lent et
+si pénible dans le charbon, qui, incandescent en certains points, est à
+peine sensiblement échauffé à quelques centimètres de là. Elle varie
+d'une manière non moins évidente, avec la constitution physique des
+corps. La fluidité la diminue tellement, que des physiciens aussi
+éminens que Rumford ont pu aller jusqu'à en nier complétement
+l'existence dans les liquides, où la propagation de la chaleur serait
+ainsi uniquement attribuée à l'agitation intérieure qu'elle y produit
+nécessairement. Quoique des expériences décisives aient montré ensuite
+la fausseté de cette opinion, il est demeuré incontestable que la
+perméabilité proprement dite est extrêmement faible dans les liquides,
+et moindre encore dans les gaz.</p>
+
+<p>Quant à la conductibilité extérieure, ou pénétrabilité, elle varie sans
+doute suivant la nature des corps et leur état d'agrégation. Mais elle
+dépend, en outre, et principalement, des circonstances purement
+relatives à leur surface extérieure. On sait, par exemple, que la
+couleur seule de cette surface exerce, à cet égard, une très grande
+influence. Il en est encore ainsi de son degré de poli, de la manière
+plus ou moins régulière dont elle peut être rayée en divers sens, et de
+plusieurs autres modifications, insignifiantes en apparence, dont les
+effets généraux ont été soigneusement étudiés par les physiciens. Toutes
+ces variations se manifestent d'ailleurs identiquement, soit que le
+corps s'échauffe, soit qu'il se refroidisse. Enfin, la pénétrabilité est
+assujettie, par sa nature, à changer, pour une même surface,
+successivement exposée à l'action de divers milieux.</p>
+
+<p>En principe, les degrés si différens que peuvent nous offrir ces deux
+sortes de conductibilité ne sauraient influer, sans doute, sur l'état
+thermologique final qui tend à s'établir entre deux corps quelconques
+par suite de leur action mutuelle, mais seulement sur l'époque de son
+entier établissement dans chacun d'eux. Toutefois, comme les questions
+réelles deviennent souvent, à tous égards, de pures questions de temps,
+il est clair que, si ces inégalités sont très prononcées, elles doivent
+influer effectivement sur l'intensité même des phénomènes que nous
+observons. Si, par exemple, la perméabilité est assez faible pour qu'on
+ne puisse produire, en temps opportun, une température déterminée dans
+l'intérieur du corps sans appliquer à quelques parties de sa surface une
+chaleur capable de les fondre ou de les brûler, le phénomène ne pourra
+évidemment avoir lieu, à moins d'y employer un temps démesuré. En
+général, plus l'une et l'autre conductibilité seront parfaites, mieux
+les corps se conformeront réellement aux lois fondamentales de l'action
+thermologique, à distance, ou au contact. Il serait donc très important
+de mesurer exactement les valeurs effectives de ces deux coefficiens
+pour tous les corps étudiés. Malheureusement, ces évaluations sont
+jusqu'ici extrêmement imparfaites. On conçoit aisément que les
+expériences de conductibilité, d'ailleurs peu étendues, tentées avant la
+distinction élémentaire établie par Fourier, ne sauraient fournir, à cet
+égard, que des renseignemens fort équivoques, avec quelque soin qu'elles
+eussent été exécutées, puisque la pénétrabilité et la perméabilité y
+étaient toujours confondues. Il est difficile de les instituer de
+manière à apprécier sûrement l'influence précise propre à chacune de ces
+qualités. Toutefois, Fourier a indiqué, d'après sa thermologie
+mathématique, les moyens généraux d'évaluer directement la perméabilité,
+et, par suite, de mesurer indirectement la pénétrabilité, en
+défalquant, dans la conductibilité totale, jusque alors seule évaluée,
+la part de la première propriété. Mais l'application de ces procédés est
+encore à peine ébauchée.</p>
+
+<p>Une dernière considération spécifique, qui concourt, avec les deux
+précédentes, à régler, dans les différens corps, les résultats
+définitifs de leur action thermologique, résulte de ce que, soit sous le
+même poids, soit à volume égal, les diverses substances consomment des
+quantités distinctes de chaleur pour élever également leur température.
+Cette importante propriété, dont on n'a commencé à se faire une juste
+idée que dans la dernière moitié du siècle précédent, dépend
+essentiellement, comme la perméabilité, de la nature des corps et de
+leur constitution physique, quoique celle-ci y influe beaucoup moins:
+elle paraît, au contraire, tout-à-fait indépendante des circonstances
+superficielles qui font tant varier la pénétrabilité. On la désigne
+habituellement sous la dénomination assez heureuse de <i>chaleur
+spécifique</i>. Elle doit évidemment exercer une influence directe et
+inévitable sur la valeur de la température commune due à l'équilibre
+thermologique de deux corps quelconques, et qui ne saurait être
+également éloignée de leurs températures primitives, si, tout étant
+d'ailleurs parfaitement semblable, ils diffèrent sous ce seul rapport.
+L'évaluation exacte des chaleurs spécifiques a donc une très grande
+importance en thermologie. Les physiciens s'en sont convenablement
+occupés, et avec beaucoup de succès. La méthode primitive, imaginée par
+Crawford, et qu'on a nommée la <i>méthode des mélanges</i>, consiste
+précisément à comparer entre elles les différences de la température
+commune, une fois bien établie, aux deux températures initiales, pour
+des poids ou des volumes égaux des deux substances. Mais il est
+difficile d'obtenir ainsi des résultats bien précis, puisqu'il faudrait
+pour cela que le mélange et l'action fussent très rapides, et même que
+le vase et le milieu dans lesquels le phénomène s'accomplit fussent
+placés d'avance à cette température commune, condition évidemment
+impossible à remplir avec exactitude. Ce procédé n'est réellement
+applicable, d'une manière suffisamment approchée, que lorsque l'un des
+corps, au moins, est à l'état liquide; il a aussi été heureusement
+modifié à l'égard des gaz. La précieuse invention du calorimètre, par
+Lavoisier et Laplace, a fourni plus tard un moyen bien autrement exact,
+et surtout entièrement général, pour l'évaluation des chaleurs
+spécifiques. Il consiste à évaluer directement la quantité de chaleur
+consommée par un corps dans une élévation déterminée de sa température,
+d'après la quantité de glace que peut fondre la chaleur qu'il dégage, en
+revenant de la plus haute température à la plus basse. En prenant les
+diverses précautions nécessaires pour éviter toute action thermologique
+du vase et du milieu, ce que l'appareil permet aisément d'obtenir,
+l'exactitude d'un tel procédé ne laisse rien d'essentiel à désirer, si
+ce n'est envers les gaz, dont les chaleurs spécifiques sont jusqu'ici
+moins parfaitement connues.</p>
+
+<p>Tels sont les trois coefficiens fondamentaux servant à fixer les
+températures finales qui résultent de l'équilibre thermologique entre
+les différens corps. Il est naturel de les supposer d'abord
+essentiellement uniformes et constans, jusqu'à ce qu'une exploration
+plus approfondie ait dévoilé clairement aux physiciens les lois de leurs
+variations effectives. Néanmoins, il serait peu rationnel de concevoir
+la conductibilité comme nécessairement identique en tous sens, au moins
+dans un grand nombre de corps, dont la structure varie certainement
+suivant plusieurs directions distinctes. De même, pour la chaleur
+spécifique, il est évidemment très vraisemblable qu'elle éprouve des
+changemens notables à des températures fort écartées, et surtout dans le
+voisinage de celles qui déterminent un nouvel état d'agrégation, comme
+quelques expériences paraissent l'avoir déjà nettement indiqué.
+Toutefois, ces différentes modifications sont encore tellement
+incertaines et surtout si peu connues, que les physiciens ne sauraient
+être blâmés aujourd'hui de ne pas les prendre en considération
+habituelle.</p>
+
+<p>Caractérisons maintenant la seconde partie essentielle de la
+thermologie, celle qui concerne les altérations plus ou moins profondes
+déterminées par la chaleur dans la constitution physique des corps.</p>
+
+<p>Il n'y a peut-être aucun corps dont la structure ne soit, à quelques
+égards, modifiée pour toujours par une variation de température un peu
+considérable. Mais il ne saurait être ici question de ces changemens
+permanens, dont l'étude est d'ailleurs jusqu'à présent à peine
+effleurée, et ne se rattache encore à aucune notion générale. Ils
+appartiennent, par leur nature, à ce que j'ai nommé, au commencement de
+cet ouvrage, la <i>physique concrète</i>, c'est-à-dire à l'histoire
+naturelle du corps correspondant, et nullement à la physique abstraite,
+seul objet de notre examen philosophique. En tout cas, ils ne se
+rapporteraient point à la théorie de la chaleur, et rentreraient
+essentiellement dans l'étude mécanique des diverses situations
+d'équilibre stable propres à chaque système de molécules. Telles sont,
+par exemple, les influences si remarquables de la chaleur et du froid,
+pour changer notablement les divers degrés d'élasticité de plusieurs
+corps. Mais on ne doit considérer, en thermologie que les modifications,
+à la fois générales et passagères, que produit, dans un corps
+quelconque, une certaine variation de température, et qui sont détruites
+par la variation inverse. Or, en se restreignant, comme il convient, aux
+altérations purement physiques, il faut les distinguer en deux classes,
+suivant qu'elles se bornent à un simple changement de volume, ou
+qu'elles vont jusqu'à produire un nouvel état d'agrégation. Sous l'un ou
+l'autre point de vue, cette partie de la thermologie est certainement
+aujourd'hui celle qui laisse le moins à désirer.</p>
+
+<p>Quoique de tels phénomènes coexistent toujours, par leur nature, avec
+ceux de l'échauffement ou du refroidissement, ces deux ordres d'effets
+n'en sont pas moins parfaitement distincts, non-seulement, comme il est
+évident, quant aux circonstances qui les constituent, mais aussi quant
+à l'action thermologique qui les produit. Soit qu'il s'agisse d'une
+variation de volume ou d'un changement d'état, on doit les rapporter à
+une action thermologique tout-à-fait indépendante, dans sa loi et dans
+son degré, de celle d'où résulte la nouvelle température correspondante.
+Quand on échauffe un corps quelconque, l'élévation de la température
+n'est jamais déterminée que par une portion, souvent peu considérable,
+de la chaleur effectivement consommée, dont le reste, insensible au
+thermomètre, est absorbé pour modifier la constitution physique. C'est
+ce qu'on exprime ordinairement aujourd'hui en disant que cette partie de
+la chaleur est devenue <i>latente</i>, expression qui peut être conservée
+comme l'énoncé concis d'un fait capital, malgré qu'elle rappelle une
+hypothèse sur la nature de la chaleur. Telle est la loi fondamentale
+découverte par l'illustre Black, d'après l'observation des cas où elle
+était nécessairement irrécusable, c'est-à-dire, lorsqu'une modification
+physique très prononcée n'est accompagnée d'aucun changement de
+température dans le corps modifié, comme je l'indiquerai ci-dessous.
+Quand les deux effets coexistent, leur décomposition est beaucoup plus
+difficile à constater nettement, et surtout à mesurer, quoique toujours
+indiquée, au moins par l'analogie. On ignore d'ailleurs encore si elle
+suit constamment la même marche générale dans les différens corps, sauf
+la variété des coefficiens.</p>
+
+<p>Après cette importante notion préliminaire, commune aux deux ordres de
+modifications physiques produites par la chaleur, considérons les lois
+générales de chacun d'eux, et en premier lieu, des changemens de volume.</p>
+
+<p>En principe, tout corps homogène se dilate par la chaleur et se condense
+par le froid; il en est encore ainsi pour les corps hétérogènes, tels
+surtout que les tissus organisés, lorsqu'on envisage séparément leurs
+diverses parties constituantes. Cette règle élémentaire ne souffre
+d'exception qu'à l'égard d'un très petit nombre de substances, et
+seulement même dans une portion fort limitée de l'échelle
+thermométrique. Toutefois, comme la principale anomalie est relative à
+l'eau, elle acquiert, en histoire naturelle, une très grande importance.
+Mais elle ne saurait en avoir beaucoup dans la physique abstraite, si ce
+n'est par l'ingénieux parti que les physiciens ont su en tirer pour se
+procurer une unité de densité parfaitement invariable, et facile à
+reproduire avec exactitude, du moins quand l'eau est chimiquement pure.
+Néanmoins, ces diverses anomalies, quoique évidemment trop rares et trop
+circonscrites pour infirmer aucunement la loi générale, sont très
+propres, sous le point de vue philosophique, à vérifier, d'une manière
+fort sensible, l'insuffisance radicale des conceptions chimériques par
+lesquelles on prétend expliquer <i>à priori</i> ces dilatations et ces
+contractions, puisque, d'après de telles hypothèses, toute augmentation
+de température devrait toujours produire un accroissement de volume, et
+toute diminution un décroissement, sans que l'inverse pût jamais avoir
+lieu.</p>
+
+<p>Les solides se dilatent, en général, beaucoup moins que les liquides
+pour une même élévation de température, et ceux-ci, à leur tour, moins
+que les gaz, non-seulement lorsqu'un même corps passe successivement par
+ces trois états, mais aussi en comparant des substances différentes.</p>
+
+<p>La dilatation des solides, quoique peu prononcée, s'effectue avec une
+parfaite uniformité, du moins entre les limites où elle a été examinée,
+et qui sont, il est vrai, fort éloignées, ordinairement, du point de
+leur fusion. Elles n'ont encore été exactement appréciées qu'envers un
+très petit nombre de corps.</p>
+
+<p>On a plus complétement étudié la dilatation des liquides, dont les lois
+avaient naturellement une importance si fondamentale, à cause de la
+vraie théorie du thermomètre, sans laquelle toutes les explorations
+thermologiques seraient radicalement équivoques<a id="footnotetag27" name="footnotetag27"></a>
+<a href="#footnote27"><sup class="sml">27</sup></a>. La belle série
+d'expériences de MM. Dulong et Petit a pleinement démontré que, dans une
+étendue de plus de trois cents degrés centigrades, la dilatation du
+mercure suit une marche exactement uniforme, c'est-à-dire que des
+accroissemens égaux de volume sont toujours produits par des quantités
+de chaleur susceptibles de fondre des poids égaux de glace à zéro. On a
+tout lieu de penser qu'il en est ainsi d'un liquide quelconque, entre
+des limites sensiblement différentes de sa congélation et de son
+ébullition, quoique aucun autre cas n'ait été exploré jusqu'ici avec
+cette admirable circonspection et cette précision presque astronomique
+qui caractérisent si éminemment le mode général d'expérimentation de ces
+deux illustres physiciens.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote27"
+name="footnote27"><b>Note 27: </b></a><a href="#footnotetag27">
+(retour) </a> Pour compléter une pensée que j'ai déjà eu
+ l'occasion d'indiquer dans la leçon précédente, on doit
+ remarquer, en général, que chaque branche principale de la
+ physique peut être envisagée comme consistant
+ essentiellement tout entière dans la théorie exacte et
+ approfondie de quelque instrument capital. Cela est évident
+ ici au sujet de la théorie du thermomètre, à laquelle
+ aboutissent directement toutes les parties importantes de la
+ thermologie physique, et qui comporte même, à plusieurs
+ égards, une utile application de la thermologie
+ mathématique. Pareillement, la théorie du pendule et celle
+ du baromètre se rapportent naturellement à l'ensemble de la
+ barologie. Il en est évidemment ainsi en optique, pour la
+ théorie des divers télescopes ou microscopes; et, en
+ électrogie, pour celles de la machine électrique, de la pile
+ voltaïque et de la boussole. La naissance de chaque branche
+ se manifeste toujours par la création de quelque instrument
+ fondamental; et elle aurait atteint essentiellement son
+ entière perfection, si elle était parvenue à en établir une
+ théorie complète et précise.
+</blockquote>
+
+<p>C'est dans les gaz que la dilatation s'opère avec la plus parfaite
+régularité, en même temps qu'elle y est beaucoup plus prononcée.
+Non-seulement elle s'y fait toujours par degrés égaux, comme on le voit
+le plus souvent dans les liquides et les solides: mais en outre, tandis
+que, pour ceux-ci, son coefficient varie extrêmement d'un corps à un
+autre, sans relation fixe à aucun caractère, même thermologique, il a,
+au contraire, une valeur identique envers tous les gaz. Quoique ceux-ci
+diffèrent entre eux presque autant que les divers solides ou liquides,
+soit quant à la densité, ou à la chaleur spécifique, ou à la
+perméabilité, tous se dilatent néanmoins uniformément et également, leur
+volume augmentant toujours des trois huitièmes depuis la température de
+la glace fondante jusqu'à celle de l'eau bouillante. À cet égard, comme
+sous beaucoup d'autres points de vue physiques, les vapeurs se
+comportent exactement comme les gaz proprement dits. Telles sont les
+lois générales éminemment simples de la dilatation des fluides
+électriques, découvertes à la fois, au commencement de ce siècle, par M.
+Gay-Lussac à Paris, et par M. Dalton à Manchester.</p>
+
+<p>Considérons enfin les changemens généraux produits par la chaleur dans
+l'état d'agrégation des corps.</p>
+
+<p>La solidité et la fluidité, si long-temps envisagées comme des qualités
+absolues, sont, au contraire, reconnues désormais, depuis les premiers
+progrès de la philosophie naturelle, comme des états purement relatifs,
+qui dépendent nécessairement de plusieurs conditions variables, parmi
+lesquelles l'influence de la chaleur ou du froid constitue la plus
+générale et la plus puissante. Quoique plusieurs solides n'aient pu être
+encore liquéfiés, il n'est pas douteux maintenant que tous deviendraient
+fusibles si l'on pouvait produire en eux une température assez élevée,
+sans les exposer néanmoins à aucune altération chimique. De même, en
+sens inverse, on avait regardé, jusqu'à ces derniers temps, tous les gaz
+proprement dits comme devant conserver toujours leur élasticité, à
+quelque degré de refroidissement ou de pression qu'ils fussent soumis:
+on sait aujourd'hui que la plupart d'entre eux deviennent aisément
+liquides, quand on les saisit à l'état naissant, d'après les
+intéressantes expériences de M. Bussy et de M. Faraday; il y a tout lieu
+de penser dès lors que, par une combinaison convenable de froid et de
+pression, on pourrait encore les liquéfier constamment, même quand ils
+sont pleinement développés. Les diverses substances ne se distinguent
+donc réellement à cet égard que par les différentes parties de l'échelle
+thermométrique indéfinie auxquelles correspondent leurs états
+successifs, solide, liquide et gazeux. Mais cette simple inégalité n'en
+constitue pas moins un caractère fort important, qui n'est encore
+exactement rattaché d'une manière fixe à aucune autre propriété
+fondamentale de chaque substance. La relation la plus évidente et la
+moins sujette à des anomalies, est avec la densité: tous les gaz sont,
+en général, moins denses que les liquides, et ceux-ci que les solides.
+Le second cas offre néanmoins plusieurs exceptions très notables; et,
+quoiqu'on n'en connaisse aucune pour le premier cas, cela tient
+peut-être uniquement à ce que les gaz n'ont pu être observés jusqu'ici
+dans des circonstances suffisamment variées, surtout relativement à la
+pression. Quant aux trois états d'une même substance, il y a toujours
+raréfaction dans la fusion des solides et dans la vaporisation des
+liquides; sauf quelques anomalies très rares, quoique fort importantes
+pour la physique concrète, constamment relatives au premier phénomène.</p>
+
+<p>Tous ces divers changemens d'état ont été assujettis par l'illustre
+Black, à une grande loi fondamentale, qui constitue l'une des plus
+admirables découvertes de la philosophie naturelle, tant par son extrême
+importance que par sa rigoureuse universalité, que toutes les
+expériences des physiciens ont, depuis un demi-siècle, irrévocablement
+constatée. Elle consiste en ce que, dans le passage de l'état solide à
+l'état liquide, et de celui-ci à l'état gazeux, un corps quelconque
+absorbe toujours une quantité de chaleur plus ou moins notable, sans
+élever sa température; tandis que le passage inverse détermine
+constamment, au contraire, un dégagement de chaleur exactement
+correspondant à cette absorption. Ainsi, par exemple, la liquéfaction
+d'une masse de glace à zéro, sans aucun accroissement de température,
+exige l'absorption de toute la quantité de chaleur que renferme une
+masse égale d'eau à 75 degrés centigrades; et une masse d'eau à 100
+degrés ne peut se vaporiser, quoiqu'elle ne s'échauffe pas, qu'en
+absorbant 660 fois plus de chaleur qu'il n'en faudrait pour élever d'un
+degré la température d'un poids égal d'eau liquide. Cette chaleur
+latente, qui redevient sensible au thermomètre dans le phénomène
+inverse, a été soigneusement mesurée par les physiciens à l'égard des
+principales substances naturelles, surtout à l'aide du calorimètre. On
+ignore encore si elle est rigoureusement fixe, c'est-à-dire si elle est
+toujours exactement indépendante des circonstances quelconques qui
+peuvent éloigner ou avancer artificiellement le degré ordinaire de
+l'échelle thermométrique où s'effectue le changement d'état. Le cas le
+mieux étudié, à cet égard, est celui de la vaporisation de l'eau, dont
+la température normale peut être si aisément augmentée ou diminuée en
+faisant varier la pression: l'opinion la plus accréditée aujourd'hui,
+quoiqu'elle soit loin, ce me semble, d'avoir obtenu encore l'assentiment
+unanime des physiciens, consiste à regarder la chaleur latente
+nécessaire à cette vaporisation comme parfaitement constante, à quelque
+température que le phénomène s'accomplisse.</p>
+
+<p>Ces dégagemens et ces absorptions de chaleur constituent évidemment,
+après les phénomènes chimiques, les plus grandes sources de la chaleur
+et du froid. Sous ce dernier rapport surtout, c'est par une
+vaporisation, rendue artificiellement très rapide, dans la belle
+expérience de M. Leslie, qu'ont été produites les plus basses
+températures que nous connaissions. D'illustres philosophes naturels ont
+même pensé que la chaleur, si abondamment dégagée dans la plupart des
+fortes combinaisons chimiques, ne saurait jamais provenir que des divers
+changemens d'état qui en résultent ordinairement. Mais cette opinion,
+quoique vraie pour un très grand nombre de cas, ne peut plus être érigée
+aujourd'hui en un principe général, comme nous le reconnaîtrons dans le
+volume suivant, à cause des exceptions capitales et incontestables qui
+la contredisent trop fréquemment.</p>
+
+<p>Tel est, en aperçu, l'ensemble de la thermologie physique, envisagée
+successivement sous tous ses divers aspects fondamentaux. Je crois
+devoir en outre classer à sa suite, comme un appendice naturel et
+indispensable, l'étude des lois relatives à la formation et à la tension
+des vapeurs, et par suite l'hygrométrie. Cette importante théorie
+constitue en effet, envers les liquides, le complément nécessaire de la
+doctrine des changemens d'état. Elle ne saurait, évidemment, être
+rattachée à aucune autre branche principale de la physique; or, d'un
+autre côté, son étendue n'est pas assez grande, et surtout, son
+caractère propre est trop peu tranché, pour qu'elle puisse constituer,
+par elle-même, une branche essentiellement distincte: c'est donc ici
+son lieu rationnel.</p>
+
+<p>Saussure a fait rentrer irrévocablement dans le domaine de la physique
+le phénomène général de l'évaporation, regardé avant lui comme une sorte
+d'effet chimique, puisqu'on l'attribuait à l'action dissolvante de l'air
+sur les liqueurs. Il a montré que l'influence de l'air était alors
+purement mécanique; et que, loin de favoriser l'évaporation, la pression
+atmosphérique faisait, au contraire, toujours obstacle à sa rapidité;
+sauf, bien entendu, ce qui tient au renouvellement du milieu ambiant.
+Toutefois, cette étude n'est aujourd'hui vraiment complète que lorsque
+les vapeurs se forment dans un espace circonscrit. Saussure a trouvé
+alors que la quantité de vapeur formée, en un temps donné, à une
+température déterminée, dans un espace défini, est toujours la même soit
+que cet espace ait été entièrement vidé d'air ou rempli d'un gaz
+quelconque; il en est ainsi encore de l'élasticité de la vapeur dégagée.
+La masse et la tension de cette vapeur croissent d'ailleurs sans cesse
+avec la température; sans qu'il paraisse exister toutefois aucun degré
+de froid susceptible d'annuller complétement cet important phénomène,
+puisque la glace elle-même produit une vapeur appréciable à
+l'exploration délicate de la physique actuelle, quoique sa force
+élastique soit extrêmement petite. On ignore suivant quelle loi exacte
+l'accroissement de la température accélère l'évaporation, du moins tant
+que le liquide reste au-dessous de son terme d'ébullition. Mais les
+physiciens se sont occupés soigneusement et avec succès des variations
+qu'éprouve l'élasticité de la vapeur produite.</p>
+
+<p>À cet égard, les différens liquides offrent d'abord un point de départ
+commun, nettement caractérisé: c'est la température propre à
+l'ébullition de chacun d'eux, si bien marquée par l'immobilité du
+thermomètre, en vertu de l'absorption de chaleur qu'exige le changement
+d'état. Au moment de l'ébullition, la tension de la vapeur formée,
+jusque alors graduellement accrue, à mesure que la température
+s'élevait, est nécessairement devenue toujours égale, pour un liquide
+quelconque, à la pression atmosphérique; ce que l'expérience directe
+peut d'ailleurs confirmer exactement. Or, à partir d'une telle origine,
+l'illustre M. Dalton, dont tous les divers travaux scientifiques ont
+constamment présenté à un si haut degré l'indice du véritable esprit
+philosophique, a découvert cette loi importante, vérifiée jusqu'ici par
+l'ensemble des observations: les vapeurs émanées de tous les divers
+liquides ont des tensions continuellement égales entre elles, à des
+températures équidistantes des termes d'ébullition correspondans, quel
+que soit d'ailleurs le sens de la différence. Ainsi, par exemple,
+l'ébullition de l'eau ayant lieu à 100 degrés, et celle de l'alcool à 80
+degrés, les deux vapeurs, qui ont alors la même tension, équivalente à
+la pression de l'atmosphère, auront encore des élasticités égales,
+d'ailleurs supérieures ou inférieures à la précédente, quand on fera
+varier ces deux températures caractéristiques d'un même nombre
+quelconque de degrés. Le nombre des liquides connus a déjà beaucoup
+augmenté par les travaux des chimistes, depuis l'époque de cette belle
+découverte; et ces épreuves inopinées n'ont fait jusqu'ici qu'en
+constater l'exactitude générale. Il est à regretter, pour la perfection
+rationnelle d'une telle étude, que le génie systématique de M. Dalton ne
+se soit pas appliqué avec persévérance à saisir une harmonie quelconque
+entre les températures d'ébullition propres aux différens liquides, sous
+la pression ordinaire de l'atmosphère, et toute autre de leurs qualités
+physiques essentielles: mais jusqu'ici aucune relation analogue n'a été
+généralement aperçue, et ces températures semblent encore tout-à-fait
+incohérentes, quoique leur fixité doive d'ailleurs les faire envisager
+comme d'importans caractères.</p>
+
+<p>Quoi qu'il en soit, la loi de M. Dalton permet, évidemment, de
+simplifier à un très haut degré la recherche générale du mode suivant
+lequel la tension des vapeurs varie d'après leur température, puisqu'il
+suffit dès lors d'analyser ces variations dans une seule vapeur pour
+qu'elles soient aussitôt connues dans toutes. La suite d'expériences
+entreprises à cet effet sur la vapeur d'eau par M. Dalton lui-même,
+avait indiqué une règle fort simple, qui consistait à faire croître la
+tension en progression géométrique, pour des augmentations égales dans
+la température. Mais les mesures postérieures, soigneusement exécutées
+par plusieurs physiciens, ont montré que cette formule ne pouvait être
+regardée comme une approximation suffisante qu'en s'écartant de la
+température d'ébullition. M. Dulong a établi depuis, d'après une suite
+beaucoup plus étendue d'expériences fort exactes, une nouvelle loi
+empirique, qui correspond jusqu'ici, de l'aveu unanime des physiciens, à
+l'ensemble des observations: on y fait croître la force élastique de la
+vapeur proportionnellement à la sixième puissance d'une fonction du
+premier degré de la température. Quelques géomètres avaient essayé de
+déterminer <i>à priori</i> la loi rationnelle; mais ces tentatives, beaucoup
+trop hypothétiques, n'ont conduit qu'à des formules infirmées presque à
+chaque instant par les observations directes.</p>
+
+<p>L'étude de l'équilibre hygrométrique entre les différens corps humides,
+constitue un prolongement naturel de la théorie générale de
+l'évaporation. Cette importante recherche, dont Saussure et Deluc se
+sont tant occupés, a conduit, par leurs travaux, à un instrument fort
+précieux. Mais, quoique l'établissement nécessaire d'un tel équilibre
+soit maintenant facile à concevoir d'une manière générale, nous n'avons
+encore que des notions vagues et imparfaites sur les lois qui le
+régissent, même dans le cas d'un corps plongé dans un milieu indéfini,
+qu'on a presque exclusivement considéré, et dont l'importance est, à la
+vérité, prépondérante. La prévision, qui, en tout genre, est la mesure
+exacte de la science, devient ici à peu près nulle jusqu'à présent.</p>
+
+<p>La faible influence des actions hygrométriques dans l'ensemble des
+phénomènes de la nature inorganique, contribue beaucoup sans doute au
+peu d'intérêt qu'une telle étude inspire habituellement aux physiciens.
+Mais, en considérant sous un point de vue général le système entier de
+la philosophie naturelle, on reconnaîtrait, au contraire, la haute
+importance de cette théorie à l'égard des phénomènes vitaux, comme
+j'aurai soin de le faire ressortir dans le volume suivant. D'après le
+bel aperçu de M. de Blainville, l'action hygrométrique constitue
+réellement, dans les corps vivans, le premier degré général et le mode
+le plus élémentaire de leur nutrition, comme la capillarité y est le
+germe des plus simples mouvemens organiques. L'imperfection actuelle de
+ces deux subdivisions de la physique est donc, sous ce rapport capital,
+extrêmement regrettable. On a ici l'occasion de vérifier expressément,
+comme je l'ai indiqué dès le début de cet ouvrage, combien l'instruction
+trop étroite de presque tous ceux qui cultivent aujourd'hui la
+philosophie naturelle, et les habitudes trop subalternes qui en
+résultent pour leur intelligence, sont directement nuisibles aux progrès
+effectifs des diverses sciences. Deux études fort importantes, que les
+physiciens peuvent seuls perfectionner convenablement, se trouvent
+néanmoins très négligées, uniquement parce que leur principale
+destination concerne une autre partie fondamentale du système
+scientifique général.</p>
+
+<p>Je me suis efforcé, par les diverses considérations sommairement
+indiquées dans cette leçon, de caractériser le véritable esprit de la
+thermologie, envisagée sous tous ses aspects principaux. La nature de
+cet ouvrage interdisait évidemment de mentionner ici, soit la théorie
+des différens instrumens essentiels créés par le génie des physiciens et
+inspirés par le besoin de perfectionner les explorations, soit les
+nombreux moyens de vérification qui garantissent aujourd'hui la
+précision des résultats obtenus. Je ne pouvais pas même signaler ces
+résultats, en ce qu'ils offrent de spécial, et je devais me borner
+strictement à l'appréciation philosophique de leurs conséquences
+générales. Quelque imparfait que soit nécessairement ce rapide examen,
+il fera concevoir, j'espère, les vrais caractères essentiels propres à
+l'ensemble de cette belle partie de la physique; il indiquera la liaison
+rationnelle des divers ordres de recherches qui la composent, ainsi que
+le degré de perfection où chacun d'eux est aujourd'hui parvenu, et les
+principales lacunes qu'il laisse encore à remplir.</p>
+
+<p>Afin de compléter réellement cette analyse philosophique de la
+thermologie, il est maintenant indispensable d'examiner avec soin,
+quoique d'une manière générale, dans la leçon suivante, comment la
+partie la plus simple et la plus fondamentale des phénomènes de la
+chaleur, a pu être ramenée, par le génie de Fourier, à une admirable
+théorie mathématique.</p>
+
+
+<a name="l31" id="l31"></a>
+<br><hr class="full"><br>
+
+<h3>TRENTE-UNIÈME LEÇON</h3>
+
+<br><hr class="short"><br>
+
+<p class="sml">Considérations générales sur la thermologie mathématique.</p>
+
+<p>D'après la leçon précédente, on considère, en thermologie, deux ordres
+principaux de phénomènes: les premiers, directement relatifs à l'action
+thermologique proprement dite, consistent dans le mode suivant lequel
+certains corps quelconques s'échauffent tandis que d'autres se
+refroidissent, en vertu de leurs diverses influences mutuelles, à
+distance ou au contact, fondées sur l'inégalité de leurs températures;
+les seconds se rapportent, au contraire, aux modifications plus ou moins
+profondes et plus ou moins éloignées que le nouvel état thermométrique
+de chaque corps fait nécessairement éprouver à sa constitution physique
+primitive. Ces derniers phénomènes ne sauraient être jusqu'ici l'objet
+d'aucune théorie mathématique, si ce n'est par l'intervention illusoire
+des fluides ou des éthers imaginaires, et l'on ne conçoit pas même,
+d'une manière nette, comment ils pourraient jamais y être réellement
+assujettis, quoique rien, sans doute, n'en doive indiquer
+l'impossibilité radicale. Ainsi, la thermologie mathématique embrasse
+exclusivement aujourd'hui les phénomènes du premier genre, dont elle est
+destinée à compléter et à perfectionner l'étude fondamentale.</p>
+
+<p>On conçoit, en effet, que la thermologie physique, ci-dessus examinée,
+puisse nous conduire jusqu'à connaître selon quelles lois la température
+s'élève successivement sur la surface extérieure de l'un des deux corps,
+et s'abaisse sur celle de l'autre, par suite de leur action réciproque.
+Mais là s'arrête évidemment, en général, par la nature même de cette
+question physique, le domaine de l'exploration directe; et, néanmoins,
+une semblable étude ne saurait être envisagée comme vraiment complète
+que dans le cas purement idéal d'un point géométrique. Comment la
+chaleur, une fois introduite dans un corps par son enveloppe extérieure,
+se propage-t-elle peu à peu en tous les points de sa masse, de manière à
+assigner à chacun d'eux, pour un instant désigné, une température
+déterminée; ou, en sens inverses, comment cette chaleur intérieure se
+dissipe-t-elle au dehors, à travers la surface, par une déperdition
+graduelle et continue? C'est ce qu'il faudrait évidemment renoncer à
+connaître avec exactitude, si l'analyse mathématique, prolongement
+naturel de l'observation immédiate devenue impossible, ne venait ici
+permettre à notre intelligence de contempler, par une exploration
+indirecte, les lois suivant lesquelles s'accomplissent ces phénomènes
+internes, dont l'étude semblait devoir nous être nécessairement
+impénétrable. Telle est la destination essentielle de la doctrine
+admirable que nous devons au beau génie du grand Fourier, et qu'il
+s'agit maintenant de caractériser nettement dans son ensemble.</p>
+
+<p>Cette doctrine comprend deux parties générales bien distinctes: l'une,
+relative aux lois de la propagation proprement dite de la chaleur, d'une
+manière graduelle et continue, par voie de contiguïté immédiate;
+l'autre, qui concerne la théorie de l'action thermologique exercée à des
+distances quelconques, ou l'analyse du rayonnement. Je considérerai
+surtout, et d'abord, la première partie, principal objet des travaux de
+Fourier, et qui constitue, en effet, par sa nature, l'étude la plus
+fondamentale.</p>
+
+<p>Afin de mieux circonscrire le sujet propre et essentiel de notre examen
+philosophique, il faut, enfin, décomposer cette étude en deux branches
+fort différentes, suivant qu'on envisage les lois de la propagation
+graduelle de la chaleur dans les solides ou dans les fluides. Outre que
+le premier cas est jusqu'ici le seul réellement exploré, c'est
+nécessairement celui où ces lois peuvent être contemplées dans toute
+leur pureté élémentaire. Quant aux masses fluides, la température
+effective de chacun de leurs points, à une époque donnée, ne tient pas
+seulement à l'action thermologique que les diverses molécules exercent,
+de proche en proche, les unes sur les autres; elle est surtout, en
+réalité, comme l'expérience le montre clairement, le résultat des
+mouvemens plus ou moins rapides que l'inégalité des températures fait
+naître inévitablement dans l'intérieur du système: en sorte que les
+recherches purement thermologiques se compliquent de questions
+hydrodynamiques, dont elles sont nécessairement inséparables. À la
+vérité, Fourier a su étendre à ce cas difficile sa théorie fondamentale,
+du moins en ce qui concerne les équations différentielles du problème.
+Mais, on conçoit que, la simple étude analytique des mouvemens réels
+produits dans les fluides par la seule pesanteur étant jusqu'ici,
+d'après la vingt-neuvième leçon, presque inextricable, la question, bien
+plus difficile, de la propagation mathématique de la chaleur y sera
+long-temps encore essentiellement inaccessible. Du reste, il convient
+d'observer que c'est principalement envers les gaz que les hautes
+difficultés propres à une telle recherche se trouvent profondément
+combinées, dans le cas, par exemple, des températures atmosphériques.
+Car les liquides pouvant être échauffés, dans les expériences des
+physiciens, de manière à prévenir la formation des courans intérieurs,
+ils constituent par leur nature, à cet égard comme à tant d'autres, une
+sorte d'intermédiaire entre le cas des solides et celui des gaz.
+Quoiqu'un tel mode d'échauffement soit, sans doute, essentiellement
+artificiel, son observation exacte et approfondie n'en serait pas moins
+très précieuse, par la facilité que procure l'état fluide de mesurer
+directement les températures internes, et de vérifier ainsi, d'une
+manière fort sensible, les lois fondamentales de la propagation de la
+chaleur, qui doit alors s'accomplir presque aussi régulièrement que si
+la masse était solide. Néanmoins, c'est, évidemment, au seul cas des
+solides que nous devons ici restreindre nos considérations générales.</p>
+
+<p>Le phénomène fondamental de la diffusion de la chaleur dans l'intérieur
+d'une masse solide par la seule action graduelle et continue de ses
+molécules consécutives, est toujours modifié nécessairement par deux
+sortes de conditions générales, qu'il faut d'abord caractériser, afin
+que l'ensemble du problème soit nettement défini. Les unes se rapportent
+à l'état initial arbitraire, qui, dans chaque cas particulier, détermine
+la température primitive propre à un point quelconque du corps. Les
+autres concernent l'état thermométrique de la surface extérieure, en
+vertu de l'action, variable ou constante, inégale ou commune, du système
+ambiant. Ces deux ordres de données sont indispensables pour fixer
+exactement, à l'égard de chaque question spéciale, l'interprétation
+analytique de l'équation fondamentale de la propagation de la chaleur,
+qui, par son extrême généralité nécessaire, ne saurait renfermer aucune
+trace immédiate, ni de l'état initial propre aux diverses molécules, ni
+des circonstances permanentes particulières à l'enveloppe. Mais, par
+cela même que ces conditions sont essentiellement modificatrices, il
+importe de considérer, avant tout, la loi principale; quoique, en
+elle-même, elle ne puisse avoir de relation directe qu'avec un phénomène
+purement abstrait, dont l'entière réalisation immédiate ne saurait avoir
+lieu que dans le seul cas d'une masse solide indéfinie en tous sens.</p>
+
+<p>Quant à l'objet analytique d'une telle recherche, il consiste toujours à
+découvrir la fonction qui exprime, à tout instant, la température d'un
+point quelconque de la masse solide. Cette fonction se rapporte donc, en
+général, à quatre variables indépendantes, puisque, outre le temps, elle
+doit contenir les trois coordonnées géométriques de chaque molécule:
+cependant, le nombre des variables est souvent réductible à trois, ou
+même à deux, quand la forme du corps et son mode d'échauffement
+permettent de supposer que la température change uniquement d'après une
+seule coordonnée.</p>
+
+<p>Il paraîtrait d'abord nécessaire de distinguer deux cas essentiels dans
+la question fondamentale, suivant qu'on examine l'état variable des
+températures successives, ce qui constitue l'étude la plus complète, ou
+qu'on se borne à considérer l'état permanent vers lequel tend finalement
+l'ensemble de ces températures, sous l'influence d'une cause quelconque
+constante. Le système approche toujours très rapidement de ce dernier
+état, et d'autant plus que la perméabilité est plus parfaite, quoiqu'il
+ne pût jamais y atteindre rigoureusement que dans un temps indéfini.
+Quand on l'envisage isolément, la fonction cherchée, qui devient alors
+indépendante du temps, peut se réduire, dans les cas les plus simples,
+à ne contenir qu'une seule variable. Ce problème est susceptible, sans
+doute, d'être étudié, jusqu'à un certain point, indépendamment du
+premier, comme l'avait fait l'illustre Lambert à l'égard des
+températures permanentes d'une barre prismatique dont une extrémité est
+soumise à l'action d'un foyer constant. Mais une telle étude serait
+évidemment très imparfaite, et surtout peu rationnelle, puisque l'état
+final ne saurait être bien conçu qu'à la suite des modifications
+successives qui l'ont graduellement produit. On ne doit donc pas traiter
+cette question séparément de l'ensemble du problème; elle constitue
+seulement une des conséquences générales les plus importantes de la
+solution totale.</p>
+
+<p>Relativement à la loi physique élémentaire, base nécessaire de cette
+théorie mathématique, elle consiste à supposer toujours l'intensité de
+l'action thermologique proportionnelle à la différence des températures,
+sans qu'on ait d'ailleurs besoin de rien préjuger habituellement quant
+au mode suivant lequel elle dépend de la distance. Si cette
+proportionnalité n'était point admise, il importe de remarquer, avant
+tout, que le véritable esprit fondamental de la doctrine générale créée
+par Fourier n'en saurait être aucunement altéré, ce que les physiciens
+ont quelquefois trop méconnu; mais l'obligation d'introduire, dans les
+élémens de cette doctrine, une fonction nouvelle et moins simple,
+compliquerait nécessairement beaucoup les équations différentielles, et
+pourrait ainsi rendre inextricables les difficultés purement
+analytiques. Or, les expériences de divers physiciens, et surtout celles
+de MM. Dulong et Petit, ont clairement constaté, comme je l'ai indiqué
+dans la leçon précédente, que cette loi, primitivement imaginée par
+Newton, ne pouvait plus être adoptée quand la différence des
+températures devenait très considérable. Toutefois, un tel résultat ne
+peut nullement affecter la formation des équations différentielles
+fondamentales relatives à la propagation intérieure de la chaleur. Car,
+en parvenant à ces équations, on n'a jamais à considérer que l'action
+thermologique instantanée de molécules infiniment voisines, dont les
+températures diffèrent infiniment peu. Dès lors il suffit que cette
+action dépende seulement de la différence des températures, ce qui
+demeurera toujours incontestable, pour qu'on doive la supposer ici
+simplement proportionnelle à cette différence, quelle que puisse être
+d'ailleurs la vraie fonction naturelle, conformément à l'esprit général
+de la méthode infinitésimale, si clairement prononcé dans toutes les
+recherches géométriques et mécaniques. Lorsque, en complétant chaque
+application effective, on arrivera à considérer l'état thermologique de
+la surface extérieure, modifié par voie de rayonnement, c'est seulement
+alors qu'une telle hypothèse deviendra purement approximative, et qu'on
+ne devra plus l'employer qu'avec la réserve convenable et en soumettant
+ses conséquences définitives aux diverses restrictions indiquées par
+l'expérience. Mais la théorie fondamentale ne peut jamais en être
+radicalement affectée.</p>
+
+<p>Après ces considérations préliminaires indispensables sur la nature
+propre d'un tel problème, et sur l'esprit général de la solution,
+examinons directement la formation des équations fondamentales qui
+expriment les lois mathématiques de la propagation de la chaleur. Il
+faut, pour cela, envisager préalablement deux cas élémentaires,
+essentiellement abstraits sans doute, et constituant néanmoins une
+préparation nécessaire, puisque toutes les notions essentielles de cette
+théorie y trouvent leur véritable origines, et peuvent y être étudiées
+dans leur plus grande simplicité. Ils consistent, suivant la judicieuse
+expression de Fourier, dans le mouvement uniforme de la chaleur, d'abord
+en une seule direction, et ensuite en tous sens; ils remplissent, en
+effet, envers l'ensemble de la thermologie mathématique, le même office
+essentiel que la théorie du mouvement uniforme à l'égard de la mécanique
+rationnelle.</p>
+
+<p>Le premier et le plus simple de ces deux cas concerne l'état final et
+permanent des températures dans un solide indéfini compris entre deux
+plans parallèles, dont chacun est supposé constamment entretenu à une
+température invariable, commune à tous ses points, et différente
+seulement de l'une à l'autre base. Quelles que soient les températures
+initiales des divers points intérieurs d'une masse ainsi définie, leur
+ensemble tendra vers un certain système définitif, qui ne serait
+exactement réalisé qu'au bout d'un temps infini, mais qui aurait la
+propriété caractéristique de subsister éternellement par lui-même s'il
+était une fois établi. Ce système est, par sa nature, entièrement
+indépendant des circonstances primitives, susceptibles seulement
+d'influer sur l'époque de sa réalisation, et sur les modifications qui
+l'auraient graduellement amenée. La définition de la masse proposée
+montre clairement que cet état final et fixe doit être identique en tous
+les points d'une même section quelconque parallèle aux deux bases, et
+varier uniquement d'une tranche à la suivante, d'après la distance à
+ces bases données. Toute la difficulté est donc réduite ici à connaître
+la loi précise de cette variation. Or, une telle loi doit être déduite
+de cette condition, caractéristique de la fixité: une tranche quelconque
+transmet à la suivante autant de chaleur qu'elle en reçoit de la
+précédente. Ce principe évident conduit aussitôt à reconnaître aisément
+que la température de chaque point est exprimée par une fonction du
+premier degré de sa distance à l'une des bases: puisque, en vertu d'une
+semblable distribution des températures, l'échauffement que tendrait à
+produire sur la molécule considérée une quelconque de celles qui
+l'avoisinent, serait toujours exactement compensé par le refroidissement
+dû à la molécule symétrique; en sorte que toutes les actions
+thermologiques du système, ainsi comparées, se détruiraient
+mutuellement. Dans cette formule, le terme indépendant de l'ordonnée est
+égal à la température de la base à partir de laquelle cette ordonnée est
+comptée; le coefficient du terme variable, a pour valeur le rapport de
+la différence des deux températures extrêmes données à la distance
+connue des deux bases.</p>
+
+<p>Ce dernier coefficient est extrêmement remarquable, comme fournissant la
+première source élémentaire d'une notion fondamentale commune à toute
+la thermologie mathématique, celle de ce que Fourier a nommé le <i>flux</i>
+de chaleur, c'est-à-dire la quantité de chaleur plus ou moins grande,
+qui, en un temps donné, traverse perpendiculairement une aire plane de
+grandeur déterminée<a id="footnotetag28" name="footnotetag28"></a>
+<a href="#footnote28"><sup class="sml">28</sup></a>. La différence des températures de deux tranches
+quelconques étant ici toujours proportionnelle à leur distance, le flux
+relatif à l'unité de temps et à l'unité de surface, a pour mesure
+naturelle, le rapport constant de ces deux nombres, qu'exprime le
+coefficient proposé multiplié par la perméabilité propre à la substance
+considérée. Ce cas est le seul où le flux puisse être immédiatement
+évalué, et c'est d'après lui qu'on l'estime en toute autre circonstance,
+quand l'état du système varie, et que les températures ne sont pas
+uniformément réparties.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote28"
+name="footnote28"><b>Note 28: </b></a><a href="#footnotetag28">
+(retour) </a> Contraints de penser à l'aide de langues
+ jusqu'ici toujours formées sous l'influence exclusive ou
+ prépondérante d'une philosophie théologique ou métaphysique,
+ nous ne saurions encore entièrement éviter, dans le style
+ scientifique, l'emploi exagéré des métaphores. On ne doit
+ donc pas reprocher à Fourier ce que les expressions
+ précédentes contiennent, sans doute, de trop figuré. Mais il
+ est aisé de sentir, malgré cette imperfection, qu'elles
+ désignent seulement un simple fait thermologique général,
+ entièrement indépendant de toute vaine hypothèse sur la
+ nature de la chaleur, comme le savent très bien tous ceux
+ qui ont quelque connaissance de cette théorie.
+</blockquote>
+
+<p>La même démonstration convient à l'analyse du second cas préparatoire,
+où l'on envisage l'égale distribution de la chaleur, non plus dans une
+seule direction, mais en tous sens. Il s'agit alors de l'état final et
+permanent d'une masse solide comprise entre trois couples de plans
+parallèles, respectivement rectangulaires, où les températures changent
+d'un point à un autre à raison de chacune de ses trois coordonnées. On
+prouve encore, dans un tel parallélépipède, que la température d'une
+molécule quelconque est exprimée par une fonction complète du premier
+degré relative aux trois coordonnées simultanément, pourvu qu'on suppose
+les six faces extérieures constamment entretenues aux diverses
+températures qu'une telle formule assignerait à chacun de leurs points.
+Il est aisé de reconnaître en effet, comme précédemment, que toutes les
+actions thermologiques élémentaires se détruisent deux à deux, en vertu
+de cette répartition des températures.</p>
+
+<p>Ce cas donne lieu à une nouvelle remarque fondamentale sur
+l'interprétation thermologique des trois coefficiens propres aux
+diverses coordonnées contenues dans cette équation. Les échanges de
+chaleur s'effectuant ici en tous sens, chaque coefficient sert à mesurer
+le flux parallèle à l'ordonnée correspondante. Chacun de ces trois flux
+principaux se trouve avoir nécessairement la même valeur que si les
+deux autres n'existaient pas; comme en mécanique, les divers mouvemens
+élémentaires s'accomplissent simultanément, sans aucune altération
+mutuelle. En estimant ce flux suivant une nouvelle direction quelconque,
+on voit aussi qu'il se déduit des premiers d'après les mêmes lois
+mathématiques qui président, en mécanique, à la composition des forces,
+et, en géométrie, à la théorie des projections.</p>
+
+<p>On aperçoit ici un nouvel et mémorable exemple de cette admirable
+propriété radicalement inhérente à l'analyse mathématique de dévoiler,
+quand elle est judicieusement appliquée, des analogies réelles entre les
+phénomènes les plus divers, en permettant de saisir dans chacun ce qu'il
+présente d'abstrait, et par suite, de commun. Le premier et le plus
+fondamental des deux cas thermologiques élémentaires que nous venons de
+considérer, correspond exactement, en géométrie, à la marche des
+ordonnées d'une ligne droite, et, en mécanique, à la loi du mouvement
+uniforme. Les mêmes coefficiens dont la destination thermologique est de
+mesurer les flux de chaleur, servent, géométriquement, à estimer les
+directions, et, mécaniquement, à évaluer les vitesses. Quoique je me
+sois efforcé, dans le premier volume, de faire convenablement ressortir,
+par une étude directe et générale, ce caractère fondamental de
+l'analyse mathématique, je ne devais pas négliger d'en signaler ici une
+vérification aussi capitale.</p>
+
+<p>D'après les théorèmes préliminaires indiqués ci-dessus, la méthode
+infinitésimale permet de former aisément l'équation fondamentale
+relative à la propagation de la chaleur dans un cas quelconque. En
+effet, de quelque manière que doivent varier les températures
+successives d'une même molécule, ou les températures simultanées des
+différens points, on peut toujours concevoir la masse décomposée en
+élémens prismatiques, infiniment petits relativement à chacun des trois
+axes coordonnés, suivant les faces desquels les flux de chaleur soient
+uniformes et constans pendant toute la durée d'un même instant. Chaque
+flux sera donc nécessairement exprimé par la fonction dérivée de la
+température relativement à l'ordonnée correspondante. Cela posé, si le
+flux avait, dans les trois sens, la même valeur pour les deux faces
+égales et opposées perpendiculaires à la même ordonnée, la température
+de l'élément ne pourrait, évidemment, éprouver aucun changement,
+puisqu'il s'échaufferait autant par l'une de ces faces qu'il se
+refroidirait par l'autre. Ainsi, les variations de cette température ne
+sont dues qu'à l'inégalité de ces deux flux antagonistes. En évaluant
+cette différence, qui dépendra naturellement de la seconde dérivée de
+la température rapportée à l'ordonnée considérée, et ajoutant entre
+elles les différences propres aux trois axes, on évaluera donc
+exactement la quantité totale de chaleur alors introduite, et par suite,
+l'accroissement instantané que devra présenter effectivement la
+température de la molécule, pourvu qu'on ait convenablement égard à la
+chaleur spécifique et à la densité de cet élément. De là résulte
+immédiatement l'équation différentielle fondamentale, qui consiste en ce
+que la somme des trois dérivées partielles du second ordre de la
+température, envisagée tour à tour comme une fonction de chaque ordonnée
+isolément, est nécessairement toujours égale à la première dérivée de
+cette température relativement au temps, multipliée toutefois par un
+coefficient constant: ce coefficient a pour valeur le produit de la
+densité par le rapport de la chaleur spécifique à la perméabilité de la
+molécule. S'il était convenable de considérer directement l'état final
+et permanent du système, on le caractériserait aussitôt en se bornant à
+annuller le second membre de cette équation générale, qui ne
+contiendrait plus alors que trois variables indépendantes.</p>
+
+<p>On voit que, conformément aux propriétés universelles des relations
+différentielles, une telle équation ne renferme immédiatement aucune
+trace, non-seulement de l'état thermologique initial, mais encore des
+circonstances perpétuelles propres à la surface extérieure. L'équation
+exprime simplement ce que le phénomène offre de plus général et de plus
+profond, l'échange continuel de la chaleur entre toutes les molécules du
+système, en vertu de leurs températures actuelles. C'est ainsi que le
+premier volume de cet ouvrage nous a fait voir les équations
+différentielles fondamentales de la géométrie et de la mécanique,
+représentant d'une manière uniforme, un même phénomène général,
+abstraction faite du cas particulier quelconque où il se réalisera.
+Telle est l'origine philosophique de cette parfaite coordination
+qu'introduit constamment l'emploi convenable de l'analyse mathématique,
+quand la nature de nos études les en rend susceptibles. Désormais, en
+thermologie, les recherches illimitées que pourront suggérer les
+innombrables variétés de la forme des corps et de leur mode
+d'échauffement seront toujours, aux yeux des géomètres, les diverses
+modifications analytiques d'un problème unique, invariablement assujetti
+à une même équation fondamentale. Les différens cas particuliers ne
+pourront, en effet, s'y distinguer que par la composition analytique des
+fonctions arbitraires propres à l'intégrale générale de cette équation.</p>
+
+<p>Toutefois, comme le sens d'une telle relation abstraite ne saurait
+devenir entièrement déterminé qu'en ayant égard aux conditions
+caractéristiques de chaque question spéciale, il importe de signaler
+maintenant, pour compléter cette indication sommaire, le mode uniforme
+suivant lequel Fourier a conçu l'introduction analytique de ces
+conditions complémentaires. Il faut distinguer, à cet effet, entre
+l'état initial des différens points du système et l'état permanent de la
+surface extérieure, titres généraux sous lesquels pourront toujours être
+classées toutes ces diverses particularités.</p>
+
+<p>Quant à la considération des températures primitives, elle ne présente
+immédiatement aucune difficulté analytique qui lui soit propre, si ce
+n'est lorsqu'on en vient à exécuter les intégrations. Alors, les
+fonctions arbitraires doivent être choisies de telle manière que, en
+annullant le temps dans la formule générale qui représente la
+température de chaque point à un instant quelconque, afin de remonter à
+l'état initial, cette formule devienne exactement identique avec la
+fonction des coordonnées, préalablement définie, par laquelle a été
+caractérisé le système thermologique originel. Cette condition ne donne
+donc lieu à aucune relation différentielle générale.</p>
+
+<p>Il n'en est pas de même relativement à l'état de la surface. On doit
+alors exprimer que la formule générale des températures, quand on y
+suppose, entre les coordonnées qui s'y trouvent, la relation convenable
+à la surface proposée, coïncide, en tout temps, avec celle qui convient
+à cette surface. Or, cette condition étant, de sa nature, permanente,
+elle est susceptible d'être prise en considération d'une manière
+générale par une équation différentielle subsidiaire, puisqu'elle altère
+continuellement le mode fondamental de propagation, tandis que
+l'influence de l'état initial devait se borner uniquement à affecter les
+valeurs absolues des températures propres à un instant donné. Cette
+équation différentielle, qui est nécessairement du premier ordre,
+s'obtient en égalant, pour un élément quelconque de la surface, la
+quantité de chaleur qu'il reçoit, selon sa normale, de la part des
+molécules intérieures correspondantes, avec celle qui tend à sortir par
+l'influence donnée du système ambiant. L'ordre moins élevé d'une telle
+équation, comparativement à l'équation fondamentale de la propagation
+intérieure, résulte de ce que, dans celle-ci, il fallait inévitablement
+considérer la différentiation du flux entre les deux faces opposées de
+chaque élément, tandis que, pour la surface, on doit, au contraire,
+envisager le flux lui-même, immédiatement compensé par l'action du
+milieu. Si, par une cause quelconque, une certaine couche intérieure
+était assujettie d'avance à un système de températures déterminé, il en
+résulterait aussitôt, comme le remarque judicieusement Fourier, la même
+solution de continuité qu'à la surface dans le mode général de
+propagation de la chaleur.</p>
+
+<p>Cette équation auxiliaire propre à tous les points de l'enveloppe,
+contient nécessairement, outre les fonctions dérivées de la température
+relativement aux coordonnées qui expriment le flux suivant chacune
+d'elles, les coefficiens différentiels purement géométriques par
+lesquels est définie analytiquement la direction de la normale en chaque
+point de la surface. Tel est le mode général suivant lequel la forme des
+corps se trouve convenablement introduite dans la thermologie
+mathématique, de manière à exercer toujours sur l'ensemble de la
+solution une influence inévitable et spéciale. L'observation avait, sans
+doute, signalé depuis long-temps une telle influence, par des
+indications incontestables; mais on conçoit qu'il était impossible de
+s'en faire une juste idée, avant que la doctrine de Fourier eût
+rationnellement assigné son véritable rang général parmi les diverses
+causes qui concourent à l'effet total, dont l'exploration directe ne
+saurait fournir à cet égard que des notions essentiellement vagues et
+confuses.</p>
+
+<p>Tels sont les moyens généraux de mettre en équation tous les problèmes
+relatifs à la propagation de la chaleur dans les solides, ainsi que les
+deux sortes de conditions complémentaires destinées à déterminer, pour
+chaque cas particulier, les fonctions arbitraires correspondantes à
+cette équation différentielle du second ordre. La nature de cet ouvrage
+et ses limites nécessaires ne me permettent point de donner ici aucune
+idée, même sommaire, du système entièrement neuf de procédés analytiques
+créé par le génie de Fourier pour l'intégration de ces équations, qui se
+trouvaient dépendre inévitablement de la partie la plus difficile et la
+plus imparfaite du calcul intégral. Cette belle analyse est surtout
+caractérisée par le soin qu'on y prend constamment de chercher
+directement l'intégrale convenable à la question thermologique, sans la
+déduire de celle qui présente la plus grande généralité abstraite, et
+dont la formation serait presque toujours impossible. Les conditions
+subsidiaires relatives, soit à l'état primitif du système, soit à
+l'état permanent de la surface, y ont introduit la considération
+indispensable des fonctions discontinues, dont la théorie, maintenant si
+satisfaisante, était jusque alors à peine ébauchée dans ses premiers
+rudimens. Les théorèmes généraux sur la transformation de ces fonctions
+en séries trigonométriques, procédant selon les sinus ou les cosinus des
+multiples indéfinis de la variable, ou en intégrales définies
+équivalentes, ont notablement agrandi le domaine fondamental de
+l'analyse mathématique, indépendamment de leur destination directe pour
+la thermologie. J'ai déjà noté, dans le premier volume, comment la
+géométrie pouvait les employer à compléter la représentation analytique
+de toutes les figures, en l'étendant à des portions limitées des lieux
+géométriques ou à des assemblages quelconques des diverses formes, ce
+qui était d'ailleurs nécessaire à la thermologie mathématique, afin d'y
+pouvoir étudier la propagation de la chaleur dans les polyèdres. Mais la
+manière dont Fourier a dirigé l'usage de ses procédés analytiques n'est
+peut-être pas moins remarquable, sous le point de vue philosophique, que
+l'invention même de tels moyens. Non-seulement il s'est toujours
+scrupuleusement attaché, dans tous les cas importans, à obtenir
+finalement des formules claires, simples et facilement évaluables en
+nombres, comme on devrait le faire à l'égard de questions quelconques;
+mais il les a, en général, tellement composées qu'elles dévoilent, au
+premier aspect, la marche essentielle du phénomène proposé, leurs
+différens termes exprimant sans cesse des états thermologiques
+élémentaires et distincts, qui se superposent continuellement, ainsi que
+l'exploration directe le ferait apercevoir, si elle était praticable
+avec un tel degré de précision.</p>
+
+<p>Sous le point de vue purement analytique, les problèmes thermologiques
+offrent, par leur nature, une analogie fondamentale avec ceux que fait
+naître l'étude du mouvement des fluides. Il s'agit, de part et d'autre,
+de fonctions de quatre variables indépendantes, assujetties à des
+équations aux différences partielles du second ordre, dont la
+composition est habituellement semblable. La parité s'étend même, à
+beaucoup d'égards, aux conditions auxiliaires. Celles relatives aux
+températures primitives des diverses molécules, sont remplacées, dans
+les problèmes hydrodynamiques, par les vitesses initiales des différens
+points. De même, le maintien constant de la surface du fluide à un degré
+donné de pression extérieure, représente l'état permanent de l'enveloppe
+du solide échauffé à une température déterminée, indépendante de la
+propagation interne. Il y a toutefois, sous ce dernier rapport, une
+différence essentielle entre les deux cas, puisque, dans le problème
+thermologique, la forme de la surface demeure invariable pendant toute
+la durée du phénomène, tandis qu'elle change, dans la question
+hydrodynamique, à mesure que le phénomène s'accomplit, ce qui doit
+augmenter nécessairement les difficultés analytiques. Mais, quoique les
+deux analyses ne puissent pas, sans doute, être envisagées comme
+exactement identiques, leurs analogies naturelles n'en sont pas moins
+évidemment assez profondes pour que les progrès généraux de l'une,
+deviennent immédiatement applicables au perfectionnement de l'autre,
+ainsi que Fourier l'a annoncé. On doit donc compter que, lorsque
+l'ensemble de la doctrine de Fourier sera plus connu et mieux apprécié,
+les géomètres en feront un usage très étendu et fort important dans
+l'exploration analytique des mouvemens des fluides, comme Corancez l'a
+déjà tenté.</p>
+
+<p>En considérant sous un aspect philosophique l'esprit général de cette
+analyse thermologique, elle m'a semblé comporter un perfectionnement
+fondamental, que je dois ici indiquer sommairement aux géomètres
+susceptibles de le comprendre et de l'utiliser. Il consisterait
+essentiellement dans l'application du calcul des variations à la
+thermologie, jusqu'ici tout-à-fait privée de cette précieuse méthode.
+Partout où une grandeur quelconque reçoit deux sortes d'accroissemens,
+non-seulement divers et indépendans, mais aussi radicalement
+hétérogènes, la conception des <i>variations</i> peut être introduite, et
+présente constamment la propriété essentielle d'améliorer, dans ses
+élémens, l'expression analytique des phénomènes, en distinguant mieux,
+par le calcul même, les causes naturellement différentes. C'est ainsi
+que Lagrange a si heureusement transporté cette conception dans
+l'analyse mécanique, où elle empêche de confondre désormais les
+différentiations purement géométriques avec celles dont le caractère est
+vraiment dynamique. Or, la thermologie me paraît comporter une telle
+application, tout aussi naturellement que la mécanique. Car on y
+considère toujours évidemment, à l'égard des températures, deux ordres
+bien tranchés de changemens généraux: ceux qu'éprouve, aux diverses
+époques du phénomène, la température d'une même molécule, et ceux qui se
+manifestent en un même instant, en passant d'un point à un autre. Deux
+points de vue différentiels aussi distincts, jusqu'ici sans cesse
+confondus dans les équations thermologiques, pourraient y être
+habituellement séparés avec facilité en appliquant à l'un d'eux
+l'algorithme spécial des variations, qui conviendrait surtout au second.
+Un tel perfectionnement ne se bornerait pas à l'amélioration des
+notations fondamentales, ce qui d'ailleurs aurait déjà, pour tout
+analyste, une extrême importance. Mais je ne doute pas, en outre, que
+l'emploi judicieux des transformations générales enseignées par le
+calcul des variations pour isoler les deux caractéristiques, ne
+contribuât beaucoup à simplifier l'ensemble de la solution analytique,
+en même temps qu'à l'éclaircir, et à la mettre mieux en harmonie avec la
+marche du phénomène thermologique. La nature et l'étendue de mes travaux
+propres ne me laissant guère l'espoir de suivre jamais cette pensée
+d'une manière convenablement spéciale, j'ai dû la livrer immédiatement
+aux géomètres qui seraient disposés à profiter d'une telle ouverture.</p>
+
+<p>Après avoir suffisamment caractérisé sous ses principaux aspects la
+théorie mathématique de la propagation graduelle et continue de la
+chaleur ou du froid dans les corps solides, il resterait à analyser
+philosophiquement la doctrine générale de Fourier en ce qui concerne
+l'étude de la chaleur rayonnante. Mais cette opération ne pourrait
+s'effectuer clairement qu'à l'aide de développemens très étendus qui
+seraient ici déplacés. D'ailleurs, les considérations précédentes,
+relatives à la question la plus importante et la plus difficile, font
+assez concevoir comment les phénomènes thermologiques ont pu être
+irrévocablement ramenés à des lois mathématiques, ce qui devait être,
+dans cet ouvrage, mon seul but essentiel. Je me bornerai donc, quant à
+l'analyse du rayonnement, à signaler ici son résultat général le plus
+remarquable, qui consiste dans l'explication rationnelle du mode suivant
+lequel varie l'intensité du rayonnement d'après sa direction.</p>
+
+<p>J'ai déjà noté à ce sujet, dans la leçon précédente, comment M. Leslie
+avait découvert, par une expérimentation ingénieuse, la variation
+continuelle de cette intensité proportionnellement aux sinus des angles
+que forment les rayons, soit émergens, soit incidens, avec la surface
+correspondante. Or, Fourier a pleinement démontré que cette loi est
+indispensable à l'établissement ou au maintien de l'équilibre
+thermométrique entre deux corps quelconques. Une molécule placée
+arbitrairement dans l'intérieur d'une enceinte très étendue, dont toutes
+les parties sont exactement à une même température constante, prend
+toujours, au bout d'un certain temps, cette température commune, et la
+conserve indéfiniment quand elle l'a une fois acquise: c'est ce
+qu'indiquent clairement les observations les plus vulgaires. Il est
+d'abord aisé de prouver qu'un tel résultat ne saurait avoir lieu si
+toutes les parties de l'enceinte rayonnaient sur la molécule avec la
+même énergie, abstraction faite de l'inégalité des distances: la chaleur
+émise perpendiculairement à la surface de l'enceinte ne peut donc avoir
+la même intensité que celle qui en émane suivant des directions plus ou
+moins obliques. Les considérations employées par Fourier montrent
+ensuite, d'après une analyse plus approfondie, que cette température
+commune n'existerait pas davantage si l'on faisait varier l'intensité du
+rayonnement suivant toute autre loi que celle du sinus de l'obliquité:
+l'état thermométrique de la molécule dépendrait alors de sa situation,
+et pourrait présenter les différences les plus absurdes d'une position à
+l'autre, au point d'être, en certains cas, très supérieur ou très
+inférieur à l'état général et permanent de l'enceinte. La démonstration
+est simple, quand on a seulement égard à la chaleur directement envoyée
+à la molécule par chaque élément de l'enceinte; mais elle se complique
+beaucoup lorsqu'on vient à considérer, comme l'exige une analyse
+complète, celle qui peut en provenir aussi après un nombre quelconque de
+réflexions successives. Enfin, il suffit de remplacer la molécule
+proposée par un corps de dimensions sensibles, pour étendre le même
+raisonnement mathématique à la partie de la loi empirique de M. Leslie,
+qui concerne la chaleur reçue au lieu de la chaleur émise. Ainsi, ce
+beau travail de Fourier rattache directement au simple fait général et
+vulgaire de l'équilibre thermométrique cette loi remarquable, base
+principale de la théorie du rayonnement, et que les expériences des
+physiciens ne pouvaient sans doute établir que d'une manière seulement
+approximative. Cette démonstration difficile constitue certainement une
+des plus heureuses applications de l'analyse mathématique aux études
+physiques, envisagées sous un point de vue spécial.</p>
+
+<p>D'après le plan général établi dans les prolégomènes de cet ouvrage, la
+philosophie naturelle, conçue abstraitement, doit être le seul sujet de
+notre examen habituel, et nous avons dû nous interdire d'y comprendre,
+d'ordinaire, les considérations concrètes relatives à l'ensemble de
+l'histoire naturelle proprement dite, le système des sciences
+secondaires ne pouvant être qu'une dérivation de celui des sciences
+fondamentales (voyez la deuxième leçon). Je ne saurais donc envisager
+ici, avec toutes les indications spéciales qu'exigerait son exacte
+appréciation philosophique, l'importante théorie des températures
+terrestres, qui constitue cependant l'application la plus essentielle et
+en même temps la plus difficile de la thermologie mathématique.
+Toutefois, je ne puis m'empêcher de signaler sommairement une partie
+aussi neuve et aussi intéressante de la doctrine générale créée par
+Fourier.</p>
+
+<p>La température propre à chaque point de notre globe est essentiellement
+due, abstraction faite des influences purement locales ou accidentelles,
+à l'action diversement combinée de trois causes générales et
+permanentes: 1º la chaleur solaire, affectant inégalement les différens
+lieux, et partout assujettie à des variations périodiques; 2º la chaleur
+intérieure propre à la terre dès l'origine de sa formation à l'état de
+planète distincte; 3º enfin, l'état thermométrique général de l'espace
+occupé par le monde dont nous faisons partie. La seconde cause agit
+seule directement sur tous les points de la masse terrestre; l'influence
+des deux autres est immédiatement limitée à la seule surface extérieure.
+Elles sont, d'ailleurs, énumérées ici dans l'ordre effectif suivant
+lequel elles ont pu nous être successivement dévoilées, c'est-à-dire
+d'après leur participation plus ou moins étendue et plus ou moins
+évidente à la production des phénomènes thermologiques de la surface,
+les seuls complètement observables.</p>
+
+<p>Avant Fourier, ces phénomènes étaient regardés, par l'ensemble des
+physiciens et des naturalistes, comme devant être uniquement attribués à
+l'action solaire, tant leur analyse avait été jusque alors vague et
+superficielle. L'opinion d'une chaleur centrale était à la vérité très
+ancienne; mais cette hypothèse, arbitrairement rejetée par les uns,
+tandis que les autres l'admettaient d'une manière non moins hasardée,
+n'avait réellement aucune consistance scientifique, la discussion
+n'ayant jamais porté sur la part que cette chaleur originaire pouvait
+avoir aux variations thermologiques de la surface. La théorie
+mathématique de Fourier lui a montré clairement que, à cette surface,
+les températures différeraient extrêmement de ce que nous observons,
+soit quant à leur valeur, soit surtout quant à leur comparaison
+générale, si la masse terrestre n'était point partout pénétrée d'une
+chaleur propre et primitive, indépendante de l'action du soleil, et qui
+tend à se perdre, à travers l'enveloppe, par son rayonnement vers les
+autres astres, quoique l'atmosphère doive ralentir beaucoup cette
+déperdition naturelle. Cette chaleur originaire contribue directement
+très peu aux températures superficielles effectives; mais elle empêche
+que leurs variations périodiques suivent d'autres lois que celles qui
+doivent résulter de l'influence solaire, laquelle, sans cela, se
+perdrait, en majeure partie, dans la masse totale du globe. En
+considérant les points intérieurs, même très près de l'enveloppe, et à
+une distance d'ailleurs d'autant moindre qu'ils sont plus rapprochés de
+l'équateur, la chaleur centrale devient prépondérante, et bientôt c'est
+elle qui règle exclusivement les températures correspondantes, dont la
+fixité rigoureuse, et l'accroissement graduel à mesure que la profondeur
+augmente, ont tant attiré dans ces derniers temps l'attention des
+observateurs.</p>
+
+<p>Quant à la troisième cause générale des températures terrestres,
+personne, jusqu'à Fourier, n'en avait seulement conçu la pensée. Et
+néanmoins, comme cet illustre philosophe avait coutume de l'indiquer à
+ceux qu'il honorait de ses entretiens familiers, si, quand la terre a
+quitté une partie quelconque de son orbite, elle y laissait un
+thermomètre, cet instrument, supposé soustrait à l'action solaire, ne
+pourrait sans doute baisser indéfiniment; la liqueur s'arrêterait
+nécessairement à un certain point, qui indiquerait la température de
+l'espace où nous circulons. Cette ingénieuse supposition n'est que
+l'énoncé le plus simple et le plus frappant du résultat général des
+travaux de Fourier à ce sujet, qui ont clairement établi que la marche
+effective des températures à la surface de notre globe serait totalement
+inexplicable, même en ayant égard à la chaleur intérieure, si l'espace
+ambiant n'avait point une température propre et déterminée, qui doit
+très peu différer de celle qu'on observerait réellement aux deux pôles
+de la terre, quoique son évaluation véritable présente jusqu'ici quelque
+incertitude. Il est remarquable que, des deux causes thermologiques
+nouvelles découvertes par Fourier, la première soit susceptible d'être
+directement mesurée à l'équateur, à quelques centimètres de la surface,
+et la seconde aux pôles; tandis que, sur tous les points intermédiaires,
+l'observation a besoin d'être dirigée et interprétée par une analyse
+mathématique approfondie pour qu'on puisse démêler, dans ses indications
+totales, l'influence propre à chacune des trois actions fondamentales.</p>
+
+<p>Le grand problème des températures terrestres étant ainsi défini quant à
+ses élémens généraux, sa solution mathématique constitue l'application
+la plus difficile de la thermologie analytique. Il s'agit alors
+d'analyser exactement la marche des températures dans une sphère donnée,
+dont l'état initial est exprimé par une fonction déterminée, mais
+inconnue, des coordonnées d'une molécule quelconque, et dont la surface,
+en même temps qu'elle rayonne vers un milieu qu'on doit supposer à une
+température constante, d'ailleurs ignorée, reçoit continuellement
+l'influence d'une cause thermologique variable, exprimée par une
+fonction périodique très complexe, quoique donnée, du temps écoulé: il
+faut encore avoir égard à l'enveloppe gazeuse dont cette sphère est
+entourée, et qui doit sensiblement modifier le mouvement naturel de la
+chaleur à sa surface. L'extrême complication d'un tel problème, et notre
+ignorance nécessaire à l'égard de l'une des conditions essentielles, ne
+sauraient permettre d'en obtenir une solution rationnelle vraiment
+complète, quoiqu'on puisse le simplifier en regardant la température
+initiale de chaque molécule intérieure comme dépendant seulement de sa
+distance au centre. Toutefois, l'état thermologique de la surface ou des
+couches qui l'avoisinent devant constituer ici la plus intéressante
+partie de la recherche, il a été possible, en dirigeant judicieusement
+tous les efforts vers ce seul but, de parvenir, sous ce rapport, à des
+résultats très satisfaisans, essentiellement dégagés de toute hypothèse
+précaire sur la loi relative à la chaleur intérieure, envers laquelle
+Fourier s'est toujours si sagement abstenu de prononcer. La marche
+générale des températures superficielles est désormais nettement
+caractérisée dans ses variations principales, soit diurnes, soit
+annuelles; nous connaissons le mode suivant lequel y participe chacune
+des trois causes thermologiques; enfin, nous apprécions convenablement
+l'influence essentielle de l'atmosphère, qui, par une alternative
+périodique, échauffe et refroidit tour à tour la surface, et contribue
+ainsi à la régularité des phénomènes. Quoique cette étude difficile soit
+encore si près de sa naissance, ses progrès principaux, relativement à
+ce que nous pouvons espérer d'en connaître d'une manière positive, ne
+dépendent essentiellement désormais que du perfectionnement des
+observations, dont la belle théorie de Fourier a d'ailleurs nettement
+tracé le plan le plus rationnel. Quand les données indispensables du
+problème seront ainsi mieux connues, celle théorie permettra de remonter
+avec certitude à quelques indications précises sur l'ancien état
+thermologique de notre globe, aussi bien que sur ses modifications
+futures. Mais, dès aujourd'hui, nous avons obtenu par là un résultat
+définitif d'une haute importance philosophique, en reconnaissant que
+l'état périodique de la surface est maintenant devenu essentiellement
+fixe, et ne peut éprouver que d'imperceptibles variations par le
+refroidissement continu de la masse intérieure dans la suite des
+siècles postérieurs. Ce résumé rapide, quelque imparfait qu'il soit,
+montre clairement quelle admirable consistance scientifique a pris tout
+à coup, par les seuls travaux d'un homme de génie, cette branche
+fondamentale de l'histoire naturelle du globe terrestre, qui, jusqu'à
+Fourier, ne se composait que d'opinions vagues et arbitraires,
+entremêlées de quelques observations incomplètes et incohérentes, d'où
+ne pouvait résulter aucune exacte notion générale.</p>
+
+<p>Tels sont, en aperçu, les principaux caractères scientifiques de la
+thermologie mathématique créée par le génie du grand Fourier. Beaucoup
+de géomètres contemporains se sont déjà empressés de parcourir cette
+nouvelle carrière ouverte à l'esprit mathématique, mais sans ajouter
+réellement jusqu'ici rien de vraiment capital aux résultats des travaux
+de Fourier. On doit même dire que la plupart d'entre eux n'ont vu
+essentiellement encore, en de telles recherches, qu'un nouveau champ
+d'exercices analytiques, où l'on pouvait aisément obtenir une célébrité
+momentanée, en modifiant, d'une manière plus ou moins intéressante, les
+cas traités par l'illustre fondateur. Ces travaux secondaires
+n'indiquent pas, le plus souvent, ce sentiment profond de la vraie
+philosophie mathématique, dont Fourier fut peut-être plus éminemment
+pénétré qu'aucun autre grand géomètre, et qui consiste surtout dans la
+relation intime et continue de l'abstrait au concret, comme je me suis
+tant efforcé de l'établir nettement. On a vu, par exemple, un géomètre,
+aujourd'hui très renommé, attacher une puérile importance à reprendre
+l'équation fondamentale de la propagation de la chaleur, en y concevant
+variable, d'un point à un autre, la perméabilité, que Fourier avait
+supposée constante, mais en continuant d'ailleurs à l'y regarder comme
+identique en tous sens. Néanmoins, dans cet ensemble, déjà très étendu,
+de recherches analytiques sur la thermologie, il faut distinguer les
+travaux de M. Duhamel, les seuls dignes jusqu'ici d'être remarqués comme
+ajoutant réellement quelque chose à la théorie fondamentale de Fourier,
+en cherchant à perfectionner la représentation analytique des phénomènes
+effectifs. J'indiquerai surtout l'heureuse conception de ce géomètre sur
+la perméabilité.</p>
+
+<p>M. Duhamel a senti qu'il serait illusoire de faire varier cette
+propriété dans les différens points d'un corps, si, pour chaque
+molécule, on la laissait égale en tous sens, ses modifications réelles
+devant être, évidemment, bien plus prononcées selon les directions que
+suivant les lieux. Il a donc reformé l'équation générale de la
+thermologie, en y regardant la perméabilité comme assujettie à ces deux
+ordres simultanés de variations. Son analyse l'a conduit à découvrir un
+théorème général très remarquable sur les relations fixes des diverses
+perméabilités d'une même molécule quelconque dans toutes les directions
+différentes. Ce théorème est relatif au cas où la perméabilité serait la
+même en tous les points du corps, et varierait seulement, pour chacun
+d'eux, suivant les directions. Il consiste en ce que, dans une telle
+hypothèse, il existe toujours, pour une masse quelconque, trois
+directions rectangulaires déterminées, que M. Duhamel a judicieusement
+nommées <i>axes principaux de conductibilité</i>, et selon lesquelles le flux
+de chaleur a la même valeur que si la conductibilité était constante: le
+flux est un <i>maximum</i> relativement à l'un de ces axes, et varie, en tout
+autre sens, proportionnellement au cosinus de l'angle correspondant. Ces
+axes thermologiques offrent, en général, par l'ensemble de leurs
+propriétés, une analogie intéressante et soutenue avec les axes
+dynamiques découverts par Euler dans la théorie des rotations: il est
+digne de remarque que les uns et les autres soient caractérisés par les
+mêmes conditions analytiques, comme l'a montré M. Duhamel. Leur
+considération présente surtout la même importance pour faciliter
+l'étude analytique du phénomène, puisque, en y rapportant les
+coordonnées, M. Duhamel est parvenu à rendre l'équation fondamentale
+aussi simple, dans le cas de la perméabilité variable, que Fourier
+l'avait établie pour la conductibilité constante, avec cette seule
+différence que les trois termes du second ordre n'y ont plus des
+coefficiens égaux. Cette intéressante découverte, envisagée sous le
+point de vue philosophique, complète, d'une manière remarquable,
+l'harmonie fondamentale, déjà signalée à tant d'autres égards par
+Fourier, entre l'analyse thermologique et l'analyse dynamique. Son
+utilité effective est, toutefois, notablement diminuée par la nature
+essentiellement hypothétique de la constitution thermologique
+correspondante: car, le théorème cesse nécessairement d'avoir lieu
+lorsqu'on vient à envisager la perméabilité comme variable,
+non-seulement selon les directions, mais aussi suivant les points, ce
+qui est, néanmoins, sans doute, le cas réel, à l'égard duquel M. Duhamel
+a d'ailleurs établi ensuite l'équation différentielle complète du
+phénomène.</p>
+
+<p>On n'a point encore tenté d'examiner les modifications que devrait
+éprouver la thermologie mathématique, en tenant compte des changemens
+que l'accomplissement du phénomène peut introduire, à ses diverses
+époques, dans la perméabilité propre à chaque molécule et à chaque
+direction: il en est ainsi des altérations analogues de la chaleur
+spécifique. Aucune de ces propriétés, et surtout la dernière, ne saurait
+cependant être envisagée comme rigoureusement invariable à toutes les
+températures, conformément à ce que j'ai indiqué dans la leçon
+précédente. Leurs inégalités doivent, sans doute, exercer une influence
+réelle sur tous les cas qui comportent des changemens de température
+très étendus. Il serait difficile d'y avoir égard sans compliquer
+beaucoup les équations thermologiques fondamentales, dont l'intégration
+deviendrait alors peut-être entièrement inextricable, comme on le voit
+ordinairement dans l'étude analytique des phénomènes physiques
+quelconques, même les plus simples, quand on veut trop rapprocher l'état
+abstrait de l'état concret. Ces modifications sont même celles qui, par
+leur nature, compliqueraient le plus les difficultés fondamentales du
+problème thermologique, envisagé sous le point de vue analytique; car,
+en y ayant égard, l'équation différentielle de la propagation de la
+chaleur, cesserait nécessairement d'être <i>linéaire</i>, et par conséquent
+échapperait dès lors à toutes les méthodes d'intégration employées
+jusqu'ici, toujours essentiellement relatives à un tel genre
+d'équations. Toutefois, l'ignorance complète où nous sommes encore des
+lois effectives de ces altérations, dont l'existence est à peine
+constatée jusqu'ici par les observations, obligera long-temps les
+géomètres et les physiciens à supposer ces deux propriétés spécifiques
+parfaitement constantes, quoique cette hypothèse primitive doive être
+rectifiée plus tard. La philosophie astronomique nous a fréquemment
+montré combien il importe que le véritable esprit scientifique
+n'introduise pas, dans ses conceptions rationnelles, une complication
+prématurée, quand l'exploration plus attentive des phénomènes n'en a
+point encore manifesté la nécessité positive.</p>
+
+<p>Il y a tout lieu de penser que cette maxime philosophique, dont la
+sagesse est évidente, a seule empêché Fourier de prendre en
+considération toutes les diverses modifications indiquées ci-dessus. Il
+a dû même s'abstenir essentiellement d'attirer l'attention sur elles,
+dans la crainte de compliquer l'exposition fondamentale d'une théorie
+aussi neuve par l'introduction de difficultés accessoires, qui en
+auraient obscurci le caractère principal. Ses méditations lui avaient
+sans doute montré comment ses successeurs, en poursuivant la carrière
+ouverte par son génie, pourraient avoir aisément égard à toutes les
+considérations secondaires qu'il avait judicieusement élaguées,
+lorsqu'elles auraient été convenablement définies, sauf les embarras
+analytiques qui en résulteraient.</p>
+
+<p>Je me suis efforcé, dans cette leçon, de donner, aussi nettement que
+possible, sans sortir des limites conformes à la nature de cet ouvrage,
+une faible idée générale de l'admirable théorie mathématique créée par
+Fourier pour perfectionner l'étude des phénomènes thermologiques
+fondamentaux. Indépendamment du génie, non seulement analytique, mais
+surtout mathématique, qui caractérise si éminemment ce bel ensemble de
+découvertes, on a dû remarquer, dans mon imparfaite indication, avec
+quelle persévérante sagesse philosophique Fourier s'était
+scrupuleusement attaché, dès l'origine de ses recherches, à la
+thermologie positive, dont il ne s'écarta jamais un seul instant tout en
+prenant l'essor le plus sublime, à une époque où néanmoins, partout
+autour de lui, on s'accordait à ne regarder comme dignes de l'attention
+des penseurs que les travaux propres à appuyer telle ou telle conception
+arbitraire sur la nature de la chaleur. En considérant d'une manière
+impartiale et approfondie l'harmonie de ces hautes qualités, dont la
+perte est peut-être encore trop récente pour être convenablement
+appréciée par le vulgaire des savans, je ne crains pas de prononcer,
+comme si j'étais à dix siècles d'aujourd'hui, que, depuis la théorie de
+la gravitation, aucune création mathématique n'a eu plus de valeur et de
+portée que celle-ci, quant aux progrès généraux de la philosophie
+naturelle: peut-être même, en scrutant de près l'histoire de ces deux
+grandes pensées, trouverait-on que la fondation de la thermologie
+mathématique par Fourier était moins préparée que celle de la mécanique
+céleste par Newton.</p>
+
+<p>Et cependant un tel génie a été long-temps méconnu; ses créations ont
+été contestées par d'indignes rivaux; et, lorsqu'il n'a plus été
+possible de nier ses droits irrécusables, on s'est efforcé d'atténuer
+l'importance de ses immortels travaux. Enfin, quand il nous fut ravi, à
+peine commençait-il à jouir librement, depuis quelques années, de la
+plénitude d'une gloire si hautement méritée: il a disparu sans avoir
+exercé, dans le monde savant, cette prépondérance paisible et continue
+du maître sur les disciples, dernière fonction sociale naturellement
+assignée aux hommes de génie, dont elle constitue la principale
+récompense après le libre développement de leur activité essentielle,
+que Newton, Euler et Lagrange obtinrent si complétement, et que Fourier
+était, comme eux, si propre à rendre éminemment profitable aux progrès
+généraux de l'esprit humain. Une telle destinée a dû être sans doute
+bien imparfaitement compensée par la conviction profonde et habituelle
+que la postérité le classerait indéfiniment dans le très petit nombre
+des géomètres vraiment créateurs, dès l'époque prochaine où l'on aurait
+oublié presque jusqu'au nom de ceux que la médiocrité de ses
+contemporains avait osé placer à son niveau et même au-dessus de
+lu<a id="footnotetag29" name="footnotetag29"></a>
+<a href="#footnote29"><sup class="sml">29</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote29"
+name="footnote29"><b>Note 29: </b></a><a href="#footnotetag29">
+(retour) </a> On excusera, j'espère, ce faible témoignage
+ spécial, consacré à la mémoire vénérée d'un illustre ami,
+ dont le génie vraiment supérieur n'a généralement obtenu
+ qu'une tardive et incomplète justice.
+</blockquote>
+
+
+<a name="l32" id="l32"></a>
+<br><hr class="full"><br>
+
+<h3>TRENTE-DEUXIÈME LEÇON.</h3>
+
+<br><hr class="short"><br>
+
+<p class="sml">Considérations générales sur l'acoustique.</p>
+
+<p>Quoique cette branche fondamentale de la physique ait évidemment passé,
+comme toutes les autres, par l'état théologique et ensuite par l'état
+métaphysique, elle a pris, aussi complétement que la barologie, et
+presque depuis la même époque, son caractère scientifique définitif. Par
+une suite nécessaire de la nature beaucoup plus compliquée des
+phénomènes si délicats dont elle s'occupe, la théorie du son est
+certainement bien moins avancée que celle de la pesanteur, qui doit sans
+doute rester toujours supérieure à toute autre partie de la physique,
+quels que puissent être nos progrès futurs. Mais, malgré cette
+inévitable gradation, la positivité de l'acoustique est néanmoins tout
+aussi parfaite que celle de la barologie elle-même, depuis que la
+connaissance exacte des propriétés mécaniques élémentaires de
+l'atmosphère a permis de concevoir nettement, vers le milieu de
+l'avant-dernier siècle, la production et la transmission des vibrations
+sonores. Aujourd'hui, en effet, l'acoustique n'est pas moins
+radicalement affranchie que la barologie de ces hypothèses
+anti-scientifiques, derniers vestiges de l'esprit métaphysique, qui
+vicient encore, plus ou moins profondément, tout le reste de la
+physique. On a tenté, il est vrai, au commencement de notre siècle,
+ainsi que je l'ai indiqué dans la vingt-huitième leçon, de personnifier
+le son comme la chaleur, la lumière, et l'électricité. Mais cette
+aberration isolée et intempestive ne pouvait acquérir aucune
+consistance, et n'a pas, en effet, exercé la moindre influence sur la
+marche des physiciens, pour la plupart desquels elle a passé inaperçue,
+malgré l'incontestable supériorité de l'illustre naturaliste qui s'y
+était laissé entraîner. La même doctrine générale des vibrations qui,
+abusivement transportée à l'étude des phénomènes lumineux, par exemple,
+ne peut y conduire qu'à des conceptions chimériques, convient
+parfaitement, au contraire, à l'analyse des phénomènes sonores, où elle
+nous offre l'expression exacte d'une évidente réalité.</p>
+
+<p>Indépendamment du haut intérêt philosophique que doit naturellement
+inspirer aujourd'hui une telle étude par cette entière pureté de son
+caractère scientifique, et abstraction faite de l'extrême importance
+directe évidemment propre aux phénomènes qu'elle considère, cette belle
+partie de la physique mérite, sous deux rapports principaux, l'attention
+spéciale des esprits qui envisagent l'ensemble des connaissances
+positives, vu l'application générale très précieuse dont l'acoustique
+est susceptible pour perfectionner les notions fondamentales relatives,
+soit aux corps inorganiques, soit à l'homme lui-même.</p>
+
+<p>D'une part, en effet, l'examen des vibrations sonores constitue notre
+moyen le plus rationnel et le plus efficace, si ce n'est le seul,
+d'explorer, jusqu'à un certain point, la constitution mécanique
+intérieure des corps naturels, dont l'influence doit surtout se
+manifester dans les modifications qu'éprouvent les mouvemens vibratoires
+de leurs molécules. Les faibles renseignemens obtenus jusqu'ici à cet
+égard par une telle voie, à cause de l'imperfection actuelle de
+l'acoustique, ne sauraient indiquer, ce me semble, l'impossibilité
+d'employer ultérieurement, avec un vrai succès, ce mode général
+d'exploration, quand l'étude du son sera plus avancée. Les belles suites
+d'observations de M. Chladni et de M. Savart, quoique trop peu variées,
+n'ont-elles pas déjà fourni à ce sujet quelques indications précieuses
+sur les propriétés essentielles d'un tel système d'expérimentation.
+L'étude approfondie des phénomènes sonores ne nous révèle-t-elle pas
+certaines propriétés délicates des corps naturels, qui ne pourraient s'y
+apercevoir d'aucune autre manière? Par exemple, la faculté de contracter
+de véritables <i>habitudes</i>, c'est-à-dire des dispositions fixes, d'après
+une suite suffisamment prolongée d'impressions uniformes, faculté qui
+semblait exclusivement appartenir aux êtres animés, n'est-elle pas ainsi
+clairement indiquée, à un degré plus ou moins grand, pour les appareils
+inorganiques eux-mêmes? N'est-ce point aussi aux mouvemens vibratoires
+qu'il faut attribuer l'influence remarquable que peuvent exercer l'un
+sur l'autre, en certains cas, deux appareils mécaniques entièrement
+séparés, comme, entre autres, dans la singulière action mutuelle de deux
+horloges placées sur un support commun?</p>
+
+<p>D'une autre part, l'acoustique présente évidemment à la physiologie un
+point d'appui indispensable pour l'analyse exacte des deux fonctions
+élémentaires les plus importantes à l'établissement des relations
+sociales, l'audition et la phonation. En séparant avec soin tout ce qui
+concerne la perception des sons, et même leur simple transmission au
+cerveau, phénomènes essentiellement nerveux, de ce qui est purement
+relatif à leur impression sur l'organe de l'ouïe, on voit clairement que
+l'étude de ces derniers phénomènes, sans lesquels les autres resteraient
+nécessairement inexplicables, doit avoir pour base rationnelle une
+connaissance approfondie des lois générales de l'acoustique, qui règlent
+inévitablement le mode de vibration de tout appareil auditif. Il en est
+ainsi, à plus forte raison, quant à la production de la voix, phénomène
+essentiellement assimilable, par sa nature, à l'action de tout autre
+instrument sonore, sauf la complication supérieure due aux modifications
+presque continuelles de l'appareil vocal, en vertu des innombrables
+variations organiques, et dont les plus délicates seront toujours, sans
+doute, à peu près inappréciables.</p>
+
+<p>Mais, malgré cette incontestable relation, ou, plutôt, en y ayant
+convenablement égard, ce n'est pas aux physiciens proprement dits
+qu'appartient rationnellement l'étude de ces deux grands phénomènes,
+dont les anatomistes et les physiologistes ne doivent pas se dessaisir,
+pourvu qu'ils empruntent désormais à la physique toutes les notions
+nécessaires. Car, les physiciens sont, en eux-mêmes, essentiellement
+impropres, soit à l'usage judicieux des données anatomiques du
+problème, soit surtout à la saine interprétation physiologique des
+résultats obtenus. On aperçoit ainsi combien sont déplacées, dans nos
+systèmes actuels de physique, les théories, d'ailleurs si
+superficielles, de l'audition et de la phonation: on en peut dire
+autant, par les mêmes motifs fondamentaux, quant à la théorie si
+imparfaite de la vision. Il semble que les physiciens aient voulu
+tenter, à ces divers égards, la combinaison inverse de celle qui devrait
+être réellement entreprise par les physiologistes, seuls compétens pour
+l'établir: aussi aurons-nous lieu de constater, dans le volume suivant,
+les graves préjudices qu'a nécessairement produits cette marche
+irrationnelle, relativement à nos vraies connaissances sur ces sujets
+difficiles.</p>
+
+<p>Parmi toutes les branches principales de la physique, l'acoustique est,
+sans doute, après la barologie, celle qui, par sa nature, comporte le
+plus directement, et de la manière la plus satisfaisante, une large
+application des doctrines et des méthodes mathématiques. Considérés, en
+effet, sous le point de vue le plus général, les phénomènes sonores se
+rattachent évidemment à la théorie fondamentale des oscillations très
+petites d'un système quelconque de molécules autour d'une situation
+d'équilibre stable. Car, pour que le son se produise, il faut d'abord
+qu'il y ait perturbation brusque dans l'équilibre moléculaire, en vertu
+d'un ébranlement instantané; et il est tout aussi indispensable que ce
+dérangement passager soit suivi d'un retour suffisamment prompt à l'état
+primitif. Les oscillations plus ou moins perceptibles et continuellement
+décroissantes qu'effectue ainsi le système en-deçà et au-delà de sa
+figure de repos, sont, par leur nature, sensiblement isochrones, puisque
+la réaction élastique en vertu de laquelle chaque molécule tend à
+reprendre sa position initiale est d'autant plus énergique que
+l'écartement a été plus grand, comme dans le cas du pendule. Pourvu que
+ces vibrations ne soient pas trop lentes, il en résulte toujours un son
+appréciable. Une fois produites dans le corps directement ébranlé, elles
+peuvent être transmises à de grands intervalles, à l'aide d'un milieu
+quelconque suffisamment élastique, et principalement de l'atmosphère, en
+y excitant une succession graduelle de dilatations et contractions
+alternatives, que leur analogie évidente avec les ondes formées à la
+surface d'un liquide a fait justement qualifier d'<i>ondulations</i> sonores.
+Dans l'air, en particulier, vu sa parfaite élasticité, l'agitation doit
+se propager, non-seulement suivant la direction de l'ébranlement
+primitif, mais encore en tous sens au même degré. Enfin, les vibrations
+transmises sont toujours nécessairement isochrones aux vibrations
+primitives, quoique leur amplitude puisse être d'ailleurs fort
+différente.</p>
+
+<p>L'analyse la plus élémentaire du phénomène général des vibrations
+sonores, a donc suffi pour faire concevoir cette étude, presque dès son
+origine, comme immédiatement subordonnée aux lois fondamentales de la
+mécanique rationnelle. Aussi, d'après Newton, auquel est due la première
+tentative pour déterminer rationnellement la vitesse de propagation du
+son dans l'air, l'acoustique a-t-elle toujours été plus ou moins mêlée à
+tous les travaux des géomètres sur le développement de la mécanique
+abstraite. Ce sont même de simples considérations d'acoustique qui ont
+primitivement suggéré le beau principe général découvert par Daniel
+Bernouilli, relativement à la coexistence nécessaire et sans confusion
+des petites oscillations de diverses sortes que produisent à la fois,
+dans un système quelconque, plusieurs ébranlemens distincts. Un tel
+théorème n'est plus maintenant, sans doute, aux yeux des géomètres,
+comme je l'ai indiqué dans la dix-huitième leçon, que l'interprétation
+naturelle et générale du caractère analytique propre aux équations
+différentielles qui expriment les perturbations quelconques de tout
+l'équilibre stable. Mais, c'est dans les phénomènes sonores que se
+trouve directement sa réalisation la plus évidente et la plus étendue;
+puisque, sans cette loi, il serait impossible d'expliquer le phénomène
+le plus vulgaire de l'acoustique, la simultanéité des sons nombreux et
+néanmoins parfaitement distincts que nous entendons à chaque instant.</p>
+
+<p>Quoique la relation de l'acoustique avec la mécanique rationnelle soit
+ainsi presque aussi directe et aussi complète que celle de la barologie
+elle-même, les moyens de perfectionnement qui doivent naturellement
+résulter de ce caractère mathématique n'ont point, à beaucoup près,
+autant d'efficacité réelle dans la théorie du son que dans l'étude de la
+pesanteur. Les recherches barologiques, du moins quand on s'y borne aux
+questions les plus simples, qui sont aussi les plus importantes, se
+rattachent directement aux théories mécaniques les plus fondamentales et
+les plus nettes: leurs équations ne présentent point ordinairement de
+grandes difficultés analytiques. Au contraire, l'étude mathématique des
+vibrations sonores dépend uniquement d'une théorie dynamique très
+difficile et fort délicate, celle des perturbations d'équilibre: les
+équations différentielles qu'elle fournit se rapportent toujours
+nécessairement à la partie la plus élevée et la plus imparfaite du
+calcul intégral. La nature de cet ouvrage ne saurait permettre de
+considérer ici, même sommairement, le mode de formation de ces
+équations: mais il est évident qu'elles doivent être aux différences
+partielles, et au moins du second ordre; leur composition,
+nécessairement <i>linéaire</i>, est la seule circonstance favorable qui ait
+pu fournir un point d'appui aux efforts des géomètres pour parvenir,
+dans les cas les plus simples, à leur intégration. Le mouvement
+vibratoire suivant une seule dimension, est encore, même à l'égard des
+solides, le seul dont la théorie mathématique soit jusqu'ici vraiment
+complète par les travaux successifs de D'Alembert, de Daniel Bernouilli,
+et de Lagrange. La mémorable impulsion donnée à la science, sous ce
+rapport, par le génie d'une illustre contemporaine, dont la perte
+récente est si regrettable<a id="footnotetag30" name="footnotetag30"></a>
+<a href="#footnote30"><sup class="sml">30</sup></a>, a conduit, il est vrai, les géomètres à
+considérer, dans ces derniers temps, un cas plus difficile et plus
+rapproché de la réalité, les vibrations des surfaces. Mais jusqu'à
+présent cette nouvelle étude mathématique n'est point assez avancée pour
+concourir utilement au perfectionnement effectif de l'acoustique, encore
+essentiellement réduite à cet égard aux seules ressources de la pure
+expérimentation, comme à l'époque des premières observations de M.
+Chladni. Quant au mouvement vibratoire, envisagé suivant les trois
+dimensions, sa théorie analytique est aujourd'hui entièrement ignorée,
+même en ce qui concerne le simple établissement de l'équation: et,
+cependant, c'est peut-être le cas dont l'examen mathématique aurait le
+plus d'importance, soit comme étant, au fond, le seul pleinement réel,
+soit à cause des obstacles presque insurmontables qu'il oppose, par sa
+nature, à l'exploration directe.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote30"
+name="footnote30"><b>Note 30: </b></a><a href="#footnotetag30">
+(retour) </a> On apprécierait imparfaitement la haute portée
+ de mademoiselle Sophie Germain, si l'on se bornait à
+ l'envisager comme géomètre, quel que soit l'éminent mérite
+ mathématique dont elle a fait preuve. Son excellent discours
+ posthume, publié en 1833, <i>sur l'état des sciences et des
+ lettres aux différentes époques de leur culture</i>, indique en
+ elle une philosophie très élevée, à la fois sage et
+ énergique, dont bien peu d'esprits supérieurs ont
+ aujourd'hui un sentiment aussi net et aussi profond.
+ J'attacherai toujours le plus grand prix à la conformité
+ générale que j'ai aperçue dans cet écrit avec ma propre
+ manière de concevoir l'ensemble du développement
+ intellectuel de l'humanité.
+</blockquote>
+
+<p>Afin de se former une juste idée générale des hautes difficultés que
+présente nécessairement l'étude mathématique des mouvemens vibratoires,
+il faut considérer, en outre, que ces vibrations doivent déterminer
+habituellement, dans la constitution moléculaire des corps, certaines
+modifications physiques d'une autre nature, dont la réaction peut
+affecter ensuite le phénomène sonore primitif. Quoique ces modifications
+soient trop faibles, et surtout trop passagères, pour être jusqu'ici, et
+peut-être jamais, directement appréciables, on conçoit que leur
+influence sur un phénomène aussi délicat que celui des vibrations
+sonores puisse n'être pas réellement insensible: seulement, la
+difficulté fondamentale du problème en sera beaucoup augmentée, par la
+nécessité de le compliquer d'élémens essentiellement inconnus. La seule
+action de ce genre qu'on ait encore tenté de prendre en considération,
+consiste dans les effets thermologiques qui résultent nécessairement du
+mouvement vibratoire. Laplace en a très heureusement profité pour
+expliquer, d'une manière satisfaisante, la notable différence entre la
+vitesse du son dans l'air, déterminée expérimentalement, et celle
+qu'indiquait la formule dynamique, dont le résultat était en défaut
+d'environ un sixième, ce qui ne pouvait évidemment être attribué aux
+erreurs d'observation. Cette différence a été comblée en ayant
+convenablement égard à la chaleur dégagée par la compression des couches
+atmosphériques, qui doit faire varier leur élasticité dans un plus grand
+rapport que leur densité, et, par conséquent, accélérer la propagation
+du mouvement vibratoire. À la vérité, une telle explication présente
+encore une lacune essentielle; puisque, dans l'impossibilité de mesurer
+directement ce dégagement de chaleur, il a fallu lui supposer
+expressément la valeur propre à faire cesser la discordance des deux
+vitesses. Quoique cette valeur n'offre aucune invraisemblance, il reste
+à désirer qu'une estimation réelle de cet effet thermologique vienne
+confirmer définitivement cette ingénieuse conjecture, comme une
+expérience intéressante de M. Clément permet de l'espérer. Mais, quelle
+que puisse être l'issue d'une telle comparaison, cette idée de Laplace
+aura toujours mis en évidence désormais la nécessité permanente de
+combiner les considérations thermologiques avec la théorie purement
+dynamique des mouvemens vibratoires, malgré la nouvelle complication que
+le problème doit ainsi inévitablement éprouver. La modification qui en
+résulte est, sans doute, par sa nature, beaucoup moins prononcée, quant
+à la propagation du son dans les liquides, et surtout dans les solides:
+toutefois, le défaut d'expériences comparatives suffisamment exactes ne
+permet point encore de juger si elle est alors tout-à-fait négligeable.</p>
+
+<p>Nonobstant les difficultés capitales qui caractérisent nécessairement la
+théorie mathématique des vibrations sonores, elle n'en a pas moins
+exercé jusqu'ici, quelque imparfaite qu'elle soit encore, l'influence la
+plus heureuse sur les progrès effectifs de l'acoustique, qui lui sont,
+en réalité, essentiellement dus. Sous le point de vue le plus
+philosophique, la simple formation des équations différentielles propres
+aux phénomènes sonores constitue déjà, par elle-même, et indépendamment
+de leur intégration, une connaissance fort importante, à cause des
+lumineux rapprochemens que comporte si naturellement l'emploi judicieux
+de l'analyse mathématique entre les questions, d'ailleurs hétérogènes à
+tous autres égards, qui peuvent conduire à des équations semblables.
+Cette admirable propriété fondamentale, si fréquemment signalée
+jusqu'ici dans cet ouvrage, s'applique d'une manière très remarquable à
+la théorie du son, surtout depuis la création de la thermologie
+mathématique, dont les principales équations offrent tant d'analogie
+avec celles des mouvemens vibratoires, qui n'en diffèrent quelquefois
+que par le signe d'un coefficient.</p>
+
+<p>Outre la haute importance directe évidemment propre aux lois précises
+des vibrations sonores, dans les cas, malheureusement trop rares, où
+l'analyse mathématique a pu jusqu'ici nous les dévoiler complétement, ce
+précieux moyen d'investigation acquiert un surcroît spécial de valeur,
+vu les difficultés particulières que présente, par sa nature,
+l'exploration directe des phénomènes du son, considérés d'une manière un
+peu approfondie. Il est aisé, sans doute, de rendre sensible, par une
+expérience décisive, la nécessité du milieu atmosphérique pour la
+transmission habituelle des vibrations sonores, comme on l'a fait dès
+l'origine de l'acoustique. On conçoit de même que, par des expériences
+convenablement instituées, il nous soit possible de déterminer avec
+exactitude la durée effective de cette propagation, d'abord dans l'air,
+et ensuite dans tout autre milieu. Mais les lois générales des
+vibrations des corps sonores échappent presque toujours à l'observation
+immédiate. Quoique l'existence de ces vibrations soit constamment
+évidente, leur faible intensité habituelle, et leur durée trop fugitive
+sans aucun vestige appréciable, ne permettent guère à nos sens de les
+explorer d'une manière suffisamment précise. Le degré de rapidité
+qu'elles doivent avoir pour qu'il en résulte un son perceptible, doit
+même s'opposer le plus souvent à leur simple énumération directe. Ainsi,
+nos connaissances réelles à cet égard étant encore bien peu étendues,
+elles seraient, évidemment, presque nulles si la théorie mathématique,
+liant entre eux les divers phénomènes sonores, ne nous donnait point la
+faculté de remplacer les observations immédiates, ordinairement
+impossibles ou trop imparfaites, par l'examen équivalent des cas plus
+favorables assujettis à la même loi. On conçoit, par exemple, que les
+plus rapides vibrations d'une corde très courte aient pu néanmoins être
+exactement comptées, quand l'analyse du problème des cordes vibrantes a
+fait connaître que, tout étant d'ailleurs rigoureusement égal, le nombre
+des oscillations est inversement proportionnel à la longueur de la
+corde, puisque cette loi permet dès lors de se borner à l'observation
+effective de vibrations très lentes. Il en est de même en beaucoup
+d'autres occasions où la substitution est plus indirecte.</p>
+
+<p>Toutefois, les physiciens ont, ce me semble, trop compté jusqu'ici sur
+le secours de l'analyse mathématique, si fréquemment inefficace; et l'on
+doit regretter, pour les progrès réels de l'acoustique, qu'ils ne se
+soient pas occupés davantage de perfectionner directement leur système
+général d'expérimentation, encore essentiellement dans l'enfance.
+Quelles que soient les difficultés caractéristiques d'un tel ordre
+d'observations, tout esprit impartial reconnaîtra, sans doute,
+aujourd'hui que les modes actuels d'exploration sont presque toujours
+fort inférieurs à ce que permettrait effectivement la nature des
+phénomènes. L'acoustique ne paraît point au niveau des autres parties
+de la physique, quand on l'envisage relativement à l'invention et à
+l'emploi des moyens artificiels d'observation: on y remarque peu de ces
+ingénieuses créations de l'esprit expérimental, si multipliées et si
+importantes en thermologie, en optique, et en électrologie: les légers
+chevalets de Sauveur, et le sable fin de M. Chladni, soutiendraient mal
+une telle concurrence, quelque précieux que soit d'ailleurs leur emploi
+pour distinguer commodément les points qui participent le moins au
+mouvement vibratoire. Je ne doute pas que cette stérilité relative de
+l'art des expériences ne doive être attribuée, en partie, à l'opinion
+exagérée que se sont formée les physiciens du rôle de l'analyse
+mathématique dans le développement de l'acoustique, et qui leur a fait
+négliger à cet égard les ressources de l'expérimentation directe. Depuis
+les expériences vraiment fondamentales de Sauveur, on ne retrouve, en
+acoustique, après plus d'un siècle, d'autre suite importante
+d'observations que celles de notre illustre contemporain M. Chladni,
+complétées et perfectionnées par les judicieux travaux de M. Savart:
+tout l'intervalle est rempli par des recherches essentiellement
+mathématiques. Et, néanmoins, quelle que soit ici l'indispensable
+nécessité de ce puissant auxiliaire, comme j'ai essayé de le faire
+sentir ci-dessus, nous avons reconnu combien il serait, par lui-même,
+radicalement insuffisant, à cause des difficultés capitales inséparables
+d'une telle analyse, d'après laquelle on n'a pas même pu jusqu'à présent
+expliquer, d'une manière pleinement satisfaisante, les expériences de
+Sauveur, et, à plus forte raison, celles de M. Chladni. Sans renoncer au
+perfectionnement si désirable de la théorie mathématique des mouvemens
+vibratoires, il importe donc extrêmement que les physiciens proprement
+dits suivent désormais, en acoustique, une marche moins passive, en
+s'attachant avec plus de force et de persévérance à y développer
+convenablement le génie expérimental. L'indifférence qui pourrait en
+résulter quant à ces brillans exercices analytiques, où l'on ne trouve,
+sous le point de vue physique, que d'insignifiantes modifications des
+recherches antérieures, serait loin, sans doute, d'être aujourd'hui un
+inconvénient pour la science réelle. J'ai déjà indiqué, dans la
+vingt-neuvième leçon, des remarques analogues au sujet des parties les
+plus difficiles de la barologie: mais elles ont ici une importance très
+supérieure.</p>
+
+<p>Après cet examen sommaire de la nature générale des études acoustiques
+et des principaux moyens d'investigation qui leur sont propres, il nous
+reste à considérer directement, par un aperçu non moins rapide,
+l'ensemble des parties dont se compose aujourd'hui cette branche
+fondamentale de la physique.</p>
+
+<p>Nos connaissances à l'égard des lois des vibrations sonores se
+rapportent à ces trois points de vue élémentaires: le mode de
+propagation des sons; leur intensité plus ou moins grande, et, enfin,
+leur ton musical. L'acoustique actuelle, peu avancée sous le second
+rapport, présente sous les deux autres un aspect beaucoup plus
+satisfaisant. Il existe naturellement, à la vérité, une quatrième
+considération fondamentale, dont l'analyse scientifique serait d'un haut
+intérêt, celle du <i>timbre</i>, c'est-à-dire, du mode particulier de
+vibration propre à chaque corps et à chaque appareil sonore. Sans que
+nous sachions encore en quoi consiste réellement cette propriété, nous
+lui reconnaissons évidemment une telle fixité et une si grande
+importance que nous l'employons habituellement, soit dans la vie
+commune, soit même en histoire naturelle, comme tout-à-fait
+caractéristique. Toutefois, la physique générale n'a point à s'enquérir
+de ce qui peut constituer le timbre particulier à chacune des diverses
+substances, comme les pierres, les bois, les métaux, les tissus
+organisés, etc.; ces distinctions appartiennent proprement à la
+physique concrète, en traitant de l'histoire des différens corps: il
+est même évident que, sous ce rapport, comme en tout ce qui concerne les
+qualités primordiales des êtres naturels, certains phénomènes ne peuvent
+qu'être observés, et ne comportent aucune explication. Mais la manière
+dont le timbre propre à chaque substance peut être modifié, soit par la
+disposition de l'appareil sonore, soit par les pressions qu'il éprouve,
+ou par plusieurs autres circonstances générales, rentre pleinement dans
+le domaine rationnel de l'acoustique, qui doit donc être regardée
+aujourd'hui comme présentant, sous ce rapport essentiel, une véritable
+et grave lacune.</p>
+
+<p>Dans l'étude de la propagation du son, la question la plus intéressante,
+et aussi la plus simple et la mieux explorée, consiste à mesurer la
+durée de cette propagation uniforme, surtout à travers l'atmosphère. En
+négligeant d'abord les variations de température qui résultent de la
+compression des couches atmosphériques, la théorie mathématique, quand
+on se borne au mouvement linéaire, conduit aisément à une telle
+détermination, énoncée par Newton sous cette forme très simple: la
+vitesse du son est celle qu'acquiert un corps pesant tombant d'une
+hauteur égale à la moitié de la hauteur totale de l'atmosphère supposée
+homogène. On a pu calculer d'une manière analogue la vitesse du son dans
+les différens gaz, d'après leur densité et leur élasticité plus ou moins
+grandes. Suivant cette loi, la vitesse du son dans l'air doit être
+regardée comme essentiellement indépendante des vicissitudes
+atmosphériques, puisque, d'après la règle de Mariotte, la densité et
+l'élasticité de l'air varient toujours proportionnellement, et que leur
+rapport seul influe ainsi sur cette vitesse. J'ai déjà eu ci-dessus
+l'occasion d'indiquer comment Laplace avait heureusement rectifié la
+formule de Newton d'une manière conforme au prescriptions
+expérimentales, en ayant égard aux effets thermologiques: la correction
+consiste à multiplier la quantité primitive par la racine carrée du
+rapport des deux chaleurs spécifiques de l'air, à pression constante et
+à volume égal.</p>
+
+<p>Une importante notion générale, qui résulte immédiatement de cette loi
+mathématique, et que l'observation confirme entièrement avec une pleine
+évidence, c'est l'identité nécessaire de la vitesse des différens sons,
+malgré leurs degrés si divers, soit d'intensité, soit d'acuité. On sent
+que s'il existait, à cet égard, une inégalité réelle, nous la
+constaterions sans peine, d'après l'altération qui en résulterait
+inévitablement, à une certaine distance, dans la régularité des
+intervalles musicaux.</p>
+
+<p>L'évaluation mathématique de la vitesse du son dans l'air ne pouvant se
+rapporter, par la nature même de cette théorie, qu'à une masse
+atmosphérique essentiellement immobile, animée seulement du mouvement
+vibratoire, il était intéressant d'observer jusqu'à quel point
+l'agitation effective de l'air modifiait réellement cette valeur
+moyenne. Les expériences fondamentales d'après lesquelles la durée de la
+propagation avait été primitivement mesurée, pouvaient indiquer déjà que
+cette cause perturbatrice n'exerçait point, à cet égard, une influence
+bien sensible, puisque l'observation étant toujours faite
+comparativement dans les deux sens opposés, ne présente, sous ce
+rapport, aucune différence notable. Une telle comparaison n'est point à
+la vérité décisive, vu l'état de calme atmosphérique qu'on avait
+toujours dû choisir pour exécuter convenablement une semblable
+opération; mais les expériences directes tentées à ce sujet par divers
+physiciens contemporains ont conduit à un résultat presque exactement
+identique. On a reconnu, du moins entre les limites des vents
+ordinaires, que l'agitation de l'air n'exerce aucune influence
+appréciable sur la vitesse du son quand la direction du courant
+atmosphérique est perpendiculaire à celle suivant laquelle le son se
+propage, et qu'elle l'altère faiblement, soit en plus, soit en moins,
+lorsque ces deux directions coïncident, selon que leurs sens sont
+conformes ou contraires: la valeur exacte, et, à plus forte raison, la
+loi précise de cette légère perturbation sont d'ailleurs encore
+essentiellement inconnues.</p>
+
+<p>C'est seulement dans l'air que la durée de la propagation du son a été
+jusqu'ici convenablement étudiée, soit par l'observation, soit d'après
+la théorie mathématique. À l'égard des milieux liquides ou solides, nous
+ne possédons aujourd'hui que certaines indications mathématiques
+affectées d'hypothèses précaires, et quelques expériences directes très
+imparfaites. On a simplement constaté que le son se propage beaucoup
+plus rapidement dans presque toutes les substances soumises à cette
+comparaison, et surtout dans les métaux très sonores, que dans
+l'atmosphère, sans que cette supériorité de vitesse ait été exactement
+mesurée, du moins pour la plupart des cas, vu les difficultés qu'on doit
+éprouver à réunir les conditions nécessaires au succès de ce genre
+d'évaluations immédiates.</p>
+
+<p>Lorsque, dans la propagation ordinaire du son, les ondulations aériennes
+viennent à rencontrer un obstacle immobile, de manière à produire un
+écho, elles éprouvent des modifications dont l'analyse exacte et
+complète présente de grandes difficultés mathématiques, et sur
+lesquelles aussi les expériences des physiciens ont peu ajouté encore
+aux notions vulgaires. Il ne s'opère point alors évidemment, comme le
+terme habituel tendrait à l'indiquer, une véritable réflexion mécanique
+analogue à celle des corps élastiques par les corps durs: le phénomène
+consiste en une simple répercussion en sens contraire qu'éprouvent les
+vibrations du milieu, d'ailleurs immobile. La loi de cette répercussion
+n'a été découverte, d'une manière entièrement satisfaisante, que dans le
+cas où l'obstacle est terminé par une surface plane. Il est clair
+d'abord que, si ce plan est perpendiculaire à la direction de la série
+linéaire d'ondulations, la dilatation des particules aériennes
+adjacentes ne pouvant plus avoir lieu dans le sens de l'obstacle, leur
+réaction nécessaire fera naître en sens contraire, et suivant la même
+droite, un ébranlement secondaire, sans que la vitesse des vibrations ni
+la durée de leur propagation doivent être d'ailleurs aucunement
+altérées. On démontre ensuite que, pour une inclinaison arbitraire du
+plan sur la direction du son, la modification s'opère toujours comme si
+le centre d'ébranlement primitif avait été transporté symétriquement, de
+l'autre côté de l'obstacle, à la même distance, ce qui reproduit alors
+la loi commune de toutes les réflexions. Quand la forme de l'obstacle
+est quelconque, on ignore si, en général, le phénomène serait encore
+exactement représenté d'après la même loi, en substituant à la surface
+courbe le plan tangent correspondant. Cette extension n'a été jusqu'ici
+bien constatée que dans le cas d'un ellipsoïde de révolution, et en
+supposant même que l'ébranlement sonore primitif soit produit à l'un des
+foyers; on reconnaît alors que l'ébranlement secondaire émane en effet
+de l'autre foyer, ce que l'expérience a pleinement confirmé. Quant à
+l'influence évidente que peut exercer sur la répercussion du son la
+constitution physique de l'obstacle, elle n'a été le sujet d'aucune
+étude scientifique, et nous n'avons à cet égard d'autres notions réelles
+que celles qui résultent des observations communes.</p>
+
+<p>Il en est essentiellement de même pour toute la partie de l'acoustique
+qui concerne l'intensité des sons. Non-seulement les notables variétés
+spécifiques que présentent sous ce rapport les sons transmis par
+différens corps solides, et quelquefois par le même corps, suivant les
+diverses directions, n'ont jamais été ni analysées, ni mesurées: mais
+les travaux des physiciens n'ont encore ajouté rien de vraiment
+essentiel à ce qu'enseigne spontanément l'expérience vulgaire
+relativement aux influences générales qui règlent l'intensité du son,
+comme l'étendue des surfaces vibrantes, l'amplitude des excursions,
+l'éloignement du corps sonore, etc. À ces divers égards, les physiciens
+ne pourraient avoir d'autre mérite propre que de préciser des notions
+naturellement vagues, en les assujettissant à d'exactes lois numériques,
+ce que, jusqu'à présent, on n'a pas même entrepris.</p>
+
+<p>C'est donc improprement que ces différens sujets figurent dans nos
+systèmes actuels de physique: l'application d'une telle remarque est
+malheureusement trop fréquente dans l'ensemble de nos études. Ne
+semblerait-il pas aujourd'hui, d'après nos habitudes scolastiques, que,
+avant de se livrer régulièrement à la culture méthodique et spéciale de
+la philosophie naturelle, les auditeurs ou les lecteurs n'avaient jamais
+exercé ni leurs sens, ni leur intelligence, puisqu'on se croit obligé de
+leur enseigner, d'un ton doctoral, même les choses que souvent ils
+savent déjà tout aussi bien que leurs maîtres? Ce dogmatisme puéril
+tient sans doute à ce qu'on méconnaît le vrai caractère de la science
+réelle, qui, en tout genre, ne peut jamais être qu'un simple
+prolongement spécial de la raison et de l'expérience universelles; et
+dont, par conséquent, le vrai point de départ est toujours dans
+l'ensemble des notions acquises spontanément par la généralité des
+hommes relativement aux sujets considérés. L'observance scrupuleuse de
+ce précepte évident tendrait à simplifier beaucoup nos expositions
+scientifiques actuelles, en les dégageant d'une foule de détails
+superflus, susceptibles seulement d'obscurcir le plus souvent la
+manifestation directe de ce que la science proprement dite ajoute
+réellement à la masse fondamentale des connaissances communes.</p>
+
+<p>Quant aux lois relatives à l'intensité des sons, le seul point qui ait
+été jusqu'ici le sujet d'un véritable éclaircissement scientifique, et
+dont l'examen était à la vérité extrêmement facile, consiste dans
+l'influence qu'exerce la densité plus ou moins grande du milieu
+atmosphérique sur l'énergie des sons transmis. À cet égard, l'acoustique
+confirme et surtout explique immédiatement, d'une manière très
+satisfaisante, l'observation vulgaire sur la dégradation nécessaire
+qu'éprouve l'intensité du son à mesure que l'air devient plus rare, sans
+qu'on sache toutefois si cette diminution est exactement
+proportionnelle, comme il est naturel de le penser, au décroissement de
+la densité, de quelque source qu'il provienne.</p>
+
+<p>Dans la manière habituelle de concevoir l'acoustique, on présente, comme
+effectivement résolue, une question intéressante, qui me semble au
+contraire jusqu'ici essentiellement intacte, celle relative au mode
+d'affaiblissement des sons suivant la distance du corps sonore, sur
+laquelle la science n'a point encore réellement dépassé les résultats de
+l'expérience commune. On a coutume de supposer ce décroissement en
+raison inverse du carré de la distance, ce qui constituerait sans doute
+une loi fort importante, si nous pouvions compter sur sa réalité. Mais,
+outre qu'aucune suite d'expériences précises n'a jamais été instituée
+pour la vérifier, les considérations mathématiques sur lesquelles on
+l'appuie uniquement sont, il faut l'avouer, extrêmement précaires, si ce
+n'est frivoles, puisqu'elles exigent d'abord une assimilation fort
+gratuite entre l'intensité du son et l'énergie du choc d'un fluide
+contre un obstacle, et que l'on y fait ensuite varier ce choc
+proportionnellement au carré de la vitesse, conformément à l'ancienne
+hypothèse sur la résistance des fluides, si souvent démentie par
+l'observation. Si l'on accordait ces deux prémisses très hasardées, la
+loi ordinaire en résulterait en effet nécessairement; car il est
+certain, d'après la théorie mathématique du mouvement vibratoire, que la
+vitesse de vibration des molécules situées sur un même rayon sonore
+varie, à très peu près, en raison inverse de leur distance au centre
+d'ébranlement. Mais ne serait-il pas bien préférable d'avouer nettement
+notre ignorance actuelle à cet égard, au lieu de tendre à dissimuler une
+vraie lacune scientifique, en s'efforçant vainement de la remplir par
+des considérations aussi peu péremptoires? Cette marche est, à mon gré,
+tellement arbitraire que je ne serais pas éloigné de l'attribuer, en
+grande partie, à l'influence inaperçue de la prédisposition trop commune
+à retrouver dans tous les phénomènes la formule mathématique de la
+gravitation, en vertu du préjugé métaphysique sur la loi absolue des
+irradiations quelconques.</p>
+
+<p>Du reste, ne serait-il pas étrange, en général, qu'on pût avoir
+aujourd'hui aucune notion exacte sur les lois de l'intensité du son,
+lorsque l'acoustique est encore à cet égard dans une telle enfance, que
+les idées ne sont pas même fixées jusqu'ici sur la manière dont cette
+qualité comporterait une estimation précise, ni peut-être seulement sur
+le sens rigoureux du mot? Nous ne possédons jusqu'ici aucun instrument
+susceptible de remplir, envers la théorie du son, l'office capital si
+bien exercé, pour l'étude de la pesanteur, par le pendule et le
+baromètre, et par les divers thermomètres ou électromètres, quant à la
+mesure des phénomènes correspondans. On n'a pas même aperçu nettement
+le principe d'après lequel de tels <i>sonomètres</i> pourraient être conçus.
+Tant que la science restera à cet égard dans un état aussi imparfait,
+convient-il de hasarder aucune loi numérique sur les variations que peut
+éprouver l'intensité des sons?</p>
+
+<p>Considérons enfin la dernière partie essentielle de l'acoustique
+actuelle, celle relative à la théorie des tons, qui, malgré ses
+imperfections, est, à tous égards, la plus satisfaisante par les
+nombreux et intéressans phénomènes dont elle a dévoilé l'explication
+exacte et complète.</p>
+
+<p>Les lois qui déterminent la nature musicale des différens sons,
+c'est-à-dire, leur degré précis d'acuité ou de gravité, marqué par le
+nombre de vibrations exécutées en un temps donné, ne sont jusqu'ici bien
+connues, d'après une heureuse combinaison de l'expérience avec la
+théorie mathématique, que pour le cas élémentaire d'une série de
+vibrations, linéaire, et même rectiligne, produite, soit dans une verge
+métallique, fixée par un bout et libre par l'autre, soit, enfin, dans
+une colonne d'air remplissant un tuyau cylindrique très étroit. Ce cas
+fondamental est, à la vérité, le plus important pour l'analyse des
+instrumens inorganiques les plus usités, mais non quant à l'étude du
+mécanisme de l'audition et de la phonation.</p>
+
+<p>À l'égard des cordes tendues, la théorie mathématique, dont les
+principales conséquences ont été pleinement vérifiées par des
+expériences nombreuses et précises, fixe le ton propre à chaque ligne
+sonore, d'après sa masse, sa longueur et sa tension. Toutes les lois qui
+s'y rapportent peuvent être résumées en cette seule règle générale: le
+nombre des vibrations exécutées dans un temps donné est en raison
+directe de la racine carrée de la tension de la corde, et en raison
+inverse du produit de sa longueur par son épaisseur.</p>
+
+<p>Dans les tiges métalliques droites et homogènes, ce nombre est
+proportionnel au rapport de leur épaisseur au carré de leur longueur.
+Cette différence profonde entre les lois de ces deux sortes de
+vibrations est la suite nécessaire de la flexibilité du corps sonore
+dans le premier cas, et de sa rigidité dans le second. Elle était déjà
+nettement indiquée par l'observation, surtout quant à l'influence si
+opposée de l'épaisseur.</p>
+
+<p>Ces lois sont relatives aux vibrations ordinaires, qui s'opèrent
+transversalement. Mais M. Chladni a considéré en outre, soit pour les
+cordes, soit pour les verges, un nouveau genre de vibrations dans le
+sens longitudinal. Elles sont en général beaucoup plus aiguës que les
+précédentes, et la marche en est d'ailleurs essentiellement distincte,
+car l'épaisseur ne paraît exercer sur elles aucune influence, et la
+différence indiquée ci-dessus entre les cordes et les tiges disparaît
+entièrement, le nombre des vibrations variant alors toujours
+réciproquement à la longueur; identité à laquelle on devait
+naturellement s'attendre, puisque, dans cette manière de vibrer,
+l'inextensibilité de la corde équivaut à la rigidité de la tige. Enfin,
+les verges métalliques comportent encore un troisième genre de
+vibrations, découvert et étudié expérimentalement par M. Chladni, celles
+qui résultent de la torsion, et qui s'effectuent dans un sens plus ou
+moins oblique. Toutefois, il importe de noter que, d'après les travaux
+postérieurs de M. Savart, ces trois ordres de vibrations ne sont pas, au
+fond, essentiellement distincts, puisqu'ils peuvent être transformés les
+uns dans les autres, en faisant seulement varier par degrés la direction
+suivant laquelle les sons se propagent, et qui est toujours parallèle à
+celle de l'ébranlement primitif successivement produit de la même
+manière en divers sens.</p>
+
+<p>Quant aux sons rendus par une mince colonne d'air, le nombre des
+vibrations est encore, d'après la théorie et l'observation, inversement
+proportionnel à la longueur de chaque colonne, si l'état mécanique de
+l'air reste inaltérable; mais il varie en outre, comme la racine carrée
+du rapport entre l'élasticité de l'air et sa densité. De là résulte,
+entre autres conséquences remarquables, que les changemens de
+température, qui font nécessairement varier ce rapport dans le même
+sens, doivent avoir ici une action absolument inverse de celle qu'ils
+produisent sur les cordes ou sur les tiges. C'est ainsi que l'acoustique
+a nettement expliqué l'impossibilité, remarquée de tout temps par les
+musiciens, de maintenir, sous l'influence des notables variations
+thermométriques, l'harmonie d'abord établie entre les instrumens à corde
+et les instrumens à vent.</p>
+
+<p>Dans tout ce qui précède, la ligne sonore est envisagée comme vibrant en
+totalité. Mais si, ce qui arrive le plus souvent, elle présente, à l'un
+de ses points, un léger obstacle, naturel ou artificiel, aux vibrations,
+le son éprouve alors une modification fondamentale extrêmement
+remarquable dont la loi générale, qui n'aurait, sans doute, pu être
+indiquée par la théorie mathématique, a été découverte depuis long-temps
+par le créateur de l'acoustique expérimentale, l'illustre physicien
+Sauveur. Elle consiste en ce que le son rendu par la corde coïncide
+toujours avec celui que produirait une corde analogue, mais plus
+courte, et d'une longueur égale à celle de la plus grande commune mesure
+entre les deux parties de la ligne totale. L'explication donnée par
+Sauveur de ce phénomène capital se réduit, comme on sait, à concevoir
+que l'obstacle détermine alors la division nécessaire de la corde en
+parties égales à cette commune mesure, qui vibrent à la fois mais
+indépendamment, et que séparent des noeuds de vibration immobiles.
+Quoiqu'on n'ait pu réellement se rendre compte jusqu'ici de la manière
+dont cette division est ainsi établie d'après la seule influence de
+l'obstacle primitif, une telle conception n'en est pas moins l'exacte
+représentation du phénomène, puisque Sauveur a constaté, par une
+ingénieuse expérience, devenue maintenant vulgaire, l'immobilité
+effective de ces points remarquables, comparativement à tous les autres
+points de la ligne sonore.</p>
+
+<p>Cette découverte de Sauveur est d'autant plus importante, qu'elle
+indique immédiatement l'explication la plus satisfaisante d'une autre
+loi fondamentale dévoilée par le même physicien, celle de la série des
+sons harmoniques plus ou moins distincts qui accompagnent constamment le
+son principal de chaque ligne sonore, et dont l'acuité croît comme la
+suite naturelle des nombres entiers, ainsi qu'on le constate aisément,
+soit par l'audition directe, quand une oreille délicate est suffisamment
+exercée, soit surtout en disposant, à côté de la corde primitive,
+d'autres cordes semblables et plus courtes, qui en soient les diverses
+parties aliquotes, et que le seul ébranlement de la première suffit
+alors pour faire vibrer. Un tel phénomène général peut être, sinon
+réellement expliqué, du moins exactement représente, en le rapprochant
+de celui qui précède. Car il suffit d'imaginer que la corde se divise
+alors spontanément, de diverses manières, en ses parties aliquotes, qui
+vibreraient isolément, ainsi que la ligne totale, à des intervalles très
+rapprochés, quoiqu'il soit, sans doute, difficile de concevoir,
+non-seulement le mode de production de ces divisions, mais encore même
+la simple conciliation effective de tous ces divers mouvemens
+vibratoires, qui sont presque simultanés.</p>
+
+<p>Telles sont les principales lois des tons simples. Nous ne possédons
+encore que des notions très imparfaites relativement à la théorie de la
+composition des sons, qui aurait cependant une grande importance. On la
+regarde habituellement comme ébauchée par la belle expérience du célèbre
+musicien Tartini, relative aux sons résultans, et dans laquelle la
+production exactement simultanée de deux sons quelconques, suffisamment
+intenses, et surtout bien caractérisés, fait entendre un son unique plus
+grave que chacun des deux autres, suivant une règle invariable et très
+simple. Toutefois, quelque intérêt que doive évidemment inspirer un
+phénomène général aussi remarquable, il ne me semble point appartenir
+strictement à la véritable acoustique, mais à la théorie physiologique
+de l'audition, qui doit désormais en être soigneusement séparée, comme
+je l'ai établi au commencement de cette leçon. Car, un tel phénomène me
+paraît être, par sa nature, essentiellement nerveux; c'est, à mon avis,
+une sorte d'hallucination normale du sens de l'ouïe, analogue aux
+illusions d'optique: l'explication ordinaire, fondée sur la coïncidence
+de certaines parties régulières des deux séries d'ondulations, ne fait
+que reculer la difficulté, sans la résoudre effectivement. Du reste, ce
+phénomène a pris, ce me semble, un nouvel intérêt scientifique depuis
+que l'attention a été fixée, comme je l'indiquerai dans la leçon
+suivante, sur l'important phénomène des <i>interférences</i> lumineuses, qui
+offre réellement avec lui une analogie profonde, quoique jusqu'à présent
+inaperçue.</p>
+
+<p>Quant aux vibrations, non plus d'une simple fibre sonore, mais d'une
+surface également étendue en tous sens, et dont nous avons déjà
+remarqué que la théorie mathématique est encore dans l'enfance, la
+belle suite d'observations de M. Chladni a fait connaître, à cet égard,
+de très curieux phénomènes, surtout relativement aux formes régulières
+des lignes nodales. Ces recherches ont reçu, dans ces derniers temps, un
+important complément par les expériences de M. Savart, d'où ce judicieux
+physicien a déduit, d'abord, la remarque générale relative à la
+dissemblance constante des figures nodales qui correspondent aux deux
+surfaces d'une même lame, et ensuite la connaissance plus exacte de
+l'influence qu'exerce la direction de l'ébranlement sur la forme de ces
+lignes, qui cesse d'être ainsi nettement caractéristique du mode de
+vibration propre à chaque corps. En même temps, les travaux de M. Savart
+ont donné à cette étude une extension fort essentielle, par ses
+intéressantes observations sur le mouvement vibratoire des membranes
+tendues, qui doivent fournir des renseignemens indispensables pour
+l'intelligence du mécanisme fondamental de l'audition, en ce qui
+concerne l'influence sonore du degré de tension, de l'état
+hygrométrique, etc.</p>
+
+<p>L'étude du cas le plus général et le plus compliqué des mouvemens
+vibratoires, celui d'une masse qui vibre suivant les trois dimensions,
+a été encore à peine ébauchée par les physiciens, sauf pour quelques
+solides creux et réguliers. C'est cependant celui dont l'analyse exacte
+aurait le plus d'importance, puisque, sans lui, il est évidemment
+impossible de compléter l'explication d'aucun instrument réel, même de
+ceux où le son principal est produit par de simples lignes, dont les
+vibrations effectives doivent toujours être plus ou moins modifiées par
+les masses qui leur sont constamment liées. On peut dire, en général (et
+cette remarque me semble propre à résumer utilement l'esprit de
+l'ensemble des considérations indiquées dans cette leçon), que l'état de
+l'acoustique ne permet pas d'atteindre encore à l'entière explication
+des propriétés fondamentales d'aucun instrument musical, malgré les
+ingénieux travaux de Daniel Bernouilli sur la théorie des instrumens à
+vent. Cette condition, qui d'abord paraît si simple, se rapporte
+réellement, au contraire, à la plus grande perfection de la science,
+même en excluant ces effets extraordinaires, radicalement inaccessibles
+à toute analyse scientifique, que le jeu d'un habile artiste peut
+obtenir d'un instrument quelconque, et en se bornant uniquement, comme
+on doit le faire, aux influences susceptibles d'être nettement définies
+et fixement caractérisées.</p>
+
+<p>Telles sont les considérations principales, que la nature de cet
+ouvrage m'interdisait de développer davantage, relativement à l'examen
+philosophique de l'acoustique, envisagée dans son ensemble et dans ses
+parties. Quelque imparfait que soit, sans doute, ce rapide aperçu, il
+permettra, j'espère, d'apprécier exactement le vrai caractère général
+propre à cette belle partie de la physique, la haute importance des lois
+qu'elle nous a dévoilées jusqu'ici, les connexions fondamentales de ses
+diverses parties essentielles, ainsi que le degré de développement
+auquel chacune d'elles est maintenant parvenue, et les lacunes plus ou
+moins profondes qu'elle laisse encore à remplir pour correspondre
+convenablement à sa destination essentielle.</p>
+
+<a name="l33" id="l33"></a>
+<br><hr class="full"><br>
+
+<h3>TRENTE-TROISIÈME LEÇON.</h3>
+
+<br><hr class="short"><br>
+
+<p class="sml">Considérations générales sur l'optique.</p>
+
+<p>La révolution fondamentale, et de plus en plus prononcée, par laquelle,
+depuis environ deux siècles, l'esprit humain, en fondant la philosophie
+naturelle, tend à se dégager irrévocablement de toute influence
+théologique ou métaphysique, ne s'est composée essentiellement
+jusqu'ici que d'une succession d'efforts plus ou moins partiels,
+toujours conçus d'une manière isolée, quoique tous, en réalité, aient
+convergé sans cesse vers un même but final, presque constamment inaperçu
+de ceux qui ont coopéré avec le plus d'ardeur et de succès à cette
+immense régénération intellectuelle. Si une telle incohérence a fait
+ressortir d'une manière plus éclatante l'irrésistible spontanéité de cet
+instinct universel qui caractérise les intelligences modernes, elle a
+produit aussi beaucoup de lenteur et d'embarras, et même, à certains
+égards, une véritable hésitation dans la marche générale de notre
+émancipation définitive. Personne n'ayant encore conçu directement la
+philosophie positive dans son ensemble réel, les conditions radicales de
+la positivité n'ayant jamais été rationnellement analysées, ni, à plus
+forte raison, nettement formulées, avec les modifications essentielles
+convenables aux divers ordres de recherches, il en est résulté que, sur
+les parties du système scientifique qui ne constituaient point le sujet
+spécial de leurs travaux, la plupart des illustres fondateurs de la
+philosophie naturelle ont continué, à leur insu, à subir cette même
+impulsion métaphysique et théologique dont leurs découvertes propres
+tendaient avec tant d'énergie à détruire les bases, et sous la
+prépondérance de laquelle s'était jusque alors exclusivement accomplie
+l'éducation générale de la raison humaine. Aucun penseur ne s'est autant
+rapproché, sans doute, que notre grand Descartes de cette conception, à
+la fois claire et complète, de l'ensemble de la philosophie moderne avec
+son vrai caractère: aucun n'a exercé aussi sciemment, dans cette
+transformation universelle, une action aussi directe, aussi étendue, et
+aussi efficace, quoique d'ailleurs essentiellement transitoire; aucun
+surtout ne s'est montré aussi indépendant de l'esprit dominant de ses
+contemporains. Cependant Descartes lui-même, dont la persévérante
+hardiesse renversait si vigoureusement tout l'édifice de l'ancienne
+philosophie relativement à l'ensemble des phénomènes inorganiques, et
+même quant aux phénomènes purement physiques de l'animalité, était, sous
+d'autres rapports, involontairement entraîné par son siècle en un sens
+tout-à-fait inverse, lorsqu'il entreprit tant de vains efforts, pour
+étayer, en les rajeunissant, les conceptions théologiques et
+métaphysiques sur l'étude de l'homme moral, ainsi que je l'expliquerai
+soigneusement en analysant, dans la dernière partie de cet ouvrage, la
+marche générale du développement effectif de l'humanité, dont Descartes
+fut incontestablement un des types essentiels. Après un tel exemple, on
+ne saurait être étonné de reconnaître chez les hommes d'un génie plus
+spécial, qui ont concouru à la formation ou au développement du système
+scientifique, sans s'occuper directement de la régénération fondamentale
+de la raison humaine, cette radicale inconséquence philosophique qui
+leur faisait suivre, à certains égards, une direction métaphysique, en
+même temps que, sous d'autres rapports, quelquefois peu éloignés, ils
+produisaient des manifestations si décisives du véritable esprit
+positif.</p>
+
+<p>Ces réflexions générales préliminaires sont éminemment applicables à
+l'histoire philosophique de l'optique, celle peut-être de toutes les
+branches essentielles de la physique où l'état de positivisme incomplet,
+caractérisé dans la vingt-huitième leçon, conserve encore aujourd'hui la
+plus profonde consistance, surtout à cause des importans travaux
+mathématiques qui malheureusement s'y rattachent. La formation de cette
+belle science est due principalement aux philosophes qui ont le plus
+puissamment contribué, sous d'autres rapports capitaux, à jeter les
+bases essentielles de la philosophie positive, tels que Descartes,
+Huyghens et Newton: et, néanmoins, l'influence inaperçue du vieil esprit
+métaphysique et absolu a poussé chacun d'eux à la création d'une
+hypothèse, nécessairement chimérique, sur la nature de la lumière. Un
+tel contraste est spécialement remarquable chez le grand Newton, qui,
+par son admirable doctrine de la gravitation universelle, comme je l'ai
+soigneusement établi dans la première partie de ce volume, avait élevé
+d'une manière irrévocable la conception fondamentale de la philosophie
+moderne au-dessus de l'état où le cartésianisme l'avait placée, en
+constatant l'inanité radicale de toutes les études dirigées vers la
+nature intime et le mode de production des phénomènes, et en assignant
+désormais, comme seul but nécessaire des efforts scientifiques vraiment
+rationnels, l'exacte réduction d'un système plus ou moins étendu de
+faits particuliers à un fait unique et général. Ce même Newton, dont
+l'exclamation favorite était: <i>ô physique! garde-toi de la
+métaphysique!</i> s'est laissé entraîner, dans la théorie des phénomènes
+lumineux, par les anciennes habitudes philosophiques, jusqu'à la
+personnification formelle de la lumière, envisagée comme une substance
+distincte et indépendante du corps lumineux; ce qui constitue évidemment
+une conception tout aussi métaphysique que pourrait l'être celle de la
+gravité, si on lui attribuait une existence propre, isolée du corps
+gravitant.</p>
+
+<p>Après la discussion générale établie dans la vingt-huitième leçon sur la
+théorie fondamentale des hypothèses en philosophie naturelle, il serait
+entièrement superflu d'examiner ici, d'une manière spéciale, soit la
+fiction de Newton sur la lumière, soit celle, tout aussi nécessairement
+vaine, qu'on lui substitue maintenant, d'après Descartes, Huyghens et
+Euler: chacun leur appliquera aisément, avec les particularités
+convenables, tous les principes essentiels de cette nouvelle doctrine
+philosophique. La nullité radicale de ces conceptions
+anti-scientifiques, relativement à leur destination directe, n'a pas
+besoin d'être formellement constatée; il suffit de se demander, en se
+dégageant des préjugés scolastiques ordinaires, si la faculté lumineuse
+des corps est réellement expliquée, en aucune manière, par cela seul
+qu'on l'a transformée dans la propriété de lancer, avec une
+incompréhensible vitesse, de chimériques molécules, ou dans celle de
+faire vibrer les particules immobiles d'un fluide imaginaire, doué d'une
+inappréciable élasticité. N'est-il pas évident, au contraire, qu'on
+entasse ainsi mystères sur mystères, comme il doit arriver toutes les
+fois que nous voulons tenter de concevoir <i>à priori</i> une notion vraiment
+primordiale, qui, par sa nature, ne saurait comporter d'explication? Du
+reste, on peut s'en rapporter, sur ce sujet, aux critiques irrésistibles
+que se sont mutuellement adressées, surtout depuis Euler, les partisans
+de ces deux hypothèses opposées. La préférence alternative qui, aux
+diverses époques de l'optique a été successivement accordée à chacun de
+ces systèmes, n'a tenu certainement qu'à ce que le développement naturel
+de la science attirait, d'une manière trop exclusive, l'attention
+générale des physiciens vers les phénomènes qui lui semblaient
+favorables, en la détournant momentanément de ceux qui lui étaient
+contraires, quoique l'ensemble réel des connaissances acquises leur
+fût, au fond, également opposé. Sans doute, les nombreuses objections
+présentées par Euler, avec une logique si nette et si pressante, contre
+la doctrine de l'émission, sont nécessairement insolubles: mais n'en
+est-il pas essentiellement ainsi de celles trop dissimulées aujourd'hui
+par notre système habituel d'enseignement, que les partisans de cette
+hypothèse faisaient autrefois, ou ont adressées depuis, au système des
+ondulations? Pour me borner à l'exemple le plus simple, a-t-on
+réellement concilié la propagation en tout sens, propre au mouvement
+vibratoire, avec le phénomène vulgaire de la nuit, c'est-à-dire, de
+l'obscurité produite par la seule interposition d'un corps opaque?
+L'objection fondamentale élevée à cet égard par les newtoniens contre le
+système de Descartes et d'Huyghens, n'est-elle pas effectivement restée
+aussi vierge aujourd'hui qu'elle l'était plus d'un siècle auparavant,
+malgré tant d'inintelligibles subterfuges?</p>
+
+<p>La juste appréciation de ces hypothèses arbitraires n'est pas moins
+évidente par la considération des phénomènes qui conviennent également à
+toutes deux. Cette possibilité de concevoir aussi bien les mêmes
+phénomènes généraux d'après les deux systèmes antagonistes, doit
+manifester à tous les esprits que les lois de ces phénomènes
+constituent seules la science réelle, dont de tels systèmes ne forment
+qu'une vague et inutile superfétation, échappant, par sa nature, à toute
+vérification effective. En voyant, par exemple, les lois de la réflexion
+et de la réfraction découler indifféremment de l'émission ou de
+l'ondulation, la nature arbitraire de ces explications chimériques ne
+devient-elle pas irrécusable? Sous ce rapport du moins, les travaux
+mathématiques dont chacune de ces conceptions a été le sujet n'auront
+pas été inutiles, dans un prochain avenir, à l'éducation générale de
+l'esprit scientifique, en contribuant à dissiper le prestige encore trop
+souvent attaché au seul emploi, judicieux ou abusif, de l'instrument
+analytique. Pourrait-on persévérer à regarder un tel appareil comme le
+vêtement caractéristique de la vérité, lorsqu'on le voit également
+applicable à deux hypothèses opposées, ainsi qu'il le serait sans doute
+à beaucoup d'autres conceptions analogues qu'on formerait aisément, si
+les progrès du véritable esprit positif ne tendaient point évidemment,
+au contraire, à l'exclusion totale et définitive de cette manière
+vicieuse de philosopher?</p>
+
+<p>De nos jours, il est vrai, les partisans les plus éclairés du système
+émissif ou du système vibratoire sacrifient assez volontiers la réalité
+de ces conceptions, pour se retrancher dans leur prétendue propriété
+scientifique de faciliter, à titre de simple artifice logique, la
+combinaison des idées acquises, que l'on proclame essentiellement
+impossible sans elle. Mais le passage même d'une hypothèse à l'autre,
+sans que la science en ait certes éprouvé aucun préjudice, ne
+suffirait-il point pour témoigner clairement, envers chacune d'elles,
+contre une indispensabilité aussi gratuitement admise? Il faut convenir
+toutefois, comme je l'ai indiqué dans la discussion générale, que, pour
+des esprits déjà formés sous l'influence prépondérante des habitudes
+actuelles, la combinaison des idées scientifiques deviendrait
+nécessairement plus difficile, si tout à coup on les obligeait à se
+priver d'un tel mode de liaison, quelque vicieux qu'il soit en effet.
+Une telle considération, commune à tout régime intellectuel devenu, à
+une époque quelconque, suffisamment familier, ne saurait prouver, en
+aucune façon, que la nouvelle génération scientifique ne combinerait pas
+ses idées d'une manière encore plus facile, et surtout plus parfaite, si
+elle était élevée à envisager directement les relations générales des
+phénomènes, sans jamais recourir à ces vains artifices, par lesquels les
+réalités scientifiques doivent toujours être plus ou moins altérées.</p>
+
+<p>L'histoire effective de l'optique, envisagée dans son ensemble, montre
+clairement, à mon gré, que ces secours illusoires n'ont exercé aucune
+influence notable sur les vrais progrès de la théorie de la lumière,
+puisque toutes les acquisitions importantes leur sont évidemment
+étrangères. Cette remarque n'est pas seulement incontestable à l'égard
+des lois fondamentales de la réflexion et de la réfraction, dont la
+découverte a essentiellement précédé la construction de ces systèmes
+arbitraires. Elle est aussi réelle, quoique moins évidente, envers
+toutes les autres vérités principales de l'optique. L'hypothèse de
+l'émission n'a pas plus inspiré à Newton la notion de l'inégale
+réfrangibilité des diverses couleurs, que celle de l'ondulation n'a
+réellement contribué à dévoiler à Huyghens la loi de la double
+réfraction propre à certaines substances. C'est constamment après coup
+que la coexistence, chez d'aussi grands hommes, de ces chimériques
+conceptions avec ces immortelles découvertes, a pu faire croire à
+l'influence effective des unes sur les autres. Même dans un ordre
+d'idées moins général, c'est exclusivement à la comparaison directe des
+phénomènes qu'ont toujours été dues les nouvelles notions, et jusqu'aux
+heureuses conjectures. Quand la combustibilité du diamant a été si
+judicieusement présumée par la profonde sagacité de Newton, cette
+indication ne résultait-elle pas uniquement du simple rapprochement de
+deux phénomènes généraux, la nature inflammable des corps les plus
+réfringens? Lorsque, plus tard, Euler, contrairement aux opinions
+établies, pressentit avec tant de succès la possibilité nécessaire de
+l'achromatisme rigoureux, cette idée ne lui fût-elle pas immédiatement
+suggérée par la simple considération de l'existence évidente d'une telle
+compensation dans l'appareil oculaire, à laquelle d'ailleurs il mêlait
+indûment un caractère de finalité qu'on en pouvait aisément écarter?
+Quelle part effective le système émissif ou le système ondulatoire
+ont-ils eue à ces diverses notions optiques, et à tant d'autres plus ou
+moins importantes, qu'il serait facile de citer?</p>
+
+<p>J'ai expliqué dans la vingt-huitième leçon, à laquelle je renvoie, la
+destination réelle et le genre d'utilité purement philosophique qui me
+paraissent propres à ces conceptions imaginaires, dont le véritable
+office se réduit à servir momentanément, mais d'une manière très
+puissante et même strictement indispensable, au développement général de
+l'esprit scientifique, en permettant à notre faible intelligence la
+transition graduelle du régime franchement métaphysique au régime
+entièrement positif: elles n'ont pas en effet d'autre but essentiel. Or,
+j'ai aussi indiqué alors les motifs principaux qui doivent faire
+envisager cette fonction temporaire comme étant aujourd'hui, et même
+depuis long-temps, suffisamment accomplie, et l'empire trop prolongé de
+cette méthode vicieuse comme tendant par suite à entraver notablement le
+vrai progrès de la science. L'une et l'autre considération me semblent
+particulièrement incontestables à l'égard de l'optique, pour quiconque
+examinera sans prévention et d'une manière assez approfondie son état
+actuel, surtout depuis l'adoption presque universelle du système
+vibratoire au lieu du système émissif.</p>
+
+<p>Il importe, en outre, de signaler ici une dernière disposition qui sans
+doute contribue beaucoup aujourd'hui, même chez d'excellens esprits, à
+la prolongation abusive de cette marche anti-scientifique, parce qu'elle
+présente un caractère fort spécieux, comme n'étant que l'exagération
+d'un penchant d'ailleurs très convenable à la plus entière coordination
+possible de nos diverses études. Les plus recommandables défenseurs de
+ces vaines hypothèses, ceux qui déjà sentent avec énergie le vide
+nécessaire des recherches absolues sur la nature intime et le mode
+essentiel de production des phénomènes, se persuadent encore que du
+moins l'optique acquiert ainsi une rationnalité bien plus satisfaisante
+en se rattachant d'une manière générale aux lois fondamentales de la
+mécanique universelle. Il est certain en effet que le système émissif,
+par exemple, ne peut avoir d'autre sens intelligible que de présenter
+les phénomènes lumineux comme radicalement analogues à ceux du mouvement
+ordinaire: de même la seule signification admissible de l'hypothèse des
+ondulations consiste évidemment dans l'assimilation des phénomènes de la
+lumière avec ceux de l'agitation vibratoire qui constitue le son: d'une
+part, c'est à la barologie, de l'autre à l'acoustique, que l'on prétend
+comparer l'optique. Mais comment des analogies aussi gratuites, aussi
+incompréhensibles même, pourraient-elles avoir aucune véritable
+efficacité scientifique? En quoi perfectionneraient-elles réellement nos
+moyens généraux de coordination? Quand des phénomènes peuvent
+effectivement rentrer sous le ressort de la mécanique rationnelle, une
+telle propriété n'est jamais équivoque ni arbitraire; elle résulte
+immédiatement, et à tous les yeux, de la simple inspection des
+phénomènes; elle n'a pu devenir, à aucune époque, un sujet sérieux de
+contestation: toute la difficulté a toujours été seulement de connaître
+d'une manière assez complète les lois générales du mouvement pour
+pouvoir en réaliser une semblable application. Ainsi, personne ne
+méconnaissait la nature évidemment mécanique des principaux effets
+relatifs à la pesanteur ou au son long-temps avant que les progrès de la
+dynamique rationnelle eussent permis de l'employer à leur exacte
+analyse. On conçoit qu'une telle application a puissamment contribué,
+comme j'ai tâché de le faire sentir, au perfectionnement réel de la
+barologie et de l'acoustique; mais cela tient essentiellement à ce
+qu'elle n'avait rien de forcé ni d'hypothétique. Il ne saurait en être
+de même quant à l'optique. Malgré toutes les suppositions arbitraires,
+les phénomènes lumineux constitueront toujours une catégorie <i>sui
+generis</i>, nécessairement irréductible à aucune autre: une lumière sera
+éternellement hétérogène à un mouvement ou à un son.</p>
+
+<p>Les considérations physiologiques elles-mêmes s'opposeraient
+invinciblement, à défaut d'autres motifs, à une telle confusion d'idées,
+par les caractères inaltérables qui distinguent profondément le sens de
+la vue, soit du sens de l'ouie, soit du sens de contact ou de pression.
+Si ces séparations radicales pouvaient être arbitrairement effacées
+d'après des hypothèses gratuites, d'ailleurs plus ou moins ingénieuses,
+on ne voit pas où s'arrêteraient de telles aberrations. Ainsi, par
+exemple, un philosophe, dont la prédilection scientifique porterait sur
+les effets chimiques, serait dès lors suffisamment autorisé, en prenant
+pour type le sens du goût ou celui de l'odorat, à prétendre expliquer à
+son tour les couleurs et les tons en les assimilant à des saveurs ou à
+des odeurs. Cette bizarre conception n'exigerait pas peut-être, en
+réalité, de plus grands efforts d'imagination, ni des subtilités plus
+étranges, qu'il n'en a fallu pour aboutir, par un procédé de même
+nature, à la similitude, aujourd'hui classique, entre les tons et les
+couleurs.</p>
+
+<p>Que l'esprit humain sache donc, à cet égard, renoncer enfin à
+l'irrationnelle poursuite d'une vaine unité scientifique, et reconnaisse
+que les catégories radicalement distinctes de phénomènes hétérogènes
+sont plus nombreuses que ne le suppose une systématisation vicieuse.
+L'ensemble de la philosophie naturelle serait sans doute plus parfait
+s'il pouvait en être autrement; mais la coordination n'a de mérite et de
+valeur qu'autant qu'elle repose sur des assimilations réelles et
+fondamentales; déduite d'analogies purement hypothétiques, elle est à la
+fois sans consistance et sans utilité.</p>
+
+<p>Les physiciens vraiment rationnels devront donc s'abstenir désormais de
+rattacher, par aucune fiction scientifique, les phénomènes de la lumière
+à ceux du mouvement, vu leur hétérogénéité radicale. Tout ce que
+l'optique, dans son état actuel, peut comporter de mathématique, dépend,
+en réalité, non de la mécanique, mais de la géométrie, qui s'y trouve
+éminemment applicable, attendu la nature évidemment géométrique des
+principales lois de la lumière. À d'autres égards, on ne pourrait
+concevoir qu'une application directe de l'analyse, dans certaines
+recherches optiques, comme, par exemple, celles de Lambert sur la
+photométrie, où l'observation fournirait immédiatement quelques
+relations numériques: mais, en aucun cas, l'étude positive de la lumière
+ne saurait vraiment donner lieu à une analyse dynamique. Telles sont les
+deux directions générales suivant lesquelles les géomètres peuvent
+efficacement concourir aux progrès réels de l'optique, dont ils ont
+souvent à se reprocher aujourd'hui d'entraver le développement naturel
+en prolongeant l'empire des hypothèses anti-scientifiques par des
+analyses inopportunes et mal conçues, où brille d'ailleurs quelquefois,
+comme on le voit surtout dans les travaux si remarquables de M. Cauchy,
+une grande valeur abstraite, qui n'a malheureusement d'autre effet
+ordinaire que de rendre plus pernicieuse leur influence sur la
+philosophie de la science.</p>
+
+<p>Il m'a semblé nécessaire d'indiquer ainsi, quant à l'optique,
+l'application formelle de la doctrine générale établie, dans la
+vingt-huitième leçon, sur la théorie des hypothèses. Ni la barologie, ni
+l'acoustique ne l'exigeaient, au contraire, en aucune manière, et
+l'heureuse impulsion philosophique produite par le génie de Fourier a pu
+même m'en dispenser essentiellement pour la thermologie: cet examen est
+enfin moins nécessaire envers l'électrologie, quoique ces conceptions
+chimériques y soient au moins aussi prépondérantes, leurs vices radicaux
+étant tellement sensibles que presque tous leurs partisans les
+reconnaissent aujourd'hui. La consistance plus spécieuse qu'elles ont en
+optique, y demandait, à un certain degré, un jugement spécial.</p>
+
+<p>Procédons maintenant, d'une manière sommaire, sans nous occuper
+davantage de ces vaines hypothèses, à l'analyse philosophique de
+l'ensemble des connaissances réelles actuellement acquises sur la
+théorie de la lumière. Il est malheureusement difficile aujourd'hui,
+surtout quant aux découvertes récentes, de dégager nettement une telle
+exposition de toute allusion aux systèmes arbitraires d'après lesquels
+le langage scientifique a été jusqu'ici presque toujours formulé. Un
+physicien qui, pénétré de la doctrine philosophique établie dans cet
+ouvrage, entreprendrait un traité spécial pour exécuter convenablement
+cette épuration fondamentale, rendrait, j'ose le dire, à la science un
+service capital.</p>
+
+<p>L'ensemble de l'optique se décompose naturellement en plusieurs
+sections, d'après les différentes modifications générales dont la
+lumière, soit homogène, soit diversement colorée, est reconnue
+susceptible, suivant qu'on l'envisage comme directe, réfléchie,
+réfractée, ou enfin diffractée. Quoique le plus souvent coexistans dans
+les phénomènes ordinaires, des effets élémentaires aussi distincts ont
+dû être soigneusement séparés par les physiciens. À ces quatre parties
+principales, qui comprennent les seuls phénomènes optiques
+rigoureusement universels, il convient d'ajouter aujourd'hui, comme un
+indispensable complément, deux autres sections fort intéressantes,
+relatives à la double réfraction et à ce qu'on appelle la
+<i>polarisation</i>. Ces deux derniers ordres de phénomènes sont, sans doute,
+essentiellement propres à certains corps; mais ils n'en devraient pas
+moins être exactement analysés, ne fût-ce qu'à titre de modification
+remarquable des phénomènes fondamentaux: d'ailleurs, les corps qui nous
+les manifestent deviennent chaque jour plus nombreux, et leurs
+conditions se rapportent bien plus à certaines circonstances générales
+de structure qu'à de véritables particularités de substance. Il est, du
+reste, évidemment superflu de classer ici les différentes applications
+de ces six parties intégrantes de l'optique, soit à l'histoire
+naturelle, comme dans la belle théorie newtonienne de l'arc-en-ciel,
+soit aux arts, comme dans l'analyse, si difficile à établir avec
+précision, des divers instrumens visuels, y compris l'appareil oculaire
+lui-même. Quelque importantes que soient de telles applications, et
+quoique, à vrai dire, elles constituent la meilleure mesure du degré de
+perfection de la science, elles n'appartiennent pas au domaine rationnel
+de l'optique, que nous devons seul avoir en vue.</p>
+
+<p>Par les motifs généraux déjà indiqués, dans la leçon précédente, quant
+aux théories de l'audition et de la phonation, je dois condamner ici,
+d'une manière directe et formelle, comme radicalement irrationnel,
+l'usage encore presque universel, de comprendre, parmi les études
+optiques, la théorie de la vision, qui appartient, avec tant d'évidence,
+à la seule physiologie. Quand des physiciens veulent s'occuper d'une
+telle recherche, il est clair que la nature de leurs études propres ne
+s'adapte qu'à une partie des conditions de ce difficile problème; sous
+tout autre rapport, ils ne sont pas mieux préparés que le vulgaire: et
+quelque importante que soit, sans doute, cette partie, puisqu'elle
+constitue un préliminaire indispensable, elle ne saurait être prise pour
+l'ensemble, dont la considération est toujours, néanmoins, l'objet final
+du travail. Aussi en résulte-t-il d'ordinaire que plusieurs conditions
+capitales sont essentiellement négligées, ce qui rend les explications
+incomplètes, et, par suite, illusoires. À peine pourrait-on citer
+aujourd'hui une seule loi de la vision, qu'on puisse regarder comme
+établie, d'une manière vraiment fondamentale et positive, sur des bases
+immuables, même en se bornant aux phénomènes les plus simples et les
+plus vulgaires. C'est ainsi, par exemple, que la faculté élémentaire de
+voir distinctement à des distances fort inégales reste encore sans
+explication satisfaisante, après toutes les vaines tentatives des
+physiciens pour l'attribuer successivement à la plupart des élémens de
+l'appareil oculaire. Cette ignorance presque honteuse a, sans doute,
+principalement tenu jusqu'ici à ce que les vrais savans, physiciens ou
+physiologistes, laissaient la théorie des sensations entre les mains des
+seuls métaphysiciens, qui n'en pouvaient tirer que d'illusoires
+dissertations idéologiques. Mais sa durée trop prolongée résulte
+certainement aujourd'hui, en majeure partie, de la mauvaise
+organisation du travail scientifique à cet égard, depuis l'époque, déjà
+assez éloignée, où ces questions ont commencé à devenir le sujet de
+quelques tentatives de solution positive. Si, dès lors, les anatomistes
+et les physiologistes, empruntant à l'optique les documens préliminaires
+indispensables, s'étaient convenablement occupés de la théorie de la
+vision, au lieu d'attendre vainement, de la part des physiciens, des
+solutions qu'ils ne pouvaient fournir, nos connaissances réelles sur cet
+important sujet seraient, évidemment, dans un état moins déplorable.</p>
+
+<p>Une autre étude qui me semble devoir être radicalement bannie de
+l'optique, et même de toute la philosophie naturelle, non comme
+simplement déplacée, mais comme nécessairement inaccessible, consiste
+dans la théorie de la coloration des corps. Il serait, sans doute,
+inutile d'expliquer spécialement à ce sujet que je ne saurais avoir en
+vue, dans une telle critique, l'admirable série d'expériences de Newton
+et de ses successeurs sur la décomposition de la lumière, qui ont
+constitué irrévocablement une notion fondamentale, commune à toutes les
+parties de l'optique. Je veux parler des efforts, nécessairement
+illusoires, qu'on a si souvent tentés pour expliquer, soit par le
+système émissif, soit par le système vibratoire, le phénomène
+primordial, évidemment inexplicable, de la couleur élémentaire propre à
+chaque substance. Ces tentatives irrationnelles sont, à mon avis, des
+témoignages irrécusables et directs de la fâcheuse influence qu'exerce
+encore, sur nos intelligences à demi positives, l'antique esprit de la
+philosophie, essentiellement caractérisé par la tendance aux notions
+absolues. Il faut que notre raison naturelle soit aujourd'hui bien
+obscurcie par la longue habitude de ces conceptions vagues et
+arbitraires que j'ai si souvent signalées, pour que nous puissions
+envisager, comme une véritable explication de la couleur propre à tel
+corps, la prétendue faculté de réfléchir ou de transmettre exclusivement
+tel genre de rayons, ou celle, non moins inintelligible, d'exciter tel
+ordre de vibrations éthérées, en vertu de telle disposition chimérique
+des molécules, beaucoup plus difficile à concevoir que le fait primitif
+lui-même. Les explications placées par l'admirable Molière dans la
+bouche de ses docteurs métaphysiciens, ne sont pas, au fond, plus
+ridicules. N'est-il pas déplorable que le véritable esprit scientifique
+soit encore assez peu développé, pour qu'on soit obligé de formuler
+expressément de telles remarques? Personne n'entreprend plus aujourd'hui
+d'expliquer la pesanteur spécifique particulière à chaque substance ou
+à chaque structure. Pourquoi en serait-il autrement, quant à la couleur
+spécifique, dont la notion n'est pas, sans doute, moins primordiale?
+Cette seconde recherche n'est-elle point, par sa nature, tout aussi
+métaphysique que l'autre?</p>
+
+<p>Que la considération des couleurs soit, en physiologie, d'une importance
+capitale pour la théorie de la vision; que, de même, le système de
+coloration puisse devenir, en histoire naturelle, un moyen utile de
+classification: cela est évidemment incontestable, et je serais bien mal
+compris si l'on pouvait penser que je prétends condamner de telles
+études, ou d'autres tout aussi positives. Mais, en optique, la vraie
+théorie des couleurs doit se réduire à perfectionner l'analyse
+fondamentale de la lumière, de manière à apprécier l'influence de la
+structure, ou de telle autre circonstance générale, même accidentelle ou
+fugitive, sur la couleur transmise ou réfléchie, sans jamais s'engager
+d'ailleurs dans la recherche illusoire des causes premières de la
+coloration spécifique: le champ d'études ainsi circonscrit offre
+certainement, encore une assez vaste carrière à l'activité des
+physiciens.</p>
+
+<p>Considérant maintenant, d'une manière directe, les parties essentielles
+dont l'optique est composée, nous trouvons d'abord, comme la première et
+la plus fondamentale de toutes, l'optique proprement dite, ou l'étude de
+la lumière directe. Si, comme il convient, on fait remonter l'origine
+scientifique de cette étude à la connaissance nette et générale de la
+loi élémentaire relative à la propagation rectiligne de la lumière dans
+tout milieu homogène, l'époque exacte de ce point de départ est à peu
+près inassignable; c'est, avec la catoptrique, la seule branche de
+l'optique que les anciens aient cultivée. Cette première loi suffit
+évidemment pour que les nombreux problèmes relatifs à la théorie des
+ombres deviennent aussitôt réductibles à des questions purement
+géométriques, qui peuvent d'ailleurs donner lieu à de véritables
+difficultés d'exécution précise, sauf dans les cas, heureusement les
+plus importans à analyser, d'un corps lumineux très éloigné, ou à
+dimensions négligeables. Cette théorie dépend, en général, comme on
+sait, tant pour l'ombre que pour la pénombre, de la détermination d'une
+surface développable circonscrite à la fois au corps éclairant et au
+corps éclairé.</p>
+
+<p>Quelle que soit son antiquité réelle, cette première partie de l'optique
+n'en est pas moins encore extrêmement imparfaite, quand on l'envisage
+sous le second point de vue fondamental qui lui est propre,
+c'est-à-dire, relativement aux lois de l'intensité de la lumière, ou à
+ce qu'on appelle la <i>photométrie</i>, dont la connaissance exacte et
+approfondie aurait néanmoins une grande importance. L'intensité de la
+lumière est modifiée par plusieurs circonstances générales bien
+caractérisées, telles que la direction, soit émergente, soit incidente;
+la distance; l'absorption qu'exerce le milieu; enfin la couleur. Or, à
+ces divers égards, les notions que nous possédons aujourd'hui sont
+presque toujours, ou très vagues, ou essentiellement précaires.</p>
+
+<p>Il est d'abord évident que, sous ce rapport capital, l'optique actuelle
+pèche directement par la base, puisqu'elle manque d'instrumens
+photométriques, sur la certitude et la précision desquels on puisse
+réellement compter, et qui soient propres, dès lors, à fournir les
+seules vérifications décisives susceptibles d'élever au rang de lois
+naturelles les conjectures, plus ou moins plausibles, relatives aux
+divers modes de dégradation de la lumière. Tous nos photomètres
+reposent, au contraire, sur une sorte de cercle vicieux fondamental,
+puisqu'ils sont conçus d'après les lois mêmes qu'ils seraient destinés à
+vérifier, et ordinairement d'après la plus douteuse de toutes, en vertu
+de son origine essentiellement métaphysique, celle qui concerne la
+distance. Chacun sait par quelles vaines considérations absolues sur les
+émanations quelconques on suppose habituellement l'intensité de la
+lumière réciproque au carré de la distance, sans qu'une seule expérience
+ait jamais été instituée pour éprouver une conjecture aussi équivoque.
+Et telle est cependant la base incertaine que l'on donne aujourd'hui à
+la photométrie tout entière! Les vains systèmes sur la nature de la
+lumière, ont, comme je l'ai établi, si peu d'utilité réelle pour guider
+notre esprit dans l'étude effective de l'optique, que lorsque
+l'ondulation a été, de nos jours, universellement substituée à
+l'émission, ses partisans, exclusivement préoccupés des phénomènes qui
+avaient provoqué ce changement, n'ont pas même aperçu que la plupart des
+notions photométriques reposaient directement sur l'ancienne hypothèse,
+et réclamaient, par conséquent, une révision fondamentale, à laquelle
+nul ne paraît avoir pensé.</p>
+
+<p>On conçoit aisément ce que peut être la photométrie actuelle avec une
+telle manière de procéder. La loi relative à la direction, en raison du
+sinus de l'angle d'émergence ou d'incidence, n'est pas, au fond, mieux
+démontrée que celle propre à la distance, quoique la source en soit un
+peu moins suspecte. Il n'y a rien ici de semblable au beau travail de
+Fourier sur la chaleur rayonnante, dont j'ai caractérisé l'esprit dans
+l'avant-dernière leçon; et, néanmoins, le sujet pourrait être conçu, ce
+me semble, de façon à comporter une élaboration mathématique analogue.
+La seule branche de la photométrie qui présente aujourd'hui une vraie
+consistance scientifique, est la théorie mathématique de l'absorption
+graduelle et plus ou moins énergique exercée sur la lumière par un
+milieu quelconque, qui a été pour Bouguer, et ensuite pour Lambert, le
+sujet de travaux fort intéressans, quoique le défaut d'expériences
+précises et irrécusables se fasse sentir ici, comme dans les autres cas,
+quant à la vérification des principes, nécessairement précaires, d'un
+tel examen. Enfin, l'influence photométrique de la couleur a donné lieu
+à quelques observations exactes, mais dépourvues, par le même motif
+fondamental, de conclusions générales et précises, si ce n'est la
+fixation du <i>maximum</i> de clarté au milieu du spectre solaire. Ainsi, en
+résumé, dans cette première partie de l'optique, quoiqu'elle soit de
+beaucoup la plus ancienne, et qu'elle semble la plus facile, les
+physiciens n'ont pas encore réellement dépassé, d'une manière très
+notable, le terme où conduit spontanément l'observation vulgaire, du
+moins en écartant tout ce qui se rattache à la géométrie, et la mesure
+de la vitesse de propagation de la lumière, fournie par l'astronomie.</p>
+
+<p>Il en est tout autrement à l'égard de la catoptrique, et surtout de la
+dioptrique, si l'on élague, bien entendu, les questions radicalement
+insolubles relatives aux causes premières de la réflexion et de la
+réfraction. Les notions universelles sur ces deux ordres de phénomènes
+généraux ont été considérablement étendues et perfectionnées par les
+études scientifiques, d'après lesquelles tous les effets variés qui s'y
+rattachent sont désormais ramenés à un très petit nombre de lois
+uniformes, d'une précision et d'une simplicité remarquables.</p>
+
+<p>La loi fondamentale de la catoptrique, déjà bien connue des anciens, et
+vérifiée par une multitude d'expériences diverses, soit directes, soit
+surtout indirectes, consiste en ce que, quelles que soient la forme et
+la nature du corps réflecteur, ainsi que la couleur et l'intensité de la
+lumière, l'angle de réflexion est constamment égal à l'angle
+d'incidence, et dans le même plan normal. D'après cette seule loi,
+l'analyse exacte des divers effets produits par toutes les espèces de
+miroirs est immédiatement réduite à de simples problèmes géométriques,
+qui pourraient, il est vrai, suivant la forme du corps, conduire souvent
+à de longs et pénibles calculs, si les cas très faciles du plan, de la
+sphère, et tout au plus du cylindre circulaire droit, n'étaient point,
+en réalité, les plus nécessaires à examiner complétement. Toutefois,
+dans ces cas élémentaires, la détermination rationnelle des images
+présenterait d'assez grandes difficultés géométriques, si l'on y
+prétendait à une précision rigoureuse, qui, heureusement, n'est pas en
+effet nécessaire. Cette détermination repose essentiellement, en
+général, sous le point de vue mathématique, sur la théorie des
+<i>caustiques</i>, créée par Tschirnaüs, et qu'il est aisé de caractériser.</p>
+
+<p>Le seul principe exact qui paraisse établi d'une manière irrécusable
+dans la théorie physiologique de la vision consiste en ce que l'oeil
+rapporte toujours la position d'un point au lieu d'où lui paraissent
+diverger les rayons lumineux qui en émanent, quelques déviations qu'ils
+aient d'ailleurs éprouvées avant de parvenir à l'organe. D'après ce
+principe, l'appréciation rigoureuse de l'image d'un point quelconque vu
+à l'aide d'un miroir donné exige naturellement la considération des deux
+surfaces <i>caustiques</i> contenant le système des points d'intersection des
+rayons réfléchis consécutifs qui correspondent aux rayons dirigés du
+point primitif vers toutes les parties du miroir; car, ces deux
+surfaces étant une fois déterminées, il suffirait de leur mener de
+l'oeil une tangente commune pour avoir aussitôt la direction suivant
+laquelle il apercevra le point proposé. Quant à la position précise de
+l'image sur cette droite, dans le cas où les deux points de contact
+seront du même côté de l'organe, on ne le détermine habituellement que
+d'une manière fort hasardée, qui consiste à prendre, sans aucune raison
+vraiment fondée, le milieu entre ces deux points. Il en est
+essentiellement de même à l'égard des images que produisent les
+lentilles, et dont la détermination mathématique reposerait, d'une
+manière analogue, sur la considération des caustiques par réfraction
+assujetties à une théorie semblable, quoique nécessairement plus
+compliquée. Du reste, le défaut d'expériences directes et exactes, à ce
+sujet, et l'incertitude fondamentale qui caractérise encore presque
+toutes les parties de la théorie de la vision, ne permettent peut-être
+pas de garantir suffisamment la réalité rigoureuse de conséquences aussi
+éloignées fournies par le principe général sur lequel on s'appuie dans
+ces diverses déterminations.</p>
+
+<p>Toute réflexion lumineuse sur un corps quelconque est constamment
+accompagnée de l'absorption d'une partie plus ou moins notable, mais
+toujours très grande, de la lumière incidente; ce qui donne lieu, en
+catoptrique, à une seconde question générale fort intéressante. Mais
+l'imperfection radicale que nous avons constatée dans la photométrie
+actuelle affecte nécessairement une telle étude, qui a été jusqu'ici à
+peine ébauchée par quelques observations incomplètes et peu suivies,
+d'où l'on ne peut tirer aucune loi certaine. Ce décroissement
+d'intensité est-il le même sous toutes les incidences? Sa valeur
+relative est-elle indépendante du degré de clarté? Quelle est, à cet
+égard, l'influence de la couleur? Les notables variations de ce
+phénomène, dans les différens corps réflecteurs, sont-elles en harmonie
+avec d'autres caractères spécifiques, surtout optiques? Ces diverses
+questions sont encore tout-à-fait intactes, ou n'ont pas même été
+posées; ce qui sans doute doit peu nous étonner si nous considérons
+l'absence d'instrumens propres à mesurer avec exactitude l'intensité de
+la lumière, et par suite les variations quelconques de cette intensité.
+Nous ne possédons réellement aujourd'hui à ce sujet aucun autre
+renseignement général, si ce n'est que l'absorption de la lumière paraît
+être toujours plus grande, à un degré d'ailleurs inconnu, par réflexion
+que par transmission; d'où est résulté, dans ces derniers temps, l'usage
+des phares lenticulaires, si heureusement introduit par Fresnel.</p>
+
+<p>Enfin, l'étude de la réflexion donne lieu, pour toutes les substances
+diaphanes, à un dernier ordre de recherches plus avancé que le
+précédent, mais dont les principales lois sont encore mal connues. Dans
+de tels corps, la réflexion accompagne toujours la réfraction, et par
+conséquent on peut examiner suivant quelles lois générales ou spéciales
+s'accomplit la répartition entre la lumière transmise et la lumière
+réfléchie. On sait seulement que celle-ci est d'autant plus abondante
+que l'incidence est plus oblique, et que la réflexion commence à devenir
+totale à partir d'une certaine inclinaison propre à chaque substance, et
+mesurée exactement pour plusieurs corps. Cette inclinaison paraît être
+toujours d'autant moindre que la substance est plus réfringente, quoique
+la loi exacte admise d'ordinaire à ce sujet se rattache uniquement
+jusqu'ici aux hypothèses hasardées sur la nature de la lumière, ce qui
+laisse à désirer une comparaison faite d'après des expériences directes
+et précises, dégagées de toute prévention systématique.</p>
+
+<p>De toutes les parties fondamentales de l'optique, la dioptrique est
+incontestablement aujourd'hui la plus riche en connaissances certaines
+et précises, réduites à des lois simples et peu nombreuses, embrassant
+des phénomènes très variés. La loi fondamentale de la réfraction simple,
+entièrement ignorée des anciens, et découverte à la fois, sous deux
+formes distinctes et équivalentes, par Snellius et par Descartes,
+consiste dans la proportionnalité constante des sinus des angles que le
+rayon réfracté et le rayon incident, toujours contenus d'ailleurs dans
+un même plan normal, forment avec la perpendiculaire à la surface
+réfringente, en quelque sens que la réfraction ait lieu. Le rapport fixe
+de ces deux sinus, quand la lumière passe du vide dans un milieu
+quelconque, constitue le coefficient optique le plus important de chaque
+corps naturel, et tient même un rang essentiel dans l'ensemble de ses
+caractères physiques. Les physiciens se sont occupés de le déterminer
+avec beaucoup de soin et de succès, par des procédés ingénieux et d'une
+exactitude admirable: ils en ont dressé des tables fort précieuses et
+très étendues, qui peuvent rivaliser aujourd'hui, pour la précision,
+avec les tables de pesanteur spécifique, l'incertitude n'étant pas
+habituellement d'un centième sur la valeur numérique du pouvoir
+réfringent. Si la lumière passe d'un milieu réel dans un autre, le
+rapport de réfraction dépend alors de la nature de tous deux; mais en un
+cas quelconque, le passage inverse lui donne toujours une valeur
+exactement réciproque, comme l'expérimentation l'a constamment montré.
+L'étude des réfractions consécutives, à travers un nombre quelconque
+d'intermédiaires terminés par des surfaces communes, a fait connaître,
+en général, cette loi importante et très simple: la déviation définitive
+est la même que si la lumière eût immédiatement passé du premier milieu
+dans le dernier. C'est en vertu de cette loi remarquable que les tables
+ordinaires de réfraction contiennent seulement les valeurs du rapport de
+réfraction propres au cas, presque idéal, mais fournissant une unité
+commode, où la lumière pénétrerait du vide dans chaque substance; la
+simple division de ces nombres les uns par les autres suffit, dès lors,
+pour en déduire les rapports effectifs qui conviennent à toutes les
+comparaisons binaires qu'on juge à propos d'établir.</p>
+
+<p>Tant qu'un corps n'éprouve aucune altération chimique, et qu'il devient
+seulement plus ou moins dense, le rapport de réfraction qui lui est
+propre varie proportionnellement à la pesanteur spécifique, comme il est
+aisé de la constater, surtout pour les liquides, et encore mieux pour
+les gaz, où la température et la pression permettent de tant modifier la
+densité. C'est pourquoi les physiciens, afin d'obtenir des caractères
+plus fixes, et par suite plus spécifiques, dans la comparaison
+dioptrique des diverses substances, ont dû considérer, de préférence au
+rapport de réfraction proprement dit, son quotient par la densité,
+qu'ils ont nommé spécialement <i>pouvoir réfringent</i>; distinction
+réellement motivée, malgré son origine suspecte, qui se rattache aux
+systèmes sur la lumière. Toutefois, il ne paraît pas que ce quotient
+reste invariable quand le corps, même sans subir aucune modification
+chimique, passe successivement par divers états d'agrégation, comme on
+l'a surtout reconnu à l'égard de l'eau. L'existence de ces variations du
+pouvoir réfringent est assez prononcée pour que, dans ces derniers
+temps, les partisans du système vibratoire aient pu en tirer un de leurs
+argumens formels contre le système émissif, qui semblait exiger, en
+effet, la fixité numérique d'un tel caractère, quoique le vague inhérent
+à ces hypothèses arbitraires eût permis, sans doute, aux newtoniens
+d'adapter leur thèse à cette modification expérimentale. Il est fort à
+craindre, sans qu'on doive néanmoins l'affirmer, qu'une révision aussi
+scrupuleuse ne renversât également la loi ordinaire relative au pouvoir
+réfringent d'un mélange quelconque, et qui consiste en ce que le produit
+de ce nombre par le poids du mélange, ou le produit équivalent du
+rapport de réfraction par le volume, est toujours la somme des produits
+analogues propres à toutes les parties intégrantes. Cette relation
+constituerait, pour la philosophie naturelle, un théorème général très
+remarquable et fort important, si l'on pouvait définitivement compter
+sur sa réalité, et, en même temps, l'étendre à toutes les combinaisons,
+au lieu de la borner aux simples mélanges gazeux, et surtout enfin la
+dégager de toute présupposition hasardée sur la permanence nécessaire du
+pouvoir réfringent. En général, ce n'est pas aujourd'hui l'un des
+moindres inconvéniens inséparables de l'emploi des hypothèses
+anti-scientifiques sur la nature intime des phénomènes, que la confusion
+vicieuse, et souvent presque inextricable, qui en résulte
+continuellement entre les notions vraiment constatées et celles purement
+systématiques, et qui, pour les esprits impartiaux, peut rendre fort
+équivoque le caractère effectif de la science.</p>
+
+<p>La loi fondamentale de la réfraction a reçu un complément indispensable
+par les belles découvertes de Newton sur l'inégale réfrangibilité des
+diverses couleurs élémentaires. Du fait même de la décomposition de la
+lumière dans un prisme, il s'ensuit évidemment que le rapport du sinus
+d'incidence, quoique constant pour chaque couleur, varie de l'une à
+l'autre partie du spectre solaire. L'accroissement total qu'il éprouve
+depuis les rayons rouges jusqu'aux violets mesure la <i>dispersion</i>
+propre à chaque substance, et doit compléter la détermination de son
+pouvoir réfringent dans les tables usuelles, où l'on ne peut insérer que
+la réfraction moyenne. Cette évaluation, attendu sa petitesse,
+constitue, en général, une des plus délicates opérations de l'optique
+actuelle, et ne saurait comporter autant d'exactitude que celle de
+l'action réfringente proprement dite, surtout dans les corps qui dévient
+peu la lumière, comme les gaz principalement: elle est, néanmoins, bien
+connue maintenant pour un assez grand nombre de substances, solides ou
+liquides. En comparant ainsi les changemens qu'éprouve le pouvoir
+dispersif quand on passe d'un corps à un autre, on a reconnu que ses
+variations sont loin d'être proportionnelles, comme Newton l'avait cru,
+à celles du pouvoir réfringent; on voit même, en plus d'un cas, que la
+lumière est moins dispersée par des substances qui la réfractent
+davantage. Ce défaut général de correspondance entre deux qualités aussi
+analogues en apparence (découvert, vers le milieu du siècle dernier, par
+le célèbre opticien Dollond) est justement regardé comme constituant, en
+optique, une notion capitale, puisqu'il en résulte la possibilité de
+l'achromatisme, par la compensation des actions opposées dues à deux
+substances différentes, qui, sans cela, ne pourraient cesser de
+disperser la lumière qu'en cessant aussi de la dévier.</p>
+
+<p>D'après les seules lois de la réfraction, on conçoit aisément que
+l'analyse exacte des nombreux effets relatifs à l'action des milieux
+homogènes sur la lumière qui les traverse ne peut plus présenter que des
+difficultés purement géométriques. La grande complication que pourrait y
+introduire la forme du corps réfringent, est notablement diminuée dans
+les cas ordinaires, où l'on peut se borner à envisager des surfaces
+planes, sphériques ou cylindriques<a id="footnotetag31" name="footnotetag31"></a>
+<a href="#footnote31"><sup class="sml">31</sup></a>. Toutefois, un examen complet
+deviendrait même alors fort embarrassant, surtout en ayant égard à la
+dispersion, si, pour le simplifier, on ne le réduisait à l'appréciation
+suffisamment approximative des seules circonstances qui se présentent le
+plus souvent.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote31"
+name="footnote31"><b>Note 31: </b></a><a href="#footnotetag31">
+(retour) </a> À l'origine de la dioptrique, Descartes
+ entreprit de belles recherches géométriques, qui avaient une
+ haute valeur mathématique dans un temps antérieur à la
+ création de l'analyse infinitésimale, sur les formes
+ rigoureuses qu'il faudrait donner aux surfaces réfringentes
+ pour produire une parfaite concentration des rayons en un
+ foyer unique. Mais l'impossibilité reconnue d'exécuter avec
+ assez de précision des lentilles aussi compliquées, dont
+ chacune d'ailleurs ne s'adapterait, par sa nature, qu'à un
+ seul cas, a généralement déterminé ensuite les physiciens à
+ employer exclusivement les surfaces sphériques ou
+ cylindriques, sauf à tenir compte approximativement de leur
+ défaut de concentration, peu étendu dans la plupart des
+ circonstances ordinaires.
+</blockquote>
+
+<p>Outre la réflexion et la réfraction, la lumière peut éprouver une autre
+modification générale fort importante, dont l'étude, ébauchée par
+Grimaldi et par Newton, constitue maintenant, depuis les belles
+recherches du docteur Young, complétées par celles, non moins
+remarquables, de Fresnel, une des parties essentielles de l'optique.
+Cette modification, connue sous le nom de <i>diffraction</i>, consiste dans
+la déviation, toujours accompagnée d'une dispersion plus ou moins
+prononcée, que subit la lumière en passant très près des extrémités d'un
+corps quelconque. Elle se manifeste, de la manière la plus simple, par
+les franges inégales et diversement colorées, les unes extérieures, les
+autres intérieures, qui entourent les ombres produites dans la chambre
+obscure. Le fameux principe général des <i>interférences</i>, découvert par
+le docteur Young, constitue désormais la plus importante notion propre à
+cette théorie. Ce principe, si remarquable en lui-même, n'a été bien
+apprécié que depuis l'usage très étendu que Fresnel en a fait pour
+l'explication satisfaisante de plusieurs phénomènes intéressans et
+difficiles à analyser, et entre autres du célèbre phénomène des anneaux,
+colorés, sur lequel les beaux travaux de Newton laissaient encore
+beaucoup à désirer. La loi de ces singulières interférences consiste en
+ce que dans l'action mutuelle de deux faisceaux lumineux émanés d'un
+même point et ayant suivi, par une cause quelconque, deux routes
+distinctes, mais peu inclinées l'une à l'autre, les intensités propres
+aux deux lumières se neutralisent et s'ajoutent alternativement, en
+faisant croître par degrés égaux et très rapprochés, dont la valeur est
+déterminée, la différence de longueur entre les chemins que parcourent
+en totalité les deux faisceaux. Il est fort regrettable qu'un principe
+aussi important n'ait pas été encore nettement dégagé des conceptions
+chimériques sur la nature de la lumière, qui ont presque toujours altéré
+jusqu'ici son usage.</p>
+
+<p>L'esprit de cet ouvrage et ses limites nécessaires m'interdisent
+rigoureusement ici les détails qui seraient indispensables pour
+caractériser avec clarté, même par une simple indication, l'étude des
+phénomènes si remarquables de la double réfraction propre à plusieurs
+cristaux, et dont la loi générale a été découverte par Huyghens sous une
+forme géométrique fort élégante, où l'on passe de la réfraction
+ordinaire à cette nouvelle déviation par la seule substitution d'un
+ellipsoïde à une sphère. Il en est de même, à plus forte raison, quant
+aux nombreux phénomènes, si bien dévoilés par l'illustre Malus, sous le
+nom, d'ailleurs peu convenable, de <i>polarisation</i>, qui se rapportent aux
+modifications qu'éprouve la lumière lorsqu'elle a été réfléchie par un
+corps quelconque sous une certaine inclinaison, propre à chaque
+substance, et qui paraît dépendre uniquement de son rapport de
+réfraction.</p>
+
+<p>Tels sont les aperçus rapides et très incomplets auxquels je suis obligé
+de me borner, par la nature de cet ouvrage, sur le caractère général des
+diverses branches principales de l'optique. Quoique j'aie dû signaler
+sommairement, dans cet examen philosophique, les lacunes fondamentales
+et peu senties que présentent aujourd'hui la plupart d'entre elles,
+j'espère avoir fait ressortir aussi, avec encore plus de soin, les
+grands et nombreux résultats déjà obtenus pendant les deux derniers
+siècles, quant à cette partie capitale de la physique, malgré la
+subalternité évidente où le génie de l'expérimentation rationnelle y a
+toujours été retenu jusqu'ici par la prépondérance désastreuse des
+vaines hypothèses sur le prétendu principe de la lumière.</p>
+
+
+<a name="l34" id="l34"></a>
+<br><hr class="full"><br>
+
+<h3>TRENTE-QUATRIÈME LEÇON.</h3>
+
+<br><hr class="short"><br>
+
+<p class="sml">Considérations générales sur l'électrologie.</p>
+
+<p>Cette dernière branche principale de la physique, relative aux
+phénomènes les plus compliqués et les moins apparens, n'a pu se
+développer qu'après toutes les autres. Quoique l'invention de la machine
+électrique soit aussi ancienne que celle de la machine pneumatique,
+c'est seulement un siècle plus tard que cette étude a commencé à prendre
+un vrai caractère scientifique, par les travaux de Dufay et de Symner
+sur la distinction des deux électricités, par l'expérience fondamentale
+de Musschembroëk sur la bouteille de Leyde, et peu après par
+l'immortelle découverte météorologique du grand Franklin, première
+manifestation importante de l'influence capitale d'un tel ordre de
+phénomènes dans le système général de la nature. Jusque alors, les
+observations, essentiellement isolées, des divers physiciens n'avaient
+eu d'autre résultat philosophique que de dévoiler peu à peu le
+caractère de généralité inhérent à cette partie de la physique comme à
+toutes les autres, en augmentant de plus en plus le nombre des corps
+susceptibles de ces remarquables phénomènes, si long-temps attribués,
+d'une manière exclusive, à certaines substances, ainsi que le témoigne
+encore la dénomination qu'on leur a conservée. Enfin, c'est uniquement
+depuis les mémorables travaux de l'illustre Coulomb, il y a cinquante
+ans, que cette étude a présenté, par sa consistance et par sa précision,
+un aspect rationnel, comparable, quoique plus ou moins inférieur, à
+celui des autres branches fondamentales de la physique.</p>
+
+<p>Cette complication supérieure et cette formation plus récente de
+l'électrologie, suffisent pour expliquer aisément son imperfection
+scientifique actuelle, comparativement à tout le reste de la physique.
+Sous le simple rapport des observations, aucune autre étude peut-être ne
+nous offre aujourd'hui une aussi grande variété de phénomènes curieux et
+importans. Mais, les faits seuls ne constituent point la science,
+quoiqu'ils en forment à la fois les fondemens nécessaires et les
+indispensables matériaux. Pour tout esprit philosophique, la science
+consiste essentiellement désormais dans la systématisation réelle, la
+plus complète et la plus exacte possible, des phénomènes observés,
+d'après certaines lois générales irrécusablement constatées. Or, à cet
+égard, quelque imparfaites que soient effectivement aujourd'hui, suivant
+l'ensemble des leçons précédentes, les diverses branches principales de
+la physique, l'électrologie est, sans doute, encore moins avancée
+qu'aucune d'elles. La plupart des observations y sont essentiellement
+incohérentes, les phénomènes n'y étant presque jamais assujettis jusqu'à
+présent qu'à des relations vagues ou même illusoires, et, par suite,
+n'admettant le plus souvent aucune explication vraiment satisfaisante.
+Si l'on éprouvait quelque difficulté à reconnaître directement cet état
+d'imperfection, il suffirait, pour s'en convaincre, d'une manière
+irrécusable, d'envisager la science, relativement à son but final, la
+prévision des phénomènes d'après leurs lois générales. Il est évident
+que, par l'étude actuelle des phénomènes électriques, on peut rarement
+prévoir, non-seulement avec précision, mais simplement même avec
+certitude, ce qui se passera dans des circonstances qui ne seraient pas
+entièrement identiques à celles dont l'influence a déjà été
+immédiatement observée: en sorte que la destination nécessaire de tout
+système de recherches vraiment scientifiques est jusqu'ici presque
+toujours manquée en électrologie.</p>
+
+<p>Dans aucune autre partie de la physique, pas même en optique,
+l'influence des hypothèses arbitraires et quasi-métaphysiques sur les
+agens chimériques des phénomènes n'est aussi étendue, ni surtout aussi
+nettement caractérisée, l'absence presque totale des lois réelles
+rendant ici une telle influence beaucoup plus saillante. La naïve
+confiance avec laquelle on y explique si facilement tous les phénomènes,
+en douant des fluides imaginaires d'une nouvelle propriété pour chaque
+nouvelle occurrence, rappelle, d'une manière frappante, l'esprit des
+anciennes explications métaphysiques, sauf que l'entité a été remplacée
+par un fluide idéal, comme je l'ai établi dans la vingt-huitième leçon.
+Mais, une intervention aussi complète et aussi marquée est, par cela
+même, moins dangereuse aujourd'hui. Elle n'a pas autant besoin d'un
+examen spécial que l'influence analogue qui s'exerce encore, d'une
+manière bien plus spécieuse, quoiqu'à un moindre degré, dans la théorie
+de la lumière, où le mélange intime de ces vains systèmes avec
+d'admirables lois rend plus difficile leur juste appréciation, par
+l'imposant aspect qu'ils en acquièrent, comme j'ai dû l'indiquer
+expressément dans la leçon précédente. En électrologie, au contraire,
+les physiciens même les moins philosophes doivent maintenant reconnaître
+la stérilité radicale de ces hypothèses illusoires, qui n'ont eu,
+évidemment, aucune part effective aux nombreuses découvertes dont la
+science s'est enrichie depuis un demi-siècle, et qu'il a fallu y
+rattacher arbitrairement après coup. Aussi, la plupart ne voient
+aujourd'hui, dans ces vicieux artifices, qu'une sorte d'appareil
+mnémonique, propre à faciliter la liaison des souvenirs, quoique ayant
+eu primitivement une tout autre destination. Sans doute, sous ce rapport
+secondaire lui-même, un tel appareil serait mal construit; et, à
+supposer qu'un semblable secours soit nécessaire, ce qui me paraît fort
+exagéré, on devrait certainement préférer, à cet égard, un système de
+formules scientifiques, spécialement adapté à cette fonction<a id="footnotetag32" name="footnotetag32"></a>
+<a href="#footnote32"><sup class="sml">32</sup></a>. Mais,
+l'allégation d'un pareil motif n'est, en réalité, aujourd'hui, qu'un
+indice certain du sentiment confus de l'inanité caractéristique de ces
+conceptions arbitraires, sans qu'on ose encore renoncer définitivement à
+leur usage. Toutefois, quoique leur empire n'ait point, à beaucoup près
+aujourd'hui, autant de consistance, en électrologie, qu'il en conserve
+encore en optique, elles n'y exercent pas moins une influence très
+pernicieuse, ne fût-ce qu'en dissimulant à la plupart des esprits les
+besoins essentiels de la science. Il faut considérer d'ailleurs que, de
+la physique, cette action anti-scientifique se répand, d'une manière
+indirecte, mais nécessaire, sur toutes les parties plus compliquées de
+la philosophie naturelle, qui, à raison même de leur difficulté
+supérieure, auraient tant besoin d'une méthode plus sévère, dont il est
+naturel qu'elles cherchent le type dans les sciences antécédentes,
+tandis que les physiciens, au contraire, leur transmettent ainsi un
+modèle radicalement vicié. Ces mêmes hypothèses, auxquelles les
+physiciens se défendent d'attribuer sérieusement aucune réalité
+intrinsèque, deviennent néanmoins, par une suite naturelle de leur
+emploi, le sublime de la physique, aux yeux des savans qui, livrés à
+l'étude des phénomènes les plus complexes, croient y trouver la base
+préliminaire indispensable de leurs travaux propres; ce qui contribue
+singulièrement aujourd'hui à maintenir les notions vagues et hasardées.
+Sous ce rapport indirect, l'influence des systèmes relatifs à la nature
+des phénomènes électriques doit être plus spécialement dangereuse,
+surtout à l'égard des sciences physiologiques, comme nous aurons
+occasion de le reconnaître dans le volume suivant, par suite de
+l'incontestable relation qui existe, à tant de titres, entre les
+actions, soit chimiques, soit vitales, et les actions électriques. C'est
+ainsi que la conception des fluides électriques et magnétiques tend à
+fortifier spontanément celle du fluide nerveux, et souvent même
+contribue encore au maintien des plus absurdes rêveries sur ce qu'on
+appelle le <i>magnétisme animal</i>, dont les adeptes ont pu quelquefois
+s'enorgueillir d'avoir entraîné dans leurs rangs d'éminens physiciens.
+D'aussi déplorables conséquences sont propres à manifester combien peut
+devenir funeste, pour le système général de notre entendement, par suite
+d'une philosophie vicieuse, une étude qui, en elle-même, est, au
+contraire, éminemment favorable au développement positif de
+l'intelligence humaine.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote32"
+name="footnote32"><b>Note 32: </b></a><a href="#footnotetag32">
+(retour) </a> Plusieurs philosophes de premier ordre, entre
+ autres Descartes, Leïbnitz, et plus tard, Condorcet, se sont
+ occupés avec zèle de la formation d'un langage spécial pour
+ la combinaison des idées scientifiques. Mais cette question,
+ quoique intéressante à examiner, ne me paraît pas avoir, au
+ fond, l'importance extrême qu'on y a attachée, sauf, bien
+ entendu, en ce qui concerne les systèmes de nomenclature.
+ Car, l'analyse mathématique se trouve déjà remplir un tel
+ office, d'une manière admirable, à l'égard des études assez
+ simples, et, par suite, assez perfectibles pour qu'un
+ semblable besoin de concision s'y fasse réellement sentir.
+ Quant aux sciences qui ne comportent pas l'application
+ effective de cette analyse, leur complication nécessaire me
+ semble devoir y limiter toujours à tel point la généralité
+ et le prolongement des déductions réelles, que ces besoins y
+ seront, sans doute, à toutes les époques, amplement
+ satisfaits par le perfectionnement graduel et continu que le
+ langage ordinaire reçoit spontanément. Une sorte de langue
+ sacrée pour les savans pourrait d'ailleurs opposer, dans
+ l'avenir, quelques entraves à la civilisation générale. On
+ peut s'en faire aujourd'hui une faible idée par l'emploi
+ abusif de l'instrument analytique lui-même, qui sert trop
+ souvent à déguiser, pour soi-même, et surtout pour les
+ autres, le vide réel des idées sous l'abondance illusoire du
+ discours algébrique.
+</blockquote>
+
+<p>Vu la nature plus compliquée des phénomènes variés dont elle s'occupe,
+l'électrologie comporte, à un degré beaucoup moindre qu'aucune autre
+partie de la physique, l'application des doctrines et des méthodes
+mathématiques, même en se bornant, comme nous devons le concevoir ici,
+aux actions purement physiques, à l'exclusion de tout effet chimique.
+Aussi ce moyen n'a-t-il point, en réalité, notablement participé jusqu'à
+présent au perfectionnement de cette étude. Toutefois, il importe de
+distinguer soigneusement, à cet égard, les deux manières opposées, l'une
+illusoire, l'autre réelle, dont une telle application a été conçue en
+électrologie.</p>
+
+<p>Les uns, en effet, l'ont uniquement fondée sur les fluides imaginaires
+auxquels on attribue vulgairement les phénomènes électriques et
+magnétiques, en transportant à l'action mutuelle de leurs molécules les
+lois générales de la mécanique rationnelle; le corps réel ne constitue
+alors qu'un simple <i>substratum</i>, nécessaire à la manifestation du
+phénomène, mais inutile à sa production, qui se passe tout entière dans
+le fluide. On comprend que de tels travaux mathématiques sont
+radicalement frappés d'inanité comme le prétendu principe qui leur sert
+de base; ils ne peuvent avoir de valeur essentielle qu'à titre de
+simples exercices analytiques, sans comporter aucune influence utile sur
+l'accroissement de nos vraies connaissances. Cette stérilité nécessaire
+est clairement vérifiée pour quiconque considère que l'on a pu ainsi
+parvenir seulement jusqu'ici à représenter imparfaitement une petite
+portion des nombreux et importans résultats obtenus, trente ans
+auparavant, par l'illustre Coulomb, d'après des études directes et
+vraiment rationnelles, sur l'état électrique ou magnétique des diverses
+parties d'un même corps ou de plusieurs corps contigus. Il serait
+superflu d'insister davantage à cet égard.</p>
+
+<p>En d'autres cas, au contraire, l'élaboration mathématique a reposé
+essentiellement comme l'exige la saine philosophie, sur quelques lois
+générales et élémentaires, que l'expérience avait constatées, d'une
+manière directe ou indirecte, et d'après lesquelles on a procédé à
+l'étude de phénomènes effectifs propres aux corps eux-mêmes: abstraction
+faite, d'ailleurs, de l'intervention ordinaire des hypothèses
+chimériques, qui caractérise malheureusement toute la physique actuelle,
+mais dont ces intéressans travaux pourraient être aisément dégagés,
+puisque leurs bases en sont réellement indépendantes. Tel est surtout le
+caractère remarquable des belles recherches de M. Ampère et de ses
+successeurs sur l'exploration mathématique des phénomènes
+électro-magnétiques, où l'on a pu appliquer avec efficacité les lois de
+la dynamique abstraite à certains cas d'action mutuelle entre des
+conducteurs électriques ou des aimans. De semblables travaux présentent,
+sans doute, sous le point de vue mathématique, un aspect bien moins
+imposant que ceux auxquels je viens de faire allusion, et qui paraissent
+remonter directement à la loi fondamentale de l'ensemble des phénomènes
+électriques; mais leur positivité doit leur faire attribuer réellement
+une valeur bien supérieure pour le progrès effectif de la science. C'est
+ainsi que, dans cette importante spécialité, l'immortelle série d'études
+de M. Ampère, en même temps qu'elle a si notablement agrandi le domaine
+de nos vraies connaissances, a offert un mémorable exemple de cette
+combinaison judicieuse entre l'esprit physique et l'esprit mathématique,
+que j'ai tant recommandée, en général, dans la vingt-huitième leçon,
+comme constituant aujourd'hui le plus puissant moyen de perfectionnement
+fondamental des diverses branches de la physique<a id="footnotetag33" name="footnotetag33"></a>
+<a href="#footnote33"><sup class="sml">33</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote33"
+name="footnote33"><b>Note 33: </b></a><a href="#footnotetag33">
+(retour) </a> Il est très regrettable, pour l'extension de
+ nos connaissances réelles et pour le progrès du véritable
+ esprit philosophique, que M. Ampère n'ait pas cru devoir se
+ consacrer exclusivement à la grande spécialité scientifique
+ qui a irrévocablement immortalisé son nom. Ni la nature de
+ son intelligence, ni l'ensemble de son éducation, ne
+ semblaient l'appeler aux travaux de philosophie générale, où
+ ses tentatives éphémères, depuis quelques années, n'ont
+ abouti qu'à une déplorable rétrogradation vers l'état
+ métaphysique et même théologique, qui réveillera un jour le
+ souvenir involontaire de Newton commentant l'Apocalypse.
+
+<p> Les savans livrés à l'étude particulière des diverses
+ sections de la science naturelle, prescrivent
+ habituellement, à très juste titre, comme maxime
+ fondamentale de la philosophie moderne, la spécialisation
+ exclusive des intelligences. Ils finiront, sans doute, par
+ s'appliquer judicieusement à eux-mêmes ce principe
+ inflexible, en cessant désormais d'envisager la culture de
+ la philosophie des sciences comme une sorte de délassement
+ des travaux scientifiques proprement dits, à l'usage d'un
+ savant quelconque. Outre une vocation spéciale nettement
+ caractérisée, cette carrière purement philosophique exige,
+ évidemment, un système tout particulier de longues et
+ difficiles études préliminaires, à la fois historiques et
+ dogmatiques, sur le développement rationnel et la
+ coordination réelle des connaissances humaines: ce qui doit,
+ presque toujours, rendre essentiellement impropres à toute
+ autre destination les esprits capables de poursuivre avec
+ fruit un tel ordre de recherches; et, réciproquement, les
+ savans ordinaires doivent être ainsi naturellement
+ incompétens quant à l'étude des généralités scientifiques, à
+ l'égard de laquelle ils ne peuvent utilement exercer qu'une
+ simple action critique, du point de vue correspondant à leur
+ spécialité. La division rationnelle du travail intellectuel
+ est donc jusqu'ici très imparfaitement comprise par ceux-là
+ même qui d'ordinaire insistent le plus impérieusement sur
+ cette règle indispensable.</p>
+</blockquote>
+
+<p>Après ces considérations préliminaires sur le caractère général de
+l'électrologie, examinons sommairement, sous le point de vue
+philosophique, la composition effective de ses principales parties, en
+excluant avec soin tout ce qui est purement relatif à l'influence
+chimique ou physiologique de l'électricité, et aussi tout ce qui
+concerne l'application des études électriques à ce que j'ai appelé, dès
+l'origine de cet ouvrage, la <i>physique concrète</i>, et surtout à la
+météorologie.</p>
+
+<p>Ainsi réduite à sa partie strictement physique et abstraite,
+l'électrologie comprend aujourd'hui trois ordres essentiels de
+recherches fondamentales: dans le premier, on étudie la production des
+phénomènes électriques, leur manifestation et leur mesure; le second, se
+rapporte à la comparaison de l'état électrique propre aux diverses
+parties d'une même masse ou à divers corps contigus; le troisième a pour
+objet les lois des mouvemens qui résultent de l'électrisation. On doit
+classer, en outre, comme une quatrième et dernière section,
+l'application de l'ensemble des connaissances précédentes à l'étude
+spéciale des phénomènes magnétiques, qui en est désormais inséparable.</p>
+
+<p>Quoique tous les corps soient, sans doute, susceptibles d'électrisation
+positive et négative, tous ne sont pas actuellement électriques, et cet
+état est même, au contraire, essentiellement passager, semblable, à cet
+égard, à l'état sonore. Il y a donc lieu d'examiner dans quelles
+circonstances générales il s'établit ou se détruit, par l'action des
+différens corps les uns sur les autres; et cette étude doit même
+précéder toutes les autres études électriques, qui en dépendent
+nécessairement.</p>
+
+<p>L'ensemble des observations paraît devoir conduire aujourd'hui à
+regarder l'état électrique comme étant, à un degré plus ou moins
+prononcé, la suite invariable de presque toutes les modifications, de
+nature quelconque, que les corps peuvent éprouver. Néanmoins, les
+principales causes d'électrisation, sont, dans l'ordre de leur énergie
+et de leur importance scientifique actuelle: les compositions et
+décompositions chimiques; les variations de température; le frottement;
+la pression, et enfin le simple contact. Cette distribution diffère
+extrêmement de celle que les premières recherches avaient indiquée,
+puisque le frottement avait été long-temps réputé le seul moyen, et
+ensuite le plus puissant, pour produire l'état électrique. Quoique la
+comparaison de ces divers modes généraux d'électrisation ne soit pas
+encore suffisamment approfondie et définitivement arrêtée, il n'y a plus
+lieu de craindre désormais que les travaux ultérieurs puissent
+radicalement altérer l'ordre précédent.</p>
+
+<p>Les actions chimiques constituent certainement les sources électriques,
+non-seulement les plus générales, mais aussi les plus abondantes, comme
+à l'égard de la chaleur. Dans les appareils électriques les plus
+puissans, et surtout dans la pile de l'illustre Volta, l'action
+chimique, d'abord inaperçue ou négligée, est aujourd'hui reconnue,
+depuis les travaux de Wollaston et de plusieurs autres physiciens, comme
+la principale cause de l'électrisation, qui devient, en effet, presque
+insensible quand on a soin d'éviter scrupuleusement toute production de
+phénomènes chimiques.</p>
+
+<p>Après cette influence prépondérante, il n'y a pas, en réalité, de cause
+d'électrisation plus étendue ni plus énergique que les actions
+thermologiques, quoique, jusqu'à ces derniers temps, leur puissance
+électrique n'eût été reconnue que dans un seul cas particulier,
+aujourd'hui peu important, l'électrisation de la tourmaline échauffée.
+On sait maintenant que de notables différences de température entre des
+barreaux consécutifs de diverses natures, d'ailleurs quelconques, ou
+même homogènes, suffisent pour déterminer, dans un tel système, un état
+électrique très prononcé, et d'autant plus intense, à parité de
+circonstances thermométriques, que les élémens y sont plus nombreux.</p>
+
+<p>La prépondérance bien constatée de deux moyens d'électrisation aussi
+généraux, doit rendre fort délicate l'exacte appréciation de tous les
+autres, par l'extrême difficulté d'y distinguer, sans incertitude, ce
+qui leur est véritablement propre d'avec ce qui tient aux premiers, dont
+l'influence est presque impossible à écarter entièrement. C'est ainsi
+que, malgré l'état électrique que le frottement semble développer avec
+tant d'énergie, il est, pour ainsi dire, douteux aujourd'hui, aux yeux
+des plus judicieux physiciens, si le frottement, en tant que tel,
+contribue réellement, d'une manière notable, à l'électrisation, ou si
+celle-ci ne résulte pas essentiellement des effets thermométriques et
+même chimiques dont le frottement est toujours accompagné, et auxquels
+on n'avait eu d'abord aucun égard. Il en est à peu près de même envers
+la pression, dont l'influence électrique, quoique bien moins prononcée,
+semble toutefois plus irrécusable, en ce qu'on peut plus aisément
+l'isoler. Mais cette remarque est surtout applicable à la production de
+l'état électrique par le simple contact des corps hétérogènes, d'où
+l'immortel inventeur de la pile avait fait résulter toute l'énergie de
+cet admirable instrument, tandis qu'il est bien reconnu désormais que
+l'action chimique y a la principale part, et que le contact n'y
+contribue que d'une manière très secondaire, ou même fort équivoque.</p>
+
+<p>Outre ces causes générales d'électrisation, une foule d'autres moins
+importantes peuvent, en certaines circonstances, produire l'état
+électrique. On peut citer entre autres les changemens dans le mode
+d'agrégation, abstraction faite des variations thermométriques qui les
+accompagnent: en plusieurs cas la fusion des solides, et surtout
+l'évaporation des liquides, déterminent une électrisation notable. Il
+n'est pas jusqu'au simple mouvement même qui ne suffise, sous des
+conditions spéciales, pour faire naître quelquefois, indépendamment de
+tout autre motif, un véritable état électrique, comme le montre si bien
+la belle expérience de M. Arago, relative à l'influence de la rotation
+d'un disque métallique sur une aiguille aimantée non contiguë, quoique
+voisine.</p>
+
+<p>Il convient toutefois que les physiciens se tiennent en garde
+aujourd'hui contre une tendance exagérée à considérer les moindres
+phénomènes quelconques comme des causes d'électrisation plus ou moins
+énergiques, afin de ne point encourir le reproche inverse de celui
+qu'ils font justement à leurs prédécesseurs, de n'avoir observé que les
+sources électriques les plus apparentes, en méconnaissant les plus
+essentielles. Une exploration grossière est sans doute radicalement
+préjudiciable à l'électrologie; mais une analyse trop subtile n'aurait
+peut-être pas moins d'inconvéniens pour la science, où il deviendrait,
+dès lors, presque impossible de considérer des phénomènes suffisamment
+caractérisés. Cet avis semble surtout acquérir une grande importance
+pour la théorie électro-chimique, comme nous le reconnaîtrons dans le
+volume suivant; car, après avoir admis, sur de faibles indices, des
+électrisations fort équivoques, on peut être souvent conduit à leur
+attribuer une grande influence chimique, ce qui tend à produire des
+explications essentiellement arbitraires.</p>
+
+<p>La cessation graduelle de l'état électrique a été beaucoup moins étudiée
+jusqu'ici que sa formation, et les lois n'en sont pas cependant moins
+intéressantes à bien connaître. On est pleinement autorisé à poser en
+principe que l'électrisation, une fois établie d'une manière quelconque,
+persisterait indéfiniment, comme l'état thermométrique, si le corps
+pouvait être rigoureusement soustrait à toute influence extérieure, ou,
+suivant l'expression technique, strictement <i>isolé</i>, soit de
+l'atmosphère, soit de la masse générale du globe. Depuis que l'identité
+entre les phénomènes magnétiques et les phénomènes électriques a été
+irrécusablement démontrée par la belle série de recherches de M. Ampère,
+fondée sur la découverte capitale de M. Oersted, ce principe général a
+été puissamment fortifié, en considérant la persévérance, beaucoup plus
+facile à prolonger, de l'état magnétique. Toutefois, comme les corps le
+plus justement qualifiés de mauvais conducteurs de l'électricité sont
+néanmoins toujours susceptibles, à un degré quelconque, de transmettre
+réellement l'influence électrique, il est évident que l'électrisation
+doit nécessairement cesser, à la longue, dans nos appareils même le
+mieux isolés, par suite de l'action continuelle, quoique très faible,
+qu'exerce sur eux le milieu atmosphérique incessamment renouvelé, dans
+lequel ils sont habituellement plongés, et la masse immense du globe
+terrestre avec laquelle ils communiquent d'une manière plus ou moins
+directe, indépendamment des autres sources secondaires d'une déperdition
+plus rapide, que nous pouvons artificiellement écarter. Mais les lois
+effectives de cette déperdition inévitable sont jusqu'ici très peu
+connues. Coulomb est le seul grand physicien qui s'en soit directement
+occupé, dans son importante suite d'expériences sur la dissipation
+graduelle de l'électricité le long des supports isolans de la machine
+électrique, ou à travers un air plus ou moins humide: sous ce dernier
+point de vue, il a exactement analysé l'influence incontestable,
+vaguement aperçue dès l'origine de l'électrologie, de l'état
+hygrométrique de l'atmosphère sur la déperdition électrique.</p>
+
+<p>À chacun des modes généraux d'électrisation, correspond naturellement un
+instrument spécial, ou plutôt une classe d'instrumens, destinés à
+réaliser, par un ensemble de dispositions convenablement instituées, les
+conditions les plus favorables à la production et au maintien de l'état
+électrique. Quelle que soit l'importance de ces nombreux appareils, qui
+sont la base nécessaire des recherches habituelles, et malgré
+l'organisation profondément ingénieuse de quelques-uns d'entre eux, et
+surtout de la pile voltaïque, il serait évidemment déplacé de les
+considérer ici. Mais, il convient, au contraire, de mentionner, d'une
+manière générale, les instrumens destinés à la manifestation et surtout
+à la mesure de l'état électrique, c'est-à-dire, les électroscopes et les
+électromètres. Les plus grands physiciens ont, avec raison, attaché une
+extrême importance au perfectionnement de tels appareils, dans
+l'invention desquels un vrai génie se fait plus d'une fois sentir. On
+conçoit même que l'amélioration de ces instrumens est encore plus
+nécessaire que celle des machines électriques proprement dites,
+uniquement destinées à l'électrisation: car, de bons indicateurs
+permettent d'utiliser de très faibles puissances électriques; et, en
+effet, dans les recherches délicates, d'où dépend surtout le progrès de
+l'électrologie actuelle, on n'emploie désormais habituellement que des
+appareils peu énergiques, préférables à cause de leur extrême
+simplicité, et tous les artifices sont réservés pour l'institution des
+moyens propres à manifester ou à mesurer les moindres effets
+électriques.</p>
+
+<p>Quoique la mesure de l'état électrique ne puisse évidemment avoir lieu
+sans sa manifestation, et même que celle-ci conduise toujours, d'une
+manière directe, à une évaluation quelconque, la distinction générale
+entre les <i>électroscopes</i> proprement dits et les vrais <i>électromètres</i>
+n'en est pas moins très réelle et fort utile à considérer pour se faire
+une juste idée de l'ensemble des moyens d'exploration propres aux
+électriciens. Parmi les simples électroscopes, il faut surtout
+distinguer, comme adaptés aux recherches délicates, ceux qui, sous le
+nom caractéristique de <i>condensateurs</i>, sont destinés à rendre
+sensibles, par une ingénieuse accumulation graduelle, de très faibles
+effets électriques. Tous ces instrumens sont d'ailleurs disposés de
+manière à indiquer, par une ingénieuse accumulation graduelle, de très
+faibles effets électriques. Tous ces instrumens sont d'ailleurs disposés
+de manière à indiquer, par le mode même d'expérimentation, la nature,
+positive ou négative<a id="footnotetag34" name="footnotetag34"></a>
+<a href="#footnote34"><sup class="sml">34</sup></a>, de l'électrisation étudiée.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote34"
+name="footnote34"><b>Note 34: </b></a><a href="#footnotetag34">
+(retour) </a> Ces dénominations sont aujourd'hui, par
+ plusieurs motifs importans, très heureusement substituées,
+ sans doute, à celles radicalement impropres d'électricité
+ <i>vitrée</i> et <i>résineuse</i>, qui, jusqu'à ces derniers temps,
+ étaient généralement usitées en France. Toutefois, il
+ convient d'observer à ce sujet que le principal inconvénient
+ réel de ces anciennes expressions, c'est-à-dire, leur
+ relation naturelle et exclusive à deux substances
+ déterminées, existe, d'une manière encore plus complète et
+ plus grave, dans le nom général de la science électrique
+ elle-même, que, par une singulière inconséquence, aucun
+ physicien ne juge néanmoins convenable de changer, tant est
+ grande la puissance des habitudes sur les esprits les plus
+ rationnels.
+</blockquote>
+
+<p>Quant aux électromètres, le plus parfait consiste certainement jusqu'ici
+dans la célèbre balance électrique de notre immortel Coulomb, où
+l'intensité des attractions et des répulsions électriques est mesurée,
+avec une admirable précision, d'après l'important principe de
+l'équilibre de torsion, par le nombre d'oscillations que l'indicateur
+exécute, en un temps donné, autour de sa situation statique. C'est à
+l'aide de cet instrument capital que Coulomb découvrit, et que l'on
+démontre journellement, la loi fondamentale relative à la variation de
+l'action électrique, répulsive ou attractive, inversement au quarré de
+la distance, loi qui ne pouvait être obtenue par aucune autre voie
+irrécusable. Lorsque, dans les quinze dernières années, la science s'est
+enrichie des importantes notions propres à l'électro-magnétisme, cette
+nouvelle étude a naturellement amené une nouvelle classe
+d'électromètres, destinés à des mesures que l'appareil de Coulomb ne
+pouvait indiquer, et dont la première idée, due à M. Schweigger, a été
+beaucoup perfectionnée par plusieurs physiciens, et surtout par M.
+Nobili. Ils consistent dans les divers <i>multiplicateurs</i>, où l'action
+naturelle d'un conducteur métallique sur une aiguille aimantée est
+considérablement amplifiée par des circonvolutions très rapprochées et
+presque parallèles. Toutefois, quelque précieux que soient de tels
+instrumens, et quoiqu'ils puissent rivaliser, pour la délicatesse des
+manifestations, avec la balance de torsion elle-même, ils sont loin, du
+moins jusqu'ici, de pouvoir être appliqués, avec autant de certitude, à
+des mesures exactes, vu l'extrême difficulté d'une graduation précise,
+vraiment conforme à l'intensité effective du phénomène observé<a id="footnotetag35" name="footnotetag35"></a>
+<a href="#footnote35"><sup class="sml">35</sup></a>.</p>
+
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote35"
+name="footnote35"><b>Note 35: </b></a><a href="#footnotetag35">
+(retour) </a> D'après l'influence électrique de la chaleur,
+ ces instrumens ont pu être heureusement appliqués à la
+ mesure des moindres effets thermométriques, sauf les mêmes
+ embarras de graduation. M. Melloni a surtout utilisé cette
+ ingénieuse modification, pour étudier tout récemment le
+ rayonnement spécifique des différens corps, jusqu'alors
+ vaguement exploré. M. Becquerel vient aussi d'adapter très
+ heureusement le même principe à la mesure des températures
+ propres aux parties les plus profondes des divers tissus
+ organisés qui composent les corps vivans, dont l'état
+ thermométrique ne pouvait jusqu'ici être observé que d'une
+ manière confuse et incomplète. Enfin, M. Peltier propose
+ aujourd'hui une importante extension de cet ingénieux
+ procédé général, pour explorer commodément les températures
+ des lieux profonds ou des diverses couches atmosphériques.
+</blockquote>
+
+<p>Tels sont, en aperçu, les principaux objets de cette première partie
+fondamentale de l'électrologie, si riche en appareils puissans ou
+précis. La seconde partie concerne, comme je l'ai indiqué, ce qu'on
+appelle vulgairement la <i>statique électrique</i>, par une dénomination
+essentiellement relative aux hypothèses illusoires sur la nature de
+l'électricité. Toutefois, une telle expression n'est pas, au fond,
+entièrement dépourvue de justesse, puisqu'il s'agit alors, en effet, de
+la répartition de l'électricité dans une masse ou dans un système de
+corps, dont l'état électrique est envisagé comme sensiblement
+invariable. On peut donc continuer à employer désormais ce terme abrégé,
+pourvu qu'on en écarte désormais avec soin toute idée mécanique sur
+l'équilibre du prétendu fluide électrique, et qu'on cesse, par exemple,
+de penser à la mesure des divers degrés d'épaisseur de la couche
+imaginaire dont quelques géomètres ont voulu recouvrir les corps
+électrisés. En un mot, on pourra parler encore de l'<i>équilibre</i>
+électrique, si l'on attache à cette expression un sens exactement
+analogue à celui dans lequel Fourier prenait habituellement l'équilibre
+de la chaleur, et comme les économistes entendent tous les jours
+l'équilibre de la population: toute autre acception serait absurde, et
+même inintelligible. C'est ainsi que la plupart des formules de langage
+successivement introduites en physique, sous l'influence prépondérante
+des vains systèmes qui doivent désormais en être radicalement exclus,
+sont susceptibles néanmoins d'être essentiellement maintenues, si l'on
+prend la précaution d'en rectifier scrupuleusement le sens fondamental,
+de manière à le réduire au strict énoncé d'un phénomène général, ce qui
+me semble presque toujours possible.</p>
+
+<p>En considérant d'abord l'équilibre électrique dans chaque corps isolé,
+Coulomb a irrécusablement établi, à cet égard, une première loi
+fondamentale, la tendance constante (suivant le style métaphorique
+encore exclusivement usité) de l'électricité à se porter immédiatement à
+la surface: ce qui signifie, en termes rationnels, que, après un instant
+jusqu'ici inappréciable, l'électrisation est toujours strictement
+limitée à la surface des corps, de quelque manière qu'elle ait été
+primitivement produite. Quant à la répartition de l'état électrique
+entre les diverses parties de cette surface, elle dépend principalement,
+d'après les belles suites d'expériences de Coulomb, de la forme des
+corps: uniforme pour la sphère seule, elle est inégale pour toute autre
+figure, mais toujours soumise néanmoins à des lois régulières, dont il
+est, d'ailleurs, facile de concevoir que l'analyse exacte et complète
+présente, par sa nature, des difficultés presque insurmontables, malgré
+l'expédient illusoire des vaines spéculations algébriques, dépourvues de
+tout fondement scientifique. Néanmoins, Coulomb a constaté, sous ce
+rapport, un fait général d'une grande importance, en comparant l'état
+électrique propre aux extrémités d'un ellipsoïde graduellement allongé:
+il a ainsi reconnu que leur électrisation augmente rapidement à mesure
+que la figure s'allonge, en diminuant sur le reste du corps; d'où il a
+déduit une heureuse application à l'explication de ce remarquable
+pouvoir des pointes, si bien dévoilé par Franklin.</p>
+
+<p>Les lois de l'équilibre électrique entre plusieurs corps contigus,
+constituent, par leur nature, comme il est aisé de le sentir, une
+recherche encore plus difficile et plus étendue. Coulomb ne les a
+exactement étudiées que dans le cas très limité, et trop insuffisant
+pour les applications, de diverses masses sphériques. Toutefois, les
+travaux de ce grand physicien ont conduit, à cet égard, à cette notion
+générale fort essentielle, que la nature des substances n'exerce aucune
+influence sur la répartition électrique qui s'établit entre elles, et
+dont le mode dépend seulement de leur figure et de leur grandeur:
+seulement, l'état électrique que prend chaque surface est plus ou moins
+persévérant et se manifeste avec plus ou moins de rapidité, suivant le
+degré de conductibilité du corps. L'action mutuelle de deux sphères
+égales a été complétement analysée par Coulomb, dont l'admirable
+sagacité a dévoilé le mode singulier de répartition que rien ne pouvait
+auparavant indiquer, et suivant lequel l'état électrique, toujours nul
+au point de contact, et à peine sensible à 20 degrés de là, augmente
+ensuite rapidement de 60 à 90 degrés, et continue à croître encore,
+quoique plus lentement, jusqu'à 180 degrés, où se trouve constamment son
+<i>maximum</i>. La même marche se manifeste quand les deux globes sont
+inégaux, sauf que le moindre est toujours le plus électrisé. Enfin, le
+mode d'action semble d'ailleurs identique, soit que les deux corps ou
+seulement l'un d'eux aient été primitivement électrisés. La question
+devient encore plus complexe en considérant plus de deux corps: elle
+présente alors des subdivisions extrêmement multipliées, même en la
+restreignant à des figures semblables, suivant le nombre des masses,
+leur rapport de grandeur, et leur disposition mutuelle. Coulomb s'est
+borné à examiner, dans ses expériences, une suite de globes égaux rangés
+en ligne droite. On conçoit que les seules variétés d'arrangement
+peuvent donner naissance à de nombreuses combinaisons, dont les
+résultats doivent sans doute notablement différer; car, si les sphères
+de Coulomb, au lieu d'être consécutives, avaient, été disposées de telle
+sorte que chacune en touchât à la fois trois ou quatre autres, par des
+points situés à des distances angulaires quelconques, le mode de
+répartition électrique eût inévitablement éprouvé de grands changemens.
+Cette intéressante et difficile étude, à laquelle, depuis Coulomb,
+personne n'a rien ajouté d'important, doit donc être envisagée comme
+seulement ébauchée par les travaux de cet illustre physicien; elle offre
+évidemment aux électriciens un sujet de recherches presque inépuisable.</p>
+
+<p>Considérons maintenant la troisième partie fondamentale de
+l'électrologie actuelle, justement qualifiée de <i>dynamique électrique</i>,
+parce qu'elle a pour objet l'étude des mouvemens qui résultent de
+l'électrisation. Malgré sa fondation toute récente, cette section n'en
+est pas moins, à mon avis, par le bel ensemble des travaux de M. Ampère,
+celle dont l'état scientifique est aujourd'hui le plus satisfaisant, en
+y élaguant, bien entendu, l'influence des conceptions chimériques sur
+l'essence des phénomènes électriques.</p>
+
+<p>L'analyse exacte et complète des effets si variés relatifs à celle
+branche capitale de l'électrologie, a été essentiellement ramenée par M.
+Ampère à un seul phénomène général et élémentaire, dont il a pleinement
+dévoilé toutes les lois, l'action directe et mutuelle de deux fils
+conducteurs électrisés par des piles voltaïques, habituellement réduites
+à leur plus grande simplification, c'est-à-dire, presque toujours
+composées d'un seul élément. C'est donc à cette action fondamentale que
+nous devons ici borner notre examen philosophique.</p>
+
+<p>Deux conducteurs ainsi disposés tendent toujours, quand ils sont
+suffisamment mobiles, à se placer dans des directions parallèles entre
+elles; et, après y être parvenus, ils s'attirent ou se repoussent,
+suivant que les deux courans électriques sont conformes ou contraires.
+Mais, pour observer avec exactitude les lois de ce phénomène principal,
+il est indispensable de soustraire les deux fils à l'action directrice
+analogue qu'exerce sur eux, en vertu de son état électrique, la masse
+générale du globe terrestre, et qui altérerait notablement l'effet de
+leur influence mutuelle. Après avoir découvert cette action remarquable,
+qui est, d'ailleurs, en elle-même, si importante à connaître, M. Ampère
+a imaginé des dispositions expérimentales, aussi simples qu'ingénieuses,
+pour garantir les observations de cette perturbation générale, soit en
+plaçant d'avance chaque conducteur dans le plan où l'influence de la
+terre tendrait à le ramener, soit même en neutralisant complétement
+cette influence par l'opposition rigoureuse des effets égaux qu'elle
+produirait sur les deux parties du conducteur convenablement modifié.
+L'observation étant ainsi préservée de toute altération, il devient
+facile dès lors de saisir les lois élémentaires du phénomène, où, pour
+plus de généralité et de simplicité, on doit avoir seulement en vue des
+portions infiniment petites des divers conducteurs. Ces lois,
+mathématiquement envisagées, sont relatives ou à l'influence de la
+direction, ou à celle de la distance.</p>
+
+<p>Quant à la direction, il faut distinguer deux cas, suivant que l'on
+compare deux élémens conducteurs situés dans le même plan, ou dans des
+plans différens. Pour le premier cas, l'intensité de l'action dépend
+seulement de l'angle formé par chacun des deux élémens avec la ligne qui
+joint leurs milieux: elle est nulle en même temps que cet angle, et
+augmente avec lui, en atteignant son <i>maximum</i> lorsqu'il devient droit,
+et changeant d'ailleurs de signe en même temps que lui. Tous les
+phénomènes, directs ou indirects, paraissent être exactement
+représentés, si l'on fait varier cette intensité proportionnellement au
+sinus de l'inclinaison, suivant la formule adoptée par tous les
+successeurs de M. Ampère. Quand les deux conducteurs ne sont pas dans un
+même plan, l'action dépend en outre de l'inclinaison mutuelle des plans
+menés par chacun d'eux et par la ligne commune de leurs milieux; et la
+marche de cette seconde relation est totalement différente. Sous ce
+nouveau rapport, la perpendicularité de ces deux plans détermine au
+contraire l'absence d'action, soit attractive, soit répulsive: il y a
+attraction tant que l'angle est aigu, et elle augmente à mesure qu'il
+diminue, son <i>maximum</i> ayant lieu au moment de la coïncidence; quand
+l'angle est obtus, l'action devient répulsive et présente une intensité
+d'autant plus grande que chaque plan s'approche davantage du
+prolongement de l'autre, situation qui produit le <i>maximum</i> de
+répulsion. L'ensemble de ces variations tend à faire envisager une telle
+action comme étant proportionnelle au cosinus de l'angle des deux plans,
+quoique d'ailleurs les observations n'aient point prononcé jusqu'ici sur
+le degré d'exactitude réelle de cette simple supposition, aussi
+clairement qu'à l'égard de la première relation.</p>
+
+<p>Dès l'origine de ses recherches, M. Ampère a été conduit à supposer,
+par analogie avec la loi fondamentale de Coulomb sur les attractions et
+les répulsions électriques ordinaires, que l'action des deux élémens
+conducteurs est toujours réciproque au carré de la distance de leurs
+milieux. Mais, cette simple analogie, parmi tant de différences
+essentielles, ne pouvait évidemment suffire pour établir, d'une manière
+catégorique, une loi aussi importante. D'une autre part, l'action
+mutuelle des parties infiniment petites n'était pas susceptible d'une
+observation directe, toujours nécessairement affectée par la forme et la
+grandeur réelles des deux conducteurs effectifs. Toutefois, il était
+aisé de démontrer mathématiquement, comme le fit Laplace, que, dans
+l'hypothèse adoptée par M. Ampère, l'action d'un conducteur rectiligne,
+de longueur indéfinie, sur une aiguille aimantée, devait varier
+exactement en raison inverse de leur plus courte distance. Or, cette
+conséquence nécessaire, directement vérifiée, de la manière la plus
+précise, par les expériences délicates de MM. Savart et Biot, a dû
+évidemment mettre hors de doute la réalité de la loi proposée.</p>
+
+<p>Une telle loi tendrait à présenter la marche de ces actions électriques
+comme essentiellement analogue, sous le point de vue mathématique, à
+celle de la gravitation. Mais l'ensemble du parallèle détruit aussitôt
+tout semblable rapprochement, en montrant, comme nous venons de le voir,
+la grande et fondamentale influence exercée, dans la dynamique
+électrique, par la direction mutuelle, dont la gravitation est au
+contraire radicalement indépendante. Cette différence profonde peut
+faire sentir avec quelle réserve on doit transporter, dans l'étude
+mathématique de ces singuliers mouvemens, les procédés ordinaires de la
+dynamique abstraite, qui a presque toujours en vue, dans ses théorèmes
+les plus usuels, des actions essentiellement indépendantes de la
+direction, et variant d'après la seule distance. On conçoit aisément
+que, par suite de ce caractère propre aux forces électriques, leur
+composition analytique doit présenter beaucoup plus de difficultés que
+celle des gravitations moléculaires, dont la complication est déjà,
+comme nous l'avons reconnu dans la première partie de ce volume, presque
+entièrement inextricable, sauf pour les cas les plus simples. Aussi
+jusqu'à présent la dynamique électrique n'a-t-elle été, en réalité,
+mathématiquement étudiée, que suivant une seule dimension, et jamais en
+surface, par les divers successeurs de M. Ampère, et surtout par M.
+Savary, qui s'en est le plus heureusement occupé. Cette étude, ainsi
+réduite au cas le plus simple, offrirait même encore de grands
+obstacles, si l'on n'y mettait continuellement à profit une dernière
+notion fondamentale, établie par M. Ampère d'après des expériences
+décisives, et qui consiste en ce que, dans une étendue infiniment
+petite, et tant que la distance n'est pas sensiblement changée, l'action
+électrique est exactement identique pour deux élémens conducteurs
+aboutissant aux mêmes extrémités, quelle que soit d'ailleurs leur
+différence de forme. Une semblable propriété doit évidemment introduire
+de précieuses simplifications analytiques, par l'heureuse faculté qui en
+résulte de substituer, dans les calculs électriques, à l'action de tout
+élément curviligne, celle, dès lors équivalente, de l'ensemble des
+différentielles de ses coordonnées quelconques, ce qui établit une
+analogie remarquable entre les décompositions électriques et les
+décompositions dynamiques ordinaires.</p>
+
+<p>Tel est l'ensemble des notions fondamentales d'après lesquelles on
+procède à l'étude exacte et rationnelle des actions variées produites
+par des fils conducteurs, contournés et disposés de diverses manières.
+Le cas le plus intéressant se rapporte aux conducteurs pliés en hélices,
+surtout lorsque leurs spires sont très rapprochées, et dont M. Ampère a
+si judicieusement montré l'extrême importance pour imiter le plus
+complétement possible, dans les expériences purement électriques, les
+phénomènes propres aux corps aimantés. L'observation confirme
+pleinement, à leur égard, toutes les conséquences, plus ou moins
+éloignées, qui résultent naturellement de la combinaison des lois
+précédentes.</p>
+
+<p>La destination scientifique la plus essentielle de cette dynamique
+électrique, consiste dans l'explication exacte des principaux phénomènes
+magnétiques, dont l'étude constitue irrévocablement désormais la
+quatrième et dernière branche fondamentale de l'électrologie, depuis la
+découverte capitale faite par M. Oersted, il y a quinze ans, de
+l'influence exercée par un conducteur voltaïque sur une aiguille
+aimantée.</p>
+
+<p>Malgré l'éminent mérite d'une telle découverte, des esprits superficiels
+ont souvent tenté de la représenter comme essentiellement due au hasard,
+qui, néanmoins, en thèse générale, n'a jamais pu conduire, sous aucun
+rapport, à une création de quelque importance, même dans les cas les
+plus simples. Ces étranges philosophes auraient bien dû toutefois nous
+expliquer pourquoi, avant M. Oersted, personne n'avait encore aperçu
+cette action mutuelle, quoique le hasard eût, sans doute, placé très
+fréquemment, sous les yeux des physiciens, une aiguille aimantée à côté
+d'une pile galvanique. Il est clair, en principe, que ce ne sont pas
+ordinairement les phénomènes qui manquent à nos découvertes, mais
+surtout les observateurs capables et convenablement disposés, prêts à
+démêler, dans la foule de circonstances qui affectent nos sens à chaque
+instant, les faits susceptibles d'une véritable signification
+scientifique. Suivant une autre explication plus rationnelle, quoique
+vicieusement systématique, cette grande découverte devrait uniquement
+son origine à des idées <i>à priori</i> sur l'identité nécessaire du
+magnétisme et de l'électricité, rattachées aux vaines hypothèses dont la
+nature intime de ces deux ordres de phénomènes a été le sujet. Mais,
+sans entreprendre l'analyse impossible de l'influence effective qu'ont
+pu avoir ces conceptions arbitraires sur la marche réelle d'un esprit
+qui en était préoccupé, il est évident que la simple comparaison
+générale des phénomènes devait conduire à soupçonner cette identité,
+comme paraît l'avoir fait M. Oersted, long-temps avant qu'elle fût
+constatée. L'influence magnétique si prononcée de l'électricité
+atmosphérique, remarquée, dès l'origine de l'électrologie, dans tous les
+cas de vaisseaux frappés par la foudre, suffisait certainement, par
+exemple, pour indiquer, d'une manière générale, la relation fondamentale
+des deux sortes d'actions. On peut, ce me semble, plus judicieusement
+demander si, à cet égard, comme à tant d'autres, les systèmes illusoires
+n'ont pas, en réalité, contribué davantage à retarder cette importante
+découverte qu'à l'accélérer, en rapportant les deux ordres de phénomènes
+à des causes radicalement différentes, qui tendaient à faire méconnaître
+la valeur des analogies manifestées entre eux par l'observation
+rationnelle de plusieurs effets naturels, connus de tous les physiciens.</p>
+
+<p>Quoi qu'il en soit de cette question philosophique, l'ensemble des
+expériences décisives imaginées par divers physiciens, dans la direction
+tracée par M. Oersted, a mis entièrement hors de doute l'identité
+générale des effets magnétiques et électriques. La propriété la plus
+vulgaire des aimans, leur puissance attractive à l'égard du fer, a été
+constatée par M. Arago, pour les conducteurs voltaïques de nature
+quelconque. Ce même physicien a reconnu, dans une expérience capitale,
+la possibilité d'aimanter une aiguille d'acier en l'entourant d'un
+conducteur voltaïque plié en hélice, ou même en l'électrisant par des
+procédés ordinaires, indépendans de l'action galvanique; et ces nouveaux
+modes d'aimantation ont été ensuite l'objet d'un judicieux travail de M.
+Savary, qui en a exactement analysé toutes les circonstances
+essentielles. Enfin, le plus important caractère des phénomènes
+magnétiques, la direction constante de l'aiguille aimantée, a été
+rattaché par M. Ampère à l'électrologie, aussitôt que cet illustre
+physicien eût fait la découverte fondamentale de l'action directrice
+exercée par la terre sur un conducteur voltaïque, dont le plan tend
+toujours à se placer perpendiculairement à la situation naturelle de
+l'aiguille aimantée. D'un autre côté, pour compléter un tel parallèle,
+la plupart des phénomènes électriques ordinaires ont pu être imités à
+l'aide des aimans; et M. Faraday est même parvenu jusqu'à produire ainsi
+de véritables étincelles électriques. En un mot, par la combinaison
+rationnelle de ces diverses séries d'observations nouvelles, M. Ampère a
+été justement conduit à représenter tous les phénomènes magnétiques
+comme fidèlement interprétés en concevant la surface d'un aimant
+quelconque recouverte d'une suite de circuits voltaïques fermés,
+perpendiculaires à son axe.</p>
+
+<p>Dans cette belle théorie, il ne resterait essentiellement à expliquer
+qu'un seul caractère fondamental de la vertu magnétique, sa relation
+exclusive à un petit nombre de substances déterminées. Sans doute, il
+serait anti-scientifique de vouloir, à cet égard, remonter jusqu'à la
+propriété spécifique primordiale; de même qu'on ne saurait, par exemple,
+raisonnablement chercher pourquoi tel corps est un bon ou un mauvais
+conducteur de l'action électrique. Toutefois, en écartant cette enquête
+irrationnelle, il semble que, les phénomènes électriques étant, de leur
+nature, généraux, la doctrine électro-magnétique laissera quelque chose
+de capital à désirer, tant qu'on n'aura pas rattaché la constitution
+propre aux aimans à quelque autre condition électrique, susceptible de
+généralité. Le progrès continuel des observations, tend, il est vrai, à
+affaiblir chaque jour davantage la différence, primitivement absolue,
+entre les substances propres à l'aimantation, et celles qui ne le sont
+pas: et nous sommes aujourd'hui autorisés à penser qu'il n'existe, sous
+ce rapport, entre les divers corps naturels que de simples distinctions
+de degrés, qui, peut-être, ne nous paraissent aussi tranchées que par
+l'imperfection des moyens d'observation. Déjà Coulomb avait constaté des
+indices non équivoques, quoique très faibles, de l'état magnétique, dans
+un grand nombre de substances, réduites en minces filets: mais ces
+résultats avaient été alors généralement attribués à l'action de
+quelques particules ferrugineuses, dont l'absence ne pouvait être, à
+cette époque, irrécusablement garantie. Or, les expériences
+électro-magnétiques ont conduit aujourd'hui à multiplier beaucoup le
+nombre des effets analogues, en même temps que le perfectionnement de
+l'analyse chimique a permis d'assurer que le fer n'avait aucune part à
+leur production. Nonobstant ces considérations subsidiaires, il demeure
+cependant incontestable que jusqu'ici on n'aperçoit de relation entre
+aucun caractère électrique des substances ferrugineuses et leur
+singulière prépondérance magnétique: il y a, sous ce rapport, dans
+l'électro-magnétisme actuel, une véritable lacune essentielle, qu'on ne
+doit pas dissimuler.</p>
+
+<p>Pour faire entièrement rentrer dans la dynamique électrique ordinaire le
+phénomène fondamental de la direction propre à l'aiguille aimantée, il
+suffit de concevoir la terre, comme tout autre aimant, recouverte à sa
+surface d'une suite de circuits voltaïques, parallèles à l'équateur
+magnétique. M. Ampère a formé, sur l'origine d'un tel état électrique,
+une conjecture fort ingénieuse et même très philosophique, en
+l'attribuant, d'après l'action incontestable de la chaleur sur le
+développement de l'électricité, aux températures inégales et
+périodiquement variables des divers points de la surface terrestre.
+L'expérience capitale de M. Arago sur l'influence magnétique du
+mouvement de rotation, porte d'ailleurs à penser que le mouvement diurne
+de la terre contribue vraisemblablement, d'une manière directe, à une
+semblable électrisation. Enfin, il y aurait peut-être lieu d'admettre
+aussi, comme sous le rapport thermologique, une certaine constitution
+électrique fondamentale, propre à l'ensemble de notre globe. Du reste,
+suivant l'esprit général et le plan de cet ouvrage, expliqués dès
+l'origine, il ne saurait être ici essentiellement question de ce qui
+concerne l'histoire naturelle du globe, quand même elle ne serait point
+encore, à tous égards, dans un état de véritable enfance. Je ne puis
+donc nullement envisager les lois relatives à la distribution du
+magnétisme à la surface de notre planète, dont l'étude, quoique fort
+imparfaite, constitue aujourd'hui une des plus intéressantes parties de
+la géographie physique. La théorie magnétique propre à la physique
+abstraite et générale, se borne, sous ce rapport, à caractériser
+exactement, et à assujettir à des mesures précises, les objets
+essentiels sur lesquels doit porter l'observation comparative des
+naturalistes, savoir: l'intensité relative de l'action magnétique,
+estimée d'après le nombre d'oscillations que l'aiguille aimantée
+exécute, en un temps donné, autour de sa position d'équilibre; la
+direction de cette action, définie par les deux élémens rigoureusement
+appréciables, connus sous les noms de <i>déclinaison</i> et d'<i>inclinaison</i>,
+dont l'évaluation se fait aujourd'hui avec une grande justesse. On
+commence maintenant à entrevoir quelques lois empiriques sur diverses
+valeurs normales de ces deux angles dans les différens lieux, et l'on
+présume, par exemple, que la tangente de l'inclinaison est toujours
+double de celle de la latitude magnétique: mais cette recherche est à
+peine ébauchée, et présente même encore une notable incertitude. Il en
+est ainsi, à plus forte raison, des singulières variations périodiques,
+de plusieurs ordres de grandeur et de durée, qu'éprouve, en chaque lieu,
+la direction de l'aiguille aimantée, soit en déclinaison, soit en
+inclinaison, et qui paraissent jusqu'ici totalement inexplicables.
+Toutefois, je ne dois pas négliger de signaler à ce sujet, à cause de sa
+rationnalité, l'heureuse tentative entreprise récemment par un célèbre
+navigateur, M. le capitaine Duperrey, pour rattacher l'ensemble de ces
+diverses variations aux changemens réguliers qu'éprouve l'état
+thermométrique du globe. Il serait fort désirable qu'une telle
+conception, pleinement en harmonie avec la théorie fondamentale de M.
+Ampère, fût finalement confirmée par une discussion judicieuse et
+approfondie du système des observations relatives au magnétisme
+terrestre.</p>
+
+<p>Telles sont, en aperçu, les principales considérations générales que
+fait naître l'examen philosophique des quatre parties essentielles de
+l'électrologie actuelle. Quelle que soit l'imperfection relative de
+cette branche fondamentale de la physique par suite de la complication
+supérieure de ses phénomènes, on a dû remarquer, dans cette sommaire
+indication, combien ses progrès ont été comparativement plus rapides, à
+partir de l'époque, si peu éloignée, où elle a commencé à prendre un
+véritable aspect scientifique. Les parties les plus nouvelles surtout
+ont acquis, avec une extrême promptitude, une consistance et une
+rationnalité très remarquables, qu'il faut sans doute attribuer avant
+tout au sentiment devenu plus profond, plus complet, et plus unanime de
+la saine méthode scientifique, mais qui tiennent aussi, à quelques
+égards, à l'unité de construction naturellement produite à ce sujet par
+la prépondérance des travaux d'un grand physicien. Quoique aucune autre
+branche de la physique ne soit altérée, d'une manière aussi étendue, par
+l'usage des vaines et absurdes hypothèses relatives à l'essence des
+phénomènes et à leur mode primitif de production, ces systèmes
+arbitraires n'y sont pas néanmoins très profondément enracinés: leur
+radicale nullité y est plus facile à saisir; et son épuration présentera
+réellement peu d'obstacles, quand les physiciens en auront dignement
+compris l'importance.</p>
+
+<p>Dans cette leçon, et dans l'ensemble des six précédentes, je me suis
+attaché à faire exactement apprécier le caractère général propre à la
+philosophie de la physique, successivement envisagée sous les divers
+aspects fondamentaux que peut présenter l'étude des propriétés communes
+à toutes les substances et à toutes les structures, et qui constituent,
+par leur nature, autant de sciences vraiment distinctes, quoique liées
+entre elles à plusieurs titres, plutôt que les différentes branches
+d'une science unique. Ce travail a nécessité partout une opération
+philosophique d'une grande importance, qu'avait à peine exigée la
+science astronomique, mais qui, désormais, deviendra, dans la suite de
+cet ouvrage, de plus en plus indispensable; celle qui consiste à dégager
+la science réelle de la déplorable influence qu'exerce encore sur elle,
+d'une manière si prononcée, quoique indirecte, l'ancien esprit de la
+philosophie métaphysique, dont nous sommes encore fort incomplétement
+affranchis, et qui se manifeste, surtout en physique, par les
+conceptions, nécessairement illusoires et arbitraires, sur les agens
+primordiaux des phénomènes. Après avoir démontré en général le vice
+fondamental d'une telle manière de philosopher, j'ai dû l'assujettir à
+un examen sommaire, mais spécial, pour chaque partie de la physique qui
+en est notablement affectée. La nature de cet ouvrage s'opposait sans
+doute à l'exécution convenable d'une telle épuration, qui ne pouvait y
+être qu'indiquée: j'espère, toutefois, que cette indication sera
+suffisante pour attirer sur cette question vitale l'attention de
+quelques physiciens rationnels, en leur faisant sentir que ces vaines
+hypothèses constituent, dans le système de la science actuelle, une
+superfétation hétérogène, qui ne peut que nuire au progrès des
+connaissances réelles, en altérant leur positivité caractéristique, et
+dont il serait aussi facile que désirable de se passer désormais
+entièrement. La principale utilité scientifique de ce traité consistant
+à perfectionner l'esprit général de chaque science fondamentale, mon but
+ne sera atteint, à cet égard, que si quelque physicien spécial
+entreprend, d'après une telle ouverture, la réalisation d'un projet dont
+j'ai dû me borner à signaler ici l'importance et la possibilité. C'est
+dans les mêmes vues que j'ai essayé de caractériser sommairement
+l'application judicieuse des théories mathématiques aux diverses
+branches principales de la physique, tout en indiquant les graves
+dangers de la systématisation démesurée et illusoire qu'on a si souvent
+tenté d'obtenir par l'emploi de ce puissant moyen, au-delà de ce que
+comportait la nature trop complexe des phénomènes correspondans.
+Toutefois, en m'occupant, par-dessus tout, de la méthode, je n'ai pas
+négligé de signaler, en aperçu, dans la composition effective de chaque
+doctrine physique, les principales lois naturelles déjà dévoilées par
+l'esprit humain pendant les deux siècles écoulés depuis la naissance de
+la vraie physique, et aussi les lacunes essentielles que cet examen
+philosophique a fait ressortir.</p>
+
+<p>Je dois maintenant poursuivre la grande tâche que je me suis tracée, en
+procédant, dans la première partie du volume suivant, à l'appréciation
+philosophique d'une nouvelle science fondamentale, la dernière de toutes
+celles qui composent l'ensemble des connaissances générales ou
+inorganiques. Cette science, relative aux réactions moléculaires et
+spécifiques que les diverses substances naturelles exercent les unes sur
+les autres, est nécessairement plus compliquée, et, par suite, beaucoup
+plus imparfaite que celles considérées dans ces deux premiers volumes.
+Mais sa subordination aux sciences antérieures, dont nous avons établi
+la philosophie, peut fournir les moyens de perfectionner notablement son
+caractère général.</p>
+
+<p>FIN DU TOME DEUXIÈME.</p>
+
+
+<p>Avril 1835.</p>
+<br><br>
+
+<br><hr class="full"><br>
+
+<h3>TABLE DES MATIÈRES</h3>
+
+<h4>CONTENUES DANS LE DEUXIÈME VOLUME.</h4>
+
+<br><hr class="short"><br>
+
+<p><a href="#l0"><span class="sc">Avis de l'Auteur</span>.</a></p>
+
+<p><a href="#l19">19e <span class="sc">Leçon</span>.</a> Considérations philosophiques sur l'ensemble de la science
+astronomique.</p>
+
+<p><a href="#l20">20e <span class="sc">Leçon</span>.</a> Considérations générales sur les méthodes d'observations en
+astronomie.</p>
+
+<p><a href="#l21">21e <span class="sc">Leçon</span>.</a> Considérations générales sur les phénomènes géométriques
+élémentaires des corps célestes.</p>
+
+<p><a href="#l22">22e <span class="sc">Leçon</span>.</a> Considérations générales sur le mouvement de la terre.</p>
+
+<p><a href="#l23">23e <span class="sc">Leçon</span>.</a> Considérations générales sur les lois de Képler, et sur leur
+application à l'étude géométrique des mouvemens célestes.</p>
+
+<p><a href="#l24">24e <span class="sc">Leçon</span>.</a> Considérations fondamentales sur la loi de la gravitation.</p>
+
+<p><a href="#l25">25e <span class="sc">Leçon</span>.</a> Considérations générales sur la statique céleste.</p>
+
+<p><a href="#l26">26e <span class="sc">Leçon</span>.</a> Considérations générales sur la dynamique céleste.</p>
+
+<p><a href="#l27">27e <span class="sc">Leçon</span>.</a> Considérations générales sur l'astronomie sidérale, et sur la
+cosmogonie positive.</p>
+
+<p><a href="#l28">28e <span class="sc">Leçon</span>.</a> Considérations philosophiques sur l'ensemble de la physique.</p>
+
+<p><a href="#l29">29e <span class="sc">Leçon</span>.</a> Considérations générales sur la barologie.</p>
+
+<p><a href="#l30">30e <span class="sc">Leçon</span>.</a> Considérations générales sur la thermologie physique.</p>
+
+<p><a href="#l31">31e <span class="sc">Leçon</span>.</a> Considérations générales sur la thermologie mathématique.</p>
+
+<p><a href="#l32">32e <span class="sc">Leçon</span>.</a> Considérations générales sur l'acoustique.</p>
+
+<p><a href="#l33">33e <span class="sc">Leçon</span>.</a> Considérations générales sur l'optique.</p>
+
+<p><a href="#l34">34e <span class="sc">Leçon</span>.</a> Considérations générales sur l'électrologie.</p>
+
+<p>FIN DE LA TABLE DU DEUXIÈME VOLUME.</p>
+
+
+<br><br>
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Cours de philosophie positive.(2/6), by
+Auguste Comte
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK COURS DE PHILOSOPHIE ***
+
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+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
+collection are in the public domain in the United States. If an
+individual work is in the public domain in the United States and you are
+located in the United States, we do not claim a right to prevent you from
+copying, distributing, performing, displaying or creating derivative
+works based on the work as long as all references to Project Gutenberg
+are removed. Of course, we hope that you will support the Project
+Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by
+freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of
+this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with
+the work. You can easily comply with the terms of this agreement by
+keeping this work in the same format with its attached full Project
+Gutenberg-tm License when you share it without charge with others.
+
+1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern
+what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in
+a constant state of change. If you are outside the United States, check
+the laws of your country in addition to the terms of this agreement
+before downloading, copying, displaying, performing, distributing or
+creating derivative works based on this work or any other Project
+Gutenberg-tm work. The Foundation makes no representations concerning
+the copyright status of any work in any country outside the United
+States.
+
+1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg:
+
+1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate
+access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently
+whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the
+phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project
+Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed,
+copied or distributed:
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+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived
+from the public domain (does not contain a notice indicating that it is
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+or charges. If you are redistributing or providing access to a work
+with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the
+work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1
+through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the
+Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or
+1.E.9.
+
+1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted
+with the permission of the copyright holder, your use and distribution
+must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional
+terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked
+to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the
+permission of the copyright holder found at the beginning of this work.
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+1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm
+License terms from this work, or any files containing a part of this
+work or any other work associated with Project Gutenberg-tm.
+
+1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this
+electronic work, or any part of this electronic work, without
+prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with
+active links or immediate access to the full terms of the Project
+Gutenberg-tm License.
+
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+compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any
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+"Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version
+posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org),
+you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a
+copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon
+request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other
+form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm
+License as specified in paragraph 1.E.1.
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+1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
+performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works
+unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.
+
+1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing
+access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided
+that
+
+- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
+ the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
+ you already use to calculate your applicable taxes. The fee is
+ owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he
+ has agreed to donate royalties under this paragraph to the
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+ prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax
+ returns. Royalty payments should be clearly marked as such and
+ sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the
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+ the Project Gutenberg Literary Archive Foundation."
+
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+ you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
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+ License. You must require such a user to return or
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+
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+ money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
+ electronic work is discovered and reported to you within 90 days
+ of receipt of the work.
+
+- You comply with all other terms of this agreement for free
+ distribution of Project Gutenberg-tm works.
+
+1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm
+electronic work or group of works on different terms than are set
+forth in this agreement, you must obtain permission in writing from
+both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael
+Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the
+Foundation as set forth in Section 3 below.
+
+1.F.
+
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+effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
+public domain works in creating the Project Gutenberg-tm
+collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic
+works, and the medium on which they may be stored, may contain
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+with this agreement, and any volunteers associated with the production,
+promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
+harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ http://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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